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Full text of "Revue historique"

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REVUE 


HISTORIQUE 


REVUE 


HISTORIQUE 


Paraissant   tous   les    deux   mois. 


Ne  quid  falsi  audeat,  ne  quid  vert  non  audeal  historia. 
CiCÉRON,  de  Orat.  II,  i5. 


NEUVIEME  ANNÉE. 


TOME   VINGT-CINQUIEME 


Mai- Août   1884. 


PARIS 

ANCIENNE  LIBRAIRIE  GERMER  BAILLIÈRE  et  G" 
FÉLIX  ALGAN,  Éditeur 

108,     BOULEVARD    SAINT-GERMAIN 

AU    COIN    DE    LA    RUE    HAUTEFEUILLE 

1884 


/ 
Rio 


ÉTUDES  ALGÉRIENNES 


LA  COURSE,  L'ESCLAVAGE  ET  LA  REDEMPTION 
A   ALGER. 


PREMIERE  PARTIE  :  LA  COURSE. 

Depuis  la  fondation  de  la  Régence  d'Alger,  qui  eut  lieu  en 
1515,  jusqu'au  commencement  du  xix^  siècle,  personne  ne  navi- 
gua sur  la  Méditerranée  sans  courir  le  risque  de  tomber  entre  les 
mains  des  Barbaresques,  dont  les  corsaires  infestèrent  les  mers 
pendant  toute  cette  période.  Celui  auquel  ce  malheur  arrivait 
devait  s'attendre  à  un  dur  esclavage,  et  mourait  dans  les  fers 
s'il  ne  lui  était  pas  possible  de  payer  sa  rançon.  On  sait  combien 
ce  fléau  pesa  sur  les  populations  européennes,  et  l'on  retrouve 
aisément  la  trace  de  cette  préoccupation  continue  dans  la  littéra- 
ture des  xvi''  et  xvif  siècles.  D'un  autre  côté,  on  constate  avec 
étonnement  que  ce  drame  trois  fois  séculaire  n'a  pas  rencontré 
d'historien  sérieux  depuis  le  P.  Dan,  qui  écrivait  en  1637 ^ 
C'est  ce  qui  nous  a  engagé  à  entreprendre  cette  étude,  que  nous 
diviserons  en  trois  parties  :  La  Course,  c'est-à-dire  :  comment 
on  tombait  entre  les  mains  des  Barbaresques  ;  l'Esclavage,  où 
nous  dirons  dans  quelles  conditions  vivaient  les  captifs  ;  la 
Rédemption,  où  l'on  verra  comment  on  sortait  de  captivité.  Il 
ne  sera  question  dans  ce  travail  que  de  ce  qui  se  pratiquait  à 
Alger;  mais,  sur  toute  la  côte  de  Barbarie,  les  errements  étaient 

1.  La  Course  et  l'Esclavage  n'ont  eu  que  deux  historiens  :  Fray  Diego  de 
Haëdo  {Topografia  e  hisioria  gênerai  de  Argel,  Valladolid,  1612,  in-8°)  et  le 
P.  Dan  {Histoire  de  Barbarie  et  de  ses  corsaires.  Paris,  1G37,  in-4°,  réimprimé 
en  1649  avec  quelques  additions).  Pour  la  Rédemption,  on  peut  consulter  les 
nombreuses  Relations  des  religieux  de  la  Merci  et  de  la  T.  S.  Trinité. 

ReV.   ÏIiSTOR.    XXV.    le'-  FASG.  1 


2  e.-D.    DE    GRAMMONT. 

les  mêmes,  à  peu  de  nuances  près,  en  sorte  que  l'histoire  d'Alger 
est,  à  ce  sujet,  celle  de  Tanger,  Tétouan,  Bizerte,  Tunis  et 
Tripoli. 

La  Course. 

I. 

La  piraterie  nous  apparaît  dans  l'antiquité  en  même  temps 
que  la  navigation  elle-même,  et  semble  en  être  la  compagne  insé- 
parable. Les  premières  expéditions  maritimes  dont  les  peuples 
ont  gardé  le  souvenir  ne  sont,  au  fond,  que  des  prises  de  posses- 
sion violentes,  et  les  rives  de  la  Colchide  ne  furent  pas  les  seules 
où  de  hardis  Argonautes  allèrent  ravir  des  Toisons  d'or.  Les 
récits  de  voyages  qui  nous  sont  parvenus  nous  donnent  la  cer- 
titude que  tout  étranger  était  considéré,  sur  mer,  comme  un 
ennemi,  et  qu'aucun  navigateur  ne  se  faisait  scrupule  de  des- 
cendre sur  un  rivage  inconnu  et  d'y  prendre  de  gré  ou  de  force 
ce  qu'il  y  trouvait  à  sa  convenance.  Par  de  justes  représailles,  le 
malheureux  que  la  tempête  jetait  à  terre  devenait  la  proie  du  rive- 
rain, et  la  plus  dure  des  captivités  était  le  moindre  des  maux 
qu'il  eût  à  craindre.  Ce  ne  fut  pas  seulement  sur  les  rochers  de  la 
Chersonèse  Taurique  que  se  dressèrent  des  autels  où  le  naufragé 
se  vit  sacrifié  à  des  divinités  vengeresses  :  partout  où  la  côte  était 
dangereuse,  le  voyageur  courut  des  risques  semblables,  et  les 
sombres  droits  de  bris  et  d'épaves  n'ont  pas  disparu  depuis  si 
longtemps  de  nos  mœurs  que  nous  n'ayons  pu  conserver  la  mé- 
moire de  ces  drames  affreux,  où  la  férocité  humaine  se  rendait 
complice  de  la  fureur  des  éléments.  Ce  fut  en  vain  que  les  civili- 
sations Grecque  et  Romaine  cherchèrent  à  étouffer  le  mal  ;  la 
piraterie,  un  instant  comprimée,  reprit  un  nouvel  essor  vers  la 
fin  de  l'Empire,  et  les  flottilles  des  Normands  et  des  Sarrazins 
purent  pénétrer  jusqu'au  cœur  de  l'Europe.  Un  peu  plus  tard,  les 
Vénitiens,  les  Génois  et  les  Pisans  couvraient  la  mer  de  leurs 
vaisseaux,  demi-marchands,  demi-corsaires,  et  défendaient  l'ap- 
proche de  leurs  comptoirs  du  Levant  et  de  la  Crimée  avec  la 
même  cruauté  jalouse  que  les  Phéniciens  avaient  jadis  montrée 
sur  le  chemin  des  îles  Cassitérides.  Plus  tard  encore,  les  Portu- 
gais et  les  Espagnols  ne  durent  qu'à  des  actes  d'un  hardi  brigan- 
dage la  conquête  des  trésors  de  Goa,  du  Mexique  et  du  Pérou,  et 


ETUDES   ALGERIENNES.  3 

chacun  sait  que  l'atrocité  des  moyens  employés  fut  à  la  hauteur 
de  l'audace  de  l'entreprise.  En  résumé,  et  sans  entrer  dans  des 
détails  que  le  cadre  de  cette  étude  ne  comporte  pas,  ce  ne  fut 
guère  qu'au  siècle  dernier  que  le  droit  du  plus  fort  cessa  d'être  la 
loi  suprême  de  la  mer.  Encore  ne  faut-il  pas  oublier  que  les 
rivages  les  plus  riches  de  l'extrême  Orient  sont  infestés  de  pirates, 
et  que  le  temps  n'est  pas  bien  éloigné  où  les  forbans  de  l'Archipel 
en  rendaient  la  navigation  très  dangereuse,  alors  que  M.  Alexan- 
dre de  Laborde  racontait  plaisamment  que  les  navires  de  ces 
bandits  portaient  les  noms  des  grands  hommes  de  l'antiquité,  et 
qu'un  de  ses  amis,  après  s'être  vu  ravir  ses  marchandises  par  le 
ÎPhocion,  avait,  deux  jours  après,  laissé  sa  montre  et  ses  vête- 
ments entre  les  mains  du  capitaine  de  Y Epaminondas , 

Au  milieu  de  tous  ces  écumeurs  de  mer,  les  Algériens  se  dis- 
tinguent par  des  caractères  spéciaux  qui  veulent  être  décrits  à 
part.  C'est  seulement  chez  eux  qu'on  peut  voir  la  Course  élevée  à  la 
hauteur  d'une  institution  sociale,  protégée  et  réglementée  par  un 
gouvernement  régulier,  qui  en  fit  son  seul  moyen  d'existence 
pendant  plus  de  trois  siècles,  et  qui  finit  par  l'absorber  et  la 
monopoliser  à  son  profit.  Cette  longue  durée  d'un  État  qui  ne 
vécut  que  d'une  semblable  ressource  mériterait  à  elle  seule  d'ap- 
peler l'attention  de  l'historien,  quand  même  il  ne  s'y  joindrait 
pas  un  intérêt  tout  particulier  pour  nous,  qui  avons  succédé  aux 
anciens  dominateurs  du  pays. 

Les  premiers  musulmans  ne  pratiquèrent  pas  la  Course;  la 
mer  les  effrayait,  et  d'ailleurs,  le  Prophète  avait  dit  :  «  Men 
nezel  el  bahra  morreyteni  f'kad  kefer.  »  (Celui  qui  s'embarque 
deux  fois  sur  mer  est  un  Infidèle.)  Mais,  après  la  prise  de  Car- 
tilage (698) ,  le  vieux  Mousa ,  devenu  sultan  de  Tunis ,  fit 
construire  cent  galères,  en  donna  le  commandement  à  son  fils 
Abdallah,  et  proclama  la  guerre  sainte  sur  mer.  Ce  fut  alors 
qu'ils  s'emparèrent  de  la  Sicile,  qui  devint  leur  place  d'armes, 
et  d'où  ils  répandirent  leurs  ravages  sur  le  reste  de  la  Méditer- 
ranée ^  L'énorme  butin  qui  fut  fait  rendit  bientôt  ce  mode  de 
guerre  très  populaire,  et  les  commentateurs  du  Koran  ne  tar- 
dèrent pas  à  déclarer  que  nulle  œuvre  ne  pouvait  être  plus 
agréable  à  Dieu  ;  que  le  mal  de  mer  (en  Djehad)  était  aussi  méri- 
toire que  la  mort  au  combat,  et,  enfin,  que  c'était  Dieu  lui-même 

1.  Storia  dei  Musulmani  di  Sicilia,  da  Michèle  Araari  (1864). 


4  H.-D.    DE   GRAMMONT. 

qui  venait  recueillir  les  âmes  de  ceux  qui  étaient  tués  sur  mer, 
tandis  que,  pour  les  combats  terrestres,  il  se  contentait  de  délé- 
guer l'Ange  de  la  Mort.  Nous  n'avons  pas  à  raconter  ici  les 
ravages  commis  par  les  flottes  Sarrazines,  ni  la  répression  qui 
leur  fut  opposée.  Il  nous  suffira  de  constater,  qu'au  moment  où  les 
Barberousses  s'emparèrent  d'Alger,  il  n'y  avait  pas  une  petite 
crique  du  rivage  africain  qui  ne  donnât  asile  à  quelques  cor- 
saires*. Mers-el-Kebir,  Bougie,  Bizerte  et  Tunis  étaient,  à  cette 
époque,  leurs  centres  de  ralliement  et  de  ravitaillement. 

Jusqu'au  commencement  du  xvf  siècle,  Alger  ne  joue  dans 
l'histoire  qu'un  rôle  presque  nul.  La  beauté  de  son  site  et  la  com- 
modité d'un  petit  port  naturel  avaient  excité  la  tribu  des  Béni 
Mez'ranna  à  venir  s'établir  dans  la  bourgade  qui  s'élevait  sur 
l'emplacement  de  l'ancienne  Icosium  %  Ils  avaient,  comme  toutes 
les  populations  des  côtes  barbaresques ,  quelques  barques  de 
course  qui  opéraient  principalement  sur  les  frontières  de  mer 
d'Espagne,  le  long  desquelles  les  Africains  trouvaient  des  guides 
et  des  alliés  naturels  dans  la  personne  des  Morisques  persécutés. 
Voulant  mettre  un  terme  aux  incursions  qui  ravageaient  son 
pays  et  en  détruisaient  le  commerce,  le  cardinal  Ximenès  avait 
décidé  Ferdinand  le  Catholique  à  conquérir  le  littoral  africain,  et 
avait  brillamment  inauguré  la  campagne  en  s'emparant  de  Mers- 
el-Kebir,  d'Oran  et  de  Bougie.  Les  Algériens,  craignant  d'être 
châtiés  à  leur  tour,  firent  des  offres  de  soumission  et  envoyèrent, 
en  1511,  des  ambassadeurs  chargés  de  demander  le  pardon  du 
passé.  Ils  durent  toutefois  l'acheter  en  consentant  à  recevoir  une 
garnison  espagnole,  que  le  vainqueur  de  Bougie,  Pierre  de 
Navarre,  fut  chargé  d  y  établir.  En  avant  du  front  de  mer  de  la 
ville  et  à  une  distance  de  cent  mètres  environ,  se  trouvait  un 
groupe  de  quatre  îlots  rocheux  (El  Djezair)  ;  trois  d'entre  eux  se 
suivaient  de  l'ouest  à  l'est  ;  le  quatrième  était  situé  un  peu  au  sud 
de  l'îlot  central,  dont  la  pointe  orientale  se  reliait  à  la  côte  par 
une  série  de  récifs.  11  résultait  de  cet  ensemble  une  sorte  de  môle 
naturel  en  forme  de  T  qui  jjrésentait  aux  navires  un  abri  suffi- 
sant pour  qu'une  certaine  quantité  de  corsaires  se  fussent  décidés 
à  en  faire  leur  escale  favorite. 


1.  Voir,  entre  autres,  la  Chronique  de  Suarez  Montanez  (Revue  africaine, 
1865,  p.  251  et  suiv.). 

2.  Voir  fçusium,  par  M.  Devoulx  (Revue  africaine,  1875,  p.  299  et  suiv.J. 


ETUDES   ALGERIENNES.  5 

Pierre  de  Navarre  jugea  opportun  de  s'emparer  de  cette  posi- 
tion et  donna  ordre  à  son  ingénieur,  Martin  de  Renteria,  de  for- 
tifier l'îlot  de  l'ouest  et  celui  du  centre,  et  d'y  construire  un 
ouvrage  capable  de  tenir  la  ville  en  respect.  Les  travaux  furent 
poussés  rapidement,  et,  moins  de  deux  ans  après,  le  port  était 
commandé  par  un  château-fort  composé  de  deux  grosses  tours  et 
de  quatre  bastions  que  reliait  entre  eux  une  muraille  crénelée,  et 
qu'occupait  une  troupe  de  deux  cents  hommes  choisis.  Les  cor- 
saires, fort  gênés  de  se  trouver  sous  le  canon  Espagnol,  abandon- 
nèrent peu  à  peu  la  route  d'Alger  :  avec  eux  disparut  l'aisance 
des  habitants,  dont  le  mécontentement  s'accrut  chaque  jour. 
Oublieux  de  leurs  anciennes  terreurs,  ils  n'aspiraient  plus  qu'à 
se  délivrer  delà  présence  du  Chrétien,  qui  était  pour  eux,  sui- 
vant l'énergique  expression  de  l'auteur  du  R'azaouât,  une  épine 
dans  le  cœur.  Mais,  trop  faibles  et  trop  peu  belliqueux  pour 
tenter  eux-mêmes  l'entreprise,  ils  songeaient  à  trouver  un  pro- 
tecteur assez  puissant  et  assez  audacieux  pour  l'accomplir. 
Celui  dans  lequel  ils  mirent  leur  espoir  fut  un  aventurier  que 
son  intrépidité  avait  rendu  célèbre  depuis  quelques  années  déjà  : 
c'était  le  fils  d'un  potier  de  Mételin  ;  il  se  nommait  Aroudj  :  lui 
et  son  frère  Kheïr  ed  Din  étaient  déjà  devenus  la  terreur  de  la 
Chrétienté  par  l'audace  et  le  bonheur  de  leurs  entreprises  ;  les 
Reïs  les  plus  hardis  s'étaient  groupés  autour  d'eux  et  reconnais- 
saient leur  commandement.  Ils  avaient  profité  de  cet  accroisse- 
ment de  forces  pour  étendre  le  cercle  de  leurs  opérations  et  pour 
tendre  une  main  secourable  aux  Maures  d'Espagne  que  la  persé- 
cution chassait  de  leur  patrie.  Par  leur  généreuse  assistance,  les 
villes  maritimes  de  l'Afrique  du  Nord  ne  tardèrent  pas  à  se  peu- 
pler de  ces  réfugiés,  dont  les  récits  grandissaient  à  la  fois  la  gloire 
des  Barberousses  et  la  haine  qu'on  portait  au  nom  Chrétien  *.  En 
1515,  Aroudj  disposait  déjà  d'une  vingtaine  de  galères  bien 
armées,  et  songeait  sérieusement  à  entreprendre  quelque  chose 
de  grand.  Il  était  trop  intelligent  pour  n'avoir  pas  reconnu  depuis 
longtemps  la  nécessité  de  se  procurer  un  bon  port  qui  pût  lui 
servir  d'abri  pour  ses  navires  et  de  centre  de  ravitaillement  :  il 
l'avait  d'abord  cherché  aux  îles  Gelves,  que  lui  avait  fait  aban- 
donner la  jalousie  du  souverain  de  Tunis,  puis  à  Djidjelli,  dont 

1.  Voir,  pour  tout  ce  qui  précède,  VEpitome  de  los  Reijes  de  Argel,  de  Haëdo, 
cap.  1. 


6  H.-D.    DE    ORAMMONT. 

les  habitants  s'étaient  déclarés  en  sa  faveur;  c'est  là  qu'il  se 
trouvait  lorsque  les  Algériens  l'envoyèrent  supplier  de  venir  à 
leur  secours.  Nous  n'avons  pas  à  raconter  ici  comment  il  se  ren- 
dit maître  d'Alger  par  le  meurtre  de  Selim  Eutemi,  ni  comment 
il  fonda  la  domination  turque,  que  son  frère  Kheïr  ed  Din  conti- 
nua à  agrandir  après  sa  mort  ;  nous  nous  contenterons  donc  de 
constater  qu'à  partir  de  1516,  Alger  devint  le  refuge  assuré  et  la 
véritable  place  d'armes  de  la  piraterie.  Cependant  le  Pêfion  (tel 
était  le  nom  de  la  forteresse  espagnole)  existait  encore,  et  les 
diverses  tentatives  qu'avaient  faites  les  Barberousses  pour  s'en 
emparer  étaient  demeurées  infructueuses.  C'est  en  1530  seule- 
ment que  Kheïr  ed  Din  se  sentit  assez  fort  pour  l'attaquer  utile- 
ment. Il  ne  put  toutefois  s'en  rendre  maître  qu'après  une  canon- 
nade de  quinze  jours  consécutifs,  au  moyen  de  laquelle  il  détruisit 
les  ouvrages  de  défense;  encore  fut-il  forcé,  pour  avoir  raison  de 
l'héroïque  opiniâtreté  du  capitaine  Martin  de  Vargas,  de  donner 
l'assaut  à  cet  amas  de  décombres  avec  des  forces  dix  fois  supé- 
rieures à  celles  de  l'assiégé.  Immédiatement  après  sa  victoire,  il 
commença  la  construction  du  port  :  il  fit  raser  ce  qui  restait  des 
fortifications  espagnoles,  ne  conservant  que  les  deux  grosses 
tours  de  l'est  et  de  l'ouest  ;  cette  dernière  est  celle  que  domine 
encore  aujourd'hui  le  phare.  Il  employa  les  captifs  chrétiens  à 
ces  travaux,  et  les  matériaux  provenant  des  démolitions  ser- 
virent à  combler  les  vides  que  les  écueils  laissaient  entre  eux  et 
à  transformer  en  un  boulevard  cette  ligne  interrompue.  Dès  lors, 
la  darse  se  trouva  abritée  des  vents  du  Nord,  si  dangereux  dans 
ces  parages,  et  put  offrir  aux  navires  un  refuge  suffisamment 
sûr.  Le  port  fut  défendu  contre  l'ennemi  par  des  batteries  cou- 
vertes, qui  furent  installées  sur  les  tours  de  l'ancienne  forteresse, 
et  par  les  pièces  dont  fut  armé  le  front  de  mer  de  la  viUe.  A  partir 
de  ce  moment,  tous  les  navires  de  course  surent  où  trouver  un 
abri  contre  la  tempête  ou  contre  la  poursuite  d'un  ennemi  plus 
fort  qu'eux,  une  protection  assurée  et  un  marché  pour  leurs 
prises.  L'aire  était  construite  ;  les  oiseaux  de  proie  ne  tardèrent 
pas  à  s'y  rassembler*. 

IL 

L'histoire  de  la  piraterie  algérienne  se  divise  en  trois  époques 
1.  Voir  Le  Pehon  d'Alger,  de  M.  Berbrugger  (Alger,  1860,  in-8°). 


ETUDES   ALGERIENNES.  7 

bien  distinctes  :  la  première  pourrait  être  appelée  l'âge  héroïque 
de  la  Course;  la  deuxième,  l'âge  mercantile;  enfin,  dans  la  troi- 
sième, on  voit  l'Etat  se  substituer  peu  à  peu  aux  particuliers  et 
devenir  lui-même  le  Grand  Corsaire.  Il  est  impossible  d'assigner 
des  dates  fixes  à  chacune  de  ces  périodes  :  elles  ne  se  terminent 
pas  brusquement  et  chacune  d'elles  enjambe  un  peu  sur  l'autre. 
On  peut  cependant  se  représenter  la  première  comme  débutant 
avec  la  Régence  elle-même  et  se  terminant  vers  1590  ;  la 
deuxième  dure  jusqu'au  milieu  du  xvif  siècle  et  la  troisième 
finit  seulement  avec  la  domination  turque  en  Algérie. 

La  Course  ne  fut,  à  son  origine,  qu'une  des  formes  du  Djehad 
ou  Guerre  sainte  aux  chrétiens.  C'était  un  acte  méritoire  et  reli- 
gieux; les  bannières  des  navires  étaient  consacrées  dans  les  mos- 
quées et  par  les  prières  des  croyants  ;  ceux  qui  périssaient  dans 
le  combat  voyaient  s'ouvrir  devant  eux  le  paradis  du  Prophète, 
et  l'opinion  publique  entourait  les  vainqueurs  d'hommages  sem- 
blables à  ceux  que  recevaient  en  Europe  les  chefs  de  nos  grands 
ordres  religieux,  alors  qu'ils  étaient  les  seuls  protecteurs  des 
populations  côtières  contre  les  incursions  musulmanes.  La  popu- 
larité dont  ils  jouissaient  ne  tardait  pas  à  les  désigner  à  l'atten- 
tion du  Grand  Seigneur,  qui  choisissait  parmi  eux  les  gouver- 
neurs de  ses  provinces  et  les  amiraux  de  ses  flottes.  Pendant 
presque  toute  la  durée  du  xvi®  siècle,  les  Pachas  envoyés  à  Alger 
furent  d'anciens  reïs,  aussi  bien  que  les  chefs  suprêmes  des  forces 
maritimes  du  Sultan*.  Ce  n'était  pas  des  hommes  ordinaires  que 
ce  Kheïr  ed  Din,  qui,  livré  à  ses  propres  ressources  et  entouré 
d'ennemis  puissants,  sut  étendre  en  quelques  années  sa  domina- 
tion de  la  Tunisie  au  Maroc  ^;  que  ce  Dragut,  qui,  devenu  de 
simple  matelot  Pacha  de  Tripoli,  allait  arracher  Malte  aux  che- 
valiers de  Saint-Jean-de-Jérusalem,  lorsque  la  mort  vint  l'arrêter 
au  moment  où  il  entraînait  ses  soldats  à  l'assaut  du  fort  Saint- 
Elme^,  ni  que  ce  Sala-Reïs,  qui  osa  porter  ses  armes  jusqu'à 

1.  Les  pachas  d'Alger  du  xvi"  siècle  sont  presque  tous  d'anciens  capitaines 
corsaires  :  Aroudj  (1515-1518),  Kheir  ed  Din  (1518-1534),  son  khalifat  Hassan  Aga 
(1534-1543),  Hassan-Pacha  (1543-1551,  1557-1561,  156-2-1567),  Sala-Reïs  (1552- 
1556),  son  fils  Mohammed  (1567-1568),  Euidj-Ali  (1568-1571),  et  ses  khalifats 
Hassan-Coptan ,  Arab-Ahmed,  Rabadan  (1571-1587).  Parmi  ces  pachas,  Kheïr 
ed  Din,  Sala-Reïs  et  Euldj-Ali  devinrent  capitans-pachas  à  Constanlinople. 

2.  Epitome  de  los  Reyes  de  Argel,  cap.  ii. 

3.  Voir,  entre  autres,  Vertot,  Histoire  des  Chevaliers  de  Saint- Jean- de- 
Jérusalem,  l.  HI  (219-492). 


8  H.-D.    DE   GRAMMONT. 

Tuggurt  et  Ouargla,  et  dans  des  régions  qui  passaient  jusque-là 
pour  fabuleuses  *. 

Il  faudrait  des  volumes  pour  raconter  les  hauts  faits  de  ces 
grands  Reïs,  compagnons  ou  successeurs  des  Barberousses,  qui 
remplirent  le  xvf  siècle  de  l'éclat  de  leurs  noms  '.  Nous  consa- 
crerons cependant  quelques  lignes  à  un  des  plus  glorieux  et  au 
dernier  d'entre  eux,  dont  la  vie  nous  montre  quelles  qualités  de 
commandement  révélaient  ces  hommes  que  leur  valeur  faisait 
sortir  des  positions  les  plus  humbles. 

Euldj  Ali  était  un  pauvre  pêcheur  Calabrais,  lorsqu'il  fut  pris 
dans  une  descente  par  le  célèbre  corsaire  Ali  Ahmed,  qui  le  mit 
à  la  chiourme  de  sa  galère.  Il  supporta  courageusement  pendant 
quelques  années  son  misérable  destin,  jusqu'au  jour  où,  ayant 
été  frappé  au  visage  par  un  Turc,  il  se  fit  mahométan  pour  pou- 
voir se  venger  de  l'affront  qu'il  avait  reçu.  Cet  acte  de  vigueur 
attira  l'attention  sur  lui,  et  il  ne  tarda  pas  à  recevoir  un  com- 
mandement dans  lequel  il  se  signala  par  d'audacieuses  prouesses. 
Il  se  mit  ensuite  sous  les  ordres  de  Dragut,  auquel  il  rendit  les 
plus  grands  services  en  1560,  lors  de  la  reprise  des  îles  Gelves 
aux  Espagnols,  et  en  1565  à  l'attaque  de  Malte.  Pendant  cette 
dernière  expédition,  il  se  fit  tellement  remarquer  par  son  cou- 
rage, que  l'amiral  Piali  Pacha  lui  fit  obtenir  le  pachalik  de  Tri- 
poli après  la  mort  de  Dragut,  des  trésors  duquel  il  hérita  en 
même  temps. 

En  1568,  le  Sultan  lui  donna  le  gouvernement  d'Alger,  et,  dès 
l'année  suivante,  il  justifiait  cette  faveur  éclatante  en  s'emparant 
du  royaume  de  Tunis,  soumis  au  protectorat  espagnol  depuis 
1535.  En  1571,  ayant  reçu  l'ordre  de  rejoindre  la  flotte  turque, 
il  lui  amena  20  galères,  avec  lesquelles  il  prit  le  commandement 
de  l'aile  gauche  à  la  bataille  de  Lépante.  Là,  tandis  que  le  reste 
de  la  flotte  se  faisait  battre,  il  mit  en  déroute  les  galères  de  Malte 
qui  formaient  la  droite  de  l'armée  chrétienne,  s'empara  de  l'éten- 
dard de  la  Religion  et  se  retira  en  bon  ordre  à  la  fin  du  combat, 
sans  que  les  vainqueurs  osassent  le  poursuivre.  A  dater  de  ce 
jour,  il  reçut  le  glorieux  surnom  de  Kilidj  (l'épée)  et  le  comman- 
dement suprême  des  forces  maritimes  ottomanes,  qu'il  conserva 

1.  Epiiome  de  los  Reijes  de  Argel,  cap.  vu. 

2.  Tous  les  récits  du  temps  parlent  des  Sinan  le  Juif,  des  Garcia  Diabolo, 
Amaule-Reis,  Mami-Reïs,  le  cruel  maître  de  Cervantes,  et  tant  d'autres  qu'il 
est  impossible  d'énumérer. 


ETUDES   ALGERIENNES.  9 

jusqu'à  sa  mort.  Telle  fut  la  fortune  extraordinaire  de  cet 
homme,  qui  se  trouva  transporté,  en  moins  de  quinze  ans,  de 
l'esclavage  le  plus  misérable  au  faîte  des  honneurs  et  de  la 
richesse*. 

Bien  loin  de  s'endormir  dans  les  délices  du  riche  palais  qu'il 
s'était  fait  construire  à  Thérapia ,  il  ne  se  montra  jamais  plus 
actif  qu'à  partir  de  ce  moment.  Il  reconquit  une  deuxième  fois  la 
Tunisie,  de  laquelle  Don  Juan  d'Autriche  s'était  emparé  après  la 
victoire  de  Lépante  ;  il  fortifia  les  côtes  de  la  mer  Noire  et  les 
défilés  de  la  Géorgie  ;  il  commença  le  percement  de  l'Isthme  de 
Suez  2,  afin  d'arrêter  les  conquêtes  des  Portugais  dans  les  Indes, 
et  il  eût  mené  à  bonne  fin  cette  œuvre  gigantesque,  s'il  n'eût  été 
entravé  par  l'avarice  du  sultan,  qui  se  refusa  à  fournir  plus 
longtemps  les  subsides  nécessaires.  Pendant  tout  ce  temps,  il  ne 
perdait  pas  de  vue  l'unification  de  l'Afrique  du  Nor4  en  un  seul 
pachalik,  dont  il  pensait  obtenir  le  commandement,  que  la  Porte 
lui  avait  fait  espérer.  C'est  pour  atteindre  ce  but  qu'il  avait  fait 
envoyer  à  Alger,  à  Tunis  et  à  Tripoli  des  gouverneurs  qui  n'étaient, 
à  vrai  dire,  que  ses  lieutenants,  et  qu'il  allait  entreprendre  la  con- 
quête du  Maroc  au  moment  où  il  mourut,  très  probablement 
empoisonné  par  Cigala^,  qui  briguait  sa  succession.  Il  eût  ainsi 
réalisé  ce  qui  avait  été  le  rêve  constant  de  tous  les  grands  Pachas 
d'Alger,  de  Kheïr  ed  Din,  de  Hassan -Pacha  et  de  Sala-Reïs. 
L'exécution  de  ce  vaste  projet  eût  pu  avoir  des  conséquences 
incalculables.  Elle  eût  été  immédiatement  suivie  de  l'invasion  de 
l'Espagne,  opération  singulièrement  facilitée  par  le  soulèvement 
simultané  de  deux  millions  de  musulmans  qui  s'y  trouvaient 
encore.  On  peut  s'assurer,  par  la  lecture  des  mémoires  du  duc  de 
Caumont  de  La  Force,  qu'ils  étaient  depuis  longtemps  préparés  et 
armés  pour  la  révolte^.  Le  drapeau  de  l'Islam  eût  donc  flotté  en 

1.  Voir  VEpitome  d'Haëdo,  cap.  xviii,  et  les  Négociations  delà  France  dans 
le  Levant  (documents  inédits),  t.  III,  p.  186-87. 

2.  Négociations  de  la  France  dans  le  Levant,  t.  VI,  p.  536  et  suiv. 

3.  Voir  VEpitome  d'Haëdo,  cap.  xxiii.  ^  2.  Il  s'agit  ici  de  ce  Cigala  qui  devint 
grand-amiral  et  grand-vizir  sous  le  nom  de  Sinan-Pacha,  et  sur  le  compte  duquel 
les  Biographies  Universelle  et  Générale  ont  commis  de  si  singulières  erreurs. 
C'était  le  fils  du  vicomte  Scipion  Cigala,  Génois,  qui  avait  élé  pris  avec  lui  à 
la  bataille  des  Gelves.  Il  s'était  fait  musulman  et  était  devenu  le  favori  du 
sultan. 

4.  Mémoires  du,  duc  de  Caumont  de  La  Force  (Paris,  1843,  2  vol.  in-8°),  1. 1, 
p.  217  et  suiv. 


]0  B.-D.    DE    GIUMMONT. 

même  temps  sur  les  Pyrénées  et  sous  les  murs  de  Vienne,  et  qui 
peut  dire  ce  que  fût  alors  devenue  la  civilisation  européenne?  Fort 
heureusement  pour  la  chrétienté,  la  défiance  jalouse  du  Divan  de 
la  Porte  ne  cessa  pas  de  mettre  des  entraves  à  la  réussite  de  ce 
projet,  dans  la  crainte  que  les  futurs  pachas  du  Gharb  ne  se  ren- 
dissent indépendants,  et  les  forces  redoutables  de  l'Afrique  du 
Nord  s'usèrent  dès  lors  en  querelles  intestines.  Après  la  mort 
d'Euldj  Ali,  tout  changea.  Le  grand  Divan  n'envoya  plus  à 
Alger  que  des  hommes  sans  valeur,  qui  achetaient  leur  pachalik 
par  des  présents  et  ne  songeaient,  une  fois  en  place,  qu'à  rentrer 
dans  leurs  déboursés  et  à  faire  leur  fortune  dans  le  court  délai  de 
trois  ans  qui  leur  était  accordé. 

Les  Reïs,  écartés  systématiquement  du  pouvoir,  ne  pensèrent 
plus  qu'à  s'enrichir  et  à  se  créer  dans  Alger  une  influence  locale 
qui  leur  permît  de  se  soustraire  aux  exigences  toujours  crois- 
santes des  Pachas  et  à  la  turbulence  de  la  milice.  A  cet  effet,  ils 
s'associèrent  et  formèrent  une  puissante  corporation  qui,  sous  le 
nom  de  Taiffe,  tint  en  respect  les  deux  autres  pouvoirs,  et  faillit 
même  un  instant  les  dominer.  Le  mot  Taiffe  signifie  exactement 
faction,  parti,  et  a  souvent  été  employé  en  parlant  d'un  groupe 
de  conjurés  quelconque;  mais  la  Taiffe  par  excellence  fut  celle 
qui  se  composait  des  Reïs  et  des  gens  qui  vivaient  sous  leur 
dépendance.  Il  est  nécessaire  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  l'état 
intérieur  d'Alger,  pour  bien  s'expliquer  l'importance  que  ne 
tarda  pas  à  acquérir  cette  association. 

Depuis  le  temps  des  Barberousses,  qui  avaient  exercé  une 
autorité  à  peu  près  absolue,  le  pouvoir  avait  été  partagé  entre  un 
pacha  désigné  par  la  Porte  et  un  Divan  composé  des  principaux 
officiers  de  la  milice;  quelquefois  même,  dans  les  circonstances 
graves,  tous  les  janissaires  faisaient  partie  du  conseil  et  déci- 
daient, par  acclamation,  sur  les  questions  en  litige.  Cette  troupe 
indisciplinée  ne  tarda  pas  à  devenir  plus  puissante  que  les  pachas, 
dont  l'autorité  fut  complètement  méconnue  :  la  plupart  d'entre 
eux  se  résigna  à  cette  usurpation,  et  cette  marque  de  faiblesse  ne 
leur  épargna  pas  toujours  le  destin  tragique  auquel  ils  avaient 
cru  échapper  par  leur  soumission.  Ces  soldats  ignorants,  arro- 
gants et  brutaux  furent  les  véritables  tyrans  d'Alger,  dont  ils 
regardaient  la  population  inoffensive  comme  taillable  et  cor- 
véable à  merci,  et  dont  ils  étaient  l'exécration  et  la  terreur.  Peu 
payés  (la  solde  d'un  janissaire  ne  dépassait  jamais  24  francs  par 


ETODES   ALGÉRIEIVNES.  ^1 

lune,  et  beaucoup  d'entre  eux  ne  recevaient  que  4  fr.  80  c.)  S  ils 
jalousaient  les  richesses  des  Reïs,  auxquels  ils  se  croyaient  très 
supérieurs,  et  qu'ils  empêchaient  soigneusement  d'atteindre  aux 
charges  de  l'Etat.  De  leur  côté,  ceux-ci,  alertes,  hardis,  intelli- 
gents, habitués  au  maniement  des  armes,  ne  dissimulaient  qu'à 
peine  le  mépris  qu'ils  avaient  pour  ces  soudards  pauvres  et  rus- 
tiques. Ils  avaient  groupé  leurs  riches  habitations  près  de  la 
mer,  dans  la  partie  occidentale  de  la  ville,  et  occupaient  un 
vaste  quartier,  habité  seulement  par  eux  et  leurs  équipages,  sorte 
de  forteresse  dans  laquelle  ils  se  sentaient  en  sûreté  contre  un 
coup  de  main  de  la  milice.  Ils  avaient  pour  voisins  immédiats 
toute  cette  population  qui  vit  de  la  marine,  cordiers,  construc- 
teurs de  bâtiments,  fabricants  de  goudron  et  de  brai,  marchands 
de  biscuits  et  de  poissons  salés.  Tous  ces  gens-là  étaient  leurs 
clients,  et,  pour  ainsi  dire,  leurs  vassaux.  Un  peu  plus  loin, 
se  trouvaient  les  marchands  d'esclaves  et  ceux  qui  trafiquaient 
sur  les  cargaisons  prises. 

Au  reste,  on  peut  dire  en  principe  que  toute  la  ville  vivait 
d'eux  et  ne  vivait  que  par  eux.  Quand  la  Course  s'arrêtait,  la 
population  mourait  littéralement  de  faim;  le  Pacha,  privé  du  plus 
important  de  ses  revenus,  ne  pouvait  plus  même  faire  la  solde 
mensuelle  des  janissaires  ;  l'émeute  éclatait  et  se  terminait  le  plus 
souvent  par  le  meurtre  du  souverain  et  de  ses  conseillers.  Le 
maintien  d'un  ordre  de  choses  où  l'existence  de  toute  une  popu- 
lation de  cent  mille  âmes  dépendait  de  la  piraterie,  depuis  la  vie 
du  plus  misérable  fellah  jusqu'à  celle  du  chef  suprême  de  l'Etat, 
paraît  incroyable,  et  les  témoignages  sont  cependant  unanimes. 
Depuis  Fray  Diego  de  Haëdo,  qui  écrivait  à  la  fin  du  xvf  siècle, 
jusqu'à  Shaler,  qui  publiait  son  Esquisse  de  l'Etat  d'Alger 
quelques  jours  avant  le  débarquement  des  Français  à  Sidi  Fer- 
ruch,  tous  les  auteurs  nous  attestent  qu'ils  n'ont  vu  dans  Alger 
ni  industrie  ni  commerce,  et  que,  sans  la  Course,  le  peuple  ne 
pourrait  pas  vivre,  ni  le  gouvernement  subvenir  à  ses  dépenses. 
La  correspondance  de  nos  consuls  ^  vient  confirmer  ces  asser- 
tions, et,  quand  on  leur  reproche  de  ne  pouvoir,  comme  les  agents 
des  autres  Echelles,  se  suffire  avec  les  droits  consulaires,  leur 
réponse  est  toujours  la  même  :  «  Pour  que  ces  droits,  disent-ils, 

1.  Voir  Laugier  de  Tassy,  Histoire  du  Royaume  d'Alger  (Amsterdam,  1725, 
iu-16). 

2.  Archives  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marseille.  (Art.  460  à  508,  AA.) 


i2  n.-D.    DE   GRAMMOXT. 

«  rapportassent  quelque  chose,  il  faudrait  qu'il  y  eût  du  com- 
«  merce  à  Alger,  et  il  n'y  en  a  aucun,  »  La  situation  des  Reïs 
était  donc  inattaquable,  et  la  Taiffe  avait  fini  par  devenir  un 
troisième  pouvoir,  puissance  occulte  et  mystérieuse,  qui  recon- 
naissait un  chef  choisi  par  elle,  et  rendait  des  décrets  sans  appel 
dont  l'exécution  était  confiée  à  une  émeute  qu'elle  excitait  ou 
réfrénait  à  sa  volonté.  Car,  autant  les  janissaires  étaient  détes- 
tés, autant  les  Reïs  étaient  populaires.  Toutes  les  fois  qu'une  prise 
entrait  dans  le  port,  il  y  avait  fête  à  la  Marine  et  dans  le  fau- 
bourg Bab  el  Oued,  et  le  menu  peuple  héritait  des  reliefs  du  festin 
et  des  objets  qui  ne  valaient  pas  la  peine  d'être  vendus ,  tandis 
que  les  armateurs  se  réjouissaient  des  gains  qu'allait  leur  rap- 
porter l'argent  engagé  dans  l'armement  des  navires.  Sans  la 
couardise  naturelle  à  la  population  d'Alger,  dont  les  janissaires 
disaient  avec  mépris  :  Quand  le  chien  aboie,  le  haldi  (citadin) 
se  sauve  ^,  les  chefs  de  la  TaïfTe  n'eussent  pas  tardé  à  sup- 
planter les  deux  autres  pouvoirs.  L'envie  ne  leur  en  manquait 
pas,  et  il  y  eut  à  plusieurs  reprises  des  commencements  d'exé- 
cution. On  peut  citer  Mami  Arnante,  qui,  après  avoir  ren- 
versé son  prédécesseur,  se  vit  lui-même  nommé  pacha  en  1583^  ; 
Morat-Reïs ,  qui  était  le  véritable  maître  d'Alger,  au  moment 
où  M.  de  Brèves  y  vint  ^ ,  et  sans  l'influence  duquel  cet 
ambassadeur  n'eût  pu  sortir  sain  et  sauf  des  mains  de  la  milice, 
excitée  contre  lui  par  un  muphti  qu'il  avait  fait  jadis  bà tonner  à 
Constantinople;  Soliman  Reïs,  qui  perdit  à  la  fois  son  pouvoir  et 
ses  richesses  en  1621,  sous  les  coups  de  la  croisière  commandée 
par  Philippe-Emmanuel  de  Gondy";  Coulchelybi,  le  Ghelibi  des 

1.  Les  janissaires  racontaient  qu'un  jour  les  bourgeois  d'Alger,  excédés  par 
les  pillages  des  montagnards  du  Bou-Zaréa,  obtinrent  du  pacha  la  permission 
de  se  défendre  eux-mêmes.  Ils  organisèrent  donc  une  sorte  de  milice,  et,  la 
nuit  venue,  ils  s'embusquèrent  derrière  le  lit  de  l'Oued  Mraccl,  à  quelques  pas 
de  la  ville.  Soudain,  un  chien  aboya  et  les  citadins,  pris  de  panique,  s'enfuirent 
en  jetant  leurs  armes.  Telle  fut  l'origine  du  dicton  cité  plus  haut. 

2.  Voir  VEpifome  d'Haëdo,  cap.  xxiv;  j'ai  fait  remarquer  dans  les  notes  de 
ma  traduction  (Alger,  1881,in-8°),  que  Mami-Arnaute  n'avait  jamais  été  nommé 
pacha,  et  qu'il  n'avait  fait  qu'exercer  momentanément  le  pouvoir  lorsque 
Rabadan  fut  choisi,  grâce  à  ses  intrigues. 

3.  Savary  de  Brèves,  chargé  par  Henri  IV  d'une  longue  mission  à  Constanti- 
nople, Smyrne,  en  Egypte  et  en  Barbarie.  Il  ne  put  rien  obtenir  à  Alger,  où  sa 
vie  courut  de  grands  dangers.  Voir  les  Voyages  de  M.  de  Brèves  (Paris,  1620, 
in-4<'). 

4.  Voir  le  Mercure  Français,  1.  VI,  p.  470. 


ETCDES   ALGERIENNES.  -13 

Pères  Rédemptoristes,  qui  fut  assassiné  par  ses  esclaves*,  au 
moment  où  il  commençait  à  devenir  trop  à  craindre;  et  enfin 
Ali  Bitchnin,  le  plus  connu  et  le  plus  célèbre  d'entre  eux,  celui 
dont  la  personnalité  est  le  véritable  type  des  corsaires  de  la 
deuxième  période,  et  qui  mérite  par  cela  même  une  étude  spéciale. 
Ali  Bitchnin,  auquel  nous  conservons  le  nom  que  lui  donnent  la 
plupart  des  écrivains  de  son  temps  (quelques-uns  le  nomment 
Pitchlin  ou  Pegelin,  et  le  Mercure  François  Pichelingues),  se 
nommait  en  réalité  Piccinino.  C'était,  croit-on,  un  Vénitien, 
qui,  après  avoir  longtemps  écume  la  mer  pour  son  propre  compte, 
avait  trouvé  prudent  de  s'assurer  un  port  de  refuge  ;  il  était  venu 
à  Alger,  où  il  s'était  fait  musulman,  et  n'avait  pas  tardé  à  deve- 
nir un  des  principaux  d'entre  les  Reïs^  De  semblables  recrues 
n'étaient  pas  rares  et  se  voyaient  toujours  bien  accueillies.  Bit- 
chnin put  se  rencontrer  avec  les  Anglais  Sanson  et  Edwart,  avec 
le  Flamand  Uver,  avec  le  Rochellois  Soliman  =^,  qui  se  repentit  plus 
tard  et  devint  Chevalier  de  grâce  de  l'Ordre  de  Malte,  et  enfin 
avec  le  célèbre  Simon  Dansa,  qui,  lui  aussi,  prit  un  beau  jour  en 
dégoût  la  vie  de  pirate  et  se  retira  à  Marseille,  où  il  obtint  son 
pardon,  grâce  aux  riches  présents  qu'il  sut  faire  et  à  l'influence 
du  père  Coton,  confesseur  de  Henri  IV ^.  Ali  Bitchnin  avait  des 
visées  bien  plus  hautes.  De  1621  à  1645,  il  fut  le  chef  suprême 
de  la  Taïffe,  et  ne  laissa  aux  souverains  qui  se  succédèrent  pen- 
dant tout  ce  laps  de  temps  que  l'ombre  du  pouvoir.  Il  s'intitulait 
Grand- Amiral  d'Alger,  suivant  l'usage  qu'avaient  adopté  les  chefs 
des  Reïs,  avec  le  consentement  tacite  des  Pachas  et  de  la  Porte.  Ses 
richesses  étaient  immenses.  Malgré  les  pertes  énormes  qu'il  avait 
essuyées  au  combat  de  la  Velone,  qui  lui  avait  coûté  8  galères  et 
plus  de  2,000  hommes  de  chiourme,  il  possédait  encore  à  lui  seul 
près  de  3,000  captife,  répartis  sur  sa  flotte  et  sur  ses  vastes  pro- 

1.  Histoire  de  Barbarie  et  de  ses  Corsaires,  déj.  cit.  (p.  332  et  suiv.). 

2.  Pour  tout  ce  qui  concerne  Ali-Bitchnin,  voir  :  les  Triomphes  de  la  Charité, 
par  le  P.  L.  Hérault  (Paris,  1643,  in-8°).  —  Les  lettres  du  même,  adressées  à 
son  supérieur,  le  P.  Denis  Cassel,  et  citées  par  l'abbé  Orse,  Alger  pendant 
cent  ans  (Paris,  s.  d.,  in-t6);  —  la  Relation  de  la  captivité  de  d'Aranda 
(Bruxelles,  1662,  pet.  in-16);  —  La  Vive  Foy,  du  P.  Egreville  (Paris,  1665, 
in-8°). 

3.  Pour  ces  corsaires  renégats,  voir  l'Histoire  de  Barbarie,  déj.  cit.,  p.  274, 
275,  351  et  suiv. 

4.  Voir  les  Recherches  historiques  et  critiques  du  P.  Prat  (Lyon,  1876,  gr. 
in-S"). 


^14  II. -D,    DE   GRAMMONT. 

priétés,  sans  compter  les  cinq  ou  six  cents  esclaves  qu'il  conser- 
vait à  Alger  même,  dans  le  vaste  bagne  qu'il  avait  fait  construire 
près  de  son  palais,  non  loin  de  l'emplacement  où  se  trouve  aujour- 
d'hui l'église  Notre-Dame-des- Victoires.  Il  ne  sortait  qu'entouré 
d'une  cinquantaine  de  jeunes  garçons  d'une  grande  beauté,  riche- 
ment vêtus  de  velours  et  de  soie,  dont  il  avait  fait  ses  pages.  De 
plus,  chose  que  personne  n'avait  osé  faire  avant  lui  à  Alger,  il 
se  faisait  escorter  par  une  garde  de  fantassins  et  de  cavaliers, 
armés  de  pied  en  cap,  qu'il  entretenait  de  ses  deniers,  et  qui  ne 
connaissaient  que  lui.  Cette  troupe  était  entièrement  composée  de 
Kabyles,  qu'il  avait  soigneusement  recrutés  dans  les  états  du  Roi  de 
Kouko,  dont  il  avait  épousé  la  fille.  Une  alliance  de  ce  genre  avec 
un  prince  qui  était  en  état  de  révolte  quasi  permanente  eût  été  à 
elle  seule  un  indice  des  projets  qu'il  méditait  d'accomplir,  quand 
même  il  n'eût  pas  pris  soin  de  les  afficher  de  bien  d'autres  façons. 
Après  la  défaite  de  la  Velone,  il  exhorta  les  Reïs  à  se  soustraire  à 
l'obéissance  du  sultan,  qui,  disait-il,  exposait  au  danger  leurs 
personnes  et  leurs  biens,  sans  qu'il  pût  en  résulter  aucun  profit 
pour  eux  et  qui  ne  les  indemnisait  même  pas  de  leurs  pertes.  Le 
résultat  de  cette  harangue  fut  qae  les  corsaires  se  refusèrent  à  se 
joindre,  en  1643,  à  la  flotte  que  le  grand  vizir  assemblait  contre 
les  "Vénitiens*,  et  répondirent  qu'ils  feraient  dorénavant  la 
guerre  pour  leur  propre  compte  et  comme  cela  leur  conviendrait. 
L'irritation  du  Grand  Divan  se  traduisit  par  l'envoi  à  Alger 
de  trois  Chaoux,  chargés  de  réclamer  au  pacha  la  tête  d'Ali 
Bitchnin. 

Celui-ci  fit  appel  à  la  Taïffe,  et  alluma  une  révolte  si  furieuse, 
que  les  Chaoux  efirayés  se  rembarquèrent  le  lendemain  même 
de  leur  arrivée,  trop  heureux  d'avoir  pu  sortir  vivants  de  la 
bagarre.  Une  seconde  ambassade,  qui  vint  deux  ans  après,  n'eut 
guère  plus  de  succès.  11  fallut  parlementer  avec  Ali  comme  avec 
un  souverain  :  il  ne  céda  rien  et  se  contenta  d'envoyer  à  la  Porte 
quelques  présents,  en  échange  desquels  il  reçut  le  caftan  d'hon- 
neur. Depuis  ce  temps,  personne  n'osa  plus  rien  entreprendre 
contre  lui  ;  son  influence  ne  fit  que  s'accroître  ;  il  s'empara  du 
pouvoir  suprême  en  excitant  une  insurrection  contre  Mohammed- 
Pacha,  et  allait  être  le  maître  absolu,  lorsqu'il  mourut  subite- 
ment en   1646,   très  probablement  empoisonné;   telle  fut,   du 

1.  Gazelle  de  France,  1643,  p.  232. 


ÉTUDES  ALGÉRIENNES.  -)  5 

moins,  à  cette  époque,  la  croyance  générale  ^  Les  Relations  des 
Rédemptions  opérées  de  son  temps  parlent  de  lui  à  chaque  page, 
ce  qui  prouve  bien  l'importance  du  rôle  qu'il  jouait.  Mais  c'est 
surtout  le  récit  de  la  captivité  d'Emmanuel  d'Aranda  qui  four- 
mille de  détails  et  d'anecdotes  sur  ce  personnage  célèbre,  vrai 
modèle  des  Reïs  renégats  de  la  seconde  période.  C'est  là  qu'on 
peut  le  mieux  se  rendre  compte  de  ce  caractère  singulier,  à  la  fois 
plein  de  superbe  et  d'astuce,  et  faisant  succéder  des  ruses  de  juif 
à  des  accès  d'une  générosité  princière.  Dédaigneux  du  fanatisme 
de  la  populace,  il  manifeste  hautement  le  scepticisme  le  plus 
absolu.  Un  jour,  un  de  ses  esclaves  déclare  vouloir  se  faire 
musulmane  Ali,  peu  touché  de  cette  vocation  subite,  le  fait 
bàtonner  sans  rémission  jusqu'au  moment  où  le  malheureux 
avoue  qu'il  n'avait  voulu  renier  sa  foi  que  pour  échapper  au 
travail  de  la  chiourme.  «  C'est  ainsi,  dit  d'Aranda,  que  Pegelin 
«  pouvait  dire  avoir  remis  un  chrétien  dans  le  christianisme  à 
«  grands  coups  de  bâton.  » 

Une  autre  fois,  il  perd  un  diamant  d'une  grande  valeur  et  le 
fait  rechercher  par  ses  esclaves  ^  L'un  d'eux  le  trouve  et  le  lui 
rapporte  :  «  Tiens,  dit-il,  en  lui  jetant  une  pièce  de  monnaie, 
«  vas  acheter  une  corde  pour  te  pendre,  bête  brute,  qui  avais 
«  trouvé  la  liberté  et  qui  n'as  pas  su  la  garder.  »  Avec  tout 
cela,  il  y  a  en  lui  du  gentilhomme.  Il  a  le  mépris  des  lâches  et  le 
respect  de  sa  parole. 

A  un  débarquement  qu'il  fait  dans  les  environs  d'Oran,  il  se 
voit  accoster  par  un  chef  d'une  tribu  voisine,  qui  ne  tarde  pas  à 
lui  avouer  que  le  grand  chagrin  de  sa  vie  est  de  n'avoir  pas 
encore  sacrifié  un  chrétien  de  sa  propre  main,  action  si  méri- 
toire, dit-il,  et  qui  plaît  tant  à  Mahomet:  «  Votre  Seigneurie, 
«  qui  a  tant  d'esclaves,  ne  pourrait-elle  pas  m'en  donner  un  pour 
«  accomplir  une  œuvre  aussi  sainte?  »  «  Volontiers,  répond 
«  Ali  ;  rendez-vous  dans  ce  petit  bois.  >  Un  instant  après,  le 
Maure,  qui  aiguisait  son  coutelas,  voit  apparaître  un  vigoureux 
soldat  espagnol,  armé  de  la  rondache,  de  la  dague  et  d'une 
bonne  épée,  et  reçoit  une  charge  vigoureuse  qui  le  force  à  se 
réfugier  près  des  vaisseaux,  où  il  est  accueilli  par  des  huées 


1.  Voir  l'abbé  Orse,  loc.  cit. 

2.  D'Aranda,  Relation  d.  c,  p.  259. 

3.  M.,  p.  216. 


^6  0.-D,    DE   GRAMMONÏ. 

et  par  les  railleries  de  Bitchnin,  qui  l'encourage  moqueusement 
à  se  rendre  digne  des  faveurs  du  Prophète*. 

Un  autre  jour,  un  de  ses  navires  s'empare ,  sur  la  côte  de 
Valence,  de  la  fille  d'un  riche  marchand;  le  père,  désolé,  se  rend 
volontairement  à  bord  et  offre  rançon  pour  lui  et  son  enfant. 
Ali  le  taxe  à  six  mille  patagons  (17,400  fr.).  A  ce  moment,  un 
renégat  intervient  et  déclare  que  le  marchand  est  fort  riche  et 
peut  payer  quatre  fois  davantage.  «  Ma  parole  est  ma  parole,  » 
dit  Ali,  et  il  fait  mettre  à  terre  les  deux  captifs,  moyennant  la 
somme  convenue'.  Ces  exemples  suffisent  pour  donner  une  juste 
idée  de  cet  homme,  bien  inférieur  comme  grandeur  aux  Dragut 
et  aux  Euldj  Ali,  mais  bien  supérieur  à  la  génération  qui  va  lui 
succéder. 

LesReïs  de  la  troisième  période  n'offrent  pas  de  types  aussi  remar- 
quables :  ce  ne  sont  plus  que  des  écumeurs  de  mer,  moitié  mar- 
chands, moitié  pirates,  considérant  leur  profession  comme  une 
industrie  qu'on  doit  exercer  le  plus  prudemment  possible,  en  évi- 
tant, par  tous  les  moyens  imaginables,  d'avoir  à  combattre. 
Cela  en  arriva  à  un  tel  point,  que  les  Deys  furent  forcés,  à 
diverses  reprises,  de  faire  châtier  très  rudement  des  Reïs  con- 
vaincus de  lâcheté,  et  de  renvoyer  à  la  mer,  en  leur  défendant 
l'entrée  du  port  d'Alger,  ceux  qui  revenaient  sans  avoir  fait  de 
prises  ^.  Les  causes  de  cette  décadence  furent  multiples  :  en  pre- 
mier lieu,  l'accroissement  des  forces  maritimes  des  nations  euro- 
péennes gêna  l'expansion  de  la  course  et  en  rendit  l'exercice 
impossible  aux  petits  bâtiments  ;  en  même  temps,  les  navires  de 
commerce  prirent  l'habitude  de  ne  plus  voyager  isolément  et  se 
groupèrent  en  caravanes,  auxquelles  les  Gouvernements  don- 
naient une  escorte  de  vaisseaux  de  guerre.  Mais,  en  réalité,  le 
coup  mortel  porté  à  la  piraterie  barbaresque  fut  la  fin  de  la  lutte 
séculaire  de  la  France  et  de  l'Espagne.  En  effet,  tant  que  la 
guerre  avait  duré,  la  France  avait  fermé  les  yeux  sur  les  dépré- 
dations Algériennes,  et  s'était  bien  gardée  de  ruiner  une  puis- 
sance qu'elle  considérait  avec  raison  comme  une  plaie  vive  atta- 
chée aux  flancs  de  sa  rivale.  Lorsqu'elle  n'eut  plus  ces  motifs  de 
patienter,  les  croisières  de  l'escadre  du  Levant  ne  cessèrent  pas 


1.  D'Aranda,  Relation  d.  c,  p.  278. 

2.  D'Aranda,  Relation  d.  c,  p.  251. 

3.  Voir  Laugier  de  Tassy,  déj.  cit.,  p.  208. 


KTODES   ALGÉRlf:iV\F,S.  ]7 

de  couvrir  la  mer,  et  firent  subir  aux  corsaires  des  dommages 
tellement  considérables,  que  les  armateurs  se  dégoûtèrent  bientôt 
d'un  métier  qui  ne  leur  rapportait  plus  que  des  pertes.  La  corpo- 
ration des  Reïs  disparut  peu  à  peu  et  s'effaça  devant  le  Beylik, 
qui  devint  le  grand  constructeur  et  presque  le  seul  armateur  de 
navires. 

Les  Deys  organisèrent  une  marine  de  l'Etat,  placée  sous  la 
surveillance  de  l'Oukil  el  Hardj,  l'un  des  cinq  grands  dignitaires 
qui,  sous  le  nom  de  Puissances,  remplacèrent  l'ancien  Divan 
dans  l'administration  de  la  Régence.  Nous  verrons  un  peu  plus 
loin  par  quels  moyens  ils  parvinrent,  pendant  un  certain  temps, 
à  suffire  aux  dépenses  de  l'Etat,  malgré  le  déficit  causé  par  la 
diminution  de  la  Course.  Disons  toutefois,  dès  maintenant,  que 
vers  le  commencegaent  du  xix®  siècle,  la  position  était  devenue 
insoutenable  ;  que,  chaque  année,  les  embarras  financiers  allaient 
en  s'accroissant,  et  qu'au  moment  de  l'arrivée  des  Français,  il  y 
avait  déjà  de  nombreuses  années  que  le  budget  de  la  Régence  ne 
s'équilibrait  plus  et  qu'il  fallait  se  servir  des  richesses  amassées 
autrefois  dans  le  Trésor  public.  Déjà  les  villes  du  littoral,  que  la 
Course  avait  jadis  enrichies  et  peuplées,  tombaient  en  ruines,  et 
n'avaient  plus  que  quelques  habitants  autour  de  leurs  ports 
déserts;  le  même  sort  ne  pouvait  manquer  d'atteindre  Alger,  et 
le  canon  de  M.  de  Bourmont  ne  fit  que  devancer  de  quelques 
années  l'œuvre  inévitable  du  temps. 

m. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  les  dissensions  des  nations  cliré- 
tiennes  et  dans  l'incurie  de  leurs  gouvernements  qu'il  faut  cher- 
cher la  raison  de  la  longue  impunité  des  Algériens  et  celle  des 
succès  qu'ils  obtinrent  pendant  plus  de  trois  cents  ans  :  ils  en 
furent  surtout  redevables  à  leurs  coutumes  maritimes,  qu'ils 
conservèrent  presque  sans  altération  depuis  le  temps  des  Barbe- 
rousses. 

Pendant  toute  la  durée  du  xvf  siècle,  la  Course  se  fit  exclusi- 
vement avec  des  galères  ou  galiotes.  Ces  deux  sortes  de  navires 
se  manœuvraient  à  la  rame  et  ne  se  servaient  de  leur  voilure  que 
pour  faire  route  et  croiser  en  attendant  leur  proie.  Aussitôt  qu'on 
avait  connaissance  de  l'ennemi,  soit  qu'il  s'agît  de  le  poursuivre, 
soit  qu'on  jugeât  prudent  de  prendre  chasse,  la  mâture  était 
Rev.  Histor.  XXY.  l'-'-  FASC.  2 


^<S  H.-D.    DE    ORAMMONT. 

abattue  et  la  chiourme  commençait  son  office.  C'est  là  qu'éclatait 
l'incontestable  supériorité  de  la  marine  Algérienne.  Tandis  que 
les  bâtiments  chrétiens,  trop  élevés  au-dessus  de  la  ligne  de  flot- 
taison, pourvus  d'une  pesante  artillerie,  alourdis  par  des  amas 
de  munitions,  de  vivres  et  de  rechanges,  augmentaient  encore  la 
difficulté  de  la  traction  par  le  poids  des  riches  ornements  de  leur 
avant  et  par  la  résistance  qu'opposait  à  la  vitesse  la  hauteur  exa- 
gérée du  château  de  poupe,  les  galères  des  Reïs,  étroites,  basses 
sur  l'eau,  déchargées  de  tout  ce  qui  n'était  pas  rigoureusement 
nécessaire,  volaient  sur  les  flots  comme  des  oiseaux  de  mer,  et 
ne  mettaient  que  peu  d'instants  à  s'approcher  ou  à  s'éloigner  de 
ceux  qu'il  s'agissait  de  distancer  ou  d'atteindre.  On  peut  lire 
dans  les  lettres  adressées  au  cardinal  de  Richelieu,  à  Colbert  et  à 
M.  de  Seignelay  par  les  intendants  des  galères  les  plaintes  inces- 
santes que  font  à  ce  sujet  les  Brodart,  les  Arnoul,  les  de  Vauvré 
et  bien  d'autres  administrateurs  de  grande  expérience  et  de  bon 
conseil.  Mais  ni  les  objurgations  des  ministres,  ni  les  ordres  du 
Roi  lui-même  ne  parvinrent  à  imposer  la  simplicité  aux  chefs 
d'escadre,  ni  seulement  aux  capitaines  de  vaisseaux  ^  On  voit 
encore  aujourd'hui,  dans  les  riches  collections  du  Louvre,  les 
modèles  réduits  de  ces  superbes  navires,  où  le  goût  de  la  France 
et  le  génie  de  la  sculpture  ornementale  furent  largement  prodi- 
gués à  ces  monuments  de  l'architecture  navale,  au  grand  détri- 
ment des  qualités  de  vitesse  qu'il  eût  été  plus  sage  de  rechercher. 
A  Alger,  on  ne  voyait  rien  de  pareil.  La  galère  était  aussi 
basse  que  possible,  à  un  tel  point  que,  pour  peu  que  la  mer  fût 
houleuse,  le  pont  était  perpétuellement  lavé  par  les  lames.  A 
l'avant,  se  trouvait  un  canon  de  longue  portée.  C'était  ordinaire- 
ment toute  l'artillerie  du  bord.  Quelquefois,  on  plaçait  une  cou- 
leuvrine  à  l'arrière  pour  servir  de  pièce  de  chasse.  La  proue  était 
basse,  étroite,  et  surmontée  seulement  d'un  tendelet  d'étofîe  sous 
lequel  se  tenaient  le  Reïs  et  les  principaux  officiers  ;  ce  tendelet 
lui-même  était  abattu  aussitôt  que  le  travail  de  la  chiourme  com- 
mençait. La  charge  était  réduite  au  plus  strict  nécessaire;  en 
fait  de  vivres,  on  embarquait  du  biscuit  pour  50  jours,  durée 
maximade  la  course,  quelques  jarres  d'huile,  d'olives  et  de  vinai- 


1.  Voir  Jal,  Abraham  Duquesne  et  la  Marine  de  son  temps,  t.  I,  p.  252, 
et  son  Dictionnaire  critique  et  historique,  arlicles  Girardon  et  Sculpture  des 
navires. 


ETUDES   ALGERIENNES.  ^9 

gre  ;  la  ration  journalière  se  composait  de  trois  biscuits  et  d'une 
mesure  d'eau  vinaigrée.  Les  bailles  d'eau  servaient  de  lest.  Les 
rameurs  avaient  pour  tout  bagage  une  couverture;  ils  étaient 
enchaînés  à  leur  place  et  n'en  bougeaient  jamais  pendant  la 
manœuvre.  Lorsque  la  galère  allait  à  la  voile,  on  les  déferrait 
escouade  par  escouade,  et  il  leur  était  permis  d'aller  respirer 
quelques  instants  à  l'avant,  sous  la  garde  des  soldats  de  marine. 
Ceux-ci  ne  touchaient  pas  d'autre  ration  que  les  forçats,  et  dor- 
maient comme  eux  sur  le  banc  qui  leur  était  assigné  et  duquel 
ils  ne  pouvaient  bouger  sans  permission  ;  on  leur  accordait  l'em- 
barquement d'une  petite  quantité  de  provisions  destinées  à  amé- 
liorer le  frugal  ordinaire  du  bord  ;  ils  emportaient  le  plus  souvent 
des  oignons,  du  fromage,  des  figues  et  quelque  peu  d'eau-de-vie. 
Le  tout  était  renfermé  dans  un  couffin  qu'ils  devaient  amarrer 
avec  soin  au-dessous  de  leur  banc.  C'est  encore  là  qu'ils  pla- 
çaient la  poudre  et  le  plomb  que  chacun  d'eux  recevait  lors  de 
son  embarquement.  A  ce  moment,  ils  ne  conservaient  comme 
armes  que  leurs  cimeterres;  les  mousquets  étaient  déposés  dans 
la  chambre  de  l'arrière,  d'où  ils  ne  sortaient  que  lorsqu'on  se 
trouvait  en  vue  de  l'ennemi. 

La  discipline  du  bord  était  terrible.  Le  Reïs  était  le  maître 
absolu  ;  qu'il  fût  Maure,  Nègre  ou  Colourli,  il  commandait  sou- 
verainement à  tous,  même  aux  janissaires  turcs  embarqués  en 
qualité  de  volontaires,  et  c'était  la  seule  occasion  dans  laquelle 
un  Turc  consentît  à  recevoir  des  ordres  d'hommes  étrangers  à  sa 
race.  A  partir  du  moment  où  les  rames  trempaient  dans  l'eau,  il 
était  interdit,  sous  les  peines  les  plus  sévères,  de  faire  le  moindre 
mouvement,  de  crainte  de  déranger  l'équilibre  de  la  galère  et  de 
faire  perdre  une  partie  de  la  vitesse.  Seul,  le  comité  courait  sur 
la  traverse  du  milieu,  de  la  poupe  à  la  proue,  marquant  la 
mesure  et  réchaufîant  à  grands  coups  de  fouet  le  zèle  de  ceux  des 
rameurs  qui  lui  semblaient  manquer  d'énergie.  Le  Reïs,  debout  à 
l'arrière,  donnait  ses  ordres  et  guidait  la  marche.  Avant  le 
départ,  il  avait  surveillé  l'arrimage,  qui  était  fait  avec  le  soin  le 
plus  scrupuleux  ;  le  navire  n'avait  pas  été  mis  à  l'eau  sans  avoir 
été,  au  préalable,  entièrement  flambé,  espalmé  et  suifîe  à  neuf; 
ces  précautions  étaient  prises  pour  chaque  traversée,  et  toujours 
renouvelées,  quelque  courte  qu'eût  été  la  course  précédente.  Tous 
ces  soins  faisaient  de  la  galère  d'Alger  une  machine  de  guerre 
très  supérieure  à  celles  que  possédaient  les  autres  nations.  Elle 


20  H.-D.    Di:   GRAMMONT. 

tirait  surtout  un  grand  avantage  de  la  puissance  de  sa  chiourme. 
Tandis  que  les  lourds  bâtiments  chrétiens  parvenaient  à  peine  k 
réunir  six  à  huit  rameurs  par  banc,  les  Algériens  n'en  avaient 
jamais  moins  de  dix,  tous  gens  de  mer,  alors  que  les  équipes 
Européennes  étaient  recrutées  dans  les  prisons,  parmi  le  rebut 
des  malfaiteurs  des  villes  et  des  campagnes,  gens  auxquels  man- 
quait toujours  la  connaissance  du  métier  et,  le  plus  souvent,  la 
force  physique  nécessaire  au  dur  travail  de  la  rame,  «  fatigue 
incroyable,  dit  d'Aranda,  à  ceux  qui  ne  l'ont  pas  éprou- 
vée *.  » 

Il  est  à  peine  nécessaire  de  faire  ressortir  l'importance  qu'avait 
à  cette  époque  une  bonne  équipe  de  rameurs.  C'était  elle  qui  per- 
mettait de  choisir  sa  route  par  tous  les  temps,  et  de  braver  le 
calme  ou  les  vents  contraires.  Par  cela  même,  et  par  la  supério- 
rité de  vitesse  qu'elle  assurait,  elle  tenait  les  navires  à  voiles  à  sa 
merci;  c'était,  eu  un  mot,  la  vapeur  de  ce  temps-là.  La  galère  de 
vingt  bancs,  qui  était  le  type  communément  adopté  à  Alger, 
avait  une  chiourme  de  200  rameurs  et  portait  une  centaine  de 
combattants  volontaires.  Ni  les  uns  ni  les  autres  ne  recevaient 
de  solde,  et  les  corsaires  n'avaient  à  compter  que  sur  leurs  parts 
de  prises.  La  coutume  l'avait  voulu  ainsi,  afin  que  chacun  lut 
plus  excité  à  coopérer  au  succès. 

Il  est  aisé  de  comprendre,  d'après  la  description  que  nous 
avons  faite  des  navires  à  rames,  que  leur  structure  ne  leur  per- 
mettait pas  de  braver  les  gros  temps  ;  aussi  la  Course  était-elle 
interrompue  pendant  l'hiver,  depuis  la  lune  d'octobre  jusqu'à 
celle  d'avril '.  Lorsque  cent  années  de  ravages  continuels  eurent 
ruiné  le  commerce  et  les  côtes  de  l'Italie  et  de  l'Espagne,  et  que 
les  corsaires  durent  aller  chercher  fortune  dans  l'Océan,  ils  se 
virent  donc  forcés  de  renoncer  aux  galères  pour  la  navigation  de 
long  cours  ;  ils  construisirent  alors  des  bâtiments  à  voiles,  qu'on 
appelait  à  cette  époque  des  vaisseaux  ronds.  Ce  fut,  dit-on,  le 
célèbre  corsaire  Simon  Dansa  ^  qui  leur  en  apprit  l'usage.  Ces 
navires  étaient  à  peu  près  semblables  à  ceux  des  autres  nations 
et  ne  s'en  distinguaient  que  par  une  forme  un  peu  plus  allongée, 


1.  Relation,  d.  c,  p.  258. 

2.  Pour  tous  les  détails  ci-dessus,  voir  Haëdo,  le  P.  Dan,  d'Aranda,  Laugier 
de  Tassy  et  Pcyssonel. 

3.  Hut.  de  Barbarie,  d.  c,  [>.  275. 


ETUDES   AL(iÉRIE!VNËS.  21 

une  plus  grande  hauteur  de  mâture  et  l'absence  complète  d'orne- 
ments inutiles.  Plus  tard  encore,  les  Deys  d'Alger  firent  cons- 
truire quelques  vaisseaux  de  guerre  absolument  semblables  à 
ceux  des  flottes  royales  de  France  et  d'Angleterre. 

A  Alger,  tout  homme  de  condition  libre  avait  le  droit  d'entre- 
prendre la  course,  et,  par  le  fait,  tout  le  monde  s'en  mêlait  plus 
ou  moins.  Lors  de  la  fondation  de  l'Odjeac,  il  avait  été  défendu 
aux  janissaires  de  prendre  du  service  à  bord;  mais,  en  1568, 
Mohammed  ben  Salah-Reïs  avait  été  forcé  de  lever  cette  inter- 
dictionS  qui  avait  déjà  causé  de  nombreuses  révoltes  delà  milice. 
Celui  qui  possédait  une  galère  bien  armée,  munie  de  sa  chiourme 
et  de  ses  approvisionnements,  la  commandait  et  la  dirigeait  à  son 
gré;  d'autres  s'associaient  pour  équiper  un  navire  à  frais  com- 
muns; les  petits  marchands  et  les  citadins  se  cotisaient  souvent 
pour  faire  un  armement,  dont  la  direction  était  confiée  par  eux 
à  quelque  capitaine  connu  par  son  audace  et  le  bonheur  de  ses 
entreprises.  Le  plus  souvent,  celui  qui  pouvait  se  procurer  à  bas 
prix  une  misérable  barque,  partait  au  gré  de  la  fortune  avec 
quinze  ou  vingt  de  ses  amis,  et  se  dirigeait  au  hasard  sur  les 
côtes  de  l'Italie,  de  la  Sardaigne,  de  la  Corse  ou  de  l'Espagne, 
cherchant  aventure,  se  cachant  dans  les  criques  et  les  récifs, 
attendant  le  moment  d'enlever  des  })êcheurs  attardés  ou  de  piller, 
à  la  faveur  de  la  nuit,  quelques  habitations  isolées.  Si  le  succès 
couronnait  son  entreprise,  il  achetait  à  son  retour  un  navire  un 
peu  plus  grand,  et  continuait  de  la  sorte  jusqu'à  ce  qu'il  fût  pro- 
priétaire d'un  bâtiment  de  guerre.  Bien  rares  étaient  les  timides, 
comme  celui  dont  parle  d'Aranda  ',  qui,  ayant  gagné  30,000 pa- 
taquès (87,000  fr.)  dans  la  première  course  qu'il  fit  avec  une 
petite  barque,  ne  voulut  jamais  se  remettre  en  mer,  disant  qu'il 
avait  maintenant  de  quoi  vivre,  et  qu'une  pareille  chance  n'arri- 
vait pas  deux  fois  à  un  homme. 

Lorsque  le  navire  et  la  chiourme  avaient  été  trouvés  à  prix 
d'argent,  il  fallait  recruter  les  combattants  volontaires.  A  cet 
effet,  le  Reïs  faisait  arborer  au  grand  mât  un  pavillon  vert^  et 
plantait  sur  le  port,  en  face  de  son  bâtiment,  un  mâtereau 
orné  d'une  banderole  de  la  même  couleur.  C'est  là  que  se  faisaient 
les  engagements.  Lorsque  le  personnel  était  au  complet,  on  ame- 


1.  Epitome  de  los  Reyes  de  Argel,  d.  c,  cap.  xvii,  l  1. 
1.  Relation,  d.  c,  p.  263. 


22  H.-D.    DE    GRAMMONT. 

nait  les  bannières  et  l'embarquement  commençait.  Chaque  volon- 
taire devait  être  pourvu  d'un  mousquet  (au  commencement,  d'un 
arc  de  fer),  d'un  cimeterre  et  d'un  coutelas;  le  bord  ne  lui  four- 
nissait que  les  munitions  et  le  biscuit  ;  il  lui  était  loisible,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  d'emporter  pour  son  usage  quelques  vivres 
et  une  couverture,  mais  rien  de  plus.  La  veille  du  départ,  le  Reïs 
et  les  principaux  de  l'équipage  allaient  visiter  un  des  marabouts 
en  renom  qui  leur  remettait  quelques  amulettes  et  un  mouton 
destiné  à  être  sacrifié  pour  se  rendre  la  fortune  et  la  mer  favo- 
rables. Ce  don,  fait  par  le  saint  homme,  était  récompensé  au 
retour  par  des  présents  d'une  valeur  proportionnelle  aux  prises 
faites. 

L'appareillage  se  faisait  avec  pompe;  la  bannière  d'Alger, 
verte,  aux  croissants  et  aux  étoiles  d'argent  sans  nombre,  flottait 
en  haut  du  grand  mât  :  ces  bannières  étaient  d'un  grand  luxe,  et 
le  Père  Dan  assure  en  avoir  vu  quelques-unes  dont  le  prix  dépas- 
sait 1,200  livres  ^  ;  le  navire  était  pavoisé,  et,  à  la  sortie  du  port, 
le  canon  et  la  mousqueterie  saluaient  la  kouba  de  Sidi  Betka,  le 
grand  marabout  qui  avait  jadis  soulevé  la  tempête  pour  anéantir 
les  flottes  de  Charles-Quint.  Aussitôt  après  le  départ,  l'étendard 
national  était  amené  et  remplacé  par  un  pavillon  aux  couleurs 
d'une  nation  chrétienne  quelconque  ^.  Le  Reïs  donnait  ensuite  la 
route  vers  les  parages  où  il  croyait  avoir  le  plus  de  chance  de 
rencontrer  des  vaisseaux  marchands.  Quelques-uns  s'en  remet- 
taient au  hasard,  faisaient  tourner  sur  le  pont  un  poignard  ou 
une  flèche,  et  mettaient  le  cap  sur  la  direction  qui  leur  avait  été 
indiquée  par  la  pointe  de  l'arme.  On  naviguait  ainsi  jusqu'à  ce 
qu'on  fût  en  présence  d'un  navire  chrétien  ;  si  le  corsaire  se  croyait 
assez  fort  pour  l'amariner,  la  chasse  commençait  immédiatement. 
Quand  on  se  trouvait  à  portée  de  mousquet,  il  le  sommait  de  se 
rendre,  et,  la  plupart  du  temps,  ne  rencontrait  pas  de  résistance. 

On  ne  peut  guère  avoir  une  meilleure  idée  de  la  manière  dont 
les  choses  se  passaient  dans  ce  cas-là,  qu'en  lisant  le  pittoresque 
récit  que  fait  René  Chastelet  des  Boys  de  la  prise  qui  le  réduisit 
en  esclavage.  Ce  gentilhomme  angevin  a  publié,  sous  le  titre 
à' Odyssée^,  une  narration  fort  intéressante  de  ses  aventures  à 


1.  Histoire  de  Barbarie,  d.  c,  p.  259. 

2.  Id.,  id. 

3.  L'Odyssée,  ou  diversité  d'avantures,  rencontres  et  voyages  en  Europe, 


ETUDES   ALGERIENNES,  23 

Alger,  où  il  fut  captif  en  1642  et  1643.  Laissons-lui  donc  un 
instant  la  parole  *  : 

«  Les  bannières  bigarrées  des  Hollandais  disparaissent  et  le 
«  haut  des  mâts  se  trouve  en  même  temps  ombragé  de  pavillons, 
«  taffetas  de  toute  couleur,  enrichis  et  brodés  d'étoiles,  de  soleils, 
«  d'épées  croisées,  et  de  devises  et  d'écritures  inconnues.  Leurs 
«  galiotes,  montées  de  38  pièces  de  canon  et  6  grands  pierriers, 
«  nous  avaient  déjà  tiré  quatre  volées  avec  un  cri  confus,  inar- 
«  ticulé,  et  sans  attendre  le  compassement  de  nos  mèches,  quand, 
«  redoublant  les  hurlements  épouvantables  de  mena  perros-, 
«  elle  donna  la  volée  entière  et  fracassa  notre  beaupré  d'une 
«  balasse  (c'est  une  courte  barre  de  fer,  dont  les  deux  extrémités 
«  aboutissent  en  demi-boulet).  Le  cri  de  :  Brébré,  7nena perros 
«  s'élève  de  plus  en  plus,  quand  ils  s'avoisinèrent  de  si  près,  que 
«  de  leur  escopeterie  ils  blessèrent  un  de  nos  matelots  et  tuèrent 
«  l'un  de  nos  camarades  étrangers.  Le  reste  de  l'équipage,  épou- 
«.^  vanté,  baisse  les  voiles  et  montre  les  mouchoirs  pour  marque 
«de  demande  de  composition.  La  soldatesque,  encore  moins 
«  résolue,  met  les  armes  bas  ;  le  tillac  et  l'entre-deux  des  ponts  se 
«  désertent,  et  le  fond  de  la  cale  se  peuple  de  fuyards.  Les  cha- 
«  loupes  du  vaisseau  se  mettent  à  la  mer  et  nous  investissent. 
«  Ces  barbares  et  bigarrés  aventuriers,  dont  elles  étaient  rem- 
«  plies,  se  précipitent  et  se  prennent  à  l'abordage  de  notre  désolée 
«  palache  et  à  l'escalade  de  nos  murailles  de  bois,  sans  aucune 
«  résistance,  quelques  matelots  leur  tendant  la  corde  du  bord,  à 
«  fin  de  meilleur  quartier,  et  de  sauver  la  vie  après  la  perte  de 
«  la  liberté,  dont  l'imminence  fit  naître  une  passion  fervente  de 
«  conserver  ce  que  l'on  pouvait  de  pécule.  L'or  s'enveloppe  et  se 
«  resser-re  de  diverses  manières  ;  les  uns  s'en  font  des  bracelets, 
«  afin  ce  s'en  entourer  les  bras,  et  obscurcir  son  éclat  à  l'om.bre 
«  d'une  manche  de  chemise,  et  aveugler  la  clairvoyance  des  cor- 
«  saires.  Il  s'en  trouva  qui  le  voilèrent  dans  le  plus  profond  de 
«  leurs  chausses,  se  persuadant  ralentir  l'avarice  des  barbares  par 
«  la  honte.  Il  y  en  eut  qui  en  firent  des  ceintures  qu'ils  crurent 
«  mettre  en  bonne  cachette  sous  leurs  cheveux,  ne  sachant  pas 
«jusqu'où  va  l'invention  dans  la  recherche  de  la  Toison  d'Or. 

isie  et  Afrique,  divisée  en  quatre  parties,  par  le  sieur  Du  Cliastelet  des  Bojs 
(La  Flèclie,  1660,  in-8°). 

1.  /d.,  xxiii"  rencontre. 

2.  Chiens,  rendez-vous! 


2'!  H.-D.    DE    CRAMMOXT. 

«  Quelques-uns  avalèrent  des  pistoles,  êcus  d'or  et  autres  pièces 
«  de  monnaie  qui  plus  facilement  se  plient  et  se  bossellent.  Enfin, 
«  la  chrysophagie  fut  si  commune,  que,  nonobstant  l'abondance 
«  confuse  d'un  chagrin  désespéré  qui  assiégeait  toutes  les  facultés 
«  de  mon  âme,  et  principalement  ma  mémoire,  il  me  souvint, 
«  pour  me  consoler,  de  l'hémistiche  :  «  Auri  sacra  famés.  » 

«  Ces  écumeurs  montent  à  notre  bord,  crient,  errent,  cherchent 
«  çà  et  là  sur  le  tillac,  entre  deux  ponts  et  à  fond  de  cale;  les 
«  coffres  se  rompent  à  coups  de  haches  et  l'on  prend  les  mieux 
«  minés  à  la  gorge.  A  mon  égard,  apercevant  un  grand  Maure, 
«  le  bras  retroussé  jusqu'au  coude,  tenant  le  sabre  en  mains  large 
«  de  quatre  doigts,  s'approcher,  je  restai  sans  paroles  ;  et  la  lai- 
«  deur  de  ce  charbon  animé  de  deux  pilules  d'ivoire,  hideusement 
«  se  mouvant  avec  la  lueur  pirouettante  d'un  court,  large  etbril- 
«  lant  fer,  m'effraya  bien  davantage  que  ne  le  fut  le  premier  des 
«  humains  à  l'aspect  de  l'épée  flamboyante  du  portier  du  paradis 
«  terrestre.  » 

Aussitôt  la  prise  effectuée,  le  vainqueur  faisait  passer  l'équ;- 
page  à  son  bord,  ne  laissant  sur  le  bâtiment  chrétien  que  le 
nombre  de  captifs  strictement  indispensable  à  la  manœuvre  du 
navire  capturé,  sur  lequel  il  envo^-ait  bon  nombre  de  ses  sokats 
tares  et  quelques-uns  de  ses  officiers;  après  quoi,  il  reprenait 
immédiatement  la  route  d'Alger.  Dès  qu'il  était  en  vue,  il  pavoi- 
sait son  vaisseau,  et  entrait  dans  le  port  en  tirant  des  salves  de 
réjouissance  auxquelles  répondait  le  canon  des  batteries  et  des 
forts.  Cependant,  toute  la  population  était  accourue  sur  le  port; 
car,  depuis  plusieurs  heures  déjà,  les  vigies  du  Bou-2aréah 
avaient  signalé  l'arrivée  d'une  capture.  Le  débarquemen:  avait 
lieu  au  milieu  des  cris  de  joie  de  la  foule;  le  Reïs,  escorté  de  ses 
officiers  et  suivi  par  la  troupe  des  captifs  enchaînés ,  se  dirigeait 
vers  le  palais  du  Pacha,  auquel  il  présentait  l'inventaire  de  la 
prise,  dressé  par  l'écrivain  du  bord.  Aucune  partie  du  butin,  si 
petite  qu'elle  fût,  ne  devait  être  détournée  ;  tout  devait  revenir  au 
partage.  Chaque  infraction  à  cette  loi  était  punie  par  la  bastonnade 
et  par  la  privation  de  la  part  qui  eût  incombé  au  délinquan:. 
Malgré  cette  dure  pénalité,  plus  d'un  cherchait  à  faire  sa  main, 
depuis  le  simple  matelot,  qui  pillait  au  moment  de  l'abordage, 
jusqu'au  chef  lui-même,  qui  s'assurait  à  prix  d'or  la  complicité 
du  khodja. 

Dans  l'origine,  la  carcasse  du  bâtiment  capturé  était  consi- 


ETUDES    ALGe'rIENNES.  25 

dérêe  comme  arme  de  guerre,  et  appartenait  en  cette  qualité  à 
rEta,t  ;  plus  tard,  on  reconnut  les  inconvénients  de  cette  mesure, 
et  le  navire  fit  partie  intégrante  de  la  prise.  En  effet,  sous  l'em- 
pire de  l'ancienne  loi,  les  corsaires  ne  se  donnaient  plus  la  peine 
de  ramener  un  vaisseau  qui  ne  devait  rien  leur  rapporter,  et  se 
contentaient  de  transborder  le  butin  et  les  captifs,  abandonnant 
ensuite  ou  incendiant  la  coque.  Il  ne  subsista  de  l'ancienne  cou- 
tume que  le  droit  de  karaport a,  en  vertu  duquel  les  agrès,  depuis 
le  grand  mât  jusqu'au  beaupré,  furent  dévolus  aux  gardiens  du 
port^ 

Le  reste  de  la  prises  butin,  marchandises,  esclaves,  était 
vendu  à  l'encan  ;  le  Pacha  avait  sur  le  tout  les  droits  de  réemp- 
tion  et  de  retrait.  Le  partage  s'opérait  ainsi  qu'il  suit  :  on  préle- 
vait d'abord  douze  pour  cent  pour  la  part  du  Pacha,  plus  un  pour 
cent  pour  l'entretien  du  môle  du  port,  et  encore  un  pour  cent 
pour  les  mosquées.  Le  reste  était  divisé  en  deux  parties  égales; 
la  première  était  donnée  moitié  au  Reïs,  moitié  aux  armateurs  ;  il 
va  sans  dire  que,  lorsque  le  navire  et  son  armement  apparte- 
naient au  capitaine,  toute  cette  part  lui  revenait  de  droit. 

La  seconde  était  attribuée  à  l'équipage,  dans  les  proportions 
suivantes  :  quinze  parts  au  Reïs  en  qualité  de  capitaine  de  galère 
(la  première  portion  qui  lui  avait  été  dévolue  était  son  droit  comme 
chef  de  l'expédition)  ;  trois  parts  aux  officiers  du  bâtiment  et  à 
ceux  des  volontaires,  aux  maîtres  canonniers,  au  pilote  et  au 
chirurgien;  deux  parts  aux  janissaires,  au  calfat,  au  maître 
charpentier,  et  une  an  reste  de  l'équipage  ;  les  rameurs  esclaves 
étaient  compris  dans  la  répartition,  mais  pour  leurs  maîtres, 
qui  recevaient  l'argent  :  toutefois,  il  était  d'usage  de  leur  en 
laisser  une  petite  partie  :  cette  coutume  fut  régularisée  sous  les 
Deys,  et  la  chiourme  du  Beylick  reçut  dès  lors  le  tiers  de  la  somme 
pour  laquelle  elle  avait  été  comprise  dans  le  partage.  Ces  cou- 
tumes restèrent  en  vigueur  pendant  toute  la  durée  de  la  Régence 
sans  recevoir  de  modifications  importantes  ;  en  1579,  Hassan  le 
Vénitien,  le  terrible  pacha  qui  fut  le  maître  et  le  bourreau  de 
Cervantes,  voulut  exiger  pour  sa  part  le  cinquième  du  butin  »; 
cette  innovation  n'eut  pas  de  succès,  et  excita  une  révolte  terrible 


1.  Voir  Laugier  de  Tassy,  d.  c,  p.  272. 

2.  Id.,  p.  270. 

3.  Epitome  de  Los  Beyes  de  Argel,  d.  c,  cap.  xxi,  é  3. 


26  n.-D,    DE    GRAMMOIVT. 

de  la  Taïffe,  qui  porta  ses  plaintes  jusqu'à  Constantinople,  fit 
rappeler  le  décret  et  remplacer  son  auteur;  ce  fut  la  seule  tenta- 
tive de  ce  genre,  et  l'importance  des  prises  faites  par  les  corsaires 
dut  suffire,  dès  lors,  à  satisfaire  la  cupidité  des  Pachas. 

IV. 

La  Course  n'avait  pas  tardé  à  prendre  un  développement 
incroyable.  Fray  Diego  de  Haëdo  nous  apprend  que,  dès  1580  ^ 
les  Algériens  possédaient  35  grandes  galères  et  une  trentaine  de 
brigantins,  sans  compter  une  grande  quantité  de  barques,  tar- 
tanes, chebeks,  seyties  et  bertons,  petites  embarcations  qui  ne 
s'éloignaient  guère  des  côtes  et  faisaient  ce  qu'on  pourrait  appe- 
ler la  piraterie  de  cabotage.  En  1634,  le  Père  Dan  comptait  de 
ses  propres  yeux  une  trentaine  de  galères  et  70  gros  vaisseaux 
de  la  force  de  25  à  40  pièces  de  canon  ;  il  estimait  la  valeur  des 
marchandises  prises  dans  les  trente  dernières  années  à  plus  de 
vingt  millions,  et  à  plus  d'un  million  le  nombre  des  captifs  faits 
pendant  la  même  période,  ce  qui  représenterait  une  valeur  de 
cinq  cents  millions  au  moins  ^.  L'appréciation  du  Père  Dan  est 
plutôt  au-dessous  qu'au-dessus  de  la  vérité,  en  ce  qui  concerne 
la  valeur  des  prises  ;  nous  avons  sous  les  yeux  un  rôle  des  dom- 
mages occasionnés  aux  Français  par  les  pirates  d'Alger  pendant 
les  huit  premiers  mois  de  l'année  1616,  rôle  établi  par  M.  Chaix, 
vice-consul  à  Alger  ^  et  qui  évalue  les  pertes  à  1,800,000  écus  ; 
encore  faut-il  remarquer  que  la  nation  française  était  la  moins 
maltraitée  de  toutes.  Les  côtes  d'Italie,  de  l'Espagne  et  des  îles 
du  bassin  occidental  de  la  Méditerranée  furent  ravagées  d'une 
façon  inimaginable.  Ce  fut  un  pillage  périodique,  renouvelé 
chaque  année,  et  souvent  plusieurs  fois  par  an,  ainsi  qu'il  est 
facile  de  s'en  assurer  en  consultant  la  collection  du  Mercure 
françois  et  celle  de  la  Gazette  de  France.  On  ne  peut,  à  cette 
lecture,  se  défendre  d'un  sentiment  douloureux  en  pensant  aux 
souffrances  des  misérables  populations  de  ces  rivages,  et  l'on 
admire  en  même  temps  la  vitalité  des  races  qui  ont  pu  survivre 
à  de  semblables  épreuves.  Pendant  plus  de  deux  cent  cinquante 


1.  Topografia,  cap.  xxii. 

2.  Histoire  de  Barbarie,  d.  c,  p.  282. 

3.  Archives  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marseille,  AA,  arl.  462. 


ÉTUDES   ALGÉRIENNES.  27 

ans,  les  côtes  de  la  Sicile,  de  la  Galabre,  de  la  Fouille,  des  Etats 
Pontificaux,  de  la  Sardaigne,  de  la  Corse  et  de  l'Espagne  furent 
mises  en  coupe  réglée,  et  l'aridité  actuelle  de  quelques-unes  de 
ces  régions  jadis  si  fertiles  montre  encore  aujourd'hui  combien  la 
nature  est  lente  à  réparer  le  mal  -que  font  les  hommes.  Ce  fut  en 
vain  que  tous  ces  rivages  se  hérissèrent  de  tours  de  guet  dans 
lesquelles  veillaient  des  gardes  chargés  de  prévenir,  par  le  son 
de  la  cloche,  les  populations  riveraines  de  l'approche  des  pirates. 
Ceux-ci  apprirent  à  déjouer  cette  surveillance  en  n'abordant  que 
de  nuit,  guidés  par  un  captif  originaire  du  Heu  de  la  descente, 
qui  se  laissait  séduire  par  l'appât  de  sa  liberté  et  d'une  riche 
récompense. 

La  France,  garantie  par  son  ancienne  alliance  avec  le  Sultan 
et  par  la  bravoure  de  ses  marins,  eut  bien  moins  à  souffrir  de  ces 
incursions;  cependant  les  environs  de  Saint-Tropez,  d'Antibes, 
de  Martigues,  d'Agde  et  de  Narbonne  reçurent  à  plusieurs 
reprises  de  ces  terribles  visites  pendant  la  durée  du  xvif  siècle. 
Au  mois  de  février  1647,  trois  corsaires  eurent  la  hardiesse  de 
débarquer  près  de  Saint-Tropez  et  d'envahir  la  Chartreuse  d'Ar- 
gentière,  dans  laquelle  ils  comptaient  s'emparer  de  l'évêque  de 
Toulon,  qui  s'y  trouvait  en  ce  moment  en  tournée  épiscopale;  ce 
prélat  eut  le  temps  de  s'enfuir,  ainsi  que  la  plupart  des  char- 
treux :  trois  d'entre  eux  seulement  tombèrent  aux  mains  des 
Algériens  1.  Le  6  août  1653,  le  célèbre  cardinal  Antoine  Bar- 
berini  fut  attaqué  par  deux  galères  d'Alger  à  sa  sortie  du  port  de 
Marseille  ;  il  eut  le  bonheur  de  parvenir  à  s'échouer  sous  le  canon 
du  fort  de  Monaco,  où  les  pirates  n'osèrent  pas  le  poursuivre,  et 
durent  se  contenter  de  capturer  la  tartane  qui  portait  les  riches 
bagages  de  ce  Prince  de  l'Eglise^,  avec  sa  suite,  composée  de 
70  personnes.  Barberini  fut  tellement  impressionné  par  cette 
aventure,  que,  quand  il  dut  retourner  en  France  au  mois  de  juin 
1655,  rien  ne  put  le  décider  à  faire  la  courte  traversée  de  Savone 
à  Toulon  :  il  préféra  prendre  la  route  de  terre  3.  Il  ne  consentit 
même  à  s'embarquer  le  1"  novembre  1657  qu'en  compagnie  du 
marquis  de  Martel,  qui  lui  fit  escorte  avec  son  escadre  jusqu'à 
Civita-Vecchia  \ 

1.  Gazette  de  France,  WH,  p.  186. 

2.  Id.,  1653,  p.  764. 

3.  Id.,  1655,  p.  708. 
■'i.  Id.,  1657,  p.  1161. 


28  H.-I).    DE    GRAMMONT. 

Il  est  vrai  de  dire  que,  pendant  tout  le  cours  de  cette  même 
année  1657,  les  mers  de  Provence  étaient  peuplées  de  pirates, 
qui  avaient  poussé  l'audace  au  point  de  faire  une  descente  à  trois 
lieues  seulement  de  Toulon,  d'y  saccager  plusieurs  habitations  et 
d'y  enlever  une  trentaine  de  personnes  ^  En  1661, 'ils  recommen- 
cèrent cette  expédition  à  deux  reprises  différentes,  et,  au  mois 
d'août,  s'emparèrent  devant  le  Chàteau-d'If  d'une  barque  sur 
laquelle  se  trouvaient  une  cinquantaine  d'habitants-,  entre  les- 
quels plusieurs  dames  de  haut  rang,  qui  allaient  en  pèlerinage  à 
la  Sainte-Baume.  Au  mois  de  juillet  1662,  dix-huit  de  leurs  bâti- 
ments avaient  choisi  les  îles  d'Hyères  pour  quartier  général,  et 
jetaient  la  consternation  dans  le  commerce  de  Marseille  3;  les 
croisières  du  duc  de  Beaufort  et  du  commandeur  Pol  éloignèrent 
ces  hôtes  incommodes. 

Leur  audace  était  devenue  excessive.  Laissant  leurs  galères 
écumer  la  Méditerranée,  ils  allaient  au  loin  chercher  fortune  sur 
l'Océan  avec  leurs  vaisseaux  de  haut  bord.  Ils  avaient  toujours 
devant  le  détroit  de  Gibraltar  et  dans  les  eaux  des  Açores  quel- 
ques croiseurs  qui  attendaient  les  galions  des  Indes  ;  l'embou- 
chure du  Tage  était  perpétuellement  visitée  par  eux,  ainsi  que  le 
canal  de  La  Rochelle  et  l'entrée  de  la  Manche.  En  1645,  sept 
d'entre  eux  avaient  débarqué  sur  les  côtes  de  Cornouailles,  où  ils 
avaient  enlevé  240  habitants  et  un  énorme  butin  *.  En  1650  ^  ils 
étaient  venus  prendre  des  bâtiments  marchands  jusque  devant 
Plymouth,  et  ils  avaient  fait  de  même,  en  1654,  à  l'embou- 
chure de  la  Severn  ^  En  1617,  ils  avaient  envahi  l'île  de  Madère, 
qu'ils  pillèrent  à  fond,  emportant  jusqu'aux  cloches  des  églises, 
et  emmenant  en  captivité  plus  de  douze  cents  personnes'.  En 
1634,  Morat-Reïs  avait  écume  les  côtes  d'Angleterre  et  d' Irlande  et 
y  avait  fait  une  descente  près  d'une  petite  ville  nommée  Baltimore, 
où  il  avait  fait  237  captifs  ^  Mais  aucun  d'eux  n'égala  l'audace 
aventureuse  de  Corne  Morat,  qui  osa  pousser  jusqu'en  Islande,  où 


1.  Gazette  de  France,  1657,  p.  956. 

2.  Id.,  1661,  p.  376,  760,  794. 

3.  Id.,  1662,  p.  729. 

4.  Id.,  1645,  p.  851. 

5.  Id.,  1650,  p.  1133. 

6.  Id.,  1654,  p.  99  et  171. 

7.  Histoire  de  Barbarie,  d.  c,  p.  276. 

8.  Id.,  p.  276. 


ÉTDDES   ALGÉRIENNES.  29 

il  débarqua  en  1627,  et  où  il  s'empara  de  800  habitants,  seul 
butin  que  put  lui  offrir  cette  région  désolée  ^ 

Le  fléau  augmentait  de  jour  en  jour,  et  le  nombre  des  pirates 
s'accroissait  en  même  temps  que  leur  intrépidité.  Gomment  en 
eût-il  été  autrement?  Quelle  raison  eût  pu  empêcher  tout  homme 
énergique  d'embrasser  une  carrière  dans  laquelle  on  avait  tout  à 
gagner  et  presque  rien  à  perdre?  Quelle  excitation  au  mépris  du 
danger  que  la  vue  quotidienne  de  tous  ces  Reis  gorgés  de  richesses, 
qui  traînaient  quelques  années  auparavant  une  existence  misé- 
rable, et  qui  goûtaient  maintenantes  douceurs  du  kief  dans  leurs 
somptueux  palais  d'Alger  ou  dans  les  villas  toujours  vertes  qui 
couronnent  les  coteaux  voisins  de  la  ville  !  Pour  devenir  leur  égal, 
que  fallait-il?  Un  peu  de  bonheur  et  un  peu  de  courage.  On  se 
racontait  les  histoires  de  ces  hommes  favorisés  par  le  destin,  qui 
avaient  conquis  une  fortune  dès  le  premier  jour  de  leur  première 
aventure. 

On  citait  le  Reïs,  appelé  le  Grand  More,  qui,  en  1635,  avait 
pris  à  l'abordage,  pour  son  coup  d'essai,  le  grand  galion  de  Na- 
ples^,  chargé  de  blé,  de  10,000  paires  de  bas  de  soie,  20  caisses 
de  fil  d'or,  10  caisses  de  brocatelle,  76  canons,  10,000  bou- 
lets et  130  captifs;  Hamida  ben  Negro^  qui,  en  1650,  avait 
failli  prendre  Don  Juan  d'Autriche  et  s'était  emparé  de  la  galère 
la  Sainte- Agathe,  sur  laquelle  il  avait  trouvé  800,000  réaux, 
les  riches  bagages  du  marquis  de  Serra,  tué  dans  le  combat,  et 
un  nombre  infini  de  captifs  de  qualité  qui  durent  payer  d'énormes 
rançons  pour  recouvrer  leur  liberté  ;  Kara  Oges,  qui,  en  1660, 
se  dégoûta  de  son  métier  de  portefaix  à  la  Marine,  radouba,  à 
l'aide  de  quelques  amis,  une  vieille  barque  abandonnée,  prit  la 
mer  au  hasard  et  s'empara,  quelques  jours  après,  du  vaisseau 
marseillais  Notre-Dame-de-la-Gay^de^,  dont  la  cargaison  fut 
vendue  400,000  livres.  Les  moins  favorisés  prenaient  des  barques 
chargées  de  blé,  de  vin  ou  de  poissons  salés;  mais  leur  part  se 
montait  encore  à  quelques  miUiers  de  livres,  et  c'était  une  for- 
tune dans  un  pays  =  où  l'on  pouvait  acheter  la  viande  de  mouton 
à  un  sou  la  livre,  celle  du  bœuf  à  huit  deniers,  où  la  poule  ne 

1.  Histoire  de  Barbarie,  d.  c,  p.  276. 

2.  Gazette  de  France,  1635,  p.  233. 

3.  Id.,  1656,  p.  390,  439,  463. 

4.  Gazette  de  France,  1660,  p.  56,  1222  et  1661. 

5.  Histoire  de  Barbarie,  d.  c,  p.  90. 


30  n.-n.  nE  grammont, 

coûtait  que  deux  sous,  une  perdrix  six  blancs,  un  lièvre  trois 
sous,  et  où  le  pain,  dit  le  Père  Dan,  était  tellement  bon  marché, 
que  l'homme  le  plus  affamé  ne  pouvait  pas  en  manger  pour  plus 
de  huit  deniers  par  jour.  Aussi  le  corsaire  indigène  se  bornait 
généralement  à  une  ou  deux  courses  fructueuses  et  se  retirait 
ensuite  des  affaires,  satisfait  de  jouir  d'une  médiocrité  dorée  dans 
l'oisiveté  chère  aux  Orientaux.  Les  renégats  ne  pensaient  point 
ainsi  :  ils  apportaient  dans  l'exercice  de  leur  profession  l'ardeur, 
l'activité  et  l'àpreté  au  gain  des  races  septentrionales.  Ils  entas- 
saient richesses  sur  richesses  et  prenaient  peu  de  repos  ;  aussi 
composaient-ils  l'immense  majorité  de  la  corporation  des  Reïs. 
Quelques-uns  d'entre  eux  continuaient  la  course  jusqu'à  un  âge 
fabuleux.  Le  24  juin  1665,  lorsque  le  duc  de  Beaufort  '  vint  atta- 
quer audacieusement  les  vaisseaux  algériens  sous  le  canon  même 
de  la  Goulette,   le  capitaine  Des   Lauriers,    qui  commandait 
Y  Étoile,  se  trouva  en  face  d'un  bâtiment  corsaire  de  50  canons 
et  de  600  hommes  d'équipage,  et  l'aborda  bravement.  Le  capi- 
taine algérien  était  un  renégat  portugais,  nommé  Barbiere  Has- 
san :  il  était  âgé  de  cent  cinq  ans  !  Le  combat,  qui  ne  se  termina 
que  par  l'incendie  du  pirate,  fut  terrible;  les  deux  commandants 
y  trouvèrent  la  mort,  ainsi  que  le  chevalier  de  Loire;  l'enseigne 
Riquetti  se  trouva  cité  parmi  les  nombreux  blessés  de  cette  rude 
affaire. 

Ces  Reïs  renégats  constituèrent,  pendant  les  deux  dernières 
périodes,  la  force  vive  de  la  Régence.  Ils  y  apportèrent,  en  même 
temps  que  leur  énergie,  des  connaissances  nautiques  qui  man- 
quaient aux  Turcs,  et  perfectionnèrent  la  construction  et  l'arme- 
ment de  leur  marine.  De  plus,  enchaînés  par  leur  première 
défection  et  sachant  qu'ils  n'avaient  pas  de  grâce  à  attendre  s'ils 
étaient  pris,  ils  montrèrent  le  plus  souvent  un  courage  indomp- 
table et  firent  avorter  la  plus  grande  partie  des  tentatives  que  fit 
la  Chrétienté  i)0ur  purger  les  mers  de  ce  fléau  qui  rendait  la 
navigation  presque  impossible.  Ce  fut  à  leur  force  de  résistance 
qu'Alger  dut  d'échapper  au  sort  que  firent  subir  aux  corsaires  de 
Tripoli,  de  Sainte-Maure  et  de  Bizerte  les  Chevaliers  de  l'ordre  de 
Saint-Jean-de-Jérusalem . 

Cet  ordre,  institué  en  1099  pour  donner  des  soins  aux  malades 
et  aux  blessés  de  la  Croisade,  s'était  vu  entraîné  par  la  force  des 

1.  Gazelle  de  France,  1GG5,  p.  389-404. 


ÉTUDES  ALGÉRIENNES.  31 

choses  à  modifier  ses  statuts,  et,  dès  l'année  1118,  abandonnant 
aux  Frères  Servants  les  soins  hospitaliers,  les  Chevaliers  avaient 
repris  les  armes  à  l'instigation  de  leur  deuxième  Grand  Maître. 
Leurs  exploits  n'avaient  pas  tardé  à  les  rendre  célèbres  et  à  atti- 
rer sur  eux  le  courroux  des  princes  musulmans.  Successivement 
expulsés  de  la  Palestine,  de  Chypre  et  de  Rhodes,  ils  avaient  fini 
par  trouver  dans  l'île  de  Malte  un  abri,  grâce  auquel  ils  purent 
résister  victorieusement  aux  eff'orts  de  la  Porte.  Leurs  galères 
redoutables,  toujours  prêtes  à  offrir  ou  à  accepter  le  combat, 
sillonnèrent  la  Méditerranée  par  une  croisière  perpétuelle,  et 
firent  subir  au  commerce  et  aux  rivages  de  l'Islam  le  sort  que  les 
Algériens  infligeaient  aux  Chrétiens.    Ces   cadets  de  famille, 
dressés  dès  leur  plus  tendre  enfance  au  métier  des  armes,  trou- 
vèrent dans  la  guerre  sans  relâche  qu'ils  firent  aux  Infidèles  la 
satisfaction  de  leurs  appétits  belliqueux,  l'accomplissement  de 
leurs  vœux  religieux,  les  honneurs,  la  gloire  et  quelquefois  la 
fortune.  Lorsque,  brisés  par  l'âge  ou  les  blessures,  ils  devenaient 
incapables  de  continuer  leurs  dures  campagnes,  ils  trouvaient 
une  sûre  et  honorable  retraite  dans  une  des  nombreuses  Comman- 
deries  que  les  souverains  chrétiens  s'étaient  plu  à  fonder  ou  à 
enrichir  de  leurs  dons.  Ceux  qui  étaient  encore  valides  servaient 
dans  les  flottes  roj'ales,  auxquelles  ils  fournissaient  un  nombreux 
contingent  d'excellents  officiers.  Tous  ces  avantages  étaient  plus 
que  suffisants  pour  attirer  sous  la  bannière  de  l'Ordre  une  ardente 
jeunesse  qui  ne  tarda  pas  à  devenir  l'effroi  des  côtes  barba- 
resques. 

Il  faudrait  des  volumes  pour  raconter  leurs  exploits  contre  les 
seuls  Algériens  depuis  le  jour  où,  sous  les  ordres  de  Charles- 
Quint,  ils  vinrent  enfoncer  leurs  dagues  dans  la  porte  Bab- 
Azoun*  jusqu'au  20  juillet  1784,  quand  les  flottes  alliées  les 
saluèrent  de  leurs  acclamations  enthousiastes  au  moment  où, 
sous  le  feu  terrible  de  la  place,  ils  descendirent  sur  le  môle  pour 
y  accrocher  les  chaînes  d'attache  des  brûlots  incendiaires  de  Don 
Antonio  Barcelo  ^  Les  corsaires  d'Alger  purent  longtemps  con- 
server le  souvenir  du  chevalier  de  Valence  qui,  monté  sur  une 
hourque  de  six  canons  et  de  cinquante  hommes  d'équipage,  se  vit 
entouré,  le  25  novembre  1633,  par  cinq  vaisseaux  de  guerre  qui 

1.  Marmol,  1.  V,  f»  218,  elc. 

2.  Gazette  de  France,  1784,  p.  310  et  suiv. 


32  n.-D.    DE  GRAMMO\T. 

le  som  ^rent  de  se  rendre.  Il  répondit  en  commençant  le  feu,  se 
battit  dix  heures  de  suite  et  parvint  à  ramener  au  port  de  Leu- 
cate  son  petit  bâtiment,  percé  de  plus  de  200  coups  de  canon  et 
ne  contenant  plus  que  quinze  hommes  en  état  de  combattre  ^;  des 
deux  frères  de  Villages  qui,  au  mois  d'octobre  1635,  se  défen- 
dirent héroïquement  avec  leurs  deux  galères  contre  quinze  gros 
vaisseaux-;  du  chevalier  de  la  Perrière  qui,  en  1650,  assailli 
par  trois  navires  ennemis,  en  coula  un,  brûla  l'autre  et  prit  le 
troisième  ^. 

La  Gazette  de  France  est  remplie  de  faits  de  ce  genre.  Le 
29  janvier  1650  ^  un  corsaire  d'Alger  rencontre  en  mer  le  Saint- 
Jean- Baptiste,  vaisseau  marchand  de  Hambourg,  et  se  lance 
sur  lui,  croyant  l'amariner  sans  combat  ;  mais  il  se  trouvait  à 
bord  22  chevaliers  de  Malte  ,  passagers  français  ;  ils  mettent 
l'épée  à  la  main,  repoussent  sept  abordages  consécutifs,  sou- 
tiennent un  combat  de  cinq  heures,  au  bout  desquelles  le  cor- 
saire, rebuté  par  ses  pertes,  se  retire,  laissant  le  vaisseau  se 
diriger  vers  Malte,  la  coque  percée  de  plus  de  cent  coups  de 
canon.  En  1660,  c'est  M.  de  Saintôt^  qui  soutient  à  lui  seul  un 
combat  de  huit  heures  contre  sept  bâtiments  ennemis  ;  plus  tard, 
c'est  l'infatigable  chevalier  de  Valbelle,  toujours  en  lutte  et 
toujours  vainqueur,  et  le  chevalier  Pol,  et  le  comte  de  Veriie, 
et  tant  d'autres,  la  terreur  des  pirates  et  la  gloire  de  leur  ordre. 

Cependant  tout  cet  héroïsme  ne  servit  qu'à  arrêter  un  peu  les 
progrès  du  mal,  sans  parvenir  à  le  couper  dans  sa  racine;  il  eût 
fallu  pour  une  pareille  œuvre  l'entente  et  l'effort  simultané  des 
marines  européennes;  les  conditions  de  rivalité  dans  lesquelles 
elles  se  trouvèrent  pendant  presque  toute  la  durée  de  la  Régence 
d'Alger  rendirent  cet  accord  impossible. 

V. 

Nous  avons  vu,  en  eJBfet,  que,  pendant  le  xvi«  siècle  et  la  pre- 
mière moitié  du  xvif,  la  France  avait  fermé  les  yeux  sur  les 
exactions  des  Algériens,  qui  ne  l'atteignaient  que  fort  peu,  tandis 

1.  Gazette  de  France,  1634,  p.  (j. 

2.  Id.,  1636,  p.  170. 

3.  Id.,  1650,  p.  931. 

4.  Id.,  id.,  p.  589. 

5.  Id.,  1660,  p.  320. 


ETUDES   ALGERIENNES.  33 

qu'elles  ruinaient  l'Espagne,  sa  rivale;  celle-ci  s'était  donc  trou- 
vée seule  avec  Venise  pour  combattre  la  Course  dans  la  Méditer- 
ranée. 

Les  Anglais  et  les  Hollandais,  dont  le  commerce  avec  le 
Levant  était  alors  peu  considérable,  n'eurent  pointa  se  préoc- 
cuper de  cette  question.  Du  reste,  leurs  bâtiments  marchands 
avaient  pris ,  de  bonne  heure ,  l'habitude  de  ne  sortir  que  bien 
armés  et  de  traiter  les  pirates  avec  une  extrême  rigueur.  Près  de 
la  côte,  on  les  pendait;  au  large,  on  les  faisait  sauter  par-dessus 
le  bord,  le  tout  sommairement  et  sans  jugement. 

Cependant,  vers  1620,  leurs  déprédations  étaient  devenues 
tellement  nombreuses,  que  tout  le  monde  s'émut.  L'expédition 
des  galères  de  France  commandées  par  M.  de  Gondy  S  celle  de 
la  compagnie  des  vingt  vaisseaux  anglais  qui  canonna  Alger  en 
1621 2,  et  celle  de  1624,  sous  le  commandement  de  l'amiral  hol- 
landais Lambert  3,  furent  les  débuts  de  cette  longue  série  de 
répressions  qui  allait  durer  pendant  deux  siècles  sans  pouvoir 
aboutir  à  rien.  Ce  fut  en  vain  que  la  France  envoya  successive- 
ment le  comte  d'Harcourt  ^  l'amiral  de  Mantin  %  le  duc  de  Beau- 
fort  ^  Duquesne",  Tourville^  le  maréchal  d'Estrées»  et  tant 
d'autres,  appuyer  ses  justes  plaintes  par  le  canon  de  ses  flottes  ; 
l'Angleterre  n'eut  pas  plus  de  succès,  malgré  les  efforts  du  duc  de 
Sandwich  *o  et  du  chevalier  Spragg  '\  non  plus  que  la  Hollande 
avec  des  hommes  comme  Ruyter,  Tromp  et  Binker  ^^  ]<io^g 
n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  le  détail  des  expéditions  dirigées 
par  ces  grands  hommes  de  mer;  il  suffit  de  dire  que  toutes  se  res- 
semblaient et  qu'elles  eurent  toutes  le  même  insuccès.  Toutes  ces 
flottes,  après  une  croisière  plus  ou  moins  heureuse,  arrivaient 

1.  Mercure  François,  t.  VI,  p.  470. 

2.  Mercure  François,  t.  VII,  p.  179. 

3.  Sander  Rang,  Précis  analytique  de  l'Histoire  d'Alger.  (Tableau  des  éta- 
blissements français  en  Algérie,  1834.) 

4.  En  1635. 

5.  En  1637. 

6.  En  1663,  1664,  1665. 

7.  En  168Z  et  1683. 

8.  En  1679  et  1681. 

9.  En  1685. 

10.  En  1661,  1662. 

11.  En  1669-1671. 

12.  En  1661-1664. 

Rev.  TîrsTon.  XXY.   l^''  F,\sr..  3 


3'(  H.-D.    DE   ORAMJTONT. 

devant  Alger  et  se  mettaient  à  canonner  ou  à  bombarder  la  ville. 
Au  bout  de  quelques  jours  de  feu,  les  pachas  ou  les  deys,  craignant 
le  soulèvement  de  la  population,  demandaient  à  entrer  en  pour- 
parlers. Après  de  longues  tergiversations,  ils  feignaient  de  con- 
sentir à  se  laisser  arracher  un  traité,  qui  était  toujours  violé  dès  le 
lendemain  du  départ  de  la  flotte.  Le  résultat  le  plus  clair  qu'on  pût 
obtenir  était  la  délivrance  de  quelques  misérables  captifs,  qui 
se  trouvaient  payés  au  delà  de  leur  valeur  par  les  présents  qu'il 
était  d'usage  de  faire  en  pareille  occasion.  Les  choses  se  passèrent 
ainsi  pendant  toute  la  durée  de  la  Régence,  et  elles  ne  pouvaient 
pas  se  passer  autrement.  Le  tort  des  gouvernements  européens 
fut  de  ne  rien  comprendre  à  la  situation  intérieure  d'Alger  et  de 
considérer  les  paclias  et  les  deys  comme  des  souverains,  alors 
qu'ils  n'avaient  aucun  pouvoir  effectif.  Ils  n'eussent  certainement 
pas  mieux  demandé  que  d'avoir  la  paix  et  d'observer  les  traités; 
car  leur  tête  était  mise  en  jeu  à  chaque  bombardement  ;  mais 
ils  ne  le  pouvaient  pas.  Ils  étaient  complètement  impuissants  à 
empêcher  la  Course,  qui,  comme  nous  l'avons  dit,  était  la  seule 
industrie  de  la  ville  et  le  seul  moyen  d'existence  de  la  population 
tout  entière.  La  première  tentative  de  ce  genre  eût  soulevé  contre 
eux  une  émeute  de  la  Taïffe  dans  laquelle  ils  eussent  perdu  la 
vie;  les  janissaires  eux-mêmes,  qui  savaient  très  bien  que  leur 
solde  n'était  assurée  que  par  les  revenus  provenant  des  prises, 
eussent  participé  à  la  révolte.  Il  existe  à  ce  sujet  des  réponses 
bien  caractéristiques  faites  à  nos  consuls  et  à  nos  chargés  d'af- 
faires :  en  1685,  c'est  Mezzomorto,  qui,  ayant  appris  de  M.  Dus- 
sault*  combien  avait  coûté  le  double  armement  de  Duquesne, 
s'écrie  :  «  Gloire  de  Dieu,  pour  ce  prix-là,  j'aurais  brûlé  moi- 
même  la  ville  tout  entière!  »;  en  1734,  Ibrahim  Kasnadji 
répond  à  M.  Lemaire,  qui  l'engageait  à  faire  punir  quelques 
Reïs  :  «  Je  n'ai  qu'une  tête  et  je  tiens  à  la  conserver.  » 

Ces  deux  réponses  donnent  la  véritable  clef  de  la  situation  : 
elles  montrent  combien  les  pachas  et  les  deys  se  montraient  indif- 
férents aux  dommages  que  pouvaient  éprouver  leurs  sujets,  et 
combien  toute  innovation  eût  été  à  craindre  pour  eux.  Voyant  à 
la  fin  qu'elles  n'avaient  rien  à  gagner  de  ce  côté,  les  nations 
chrétiennes  s'adressèrent  à  la  Porte  et  la  sommèrent  d'intervenir  en 


1.  M.  Dussault  était  gouverneur  du  Bastiou  et  avait  été  chargé  de  préparer 
un  traité  avec  Alger. 


ETUDES   ALGERIENNES.  3?) 

qualité  de  suzeraine.  C'était  encore  montrer  une  profonde  igno- 
rance de  l'état  d'Alger  et  des  relations  qui  liaient  cette  puissance 
au  Grand  Divan.  Depuis  la  fin  du  xvi"  siècle,  la  Régence  ne 
recevait  plus  d'ordres  de  Constantinople,  ou  tout  au  moins  elle  n'y 
obéissait  que  lorsque  cela  lui  faisait  plaisir,  et,  depuis  le  combat 
naval  de  la  Velone,  les  Reïs  refusaient  de  se  joindre  aux  flottes 
ottomanes,  à  moins  d'être  indemnisés  d'avance  des  pertes  qu'ils 
pourraient  faire.  C'est  ainsi  que  le  Sultan,  pour  les  décider  à 
sortir  de  leur  port,  dut  leur  faire  parvenir  16,000  sultanins  d'or 
en  1646*  et  50,000  en  1651^;  encore  trouvèrent-ils  le  marché 
onéreux,  et  ce  fut  la  dernière  fois  qu'ils  l'acceptèrent.  En  même 
temps,  la  milice,  lasse  de  se  voir  envoyer  des  Pachas  qui  ne  son- 
geaient qu'à  profiter  de  leurs  trois  ans  de  règne  pour  s'enrichir, 
refusa  de  les  laisser  gouverner  à  partir  de  1659  et  finit  par  ne 
plus  les  recevoir  du  tout.  Il  n'y  avait  donc  plus  aucun  lien 
d'obéissance  entre  le  Divan  d'Alger  et  celui  du  Grand-Seigneur. 

Cependant,  la  Porte,  trop  orgueilleuse  pour  avouer  cette 
situation  aux  nations  chrétiennes,  accueillait  leurs  réclamations 
et  les  appuyait  à  Alger  par  l'envoi  de  quelques  Chaoux,  généra- 
lement assez  mal  reçus.  Déjà,  en  1604,  Mustapha  Aga,  qui  avait 
accompagné  M.  de  Brèves,  faillit  être  massacré  par  la  milice''; 
en  1660,  il  ne  fut  pas  même  permis  aux  envoyés  du  sultan  de 
débarquer^;  en  1725,  l'envoyé  de  l'empereur  d'Autriche,  qui 
avait  obtenu  l'escorte  de  la  flotte  ottomane,  se  vit  bafouer  en 
plein  Divan  en  même  temps  que  l'amiral  turc  lui-même^,  et 
comme  celui-ci  reprochait  aux  Algériens  leur  peu  de  déférence 
aux  ordres  du  Grand-Seigneur  :  «  Il  nous  a  laissé  bombarder 
trois  fois  sans  nous  porter  secours,  »  lui  fut-il  répondu;  et  le 
peuple  criait  sur  le  passage  des  Capidjis  :  «  De  quoi  le  Sultan 
veut-il  que  nous  vivions,  s'il  faut  avoir  la  paix  avec  tout  le 
monde?  Nous  l'avons  avec  les  Français  et  les  Anglais,  et  c'est 
déjà  trop.  » 

C'est  qu'en  eff'et  la  population  algérienne  en  était  arrivée  à  ce 
point  que  l'exercice  de  la  piraterie  lui  paraissait  être  un  droit 
naturel  et  une  sorte  de  propriété  qu'on  était  fort  mal  venu  à 

1.  Gazette  de  France,  1646,  p.  344. 

2.  Id.,  1651,  p.  375. 

3.  Voir  les  Voyages  de  M.  de  Brèves,  d.  c. 

4.  D'Araiida,  Relation,  d.  c,  p.  157. 

5.  Voir,  entre  aulres,  la  Gazette  de  France,  17'24,  p.  324,  et  1725,  p.  539. 


36  H.-D.    DE    GRAMMONÏ. 

tenter  de  lui  ravir.  Cette  appréciation  peut  paraître  extraordi- 
naire et  même  paradoxale,  mais  les  exemples  ne  manquent  pas 
pour  la  justifier.  Au  mois  de  mai  1740  ^  le  roi  des  Deux-Siciles 
demanda  à  conclure  un  traité  avec  Alger,  et  envoya  à  ce  sujet  le 
chevalier  Finochietti,  porteur  d'un  firman  du  Sultan.  Un  grand 
Divan  fut  réuni  pour  délibérer  et  refusa  de  faire  la  paix,  moti- 
vant ses  conclusions  sur  ce  que  toutes  les  nations  demandaient  à 
traiter;  que  la  marine  n'avait  plus  de  quoi  s'occuper;  que  les 
revenus  du  Trésor  baissaient  de  jour  en  jour,  et  qu'il  serait  beau- 
coup plus  opportun  de  rompre  les  anciens  traités  que  d'en  con- 
clure de  nouveaux.  L'envoyé  deNaples  ne  se  rebuta  pas  et  revint 
au  mois  d'aoiit  avec  une  deuxième  lettre  du  Grand  Vizir  ;  on  lui 
demanda  alors  quelle  indermiité  il  offrait  en  dédommage- 
ment des  pertes  que  ce  traité  causerait  à  la  Régence;  et  on 
lui  fit  des  propositions  tellement  exorbitantes  qu'il  dut  se  retirer 
sans  avoir  rien  avancé. 

En  1747,  la  République  de  Venise  fut  traitée  absolument  de  la 
même  manière,  et  ne  put  conclure  la  paix  que  vingt  et  un  ans  plus 
tard,  moyennant  un  tribut  annuel  de  12,000  sequins  d'or  et  un 
présent  de  22,000  sequins  fait  à  Baba  Ali  -. 

Nous  avons  vu  précédemment  que,  depuis  l'avènement  des 
Deys,  la  marine  avait  été  reconstituée  sous  le  patronage  de  l'Etat, 
qui  était  devenu  propriétaire  de  presque  tous  les  gros  vaisseaux 
de  guerre.  Les  reïs  de  ces  bâtiments  étaient  choisis  par  l'Oukil  el 
Hardj  de  la  marine,  qui  les  tenait  à  sa  discrétion,  et  pouvait 
obtenir  d'eux  une  obéissance  presque  complète.  Ils  devaient  se 
faire  présenter  par  les  capitaines  de  vaisseau  des  nations  amies 
les  passeports  algériens  dont  ceux-ci  devaient  être  pourvus,  et 
s'arrogeaient  en  même  temps  le  droit  de  visiter  les  navires  mar- 
chands pour  s'assurer  de  la  provenance  de  la  cargaison  et  de  la 
nationalité  de  l'équipage.  On  comprend  combien  ce  droit  de 
visite  était  onéreux  et  à  combien  de  tracas  et  d'injustices  il  expo- 
sait les  capitaines  marchands. 

D'un  autre  côté,  ceux-ci  ne  se  croyaient  pas  tenus  à  la  moindre 
loyauté  en  ce  qui  concernait  les  passeports,  et  en  faisaient  un 
trafic  continuel  au  profit  des  nations  qui  n'avaient  pas  pu  obtenir 
la  paix.  Tout  cela  formait  une  cause  permanente  de  chicanes,  de 

1.  Gazette  de  France,  1740,  p.  398,  443,  etc. 

2.  Gazette  de  France,  1767,  p.  181. 


ETUDES   ALGEUIE'V-XES.  37 

mauvais  procédés  et  de  ruptures,  dont  les  Deys  étaient  d'autant 
plus  prodigues ,  que  chaque  nouveau  traité  était  pour  eux  la 
source  de  cadeaux  personnels. 

Depuis  qu'ils  avaient  fait  admettre  en  principe  que  toutes  les 
nations  qui  voudraient  garantir  leur  commerce  contre  la  Course 
devaient  payer  un  tribut  proportionnel  aux  pertes  qu'elles  auraient 
pu  faire,  toute  l'Europe  s'était  soumise  successivement,  à  l'excep- 
tion de  la  France,  de  l'Angleterre  et  de  l'Espagne.  La  Hollande  en 
avait  donné  l'exemple,  bientôt  suivi  par  la  Suède,  le  Danemark 
et  les  villes  anséatiques,  puis  plus  tard  par  les  petites  puissances 
de  la  Méditerranée.  On  a  souvent  qualifié  ces  transactions  de 
honteuses,  sans  vouloir  se  rappeler  que  les  nations  qui  les  avaient 
faites  s'étaient  épuisées  en  vains  efforts  pendant  de  longues 
années  pour  se  débarrasser  par  les  armes  du  joug  qui  pesait  sur 
elles  ;  ce  ne  fut  qu'après  avoir  reconnu  l'inutilité  de  leurs  tenta- 
tives, qu'elles  se  courbèrent  sous  un  impôt  devenu  moins  ruineux 
pour  elles  que  les  démonstrations  belliqueuses  restées  jusqu'alors 
inutiles.  Ce  qu'il  y  eut  de  véritablement  répréhensible  dans  la 
conduite  de  la  Hollande,  du  Danemark  et  de  la  Suède,  fut  la  faci- 
lité avec  laquelle  ces  trois  pays  consentirent  à  acquitter  leur 
tribut  en  munitions  de  guerre  et  en  approvisionnements  de 
marine,  se  faisant  ainsi  les  véritables  pourvoyeurs  de  la  pira- 
terie. C'est  ainsi  qu'en  1680  ',  la  Hollande  fournissait  à  Alger 
8  pièces  de  canon  de  cinquante  livres  de  balles  avec  les  acces- 
soires, 40  mâts,  500  barils  de  poudre,  5,000  boulets  et  un  vais- 
seau plein  de  câbles  et  d'agrès  divers,  s'enga géant  à  faire  le 
même  présent  tous  les  ans.  En  1711  ^,  ils  donnèrent  8  canons  de 
bronze,  16  de  fer,  24  affûts,  7,000  boulets,  600  milliers  de 
poudre,  800  fusils,  400  lames  d'épée,  25  mâts  et  8  gros  câbles. 
En  1731 3,  la  Suède  envoyait  800  barils  de  poudre,  8  gros  câbles, 
50  mâts,  800  fusils,  800  sabres,  40  pièces  de  canon  et  6,000  bou- 
lets. Cet  excès  de  complaisance  ne  les  mettait  pas  à  l'abri  des 
avanies  du  Divan  :  en  1747  ^  le  roi  de  Danemark  ayant  offert  des 
mortiers  au  Beylik,  on  les  lui  renvoya  en  constatant  qu'ils  étaient 
en  fonte  :  il  lui  fut  déclaré  qu'on  n'acceptait  que  des  mortiers  de 
bronze  et  qu'on  lui  donnait  six  semaines  pour  réparer  son  erreur. 

1.  Gazette  de  France,  1G80,  p.  300. 

2.  /d.,  1711,  p.  59. 

3.  M.,  1731,  p.  224. 

4.  Id.,  1747,  lettre  d'Alger  du  14  décembre. 


3s  H.-D.    DE    GRAMMONT. 

Mais,  ce  qui  dépasse  tout  le  reste  et  arrive  à  une  sorte  de  gran- 
deur picaresque,  fut  la  conduite  qu'ils  tinrent  avec  la  Suède  en 
la  même  année  1747  K  Le  gouvernement  de  cette  nation  avait 
fait  charger  les  présents  annuels  qu'il  faisait  au  Dey  et  à  la 
Régence  sur  un  navire  napolitain  nommé  la  Conception  Mira- 
culeuse, qui  tomba  entre  les  mains  des  Algériens.  Bien  que  les 
caisses  fussent  dûment  étiquetées  et  portassent  l'adresse  des  desti- 
nataires, la  Régence  les  déclara  de  bonne  prise,  comme  ayant 
navigué  sous  pavillon  ennemi,  et  les  conserva  à  titre  de  capture, 
faisant  savoir  à  l'intéressé  qu'il  eût  à  renvoyer  un  nouveau  pré- 
sent dans  le  plus  bref  délai,  et,  cette  fois,  sous  pavillon  ami,  si 
on  ne  voulait  être  exposé  au  même  sort . 

De  semblables  avanies  n'étaient  pas  rares,  et  les  Consuls  y 
étaient  fréquemment  exposés,  particulièrement  ceux  des  nations 
faibles.  A  l'origine,  la  France  seule  avait  eu  des  agents  à  Alger, 
l'Angleterre  et  la  Hollande  vinrent  ensuite,  puis  la  Suède,  le 
Danemark  et  les  Etats  de  l'Italie.  A  vrai  dire,  il  est  assez  difficile 
de  comprendre  à  quoi  pouvaient  servir  ces  petits  chargés  d'affaires, 
qui  coûtaient  fort  cher,  et  dont  les  réclamations  n'étaient  jamais 
écoutées  :  ceux  de  France  et  d'Angleterre  avaient  déjà  beaucoup 
de  peine  à  obtenir  justice  de  temps  en  temps  ;  encore  fallait-il 
qu'ils  fussent  armés  d'une  patience  à  toute  épreuve  et  d'une  fer- 
meté rare,  qu'ils  déployassent  une  très  grande  habileté  et  qu'ils 
prodiguassent  les  présents.  Il  est  nécessaire  de  dire  un  mot  de 
ces  donatives,  qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans  l'histoire  des 
relations  consulaires  de  l'Europe  avec  la  Régence. 

Nos  premiers  Consuls  évitèrent  avec  soin  de  faire  des  présents 
à  époques  fixes  aux  Pachas  et  aux  grands  dignitaires.  Ils  avaient 
été  mis  en  garde  par  les  rapports  de  nos  ambassadeurs  contre 
ce  trait  particulier  du  caractère  turc  qui  transforme  en  droit 
acquis  toute  habitude  prise  ;  en  sorte  que  celui  qui  a  reçu  deux 
fois  de  suite  un  cadeau  à  une  époque  ou  dans  une  occasion 
déterminée,  le  considère  comme  lui  étant  dû  à  la  même  époque 
ou  dans  une  occasion  semblable,  et  le  réclame  impérieusement  si 
on  oublie  de  le  satisfaire  ^. 

Ce  fut  pour  avoir  négligé  de  s'informer  de  cette  particularité 
que  les  représentants  de  l'Angleterre  et  de  la  Hollande  se  virent 


1.  Voir  la  note  précédente. 

2.  Gétail  le  droit  de  couiame  (Aouaid). 


ETUDES   ALGÉRIEIXNES.  31» 

entraînés  à  des  dépenses  considérables  qui  se  renouvelaient  à 
l'avènement  des  Deys,  au  commencement  de  chaque  année,  à  la 
fin  du  Ramadan,  à  la  naissance  ou  à  la  circoncision  d'un  fils  du 
Souverain,  et  dans  vingt  autres  occasions  engendrées  parla  cupi- 
dité naturelle  de  la  race  à  laquelle  ils  avaient  afiaire.  Les  con- 
suls français,  pour  ne  pas  laisser  ceux  des  nations  rivales  s'em- 
parer de  la  faveur  des  grands,  furent  forcés  de  suivre  leur 
exemple,  après  avoir  longtemps  résisté.  Ce  fut  en  1743  que 
M.  Thomas  fit  des  présents  pour  la  première  fois.  C'est  une  étude 
très  curieuse  à  faire  que  celle  de  ces  donatives,  et  on  y  voit 
se  dévoiler  la  mendicité  arrogante  des  Deys  et  des  Puissances.  Il 
n'y  a  pas  une  seule  lettre  de  nos  consuls  qui  ne  contienne  quelque 
nouvelle  requête  faite  par  eux^  Ils  ont  envie  de  tout  ce  qu'ils 
voient  et  de  tout  ce  dont  ils  entendent  parler.  La  variété  des 
choses  qui  font  l'objet  de  leurs  demandes  est  incroyable.  Je  ne 
parle  pas  des  armes,  des  vêtements  dorés,  des  pendules  ni  des 
bijoux  :  ce  sont  là  les  présents  d'usage  ;  mais  ils  ne  craignent 
pas  de  réclamer  des  bouteilles  de  liqueurs  et  d'eau  de  la  reine  de 
Hongrie,  des  pommades,  du  sucre  candi,  des  bougies,  des  confi- 
tures, des  pommes,  des  châtaignes,  des  jouets  d'enfant,  et  jusqu'à 
des  meubles  d'un  usage  tellement  intime,  que  le  consul  se  trouve 
embarrassé  pour  transmettre  cette  étrange  pétition.  Et  ce  n'est 
pas  tout  :  ils  chicanent  sur  la  quantité  et  la  qualité;  ils  renvoient 
les  vêtements  et  en  demandent  d'autres,  parce  que  la  doublure 
ne  leur  a  pas  plu  ;  les  caisses  de  fruits,  parce  qu'il  s'en  trouve 
quelques-uns  avariés  ;  l'eau  de  la  reine  de  Hongrie,  parce  qu'elle 
est  d'une  qualité  inférieure  à  celle  du  dernier  envoi,  et  ainsi 
de  suite.  Le  tout,  sans  se  départir  un  instant  de  leur  gravité 
orgueilleuse  :  à  les  entendre,  ce  n'est  pas  pour  la  valeur  du 
cadeau,  dont  ils  se  soucient  fort  peu;  mais  ils  ne  peuvent  pas 
supporter  ce  manque  d'égards  ;  ils  veulent  bien  croire  qu'on  n'a 
pas  eu  l'intention  de  les  offenser,  mais  on  fera  bien  d'y  faire 
attention  désormais  ;  et  là-dessus,  les  menaces  arrivent,  et  l'in- 
terruption des  relations,  et  quelquefois  de  plus  mauvais  procédés 
encore.  Il  faut  toute  la  fermeté  de  nos  agents,  leur  amour  du  bien 
public  et  la  certitude  qu'ils  ont  des  dommages  irréparables  qu'une 
rupture  causerait  au  commerce  français,  pour  ne  pas  éclater  d'in- 

1.  Voir,  aux  archives  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marseille,  les  lettres 
des  consuls  d'Alger. 


-^0  H.-D.    DE    GRAMMONT. 

dignation  devant  des  exigences  semblables.  La  lecture  de  leurs 
lettres  nous  apprend  qu'ils  sont  bien  loin  d'y  être  insensibles,  et 
que  les  dangers  que  courraient  leurs  personnes  ne  les  arrêteraient 
pas  s'ils  n'étaient  retenus  par  de  plus  hautes  considérations. 
C'est  une  intéressante  histoire  que  celle  de  ces  hommes  dévoués  ; 
depuis  M,  de  Vias,  qui,  enchaîné  au  bagne,  écrivait  à  Henri  IV  : 
«  Ma  personne  n'est  rien  et  le  bien  du  royaume  est  tout,  »  jus- 
qu'à M.  Vallière,  qui,  en  1794,  sauvait  une  partie  de  la  France 
de  la  famine  par  des  envois  continuels  de  grains,  qu'il  faisait 
arriver  en  dépit  des  croisières  ennemies,  et  qui  trouvait  moyen 
de  négocier  auprès  du  dey  un  emprunt  sans  intérêt  de  cinq  mil- 
lions, à  un  moment  où  la  République  n'eût  pas  pu  trouver  un 
écu  dans  toute  l'Europe.  Cette  histoire  est  très  honorable  pour 
notre  pays,  ainsi  que  pour  la  belle  ville  de  Marseille,  dont 
presque  tous  ces  hommes  furent  natifs  ou  originaires,  et  qui  peut 
s'enorgueillir  à  bon  droit  d'avoir  été  pour  l'Etat,  pendant  près 
de  trois  cents  ans,  une  pépinière  d'agents  zélés  pour  le  bien  de  la 
patrie,  d'une  haute  intelligence,  d'une  grande  probité,  et  parmi 
lesquels  on  en  voit  qui  poussèrent  l'abnégation  jusqu'au  sacrifice 
le  plus  complet  de  leurs  biens  personnels. 

Plusieurs  d'entre  eux  (chose  triste  à  dire)  ne  furent  pas  récom- 
pensés comme  ils  auraient  dû  l'être,  et  moururent  dans  la  misère 
après  avoir  dépensé  leur  avoir  au  service  du  roi.  Ni  ces  exemples 
fâcheux,  ni  la  mort  tragique  des  Le  Vacher,  des  Montmasson  et 
des  PioUe,  attachés  à  la  bouche  du  canon,  ne  purent  ralentir  le 
zèle  de  leurs  successeurs,  qui  restèrent  vaillamment  sur  la  brèche 
jusqu'au  jour  où  le  canon  de  1830  vint  venger  d'un  seul  coup 
toutes  les  injures  accumulées. 

VI. 

La  chute  d'Alger,  qui  n'avait  été  si  longtemps  retardée, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  par  les  dissensions  euro- 
péennes, était  devenue  un  fait  fatalement  prochain  depuis  les 
événements  de  1815  et  l'établissement  de  la  Sainte-Alliance.  Il 
était  en  effet  impossible  que  l'Europe  pacifiée  continuât  à  sup- 
porter le  joug  d'une  poignée  de  brigands  et  à  leur  payer  tribut  ; 
les  Algériens  allaient  être  les  premiers  à  supporter  le  contre- 
coup du  trop  plein  d'activité  que  laissait  la  paix  aux  forces  vives 
du  continent.  Les  États-Unis  avaient,  depuis  quelques  années 


ÉTUDES   ALGÉRIENNES.  A\ 

déjà,  signifié  au  Dey  qu'ils  ne  payeraient  plus  aucune  redevance, 
et  qu'ils  tireraient  une  vengeance  éclatante  de  tout  acte  d'hos- 
tilité commis  sur  leurs  nationaux.  Les  Hollandais  firent  la  même 
déclaration  en  1816,  et,  quelques  jours  après,  leurs  vaisseaux, 
réunis  à  la  flotte  anglaise,  bombardaient  Alger  sous  le  comman- 
dement de  l'amiral  Exmouth,  qui  avertissait  le  Divan  de  n'avoir 
plus  à  compter  même  sur  les  donatives.  La  France  n'en  four- 
nissait plus  depuis  le  consulat  de  Jean  Bon  Saint-André,  qui 
avait  su  habilement  profiter  de  la  frayeur  qu'avaient  causée  aux 
Barbaresques  les  victoires  de  Bonaparte,  et  qui  put  dire  avec 
raison  à  son  successeur  :  «  J'avais  trouvé  ici  la  France  à  genoux, 
je  vous  la  laisse  debout  ^  »  Il  ne  restait  donc  plus  à  la  Régence, 
en  fait  de  ressources  extérieures,  que  les  tributs,  très  irrégulière- 
ment payés,  de  la  Suède,  du  Danemark,  de  Hambourg  et  de  la 
Toscane;  aussi  le  déficit  croissait-il  de  jour  en  jour;  tous  les  ans, 
on  était  forcé  de  puiser  de  plus  en  plus  dans  le  trésor  de  l'Etat, 
que  rien  n'alimentait  plus  :  on  vivait  sur  le  passé.  La  misère 
était  extrêra'e;  l'armement  des  forts  était  plus  qu'insuffisant,  et  il 
avait  été  impossible  de  remplacer  les  pièces  mises  hors  de  service 
dans  l'attaque  de  lord  Exmouth  ;  les  vivres  et  les  munitions  man- 
quaient ;  il  n'y  avait  dans  le  port  que  quatre  bâtiments  en  état 
de  combattre  ;  la  milice,  que  le  Père  Dan  avait  vue  en  1628  forte 
de  vingt-deux  mille  hommes,  n'en  comptait  plus  que  quatre  mille 
au  moment  du  recensement  officiel  ordonné  par  Mohammed  Kas- 
nadji,  et  encore,  sur  ces  quatre  mille  soldats,  on  n'en  avait 
trouvé  que  trois  mille  trois  cents  qui  fussent  valides.  Cette  troupe, 
irréguhèrement  soldée,  était  dans  un  état  d'insurrection  perma- 
nente et  se  payait  par  ses  propres  mains  en  pillant  les  habitants 
de  la  ville,  et  principalement  les  juifs,  les  seuls  commerçants 
d'Alger,  qui  se  décidaient  à  émigrer  en  masse. 

Ce  fut  en  vain  qu'en  1817  Ali  Khodja,  appuyé  sur  sa  garde 
Kabyle  et  sur  les  Coulourlis,  essaya  de  se  débarrasser  de  cette 
horde  indocile  ;  après  en  avoir  fait  massacrer  douze  ou  quinze 
cents,  il  eut  la  faiblesse  d'entrer  en  composition  avec  le  reste, 
ineptie  qu'il  eût  sans  doute  payée  de  sa  tête  s'il  n'eût  été  emporté 
par  la  peste  quelques  mois  après. 

Le  vieux  navire  faisait  eau  de  toutes  parts  :  les  Deys,  qui  le 
sentaient  sombrer,  attendaient  le  dernier  moment  avec  la  rési- 

l.  Précis  analytique  de  Sander  Rang^  d.  c. 


-12  Jl.-D.    m:   GMMMONT.    —   ETUDES   ALGERIENNES. 

gnation  du  fatalisme  oriental  :  enfermés  dans  la  Casbah,  dont  ils 
n'osaient  presque  plus  sortir,  vivant  sous  le  coup  d'embarras 
financiers  continuels  et  de  conjurations  incessantes,  leur  exis- 
tence était  certainement  bien  peu  digne  d'envie  :  ils  s'en  ren- 
daient très  bien  compte,  et,  lorsque  le  célèbre  coup  d'éventail  fut 
venu  précipiter  la  marche  des  événements,  on  dit  que  Hussein- 
Dey,  une  fois  rassuré  sur  son  propre  sort,  ne  se  montra  pas 
médiocrement  satisfait  d'une  solution  qu'il  jugea  être  tout  à  son 
avantage;  on  ajoute  même  qu'il  ne  cacha  pas  cette  manière  de 
voir  aux  émissaires  d'une  nation  qui,  pour  susciter  des  embarras 
à  la  France,  lui  laissait  entrevoir  l'espérance  d'être  aidé  dans  le 
cas  oîi  il  eût  consenti  à  se  mettre  à  la  tête  d'un  mouvement 
insurrectionnel. 

Aujourd'hui,  la  Méditerranée  est  entièrement  purgée  du  bri- 
gandage maritime  qui  l'a  désolée  si  longtemps  :  peut-être  reste- 
t-il  encore,  sur  les  rivages  du  Riff,  quelques  barques  de  marau- 
deurs, qui  osent  à  peine  s'attaquer  de  temps  en  temps  aux 
embarcations  de  pêche,  et  dont  le  nombre  décroît  de  jour  en  jour 
depuis  que  la  citadelle  de  la  Course  est  tombée  entre  les  mains  de 
la  civilisation. 

H.-D.  DE  Grammont. 
[Sera  continué.  ) 


MÉLAN&ES  ET  DOCUMENTS 


RELATIONS 

DE  LA  FRANCE  ET  DE  LA  FRANCHE-COMTÉ 

PENDANT   LA   FRONDE. 

NÉGOCIATIONS  DE  JEAN  DE  MAIRET. 

L'antique  Séquanie,  la  Franclie-Gomté  moderne,  est  une  terre 
essentiellement  française.  Incorporée  par  une  assimilation  lente  et 
douloureuse  à  la  nation  dont  les  nécessités  politiques  et  les  affinités 
les  plus  évidentes  l'appelaient  à  faire  partie,  elle  a  subi  des  rigueurs 
qui  l'ont  obligée  longtemps  à  lutter  contre  sa  destinée  ;  mais  les 
malentendus  et  les  répugnances  passées  ont  fait  place  au  dévouement 
le  plus  sincère,  et  l'ancienne  force  de  résistance  est  devenue  l'énergie 
défensive  qui  se  retournerait  au  besoin  contre  les  ennemis  de  la  mère 
patrie.  Adossée  au  Jura,  placée  en  face  de  la  trouée  de  Belfort,  elle 
garde,  sur  la  frontière  la  plus  menacée,  le  rempart  le  plus  indispen- 
sable à  la  sécurité  commune,  au  service  de  laquelle  appartiennent 
sans  retour  le  courage  héréditaire  et  la  ténacité  proverbiale  de  ses 
enfants.  Nulle  province  n'occupe  dans  notre  histoire  militaire  une 
place  plus  honorable.  Les  noms  de  Moncey,  de  Lecourbe,  de  Piche- 
gru,  de  Pajol,  pour  n'en  pas  citer  d'autres,  attestent  la  puissance 
des  aptitudes  qui,  chaque  année  encore,  y  donnent  de  nombreuses 
recrues  aux  grandes  écoles  dans  lesquelles  se  préparent  les  meilleurs 
éléments  de  la  défense  nationale. 

Dans  l'ordre  purement  intellectuel,  sa  mission  n'est  pas  moins 
manifeste  ni  sa  nationalité  moins  fortement  accusée.  Aucune  popu- 
lation ne  s'est  montrée  plus  tôt  et  plus  profondément  imprégnée  de 
l'esprit  français.  Dans  tous  les  genres  d'écrire  on  l'a  vue  marcher  au 
premier  rang  et  tracer  la  voie  que  d'autres  devaient  suivre  avec  plus 
de  bonheur.  Avant  Corneille,  elle  nous  a  donné  dans  Mairet  une  pre- 


7,4  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

mière  idée  de  la  véritable  tragédie.  Avant  les  grands  explorateurs  du 
passé  de  la  France  au  xvii'  siècle,  elle  a  produit  dans  Pierre  Matthieu 
le  poète  de  la  ligue  et  l'historien  d'Henri  IV;  avant  Bossuet,  elle 
nous  a  fait  voir,  dans  le  P.  Lejeune,  une  première  image  de  la  haute 
éloquence  sacrée.  Le  goût  des  sciences  exactes  s'y  associe,  dans  une 
heureuse  mesure,  aux  qualités  de  l'imagination.  Sans  parler  des 
savants  et  des  philosophes  qui  l'ont  associée  à  leurs  spéculations, 
témoin  Jouffroy,  Pouillet,  Cournot,  Pasteur,  sans  rappeler  la  liste 
déjà  longue  des  peintres  et  des  sculpteurs  comtois,  on  peut  dire  en 
général  qu'elle  unit  à  l'esprit  d'indépendance  qui  la  distingue  ce 
mélange  de  sagesse  et  de  témérité  qui  forment  le  trait  saillant  de 
notre  caractère.  Quand  s'est  produit  de  nos  jours  un  essai  puéril  à 
certains  égards  et  si  puissant  à  d'autres  de  rénovation  httéraire,  elle 
a  donné  à  l'armée  romantique  G.  Nodier  pour  éclaireur  et  V.  Hugo 
))our  chef.  Partout,  même  dans  les  recherches  aventureuses  (\ue  sus- 
cite l'état  inquiet  d'une  société  travaillée  par  le  souci  du  lendemain, 
c'est  à  la  Comté  que  revient  l'honneur  de  poser  les  problèmes  ou  de 
hasarder  les  solutions;  quelles  que  soient  celles  que  formulera 
l'avenir,  il  ne  pourra  le  faire  sans  évoquer  le  souvenir  de  Proudhon 
et  de  Fourier.  Cette  province  est  donc  française,  même  dans  la  géné- 
rosité de  ses  illusions,  et  tout,  jusqu'à  l'erreur,  y  porte  le  cachet  de 
la  race. 

D'où  vient  donc  qu'une  nationalité  si  nettement  attestée  fut  si 
longtemps  méconnue  de  ceux-là  même  qui  devaient,  autant  et  plus 
que  d'autres,  l'honorer  et  s'en  faire  honneur?  D'où  vient  qu'elle  a 
tant  tardé  à  entrer  dans  le  système  auquel  sa  position  géographique, 
sa  langue  et  ses  mœurs  la  rattachaient  si  étroitement?  H  faut  en 
accuser  la  politique,  surtout  celle  qui  subordonne  le  sort  des  peuples 
à  des  alliances  et  à  des  intérêts  de  famille,  et  plus  encore  la  situation 
d'une  contrée  limitrophe  entre  deux  grands  États  presque  constam- 
ment ennemis  l'un  de  l'autre.  Depuis  le  jour  où  le  traité  de  Verdun 
découpa  dans  l'héritage  de  Charlemagne  la  longue  zone  de  terre  qui 
devait  ajouter  la  Lotharingie  au  domaine  d'un  de  ses  petits-fds,  la 
Franche-Comté  ne  cessa  d'être  l'appoint  des  héritages  et  des  traités 
de  paix.  Englobée  d'abord  dans  le  royaume  de  Provence,  formé  des 
débris  du  grand  empire,  quand  il  se  désagrégeait  entre  les  mains 
de  Charles  le  Chauve,  puis  dans  celui  de  Bourgogne  supérieure  à  la 
chute  de  Contran  Bozon,  léguée  par  le  dernier  possesseur  de  cette 
souveraineté  factice  à  l'empereur  Conrad,  et  plus  tard  par  son  der- 
nier comte,  Othon  IV,  à  Philippe  le  Bel;  française  sous  ce  prince, 
sous  Philippe  le  Long,  son  fils,  et  sous  Jean  le  Bon,  qui  tous  deux 
épousèrent  les  héritières  de  la  Comté,  aliénée  de  nouveau  par  le 


NÉGOCIATIONS    DE   JEAN    DE    MAIRET.  45 

second  des  Valois  au  profit  du  fondateur  de  la  puissante  maison  qui 
devait  disparaître  avec  Charles  le  Téméraire  dans  les  fossés  de  Nancy^ 
rejetée  par  la  politique  oppressive  de  Louis  XI  et  le  mariage  de  son 
fds  du  côté  de  l'Allemagne;  à  partir  du  traité  de  Scnlis,  en  ^1493, 
elle  passa  sous  la  domination  de  l'Autriche,  qui  la  laissa  jouir  d'une 
autonomie  presque  complète.  Marguerite  d'Autriche,  abandonnant  la 
Bourgogne,  héritage  de  sa  mère,  à  son  infidèle  fiancé  Charles  VIII, 
gouverna  souverainement  la  Franche-Comté  au  nom  de  son  neveu 
Charles-Quint,  avec  l'assistance  d'un  enfant  du  pays,  le  cardinal 
Grandvelle,  et  cette  heureuse  époque  mérita  d'être  appelée  «  l'âge 
d'or  »  de  la  province.  Philippe  II  suivit  en  partie  ces  traditions,  ne 
la  gouverna  que  par  des  intermédiaires,  et  son  despotisme  ombra- 
geux n'y  produisit  d'autres  elTets  que  ceux  qui  répondaient  le  mieux 
aux  sentiments  du  pays.  Isabelle-Claire-Eugénie,  fille  de  Philippe  II, 
et  Albert  d'Autriche,  son  époux,  lui  firent  connaître  à  leur  tour,  pen- 
dant un  quart  de  siècle,  les  bienfaits  d'une  administration  douce  et 
paternelle.  En  \  02 1 ,  Phihppe  IV  reprit  pour  son  compte  la  souve- 
raineté déléguée  par  ses  prédécesseurs  à  des  princes  de  leur  sang  ; 
mais  il  l'exerça  sans  intervenir  dans  les  affaires  du  pays,  sans  en 
tirer  d'impôts,  y  faisant  passer  au  besoin  l'argent  nécessaire  à  la 
répression  des  ennemis  du  dehors,  se  bornant  à  ratifier  la  nomina- 
tion de  son  chef  militaire  '  et  les  actes  de  son  parlement  investi  delà 
puissance  publique,  toujours  attentif  à  ménager  ce  que  les  Comtois 
estimaient  par-dessus  tout,  leur  foi  religieuse  et  leurs  franchises. 
Sa  mort  ouvrit  pour  eux  des  perspectives  nouvelles  et  posa  la  ques- 
tion d'annexion  à  la  France.  L'époux  de  Marie-Thérèse,  le  petit-fils 
de  Philippe  III,  l'héritier  de  ces  Capétiens  et  de  ces  Valois  dont  le 
sang  s'était  mêlé  à  celui  de  leurs  comtes  héréditaires  et  dont  une 
branche  avait  occupé  glorieusement  le  trône  ducal  des  deux  Bour- 
gognes, Louis  XIV  réclamait  les  droits  de  sa  femme  sur  cette  partie 
de  l'héritage  paternel,  et  pouvait  tenir  le  même  langage  que  lui  prê- 
tait peu  d'années  auparavant  un  de  ses  conseillers  qui  répondait  aux 
gouverneurs  ^  des  intentions  pacifiques  du  roi  :  a  Sa  Majesté  ayant 
«  toujours  eu  pour  première  fin  de  faire  savoir  à  ceux  du  comté 
«  qu'elle  a  la  même  affection  pour  eux  que  leurs  anciens  comtes  qui 
«  étaient  sortis  de  la  maison  de  France^.  » 
D'où  venaient  donc,  à  la  veille  d'une  réunion  si  naturelle  et  si 


1.  Il  était  proposé  au  choix  du  roi  par  le  gouverneur  général  des  Pays-Bas. 

2.  C'était  la  commission  du  parlement  de  Dôle  chargée  du  détail  de  ladmi- 
nistration. 

3.  Lettre  du  comte  de  Loménie  de  Brienae,  datée  de  Blois,  le  21  mars  1G52. 


46  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

probable,  les  difficultés  et  les  projets  de  résistance?  Peut-être  d'un 
goût  naturel  pour  l'indépendance  en  partie  conservée  sous  la  souve- 
raineté de  l'Espagne,  ou  d'une  loyauté  chevaleresque  envers  des 
maîtres  généreux  et  menacés;  plus  sûrement  encore  du  souvenir  des 
maux  que  Toccupalion  française  avait  déchaînés  sur  la  province.  Par 
une  singulière  fortune,  c'est  à  des  princes  allemands,  à  la  domina- 
tion plus  lointaine  et  plus  étrangère  encore  de  l'Espagne  que  la 
Comté  avait  dû  la  libre  possession  d'elle-même,  la  paisible  jouis- 
sance des  trésors  de  la  plaine  et  de  la  liberté  des  montagnes.  C'est 
au  contraire  de  ses  alliés  naturels,  d'un  peuple  frère  par  la  race,  la 
langue  et  l'esprit  qu'étaient  venus  l'oppression  et  le  ravage,  en 
attendant  l'heure  de  la  réconciliation  tardive  et  de  linévitable  fusion. 
Louis  XI,  après  Pavoir  débarrassée  des  écorcheurs,  la  livre  aux 
cruautés  du  sire  de  Craon  et  de  Georges  d'Amboise.  Henri  IV  y 
envoie  six  mille  hommes  de  troupes  lorraines  et  la  punit,  par  les 
mains  de  Biron,  de  sa  connivence  avec  Mayenne  et  le  connétable  de 
Gastille.  Richelieu,  pour  lui  faire  expier  l'hospitalité  accordée  à 
Charles  IV  de  Lorraine  et  à  Gaston  d'Orléans,  hospitalité  dont  le 
président  Boy  vin  avait  prévu  les  funestes  conséquences  ' ,  et  surtout 
pour  obéir  aux  conseils  de  son  patriotisme  impatient  d'accélérer 
l'œuvre  du  temps,  déchaîne  sur  elle  les  calamités  de  la  guerre  de  dix 
ans  qui  dévaste  la  province,  y  propage  la  peste,  la  famine  et  l'in- 
cendie, provoque  ce  long  exode  qui  dispersa  les  habitants  sur  tous 
les  chemins  de  Fexil,  et  ne  laisse  subsister  de  vivant  que  la  partie 
centrale  protégée  par  le  quadrilatère  de  Gray,  Besançon,  Dole  et 
Salins.  Vint  enfin  le  règne  réparateur  de  Louis  XIV.  D'une  main 
prodiguant  les  largesses,  de  l'autre  ordonnant  des  sièges  rapidement 
et  heureusement  conduits,  il  fixa  par  une  conquête  abandonnée  en 
'lees,  recommencée  et  devenue  définitive  en  -1674,  les  destinées 
longtemps  incertaines  et  agitées  de  la  Comté  de  Bourgogne,  enfin 
rendue  à  sa  destination  de  frontière  française,  à  ses  relations  natu- 
relles et  à  ses  premières  affections. 

Ce  résultat  était  indiqué  depuis  longtemps.  La  noblesse  comtoise 
aspirait  à  trouver  dans  l'armée  française  l'emploi  et  le  prix  de  sa 
valeur,  à  la  cour  de  France  les  modèles  du  savoir-vivre  et  le  théâtre 
le  plus  favorable  à  son  ambition.  Tout  ce  qui  brillait  par  l'esprit 
et  les  talents  se  tournait  du  coté  de  Paris  pour  y  chercher  l'inspi- 


1.  Parlant  de  l'escorte  armée  qui  entourait  Gaston  d'Orléans  fugitif  :  «  Il  y 
en  a  bien  peu,  écrivait  Boyvin,  pour  faire  peur  à  la  France,  mais  trop  pour 
nous  faire  du  mal  :  hospitibus,  non  hostibus  meluendi.  »  (Lettre  du  21  sep- 
tembre 1G31.) 


NÉGOCIATrO?(S    DE   JEAN   DE    MAIRET.  47 

ration  ou  ^  conquérir  la  renommée  ^  C'était  à  la  France  que  la 
jeune  noblesse  allait  demander  le  complément  de  son  éducation 
littéraire  et  mondaine,  et  le  plus  âpre  défenseur  de  l'indépendance 
comtoise,  le  vieil  historien  Girardot  de  Blanchemain,  ne  peut  s'em- 
pêcher d'en  faire  l'aveu  2.  Il  n'est  pas  étonnant  que  des  gens  d'esprit 
et  de  qualité  aient  joué  le  principal  rôle  dans  l'œuvre  de  Tannexion 
définitive  ou  dans  les  transactions  qui  la  préparèrent.  La  conquête 
de  i6<J8  fut  accomplie  en  quinze  jours  «  moins  par  la  stratégie  du 
grand  Gondé  que  par  celle  de  l'abbé  de  Watleville  ^.  » 

Mais  les  sages  et  les  habiles  avaient  pu  jouer,  avant  l'époque  de 
la  conquête,  un  rôle  plus  généreux,  plus  conforme  à  la  loyauté  de 
leurs  ancêtres,  moins  entaché  surtout  du  soupçon  de  convoitise  et 
des  apparences  de  la  défection,  c'était  celui  qui  consistait  à  négocier 
et  à  défendre  la  neutralité  si  nécessaire  au  repos  de  la  province, 
indispensable  garantie  d'une  existence  régulière  pour  ses  habitants, 
entre  les  maîtres  que  la  politique  leur  avait  donnés  et  les  voisins  de 
même  race  dont  la  guerre  les  eût  séparés  le  plus  souvent,  au  préju- 
dice des  intérêts  et  des  relations  de  chaque  jour. 

Ce  système  de  la  neutralité  répondait  si  bien  aux  nécessités  de 
cette  situation  complexe,  qu'il  avait  été  indiqué  et  suivi  par  les  plus 
illustres  hommes  d'État.  Gharles-Quint  l'imposait  à  ses  ministres  et 
le  recommandait  à  ses  successeurs.  Henri  IV,  après  la  défaite  de 
Mayenne,  avait  signé,  en  1d9o,  un  nouveau  pacte  de  neutralité  fidè- 
lement observé  pendant  son  règne,  et  renouvelé  quand  Philippe  II 
reprit  pour  lui  la  souveraineté  directe  de  la  Franche-Comté.  Déchiré 


1.  Voir  dans  Mademoiselle  de  Scude'ry,  sa  vie  et  sa  correspondance,  etc., 
par  MM.  Rathery  et  Boutron  (Paris,  Techener,  1873)  les  lettres  de  l'abbé  Boisot, 
le  correspondant  assidu  de  Sapho,  l'un  de  ses  confidents  et  amis  les  plus  intimes. 
—  Voir  aussi  notre  monograpbie  sur  ce  savant  personnage  dans  les  Mémoires 
de  la  Société  d'émulation  du  Doubs,  année  1874,  page  455  et  sq. 

2.  «  La  jeune  noblesse  qui,  du  passé,  faisoit  ses  exercices  dans  les  terres  du 
roi  et  dans  les  terres  espagnoles  où  elle  apprenoit  la  patience  et  le  travail  (lois 
fondamentales  du  bien-être  de  la  noblesse),  avoit  commencé  d'aller  aux  acadé- 
mies de  Paris  où  la  bienséance  et  les  points  d'honneur  s'enseignoient  délicate- 
ment, et  soubs  de  belles  apparences  se  glissoient  les  vices  de  France  aux 
esprits  prompts  de  notre  jeune  noblesse;  si  que  les  Espagnols,  je  diz  plusieurs 
années  ne  nous  recevoient  plus  dans  leurs  terres,  par  crainte  d'affection,  et 
nous  de  côté  estions  contraints  de  tenir  la  bride  plus  courte  aux  esprits 
remuants  et  délicats.  —  Richelieu  donc,  pour  jeter  la  division  en  ce  pays, 
s'adressa  à  la  noblesse.  »  —  Il  dit  plus  loin  que  le  ministre  et  le  prince  de 
Condé  «  l'embouchoient  par  discours  et  moyens  imperceptibles.  »  Histoire  de 
dix  ans  de  ta  Franche-Comté  de  Bourgogne,  livre  IV. 

3.  La  Franche-Comté  et  le  pays  de  Montbéliard,  par  A.  Castaii.  Paris,  Dela- 
grave,  1877,  page  84. 


48  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

par  la  violence  quand  Richelieu  la  livra  aux  armes  du  prince  Otto- 
Louis,  du  maréchal  de  la  Force  et  de  Bernard  de  Saxe-Weimar,  au 
lendemain  de  ce  conflit  terrible,  il  apparut  aux  meilleurs  esprits 
comme  le  seul  remède  à  sa  désolation.  Le  héros  du  siège  de  Dole  en 
^630,  le  président  Boyvin,  qui,  de  concert  avec  le  vieil  archevêque 
Ferdinand  de  Rye  et  le  maître  de  camp  de  Verne,  avait  organisé  la 
résistance  devant  laquelle,  après  un  bombardement  formidable,  le 
père  du  grand  Condé  dut  plier  bagage  et  précipiter  sa  retraite,  Boyvin 
ne  vit,  après  la  mort  de  Richelieu,  d'espérance  de  repos  et  de  réta- 
blissement pour  la  Comté  que  dans  un  nouveau  traité  de  ce  genre. 
Ce  traité  fut  le  premier  acte  de  l'administration  de  Mazarin.  Il  stipu- 
lait pour  vingt-neuf  ans  la  neutralité  entre  les  deux  Bourgognes.  La 
Comté  donnait  en  gage  la  ville  de  Gray  et  consentait  à  la  démolition 
du  Château  de  Grimont-sur-Poligny.  C'était  une  petite  place  plus 
souvent  occupée  par  l'ennemi  que  par  les  indigènes,  un  moyen  d'op- 
pression plutôt  que  de  défense,  et  le  sacrifice  en  était  facile.  En 
attendant  les  ratifications,  une  surséance  d'armes  était  accordée  jus- 
qu'au mois  d'avril  1C44. 

Mais  toutes  ces  conventions  étaient  facilement  éludées  et,  sans 
violation  formelle,  ouvraient  la  porte  à  mille  vexations  quotidiennes. 
Elles  avaient  en  outre  le  défaut  de  coûter  fort  cher,  sans  en  être 
mieux  garanties.  C'est  pourquoi,  en  ^648,  au  moment  où  le  traité  de 
Westphalie  rendait  la  paix  à  l'Europe  et  rouvrait  pour  la  France 
l'ère  des  disco''de3  intestines,  Boyvin  résolut  d'asseoir  sur  de  meil- 
leures bases  un  nouveau  pacte  de  neutralité  et  de  donner  la  charge 
de  le  conclure  à  un  intermédiaire  habile,  également  bien  vu  des  deux 
parties  contractantes.  Ce  négociateur  fut  Jean  de  Mairet.  L'auteur  de 
Sophonisbe  était,  en  effet,  l'homme  qui  pouvait  le  mieux  remphr 
cette  mission  délicate.  Né  le  î)  mai  ^1004  ',  à  Besançon,  élevé  à  Paris, 
au  collège  des  Grassins,  il  avait  été  adopté  de  bonne  heure  par  la 
société  polie  comme  un  sujet  d'élite  et  un  poète  à  la  mode.  Sa  Sylvie 
improvisée,  ou  peu  s'en  faut,  sur  les  bancs  du  collège,  avait  passé 


1.  Cette  date  n'a  jamais  été  fixée  avec  précision.  M.  Bizos,  auteur  d'une  étude 
fort  complète  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Jean  de  Mairet  (thèse  soutenue 
devant  la  faculté  de  Paris,  en  juillet  1877),  se  contente  de  dire  qu'il  naquit 
«  en  1604  au  mois  de  janvier.  »  Voici  son  acte  de  naissance  ou  plutôt  celui  de 
baptême  qui,  à  cette  époque,  en  tenait  lieu  :  «  Joannes,  films  Joannis  Maret 
(sic)  et  ejusdem  uxoris  Maria  Clerget,  baptisatus  fuit  die  décima  maij 
anno  Domini  millesimo  sexcenlesimo  quarto,  cujus  patrinus  fuit  dominus 
docior  Sauget  et  matrina  Joanna  Cler.  »  (Extrait  des  registres  de  baptême 
de  la  paroisse  Saint-Pierre  —  mairie  de  Besançon.)  Si  le  baptême  a  eu  lieu, 
suivant  l'usage,  au  lendemain  de  la  naissance,  Mairet  est  né  le  9  mai  1604. 


NÉGOCIATIONS   DE   JEA.\   DE    MAIRET.  49 

pour  une  merveille,  et  les  dialogues  semés  de  pointes  de  cette  pré- 
tentieuse pastorale  faisaient  les  délices  de  la  cour  et  l'ornement  de 
toutes  les  mémoires.  Après  s'être  exercé  dans  ce  genre  maniéré,  il 
avait  abordé  la  haute  poésie  dramatique  et  frayé  la  route  à  Corneille 
dans  sa  tragédie  de  Sophonisbe.  Il  était  un  des  cinq  auteurs  qui  tra- 
vaillaient sous  les  ordres  du  cardinal  de  Richelieu,  mais  avant  de 
remplir  auprès  du  redoutable  ministre  cet  emploi  de  collaborateur  à 
gages,  il  avait  eu  pour  protecteur  Henri  de  Montmorency,  dont  il 
honora  toujours  la  mémoire  et  ne  craignait  jamais  de  rappeler  les 
bienfaits,  puis  le  comte  d'Averton  de  Belin  qui  le  recevait  en  ami 
dans  son  château  voisin  de  Blois,  et  le  prince  de  Condé.  Sa  querelle 
avec  Corneille  au  sujet  du  Cid,  en  montrant  Mairet  trop  sensible  à 
l'offense  et  trop  accessible  à  la  j.''lousie,  montre  aussi  sa  réputation 
assez  solidement  acquise  pour  que  la  lutte  ne  parût  point  inégale 
entre  ces  deux  adversaires,  et,  s'il  y  mit  de  l'emportement,  nul  ne  le 
taxa  de  présomption.  Un  reproche  plus  fondé  pèse  sur  sa  mémoire. 
On  s'étonne  qu'un  fils  de  la  Franche-Comté  se  soit  tenu  loin  du 
théâtre  de  la  guerre,  et  qu'il  ait  joui  sans  remords  de  l'hospitalité 
d'une  nation  dont  les  armées  faisaient  tant  de  mal  à  son  pays.  On 
peut  répondre  qu'il  était  né  à  Besançon,  Tune  des  trois  villes  rele- 
vant directement  de  l'empire,  et  qui  n'entra  sous  la  domination  de 
l'Espagne,  comme  partie  intégrante  de  la  Comté,  qu'au  traité  de 
Westphalie.  On  peut  ajouter  que  le  patriotisme,  plus  subordonné 
que  de  nos  jours  aux  questions  dynastiques  et  aux  droits  personnels 
des  souverains,  revêtait  alors  d'autres  formes  qu'aujourd'hui  et  se 
manifestait  d'une  autre  manière.  L'exemple  de  notre  poète  suffirait 
à  le  trouver.  Volontairement  étranger  aux  maux  de  la  province 
ravagée  par  la  guerre,  il  fut,  après  le  rétablissement  de  la  paix,  le 
plus  dévoué  serviteur  de  ses  intérêts  et  le  gardien  vigilant  de  son 
repos  mal  assuré. 

Ce  rôle  lui  fut  déféré  d'un  commun  accord  par  les  plus  fidèles  et 
les  plus  vaillants  défenseurs  du  pays.  M.  de  Bauffremont,  baron  de 
Scey,  gouverneur  militaire  de  la  Comté,  le  proposa,  comme  négocia- 
teur et  agent  accrédité  auprès  du  gouvernement  français,  au  marquis 
de  Castel-Rodrigo,  gouverneur  des  Pays-Bas  espagnols,  et  transmit 
cette  proposition  à  la  cour  de  France.  Le  baron  de  Lisola,  savant 
publiciste  qui  devait  opposer  son  Bouclier  d'État  et  de  justice  aux 
revendications  de  Louis  XIV  et  aux  apologies  anticipées  de  la  con- 
quête, obtint  de  Mairet  son  assentiment  à  ce  projet.  Le  président 
Boy  vin  agit  dans  le  même  sens.  En  le  pressant  d'accepter  ce  rùle 
pour  le  repos  de  sa  terre  natale  si  horriblement  foulée  et  dévastée 
par  la  guerre  de  dix  ans,  Boyvin  ne  dissimule  point  à  Mairet  qu'il 

ReV.    HiSTOR.    XXV.    lei-   FASC.  4 


r)0  MELANGES   ET   DOCCMEXTS. 

doit  chercher  pour  la  sécurilé  de  la  province  des  garanties  plus 
solides  et  en  traiter  à  des  conditions  moins  onéreuses  que  par  le 
passé.  Dans  sa  lettre  datée  du  4*""  février  16  58,  il  lui  prescrit  de 
«  s'attacher  à  obtenir  la  neutralité  plutôt  qu'une  simple  suspension 
d'armes,  que  l'on  mettait  d'ailleurs  à  un  si  beau  prix  et  que  l'on 
faisait  acheter  si  cher  à  la  province,  qu'elle  n'était  plus  en  état  d'y 
pourvoir.  »  11  se  montrait  d'ailleurs  plein  de  confiance  dans  «  l'adresse 
et  le  zèle  du  négociateur  >)  et  l'événement  justifia  ses  prévisions. 

Le  3  mars  164i)  fut  arrêté  et  signé  par  Mairet  et  le  maréchal  de 
Villeroy.  général  de  l'armée  française  en  Lorraine,  un  premier  traité 
dont  les  effets  devaient  subsister  jusqu'à  la  fin  de  l'année  1651.  Le 
prince  de  Condé  en  fut  l'intermédiaire,  et  le  bienfait  de  son  inter- 
vention fut  reconnu  par  un  don  de  cinquante  mille  livres.  Quand  il 
s'engageait  en  retour  à  maintenir  la  Franche-Comté  à  l'abri  de  toute 
dévastation,  le  héros  de  Rocroy.  le  vengeur  de  l'autorité  royale  et  le 
vainqueur  de  la  Fronde  promettait  ce  qu'il  pouvait  tenir.  On  pouvait 
compter  de  sa  part  sur  l'efficacité  d'une  protection  loyale,  une  sécu- 
rité complète  du  côté  de  la  Bourgogne  et  les  bons  effets  d'un  crédit 
alors  prépondérant.  Il  n'en  fut  plus  de  même  après  «  cette  fatale 
prison  dont,  »  au  témoignage  de  Bossuet.  Condé  lui-même  a  dit 
«  qu'il  y  était  entré  le  plus  innocent  de  tous  les  hommes  et  qu'il  en 
était  sorti  le  plus  coupable.  »  Quel  appui  la  Comté  pouvait-elle 
attendre  du  prince  annihilé  par  sa  disgrâce  et  son  emprisonnement 
de  treize  mois,  ou  absorbe  depuis  sa  mise  en  liberté  par  des  pensées 
de  vengeance  et  de  redoutables  intrigues?  Elle-même  était  suspecte 
de  «  branler  au  manche  «  et  d'être  accessible  à  des  intluences  qui, 
partant  des  Pays-Bas  espagnols,  la  portaient  du  côté  de  la  Fronde. 
La  situation  devint  plus  tendue  encore  en  \6hl,  lorsque  Condé.  se 
souvenant  de  l'appui  donné  a  ses  partisans  dans  le  Midi  de  la  France 
et  de  l'asile  que  sa  femme  et  son  fils  avaieiTt  trouvé  à  Bordeaux, 
demanda  à  échanger  les  gouvernements  de  Bourgogne  et  de  Berry 
contre  celui  de  la  Guienne  déjà  retiré  au  duc  d'Épernon.  Mairet 
sentit  le  péril  de  cette  substitution  et  se  hâta  d'en  prévenir  les  gou- 
verneurs par  la  lettre  suivante  '  : 

A  Paris,  ce  19  may  165  L 
Messeigneurs, 

Après  beaucoup  d'irrésolutions  et  de  changements  d'opinions  dans  le 
Conseil  et  dans  les  atïaires  du  Roy  très  chrestien,  enfin  U  est  aujourd'huy 
constant  que  Monseigneur  le  prince  de  Condé  a  preste  le  serment  de 
fidélité  en  qualité  de  nouveau  gouverneur  de  Guyenne  et  que  Monsieur 

1.  .\Tcluves  du  département  du  Doubs.  B  4058. 


iWïoftiiite  (m  (ô*  ;«a  msaamm  tfunltwi»^  (iîiîïDffeirffi  seuafeaat  flcsair  te  (findoe  dte 
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52  MELANGES    ET   DOCUMENTS. 

de  pacificateur  accomplie  par  Gondé,  du  moins  pour  en  recueillir  les 
bénéfices  qu'il  prétendait  ériger  en  droits  acquis,  et  il  appuyait  ses 
prétentions  sur  des  menaces.  Mairet  sut  éluder  les  unes  et  tenir  tête 
aux  autres,  et  le  compte  qu'il  rend  de  cette  entrevue  aux  gouver- 
neurs, par  sa  lettre  du  28  août  ^051,  peint  à  merveille  les  deux 
hommes,  l'avidité  arrogante  de  l'un,  le  tact  et  le  savoir-faire  de 
l'autre  * . 

A  Messeigneurs  du  parlement  à  Dôle. 

A  Paris,  ce  28  aoust  IG&l. 
Messeigneurs, 

Depuis  celle  que  je  me  donnay  l'honneur  d'escrire  à  la  Compagnie 
par  la  voye  du  sieur  de  Faletans,  j'ay  gardé  le  silence  jusques  à  cette 
heure  que  je  le  romps  pour  vous  donner  advis  qu'ayant  rendu  la 
depesche  des  treize  cantons  à  Monsieur  le  duc  d'Epernon,  il  me  pria  de 
venir  le  trouver,  affin  de  m'entretenir  plus  particulièrement  de  ses 
intentions  et  de  ses  intérests  au  subject  de  ma  négotiation. 

Après  quelques  voyages  faits  inutilement  à  son  hostel  pour  cet  affaire, 
enfin  j'eus  hyer  au  matin  paisible  audience  de  ce  seigneur,  dans  sa  gal- 
lerie  et,  pour  faire  court,  la  conclusion  de  son  discours  fut  qu'il  préten- 
doit  de  nous  le  mesme  traitement  que  nous  avions  fait  à  Monseigneur 
le  prince  de  Gondé,  c'est-à-dire  en  bon  françois  la  mesme  somme  de 
cinquante  mille,  et  que  c'estoit  un  droist  acquis  au  gouverneur  du  duché 
de  Bourgongne,  qu'il  ne  pourroit  céder  sans  se  faire  tort.  Je  luy  remon- 
tray  fort  respectueusement  que  nous  n'avions  jamais  rien  donné  à  feu 
Mgr  le  prince  durant  la  vie  duquel  ou  avoit  fait  deux  ou  trois  traitez 
d'une  année  chascun,  et  que  l'argent  dont  il  parloit,  Monseigneur  son 
fils  ne  l'avoit  jamais  exigé  de  nous  comme  un  droit  acquis  aux  gouver- 
neurs du  duché,  mais  que  nous  le  lui  avions  offert  en  titre  de  gratifi- 
cation et  de  reconnoissance  pour  les  advantages  que  son  Altesse  avoit 
voulu  nous  procurer  et  mesnager  dans  le  conseil  du  Roy,  tant  par  le 
rang  qu'il  y  tenoit  que  par  son  crédit  auprès  de  leurs  Majestés.  C'est 
pourquoy.  Monsieur  (luy  dis-je),  si  V.  A.  veut  employer  sa  faveur  et' 
ses  raisons  envers  leurs  Majestés,  de  telle  sorte  que  nous  en  ressentions 
utilement  les  effaits,  ainsy  qu'elle  en  est  priée  et  soUicitée  par  les  sei- 
gneurs des  ligues  suisses"^,  je  luy  promettois  de  vous  en  escrire,  Mes- 
seigneurs, avec  une  assurance  de  ma  part  plus  que  morale  qu'un  présent 
de  trente  mille  11.  luy  tesmoigneroit  la  gratitude  de  la  province  et  de 

1.  Archives  du  département  du  Doubs,  ibid. 

2.  Les  Suisses  étaient  les  entremetteurs  et  les  garants  habituels  des  traités 
de  neutralité  conclus  entre  la  France  et  la  Franche-Comté  où  ils  écoulaient 
leurs  produits  et  dont  ils  liraient  leur  sel  et  leur  vin.  Lorsque  Condé  l'en- 
vahit en  1668,  l'abbé  de  Watteville  courut  solliciter  l'intervention  des  ligues 
suisses. 


NEGOCIATIONS   DE   JEAN   DE   MAIRET.  o3 

ceux  qui  la  gouvernent,  proportionnément  à  l'estendue  de  leur  petit 
pouvoir,  pourveu  qu'il  me  fist  mettre  en  main  la  ratification  d'un  traité 
tel  que  je  le  demandois  raisonnablement  et  souhs  des  conditions  que  je 
luy  proposay  alors  et  lesquelles  je  passe  icy  soubs  silence  pour  cause, 
remettant  à  vous  les  dire  de  vive  voix,  adjoutant  de  plus  que  ladite 
somme  ne  luy  pourroit  estre  payée  qu'avec  celle  dont  il  seroit  convenu 
pour  les  coffres  du  Roy.  Je  luy  protestois  que  je  proposois  cet  expédient 
de  mon  chef,  comme  l'unique  moyen  que  je  trouvois  dans  mon  esprit 
pour  le  satisfaire  sur  cet  article  là. 

Il  me  respondit  assez  froidement  qu'il  n'estoit  pas  marchand,  qu'il 
n'entendoit  point  cette  façon  de  traiter,  et  que  Monsieur  le  prince  avoit 
bien  heu  cinquante  mille  11.  ;  et  que,  s'il  n'avoit  rien  heu,  il  aymeroit 
mieux  estre  mort  que  de  nous  rien  demander,  que  mon  dit  sieur  le 
prince  avoit  véritablement  Verdun,  Saint-Jean-de-Laune  et  Bellegarde, 
mais  pour  luy  qu'il  avoit  Auxonne.  Il  me  dit  ces  dernières  paroles  en 
se  retirant  et  comme  par  menace.  Je  le  rejoignis  et  le  priay  encore  une 
fois  de  penser  à  la  proposition  que  je  venois  de  luy  faire.  Il  n'est  pas 
besoin  de  cela  (me  dit-il),  cela  n'en  vaut  pas  la  peine.  Alors  je  pris  le 
temps  de  luy  dire  aussy  :  Et  bien.  Monsieur,  puisqu'ainsy  va,  je  suplie 
très  humblement  V.  A.  de  ne  trouver  pas  mauvais  si,  rencontrant 
désormais  l'occasion  de  conclure  mes  affaires  avec  le  Roy,  je  ne  la  laisse 
pas  eschapper.  F'aites,  me  dit-il,  je  n'y  trouve  rien  à  redire,  mais  sou- 
venez-vous que  je  suis  maistre  d'Auxonne.  Monsieur,  luy  répliquay-je 
en  soubsriant,  Dôle  n'en  est  qu'à  deux  lieiies  ;  cela  n'iroit  guaires  bien 
ny  pour  les  uns  ny  pour  les  autres  ;  mais  les  Roys  y  donneront  ordre. 
Au  sortir  de  là  je  m'en  allay  chez  la  personne  que  vous  savez,  Messei- 
gneurs,  à  laquelle  je  fys  un  fidelle  rapport  de  cette  conversation.  Il  se 
prit  à  rire,  approuva  mon  procédé,  me  promit  d'en  entretenir  la  Reyne, 
et  me  conseilla  de  dresser  au  plustost  les  articles  de  mon  traité  qui  sont 
desia  digérés  et  examinés  en  façon  qu'il  ne  reste  plus  que  l'article  du 
temps  contre  lequel  on  forme  toujours  de  puissantes  raisons  d'estat.  Je 
fais  pour  les  vaincre  une  chose  qui  peut-estre  me  réussira  moyennant 
l'assistance  de  Dieu.  Je  réserve  cette  dernière  tentative  pour  quand  je 
présenteray  à  la  Reyne  les  lettres  des  cantons  dont  on  fait  tousiours  icy 
fort  peu  de  cas.  Il  y  a  des  personnes  qui  travaillent  puisamment  et  de 
bonne  grâce  pour  nostre  repos.  Le  prochain  courrier  vous  apprendra 
toutes  choses,  et  les  difficultés  ny  les  menaces  des  grands  ne  rebutent 
point, 

Messeigneurs, 
Votre  petit,  mais  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

Mairet. 
Au  nom  de  Dieu,  Messeigneurs,  ne  vous  estonnez  non  plus  que  moy 
pour  le  bruit  ;  tenez  votre  bourse  à  deux  mains.  Donnez-vous  un  peu 
de  patience  et  Dieu  vous  donnera  beaucoup  de  repos.  Il  y  a  tousiours 
des  épines  parmi  les  roses.  Je  me  defûe  avec  raison  que  l'on  n'inter- 
cepte ma  lettre  au  passage  d'Auxonne,  d'autant  que  celuy  qui  porte  les 


54  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

paquets  du  Comté  est  le  courrier  de  Brisac'  ;  c'est  jxmrquoy  je  prie  le 
R.  P.  Dom  Jacques  d'envoyer  un  homme  exprès  à  Dole  où  l'on  aura 
soin  de  le  satisfaire  de  ses  peines.  Les  Gascons  sont  fort  curieux  et  les 
Comtois  sont  deffiants. 

Le  Gascon  si  curieux  de  lire  les  lettres  qui  ne  lui  sont  pas 
adressées,  c'est  le  duc  d'Épernon  toujours  prêt  à  exploiter  dans  son 
intérêt  la  peur  qu'il  inspire  ou  les  secrets  interceptés.  Quant  à  la 
personne  qui  rit  de  ses  fanfaronnades  et  déjouera  ses  menées,  c'est 
évidemment  le  comte  de  Brienne,  secrétaire  d'État  et  membre  du  con- 
seil, avec  lequel  Mairet  arrêtait  les  bases  du  traité  qui  devait  faire 
suite  au  précédent  et  en  renouveler  les  effets  pour  une  période  d'an- 
nées à  déterminer.  C'est  «  Tarticle  du  temps  »  mentionné  dans  la 
lettre  précédente.  Le  texte  que  nous  donnons  plus  loin  de  la  conven- 
tion signée  le  2A  septembre  fixe  le  terme  de  celte  période  à  l'époque 
où  sera  conclue  la  paix  générale  entre  les  deux  couronnes.  Cette 
détermination  si  large  et  si  précise  à  la  fois  épargna  bien  des 
maux  à  la  province  et  lui  garantit  une  sécurité  à  peu  près  constante 
jusqu'à  la  paix  des  Pyrénées,  ou  plutôt  jusqu'à  l'année  qui  devait, 
en  ouvrant  la  succession  de  Philippe  lY,  marquer  pour  la  Franche- 
Comté  la  fin  de  son  autonomie.  Si  les  derniers  jours  de  son  existence 
indépendante  s'écoulèrent  dans  une  tranquillité  relative,  elle  le  doit 
au  négociateur  qui  fit  introduire  dans  le  traité  de  ^651  cette  clause 
tutélaire  et  ne  cessa  d'en  réclamer  l'application. 

Pour  mener  à  bonne  fin  cette  entreprise,  Mairet  dut  s'assurer  des 
auxiliaires.  Les  plus  actifs  furent  la  comtesse  de  Brienne,  née  Louise 
de  Béon  de  Luxembourg,  et  Dom  Jacques,  chartreux  à  Dijon.  On  ne 
sait  rien  de  ce  dernier,  son  nom  même  est  resté  inconnu.  Le  cata- 
logue des  prieurs,  procureurs  et  religieux  du  monastère  depuis  sa 
fondation  jusqu'en  1782,  mentionne  un  certain  Jacques  Brisconi 
comme  ayant  prononcé  ses  vœux  à  la  fête  de  l'Assomption  de 
l'année  ^tjlO-.  Est-ce  le  collaborateur  de  Mairet?  Il  est  impossible  de 

1 .  On  verra  plus  loin  que  la  garnison  de  Brisach  et  son  commandant  Chas- 
tenois  réclamaient  à  la  Comté  un  subside  autrefois  payé  par  la  province  aux 
garnisons  impériales  qui  les  défendaient  de  ce  côté.  Cette  ville  fut  prise  par 
Weimar  en  1638  «  et,  dit  un  historien  comtois,  se  trouva  nostre  Bourgongne 
«  comme  une  isle  au  milieu  de  ses  ennemys,  ne  pouvant  plus  estre  secouriie 
a  d'aucune  part;  aussi,  peu  avant  le  siège  de  Brisach,  un  seigneur  de  France, 
«  qui  alloit  à  cette  entreprise  et  passoit  par  la  Lorraine,  dit  en  discourant  de 
«  son  voyage,  (juil  alloit  en  Brisach  quérir  (es  clefs  de  Bourgongne.  »  (Girar- 
dot  de  Noseroy,  Histoire  de  dix  ans  de  la  Franche-Comté  de  Bourgongne, 
1.  XI,  II.) 

2.  Ces  renseignements  sont  dus  à  l'obligeance  de  M.  Garnier,  conservateur 
des  archives  de  la  Côte-d'Or. 


NÉGOCIATIONS    DE   JEAN    DE    MAIRET.  95 

raffîrmer.  Quoi  qu'il  en  soit,  en  ^630,  au  moment  où  Aiazarin  con- 
duisit en  Bourgogne  la  reine  mère  et  le  jeune  roi  pour  assurer  par 
la  prise  de  Seurre  ou  Bellegarde  la  pacification  de  cette  province,  un 
procès  fut  intenté  aux  Chartreux  par  la  ville  de  Dijon  pour  la  pos- 
session d'une  source  et  la  clôture  d'un  étang,  qui  sans  doute  en 
absorbait  les  eaux.  Le  maire  de  Dijon,  dans  un  mémoire  qu'il  fit 
paraître  sur  ce  sujet  en  1674,  allègue  en  termes  assez  emphatiques  à 
l'appui  de  sa  réclamation  «  la  nécessité  de  conserver  la  santé  et  la 
vie  à  tout  un  peuple.  »  Les  Chartreux,  ajoute-t-ii,  sentirent  la  force 
de  cette  raison  et,  pour  éluder  l'argument,  mirent  en  œuvre  «  le 
crédit  qu'avait  ce  fameux  Dom  Jacques  sur  l'esprit  de  la  reyne,  à 
laquelle  il  promettait  des  récompenses  éternelles  pour  en  recueillir 
de  temporelles.  »  Cette  épigramme,  qui  paraît  dictée  surtout  par  le 
besoin  de  produire  un  effet  oratoire,  atteste  au  moins  l'influence  que 
le  religieux  exerçait  sur  l'esprit  de  la  reine.  Il  en  usait  au  profit  de 
son  couvent,  mais  il  savait  aussi  l'employer  dans  Fintérêt  du  bon 
droit  et  de  l'humanité.  Non  content  de  faire  passer  la  correspon- 
dance de  Mairet  à  l'abri  des  indiscrétions  du  gouverneur  de  la  Bour- 
gogne, il  paraît  prendre  une  part  très  active  aux  négociations,  il  en 
attend  le  résultat  avec  impatience  et  il  en  est  le  premier  instruit  par 
la  lettre  suivante  : 

Le  R.  P.  Dom  Jacques,  Chartreux  à  Dijon. 

Mon  très  bon  père. 
Enfin  les  prémises  de  la  paix  ne  seront  point  troublées,  puisque  vostre 
fidèle  assossié  sen  retourne  après  avoir  achevé  son  affaire  heureusement 
quoy  qu'avec  beaucoup  de  peines  et  de  difficultés  qu'il  a  fallu  vaincre. 
Nous  pouvons  croire  que  les  personnes  que  vous  savez  s'y  sont  employées 
de  la  bonne  sorte.  Il  en  faut  rendre  grâces  à  Dieu.  C'est  un  efïect  de  la 
bonté  du  Roy  et  de  la  Reyne,  dont  elle  a  bien  sujet  d'attendre  de  ces 
Messieurs  du  Comté  quelque  reconnoissance  et  discrétion  pour  estre 
employée  à  quelque  chose  quelle  m'a  dit.  M.  Mairet  en  est  chargé  de 
bouche  et  je  ne  double  point  qu'il  n'en  prenne  soin  ainsy  que  de  tout  le 
reste.  C'est  un  babille  et  zellé  négociateur.  Il  vous  dira  toutes  nouvelles 
et  moy  je  vous  diray  seulement  que  je  suis,  etc. 

Louise  DE  Béon. 

La  paix  signée  aux  conditions  qu'avait  stipulées  Mairet  et  les  rati- 
fications échangées,  l'œuvre  du  diplomate  n'en  était  encore  qu'à  son 
début,  et  Pexécution  du  traité  allait  soulever  des  difficultés  toujours 
renaissantes.  Appuyé  des  mêmes  auxiliaires,  toujours  prompt  à  inté- 
resser les  amis  de  son  pays  au  maintien  de  la  paix,  à  prévenir  l'effet 


56  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

des  collisions  qui  la  compromettent,  à  rappeler  les  engagements 
d'honneur  qui  lient  le  gouvernement  français,  à  écarter  les  soupçons 
que  peuvent  faire  naître  ses  relations  ou  celles  de  ses  commettants, 
à  circuler  entre  les  lignes  de  l'armée  royale  ou  de  celles  des  princes 
pour  obtenir  la  réparation  des  injures  commises  ou  les  ordres  qui  en 
préviendront  le  retour,  Màiret  déploya,  dans  l'accomplissement  de 
cette  partie  de  sa  tâche,  une  activité  d'autant  plus  méritoire  que  sa 
voix  était  couverte  par  le  bruit  des  armes,  et  ses  démarches  constam- 
ment entravées  par  les  désordres  de  la  guerre  civile,  comme  il  s'en 
plaint  dans  la  lettre  suivante,  datée  du  21  juin  ^652  : 

Je  ne  cesse  de  réitérer  mes  instances  et  mes  escritures  auprès  de 
Monsieur  le  Comte  de  Brienne  qui  respondant  ne  respond  point  à  pas 
une  de  mes  lettres.  Hier,  en  présence  du  R.  P.  Dom  Jacques,  je  fis 
encore  une  recharge  et  envoyay  votre  dernière  depesche,  qui  marque  la 
continuation  des  courses  et  pilleries  que  font  sur  nos  terres  les  mauvaises 
garnisons  du  Roy  qui  nous  avoisinent,  à  Madame  la  Comtesse  de  Brienne, 
avec  très  humble  et  très  pressante  prière  de  la  faire  voir  à  la  Reyne  et  à 
M.  son  Mary...  le  P.  dom  Jacques  en  escrivit  amplement  et  dans  un 
style  véhément  à  ma  dite  dame  de  Brienne  et  à  Madame  la  marquise 
de  Senecay  en  attendant  qu'il  puisse  aller  auprès  de  la  Reyne  qui  le 
demande  et  le  désire  ;  il  faut  attendre  en  patience  l'effait  de  ces  der- 
nières lettres. 

Madame  de  Brienne  ne  se  montrait  ni  moins  active,  ni  moins 
dévouée;  quelques  jours  plus  tard,  le  2S  juin,  elle  écrivait  à  son 
tour  «  à  Messieurs  de  la  cour  du  parlement  de  Dole  «  et  leur  rendait 
compte  comme  il  suit  des  elîorls  tentés  par  elle,  de  concert  avec 
Mairet,  pour  le  maintien  de  la  paix  fragile  et  menacée  qu'avait  signée 
son  mari  : 

J'ay  esté  bien  ayse  de  me  rencontrer  à  la  Cour  pour  apuier  de  mes 
solicitations  celles  de  M.  Mairet  et  maintenir  comme  j'ay  fait  de  tout 
mon  possible  la  justice  de  votre  cause  auprès  de  leurs  Majestés  et  par- 
ticulièrement la  Reyne,  laquelle  a  eu  la  bonté  de  faire  recommander  au 
Roy  et  de  recommander  elle-même  la  pronte  expédition  des  lettres  que 
j'ay  remise  es  mains  de  M.  Mairet  tant  pour  Monsieur  le  duc  d'Epernon 
que  pour  Monsieur  le  marquis  d'Uxelles  par  lesquelles  il  me  semble, 
Messieurs,  que  les  volontés  de  Sa  Majesté  pour  la  continuation  du  repos 
des  deux  bourgogne  et  lexacte  observation  du  dernier  traité  sont  expli- 
quées en  des  termes  sy  presis  qu'il  y  a  tout  subject  de  croire  que  vos  en 
seres  pleinemant  satisfais  ainsy  que  je  souhaite. 

Votre  très  humble  et  très  afTectionné  servante, 
Louise  DE  Béon  de  Luxembourg. 

Le  même  jour,  Mairet  annonçait  aux  gouverneurs  qu'il  avait 


NEGOCIATIONS   DE   JEAN    DE   MAIRET.  57 

reçu  les  lettres  indiquées  dans  celles  de  M""^  de  Brienne,  et  ren- 
dant un  nouveau  témoignage  au  dévouement  de  ses  auxiliaires,  il 
ajoutait  : 

Le  R.  P.  Dom  Jacques  partit  hyer  avec  les  députés  du  parlement 
pour  aller  encore  une  fois  exhorter  leurs  Majestés  à  la  paix  que  les  deux 
tiers  du  monde  m'ont  assurée  en  cette  ville.  Le  reste  en  doute  avec  plus 
de  raison.  Je  suis  du  nombre  des  derniers,  bien  que  je  sois  des  premiers 
à  la  souhaiter.  Mais  il  m'est  impossible  de  la  croire  que  je  ne  voye 
leurs  Majestés  dans  Paris  et  M.  le  Cardinal  hors  du  royaume.  Il  y  a 
bien  des  choses  à  dire  là  dessus.  Pour  revenir  à  nos  afTaires  vous  voyez, 
Messeigneurs,  qu'il  y  a  des  gens  de  bien  auprès  de  leurs  Majestés  qui 
sont  bien  persuadés  de  la  sincérité  de  nostre  conduite  et  de  la  justice 
de  nos  plaintes  contre  ceux  qui  nous  ont  attaqués.  S'il  y  a  encore 
quelque  .diligence  à  faire,  vous  me  trouverez  tousiours  prest  à  servir  ma 
chère  patrie  et  à  suivre  vos  ordres  sans  réserve,  etc. 

Le  nom  de  Dom  Jacques  se  retrouve  encore  dans  une  lettre  datée 
du  i4  juillet,  où  Mairet  nous  le  montre  prêt  à  partir  avec  lui  pour 
rejoindre  la  cour  à  Melun,  en  traversant  au  péril  de  sa  vie  des  cam- 
pagnes infestées  de  brigands  \  et  y  faire  entendre  des  plaintes 
auxquelles  l'autorité  publique,  paralysée  par  le  désordre  universel, 
n'était  pas  toujours  en  état  de  satisfaire.  En  revanche,  elle  était  fort 
exacte  à  réclamer,  tantôt  avec  la  courtoisie  d'un  solliciteur  beso- 
gneux-, tantôt  avec  la  rudesse  d'un  créancier  qui  ne  veut  pas  attendre, 
l'annuité  de  cent  mille  livres  promise  par  le  traité  du  24  septembre. 
Le  baron  de  Scey,  gouverneur  de  la  ^Gomté,  d'une  part,  Mairet  de 
l'autre,  ont  fort  à  faire  pour  expliquer  les  délais  de  paiement  et  faire 
opérer  les  versements  en  mains  sûres  ou  en  tirer  de  valables  quit- 


L  «  Si  nonobstant  les  passeports,  écrit  ailleurs  Mairet,  la  licence  effrénée 
des  gens  de  guerre,  tant  de  l'un  que  de  l'autre  party,  et  le  désespoir  des  pay- 
sans ne  faisoient  souvent  courir  fortune  de  la  vie  à  tous  ceux  qui  vont  et 
viennent  de  Paris  à  la  cour,  à  moins  que  d'avoir  une  puissante  escorte  de 
cavalerie,  je  fusse  allé  moy-mesme  faire  vos  plaintes  à  Leurs  Majestés;  mais 
après  les  funestes  accidents  que  nous  voyons  arriver  journellement  à  toutes 
sortes  de  personnes,  je  n'ai  pu  faire  mieux  que  de  remettre  mon  paquet  au 
fils  de  M.  le  comte  de  Brienne.  »  Lettres  du  7  juin  1652  (Archives  du  Doubs, 
B  4059). 

2.  «  Outre  la  cy-jointe  de  M.  le  comte  de  Brienne,  j'ay  reçu  depuis  une 
heure  seulement  une  lettre  de  cachet  du  roi  très-chrestien,  par  laquelle  Sa 
Majesté  me  mande  que  je  lui  feray  chose  très  agréable  et  importante  à  son  ser- 
vice si,  sans  retardement  et  en  conséquence  des  conditions  portées  dans  le  der- 
nier traité  d'accommodement  que  j'ai  signé  avec  M.  le  comte  de  Brienne,  je 
puis  délivrer  les  cent  mille  livres  que  nous  devons  à  Lyon,  au  porteur  de  la 
présente.  »  Lettre  du  5  avril  1G52  (ibid.). 


38  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

tances  ^ .  Cette  grosse  dette  acquittée,  de  nouvelles  exigences  se  pro- 
duisent. C'est  la  reine  mère  qui,  comme  l'écrivait  M"®  de  Brienne 
annonçant  à  Dom  Jacques  la  conclusion  du  traité,  «  attend  de  ces 
Messieurs  de  la  Comté  quelque  reconnoissance  et  discrétion.  »  Une 
discrétion  c'était,  en  diplomatie  comme  au  jeu,  la  somme  à  payer  au 
gagnant,  selon  la  générosité  du  partenaire.  Un  M,  de  Brisacier,  qui 
travaillait  sous  les  ordres  du  comte  de  Brienne,  reçoit  en  deux  fois 
219  pistoles  d'Espagne  ou  2,500  livres.  M""*  de  Brienne  réclame  pour 
le  sieur  Pinet,  secrétaire  de  son  mari,  une  avance  de  20  pistoles; 
d'autres  employés,  les  sieurs  Butin  et  Spinaise,  reçoivent  25  pistoles 
sur  50  promises  aux  commis.  Le  comte  de  Brienne,  à  son  tour,  ne 
dédaigne  pas  de  tendre  la  main.  La  Franche-Comté  y  dépose  une 
gratification  dont  on  ne  dit  pas  le  chiffre,  mais  que  son  sage  et  avisé 
représentant  ne  délivre  qu'en  échange  des  dépêches  de  la  cour  qui 
contiendront  sa  réponse  aux  doléances  des  gouverneurs. 

Ces  dépêches  de  la  cour,  que  Mairet  réclamait  en  échange  de  la 
gratification  promise  à  M.  de  Brienne,  étaient  trois  lettres  de  cachet 
assurant  de  trois  cotés  la  sécurité  de  la  province.  L'une  était  adressée 
au  maréchal  de  la  Ferté  pour  la  Champagne,  la  seconde  au  comte 
d'Harcourt  pour  la  Lorraine,  la  troisième  au  maréchal  de  Yilleroy 
pour  le  Lyonnais,  le  tout  expédié  aux  gouverneurs  par  l'entremise  de 
Dom  Jacques.  Je  prends  cette  voie,  disait  Mairet  dans  sa  lettre  du 
5  janvier  -1652,  «  ad  majorem  cautelam,  »  c'est-à-dire  par  crainte  du 
duc  d'Epernon  qui  semble  avoir  voulu,  par  ses  mauvais  procédés, 
tenir  les  Comtois  dans  une  salutaire  inquiétude  et  leur  faire  payer  le 
plus  cher  possible  sa  déférence  aux  ordres  de  son  gouvernement.  Il 
est  vrai  de  dire  que  ce  gouvernement  semblait  Py  autoriser  en  recon- 
naissant que  le  plus  sûr  moyen  d'obtenir  que  ses  ordres  fussent 
accomplis  était  d'en  payer  l'accomplissement  à  celui  qui  était  chargé 
de  les  faire  observer.  Si  Mairet  annonce,  le  20  mars  -1652,  une  lettre 


1 .  Par  une  lettre  du  parlement  de  Dole,  datée  de  Scey-sur-Saône,  le  13  mars 
1652,  le  gouverneur,  M.  de  Bauft'reniont,  indiquait  la  réponse  à  faire  aux  récla- 
mations de  la  cour  de  France,  et  chargeait  Mairet  de  lui  faire  observer  «  que, 
s'il  se  rencontroit  quelque  retardement  au  paiement  du  premier  terme  accordé 
pour  notre  suspension  d'armes,  il  ne  nous  doit  estre  nullement  attribué,  i)uisque 
nous  sommes  tout  prêts  d'y  satisfaire,  et  que  nous  en  avons  jà  donné  les  ordres 
nécessaires  de  nostre  costé,  mais  que  ce  retardement  proviendra  de  ce  qu'on 
ne  nous  a  pas  encore  fait  savoir  de  la  part  du  comte  de  Brienne  ni  d'ailleurs 
à  qui  il  avoil  donné  pouvoir  de  recevoir  en  la  ville  de  Lyon  la  somme  dont  il 
s'agit  et  en  faire  valable  quittance.  » 

On  voit  par  deux  lettres  de  Mairet,  du  12  et  du  18  avril,  que  cet  intermé- 
diaire «  fut  un  sieur  Colbert,  dit  de  Vandière,  homme  de  condition,  »  qui  parait 
être  le  père  du  grand  ministre. 


NÉG0CUT10.\S   DE   JEAN    DE    MAIRET.  59 

du  roi  au  duc  d'Epernon,  lettre  qui,  sans  doute,  avait  pour  objet  de 
réprimer  son  humeur  entreprenante,  une  autre  lettre  du  comte  de 
Brienne,  datée  du  jour  suivant,  fait  savoir  aux  gouverneurs  que  «  le 
roi  a  été  très  content  d'apprendre  ce  qu'on  se  propose  de  faire  pour 
31.  d'Espernon,  et  qu'il  le  témoignera  en  assurant  le  repos  de  la 
Comté.  »  Ainsi  Sa  Majesté  com.mande  à  son  représentant  de  respecter 
les  traités,  pourvu  qu'au  préalable  on  ait  acheté  son  obéissance.  11 
faut  ajouter  qu'il  ne  la  mettait  pas  à  si  haut  prix  que  la  première  fois. 
Ce  fier  duc,  qui  s'était  vanté  de  ne  pas  être  marchand,  consent  pour- 
tant à  un  rabais,  et  son  intendant  Thévenin  vient,  au  commencement 
de  l'année  ^(îD3,  déclarer  à  Mairet  que  son  maître  veut  bien  accepter 
les  offres  qu'on  lui  a  faites  pour  le  don  gratuit,  c'est-à-dire  appa- 
remment les  30,000  livres  que  celui-ci  avait  pris  sur  lui  d'offrir 
au  nouveau  gouverneur  de  Bourgogne,  en  prévision  des  services 
qu'il  pourrait  rendre  pour  la  conclusion  de  la  paix.  Le  négocia- 
teur du  traité  de  -lêDl  applaudissait  à  cette  façon  d'en  assurer  le 
maintien,  et  volontiers  sans  doute  il  se  fût  écrié  : 

Voici  dans  cette  affaire  un  accommodement. 

«  M.  de  Brienne,  écrit  Mairet  à  la  date  du  10  janvier  1653  ',  témoigne 
«  qu'il  seroit  ravy  que  la  province,  pour  son  propre  repos,  donnât 
«  contentement  à  M.  d'Espernon,  afûn  de  lui  oster  par  là  tout  sujet  de 
«  plainte  contre  nous.  » 

Ainsi  rançonnée  du  côté  de  la  Bourgogne,  la  Franche-Comté  se 
voyait  menacée  de  l'être  du  côté  de  l'Alsace.  Elle  avait  entretenu  de  ses 
deniers  la  garnison  de  Brisach,  au  temps  où  cette  ville,  appartenant  à 
l'Empire,  couvrait  sa  frontière  de  l'Est  et  lui  assurait  du  côté  de 
rAllem^agne  de  précieuses  communications.  Conquise  par  Bernard  de 
Saxe-Weimar  en  -1638,  elle  passa  pour  quelques  années  au  pouvoir 
de  la  France.  De  même  que  le  duc  d'Epernon  réclamait  à  titre  do 
précédent  et  de  droits  acquis  l'équivalent  des  sommes  payées  à  Condé 
pour  de  réels  services,  le  gouvernement  français  exigeait  pour  la  gar- 
nison de  Brisach  et  son  commandant,  M.  de  Chastenois,  le  même 
traitement  qui  avait  été  fait  à  leurs  devanciers  et  réclamait  de  ce  chef 
des  arrérages  s'élevant  à  la  somme  de  -15,000  livres  '^.  Les  salines  de 

l.  Archives  du  département  du  Doubs,  B  4061. 

1.  Le  comte  de  Brienne  écrit  aux  gouverneurs,  le  21  mars  1652  :  «  Ceux  de 
la  garnison  de  Brisach  m'ont  fait  entendre  que  la  Comté  étoit  redevable  aux 
garnisons  d'Alsace  d'une  somme  de  quinze  mille  livres.  »  —  Mairet,  dans  une 
lettre  datée  de  la  veille,  rappelle  un  mémoire  adressé  par  lui  à  ce  sujet  au 
comte  de  Brienne,  trois  mois  auparavant.  11  sollicite  du  parlement  l'envoi  d'un 


60  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

Franche-Comté  paraissaient  un  trésor  inéj3uisable  et  chacun  voulait 
y  puiser.  Un  peu  plus  tard,  le  21  février  J654,  c'est  le  maréchal  de  la 
Ferté-Senecterre  qui  réclame  i  ,200  pistoles  en  termes  cavaliers.  «  La 
raison  de  vos  indigences,  écrit-il  aux  gouverneurs,  n'étant  point 
valable  auprès  d'une  personne  qui  connoit  vos  puissances  comme 
moi  ;  »  puis  il  ajoute  :  «  Quoique  ce  ne  soit  pas  ma  coutume  de  men- 
dier les  choses  que  je  crois  mériter  en  quelque  façon,  je  ne  laisse  pas 
de  vous  envoyer  le  sieur  de  la  Neuville  pour  recevoir  les  i  ,200  pis- 
toles. »  Celui-ci  vient  les  prendre  avec  un  présent  pour  lui-même.  Le 
prétexte  ou  le  motif  de  cette  largesse  était  un  accommodement  qui  devait 
éloigner  les  troupes  du  comte  d'Harcourt  du  voisinage  de  la  province. 
On  voit  par  une  autre  lettre  du  24  mars  -1604,  adressée  aux  gouver- 
neurs par  leur  agent  de  Salins  ^ ,  que  le  comte  de  Boutteville  (le  futur 
maréchal  de  Luxembourg),  qui  occupait  Bellegarde  pour  le  prince  de 
Condé,  son  cousin,  s'était  fait  livrer  directement  4,000  pistoles  par  le 
caissier  des  saulneries. 

Ainsi  s'écoulait  en  prélèvements  opérés  de  gré  ou  de  force  le  plus 
clair  des  revenus  de  la  Franche-Comté,  ce  qui  faisait  déjà  dire  au 
président  Boyvin,  dans  sa  lettre  du  i^''  février  ^648,  que  la  «  province 
n'étoit  plus  en  état  d'y  fournir.  »  En  vérité,  dans  l'état  de  dépendance 
où  la  tenaient  les  exigences  des  uns  et  les  menaces  des  autres,  sans 
compter  les  appréhensions  d'une  future  conquête,  elle  aurait  pu 
s'appliquer  en  un  certain  sens  ce  que  Tacite  a  écrit  de  la  Bretagne  : 
«  Servitulem  suam  quotidie  émit,  quotidiepascit^.  » 

Tous  ces  sacrifices  consentis  (ju  ratifiés  ne  protégeaient  qu'impar- 
faitement une  paix  toujours  caduque.  La  ville  de  Seurre  ou  Bellegarde, 
en  particulier,  par  sa  forte  position  sur  les  bords  de  la  Saône,  en 
amont  de  Dole,  était  pour  la  province  un  perpétuel  sujet  d'inquiétude 
et  donnait  lieu  à  des  plaintes  partant  des  points  les  plus  opposés. 
Tantôt  c'est  le  parlement  qui  fait  dénoncer  par  son  résident  à  Paris 
les  ravages  de  la  garnison  ;  tantôt  c'est  Épernon,  chargé  par  le  roi 
d'assiéger  cette  place  en  état  de  rébellion  pour  la  cause  des  princes, 
qui  se  montre  fort  irrité  des  secours  qu'elle  a  reçus  ou  qu'elle  attend 
du  côté  des  Comtois  et  qui  les  menace  de  reporter  «  la  guerre  au  cœur 


second  mémoire  analogue  et  il  ajoute  :  «  Je  sçay  bien  que  nous  fondons  notre 
refus  sur  la  paix  de  l'empire  et  l'évacuation  des  garnisons  de  Montbéliard,  où 
estoit  le  bureau  des  contributions  que  nous  payons  alors  à  l'Alsace.  »  Alors 
c'est  sans  doute  avant  le  traité  de  Weslphalic,  quand  l'Alsace  protégeait  la 
Comté  contre  les  ravageurs  d'outre-Rhin. 

1.  Toutes  ces  lettres  et  celles  qui  seront  citées  plus  loin  sont  conservées  aux 
archives  du  Doubs,  années  1652  et  1653,  B  4059  à  4062. 

2.  Tacite,  Agricola,  30. 


NÉGOCIATIONS    DE   JEAN   DE    MAIRET.  01 

de  la  province  avec  tous  les  malheurs  qui  la  suivent  ^ .  »  Bellegarde  et 
Auxonne  reparaissent  incessamment,  au  cours  de  la  correspondance, 
comme  des  foyers  d'où  partent  à  chaque  instant  des  étincelles 
capables  de  rallumer  la  guerre.  Lorsque  la  première  de  ces  villes  a 
été  reprise  sur  les  partisans  de  Gondé,  le  marquis  de  Saulx-Tavancs- 
Mirebel,  qui  l'occupe  au  nom  du  roi,  écrit  à  son  tour  à  «  MM.  du 
parlement  du  comté  de  Bourgogne,  »  pour  leur  demander  compte  de 
l'appui  donné  aux  maraudeurs  qui  ravagent  les  environs  de  Belfort  2. 
Un  peu  plus  tard,  au  mois  de  septembre,  il  oppose  au  progrès  du 
mal  une  proclamation  qui  s'adresse  indistinctement  à  tous  les  fauteurs 
de  désordre  et  les  rappelle  au  respect  de  la  neutralité  jurée  ^. 

Les  dissentiments  et  les  collisions  ne  cessaient  sur  la  frontière  de 
Bourgogne  que  pour  renaître  du  côté  de  la  Lorraine.  Après  le  marquis 
de  Saulx-Tavanes,  c'est  le  maréchal  de  la  Ferté-Senecterre,  gouver- 
neur de  Lorraine  et  Barrois,  qui  fait  entendre  ses  plaintes  à  M.  de 
Baufîremont  et  à  MM.  du  parlement  de  Dole  «  touchant  les  infrac- 
tions qui  ont  été  faites  à  la  neutralité  par  les  Francs-Comtois,  et  les 
subjects  qu'il  a  de  s'opposer  à  la  continuation  de  ladite  neutralité''.  » 


1.  Lettre  du  18  mai  1653.  —  Le  duc  d'Épernon,  à  qui  des  soldats  sortis  de 
Bellegarde  ont  dit  qu'on  y  attend  des  secours  de  Franctie-Comté,  écrit  au  par- 
lement :  «  De  quelque  façon  que  cette  place  rebelle  puisse  tirer  du  secours  du 
comté  de  Bourgogne,  c'est  déclarer  la  guerre  au  roi  mon  seigneur  et  vous 
attirer  de  la  perte  et  un  préjudice  très  notable.  »  —  Il  écrit  de  nouveau,  le 
28  du  même  mois  :  «  ...  J'ai  su  que  M.  le  baron  de  Savoyeux  devait  entre- 
prendre la  chose.  De  quelque  façon  qu'on  veuille  donner  ce  secours,  soit  par 
hommes  détachés  des  garnisons  du  comté,  soit  par  nouvelles  levées,  il  est 
impossible  que  vous  n'ayez  la  guerre  dans  le  cœur  de  votre  province,  etc.  » 

2.  «  Y  ayant  quelque  genre  d'hommes  disposés  naturellement  à  être  gouvernés 
populairement,  et  d'autres  par  des  personnes  principales,  je  vous  écris  en  l'opi- 
nion que  le  pa'is  où  vous  rendez  la  justice  estant  ce  dernier,  vous  y  avez  le 
pouvoir  d'y  maintenir  ou  rompre  l'entière  neutralité...  Nous  savons  que  il  y  a 
quelques  gens  assemblez  au-delà  de  vos  confins  au  château  de  Belfort,  et  aussy 
les  moyens,  sy  ils  se  avancent,  de  les  empescher  de  faire  plus  grand  effet  que 
de  causer  de  la  mésintelligence  entre  nous,  etc.  De  Seurre,  ce  13  août  1653.  » 

3.  Cette  proclamation,  datée  de  Seurre,  le  23  septembre  1653,  fait  défense 
«  à  toutes  personnes,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'elles  soient,  sur  les 
frontières  du  duché  et  du  comté  de  Bourgogne,  d'y  faire  aucune  course  n'y 
chose  qui  y  puisse  intéresser  la  suspension  d'armes  consentie  entre  les  deux 
couronnes...  Elle  enjoint  aux  prévosts  des  mareschauds,  communautés,  syn- 
dics, et  habitans  des  villes  et  des  villages  de  s'y  saisir  de  tous  mutinez,  déser- 
teurs, vagabons,  bandis,  voleurs,  et  où  ils  ne  le  pourront,  de...  donner  avis  de 
leurs  retraites  et  passages...  » 

4.  Voici  l'énoncé  de  ses  plaintes  et  griefs  tels  que  les  formule  une  pièce  non 
datée  de  l'année  1654  : 

1°  On  lève  en  sûreté  des  troupes  et  l'on  prend  le  temps  de  son  absence 


62  MÉLANGES  ET   DOCUMENTS. 

Décidément  l'œuvre  du  négociateur  était  fragile  et  menacée.  Mairet 
multipliait  ses  efTorts  pour  la  préserver  et  conjurer  un  péril  toujours 
renaissant.  On  le  voit  tenter  chaque,  jour  de  nouvelles  démarches 
auprès  des  protecteurs  intéressés  au  maintien  de  la  neutralité  pro- 
mise et  si  mal  observée,  ou  même  s'efforcer  de  parvenir  jusqu'à  la 
reine  mère  et  à  son  fds  pour  leur  faire  entendre  lui-même  le  gémis- 
sement des  peuples  affligés,  mais  de  tous  côtés  les  obstacles  se 
dressent  devant  lui.  Il  lui  faut  affronter  ou  «  le  désespoir  des  paysans  » 
ou  la  violence  des  gens  de  guerre  «  qui  pillent  indifféremment  toutes 
sortes  de  personnes  »  ou  les  complications  produites  par  l'approche 
des  troupes  de  Lorraine,  qui  passent  la  Seine  à  Charenton  pour  se 
joindre  à  l'armée  de  la  Fronde  ^  Ne  pouvant  obtenir  justice  et  pro- 
tection du  côté  de  la  cour,  le  négociateur  se  retournait  du  côté  de 
Condé  -,  il  le  priait  d'intervenir  pour  réprimer  l'humeur  agressive  de 
la  garnison  de  Seurre^,  jusqu'à  ce  qu'enfin,  las  de  tant  d'efforts 
impuissants  et  de  promesses  éludées,  découragé  par  le  silence  obstiné 
des  uns,  par  l'impuissance  avérée  des  autres,  il  fût  réduit  à  penser 
que  dans  le  désordre  universel  chacun  devait  pourvoir  à  sa  propre 
défense  et  repousser  la  force  par  la  force.  Le  7  juin  -1652,  il  écrivait 

pour  passer  en  Lorraine  hostilement,  comme,  il  y  a  deux  ans,  le  baron  de 
Lestoille  ; 

2°  Les  Francs-Comtois  favorisent  les  ennemis  du  roy  en  toute  rencontre;  ils 
ont  donné,  il  y  a  trois  ans,  retraite  aux  fuiarts  des  troupes  du  comte  de  Ligne- 
ville,  après  que  M.  le  Maréchal  de  la  Ferté  les  eut  desfaites  en  Loraine,  et 
aux  troupes  commandées  par  le  baron  du  Chastelet  après  la  bataille  de  Réthel  ; 

3»  La  Lorraine  est  quasi  déserte  par  le  refuge  que  les  habitans  de  la 
Franche-Comté  donnent  dans  leur  pays  aux  Lorrains  qui  s'y  retirent  pour  y 
vivre  à  leur  aise,  et  qu'ainsy  le  pays  n'est  plus  en  estât  de  payer  des  contribu- 
tions ni  de  fournir  des  quartiers  d'hiver  kux  troupes  du  roy  et  demeure  abso- 
lument ruiné  et  dans  l'impossibilité  de  payer  ce  qui  leur  est  ordonné  pour  les 
troupes  de  Sa  Majesté. 

On  voit  que  le  maréchal  de  La  Ferlé  ne  pouvait  pardonner  aux  Comtois  leur 
hospitalité  ni  aux  Lorrains  le  crime  impardonnable  de  se  dérober  à  ses  exac- 
tions. Si  tel  était  le  style  du  chef  suprême  d'une  armée  française,  celui  des 
capitaines  était  moins  courtois  encore,  témoin  le  billet  suivant  : 

Laforest  a  m™'  de  Molincour. 

«  De  Saint-Loup,  près  Luxeuil,  5  janvier  1655. 
«  Tous  les  habitans  de  BoUignie  se  sont  retirés  chez  vous  avec  tous  leurs 
biens.  L'espéranse  que  l'on  m'a  donnée  aujourd'huy  qui  retornerois  (qu'ils 
retourneraient)  au  lieu  a  empêché  qui  n'est  pas  en  pousier  (qu'il  ne  soit  pas  en 
poussière).  Sinon  je  vous  promest  que  je  coureray  votre  village  de  Moulincour 
et  feray  assommé  tout  ce  que  je  trouveray  devant  moy.  »  Telle  était  la  guerre, 
même  sous  le  régime  protecteur  de  la  neutralité  garantie  par  des  traités. 

1.  Lettre  du  7  juin  1652. 

2.  Lettres  du  23  août  1652  et  du  29  octobre  1653. 


NÉGOCIATIONS   DE  JEAN    DE   MAIRET.  (53 

aux  gouverneurs  de  la  Franche-Comté  :  «  C'est  à  votre  prudente  con- 
«  duite  de  pourvoir  désormais  à  la  sûreté  de  vos  frontières,  soit  en 
«  repoussant  l'injure  par  la  force,  soit  en  vous  mettant  en  état  de  ne 
«  plus  la  souffrir  impunément.  »  Mais  il  revenait  bien  vite  aux  moyens 
connus  pour  arrêter  les  actes  d'hostilité  de  ceux  qu'il  appelait  «  nos 
«  mauvais  voisins  et  encore  plus  mauvais  sujets  du  roy  très  chrétien, 
«  puisquHIs  obéissent  si  mal  à  ses  ordres  ^  »  Il  proposait  d'intéresser 
au  succès  d'une  nouvelle  requête  des  Comtois  opprimés  «  quelque 
personne  puissante  dans  le  Conseil  où  les  négoces  de  semblable  nature 
ne  peuvent  arriver  à  leur  fin 'que  par  cette  voye^,  »  c'est-à-dire  par 
la  voie  des  largesses  et  gratifications.  Il  assiégeait  le  comte  de  Brienne 
de  ses  sollicitations  «  pour  l'affaire  d'Epernon,  »  il  mettait  en  œuvre 
le  crédit  de  M'"''  de  Brienne  auprès  de  la  régente  et  pouvait  écrire,  le 
2^  février  4G53,  «  qu'elle  avoit  vu  la  reine  et  lui  avoit  déduit  bien  au 
«  long  les  pilleries  et  violences  que  les  trouppes  du  duché  faisoient  à 
«  nos  pauvres  peuples.  » 

La  Franche-Comté  ne  donnait-elle  lieu  à  ces  attaques  incessantes 
que  par  sa  faiblesse  et  sa  proximité?  On  devine  assez,  par  la  corres- 
pondance de  Mairet,  qu'elle  était  soupçonnée  de  pencher  du  côté  des 
princes,  et  d'avoir,  comme  tant  d'autres  provinces  d'une  fidélité 
chancelante,  quelques  affinités  avec  la  Fronde.  Il  est  certain  que  dans 
le  tableau  que  Mairet  a  tracé  de  ses  opérations,  tableau  très  exact  et 
qui  correspond  parfaitement  au  récit  qu'en  a  fait  le  savant  historien 
de  la  minorité  de  Louis  Xiy,  M.  Chéruel,  son  impartialité  n'exclut 
pas  une  certaine  préférence.  Protégé  de  Montmorency,  l'oncle  de 
Condé,  très  bien  vu  de  celui-ci,  dont  il  reçut,  le  jour  même  où  il 
quittait  Paris  pour  s'engager  sans  retour  dans  le  parti  de  la  révolte, 
un  accueil  très  bienveillant  et  la  promesse  de  faire  respecter  la  neu- 
tralité violée  par  la  garnison  de  Seurre,  Mairet  note  avec  un  soin  qui 
trahit  quelque  sympathie  les  succès  de  la  rébellion  3.  Il  s'intéresse 

1.  Lettre  du  14  juillet  1652. 

2.  Lettre  du  21  février  1653. 

3.  «  Le  propre  jour  que  M.  le  prince  de  Condé  sortit  de  cette  ville  je  pris  le 
temps  de  l'aborder  au  palais  d'Orléans,  comme  il  y  estoit  pour  prendre  congé 
de  S.  A.  R.,  et  luy  fls  voir  la  lettre  par  laquelle  vous  me  faisiez  vos  plaintes 
touchant  les  emportements  de  sa  garnison  de  Beliegarde  dont  dabord  il  me 
témoigna  par  son  geste  et  par  ses  paroles  qu'il  esloit  extrêmement  déplaisant, 
et  m'assura  qu'il  en  i'eroit  escrire  à  M.  le  comte  de  Bouteville,  son  cousin.  En 
efifait,  Messeigneurs,  je  rencontrai  le  lendemain  Girard  (ancien  secrétaire  du 
prince  chargé  d'écrire  cette  lettre),  etc.  » 

P.  S.  —  «  La  manière  d'agir  du  conseil  du  roy,  jointe  à  la  retraite  de  Son 
A.  d'Orléans  et  au  retour  de  Son  Éminence,  ne  donne  pas  aux  Parisiens  toute 
la  satisfaction  qu'ils  s'estoieut  promise  en  la  venue  de  Sa  Majesté,  de  qui  la 


(;/j  MELANGES   ET   DOCDMENTS. 

au  duc  de  Nemours  passant  la  Seine  à  Manies,  pour  rejoindre  en 
Beauce  le  duc  de  Beaufort  et  l'armée  du  duc  d'Orléans,  pendant  que 
«  la  Cour  est  à  Saumur  fort  empêchée  de  sa  contenance'.  »  Il  les 
retrouve  à  Vendôme,  empêchant  le  roi  de  passer  à  Orléans  ;  il  montre 
celte  ville  refusant  obstinément  ses  portes  au  Cardinal  Mazarin,  et 
«  la  Cour  fort  incommodée  et  embarrassée  du  refus  des  Orléanois  qui 
tire  à  conséquence  ^.  »  Il  note  la  marche  de  Gondé  en  Guienne,  et 
dans  le  Nord  celle  des  troupes  ou  des  bandes  formidables  que  le  duc 
de  Lorraine  amenait  au  secours  des  princes^. 

La  Franche-Gomté  n'était  pas,  nous  l'avons  vu,  à  l'abri  du  soup- 
çon de  favoriser  ces  mouvements.  Le  marquis  de  Saint-Martin, 
héritier  et  neveu  d'un  gouverneur  de  ce  nom,  de  vaillante  et  que- 
relleuse mémoire'',  recevait  de  Bruxelles  des  lettres  où  le  comte 
de  Fuensaldagne  le  poussait  à  d'imprudentes  prises  d'armes.  Ges 
lettres,  interceptées,  donnèrent  beaucoup  de  peine  à  Mairet  pour 
détruire,  avec  Taide  du  comte  de  Brienne,  les  soupçons  qu'elles  fai- 
saient naître  sur  les  intentions  pacifiques  et  la  loyauté  de  son  gou- 
vernement^. 


déclaration  sur  l'amnistie  générale  a  été  accompagnée  à  l'instant  d'une  autre 
qui  chasse  et  interdit  quantité  de  personnes  de  condition,  tant  de  l'épée  que  de 
la  robbe.  M.  le  duc  d'Orléans  se  retire  à  Blois  avec  une  manière  d'accomode- 
ment  piastre  qui  ne  promet  rien  de  solide  ni  de  durable.  Toutes  les  forces  de 
Flandres  ont  joint  M.  le  prince  eu  Champagne  qui  commande  seul  une  armée 
de  23  mille  hommes  effectifs.  Celle  du  roi  n'est  pas  de  8  mille.  Mademoiselle 
est  allée  trouver  M.  le  prince.  On  appréhende  les  Anglois.  Barcelonne  s'est  rendu 
dès  le  15.  Casai  est  perdu  comme  vous  devez  savoir.  On  dit  même  la  citadelle. 
Avec  tout  cela  j'apprends  que  M.  le  comte  d'Harcourt  nous  alta([ue.  Il  est  foible 
et  quereleux.  Si  je  recoy  vos  plaintes  sur  ce  faict,  Je  les  pousseray  bien  loin.  » 
(Lettre  du  29  octobre  1652.) 

1.  1"^  janvier  1652. 

2.  20  mars  1G52. 

3.  Lettres  du  18  avril,  du  24  mai,  du  7  juin  et  du  14  juillet  1G52. 

4.  Celui  dont  un  ambassadeur  d'Espagne  écrivait  en  1637  «  que  le  roy  don- 
neroit  un  gouverneur  à  la  Bourgonge  qui  parleroit  hors  de  ses  dents.  »  (Girardot 
de  Beauchemin,  Histoire  de  dix  ans,  etc.,  VIII,  I.) 

5.  Une  lettre  de  Mairet,  datée  du  9  mai  1653,  laisse  assez  entendre  qu'il 
existait  déjà  des  projets  de  conquête  auxquels  les  imprudentes  provocations 
du  marquis  de  Fuensaldagne  pouvaient  offrir  l'occasion  de  se  manifester.  Il 
n'était  pas  dupe  des  protestations  de  désintéressement  qu'on  opposait  à  ses 
craintes  et  témoignait  de  sa  clairvoyance  à  ce  sujet,  tout  en  attestant  avec 
énergie  la  fidélité  de  ses  commettants  à  respecter  leurs  engagements.  «  Il  (M.  de 
Brienne)  me  jura  que  s'il  découvroit  quelque  chose  qui  tendist  à  la  rupture 
de  nostre  accommodement,  il  l'emi>escheroit  de  tout  son  pouvoir,  et  mesme 
qu'il  me  donneroil  advis  en  homme  de  bien,  s'il  apprenoit  qu'il  se  tramât 
quelque  surprise  ou  supercherie  contre  la  province.  Sur  quoy  je  lui  repartis  en 


NÉGOCIATIONS   DE   JEAX   DE    MAIRET.  65 

Au  milieu  de  ces  embarras  et  de  ces  appréhensions,  les  intérêts  de 
son  pays  lui  étaient  toujours  présents,  et,  dans  le  désordre  croissant 
des  événements,  il  cherchait  à  tirer  avantage  pour  la  Comté  de  toutes 
les  solutions  possibles.  Il  écrit,  le  4  9  juillet^  après  le  massacre  de 
l'hôtel  de  ville  :  «  Les  affaires  se  disposent  de  plus  en  plus  ou  à 
la  paix  générale  ou  à  la  continuation  d'une  forte  guerre  civile,  de 
sorte  que  l'une  ou  l'autre  doit  faire  le  repos  de  notre  province.  Je 
souhaite  et  prie  Dieu  que  ce  soit  par  la  première  voye,  afin  que  tout 
le  monde  y  trouve  son  compte  et  sa  satisfaction.  »  Il  voit  approcher 
cette  solution,  hâtée  par  «  la  déclaration  du  Roi  touchant  l'éloigne- 
ment  sans  retour  et  sans  équivoque  du  cardinal  Mazarin  hors  du 
royaume,  accompagnée  d'une  amnistie  générale  et  de  l'esloignement 
des  troupes  tant  de  Paris  que  des  environs  de  Bordeaux  ' .  »  Mais 
l'amnistie  est  soumise  à  des  réserves  qui  remettent  tout  en  question^. 
Le  clergé  de  France  et  le  légat  s'émeuvent  en  faveur  du  Cardinal  de 
Retz,  le  parlement  pour  ses  membres  exilés,  Bordeaux  traite  avec  les 
Anglais  ou  met  sa  soumission  à  des  conditions  inacceptables  ;  Mairet 
s'étonne  avec  raison  de  ces  emportements,  avant-coureurs  des  révo- 
lutions de  l'avenir.  «  On  appréhende,  écrit-il  le  9  mai  -1653,  que  le 
corps  de  ce  grand  État  ne  souffre  en  plusieurs  endroits  solution  de 
continuité,  principalement  du  costé  de  la  Guienne,  du  Poitou  et  de  la 
Champagne.  Les  dogues  d'Angleterre  sont  surtout  à  craindre  et  la 
députation  solennelle  de  Bordeaux  à  Londres  est  d'une  étrange  et 
redoutable  conséquence.  »  Il  revient,  le  -16  mai,  sur  l'alliance  présu- 
mée des  Bordelais  et  des  Anglais,  coïncidant  avec  la  dissolution  du 
long  parlement  par  Gromwell.  «  Encore  une  fois,  conclut-il,  je  vous 
annonce  que  la  campagne  sera  terrible  et  les  révolutions  seront 
rapides  et  surprenantes  en  ce  royaume.  Dieu  nous  donne  une  bonne 
paix  ;  c'est  le  souhait  de  tous  les  gens  de  bien.  « 

C'était  le  sien  surtout,  mais  il  ne  lui  fut  pas  donné  d'en  voir 
l'accomplissement  comme  témoin  immédiat  et  partie  intéressée. 
Mazarin  était  rentré  à  Paris  le  3  février  4653.  Le  sort  de  la  province 
était  fixé.  En  4  654,  Mairet  fut  banni  sous  un  prétexte  frivole.  Il  avait 
défendu  l'honneur  du  roi  d'Espagne  accusé  de  n'avoir  accueilli  Condé 
que  dans  l'intention  de  le  trahir.  Le  soupçonneux  ministre  redoutait-il 

soubsriaiit  :  Monsieur,  je  ne  doute  point  de  la  sincérité  de  vos  paroles,  mais  le 
passé  nous  rend  un  peu  deffiants  pour  le  présent  et  pour  l'advenir;  et  de  plus 
je  pense  que  ceux  qui  voudroient  entreprendre  de  troubler  nostre  pais  sans 
aucun  sujet  de  nostre  part,  le  feroient  sans  vostre  participation,  estant  trop 
bien  instruits  de  nostre  probité.  » 

1.  Lettre  du  23  août  1G52. 

2.  Lettre  citée  plus  haut  du  29  octobre  1652. 

Rev.  Histor.  XXV.   l*'"  FASc.  5 


66  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

dans  Mairet  un  familier  de  la  maison  de  Bourbon,  et  senlait-il 
comme  un  levain  de  Fronde  sous  cet  empressement  à  défendre  son 
chef  coupable  et  disgracié  ?  On  peut  le  croire.  Peut-être  aussi  voulait- 
il  se  défaire  d'un  surveillant  incommode,  en  éloignant  celui  que  ses 
services  désignaient  pour  le  poste  élevé  de  résident  de  l'em.pereur 
d'Allemagne  à  Paris.  Il  fallait  écarter  un  serviteur  de  la  maison 
d'Autriche,  plus  capable  que  tout  autre  de  pénétrer  l'arrière-pensée 
de  la  maison  de  France.  Elle  se  fait  jour  dans  quelques  lettres  con- 
servées aux  archives  du  Doubs.  Dans  l'une  de  ces  lettres,  la  reine 
mère  recommande  un  comte  de  Goux  au  parlement  de  Dùle,  à  Tocca- 
sion  d'un  procès  qu'il  doit  soutenir  devant  cette  compagnie.  «  Nous 
aurions  cru  lui  faire  tort,  dit  Anne  d'Autriche,  si  nous  n'avions  joint 
notre  recommandation  à  celle  du  Roi  pour  vous  témoigner  la  joie  que 
nous  aurons  d'apprendre  l'issue  favorable  de  son  procès,  vous  con- 
viant de  lui  conserver  toute  la  justice  qu'il  peut  espérer  de  son  bon 
droit,  ne  doutant  point  de  votre  zèle  et  de  votre  affection.  »  Ce  ton 
tiatteur  et  bienveillant  peut  s'expliquer  par  l'origine  espagnole  de  la 
reine.  Le  roi  écrit  à  son  tour^  pour  obtenir  l'extradition  de  quelques 
meurtriers,  et  l'on  devine,  en  lisant  cette  lettre,  combien,  sous  le 
couvert  de  la  neutraUté,  l'annexion  morale  a  déjà  fait  de  chemin.  La 
requête  est  rédigée  en  style  officiel,  mais  le  désir  de  plaire  et  d'inspi- 
rer la  confiance  perce  à  travers  les  formes  convenues  du  protocole. 
Rien  n'est  plus  simple  que  de  réclamer  d'un  peuple  voisin  son  con- 
sentement à  l'exécution  d'une  sentence  judiciaire,  mais,  en  demandant 
cet  acte  de  justice  internationale  aux  membres  du  parlement  de  Dole, 
Louis  XIV  semble  déjà  les  traiter  comme  siens.  Rapprochée  de  la 

!.  A  MM.   LES  PRÉSIDENTS  ET  CONSEILLERS   DU   PARLEMENT  DE    DÔLE. 

Très  chers  et  bien  amés.  Désirant  que  l'assassinat  commis  en  la  personne  du 
feu  sieur  lugurla  d'Orolognc  et  sur  ses  enfants  vivants  nos  subjetz,  ne  demeure 
impuny,  et  que  les  sentences  données  par  nostre  prévost  des  mareschaux  et 
bailly  d'Angers,  obtenues  par  feu  M.  François  JuUiot,  vivant  notre  conseiller 
magistrat  au  siège  présidial  de  notre  ville  de  Chauniont  en  Bassigny,  ])our 
dame  Catherine  d'Urologne,  sa  veuve,  et  le  pareaiis  que  nous  leur  en  avons 
accordé  soyent  pleinement  exécutés  contre  les  cy-desnommez,  Nous  avons  bien 
voulu  vous  escrire  celte  lettre  dans  la  certitude  qui  nous  a  esté  donnée  qu'ils 
sont  dans  votre  juridiction,  pour  vous  prier  de  laisser  exécuter  les  sentences 
de  pareaiis  selon  leur  forme  et  teneur,  permettant  darrester  les  condamnés  et 
d'agir  à  rencontre  d'eulx  par  la  voie  accoutumée;  à  quoy  nous  assurant  que 
vous  serez  bien  disposez  puisque  vous  savez  la  chose  qui  nous  sera  très 
agréable,  nous  prions  Dieu  qu'il  vous  ait,  très  chers  et  bien  amez,  en  sa  sainte 
garde. 

Écrit  à  La  Fère,  le  xx  juillet  1G56. 

Louis. 


NÉGOCIATIONS   DE   JEAN   DE   MAIRET.  67 

lettre  du  comte  de  Brienne  citée  plus  haut,  celle-ci  laisse  entendre 
que  l'on  considère  les  Comtois  comme  des  sujets  acquis  à  la  natio- 
nalité française  et  qu^on  entend  même  les  traiter  en  sujets  privilégiés. 
Le  langage  du  jeune  roi  laisse  pressentir  l'annexion  future,  et  sous 
la  courtoisie  des  termes  elle  a  bien  l'air  d'une  prise  de  possession 
anticipée.  La  conquête  était  faite  et  ratifiée  par  avance,  au  moins 
dans  la  partie  la  plus  ambitieuse  et  la  plus  éclairée  de  la  population. 

TlVlER. 

Traité  de  neutralité  entre  la  France  et  la  Franche-Comté. 

Le  Comte  de  Brienne,  Conseillier  du  Roy  en  ses  conseils,  chevalier 
de  ses  ordres,  Secrétaire  d'Estat  et  des  commandements  de  Sa  Majesté, 
ayant  esté  par  elle  commis  pour  examiner  et  resouidre  les  conditions  de 
neutralité  ou  suspension  d'armes  proposée  et  demandée  par  le  sieur 
Jean  de  Mairet,  gentilhomme  bourguignon  de  la  cité  de  Besancon, 
envoyé  exprès  en  cour  par  les  sieurs  commis  du  Roy  catholique  au 
gouvernement  de  la  Franche-Comté  de  Bourgongne,  ayant  d'eux  suffi- 
sant pouvoir,  a  accordé  les  traittés  et  articles  suyvants  soubs  le  bon 
plaisir  de  Sa  Majesté,  dont  il  a  promis  de  fournir  l'acte  de  rattilîcation 
en  bonne  forme  dans  un  mois. 

Qu'il  y  aura  neutralité  ou  suspension  d'armes  entre  ceux  du  duché  de 
Bourgongne,  Bresse,  Bassigny  et  aultres  pays  adjacents  du  gouverne- 
ment audit  duché,  et  ceux  de  la  Franche-Comté  de  Bourgongne 
(Besançon  compris)  jusqu'au  terme  et  temps  qu'il  plaise  à  Dieu  nous 
donner  la  paix  générale  entre  les  deux  couronnes  de  France  et  d'Espagne. 

Que  les  troupes  et  gens  de  ladite  Majesté,  de  quelque  nation  qu'elles 
puissent  estre,  soit  en  corps  d'armée  ou  aultrement,  n'entreront  point 
dans  ladite  Franche-Comté  de  Bourgongne  (Besançon  compris)  et  n'y 
feront  aucune  course,  siège,  surprinse  de  place  ny  pillage  ou  vexation 
quelconque,  et  ne  s'y  commettra  aucun  acte  d'hostilité,  et  le  semblable 
sera  religieusement  observé  par  ceux  de  la  Franche-Comté,  ainsy  que 
tout  a  esté  cy-devant  exécuté  de  part  et  d'aultre  par  les  traittés  pré- 
cédents. 

Que  Sa  Majesté  s'employera  sérieusement  envers  ses  alliés  à  ce  qu'ils 
ne  nous  troublent  point  aussy  le  repos  et  la  tranquillité  de  ladite 
Franche-Comté  de  Bourgongne. 

Et  d'autant  qu'en  faveur  et  en  conséquence  du  dernier  traitté  d'acco- 
modement  qui  expire  au  dernier  jour  de  la  présente  année,  il  s'en  est 
fait  un  autre  en  forme  de  déclaration  et  par  lettres  patentes  des  deux 
Roys  qui  permet  la  jouissance  mutuelle  des  biens  des  vassaux  et  subjets 
des  deux  partis,  situés  en  France  et  dans  la  Franche-Comté, 

Sa  Majesté  d'une  part  et  lesdits  sieurs  Commis  au  gouvernement  de 
la  Franche-Comté  de  l'aultre,  consentent  la  continuation  de  ladite 
jouyssance  réciproque. 


68  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

En  considération  desquelles  choses  ledit  sieur  de  Mairet  promet  et 
s'oblige,  en  vertu  de  sa  procuration,  de  payer  la  somme  de  cent  mille 
libvres  tournois  par  chascun  an,  par  forme  de  contribution,  en  un  seul 
payement  qui  se  fera  par  advance  à  la  manière  accoustumée  dans  la 
ville  de  Lyon,  d'annie  en  année,  le  premier  jour  du  mois  d'apvril  de 
chascune  desdites  années,  à  commencer  le  premier  payement  par  l'année 
prochaine  mil  six  cent  cinquante  deux. 

Et  à  raison  et  en  faveur  de  ladite  somme  et  contribution  générale 
faitte  au  Roy,  toutes  les  autres  contributions  particulières  cesseront  et 
demeureront  compensées  et  amorties,  et  à  l'esgard  du  chasteau  de 
Gourlaon,  il  est  convenu  que  lesdits  Comtois  luy  donneront  la  somme 
de  trois  cent  libvres  par  mois,  pour  l'entretient  et  subsistance  de  la 
garnison  que  sa  Majesté  y  veut  estre  entretenue. 

Lesdits  sieurs  Commis  par  Sa  Majesté  catholique  au  gouvernement  du 
Comté  de  Bourgongne  pourront  tenir  dez  à  présent,  si  bon  leur  semble, 
soit  à  la  cour  ou  à  Paris,  une  personne  de  créance  en  qualité  de  résident, 
tant  pour  les  interests  particuliers  de  la  province  dont  il  aura  soing  que 
pour  avoir  l'œuil  à  tenir  la  main  à  l'observance  plus  exacte  des  condi- 
tions, circonstances  et  dépendances  du  présent  traitté. 

Et  en  cas  que  la  paix  ou  la  trefue  à  longues  années  entre  les  couronnes 
de  France  et  d'Espagne  soit  signée  et  rattifiée,  lesd.  Comtois  seront 
tenus  quittes  et  deschargez  entièrement  des  payements  qui  resteroient  à 
faire,  bien  que  l'exécution  des  articles  de  ladite  paix  ne  suyvit  pas 
incontinent  la  rattification  d'icelle  qui  suffiroit  en  tous  cas  à  les  acquit- 
ter de  la  contribution  à  laquelle  ils  sont  obligez  par  le  présent  traitté 
duquel  ledit  sieur  de  Mairet  promet  fournir  aussy  la  rattification  en 
bonne  forme  dans  un  mois  après  celle  de  Sa  Majesté. 

Fait  à  Paris,  le  vingt-quatrième  jour  de  septembre  mil  six  cent  cin- 
quante et  un,  signé  sur  l'original  de  Brienne  et  J.  de  Mairet  et  scelé  à 
double  sceau  de  cire  d'Espagne. 

S'ensuyt  la  ratification  du  traité  cy-dessus En  témoignage  de  quoy 

ladite  Majesté  a  signé  la  présente  de  sa  main  et  y  a  fait  apposer  son 
scel  secret  à  Paris,  le  vingt-cinquième  jour  de  septembre  mil  six  cent 
cinquante  et  un.  Signé  sur  ledit  original  Louys  et  son  scel  royal  y 
apposé  et  au  bas  d'iceluy  la  signature  de  Guénegaud. 


Note.  La  somme  remise  à  M""  de  Brienne  par  la  reine  mère  (voy.  p.  58)  fut 
de  1,000  pistoles  pour  la  reine  et  20,000  1.  pour  elle  (voy.  le  reçu  aux  Arch.  du 
Doubs).  Mairet  navait  reçu  d'abord  que  450  pistoles;  il  s'en  plaignit  dans  le 
reçu  qu'il  donna  le  17  ocl.  tG51  :  «  en  attendant  qu'il  plaise  à  messeigneurs  les 
conseillers-gouverneurs  de  ni'ordonner  une  récompense  plus  digne  d'eux  et  des 
services  que  j'ay  rendus  à  la  province.  »  Le  22  novembre  fut  donné  ordre  «  de 
payera  M.  Mairet  ...  la  somme  de  1,000  pistoles  d'Espagne.  » 


LA    FRANCE    ET   LÀ   PRUSSE    (1763-^69).  61» 

LA  FRANGE  ET  LA  PRUSSE 

1763-1769. 

RÉTABLISSEMENT  DES  RAPPORTS  DIPLOMATIQUES 
APRÈS  LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS  ^ 

Les  rapports  diplomatiques  se  renouèrent  assez  promptemenL 
entre  les  puissances  qui  avaient  pris  part  à  la  guerre  de  Sept  Ans. 
Les  cours  de  Berlin  et  de  Versailles  firent  exception;  elles  ne  se 
renvoyèrent  pas  de  ministres  et  ne  rétablirent  point  de  correspon- 
dance officielle  avant  l'année  ^769. 

Louis  XV  gardait  rancune  à  Frédéric  II  de  l'alliance  qu'il  avait 
contractée  avec  l'Angleterre  et  du  concours  qu'il  lui  avait  prêté  dans 
une  lutte  désastreuse  pour  la  puissance  coloniale  de  la  France.  Fré- 
déric, malgré  ses  succès  militaires,  ne  pardonnait  pas  à  Louis  XV 
de  s'être  ligué  avec  l'Autriche  et  d'avoir  laissé  remettre  en  question 
la  possession  de  la  Silésie.  En  1763,  le  roi  de  Prusse  paraissait  bien 
résolu  à  traiter  la  cour  de  Versailles  avec  toute  la  supériorité  d'un 
vainqueur  et  à  attendre  ses  ouvertures  ;  mais  l'intérêt,  ce  premier 
mobile  de  la  politique,  ne  pouvait  manquer  à  la  longue  de  faire 
sentir  sa  puissance.  . 

En  Allemagne,  dans  toutes  les  classes  de  la  société,  et  surtout 
parmi  les  princes  protestants,  on  ressentait  très  vivement,  au  lende- 
main de  la  guerre,  le  besoin  de  renouer  avec  la  France  des  relations 
de  bon  voisinage  et  beaucoup  désapprouvaient,  sans  oser  élever  la 
voix,  la  politique  d'abstention  dans  laquelle  Frédéric  se  renfermait  à 
l'égard  de  Louis  XV. 

Rien  ne  nuisait  davantage  à  la  situation  de  la  Prusse  qu'un  état  de 
choses  qui  rendait  impossible  tout  rapport  d'affaires  avec  la  cour  de 
Versailles.  Faute  d'agents  diplomatiques,  les  questions  touchant  au 
commerce  étaient  forcément  réservées.  Elles  demandaient  cependant 
une  solution  rapide.  Macaulay,  dans  sa  vie  de  Frédéric,  trace  un 
tableau  saisissant  de  l'état  intérieur  du  royaume  prussien,  oii  l'agri- 
culture et  le  commerce  semblaient  pour  longtemps  ruinés. 

Les  désastres  privés,  dit-il,  la  détresse  de  toutes  les  classes  sociales 
étaient  de  nature  à  épouvanter  l'esprit  le  plus  ferme...  Les  champs 

1.  D'après  les  correspondances  du  dépôt  des  Affaires  Étrangères. 


70  MÉLANGES   ET   DOCDMEMS. 

étaient  restés  sans  culture.  Le  blé  de  semence  avait  même  été  dévoré 
dans  l'égarement  de  la  faim.  La  famine  et  les  maladies  contagieuses 
engendrées  par  la  famine  avaient  anéanti  les  troupeaux  et  le  bétail,  et 
il  y  avait  lieu  de  craindre  qu'une  grande  épidémie  ne  vînt  frapper  la 

race  humaine  à  la  suite  de  cette  effroyable  guerre En  sept  ans,  la 

population  du  royaume  avait  diminué  dans  la  redoutable  proportion  de 
dix  pour  cent.  Un  sixième  des  hommes  en  état  de  porter  les  armes 
avait  péri  sur  les  champs  de  bataille.  Dans  quelques  districts,  on  ne 
voyait  dans  les  champs,  au  moment  de  la  moisson,  point  d'autres  tra- 
vailleurs que  des  femmes Tout  le  système  social  était  bouleversé. 

L'armée  était  elle-même  désorganisée.  On  pouvait  à  peine  espérer  que 
trente  ans  de  repos  et  d'industrie  pussent  réparer  le  mal  causé  par 
sept  années  de  carnage  ^. 

Frédéric  ne  pouvait  se  dissimuler  l'étendue  du  mal.  De  tous  côtés, 
son  attention  était  sollicitée  par  de  redoutables  problèmes.  En  1753, 
un  traité  de  commerce  avait  été  conclu  avec  la  France  pour  une 
période  de  dix  années.  Ce  traité  venait  d'expirer.  Si  ses  effets  ces- 
saient brusquement,  le  commerce  prussien  recevait  une  atteinte 
grave.  La  France  était,  en  effet,  le  débouché  habituel  des  produits  de 
la  Prusse.  On  y  vendait  les  laines  et  les  lins  de  la  Silésie,  et  ces 
matières,  à  leur  entrée,  bénéficiaient  du  tarif  conventionnel  de  n53. 

Il  y  avait  un  grand  intérêt  pour  la  Prusse  à  ce  que  rien  ne  fût 
changé  à  ce  régime.  En  France,  les  fermiers  généraux  se  préoccu- 
paient de  la  question  de  savoir  quel  tarif  il  faudrait  appliquer 
désormais  aux  marchandises  de  provenance  prussienne  et  deman- 
dèrent des  instructions  à  ce  sujet  au  conseil  du  roi  pour  les  ports 
de  Bordeaux  et  de  Nantes.  Les  députés  du  commerce  se  pronon- 
cèrent pour  le  renouvellement  du  traité.  Il  fut  maintenu,  mais 
seulement  à  titre  provisoire. 

A  la  même  époque,  Frédéric  songeait  à  rétablir,  sur  des  bases  nou- 
velles et  plus  larges,  la  Compagnie  d'Embden  -,  dont  les  opérations 
avaient  été  entravées  pendant  la  guerre;  mais  là  encore  il  ren- 
contrait une  difficulté  et  la  France  seule  pouvait  le  tirer  d'embarras. 
La  Prusse  manquait  de  capitalistes  assez  entreprenants  pour  sub- 
venir rapidement  aux  avances  qu'exigeait  une  aussi  vaste  entreprise. 
Il  fallait  les  demander  à  l'étranger.  Notre  pays  était  alors  en  état  de 
fournir  à  la  Prusse  des  financiers  expérimentés  et  des  commerçants 
instruits.  Tôt  ou  tard  Frédéric  devait  se  trouver  amené  à  faire  appel 
à  leur  concours. 

1.  Macaulay,  Essais  historiques  et  biographiques.  Frédéric  le  Grand.  Tra- 
duction de  G.  Guizot. 

2.  Compagnie  fondée  en  1751  pour  le  commerce  des  Indes  orientales. 


LA    IBAN'CE    ET    LA    PRCSSE    (1763-1709).  71 

Dès  l'année  -1764,  des  démarches  secrètes  avaient  été  entreprises 
auprès  du  duc  de  Praslin,  ministre  des  affaires  étrangères,  pour 
faciliter  le  rétablissement  des  rapports.  Un  certain  de  Pinto  s'était 
chargé  de  sonder  les  intentions  de  la  cour  de  Versailles.  Il  avait  écrit 
au  ministre  qu'il  se  sentait  encouragé  à  l'informer  de  ce  qui  se 
passai  ta  Berlin  à  ce  sujet,  et  il  lui  avait  communiqué  des  lettres  échan- 
gées entre  le  prince  Wilhelm  d'Anhalt  et  l'un  de  ses  amis.  Dans 
cette  'correspondance,  évidemment  préparée  pour  être  mise  sous  les 
yeux  du  duc  de  Praslin,  on  laissait  entendre  qu'aussitôt  que  le  départ 
du  ministre  français  serait  fixé,  la  cour  de  Prusse  ne  manquerait  pas 
de  désigner  le  sien  et  qu'il  dépendait  de  Versailles  de  faire  réussir 
la  négociation.  Le  ministre  du  roi  de  France  ne  crut  pas  devoir 
accueillir  une  suggestion  qui  ne  présentait  pas  un  caraclère  suffi- 
sant d'autorité  et  qui,  d'ailleurs,  demandait  à  la  France  de  prendre 
Pinitiative.  Il  renvoya  au  sieur  Pinto  ses  papiers,  tout  en  ayant  soin 
pourtant  d'en  garder  copie. 

De  son  côté,  au  surplus,  le  cabinet  français  comprenait  tout  l'in- 
térêt d'un  rapprochement.  On  en  trouverait  au  besoin  la  preuve  dans 
un  rapport  que  le  duc  de  Ghoiseul  adressait  au  roi  en  février  -J  765. 

Je  ne  répondrais  pas,  disait-il,  que  dans  quelques  années  les  projets 
singuliers  du  roi  de  Prusse,  l'habitude  qu'il  a  contractée  de  la  guerre, 
les  vues  d'inquiétude  et  d'agrandissement  qu'il  n'a  cessé  d'avoir,  ne 
l'engageassent,  s'il  se  porte  bien,  dans  une  nouvelle  guerre.  C'est  à 
empêcher  cette  guerre,  dans  laquelle  Votre  Majesté  serait  obligée  par 
son  traité  de  soutenir  l'impératrice,  qu'il  est  important  que  toute  la 
sagacité  de  votre  ministère  s'emploie  pour  que  celui  qui  sera  chargé 
d'affaires  à  Berlin  dirige  sur  cet  objet  toute  son  attention.  Je  crois 
qu'avec  de  la  douceur,  et  quelquefois  en  inspirant  de  la  crainte,  il 
serait  possible  de  faire  faire  des  réflexions  et  d'arrêter  ce  prince  dange- 
reux. Rien  n'est  si  instant  pour  cet  objet  que  de  renouer  la  correspon- 
dance avec  BerUn,  dès  qu'on  en  trouvera  le  moyen  sans  blesser  la 
dignité  de  Votre  Majesté. 

Quelle  que  fût  la  justesse  de  ces  considérations,  le  cabinet  de  Ver- 
sailles crut  néanmoins  de  sa  dignité  de  ne  point  faire  les  premiers 
pas,  et  il  attendit  avec  une  rare  persévérance  que  l'initiative  vînt  de 
Berhn. 

Dans  le  courant  de  l'année  ildo,  des  personnages  sans  caractère 
officiel  essayaient  de  s'interposer  pour  aplanir  les  difficultés.  Grimm 
et  Helvétius,  fort  désireux  de  voir  cesser  un  état  de  malaise  dont 
souffraient  les  rapports  des  lettrés  et  des  philosophes,  pensèrent  que 
la  duchesse  de  Saxe-Gotha,  très  écoutée  à  Postdam,  pourrait  inter- 
venir utilement  auprès  de  Frédéric  pour  ouvrir  la  voie  aux  négocia- 


72  MIÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

lions.  Grimm  en  écrivit  à  l'un  de  ses  correspondants  de  France,  le 
6  mai  J765  : 

J'ai  pensé,  disait-il,  que,  supposé  qu'on  eût  le  projet  de  se  rapprocher 
du  roi  de  Prusse,  on  trouverait  difficilement  un  meilleur  canal  que 
celui  de  M""^  la  duchese  de  Saxe-Gotha  :  1°  parce  que  tous  les  princes 
protestants  d'Allemagne  désirent  vivement  ce  retour  de  liaison;  2»  parce 
que  la  princesse  dont  j'ai  l'honneur  de  vous  parler  est  attachée  à  la 
France  et  aime  la  nation  par  goût  et  par  choix  ;  3°  parce  que  c'est  une 
princesse  des  plus  éclairées,  d'une  sagesse  et  d'une  prudence  reconnues 
et  douée  de  toutes  les  grandes  qualités  qu'on  attend  de  ceux  qui  gou- 
vernent, et  qui  sont  nécessaires  à  bien  conduire  une  négociation  délicate 
oîi  il  ne  faudrait  compromettre  personne;  j'en  parle  avec  connaissance 
de  cause,  parce  que  je  suis  honoré  de  ses  bontés  et  de  sa  confiance 
depuis  douze  ans,  pendant  lesquels  j'ai  fait  deux  séjours  à  sa  cour; 
4»  parce  que  cette  princesse  est  sans  contredit  la  personne  de  l'Europe 
qui  a  le  plus  d'ascendant  sur  l'esprit  du  roi  de  Prusse,  et  que  ce  prince 
a  pour  elle  la  plus  haute  considération  et  entretient  avec  elle  un  com- 
merce de  lettres  très  suivi;  5°  parce  que,  par  ce  moyen,  quelles  que- 
fussent  ses  dispositions  à  l'égard  de  la  France,  on  aurait  du  moins 
l'avantage  de  les  connaître  avec  sûreté  et  sans  détour;  il  n'en  emploie- 
rait sûrement  pas  avec  M^»*  la  duchesse  de  Saxe-Gotha,  et  si  cette 
princesse  se  chargeait  de  quelques  négociations,  on  pourrait  s'attendre 
de  sa  part  à  une  bonne  foi  et  un  zèle  sans  réserve 

Helvétius  eut  la  même  pensée  et  se  montra  plus  hardi  que  Grimm. 
Voici  la  lettre  quMl  adresse  au  mois  de  juin  i7tio  à  la  duchesse  : 

Pour  user  de  mon  privilège  de  tout  dire,  il  faut  que  je  dise  à  Vôtre 
Altesse  un  projet  qui  m'a  passé  par  la  tête.  Je  suis  las  de  voir  le  froid 
qui  subsiste  depuis  la  paix  entre  deux  anciens  aUiés;  j'aimais  mieux 
une  belle  haine  bien  déclarée  comme  en  1757.  D'ailleurs,  je  suis  trop 
bon  Français,  et  j'ai  trop  de  bonnes  raisons  de  l'être,  pour  ne  pas 
désirer  que  le  grand  Frédéric  ait  en  ce  pays-ci  encore  d'autres  liaisons 
que  celle  du  philosophe  d'Alembert  '  et  la  mienne.  Je  sais  depuis  long- 
temps qu'il  estime  M.  le  duc  de  Prashn;  j'ai  appris  depuis  qu'il  fait 
cas  de  M.  le  duc  de  Choiseul.  A  quoi  tient-il  donc  qu'on  ne  rétablisse 
entre  les  deux  cours  cette  correspondance  qui  subsiste  entre  les  cours 
les  moins  liées  et  dont  l'interruption  m'ennuie  depuis  longtemps?  Si 
tout  cela  ne  tient  qu'à  une  petite  cérémonie  pour  savoir  qui  nommera 
le  premier  son  ministre,  il  faut  convenir  qu'on  s'arrête  à  bien  peu  de 
chose,  mais  cela  arrive  souvent  en  politique.  Moi  je  me  suis  mis  en 
tête  que  Votre  Altesse  doit  se  mêler  de  cette  affaire;  que  vous  satis- 
ferez également,  madame,  et  votre  goût  pour  la  France  et  votre  amitié 
pour  le  grand  Frédéric  en  faisant  finir  un  froid  qui  a  trop  duré,  et  que 

1.  D'Alembert  était  allé  à  Postdam  en  1763. 


LA   FRANCE   ET   LA    PRUSSE    (1763-1769).  73 

votre  sagesse  trouvera  pour  cela  aisément  ce  que  les  Italiens  appellent 
«  il  mezzo  termine.  »  Si  vous  me  demandez,  madame,  de  quoi  je  me 
mêle  je  dirai  que  je  voudrais  que  toutes  les  choses  bien  faites  fussent 
votre  ouvrage. 

Il  était  difficile  d'offrir  à  la  duchesse  de  Saxe-Gotha  une  occasion 
plus  belle  d'employer  son  crédit.  Sa  réponse  à  Helvétius  témoigne 
de  ses  bonnes  dispositions  : 

Comptez,  lui  écrivit-elle,  que  si  je  pouvais  contribuer  à  obtenir  le  but 
que  vous  me  proposez,  j'emploierais  avec  ardeur,  avec  transport,  avec 
zèle  toutes  mes  facultés  ;  je  ferai  sûrement  l'impossible  pour  le  succès  ; 
l'idée  seule  m'en  cause  une  joie  infinie,  car  c'est  là  précisément  ce  que 
mon  cœur  désire  depuis  longtemps,  et  je  ne  crois  la  chose  nullement 
impossible.  Je  sais  positivement  que  le  héros  aime  la  France  d'incli- 
nation et  l'a  toujours  aimée  ;  de  plus,  avec  son  esprit  et  sa  sagesse,  il 
ne  saurait  méconnaître  ses  véritables  intérêts.  Il  ne  serait  donc  question 
que  de  lui  en  faire  venir  l'idée  promptement  et  à  propos.  Vous  savez 
que,  dans  la  plupart  des  événements  de  ce  monde,  tout  dépend  du 
moment^  et  je  saisirais  sûrement  le  premier  moment  favorable,  si  je 
pouvais  espérer  de  remplir  des  vues  utiles  et  réelles. 

De  telles  assurances  avaient  leur  valeur,  et  notre  philosophe  dut 
se  féliciter  de  les  avoir  provoquées  ;  mais  en  même  temps  Helvétius 
avait  trouvé  le  moyen  d'agir  personnellement  et  directement  sur  le  roi 
lui-même.  Il  s'était  rendu  à  Berlin  à  l'invitation  de  Frédéric.  Ayant  eu 
roccasion  del'entretenir  à  ce  sujet,  il  sut  le  sonder  adroitement.  Bien 
que  le  cabinet  de  Versailles  se  soit  toujours  abstenu  avec  soin  de 
laisser  voir  qu'il  encourageait  ces  démarches,  on  doit  croire  qu'il  ne 
les  désapprouvait  pas.  Voici  dans  quels  termes  Helvétius  rendit  compte 
à  M.  d'Argental,  ministre  du  duc  de  Parme  en  France,  et  ami 
particulier  du  duc  de  Ghoiseul,  des  entretiens  qu'il  avait  eus  avec 
Frédéric.  Cette  lettre  est  datée  de  Gotha,  le  4  juin  1765. 

Monsieur  le  comte,  j'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire.  J'ai  saisi  toutes  les  occasions  d'assurer  le  roi  de  Prusse  de 
l'attachement  de  MM.  les  ducs  de  Praslin  et  de  Ghoiseul.  Je  me  suis 
vanté  auprès  du  roi  des  bontés  que  vous  aviez  pour  moi;  il  m'a  parlé 
de  vous  de  la  manière  la  plus  obligeante.  Mais,  m'a-t-il  dit,  son  amitié 
pour  M.  de  Voltaire  ne  l'aurait-il  pas  éloigné  de  moi?  Je  lui  ai  répondu 
comme  je  le  devais  que  vous  admiriez  avec  toute  l'Europe  les  ouvrages 
de  votre  ami,  mais  que  vous  ne  vous  donniez  point  pour  le  défenseur 
des  torts  qu'il  pouvait  avoir  eus  avec  Sa  Majesté.  Dans  la  suite  de 
cette  conversation,  j'ai  eu  occasion  de  lui  faire  sentir  l'intérêt  réci- 
proque que  les  deux  cours  de  Versailles  et  de  Postdam  avaient  d'être 
bien  ensemble.  Voici  sa  réponse  : 


74  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

La  cour  de  France  a  eu  avec  moi  les  plus  grands  torts,  elle  le  sait. 
Elle  m'a  attaqué  à  Rosbach.  Elle  m'a  fait  la  guerre  apparemment  pour 
faire  un  cardinal.  Je  ne  lui  connais  point  d'autre  intérêt.  Comment 
est-il  possible  qu'après  avoir  démoli  les  places  des  Pays-Bas,  sans 
doute  pour  s'en  emparer  plus  facilement,  elle  se  soit  alliée  avec  cette 
puissance  au  moment  qu'elle  pouvait  la  combattre  avec  le  plus  d'avan- 
tages. 

J'ai  éprouvé  tant  de  mauvais  traitements  de  la  part  de  la  France  que 
ce  serait  bas  à  moi  de  faire  les  avances,  et,  d'ailleurs,  pourquoi  les 
ferais-je?  Quelles  sont  nos  deux  positions? 

Je  suis  bien  avec  la  Russie  ;  mes  derrières  sont  assurés.  La  France 
est  trop  loin  de  moi  pour  m'attaquer,  et  la  reine  de  Hongrie  seule  ne 
l'osera  jamais. 

La  France,  au  contraire,  sera  certainement  dans  peu  obligée  de  faire 
la  guerre  à  l'Angleterre.  Ce  n'est  que  par  la  prise  des  Pays-Bas  qu'elle 
peut  s'indemniser  des  prises  que  les  Anglais  lui  feront  peut-être  sup- 
porter par  mer;  elle  a  donc  intérêt  d'être  bien  avec  moi;  il  y  a  de  plus 
du  froid  entre  l'Angleterre  et  la  Russie  ;  la  France  peut  en  profiter  pour 
conclure  un  traité  de  commerce  avec  l'impératrice,  d'autant  plus  avan- 
tageux qu'il  serait  plus  nuisible  aux  Anglais.  La  France  n'ignore  pas 
que  je  puis  la  servir  en  Russie.  La  France  a  donc  plus  besoin  de  moi 
que  je  n'ai  besoin  d'elle.  Répondez-moi  :  est-ce  à  celui  qui  a  le  moins 
de  besoin  à  faire  les  avances? 

J'ai  répondu  au  roi  ce  que  le  peu  d'esprit  et  le  peu  de  connaissance 
que  j'ai  des  affaires  m'a  suggéré  dans  le  moment.  Le  résultat  de  ma 
conversation,  c'est  que  je  suis  chargé  de  la  part  du  roi  de  Prusse  de 
faire  à  MM.  les  ducs  de  Praslin  et  de  Choiseul  une  proposition  qui,  je 
crois,  leur  sera  agréable,  et  qui  ne  compromet  l'honneur  d'aucune  des 
deux  cours.  Si  on  l'accepte,  l'affaire  est  finie.  Si  on  ne  l'accepte  pas,  je 
doute  qu'on  puisse  jamais  renouer  avec  ce  roi. 

Je  vous  écris  tout  ceci,  afin  que  vous  ayez  la  bonté  d'en  prévenir 
MM.  les  ducs  de  Praslin  et  de  Choiseul  et  de  les  prier  de  vouloir  bien 
me  donner,  à  mon  retour  à  Paris,  un  quart  d'heure  d'audience... 

Quelle  était  celte  proposition  «  agréable  »  dont  Helvétius  parle 
encore  avec  discrétion  et  qui  devait  avoir  tant  d'excellents  effets,  si 
elle  était  accueillie  à  Versailles?  Elle  se  résumait  dans  la  nomination 
simultanée  des  deux  ambassadeurs  ou  envoyés,  à  un  jour  donné, 
dont  on  conviendrait  des  deux  parts.  Helvétius  s'acquitta  de  sa  mission, 
mais  le  ministre  ne  la  trouva  pas  suffisamment  définie.  Il  exigea 
qu'elle  fût  au  moins  autorisée  par  un  écrit  de  Frédéric.  Helvétius  en 
référa  à  Berlin.  On  lui  répondit  que,  si  l'on  autorisait  sa  mission  par 
une  lettre,  il  était  à  craindre  que  la  cour  de  France  ne  se  vantât  des 
avances  qu'aurait  faites  le  roi  de  Prusse. 

Helvétius  s'en  explique  dans  une  lettre  au  duc  de  Praslin  en  date 


LA    FRANCE    ET    LA    PRUSSE    (1763-1769).  75 

du  mois  d'août  -1763,  et  suggère  même  à  ce  propos  une  combinaison 
qui,  d'après  lui,  aurait  aidé  a  tourner  la  difficulté. 

On  a  soupçonné  à  Berlin,  monseigneur,  que  votre  intention,  en 
demandant  que  ma  mission  fût  autorisée  par  une  lettre  du  prince,  était 
de  publier  que  le  roi  de  Prusse  faisait  des  avances  à  la  France.  Ce 
soupçon  peut  être  aisément  détruit,  et,  si  vous  croyez  que  l'alliance  du 
roi  de  Prusse  puisse  nous  être  avantageuse,  qu'il  soit  important  de 
connaître  ses  vraies  dispositions  et  de  savoir  si,  depuis  mon  départ,  il 
n'aurait  pas  pris  quelqu'autrc  engagement,  il  est  je  pense  facile  de  le 
mettre  au  pied  du  mur.  J'imagine  un  moyen  que  je  soumets  à  vos 
lumières  supérieures. 

M.  le  comte  d'Haussonville  est  actuellement  sur  les  lieux.  Si  on  le 
chargeait  de  parler  au  roi  de  Prusse  en  particulier  et  de  lui  dire  que  la 
cour  de  France  nommera  un  ambassadeur  le  même  jour  que  la  cour  de 
Berlin  nommera  le  sien,  que  lui,  comte  d'Haussonville,  sera  cet  ambas- 
sadeur, qu'il  en  recevra  les  patentes  qu'il  ne  datera  que  du  jour  où  Sa 
Majesté  aura  nommé  son  envoyé,  il  me  semble  que,  par  ce  moyen, 
l'honneur  de  la  France  ne  serait  pas  compromis.  Sa  bonne  foi  serait 
constatée  et  le  roi  de  Prusse  dans  la  nécessité  de  déclarer  ses  vraies 
intentions.  Peut-être  M.  le  comte  d'Haussonville  ne  voudrait-il  pas 
accepter  cette  place,  mais  ne  pourrait-on  pas  lui  promettre  de  lui 
envoyer  six  semaines  après  un  successeur  et  lui  dire  que  le  bien  de 
l'État  exige  qu'il  se  charge  seulement  pendant  ces  six  semaines  d'une 
place  qu'il  peut  regarder  comme  au-dessous  de  lui. 

Mandez-moi,  monseigneur,  vos  intentions;  je  vous  adresse  copie 
d'une  lettre  destinée  pour  la  Prusse  et  qu'on  montrera  au  roi.  Je  l'en- 
verrai si  vous  l'approuvez  ^. 

La  suggestion  ne  fut  pas  acceptée  à  Versailles.  On  n'en  crut  pas 
moins  à  Berlin  que  le  comte  d'Haussonville,  qui  s'était  rendu  en 
Prusse  pour  des  affaires  d'intérêt  privé,  était  chargé  d'une  mission 
du  gouvernement  français,  et  nous  trouvons  la  trace  de  cette  impres- 
sion dans  une  dépêche  de  l'agent  d'Angleterre  Burnet  au  cabinet  de 
Londres. 

On  ne  voit  pas  que  l'intervention  de  la  duchesse  de  Saxe-Gotha 
dans  cette  négociation  se  soit  manifestée  par  aucun  fait  précis.  Elle 
avait  suspendu  toute  démarche  en  apprenant  la  mission  qu'Helvétius 
avait  reçue  du  roi  de  Prusse.  C'est  du  moins  ce  qui  résulte  d'une 
lettre  d'Helvétius  lui-même,  du  mois  de  septembre  i  763,  au  duc  de 
Praslin  : 

Vous  savez,  lui  dit-il,  que  la  princesse  de  Gotha  ainsi  que  toute 
l'Allemagne  protestante  souhaite  ardemment  de  voir  la  bonne  intelli- 

1.  Une  lettre  analogue  a  été  adressée  par  Helvétius  au  duc  de  Cholseul. 


7(>  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

gence  établie  entre  les  deux  cours  de  Versailles  et  de  Berlin.  Je  sais 
même  que  cette  princesse  aurait  entamé  cette  négociation  si  elle  ne 
m'en  avait  pas  cru  chargé  de  la  part  du  roi  de  Prusse.  Si  cette  alliance 
nous  est  utile,  ne  pourrait-on  pas  profiter  de  ses  bons  offices  ? 

Le  cabinet  de  Versailles  ne  se  départit  pas  de  sa  réserve  et  le  nom 
de  la  duchesse  de  Saxe-Gotha  ne  reparait  plus  dans  les  pourparlers 
ultérieurs. 

On  était  en  ^766.  Du  côté  de  la  France,  on  désirait  toujours 
beaucoup  le  rétablissement  des  rapports  diplomatiques  ;  mais  on 
avait  appris  par  la  correspondance  d'Helvétius  que  le  désir  de  Fré- 
déric II  n'était  pas  moins  vif.  On  croyait  avoir  tout  intérêt  à  attendre 
des  ouvertures  mieux  définies.  Frédéric  constatait  de  son  côté,  non 
sans  inquiétude,  qu'il  n'avait  encore  rien  fait  pour  le  renouvellement 
de  ce  fameux  traité  de  commerce  expiré  depuis  •ITes.  La  situation 
devenait  chaque  jour  plus  critique.  II  fallait  enfin  aviser.  Voici  l'ex- 
pédient auquel  le  roi  de  Prusse  eut  recours. 

Le  29  novembre  I76(),  M.  de  Finkenstein,  ministre  d'État  en 
Prusse,  annonce  au  duc  de  Choiseul  que  le  roi  a  chargé  un  certain 
comte  de  Barberin  de  quelques  commissions  de  commerce  pour  son 
service  particulier,  que,  dans  ce  but,  M.  de  Barberin  doit  se  rendre 
en  France,  et  qu'un  sieur  Mény  a  été  investi  du  caractère  d'agent 
pour  le  même  objet.  Le  comte  de  Finkenstein  ajoutait  que  son  sou- 
verain avait  l'espoir  que  le  duc  de  Choiseul  voudrait  bien  protéger 
CCS  messieurs  relativement  aux  commissions  qui  leur  étaient  confiées. 
On  répondit  de  Versailles  que  le  roi  se  ferait  un  plaisir  d'accorder  sa 
protection  la  plus  spéciale  au  comte  de  Barberin  ainsi  qu'au  sieur 
Mény,  et  que  M.  de  Finkenstein  pouvait  compter  sur  l'assistance  que 
les  «  commissionnaires  »  du  roi  de  Prusse  trouveraient  en  France. 

L'année  suivante  (23  mai  1767),  c'est  un  sieur  Mettra  qui,  en 
vertu  de  lettres  patentes  délivrées  par  Frédéric,  est  nommé  agent 
«  pour  différentes  commissions  concernant  le  commerce,  »  et  cela  en 
considération  de  ses  connaissances  étendues  et  de  son  expérience 
dans  le  commerce. 

Nous  requérons,  disait-on  dans  ces  lettres  patentes,  signées  par  le  roi 
et  contresignées  par  MM.  de  Finkenstein  et  de  Hertzberg,  tous  ceux  à 
qui  il  appartient,  de  le  reconnaître  en  qualité  de  notre  agent  pour  diffé- 
rentes commissions  concernant  le  commerce,  d'accepter  ses  mémoires, 
lettres  et  instruments,  de  conférer  avec  lui  sur  tout  ce  qui  peut  avoir 
rapport  au  commerce  de  nos  États  et  de  lui  donner  toutes  sortes  d'aide 
et  d'assistance,  comme  aussi  de  le  laisser  jouir  de  toutes  les  immunités, 
privilèges  et  prérogatives  dont  les  autres  agents  de  commerce  des  rois 
jouissent. 


LA    FRANCE    ET   LA    PRUSSE    (^763-^769).  77 

Barberin,  Mény,  Mettra,  tels  sont  les  hommes  que  Frédéric  envoie 
en  France  et  qu'il  a  chargés  d'étudier  la  question  commerciale  aussi 
bien  que  le  terrain  politique.  Il  lui  était  aisé  de  désavouer  leurs 
démarches  s'il  les  jugeait  trop  hardies.  C'est  en  1768  que  le  fond  de 
sa  pensée  se  révèle  définitivement  dans  un  document  officiel,  par 
l'entremise  de  son  agent  Mény. 

Monsieur  le  duc,  écrit  de  Paris  ce  dernier  à  Choiseul  le  17  juin, 
comme  agent  de  S.  M.  prussienne  en  France,  où  j'ai  l'honneur  d'être 
accrédité  en  cette  quahté,  j'ai  cru  pouvoir  lui  proposer  un  renouvelle- 
ment du  traité  de  commerce  entre  ses  sujets  et  ceux  de  S.  M.  très 
chrétienne.  Cet  objet  devenant  de  plus  en  plus  intéressant  pour  les 
deux  nations,  S.  M.  prussienne  vient  de  m'autoriser,  pendant  son 
séjour  à  Vezel,  à  remettre  à  Votre  Excellence  les  articles  ci-joints,  sur 
lesquels  les  cours  de  Berlin  et  de  Versailles  pourraient  entrer  en  négo- 
ciations par  des  ministres  plénipotentiaires  nommés  et  envoyés  de  part 
et  d'autre  en  même  temps.  Je  vous  prie,  monsieur  le  duc,  de  vouloir 
bien  me  marquer  vos  dispositions  et  celles  du  roi  à  cet  égard,  afin  que 
je  sois  en  état  d'en  rendre  compte  à  S.  M.  prussienne,  dont  j'attendrai 
ici  les  ordres  ultérieurs. 

Ce  projet  de  traité  au  sujet  duquel  on  proposait  d^entamer 
des  pourparlers  avec  la  France  par  Pintermédiaire  de  ministres 
respectivement  nommés,  contenait  certaines  stipulations  particu- 
lières. Frédéric  demandait  que  le  roi  de  France  s'engageât  à  lui 
faciliter  la  conclusion  d'un  traité  de  commerce  avec  l'Espagne  et 
de  Portugal  et  qu'il  autorisât  ses  sujets  à  s'associer  entre  eux 
pour  fournir  les  fonds  nécessaires  au  rétablissement  de  la  Com- 
pagnie d'Embden.  Il  promettait  de  son  coté  de  faire  jouir  les 
négociants  français  des  privilèges  les  plus  étendus  et  de  réclamer  en 
temps  de  guerre  leurs  bâtiments  qui  navigueraient  sous  pavillon 
prussien  et  qui  seraient  pris  ou  insultés  par  les  ennemis  de  la 
France. 

Cette  fois,  Choiseul  n'eut  garde  de  repousser  les  ouvertures  de  Fré- 
déric. Elles  étaient  positives  et  sérieuses.  La  politique  française  souf- 
frait elle-même  de  la  gêne  et  de  l'aigreur  qui  s'étaient  maintenues  dans 
les  relations  des  deux  cabinets.  Sans  doute  la  proposition  faite  au  nom 
du  roi  de  Prusse  n'écartait  pas  toutes  les  difficultés  de  forme,  nées 
des  susceptibilités  réciproques;  mais  les  intérêts  parlaient  trop  haut 
pour  que  l'on  ne  cherchât  pas  à  accommoder  les  amours-propres. 
Choiseul  ne  laissa  pas  échapper  Foccasion  favorable,  il  répondit  au 
sieur  Mény  que  le  roi  était  disposé  à  négocier  sur  les  bases  indiquées, 
sauf  quelques  réserves,  par  l'entremise  de  ministres  plénipotentiaires 


78  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

qui  seraient  à  nommer.  Il  ajoutait  que  les  deux  cours  ne  pourraient 
mieux  faire  que  de  confier  à  leurs  représentants  à  la  Haye,  MM.  de 
Breteuil  et  de  Thulemeyer,  le  soin  de  combiner  l'exécution  de  cet 
envoi  respectif. 

Mény  dépêcha  à  Berlin  le  sieur  Mettra,  avec  une  lettre  qui  conte- 
nait la  réponse  et  les  vues  du  duc  de  Choiseul.  Le  8  juillet,  Frédéric 
écrivit  à  Mény  qu'il  avait  reçu  ses  communications. 

Mettra,  qui  vient  d'arriver,  m'a  expliqué,  dit-il,  quelle  était,  au  sujet 
de  l'envoi  réciproque  des  ministres,  l'intention  de  la  cour  de  France. 
Selon  ce  qu'il  m'a  dit,  je  crois  qu'il  sera  facile  de  s'arranger,  et  voici 
ce  qui  sera  le  plus  simple  et  le  plus  acceptable  de  part  et  d'autre.  Dès 
que  l'ambassadeur  de  France  sera  arrivé  à  La  Haye,  il  pourrait  se 
trouver  en  tiers  avec  le  sieur  de  Thulemeyer  chez  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne, sans  que  cela  soit  des  déclarations  ministérielles,  et  là,  par 
manière  de  propos,  celui  d'Espagne,  qui  se  trouve  autant  intéressé  à 
cette  aflaire  que  celui  de  France,  pourrait  dire  qu'il  était  singulier  que 
ces  deux  cours  n'entretenaient  point  de  ministres  les  uns  chez  les 
autres.  Le  ministre  de  France  pourrait  appuyer  fortement  là-dessus,  le 
tout  pour  donner  à  Thulemeyer  l'occasion  de  dresser  une  dépèche  dont 
j'ai  un  besoin  indispensable  dans  la  situation  où  je  me  trouve,  par 
l'usage  qu'il  me  convient  d'en  faire,  qui  n'est  pas  fort  difficile  à  deviner 
si  vous  y  faites  attention.  Cette  relation  arrivée,  on  pourrait  d'abord 
échanger  les  noms  des  ministres,  régler  leur  départ,  etc.,  sans  que 
l'affaire  put  rencontrer  de  plus  grandes  difficultés.  Pour  ce  qui  regarde 
le  traité  de  commerce,  vous  comprenez  que,  Mettra  n'étant  arrivé 
qu'hier,  il  m'est  impossible  de  vous  envoyer  aujourd'hui  tout  le  projet; 
mais  comme  je  ne  suis  pas  chicaneur  de  mon  métier  et  que  mes 
demandes  ne  sont  ni  outrées  ni  injustes,  je  ne  crois  pas  que  l'exécution 
pourra  rencontrer  de  grandes  difficultés.  En  gros,  cela  roulera  de  notre 
part  sur  l'échange  des  bois,  des  toiles  et  certaines  étoffes  de  laine 
contre  des  vins  de  France  et  l'eau-de-vie... 

Le  roi  avait  ajouté  un  post-scriptum  : 

«  Les  pleins  pouvoirs  seront  envoyés  de  notre  part  immédia- 
tement après  l'arrivée  de  la  relation,  pour  que  cela  n'ait  pas  un  air 
précipité,  rien  ne  convenant  moins  en  politique  que  de  se  jeter  en  hâte 
à  la  tête  de  ceux  dont  on  veut  se  rapprocher.  La  France  ne  doit  pas 
s'étonner  que  j'aie  cette  délicatesse  ;  les  événements  m'ont  mis  dans  une 
situation  qui  m'empêche  d'en  faire  davantage.  » 

Frédéric,  on  le  voit,  veut  s'entourer  jusqu'au  dernier  moment  de 
toutes  les  précautions.  Il  va  jusqu'à  faire  répéter  à  Mény  par  son 
secrétaire  de  cabinet,  M.  de  Galster,  d'avoir  bien  soin  de  ne  mettre 
sous  les  yeux  du  duc  de  Choiseul  que  celle  de  ses  lettres  qui  fût 
ostensible,  encore  devait-il  la  montrer  «  comme  par  inadvertance.  » 


LA    FRANCE   ET   LA   PRUSSE    (^  763-^769) .  79 

Et  M.  de  Galster  ajoute  :  «  Vous  cacherez  qu'un  exprès  vous  a  été  dépê- 
ché. »  Mais  le  point  qui  préoccupe  avant  tout  Frédéric,  c'est  ce  rapport 
détaillé  qu'il  attend  de  M.  de  Thulemeyer  et  dans  lequel  se  trouvera 
reproduit  l'entretien  où  M.  de  Breteuil  aura  déclaré  devant  le  ministre 
prussien  à  l'ambassadeur  d'Espagne  que  son  souverain  est  disposé  à 
rentrer  en  correspondance  avec  le  roi  de  Prusse.  Frédéric  exige  cette 
dépêche  dont  il  compte  se  servir  pour  répondre  plus  tard  à  ceux  qui 
pourraient  lui  reprocher  d'avoir  pris  l'initiative  dans  la  question  du 
rapprochement  avec  la  cour  de  Versailles. 

Une  procédure  aussi  compliquée,  l'interposition  d'un  tiers,  tout 
cet  appareil  destiné  à  laisser  à  M.  le  baron  de  Breteuil  la  responsa- 
bilité apparente  des  premières  démarches  révélait  bien  la  pensée 
de  Frédéric.  Ghoiseul  déclina  l'expédient.  La  présence  de  l'ambas- 
sadeur d'Espagne  dans  cette  affaire  ne  lui  parut  pas  acceptable; 
mais,  allant  droit  au  but,  il  déclara  que  M.  de  Breteuil  recevrait 
l'ordre  de  faire  lui-même  à  M.  de  Thulemeyer  une  ouverture  qui 
permit  à  l'envoyé  prussien  de  rédiger  son  rapport. 

La  négociation  s'engagea  dans  ces  conditions  à  la  grande  satisfac- 
tion de  Frédéric.  Voici  ce  qu'il  écrivait  a  Mény,  le  -10  août  -1708  : 

Ce  n'est  pas  vanité  bourgeoise  qui  nous  a  fait  exiger  ces  pourparlers 
de  la  part  du  ministre  de  France.  Cette  démarclae  nous  était  nécessaire 
vis-à-vis  de  nos  alliés.  Les  pleins  pouvoirs  et  tout  le  reste  seront  aussitôt 
expédiés  de  notre  part,  et  je  ne  prescrirai  pas  à  la  cour  de  France  qui- 
conque elle  voudra  nommer  ministre  à  ma  cour,  me  confiant  dans  le 
bon  choix  qu'elle  fera,  et  je  suis  sûr  que  ce  sera  une  personne  qui 
n'aura  point  l'esprit  tracassier  et  difficile.  Pour  moi,  disait  Frédéric  en 
terminant,  j'ai  fait  choix  du  colonel  baron  de  Goltz,  qui  est  un  homme 
sage,  réservé,  et  qui  a  déjà  donné  des  preuves  de  sa  capacité  dans 
d'autres  pays  où  il  a  été  envoyé. 

Si  avancés  que  fussent  les  pourparlers  entamés  à  la  Haye  entre 
MM.  de  Breteuil  et  de  Thulemeyer,  et  bien  que  Frédéric  eût  déjà 
prononcé  le  nom  de  son  futur  ministre  en  France,  on  voit  reparaître 
ses  susceptibihlés.  A  un  moment,  il  se  fâche,  parce  qu'il  a  appris 
qu'on  est  informé  en  Angleterre  de  la  négociation  ouverte  entre  Berlin 
et  Versailles  :  «  Je  ne  sais  pas  comment  cela  s'est  fi^iit,  écrit-il  à 
Mény,  mais  je  sais  bien  que  ce  n'est  pas  d'ici  qu'on  a  pu  l'ap- 
prendre. Je  soupçonne  que  là  où  vous  êtes  on  n'a  pas  mis  assez  de 
circonspection  dans  cette  affaire.  »  Et,  comme  s'il  eût  voulu  adoucir 
la  rudesse  de  cette  observation  et  réveiller  le  zèle  de  Mény,  le  roi 
ajoute  de  sa  main  au  bas  de  la  lettre  :  «  Nous  voici  au  dénouement 
de  la  pièce  ;  nous  verrons  incessamment  si  le  sieur  Mény  est  un 


80  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

maladroit  ou  un  des  célèbres  agents  que  la  politique  ait  employés 
dans  ses  opérations.  » 

A  la  fin  d'octobre  -J768,  on  était  tombé  d'accord  sur  le  choix  des 
ministres.  C'était,  pour  la  France,  le  comte  de  Guines,  favorablement 
connu  de  Frédéric  ^  Ce  nom  fut  bien  accueilli  à  Berlin.  Quoique  la 
nomination  de  Guines  ne  fût  point  encore  définitive,  Mény,  qui  pour 
sa  part  n'en  pouvait  plus  douter,  fit  remarquer  au  duc  de  Ghoiseul 
qu'il  serait  à  désirer  que  son  envoyé  se  rendit  à  Berlin,  de  manière  à 
voir  le  roi  pendant  son  séjour  dans  la  capitale  et  à  entamer  direc- 
tement la  négociation  dont  il  serait  chargé.  Frédéric  venait  de 
Posldam  à  Berlin  chaque  année  vers  le  20  décembre.  Il  n'était  point 
d'usage  que  les  ministres  étrangers  allassent  à  Postdam  sans  y  être 
demandés.  Mény,  dans  son  zèle,  comptait  sans  les  difficultés  qui 
se  présentèrent  au  dernier  moment  et  retardèrent  encore  l'événe- 
ment si  impatiemment  attendu. 

Voici  dans  quels  termes  le  baron  de  Breteuil  rend  compte  à  Ghoi- 
seul, le  25  octobre  (708,  de  cet  incident  : 

J'ai  dit  au  ministre  de  Prusse,  écrit  M.  de  Breteuil,  ce  que  vous 
m'avez  ordonné  de  lui  annoncer  sur  la  nomination  de  M.  le  comte 
de  Guines  en  qualité  de  ministre  plénipotentiaire  de  S.  M.  auprès 
du  roi  de  Prusse,  sur  l'époque  de  son  départ,  sur  la  satisfaction  que  le 
roi  ressent  du  parfait  rétablissement  de  la  correspondance  avec  Berlin. 
M.  de  Thulemeyer  m'a  répondu  sur  tout  cela  dans  les  termes  les  plus 
convenables.  Je  lui  ai  ensuite  proposé  de  publier,  chacun  de  notre  côté, 
la  nomination  respective  des  ministres  de  nos  maîtres,  mais  j'ai  eu  lieu 
d'être  surpris,  lorsque  M.  de  Thulemeyer  m'a  dit  qu'il  ne  pouvait  se 
prêter  à  cette  démarche  authentique,  qu'au  préalable  nous  n'eussions 
signé  un  acte  par  lequel  il  serait  dit  que  les  deux  cours  étaient  conve- 
nues de  s'envoyer  réciproquement  des  ministres  et  nous  avaient  auto- 
risés à  rendre  public  leur  choix.  J'ai  fait  remarquer  à  M.  de  Thule- 
meyer que  cette  proposition  de  sa  part  avait  d'autant  plus  droit  de  me 
surprendre,  que  non  seulement  il  n'avait  jamais  été  question  entre 
nous  de  la  nécessité  de.  cet  acte,  mais  qu'il  ne  m'avait  jamais  même 
témoigné  que  son  maître  le  désirait,  lorsqu'il  y  a  dix  jours  il  m'a  pro- 
posé de  rendre  publique  la  nomination  des  ministres  de  nos  deux 
cours,  et  que  je  n'avais  été  arrêté  dans  cette  démarche  que  par  l'igno- 
rance où  j'étais  alors  du  choix  du  roi.  Je  lui  ai  dit  que,  n'ayant  pu  pré- 
voir cet  incident,  je  n'avais  aucun  ordre  qui  y  fût  relatif,  et  que  je  ne 

1.  Le  comte  de  Guines  était  allé  à  Berlin,  en  1766,  pour  assister  aux 
manœuvres  de  l'armée  prussienne.  11  n'est  pas  vraisemblable  que  sa  mission 
fût  exclusivement  militaire  ;  mais  il  n'y  est  fait  aucune  allusion  dans  les  docu- 
ments anaivsés  ci-dessus. 


LA    FBANCE    ET    LA    PRUSSE    (^763-^769).  Si 

pouvais  remplir  ses  vues,  sans  que  vous  eussiez  eu  la  bonté  de  me 
faire  connaître  les  intentions  du  roi  à  cet  égard.  M.  de  Thulemeyer 
s'est  excusé  de  ne  m'avoir  pas  parlé  de  l'ordre  qu'il  avait  de  signer  cet 
acte  avant  de  rendre  public  notre  rapprochement  :  1"  sur  ce  qu'il 
n'avait  pas  douté  que  ce  préliminaire  ne  fût  convenu  entre  les  deux 
cours;  2o  qu'il  n'avait  eu  ordre  d'y  insister  absolument  que  par  la  der- 
nière poste.  J'ai  représenté  à  M.  de  Thulemeyer  l'inutilité  de  cet  écrit. 
Je  lui  ai  fait  sentir  qu'il  paraîtrait  annoncer  une  méfiance  peu  conve- 
nable au  principe  des  deux  cours,  et  je  ne  lui  ai  pas  caché  qu'elle  serait 
aussi  peu  conforme  à  l'empressement  que  le  roi  de  Prusse  nous  a 
témoigné  qu'à  celui  avec  lequel  nous  y  avons  répondu.  J'ai  marqué  au 
ministre  prussien  le  regret  que  j'avais  que  cette  formalité  inattendue 
retardât  le  plaisir  que  je  savais  que  le  roi  et  son  ministre  se  faisaient  de 
penser  que  notre  correspondance  était  absolument  rétablie.  M.  de  Thu- 
lemeyer m'a  paru  frappé  comme  moi  de  tout  ce  raisonnement;  mais  il 
m'a  avoué  qu'il  ne  pouvait  s'écarter  de  la  précision  de  ses  ordres  sur  la 
signature  dudit  acte.  Au  moyen  de  quoi,  nous  sommes  convenus  de 
garder  encore  le  silence  sur  l'envoi  des  ministres  respectifs,  jusqu'à  ce 
que  nous  eussions  nos  dernières  instructions  sur  cet  objet.  Dans  la 
suite  de  la  conversation,  M.  de  Thulemeyer  m'a  dit  qu'il  savait  que  le 
roi  de  Prusse  avait  exigé  et  observé  cette  forme  d'acte  vis-à-vis  de  l'An- 
gleterre après  le  froid  qui  a  suivi  leurs  liaisons  intimes.  Il  est  vrai,  m'a 
ajouté  M.  de  Thulemeyer,  que  le  cas  était  différent,  car  le  roi  mon 
maître  se  souciait  peu  de  renouveler  ses  rapports  avec  l'Angleterre,  et 
il  n'a  cédé  sur  cela  qu'aux  plus  pressantes  instances,  au  lieu  qu'il  est 
très  sincèrement  occupé  et  empressé  de  voir  renouer  sa  corrrespondance 
avec  la  France.  J'ai  cru  devoir  plutôt  retirer  de  ce  détail  confiant  et 
poli  la  certitude  que  le  roi  de  Prusse  a  ordonné  à  son  ministre  de 
ne  laisser  échapper  aucune  occasion  de  me  montrer  combien  peu 
il  tient  à  l'Angleterre,  que  d'en  inférer  qu'il  craignait  de  se  trouver 
embarrassé  vis-à-vis  de  la  cour  de  Londres,  s'il  n'observait  pas  avec 
nous  la  même  forme  qu'il  a  suivie  avec  elle  dans  un  cas  pareil.  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  roi  de  Prusse  persiste  dans  le  désir  de  cet  inutile  préli- 
minaire. 

Choiseul  fit  cette  dernière  concession  à  l'amour-propre  de  Fré- 
déric et  l'on  procéda  de  part  et  d'autre  à  la  nomination  définitive 
des  ministres.  Le  comte  de  Gaines  venait  d'arriver  de  Corse,  où  il 
exerçait  un  commandement  dans  l'armée,  et  son  départ  pour  Berlin 
ne  put  s'efîecluer  aussi  rapidement  que  l'eût  souhaité  Mény.  Il  fut 
convenu  qu'il  se  mettrait  en  route  le  même  jour  que  le  baron  de 
Goltz,  et  la  date  du  2  janvier  1769  fut  fixée  d'un  commun  accord. 
Les  deux  envoyés  se  croisèrent  à  la  Haye  le  H.  «  Je  suis  arrivé  ici, 
écrit  le  comte  de  Guines,  à  peu  près  à  la  même  heure  que  M.  de 
Goltz.  Il  compte  y  passer  quelques  jours  et  ne  se  rendra  à  Paris  qu'à 
Rev.  Histor.  XXV.  !«■•  FASC.  G 


82  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

l'époque  de  mon  arrivée  à  Berlin.  »  Tout  était  calculé  pour  que  M.  de 
Goltz  ne  devançât  pas  le  ministre  de  France  et  pour  que  leur  entrée 
dans  les  deux  capitales  eût  lieu  autant  que  possible  le  même  jour. 
Frédéric  tenait  à  cette  coïncidence,  afin  qu'on  ne  pût  reprocher  à  son 
représentant  d'avoir  mis  plus  d'empressement  que  celui  du  roi  de 
France  à  se  rendre  à  destination.  Le  29,  Guines  était  à  Hambourg; 
le  1"  février,  Goltz  entrait  à  Paris;  Guines  n'arriva  à  Berlin  que 
le  2,  à  quatre  heures  du  matin. 

Il  ne  paraît  pas,  toutefois,  que  Frédéric  ait  attaché  aucune  impor- 
tance à  cette  différence  de  quelques  heures  dans  l'arrivée  des  deux 
agents  à  leur  poste,  et,  à  Berlin  comme  à  Versailles,  on  ne  songea 
qu'à  se  féhciter  d'un  rapprochement  désiré  par  les  deux  cours. 

Robert  Hammond. 


DOCUMENTS  SUR  LE  PREMIER  EMPIRE. 

(Suite  et  fin.) 


Napoléon  savait  assez  bien  à  quoi  s'en  tenir  à  l'égard  de  la  Prusse, 
mais  il  croyait  bon  de  l'épargner.  «  Je  ne  ferai  pas  la  guerre  à  la 
Prusse,  dit-il  au  colonel  Krusemarck,  parce  que  j'ai  besoin  de  mes 
troupes  ailleurs  et  que  je  ne  veux  pas  me  brouiller  avec  la  Russie'.  » 
Cependant  l'impossibilité  de  suffire  aux  exigences  des  finances  aggrava 
la  situation  du  gouvernement  prussien  de  jour  en  jour.  L'empereur 
demanda  péremptoirement  le  payement  des  sommes  dues  en  disant  : 
«  Si  le  roi  ne  peut  pas  payer,  il  n'a  qu'à  me  céder  la  Silésie^.  »  Le 
ministère  prussien  n'était  pas  capable  de  découvrir  d'autre  expédient 
qu'une  cession  territoriale.  Dans  cette  crise  terrible,  le  roi  Frédéric- 
Guillaume  voulut  recourir  aux  talents  de  son  ancien  serviteur,  le 
baron  de  Hardenberg,  banni  de  la  cour  par  ordre  de  l'empereur.  Les 
dépèches  du  comte  de  Saint-Marsan  permettent  de  croire  que  l'idée  de 
la  révocation  du  baron  de  Hardenberg  date  déjà  de  l'année  -1809. 
J'ai  trouvé  dans  sa  correspondance  diplomatique  les  notices  qu'on 
va  hre  -. 

1.  Rauke  :  Hardenberg,  l.  c,  p.  142. 

2.  Ranke,  L  c,  p.  145. 


DOCUMEXTS    SUR    LE    PREMIER   EMPIRE.  83 

((  Le  2G  juillet  1809...  Les  bons  Prussiens  et  les  personnes  sensées, 
qui  sont  malheureusement  en  petit  nombre  dans  la  classe  de  celles  qui 
ont  de  l'influence,  gémissent  de  tout  ce  qui  a  été  fait  et  dit...  Ils  pré- 
tendent qu'il  (le  roi)  n'est  pas  satisfait  de  la  composition  de  son  ministère 
actuel,  j"ai  même  lieu  de  croire  qu'on  a  voulu  me  sonder  pour  savoir  si  Sa 
Majesté  l'Empereur  ne  désapprouverait  pas  que  M.  de  Hardenberg  reprît  le 
timon  des  affaires...  » 

«  Le  4  août  1809...  Je  ne  peux  pas  douter  que  Sa  Majesté  le  roi  de 
Prusse  désire  replacer  le  baron  de  Hardenberg  au  ministère.  Elle 
voudrait  le  nommer  président  du  conseil  des  finances  et  il  serait  du  fait 
premier  ministre  ;  mais  ce  projet,  qui  existe  à  l'insu  du  ministère, 
n'aura  lieu  qu'en  tant  que  le  roi  pourrait  croire  que  Sa  Majesté  l'empe- 
reur ne  le  désapprouverait  pas,  et  le  baron  de  Hardenberg,  de  son  côté, 
ne  s'y  prêterait  pas  sans  cette  persuasion...  » 

Le  \  \  novembre  1809,  Saint-Marsan  parle  de  l'aclivité  des  amis  de 
Hardenberg  : 

«  Ils  dirent  (ils  sont  sans  doute  chargés  de  me  dire)  que  cet  ancien 
ministre...  a  dit  à  ses  amis  que,  s'il  reprend  le  timon  des  affaires,  il  ferait 
tous  ses  efforts  pour  obtenir  de  Sa  Majesté  l'empereur  et  roi  d'admettre 
le  roi  de  Prusse  dans  la  confédération  du  Rhin.  » 

Le  U  février  -18^0,  il  rend  compte  d'une  conversation  qu'il  a  eue 
avec  le  roi  : 

...  Sa  Majesté  a  continué  en  disant  :  «  Je  me  trouve  aussi  à  peu  près 
sans  coopérateurs  pour  mon  travail  intérieur,  car  mes  ministres  sont 
en  général  de  très  honnêtes  gens,  mais  de  bons  buralistes  et  rien  de 
plus,  aucun  n'a  des  vues,  aucun  n'a  ni  assez  ma  confiance  ni  celle  du 
public  pour  agir  convenablement  dans  les  moments  actuels  et  pour 
diriger  l'opinion  publique.  Ce  sont  tous  des  gens  nouveaux  pour  les 
affaires  en  grand,  tous  mes  anciens  ministres  sont  hors  d'activité,  les 
uns  par  leur  faute  et  les  autres  par  les  circonstances  qui  ne  permettent 
plus  qu'ils  prennent  part  aux  aflaires.  J'avoue  que  celui  que  je  regrette 
le  plus,  parce  que  je  suis  intimement  convaincu,  malgré  tout  ce  qui 
s'est  passé,  qu'il  est  véritablement  pénétré  de  la  vérité  que  le  seul  inté- 
rêt de  la  Prusse  est  l'union  intime  avec  la  France,  c'est  le  baron  de 
Hardenberg,  c'est  un  homme  d'esprit,  qui  a  la  confiance  générale,  il 
ranimerait  le  crédit  et  aiderait  plus  qu'aucun  autre  à  rétablir  mes 
affaires.  Certainement,  je  ne  penserai  jamais  m'en  servir  de  la  manière 
la  plus  indirecte  tant  que  je  ne  serai  pas  assuré  que  les  impressions 
fâcheuses  que  Sa  Majesté  a  reçues  sur  son  compte  ne  sont  pas  dissipées 
et  lui-même,  je  puis  dire  qu'il  me  fait  crainte  de  me  compromettre. 
Mais  je  vous  serai  très  reconnaissant,  M.  le  comte,  de  faire  connaître  à 
votre  auguste  souverain  ce  que  je  viens  de  vous  en  dire.  J'espère  que 
l'Empereur  n'y  verra  qu'une  marque  d'entière  confiance  ;  je  sais  qu'il  a 
permis  qu'on  donnât  des  passeports  au  baron  de  Hardenberg  pour  les 


84  MÉLANGES   ET   DOCCMEÎVTS. 

pays  occupés  par  les  troupes  françaises,  j'ai  lu  dans  des  journaux  fran- 
çais des  éloges  de  son  administration  dans  les  pays  qui  ont  été  de  son 
département,  et  au  surplus,  si  Sa  Majesté  impériale  s'inclinait  à  appro- 
fondir les  sentiments  du  baron  de  Hardenberg,  je  verrais  avec  le  plus 
grand  plaisir  qu'Elle  lui  permît  d'aller  à  Paris  en  simple  voyageur, 
qu'elle  daignât  l'entendre,  et  ensuite,  si  Elle  l'approuvait,  sans  le  placer 
aux  affaires  étrangères,  je  le  nommerais  président  du  conseil  où  toutes 
les  affaires  se  discutent  et  je  me  croirais  sur  alors  que  la  ligne  de  con- 
duite que  je  me  suis  tracée  serait  exactement  suivie  dans  tous  les 
dicastères...  » 

Je  n'ai  pas  à  raconter,  d'après  les  dépêches  du  comte  de  Saint- 
Marsan,  l'histoire  de  la  révocation  de  Hardenberg  et  des  commence- 
ments de  son  administration  en  1810.  On  y  trouverait  cependant  des 
traits  caractéristiques  qui  compléteraient  le  récit  de  Ranke.  Celui-ci 
a  publié  (/.  c,  p.  157)  un  fragment  de  la  lettre  adressée  par  Harden- 
berg au  comte  de  Saint-Marsan.  Qu'il  me  soit  permis  de  l'insérer 
ici  in  -  extenso  d'après  Toriginal  (sans  signature)  conservé  aux 
archives  des  affaires  étrangères.  Le  comte  rapporte  le  8  mai  18^0  : 

«  ...  M.  de  Hardenberg...  m'a  fait  dire  hier  au  soir  qu'il  aurait  désiré 
m'entretenir  un  moment  et  me  remettre  lui-même  une  lettre  qu'il 
m'écrirait  sur  sa  position  personnelle  ;  je  l'ai  rencontré  dans  une  maison 
hier,  il  m'a  remis  la  petite  note  que  je  joins  ici  en  original  et  sa  com- 
munication n'a  roulé  que  sur  l'objet  qu'elle  contient...  » 

Voici  la  note  de  Hardenberg  du  5  mai  1810  : 

«  Lorsque  vous  eûtes  la  bonté  de  me  donner  mes  passeports,  M.  le 
comte,  j'eus  l'honneur  de  vous  entretenir  sur  les  événements  qui  m'ont 
attiré  le  mécontentement  de  S.  M.  l'Empereur  Napoléon  en  1805,  sur  la 
manière  dont  il  fut  manifesté  lors  du  traité  de  Vienne  et  depuis  lors 
des  négociations  de  Tilsit,  sur  la  conduite  enfin  que  j'ai  cru  de  mon 
devoir  d'adopter  en  conséquence.  Vous  n'ignorez  pas  que  je  me  suis 
tenu  entièrement  à  l'écart  de  tout  ce  qui  concerne  les  affaires  et  qu'à 
l'époque  de  l'arrivée  du  roi,  je  me  suis  éloigné  afin  d'éviter  tout  contact 
et  l'occasion  d'y  être  mêlé.  Maintenant  vous  avez  sans  doute  connais- 
sance aussi  des  discussions  qui  viennent  de  me  forcer  à  quitter  ce  rôle 
entièrement  passif,  le  Roy  m'ayant  demandé,  quoique  je  fusse  absent, 
mon  avis  sur  les  questions  des  finances  et  sur  différents  plans  agités  pour 
satisfaire  à  ses  obligations  vis-à-vis  de  la  France.  Le  moyen  de  m'y 
refuser  sans  blesser  mes  devoirs  envers  mon  souverain  et  les  sentiments 
qui  m'attachent  à  tant  de  titres  à  son  auguste  personne?  Me  voilà  donc 
occupé  à  m'informer  de  tout  pour  pouvoir  donner  mon  avis  avec  con- 
naissance de  cause.  Mais  le  puis-je  sans  craindre  que  cela  ne  fasse  sur 
l'esprit  de  S.  M.  Impériale  une  impression  nuisible?  Je  serais  à  jamais 


DOCCMEIVTS    SUR   LE   PREMIER   EMPIRE.  85 

inconsolable  si  ma  concurrence  pourrait  servir  à  augmenter  les  griefs 
qu'ElIe  a  contre  le  roi,  et  mes  appréhensions  s'accroissent  par  le  silence 
qui  a  suivi  les  ouvertures  que  le  roi  vous  a  chargé  de  faire  de  sa  part 
sur  son  désir  de  me  replacer  à  la  tête  des  affaires,  démarche  faite  entiè- 
rement à  mon  insu  et  que  je  n'ai  apprise  qu'à  mon  retour. 

«  Ces  considérations  étant  de  la  plus  grande  importance,  je  suis  d'autant 
plus  reconnaissant  de  ce  que  vous  avez  bien  voulu  m'accorder  un  entre- 
tien, M.  le  comte.  J'ose  vous  demander  conseil  avec  confiance,  et  per- 
suadé comme  je  le  suis  que  toute  espèce  d'influence  que  je  pourrais 
exercer  dans  les  affaires  n'entraînerait  que  des  malheurs  pour  la  Prusse 
dès  qu'elle  déplairait  à  S.  M.  l'Empereur  et  Roi,  je  vous  prie  de  m'éclai- 
rer,  s'il  vous  est  possible,  sur  cet  objet  et  de  prendre  même  à  la  source 
des  informations,  s'il  en  est  besoin.  Les  intentions  de  S.  M.  Impériale 
et  Royale  régleront  absolument  ma  conduite.  Mon  inclination  me  porte 
vers  le  repos  et  la  retraite,  mais  mon  devoir  m'appelle  à  vouer  mon  exis- 
tence au  Roi  et  à  l'Etat  du  moment  où  je  puis  devenir  utile  dans  la  position 
critique  oii  nous  nous  trouvons.  Il  me  paraît  absolument  impossible 
qu'aucun  homme  sensé  et  bien  pensant,  quelle  qu'ait  été  son  opinion 
antérieure,  puisse  vouloir  faire  adopter  à  la  Prusse  tout  autre  système 
que  celui  de  s'attacher  de  bonne  foi  à  celui  de  l'Empereur  et  de  n'attendre 
son  salut  que  de  lui.  Je  ne  m'étendrai  donc  point  sur  ma  profession  de 
foi  politique,  satisfaire  à  nos  obligations  et  mériter  la  confiance  de  S.  M. 
Impériale  et  Royale  pour  ma  conduite  franche,  loyale  et  conséquente, 
qui  resserrera  les  liens  malheureusement  encore  trop  relâchés  entre  la 
France  et  la  Prusse,  voilà  les  bases  sur  lesquelles  nous  devons  sans 
contredit  rétablir  notre  édifice,  voilà  à  quoi  doivent  tendre  tous  nos 
soins.  Rien  ne  sera  négligé  pour  remplir  nos  engagements,  tous  les 
moyens  imaginables  vont  être  employés  avec  zèle  pour  atteindre  ce  but. 
Le  Roi  se  propose  de  consulter  sur  cet  objet  les  meilleures  tètes  des 
provinces  et  grandes  villes  de  la  monarchie.  Sa  Majesté  voudrait  me 
charger  de  présider  à  cette  convocation  qui  cherchera  dans  nos  dernières 
ressources  les  moyens  de  satisfaire  S.  M.  Impériale  et  Royale,  et 
dont  les  membres,  de  retour  chez  eux,  faciliteront,  en  opérant  sur 
l'opinion  publique,  les  sacrifices  qu'exige  l'acquittement  de  notre  dette 
à  la  France. 

«  Mais  oserai-je  me  charger  même  de  ce  rôle  sans  agir  contre  les  inten- 
tions de  l'Empereur  ?  Ce  ne  sera  qu'après  en  avoir  acquis  la  certitude 
que  je  pourrai  m'y  vouer  avec  l'espoir  de  faire  au  moins  quelque  chose 
pour  le  système  salutaire  dont  je  viens  parler,  quoique  sans  doute  je 
répondrais  bien  mieux  du  succès  si  le  roi  pourrait  me  remettre  publi- 
quement à  la  tête  des  affaires  en  me  munissant  de  l'autorité  nécessaire. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  observer  à  un  homme  aussi  éclairé  que  vous, 
M.  le  comte,  la  grande  différence  qu'il  y  a  d'un  conseil  donné  ou  d'une 
concurrence  pour  tel  ou  tel  objet,  à  la  faculté  de  tenir  constamment  la 
main  et  de  veiller  à  l'exécution  scrupuleuse  et  conséquente  d'un  système 
adopté.  Je  n'ai  pas  besoin  de  détailler  les  inconvénients  qui  doivent 


80  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

naître  d'une  influence  sans  responsabilité  publique  et  sans  pouvoir  qui, 
en  même  temps,  rendrait  ma  position  infiniment  pénible. 

«  Que  S.  M.  Impériale  daigne  [se]  prononcer  sur  la  part  que  je  pourrai 
prendre  aux  affaires.  Ce  sera  donner  au  roi  une  preuve  essentielle  du 
retour  de  sa  conliance  et  de  ses  bontés  !  Il  se  conformera  aux  hautes 
intentions  de  l'Empereur  et  d'après  celles-ci,  ou  bien  je  me  renfermerai 
dans  la  retraite  ou  je  travaillerai  avec  ardeur  à  rétablir  sur  des  fonde- 
ments solides  ce  système  dont  dépendent  la  guérison  des  profondes 
playes  de  la  Prusse  et  son  existence  future.  » 

La  décision  de  l'empereur  ne  se  fit  pas  attendre.  Le  comte  de  Saint- 
Marsan  reçut  l'instruction  suivante  : 

«  Sa  Majesté  vous  laisse  la  faculté  d'approuver  la  rentrée  de  M.  le 
baron  de  Hardcnberg  au  ministère  si,  après  avoir  mûrement  examiné 
la  position  actuelle  des  choses,  vous  jugez  que  la  présence  de  ce  minis- 
tère dans  les  conseils  du  roi  puisse  être  utile  aux  intérêts  de  l'Empire.  » 

Hardenberg  rentra  au  ministère  et  il  se  hâta  de  faire  parvenir  à 
l'empereur  une  lettre  conservée  en  original  aux  archives  des  affaires 
étrangères  : 

«  Sire, 

«  Votre  Majesté  Impériale  et  Royale  a  honoré  ma  rentrée  au  service  du 
Roi,  mon  auguste  souverain,  de  son  approbation.  Qu'elle  daigne  rece- 
voir avec  bonté  l'hommage  respectueux  du  sentiment  que  j'en  éprouve  ! 
Intimement  convaincu  que  la  Prusse  ne  peut  être  régénérée  et  n'assurer 
son  intégrité  et  son  bonheur  futur  qu'en  suivant  loyalement  votre  sys- 
tème, Sire,  heureux  de  ne  remplir  les  intentions  du  Roi  qu'en  m'appli- 
quant  de  tous  mes  moyens  à  gérer  les  affaires  dans  ce  sens,  ce  sera  pour 
moi  le  comble  de  la  gloire  de  mériter  par  là  le  suffrage  de  Votre  Majesté 
Impériale  et  Royale  et  sa  haute  confiance. 

«  Je  suis,  avec  le  plus  profond  respect  de  Votre  Majesté  Impériale  et 
Royale,  le  plus  humble  et  le  plus  obéissant  serviteur, 

«  Le  baron  de  Hardenberg, 
«  Chancelier  d'État  de  Sa  Majesté  le  Roi  de  Prusse. 

«  A  Berlin,  le  7^  de  juin  1810.  » 

Il  serait  superflu,  après  tout  ce  que  Duncker  et  Ranke  en  ont  dit, 
de  suivre  ici  les  péripéties  de  la  poUlique  extérieure  de  la  Prusse, 
depuis  le  moment  de  la  rentrée  du  baron  de  Hardenberg  jusqu'à  la 
conclusion  du  traité  du  24  février  -1812.  Je  me  borne  à  détacher  des 
très  nombreux  documents  conservés  aux  archives  des  affaires  étran- 
gères, à  Paris,  les  trois  suivants  qui  me  semblent  offrir  un  intérêt 
particulier  : 


DOCUMENTS   SDR    LE    PREMIER   EMPIRE.  87 

Instructions  générales  pour  M.  le  comte  de  Saint-Marsan. 

(Minute.) 

2-2  octobre  1811. 

Lorsqu'à  Tilsitt  Sa  Majesté  rendit  à  la  Prusse  ses  États  et  presque 
toutes  ses  places,  Elle  fut  déterminée  par  cette  considération  que, 
déchue  désormais  et  pour  toujours  du  rang  de  puissance  de  premier 
ordre,  la  Prusse  n'aurait  à  l'avenir  d'autres  intérêts  que  ceux  de  la 
France,  ne  se  bercerait  plus  d'espérances  qui  ne  devaient  se  réaliser 
jamais  et  substituerait  aux  illusions  de  la  grandeur  et  à  l'orgueil  des 
grandes  armées  le  désir  de  rendre  son  peuple  heureux  et  de  jouir,  à  la 
tête  des  monarchies  de  second  ordre,  de  la  sécurité  et  de  l'indépendance 
que  lui  assurerait  une  politique  sage,  sans  ambition  et  conforme  à  ses 
nouvelles  destinées. 

Tel  paraissait  être,  en  effet,  depuis  quelques  années,  le  système  de  la 
Prusse.  Nous  l'avons  vue  exclusivement  livrée  aux  soins  de  son  gouver- 
nement intérieur,  chercher  avec  persévérance  à  fonder  la  prospérité 
publique  sur  le  crédit,  l'ordre  et  l'économie,  et  n'ambitionner  que  ces 
conquêtes  paisibles  que  les  États  secondaires  peuvent  entreprendre  avec 
succès  et  sans  danger,  parce  qu'elles  n'excitent  ni  jalousie  ni  haine  et 
qui  sont  le  fruit  assuré  d'une  bonne  administration. 

Elle  n'avait  point  à  craindre  d'être  détournée  par  la  France  d'un  but 
si  digne  de  l'approbation  de  Sa  Majesté. 

Les  incertitudes  qui  se  sont  élevées  tout  à  coup  sur  le  maintien  de 
la  paix  du  continent  l'ont  conduite  à  reporter  ses  regards  sur  sa  situa- 
tion politique.  Placée  entre  deux  grands  empires  qui  réunissaient  de 
nombreuses  armées  à  la  proximité  de  ses  frontières,  elle  a  senti  qu'elle 
ne  pouvait  conserver  son  existence  qu'en  cherchant  dans  l'alliance  de 
l'une  de  ces  puissances  la  garantie  et  la  protection  qu'elle  ne  trouvait 
pas  en  elle-même. 

Elle  a  alors  tourné  ses  espérances  vers  la  France  :  Sa  Majesté,  dis- 
posée à  se  rendre  à  ses  vœux,  autorise  son  ministre  plénipotentiaire 
près  la  cour  de  Berlin  à  entrer  à  cet  effet  en  négociation. 

Cette  négociation  aura-t-elle  pour  objet  l'accession  de  la  Prusse  à  la 
confédération  du  Rhin  ou  la  conclusion  d'une  alliance  offensive  et 
défensive  ? 

Cette  question  est  la  première  qui  se  présente  à  l'examen. 

L'accession  de  la  Prusse  à  la  confédération  du  Rhin  la  mettrait,  à 
l'égard  de  la  France,  dans  des  relations  parfaitement  d'accord  avec  sa 
situation  réelle.  Elle  serait  ainsi  naturellement  placée  dans  la  catégorie 
des  puissances  secondaires  qui  trouvent  dans  la  protection  de  la  France 
le  complément  de  force  dont  elles  ont  besoin  pour  maintenir  leur  indé- 
pendance contre  les  efforts  des  puissances  du  premier  ordre  qui  pour- 
raient la  menacer.  Son  existence  serait  garantie  par  le  lien  fédéral  qui, 
en  imposant  à  la  France  les  obligations  de  puissance  protectrice,  lui 


$8  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

donnerait  en  même  temps  le  droit  d'intervenir  dans  les  affaires  inté- 
rieures de  la  Prusse,  droit  que  Sa  Majesté  n'a  pas  voulu  exercer  jusqu'à 
ce  jour,  mais  qui  n'en  tient  pas  moins  à  l'essence  de  la  confédération 
même.  On  croit  avoir  lieu  de  penser  que  cette  manière  de  s'unir  étroi- 
tement à  la  France  n'est  pas  étrangère  aux  désirs  de  la  Prusse,  et  cet 
objet  est  le  premier  sur  lequel  il  y  a  lieu  de  s'entendre  dans  la  négo- 
ciation à  ouvrir. 

Mais,  soit  que  l'alliance  entre  la  Prusse  et  la  France  doive  résulter 
d'un  acte  d'accession  à  la  confédération  ou  d'un  traité  d'alliance  offen- 
sive et  défensive  qui  produirait  les  mêmes  effets  pour  la  Prusse,  sans 
donner  à  l'empereur  le  droit  de  se  mêler  de  ses  affaires  intérieures, 
l'alliance,  sous  quelque  forme  qu'elle  existe,  serait-elle  dans  l'intérêt  de 
la  France  ?  serait-elle  dans  l'intérêt  de  la  Prusse  ?  L'examen  de  cette 
double  question  est  essentiel,  puisqu'il  ne  peut  y  avoir  d'engagements 
durables  entre  deux  États  que  lorsqu'ils  sont  cimentés  par  des  intérêts 
réciproques. 

La  France,  dans  l'état  actuel  de  sa  puissance,  de  ses  relations  poli- 
tiques, de  l'établissement  de  ses  forces  militaires,  est  bien  loin  sans  doute 
d'attacher  à  l'alliance  un  intérêt  de  môme  nature  que  celui  de  la  Prusse, 
qui  est  un  intérêt  de  conservation.  La  question  serait  donc  posée  d'une 
manière  plus  exacte  relativement  à  la  France  si  elle  l'était  dans  ces 
termes  :  «  La  France  a-t-elle  intérêt  à  ne  point  s'engager  dans  une 
«  alliance  dont  le  principal  but  serait  d'assurer  et  de  garantir  l'exis- 
«  tence  de  la  Prusse?  » 

La  France  n'a  aucun  intérêt  à  ce  qu'une  autre  maison  que  celle  de 
Ilobenzollern  règne  en  Prusse,  si  celle-ci  prend  avec  sincérité  pour 
base  de  son  système  politique  de  ne  rien  faire  qui  soit  contraire  à  la 
France.  S'il  en  était  autrement,  la  France  n'aurait  aucun  motif  pour 
s'allier  avec  la  maison  d'HohenzoUern  et  cette  alliance  serait  sans 
garantie  pour  la  Prusse,  puisque  la  France,  qui  l'aurait  contractée  sans 
intérêt,  n'aurait  point  d'intérêt  à  la  maintenir. 

Si,  au  contraire,  les  ports  de  la  Prusse  sont  fermés,  si  le  système 
continental  y  est  établi,  observé  comme  en  France,  si  l'alliance  a  pour 
la  France,  en  cas  de  guerre  avec  l'Angleterre,  le  même  résultat  que  si 
les  côtes  de  la  Prusse  lui  appartenaient,  la  France  n'aura  aucune  raison 
pour  désirer  que  ces  côtes  n'appartiennent  pas  à  la  maison  de  Hohen- 
zoUern. 

Si,  en  cas  de  guerre  contre  une  puissance  du  continent,  les  armées 
françaises  peuvent  traverser  les  états  de  la  Prusse  avec  une  entière 
sécurité,  si  elles  y  trouvent  pour  leurs  opérations,  pour  leur  subsistance 
des  ressources  dont  on  n'userait  toutefois  qu'avec  ménagement,  si  le 
système  solidement  établi  en  Prusse  offre  à  la  France  les  mômes 
résultats  que  si  le  pays  lui  appartenait,  elle  n'aura  aucune  raison  pour 
désirer  que  le  pays  n'appartienne  pas  à  la  maison  de  HohenzoUern. 
Elle  aura,  au  contraire,  intérêt  à  ce  que  la  monarchie  prussienne 
soit  maintenue  telle  qu'elle  existe  et  à  s'engager  daTis  une  alliance 


DOCUMENTS    SUR   LE    PREMIER    EMPIRE.  <S9 

dont  le  principal  but  serait  d'assurer  et  do  garantir  l'existence  de  la 
Prusse. 

Voyons  maintenant  quel  sera  l'intérêt  de  la  Prusse. 

Lorsque  la  France  aura  la  guerre  avec  l'Angleterre,  l'intérêt  de  la 
Prusse  sera  de  rester  neutre  et  même  d'être  amie  avec  l'Angleterre. 

En  cas  de  guerre  entre  la  France  et  la  Russie,  la  Prusse  aura  intérêt 
à  rester  neutre  et  à  ce  que  son  territoire  soit  inviolable. 

Dans  ces  deux  suppositions,  la  Prusse  a  donc  un  intérêt  opposé  à  une 
alliance  offensive  contre  l'Angleterre  et  la  Russie. 

Mais  ni  dans  l'une  ni  dans  l'autre  de  ces  deux  suppositions  elle  ne 
peut  agir  selon  le  sens  de  son  intérêt  absolu  :  elle  ne  peut  rester 
neutre. 

Si  la  France  a  la  guerre  avec  l'Angleterre,  le  système  continental  doit 
être  établi  sur  les  ports  et  sur  les  côtes  de  la  Prusse  par  la  Prusse  ou 
par  la  France. 

Si  la  guerre  a  lieu  entre  la  France  et  la  Russie,  la  situation  du  terri- 
toire de  la  Prusse  est  telle  qu'elle  ne  peut  éviter  d'y  prendre  part.  Les 
deux  armées  ne  peuvent  s'atteindre  que  sur  son  territoire  ou  après 
l'avoir  traversé.  Elle  ne  tenterait  pas  d'arrêter  la  marche  de  toutes  les 
deux,  elle  ne  pourrait  s'opposer  à  l'une  qu'en  s'unissant  à  l'autre.  La 
Saxe,  la  Poméranie,  le  Mecklembourg,  le  duché  de  Varsovie,  le  pays 
de  Danzig  la  laissent  sans  frontière.  Il  lui  est  impossible  de  se  défendre 
en  deçà  ou  au-delà  de  l'Oder,  et  même  en  deçà  ou  au-delà  de  la  Yis- 
tule,  sans  appeler  un  secours  auxiliaire. 

La  question  n'est  donc  pas  de  savoir  si  la  Prusse  doit  vouloir  rester 
neutre,  ce  serait  son  intérêt,  mais  si,  ne  pouvant  rester  neutre,  elle 
prendra  parti  pour  la  France  ou  pour  la  Russie. 

Or,  cette  question  ne  parait  pas  douteuse  au  ministère  de  Berlin  ; 
elle  ne  l'est  pas  même  pour  la  Russie,  elle  ne  peut  l'être  pour  aucune 
puissance. 

En  effet,  au  premier  coup  de  canon,  si  la  Prusse  est  l'alliée  de  la 
Russie,  ou  l'armée  prussienne  doit  passer  la  Vistule,  laissant  des  corps 
isolés  à  Colberg  et  en  Silésie,  et  abandonnant  dès  lors  les  cinq  "sixièmes 
de  la  monarchie  à  la  France,  ou  elle  doit  appeler  une  armée  russe  au 
camp  de  Spandau  et  fixer  le  théâtre  de  la  guerre  aux  portes  de  la 
capitale. 

L'abandon  des  cinq  sixièmes  de  la  monarchie  sans  combat  serait  sans 
doute  un  immense  malheur.  Mais  tenter  la  lutte  pour  défendre  Berlin 
serait  un  malheur  plus  grand,  et  cette  dernière  supposition,  l'opinion 
de  la  Prusse  même  la  repousse.  Elle  ne  repousserait  pas  la  première 
avec  moins  d'effroi.  Les  peuples  humiliés  et  mécontents  méconnaî- 
traient un  gouvernement  qui  les  aui'ait  sacrifiés  à  son  imprévoyance 
ou  à  ses  passions.  Ils  l'accuseraient  d'ingratitude,  et,  se  voyant  après 
quatre  ans  exposés  aux  mêmes  désastres,  tous  leurs  liens  avec  lui 
seraient  rompus,  et  la  France  obtiendrait  de  la  fausse  politique  de  la 


90  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

Prusse  le  résultat  immense  de  ne  plus  compter  d'ennemis  entre  la  Vis- 
tule  et  le  Rhin. 

Il  n'est  donc  pas  de  l'intérêt  de  la  Prusse  de  s'unir,  en  cas  de  guerre, 
à  la  Russie.  Nous  disons  plus,  il  n'est  pas  même  de  l'intérêt  soit  poli- 
tique, soit  militaire  de  la  Russie  de  faire  cause  commune  avec  la 
Prusse.  Sous  le  point  de  vue  politique,  la  Prusse  est  un  état  intermé- 
diaire dont  l'existence  et  la  conservation  importent  essentiellement  aux 
intérêts  à  venir  de  la  Russie.  Cette  vérité  n'a  besoin  que  d'être  exprimée 
pour  être  démontrée.  Or,  rien  ne  pourrait  compromettre  davantage 
l'existence  de  la  Prusse  que  son  alliance  avec  la  Russie.  Sous  le  point 
militaire,  la  Russie,  engagée  par  une  alliance  à  faire  entrer  dans  ses 
combinaisons  les  intérêts  de  son  allié,  ne  pourrait  se  dispenser  de  com- 
prendre le  territoire  de  la  Prusse  dans  son  système  de  guerre.  Or,  il 
n'est  aucun  militaire  en  Europe  qui  ne  soit  persuadé  que,  la  France 
disposant  de  Dantzig  et  du  duché  de  Varsovie,  la  Russie  seule  se 
trouvera  plus  forte  sur  un  champ  de  bataille  derrière  le  Niémen, 
qu'elle  ne  le  serait  sur  la  gauche  de  l'Oder  réunie  aux  troupes  prus- 
siennes. 

Après  avoir  ainsi  établi  que  la  Prusse  a  intérêt  à  s'allier  avec  la 
France  et  que  la  France  n'a  point  d'intérêt  contraire  à  cette  alliance,  il 
reste  à  examiner  quels  avantages  la  France  pourrait  en  retirer  dans  le 
cas  très  hypothétique  où  la  guerre  viendrait  à  éclater  entre  elle  et  la 
Russie. 

L'alliance  de  la  Prusse  avec  la  France  est  utile  à  la  France  si  la 
Prusse  est  sincère  et  si,  dans  la  supposition  de  la  guerre,  elle  assure 
à  la  France  le  concours  et  les  avantages  d'un  pays  ami  et  d'un  allié 
fidèle. 

La  Prusse  fournira  20,000  hommes  et  son  alliance  dispensera  la 
France  de  laisser  20,000  hommes  en  Silésie  :  15,000  sur  Golberg  et 
5,000  sur  Graudentz.  A  la  vérité,  20,000  Prussiens  ne  vaudraient  que 
10,000  Saxons.  Ils  auront  autant  de  discipline,  de  courage  et  d'honneur, 
mais  on  ne  peut  espérer  que,  dès  la  première  campagne,  ils  soient  animés 
du  même  esprit.  Les  40,000  hommes  qu'il  aurait  fallu  laisser  en  Silésie 
et  devant  les  places  ne  seraient  pas  du  nombre  de  ceux  sur  lesquels  la 
force  de  l'armée  française  est  fondée  et  que  l'empereur  mettrait  en 
ligne  contre  les  Russes.  Enfin  la  confiance  ne  sera  pas  telle  qu'on  ne 
soit  obligé,  pendant  quelcjne  temps,  d'avoir  un  corps  sur  l'Elbe  pour 
observer  les  corps  prussiens  qui  seront  restés  devant  Golberg  et  en 
Silésie  ;  cette  partie  des  avantages  de  l'alliance  est  affaiblie  sans  doute 
par  ces  considérations,  mais  elle  offrira  toujours  à  la  France  une  aug- 
mentation de  force  réelle  qui  mérite  d'être  mise  en  ligne  de  compte. 

Ge  n'est  pas  que  l'alliance  avec  la  Prusse  n'ait  aussi  ses  désavan- 
tages. On  renoncerait,  en  cas  de  guerre,  aux  immenses  ressources  que 
la  Silésie  pourrait  offrir  à  l'armée  et  la  France  laisserait  échapper  l'oc- 
casion d'organiser  pour  jamais  un  état  ami,  fidèle  et  allié  nécessaire 
sur  le  territoire  dont  elle  deviendrait  maîtresse  et  sur  les  ruines  d'une 


DOCUMENTS   SDR   LE   PREMIER   EMPIRE.  91 

monarchie  qui  s'est  montrée  si  fréquemment  disposée  à  faire  cause 
commune  avec  nos  principaux  ennemis. 

Cette  comparaison  des  avantages  et  des  désavantages  de  l'alliance  ne 
laisse  pas  l'esprit  sans  incertitude. 

Cependant,  après  de  profondes  réflexions,  on  croit  pouvoir  regarder 
comme  constant  : 

\°  Qu'il  serait  de  l'intérêt  de  la  Prusse  d'être  neutre,  mais  qu'elle  ne 
peut  pas  l'être  ; 

2"  Que,  se  trouvant  dans  la  nécessité  de  s'allier  à  une  puissance, 
elle  doit  s'allier  plutôt  à  la  France  qu'à  la  Russie; 

3°  Que,  quant  à  la  France,  les  avantages  et  les  désavantages  de  l'alliance 
sont  balancés,  mais  que,  cependant,  la  balance  des  avantages  peut  pen- 
cher du  côté  de  l'alliance  si  la  Prusse  agit  avec  confiance,  avec  sincé- 
rité, avec  abandon  ;  si  elle  n'a  en  Silésie  et  devant  Colberg  que  le 
nombre  de  forces  strictement  nécessaire  pour  ne  donner  aucune  inquié- 
tude à  la  France  et  si  elle  remplit  les  deux  objets  importants  de  placer 
ses  côtes  et  son  territoire  dans  la  même  situation  que  s'ils  apparte- 
naient à  la  France.  Une  alliance  qui  ne  garantirait  pas  ces  résultats 
dans  toute  l'étendue  dont  ils  sont  susceptibles  serait  inutile,  dange- 
reuse, contraire  aux  intérêts  de  la  France  et  ne  pourrait  être  conclue. 

A  mesure  que  les  nuances  se  fortifient  ou  s'aflaiblissent  dans  l'un  ou 
l'autre  sens,  la  balance  change  à  l'avantage  ou  au  désavantage  de 
l'alliance.  Si  par  exemple  l'alliance  avait  lieu  sans  que  la  France  eût 
les  places  de  l'Oder;  si  les  armées  françaises  ne  pouvaient  passer  à 
Berlin  et  étaient  obligées  de  marcher  par  des  détours;  si  les  réquisi- 
tions ne  devaient  être  faites  que  par  les  autorités  prussiennes  qui  pour- 
raient compromettre  le  salut  de  l'armée  dans  des  moments  importants; 
si  les  commandants  français,  sur  les  lignes  d'opération,  devaient  avoir 
sur  leurs  derrières  des  corps  plus  forts  que  les  corps  français,  il  devien- 
drait alors  certain  qu'il  serait  plus  avantageux  à  la  France  d'avoir  la 
Prusse  pour  ennemie  dans  une  guerre  contre  la  Russie  que  de  l'avoir 
pour  alliée  à  de  telles  conditions,  car  il  n'y  a  qu'un  imprudent  comme 
Belle-Isle  qui  puisse  s'aventurer  dans  un  pays  sans  en  occuper  les  for- 
teresses et  sous  la  garantie  d'une  puissance  étrangère. 

Mais  les  places  de  l'Oder  sont  dans  nos  mains  et  cette  difficulté 
n'existe  point.  Graudentz  est  effacé  par  Modlin  et  surtout  par  Dantzig 
et  il  est  indifférent  à  la  France  que  la  Prusse  remette  cette  place  ou  la 
conserve.  Ainsi  l'occupation  des  places  de  l'Oder,  qui  paraissait  si 
calamiteuse  à  la  Prusse,  est  pour  elle  une  circonstance  de  salut,  car  il 
faudrait  qu'elle  les  remit  pour  première  condition  de  l'alliance  ou 
qu'elle  souscrivît  sa  ruine  en  se  décidant  à  la  guerre. 

Une  alliance  avec  la  Prusse  n'est  donc  favorable  pour  la  France 
qu'autant  que  la  possession  des  places  de  l'Oder  donne  une  entière 
sécurité  sur  les  lignes  d'opération,  qu'à  l'exception  de  la  Silésie  et  de 
Colberg,  il  n'y  a  dans  tout  le  pays  d'autres  troupes  que  les  milices  et 
que  les  gouverneurs  ont  pour  instruction  de  faire  tout  ce  qui  est  néces- 


92  MELANGES   ET   DOCDMENTS. 

saire  pour  faciliter  les  opérations  de  l'armée.  Avec  ces  conditions,  les 
inconvénients  de  l'alliance  disparaissent,  elle  concilie  tous  les  intérêts 
et  elle  peut  produire  tous  les  avantages  dont  elle  est  susceptible.  C'est 
cette  alliance  que  Sa  Majesté  autorise  à  négocier  et  à  conclure. 

La  Prusse  étant  alliée  de  la  France,  ce  qui  est  dans  l'intérêt  de  la 
France  est  dans  l'intérêt  de  la  Prusse.  Si  les  corps  de  Silésie  et  de  Col- 
berg  sont  peu  nombreux,  si  tout  seconde  l'empereur,  il  arrivera  avec 
toutes  ses  forces  et  comme  un  torrent  sur  le  Niémen.  La  lutte  sera 
bientôt  décidée,  la  Prusse  n'aura  supporté  qu'un  fardeau  passager  et  le 
poids  de  la  guerre  pèsera  tout  entier  sur  le  pays  conquis. 

Si,  au  contraire,  la  France  est  obligée  de  laisser  de  gros  corps  pour 
observer  la  Silésie  et  Colberg,  l'empereur  ne  fera  qu'en  deux  ou  trois 
campagnes  ce  qu'il  peut  faire  en  une  .«eule,  et  la  prolongation  de  la 
guerre  sera  toute  au  détriment  de  la  Prusse. 

La  Prusse  doit  avoir  confiance  en  l'empereur,  qui  lui  a  déjà  restitué 
ses  provinces,  mais  il  ne  serait  pas  raisonnable  d'exiger  de  l'empereur 
la  même  confiance  en  la  Prusse  et  de  vouloir  qu'il  fût  assez  imprudent 
pour  laisser  entre  ses  frontières  et  son  armée  des  centaines  de  lieues 
d'un  pays  dont  la  conduite  ne  lui  serait  pas  solidement  garantie.  Il  ne 
demandera  point  ce  que  ferait  la  Prusse  si  elle  se  trouvait  dans  la 
même  position  qu'en  1740,  mais  il  demande  que,  pour  son  propre 
intérêt,  la  Prusse  évite  tout  ce  qui  pourrait  laisser  sur  ses  sentiments 
la  plus  légère  incertitude. 

Sa  Majesté  aurait  pu  détruire  la  Prusse,  elle  ne  l'a  pas  voulu.  Elle 
n'a  pas  intérêt  à  le  vouloir,  si  la  Prusse  ne  sort  pas  de  sa  position 
naturelle.  Enfin,  elle  ne  le  veut  point  parce  qu'elle  veut  former  un 
système  qui  mette  la  Prusse  au  premier  rang  des  puissances  de  second 
ordre.  Les  avantages  de  ce  système  lui  sont  démontrés,  et  c'est  pour 
les  obtenir  que  Sa  Majesté,  fermant  les  yeux  sur  toute  autre  considé- 
ration, consent  à  l'alliance  que  la  Prusse  a  désirée. 

La  Prusse  veut-elle  être  puissance  de  premier  ordre?  Qu'elle  fasse  la 
guerre,  si  la  guerre  lui  offre  une  seule  cbance  pour  parvenir  à  son  but! 

Yeut-elle,  dans  l'attitude  d'une  puissance  de  second  ordre,  attendre 
les  avantages  que  peuvent  lui  procurer  les  vicissitudes  des  choses 
humaines?  Qu'elle  soit  calme  et  sincère  et  qu'elle  se  persuade  bien  que 
si,  contre  toutes  les  espérances  qu'il  est  permis  de  concevoir,  la  guerre 
se  déclarait  en  effet  entre  la  France  et  la  Russie,  les  circonstances 
deviendraient  tellement  fortes  qu'une  seule  démarche  équivoque  de  la 
part  de  la  Prusse  donnerait  à  la  question  un  tout  autre  aspect.  Elle 
pourrait  forcer  la  France,  pour  son  propre  intérêt  et  pour  le  salut  de  la 
guerre,  à  faire  ce  qu'elle  n'a  pas  fait  et  que,  dans  la  situation  des 
choses  telles  qu'elles  doivent  être,  elle  n'aura  jamais  ni  l'intérêt  ni  la 
volonté  de  faire. 


DOCUMENTS   SUR   LE    PREMIER   EMPIRE.  93 

Instructions  particulières  pour  M.  le  comte  de  Saint-Marsan. 

(Minute.) 

22  octobre  1811. 

Les  relations  politiques  actuelles  de  la  France  et  de  la  Prusse  sont 
établies  par  le  traité  de  Tilsitt  et  la  convention  de  Paris. 

Traité  de  Tilsitt  (9  juillet  1807). 

Art.  27.  «  Jusqu'au  jour  de  l'échange  des  ratifications  du  futur  traité 
«  de  paix  définitive  entre  la  France  et  l'Angleterre,  tous  les  pays  de  la 
«  domination  de  S,  M.  le  Roi  de  Prusse  seront,  sans  exception,  fermés 
«  à  la  navigation  et  au  commerce  des  Anglais.  » 

«  Aucune  expédition  ne  pourra  être  faite  des  ports  prussiens  pour  les 
«  ports  britanniques,  ni  aucun  bâtiment  venant  de  l'Angleterre  ou  de  ses 
«  colonies  être  reçu  dans  les  dits  ports.  » 

(Articles  secrets.)  Art.  2.  «  Sa  Majesté  le  roi  de  Prusse  s'engage  à 
«  faire  cause  commune  avec  la  France  contre  l'Angleterre,  si,  au  premier 
«  décembre,  l'Angleterre  n'a  point  consenti  à  conclure  la  paix  à  des 
«  conditions  réciproquement  honorables  pour  les  deux  nations  et  con~ 
«  formes  aux  vrais  principes  du  droit  maritime,  et  alors  il  sera  fait 
«  une  convention  spéciale  pour  régler  l'exécution  de  la  stipulation  ci- 
«  dessus.  » 

Convention  de  Paris  (8  septembre  1808). 

Art.  15.  «  Sa  Majesté  l'Empereur  et  Roi  garantit  à  Sa  Majesté  le  roi 
«  de  Prusse  l'intégrité  de  son  territoire  moyennant  que  Sa  Majesté  le 
«  Roi  de  Prusse  reste  le  fidèle  allié  de  la  France.  » 

(Art^s  secrets.)  Art.  5.  «  En  retour  de  la  garantie  stipulée  dans  le 
«  traité  de  ce  jour  et  comme  condition  de  l'alliance  contractée  avec  la 
«  France,  Sa  Majesté  le  Roi  de  Prusse  promet  de  faire  cause  commune 
«  avec  Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français,  si  la  guerre  vient  à  se 
«  déclarer  entre  lui  et  l'Autriche,  et,  dans  ce  cas,  de  mettre  à  sa  dispo- 
«  sition  une  division  de  seize  mille  hommes,  tant  infanterie  que  cava- 
«  lerie  et  artillerie.  » 

La  convention  spéciale  mentionnée  par  le  2°  article  secret  du  traité 
de  Tilsitt  n'a  pas  été  conclue. 

Par  un  acte  du  1<=''  décembre  1807,  le  roi  de  Prusse  a  déclaré  «  que, 
«  jusqu'au  terme  d'un  accommodement  général  et  du  rétablissement  de  la 
«  paix  définitive  entre  les  puissances  belligérantes,  il  n'y  aura  plus 
«  aucun  rapport  entre  la  Prusse  et  l'Angleterre.  » 

Il  résulte  de  ces  dispositions  ci-dessus  : 

1°  Que  le  roi  de  Prusse  est  déjà  engagé  à  se  conformer  au  système 
continental  ; 

2°  Que  l'intégrité  de  ses  États  est  déjà  garantie  ; 
3°  Que  les  deux  puissances  se  trouvent  déjà  en  état  d'alliance. 
Mais  la  convention  spéciale  qui  devait  régler  la  manière  dont  la 
Prusse  ferait  cause  commune  avec  la  France  contre  l'AuKleterrc  n'a 


91  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

point  encore  été  conclue  et  le  cas  de  l'alliance  qui  résulte  de  la  convention 
du  8  septembre  1808  n'existe  plus. 

C'est  dans  cette  situation  de  choses  que  le  roi  de  Prusse  a  témoigné 
le  désir  de  resserrer  d'une  manière  plus  étroite  et  plus  générale  ses  liens 
avec  la  France  *.  Il  a  proposé  une  alliance  offensive  et  défensive  pour 
toutes  les  guerres  qui  ne  seraient  pas  étrangères  aux  intérêts  de  sa 
monarchie  et  où  la  France  se  trouverait  engagée  soit  en  Allemagne, 
soit  sur  les  confins  de  la  Prusse,  et  il  a  présenté,  comme  pouvant  former 
les  conventions  de  cette  alliance,  les  propositions  suivantes  : 

1°  L'intégrité  de  l'état  actuel  des  possessions  prussiennes  serait 
garantie  ; 

2''  Sa  Majesté  assurerait  à  la  Prusse  l'assistance  et  les  secours  néces- 
saires toutes  les  fois  qu'ils  seraient  réclamés  ; 

3°  Elle  ferait  entrer  dans  l'alliance  les  membres  de  la  Confédération  du 
Rhin  et  le  duché  de  Varsovie  ; 

k"  La  Prusse  fournirait  un  corps  de  troupes  auxiliaires  dont  la  force 
serait  convenue  ; 

5°  Les  troupes  seraient  sous  le  commandement  et  les  ordres  d'un  offi- 
cier supérieur  de  leur  nation  et  sous  les  ordres  immédiats  du  comman- 
dant en  chef  de  l'armée  alliée  ; 

6°  Les  troupes  françaises  qui  traverseraient  la  Prusse  marcheraient 
par  les  routes  militaires  stipulées  conformément  aux  conventions 
existantes  ; 

7°  Sa  Majesté  Impériale  aurait  égard  à  la  réclamation  de  la  restitu- 
tion de  Glogau  qui,  aux  termes  des  traités,  est  en  ce  moment  dans  le 
cas  d'être  évacue  ; 

8"  Pour  la  mise  sur  pied  du  corps  auxiliaire,  Sa  Majesté  accorderait 
au  roi  de  Prusse  une  remise  proportionnée  de  la  contribution,  et  sa 
cessation  entière  dés  que  la  guerre  éclaterait  en  effet. 

9»  L'article  de  la  convention  du  8  septembre  1808,  qui  empêche 
l'augmentation  de  l'armée  prussienne,  serait  révoqué. 

10°  L'Empereur  consentirait  à  ce  qu'une  partie  de  la  Silésie  voisine 
des  États  autrichiens  fût  déclarée  neutre,  pour  servir,  en  cas  de  néces- 
sité, d'asile  au  roi  de  Prusse  et  à  sa  famille.  Sa  Majesté  s'emploierait  à 
cet  effet  partout  où  il  serait  besoin. 

11"  Quant  à  la  participation  de  la  Prusse  aux  avantages  qui  résulte- 
raient de  la  guerre,  en  cas  de  succès,  le  Roi  s'en  remet  à  la  justice  et  à 
l'amitié  de  l'Empereur. 

Sa  Majesté  est  disposée  à  accéder  aux  vœux  du  roi  de  Prusse  pour 
l'alliance  ;  mais  elle  envisage  la  question  sous  un  rapport  plus  étendu, 
et  elle  juge  convenable  que  la  négociation  à  intervenir  renouvelle,  pour 

1.  Cf.  Ranke  :  Hardenberg,  l.  c.  p.  192-194,  M.  Duncker,  l.  c,  p.  360.  La 
première  communicalion  du  chancelier  d'État  de  Hardenberg  vis-à-vis  du  comte 
de  Sainl-iMarsan  datait  du  22  mars  1811.  V.  la  dépêche  du  comte  de  Saint- 
Marsan  du  2i  mars  1811. 


DOnUMEXTS  SUR  LE  PREMIER  EMPIRE.  95 

leur  donner  une  exécution  plus  complète,  les  engagements  d'une  alliance 
contre  l'Angleterre,  non  d'une  alliance  pour  la  guerre  actuelle  seulement, 
telle  qu'elle  existait,  mais  pour  toutes  les  guerres  à  venir  dans  lesquelles 
l'Angleterre  aurait  pour  but  de  faire  prévaloir  les  principes  destructeurs 
des  droits  des  neutres  et  de  la  souveraineté  des  puissances  du  continent, 
et  renouvellerait  ainsi  l'injuste  entreprise  qu'elle  soutient  aujourd'hui. 
Cette  alliance  doit  être  le  premier  objet,  l'objet  immédiat  et  ostensible 
de  la  négociation. 

La  situation  actuelle  des  affaires  à  l'égard  de  la  Russie  permettant 
encore  à  Sa  Majesté  l'espérance  d'éviter  la  guerre  et  ses  sentiments  la 
portant  à  ne  pas  compromettre  cet  espoir,  elle  ne  se  détermine  à  entrer 
dans  les  arrangements  d'une  alliance  éventuelle  contre  la  Russie  que  par 
les  motifs  qui  sont  déjà  connus  de  son  ministre. 

La  partie  de  la  négociation  pour  l'alliance  contre  l'Angleterre  doit  être 
établie  sur  les  principes  du  système  continental.  L'obligation  de  fermer 
les  ports  aux  vaisseaux  et  au  commerce  anglais  sera  renouvelée.  La 
prohibition  des  marchandises  anglaises  et  des  denrées  coloniales  sera 
établie  et  exécutée  avec  encore  plus  d'exactitude  et  de  sévérité  qu'elle 
ne  l'a  été  jusqu'à  ce  jour.  Il  sera  particulièrement  stipulé  que  les  mar- 
chandises anglaises  et  les  denrées  coloniales  seront  repoussées  de  la 
frontière  de  Russie  par  une  surveillance  active  et  efficace. 

Les  dispositions  relatives  à  ce  premier  objet  do  la  négociation  n'étaient 
pas  comprises  dans  les  premières  propositions  faites  par  le  roi  de  Prusse; 
mais  elles  ne  peuvent  éprouver  aucune  difficulté,  puisqu'elles  ne  feront 
que  constater  et  compléter  ce  qui  existe,  et  qu'elles  constitueront  pour 
ainsi  dire  la  convention  spéciale  qui  devait  être  faite  pour  l'exécution  de 
l'article  2  des  articles  secrets  du  traité  de  Tilsitt. 

Quant  au  second  objet  de  la  négociation,  il  se  rapporte  précisément 
aux  propositions  du  roi  de  Prusse,  et  il  pourra  donner  lieu  à  quelques 
discussions,  puisque  les  intentions  de  Sa  Majesté  diffèrent  sur  plusieurs 
points  des  propositions  du  roi.  Il  convient  en  conséquence  d'entrer  dans 
des  développements  plus  étendus. 

Les  conditions  désirées  par  le  roi  de  Prusse  se  composent  de  onze 
propositions  distinctes  et  telles  qu'elles  ont  été  établies  ci-dessus. 

Les  deux  premières,  qui  ont  pour  objet  d'assurer  au  roi  l'intégrité  de 
ses  possessions  et  l'assistance  de  Sa  Majesté  Impériale  en  cas  de  besoin, 
ne  sont  susceptibles  d'aucune  difficulté. 

La  troisième,  par  laquelle  le  roi  demande  l'accession  à  l'alliance  des 
membres  de  la  Confédération,  est  sans  objet,  puisque  l'alliance,  avec 
l'Empereur  comme  protecteur  de  la  Confédération,  assurant,  en  cas  de 
nécessité,  l'emploi  de  tous  les  moyens  dont  il  peut  disposer,  il  arriverait 
toujours,  comme  dans  la  guerre  de  Russie,  si  elle  doit  avoir  lieu,  que 
les  membres  de  la  Confédération  concourraient  à  la  défense  de  sa  cause 
que  l'alliance  aurait  rendue  commune.  Il  sera  d'ailleurs  facile  de  faire 
sentir  à  la  Prusse  que  l'alliance  de  Sa  Majesté  lui  offre  une  garantie 


96  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

si  puissante  qu'elle  n'a  pas  besoin  de  recourir. à  aucune  autre  inter- 
vention. 

La  quatrième  et  la  cinquième  proposition  sont  relatives  au  corps  de 
troupes  auxiliaires- qui  serait  fourni  par  la  Prusse.  Elle  désirerait  que 
ce  corps  fût  sous  les  ordres  d'un  officier  général  prussien,  qui  serait  lui- 
même  sous  les  ordres  du  commandant  général  de  l'armée.  Ce  désir  a  été 
exprimé  dans  la  supposition  que  Sa  Majesté  exigerait  que  le  corps  auxi- 
liaire fût  d'une  force  assez  considérable  pour  exister  par  lui-même 
comme  corps  et  pour  faire  la  guerre  dans  une  situation  indépendante. 

Sa  Majesté,  au  contraire,  pour  ménager  la  Prusse  et  ne  pas  l'entraîner 
dans  des  dépenses  au-dessus  de  ses  moyens,  se  contenterait  d'un  corps 
de  vingt  mille  hommes,  savoir  :  douze  mille  d'infanterie,  six  mille  de 
cavalerie  et  deux  mille  d'artillerie  avec  cent  pièces  de  canon.  L'emploi 
d'un  corps  aussi  faible  ne  peut  être  prévu  d'avance.  Il  ne  peut  donner 
lieu  à  aucun  engagement  spécial.  Il  doit  pouvoir  être  employé  de  la 
manière  que  les  différentes  circonstances  de  la  guerre  feront  juger  la 
plus  favorable. 

Par  la  sixième  proposition  on  voudrait  que  l'armée  française  ne  pût 
marcher  que  par  les  routes  militaires  qui  ont  été  stipulées.  Cet  engage- 
ment apporterait  des  entraves  aux  combinaisons  de  la  guerre.  Les 
routes  stipulées  ne  se  prêteraient  pas  à  toutes  les  opérations  que  les 
circonstances  pourraient  rendre  nécessaires.  Si  la  guerre  a  lieu  et  si  de 
nouvelles  routes  militaires  sont  indispensables,  l'administration  de 
l'armée  prendra,  selon  les  circonstances  et  d'accord  avec  l'administration 
prussienne,  des  mesures  qui  ne  peuvent  être  dans  l'intérêt  d'une  des 
deux  parties  sans  être  en  même  temps  dans  l'intérêt  de  l'autre. 

L'objet  de  la  septième  condition  est  la  restitution  de  Glogau. 

Dans  la  supposition  de  l'alliance,  l'occupation  des  places  par  les 
troupes  françaises  ne  peut  porter  aucun  ombrage  à  la  Prusse.  Dans  la 
supposition  de  la  guerre,  tout  ce  qui  peut  être  jugé  convenable  pour  le 
succès  de  la  guerre  et  la  défense  du  pays  entre  dans  l'intérêt  de  la 
Prusse.  Il  doit  lui  suffire  que  le  but  de  l'alliance  soit  atteint.  Toute  dis- 
position de  cette  nature  est  toujours  déterminée  par  les  opérations  et  les 
circonstances  du  moment  et  ne  peut  former  l'objet  d'un  engagement 
pris  d'avance. 

La  huitième  et  la  neuvième  proposition  ont  été  faites  comme  l'a  été 
la  cinquième  dans  la  supposition  que  le  corps  auxiliaire  de  Prusse  serait 
un  corps  d'armée. 

On  conçoit  en  effet  que,  dans  ce  cas.  Sa  Majesté  aurait  voulu  ajouter 
aux  moyens  de  la  Prusse  en  allégeant  le  poids  de  ses  engagements,  mais 
Sa  Majesté  étant  portée  à  ne  demander  qu'un  corps  de  vingt  mille 
hommes  pour  mesurer  les  services  qu'elle  attend  de  la  Prusse  aux  res- 
sources de  cette  puissance  et  ne  demandant  réellement  qu'une  partie  de 
l'armée  que  la  Prusse  entretient  aujourd'hui,  le  nombre  d'hommes  qui 
prendront  part  à  la  gueri'e  ne  sera  pas  un  nouveau  fardeau  pour  elle  et 
les  moyens  dont  elle  dispose  ne  seront  pas  détournés  de  leur  emploi. 


DOCUMENTS    SUR    LE    PREMIER   EMPIRE.  97 

La  demande  de  la  Prusse  est  d'ailleurs  étrangère  à  la  négociation  de 
l'alliance  et  aux  avantages  que  s'en  proposent  les  deux  parties  dans  un 
intérêt  commun. 

Quant  à  la  révocation  de  l'article  de  la  convention,  qui  fixe  la  force  de 
l'armée  prussienne  à  42,000  hommes,  il  est  inutile  de  prendre  cette 
proposition  en  considération,  parce  que  l'état  militaire  actuel  de  la 
Prusse  suffit  pour  le  moment  et  qu'on  n'exige  pas  comme  condition  de 
l'alliance  qu'elle  augmente  son  armée. 

Le  roi  de  Prusse  demande  que  la  partie  de  la  Silésie  voisine  des  États 
autrichiens  soit  déclarée  neutre  pour  servir  d'asile  à  lui  et  à  sa  famille. 
C'est  l'objet  de  la  10<=  proposition. 

On  comprend  difficilement  comment  la  Silésie  pourrait  être  déclarée 
neutre.  Il  faudrait  à  cet  effet  le  concours  de  toutes  les  puissances  belli- 
gérantes et  on  ne  peut  entrevoir  le  moyen  de  procurer  à  la  Prusse 
l'assentiment  de  la  Russie. 

Sa  Majesté  ne  fera  aucune  difficulté  de  s'engager  à  ne  pas  faire  entrer 
les  troupes  françaises  en  Silésie.  Elle  accède  ainsi  au  désir  du  roi  de 
Prusse  en  ce  qui  dépend  d'elle.  Elle  ne  peut  prendre  que  les  engagements 
qu'il  est  en  son  pouvoir  de  remplir. 

Par  sa  dernière  proposition,  le  roi  s'en  remet  à  la  justice  et  à  l'amitié 
de  l'Empereur  sur  les  avantages  qu'il  pourrait  obtenir  si  la  guerre  avait 
une  heureuse  issue.  Sa  M.  I.  accepte  ce  témoignage  de  la  confiance  de 
son  allié. 

Cet  examen  des  conditions  proposées  par  la  Prusse  a  non  seulement 
fait  connaître  celles  qui  ne  peuvent  être  admises  ou  devraient  être  modi- 
fiées, mais  on  a  pu  voir  déjà  sur  quelles  bases  S.  M.  pense  que  la 
négociation  peut  être  ouverte. 

Les  deux  projets  d'articles  ci-joints  ont  été  rédigés  pour  présenter  avec 
plus  de  clarté  dans  leur  ensemble  et  dans  leurs  détails  les  conditions  qui 
pourraient  être  admises. 

Ces  deux  pièces  consistent  : 

1°  Dans  un  projet  de  traité  d'alliance  générale  qui  embrasse  tous  les 
cas  où  l'alliance  peut  avoir  lieu  ; 

2°  Dans  un  projet  de  convention  pour  l'application  de  l'alliance  dans 
le  cas  d'une  guerre  avec  la  Russie. 

Le  projet  de  traité  se  compose  de  plusieurs  parties  distinctes. 

Premièrement.  Les  conditions  générales  de  l'alliance  offensive  et 
défensive  (art.  1  et  2). 

Secondement.  Les  engagements  réciproques  pour  le  cas  de  la  guerre 
actuelle  contre  l'Angleterre  (art.  3,  4,  et  5). 

Troisièmement.  Les  engagements  à  exécuter  dans  le  cas  des  guerres 
futures  contre  l'Angleterre  (art.  6,  7,  8,  9  et  10). 

Les  dispositions  de  ces  trois  premières  parties  sont  fondées  sur  des 
principes  reconnus  et  déjà  établis  entre  les  deux  puissances  par  les 
traités  antérieurs,  et  ne  peuvent  être  susceptibles  de  discussion  que 
quant  à  la  forme  et  à  la  rédaction. 

Rev.  HisTon.  XXY.   !<:'■  fasc.  7 


98  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

Quatrièmement.  Les  stipulations  relatives  au  cas  de  guerre  de  l'une 
ou  l'autre  des  deux  puissances  contre  l'Autriche  (art.  H). 

Les  dispositions  de  cet  article  ne  diffèrent  de  celles  déjà  stipulées  par 
l'article  cinquième  des  articles  secrets  de  la  convention  du  8  sep- 
tembre 1808  qu'en  ce  que  le  contingent  à  fournir  par  la  Prusse  est 
porté  de  16  à  24,000  hommes. 

Cinquièmement.  Le  renvoi  à  des  conventions  spéciales  pour  l'appli- 
cation de  l'alliance  dans  le  cas  de  guerre  contre  la  Russie  ou  contre 
toute  autre  puissance  (art.  12). 

Sixièmement.  La  détermination  des  forces  qui  seront  employées  par 
Sa  Majesté  dans  tous  les  cas  de  l'alliance  (art.  13),  Sa  Majesté  s'enga- 
geant  à  employer  toutes  les  forces  disponibles.  Cet  article  offre  un  tel 
avantage  à  la  Prusse  qu'il  doit  être  encore  plus  que  les  précédents  à 
l'abri  de  toute  discussion. 

La  seconde  pièce  jointe  aux  instructions  a  été  rédigée  pour  l'appli- 
cation de  l'article  12  du  projet  de  traité  au  cas  de  guerre  contre  la 
Russie.  Les  détails  dans  lesquels  on  est  entré  dans  les  articles  de  cette 
convention  et  les  instructions  soit  générales,  soit  particulières,  rendent 
tout  développement  superflu. 

Après  avoir  lu  ces  instructions  avec  attention,  il  ne  pourra  rester  à 
M.  le  comte  de  Saint-Marsan  aucune  incertitude  sur  les  intentions  de 
Sa  Majesté. 

Si  l'empereur  consent  à  une  alliance  offensive  et  défensive,  c'est  sur- 
tout pour  satisfaire  au  vœu  exprimé  avec  tant  d'instance  par  le  roi  de 
Prusse.  C'est  aussi  afin  de  rendre  à  ce  prince  la  confiance  dont  il  a 
besoin  pour  ne  pas  se  jeter  dans  de  fausses  démarches  qui  entraîne- 
raient inévitablement  sa  perte. 

Si  Sa  Majesté  est  dans  la  nécessité  de  faire  la  guerre.  Elle  y  suffira 
elle-même  et  Elle  n'a  pas  besoin  de  l'armée  prussienne.  Elle  ne  veut 
trouver  pour  la  guerre  d'autre  avantage  dans  l'alliance  que  la  sécurité 
de  ses  mouvements  dans  un  pays  ami  et  la  facilité  de  nourrir  ses 
troupes  dans  des  provinces  dont  les  ressources  seront  conservées  et  oi!i 
l'administration  ne  sera  point  désorganisée,  comme  cela  arriverait 
nécessairement  dans  les  premiers  moments  de  la  guerre  si  le  pays  était 
ennemi. 

Il  faut  donc  parvenir  à  désabuser  le  cabinet  prussien  de  cette  manie 
militaire  qui  porterait  le  roi  à  transformer  tous  ses  sujets  en  soldats.  11 
doit  être  facile  de  faire  entendre  aux  ministres  qu'un  ordre  de  choses 
qui  dispense  d'un  grand  établissement  militaire  est  le  seul  favorable  au 
rétablissement  du  crédit  et  au  succès  d'une  bonne  administration. 

Le  but  de  la  négociation  doit  être  que  la  Prusse  entre  dans  l'alliance 
avec  le  moins  de  troupes  possible  et  qu'elle  conserve  toutes  ses  res- 
sources afin  de  pourvoir  le  plus  possible  aux  besoins  de  l'armée. 

Ce  dernier  objet  obtenu  ne  sera  pas,  à  la  vérité,  le  seul  avantage  que 
procurera  l'alliance,  si  elle  engage  le  roi  de  Prusse  plus  étroitement 
que  jamais  à  garantir  ses  vastes  côtes  et  ses  frontières  de  terres  des 


DOCrMEîVTS    SUR    LE    PREMIER    EMPIRE.  99 

irruptions  du  commerce  anglais.  La  Prusse  est  appelée  par  sa  situation 
à  rendre  d'importants  services  au  système  continental.  C'est  sous  ce 
rapport  que  son  alliance  est  réellement  utile  à  la  France,  et  cette  utilité 
qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître,  et  qu'elle  reconnaît  sans  doute 
elle-même,  doit,  autant  que  l'alliance,  dissiper  ses  craintes  sur  les  dis- 
positions de  Sa  Majesté  à  son  égard. 

M.  le  comte  de  Saint-Marsan,  après  avoir  reçu  ces  instructions,  fera 
connaître  au  ministre  qu'il  a  les  pouvoirs  pour  traiter  et  qu'il  est  prêt 
à  entrer  en  négociation.  Si  les  propositions  du  roi  lui  sont  de  nouveau 
présentées,  il  en  fera  l'objet  de  ses  observations.  Il  les  discutera  dans 
l'esprit  de  ses  instructions,  il  développera  ensuite  successivement  les 
conditions  que  Sa  Majesté  Impériale  croit  pouvoir  accorder.  Il  portera 
dans  la  discussion  beaucoup  de  formes  et  d'égards.  Il  ne  précipitera 
rien.  Il  laissera  aux  ministres  prussiens  tout  le  temps  de  s'expliquer,  et, 
loin  de  les  presser,  il  mettra  ses  soins  à  favoriser  leur  lenteur  naturelle. 
Il  rendra  compte  chaque  jour  de  la  situation  de  la  négociation.  Lors- 
qu'il sera  au  moment  d'arriver  à  la  conclusion,  il  rédigera  les  projets 
de  traité  et  de  convention  qui  doivent  passer  plusieurs  fois  sous  les 
yeux  de  Sa  Majesté. 

Tandis  que  le  gouvernement  de  la  Prusse,  cerné  par  un  réseau  de 
troupes  françaises,  attendait  avec  une  anxiété  bien  naturelle  le  résultat 
définitif  des  négociations  entamées,  un  membre  de  la  noblesse  prus- 
sienne saisit  le  moment  favorable  pour  faire  parvenir  au  chancelier 
d'État  de  Hardenberg  ses  conseils,  opposés  directement  aux  intentions 
des  adversaires  patriotiques  de  la  domination  française.  C'était  le 
prince  de  Hatzfeld,  jadis  gouverneur  de  Berlin.  On  sait  qu'après 
l'aflaire  de  son  arrestation  et  de  sa  mise  en  liberté,  en  -1 806,  il  s'était 
rapproché  des  autorités  françaises.  Accusé  par  le  gouvernement 
prussien  à  cause  de  sa  conduite  antérieure  ^ ,  l'empereur  le  mit  sous  sa 
protection  en  déclarant  qu'en  attaquant  le  prince  de  Hatzfeld  on  s'atta- 
querait à  lui-même.  Ni  le  roi  ni  le  chanceher  d'État  ne  lui  étaient 
favorables,  mais  ils  le  chargèrent  après  la  naissance  du  roi  de  Rome 
de  porter  à  Paris  des  félicitations  officielles.  Le  comte  de  Saint-Marsan 
ne  savait  pas  assez  se  louer  de  sa  fidélité.  Vers  la  fin  de  l'année  iSM 
il  espéra,  ses  dépêches  en  font  foi,  le  voir  ministre  des  affaires 
étrangères.  En  transmettant  la  pièce  qu'on  va  lire,  à  Paris,  il  écrit  au 
duc  de  Bassano  (le  30  janvier  ^812)  : 

«  Le  baron  de  Hardenberg  a  eu  la  complaisance  de  me  lire  en  entier 
le  rapport  que  M.  de  Krusemarck  a  fait  au  roi  de  la  longue  conversa- 
tion que  Sa  Majesté  l'empereur  a  daigné  avoir  avec  lui  ^..  J'ai  pris  cette 

1.  On  imputa  au  prince  de  Hatzfeld  la  perte  de  20,000  fusils  enlevés  par  les 
Français  après  l'occupation  de  Berlin  en  1806. 

2.  Ï7  décembre  1811. 


'iOO  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

occasion  pour  lui  dire,  d'une  manière  tout  à  fait  confidentielle,  que, 
pour  éviter  le  risque  que  l'esprit  du  roi  soit  ramené  à  des  craintes  per- 
nicieuses et  à  de  fausses  démarches,  il  fallait  éloigner  les  intrigants  et 
placer  à  la  tète  des  dicastères  des  hommes  fermes  et  vraiment  attachés 
à  leur  pays.  Il  m'a  paru  qu'il  est  déterminé  à  y  travailler.  Le  prince 
d'Hatzfeld  lui  a  donné  un  mémoire  à  cet  objet,  dont  Votre  Excellence 
trouvera  copie  ci-jointe.  Le  tableau  que  le  prince  y  fait  est,  on  peut 
dire,  d'une  grande  vérité,  à  part  quelques  exagérations  qui  peuvent 
avoir  été  dictées  par  la  manière  de  voir  du  prince  qui  a  été  personnel- 
lement persécuté  par  quelques-uns  de  ces  messieurs...  Votre  Excellence 
verra  aisément,  par  ce  mémoire  même,  que  le  prince  Hatzfeld  vise  au 
ministère  des  affaires  étrangères...  » 

C'est  de  ce  mémoire  que  parle  une  lettre  de  Louis  d'Ompteda 
adressée  au  comte  de  Munster  (à  Berlin,  ce  i""  février  ^18-12)  ^  : 

«  En  attendant,  le  parti  français  prenait  toujours  plus  de  consis- 
tance, et  se  croyait  si  sur  de  sa  victoire,  que  le  prince  Hatzfeld  avait 
déjà  formé  une  liste  de  proscription  de  plusieurs  personnes  actuellement 
dans  l'administration.  Il  l'avait  remise  au  baron  de  Hardenberg  et  le 
ministre  de  France  en  avait  aussi  pris  copie.  Le  comte  Goltz  se  trouve 
parmi  les  rayés  et  sa  place  ne  fut  pas  remplacée  par  un  autre  nom.  Il 
est  très  probable  que  le  prince  Hatzfeld  y  vise,  n'ayant  cependant,  pour 
aspirer  à  cette  place,  d'autre  mérite  que  celui  d'avoir  une  fortune  très 
considérable,  et  de  s'être  voué  bassement  à  la  France....  » 

Voici  le  mémoire  émané  de  la  plume  du  prince  de  Hatzfeld.  Je 
corrige  les  fautes  du  copiste  qui  souvent  n'a  pas  su  déchiffrer  les  noms 
propres  -.  Après  avoii'  renvoyé  les  lecteurs  français  aux  manuels  his- 
toriques et  biographiques,  je  me  dispense  d'accompagner  la  pièce 
suivante  d'un  commentaire  spécial  : 

Copie  d'un  projet  d'organisation  intérieure  pour  la  Prusse,  après  la  con- 
clusion de  Vaillance  avec  la  France,  donnée  au  cJiancelier  d'état,  baron 
de  Hardenberg ,  par  le  prince  de  Hatzfeld. 

6  janvier  1812. 
Nos  relations  avec  la  France  étant  sur  le  point  d'être  fixées  d'une 
manière  déterminée  et  une  alliance  étroite  de  système  et  d'intérêt 
devant  en  être  la  suite,  il  me  paraît  que  les  personnes  employées  dans 
les  places  marquantes  du  gouvernement  prussien  ne  peuvent  et  ne 
doivent  se  cacher  que  la  perte  de  la  Prusse  est  inévitable,  si  après 

1 .  V.  Politischer  Nachlass  des  hannoverschen  Staats-iind  Cabinets  Ministers 
Ludwjg  von  Ompteda  ans  den  Jahren  1804  bis  1813,  lerœffeailicht  durch 
F.  von  Ompteda.  léna,  Frommann,  1869,  II,  206. 

2.  Il  écrit  par  exemple  Griihner  au  lieu  de  Gruner,  cf.  la  notice  biogra- 
phique sur  Justus  de  Gruner  (1777-1820)  dans  l'Allgemeine  deutsche  Biographie, 
T.  X. 


DOCUMENTS    SUR    LE    PREMIER    KMPIRi:.  ^0^ 

l'alliance  signée  l'on  pouvait  une  seule  fois  encore  vaciller  dans  ce  sys- 
tème adopté  par  convention  et  par  choix,  et  qu'il  n'y  a  qu'un  abandon 
total  et  loyal,  sans  regret  pour  le  passé,  sans  inquiétude  pour  l'avenir, 
qui  puisse  faire  espérer  de  cette  alliance  des  résultats  heureux  pour  la 
Prusse. 

Je  crois  ne  pas  me  tromper  lorsque  je  mets  en  avant  qu'aujourd'hui 
Sa  Majesté  l'Empereur  est  portée  à  nous  accorder  de  la  confiance,  et 
qu'elle  s'est  convaincue  que  nous  pouvons  devenir  vraiment  utiles  à 
ses  intérêts,  mais  nous  ne  devons  pas  nous  cacher  que,  par  notre  faute 
et  par  les  faits  précédents,  cette  confiance  n'a  pas,  à  beaucoup  près, 
encore  acquis  le  degré  de  consistance  auquel  il  faut  tâcher  de  parvenir, 
et  que  c'est  surtout  à  notre  manière  d'agir  après  la  signature  qui  fixera 
son  opinion  à  cet  égard. 

Notre  avenir  dépend  du  plus  ou  moins  de  confiance  que  nous  obtien- 
drons, voilà  ma  conviction  bien  prononcée;  si  nous  la  gagnons  en 
entier,  si  dès  ce  moment  nous  sommes  ce  que  nous  devons  être  après 
le  pas  décisif  que  nous  allons  faire,  les  destinées  de  la  Prusse  peuvent 
encore  devenir  glorieuses,  il  n'existe  pas  un  autre  moyen  de  recouvrer 
une  partie  de  l'éclat  et  de  la  grandeur  qui  nous  environnaient  autrefois 
et  je  pense  que,  là-dessus,  tous  les  gens  sensés  exempts  de  passion  et 
de  préjugés  ne  peuvent  avoir  qu'une  opinion.  Cette  vérité  une  fois 
établie,  il  est  absolument  nécessaire  : 

1°  Que  d'abord,  après  la  signature  des  traités,  que  tous  ceux  qui  sont 
employés  dans  notre  gouvernement,  et  sur  lesquels  l'opinion  est  fixée  à 
Paris  de  manière  à  être  connus  par  leur  haine  exaspérée  contre  la 
France  et  pour  être  membres  de  la  secte  fanatique  connue  sous  la 
dénomination  de  frères  de  la  vertu,  soient  éloignés  sans  la  moindre 
exception  et  sans  délai,  non  seulement  de  toute  influence  d'affaires, 
mais  aussi  de  Berlin  même,  où  ils  ne  peuvent  qu'être  nuisibles  sous 
tous  les  rapports. 

Cette  mesure  me  paraît  d'autant  plus  urgente,  que  nous  devons  pré- 
voir que,  si  nous  manquions  le  moment  de  nous  faire  un  mérite  réel  de 
cette  mesure  que  notre  position  intérieure  réclame  tout  autant  que 
notre  position  extérieure,  puisque  jamais  ces  gens  ne  cesseront  de 
remuer,  la  demande  nous  en  serait  peut-être  faite  plus  tard  comme 
absolument  nécessaire  au  système  adopté,  et  qu'alors  Sa  Majesté  le  roi 
serait  compromise. 

2°  Que  dans  toutes  les  places  marquantes  et  influentes  dont  il  faudra 
composer  le  gouvernement  prussien,  après  l'éloignement  de  ceux-ci,  il 
n'y  en  ait  plus  une  seule  sur  laquelle  l'opinion  de  la  France  et  du 
public  se  soit  établie  de  la  manière  la  moins  douteuse,  non  seulement 
quant  à  leurs  opinions  politiques,  mais  aussi  quant  à  la  sagesse  de 
leur  conduite  dans  les  factions  intérieures. 

Ces  deux  mesures,  qui  doivent  marcher  de  front,  prouveront  plus 
que  toute  autre  chose  à  Sa  Majesté  Impériale  que  la  Prusse  a  pris  son 
parti  irrévocablement,  et  elles  auront  l'avantage  de  prouver  aux  fana- 


102  MELANGES    Eï   DOCUMENTS. 

tiques  de  tous  les  partis  que  Sa  Majesté  le  roi  est  déterminée  enfin  à 
faire  punir  sévèrement  tous  ceux  qui  seraient  encore  tentés  d'avoir  la 
folie  de  sauver  la  Prusse  à  leur  manière. 

Les  personnes  en  place  qui,  d'après  mon  opinion,  devraient  être  éloi- 
gnées des  affaires  et  de  Berlin  sans  délai,  sont  : 

Le  général  Scharnhorst,  faisant  jusqu'ici  les  fonctions  de  ministre 
de  la  guerre,  que  l'opinion  publique  et  générale  nomme  comme  l'un 
des  chefs  de  la  secte  qui  a  fait  tant  de  mal  à  ce  pays-ci  et  dont  les 
ramifications  sont  déjà  connues  dans  les  pays  étrangers.  M.  de  Scharn- 
horst s'est  fait  d'ailleurs  connaître  dans  toutes  les  occasions  par  un 
acharnement  sans  bornes  contre  la  France,  et  l'homme  d'état  qui  se 
laisse  ainsi  emporter  par  la  passion  est  à  coup  sur  incapable  de  con- 
duire aucune  affaire  dans  notre  position  actuelle. 

Le  conseiller  d'état  Sack,  sur  lequel  je  ne  puis  que  répéter  ce  que  je 
viens  de  dire  de  M.  de  Scharnhorst,  et  qui  déjà,  lors  de  l'occupation  fran- 
çaise, s'est  fait  connaître  à  tous  les  employés  du  gouvernement  français 
d'une  manière  si  désavantageuse  que,  d'après  l'esclandre  qui  a  eu  lieu 
alors ^,  je  n'ai  jamais  pu  concevoir  comment  il  était  possible  de  le  laisser 
en  évidence  et  de  lui  donner  la  direction  d'un  département  dans  lequel 
il  n'a  pas  laissé  échapper  une  seule  occasion  de  prouver  combien  peu  il 
connaissait  les  intérêts  politiques  du  roi  et  de  la  Prusse. 

Le  conseiller  d'état  Gruner,  directeur  de  la  police  secrète,  connu  pour 
être  un  membre  marquant  de  la  secte  et  noté  pour  sa  haine  contre  la 
France.  Son  éloignement  est  nécessaire  puisqu'il  faut  enfin  savoir  ce 
qui  se  passe,  mettre  fin  au  jacobinisme  allemand  qui  nous  tourmente 
depuis  si  longtemps,  ce  qui  est  impossible,  comme  les  faits  l'ont  prouvé, 
tant  que  M.  Gruner  conservera  sa  place  et  qu'on  lui  permettra  d'in- 
flueûcer  impunément  l'opinion. 

Le  colonel  Gneisenau,  connu  pour  être  un  homme  de  tête  et  d'esprit, 
mais  lié  intimement  avec  M.  de  Scharnhorst  et  avec  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  marquant  dans  la  secte,  sectaire  lui-même  d'après  l'opinion 
générale,  fanatique  dans  sa  haine  contre  la  France  et  suspect  par  toutes 
ses  liaisons.  Son  éloignement  est  d'autant  plus  pressant  que  c'est  le 
seul  dont  le  nom  est  marqué  par  quelques  talents,  et  que,  par  là  même, 
il  est  plus  dangereux  que  les  autres  pour  l'opinion  publique,  qui, 
aujourd'hui,  ne  doit  pas  avoir  d'autre  direction  que  celle  du  gouverne- 
ment. 

M.  de  Boyen,  aide  de  camp  du  roi,  créature  aveugle  de  la  secte,  ne  se 
donnant  pas  même  la  peine  de  cacher  ses  opinions  et  sa  haine  contre 
la  France;  il  a  fait  dans  les  derniers  temps  tout  ce  qui  était  en  son  pou- 
voir (voilà  au  moins  l'opinion  générale  et  publique)  pour  paralyser  les 
ordres  précis  du  roi  et  pour  amener  des  faits  qui,  par  leur  nature. 


i.  Sur  le  conlHl  de  Sack  et  de  Daru  éclaté  en  1808,   voyez  Hassel,  l.  c, 
p.  168-171. 


DOCUMENTS   SUR    LE    PREMIER    EMPIRE.  103 

devaient  immanquablement  provoquer  la  ruine  et  la  dissolution  de  ce 
pays. 

Le  conseiller  d'état  Stmgemann,  placé  par  M.  de  Stein,  son  ami  et  son 
protecteur.  11  en  a  toujours  suivi  fidèlement  les  principes  et  la  marche. 
Il  s'est  rendu  suspect  par  quelques  étourderies  assez  virulentes  qui  ont 
été  connues  à  Paris,  et,  si  même  depuis  quelque  temps  il  est  devenu 
plus  prudent,  il  est  vraisemblable  au  moins  que  son  opinion  ne  chan- 
gera jamais.  Sa  place,  à  la  vérité,  est  peu  influente,  mais,  lorsque  déjà 
on  s'occupe  à  purifier  le  terrain,  il  vaut  mieux  faire  la  chose  en 
entier. 

Je  ne  puis  pas  juger  de  ses  talents,  que  je  n'ai  jamais  été  dans  le  cas 
d'apprécier,  mais,  à  en  juger  d'après  l'opinion  publique,  je  devrais 
croire  qu'il  ne  sera  pas  très  difficile  de  le  remplacer. 

Plus  tard,  il  y  aura  bien  encore  dans  l'intérieur  plusieurs  éloigne- 
ments  nécessaires  à  faire,  comme,  par  exemple,  les  deux  directeurs  de 
police  à  Francfort-sur-l'Oder  et  à  Breslau,  de  même  que  le  président 
Merckel  à  Breslau,  l'un  des  frondeurs  les  plus  déterminés  et  les  plus 
audacieux  que  nous  ayons  dans  le  pays,  mais  cela  s'arrangera  bien  vite 
lorsque  la  nouvelle  organisation  intérieure  sera  fixée  et  que  les  chefs 
qui  seront  à  la  tète  des  différents  départements  feront  la  recherche  des 
individus  qui  y  sont  employés,  et  lorsqu'enfin,  après  une  connaissance 
plus  exacte,  ils  pourront  proposer  les  mesures  nécessaires  et  propres  à 
éloigner  des  affaires,  même  dans  les  postes  subalternes,  tous  ceux  qui 
pourraient  encore  être  influencés  par  la  secte. 

J'en  viens  maintenant  à  notre  organisation  intérieure  sous  le  rapport 
de  l'alliance  contractée  avec  la  France  et  celui  des  changements  néces- 
saires pour  asseoir  un  système  stable  et  conservateur,  qui  fera  marcher 
la  machine  stagnante  aujourd'hui  dans  une  grande  partie  de  ses  détails, 
et  qui  puisse  prouver  enfin  à  la  nation,  toujours  invariable  dans  son  atta- 
chement pour  le  souverain  et  toujours  prête  aux  sacrifices  nécessaires, 
que,  si  même  plusieurs  anciennes  institutions  avaient  besoin  d'une  espèce 
de  régénération,  il  n'est  cependant  pas  dans  la  volonté  du  roi  de  boule- 
verser tout  ce  qui  était  bon  autrefois,  parce  que  M.  de  Stein,  dans 
quelques  accès  de  sa  folie,  a  rêvé  un  bonheur  poétique  pour  la  Prusse, 
dont  les  suites  ont  été  trois  fois  plus  funestes  pour  elle  que  tous  les 
maux  réunis  de  la  guerre  et  toutes  les  privations  qui  l'ont  suivie.  Si  la 
Prusse  doit  redevenir  heureuse,  il  faut  prouver  qu'avec  M.  de  Stein  son 
système  entier  a  disparu  et  qu'aujourd'hui  les  sectaires  ou,  pour  m'ex- 
primer  d'une  manière  plus  claire,  nos  jacobins  allemands,  joueraient  un 
jeu  trop  dangereux  en  saisissant  le  brandon  jeté  à  l'aventure  pour  arri- 
ver, sous  le  masque  du  patriotisme,  à  un  but  qui  aujourd'hui  ne  peut 
plus  être  un  secret  pour  personne. 

Je  n'entrerai  point  en  détail  sur  les  différents  défauts  que  j'ai  souvent 
entendu  reprocher  à  notre  administration  intérieure,  je  crois  qu'il  y  a 
tout  autant  de  vrai  que  d'outré  dans  ces  jugements  et  je  pense  que  la 
vérité  est  au  milieu.  D'ailleurs  je  suis  de  l'opinion  de  ceux  qui  pensent 


J04  MELANGES   ET   DOCDMENTS. 

que  la  régénération  politique  de  la  Prusse  a  dû  précéder  sa  régénéra- 
tion intérieure,  et  ce  n'est  qu'après  l'alliance  que  les  gens  calmes  ose- 
ront se  pernaettre  un  jugement. 

La  grande  faute  qui  parait  exister  aujourd'hui,  sur  laquelle  toutes 
les  voix  se  réunissent  et  qui,  par  sa  nature,  doit  entraver  toute  la 
marche  du  gouvernement,  c'est  l'augmentation  vraiment  incroyable  et 
disproportionnée  des  chefs  à  demi-pouvoir  connus  sous  le  nom  de  con- 
seiller d'état  intime  et  conseiller  d'état  que  l'on  a  placés,  avec  des 
appointements  énormes,  au  moment  de  notre  plus  grande  détresse 
financière,  qui,  à  leur  tour,  ont  fait  augmenter  d'une  manière  tout 
aussi  énorme  les  employés  subalternes,  pour  la  plupart  créatures  de 
leurs  opinions  politiques  et  qui,  marchant  tous  d'après  leurs  idées  per- 
sonnelles, n'ont  presque  aucune  responsabilité,  parce  que  le  chancelier 
d'état,  baron  de  Hardenberg,  le  seul  qui  puisse  les  surveiller,  est 
constamment  occupé  par  des  objets  plus  importants  et  ne  peut  impos- 
siblement  suffire  à  une  besogne  qui  surpasse  les  forces  humaines. 

La  Prusse,  dès  les  plus  beaux  jours  de  sa  gloire,  n'avait  que  cinq 
ministres  avec  le  nombre  proportionné  des  subordonnés  et  tout  prospé- 
rait; les  temps  étaient  autres,  à  la  vérité,  mais  les  pouvoirs  étaient 
fixés,  les  états  financiers  de  chaque  département  étaient  précis  et  ne 
pouvaient  être  dépassés  ni  pour  la  recette  ni  pour  la  dépense,  et,  si, 
alors  comme  aujourd'hui,  il  avait  existé  un  chancelier  d'état  au  lieu 
des  secrétaires  du  cabinet  qui  étaient  une  monstruosité  politique  depuis 
la  mort  de  Frédéric  II,  je  crois  que  nulle  autre  organisation  n'eût  pu 
mieux  convenir  à  la  Prusse  que  celle-là.  Dans  notre  position  actuelle, 
où  la  force  du  gouvernement  doit  être  beaucoup  plus  concentrée,  parce 
qu'il  existe  des  factions  et  des  fanatiques  dangereux  qui  peuvent  nous 
perdre  par  une  seule  imprudence,  dans  ce  moment  où  il  est  urgent  que 
le  système  politique  du  roi  soit  soutenu  par  tous  les  ministres  auxquels 
il  daigne  accorder  sa  confiance,  cette  organisation  est  encore  la  seule 
qui  nous  convienne,  la  seule  qui  pourra  faire  prospérer  le  système  que 
nous  venons  d'adopter,  la  seule  qui  puisse  donner  à  tous  les  actes  du  gou- 
vernement l'énergie  dont  il  a  besoin  après  une  longue  époque  d'impunité 
et  de  désordre.  Le  chancelier  d'état  doit  être,  d'après  la  nature  de  son 
emploi,  le  chef  et  le  surveillant  de  tous  les  ministres,  avec  lesquels  il  doit 
discuter  et  préparer  tous  les  grands  intérêts  de  l'état  à  soumettre  à  la 
sanction  du  roi,  et  ce  n'est  qu'ainsi  que  le  secret  couvrira  enfin  les  opéra- 
tions du  gouvernement.  Mais  il  me  parait  que  le  chancelier  d'état  ne 
devrait  point  se  mêler  des  détails  des  différents  ministères,  il  ne  faut 
point  que  les  subordonnés  des  départements  puissent  communiquer  avec 
le  chancelier  d'état  par  un  autre  canal  que  celui  de  leurs  chefs,  il  faut 
que  les  ministres  aient  un  grand  pouvoir  et  une  grande  responsabilité  ; 
sans  cela,  il  ne  peut  exister  que  confusion  et  désordre,  et  sans  le  pouvoir 
nécessaire  pour  opérer  le  bien,  aucun  homme  de  talent  et  de  tête  ne  se 
résoudra  à  accepter  un  ministère  quelconque.  En  un  mot,  il  faut  que  le 
nouveau  ministère,  que  je  vais  proposer  comme  une  simple  idée  à  moi. 


DOCDMEMS    SUR   LE    PREMIER    EMPIRE.  105 

soit  composé  de  gens  entièrement  dévoués  au  système  que  Sa  Majesté 
le  roi  va  adopter  à  présent,  qu'ils  soient  personnellement  attachés  au 
chancelier  d'État  qu'ils  doivent  épauler  de  tout  leur  pouvoir  dans  les 
mesures  concertées,  qu'ils  aient  pour  eux  l'assentiment  de  la  France 
et  l'opinion  du  public,  et  que  surtout  leurs  possessions  dans  le 
royaume  les  attachent  par  leur  propre  intérêt  au  bonheur  de  ce  pays. 

D'après  mon  opinion,  le  gouvernement  devrait  être  composé  : 

Du  chanceUer  d'état,  baron  de  Hardenberg,  chef  de  tous  les  dépar- 
tements ; 

Du  ministre  des  affaires  étrangères  ; 

Du  ministre  de  l'intérieur  ; 

Du  ministre  des  finances  ; 

Du  ministre  de  la  guerre  ; 

Du  ministre  de  la  justice. 

Si  j'avais  un  conseil  à  donner,  je  proposerais  : 

Pour  ministre  des  finances ,  l'ancien  ministre  d'état,  baron  de  Voss, 
le  seul  homme  ici  que  je  crois  capable  de  remplir  dignement  cette 
place.  Il  a  pour  lui  l'opinion  de  la  France  et  celle  du  public,  il  est 
grand  travailleur  avec  une  grande  routine  d'affaires,  il  est  attaché  à  ce 
pays  par  la  grande  fortune  qu'il  possède,  il  a  donné  dans  plusieurs 
occasions  des  preuves  de  dévouement,  et  j'ajouterai  que  la  voix 
publique  l'appelle  depuis  longtemps  à  ce  poste.  Le  chancelier  d'état 
croit  qu'il  trouvera  en  lui  un  antagoniste  à  son  système,  sur  l'attache- 
ment duquel  il  ne  pourra  jamais  compter,  et  il  se  trompe. 

Le  chancelier  d'état  ne  peut  pas  douter  de  ma  sincère  amitié  pour 
lui,  je  lui  en  ai  donné  des  preuvres  trop  réelles,  et  je  réponds  de  M.  de 
Yoss  et  de  ses  sentiments  pour  le  chancelier  d'état  comme  des  miens. 
Il  y  a,  à  la  vérité,  plusieurs  choses  dans  l'arrangement  actuel  de  l'admi- 
nistration actuelle  que  M.  de  Voss  désapprouve,  je  partage  ce  sentiment 
avec  lui  et  je  n'ai  jamais  caché,  ià-dessus,  mon  opinion.  Que  le  chance- 
lier d'état  et  M.  de  Voss  se  voient  une  seule  fois  en  ma  présence,  qu'ils 
s'expliquent  avec  cette  franchise  loyale  qui  les  caractérise  tous  les 
deux,  comme  des  hommes  qui,  tous  deux,  veulent  le  bien  de  la  patrie, 
et  ils  s'entendront  bientôt,  j'en  suis  bien  convaincu. 

Le  département  des  affaires  étrangères  se  trouve  aujourd'hui  dans  les 
mains  du  comte  de  Goltz,  qui  est  vraiment  le  plus  honnête  des  hommes 
et  qui  a  des  principes  excellents. 

Cependant,  si  les  choses  doivent  marcher  selon  le  nouveau  système 
que  l'on  vient  d'adopter,  avec  cette  vigueur  et  ce  secret  qui  deviennent 
absolument  nécessaires,  ce  département  ne  peut  pas,  à  ce  qu'il  me 
parait,  rester  dans  les  mains  du  comte  de  Goltz,  qui  a  la  faiblesse  de 
ne  savoir  absolument  rien  cacher  à  personne  et  surtout  à  sa  femme,  et 
est  au  surplus  d'une  apathie  qu'aucun  événement  ne  peut  émouvoir,  et 
depuis  son  dernier  voyage  entrepris  dans  un  des  moments  les  plus 
décisifs,  il  a  perdu  la  considération  dans  le  public'. 

1.  Le  comte  de  Goltz  avait  mené  les  négociations  à  Erfurt  en  1808. 


^06  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

Si  j'avais  un  conseil  à  donner,  je  nommerais  le  comte  de  Goltz  qui, 
d'ailleurs,  n'a  pas  démérité,  ministre  à  Vienne.  J'en  rappellerai  M.  de 
Humboldt  que  l'intrigue  et  la  secte  y  ont  placé,  d'autant  plus  qu'il  ne 
sera  jamais  par  conviction  dans  le  nouveau  système.  Je  rappellerais  de 
Pétersbourg  M.  de  Schladen,  qui  a  intrigué  dans  tout  ce  qui  s'est  fait 
à  Kœnigsberg  dans  le  temps  où  l'on  travaillait  à  entraîner  le  roi  dans 
une  nouvelle  guerre  contre  la  France,  et  je  le  rappellerai  avec  d'autant 
plus  de  raison  qu'il  a  demandé  tout  à  l'heure  un  congé  dans  un  moment 
oia,  avec  un  peu  de  tact,  il  n'aurait  jamais  dû  en  concevoir  l'idée. 

M.  de  Humboldt,  si  toutefois  l'on  trouve  nécessaire  de  le  conserver, 
pourrait  alors  être  nommé  à  Pétersbourg,  où  désormais  nous  n'aurons 
pas  des  objets  d'un  grand  intérêt  à  traiter.  Je  ne  propose  pas  l'homme 
qu'il  faudrait  mettre  à  la  place  du  comte  de  Goltz,  parce  que,  pour  le 
moment  au  moins,  je  ne  sais  pas  trouver  celui  qui  a  les  qualités 
requises  pour  ce  ministère.  Je  pense  qu'il  serait  bon  de  donner  à  celui 
que  l'on  nommera  à  la  place  du  comte  de  Goltz  la  direction  de  la 
police  secrète  non  seulement  à  Berlin,  mais  aussi  dans  l'intérieur  du 
royaume. 

Pour  ministre  de  l'intérieur,  je  proposerais  le  conseiller  d'état  intime 
Schuckmann,  qui  est  un  homme  ferme  avec  d'excellents  principes;  il 
est  bon  travailleur,  il  a  du  talent,  il  connaît  le  pays  parfaitement,  il 
sert  depuis  longtemps,  il  doit  une  grande  partie  de  sa  carrière  au  chan- 
celier d'état,  qui  pourra  compter  sur  lui  à  toute  épreuve. 

Le  ministère  de  la  justice  est  dans  les  mains  de  M.  de  Kircheisen, 
qui  est  un  homme  d'une  grande  probité,  étranger  aux  sectes  et  à 
l'intrigue  ;  il  a  le  défaut  d'être  faible,  mais,  à  coup  sûr,  il  ne  gâtera 
rien. 

Le  ministre  de  la  guerre  doit  être  un  homme  très  ferme,  capable  d'en 
imposer  au  mauvais  esprit  qui  a  gagné  les  jeunes  officiers  et  de  rétablir 
cette  discipline  sévère  sans  laquelle  il  n'existe  pas  d'armée.  Il  faut  que 
ses  principes  politiques  pour  le  système  actuel  soient  bien  constatés,  il 
faut  qu'il  soit  connu  comme  tel  en  France  et  dans  le  public,  et  per- 
sonne ne  réunit  à  un  plus  haut  degré  toutes  ces  qualités  que  le  lieute- 
nant général  de  Grawert,  gouverneur  en  Silésie,  qui  jouit  d'une  très 
grande  considération  méritée  dans  l'étranger  et  dans  l'armée. 

Ce  n'est  qu'à  la  hâte  que  j'ai  tracé  ce  petit  aperçu  sur  notre  position 
extérieure  et  intérieure  ;  je  ne  sais  si  je  me  suis  trompé  dans  mes 
aperçus,  mais  ma  conviction  intime  est  qu'un  ministère  composé  de 
cette  manière  peut  seul  nous  valoir  la  confiance  entière  de  la  France, 
rétablir  enfin  le  calme  dans  notre  intérieur. 

C'est  au  baron  de  Hardenberg,  à  l'ami  qui  m'a  vu  le  même  dans 
toutes  les  occasions  et  qui  doit  être  convaincu  de  mon  attachement, 
que  je  confie  ces  pensées  qui  ne  doivent  être  que  pour  lui  ;  il  sait  que, 
depyis  la  paix  de  Tilsitt,  j'ai  poursuivi  sans  relâche  le  but  que  je 
croyais  seul  capable  de  sauver  mon  pays,  il  sait  que  j'ai  dit  hautement 
mes  opinions,  malgré  les  persécutions  inouïes  que  l'on  m'a  fait  éprouver, 


DOCDMENTS    SDR    LE    PREMIER   EMPIRE.  107 

et,  dans  ma  position,  j'ai  au  moins  la  présomption  qu'aucun  autre 
intérêt  secondaire  ne  peut  influer  mes  opinions. 

Berlin,  le  6  janvier  1812. 

Signé  :  Le  prince  de  Hatzfeld. 

C'était  à  peu  près  un  an  plus  tard,  au  commencement  de  l'année  \  S^  3, 
que  l'auteur  de  ce  mémoire,  chargé  de  nouveau  d'une  mission  diplo- 
matique, revint  à  Paris  oîi,  deux  ans  auparavant,  il  avait  vu  Fempe- 
reur,  après  la  naissance  d'un  fds,  au  comble  du  bonheur.  Que  les 
temps  étaient  changés!  La  grande  armée  avait  disparu,  la  Prusse 
commençait  à  secouer  le  joug  que  le  traité  du  24  février  18-12  lui 
avait  imposé,  et  les  chefs  patriotiques,  que  le  mémoire  du  prince 
Hatzfeld  avait  dénoncés,  travaillaient  énergiquement  à  l'œuvre  de  la 

délivrance. 

Alfred  Stern. 


LES  PAPIERS  DE  SOULAVIE. 

Bien  que  l'auteur  des  Mémoires  de  Richelieu  et  de  V Histoire  de  la 
Décadence  de  la  Monarchie  française  ne  jouisse  plus  de  la  bruyante 
renommée  qu'il  avait  encore  au  commencement  de  ce  siècle,  on  sait 
généralement  que  Soulavie  ne  fut  pas  seulement  un  fabricateur  de 
mémoires  apocryphes,  mais  qu'il  fut  aussi  un  grand  collectionneur 
et  que,  dans  sa  bibliothèque  riche  en  ouvrages  rares,  en  plaquettes 
introuvables  et  en  estampes  historiques,  il  possédait  une  grande  masse 
de  documents  authentiques  et  de  lettres  autographes  précieuses, 
fruits  de  ses  vols  dans  les  collections  publiques  et  privées  à  la  fin  du 
règne  de  Louis  XVI  et  pendant  la  Révolution.  On  ignora  longtemps 
ce  qu'étaient  devenues  ces  collections  considérables;  la  biographie 
Michaud  affirma  qu'elles  avaient  été  saisies  par  ordre  de  l'empereur 
à  la  mort  de  Soulavie,  en  1813,  et  déposées  aux  archives  des  Affaires 
étrangères;  plus  tard,  en  ^862,  M.  Feuillet  de  Couches  nia  formel- 
lement ce  fait  important  et  déclara  qu'il  n'y  avait  dans  ces  archives  qu'un 
seul  volume  provenant  du  cabinet  de  Soulavie*  ;  M.  Baschet,  dans  son 
QxceWenle  Histoire  duDépâl  des  Affaires  étrangères^  établit  qu'au  moins 
une  partie  des  papiers  de  Soulavie  était  entrée  dans  ces  riches  archives  ; 
mais  on  sait  que  l'admirable  livre  de  M.  Baschet  est  un  merveilleux 
lour  de  force  et  qu'il  fut  écrit  presque  entier  sur  des  documents 

1.  Causeries  d'un  Curieux,  Paris,  1862,  in-8°,  tome  II,  p.  472. 


^08  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

trouvés  en  dehors  de  ces  archives,  alors  presque  complètement 
fermées,  même  à  leur  historien;  il  n'est  donc  pas  étonnant  que 
M.  Baschet  n'ait  connu  qu'une  partie  de  la  vérité.  J'ai  eu  le 
bonheur  d'avoir  communication  des  documents  relatifs  à  la  saisie 
pratiquée  chez  Soulavie,  après  sa  mort,  à  la  requête  du  ministre  des 
Relations  extérieures;  ils  m'ont  paru  mériter  que  l'attention  des 
historiens  fût  appelée  à  nouveau  sur  les  papiers  de  Soulavie;  pour 
tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'histoire  de  la  fin  du  xviii*  s.,  cette 
question  a  d'autant  plus  d'intérêt  qu'il  parait  certain  qu'il  est  sorti 
des  papiers  de  Soulavie,  depuis  leur  saisie,  un  certain  nombre  de 
publications,  dont  l'authenticité  douteuse  suscita  de  bruyantes  et 
interminables  polémiques,  qui  auraient  été  complètement  inutiles  si 
l'on  avait  su  que  ces  publications  faisaient  en  quelque  sorte  partie  de 
l'héritage  de  Soulavie. 

L'abbé  Soulavie,  en  arrivant  à  Paris  en  1778,  se  fit  connaître 
comme  un  naturaliste  éminent  et,  dès  -1779,  il  lisait  à  l'Académie 
des  sciences  des  fragments  de  son  Histoire  naturelle  de  la  France 
méridionale,  fort  estimée  encore  aujourd'hui  par  les  géologues. 
C'est  seulement  vers  1784,  après  la  puljlication  du  huitième  et  der- 
nier volume  de  ce  grand  ouvrage,  que  Soulavie  parait  s'être  occupé 
d'études  historiques  proprement  dites  et  entreprit  d'écrire  une  his- 
toire du  règne  de  Louis  XV.  Il  profita  des  hautes  relations  qu'il 
s'était  créées  depuis  six  ans  pour  se  faire  introduire  dans  les  biblio- 
thèques et  dans  les  archives  privées,  alors  beaucoup  plus  facilement 
accessibles  qu'aujourd'hui.  11  travailla  plusieurs  années  dans  la 
bibliothèque  du  maréchal  de  Richelieu,  dont  les  portefeuilles  conte- 
naient des  richesses  inappréciables;  Soulavie  déclare  lui-même  qu'il 
y  vola  la  correspondance  du  maréchal  avec  son  amante,  M"«  de 
Valois,  correspondance  où,  entre  autres  documents  importants,  se 
trouvait  le  manuscrit  sur  l'Homme  au  Masque  de  Fer  dont  il  est 
parlé  dans  le  rapport  du  comte  d'Hauterive  au  duc  de  Bassano  publié 
plus  loin.  Pendant  les  premières  années  de  la  Révolution,  Soulavie 
eut  encore  plus  de  facilité  pour  grossir  ses  collections  et  pour  conti- 
nuer ses  recherches  ;  il  eut  entre  ses  mains  tous  les  papiers  secrets 
de  Louis  XVI,  saisis  tant  dans  les  cachettes  des  Tuileries  que 
dans  celles  de  Versailles;  et  il  est  permis  de  penser  qu'il  s'efforça 
d'en  garder  quelques-uns  pour  lui.  Cependant  il  ne  faudrait  pas 
croire  que  tous  les  documents  possédés  par  lui  furent  le  produit 
de  larcins  coupables,  il  en  achetait  parfois;  c'est  ainsi  qu'il  réunit 
à  prix  d'argent  une  grande  quantité  de  pièces  relatives  au  Secret 
du  Bai. 

En  même  temps,  à  partir  de  -1789,  Soulavie  devenait  un  spécula- 


LES    PAPIERS    DE    SOULAVIE.  ^09 

teur  littéraire  et  s'ingéniait  à  exploiter  l'énorme  mouvement  créé  par 
la  Révolution.  Il  renonça  à  la  grande  et  sérieuse  Histoire  du  règne 
de  Louis  XV  qu'il  préparait  depuis  longtemps,  et  il  résolut  de  tirer 
des  matériaux  amassés  par  lui  une  série  de  puijlications  lucratives. 
C'est  alors  qu'il  forma  une  Société  pour  éditer  la  Collection  histo- 
rique des  3Iémoires  du  règne  de  Louis  XV.  On  devait  publier  les 
mémoires  de  Duclos,  de  Massillon,  du  président  Hénault,  de  Mau- 
repas,  d'Aiguillon,  de  Richelieu,  etc.,  par  livraisons  d'environ  cent 
pages  paraissant  le  (0,  le  20  et  le  30  de  chaque  mois  ;  la  pubhcation 
commença  le  30  septembre  •1790  et  se  continua  au  moins  jusqu'après 
la  30^  livraison,  à  la  fin  de  1791.  On  avait  publié  de  cette  manière 
la  Correspondance  secrète  du  cardinal  de  Tencin  avec  sa  sœur,  les 
premiers  volumes  de  la  Vie  secrète  du  maréchal  de  Richelieu  et  de 
ses  Mémoires,  le  premier  volume  des  Mémoires  de  Duclos,  les 
Mémoires  de  Maurepas  et  ceux  d'Aiguillon.  A  la  fin  de  Tannée  ^791 , 
Soulavie  se  réconcilia  avec  son  ancien  libraire  Buisson,  qui  continua 
la  publication  des  Mémoires  du  règne  de  Louis  XV,  non  plus  en 
livraisons,  mais  en  volumes;  c'est  ainsi  que  furent  terminés  les 
Mémoires  de  Richelieu  en  1792  et  -1793. 

Une  circonstance  imprévue  empêcha  Soulavie  de  publier  plusieurs 
autres  ouvrages  annoncés  depuis  longtemps,  entre  autres  des  31é- 
moires  du  duc  de  Choiseul.  Nommé  ministre  résident  de  la  République 
française  à  Genève,  le  22  fructidor  an  II,  il  cessa  ses  publications  et 
emporta  avec  lui  ses  collections.  Ce  fut  l'occasion  de  son  malheur. 
Arrêté  le  7  vendémiaire  an  III,  par  ordre  du  Comité  de  Salut  public, 
il  n'eut  pas  le  temps  de  mettre  en  sûreté  tous  ses  papiers  ;  il  fut 
obligé  de  laisser  à  la  légation  une  caisse  qui  fut  pillée  ;  elle  contenait 
une  petite  partie  des  papiers  du  Secret  du  Roi,  la  première  compo- 
sition inédite  des  Mémoires  de  Louis  AT/,  la  première  composition 
des  Mémoires  de  la  Révolution  et  la  suite  des  Mémoires  de  Duclos., 
dont  la  première  partie  seule  avait  été  publiée.  Pendant  plusieurs 
années,  Soulavie  réclama  vainement  ses  ])apiers  ou  une  indemnité; 
il  n'obtint  aucun  résultat  et  parut  se  décourager;  il  revint  à  ses  pre- 
mières occupations,  en  cessant  toutefois  de  fabriquer  des  mémoires 
apocryphes;  il  craignait  sans  doute  la  censure.  11  publia,  en  \m\, 
les  Mémoires  historiques  et  politiques  du  règne  de  Louis  XVI,  en 
G  vol.  in-80,  en  1803,  V Histoire  de  la  décadence  de  la  Monarchie 
française,  en3  vol.  in-8%  et  enfin,  en  ^  809,  2  vol.  à^Pièces  inédites  sur 
les  règnes  de  Louis  XIV,  Louis  XV  et  Louis  XVI.  Il  faut  croire  que 
ces  publications  eurent  peu  de  succès,  car,  depuis  ^809,  Soulavie  ne 
cessa  de  fatiguer  de  ses  réclamations  l'empereur  et  le  gouvernement. 
Il  écrit  au  comte  de  Ségur,  à  Cambacérès;  il  publie,  en  4  810,  deux 


^^0  MÉLAXfiES    ET    DOCDMENTS. 

Mémoires  à  l'empereur,  le  tout  afin  de  vanter  ses  collections  et  sur- 
tout la  série  des  papiers  du  Secret  du  Roi,  pour  engager  le  gouver- 
nement à  les  acquérir,  et  afin  de  réclamer  une  indemnité  pour  la 
portion  pillée  à  Genève.  Ces  lettres,  ces  mémoires  attirèrent  l'atten- 
tion du  gouvernement,  mais  avec  un  tout  autre  résultat  que  celui 
espéré  par  Soulavie.  En  -18^^,  à  une  date  inconnue,  la  police  fit 
secrètement  une  saisie  chez  Soulavie  ;  mais  il  avait  sans  doute  été 
prévenu  officieusement,  car  cette  saisie  ne  donna  que  de  maigres 
résultats. 

Cependant  le  secret  de  cette  saisie  ne  fut  pas  très  bien  gardé.  Le 
20  décembre  -JSSI,  Maret  écrivait  à  Savary  qu'il  «  paraîtrait  qu'on  a 
fait  chez  M.  Soulavie,  par  ordre  du  gouvernement,  des  perquisitions 
dont  le  résultat  aurait  été  de  lui  reprendre  une  collection  considé- 
rable de  manuscrits  recueillis  ou  volés  pendant  le  cours  de  la  Révo- 
lution dans  les  dépôts  puijiics  ou  dans  les  maisons  particulières.  » 
Le  6  janvier  ISI2,  Savary  répondit  :  «  Il  a  été  saisi  effectivement  au 
sieur  Soulavie  une  quantité  assez  considérable  de  papiers  qui  sont 
restés  en  dépôt  à  mon  ministère.  »  Le  9  janvier,  Maret  chargea 
Baudard,  chef  de  bureau  des  archives,  d'examiner  ces  papiers  et  de 
faire  un  état  de  ceux  qu'il  jugerait  devoir  être  restitués  dans  les  car- 
tons des  Relations  extérieures  *.  On  a  conservé  les  états  dressés  par 
Baudard  au  nombre  de  trois  :  \°  manuscrits  de  M.  Soulavie  réclamés 
par  le  Ministère  des  Relations  extérieures-,  2"  manuscrits  des  ouvrages 
de  M.  Soulavie  ou  d'ouvrages  qu'il  voulait  faire  paraître  comme  édi- 
teur j  3"  manuscrits  recueillis  par  M.  Soulavie.  Enfin,  plus  d'une 
année  après,  le  23  mars  U\S,  le  Ministère  de  la  Police  fit  aux  Rela- 
tions étrangères  une  première  livraison  contre  un  reçu  signé  du 
comte  d'Hauterive '^.  Cette  Hvraison  contenait  onze  articles,  la  plu- 
part formant  plusieurs  volumes.  Il  n'y  a  guère  qu'un  seul  de  ces 
articles  qui  ait  pu  contenir  des  documents  particulièrement  impor- 
tants -,  c'est  le  quatrième  :  «  4  cahiers,  2  in-folio  et  2  in-4°  intitulés 
Louis  XV.  »  C'est  sans  doute  dans  ces  cahiers  que  se  trouvaient  les 
curieux  documents  sur  l'Homme  au  Masque  de  fer  et  sur  Louis  XVI 
signalés  dans  le  rapport  adressé  le  7  avril  1  SI  3  par  le  comte  d'Haute- 
rive  à  Maret,  duc  de  Bassano,  sur  cette  première  livraison  des  papiers 
de  Soulavie.  Ce  curieux  rapport  m'a  paru  mériter  d'être  publié  ;  on 
le  trouvera  à  la  suite  de  cette  note.  Quelques  jours  avant  cette 
hvraison  du  23  mars  1813,  Soulavie  était  mort  et  les  scellés  avaient 
été  apposés  sur  ses  papiers  à  la  requête  du  Ministre  des  Relations 

1.  Archives  nationales,  F^  6572. 

2.  Ibidem. 


LES    PAPIERS    DE   SOULAVIi:.  Ui 

extérieures.  Maret  profita  de  cette  circonstance  pour  réclamer  à 
Savary  la  remise  du  reste  des  documents  saisis  par  la  police  chez 
Soulavie  en  J8II.  Savary  y  consentit  et,  le  5  mai  ^813,  Baudard, 
devenu  sous-chef  de  la  division  des  archives  au  Ministère  des  Rela- 
tions extérieures,  donna  au  Ministère  de  la  Police  quittance  de 
-19  articles,  parmi  lesquels  on  remarque  les  nos  ^^  manuscrit  en 
4  vol.  gr.  in-folio,  contenant  des  Mémoires  sur  les  finances  de  ^722 
à  -J731  -,  3,  Mémoires  sur  l'administration  des  recettes  et  finances  de 
la  France  terminées  à  ^735;  9,  suite  de  Mémoires  de  M.  de  La 
Fayette;  U,  recueil  de  pièces  imprimées  et  manuscrites  sur  la  vie  et 
les  amours  de  Louis  XV;  iS,  liasse  de  papiers  diplomatiques; 
-19,  liasse  de  feuilles  volantes,  papiers  politiques,  historiques,  de 
famille  et  autres.  Il  ne  restait  plus  à  la  police  qu'une  liasse  de 
papiers  sans  grande  importance,  qui  se  trouvent  aujourd'hui  aux 
Archives  nationales,  dans  le  dossier  de  Soulavie,  sous  la  cote  F"  6572. 

La  saisie  pratiquée  chez  Soulavie  n'avait  donné  que  des  résultats 
presque  insignifiants  ;  l'adroit  collectionneur  avait  mis  à  l'abri  des 
perquisitions  la  plus  grande  partie  de  ses  richesses,  entre  autres  les 
papiers  du  Secret  du  roi.  Maret  et  le  comte  d'Hauterive  regrettaient 
beaucoup  cet  insuccès  et,  à  la  mort  de  Soulavie,  arrivée  en  mars 
^8■^3,  ils  firent  mettre  les  scellés  sur  toutes  ses  collections. 

La  famille  s'opposa  d'abord  à  cette  saisie  ;  mais  une  ordonnance 
de  référé  leva  tous  les  obstacles  et  Baudard  put  faire  transporter  au 
ministère  tous  les  papiers  qui  lui  semblèrent  intéresser  le  départe- 
ment. 11  déclarait  qu'en  réunissant  à  ces  manuscrits  ceux  qui  lui 
avaient  déjà  été  remis  au  ministère  de  la  police  le  23  mars  dernier  et 
deux  articles  qu'il  y  avait  laissés  comme  n'intéressant  pas  le  dépar- 
tement, les  archives  des  Relations  extérieures  possédaient  la  totalité 
des  -12  articles,  décrits  par  Soulavie  à  la  page  ii  de  son  second 
mémoire  '.  Il  ajoute  :  «  On  m'a  représenté  et  j'ai  cru  devoir  récla- 
mer un  nombre  considérable  de  cahiers  renfermant  des  pièces  manus- 
crites sur  toutes  sortes  de  matières  politiques,  finances,  guerre, 
marine,  clergé,  tout  y  est  réuni  et  amalgamé  sans  ordre  ;  il  s'y  trouve 


1 .  Eu  voici  le  titre  un  peu  long  :  Second  Mémoire  à  S.  M.  I.  et  R.  sur  la 
dispersion,  le  recouvrement,  les  périls  et  l'état  actuel  des  archives  et  docu- 
ments du  ministère  secret  de  Louis  XV,  recueillis,  acquis  et  classés  depuis 
1782  jusqu'en  1810  par  M.  J.  L.  Soulavie,  pour  obtenir  de  S.  M.  le  retour  en 
nature  de  la  12"  partie  de  ces  archives  ou  environ,  envahies  les  cinq  premiers 
jours  de  l'an  III  par  la  force  armée  des  clubs  genevois.  Paris,  10  janvier  1810, 
in-4°.  Un  exemplaire  s'en  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  sous  la  cote 
Ln-^  19097.  A  la  page  11  de  ce  Mémoire  se  trouve  l'état  actuel  des  documents 
du  ministère  secret  de  Louis  XV;  auquel  renvoie  Baudard. 


^^2  MÉLANGES   ET   DOCDMENTS. 

un  grand  nombre  de  lettres  autographes,  qui  n'ont  de  mérite  que 
celui  de  présenter  l'écriture  de  quelques  personnages  plus  ou  moins 
célèbres  de  ces  derniers  temps.  J'ai  enliassé  ces  cahiers  au  nombre 
de  cinquante  environ  et  le  tout  a  été  transporté  aux  Archives.  » 

Alors  les  deux  sous-chefs  de  la  division  des  Archives,  Baudard  et 
Tessier,  de  concert  avec  un  frère  de  Soulavie,  conservateur  au  dépôt 
de  la  guerre,  entreprirent  de  faire  un  inventaire  détaillé  de  cette 
masse  énorme  de  paperasses.  Ils  employèrent  sept  longues  séances 
et  ils  ne  terminèrent  cet  important  travail  que  le  6  mai.  Dans  une 
note  adressée  au  comte  d'Hauterive  sur  leurs  opérations,  Baudard  et 
Tessier  font  cette  déclaration  :  «  Sans  entrer  ici  dans  la  discussion 
des  motifs  qui  établissent  le  droit  du  gouvernement  sur  la  plus  grande 
partie  de  ces  papiers,  droit  qui  pour  nous  n'est  point  une  chose  con- 
testable, nous  nous  bornerons  à  faire  observer  qu'une  très  petite  par- 
tie de  ces  papiers  intéresse  réellement  le  département,  que  le  plus 
grand  nombre  n'est  d'aucune  utilité  pour  le  dépôt,  mais  ne  saurait 
être  sans  inconvénient  rendu  à  la  famille  ou  livré  au  public  ;  qu'enfin 
une  troisième  partie  n'offre  que  des  pièces  purement  littéraires  ou 
des  papiers  de  famille  et  doit  être  restituée  à  celle-ci.  «  On  ne  sait 
pas  si  ces  conclusions  furent  adoptées,  et  si  cette  troisième  partie  fut 
restituée  à  la  famille.  Toutefois  on  alloua  aux  héritiers  de  Soulavie 
une  indemnité  de  20,000  fr.  pour  les  dédommager  de  la  valeur  des 
papiers  retenus  par  le  ministère,  sans  qu'il  fût  bien  prouvé  qu'ils 
appartenaient  au  gouvernement  ;  le  paiement  souffrit  des  retards  et 
en  ^8I0  cette  indemnité  fut  réduite  à  4,000  fr. 

On  voit  combien  est  considérable  la  masse  des  papiers  qui  sont 
entrés  aux  Archives  des  affaires  étrangères  à  la  suite  des  saisies  pra- 
tiquées en  1 81 1  et  en  1 8^3  au  domicile  de  Soulavie  ;  mais  par  malheur 
nous  connaissons  bien  mal  la  composition  de  tout  ce  fatras.  Pour  les 
cinquante  volumes  et  plus  saisis  en  ^8^1,  nous  n'avons  que  les  deux 
reçus  laconiques  délivrés  par  le  comte  d'Hauterive  et  par  Baudard  à 
la  pohce  et  conservés  aux  Archives  nationales  dans  le  dossier  de 
Soulavie  ;  pour  les  papiers  du  Secret  du  Roi,  nous  n'avons  que  la 
notice  insérée  à  la  page  i  i  de  son  mémoire  ;  enfin,  pour  les  cinquante 
liasses  saisies  après  le  décès,  nous  n'avons  plus  rien,  puisqu'on  ne 
retrouve  plus  aux  Archives  des  Affaires  étrangères  l'inventaire  dressé 
par  Baudard,  Tessier  et  le  frère  de  Soulavie-,  la  perte  de  cet  inven- 
taire est  d'autant  plus  regrettable  qu'il  était  très  détaillé  et  que  la 
valeur  de  cliaque  manuscrit  y  avait  été  discutée  rigoureusement.  On 
y  trouverait  sans  doute  tous  les  renseignements  nécessaires  pour 
rechercher  et  identifier  les  documents  dont  Soulavie  était  en  posses- 
sion à  sa  mort . 


LES    PAPIERS   DE    SOULAVIE.  -1 -1  3 

Tous  les  historiens  savent  combien  un  semblable  travail  d'identi- 
fication serait  utile  pour  la  critique  des  documents  relatifs  à  l'histoire 
de  la  fin  du  xviii"  siècle.  Sans  parler  du  mémoire  concernant  l'Homme 
au  Masque  de  fer,  qui  fit  une  si  grande  impression  sur  le  comte 
d'Hauterive,  Soulavie  possédait  encore  une  grande  quantité  de  lettres 
autographes,  dont  un  certain  nombre  ne  sont  pas  dans  les  Archives 
du  ministère  des  Affaires  étrangères';  il  avait  encore  chez  lui  des 
manuscrits  de  mémoires  apocryphes  inachevés,  entre  autres  des 
mémoires  du  duc  de  Ghoiseul,  dont  je  saisis  cette  occasion  pour  dire 
quelques  mots. 

Ce  n'est  pas  que  je  veuille  discuter  aujourd'hui  l'authenticité  des 
mémoires  de  Ghoiseul,  et  de  ceux  imprimés  en  -1790^,  et  de  ceux 
dont  un  fragment  important  vient  d'être  publié  par  M.  VateP;  j'es- 
père pouvoir  traiter  un  jour  à  fond  cette  question  ici-même,  quand 
des  circonstances  indépendantes  de  la  volonté  de  leur  propriétaire 
cesseront  d'empêcher  l'accès  des  archives  de  la  famille  de  Ghoiseul; 
en  attendant,  je  veux  seulement  indiquer  les  rapports  qui  existent 
entre  Soulavie  et  ces  mémoires. 

Le  28  février  I79^ ,  dans  un  prospectus  joint  à  la  ^6^  livraison  des 
Mémoires  du  règne  de  Louis  XV,  Soulavie  parlait  ainsi  des  Mémoires 
du  duc  de  Ghoiseul,  imprimés  en  -1790  :  «  Aux  douze  volumes  des 
Mémoires  si  curieux  de  feu  M.  de  Ghoiseul,  on  opposait  alors  deux 
volumes  de  fragments  que  le  public  a  déjà  jugés.  »  G'est  le  langage 
d'un  homme  furieux  de  se  voir  devancer.  Les  Mémoires  que  Sou- 
lavie annonçait  de  cette  façon  étaient  rédigés  sous  forme  de  lettres 
à  un  ami.  Dans  une  note  soi-disant  adressée  à  l'auteur  des  .Mémoires 
de  Richelieu,  Soulavie  disait  en  -1793  :  «  Si  les  Ghoiseul-la-Baume^ 

Ghoiseul-Gouffler,  Ghoiseul-Stainville,  Ghoiseul-Praslin 

ne  reconnaissent  pas  à  ces  traits  leur  parent,  il  faut  insister  pour  que 
Buisson  imprime  sur-le-champ  la  correspondance  secrète  que  je  vous 


1.  «  Beaucoup  d'autographes,  surtout  du  temps  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI, 
fruit  de  ses  relations  ou  bien  épaves  révolutionnaires,  étaient  réunis  dans  ses 
mains  et  j'en  ai  acquis  de  sa  veuve  les  derniers  débris.  »  Feuillet  de  Couches, 
Causeries  d'un  curieux.  Paris,  1862,  in-S",  t.  II,  p.  473.  Quelques  années  plus 
tard,  en  1864  et  en  1866,  après  avoir  publié  les  premiers  volumes  de  sa  collec- 
tion de  documents  sur  Louis  XVI,  M.  F.  s'indigna  que  M.  Geffroy  eût  reconnu 
dans  quelques-unes  de  ces  lettres  suspectes  le  style  de  Soulavie  et  nia  avoir 
jamais  eu  le  moindre  rapport  avec  «  ce  misérable  et  audacieux  menteur  de  Sou- 
lavie. «Feuillet,  LowisA'F/,  Paris,  1864  et  s.  In-8%  t.  III,  p.  xvii,  et  t.  IV,  p.  xcix. 

2.  Mémoires  de  M.  le  duc  de  Ghoiseul,  écrits  par  lui-même  et  imprimés  sous 
ses  yeux  dans  son  cabinet,  à  Chanteloup,  en  1778.  Paris,  1790,  2  vol.  in-8°. 

3.  Histoire  de  madame  Dubarrij.  Versailles,  1883,  in-12,  t.  I,  p.  483  et  s. 

Rev.  Histor.  XXV.  !«'•  fasg.  8 


^^4  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

ai  délivrée  ^  »  Buisson  se  refusa  sans  doute  à  entreprendre  une  aussi 
grosse  affaire  et  Soulavie  laissa  à  sa  mort  quelques  volumes  manuscrits, 
qui,  suivant  son  habitude,  étaient  inachevés  et  qui,  sous  le  titre  de 
Mémoires  de  Choiseul,  contenaient  seulement  un  canevas  et  des  frag- 
ments d'un  ouvrage  à  peine  ébauché. 

Ces  Mémoires  de  Choiseul,  fabriqués  pav  Soulavie,  se  trouvaient 
encore  aux  Archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères  avant  ^  848  ; 
car  M.  Jobez  possède  aujourd'hui  une  copie  de  fragments  du  second 
volume  faite  avant  cette  époque.  M.  J.  s'en  servit  dans  son  Histoire 
du  règne  de  Louis  XV  et,  avec  une  extrême  générosité,  il  en  laissa 
prendre  des  copies  à  M.  Vatel,  qui  en  tira  le  fragment  signalé  plus 
haut,  et  à  moi-même.  Ni  M.  Jobez,  ni  M.  Vatel  ne  doutèrent  un  seul 
instant  de  l'authenticité  de  ces  fragments  d'origine  obscure  ;  pour  moi, 
il  me  fut  impossible  de  partager  leur  confiance.  Mes  soupçons  furent 
immédiatement  éveillés  par  la  préface  que  mit  en  tête  de  ces  extraits 
la  personne  qui  en  fit  la  copie  sur  Texemplaire  autrefois  conservé  aux 
Archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères.  Voici  ce  qu'il  en  dit  : 
«  L'idée  qui  le  déterminait  à  écrire  se  marque  dans  les  premières 
lignes;  quand  cette  idée  est  remplie,  sa  plume  languit  et  souvent  elle 
lui  tombe  des  mains.  Les  fragments  ne  sont  donc  pas  finis  ;  il  y  a 
plus  ;  le  plus  grand  nombre  est  informe.  Les  morceaux  ont  deux,  huit 
et  quatre  pages  d'écriture;  quelques-uns  en  ont  davantage  ;  aucun  n'a 
une  certaine  mesure  qui  le  rende  intéressant.  Il  y  en  a  cependant 
quelques-uns  qui,  malgré  leur  brièveté  et  leur  imperfection,  con- 
tiennent quelquefois  des  faits  et  des  jugements  intéressants.  «  Ce 
jugement  pourrait  s'appliquer  à  la  plupart  des  ouvrages  de  Soulavie, 
qui  le  plus  souvent  sont  écrits  sans  suite  et  sans  soin  ;  parfois  seule- 
ment on  y  trouve  de  brillants  fragments.  La  façon  dont  on  parle  de 
Louis  XV  dans  ces  mémoires  ressemble  étrangement  à  celle  dont 
use  Soulavie  dans  ses  divers  ouvrages.  Ces  analogies  de  composition, 
de  style  et  d'idées  me  font  croire  que  ces  Mémoires  attribués  à  Choi- 
seul sont  ceux  que  Soulavie  avait  commencé  à  rédiger  en  d  790  et  dont 
il  avait  annoncé  la  publication  en  noi  et  ^92.  Cette  conjecture  est 
d'autant  plus  vraisemblable  que  les  papiers  de  Soulavie  sont  presque 
tous  entrés  aux  Archives  des  Affaires  étrangères,  d'où  cette  copie  est 
tirée,  tandis  que  les  papiers  de  Choiseul  sont  encore  aujourd'hui  entre 
les  mains  de  ses  légitimes  héritiers  et  qu'on  ne  s'explique  pas  com- 
ment, pourquoi  et  quand  les  Mémoires  de  ce  ministre,  s'ils  étaient  bien 
réellement  l'œuvre  des  loisirs  de  sa  retraite,  seraient  arrivés  dans  ce 
dépôt  des  Archives  des  Affaires  étrangères. 

l.  Mémoires  de  Richelieu,  t.  IX,  p.  508. 


LES    PAPIERS    DE    SOULAVIE.  ^ -1  5 

Ce  n'est,  dira-t-on,  qu'une  conjecture  ;  mais  en  l'absence  du  manus- 
crit, sur  lequel  a  été  prise  la  copie  de  ces  Mémoires,  et  en  l'absence 
de  l'inventaire  détaillé  des  papiers  de  Soulavie,  terminé  et  signé  le 
6  mai  ]Si3,  manuscrits  qui  tous  deux  ne  se  trouvent  plus  aujour- 
d'hui aux  Archives  des  Affaires  étrangères,  il  est  impossible  d'arriver 
à  des  résultats  absolument  certains. 

C'est  pourquoi  en  terminant  j'appelle  à  nouveau  l'attention  des 
historiens  et  des  chercheurs  sur  cet  inventaire. 

Jules  Plammermont, 


Rapport  du  comte  d'Hauterive  au  duc  de  Bassano. 

Je  vais  mettre  brièvement  sous  les  yeux  de  Votre  Excellence  tout  ce 
qui  est  relatif  à  des  papiers  récemment  mis  sous  le  scellé  par  un  juge 
de  paix  à  la  réquisition  d'un  commissaire  de  son  ministère. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  de  M.  Soulavie,  je  me  rappelai  tout  ce  qui 
a  été  dit  et  tout  ce  qu'il  a  publié  lui-même  sur  l'importance  de  ses 
papiers  que,  dans  des  mémoires  particuliers  et  dans  la  plupart  de  ses 
ouvrages,  il  déclare  avoir  recueillis  dans  les  maisons  des  hommes  en  place 
ou  revêtus  de  grandes  dignités,  dans  les  dépôts  publics  et  jusque  dans 
le  cabinet  particulier  du  feu  roi  Louis  XVI;  je  me  rappelai  en  même 
temps  que,  l'année  dernière,  sur  la  demande  qu'il  osa  faire  au  gouver- 
nement de  lui  vendre  la  collection  de  ses  manuscrits  dont  il  ne  craignait 
pas  de  lui  exposer  sans  déguisement  la  nature  et  l'origine,  S.  Ex.  M.  le 
ministre  de  la  police  fit  faire  chez  lui  la  saisie  de  ses  papiers  ;  et,  conjec- 
turant néanmoins  que  cette  mesure  pouvait  n'avoir  eu  qu'un  résultat 
incomplet,  je  proposai  à  V.  Ex.  de  requérir  la  mise  des  scellés  dans  le 
cabinet  de  M.  Soulavie. 

Ces  scellés  ont  été  apposés  et  en  même  temps  M.  le  ministre  de  la 
police  a  consenti  à  faire  remettre  aux  archives  la  partie  des  papiers 
saisis  par  son  ordre  et  qui  ont  paru  devoir  appartenir  au  ministère. 

J'ai  examiné  ces  manuscrits  ;  ils  composent  une  collection  faite  sans 
choix,  sans  ordre,  sans  intelligence  et  dans  laquelle,  au  milieu  d'une 
foule  de  pièces  tronquées,  incomplètes,  indifférentes,  on  rencontre  sou- 
vent des  documents  d'un  assez  grand  intérêt.  Un  grand  nombre  de 
pièces  de  cette  dernière  espèce  ont  déjà  été  publiées  dans  des  compila- 
tions qui,  généralement,  ont  eu  peu  de  succès.  M.  Soulavie  se  proposait 
probablement  de  publier  le  reste,  quand  l'établissement  de  la  censure 
est  venu  mettre  un  terme  à  ses  indiscrètes  publications. 

Je  regarde  néanmoins  comme  important  de  ne  pas  laisser  subsister 
hors  des  dépôts  publics  les  manuscrits  même  des  pièces  imprimées, 
attendu  que  le  discrédit  personnel  de  M.  Soulavie  avait  attiré  une  telle 
défiance  sur  l'authenticité  de  ses  publications  qu'elles  n'ont  fait  aucune 
espèce  de  sensation  et  que  la  connaissance  et  la  communication  des 


-H6  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

pièces  originales  pourraient  donner  à  ses  scandaleux  ouvrages  un  crédit 
qu'il  importe  de  ne  pas  leur  laisser  prendre.  Il  est  d'ailleurs  évident,  à 
la  première  inspection  de  ces  pièces,  qu'elles  appartiennent  presque 
toutes  à  des  établissements  publics,  d'où  les  unes  ont  été  illégalement 
soustraites,  où  les  autres  auraient  dû,  aux  termes  des  règlements,  être 
déposées  par  leurs  premiers  possesseurs,  et  où  celles  qui  ne  sont  que 
des  copies  ont  été  indirectement  et  irrégulièrement  transcrites. 

Il  m'a  paru  cependant  que  quelques-uns  de  ces  papiers  pouvaient  être 
regardés  comme  des  productions  purement  littéraires,  et,  par  là  même, 
que  la  famille  de  M.  Soulavie  a  le  droit  de  les  réclamer  ;  mais  ces  papiers, 
étant  confondus  et  reliés  dans  le  même  volume  avec  les  pièces  d'admi- 
nistration et  de  gouvernement,  ne  peuvent  être  distingués  et  distraits  de 
la  collection  que  par  le  moyen  d'un  inventaire  ;  et,  comme  un  très  grand 
nombre  de  parties  de  cette  collection  se  compose  de  feuilles  détachées 
appartenant  à  des  cahiers  perdus  et  tronqués,  que  d'autres  sont  des 
brouillons  insignifiants,  reliés  et  classés  dans  le  seul  objet  de  leur  don- 
ner une  importance  apparente,  il  devient  d'autant  plus  nécessaire  de 
faire  de  la  collection  entière  un  inventaire  exact  et  détaillé  que,  malgré 
le  droit  incontestable  que  le  gouvernement  me  semble  avoir  de  retenir 
toutes  ces  pièces  pour  prévenir  l'abus  qui  peut  en  être  fait,  il  y  a  néan- 
moins un  fondement  plausible  à  la  demande  d'indemnité  qui  peut  être 
adressée  par  la  famille  de  M.  Soulavie  pour  les  peines  et  soins  que  cette 
collection  a  pu  coûter  et  pour  le  bonheur  de  l'avoir  conservée'. 


Je  joins  à  mon  rapport  deux  copies  que  j'ai  fait  faire  dans  la  partie 
de  la  collection  de  M.  Soulavie,  qui  a  été  rétablie  aux  archives  par  l'au- 
torisation de  S.  Ex.  M.  le  Ministre  de  la  police.  La  première  est  faite 
sur  un  manuscrit  relatif  au  Masque  de  fer  ;  la  deuxième  sur  un  manus- 
crit de  Louis  XVI. 

C'est  à  la  vue  de  la  première  de  ces  deux  pièces  que  j'ai  senti  à 
quel  point  l'examen  d'un  manuscrit  ayant  quelques  caractères  d'origi- 
nalité pouvait  donner  de  l'authenticité  et  de  l'intérêt  à  une  publication 
auparavant  dédaignée.  J'avais  lu  dans  les  mémoires  de  Richelieu,  sans 
y  ajouter  aucun  degré  de  foi  et  sans  en  recevoir  aucune  impression, 
l'histoire  du  Masque  de  fer  telle  qu'elle  a  été  publiée  par  M.  Soulavie. 
Je  ne  crois  pas  que  cette  lecture  ait  fait  sur  d'autres  lecteurs  plus  d'im- 
pression que  sur  moi  ;  mais,  en  voyant  le  manuscrit  de  ce  chapitre 
conservé  sur  un  papier  vieilli,  écrit  d'un  caractère  presque  décoloré  et 
avec  l'orthographe  du  temps,  j'ai  éprouvé  que  cette  lecture  faisait  sur 


1.  Je  supprime  quelques  pages  i)leines  de  détails  techniques  et  juridiques  sur 
la  mission  de  Baudard. 


LES  PAPIERS   I)E   SOULA  VIE.  H7 

moi  une  impression  tout  à  fait  nouvelle  et  je  n'ai  pu  me  défendre 
d'attacher  une  croyance  presque  entière  à  la  sincérité  de  ce  récita 

Je  ferai  une  observation  analogue  sur  le  second  manuscrit.  La  collec- 
tion de  M.  Soulavie  ne  présente  qu'une  simple  copie,  mais  les  caractères 
informes,  exagérés  et  difficilement  lisibles  donnent  tous  les  indices  d'une 
transcription  extrêmement  rapide,  et  prouvent  en  même  temps  que 
l'écrivain  qui  n'a  eu  qu'un  temps  très  court  pour  consommer  ce  larcin 
d'une  nouvelle  espèce,  n'a  pas  eu  celui  de  fabriquer  un  écrit  dont  la 
rédaction  est  très  soignée  et  offre  à  chaque  page  des  observations  inté- 
ressantes, judicieuses  et  qui  sont  fort  au-dessus  de  la  portée  de  M.  Sou- 
lavie. 

D'Hauterive. 
Paris,  le  7  avril  1813. 

1.  Soulavie  a  publié  ce  récit  au  tome  III  des  Mémoires  de  Richelieu,  p.  74  à 
84,  sous  ce  titre  :  Relation  de  la  naissance  et  de  l'éducation  du  prince  infor- 
tuné, soustrait  par  les  cardinaux  de  Bichelieu  et  de  Mazarin  à  la  société  et 
renfermé  par  l'ordre  de  Louis  XIV.  Ce  mémoire  serait  l'œuvre  du  gouverneur 
de  ce  jeune  prince,  qui  ne  serait  autre  qu'un  frère  jumeau  de  Louis  XIV,  né 
huit  heures  après  ce  roi.  Le  mémoire  en  question  aurait  été  donné  par  le  régent 
à  Mademoiselle  de  Valois  sa  fdie,  qui,  elle-même,  l'aurait  donné  à  son  amant, 
le  duc,  plus  tard  maréchal  de  Richelieu.  Soulavie  l'aurait  pris  dans  les  papiers 
de  ce  dernier  avec  un  grand  nombre  de  lettres  de  Mademoiselle  de  Valois  à  son 
amant.  Cfr.  Mémoires  de  Richelieu,  III,  73-92,  et  VI,  8-53. 


BULLETIN    HISTORIQUE 


FRANCE. 


NÉCROLOGIE.  —  Au  moment  où  ce  Bulletin  allait  être  mis  sous 
presse,  nous  avons  appris  la  mort  du  doyen  des  historiens  français, 
M.  F.  MiGNET.  Il  avait  survécu  à  ses  illustres  contemporains,  Aug. 
Thierry,  Guizot,  Michelet,  Thiers,  et  l'on  peut  dire  qu'avec  lui  se 
ferme  une  des  périodes  les  plus  hrillantes  de  l'historiographie  fran- 
çaise. Dans  les  années  même  où  la  Révolution  changeait  la  consti- 
tution politique  et  sociale  de  la  France,  naissaient  des  hommes  qui 
allaient  exercer  une  influence  profonde  et  novatrice  sur  notre  littéra- 
ture historique.  Les  cinq  historiens  que  je  viens  de  nommer  sont 
nés  en  effet  entre  -1787  et  1798.  Parmi  eux,  M.  Mignet  est  sans  doute 
celui  qui  eut  la  renommée  la  moins  retentissante,  mais  c'est  celui 
peut-être  chez  qui  se  trouvaient  dans  le  plus  harmonieux  équilibre 
les  qualités  essentielles  de  l'historien.  Il  était  philosophe  sans  être 
aussi  systématique  que  M.  Guizot;  il  ne  manquait  pas  d'imagination 
ni  de  chaleur  de  cœur,  mais  son  imagination  et  ses  sympathies  per- 
sonnelles étaient  mieux  contenues  chez  lui  par  l'esprit  critique  qu'elles 
ne  le  furent  toujours  chez  Aug.  Thierry  et  chez  Michelet;  il  était  un 
admirable  narrateur,  plus  sobre,  plus  précis  et  plus  incisif  que  Thiers. 
Ce  n'est  pas  quMl  faille  le  placer  au-dessus  de  ses  illustres  émules  -, 
Guizot,  Michelet,  Thierry  étaient  des  hommes  de  génie,  qui  l'em- 
portent de  beaucoup  sur  M.  Mignet  par  la  puissance  créatrice,  par  la 
fécondité  et  la  profondeur  des  vues  historiques;  mais  avec  des  qua- 
lités moins  éclatantes,  M.  Mignet  a  su  donner  à  tout  ce  qui  est  sorti 
de  sa  plume  la  solidité  qui  vient  de  la  conscience  dans  les  recherches 
et  de  la  justesse  des  jugements,  la  beauté  qui  vient  de  l'équilibre  dans 
la  composition  et  de  l'harmonie  entre  le  style  et  les  pensées.  Le  plus 
connu  de  ses  ouvrages,  V Histoire  de  la  Révolution,  n'est  pas,  à  mes 
yeux,  le  meilleur;  car  il  fut  écrit  à  une  époque  où  M.  Mignet  était 
engagé  dans  la  polémique  politique  quotidienne.  Sous  l'impartialité 
apparente  du  récit,  admirable  de  concision  et  de  force,  on  sent  un 


FRANCE.  M9 

parti  pris  sinon  d'apologie,  du  moins  d'atténuation.  3farie  Sfuorf, 
qui  est  un  chef-d'œuvre  au  point  de  vue  littéraire,  a  beaucoup 
perdu  de  sa  valeur  historique  depuis  les  recherches  faites  dans  les 
trente  dernières  années  sur  la  malheureuse  reine  d'Ecosse,  et  pour- 
tant nouspersistons  à  croire  que  le  portrait  de  Marie  tracé  par  M.  Mignet 
est  plus  vrai  que  les  peintures  embellies  et  affadies  de  ses  apologistes. 
Les  grandes  quahtés  d'historien  de  M.  Mignet  brillent  surtout  dans 
une  œuvre  restée  malheureusement  inachevée,  les  Négociations  rela- 
tives à  la  succession  d'Espagne^  et  dans  ses  essais  sur  la  Germanie, 
sur  le  Gouvernement  de  Genève  au  xvi''  s.,  sur  la  formation  territo- 
riale de  la  France,  qui  semblent  des  fragments  d'œuvres  de  longue 
haleine  restées  à  l'état  de  projet.  Personne,  sauf  peut-être  M.  Ranke, 
n'a  su  au  même  degré  que  M.  Mignet  manier  les  documents  diplo- 
matiques sans  se  laisser  accabler  par  leur  longueur  ni  par  leur 
nombre,  y  démêler  d'emblée  les  choses  essentielles,  les  éclairer  par 
une  pénétrante  intelligence  des  caractères  et  y  faire  circuler  la  vie. 
A  l'esprit  critique,  aux  vues  larges  et  impartiales  de  l'historien,  slajoute 
chez  lui  l'expérience  pratique  de  l'homme  d'État;  mais  s'il  raconte 
avec  l'animation  d'un  acteur  contemporain,  il  juge  avec  une  sérénité 
que  rien  n'altère.  Ranke  a  une  plus  grande  richesse  de  connaissances 
et  d'idées,  Mignet  est  plus  artiste  et  plus  grand  écrivain.  Tous  deux 
ont  donné  les  meilleurs  modèles  de  la  méthode  qu'on  doit  appliquer 
à  l'étude  de  l'histoire  moderne,  de  l'esprit  dans  lequel  on  doit  la 
comprendre,  du  style  dont  on  doit  l'écrire.  Il  est  parvenu  à  la  vieil- 
lesse sans  rien  perdre  de  la  lucidité  ni  de  la  fermeté  de  son  esprit; 
la  nature,  qui  l'avait  doué  de  tous  les  dons  qui  peuvent  rendre  la  vie 
heureuse,  brillante  et  facile,  est  restée  généreuse  envers  lui  jusqu'à 
son  dernier  jour;  les  écrits  qu'il  nous  laisse  conservent  pour  la  pos- 
térité cette  sérénité  harmonieuse,  cet  air  de  bonheur  qui  faisaient  le 
charme  du  beau  et  noble  visage  de  M.  Mignet. 

La  loi  de  recrutement  militaire  et  l'enseignement  supérieur.  — 
Cet  air  de  bonheur  pouvait  convenir  à  ceux  qui  ont  vu  la  France  se 
relever  de  ses  ruines  et  panser  ses  blessures  au  lendemain  de  la  chute 
de  Napoléon,  et  qui  ont  été  entraînés,  portés  par  le  grand  mouve- 
ment intellectuel  de  la  Restauration  ;  il  ne  serait  point  de  mise  sur 
le  front  de  ceux  qui,  après  avoir  vu  la  patrie  démembrée,  peuvent  se 
demander  si  la  France  ne  va  pas  perdre  par  la  faute  des  Français 
eux-mêmes  tout  espoir  de  grandeur  intellectuelle  et  scientifique.  Nous 
nous  sammes  fait  une  règle  de  ne  jamais  laisser  pénétrer  ici  aucun 
écho  delà  politique  contemporaine;  mais  nous  ne  pouvons  garder  le 
silence  quand  une  loi  sauvage  menace  tous  les  intérêts  scientifiques 
qui  nous  sont  chers  ;  d'ailleurs  une  loi  militaire  est  par  sa  nature  ou 


420  BULLETIN  HISTORIQUE. 

devrait  être  indépendante  de  toute  préoccupation  politique.  Toute 
la  France  a  applaudi  quand  on  a  établi  le  service  militaire  obli- 
gatoire et  universel,  quand  on  a  voulu  faire  concourir  tous  les 
citoyens  à  la  défense  de  la  patrie,  quand  on  a  imposé  même  à 
ceux  qui  se  destinent  aux  carrières  libérales  une  année  de  ser- 
vice, aussi  profitable  à  leur  développement  moral  qu'à  leur  déve- 
loppement physique;  mais,  à  la  bonne  volonté  qu'a  rencontrée  la 
première  loi  de  recrutement  de  la  République,  succédera  une  pro- 
testation unanime  de  tout  ce  que  le  pays  compte  d'hommes  éclai- 
rés, si  l'on  vote  la  loi  aujourd'hui  proposée  au  Parlement,  laquelle 
impose  à  tous,  sans  exception,  trois  ans  de  service  effectif.  Cette  loi, 
qui,  si  elle  était  appliquée,  ferait  sourire  de  pitié  et  rire  de  joie  nos 
plus  cruels  ennemis,  rendrait  bien  inutiles  les  sacrifices  faits  depuis 
dix  ans  pour  l'enseignement  secondaire  et  l'enseignement  supérieur, 
à  moins  qu'elle  ne  rende  inutiles  tous  les  sacrifices  faits  pour  l'armée 
elle-même.  Si  cette  loi  était  votée,  on  se  trouverait  entre  deux  alter- 
natives :  ou  bien  on  réussirait  à  l'appliquer  et  alors  c'en  serait  fait 
de  tout  ce  qui  rend  la  France  digne  d'être  aimée,  de  la  France  artis- 
tique, littéraire,  scientifique;  ou  bien,  ce  qui  est  plus  probable,  la 
loi  soulèverait  une  telle  réprobation  que  le  service  de  trois  ans 
bientôt  serait  réduit  à  un  an,  et  que  l'armée  française  serait  organisée 
sur  le  modèle  de  l'armée  suisse.  C'est  là  évidemment  l'idéal  que  rêvent 
beaucoup  des  partisans  de  la  nouvelle  loi.  Pour  nous,  nous  concevons 
autrement  le  rôle  de  la  France;  nous  la  voulons  grande  et  forte  à 
l'extérieur,  comme  nous  la  voulons  brillante  par  les  arts,  les  lettres 
et  les  sciences,  riche  par  le  commerce  et  l'industrie.  La  loi  qu'on  veut 
nous  donner  porterait  atteinte  à  Tâme  même  de  la  France  et  c'est 
déjà  trop  qu'elle  ait  pu  être  proposée  et  discutée. 

PcBLicATioNs.  DocuMEVTs.  —  La  compéteuce  nous  manque  -pour 
apprécier  la  traduction  de  la  Chronique  dite  de  Nestor  que  vient  de 
nous  donner  M.  L.  Léger  (Leroux;  publication  de  l'Ecole  des  langues 
orientales  vivantes),  mais  nous  savons  que  les  meilleurs  juges  en  ont 
loué  l'exactitude,  et  nous  sommes  reconnaissants  au  savant  profes- 
seur de  l'École  des  langues  orientales  d'avoir  mis  à  la  portée  de  tous 
les  historiens  ce  document  d'une  importance  capitale  pour  l'histoire 
russe  et  pour  l'histoire  Ijyzantine,  qui  est  en  même  temps  un  docu- 
ment littéraire  de  la  plus  étrange  et  savoureuse  originalité.  On  regret- 
tera peut-être  que  M.  Léger  n'ait  pas  dans  son  introduction  donné 
plus  de  développement  à  ce  qu'il  dit  des  sources  et  de  l'autorité  de  la 
chronique,  et  l'on  ne  trouvera  pas  très  convaincantes  les  raisons  par 
lesquelles  il  refuse  d'en  attribuer  la  composition  à  l'hégoumène  Syl- 
vestre, mais  on  lui  sera  reconnaissant  des  services  que  rend  pour  la 


FRAXCE.  ^2^ 

lecture  du  texte  son  Index  explicatif  et  critique  (auquel  il  donne  le 
litre  peu  exact  d'Index  chronologique).  Il  y  a  là  sous  une  forme 
modeste  de  précieux  renseignements  et  les  résultats  de  sérieuses 
recherches. 

M.  P.  Meyer,  après  avoir  fait  pendant  de  longues  années  du  poème 
provençal  de  Girart  de  Iloussillon  un  des  objets  favoris  de  ses  études, 
s'est  décidé  à  en  donner  non  une  édition  critique,  mais  une  traduc- 
tion accompagnée  d'une  introduction  très  étendue  (Champion).  Je  ne 
sais  s'il  réussira,  comme  il  l'espère  et  comme  l'ouvrage  le  mérite,  à 
le  faire  lire  en  dehors  du  cercle  des  érudits,  mais  les  historiens  et  les 
littérateurs  lui  sauront  gré  d'avoir  mis  à  leur  portée  dans  une  traduc- 
tion qui  n'est  pas  seulement  fidèle,  mais  remarquablement  expres- 
sive, un  des  poèmes  les  plus  remarquables  que  le  moyen  âge  nous  ait 
laissés,  un  poème  qui  ne  le  cède  en  intérêt  qu'à  la  chanson  de  Roland 
et  à  Garin  le  Lohérain.  Je  dis  en  intérêt  et  non  en  mérite  littéraire; 
car  il  y  a  dans  Girart  plus  de  talent,  de  verve  poétique  que  dans 
Garin;  on  y  trouve  des  sentiments  délicats  et  passionnés  et  même  de 
l'esprit.  Dans  son  introduction,  M.  Meyer  a  démêlé  avec  une  admirable 
sagacité  les  transformations  de  l'histoire  de  Girart,  constatant,  grâce 
à  une  vie  latine  publiée  par  lui  dans  le  t.  YII  de  la  Bomania,  l'étroite 
ressemblance  que  devait  offrir  le  texte  primitif  du  x)«  s.  avec  le  texte 
du  i\f  que  nous  possédons,  et  suivant  ensuite  les  traces  de  la  légende 
dans  les  poèmes  et  les  chroniques  du  moyen  âge,  et  ses  déforma- 
tions dans  le  roman  en  alexandrins  du  xiv'  s.,  dans  le  Girart  de 
Roussillon  de  Jean  Wauquelin  ',  et  dans  une  Histoire  de  Chartes 
Martel  encore  inédite.  Il  a  aussi  replacé  à  côté  du  Girart  du  poème, 
ce  vassal  rebelle  et  téméraire  du  fourbe  et  violent  roi  Charles,  le 
Girart  de  l'histoire  dont  l'existence  est  constatée  depuis  S'IO  jusqu'à 
879,  qui  est  comte  de  Paris  sous  Louis  le  Pieux,  qui  combat  à  Fon- 
tenai  dans  les  rangs  des  partisans  de  Lothaire,  gouverne  la  Provence 
pour  Charles,  fils  de  Lothaire,  de  853  à  863,  puis  la  partie  de  la 
Provence  soumise  à  Lothaire  II,  livre  en  870  Vienne  à  Charles  le 
Chauve  et  meurt  à  Avignon  en  879.  Il  est  comme  le  Girart  du  poème 
le  fondateur  des  monastères  de  Pothières  et  de  Vézelai  -.  M.  Meyer  a 
complété  cette  étude  historique  et  littéraire  en  montrant  ce  que  le 
poème  fournit  à  l'historien  pour  la  connaissance  des  institutions  et  des 


1.  Publiés  en  1880  par  M.  L.  de  Montille  pour  la  Société  d'archéologie,  d'his- 
toire et  de  littérature  de  Beauiie. 

2.  C'est  M.  Longnou  qui  a  flxé  la  jilupart  de  ces  points  dans  son  article  de 
la  Revue  historique  (VIII,  251),  mais  AI.  Meyer  a  complété  ou  rectifié  sur  plu- 
sieurs points  ses  conclusions. 


122  nCLLETIN  niSTOR[QCE. 

mœurs.  Ce  chapitre,  un  des  plus  intéressants  de  l'introduction,  aurait 
pu  aisément  être  augmenté  et  fournir  la  matière  d'un  travail  spécial. 
Ce  qui  rend  cette  recherche  difficile  et  délicate,  c'est  que  le  poème 
que  nous  possédons  n'a  pas  une  parfaite  unité.  Non  seulement  je  n'y 
vois  pas  avec  M.  Meyer  une  composition  régulière  et  habile,  mais  on 
y  trouve  des  traits  d'une  époque  relativement  plus  raffinée  à  coté  de 
traits  d'une  sauvagerie  toute  primitive.  Les  poèmes  comme  Girart 
et  Garin  se  sont  formés  au  x"  s.  dans  l'imagination  des  poètes  :  leur 
roi  est  un  Charles  de  convention  dont  les  éléments  sont  pris  à  Charles 
Martel,  à  Charlemagne  et  à  Charles  le  Chauve,  et  la  société  qu'ils  nous 
peignent  est  l'anarchie  carolingienne  où  la  féodalité  s'établit  sur  les 
ruines  du  pouvoir  royal.  Mais  dans  Garin  la  barbarie  des  mœurs  et 
la  simphcilé  des  sentiments  ont  été  mieux  conservées  que  dans  Girart. 
Peut-être  aussi  l'auteur  de  Girart  qui  écrit  sur  les  frontières  du  pays 
provençal  vivait-il  au  midi  dans  une  société  dont  les  sentiments 
étaient  plus  compliqués,  plus  raffinés  que  dans  le  nord. 

M.  Élie  Berger  vient  de  compléter  la  publication  du  premier  volume 
des  Registres  cl' Innocent  I V  [Thonn]  par  uneexcellenteintroductionsur 
ladiplom.atique  du  pontificat  d'Innocent  IV.  Ce  travail,  où  M.  Berger 
a  fait  ressortir  le  soin  minutieux  apporté  par  la  chancellerie  pontificale 
à  la  rédaction  de  ses  actes,  forme  pour  ainsi  dire  la  suite  et  le  com- 
plément du  mémoire  de  M.  Delisle  sur  les  actes  d'Innocent  III.  Il 
tient  compte  non  seulement  des  registres,  mais  des  actes  originaux 
qu'il  a  pu  étudier  aux  Archives  nationales  et  à  la  Bibliothèque, 
et  il  donne  des  renseignements  précieux  sur  la  constitution,  d'ail- 
leurs assez  irrégulière,  des  registres  du  Vatican.  On  remarquera 
ce  que  dit  M.  Berger  de  la  formation  à  partir  de  Grégoire  IV  de  séries 
spéciales  de  lettres  d'un  intérêt  particulier  pour  la  curie  et  dites 
Lettres  curiales;  on  remarquera  aussi  ce  qu'il  nous  apprend  sur  les 
fréquentes  erreurs  dans  le  calcul  des  indictions  commises  par  les 
notaires  pontificaux.  Ces  erreurs,  au  xrii's.,  dans  une  chancellerie 
aussi  scrupuleuse  que  celle  de  la  curie,  rendent  bien  sceptique  à 
l'égard  des  dates  contenues  dans  les  diplômes  des  siècles  antérieurs 
et  émanés  de  chancelleries  moins  instruites. 

Nous  ne  possédons  pas  d'histoire  de  l'Ordre  de  Saint-Michel,  qui 
joua  pourtant  un  rôle  considérable  sous  Tancien  régime.  Jean-Fran- 
çois-Louis d'Hozier  avait  composé,  de  ^783  à  ^793,  un  vaste  recueil 
de  notices  sur  les  chevaliers  de  l'Ordre.  Ce  recueil  en  onze  volumes 
est  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  nationale.  M.  G.  de  Carxe'  en  a 
extrait  toutes  les  notices  concernant  des  nobles  bretons,  et  les  a 
publiées  sous  le  titre  :  Les  Chevaliers  bretons  de  Saint  -  Michel ., 
depuis  la  fondation  de  l'Ordre,  en  ^09,  jusqu'à  l'ordonnance  de  1665 


FRANCE.  ^23 

(Nantes,  Forest  et  Grimaud).  Il  y  a  joint  une  utile  préface  sur  l'iiis- 
toire  de  l'Ordre  et  des  notes  nombreuses  qui  complètent  les  rensei- 
gnements de  J.-F.-L.  d'Hozier. 

Le  troisième  volume  des  Mémoires  du  marquis  de  Sourches  (Ha- 
chette) contient  les  années  4089,  -1690  et  1091.  Cet  excellent  mar- 
quis est  toujours  également  ennuyeux,  également  bien  renseigné, 
également  consciencieux.  Son  journal  est  d'un  grand  prix  pour  les 
historiens,  mais  la  lecture  en  est  laborieuse.  A  force  de  naïveté,  il 
finit  pourtant  parfois  par  avoir  involontairement  de  l'esprit.  Le 
27  février  i  689  :  «  on  eut  nouvelle  qu'on  avait  encore  tué  en  Viva- 
rais  300  huguenots  révoltés  et  quelques  ministres,  et  le  roi  témoigna 
en  être  fâché,  disant  qu'il  aurait  bien  mieux  valu  les  prendre  et  les 
envoyer  aux  galères.  Ce  sentiment  était  conforme  à  sa  bonté  natu- 
relle; mais,  dans  la  conjoncture  présente,  il  était  plus  de  son  intérêt 
d'augmenter  sa  chiourme  que  de  tuer  ces  insensés,  car  il  voulait 
armer  cette  année  trente  galères » 

M.  Frédéric  Masson  est  un  homme  heureux.  Il  a  eu  le  privilège 
d'éditer  les  papiers  du  cardinal  de  Bernis-,  et  voici  qu'en  parcourant 
une  collection  d'autographes,  il  y  trouve  un  journal  du  marquis  de 
Torcy pendant  les  années  1 709,  \ 71  (Set  \'1\  I  (Pion,  Nourrit),  journal 
diplomatique  et  journal  intime,  document  unique  dans  son  genre, 
qui  nous  fait  assister  jour  après  jour  aux  séances  du  conseil  d'en 
haut,  et  même  à  ces  séances  qui  se  tenaient  dans  la  chambre  et  à 
côté  du  lit  de  M""'  de  Maintenon.  Ce  sont  des  années  tragiques  que 
ces  années  qui  précèdent  la  paix  d'Utrecht,  où  Louis  XIV  abaisse 
son  orgueil  devant  les  marchands  hollandais  et  les  implore  pour 
obtenir  la  paix,  mais  où  jamais  il  n'oublie  ni  ses  devoirs  de  roi  ni  la 
dignité  du  pays  qu'il  représente.  Autant  la  politique  de  Louis  dans 
les  préliminaires  de  la  guerre  de  succession  d'Espagne  fut  impru- 
dente, vacillante  et  même  déloyale,  autant  au  moment  des  revers  il 
montra  d'énergie,  de  lucidité  et  de  grandeur  d'âme.  Il  ne  pouvait 
avoir  un  auxiliaire  plus  honnête  ni  plus  habile  que  Torcy.  Son 
journal  servira  à  la  gloire  du  ministre  ainsi  qu'à  celle  de  son  maître. 
Nous  sommes  reconnaissants  à  M.  Masson  de  nous  avoir  fait  con- 
naître, en  l'annotant  avec  soin,  ce  document  d'un  prix  inestimable. 

La  publication,  par  M.  A.  Michel,  de  la  Correspondance  inédite  de 
Mallet  du  Pan  avec  la  cour  de  Vienne^  -1794-'! 798  (Pion,  Nourrit), 
a  été  une  moins  grande  surprise  pour  les  historiens  que  celle  du 
journal  de  Torcy,  car  on  savait  que  Mallet  du  Pan  avait  été  un  des 
correspondants  attitrés  de  la  cour  de  Vienne  à  l'époque  de  la  Révo- 
lution. L'on  connaissait  même  par  M.  Sayous  des  fragments  de  ses 
lettres  5  mais  la  publication  intégrale  de  cette  correspondance  offre 


I  24  BULLETIN  HISTORIQUE. 

néanmoins  un  puissant  intérêt.  M.  Taine  en  a  marqué  le  caractère 
dans  une  préface  écrite  de  sa  meilleure  plume.  On  n'est  pas  étonné 
que  la  lecture  de  ces  lettres  lui  ait  inspiré  une  admiration  et  une 
sympathie  éloquentes,  car  plus  d'une  page  pourrait,  au  style  près, 
paraître  empruntée  aux  Origines  de  la  France  contemporaine.  Mallet 
du  Pan,  comme  M.  Taine,  voit  surtout  dans  la  France  révolution- 
naire et  y  analyse  les  progrès  et  les  ravages  de  la  maladie  égalitaire, 
de  la  fureur  jacobine.  C'était  un  caractère  intègre,  un  observateur 
attentif,  un  témoin  renseigné  par  des  agents  nombreux  et  intelli- 
gents, et  il  a  noté  avec  sagacité  tous  les  symptômes  du  mal  qui 
conduisit  la  France  d'abord  à  l'anarchie,  puis  au  despotisme.  Toute- 
fois, n'exagérons  rien  et  ne  nous  extasions  pas  avec  excès  devant  la 
perspicacité  de  Mallet  du  Pan.  Cette  perspicacité,  comme  M.  Taine 
l'indique  aux  p.  3  et  4  de  l'Introduction,  il  la  dut  plus  encore  à  sa 
situation  et  à  son  éducation  qu'à  la  supériorité  de  son  intelligence. 
On  est  en  effet  étonné  de  trouver  dans  ses  lettres,  à  côté  de  passages 
remarquables,  des  exagérations  choquantes  et  des  illusions  puériles. 
Mallet  n'a  guère  de  nuances  dans  Pesprit  et  il  entre  une  bonne  dose 
d'étroitesse  dans  la  rigueur  de  sa  logique.  M.  de  Staël  est  à  ses  yeux 
un  jacobin,  M'"*'  de  Staël  «  prodigue  son  impudence  et  son  immo- 
ralité. »  Mallet  du  Pan  accepte  sans  contrôle  tous  les  bruits  quand 
ils  sont  défavorables  aux  révolutionnaires  et,  par  contre,  il  s'exagère 
singulièrement  la  force  du  mouvement  de  réaction  monarchique.  Il 
serait  curieux  de  savoir  quels  étaient  exactement  ses  correspondants 
et  quel  accueil  était  fait  à  Vienne  à  ses  renseignements.  La  préface 
de  M.  Michel  ne  satisfait  pas  à  cet  égard  notre  curiosité.  Sur  le  pre- 
mier point,  peut-être  la  solution  est-elle  impossible  ;  mais  M.  Michel 
aurait  certainement  trouvé  dans  les  archives  de  Vienne  des  rensei- 
gnements précieux  sur  les  relations  de  Mallet  du  Pan  avec  la  cour 
impériale.  Il  laissera  à  d'autres  le  soin  d'achever  une  tâche  qu'il 
était  très  capable  de  remplir  lui-même  tout  entière. 

Le  second  volume  des  Mémoires  du  baron  de  Vitrolles,  publié  par 
M.  FoRGUES  (Charpentier) ,  l'emporte  de  beaucoup  en  intérêt  sur  le  pre- 
mier. Il  comprend  la  période  de  la  lieutenance  de  Monsieur  pendant 
laquelle  Vitrolles  fut  secrétaire  du  conseil  du  gouvernement  institué 
par  le  comte  d'Artois,  les  premiers  temps  du  gouvernement  de 
Louis  XVIII  pendant  lesquels  relégué,  à  son  grand  dépit,  dans  des 
fonctions  mal  définies  de  secrétaire  d'Etat,  il  fut  réduit  au  rôle  de 
spectateur  impuissant,  et  enfin  les  Cent-Jours,  où  il  fut  l'auxiliaire 
courageux  et  énergique  du  duc  et  de  la  duchesse  d'Angoulême  dans 
leurs  efforts  pour  soulever  le  Midi  contre  Napoléon.  Le  volume 
s'arrête  au  moment  où  Vitrolles  est  conduit  prisonnier  à  Vincennes. 


FRANCE.  ^25 

Malgré  son  esprit  chimérique  et  brouillon,  VitroUes,  qui  était  fort 
avant  dans  la  faveur  de  Monsieur  et  qui  était  au  courant  de  toutes 
les  affaires  de  l'État,  est  pour  nous  un  témoin  précieux,  car  il  est 
sincère  et  intelligent.  Il  est  en  hostilité  déclarée  avec  Tabbé  de  Mon- 
tesquiou,  en  hostilité  secrète  avec  Talleyrand,  et  il  ne  perd  pas  une 
occasion  de  les  rendre  ridicules  ou  odieux.  Parmi  les  curieux  récits 
dont  ce  volume  est  rempli,  le  passage  sur  le  fonctionnement  du 
cabinet  noir  est  un  des  plus  caractéristiques.  Il  ajoute  un  trait  char- 
mant à  l'histoire  de  la  routine  en  France,  histoire  fort  riche,  comme 
on  sait.  Après  la  Restauration,  quand  on  crut  devoir  réorganiser  le 
cabinet  noir,  le  secrétaire  d'État  fut  fort  étonné  de  ne  recevoir  com- 
munication que  de  lettres  émanant  de  partisans  fanatiques  des  Bour- 
bons. Le  cabinet  noir  avait  simplement  conservé  la  liste  des  suspects 
du  temps  de  l'empire  et  continuait  à  surveiller  les  menées  des  monar- 
chistes. 

Les  Souvenirs  sur  Vémigration^  l'Empire  et  la  Restauration  du 
comte  Alexandre  de  Puymaigre  (Pion)  n'apportent  aucune  révélation 
politique  et  historique  et  n^ont  pas  un  grand  mérite  littéraire,  mais 
ils  sont  écrits  avec  une  évidente  sincérité  par  un  homme  qui  a  été 
mêlé  de  près  à  d'importants  événements  et  qui  les  a  jugés  avec 
impartialité.  Bien  qu'officier  de  l'armée  de  Gondé  et  plus  tard  servi- 
teur dévoué  de  la  Restauration,  M.  de  Puymaigre  n'était  rien  moins 
qu'un  fanatique;  ce  n'était  môme  pas  un  homme  de  caractère.  A 
l'armée  de  Gondé,  il  fut  un  brave  soldat,  mais,  comme  presque  tous 
ses  compagnons,  il  donnait  au  plaisir  et  au  jeu  le  temps  qui  n'était 
pas  pris  par  la  guerre.  Nous  le  voyons  échanger  des  serments 
d'amour  éternel  avec  une  jeune  noble  polonaise,  puis  l'oublier  pour 
l'as  de  pique;  plus  tard,  à  Paris,  en  cinq  mois  il  ruine  sa  santé  dans 
le  désordre,  et  dépense  au  jeu  jusqu'aux  diamants  laissés  par  sa 
mère.  On  pardonnerait  encore  tous  ces  désordres  en  songeant  que 
c'étaient  là  les  mœurs  ordinaires  de  la  haute  société  du  xviii^  s.;  ce 
qui  est  plus  grave,  c'est  que  ce  légitimiste  entre  dans  l'administra- 
tion impériale  au  lendemain  de  l'assassinat  du  duc  d'Enghien;  ce 
qui  est  plus  grave,  c'est  que  ce  légitimiste,  qui  passe  son  temps  à 
déblatérer  contre  le  régime  impérial ,  dénonce  un  pauvre  diable  de 
marchand  de  vins  qui  tenait  des  propos  malséants  sur  l'empereur; 
il  pousse  M.  de  Vaublanc,  le  préfet,  à  faire  un  rapport  à  Fouché,  et 
le  jacobin  dénoncé  est  jeté  en  prison  et  menacé  de  déportation.  Il  ne 
se  donne  pas  d'ailleurs  pour  plus  courageux  ni  plus  généreux  qu'il 
n'est;  il  dit  sans  vergogne  :  «  Malo  quietmn  servilium  quam  peri- 
culosam  libertatem,  »  et  raconte  comment,  lors  du  choléra  de  1832, 
il  planla  là  sa  terre  et  ses  paysans  pour  s'en  aller  chercher  refuge  en 


-126  BULLETIN  HISTORIQDE. 

Italie.  Tous  ces  aveux  dépouillés  d'artifice  nous  permettent  d'accorder 
pleine  confiance  à  M.  de  Puymaigre  quand  il  se  dépeint  comme  le 
plus  intègre  et  le  plus  équitable  des  fonctionnaires  et  quand  il  juge 
ses  contemporains.  Ses  récits  sur  Tarmée  de  Gondé  ajoutent  plus 
d'un  trait  curieux  et  pittoresque  à  ce  que  nous  savons  sur  la  vie  et 
les  sentiments  des  émigrés.  Le  récit  de  son  séjour  à  Hambourg  pen- 
dant les  derniers  temps  de  la  domination  française  est  plus  impor- 
tant encore,  et  ceux  qui  voudront  juger  Davout  devront  tenir  compte 
des  souvenirs  de  M.  de  Puymaigre  ;  enfin  il  devra  être  consulté  sur 
les  hommes  de  la  Restauration  qu'il  a  tous  connus  et  dont  il  parle 
sine  ira  et  studio;  il  a  tant  vu  de  choses  et  d'hommes  qu'il  n'est 
prompt  ni  à  l'enthousiasme  ni  à  l'indignation,  ni  à  l'étonnement.  11 
est  indulgent  et  perspicace. 

Antiquité.  —  La  bibliothèque  des  Écoles  de  Rome  et  d'Athènes 
vient  de  s'enrichir  d'une  série  d'ouvrages  importants  sur  l'antiquité 
romaine  ;  ce  sont  les  thèses  de  M.  Bloch  sur  les  Origines  du  Sénat 
romain  et  sur  les  Adlecti  in  ordines  functorum  magisiratuum,  celle 
de  M.  Lafaïe  sur  le  Culte  des  divinités  d'Alexandrie  hors  de 
VÉgypte,  celles  de  M.  de  la  Blancuère  sur  Terracine  et  sur  le  Roi 
Jtiba,  celles  de  M.  G.  Jullian  sur  les  Transformations  politiques  de 
r Italie  sous  les  empereurs  romains  et  sur  les  Protectores  et  domestici 
Augustorum.  Ges  thèses  seront  toutes  l'objet  de  comptes-rendus 
spéciaux  dans  la  Bévue.  Elles  rendent  un  excellent  témoignage  de 
l'activité  de  l'École  de  Rome.  Les  thèses  de  ML  Bloch  et  Juliian  en 
particulier  s'attaquent  à  des  questions  très  délicates  de  l'histoire  des 
institutions  romaines,  et  elles  laissent  une  trace  durable. 

Je  ne  citerai  que  pour  mémoire  les  livres  de  M.  de  la  Chauvelays 
sur  VArt  militaire  chez  les  Romains  (Pion,  Nourrit).  Gomme  il  le 
dit  lui-même,  il  n'a  pas  écrit  un  livre  d'histoire  en  érudit,  mais  un 
livre  de  lactique  pour  faire  suite  aux  ouvrages  de  Folard  et  de  Gui- 
schardt  sur  la  matière. 

M.  DE  Presse NSÉ  vient  de  donner  une  septième  édition  très  rema- 
niée de  sa  Vie  de  Jésus  (Fischbacber).  On  y  trouve  une  intéressante 
introduction  sur  les  plus  récents  travaux  dont  la  vie  du  Christ  ait 
été  l'objet.  Le  livre  lui-même,  où  la  prédication  religieuse  lient  natu- 
rellement une  large  place,  est  une  étude  consciencieuse,  faite  à  un 
point  de  vue  supranaturaliste  assez  large,  des  problèmes  divers  que 
soulève  la  biographie  de  Jésus.  Les  historiens  seront  en  désaccord 
avec  M.  de  Pressensé  sur  plus  d'une  question  de  critique.  Ils  n'ad- 
mettront pas  que  «  l'hypothèse  des  visions  pour  expliquer  l'appari- 
tion du  Ghrist  se  heurte  contre  les  données  les  plus  élémentaires  de 
la  psychologie  »  et  qu'une  même  hallucination  ne  puisse  se  répéter 


FRANCE.  -127 

chez  plusieurs  personnes.  N'avons-nous  pas  vu,  en  ^<S72,  des  habi- 
tants de  Strasbourg,  de  Barr  et  de  plusieurs  villages  alsaciens  en 
proie  à  des  hallucinations  qui  leur  faisaient  voir  des  soldats  français 
sur  les  toits  des  maisons  et  dans  les  champs?  Ils  admettront  au 
contraire  comme  très  vraisemblable  qu'un  chrétien  pieux  ait  écrit 
l'Évangile  de  Jean,  sans  croire  pour  cela  commettre  un  acte  coupable; 
ne  voyons-nous  pas  Salvien  écrire  une  Épitre  de  Timothée  et  expli- 
quer ce  titre  en  disant  qu'il  a  voulu  mettre  les  vérités  religieuses 
sous  le  patronage  d'un  nom  vénéré,  tandis  qu'en  la  publiant  sous 
son  nom,  il  aurait  agi  contrairement  à  la  modestie  chrétienne?  Enfin 
ils  penseront  que  le  désaccord  entre  les  généalogies  du  Christ 
(désaccord  que  M.  de  Pressensé  n'explique  pas),  les  contradictions 
entre  les  récits  des  évangiles  sur  les  derniers  temps  de  la  vie  de  Jésus, 
le  caractère  profondément  différent  des  synoptiques  et  du  A^  évangile 
ruinent  la  certitude  historique  des  traditions  du  Nouveau  Testament, 
et  ils  n'admettront  pas  qu'on  cherche  à  les  concilier  et  à  les  faire 
accepter  pour  certains  par  des  arguments  qu'on  n'oserait  pas  pro- 
duire s'il  s'agissait  d'événements  de  l'histoire  profane.  Nous  ne 
sommes  pas  de  ceux  qui  rejettent  le  surnaturel  au  nom  de  la  raison 
et  de  la  philosophie,  la  vie  et  le  monde  sont  trop  mystérieux  pour 
qu'on  puisse  taxer  d'absurde  aucune  des  explications  qu'on  en 
donne;  mais  il  n'est  pas  possible  de  concilier  le  surnaturel  et  la 
critique  historique;  celle-ci  s'arrête  où  le  surnaturel  commence,  car 
tous  ses  raisonnements  reposent  sur  la  conviction  de  l'immuahilité 
des  lois  naturelles,  et  même,  dans  une  certaine  mesure,  sur  le  déter- 
minisme. 

Moyen  âge  et  temps  modernes.  —  L'abbé  Ulysse  Chevalier  vient 
d'achever  la  première  partie  de  son  Répertoire  des  sciences  historiques 
du  tnoyenâge  (Société  bibliographique),  celle  qu'il  intitule  Bio-biblio- 
graphie, et  qui  contient  tous  les  noms  de  personnages  connus  du  moyen 
âge  avec  l'indication  des  ouvrages  où  il  est  fait  mention  d'eux.  Fruit 
d'un  travail  vraiment  colossal,  cet  ouvrage,  qui  doit  encore  contenir 
deux  parties  (faits  et  localités,  œuvres  httéraires) ,  n'est  pas  d'un 
usage  très  commode,  mais  il  est  néanmoins  très  utile  et  il  serait  injuste 
de  chicaner  pour  quelques  erreurs  ou  omissions  le  savant  qui,  au 
prix  d'un  dur  labeur,  facilite  la  tâche  de  tous  ses  confrères  en  érudi- 
tion et  leur  épargne  un  temps  précieux. 

L'ouvrage  de  M.  Samuel  Berger  sur  la  Bible  française  au  moyen 
âge  n'est  pas  précisément  de  notre  domaine.  Il  mérite  cependant  une 
mention  par  le  rôle  que  tiennent  les  livres  sacrés  dans  l'histoire  des 
idées,  de  la  httérature  et  des  mœurs.  Le  livre  de  M.  Berger  est  un 
travail  de  recherches  minutieuses  et  de  critique  excellente,  exposé 


/|28  BULLETIN   HISTORIQUE. 

avec  beaucoup  de  méthode  et  de  clarté.  Par  Fétude  d'un  nombre  con- 
sidérable de  manuscrits,  il  est  arrivé  à  ce  résultat  très  intéressant 
que  toutes  les  traductions  françaises  de  la  Bible,  jusques  à  celle  de 
Lefèvre  d'É tapies  inclusivement,  ont  pour  modèle  commun  la  Bible 
traduite  sous  saint  Louis  à  l'Université  de  Paris  sur  le  texte  latin. 
Cette  Bible,  reproduite  en  grande  partie  dans  la  Bible  historiale  de 
Guyart  Desmoulins,  mérite  la  vogue  dont  elle  jouit  par  ses  grandes 
qualités  littéraires.  M.  Berger  a  laissé  de  côté  les  Bibles  rimées  qui 
forment  l'objet  d'un  Mémoire  à  part  de  M.  Bonnard. 

Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  parler  avec  estime  des  travaux  du 
D''  Gustave  Le  Bon.  Il  n'est  malheureusement  pas  écrivain,  mais  il 
apporte  à  Fétude  de  vastes  et  difficiles  problèmes  historiques  une 
application  et  une  variété  de  connaissances  qui  rendent  la  lecture  de 
ses  livres  toujours  profitable.  Le  grand  ouvrage  qu'il  vient  de  publier 
sur  la  Civilisation  des  Arabes  (Didot)  est  le  fruit  non  seulement  de 
vastes  lectures,  mais  aussi  de  voyages  en  Espagne  et  en  Orient,  d'oii 
il  a  rapporté  les  éléments  d'une  illustration  originale  et  intéres- 
sante qui  est  un  des  principaux  attraits  du  livre.  Quant  au  plai- 
doyer chaleureux  et  convaincu  en  faveur  de  la  civilisation  musul- 
mane qui  remplit  ce  beau  volume,  nous  ne  saurions  y  souscrire  sans 
de  nombreuses  restrictions.  Les  Arabes  n'ont  joué  qu'un  rùle  relati- 
vement restreint  dans  ce  que  l'on  appelle  la  civilisation  arabe.  C'est 
là  un  point  que  M.  Renan  a  bien  mis  en  lumière.  Ce  sont  les  Persans 
d'un  coté,  les  Berbères  de  l'autre  qui,  après  la  conquête  arabe,  ont 
été  au  sein  de  lïslamisme  l'élément  artistique,  scientifique  et  litté- 
raire. Je  doute  aussi  beaucoup  que  M.  Le  Bon  arrive  à  persuader 
à  beaucoup  d'occidentaux  que  la  polygamie  est  une  institution  excel- 
lente que  nous  devrions  nous  empresser  d'introduire  dans  nos  codes, 
que  les  harems  sont  les  asiles  de  la  moralité  et  d'une  vie  de  famille 
exemplaire,  et  qu'enfin  les  femmes  musulmanes  sont  plus  heureuses 
et  plus  cultivées  que  les  parisiennes. 

M.  F.  KuH-\  vient  de  donner  le  second  volume  de  son.  Luther  (San- 
doz  et  Thuillier)  qui  s'étend  du  séjour  à  la  Wartbourg  à  la  Diète 
d'Augsbourg.  Comme  l'indique  l'auteur,  il  écrit  non  une  histoire  de 
la  Réforme,  mais  une  biographie,  un  portrait  de  Luther.  Que  le  por- 
trait soit  un  peu  flatté,  que  les  faiblesses,  les  calculs,  les  alliances 
compromettantes  de  Luther  soient  atténués,  cela  ne  surprendra  per- 
sonne ;  cependant  on  ne  peut  pas  dire  (]ue  M.  Kuhn  ait  un  parti  pris 
d'apologie.  Il  a  cherché  à  nous  montrer  un  Luther  vrai  et  vivant  et 
il  a  réussi  à  écrire  un  livre  attachant  et  d'un  accent  origia  l  sur  un 
sujet  sur  lequel  il  est  difficile  aujourd'hui  de  dire  des  choses  nouvelles. 

Nos  lecteurs  connaissent  déjà  la  plus  grande  partie  du  travail  que 
M.  Hanotaux  publie  sous  le  titre  d'Origines  de  l'Institution  des 


FRANCE.  129 

intendants  des  provinces  (Champion),  mais  ils  seront  heureux  de 
retrouver  ces  intéressantes  études  réunies  en  volume,  complétées  et 
suivies  de  nombreuses  pièces  justiflcatives.  M.  Hanotaux  a  fait  net- 
tement ressortir  le  caractère  de  ces  commissaires  extraordinaires  qui 
de  Henri  II  à  Louis  XIII  furent  chargés  de  missions  spéciales  et  tem- 
poraires dans  les  provinces  pour  y  réparer  les  maux  de  la  guerre  ou 
de  la  mauvaise  administration  et  faire  respecter  les  volontés  royales, 
dont  le  nombre  alla  toujours  en  augmentant,  et  qui  finirent  par  deve- 
nir si  nombreux  sous  Richelieu  que  les  historiens  ont  fait  honneur 
à  celui-ci  de  la  soi-disant  création  des  intendants.  M.  Hanotaux 
prouve  surabondamment  que  Richelieu  n'a  nullement  créé  de  -1633  à 
4637  un  rouage  nouveau  de  gouvernement.  Nous  croyons  même  qu'il 
établit  entre  les  premiers  commissaires  départis  et  les  intendants  du 
règne  de  Louis  XIV  et  de  ses  successeurs  une  distmction  plus  mar- 
quée que  celle  qui  exista  en  réalité.  Les  intendants  furent  toujours 
les  commissaires  départis,  pris  en  général  parmi  les  maîtres  des 
requêtes  et  qui  revenaient  ensuite  au  Conseil  pour  prendre  part  au 
gouvernement  central  de  l'État.  Une  institution  qui,  de  sa  nature, 
avait  un  caractère  provisoire,  et  qui  jusqu'en  1601  est  signalée  comme 
telle,  s'éternisa,  parce  qu'elle  était  commode  pour  le  despotisme  royal. 
C'est  là  du  reste  le  caractère  commun  d'une  foule  d'institutions  de 
l'ancien  régime.  Elles  sont  à  Forigine  des  mesures  accidentelles,  occa- 
sionnelles, transitoires,  et  elles  se  perpétuent  après  que  les  motifs 
qui  les  ont  fait  naître  ont  cessé  d'exister.  La  France  jusqu'en  -1789 
n'a  pas  eu  d'institutions  politiques  et  administratives  proprement 
dites,  en  dehors  de  la  royauté.  Elle  a  été  gouvernée  d'une  manière 
provisoire  par  une  royauté  absolue  et  sans  contrôle  ;  aussi  cette  admi- 
nistration provisoire,  incohérente  et  arbitraire,  s'est-elle  effondrée  en 
peu  de  temps  sans  laisser  autre  chose  que  des  ruines  et  aussi,  il 
faut  le  dire,  de  détestables  habitudes  d'esprit  et  des  mœurs  adminis- 
tratives dont  nous  souffrons  encore  aujourd'hui. 

M.  FoRNËRON  nous  raconte  les  malheurs  d'une  partie  de  ceux  qui 
furent  les  victimes  de  l'eftondrement  du  régime  dont  ils  avaient  été 
les  privilégiés.  Il  a  écrit  une  Histoire  générale  des  émigrés  pendant 
la  Révolution  française  (Pion,  Nourrit).  M.  Forneron  est  un  homme 
de  talent  et  un  historien  de  grand  mérite.  Son  Histoire  de  Philippe  H 
le  prouve  et  son  nouvel  ouvrage  ne  le  dément  pas.  Toutefois  on  ne 
pourra  s'empêcher  de  trouver  qu'il  a  passé  bien  rapidement  du  xvi'^ 
au  xviii"  s.  et  surtout  qu'il  s'est  trop  hâté  de  donner  une  Histoire 
générale  de  l'émigration,  alors  que  tant  de  documents  d'archives 
restent  inexplorés.  C'est  en  réalité  «  Histoire  anecdotique  de  l'émi- 
gration »  qui  serait  le  vrai  titre  de  l'ouvrage.  On  trouvera  aussi  qu'il 
était  peu  utile  de  refaire  après  M.  Taine  et  dans  la  manière  de  M.  Taine 

ReV.    HiSTOR.    XXV.    l»-'''    FASG.  9 


J30  BULLETIN  HISTORIQUE. 

un  tableau  de  la  société  de  l'ancien  régime  et  des  premiers  excès  de 
la  Révolution.  C'était  affronter  inutilement  une  comparaison  redou- 
table. On  reprochera  enfin  à  M.  Forneron  d'avoir  dans  tout  son  ouvrage 
trop  imité  la  manière  de  M.  Taine.  L'imitation  d'écrivains  d'une  ori- 
ginalité aussi  puissante  est  toujours  dangereuse.  Si  M.  Forneron  avait 
suivi  l'exemple  de  M,  A.  Lebon  et  traité  un  point  du  vaste  sujet  qu'il 
a  parcouru  un  peu  superficiellement,  il  aurait  peut-être  fait  un  livre 
moins  amusant,  il  aurait  fait  un  livre  plus  utile. 

Parmi  les  familles  aristocratiques  qui  furent  victimes  de  la  Révo- 
lution, une  des  plus  frappées  fut  celle  de  M.  de  Montmorin,  un  des 
ministres  libéraux  de  Louis  XVI  dont  la  fatalité  des  circonstances  fit 
un  des  complices  des  négociations  de  Marie- Antoinette  avec  l'Autriche^ . 
La  fille  de  Montmorin,  Pauline,  comtesse  de  Beaumont,  survécut  à 
la  tourmente,  mais  brisée  de  corps  et  d'âme.  Cette  femme  d'un  esprit 
.  délicat  et  enthousiaste  à  la  fois,  d'un  cœur  tendre,  pur  et  passionné, 
restée  presque  seule  et  ruinée  après  la  mort  des  siens  et  sa  sépara- 
lion  d'un  mari  indigne,  semblait  ne  plus  vivre  que  pour  l'amitié,  pour 
les  joies  apaisantes  et  fortifiantes  que  pouvait  lui  donner  la  société 
d'hommes  comme  Joubert  ou  Fontanes,  quand  elle  connut  Chateau- 
briand. Du  jour  où  elle  le  vit,  elle  ne  s'appartint  plus.  La  gloire,  l'œuvre, 
lebonheur  de  Chateaubriand  furent  sa  seule  pensée.  Le  Génie  du  chris- 
tianisme, René,  Atala,  qu'il  écrivait  alors,  doivent  peut-être  à  cette 
tendresse  féminine  les  accents  qui  nous  touchent  le  plus  aujourd'hui. 
L'âme  la  plus  hautaine  et  la  plus  personnelle  qui  fut  jamais  trouvait 
en  Pauline  de  Beaumont  l'incarnation  du  dévouement  et  de  l'oubli  de 
soi-même,  et  cette  image  si  pure  protège  encore  sa  mémoire  contre  le 
jugementde  la  postérité.  Elle  lui  fait  involontairement  un  mérite  d'avoir 
été  aimé  par  un  si  noble  cœur.  Ce  moment  d'enthousiasme  et  de 
bonheur  fut  court.  Pauline  avait  toujours  été  délicate;  au  moment  où 
Chateaubriand  partit  pour  Rome,  elle  ne  put  le  suivre  et  ne  le  rejoi- 
gnit un  peu  plus  tard  que  pour  mourir.  Ces  derniers  jours,  immor- 
talisés par  les  Mémoires  d'oulre-lombe,  furent  d'une  incomparable 
poésie  et  on  ferme  le  livre  que  M.  Bardoux  vient  de  consacrer  à  Paw- 
line,  comtesse  de  Beaumont  (Lévy),  avec  une  émotion  presque  reli- 
gieuse. Dans  le  Comte  de  Montlosier,  M.  Bardoux  nous  avait  déjà 
donné  un  chapitre  de  l'histoire  intellectuelle  et  morale  de  la  France 
pendant  la  Révolution  et  l'Empire.  Le  nouveau  chapitre  qu'il  nous 
offre  aujourd'hui  est  d'un  intérêt  plus  profond  et  plus  poignant. 

Le  volume  de  Souvenirs  de  jeunesse  de  Michelet  que  vient  de  publier 
sa  veuve  nous  transporte  à  peu  près  à  la  même  époque.  Ce  volume 

1.  M.  Bardoux  veut  en  vain  laver  Montmorin  du  reproche  d'avoir  été  membre 
actif  du  comité  autricliien.  M.  Fiaramermont  a  retrouvé  aux  Arcliives  de  Vienne 
des  lettres  du  ministre  français. 


FRANCE.  ^3-1 

a  été  une  surprise  pour  le  public;  Michelet  a  tant  mis  de  son  âme 
dans  ses  livres,  il  s'est  tenu  si  résolument  éloigné  de  la  vie  publique 
qu'on  ne  pensait  pas  qu'il  eût  à  écrire  des  mémoires;  si  l'on  avait 
songé  à  des  mémoires  de  lui,  on  eût  imaginé  une  œuvre  colorée, 
débordante  d'une  sensibilité  exaltée.  Ce  qui  frappe  et  charme  tout 
d'abord  dans  Ma  jeunesse  (Lévy),  c'est  la  simplicité  du  récit.  Michelet 
est  venu  au  monde  à  un  moment  tragique,  tragique  pour  la  France 
et  tragique  pour  sa  famille,  il  a  eu  l'enfance  la  plus  sévère,  la  plus 
pénible  ;  il  s'est  formé  seul,  par  un  labeur  héroïque  ;  il  n'a  rien  dû 
qu'à  lui-même  et  à  son  génie.  Nulle  part  dans  son  livre  on  ne  trouve 
une  sensibilité  qui  s'exalte  et  se  complaît  dans  le  récit  de  malheurs 
personnels  ;  nulle  part  l'orgueil  ne  met  de  note  discordante  dans  ces 
confidences  charmantes  où  l'amour  est  si  juvénilement  pur  et  timide 
et  où  l'amitié  est  plus  passionnée  que  l'amour.  Il  n'y  a  pas  à  analyser 
ni  à  juger  ces  souvenirs  que  Michelet  avait  notés  sur  des  feuillets 
détachés  sans  souci  de  l'ordre  chronologique  ou  de  la  composition 
littéraire,  et  dont  une  main  pieuse  et  habile  a  fait  un  livre.  Il  faut  le 
hre  et  s'en  laisser  pénétrer.  J'en  connais  peu  d'aussi  bienfaisants. 

M.  Ch.  DE  Mazade  a  consacré  à  Monsieur  Thiers  (Pion,  Nourrit)  un 
volume  où  l'on  retrouve  les  qualités  ordinaires  de  l'honorable  acadé- 
micien. On  aurait  souhaité  peut-être  plus  de  vivacité  dans  la  biogra- 
phie de  ce  petit  grand  homme,  toujours  pétillant  d'esprit  et  d'activité, 
plus  de  liberté  aussi  dans  la  critique,  plus  de  sévérité  à  signaler  ce 
qui  a  manqué  à  M.  Thiers  pour  être  un  vraiment  grand  homme  d'État 
et  un  vraiment  grand  historien.  Malgré  ces  réserves,  on  hra  avec 
intérêt  et  agrément  cette  biographie  consciencieuse,  écrite  dans  un 
esprit  sagement  libéral  et  prudemment  conservateur. 

Signalons  en  finissant  le  livre  du  P.  Didox  sur  les  Allemands  (Lévy). 
Cette  peinture  vive,  éloquente  de  la  vie  scientifique  des  universités 
allemandes,  par  un  homme  qui  avait  vécujusque-là  dans  des  miheux 
tout  différents,  qui  ne  connaissait  rien  de  l'iVllemagne  et  qui  a  été 
sévèrement,  naïvement  frappé  de  la  puissance  de  l'organisation  et  de 
la  vie  universitaires,  choquera  en  France  plus  d'un  préjugé,  mais  fera 
réfléchir  les  esprits  sérieux.  L'œuvre  du  P.  Didon  est  une  œuvre  de 
bonne  foi,  sérieuse,  courageuse,  patriotique.  On  y  trouvera  quelques 
exagérations,  quelques  illusions,  des  appréciations  erronées  sur  des 
points  particuliers,  sur  le  rôle  de  la  théologie  par  exemple  ;  mais  dans 
son  ensemble  le  livre  est  vrai.  On  voudrait  le  faire  lire  aux  insensés 
qui  veulent  en  ce  moment  tuer  le  génie  de  la  France  sous  un  régime 
militaire  écrasant  et  inique  -,  mais  cette  lecture  porterait-elle  aucun 
fruit  sur  des  hommes  assoifés  de  popularité  ou  sur  des  esprits  sans 
culture  scientifique  et  incapables  même  de  comprendre  ce  qu'est  la 
science  ?  G.  Monod. 


I 


^32  BULLETIN  HISTORIQUE. 


ANGLETERRE. 


Depuis  le  dernier  bulletin  relatif  aux  travaux  publiés  dans  notre 
pays  sur  l'époque  ancienne  et  sur  celle  du  moyen  âge,  il  est  paru 
beaucoup  de  livres  importants,  et  une  masse  considérable  de  docu- 
ments, matériaux  dont  les  historiens  futurs  pourront  faire  leur  profit. 

Une  simple  liste  des  ouvrages  notables  publiés  pendant  ces  deux 
dernières  années  demanderait  plusieurs  pages  d'impression  ;  nous 
n'en  pouvons  indiquer  ici  qu'un  petit  nombre.  Le  regretté  M.  Richard 
Green  avait  entrepris  la  tâche  de  récrire  en  grand  détail  son  Histoire 
du  peuple  anglais,  qui  a  obtenu  une  si  extraordinaire  popularité.  La 
première  partie  :  «  Gomment  s'est  faite  l'Angleterre  \  »  fut  écrite 
avec  tout  le  feu  et  l'éloquence  qui  caractérisent  les  autres  ouvrages 
de  M.  Green,  et  fut  heureusement  achevée.  Quant  à  la  seconde  -. 
«  La  conquête  de  l'Angleterre  -,  »  l'auteur  n'a  pas  assez  vécu  pour 
la  revoir;  c'est  sa  veuve  qui  eut  le  devoir  de  la  publier.  Ce  dernier 
livre  n'a  peut-être  pas  été  écrit  d'une  façon  qui  eût  satisfait  l'auteur; 
c'était,  en  effet,  un  écrivain  plus  exigeant  pour  lui-même  qu'on  ne 
l'est  d'ordinaire.  Il  n'est  guère  de  chapitre  qui  n'ait  été  récrit  jus- 
qu'à cinq  fois  :  de  nouveaux  faits,  de  nouvelles  découvertes,  un 
jugement  différent  sur  les  événements  ou  sur  les  hommes  décidèrent 
M.  Green  à  refondre  chaque  fois  des  parties  entières  de  son  livre.  Il 
était  touchant  d'apprendre  comment  M.  Green,  bien  qu'étendu  sur 
son  lit  depuis  plusieurs  années,  et  consumé  par  la  maladie,  garda 
jusqu'à  la  fin  son  enthousiasme,  et  se  cramponna  pour  ainsi  dire  à 
la  vie  par  un  violent  désir  de  terminer,  de  main  d'ouvrier,  l'entre- 
prise qu'il  regardait  presque  comme  imposée  par  Dieu.  On  se  sent 
pénétré  d'une  sympathie  secrète  en  lisant  dans  son  Uvre  le  récit  de 
la  mort  de  Bède  :  plus  le  docte  vieillard  sentait  la  mort  approcher 
rapidement,  plus  il  travaillait  avec  ardeur.  «  Je  ne  veux  pas  que 
mes  enfants  lisent  un  mensonge,  «  disait-il  ;  «  je  ne  veux  pas  avoir 
travaillé  pour  rien  quand  je  serai  parti;  «  et  il  ne  cessa  d'enseigner 
pendant  tout  le  jour,  disant  seulement  d'un  air  joyeux  à  ses  dis- 
ciples :  «  Apprenez  le  plus  vite  possible  ;  je  ne  sais  combien  de  temps 
je  durerai  encore.  »  L'aurore  se  leva  après  une  nouvelle  nuit  sans 
sommeil,  et  le  vieillard  appela  de  nouveau  ses  disciples  autour  de 
lui  et  leur  dit  d'écrire.  «  Il  manque  encore  un  chapitre,  dit  le  scribe, 

1.  The  31(1  In» g  of  Encjland.  Londres,  Macraillan,  1881. 

2.  The  Conquest  of  Eacjlaad.  Ibid.,  1883. 


ANGLETERRE.  133 

lorsque  le  matin  fut  avancé,  et  il  est  pénible  pour  toi  de  le  questionner 
toi-même  plus  longtemps.  »  —  «  11  faut  que  cela  se  passe,  »  dit 
Bède;  «  prends  ta  plume  et  écris  vite.  »  Ce  récit  des  derniers  jours 
de  Bède  est  sans  contredit  vrai  historiquement  ;  mais  c'est  davan- 
tage encore  :  l'auteur  y  a  fait  entrer  quelque  chose  de  ses  impres- 
sions personnelles,  et  c'est  ce  qui  le  rend  doublement  touchant.  Au 
moment  même  où  M.  Green  décrivait  cette  scène,  il  était  lui-même 
dans  la  situation  de  Bède,  souhaitant  ardemment  de  terminer  son 
livre  avant  que  la  mort  vint  l'enlever  à  son  lit  de  souffrance. 

A  notre  époque  d'attentive  recherche  et  de  spéculation  philoso- 
phique, M.  Green  était  presque  seul  un  historien  de  sentiment.  Les 
sentiments  ordinaires  du  patriotisme  qui  existent  dans  tous  les  cœurs 
étaient  extrêmes  chez  lui;  c'était  de  la  passion.  A  ses  yeux,  la  plus 
grande  grâce  qu'un  homme  pût  recevoir  de  Dieu  sur  terre,  c'était 
d^être  né  Anglais,  et  il  éprouvait  un  plaisir,  une  tendresse  singulière 
à  raconter  l'histoire  des  x\nglais  depuis  leurs  plus  anciennes  ori- 
gines. Aussi  longtemps  que  ses  forces  le  lui  permirent,  il  parcourait 
l'Angleterre  en  tous  sens,  longeant  les  rivières,  traversant  les  mon- 
tagnes, visitant  les  endroits  sanctifiés  par  des  traditions  de  la  valeur 
et  de  la  piété  anglaises.  Il  ne  décrit  aucun  lieu  qu'il  n'ait  visité  lui- 
même.  Qu'il  parle  de  Lindisfarne,  de  Wear  et  de  Jarrow,  les  ber- 
ceaux de  la  science  anglaise,  de  Winchester,  d'York  et  de  Londres, 
les  plus  anciennes  parmi  les  principales  villes  de  l'Angleterre,  du 
Weald  de  Kent,  de  la  forêt  de  Sherwood  ou  de  l'Offa's  Dyke,  il  décrit 
des  scènes  qui  toutes  lui  sont  familières.  Personne,  depuis  M.  Guest, 
n'a  autant  voyagé  que  M.  Green.  Aidé  de  sa  femme,  il  fit  de  ses  voyages 
un  compte-rendu  spécial,  et  écrivit  la  meilleure  géographie  abrégée 
des  Iles-Britanniques  que  nous  possédions^  ;  si  bref  qu'il  soit,  ce 
livre  ne  s'adresse  pas  seulement  aux  écoliers  ;  toute  personne  qui 
voudra  étudier  M.  Green  devra  le  connaître.  Les  événements  de  l'his- 
toire qu'il  raconte  dans  les  deux  volumes  signalés  plus  haut,  et  la 
rareté  des  documents  le  forcèrent  à  demander  beaucoup  à  l'archéo- 
logie et  à  la  géographie.  Il  dit  dans  sa  préface  :  «  Des  recherches 
archéologiques  sur  les  emplacements  des  villas  et  des  villes,  ou  le 
long  des  routes  et  des  fossés,  nous  fournissent  souvent  des  témoi-- 
gnages  plus  sûrs  que  celui  des  chroniques  écrites-,  le  sol  lui-même, 
où  nous  pourrons  lire  les  renseignements  qu'il  nous  présente,  soit 
par  l'histoire  de  la  conquête,  soit  par  celle  de  l'établissement  des 
envahisseurs  en  Bretagne,  offre  les  documents  les  plus  complets  et 
les  plus  certains.  La  géographie  physique  a  encore  un  rôle  à  jouer 

1.  Geography  of  the  British  isles.  Macmillan,  1880. 


^31  BULLETIN   HISTORIQUE. 

dans  la  résurrection  écrite  de  l'histoire  humaine,  à  laquelle  elle 
donne  tant  de  son  relief  et  de  sa  forme.  Dans  le  présent  ouvrage,  si 
imparfait  qu'il  soit,  j'ai  essayé  de  mettre  à  profit  ses  renseignements. 
Bède  lui-même  m'a  fourni  de  nouveaux  matériaux.  Si  on  l'a  mis  lar- 
gement à  contribution  pour  Thistoire  ecclésiastique  et  politique  de 
son  temps,  on  n'a  pour  ainsi  dire  pas  tiré  parti  des  détails  dissémi- 
nés çà  et  là  sur  la  société  de  l'époque.  » 

En  toutes  ces  matières,  M.  Green  était  un  ardent  disciple  de  feu 
le  Dr.  Guest  ;  il  en  avait  l'enthousiasme,  et  aussi  la  puissance  de 
travail.  Il  s'indigne  que  «  cette  période  de  notre  histoire  demeure 
relativement  inconnue,  et  que  ses  luttes,  douloureux  enfantement  de 
notre  vie  nationale,  fussent  encore,  ce  qu'elles  étaient  pour  Milton,  de 
simples  combats  de  corneilles  et  de  milans!  «  A  ses  yeux,  cette 
période  a  quelque  chose  de  sacré.  Plus  il  s'enfonce  dans  l'histoire  du 
peuple,  plus  il  se  le  représente  sans  alliage,  plus  il  le  voit  doué  de 
qualités  réellement  anglaises,  et  par  conséquent  plus  son  enthou- 
siasme grandit.  Peut-être  son  enthousiasme  pour  la  race  anglaise 
l'a-t-il  conduit  à  déprécier  l'influence  exercée  par  les  Celtes,  posses- 
seurs du  sol,  sur  les  envahisseurs  (il  est  encore  des  gens  qui 
refusent  d'appeler  les  Angles  et  les  Saxons  par  le  titre  générique  de 
peuple  anglais),  et  il  a  certainement  écrit  avec  des  idées  préconçues, 
méthode  toute  contraire  à  la  circonspection  qu'on  a  tant  louée  dans 
Hallam,  cl  qui  explique  peut-être  l'idée  très  fortement  conçue,  mais 
assez  étroite,  qu'il  s'est  faite  de  cette  période.  Certes,  personne  ne 
dira  d'aucun  des  ouvrages  de  M.  Green  ce  que  Carlyle  disait  de  ceux 
de  Hallam  :  «  Eh  !  le  pauvre  squelette  décharné  de  livre  !  »  M.  Green 
expédie  les  préliminaires  en  un  court  chapitre,  puis  il  s'élance  dans 
son  sujet.  Il  s'écrie  avec  une  joie  d'enfant  :  «  Avec  le  débarquement 
de  Hcngist  et  de  sa  bande  guerrière,  commence  l'histoire  d'Angie- 
lerre.  Nous  n'avons  plus  à  suivre  des  yeux  le  développement  de  la 
vie  romaine  sur  un  sol  d'où  la  vie  romaine  a  été  balayée,  ni  à  inter- 
roger l'obscure  mémoire  d'un  passé  évanoui,  dans  le  vain  espoir  de 
ressusciter  la  vie  qu'ont  vécue  nos  pères  dans  leur  pays  originaire, 
le  long  de  la  Baltique.  Du  moment  où  ils  mettent  le  pied  sur  la  grève 
de  Thanet,  nous  suivons  Thistoire  des  Anglais  dans  le  pays  dont  ils 
ont  fait  leur  patrie.  »  Voilà  du  sentiment,  de  Tenthousiasme,  de  la 
poésie!  Mais,  après  toul,  nous  ne  sommes  pas  convaincus  qu'on  nous 
donne  là  le  véritable  caractère  de  la  «  Conquête  anglaise;  «  nous 
nous  faisons  difficilement  une  idée  de  ce  qu'ont  été  les  rapports 
entre  les  peuples  envahisseurs  et  les  peuples  qui  se  retirèrent  devant 
eux,  au  moins  pour  les  premières  générations.  Nous  ne  pouvons 
nous  empêcher  de  croire  qu'il  s'est  opéré  une  certaine  fusion  entre 


ANGLETERRE.  iSo 

les  deux  races;  ainsi,  dans  le  cas  des  Hvviccas,  M,  Green  ne  sait 
guère  lui-même  à  laquelle  il  doit  les  attribuer.  Nous  ne  pouvons 
nous  empêcher  de  croire  que  des  institutions  celtiques  et  romaines 
ont  survécu,  spécialement  dans  les  villes  et  dans  les  modes 
de  culture.  En  lisant  le  livre  de  M.  Green ,  on  éprouve  une 
vive  jouissance;  mais  les  doutes  assaillent  notre  esprit  quand 
ensuite  nous  prenons  l'ouvrage  de  M.  Seebohm  sur  la  communauté 
primitive  de  village  en  Angleterre,  et  le  soupçon  nous  apprend  que 
cette  brillante  peinture  est  l'œuvre  imaginée  par  un  poète,  plutôt 
que  le  résultat  d'une  recherche  approfondie  et  de  patientes  compa- 
raisons. Non,  bien  que  l'Angleterre,  à  cause  de  sa  position  insulaire, 
ait  une  histoire  plus  complète  et  plus  renfermée  en  elle-même  qu'au- 
cun autre  pays,  nous  ne  pouvons  négliger  les  antécédents  du  pays 
conquis  par  les  races  teutoniques,  ni  la  comparaison  des  envahis- 
seurs avec  les  peuples  frères  qu'ils  ont  laissés  derrière  eux  sur  le 
continent,  et  nous  ne  pouvons  perdre  de  vue  ces  deux  facteurs  en 
étudiant  les  forces  en  action  dans  une  période  quelconque  de  notre 
histoire.  C'est  ainsi  que  récemment,  dans  ses  Romans  in  Britain, 
M.  Coote  a  donné  tant  de  preuves  de  la  persistance  de  l'influence 
romaine  dans  les  institutions  anglaises.  iM.  Green  suit  avec  un  vif 
intérêt  la  conquête  du  pays  pouce  à  pouce  ;  il  accompagne  pas  à  pas 
ses  Angles  et  ses  Saxons  bien -aimés  le  long  des  fleuves,  à  travers 
les  bois,  les  collines  et  les  plateaux  ;  tous  les  lecteurs  n'entreront 
pas  dans  ce  sujet  avec  le  même  enthousiasme.  La  quantité  de  détails 
qui  ne  leur  sauraient  être  familiers  est  extrême,  malgré  le  secours 
des  cartes  insérées  dans  le  volume  et  plusieurs  fois  répétées  ;  aussi 
plus  d'un  retournera-t-il  à  l'opinion  de  Milton,  que  ces  luttes  anti- 
ques sont  comme  «  les  combats  des  milans  et  des  corneilles,  »  tant 
sont  obscurs  le  caractère,  le  lieu  et  la  date  des  engagements  qu'enre- 
gistrent les  chroniques  de  ces  âges  reculés.  Le  style  de  M.  Green  est 
rapide  et  nerveux,  non  sans  une  'certaine  affectation  de  «  vieux 
anglais,  »  qui  plait  tant  aussi,  on  le  sait,  à  son  ami  M.  Freeman. 
Terminons  par  une  dernière  observation  :  les  cartes,  soit  du  Making 
of  England,  soit  de  la  Short  Geography,  sont  très  insuffisantes  ; 
celles  des  Origines  celficae  de  M.  Guest  sont  bien  supérieures. 

Parallèlement  au  livre  de  M.  Green,  on  peut  lire  celui  de  M.  Fréd. 
Seebohm  sur  la  communauté  de  village  en  Angleterre  ^  ;  mais  on  y 
trouvera  des  principes  tout  différents.  Avec  une  modestie  qui  sonne 

1.  The  english  village  community  examined  in  ifs  relations  to  the  manorial 
and  tribal  Systems  and  to  the  common  or  open  field  System  of  husbandry. 
Londres,  Longmans,  1883. 


J36  BULLETIN  HISTORIQUE. 

comme  un  reproche  aux  oreilles  du  lecteur,  M.  Seebohm  s'excuse  de 
lui  présenter  «  cet  imparfait  essai,  »  auquel  il  a  «  consacré  plusieurs 
années  de  loisirs.  »  Son  essai  est  «  une  tentative  pour  mettre  l'his- 
toire économique  de  l'Angleterre  dans  la  vraie  direction  dès  ses  débuts 
historiques,  en  étudiant  la  question  toujours  ouverte  de  savoir  si 
elle  a  commencé  par  la  liberté  ou  par  le  servage  de  la  masse  du 
peuple,  si  les  communautés  de  village,  vivant  dans  les  «  hams  »  et 
les  «  tons  »  de  l'Angleterre,  étaient  à  l'origine  de  l'histoire  anglaise 
des  communautés  Ubres,  ou  des  serfs  associés  sous  un  propriétaire 
de  manoir  ;  enfin ,  quels  étaient  leurs  rapports  avec  les  commu- 
nautés de  tribu,  avec  les  parties  occidentales  et  moins  facilement 
conquises  de  File.  De  la  réponse  à  cette  question  dépend  essentiel- 
lement l'idée  que  doivent  se  faire  les  historiens  (disons  aussi  les 
hommes  politiques)  sur  la  nature  de  l'évolution  économique  qui 
s'est  accomplie  en  Angleterre  depuis  la  conquête  anglaise.  D'après 
un  système,  l'histoire  économique  de  l'Angleterre  commence  par 
de  libres  communautés  de  village  qui  ont  peu  à  peu  dégénéré  pour 
tomber  dans  le  servage  du  moyen  âge.  D'après  l'autre,  elle  com- 
mence par  le  servage  des  masses  de  la  population  rurale  sous  le 
gouvernement  saxon,  servage  dont  il  a  fallu  mille  années  à  l'évolu- 
tion économique  pour  s'afTranchir.  »  L'âme  de  M.  Green  eût  été 
tourmentée  à  la  pensée  que  de  pareilles  questions  pussent  être 
posées.  Que  devient  sa  noble  théorie  d'une  communauté  primitive 
d'Angles  ou  de  Saxons  libres  «  où  tous  étaient  égaux,  ou  le  oui  et  le 
non  d'un  homme  dans  l'assemblée  étaient  aussi  bons  que  ceux  d'un 
autre,  et  où  sa  forte  main  droite  pouvait  aussi  bien  manier  l'épieu 
et  le  «  seax  »  et  assurer  le  respect  de  sa  personne  ou  de  sa  terre, 
que  celle  d'un  autre?  »  Cette  agréable  théorie  démocratique  a  beau- 
coup contribué  à  l'extrême  popularité  de  son  histoire,  de  cette  his- 
toire que,  conformément  à  sa  théorie,  il  intitula  Histoire  du  Peuple 
anglais.  Mais,  comme  le  dit  M.  Seebohm,  la  question  est  une  ques- 
tion ouverte.  Un  des  disciples  les  plus  profonds  et  les  plus  sérieux 
de  cette  école,  dont  MM.  Green  et  Freeman  sont  cités  d'ordinaire 
comme  les  principaux  représentants,  M.  Stubbs  s'exprime  lui-même 
avec  précaution  sur  le  sujet;  le  problème  est  discuté  en  même  temps 
en  France,  en  Allemagne  et  en  Amérique.  M.  Seebohm  sent  très  bien 
l'opposition  fondamentale  de  ses  vues  avec  celles  de  M.  Green.  Il 
dit  :  «  Le  résultat  d'une  enquête  strictement  économique  pourrait 
bien  prouver  qu'à  la  formation  de  l'Angleterre  contribuèrent  plus 
d'éléments  que  les  envahisseurs  anglais  de  la  Bretagne  n'en  appor- 
tèrent dans  leurs  barques.  »  Malgré  l'absence  de  témoignages  irré- 
cusables que  regrettait  si  fort  M.  Green,  on  peut  admettre  comme 


ANGLETERRE.  ^37 

possible  «  que  l'histoire  économique  trouve  parfois  de  solides  points 
d'appui  qui  permettent  d'établir  des  liens  qui  manquent  dans 
l'histoire  constitutionnelle;  et  il  ne  s'ensuit  pas  que  la  continuité 
perdue  pour  l'une  ne  puisse  pas  avoir  été  conservée  pour  l'autre,  » 
Nous  ne  pouvons  mieux  exposer  la  théorie  et  la  méthode  de 
M.  Seebohm  qu'en  reproduisant  ses  propres  paroles  : 

«  La  communauté  de  village  anglaise,  comme  celle  du  continent, 
habitait  un  territoire  sans  clôtures,  mais  nettement  limité  :  c'est  Vopen 
field  System;  elle  y  était  curieusement  attachée  et  adoptée  et  en  était  en 
apparence  inséparable,  comme  le  mollusque  de  sa  coquille.  Les  débris 
de  cette  coquille,  après  qu'elle  eut  été  brisée,  survivent  encore  dans  les 
paroisses  où  aucune  loi  autorisant  les  clôtures  (Enclosure  Act)  ne  les  a 
encore  fait  disparaitre.  Le  système  du  territoire  commun  ou  sans  clô- 
tures peut  être  aujourd'hui  encore  étudié  sur  le  terrain  même  dans  le 
village  (township)  où  j'écris  (celui  de  Hitchin),  aussi  bien  que  dans 
beaucoup  d'autres.  Il  y  a  encore  aujourd'hui  des  gens  qui  ont  occupé 
et  exploité  des  fermes  sous  ces  règles  incommodes,  qui  en  comprennent 
les  termes  et  les  singuliers  détails.  Profitant  de  cette  circonstance,  la 
méthode  employée  dans  cet  essai  consistera  d'abord  à  nous  familiariser 
avec  les  noms,  caractères  distinctifs  du  système  anglais  de  l'open-field, 
de  façon  qu'on  les  reconnaisse  facilement  dès  qu'ils  se  présenteront,  puis, 
en  procédant  du  connu  à  l'inconnu,  à  rechercher  ces  traits  distinctifs 
dans  le  passé  aussi  loin  que  les  documents  nous  le  permettront.  Con- 
naissant ainsi  l'exploitation  du  sol,  nous  étudierons  ses  habitants  ;  nous 
examinerons  comment  la  communauté  de  village  anglais,  réduite  au 
moyen  âge  au  servage,  s'adaptait  à  la  condition  de  la  terre  ;  puis,  allant 
de  nouveau  du  connu  à  l'inconnu,  il  sera  peut-être  possible  de  distin- 
guer si,  aux  temps  historiques,  elle  avait  été  jamais  libre,  ou  si  le  ser- 
vage y  était  aussi  ancien  que  l'exploitation  même  du  sol.  » 

Il  va  sans  dire  que,  d'après  M.  Seebohm,  le  servage  était  aussi 
ancien  que  ce  système  même  d'exploitation.  Il  lui  importait  assez 
peu  de  savoir  quels  maîtres  le  pays  avait  trouvés;  le  système  agraire 
était  le  même  il  y  a  deux  mille  ans  ;  il  s'est  usé  peu  à  peu  lui-même 
depuis  un  millier  d'années;  que  la  race  conquérante  et  dominante  fi\t 
celle  des  Celtes,  des  Angles,  des  Saxons,  des  Danois  ou  des  Nor- 
mands, la  communauté  ne  cessa  de  pratiquer  le  même  mode  de  cul- 
ture, de  tenure  et  d'habitation,  et  retomba  toujours  dans  le  système 
de  la  génération  précédente.  C'est  encore  à  M.  Seebohm  que  nous 
demanderons  de  nous  exposer  les  résultats  de  ses  recherches. 

«  Pendant  toute  la  période  qui  s'étend  de  l'époque  pré-romaine  à 
notre  temps,  nous  avons  trouvé  en  Bretagne  deux  systèmes  parallèles 
d'économie  rurale  côte  à  côte,  mais  séparés  et  agissant  sur  des  voies 
tout  à  fait  différentes,  en  dépit  des  invasions  romaines,  anglaises  et 


138  BULLETIN   HISTORIQUE. 

normandes  :  celui  de  !a  communauté  de  village  dans  les  districts  orien- 
taux de  l'île,  celui  de  la  communauté  de  tribu  dans  les  districts  occiden- 
taux. Aussi  loin  que  l'on  puisse  remonter  à  l'aide  des  documents,  ces 
systèmes  présentent  deux  caractères  communs  :  la  communauté  et 
l'égalité,  et  chacun  était  associé  à  un  régime  particulier  d'exploitation 
du  sol  en  commun  et  sans  clôtures  (the  open  or  common  field  system 
of  husbandry).  Ces  deux  formes  différentes  du  régime  d'exploitation 
commune  se  maintinrent  tout  le  temps  distinctes  et  le  sont  encore  dans 
ce  qui  reste  d'elles  ou  qui  leur  survit. 

«  Aucun  de  ces  deux  systèmes  ne  paraît  avoir  été  introduit  en  Bre- 
tagne pendant  une  période  historique  remontant  au  moins  à  deux 
mille  ans. 

«  D'une  part,  la  communauté  de  village  des  districts  orientaux  était 
liée  à  un  système  déterminé  de  culture  qui,  antérieur  à  l'invasion 
romaine  et  amélioré  pendant  l'occupation  romaine,  fut  continué  jus- 
qu'à la  fin  sous  cette  forme  d'exploitation  triple  et  commune  (that  three- 
field  form  of  the  open-field  system)  qui  est  devenue  le  champ  d'action 
de  la  communauté  anglaise  de  village.  L'égalité  des  parcelles  de  ter- 
rain et  la  succession  indivise  qui  préservait  cette  égalité  sont  des  marques 
évidentes,  non  d'une  liberté  originaire,  non  d'une  répartition  allodiale 
du  sol  d'après  le  système  de  la  «  mark  »  germanique,  mais  d'un  ser- 
vage fixe  sous  l'autorité  d'un  maître,  un  mode  de  tenure  à  demi  servile, 
qui  impliquait  un  simple  usufruit,  concédé  seulement  à  vie  ou  à  la 
volonté  du  seigneur,  et  qui  n'entraînait  avec  lui  aucun  droit  d'héritage. 
Cependant  ce  servage  n'était  pas  pour  la  masse  du  peuple  un  état  de 
dégradation  ;  c'était  au  contraire  un  pas  en  avant  hors  de  l'esclavage 
primitif.  Pendant  les  douze  cents  ans  où  s'étendent  les  preuves  directes 
tirées  des  documents  anglais,  la  tendance  est  manifeste  vers  une  liberté 
de  plus  en  plus  grande.  En  autres  termes,  à  mesure  que  le  temps  a 
marché  pendant  ces  douze  cents  années,  le  servage  de  l'ancien  ordre  de 
choses  s'est  peu  à  peu  brisé  sous  l'influence  de  causes  quelles  qu'elles 
soient,  qui  ont  produit  l'ordre  de  choses  nouveau.  » 

Pour  appuyer  sa  théorie,  qui  ne  parait  pas  d'ailleurs  à  l'abri  de  la 
critique,  M.  Seebohm  a  utilisé  un  grand  nombre  de  documents;  il  a 
tiré  des  trésors  d'informations  des  rôles  des  centaines,  des  comptes 
des  baillis  et  autres  comptes  de  manoirs,  dont  on  n'a  que  récemment 
reconnu  l'inépuisable  richesse.  Mais  il  semble  avoir  entièrement 
négligé  un  champ  d'observations  :  plus  que  les  arguments  fournis 
par  le  système  irlandais  et  gallois,  le  système  Scandinave  aurait  fourni 
matière  à  d'instructifs  rapprochements.  Nous  comptons  que  M.  See- 
bohm ou  quelque  autre  érudil  en  fera  profiler  le  monde  savant. 

En  dehors  des  résultats  spéciaux  auxquels  il  est  arrivé,  M.  Seebohm 
montre  combien  peu  la  conquête  successive  et  les  révolutions  poli- 
tiques ont  altéré  le  caractère  national.  La  destruction  de  l'heptarchie, 
la  conquête  normande,  la  rupture  avec  Rome,  la  destruction  de  la 


ANGLETERRE.  ^ 30 

monarchie,  l'usurpation  de  Gromwell,  la  révolution  aristocratique  de 
-1688  n'ont,  après  tout,  agi  qu'à  la  surface,  et  ont  eu  beaucoup  moins 
d'influence  sur  les  choses  que  le  changement  du  travail  hebdomadaire 
dû  par  le  tenancier  à  son  seigneur,  en  une  redevance  en  argent.  Dans 
le  passage  cité  plus  haut,  M.  Seebohm  parle  de  «  ces  influences, 
quelles  qu'elles  soient,  »  qui  ont  conduit  a  la  disparition  du  servage. 
Ailleurs,  il  exprime  l'opinion  que  «  l'influence  du  christianisme  ne 
peut  être  appréciée  trop  haut;  mais  il  y  eut  aussi  une  influence  pure- 
ment économique  à  l'œuvre  :  c'est  celle  des  Danois,  qui  ont  laissé  des 
traces  dans  les  usages  particuHers  du  nord  de  l'Angleterre.  M.  Seebohm 
estime  que  dans  le  Domesday  book,  les  Theoivs  et  les  Servi  n'existent 
pas  dans  les  parties  de  l'Angleterre  soumises  aux  Danois;  mais  il 
n'indique  pas  combien  fut  grande  l'influence  exercée  par  ces  émi- 
grants  du  nord  sur  la  communauté  entière.  Les  Adscripti  glebae 
étaient  inconnus  au  nord  de  Watling  Street.  Il  indique  comme  étant 
l'origine  de  la  communauté  de  village  en  Angleterre,  non  le  système 
de  la  «  mark  «  germanique  cher  à  M.  Green,  mais  celui  de  la  «  villa  » 
romaine.  Malgré  l'originalité  de  pensée  et  de  recherche  dont  il  a  fait 
preuve  à  ce  sujet,  sa  théorie  reste  très  discutable.  Le  «  three-field 
System,  »  qu'il  semble  vouloir  identifier  avec  l'origine  romaine  du 
village,  existait  manifestement  en  Germanie.  P.  73,  il  mentionne 
la  location  de  villages  affermés  aux  villageois,  dont  il  est  souvent 
question  dans  le  comté  danois  de  Nottingham ,  mais  il  ne  fait  pas 
ressortir  toute  l'importance  constitutionnelle  de  ce  fait  qui  montre 
l'origine  de  la  Firma  Mirgi,  et  qui  explique  comment  un  village  a  pu 
devenir  un  bourg.  Nous  regrettions  plus  haut  que  M.  Seebohm  n'eût 
pas  tiré  parti  des  documents  Scandinaves;  il  est  facile  de  prouver  par 
un  exemple  combien  cette  omission  est  fâcheuse  :  M.  W.  Arnold,  dans 
sa  Deutsche  Urzeif,  a  essayé  de  rattacher  les  terminaisons  des  noms 
de  heu  en  ing  et  en  ingen  à  des  établissements  d'Alemans  et  de  tri- 
bus bavaroises,  celles  en  heùn  ou  ham  à  des  établissements  de  tribus 
franques,  théorie  que  M.  Seebohm  est  disposé  à  admettre  ;  mais  elle 
s'écroule  si  l'on  considère  combien  les  terminaisons  en  heim  et  en 
ham  sont  fréquentes  en  Scandinave,  comme  celles  en  heimr  le  sont 
en  vieux  norois,  et  si  l'on  se  rappelle  que  ing  et  ingen  sont  encore 
aujourd'hui  représentés  dans  les  noms  de  lieu  Scandinaves  ;  on  les 
trouverait  aussi  très  facilement  dans  les  chartes  en  vieux  norois  et, 
croyons-nous,  dans  1'  «  Earth-book  »  du  roi  Waldemar,  le  Domes- 
day-book  du  Danemark.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  critiques,  le  livre 
de  M.  Seebohm  est  dans  son  ensemble  la  plus  solide  contribution  à 
l'histoire  constitutionnelle  de  l'Angleterre  qui  ait  paru  depuis  le  grand 
ouvrage  de  M.  Stubbs. 


i-^0  BULLETIN   HISTORIQUE. 

Les  plus  anciennes  explications  tentées  en  Angleterre  d'un  système 
qui  tombait  déjà  en  décadence  se  trouvent  au  xvi^  siècle.  On  a  dit 
que  le  sol  de  FAngleterre  a  dû  être  à  un  certain  moment  divisé  entre 
des  favoris  et  des  capitaines;  ceux-ci  auront  ensuite  réparti  leurs 
tenanciers,  esclaves  pour  la  plupart,  d'après  ce  singulier  mode  de 
distribution.  Nous  voyons  maintenant  les  points  faibles  de  cette 
théorie.  Pourquoi  les  auteurs  du  système  se  sont-ils  rencon- 
trés à  établir  partout  le  même  mode  de  tenure?  Comment  en 
sont-ils  arrivés  à  inventer  les  règles  extrêmement  compliquées  de  la 
culture  coopérative  dont  l'existence  ne  faisait  pas  doute  ?  Que  signifie 
l'organisation  d'une  administration  et  d'une  juridiction  communes 
qui  se  trouve  partout  oîi  l'on  fait  la  moisson  en  commun  ?  Maurer  a 
répondu  à  ces  questions  par  sa  théorie  de  la  Mark.  M.  Seebobm  aussi 
donne  une  place  à  la  communauté  de  village  et  à  la  culture  coopéra- 
tive; mais,  pour  lui,  la  communauté  est  encore  à  son  origine  une 
création  du  seigneur  propriétaire  du  sol  ;  les  vilains  ont  été  d'abord 
des  esclaves,  ou  ne  se  distinguaient  pas  de  ses  esclaves.  M.  Seebohm 
a  sans  contredit  puisé  ses  renseignements  à  la  vraie  source;  des 
recherches  plus  approfondies  et  plus  attentives  dans  les  anciens  docu- 
ments jetteront  certainement  la  lumière  sur  beaucoup  de  points  encore 
enveloppés  d'obscurité.  Il  a  enfin  exposé  avec  une  abondance  de  détails 
inconnue  jusqu'ici  le  mode  étrange  d'après  lequel  on  trouve  les 
tenanciers  répartis.  La  question  principale  est  maintenant  de  savoir 
la  situation  des  tenanciers  dans  l'état  de  villenage.  On  dit  que 
M.  Seebohm  poursuit  ses  recherches  sur  le  même  domaine  et  qu'il 
prépare  une  histoire  du  «  Manoir  »  en  Angleterre. 

M.  Seebohm  s'est  appliqué  à  éclaircir  un  seul  point  de  l'histoire 
économique.  Si  l'on  veut  avoir  une  vue  d'ensemble  de  l'histoire  de 
révolution  économique  en  Angleterre,  nous  pouvons  recommander 
le  livre  de  M.  Guwixgham  sur  le  développement  de  l'industrie  et  du 
commerce  anglaise  Le  sujet  est  très  vaste;  l'auteur  l'a  traité  briève- 
ment, mais  complètement.  Cette  brièveté  ne  lui  permettait  pas  d'em- 
ployer les  documents  d'une  façon  aussi  brillante  que  M.  Seebohm  l'a 
fait  dans  son  livre  ;  nous  ne  trouvons  pas  non  plus  chez  lui  la  même 
originalité  de  pensée.  Il  s'est  proposé  de  montrer  l'action  constante 
des  influences  qui  ont  conduit  de  l'ancien  état  de  choses  au  nouveau, 
et  aussi  les  rapports  qui  existent  entre  l'histoire  industrielle  et  l'his- 
toire politique.  Au  début,  il  admet,  sans  hésiter,  que  la  «  mark  » 
germanique  est  la  base  sur  laquelle  repose  la  communauté  anglaise. 

1.  The  groirih  of  english  Indusiri/  and  Commerce.  Cambridge  university 
press,  1882. 


ANGLETERRE.  \A\ 

Son  livre  a  précédé  celui  de  M.  Seebohm  ;  s'il  avait  pu  le  connaître, 
il  n'est  pas  douteux  qu'il  n'eût  été  obligé  de  remanier  ses  premiers 
chapitres.  11  paraît  le  plus  faible  justement  pour  cette  époque  primi- 
tive que  M.  Seebohm  a  traitée  si  complètement;  de  là  quelque  con- 
fusion dans  ce  qu'il  dit  des  origines  de  la  propriété  foncière.  Tacite, 
le  Fleta  et  les  coutumes  allemandes  d'Altenstadt  en  -1 485  par  exemple, 
ne  sauraient  être  allégués  sur  le  même  point.  Nous  comprenons  que 
M.  Cunningham  ne  soit  pas  convaincu  par  tous  les  arguments  de 
M.  Coote  dans  ses  «  Romains  en  Bretagne;  »  mais  nous  ne  pensons 
pas  qu'après  avoir  lu  le  livre  de  M.  Seebohm,  il  continuât  à  nier  la 
théorie  de  M.  Goote,  que  le  système  romain  de  tenure  n'a  pas  cessé 
d'exister  en  Bretagne.  «  La  prétention  persistante  de  ce  mode  de 
tenure,  dit  M.  Cunningham,  est  incompatible  avec  l'existence  delà 
mark  ;  nous  pourrions  expliquer  l'existence  d'un  système  agraire  tel 
que  celui  du  xvi"  siècle,  mais  non  la  mark  qui  Ta  précédé,  et  qui 
paraît  avoir  été  presque  universelle.  »  M.  Cunningham  n'a  pas  fait 
attention  que  le  système  de  la  mark  n'était  pas  un  fait  assuré,  mais 
tout  au  plus  une  théorie  acceptable  ;  il  a  sacrifié  au  désir  d'être  clair 
et  simple  la  discussion  nécessaire  des  théories.  Comparez  par  exemple 
ce  qu'il  dit,  p.  44,  du  système  social  à  l'époque  saxonne  avec  le  cha- 
pitre de  M.  Seebohm  intitulé  «  Saxon  évidence,  »  et  ce  qui  dans  les 
deux  ouvrages  a  trait  aux  services  dus  par  les  vilains  à  l'époque  féodale. 
Mais  d'autre  part,  lorsque  M.  Cunningham  est  sorti  de  ces  temps 
primitifs,  que  la  rareté  des  documents  nous  rendent  si  obscurs,  il 
devient  moins  confus,  et  il  termine  son  livre  par  un  admirable  résumé, 
où  il  expose  des  vues  intéressantes  sur  l'avenir.  L'appendice  est  enri- 
chi de  plusieurs  tables  qui  montrent  la  valeur  comparative  des  mon- 
naies, des  salaires,  du  blé,  etc.  ;  l'accroissement  comparé  des  revenus 
pubhcs  et  de  la  dette  nationale,  de  la  population  et  des  exportations. 
Terminons  par  une  citation  sur  Guillaume  le  Roux,  où  M.  Cunnin- 
gham se  rencontre  avec  M.  Freeman,  sur  le  livre  de  qui  nous  revien- 
drons plus  tard  : 

«  L'histoire  des  règnes  des  deux  fils  de  Guillaume  le  Conquérant  met 
en  pleine  lumière  l'extraordinaire  influence  exercée  par  le  caractère  de 
ce  roi  sur  la  condition  entière  de  la  société  et  sur  les  rapports  de  la  vie 
privée.  Guillaume  le  Roux,  avec  une  certaine  bienveillance  chevale- 
resque, mais  ne  craignant  ni  Dieu  ni  homme,  saisit  toutes  les  occasions 
d'exactions  que  l'ingénuité  de  Ranulf  Flambard  put  lui  procurer,  pour 
entretenir  un  corps  de  mercenaires  et  pour  payer  la  construction  des 
châteaux  et  des  défenses  élevés  à  Londres,  à  Garlisle  et  ailleurs.  C'est  à 
cette  époque  que  le  service  militaire  dû  par  les  tenanciers  fut  pour  la 
première  fois  explicitement  demandé  ;  tout  ce  qui  se  trouvait  en  germe 


J42  BULLETIN  HISTORIQUE. 

dans  le  Domepclay  book  sans  y  être  nettement  formulé  nulle  part  reçut 
alors  ses  développements  logiques  et  implacablement  exigés.  L'impôt 
féodal  était  une  aide  donnée  en  cas  de  nécessité,  et  l'art  des  conseillers 
de  la  couronne  consista  à  faire  naître  ces  nécessités  ;  chaque  grand 
office,  auquel  étaient  attachés  des  revenus  de  toutes  sortes,  fut  consi- 
déré comme  une  possession  concédée  par  le  roi,  qui,  en  le  concédant,  pou- 
vait fort  bien  en  demander  un  relief.  Quant  aux  responsabilités  publiques 
des  officiers  de  la  couronne,  on  n'y  songea  pas,  et  l'on  oublia  que  la 
mission  des  évêques  était  sacrée.  » 

Bien  des  gens  penseront  que  ces  quelques  lignes  en  apprennent 
aussi  long  que  les  deux  volumes  de  M.  Freeman  sur  Guillaume  le 
Roux, 

C'est  envers  les  travaux  de  M.  Gcest  que  tous  ceux  qui  se  sont 
occupés  de  l'histoire  primitive  de  l'Angleterre  doivent  être  et  se  recon- 
naissent comme  les  débiteurs.  Ce  fut  son  exemple  et  son  éloquence 
qui  dès  l'abord  enflammèrent  ces  écrivains  du  zèle  qu'ils  ont  déployé 
depuis  dans  leurs  travaux.  M.  Guest  n'était  pas  un  simple  archéologue; 
ce  n'est  pas  la  simple  curiosité  qui  l'attirait  ;  d'autre  part  il  ne  s'épar- 
gnait aucune  fatigue  dès  qu'il  y  avait  la  moindre  chance  de  découvrir 
un  fait  isolé  de  nature  à  répandre  la  lumière  sur  toute  question  pure- 
ment historique.  Nous  connaissons  des  spéciaUstes  qui  ont  candide- 
ment offert  les  trésors  de  leur  science  à  M.  Guest,  et  qui  ont  été  sur- 
pris de  voir  que  le  grand  antiquaire  en  savait  dix  fois  autant  qu'eux 
sur  leur  propre  domaine.  Aussi  est-ce  avec  reconnaissance  que  nous 
voyons  les  travaux  disséminés  de  ce  père  des  historiens  réunis  en 
deux  volumes'.  Le  titre  donné  a  cette  collection  :  Origines  celticae 
n'en  indique  pas  le  véritable  contenu,  car  la  plus  grande  partie  du 
t.  II  est  occupée  par  des  essais  sur  l'histoire  primitive  de  l'Angleterre. 
Les  origines  celtiques  ne  sont  par  malheur  qu'un  fragment.  M.  Guest 
semble  s'être  proposé  d'écrire  l'histoire  de  la  Bretagne  et  de  ses  habi- 
tants jusqu'à  la  fin  de  la  conquête  du  pays  par  les  Angles  et  les 
Saxons.  Par  un  examen  attentif  des  noms  géographiques,  des  tra- 
ditions mythologiques  et  des  associations  ethnologiques,  joint  à  des 
considérations  philologiques  et  à  l'interprétation  des  anciens  monu- 
ments, l'écrivain  a  cru  possible  non  seulement  de  montrer  ce  qu'était 
la  nation  dans  sa  patrie  britannique,  mais  encore  de  marquer  les  diffé- 
rentes étapes  de  son  mouvement  vers  l'ouest.  Mais  il  n'a  fait  qu'en- 
tasser des  matériaux;  sans  vie,  sans  mouvement,  presque  sans  ordre, 
ils  n'intéresseront  que  les  érudits;  ces  matériaux  ont  cependant  assez 
de  valeur  pour  que  M.  Stubbs  et  M.  Deedes  aient  entrepris  de  les 

1.  Origines  celticae.  2  vol.,  Macmillan,  1883. 


ANGLETERRE.  ^^iS 

publier.  M.  Guest  n'était  pas  au  courant  des  derniers  résultats  obte- 
nus par  la  philologie  comparée  et  ignorait  la  méthode  philologique, 
néanmoins  ses  recherches  étaient  si  approfondies  que  la  plupart  de 
ses  conclusions  sont  correctes.  Il  est  parfois  sévère  pour  des  écrivains 
dont  les  œuvres  ont  été  largement  répandues,  ainsi  pour  le  philologue 
Isaac  Taylor,  dont  l'ouvrage  Words  and  Places  est  devenu  presque 
classique.  Il  est  inutile  de  dire  que  M.  Green  a,  dans  son  Making  of 
England,  fait  entrer  toutes  les  conclusions  des  mémoires  de  M.  Guest 
sur  les  premiers  établissements  anglais  dans  la  Bretagne  méridionale, 
sur  la  conquête  de  la  vallée  de  la  Severn,  sur  la  chute  d'Uriconium, 
etc.  Ils  étaient  depuis  longtemps  à  la  portée  de  tout  le  monde  dans 
les  colonnes  du  Philological  Journal. 

MM.  Gairdner  et  Spedding  ont  aussi  réuni  en  un  volume  plusieurs 
essais  épars  dans  différents  recueils  ^  M.  Spedding  expose  clairement 
la  conduite  du  roi  d'Angleterre  Jacques  I"  dans  l'affaire  de  sir 
T.  Overbury,  mais  il  n'a  pas  de  nouvelles  preuves  externes  à  nous 
présenter  pour  absoudre  le  roi.  Les  essais  de  M.  Gairdner  sur  les 
Lollards  et  sur  Catherine  d'Aragon  sont  bons  à  lire  ;  dans  le  dernier 
cas  surtout,  les  pratiques  mesquines  et  rusées  qui  caractérisent  les 
négociations  diplomatiques  au  xvi^  siècle  sont  bien  mises  en  lumière. 
Mais  aucun  des  écrits  qui  composent  le  volume  n'ajoute  rien  de  nou- 
veau ni  n'épuise  le  sujet. 

Les  érudits  ont  depuis  longtemps  senti  le  besoin  d'un  manuel  de 
littérature  historique;  le  premier  travail  spécial  sur  ce  sujet  qui  ait 
été  publié  en  Angleterre  est  celui  de  MM.  Gardiineu  et  Mdllinger^; 
il  a  reçu  du  public  l'accueil  favorable  qu'il  méritait;  mais  ce  livre  est 
spécial  à  l'histoire  d'Angleterre;  il  y  avait  lieu  d'écrire  sur  le  même 
plan  un  ouvrage  d'un  caractère  plus  étendu.  C'est  ce  qu'a  entrepris  de 
faire  M.  C.  K.  Adams,  professeur  d'histoire  à  l'université  de  Michi- 
gan';  il  a  voulu  donner  «  de  courtes  descriptions  des  plus  impor- 
tantes liistoires  écrites  en  anglais,  en  français  et  en  allemand,  avec 
des  indications  pratiques  sur  les  méthodes  et  les  progrès  de  l'his- 
toire. »  Ce  que  demande  tout  homme  qui  étudie,  c'est  en  effet  une 
bonne  bibliographie.  M.  Green,  dans  sa  brève  histoire  du  peuple 
anglais,  a  été  le  premier,  autant  que  nous  pouvons  le  savoir,  à  indi- 
quer avec  toute  la  précision  possible,  en  tête  de  chaque  chapitre,  les 
principales  sources  de  son  récit.  Gibbon,  le  roi  des  historiens,  en 

1.  Stvdies  in  engltsh  historij.  Edimbourg,  Douglas,  1882,  cf.  Rev.  hist.,  XXI, 
248. 

2.  Introduction  to  the  study  of  engltsh  history.  Kegan  Paul,  1881,  cf.  Rev. 
hist.,  XI.X,  426. 

3.  Manual  of  historical  littérature.  New- York,  Harper,  1882. 


444  BULLETIN    HISTORIQUE. 

sentait  si  bien  la  nécessité,  quMl  conçut  l'idée  de  mettre  comme  pré- 
face à  son  grand  ouvrage  un  exposé  succinct  et  un  examen  critique 
des  sources  et  matériaux  qu'il  avait  employés  ;  mais  il  recula  effrayé 
par  le  travail  minutieux  qu'une  pareille  entreprise  lui  aurait  imposé, 
et  il  se  contenta  de  citer  à  la  façon  ordinaire  ses  autorités  au  bas  des 
pages.  Plus  récemment  M.  Th.  D.  Hardy,  dans  son  célèbre  Descrip- 
tive Catalogue^  a  employé  vingt  années  de  sa  vie  à  décrire  les  maté- 
riaux relatifs  à  l'histoire  de  la  Grande-Bretagne  jusqu'à  l'année  1327, 
et  l'on  annonce  que  le  travail  sera  continué  par  xM.  G.  T.  Martin,  du 
Public  record  offlce.  Mais  un  ouvrage  d'ensemble  manque  encore. 
M.  Adam  nous  l'a-t-il  donné?  En  réalité  il  n'a  guère  fait  autre  chose 
que  reprendre,  en  l'élargissant,  l'œuvre  de  MM.  Gardiner  et  Mullin- 
ger;  mais  il  n'a  pas  assez  reconnu  tout  ce  qu'il  leur  devait  ;  il  a,  sans 
en  avertir  le  lecteur,  fait  entrer  tout  leur  livre  dans  le  sien.  D'autre 
part,  le  plan  qu'il  a  suivi  l'a  conduit  à  de  nombreuses  répétitions,  et 
nous  serions  surpris  si  les  comptes-rendus  étaient  de  la  même  main 
que  les  «  indications  pratiques.  »  Il  y  a  des  contradictions;  ainsi, 
tandis  que,  dans  les  comptes-rendus,  l'histoire  de  France  par  M.  Duruy 
est  appréciée  comme  «  la  meilleure  histoire  de  France,  sans  contredit, 
qui  ait  été  encore  écrite  dans  le  petit  espace  de  deux  volumes,  »  il 
n'est  pas  même  mentionné  dans  les  «  indications  pratiques.  »  On 
peut  aussi  relever  des  omissions,  mais  elles  étaient  inévitables,  et  nous 
devons  reconnaître  que  nous  avons  consulté  plusieurs  fois  ce  livre 
avec  fruit.  Mais  aussi  les  inexactitudes  y  sont  nombreuses  :  ainsi 
Coate  pour  Coote  ;  «  early  setflements  of  Romans  insouth  Britain,  » 
au  lieu  de  ce  earhj  english  seltlemenis  m  S.  B.,  »  par  Guest.  Les 
appréciations  très  générales  dans  les  comptes-rendus,  qui  remplissent 
une  si  large  part  du  volume,  ne  nous  paraissent  pas  d'une  grande 
utilité.  L'analyse  qui  précède  le  volume,  Findex  qui  le  termine  elles 
notions  sur  la  méthode  historique  en  sont  les  meilleures  parties.  Le 
malheur  est  que  chaque  année  apporte  une  si  grande  quantité  de 
livres  d'histoire  qu'un  livre  comme  celui  de  3L  Adams  devrait  être 
sans  cesse  mis  au  courant  :  dans  dix  ans  il  sera  trop  vieux.  Notons 
a  ce  propos  que  le  journal  le  Bibliographer  de  Londres  a  commencé 
récemment  la  publication  d'une  liste  mensuelle  de  tous  les  livres 
publiés  qui  entrent  au  stationer's  Hall. 

Un  signe  de  l'intérêt  croissant  provoqué  par  des  livres  comme  celui 
de  M.  Green  est  la  publication  récente  de  manuels  sur  l'histoire 
primitive  de  la  Bretagne.  Un  bon  spécimen  de  cette  série  a  été  fourni 
par  M.  ScARTH^  Il  a  voulu  nous  faire  connaître  les  résultats  des 

1.  Roman  Britain.  Soc.  for  promoting  christtian  knowledge  (sans  date).  Deux 


a:vgleterre.  445 

recherches  archéologiques;  «  mais  il  s'est  proposé  encore  un  autre 
but,  celui  de  montrer  comment  les  événements  qui  se  sont  accomplis 
aux  temps  passés  ont  été  dirigés  par  le  Tout-Puissant  pour  le  bien  de 
l'homme.  »  Mais,  comme  la  conversion  de  la  Bretagne  au  christia- 
nisme est  précisément  le  sujet  sur  lequel  nous  avons  les  informations 
les  plus  obscures,  et  comme  M.  Scarth  est  naturellement  incapable  de 
nous  en  apprendre  rien  de  nouveau,  il  eût  bien  mieux  valu,  avant  de 
songer  à  interpréter  les  intentions  du  Tout-Puissant  dans  ces  événe- 
ments, nous  dire  en  quoi  précisément  ils  ont  consisté.  Le  livre  de 
M.  Scarth  est  cependant  assez  consciencieux,  malgré  sa  sécheresse  ; 
l'auteur  n'a  pas  cherché,  comme  on  pouvait  le  craindre,  à  exécuter  sa 
menace  ni  à  troubler  l'esprit  du  lecteur  de  sens  commun  par  des 
niaiseries  ecclésiastiques-,  à  la  fin  seulement  il  adresse  une  pieuse 
prière  à  la  grâce  divine,  à  la  façon  des  chroniqueurs  du  moyen  âge  : 
«  Puisse-t-elle  faire  de  cette  île,  autrefois  sans  importance,  le  centre 
d'un  grand  empire,  veiller  sur  elle  et  la  protéger  toujours  :  Esto 
perpétua  !  »  Le  pharisaïsme  du  moyen  âge  paraît  étrange  au  xix'^  s., 
excepté  chez  un  clergyman. 

La  science  est  le  redressement  des  erreurs  ;  cela  est  vrai  surtout  de 
l'histoire.  Les  livres  de  classe  fourmillent;  chaque  grande  maison  de 
librairie  en  publie  sous  la  direction  de  très  respectables  historiens  : 
M.  Green,  M.  Creighton,  miss  G.  Young,  M.  Gardiner;  ils  font  tous 
de  leur  mieux  pour  que  ces  manuels  atteignent  au  plus  haut  degré  de 
correction.  Dans  les  écoles  on  met  aux  mains  des  enfants  des  livres 
clairement  écrits  :  «  Récits  de  l'histoire  d'Angleterre,  »  «  biographies 
historiques,  »  pour  les  soulager  des  dates  et  des  tableaux  chronolo- 
giques. L'excellente  collection  des  «  Époques  de  l'histoire  anglaise  » 
s'adresse  aux  classes  supérieures  ;  nous  ne  voyons  pas  sans  regret 
que  le  vide  entre  la  «  Conquête  normande  »  et  les  «  Premiers 
Plantagenets  »  n'a  pas  encore  été  comblé.  Nous  remarquons  cepen- 
dant avec  plaisir  qu'on  se  met  à  réimprimer  pour  l'usage  des  jeunes 
gens  d'anciens  auteurs  originaux,  La  «  Pitt  press  séries  »  a  déjà 
donné  l'histoire  de  Henry  VII  par  Bacon,  La  «  Cambridge  University 
press  »  vient  de  publier  celle  de  Richard  III  par  More\  avec  des 
notes  et  un  glossaire  suffisant  pour  des  élèves.  Nous  espérons  que 
nos  écoliers  pourront  lire  un  jour  une  bonne  traduction  du  latin 
limpide  de  Bède. 

La  chronologie  a  été  traitée  d'une  façon  nouvelle  par  M.  C.  T. 

autres  vol.  de  la  série  :  Celtic  Britain,  par  M.  Rhys,  et  Anglo-saxon  Britain, 
par  M.  Grant  Allen,  ont  déjà  été  annoncés  par  la  Bev.  hisL,  XXII,  2i4. 
1.  More's  history  of  Richard  III.  Cambridge  univ.  press,  1883. 
Rev.  Histor.  XXV.  !«'■  fasc.  10 


•146  BULLETIN   niSTORIQUE. 

Ensor^  Pour  aider  à  la  mémoire  par  les  yeux,  elle  est  représentée 
comme  un  tableau.  Les  principaux  événements  de  toutes  les  nations 
d'Europe  et  d'Amérique  sont  indiqués.  Les  divers  pays  sont  des 
lignes  horizontales  et  parallèles  ;  des  lignes  verticales  et  équidistantes 
les  divisent  en  décades.  On  saisit  ainsi  d'un  coup  d'œil  tous  les  évé- 
nements accomplis  en  Europe  pendant  la  même  décade.  On  a  apporté 
les  plus  grands  soins  à  faire  ressortir  les  événements  d'après  leur 
valeur  relative  :  on  a  employé  un  grand  nombre  de  caractères  diffé- 
rents, et  les  plus  grands  faits  se  détachent  au  milieu  d'un  espace 
laissé  blanc.  Ce  livre  a  demandé  dix-sept  ans  d'un  labeur  sans  relâche. 
Beaucoup  de  salles  de  lecture  sont  ornées  des  cartes  historiques  de 
Spriiner-,  la  carte  de  M.  Ensor,  ramenée  à  une  moindre  échelle  (Pori- 
ginal  a  54  pieds  de  long),  ferait  très  bonne  figure  à  coté. 

L'histoire  locale  est  actuellement  l'objet  de  très  nombreuses  publi- 
calions.  Il  y  a  peu  de  villes  qui  n'aient  trouvé  leur  historien  : 
Londres,  Norfolk,  Nottingham,  Bristol,  la  liste  est  presque  infinie 
des  monographies  publiées  pendant  les  deux  dernières  années.  Il  est 
curieux  de  constater  combien  d'archéologues  n'ont  jamais  fait  autre 
chose  que  d'assembler  des  matériaux  pour  l'histoire  de  leur  ville 
natale.  Un  très  médiocre  spécimen  d'histoire  locale  est  tombé  entre 
nos  mains ^.  Nous  laisserons  pour  une  autre  fois  ce  sujet  ainsi  que 
celui  des  biographies  individuelles  ou  collectives.  Il  suffira  de  dire 
que  l'ouvrage  dont  nous  parlons  est  le  moins  sensé  qui  nous  soit 
passé  sous  les  yeux  ;  ses  absurdités  ne  sont  pas  même  amusantes  : 
l'auteur  a  voulu  en  faire  la  préface  d'une  liste  des  criminels  exécutés 
au  château  d'York.  Il  commence  par  une  table  chronologique  partant 
de  la  création  du  monde.  C'est  assez  dire. 

Nous  terminerons  ce  bulletin  en  parlant  d'un  livre  qui  tient  plus  du 
roman  que  de  l'histoire  :  le  don  Juan  d'Autriche,  par  sir  W.  Stirling- 
Maxwell^.  Le  secret  de  la  naissance  et  de  l'éducation  de  don  Juan, 
la  soudaineté  avec  laquelle  il  sortit  d'une  obscurité  absolue  pour 
arriver  à  jouer  le  rôle  le  plus  brillant,  tout  cela  ressemble  aux  aven- 
tures de  Gil  Blas  de  Santillane.  Le  récit  de  sa  carrière  si  accidentée, 
de  ses  combats  contre  les  Maures  de  Grenade,  puis  contre  les  Turcs 
à  Lépante,  semble  détaché  de  l'œuvre  de  Cervantes,  qui,  d'ailleurs, 
servit  à  Lépante  et  assista  aux  mêmes  scènes.  Dans  son  noble  et 
chevaleresque  caractère,  don  Juan  a  plus  d'un  trait  de  ressemblance 
avec  le  chevalier  de  la  Manche.  L'auteur  s'est  interdit  tout  portrait 

1.  Chronological  Chart.  Londres,  Stanford,  1883. 

2.  York  of  York  Caslle,  by  captain  Twyford.  GrilTich  of  Farran.  1883. 

3.  Bon  John  of  Austria.  Longmans.  Two  vols.  1883. 


ANGLETERRE.  147 

superflu  de  ce  caractère.  «  Le  lecteur,  fait-il  observer,  aura  tiré  lui- 
même  ses  conclusions  sur  le  caractère  de  don  Juan  d'après  le  récit 
même  de  sa  vie.  Ses  actes  le  peignent  fidèlement.  »  Tout  ce  qui  rend 
un  homme  cher  aux  cœurs  de  ses  compagnons,  don  Juan  y  excellait. 
Après  la  bataille  de  Lépante,  dédaignant  tout  profit  personnel,  il 
renvoya  sans  rançon  les  deux  fils  de  l'amiral  turc  qui  avait  été  tué, 
et  annonça  le  fait  à  la  sœur  de  Sélim  par  une  lettre  qui  est  un  modèle 
de  sentiments  chevaleresques.  Comparez  la  lettre  de  don  Juan  avec 
celle  du  brutal  Sélim,  que  nous  avons  traduite  d'après  une  copie  con- 
servée au  Record  Office  ;  on  y  voit  bien  l'opposition  du  christianisme 
et  de  la  barbarie. 

Copie  d'une  lettre  de  Sélim  II  à  don  Juan  d'Autriche. 

Moi,  le  grand  sultan  Sélim,  maître  de  la  plus  grande  partie  du  monde 
habité,  de  Dandinople  (!)  et  d'Albanie,  du  grand  État  de  Dalmatie,  de 
Damas  et  de  Remanie...  empereur  de  Trébisonde,  souverain  à  qui  per- 
sonne ne  peut  être  comparé  à  cause  de  la  Garmanie,  et  dont  la  Russie 
entière  doit  subir  les  commandements,  empereur  du  grand  Khan  et  roi 
de  toute  l'Arménie,  maître  de  toute  Jérusalem,  que  pleurent  les  chré- 
tiens, roi  de  beaucoup  plus  d'autres  grands  royaumes  qu'on  n'en  peut 
énumérer  ici,  empereur  et  roi  des  trois  parties  du  monde,  dont  deux 
sont  dans  ma  main.  Toi,  prince  don  Juan  d'Autriclie,  toi  prince  de  petit 
avoir,  jeune  homme  fortuné...  voici  que  je  t'envoie  un  présent  qui  est 
au-dessus  de  ta  condition  ;  et  je  te  dis  pourquoi  je  te  fais  ce  présent  : 
trois  longues  robes...  Tout  cela,  je  te  le  donne,  non  pour  cause  d'ami- 
tié, non  par  la  crainte  que  tes  actions  pourraient  me  faire  éprouver; 
mais  je  te  l'envoie  pour  mes  cousins  qui  sont  avec  les  fils  du  malheu- 
reux et  infortuné  Piali  Pacha,  de  si  grand  pouvoir,  nom  et  renom,  que 
tu  as  tué  dans  ta  dernière  bataille,  qui  était  mon  frère  et  avait  épousé 
ma  sœur,  qui  dans  ma  noble  cour  était  hautement  estimé;  afin  que  tu 
les  traites  comme  tu  dois  le  faire,  qu'ils  soient  assis  à  ta  table,  qu'ils 
aillent  côte  à  côte  avec  toi,  et  pour  que,  faisant  ainsi,  je  déclare  que  tu 
es,  toi,  Jean  d'Autriche,  un  prince  d'estimable  renom...  Et  garde-toi 
de  ma  colère  et  de  ma  grande  puissance;  car  auparavant  mon  glaive 
dormait,  mais  prends  garde  maintenant  qu'il  ne  se  réveille  de  son 
sommeil. 

Don  Juan  à  la  sœur  de  Sélim. 

Noble  et  vertueuse  dame.  Lorsque  Mahomet  bey  et  Saïd  bey,  vos 
frères,  furent  conduits  dans  ma  galère  après  la  défaite  de  la  flotte  turque 
dans  le  combat,  considérant  la  misère  à  laquelle  est  exposée  la  faiblesse 
humaine  et  l'incertitude  de  la  condition  de  l'homme,  et  que  ces  nobles 
jeunes  gens  étaient  sur  la  flotte  plutôt  pour  leur  plaisir  et  pour  tenir 
compagnie  à  leur  frère  que  dans  l'intention  de  nous  faire  du  mal,  j'ai 
résolu,  non  seulement  d'ordonner  qu'ils  fussent  traités  comme  il  con- 


^48  BULLETIN  HTSTORIQDE. 

venait  à  leur  rang,  mais  de  leur  rendre  la  liberté  quand  j'en  trouverai 
l'occasion.  Mon  intention  fut  grandement  fortifiée  quand  je  reçus  votre 
lettre  si  pleine  de  tristesse  et  d'afïection  fraternelle,  et  montrant  un  si 
grand  désir  pour  la  liberté  de  vos  frères.  Gomme  j'étais  déjà  dans  l'es- 
poir d'être  en  état  de  les  mettre  tous  deux  en  liberté,  à  mon  grand 
regret  il  arriva  à  Mahomet  bey  la  fin  de  tous  les  chagrins,  qui  est  la 
mort.  Aujourd'hui  je  rends  Saïd  bey  à  la  liberté  ainsi  que  les  autres 
prisonniers  pour  lesquels  il  me  l'a  demandée,  comme  j'aurais  aussi 
rendu  libre  celui  qui  est  mort,  s'il  était  encore  vivant.  Et  croyez,  madame, 
que  c'est  pour  moi  un  plaisir  particulier  qu'il  soit  en  mon  pouvoir  de 
remplir  et  de  satisfaire,  en  partie  du  moins,  votre  désir,  tenant,  comme 
je  le  dois,  en  haute  estime  le  caractère  que  vous  portez.  Le  présent  que 
vous  m'avez  envoyé,  je  ne  l'ai  pas  accepté,  mais  je  l'ai  laissé  entre  les 
mains  de  Saïd  bey,  non  pas  du  tout  parce  que  j'apprécie  peu  ce  qui  me 
vient  de  vos  mains,  mais  parce  que  ce  fut  la  coutume  de  mes  ancêtres 
de  ne  pas  recevoir  de  présents  de  ceux  qui  réclament  leur  assistance  ; 
au  contraire,  de  conférer  des  faveurs,  et  comme  telles,  je  l'espère,  votre 
frère  et  ceux  qui  l'accompagnent  seront  reçus.  Vous  pouvez  aussi  vous 
assurer  que  ceux  qui  vous  appartiennent  deviendront  mes  prisonniers. 
Je  veux  d'aussi  bon  cœur  qu'aujourd'hui  leur  donner  la  liberté  et  faire 
tout  ce  qui  peut  vous  être  agréable.  De  Naples,  le  15  de  mai  1573. 

Don  Juan. 

Par  sa  parfaite  loyauté  à  l'égard  de  son  frère  Philippe  II,  qu'aucune 
ingratitude  ne  peut  tarir,  par  ses  tendres  attentions  pour  sa  nourrice 
Magdalena  de  Ulloa,  par  sa  foi  enfantine  dans  ses  différents  pères 
spirituels,  qui  semble  être  une  piété  toute  naturelle,  sans  aucun 
alliage  de  bigoterie,  il  commande  notre  admiration.  Les  vices  qu'il  a 
contractés  étaient  ceux  de  son  temps,  augmentés  par  ses  maîtres,  bas 
et  fourbes.  «  Je  me  défie  de  lui  à  cause  de  ses  manières  séduisantes, 
disait  Guillaume  le  Taciturne,  et  je  suis  d'autant  plus  sur  mes  gardes 
contre  sa  force.  »  Mais  le  Taciturne  lui-même  n'était  pas  au-dessus 
de  la  tricherie  et  de  la  trahison  qui  distinguent  les  négociations  de 
cette  époque.  Tout  ce  qu'on  peut  dire,  c'est  que  don  Juan  parait 
avoir  été  moins  dénué  de  scrupule  que  tout  autre  Espagnol  de  son 
temps.  Quant  à  ses  amours,  elles  semblent  avoir  excité  l'admiration 
plutôt  que  le  blâme  de  ses  contemporains;  l'ambassadeur  vénitien 
admet  qu'il  les  poursuivit  «  sans  outrage  ni  pour  les  pères,  ni  pour 
les  maris.  » 

C'est  autour  de  cette  figure  maîtresse  du  xvi"  s.  que  sir  W.  Stirling- 
Maxwell  a  groupé  son  histoire.  On  ne  pouvait  choisir  un  caractère 
plus  séduisant,  une  carrière  plus  romanesque,  une  vie  plus  pleine 
d'aventures,  une  figure  plus  dramatique,  si  brusquement  disparue  à 
la  fleur  de  l'âge.  Ce  livre  est  un  drame,  bien  conçu  et  exécuté  avec 


ANGLETERRE.  1/(9 

un  soin  et  une  recherche  singuhèrcs.  La  brillante  culture  de  la 
noblesse  espagnole,  où  chaque  grand  était  le  roi  de  sa  petite  cour, 
le  dernier  effort  pour  l'indépendance  fait  parles  Maures  de  Grenade, 
la  scélératesse  des  pirates  barbaresques  et  la  brutalité  générale  de  la 
vie  maritime,  la  prédominance  maudite  de  la  barbarie  turque  en 
Orient,  la  lutte  opiniâtre  des  Pays-Bas  pour  leur  indépendance,  et  par 
dessus  tout  l'ombre  sinistre  de  Philippe  II  et  de  sa  bigoterie  reli- 
gieuse, telles  sont  les  scènes  que  l'auteur  nous  a  peintes  de  main  de 
maître.  Ni  peine  ni  argent  n'ont  été  épargnés  pour  assurer  l'exacti- 
tude des  détails.  M.  Stirling  Maxwell  a  longtemps  résidé  en  Espagne 
même;  il  possédait  sur  la  httérature  espagnole  une  bibliothèque  sans 
rivale  parmi  les  collections  particulières  ;  il  a  dépouillé  les  archives 
deSimancas  et  mit  largement  à  contribution  ses  amis.  Feu  M.  Raw- 
don-Brown  lui  a  envoyé  des  copies  prises  aux^archives  de  Venise  -,  le 
British  muséum  et  le  Record  office  lui  furent  de  riches  mines  à 
exploiter.  Les  publications  de  la  commission  d'histoire  de  Belgique 
lui  ont  été  naturellement  d'un  grand  secours,  mais  il  paraît  avoir 
examiné  aussi  les  originaux.  Pris  dans  son  ensemble,  le  livre  a  été 
écrit  d'après  des  mss.  en  grande  partie  inédits;  l'appendice  contient 
une  bibliographie  complète  et  de  nombreuses  dépêches  diplomatiques 
imprimées  in-extenso.  Nous  avons  rarement  vu  une  monographie 
écrite  avec  plus  d'ampleur,  de  sensibilité  et  en  même  temps  d'éclat. 
L'ouvrage  est  enrichi  de  portraits  des  principaux  personnages,  avec 
une  vaste  collection  de  blasons,  d'armes,  d'œuvres  d'armes,  de 
médailles,  de  dessins  concernant  les  équipements  de  l'armée  et  delà 
marine,  les  galères,  les  frégates  et  autres  vaisseaux  du  xvi«  s.;  avec 
une  multitude  de  lettres  ornées  empruntées  aux  livres  contempo- 
rains, qui  jettent  une  pleine  lumière  sur  les  mœurs,  les  habitudes  et 
les  ornements  de  Tépoque.  La  reliure  même  est  un  chef-d'œuvre  et 
réjouirait  le  cœur  de  M.  Ruskin  lui-même;  quant  au  prix,  est-il 
besoin  de  dire  qu'il  est  digne  de  la  beauté  du  livre?  La  vie  de 
Charles-Quint  dans  son  monastère,  le  siège  d'Anvers,  don  Juan 
d'Autriche  forment  une  brillante  série  à  laquelle  M.  Stirling- 
Maxwell  aurait  sans  doute  ajouté  d'autres  numéros,  si  la  mort 
n'était  venue  l'interrompre. 

On  remarquera  que  la  tendance  générale  qui  s'est  manifestée  dans 
ces  derniers  temps  pousse  les  historiens  vers  les  questions  sociales  et 
économiques.  Les  histoires  qui  se  rapportent  exclusivement  à  la  per- 
sonne des  rois  ou  à  la  diplomatie  des  cabinets  ne  commandent  plus 
l'attention  comme  par  le  passé.  A  cet  égard,  M.  Green  peut  être  con- 
sidéré comme  ayant  inauguré  une  nouvelle  ère  dans  la  manière 
d'écrire  l'histoire  pour  le  peuple.  Pour  ce  motif,  le  Guillaume  le 


^50  BULLETIN  HISTORIQUE. 

Roux  de  M.  Freeman  a  peu  attiré  l'attention,  et  c'est  seulement  la 
richesse  avec  laquelle  a  été  publié  le  livre  de  M.  Slirling-Maxwell 
qui  lui  a  assuré  le  succès  :  un  exemplaire  de  l'édition  de  luxe,  mis 
en  vente  à  23  1.,  a  été  vendu  récemment  dans  une  vente  publique 
40  1.  (i,000  fr.).  L'état  d'une  société  où  M.  Bradlaugh  et  M.  George 
jouent  un  si  grand  rôle  contribue  aussi  à  expliquer  pourquoi  des 
ouvrages  comme  ceux  de  M.  Seebohm  et  de  M.  Gunningham  sont 
publiés  et  lus  avidement  ;  le  livre  de  M.  Seebohm  a  déjà  eu  deux  édi- 
tions. Aujourd'hui,  les  lecteurs  se  détournent  du  récit  des  brillants 
exploits  accomplis  par  nos  anciens  souverains;  ils  aiment  mieux 
connaître  par  quels  moyens  on  put  faire  les  dispendieuses  guerres 
avec  la  Normandie  et  la  France,  quelles  souffrances  elles  firent 
endurer  à  la  masse  du  peuple  ou  quels  sacrifices  furent  imposés  à 
ceux  qui  possédaient.  De  là  la  popularité  d'ouvrages  comme  celui  de 
M.  Th.  Rogers  sur  l'histoire  de  l'agriculture  et  du  prix  des  choses. 
C'est  un  champ  en  partie  encore  inexploré.  Il  est  très  rare  de  trouver 
dans  les  livres  modernes  des  renvois  aux  documents  conservés  dans 
les  archives  de  presque  toutes  les  nations;  excepté  à  nos  «  State 
Papers,  »  relativement  sans  importance.  Ce  sont  là  cependant  les 
matériaux  qu'il  faut  mettre  en  œuvre,  si  l'on  veut  produire  des  idées 
nouvelles.  Nous  savons  ce  que  Niebuhr  a  pu  faire  pour  l'histoire  de 
Rome  avec  un  nombre  infiniment  petit  de  documents.  Les  anciennes 
archives  d'Angleterre  attendent  quelque  Niebuhr  qui  sache  leur 
arracher  leurs  secrets.  Les  anciens  chroniqueurs  sont  maintenant 
relativement  bien  connus,  mais  les  gens  les  mieux  informés  ignorent 
encore  les  vastes  richesses  cachées  dans  les  archives  accumulées  par 
le  temps.  La  difflcuUé  de  les  déchiffrer  et  de  les  manier  demandera 
la  collaboration  des  paléographes  et  des  historiens  ;  de  leurs  efforts 
combinés  nous  pouvons  espérer  d'étonnantes  découvertes.  C'est  la 
méthode  qu'a  appliquée  M.  Seebohm  et  on  peut  le  suivre  comme  un 
excellent  modèle. 

J.  G.  Black. 


SMITH    :    THE    PROPHETS   OF   ISRAËL.  Vôi 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


W.  Roberlson  Smith.  The  prophets  of  Israël  and  their  place 
in  hlstory  to  the  close  of  the  eighth  century  B.  C,  eighl  lec- 
tures. Edinburgh,  Black,  -1882;  xvi  et  444  p.  in-8°. 

M.  Robertson  Smith  est,  si  nous  ne  nous  trompons,  un  des  chefs  de 
la  jeune  école  théologique  écossaise,  qui  s'efforce  d'introduire  au  pays 
du  calvinisme  rigide  les  principaux  résultats  de  l'exégèse  étrangère.  Nous 
croyons  même  que  ce  propos  lui  a  attiré  des  désagréments;  mais  il  nous 
parait  aussi  que  M.  R.  Smith  est  de  ces  gens  qui,  ayant  la  chance  de 
ne  pas  être  trop  en  avant  de  leur  entourage  pour  cesser  d'être  compris, 
compensent  par  le  succès  obtenu  auprès  des  cercles  libéraux  les  ennuis 
que  leur  valent  les  conservateurs  obstinés  des  vieux  usages.  Non  seule- 
ment il  nous  'parait,  mais  la  préface  confirme  expressément  ce  que  nous 
soupçonnions.  M.  Robertson  Smith  tient  pour  «  le  progrès  des  études 
bibliques.  »  Les  livres  qui  contiennent  «  notre  religion,  dit-il,  sont  des 
documents  historiques  qui  réclament,  comme  tels,  le  même  traitement 
dont  les  fruits  ont  été  si  satisfaisants  quand  on  l'a  appliqué  aux  autres 
sources  de  l'histoire  ancienne.  »  Les  quelques  pages  placées  en  tète  du 
volume  sont  écrites  sur  le  ton  d'ardeur  et  de  confiance  familier  aux 
réformateurs  dans  le  début  d'entreprises  dont  ils  ne  soupçonnent 
point  encore  les  difficultés.  J'ajoute  que  M.  R.  Smith  se  place  au 
point  de  vue  de  l'école  critique  la  plus  moderne  et  admet  avec  Graf, 
Kuenen,  Wellhausen  et  Reuss  que  les  conceptions  religieuses  des 
prophètes  se  sont  formées  antérieurement  à  l'élaboration  du  code  mo- 
saïque. 

On  sait  ce  que  sont  les  prophètes  hébreux  pour  l'orthodoxie  tradi- 
tionnelle :  de  simples  porte-voix  de  la  divinité  destinés  à  annoncer, 
quelques  siècles  à  l'avance,  la  venue  du  Messie  et  son  œuvre.  La  cri- 
tique moderne  a  rétabli  le  sens  de  ceux  de  leurs  écrits  qui  nous  sont 
parvenus  et  restitué  le  rôle  qu'ont  eu  ces  personnages  dans  les  destinées 
de  la  nation  israélite.  Les  prophètes  sont  des  sortes  de  conseillers  du 
peuple  et  des  rois,  intervenant  dans  la  conduite  des  affaires  politiques. 
L'histoire  n'a  pas  à  les  reléguer  au  chapitre  de  la  littérature  ou  de  la 
théologie,  mais  à  les  mettre  au  premier  plan  des  événements  qu'elle 
rapporte. 

C'est  ce  que  M.  R.  S.  a  tenté  de  montrer,  particulièrement  pour  les 
plus  anciens  prophètes  sur  lesquels  nous  soient  parvenus  des  rensei- 
gnements ou  dont  nous  possédions  les  écrits.  Sa  première  g  lecture  » 


-132  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

débute  par  des  considérations  théologiques  dans  l'esprit  du  «  protestan- 
tisme libéral.  »  Puis  l'auteur  expose  avec  détail  la  situation  du  peuple 
Israélite  dans  l'Orient  ancien  et  le  caractère  de  son  dieu  particulier 
Jéhovah  (Yahvéh).  La  seconde  lecture,  intitulée  :  Jéhovah  et  les  dieux 
des  païens,  reprend  le  même  sujet  et  l'épuisé.  Ce  n'est  qu'avec  la  troi- 
sième :  Amos  et  la  maison  de  Jéhu,  que  M.  R.  S  entre  véritablement 
dans  son  sujet.  Les  cinq  dernières  traitent  successivement  de  :  Osée  et 
la  chute  d'Ephraim;  le  royaume  de  Juda  et  les  commencements  de 
l'œuvre  d'Isaïe  ;  les  premières  prophéties  d'Isaïe;  Isaïe  et  Michée  sous 
le  règne  d'Ezéchias  ;  la  délivrance  d'Assyrie.  Nous  nous  arrêtons  donc, 
comme  le  titre  l'indique,  à  la  fin  du  viu«  siècle  avant  l'ère  chrétienne. 
En  présence  de  ce  sujet  volontairement  restreint,  l'auteur  s'est  trouvé 
à  l'aise  et  il  a  pu  donner  à  son  exposition  toute  l'ampleur  désirable. 

Bien  que  ce  livre  soit  à  proprement  parler  un  livre  de  vulgarisation 
scientifique,  il  n'est  pas  dépourvu  de  qualités  originales.  Il  est  remar- 
quable, tout  d'abord,  par  la  vivacité  et  l'élégance  de  l'exposition  ;  il 
témoigne  d'une  connaissance  solide  et  précise  de  la  littérature  du  sujet. 
Toutefois  on  y  peut  signaler,  à  côté  de  ces  qualités  qui  ne  sont  pas 
à  l'usage  du  premier  venu,  certains  côtés  faibles.  Sur  nombre  de  points 
l'auteur  croit  en  savoir  évidemment  trop  long.  Il  ne  semble  pas  se  rendre  un 
compte  exact  des  phases  que  traversent  en  ce  moment  les  études  hébraïques . 
On  est  étonné  de  rencontrer  côte  à  côte  le  dogmatisme  delà  vieille  école 
critique  et  les  procédés  beaucoup  plus  réservés  de  la  jeune  école.  Avec 
cette  dernière,  M.  Robertson  Smith  place  les  prophètes  avant  la  loi, 
élimine  Joël  (dont  il  ne  prononce  point  môme  le  nom,  ce  qui  est  un 
inconvénient)  et  le  pseudo  Zacharie;  mais,  avec  la  première,  celle 
d'Ewald  et  de  Bleek,  il  tient  pour  inattaquable  l'œuvre  d'Amos,  d'Osée, 
de  Michée  et  de  Proto-Isaïe  (sauf  les  morceaux  unanimement  condam- 
nés). Et  c'est  cette  confiance  en  l'authenticité  des  écrits  attribués  à  ces 
quatre  personnages  qui  peut  seule  justifier  le  titre  de  son  ouvrage.  Or, 
nous  doutons  que,  dans  l'état  actuel  de  la  critique,  un  tel  système  puisse 
être  tenu  pour  valable. 

Si  donc  la  contribution  que  la  nouvelle  production  du  distingué 
théologien  écossais  apporte  à  l'histoire  scientifique  des  Israélites  est 
mince,  le  livre  n'en  est  pas  moins  intéressant  comme  œuvre  de  tran- 
sition. En  suivant  doucement  —  et  sans  se  douter  lui-même  de  la 
portée  de  son  action — les  remparts  derrière  lesquels  dort  une  théologie 
caduque,  M.  Robertson  Smith  et  ses  congénères  frayent  la  voie  aux 

méthodes  rigoureuses  de  la  critique. 

Maurice  Vernes. 


Madvig.  L'État  romain;  sa  constitution  et  son  organisation; 

traduit  par  Gh.  Morel.  Tome  I,  hi-S"  de  290  p.  (Paris,  Vieweg, 

^882.) 

L'ouvrage  de  M.  Madvig  a  paru  en  entier  dans  l'édition  danoise  et 


MADVIG    :    l'état   ROMAIJf.  Vi3 

dans  l'édition  allemande.  Il  forme,  dans  cette  dernière,  deux  volumes 
de  593  et  801  pages  (Teubner,  1881-1S82).  M.  Morel,  qui  a  entrepris  de 
le  traduire,  n'en  a  encore  publié  qu'une  faible  partie,  la  moitié  environ 
du  premier  volume.  J'espère  qu'il  se  hâtera  de  nous  donner  le  reste. 
Outre  que  l'allemand  n'est  pas  accessible  à  toijt  le  monde,  M.  Morel  a 
introduit  dans  le  texte  original  d'heureuses  modifications  ;  il  l'aéclairci  et 
allégé  ;  il  a  rejeté  au  bas  des  pages  une  multitude  de  notes  qui  l'encom- 
braient; il  a  ajouté  par  endroits  des  remarques  personnelles,  qui, 
malheureusement,  n'ont  pas  toujours  une  grande  valeur  ;  il  s'est  en  un 
mot  efforcé  de  présenter  au  public  français  une  édition  vraiment  fran- 
çaise de  l'ouvrage  et  non  une  copie  de  la  traduction  allemande, 
laquelle,  semble-t-il,  est  assez  défectueuse. 

Le  tome  I^""  de  M.  Morel  contient  trois  chapitres,  dont  les  titres  sont 
les  suivants  :  Ch.  I.  Le  peuple  romain  et  son  empire.  Citoyens  et 
étrangers.  —  Gh.  IL  Organisation  intérieure  du  peuple  romain.  Ses 
subdivisions.  Distinctions  des  classes.  —  Gh.  III.  Le  gouvernement 
républicain,  le  peuple  romain  et  ses  assemblées.  Il  traite  donc  de  l'état 
social  de  Rome  et  des  comices.  On  ne  s'attend  pas  sans  doute  à  ce  que 
l'auteur  dise  tout  sur  les  questions  qu'il  aborde;  il  n'en  a  pas  eu  d'ail- 
leurs l'ambition.  Son  but  a  été  de  décrire  l'État  romain  dans  ses  traits 
essentiels,  sans  rien  omettre  de  ce  qu'il  est  important  de  connaître,  mais 
aussi  sans  insister  sur  les  petits  détails.  Il  s'est  proposé  non  pas  de 
rédiger  un  immense  répertoire  de  faits,  comme  le  manuel  de  Marquardt  et 
Mommsen,  mais  de  tracer  une  image  fidèle  de  la  constitution  romaine, 
de  montrer  quels  en  étaient  les  principaux  rouages  et  d'expliquer  com- 
ment ils  fonctionnaient.  Bien  qu'il  n'y  ait  pas  dans  ce  livre  étalage 
d'érudition,  on  sent  qu'il  n'a  pas  été  improvisé  à  la  hâte;  de  l'aveu  de 
M.  Madvig  lui-même,  il  est  le  résumé  d'un  long  labeur  de  cinquante 
années,  et  l'on  devine  ce  que  l'auteur,  considéré  par  un  juge  compétent 
comme  «  le  premier  latiniste  de  l'Europe,  »  a  su  dans  cet  intervalle 
accumuler  de  faits  et  d'idées  sur  l'histoire  de  Rome.  Il  a  pourtant  un 
mérite  encore  plus  rare,  celui  de  savoir  ignorer.  «  J'ai  eu  soin,  dit-il  dans 
sa  préface  (p.  xni),  d'indiquer  sur  chaque  sujet  ce  qui  nous  est  réelle- 
ment transmis  dans  les  sources,  de  marquer  la  limite  où  commence  le 
doute  et  où  il  peut  être  permis  d'avoir  recours  à  des  hypothèses  pour 
combler  les  lacunes;  souvent  même  j'ai  signalé  sans  ambages  les  points 
où  s'arrêtent  nos  connaissances.  Gependant  j'ai  pu  assez  fréquemment 
remédier  d'une  manière  satisfaisante  à  l'incohérence  apparente  des  récits 
traditionnels  et  en  combler  les  lacunes  par  simple  combinaison,  sans 
recourir  à  des  hypothèses  téméraires  ou  artificielles.  »  On  voit  que,  sans 
aliéner  en  rien  les  droits  de  la  critique,  M.  Madvig  ne  procède  qu'appuyé 
sur  les  témoignages  anciens;  quand  les  textes  manquent,  il  n'a  garde  de 
suppléer  à  leur  silence,  et  il  se  soucie  peu  d'ajouter  un  système  de 
plus  à  tous  ceux  qu'a  déjà  suscités  l'incertitude  des  documents.  Aussi 
quelques-uns  l'ont-ils  accusé  d'avoir  écrit  un  ouvrage  presque  dépourvu 
de  nouveautés.  Il  leur  a  répondu  d'avance  en  disant  :  «  Je  n'ai  voulu 


^34  COMPTES-RENDDS   CRITIQUES. 

être  original  qu'en  renonçant  à  toute  recherche  systématique  de  l'ori- 
ginalité. » 

Au  reste,  il  serait  injuste  de  croire  que  M.  Madvig  n'a  rien  à  nous 
apprendre.  Outre  qu'il  a  réussi  à  porter  la  lumière  sur  une  infinité  de 
points  de  détail  négligés  ou  mal  connus  avant  lui,  il  a  très  nettement 
déterminé  les  droits  inhérents  à  la  cité  romaine,  la  condition  des 
peuples  vaincus  et  les  divers  degrés  qui  conduisaient  de  l'assujettisse- 
ment à  l'égalité.  Il  a  exposé  avec  force  les  traits  qui  attestent  le  carac- 
tère aristocratique  de  cette  société  oii  chaque  citoyen  avait  son  rang  et 
chaque  classe  ses  privilèges.  Patriciens  et  plébéiens,  patrons  et  clients, 
centuries  et  tribus,  ordre  sénatorial,  ordre  équestre,  tribuni  aerarii, 
noblesse,  affranchis,  toutes  ces  distinctions  sociales  ont  été  soigneuse- 
ment définies  ,  sans  que  jamais  l'esprit  de  système  altère  la  vérité 
scientifique.  Le  chapitre  III,  consacré  aux  comices,  est  peut-être  un  peu 
inférieur,  parce  qu'il  est  moins  complet;  il  suffit  néanmoins  pour 
donner  une  notion  exacte  de  ce  qu'étaient  les  assemblées  par  curies,  par 
centuries,  par  tribus  sous  la  république,  et  de  ce  qu'elles  devinrent  sous 
l'empire.  L'ouvrage,  en  un  mot,  vaut  autant  par  les  idées  générales  qu'il 
établit  que  par  les  faits,  toujours  bien  choisis,  qui  servent  à  les 
démontrer. 

J'ai  pu  cependant  y  relever,  sinon  des  erreurs,  du  moins  des  asser- 
tions qui  manquent  de  preuves  et  des  lacunes  qu'il  eût  été  bon  de 
combler. 

P.  17.  L'auteur  dit  que  «  le  système  représentatif  était  absolument 
inconnu  dans  l'antiquité,  »  et  il  ajoute  en  note  que  lesltaliens,  durant 
la  guerre  sociale,  tentèrent  de  l'organiser  à  Corfinium.  Ce  dernier  point 
n'est  nullement  certain.  Il  est  possible  que  le  Sénat  de  la  ligue  se  com- 
posât de  députés  élus  par  les  peuples  qui  la  formaient  ;  mais  il  semble 
que  pour  délibérer  et  voter  dans  les  comices  souverains  de  Corfinium, 
il  faillit  résider  dans  la  ville  ou  s'y  rendre  exprès.  —  P.  18,  note  5. 
M.  Madvig  nie  que  Rome  sous  les  rois  fût  une  ville  de  commerce.  Com- 
ment expliquer  alors  la  création  du  port  d'Ostie  et  surtout  le  traité  de 
509  avec  Carthage?  —  P.  89.  Pour  lui  la  plèbe  n'a  qu'une  origine, 
l'immigration  des  habitants  que  la  conquête  romaine  chassait  des  cités 
voisines.  Ce  ne  fut  pas  là  assurément  la  seule  cause  qui  donna  nais- 
sance à  la  plèbe  ;  il  serait  aisé  d'en  citer  plusieurs  autres,  même  sans 
croire  à  l'asile  de  Romulus.  —  P.  94.  M.  M.  se  refuse  à  admettre  que  les 
mariages  mixtes  aient  été  introduits  par  la  loi  des  xii  tables.  Le  témoi- 
gnage de  Cicéron  {De  rep.,  II,  37)  est  pourtant  formel,  et  nous  n'avons 
aucun  motif  pour  le  rejeter,  avec  cette  réserve  toutefois  que  la  loi  des 
XII  tables  se  borna  à  confirmer  une  règle  déjà  ancienne.  —  P.  96.  Il 
n'est  pas  probable  que  les  plébéiens  aient  eu  accès  au  Sénat  dès  l'année 
509  ou  tout  au  moins  dès  l'époque  des  décemvirs;  on  n'a,  pour  s'en 
convaincre,  qu'à  se  reporter  aux  arguments  péremptoires  de  M.  Willems 
[Le  Sénat  romain,  tome  I,  p.  49  et  suiv.).  —  P.  103.  A  propos  de  la 
clientèle,  il  eût  été  intéressant  de  rechercher  quelle  fut  l'origine  de  cette 


MADViG  :  l'État  romain.  -ISo 

institution.  Ce  n'est  pas  assez  de  savoir  «  que  les  clients  formaient 
l'ancienne  population  d'ordre  inférieur,  attachée  aux  citoyens  patriciens 
par  lesquels  ils  étaient  tenus  dans  une  dépendance  qui  se  rapprochait 
du  servage.  »  —  P.  110.  Contrairement  à  l'opinion  de  M.  M.,  rien  ne 
prouve  que  les  plébéiens  aient  figuré,  dès  le  principe,  dans  les  curies  ; 
la  seule  raison  qu'il  invoque  à  l'appui  de  cette  hypothèse,  à  savoir 
l'élection  des  premiers  tribuns  par  l'assemblée  curiate^  outre  qu'elle 
n'est  pas  probante,  est  de  plus  en  contradiction  avec  un  ensemble  de 
faits  bien  avérés.  —  P.  126,  note  18.  La  divergence  entre  Cicéron,  De 
rep.,  II,  22,  et  Denys,  vn,  59;  iv,  20,  pour  ce  qui  concerne  le 
nombre  des  centuries  de  la  première  classe,  vient  tout  simplement  de 
ce  que  l'un  parle  de  l'organisation  primitive,  et  l'autre  de  celle  qui 
suivit  la  réforme  du  iiie  siècle  avant  J.-C.  Sur  cette  réforme,  M.  M. 
adopte  le  système  de  Pantagathus;  j'ai  essayé  d'établir  ailleurs  [Rev. 
hist.,  sept.  1881)  que  ce  système  est  erroné  et  que  la  réforme  en  ques- 
tion n'a  pas  eu  le  caractère  qu'on  lui  attribue  d'ordinaire.  —  P.  131, 
note  11.  Le  texte  de  Cicéron  (Philipp.  II,  33)  me  paraît  mal  interprété. 
Ce  n'est  pas  la  première  classe  de  la  centurie  prérogative  qu'on  appelle 
au  vote,  mais  la  première  classe  tout  entière  qu'on  appelle  après 
le  vote  de  la  prérogative.  Quant  au  mot  renuntiatur  que  notre  auteur 
considère  comme  interpolé,  on  a  proposé  de  le  remplacer  par  renun- 
tiantur  avec  suffragia  pour  sujet.  —  P.  180.  On  ne  voit  pas  assez 
comment  s'est  formé  l'ordre  équestre.  —  P.  243.  M.  M.  est  d'avis  que 
les  comices  centuriates  furent  «  dès  le  règne  de  Servius  Tullius  l'assem- 
blée souveraine  proprement  dite.  »  C'est  une  pure  conjecture.  L'organi- 
sation de  Servius  n'eut,  semble-t-il,  qu'un  objet  militaire,  et  les  textes 
ne  nous  montrent  l'intervention  des  centuries  dans  les  élections  qu'à 
dater  de  509,  dans  la  confection  des  lois  qu'à  dater  des  décemvirs.  — 
P.  244.  Une  seule  page  traite  des  élections  consulaires  ;  elle  est  trop 
incomplète;  certains  faits  de  l'époque  primitive  méritaient  d'y  trouver 
place.  — •  P.  249-250.  Je  crains  que  M.  M.  se  soit  trompé  %vivVauctoritas 
patrum.  Les  documents  nous  disent  que  ce  droit  de  veto  appartenait  aux 
patres.  Or,  l'assemblée  curiate  était  exclusivement  patricienne;  quant  au 
Sénat,  il  le  demeura  jusque  vers  l'année  400  ;  les  patriciens  y  possé- 
daient encore  la  majorité  en  295  (Willems,  I,  109)  et  tous  ses  membres 
étaient  également  qualifiés  du  titre  de  patres.  Deux  hypothèses  sont  donc 
possibles  ;  le  droit  de  veto  dont  il  s'agit  était  exercé  ou  bien  par  l'assemblée 
curiate  ou  par  le  Sénat.  Mais  M.  M.  ne  peut  recourir  ni  à  l'un  ni  à 
l'autre,  car  il  pense  que  les  curies  étaient  ouvertes  aux  plébéiens  et  que 
le  Sénat  les  admit  aussi  de  très  bonne  heure  dans  son  sein.  Il  est  par 
conséquent  obligé  d'imaginer  que  Vauctoritas  était  réservée  aux  seuls 
patriciens  du  Sénat;  opinion  toute  factice  qui  n'a  pour  elle  aucun 
témoignage  ancien.  —  P.  252.  J'en  dirai  autant  de  cette  assertion  que 
l'assemblée  des  tribus  était  d'abord  purement  plébéienne.  Elle  l'était 
peut-être  en  fait,  les  patriciens  dédaignant  d'obéir  à  la  convocation  des 
tribuns;  elle  ne  l'était  pas  en  droit,  puisque  chaque  tribu  comprenait 


-J56  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

des  citoyens  des  deux  ordres.  —  P.  260-261.  Il  est  très  vrai  que  Tacti- 
vité  législative  tendit  de  plus  en  plus  à  passer  des  conaices  centuriates 
aux  comices  par  tribus  ;  mais  M.  M.  n'en  dit  pas  la  véritable  raison  ; 
elle  se  déduit  tout  naturellement  du  caractère  oligarchique  qu'avait 
gardé  la  première  assemblée,  comparée  à  la  seconde,  du  meins  si  l'on 
repousse  l'opinion  courante  sur  la  réforme  du  ni^  siècle.  —  P.  263, 
283  et  ailleurs  encore,  M.  M.  parle  de  la  loi  CElia  Fufia  et  de  Vobnun- 
tiaiio,  mais  sans  insister  assez  sur  l'importance  de  cette  pratique.  On 
est  tenté  tout  d'abord  de  la  considérer  comme  une  simple  formalité 
religieuse.  Au  fond  c'était  un  moyen  de  rétablir  par  voie  détournée 
l'ancien  droit  de  veto  du  Sénat  sur  les  décisions  populaires.  Le  Sénat 
pouvait  en  effet  casser  toute  loi  entachée  d"un  vice  de  forme,  et  une  loi 
se  trouvait  dans  ce  cas  pour  peu  qu'on  eût  négligé  d'observer  les  pres- 
criptions relatives  aux  auspices.  Qu'un  magistrat  compétent  déclarât,  au 
moment  du  vote,  que  les  présages  étaient  défavorables,  aussitôt  le  vote 
devait  être  remis,  et,  s'il  avait  lieu,  le  Sénat  était  libre  de  l'annuler. 
Cicéron  l'avoue  lui-même  dans  un  curieux  passage  du  De  divinatione 
(II,  35);  la  science  augurale  n'avait  de  son  temps  qu'un  but  politique; 
c'était  un  frein  imposé  à  la  toute-puissance  des  comices  ;  c'était  un 
obstacle  apporté  au  plein  exercice  de  la  souveraineté  populaire,  qui, 
sans  cette  précaution,  eût  échappé  à  tout  contrôle. 

Paul  GUIRAUD. 


Geschichte  der  rœmischen  Kaiserlegionen  von  Augustus  bis 
Hadrianus,  voii  D""  W.  Pfitz\eu.  Leipzig,  Teubner,  188^,  de 
pp.  vi-2y0,  iii-8". 

L'histoire  des  légions  romaines,  comme  le  dit  très  bien  l'auteur  de 
ce  livre  (p.  v),  n'est  pas  encore  une  chose  possible;  elle  exige  d'abord 
la  monographie  détaillée  et  complète  de  chaque  troupe,  et  nous  ne  pos- 
sédons malheureusement  de  bonne  étude  de  ce  genre  que  celle  que 
Borghesi  a  faite  sur  les  légions  du  Rhin  (Œuvres,  IV,  p.  182),  et  la 
notice  du  D""  Henzen  sur  \diSecunda  Parthica  [Annali,  1867,  p.  73).  Les 
travaux  de  Grotefend  (surtout  dans  Pauly,  Realencycl.^  IV,  p.  868)  sont 
excellents,  parce  qu'ils  nous  offrent  tous  les  textes  classiques  concernant 
les  légions.  Mais  la  publication  du  Corpus  et  les  préfaces  de  Mommsen 
(m  et  vin)  et  de  Hûbner  (vu)  les  ont  rendus,  non  pas  inutiles,  mais 
incomplets. 

L'étude  de  M.  Pfitzner,  comme  celle  M.  Stille',  ne  va  guère  au 
delà  des  travaux  de  Grotefend,  c'est-à-dire  que  les  inscriptions  n'y 
sont  utilisées  que  d'une  façon  très  insuffisante.  Certains  recueils  épi- 
graphiques,  comme  ceux  de  Brambach,  de  Renier,  de  Wilmanns,  n'y 
sont  pas  cités,  et  pour  beaucoup  d'inscriptions  publiées  dans  les  sept 

1.  Parue  en  1877  ;  cf.  lievue  historique,  XIII,  p.  164. 


PFITZNER    :    GESCHICHTE   DER   RCEMISCHEX   KAISERLEGIONEiV.         ^57 

premiers  volumes  du  Corpus,  la  numérotation  d'Orelli  est  conservée. 
Tous  les  renseignements  que  l'épigraphie  nous  fournit  sur  l'emplace- 
ment des  camps  des  légions  y  sont  négligés  :  et  cela  est  d'autant  plus 
regrettable,  que  les  préfaces  du  Corpus  les  avaient  déjà  recueillis.  Le 
livre  de  M.  Pf.  n'est  même  pas  suivi,  comme  la  dissertation  de  M.  Stille, 
de  la  liste  des  légats  et  des  principaux  officiers  des  légions  :  voilà  qui 
aurait  été,  non  seulement  très  utile,  mais  encore  nouveau,  car  la  liste 
dressée  de  M.  St.  est  loin  d'être  complète.  M.  Gauer  vient  de  donner 
{Ephemeris  Epigraphica,  IV,  p.  354)  la  liste  de  tous  les  sous-officiers, 
de  toutes  les  légions  qui  nous  sont  connus  par  les  textes  épigraphiques  : 
c'est  ce  que  nous  aurions  voulu  que  M.  Pf.  fît  pour  les  tribuns,  les  pré- 
fets et  les  légats,  et  c'est  ce  qui  demeure  à  faire. 

Quant  à  l'histoire  proprement  dite  des  légions,  elle  est  aussi  com- 
plète que  celle  de  Grotefend  :  Dion,  Tacite,  Suétone  y  sont  largement 
mis  à  contribution,  trop  peut-être,  puisqu'à  propos  des  légions,  l'his- 
toire de  la  contrée  même  qu'elles  défendent  nous  est  racontée.  En 
revanche,  les  travaux  exécutés  par  elles,  les  routes  qu'elles  ont  cons- 
truites, les  retranchements  qu'elles  ont  dressés  sont  à  peine  mention- 
nés. Le  vallum  Hadriani  ne  fait  l'objet  que  de  trois  lignes  à  peine 
(p.  214). 

Il  serait  facile  de  relever  un  certain  nombre  d'omissions.  Pour  se 
borner  à  l'Afrique,  M.  Pf.  omet  de  nous  dire  que  la  Illa  Augusta  appa- 
raît pour  la  première  fois  en  l'an  14  {C.  i.  l.,  VIII,  1018-1023),  et  que 
son  campement,  à  cette  époque,  était  à  Théveste  ;  la  fameuse  procla- 
mation d'Hadrien  {C,  VIII,  2532)  ne  semble  pas  connue  à  l'auteur. 
Cependant  elle  renferme  de  précieuses  données  sur  les  destinées  de  cette 
légion  :  la  phrase  :  Nostra  memoria  bis  non  tantum  mutastis  castra  sed  et 
nora  fecistis,  révèle  un  fait  d'une  grande  importance  pour  l'histoire 
mihtaire  de  l'Afrique.  Wilmanns  (6\,  VIII,  p.  283)  a  vu  là  la  construc- 
tion de  deux  camps  successits  à  Lambèse  ;  Mommsen  {id.,  p.  xxi)  a 
montré  avec  raison  qu'entre  l'établissement  de  Lambèse  et  l'ancien 
campement  de  Théveste,  la  III»  Augusta  s'était  un  instant  arrêtée  entre 
Mascula  et  Thamugadi,  comme  le  prouvent  deux  pierres  miliaires 
(C,  VIII,  10186,  10210).  La  plus  ancienne  inscription  militaire  de  Lam- 
bèse est  de  123  {id.,  2592).  —  M.  Pf.  ignore  qu'en  68  le  légat  Glodius  Macer, 
qui  voulut  rétablir  la  République,  appela  cette  légion  d'abord  leg('io)  III 
Aug(usta)  libera(trix)^  nom  qui  se  trouve  sur  les  monnaies  frappées  en 
cette  année  (Mueller,  Numism.  de  l'anc.  Afrique,  II,  170).  En  69,  au  lieu 
de  la  ///«  Augusta  liberatrix,  nous  trouvons  la  /«  Marciana  liberatrix  : 
ce  ne  peut  pas  être  une  seconde  légion,  comme  le  croit  M.  Pf.  (p.  199), 
mais  l'ancienne  dont  le  nom  ne  pouvait  subsister  aux  yeux  du  républi- 
cain Macer  (Mommsen,  C,  VIII,  p.  xx)  ;  d'ailleurs,  quand  Macer  périt, 
il  n'y  avait,  comme  le  dit  pertinemment  Tacite,  qu'une  seule  légion  : 
Africa,  ac  legio  in  ea  (Hist.,  1, 11).  ^  Je  ne  sais  s'il  faut  aussi  croire,  avec 
M.  Mommsen,  que  Galba  ait  supprimé  la  III<^  Augusta.  Si  dans  la  phrase 
de  Tacite  {IHst.,  2,  97),  legio  cohortesque  deledae  a  Clodio  Macro  mox  a 


^38  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

Galba  dimissae,  deledae  ne  s'entend  que  des  cohortes,  il  doit  en  être  de 
même  de  dimissae. 

Il  est  inutile  de  s'étendre  plus  longuement  sur  les  lacunes  de  ce  livre. 
Ajoutons  qu'il  est  d'une  lecture  difficile;  les  matières  y  sont  groupées 
sous  trois  rubriques  :  les  légions  sous  chaque  empereur,  —  la  répar- 
tition des  légions  par  provinces,  —  l'histoire  de  chacune  d'elles.  Cette 
dernière  partie  suffisait ,  puisqu'elle  seule  répond  au  titre  de  l'ou- 
vrage, et  que  les  deux  premiers  chapitres  ne  concernent  que  l'histoire 
des  empereurs  en  des  provinces.  Cette  disposition  nuit  beaucoup  à 
l'ouvrage.  Telle  particularité  de  l'histoire  d'une  légion,  par  exemple  de 
la  //«  Adjutrix  envoyée  en  Bretagne  par  Titus,  ne  doit  être  cherchée  ni 
à  son  article  (p.  225),  ni  à  celui  de  la  Bretagne  ip.  210),  mais  dans  le 
chapitre  de  Titus  (p.  73).  De  là,  et  beaucoup  d'omissions  et  beaucoup 
de  répétitions.  Ce  qui  fait  que  le  livre,  bien  que  renfermant  un  grand 
nombre  de  renseignements  fort  utiles,  est  à  la  fois  trop  long  pour  un 
simple  tableau,  et  trop  court  pour  une  véritable  histoire  des  légions 

romaines. 

Camille  Jullian. 

Ces  lignes  étaient  écrites  lorsqu'ont  paru,  coup  sur  coup,  les  deux 
travaux  les  plus  importants  qui  aient  encore  été  faits  sur  les  légions 
romaines,  travaux  d'ailleurs  intimement  liés  l'un  à  l'autre.  L'un  a  paru 
dans  le  premier  fascicule  de  VUermes  de  1884  et  traite  du  recrutement 
des  armées  de  l'empire;  l'autre,  dans  VEphemeris  epigraphica  (1884, 
1"  fasc),  est  le  tableau  de  tous  les  soldats  légionnaires  ou  auxiliaires 
dont  l'epigraphie  nous  a  conservé  le  lieu  d'origine.  Il  importe  de  signa- 
ler ces  deux  études,  toutes  deux  de  M.  Mommsen.  —  C.  J. 


P.-E.  Fahlbeck.  La  l'oyauté  et  le  droit  royal  francs  durant  la 
première  période  de  Texistence  du  royaume  (486-6^4).  Librai- 
rie Glecrup,  Lund,  -1883,  ^  vol.  iu-S*^  de  xv-34G  p. 
Livre  remarquable  et  qui  fera  sensation.  Œuvre  d'un  esprit  vigou- 
reux et  original. 

Je  résume  l'ouvrage  dans  ses  lignes  principales  :  «  La  royauté  héré- 
ditaire, c'est  là  la  grande  forme  des  Germains  :  c'est  la  royauté  qui  a  eu 
raison  du  vieux  monde  romain;  c'est  elle  qui  a  créé  et  organisé  les 
États  germaniques.  Le  droit  du  roi  est  en  efl'et  la  seule  force  constituante 
et  conservatrice  du  royaume  franc.  Le  roi  héréditaire  possède  le  royaume 
comme  un  domaine  privé  :  ses  droits  ne  sont  pas  constitutionnellement 
balancés  par  ceux  d'une  assemblée  populaire.  Le  peuple  franc  ne  pos- 
sède pas  d'assemblée  générale  (p.  19). 

«  Les  éléments  qui  ont  servi  à  la  fondation  du  royaume  franc  sont  les 
uns  germaniques,  les  autres  romains  ;  mais  l'édifice  lui-même  est  entiè- 
rement neuf.  » 


FAHLBECK  :  LA  ROYAUTÉ  ET  LE  DROIT  ROYAL  FRANCS.     139 

Il  y  a  en  tout  ceci  une  part  de  vérité  :  et  la  thèse  est  présentée  avec 
une  conviction,  un  entrain,  une  force  remarquables.  Je  ne  crois  pas 
néanmoins  que  les  aperçus  généraux  les  plus  personnels  et  les  plus  neufs 
soient  parfaitement  conformes  à  la  vérité  historique.  L'esprit  vigoureux 
de  M.  F.  ne  paraît  pas  s'être  exercé  sur  des  périodes  assez  prolongées, 
avoir  embrassé  toute  l'histoire  des  Francs  par  exemple  ;  s'il  eût  pris  la 
peine  de  le  faire,  non  pas  d'une  façon  pour  ainsi  dire  matérielle,  mais 
en  y  appliquant  tout  l'effort  de  son  esprit,  n'eùt-il  pas  été  conduit, 
rencontrant  sous  les  Carolingiens  et  longtemps  après  les  Carolingiens 
l'expression  répétée  de  notions  de  droit  public  déjà  relevées  par  Tacite, 
n'eùt-il  pas  été  invité  à  ne  pas  isoler  historiquement  la  période  qu'il 
étudie,  à  ne  pas  en  faire  une  façon  de  monstre  historique  sans  aïeux 
et  sans  postérité  ? 

Je  songe  surtout,  en  écrivant  ces  lignes,  au  rôle  des  assemblées  popu- 
laires dont  M.  F.  paraît  faire  si  peu  de  cas.  Ont-elles  cessé,  ces  assem- 
blées, ont-elles  cessé,  avant  614,  déjouer  leur  rôle  nécessaire  dans  l'ad- 
fathomia^,  ce  grand  acte  juridique  tout  primitif  qui  contient  le  germe  et 
comme  la  racine  d'institutions  diverses  :  le  testament  ou  adoption  par- 
devant  le  peuple,  la  vente  sanctionnée  par  le  peuple  analogue  à  l'acte 
romain  dont  la  wancz^af /o  est  la  réduction  juridique  ?  Et  comment  peut- 
on  n'apercevoir  absolument  aucune  trace  du  rôle  politique  de  ces  assem- 
blées dans  la  création  de  la  royauté,  alors  que  Grégoire  de  Tours  écrit 
textuellement  :  a  Ibique  juxta  pages  et  civitates  reges  crinitos  super  se 
creavisse  de  prima  et,  ut  ita  dicam,  nobiliori  suorum  familial?  »  Com- 
ment peut-on  ne  pas  apercevoir  l'assemblée  populaire,  l'assemblée  poli- 
tique jouant  quelque  rôle  dans  la  confection  de  la  loi,  alors  que  le  grand 

prologue  de  la  Loi  salique  porte  :  «  Gens  Francorum  inclita dicta- 

verunt  Salica  lege,  »  et  qu'en  l'an  574  nous  voyons  encore  le  roi  Chil- 
péric  mettre  ce  préambule  en  tête  d'un  édit  :  «  Pertractantis  in  Dei 
nomen  cum  viris  magnificentissimis,  obtinentibus  vel  antrustionibus 
et  omni  populo  nostro  convenit^?  »  Sans  nul  doute,  la  nation  dispersée 
se  trouvant  dans  l'impossibilité  matérielle  de  se  réunir  tout  entière,  les 
grandes  assemblées  prirent  peu  à  peu  un  caractère  de  plus  en  plus  aris- 
tocratique. Sans  nul  doute,  la  royauté  mérovingienne  emprunte  le  plus 
d'autorité  possible  aux  traditions  romaines  et  s'empara  de  toute  la  force 
que  lui  donnaient  naturellement  les  circonstances.  Enfin  elle  affecta  un 
caractère  bien  plutôt  héréditaire  qu'électif. 

Mais  tout  n'est  pas  dit  quand  on  a  constaté  ces  grands  faits.  Les  rois 
héréditaires  ne  sauraient  faire  oublier  le  point  de  départ  de  la  royauté, 
ou,  tout  au  moins,  ce  témoignage  relevé  plus  haut  de  l'opinion  publique 
touchant  les  origines  de  la  royauté.  Les  lois  émanées  de  la  seule  royauté 

1.  In  mallo  ante  regem  vei  legitimo  mallo  publico.  —  Quod  heredis  appellarit 
public]  coram  populo...  (Behrend,  Lex  salica,  p.  62). 

2.  Hist.  France,  II,  9. 

3.  Lex  salica,  édit.  Hessels  et  Kern,  p.  409,  1"=  col. 


^00  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

ne  sauraient  faire  oublier  les  lois  dictées  par  le  peuple  ou  les  témoi- 
gnages relatant  le  rôle  du  peuple  dans  la  confection  de  la  loi.  La  con- 
science populaire  est  éminemment  conservatrice  ;  c'est  un  trésor  de  tra- 
ditions. Elle  forme  un  puissant  véhicule  :  c'est  ce  véhicule  qui  charria 
l'idée  de  l'élection  du  roi  depuis  Grégoire  de  Tours  jusqu'en  plein 
moyen  âge  à  travers  la  période  carolingienne.  C'est  encore  la  conscience 
populaire  qui  conserva  pendant  douze  siècles  la  notion  des  pouvoirs 
législatifs  du  peuple,  notion  souvent  infirme,  mais  vivante  toujours  et 
apparaissant  çà  et  là  jusqu'aux  derniers  jours. 

L'histoire  ne  ressemble  pas  à  une  boîte  à  surprise  :  et  le  critique  doit 
se  défier  de  lui-même  le  jour  où  il  croit  apercevoir  tout  à  coup  des  phé- 
nomènes nouveaux  sans  lien  et  sans  attache  avec  le  passé.  Je  crains 
que  M.  Fahlbeck  n'ait  été  quelquefois  le  jouet  de  ces  trompeuses  appa- 
rences, mais  je  ne  saurais  proclamer  assez  haut  la  valeur  et  l'origina- 
lité singulière  de  son  livre. 

M.  F.  termine  ce  remarquable  ouvrage  par  une  série  à'excursus  très 
importants  :  les  principaux  sont  intitulés  :  fAge  de  la  loi  salique  (sui- 
vant M.  F.,  la  Loi  salique  est  antérieure  à  Clovis  et  remonte  à  Glodion); 
Sur  l'histoire  des  Goths  par  rapport  à  l'hérédité  de  la  royauté  chez  ce 
peuple  (M.  F.  combat  la  thèse  de  1  electivité  des  rois  goths  ;  il  insiste 
sur  le  peu  de  crédit  dû  à  Jordanis  qui  a  copié  hâtivement  Gassiodore); 
le  Domesticus  et  l'administration  des  domaines  dans  le  royaume  franc;  la 
Constitution  de  Chlotachaire  (discussion  excellente). 

La  thèse  suédoise,  d'où  est  sorti  ce  Ijon  livre  français  écrit  et  imprimé 
à  Lund,  contenait  quelques  autres  ei;fu?'sws  qui  n'ont  pas  été  reproduits. 

Paul  ViOLLET. 


Coutumes  et  institutions  de  l'Anjou  et  du  Maine  antérieures  au 
XVie  siècle,  textes  el  documents,  avec  notes  et  dissertations  par 
A.-C.-J.  Beautemps-Beacpré.  Première  partie,  coutumes  et  styles; 
tome  IV.  —  Préface  (dut.  III).  Paris,  Pédone-Lauriel,  \  vol.  in-8° 
de  561 -^i  3  pages  et  \  fascicule  de  cxxvii  pages. 

M.  Beautemps-Beaupré  a  terminé  la  tâche  considérable  qu'il  s'était 
imposée  :  le  dernier  volume  des  Coutumes  et  institutions  de  V Anjou  et  du 
Maine  vient  de  paraître  (t.  IV)  ;  l'auteur  a  publié  en  même  temps  une 
préface  destinée  au  t.  III.  Une  bonne  table  termine  le  t.  IV  et  rendra 
les  recherches  faciles. 

Voici  l'indication  des  textes  publiés  dans  le  tome  IV  : 
1'  Coutume  rédigée  ver^  1440,  éditée  d'après  un  manuscrit  de  Rome; 
cette  coutume  dérive,  en  quelques  parties,  du  Grand  Coutumier;  2°  cou- 
tume de  la  seconde  moitié  du  xv«  siècle;  3°  style  de  la  fin  du  xv^  s., 
dont  il  existe  plusieurs  éditions  gothiques;  4°  quelques  fragments 
additionnels. 


SICKEL    :    DAS    PRIVILI-GIUM    OTTONIS.  ^t)^ 

Ce  volume  se  recommande  par  les  mêmes  qualités  que  les  précédents 
et  termine  dignement  cette  grande  publication. 

Nous  eussions  souhaité  une  introduction  plus  longue  :  l'auteur  y 
accorde  une  bien  faible  place  aux  influences  germaniques. 

Paul  ViOLLET. 


Th.  SiCKEL.  Das  Privilegium  Otto   I  fur  die  rœmische  kirche 
vom  Jahre  962.  Innsbmck,  Wagner;  -182  p.  et  i  fac-similé. 

La  publication  de  M.  S.  doit  fixer  l'attention  de  tous  ceux  qui  s'oc- 
cupent des  rapports  de  la  Papauté  et  de  l'empire  au  moyen  âge  :  elle 
répand  en  effet  une  lumière  nouvelle  sur  quelques-unes  des  parties  les 
plus  obscures  de  cette  histoire  et  peut  servir  à  modifier  des  opinions 
que  beaucoup  considéraient  trop  facilement  comme  acquises.  En  même 
temps  la  sûreté  de  méthode  et  la  finesse  de  critique  que  montre  l'auteur 
font  de  ce  mémoire  un  véritable  modèle.  Un  enseignement  général  qui 
tout  d'abord  s'en  dégage  c'est  qu'il  faut  savoir,  en  matière  de  diplômes, 
se  garder  même  des  excès  de  défiance.  Depuis  longtemps  on  s'était 
habitué  à  prodiguer  un  peu  vite  les  termes  «  faux,  supposé,  interpolé,  » 
et,  sous  couleur  d'hypercriticisme,  on  a  condamné  des  documents  qui 
ne  méritaient  point  toujours  ce  sort.  Aujourd'hui  cependant  on  parait 
enclin  à  plus  de  modération  :  s'il  en  est  qui  s'acharnent  encore  sans 
pitié  contre  quelques-uns  des  survivants  des  exécutions  antérieures, 
d'autres,  au  contraire,  s'emploient  à  remettre  sur  pied  les  plus  intéres- 
sants parmi  les  estropiés.  C'est  ce  que  fait  M.  S.  pour  le  privilège 
d'Otto  !«■•  et  par  contre-coup  pour  celui  de  Louis  le  Débonnaire;  il  y  a 
d'autant  plus  de  mérite  qu'il  plaide  sur  certains  points  contre  des  con- 
clusions dont  il  s'était  fait  autrefois  le  défenseur. 

On  sait  que  les  deux  documents  en  question  sont  parmi  les  plus  impor- 
tants qu'on  possède,  pour  le  ix«  et  lex^  siècle,  sur  l'étendue  territoriale,  la 
constitution,  l'administration  de  l'État  de  saint  Pierre,  en  même  temps 
que  sur  les  conventions  qui  réglaient  les  rapports  de  la  papauté  et  de 
l'empire.  Malheureusement  la  forme  sous  laquelle  on  les  connaissait 
était  faite  pour  éveiller  la  défiance;  aussi  leur  authenticité  n'était-elle 
plus  guère  défendue  que  par  des  écrivains  intéressés  à  l'admettre. 
Récemment,  cependant,  M.  Ficker  les  avait  soumis  à  un  examen  nou- 
veau dont  les  conclusions  étaient  plus  favorables.  Grâce  à  l'accès  que 
Léon  XIII  a  ménagé  aux  savants  dans  les  archives  du  Vatican,  M.  S. 
a  pu  étudier  et  faire  reproduire  l'exemplaire  le  plus  ancien  du  privilège 
d'Otto,  soustrait  jusqu'ici  aux  regards  profanes.  Il  en  a  joint  un  fac- 
similé  à  son  mémoire.  Est-ce  l'original?  Est-ce  une  pièce  authentique  ? 
M.  S.  détermine  d'abord,  par  un  examen  paléographique  fort  minutieux, 
que  l'exemplaire  du  Vatican  date  du  milieu  du  x«  siècle,  et  il  y  voit 
une  copie  faite  par  un  Italien  d'après  l'acte  original.  Il  suppose  qu'elle 
aurait  pu  être  destinée  à  être  déposée,  selon  un  usage  consacré,  sur  la 

ReV.    HiSTÛR.    XXV.    l^r  FASG.  H 


^62  COMPTES-RE.\DUS    CRITIQUES. 

confession  de  saint  Pierre  et  que,  par  conséquent,  elle  aurait  été  exécu- 
tée au  su  de  l'empereur  et  avec  son  assentiment. 

Mais  le  privilège  d'Otto  se  rattache  étroitement  à  celui  de  Louis  le 
Débonnaire  en  817,  et  on  ne  peut  examiner  l'un  sans  s'occuper  de 
l'autre.  Celui-ci  nous  ne  le  connaissons  que  par  les  reproductions  d'une 
copie  du  XI'  siècle  et  nous  savons  que  l'original  môme  n'existait  plus 
au  xiii^  siècle.  M.  S.  cherche  à  déterminer  la  valeur  des  manuscrits  oîi 
il  se  trouve,  bien  que  quelques-uns,  comme  il  le  reconnaît,  n'aient  pas 
encore  été  étudiés  d'assez  près.  Ce  qu'il  dit  des  manuscrits  de  Cencius 
doit  être  complété  et  rectifié  :  le  troisième  manuscrit,  qu'il  n'a  pu  con- 
sulter, a  été  étudié  récemment  par  un  membre  de  notre  école  de  Rome, 
M.  P.  Fabre,  qui  y  reconnaît  tout  au  moins  le  plus  ancien  manuscrit 
et  qui  compte  nous  donner  bientôt  une  bonne  édition  de  Cencius  : 
Mélanges  d'archéologie  et  d'imtoire  de  Vécole  française  de  Borne,  1883. 
M.  S.  croit  que  toutes  le's  répliques  que  nous  avons  du  privilège  de  817 
proviennent  de  l'œuvre  de  quelque  canoniste,  peut-être  du  cardinal 
Deusdedit,  qui,  dans  les  dernières  années  du  pontificat  de  Grégoire  "VII, 
aurait  composé  un  recueil  des  privilèges  de  l'église  romaine. 

Le  privilège  de  817  devait  être  au  xi*  siècle  le  plus  ancien  de  ce  genre 
qu'on  connût  à  Rome,  et,  d'après  la  reproduction  à  peu  près  exacte  et 
complète  du  protocole,  M.  S.  suppose  qu'il  était  placé  dans  le  recueil 
en  tête  de  la  série. 

Mais  l'auteur  du  recueil  n'était-il  point  capable  de  modifier  ce  docu- 
ment au  gré  des  intérêts  de  la  papauté?  Depuis  817,  tout  on  gardant 
les  formes  extérieures  d'un  diplôme  impérial,  n'avait-il  pas  subi  quelque 
atteinte  ?  Pour  répondre  à  ces  questions,  M.  S.  examine  la  langue,  le 
style,  les  formules  et  le  contenu  du  privilège.  Les  remarques  générales 
qu'il  présente  ici  sur  la  méthode  à  suivre  sont  fort  justes  :  comme  il  le 
dit,  il  ne  suffit  pas  déjuger  de  l'authenticité  d'un  document  d'après  des 
règles  de  diplomatique  soi-disant  fixes  et  invariables,  il  faut  rechercher 
si  les  circonstances  historiques  qui  ont  entouré  la  rédaction  de  ce  docu- 
ment n'expliquent  point  les  particularités  qu'il  présente  et  qui  le  dis- 
tinguent des  autres  pièces  du  même  temps.  Les  pactes  du  même  genre 
qui  avaient  été  conclus  au  siècle  précédent,  et  que  nous  n'avons  plus, 
devaient  présenter  un  fond  romain  sous  des  formules  franques.  De 
même  le  privilège  de  Louis  le  Débonnaire  s'accorde  d'une  part  avec  les 
usages  de  la  chancellerie  franque  au  commencement  du  ix«  siècle,  tan- 
dis que  de  l'autre  il  correspond  à  ce  qui  s'était  fait  à  Rome  au  vm"  siècle. 
Je  crois  que  ce  fut  là  le  but  que  poursuivit  la  diplomatie  pontificale 
en  817,  elle  s'attacha  à  ce  que  le  privilège  de  817  ne  fût  sur  certains 
points  essentiels  que  la  reproduction  des  conventions  antérieures  à  800, 
qu'on  n'y  tînt  point  compte  des  droits  nouveaux  et  plus  étendus  que  les 
Carolingiens  auraient  pu  revendiquer  en  raison  de  leur  autorité  impé- 
riale. Le  projet  du  privilège  de  817  aurait  donc  été  préparé  par  la  cour 
pontificale. 

En  résumé,  M.  S.  admet  que  le  style  et  les  formules  de  ce  document 


SICKEL    :    DAS   PRIVILEGIUM   OTTONIS.  ^63 

tel  qu'il  nous  est  parvenu  témoignent  en  faveur  d'un  original  authen- 
tique, mais  il  ne  prétend  pas  cependant  que  la  copie  qui  en  a  été  faite 
au  xi«  siècle  et  dont  dérivent  les  autres  ait  une  valeur  absolue,  qu'elle 
soit  entièrement  exacte  et  pure  de  toute  interpolation. 

Le  privilège  de  962  se  compose  de  deux  parties  dont  la  première 
n'est  que  la  continuation  de  celui  de  817.  Mais  le  rédacteur  d'O^  a-t-il 
connu  l'original  de  L  ?  M.  S.  le  croit.  Après  avoir  étudié  les  formules 
de  0,  il  passe  au  contenu,  en  le  comparant  d'une  manière  continue  avec 
L,  et  il  traite  avec  beaucoup  de  soin  la  question  des  territoires.  D'après 
lui,  Louis  le  Débonnaire  n'aurait  point  sanctionné  toutes  les  cessions 
promises  en  774,  il  s'en  serait  tenu  plutôt  aux  conventions  ultérieures 
conclues  sous  le  règne  de  son  père  et  dans  la  suite  PÉtat  de  saint  Pierre 
aurait  subi  quelques  diminutions.  Sur  deux  points  importants,  des  ter- 
ritoires indiqués  dans  L  ne  se  retrouvent  pas  dans  0.  Il  s'agit  d'abord 
d'une  série  de  villes  de  la  Gampanie,  Segni,  Anagni,  etc.  Faut-il  croire 
qu'elles  ne  se  trouvaient  pas  dans  l'original  de  L  que  le  rédacteur  de  0 
avait  sous  les  yeux  ?  M.  S.  ne  l'admet  pas  et  avec  raison  quelque  expli- 
cation que  l'on  propose,  les  ■villes  en  question  faisaient  partie,  en  962, 
de  l'État  de  saint  Pierre.  L'omission  dans  0  du  passage  de  L  relatif  à 
la  Sardaigue  et  à  la  Sicile  ne  s'explique  pas  de  même  façon.  Ce  serait 
grâce  à  une  interpolation  que  ces  îles  figurent  dans  L,  opinion  qui  avait 
déjà  été  admise  par  les  défenseurs  sérieux  de  l'authenticité  de  cette 
pièce.  A  partir  de  cet  endroit,  l'ordre  d'énumération  n'est  point  le  même 
dans  les  deux  privilèges,  non  plus  que  toutes  les  clauses.  Comme  il  me 
serait  impossible  de  suivre  ici  M.  S.  dans  la  discussion  de  toutes  les 
questions  qu'il  traite,  je  n'insisterai  que  sur  deux  points. 

A  un  endroit  le  rédacteur  de  0  reproduit  la  délimitation  géographique 
qui  se  trouve  dans  le  célèbre  passage  de  la  Vita  Adriani  relatif  à  la 
donation  de  774.  A  diverses  reprises  M.  S.  s'est  vivement  préoccupé  de 
la  difficulté  d'arriver  à  des  solutions  précises  sur  les  donations  de  Pépin 
etdeCharlemague.  Pour  expliquer  le  silence  des  annalistes  du  vin^  siècle 
à  cet  endroit,  il  remarque  que  ceux  du  x«  siècle  ne  parlent  pas  non  plus 
du  privilège  de  962.  Le  rapprochement  ne  me  paraît  pas  tout  à  fait 
exact  :  le  privilège  de  962  était  surtout  un  acte  de  confirmation,  tandis 
que  les  donations  de  754  et  de  774,  créant  une  situation  nouvelle, 
devaient  frapper  plus  vivement  l'attention.  La  vérité  est  que  le  silence 
des  contemporains  de  Pépin  et  de  Charles  n'est  pas  aussi  absolu  qu'on 
le  croit,  piais  ils  se  sont  contentés  d'expressions  vagues.  Quant  au 
fameux  passage  de  la  Vita  Adriani,  M.  S.  surprend  chez  le  rédacteur 
l'intention  d'être  obscur,  afin  de  mieux  favoriser  les  intérêts  de  la 
papauté.  S'agit-il  des  territoires  dans  leur  intégralité,  ou  seulement, 
comme  on  l'a  souvent  soutenu,  des  patrimoines  situés  dans  ces  terri- 
toires ?  Pour  M.  S.,  les  renseignements  que  donne  la  Vita  Adriani  repré- 

l.  Pour  plus  de  facilité  j'emprunte  les  désignations  adoptées  par  M.  S.  :  0  = 
Privilège  d'Otto  P";  L  =  Privilège  de  Louis  le  Débonnaire. 


^(54  COMPTCS-llENDUS   CRITIQUES. 

sentent  non  point  la  réalité,  mais  les  désirs  de  la  cour  romaine.  Il  en 
donne  cette  preuve  que  depuis  Pépin  (ainsi  qu'on  en  peut  juger  par  la 
Vita  Stephani)  tous  les  pactes  de  donation  procédaient  à  l'énumération 
des  villes  et  des  territoires  :  si  cette  méthode  ne  se  retrouve  pas  dans  la 
Vita  Adn'ani,  c'est  que  le  rédacteur  substitue  ses  inventions  à  l'analyse 
exacte  du  pacte  de  774  et  M.  S.  essaie  même  de  déterminer  les  sources 
écrites  et  les  cartes  dont  il  s'est  servi.  C'est  là  un  argument  nouveau  et 
ingénieux  qui  mérite  d'être  mis  en  sérieuse  considération.  Il  y  a  dans 
ces  quelques  pages  des  remarques  qui  éclairent  mieux  l'histoire  des 
donations  que  les  trois  quarts  des  dissertations  obscures  qui  se  sont 
entassées  sur  ce  sujet. 

Plus  loin,  à  propos  des  documents  de  824,  l'auteur  établit,  d'après  le 
privilège  de  962,  qu'il  a  dû  y  avoir  alors,  outre  la  Constiiulio  et  la  Pro- 
missio  que  nous  avons  conservées,  un  pactum  qui  s'est  perdu.  Je  n'avais 
pas  encore  lu  cette  partie  du  mémoire  de  M.  S.  quand  j'avais  supposé, 
dans  un  article  publie  ici,  qu'une  des  pièces  de  824  s'était  perdue  :  mon 
hypothèse  se  trouve  donc  confirmée  et  précisée.  J'ajouterai  que,  si  ce 
Pactum  s'est  perdu,  c'est  probablement  parce  qu'il  sanctionnait  le  droit 
de  confirmation  impériale.  La  cour  romaine  ne  devait  pas  se  soucier 
beaucoup  de  conserver  ou  de  produire  un  pacte  qui  rappelait  une  de 
ses  défaites  et  qui  pouvait  être  invoqué  contre  elle.  On  pourrait  objecter 
que  le  privilège  de  962  fait  des  emprunts  au  Pactum  de  824,  et  que 
cependant  il  n'y  est  pas  question  du  droit  de  confirmation,  mais  du  ser- 
ment stipulé  par  la  Proinissio.  Je  répondrai  que  M.  S.  n'a  point  établi 
que  les  rédacteurs  du  privilège  de  962  aient  employé  soit  l'original,  soit 
une  copie  authentique  du  Pactum  de  824  :  on  peut  croire  qu'ils  se  sont 
servis  de  copies  expurgées.  Il  était  d'autant  plus  facile  de  procéder  à  ces 
altérations  que,  ainsi  que  l'auteur  le  remarque  lui-même,  il  n'y  avait 
point  d'archives  impériales  régulières  et  bien  tenues  où  on  put  trouver 
une  copie  authentique  de  ces  actes;  dans  les  négociations  avec  le  pape, 
les  représentants  de  l'empereur  étaient  presque  toujours  forcés  d'accep- 
ter les  documents  tels  que  les  leur  présentait  la  cour  pontificale.  Enfin 
on  peut  observer  que  la  plupart  des  emprunts  faits  par  le  privilège  d'Otto 
aux  documents  de  824  proviennent  soit  de  la  Constitutio,  soit  de  la  Pro- 
missio.  Le  Pactum,  devait  pourtant  être  bien  plus  développé  et  contenir, 
comme  celui  de  817,  un  long  passage  sur  les  élections  :  si  les  rédacteurs 
nel'ontpas  mis  plus  largementàcontribution,  c'est  qu'ils  ne  l'avaient  point 
in-extenso.  M.  S.  croit  que  des  archichapelains  impériaux,  Bruno  de 
Cologne  et  Guillaume  de  Mayence,  et  des  dignitaires  de  la  cour  romaine 
ont  participé  à  l'élaboration  du  privilège  de  962  :  dans  ce  système  je  sup- 
pose que  les  Allemands  ne  connaissaient  point  le  texte  du  pactum  de  824, 
les  Romains,  qui  ne  l'ignoraient  point,  n'en  produisirent  qu'un  texte 
tronqué  et  supprimèrent  ce  qui  était  le  plus  défavorable  à  la  papauté. 

Il  faudrait  un  véritable  mémoire  pour  faire  connaître  et  apprécier 
toutes  les  observations  ingénieuses  que  contient  l'étude  de  M.  S.  Je 
n'ai  voulu  ici  qu'en  indiquer  l'importance  :  elle  est  digne  de  la  haute 
réputation  scientifique  de  l'auteur  et  on  peut  assurer  qu'elle  rendra  de 


CiRON    :    MONNAIES   FEODALES   FRANÇAISES.  Uri 

grands  services  à  ceux  qui  s'occupent  des  mêmes  questions,  soit  qu'ils 
en  acceptent  toutes  les  conclusions,  soit  qu'ils  s'en  écartent  sur  quelques 
points.  M.  S.  est  en  effet  de  ces  maîtres  chez  qui  la  pratique  de  l'érudi- 
tion la  plus  minutieuse  n'altère  ni  la  netteté,  ni  la  justesse,  ni  l'origi- 
nalité du  sens  historique.  G.  Bayet. 


Monnaies  féodales  françaises,    par    E.    Garon.   Paris,  Rollin  et 

Feuardent,  1882,  in-4°. 

L'étude  de  la  numismatique,  cette  auxiliaire  indispensable  de  l'his- 
toire, a  été  facilitée  depuis  quelques  années  par  la  publication  de 
quelques  livres  excellents.  J'ai  rendu  compte,  il  y  a  peu  de  mois,  dans 
la  Revue  du  volume  de  M.  Hoffman  sur  les  monnaies  françaises  de  la 
troisième  race.  Je  dois  signaler  aujourd'hui  à  l'attention  des  lecteurs  de 
cette  revue  un  excellent  ouvrage  de  M.  Garon,  intitulé  Monnaies  féodales 
françaises,  et  dont  le  premier  fascicule  vient  de  paraître.  Ge  travail  est 
destiné  à  compléter  le  grand  répertoire  publié  par  M.  Poëy  d'Avant 
sous  le  titre  de  monnaies  féodales  de  France,  qui  lui-même  avait  avan- 
tageusement remplacé  le  traité  de  Tobiesen-Duby  sur  les  vionnaies  des 
barons  paru  il  y  a  près  de  cent  ans.  A  peine  terminé,  le  catalogue  de 
M.  Poëy  d'Avant  était  devenu  incomplet,  de  plus  on  lui  reprocha  des 
classifications  parfois  hasardées  et  une  ignorance  de  la  paléographie  et 
de  l'art  héraldique  qui  l'avait  entraîné  à  commettre  un  grand  nombre 
d'erreurs;  en  outre,  une  recherche  attentive  dans  les  collections 
publiques  ou  privées  et  l'étude  de  nombreuses  trouvailles  faites  pendant 
vingt  ans  ont  permis  à  M.  Garon  de  réunir  un  nombre  respectable  de 
monnaies  nouvelles  et  intéressantes.  Compléter  et  rectifier  Poëy  d'Avant, 
tel  a  été  son  but  ;  il  a  suivi  son  plan,  qui,  malheureusement,  n'est  pas 
irréprochable,  il  s'est  astreint,  bien  malgré  lui,  j'en  suis  sur,  à  ne  parler 
ni  de  la  Flandre,  ni  du  Gambrésis,  de  l'Alsace,  de  la  Lorraine,  de  la 
Savoie,  etc.,  autant  de  provinces  françaises.  Il  est  même  moins  complet 
que  son  devancier,  ayant  négligé  de  s'occuper  des  princes  de  Retheî, 
Sully,  Bouillon,  etc.,  et  autres  grands  seigneurs  qui  cherchèrent  aux 
xvi«  et  xvu'=  siècle  à  constituer  une  féodalité  nouvelle  et  ont  affirmé 
leurs  tendances  en  frappant  monnaie.  Ges  monnaies  sont  sans  valeur 
artistique,  mais  elles  n'en  constituent  pas  moins  une  des  pages  les  plus 
curieuses  de  notre  histoire  numismatique.  L'ouvrage  complet  se  com- 
posera de  trois  fascicules,  et  je  compte  en  parler  de  nouveau  et  avec 
plus  de  détails  quand  il  sera  terminé  ;  qu'il  me  suffise,  pour  le  moment, 
de  l'annoncer  aux  numismatistes  et  aux  érudits.  Le  premier  fascicule, 
le  seul  paru,  contient  les  provinces  suivantes  :  Ile-de-France,  Bretagne, 
Anjou,  Perche,  Berry,  Auvergne,  Limousin  ;  plus  de  200  monnaies 
nouvelles  sont  décrites  dans  le  texte  et  les  types  les  plus  intéressants 
sont  gravés  sur  huit  planches.  Tous  les  savants  qui  possèdent  l'ouvrage 
de  M.  Poëy  d'Avant  devront  avoir  celui  de  M.  Garon,  qui  en  est  le 
complément  indispensable.  J.  Roman. 


^66  COMPTES-REXDUS  CRITIQUES. 

Stato  e  Chiesa  negli  Scritti  politici,  dalla  fine  délia  lotta  per 
le  Investiture,  sino  alla  morte  di  Ludovico  il  Bavaro 
(^^22-1347),  par  Fr.  Scaddto.  —  Florence,  Le  Monnier,  1882. 

Marsilio  da  Padova ,  riformatore  politieo  e  religioso  del 
secolo  XIV,  par  Bald.  Laba?(ca.  Padoue,  Salmin  frères,  -(882. 

Les  maîtres  de  la  critique  historique  en  Italie,  tels  que  MM.  Yillari, 
Malfatti,  del  Lungo,  ont  la  satisfaction  de  voir  se  former  derrière  eux 
une  compagnie  nombreuse  de  disciples  et  de  continuateurs  fort  habiles 
à  explorer  les  recoins  de  l'histoire  véritablement  originale  de  la  pénin- 
sule, à  savoir  :  le  moyen  âge  et  le  xvi"  siècle.  Les  deux  monographies 
dont  je  veux  rendre  compte  sont  inspirées  plus  ou  moins  directement 
par  les  recherches  de  M.  "Villari  au  t.  II  de  son  Nicolo  Machiavelli  e  i 
suoi  Umpi.  L'éminent  critique  avait  retracé ,  dans  un  chapitre  curieux, 
la  suite  des  théories  politiques  italiennes  antérieures  au  Prince. 
MM.  Scaduto  et  Labanca  complètent  ce  tableau  et  analysent  en  détail, 
le  premier,  tous  les  traités  écrits  soit  en  Italie,  soit  en  France,  depuis  le 
xn'=  siècle  jusqu'au  milieu  du  xiv«,  sur  l'origine  divine  ou  humaine  des 
gouvernements,  sur  l'Église  et  l'Empire,  leurs  prétentions  à  la  primauté 
universelle  et  l'antagonisme  de  leurs  droits;  le  second,  la  vie  et  les  doc- 
trines de  Marsilio  de  Padoue,  le  protégé  de  Louis  de  Bavière,  l'adver- 
saire résolu  de  la  suprématie  pontificale  et  le  premier  parmi  tous  ces 
théoriciens  qui  ait  entrevu  dans  le  consentement  universel  le  fonde- 
ment du  droit  social  et  de  l'autorité  politique.  Les  deux  écrivains  sont 
d'accord  sur  les  idées  essentielles  de  l'œuvre  maîtresse  de  Marsilio,  le 
Defensor  Pacis,  sauf  une,  la  plus  importante,  peut-être,  celle  de  l'État, 
entendu  à  la  façon  des  modernes,  l'Etat-nation,  autonome,  indépen- 
dant de  toute  souveraineté  supérieure  ou  mystique.  M.  Labanca  affirme 
(p.  126-128)  que  cette  notion  est  clairement  exprimée  par  le  réformateur 
padouan;  M.  Scaduto,  après  M.  Villari,  est  d'un  avis  contraire  (p.  132). 
Selon  lui,  Marsilio  n'a  point  dépassé  la  notion  de  l'État-cité,  qu'il  em- 
prunte à  Aristote  plus  encore  qu'à  la  commune  italienne  du  moyen 
âge.  Or,  cette  idée  apparaît  déjà  chez  la  plupart  des  prédécesseurs  de 
Marsilio,  dans  le  De  Regimine  Principiim  de  saint  Thomas,  le  De  Potes- 
tate  regia  et  papali  de  Jean  de  Paris.  Sur  ce  point,  M.  L.  me  semble 
avoir  cédé  à  un  enthousiasme  qui  l'entraîne  parfois  un  peu  loin.  Ne 
nous  montre-t-il  pas  Marsilio  comme  «  prophète  de  l'avenir,  »  précur- 
seur de  la  Réforme  et  de  la  Révolution  française?  De  la  première,  parce 
qu'il  croit  à  la  révélation  individuelle  du  Saint-Esprit  dans  la  conscience 
du  fidèle  et  diminue  le  rôle  médiateur  du  prêtre  ;  de  la  seconde,  parce 
qu'il  considère  le  peuple,  ou  plutôt  les  citoyens  les  meilleurs  {pars 
valentior  civîum)  comme  les  gardiens  les  plus  sûrs  de  la  loi  et  les  chefs 
naturels  de  la  société,  dont  ils  règlent  par  l'élection  l'organisme  entier 
(p.  220-222).  Mais  cette  doctrine  religieuse  est  au  fond  du  christianisme 
même  que  les  Italiens  ont  façonné  selon  leur  génie  propre,  et,  au 
xni^  siècle  particulièrement,  elle  s'est  manifestée  d'une  façon  éclatante 


SCADDTO    :    STATO    E    CDIESA    (H  22- J  347).  H7 

parla  religion  franciscaine  et  dans  le  sein  de  la  société  joachimite; 
quant  à  la  doctrine  sociale  de  Marsilio,  où  M.  L.  découvre  même  les 
germes  du  socialisme  moderne,  j'y  verrais  simplement  l'application 
logique  de  l'idée  dominante  du  Defensor  Pacis,  idée  que  je  crois  encore 
plus  péripatéticienne  que  révolutionnaire.  N'oublions  pas  que  Padoue 
était  au  xiv^  siècle,  pour  l'Italie,  la  forteresse  du  péripatétisme,  comme 
Bologne  était  la  métropole  du  Droit  romain.  La  théorie  démocratique 
de  Marsilio  a  pour  source  principale  la  Politique  d'Aristote.  J'en  trouve 
la  preuve  dans  une  contradiction  assez  grave.  Si  Marsilio  écarte  l'Église 
du  gouvernement  temporel  du  monde  et  la  fait  rentrer,  dépouillée  de 
toute  immunité  ecclésiastique,  dans  le  droit  commun  et  sous  la  loi 
commune  de  l'État,  il  laisse  encore  au  gouvernail  le  prince  œcumé- 
nique, l'empereur,  qui  préside  à  la  direction  générale  du  navire.  C'est 
lui,  par  exemple,  qui  peut  seul  accorder  au  pape  l'autorisation  de 
réunir  le  concile  universel.  En  d'autres  passages  du  Defensor,  le  prince 
n'est  plus  qu'un  monarque  élu  à  vie  par  le  peuple  responsable  et  soumis 
au  contrôle  populaire.  Or,  si  la  notion  démocratique  de  Marsilio  avait 
été  inspirée  directement  par  l'expérience  historique  plutôt  que  par  une 
tradition  philosophique,  par  l'exemple  des  communes  italiennes  plutôt 
que  par  l'École,  cette  primauté  de  l'empire  eùt-elle  ainsi  persisté  dans 
la  théorie  du  réformateur?  S'il  y  eut  des  communes  gibelines,  telles 
que  Pise,  leur  attachement  à  l'empereur  s'explique  beaucoup  par  la 
terreur  d'une  commune  inquiétante,  telle  que  fut  longtemps  Florence 
pour  ses  voisins.  Mais  la  commune  italienne,  considérée  in  abstracto, 
qui  représente  le  mouvement  d'indépendance  des  bourgeois  et  des  petits 
seigneurs  du  contado,  est  hostile  au  saint-empire,  c'est-à-dire  à  la  haute 
féodalité,  bien  plus  encore  qu'au  saint-siège.  Enfin,  les  définitions  que 
Marsilio  donne  du  peuple,  universitas  civium,  communitas  civium,  uni- 
versitas  fideliiim,  humanus  legislator,  répondent  plutôt  à  ce  que  les  his- 
toriens du  xvi^  siècle  appellent  Vuniversale,  le  peuple  dans  son  ensemble 
et  soumis  au  niveau  égalitaire  de  la  tyrannie  du  xv^  siècle,  qu'à  la 
société  italienne  des  communes,  société  toute  hiérarchique,  dont  tantôt 
la  haute  bourgeoisie,  tantôt  la  moyenne  bourgeoisie  est  la  classe  diri- 
geante, où  l'individu  se  noie,  non  pas  dans  une  foule  homogène  de 
citoyens  égaux,  mais  dans  une  corporation  limitée;  où  le  gouverne- 
ment, en  temps  de  paix  civile,  appartient  non  pas  à  la  volonté  popu- 
laire, au  suffrage  universel  tel  que  Marsilio  le  conçoit,  mais  à  des 
juridictions  superposées  de  conseils  et  de  magistrats  élus  par  des  corps 
électoraux  distincts  et  fermés. 

Nous  touchons,  il  me  semble,  sur  ce  point  particulier,  au  trait  carac- 
téristique de  toute  la  littérature  politique  du  moyen  âge.  Tous  ces  écri- 
vains sans  exception,  les  partisans  de  la  suprématie  ecclésiastique,  tels 
que  saint  Bernard,  Jean  de  Salisbury,  saint  Thomas  et  son  école;  les 
partisans  de  l'empire,  tels  que  Dante  et  Marsilio  de  Padoue  dans  son 
traité  de  Translatione  imperii;  ceux  de  la  France,  tels  que  Pierre 
Du  Bois,  Jean  de  Paris  et  plusieurs  autres  avocats  anonymes  des  préten- 


^68  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

tions  de  Philippe  le  Bel,  sont  des  scolastiques,  indifférents  à  la  réalité, 
à  l'histoire,  possédés  et  aveuglés  par  la  méthode  a  priori.  Ils  édifient 
leur  doctrine  sur  deux  ou  trois  axiomes,  théologiques  pour  la  plupart, 
et  en  tirent  les  dernières  déductions,  sans  s'inquiéter  des  démentis  que 
les  faits  donnent  sans  cesse  à  la  théorie.  Ils  prennent  même,  chemin 
faisant,  des  comparaisons  pour  des  raisons.  Dante,  en  son  traité  de  la 
Monarchie,  semble  ébloui  par  la  métaphore  des  deux  luminaires,  l'em- 
pereur et  le  pape.  Ils  raffinent,  avec  une  subtilité  étonnante,  sur  les 
textes  de  l'Ecriture,  mais  ils  ne  soupçonnent  aucune  des  causes  histo- 
riques et  contingentes  qui  ont  rapproché  et  mis  aux  prises  les  deux 
grands  pouvoirs  :  l'état  féodal  de  la  chrétienté,  source  première  du 
conflit  ;  les  relations  mystiques  des  deux  maîtres  du  monde,  la  consé- 
cration de  l'empereur  à  Rome,  les  variations  dans  le  mode  d'élection 
des  papes;  l'horrible  désordre  de  l'Italie  et  de  l'Église  sous  les  empe- 
reurs saxons;  la  répugnance  de  l'Église  italienne  à  l'égard  des  papes 
d'origine  allemande  ;  le  profond  effort  de  la  péninsule  vers  l'indépen- 
dance, essayé  d'abord  par  des  retours  éphémères  à  la  royauté  italienne, 
puis  par  le  mouvement  comm.unal,  et  qui  prenait  sur  le  siège  aposto- 
lique son  principal  point  d'appui.  Les  doctrinaires  de  Philippe  le  Bel 
sont  peut-être  les  seuls  dont  les  doctrines  soient  bien  d'accord  avec 
leur  moment  historique.  Mais  il  est  singulier  de  voir  saint  Thomas 
relever  la  théorie  de  la  primauté  temporelle  des  papes,  au  sens  rigou- 
reux de  Grégoire  VII,  dans  le  siècle  même  de  Frédéric  II  et  de  saint 
Louis,  et  Dante  évoquer  la  figure  de  l'empire  œcuménique  tel  qu'Otton  I^"" 
et  Henri  III  l'avaient  imaginé,  au  lendemain  de  la  mort  d'Albert  le"",  au 
moment  même  où  le  débile  Henri  YII  descendait  timidement  en  Italie. 
Certes,  après  Boniface  VIII  et  Henri  VII,  l'heure  de  la  France  sonnait 
très  clairement.  Les  légistes  et  les  canonistes  du  roi  avaient  l'oreille 
fine  et  l'entendirent  :  plus  libres  à  l'égard  de  la  discipline  scolastique, 
ils  auraient  pu  fonder  la  véritable  li-ttérature  politique  et  répondre 
mieux  que  par  des  syllogismes  à  l'appel  de  l'histoire. 

MM.  Scaduto  et  Labanca  terminent  l'un  et  l'autre  leur  ouvrage  par 
un  aperçu  rapide  des  vues  d'Ockam,  l'un  des  esprits  les  plus  indépen- 
dants du  xiv<=  siècle,  et  qui  a  pour  nous  le  mérite  d'avoir  résumé  et 
débattu  dans  ses  Octo  Quœstiones,  comme  en  une  Somme,  la  plupart  des 
doctrines  antérieures.  Les  conclusions  de  ce  moine,  reproduites  dans 
son  Dialogus  inter  magistrum  et  discipiiliim,  sont  parfois  singulièrement 
hardies.  Il  dépouille  le  souverain  pontife  non  seulement  de  toute  auto- 
rité sur  les  choses  politiques  et  de  tout  domaine  temporel,  mais  encore 
de  tout  droit  à  trancher  dogmatiquement  en  matière  de  foi  et  à  juger 
des  hérésies,  privilège  qu'il  réserve  au  concile  général.  Il  admet  sans 
embarras  le  cas  où  le  pape  serait  lui-même  hérétique.  Ne  lui  parlez  ni 
de  l'infaillibilité  pontificale,  ni  de  la  fameuse  donation  que  le  moyen 
âge  attribuait  à  Constantin.  Ockam  a  déjà  le  sens  critique;  sur  la  ques- 
tion de  la  translation  de  l'empire  des  Grecs  aux  Francs,  comme  sur  celle 
de  la  royauté  universelle  des  papes,  il  répond  qu'il  faudrait  vérifier 


LABANCA    :    MARSILIO    1)1    PADOVA.  -169 

d'abord  les  documeuts  et  privilèges  authentiques,  registra  fide  cligna.  Il 
a  établi,  avec  une  rigueur  de  discussion  inconnue  à  ses  prédécesseurs, 
que  la  suprême  puissance  spirituelle  et  la  suprême  puissance  tem- 
porelle ne  pouvaient  se  confondre  dans  une  seule  et  même  personne. 
Cette  confusion  lui  paraît  aussi  monstrueuse  que  le  seraient  «  deux 
têtes  sur  un  seul  corps.  »  Ici,  c'est  toujours  contre  le  saint-siège  qu'il 
raisonne.  Mais,  ainsi  qu'il  arrive  à  tous  les  théoriciens  du  moyen  âge, 
sa  doctrine,  limitée  par  une  expérience  incomplète  de  l'histoire,  ne  sait 
pas  faire  le  tour  de  la  question  tout  entière.  Certes,  ils  ont  tous  assez 
glosé  sur  la  parole  sainte  :  Regnum  mcum  non  est  de  hoc  mundo^  afin  de 
ramener  la  papauté  à  sa  destination  originelle.  Mais  aucun  d'eux  ne 
songe  à  examiner  la  confusion  du  spirituel  et  du  temporel  dans  la  per- 
sonne même  de  l'empereur.  Un  seul  empereur,  sans  doute,  Frédéric  II, 
vers  la  fin  de  sa  vie  et  dans  l'excès  de  sa  passion  contre  Rome,  a  tenté 
de  supplanter  le  pape  et  de  régner  à  la  façon  d'un  Antéchrist  sur  la 
chrétienté.  Mais,  antérieurement  à  l'empereur  souabe,  combien  de  fois 
l'empire  n'avait-il  pas  usurpé  sur  les  fonctions  spirituelles  du  saint- 
siège!  De  grands  politiques,  tels  que  Charlemagne,  Otton  !<"•  et 
Henri  III,  un  rêveur  mystique  tel  que  Otton  III,  s'ils  nomment  ou 
déposent  des  papes,  ont  aussi  la  prétention,  en  vertu  de  l'onction  impé- 
riale qui  a  touché  leur  front,  de  parler  et  d'agir  comme  vicaires  visibles 
de  Dieu.  Quand  on  lit  la  véritable  encyclique  de  Charlemagne  à  toutes 
les  puissances  ecclésiastiques  et  séculières  (Pertz,  Monurn.  Germ.  Leg. 
I,  53),  on  se  demande  quel  était  alors,  de  l'empereur  ou  de  l'évêque  de 
Rome,  le  pasteur  authentique  de  l'Église.  L'histoire  troublée  de  l'Italie 
et  de  l'Occident  avait  rapproché  les  deux  grands  pouvoirs,  les  avait 
rendus  nécessaires  l'un  à  l'autre  et,  par  conséquent,  jaloux  et  rivaux 
l'un  de  l'autre.  Les  philosophes  ont  cherché  la  conciliation  des  deux 
autorités  dans  l'abaissement  ou  la  soumission  de  l'une  d'elles.  Il  eût 
été  plus  sage  de  renfermer  l'Église  et  l'État  chacun  dans  son  domaine 
propre  et  de  creuser  entre  eux  un  fossé  infranchissable.  Mais  le  moyen 
âge  était  à  la  fois  trop  chrétien  et  trop  féodal  pour  essayer  une  entre- 
prise que  les  temps  modernes  n'ont  pas  encore  achevée,  et  dont  la 
notion  ne  fut  jamais  qu'imparfaitement  entrevue  par  les  dialecticiens 
politiques  du  passé. 

Emile  Gebhart. 


Alfred    von    Recmont.    Kleine     historische     Schriften.     Gotha , 
Fr.-A.  Perthes.  vi-535  p.  in-8°,  d882. 

C'est  un  spectacle  admirable  de  voir  l'énergie  et  la  fraîcheur  d'idées 

■avec  lesquelles  l'auteur,  déjà  vieux,  de  ces  petits  mémoires  historiques, 

se  livre  à  ses  travaux  littéraires.  Ces  mémoires  ne  sont  pas,  en  eiïet, 

tout  simplement  des  articles  déjà  parus  et  qu'on   s'est  contenté  de 

réunir  ensemble;  la  plupart  viennent  seulement  de  paraître,  et  ceux 


170  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

qui  ont  été  déjà  publiés  sont  ici  étendus  et  remaniés;  et  cependant  l'au- 
teur les  donne  lui-même  pour  de  simples  intermèdes  au  milieu  de  tra- 
vaux plus  importants  ;  il  y  a  peu  de  temps,  en  effet,  il  lui  a  été  donné 
de  pouvoir  publier  une  seconde  édition  remaniée  de  son  excellente 
biographie  de  Laurent  le  Magnifique. 

On  pourrait  presque  considérer  comme  se  rattachant  à  ce  même  sujet 
l'étude  par  laquelle  s'ouvre  le  présent  volume.  Elle  est  relative  (p.  1-154)  à 
«  Alessandra  Strozzi,  noble  dame  florentine  du  xv^  s.  »  Après  nous 
avoir,  en  matière  d'introduction,  montré  dans  Mm«  Bartolommea 
degli  Alberti  le  type  des  femmes  à  la  fin  du  moyen  âge,  M.  de  Reu- 
mont  nous  raconte  brièvement  l'histoire  de  la  famille  florentine  des 
Strozzi,  pour  y  rattacher  l'histoire  de  Matteo  Strozzi  et  de  sa  veuve 
Alessandra  dei  Macinghi.  Matteo  Strozzi,  élevé  à  l'école  des  humanistes, 
noble  bourgeois  de  Florence,  sans  prendre  une  part  éminente  à  la  vie 
politique  de  sa  patrie,  fut  envoyé  en  exil  en  1434  par  la  faction  victo- 
rieuse des  Médicis,  tandis  que  sa  famille  était  bannie  avec  la  faction 
des  Albizzi.  Avec  sa  femme  et  six  enfants,  Matteo  se  retira  à  Pesaro, 
où  il  était  interné.  Il  y  mourut  l'année  suivante.  En  1436,  M™"  Ales- 
sandra revint  à  Florence  avec  cinq  enfants  ;  elle  avait  à  peine  trente  ans  ; 
elle  y  mourut  en  1471,  après  avoir  eu  la  joie  de  voir  ses  fils,  riches  et 
considérés,  revenir  à  Florence  des  pays  étrangers.  C'est  à  l'un  de  ses 
fils,  Filippo,  qu'est  dû  le  puissant  palais  dont  la  construction  solide  et 
fière,  et  cependant  belle  et  élégante,  fait  revivre  aujourd'hui  avec  le 
plus  de  fidélité  l'esprit  de  la  Florence  républicaine. 

D'après  la  correspondance  qu'  «  Alessandra  Macinghi  negli  Strozzi  » 
entretint  avec  ses  parents,  et  dont  M.  G.  Guasti  a  publié,  en  1877, 
soixante-douze  lettres  avec  des  annotations,  et  d'après  un  grand  nombre 
d'autres  documents  plus  ou  moins  importants  sur  l'histoire  du  xv*  s., 
M.  de  Reumont  a  tracé  de  l'excellente  femme  et  mère  un  portrait  fort 
touchant,  où  se  reflète  très  vivement  l'image  des  pensées  et  des  senti- 
ments d'une  noble  Florentine  et  de  la  meilleure  des  mères.  Les  soucis 
et  les  joies  toujours  semblables  d'une  pieuse  mère  nous  sont  si  bien 
présentés  au  milieu  de  la  peinture  des  temps  et  des  lieux,  qu'ils  doivent 
éveiller  la  sympathie  de  tout  cœur  accessible  aux  sentiments  humains. 

Comparée  à  cette  première  étude  vraiment  importante,  les  autres 
essais  ne  peuvent  réclamer  qu'une  place  très  inférieure.  Le  second 
traité  est,  il  est  vrai,  plein  d'intérêt  dramatique;  mais  il  ne  procure 
pas  autant  de  plaisir  que  le  premier.  Il  nous  raconte  l'abdication  et  la 
mort  du  roi  Victor-Amédée  II  de  Sardaigne  ;  comment  ce  prince 
déposa  solennellement  la  couronne  le  12  août  1730,  comment  il  s'en 
repentit  ensuite  et  voulait  s'emparer  à  nouveau  du  pouvoir,  comment 
enfin  son  fils,  le  roi  Charles-Emmanuel,  le  fit  transporter  violemment 
au  château  de  Rivoli  et  l'y  fit  détenir  étroitement  jusqu'à  ce  qu'il 
mourût  à  Moncalieri,  le  31  octobre  1755. 

Le  troisième  essai  nous  décrit,  d'après  une  connaissance  personnelle 
des  lieux  et  l'étude  approfondie  des  sources  historiques  dont  on  peut 


LOSSEN    :    DER   KœLNISCHE   KRIEG.  Hl 

actuellement  disposer,  la  situation  des  îles  Ioniennes  sous  la  domina- 
tion de  Venise  ;  l'auteur  résume  en  ces  termes  son  jugement  sur  le 
gouvernement  de  la  République  :  «  L'administration  vénitienne  dans 
les  îles  joignait  à  des  faiblesses  de  toute  sorte  beaucoup  de  bons  côtés; 
elle  avait  surtout  le  mérite  de  se  plier  aux  caractères  particuliers  des 
gens  du  pays  à  un  plus  haut  point  que  chez  la  plupart  des  gouverne- 
ments étrangers.  » 

D'après  le  modèle  que  M.  Albin  Body,  l'historien  de  Spa,  a  donné 
pour  sa  ville  natale,  M.  de  Reumont  nous  retrace,  dans  le  quatrième 
essai,  l'histoire  d'Aix-la-Chapelle  à  l'époque  de  la  Révolution  française. 
Pour  donner  à  cet  essai  un  centre,  il  l'a  rattaché  à  la  personne  du  roi 
de  Suède  Gustave  III  qui,  en  1780  et  en  1791,  séjourna  à  Aix-la-Cha- 
pelle, en  partie  à  cause  de  l'intérêt  qu'il  portait  à  la  famille  royale  de 
France.  Pour  ce  mémoire  très  nourri  de  faits  (p.  283-391),  est-il  besoin 
de  dire  que  l'auteur  a  mis  à  profit  surtout  les  matériaux  rassemblés  par 
M.  de  Klinckowstrœm  dans  son  livre  :  le  Comte  de  Fersen  et  la  Cour  de 
France.  De  même  que  cette  étude  est  suivie  d'un  appendice  consacré  à 
un  Italien,  le  comte  G.-B.  Baldelli,  de  même  la  suivante  contient  une 
addition  particulière.  Après  son  essai  «  sur  les  derniers  Stuarts,  Vit- 
torio  Alfieri  et  la  comtesse  d'Albany  »  l'auteur  nous  parle,  en  effet,  de 
deux  prétendus  rejetons  de  la  famille  des  Stuarts,  sur  l'origine  des- 
quels on  n'a  pu  rien  savoir  de  certain.  L'auteur  ajoute  encore  quelques 
remarques  sur  la  famille  Lambertini  de  Bologne,  mais  je  n'en  vois 
pas  la  raison. 

Le  dernier  mémoire  nous  raconte,  comme  le  premier,  la  vie  d'une 
femme  distinguée,  Mary  Somerville,  noble  écossaise  très  versée  dans 
la  connaissance  des  mathématiques  et  des  sciences  naturelles. 

Ceux  qui  voudraient  juger  la  différence  qui  distingue  le  xix^  siècle  de 
la  fin  du  moyen  âge  d'après  la  vie  de  ces  deux  femmes  trouveraient  dans 
ces  deux  études  une  abondante  matière  à  comparaison.  M.  de  Reu- 
mont, qui  a  été  pendant  longtemps  l'ami  de  M™«  Somerville,  lui  a 
élevé,  dans  cette  exquise  biographie,  le  monument  qu'elle  méritait. 


Der  Kœlnische  Krieg,  voii  Max  LossEN.  Vorgeschichfe,  ^565-^58l. 
Gotha,  Perlhes,  -1882,  xv-781  p.  in-S". 

C'est  dans  la  seconde  moitié  du  xvi^  siècle  qu'ont  été  fixées  les  forces 
respectives  du  catholicisme  et  du  protestantisme.  Le  grand  mouvement 
religieux  commence  à  se  refroidir;  les  partis  religieux  se  séparent  de 
plus  en  plus  les  uns  des  autres.  De  moins  en  moms  l'on  songe  à  s'en- 
tendre sur  le  terrain  dogmatique  ;  on  croit  au  contraire  qu'une  lutte 
décisive  sur  le  terrain  politique  est  inévitable.  Cela  n'est  pas  seule- 
ment vrai  pour  la  France,  l'Angleterre  et  les  Pays-Bas,  mais  aussi  pour 
l'Allemagne,  où  la  paix  religieuse  de  1.555  n'était  qu'une  trêve;  abrités 


-172  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

derrière  les  clauses  du  traité,  les  adversaires  continuèrent  de  s'observer 
avec  défiance  et  à  se  préparer  pour  la  catastrophe  attendue.  Considérée 
du  dehors,  cette  période,  l'histoire  préliminaire  de  la  guerre  de  Trente 
ans,  est  très  pauvre  en  événements;  aussi,  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
avait-elle  été  fort  négligée,  tout  l'intérêt  se  concentrant  sur  l'époque 
de  Luther  et  sur  celle  de  Gustave-Adolphe.  Tant  qu'on  en  est  encore  à 
rechercher  les  sources  non  encore  utilisées  et  à  les  rendre  accessibles, 
un  travail  d'ensemble  ne  peut  naturellement  pas  se  produire.  Nous 
devons  d'autant  plus  apprécier  l'étude  spéciale  de  certains  points 
importants,  surtout  quand  elle  est  faite  avec  autant  de  circonspection 
et  de  mérite  que  l'ouvrage  de  M.  Lossen. 

L'auteur  avait  pris  tout  d'abord  pour  sujet  la  guerre  de  Cologne, 
c'est-à-dire  les  troubles  qu'excita  l'archevêque  de  Cologne,  Gebhard 
Truchsess  (1577-83),  lorsque,  malgré  son  mariage  et  sa  conversion  au 
protestantisme,  il  s'efforça  de  garder  la  dignité  électorale.  Après  sa 
déposition  par  le  pape  et  le  choix  d'un  successeur,  Ernest  de  Bavière, 
l'affaire  fut  promptement  décidée;  à  l'automne  de  l'an  1583,  Truchsess 
fut  vaincu  et  chassé.  Mais  au  cours  de  son  travail,  M.  Lossen  s'aperçut 
que  cette  courte  lutte,  au  sujet  de  l'archevêché  de  Cologne,  était  le 
dénouement  tragique  d'une  situation  qui  durait  depuis  plus  de  quinze 
ans.  Les  documents  grossirent  entre  ses  mains,  aussi  le  gros  volume 
qu'il  vient  de  publier  n'est-il  qu'une  introduction  à  l'histoire  de  l'évé- 
nement dont  il  porte  le  nom.  A  vrai  dire,  le  germe  d'intrigues  si  com- 
pliquées dont  l'histoire  est  suivie  ici  jusque  dans  les  plus  petits  détails 
se  trouve  dans  le  projet  rêvé  par  les  Wittelsbach  de  Bavière  d'établir 
leur  hégémonie  sur  l'Allemagne  catholique.  Cette  situation,  pour 
laquelle  la  puissance  territoriale  de  la  Bavière  n'était  pas  un  fondement 
suffisant,  devait  être  obtenue  par  la  réunion  d'évêchés  aussi  nombreux 
et  importants  que  possible  entre  les  mains  d'un  prince  bavarois;  cette 
concentration  était  d'ailleurs  contraire  aux  principes  ecclésiastiques; 
mais  comme  le  duc  de  Bavière  était,  de  tous  les  princes  d'empire, 
le  plus  important  des  partisans  du  pape,  et  comme  ses  vues  se 
portaient  surtout  vers  les  diocèses  menacés  par  l'hérésie,  l'intérêt 
dynastique  se  renconti-a  avec  l'intérêt  général  de  l'Église.  M.  Lossen 
raconte  comment  ces  plans  bavarois  réussirent  à  Freising,  Hildesheim, 
Liège,  comment  ils  échouèrent  dans  les  évèchés  westphaliens,  à  Salz- 
bourg  et  tout  d'abord  aussi  à  Cologne;  il  examine  en  outre  la  condi- 
tion juridique  des  propriétés  possédées  par  les  chapitres,  les  intérêts 
opposés  des  princes  catholiques  et  protestants,  de  la  haute  et  de  la  basse 
noblesse,  des  premières  dynasties  catholiques,  les  Habsbourg  et  les 
Wittelsbach.  Le  prince  bavarois  Ernest,  qui,  dès  sa  jeunesse,  fut  des- 
tiné à  devenir  l'instrument  de  cette  orgueilleuse  politique  religieuse, 
est  suffisamment  mis  au  premier  plan.  Les  luttes  que  dans  son  ardente 
enfance  il  engagea  contre  le  pédantisme  de  ses  gouverneurs,  le  contraste 
de  ses  sentiments  tout  mondains  avec  les  fonctions  qu'on  lui  imposait, 
ses  aventures  d'amour  et  son  goût  pour  la  magie,  tout  cola  est  bien 


DE  BOrSLISLE  :  MEMOIRES  DES  INTENDANTS  SUR  LES  GÉNÉRALITÉS.      -173 

propre  à  aDimer  le  train  un  peu  monotone  d'une  diplomatie  passable- 
ment mesquine. 

C'est  surtout  l'histoire  des  mœurs  qui  gagne  à  cette  peinture  soignée 
de  l'aventureuse  jeunesse  d'un  prélat  éminent.  Naturellement  la  situa- 
tion politique  de  l'empire  joue  un  rôle  dans  les  luttes  entamées  au 
sujet  des  évêchés.  La  situation  indépendante  (Freistellung)  réclamée 
par  les  protestants,  l'élection  de  l'empereur  Rodolphe  II  (1575),  la  der- 
nière Diète  de  l'empereur  Maximilien  II  sont  traitées  avec  pénétration. 
Les  efforts  déployés  par  le  Palatin  et  autres  princes  pour  décider  l'arche- 
vêque Salentin  de  Cologne  à  recevoir  une  pension  de  la  France  et  à 
séculariser  son  archevêché  ont  permis  à  l'auteur  de  jeter  en  passant 
un  coupd'œil  sur  l'alliance  d'une  partie  des  princes  protestants  avec  la 
France,  leur  protectrice  traditionnelle. 

En  fait  de  précision,  d'abondance  dans  les  renseignements  sur  les 
documents  employés  et  les  livres  utilisés,  l'ouvrage  de  M.  Lossen  est 
un  chef-d'œuvre  auquel  peu  d'autres  pourraient  lui  être  comparés.  Il  ne 
faut  pas  non  plus  passer  sous  silence  l'excellente  description  de  l'an- 
cienne ville  impériale  de  Cologne. 

F.  VON  Bezold. 


Mémoires  des  Intendants  sur  les  Généralités ,  dressés  pour 
rinstruction  du  duc  de  Bourgogne.  Tome  1,  Mémoire  de  la  géné- 
ralité de  Paris,  publié  par  M.  A.  de  Boislisle.  Paris,  imprimerie 
nationale,  ^88^,  in-4''  (Collection  des  documents  inédits  sur  l'his- 
toire de  France) . 

Qu'on  me  permette  d'exprimer  ma  pensée  sur  la  nouvelle  publication 
de  M.  de  Boislisle  dans  des  termes  parfaitement  vulgaires  :  la  sauce  vaut 
beaucoup  mieux  que  le  poisson.  Il  y  avait  une  foule  de  bonnes  raisons 
pour  que  le  gouvernement  hésitât  à  entreprendre  l'édition  des  Mémoires 
des  Intendants  sur  les  Généralités  :  l"  la  publication  sera  immense  et 
coûtera  cher;  2"  si  nous  jugeons  de  ces  Mémoires  d'après  le  spécimen 
que  nous  avons  sous  les  yeux,  ils  sont  déplorablement  médiocres  :  le 
plan  est  médiocre,  médiocre  l'exposition,  et  médiocre  même  l'autorité  ; 
3"  ces  Mémoires  ont  été  utilisés  par  la  plupart  des  géographes  et  des 
statisticiens  du  siècle  dernier.  On  en  trouve  la  crème,  si  je  puis  dire, 
dans  Piganiol  de  la  Force,  dans  Boulainvilliers,  dans  Expilly,  dans 
Hesseln,  etc.;  4°  les  copies  de  ces  Mémoires  sont  extrêmement  nom- 
breuses, —  assez  nombreuses  même  pour  que  la  patiente  perspicacité 
de  M.  de  Boislisle  se  soit  rebutée  avant  d'arriver  à  en  dresser  une  liste 
complète.  On  en  trouve  dans  la  plupart  des  grands  dépôts  de  France  et 
de  l'étranger.  C'est  dire  que  les  renseignements  inédits  qu'ils  con- 
tiennent se  trouvent  —  quoique  manuscrits  —  à  la  portée  de  tous  les 
travailleurs.  J'ajouterai  qu'ils  sont  en  somme  à  peu  près  aussi  acces- 
sibles que  cette  majestueuse  Collection  des  Documents  inédits^  qui,  par  le 


174  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

nombre  des  volumes  dont  elle  s'accroît  journellement,  par  le  poids  de 
ces  volumes,  par  le  mode  de  distribution  qui  les  fait  parvenir  aux 
mains  des  lecteurs,  se  trouve  de  plus  en  plus  exilée  des  bibliothèques 
particulières  et  en  est  réduite  à  se  cantonner  sur  les  amples  et  solides 
rayons  des  bibliothèques  publiques. 

Toutes  ces  raisons  une  fois  exposées,  je  dois  avouer  que  si  j'avais  eu 
l'honneur  de  figurer  parmi  les  membres  du  comité  qui  a  décidé  l'im- 
pression des  Mémoires  des  Intendants,  j'eusse  fait  comme  eux,  j'eusse 
voté  la  publication.  Et  la  raison  décisive  qui,  à  mon  avis,  devait 
enlever  les  suffrages,  c'est  que  M.  de  Boislisle  s'offrait  pour  entre- 
prendre le  travail. 

M.  de  Boislisle,  en  effet,  est  un  habile  ouvrier.  Il  est  de  ceux  qui 
savent  donner  du  prix  à  ce  qu'ils  touchent.  Une  fois  entre  ses  mains, 
le  document  le  plus  terne  reluit  et  devient  balai.  Tenez,  déjà,  ces 
Mémoires  des  Intendants,  sous  leur  nouvelle  forme  on  ne  les  reconnaît 
plus. 

Quelle  opulence  dans  cette  Introduction  de  xciv  pages,  dans  ces  appen- 
dices au  nombre  de  xix,  occupant  386  pages  à  deux  colonnes,  dans  ces 
additions,  dans  ces  corrections,  dans  ces  tables  qui  occupent  70  pages 
encore  ;  et  par-dessus  tout  quelle  prodigalité  dans  ce  commentaire  infa- 
tigable!—  On  s'imagine  un  serviteur  dévoué,  agile,  vigilant  et  modeste. 
Il  accompagne  le  maître  de  la  plus  attentive  sollicitude.  Il  aplanit  les 
obstacles  devant  lui.  Il  corrige  ses  erreurs,  le  relève  quand  il  bronche. 
Il  fait  foule  autour  de  lui,  l'exalte  au  bon  moment,  l'admoneste  quel- 
quefois doucement,  paternellement,  et  lui  donne  du  moins  les  allures 
d'un  grand  seigneur  par  l'illusion  d'un  si  brillant  cortège.  C'est  un 
commentaire  qui  mériterait  d'être  texte,  au  rebours  de  ce  que  dit  Figaro, 
qu'aux  qualités  qu'on  exige  d'eux,  il  y  a  peu  de  maîtres  qui  mériteraient 
d'être  valets. 

Le  volume  dont  nous  rendons  compte  a,  en  tout,  948  pages.  Si  nous 
défalquons  de  ce  total,  pour  l'introduction,  94  pages,  pour  les  appen- 
dices et  les  tables,  456  pages,  pour  le  commentaire,  un  cinquième  du 
texte,  c'est-à-dire  80  pages  environ,  nous  arrivons  à  un  total  mini- 
mum de  630  pages,  constituant  l'accessoire.  Il  reste  donc  pour  le 
principal  318  pages.  N'est-ce  pas  que  ce  principal  est  tout  à  fait  accom- 
modant ? 

Modestie  d'ailleurs  parfaitement  justifiée.  Le  commentaire  fait  au 
texte  beaucoup  d'honneur  en  s'occupant  de  lui  avec  une  application  si 
soutenue.  Ce  n'est  pas  sans  un  sentiment  d'admiration  pour  l'opiniâtre 
annotateur  qu'on  le  voit  réduit  à  corriger,  à  chaque  pas,  les  erreurs  de 
fait  ou  de  chiffres  qu'entasse,  non  moins  opiniâtrement,  l'auteur  du 
Mémoire.  A  la  suite  de  celui-ci,  M.  de  B.  en  arrive  à  discuter  gra- 
vement la  question  de  savoir  si  «  l'Université  ayant  été  autrefois  à 
Athènes  a  été  transférée  à  Rome  et  depuis,  s'étant  donnée  à  Charle- 
magne,  il  la  fit  venir  à  Paris  !  » 
L'introduction  du  volume,  extrêmement  nourrie  de  faits  curieux  et 


DE  BOISLISLE  '.  MÉMOIRES  DES  INTENDANTS  SUR  LES  GE'ne'rALITe's.       -1  75 

nouveaux  pour  la  plupart,  ne  s'élève  pas  jusqu'à  l'étude  générale  de  la 
question  des  Intendants,  ni  même  jusqu'à  l'examen  d'ensemble  de  la 
collection  des  Mémoires  sur  l'état  des  généralités.  M.  de  B.  s'occupe  uni- 
quement de  la  généralité  de  Paris  et  du  Mémoire  consacré  à  cette  géné- 
ralité. Sans  épouser  absolument  le  jugement  si  sévère  de  Boulainvil- 
liers  <,  il  ne  cache  pas  le  peu  d'estime  qu'il  a  pour  une  partie  de 
l'œuvre  rédigée  sous  la  direction  de  M.  Phélypeaux.  Il  s'attache  à 
déterminer  les  sources  auxquelles  l'auteur  a  puisé.  Il  définit  nettement 
le  sujet  qu'il  a  traité.  Il  expose  le  plan  qu'il  a  suivi.  Il  indique  les 
auteurs  postérieurs  qui  se  sont  servis  de  son  travail.  Il  étudie  aussi  avec 
détail  quelques-uns  des  points  les  plus  importants  touchés  dans  le 
Mémoire,  notamment  la  question  si  délicate  du  chiflre  de  la  population 
de  Paris  et  de  la  généralité. 

L'introduction  se  termine  par  une  liste  chronologique  des  adminis- 
trateurs de  la  généralité  de  Paris.  Je  ne  trouve  aucun  nom  à  y  ajouter. 
Je  suis  d'avis,  comme  M.  de  B.,  que  le  premier  intendant  de  l'Ile-de- 
France  a  été  le  sieur  d'Orgeval,  dont  la  commission  datée  de  1633  est 
conservée  aux  archives  de  la  Guerre.  Mais  je  m'étonne  que  l'auteur, 
si  expert  en  ce  qui  concerne  l'histoire  des  intendants,  ne  se  soit  pas 
satisfait  du  texte  de  la  commission  et  qu'il  ait  cru  devoir  supposer 
qu'une  autre  commission  donnait  au  sieur  d'Orgeval  les  attributions  de 
Justice  et  de  Finances.  En  effet,  quant  aux  attributions  de  justice,  elles 
lui  sont  conférées  par  le  titre  d'intendant  de  justice  et  police  compris 
dans  le  texte  même  de  la  présente  commission  et  par  les  mots  :  «  Pour 
en  icelles  [provinces]  pourvoir  à  ce  que  la  justice  soit  bien  et  sincèrement 
administrée...,  etc.  »  Les  attributions  de  finances  sont  également  visées 
dans  la  même  pièce,  du  moins  en  ce  qui  concerne  le  militaire  :  «  [Vous 
prendrez  soin]  ensuite  de  procéder  avec  les  trésoriers  de  France  en 
chaque  généralité,  les  élus  appelés,  au  département  de  la  contribution 
qui  devra  être  faite  en  espèces,  des  vivres  et  fourrages  nécessaires  aux 
chefs,  officiers  et  chevau-légers  de  chaque  compagnie,  régalant  ladite 
contribution  en  espèces  tant  sur  les  lieux  du  logement  desdites  troupes 
que  sur  tous  les  contribuables  de  l'élection  entière.  »  Ces  termes  indiquent 
précisément  les  pouvoirs  financiers  seuls  mis  aux  mains  des  intendants 
à  l'époque  dont  il  s'agit.  Ils  visent  spécialement  cette  qualité  d'inten- 
dants du  militaire  si  naturelle  en  ce  temps-là  et  si  difficile  à  expliquer 
par  la  suite.  Ce  n'est  pas  par  hasard  que  les  commissions  des  inten- 
dants de  la  première  période  se  trouvent  conservées  pour  la  plupart  au 
ministère  de  la  guerre.  La  guerre  fut  en  eff'et  le  vrai  berceau  de  l'insti- 
tution. Je  ferai  observer  en  outre  que  cette  année  1633,  qui  vit,  par 
exception,  un  intendant  de  justice  établi  dans  l'Ile-de-France  (je  dis 

1.  ...  Ennuyeuse  prolixité...  digressions  inutiles  et  coritiniielles...  affectation 
de  traiter  avec  étendue  des  choses  hors  de  son  sujet  et  de  supprimer  celles  qui 
sont  essentielles....,  etc. 


^76  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

dans  l'Ile-de-France  et  non  pas  à  Paris  '),  est  l'année  où  Richelieu  com- 
mence à  préparer  la  grande  guerre,  année  de  grands  remuements  de 
troupes  et  de  prise  de  positions  sur  la  frontière. 

C'est  l'année  précisément  où  le  cardinal,  désirant,  comme  il  est  dit 
dans  le  texte  de  la  commission,  «  que  les  troupes  subsistent  partout 
sans  apporter  beaucoup  de  foule  au  peuple,  »  portait  ce  Règlement  sur 
les  Etapes  dont  il  se  glorifie  dans  ses  Mémoires,  et  qui  nous  semble 
concorder  de  tous  points  avec  la  commission  spéciale  donnée  au  sieur 
d'Orgeval. 

Je  pense  qu'en  somme,  d'après  la  liste  même  de  M.  de  Boislisle,  il 
faut  considérer  l'établissement  à  poste  fixe  des  intendants  dans  la 
généralité  de  Paris  comme  postérieur  à  la  mort  du  cardinal  de  Riche- 
lieu. 

Le  Mémoire  sur  la  généralité  de  Paris  est  divisé  en  quatre  parties 
disposées  dans  un  ordre  à  peu  près  arbitraire.  Chacune  de  ces  parties 
se  trouve  contenir  un  assez  grand  nombre  de  renseignements  précieux 
pour  l'histoire,  qui,  grâce  à  l'examen  minutieux  que  leur  a  fait  subir 
M.  de  Boislisle,  peuvent  être  considérés  désormais  comme  faisant 
autorité. 

Le  chapitre  i«''  est  consacré  à  l'état  de  l'Église  avec  un  appendice 
relatif  à  l'ordre  de  Malte.  Le  chapitre  ii  traite  du  gouvernement  mili- 
taire et  comprend,  outre  les  détails  qu'on  peut  s'attendre  à  voir  rangés 
sous  ce  titre,  des  considérations  sur  le  chiffre  de  la  population,  sur  le 
nombre  des  huguenots  sortis  de  la  province,  enfin  sur  les  poudres  et 
salpêtres.  Le  chapitre  m  est  consacré  à  l'administration  de  la  justice. 
Le  chapitre  iv  aux  finances.  On  trouve  dans  ce  chapitre,  entassées 
pêle-mêle,  des  notions  sur  le  domaine,  les  impôts,  l'agriculture,  l'in- 
dustrie, le  commerce,  la  voirie,  les  forêts,  les  mines. 

J'arrive  en  toute  hâte  et  le  plus  volontiers  du  monde  aux  appendices 
que  M.  do  B.  a  cru  devoir  ajouter  à  la  publication  du  mémoire.  Ces 
appendices,  je  l'ai  dit  déjà,  sont  au  nombre  de  xix.  Mais  chacun  d'entre 
eux  se  subdivise  en  fragments  également  importants,  et  l'on  ne 
s'imagine  pas  l'abondance  et  l'intérêt  des  renseignements  qu'on  trouve 
entassés  dans  ces  huit  cents  colonnes  in-4°  imprimées  en  texte  minus- 
cule! Ils  ne  sont  pas  tous  inédits.  Mais,  par  leur  rapprochement,  ils 
forment  un  ensemble  extrêmement  instructif.  En  suivant,  un  peu 
malgré  lui,  probablement,  le  plan  tracé  par  l'auteur  du  Mémoire, 
M.  de  B.  a  réuni  là  le  fruit  de  ses  longues  recherches  dans  les  papiers 
du  contrôle  général,  aux  archives  nationales,  au  ministère  des  affaires 
étrangères,  à  la  bibliothèque  nationale  et  dans  les  livres  imprimés.  II  a 


1.  En  effet,  le  texte  de  la  commissioa  indique  très  nettement  que  l'intendant 
d'Orgeval  est  attaché  à  titre  principal  à  l'armée  de  Picardie  envoyée  en  gar- 
nison sur  la  frontière,  à  titre  accessoire  dans  les  provinces  de  Picardie,  de 
Champagne  et  de  l'Ile-de-France. 


PUBLICATIONEX   AUS   DE\   PREUSSISCHEÎV   STAATSARCHlVErV.  -177 

ainsi  poussé  bien  loin  le  tableau  de  l'administration  sous  l'ancien 
régime,  tableau  que  le  Mémoire  n'avait  fait  qu'ébaucher.  On  peut 
regretter  peut-être  quelques  lacunes,  par  exemple  que  pour  les  pre- 
mières années  du  xvn^  siècle,  M.  de  Boislisle  se  soit  contenté  de 
reproduire  les  chapitres  un  peu  rapidement  écrits  de  Daviti,  tandis 
qu'il  reste  dans  les  bibliothèques  un  grand  nombre  de  documents  mss. 
et  beaucoup  plus  autorisés  ;  mais  c'est  là  une  tache  bien  légère  sur  un 
ensemble  si  brillant.  En  somme,  on  ne  pourra  plus  écrire  une  ligne 
sur  l'administration  de  la  France  sous  l'ancien  régime  sans  avoir  entre 
les  mains  les  appendices  de  M.  de  B.,  comme  déjà  pour  l'histoire  géné- 
rale il  faut  avoir  ce  qui  a  paru  de  son  édition  de  Saint-Simon,  pour 
l'histoire  des  finances  il  faut  avoir  ce  qui  a  paru  des  papiers  du  con- 
trôle général,  pour  l'histoire  de  la  magistrature  et  des  comptes  il  faut 
avoir  ce  qui  a  paru  des  papiers  de  Nicolaï.  Ce  sont  là  —  sans  parler 
du  reste  —  de  véritables  titres  de  gloire,  et  nous  n'avons  plus  qu'à 
souhaiter  longue  vie  et  santé  prospère  à  M.  de  B.,  afin  qu'il  mène  à 
bonne  fin  tant  et  de  si  honorables  entreprises. 

G.  H. 


Publicationen  aus  den  K.  Preussischen  Staatsarchiven.  IVBand. 
I.  Memoiren  der  Kurfiirstin  Sophie  von  Hannover.  2.  Frédéric  II, 
Histoire  de  mon  temps.  Leipzig,  Hirzel,  ^  vol.  in-8%  499  p. 

On  ne  saurait  trop  se  féliciter  de  l'activité  que  les  archives  de  Berlin 
déploient  sous  l'intelligente  et  féconde  impulsion  de  leur  directeur, 
M.  de  Sybel.  Les  dissentiments  très  naturels  qui  nous  séparent  sur 
certains  points  de  cet  éminent  historien  ne  nous  ont  jamais  empêché 
de  signaler,  avec  les  éloges  qu'ils  méritent,  les  services  que  ses  colla- 
borateurs et  lui  rendent  à  la  science  historique.  Le  présent  volume 
contient  deux  morceaux  d'un  caractère  très  différent. 

l"  Mémoires  de  la  duchesse  Sophie,  plus  tard  électrice  de  Hanovre, 
publiés  par  M.  G.  Kœcher.  —  Ces  mémoires  n'ont  pas  grand  intérêt 
pour  l'histoire  politique  ;  mais  ils  en  présentent  infiniment  pour  l'his- 
toire intellectuelle  et  pour  l'histoire  des  mœurs  dans  les  familles  prin- 
cières  allemandes  au  xvi^  siècle.  Ils  ont  été  commencés  à  Hanovre 
en  1G80.  Ils  embrassent  la  vie  de  la  duchesse  depuis  sa  naissance 
en  1620  jusqu'en  1G81.  On  n'en  possède  point  le  manuscrit  original, 
mais  une  copie  faite  par  Leibnitz.  «  Le  style  paraît  simple,  écrit 
Leibnitz  sur  cette  copie,  mais  il  a  une  force  merveilleuse,  et  je  le 
trouve  du  caractère  que  Longin  appelle  sublime,  malgré  cette  négli- 
gence apparente.  Lors  même  qu'il  semble  qu'on  ne  dit  que  des  choses 
ordinaires,  elles  se  trouvent  relevées  par  un  certain  tour  admirable  qui 
donne  occasion  de  faire  des  réflexions  solides  sur  les  choses  humaines.  » 
Longin  et  son  fameux  traité  sont  ici  de  trop  ;  il  ne  faut,  ni  de  près  ni 
de  loin,  songer  à  M™"  de  Sévigné.  Mais  il  est  incontestable  que,  tout 

Rev.    HiSTOR.    XXV,    le'-   FASG.  12 


^78  COMPTES-REiVDUS  CRITIQUES. 

rude  et  barbare  qu'il  est,  le  français  de  la  duchesse,  —  elle  écrivait  en 
français,  —  a  de  l'allure  et  de  la  saveur.  Il  y  a  quelques  affinités  avec 
une  autre  Allemande  du  Rhin,  qui  fut  son  amie,  qui  joua  un  grand  rôle 
et  a  laissé  de  curieuses  lettres,  Madame,  mère  du  régent.  La  duchesse 
Sophie  est  honnête  femme  et  esprit  fort  ;  elle  dédaigne  la  pruderie.  Le 
fait  est  qu'on  n'en  a  point  autour  d'elle  ;  elle  voit  d'assez  étranges 
choses,  et  elle  les  dit  crûment,  comme  elle  les  voit.  Mais  c'est  la  crudité 
des  femmes  de  Molière,  on  n'y  sent  jamais  cette  complaisance  de  liber- 
tinage et  ces  arrière-pensées  de  sensualité  qui  gâtent  trop  souvent  les 
meilleurs  morceaux  du  xvin^  siècle.  La  duchesse  aimait  son  mari,  qui 
ne  lui  était  guère  fidèle;  elle  était  aimée  de  son  beau-frère,  et  pour  s'en 
débarrasser,  aussi  bien  que  pour  éviter  qu'il  ne  se  mariât,  elle  lui 
donna  une  maîtresse.  Il  y  a  là  un  contrat  en  forme  qui  est  d'une  nature 
assez  bizarre.  Elle  raconte  ces  singulières  aventures  avec  une  bonne 
humeur  cavalière,  qui  n'est  pas  sans  charme. 

Ses  impressions  de  voyage  en  Italie  et  en  France  sont  piquantes.  En 
Italie,  l'esprit  fort  domine.  II  y  a  des  traits  qui,  bien  qu'un  peu  lourds, 
sont  d'un  tranchant  très  affilé.  Bayle  et  ses  amis  y  auraient  trouvé  du 
ragoût,  et  notre  Allemande  s'assimile  mieux  ce  genre  d'ironie  grave 
que  ses  pareilles  du  siècle  suivant  ne  feront  de  l'ironie  voltairienne. 
En  voici  des  exemples,  et  je  ne  choisis  pas  les  plus  vifs.  A  Venise, 
«  on  me  ht  voir  des  religieuses  qui  n'ont  d'esprit  que  pour  les 
hommes,  et  puis  des  églises  où  il  y  avait  le  rendez-vous  de  ces  amou- 
reux. »  A  Lorette,  «  on  s'arrêta  un  jour  en  ce  lieu-là  pour  bien  consi- 
dérer le  miracle,  qui  était  effectivement  bien  grand  de  voir  des  gens 
assez  sots  pour  venir  de  si  loin  pour  adorer  une  si  vilaine  figure  de  la 
vierge  qui  avait  le  nez  cassé.  On  me  montra  un  portrait  qu'on  disait 
être  de  la  main  de  saint  Luc.  Si  cela  était  vrai,  il  était  fort  méchant 
peintre.  Ensuite,  je  vis  les  écuelles  dans  lesquelles  N.-S.  avait  mangé 
étant  petit.  Je  fis  sortir  de  son  sérieux  le  prêtre  qui  me  le  montra,  en 
le  regardant  hnement  d'une  manière  qu'il  vit  bien  que  je  n'en  croyais 
rien.  Il  avait  assurément  sujet  de  rire,  de  ce  qu'il  pouvait  gagner  de 
l'argent  d'une  manière  si  facile...  »  L'introduction  et  les  notes  histo- 
riques sont  bonnes.  M.  K.  s'est  donné  une  peine  bien  inutile  pour  éta- 
blir l'orthographe  de  son  texte.  Leibnitz,  qui  avait  eu  le  manuscrit 
original,  disait  lui-même  :  «  L'orthographie  n'y  est  pas  observée.  Il  est 
vrai  que  cela  n'importe  guère.  Il  en  faudrait  faire  une  copie  pour  y 
remédier.  »  Leibnitz,  dans  sa  copie,  y  remédia  de  son  mieux.  On  ne 
voit  pas  pourquoi  M.  K.  s'est  astreint  à  conserver  les  bizarreries  de 
l'orthographe  de  Leibnitz,  qu'il  corrige  d'ailleurs  par  endroits.  Il 
aurait  dû  au  moins  adopter  l'orthographe  classique  du  temps  et  impri- 
mer le  texte  tel  qu'il  eût  été  imprimé  si  Leibnitz  l'avait  publié.  —  Je 
relève  en  finissant  une  omission  dans  les  notes  historiques,  p.  34,  à 
propos  de  cette  phrase  :  «  Ensuite  elle  m'apprit  les  quadrains  de 
Pebrac...  »  Ce  nom  est  accompagné  d'un  point  d'interrogation.  Il  s'agit 
des  quatrains  de  Pibrac,  qui  sont  pourtant  bien  connus. 


SCHLECHTi-WSSEHRD  :  DIE  REVOLUTIONEX  IN  COXSTANTIIVOPEL  ^  807-8.      -1  79 

2°  Frédéric  II,  Histuire  de  mon  temps,  rédaction  de  1746,  publiée  par 
M.  Max  Posner. 

Frédéric  a  composé  deux  rédactions  de  \ Histoire  de  mon  temps;  l'une 
est  de  1746,  c'est  le  premier  jet,  l'autre  est  de  1775,  c'est  le  travail 
revu  à  distance,  remanié  avec  les  documents,  recomposé  avec  l'expé- 
rience de  la  vie.  C'est  cette  dernière  rédaction  qui  a  été  publiée  dans 
les  Œuvres.  C'est  la  première,  celle  de  1746,  que  nous  donne  M.  Max 
Posner.  Il  a  fait  des  études  très  approfondies  sur  la  manière  d'écrire  du 
roi  historien',  et  j'en  ai  rendu  compte  dans  cette  revue.  Il  applique  à 
la  reproduction  de  ce  texte  primitif,  si  intéressant  pour  l'histoire,  une 
grande  connaissance  des  sources  et  une  critique  très  judicieuse.  Les 
notes,  qui  sont  très  abondantes,  sont  excellentes.  M.  P.,  suivant  en 
cela  les  judicieux  précédents  de  l'Académie  de  Berlin,  a  employé  l'or- 
thographe moderne,  tout  en  respectant  scrupuleusement  les  construc- 
tions originales. 

Albert  Sorel. 


ScHLECHTA-WsSEHRD.  Die  Revolutionen  in  Constantinopel  in  den 

Jahren  1807-1808  (extrait  des  Sitzungsberichte  de  l'Académie 

des  sciences  de  Vienne,  ^882).  Vienne,  Gerold,  228  p.  in-8°. 

Les  «  Révolutions  »  qui  ont  ensanglanté  Constantinople  pendant  les 

années  1807  et  1808,  et  dont  M.  le  baron  de  Schlechta  nous  présente  le 

récit  détaillé,  avaient  déjà  fait  l'objet  de  plusieurs  publications  tant  en 

Turquie  qu'à  l'étranger. 

Considérés  dans  les  débuts,  comme  dans  les  conséquences  finales  de 
,  l'entreprise  qui  les  a  suscités,  ces  événements  tragiques  offrent,  en  effet, 
les  éléments  d'une  étude  nettement  circonscrite  et  sont  aussi  instructifs 
qu'intéressants. 

Vers  la  fin  du  dernier  siècle,  le  sultan  Selini  III  avait  reconnu  la 
nécessité  de  changer  les  institutions  militaires  de  l'empire  pour  adopter 
les  divers  perfectionnements  en  usage  dans  les  États  chrétiens.  Suivant 
ses  vues  arrêtées,  la  milice  de  plus  en  plus  factieuse  et  indisciplinée 
des  janissaires,  qui  formait  avec  les  spahis  le  noyau  de  l'armée  natio- 
nale, devait  être  remplacée  par  un  corps  d'infanterie  modelé  et  exercé 
à  l'européenne  et  un  fonds  particulier,  dit  trésor  de  guerre,  aurait  à 
subvenir  à  l'entretien  de  la  nouvelle  troupe  dont  l'effectif  serait  porté 
tout  d'abord  à  12,000  hommes. 

Ces  dispositions,  décrétées  au  commencement  de  l'année  1793  sous  le 
titre  de  Vizojni  Djehid  ou  «  nouvelle  organisation,  »  n'entrèrent  en 
pleine  vigueur  qu'en  1807  et,  lorsqu'il  s'agit  d'en  poursuivre  l'applica- 
tion dans  les  provinces,  une  violente  opposition  se  manifesta  parmi  les 
castes  féodales  et  les  notables  qui,  aidés  des  janissaires  de  Roumélie, 

\.  Miscellaneen  zur  Geschkhle  Kœaig  Friedrichs  des  Grossen.  Berlin,  1878. 


J80  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

levèrent  l'étendard  de  la  révolte.  Bientôt  les  Jamaks  ou  gardes  du  Bos- 
phore, corps  auxiliaire  des  janissaires,  s'insurgèrent  à  leur  tour,  mar- 
chèrent sur  Constantinople  et  imposèrent  au  sultan  le  retrait  du  Vizami 
Djehid,  puis  sa  propre  abdication  en  faveur  de  son  frère  Mustapha. 

Le  31  mai  1807,  un  décret  impérial  fut  publié,  qui  désavouait  les 
«  projets  inouïs  »  de  Selim,  tout  en  proclamant  la  ferme  volonté  du 
nouveau  souverain  et  de  son  peuple  «  de  rentrer  dans  la  bonne  voie,  » 
c'est-à-dire  de  maintenir  l'ancien  ordre  de  choses. 

Cependant,  un  pacha  de  province,  le  puissant  Bairakdar  de  Roust- 
chouk,  qui,  jusqu'alors  s'était  associé  aux  résistances  du  parti  de  la 
réaction,  abandonna  brusquement  la  cause  des  janissaires  et  de  leurs 
nombreux  adhérents  pour  se  convertir  à  la  réforme.  Il  rêva  de  réinté- 
grer Selim  III  sur  le  trône  et  de  rétablir  le  Vizami  Djehid.  Le  28  juil- 
let 1808,  il  entra  à  Stamboul  à  la  tête  de  15,000  hommes  et  prononça  la 
déchéance  de  Mustapha  IV.  Selim  toutefois  fut  assassiné  par  les  ordres 
de  Mustapha  et  Mahmoud,  son  frère,  ceignit  le  sabre  d'Osman. 

Bairakdar,  élevé  au  grand  Vizu'at,  convoqua  dans  la  capitale  les  hauts 
feudataires  et  les  notables  de  l'empire  et,  sous  les  auspices  du  pacte  de 
conciliation  qui  intervint  entre  les  membres  de  cette  assemblée  pro- 
vinciale, le  Vizami  Djehid  redevint  loi  souveraine  de  l'Etat. 

Le  succès  du  pacha  de  Roustchouk  fut  de  courte  durée.  Assiégé  dans 
son  palais  par  les  janissaires,  il  se  donna  la  mort,  laissant  Mahmoud 
aux  prises  avec  les  rebelles,  c'est-à-dire  avec  les  partisans  du  sultan 
déchu.  Mahmoud  fit  égorger  Mustapha  et  entra  en  arrangement  avec 
les  janissaires.  Le  Vizami  Djehid  fut  supprimé  pour  la  seconde  fois  avec 
l'institution  des  réguliers  dont  le  corps  avait  d'ailleurs  succombé  dans 
la  lutte. 

Telles  sont  les  principales  péripéties  du  drame  que  raconte  minutieu- 
sement M.  le  baron  de  Schlechta,  en  s'aidaut  de  documents  originaux 
recueillis  dans  les  archives  de  la  Porte  et  de  l'Internonciature.  Sa  rela- 
tion, aussi  consciencieuse  que  lucide,  prendra  sans  doute  place  parmi 
les  plus  remarquables  monographies  qui  ont  exposé  à  différentes  époques 
certaines  phases  particulières  du  travail  de  rénovation  sociale,  poli- 
tique et  administrative,  connu  sous  le  nom  de  Tanzimât. 

Un  diplomate  français,  M.  Ed.  Engelhardt,  a  entrepris  récemment 
d'écrire  l'histoire  complète  de  cette  œuvre  de  réforme  qui  compte  déjà 
plus  d'un  demi-siècle  d'épreuves  ^.  Ses  premières  études  qui  se  ter- 
minent en  l'année  1867,  et  dont  il  a  été  rendu  compte  dans  cette  Revue, 
ont  révèle  un  fait  curieux  qu'il  n'est  pas  sans  intérêt  de  rapprocher  des 
conclusions  du  narrateur  autrichien. 

En  1841,  le  prince  de  Metternich  recommandait  aux  Turcs  «  de  res- 
ter Turcs  »  et  condamnait  hautement  comme  funeste  l'introduction  dans 


1.   La  Turquie  et  le   Tanzimât  ou  histoire  des  réformes  dans   l'empire 
ottoman.  —  Cotilion,  1882  et  1884.  Paris. 


A.     DE   MARGERIE  :    LE    C03ITE   JOSEPH    DE    MAISTRE.  ^8^ 

l'empire  des  institutions  européennes  K  M.  le  baron  de  Schlechta, 
appréciant  dans  leur  ensemble  ces  essais  d'assimilation  dont  le  Vizami 
Djehid  de  Selim  III  n'a  été  que  le  prélude,  pense  au  contraire  que  la 
réforme  a  été  aussi  opportune  qu'utile;  il  n'y  voit  sans  doute  pas  pour 
la  vieille  monarchie  ottomane  un  gage  assuré  de  salut;  mais  il  est  con- 
vaincu qu'elle  a  eu  pour  effet  de  retarder  sa  chute  et  ce  jugement  est 
conforme  à  celui  dont  s'est  inspiré  M.  Ed.  Engelhardt  dans  la  préface 
de  son  ouvrage. 


Le  comte  Joseph  de  Maistre,  avec  des  documents  inédits,  par 
Amédée  de  Margerie,  doyen  de  la  Faculté  catholique  des  lettres 
de  Lille.  —  Paris,  libr.  delà  Soc.  bibliographique,  ^883,  \  vol. 
in-8',  xxii-442  p. 

Joseph  de  Maistre  n'a  pas  conquis  d'emblée  sa  réputation,  et  on  le 
comprend.  C'était  un  Français  du  dehors,  qui  vécut  la  meilleure  partie 
de  sa  vie  sous  l'horizon  lointain  et  sans  écho  de  Saint-Pétersbourg,  au 
service  d'un  roi  déchu  ;  les  idées  dont  il  s'est  fait  l'apôtre  étaient  en 
opposition  directe  avec  les  idées  dominantes  de  son  temps,  et  pour  la 
plupart  n'ont  point,  de  son  vivant,  affronté  sous  sa  plume  la  discussion 
publique.  On  le  regardait  en  Russie  comme  un  esprit  à  la  fois  entier 
et  ouvert  sur  toutes  choses,  comme  un  brillant  conférencier  de  salon; 
les  motifs  ne  manquaient  pas  pour  le  plaindre,  l'applaudir  ou  même 
pour  le  redouter,  mais  peu  de  personnes  pressentaient  sa  gloire  à  venir. 

Cependant,  depuis  sa  mort,  les  traits  de  cette  figure  originale,  au 
lieu  de  s'effacer,  sont  devenus  plus  nets.  Sans  parler  de  la  publication 
de  ses  grands  ouvrages,  qui  l'ont  érigé  en  Père  laïque  de  l'Église,  la 
mise  au  jour  successive  d'autres  écrits  a  fait  valoir  le  diplomate  et 
Ihomme  privé;  et  voici  qu'on  pubhe  aujourd'hui  une  édition  com- 
plète de  ses  œuvres,  qui  nous  apportera  encore  sur  lui  des  révélations 
nouvelles.  Magistrat,  ambassadeur,  serviteur  ou  confident  des  rois  aux 
deux  extrémités  de  l'Europe,  J.  de  Maistre  n'a  pourtant  exercé  une  action 
efficace  que  dans  le  monde  des  intelligences;  ses  livres  ont  passionné 
en  sens  divers  quiconque  les  a  lus,  et  ses  doctrines  restent  pour  long- 
temps encore  un  thème  de  controverse.  C'est  cette  controverse  qu'a 
continuée  M.  de  Margerie,  en  prenant  parti  pour  son  héros.  Il  a  voulu 
seulement  préparer  ses  lecteurs  à  l'étude  des  écrits  de  Maistre  (p.  .352- 
353),  en  d'autres  termes  exposer  ses  idées  et  en  tracer  l'apologie, 
combattre  les  objections  formulées,  il  y  a  cinquante  ans,  par  Ville- 
main  et  de  nos  jours  par  M.  Franck,  tout  en  marquant  lui-même 
«  quelques  points  où  il  y  a  lieu,  ce  semble,  d'étendre,  de  restreindre  ou 
de  corriger  sa  pensée.  « 

1.  Dépêche  du  prince  de  Metternich  au  comte  Appony,  datée  de  mai  1841. 


-182  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES, 

Ce  livre  a  évidemment  pour  origine  des  leçons  où  l'on  reconnaît  la 
manière  vive  et  brillante  de  l'ancien  professeur  de  philosophie  de 
Nancy.  M.  de  Margerie  y  a  laissé  subsister  une  certaine  disproportion 
dans  les  développements,  inséparable  de  l'exposition  oratoire;  il  n'in- 
siste que  sur  quelques  parties  de  la  vie  de  son  héros  (trois  paragraphes 
sur  huit  sont  consacrés  à  ses  rapports  avec  les  jésuites),  et  il  a  ajouté 
après  coup  à  son  étude  un  chapitre  complémentaire  et  deux  appen- 
dices. C'est  donc  une  série  de  dissertations  polémiques  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  à  l'usage  de  certains  lecteurs,  de  ceux  qui  ont  déjà  foi  en 
J.  de  Maistre,  mais  qui  veulent  se  donner  la  raison  de  leur  foi.  Aussi 
n'a-t-on  pas  à  y  relever  beaucoup  de  faits  nouveaux  relatifs  soit  à  la 
personne  de  l'écrivain,  soit  au  temps  oîi  il  vivait. 

Au  chapitre  n,  plusieurs  citations  intéressantes  sont  empruntées  aux 
lettres  connues  ou  non  qui  vont  prendre  place,  d'après  une  classification 
nouvelle,  dans  l'édition  définitive.  Au  chapitre  !«■•  est  inséré  en  entier 
un  mémoire  inédit  sur  la  liberté  de  l'enseignement,  destiné  au  tsar 
et  à  ses  ministres,  qui  complète  les  lettres  déjà  connues  sur  l'ins- 
truction publique  en  Russie.  Au  commencement  de  ce  siècle,  les  chaires 
des  Universités  russes  étaient,  en  dehors  des  salons  bien  clos  où  bril- 
lait J.  de  Maistre,  les  seules  tribunes  ouvertes  à  l'expansion  des  idées  et 
des  doctrines,  et  la  Compagnie  de  Jésus,  par  l'organe  de  l'envoyé  de 
Sardaigne,  réclamait  à  Polotsk  sa  part  du  monopole  universitaire. 
P.  267  et  suivantes,  on  trouve  un  autre  mémoire  inédit  sous  forme  de 
lettre  au  comte  de  Blacas,  daté  de  mai  1814,  où  l'auteur  trace  à  la 
royauté  restaurée  le  programme  d'un  gouvernement  selon  ses  rêves, 
révolutionnaire  à  sa  façon  contre  l'esprit  gallican  et  parlementaire  de 
l'ancienne  monarchie.  L'appendice  I  renferme  une  lettre  assez  curieuse; 
c'est  le  tableau  d'une  école  privée  de  philosophie  qui  s'était  constituée 
à  Pétersbourg  vers  1810,  où  le  professeur  était  le  jésuite  breton  Rosaven, 
et  où  les  élèves,  Nicolas  de  Serra-Capriola,  Rodolphe  de  Maistre,  le 
baron  de  Damas  et  le  prince  Pierre  Galitzin  formaient  sous  sa  direction 
une  sorte  de  séminaire  aristocratique  et  cosmopolite. 

Le  moment  serait  bien  venu,  ce  semble,  pour  une  biographie  com- 
plète de  J.  de  Maistre,  replacé  avec  respect,  mais  sans  fausse  auréole,  au 
milieu  des  hommes  et  des  événements  de  son  époque.  Il  faut  regretter 
que  M.  de  Margerie  ait  restreint  volontairement  son  sujet  et  se  soit 
borné  à  reprendre,  sous  le  couvert  de  ce  nom  illustre,  avec  habileté  et 
chaleur,  la  lutte  contre  les  principes  déjà  contestés  par  l'auteur  des 
Soirées.  Mais  en  quel  sujet  serait-il  plus  difficile  d'appliquer  le  Scribitur 
ad  narrandum  de  l'écrivain  latin  ?  Bien  mal  avisés  peut-être  seront  ceux 
qui  oseront  un  jour  retirer  de  Maistre  de  la  mêlée  où  il  s'est  si  bien 
complu  de  son  vivant,  et  le  rendre  tout  simplement  à  l'histoire,  avec 
son  vif  esprit,  son  grand  style  et  son  noble  caractère. 

L.    PlNGAUU. 


KEIL    :    DIE   GRUiVDCNG    DER    DEDTSCHEN    DURSCHENSCHAFT   IN   lEXA.     I S3 

Robert  und  Richard  Keil  :   Die  Grûndung   der  deutschen   Bur- 
schenschaft  in  lena  :  2«  édition.  Jeiia,  Mauke,  UO  p.  in-S»,  -1883. 

Ce  livre  n'est  pas  un  livre  nouveau.  Mais  il  acquiert  un  intérêt  véri- 
table, et  comme  une  sorte  de  nouveauté  par  les  circonstances  qui  ont 
déterminé  l'un  des  auteurs  à  nous  en  donner  une  deuxième  édition. 
On  a  inauguré  au  début  de  l'année  dernière  (1883),  à  léna,  le  monu- 
ment destiné  à  perpétuer  le  souvenir  de  la  grande  association  des  étu- 
diants allemands  (Burschenschaft)  que  certain  parti  en  Allemagne 
serait  trop  disposé  à  oublier.  M.  Keil  a  voulu  célébrer  les  vertus  et 
le  patriotisme  de  l'étudiant  de  1813  que  le  sculpteur  avait  représenté 
en  costume  du  temps,  l'épée  d'une  main,  le  drapeau  de  l'association  de 
l'autre.  Il  a  voulu  rappeler  le  caractère,  la  valeur,  et  la  portée  de  l'asso- 
ciation au  moment  où  les  historiens  prussiens  et  M.  de  Treitschke  en 
particulier  semblent  s'efforcer  d'atténuer  l'importance  du  mouvement 
libéral  et  patriotique  du  12  juin  1813.  Cette  seconde  édition  est  une 
réponse  indirecte  au  chapitre  que  M.  de  Treitschke  avait  consacré  à  ce 
sujet  dans  son  deuxième  volume  ^  ;  c'est  une  critique  analogue  à  celle 
que  fit  paraître  l'an  dernier,  contre  le  même  ouvrage,  M.  Baumgarten, 
dans  les  colonnes  de  la  Gazette  d'Augshourg.  Il  est  bon  de  remarquer 
que  les  historiens  allemands  sont  très  divisés  sur  tout  ce  qui  touche  aux 
origines  de  l'union  germanique.  Il  faut  relever,  toutes  les  fois  que  l'oc- 
casion s'en  présente,  les  opinions  qui  les  divisent. 

Au  début,  MM.  Keil  ont  développé  une  idée  qui,  depuis  les  discours 
d'Humboldt  etdeSavigny,  était  courante  en  Allemagne;  les  universités 
allemandes  ont  été  de  tout  temps  les  foyers  de  la  pensée  allemande,  et 
comme  des  images  réduites  de  la  grande  patrie  germanique.  M.  de 
Treitschke  avait  récemment  contesté  cette  opinion  qu'il  attribuait  à  l'or- 
gueil, à  la  vanité  des  professeurs.  Les  universités  et  les  professeurs  avaient 
eu,  selon  lui,  beaucoup  d'influence  sur  les  destinées  de  l'Allemagne,  mais 
une  influence  néfaste.  Ils  avaient  répandu  le  goût  de  la  politique  idéa- 
liste et  des  théories  vides  que  la  Prusse  a  eu  l'honneur  et  le  mérite  de 
bannir  pour  longtemps.  M.  de  Treitschke  était  particulièrement  sévère 
pour  les  professeurs  d'Iéna,  pour  Luden  qui  fonda  la  Némesis,  pour 
Oken  qui  rédigea  l'Isis  «  sur  un  ton  digne  des  brasseries,  »  pour  le  juris- 
consulte Martin  qui,  chassé  d'Heidelberg,  se  réfugia  en  Thuringe  avec 
son  Mercure.  Cette  sévérité  pouvait  nous  étonner  de  la  part  du  profes- 
seur de  Berlin  qui  est  à  la  fois  directeur  des  Preussische  JalirbUcher .  Mais 
il  y  a  université  et  université  comme  il  y  a  professeur  et  professeur. 
M.  de  Treitschke,  de  Berlin,  n'a  pas  pu  pardonner  aux  professeurs  d'Iéna 
la  façon  dont  ils  ont  traité  les  Prussiens  en  181.5  et  accueilli  leurs  enne- 
mis. Ce  qu'il  leur  a  reproché  surtout  c'est  d'avoir  enseigné  dans  cette 
Thuringe,  la  patrie  bien  aimée  du  particularisme  féodal,  où  par  trois 

1.  H.  de  Treitschke.  Deutsche  Geschichte  im  XIX'^^"  Jahrhundert.  T.  II,  ch.  7. 
Die  Burschenschaft.  Lèipzvé,  Uhzd,  1882. 


,f8î  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

fois  un  mouvement  s'est  produit  inutilement  en  faveur  de  l'unité  ger- 
manique. 

MM.  Keil  ont  pris  la  défense  de  la  Thuringe,  de  l'université  d'Iéna 
en  particulier,  des  universités,  des  professeurs  et  des  étudiants  en  géné- 
ral. La  Thuringe  est  le  cœur  de  l'Allemagne,  elle  est  un  des  organes 
essentiels  de  la  patrie  allemande.  C'est  là  que  le  sentiment  national  est 
peut-être  le  plus  vif.  Les  malheurs  de  l'Allemagne,  au  commencement 
du  siècle,  n'ont  pas  laissé,  comme  le  prétend  Treitschke,  la  Thuringe 
indifférente  :  Luden,  dès  1806,  avait  le  courage  de  faire  appel  au  patrio- 
tisme de  ses  auditeurs.  Les  étudiants  d'Iéna  ont  combattu  pour  l'indé- 
pendance nationale;  le  plus  grand  ami  de  Kœrner  était  Karl  Schaeffer 
de  Weimar.  —  De  plus,  la  Thuringe,  avec  ses  petits  gouvernements  et 
ses  traditions  patriarcales,  s'est  toujours  merveilleusement  prêtée  aux 
libres  études  de  l'esprit,  léna  est  une  petite  ville  dans  un  site  charmant 
où  les  étudiants  trouvaient  plus  de  liberté  pour  leurs  plaisirs  et  leurs 
travaux,  et  avaient  plus  d'influence  qu'auprès  des  universités  des  grandes 
villes.  Pour  toutes  ces  raisons  et  aussi  par  les  soins  de  Charles  Auguste, 
l'université  d'Iéna  était  admirablement  préparée  aux  grands  enseigne- 
ments de  la  fin  du  xvni"  siècle,  aux  leçons  de  Fichte,  de  Schiller,  de 
Luden  et  de  tant  d'autres.  Elle  était  une  école  de  libéralisme,  en  même 
temps  qu'un  ardent  foyer  de  patriotisme.  Jamais  personne,  en  Thu- 
ringe, ne  songeait  alors  à  distinguer  la  liberté  politique  de  l'indépen- 
dance nationale.  On  luttait  pour  l'une  et  pour  l'autre  contre  la  domina- 
tion et  le  despotisme  de  l'étranger,  et  le  soulèvement  de  1813  fut  à  la 
fois  un  grand  mouvement  libéral  et  un  mouvement  national.  C'est  peut- 
être,  en  dernière  analyse,  ce  que  M.  de  Treitschke  n'a  pas  pardonné  à 
Charles  Auguste,  aux  Thuringiens  qui  le  rêvèrent,  aux  professeurs 
Luden,  Oken,  Fries  qui  ont  collaboré  et  applaudi  à  ses  réformes  consti- 
tutionnelles, aux  étudiants  enfin,  qui,  sous  ses  auspices,  ont  fondé  leur 
grande  association  aux  cris  de  Freiheit-Vaterland. 

M.  de  Treitschke  n'a  vu  dans  cette  association  qu'un  passe-temps  de 
jeunes  gens  passionnés  d'une  façon  très  vague  pour  la  liberté,  pour  la 
patrie.  Ce  n'était  pas  une  institution  qui  pût  avoir  dos  conséquences 
pratiques.  Comme  tout  ce  qui  vient  en  tout  temps  des  universités  et  de 
la  Thuringe,  c'était  une  association  d'esprits  purs,  une  réunion  de  mys- 
tiques, en  deux  mots,  une  forme  vide.  Ce  n'est  qu'en  se  fondant  avec 
les  sociétés  de  gymnastique,  créées  par  Hahn  à  Berlin,  que  cette  société 
a  pris  corps,  et  c'est  alors  seulement  qu'elle  est  devenue  viable  et  utile. 
Jusque-là  la  Burschcnschaft  restait  une  association  chimérique,  mais 
funeste,  qui,  sans  la  sagesse  pratique  de  la  Prusse,  n'eût  pas  vécu  et 
aurait  eu  pour  l'unité  allemande  les  plus  fâcheuses  conséquences. 
M.  Keil  persiste,  au  contraire,  à  croire  que  les  étudiants  d'Iéna  ont 
contribué,  en  1813,  pour  une  large  part  à  délivrer  la  patrie  allemande 
et  à  fonder  l'unité  germanique.  La  force  n'aurait  point  suffi  à  grouper 
les  patriotes  allemands.  Il  fallait  que  ces  patriotes  se  fussent  formés 
d'abord  dans  les  universités  en  général,  et  dans  une  vaste  corporation 


BERXAYS  :  DAS  GROSSHERZOGTHUM  FRANKFURT.        185 

sans  caractère  politique  ni  religieux.  Le  professeur  d'Iéna  proteste  avec 
chaleur  contre  les  polémistes  qui  n'ont  pas  assez  d'injures  pour  les 
écrivains  de  l'école  à  laquelle  il  appartient,  «  l'école  historique  libérale.  » 
Les  opinions  qu'il  défend  ne  sont  point  «  tm  tissti  de  fables  ridicules.  » 
Le  temps  jugera  laquelle  des  deux  méthodes  vaut  le  mieux  pour  con- 
server l'unité  germanique  qui  n'est  encore  qu'ébauchée. 

Il  y  a  dans  les  deux  ouvrages  des  erreurs  de  détail  et  des  omissions 
assez  graves.  M.  de  Treitschke  ne  connaît  qu'un  seul  étudiant  prus- 
sien qui  ait  fait  partie  de  la  première  association  d'Iéna.  Il  aurait  dû 
consulter  les  pièces  conservées  à  léna.  Il  aurait  retrouvé  parmi  les 
noms  de  ceux  qui  ont  rédigé  ces  statuts,  ou  dirigé  la  société  au 
début,  les  noms  de  Berlinois,  comme  Rodolphe  de  Wulkewiz,  et  de 
Brandebourgeois,  comme  Wilhelm  ToU.  D'autre  part,  M.  Keil  parle 
bien  superhciellement  des  effets  de  la  domination  française  en  Alle- 
magne. Presque  rien  sur  les  remaniements  territoriaux  qui  ont  tant 
contribué  à  l'unification  postérieure  de  l'Allemagne.  Il  y  a  du  moins 
dans  son  livre,  fait  d'après  les  textes  originaux,  les  registres  des  associa- 
tions, des  renseignements  très  intéressants  :  particulièrement  sur  la 
lutte  des  vieilles  corporations  d'étudiants  attachés  à  l'ancien  régime 
(Landsmannschaften)  avec  la  nouvelle  société  libérale  (Burschenschaft). 
Enfin,  ce  livre  est,  comme  l'auteur  nous  le  dit  lui-même,  une  de  ces 
œuvres  que  produit  heureusement  l'école  historique  libérale  pour  nous 
aider  à  corriger  les  erreurs  plus  ou  moins  volontaires  de  l'école  histo- 
rique officielle. 

Emile  Bourgeois. 


Schicksale  des  Grossherzogthums  Frankfurt  und  seiner  Trup- 

pen,  von  Guillaume  Berivays.  —  Berlin,  E.  S.  Millier  und  Sohn, 

499  p.  in-80,  1882. 

M.  Bernays,  l'avocat  belge  dont  la  mort  tragique  a  fait  tant  de  bruit 
récemment,  avait  écrit  en  allemand  un  ouvrage  que  vient  de  publier  le 
baron  d'Ardenne.  Malgré  son  titre  qui  semble  promettre  aussi  bien  une 
étude  administrative  et  politique  que  militaire,  ce  livre  n'est  à  propre- 
ment parler  qu'une  monographie  des  contingents  fournis  à  l'armée 
d'Espagne  ou  à  la  grande  armée  de  1812  par  le  grand-duché  de  Franc- 
fort. 

Les  renseignements  ont  été  puisés  aux  bonnes  sources,  et  l'auteur  a 
heureusement  combiné  les  documents  officiels  déjà  connus  avec  les 
papiers  des  chefs  de  corps  et  les  relations  écrites  par  des  officiers.  Le 
contingent  fourni  par  le  grand -duc  de  Francfort,  Dalberg,  prince 
primat  de  la  Confédération  du  Rhin ,  a  pris  part  à  la  guerre  d'Espagne 
de  1808  à  la  fin  et  a  déserté  lorsque  l'armée  est  entrée  en  France.  Une 
autre  section,  envoyée  en  Russie  sur  la  fin  de  la  campagne,  a  été  désor- 
ganisée par  le  froid  presque  sans  avoir  vu  l'ennemi.  Ses  débris  ont  con- 
tribué à  former  la  sarnison  de  Dantzic;. 


J86  COMPTES-RENDCS   CRITIQUES. 

Il  y  a  certainement  dans  ce  travail  des  parties,  sinon  nouvelles,  du 
moins  intéressantes.  Les  récits  des  batailles  de  Medelin,  de  Sala- 
manque  et  de  Vittoria  sont  heureusement  tracés.  La  longue  marche  de 
la  division  princière  le  long  des  côtes  de  la  Baltique  suscite  de  curieuses 
réflexions  sur  le  patriotisme  des  Francfortois  et  de  leurs  officiers.  Mais 
on  ne  peut  s'empêcher  de  trouver  à  la  longue  bien  monotones  ces  pages 
compactes,  sans  jours  typographiques,  ces  longs  chapitres  sans  points 

de  repos. 

Ce  tableau  de  la  vie  militaire  montre  bien  quelles  ont  été  les  condi- 
tions matérielles  de  l'organisation,  les  pertes  et  les  succès  des  contin- 
gents francfortois.  Mais  il  est  curieux  de  constater  à  quel  point  il 
ressemble  aux  autres  essais  du  même  genre  que  nous  ont  laissés  les 
officiers  français  qui  ont  pris  part  aux  mêmes  faits  de  guerre.  Si  l'on 
supprime  les  réflexions  plus  ou  moins  hostiles  à  la  France  qui  sont  du 
crû  de  l'auteur,  on  constate  qu'officiers  supérieurs  ou  subalternes  ne 
parlent  guère  que  du  côté  matériel  de  leur  existence  :  avancement, 
revues,  gîtes  d'étape,  toutes  les  misères  du  métier,  tel  est  le  fonds 
principal  de  leurs  mémoires  ou  de  leur  correspondance.  On  peut  dire 
sans  trop  de  sévérité  qu'il  est  excessif  de  consacrer  470  pages  à  un  sujet 
aussi  mince.  L-  B. 


Andrei  Vizaxti.  Veniamin  Costache  mitropolit  Moldovei  si 
Sucevei,  epoca,  viata  si  operile  sale.  Un  vol.  de  iCt't  pages. 
Jassy,  '1881. 

M.  André  Vizanti,  professeur  de  littérature  roumaine  à  l'Université  de 
Jassy,  vient  de  faire  paraître  une  biographie  très  intéressante  sur  l'un  des 
promoteurs  de  la  régénération  du  peuple  roumain,  le  métropolitain  de 
Moldavie,  Benjamin  Costaki.  Pour  faireapprécier  tous lesméritesdu  véné- 
rable prélat,  il  nous  faudrait  reproduire  le  tableau  désolant  que  l'auteur 
esquisse  des  derniers  temps  du  régime  fanariote.  Il  ne  fallait  pas  peu 
de  courage  pour  entreprendre  de  protéger  la  littérature  roumaine  et 
surtout  pour  essayer  de  fonder  des  écoles  roumaines  dans  un  temps  où 
l'idiome  national  était  considéré  comme  un  dialecte  barbare,  bon  tout 
au  plus  pour  conduire  les  bœufs  ou  prononcer  des  injures,  quand  tout 
homme,  qui  se  prétendait  civilisé,  devait  connaître  le  grec,  sinon  celui 
d'Homère,  au  moins  celui  des  Palikares.  Le  métropolitain  Costaki 
entreprit  dans  des  temps  si  difficiles  la  création  d'un  séminaire  destiné 
à  des  prêtres  roumains  (1803),  la  fondation  d'une  école  d'arpentage 
nécessaire  pour  produire  des  ingénieurs  qui  connussent  la  langue  rou- 
maine, pour  pouvoir  délimiter  les  nombreuses  terres  en  litige,  d'après 
la  teneur  des  anciens  documents  (1813).  Ce  qui  fut  pourtant  plus 
remarquable,  c'est  l'initiative  que  ce  Mécène  roumain  prit  d'intro- 
duire dans  l'écriture  les  lettres  latines  à  la  place  des  lettres  slaves 
qui  avaient  servi  jusqu'alors,   et  enfin  ses  efforts   pour   la   création 


RE1CHE\SPERGER    :    ERLEBNISSE.  ^S7 

d'un  théâtre  roumain.  Le  premier  essai  de  représentation  dramatique 
se  fit  à  Jassy,  dans  la  maison  du  boyard  C.  Ghyca  (en  l'année  1813), 
où  l'on  représenta  d'abord  des  pièces  françaises ,  ensuite  une  pièce 
roumaine  :  La  Bergère  des  Garpalhes^  composée  pour  l'occasion  par 
Georges  Asaky,  l'ami  et  l'émule  du  métropolitain  dans  l'œuvre  de 
régénération  de  leur  peuple.  Quoique  les  canons  de  l'église  orthodoxe 
interdisent  à  un  moine,  comme  l'était  nécessairement  le  métropolitain, 
d'assister  aux  spectacles,  ce  grand  esprit,  connaissant  la  profonde  influence 
de  la  scène  sur  la  civilisation  d'un  peuple ,  non  seulement  soutint 
l'entreprise  de  toutes  ses  forces,  mais  assista  même  dans  une  chambre 
latérale  à  la  représentation  de  la  pièce  roumaine.  Toujours  d'après 
son  insistance  et  en  partie  à  ses  frais  fut  fondé  le  premier  recueil 
périodique  de  la  Moldavie,  V Abeille,  en  1829. 

Son  action  politique  fut  tout  aussi  importante,  quoique  plus  cachée. 
Il  poussa  les  boyards  à  protester  contre  le  rapt  de  la  Bessarabie  en  1812, 
porta  des  plaintes  très  amères  contre  les  ravages  que  les  Russes  com- 
mirent dans  le  pays  en  1787  et  fut  destitué  par  les  Russes  pendant 
l'occupation  des  principautés  par  leurs  armées.  Il  revint  au  trône 
archiépiscopal  en  1812  et  le  garda  jusqu'en  1842,  quand  son  opposition 
manifeste  aux  abus  du  prince  Stourza  le  renversa  de  nouveau  et  le  fit 
interner  dans  un  couvent  des  montagnes,  où  il  finit  ses  jours  (1846), 
sans  cesser  de  travailler  à  cultiver  son  peuple  par  sa  parole  et  ses  écrits. 

M.  Vizanti,  qui  a  consulté,  pour  rédiger  son  ouvrage,  un  nombre 
considérable  d'écrits,  tant  roumains  qu'étrangers,  a  rendu  un  véritable 
service  à  l'histoire  des  Roumains,  en  mettant  dans  une  pleine  lumière 
une  vie  aussi  bien  remplie  que  celle  de  ce  noble,  pieux  et  patriote  prélat. 

A.-D.  X. 


Peter  Reichensperger.  Erlebnisse  eines  alten  Parlementarien  im 

Revolutionsjahre  1848.  —  Berlin,  Springer,  ^882. 

L'auteur  de  cet  ouvrage  est  vraiment,  comme  il  le  dit,  un  vétéran 
des  assemblées  prussiennes.  Catholique  fervent,  magistrat  à  la  cour  de 
Goblentz,  il  n'a  cessé,  depuis  1847,  d'être  le  représentant  des  popula- 
tions catholiques  du  Rhin,  et  il  occupe  encore  aujourd'hui  un  siège 
du  centre  à  la  Ghambre  des  députés  de  Prusse  et  au  Reichstag  alle- 
mand. 

En  1848,  il  faisait  partie  du  centre  droit  qui  n'avait  pas  encore 
adopté  un  programme  surtout  ultramontain  ;  invité  par  les  organisa- 
teurs du  Parlement  préparatoire  de  Francfort  à  prendre  part  à  leurs 
travaux,  il  échoua  aux  élections  comme  candidat  au  Parlement  germa- 
nique, mais  il  fut  élu  à  l'Assemblée  nationale  de  Berlin. 

Son  rôle  y  fut  important  ;  il  présida  le  groupe  dont  il  faisait  partie, 
et,  dans  ces  journées  troublées,  eut  plus  d'une  fois  des  risques  person- 
nels à  courir  en  quittant  l'Académie  de  musique  où  se  tenaient  les 


ISS  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

séances  publiques.  Plusieurs  pages  de  son  livre  décrivent  d'une  manière 
saisissante  l'aspect  du  forum  berlinois  de  cette  époque,  «  le  bois  des 
Châtaignes,  »  qu'il  fallait  traverser  pour  se  rendre  à  l'assemblée. 

Quant  aux.  opinions  politiques  de  l'auteur,  aux  explications  qu'il 
présente  de  diverses  résolutions  prises,  soit  par  l'assemblée,  soit  par  le 
gouvernement,  l'autorité  dont  jouissait  alors  M.  R.  leur  donne  une 
grande  valeur  historique.  La  ténacité  avec  laquelle  son  groupe  sut 
défendie  ses  positions,  malgré  les  défaillances  quotidiennes  du  centre 
gauche,  fait  comprendre  la  politique  ferme  et  habile  du  gouvernement 
prussien  d'alors,  qui  avait  ainsi  un  point  d'appui  dans  cette  minorité 
respectable.  On  comparera  avec  fruit  les  dépositions  de  M.  R.  avec 
l'ouvrage  du  député  von  Unruh,  Esquisses  de  P Histoire  prussienne  con" 
Icmforaine,  qui  joua  un  rôle  très  important  et  fut  président  du  «  Par- 
lement Croupion  »  après  la  prorogation  de  l'Assemblée  nationale. 

L.  B. 


Oliver  Cromwell  ;  the  man  and  his  mission,  J.  AUansoil  PiCTON  \ 
with  Steel  portrait.  Cassell,  Pelter,  Galpin  and  C°.  Londres,  Paris 
et  New- York,  ^S82,  xi-oJ6  p.  in-8». 

Cette  biographie  se  présente  d'un  air  très  modeste.  Dans  la  préface, 
l'auteur  explique  qu'il  n'a  pas  la  prétention  d'avoir  fait  des  recherches 
originales.  Il  s'en  tient  au  livre  célèbre  de  Carlyle,  auquel  il  emprunte 
les  faits.  Dans  certains  cas  seulement,  MM.  J.  Bruce,  J.  Forster,  J.  L. 
Sanford,  S.  R.  Gardiner  lui  ont  fourni  de  nouveaux  matériaux.  On  ne 
doit  cependant  pas  avoir  une  médiocre  opinion  du  travail  de  M.  Picton. 
Parmi  toutes  les  biographies  proprement  dites  de  Cromwell,  aucune,  si 
je  ne  me  trompe,  n'égale  la  sienne.  Chacun  des  chapitres  montre  que 
l'auteur  a  très  profondément  étudié  les  sources,  comme  les  ouvrages 
anglais  modernes  ;  à  ce  double  point  de  vue,  la  bibliothèque  du  Musée 
britannique  lui  a  rendu  d'éminents  services.  On  remarque  par  exemple 
avec  quel  soin  il  a  dépouillé  la  collection  qui  s'y  trouve  conservée  de 
gazettes  et  de  pamphlets  appartenant  à  l'époque  de  la  Révolution 
d'Angleterre  et  connus  sous  le  nom  de  «  King's  Pamphlets  .»  Je  men- 
tionnerai cependant  un  pamphlet  intéressant  qui  semble  lui  avoir 
échappé  :  E  658.  Cf.  ma  biographie  de  Milton  (Leipzig,  1879,  liv.  III, 
p.  271).  Ces  sources,  l'auteur  les  utilise  d'après  les  règles  d'une  saine 
critique;  peut-être  accorde-t-il  çà  et  là  trop  de  confiance  à  la  compila- 
tion suspecte  qui  porte  le  titre  de  Mémoires  de  Whitelocke. 

Quant  à  ce  qui  concerne  la  composition  générale  du  livre,  nous  pou- 
vons déclarer  que  nous  sommes  d'accord  avec  lui  sur  les  points  essen- 
tiels. L'auteur  n'hésite  pas  à  caractériser  Cromwell  comme  «  the  most 
Imman-hearted  sovereign  and  most  impérial  man  in  ail  our  annals, 
since  king  Alfred's  days  ;  »  mais  il  est  loin  de  le  tenir  pour  impeccable 
et  pour  incapable  de  faiblesses.  Il  a  fort  bien  expliqué  que  Cromwell, 


PICTON    :    OLIVER   CROMWELL.  fS9 

comme  un  homme  d'État  qui  ne  ferme  pas  les  yeux  devant  les  faits, 
n'était  pas  habitué  à  mesurer  les  choses  d'après  une  théorie  politique 
déterminée.  Ce  n'était  rien  moins  qu'un  républicain.  «  Charles  I'^'',  dit 
M.  Pictou,  représentait  une  réaction  contre  le  progrès  constant  du 
Selfgovernment.  Gromwell,  au  contraire,  représentait  une  révolution  où 
les  meilleures  forces  de  la  nation  étaient  engagées  pour  assurer  à  tout 
prix,  au  prix  même  d'une  dictature  temporaire,  la  victoire  sur  cette 
réaction.  »  Avec  une  grande  éloquence,  M.  Picton  expose  en  combien 
de  choses  cette  dictature  devançait  l'esprit  du  temps  ;  de  là  précisément 
pour  le  Protecteur  la  nécessité  de  recourir  à  des  moyens  violents. 
L'enseignement  qui  ressort  de  l'histoire  de  cette  vie  grandiose  ne  peut 
être  douteux  ;  l'auteur  l'exprime  en  ces  termes  :  «  Ce  n'est  pas  assez  que 
par  la  force  des  circonstances  un  peuple  s'attache  à  l'homme  le  plus 
capable  et  en  fasse  un  despote  bienfaisant.  Dès  qu'il  cesse  d'être  l'exé- 
cuteur de  la  volonté  du  peuple  et  qu'il  lui  impose  la  sienne  propre,  la 
marche  en  avant  du  peuple  est  arrêtée  ;  dès  lors,  pour  lui  l'ordre  et  la 
prospérité  dépendent,  non  de  sa  propre  sagesse  et  de  son  propre  contrôle, 
non  du  caractère  permanent  de  la  nation,  mais  d'une  force  accidentelle 
dont  la  durée  est  incertaine  et  nécessairement  courte.  » 

M.  Picton  aime  à  interrompre  son  récit  par  de  semblables  considéra- 
tions générales  qui  abordent  çà  et  là  le  terrain  de  la  politique  du  temps 
présent.  On  ne  peut  trouver  de  contraste  plus  grand  qu'entre  cette 
manière  et  la  manière  calme,  exempte  de  toute  allusion,  de  Ranke,  qui, 
dans  son  portrait  de  Gromwell,  révèle  toute  la  supériorité  du  maître.  Je 
ne  sais  si  M.  Picton  a  étudié  avec  le  soin  qu'elles  méritent  l'histoire 
d'Angleterre  de  Ranke  et  celle  de  la  Révolution  et  de  la  République 
d'Angleterre  par  Guizot  ;  en  tout  cas,  ces  deux  ouvrages  lui  auraient  fourni 
les  moyens  d'améliorer  et  de  compléter  ce  qu'il  dit  de  la  politique  exté- 
rieure du  Protecteur  et  de  ses  rapports  avec  les  grandes  puissances  de 
l'Europe.  On  ne  comprend  pas  pourquoi,  p.  409,  M.  de  Bordeaux  qui,  en 
déc.  1652,  fut  envoyé  par  Mazarin  en  Angleterre,  est  appelé  «  duke  of 
Bordeaux,  »  et  l'époque  de  son  voyage  renvoyée  en  déc.  1653  (cL 
Guizot,  Hist.  de  la  Rép.  d'Anglet.,  Bruxelles,  1854,  II,  220).  On  voudrait 
aussi  trouver  une  plus  juste  appréciation  de  la  paix  de  Pignerol;  elle 
n'est  en  aucune  façon  une  preuve  de  la  générosité  du  duc  de  Savoie 
envers  ses  sujets  vaudois  ;  un  diplomate  suisse  trouva  des  raisons  pour 
l'appeler  «  une  honte  pour  tous  les  protestants  d'Europe.  »  (Cf.  Hist. 
Zeitschrift,  1878,  nouv.  série,  IV,  89  :  «  Olivier  Gromwell  et  les  cantons 
évangéliques  de  la  Suisse  ».)  Il  est  regrettable  que  M.  Picton  n'ait  pu 
mettre  à  profit  les  plus  récentes  publications  de  la  Gamden  Society  ; 
elles  contiennent  une  lettre  du  comte  de  Manchester,  publiée  par 
M.  S.  R.  Gardiner;  elle  est  très  importante  pour  un  biographe  de 
Gromwell,  car  elle  explique  les  vrais  motifs  du  conflit  qui  éclata  entre 
ces  deux  personnages. 

Alfred  Stern. 


190  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

Christophori  Varsevicii  opuscula  inedita,  ad  illustres  virosepis- 
tolae,  cgeleraque  documenta  vitam  ac  res  gesta  ipsius  illustrantia... 
edldit  Th.  Wierzbowski.  Varsoviœ,  typis  J.  Bergeri,  un  vol.  in-8° 
de  III-278  p. 

Le  nom  de  Varsevicius  est  certainement  inconnu  de  la  plupart  de  nos 
lecteurs.  C'est  la  traduction  latine  d'une  forme  polonaise  Warszewicki. 
Christophe  Warszewicki  (1524-1603)  était  un  chanoine  de  Cracovie  qui 
fut  secrétaire  du  roi  Etienne  Bathory  et  chargé  par  lui  d'une  mission 
diplomatique  en  Suède.  Orateur  habile,  publiciste  distingué,  c'est  l'un 
des  représentants  les  plus  éloquents  des  idées  monarchiques  du  xvi^  siècle. 
Son  idéal,  c'est  la  monarchie  absolue  de  Philippe  II,  et  vraiment,  quand 
on  songe  aux  misères  où.  l'anarchie  a  conduit  la  Pologne,  on  se  prend 
à  regretter  que  ses  théories  n'aient  pas  prévalu.  Si  l'Espagne  était  trop 
loin  pour  avoir  une  influence  directe  sur  la  Pologne,  la  dynastie  autri- 
chienne représentait  également  les  doctrines  absolutistes.  Warszewicki 
se  tournait  vers  elle  et  lui  demandait  d'occuper  son  pays  pour  y  établir 
le  principe  d'autorité.  Il  eût  volontiers  retourné  le  mot  célèbre  :  Malo 
tutum  servitium  quam  periculosam  libertatem.  Ses  ouvrages  presque 
tous  en  latin  sont  fort  nombreux;  ils  ont  surtout  pour  objet  des  ques- 
tions politiques.  Un  critique  distingué,  M.  Stanislas  Tarnowski,  a  donné 
une  étude  détaillée  sur  ce  curieux  personnage  dans  les  mémoires  de 
l'Académie  de  Cracovie  (année  1874,  tome  I*""). 

M.  Théodore  Wierzbowski  se  propose  de  publier  prochainement  une 
monographie  plus  complète.  En  attendant,  il  nous  présente  les  premiers 
résultats  de  ses  recherches  dans  les  bibliothècjues  de  Pologne,  d'Au- 
triche et  d'Italie.  Il  a  découvert  des  opuscules  inédits  ou  oubliés  de 
Varsevicius,  des  lettres  en  polonais,  en  latin,  en  italien.  Il  a  établi 
une  bibliographie  compendieuse  de  ses  publications.  Elle  contient  des 
pièces  intéressantes  pour  nous  (par  exemple  deux  discours  adressés  en 
1574  et  1575  à  Henri  de  Valois,  —  l'un  d'entre  eux  a  été  imprimé  à 
Paris,  chez  Robert  Etiennel. 

Les  opuscules  inédits,  tous  en  latin,  comprennent  un  certain  nombre 
de  discours  ou  de  brochures  politiques  dont  la  plupart  ont  pour  but  de 
soutenir  l'élection  de  Maximilien  d'Autriche  au  trône  de  Pologne,  élec- 
tion qui,  comme  on  sait,  n'aboutit  pas.  C'est  la  même  thèse  qui  est 
soutenue  dans  un  curieux  dialogue  entre  un  Polonais  et  un  Tchèque 
(Lechitae  ac  Bohemi  colloquium).  Le  Tchèque  y  fait  un  éloge  enthou- 
siaste de  la  maison  d'Autriche  ;  il  l'appelle  :  «  lumen  Europee,  nidum  vir- 
tutis,  honestatis  omnis  officinam,  quae  tôt  tamque  prseclarorum  rerum 
omnique  œternitate  dignissimarura  referta  monumentis  est,  ut  nesciam 
ecqua  ejus  similis  alla  possit  familia  inveniri.  «Mais,  réplique  le  Polo- 
nais, tes  compatriotes  ont  été  réduits  en  servitude  par  les  Autrichiens. 
«  Mi  frater,  noli  servitutem  nostram  miserari  !  Incertum  est  utrum,  si 
optionem  mihi  quis  daret,  meam  hanc  servitutem  cum  libertate  tua 
essem  permutaturus.  »  Le  Bohème  de  notre  auteur  est  évidemment  un 


WIERZBOWSKI    :    CHRISTOPHORI    VARSEVICU    OPUSCULA    IXEDITA.         i  9 1 

personnage  de  paille,  un  témoin  de  complaisance.  La  défenestration  de 
Prague  devait,  quelques  années  plus  tard,  donner  à  ces  déclarations 
optimistes  un  sanglant  démenti.  En  revanche  Warszewicki  met  dans  la 
bouche  de  cet  interlocuteur  quelques-unes  des  vérités  sévères  qu'il  ne 
veut  pas  dire  lui-même  à  ses  compatriotes  :  «  Vous  autres,  Polonais, 
lui  fait-il  dire,  vous  êtes  de  ces  gens  qui  ne  devenez  sages  qu'après  le 
dommage  (ceci  est  un  proverbe  polonais),  vous  ne  mettez  votre  manteau 
que  lorsque  la  pluie  vous  a  mouillés,  vous  ne  fermez  la  porte  de  l'écurie 
que  lorsqu'on  a  volé  les  chevaux.  » 

Parmi  les  lettres  inédites,  les  plus  importantes  sont  celles  que  Warsze- 
wicki adresse  à  l'empereur  Rodolphe  au  sujet  de  l'élection  de  Maximi- 
lien  d'Autriche  au  trône  de  Pologne.  Il  semble  résulter  d'une  de  ces 
lettres  que  le  dévouement  de  l'auteur  aux  Habsbourg  n'était  pas  abso- 
lument désintéressé.  Il  parle  des  frais  considérables  que  doit  entraîner 
l'élection  et  réclame  le  paiement  de  la  pension  que  l'empereur  lui  a  pro- 
mise. Le  système  électif,  si  cher  aux  Polonais,  entraînait  malheureuse- 
ment avec  lui  une  vénalité  à  laquelle  les  patriotes  les  plus  intègres 
pouvaient  aisément  céder,  convaincus  à  tort  ou  à  raison  que  leurs  inté- 
rêts se  confondaient  avec  ceux  du  pays.  Du  reste,  ce  n'est  pas  seulement 
aux  princes  autrichiens  que  Warszewicki  demande  des  subsides  ;  il 
s'adresse  aussi  à  la  ville  de  Danzig  qui  lui  accorde  libéralement  cent 
écus  d'or. 

Il  faut  remercier  et  louer  M.  Wierzbowski  de  la  patience  avec  laquelle 
il  a  recueilli  et  édité  ces  documents.  Je  disais  dernièrement  ici  même 
que  la  vie  du  cardinal  Hosius  fournirait  le  sujet  d'une  excellente  thèse 
de  doctorat  ;  je  ferai  la  même  observation  pour  Varsevicius.  Parmi 
tous  les  Polonais  qui  ont  fait  leurs  études  chez  nous  et  qui  enseignent 
dans  nos  lycées,  ne  s'en  trouvera-t-il  pas  un  pour  nous  faire  un  bon 
livre  en  français  sur  tant  d'épisodes  ou  d'hommes  intéressants  de  l'his- 
toire nationale  ?  Étudier  le  passé  d'un  pays  même  dans  ses  fautes  ou 
dans  ses  erreurs,  c'est  encore  un  moyen  de  travailler  à  son  avenir. 

L.  Léger. 


^1)2  RECUEILS  Pe'rIODIQUES. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


1.  —  Revue  des  questions  historiques.  1884.  l^r  avril.  —  Paul 
Allard.  Prudence  historien  (biographie  de  Prudence  telle  qu'on  peut 
la  retrouver  dans  ses  écrits.  Témoin  important  pour  l'histoire  de  Théo- 
dose le  Grand.  Dans  quelles  circonstances  fut  écrit  le  Contra  Symma- 
chum).  —  Vicomte  G.  de  Brémond    d'Ars.   La   Saint-Barthélémy  et 
l'Espagne,  d'après  la  correspondance  de  Jean  de  Vivonne  de  Saint- 
Gouard  (pense  et  montre,  contrairement  à  l'opinion  de  M.  de  La  Per- 
rière, que  Saint-Gouard  ne  connaissait  nullement  le  prétendu  plan 
arrêté  par  la  cour  d'un  massacre  général  des  Huguenots.  Quand  on  en 
apprit  la  nouvelle  à  Madrid,  notre  ambassadeur  ne  fut  pas  un  des  moins 
surpris.  Raconte,  d'après  les  dépèches  de  Saint-Gouard,  l'action  diplo- 
matique de  celui-ci;  montre  comment,  après  avoir  applaudi  à  la  Saint- 
Barthélémy,  Philippe  II  mit  tout  en  œuvre  pour  empêcher  le  duc 
d'Anjou  d'être  élu  en  Pologne).  —  Prévost.  La  vie  privée  d'un  magis- 
trat au  commencement  du  xviii^  siècle  (analyse  le  registre  des  menues 
dépenses  de  M.  de  Colmoulins,  président  à  mortier  au  parlement  de 
Normandie,  1720-30).  —  Abbé  Allain.  L'œuvre  scolaire  de  la  Révolu- 
tion. L'école  normale  de  l'an  IIL  —  V.  Pierre.  La  persécution  religieuse 
en  Belgique,  après  Fructidor.  —  Le  R.  P.  Ch.  de  Smedt.  Les  révéla- 
tions de  sainte  Thérèse  (un  jésuite,  le  P.  G.  Hahn,  a  pris  la  peine  de 
prouver  que  sainte  Thérèse  était  aifectée  au  plus  haut  degré  de  la  mala- 
die hystérique;  que  ses  visions,  ses  extases,  ou  tout  au  moins  une  partie, 
rentrent  dans  l'ordre  des  faits  pathologiques  et  nullement  surnaturels. 
Le  R.  P.  de  Smedt  admet  entièrement  ces  conclusions.  Il  rend  même 
aux  catholiques  timorés  le  service  de  leur  rappeler  «  que  les  faits  mira- 
culeux qu'ils  doivent  croire  sont  en  très  petit  nombre.  Ils  se  réduisent 
à  ceux  que  J.-C.  et  les  apôtres  ont  présentés  comme  des  preuves  de 
leur  mission  divine,  et  qui  se  trouvent  consignés  comme  tels  dans  les 
saints  livres.  »)  —  P.  Fournier.  Les  institutions  juridiques  de  l'Anjou 
et  du  Maine.  =  Bulletin  bibliographique  :  Noguier.  Inscriptions  de  la 
colonie  romaine  de  Béziers.  2«  édit.  (publie  105  inscr.).  — Roches.  32  ans 
à  travers  l'Islam,  1832-64  (très  curieux).  —  Ross.  The  early  history  of 
landholding  among  the  Germans  (très  savante  étude;  a  le  tort  de  ne 
tenir  aucun  compte  des  renseignements  fournis  par  les  Scandinaves).  — 
Grisar.  Galileistudien  (important;  la  condamnation  prononcée  par  la 
congrégation  de  l'index  est  à  la  fois  doctrinale  et  disciplinaire  ;  mais 
elle  n'a  pas  le  caractère  d'une  sentence  infaillible).  —  Mémoire  pour 
servir  à  la  vie  de  saint  Guiraud,  évêque  de  Béziers  (ce  mémoire  est  du 


RECUEILS    PÉRIODIQUES.  ^93 

xviiie  s.  •  l'éditeur  n'y  a  ajouté  que  des  notes  rares,  insignifiantes  ou 
fausses).  —  Ledru.  Un  procès  du  xvi<^  s.  :  le  seigneur  de  Montsoreau  et 
les  habitants  de  Savigny.  —  Charvériat.  La  bataille  de  Fribourg,  1644 
(excell.  monographie).  — Roy.  Turenne  (intéress.). — Darsy.  Amiens  et  le 
départ,  de  la  Somme  pendant  la  Révolution.  T.  II  (dossier  tout  préparé 
pour  celui  qui  voudra  écrire  l'hist.  de  la  Révol.  dans  ce  départ.).  — 
Saurel.  Hist.  de  .la  ville  de  Malaucène  et  de  son  territoire  (excell.).  — 
L.  de  Piépapc.  Histoire  militaire  du  pays  de  Langres  et  du  Bassigny 
(bon).  —  Abbé  Dumaine.  Tinchebray  et  sa  région  au  bocage  normand 
(bon).  —  Ul.  Chevalier.  Le  dauphin  Humbert  II  et  la  ville  de  Romans 
(bon).  —  Queruau-Lamerie.  Titres  et  documents  concernant  la  comman- 
derie  de  ïhévalles,  de  l'ordre  de  Malte.  —  Merlet.  Bibliothèque  char- 
traine  antérieure  au  xix«  siècle.  —  R.  de  Crèvecœiir.  Saint-John  de 
Crèvecœur,  1735-1813.  —  Brives-Cazes.  De  la  police  des  livres  en 
Guyenne,  1713-1785. 

2.  —  Bibliothèque  de  TÉcole  des  chartes.  T.  XLIV,  1883, 
livr.  5-6.  —  RoGQUAiN.  Philippe  le  Bel  et  la  bulle  Ausculta  fili  (parmi 
les  chroniqueurs  de  la  première  moitié  du  xiv^  s.,  deux  seuls,  sans 
compter  un  fragment  cité  par  Dupuy  sans  indication  de  provenance  : 
Bernard  Gui  et  Villani,  parlent  de  la  mise  au  feu  de  la  bulle  ;  encore 
disent-ils  qu'elle  fut  brûlée  en  présence  du  roi,  peut-être  par  le  comte 
d'Artois,  dans  un  accès  de  colère  ;  mais  aucun  chroniqueur  ne  dit  que 
la  bulle  ait  été  solennellement  brûlée.  Cependant  une  bulle  a  été  détruite 
par  le  feu  ;  mais  c'est  celle  du  16  mars  1301  et  concerne  un  différend  entre 
l'église  et  la  commune  de  Laon.  Il  faut  donc  renoncer  à  croire  que  la 
bulle  Ausculta  fili  ait  été  jamais  brûlée  solennellement,  et  il  est  vrai- 
semblable qu'elle  ne  l'a  jamais  été  d'aucune  façon).  —  N.  Valois.  Le 
conseil  du  roi  et  le  Grand  Conseil  pendant  la  première  année  du  règne 
de  Charles  YIII  ;  fin  du  texte  :  appendice.  —  OxMOnt.  Fragment  d'une 
versio  antiqua  de  l'Apocalypse.  —  Aug.  Molinier.  La  sénéchaussée  de 
Rouergue  en  1341  (publie  une  très  intéressante  liste  des  noms  de  villes, 
villages  et  paroisses,  avec  le  nombre  des  feux  de  chacune  d'elles,  pour 
la  sénéchaussée  de  Rouergue.  Dans  l'étude  qui  précède  ce  document, 
l'auteur,  par  d'ingénieuses  déductions,  arrive  à  constater  qu'en  1341  la 
population  de  la  sénéchaussée  montait  à  un  peu  plus  de  300,000  âmes  ; 
aujourd'hui  elle  est  de  427,511  ;  mais  en  1790  elle  était  sensiblement  la 
même  qu'en  1341.  On  était  arrivé  à  des  résultats  analogues  pour  la  chà- 
tellenie  de  Pontoise.  On  est  donc  fondé  à  conclure  qu'avant  les  guerres 
des  Anglais  la  France  était  à  peu  près  aussi  peuplée  qu'à  la  fin  du  règne 
de  Louis  XVI).  —  Guilhiermoz.  Le  droit  de  renonciation  de  la  femme 
noble,  lors  de  la  dissolution  de  la  communauté,  dans  l'ancienne  cou- 
tume de  Paris.  =  Bibliographie.  Diekamp.  Die  neuere  Literatur  zur 
pœpstlichen  Diplomatik  (bon  résumé).  —  Boretius.  Capitularia  regum 
Francorum,  t.  I^r,  pars  posterior  (la  date  et  l'attribution  de  nombre  de 
capitulaires  restent  encore,  même  après  B.,  bien  incertaines.  Travail 

Rev.    HiSTOR.    XXV.    ler   FASG.  13 


^94  RECUEILS  PERIODIQUES. 

d'ailleurs  fort  considérable).  —  Fr.  Michel.  Le  Prince  noir,  poème 
du  héraut  d'armes  Chandos  (la  partie  la  plus  intéressante  et  la  plus 
originale  est  celle  qui  se  rapporte  à  l'expédition  du  prince  de  Galles 
en  Espagne,  lorsque;  après  Najera,  il  rétablit  don  Pèdre.  Texte  en 
général  bien  établi).  —  R.  de  Lasteyrie.  Inscriptions  de  la  France, 
du  ve  siècle  au  xvni^  siècle;  t.  V  (ce  t.  V  termine  heureusement  le 
grand  ouvrage  de  M.  de  Guilhermy.  Tables  excellentes).  =  Joubert. 
Recherches  épigraphiques  :  le  mausolée  de  Catherine  de  Ghivré.  Les 
Gaultier  de  BruUon  (bon).  —  L.  de  Mas  Latrie.  Les  princes  de  Morée 
et  d'Achaïe,  1203-1461  (très-bon). 

3.  —  Le  Cabinet  historique.  1883,  juillet-oct. — Ul.  Robert.  Recueil 
de  lois,  décrets,  ordonnances,  arrêtés,  circulaires,  etc.,  concernant  les 
bibliothèques  publiques,  communales,  universitaires,  scolaires  et  popu- 
laires. —  Frizon.  Catalogue  des  incunables  de  la  bibliothèque  publique 
de  Verdun,  1466-1500;  fin. 

4.  —  Revue  archéologique.  3«  série,  l''^  année.  1883,  déc.  — 
B.  AuBÉ.  Essai  d'interprétation  d'un  fragment  du  Carmen  apologeticwn 
de  Commodien  ;  suite  et  fin  (le  Néron  persécuteur  des  chrétiens  pendant 
trois  ans  et  demi  ne  peut  être,  dans  la  pensée  de  l'auteur  du  Carmen., 
que  l'empereur  Valérieu  ;  les  faits  qu'il  a  l'air  de  prédire,  il  les  raconte 
en  témoin  oculaire.  Le  Carmen  a  donc  été  écrit  en  260,  avant  même 
que  Gallien  eût  rendu  la  paix  à  l'Église).—  Carapanos.  Inscr.  de  l'oracle 
de  Dodone,  et  pierre  gravée  (représentant  César  recevant  la  tête  de 
Pompée).  =  1884,  janv.  Miïntz.  Notes  sur  les  mosaïques  chrétiennes 
de  l'Italie  ;  suite  :  le  triclinium  du  Latran.  Charlemagne  et  Léon  III. 
—  Dr.  Vergoutre.  Sur  la  céramique  romaine  de  Sousse.  — Bapst.  L'or- 
fèvrerie d'étain  dans  l'antiquité  ;  suite.  :=  Février.  Revillout.  L'étalon 
d'argent  en  Egypte.  —  Diehl.  Découverte  à  Rome  de  la  maison  des 
Vestales.  —  Lebègue.  L'Inopus  (une  inscription  découverte  par  M.  Rei- 
nach  fixe  la  place  du  «  fleuve  »  de  Délos,  qui  serpente  au  pied  de  la 
caverne  du  Gynthe).  —  Bapst.  L'orfèvrerie  d'étain  dans  l'antiquité.  — 
Al.  Bertrand.  L'amentum  et  la  Cateia  sur  une  plaque  de  ceinture  en 
bronze,  du  cimetière  gaulois  de  Watsch,  Garniole.  —  IIeuzey.  Un  nou- 
veau roi  de  Tello. 

5.  — Revue  critique.  1883.  N»  51.  —  Madvig  et  Ussing.  T.  Livii  his- 
toriarum  romauarum  libri  (jui  supersunt.  Vol.  II  (seconde  édition  des 
livres  26  à  30  ;  texte  modifié  d'après  les  résultats  obtenus  par  Luchs).  — 
Rœhricht.  Testimonia  minora  de  Quinto  bello  sacro  (volume  qui  con- 
tient les  extraits  de  246  auteurs  ;  plusieurs  fort  peu  utiles  pour  l'histoire 
de  la  Croisade.  —  M.  Riant  a  protesté  contre  cette  appréciation  dans  le 
n°  13  de  1884).  —  Miclielant  et  Raynaud.  Itinéraires  à  Jérusalem  et  des- 
cription de  la  terre  sainte  rédigés  en  français  aux  xi«,  xn^  etxia«  siècles 
(contient  14  textes  ou  fragments  fort  bien  publiés).  =  N°  52.  Fontaine. 
L'armée  romaine  (bon  petit  livre  de  vulgarisation).  —  Henry.  Corresp. 


RECUEILS    PERIODIQUES.  495 

inéd.  de  Condorcet  etdeTurgot,  1770-79.  =  1884.  Zotenberg.  Chron.  de 
Jean,  év.  de  Nikion  ;  texte  et  trad.  (cette  chron.,  écrite  à  la  fin  du  vn^  s. 
de  notre  ère,  raconte  les  événements  accomplis  depuis  l'origine  des 
temps  jusqu'à  la  fin  de  la  conquête  de  l'Egypte  par  les  monuments.  Texte 
établi  avec  beaucoup  de  sagacité  et  un  grand  labeur).  —  Mommsen.  Cor- 
pus inscriptionura  latinarum;  t.  IX.—  Basset.  Relation  de  Sidi  Brahim 
de  Massât  (ce  texte,  qui  date  de  1854,  contient  des  détails  curieux  sur 
les  populations  de  l'Oued'  Sous;  traduction  soignée,  accompagnée 
d'excellentes  notes  philologiques,  historiques  et  géographiques).  =:N°2. 
Riess.  Nochmals  das  Geburtsjahr  Ghristi  (l'auteur  s'est  encore  une  fois 
trompé).  —  Bolin.  Ueber  die  Heimat  der  Praetorianer  (bonne  histoire 
des  Prétoriens  ;  la  Gaule  n'en  fournit  presque  pas,  parce  que,  pour  être 
prétorien,  il  fallait  être  citoyen  romain,  et  qu'il  n'y  avait  en  Gaule, 
avant  198,  que  quelques  colonies  romaines).  — SeeUnder.  Graf  Secken- 
dorff  und  die  Publicistik  zum  Friedenvon  Fiissenvon  1745  (très  soigné 
et  très  complet).  =  N°  3.  Hartmann.  Der  rœmische  Kalender  (très  clair, 
très  précis  ;  beaucoup  d'hypothèses,  dont  quelques-unes  seulement  sont 
admissibles).  =  N"  6.  Beaudouin.  Étude  sur  le  Jus  itahcum  (la  plus 
com_plète  étude  qui  ait  paru  en  France  sur  ce  sujet).  —  Maillij.  Hist.  de 
l'Académie  impériale  et  royale  des  sciences  et  belles-lettres  de  Bruxelles. 
=  No  7.  Deeke.  Die  Bleitafel  von  Magliano  (l'auteur  est  convaincu  que 
l'inscription  étrusque  de  cette  tablette  appartient  au  système  des  langues 
aryennes.  C'est  une  grosse  illusion).  —  Pauli.  Altitalische  Studien 
(M.  Pauli  croit,  lui  aussi,  que  l'étrusque  est  une  langue  indo-européenne, 
qui  se  rapproche  du  groupe  slave  ou  lithuanien.  Hypothèse  toute  gra- 
tuite). —  Bugge.  Etruskische  Forschungen  und  Studien  (très  intéres- 
sant et  très  sûr).  =  N"  8.  Bertrand.  Cours  d'archéologie  nationale.  La 
Gaule  avant  les  Gaulois  (le  critique,  M.  d'A.  de  J.,  expose  ses  idées  sur 
les  caractères  dictinctifs  de  la  race  celtique  et  sur  sa  division  en  deux 
grands  groupes  :  celui  d'Irlande  et  de  Grande-Bretagne,  et  celui  de 
Gaule).  —  Schweizer-Sidler.  Corn.  Tacite  Germania  {i"  édition,  excel- 
lente). —  Schlumberger.  Documents  pour  servir  à  l'histoire  des  thèmes 
byzantins  (décrit  des  sceaux  en  plomb  d'évéques  et  de  fonctionnaires 
militaires  ou  civils  des  provinces  d'Asie).  —  Id.  Sigillographie  byzan- 
tine des  ducs  et  capétans  d'Antioche,  des  patriarches  d'Antioche,  des 
ducs  et  capétans  de  Chypre.  ~~  B.  de  Maulde.  Jeanne  de  France,  duchesse 
d'Orléans  et  de  Berry  (contient  beaucoup  d'informations  précieuses  sur 
la  fin  du  x^e  g.).  =  No  iq.  Sweder.  Beitraege  zur  Kritik  der  Ghorogra- 
phie  des  Augustus.  3'=  part,  (l'auteur  suppose  l'existence  d'une  chroro- 
graphie  romaine,  anonyme  et  officieuse,  où  auraient  puisé  Pline  et 
P.  Mêla.  Hypothèse  gratuite  et  inutile).  —  Kervxjn  de  Lettenhove.  Les 
Huguenots  et  les  Gueux;  t.  I<"'  (important  comme  recherches;  écrit 
dans  un  esprit  très  hostile  à  la  Réforme).  —  Variétés  :  Lettres  inédites 
de  Lanthenas  et  de  Roland,  1792.  =  N°  11.  Basset.  Étude  sur  l'histoire 
d'Ethiopie  (texte  et  traduction  d'une  compilation  rédigée  sous  le  règne 


^9B  RECUEILS   PÉRIODIQUES. 

d'Iason  II,  1729-53,  mais  qui  renferme  des  fragments  d'une  époque 
antérieure).  =  N"  12.  T.  de  Larroque.  Voyage  à  Jérusalem  du  seigneur 
de  Montaut,  1490-91.  =  N°  13.  Dachcrt.  Sénèque  et  la  mort  d'Agrip- 
pine  (soutient  que  c'est  Agrippine  qui  a  voulu  tuer  Néron,  et  qui  s'est 
suicidée  après  avoir  manqué  son  coup.  Peu  vraisemblable). 

6.  —  Bulletin  critique.  1884,  15  février.  —  Marucchi.  Descrizione 
del  foro  romano  e  guida  per  la  visita  dei  suoi  monumenti  (très  bon 
guide).  —  Gagnât.  Explorations  épigraphiques  et  archéologiques  en 
Tunisie  (textes  bien  établis,  dont  plusieurs  importants).  —  Nicolas. 
Les  budgets  de  la  France  depuis  le  commencement  du  xix«  siècle 
(travail  consciencieux,  contenant  26  tableaux  budgétaires,  depuis  celui 
de  l'an  IX).  =  \^^  mars.  Variétés  :  Duchesne.  Un  nouveau  père  aposto- 
lique (analyse  un  texte  ecclésiastique,  fort  important  pour  la  liturgie 
antique  et  l'organisation  des  églises  du  premier  âge,  que  vient  de  publier 
le  métropolite  de  Nicomédie,  M.  Phil.  Bryenne  :  c'est  la  AiSaxT)  twv 
oiTcodTÔXwv,  intitulé  :  «  Doctrine  du  seigneur  par  les  douze  apôtres,  aux 
nations).  =  15  mars.  Report  of  the  commissioners  appointed  to  inquire 
into  the  constitution  and  working  of  the  ecclesiastical  courts  (très 
important  ;  contient  une  histoire  des  cours  qui,  jusqu'en  1832,  ont  exercé 
en  Angleterre  la  juridiction  ecclésiastique;  une  liste  des  procès  pour 
hérésie  intentés  en  Angleterre  avant  1533,  etc.  ;  c'est  l'œuvre  très  remar- 
quable de  M.  Stubbs).  —  Vérité.  Gîteaux,  la  Trappe  et  Bellefontaine  au 
diocèse  d'Angers  (histoire  non  sans  valeur  du  monastère  de  la  Trappe  et 
Bellefontaine). ^l^"" avril.  G.  de  la  Groix.  Hypogée-martyrium  de  Poitiers 
(trav.  considérable.  L'auteur  s'est  mépris  sur  le  caractère  du  monument 
qu'il  a  découvert;  ce  n'est  pas  un  tombeau  de  martyrs,  mais  simple- 
ment le  tombeau  de  Mellebaudis,  abbé,  pénitent  du  Christ;  ce  per- 
sonnage est  inconnu;  après  sa  mort,  on  y  a  placé  dans  son  tombeau 
d'autres  sépultures.  Voilà  qui  est  certain;  voici  ce  qui  est  probable  : 
l'inscription  de  Mellebaudis  parle  de  72  martyrs  ;  il  faudrait  entendre 
par  là  que  le  fondateur  de  la  crypte  y  réunit  un  certain  nombre  de 
reliques  fournies  par  les  trésors  des  églises  voisines  ;  ces  reliques  auront 
été  déposées  dans  la  capsa  de  l'autel  ;  quelques-unes  peut-être  intro- 
duites dans  son  tombeau  ;  l'inscr.  peinte  au-dessus  de  celui-ci  les  men- 
tionnait en  indiquant  les  jours  où  les  saints  figuraient  au  calendrier. 
Cet  article,  par  M.  L.  Duchesne,  est  à  noter).  —  Jouin.  Antoine  Goy- 
sevox  (critique  très  sévère  de  cet  ouvrage). 

7.  —  Polybiblion.  1884,  févr.  —  Comte  A.  de  Bourmont,  La  biblio- 
thèque de  l'université  de  Caen;  l^"-  art.  :  son  histoire.  2«  art.  en  mars  : 
inventaire  (rédigé  en  1467;  il  comprend  343  numéros). 

8.  — Bulletin  de  correspondance  hellénique.  7^ année,  déc.  1883. 
—  Dubois.  Inscriptions  des  Sporades  (texte  et  transcription  de  16  inscr. 
grecques).  —  Martha.  Stèle  avec  inscriptions  trouvée  au  lac  Stymphale 
(la  seule  des  inscr.  que  l'on  puisse  aujourd'hui  déchiffrer  assez  complè- 


RECUEILS    PERIODIQUES.  J97 

temcnt  est  un  décret  de  proxénie  en  faveur  d'un  habitant  de  Tégée). 

—  PoTTiER  et  Reinach.  Fouilles  dans  la  nécropole  de  Myrina  ;  suite.  — 
FoNTRiER.  Inscr.  d'Asie-Mineure  :  Philadelphie  et  Magnésie  du  Méandre 
(10  inscr.  transcrites;  la  dernière  est  la  fin  de  l'édit  d'un  gouverneur 
romain  adressé  aux  habitants  de  Magnésie  à  l'occasion  d'une  grève  des 
boulangers  de  cette  ville;  il  défend  aux  boulangers  de  se  former  en 
société  et  leur  enjoint  de  ne  pas  interrompre  l'exercice  de  leur  industrie). 

—  FoucART.  Bas-relief  du  Pirée.  Culte  de  Zeus  Milichios.  —  Id.  Note 
sur  l'époque  de  la  fête  des  'AXwa  à  Eleusis  (les  Haloa  se  célébraient  à 
Eleusis  pendant  le  mois  de  Poséidon).  =  8»  année,  1884,  janv.-févr. 
EuGEL.  Choix  de  tessères  grecques  en  plomb,  tirées  des  collections  athé- 
niennes. —  KouMANOuDis.  Inscriptions  d'Am-orgos.  —  Dubois.  Inscrip- 
tions de  Calymnos.  —  S.  Reinach.  Inscriptions  latines  de  Macédoine. 

—  Id.  Inscriptions  de  Maronée.  —  Latichew.  Nouveaux  actes  d'affran- 
chissement à  Chéronée  et  à  Orchomène.  —  Homolle.  Les  Romains  à 
Délos.  —  FoucART.  Donation  de  Philétaeros  aux  muses  de  l'Hélicon.  — 
Philippucci.  Inscription  archaïque  de  Samos. 

9.  —  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire  (École  française  de 
Rome).  3<=  année,  1883,  fasc.  -4  et  5.  —  P.  de  Nolhac.  Lettres  inédites 
de  Paul  Manuce  (ajoutent  des  traits  nouveaux  à  la  biographie  du  célèbre 
imprimeur).  —  Digard.  Boniface  VIII  et  les  recteurs  de  Bretagne  (étu- 
die, d'après  des  bulles  inédites  du  pape,  les  luttes  que  souleva  en  Bre- 
tagne la  perception  par  les  recteurs  du  droit  de  tierçage,  ou  tiers  des 
biens  meubles  revendiqué  à  l'occasion  des  funérailles;  publie  8  bulles 
en  appendice).  —  Poisnel.  Recherches  sur  labolition  de  la  Vicesima 
hereditatium  (en  320,  Constantin  avait  entrepris  un  remaniement  presque 
complet  de  la  législation  qui  a  pour  objet  les  testaments  ;  c'est  alors  que 
fut  abolie  la  v.  h.  ;  c'est  ce  qu'indique  par  une  allusion  facile  à  saisir 
un  passage  du  panégyrique  de  C.  par  Nazarius.  L'abolition  de  cet  impôt 
était  un  dégrèvement;  cette  perte  pour  le  trésor  fut  compensée  par  de 
nouveaux  impôts  qu'énumère  Zozime  ;  ainsi  le  Follis  ou  bourse  d'or, 
et  la  Praetura  ou  dons  de  préture.  La  v.  h.  était  tempérée  par  deux 
immunités,  l'une  pour  les  proches  parents,  l'autre  pour  les  successions 
pauvres  ;  le  texte  de  la  loi  a  péri  ;  mais  on  retrouve  la  mention  de  ces 
immunités  dans  deux  lois  qui  ont,  avec  la  v.  h.,  un  étroit  rapport  :  les 
lois  Julia  et  Papia  Poppaea).  —  P.  Fabre.  Étude  sur  un  ms.  du  Liber 
censuum  de  Cencius  Camerarius  (le  ms.  du  Vatican  8486  est  le  plus 
ancien  exemplaire  connu  du  Liber  censuum;  c'est  de  lui  que  dérivent 
les  deux  mss.  les  plus  anciens  après  lui  :  celui  de  Florence,  et  le 
ms.  2526  du  Vatican  ;  il  a  dû  être  rédigé  au  plus  tard  dans  les  pre- 
mières années  du  xiii^  s.  Les  biographies  des  papes  n'ont  pas  été  intro- 
duites dans  le  recueil  de  Cencius  avant  le  milieu  du  xni''  s.,  puisque  le 
plus  ancien  ms.  du  Vatican  ne  les  contient  pas.  Quant  au  désordre  du 
recueil,  il  s'explique  par  le  mode  de  composition  du  ms.  ;  la  différence 
des  écritures  permet  d'établir  la  date  approximative  de  l'époque  où  ont 


498  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

été  transcrits  sur  le  ms.  les  cens  successivement  établis  dans  le  monde 
chrétien  en  faveur  de  l'Eglise  romaine  ;  donne  en  appendice  le  dépouil- 
lement du  ms.  8486.  Excellente  dissertation).  —  Grousset.  Un  sarco- 
phage chrétien  inédit.  —  Grandjean.  Documents  relatifs  à  la  légation 
du  cardinal  de  Prato  en  Toscane,  mars-août  1304.  —  Edm.  Le  Blant. 
Les  ateliers  de  sculpture  chez  les  premiers  chrétiens. 

10.  —  Archives  des  missions  scientifiques  et  littéraires. 
3e  série,  t.  X.  1883.  —  R.  de  La  Blanchère.  Voyage  d'étude  dans  une 
partie  de  la  Maurétanie  césarienne  (l'auteur  a  parcouru  surtout  Mascara, 
Saida,  Tagremaret,  Frenda,  Tiaret  et  les  localités  voisines.  Il  note  dans 
son  passage  les  ruines  antiques,  romaines  ou  berbères  qu'il  y  a  rencon- 
trées, raconte  l'histoire  du  pays  et  des  diverses  invasions  qui  l'ont  bou- 
leversé. Publie  en  appendice  :  i»  18  inscr.  inédites  qu'il  a  recueillies; 
1°  la  description  des  deux  nécropoles  de  Mecherasfa,  dont  l'une  est  de 
l'époque  numide  et  l'autre  de  l'époque  romaine  ;  3°  une  note  sur  les 
ruines  romaines  du  territoire  d'Ammi  Mousa.  Plus  un  grand  nombre 
de  cartes  et  de  plans).  —  Ch.  Tissot.  Découverte  de  la  Colonia  Vcitana 
Major.  Rapport  présenté  à  l'Institut  sur  la  communication  adressée  à 
l'Acadénâie  des  inscriptions  par  le  lieutenant-colonel  de  Puymorin; 
avec  une  carte.  —  Arbois  de  Jubainville.  Rapport  sur  une  mission  lit- 
téraire dans  les  îles  Britanniques  (à  l'effet  de  dresser  un  catalogue  des 
mss.  irlandais  et  d'étudier  les  antiquités  celtiques  irlandaises).  —  Tissot. 
Deuxième  rapport  adressé  à  l'Académie  des  inscriptions  sur  l'inscrip- 
tion de  Sidi  Amor  Djedidi  [colonia  Zamensis)  avec  un  fac-similé  de 
cette  inscription.  —  Id.  3"  rapport  sur  une  mission  en  Tunisie  de 
M.  Poinssot  (texte  et  commentaire  de  8  inscr.,  avec  une  carte  très 
détaillée  de  la  géographie  ancienne  du  pays  compris  entre  Kairouan, 
Macteur,  le  Kef,  Tebournouk  et  Sidi  Amor  Djedidi). 

11.  —  Journal  des  Savants.  1884,  janvier.  —  G.  Boissier.  Les 
rhéteurs  gaulois  du  iv^  s.  ;  tin  en  mars  (expose  très  finement  dans  quel 
esprit  étaient  écrits  les  panégyriques  de  ces  rhéteurs  chargés  de  faire 
l'éloge  de  l'empereur  et  des  magistrats,  ce  qu'il  y  a  d'excessif  et  de  faux, 
et  la  part  qu'il  convient  d'y  faire  à  la  sincérité  et  à  la  vérité).  —  Dareste. 
Les  anciens  codes  brahmaniques  (expose  les  notions  qu'ils  fournissent 
sur  les  institutions  juridiques).  —  Hauréau.  Le  premier  registre  de 
Philippe-Auguste.  =  Mars.  Egger.  De  quelques  publications  récentes 
concernant  Plutarque  et  ses  écrits.  —  Hauréau.  Les  registres  d'Inno- 
cent IV.  Le  registre  de  Benoît  XI  (puise  dans  ces  publications  divers 
documents  relatifs  surtout  à  l'histoire  littéraire,  au  jurisconsulte  Ber- 
nard Dorna,  aux  canonistes  Hugues  de  Hermo,  Bertrano  de  Milan, 
Jacques  de  Gutici,  à  Guillaume  de  Mâcon,  évêque  d'Amiens,  le  plus 
intraitable  ennemi  des  religieux  mendiants,  etc.).  —  Dumont.  Catalogue 
des  figurines  de  terre  cuite  du  musée  du  Louvre. 

12.  —  Revue  de  l'histoire  des  religions.  4^  année,  t.  VIII,  n»  6. 


RECUEILS    PERIODIQUES.  ^ 99 

nov.-déc.  —  Beaua^ois.  L'Elysée  transatlantique  et  l'Eden  occidental; 
fin  :  l'Eden  occidental  (on  avait  déjà  trouvé  dans  les  Sagas  et  la  relation 
des  Zeni  la  preuve  qu'il  existait  une  colonie  de  Gaëls  chrétiens  sur  le 
littoral  de  la  confédération  canadienne  du  x«  au  xiv^  s.  ;  les  légendes 
celtiques  de  Saint-Brendan,  de  Maelduin,  des  fils  de  Ua-Corra,  de 
Snedhgus  et  de  Mac-Riaghla,  quelque  soit  le  merveilleux  dont  elles 
s'enveloppent,  ne  permettent  pas  de  douter  que  les  Gaëls  du  moyen 
âge  sont  allés  jusqu'aux  Antilles  et  ont  même  pénétré  dans  le  golfe  du 
Mexique.  Les  Celtes  disent  avoir  passé  l'Atlantique  pour  chercher  l'Ely- 
sée ou  l'Eden  ;  d'autre  part,  les  riverains  du  golfe  du  Mexique  affirment 
qu'un  peuple  venu  de  l'Orient  a  traversé  la  même  mer,  s'est  établi  dans 
leur  pays,  et  leur  a  apporté  la  croyance  en  un  lieu  de  délices,  gouverné 
par  un  vieillard  comme  on  représente  Saturne  et  ouvert  aux  héros  de 
leur  vivant  même.  Cette  coïncidence  est  des  plus  curieuses  à  constater). 
—  Vernes.  Les  débuts  de  la  nation  juive  ;  fin  :  les  Israélites  constitués 
en  nation  par  Saiil  et  David. 

13.  —  Revue  générale  du  droit  de  la  législation  et  de  la  juris- 
prudence en  France  et  à  l'étranger.  8=  année,  !''<=  livr,  1884,  janv.- 
févr.  —  EsMEiN.  Note  pour  l'histoire  des  institutions  primitives  (signale 
deux  textes  relatifs  à  la  poursuite  du  vol.  :  1°  c'est,  dans  la  Genèse, 
Laban  poursuivant  Jacob  et  Rachel,  qui  lui  a  volé  ses  dieux  domes- 
tiques; 2°  un  passage  des  saturnales  de  Macrobe  le"",  vi,  fournit  un 
exemple  très  ancien  aussi  de  la  Quaestio  furti  per  licium  et  lancem  ; 
c'est  peut-être  aussi  le  seul  exemple  qu'on  trouve  chez  les  Romains  du 
serment  purgatoire  dans  les  delicta  privata). 

14.  —  Nouvelle  revue  historique  de  droit  français  et  étran- 
ger. 1884,  janv.-févr.  —  Arbois  de  Jubainville.  Le  Senchus  Môr  (exis- 
tait déjà  certainement  au  xi^  s.  ;  il  était  à  cette  époque  un  texte  de 
grande  notoriété.  Il  commence  par  un  exemple  de  saisie;  les  détails  où 
il  entre  prouvent  qu'à  cette  époque  la  richesse  individuelle  chez  les 
Irlandais  était  exclusivement  mobilière  et  consistait  surtout  en  trou- 
peaux, en  particulier  en  bêtes  à  cornes.  L'Irlande  est  un  vaste  pâturage; 
point  de  terres  cultivées  en  blé).  —  Bûche.  Essai  sur  l'ancienne  cou- 
tume de  Paris,  aux  xiii^  et  xiv^  s.,  l^r  art.  (intéressante  reconstitution 
de  cette  ancienne  coutume,  d'après  les  indications  conservées  dans  les 
textes  postérieurs).  —  Chassaing.  Ordonnance  de  Louis  XI  sanction- 
nant des  articles  arrêtés  entre  les  consuls  et  les  habitants  du  Puy-en- 
Velay  pour  l'administration  de  cette  ville;  de  Montils-lès-Tours, 
nov.  1469. 

15.  —  Comité  des  travaux  historiques  et  scientifiques; 
section  d'archéologie.  Bulletin.  1884.  N"  1.  —  Albanès.  Vente  du 
mobilier  d'Avignon  Nicolaï ,  archevêque  d'Aix,  1443.  —  Barbier  de 
MoNTAULT.  Trois  sceaux  ecclésiastiques  des  xiv"  et  xv^  s.  (sceaux  de 
Jean  de  Peyrelade,  de  Guillaume  le  Breton,  d'un  prieur  de  Sainte- 


200  RECUEILS  PERIODIQUES. 

Radegonde  de  Poitiers).  —  René.  Inventaires  des  églises  de  Psal- 
mody  et  d'Aigues-Mortes,  xv^  et  xyi»  siècles.  —  Guiffrëy.  Note  sur 
la  date  de  la  mort  et  le  testament  de  François  Clouet,  peintre  du  roi 
(le  testament  est  du  21  septembre  1572;  Clouet  est  mort  le  lendemain). 

16.  —  La  Révolution  française.  1884,  14  févr.  — Golfa\'ru.  Com- 
ment la  Constituante  et  la  Convention  avaient  résolu  la  question  des 
incompatibilités.  —  MouLm.  Le  Courrier  et  le  Hasard;  dernier  épisode 
de  l'insurrection  de  Saint-Domingue  en  1793  (rappelle  comment  le  brick 
anglais  le  Hasard  a  été  enlevé  à  l'abordage  par  la  corvette  française  le 
Courrier,  qui  portait  le  brave  général  de  Noailles  ;  ce  simple  épisode  a 
été  singulièrement  travesti).  —  Heywood.  La  maladie  de  Marat  (Marat 
était  atteint,  au  plus  baut  degré,  du  délire  de  la  persécution).  —  Penaud. 
Le  conventionnel  Noël  Pointe  ;  suite.  —  Comment  la  royauté  a  violem- 
ment poussé  la  nation  à  la  désaffection  :  la  commune  de  Sainte-Claude, 
de  1789  à  1791.  —  Charavay.  Autographes  et  documents  révolution- 
naires. —  OsTYN.  Le  procès  de  Marie-Antoinette  ;  suite.  =  14  mars. 
AuLARD.  Les  portraits  littéraires  au  xvin'=  s.,  pendant  la  Révolution 
(attribue  à  Mirabeau  le  portrait  àVramba^  dans  la  Galerie  des  états  géné- 
raux). —  Advielle.  Les  portraits  de  Robespierre  et  de  Lebon  au  musée 
Carnavalet  (celui  de  Robespierre,  par  Bailly,  date  de  1783,  celui  de 
Lebon,  par  Doncre,  de  1792.  Ils  ont  tous  les  titres  possibles  à  l'authen- 
ticité). —  Charavay.  Lettres  de  G.  Desmoulins  et  d'A.  Dillon. 

17.  —  Revue  politique  et  littéraire.  3®  série,  4°  année,  1884, 
n"  2.  —  Ledrain.  Archéologie  assyrienne.  Collection  Sarzec;  une  petite 
ville  d'architectes  et  de  sculpteurs,  en  l'an  4500  av.  J.-G.  (il  faut  admi- 
rer l'assurance  avec  laquelle  l'auteur  lixe  la  chronologie  sumérienne,  et 
l'imagination  avec  laquelle  il  reconstitue,  au  moyen  de  quelques  monu- 
ments, l'histoire  primitive  du  peuple  des  Sumirs,  et  la  part  qu'ils  ont 
apportée  à  l'œuvre  de  la  civilisation).  ;=  N°  6.  Boissier.  Charles  Thurot. 
=  N°  10.  Paul  Deschanel.  La  société  française  sous  Louis  XVI,  la 
Révolution  et  le  Consulat.  Pauline  de  Montmorin,  comtesse  de  Beau- 
mont,  d'après  M.  Bardoux.  =  N'  11.  Boissier.  Gaule  romaine;  rhé- 
teurs gaulois  du  iv'  s.,  les  panégyristes.  =  N°  12.  B.arine.  Un  Anglais 
en  France,  1830-48.  Le  journal  d'Henry  Greville  (Henry  est  le  père  de 
Charles  Greville,  dont  les  mémoires  publiés  en  1874  on  eu  un  si  grand 
retentissement;  attaché  à  l'ambassade  anglaise  à  Paris,  il  tint  aussi  un 
((  journal  »  qui  vient  d'être  publié  ;  on  n'y  trouve  pas  de  médisances, 
mais  quelques  notes  utiles  en  particulier  sur  le  gouvernement  de  Juillet). 

18.  —  Revue  des  Deux-Mondes.  1884,  15  février.  —  Duc  de  Bro- 
glie.  Études  diplomatiques.  La  l''^  lutte  de  Frédéric  II  et  de  Marie- 
Thérèse.  3'  art.  :  mort  de  Fieury.  Louis  XV  veut  gouverner  par  lui- 
même.  4*=  art.  (l^ï-  mars).  Évacuation  de  l'Allemagne  et  bataille  de 
Dettingue  (très  intéressant).  —  Plauchut.  Le  royaume  solitaire.  La 
Corée  et  les  Coréens.  =  15  mars.  Boissier.  L'instruction  publique  dans 


RECDEILS  PÉRIODIQUES.  20 ^ 

l'empire  romain  (très  intéressante  étude;  il  importe  de  connaître  l'orga- 
nisation de  cet  enseignement,  parce  que  nos  écoles  de  la  renaissance 
doivent  beaucoup  à  celles  du  iv«  s.).  —  Vuitry.  Un  chapitre  de  l'his- 
toire de  France.  2«  partie  :  les  excès  de  la  spéculation  au  début  du  règne 
de  Louis  XV.  La  Banque  de  Law  et  la  compagnie  des  Indes.  —  Anto- 
nin  Lefèvre-Pontalis.  Une  restauration  en  1672  :  le  rétablissement  du 
stathoudérat  en  Hollande  (intéressant  récit). 

19.  —  La  Nouvelle  Revue.  1884,  l"  mars.  —  Duplessis.  La  vie 
parisienne  en  1780  (d'après  le  Tableau  de  Paris,  par  Mercier). 

20.  —  Le  Correspondant.  1884.  20  février.  —  Waliszewski.  Une 
Française  reine  de  Pologne  :  Marie  d'Arquien-Sobieska,  2°  art.  et  der- 
nier le  25  févr.  (pendant  les  15  premières  années  du  règne  de  son  mari, 
la  reine  participe  réellement  et  directement  aux  affaires  de  l'État  ;  mais 
cette  influence  qu'elle  exerce  n'est  pas  due,  comme  on  le  répète,  à 
l'amour  que  Jean  Sobieski  avait  pour  sa  femme  ;  obligé  d'être  tou- 
jours aux  camps  et  à  la  tète  de  ses  armées,  il  avait  besoin  de  quelqu'un 
de  conliance  qui  le  remplaçât,  surtout  dans  ses  rapports  avec  les  puis- 
sances étrangères.  Sa  femme  lui  tint  lieu  de  premier  ministre.  Mais, 
quand  devenu  vieux,  incapable  de  diriger  activement  les  affaires  du 
royaume,  il  eut  laissé  tout  faire  à  sa  femme,  celle-ci  se  montra  ce 
qu'elle  était  en  réalité  :  vaine  et  avide;  elle  ne  s'occupa  plus  que  de 
spéculations  triviales,  les  affaires  de  l'État  devinrent  ce  qu'elles  purent). 

—  FoRNERON.  Le  Gid  de  l'histoire.  =  10  mars.  Thureau-DangiiN.  Études 
sur  la  diplomatie  de  la  monarchie  de  Juillet.  La  politique  extérieure 
sous  le  ministère  du  10  octobre.  Fin  le  25  mars  (sur  la  politique  du  duc 
de  Broglie  ;  son  attitude  fière  et  raide  à  l'égard  des  grandes  puissances 
continentales  hostiles  au  gouvernement  de  Juillet). 

21.  —  Le  Contemporain.  1884,  15  février.  —  Le  R.  P.  Ollivier. 
Études  hongroises  :  la  sainte  Couronne.  —  Abbé  Sicard.  L'éducation 
morale  et  civique  pendant  la  Révolution  ;  les  fêtes  publiques.  —  Lecestre. 
Les  pèlerinages  en  terre  sainte  au  moyen  âge. 

22.  —  Revue  de  l'Art  français.  N"  1,  1884,  janvier.  —  J.-J.  G. 
Date  du  décès  de  François  Glouet  (22  sept.  1572).  —  Id.  Van  Dyck  en 
France  (publie  une  lettre  de  M.  de  Béthune  Gharost  datée  de  Galais, 
4  oct.  1641,  et  adressée  à  Ghavigny  oià  il  lui  dit  que  Van  Dyck  va  se 
rendre  à  Paris  à  petites  journées  pour  être  présenté  au  roi  et  au  cardi- 
nal. =  N°  2.  RoNDOT.  Les  graveurs  de  la  monnaie  de  Troyes,  du  xiv« 
au  xviii"  s. 

23.  —  Le  Spectateur  militaire.  4=  série,  t.  XXIV,  1884,  15  févr. 

—  E.  B.  Lettre  inédite  sur  Gembloux-Wavre-Paris  (comme  le  rapport 
au  maréchal  Gérard  que  nous  avons  analysé  précédemment,  cette  lettre 
est  du  général  Hulot;  elle  fut  adressée  de  Donchery,  18  sept.  1819,  à 
un  colonel,  à  propos  de  la  brochure,  qui  venait  de  paraître,  du  mare- 


202  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

chai  Grouchy.  Pour  le  général,  c'est  la  bataille  du  16,  Ligny,  qui  a  tout 
perdu  :  «  du  moment  où  cette  première  journée  n'aboutissait  pas  à  un 
coup  de  massue  sur  l'une  ou  sur  l'autre  armée  ennemie,  il  restait  peu 
de  chances  pour  le  succès  final  »).  —  Dabormida.  La  bataille  de  l'As- 
siette; suite.  =  15  mars.  E.  B.  Documents  historiques  et  militaires 
tirés  des  papiers  du  lieutenant  général  baron  Etienne  Hulot  (publie  une 
lettre  au  lieutenant  général  Tholozé  où  il  s'agit  du  rôle  glorieux  des 
tirailleurs  du  Pô,  que  le  général  Hulot  commanda,  comme  chef  de 
bataillon,  de  1805  à  1807,  aux  avant-gardes  de  la  grande  armée;  une 
lettre  écrite  à  un  rédacteur  des  Victoires  et  Conquêtes;  enfin  un  ordre 
du  jour  remarquable  adressé  par  le  général  Hulot  au  bataillon  de  chas- 
seurs à  pied  qu'il  créa  en  1839). 

24.  —  Revue  africaine.  1883,  sept.-oct.  —  Féraud.  Notes  histo- 
riques sur  la  province  de  Gonstantine  :  les  Ben-Djellab,  sultans  de  Toug- 
gourt,  16"  art.  —  Arnaud.  Voyages  extraordinaires  et  nouvelles  agréables 
par  Mohamed  Abou  Ras  ben  Ahmed  ben  Abd-el-Kader  En-Nasci  ; 
histoire  de  l'Afrique  septent.;  20''  art.  —  H.  de  Gramont  et  Piesse.  Les 
illustres  captifs  ;  description  d'un  ms.  du  P.  Dan,  3^  art. 

25.  —  Revue  de  l'Agenais.  11"  année,  livr.  1  et  2.  —  Andrieu.  La 
censure  et  la  police  des  livres  en  France  sous  l'ancien  régime  ;  une  sai- 
sie de  livres  à  Agen,  en  1775.  —  Tholin.  Les  archives  de  l'hôtel  de 
ville  d'Agen  (introduction  à  l'inventaire  sommaire  qui  doit  paraître  pro- 
chainement ;  l'auteur  y  signale  la  valeur  de  chaque  série  de  documents). 

—  T.  DE  Larroque.  Trois  lettres  inédites  du  président  de  Sevin  à  Pey- 
resc.  —  Lauzun.  Documents  inédits  relatifs  à  l'entrée  du  duc  d'Aiguil- 
lon à  Agen  et  à  Gondom  en  1751.  —  Le  carnet  d'un  franc-tireur  : 
nov.  1870-mars  1871. 

26.  —  Revue  bourbonnaise.  1884.  15  févr.,  n"  2,  —  Miquel.  La 
porte  Fouquet  à  Montluçon.  =  15  mars.  Grassoreille.  Moulins  au 
xv=  siècle. 

27.  —  Revue  historique  et  archéologique  du  Maine.  T.  XIV, 

3«  livr.,  1883,  second  trimestre.  —  Vicomte  de  Bastard  d'Estang.  Lettre 
d'un  gentilhomme  de  l'armée  du  prince  de  Conti  sur  la  bataille  de 
Craon,  le  23  mai  1592.  —  Trigier,  La  procession  des  Rameaux  au 
Mans;  fin.  —  Alouis.  Les  Coesmes,  seigneurs  de  Lucé  et  de  Pruillé, 
l''^  partie,  de  1370  à  1508;  suite. 

28.  —  Société  historique  et  archéologique  du  Gâtinais. 
Annales.  1883,  l'^''  trim.  —  Bréan.  Pierre  tumulaire  trouvée  à  Orléans 
(on  y  lit  :  L.  Corn.  Magnus,  curator  Cenabensium,  etc.,  non  Genaben- 
sium;  il  faut  distinguer  Cenabo- Orléans  de  Genabum-Gien-le- Vieux). 

—  Duhamel.  Note  sur  une  découverte  de  monnaies  à  Mérobert,  S.  et  0. 
(356  monnaies  romaines  en  argent,  allant  de  Garacalla  à  Posthume  père, 
211-267;  la  majorité  appartient  au  règne  de  Gordien  HI).  —  Le  Roy. 


RECUEILS    PE'rIODIQUES.  203 

Topographie  du  Gastinois  aux  époques  celtique  et  gallo-romaine,  !■•«  par- 
tie* fin  au  2^  trim.  =  2"  trim.  Boulé.  Chroniques  gàtinaises  (publie  les 
notes  recueillies  sur  leurs  registres  paroissiaux  par  les  curés  de  La  Cha- 
pelle-la-Reine,  1740-91,  de  Fromont,  1741-77,  d'Ury,  1614-1792);  suite 
au  3"  et  au  4«  trim.  —  3«  trim.  Marlet.  Le  cardinal  de  Ghatillon;  fin 
au  4"  trim.  =  4«  trim.  Le  ministre  Enoch  et  l'église  de  Montargis, 
1567-68  (réédite,  d'après  le  Bull,  de  l'hist.  du  Prot.,  trois  pièces  relatives 
à  ce  personnage).  —  Pinson.  La  guerre  d'Estampes,  en  1752,  par  René 
Hémard  (épisode  des  guerres  de  la  Fronde). 

29.  —  Revue  de  Gascogne.  1884,  mars.  —  Abbadie.  Roger  d'Espenan 
et  sa  familUe  (appelle  du  sévère  jugement  prononcé  par  le  duc  d'Aumale 
contre  ce  capitaine  gascon,  qui  combattit  à  Rocroy).  —  Ant.  de  Lante- 
NAY.  Pierre  Milliard,  abbé  de  Simorre  et  prieur  de  Sainte-Dode.  — 
ViGNAUx.  Notes  pour  l'histoire  du  couvent  des  Ursulines  de  Gimont.  — 
Abbé  Gadbin.  Notice  sur  la  paroisse  de  Saint-Pierre-et-Gastets  ;  suite. 

Gomte  0.  de  La  Hitte.  Documents  sur  les  troubles  du  xvi-^  siècle  en 

Gascogne  ;  suite  en  avril.  =  Avril.  Paul  Durrieu.  Les  Gascons  en  Italie  : 
Jourdain  IV,  seigneur  de  l'Isle-Jourdain,  à  la  conquête  de  Naples  (sous 
Charles  I^""  d'Anjou.  Jourdain  IV  mourut  en  1288.  Étude  faite  presque 
entièrement  d'après  les  registres  angevins  inédits).  —  Abbé  Dugrue. 
Les  curés  de  Gazaubon  au  xvni^  siècle.  =  Bibliographie  :  LaJiondès. 
Annales  de  Pamiers,  t.  II  (bon).  —  Webster.  Simon  de  Montfort  et  le 
Parlement  anglais,  1248-65  (pense  que  S.  de  M.,  qui  introduit  dans  le 
Parlement  anglais  la  représentation  parlementaire  des  bourgeois,  l'avait 
apprise  et  connue  d'abord  en  la  pratiquant  dans  son  gouvernement 
de  Guyenne,  en  suivant  les  anciens  fueros,  coutumes  et  libertés  du 
pays.  —  Ces  conclusions  nous  paraissent  plus  que  contestables). 

30.  —  Bulletin  d'histoire  ecclésiastique  (Romans),  4«  année, 
3'  livr.  1884,  janv.-févr.  —  Roman.  Visites  faites  dans  les  prieurés  de 
l'ordre  de  Cluny  en  Dauphiné,  de  1280  à  1303.  —  Abbé  Toupin.  Notice 
sur  le  serviteur  de  Dieu,  Jean  Sérane,  profès  de  la  comp.  de  Jésus, 
ancien  vicaire  de  Suze-la-Rousse,  mort  à  Toulouse  en  odeur  de  sainteté, 
1712-84.  —  Abbé  Blaïn.  2°  mémoire  de  M.  Antoine-Amable  de  Chan- 
temerle,  vicaire-général  de  Valence.  —  Abbé  Gruvellier.  Notice  sur 
l'église  de  N.-D.  du  Bourg,  ancienne  cathédrale  de  Digne.  —  Ul.  Che- 
valier. Mélanges  :  pillage  et  incendie  du  prieuré  d'Eurre,  1331.  Entrée 
et  séjour  de  Louis  XII  à  Romans,  juin  1511.  Arrivée  du  duc  de  Bour- 
bon à  Romans,  juillet  1511. 

31.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Séances. 
1883,  28  déc.  —  M.  Desjardins  annonce  que,  sur  l'emplacement  de  la 
ville  actuelle  de  Macteur  en  Tunisie,  M.  Letaille  a  trouvé  une  inscr. 
qui  donne  le  nom  ancien  de  cette  ville  :  Colonia  Aelia  Aurélia  Macta- 
ris.  =  1884,  18  janvier.  M.  Bertrand  donne  des  détails  sur  un  trésor 
d'objets  d'or  récemment  découvert  en  Alsace  et  acquis  par  le  musée  de 


204  RECUEILS    PE'RIODrQUES. 

Saint-Germain  ;  il  paraît  que  ces  pièces  ont  été  fabriquées  par  les  Boii, 
peuple  gaulois  qui  a  donné  son  nom  à  la  Bohème  et  à  la  Bavière.  = 
25  janv.  Les  fouilles  exécutées  à  Rome  dans  la  maison  des  Vestales  ont 
donné  les  noms  complets  des  consuls  de  l'an  214  :  L.  Valerius  Messala 
et  G.  Suetonus  Sabinus.  On  y  a  de  plus  découvert  un  trésor  de  855  pièces 
diverses  et  une  fibule  de  cuivre  portant  le  nom  du  pape  Marinus  II, 
942-946  ;  une  des  pièces  est  de  l'empereur  byzantin  Théophile,  929-40. 
—  15  février.  M.  Heuzey  annonce  la  découverte  d'un  nouveau  roi  de 
Tello  ou  Sirpourla;  l'inscr.  qui  le  donne  paraît  appartenir  aux  plus 
anciennes.  =  29  janv.  M.  Oppert  propose  une  traduction  de  cette 
inscr.  ;  le  roi  en  question  vivait  environ  3,800  ans  avant  notre  ère.  = 
7  mars.  M.  Poinssot  a  copié  à  Lambèse  et  à  Timgad  environ  150  inscr. 
inédites  ;  une  d'entre  elles  donne  des  renseignements  détaillés  sur  les 
cadres  d'une  légion  et  la  composition  des  cohortes.  M.  J.  Havet  en 
donne  la  transcription  complète  dans  la  Bévue  critique,  1884,  n»  12.  = 
14  mars.  M.  Sénart  lit  une  étude  sur  le  plus  ancien  édit  religieux  du 
roi  bouddhiste  Açoka  Piyadasi.  —  M.  Desjardins  soutient  contre 
M.  Mommsen  que  l'inscr.  de  Coptos,  découverte  par  M.  Maspero,  est  de 
la  fin  du  second  siècle  après  J.-G,  M.  M.  la  croit  plus  ancienne,  peut- 
être  de  l'époque  d'Auguste. 

32.  —  Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Gompte- 
rendu.  44"  année,  t.  XXI,  1884,  février-mars.  — Geffroy.  L'École  fran- 
çaise de  Rome;  ses  premiers  travaux;  fin.  —  Vicier.  La  question  de 
l'alliance  anglaise  sous  le  ministère  de  Richelieu  ;  ambassade  extraor- 
dinaire du  marquis  de  Senneterre  à  Londres,  avril  1635,  août  1637. 
1er  art.  —  Zeller.  La  bataille  de  Bouvines  ;  extrait  du  t.  V  de  l'Histoire 
d'Allemagne;  fin.  —  Nourrisson.  Origine  des  idées  politiques  de  Rous- 
seau ;  3«  mémoire,  par  M.  Jules  Vuy.  —  V.  Duruy.  Julien  empereur. 
La  réaction  païenne  (Julien  voulait  restaurer  doucement  le  passé  ;  les 
païens  profitèrent  de  ces  bonnes  dispositions  du  souverain  pour  se  ven- 
ger des  longues  humiliations  que  les  empereurs  chrétiens  leur  avaient 
fait  subir;  Julien  n'ordonna  pas  ces  représailles,  elles  étaient  inévi- 
tables. Il  ne  faut  donc  point  parler  de  persécution).  —  Arth.  Desjardins. 
Le  congrès  de  Paris,  1856,  et  la  jurisprudence  internationale  (relative 
au  droit  maritime  en  temps  de  guerre  :  abolition  de  la  course,  immu- 
nité de  la  propriété  ennemie  sous  pavillon  neutre  et  de  la  propriété 
neutre  sous  pavillon  ennemi,  blocus  fictifs). 

33.  —  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France.  Séance  du 
30  janvier.  —  M.  Célestin  Port,  dans  une  lettre  adressée  à  M.  A.  Ber- 
trand, communique  un  titre  de  1644  relatif  à  l'église  de  Saint-Jean  du 
Marillais,  en  Anjou.  L'autorité  ecclésiastique  y  ordonne  de  supprimer 
et  de  faire  boucher  «  un  trou  qui  est  au  bas  de  l'autel  pour  empêcher 
la  superstition  qu'aucuns  commettent,  y  faisant  entrer  la  tête  de  leurs 
enfants.  »  M.  Port  rapproche  cette  superstition  de  celle  relative  aux 


RECUEILS  pe'riodiques.  205 

dolmens  troués.  Plusieurs  membres  de  la  Société  citent  à  ce  propos  des 
exemples  analogues.  =  Séance  du  6  février.  M.  Mowat  communique  à 
la  Société  un  dessin  colorié  de  la  mosaïque  découverte  à  Nîmes.  Le 
sujet  représente  le  roi  Pelias  assis  sur  un  trône  au-dessus  d'une  sorte 
d'estrade;  à  sa  droite,  sa  fille  Alceste,  debout  et  demi-vètue.  Devant 
lui,  Admète  amenant  un  char,  attelé  d'un  lion  et  d'un  sanglier,  et  récla- 
mant la  main  d'Alceste.  Dans  le  fond,  un  garde  casqué  à  côté  d'un 
esclave.  M.  Frossard  dit  que  sous  ce  titre  :  la  mosaïque  du  mariage 
d'Admette,  M.  G.  Mavejol  vient  de  publier,  à  Nîmes,  un  mémoire  très 
complet  sur  ce  sujet.  La  mosaïque,  trouvée  à  2™  80  de  profondeur  sous 
l'ancienne  maison  Mazel,  en  face  des  Halles,  formait  le  sol  d'un  tabli- 
num ,  elle  a  30  pieds  romains  de  longueur  sur  20  pieds  de  largeur.  = 
Séance  du  12  mars  1884.  Lecture  est  donnée  d'un  mémoire  de  M.  de 
Linas  sur  un  disque  d'or  trouvé  à  Anvers  et  sur  ses  rapports  avec  l'art 
oriental.  A  ce  propos,  M.  A.  Bertrand  fait  remarquer  qu'on  n'a  pas  le 
droit  de  refuser  aux  Gaulois  de  la  vallée  du  Danube  l'honneur  d'objets 
semblables,  et  que  l'hypothèse  d'une  origine  orientale  n'est  nullement 
nécessaire.  —  M.  l'abbé  Thédenat  annonce  qu'on  a  découvert  dans  un 
champ  dépendant  de  la  ferme  de  Martières,  commune  de  Tremblay, 
canton  de  Gonesse  (Seine-et-Oise),  un  trésor  composé  de  600  monnaies 
en  or,  en  argent  et  en  cuivre.  Ces  monnaies  vont  de  François  l^""  à 
Henri  IV.  Les  pièces  d'argent  sont  les  plus  nombreuses. 

34.  —  Société  historique.  Bulletin,  l--"  année  1883.  — N"  1.  Albert 
SoREL,  L'iatluence  française  en  Europe  à  la  veille  de  la  Révolution.  = 
No  4.  Bréal.  La  jeunesse  de  M.  Hase  (extraits  curieux;  la  conférence  a 
été  reproduite  en  entier  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes,  15  mars  1883). 
—  Gallery.  La  jeunesse  de  Nicolas  Goulas.  (Les  mémoires  de  N.  G. 
ont  été  publiés  par  extraits  par  la  Société  de  l'histoire  de  France  ;  des 
parties  inédites,  M.  Gallery  a  tiré  de  piquants  détails  en  ce  qu'était  une 
cour  de  prmce,  celle  de  Gaston  d'Orléans,  au  xvu^  s.)  —  Taine.  Le  pro- 
gramme jacobin.  =  N°  5.  Fr.  de  Pressensé.  M.  Gladstone.  —  Le  R.  P .  de 
La  Croix.  Les  fouilles  de  Sanxay.  =  Flammermont.  Les  archives  des 
ministères  et  les  papiers  d'État.  =N°  6.  R.  de  Maulde.  Le  mariage  des 
filles  de  Louis  XL  —  Colonel  Jung.  De  la  publication  des  documents 
historiques  (propose  de  publier  les  documents  d'archives  sur  feuillets 
séparés,  se  vendant  chacun  quelques  centimes,  et  que  chacun  pourrait 
se  procurer,  classer  et  utiliser  suivant  ses  besoins  ou  ses  goûts).  = 
N"  7.  Rabany.  Les  Schweighaeuser  (détails  très  intéressants  pour  l'his- 
toire des  mœurs,  de  l'érudition  et  même  de  la  Révolution  française, 
dans  ces  biographies  d'illustres  hellénistes). 

35.  —  Société  de  l'Histoire  de  Paris.  Bulletin  1883.  —  N°  4. 
J.  GuiFFREY.  Testament,  scellé  et  inventaire  après  décès  de  Germain 
Brice  (l'auteur  de  la  Description  de  Paris,  décédé  le  18  novembre  1727  dans 
une  maison  de  la  rue  du  Vieux-Colombier).  —  0.mont.  Inventaire  som- 


206  RECUEILS  pe'riodiqdes. 

maire  des  mss.  grecs  conservés  dans  les  bibliothèques  publiques  de  Paris 
autres  que  la  Bibl.  nat.  =  N"  5.  Le  Calendrier  des  loisirs  ou  les  amu- 
semens  économiques  de  Paris  et  des  environs.  Étrennes  agréables,  1776. 
—  O.MONT.  Une  lettre  inédite  de  saint  Vincent  de  Paul,  19  août  1642.  — 
A.  DE  M.  Le  grand  hiver  de  1481  à  Paris  (extrait  d'une  chronique  lyon- 
naise de  Benoit  Maillard,  grand  prieur  de  l'abbaye  de  Savigny,  qui 
s'étend  de  1460  à  1506).  —  Julien  Havet.  Les  Esglizes  de  Paris  (texte 
du  xvi«  s.).  =  Stein.  Inventaire  du  mobilier  de  maître  Guillaume 
As  Feives,  1302.  —  Delachenal.  Notes  pour  servir  à  la  biographie  de 
Guillaume  du  Breuil  (suspendu  de  1330  à  1332,  c'est  pendant  ces  loisirs 
forcés  qu'il  composa  le  Stylus  Parlamenti.  Après  sa  mort,  il  fut  absous 
de  tous  les  crimes  pour  lesquels  il  avait  été  poursuivi  par  le  procureur 
du  roi  et  par  l'official  de  Paris).  —  Omont.  Visite  de  Peiresc  à  la 
Bibliothèque  du  roi  et  à  celle  de  Saint-Germain-des-Prés,  1612  et  1617 
(notes  sur  quelques  mss.). 

36.  —  Société  de  l'Histoire  de  France.  Annuaire-Bulletin. 
Année  1883.  Seconde  partie  :  documents  et  notices  historiques.  — 
Valois.  Fragment  d'un  registre  du  Grand  Conseil  de  Charles  VII, 
mars-juin  1455;  fin.  —  Aug.  Molinier.  Fragments  inédits  de  la  chro- 
nique de  Jean  de  Noyai,  abbé  de  Saint-Vincent-de-Laon  au  xiv's.  (ren- 
seignements intéressants  sur  certains  épisodes  de  la  guerre  de  Cent 
ans,  notamment  sur  les  combats  dont  les  pays  voisins  de  Laon  furent 
le  théâtre  de  1340  à  1380  ;  beaucoup  de  détails  curieux  sur  les  dix  der- 
nières années  du  règne  de  Charles  V).  —  A.  de  Boislisle.  Notice  bio- 
graphique et  historique  sur  Etienne  de  Vesc,  sénéchal  de  Beaucaire; 
6«  et  dernier  art.  —  Id.  Rocroy  et  Nordlingen  (publie  :  1°  une  dépêche 
de  la  reine  au  duc  d'Enghien  sur  le  gain  de  la  bataille  de  Rocroy, 
22  mai  1643  ;  2°  une  dépêche  du  roi  au  même  à  propos  de  celle  de  Nord- 
lingue,  août  1645). 

37.  —  Société  archéologique  de  Tarn-et-Garonne.  —  Mila  de 
Cabarieu.  Un  épisode  de  la  domination  anglaise  en  Guyenne  :  somma- 
tion d'évacuer  la  Guyenne  faite  au  nom  de  Philippe  le  Bel  par  les  abbés 
de  Belleperche  et  de  Grandselve  au  lieutenant  du  roi  d'Angleterre,  1293 
(il  est  fâcheux  que  l'on  ne  donne  pas  ici  le  texte  complet  de  cette  pièce 
et  que  les  fragments  publiés  ne  le  soient  pas  avec  plus  d'exactitude). 

38.  —  Société  de  l'histoire  du  protestantisme  français.  Bul- 
letin 1884,  févr.  —  Gaufrés.  Imbert  Pécolet  (sur  l'enseignement  aux  pre- 
miers temps  de  la  Réforme).  —  Acte  de  Société  de  deux  libraires  du 
Béarn,  1580.  —  Lettre  de  M.  Hamelot  à  un  jeune  proposant,  écolier  à 
Saumur,  1683.  Relation  de  la  mort  de  Pierre  Durand,  24  avril  1732. — 
Ode  de  M.  de  Chandieu  sur  les  misères  des  églises  françaises  qui  ont 
esté  par  si  longtemps  persécutées.  :=  Mars.  J.  Bonnet.  L'église  réformée 
de  la  Calmette  ;  pages  d'histoire  locale.  —  Guérin.  Poursuites  contre  les 
réformés  d'Alençon,  1533-34.  —  Puaux.  Thomas  d'Estorbiac;  lettre  et 


RECDEILS   PÉRIODIQUES.  207 

requête  d'un  magistrat  huguenot  au  xvn^  s.  — Lelièyre.  La  Réforme  à 
Jersey. 

39.  —  Société  des  Anciens  Textes  français.  Bulletin  1883.  — - 
N»  2.  P.  M.  Inventaire  d'une  bibliothèque  française  de  la  seconde  moitié 
du  xv^  s.  (tous  livres  en  langue  vulgaire  :  un  ou  deux  livres  d'histoire 
égarés  au  milieu  de  mss.  appartenant  à  la  littérature  mondaine  et  reli- 
gieuse. C'est  par  inadvertance  que  l'auteur  de  cette  note  a  parlé  de  «  la 
lutte  entre  Charles  de  Blois  et  Simon  de  Montfort.  ») 

40.  —  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest.  Bulletin,  1883, 
4e  trimestre.  —  Colonel  Babinet.  Étude  de  la  Ijataille  de  Poitiers-Mau- 
pertuis  ;  suite  (réunit  un  grand  nombre  de  récits  d'auteurs  contempo- 
rains ou  autres;  avec  une  carte). 


41.  —  Messager  des  sciences  historiques  de  Belgique.  1884, 
li'e  liv.  —  Baron  Jean  B.  de  V.  L'ancien  couvent  des  Carmes  déchaussés 
à  Gand.  —  V'^  de  Groughy  et  C'^  de  Marsy.  Un  administrateur  au 
temps  de  Louis  XIV;  suite.  —  Helbig.  Notice  sur  Gilles  Périander,  de 
Bruxelles,  poète  latin  du  xvi<=  siècle.  —  Procès  du  duc  de  Wellington 
contre  l'imprimeur  De  Busscher. 


42.  — Historische  Zeitschrift.  N.  F.  Bd.  XV.  Heft  3.— Wohlwill. 
La  France  et  l'Allemagne  du  Nord  de  1795  à  1800  (montre,  d'après  les 
documents  très  bien  publiés  par  M.  Bailleu  et  par  d'autres  actes,  com- 
ment fut  menacée  la  neutralité  de  l'Allemagne  du  Nord  et  comment  la 
Prusse  réussit  à  la  garantir).  — Langen.  Roger  Bacon  (origine  et  valeur 
de  ses  conceptions  scientifiques.  Discours  d'apparat  plutôt  que  travail 
d'érudition).  —  Hertzberg.  Les  palais  impériaux  de  Gonstantinople.  — 
Feuerlein.  Les  premiers  pas  de  la  renaissance  philosophique  en  Europe. 
=  Bibliographie.  Marquardt.  Das  Privatleben  der  Romer  (édition  con- 
sidérablement remaniée  et  mise  au  courant).  —  Bestmann.  Geschichte 
der  christlichen  Sitte  (fait  sans  méthode).  —  Ross.  The  early  history  of 
landholding  among  the  Germans  (connaît  très  bien  les  textes,  les  tra- 
vaux publiés  sur  le  sujet;  mais  interprète  mal  Tacite  et  ne  réussit  pas  à 
prouver  sa  thèse  que  l'ancienne  Germanie  connaissait  à  l'origine  seule- 
ment la  grande  propriété  foncière  possédée  par  des  seigneurs  et  cultivée 
par  des  esclaves  ou  des  hommes  libres).  —  Zeumer.  Formulae  mero- 
vvingici  et  karolini  aevi.  —  Kugler.  Neue  Analekten  zur  Geschichte  des 
zweiten  Kreuzzuges  (1"  saint  Bernard  et  la  seconde  croisade  ;  contre 
Neumann;  croit  que  la  circulaire  d'Eugène  III  pour  la  croisade  est  du 
le'"  mars  1146;  que  celle  de  saint  Bernard  aux  gens  de  Spire  a  été 
composée  peu  avant  la  Diète  tenue  en  novembre  1146;  2°  Cinnamus  et 
la  politique  de  l'empereur  Manuel;  contre  Kap-Herr;  estime  que  le 
récit  de  Cinnamus  mérite  toute  créance;  3"  critique  le  récit  de  la  croi- 
sade par  Beruhardi  dans  son  Conrad  III).  —  Fischer.  Die  Theilnahme 


208  RECUEILS   Pe'rIODIQUES. 

der  ReichsstaecUe  an  der  Reichsheerfahrt,  1254-1376  (excellent).  —  Geiger. 
Renaissance  und  Humanismus  in  Italien  und  Deutschland  (ouvrage  de 
valeur.  Une  note  de  la  rédaction  prend  soin  de  nous  avertir  que  l'ou- 
vrage a  été  jugé  bien  moins  favorablement  par  les  Preussische  Jahr- 
bûcher,  1.  II,  103).  —  Irmer.  Hans  Georg  von  Harnim  als  kaiserlicher 
Heerfiihrer  in  Pommern  und  Polen  (bon).  —  Onchen.  Das  Zeitalter 
Friedrich's  des  Grossen  (bon  ouvrage  de  vulgarisation,  malgré  des 
lacunes  et  des  erreurs).  —  Fessier.  Geschichte  von  Ungarn  (nouvelle 
édition  remaniée  et  corrigée  en  5  vol.,  très  utile).  —  Uoyle.  Englisb 
colonies  in  America  (excellent). 

43.  —  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte.  Ed.  XXIV, 
Heft  1.  — RiBBECK.  Gerhoh  de  Reichersberg  et  ses  idées  sur  les  rap- 
ports entre  l'État  et  l'Église.  (Né  vers  la  fin  du  xi«  s.,  Gerhoh,  chanoine 
d'Augsbourg,  fut  pendant  de  longues  années  l'intime  conseiller  de 
l'évèque  Hermann,  qu'il  accompagna  à  Rome  au  concile  du  Latran, 
en  1123;  en  1132,  il  fut  nommé  prévôt  de  Reichersberg;  il  mourut  en 
juillet  1169.  Partisan  de  l'empereur,  il  souhaitait  aussi  ardemment  une 
réforme  dans  l'Église,  opérée  par  l'Église  elle-même.  Lorsqu'il  vit  que 
l'idéal  de  sa  vie  était  irréalisable,  il  se  renferma  dans  la  prédication 
morale.  On  l'a  comparé  à  saint  Bernard;  la  comparaison  est  très  forcée, 
mais  Gerhoh  appartenait  à  la  même  famille  d'esprits.)  —  Volkmar. 
Les  chroniques  de  Hermann,  de  Bernuld  et  l'Epitome  Sangallensis,  pour 
les  cinq  premiers  siècles  (Bernold  a  composé  ses  chroniques  à  l'aide  de 
Hermann  et  de  l'Epitome;  puis  il  a  remanié  Hermann  en  l'abrégeant, 
mais  en  utilisant  aussi  l'Epitome.  L'Epitome,  pour  cette  période,  est 
original  et  indépendant.  Il  est  rédigé  surtout  à  l'aide  de  Gassiodore, 
puis  d'Isidore,  peut-être  aussi  du  Ghron.  Augustanum  ou  Canisianum, 
d'A.  Marcellin  et  de  Jordanis  ;  il  ne  connaît  ni  Idace  ni  les  Gesta  Pon- 
tificum.  Hermann  a  mis  à  profit  le  Chron.  Augustanum;  il  a  connu 
Prosper  et  Gassiodore  sans  les  mettre  beaucoup  à  contribution;  mais  il 
ne  s'écarte  jamais  de  l'Epitome).  —  F.  Stein.  La  Franconie  orientale 
au  x«  s.  (ses  limites  et  les  dix-neuf  gaue  qui  la  composaient;  le  margra- 
viat franconien,  ses  rapports  avec  la  Thuringe  et  la  Bavière.  Comtes 
des  gaue  et  familles  nobles;  immunités.  L'évèque  de  Wùrzbourg;  jus- 
qu'à quel  point  Eichstredt  était-il  un  évêché  franconien?).  —  Schultze. 
Sur  les  biographies  de  Majolus  (nous  avons  de  ce  moine,  second  succes- 
seur d'Odon  de  Gluny,  cinq  biographies,  plus  les  fragments  d'une 
sixième.  On  n'attache  d'ordinaire  d'importance  qu'à  la  plus  ancienne; 
cependant,  bien  que  dérivées,  les  autres  ne  sont  pas  sans  valeurj.  — 
Seegk.  A  quelle  époque  furent  livrés  les  combats  de  Pollentia  et  de 
Vérone?  (l'examen  attentif  des  œuvres  poétiques  de  Glaudien  et  des 
annalistes  du  iv«  s.  prouve  qu'il  faut  placer  en  402  et  non  en  403  la 
date  de  ces  batailles).  —  Kunik.  Sur  la  Vita  Anskarii  (sur  la  date  du 
double  voyage  d'Ansgar  en  Suède,  et  sur  la  mort  de  Gauzbert,  arrivée 
vers  860).  —  Pflugk-Harttung.  De  quelques  lettres  du  moyen  âge,  et 


RECUEILS  PERIODIQUES.  209 

en  particulier  de  deux  brefs  d'Eugène  III  sur  la  croisade  (ces  deux  brefs, 
relatifs  à  la  seconde  croisade,  sont  authentiques). 

44.  —  Gœttingische  gelehrte  Anzeigen.  1804,  n«  3.  —  Ewald  et 
Lœwe.  Exempla  scripturae  visigothicae  xl  tabulis  expressa.—  Pliiiippi  et 
Wœlkt/.  Preussisches  Urkundenbuck.  Bd.  I  :  die  Bildung  des  Ordens- 
staats  (contient  348  documents  allant  de  1140  à  1257  ;  très  nombreuses 
critiques  de  détail).  =  N°  4.  Neumann.  Geschichte  Roms  waîhrend  des 
Verfalles  der  Republik  (livre  très  agréable  à  lire).  =:  N°  5.  Seelxnder. 
Graf  Seckendorff  und  die  Publicistik  zum  Frieden  von  Fiissen,  1745 
(très  intéressants  résultats).  —  Enmann.  Fine  verlorene  Geschichte  der 
rômischen  Kaiser  und  das  Buch  de  Viris  illustribus  urbis  Romae  (l'au- 
teur pense  qu'il  y  a  eu  une  histoire  des  empereurs  romains  sous  forme 
de  biographie,  qui  est  la  source  principale  d'A.  Victor  et  d'Eutrope,  et 
dont  d'importants  fragments  ont  passé  dans  les  Script,  hist.  aug.  Elle 
allait  d'abord  jusqu'à  Dioclétien;  une  seconde  main  l'a  continuée  jus- 
qu'à la  défaite  des  Alamans  en  357.  Ce  continuateur  a  aussi  composé 
sous  la  même  forme  biographique  l'histoire  des  rois  et  de  la  Répu- 
blique; ce  sont  ces  biographies  que  l'on  retrouve  abrégées  dans  le  De 
Viris  ;  elles  ont  été  utilisées  par  Ampelius  dans  son  Liber  meinorialis, 
et  par  Eutrope.  Discussion  de  ces  conclusions). 

45.  —  Deutsche  Rundschau.  1884,  mars.— Noeldeke.  Theodoros, 
roi  d'Abyssinie. 

46.  —  Hermès.  Bd.  XVIII,  Heft  3.  1883.  —  Fr^nkel.  L'An- 
tidosis  (il  ne  s'agissait  nullement,  comme  Bœckh  le  croyait,  d'un 
échange  de  biens,  mais  d'un  séquestre  judiciaire  de  ces  biens  jusqu'à 
la  décision  des  juges).  —  Robert.  Un  antique  système  de  numérotation 
et  les  tablettes  en  plomb  de  Dodone  (l'usage  des  lettres  comme  signe  de 
numération  était  en  vigueur  à  Athènes  vers  le  milieu  du  v^  s.)  —  Blass. 
Du  fragment  sur  papyrus  de  la  politique  des  Athéniens,  par  Aristote 
(correction  au  texte j.  =  Bd.  XIX,  Heft  1.  1884.  —  Mommsen.  De  la 
conscription  sous  les  empereurs  (à  l'aide  d'inscriptions  nouvelles,  l'au- 
teur constate  trois  époques  différentes  :  1°  l'ordonnance  d'Auguste, 
d'après  laquelle  l'Italie  et  l'Occident  latin  fournissent  les  légions  occi- 
dentales, et  l'Orient  grec  les  légions  grecques  ;  2°  depuis  Vespasien,  on 
maintient  l'ancien  système  d'Auguste,  sauf  que  les  Italiens  sont  dis- 
pensés de  tout  service  militaire  régulier;  enfin,  depuis  Hadrien,  on 
introduit  la  conscription  locale.  L'auteur  traite  ensuite  d'une  manière 
approfondie  la  conscription  des  troupes  auxiliaires,  le  mode  de  cons- 
cription, la  condition  juridique  des  soldats,  etc).  —  Thalheim.  L'Anti- 
dosis  (contre  l'opinion  de  Frœnkel  exposée  plus  haut).  —  De  Boor. 
Le  recueil  de  Porphyrogénète  (modifie  souvent  l'ordre,  la  suite  et  le 
rapport  des  extraits,  tels  que  Nissen  les  avait  adoptés).  —  Seeck. 
Remarques  sur  la  reconstruction  de  la  sceuothèque  de  Philon  (contre 
Dorpfeld). 

ReV.   IIlSTOn.    XXV.    le'-   FASC.  14 


2^0  RECUEILS   Pe'rIODIQUES. 

47.  —  Neue    Jahrbiicher    fur    Philologie    und    Pœdagogik. 

Bd.  GXXVII  et  GXXVIII  ,  Heft  12.  1883.  —  Kothe.  Sur  l'éco- 
nomie des  histoires  de  Timée  (contre  Beloch.  La  valeur  historique  de 
l'histoire  de  Timée  est  faible).  —  Busolt.  Sur  les  sources  des  Messeniaka 
de  Pausanias  (le  cadre  pour  l'histoire  de  la  première  guerre  messénienne 
est  pris  de  Thucydide  et  de  Xénophon;  le  détail  a  été  composé  à  l'aide 
des  récits  des  Messéniens  et  de  l'épopée  ;  les  seuls  fragments  de  Tyrtée 
ont  une  valeur  historique).  —  Reuss.  L'anabase  de  Xénophon  (expose 
en  détail  sur  les  évolutions  des  Grecs  à  la  bataille  de  Gunaxa  et  leur 
ordre  de  marche).  —  Jakoby.  Sur  Denys  d'Halicarnasse  (propose  des 
corrections  au  texte,  d'après  une  étude  attentive  des  particularités  de 
style  de  l'historien).  —  Schmidt.  L'âge  de  la  Lex  Antonia  Gornelia  de 
permutatione  provinciarum  (le  27  ou  le  28  juillet  de  l'an  44  avant  J.-G.). 
—  Gemoll.  Sur  le  De  viris  illustribus  de  Gennadius  (correction  au 
texte).  =  Bd.  GXXIX  et  CXXX,  Heft  1.  —  Brunn.  Pausanias  et  ses 
détracteurs  (estime  que  Pausanias,  en  parlant  d'Olympie,  a  bien  décrit 
ce  qu'il  a  vu  ;  repousse  le  reproche  de  niaiserie  qui  a  été  fait  à  cet 
auteur).  —  Brzoska.  De  canone  decem  oratorum  atticorum  (ce  canon  a 
son  origine  à  Pergame). — Eussner.  Sur  les  histoires  de  Tacite  (remar- 
ques sur  la  critique  du  texte).  —  Peter.  Sur  les  Scriptores  historiae 
augustae  (corrige  quelques  leçons). 

48.  —  Zeitschrift  fur  deutsche  Philologie.  Bd.  XV,  Heft  4. 
4883.  —  Sghep.-;s.  Les  lettres  de  Froumond  et  Ruodlieb  (correc- 
tion au  texte  de  l'édition  Seiler.  Froumond  séjourna  à  Teuchtwangen 
et  à  Wurzbourg;  détail  sur  les  écoles  allemandes  au  x"  s.).  —  Matthias. 
La  chasse  dans  les  Nibelungcn  (important  pour  l'histoire  des  mœurs  au 
moyen  âge). 

49.  —  Jahrbiicher  fiir  die  Deutsche  Armée  und  Marine.  1884, 

janvier.  —  La  campagne  de  Frédéric  H  en  1742;  souvenirs  (sa  cam- 
pagne en  Moravie  et  la  bataille  de  Chotusic,  d'après  le  récit  du  roi  et 
les  témoignages  contemporains).  —  Von  Kaltenborn.  Lennart  Tors- 
tenson;  suite  en  févr.  (sa  biographie;  réorganisation  de  l'armée  suédoise 
en  1641).  —  Le  premier  régiment  prussien  de  hussards  dans  la  cam- 
pagne de  Russie  en  1812;  suite  en  février  (des  opérations  sous  Macdonald 
à  l'aile  gauche  de  l'armée).  =  Compte-rendu  :  Gerneth.  Geschichte  des 
kôn.  bayerischen  5  Infanterie-Regimentes,  1722-1804  (très  bon).  = 
Février.  Compte-rendu  :  Malachowski.  Ueber  die  Entwickelung  der  lei- 
tenden  Gedanken  zur  ersten  Campagne  Napoléons  le'  (très  bon). 

50.  —  Militaerische  Blaetter.  Jahrg.  XIII,  Bd.  XXIV,  Heft  1-2. 
Berlin,  1884.  —  Von  Czernowsky.  La  marche  de  Souvarov  à  travers  le 
Saint-Gothard  en  1799;  suite.  =  Comptes-rendus  :  Krausc.  Die  Ent- 
wickelung des  Brandenburg-preussischen  Heeres  (bon).  —  Von  Brœckern, 
Memoiren  aus  dem  Feldzuge  in  Spanien,  1808-1814  (bon). 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  2^  4 

51.  —  Deutsche  Revue.  Jahrg.  VIII,  Bd.  IV,  1883.  Extraits  de 
lettres  et  de  mémoriaux  d'un  ministre  allemand  (Von  Freydorf,  ministre 
badois,  1866-70).  =  Jahrg.  1884.  Heft  1-2.  —  IIoltzmann.  Luther 
considéré  comme  réformateur  des  universités.  —  Irsner.  Portrait 
d'un  célèbre  aventurier  (quelques  traits  de  la  vie  du  colonel  autrichien 
von  der  Trenk,  assez  triste  personnage  à  qui  ni  la  flatterie  ni  le  men- 
songe n'étaient  inconnus).  —  Langkavel.  Sur  l'histoire  de  la  mode 
des  différents  noms  des  objets  de  fourrures). 

53.  —  Auf  der  Hœhe.  Jahrg.  III,  Bd.  IX,  1883,  oct.  —  Reinagh. 
Léon  Gambetta.  —  Huet.  Érasme  de  Rotterdam.  =  Dec.  Schwicker. 
Universités  hongroises;  fin. — Demetrios.  Extraits  des  mémoires  d'une 
amie  de  Mazzini  (ces  notes  traitent  du  séjour  de  M.  à  Londres  et  des 
conspirations  qu'il  y  prépara).  =  Bd.  X,  Heft  28.  —  Hannemann. 
Les  Basques;  fin  Heft  29  (histoire  et  ethnographie;  l'auteur  les  fait 
venir  des  Ibères,  Turdules  et  Turdétains).  —  Sghwicker.  Un  savant 
hongrois  (article  très  élogieux  sur  le  livre  de  J.  Schwarcz,  Die  Demo- 
kratic;  fin  Heft  29). 

53.  —  Archiv   fûp  katolisches    Kirchenrecht.   1884,  Heft   1. 

—  ScH.MiTz.  Nouvelles  contributions  à  l'histoire  des  livres  péniten- 
ciaux  (à  propos  du  livre  de  Seebass  :  Ueber  Columba  von  Luxeuils 
Klosterregel  und  Bussbuch.  Montre  que  les  regulae  cœnobiatcs  ne  sont 
pas  des  pénitenciaux,  mais  seulement  des  listes  de  punitions  infligées 
au  couvent;  Columba  n'a  donc  pas  apporté  en  France  le  système  de 
pénitence  usité  en  Irlande).  =  Comptes-rendus  :  Schnûrer.  Pilgrim 
Erzbischof.  Studien  zur  Geschichte  Heinrich  II  und  Konrad  II  (bon). 

—  BclUsheim.  Geschichte  der  katholischen  Kirche  in  Schottland,  von 
der  Einfiihrung  des  Christentums,  bis  auf  die  Gegenwart  (très  bon). 

54.  —   Theologische    Studien    und    Kritiken.    1884.    Heft   2. 

—  Hering.  La  Réforme  et  le  paupérisme  (la  Réforme,  en  empêchant 
l'argent  d'aller  à  Rome,  fut  importante  en  Allemagne  au  point  de  vue 
économique;  ses  rapports  avec  l'insurrection  des  paysans).  =:  Compte- 
rendu  :  De  Groot.  Beitrsege  zur  Luther  (montre  par  de  nouveaux  docu- 
ments la  haine  fanatique  de  Luther  contre  Érasme,  à  qui  Luther  ne 
comprenait  rien). 

55.  —  Nord  und  Siid.  1883,  Heft  10.  —  Zorn.  Stein  et  la  réforme 
de  l'administration  prussienne  (ces  réformes  sont  le  fondement  de 
toutes  les  institutions  durables  qui  ont  été  édifiées  dans  ce  siècle  en 
Prusse  et  en  Allemagne).  —  Geyer.  Hohenstaufen  et  Hohenzollera 
(1°  histoire  du  château  de  Hohenstaufen  du  moyen  âge  à  l'époque  con- 
temporaine; 2"  histoire  du  château  d'Urach  et  de  ses  rapports  avec 
l'histoire  des  comtes  de  Wurtemberg;  3°  les  plus  anciennes  mentions 
du  château  de  HohenzoUern  dans  la  Chronique  Souabe  de  Martinus 
Crusius).  =  Heft  12.  Cantor.  Sur  l'histoire  des  universités  (organisation 


212  RECUEILS    PERIODIQUES. 

intérieure  de  l'université  de  Padoue  au  xvi''  s.;  ses  luttes  contre  les 
jésuites).  —  La  Prusse  dans  la  Hesse  électorale  (souvenirs  d'un  vieux 
officier  prussien  dans  l'expédition  de  nov.-déc.  1850.  Décrit  avec  soin 
les  événements  militaires  et  diplomatiques.  Le  gouvernement  prussien 
avait  mis  tout  son  espoir  dans  la  conférence  ouverte  le  23  décembre  à 
Dresde  pour  sauver  au  moins  tout  ce  qui  n'était  pas  encore  perdu  de  sa 
politique  allemande;  mais  là  encore  elle  dut  céder  devant  la  politique 
énergique  et  tout  à  fait  consciente  de  son  but  du  prince  Schwarzenberg). 
=  1884.  L'ultramontanisme  en  France  sous  la  Restauration  (la  théo- 
logie et  la  science;  les  idées  de  La  Mennais). 

56.  —  Zeitschrift  der  deutschen  morgenlaendischen  Gesell- 
schaft.  Bd.  XXXVII,  Heft  3-4.  1883.  —  Muller.  Inscriptions 
sabéennes  découvertes  et  rassemblées  par  Siegfried  Langer  (publie 
22  inscr.  himyaritiques,  précieuses  pour  la  géographie  et  l'histoire  des 
mœurs).  —  Bûhler.  Inscr.  d'Asoka  (publie,  traduit  et  commente  deux 
édits  du  roi  Priyadisin  ou  Asoka).  —  Stigkel.  Sur  la  Sphragistique 
orientale  (publie  et  traduit  des  légendes  de  sceaux).  —  Erman.  Une 
statue  égyptienne  trouvée  en  Cilicie  (une  inscr.  la  fait  remonter  au 
temps  des  ll«-13e  dynasties).  —  Mayer.  Origine  des  sept  jours  de  la 
semaine.  —  Garbe.  Sur  l"Iv5ixri  d'Arrien  {V'Ephwtaïc,  de  Mégasthène  est 
le  fleuve  Varànaù;  ce  qu'il  dit  du  peuple  des  Mathai  est  une  erreur  ;  l'In- 
dien qui  lui  fournit  ces  renseignements  voulait  parler  de  Bénarèsj.  — 
EuTiNG.  Correction  à  plusieurs  traductions  d'inscr.  phéniciennes  et  ara- 
méennes.  —  Hultscu.  Inscr.  d'Amaràvati.  —  Suchau.  Sur  le  N6[j.oi; 
T£>.wvixôç  de  Palmyre  (éclaircissements  sur  ce  texte  bilingue  très  impor- 
tant, qui  date  de  l'an  137  ap.  J.-C).  —  Bùhler.  Inscr.  d'Asoka  (texte, 
traduction  et  commentaire  de  quatre  nouveaux  edits  de  ce  roi). 

57.  —  Preussische  Jahrbucher.  Bd.  LUI,  Heft  2.  Janvier  1884. 
—  Lanz.  La  guerre  de  l'indépendance  américaine  au  point  de  vue 
anglais  (d'après  l'ouvrage  de  Lecky).  =  Févr.-juill.  Sghmidt.  L'histoire 
universelle  de  Ranke  (analyse  du  4^  vol.).=Comptes-rendus:  Treitschke. 
Adolf  Lutzows  Freikorps,  1813-1814  (bon). —  Dove.  Das  Zeitalter  Fried- 
rich des  Grossen  und  Joseph  II  (très-bon). 

'  58.  —  Zeitschrift  des  Harz-Vereins  fur  Geschichte  und 
Alterthumskunde.  Jahrg.  XVI,  H.  1.  1883.  —  Zimmerm.vnn.  Ernst 
Theodor  Langer  (publie  des  lettres  de  Langer,  ami  de  Goethe 
et  de  Lessing  et  bibliothécaire  de  Wolfenbùthel.  Destinée  de  cette 
bibliothèque  sous  le  roi  Jérôme).  —  GroEssLER.  Deux  contributions 
à  l'histoire  de  la  Réforme  au  comté  de  Mannsfeld  (1°  circulaire  adressée 
aux  prêtres  d'Eisleben  en  1571  ;  2°  narratio  historica  de  statu  ecclesiae 
in  comitatu  Mansfeldensi,  par  Menzel,  surintendant  général  de  Manns- 
feld, en  1584).  —  Id.  Explication  des  noms  de  lieu  allemands  du  district 
maritime  de  Mannsfeld  (l'auteur  y  retrouve  des  réminiscences  nom- 
breuses qui  rappellent  la  maison  royale  de  Thuringe,  et  en  particulier 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  243 

le  roi  Bisin).  —  Funica.  Sur  l'histoire  du  couvent  de  Sainte-Croix  à 
Brunswick  (intéressant  pour  l'histoire  de  la  vie  monacale  au  moyen 
âge).  —  Ménadier.  Sur  les  monnaies  de  notre  pays  (en  étudiant  des 
monnaies  découvertes  à  Gandersheim,  l'auteur  parvient  à  déterminer 
un  pied  monétaire  particulier  à  la  Basse-Saxe  pendant  le  moyen  âge). 

—  Contribution  à  l'histoire  de  la  corporation  des  menuisiers  à  Werni- 
gerode.  —  Id.  Arten  pendant  la  guerre  de  Trente  ans  (publie  un  docu- 
ment de  1628).  —  Jacob.  Le  chiffre  de  la  population  à  Wernigerode 
en  1682.  —  Lindner.  Un  poème  satirique  sur  Monseigneur  de  Bellisle 
(composé  lorsqu'il  fut  fait  prisonnier  à  Elbingerode).  —  Schell.  Les 
mines  d'autrefois  et  les  privilèges  des  villes  minières  du  haut  Harz 
(publie  divers  privilèges  accordés  par  les  ducs  de  Brunswick  en  1636 
et  en  1752). 

59.  —  Zeitschrift  des  Aachener  Geschichtsvereins.    Bd.  V, 

Heft  3-4.  1883.  —  Reumont.  Cornel  Peter  Bock  (biographie  de  cet  his- 
torien distingué,  né  à  Aix-la-Chapelle  en  180-4;  liste  de  ses  productions 
les  plus  remarquables,  qui  se  rapportent  surtout  à  l'histoire  de  l'empire 
romain).  —  Korth.  Les  voyages  du  chevalier  Arnold  von  Harff  en 
Arabie,  dans  l'Inde  et  dans  l'Afrique  orientale  (une  partie  seulement 
des  récits  de  ces  voyages,  effectués  en  1497  et  en  1498,  sont  d'un  témoin 
oculaire;  il  a  emprunté  le  reste  à  d'autres  descriptions  et  à  Ptolémée; 
son  œuvre  est  cependant  fort  importante  pour  l'histoire  des  villes  com- 
merçantes de  la  Méditerranée).  —  Gross.  Sur  l'histoire  du  territoire 
d'Aix-la-Chapelle;  suite  (document  copié  en  1654,  mais  d'une  origine 
plus  ancienne  ;  c'est  une  ordonnance  de  la  commune  de  Laurensberg 
concernant  les  échevins,  les  maîtres  d'école,  l'assistance  publique,  etc.). 

—  Michel.  Heinden,  fief  mouvant  de  Juliers  (les  sires  de  Heiden,  delà 
famille  des  chevaliers  de  Bongart,  jusqu'en  1783;  documents  relatifs  à 
leur  histoire).  —  Pauls.  Sorcières  brûlées  à  Aix-la-Chapelle  en  1630  et 
en  1649.  —  Reumont.  Médaille  commémorative  de  la  paix  d'Aix-la- 
Chapelle  en  1668.  —  Pauls.  Restes  d'un  observatoire  romain  élevé  près 
de  Friesenrath  dans  le  district  d'Aix-la-Chapelle  (la  découverte  de  ce 
monument  permet  de  préciser  la  direction  de  la  voie  romaine  qui  tra- 
verse la  montagne  des  «  hohen  Veen  »).  =  Compte-rendu  :  Dumont. 
Geschichte  der  Pfarreien  der  Erzdiôcese  Kôln.  Bd.  XXII  (très  bon). 

60.  —  Jahrbûcher  und  Jahresberichte  des  Vereins  fur  mek- 
lenburgische  Geschichte  und  Alterthumskunde.  Jahrg.  XLVIII. 
1883.  —  WiGGER.  La  forteresse  de  Pol  (son  histoire  pendant  la 
guerre  de  Trente  ans  ;  son  importance  pour  la  formation  de  la  flotte 
de  Wallenstein.  Publie  trois  documents  relatifs  au  plan  et  à  la  cons- 
truction de  cette  forteresse).  —  Balck.  Les  Mecklembourgeois  dans  les 
Universités  étrangères  jusqu'au  milieu  du  xvn^  s.  (les  Universités  les 
plus  fréquentées  par  eux  étaient  celles  de  Rostock  et  de  Wismar).  — 
Wilhelmi.  Augusta,  princesse  de  Mecklenburg-Giistrow,  et  les  piétistes 


214  RECUEILS    PERIODIQUES. 

de  Dargan  (origine  des  communautés  piétistes  en  Mecklembourg  au 
commencement  du  xviii«  s.  ;  luttes  qu'elles  curent  à  soutenir  contre  les 
théologiens  de  Rostock;  biographie  de  la  princesse  Augusta  qui  soute- 
nait les  piétistes;  sa  correspondance  avec  le  duc  Charles-Léopold).  — 
Krause.  Antiquités  dans  les  environs  de  Rostock  (1°  rapport  sur  l'ou- 
verture de  ce  qu'on  appelle  les  tombeaux  coniques  de  Doberan,  apparte- 
nant à  l'âge  du  bronze.  Découverte  d'anciennes  fortifications  wendes 
primitives  à  l'est  et  à  l'ouest  de  Warnow;  2°  rapport  sur  une  décou- 
verte importante  d'objets  de  l'âge  du  fer  à  Dierkow).  —  Beltz.  Recher- 
ches sur  l'âge  du  bronze  en  Mecklembourg  (au  sujet  des  trouvailles 
faites  à  Tessenow,  près  deParchim).  —  Brûckner.  Anciennes  demeures 
près  de  Neubrandenburg  (appartiennent  à  l'âge  de  pierre).  —  Crull. 
Sur  la  chronique  de  l'église  de  Saint-Nicolas  de  Wismar,  par  Michael 
Kopmann  (notes  biographiques  sur  ce  chroniqueur  et  sur  sa  famille). 

61.  —  GeschichtsblsBttep  fur   Stadt  und  Land  Magdeburg. 

1883.  Heft  4.  —  Wegener.  Coutumes  nuptiales  du  pays  de  Magde- 
bourg.  —  WoLTER.  Sur  l'histoire  de  la  ville  de  Magdebourg  (arrêté 
pris  par  le  gouvernement  archiépiscopal  en  1599,  sur  le  droit  de 
transporter  le  blé  par  bateau).  —  Hertel.  Lettres  sur  l'histoire  des 
archevêques  Ernest  et  Albert  V  de  Magdebourg  (publie  la  correspon- 
dance du  comte  Botho  le  Fortuné  à  Stollberg,  en  qualité  de  lieutenant 
des  archevêques  de  Magdebourg,  en  1500-1538).  =  Comptes-rendus: 
Sclium.  Gesta  archiepiscoporum  Magdeburgensium  (fin).  —  Jacobs. 
Geschichte  der  in  der  preussisciien  Provinz  Sachsen  vereinigten  Lan- 
destheile  (bon). 

62.  —  Zeitschrift  des  histor.  Vereîns  fur  Sch-waben  und  Neu- 
burg.  Jahrg.  X,  Ilcft  1.  1883.  —  Vogt.  La  correspondance  du 
chef  de  la  Ligue  souabe  aux  années  1524  à  1526;  fin  Heft  2-3 
(comprend  904  numéros;  ce  sont  pour  la  plupart  des  plaintes  élevées 
par  les  communautés  après  la  fin  de  la  guerre  contre  les  paysans,  et 
des  négociations  sur  le  chiffre  des  amendes.  Une  table  termine  cette 
publication).  —  Hoerm.\nn.  Souvenirs  relatifs  à  l'ancien  couvent  de 
femmes  de  Sainte-Catherine  à  Augsbourg;  suite  (liste  des  prieures  de 
1273  à  1802,  avec  indication  des  documents  où  elles  sont  mentionnées). 

63.  —  "Wûrttembergische  Vierteljahrshefte  fiir  Landesges- 
chichte.  Jahrg.  VI,  Heft  4.  1884.  —  Klemm.  Sur  l'histoire  de  Geis- 
lingen  et  de  ses  environs;  fin  (histoire  des  seigneurs  du  Spitzenberg, 
1083-1314).  —  BucK.  Remarques  sur  les  noms  de  lieux  et  de  per- 
sonnes des  Codices  traditionum  Weingartensium.,  pub.  au  t.  IV  du 
AVirttemberges  Ilrkundenbuch  (explication  étymologique  des  noms 
allemands  et  romains).  —  Giefel.  Le  livre  de  comptes  de  la  ville  de 
Ravensburg,  1474-1604.  —  Setz.  Une  ordonnance  impériale  pour  célé- 
brer la  victoire  de  Peterwardein,  1716.  —  Bossert.  De  l'origine  de 
l'évêque  de  Bamberg,  Otton  le  saint  (il  était  originaire  de  Souabe  et 


RECDEILS   PERIODIQUES.  245 

apparenté  avec  les  comtes  de  Staufen,  Wurtemberg,  etc.).  —  Beck.  Un 
procès  de  sorcellerie  à  Ellingen  en  moyenne  Franconie,  en  1590. 

64.  —  Verhandlungen  des  historischen  Vereins  fur  Nieder- 
baiern.  Bd.  XXII,  Heft  1-2.  1882.  —  Stadlbauer.  Les  derniers 
abbés  du  couvent  d'Oberaltaich ,  1593-1802  (publie  un  document 
sur  l'invasion  des  troupes  weimariennes  dans  le  Bayerischer  Wald 
en  1633).  —  Mûller.  Un  code  municipal  de  Landshut  du  xiv«  siècle 
(publie  une  traduction  allemande  du  commencement  du  xn^"^  s.).  — 
Mayerhofer.  Vingt  documents  relatifs  à  l'histoire  ecclésiastique  de 
Passau,  1457-1638.  —  Mûller.  Lettre  de  privilège  pour  le  marché  de 
Kœtzting,  par  l'empereur  Louis  de  Bavière,  1344.  —  Schw^bl.  Georg 
Sébastian  Plinganser;  contribution  à  l'histoire  de  la  guerre  de  la  suc- 
cession d'Espagne  en  Bavière  (biographie  de  Plinganser,  le  chef  des 
Paysans  en  Basse-Bavière,  lorsqu'ils  se  soulevèrent  contre  la  domina- 
tion autrichienne  ;  s'efforce  de  prouver  qu'il  n'a  pas  manqué  à  sa  parole, 
et  que  son  mémoire  à  l'électeur  est  digne  de  foi). — Schreiner.  Fouilles 
à  Eining  en  1879-81  (où  se  trouve  un  des  camps  romains  les  mieux 
conservés  de  toute  l'Allemagne).  —  Sghilllng.  Les  anciens  bains 
romains  et  la  paroisse  de  Gœcking  (histoire  de  ce  village  depuis  sa  plus 
ancienne  mention  en  1128).  —  Handel-Mazetti.  Documents  tirés  des 
archives  du  château  d'Ering  sur  Inn;  fin  :  1511-1745.  —  Dollinger. 
Cartulaire  de  la  ville  de  Neustadt  sur  le  Danube;  suite  :  1529-1551. 

65.  —  K.  Baierische  Akademie  der  'Wissenschaften.  Philo- 
soph.-philolog.  und  historische  Classe.  Sitzungsberichte.  1883.  Heft  3. 
—  Heigel.  L'électeur  Joseph  Clément  de  Bavière  et  le  projet  d'une 
cession  de  la  Bavière  à  l'Autriche  en  1712-1715  (des  documents 
nouveaux  ont  permis  à  l'auteur  de  tirer  au  clair  les  particularités  des 
négociations  entre  la  Bavière,  l'Autriche  et  la  France,  au  sujet  d'un 
échange  des  territoires  de  l'électeur;  l'électeur  de  Cologne  s'y  opposa 
avec  la  plus  grande  énergie.  Suivent  des  lettres  à  Max  Emmanuel  et  à 
Torcy).  —  Stieve.  L'opinion  du  vice-chancelier  de  l'empire  von  Stra- 
lendorf  sur  la  succession  de  Juliers  (est  apocryphe  ;  cette  pièce  a  été 
composée  par  le  Brandebourg  afin  de  détacher  la  Saxe  de  l'alliance 
impériale).  —  Gregorovius.  La  fondation  de  la  colonie  romaine  Aelia 
Capitolina.  =  Heft  4.  Friedrich.  Sur  la  Vita  sancti  Ruperti  (n'a  aucune 
valeur.  Quant  à  Rupert,  il  doit  être  placé  vers  l'an  700).  —  Von  Lqeher. 
L'âge,  l'origine  et  la  parenté  des  Germains  (tout  montre  que  les  Ger- 
mains, lorsqu'ils  se  trouvèrent  en  contact  avec  les  Romains,  étaient 
établis  déjà  depuis  longtemps  en  Germanie.  Si  l'hypothèse  qui  fait  de 
l'Europe  la  patrie  originaire  des  peuples  ariens  était  justifiée,  les  Ger- 
mains pourraient  élever  les  meilleures  prétentions  à  être  le  point  de 
départ  de  leurs  migrations).  =  Historische  Classe.  Ahhandlungen. 
Bd.  XVII.  Abt.  1.  1883.  Rockinger.  Le  livre  des  Rois  et  le  Miroir  de 
Souabe  (l'auteur  de  la  chronique  intitulée  «  le  livre  des  rois  »  était  un 


2-16  RECUEILS  PÉRIODIQUES. 

elerc  de  Franconie  qui  écrivait  vers  le  second  tiers  du  xiii'  s.  Il  est 
possible  qu'il  ait  aussi  composé  le  Miroir  de  Souabe  ;  ce  dernier  nom 
serait  donc  inexact).  —  Preger.  Les  traités  de  Louis  de  Bavière  avec 
Frédéric  le  Beau  en  1325  et  1326  (la  renonciation  de  Louis  au  trône 
dont  parle  le  traité  conclu  avec  Frédéric  à  Ulm  en  1326  ne  fut  faite 
que  pour  tromper  le  pape,  pour  éloigner  ensuite  les  princes  de  l'empire 
du  candidat  français  que  favorisait  le  pape,  et  pour  les  amener  à  la 
cause  de  Frédéric.  Il  est  inexact  que  Louis  ait  refusé  à  Frédéric  le 
titre  de  co-régent  à  Innsbruck  en  1327.  Publie  448  pièces  justificatives). 

66.  —  Mittheilungen  des  Instituts  fur  œsterreichische  Ge- 
schitsforschung.  Ergaenzungsband  I,  Heft  1 .  —  W.  Sickel.  Sur  l'his- 
toire des  institutions  politiques  de  l'Allemagne  (étudie  :  1°  l'État  ger- 
manique primitif:  les  assemblées  populaires;  la  division  des  peuples 
en  groupes  multiples  de  dix  ;  2"  l'organisation  nouvelle  de  l'État  libre  : 
les  chefs  du  peuple,  les  tribunaux  et  le  maintien  de  la  paix  publique  ; 
3°  les  institutions  de  l'État  non  libre).  —  Fanta.  Les  traités  des  empe- 
reurs avec  Venise  jusqu'en  983  (du  capitulaire  de  l'année  805  ou  806 
qui  accorde  aux  Vénitiens  la  paisible  jouissance  de  leurs  biens  dans 
l'empire;  de  la  forme  que  revêtit  ce  capitulaire  dans  les  traités  posté- 
rieurs auxquels  il  sert  de  base.  Publie  la  confirmation  donnée  par 
Charles  III  à  Ravenne  le  II  janvier  880).  —  Th.  Sickel,  E.  von  Otten- 
THAL  et  Fanta.  Notes  sur  les  diplômes  des  Ottons.  —  Dobenecker.  La 
bataille  de  Miihldorf,  28  nov.  1322,  sur  le  fragment  d'une  chronique 
autrichienne.  =  Bd.  IV,  Heft  3.  J.  Figker.  Commentaires  sur  l'histoire 
de  l'empire  au  \uv  s.;  suite  :  8°  les  écrits  du  pape  contre  l'empereur 
Otton  IV,  1210  et  1211.  9°  Invasion  des  États  de  l'Église  par  Reinald 
de  Spolète,  1218.  10°  Nomination  de  l'archevêque  de  Cologne  Conrad, 
en  qualité  de  légat,  1249.  —  0.  von  Zallinger.  Les  classes  de  cheva- 
liers dans  le  droit  de  la  Styrie.  —  Hùlsen.  Sur  un  cadavre  romain 
découvert  en  1485  près  de  la  Via  Appia.  —  Fanta.  Les  registres  ange- 
vins dans  l'Archivio  di  stato  de  Naples,  —  Schulte.  Le  ms.  original 
de  Kœnigshofen.  —  Cipolla.  L'emprisonnement  du  roi  Enzio  à  Bologne 
(le  malheureux  roi  ne  parait  pas  avoir  été  trop  maltraité  en  prison  :  en 
1252,  il  avait  un  tailleur  attaché  à  sa  personne).  —  Jaksch.  Sur  la  bio- 
graphie de  J.  Unrest,  prêtre  bavarois  du  xv«  s.  =  Bibliographie.  G.  von 
Buchwald.  Bischofs-  und  Fiirsten-Urkunden  des  XII  u.  XIII  Jahrh. 
(très  bon).  —  Rhomberg.  Die  Erhebung  der  Geschichte  zum  Range 
einer  Wissenschaft,  oder  die  historische  Gewissheit  und  ihre  Gesetze 
(l'auteur  du  livre  est  du  nombre  de  ces  savants  qui,  tous  les  jours, 
découvrent  l'Amérique).  —  Jxger.  Geschichte  der  landstaendischen 
Verfassung  Tirols.  Bd.  II  (bon).  -=  Heft  4.  Diekamp.  Sur  les  bulles  des 
papes,  d'Alexandre  IV  à  Jean  XXII,  1254-1334  (suit  le  texte  de  quatre 
bulles,  d'après  les  originaux  de  Vienne).  —  Busson.  Sur  la  Vita  Hein- 
rici  imperatoris.  —  Koehler.  Les  opérations  de  Charles  d'Anjou  avant 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  2^ 

la  bataille  de  Tagliacozzo  en  1268.  Réplique  de  Jul.  Ficker.  —  Schalk. 
Les  monnaies  de  Vienne  dans  le  premier  quart  du  xv"  s.  —  Zimerman. 
Une  lettre  de  Johann  Eck  au  roi  Ferdinand  I«'',  1529.  =  Bibliographie. 
Ludewîg.  Poppo  von  Stablo  und  die  Klosterreformen  unter  den  ersten 
Saliern  (intéressant  pour  l'histoire  de  la  réforme  cluniasienne  et  de  son 
influence  sur  les  idées  de  Grégoire  VII).  =  Bd.  V,  Heft  1.  Redlich. 
Sur  les  livres  de  traditions  et  sur  les  traditions  en  Bavière  (sur  l'his- 
toire du  droit  privé).  —  H.  von  Kap-herr.  Bernardus  Marango  (n'est 
pas,  comme  Fa  pensé  Scheffer-Boichorst  sur  l'autorité  de  Roncioni, 
l'auteur  des  Annales  Pisani).  —  Lindner.  La  bulle  d'or  et  ses  expédi- 
tions originales  (reprend  la  question  après  0.  Harnack  et  arrive  à  des 
résultats  tout  différents).  — •  Thausing.  Michel  Wolgemut,  et  la  publi- 
cation de  la  Chronique  universelle  de  Hartmann  Schedel  (1'  la  signa- 
ture de  maitre  W.,  qui  se  rencontre  sur  un  grand  nombre  de  gravures 
sur  cuivre  du  xv«  s.,  n'est  pas,  comme  on  l'a  répété  jusqu'ici,  le  mono- 
gramme de  l'orfèvre  Wenzel  d'OImutz,  mais  bien  celle  du  peintre 
nurembergeois  Michel  Wolgemut.  2°  Publie  le  texte  d'un  traité  passé 
en  1491  pour  la  publication  des  Ghronica  mundi  de  Schedel).  —  E.  von 
Ottenthal.  Rapport  sur  une  mission  à  Rome  (à  la  recherche  de  docu- 
ments relatifs  à  Rodolphe  I^""  et  à  Albert  1"").  —  Diekamp.  Une  bulle 
originale  de  Léon  IX,  postérieure  au  10  nov.  1049.  =  Bibliographie. 
OEsterley.  Historisch-geographisches  Wœrterbuch  des  deutschen  Mitte- 
lalters  (travail  matériel  très  considérable;  mais  l'auteur  n'a  pas  puisé 
ses  noms  à  la  seule  vraie  source:  celle  des  chartes;  aussi  son  ouvrage 
est-il  loin  de  répondre  aux  exigences  de  la  critique). — Dittrich.  Reges- 
ten  und  Briefe  des  Gardinals  Gasparo  Contarini,  1484-1542.  Sixti  IV 
Summi  Pontihcis  ad  Paulum  III  optimum  pontificem  maximum  com- 
positionum  defensio  (des  erreurs  grossières  et  des  lacunes). 

67.    —    Archiv    fur    oeterreichische    Geschichte.    Bd.    LXV , 

Heft  1.  1883.  —  DuDiK.  Des  mesures  prises  pour  défendre  la  Mora- 
vie contre  la  Hongrie  en  1683,  et  pour  approvisionner  les  auxi- 
liaires étrangers.  —  Loserth.  La  ruine  de  la  maison  Slawnik  (elle  ne 
doit  pas  être  attribuée  seulement  à  des  motifs  religieux,  elle  s'explique 
par  la  position  indépendante  de  cette  famille  dont  la  puissance  égalait 
celle  des  Prezmyslides,  et  par  la  tendance  qui  rapprochait  les  princes 
Slawnick  de  la  Pologne). — Mayer.  La  guerre  des  Paysans  en  Autriche 
en  1515  (elle  n'eut  aucune  cause  religieuse;  elle  fut  provoquée  par  le 
poids  excessif  des  impôts,  causés  surtout  par  la  guerre  contre  les  Turcs  ; 
publie  d'importants  documents).  —  Gindely.  Une  contribution  à  la 
biographie  du  Père  Dominicus  a  Jesu  Maria,  contemporain  de  la 
bataille  de  la  Montagne  Blanche  (ce  Père  entra  au  conseil  de  la  guerre 
avant  la  bataille,  et  y  exerça  une  grande  influence.  Il  intervint  avec 
succès  entre  l'empereur  et  le  duc  de  Nevers  en  1629).  —  Huber.  Études 
sur  l'histoire  de  Hongrie  au  temps  des  Arpad  (d'après  des  documents 
récents,  en  particulier  d'après  les  chartes  de  la  chancellerie  hongroise; 


218  RECUEILS  PERIODIQUES. 

étudie  certains  points  encore  mal  connus,  ainsi  les  lettres  du  roi  Eme- 
rich  contre  son  frère  André,  le  meurtre  de  la  reine  Gertrude  en  1213, 
les  différends  entre  Bêla  IV  et  Etienne,  les  règnes  de  Ladislas  IV  et 
d'André  III). 

68.  —  Germania.  Jahrg.  XXIX,  Heft  1.  1884.  —  Kœhler.  Sur 
la  légende  de  la  reine  de  Saba.  —  Blaas.  Mœurs  et  coutumes  de 
la  Basse-Autriche.  —  Voin  Wagner.  Sur  la  chasse  de  la  grosse  bête  au 
moyen  âge  (explique  les  expressions  relatives  à  la  chasse,  usitées  dans 
l'ancien  droit  germanique). 

69.  —  Jahresbericht  des  Muséum- Vereins  zu  Bregenz. 
1882.  —  Jenny.  Les  anciennes  constructions  de  Brigantium  (rap- 
port sur  les  fouilles  qu'on  y  a  opérées,  et  sur  les  monnaies,  terres 
cuites,  phalères,  qu'on  y  a  découvertes).  —  Zoesmair.  Histoire  de  la 
fondation  des  monastères  du  Vorarlberg  au  moyen  âge.  —  Id.  Extraits 
de  pièces  tirées  des  archives  de  Hohenems  ;  suite  :  1450-1498.  —  Zan- 
(lEMEisTER.  Tablettes  de  plomb  de  Bregenz  (publie,  traduit  et  commente 
un  de  ces  monuments  qu'on  appelle  Defixio). 

70.  —  K.  K.  Akademie  der  "Wissenschaften.  Silzungsherichte. 
Phil.  hislor.  Classe.  Bd.  CIV,  Heft  2.  1883.  —  Hoefler.  Antoine  de 
Lalaing,  seigneur  de  Montigny,  Vicenzo  Quirino  et  don  Diego  de  Gue- 
vara,  considérés  comme  correspondants  du  roi  Philippe  I"  en  1505  et 
1506  (les  dépèches  de  Quirino  sont  de  beaucoup  les  plus  importantes 
au  point  de  vue  des  affaires  d'État.  Montigny  est  un  courtisan  qui  tait 
beaucoup  de  choses  ;  Guevara  se  met  à  un  point  de  vue  étroit  ;  mais 
sa  véracité  est  inattaquable). 

71.  —  Streffleur's  œsterreichische  Militaerzeitschrift.  Jahrg. 
XXV,  Bd.  I,  Heft  1.  1884.  —  Von  Janko.  Georg  Rimpler  et 
Christof  Bœrner,  chef  du  génie  et  de  l'artillerie  pendant  le  siège  de 
Vienne  par  les  Turcs  en  1683  (biographie  de  ces  deux  officiers,  dont 
les  noms  sont  injustement  tombés  dans  l'oubli).  =  Compte-rendu. 
Schrœder.  Der  Kampf  um  Wien,  1683  (très  bon). 


72.  —  The  Academy.  1884,  23  févr.  —  Schuyler.  Peter  the  great 
(livre  impartial  et  écrit  avec  beaucoup  de  soin).  — Atkmson.  Quarter 
sessions  records  :  the  North  Riding  record  society;  t.  I  (les  documents 
de  cette  nature,  trop  négligés  pendant  longtemps,  sont  fort  utiles  à 
l'histoire;  ceux  que  publie  la  Société  des  archives  du  Xord  Riding  dans 
ce  premier  volume  se  rapportent  aux  années  1605-09,  et  jettent  une 
vive  lumière  sur  la  condition  des  catholiques  dans  le  nord  de  l'Angle- 
terre, sur  la  langue,  les  us  et  coutumes  du  pays  à  l'époque  d'Elisabeth). 
:=  8  mars.  The  Camden  Miscellany,  t.  VIU  (contient  9  mémoires  rela- 
tifs au  xvn"^  s.,  dont  5  à  la  guerre  civile).  =  15  mars.  Buddensieg .  John 
Wiclif's  polemical  works  in  latin,  —  Loserth.  Hus  and  Wiclif  (deux 
publications  excellentes).  —  Streatfeild.   Lincolnshire  and  the  Danes 


RECUEILS   PE'rIODIQCES.  219 

(beaucoup  d'erreurs  de  détail,  avec  beaucoup  de  faits  précieux  pour 
l'histoire  et  la  philologie  anglaises).  =  22  mars.  Pollock.  The  land  laws 
(hvre  de  vulgarisation  très  agréable  à  lire  et  très  instructif).  —  Wace  et 
Buchheim.  The  99  thèses  and  the  tree  primary  works  of  Dr.  M.  Luther 
translated  into  english  (utile  pour  l'histoire  des  origines  de  la  réforme. 
L'introduction  historique  est  conçue  d'une  manière  trop  ambitieuse). 
—  Hodgetts.  Older  England  illustrated  hy  the  anglo-saxon  antiquities 
in  the  Brit.  Mus.  (l'auteur  se  plaint  de  l'extrême  ignorance  où  se 
trouvent  ses  compatriotes  sur  les  temps  primitifs  de  leur  histoire;  mais 
lui-même  montre  tant  d'ignorance  qu'il  ne  saurait  être  pris  pour 
guide).  =  29  mars.  Roundell.  Gowdray  ;  the  history  of  a  great  english 
house  (le  château  de  Gowdray  fut  construit  sous  Henri  III  et  détruit 
pendant  la  guerre  des  Barons  ;  il  appartenait  alors  à  Jean  de  Bohun; 
livre  charmant). 

73.  —  The  Athenaeum.  1884,  9  février.  —  Playfair.  The  scourge 
of  Christendom  :  annals  of  hritish  relations  with  Algiers  prior  to 
the  french  conquest  (livre  écrit  sans  art,  mais  plein  de  faits).  — 
Welford.  History  of  Newcastle  and  Gatheshead  in  the  XIV  a. 
XV.  cent,  (travail  consciencieux).  =  23  février.  Griffiths.  The  chro- 
nicles  of  Newgate,  2  volumes  (trop  maigre  pour  le  moyen  âge,  cet 
ouvrage  fournit  pour  l'époque  moderne  les  renseignements  les  plus 
curieux  et  les  plus  abondants  sur  l'histoire  de  la  criminalité  en  Angle- 
terre). =  1"  mars.  Green.  Galendar  of  State  papers,  domestic  séries, 
during  the  Gommonwealth;  vol.  X,  1656-57.  =  8  mars.  Jackson.  The 
court  of  the  Tuileries,  1815-48  (il  serait  difficile  de  trouver  un  livre 
plus  mal  fait).  =  22  mars.  Khédives  and  Pashas  (intéressant).  = 
29  mars.  Vedel.  Correspondance  ministérielle  du  comte  Bernstorff, 
1751-1770  (fournit  beaucoup  de  faits  nouveaux  à  l'histoire  des  relations 
du  Danemark  avec  les  grandes  puissances  à  l'époque  de  la  guerre  de 
Sept  ans  ;  peu  à  l'histoire  générale).  =  5  avril.  Davies.  A  history  of 
Southampton  (bon). 

74.  —  The  Nation.  1883,  22  nov.  —  Biich.  Finland  und  seine 
NationalitcX'tenfrage  (livre  court,  mais  exact,  clair  et  concis).  =  29  nov. 
Baker.  The  diplomatie  history  of  the  war  of  the  Union  (forme  le  t.  V 
des  œuvres  de  W.  Leward,  secrétaire  d'État  pour  les  affaires  étran- 
gères pendant  la  guerre  civile;  important).  ==  6  déc.  Anderson.  Scotland 
in  pagan  times  (intéressant).  =  13  déc.  Hari-eij.  Newfoundland  ;  its 
history,  its  présent  condition,  and  its  prospects  in  future.  =  27  déc. 
George  W.Juliayi.  Political  recoilections,  1840-72  (souvenirs  intéres- 
sants d'un  des  premiers  adversaires  des  esclavagistes  et  d'un  membre 
très  actif  du  parti  républicain,  qu'il  a  abandonné  aujourd'hui  pour  le 
parti  démocratique).  =  1884,  3  janvier.  Jones.  The  history  of  Georgia. 
2  vol.  (ouvrage  très  consciencieux.  L'auteur  a  omis  de  peindre  les 
mœurs  et  le  caractère  des  habitants).  =  24  janv.  Seebohm.  The  english 


220  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

village  community.  —  Ross.  The  early  history  of  landholding  among 
the  Germans  (ouvrages  excellents;  l'un  et  l'autre  font  la  part  trop 
grande  à  l'élément  aristocratique  dans  l'ancienne  société  germanique). 
=  31  janv.  Tuttle.  History  of  Prussia  to  the  accession  of  Frederik  the 
great,  113'i-1740  (ouvrage  très  consciencieux).  =  21  et  28  févr.  Schlie- 
mann.  Troja.  —  Townsend.  Anecdotes  of  the  civil  war  in  the  United 
States  (peu  intéressant).  =  6  mars.  Roman.  Military  opérations  of  gêne- 
rai Beauregard  (contient  des  renseignements  nouveaux  sur  la  guerre 
civile.  Le  général  Beauregard  était  un  officier  distingué  au  service  de 
la  Confédération).  =  20  mars.  Lea.  Historical  sketch  of  sacerdotal  celi- 
bacy  in  the  Christian  church  (seconde  édition  de  ce  travail,  considérable 
comme  science  et  comme  doctrine).  —  Seelcij.  Walpole  and  his  world  ; 
sélect  passages  from  his  letter. 

75.  —  Archivio  storico  italiano.  T.  XIII,  disp.  2,  1884.  —  Le 
Diaire  de  Palla  di  Noferi  Strozzi;  suite  :  mars  1424-avril  1425.  — 
GuASTi.  Les  archives  d'un  évêque  de  Yolterra,  qui  assista  au  concile 
de  Constance;  suite  (cf.  Rev.  hist.,  XXIV,  p.  455;  note  des  dépenses 
journalières  faites  par  l'évèque  pour  le  service  du  pape  ;  il  y  est  plu- 
sieurs fois  question  de  Jean  Huss  ;  p.  203  :  «  pro  reparatione  carceris 
loci  ubi  detinetur  Johannes  Us  hereticus...  »  P.  206  :  «  Ego  dedi  de 
pecuniis  Registri  Jacobo  de  Cumis  servienti  armorum,  pro  vita  Us 
heretici  et  custodum  fl.  25  »  (5  mars  1215)  ;  etc.).  —  Cantù.  La  Tos- 
cane sous  la  république  et  le  royaume  d'Italie  (publie  des  rapports  sur 
la  Toscane  adressés  par  les  agents  d'aflaires  de  la  république  cisalpine, 
puis  du  royaume  d'Italie,  de  1798  à  1813).  —  Gherardi.  Notice  nécro- 
logique sur  Ant.  Cosci  (notre  collaborateur  avait  publié,  outre  de  nom- 
breux articles  insérés  dans  diverses  revues,  une  Storia  délie  preponde- 
ranze  italiane,  1530-1789,  dans  la  grande  collection  entreprise  par 
l'éditeur  Vallardi,  de  Milan,  et  une  brochure  sur  Bologna  e  la  lega 
lombarda,  en  187C).  =  Comptes-rendus.  Sohm.  Lex  Ribuaria  et  Lex 
Francorum  Chamavorum.  —  Scritti  storici  e  letterari  di  F.  Lamper- 
tico  senatore  del  regno  (les  écrits  historiques  se  rapportent  pour  la 
plupart  à  l'histoire  de  Vicence). — Zanelli.  Una  legazione  a  Costantino- 
poli  nel  sec.  x  (sur  l'ambassade  de  Liutprand  envoyé  par  Otton  I" 
auprès  de  Nicéphon  Phocas  ;  l'authenticité  du  rapport  de  Liutprand 
est  inattaquable  quant  aux  faits;  il  les  raconte  avec  une  grande  pas- 
sion, mais  en  eux-mêmes  ils  sont  exacts).  —  Sliimpf-Brentano.  Die 
Reichskanzler  vornehmlich  des  X,  XI  u.  XII  Jahrh.  (achèvement 
d'un  ouvrage  considérable  qui  contient  :  l-Les  chanceliers  de  l'empire, 
leur  histoire  et  leurs  attributions,  avec  une  étude  rétrospective  sur 
la  chancellerie  mérovingienne  et  carolingienne.  2»  Regestes  impé- 
riaux des  X,  XI,  xije  siècles,  complétés  et  annotés  par  Ficker.  3°  Acta 
imperii  inedita  de  Henri  !«••  à  Henri  VI).  =  A  part.  Les  Papiers 
Strozzi;  suite. 


RECCEILS  PÉRIODIQUES.  22^ 

76,  —  Archivio  veneto.  Nouv.  série,  anno  XIII,  fasc.  52.  —  Cec- 
cHETTi.  La  médecine  à  Venise  en  1300;  fin.  —  Bocghi.  Les  déborde- 
ments de  l'Adige;  notes  d'histoire  économique  comparée;  suite. — 
CiPOLLA.  L'histoire  de  Venise  dans  des  documents  anciens  de  Ravenne 
récemment  publiés  ;  fin  (pendant  l'épiscopat  de  l'archevêque  Jean,  qui 
se  qualifiait  «  servus  servorum  Dei,  »  entre  897  et  914,  Ravenne  n'a 
jamais  reconnu  comme  roi  Bérenger,  mais  Louis  de  Provence,  du 
moins  depuis  903).  —  Pinton.  L'histoire  de  Venise  de  F.  Gfrœrer;  suite 
(rapports  de  Venise  avec  les  Otton  ;  organisation  primitive  de  Venise). 

—  Fantoni.  Les  archives  des  notaires  à  Venise  (leur  histoire,  leur 
importance,  leur  organisation  actuelle.  Ces  archives,  réorganisées  en 
1883,  sont,  depuis  le  mois  de  janvier  de  cette  même  année,  sous  la 
direction  de  M.  Fantoni,  l'auteur  du  présent  article).  =  Compte-rendu. 
Pancini.  Ciro  di  Varmo-Pers  ;  memorie  biografiche  (chevalier  de  l'ordre 
de  Malte  et  poète,  1599-1663).  =  Actes  de  la  R.  Deputazione  veneta  di 
storia  patria.  Bûcchi.  Essai  sur  les  études  qui  ont  été  faites,  sur  les 
opinions  et  les  idées  qu'on  a  émises  dans  la  suite  des  temps  au  sujet 
de  l'histoire  d'Adria,  du  Polesine  de  Rovigo,  et  en  particulier  de  l'âge 
des  plus  anciens  monuments  d'Adria. 

77. — Archivio  storico  per  le  provincie  napoletane.  Anno  VIII, 
fasc.  4.  —  C.  Mi.NiERi-RiGcio.  Généalogie  de  Charles  II  d'Anjou  ;  suite. 

—  Maresca.  Correspondance  du  cardinal  Ruffo  avec  le  ministre  Acton, 
janv.-juin  1799  ;  fin.  —  Cariginani.  La  représentation  aux  parlements 
de  Naples  et  leurs  droits,  d'après  les  Libri  praecedentiarum  (aux  parle- 
ments de  1494  et  de  1564,  on  voit  les  syndics,  solennellement  élus, 
venir  au  parlement  représenter  les  cités  domaniales  et  les  universités 
libres  ;  ce  droit  de  représentation  tomba  en  désuétude  au  xvu"  s.;  mais 
il  est  certain  qu'aux  temps  anciens  le  parlement  de  Naples  comprenait 
trois  ordres  distincts  :  les  barons  titrés  qui  représentaient  les  grands 
fiefs,  la  petite  noblesse  et  les  syndics,  qui  représentaient  les  villes  et 
les  universités.  Le  clergé  n'y  assistait  pas,  parce  qu'il  ne  payait  pas 
l'impôt  ;  de  même  le  maire  de  Naples,  ville  qui  en  était  exempte,  elle 
aussi.  Suit  une  liste  des  parlements  généraux  du  royaume,  de  1494  à 
1642).  —  S.  d'Aloe.  Catalogue  de  tous  les  édifices  sacrés  de  la  ville  et 
faubourgs  de  Naples  ;  fin.  —  G.  de  Blashs.  Un  poème  latin  inédit  à  la 
louange  du  comte  de  Sarno  (Francesco  Coppola,  1484).  —  Document 
inédit  relatif  à  Joanpiero  Leostello,  1493.  —  S.  de  Benedetti.  Un  ms. 
de  la  Cava  en  caractères  rabbiniques.  —  Inventaires  des  pièces  sur 
parchemin  ayant  appartenu  à  la  famille  Fusco,  et  aujourd'hui  possé- 
dées par  la  Société  d'histoire  de  Naples  ;  suite  :  chartes  de  l'époque 
normande  :  1169-1183. 

78.  — Archivio  délia  Società  romana  di  storia  patria.  Vol.  VII, 
fasc.  1-2.  —  CuTURi.  Les  corporations  de  métiers  dans  la  commune  de 
Viterbe  (comment  s'est  formée  la  commune  au  xni'  s.  ;  de  l'organisa- 


222  RECUEILS    PERIODIQUES. 

tion  des  corps  de  métiers  ;  les  tribunaux  et  la  procédure  ;  état  de  !a 
propriété  rurale  ;  police  des  marchés,  etc.  Excellent  travail,  composé 
en  très  grande  partie  d'après  les  documents  des  archives  communales, 
dont  12  sont  publiés  en  appendice;  ils  sont  du  xv"  s.).  —  Levi.  Le 
journal  d'un  notaire  de  Nepi,  Antonio  Lotieri  de  Pisano,  l'iôQ-GS 
(curieux  pour  l'histoire  des  mœurs,  dans  une  petite  ville  des  États 
romains,  sous  le  pontificat  de  Paul  II;  publie  en  appendice  un  mande- 
ment de  la  chambre  apostolique  en  faveur  du  trésorier,  pour  les  frais 
de  l'entreprise  dirigée  contre  les  fils  du  comte  Everso  d'Anguillara, 
25  févr,  1467).  —  Tomassetti.  De  la  campagne  de  Rome  au  moyen  âge; 
suite  (donne  une  liste  alphabétique  des  lieux  principaux  situés  sur  le 
territoire  CoUinense  au  moyen  âge).  —  Ambrosi  de  Maoistris.  Un 
inventaire  des  biens  de  la  commune  d'Anagni  en  1321  (textes  et  notes 
importantes  pour  l'histoire  de  ces  localités).  =  Bibliographie.  i)e/ iJadm. 
Diario  fiorentino  del  1450  al  1515  di  L.  Landucci. 

79.  —  Archivio  storico  lombarde.  1883,  31  déc.  —  Bertolotti. 
Expéditions  militaires  en  Piémont,  inconnues  ou  mal  connues,  de 
Galeazzo  Maria  Sforza,  duc  de  Milan  ;  fin.  —  Benvenuti.  Riches  et 
nobles  Lombards  inscrits  sur  le  livre  d'or  de  la  République  de  Venise. 

—  Tedeschi.  Sur  Luciano  da  Lovrana,  architecte  du  xv^  s. — Claretta. 
Les  Assandri,  patriciens  milanais;  dissertation  historique  et  généa- 
logique. —  Ghiron.  Bibliographie  lombarde;  catalogue  des  mss.  relatifs 
à  l'histoire  de  la  Lombardie  qui  se  trouvent  à  la  bibliothèque  nationale 
de  Brera;  fin.  —  G.^netta.  Les  épousailles  de  la  maison  Sforza  avec  la 
maison  d'Aragon,  1465  (publie  divers  documents  sur  l'entrée  solennelle 
à  Naples  des  deux  fils  du  duc  François  Sforza  et  de  leur  sœur  Ippolita). 

—  Ghinzoni.  Fausse  alarme  à  Milan,  dans  la  nuit  du  28  août  1453  (on 
crut  à  une  attaque  soudaine  des  Vénitiens).  —  Prina.  Notice  nécrolo- 
gique sur  Antonio  Tiraboschi  (il  avait  beaucoup  écrit  sur  l'histoire  de 
Bergame  ;  la  plupart  de  ses  travaux  sont  encore  inédits).  =:  Bulletin 
bibliographique  :  Agnclli.  Monografia  dell'  abbazia  cistercense  di 
Cerreto  (bon).  —  Seletti.  La  città  di  Bosseto,  capitale  un  tempo 
dello  Stato  Pallavicino.  3  vol.  (excellente  monographie).  —  Brain- 
hilla.  Monete  di  Pavia  (très  bon).  —  J.  de  capitani  d'Arzago  (bon 
essai  de  science  héraldique).  =:  Anno  XI,  fasc.   1.  31   mars    1884. 

—  Geriani  et  PoRRO.  Le  rôle  epistolographe  du  prince  Pio  de  Savoie 
(reproduisent  la  plupart  des  textes  transcrits  sur  cet  important  parche- 
min, déjà  étudié  par  M.  G.  Gipolla  dans  VArdi.  veneto  ;  cf.  Rev.  hist., 
XXIV,  454.  On  sait  que  la  publication  intégrale  de  ce  curieux  monu- 
ment paléographique,  avec  fac-similés,  n'a  été  tirée  qu'à  60  ex.).  — 
Valeri.  De  la  souveraineté  de  Francesco  Sforza  dans  la  Marche,  d'après 
les  mémoires  et  documents  des  archives  de  Serrasanquirico,  l^''  art. 
(publie  26  documents  sur  ce  sujet).  —  Magistretti.  Galeazzo  Maria 
Sforza  et  la  chute  de  Négrepont,  1470  (le  duc  fit  tous  ses  efforts  pour 
profiter  de  ce  grand   revers  infligé  par  Mahomet  II  à  Venise,  pour 


RECUEILS  pe'riodiques.  223 

reprendre  à  la  République  les  villes  lombardes  cédées  en  1454  :  Ber- 
game,  Brescia  et  Crème.  Ce  n'est  pas  sans  peine  que  Paul  H  empêcha 
d'éclater  la  guerre  et  fit  conclure  une  alliance  de  tous  les  princes  ita- 
liens contre  le  Turc,  le  2  déc.  Nombreux  documents  tirés  des  archives 
de  Milan).  —  Canetta.  L'église  et  la  tour  de  S.  Giovanni  in  Conca,  à 
Milan.  —  Muoni.  Curiosités  artistiques  dans  l'église  de  l'Incoronata, 
près  Martinengo  ;  notes  et  impressions  (suivi  d'un  tableau  généalogique 
des  familles  Martinengo  et  Martinengo-Golleoni).  —  Paglia.  La  Casa 
giocosa  de  Vittorino  de  Feltre  à  Mantoue  (école  construite  et  ornée  au 
xv"  s.  par  Vittorino  à  l'imitation  des  Grecs  et  des  Romains).  =  Biblio- 
graphie. Poggi.  Storia  d'Italia  del  1814  al  dî  8  agosto  1846.  =  Vazio. 
Relazione  sugli  Archivi  di  stato  italiani,  1874-82.  —  Vignati.  Statuti 
vecchi  di  Lodi  (ces  statuts  proviennent  d'un  ms.  du  xni^  s.  retrouvé 
par  M.  V.  au  milieu  de  papiers  sans  valeur;  il  contient  119  documents 
importants  pour  l'histoire  de  la  ligue  lombarde). 

80.  —  Archivio  storico  siciliano.  Nouv.  série.  Anno  VIII , 
fasc.  1-2,  1883.  —  Tumminello.  Giano  Vitale,  humaniste  du  xvi^  s. 
(analyse  d'abord  les  œuvres  de  ce  poète  latin  du  xvi^  s.,  puis  sa  vie.  Né 
à  Palerme,  vers  1485,  il  passa  la  plus  grande  partie  de  sa  vie  à  Rome. 
Encouragé  par  Léon  X,  ses  meilleures  œuvres  furent  publiées  de  1535 
à  1559,  de  Paul  III  à  Pie  IV  ;  ses  plus  belles  ont  été  dédiées  à  Jules  III. 
Il  mourut  sans  doute  à  Rome  vers  1559).  —  Mondello.  De  quelques 
inscr.  de  Trapani  (inscr.  latines  arabes  et  hébraïques  du  moyen  âge). 
—  A-MARI.  Extraits  du  Tarih  Mansuri  ;  trad.  italienne.  Lettre  à  M.  Star- 
rabba  (relatifs  à  la  guerre  de  Frédéric  II  contre  les  Sarrasins,  1223-24, 
1229-30).  —  Magri.  Mario  Giurba,  jurisconsulte  sicilien  du  xvii^  s.  — 
Salinas.  Excursions  archéologiques  en  Sicile;  2«  art.:  Mussomeli  et 
Sutera.  —  Ca.marda.  Recueil  d'écrits  relatifs  à  la  médecine;  ms.  grec  de 
la  bibliothèque  nationale  de  Palerme.  —  Lionti.  Documents  relatifs 
aux  Hébreux  de  Sicile  :  1'^  la  synagogue  de  Marsala  ;  2°  la  roue  des 
Juifs;  publie  plusieurs  documents  inédits  en  latin  et  en  dialecte  sicilien. 
11  convient  de  rapprocher  l'étude  sur  la  «  rotella  rossa  »  de  ce  qui  a  été 
récemment  écrit  sur  le  même  sujet  dans  la  Revue  des  Études  juives).  — 
Starrabba.  De  quelques  contrats  de  mariage  stipulés  à  Palerme  de 
1293  à  1299.  —  Giov.  d'Ajetti.  Pantellaria,  études  historiques.  — 
CosENTiNO.  Un  catalogue  des  actes  de  Frédéric  III  d'Aragon  (l'auteur  de 
l'article  montre  que,  si  beaucoup  de  pièces  relatives  à  ce  roi  ont  été  déjà 
publiées,  il  en  reste  beaucoup  encore  d'inédites  dans  les  archives  ;  il  se 
propose  d'en  entreprendre  la  publication  complète).  —  Lagumina.  Notes 
sur  la  Sicile  orientale  :  l"  inscr.  hébraïque  de  San  Marco  ;  2°  inscr. 
arabe  de  Syracuse  ;  3°  nouveaux  documents  sur  la  porte  arabe  Bah  as 
Sudan.  —  Orlando.  Onofrio  Panvinio,  enseveli  dans  l'église  de  Saint- 
Augustin,  à  Palerme  (liste  des  ouvrages  publiés  par  ce  fécond  historien 
du  xvi*"  s.)  —  G.-B.  DE  Rossi.  Monuments  chrétiens  de  Sélinonte.  = 
Revue  bibliographique  :  Boglino.  Palerme  e  Santa  Gristina.  —Al  Umari. 


22'(  RECUEILS    PERIODIQUES. 

Condizioni  degli  stati  cristiani  dell'  occidente,  seconde  una  relazione  di 
Domenichino  Doria  da  Genova  ;  testo  arabo  con  versione  italiana  e 
note  di  M.  Amari  (texte  curieux  et  très  bien  commenté  ;  l'auteur,  Ibn 
Fadhl  Allah,  surnommé  Al  Umarî,  naquit  à  Damas  en  1300  et  mourut 
de  la  peste  en  1349).  —  L'Italia  descritta  nel  «  Libro  del  re  Ruggero  » 
compilato  da  Edrisi  ;  testo  arabo  con  versione  e  note  da  M.  Amari  e 
C.  Schiaparelli.  —  Poggi.  Storia  d'Italia  dal  1814  al  di  8  ag.  1846 
(bonne  continuation  des  histoires  de  Botta). 

81.  —  Archeografo  triestino.  Nuova  série,  vol.  X,  fasc.  3-4. 
Janv.  1884.  —  Hortis.  Lettres  de  Giuseppe  Tartini,  d'après  les  auto- 
graphes conservés  aux  archives  de  Pirano,  1725-G9.  —  Vesnaver. 
Notices  historiques  sur  le  château  de  Portole  en  Istrie;  suite.  — 
Dr.  Benussi.  L'Istrie  jusqu'à  Auguste:  fin.  —  Pervanoglù.  La  légende 
d'Ulysse  sur  les  bords  de  l'Adriatique.  —  Kunz.  Monnaies  inédites  ou 
rares  de  fabrique  italienne;  6*=  partie  :  Ferrare,  H87-1597;  suite.  — 
Marsigh.  Inventaire  des  pièces  en  parchemin  conservées  aux  archives 
du  révérendissime  chapitre  de  la  cathédrale  de  Trieste;  suite:  1500- 
1511.  —  Gregorutti.  Inscr.  inédites  d'Aquilée,  d'Istrie  et  de  Trieste; 
suite  :  n°*  95-122.  —  Marciiesetti.  De  quelques  antiquités  découvertes 
à  Vermo,  près  Pisino  d'Istrie;  note  préliminaire.  —  Pervanoglù.  De 
l'inscr.  de  M.  Caipurnius  Bibulus  fl'inscr.  publiée  au  C.  I.  Or.  II,  1880, 
et  dont  l'original,  après  avoir  été  gravé  à  Corcyre,  se  trouve  aujourd'hui 
à  Rovigno,  se  rapporte  bien  à  ce  Calp.,  consul  en  694  et  amiral  de  la 
flotte  pompéienne,  non  à  un  M.  Calenus). 

82.  —  Bollettino  storico  délia  Svizzera  italiana.  Anno  VI, 
1884,  nos  1  et  2.  —  D""  Liebenau.  Le  comte  Lodovico  Borromeo  (prit 
une  part  active  aux  guerres  des  Suisses  en  Italie,  dans  les  premières 
années  du  wi^  siècle  ;  devint  bourgeois  de  Lucerne  et  de  Berne,  en 
1518).  —  Curiosités  d'histoire  italienne  du  xiv«  s.,  tirées  des  archives 
milanaises;  suite.  —  Les  statuts  d'Intragna,  Golino  et  Verdasio,  de 
1469;  suite.  —  Les  monnaies  romaines  trouvées  dans  les  fouilles  du 
grande  albergo  à  Locarno,  1872-73. 


CHRONIQUE   ET   BIBLIOGRAPHIE.  225 


CHRONIQUE  ET  BIBLIOGRAPHIE. 


France.  —  L'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  a  décerné  à 
M.  RocQUAiN  un  prix  de  3,000  fr.  pour  l'ensemble  de  ses  travaux  his- 
toriques. 

—  L'Académie  française  a  partagé  le  prix  Bordin  entre  M.  Georges 
DuRUY,  pour  son  livre  le  cardinal  Carro  Caraffa,  et  M.  J.  Darmesteter 
pour  ses  Essais  sur  la  littérature  anglaise  et  ses  Essais  orientaux.  Sur  le 
prix  Marcelin  Guérin,  2,000  fr.  sont  attribués  à  MM.  Perey  et  Maugras 
pour  les  deux  volumes  sur  la  Jeunesse  et  sur  les  Dernières  années  de 
Madame  d'Épinaij. 

—  M.  le  général  Faidherbe  a  été  élu  membre  libre  de  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres  en  remplacement  de  M,  Th. -H.  Martin, 
décédé. 

—  La  Société  de  VHistoire  de  France  a  décidé  la  publication  du  Liber 
qiierulus  de  excidio  Britanniae  composé  par  saint  Gildas  au  vi«  s.  M.  de 
La  Borderie,  chargé  de  ce  travail,  se  propose  de  donner  une  édition 
critique  de  ce  texte  si  important  pour  l'histoire  des  origines  armori- 
caines, avec  une  traduction;  en  appendice  il  publiera  un  texte  remanié 
au  xïi"  s.,  sans  doute  par  Robert  de  Torigny,  et  contenant  d'utiles  leçons. 

—  Nous  annoncions  dans  notre  dernier  numéro  la  prochaine  publica- 
tion de  l'excellent  manuel  des  Antiquités  grecques  de  Sghoemann,  traduit 
par  M.  Galusky.  Le  !«■■  volume  vient  en  effet  d'être  mis  en  vente  (Alph. 
Picard).  —  Annonçons  à  cette  occasion  la  seconde  édition  très  remaniée 
du  Manuel  de  philologie  classique,  par  M.  S.  Reinach  (Hachette).  L'auteur 
n'a  rien  changé  à  la  disposition  primitive  de  son  livre  ;  mais  il  réserve 
les  nombreuses  additions  qu'il  se  propose  d'y  faire  pour  un  second 
volume.  Cet  appendice  contiendra,  outre  une  bibliographie  très  étendue, 
des  renseignements  très  abondants  sur  l'épigraphie,  l'archéologie  de  l'art 
et  la  géographie  comparée. 

—  Le  Glossaire  des  dates,  publié  par  M.  de  Mas  Latrie  dans  le  Cabinet 
historique,  a  paru  à  part  (Champion)  ;  il  fournit  l'explication,  par  ordre 
alphabétique,  des  noms  peu  connus  des  jours  de  la  semaine,  des  mois 
et  autres  époques  de  l'année,  employés  dans  les  dates  des  documents  du 
moyen  âge. 

—  L'utile  collection  que  dirige  M.  B.  Zeller  sous  le  titre  de  :  VHis- 
toire de  France  racontée  par  les  coniew!j)ora/n.ç  (Hachette),  compte  actuel- 
lement 14  petits  volumes  (à  0  fr.  50  c.)  ;  le  dernier  paru  se  rapporte  à 
Philippe-Auguste  et  Louis  VIII  (Luguaire). 

ReV.    HiSTOR.    XXV.    {'=>■   FASG.  15 


226  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

—  MM.  Louis  BoGA  et  A,  Rendu,  archivistes  paléographes,  ont  pubUé 
le  t.  I  de  l'Inventaire  sommaire  des  archives  départementales  de  la 
Somme  antérieures  à  1790.  Ce  volume  est  relatif  aux  archives  civiles 
et  comprend  :  la  série  A  :  actes  du  pouvoir  souverain  et  domaine 
royal,  n^^  1  à  66,  dont  les  dates  extrêmes  vont  de  1608  à  1789;  série  B  : 
cours  et  juridictions;  bailliages  royaux  et  seigneuriaux,  contenant 
1,664  articles,  de  l'an  1441  à  1790.  Comme  on  le  voit,  ces  archives 
sont  précieuses  surtout  pour  l'époque  moderne  ;  l'histoire  administrative 
aura  beaucoup  à  y  prendre. 

—  A  partir  du  15  mars  dernier,  paraît  une  Revue  poitevine  et  sainton- 
geaise,  par  fascicules  mensuels  (Melle,  Deux-Sèvres,  chez  Lacuve;  prix: 
12  fr.  par  an).  Elle  est  dirigée  par  M.  Berthelé,  archiviste  du  départe- 
ment des  Deux-Sèvres,  à  Niort. 

—  De  la  note  publiée  par  M.  Morse-Stephe.ns  dans  le  dernier  numéro 
de  la  Revue  Itistorique  (p.  468),  il  résulte  que  le  British  Muséum  possède 
quelques  cahiers  de  doléances  qu'on  ne  retrouve  plus  aujourd'hui  en 
France.  L'assertion  est  inexacte  toutefois  en  ce  qui  concerne  le  cahier 
du  tiers  état  des  .sénéchaussées  de  Limoges  et  Saint-Yriei.x.  Les  archives 
départementales  de  la  Haute-Vienne  en  possèdent  un  exemplaire 
imprimé,  acquis  il  y  a  six  mois  environ  d'un  ancien  magistrat  de  la 
cour  de  Poitiers ^.  Parlant  de  ce  cahier  que  M.  Chassin  croyait  perdu, 
M.  Morse-Stephens  trouve  «  qu'il  présente  un  médiocre  intérêt.  »  Ce 
jugement  est  contestable.  Il  faudrait  plutôt  dire  que  les  doléances 
sont  timides.  On  ne  peut  guère  relever  que  les  suivantes,  comme 
tranchant  un  peu  sur  les  autres  par  le  ton  ou  par  le  fond  môme  : 
Art.  1.  Les  députés  devront  demander  «  sûreté  de  leurs  personnes.  » 
—  Art.  10.  Ils  réclameront  également  l'abolition  des  privilèges  pécu- 
niaires. «  Que,  s'ils  (les  ordres  privilégiés)  tenaient  encore  à  ce  sys- 
tème, si  leur  trop  longue  jouissance  était  pour  eux  un  prétexte  de 
chercher  à  la  prolonger,  tous  pouvoirs  de  nos  députés  cesseront.  »  — 
Art.  16.  «  Jusqu'à  présent  ce  n'est  pas  seulement  l'impôt  qui  a  pesé 
sur  le  tiers  état  de  la  province  du  Limousin;  la  manière  dispendieuse 
de  le  percevoir,  l'injustice  dans  la  répartition  en  ont  doublé  la  charge; 
l'intrigue,  la  bassesse,  la  faveur  y  ont  soustrait  une  foule  de  particu- 
liers, et  la  classe  indigente  a  payé  pour  les  protégés.  »  —  Art.  18. 
Les  députés  demanderont  «  que  l'on  prenne  des  moyens  sûrs  pour 
garantir  l'innocence.  »  —  Art.  26.  Ils  demanderont  également  que 
les  revenus  des  abbayes  et  prieurés  royaux  soient  perçus  par  les 
États  des  provinces  et  employés  au  paiement  des  dettes  de  l'Etat. 
Tout  cela  n'est  point  bien  terrible  et  l'on  s'étonne  de  cette  timidité 


1.  A  Limoges,  chez  Jacques  Farne,  imprimeur  de  l'Hôtel  de  ville  et  de  la 
police.  MDCCCXXXIX.  15  pages  pour  le  procès-verbal  de  l'assemblée  préliminaire, 
plus  11  pages  pour  les  doléances  formulées  en  37  articles.  L'exemplaire  cité  par 
M.  Stephens  ne  comprend  que  22  pages. 


I 


CHRONIQUE    ET   BIBLIOGRAPHIE.  227 

après  un  préambule  tel  que  celui-ci  :  «  Les  maux  étaient  extrêmes  : 
le  tiers  état  en  était  accablé.  Il  gémissait  en  bénissant"  son  maître 
et  rendant  hommage  à  sa  bienfaisance...  » 

Livres  nouveaux.  —  Documents.  —  Richard  et  Barbier.  Inventaire  des 
archives  de  la  ville  de  Poitiers;  partie  antérieure  à  1790,  dressée  eu  1842  par 
M.  L.  Rédet.  Poitiers,  Tolmer.  —  Inventaire  sommaire  des  archives  commu- 
nales de  la  ville  de  Boulogne-sur-Mer  antérieures  à  1790.  Boulogne,  impr. 
Simonnaix.  —  Mavidal  et  Laurent.  Archives  parlementaires  de  1787  à  1860  : 
l'"  série,  t.  XVI,  du  9  juillet  au  12  août  1790.  Paul  Dupont.  —  Gouvendin. 
Inventaire  sommaire  des  archives  communales  de  la  ville  de  Dijon  anté- 
rieures à  1790.  T.  II,  1"=  partie.  Dijon,  impr.  Mersch.  —  Merlet.  Inven- 
taire sommaire  des  archives  départementales  d'Eure-et-Loir  antérieures  à 
1790.  Archives  civiles.  Série  E,  t.  II.  Chartres,  impr.  Garnier.  —  Bapst. 
Testament  du  roi  Jean  le  Bon  et  Inventaire  de  ses  joyaux  à  Londres.  Impr. 
Lahure.  —  /.  Guiffrey.  Scellés  et  inventaires  d'artistes  (forme  le  t.  IV,  2'  série, 
des  Nouvelles  Archives  de  l'Art  français).  Charavay.  —  A.  de  Charmasse.  Car- 
tulaire  de  l'évêché  d'Autun  ou  Cartulaire  rouge.  Pedone  Lauriel.  Autun,  Dejus- 
sieu  (publ.  de  la  Société  éduenne).  —  Cte  Bu  Chastel  de  La  Howarderie- 
Revireuil.  Le  livre  noir  du  patriciat  tournaisien,  ou  Mémoires  de  Pierre  de 
La  Hamayde,  écuyer,  seigneur  de  Warnave  et  de  Gamaraige.  Dumoulin.  — 
Bréard.  Journal  du  corsaire  Jean  Doublet,  de  Honlleur,  lieutenant  de  frégate 
sous  Louis  XIV.  Charavay.  —  M.  de  Maupas.  Mémoires  sur  le  second  empire. 
Dentu.  —  Ch.  D'HéricauH  et  Bord.  Documents  pour  servir  à  l'histoire  de  la 
Révolution  française.  Sauton.  —  Taniizey  de  Larroque.  Documents  inédits  pour 
servir  à  l'histoire  de  la  ville  de  Dax  (extrait  de  la  Revue  des  Basses-Pyrénées 
et  des  Landes).  Paris,  impr.  Hugonis. 

Histoire  locale.  —  Biais.  Notes  sur  les  anciennes  paroisses  d'Angoulême 
et  autres  documents  inédits  empruntés  aux  archives  de  l'hôtel  de  ville.  (Bnllet. 
de  la  Soc.  arch.  et  hist.  de  la  Charente.)  Angouléme,  Goumard.  —  Golmard. 
Notice  histori([ue  sur  le  village  de  Pralon  et  sur  son  ancienne  abbaye  de  béné- 
dictines. Dijon,  impr.  de  l'Union  typogr.  —  Fr.  de  Chanteau.  Documents  iné- 
dits relatifs  à  l'histoire  de  la  Révolution  dans  les  Vosges.  Bar-le-Duc,  impr. 
de  l'Œuvre  de  Saint-Paul.  —  Mériel.  Gouvernement  de  Falaise,  de  1574  à 
1590.  Alençon,  impr.  Lepage.  —  Thomas.  Bibliographie  de  la  ville  et  du  can- 
ton de  Pontoise  (Mém.  de  la  Soc.  hist.  et  arch.  du  Vexin).  Pontoise,  impr. 
Paris.  —  Cte  de  Marsy.  Les  sceaux  picards  de  la  collection  Charvet  (extrait 
de  la  Picardie,  1883).  Amiens,  impr.  Delattre-Lenoel.  —  P.  de  Cagny.  Notice 
historique  sur  la  chapelle-pèlerinage  de  N.-D.-des-Joies  à  Ennemain  près 
Péronne.  Ibid.  —  Fage.  Le  château  de  Puy-de-Val,  description  et  histoire. 
Tulle,  impr.  Crauffon.  —  Metzger.  La  république  de  Mulhouse,  son  histoire, 
ses  anciennes  familles  bourgeoises  et  admises  à  la  résidence  jusqu'en  1798. 
Lyon,  impr.  Storck. —  Metzger  et  Vaesen.  Lyon  en  1792;  notes  et  documents. 
Jbld.  —  Frin  du  Guyboutier.  Mémoires  concernant  la  ville  de  Laval.  Laval, 
impr.  Moreau.  —  Guigue.  Les  possessions  du  prieuré  d'Alix  en  Lyonnais,  1410; 
documents  en  langue  vulgaire.  Lyon,  Georg.  —  Cte  A.  de  Bourmont.  La  fon- 
dation de  l'université  de  Caen  et  son  organisation  au  sv"  s.  Caen,  Le  Blanc- 
Hardel.  —  Ducoux-La goutte.  Notes  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  des 
juridictions  royales  en  Bas-Limousin,  1462-1790.  Tulle,  impr.  Crauftbn.  — 
Lacoste.  Histoire  générale  de  la  province  de  Quercy,  t.  I.  Cahors,  Girma.  — 
Abbé  Lebouchard.  Précieux  documents  sur  N.-D.  de  Sauvagnac,  2"  partie.  — 


228  CflROîVIQDE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

Servin.  Les  martyrs  du  Maine;  épisodes  précieux  de  l'histoire  de  l'Église  pen- 
dant la  Révolution  française,  t.  I.  Laval,  Chaillaud.  —  Beaucousin.  Histoire 
de  la  principauté  d'Yvetot,  ses  rois,  ses  seigneurs.  Rouen,  Métérie.  — 
Af.  de  Boureulle.  L'abbaye  de  Remiremont  et  Catherine  de  Lorraine  (extrait 
du  bulletin  de  la  Soc.  philom.  vosgienne).  —  Brassard.  Description  historique 
et  topographique  de  l'ancienne  ville  de  Bourg.  Bourg,  impr.  Authier  et  Barbier. 

—  Carlet.  Description  de  la  ville  de  Saint-Jean-de-Losne,  suivie  de  relations 
historiques  concernant  cette  ville.  Beaune,  impr.  Batault.  —  Abbé  G.  Cheva- 
lier. Notice  historique  sur  Fixin  et  Fixey.  Dijon,  impr.  Mersch.  —  Niepce. 
Archéologie  lyonnaise  :  les  chambres  de  merveilles  ou  cabinets  d'antiquités  de 
Lyon,  depuis  la  Renaissance  jusqu'en  1789.  Lyon,  Georg.  —  Dubord.  Solomiac; 
histoire  de  cette  bastide  depuis  sa  fondation  en  ViTl.  Auch,  impr.  Foix  (extrait 
de  la  Revue  de  Gascogne).  —  Lecocq.  Variétés  historiques,  archéologiques  et 
légendaires  du  dép.  d'Eure-et-Loir.  Chartres,  Pétrot-Garnier.  —  Thomas. 
Numismatique  et  sigillographie  pontoisiennes.  Pontoise,  impr.  Paris. 

Biographies.  —  P.  de  Fleury.  Les  Ravaillac  d'Angouléme  ;  notes  et  docu- 
ments inédits  (extrait  du  Bull,  de  la  Soc.  arch.  et  hist.  de  la  Charente,  1882). 
Augouléme,  impr.  Chasseignac.  —  Foucault.  Essai  sur  Ives  de  Chartres  d'après 
sa  correspondance.  Chartres,  Pétrot-Garnier.  —  Chaper.  Mgr  le  Canuis,  cardi- 
nal, évoque  de  Grenoble,  de  1671  à  1707;  notes  pour  servir  à  sa  biographie 
écrite  par  lui-même.  Montbéliard,  impr.  Ilollmann.  —  /.  Loth.  Les  Conven- 
tionnels de  la  Seine-Inférieure.  Rouen,  Cagniard.  —  Bouchet.  Un  chanoine  du 
xviii^  s.  :  l'abbé  Simon,  historien  du  Vendômois.  Vendôme,  impr.  Lemercier. 

—  Mêlais.  Union  du  litre  abbatial  de  la  Trinité  de  Vendôme  à  la  collégiale  de 
Saint-Georges,  1780-89;  suivi  d'une  biographie  de  Mgr  de  Bourdeilles,  34'^  et 
dernier  abbé  de  la  Trinité  (extrait  du  Bull,  de  la  Soc.  arch.  du  Vendômois). 
Ibid.  —  A.  Tardieu.  Généalogie  de  la  maison  du  Plantadis  dans  la  Manche 
et  en  Auvergne.  Moulins,  impr.  Desrosiers.  —  Vatel.  Histoire  de  M""=  du 
Barry  :  t.  HI.  Versailles,  Bernard.  —  Vie  de  M.  Du  Guay-Trouin,  écrite  de  sa 
main,  et  dont  il  a  fait  présent,  lui-même,  à  la  famille  de  MM.  de  Lamotte  en 
Brest.  Jouvet. —  Mis  de  Rochambeau.  Hiograi)hie  veiulômoise;  t.  I.  Champion. 

—  Doitiel.  Conciao-Concini,  marquis  d'Ancre,  maréchal  de  France;  récit  de  sa 
mort  par  J.  Boucher  de  Guilleville,  échevin  d'Orléans,  témoin  oculaire  (extrait 
des  Mém.  de  la  Soc.  arch.  de  l'Orléanais).  Orléans,  Herluison. 

Belgique.  —  M.  R.  de  Ridder,  professeur  à  l'université  de  Gand,  a 
publié,  à  la  demande  de  la  Commission  parlementaire  d'enquête  sco- 
laire, un  important  mémoire  sur  V Emeujnement  professionnel  dans  ses 
rapports  avec  renseignement  i^ri maire  en  Belgique  (Bruxelles,  Ilayez).  On 
y  trouve  l'historique  des  ateliers  d'apprentissage,  des  écoles  dentel- 
lières et  des  ouvroirs  en  Belgique. 

—  Nous  avons  reçu,  de  la  part  de  notre  correspondant  belge,  le  deu- 
xième fascicule  des  Travaux  du  cours  pratique  d'histoire  nationale  de 
M.  Paul  Fredericq  (Gand,  Vuylsteke;  La  Haye,  Nyhoff).  Ce  deuxième 
fascicule  contient  des  dissertations  de  quatre  élèves  de  M.  Fredericq 
sur  l'histoire  des  Pays-Bas  au  xvi*  siècle  :  La  politique  de  Gérard  de 
Griesbeck,  prince-évéqiie  de  Liège,  pendant  le  gouvernement  de  don  Juan 
d'Autriche  dans  les  Pays-Bas  (Henri  Pirenne)  ;  Notice  sur  Fray  Lorenço 
de  Villavicencio,  agent  secret  de  Philippe  H  (Alfred  Journez);  Contribu- 
tion à  V histoire  des  inquisiteurs  des  Pays-Bas  au  AT/«  siècle  (Eugène 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  229 

Monseur);  et  table  chronologique  du  Registre  sur  le  faict  des  hérésies  et 
inquisition  des  archives  royales  de  Bruxelles  (Eugène  Hubert). 

—  M.  Max  RoosES,  dont  nous  avons  annoncé  le  magistral  ouvrage 
sur  Christophe  Plantin,  vient  de  publier  en  flamand  une  monographie 
des  plus  curieuses  sur  les  relations  de  Rubens  et  de  Balthazar  Moretus, 
le  successeur  du  grand  imprimeur  anversois. 

—  Nous  avons  déjà  signalé  ici  le  discours  de  M.  Callier,  recteur  de 
l'université  de  Gand,  et  la  leçon  d'ouverture  de  M.  Eug.  Hubert,  pro- 
fesseur de  l'université  de  Liège,  sur  l'origine  des  libertés  belges.  M.  Yer- 
CAMER,  auteur  d'une  remarquable  Histoire  du  peuple  belge  et  de  ses  insti- 
tutions, vient  de  publier  sur  le  même  sujet  une  monographie  assez 
confuse  intitulée  :  De  l'origine  de  nos  libertés.  Réponse  au  discours  pro- 
noncé par  M.  le  recteur  A.  Callier  à  l'occasion  de  la  réouverture  des 
cours  de  l'université  de  Gand  (Bruxelles,  Decq). 

—  La  Chambre  des  représentants  de  Belgique  a  vu  surgir  au  mois 
de  mars  un  débat  historique  passionné  sur  la  valeur  scientifique  de  la 
grande  édition  des  Chroniques  de  Froissart,  publiée  aux  frais  du  gou- 
vernement par  M.  Kervyn  de  Lettenhove  (Bruxelles,  18G7-1877,  25  vol.). 
L'auteur,  ancien  ministre  catholique,  a  été  vivement  pris  à  partie  par 
ses  adversaires  politiques,  qui  ont  produit  des  comptes-rendus  sévères 
tirés  de  revues  scientifiques,  entre  autres  de  la  Revue  critique.  M.  Kervyn 
a  riposté  en  citant  des  certificats  de  spécialistes  français  et  autres.  Pen- 
dant une  couple  de  séances,  la  Chambre  ressemblait  à  une  académie 
divisée  contre  elle-même. 

—  Le  Catalogue  de  la  bibliothèque  de  feu  M.  Fr.  Vergauiven,  membre 
du  Sénat  et  président  de  la  Société  des  bibliophiles  flamands  de  Gand 
(Bruxelles,  Olivier,  2  vol.  in-8"),  offre  un  grand  intérêt  pour  l'histoire, 
surtout  pour  celle  des  anciens  Pays-Bas.  Le  mauvais  état  des  finances 
publiques  ayant  empêché  le  gouvernement  belge  d'acheter  cette  admi- 
rable collection  en  bloc,  la  première  partie  de  la  vente  aux  enchères 
a  eu  lieu  à  Bruxelles  en  mars  dernier.  Quelques  semaines  auparavant, 
avait  eu  lieu  à  La  Haye  la  vente  publique  d'une  autre  bibliothèque  de 
premier  ordre,  celle  de  feu  M.  C.-P.  Lenshoek,  bourgmestre  à  Wol- 
faartsdyk  en  Zélande.  Le  Catalogue  (La  Haye,  Nyhoff)  est  aussi  un 
livre  de  grande  valeur,  qui  a  sa  place  marquée  à  côté  du  Catalogue 
Vergauwen  dans  la  bibliothèque  des  spécialistes. 

—  Les  origines  de  la  diplomatie  et  le  droit  d'ambassade  jusqu'à  Grolius., 
par  M.  Ernest  Nys,  juge  au  tribunal  de  Bruxelles,  tel  est  le  titre  d'un 
unportant  extrait  de  la  Revue  de  droit  international  (58  p.,  Bruxelles, 
Muquardt).  L'auteur  étudie  la  diplomatie  du  xv«  et  du  xvi^  siècle,  sur- 
tout celle  de  Venise  et  des  autres  républiques  italiennes  ;  puis  il  traite 
des  développements  du  droit  d'ambassade  jusqu'à  Grotius  et  passe  en 
revue  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  matière  depuis  l'ouvrage  de 
M.  Martin  Garât  de  Lodi  (milieu  du  xv^  siècle)  jusqu'au  grand  juris- 


230  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

consulte  hollandais.  —  Ce  travail  vient  compléter  l'une  des  faces  du 
sujet  traité  d'une  manière  remarquable  par  M.  Nys  dans  son  livre  Le 
Droit  de  Guerre  et  les  précurseurs  de  Grotius. 

—  M.  A.-D.  Prins,  professeur  à  l'université  libre  de  Bruxelles,  a 
publié  une  critique  très  importante  de  nos  institutions  modernes,  com- 
parées à  celles  de  l'ancien  régime,  dans  son  livre  La  Démocratie  et  le 
régime  parlementaire  (Bruxelles,  Muquardt).  L'auteur  met  en  pleine 
lumière  les  qualités  des  institutions  balayées  par  la  Révolution  de  1789 
et  la  nécessité  de  perfectionner  notre  organisation  actuelle  en  profitant 
des  leçons  que  peut  nous  fournir  le  passé. 

Grande-Bretagne.  —  On  annonce  la  mort  de  M.  W.  Blanchard- 
Jerrold,  journaliste  brillant  et  fécond,  auteur  d'une  biographie  de 
Napoléon  III,  qui  est  une  longue  apologie  du  règne  du  dernier  souve- 
rain de  la  France.  Il  est  décédé  le  10  mars  dernier. 

—  Sous  le  titre  de  Bibliotheca  curiosa,  M.  Edm.  Goldsmid  a  entrepris 
de  publier  à  nouveau  divers  écrits  anciens  curieux  à  divers  titres.  C'est 
ainsi  qu'il  donne  un  choix  des  Political  songs,  autrefois  publiés  par 
M.  "Wright  pour  la  Camden  Society;  ce  choix  paraît  fort  arbitraire; 
quant  aux  notes  de  l'édition  primitive,  M.  Goldsmid  les  allonge  ou  les 
raccourcit  à  son  gré.  Ces  remaniements  ont  entièrement  défiguré  le 
travail  primitif  [Athenaeum,  15  mars  1881). 

—  M.  Fyffe  vient  de  donner  le  tome  premier  d'une  seconde  édition 
de  sa  remarquable  History  of  modem  Europe  (Londres,  Gassells). 

—  Les  tomes  YI,  VII  et  VIII  de  la  History  of  England,  par  M.  Gar- 
niNER,  nouvelle  édition,  viennent  de  paraître  (Longmans). 

—  M.  J.-P.  Brisgoe,  conservateur  des  bibliothèques  publiques  de 
Nottingham,  prépare  un  second  volume  de  son  ouvrage  Old  Notlin- 
ghamshlre;  le  premier  a  paru  en  1881. 

—  La  36«  publication  servie  par  la  Spenser  Society  à  ses  membres 
contient  la  Respublica  AngUcana,  or  the  historié  of  tlie  Parliament  in 
their  late  proceedings,  par  George  Wither;  Londres,  1650,  mémoire  en 
prose,  de  50  p.  in-l". 

Allemagne.  —  Notre  éminent  collaborateur,  M.  Arnold  Sch.efer, 
dont  nous  avons  annoncé  précédemment  la  mort  prématurée,  arrivée  le 
19  novembre  dernier,  était  professeur  d'histoire  ancienne  à  l'université 
de  Bonn.  Il  était  né  le  16  octobre  1816  à  Seehausen,  près  de  Brème,  où 
son  père  était  maître  d'école.  Lorsque  les  écoles  de  Brème  furent  réor- 
ganisées, le  père  fut  appelé  à  diriger  une  école  de  la  ville  ;  c'est  ainsi 
qu'il  put  faire  donner  à  ses  fils  une  éducation  soignée.  Ils  ont  su  en 
profiter  :  le  frère  d'Arnold,  son  aîné  de  dix  ans,  Johann-Wilhelm,  est 
bien  connu  par  ses  travaux  sur  l'histoire  littéraire.  Après  être  sorti  du 
gymnase,  que  dirigeait  alors  un  latiniste  distingué,  W.-E.  Weber, 
Arnold  arriva  à  Leipzig  dans  l'automne  de  1838  pour  y  étudier  la  phi- 


CHRONIQUE   ET    lilBLIOGRAPHIE.  234 

lologie  et  l'histoire.  Ses  maîtres  :  Gottfried  Hermann,  Wachsmuth, 
Niedner,  Wiener,  Drobisch,  ne  tardèrent  pas  à  reconnaître  les  qualités 
de  son  intelligence  et  son  travail  acharné;  aussi,  lorsqu'il  eut  achevé 
ses  trois  ans  d'études  et  conquis  son  doctorat,  le  recommandèrent-ils  à 
un  pédagogue  distingué  qui  dirigeait  à  Dresde  une  grande  maison 
d'éducation  :  le  Vitztliumsches  Geschlechtsgymnasiiim  (du  nom  de  la 
famille  Vitzthum,  qui  l'avait  fondée);  à  partir  de  Pâques  1842,  il  y  pro- 
fessa l'histoire,  la  littérature  allemande  et  les  langues  anciennes.  Il  y 
passa  neuf  ans  ;  l'éclat  de  son  enseignement  et  divers  mémoires  d'éru- 
dition, par  exemple  :  Commentatio  de  libro  vitarum  X  oratorum  et  De 
locis  nonnullis  Ciceronis,  Plinii,  Frontonis,  attirèrent  sur  lui  l'attention 
du  gouvernement  saxon  et  il  fut  nommé  professeur  à  l'école  régionale 
de  Grimma  (2  déc.  1850);  il  y  enseigna  sept  ans  avec  un  grand  succès; 
l'histoire  et  la  langue  allemande  étaient  l'objet  de  son  enseignement  ;  il 
trouva  en  outre  le  temps  de  composer  l'ouvrage  qui  a  fondé  sa  réputa- 
tion scientifique  :  Demosthenes  und  seine  Zeit,  en  3  gros  volumes,  qui 
parurent  de  1856  à  1858  :  il  y  étudie  une  des  périodes  les  plus  fécondes 
en  événements  de  l'histoire  grecque,  à  l'aide  des  matériaux  les  plus 
divers,  œuvres  littéraires  et  inscriptions;  et  l'on  peut  dire  qu'il  a  épuisé 
le  sujet.  M.  E.  Miiller,  l'éditeur  des  discours  de  Démosthènes,  en  par- 
lait en  1875,  à  la  fin  de  sa  préface  aux  Ausgewwhlte  Rede?i  Demosthenes, 
comme  «  d'un  ouvrage  classique  et  qu'on  ne  remplacerait  pas  de  si 
tôt.  ))  Cet  ouvrage  ouvrit  à  M.  Schsefer  la  carrière  universitaire  :  en 
novembre  1857,  il  fut  nommé  professeur  d'histoire  à  Greifswald.  Il  y 
resta  jusqu'à  Pâques  1865,  où  il  passa  à  l'université  de  Bonn,  Il  devait 
lui  rester  fidèle  jusqu'à  sa  mort.  On  s'étonna  que  l'historien  de  Démos- 
thènes abordât  l'étude  de  la  guerre  de  Sept  ans  ;  mais  il  avait  une  telle 
puissance  de  travail,  il  avait  le  sens  historique  si  aiguisé  et  si  com- 
préhensif  qu'il  s'acquitta  heureusement  de  cette  nouvelle  tâche.  Après 
de  longues  années  d'études  dans  les  archives  de  Berlin,  de  Paris,  de 
Londres  et  de  Vienne,  auxquelles  il  consacra  ses  vacances,  parut  le 
premier  volume  de  l'ouvrage  ;  il  raconte  les  débuts  de  la  guerre  jusqu'à 
la  bataille  de  Leuthen.  La  première  partie  du  t.  II,  parue  en  1870,  com- 
prend les  événements  militaires  jusqu'à  l'ouverture  de  la  campagne  de 
1760;  la  seconde  partie,  qui  forme  à  elle  seule  un  gros  volume,  conduit 
le  récit  jusqu'à  la  fin  :  l'ouvrage  fut  entièrement  terminé  en  1874.  En 
fait  de  recherches  consciencieuses,  d'impartialité,  de  savante  ordon- 
nance, il  peut  être  considéré  comme  un  des  ornements  de  la  littérature 
historique  en  Allemagne.  Si  l'on  ne  peut  le  comparer  à  ceux  de  Ranke 
ou  de  Carlyle  pour  la  vivacité  du  récit,  l'originalité  de  la  pensée  ou  la 
mise  en  relief  des  idées  maîtresses,  il  n'en  est  pas  moins  le  point  de 
départ  de  tous  les  travaux  sur  cette  période  de  sept  années.  Pendant 
qu'il  y  travaillait  encore,  M.  Scha3fer  fit  paraître,  en  1875,  un  recueil 
de  mémoires  et  discours  historiques,  qui  est  le  meilleur  témoignage  du 
vaste  domaine  qu'embrassaient  ses  études  :  histoire  ancienne  et  moderne, 
histoire  même  du  moyen  âge,  il  aborda  les  sujets  les  plus  divers  avec 


232  CHRONIQUE   ET   BIBLIOGRAPHIE. 

le  même  soin  et  la  même  connaissance  approfondie  des  choses.  Le 
dernier  ouvrage  qu'il  ait  publié  est  son  Abii'ss  der  Quellenkunde  der 
griechischen  und  rœmischen  Geschichte,  qui  parut  en  1881  en  deux  par- 
ties. La  première,  relative  à  l'histoire  grecque,  parut  d'abord  en  1867  et 
eut  trois  éditions.  Les  dernières  années  de  sa  laborieuse  existence 
furent  employées  à  remanier  la  Vie  de  Démosthènes ,  et  l'on  peut 
espérer  que  le  résultat  de  ces  suprêmes  études  sera  bientôt  commu- 
niqué au  public. 

Si  l'on  pense  que  M.  Schœfer,  à  côté  de  ces  incessants  travaux  d'éru- 
dition, préparait  ses  leçons  avec  le  plus  grand  soin  et  dirigeait  avec 
activité  les  travaux  de  son  séminaire,  on  reconnaîtra  aisément  en  lui  le 
modèle  du  professeur  allemand,  pour  qui  chercher  la  vérité  et  rempUr 
son  devoir  sont  les  seuls  biens  désirables  de  l'existence.  C'est  seulement 
pendant  les  vacances  que,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  se  per- 
mettait quelque  repos;  il  l'employait  alors  avec  sa  femme  à  de  grands 
voyages   qu'il    poussa  jusqu'en   Orient.    Ses  élèves   lui   étaient  tout 
dévoués  et  il  en  forma  d'excellents  ;  on  en  a  la  preuve  dans  ces  Ilisto- 
rische   Unlersuchungcn  que  dix  d'entre  eux,  autrefois  ses  disciples  à 
Greifswald  ou  à  Bonn,  aujourd'hui  professeurs  dans  diverses  univer- 
sités, se  sont  entendus  pour  publier,  à  l'occasion  du  25'  anniversaire  de 
sa  nomination  au  professorat  (30  nov.  1882)  ;  M.  Schaefer  n'avait  pas 
d'enfants,  ses  élèves  lui  tenaient  d'autant  plus  au  cœur.  M.  Schœfer, 
qui  avait  en  général  joui  d'une  bonne  santé,  devint  malade  l'été  der- 
nier. Pour  se  rétablir,  il  alla  prendre  à  l'automne  les  eaux  à  Gastein  ; 
mais  le  mieux  ne  dura  pas  longtemps;  il  est  mort  subitement.  — 0.  H. 
—  Le  31  janvier  dernier  est  mort  à  Strasbourg  le  professeur  ordinaire 
de  sanscrit  à  l'université  de  cette  ville  :  M.  Siegfried  Goldschmidt.  Il 
n'avait  que  quarante   ans.  —  Le  10  février  est  mort  à  Florence  M.  Th. 
Heyse  à  l'âge  de  quatre-vingt-un  ans.  H  y  passa  la  plus  grande  partie 
de  sa  vie  ;  il  fut  chargé  par  plusieurs  savants  et  par  les  théologiens 
d'Oxford  de  collationner,  dans  les  bibliothèques  de  ce  pays,  des  mss., 
soit  de  pères  de  l'Église,  soit  d'auteurs  classiques.  Il  n'a  publié  sous  son 
nom  que  Polybii  historiarum  exccrpta  gnomica  in  palimpsesto  vaticano 
Ixxiij  (Berlin,  1846).  —  Le  12  février  est  mort  à  Lichtenfeld,  près  de 
Berlin,  M.  A.  Bernsteix,  auteur  de  nombreux  écrits  relatifs  surtout  à 
l'histoire  de  Ja  constitution  allemande.  Nous  mentionnerons  seulement  : 
Die  McBrz-Tage,  1848  (Berlin,  1873);  Verfassungsksempfe  und  Kabinetsin- 
trigiien,  1849  (1874);  Ursprung  der  Sagen  von  Abraham,  Isaak  und  Jacob 
(1871).  Il  était  âgé  de  soixante-douze  ans.  —  Le  17  février  est  mort 
à  Stettin  M.  H.  Berghaus,  cartographe,  historien  et  géographe  distin- 
gué. Son  œuvre  principale  est  intitulée  Allgcrneine  Lœnder-und  Vœlker- 
kimde,  en  5  vol.  —  Le  19  février  est  mort  à  Berlin  M.  Cari  MiiLLENHOFF, 
à  l'âge  de  soixante-six  ans.  Il  était  né  à  Marne,  en  Ditmarschen  (Hols- 
tein);  professeur  à  Kiel  de  1846  à  1858,  il  devint  en  1858  professeur  à 
l'université  de  Berlin  et  depuis  1864  membre  de  l'Académie  des  sciences 
du  royaume  ;  c'était  un  de  ceux  qui  connaissaient  le  mieux  la  langue  et 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  233 

les  antiquités  allemandes.  Nous  citerons  parmi  ses  nombreuses  publi- 
cations :  Denkmxler  Deulscher  Poésie  und  Prosa  ans  dem  VIII-XU  Jahrh 
(en  collaboration  avec  M.  W  Scherer),  et  une  remarquable  Deutsche 
Aller thumskunde,  dont  malheureusement  le  l^""  vol.  seul  a  paru  (Berlin, 
1870).  —  Le  rabbin  Lévy-Herzfeld,  connu  comme  historien  et  comm.e 
orientaliste,  est  mort  à  Brunswick  le  13  mars;  il  laisse  une  Geschichte 
des  Volkes  Israël  en  2  vol.  (Nordhawen,  1855-57)  et  une  Baiidelsgscliichte 
der  Jiiden  des  Alterthums  (Brunswick,  1879).  —  Le  15  mars  est  mort  à 
Gotha  M.  Behm,  rédacteur  en  chef  des  Pctermann's  Mittlieilimgen. 

—  M.  LiÎDEMANN,  professeur  àKiel,  a  été  nommé  professeur  ordinaire 
d'histoire  ecclésiastique  à  l'université  de  Berne.  —  M.  Pflugk-Harttung 
a  été  nommé  professeur  extraordinaire  d'histoire  à  l'université  de 
Tubingue,  où  il  était  déjà  privat-docent.  —  M.  Ebrard,  bibliothécaire 
de  l'université  de  Strasbourg,  a  été  nommé  conservateur  de  la  biblio- 
thèque municipale  de  Francfort-sur-le-Mein. 

—  Une  lettre  reçue  dernièrement  par  ÏAll.  Zeitung  apprend  que  les 
travailleurs  chargés  de  déblayer  les  ruines  de  l'Acropole  à  Pergame  ont 
fait  une  découverte  archéologique  d'un  grand  intérêt.  Près  du  tombeau 
qui  se  trouve  après  l'entrée  dans  le  temple  de  Minerve,  ils  rencontrèrent 
ime  petite  porte  qui  se  trouvait  dans  le  mur;  cette  porte  conduit  par 
un  souterrain  à  un  amphithéâtre  très  spacieux  et  artistement  disposé. 

—  On  a  trouvé  près  de  Bretzenheim,  en  novembre  1882,  un  trésor  de 
1,005  pièces  d'or  des  xiii^  et  xiv^  s.  ;  ces  pièces  proviennent  un  peu  de 
tous  les  pays  d'Allemagne  et  d'Italie.  Elles  ont  été  acquises  par  le 
Cabinet  des  Médailles  de  Mayence.  Une  description  en  a  été  donnée 
par  M.  P.  Joseph  à  Francfort,  dans  un  écrit  intitulé  :  Hùtorisch-Kri- 
tische  Beschreibung  des  Dretzenheimer  Goldguldenfundcs. 

—  En  février  dernier,  M.  Schliemann  a  commencé  des  fouilles  sur  le 
champ  de  bataille  de  Marathon,  aux  collines  que  la  tradition  considère 
comme  les  tombeaux  des  Athéniens  tombés  dans  le  combat.  Les  fouilles 
n'ont  rien  produit  qui  fût  de  nature  à  confirmer  cette  tradition.  Un  des 
tumuli  est  un  cénotaphe  d'une  époque  beaucoup  plus  ancienne  que  le 
combat  de  Marathon;  les  poteries  qu'on  y  a  trouvées  ont  une  grande 
ressemblance  avec  celles  que  Schliemann  avait  découvertes  dans  le  ter- 
rain de  la  Troie  homérique.  Actuellement,  M.  Schliemann  a  entrepris 
des  fouilles  à  Tyrinthe  avec  60  ouvriers  ;  il  n'a  pu  obtenir  du  gouver- 
nement turc  de  firman  l'autorisant  à  faire  de  grands  travaux  en  Crète. 

—  Depuis  le  !'=■■  janvier  parait  comme  supplément  au  Pastoralblatt 
fur  die  Diœcese  Rottenbiirg,  sous  la  direction  de  M.  E.  Hofele,  un  Diœ- 
cesan-Archiv;  Blxtter  fllr  Kirchengescliichtliche  Mittheilungen  und  Studien 
aus  Schwaben,  qui  se  propose  de  devenir  un  organe  central  pour  l'his- 
toire de  l'église  catholique  en  Wurtemberg. 

—  A  la  librairie  Cotta  à  Stuttgart,  paraît  par  fascicules  mensuels  une 
nouvelle  Zeitschrift  fïtr  allgemeine  Geschichte,  Kultur-Litcratur-und 
Kuntsgeschichte. 


234  CHRONIQUE   ET   BIBLIOGRAPHIE. 

—  L'Anseiger  fur  Kunde  der  dcutschen  Vorzeit  a  cessé  de  paraître  après 
la  30«  année  de  son  existence.  Il  est  remplacé  par  VA7izeîger  des  germa- 
nischen  Muséums  zu  NUrnberg  qui  contiendra  la  liste  des  acquisitions 
annuelles  du  Musée  germanique. 

—  L'Académie  des  sciences  de  Prusse  a  décerné  une  récompense  de 
400  m.  à  M.  VON  Lingenthal  pour  l'édition  d'un  Epitome  juris  byzantin, 
et  une  de  1,000  m.  pour  l'édition  des  bulles  des  papes  à  M.  Pflugk- 
Harttung.  —  Dans  la  séance  du  6  mars,  M.  Virchow  a  présenté  une 
série  de  bijoux  en  antimoine  pur  trouvés  dans  un  cimetière  de  l'Anti- 
caucase  ;  autant  qu'on  le  peut  savoir,  c'est  la  première  fois  qu'on  trouve 
l'antimoine  pur  employé  dans  les  objets  antiques. 

—  M.  DE  Treitsghke  a  reçu  le  grand  prix  triennal  de  3,000  marks 
fondé  par  Frédéric-Guillaume  IV  pour  l'œuvre  historique  la  plus  impor- 
tante. 

—  On  doit  publier  prochainement  le  3"  vol.  des  Mémoires  de  M.  von 
Friesen,  ancien  ministre  de  Saxe,  récemment  décédé  ;  ce  volume  a  été 
retrouvé  dans  ses  papiers  presque  entièrement  terminé. 

—  M.  BoETHGEN  est  chargé  par  la  Deutsche  Morgcnlâendische  Gesellschaft 
de  publier  des  Fragments  d'historiens  syriaques.  —  M.  G.  Henking, 
professeur  à  Schaffouse,  a  été  chargé  par  la  Badische  historische  Com- 
mission de  rédiger  une  histoire  des  Ziehringer  jusqu'à  la  fin  de  la  ligne 
ducale  ;  et  M.  Gothein  d'écrire  une  histoire  de  la  Forêt  Noire. 

—  L'Historia  Francorum  de  Grégoire  de  Tours,  dont  M.  Arndt  pré- 
parait le  texte  depuis  si  longtemps  pour  les  Monumenta  Germaniae  his- 
torica,  vient  enfin  de  paraître  (Hahn,  Hanovre). 

—  Les  quatre  dernières  livraisons  que  nous  avons  reçues  (77  à  80)  de 
VAllgcmeine  Geschichte  in  Einzeldarstellungen  (Berlin,  Grote)  con- 
tiennent :  la  l"""  livraison  des  Anglo-Saxons,  par  M.  Ed.  Winkelmann; 
la  suite  de  l'histoire  de  l'Inde  ancienne,  par  S.  Lefmann  ;  la  fin  de  l'his- 
toire de  Byzance  et  de  l'empire  ottoman,  par  Hertzberg  ;  la  l""*  livrai- 
son de  l'Europe  occidentale  à  l'époque  de  Philippe  II,  d'Elisabeth  et  de 
Henri  IV. 

Livres  nouveaux.  —  Histoire  générale.  —  Bergbohm.  Die  bewallnete 
Neutrahtœt,  1780-1783.  Berlin,  Puttkaminer.  —  Conrat.  Die  Epitome  exactis 
regibus;  Sludieii  zur  Geschichte  des  rœmischen  Rechts  un  MittelaUer.  Berlin, 
Weidraann.  —  Ewald.  Die  Eroberung  Preussens  durch  die  Deutschen.  Buch  3. 
Halle,  Waisenhaus.  —  Schletlerer.  Geschichte  der  Hofcapelle  der  franzœsischeii 
Kœnige.  Berlin,  Damkœhier.  —  Vlmann.  Kaiser  Maxiinilian  I.  Bd.  I.  Stutt- 
gart, Cotta.  —  Kœhler.  Zur  Schlacht  von  Tagliacozzo  am  23  aug.  1268.  Bres- 
lau,  Kœbner.  —  Ibach.  Der  Kanipf  zwischen  Papstthum  und  Kœnigthuni  von 
Gregor  VH  bis  Calixt  II.  Francforl-sur-le-Mein,  Fœsser.  —  Leist.  Die  Urkunde; 
ihre  Behandlung  and  Bearbeitung.  Stuttgart,  Colla.  —  Radke.  Verwaltungs- 
geschichlc  Frankreichs  unter  Ludwig  XIV.  Kœnigsberg,  Beyer.  —  Schmid. 
Geschichte  der  Erziehung  vom  Anfang  au  bis  auf  uasere  Zeit.  Bd.  I.  Stull- 
gart.  Cotta. 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  235 

Antiquité.  —  Hertzberg.  Griechische  Geschichte.  Halle,  Waisenhaus.  — 
Schubert.  Geschichte  der  Kœiiige  von  Lydien.  Breslau,  Kœbner.  —  Berzog. 
Geschichte  und  System  der  rœinischen  Staatsverfassung.  Bd.  I  :  Kœnigszeit  u. 
Rcpublik.  Leipzig,  Teubner.  —  Kœrst.  Kritisclie  Untersuchungen  zur  Ge- 
schichte des  zweiten  Sarnniterkrieges;  ibid.  —  Schmidt.  Die  ielzten  Kœmpfe 
der  rremischen  Republilv.  Th.  I.:  ibid.  —  Anonymi  de  situ  orbis  libii  duo;  e 
cod.  Leidensi  nunc  prinuim  edidit  M.  Manitius.  Stuttgart,  Cotta.  —  Bergk. 
Beitrœge  zur  rœmischen  Chronologie.  Leipzig,  Teubner. 

Histoire  locale.  —  H.  v.  Schack.  Beitrœge  zur  Geschichte  der  Grafen  und 
Herren  von  Schack.  Bd.  I,  1162-1303.  —  F.  v.  Weech.  Codex  diplomaticus 
Saleinitanus,  Lief.  5,  1267-74.  Karlsruhe,  Braun.  —  Jlge7i  et  Vogel.  Kritische 
Bearbeitung  und  Darstelluug  der  Geschichte  des  thuringisch-hessischen  Erb- 
folgekriegs,  1247-64.  Marbourg,  Elwert.  —  Lcdeburg.  Kœnig  Friedrich  I  von 
Preussen.  2  vol.  Schwerin,  Schniall.  —  Kayser.  Die  Einfiihrung  der  Reforma- 
tion in  der  Stadt  Hildesheim.  Hildesheim,  Gude.  —  Hartfdder.  Zur  Geschichte 
des  Bauerukrieges  in  Siidwestdeutschland.  Stuttgart,  Cotta.  —  Wyss.  Hes- 
sisches  Urkundenbuch;  1"  Abth.  :  Urkundenbuch  der  Deutschordens-Ballei 
Hessen.  Bd.  II,  1300-59.  Leipzig,  Hinrichs. 

Autriche-Hongrie.  —  A  Parengo,  en  Istrie,  s'est  constituée  une 
Società  Istriana  di  archeologia  e  storia  patria,  consacrée  aux  recherches 
de  tout  genre  sur  l'histoire  d'Istrie,  depuis  l'âge  préhistorique  jusqu'au 
moyen  âge.  Dans  les  pays  de  langue  italienne  qui  appartiennent  à 
l'Autriche,  paraît  depuis  longtemps,  comme  on  sait,  VArchivio  tries- 
tino,  dirigé  par  M.  A.  Hortis;  l'an  dernier,  s'est  fondé  VArchivio  tren- 
tino,  qui  a  déjà  donné  d'excellents  résultats  ;  on  sait  enfin  que  depuis 
quelques  années  un  Archivio  storico  per  Triesto,  l'Istria  e  il  Trentino 
parait  à  Rome  par  les  soins  de  MM.  Zenati  et  Morpurgo. 

Livres  nouveaux.  —  Krall.  Studien  zur  Geschichte  des  alten  Aegypten. 
Bd.  II.  Vienne,  Gerold.  —  Uelfert.  Maria  Karolina  von  Œ^sterreich,  Kœnigin 
von  Neapel  u.  Sizilien.  Anklagen  und  Verlheidigung.  Vienne,  Faezy. 

Italie.  —  Le  lieutenant-colonel  Mariani,  décédé  le  20  décembre  dernier 
à  l'âge  de  soixante  ans,  avait  publié  divers  ouvrages  estimés  sur  l'histoire 
militaire,  ainsi  :  Storia  politica-militare  délia  guerra  di  Lombardia  nel 
1648  (Turin,  1854)  ;  DcHa  vita  e  délie  imprese  del  générale  Eusebio  Bava 
(1854)  ;  Storia  délia  guerra  del  1866  in  Germania  (Milan,  1868)  ;  //  Plu- 
tarcho  italiano  (2  séries,  1869  et  1875)  ;  Lettere  di  storia  patria  (2^  éd. 
1877);  La  guerra  delV  Indipendenza  italiana.,  4  vol.  et  un  atlas  (1882). 

—  Notre  collaborateur,  M.  Ad.  Holm,  vient  d'être  appelé  à  l'Univer- 
sité de  Naples  ;  et  notre  correspondant,  M.  Falletti  Fossati,  à  l'Univei- 
versité  de  Palerme. 

—  M.  Guido  Baccelli,  naguère  ministre  de  l'instruction  publique, 
a  établi  à  Rome  un  Instituto  storico  italiano,  et  il  lui  a  attribué 
la  très  riche  et  célèbre  bibliothèque  Vallicelliana  ;  le  décret  royal 
de  cette  fondation  porte  la  date  du  25  novembre  1S83.  L'institut 
se  compose  de  15  membres,  dont  quatre  nommés  par  le  ministre, 
et  les  onze  autres  élus  par  les  cinq  commissions  royales  d'histoire 
provinciale  et  par  les  six  sociétés    historiques   existant   aujourd'hui 


236  CHRONIQUE    ET    lilBLIOGKAPHIE. 

dans  le  royaume.  Le  but  de  cette  institution  est  indiqué  dans  le  rap- 
port présenté  au  roi  par  M.  Baccelli  :  «  La  grande  œuvre  qui  en  Italie, 
en  même  temps  que  l'amour  pour  les  études  historiques,  a  réveillé  la 
conscience  nationale,  ...  a  été  commencée  parMuratori.  En  faisant  con- 
naître dans  les  Scnptores  rerum  italicarum  les  sources  de  l'histoire,  en 
les  discutant  dans  les  Antiquitates,  en  les  digérant  dans  les  Ânnali,  il  a 
élevé  à  la  patrie  le  monument  historique  le  plus  considérable  dont  elle 
puisse  à  bon  droit  se  glorifier...  »  Puis  le  rapport  insiste  sur  le  travail 
analytique  commencé  par  les  Commissions  royales  et  les  Sociétés 
d'histoire,  auxquelles  on  doit  aussi  des  publications  périodiques  et 
des  volumes  de  documents.  Il  rappelle  l'appui  que  l'Etat  a  libéra- 
lement fourni  à  de  semblables  travaux.  «  Mais,  continue  le  rapport 
ministériel,  avec  les  progrès  accomplis  par  la  science  historique,  les 
érudits  s'aperçurent  que,  si  l'impulsion  spontanée  des  recherches  limi- 
tées dans  un  champ  bien  défini,  la  liberté  et  la  persistance  de  la  méthode 
avaient  porté  leurs  fruits,  il  était  à  désirer  qu'on  s'engageât  maintenant 
dans  une  action  commune,  en  appliquant  les  forces  scientifiques  des 
grandes  régions  à  une  œuvre  homogène,  à  l'effet  de  répandre  l'édition  des 
Scnptores  historiae  patriae  avec  des  moyens  plus  larges,  et  en  employant 
les  instruments  et  les  secours  de  la  critique  moderne.  Tout  en  respec- 
tant, comme  il  le  fallait,  l'initiative  des  Commissions  et  des  Sociétés 
particulières  d'histoire  provinciale,  et  en  en  maintenant  fermement  l'au- 
tonomie ;  on  a  voulu  en  môme  temps  que  toutes  leurs  forces  s'unissent 
pour  tendre  au  but  suprême  de  l'histoire  nationale,  et  que  le  patrimoine 
scientifique  de  chaque  province  devienne  le  patrimoine  de  toutes.  » 
Tous  les  membres  de  l'Institut  ne  sont  pas  encore  nommés.  Les  quatre 
à  la  nomination  du  ministre  sont,  à  ce  qu'on  assure,  MM.  Francesco 
Crispi,  député,  Cesare  Correnti,  Bart.  Capasso,  directeur  des  Archives 
napolitaines,  et  Gius.  De  Leva,  professeur  à  l'Université  de  Padoue. 
La  Commission  vénitienne  a  élu  M.  Fedele  Lampertico,  sénateur;  la 
Commission  pour  la  Toscane,  les  Marches  et  l'Ombrie,  M.  Tabarrini, 
sénateur;  la  Société  lombarde,  M.  Giulio  Porro;  celle  de  Naples, 
M.  Ruggero  Bonghi;  celle  de  Rome,  M.  Tommasini;  celle  de  Romagne, 
M.  Giosuè  Carducci. 

—  Deux  nouveaux  recueils  périodiques  consacrés  à  l'histoire  ont 
commencé  de  paraître  cette  année.  M.  Ettore  Pais,  directeur  du  Musée 
des  Antiques  de  Cagliari,  a  repris  la  publication  du  Bullettino  archeo- 
logico  sardo  qui  avait  déjà  mené  une  existence  assez  brillante  de  1855 
à  1865  sous  la  direction  du  savant  archéologue,  le  chanoine  Giov. 
Spano.  Ce  bulletin  se  propose  de  décrire  les  monuments  qui  existent 
au  Musée,  ou  qui  leur  parviendront,  de  rendre  compte  des  fouilles 
opérées  dans  l'île  et  des  antiquités  qu'on  y  trouvera,  etc.  Son  domaine 
est  plus  spécialement  restreint  à  l'époque  primitive  et  aux  périodes 
phénicienne,  carthaginoise  et  romaine,  sans  cependant  s'interdire  le 
moyen  âge.  Les  articles  du  premier  fasc.  sont  tous  de  M.  Pais  ;  le  pre- 
mier est  relatif  à  un  passage  d'Hérodote  (VII,  165)  sur  les  Sardes;  le 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE.  237 

second  à  deux  colonnes  milliaires  (de  l'an  13-14  et  de  l'an  46  av.  J.-C); 
suivent  des  comptes-rendus,  des  notices  variées,  etc. 

—  L'autre  recueil  est  la  Rivista  storica  Ualiana  (trimestrielle)  dirigée 
par  M.  G.  Rinaudo.  La  Rivista  ne  veut  pas  être  un  Archivio  ;  elle 
admettra  bien  des  documents,  mais  elle  se  propose  surtout  de  traiter 
des  questions  liistoriques,  et  de  préférence  celles  qui  présentent  un 
intérêt  général  ;  elle  n'accumulera  pas  des  matériaux,  elle  tiendra  le 
lecteur  au  courant  des  questions  agitées  dans  la  science,  spécialement 
pour  l'histoire  italienne,  sans  distinction  de  provinces.  Dans  la  pensée 
du  directeur,  toutes  les  terres  italiennes  formeront  la  matière  au  nou- 
veau périodique.  Le  l"  numéro  contient  quatre  mémoires  :  le  l^""^  pa^ 
M.  Pasq.  Villari  :  «  Une  nouvelle  question  sur  Savonarole,  »  où  l'auteur 
combat  avec  de  solides  arguments  les  doutes  élevés  par  Ranke  sur  l'au- 
thenticité et  sur  la  valeur  des  plus  anciennes  biographies  de  Savonarole. 
M.  Gius.  De  Leva  traite  de  «l'Élection  du  pape  JulesIII,»dans  un  article 
qui  est  sans  doute  un  chapitre  de  son  histoire  de  Charles-Quint,  dont  la 
continuation  est  attendue  depuis  tant  d'années.  Il  est  bon  de  rappeler  ù  ce 
propos  que  l'Académie  dei  Lincei  a  décerné  le  prix  royal  de  10,000  1.  au 
4°  vol.  de  cette  œuvre  monumentale,  si  riche  en  documents  inédits;  c'est 
en  février  dernier  que  ce  prix  lui  a  été  attribué.  Revenons  à  la  Rivista  : 
le  3e  mémoire  est  de  M.  Vito  La  Mantia  sur  les  Communes  de  l'État 
romain  au  moyen  âge;  travail  d'ensemble,  poursuivi  jusqu'au  xv"  s., 
où  l'auteur  montre  que  les  villes  jouissaient  de  beaucoup  d'indépen- 
dance et  de  liberté  sous  la  protection  des  papes.  M.  G.  Rosa,  dans  «  Les 
Franciscains  au  xni"  s.,  »  traite  en  quelques  pages  de  l'influence  exer- 
cée sur  la  Société  par  cet  ordre  religieux.  Les  mémoires  sont  suivis  de 
comptes-rendus  critiques,  des  analyses  de  périodiques  italiens  et  étran- 
gers, etc. 

—  MM.  Milziade  Santoni,  Giuseppe  Mazzattini  et  Michele-Faloci-Puli- 
gnani  vont  entreprendre  un  Archivio  storico  pcr  le  Marche  e  l'Umbria, 
imprimé  à  Foligno;  on  y  donnera  une  grande  place  aux  documents. 

—  Également  importante  sera  la  Rivista  storica  mantovana  dont  on 
annonce  la  prochaine  apparition.  Les  archives  et  les  bibliothèques  de 
Mantoue  abondent  en  documents  précieux,  surtout  pour  l'époque  de  la 
domination,  aussi  glorieuse  que  longue,  des  Gonzague.  Comme  on  le 
voit,  cette  série  de  publications  nouvelles  est  de  bon  augure  pour  le 
progrès  des  études  en  Italie. 

—  M.  D.  CoMPARETTi  vient  de  faire  paraître  à  Florence  (Lœscher)  le 
le  l^r  numéro  du  Museo  italiano  di  antichità  classica;  parmi  les  mémoires 
contenus  dans  ce  premier  fasc,  nous  noterons  celui  de  M.  G.  Pais  sur 
les  Colonies  militaires  étabhes  en  Italie  par  les  triumvirs  et  par  Auguste, 
avec  le  catalogue  des  colonies  italiennes  indiquées  par  Pline. 

—  Depuis  l'assemblée  générale  tenue  à  Vicence  en  1881,  la  R.  depu- 
tazione  di  storia  veneta  de  Venise  a  mis  en  distribution  :  1"  le  t.  III 
du  Codice  diplomatico  di  Padova,  qui  termine  cette  importante  publica- 


23S  CHRO\IQrE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

tion  ;  2°  le  t.  Il  des  Miscellanea,  qui  contient  :  les  Statuti  civili  e  crimi- 
nali  di  Coticordia,  une  Monografta  sui  principi  di  Morea,  une  autre  sur 
les  Popolazioni  dei  tredicî  comuni  veronesi,  une  enfin  sur  les  Fonti  édite 
cd  inédite  délia  storia  délia  rcgione  vcneta  ;  3"  deux  rapports  sur  la  topo- 
graphie de  la  région  vénitienne  à  l'époque  romaine,  entreprise  par  la 
Société.  Sont  sous  presse  :  le  t.  III  des  Commemoriali,  préparé  par 
M.  Predelli  ;  le  t.  I  des  Cronache  contenant  les  Diarii  de  Leonardo  et 
Gregorio  Amasei,  préparés  par  M.  Ceruti  ;  le  t.  III  des  Miscellanea,  qui 
commence  par  un  mémoire  de  M.  Bertolotti  sur  les  artistes  vénitiens 
à  Rome;  les  3  volumes  de  la  correspondance  de  Paolo  Paruta  sont  en 
prépai'ation  :  les  chroniques  de  Vérone  de  Marzagaja,  les  plus  anciennes 
chroniques  vénitiennes,  comme  TAltinate  et  celle  de  Dandolo,  les 
Sécréta  fidelium  de  Marino  Sanuto  Torsello  ;  les  statuts  de  Trévise.  — 
La  Société  patronne  aussi,  comme  on  sait,  l'édition  des  Diarii  de 
M.  Sanuto;  la  {''^  série,  de  12  gros  volumes,  est  terminée;  il  en  faudra 
58  pour  comprendre  cette  œuvre  colossale  en  entier. 

Livres  nouveaux.  —  Nisco.  Ferdinando  II  ed  ilsuo  regno.  Naples,  Delken. 
—  Bonghi.  S(oria  romana,  t.  I,  Milan,  Hœpli.  —  Tocco.  Gh  Eretici  nel  raedlo 
evo;  ibid.  —  Frezza  di  San  Felice.  Dei  camerieri  segreti  e  d'onore  dei  summo 
poiitefice;  memorie  storiche.  Rome,  Spithœver. 

Espagne.  —  Le  P.  Fidel  Fita  vient  de  publier  le  ms.  inédit  jus- 
qu'ici des  Cartes  de  Barcelone,  tenues  en  1131  et  1163.  L'objet  de  la 
première  de  ces  assemblées,  composée  d'évêques,  d'abbés  et  de  grands 
réunis  en  présence  du  comte  Raimond,  concerne  surtout  les  droits 
d'asile  et  de  dime,  la  protection  des  marchands  et  des  paysans.  La 
seconde,  où  assistèrent  en  outre  des  clercs  de  différents  ordres,  des 
nobles  et  «  autres  serviteurs  de  Dieu,  »  s'occupe  de  la  paix  et  de  la 
trêve  de  Dieu  [Polybiblion ,  mars  1884i. 

Livres  nouveaux.  —  Colmeiro.  Cortes  de  los  antigos  reiaos  des  Léon  y  de 
Castilla.  Madrid. 

États-Unis.  —  Le  3«  volume  de  l'édition  révisée  de  la  History  of 
the  l'nited  States,  par  M.  Bangroft  (D.  Appleton),  va  jusqu'en  mai  1774; 
il  contient  la  série  entière  des  actes  législatifs  du  gouvernement  anglais 
qui  conduisirent  à  «  la  crise  »  finale. 

—  Le  14^  des  index  préparé  par  M.  Griswold  contient  une  table 
alphabétique  des  matières  et  noms  d'auteurs  des  volumes  193  à  268  de 
la  Revue  des  Deux-Mondes  et  des  21  premiers  volumes  de  la  Nouvelle 
Revue  (Bangor,  Q.  P.  Index;  Londres,  ïriibner). 

—  M.  Herbert  B.  Ad.-vms  inaugure  une  seconde  série  de  ses  University 
Studies,  à  l'Université  de  J.  Hopkins,  par  un  mémoire  sur  les  nouvelles 
méthodes  pour  étudier  l'histoire.  La  première  série  comprenait  les 
mémoires  suivants  :  Freeman:  Introduction  à  l'histoire  des  institutions 
américaines.  H.-B.  Adams  :  De  l'origine  germanique  des  villes  de  la 
Nouvelle-Angleterre.  Shaw  :  Gouvernement  local  en  Illinois.  Gould  : 
Gouvernement  local  en  Pensvlvanie.  H.-B.  Adams  :  Les  «  tithingmen  » 


CHROMQUE  ET   BIBLIOGRAPHIE.  239 

saxons  en  Amérique.  Bemis  :  Gouvernement  local  en  Michigan  et  dans 
le  Nord-Ouest.  Ingle  :  Institutions  de  paroisse  en  Maryland.  Johnson  : 
Anciens  manoirs  du  Maryland.  H.-B.  Adams  :  Constables  normands 
en  Amérique.  Le  même  :  Communautés  de  village  de  Cape  Anne  et  de 
Salem.  Johnston  :  La  genèse  de  l'État  de  New-England  (Connecticut). 
Ramage  :  Le  gouvernement  local  et  les  écoles  libres  dans  la  Caroline 
du  Sud. 

—  Il  y  a  un  peu  plus  de  deux  ans,  les  autorités  municipales  de  Bos- 
ton ont  permis  la  publication  du  premier  volume  des  Suffolk  deeds,  et 
des  actes  du  comté  où  est  situé  Boston.  Le  second  est  paru  à  la  fin  de 
l'année  dernière  ;  il  est  plein  d'intérêt  pour  l'histoire  du  pays  vers  le 
miheu  du  xvn«  siècle. 

—  Une  Société  s'est  formée  en  1876  à  Utica  (New- York)  :  The  Oneicla 
historical  Society,  dans  le  but  de  recueillir,  de  préserver  et  de  publier 
tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'histoire  de  cette  partie  de  l'État  de  New- York, 
appelée  auparavant  l'Yrion  County,  et  occupée  à  l'origine  par  les  tribus 
iroquoises  d'Oneida  et  de  Mohawks.  Le  président  est  M.  Horatio  Sey- 
mour,  le  secrétaire  M.  G.  W.  Darling. 

Livres  nouveaux.  —  Bartlett.  Sources  of  history  in  the  Pentateuch.  New- 
York,  Randolph.  —  Jones.  The  history  of  Georgia.  Boston,  Houghtou,  Mifilin 
et  C'^  —  Julian.  Political  recollections,  1840-1872.  Chicago,  Jansen,  Mac 
Cliig  et  C'°. 

Grèce.  —  Il  s'est  fondé  à  Athènes  une  'lairoptxY)  xal  'EôvoXoyixY)  'E-catpîa 
TT)ç  "EXXaSoc,  SOUS  la  présidence  de  M.  Philémon.  Cette  Société  a  déjà 
publié  trois  fascicules  d'un  Bulletin,  qui  sont  intéressants.  Nous  en  ren- 
drons compte  à  l'avenir.  —  D'autre  part,  une  autre  Société  littéraire, 
le  «  Parnasse,  »  a  pris  l'initiative  d'organiser  une  exposition  d'objets 
ayant  trait  à  la  révolution  de  1821;  ce  sera  une  espèce  de  Musée 
Carnavalet  grec.  Cette  exposition  a  été  ouverte  le  25  mars  dernier 
(v.  st.,  soit  le  6  avril),  anniversaire  de  la  Révolution  grecque,  dans  la 
rotonde  de  l'École  polytechnique,  à  côté  des  salles  réservées  aux  riches 
collections  de  la  Société  archéologique. 

Pays-Bas.  —  Livres  nouveaux.  —  Telting.  Friesische  Stadrechten.  La 
Haye,  Nijhofl".  —  Muller.  De  middleeuwsche  rechtsbronnen  der  stad  Utrecht. 
1-2.  Ibid.  —  J.  de  Jonge.  De  opkomst  van  het  nederlandsch  gezag  in  Oo.st- 
Indie.  11«  deel.  S'Gravenhague,  Nijhoff.  —  De  Stoppelaar.  Inventarls  van  het 
oud  archief  der  stad  Middelburg,  1217-1581.  Middelbourg,  Altorften. 

Suède.  —  Livres  nouveaux.  —  Berg.  Samlingar  till  Gœteborgs  historia, 
2=  fasc.  Stockholm,  Beijer.  —  Souden.  Nils  Bielke  och  det  svenska  kavalle- 
riet,  1674-79.  —  Aminson.  Bidrag  till  Sœdermanlands  aeldre  kulturhistoria. 
Stockholm,  Samson  et  Wallin.  —  Edgren.  De  codicibus  nonnullis  ineditis  qui 
in  bibliotheca  universitatis  Lundensis  asservanlur.  Lund,  Gleerup.  —  Berg. 
Samlingar  till  Gùteborgs  historia.  Stockholm,  Beïjer. 


2Î0  LISTE    DES   LIVRES    De'pOSE's   AU    BUREAU    DE    LA    REVUE. 


LISTE  DES  LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE. 

[Nous  n'indiquons  pas  ceux  qui  ont  été  appréciés  dans  les  Bulletins 
et  la  Chronique.) 


Allard.  Esclaves,  serfs  et  mainmortables.  Librairie  de  la  Soc.  bibliograpliie. 
Coll.  à  3  fr.  42  p.  in-12.  —  H.  de  Ferron.  Institutions  municipales  et  provin- 
ciales comparées.  Alcan,  Larose  et  Forcel,  xiii-575  p.  in-8°.  —  Périgot.  His- 
toire du  commerce  français.  Weill  et  Maurice,  504  p.  in-12.  —  Thureau-Dan- 
GiN.  Histoire  de  la  monarchie  de  Juillet;  t.  I  et  H.  Pion  et  Nourrit,  vii-460  et 
438  p.  in-8°.  —  Vie  de  Monsieur  Du  Guay-Trouin,  écrite  de  sa  main.  Jouvet 
et  C'".  xxi-265  p.  in-8°.  —  Zeller.  Entretiens  sur  l'histoire  du  moyen  âge;  t.  I. 
Perrin  (ancienne  maison  Didier),  in-12. 

Dacbert.  Séuèffue  et  la  mort  d'Agrippine.  Étude  historique.  Leide,  Brill. 
Paris,  Lechevallier,  236  p.  in-S». 

Abbé  J.  Gremaud.  Documents  relatifs  à  l'histoire  du  Valais.  T.  V.  1351-1375 
(t.  XXXIII  des  Mém.  et  Doc.  p.  p,  la  Soc.  d'hist.  de  la  Suisse  romande), 
Lausanne,  Bridel. 

WiJNNE.  Négociations  de  M.  le  comte  d'Avaux  pendant  les  années  1693, 
1697  et  1608.  T.  III,  2»  part.  (p.  pour  l'historisch  Genootschap  d'Ulrecht. 
Nouv.  série,  p.  36).  Utrechl,  Kemink  et  fds.  cxi-194  p.  in-8°. 

Bezold.  Briefe  des  Pfalzgrafen  Johann  Casimir,  mit  verwandten  Scbrift- 
stlicken.  Bd.  II,  1582-86.  Munich,  Rieger.  —  Bresslau.  Konrad  II.  Bd.  II, 
1032-39  (Jahrbiicher  des  deutschen  Reiches).  Leipzig,  Duncker  et  Huniblot, 
x-603  p.  in-8°.  Prix  :  13  m.  60.  —  Brosien.  Der  Streit  um  Rcichsilandern  in 
der  zweiten  Hœlfte  des  xmten  Jahrhunderts  (appendice  aJ,  >'rogramm  des 
Sophiengymnasiums.  Pâques  1884).  Berlin,  Gœrfner.  32  p.  in-4°.  —  Polilische 
Correspondenz  Friedrich's  des  Grossen.  Bd.  XI.  Berlin,  Alex.  Duncker.  — 
Wolfram.  Friedrich  I  und  das  Wormser  Concordat.  Marbourg,  Elwert.  viii- 
176  p.  in-8". 

Peralta.  Costa  Rica,  Nicaragua  y  Panama,  en  el  sigloxvi,  1522-1610;  sa  his- 
toria  y  sus  limites.  Madrid,  Murillo.  Paris,  Ferrer,  xxiii-832  p.  in-8''.  Prix  : 
50  pesetas. 


L'un  des  proprutaires-gérants,  G.  Monod. 


Nogenl-ie-RùIrou,  iuijirimerie  Daupeley-Gouverneur. 


GUILLEM  BERNARD  DE  GAILLAC 


ET 


L'ENSEIGNEMENT  CHEZ  LES  DOMINICAINS 
A  LA  FIN  DU  XIIP  SIÈCLE. 


C'est  quatre  fois,  si  nous  ne  nous  trompons,  que  les  auteurs 
de  l'Histoire  littéraire  de  la  France  se  sont  occupés  de  Guil- 
lem  Bernard  de  Gaillac^  Mais  ils  l'ont  fait  chaque  fois  en  quelques 
mots  seulement,  sans  donner  la  preuve  de  leurs  assertions,  dont 
plusieurs,  à  notre  avis,  ne  peuvent  être  admises,  sans  paraître 
même  ajouter  à  ces  assertions  une  foi  absolue.  En  tout  cas,  ils 
n'ont  pas  jugé  à  propos  d'accorder  à  l'écrivain  dont  il  s'agit  une 
notice  particulière.  Il  ne  la  méritait  peut-être  pas  moins  cepen- 
dant qu'un  certain  nombre  de  ses  contemporains.  Beaucoup,  aussi 
oubliés  que  lui  assurément,  et,  à  ce  qu'il  semble,  plus  dignes  de 
l'être,  étrangers  même  parfois,  tandis  qu'il  était  Français  après 
tout,  ont  obtenu,  malgré  leur  obscurité,  les  honneurs  d'une  biogra- 
phie dans  ce  grand  recueil.  Pour  lui,  il  fut  à  la  fois  écrivain, 
professeur  dans  des  enseignements  variés,  et  cela  pendant  plus 
de  quarante  ans,  prédicateur  remarquable  et  reconnu  comme  tel, 
enfin,  ce  qui  est  plus  extraordinaire  au  xiii"  siècle,  helléniste 
consommé.  Selon  nous,  c'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour  que  l'on 

1.  Voir  tome  XVI,  p.  142;  lome  XIX,  p.  248;  tome  XXIV,  pp.  92  et  389.  Le 
premier  et  le  second  des  pas.sages  indiqués  sont  tous  deux  de  Daunou.  Ils 
ligurent,  l'un  dans  le  Discours  sur  l'état  des  lettres  au  XIII'  siècle,  placé  par 
cet  érudit  au  début  du  xvi°  volume  de  l'Histoire  littéraire,  l'autre  dans  sa 
biographie  de  saint  Thomas  d'Aquin.  Le  troisième  et  le  quatrième  sont  de 
J.-V.  Le  Clerc  et  se  trouvent  dans  son  Discours  sur  l'état  des  lettres  en  France 
au  XI V  siècle  {V^  et  IP  parties). 

Rev.  Histor.  XXV.  2«  fasc.  16 


242  C.    MOLIXIER. 

considère  comme  insuffisantes  au  moins  les  indications  auxquelles 
les  auteurs  de  V Histoire  littéraire  de  la  France  ont  cru  devoir 
se  borner,  et  pour  justifier  l'étude  qui  va  suivre. 

Les  indications  si  brèves  dont  nous  venons  de  parler  ont  été 
tirées,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  du  grand  répertoire 
des  Scriptores  ordinis  Praedicatorum.  Dans  ce  livre,  en  effet, 
Quétif  et  Échard  ont  consacré  une  notice  à  leur  confrère  du 
XIII®  siècle  ^  Mais  ils  ne  nous  l'ont  pas  donnée  aussi  satisfaisante 
qu'il  l'aurait  fallu,  et,  nous  le  croj^ons  également,  qu'il  était  en 
leur  pouvoir  de  nous  la  fournir.  Ils  ont  mentionné,  il  est  vrai,  les 
traductions  d'ouvrages  de  saint  Thomas  d'Aquin  en  langue 
grecque,  exécutées  par  Guillem  Bernard.  Mais,  à  cela  près,  ils 
n'ont  vu  dans  celui-ci  que  le  religieux  plein  de  zèle  pour  la  pros- 
périté de  son  ordre  et  la  propagation  de  la  foi.  Ils  se  sont  contentés 
de  marquer  l'époque  et  les  principales  circonstances  des  priorats 
qui  lui  avaient  été  confiés.  Ils  n'ont  considéré  en  lui  ni  le  profes- 
seur, ni  le  prédicateur,  ni  même  véritablement  l'écrivain.  A  cette 
biographie  trop  abrégée,  ils  ont  ajouté  enfin  une  conjecture  qui 
ne  peut  être  soutenue,  et  que  nous  aurons  à  réfuter  plus  loin. 

Quoi  qu'il  en  soit,  tout  ce  qu'ils  nous  ont  dit  de  Guillem  Ber- 
nard de  Gaillac,  ils  l'ont  emprunté,  suivant  leur  propre  aveu,  à 
l'un  de  ses  contemporains,  frère  prêcheur  comme  lui-même,  à 
Bernard  Gui.  Ce  dernier  était  d'autant  mieux  en  mesure  de  nous 
renseigner  sur  le  moine  dont  nous  nous  occupons,  qu'il  l'avait 
connu  personnellement  et  avait  passé  en  '■  on  deux  ans  avec  lui. 
C'avait  été  depuis  l'année  1292  jusqu'à  la  seconde  moitié  de  l'an- 
née 1294.  Guillem  Bernard  dirigeait  alors  le  couvent  d'Albi  en 
qualité  de  prieur,  et  Bernard  Gui  avait  été  envoyé  dans  le  même 
couvent  comme  lecteur  de  théologie.  Au  mois  de  juillet  1294, 
quand  Guillem  Bernard  avait  été  relevé  de  ses  fonctions,  c'avait 
été  encore  Bernard  Gui  qui  l'y  avait  remplacé,  bien  qu'il  eût  été 
désigné  d'abord  pour  aller  enseigner  la  théologie  au  couvent  de 
Castres-. 

Guillem  Bernard  de  Gaillac  n'était  donc  pas  un  inconnu  pour 
l'historien  des  Frères  Prêcheurs.  On  peut  même  supposer  que, 
quand  celui-ci  le  qualifiait  «  d'homme  d'une  austérité  et  d'une 

1.  Voir  Scriptores  ordinis  Praedicatorum,  I,  4G0b. 

2.  Voir  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  tome  XXVII,  2«  partie  (Notice  sur 
les  manuscrits  de  Bernard  Gui,  par  M.  Léopold  Delisle),  p.  17G,  et  notes  1-4 
de  la  même  page. 


GCILLEM    BERNARD   DE   GAILLAC.  243 

frugalité  remarquables,  enflammé  de  zèle  pour  prêcher  l'Évangile 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  pour  sauver  les  nations*  »,  ce 
n'était  pas  de  sa  part  un  éloge  banal  accordé  à  son  ancien  supé- 
rieur du  couvent  d'Albi,  comme  à  une  foule  d'autres  représentants 
de  l'ordre  dont  il  écrivait  l'histoire.  Il  est  permis  de  penser  que  le 
spectacle  de  ses  vertus  chrétiennes  l'avait  profondément  touché, 
qu'il  l'avait  rempli  de  sympathie  pour  celui  qui  l'en  rendait 
témoin,  qu'il  lui  avait  inspiré  enfin  le  désir  de  s'informer  assidû- 
ment des  actes  d'un  religieux  qu'il  avait  dû  admirer.  En  tout  cas, 
dans  sa  compilation  sur  l'ordre  des  Dominicains  ^,  il  a  consigné 
d'abord  tous  les  renseignements  employés  par  Quétif  et  Echard. 
En  outre,  dans  les  actes  des  chapitres  provinciaux,  ajoutés  en 
appendice  à  son  œuvre,  et  que  les  auteurs  des  Scriptores  n'ont 
pas  dépouillés,  il  a  noté  toute  une  série  d'indications  précieuses. 
C'est  là,  en  effet,  que  nous  trouvons,  pour  ainsi  dire  d'année  en 


1.  «  Hic  frater  Guillelmus  vir  magne  aus5teritatis  et  abstinencie  in  victu 
extilit,  zeloque  predicacionis  Evangelii  Doraini  Jhesii  Cbristi  et  desiderio  salu- 
tis  genoiura  succensus...  »  Bibliothèque  de  Ja  ville  de  Toulouse,  ms.  273, 
I"  série,  f°  217  r°. 

2.  Voir,  sur  cette  compilation,  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  ibid.,  ut 
supra,  pp.  303  et  suiv.  —  La  bibliothèque  de  la  ville  de  Toulouse  possède 
du  travail  de  Bernard  Gui  trois  exemplaires,  tous  trois  du  xiv"  siècle  (mss.  55 
et  273,  I'"  série;  ms.  91,  IP  série).  Ces  trois  exemplaires  représentent  des 
rédactions  assez  différentes  du  même  ouvrage.  C'est  au  n"  273  que  nous 
emprunterons  à  peu  près  exclusivement  les  citations  qui  doivent  faire  le  fond 
de  cette  notice.  Les  actes  des  chapitres  provinciaux  de  l'ordre  des  Dominicains 
pour  l'ancienne  province  de  Provence,  avant  sa  division  en  province  de  Pro- 
vence proprement  dite  et  province  de  Toulouse  au  chapitre  général  de  Bologne, 
en  1302,  puis  ceux  de  la  province  nouvelle  de  Toulouse,  à  partir  de  cette  date, 
nous  fourniront  un  assez  grand  nombre  de  renseignements.  Or,  nous  ne  les 
trouvons  pas  dans  le  ms.  55,  qui  nous  donne  à  la  place  les  chapitres  généraux 
de  l'ordre.  Dans  le  ms.  91,  les  actes,  dont  nous  devons  nous  servir,  s'arrêtent 
à  l'année  1328,  c'est-à-dire  au  chapitre  provincial  réuni  cette  année-là  à  Tou- 
louse. Ce  n'est  aussi  qu'à  partir  du  chapitre  provincial  de  Bordeaux  (fête  de 
l'Assomption,  1311;  f°  64  a),  que  le  même  ms.  nous  donne,  avec  le  résumé  des 
actes,  les  noms  des  prieurs  relevés  de  leurs  fonctions,  les  assignations  de  lec- 
teurs, etc.  L'ordre  de  se  procurer  ces  documents,  en  les  empruntant,  sans 
doute,  à  la  compilation  déjà  célèbre  de  Bernard  Gui,  et  de  les  conserver  avec 
soin,  avait  été  donné  justement  à  ce  même  chapitre  de  Bordeaux.  (Voir  Notices 
et  extraits  des  manuscrits,  ibid.,  ut  supra,  pp.  336,  337,  et  note  1  de  la 
page  337.)  Les  détails,  fournis  tardivement  par  le  ms.  91,  se  trouvent  au  con- 
traire dans  le  ms.  273,  dès  l'année  1250,  date  du  chapitre  provincial  de  Nar- 
bonne  (f°  284  v),  et  ils  abondent  à  partir  de  celui  de  Montpellier  (1265: 
f°  299  v°).  Quant  aux  actes  proprement  dits,  le  même  ms.  nous  en  donne  les 
procès-verbaux  jusqu'au  chapitre  provincial  de  Carcassonne  (1342). 


244  C.   MOLINIER. 

année,  les  nominations  de  Guillem  Bernard  à  diverses  fonctions  de 
professeur  dans  quelqu'une  des  chaires  dont  l'ordre  des  Domini- 
cains avait  pourvu  ses  couvents  du  midi  de  la  France  comme 
ceux  de  toutes  les  contrées  où  il  s'était  établi.  Si  l'on  joint  à  cela 
l'exactitude  et  la  sincérité  reconnues  de  l'écrivain  dont  nous  par- 
lons en  ce  moments  il  n'y  a  pas  de  doute  que  nous  n'ayons,  grâce 
à  lui,  les  éléments  absolument  authentiques,  sinon  complets,  de 
la  biographie  que  nous  avons  entreprise. 

Cette  biographie  doit  débuter,  avant  tout,  par  une  remarque 
nécessaire.  C'est  qu'il  a  existé ,  dans  la  seconde  moitié  du 
xiii"  siècle,  deux  religieux  dominicains  portant  l'un  et  l'autre  le 
nom  de  Guillem  Bernard,  Guillelmus  ou  Willelmus  Bernardi, 
suivant  la  traduction  latine  de  l'époque.  Il  faut  prendre  soin  de 
les  distinguer  ;  mais  cela  ne  paraît  point  difficile,  et,  d'ailleurs, 
les  contemporains  l'avaient  déjà  fait.  Chacun  de  ces  deux  per- 
sonnages avait  reçu  d'eux  un  surnom  tiré  du  lieu  de  sa  naissance, 
et  qu'on  retrouve  assez  souvent  à  la  suite  de  son  nom  véritable. 
L'un  était  appelé  Aquensis  :  il  était  originaire,  en  effet,  de  Dax^ 
en  Gascogne;  l'autre  Galliacensis,  parce  qu'il  était  né  à  Gail- 
lac^,  en  Languedoc,  dans  le  diocèse  d'Albi. 

Les  surnoms  dont  il  s'agit  ne  sont  pas,  comme  on  le  voit,  inu- 
tiles à  relever.  Leur  importance  est  même  plus  considérable  qu'il 
ne  semblerait  au  premier  abord,  car  i^  s'y  rattache  une  question 
qu'il  nous  faut  éclaircir  sans  aller  plus  loin,  et  d'où  dépend  l'au- 
thenticité des  indications  destinées  à  fournir  la  matière  de  cette 
notice. 

Nous  venons  dédire  que  ces  surnoms  accompagnaient  assez 
fréquemment  le  nom  réel  des  personnages  que  nous  avons 
rapprochés.  C'est  à  dessein  que  nous  avons  employé  cette  façon 
de  parler,  parce  qu'il  s'en  faut  qu'il  en  soit  ainsi  dans  tous  les 
cas.  En  réalité,  ces  surnoms  suivent  toujours,  quand  il  est  ques- 
tion des  deux  religieux  dominicains  dans  le  corps  même  de 
la  compilation  de  Bernard  Gui.  Ils  manquent,  au  contraire, 
généralement  deux  fois  sur  trois,  dans  les  actes  des  chapitres 
provinciaux,  qui  en  sont  l'appendice.  Ce  qui,  du  reste,  se  com- 
prend sans  peine,  la  compilation  affectant  une  forme  étendue  et 

1.  Voir  ce  que  dit  à  ce  sujet  M.  Léopold  Delisle,  Notices  et  extraits  des 
manuscrits,  ibid.,  ut  supra,  pp.  287-291  et  366-371. 

2.  Sous-préfecture  du  département  des  Landes. 

3.  Sou  s -préfecture  du  département  du  Tarn. 


GUILLEM   BERNARD   DE   GAILLAC.  245 

presque  détaillée,  les  actes  n'étant  que  des  procès-verbaux  plus 
ou  moins  sommaires.  Mais  cette  lacune  n'est  pas  faite  pour  nous 
embarrasser,  autant  qu'il  paraîtrait  à  première  vue,  dans  la 
reconstitution  de  la  biographie  de  Guillem  Bernard  de  Gaillac, 
le  seul,  il  va  sans  dire,  dont  nous  ayons  à  nous  occuper.  Elle  ne 
doit  pas  surtout  nous  conduire  à  rejeter  absolument  les  indi- 
cations où  nous  aurons  à  la  constater. 

D'abord,  si  communs  qu'on  puisse  juger  les  noms  de  Guillem  et 
de  Bernard,  leur  association  compose  après  tout  une  appellation 
particulière,  qui  n'a  pu  se  présenter  qu'assez  rarement  dans  un 
espace  de  temps  borné,  et  dans  une  réunion  restreinte  de  personnes 
telle  que  l'ordre  des  Frères  Prêcheurs,  en  dehors  duquel  nous 
n'avons  rien  à  chercher.  Puis,  si  nombreux  qu'aient  pu  être 
dans  cet  ordre  les  docteurs  remarquables,  ils  n'ont  jamais  dû,  en 
somme,  y  composer  qu'une  minorité  comme  partout.  Ily  a  donc 
bien  des  raisons  de  croire  que,  dans  cette  minorité,  dans  la 
période  assez  courte  aussi  dont  nous  avons  parlé,  dans  une  même 
contrée  également,  car  Guillem  Bernard,  originaire  du  midi  de 
la  France,  ne  semble  pas  en  être  sorti,  si  ce  n'est  pour  un  grand 
voyage,  dont  nous  aurons  à  nous  occuper  plus  tard,  il  n'a  pu  se 
rencontrer,  à  moins  d'un  hasard  surprenant,  deux  moines  domi- 
nicains du  même  nom,  ayant  fourni  tous  les  deux  une  carrière  à 
peu  près  semblable.  Enfin,  et  ceci  paraîtra  sans  doute  décisif,  si 
l'on  met  à  la  suite  les  unes  des  autres,  dans  leur  ordre  de  date,  à 
la  fois  les  indications  où  Guillem  Bernard  de  Gaillac  se  trouve 
clairement  désigné  par  la  mention  du  lieu  de  sa  naissance,  et 
celles  où  l'on  peut  douter  à  la  rigueur  qu'il  s'agisse  de  lui,  cette 
mention  n'existant  pas,  voici  à  quoi  l'on  arrive.  C'est  à  un 
ensemble,  comme  on  le  verra,  non  pas  sans  lacunes  assurément, 
mais  dans  lequel  chaque  fait  prend  tout  naturellement  place  à  la 
date  qu'il  porte,  où  aucune  date  ne  se  trouve  contredite  par  une 
autre.  Il  y  a  plus  :  c'est  à  la  conception  bien  nette  d'une  vie  tout 
entière  de  dévouement  et  d'étude,  s'inaugurant,  se  développant, 
nous  dirions  même  se  terminant  aussi  suivant  certains  principes. 
Et  ces  principes  ne  sont  pas  simplement  ceux  d'après  lesquels  se 
réglait  l'existence  humaine  à  l'époque  où  Guillem  Bernard  a  vécu, 
ou  dans  l'ordre  auquel  il  s'était  attaché.  Ce  sont  ceux-là  mêmes 
qui  semblent  lui  avoirété  pour  ainsi  dire  personnels,  et  qui  donnent 
à  sa  carrière  ainsi  considérée  une  unité  indiscutable. 

Ces  remarques,  qui  étaient  absolument  nécessaires,  une  fois 


246  C,    MOLINIER. 

épuisées,  nous  revenons  aux  deux  religieux  dominicains  que 
nous  avons  cru  devoir  rapprocher  l'un  de  l'autre,  à  cause  de 
l'identité  de  leur  nom,  et  aussi  parce  qu'ils  peuvent  être  regardés 
comme  contemporains.  Il  y  avait  cependant  entre  eux,  on  ne 
saurait  en  douter,  une  assez  grande  différence  d'âge.  Mais  le  plus 
âgé  était  Guillem  Bernard  de  Dax  ^  Quand  il  mourut,  en  1268 
ou  1269-,  à  Bordeaux,  prieur  du  couvent  des  Dominicains  de 
cette  ville,  son  homonyme,  natif  de  Gaillac,  devait  être  un 
enfant  encore,  tout  au  plus  un  adolescent,  autant  du  moins  qu'on 
en  peut  juger. 

C'est  là,  en  effet,  une  question  assez  malaisée  à  éclaircir.  Nous 
ignorons  la  date  de  naissance  de  Guillem  Bernard  de  Gaillac  ; 


1.  Pour  la  biographie  de  Guillem  Bernard  de  Dax,  et  pour  la  confirmation  de 
ce  que  nous  disons  de  son  âge,  voir  notre  travail  :  L'Inquisition  dans  le  midi 
de  la  France  au  XUI"  et  au  XIV"  siècle,  p.  172,  et  notes  4  et  5  de  la  même 
page.  —  Voir  également,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  année 
1881,  pp.  129-156,  361-382,  l'étude  historique  et  archéologique  intitulée  : 
Najac  en  Rouergue.  —  Sur  ce  moine  dominicain,  nous  n'avons  pas  de  rensei- 
gnements à  chercher  dans  Quétif  et  Échard.  Sans  doute,  ils  n'avaient  décou- 
vert aucun  écrit  qui  put  lui  être  attribué,  et  qui,  en  lui  donnant  quelque 
renom  littéraire,  fît  rentrer  sa  biographie  dans  le  cadre  de  leur  travail.  Cela 
nous  étonnerait  pourtant.  Guillem  Berriard  dut  exercer  près  de  dix  ans  les 
fonctions  d'inquisiteur.  Or,  on  ne  nommait  guère  à  ces  fonctions,  surtout  à 
partir  de  la  seconde  moitié  du  xiii"  siècle,  que  des  docteurs  réputés  pour  leur 
savoir.  Ce  qui  le  prouve,  ce  sont  des  nominations  comme  celles  de  Jean  de 
Saint-Benoit,  de  Simon  Duval,  de  GeolTroi  d'Ablis,  de  Jean  de  Beaune,  de 
Bernard  Gui  enfin,  et  de  beaucoup  d'autres,  tous  célèbres  à  différents  degrés, 
avant  de  devenir  inquisiteurs,  soit  par  leur  enseignement,  soit  par  leurs 
ouvrages,  soit  par  leur  éloquence.  Selon  nous,  la  véritable  raison  de  l'oubli 
que  les  auteurs  des  Scriptores  ont  fait  de  Guillem  Bernard  de  Dax,  c'est  qu'ils 
l'ont  confondu  vraisemblablement,  et  sans  trop  s'en  rendre  compte  peut-être, 
avec  son  homonyme,  né  à  Gaillac,  et  qu'ensuite  ils  n'ont  consacré  à  celui-ci 
qu'une  notice  insuffisante.  En  tout  cas,  un  indice  de  la  confusion  dont  il  s'agit 
se  retrouve,  disons-le  tout  de  suite,  dans  cette  conjecture  qui  leur  appartient, 
et  que  nous  avons  mentionnée  plus  haut,  avec  promesse  de;  dire  ce  qu'il  faut 
en  penser,  quand  le  moment  sera  venu. 

2.  Les  actes  du  chapitre  provincial  de  Béziers,  réuni  en  1269,  le  dimanche 
après  l'oclave  des  apôtres  Pierre  et  Paul,  c'est-à-dire  le  7  juillet,  portent  la 
mention  suivante  :  «  Fratres  obierunt  in  isto  anno...  Burdcgale,  frater  Wmus 
Bernardi.  »  Bil)l.  de  Toul.,  ms.  273,  1"=  série,  f'  308  v.  —  Celte  indication  pla- 
cerait donc  la  mort  de  Guillem  Bernard  de  Dax  en  1269.  Mais  Bernard  Gui  dit 
ailleurs  expressément  qu'il  mourut  en  1268.  Voir  ibid.,  ut  supra,  f°  119  v, 
et  ms.  91,  IP  série,  f°  29  a.  Il  semble  cependant  que,  des  deux  dates,  la  première 
soit  la  plus  probable.  Guillem  Bernard  sera  mort,  sans  doute,  avant  le  24  mars, 
date  de  la  fête  de  Pâques  en  1269,  c'est-à-dire  en  l'année  1268,  si  l'on  s'en 
rapporte  à  l'ancien  style. 


GUILLEM   BERNARD   DE   GAILLAC.  247 

nous  ignorons  également ,  ce  qui  peut  paraître  plus  extraordi- 
naire, celle  de  sa  mort.  Il  n'est  pas  impossible  toutefois  de  fixer 
la  première  d'une  façon  au  moins  approximative.  Un  moyen 
s'offre  pour  cela  :  c'est  de  comparer  l'existence  du  personnage 
que  nous  étudions  à  celle  d'un  religieux  du  même  ordre  que  lui, 
ayant  vécu  à  la  même  époque,  ayant  fourni  une  carrière  sem- 
blable par  certains  côtés  à  la  sienne.  Bernard  Gui,  à  cause  de 
tout  ce  que  nous  avons  rapporté  de  lui  plus  haut,  nous  semble 
tout  naturellement  désigné  pour  ce  rapprochement.  Si  sa  fortune 
dépassa  de  bien  loin  par  la  suite  la  destinée  modeste,  après  tout, 
de  Guillem  Bernard,  il  eut  des  débuts  tout  pareils,  et  dont  surtout 
nous  pouvons  dater  à  un  an  près  les  différentes  phases.  Quand  il 
mourut,  en  décembre  1331,  il  était  dans  sa  soixante-dixième 
ou  soixante  et  onzième  année.  Il  était  donc  né  en  1261  ou  1262, 
et  c'est  là  une  chose  certaine,  bien  que  l'indication  formelle  ne 
s'en  trouve  nulle  part*.  Or,  Bernard  Gui  est  chargé  pour  la  pre- 
mière fois  d'un  enseignement,  celui  de  la  logique,  au  couvent  de 
Brives,  en  1284,  c'est-à-dire  àl'àge  de  vingt-deux  ou  vingt-trois 
ans.  On  lui  confie  un  premiei  priorat,  celui  du  couvent  d'Albi,  où 
il  succède,  comme  nous  l'avons  vu,  à  Guillem  Bernard  lui-même, 
en  1294,  c'est-à-dire  à  l'âge  de  trente-deux  ou  trente-trois  ans. 
Il  est  nommé  prédicateur  général  de  l'ordre  des  Dominicains,  huit 
années  plus  tard,  en  1302,  à  l'âge  par  conséquent  de  quarante 
ou  quarante  et  un  ans^ 

Prenons  maintenant  les  mêmes  événements  dans  la  vie  de 
Guillem  Bernard  de  Gaillac.  Il  est  appelé  pour  la  première  fois  à 
occuper  une  chaire  en  1277,  honoré  du  titre  de  prédicateur  géné- 
ral en  1289,  investi  pour  la  première  fois  des  fonctions  de  prieur 
en  1290.  Qu'on  admette  qu'il  ait  été  pourvu  du  premier  de  ces 
titres  à  vingt-deux  ans  environ,  comme  l'avait  été  Bernard  Gui, 
cela  lui  donne  trente-quatre  ans  pour  le  second,  trente-cinq  pour 
le  troisième.  Ainsi  son  existence  reproduit  à  peu  de  chose  près, 
au  moins  dans  ses  commencements,  celle  de  son  confrère  et  con- 
temporain. Cela  le  fait  partir  aussi  pour  Constantinople,  vers 
laquelle  il  s'achemine  en  1298,  dans  l'âge  de  la  maturité,  dans  la 
plénitude  de  ses  forces,  nécessaire  pour  les  fatigues  qu'il  va 
affronter,  à  quarante  ans  environ.  Enfin,  et  c'est  la  conclusion 


1.  \oir  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  tome  XXVII,  1"  partie,  p.  173. 

2.  Voir  ibid.,  ut  supra,  pp.  175,  176,  178  et  notes  correspondantes. 


248  ^-    MOLINIER. 

qu'il  faut  établir,  cela  place  avec  quelque  probabilité  la  date  de 
sa  naissance  vers  1255,  ou,  si  l'on  veut  quelque  chose  de  moins 
arrêté,  entre  les  années  1250  et  1260. 

Quoi  qu'on  puisse  penser  de  ces  calculs,  c'est,  comme  nous 
venons  de  le  dire,  en  1277  que  Guillem  Bernard  de  Gaillac  est 
appelé  pour  la  première  fois  à  occuper  une  chaire  dans  un  des 
couvents  de  son  ordre.  C'est  aussi  la  première  fois  qu'il  est  fait 
mention  de  lui.  Cette  mention  se  trouve  dans  les  actes  du  chapitre 
provincial  de  Bordeaux,  réuni  la  même  année,  et  dont  un  des 
articles  note  qu'il  fut  alors  chargé  d'enseigner  la  philosophie 
naturelle,  avec  le  titre  de  lecteur,  au  couvent  de  Carcassonne*. 
L'année  suivante,  le  même  enseignement  lui  est  confié  encore, 
avec  le  même  titre,  mais  dans  une  autre  ville,  à  Perpignan  2. 
Cette  décision  est  prise  au  chapitre  provincial  de  Montpellier, 
rassemblé  le  jour  de  la  fête  de  sainte  Marie-Madeleine  (22  juillet) . 
Trois  ans  plus  tard,  en  1281,  une  autre  décision,  celle-ci  du 
chapitre  provincial  de  Marseille,  réuni  le  dimanche  après  l'octave 
des  apôtres  Pierre  et  Paul,  c'est-à-dire  le  13  juillet,  l'envoie  au 
couvent  de  Nice  avec  un  certain  nombre  de  religieux^.  Nous  le 
retrouvons  de  nouveau  professeur,  en  1284.  Cette  année-là,  en 
effet,  au  chapitre  provincial  de  Perpignan,  il  est  nommé  lecteur 
dans  la  même  ville,  avec  mviiation  de  prendre  une  part  active 
aux  exercices  que  doit  comporter  son  enseignement^.  En  1285, 
il  n'est  plus  à  Perpignan,  mais  à  Toulouse,  dans  ce  couvent  le 
plus  ancien  en  date  parmi  tous  ceux  de  l'ordre  des  Dominicains. 
Il  y  a  été  envoyé  comme  sous-lecteur  par  une  décision,  du  cha- 
pitre provincial  de  Condom,  réuni  le  jour  de  la  fête  de  saint  Denis 
(9  octobre)  ^. 

1.  «  Studia  naluraliuin  ponimus  :  pro  vicariis  Tholose  et  Montispessulani, 
in  conventu  Carcassone:  lectorem  fratrem  W.  Bernardi.  »  Bibl.  de  Toul., 
ins.  273,  r^  série,  f"  324  r.  —  Le  titre  des  actes  du  chapitre  provincial  de 
Bordeaux  indique  qu'il  avait  été  précédé  d'un  chapitre  général  rassemblé  pour 
la  première  fois  dans  la  môme  ville.  Voir  ibid.,  ut  supra,  f"  323  v°. 

2.  «  Assignamus  studia  naturalium.  Primum  ponimus  in  Avinione...:  secun- 
dum  Perpinianum  {sic);  lectorem  fratrem  G.  Bernardi.  »  Ib/d.,  ut  supra, 
P  325  r°. 

3.  «Assignamus  conventui  Niciensi  :  fratres  G.  Bernardi...  »  Ibid.,  ïit  supra, 
î'  334  r». 

4.  «  Assignamus  lectores  :  ...  in  Pirpiniano.  fratrem  W.  B.  Galliacensem,  et 
disputet;...  »  Ibid.,  ut  supra,  f"  337  v°. 

5.  «  Assignamus  :  ...  ad  secundam  lectionem  Tholose  fratrern  W"  B.  Gallia- 
censem.  »  Ibid.,  ut  supra,  f°  340  v. 


GUILLEM   BERNARD   DE   GAILLAC.  249 

Après  ces  débuts,  modestes  encore,  la  situation  de  Guillem 
Bernard  de  Gaillac  grandit  tout  d'un  coup,  grâce  sans  doute  à 
l'estime  que  lui  ont  value  ses  talents  joints  à  son  dévouement 
absolu.  Dans  l'espace  de  six  ans*,  il  est  nommé  d'abord  prédica- 
teur général  de  son  ordre,  puis  trois  fois  prieur.  La  première 
de  ces  nominations  date  du  chapitre  provincial  de  Narbonne, 
assemblé  en  1289,  le  jour  de  la  fête  de  l'Exaltation  de  la  Sainte- 
Croix  (14  septembre)^.  Elle  n'empêche  pas  du  reste  que,  dès  l'an- 
née suivante,  nous  retrouvions  Guillem  Bernard  dans  l'enseigne- 
ment, qui  semble  avoir  été  son  occupation  favorite.  En  effet,  le 
chapitre  de  Pamiers  (fête  de  l'Exaltation  de  la  Croix,  1290)  le 
replace,  comme  lecteur,  à  Perpignan,  où  il  s'était  trouvé  six  ans 
plus  tôt  avec  le  même  titre  ^.  Mais  il  ne  doit  pas  être  demeuré 
bien  longtemps  dans  cette  ville,  si  même  il  lui  a  été  permis  d'y 
reparaître,  car  il  est  investi  presque  aussitôt  après  du  premier 
priera t  qui  lui  ait  été  confié,  celui  de  Montauban,  et  l'exerce 
environ  une  année,  dit  Bernard  Gui.  Il  en  est  déchargé,  d'aiUeurs, 
dès  le  15  août  1291,  au  chapitre  provincial  de  Béziers^. 


1.  Entre  l'année  1285,  date  de  l'envoi  de  Guillem  Bernard  au  couvent  de 
Toulouse  comme  sous-lecteur,  et  l'année  1289,  où  se  place  sa  nomination  comme 
prédicateur  général  de  l'ordre  des  Dominicains,  nous  ne  tenons  pas  compte 
pour  sa  biographie  de  l'indication  suivante,  que  nous  fournissent  les  actes  du 
chapitre  provincial  d'Avignon  (fête  de  sainte  Marie-Madeleine,  22  juillet  1288)  : 
«  Assignamus  lectores  in  theologia  :  ...  in  Caturco,  fratrem  G.  Bernardi  Albiensis 
[sic).  »  Ibid.,  ut  supra,  i"  347  r».  Cependant,  nous  pencherions  à  croire  que 
dans  ce  texte  il  s'agit  réellement  de  Guillem  Bernard  de  Gaillac.  Nous  avons 
pour  cela  l'ensemble  des  raisons  exposées  plus  haut,  à  propos  des  indications 
où  son  nom  ne  se  trouve  pas  suivi  de  la  mention  du  lieu  de  sa  naissance.  Il 
faut  remarquer,  en  outre,  que  ce  lieu  dépendait  du  diocèse  d'Albi,  et  que  c'est 
là  une  circonstance  que  note  deux  fois  Bernard  Gui,  dans  des  passages  que 
nous  reproduisons  plus  loin,  et  où  il  parle  de  la  nomination  de  Guillem  Ber- 
nard au  priorat  de  Montauban,  puis  à  celui  de  Rodez.  De  là  à  le  qualifier  de 
natif  dAIbi  {Albiensis),  c'était  une  confusion  assez  naturelle.  Enfin,  dans  les 
actes  des  chapitres  provinciaux,  rédigés  assez  sommairement,  comme  nous 
l'avons  observé,  et  peut-être  parfois  un  peu  à  la  hâte,  des  erreurs  du  même 
genre  sont  assez  fréquentes.  M.  Delisle  a  pu  en  relever,  par  exemple,  deux 
concernant  Bernard  Gui.  Voir  op.  cit.,  p.  175,  et  notes  4  et  8  de  la  même  page. 

2.  «  Facimus  predicatores  générales  :  fratres...  GuiHeimum  B.  Galliacensem.  » 
Bibl.  de  Toul.,  ms.  273,  I"  série,  f°  351.  —  Nous  ferons  remarquer  que  dans 
le  ms.  91,  IP  série  de  la  même  bibliothèque,  le  chapitre  provincial  de  Nar- 
bonne porte  la  date  de  1290.  Voir  f°  49  b. 

3.  «  Assignamus  lectores  :  fratres...  Pirpiniani  G.  B.  Galliacensem.  »  Bibl. 
de  Toul.,  ms.  273,  !'<'  série,  f"  352  r». 

4.  «  Frater  Guillelraus  Bernardi  Galliacensis,  dyocesis  Albiensis,   successit 


250  C.    MOLINIER. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  durée  si  courte  de  ce  premier  priorat,  le 
peu  de  temps  que  Guillem  Bernard  accorda  aux  deux  autres,  qui 
vraisemblablement  durent  lui  être  imposés,  tout  cela  donnerait 
raison  à  QuétifetEchard,  quand  ils  prétendent  qu'il  se  débarrassa 
toujours  des  fonctions  de  ce  genre  le  plus  tôt  qu'il  put^  Cette 
répugnance,  qui  semble  probable,  ne  nous  édifierait  pas  seulement 
sur  sa  modestie  et  son  bumilité  ;  elle  nous  éclairerait  encore  sur 
ses  préférences,  à  propos  desquelles  il  est  moins  permis  encore  de 
s'abuser.  Nous  venons  d'en  faire  à  l'instant  la  remarque,  ces 
préférences  avaient  pour  objet  manifeste  l'enseignement.  C'est  à 
l'enseignement  qu'il  revient,  dès  qu'il  a  pu  dépouiller  ce  titre  de 
prieur,  qu'il  a  porté  si  peu  de  temps  à  Montauban.  Le  même 
chapitre  provincial  de  Béziers,  qui  lui  a  rendu  sa  liberté,  le 
nomme  sans  retard  lecteur  de  la  Bible  à  Toulouse^ 

Nous  ne  l'en  retrouvons  pas  moins  prieur  du  couvent  d'Albi, 
dès  la  fin  de  l'année  1292^.  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  remarqué 
au  début  de  cette  notice,  il  3'  est  en  compagnie  de  Bernard  Gui, 

fratri  Raymundo  de  Caumbosio.  Prefuit  anno  quasi  uno;  fuit  autem  absolutus 
in  sequenti  provinciali  capituloBitterrensi,  anno  Domini  M".  0C°.  nonagesimo.  1°.  » 
Ibid.,  ut  supra,  f°  170  r".  —  «  Absolvimus  priores...  Monlisalbani.  »  Ibid., 
f°  357  r".  Guillem  Bernard  a  ,»our  successeur  à  Montauban  frère  Guillem  de 
Montclar  [de  Montedaro),  du  diocèse  de  Toulouse.  Voir  ibid.,  i"  170  v°. 

1.  «  ...  ad  conventuum  regimen  plurics  elcctus  prier,  praefuit  quidem  illis  et 
profuit,  sed  iis  muneribus  se  quantocius  exolvit.  »  Script,  ord.  Praedic,  I, 
460  b. 

2.  «  Assignamus...  ad  lectioncm  Biblie  ibidem  (Tholose)  G.  B.  «  Bibl.  de 
Toul.,  ms.  273,  1'"  série,  f"  357  r°. 

3.  «  Sextus  prior  frater  Guillelmus  Bernardi  Galliacensis  successit  fratri 
Raimundo  Blegerii.  »  Ibid.,  ut  supra,  f°  216  v°.  —  Le  même  texte,  reproduit 
par  Martène  et  Durand,  dans  leur  Amplissima  collectio,  d'après  un  ms.  de 
Baluze,  donne  pour  prédécesseur  à  Guillem  Bernard,  dans  le  priorat  d'.\lbi,  non 
pas  Raimond  Blégier,  mais  Raimond  Rotger.  Voir  tome  VI,  c.  509.  —  Quant  à 
la  date  de  1292,  que  nous  avons  adoptée  comme  celle  de  l'arrivée  de  Guillem 
Bernard  à  Albi,  nous  devons  avouer  qu'elle  est  contestée  par  Bernard  Gui,  qui 
met  à  l'année  suivante,  au  moins  dans  un  passage  de  sa  compilation,  le  chapitre 
provincial  de  Brives  où  Raimond  Blégier  fut  relevé  de  ses  fonctions.  Mais  c'est 
là  une  erreur  facile  à  corriger.  D'abord,  ce  chapitre  ayant  eu  lieu  le  jour  de  la 
fête  de  l'Assomption  (15  août),  il  est  évident  que  c'est  l'Assomption  de  1292  et 
non  de  1293  qu'il  faut  enteudre,  puisque,  dès  le  12  juillet  de  cette  dernière  année, 
Guillem  Bernard  assistait  comme  prieur  d'Albi  à  la  pose  de  la  première  pierre 
de  l'église  de  son  couvent.  En  second  lieu,  nous  retrouvons  la  date  véritable 
dans  les  actes  du  chapitre  en  question.  Voir  bibl.  de  Toul.,  ms.  273,  I'"  série, 
f°  359  r".  —  C'est  celle  aussi  que  nous  donne  un  texte  reproduit  dans  \'Am- 
plissima  collectio,  à  l'article  intitulé  :  Fundatio  conventus  S.  Gaudentii.  Tome  VI, 
c.  518. 


GUILLEM    BERNARD    DE    GAILLAC.  254 

et  tous  deux  assistent,  le  12  juillet  1293  (dimanche  après  l'octave 
des  apôtres  Pierre  et  Paul),  à  la  pose  de  la  première  pierre 
de  l'église  du  couvent,  où  ils  vivent  alors  ensemble.  L'évêque 
d'Albi,  le  célèbre  Bernard  de  Castanet,  préside  à  cette  cérémonie. 
Il  doit  aider  plus  tard  à  la  construction  de  l'édifice,  par  les  mêmes 
moyens  dont  il  active  les  travaux  de  sa  cathédrale  de  Sainte- 
Cécile,  c'est-à-dire  en  y  affectant,  sous  forme  de  dons,  le  produit 
de  certaines  confiscations  opérées  sur  les  hérétiques  de  son  dio- 


.1 


cese- 

Du  reste,  Guillem  Bernard  ne  fait  guère  à  Albi  un  plus  long 
séjour  qu'à  Montauban.  En  1294,  et  vraisemblablement  dans  la 
première  moitié  de  l'année,  le  chapitre  général  de  Montpellier  le 
relève  des  fonctions  qui  lui  'pèsent  évidemment-.  Après  cela,  le 
chapitre  provincial,  tenu  la  même  année  dans  la  même  ville,  le 
nomme  lecteur  de  théologie  à  Agen».  Il  est  cependant  chargé 
encore,  l'année  suivante,  d'un  troisième  priorat,  celui  du  couvent 
de  Rodez.  Ce  priorat,  qu'il  garde  environ  deux  ans  comme  le 
second,  et  qui  sera  d'ailleurs  le  dernier,  lui  est  enlevé  au  chapitre 
provincial  de  Narbonne,  réuni  en  1296,  le  jour  de  la  fête  de 
sainte  Marie-Madeleine".  Foulques  de  Saint-Georges,  qui  sera 
peu  après  si  célèbre  comme  inquisiteur,  lui  succède  dans  le  poste 
qu'il  abandonne.  Pour  lui,  il  reparaît  dans  l'enseignement  :  en 
1297,  comme  lecteur  de  philosophie  naturelle  à  Béziers,  sur  une 
décision  du  chapitre  provincial  de  Tarascon,  rassemblé  le  dimanche 
après  la  fête  de  sainte  Marie-Madeleine,  c'est-à-dire  le  23  juil- 
let=  ;  en  1298,  comme  lecteur  ès-arts  à  Arles,  où  l'envoie  le  cha- 


1.  Le  texte  curieux  où  se  trouvent  ces  indications  a  été  reproduit  par 
M.  Delisle,  op.  cit.,  note  2  de  la  page  176.  —  Voir  également  Ampliss.  collect., 
VI,  ce.  509. 

2.  «  Absolvimus  priores  conventuales...  Albiensem...  »  Bibl.  de  Toul.,  ms.  55, 
!'■'=  série,  f°  111b. 

3.  «  Assignamus  lectores  théologie  fratres  :...  Agenni  G.  Bernardi  Galliacen- 
sera.  »  Bibl.  de  Toul.,  ms.  273,  I''^  série,  f°  365  r°. 

4.  «  Tertius  prior  frater  Guillelmus  Bernardi  Galliacensis,  Albiensis  dyocesis, 
successit  fratri  Durando  prediclo  (Durando  Salpicati  de  Petrussia).  Prior  fuit 
annis  quasi  duobus.  Fuit  aulem  absolutus  in  capitulo  provinciali  Narbonensi, 
anno  Doniini  M".  CG;.  nonagesimo.  VI°.  »  Ibid.,  ut  supra,  f°  225  v".  —  «  Absol- 
vimus priores...  Butheneusem...  »  Ibid.,  f"  368  v,  369  r».  —  Voir  également 
le  premier  de  ces  textes  dans  l'Ami)liss.  collect.,  VI,  ce.  516,  517. 

5.  «  Assignamus  studia  naturalium  :  ...  pro  conventibus  Grassensi,  Niciensi, 
etc.,  ponimus  studium  in  Biterris;  lectorera  fratrcm  G.  B.  »  Bibl.  de  Toul., 
ras.  273,  1"=  série,  1°  371  W 


252  C.    MOLINIEU. 

pitre  provincial  de  Cahors  (octave  des  apôtres  Pierre  et  Paul), 
6  juillet*.  Mais  on  peut  douter  qu'il  ait  paru  dans  le  nouveau 
poste  qui  lui  était  assigné.  En  effet,  trois  mois  plus  tard,  peu 
après  la  fête  de  saint  Michel,  c'est-à-dire  peu  après  le  29  sep- 
tembre, il  part  pour  Constantinople. 

Tout  en  ne  se  prolongeant  guère  au  delà  de  deux  ans,  à  ce 
qu'il  semble,  ce  voyage  est,  sans  aucun  doute,  l'événement  le 
plus  considérable  de  l'existence  de  Guillem  Bernard  de  Gaillac. 
Il  doit  frapper  ses  contemporains  et  lui  donner  à  lui-même  de  la 
langue  grecque  une  connaissance,  dont  la  tradition,  bien  qu'à 
peine  acceptée  des  historiens,  deviendra  son  unique  sauvegarde 
contre  un  oubli  absolu.  Bernard  Gui  l'a  noté  à  trois  reprises  dif- 
férentes, deux  fois  il  est  vrai,  en  quelques  mots  seulement,  mais 
aussi  nets  que  possible,  une  troisième  enfin  avec  des  détails  pré- 
cieux, dont  nous  croyons  devoir  insérer  ici  le  texte  tout  entier. 

«  Frère  Guillem...,  enflammé  de  zèle,  dit-il,  pour  prêcher 
l'Évangile  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  pour  sauver  les 
nations,  passa  en  Grèce,  et  avec  ses  compagnons  parvint  à  Cons- 
tantinople, où  il  reçut  une  habitation  qui  lui  permit  d'y  demeu- 
rer. Il  y  fit  aussi  de  tels  progrès  dans  la  connaissance  de  la  langue 
grecque,  qu'il  Ûl^A  par  la  posséder  à  fond  et  traduisit  en  cette 
langue  des  ouvrages  que  frère  Thomas  avait  écrits  en  latin.  C'est 
ce  que  j'ai  su  des  compagnons  qui  vécurent  avec  lui  dans  la  même 
ville,  et  que  j'ai  eu  occasion  de  voir  par  la  suite.  Ils  attestaient 
en  même  temps  sa  sainteté  parfaite.  De  Constantinople,  Guillem 
Bernard  se  transporta  dans  la  ville  qu'on  nomme  Péra.  Il  y  eut 
également  une  habitation  où  il  séjourna,  avec  douze  religieux  de 
notre  ordre,  conformément  aux  règles  de  la  vie  conventuelle, 
prêchant  la  parole  de  Dieu,  combattant  les  erreurs  des  Grecs,  et 
s' exerçant  assidûment  aux  œuvres  qui  peuvent  encore  procurer 
le  salut.  C'est  en  l'année  du  Seigneur  1298,  peu  après  la  fête  de 
saint  Michel,  qu'il  se  mit  en  route  de  Toulouse  vers  Rome;  il 
partit  de  Rome  l'année  suivante,  pour  passer  en  Grèce^.  » 

1.  «  Assignainus  studia  arcium  :  ...  pro  conventibus  Niciensi,  Grassensi  et 
céleris,  poiiirnus  studiurn  in  Aurelate  ;  lectorera  fralrem  W™  Bernardi.  »  Ibid., 
ut  supra,  f°  373  r. 

2.  «  Hic  fraler  Guillelmus...  zelo...  predicacionis  Evangelii  Domini  Jhesu 
Chrisli  et  desiderio  salutis  gencium  succensus,  pertransivit  in  Greciam,  perve- 
nitque  cum  sociis  in  Constantinopolim,  ubi  locum  ad  habitandum  accepit,  pro- 
fecitque  sic  in  lingua  greca,  quod  eani  plane  scivit,  et  libros  latinos  fratris 
Thome  in  grecuni  translulit,   sicut  audivi  a  sociis  suis,  qui  ibidem  cuin  ipso 


GUILLEM    BERNARD    DE    GAILLAC.  253 

Comme  on  le  voit,  les  indications  que  nous  a  transmises  Ber- 
nard Gui  sur  le  V03^age  en  Orient  accompli  par  son  confrère 
Guillem  Bernard  de  Gaillac  à  la  fin  du  xiif  siècle,  et  sur  les  résul- 
tats qu'eut  ce  voyage,  sont  aussi  précises  que  possible.  En  réa- 
lité, deux  points  seulement  y  laissent  à  désirer.  Bernard  Gui  n'a 
pas  marqué  exactement  à  quelle  époque  Guillem  Bernard  avait 
pu  exécuter  les  traductions  de  saint  Thomas  d'Aquin,  que  sa  con- 
naissance de  la  langue  grecque  lui  avait  permis  d'entreprendre. 
Ce  qui  est,  du  reste,  une  question  peu  embarrassante,  et  dont  la 
solution  se  tire  sans  peine  du  récit  que  nous  avons  rapporté. 
Mais  surtout,  il  n'a  pas  nommé  les  ouvrages  du  célèbre  docteur 
que  son  confrère  s'était  donné  la  peine  de  traduire.  C'est  là  un 
oubli  fâcheux.  Quétif  et  Echard  l'ont  relevé,  dans  leur  notice  sur 
Guillem  Bernard,  non  sans  regret  apparemment,  comme  nous- 
même*.  D'ailleurs,  il  ne  semble  pas  impossible,  ainsi  que  nous 
l'essaierons  plus  loin,  d'y  suppléer  par  conjecture,  et  cela,  à 
notre  sens,  d'une  manière  satisfaisante,  sinon  absolument  certaine. 

fuerunt  conversati,  quos  ego  postmodura  vidi,  qui  sibi  perhibebant  testimoniura 
sanctitatis.  De  Constantinopoli  vero  transivit  ultra  in  villam  que  vocatur  Pera, 
ubi  similiter  locum  habuit  ad  habitandum  cum  fratribus  xii  conventualiter, 
verbum  Dornini  predicaiis,  et  disputans  contra  errores  Grecorum,  et  in  aliis 
salutis  operibus  jugiter  se  exercens.  Arripuit  autem  iter  versus  Romam  de  Tho- 
losa,anno  Dornini  M".  CC°.  nonagesimo,  VIII",  paulo  post  festum  sancti  Michaelis  ; 
deRoma  vero  in  Greciamanno  sequenti  profectus  est.  »  Bibl.  de  Toul.,  nis.  273, 
V  série,  f°  317  r".  —  Voir  aussi  les  mêmes  renseignements  dans  l'Aïuplissima 
coUectio,  VI,  ec.  509,  510.  —  Comme  nous  l'avons  remarqué,  en  dehors  du  texte 
assez  long  et  aussi  explicite  que  possible  qui  vient  d'être  reproduit,  Bernard  Gui 
a  noté  encore  à  deux  reprises  différentes  le  voyage  et  le  séjour  de  Guillem  Ber- 
nard à  Constantinople.  Voici  les  deux  passages  de  sa  compilation  où  se  trouve 
la  mention  dont  il  s'agit,  et  qui  ne  concerne,  d'ailleurs,  que  le  voyage  accom- 
pli par  le  moine  dominicain.  —  1°  «  Hic  transivit  in  Greciam  pervenitque  in 
Constantinopolim  et  inde  in  Peram  ad  predicandurn  et  dilatandum  fidem  et 
nomen  Jesu  Christi,  iter  arripiens  de  Tholosa  versus  romanani  curiam  anno 
Domini  M°.  CC°.  nonagesimo.  VIII°,  paulo  post  festum  Michaelis.  »  Bibl.  de 
Toul.,  ms.  273,  I"  série,  f"  170  r°.  — 2°  «  Hic  transivit  in  Greciam  et  pervenit 
Constantinopolim,  ubi  domum  accepit  ad  predicandurn  gentibus  verbum  Cru- 
cis.  Paulo  post  festum  sancti  Michaelis  versus  Romam  iter  arripuit  de  Tholosa, 
anno  Dornini  M".  CC°.  nonagesimo.  VHP.  »  Ibid.,  ut  supra,  f"  225  v°.  —  Notons 
enfin,  pour  terminer,  une  indication,  que  nous  fournissent  Quétif  et  Échard,  sur 
les  établissements  qu'eurent  les  Frères  Prêcheurs  à  Constantinople  au  xiir  siècle. 
«  Jam  anno  MCCXXX  et  antea,  disent-ils,  Constantinopoli  domum  habebat  ordo, 
sed  et  postea  duas  habuit,  hanc  vero  alteram  Guillemus  erexerit.  »  Script,  ord. 
Praedic,  I,  460b. 

1.  «  Quinam  vero  illi  libri  non  indicat  »,  disent-ils.  Script,  ord.  J'raedic, 
loc.  cit. 


C.    MOLIXIER. 


Quoi  qu'il  en  soit,  et  malgré  ces  lacunes,  nous  avons  entre  les 
mains,  en  y  ajoutant  ce  que  nous  savons  déjà  de  la  biographie  du 
religieux  qui  nous  occupe,  de  quoi  confirmer  ou  bien  réfuter  les 
assertions  présentées  par  les  auteurs  de  Y  Histoire  littéraire  de 
la  France,  et  dont  la  mention  se  trouve  au  début  de  cette  étude. 
Pour  le  faire  en  toute  justice,  nous  m-ettrons  sous  les  yeux  du 
lecteur  le  texte  de  trois  des  passages,  très  brefs,  du  reste,  aux- 
quels nous  nous  référons.  Les  voici  dans  l'ordre  des  tomes  où 
ils  se  rencontrent  : 

«  On  rapporte,  et  un  tel  fait  serait  fort  remarquable,  que 
Guillaume-Bernard  de  Gaillac,  au  diocèse  d'Alby,  traduisit  de 
latin  en  grec  les  œuvres  de  saint  Thomas  d'Aquin.  Un  pareil 
travail  supposerait,  dans  un  habitant  de  la  France  méridionale, 
une  bien  grande  habitude  de  la  langue  grecque.  »  Tome  XVI, 
p.  142. 

«  Saint  Thomas  vivait  encore,  lorsque  Bernard  de  Gailhac  tra- 
duisit en  grec  la  Somme  contre  les  gentils  ;  Raimond  de  Pegna- 
fort  et  Urbain  IV  avaient  commandé  ce  travail  :  on  n'en  indique 
aucun  manuscrit;  mais  Bernard  Guidonis  en  fait  mention,  et  dit 
plus  généralement,  en  parlant  de  Bernard  de  Gailhac  :  Libros 
fratris  Thomae  e  latino  fecit  graecos.  »  Tome  XIX,  p.  248. 

«  Guillaume  Bernardi  de  Gaillac,  qui  était  allé  prêcher  à 
Constantinople,  avait  mis  en  grec  plusieurs  traités  de  saint  Tho- 
mas. »  Tome  XXIV,  p.  92. 

Ainsi  qu'on  s'en  aperçoit,  les  auteurs  de  Y  Histoire  littéraire 
n'ont  connu  GuiUem  Bernard  que  comme  helléniste  et  traducteur 
en  langue  grecque  de  saint  Thomas  d'Aquin.  C'est  après  tout,  il 
faut  bien  l'avouer,  le  côté  le  plus  curieux  et  en  quelque  sorte 
imprévu  de  son  caractère.  Mais  il  s'en  faut  encore  que,  sur  ce 
point  spécial  et  unique,  leurs  indications  soient  réellement  satis- 
faisantes. Il  y  a,  dans  le  premier  des  passages  que  nous  avons 
cités  d'eux,  un  doute  auquel  on  ne  peut  se  tenir,  dans  le  troisième 
une  affirmation  sans  preuves  dont  on  ne  saurait  se  contenter. 
Nous  ne  nous  y  arrêterons  pas,  d'ailleurs.  Le  texte  de  Bernard 
Gui,  que  nous  avons  donné  tout  au  long,  dissipe  le  doute  et 
donne  à  l'affirmation  présentée  toute  seule  l'appui  qui  lui  faisait 
défaut. 

Le  second  de  ces  mêmes  passages  nous  semble  mériter  plus 
d'attention.  On  y  rencontre  un  certain  nombre  d'assertions  et  de 
rapprochements,  qu'à  notre  sens  il  est  impossible  d'admettre. 


GUILLEM   BERNARD    DE    GAILLAC.  2S5 

Saint  Thomas,  dont  il  y  est  parlé,  meurt  en  1274  ;  Raimond  de 
Pegnafort  un  an  plus  tard;  Urbain  IV  disparaît  dès  1264.  Si, 
comme  on  peut  le  croire,  il  y  a  quelque  vraisemblance  dans  les 
dates  sur  lesquelles  nous  avons  fondé  la  biographie  de  Guillem 
Bernard,  celui-ci  devait  être  bien  jeune  encore  au  moment  où 
mourait  le  pape  qui,  dit-on,  lui  aurait  commandé  de  traduire  en 
grec  la  Somme  contre  les  Gentils.  Qu'on  rejette,  nous  y  consen- 
tons, la  date  de  1255,  à  laquelle  nous  avons  cru  pouvoir  fixer 
approximativement  la  naissance  de  notre  religieux.  Qu'on  la 
recule  à  1250;  qu'on  la  place  même  dix  ans  plus  tôt,  en  1240. 
On  risquera  de  se  trouver  en  contradiction  avec  toute  une  série 
d'autres  dates  que  nous  avons  relevées,  celle  de  sa  première 
nomination  comme  professeur,  celle  de  son  titre  de  prédicateur 
général,  celle  enfin  de  son  premier  priorat.  Ce  sont  là  cependant 
des  indications,  non  seulement  d'une  authenticité  à  peu  près  indis- 
cutable, mais  encore,  nous  l'avons  démontrépar  comparaison,  abso- 
lument conformes  aux  habitudes  qui  réglaient  ce  qu'on  pourrait 
appeler  l'avancement  dans  l'ordre  des  Dominicains.  Comme  der- 
nière conséquence,  on  le  fera  partir,  au  seuil  de  la  vieillesse, 
pour  l'apostolat  lointain  et  assez  rude  qu'il  avait  embrassé.  Après 
tout  cela,  on  ne  fera  jamais  qu'il  ait  eu  plus  de  vingt  ans  à 
l'époque  où  il  faut  bien  s'arrêter,  en  fin  de  compte,  ni  qu'un  tra- 
vail, comme  celui  dont  on  parle,  ait  pu  être  confié  avec  quelque 
vraisemblance  à  un  jeune  homme  de  cet  âge  par  le  docteur 
fameux  et  le  pontife  dont  on  invoque  le  nom^  En  résumé,  de 
toutes  ces  affirmations,  il  n'en  resterait  pour  nous  qu'une  d'ac- 
ceptable. C'est  que,  si  les  traductions  d'ouvrages  de  saint  Tho- 
mas d'Aquin  en  langue  grecque  exécutées  par  Guillem  Bernard 
sont  certaines,  on  n'a  pu  jusqu'à  présent  en  signaler  aucun 
manuscrit.  Et  c'est  à  la  même  conclusion  que  nous  ont  conduit 
nos  informations  personnelles^.  Nous  regrettons  d'avoir  à  le 

1.  Nous  ferons  remarquer,  d'ailleurs,  que  toutes  les  affirmations  si  nettes, 
que  nous  croyons  ne  pas  devoir  admettre,  sont  présentées  sans  l'accompagne- 
ment d'aucune  preuve. 

2.  Ces  informations  se  bornent,  il  est  vrai,  à  la  Bibliothèque  nationale. 
M.  Henri  Omont,  attaché  au  département  des  manuscrits  de  cette  bibliothèque, 
a  bien  voulu  faire  pour  nous  dans  le  fonds  grec,  dont  il  s'est  occupé  spéciale- 
ment, un  certain  nombre  de  recherches.  Comme  nous  le  disions,  elles  n'ont 
malheureusement  pas  abouti.  Nous  en  résumons  cependant  ici  le  résultat  : 
n""  1235-1237,  traduction  de  la  Somme  de  saint  Thomas  d'Aquin,  par  Démé- 
trius  Cydonius;  —  n"'  1273,    1274,    abrégé  de  la  Somme  par  un  anonyme; 


256  C.    MOLINIER. 

constater,  tout  en  espérant  que  des  recherches  plus  étendues  amè- 
neraient peut-être  un  meilleur  résultat. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point  particulier,  il  ne  semble  pas 
qu'après  avoir  repoussé  les  indications  que  nous  fournissent  les 
auteurs  de  V Histoire  littërair'e  de  la  France  sur  l'époque  où 
auraient  été  écrites  les  traductions  qui  nous  occupent,  il  faille 
renoncer  pourtant  à  en  fixer  la  date,  et  cela  presque  sûrement. 
Comme  nous  l'avons  remarqué,  Bernard  Gui  ne  s'explique  pas 
catégoriquement  à  ce  propos.  Mais  il  nous  met  en  main  tout  ce 
qui  est  nécessaire,  pour  que  nous  établissions  nous-mêmes  ce 
dont  il  a  négligé  de  nous  informer  d'une  manière  précise.  De  ce 
qu'il  nous  dit  il  est  impossible  de  ne  pas  conclure,  au  moins,  que 
c'est  après  son  séjour  à  Constantinople  que  Guillem  Bernard  se 
mit  à  traduire  en  grec  certains  ouvrages  de  saint  Thomas.  On 
peut  même  en  inférer  qu'il  les  traduisit  en  vue  de  la  prédication 
qui  l'avait  amené  en  Grèce,  et,  par  conséquent,  durant  son  séjour 
dans  ce  pays,  c'est-à-dire  dans  la  période  comprise  probablement 
entre  les  années  1299  et  1301.  C'est  aussi  ce  que  pensent  Quétif  et 
Echard,  et  ils  le  disent  aussi  nettement  que  possible  ^ 

Mais  la  question  que  nous  venons  d'examiner  ne  va  pas  seule. 
Une  autre  s'y  rattache  étroitement,  et  les  mêmes  indications  dont 
nous  nous  sommes  servi  pour  traiter  la  première,  permettent  éga- 
lement, sinon  de  résoudre  celle-ci,  dumoinsdel'éclaircir.  Il  s'agit 
de  savoir  quels  ouvrages  de  saint  Thomas  Guillem  Bernard  aura 
pu  choisir  de  préférence  pour  les  faire  passer  du  latin  en  langue 
grecque.  Le  second  des  fragments  de  V Histoire  littéraire  de  la 
France  que  nous  avons  cités  affirme  que  ce  fut  la  Somme 
contre  les  Gentils.  La  chose  est  possible.  C'est  là,  en  effet,  un 
des  traités  les  plus  considérables  et  les  plus  fameux  du  docteur 
dominicain.  Guillem  Bernard,  en  le  choisissant,  pouvait  espérer 
fournir  aux  sectateurs  de  la  philosophie  antique,  s'il  s'en  trouvait 
encore  réellement  à  Constantinople  à  pareille  époque,  des  raisons 
d'abandonner  leurs  doctrines  rationalistes  et  de  se  rallier  à  celles 
du  christianisme.  Mais,  si  l'on  se  rend  compte  de  ce  qui  devait  avoir 

—  11°  1868,  Summa  cathoUcae  fidei  confia  Gentiles,  traduction  dont  niaii([iie 
le  comineucemenl;  —  n°  2027,  extraits  de  saint  Thomas. 

1.  Après  avoir  donné  dans  un  passage  emprunté  à  Bernard  Gui,  mais  d'après 
un  ras.  autre  que  celui  dont  nous  avons  fait  usage,  et  que  nous  ne  connaissons 
pas,  l'indication  du  voyage  de  Guillem  Bernard  à  Constantinople,  les  auteurs 
des  Scriptores  continuent  en  ces  termes  :  «  ibique  in  eam  rem  libros  F.  Tho- 


GUILLEM   BERNARD    DE   GAILLAC.  257 

amené  Guillem  Bernard  en  Orient,  et  devait  enflammer  son  zèle, 
à  la  traduction  de  la  Somme  contre  les  Gentils,  il  faudra  ajou- 
ter celle  d'autres  ouvrages  de  saint  Thomas  d'Aquiu ,  moins 
importants  à  coup  sûr,  mais  plus  directement  utiles  au  but  que 
se  proposait  vraisemblablement  notre  religieux.  Les  ouvrages 
dont  il  s'agit  se  trouvent  tout  indiqués  en  quelque  sorte  par  leur 
brièveté  relative  et  leur  caractère  pratique  autant  que  par  leur 
titre.  C'est  YEœposition  sur  le  Symbole  des  Apôtres,  le 
Traité  des  articles  de  foi  et  des  sept  sacrements  de  l'Église, 
adressés  à  l'archevêque  de  Palerme,  Y  Abrégé  de  théologie, 
adressé  à  Renaud  de  Piperno.  C'est  aussi  l'opuscule  intitulé  : 
Declaratio  quoruyndam  articulorum  contra  Graecos,  Ar- 
menos  et  Sarracenos.  C'est  surtout  le  traité  Contra  errores 
Graecorum,  en  deux  livres,  dédié  à  Urbain  IV  ^ 

On  ne  saurait  douter,  en  effet,  que  ce  fût  le  désir  de  travailler, 
lui  aussi,  à  la  conversion  de  ces  Grecs  schismatiques,  à  leur  récon- 
ciliation et  à  leur  fusion  avec  l'église  latine,  qui  eût  arraché 
Guillem  Bernard  à  ses  occupations  favorites  pour  le  conduire  à 
CoDstantinople.  Cette  conversion,  ce  retour  d'une  partie  de  la 
chrétienté  sous  leur  obéissance  qu'elle  avait  abjurée,  c'était, 
depuis  des  siècles,  le  rêve  le  plus  cher,  tout  au  moins  le  plus  cons- 
tant, des  pontifes  romains.  Faudrait-il  s'étonner  qu'un  religieux, 
renommé  pour  sa  science  et  son  talent  de  prédicateur,  cherchât, 
dans  la  mesure  de  ses  forces,  à  le  réaliser?  Il  était  membre  après 
tout  de  cet  ordre  des  Dominicains,  qui,  dès  son  origine,  avait 
pris  pour  règle  de  conduite  une  soumission  absolue  aux  inté- 
rêts du  pouvoir  pontifical,  qui,  dès  le  xiip  siècle,  avait  pratiqué 
avec  suite,  sinon  inventé,  ce  dévouement  aveugle  à  la  cour  de 

mae  de  Aquino  e  latiiio  graecos  fecit.  »  Loc.  cit.  Les  mots  «  ibique  in  eain  rem  » 
sont  en  lettres  romaines,  et  expriment  la  pensée  personnelle  de  Quétif  et  Echard. 
Le  reste  de  la  phrase  est  en  lettres  italiques,  et  continue  la  citation  em[)runtée 
à  Bernard  Gui. 

1.  Voir,  sur  ces  difiérents  ouvrages,  Quétif  et  Éctaard,  dans  la  iiartie  de  la 
notice  consacrée  par  eux  à  saint  Thomas  d'Aquin  où  ils  ont  traité  de  ses  écrits, 
Script,  ord.  Praedic,  I,  283  a-342.  —  Voir  également  Fabricius,  Bibliotheca 
latina  mediae  et  infimae  aetatis,  à  l'article  :  Thomas  de  Aquino.  —  Dans 
l'édition  de  Rome  (1570,  in-f  ),  dont  se  sont  servis  les  auteurs,  auxquels  nous 
renvoyons,  pour  classer  les  écrits  de  saint  Thomas,  la  Somme  contre  les 
Gentils  se  trouve  au  tome  IX;  les  cinq  opuscules,  que  nous  avons  indiqués 
ensuite,  sont  placés  au  tome  XVIL  Dans  l'édition  de  Paris  de  1660,  la  Somme 
occupe  les  tomes  XIII  et  XIV;  les  petits  traités  dont  il  s'agit  remplissent  le 
début  du  tome  XX,  de  la  page  1  à  la  page  206. 

ReV.   HiSTOR.   XXV.   2e  FASC.  17. 


258  C.    MOLINIER. 

Rome,  ces  visées,  jusqu'à  ce  langage  spécial,  tout  cet  ensemble 
enfin  d'une  politique  religieuse,  que  nous  croyons  volontiers 
moderne,  et  que  nous  avons  appelée  l'ultramontanisme. 

Guillem  Bernard  eut-il  quelque  succès  dans  ses  prédications 
aux  Byzantins?  Nous  l'ignorons,  et,  à  vrai  dire,  nous  en  doutons 
fort.  Ces  Grecs  pouvaient  bien,  dans  leurs  moments  de  détresse, 
assez  fréquents  d'ailleurs,  pour  tirer  quelques  secours  de  l'Europe 
occidentale,  lui  faire  concevoir  l'espérance  de  leur  conversion. 
Cela  ne  leur  coûtait  guère,  car  ils  devaient  avoir  en  médiocre 
estime  la  clairvoyance  des  Latins,  et  ne  croire,  et  pour  cause, 
qu'à  leur  brutalité.  Mais,  ces  promesses  une  fois  faites,  ils  diffé- 
raient toujours  de  les  exécuter.  Cent  cinquante  ans  plus  tard, 
après  l'assurance  qu'eurent  un  instant  les  papes  Eugène  IV  et 
Nicolas  V  d'accomplir  enfin  la  conversion  tant  de  fois  promise  et 
perpétuellement  retardée,  c'était  encore  une  question  pendante. 
Les  Turcs  la  tranchèrent  en  installant  l'islamisme  à  Constanti- 
nople,  sur  les  ruines  du  vieil  empire,  dont  la  décrépitude  et  la 
disparition  s'expliquent  non  moins  par  ces  affaires  religieuses 
sans  cesse  débattues  et  jamais  décidées,  que  par  son  antiquité 
vraiment  étonnante  et  la  nature  surannée  de  ses  institutions. 

Peut-être  Guillem  Bernard  eut-il  le  pressentiment  d'une  pareille 
catastrophe,  tant  de  fois  annoncée,  même  avant  le  siècle  où  il 
vivait  lui-même.  D'ailleurs,  comme  nous  l'avons  déjà  remarqué, 
son  séjour  en  Grèce  dut  se  borner  à  deux  années  environ.  Ce  qui, 
pour  le  dire  en  passant,  supposerait  qu'il  aurait  eu,  avant  de 
partir  pour  l'Orient,  une  connaissance  déjà  assez  complète  de  la 
langue  grecque.  Sans  cela,  on  s'expliquerait  mal  qu'il  eût  trouvé 
moyen,  en  si  peu  de  temps,  à  la  fois  d'apprendre  cette  langue 
assez  à  fond  pour  la  parler  et  pour  l'écrire,  et  de  se  livrer  à  des 
prédications  assidues,  tout  en  faisant  encore  les  traductions,  dont 
l'exécution  à  cette  époque,  ainsi  que  nous  l'avons  montré,  parait 
probable.  Resterait,  il  est  vrai,  une  difiiculté,  celle  de  savoir  dans 
quelle  école,  auprès  de  quels  maîtres  de  l'Europe  occidentale,  et 
même  du  Languedoc,  qu'il  n'avait,  à  ce  qu'il  semble,  jamais 
quitté  jusqu'en  1298,  il  aurait  puisé  les  éléments  d'une  science  si 
rare  au  xiif  siècle,  que  pour  y  croire  chez  lui  il  faut  les  preuves 
indiscutables  dont  nous  avons  parlé  * . 


1.  Si  l'on  admettait  que  Guillem  Bernard  de  Gaillac  fût  venu  à  Paris,  ce  dont 
nous  n'avons  aucune  preuve,  mais  qui  n'est  nullement  impossible,  on  aurait  à 


GOILLEM   BERN4RD   DE   GAILLAC.  239 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  le  revoyons  en  France  dès  1301.  La 
même  année,  au  chapitre  provincial  d'Agen,  tenu  le  jour  delà 
fête  de  sainte  Marie-Madeleine  (22  juillet),  il  est  nommé  lecteur 
de  philosophie  naturelle  à  Arles ^  L'année  suivante,  le  4  août, 
jour  de  la  fête  de  saint  Dominique,  le  chapitre  provincial  de  Gar- 
cassonne  le  maintient  dans  le  même  enseignement,  mais  en  l'en- 
voyant à  Sisteron,  en  Provence^  A  partir  de  ce  moment,  nous 
n'entendons  plus  parler  de  lui  pendant  quinze  ans,  à  moins  que 
nous  ne  regardions  comme  le  concernant  la  mention  d'un  reli- 
gieux du  même  nom,  et  qui  n'aurait  été  qualifié  de  natif  de  Figeac, 
Figiacensis,  qne^Sir  erreur^.  Mais,  à  vrai  dire,  cette  conjecture 
ne  nous  semble  guère  devoir  être  acceptée.  L'indication  dont  il 
s'agit  se  trouve  dans  les  actes  du  chapitre  provincial  réuni  à 
Figeac,  en  1306,  le  jour  de  la  fête  de  sainte  Marie-Madeleine. 
Or,  ces  actes  ont  été  revus  spécialement,  comme  le  prouve  une 
note  autographe,  par  Bernard  Gui  lui-même,  dont  on  ne  peut 
aisément  mettre  en  doute  le  soin  et  l'exactitude  ■*. 

donner  de  sa  connaissance  du  grec,  même  avant  son  départ  pour  l'Orient,  une 
explication  assez  naturelle.  Il  aurait  pu,  en  effet,  en  puiser  les  éléments  auprès 
de  ces  clercs  d'origine  orientale,  que  les  souverains  pontifes  entretinrent  à 
l'Université  de  Paris,  pendant  tout  le  xiii"  siècle,  aux  frais  des  églises  et  des 
monastères  de  France,  et  dont  la  réunion  formait  peut-être  l'établissement  mal 
connu  désigné  sous  le  nom  de  collège  de  Constantinople.  Voir  à  ce  sujet,  dans 
la  Revue  des  Sociétés  savantes,  année  1861,  pp.  C6-73,  un  article  de  M.  Ch. 
Jourdain  intitulé  :  Un  collège  oriental  à  Paris  au  XIIP  siècle. 

1.  «  Assignamus  studia  naturalium  :  pro  couventibus  Avinionensi,  Arelatensi, 
etc.,  ponimus  studiuni  in  Aurelate  ;  lectorem  fratrem  G.  Bernardi.  »  Bibl.  de 
Toul.,  ms.  273,  I'^  série,  f^  381  r". 

2.  «  Assignamus  studia  naturalium  :  ...  pro  conventibusMassiliensi,  Aquensi, 
Grassensi,  Sancti  Maximini,  Massiliensis  (sic),  ponimus  studiuni  in  Cistarico  ; 
lectorem  fratrem  G.  B.  »  Ibid.,  ut  supra,  f"  384  r\ 

3.  «  Isti  visitabunt  hoc  anno  :  ...  conventus  Burdegale,  Sancti  Emiliani,  Bra- 
geriaci,  Petragori,  et  locum  Sancti  Badulphi  (lisez  Pardulphi)  extra  frater 
Wmus  Bernardi  Figiacensis.  »  Ibid.,  ut  supra,  f°  396  r".  —  Le  couvent  de  femmes 
de  Saint-Pardoux,  dans  le  diocèse  de  Périgueux,  sur  les  confins  du  Limousin, 
avait  été  fondé  dans  le  courant  du  xni°  siècle  ;  mais  il  ne  passa  que  plus  tard 
entre  les  mains  de  l'ordre  de  Saint-Dominique,  par  suite  d'une  acceptation 
résolue  définitivement  au  chapitre  provincial  de  Brives,  en  1292.  On  y  envoya 
à  cette  époque  un  certain  nombre  de  sœurs  tirées  du  monastère  de  Prouille. 
Voir,  sur  ce  couvent,  ibid.,  %it  supra,  f"  246  et  suiv.,  et  Ampliss.  collect.,  VI, 
ce.  527-529.  —  Saint-Pardoux  est  aujourd'hui  Saint-Pardoux-la-Bivière,  ch.-l.  de 
canton,  arr.  de  Nontron,  dép.  de  la  Dordogne,  sur  la  rive  droite  de  la  Dronne. 
On  y  voit  encore  les  ruines  de  l'établissement  dont  nous  venons  de  parler. 

4.  Cette  note  consiste  dans  les  mots  «  in  festo  sancte  Marie  Magdalene  », 
ajoutés,  nous  le  répétons,  de  la  main  môme  de  Bernard  Gui,  au  titre  des  actes 


200  n.    MOLINIER. 

Ce  n'est  donc  qu'en  1317  que  nous  rencontrons  de  nouveau  au 
sujet  de  Guillem  Bernard  de  Gaillac  un  renseignement  auquel 
nous  puissions  réellement  nous  fier.  Cette  année-là,  en  effet, 
nous  lisons  encore  une  fois  son  nom  dans  les  actes  des  chapitres 
provinciaux  de  l'ordre  dont  il  fait  partie.  C'est  dans  ceux  du 
chapitre  de  Bergerac  (fête  des  apôtres  Pierre  et  Paul,  29  juin), 
dont  une  décision  l'attache  comme  lecteur  à  l'enseignement  des 
arts  au  couvent  delà  même  villes  Mais  c'est  aussi  la  dernière 
fois  que  les  documents  auxquels  nous  avons  emprunté  la  plupart 
des  éléments  de  cette  biographie  nous  fournissent  la  preuve 
de  son  existence.  En  1317,  si  l'on  considère  comme  à  peu  près 
acquise  la  date  de  1255,  à  laquelle  nous  avons  cru  pouvoir 
fixer  sa  naissance,  il  a  dépassé  l'âge  de  soixante  ans.  Que  sa 
mort  ait  suivi  sans  beaucoup  tarder,  cela  n'aurait  rien  qui  dût 
nous  surprendre. 

On  ne  peut  faire  moins  cependant  que  de  marquer  le  doute 
qui  ressort  d'une  indication  assez  postérieure,  il  est  vrai,  à  la 
dernière  dont  il  vient  d'être  question.  En  1333,  le  dimanche  avant 
la  fête  de  saint  Jean-Baptiste,  c'est-à-dire  le  20  juin,  le  chapitre 
provincial  de  Figeac  nomme  sous-lecteur  au  couvent  de  Saint- 
Junien^  un  moine  du  nom  de  frère  Guillem  de  Gaillac^.  Evidem- 
ment, on  peut  penser  que  c'est  là  le  religieux  dominicain  dont 
nous  avons  essayé  de  reconstituer  l'existence,  et  que  l'appellation 
qui  le  désigne  est  seulement  incomplète.  Mais,  d'autre  part,  il 
faut  avouer  que  cette  nouvelle  date  nous  porte  bien  loin  de  l'an- 
née 1317,  à  laquelle  il  pourrait  paraître  assez  raisonnable  de  se 
borner,  en  l'absence  d'indications  parfaitement  précises.  Elle 
nous  force,  si  nous  l'acceptons,  à  charger  un  vieillard  de  soixante- 
dix-huit  ans  de  fonctions  en  quelque  sorte  au-dessus  de  ses  forces, 
à  coup  sûr  en  désaccord,  par  leur  modestie  même,  avec  son  âge, 
ses  longs  services,  et  enfin  les  honneurs  dont  il  a  été  investi  à 

(lu   chapitre    provirtcial  de  Figeac,  dans  le([uel  le  copiste  les   avait  oubliés 
d'abord.  Voir  bibl.  de  Toul.,  ms.  273,  I"=  série,  f"  395  r°. 

1.  «  Assignanius  studia  arcium  :  ...  pro  conventibus  Petragoricensi  et  Brage- 
riaci,  poninuis  studium  in  Brageriaco;  lectorein  fratrem  AV"  Beriiardi.  ■»  Ibid,, 
ut  supra,  f  427  r". 

2.  Sur  la  Vienne;  ch.-l.  de  canton,  arr.  de  Rochechouart,  dép.  de  la  Haute- 
Vienne. 

3.  «  Assignanius  ad  legendum  secundain  leclionem  :  ...  in  SanctoJuniano  fratrem 
Guilhelinuni  de  Galhaco.  »  —  Bibl.  de  Toul.,  ras.  273,  I-^"^  série,  f"  469  v".  — 
Voir,  sur  le  couvent  de  Saint-Juuien,  ibid.,  {"  233. 


GUILLEM    BERNARD    DE   GAILLAC.  261 

plusieurs  reprises  dans  les  assemblées  solennelles  de  son  ordre. 

Ce  ne  sont  peut-être  pas  là  cependant  des  difficultés  irréfu- 
tables. Une  longévité  comme  celle  qu'il  faudrait  admettre  n'est 
pas  si  extraordinaire,  qu'on  ne  puisse  la  supposer  chez  un  reli- 
gieux, astreint  dès  l'adolescence  par  les  lois  monastiques  à  la  vie 
la  plus  régulière  et  la  plus  paisible,  soustrait  aux  passions  et  aux 
soucis  terrestres,  assujetti  seulement  aux  travaux  intellectuels, 
qui  n'usent  pas  toujours  autant  qu'on  veut  bien  le  dire.  Quant  à 
voir  une  sorte  de  déchéance  dans  ces  fonctions,  plus  dignes,  selon 
nos  idées  au  moins,  d'un  débutant  que  d'un  personnage  presque 
célèbre,  ayant  en  tout  cas  fait  depuis  longtemps  ses  preuves,  ce 
serait  avoir  mal  saisi  le  fond  de  cette  existence,  que  nous  avons 
voulu  retracer.  Trois  vertus  y  dominent  incontestablement,  si 
vives  qu'on  pourrait  les  qualifier  de  passions ,  l'amour  de  la 
science,  le  dévouement,  l'humilité.  S'il  allait  donc,  à  près  de 
quatre-vingts  ans,  comme  sous-lecteur  dans  un  des  couvents  les 
moins  considérables  de  l'ordre  de  Saint-Dominique,  recommencer 
les  labeurs  de  sa  jeunesse,  Guillem  Bernard  satisfaisait  à  la  fois 
ce  qu'on  pourrait  appeler  tous  les  besoins  de  son  àme.  Ainsi,  dans 
la  décision  du  chapitre  de  Figeac,  ce  n'est  pas  là  ce  qui  devrait 
nous  embarrasser.  A  supposer  qu'elle  le  concerne  véritablement, 
il  pourrait  bien  se  faire  que  notre  religieux  l'eût  sollicitée  lui- 
même. 

Cette  décision  est,  d'ailleurs,  le  dernier  renseignement  qui  se 
rattache  d'une  manière  plus  ou  moins  certaine  à  la  biographie  de 
Guillem  Bernard  de  Gaillac,  et  nous  sommes  arrivé  au  bout  de 
la  tâche  que  nous  avions  entreprise  ' .  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à 

1.  Pour  laisser  une  idée  plus  nette  de  cette  biographie  de  Guillem  Bernard  de 
Gaillac,  nous  croyons  devoir  réunir  dans  un  tableau  chronologique  les  faits  qui 
la  composent,  et  que  nous  avons  présentés  avec  toutes  leurs  circonstances.  Un 
point  d'interrogation  marque  ceux  dont  on  peut  douter  à  la  rigueur,  parce  que 
les  textes  qui  nous  les  donnent  n'ajoutent  pas  au  nom  proprement  dit  du  reli- 
gieux dominicain  l'indication  du  lieu  où  il  est  né. 

Guillem  Bernard  est,  en  : 

?t277,  lecteur  de  philosophie  naturelle  au  couvent  de  Carcassonne  (décision 
du  chapitre  provincial  de  Bordeaux); 

?  1278,  lecteur  pour  le  même  enseignement  au  couvent  de  Perpignan  (décision 
du  chapitre  provincial  de  Montpellier,  22  juillet)  ; 

■?1281,  envoyé  au  couvent  de  Nice  (décision  du  chapitre  provincial  de  Nar- 
bonne,  dimanche  après  l'octave  des  apôtres  Pierre  et  Paul,  13  juillet)  ; 

1284,  lecteur  au  couvent  de  Perpignan  (décision  du  chapitre  provincial  de 
Perpignan)  ; 


262  C.    MOLINIER. 

examiner  la  conjecture  dont  nous  avons  parlé  en  commençant. 
Elle  est,  si  l'on  s'en  souvient,  de  Quétif  et  Ecliard.  Au  cas  où  on 
l'admettrait,  elle  ajouterait  aux  fonctions  exercées  par  le  religieux 
qui  nous  occupe  celles  d'inquisiteur. 

«  Dans  un  manuscrit  en  parchemin  du  xiif  siècle,  disent  les 
auteurs  des  Scriptores,  manuscrit  qui  a  été  autrefois  la  propriété 
de  nos  frères  de  Rouen,  et  qui  se  trouve  aujourd'hui  entre  les 
mains  de  nos  frères  du  couvent  de  Saint-Honoré  à'  Paris,  il  y  a 
un  traité  intitulé  de  practica  inquisitionis ,  où  l'on  trouve  le 
nom  d'un  frère  Guillem  Bernard,  remplissant  les  fonctions  d'in- 
quisiteur de  la  foi,  en  compagnie  de  frère  Jean  de  Saint-Benoît, 


1285,  sous-lecleur  au  couvent  de  Toulouse  (décision  du  chapitre  provincial  de 
Condom,  9  octobre)  ; 

?  1288,  lecteur  de  théologie  au  couvent  de  Cahors  (décision  du  chapitre  pro- 
vincial d'Avignon,  22  juillet); 

1289,  prédicateur  général  (décision  du  chapitre  provincial  de  Narbonne, 
14  septembre); 

1290,  lecteur  au  couvent  de  Perpignan  (décision  du  cliapitre  provincial  de 
Pamiers,  14  se])tcmbre)  ; 

1290,  1291,  prieur  du  couvent  de  Montauban;  relevé  de  ces  fonctions  par  déci- 
sion du  chai)ilre  provincial  de  Béziers  (15  août  1291); 

?  1291,  lecteur  delà  Bible  au  couvent  de  Toulouse  (décision  du  chapitre  pro- 
vincial de  Béziers)  ; 

1292-1294,  prieur  du  couvent  d'AIbi;  relevé  de  ces  fonctions  par  décision  du 
chapitre  général  de  Montpellier)  ; 

1294,  lecteur  de  théologie  au  couvent  d'Ageu  (décision  du  chapitre  provincial 
de  Montpellier); 

1295,  1296,  prieur  du  couvent  de  Rodez  ;  relevé  de  ces  fonctions  par  décision 
du  chapitre  provincial  de  Narbonne  (22  juillet  1296); 

?  1297,  lecteur  de  philosophie  naturelle  au  couvent  de  Béziers  (décision  du 
chapitre  provincial  de  Tarascon,  dimanche  après  la  fôte  de  sainle  Marie-Made- 
leine, 23  juillet)  ; 

?  1298,  lecteur  es  arts  au  couvent  d'Arles  (décision  du  chapitre  provincial  de 
Cahors,  octave  des  apôtres  Pierre  et  Paul,  6  juillet)  ; 

1298,  il  part  pour  Rome  (peu  après  le  29  septembre)  ; 

1299,  il  part  de  Rome  pour  Constantinople; 

?1301,  lecteur  de  philosophie  naturelle  au  couvent  d'Arles  (décision  du  cha- 
pitre provincial  d'Agen,  22  juillet); 

?  1302,  lecteur  pour  le  même  enseignement  au  couvent  de  Sisteron  (décision 
du  chajiilre  provincial  de  Carcassonne,  4  août)  ; 

V  1306,  visiteur  au  couvent  de  Saint-Pardoux  (décision  du  chapitre  provincial 
de  Figeac,  22  juillet)  ; 

?  1317,  lecteur  es  arts  au  couvent  de  Bergerac  (décision  du  chapitre  provin- 
cial de  Bergerac,  29  juin)  ; 

?  1333,  sous-lecteur  au  couvent  de  Saint-Junien  (décision  du  chapitre  provin- 
cial de  Figeac,  dimanche  avant  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste,  20  juin). 


GUILLEM   BERNillD   DE  GAILLAC.  263 

dans  le  territoire  de  Toulouse  vers  1290.  Est-ce  le  même  que 
celui  dont  nous  nous  occupons  (Quétif  et  Échard  veulent  parler 
de  Guillem  Bernard  de  Gaillac),  c'est  affaire  aux  érudits  du  pays 
même  de  s'en  enquérira  » 

Dans  ce  passage  des  Scriptores,  il  y  a  une  date  qu'il  est 
impossible  d'accepter  :  c'est  celle  de  1290.  Le  texte  auquel  se 
rapportent  les  écrivains  dominicains,  et  que  nous  reproduisons 
en  note,  parle  des  comtés  et  des  territoires  soumis  au  comte  de 
Toulouse.  Mais  il  n'y  a  plus  de  comte  de  Toulouse  depuis  la  mort 
d'Alfonse  de  Poitiers,  arrivée  le  21  août  1270,  et  suivie,  à  trois 
jours  de  distance,  de  celle  de  sa  femme  Jeanne,  avec  qui  s'éteint 
pour  toujours  la  race  des  Raimonds.  11  n'y  a  plus  de  comté  de 
Toulouse,  depuis  la  prise  de  possession,  le  saisimentum  solen- 
nel, qu'ordonne  dès  1271  le  roi  Philippe  III.  D'ailleurs,  dans  un 
autre  endroit  de  leur  livre,  Quétif  et  Echard  eux-mêmes,  mieux 
inspirés  cette  fois,  substituent,  à  propos  du  même  texte,  la  date 
de  1258,  qui  est  acceptable,  à  celle  de  1290,  qui,  on  le  voit  de 
reste,  ne  peut  se  soutenir.  Mais,  pas  plus  cette  fois  que  l'autre, 
ils  ne  décident  s'il  s'agit  de  Guillem  Bernard  de  Gaillac  ou  d'un 
moine  son  homonyme,  qui  ne  pourrait  être  que  le  Guillem  Ber- 
nard deDax,  dont  nous  avons  dit  quelques  mots  au  début  de  cette 
notice  ^ 

1.  «  In  codice  ins.  membr.  sec.  XIII  alias  Rolomagensium  nostrorum  nunc 
vero  Parisiensiuin  ad  S.  Honorati,  est  tractatus  de  practica  inqui.sitionis,  in 
quo  legitur  quidam  F.  Guillelnuis  Bernardi  censoris  fidei  munere  fungens  cum 
F.  Joanne  a  Sancto  Benedicto  in  paiiibus  Tolosanis  circa  MCCXC.  An  idem  sit 
cum  eo  de  quo  agimus,  disquirant  indigenae  curiosi.  »  Script,  ord.  Praedic,  I, 
460  b.  —  Le  ms.  dont  parlent  Quétif  et  Échard  se  trouve  aujourd'iuii  à  la  biblio- 
thèque Mazarine  sous  le  n°  1346.  Dans  ce  nis.,  le  traité  qu'ils  citent  occupe  les 
f"'  193  B-201.  D'ailleurs,  ce  traité  tout  entier  a  été  publié  sous  le  titre  de  Boc- 
trina  de  modo  procedendi  contra  haereticos,  par  Martène  et  Durand,  dans  leur 
Thésaurus  novus  anecdotorum,  tome  V,  ce.  1795-1822,  vraisemblablement 
d'après  le  ms.  connu  par  les  auteurs  des  Scriptores.  Nous  croyons  "devoir 
reproduire  d'après  cette  publication  le  fragment  sur  lequel  s'appuie  la  conjec- 
ture que  nous  examinons  en  ce  moment.  «  Poenitentia  haerelicoruin  quando 
crédit  {sic).  —  Omnibus  Christi  fidelibus  praesentes  litteras  inspecturis,  fratres 
ordinis  Praedicatorum,  Guillclmus  Bernardi  et  .Johannes  de  S.  Benediclo, 
Inquisilores  haereticae  pravilatis  in  communitalibus  [lisez  comitatibus)  et  ter- 
ris nobilis  viri  comitis  Tholosani,  salutem,  etc.  »  Thés.  nov.  anecdot.,  V, 
c.  1808.  La  pièce,  dont  nous  ne  donnons  que  le  commencement,  parce  qu'il  nous 
est  seul  nécessaire,  se  continue  à  la  colonne  1809.  Il  faut  remarquer  qu'elle  ne 
porte  aucune  date. 

2.  Cette  nouvelle  indication  se  trouve  dans  la  notice  consacrée  par  Quétif  et 
Échard  justement  à  ce  Jean  de  Saint-Benoît,  dont  le  nom  ligure  également  dans 


264  C.    MOLINIER. 

C'est  bien  de  ce  dernier  pourtant  qu'il  est  question.  «  Frère 
Guillem  Bernard  de  Dax,  dit  Bernard  Gui,  était  pour  la  seconde 
fois  prieur  (du  couvent  de  Baronne),  l'an  du  Seigneur  1257,  au 
mois  de  mai,  quand  il  fut  fait  inquisiteur  de  la  perversité  héré- 
tique, et  par  conséquent  déchargé  dupriorat^  »  Sa  mort,  comme 
nous  l'avons  établi,  a  lieu  en  1268  ou  1269.  Il  était  alors  prieur 
du  couvent  des  Dominicains  de  Bordeaux,  et,  pour  le  devenir,  il 
avait  dû,  sans  doute,  résigner  les  fonctions  inquisitoriales,  de 
même  que,  pour  être  investi  de  ces  fonctions,  il  lui  avait 
fallu  renoncer  au  priorat  de  Bayonne,  ce  qui  bornerait  son  pas- 
sage dans  les  tribunaux  d'Inquisition  à  dix  années  tout  au  plus. 
Est-il  bien  nécessaire  d'insister,  après  cela,  sur  l'impossibilité 
qu'il  y  aurait  à  accorder  ces  dates  avec  la  chronologie  que  nous 
avons  cru  pouvoir  fixer  de  l'existence  de  Guillem  Bernard  de 
Gaillac?  S'il  y  a  quelque  probabilité  dans  la  conjecture  qui  nous 
a  fait  placer  sa  naissance  entre  1250  et  1260,  on  ne  saurait 
admettre,  on  le  voit,  qu'il  ait  figuré  dans  ces  tribunaux  d'In- 
quisition, dont  l'accès  ne  semble  avoir  été  ouvert  le  plus  souvent 
qu'à  des  religieux  d'âge  mùr,  et  finit  même  par  être  interdit  au- 
dessous  de  quarante  ans-. 

le  texte  que  nous  cherclions  à  éclaiicir.  «  In  cod.  ms.  membr.  fol.  conventus 
Rotomagensis  laudalur  quidam  F.  Johannes  de  Sancto  Bcnedicto  inquisitor 
haerelicae  pravilalis  in  terris  nobilis  viri  comitis  Tolosani  :  an  idem  sit  cumhoc 
nostro  in  theologia  magistro  noliin  asserere,  cuni  ille  collega  dicatur  F.  Guil- 
lelrni  Bernardi,  qui  isto  munere  fungebatur  anno  MCCLVIII,  sicque  antiquior, 
quani  ut  circa  MCCLXXX  ad  agoncs  scholasticos  se  transferret.  »  Script,  ord. 
Praedic,  I,  406  b.  —  Quant  au  doute  exprimé  dans  les  derniers  mots  de  ce  pas- 
sage, à  vrai  dire  nous  ne  le  comprenons  guère.  Si  on  suppose,  ce  qui  est  vrai- 
semblable, que  Jean  de  Saint-Benoît  était  âgé  de  quarante  ans  vers  1258, 
époque  où  il  aurait  partagé  les  fonctions  d'inquisiteur  avec  Guillem  Bernard,  il 
n'en  aurait  jamais  ou  de  la  sorte  que  soixante  tout  au  plus  vers  1280.  Ce  n'est 
pas  là  un  âge  qui  pût  lui  interdire  ce  que  les  auteurs  des  Scriplores  appellent 
agones  scholastici.  En  réalité,  dans  le  texte,  qui  fait  le  fond  de  toutes  ces  con. 
jectures,  il  n'y  a  pas  les  difficultés  qu'ils  y  ont  vues. 

1.  «  Frater  Guillelmus  Bernardi  Aquensis  prefatus  altéra  vice  erat  prior  (con- 
ventus Baionensis),  anno  Doniini  M.  CC°.  LVII",  mense  mayo,  et  tune  fac- 
tus  fuil  inquisitor  beretice  pravitalis,  et  absolutus  consequenter  ab  oflîcio  prio- 
ratus.  »  Bibl.  de  Toul.,  ms.  273,  I"  série,  f«  138  r°. 

2.  Cette  décision  est,  il  est  vrai,  assez  tardive,  puisqu'elle  ne  date  que  du 
pontificat  de  Clément  V  et  du  concile  de  Vienne  (1311-1312).  Voir  Corpusjuris 
canonicl,  Clemenda.,  lih.  V,  Ut.  111,  cap.  Il,  et  Nicolas  Eymeric,  Directorium 
inquisitorum,  tertio  pars,  quaestio  IL  —  Qu'elle  eût  été  motivée  par  les  nomi- 
nations trop  fréquentes  de  jeunes  gens  à  des  fonctions  dont  leur  emportement 
naturel  n'était  pas  fait  pour  tempérer  le  caractère  réellement  abusif,  cela  est 


GUILLEM   BERNARD   DE   GAILLAC.  265 

Guillem  Bernard  de  Gaillac  ne  fut  donc  pas  inquisiteur,  et 
nous  nous  abstiendrons  de  le  regretter  pour  lui.  D'autre  part, 
l'étude  du  grec,  ses  travaux  en  cette  langue,  d'un  si  grand  inté- 
rêt pour  nous,  ne  l'occupèrent  peut-être  que  passagèrement.  Il 
fut  surtout  professeur  et  prédicateur.  Et,  plus  heureux  de  ce  côté 
qu'en  ce  qui  concerne  ses  traductions  de  saint  Thomas  d'Aquin, 
en  dépit  également  du  silence  de  Bernard  Gui  qu'on  ne  s'explique 
guère,  nous  avons  dans  un  certain  nombre  d'écrits  le  témoignage 
de  son  éloquence  et  de  son  enseignement.  La  bibliothèque  de 
Bordeaux  possède  deux  recueils  manuscrits  du  xiv«  siècle,  rem- 
plis de  ses  œuvres.  L'un,  sous  le  titre  de  Sermones  dominicales, 
renferme,  dans  sa  première  partie,  une  série  de  sermons,  que 
suivent  des  commentaires  sur  la  Genèse,  le  livre  de  Job  et  les 
Psaumes  ^  L'autre,  daté  de  1340,  contient  encore  des  sermons, 
mais  différents  des  premiers,  et  intitulés  Sermones  de  Sanctis, 
auxquels  se  joignent  les  mêmes  commentaires  que  dans  le  volume 
précédent^.  A  supposer,  comme  c'est  possible,  que  ce  ne  soit  pas 
là  tout  ce  qu'il  a  écrit,  ce  qui  subsisterait  donc  surtout  des  œuvres 
de  Guillem  Bernard  de  Gaillac,  ce  serait  la  partie  oratoire.  De  la 
sorte,  il  aurait  été  mieux  traité  par  le  temps  que  son  confrère, 
Bernard  Gui,  prédicateur  général  de  son  ordre  comme  lui-même 
et  dont  les  sermons  semblent  avoir  disparu^. 

C'est  à  cela  que  se  borne,  bien  entendu,  la  supériorité  du  reli- 
gieux, dont  nous  avons  essayé  de  reconstituer  la  modeste  exis- 
tence, sur  son  contemporain,  l'un  des  représentants  les  plus 
remarquables  à  coup  sûr  de  l'ordre  des  Frères  Prêcheurs.  Est-ce 
à  dire  cependant  que  cette  existence,  si  peu  extraordinaire  qu'en 
soit  le  cours,  n'ait  pas  son  prix  au  point  de  vue  historique ,  et 
qu'en  ce  sens  l'étude  que  nous  avons  jugé  devoir  en  faire  ne  puisse 
être  de  quelque  utilité  ?  On  nous  permettra  de  ne  pas  le  croire. 

évident.  Nous  n'en  croyons  pas  moins  qu'elle  ne  faisait  que  convertir  en  règle 
définitive  ce  qui  était  passé  le  plus  souvent  dans  la  pratique.  Bernard  Gui,  par 
exemple,  ne  fut  appelé  à  exercer  la  justice  inquisiloriale  qu'à  l'âge  de  quarante- 
cinq  ou  quarante-six  ans,  en  1307,  c'est-à-dire  antérieurement  au  décret  de 
Clément  V. 

1.  N"-20  et  303  du  catalogue  de  1880,  in-A-,  vélin,  143  f°%  "2  col. 

2.  N"  302,  in-i",  vélin,  146  ^^  2  col. 

3.  On  avait  cru  les  posséder  dans  un  ms.  de  la  bibliothèque  de  Toulouse,  le 
n"  311  de  la  I'"  série.  Mais  un  examen  plus  attentif  a  lait  reconnailre  que  les 
sermons  composant  le  volume  dont  il  s'agit  étaient  vraisemblablement  du  domi- 
nicain Gui  d'Évreux.  Voir,  sur  ce  point,  M.  Delisle,  op.  cit.,  p.  336. 


266  C.    MOLINIER. 

Personne  n'ignore  la  place  immense  que  tient,  au  xiii*^  siècle, 
dans  le  développement  littéraire  et  scientifique  de  cette  époque, 
la  grande  association  religieuse  fondée  par  saint  Dominique. 
Pour  ne  citer  que  les  plus  illustres,  deux  noms,  ceux  d'Al- 
bert le  Grand  et  de  saint  Thomas  d'Aquin,  suffisent  à  en  don- 
ner une  idée.  On  peut  penser  ce  qu'on  voudra  de  leur  œuvre,  la 
déclarer  à  jamais  abolie,  ou  bien  y  voir  le  dernier  mot  de  toute 
philosophie  humaine,  elle  n'en  demeure  pas  moins  prodigieuse. 
Mais,  si  grands  que  soient  les  deux  hommes  dont  nous  venons  de 
parler,  ils  ne  représentent  pas  seuls  l'activité  qui  illustre  leur 
ordre.  On  peut  ajouter  à  leurs  noms  ceux  de  leurs  émules,  frères 
prêcheurs  comme  eux-mêmes,  maîtres  éminents,  tout  en  leur  étant 
inférieurs,  on  n'a  pas  encore  cette  activité  tout  entière.  On  n'en  a 
pas  surtout  le  mouvement  ordinaire  et  en  quelque  sorte  quotidien. 
Pour  le  trouver,  il  faut  descendre  des  grandes  universités,  où  les 
religieux  de  saint  Dominique  se  montrent  avec  tant  d'éclat  au 
milieu  de  rivalités  ardentes,  à  leurs  écoles  conventuelles.  C'est  là 
que,  par  une  méthode  savamment  graduée,  par  des  exercices 
aussi  variés  qu'assidus,  on  dégrossit,  on  arme  de  toutes  pièces  les 
jeunes  esprits,  dont  un  examen  attentif  a  d'abord  fait  reconnaître 
les  aptitudes.  C'est  là  qu'enseigne  quarante  ans  Guillem  Bernard 
de  Gaillac,  avec  un  dévouement  qui  ne  devait  pas  être  commun 
même  autour  de  lui.  De  là  sort,  tel  que  nous  le  connaissons,  sans 
avoir  eu  d'autre  préparation  ni  d'autres  maîtres,  Bernard  Gui. 

Ce  que  valent  ces  centres  d'étude,  ce  qui  s'y  prépare,  un  avenir 
de  prospérité  ou  de  décadence,  on  le  sait  de  reste  dans  l'ordre  des 
Frères  Prêcheurs.  Aussi  n'y  a-t-on  pas  de  préoccupation  plus 
vive  ni  plus  constante  que  d'en  assurer  l'existence  et  les  progrès. 
Au  chapitre  général  de  Valenciennes,  en  1259,  une  commission 
réunit  les  docteurs  en  théologie  les  plus  célèbres  de  l'Université  de 
Paris,  frère  Bonhomme  de  Bretagne,  Florent  d'HesdinS  saint 


1.  Voir  sur  ces  deux  Dominicains,  réunis  dans  une  même  notice  avec  leur 
contemporain,  Élie  Brunet  de  Bergerac,  Script,  ord.  Praedic,  I,  139  b,  140  a. 
—  Voir  également  Hisl.  litt.  de  la  France,  tome  XIX,  pp.  103,  lOi.  —  Frère  Bon- 
homme, fiualifié  ordinairement  de  Br'ito ,  à  cause  de  son  origine,  et  Florent 
d'Hesdin  {de  Il/sdino),  appelé  aussi  GaUicus,  c'est-à-dire  le  Wallon,  par  Etienne 
de  Salanhac,  ont  été  assez  souvent  confondus  en  un  seul  et  même  personnage. 
Le  nom  de  Florent,  F/orentius  ou  même  Florentinus  en  latin,  rapproché  de 
celui  de  frère  Bonhomme,  avait  fait  naître  l'opinion  que  ce  religieux  était 
natif  de  Florence.  Voir,  sur  cette  confusion,  Script,  ord.  Praedic,  I,  140a. 


GUILLEM   BERNARD    DE    GAILLAC.  267 

Thomas  d'Aquin,  Albert  le  Grand,  Pierre  de  Tarantaise,  plus 
tard  pape  sous  le  nom  d'Innocent  V.  Obéissant  au  mandat  qu'ils 
ont  reçu  du  maître-général,  Humbert  de  Romans*,  et  des  diffini- 
teurs  du  chapitre,  ils  élaborent  tout  un  projet  de  réformes  concer- 
nant les  écoles  de  leurs  couvents  dominicains,  et,  comme  pour  lui 
donner  force  de  loi,  les  articles  en  sont  insérés  dans  les  actes 
mêmes  de  l'assemblée  ^  On  imaginerait  difficilement  une  suite  de 
prescriptions  mieux  choisies.  Ce  qu'il  faut  y  admirer  surtout,  c'est 
la  hardiesse  de  ces  moines  et  leur  esprit  libre  de  tout  préjugé.  On 
les  croirait  préoccupés  plus  que  de  tout  le  reste  des  obliga- 
tions de  leur  vie  claustrale,  des  exercices  de  piété  qu'elle  comporte 
naturellement.  Avec  quelle  indépendance  ils  en  parlent  et  les 
réduisent  au  strict  nécessaire^,  quand  il  s'agit  d'enseignement  et 
de  science,  deux  choses  qui  semblent  leur  tenir  au  cœur  autant  que 
la  religion  même,  ou  qui  leur  sont  plutôt  une  seconde  religion  ! 

Des  dispositions  du  même  genre  avaient  déjà  été  prises,  mais 
avec  moins  d'autorité,  dès  le  chapitre  provincial  de  Cahors,  en 
1255*.  Au  chapitre  provincial  de  Béziers,  tenu  en  l'année  1261, 
le  dimanche  après  l'octave  des  apôtres  Pierre  et  Paul,  c'est-à-dire 
le  10  juillet,  sous  le  priorat  du  prieur  provincial  Pons  de  Saint- 
Gilles,  les  mesures  dues  au  chapitre  de  Cahors,  les  prescriptions 
plus  solennelles  édictées  à  Valenciennes,  sont  rappelées  dans  un 


1.  Humbert  de  Romans  est  maître-général  de  l'ordre  des  Dominicains  depuis 
l'épocpie  du  chapitre  général  de  Bude  (1254)  jusqu'à  celui  de  Londres  (1263). 
Voir  Script,  ord.  Praedic,  I,  142. 

2.  Voir  bibl.  de  Toul.,  ms.  55,  1"=  série,  f"  63 d,  64a,  b.  —  Martène  et 
Durand  ont  reproduit,  d'après  le  même  manuscrit,  dans  le  tome  V  de  leur 
Thés.  nov.  anecdot.,  les  actes  des  chapitres  généraux  de  l'ordre  des  Domini- 
cains. Voir  ce.  1724-1727  les  actes  du  chapitre  de  Valenciennes,  et  ce.  1726, 
1727,  de  l'article  18  à  l'article  39,  les  prescriptions  concernant  la  réforme  des 
études  dans  les  écoles  conventuelles  de  l'ordre.  —  Voir  également,  sur  celte 
réforme,  Hist.  lltt.  de  la  France,  tome  XIX,  pp.  103,  104  (notice  sur  frère 
Bonhomme,  Élie  Brunetti  et  Florent  d'Hesdin)  ;  p.  241  (notice  sur  saint  Thomas 
d'Aquin)  ;  p.  365  (notice  sur  Albert  le  Grand). 

3.-  «  Item  ad  proraotionem  studii  ordinamus  hoc,  quod  leclores  non  occupen- 
tur  in  officiis  vel  negociis,  per  que  a  lectionibus  retrahantur.  —  ...  Item  quod 
tempore  lectionis  non  occupentur  iu  missis  celebrandis  vel  aliis  hujusmodi...  » 
—  El  cette  autre  indication,  qui  montre  tous  les  membres  de  l'ordre  soumis, 
sans  exception,  à  la  nécessité  de  s'instruire  :  «  Item  quod  priores  vadant  ad 
scolas  sicut  ceteri  fratres  quando  comode  poterunt.  »  Bibl.  de  Toul.,  ms.  55, 
I"  série,  f°'  03  d,  64  a. 

4.  Voir,  pour  les  actes  de  ce  chapitre,  bibl.  de  Toul.,  ms.  273,  V  série, 
f»  290  v°,  et  ms.  91,  IP  série,  f»  34  b,  c. 


268  C.    MOLINIER. 

résumé  qui  nous  en  donne  l'essence*.  Puis,  il  est  décidé  que  toutes 
ces  prescriptions,  y  compris  celles  qui  sont  l'œuvre  de  l'assemblée 
même  de  Béziers,  seront  réunies  en  un  tout,  dont  la  lecture  se  fera 
quatre  fois  chaque  année,  dans  l'intervalle  compris  entre  la  fête  de 
saint  Michel  et  la  Pentecôte,  et  dans  chaque  couvent  de  l'ordre,  en 
présence  de  tous  les  religieux  qui  pourront  y  assister.  Le  prieur  pro- 
vincial et  les  visiteurs  doivent  s'enquérir  avec  soin  de  la  manière 
dont  toutes  ces  mesures  sont  observées.  Les  maîtres  qui  dirigent 
les  études  sont  invités  à  renseigner  sur  ce  point  leurs  supérieurs  2. 
A  tout  cet  ensemble  s'ajoute  une  lettre  curieuse,  datée  du  mardi 
suivant  (12  juillet),  et  rédigée  par  le  prieur  et  les  diffiniteurs  qui 
l'ont  assisté  au  chapitre  de  Béziers.  Elle  règle  minutieusement 
certaines  questions  relatives  aux  bibliothèques  conventuelles  et  à 
la  propriété  des  livres  qui  y  sont  déposés  ou  peuvent  y  faire  retour 
dans  certains  cas.  Le  maître-général,  Humbert  de  Romans,  pré- 
sent aux  délibérations  dont  cette  lettre  constate  le  résultat,  en  a 
approuvé  la  teneur  et  l'a  confirmée  de  l'autorité  de  son  sceau 
particulier^. 


1.  Nous  reproduisons  ici  ce  résumé,  qui  fournira  une  idée  des  prescriptions 
principales  de  l'année  1259.  «  Apud  Valentinas,  anno  Doniini  M°.  CC°.  L°.  IX% 
de  mandato  niagistri  et  diflinilorum,  pro  promotione  studli  ordinatum  est  per 
fratres  Bonuinlioininem,  Florentinurn,  Albertum  Theutonicum,  Thomem  de 
Acquino,  Pelruni  de  Tliarantasia,  niagistros  theolofiie  Parlsius,  qui  interfuerunt 
dicto  capitulo,  qiiod  lectorcs  non  occupenlur  in  officiis  vel  negociis,  per  que  a 
lectionibus  retraliautur  vel  dispulalionibus.  —  Item  (piod  diligenter  inquirantur 
{sic)  per  provinciales  et  visitatores  de  juvcnibus  aplis  ad  studium  et  eos  promo- 
veant,  et  quod  visitatores  singulis  annis  référant  profectus  et  defectus  eorum 
capitulo  provinciali.  —  Item  quod  ad  studia  generalia  non  mittantur  nisi  bene 
morigiati  {sic)  et  sani  et  apti  ad  profcctum.  —  ...  Item  quod  studentibus  vel 
aplis  ad  hoc  parcatur  à  discursibus  et  occupationibus...  —  Item  visitatores 
inquiraut  singulis  annis  diligenter  et  quid  et  quomodo  legerunt  et  quociens 
disputaverunt,  et  delfectus  notabiliores  référant  capitulo  provinciali. —  ...  Item 
in  singulis  capitulis  provincialibusordinetur  qualiter  studentibus  provideatur.  » 
Bibl.  de  Tout.,  mss.  273, 1"^  série,  f"  39G:  91,  11'^  série,  f"  36  b,  c. 

2.  «  Item  volumus  quod  ordiaationes  facte  de  studio  Valenciis,  Biterris  et 
Catursi  conflcntur  in  unam,  et  illa  legatur  quater  quolibet  anno,  inter  festum 
beati  Michaclis  et  Penthecoste,  in  quolibet  conventu,  presentibus  omnibus 
fratribus  qui  poterunt  interesse,  et  prior  provincialis  et  visitatores  inquirant 
diligenter  qualiter  dicta  ordinatio  observetur,  et  niagister  studencium  teneatur 
denunriare  i>riori  provinciali  qualiter  dicta  ordinatio  observetur.  »  Bibl.  de  Toul., 
ms.  273,  I"  série,  f"  295  v°.  Ce  passage  manque  dans  le  ms.  91,  11"  série. 

3.  «  Noverinl  universi  quod  nos,  frater  Poncius  de  Sancto  Egidio,  Fratrum 
Predicatorum  in  provincia  Provincie  servus,  et  diffinitores  provincialis  capituli 
ai)ud  Bitterim  celebrati,  anno  Domini  M°.  CC".  LXI%  ordinamus  de  consilio  et 


GUILLEM    BERNARD    DE    GAILLAC.  269 

Ces  assemblées  mémorables  de  Caliors,  de  Valenciennes  surtout 
et  de  Béziers,  ne  marquent  pas,  d'ailleurs,  un  élan  passager  seu- 
lement dans  l'ordre  des  Frères  Prêcheurs.  Le  mouvement  qu'elles 
ont  fait  naître  et  qu'elles  ont  réglé  se  soutient  bien  au  delà,  du 
moins  dans  les  couvents  dominicains  du  midi  de  la  France.  La 
preuve  nous  en  est  fournie  par  les  actes  d'un  second  chapitre  pro- 
vincial de  Béziers,  réuni  en  1269,  par  ceux  d'un  autre  chapitre 
tenu  à  Bordeaux,  et  dont  la  date  de  1311  nous  porte  au  début  du 
xiv^  siècle*.  Ce  sont  donc  cinquante  ans  d'efforts  dirigés  sans 
interruption  dans  le  même  sens  que  nous  avons  à  constater.  Les 
conséquences,  si  elles  s'expliquent  par  une  telle  opiniâtreté,  n'en 
sont  pas  moins  merveilleuses.  Les  arts,  c'est-à-dire  l'enseignement 
multiple  désigné  sous  ce  nom  à  pareille  époque,  grammaire,  rhé- 
torique, logique,  la  philosophie  naturelle,  l'explication  et  le  com- 

assensu  tocius  capituli  de  studio  in  hune  moduni.  Oïdinamus  quod  libri  sive 
scripta  sive  denarii  pro  scripturis  decedentium  lectorum  sive  actu  legencium 
tune  sive  non,  exceptis  iilis  quos  a  speeialibus  eonventibus  habuerunt,  usquc 
ad  provinciale  capitulum  reserventur,  ut  sicut  de  aliis  libris  eominunitatis  par 
priorem  provincialem  eunn  assensu  diffînitoruni  et  consilio  ordinetur  de  eis  ; 
provideatur  autem  tantum  de  libris  hujusmodi  fratribus  aptis  et  positis  ad  stu- 
dium  lectionis,  qui  sibi  aliunde  providere  non  possunt.  Libros  autem,  quos  pre- 
dicti  lectores  defuncti  habuerunt  a  eonvenlibus,  statim  possint  dieli  conventus 
recipere,  ita  tauien  quod  scribant  priori  provinciali  quos  libros  recuperaverunt 
et  quo  titulo  pertinent  ad  eos.  —  Item  ordinaraus  atque  mandamus,  quod,  lectore 
mortuo,  residui  libri  ejus  diligenter  eonscribantur  in  presencia  prioris  et  sup- 
prioris  et  consiliariorum  et  rnagistri  studencium,  et  diligenter  consignenlur  et 
sub  clavi  custodianlur  usque  de  eis  per  capitulum  ordinetur.  Volunius  autem 
quod  ordinatio  preraissa  de  libris  lectorum  duret  usque  ad  V.  annos,  et  volu- 
mus  quod  libri  et  scripta  omnia,  que  per  modum  istum  infra  quinquennium 
habebuntur,  communitatiprovineie  intitulentur.  Et  ordinamus  quod  tam  isti  libri 
sive  scripta  sive  denarii  sive  alii  libri  communitati  provincie  undecumque  acqui- 
siti  fratribus  assignati,  ipsis  decedentibus,  reserventur  usque  ad  sequens  capitulum 
provinciale,  et  tuncper  priorem  provincialem,  cum  consilio  et  assensu  didinilorum 
de  ipsis  provideatur  illis  qui  studentad  legendum,  sicut  superius  est  expressum  et 
infra.  —  Item  ordinaraus  quod  in  ista  ordinatione  nichil  possit  mutari  ab  aliquo 
nisi  de  expressa  licencia  et  assensu  tocius  capituli  provincialis.  —  Ista  autem 
ordinatio  a  nobis  facta  fuit,  leeta  et  a  toto  capitulo  aprobala,  coram  venera- 
bih  fratre  Humberto,  magistro  ordinis  nostri,  qui  iiisam  in  ])resencia  d'ilTinito- 
rum  omnium  approbavit  et  sui  sigilli  munimine  roboravit.  Cui  etiam  ordination! 
ego  frater  Poncius  dictus  prior  sigillum  ofïicii  nostri  apposui  in  testimonium 
veritatis.  Datum  Biterris,  in  capitulo  provinciali,  die  martis  post  octabam 
apostolorum  Pétri  et  Pauli,  aano  Domini  M".  CC°.  LX».  P.  »  Bibl.  de  Tout., 
mss.  273,  1-  série,  f"  395  v»,  396  r",  et  91,  IP  série,  f"  36,  a,  b. 

1.  Voir,  pour  les  actes  du  chapitre  provincial  de  Béziers  de  1269,  bibl.  de 
Toul.,  ms.  273,  V^  série,  f"  307  r",  et  pour  ceux  du  chapitre  de  Bordeaux,  ibid., 
i"  411  V;  ras.  91,  IP  série,  f"  64  d,  65  a.  Les  actes  du  chapitre  de  Béziers 
manquent  dans  le  ras.  91. 


270  C.    MOLI^IER. 

mentaire  des  Livres  Saints,  la  théologie  morale  et  dogmatique, 
toutes  les  divisions  de  la  science  au  moyen  âge  se  trouvent  repré- 
sentées dans  ces  écoles  conventuelles.  Par  quels  maîtres,  nous  le 
savons,  et  nous  savons  aussi  quels  disciples  forment  ces  maîtres. 
En  réalité,  dans  certaines  parties  de  la  France,  dans  la  France 
méridionale  surtout,  elles  doublent  les  universités,  quand  elles  ne 
les  remplacent  pas  d'une  façon  absolue,  au  moins  pour  quelque 
branche  de  l'instruction.  C'est  ce  qui  arrive,  par  exemple,  pour 
l'Université  de  Toulouse,  fondée  en  1229  au  milieu  de  telles  cir- 
constances que  son  développement  en  demeure  arrêté  pendant  tout 
le  xiif  siècle,  et  dans  cette  université  chancelante,  pour  l'ensei- 
gnement théologique,  longtemps  chez  elle  le  plus  faible  de  tous.  En 
tout  cas,  lorsque  cette  création  débile  prend,  après  plus  de  soixante 
ans,  un  essor  inattendu,  c'est  aux  Dominicains  encore  qu'y  appar- 
tiennent la  plupart  des  chaires  de  théologie,  et  ils  leur  donnent  ce 
caractère  d'orthodoxie  invariable  et  de  fidélité  à  la  cour  de  Rome, 
qui  fait  le  fond  de  leur  histoire*. 

Mais  ils  ne  se  contentent  pas  de  voir  professer  dans  leurs  cou- 
vents l'ensemble  déjà  suffisamment  complexe  de  toutes  les  divi- 
sions de  la  science,  telle  qu'on  l'entend  alors.  Ils  y  ajoutent  un 
ordre  entier  d'études,  qu'aucune  école  chrétienne,  hormis  les 
leurs,  ne  semble  avoir  possédé  dans  ce  temps,  et  où  ils  n'ont  véri- 
tablement pourrivaux  que  les  rabbins  de  Languedoc  et  d'Espagne. 
Ce  sont  l'étude  et  l'enseignement  de  l'arabe,  de  l'hébreu,  du  chal- 
daïque.  Un  des  promoteurs  des  prescriptions  du  chapitre  de  Valen- 
ciennes,  Humbert  de  Romans,  dès  son  arrivée  aux  fonctions  de 
maître-général  de  l'ordre,  s'est  occupé  de  les  développer^.  Ce 
chapitre  même  a  inséré  dans  ses  actes  un  article  qui  enjoint  au 
prieur  d'Espagne  d'établir  à  Barcelone,  ou  dans  tout  autre  couvent 
de  sa  province,  une  chaire  d'arabe  et  d'y  réunir  les  religieux  dont 
on  pourrait  attendre  des  progrès  dans  l'étude  de  cette  langue  3. 

1.  Voir,  à  ce  sujet.  Histoire  générale  de  Languedoc,  édition  Privât,  t.  VII, 
pp.  574,  575  (note  LX,  Étude  sur  l'organisation  de  l'Université  de  Toulouse,  au 
quatorzième  et  au,  quinzième  siècle). 

2.  Voir  ffist.  litt.  de  la  France,  tome  XXIV,  p.  92. 

3.  «  Injunginuis  priori  Hispaniae,  quod  ipse  ordinet  aliquod  studium  ad  addis- 
cendam  linguam  Arabicam  in  conventu  Barchinonensi  vel  alibi,  et  ibidem  col- 
locet  fratres  aliquos  de  quibus  speretur  quod  ex  hujusmodi  studio  possint 
proficere  ad  animarura  salutem.  Quicumque  autera  et  de  quacumque  provincia 
voluerit  addiscere  linguam  Arabicam,  scribat  hoc  magistro.  »  Thés.  nov. 
anecdot.,  \,  c.  1725  (article  12  des  actes  du  chapitre  de  Valenciennes). 


GUILLEM   BERNARD    DE   GAILLAC.  274 

Mais  c'est  l'illustre  Raimond  de  Pegnatbrt  qui  s'attache  spécia- 
lement à  la  réalisation  de  cette  œuvre,  comme  le  constate,  afin  de 
lui  en  faire  honneur,  la  bulle  donnée  pour  sa  canonisation  en 
1601  par  Clément  VIII*.  Grâce  à  lui,  les  écoles  d'arabe  et  d'hébreu 
se  multiplient  dans  les  couvents  que  les  Dominicains  possèdent 
dans  la  péninsule.  Les  rois  d'Aragon  et  de  Gastilleen  fondent,  sur 
ses  instances,  à  Murcie  et  jusqu'à  Tunis^.  C'est  de  là  que  sort  le 
Catalan  frère  Raimond  Martin,  armé  de  son  fameux  livre,  le 
Pugio  ficlei^.  Devenu  un  maître  à  son  tour,  il  voit  les  disciples  se 
presser  en  foule  autour  de  lui.  L'un  d'eux  traduit  en  grec  plusieurs 
de  ses  ouvrages.^  C'est  peut-être  un  dominicain,  quoi  qu'en 
pensent  Quétif  et  Echard,  de  sorte  qu'à  la  même  époque,  où  vivait 
Guillem  Bernard  de  Gaillac,  l'ordre  aurait  compté  un  helléniste 
de  plus^. 

On  doit  le  reconnaître,  il  serait  difficile  d'imaginer  une  activité 
intellectuelle  plus  diverse  de  forme  et  surtout  plus  infatigable.  Ce 
n'est  pas  que  nous  devions  pourtant  nous  abuser  sur  l'esprit  dont 
elle  procède  et  qui  lui  donne  son  élan  prodigieux.  Cet  esprit,  il  va 
sans  dire  que  ce  n'est  pas  le  nôtre,  avec  ses  tendances  absolument 
désintéressées,  sa  passion  de  savoir  pour  le  plaisir  de  savoir,  sans 
désirer  rien  de  plus,  sans  chercher  à  quoi  pourra  bien  servir  la 
connaissance  acquise.  Au  xiir  siècle,  les  travailleurs  prodigieux 
qui  font  notre  admiration  sont,  avant  tout,  ce  que  nous  appelle- 
rions des  gens  pratiques.  Guillem  Bernard  de  Gaillac  apprend  le 
grec,  parce  qu'il  veut  s'adresser  aux  dissidents  de  Constanti- 
nople,  et  qu'il  espère  peut-être  les  convertir.  Raimond  de  Pegna- 
fort  pousse  à  l'étude  de  l'hébreu  et  de  l'arabe,  Raimond  Martin  s'y 
dévoue,  parce  qu'ils  veulent  confondre  les  rabbins  avec  leurs 
propres  textes  et  évangéliser  les  mahométans  d'Afrique  dans  leur 
langue. 

Aussi,  ces  mêmes  hommes  nous  ménagent-ils  souvent  d'étranges 
surprises.  Un  seul  intérêt  les  guide,  celui  de  leur  foi.  Pensent-ils 
pouvoir  le  servir  en  faisant  autre  chose  que  ce  qu'ils  ont  fait 
jusqu'alors,  les  voilà  qui  renoncent  sans  hésiter  à  des  occupations 
que  l'habitude  et  leurs  goûts  naturels  ont  dû  leur  rendre  double- 

1.  Voir  Bollandistes,  janvier,  I,  p.  412,  n»  VI. 

2.  Voir  Touron,  Histoire,  des  hommes  illustres  de  l'ordre  de  Saint-Dominique, 
I,  p.  35. 

3.  Voir  Script,  ord.  Praedic,  ï,  396  b-398. 

4.  Voir,  sur  ce  fait,  ibid.,  lit  supra,  l,  398. 


272  f..    MOLINIER. 

ment  chères.  Bernard  Gui  s'enferme  dans  un  greffe  d'inquisition  ; 
il  emploie  à  feuilleter  de  hideux  registres  ces  mains  qui  nous  ont 
recueilli  tant  de  textes  précieux  ;  il  s'occupe  à  préparer  des  actes 
de  foi  et  l'œuvre  du  bourreau.  Pour  cela,  il  prend  sur  son  exis- 
tence si  féconde  et  si  occupée  quinze  ans  entiers.  Il  est  vrai  que 
Nicolas  Eymeric,  un  esprit  supérieur,  lui  aussi,  y  consacrera  bien 
quarante  ans  de  la  sienne.  Mais  ce  n'est  pas  tout  encore  :  on  les  voit 
longuement  déchiffrer  et  réfuter  un  livre,  qu'ils  jugent  d'impor- 
tance capitale,  puis,  ce  travail  achevé,  brûler  le  volume  qui  leur 
a  coûté  tant  de  peine,  comme  ils  brûleraient  celui  qui  l'a  écrit, 
ceux  qui  le  lisent,  ceux  qui  en  ont  embrassé  les  doctrines,  s'ils 
tombaient  entre  leurs  mains ^  En  fait,  c'est  toujours  le  débat 
d'Izarn  et  de  Sicart  de  Figueiras,  en  face  du  bûcher-.  Izarn, 
orthodoxe,  invinciblement  sûr  de  la  solidité  de  sa  croyance,  con- 
descend à  discuter  avec  l'hérétique  Sicart.  Il  l'y  invite,  il  l'y  force 
presque.  C'est  qu'il  pense  bien  pouvoir  lui  appliquer,  en  fin  de 
compte,  l'argument  après  lequel  il  n'y  a  pas  de  riposte,  puisqu'il 
étouffe  dans  les  flammes  la  voix  de  l'adversaire  récalcitrant. 

Peu  importe,  d'ailleurs  :  ce  sont  là  des  efforts  inutiles.  Dans  le 
même  moment  où  l'on  se  flatte  de  sauver  l'orthodoxie  par  tant  de 
procédés  terribles,  un  moine,  il  est  vrai  que  c'est  un  franciscain, 
et  son  ordre  a  toujours  eu  de  ces  audaces,  Nicolas  de  Lyra,  donne, 
au  sein  même  de  l'Église,  la  première  idée  de  l'exégèse  biblique. 
On  l'a  prétendu  de  race  juive;  mais  l'instinct  du  sang  ne  suffirait 
pas  à  expliquer  la  hardiesse  de  son  œuvre.  L'explication  en  est 
dans  le  libre  esprit  qui  commence  à  circuler,  malgré  toutes  les 
entraves.  Et,  quand  il  s'agit  d'en  contenir  les  échappées  dange- 
reuses, tous  ces  religieux  défont  d'une  main  ce  qu'ils  font  de 
l'autre.  On  les  étonnerait  bien  si  on  le  leur  disait;  le  fait  n'en  est 
pas  moins  évident.  Écrivains  et  docteurs  pour  la  plupart,  que  leur 
sert-il  d'aller  s'enfermer  dans  des  cours  d'inquisition,  afin  d'y 

1 .  Voir,  par  exemple,  au  sujet  de  la  destruction  des  livres  juifs  par  le  feu  dans  le 
courant  du  xiii"  siècle,  le  travail  de  M.  Noël  Valois,  Guillaume  d'A  uvergne,  évcque 
de  Paris,  l'"  partie,  eh.  VII,  pp.  1 18-137,  mais  sans  oublier  d'y  joindre  les  obser- 
vations présentées  par  M.  Paul  Viollet  dans  la  Revue  historique  (année  1883, 
pp.  175-178),  particulièrement  à  propos  du  passage  de  ce  travail  qui  vient  d'être 
indiqué.  —  Voir  également,  pour  la  môme  destruction  continuée  au  xiv^  siècle, 
Limborcb,  Liber  sententiarum  inquisiUonis  Tholosanae,  f°  136  r%  et  Bernard 
Gui,  rracfica,  bibl.  de  Toul.,  ms.  267,  1"  série,  f°'  21  b-22b. 

2.  Voir  ce  i)oème  dans  l'édition  de  M.  Paul  Meyer,  1880  (Extrait  de  VAnnuaire- 
Bulletin  de  la  Société,  de  l'Histoire  de  France,  année  1879). 


GCILLEM   BERNARD    DE   GAILLAC.  273 

comprimer  la  pensée  humaine  toujours  inquiète?  Il  faudrait 
d'abord  ne  pas  l'exciter  eux-mêmes  en  leur  personne,  ni  faire 
juger  par  leur  propre  exemple  de  ce  que  peut  son  activité.  Il 
faudrait  l'éteindre  chez  eux  comme  chez  autrui.  Peut-être  estime- 
t-on  que,  si  elle  ne  dort  pas,  du  moins  se  contentera-t-elle  éter- 
nellement pour  toute  pâture  de  cette  matière  scolastique,  maniée 
et  remaniée  depuis  deux  cents  ans,  divisée  et  redivisée  à  l'infini, 
et  dont  tout  suc  et  toute  saveur  ont  disparu.  Qu'on  y  prenne 
garde  cependant  ;  quelques  signes  donneraient  à  en  douter. 

Au  début  du  xiif  siècle,  pour  fournir  à  cette  Université  de  Tou- 
louse, dont  nous  avons  déjà  parlé,  à  cette  plante  jeune  et  frêle, 
comme  le  disent  leurs  bulles,  un  crédit  qui  semble  devoir  lui  man- 
quer au  premier  abord,  les  papes  ont  pris  une  résolution  hasar- 
deuse. Jusque-là,  l'étude  du  droit  romain  a  reçu  d'eux  peu 
d'encouragements.  Ils  l'ont  interdite  à  Paris,  sous  prétexte  que,  la 
France  du  Nord  ayant  sa  coutume,  cette  étude  y  était  inutile.  En 
réalité»  ils  voyaient,  non  sans  justesse,  dans  ce  droit  antique  et  à 
demi  païen  un  rival  de  leur  législation  particulière,  de  leur  droit 
canonique.  Voilà  pourtant  qu'ilsl'installentàToulouse, en  alléguant 
qu'on  ne  peut  en  priver  des  populations,  qui,  depuis  plus  de  douze 
cents  ans,  l'observent  comme  la  règle  de  leur  existence  civile.  A 
l'attrait  de  cette  nouveauté  qui  lui  est  offerte,  la  jeunesse  ne  se 
laisse  que  trop  prendre.  On  avait  compté  avoir  dans  cette  univer- 
sité, imposée  au  Midi  par  la  paix  de  1229,  une  sorte  de  citadelle 
de  l'orthodoxie  théologique.  Mais  ce  qu'on  y  enseigne  le  plus 
timidement,  ce  qu'on  y  étudie  avec  le  moins  d'ardeur,  c'est  juste- 
ment la  théologie.  La  faculté  de  droit  prime  toutes  les  autres.  Au 
xiv^  siècle,  sur  les  quatre  recteurs  annuels  qui  se  partagent  le 
gouvernement  scolaire,  elle  en  fournit  deux  à  elle  seule  ^  Au  début 
du  même  siècle,  Boniface  éprouve,  à  ses  dépens,  les  résultats  du 
mouvement  déjà  formidable  qu'ont  décidé  eux-mêmes  ses  prédé- 
cesseurs, entraînés  par  une  nécessité  passagère,  et  sans  se  rendre 
bien  nettement  compte  de  l'avenir.  C'est  des  écoles,  où  l'on 
enseigne  le  droit  romain,  remis  en  honneur,  que  sort  cette  nuée  de 
légistes,  qui,  conduits  par  Guillaume  de  Nogaret,  viennent  lui 
faire  subir  leur  argumentation  juridique  jusque  dans  Anagni. 
Elle  est  encore  bien  embarrassée  de  tour  et  de  forme  ;  elle  n'en 
étonne  pas  moins  l'adversaire  et  le  terrasse,  comme  il  arrive 

1.  Voir  Hisi.  ge'n.  de  Lang.,  édit.  Privai,  t.  VIT,  p.  598. 

ReV.    HiSTOR.    XXV.    2eFASC.  18 


274  C.    MOLINIER.    —   GOILLEM   BERNARD   DE  GAILLÀC. 

toujours  aux  premiers  coups  portés  par  une  arme  nouvelle. 

Aussi  bien  n'est-ce  pas  là  seulement  que  se  manifeste  l'essor  qui 
entraîne  les  esprits  dans  toute  l'Europe  occidentale.  Il  est  univer- 
sel; mais  il  est  aussi  et  surtout  irrésistible,  et  ce  n'est  pas  la 
papauté  qui  l'arrêtera,  après  les  désastres  qui  viennent  de  com- 
promettre pour  longtemps  son  prestige  et  ses  forces.  Il  y  a  plus  : 
des  auxiliaires  qu'elle  s'était  donnés  dans  les  périls  de  l'époque 
d'Innocent  III  et  d'Honorius,  cette  papauté  affaiblie  n'a  pas  même 
à  attendre  un  dévouement  sans  défaillances.  Les  Dominicains  lui 
restent  et  lui  resteront  toujours  fidèles.  Mais  les  Franciscains, 
après  l'avoir  trop  souvent  plus  inquiétée  que  servie,  semblent 
justement  alors  vouloir  se  tourner  contre  elle.  Si  l'Eglise,  désa- 
busée de  ses  rêves  superbes  des  premiers  jours,  résolue  à  se  con- 
soler de  sa  chute  à  Avignon  dans  la  possession  et  la  jouissance  des 
biens  terrestres,  a  laissé  tomber,  de  découragement,  l'idéal  de 
vertu  parfaite,  de  justice  absolue,  de  mépris  généreux  de  ce  monde, 
qu'elle  a  si  longtemps  porté  dans  ses  mains  et  proposé  aux 
peuples,  c'est  l'ordre  de  Saint-François  qui  prétend  le  relever. 
Mais  c'est  pour  l'abandonner  en  proie  à  ses  mystiques  sans 
raison,  qui  vont  dissiper  ce  trésor  précieux  dans  d'extravagantes 
rêveries. 

Jamais  changement  aussi  profond  ne  se  sera  fait  plus  vite.  Que 
pouvaient  penser,  il  y  a  cinquante  ans  à  peine,  les  chefs  du  mou- 
A-ement  intellectuel,  dont  l'apogée  est  au  règne  de  saint  Louis,  des 
époques  obscures,  déjà  reculées  de  plus  de  deux  siècles  dans  le 
passé?  Il  faut  que  nous  y  regardions  de  bien  près,  nous  autres 
modernes,  pour  démêler  dans  ce  néant  les  germes  indécis  de  l'ave- 
nir réalisé  plus  tard.  Quant  à  eux,  pour  ces  mêmes  temps,  était- 
ce  de  la  pitié  qu'ils  nourrissaient  ou  du  dédain?  Mais  l'un  et 
l'autre  supposent  la  mémoire  et  bien  certainement  alors  ces  temps- 
là  étaient  oubliés.  Cependant  le  monde  a  marché,  et  tous  ces  doc- 
teurs fameux  de  la  scolastique  se  voient  traités  par  ceux  qui  les 
remplacent,  comme  eux-mêmes  avaient  cru  devoir  traiter  leurs 
prédécesseurs.  En  cent  ans,  car,  du  seuil  du  xiv®  siècle  à  son 
apparition  définitive,  on  ne  saurait  compter  davantage,  l'esprit 
nouveau  a  triomphé,  et,  comme  il  arrive  toujours,  c'est  par  une 
réaction  poussée  jusqu'à  l'aveuglement  qu'il  marque  son  triomphe- 
Charles  MOLINIER. 


MELANGES  ET  DOCUMENTS 


MÉMOIRE  ADRESSÉ  A  LA  DAME  DE  BEAUJEII 

SUR  LES  MOYENS  d'uNIR  LE  DUCHÉ  DE  BRETAGNE 
AU  DOMAINE  DU  ROI  DE  FRANCE 

(1485  ou  1486). 

Au  moment  où  quelques  travaux  récents  ont  attiré  l'attention  du 
public  sur  le  gouvernement  de  la  dame  de  Beaujeu^  et  sur  les  évé- 
nements qui  préparèrent  l'union  de  la  Bretagne  au  domaine  de  la 
couronne  de  îVance^,  on  ne  trouvera  pas  hors  de  propos  la  publi- 
cation d'un  mémoire  adressé  à  la  sœur  de  Charles  VIIT,  par  un  de 
ses  conseillers,  sur  les  moyens  d'assurer  au  roi  la  possession  du 
duché  de  Bretagne. 

J'ai  rencontré  la  copie  de  ce  mémoire  à  Londres,  parmi  les  manus- 
crits du  Musée  britannique,  dans  un  volume  où  une  main  anglaise  a 
transcrit,  au  commencement  duxvi''  siècle,  divers  documents  relatifs 
aux  affaires  politiques  de  la  France,  de  l'Angleterre,  des  Flandres, 
etc.  ^.  Le  texte  commence  et  finit  brusquement,  sans  titre  ni  préam- 
bule et  sans  péroraison  ;  rien  ne  permet  de  décider  s'il  est  complet 
ou  si  nous  n'en  avons  qu'une  copie  tronquée.  Le  manuscrit  ne  four- 

1.  P.  Pélicier,  Essai  sur  le  gouvernement  de  la  dame  de  Beaxijeu  (Chartres, 
1883,  iu-S").  —  Noël  Valois,  le  Conseil  du  roi  et  le  Grand  Conseil  pendant  la 
première  année  du  règne  de  Charles  VIJI,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des 
chartes,  t.  XLIII  et  XLIV,  1882-1883. 

2.  Antoine  Dupuy,  Histoire  de  la  réunion  de  la  Bretagne  à  la  France 
(Paris,  1880,  2  vol.  in-S"). 

3.  Manuscrit  Arundel  26,  f"  11  v°-16  v°.  L'écriture  des  41  premiers  feuillets 
de  ce  manuscrit  paraît  être  des  premières  années  du  xvi°  siècle.  A  partir  du 
folio  42  on  trouve  une  autre  écriture,  qui  peut  être  du  milieu  du  même  siècle. 
Pour  la  liste  des  pièces  contenues  dans  ce  volume,  voy.  Catalogue  of  the 
manuscripts  in  the  British  Muséum,  new  séries,  vol.  I,  part  J  (1834,  in-fol.), 
the  Arundel  Manuscripts,  p.  7. 


276  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

nit  aucune  indication  sur  le  nom  de  l'auteur  el  sur  la  date.  Celle-ci 
peut  toutefois  être  déterminée  approximativement.  Un  rapide  exa- 
men suffit  pour  reconnaître  que  le  mémoire  est  adressé  à  la  sœur  de 
Charles  VIII,  Anne,  dame  de  Beaujeu,  pendant  les  premières  années 
du  règne  de  son  frère.  Les  allusions  qui  y  sont  faites  à  la  révolte  des 
seigneurs  bretons  contre  le  duc  François  II  (1484),  à  leur  fuite  en 
France,  à  leur  raccommodement  avec  le  duc  de  Bretagne,  indiquent 
une  date  postérieure  à  tous  ces  événements,  dont  le  dernier  est  du 
•12  août  ^483.  D'autre  part,  le  document  doit  être  antérieur  au 
■13  mai  i486,  jour  delà  mort  de  la  duchesse  de  Bretagne,  Marguerite 
de  Foix,  femme  du  duc  François  II,  mentionnée  comme  une  per- 
sonne encore  vivante  dans  les  premiers  paragraphes,  et  môme  pro- 
bablement au  8  février  ^486,  époque  d'une  réunion  des  états  de 
Bretagne,  où  la  question  de  la  succession  au  duché  fut  traitée  et  réso- 
lue dans  un  sens  contraire  aux  prétentions  du  roi  de  France,  et 
après  laquelle  les  conseillers  de  celui-ci  n'auraient  pu  conserver  les 
espérances  qui  se  manifestent  ici.  Le  document  qui  va  suivre  a  donc 
été  écrit,  selon  toute  proijabilité,  entre  le  12  août  1485  et  le 
8  février  ^486.  Quant  à  l'auteur,  c'est  un  conseiller  de  la  cou- 
ronne, serviteur  dévoué  de  madame  de  Beaujeu.  11  avait  été  chargé 
de  recevoir  des  seigneurs  bretons  réfugiés  en  France,  à  Saumur,  un 
serment  de  fidélité  au  roi  (probablement  au  moment  de  la  conclusion 
du  traité  de  Montargis,  22-28  octobre  -1484),  puis  d'exiger  d'eux  le 
renouvellement  de  ce  serment,  après  leur  paix  faite  avec  le  duc 
(août  -1485)  et  leur  retour  en  Bretagne,  à  Nantes.  Au  moment  du 
traité  de  Montargis,  c'est  lui  qui  avait  reçu  les  articles  de  l'accord, 
écrits  de  la  main  d'un  des  Bretons,  le  sire  de  Sourdéac,  et  qui  les 
avait  transmis  à  la  cour.  Or,  dans  les  procès- verbaux  des  séances  du 
conseil  du  roi,  moins  de  quinze  jours  avant  le  traité  de  Montargis, 
le-lO  octobre  -1484,  on  voit  mentionnée  une  commission  donnée  à 
deux  membres  du  conseil,  que  le  gouvernement  envoie  pour  conférer 
avec  les  seigneurs  bretons  à  Saumur  :  ce  sont  le  maréchal  Pierre  de 
Rohan,  seigneur  de  Gyé,  et  Adam  Fumée,  maître  des  requêtes'.  II 
est  assez  probable  que  Fauteur  du  mémoire  est  l'un  de  ces  deux 
personnages.  Pour  attribuer  ce  mémoire  avec  certitude  à  l'un  des 
deux,  il  faudrait  savoir  si  l'un  ou  l'autre  fut  chargé,  l'année  suivante, 

1.  «  Copi)ie  de  la  créance  de  inonsur  le  maréchal  de  Gyé  et  de  M"  Adam 
Fumée,  lesquelz  sont  allez  à  Saumur.  C'est  ce  que  le  roy  a  chargé  à  monsur  le 
maréchal  de  Gyé  et  à  maistre  Adam  Fumée  de  dire  à  madame  de  Laval,  à 
monsur  le  prmce  d'Oreuge  et  autres  barons  et  nobles  du  pays  de  Bretaigne...  » 
A.  Dernier,  Procès-  verbaux  des  séances  du  conseil  de  régence  du  roi 
Charles  VIII,  dans,  \à  Collection  de  documents  inédits  [Psivis,  1836,  in-i"),  p.  127. 


MEMOIRE    ADRESSE    A    LA    DAME    DE    BEAUJEU.  277 

d'une  nouvelle  mission,  qui  l'amena  à  Nantes  après  la  rentrée  des 
barons  en  Bretagne  (août  f^S5). 

L'objet  du  mémoire  est  d'indiquer  les  moyens  de  faire  valoir  des 
droits  à  la  succession  de  Bretagne,  que  Charles  VIII  avait  hérités  de 
son  père  et  que  le  gouvernement  royal  venait  de  faire  reconnaître 
par  plusieurs  des  principaux  seigneurs  bretons.  En  -1480,  Louis  XI 
avait  acheté  de  Nicole  de  Blois,  fdle  de  Jean  de  Penthièvre,  et  de  son 
mari  Jean  de  Brosses,  leur  droit  vrai  ou  prétendu  à  succéder  au  duc 
de  Bretagne,  François  II,  si  celui-ci  ne  laissait  pas  de  postérité  mas- 
culine; or,  il  n'avait,  en  effet,  d'autres  enfants  légitimes  que  deux 
fdles.  La  prétention  des  Penthièvre  était  fondée  sur  une  clause  du 
traité  de  Guérande,  conclu  en  ]  363  ;  elle  n'était  pas  reconnue  par 
les  Bretons,  qui  opposaient  au  traité  de  Guérande  une  sentence  de 
déchéance  rendue  par  les  états  de  Bretagne  contre  la  maison  de 
Penthièvre,  en  1420,  et  une  renonciation  de  Jean  de  Bretagne,  comte 
de  Penthièvre,  contenue  dans  une  contre-lettre  remise  au  duc  Fran- 
çois I"  en  1448^.  En  avril  ^ÎS4,  plusieurs  seigneurs  bretons,  tels 
que  le  maréchal  de  Rieux,  le  sire  de  Sourdéac,  etc.,  à  la  suite  d'un 
coup  de  main  tenté  en  vain  par  eux  à  Nantes  contre  le  trésorier 
Pierre  Landois,  ministre  tout-puissant  du  duc  François  II,  avaient 
été  forcés  de  s'exiler  et  de  chercher  un  refuge  en  terre  française,  à 
Ancenis  d'abord,  puis  à  Angers.  Le   gouvernement  royal   s'était 
empressé  de  les  accueillir,  de  leur  promettre  sa  protection,  et  avait 
profité  de  la  circonstance  pour  leur  faire  reconnaître  les  droits  de 
Charles  VIII  à  la  succession  de  François  II  (traité  de  Montargis, 
22-28  octobre  ^484).  Puis,  en  -1485,  un  nouveau  complot  avait 
réussi  à  renverser,  en  Bretagne,  le  trésorier  Pierre  Landois  ;  le  faible 
François  II,  après  avoir  laissé  condamner  et  exécuter  son  ministre, 
avait  rappelé  les  exilés,  par  lettres  du  ^2  août  -1485,  et  leur  avait 
rendu  leurs  charges  et  leurs  biens  confisqués.  Le  maréchal  de  Rieux, 
l'un  des  chefs  des  révoltés,  était  devenu  presque  aussitôt  l'un  de  ses 
conseillers  les  plus  influents 2.  Ainsi,  à  la  fin  de  U8d,  le  pouvoir  se 
trouvait,  en  Bretagne,  entre  les  mains  de  ces  mêmes  seigneurs  qui 
avaient  reconnu.  Tannée  précédente,  les  droits  de  Charles  VIII  à  la 
succession  de  François  II.  Telle  est  la  situation  que  le  conseiller 
d'Anne  de  Beaujeu  propose  à  cette  princesse  d'exploiter,  pour  assurer 
au  roi,  le  plus  tôt  possible  et  au  plus  tard  à  la  mort  du  duc,  la  pos- 
session de  la  Bretagne. 
Le  rédacteur  du  mémoire  ne  se  dissimule  pas  la  difficulté  de 

1.  J'emprunte  le  résumé  de  ces  faits  au  livre  de  M.  Dupuy,  t.  I,  p.  277  et  278. 

2.  Dupuy,  t.  II,  p.  24-83. 


278  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

l'entreprise.  Il  sait  que  l'idée  de  l'annexion  française  est  très 
impopulaire  dans  le  duché,  et  il  craint  que  même  la  bonne  volonté 
des  seigneurs,  en  supposant  qu'elle  se  soutienne,  ne  suffise  pas  à 
assurer  le  succès  du  roi.  Aussi  propose-t-il  successivement  divers 
subterfuges  :  il  parle  tantôt  de  capter  l'appui  de  la  duchesse  de 
Bretagne  et  celui  du  favori  de  François  II,  Jean  de  Ghalon,  prince 
d'Orange,  pour  obtenir  qu'ils  laissent  entrer  une  garnison  française 
au  château  de  Nantes,  tantôt  de  marier  Charles  VIII  avec  Anne,  fille 
aînée  de  François  II  (c'est  le  moyen  qu'on  se  décida  à  employer  plus 
lard  et  qui  réussit)  ;  peut-être  même  pourrait-on,  pense-t-il,  avec 
Faide  du  prince  d^Orange,  obtenir  de  François  II  une  abdication 
immédiate,  qui  permettrait  de  se  saisir  du  duché  sans  attendre  sa 
mort.  Avant  tout,  il  faut  empêcher  les  seigneurs  bretons  d'oublier 
leurs  engagements  envers  le  roi,  leur  rappeler  les  bienfaits  qu'ils  ont 
reçus  de  lui  pendant  leur  exil,  le  serment  qu'ils  ont  fait  de  soutenir 
ses  droits;  il  faut  exiger  d'eux  une  confirmation  formelle  de  leur 
promesse  et  surtout  l'assurance  explicite  qu'aussitôt  le  duc  mort  ils 
remettront  aux  troupes  de  Charles  VIII  les  places  dont  ils  ont  le 
commandement.  Ensuite  viennent  des  conseils  sur  ce  qu'il  faudra 
faire  quand  le  duc  sera  mort.  Dès  que  la  nouvelle  de  son  décès  sera 
arrivée  à  la  cour,  on  devra  se  hâter  d'envoyer  en  Bretagne  une 
ambassade  et  une  armée.  L'ambassade  expliquera  aux  états  de  la 
province  le  droit  du  roi;  si  les  états  font  difficulté  de  reconnaître 
ce  droit,  l'armée  s'avancera  et  sa  présence  suffira  peut-être  à  rame- 
ner les  Bretons  à  Fobéissance,  surtout  si  les  barons  de  Bretagne 
prennent  le  parti  du  roi.  Ici  vient  le  plus  étrange  de  tous  les  avis 
contenus  dans  le  mémoire.  L'auteur  s'avise  que,  si  les  nobles 
bretons  prennent  ouvertement  le  parti  de  Charles  VIII,  le  peuple  de 
la  province  et  leurs  vassaux  même  pourront  considérer  leur  conduite 
comme  une  trahison  et  refuser  de  les  suivre.  Les  barons  devront 
donc  faire  semblant  d'être  contre  le  roi  ;  seulement,  ils  attireront 
l'attention  des  états  sur  les  mesures  à  prendre  pour  soutenir  la 
guerre  qui  ne  pourra  manquer  d'éclater  entre  la  Bretagne  et  la  France, 
et  en  discutant  ces  mesures  ils  feront  de  la  guerre  et  des  dépenses 
qu'elle  entraîne  un  tableau  si  effrayant ,  que  les  Bretons ,  après 
les  avoir  entendus,  se  décideront  d'eux-mêmes  à  céder  au  roi  plutôt 
que  d'en  venir  aux  mains.  Le  mémoire  contient,  tout  préparé 
d'avance,  le  texte  du  discours  que  devrait  adresser  aux  états  celui 
des  barons  qui  consentirait  à  se  charger  de  ce  singulier  rôle.  C'est 
une  longue  énumération,  où  l'orateur  mentionne  successivement 
les  diverses  espèces  de  troupes  qu'il  faudra  lever  et  entretenir,  les 
armes  dont  il  faudra  les  pourvoir,  les  places  où  il  faudra  mettre  gar- 


MEMOIRE   ADRESSE  A   LA   DAME   DE   BEAUJED.  27'.» 

nison,  les  soins  à  prendre  et  les  dépenses  à  faire  pour  ces  divers  objets, 
les  exigences  des  gens  de  guerre  et  la  difficulté  de  se  défendre  du 
pillage,  les  maux  inséparables  de  l'intervention  étrangère,  si 
l'on  appelle  à  l'aide  le  roi  d'Angleterre  (et  l'on  ne  pourra  guère  se 
dispenser  de  l'appeler),  etc.  C'est  le  procédé  de  Scapin,  inspirant  au 
seigneur  Argante  la  terreur  des  procès,  par  l'énumération  des  pièces 
et  actes  de  procédure  à  payer,  des  gens  de  loi  à  satisfaire'.  Le 
morceau  est  curieux  et  piquant  à  lire;  mais  il  est  difficile  de  croire 
qu'un  si  singulier  raffinement  de  ruse  tortueuse  ait  jamais  pu  être 
de  la  bonne  politique. 

Tous  ces  calculs  reposaient  sur  la  supposition  que  les  barons  de 
Bretagne  resteraient  fidèles  aux  engagements  qu'ils  avaient  pris  avec 
le  roi.  Or,  dès  les  premiers  jours  de  février  -1486,  les  barons, 
oubliant  ces  engagements,  adhéraient,  avec  le  reste  des  états  de  la 
province,  à  une  déclaration  solennelle  qui  reconnaissait  les  filles 
du  duc  François  II,  Anne  et  Isabelle,  pour  héritières  du  duché ^. 
Les  combinaisons  savantes  du  conseiller  d'Anne  de  Beaujeu  deve- 
naient ainsi  sans  objet.  Peut-être  trouvera-t-on  pourtant  que  le 
mémoire  oii  il  les  avait  exposées  mérite  encore  d'attirer  quelque 
attention,  à  titre  de  curiosité  historique. 

Julien  Havet. 

Question^.  —  Touchant  mons"'  le  prince'  :  «  Gomme  estes -vous 
avecques  luy  ne  quelle  sûreté  et  amour  avez-vous  avecques  luy?  » 

Responce  a  ce  qu'elle  vous  respondra.  —  «  Il  vous  fault  trouver  moien 
de  gangner  mons'  le  prince  et  que  vous  soiez  bien  seur  de  luy,  affin 
que  se  Dieu  faisoit  son  commandement  du  duc  et  que  les  Bretons  vous 
voulsissent  faire  quelque  force,  qu'il  vous  aidast  a  garder  le  chasteau  de 
Nantes  et  vostre  personne  et  mes  dames  vos^  filles.  » 

Ung  advertissement  a  Ma  Dame.  —  Se  l'on  voit  que  la  duchesse  et 
mons''  le  prince,  ou  mons'  le  prince  seul,  feust  ou  feussent  bien  affec- 
tionez  pour  le  roy,  selon  que  on  verroit  en  eulx,  l'on  pourroit  pratiquer 
que  après  la  mort  du  duc  ilz  pransissent  des  gens  du  roy  pour  tenir  le 

1.  Molière,  les  Fourberies  de  Scapin,  acte  II,  scène  5. 

2.  États  de  Rennes,  8-11  février  1486  :  Morice,  Mémoires  pour  servir  de 
preuves  à  l'histoire  ecclésiastique  et  civile  de  Bretagne  (Paris,  1742-1746, 
3  vol.  in-foL),  t.  III,  col.  500. 

3.  Dans  l'intention  de  l'auteur,  cette  question  doit  être  adressée  par  la  dame 
de  Beaujeu  à  la  duchesse  de  Bretagne,  de  même  que  la  réplique  qui  suit.  Il 
était  donc  question,  seinble-t-il,  d'une  entrevue  entre  les  deux  princesses. 

4.  Jean  de  Chalon,  prince  d'Orange,  neveu  de  François  II  et  l'un  de  ses  prin- 
cipaux favoris  à  partir  d'août  1485  (Dupuy,  l.  II,  p.  23  et  83). 

5.  Manuscrit  :  mes. 


280  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

chasteau  de  Nantes,  sus  les  lissieres  de  Bretaigne,  pour  tout  inconti- 
nent s'en  servir  quant  il  en  seroit  mestier  ;  par  ce  moyen,  s'ilz  les  voul- 
loient  mectre  dedens  le  chasteau  de  Nantes,  le  roy  pourroit  avoir  la 
duchesse  et  ses  filles  et  le  chasteau  et  ville  de  Nantes  et  toute  la 
duchié  de  Bretaigne. 

Aultre  moyen.  —  Si  l'on  congnoissoit  mons"'  le  prince  bien  affectionné 
en  ceste  matière,  et  le  duc  vivroit  longuement,  on  pourroit  praticquer 
avecques  luy  d'abréger  le  terme,  mais  il  fauldroit  praticquer  ceste 
matière  selon  le  temps  et  que  l'on  congnoistroit  de  son  affection. 

Aultre  façon  de  faire.  —  Parler  a  la  duchesse  de  la  venue  du  roy  et 
de  ma  dame  sa  fille  et  luy  remonstrer  comme  le  roy  est  beau  prince  de 
l'aage  de  xvij  ans',  et  que  sa  fille ^  est  belle  fille,  et  que,  quant  ilz  se 
verront,  par  avanture  ce  seroit  cause  de  faire  leur^  appointement  eulx- 
mesmes,  etc. 

S'ensuit  ce  qui  me  semble  que  on  devroit  dire  et  mainctenir  aux  barons 
de  Bretaigne.  —  Premièrement  que  l'entreprinse  qu'ilz  firent  a  Nantes* 
ne  fut  pas  par  l'ordonnance  ne  commandement  du  roy  ne  de  ceuLx  qui 
estoient  les  plus  prochains  de  luy  ne  pour  faire  service  au  roy  no  au 
royaume,  mais  ce  qu'ilz  en  firent  estoit  pour  la  grant  hayne  qu'il[z] 
avoi[en]t  contre  le  trésorier  de  Bretaigne  ;  touteffois,  pource  que  leur 
entreprinse  ne  vint  selon  leur  intcncion,  ilz  furent  constrains  de  estre 
fuytilz  hors  de  la  duché  de  Bretaigne  et  vindrent  a  refuge  au  roy  comme 
a  leur  souverain  s"",  luy  suppliant  qu'il  lay  pleust  de  sa  grâce  tenir  leurs 
personnes  et  leurs  biens  en  sûreté  en  son  royaum[e]. 

Item,  au  moien  de  Ma  Dame  et  de  mous--  de  Beaujeu,  le  roy  les  retint 
et  tint  en  bonne  seurelé  en  son  royaume,  contre  la  vaillance  du  duc  et 
les  grans  princes  et  grans  personnaiges  de  son  royaume. 

Item  manda  a  ceulx  de  la  ville  d'Angers  qu'ilz  les  receussent  et  les 
gardassent  de  tort  et  d'injure  comme  de  sa  personne,  en  façon  que  son 
auctorité  n'y  fcust  point  fouUee. 

Item  le  roy  fut  adverti  que  aucunes  entreprinses  se  faisoient  sur  la 
personne  du  roy  [sic^j.,  envola  des  archiers  de  sa  garde  pour  les  garder 
comme  sa  propre  personne  f'. 

Item,  quant  le  roy  sceut  que  le  duc  raenasoit  de  venir  mectre  le  siège 
a  Ansenis,  il  envoia  incontinent  le  s'  de  Heusse'^  devers  le  duc  luy 
faire  signifûer  que,  s'il  y  venoit  mectre  le  siçge,  il  estoit  délibéré  de 

1.  Charles  VIII,  né  le  30  juin  1470,  n'avait,  entre  août  1485  et  février  1486, 
que  quinze  ans  accomplis  ou  seize  ans  commencés. 

2.  Anne  de  Bretagne,  née  le  26  janvier  1477. 

3.  Manuscrits  :  leurs. 

4.  Contre  le  trésorier  Pierre  Landois,  le  7  avril  1484  (Dupuy,  t.  II,  p.  24). 

5.  Il  faut  évidemment  entendre  :  sur  la  personne  des  barons. 

6.  Sur  cette  tentative  contre  les  réfugiés  bretons  à  Angers,  voy.  Dupuy,  t.  II, 
p.  34  et  35. 

7.  M.  de  la  Heuse  :  Bernier,  Procès-verbaux,  p.  52. 


MEMOIRE  ADRESSÉ  A    LA   DAME   DE    BEAUJEU.  281 

secourir  les  barons ^  de  Bretaigne,  en  façon  que  son  auctorité  et  souve- 
raineté y  seroit  gardée. 

Item  envola  le  roy  devers  lesd.  barons  leur  dire  que  si  le  duc  leur 
couroit  sus,  qu'ilz  ne  se  souciassent  de  riens  et  qu'il  les  aideroit  et 
secourroit. 

Item,  pour  celle  cause,  manda  le  roy  venir  mons""  de  Comynge  a 
Angers  et  luy  manda  qu'il  fist  tirer  celle  part  des  gens  d'armes  de  sa 
compagnie,  ceulx  de  mons""  de  Labret,  coulx  de  mess^  Gracien  de  Gare 
et  d'autres,  et  luy  manda  que  si  le  duc  venoit  mectre  le  siège  a  Ance- 
nys,  qu'il  aidast  et  secourust  aux  barons,  et  pour  lad.  cause  vint  le 
s<=  de  Comynge  a  Angiers. 

Item,  quelque  requeste  que  le  roy  jamais  ait  eu  du  duc  et  de  presque 
tous  les  princes  de  son  royaume  et  d'autres  grans  personnaiges  de  son 
conseil  que  de  sa  chambre,  jamès  ne  voullut  entendre  a  les  remectre 
entre  les  mains  du  duc. 

Item,  ce  temps  pendant  qu'ilz  ont  demouré  pardeça,  le  roy,  pour  leur 
entretencment,  par  fourme  de  pension  et  estât  de  luy,  leur  donnoit 
tous  les  ans  xxv  ou  xxx  mille  frans  ^. 

Item,  par  voye  de  fait  et  de  faveur  et  de  aide,  le  roy  les  a  renduz  a  la 
duché  de  Bretaigne,  au  recouvrement  de  leurs  auctoritez,  a  leurs  hon- 
neurs de  leur  maisons  et  heritaiges,  et  oncques  puys  en  ça,  eulx  estans 
en  leurs  maisons  et  heritaiges,  leurs  a  tousjours  fait  des  biens  et  donné 
pensions. 

Item  leur  ramentevoir  leurs  sermens  qu'ilz  me  hrent  a  Saumur. 

Item  leur  ramentevoir  la  ratifficacion  du  serment  qu'ilz  me  firent  a 
Nantes,  eulx  estans  a  leur  franc  et  libéral  arbitre. 

Item  leur  faire  et  remonstrer  que  s'ilz  veuUent  bien  recongnoistre 
les  biens  et  les  honneurs  que  le  roy  leur  a  faiz,  qu'ilz  congnoistront 
entièrement  qu'ilz  tiennent  leur  vie  et  leur  honneur  et  leur  bien  de  luy. 

Item  leur  ramentevoir  que  tout  incontinent  que  Dieu  aura  faict  son 
commandement  du  duc,  que  le  roy  est  délibéré  de  leur  tenir  de  point 
en  point  les  articles  et  escriptures  escriptes  de  la  main  de  mons''  de 
Sourdiac  en  Saumur,  lesquelz  ilz  rne  baillèrent  et  les  baillé  au  roy  ^. 

Item  de  savoir  d'eulx  s'ilz  ne  sont  pas  délibérez  de  luy  tenir  les  ser- 
mens qu'ilz  ont  faiz,  et  que  tout  incontinent  que  le  duc  sera  mort,  si 
leur  intencion  n'est  pas  de  mectre  leur  personnes,  leurs  places  et  leurs 
biens  entre  les  mains  du  roy  et  tout  incontinent  se  declare[r]  pour  luy 
et  se  mectre  en  son  obéissance,  et  que  s'ilz  le  veullent  faire  ainsi,  le 
roy  leur  entretiendra  de  son  costé  ce  qu'ilz  me  baillèrent  par  escript 


1.  Manuscrit  :  de  le  secourir  les  barons. 

2.  Voir  les  comptes  des  pensions  payées  par  le  gouvernement  français  aux 
nobles  de  Bretagne»  dans  Leroux  de  Lincy,  Vie  de  la  reine  Anne  de  Bretagne 
(Paris,  1860-1861,  4  vol.  in-8°),  t.  III,  p.  188  et  suivantes. 

3.  Cf.  Godefroy,  Histoire  de  Charles  VIII,  roy  de  France,  par  Guillaume  de 
Jaligny,  etc.  (Paris,  1684,  in-fol.),  p.  458. 


282  MELANGES  ET  DOCUMENTS. 

pour  porter  au  roy,  escript  de  la  main  de  mons'"  de  Sourdiac,  quelle 
chose  je  baillé  au  roy  a  Abbleville'. 

S' Hz  respondent  en  gênerai.,  comment  il:-  ont  accoustumé  de  faire.,  qu'ilz 
tiendront  au  roy  ce  qu'il  luy  ont  promis.  —  Leur  remonstrer  que  après 
le  décès  du  duc,  que  le  roy  est  vray  héritier  de  la  duché  de  Bretaigne, 
et  que  véritablement  il  est  adverty  par  gens  de  bien,  tant  Bretons 
que  autres,  que  la  contre-lettre  que  l'on  dit  est  une  faulceté,  i'aicte  par 
Olivier  de  Coetlogon,  lequel  estoit  ung  faulsaire^,  et,  pource  que  le  roy 
est  seur  d'avoir  le  vray  droict  en  ceste  duché  de  Bretaigne  après  le 
décès  du  duc,  iP  veult  savoir  d'eulx  s'ilz  sont  délibérez  de  tenir  leur 
sermens  ou  nom. 

Item  leur  dire  que  le  roy  ne  '*  demande  que  la  force,  l'auctorité  et 
la  souveraineté  de  la  duché  de  Bretaigne,  et  que  entant  que  les 
offices,  les  places  et  les  gens  d'armes  demeurent  entre  les  mains  d'iceulx 
du  pays  et  que,  au  regard  des  deniers,  qu'il  veult  qu'ilz  soient  distri- 
buez au  prouffit  du  pays,  tant  aux  pensions  que  aux  reparacions  des 
places  que  aultres  affaires  qui  pourroient  survenir  aud.  pays,  et  qu'il 
est  délibéré  de  les  entretenir  es  droictz,  prééminences  et  previlleiges 
dud.  pays,  tout  ainsi  que  les  ducs  ont  accoustumé  de  faire,  et  encore 
leur  faire  mieulx,  et  que  son  intencion  est  de  faire  tant  de  bien  a  tout 
le  pays  qu'ilz  auront  cause  de  perpétuellement  de  prier  Dieu  pour  le 
roy,  et  que  des  offices,  pensions  et  bientïaiz  de  luy  il  a  bien  espérance 
de  leur  en  départir  largement,  tant  que  par  raison  ilz  en  devroient  estre 
bien  contens  de  luy  ;  et  leur  prier  que  ilz  se  délibèrent  de  franchement 
et  liberallement,  sans  contraincte  de  force,  de  se  mectre  entre  les  mains 
du  roy,  ainsi  que  la  raison  le  porte,  car  il  est  vray  héritier  de  la  duché 

1.  11  no  peut  i^lre  question  d'Abbeville  en  Picardie.  Charles  VIII  ue  fit  aucun 
séjour  dans  celte  ville  ni  aux  environs  pendant  l'année  1484  [Itinéraire  de 
Charles  VJII,  de  1483  à  1491,  dans  le  livre  de  M.  Pélicier,  p.  285-308).  Le  fait 
mentionné  ici  dut  avoir  lieu  peu  avant  le  traité  de  Montargis  (22-28  octobre 
1484).  Or,  pondant  la  première  quinzaine  de  septembre,  le  roi  séjourna,  selon 
M.  Pélicier,  à  Paris  et  à  Vincennes;  il  était  encore  à  Paris  le  16;  à  Bois-Males- 
berbes,  le  23;  à  Montargis,  à  i)artir  du  29.  Peut-être  s'agit-il  ici  du  village 
d'Abbeville,  Seine-et-Oise,  arrondissement  d'Étampes,  canton  de  Méréville. 

2.  Voir  cette  contre-lettre,  en  date  du  24  juin  1448,  signée  :  Jehan  de 
Bretaigne,  Olivier  de  Coetlogon,  dans  Morice,  Mémoires,  t.  II,  col.  1424.  En  ce 
même  jour  avaient  été  passés  :  un  traité  par  lequel  Jean  de  Bretagne,  comte  de 
Pentbièvre,  renonçait  à  ses  droits  de  succession  au  duché;  une  lettre  ostensible 
de  François  I",  duc  de  Bretagne,  qui  lui  rendait  les  droits  auxquels  il  venait 
de  renoncer;  et  la  contre-lettre  secrète  en  question,  par  laquelle  Jean  de  Bre- 
tagne renonçait  de  nouveau  aux  droits  que  le  duc  lui  rendait  par  la  lettre 
ostensible.  Le  gouvernement  royal  pouvait  soutenir,  non  sans  apparence  de  rai- 
son, qu'il  y  avait  quelque  chose  de  suspect  dans  celte  combinaison  singulière. 
—  Olivier  de  Coetlogon  était  secrétaire  du  duc  François  P' ;  un  grand  nombre 
de  lettres  de  ce  duc  sont  contresignées  par  lui. 

3.  Manuscrit  :  le  deces  duc  duc  ilz. 

4.  Manuscrit  :  le  royaume. 


MEMOIRE    ADRESSE    A    LA   DAME    DE    BEAUJEU.  2S3 

de  Bretaigne  et  leur  s""  naturel  après  la  mort  du  duc,  ainsi  qu'ilz  le 
peuvent  <  veoir  et  congnoistre  ;  et  que,  au  regarde  de  la  contre-lettre 
qu'ilz  pourroient  dire  qui  fut  contre  le  droit  du  roy,  il  n'est  pas  a  ce 
acroire  que  vouUentiers,  sans  nulle  constraincte,  l'on  quiestat  ung  tel 
droit  que  d'une  duchié  de  Bretaigne,  sans  nulle  recompence,  et  que 
c'est  une  afTection  mauvaise  controuvee  contre  Dieu  et  raison  ;  et  pource 
leur  prier  qu'ilz  obéissent  au  roy  comme  a  leur  s''  naturel  et  droicturier 
après  le  décès  du  duc. 

Item  savoir  a  mons"-  de  Reux^  si,  après  la  mort  du  duc,  il  est  déli- 
béré de  se  déclarer  de  servir  le  roy,  comme  il  a  promis  et  juré;  si  son 
intencion  n'est  pas  de  mectre  sa  place  d'Ancenys  entre  les  mains  du 
roy,  le  cas  avenu. 

Item,  semblablement,  a  ma  dame  de  Laval  3,  et  si  elle  ne  mectra  pas 
Ghasteau  Brian  entre  les  mains  du  roy,  tout  incontinent  que  le  duc  sera 
mort. 

S'ensuit  ce  que  le  roy  doibt  faire  tout  incontinent  que  le  duc  sera  mort. 
—  Envoler  une  grosse  ambassade,  pourveue  de  bons,  grans  et  notables 
personnaiges,  devers  les  estatz  de  Bretaigne,  et  sur  ce  des  gens  d'armes 
quant  et  quant  et  bien  tost  après,  pour  eu  user  et  s'en  servir  ainsi  que 
l'on  verroit  qu'il  seroit  neccessaire,  et  par  lesd.  ambassadeurs  faire 
remonstrer  aux  estatz  du  pays  le  droit  que  le  roy  a  en  ceste  duché,  et 
leur  prier  qu'ilz  y  vueillent  recevoir  et  obéir  comme  a  leur  droicturier 
et  naturel  s"",  et  que  en  ce  faisant  il  les  entretiendra  en  leurs  droictz, 
prééminences  et  preveilleiges  du  pays,  et  a  espérance  de  les  traicter 
mieulx  que  nulz  des  ducz  de  Bretaigne  n'ont  fait  parcy  devant,  et  telle- 
ment qu'il  espère  de  leur  tenir  si  bons  termes  qu'ilz  auront  cause  de 
perpétuellement  prier  Dieu  pour  luy. 

Cecy  remonstré  par  le  roy,  les  Bretons  feront  monstre  d'une  contre- 
lectre,  quelle  contredit  au  droit  du  roy,  et  d'un  traictié  qui  fut  faict  au 
temps  de  la  duchesse  Jehanne';  et,  par  lad.  lectre,  leurs  raisons  et 
autres  choses,  vous  remonstreront  tout  le  droict  du  roy  et  vous  voul- 
dront  remonstrer  par  leurs  raisons  que  le  roy  n'a  nul  droict  en  ceste 
duchié. 

Sur  ceste  contradicion  on  leur  pourra  faire  responcc  telle.  —  «  Mess", 
vous  avez  ouy  et  vous  avons  remonstré  le  droict  que  le  roy  a  en  ceste 
duché,  ainsi  comme  il  est  bien  délibéré  que  en  luy  obéissant  au  bon 


1.  Manuscrit  :  peult. 

2.  Jean,  seigneur  de  Rieux,  d'Ancenis,  etc.,  maréchal  de  Bretagne. 

3.  Françoise  de  Dinan,  femme  de  Gui  XIV,  comte  de  Laval,  dame  de  Châ- 
teaubriant. 

4.  On  trouve  dans  Morice,  Mémoires,  t.  II,  col.  701,  un  traité  conclu  le 
l'"'  janvier  liOO,  entre  la  duchesse  de  Bretagne,  Jeanne,  veuve  de  Jean  IV, 
régente  pendant  la  minorité  de  son  îils  Jean  V,  et  le  comte  de  Penthièvre  et 
d'autres  seigneurs;  mais  il  n'y  est  rien  réglé  au  sujet  de  la  succession  auduché. 


284  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

droit  qu'il  y  a,  de  vous  entretenir  voz  droitz,  prééminences  et  preveil- 
leiges  et  de  bien  vous  traictier  et  tenir  bons  termes. 

n  Mess's,  les  contradictions  que  vous  faictes  au  droit  du  roy,  a  cause 
d'une  contre-lectre  et  d'autres  raisons,  sont  fondées  sur  mauvaise  rai- 
son, carie  roy  est  véritablement  adverty  par  aucuns  grans  personnaiges 
de  Bretaigne  que  Olivier  de  Coetlogan  estoit  ung  faulsaire  et  fist  trois 
faulcetez  de  trois  lettres,  l'une  pour  une^  archidiaconé,  l'autre  d'une 
aultre  chose,  et  lad.  contre-lectre  que  vous  avez  monstree  et  alléguée  ; 
et  aussi  il  est  tout  évident  que  ung  homme  raisonnable,  qui  seroit  en 
son  franc  et  libéral  arbitre,  ne  quicteroit  ne  ne  renonceroit  a  une  si  belle 
seigneurie  comme  une  duché  de  Bretaigne,  et  mesmement  sans  en 
avoir  recompense. 

«  Mess""»,  puys  que  le  duc  est  mort  sans  hoir  masle  procret  de  luy  en 
droicte  ligne,  soiez  seur  que  le  roy  est  le  vray  s""  de  ceste  duché  de 
Bretaigne,  et  pource  il  vous  prie  derechief  et  vous  some  que  vous  le 
vueillez  reccpvoir  et  obéir  et  mectre  en  possession  de  ceste  duché,  qui 
est  a  luy,  et  le  recepvoir  comme  vostre  naturel  et  droicturier  s"",  et  en 
ce  faisant  il  est  délibéré  de  vous  tenir  les  choses  que  je  vous  ay  dictes 
et  déclarées,  et  si  vous  vouliez  faire  le  contraire  et  vous  mectre  de  vostre 
droit  a  vostre  tort,  le  roy  vous  déclare  qu'il  n'est  pas  délibéré  de  laisser 
couller  le  bon  droit  qu'il  a  en  ceste  duché,  qui  est  son  vray  heritaige, 
fors  ainsi  qu'il  sera  conseillé  par  mess"  de  son  conseil  et  des  estatz  de 
son  royaume.  » 

Item,  sur  cecy,  face  marcher  gens  d'armes  de  tous  costez,  pour  les 
exploicter  ainsi  qu'il  en  sera  neccessité. 

Or,  ne  sçay-on,  les  barons  de  Bretaigne  pourroient  servir  le  roy,  s'ilz 
^^'oient  voulenté  de  ce  faire,  trop  mieulx  que  si  declairoient  pour  le 
roy  tout  incontinent  que  le  duc  sera  mort;  car,  s'ilz  se  declaroient  pour 
luy  publicquement,  peult  estre  que  ceulx  du  pais,  mesmement  leurs 
subgectz  et  serviteurs,  ne  les  vouldroient  pas  suyvre  ne  servir  en  leur 
voulenté  en  la  querelle  du  roy  ne  faire  tout  ce  qu'ilz  vouldroient  bien 
qu'ilz  feissent. 

S'ensuit  ce  que  les  barons  de  Bretaigne  pourront,  après  avoir  ouy  les 
ambassadeurs  du  roy^  dire  aux  estatz  du  pays,  et  principallement  nions' 
de  Laval  ou  mons^  de  Reux  encore  myeulx.  —  «  Mess""',  vous  avez  ouy  ce 
que  rness''*  les  ambassadeurs  du  roy  ont  dit  et  déclaré  en  la  présence 
de  tous  nous,  aussi  la  responce  et^  la  contradiction  que  en  leur  a  faicte, 
et  après  la  responce  avez  entendu  la  replicque  et  sommacion  que  il  nous 
ont  faicte  de  obéir  au  roy  comme  a  nostre  droicturier  s""  naturel,  et  que 
autrement  il  y  pourvoira  ainsi  que  il  sera  conseillé  de  faire  par  mess''^ 
de  son  sang  et  de  son  conseil  et  par  les  estatz  de  son  royaume. 

('  Mess''^^,    il  y  a  long   temps   que  j'ay   ouy   dire   au   duc,  dont 

1.  Manuscrit  :  pour  une  pour. 

2.  Manuscrit  :  est. 

3.  Cet  alinéa  est  intitulé,  dans  le  manuscrit  :  Responce,  et  le  suivant  :  Res- 


MEMOIRE    ADRESSE    A    LA    DAME    DE    BEAUJEL'.  285 

Dieu  ait  l'ame  !  que  les  roys  de  France  avoient  une  merveilleuse 
envye  d'avoir  uny  ceste  duché  à  la  couronne,  touteffois,  quelque  bon 
droict  que  nous  pensions  avoir  (il  n'y  eust  jamès  roy  de  France  qui 
nous  en  querelast),  si  cestuy-cy  nous  querelle  a  cause  de  l'aquisicion 
que  son  feu  père  fist  du  droict  que  pourroient  avoir  ceulx  de  la  maison 
de  Panthevre  en  ceste  duché ',  toutes  les  fois  que  les  ducz  deccderoient 
sans  hoir  masle  procréez  d'eulx  en  droicte  ligne,  cesto  question  du  roy 
et  de  nous  si  viendroil  par  la  justice  de  Bretaigne,  a  ce  que  j'ay  ouy 
dire  et  déclarer  a  mons''  le  chancellier,  nous  aurions  bon  droit,  mais, 
a  ce  que  je  voy,  ceste  question  s'en  viendra  a  l'espee  et  non  autrement. 

«  Mess''s,  vous  voiez  comment  le  roy  fait  mandement  gênerai  par 
tout  son  royaume  que  tous  ces  gens  se  mectent  en  armes  pour 
le  servir  a  voir  et  garder  le  droit  qu'il  a  en  ceste  duché,  et  par 
tout  fait  remonstrer  le  droit  qu'il  a,  et  ne  fait  nulle  double  que  tous 
les  estas  du  royaume  ne  luy  baillent  argent  et  gens  tant  qu'il  leur 
en  vouldra  demander  pour  cuyder  avoir  ceste  duché  unie  avecques 
le  royaume,  et  pource  il  fault  vous  délibérer  de  luy  résister  par  force 
d'armes,  ou  de  luy  obeyr  a  la  somacion  que  il  vous  a  faicte,  ou  de 
envoler  une  grande  ambassade  et  de  grans  personnaiges  devers  luy  pour 
luy  faire  responce  et  pour  veoir  se  on  pourroit  trouver  bonne  expedicion 
en  ceste  matière. 

«  Tant  que  touche  la  force,  il  nous  fault  veoir  et  congnoistre  quelle 
nous  l'avons  et  quel  nombre  de  gens  d'armes,  gens  armés  d'armes 
blanches,  quel  nombre  de  gens  de  traict,  archiers,  arbalestriers,  coule- 
vriniers,  canonniers,  quel  nombre  de  gens  armez  de  brigandynes  et 
jacquez  et  d'autre  habillement,  pour  nous  servir  au  faict  de  la  guerre, 
gentilz  hommes  et  autres,  nous  pourrions  trouver  et  finer,  qui  sont 
gens  pour  emploier  pour  excister  le  mestier  de  la  guerre. 

«  Il  fault  que  nous  congnoissons  comment  noz  places  sont  fortiffiees 
de  murailles,  de  tours,  de  fosses  et  de  faulces  vrayes  (?),  de  moyaulx, 
de  bouletz  et  de  choses  neccessaires  pour  fortifiier  places,  selon  le  lieu 
de  leur  assiete. 

«  Il  fault  veoir  comment  noz  places  sont  pourveues  de  vivres,  d'artil- 
lerie et  de  pouldre,  d'arbalestres,  de  trait,  de  vonges  et  d'autres  choses 
a  fortiffier  places. 

«  Il  fault  que  nous  saichons  quel  nombre  de  places  nous  avons  qui 
nous  soient  neccessaires  d'estre  pourveuz  de  gens  de  guerre  et  de  garni- 
sons, si  cas  est  que  nous  ayons  la  guerre,  et  quel  nombre  il  nous  en 
fault  pour  les  pourveoir,  et  quelles  gens  nous  sont  plus  neccessaires 


ponce  des  ambassadeurs.  Ces  titres  paraissent  avoir  été  ajoutés  à  tort.  Nous 
avons  là  un  seul  discours  suivi. 

1.  Voy.  ci-dessus.  La  cession  des  droits  de  la  maison  de  Penthièvre  ou  de 
Blois  au  roi  de  France,  faite  en  1480  (Morice,  Mémoires,  t.  III,  col.  343),  fut 
renouvelée  par  Nicole  de  Blois,  veuve  de  Jean  de  Brosses,  en  octobre  1485 
(ibid.,  t.  III,  p.  48G). 


286  MELANGES  ET  DOCUMENTS. 

pour  ce  faire,  comme,  des  hommes  d'armes,  des  plus  mal  montez  et  les 
plus  mal  armez;  et  ceulx  qui  sont  mieulx,  pour  travailler  et  pour  tenir 
les  champs  ;  de  gens  de  traict,  les  arbalestriers,  les  coulevriniers,  les 
canonniers;  et  après  que  aurons  veu  quel  nombre  il  nous  en  fault  pour 
garder  noz  places,  il  nous  fault  veoir  quel  nombre  il  nous  fault  pour 
garder  les  champ[s],  pour  secourir  noz  places  et  pour  combatre,  se  mes- 
tier  en  est. 

«  Il  nous  fault  veoir  lestât  de  noz  finances  et  quelle  charge  nous 
povons  porter,  et  comme  nostre  artillerie  est  montée  et  pourveue  de  ce 
qui  est  neccessaire,  pour  nous  en  aider  et  garder  que  noz  places  ne 
soient  prinses  par  trahison,  cautelles  et  mauvaistiez. 

«  Item  nous  fault  veoir  les  antr[e]es  de  nostre  pays,  par  la  ou  le  roy 
nous  pourroit  plus  porter  de  préjudice  si  nous  fait  la  guerre,  pour  y 
pourveoir  au  mieulx  que  nous  pourrons. 

«  Il  nous  fault  veoir  l'endroit  et  le  lieu  qui  nous  sera  plus  seur  et 
plus  prouffitable  d'assembler  nostre  ost  et  nos  gens,  et  penser  quelle 
ordre,  quelle  poUice,  quelle  justice  nous  tiendrons  contre  l'ost,  et  noz 
vivres,  et  conduire  nos  gens  par  pays;  comment,  au  partir  de  nostre 
logis,  en  chevauchant,  a  prandre  champ  avantageux  pour  combattre  et 
ordonner  noz  batailles  ;  a  nous  loger,  a  fortiffier  nostre  logis,  a  prandre 
place  avantageuse  pour  combatre;  a  sonier  noz  gens,  noz  escouttes,  et 
envoler  noz  chevaulcheurs  sur  les  champs  par  le  pays  et  sur  les  pas- 
saiges,  affin  que  nous  ne  soions  prins  au  despourveu. 

«  Il  nous  fault  veoir  quelles  gens  nous  avons  pour  faire  noz  chiefz  de 
guerre,  car  tous  bons  chiefz  de  guerre  doivent  estre  bons  et  vertueulx 
envers  Dieu,  saiges,  dilligens  en  armes,  bien  atrempez  et  expers  en 
faitz  d'armes  de  la  guerre  ;  nous  debvons  bien  prandre  garde  de  noz 
personnes  et  avoir  gens  bons  et  loyaux  autour  de  nous  et  debvons  bien 
entretenir  les  grans  gens  de  nostre  pays,  les  villes  et  le  peuple,  affin 
que  si  nous  en  avyons  a  besongner,  qui  nous  servist  de  meilleur  cueur, 
de  meilleure  arîection  et  de  meilleure  voulenté. 

«  Mess''^  si  le  roy  nous  court  sus  et  qu'il  nous  face  la  guerre,  nous 
serons  assailliz  de  tous  costez,  et  par  mer  de  navyres  de  guerres  qu'il  a 
en  Normendie  ;  par  terre,  par  la  Normendie,  par  le  Mens,  par  Poitu, 
par  Anjou  ;  par  quoy  nous  seroit  neccessité  pourveoir  a  noz  navires  de 
mer,  aux  places  qui  sont  sur  la  mer,  comme  Sainct  Malo,  Gouez(?), 
Orest  ^  ;  du  cousté  de  la  Normandie,  Doul  ^^  qui  est  grande  ville  et  feble, 
mais  qui  laprandroit  elle  nous  porteroit  grant  préjudice,  Dignan,  Chas- 
teau  Neuf,  Fougieres,  d'autre  costé  Victery,  Ghasteaubriam  et  Anche- 
nys,  Gliçon^  et  le  pais  de  Gliçonnois,  et  de  Globeres  (?),  Nantes,  qui  est 
très  neccessaire  '  d'estre  bien  gardé  et  pou[r]veu,  et  pour  ce,  qu'il  nous 

1.  Auray  (Morbihan),  ou  Brest? 

2.  Dol  (llle-et-Vilaine). 

3.  Dinaii  (Cotes-du-Nord) ,  Chàteauneuf-en-Brelagne,  Fougères,  Vitré  (lile-el- 
Vilalae),  Chàteaubriant,  Anceuis,  Clisson  (Loire-Inférieure). 

'i.  Manuscrit  :  tresnessesant . 


MÉMOIRE   ADRESSÉ   A    LA    DAME    DE    P.EAUJEU.  287 

fault  veoir  quel  nombre  de  gens  et  d'autres  choses  noccessaires  pour 
pourveoir  noz  places.  » 

Sur  cela,  debatre  et  savoir  quel  nombre  de  gens  il  leur  fault  pour  pour- 
veoir leurs  places  et  après  adviser  quel  nombre  il  leur  en  demeure  pour 
tenir  les  champs  et  leur  remonstrer  ce  qu'il  s'ensuit  : 

«  Mess''%  vous  voiez  le  nombre  des  gens  qu'il  nous  fault  pour  garder 
noz  places  et  voiez  ce  qu'il  nous  en  demeure  pour  tenir  les  champs  et 
pour  combatre,  qui  n'est  pas  nombre  ne  puissance  pour  résister  contre 
le  roy,  parquoy,  si  nous  voulions  mainctenir  la  guerre  contre  le  roy,  il 
nous  fault  aider  d'autre  puissance  que  la  notre. 

«  Le  feu  duc^,  qui  fut  ung  prince  saige,  obey,  craynct  et  doubté,  et 
se  aida  tousjours  d'Angleterre  et  d'Espaigne  et  du  duc  de  Bourgongne, 
et  du  temps  que  le  duc  de  Bourgongne  fut  avecques  la  plus  grant  partie 
de  Tarmee  du  roy  estoit  encores  en  ce  temps  puissante  qu'il  eut  jamais 
devant  Beauvais  ne  a  la  plus  grant  partie  de  l'armée  du  roy  estoit  encorss 
en  ce  temps  la  a  Ancenys,  le  roy  print  Ancenys  et  la  Guyerche  sus 
nous,  le  duc  ne  se  fia  pas  en  sa  puissance,  mais  eut  des  Anglois 
avecques  nous,  commes  vous  vistes  par  expérience  a  Marceilly,  quant 
nous  y  fusmes,  nous  ne  pourions  avoir  secours  qu'il  nous  feust  proufii- 
table  que  des  Anglois;  ne  ne  sçay-  si  nous  l'aurions  aisément,  car  le 
roy  a  fait  ce  roy  d'Angleterre  roy  3;  et  quant  ainsi  seroit  qu'il  nous 
vouldroit  secourir,  il  est  a  présumer  qu'il  vouldroit  avoir  de  nous  meil- 
leurs gaiges  que  la  foy,  et  pays  et  places  entre  ses  mains  pour  la  seureté 
de  luy  et  de  ses  gens. 

«  Si  nous  nous  aidons  d'autre  puissance  que  de  la  nostre,  il  fauldroit 
qui  se  fist  autre  charge  que  noz  places  (?)  ou  autrement  les  palans  et 
soubdoyans  a  noz  fraiz,  mises  et  despens. 

«  Il  fault  que  nous  paions  et  souldoyons  tous  les  gens  que  nous  mec- 
trons  en  garnisons  dedens  noz  places,  ou  aultrement  ilz  seront  cons- 
trains  de  piller  et  de  mal  vivre,  parquoy  ceulx  des  villes  et  des  places 
se  pourroient  mectre  contre  nous. 

«  Il  fault  que  nos  gens  qui  seront  sur  les  champs  soient  paiez  et  soul- 
doiez  ou  autrement  nous  mectrions  la  pillerie  au  pays,  parquoy  noz 
deniers  et  noz  finances  fauldront;  nous  aurons  d'autre  costé  a  porter  les 
charges  du  roy,  qui  nous  court  sus  de  tous  costez,  parquoy  noz  finances 
s'en  diminuront,  etc.  {sic).  » 

1.  Les  phrases  suivantes  sont  peu  intelligibles  et  évidemment  défigurées  par 
le  copiste;  elles  paraissent  l'aire  allusion  aux  événements  de  1468  :  voy.  Tail- 
landier, Histoire  eccl.  et  civ.  de  Bretagne,  1. 11  (Paris,  1756,  in-fol.),  p.  106  el  107. 

2.  Manuscrit  :  ne  ne  scay  ne  ne  scay. 

3.  Henri  VII,  qui  vainquit  Richard  III  à  Bosworth,  le  22  août  1485,  avait 
reçu  des  subsides  du  roi  de  France. 


288  MELANGES    ET    DOCDMEIVTS. 

L'ARMEMENT  DES  NOBLES  ET  DES  BOURGEOIS 

AU   XVII^   SIÈCLE 

DANS  LA  CHAMPAGNE  MÉRIDIONALE. 
I. 

Il  n^est  pas  indifTérenl  de  savoir  comment  les  membres  des  diverses 
classes  de  la  société  étaient  armés  aux  difTérentes  époques  de  notre 
histoire.  L'armement  des  individus  indique  le  degré  de  civilisation 
et  de  sécurité  dont  ils  jouissent;  il  peut  être  aussi  l'indice  de  leur 
état  social  et  politique.  Quand  les  lois  générales  sont  impuissantes  à 
garantir  le  droit  particulier,  IMndividu  doit  se  munir  d'armes  suffi- 
santes pour  le  faire  respecter;  le  jour  où  la  loi  devient  protectrice 
pour  tous,  il  rejette  les  armes  comme  un  fardeau  inutile  et  ne  les 
considère  plus  que  comme  un  ornement  ou  une  marque  de  distinc- 
tion. 

Au  moyen  âge,  le  droit  de  porter  les  armes  fut  un  privilège  ;  les 
classes  supérieures,  dans  la  noblesse  comme  dans  la  bourgeoisie, 
regardaient  ce  privilège  comme  la  plus  sûre  garantie  de  leur  autorité. 
Au  xvii"  siècle,  lorsque  Richelieu  s'efforra  d'abaisser  la  noblesse, 
lorsqu'il  voulut  restreindre  les  droits  des  bourgeois  des  villes,  il  les 
trouva  encore  armés;  quelques  châteaux,  presque  toutes  les  villes 
avaient  encore  leur  arsenal;  les  murailles  des  uns  et  des  autres 
étaient  pour  la  plupart  debout,  et  l'on  vit  encore  en  France  des  villes 
soutenir  des  sièges  contre  les  armées  royales. 

Chaque  possesseur  de  lief,  on  le  sait,  pouvait  être  appelé,  non 
seulement  à  se  rendre,  en  armes,  à  l'appel  du  roi,  lors  des  convoca- 
tions du  ban  et  de  l'arrière-ban;  il  pouvait  être  contraint  de  fournir 
un  ou  plusieurs  hommes  armés.  Une  ordonnance  de  U)39  enjoint 
«  à  tous  gentilshommes  et  autres  subjects  au  ban  et  à  l'arrière  ban 
à  fournir  un  homme  de  cheval,  à  armer  et  soldoyer  deux  hommes 
de  pied.  «  Les  deux  tiers  de  ces  hommes  devaient  être  «  armés  de 
mousquets  garnis  de  leurs  bandolières  et  [le]  surplus  de  picques, 
corseletz  et  hausse-colz,  et  chacun  de  l'espée  avec  son  baudrier  et 
seroin'.  » 

1.  Registres  des  mandements  du  roi  enregistrés  au  bailliage  de  Troyes,  VI, 
fol.  54. 


L  ARMEMENT    DES    NOBLES    ET    DES    BOURGEOIS   AU    XVII^   S.  289 

La  puissance  d'un  seigneur  pouvait  se  mesurer  à  la  quantité 
d'armes  qu'il  possédait.  G'est  ainsi  que  le  connétable  de  Lesdiguières 
aurait  amassé  dans  son  vaste  château  de  Vizille  «  dix  mille  mous- 
quets, six  cents  cuirasses,  plus  de  deux  mille  piques  et  le  restée  » 
Les  seigneurs  de  la  Champagne  n'auraient  pu  montrer  des  arsenaux 
aussi  bien  garnis;  cependant  quelques-uns  d'entre  eux  pouvaient 
armer  toute  une  compagnie  d'hommes  d'armes.  Tel  était  Charles  de 
Villemor,  seigneur  de  Saint-Sépulcre  :  il  avait,  en  -IG23,  dans  le 
«  cabinet  aux  armes  »  de  son  «  château  et  maison  chevallière  »  de 
Saint-Sépulcre,  «  trente  trois  paires  d'armes  garnies  de  cuissarts  et 
brassards,  vingt  huit  borguignottes,  quarante  deux  piques,  dix-sept 
mousquets  avec  leurs  bandouillières,  vingt  trois  harquebuzes,  quatre 
hallebardes  et  quatre  meschantes  espées  de  Suisse.  »  Il  y  conservait 
en  outre  deux  tambours  de  guerre  et  «  un  petit  barrit  de  pouldre  à 
canon,  estimé  ^00  sols.  »  Le  reste  du  mobilier  du  château  était 
modeste;  mais  les  moyens  de  défense  étaient  sérieux. 

Transportons-nous,  trente  ans  plus  tard,  en  1654,  au  château  de 
Ghamoy,  qui  appartient  au  comte  de  Chapelaines,  bailli  de  Troyes. 
Le  «  magasin  aux  armes  »  est  bondé.  On  y  trouve,  en  effet,  «  trente 
paires  d'armes  completles  et  assorties  de  pied  en  cap,  outre  quantité 
d'autres  cuirasses,  corceletz,  cuisartz,  casques,  rondaches,  brassartz 
et  ganteletz,  ensemble  quatre  vingt  mousquets  tant  montez  que 
non  montez  avec  leurs  fourchettes,  vingt  cinq  hallebardes,  douze  per- 
tuisannes,  six  rondaches,  deux  espadons,  six  selles  d'armes  et  quan- 
tité de  morions  et  autres  vieilles  armes...  »  Ces  dernières  armes  sont 
sans  doute  hors  de  service,  mais  ce  qui  est  plus  formidable,  ce  sont, 
avec  douze  arquebuses  à  croc  et  cinq  pièces  de  fonte  verte,  «  trente 
petits  canons  sur  lesquels  est  écrit  le  nom  de  Chapelaine.  »  Ces 
canons  sont  en  état,  et  l'arsenal  renferme  deux  barils  de  poudre, 
avec  laquelle  on  peut  les  charger. 

A  la  même  époque,  le  château  plus  modeste  de  Marolles,  apparte- 
nant à  Joachim  de  Lenoncourt,  marquis  de  Marolles,  est  proportion- 
nellement bien  garni  d'armes  et  de  munitions;  il  contient  quarante 
armes  à  feu,  et  une  «  caque  de  grosse  poudre  pesant  environ  cent 
livres^  :  »  quantité  peut-être  plus  propre  à  faire  sauter  le  château 
qu'à  le  défendre. 

Les  armes  renfermées  dans  les  châteaux  servirent  encore  à  Farme- 
ment  des  paysans,  lorsqu'à  l'époque  de  la  Fronde,  des  troupes  de 


1.  Louis  Coulon,  V  Ulysse  François,  1643,  p.  508,   d'après  Abraham  Gœluilz, 
Ulysses  Belgico-GalUcus,  1631,  p.  440. 

2.  Archives  judiciaires  de  l'Aube,  u"  1101.  1190,  1106. 

Rev.  IIisTon.  XXV.  2«  fasc.  19 


290  MÉLAWES    ET    DOCUMENTS. 

soldats  ravagèrent  les  campagnes  et  pillèrent  les  villages.  Tandis  que 
le  marquis  de  Praslain,  lieutenant  du  roi,  menait  contre  eux  les  habi- 
tants armés  de  Troyes,  la  noblesse  du  pays,  sous  les  ordres  du  mar- 
quis de  Payns,  aurait  réuni  huit  mille  hommes  pour  disperser  les 
pillards.  Si  ce  chiffre  est  exact,  on  aurait  pu  armer  huit  mille  hommes 
aux  environs  de  Troyes.  On  raconte  que  les  vivres  vinrent  à  leur 
manquer,  et  qu'il  fallut  faire  une  quête  dans  la  ville  pour  leur  pro- 
curer du  pain^ 

A  partir  du  règne  personnel  de  Louis  XIV,  la  sécurité  régna  dans 
les  campagnes,  si  profondément  troublées  à  diverses  reprises  par  les 
incursions  des  troupes  françaises  et  étrangères.  Cependant,  beaucoup 
de  châteaux  conservèrent  teur  arsenal,  dont  les  armes,  désormais 
sans  emploi,  se  rouillaient  dans  les  salles  où  elles  étaient  enfermées. 
Parmi  les  arsenaux  encore  bien  garnis,  on  pourrait  citer  celui  du 
château  de  Saint-Phal,  en  ^672.  Il  contenait  seize  armures  de  fer 
complètes  et  quantités  de  casques,  morions,  brassards,  cuissards 
démontés.  II  s'y  trouvait  en  outre  six  canons  sur  la  terrasse  élevée 
près  de  la  porte  d'entrée.  Tout  cet  armement  resta  inutile,  lorsqu'on 
K)72,  le  seigneur  de  Saint-Phal,  Georges  de  Vaudrey,  essaya  de 
s'opposer  par  la  force  à  l'exécution  d'un  arrêt  du  parlement  de  Paris, 
qui  avait  fait  saisir  et  vendre  son  château.  Lorsque  le  lieutenant 
général  du  bailliage  de  Troyes,  accompagné  de  trente-deux  huissiers, 
vint  en  prendre  possession  au  nom  du  nouvel  acquéreur,  on  refusa 
dabord  d'abaisser  le  pont-levis  et  de  lui  ouvrir  les  portes;  des 
hommes  armés  de  mousquets  se  montrèrent  sur  les  remparts-,  mais 
aucune  résistance  ne  fut  tentée,  lorsque  les  huissiers  firent  mine  de 
monter  à  l'assaut  des  murailles  par  les  brèches  que  le  défaut  d'entre- 
lien  y  avait  pratiquées;  les  portes  ne  tardèrent  pas  à  s'ouvrir,  après 
lecture  d'une  protestation  judiciaire^. 

A  cette  époque,  les  murs  des  châteaux  tombent  en  ruines;  et  les 
armures  féodales  sont  pour  la  plupart  démontées.  Déjà,  dans  beau- 
coup de  châteaux,  toute  apparence  de  fortification  et  d'armement 
disparaissait;  il  en  était  surtout  ainsi  dans  ceux  qui  avaient  été 
achetés  par  des  magistrats  ou  des  bourgeois  anoblis.  Ceux-ci  les 
acquéraient  dans  le  triple  but  de  faire  un  placement  sur,  de  se  don- 
ner un  titre  honorifique  et  d'avoir  une  résidence  à  la  campagne  pen- 
dant les  mois  d'été.  Ni  par  tradition,  ni  par  goût,  ils  n'avaient  les 
instincts  belliqueux,  et,  si  le  roi  les  convoquait,  ils  étaient  tout  prêts 
à  se  lamenter,  comme  le  gentilhomme  de  V arrière-ban^  dont  Pavillon 
a  traduit  en  vers  les  ennuis. 

1.  Courtalon,  Topographie  historique  delà  ville  et  du  diocèse  de  Troyea,  1, 191. 

2.  Ârcti.  judiciaires  de  l'Aube,  n"  1178. 


L  ARMEMENT    DES    NOBLES    ET    DES    liODRGEOlS    AU    XVH^    S,  29 1 

Bien  peu  de  nobles,  du  reste,  à  celte  époque,  se  souciaient  de 
prendre  les  armes.  En  1074,  sur  deux  cent  quatre-vingts  possesseurs 
de  fiefs  convoqués  pour  le  ban  et  l'arrièrc-ban  dans  le  bailliage  de 
Troyes,  quarante-quatre  seuls  répondent  au  mandement  du  roi; 
en -1673,  iln'en  vient  que  vingt-quatre;  en  l()!>0,  vingt-neuf.  Quelques- 
uns  invoquent  leur  âge,  la  maladie,  la  gêne  ;  un  plus  grand  nombre 
de  possesseurs  de  fiefs  ont  des  enfants  à  l'armée  active  ou  y  servent 
eux-mêmes  ;  mais  la  plupart  font  valoir  les  fonctions  qui  les  exemptent 
et  les  privilèges  des  villes  de  Paris  ou  de  Troyes  dont  ils  sont  bour- 
geois. Il  est  assez  remarquable  que  ceux  qui  consentent  à  se  mettre 
aux  ordres  du  roi  ne  sont  pas  les  gentilshommes  les  plus  riches  ou 
les  plus  titrés,  mais  ceux  dont  la  noblesse  a  le  moins  d'éclat,  et  qui 
veulent  se  faire  un  titre  de  leurs  services  pour  appuyer  leurs  préten- 
tions nobiliaires  ' . 

Dès  cette  époque,  les  devoirs  féodaux  ne  sont  plus  compris  et 
tombent  en  désuétude  pour  les  gentilshommes;  pour  ceux-ci,  le  châ- 
teau n'est  plus  qu'une  propriété  de  produit  et  d'agrément,  et,  s'ils  y 
gardent  des  armes,  ce  sont  des  mousquets,  des  fusils  et  des  couteaux 
de  chasse,  qui  ne  sont  désormais  employés  que  contre  le  gibier. 

II. 

Les  murailles  des  villes  de  l'intérieur  du  royaume  commencèrent 
à  tomber  en  même  temps  que  celles  des  châteaux.  Les  progrès  de 
plus  en  plus  grands  de  l'unité  nationale,  de  la  soumission  aux  lois 
générales,  les  avaient  rendues  inutiles.  Les  bourgeois,  à  qui  la  garde 
des  portes  et  des  remparts  avait  été  partout  confiée,  étaient  tous  pour- 
vus d'armes  pour  s'acquitter  de  la  garde  et  du  guet  qui  leur  étaient 
demandés  ;  le  nombre  et  la  qualité  de  ces  armes  étaient  proportionnés 
à  leur  rang  et  à  leur  richesse. 

A  Troyes,  les  habitants  assujettis,  sauf  de  rares  exceptions,  au 
guet  et  à  la  garde,  se  divisaient,  au  xvi®  siècle,  en  hommes  de  fer  et 
en  hommes  de  pourpoint;  les  premiers  recrutés  parmi  les  magistrats, 
les  hommes  de  loi  et  les  riches  marchands,  possédaient  des  armes 
défensives  et  offensives  ;  ils  portaient  la  cuirasse  et  le  morion  ;  les 
autres,  pris  parmi  les  artisans,  étaient  seulement  armés  de  la  halle- 
barde ou  de  la  pique,  parfois  de  Tarquebuse  et  du  mousquets. 

1.  Boutiot,  Procès-verbal  constatant  la  levée  du  ban  et  de  l'arrière-ban 
dans  le  bailliage  de  Troyes  en  1674.  Annuaire  de  l'Aube,  1855,  p.  9. 

2.  Voir  mon  étude  sur  le  guet  et  la  milice  bourgeoise  à  Troyes,  mémoire  lu 
à  la  Sorbonne,  1878,  p.  7. 


292  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

On  prescrivit,  à  plusieurs  reprises,  en  1474  et  en  1352  par  exemple, 
l'inventaire  des  armes  que  possédaient  les  habitants  de  la  ville,  afin 
de  savoir  s'ils  étaient  en  mesure  d'en  garder  les  remparts.  En  1474, 
on  trouva  547  coulevrines,  287  arbalètes  et  1,047  épieux.  Plus  lard, 
en  1632,  on  ordonne  aux  bourgeois  d'avoir  leurs  armes  en  bon  état'. 
Un  règlement  de  -1 369  autorise  les  officiers  de  la  milice  de  visiter  les 
maisons  des  habitants  de  leur  quartier,  «  pour  veoir  leurs  armes  et 
entendre  d'eux  en  quel  équipage  ils  se  tiennent,  pour  estre  toujours 
prêts  à  la  nécessité.  Et  où  ils  ne  se  trouveront  armez  selon  leur  puis- 
sance et  faculté,  leur  faire  commandement  et  contraincte  de  prendre 
et  achepter  les  armes  qui  leur  seront  ordonnez  par  lesdits  capi- 
taines^. » 

Ces  armes  n'étaient  pas  plus  uniformes  que  les  costumes  des  bour- 
geois de  la  milice.  Ce  n'est  guère  qu'au  commencement  du  xviii^  siècle 
que  ceux-ci,  a  l'imitation  des  régiments  de  l'armée  royale,  revêtirent, 
les  jours  de  service,  des  vestes  et  des  habits  de  même  coupe  et  de 
même  couleur.  Chacun,  au  xv!!*"  siècle,  se  procurait  des  armes 
selon  ses  moyens-,  l'un  avait  une  arquebuse,  l'autre  un  mousquet; 
les  hommes  de  pourpoint,  qui  sont  désignés,  en  1630,  sous  le  nom 
d'hommes  de  dizaine,  se  contentaient  d'une  hallebarde,  d'un  dard  ou 
d'une  pique. 

Dans  chaque  maison  de  bourgeois  ou  d'artisan,  d'ordinaire  dans 
la  salle  basse  ou  la  cuisine,  ces  armes  étaient  placées  sur  un  ou  deux 
«  rastelliers.  »  On  peut  se  rappeler  que  le  nom  d'armoire  vient  des 
armes  que  l'on  renfermait  dans  ce  genre  de  meubles  d'une  forme 
élevée  et  peu  profonde.  Mais  ici  les  armes  sont  exposées  aux  regards 
de  tous,  disposées  horizontalement  ou  verticalement  sur  les  râteliers. 
Cet  usage  existait  à  Paris  comme  à  Troyes  ;  car  Furetière,  dans  son 
Roman  bourgeois,  parle  d'une  cheminée  au-dessus  de  laquelle  se 
trouve  un  râtelier  chargé  d'armes  qui  étaient  rouillées  dès  le  temps 
des  guerres  de  la  Ligue.  Il  en  était  de  même  un  peu  partout  ;  on 
voyait  souvent,  côte  à  cote,  sur  les  mômes  râteliers,  des  arquebuses 
à  mèche  et  des  mouscjuets  en  bon  état,  à  coté  de  hallebardes,  d'arba- 
lètes et  de  vieilles  épées,  depuis  longtemps  hors  d'usage. 

Tous  les  habitants  de  Troyes  n'ont  pas  cependant  des  râteliers 
garnis  d'armes  ;  on  n'en  trouve  que  par  exception  chez  les  ouvriers 
qui  travaillent  pour  le  compte  de  maîtres,  chez  les  compagnons  qui 
sont  dépourvus  de  droits  municipaux  ;  mais  on  en  rencontre  chez  des 
portefaix  et  de  simples  tisserands.  Un  portefaix,  par  exemple,  pos- 

1.  Boutiot,  Histoire  de  Troyes,  III,  107,  108,  122;  IV,  389. 

2.  Le  guet  et  la  milice  bourgeoise  à  Troyes,  p.  47. 


LiRMEMENT    DES    \OBLES    ET    DES    liOtJRGEOIS   AU    XVII®   S.  293 

sède,  en  Kj3S,  une  hallebarde,  une  arquebuse  et  une  vieille  épée. 

Chez  les  maîtres  artisans,  ces  armes  sont  en  plus  grand  nombre. 
Pénétrons  en  -1620  chez  un  «  aloisnier;  »  nous  y  voyons  sur  deux 
petits  râteliers  de  bois  «  une  vieille  arquebuse,  une  épée,  un  poi- 
gnard et  un  vieil  épieu;  »  chez  un  maître  savetier,  il  y  aura  «  une 
vieille  hallebarde,  un  dard,  deux  épées,  un  poignard  et  un  porte  épée 
de  crin;  »  presque  partout  à  cette  époque,  on  trouve  une  hallebarde; 
en  outre,  chez  un  maître  passementier^  on  rencontrera  deux  «  vieilles 
espées  garnies  de  leur  fourreau  5  »  chez  un  parcheminier,  «  une 
arquebuse  à  mesche  garnye  de  son  fourniment  et  pulverin,  une  espée 
et  deux  bracquetz  garnys  de  leurs  fourreaux  ;  un  baston  à  deux  bouts 
et  un  morion.  »  Il  y  a  encore  une  arbalète  à  trait  garnie  de  son  ban- 
dage, chez  un  maître  charpentier  en  ^64J  ;  mais  les  armes  à  feu 
commencent  à  devenir  plus  communes  ;  ce  charpentier,  outre  deux 
épées,  a  deux  arquebuses  à  mèche.  Un  autre,  en  (648,  aura  un 
mousquet  parmi  les  armes  qui  garnissent  ses  deux  râteliers;  un 
autre,  en  1658,  possédera  deux  arquebuses  à  mèche,  un  pistolet  à 
fusil,  trois  fusils  et  «  un  baudrier  de  bufe.  »  Chez  un  araidonnier, 
en  1053,  nous  trouvons  une  arquebuse,  un  mousquet  et  deux  épées 
garnies  de  leurs  fourreaux;  il  en  est  de  même,  sauf  quelques  diffé- 
rences, chez  un  maître  boulanger,  en  -160:3;  chez  un  passementier  et 
un  couvreur,  en  1676;  chez  un  cordonnier,  en  1683;  chez  un  chape- 
lier, en  U93.  Quelques  maîtres  ont  un  assortiment  plus  complet, 
comme  ce  maître  teinturier,  qui  a  chez  lui,  en  1671,  «  deux  fusils, 
un  pistolet  à  fusil,  deux  mousquets,  deux  épées,  une  hallebarde,  un 
fourniment  de  cuivre  et  deux  baudriers.  » 

Quelques  artisans  étaient  officiers  dans  la  milice  bourgeoise; 
comme  tels,  ils  gardaient  chez  eux  les  insignes  de  leur  grade.  Tel 
était,  en  1660,  un  marchand  boucher,  qui  laissa  à  son  fils  aîné  «  une 
enseigne  militaire  de  tafetas  blanc,  rouge  et  bleu,  une  pique,  un 
hausse-col  d'argent  et  une  espée  à  garde  ou  poignée  d'argent.  »  Le 
blanc,  le  rouge  et  le  bleu  étaient  les  couleurs  de  la  ville  de  Troyes. 

Il  me  paraît  probable  aussi  que  Samson  Dozière,  auneur  de  draps, 
avait  été  officier  de  la  milice.  Il  a  chez  lui,  en  -1 704,  «  onze  tant  mous- 
quets que  fusils,  deux  tambours  crevés  d'un  côté,  des  piques,  une 
halebarde'.  »  Les  vieilles  armes  du  xvi'=  siècle  se  rencontrent  encore 
parfois.  Mais,  à  mesure  que  l'on  avance  dans  le  xviii*  siècle,  le  nombre 
et  la  qualité  des  armes  diminue.  La  milice  bourgeoise  existe  pour- 
tant toujours,  mais  elle  a  perdu  son  importance  municipale,  et  son 
rôle  n'est  plus  qu'un  rôle  de  police  et  surtout  de  parade. 

1.  Archives  judiciaires  de  l'Aube,  n"  1090,  1183,  1214,  lîOO,  1173,  1129, 
1098,  1125,  1185,  1201,  etc. 


294  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

m. 

Les  marchands,  qui  forment  une  corporation  puissante,  sont  bien 
mieux  armés  que  les  artisans.  Pour  la  plupart,  ils  figurent  au 
xvr«  siècle,  parmi  les  hommes  de  fer.  Aussi  ont-ils  parfois  chez  eux 
de  véritables  panoplies.  Bien  peu  cependant  auraient  pu  étaler  dans 
leur  maison  un  petit  arsenal,  comme  Fapothicaire  Sébastien  Sorel, 
en  iCAC}.  Si  cet  arsenal  peut  être  regardé  comme  une  exception,  il 
semble  pourtant  qu'il  n'est  pas  sans  intérêt  de  le  faire  connaître. 

Sorel  possédait  -. 

«  Une  armure  complète  de  cuirasse,  haulce-col,  casffue  et  bras- 
sarts,  [estimée]  20  1. 

Un  arrondache  de  fer  à  poincte  de  clous  dorés,  6  1. 

Une  halebarde  dorée  garnye  de  franges  de  soye  de  crespine  d'or,  ^  0 1, 

Une  halebarde  de  forest,  25  s. 

Un  mousquet  avec  sa  fourchette,  7  1.  -10  s. 

Une  harquebuse  à  rouel,  ^0  1. 

Une  harquebuse  à  mèche,  4  1. 

Quatre  pistolets,  dont  un  à  grand  ressort  ; 

Une  espée  damasquinée  garnye  de  son  fourreau,  40  s. 

Une  autre  espée  à  garde  noire,  30  s. 

Un  coutelatz  garny  de  son  fourreau,  30  s. 

Un  forniment  '  de  Milan  avec  son  pulverinet  un  cordon  de  layne,  20  s. 

Un  aultre  forniment  garny  de  son  pulverin  de  enivre  fasson  de 
Metz  avec  son  cordon  et  frange  de  soye  noir,  3  1. 

Deux  ceintures  porte  épée  et  deux  poignards^  4  1. 

Une  cuirassine,  30  1.  » 

Chez  les  autres  marchands,  on  ne  saurait  trouver  une  pareille 
quantité  et  un  pareil  luxe  d'armes.  Certains  d'entre  eux  ne  sont  pas 
mieux  fournis  que  les  mai  très  artisans.  Leurs  râteliers  contiennent 
encore,  sous  Louis  XIII,  des  arquebuses,  des  escopettes  à  rouet,  et 
des  hallebardes.  L'un  d'eux,  en  ^631,  a  un  morionet  «  un  viel  four- 
niment de  corne  avec  une  fourchette  à  mousquet.  «  Je  trouve  plus 
tard,  en  ^072,  chez  un  marchand,  trois  arquebuses  à  fusil,  une  cara- 
bine à  mousquet  et  une  épée  à  poignée  d'argent.  Un  marchand  dra- 
pier drappant  possède  à  la  même  époque,  entre  autres  armes,  trois 
pistolets  de  poche  -,  on  peut  en  conclure  que  le  marchand  doit  voyager 
et  qu'il  ne  juge  pas  les  routes  comme  très  sûres.  Ce  qui  peut  être 

1.  Le  fourniment  était  un  étui  à  poudre. 


l'armement  des  nobles  et  des  bourgeois  au  xvii°  s.       295 

regardé  comme  une  exception,  car  la  plupart  des  voyageurs  sont 
d'accord  pour  louer  la  sûreté  des  routes.  Encore  au  commencement 
du  xvni«  siècle,  on  trouve  chez  plusieurs  marchands  quatre  vieux 
mousquets  ou  quatre  vieux  mousquetons,  sans  compter  les  pistolets 
et  les  épées  ^ . 

IV. 

Du  marchand  au  bourgeois  proprement  dit,  la  transition  est  facile. 
Le  bourgeois  est  un  marchand  retiré  des  affaires,  ou  le  fils  d'un  mar- 
chand enrichi.  S'il  est  riche,  il  est  bien  près  de  devenir  noble  par 
l'acquisition  d'une  charge.  Sous  Louis  XIII,  il  peut  avoir  un  grand 
nombre  d'armes,  qui,  au  besoin,  serviront  à  ses  domestiques.  En 
-1623,  la  cuisine  de  Jehan  Michelin  est  garnie  de  quatre  «  rastelliers 
de  bois  »  où  sont  placés  trois  arquebuses,  dont  deux  à  rouet  et  une 
à  mèche,  trois  poitrinaux  à  rouet  à  grand  ressort,  à  canon  «  à  pandz  » 
ou  «  demy  rond,  «  une  «  escoupette  garnye  du  fourreau  de  cuyr  à 
grand  ressort,  »  un  autre  petit  pistolet  à  rouet  à  grand  ressort,  deux 
hallebardes  à  manche  en  bois,  deux  épées  et  un  cimeterre,  deux 
fourniments,  dont  l'un,  accompagné  d'un  pulverin,  est  garni  de  cor- 
dons de  soie.  » 

Chez  un  marchand,  Remy  Le  Clerc,  se  trouvent,  en  ^648,  quatre 
mousquets,  cinq  arquebuses  à  rouet  et  deux  fusils.  Son  fils,  le  bour- 
geois Etienne  Le  Clerc,  qui  mourut  en  -1686,  possède  une  telle  quan- 
tité d'armes  qu'il  est  permis  de  supposer  qu'il  les  a  réunies  dans  le 
but  d'en  former  une  collection  plutôt  que  dans  celui  d'en  faire  usage. 
Etienne  Le  Clerc  a  dans  ses  galeries  quatre  trophées  d'armes  et 
quatre  «  porte-armes,  «  sur  lesquels  on  peut  voir  «  une  espée  à  garde 
damasquinée,  huit  aultres  espées  à  l'antique,  cinq  pistolets,  dix 
mousquets  à  mèche  et  sept  arquebuses  à  rouet,  vingt-sept  piques, 
trois  hallebardes,  huit  collets  de  fer,  une  caisse  ou  tambour  avec  ses 
baguettes.  »  Il  y  avait  de  quoi  armer  une  compagnie  de  milice.  Dans 
un  coffre,  Etienne  Le  Clerc  conservait  aussi  «  trois  baudriers,  l'un 
d'iceux  à  frange  noire,  l'autre  en  broderie,  le  troisième  en  broderie 
d'argent,  tous  deux  à  franges  noires,  une  paire  de  gans  de  cerf  à 
franges  d'or  et  d'argent,  le  tout  d'ancienne  mode,  et  un  hausse  col 
de  cuivre  doré,  orné  de  troffées  en  relief.  »  Le  hausse-col  était  sans 
doute  l'insigne  de  la  dignité  d'officier  de  la  milice  dont  il  était  revêtu. 

Les  magistrats,  en  général,  ont  peu  d'armes.  La  robe  n'est  pas 
compatible  avec  l'épée.  Ils  ont  le  droit  dé  requérir  la  force  armée, 

1.  Archives  judiciaires  de  l'Aube,  n"  1075,  1113,  1209,  1176,  1105,  etc. 


296  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

mais  non  de  l'employer  eux-mêmes;  ils  sont  aussi  exempts  du  service 
de  la  milice.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  procureurs  et  des  sergents. 
Un  procureur  possède,  en  ^  687,  deux  arquebuses,  un  mousqueton  et 
six  mousquets,  sans  compter  six  pertuisanes,  quatre  hallebardes, 
deux  épées,  cinq  ceinturons,  deux  pistolets  et  deux  poignards.  Il  a 
de  plus  une  épée  à  garde  d'argent  supportée  par  une  écharpe  de  gui- 
pure, un  hausse-col  de  cuivre,  un  drapeau  et  un  tambour.  C'est  aussi 
à  coup  sûr  un  officier  de  milice.  Deux  autres  de  ses  confrères  pos- 
sèdent à  la  même  époque,  chacun  sept  fusils  et  deux  épées.  Un  autre, 
en  1 704,  a  une  paire  de  pistolets  et  cinq  épées  ;  mais  chez  lui,  il  n'est 
plus  question  de  fusils. 

On  conçoit  mieux  que  les  sergents  royaux  ou  huissiers  aient  chez 
eux  un  petit  arsenal'.  Ils  étaient  quelquefois  obligés  de  s'armer  pour 
remplir  leur  ministère.  Les  trente-deux  huissiers,  qui  accompagnèrent 
le  lieutenant  général  de  Troyes  au  château  de  Saint-Phal,  furent  sur 
le  point  d'en  tenter  l'escalade.  Une  commission  du  roi  Louis  XIII, 
datée  de  Perpignan,  le  20  mai  ^642,  avait  ordonné  de  lever  une  com- 
pagnie d'huissiers,  par  la  raison  que  «  leur  profession  les  obligeant, 
à  cause  des  captures,  à  porter  quelquesfois  les  armes,  »  il  pouvait 
«  se  rencontrer  parmi  eux  des  hommes  capables  de  servir  à  la  guerre.  » 
Le  bailliage  de  Troyes  ordonne,  le  19  septembre,  à  tous  huissiers  et 
sergents  tant  royaux  que  des  seigneurs,  de  comparoir  «  avec  armes  de 
guerre  »  pour  qu'il  lut  dressé  un  «  roollc  de  ceux  qui  pourraient 
servir  sa  majesté  dans  ses  armées^.  »  Aussi  ne  sommes-nous  pas 
surpris  de  trouver  chez  des  sergents  des  râteliers  garnis  d'armes , 
moins  nombreuses  que  celles  des  procureurs  que  nous  venons  de 
citer,  mais  cependant  formant  un  ensemble  assez  varié  et  capable 
d'inspirer  le  respect  3. 

Les  ecclésiastiques  n'ont  des  armes  au  xvii^  siècle  que  par  excep- 
tion. Ce  n'est  plus  comme  au  xv^  et  au  xvi^,  où  ils  étaient  souvent 
assujettis  au  service  de  guet  et  de  garde.  L'évêque  Raguier,  en  ^474, 
avait  une  armure  complète  de  couleur  blanche;  les  chanoines  por- 
taient au  besoin  la  cuirasse  et  la  hallebarde.  On  trouve  encore  chez 
un  chanoine,  en  1662,  trois  fusils  et  trois  «  vielz  pistolets,  »  et  chez 
un  autre,  en  I6!)3,  deux  arbalètes  à  jalet  et  un  mousqueton.  Il  \ 

1.  Arch.  judiciaires  de  l'Aube,  n"  1191,  1104,  1154,  1105,  etc. 

2.  Commission  du  roy  pour  assembler  les  huissiers  et  sergents  et  en  faire 
un  roolle,  afin  de  pouvoir  une  partie  d'iceux  servir  Sa  Majesté  en  ses  armées. 
Troyes,  par  Anloiiie  Chevillot,   1642,  petit  iu-8°  de  16  p. 

3.  En  1733^  un  huissier  possède  un  fusil  garny  de  cuivre,  un  autre  fusil  garny 
de  fer  avec  un  mousqueton  (10  1.),  une  paire  de  pistolets  d'arçon,  un  pistolet 
de  poche,  etc.  (Arch.  jud.  Aube,  n'  1112). 


l'armement   des    \0CLES   et   des    bourgeois   AI"   xvii"   s.  297 

avait  loiigLemps  qu'on  ne  se  servait  plus  d'arbalètes,  et  ces  armes 
avaient  pu  être  laissées  dans  la  maison  canoniale  depuis  longtemps. 

L'abbé  de  Montier-la- Celle  possédait,  en  IG()2,  dans  sa  maison  de 
ville  trois  arquebuses,  deux  fusils  et  deux  mousquets  <.  Peut-être, 
dans  certains  cas,  voyageait-il  escorté  de  domestiques  armés.  En 
■1662,  les  ecclésiastiques  étaient  dispensés  de  tout  service  militaire 
dans  les  villes. 

Les  villes  de  l'intérieur  perdent  du  reste,  à  cette  époque,  leur 
importance  militaire.  On  leur  enlève  leur  artillerie  pour  la  transpor- 
ter aux  frontières.  Cette  opération  fut  faite  à  Troyes  en  1682.  Les 
remparts  étant  dégarnis,  la  milice  n'avait  plus  sa  raison  d'être. 
Comme  elle  aurait  pu  vouloir  défendre  les  privilèges  bien  diminués 
de  la  cité,  Pintendant  de  Champagne  fit  enlever  les  chaînes,  qui 
étaient  encore  fixées  au  coin  des  rues  et  qui,  en  cas  de  trouble  ou 
d'alarme,  interceptaient  la  circulation^. 

Les  compagnies  de  l'arquebuse  et  de  la  milice  subsistèrent  jus- 
qu'à la  Révolution/ à  Troyes  comme  dans  la  plupart  des  villes,  mais 
avec  une  importance  plus  nominale  que  réelle.  Les  magistrats  et  les 
riches  bourgeois  se  faisaient  exempter;  ils  dédaignaient  les  fonctions 
d'officiers,  parce  qu'elles  ne  donnaient  ni  prestige,  ni  autorité.  Une 
loi  générale  s'imposait  de  plus  en  plus  à  tous,  et  supprimait  les  dis- 
tinctions qui  dérivaient  de  la  force  matérielle  des  individus.  L'aristo- 
cratie des  villes,  comme  la  noblesse,  quittait  ses  armes  offensives  et 
défensives  ;  elle  comptait  sur  le  pouvoir  central  pour  défendre  ses  pri- 
vilèges. Elle  eut  sans  doute  tort  de  se  désarmer  -,  car  on  ne  défend 
bien  ses  droits  que  soi-même.  La  bourgeoisie,  comme  la  noblesse, 
ne  conserva  plus  que  l'apparence  de  la  force.  Que  l'on  compare  aux 
collections  d'armes  des  bourgeois  de  -1623  et  de  j  686  celle  d'un  bour- 
geois de  1789.  Celui-ci  a  un  fusil  à  deux  coups  pour  la  chasse,  une 
épée  à  garde  d'argent  et  une  épée  de  deuil.  L'arme  n'est  plus  qu'une 
parure,  qu'il  devient  facile  d'enlever  aux  nobles  et  aux  bourgeois,  et 
dont  ils  ne  se  soucieront  plus  par  la  suite,  parce  qu'elle  a  cessé  d'être 
pour  eux  le  signe  et  la  garantie  de  l'autorité. 

Albert  Babeau. 


1.  Arch.  judiciaires  de  l'Aube,  n"  1236,  etc. 

2.  Une  de  ces  chaînes  est  conservée  au  musée  archéologique  de  Troyes. 


298  MÉLANGÉS   ET   DOCUMENTS. 


DIDEROT 


ESSAI  HISTORIQUE  SUR  LA  POLICE. 


Les  pages  que  voici  ne  sont  pas,  comme  leur  titre  pourrait  le  faire 
supposer,  une  élude  sur  la  puissante  administration  à  laquelle  La 
Reynie  et  Sartine  ont  attaché  leur  nom  et  qui  attend  encore  un  histo- 
rien. Diderot  a  pris  ici  le  mot  de  police  dans  Tacception  que  lui  ont 
plusieurs  fois  donnée  Pascal,  Bossuet,  Fléchier,  Fénelon,  Massillon, 
Montesquieu  et  Voltaire,  c'est-à-dire  dans  le  sens  d'organisation 
politique.  Le  doute  qui  pourrait  résulter  de  l'emploi  de  ce  terme 
tombé  en  désuétude  serait  dissipé  d'ailleurs  dès  les  premières  lignes. 
Ce  que  Diderot  lente  ici,  ce  n'est  rien  moins  qu'une  esquisse  de  notre 
histoire  féodale  et  de  nos  origines  parlementaires.  Il  ne  faut,  bien 
entendu,  demander  à  cette  rapide  ébauche  ni  développements  appro- 
fondis, ni  exactitude  absolue.  Diderot  écrivait  à  huit  cents  lieues  de 
son  cabinet,  très  probablement  sans  livres  sous  la  main,  et  son  but 
principal  était  de  montrer  a  Catherine  les  dangers  que,  selon  lui,  les 
réformes  de  Maupeou  faisaient  courir  à  la  monarchie  française. 
L'occasion  lui  était  bonne  pour  exaller  en  même  temps  la  sagesse  de 
sa  bienfaitrice,  tout  occupée  alors  de  donner  un  code  à  son  empire. 
La  Récapitulation  qui  termine  cet  essai  nous  en  révèle  l'instigateur  et 
nous  en  fait  voir  le  but;  c'est  M.  de  Narishkin  qui  avait  demandé  à 
Diderot  de  jeter  sur  le  papier  un  historique  des  récentes  révolutions 
judiciaires  delà  France,  et  Diderot  se  vante  d'avoir  emprunté  les  élé- 
ments de  cet  exposé  aux  actes  particuliers  et  secrets  de  la  magistra- 
ture. Comment  se  les  était-il  procurés  à  Saint-Pétersbourg  ?  C'est  ce 
qu'il  ne  nous  dit  pas.  Il  reconnaît  d'ailleurs  lui-même  qu'il  a  pu 
commettre  de  légères  inexactitudes  dans  le  récit  des  procédés  du 
chancellera  l'égard  d'Aiguillon;  ce  n'est  point  la  seule  faute  sans 
doute  qu'on  pourrait  reprendre  dans  ce  résumé.  Les  préliminaires  et 
les  péripéties  de  la  lutte  de  Maupeou  ont  trouvé  un  récent  historien 
dans  M.  Jules  Flammermont  et  c'est  à  son  livre  qu'il  faudrait  cons- 


DIDEROT.    ESSAI    HISTORIQUE    SUR   LA    l'OLICE.  299 

lamment  renvoyer  le  lecteur  si  l'on  entreprenait  une  critique  sérieuse 
de  ce  que  le  philosophe  a  dit  de  ces  réformes  et  de  leurs  conséquences. 
L'avenir,  en  somme,  a  donné  raison  à  Maupeou surplus  d'un  point; 
mais  les  contemporains  n'en  jugeaient  et  ne  pouvaient  pas  en  juger 
ainsi.  Nous  applaudissons  aujourd'hui  à  la  largeur  et  à  la  supériorité 
de  ses  vues;  en  4  773,  Maupeou  n'était  aux  yeux  d'un  grand  nombre 
qu'un  ambitieux,  servi  par  des  comparses  médiocres  ou  décriés  :  pour 
apprécier  sainement  une  révolution,  il  ne  faut  pas  y  avoir  assisté. 

Au  moment  où  celle-ci  se  produisit,  Catherine  était,  comme  elle  le 
disait  elle-même^  en  pleine  législomanie,  et  une  circonstance  presque 
puérile,  l'embargo  mis  pendant  quelques  jours  par  la  censure  sur  une 
traduction  de  son  InsirucHon  aux  députés,  avait  donné  encore  plus 
d'éclat  à  ces  velléités  pour  lesquelles  Voltaire  n'avait  pas  assez  de 
louanges  hyperboliques.  S'il  est  vrai  que  Catherine  faisait  de  V Esprit 
des  lois  son  bréviaire,  comme  ses  flatteurs  ne  se  lassaient  pas  de  le 
répéter,  elle  se  l'était  si  parfaitement  assimilé  qu'elle  en  a  reproduit 
des  paragraphes  entiers  dans  sa  fameuse  Instruction  pour  la,  commis- 
sion chargée  de  dresser  le  projet  d^un  nouveau  code  de  lois.  Diderot 
s'en  élait-il  aperçu?  C'est  bien  probable,  mais  il  n'eut  garde  de  le 
dire,  car  il  aurait  à  cela  d'autant  plus  mauvaise  grâce  que  son  éru- 
dition historique  était,  comme  celle  de  presque  tous  ses  contemporains, 
en  partie  puisée  dans  l'immortel  livre  de  Montesquieu  ;  le  surplus  lui 
venait  du  président  Hénault  et  même  de  l'abbé  Dubos. 

S'il  m'eût  fallu  relever  ici  ces  plagiats  involontaires,  ces  réminis- 
cences ou  ces  allusions,  j'aurais  dû  placer  une  note  sous  chaque 
paragraphe,  presque  sous  chaque  ligne  du  texte.  Je  ne  voulais  pas 
abuser  ainsi  de  l'hospitalité  de  ]gi  Revue  historique  et  j'ai  borné  mon 
commentaire  à  quelques  éclaircissements  indispensables.  Il  me  reste 
à  dire  que  ces  pages,  rigoureusement  inédites,  sont  empruntées  au 
manuscrit  dont  j'ai  donné  déjà  d'importants  extraits  dans  la  Nouvelle 
Revue  et  qui  appartient  à  la  Bibliothèque  particuUère  des  czars,  au 
palais  de  l'Ermitage. 

Maurice  Tourisëdx. 

ESSAI  HISTORIQUE  SUR  LA  POLICE. 

Ce  ne  sont  point  des  maximes,  ce  sont  des  faits. 

1.  La  nation  française  secoue  le  joug  des  Romains.  Un  héros  est  élevé 
sur  un  pavois.  La  loi  salique  est  rédigée  dans  trois  assemblées.  Le 
prince  et  la  loi  sont  institués  en  même  temps. 

Sans  la  loi,  rien  n'aurait  été  fixé.  Sans  l'autorité,  la  loi  n'aurait  point 
eu  d'exécution. 


300  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

Pour  assurer  l'exécution  de  la  loi,  les  Français  déposent  entre  les 
mains  du  roi  toute  la  puissance  publique.  Voilà  la  première  faute,  le 
péché  originel.  Déposer  entre  les  mains  d'un  roi  toute  la  puissance 
publique,  ce  n'est  pas  seulement  lui  conférer  le  pouvoir  de  faire  exécu- 
ter les  lois  ou  de  les  ramener  à  leur  pureté,  à  leur  activité  première, 
quand  elles  l'ont  perdue,  c'est  lui  accorder  bien  davantage,  ainsi  que  le 
temps  ne  manque  jamais  de  le  prouver. 

2.  Dans  le  commencement,  les  rois,  convaincus  que  cette  puissance 
publique  n'était  qu'un  dépôt,  se  conduisirent  en  conséquence;  ils  sen- 
tirent que  toucher  à  la  législation  n'était  point  une  affaire  d'autorité 
souveraine.  De  là  ces  conseils  nombreux  assemblés  dès  les  premiers 
âges  de  la  monarchie.  Aucune  disposition  souveraine  ajoutée  à  la  loi 
salique  sans  le  suffrage  des  principaux  de  la  nation. 

3.  Les  lois  s'anéantissent  dans  le  déclin  de  la  maison  de  Clovis. 

4.  Gharlemagne  les  renouvelle  et  tire  la  loi  salique  de  l'oubli.  11 
recueille  les  décrets  des  rois.  Il  y  ajoute  ses  capitulaires.  Et  qu'est-ce 
que  ces  capitulaires  ?  Les  vœux  d'un  peuple  qui  délibère  avec  son  sou- 
verain sur  des  intérêts  communs.  Victorieux  et  redouté,  quoiqu'il  put 
tout,  Gharlemagne  fit  alors  ce  que  Catherine  II  fait  aujourd'hui.  Aussi 
ce  Gharlemagne  de  France  et  cet  Alfred  d'Angleterre,  son  contemporain, 
n'étaient  pas  des  hommes  ordinaires.  Si  Sa  Majesté  fait  peu  de  cas  du 
premier,  c'est  qu'elle  a  le  droit  d'être  difficile  en  grands  souverains. 

Mais  qu'arrive-t-il  ?  C'est  que  les  lois  périssent  sur  la  fin  de  la  seconde 
race. 

Sa  Majesté  Impériale  concevra  combien  la  législation  mise  sous  la 
sauvegarde  d'un  seul  homme  est  vacillante  et  de  peu  de  durée.  C'est  la 
nation  même  qui  doit  en  être  la  conservatrice  d'âge  en  âge,  condition  qui 
suppose  des  lois  simples,  un  code  qui  puisse  être  entre  les  mains  des 
sujets  dès  la  plus  tendre  enfance.  Les  prêtres  ont  été  bien  plus  adroits 
que  le  roi.  Mais  peut-être  que  Catherine  II  est  la  première  souveraine 
qui  ait  sincèrement  désiré  que  ses  sujets  fussent  instruits. 

5.  Des  usages  suppléent  pendant  des  siècles  aux  lois  oubliées,  c'est-à- 
dire  qu'on  en  use  ainsi,  parce  qu'on  a  continué  d'en  user  ainsi  ;  quelle 
singulière  base  de  police  et  de  tranquillité  publique  ! 

6.  Le  droit  romain  parait.  Je  ne  sais  quel  rapport  il  pouvait  y  avoir 
entre  le  droit  romain  et  la  constitution  d'un  gouvernement  féodal  dans 
toute  sa  férocité. 

Le  fait  est  que  les  usages  se  modifient  insensiblement  par  l'apparition 
de  ce  droit,  ainsi  que  Sa  Majesté  Impériale  voit  elle-même  les  pensées 
de  ses  sujets  se  modifier  par  l'apparition  de  son  code  ou  de  son  ins- 
truction. 

Et  comment  cette  modification  se  fit-elle  ?  Fût-ce  par  la  connaissance 
que  la  nation  ou  le  souverain  prit  de  ce  droit?  Nullement.  Est-ce  qu'une 
nation  barbare  lit?  Est-ce  qu'une  nation  policée  lit  un  ouvrage  de 
droit?  Est-ce  qu'un  souverain  lit?  Oui,  une  fois,  tous  les  quatre  ou  cinq 
cents  ans,  sous  le  pôle. 


DIDEROT.    ESSAI   HISTORIQUE    SUR   LA    POLICR.  aO-l 

Les  usages  furent  moditiés  par  la  Ibrce  des  opinions  des  jurisconsultes. 

Je  suppose  que  ces  jurisconsultes  eussent  substitué  aux  usages  les 
principes  les  plus  solides  sur  l'autorité  souveraine  et  sur  les  privilèges 
inaliénables  d'une  nation,  qu'en  serait-il  arrivé?  Rien.  Ces  jurisconsultes 
ne  pouvaient  représenter  la  nation,  ils  ne  luisaient  pas  corps.  11  ne  pou- 
vait y  avoir  d'unanimité  dans  leurs  décisions.  La  législation  ne  pouvait 
devenir  entre  leurs  mains  que  ce  que  la  religion  devint  entre  les  mains 
des  schismatiques  dans  les  premiers  temps  de  la  Réforme. 

7.  Les  lois  sont  purement  traditionnelles  sous  Charles  VIL 
Charles  Vil  fixe  leur  incertitude. 

L'histoire  nous  apprend  qu'il  assemble  dans  chaque  partie  de  son 
royaume  ceux  qui  vivaient  sous  les  mêmes  coutumes,  et  qu'il  leur  dit  : 
mettez  vos  lois  par  écrit. 

En  bonne  foi,  était-ce  là  ce  qu'un  homme  de  tête  aurait  fait  ?  Charles 
ne  devait-il  pas  sentir  que  cette  diversité  de  coutumes  était  un  très 
grand  mal  ?  Ne  devait-il  pas  profiter  de  ce  moment  d'oubli  pour  anéantir 
toutes  ces  coutumes  et  leur  substituer  une  loi  uniforme  et  générale  ?I1 
ne  le  fit  pas,  et  cette  faute  est  sans  remède.  La  France  est  condamnée 
à  n'avoir  jamais  de  code.  Notre  droit  coutumier  est  immense.  Il  est  lié 
avec  l'état  et  la  fortune  de  tous  les  particuliers.  Celui  qui  projetterait  le 
renversement  de  ce  colosse  monstrueux  ébranlerait  toutes  les  propriétés. 
Il  n'achèverait  pas  son  entreprise  sans  commettre  une  foule  d'injustices 
criantes.  Il  soulèverait  infailliblement  les  différents  ordres  de  l'État.  Je 
le  ferais  pourtant,  car  je  pense  qu'il  faut  faire  un  grand  mal  d'un 
moment,  pour  un  grand  bien  qui  dure. 

Tout  ce  que  je  vois  de  mieux  dans  la  conduite  de  Charles,  et  c'est  le 
seul  point  qu'elle  a  de  commun  avec  celle  de  Votre  Majesté,  c'est  qu'il 
ne  se  sert  point  de  son  autorité  pour  consommer  son  mauvais  ouvrage. 
Il  convoque  une  assemblée,  voilà  toute  l'étendue  qu'il  donne  à  son 
pouvoir.  Je  vois  encore  que,  bonnes  ou  mauvaises,  voilà  ses  lois  sous- 
traites et  malheureusement  soustraites  à  la  mobilité  de  la  tradition, 
mobilité  qui,  à  la  longue,  en  aurait  ramené  l'oubli,  et,  avec  leur  oubli, 
peut-être  la  nécessité  d'un  code  uniforme  et  général.  Il  y  a  des  circons- 
tances où  l'extrême  du  mal  est  un  bien,  et  où  un  palliatif  qui  invétéré 
le  mal  est  le  plus  funeste  de  tous  les  remèdes. 

Qu'un  peuple  est  heureux,  lorsqu'il  n'y  a  rien  de  fait  chez  lui  !  Les 
mauvaises  et  surtout  les  vieilles  institutions  sont  un  obstacle  presqu'in- 
vincible  aux  bonnes.  Voilà  un  roi  sage  ,  mais  qui  manque  ou  de 
lumière,  ou  de  force,  ou  de  courage,  qui  croit  faire  le  bien,  qui  en  laisse 
sa  nation  convaincue  et  qui  perd  tout,  sans  s'en  douter.  Puisse  Votre 
Majesté  trouver  dans  ses  sujets  un  profond  oubli  de  toute  ancienne 
législation  !  S'il  y  a  quelque  chose  de  bien,  elle  saura  bien  le  conserver. 

8.  Les  enquêtes  'par  turbes*  sont  à  peine  aujourd'hui  connues.  Elles 
faisaient  jadis  presque  tout  le  fonds  de  notre  droit  français. 

1.  «  On  appelle  enquête  par  turbes,  dit  le  Répertoire  de  jurisprudence  de 


302  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

N'est-ce  pas  une  chose  bien  singulière  que,  par  laps  de  temps,  une 
nation  en  soit  réduite  à  s'interroger  par  turbe,  pour  savoir  et  statuer 
sur  ce  que  sa  législation  lui  défend  ou  lui  prescrit? 

9.  Sous  la  première  et  la  seconde  race  de  nos  rois,  les  lois  Yarièrent 
suivant  les  cantons  et  suivant  les  personnes. 

Nos  princes  s'engageaient  à  conserver  à  chacune  sa  loi. 

Rien  n'a  changé  en  France,  sur  tous  ces  points.  La  même  diversité  de 
lois  subsiste.  La  coutume  de  Bourgogne  n'est  point  celle  qui  régit  la 
Normandie.  Le  pays  du  droit  écrit  a  des  règles  très  différentes  de  celles 
du  pays  coutumier.  La  loi  des  roturiers  n'est  point  celle  des  nobles.  Le 
clergé  a  des  constitutions  particulières  à  son  état.  Il  en  est  de  môme  du 
militaire,  de  recclésiastique  et  du  magistrat. 

Cependant,  est-ce  que  tous  ces  gens-là  sont  autre  chose  que  des  sujets 
et  des  citoyens  ?  Que  la  nation  les  récompense  de  leurs  services,  cela  est 
juste  ;  mais  que  ce  ne  soit  jamais  par  des  privilèges  exclusifs,  par  des 
exemptions,  par  tous  ces  moyens  iniques  qui  sont  autant  d'infractions 
à  la  loi  générale,  et  de  surcharge  pour  les  hommes  utiles  et  laborieux 
qui  ne  sont  point  titrés.  Poui'quoi  transmettre  à  des  descendants  avilis 
la  récompense  de  leurs  illustres  aïeux?  Quelle  crainte  peut-on  avoir  de 
la  bassesse  et  du  déshonneur,  lorsque  le  sang  transmet  les  prérogatives 
de  la  vertu  ?  Que  l'illustration  remonte,  comme  à  la  Chine,  et  passe  des 
vivants  aux  morts,  je  n'y  vois  nul  inconvénient,  mais  qu'elle  passe  des 
morts  aux  vivants,  c'est  autre  chose. 

Si  j'étais  souverain  dans  une  contrée  où  la  noblesse  a  des  franchises, 
je  serais  bien  avare  de  titres  de  noblesse.  Je  laisserais  passer  la  vieille 
noblesse,  je  l'honorerais,  je  la  soutiendrais,  mais  je  n'en  ferais  point  de 
nouvelle,  ce  qui  ne  déplairait  à  personne. 

10.  Pendant  plus  de  douze  siècles,  la  formation  de  lois  locales  fut 
toujours  accompagnée  de  délibérations  solennelles.  Elles  n'ont  jamais 
dépendu  de  la  seule  volonté  du  souverain.  Les  monarques  ont  toujours 
désiré  qu'elles  fussent  combinées  par  des  représentants.  Ils  n'ont  pas 
même  pris  sur  eux  de  les  interpréter,  et  le  roi  régnant  a  lui-même 
ordonné  plusieurs  assemblées  territoriales  pour  perfectionner  les  cou- 
tumes et  les  rédiger  plus  clairement. 

Rédigées  plus  clairement,  en  sont-elles  moins  folles?  Non.  N'y  reste- 
t-il  plus  d'obscurités  ?  îllles  en  sont  pleines.  C'est  une  source  de  procès 
interminables. 

11.  Ces  lois,  telles  quelles,  c'est  à  l'autorité  souveraine  qu'il  appar- 
tient de  les  faire  exécuter.  Le  roi  seul  a  cette  autorité. 


Giiyot,  une  espèce  d'information  que  les  cours  souveraines  ordonnaient  autre- 
fois lorsqu'en  jugeant  un  procès,  il  se  trouvait  de  la  difficulté,  soit  sur  une  cou- 
tume non  écrite,  soit  sur  la  manière  d'en  user  pour  celle  qui  était  rédigée 
par  écrit  ou  sur  le  style  d'une  juridiction,  ou  enfin  concernant  des  limites  ou 
une  longue  possession  ou  sur  quelque  autre  point  de  fait  important.  »  Les  dépo- 
sitions s'y  faisaient  toutes  ensemble  :  c'est  de  là  qu  est  venue  leur  dénomination. 


DIDEROT.    ESSAI    BISTORIQUE    SUR   LA    POLICE.  303 

S'en  mêle-t-il  ?  Non.  Gela  est  presque  impossible,  il  n'y  suffirait  pas. 

Il  se  fait  suppléer,  et  par  qui  ?  par  des  citoyens  qu'il  revêt  d'une  partie 
de  son  autorité. 

Cette  portion  d'autorité  n'a  pas  été  confiée  sans  règle  ni  restriction, 
et,  si  un  monarque  voulait  demain  s'asseoir  sous  un  chêne,  à  l'exemple 
de  saint  Louis,  et  juger  lui-même  ses  peuples,  il  le  pourrait? 

Certainement;  cependant  je  ne  pense  pas  que  Louis  XV  l'eût  fait 
sans  réclamation  ;  on  lui  aurait  dit  l'équivalent  de  :  «  Sire,  de  quoi 
vous  mêlez-vous  ?  » 

Juger  sous  le  chêne,  ou  évoquer  à  soi,  n'est-ce  pas  la  môme  chose  ? 
Combien  toutefois  les  évocations  n' ont-elles  pas  causé  de  tumulte!  C'est 
que,  quand  on  a  créé  un  tribunal  souverain,  il  faut  interdire  toute  évo- 
cation. L'évocation' est  injurieuse,  l'évocation  affaiblit  et  l'autorité  delà 
justice  et  la  crainte  de  la  loi.  L'évocation  est  toujours  une  marque  de 
faveur  et  de  grâce. 

Ces  règles,  restrictions,  conditions,  sont  connues  sous  le  nom  d'ordon- 
nances. Le  magistrat  jure  de  s'y  conformer,  voilà  qui  est  bien  jusque-là. 

Mais  le  magistrat  a  prétendu  que  ces  conditions  liaient  le  souverain 
lui-même,  tant  qu'elles  n'étaient  point  révoquées. 

Et  le  souverain  est-il  le  maître  de  les  révoquer  ou  abroger  ?  Assuré- 
ment. Jamais  le  magistrat  n'eût  osé  dire  le  contraire.  Cependant  ces 
ordonnances  sont  devenues  un  sujet  de  dissensions  perpétuelles  entre  le 
souverain  et  le  magistrat. 

D'où  il  s'ensuit  qu'il  est  de  la  dernière  importance  pour  un  souverain 
de  ne  confier  à  un  grand  corps  quelconque  que  la  portion  de  son  auto- 
rité qu'il  ne  sera  jamais  tenté  de  revendiquer. 

Mais  aussi,  lorsque  sa  sagesse  a  bien  fixé  cette  portion,  il  est  de  la 
plus  grande  importance  de  prendre  toutes  les  précautions  imaginables 
pour  que  cette  aliénation  soit  éternelle  et  permanente.  Il  ne  l'est  pas 
moins  de  bien  marquer  la  limite  qui  sépare  ce  que  l'on  retient  de  ce 
qu'on  abandonne. 

En  revanche,  je  pense  qu'il  ne  faut  jamais  appeler  un  grand  corps  de 
l'État,  quand  on  peut  s'en  passer  ;  jamais  le  faire  intervenir  dans  les 
choses  étrangères  à  son  institution,  parce  que  les  corps  sont  sujets  à  se 
faire  des  droits  de  tout  ce  qu'on  leur  a  accordé  une  fois.  Plus  leur  sanc- 
tion donne  de  solennité,  plus  il  faut  s'en  méfier.  C'est  comme  la  volonté 
de  Dieu  qu'il  ne  faut  point  employer;  il  est  aisé  de  faire  vouloir  Dieu 
auprès  des  peuples,  il  ne  s'agit  que  de  corrompre  un  prêtre;  mais  il  est 
très  difficile  de  le  faire  cesser  de  vouloir.  Lorsque  Romulus  eut  une  fois 
ordonné  le  sacrifice  des  bestiaux  dans  la  disette,  il  fallut  encore  immoler 
les  bestiaux  lorsque  la  disette  fut  passée. 

Cette  concession,  faite  par  le  souverain,  d'une  partie  de  son  autorite 
devient  avec  le  temps  la  loi  fondamentale  d'un  État,  la  plus  essentielle. 

Tant  que  cette  concession  subsiste  sans  atteinte,  l'État  prospère.  Le 
peuple  se  croit  libre.  L'attaquer  est  le  premier  pas  du  despotisme; 
l'annuler  en  est  le  dernier,  et  l'époque  la  plus  voisine  de  la  chute  d'un 


304  MELANGES    ET   DOCUMENTS. 

empire,  surtout  si  cette  innovation  se  fait  sans  effusion  de  sang,  car 
alors  il  n'y  a  plus  de  nerfs,  tout  est  relâché,  tout  est  avili. 

Sa  Majesté  Impériale  ne  sera  peut-être  pas  fâchée  d'entendre  parler 
le  magistrat,  le  représentant  ou  le  dépositaire  d'une  portion  de  l'autorité 
souveraine.  Le  nom  ne  fait  rien  à  la  chose. 

fi  L'autorité  légale  qui  vous  reste,  Sire,  se  règle  tant  sur  les  lois 
«  locales  et  personnelles  que  sur  les  ordonnances.  Nous  n'avons  accepté 
«  nos  fonctions  qu'à  cette  condition.  Nous  n'avons  acquis  nos  charges 
«  à  grands  frais,  nous  ne  les  avons  exercées  avec,  tant  de  zèle  et  de  peine 
«  que  par  l'importance  que  vous  y  avez  attachée  vous-même.  Laissez- 
«  nous  tels  que  nous  sommes  ou  abolissez-nous.  » 

S'ils  avaient  osé  dire  de  nos  jours  «  ou  coupez-nous  la  tête,  »  peut- 
être  subsisteraient-ils  encore.  Mais,  pour  parler  ainsi,  il  fallait  être  des 
hommes,  et  ils  n'en  étaient  pas.  Mais,  pour  parler  ainsi,  il  fallait  avoir 
pour  soi  la  faveur  de  la  nation,  et  ils  ne  l'avaient  pas.  Mais,  pour  avoir  la 
faveur  de  la  nation,  il  aurait  fallu  s'être  montré  dans  tous  les  temps  les 
protecteurs  de  la  nation,  et  ils  ne  l'avaient  jamais  fait.  Mais,  pour  oser 
se  montrer  fermement  les  protecteurs  de  la  nation,  il  fallait  que,  nommés 
par  la  nation,  elle  eût  seule  le  droit  de  les  révoquer,  et  il  n'y  avait  rien 
qui  ressemblât  à  cela;  s'ils  étaient  tels  qu'ils  se  prétendaient,  il  en  fal- 
lait prendre  acte  do  bonne  heure,  et  sentir  que  leur  existence  dépendait 
de  ces  actes  réitérés  et  suivis  sans  intermission. 

Que  Sa  Majesté  Impériale  a  été  sage,  quand  elle  a  abandonné  à 
chaque  province  de  ses  États  le  choix  de  son  représentant  !  Mais  aura- 
t-elle  la  force  de  laisser  à  chacune  de  ces  provinces  la  liberté  de  la  con- 
firmation ou  de  la  révocation  de  son  représentant?  Ne  se  mêlera-t-elle 
plus  de  la  conformation  du  corps  et  son  génie  grand  et  fécond  lui 
a-t-il  inspiré  le  moyen  d'empêcher  aucun  de  ses  successeurs  de  s'en 
mêler?  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  un  problème  de  politique  plus  difficile 
à  résoudre,  mais  je  suis  bien  éloigné  de  le  croire  au-dessus  de  ses  forces. 
Elle  a  fait  tant  de  choses  surprenantes  qu'on  ignore  ce  qu'elle  ne  peut 
pas  faire. 

Si  elle  s'est  proposé  d'éterniser  ses  lois  et  d'élever  contre  le  despo- 
tisme à  venir  une  autorité  insurmontable,  il  est  certain  qu'elle  ne  peut 
rien  faire  de  mieux. 

Il  est  bien  grand,  bien  courageux,  bien  humain  dans  une  souveraine 
de  former  elle-même  une  digue  à  la  souveraineté.  Car  c'est  très  certai- 
nement ce  qu'elle  aura  fait  si,  après  avoir  confié  à  ses  sujets  la  rédac- 
tion du  code,  elle  rend  la  commission  permanente,  si  elle  laisse  aux 
provinces  le  droit  de  perpétuer  ou  de  casser  ses  représentants,  et  si  elle 
ôte  à  ses  successeurs  le  pouvoir  d'en  disposer  ou  de  l'anéantir. 

Il  ne  restera  plus  qu'une  précaution  à  prendre,  c'est  que  cette  fonc- 
tion de  magistrat,  de  représentant  ou  de  commissaire,  devenant  très 
importante,  ne  devienne  un  objet  d'ambition,  et  que  celui  qui  aspirera  à 
cette  dignité  ne  corrompe  ses  vassaux,  n'achète  leurs  voix  et  n'arrive  à 
la  commission  comme  on  arrive  en  Angleterre  à  la  députation. 


DIDEROT.    ESSAI   HISTORIQUE   SUR   LA   POLICE.  305 

Il  n'y  a  en  Angleterre  que  la  voie  de  la  corruption  ;  peut-être  ici  faut- 
il  y  ajouter  la  voie  de  la  terreur. 

Que  celui  donc  qui  aura  brigué,  de  quelque  manière  que  ce  soit,  les 
suffrages,  soit  à  jamais  exclu  du  tribunal.  Les  petites  brigues  secrètes 
peuvent  s'ignorer;  les  grandes  brigues  et  celles  qui  influent  sur  toute 
une  province  le  sont  difficilement.  Voilà  les  seules  qui  puissent  et  même 
qui  doivent  être  proscrites. 

12.  La  promulgation  de  ces  ordonnances  des  rois  ne  se  fit  point  sans 
formalité,  ce  ne  fut  point  une  étiquette  particulière  à  la  troisième  race. 
Dès  le  commencement  de  la  monarchie,  les  perceptions,  c'est-à-dire  les 
ordres  ou  lettres  que  le  roi  adressait  aux  juges,  n'avaient  d'exécution 
qu'après  une  vérification  scrupuleuse. 

13.  Si  le  commencement  de  la  troisième  race  n'offre  rien  de  semblable, 
c'est  qu'alors  il  n'y  avait  plus  de  lois  et  que  le  pouvoir  légal  du  souve- 
rain, concentré  dans  ses  seuls  domaines,  ne  s'étendit  pas  sur  ceux  de 
ses  vassaux. 

Sa  Majesté  Impériale  (à  moins  que  notre  vieille  histoire  ne  lui  soit 
très  familière,  ce  qui  ne  me  surprendrait  pas)  s'étonnera  un  peu  de  hre 
alternativement  :  «  il  y  avait  des  lois  ;  il  n'y  avait  plus  de  lois.  » 

Cela  arrivera  toujours  (indépendamment  des  circonstances  particu- 
lières à  la  France),  lorsque  l'ordre  social  et  public  s'établira  par  hasard 
et  sans  aucun  plan  ;  lorsqu'il  ne  sera  pas  le  résultat  du  concours  géné- 
ral des  volontés  ;  lorsqu'il  ne  sera  que  l'effet  de  la  bonne  volonté  du  sou- 
verain que  son  cœur,  quelquefois  bon,  et  sa  tête,  fort  souvent  très 
étroite,  aura  dirigé.  "Votre  Majesté  a  la  tête  forte,  l'âme  grande,  les 
vues  étendues.  Elle  sait  vouloir  et  vouloir  fortement  ;  elle  a  un  plan 
formé,  elle  a  appelé  dans  son  conseil  toute  la  nation,  elle  est  aidée  de 
toutes  les  lumières  des  nations  circonvoisines.  C'est  pour  elle,  et  pour 
elle  seule,  je  crois,  que  Montesquieu  a  écrit.  C'est  elle  qu'attendaient 
les  philosophes  qui  ne  méditent  que  pour  le  temps  où  il  naîtra  un  grand 
prince.  Son  ouvrage  durera,  s'il  l'achève,  et  il  l'achèvera,  si  le  malheur 
d'une  longue  suite  de  victoires  n'absorbe  pas  une  partie  de  la  durée  de 
son  règne.  Je  l'ai  déjà  dit,  je  ne  regrette  pas  les  hommes,  les  hommes 
se  refont  ;  je  ne  regrette  pas  l'or  de  ses  trésors,  les  trésors  se  remplissent; 
mais  qui  rendra  à  ces  peuples  les  années  qui  s'écoulent?  Voilà  la  vraie 
perte,  la  perte  irréparable,  la  perte  qui  fait  gémir  toutes  les  personnes 
honnêtes  de  l'Europe  qui  soupirent  après  le  résultat  de  ses  premières 
opérations  ;  quel  qu'en  soit  le  succès,  elles  l'immortaliseront. 

Il  en  serait  de  la  Russie  ainsi  que  de  toutes  les  autres  nations  que 
l'enchaînement  des  événements  a  conduites  à  une  sorte  de  police,  telle 
quelle;  elle  épargnera  bien  des  siècles  à  son  pays. 

14.  Après  quelque  interruption,  l'ordre,  l'usage,  les  formalités 
anciennes  reparurent  sous  les  successeurs  d'Hugues  Gapet,  tandis  que 
tout  était  encore  soumis  à  la  poUce  féodale,  et  décidé  par  les  guerres  ou 
par  le  duel. 

Montesquieu  dit  que  c'est  un  grand  et  sublime  spectacle  que  celui  du 

ReV.    HiSTOR.    XXV.    2e   FASC.  '20 


306  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

gouvernement  féodal  '.  Je  n'entends  pas  cela.  Le  plan  s'en  exposerait  en 
dix  pages  et  les  maux  ne  s'en  exposeraient  pas  en  mille  ;  mais  je 
m'incline  toutes  les  fois  que  je  prononce  ce  nom  et  je  ne  me  permets  pas 
de  discuter. 

15.  Louis  le  Gros  et  son  successeur  affranchirent  les  serfs,  et  créèrent 
ainsi  une  nouvelle  classe  de  sujets  par  l'érection  des  communes. 

16.  Philippe-Auguste  étend  son  domaine  et  institue  des  baillis. 

17.  Louis  VIII  et  saint  Louis,  devenus  plus  puissants  encore,  aug- 
mentent le  nombre  de  leurs  officiers,  sous  le  même  nom  de  baillis,  et 
sous  celui  de  sénéchaux. 

Quel  homme  c'aurait  été  que  ce  saint  Louis  !  Je  lui  passerais,  je  crois, 
son  esprit  intolérant  s'il  eut  fait  par  politique  ce  qu'il  fit  par  sottise 
pieuse.  Les  grands  vassaux  le  suivent  en  terre  sainte,  les  uns  y  sont 
tués;  les  autres  ruinés  ;  lui-même  y  périt  et  son  successeur  devient  tout- 
puissant. 

Si  les  seigneurs  d'une  contrée  gênaient  un  souverain,  j'imaginerais 
bien,  je  crois,  un  moyen  de  se  délivrer,  avec  le  temps,  de  cette  espèce 
de  gêne,  sans  commettre  d'injustice,  sans  attendre  le  hasard  sanglant 
de  saint  Louis  et  sans  recourir  à  la  ressource  hypocrite  de  l'abominable 
assassin  Louis  XL 

Mais  heureusement  Sa  Majesté  Impériale  peut  tout,  et,  plus  heureu- 
sement encore,  elle  ne  veut  que  le  bien.  Aussi  qu'elle  est  grande  !  Com- 
bien son  nom  est  révéré  chez  toutes  les  nations  !  et  qu'elle  doit  être 
heureuse  ! 

Les  établissements  changeront,  avant  qu'il  se  soit  écoulé  un  demi- 
siècle,  toute  la  face  de  son  empire.  Un  moyen  simple  qui  achèverait  de 
lever  tout  obstacle,  ce  serait  l'acquisition,  même  au-delà  de  la  valeur, 
de  toutes  les  possessions  considérables,  dont  le  dérangement  des  pro- 
priétaires, ou  quelqu'autre  cause  que  ce  soit,  occasionne  la  vente. 

Mais  Sa  Majesté  Impériale  dira  que  ce  moyen  suscite  de  l'ombrage. 

L'ombrage  cessera  si  elle  acquiert,  pour  gratifier  d'honnêtes  et  bons 
citoyens,  des  serviteurs  sûrs  et  zélés  à  qui  ces  acquisitions  seraient 
concédées  à  vie,  sauf  même  à  en  prolonger  la  jouissance  à  leurs  héritiers. 

Ce  moyen  a  même  un  double  efîet,  outre  celui  d'enrichir  et  de  forti- 
fier le  souverain,  et  de  voir  les  grands  obstacles  à  ses  volontés  ;  celui 
encore  d'attacher  fortement  plusieurs  grandes  familles  au  souverain  qui 
règne,  d'assurer  la  succession,  et  avec  la  succession  la  paix  et  la  tranquil- 
lité intérieures. 

Ainsi  j'acquerrais  de  ceux  qui  vendent  par  indigence  ou  dérange- 
ment; j'enrichirais  ceux  qui  manquent  et  j'emprunterais  de  ceux  qui 
sont  riches.  Rien  de  si  respectable  qu'un  débiteur  qui  paie  bien,  car  il 
faut  bien  payer. 

1.  Esprit  des  lois,  livre  XXX,  ch.  i.  Montesquieu  a  consacré  à  l'examen  du 
gouvernement  féodal  et  à  la  réfutation  de  l'abbé  Dubos  {Histoire  critique  de 
rétablissement  de  la  monarchie  française  dans  les  Gaules)  les  deux  derniers 
livres  de  sou  grand  ouvrage. 


DIDEROT.    ESSAI   HISTORIQUE   SUR   LA   POLICE.  307 

Point  de  souverain  plus  en  sûreté  sur  son  trône  que  celui  qui  doit  à 
tous  ses  sujets,  s'il  paie  bien  sa  dette. 

Ces  emprunts  sont  autant  de  chaînes  qui  partent  du  pied  du  trône  et 
qui  s'étendent  jusqu'aux  dernières  limites  de  l'Empire. 

18.  Tous  ces  officiers  de  baillis  et  sénéchaux  rendaient  compte  de  leur 
administration  au  roi  lui-même,  assisté  de  ceux  qu'il  jugeait  à  propos 
d'appeler  à  son  conseil. 

Sa  Majesté  Impériale  croira  sans  doute  que  cela  commence  à  prendre 
forme,  cependant  il  n'en  est  rien. 

19.  Cette  juridiction  purement  fiscale  dans  son  origine  et  propre  aux 
domaines  particuliers  du  roi  donna  lieu  dans  la  suite  à  l'intervention 
des  cas  roi/aux  et  aux  appels  des  sentences  de  tribunaux  postérieurement 
érigés,  étendit  sa  compétence  de  toutes  parts  et  renversa  l'ordre  judiciaire 
du  gouvernement  de  Charlemagne  dont  il  ne  reste  de  vestiges  que  dans 
les  pairs  de  France. 

On  a  créé  un  tribunal,  on  en  érige  un  second,  sans  abolir  le  premier, 
et  l'on  ne  s'aperçoit  pas  qu'on  suscite  en  même  temps  mille  conflits  de 
juridiction. 

Plus  on  multiplie  les  districts,  plus  on  embrouille  l'ordre  judiciaire, 
parce  que,  les  limites  des  juridictions  n'étant  jamais  assez  tranchées,  il 
s'élève  entre  les  tribunaux  les  mêmes  contestations  qu'entre  les  rois,  les 
prêtres  et  les  magistrats,  les  particuliers  sur  leurs  domaines. 

Des  tribunaux  nombreux,  moins  de  tribunaux  différents,  s'il  est 
possible. 

Et  puis  je  m'arrête  pour  considérer  un  moment  par  combien  de  vicis- 
situdes nous  avons  été  conduits  au  point  où  nous  en  sommes  ou  plutôt 
où  nous  en  étions,  et  par  combien  de  vicissitudes  nous  aurions  eu 
encore  à  passer  pour  arriver  à  quelque  chose  de  bien,  en  continuant  de 
nous  abandonner  aveuglément  à  ce  mouvement  obscur  et  sourd  qui  nous 
tiraille,  qui  nous  tourmente  et  nous  fait  tourner  et  retourner,  jusqu'à 
ce  que  nous  ayons  trouvé  une  position  moins  incommode,  mouvement 
qui  agite  un  empire  mal  policé,  comme  il  agite  un  malade  !  Mais  nous 
avons  perdu  jusqu'à  cette  inquiétude  automate.  Nous  ne  nous  sentonsplus. 

Il  y  avait  dans  le  commencement  un  roi,  des  seigneurs  et  des  serfs. 
Il  n'y  a  aujourd'hui  qu'un  maître  et  des  serfs  sous  toutes  sortes  de  noms. 

20.  Dans  une  régénération  du  gouvernement  français,  les  rois  s'aper- 
çurent que  plus  leur  autorité  prenait  d'accroissement,  plus  ils  avaient 
besoin  d'aides  dans  son  exercice. 

21.  Les  baillis  rendaient  compte  au  roi,  ou  plutôt  à  son  conseil.  Mais 
aucune  lettre,  aucun  ordre  ne  leur  était  adressé  sans  l'avis  de  ce  conseil. 
Telle  est  l'origine  de  la  vérificatmi  des  cours  sous  la  troisième  race. 

C'est  un  mot  bien  singulier  que  celui  de  vérification.  Je  l'expliquerai 
ailleurs. 

22.  La  formalité  de  l'enregistrement  est  postérieure  à  la  vérification. 
Qui  croirait  que  cette  formalité  de  l'enregistrement,  cette  loi  si  grande, 

si  belle,  si  sacrée;  cette  loi  qui,  déposée  entre  des  mains  vraiment 


30<S  MELANGES    ET    DOCUMENTS, 

patriotiques,  aurait  suffi  pour  arrêter  toutes  les  opérations  d'un  minis- 
tère pervers  et  qui  les  a  quelquefois  arrêtées,  n'a  qu'une  origine  frivole, 
n'a  presque  produit  aucun  bien  et  a  servi  ou  de  raison  ou  de  prétexte  à 
la  destruction  récente  de  toute  notre  magistrature  et  conséquemmentun 
renversement  de  notre  gouvernement!  Une  formalité  produite  parle 
hasard  !  Une  formalité  insignifiante  dans  son  origine!  Une  formalité  qui 
devient  par  laps  de  temps  la  base  d'un  empire  !  Que  l'histoire  écrite  et 
lue  sous  ce  coup  d'oeil  serait  une  belle  chose  !  Mais  l'incertitude  ou 
l'ignorance  des  faits  s'y  oppose. 

L'enregistrement  n'eut  d'autre  utilité  dans  son  principe  que  la  con- 
servation de  la  loi  dans  un  registre  authentique,  en  cas  de  la  perte  de 
l'original. 

Dans  la  suite,  il  devint  une  condition  sans  laquelle  aucune  volonté  du 
roi  ne  pouvait  avoir  d'exécution.  Le  roi,  par  exemple,  eût  inutilement 
levé  un  impôt  sur  ses  sujets  ;  celui  qui  eût  osé  l'exiger  et  le  percevoir, 
avant  l'enregistrement,  aurait  été  traité  comme  concussionnaire,  décrété, 
appréhendé  au  corps  et  peat-être  puni  capitalement. 

Il  fallait  ou  l'enregistrement  ou  des  baïonnettes,  point  de  milieu. 

Voici  donc  ce  que  l'enregistrement  suppose  :  un  souverain  qui  veut. 

Un  souverain  qui  notifie  sa  volonté  à  un  corps  de  citoyens  chargé 
d'examiner  si  cette  volonté  n'a  rien  de  contraire  aux  constitutions  fon- 
damentales du  royaume,  au  bien  de  son  état  et  de  sa  personne,  et  au 
légitime  intérêt  de  ses  sujets. 

Un  corps  de  citoyens  qui  approuve  et  désapprouve  la  volonté  du 
souverain. 

Un  corps  de  citoyens  qui,  en  cas  d'improbation,  peut  ou  ne  peut  pas 
arrêter  la  mauvaise  volonté  du  souverain. 

Si  ce  corps  est  bien  composé,  si  les  membres  en  sont  de  bons,  hon- 
nêtes et  braves  citoyens,  des  patriotes  zélés,  des  hommes  justes  et  éclai- 
rés, la  belle  chose  que  ce  corps  !  Une  nation  doit  se  faire  égorger  tout 
entière  plutôt  que  d'en  souffrir  l'abolition. 

Mais  ce  corps  n'est-il  subsistant,  ne  doit-il  son  privilège,  sa  durée  qu'à 
la  volonté  du  souverain  ;  peut-il  cesser  d'être  au  moment  où  le  souverain 
lui  dit  :  «  Vous  étiez,  parce  que  je  voulais  que  vous  fussiez  ;  vous  n'êtes 
plus,  parce  que  je  ne  veux  plus  que  vous  soyez  ?  » 

Ce  corps  ne  peut-il  rien  par  lui-même  ? 

Ce  corps,  lorsqu'il  fait  le  mieux  son  devoir,  en  est-il  réduit  à  de 
vaines  remontrances  ? 

Ce  corps  est-il  obligé,  sur  des  lettres  de  jussion,  de  donner  la  sanction 
légale  et  publique  à  la  volonté  unique  du  maître? 

Lorsque  ce  corps  a  le  courage  de  désobéir  à  des  lettres  de  jussion,  sa 
désobéissance  n'amène-t-elle  qu'un  lit  de  justice  où  le  roi  saisit  la  main 
du  magistrat  et  lui  dit  :  «  Écris  ce  que  je  veux  que  tu  écrives,  et  dis  à 
«  mes  sujets  que  tel  est  mon  bon  plaisir,  et  que  tu  m'approuves?  » 

Ce  corps  n'a-t-il  plus  de  ressource  alors  que  d'obéir,  continuer  ou 
quitter  ses  fonctions  de  remontrants  et  de  magistrats? 


DIDEROT.    ESSAI    HISTORIQUE    SLR    LA    POLICE.  309 

Ce  corps  n'est  rien  ou  peu  de  chose  pour  la  nation.  Ce  n'est  qu'un 
beau  fantôme  qui  la  séduit;  c'est  la  voix  de  la  sagesse  qui  crie  inutile- 
ment. 

Si  on  lui  a  vendu  et  vendu  bien  chèrement  le  droit  de  remontrer,  car 
ce  corps  n'est  qu'une  assemblée  de  remontrants,  s'il  quitte  ou  si  on  le 
casse,  il  est  juste  de  le  rembourser  et  de  le  rembourser  sur-le-champ  et 
dans  l'espèce  qu'on  en  a  reçu,  et,  si  l'on  manque  d'argent,  il  ne  faut  pas 
le  casser,  car,  quand  cela  serait  vrai,  il  ne  faut  pas  dire  à  une  nation  qui 
n'est  pas  tout  à  fait  imbécile  :  «  Vous  n'avez  rien,  avez-vous  bien  entendu  ? 
Mais  rien  du  tout,  car  tout  m'appartient.  » 

Un  corps  pareil  ne  peut  obtenir  quelque  solidité,  quelque  vigueur 
que  de  la  considération  publique,  de  l'incorruptibilité  de  ses  membres 
et  d'une  confédération  solide  entre  les  classes  qui  le  composent,  que  de 
l'immensité  de  ses  fonctions,  quand  il  joint  au  titre  de  remontrant  celui 
de  magistrat  ;  que  de  l'intérêt  que  toute  une  nation  prend  à  sa  conser- 
vation, et  que  de  la  difficulté  de  le  suppléer,  si  toutes  les  classes,  en 
abdiquant  la  qualité  vaine  de  remontrant,  abdiquent  en  même  temps  à 
la  fois  la  qualité  importante  de  juge,  car  il  est  évident  que  son  abdica- 
tion générale  et  subite  jette  en  un  instant  la  nation  dans  l'anarchie,  état 
dont  la  durée  est  incompatible  avec  la  sécurité  du  souverain. 

Examinons  notre  corps  remontrant  sous  ces  différentes  faces. 

Jouissait-il  de  la  considération  publique?  Non.  Il  n'en  jouissait  pas, 
parce  qu'il  ne  la  méritait  pas,  et  il  ne  la  méritait  pas,  parce  que  toutes 
les  résistances  aux  volontés  du  souverain  n'étaient  que  de  la  mômerie; 
que  l'intérêt  de  la  nation  était  toujours  sacrifié  et  qu'il  ne  se  battait 
bravement  que  pour  le  sien. 

Ces  classes  étaient-elles  bien  unies?  Aucunement.  Celle  de  la  capitale, 
pleine  d'une  sotte  morgue,  dédaignait  les  autres,  et  de  temps  immémo- 
rial elle  s'était  presque  privée  elle-même  de  sa  principale  force,  en  éloi- 
gnant de  ses  séances  journalières  les  ducs  et  pairs,  ses  membres  nés, 
dont  le  premier  président  prenait  les  avis  le  bonnet  sur  la  tête,  tandis 
qu'il  se  découvrait  en  prenant  les  avis  de  ses  confrères,  distinction 
injurieuse  dont  ces  sots  et  orgueilleux  remontrants  n'avaient  jamais 
voulu  se  départir,  préférant  une  marque  ridicule  de  prééminence  à  leur 
force  et  à  leur  sécurité. 

Qu'on  juge  de  l'embarras  qu'auraient  donné  les  pairs,  formant  corps  et 
cause  commune  avec  eux,  par  l'embarras  qu'ils  donnent  encore  aujour- 
d'hui, embarras  tel  que  le  ministère  ne  s'en  serait  jamais  tiré  si  l'intérêt, 
la  faiblesse  et  l'ennui  ne  les  avaient  subjugués.  Ils  se  sont  tous  vendus 
plus  ou  moins  cher,  et  quelques-uns  ont  déjà  plié  le  genou  et  fait  la 
révérence  aux  misérables  qui  ont  remplacé  nos  anciens  magistrats.  Il 
est  donc  essentiel  à  la  durée  d'un  corps  de  remontrants  de  pourvoir  qu'à 
l'avenir  une  classe  ne  s'arroge  aucune  prérogative  sur  une  autre  classe, 
s'il  est  partagé  en  classes  ;  et  que,  dans  une  classe  ou  dans  le  corps  entier, 
il  n'y  ait  aucun  individu  qui  puisse  en  mépriser  un  autre.  Autre  précaution 
à  prendre,  c'est  qu'un  député,  un  remontrant,  un  magistrat  n'ait  dans 


3^0  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

les  cas  de  discussions  particulières  aucune  prépondérance  sur  le  dernier 
des  citoyens,  et  que  justice  se  fasse. 

Il  faut  avouer  qu'ils  avaient  donné  pour  l'acquisition  de  leurs  titres 
de  remontrant  et  de  magistrat  des  sommes  dont  le  revenu  n'était  nulle- 
ment proportionné  soit  à  leurs  fatigues,  soit  à  leur  fortune,  soit  à  leur 
dignité,  et  voilà  la  base  de  leur  vénalité  et  de  leur  esclavage.  La  cour 
les  dédommageait  dans  leurs  enfants,  qu'elle  plaçait  dans  le  militaire  et 
dans  l'église.  Ils  n'étaient  ni  assez  courageux  ni  assez  riches  pour  renon- 
cer à  cette  séduction  qui  les  entraina  dès  le  premier  instant  et  à  laquelle 
les  plus  fougueux  enthousiastes  auraient  cédé  à  la  longue,  parce  que 
l'enthousiasme  ne  peut  jamais  être  qu'un  ressort  momentané,  le  ressort 
d'un  individu  et  non  celui  d'un  empire. 

La  nation  prenait-elle  grand  intérêt  à  ce  corps?  Aucun.  Il  était  resté 
gothique  dans  ses  usages,  opposé  à  toute  bonne  réforme,  trop  esclave  des 
formes,  intolérant,  bigot,  superstitieux,  jaloux  du  prêtre  et  ennemi  du 
philosophe,  partial,  vendu  aux  grands,  dangereux  et  incommode  voisin, 
et  cela  au  point  que  la  propriété  qui  touchait  à  la  sienne  perdait  un 
quart,  un  cinquième,  un  sixième  de  sa  valeur,  que  même  on  n'en  vou- 
lait point;  embarrassant  tout,  brouillant  tout,  tracassier,  petit,  tirant  à 
lui  les  affaires  de  politique,  de  guerre,  de  finance,  ne  s'entendant  à  rien 
hors  de  sa  sphère,  et  toujours  pressé  d'en  sortir,  voyant  le  désordre 
partout,  excepté  dans  ses  lois,  dont  il  n'essaya  jamais  de  débrouiller  le 
chaos,  vindicatif,  orgueilleux,  ingrat,  etc 

Toutes  les  classes  de  corps  se  sont-elles  soulevées  à  la  fois  ?  Non.  Elles 
se  sont  laissé  exterminer  les  unes  après  les  autres,  comme  des  troupeaux 
de  moutons.  Je  ne  doute  pas  même  que  les  classes  provinciales  n'aient 
été  assez  aveugles  pour  ne  pas  voir  le,  sort  qui  les  attendait  dans  celui 
de  la  première  classe  et  assez  sottes  pour  s'en  réjouir  secrètement. 

Mais  la  destruction  de  ce  corps  est  donc  un  bonheur?  Non.  C'est  un 
très  grand  malheur,  parce  qu'elle  a  entraîné  la  ruine  de  vingt  mille 
familles,  parce  qu'elle  a  annoncé  à  toute  la  nation  qu'il  n'y  avait  plus 
aucune  propriété  sacrée  ;  parce  qu'on  a  substitué  à  des  gens  illustres 
par  leur  place,  leur  naissance,  leurs  alliances,  leur  fortune,  leur  impor- 
tance, leur  grand  usage  des  affaires,  sinon  leurs  lumières,  leur  ancien- 
neté, leur  vieux  gothique  qui  conservait  encore  je  ne  sais  quoi  d'auguste, 
un  ramas  de  malheureux,  de  malfaiteurs,  de  sycophantes,  de  gueux, 
d'ignorants,  une  misérable  canaille  qui  tient  l'urne  fatale  où  nos  vies, 
notre  liberté,  nos  fortunes  et  notre  honneur  sont  renfermés  ;  parce  que 
cette  canaille,  vile  par  elle-même,  n'ayant  pour  toute  fortune  que  son 
modique  salaire  fixé  par  la  cour,  doit  s'avilir  par  toutes  sortes  de  bas- 
sesses pour  conserver  cette  place  dont  on  peut  la  chasser  comme  on 
chasse  des  valets,  et  travailler  à  sa  fortune  par  toutes  sortes  d'iniquités, 
parce  que  les  pères  ne  savent  plus  que  faire  de  leurs  enfants  à  qui  cette 
porte  honorable  est  fermée;  parce  que  cette  corporation  d'hommes 
indignes  et  obscurs  empirera  plutôt  que  de  s'amender,  ne  pouvant  être 
recrutée,  du  moins  de  très  longtemps,  de  meilleurs  sujets;  car  quel  est 


DIDEROT.    ESSAI    HISTORrnUE   SUR   LA   POLICE.  314 

le  père  qui  pousse  son  enfant  vers  un  état  où  il  n'y  a  ni  honneur,  ni 
profit,  ni  sûreté  ?  on  en  a  déjà  chassé  plusieurs,  sans  aucune  sorte  de 
formalité.  Au  reste,  s'il  s'amende  jamais,  ce  ne  sera  pas  de  quatre 
siècles;  en  attendant,  il  perdra  la  France;  ou,  si  l'État  et  les  cours  sou- 
veraines subsistent  encore,  ces  cours  souveraines  seront  derechef  exter- 
minées par  le  monarque,  ou  le  monarque  jeté  dans  les  fers  par  elles. 
Si  elles  étaient  capables  de  quelque  vue  profonde,  avant  le  milieu  du 
siècle  prochain,  elles  ramèneraient  l'ancien  temps  des  états  généraux. 
Mais  ce  qu'on  ne  prévoit  pas,  c'est  qu'elles  s'enrichiront  avec  le  temps 
et  qu'alors  leur  intérêt  se  confondant  en  partie  avec  l'intérêt  général,  il 
est  impossible  qu'elles  ne  deviennent  pas  redoutables.  Le  maréchal  de 
Broglie'  me  répond  à  cela  :  «  Qu'est-ce  que  cela  me  fait?  Je  n'y  serai 
pas.  »  Et  vos  enfants,  monsieur  le  maréchal,  y  seront-ils?  mais  j'en- 
tends, vous  vous  souciez  fort  peu  de  vos  enfants. 

Votre  Majesté  Impériale  dit  :  «  Que  les  enfants  de  vos  pères  n'entrent- 
ils  dans  le  militaire  ?  u  Le  militaire  est  un  état  chez  nous,  où  il  n'y  a 
que  des  coups  à  gagner  et  une  fortune  à  perdre.  Le  militaire  achève  sa 
vie  sur  des  pensions  de  la  cour  qui  les  paie  mal.  La  cour  vient  de 
réduire  en  rentes  viagères  les  pensions  militaires  arriérées;  c'est-à-dire 
de  condamner  les  petits-enfants  de  ces  militaires  à  demander  l'aumône. 
Rien  de  plus  commun  dans  nos  rues  qu'une  croix  2  qui  n'a  pas  d'ha- 
bit; parce  qu'il  faut  payer  en  rubans,  quand  on  manque  d'argent;  et 
que  le  ruban  s'avilit,  en  se  multipliant. 

La  nation  s'est  donc  réjouie  de  l'extinction  de  ce  corps  ?  Avant  que 
de  connaître  les  mains  infâmes  dans  lesquelles  elle  allait  tomber,  elle 
s'en  est  désolée,  et  avec  raison  :  il  y  avait  entre  la  tête  du  despote  et 
nos  yeux  une  grande  toile  d'araignée  sur  laquelle  la  multitude  adorait 
une  grande  image  de  la  liberté.  Les  clairvoyants  avaient  regardé  depuis 
longtemps  à  travers  les  petits  trous  de  la  toile,  et  savaient  bien  ce  qu'il 
y  avait  derrière,  on  a  déchiré  la  toile,  et  la  tyrannie  s'est  montrée  à 
face  découverte.  Quand  un  peuple  n'est  pas  libre,  c'est  encore  une  chose 
précieuse  que  l'opinion  qu'il  a  de  sa  liberté  ;  il  avait  cette  opinion,  il 
fallait  la  lui  laisser;  à  présent,  il  est  esclave,  et  il  le  sent  et  il  le  voit; 
aussi  n'en  attendez  plus  rien  de  grand  ni  à  la  guerre,  ni  dans  les  sciences, 
ni  dans  les  lettres,  ni  dans  les  arts.  La  philosophie  est  persécutée.  Les 
lettres  ne  se  soutiennent  que  par  la  considération  publique  d'un  peuple 
qui  s'ennuie  et  qui  ne  peut  refuser  sa  faveur  à  des  hommes  qui 
l'amusent;  il  n'y  a  que  du  danger  à  écrire  et  penser  hardiment.  On  ne 
peut  recueillir  de  son  ouvrage  aucun  lucre,  aucun  honneur ,  fparce 
qu'on  ne  peut  l'avouer.  Le  sentiment  patriotique  vit  encore  dans  les 
pères  ;  il  vit  même  au  fond  des  cœurs  de  tous  les  fauteurs  actuels  de  la 

1.  Victor-François,  duc  de  Broglie,  né  le  19  octobre  1718,  mort  à  Munster 
en  1804. 

2.  Un  chevalier  de  Saint-Louis.  Diderot  a  plusieurs  fois  employé  cette  abré- 
viation, mais  je  n'en  connais  pas  d'autres  exemples  chez  ses  contemporains. 


312  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

tyrannie;  et  c'est  par  cette  raison  qu'on  n'ose  pas  tout  contre  les  pères 
qu'on  ne  croit  pas  disposés  à  tout  supporter.  Mais  les  successeurs  de 
ces  ministres  de  la  tyrannie  seront  des  tigres  qui  se  croiront  nés  de 
tout  temps  pour  déchirer,  et  nos  enfants,  des  moutons  imbéciles  qui 
se  croiront  nés  de  tout  temps  pour  être  déchirés. 

O  nation  si  belle,  il  n'y  a  qu'un  moment  !  0  malheureuse  nation,  je 
ne  puis  m'empêcher  de  pleurer  sur  toi  ! 

Il  est  une  haute  montagne,  escarpée  d'un  côté  et  terminée  de  l'autre 
par  un  précipice  profond,  entre  le  côté  escarpé  et  le  précipice  il  y  a  une 
plaine  plus  ou  moins  étendue.  La  nation  qui  naît  grimpe  le  côté  escarpé. 
La  nation  formée  se  promène  sur  la  plaine.  La  nation  qui  déchoit  suit 
la  pente  du  précipice,  et  la  suit  avec  une  grande  célérité  ;  nous  y  sommes. 

Je  présente  à  Votre  Majesté  un  spectacle  grand,  mais  affligeant;  que 
son  âme  tendre  et  humaine  en  soit  touchée,  mais  non  découragée. 
Cependant  il  a  fallu  des  siècles  pour  amener  notre  instant  fatal  ;  et  cet 
instant  pouvait  être  retardé  par  des  lois  et  des  institutions  sages,  si 
nous  eu  avions  eu.  Songez,  madame,  que  je  vous  présente  l'éboulement 
d'un  grand  amas  de  grains  de  sable  que  des  circonstances  fortuites 
avaient  entassés,  au  lieu  qu'il  dépend  de  Votre  Majesté  de  placer  la 
hase  de  votre  pyramide  sur  le  roc,  et  d'en  lier  les  différentes  parties  par 
des  crampons  de  fer.  Le  roc  s'affaisse,  il  est  vrai,  les  crampons  de  fer 
se  relâchent,  les  pierres  se  disjoignent,  et  l'édifice  s'écroule  à  la  longue; 
mais  il  a  duré  cent  siècles  ;  cent  siècles  d'un  bonheur  continu  et  procuré 
par  les  travaux  et  le  génie  étonnant  de  Votre  Majesté,  à  trente  millions 
d'hommes,  ne  suffiront-ils  pas  à  son  âme  vaste  et  grande  ? 

23.  Je  continue.  Sous  le  règne  de  saint  Louis,  le  conseil  du  roi  est 
partagé  en  plusieurs  départements. 

D'abord  ce  prince,  qui  voyageait  souvent,  crut  qu'il  était  utile  de 
détacher  d'auprès  de  sa  personne  une  partie  des  officiers  de  son  conseil; 
pour  entendre  les  comptes  des  baillis,  et  pour  être  des  dépositaires  fixes 
et  permanents  des  titres  de  la  couronne,  des  chartes  et  des  lois. 

2'i.  Elle  est  incroyable,  l'importance  que  des  frivolités  prennent  à  la 
longue  :  voilà  l'origine  de  ce  sublime  et  magnifique  nom  de  conservateurs 
et  défenseurs  des  lois  foMamentales  de  la  nation. 

Cette  juridiction  fut  fixée  au  Temple  à  Paris. 

25.  La  Chambre  des  Comptes  est  le  premier  corps  de  magistrature 
connu  dans  notre  histoire. 

Et  à  quoi  cette  Chambre  des  Comptes  doit-elle  son  origine  ?  Aux  fré- 
quents voyages  du  roi. 

Lorsque  les  institutions  les  plus  graves  sont  les  suites  d'un  hasard 
capricieux  qui  les  amène,  comment  n'arrivera- t-il  pas  qu'elles  se 
croisent  et  s'entre-détruisent  ?  Ce  ne  sont  plus  les  matériaux  d'un  édi- 
fice projeté  où  l'habile  architecte  fixe  la  place  à  chaque  pierre.  Ce  sont 
autant  de  pierres  qui  sortent  fortuitement  de  la  carrière,  qui  s'arrangent 
d'elles-mêmes,  sans  concert,  sans  ordre  et  sans  symétrie,  et  ne  peuvent 
former  à  la  longue  qu'un  bâtiment  ridicule. 


DIDEROT.    ESSAI    HISTORIQUE    SUR  LA    POLICE.  3^3 

Et  quelle  sera  la  limite  de  ces  institutions,  si  chaque  moment  aussi 
frivole  doit  y  donner  lieu  ?  Sous  un  roi  non-voyageur,  la  Chambre  des 
Comptes  rentra-t-elle  dans  le  conseil  dont  elle  était  un  démembrement? 
Point  du  tout;  dans  les  empires  le  mal  qui  se  fait  par  hasard  dure  quel- 
quefois plus  que  s'il  avait  été  projeté.  Le  mal  projeté  s'aperçoit  et  effraie. 
Le  mal  fortuit  ne  s'aperçoit  pas. 

Que  Votre  Majesté  pousse  son  édifice  aussi  loin  qu'elle  pourra,  et 
qu'elle  ait  pour  sa  nation  la  bonté  de  tracer  elle-même  de  sa  propre 
main,  à  son  successeur,  la  manière  dont  il  convient  que  cetedihce  soit 
continué;  sans  quoi,  je  crains  bien  que,  si  le  ciel  la  rendait  à  la  terreau 
bout  de  deux  ou  trois  siècles,  elle  n'y  trouvât  des  parties  bien  bizarre- 
ment et  bien  capricieusement  surajoutées.  «  Mais  qui  m'assurera  que 
mon  successeur  se  conformera  à  mes  idées  ?  »  Son  bon  cœur,  son  bon 
esprit,  son  éducation,  vos  conseils  et  votre  exemple,  et  puis  Votre 
Majesté  aura  fait  tout  son  possible  pour  que  le  bonheur  de  sa  nation  se 
poursuive  selon  la  sagesse  de  ses  vues.  Le  reste  est  abandonné  au  destin. 

26.  L'administration  des  baillis  consistait  alors  presque  tout  entière 
en  recelte  et  en  dépense. 

Ils  n'étaient  point  juges  des  nobles  dans  leur  institution  primitive, 
ils  avaient  seulement  le  soin  de  faire  rendre  les  jugements  par  ceux  qui 
devaient  y  procéder  dans  leurs  bailliages. 

Il  y  avait  alors  deux  manières  de  juger,  l'une  par  les  pairs,  l'autre 
par  les  prud'hommes  ou  sages  gens. 

Les  appels  des  pairs  se  portaient  dans  les  cours  féodales  qui  étaient 
assemblées  par  semonces. 

Les  appels  des  prud'hommes  ou  sages  gens  étaient  portés  dans  les 
cours  des  conseils  du  roi,  ou  dans  celles  des  grands  vassaux  et  des  sei- 
gneurs particuliers. 

Dans  les  cours  féodales,  c'était  le  combat  qui  servait  de  preuve  et  qui 
décidait. 

Dans  les  conseils,  c'était  la  preuve  testimoniale  introduite  par  le  droit 
romain  et  adoptée  par  saint  Louis. 

27.  Cette  dernière  jurisprudence  ayant  paru  préférable  aux  princes 
et  aux  grands  feudataires,  la  cour  du  conseil  du  roi  et  les  cours  du 
conseil  des  grands  vassaux  se  trouvèrent  chargées  de  la  décision  de 
presque  toutes  les  affaires.  Les  barons  et  les  pairs  ne  furent  plus  que 
très  rarement  semonces,  parce  qu'on  ne  jugea  plus  par  pairs.  Ainsi  la 
cour  du  con.seil  du  roi,  dont  l'origine  était  domaniale  et  extraordinaire, 
devint  cour  de  justice. 

28.  De  même  que  Philippe-Auguste,  en  partant  pour  la  terre  sainte, 
avait  recommandé  à  la  reine  sa  mère  de  tenir  tous  les  quatre  mois  une 
séance  ou  assise  à  Paris,  pour  entendre  les  comptes  des  baillis  et  les 
plaintes  qu'on  pourrait  faire  contre  eux  ;  de  même  aussi  saint  Louis, 
dans  les  différents  voyages  qu'il  fit,  laissa  à  Paris  une  partie  des  offi- 
ciers de  son  conseil  pour  tenir  cette  assise. 


314  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

Lors  du  temps  d'assise,  ces  officiers  jugeaient  les  causes  commises,  et 
celles  des  commensaux  de  Paris,  usage  qui  a  subsisté  longtemps. 

Les  jours  où  se  tenaient  ces  assises  ne  furent  point  d'abord  détermi- 
nés. C'était  ordinairement  après  les  grandes  fêtes.  Ce  temps  s'appelait 
le  temps  du  parlement,  nom  que  l'on  donnait  alors  à  toute  assemblée 
dans  laquelle  on  conférait,  ou  parlementait. 

29.  Environ  deux  siècles  après,  cette  commission  composée,  chaque 
année,  des  personnes  que  le  roi  jugeait  à  propos  d'y  placer,  prit  une 
consistance  semblable  à  celle  de  la  Chambre  des  Comptes,  elle  devint 
corps  dans  l'État;  et  le  nom  de  parlement  qui  désignait  un  établisse- 
ment momentané  fut  néanmoins  conservé  à  cette  séance  ou  assise  deve- 
nue perpétuelle. 

30.  Voilà  l'origine  du  Parlement,  tribunal  auquel  Votre  Majesté  ne 
reconnaîtra  certainement  aucun  des  caractères  propres  à  une  barrière 
projetée  pour  la  défense  des  peuples  contre  le  pouvoir  arbitraire  d'un 
souverain  imbécile  ou  méchant. 

Son  institution  est  aussi  fortuite  que  les  autres;  ses  prérogatives 
aussi  incertaines;  et  son  existence  aussi  précaire. 

Les  enquêtes  et  les  requêtes  ne  faisaient  point  alors  partie  du  Parle- 
ment. Si  dans  la  suite,  ou  dans  le  même  temps,  on  les  comprit  sous  la 
même  dénomination,  c'est  qu'ordinairement,  c'était  parmi  eux  que  le 
roi  choisissait  ceux  qui  devaient  tenir  les  assises. 

31.  Le  conseil  du  roi  ainsi  partagé  en  différents  départements,  la 
vérification  des  lettres  éprouva  le  même  partage. 

La  Chambre  des  Comptes  vérifia  toutes  les  lettres  particulières,  en 
matière  de  gestion  de  domaines,  de  finance,  de  comptabilité  et  en  géné- 
ral de  tous  les  ordres  adressés  aux  baillis. 

Si  ces  baillis  y  trouvaient  de  l'obscurité,  de  l'embarras,  ils  en  infor- 
maient les  gens  des  comptes  qui,  après  s'être  adressés  au  roi,  leur  en 
donnaient  l'explication  ou  déclaration. 

32.  Le  roi  s'est  depuis  réservé  à  lui  seul  le  droit  de  donner  ces  déclara- 
tions ;  et  voilà  pourquoi  ces  lettres  qui  étaient  autrefois  expédiées  par 
les  gens  des  comptes  s'expédient  aujourd'hui  à  la  grande  chancellerie. 

Le  Parlement,  les  requêtes  et  les  enquêtes  furent  chargés  de  la  véri- 
fication des  lettres  de  justice,  chacun  en  ce  qui  les  concernait. 

Ces  mots  vérifier,  vérificalion  sont  on  ne  saurait  plus  modestes  ; 
on  croirait  que  c'est  une  pure  et  simple  collation  de  la  volonté  écrite  du 
souverain  avec  une  copie  qu'on  en  aurait  faite  ;  tandis  que  c'est  exacte- 
ment une  confrontation  de  cette  volonté  avec  la  loi  de  l'État  ou  du  sens 
commun. 

Lorsque  le  roi  voulut  rendre  des  ordonnances  pour  la  réformation  du 
royaume,  il  les  fit  d'abord  avec  les  barons  et  de  leur  consentement. 

33.  Les  barons  ayant  cessé  d'être  indépendants,  et  ayant  eu  souvent 
leur  entrée  au  conseil  du  roi,  ils  coopérèrent  encore  à  la  formation  des 
grandes  ordonnances. 

Elles  ont  été  faites  ensuite  sur  les  plaintes  et  doléances  des  états,  par 


DIDEROT.    ESSAI   HISTORIQUE   SUR   LA    POLICE.  3^5 

le  conseil  du  roi,  et  vérifiées  par  les  parlements  et  chambres  des  comptes. 

A  l'égard  des  affaires  de  finances  et  de  domaine,  le  Parlement  a  été 
à  peu  près  associé  à  la  Chambre  des  Comptes  pour  la  vérification. 

Il  est  même  entré  d'autant  plus  facilement  en  correspondance,  comme 
elle,  avec  les  baillis  et  sénéchaux  pour  leur  faire  parvenir  les  ordon- 
nances et  les  règlements,  que  les  officiers  étaient  déjà  soumis  à  sa  juri- 
diction, par  les  appels  des  sentences  qu'ils  rendaient  sur  les  contesta- 
tions des  particuliers. 

34.  Enfin  la  Cour  des  Aides  qui,  dans  l'origine,  n'était  point  sortie  du 
conseil,  fut  néanmoins  chargée  de  vérifier  les  lettres  relatives  aux 
matières  de  son  département  qui  est  tout  financier. 

La  Chambre  des  comptes  et  le  Parlement  chargés  des  mêmes  fonc- 
tions, quoique  dans  des  matières  différentes,  furent  assujettis  aux  mêmes 
devoirs. 

Nulle  lettre  ne  devait  être  passée  qu'elle  ne  fût  levée  et  accordée  en 
présence  de  tous  sur  le  Burel. 

Lorsque  des  lettres  scellées  contre  les  ordonnances  venaient  à  la  con- 
naissance des  gens  des  comptes,  ils  devaient  les  retenir  avant  de  les 
passer  ou  de  les  rendre. 

Il  leur  était  même  enjoint,  par  tout  l'amour  et  la  féauté  qu'ils  avaient 
au  roi,  de  ne  les  passer,  vérifier  ou  registrer,  ni  obéir,  ni  souffrir  y 
être  obéi. 

Les  obligations  des  officiers  du  Parlement  ont  été  les  mêmes  ;  il  leur 
est  en  elîet  ordonné  de  ne  passer  les  lettres  qui  seraient  contraires  aux 
lois,  de  les  casser  au  contraire  comme  injustes  et  subreptices  ;  et  il  leur 
est  défendu  d'obéir  à  tous  commandements  de  bouche  ou  par  écrit  qui 
leur  seraient  faits  à  cet  égard. 

L'ordonnance  de  Louis  X,  15  mai  1315,  et  une  multitude  d'autres 
imposent  la  même  obligation  à  leur  fidélité. 

35.  Voilà  les  révolutions  diverses  qu'avait  subies  notre  police;  et  il  y 
a  plus  de  quatre  cents  ans  qu'elle  n'avait  souffert  de  changements 
remarquables,  lorsqu'elle  fut  tout  à  coup  bouleversée  avec  plus  de  célé- 
rité et  moins  de  résistance  que  le  chaume  d'une  vieille  cabane  n'en 
oppose  à  la  fureur  des  vents. 

Mais,  avant  que  d'aller  plus  loin,  il  est  une  observation  importante  à 
faire;  c'est  qu'on  voit  successivement  plusieurs  rois  sages  prendre  des 
précautions  infinies  et  employer  les  injonctions  les  plus  fortes  pour 
engager  les  remontrants  ou  magistrats  à  bien  faire  leur  devoir,  à  véri- 
fier scrupuleusement  leurs  édits  ou  volontés,  à  leur  désobéir  formelle- 
ment et  à  s'exposer  à  toute  leur  indignation  plutôt  que  de  souscrire  à 
un  ordre  nuisible.  Cependant  qu'en  est-il  arrivé  ?  rien  de  ce  qui  devait  en 
arriver;  lorsqu'un  roi  commande  de  pareilles  choses,  il  n'est  jamais 
obéi,  à  moins  que  ses  actions  ne  montrent  bien  évidemment  qu'il  veut 
l'être,  et  quand  ses  actions  l'ont-elles  sufhsamment  prouvé?  je  l'ignore; 
et  puis  son  successeur  dit  :  «  Mon  aïeul  le  voulait  ainsi  ;  moi,  je  ne  le 
veux  pas.  »  Tels  étaient  pourtant  ou  le  privilège,  ou  la  prétention,  non 


316  MELANGES  ET  DOCUMENTS. 

contestée,  de  ces  remontrants  que  le  roi  n'en  pouvait  dépouiller  aucun 
de  son  état,  sans  lui  faire  son  procès;  ils  ne  se  croyaient  amovibles  que 
par  la  mort  naturelle  ou  violente. 

Pourquoi  cela  n'a-t-il  produit  aucun  bien?  c'est  que  le  tribunal 
entier  était  de  la  création  du  monarque  seul  ;  c'est  que  l'aliénation  pré- 
tendue de  la  portion  d'autorité  publique  qui  lui  avait  été  faite  était 
mal  cimentée  ;  c'est  que  l'homme  du  palais  ne  fut  jamais  l'homme  du 
peuple  et  qu'il  resta  toujours  l'homme  du  roi  ;  il  est  inutile  de  m'étendre 
davantage  sur  ce  point  que  j'ai  suffisamment  examiné  à  l'occasion  de 
l'enregistrement. 

36.  Nous  étions  sous  un  gouvernement  ou  du  moins  nous  nous 
croyions  sous  un  gouvernement  vraiment  monarchique.  Un  roi  qui  peut 
tout  sur  son  peuple;  entre  ce  roi  tout-puissant  et  son  peuple,  un  corps 
intermédiaire  autorisé  à  suspendre  l'exécution  de  la  volonté  du  roi  ;  un 
roi  qui  veut  inutilement  et  qui  n'est  pas  obéi,  si  sa  volonté  n'est  véri- 
fiée, c'est-à-dire  déclarée  conforme  au  bien  général,  par  le  corps  inter- 
médiaire; déclaration  toujours  subséquente  à  une  formalité  essentielle, 
l'enregistrement,  la  bête  noire  des  ministres. 

Tout  à  coup  il  s'élève  un  homme  de  rieni,  sans  grande  fortune,  sans 
grande  naissance,  sans  grand  génie,  mais  suppléant  ces  qualités  par  de 
la  bassesse,  de  la  duplicité,  l'esprit  de  la  vengeance,  l'ambition  et 
l'audace. 

Cet  homme,  qui  avait  trompé  son  père  et  le  ministre;  son  père  pour 
devenir  premier  président,  son  père  et  le  ministre  pour  devenir  chan- 
celier, se  proposait  simplement  de  rendre  au  corps  des  remontrants  ou 
magistrats,  dont  il  avait  été  chef,  quelques  mortifications  qu'il  en  avait 
reçues,  du  moins  on  le  présume;  mais  semblable  au  nègre  inconsidéré 
qui  a  engagé  son  bras  entre  les  rouleaux  du  moulin  et  qui  sent  ou  qu'il 
faut  briser  la  machine  ou  en  être  broyé  comme  la  canne,  ne  balance 
pas,  et  fait  bien  pour  son  salut,  il  brise  la  machine,  moins  par  sa  force, 
que  par  la  faiblesse  et  la  sottise  de  ses  adversaires. 

Il  représente  au  monarque  que  ces  remontrants  le  tiennent  en  lisière. 

Il  lui  fait  concevoir  qu'il  est  indigne  de  lui  d'envoyer  ses  volontés 
sacrées  à  contrôler  à  de  petits  particuliers. 

Il  lui  rappelle  la  multitude  de  circonstances  où  cet  enregistrement 
ridicule  a  gêné  et  quelquefois  empêché  l'exécution  de  ses  ordres  suprêmes 
et  les  opérations  de  son  ministère. 

Il  lui  propose  d'être  maître  et  roi. 

Il  lui  dit  qu'il  est  temps  d'être  maître  et  roi. 

Il  lui  persuade  que  tout  lui  appartient  par  le  droit  du  premier  roi  qui 
s'empara  de  la  contrée,  et  que  ces  militaires,  ces  prêtres,  ces  magistrats, 
tout  ce  peuple  n'ont  rien  en  propre,  puisqu'ils  ne  tiennent  ce  qu'ils  ont 
que  d'une  concession  d'un  premier  aïeul  ou  prédécesseur  contre  laquelle 
il  est  toujours  temps  de  revenir,  en  qualité  de  souverain  absolu,  et  en 

1.  René-Mcolas-Charles-Auguslin  de  Maupeou. 


DIDEROT.    ESSAI    HISTORIQUE    SUR   LA    POLICE.  3^  7 

qualité  de  mineur,  deux  titres  incomparables  ;  mais  qu'importe  !  un  roi 
à  qui  l'on  prêche  le  despotisme  n'a  pas  communément  une  logique  bien 
scrupuleuse. 

Il  fait  la  peinture  la  plus  hideuse  du  corps  des  remontrants  ;  et  il  a 
beau  jeu  sur  ce  point.  Les  traits  vrais  donnent  la  couleur  de  la  vérité 
aux  traits  calomnieux. 

Il  l'entête  fortement  du  funeste  principe  de  la  puissance  illimitée  et 
absolue  ;  c'est-à-dire  de  l'absolue  pauvreté  de  ses  sujets,  et  par  consé- 
quent de  la  sienne. 

Il  ne  s'agit  plus  que  de  trouver  un  moyen  de  l'affranchir  de  tout  lien. 

Il  y  avait  eu  une  affaire  entre  un  commandant  pour  le  roi  dans  une 
de  nos  provinces  et  un  célèbre  magistrat. 

Le  commandant,  descendant  de  Richelieu ^,  était  un  homme  despote 
qui  peut-être  avait  un  peu  abusé  de  l'autorité  qui  lui  avait  été  confiée  : 
affaire  de  caractère. 

Le  magistrat^  était  un  homme  raide,  inflexible,  sévère,  peut-être  un 
peu  trop  jaloux  des  privilèges  de  son  ordre  et  de  sa  province.  Autre 
affaire  de  caractère. 

Le  démêlé  de  ces  deux  hommes  avait  été  terminé,  non  juridique- 
ment, mais  par  une  évocation  au  conseil  du  roi. 

L'homme  pervers  insinue  au  commandant  que  revenir  des  suites 
d'une  accusation  infamante  par  une  évocation,  c'est  être  vraiment 
déshonoré;  et  il  avait  raison. 

Il  détermine  le  commandant  à  se  faire  juger  en  règle. 

Les  pièces  du  procès  sont  apportées  de  la  province.  L'affaire  s'instruit. 
A  l'instigation  de  l'homme  pervers,  on  comble  le  déshonneur  du  com- 
mandant par  des  lettres  d'abolition. 

Ces  lettres  sont  toujours  contraires  au  courant  de  l'ordre  judiciaire, 
et  aux  vrais  privilèges  de  la  justice  et  des  tribunaux.  Abolir  le  délit, 
c'est  abolir  la  loi. 

Ces  lettres  d'abolition,  il  les  fallait  enregistrées.  L'homme  pervers  ne 
doute  nullement  que  le  tribunal  ne  se  refuse  à  l'enregistrement  ;  voilà 
le  moment  qu'il  attendait. 

En  réponse  à  la  réclamation  du  tribunal,  il  lui  envoie  un  édit.  Mais, 
comme  son  projet  était  que  le  tribunal  persistât  dans  son  opposition ,  il 
place  à  la  tête  de  cet  édit  un  préambule  insultant  qui  ne  pouvait  être 
souscrit  que  par  des  infâmes.  Aussi  n'y  souscrivirent-ils  point.  C'est  ce 
qu'il  désirait;  et  c'est  de  là  qu'il  part  pour  les  traduire  comme  des 
rebelles,  les  anéantir,  les  dépouiller  de  leur  état,  et  les  disperser  aux 
extrémités  du  royaume,  dans  ces  lieux  affreux  où  plusieurs  sont  morts, 
après  avoir  beaucoup  souffert"^;  cruauté  dangereuse  et  superflue. 

1.  Armand  de  Vignerot,  duc  d'Aiguillon. 

2.  La  Chalotais. 

3.  Voir  dans  le  travail  de  M.  J.  Flammermonl  (p.  220  et  suivantes)  le  détail 
des  persécutions  subies  par  divers  conseillers  et  l'inqualiliable  dureté  du  chan- 
celier à  leur  égard. 


3^8  MELANGES   ET  DOCUMENTS. 

Ces  gens  n'ont  rien  deviné  de  toute  cette  manœuvre  ténébreuse. 

La  faute  qu'ils  avaient  coutume  de  commettre,  faute  qui  les  avait 
toujours  rendus  odieux,  ils  la  commirent  ;  ce  fut  de  quitter  leurs  fonc- 
tions de  juges,  et  de  punir  ainsi  leurs  concitoyens  d'un  mécontentement 
auquel  ils  n'avaient  aucune  part;  et  de  mettre  le  feu  à  une  des  ailes  du 
bâtiment ,  parce  qu'il  avait  plu  à  un  maître  insensé  de  mettre  le  feu  à 
l'autre  aile. 

Le  passé  ne  leur  apprit  point  que  l'avenir  réparait  tout;  et  que 
le  point  important  était  d'attendre  cet  avenir. 

Ils  ne  virent  que  le  moment.  Ils  oublièrent  qu'il  pouvait  survenir  des 
changements  favorables  dans  le  ministère,  un  roi  plus  disposé  à  les 
favoriser,  des  régences,  des  minorités.  Ils  se  montrèrent  inflexibles  et 
ils  furent  brisés. 

37.  Pour  en  imposer  aux  peuples,  auxquels  on  n'en  impose  point,  on 
dit  qu'on  allait  rendre  la  justice  gratuite;  et  elle  devint  beaucoup' plus 
dispendieuse  qu'elle  ne  l'était  auparavant. 

On  dit  que,  pour  épargner  aux  plaideurs  de  longs  voyages,  de  longues 
absences  et  des  frais  immenses,  on  allait  remplacer  les  tribunaux  anéan- 
tis par  un  grand  nombre  de  cours  souveraines  où  les  affaires  seraient 
terminées  en  dernier  ressort,  et  dont  les  membres  seraient  stipendiés 
par  l'État;  ce  qui  fut  fait,  mais  en  acceptant  tous  les  misérables  qui 
eurent  le  front  de  se  présenter,  et  en  les  stipendiant  pauvrement.  Ces 
places  respectables  de  la  magistrature,  je  les  ai  vues  colportées  de 
maison  en  maison ,  sans  qu'il  se  trouvât  un  homme  honnête  qui  en 
voulût. 

38.  Si  l'homme  pervers  avait  eu  de  la  tête,  c'était  là  le  moment  du 
rappel  des  jésuites,  et  de  leurs  nombreux  affiliés.  Cette  funeste  idée  lui 
devait  sourire  d'autant  plus  qu'il  n'ignorait  pas  qu'il  y  avait,  dans  le 
corps  même  des  remontrants  qu'il  détruisait,  des  places  qui  apparte- 
naient en  propre  aux  jésuites  et  qui  étaient  occupées  par  des  prête- 
noms. 

Dans  ce  temps,  il  me  vint  en  tête  de  lui  adresser  une  petite  lettre, 
sous  le  nom  d'un  avocat  bien  connu  et  bien  diffamé ^  et  le  titre  de 
Projet  pour  renverser  siirement  une  monarchie.  Je  n'en  fis  rien  par  deux 
raisons  :  la  première,  c'est  que  l'homme  pervers  était  homme  à  se  servir 
de  mes  moyens  ;  la  seconde,  c'est  qu'il  est  fou  à  un  honnête  citoyen  de 
s'exposer  sans  aucun  fruit. 

39.  Afin  de  bien  cimenter  la  puissance  absolue  et  notre  esclavage, 
on  mit  à  la  tête  des  tribunaux  tous  ceux  des  intendants  de  province 
qui  se  prêtèrent  à  cette  basse  complaisance  pour  la  cour. 

Dans  la  province,  l'intendant  était  toujours  l'homme  du  roi,  et  sou- 
vent ses  opérations  étaient  croisées  par  le  magistrat.  Ce  contrepoids  est 
ôté  ;  et  dans  un  moment,  nous  avons  sauté  de  l'état  monarchique 
à  l'état  despotique  le  plus  parfait.  Aussi ,  a-t-ou  publié  en  France  un 

1.  Linguet.  Ce  passage  est  la  seule  trace  de  cette  velléité  polémique. 


DIDEROT.    ESSAI    HISTORIQUE    SUR    LA    POLICE.  319 

petit  écrit,  où  l'on  se  propose  de  faire  voir  que  la  conduite  de  Votre 
Majesté  est  exactement  le  revers  de  la  nôtre'  ;  et  qu'au  moment  où 
elle  s'occupe  à  créer  des  citoyens,  nous  nous  occupons  à  créer  des 
esclaves.  Puisse-t-elle  réussir  aussi  promptement  et  aussi  laciloment 
dans  ses  vues  honnêtes  et  humaines  que  l'homme  pervers  a  réussi  dans 
ses  vues  injustes,  malhonnêtes  et  cruelles  ! 

40.  Il  y  avait  trois  ou  quatre  grandes  charges  dont  les  revêtus  ou  titu- 
laires ne  pouvaient  être  dépouillés  : 

—  La  charge  de  chancelier  que  l'homme  pervers  occupait  ; 

—  La  charge  de  procureur  général  ;  celle  de  premier  président  du 
parlement  de  Paris  ;  et  celle,  je  crois,  de  colonel  des  Suisses  et  Grisons. 

Pour  qu'il  ne  restât  pas  pierre  sur  pierre  de  l'édifice,  il  fallait  encore 
rompre  cette  misérable  petite  digue. 

Que  fait-il?  il  dit  au  monarque  :  «  Sire,  il  ne  faut  pas  dépouiller  de 
«  ces  charges  ceux  qui  les  possèdent  ;  cela  serait  révoltant  ;  mais,  si 
«  vous  n'êtes  pas  le  maître  en  ce  point,  vous  l'êtes  d'anéantir  les 
«  charges.  Dites  aujourd'hui  que  vous  n'avez  plus  besoin  de  chance- 
ci  lier,  de  procureur  général,  de  premier  président.  Vous  vous  raviserez 
«  demain,  vous  recréerez  les  charges  anéanties,  et  vous  les  conférerez  à 
«  qui  bon  vous  semblera.  »  C'est  un  homme  charmant  que  ce  chance- 
lier ;  il  trouve  des  expédients  à  tout.  Celui-ci  parut  admirable  et  l'on 
s'en  servit. 

En  conséquence,  l'ordre  public  ou  notre  gouvernement  a  été  si  par- 
faitement détruit  que  je  ne  pense  pas  que  la  toute-puissance  et  l'infinie 
bonté  du  roi,  qui  n'y  pense  sûrement  pas,  put  la  rétablir.  La  confiance 
est  perdue  à  présent,  un  magistrat,  un  propriétaire  de  charge  savent 
qu'ils  ne  sont  rien. 


RECAPITULATION. 

Voici  donc  à  quoi  tient  le  sort  d'un  grand  empire,  lorsque  son  mo- 
ment est  venu  : 

Un  magistrat  de  province  rend  compte  de  l'institut  d'une  société  de 
moines. 

Les  moines  sont  chassés. 

Le  ressentiment  des  moines  chassés  suscite  ou  fomente  la  division 
entre  le  commandant  de  la  province  et  le  magistrat. 

1.  Le  Parlement  justifié  par  l'impératrice  de  Russie  ou  Lettre  à  M***  dans 
laquelle  on  répond  aux  différents  écrits  que  M.  le  Chancelier  fait  distribtier 
dans  Paris.  S.  1.  u.  d.,  in- 12,  71  p.  Réimpr.,  tome  I,  p.  84-129,  du  Maupeou- 
ana  ou  Correspondance  secrète,  etc.  Selon  Barbier,  l'auteur  de  cette  broctiure 
serait  un  avocat  nommé  Blonde.  Quérard  ne  la  mentionne  pas.  La  partie  la  plus 
importante,  celle  à  laquelle  Diderot  fait  allusion,  avait  paru  dans  le  Journal 
encyclopédique  de  mars  1772. 


320  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

La  querelle  devient  une  aCfaire  juridique. 

Le  souverain  assoupit  l'affaire. 

Un  ministre  pervers  la  réveille. 

Et  la  fin  de  cette  affaire  réveillée  est  le  passage  d'un  gouvernement 
monarchique  à  un  gouvernement  despotique,  la  ruine  d'une  nation. 

Il  y  a  peut-être  quelque  légère  inexactitude  dans  la  manière  dont  j'ai 
dit  que  l'homme  pervers  s'était  servi  du  commandant  de  la  province 
pour  parvenir  à  l'anéantissement  de  la  magistrature,  parce  que  les  faits 
ne  me  sont  pas  assez  présents. 

Je  sais  seulement  que,  dans  l'édit  d'abolition  de  la  magistrature 
et  des  remontrants,  l'homme  pervers  fut  un  maladroit.  Au  lieu  de  les 
montrer  comme  rebelles  au  roi,  j'aurais  fait  tout  le  contraire.  Je 
les  aurais  montrés  comme  traîtres  à  la  nation.  Et  il  y  avait  belle  ma- 
tière pour  cela.  Je  voudrais  bien  savoir  ce  que  la  nation  aurait  objecté 
à  mille  traits  plus  frappants  les  uns  que  les  autres,  par  lesquels  l'homme 
pervers  nous  aurait  démontré  la  bassesse  de  nos  remontrants,  leur  cor- 
ruption, leur  inutilité,  nos  vrais  intérêts  sacrifiés  en  cent  circonstances, 
et  la  nécessité  de  former  une  plus  solide  barrière. 

Quant  à  la  partie  historique,  je  réponds  de  la  vérité.  Je  l'ai  extraite 
moi-même  des  actes  particuliers  et  secrets  de  la  magistrature.  Peut-être 
ces  actes  seront-ils  un  jour  publiés. 

Et  je  l'ai  écrite  à  la  persuasion  de  M.  de  Narischkin.  Il  a  pensé  que 
ce  tableau  qui  l'avait  intéressé  ne  déplairait  pas  à  sa  souveraine,  et  que 
des  événements,  qui  ne  m'inspiraient  que  des  réflexions  ordinaires, 
pourraient  devenir  la  source  de  quelque  idée  grande  et  profonde ,  en 
passant  sous  les  yeux  d'une  femme  de  génie,  car  une  femme  de  génie 
est  celle  qui  a  le  jugement  sain,  la  tête  forte,  une  fermeté  au-dessus  de 
tous  les  obstacles,  l'âme  honnête,  l'amour  de  ses  devoirs  et  le  tact  de  la 
vérité. 

De  «juoi  cette  femme  ne  vient-elle  pas  à  bout,  quand  à  ces  qualités 
elle  réunit  encore  celles  qui  Ilattent  les  hommes,  qui  les  séduisent?  Elle 
n'a  qu'à  dire  :  «  Jetez -vous  dans  le  feu  pour  moi,  »  et  l'on  s'y  jette. 
Qu'un  homme  qui  n'apprécie  rien  la  voie  au  milieu  de  ses  petits-enfants 
dont  elle  prépare  le  bonheur  par  une  excellente  éducation,  les  appeler  à 
elle,  les  prendre  entre  ses  bras,  les  caresser,  les  encourager,  il  ne  verra 
dans  cette  femme  qu'une  mère  excellente.  L'homme  qui  pense  verra  en 
elle  la  femme  qui  connaît  le  grand  ressort,  et  je  .sais  bien  ce  qu'il 
se  dira,  car  je  me  le  suis  dit. 

Ce  tableau  démontre  au  moins  le  prodigieux  avantage  d'une  nation 
qui  tend  à  la  police  d'après  un  plan  réglé,  et  d'une  nation  qui  n'y  arrive 
jamais  parfaitement,  parce  qu'elle  suit  de  siècle  en  siècle  l'impulsion 
fortuite  des  circonstances  qui  donnent  lieu  à  des  institutions  folles , 
absurdes,  contradictoires.  Institutions  qui  prennent,  avec  le  temps,  des 
racines  si  étendues  qu'il  devient  impossible  de  les  couper.  D'oià  il 
arrive  qu'un  peuple  paraît  policé  lorsqu'il  est  resté  barbare  et  sans 
ressource. 


I 


DIDEROT.    ESSAI    HISTORIQUE    SUR    LA    rOLICE.  32^ 

Il  y  a  des  lois,  mais  incohérentes.  Malgré  leur  incohérence,  qu'on  ne 
sent  pas  d'abord ,  on  s'y  conforme.  Le  temps  en  fait  sortir  ensuite  les 
inconvénients  et  l'absurdité.  On  s'en  écarte  un  peu.  On  s'en  écarte 
davantage.  On  les  suit  ou  on  ne  les  suit  pas.  Il  émane  d'un  jour  à  l'autre 
sur  la  même  matière,  d'un  même  tribunal,  des  jugements  contradic- 
toires. On  ne  prononce  plus  selon  la  loi.  On  prononce  selon  les  per- 
sonnes ;  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  plus  de  lois,  quoiqu'on  les  cite  plus  que 
jamais. 

A  Sa  Majesté  Impériale. 

Je  prends  la  liberté  d'adresser  ces  rêveries  à  Sa  Majesté  Impériale, 
afin  qu'elle  sente  toute  la  différence  qu'il  y  a  entre  les  idées  d'un  pauvre 
diable  qui  s'avise  de  politiquer  sous  sa  gouttière  et  ce  qui  se  passe  dans 
la  tête  d'une  souveraine.  Voilà,  madame,  toute  l'étendue  de  la  force  de 
ce  qu'on  appelle  un  philosophe.  Souriez-en,  et  quand  vous  en  aurez 
souri,  j'aurai  obtenu  de  Votre  Majesté  toute  la  justice  que  je  m'en  suis 
promis.  Je  puis  protester  à  Votre  Majesté  que,  sans  me  surfaire,  nous 
n'en  savons  tous  tant  que  nous  sommes  guère  plus  que  cela.  Rien  n'est 
plus  aisé  que  d'ordonner  un  empire,  la  tête  sur  son  oreiller.  Là  tout  va 
comme  l'on  veut.  Quand  on  y  est  et  qu'il  s'agit  de  mettre  la  main 
à  l'œuvre,  je  crois  que  c'est  tout  autre  chose.  Sa  Majesté  a  eu  la  bonté 
de  me  dire  qu'elle  avoit  souvent  lu  plusieurs  volumes  pour  trouver  une 
bonne  ligne.  Je  n'ose  attendre  d'elle  que  la  perte  d'un  quart  d'heure  de 
plus.  Or  c'est  encore  trop. 

Je  lui  présente  mon  profond  respect  et  mes  très  humbles  excuses. 

Je  me  console  un  peu  de  la  frivolité  de  mes  réflexions,  par  la  vérité 
de  l'historique  qu'on  m'a  permis  de  relever  d'après  les  pièces  originales. 

Oserois-je  prier  Sa  Majesté  Impériale  de  faire  copier  ce  petit  écrit  s'il 
en  vaut  la  peine  et  d'en  brûler  l'original  ? 


Rev.  Histor.  XXV.  2«  fasc.  21 


322  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

DOCUMENTS  INÉDITS 
RELATIFS  A  L'HISTOIRE  DE  MARIE-ANTOINETTE. 

Après  les  publications  si  considérables  des  derniers  temps,  c'est 
chose  rare,  à  coup  sûr,  de  trouver  de  nouveaux  documents  sur  la  reine 
de  France  Marie-Antoinette.  Je  suis  cependant  en  état  d'offrir  aux 
lecteurs  de  la  Rerue  historique  quelques  pièces  relatives  a  cette  his- 
toire que  j'ai  trouvées  soit  aux  Archives  de  l'État  à  Vienne,  soit  aux 
Archives  de  Paris;  elles  ne  paraîtront  peut-être  pas  dénuées  d'inté- 
rêt, et  l'on  me  saura  gré,  je  l'espère,  de  les  publier  ici. 

Pour  ce  qui  concerne  l'orthographe  des  documents  allemands,  je 
ferai  remarquer  que  je  n'ai  presque  rien  changé  à  la  forme  originale. 
Cependant,  comme  Mercy  n'est  pas  conséquent  dans  l'emploi  des 
majuscules  pour  les  substantifs,  je  les  ai  rétablies  partout  où  elles 
n"'étaient  pas.  Quant  à  l'orthographe  française,  j'ai  mis,  partout  où 
l'usage  le  désire,  des  accents  et  des  apostrophes,  et  lorsque  l'original 
porte,  par  exemple,  «  demandés,  »  j'ai  adopté  la  forme  moderne 
«  demandez.  » 

Je  ne  veux  pas  oublier  d'exprimer  ici  mes  plus  vifs  remerciements 
pour  l'accès  libéral  qui  m'a  été  donné  aux  Archives  de  Paris  comme 
à  celles  de  Vienne. 

I. 

Aux  Ârcliives  de  l'État,  a  Vienne,  ce  sont  les  rapports  de  l'ambas- 
sadeur impérial  à  Paris,  le  comte  Mercy-Argenteau,  qui  m'ont  fourni 
encore  un  petit  butin  ;  ils  nous  rappellent  en  même  temps  que 
Marie-Antoinette  était,  depuis  son  mariage,  devenue  si  complète- 
ment française  qu'en  ^787  ce  n'était  pas  sans  peine  quelle  pouvait 
lire  une  lettre  en  allemand  ' .  La  correspondance  déjà  publiée  de 
Mercy  avec  l'impératrice  Marie-Thérèse  et  son  commerce  épistolaire 
avec  la  reine- mère  ont  montré  de  la  façon  la  plus  manifeste 
quelle  profonde  influence  ce  personnage,  le  plus  considérable  peut- 
être  des  élèves  du  prince  Kaunitz,  exerça  sur  la  vie  de  Marie-Antoi- 
nette. Aussi  ne  peut-il  être  sans  intérêt  d'insérer  ici  un  portrait 
encore  inédit  de  ce  diplomate  ;  il  a  été  tracé  par  le  chargé  d'affaires 
de  France  à  Vienne,  Bérenger. 

1.  Mercy  à  Kaunitz.  Paris,  le  20  janvier  1787.  Archives  d'État  à  Vienne. 


DOCUMENTS   INEDITS   RELVTIFS    A   MARIE-ANTOINETTE.  323 

Quant  au  personnel  de  M.  de  Merci  —  écrit  Bérenger  —  vous  le  con- 
naissez ainsi  que  M.  le  duc  de  Ghoiseul  de  très-longue  main ,  et  je 
suis  persuadé  que  vous  penserez  comme  moi  que,  de  tous  les  sujets  de 
l'impératrice  c'étoit  celui  qui  pouvoit  le  mieux  convenir  à  la  mission 
agréable  qui  lui  est  destinée.  Elle  faisoit  depuis  longtemps  l'objet 
unique  de  ses  désirs  et  nous  devons  lui  savoir  gré  de  l'empressement 
extrême  qu'il  a  témoigné  pour  l'obtenir.  D'ailleurs  on  ne  peut  être 
dans  de  meilleurs  principes  sur  l'union  intime  des  deux  cours,  puisque 
M.  de  Merci  n'en  a  pas  d'autres  que  ceux  du  prince  de  Kaunitz  qui  l'a 
toujours  regardé  et  traité  comme  son  fils.  C'est  un  honneste  homme  et 
un  homme  éclairé,  qui  joint  à  beaucoup  de  franchise  et  de  cœur  les  inten- 
tions les  plus  pures  pour  le  maintien  du  système  et  nous  devons  d'autant 
plus  nous  aplaudir  du  choix  de  l'impératrice  que  l'ambassade  de  France 
remplissant  toutes  les  vues  de  M.  de  Merci,  nous  pouvons  nous  flatter 
de  le  conserver  pendant  bien  longtemps  et  je  suis  persuadé,  monsieur, 
que  vous  pensez  comme  moi  à  tous  égards  ^. 

A  cette  époque,  la  pensée  dominante  de  la  politique  autrichienne 
était,  comme  on  sait,  l'alliance  avec  la  France.  Kaunitz  voyait  dans 
Marie- Antoinette  la  pierre  angulaire  de  cette  alliance,  et  le  comte 
Mercy  avait  reçu  Tordre  d'y  employer  Pinfluence  qu'il  exerçait  sur 
l'esprit  de  la  reine.  Lorsque  M.  de  Vergennes  viendrait  à  mourir, 
Marie-Antoinette  devrait  user  de  son  crédit  auprès  du  roi  pour  faire 
nommer  un  ministre  favorable  à  TAutriche.  Vergennes  n'avait  jamais 
été  bien  vu  de  Kaunitz;  il  avait  à  Vienne  la  réputation  d'être  hostile 
à  l'Autriche  et  d"'être  partisan  de  la  Prusse  ;  plaintes  que  le  ministre, 
en  -1783,  repoussait  en  ces  termes  :  «  On  se  plaît  à  me  croire  et  à  me 
dire  Prussien;  je  ne  suis  cependant  que  François,  et,  dans  cette  qua- 
lité, je  ne  connois  et  ne  sers  que  l'intérêt  et  la  gloire  de  mon  maître  ■^.  » 
Il  fallait  donc,  après  la  mort  de  Vergennes,  avoir  à  Versailles  un  mi- 
nistre animé  de  sentiments  moins  tièdes  envers  l'Autriche.  En  aucun 
cas  Kaunitz  ne  voulait  pour  ministre  dirigeant  de  Breteuil ,  dont  il 
redoutait  la  politique  anti-autrichienne;  mais  il  avisait  Mercy  d'aller 
trouver  la  reine  et  la  prier  d'user  de  son  influence  pour  faire  arriver 
au  ministère  le  comte  de  Saint-Priest,  acquis  d'avance  à  l'Autriche  et 

1.  Bérenger  à  M.  le  duc  de  Praslin.  Vienne,  le  19  mars  1766.  Arcfiives  du 
ministère  des  aft'aires  étrangères  à  Paris.  —  J'ajouterai  ici  la  réponse  du  duc 
de  Praslin  à  Bérenger.  Versailles,  le  8  avril  176G.  «  Vous  assurerez  en  môme 
tems  le  nouvel  ambassadeur  que,  comme  M.  le  duc  de  Choiseui  et  moy  le  con- 
naissons de  longue  main,  nous  luy  rendons  toute  la  justice  qui  est  due  à  ses 
talens  et  à  son  zèle  pour  le  maintien  de  l'union  entre  les  deux  cours,  et  que 
nous  ne  négligerons  rien  pour  luy  rendre  son  séjour  agréable  à  ceile-cy.  » 
Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères  à  Paris. 

2.  Vergennes  à  Noailles  à  Vienne.  Versailfes,  le  4  janvier  1785.  Archives  du 
ministère  des  aft'aires  étrangères  à  Paris. 


324  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

à  l'alliance  de  celle-ci  avec  la  France ^  Dans  le  conseil  du  roi,  il  n'y 
avait  pas  un  seul  homme  d'État  qui  fût  pour  l'Autriche  et  sur  lequel 
on  pût  se  reposer  -,  or,  le  conseil  avait  alors  une  grande  influence  sur 
le  roi;  il  était  donc  de  la  plus  grande  importance  d'y  avoir  un  homme 
qui  fût,  selon  les  expressions  mêmes  de  Kaunitz,  une  «  créature 
directe  »  de  la  reine,  et  qui  se  sentit  toujours  obligé  à  lui  en  témoi- 
gner sa  reconnaissance  2. 

On  sait  que  le  successeur  de  Vergennes  ne  fut  pas  M.  de  Saint- 
Priest,  mais  le  comte  de  Montmorin.  Les  événements  intimes  qui 
précédèrent  cette  nomination  sont  peu  ou  môme  point  du  tout  expli- 
qués par  la  lettre  de  Marie-Antoinette  à  Mercy  qu'a  publiée  M.  d'Ar- 
neth;  tandis  que  dans  cette  lettre  la  reine  écrit  :  «  j'ai  nommé  M.  de 
Saint-Priest  et  même  je  l'ai  disculpé  sur  l'ordre  de  Russie;  je  n'ai  pu 
insister  contre  le  penchant  du  roi  ^  »,  Mercy  raconte  les  faits  d'une 
façon  un  peu  différente.  Il  estime  que  les  ennemis  du  comte  de 
Saint-Priest  avaient  réussi  à  le  desservir  si  bien  auprès  de  la  reine 
qu'elle  ne  put  vaincre  entièrement  la  répugnance  qu'elle  sentait  pour 
lui.  Mercy  ne  cesse  de  le  regretter,  parce  qu'il  aurait  été  d'ailleurs 
possible  d'obtenir  la  nomination  du  comte.  «  C'est  bien  fâcheux  ! 
écrit-il  le  7  avril  I7S7  à  Kaunitz;  très  fâcheux,  car,  si  S.  M.  avait 
sérieusement  voulu  user  de  son  influence  si  puissante  sur  Tesprit 
du  roi  en  faveur  du  susdit  comte,  elle  eût  très  vraisemblablement 
emporté  l'aflaire-'.  »  Comme,  en  outre,  les  bruits  qui  couraient  dans 
le  public  sur  les  dispositions  du  nouveau  ministre,  M.  de  Mont- 
morin, n'étaient  pas  très  favorables,  Kaunitz  regrettait  aussi  de  son 
côté  que  Marie-x\ntoinette  n'eût  pas  montré  plus  de  zèle.  A  ses  yeux, 
l'alliance  n'existait  plus  guère  que  de  nom.  surtout  s'il  devait  se 
confirmer  que  Montmorin  partageait  les  idées  de  ses  prédécesseurs. 
En  ce  cas,  il  n'y  aurait  qu'un  moyen  de  salut  :  la  reine  devait  prendre 
la  ferme  résolution  de  peser  de  toutes  ses  forces  sur  l'esprit  du  nou- 
veau ministre  pour  l'amener  dans  le  bon  chemin.  La  reine,  s'écrie 
emphatiquement  Kaunitz,  «  perdrait  renommée,  bonheur,  contente- 
ment, Tamour  et  le  respect  de  tous,  si  elle  souffrait  que  les  ministres 
français  ensevelissent  le  système  de  l'alliance  et  ramenassent  l'an- 
cienne hostilité  entre  les  deux  cours.  »  On  ne  peut  reprocher  à 
Kaunitz,  ministre  autrichien,  de  chercher  un  appui  pour  la  politique 
autrichienne  auprès  de  la  fille  de  ses  anciens  maîtres.  On  ne  devrait 


1.  Kaunitz  à  Mercy.  Vienne,  le  7  février  1787.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 

2.  Kaunitz  à  Mercy,  de  Vienne,  le  1"  janvier  1787.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 

3.  Arneth.  Marie- Antoinette,  Joseph  II  und  Leopold  II,  p.  109. 

4.  Mercy  à  Kaunitz,  de  Paris,  le  7  avril  1787.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 


DOCUMENTS   INEDITS    RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  325 

pas  s'étonner  davantage  que  Marie-Antoinetlc,  qui  no  pouvait  pour- 
tant pas,  toute  reine  de  France  ({u'elie  était,  oublier  (înticrcment  sa 
patrie  d'origine,  prêtât  l'oreille  aux  discours  de  l'ambassadeur  impé- 
rial et  fût  disposée  à  favoriser  ses  vues.  Nous  devons  néanmoins 
déclarer  ici,  de  la  façon  la  plus  formelle,  qu'à  aucun  moment 
Marie-Antoinette  n'oublia  qu'elle  était  avant  tout  reine  de  France  ; 
l'archiduchesse  d'Autriche  ne  venait  chez  elle  qu'en  seconde  ligne. 
Toutes  les  fois  qu'on  lui  demandait  d'appuyer  auprès  de  son  époux 
la  politique  de  la  cour  autrichienne,  elle  se  déclarait  pleine  de  Tar- 
dent désir  d'accomplir  ce  vœu;  mais  lorsque,  pour  arriver  à  rompre 
la  quadruple  alliance  entre  l'Autriche,  la  France,  l'Allemagne  et 
l'Espagne,  on  la  priait  de  favoriser  une  alliance  entre  la  France  et  la 
Russie,  elle  n'était  nullement  disposée  à  donner  aveuglément  suite  à 
ce  projet.  Connaissant  très  bien  la  situation  intérieure  de  la  France, 
qui  se  compliquait  chaque  jour  davantage,  la  reine  se  tient  avant 
tout  au  point  de  vue  français.  La  répugnance  des  ministres  à  parti- 
ciper aux  desseins  de  la  Russie  et  de  l'Autriche  contre  l'existence  de 
la  Turquie  rend  la  reine  extraordinairement  prudente;  c'est  pourquoi 
elle  ne  veut  pas  employer  son  influence  sur  le  roi  de  France  en  faveur 
de  la  Quadruple-Alliance.  C'est  la  crainte  exprimée  par  Mercy  à  Kau- 
nitz,  le  22  février  ^789.  «  que,  par  sa  faute,  la  France,  en  vertu  de 
ses  engagements,  n'entre  un  jour  dans  une  guerre  du  Nord  '.  »  Les 
opinions  de  la  reine  ne  pouvaient  cependant  pas  Fempécher,  en  i  787, 
de  faire  tous  ses  efforts  pour  disposer  le  nouveau  ministre,  le  comte 
de  Montmorin,  en  faveur  de  PAutriche  ^. 

Les  papiers  de  Mercy  vont  me  fournir  maintenant  quelques  détails 
sur  Fattitude  de  Marie-iVntoinette  à  l'égard  du  second  ministère  de 
Necker.  Voici  tout  d'abord  un  épisode  qui  ne  manque  pas  d'intérêt, 
au  sujet  de  Necker,  avant  qu'il  fût  redevenu  ministre.  Comme 
Calonne  avait  attaqué  Necker,  celui-ci  fut  autorisé  par  Louis  XVI 
à  rédiger  sa  réponse  par  écrit.  Necker  envoya  cette  défense  à  la 
reine,  en  la  priant  de  la  soumettre  aussi  au  roi  ;  mais  il  n'en  resta 
pas  là  :  il  communiqua  la  lettre  à  ses  amis.  Lorsque  le  roi  l'eut 

1.  Hœchstdieselbe  befûrchten,  dass  man  Ihnen  (ibr)  zuletzt  die  ganze  Schuld 
beymessen  niœgte,  wenn  Frankreich  nach  der  Hand  kraft  seiner  Engagements 
in  einem  Nordiscben  Krieg  mit  eingezohen  (eingezogen)  wiirde.  Archives  de 
l'État  à  Vienne. 

2.  Je  crois  bon  de  donner  ici  le  portrait  que  Mercy  trace  de  Montmorin  : 
«  M.  de  Montmorin,  sans  manquer  d'esprit,  n'annonce  pas  des  talents  supé- 
rieurs. »  (Ibid.  Dossier  B.  Correspondance  cliiÛrée  du  comte  Mercy-Argcn- 
teau.)  11  écrit  ailleurs  :  «  Obscbon  nun  der  Herr  Graf  von  Montmorin  von 
Natur  aus  eines  sehr  verscblossenen  Karacters  ist.  »  (Ibid.  Mercy  à  Kaunilz, 
le  7  avril  1787.) 


326  MELANGES    ET    DOCDMENT&. 

appris,  il  entra  dans  la  plus  grande  colère,  et  déclara  à  la  reine  qu'il 
allait  chasser  Necker  du  royaume;  la  reine  voulut  s'opposer  à  cette 
résolution,  et  il  y  eut,  à  ce  propos,  un  vif  échange  de  paroles  entre 
les  deux  époux.  La  reine  montra  quel  mauvais  effet  produirait  cette 
mesure  sur  la  nation,  qui  avait  toujours  beaucoup  d'estime  pour 
Necker  ;  quelle  déconsidération  elle  jetterait  sur  le  gouvernement,  si 
l'on  persécutait  injustement  un  homme  qui  avait  rendu  d'éminents 
services,  qui  était  honnête  et  désintéressé.  Ces  paroles  de  la  reine 
eurent  d'abord  pour  effet  d'empêcher  le  roi  de  faire  exécuter  sa  déci- 
sion sur-le-champ,  mais,  comme  les  ennemis  de  Necker,  tout  puis- 
sants sur  l'esprit  du  roi,  ne  cessaient  de  l'exciter  contre  lui,  une  seconde 
explication  très  forte  eut  lieu  entre  la  reine  et  le  roi.  Louis  XVI  pré- 
tendit à  nouveau  que  son  honneur  était  engagé,  qu'il  fallait  respecter 
ses  ordres;  Necker  les  avait  méprisés  en  répandant  son  apologie  dans 
le  public;  il  devait  donc  être  envoyé  en  exil.  11  voulait  bien  cependant 
adoucir  le  châtiment  en  l'envoyant  seulement  à  20  milles  de  Paris, 
dans  un  lieu  que  Necker  choisirait  lui-même.  Mercy  terminait  son 
récit  en  remarquant  que  la  reine  avait  inutilement  prolesté  contre 
celte  résolution  '. 

Necker  entra  pour  la  seconde  fois  au  ministère  après  le  renvoi  de 
Brienne,  l'archevêque  de  Toulouse  ^. 

Au  début  de  l'aimée  1 7Sî).  Mercy  annonce  à  sa  cour  que  Louis  XVI 
commence  à  vaincre  peu  à  peu  sa  défiance  à  l'égard  de  Necker;  il  dit 
la  même  chose  de  la  reine  :  «  Leurs  Majestés  m'ont  avoué  qu'ils  le 
considéraient  comme  étant  le  seul  capable  d'arracher  l'État  à  sa 
perte  •*.  » 

Il  est  intéressant  de  savoir  comment  Necker,  à  la  fin  de  l'année  1 788, 
s'expliqua  devant  Mercy  sur  la  question,  non  encore  résolue,  de  savoir 
quel  chiffre  de  représentants  on  donnerait  aux  députés  aux  états  géné- 


1.  Mercy  à  Kaunitz.  Paris,  le  17  avril  1787.  Archives  de  l'État,  à  Vienne. 

2.  Sur  Brienne,  Mercy  fait  les  reuianjues  suivantes  :  «  Obscbon  das  Zulrauen 
des  Kœnigs  zu  den  [sic)  Prclalen  von  Tage  zu  Tage  merklich  zuniniint,  so  sind 
doch  hinwicderuni  S""  Majeslaît  von  Natur  aus  so  unentschlossen  und  zuglcich 
auf  ihr  Ansehcn,  und  dasjenigc  was  hœclislihr  eigcnes  Haus  angchl,  so  eifer- 
sichlig,  dass  nian  nur  mit  vieler  Vorsicht  und  Behutsainkeit  diesen  Punkt  in 
Absiclil  auf  einzufuhrende  Ileformen  beriihrea  kann.  »  Mercy  à  Kaunitz.  Paris, 
le  14  août  1787.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 

3.  «  Auch  Ibre  Majestœt  die  Kœniginn  sind  von  der  anfangs  gefasslen  Beysorge 
gegen  die  vermeyutliche  Herrscbsucht  dièses  Ministers  gànzlich  ab,  und  zu 
seinem  Vortheil  berbeygekommen.  Hœcbstdieselbe  gerubeten  selbst  mir  solches 
zu  gestehen,  mit  dem  Beysatz,  dass  sie  denselben  fiir  das  einzige  gescbickte 
Subjecturn  anseben,  der  den  Slaat  aus  dem  Verderben  berauszuziehen  im  Stande 
sey.  »  Mercy  à  Kaunitz.  Paris,  le  G  janvier  1789.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 


DOCUMENTS   INÉDtTS   RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  327 

raux.  Necker  lui  confiait  qu'il  approuvait  les  vœux  du  tiers  état  et  qu'il 
les  appuierait;  car,  disait-il,  si  le  roi  accueillait  les  désirs  du  Tiers 
et  se  jetait  dans  ses  bras,  Louis  XVI  obtiendrait  de  lui  le  i)Ius  entier 
concours  pour  se  sauver  lui  et  l'État.  Gela  était  d'autant  plus  à  propos 
que  le  roi  ne  manquerait  pas  ensuite  de  moyens  pour  favoriser  le 
clergé  et  la  noblesse  dans  tel  ou  tel  sens,  et  pour  leur  rendre  tout  leur 
éclat  et  leurs  privilèges.  Si  au  contraire  le  tiers  état  était  sacrifié  aux 
deux  autres,  on  aurait  infailliblement  une  guerre  civile.  Peu  de  temps 
après  ces  ouvertures ,  Mercy  eut  une  conversation  avec  M"""  Necker, 
qui,  suivant  une  expression  de  l'ambassadeur,  «  possédait  le  cœur  et 
toute  la  confiance  »  de  son  mari.  Elle  lui  laissa  entendre  que  Necker, 
s'il  ne  pouvait  faire  admettre  ses  idées  par  le  conseil,  était  décidé  ù 
se  retirer,  car  il  ne  lui  serait  plus  possible  de  sauver  l'Etat  '. 

On  sait  dans  quel  sens  ce  problème  fut  résolu.  Pendant  que  les 
états,  assemblés  le  5  mai,  débattaient  la  question  de  la  vérification 
des  pouvoirs,  une  dangereuse  cabale  travaillait  sous  main  contre 
Necker.  C'est  Mercy  qui  nous  l'apprend  dans  une  dépêche  du 
4  juillet  ^1789.  On  cherchait  à  le  peindre  aux  yeux  des  souverains 
comme  un  personnage  dangereux,  qui  voulait  mettre  à  profit  sa 
grande  popularité  pour  devenir,  ce  sont  les  paroles  mêmes  de  Mercy, 
le  «  dictateur  de  la  monarchie,  »  et  «  tenir  le  Roi  Très  Chrétien  sous 
sa  tutelle.  »  Les  chefs  de  cette  cabale  étaient  les  princes  de  Condé  et 
de  Conti,  Madame  xVdélaïde,  qui  avaient  attiré  à  eux  le  comte  d'Ar- 
tois, et  le  faisaient  l'intermédiaire  de  leurs  insinuations  calomnieuses 
auprès  des  souverains^.  Une  autre  cabale  plus  dangereuse  encore, 
car  elle  était  dirigée  contre  le  roi  lui-même  et  contre  la  famille 
royale,  avait  pour  chef  le  duc  d'Orléans,  qui  songeait  à  jouer  un  rôle 
capital  à  la  tête  du  tiers  état^.  Telle  était,  ajoute  en  terminant 


1.  Ibidem. 

2.  Der  (Necker)  bey  seiner  erworbenen  grossen  Popularitaet  nicbts  anderes  im 
Schild  fiihre  als  sich  mittelst  dciselben  ziiin  Dictator  der  Monarchie  aufzu- 
werfeii  und  de»  Allerchristl.  Kœnig  gicichsam  iinler  seiner  Vorniundscbafl 
nach  eigenem  Gutbefinden  zii  leiten.  Die  Hœupter  dieser  fiirchterlicben  Kabale 
sind  die  Herren  Prinzen  von  Condé,  von  Conti,  Madame  Adélaïde,  welche  nebst 
mehreren  vornehmen  Staudes-Personen  den  nicht  weit  ausschenden  weitblik- 
kenden  Herrn  Comte  d'Artois  in  ihre  Schiinge  gezohen  (gezogen)  und  diesen 
Prinzen  vorausgeschoben  haben,  um  ihre  schœdliclie  Insinuationen  gegen  ober- 
wœhnten  Finanz-Minister  bey  Ihren  Majestseten  auf  cine  unverdœchtige  Art  an- 
zubringen. 

3.  Eine  andere  weit  gefa3hrlichere  Kabale,  die  gegen  Ihre  Allcrcbristlichen 
Majestaeten  und  die  kœnigliclie  Familicn  seibst  gerichtet  seyn  dœrfte,  scheint 
jene  zu  seyn,  fiir  deren  Chef  der  Herr  duc  d'Orléans  anzusehen  werden  kann, 
die  aber  noch  uicht  recht  ins  klare  gebracht  ist,  um  etwas  sicheres  und  be- 


328  MELANGES   ET   DOCUMENTS. 

l'ambassadeur,  la  situalion  des  choses,  lorsque  le  27  juin,  au  matin, 
je  me  rendis  à  Versailles  pour  exécuter  vos  derniers  ordres,  et  qu'a- 
près la  conférence  habituelle,  j'eus  fait  ma  cour  à  S.  M.  la  reine;  je 
la  trouvais  dans  la  plus  grande  angoisse,  que  me  révélèrent  ses  yeux 
remplis  de  larmes  ;  elle  me  demanda  mon  avis  sur  les  mesures  à 
prendre  dans  des  conjonctures  aussi  critiques.  Comme  on  avait 
néghgé  de  faire  tout  ce  que  réclamaient  les  circonstances,  qu'on 
avait  fait  au  contraire  ce  qui  ne  devait  pas  se  faire,  et  comme  ce  qui 
était  fait  ne  pouvait  pas  ne  pas  avoir  été  fait,  je  pris  la  liberté  de 
présenter  à  Sa  Majesté  quelques  idées  générales  sur  la  façon  dont  on 
pourrait  encore  éviter  de  plus  grands  malheurs  ^ 

Mercy  proposa  alors  à  la  reine  deux  moyens.  11  est  très  intéressant, 
à  coup  sûr,  de  voir  que  les  conseils  de  Mercy  ont  décidé  le  roi  à  con- 
sentir à  la  réunion  des  trois  ordres;  il  est  important  aussi  de  cons- 
tater que  Marie-Antoinette,  représentée  alors  comme  l'adversaire  la 
plus  déclarée  et  la  plus  aveugle  du  tiers  état,  fut  assez  sage  et  assez 
intelligente,  trop  tard  il  est  vrai,  pour  déterminer  le  roi  à  faire  décider 
ces  mesures  dans  le  conseil.  Mais  écoutons  Mercy  :  il  dit  à  la  reine 
ou  qu'il  fallait  renvoyer  Necker,  ou  qu'il  fallait  le  garder,  et  alors 
faire  ce  qu'il  désirait.  Si  l'on  était  résolu  à  écarter  Necker,  il  était 
certain  que  les  amis  qui  l'avaient  poussé  à  entrer  au  ministère  l'en- 

slimmtes  schon  derinalen  hievon  sagen  zu  kœnnen.  So  viel  ist  gewiss,  dass  (1er 
von  jcher  liekannle  geizige  Karakter  dièses  Prinzen  mit  seiner  seit  kurzem  hcr 
ioussenideii  grossen  Freygobigkcil  und  bcsondcreii  Popularitaîl  nicht  wohl  zu 
vereinbaren  sey,  oliiie  iliii  eincr  hiermiter  versteckten  Absicht  zu  beargwotinen, 
die  auf  niciits  weniger  abzielen  dœrfte,  als  au  der  Spitze  des  Tiers  Etal  einen 
<leni  kœniulicben  Anseben  bœclisliiacbtheiligc  Rolle  zu  spicien  nrid  sich  wo 
iiiœglicb  von  deni  lloie  ganz  unablwengig  zu  niacben;  dièses  sind  zwar  nurvor- 
keufige,  viellcichl  zu  weit  getriebene  Mubtmassungen  :  inzwischen  ist  deniioch 
seia  bisberiger  Betrag  so  zweydeutig  und  verdi'ecbtig,  dass  ernannter  Prinz 
genau  beobachtel  und  durcb  Anwendung  kluger  Vorsichtsinillel  bey  Zeiten 
noch  abgehallen  wcrdcn  niiissen.  das  erworbeiie  Zulrauen  des  Volkes  zurn 
wesentlichen  Nacblbeil  des  Hofes  zu  rnisbrauchen. 

1.  Dièses  war  die  Lage  der  Sacben.  als  icb  am  27  Junius  frlilic  Morgens  zur 
Ausrichlung  der  letzlerhaltenen  gn;edigen  Anweisungen  micb  nacb  Versailles 
verfl'iget,  und  nacb  geptlogener  Konferenz  bey  Ibrer  Majcslaet  der  Kôniginn 
meine  Aufwartung  gemacht  halte;  ich  fand  hœcbsldieselbe  in  grœssester  Her- 
zensbeklenimung,  die  Sie  mir  mil  Ihréenenden  Augen  zu  erkennen  gegeben, 
und  micb  um  Ratb  zu  fragen  geruheten  was,  meines  Ermessens,  bey  so  kriti- 
scher  Wendung  fiir  Massregeln  einzuschlœgenwœren.  Nachdemman  ail  dasjenige 
was  den  Umslaenden  angemessen  gewesen  wsere  zu  Ihun  unterlassen,  dahingegen 
nur  jenes  was  unterbleiben  sollle  gethan ,  und  das  einmal  geschebene  nicht 
ungescheben  seyn  konnle,  so  nabm  ich  mir  die  Freyheit  Ibrer  Majestœt  einige 
allgenieinen  Ideeu  liber  die  Art,  wie  noch  grœsseres  Uebel  vermieden  werden 
konnle,  vorzulragen. 


DOCUMENTS   OÉDITS   RELATIFS  A   MARIE-A.VTOINETTE.  329 

gageraient  aussi  à  en  sortir.  «  Dans  ce  cas,  dit  très  nettement  Mercy, 
la  banqueroute  et  la  faillite  étaient  inévitaioles.  »  Mais,  si  l'on  ne  vou- 
lait pas  écarter  Necker,  ce  qui  gagnerait  un  temps  de  repos,  il  fallait 
sans  arrière-pensée  lui  accorder  sa  faveur  et  sa  confiance.  iMercy 
faisait  très  justement  ressortir  qu'une  conduite  opposée  anrail  pour 
effet,  non  seulement  d'empêcher  Necker  de  rien  faire  de  bon,  mais 
encore  de  lui  inspirer  un  mécontentement  qui,  ensuite,  fournirait  aux 
ennemis  de  la  royauté  un  prétexte  pour  montrer  que  son  maintien 
était  un  sacrifice  arraché  à  la  cour. 

Mercy  est  assez  modeste  pour  dire  qu'il  ne  voulait  pas  déterminer 
combien  ses  représentations  avaient  fait  impression  sur  la  reine;  mais 
il  pouvait  annoncer  avec  précision  que  le  mémo  jour  le  sort  de  Necker 
avait  été  décidé  et  que  la  réunion  des  trois  ordres  avait  été  autorisée  '. 
Il  estime  qu'en  présence  de  la  grande  faiblesse  et  de  l'indécision  de  la 
cour  et  du  ministère,  de  la  fidélité  incertaine  des  troupes,  de  la  pré- 
pondérance prise  par  le  tiers  état,  le  roi  ne  pouvait  choisir  un 
autre  parti  que  celui  qu'il  prit.  Il  est  intéressant,  cependant,  de  le 
noter  :  ce  même  Mercy,  que  nous  venons  de  voir  donner  ces  sages 
conseils,  fut,  après  le  coup  d'État,  désigné  publiquement  comme 
l'homme  qui  aurait  donné  à  la  reine  le  conseil  d'éloigner  Necker. 
C'est  pourquoi  son  nom  fut  mis  sur  la  liste  de  proscription,  et  pour- 
quoi on  lui  donna  de  tous  côtés  l'avis  que  l'on  mettrait  le  feu  à  sa 
maison.  La  police  elle-même  l'en  avertit.  Tout  d'abord,  il  ne  voulut 
y  donner  aucune  créance;  mais,  quand  il  eut  remarqué  que  l'affaire 
devenait  sérieuse,  que  les  communications  de  Paris  avec  Versailles 
étaient  interrompues  et  qu'il  ne  pouvait  plus  arriver  jusqu'à  la  reine 
pour  lui  rendre  service,  il  résolut  de  s'établir  dans  une  propriété 
située  à  six  milles  français  de  Paris;  il  y  était  à  peine  arrivé  que  le 
bruit  se  répandit  que  Marie -Antoinette  avait  quitté  Versailles  et 
s'était  réfugiée  auprès  de  lui,  bruit  dont  la  fausseté  ne  larda  pas 
d'ailleurs  à  être  reconnue  -. 

Mercy  raconte  encore  que  Louis  XVI,  en  rappelant  Necker.  aurait 
voulu  ne  plus  entendre  parler  de  Montmorin  ni  du  comte  de  Saint- 
Priest,  parce  que  le  parti  de  la  cour  avait  réussi  à  exciter  chez  le  roi 
de  la  peur  et  de  la  méfiance  à  l'égard  de  ce  triumvirat.  D'après  la 
façon  dont  la  reine  s'exprima  devant  lui,  Mercy  crut  pouvoir  com- 


1.  «  Zugleicli  soll  ich  zum  tjilligen  Lobe  (1er  K(('niginn  iiicht  verhelilcn,  dass 
Ihre  Majestœt  an  der  diessfœlligen  Entscliiiessiing  des  Allerchrisllichen  Komigs 
sowiean  deni  Ansschlag  der  Sache  einen  entsclicidenden  Anllieil  gcliabl  liabca.  » 
Mercy  à  Kaunitz.  Paris,  le  4  juillet  1789.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 

2.  Mercy  à  Kaunitz.  Paris,  le  23  juillet  1789.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 


330  MÉLANGES   ET   DOCUMENTS. 

prendre  que  le  parti  qu'on  voulait  suivre  ne  serait  aucunement 
avantageux;  car  Louis  XVI  ne  voulait  absolument  rien  savoir  de  Mont- 
morin  et  de  Saint-Priest.  Il  le  dit  à  la  reine  «  avec  la  plus  grande 
force  »  (mit  grœsstem  Nachdruck  und  Starke);  après  une  heure  et 
demie  d'entretien  il  réussit,  non  sans  les  plus  grands  efforts,  à  obtenir 
de  la  reine  l'assurance  qu'elle  ne  cherchât  pas  à  faire  changer  ses 
résolutions.  Puis  Marie -Antoinette  congédia  l'ambassadeur  en  le 
priant  de  revenir  seulement  à  onze  heures  et  demie  du  matin.  A 
l'heure  dite,  il  fut  reçu  par  la  reine  qui  lui  apprit  que  le  roi  consen- 
tait à  suivre  ses  conseils,  et  qu'il  était  disposé  à  rappeler  non  seule- 
ment Necker,  mais  aussi  Montmorin,  puisqu'il  ne  voulait  pas  revenir 
sans  lui  au  pouvoir  ';  c'est  ce  qui  eut  lieu  en  effet. 

Cet  événement  eut  pour  conséquence  la  première  émigration.  «  Le 
château  de  Versailles ,  écrit  Mercy  après  ce  départ,  ressemble  à  un 
désert;  j'ai  trouvé  Sa  Majesté  la  reine  dans  une  situation  qu'il  est 
facile  de  s'imaginer,  mais  elle  montre  beaucoup  de  courage  et  de  réso- 
lution 2.  » 

Plus  loin,  Mercy  raconte  que,  pendant  le  temps  où  il  eut  avec 
Marie-Antoinette  les  deux  entretiens  qu'on  vient  de  rappeler  au  sujet 
du  ministère  Necker,  Louis  XVI  eut  la  pensée  de  se  rendre  à  Paris  ; 
il  était  sous  le  coup  de  l'impression  produite  par  la  prise  de  la  Bas- 
tille ;  mais  la  reine  craignait  que  la  population  parisienne  ne  retint  le 
roi  de  force,  et  elle  prit  la  résolution,  si  ce  malheur  arrivait,  de  se 
retirer  avec  le  Dauphin  soità  Valenciennes,  soit  aux  Pays-Bas.  Mercy 
s'opposa  de  la  façon  la  plus  énergique  à  ce  dessein.  C'est  seulement, 
dit  l'ambassadeur  à  .Marie-Antoinette,  après  que  le  roi  aurait  déclaré 
à  l'Assemblée  nationale  qu'il  avait  lui-même  contraint  la  reine  à 
prendre  ce  parti,  qu'il  pourrait,  lui,  Mercy,  approuver  ce  plan.  Sans 
cetti;  déclaration  formelle,  la  nation,  qui  d'ailleurs  était  déjà  sur 
pied  tout  entière,  regarderait  l'éloignement  du  Dauphin  comme  un 
rapt  véritable.  Marie-Antoinette  se  rendit  à  ces  raisons  pressantes. 
Cependant  Mercy  ouvrit  un  autre  avis.  Comme  on  craignait  que  la 
population  parisienne  ne  voulût  forcer  le  roi  à  signer  par  contrainte 
une  capitulation,  Louis  XVI  avait,  sur  la  proposition  de  Mercy, 
donné  à  son  frère  les  pleins  pouvoirs  de  lieutenant-général  du  royaume; 
si  l'événement  redouté  se  produisait,  le  prince  devait  se  rendre  avec  la 
reine  a  l'Assemblée  nationale,  et  lui  persuader  de  quitter  Versailles  et 
de  transporter  ses  séances  dans  une  autre  ville.  L'Assemblée  voyant 
de  mauvais  œil  la  conduite  des  Parisiens,  Mercy  était  persuadé  qu'elle 


1.  Mercy  à  Kaunitz.  Paris,  le  î3  juillet  1787;  ibid. 

2.  Id.;  ibid. 


DOCUMENTS   INEDITS   RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  334 

accueillerait  favorablement  les  vues  du  prince,  au  cas  où  l'on  oserait 
retenir  le  roi  ^ . 

On  comprend  aisément  que  les  troujjles  croissants  aient  rempli 
Mercy  de  la  plus  grande  inquiétude  sur  le  sort  de  la  reine,  surtout  lors- 
qu'elle lui  déclara  elle-même  qu'elle  était  obligée  de  le  prier  de  la  venir 
voir  moins  souvent^.  Le  sort  de  la  monarchie  ne  l'aliligeait  pas  moins 
profondément.  Cette  monarchie,  écrit-il  de  Ghennevières  près  Paris,  le 
n  août  4789,  «  craque  de  toutes  parts;  la  nation  manifeste  une 
cruauté,  une  sauvagerie  qu'on  ne  lui  connaissait  pas  jusqu'ici.  Les 
décrets  de  l'Assemblée  témoignent  d'un  véritable  afTolemcnt,  d'une 
complète  ignorance  des  choses  du  gouvernement-,  ils  produisent  un 
despotisme  et  des  injustices  qui,  par  suite  de  l'émigration,  de  l'en- 
tière disparition  du  commerce  et  des  arts,  doivent  mener  peu  à  peu 
la  France  au  néant...  Le  roi  ne  sent  que  très  imparfaitement  la 
misère  de  sa  situation.  11  ne  montre  ni  volonté,  ni  énergie  durable 
en  employant  les  moyens  de  salut  nécessaires.  Le  ministère  tout 
entier  ne  sait  plus  se  défendre.  M.  Necker  lui-même  est  hors  d'état 
d'imaginer  de  nouveaux  moyens  de  salut.  Je  le  vis  dernièrement 
tout  à  fait  abattu  et  il  m'avoua  ouvertement  son  impuissance.  Il  fau- 
drait un  miracle  pour  remettre,  même  de  bien  loin,  les  choses  sur  le 
pied  d'une  restauration  possible^.  » 

De  même  que  lAIercy  avait  déjà,  dans  une  autre  occasion,  conseillé 
à  la  reine  de  traiter  de  la  façon  la  plus  amicale  Necker,  Montmorin 
et  Saint-Priest,  et  qu'elle  y  avait  consenti  '',  il  trouve  maintenant  que, 

1.  Ibid.;  idem. 

2.  Ibid.;  idem. 

3.  «  Diesse  Monarchie  lœset  sich  von  allen  Seiten  auf;  die  Nation  œusserl 
eine  an  ihr  bisher  unerkannte  Grausamkeit  und  Verwilderung;  die  Entschlies- 
sungen  der  Landes-Stœnde  legen  eiiien  wahren  Wahnsinn,  eine  Unwissenheil  in 
Regierungs-Sachen,  einen  Despotisnnim  und  solche  Ungerechtigkeiten  an  Tag, 
die  durch  Eniigrationen  und  den  gsenzlichen  Verfall  des  Handels  und  der  Kunsl, 
Frankreich  nach  und  nach  zu  Grand  richten  mlïssen.  Diesser  ganz  besondere 
Vorfall  wird  nolhwendiger  Weise  auf  die  dermaligen  politischen  Unistœnde  von 
Europa  einfliessen,  und  dœrfte  vielleicht  dein  allerdurchlauchtigsten  Erzhausse 
Œsterreich  sehr  weitschiichtige  Combinationen  darbiethen,  die  ich  der  erleuch- 
ten  Einsicht  Euer  fiirstlichen  Gnaden  anheim  stellen  soll.  Der  Kœnig  Rihll  nur 
ganz  unvollkommen  seine  ungliickliche  Lage;  er  lajsst  weder  Willen  noch  hin- 
laenglichen  Nachdruck  durch  Anwendung  nœthiger  Rettungs-Mittel  spiiren.  Das 
ganze  Ministerium  weiss  sich  niclil  mehr  zu  helfen;  ja  selbst  M''  Necker  isl 
ausser  Stand  weiter  Hiilfsmiltel  auszusinnen  :  ich  sah  ihn  letzthin  ganz  nieder- 
geschlagen,  und  er  gesland  mir  seine  Unvermœgenheit  freymlithig  ein.  Ein 
Mirackel  vvlirde  es  seyn,  um  nur  auch  von  weitem  die  Sache  auf  die  Wecge 
einer  mœglichen  Hersteilung  wieder  zu  bringen.  »  Mercy  à  Kaunilz,  le  17  août  1789. 
Archives  de  l'État  à  Vienne. 

4.  Lettre  citée  plus  haut  du  23  juillet. 


332  MÉLANGES   ET   DOCCMEMS. 

dans  les  circonstances  présentes,  il  ne  restait  d'autre  issue  que  de 
laisser  le  ministère  agir  liijrement  et  sans  entraves.  Mercy  n'attendait 
pas  grand'chose  de  ces  mesures  ;  mais  il  craignait  d'autant  plus  pour 
la  sécurité  de  Marie-Antoinette,  si  l'on  persistait  à  soupçonner  qu'elle 
était  hostile  au  ministère.  Cependant,  il  n'a  pas  encore  perdu  tout 
espoir;  il  pense  que  le  remède  sortira  de  l'excès  du  mal  et  que  les 
esprits,  fatigués  du  despotisme  révolutionnaire,  reviendront  au  gou- 
vernement monarchique'.  Cependant  les  nouvelles  qu'il  envoyait  à 
sa  cour  devenaient  toujours  plus  somhres,  et  l'on  peut  aisément 
s'imaginer  l'effet  qu'elles  produisaient  au  palais  impérial,  où  l'on 
était  non  seulement  inquiet  du  sort  de  la  reine,  mais  du  désarroi  que 
ces  trouhles  jetaient  dans  la  politique  extérieure  de  Joseph  II,  à  l'idée 
que  le  sy.stème  de  l'alliance  française  allait  peut-être  s'écrouler. 
«  Cette  cour,  entourée  de  gardes  nationaux  et  dépouillée  de  tout 
réclat  qui  auparavant  signalait  la  grande  i)uissance  de  cette  monar- 
chie, écrit  Mercy  le  18  novembre  1789,  offre  l'aspect  d'une  famille 
prisonnière,  ce  qu'elle  est  en  réalité.  Le  roi,  qui  n'avait  pas  fait 
encore  un  pas  hors  des  murs  de  Paris,  ne  veut  plus  en  sortir,  parce 
que  S.  M.  a  été  privée  de  ses  gardes  du  corps.  La  vie  inactive  qu'il 
mène  menace  sa  santé;  son  état  excite  la  compassion  et  la  pitié;  le 
peuple  lui  témoigne  la  part  qu'il  y  prend  et  revient  à  des  sentiments 
déplus  en  plus  favorables  à  la  reine;  mais  les  effroyables  cabales 
des  démagogues  tiennent  tout  enchaîné ,  surtout  par  la  cruauté  de 
leurs  mesures  et  en  môme  temps  par  leur  puissance  prépondérante... 
Selon  toute  vraisemblance,  cette  monarchie  est  pour  longtemps  ravalée 
et  restera  sans  importance;  son  alliance  sera  de  très  peu  d'utilité, 
peut-être  même  sera-t-elle  plutôt  un  fardeau  et  un  danger...  Je  vois 
bien  l'apparence  de  quelques  partis  qui  se  rapprochent  volontiers  de 
la  cour  et  qui  pourraient  s'unir  avec  elle;  mais  ces  partis  sont  trop 
faibles-,  ils  n'ont  ni  les  moyens  nécessaires  pour  agir,  ni  des  chefs 
capables  de  les  conduire.  Enfin ,  si  l'on  considère  le  caractère  per- 
sonnel du  monarque,  la  possibilité  de  le  sauver  est  si  invraisemblable, 
que,  sans  vouloir  se  tromper  soi-même,  on  ne  peut  plus  rien  espérer 
de  bon  de  son  gouvernement^.  » 

1.  «  Was  hiebey  noch  eine  oder  andereVercenderuug  anhoflen  machen  kôniite, 
isl  das  innerlich  anwachsende  Uebel  ;  massen  ûberhaupl  aile  Steende  des  Staats 
durch  einen  so  gewalligeii  Despotisrnum  gedriickt  und  in  einer  so  allgeineinen 
Verwirrung  zulelzt  gerathen  werden,  dass  die  GeiniJther,  um  die  Last  abzu- 
schlitteln,  wieder  aui'  die  unendlidi  vorzuziehende  monarcbisclie  Regierungs- 
form  zuriicklvommen  und  sicb  derselben  in  die  Armbe  weilen  dœrften.  » 
Lettre  citée  du  17  août  1789. 

2.  Nous  donnerons  ici  seulement  la  seconde  partie  du  texte  de  cette  citation  : 


DOCUMENTS   INÉDITS    RELATIFS    A    !M  \  RIE-ANTOINETTE.  333 

Nous  arrêtons  ici  les  extraits  des  papiers  de  Mercy.  C'était  un 
homme  que  la  situation  de  la  France  et  surtout  de  la  reine  remplis- 
sait du  plus  profond  chagrin.  Ce  que  nous  venons  de  publier  prouve 
à  nouveau  combien  était  injuste  le  soupçon  que  l'ambassadeur  eût 
conspiré  contre  le  nouvel  état  de  choses  et  donné  à  Marie-Antoinette 
des  conseils  dans  ce  sens.  La  publication  faite  par  M.  d'Arneth  a 
déjà  mis  en  lumière  ce  fait  que  Mercy  s'efTorra  d'apporter  à  la  reine 
les  secours  de  son  expérience.  Il  y  était  d'ailleurs  encouragé  d'une 
façon  particulière  par  son  gouvernement.  Dans  une  instruction  du 
3  août  1789,  Kaunitz  dit  que  ce  serait  un  réel  malheur  si  l'ambassa- 
deur ne  pouvait,  au  moins  par  voie  de  correspondance  secrète^  faire 
parvenir  ses  avis  à  la  reine  et  au  roi  '.  Ce  n'était  point  facile.  Marie- 
Antoinette  dut  prévenir  elle-même  le  comte  Mercy  de  la  venir  voir 
aussi  peu  que  possible,  car  elle  savait  de  la  façon  la  plus  certaine 
que  chaque  quart  d'heure  qu'il  passerait  auprès  d'elle  serait  épié, 
découvert  et  dénoncé.  On  convint  donc  d'un  échange  secret  de  lettres 
entre  elle  et  l'ambassadeur  -  ;  il  continua  encore  quand  Mercy  put 
approcher  la  reine.  «  J'ai  recommencé,  écrit-il  à  Mercy  le  ^s  no- 
vembre 1789,  à  voir  le  roi  en  particulier  (mots  en  français  dans  la 
dépêche)  ;  cependant  je  continue  ma  correspondance ,  au  moyen  de 
laquelle  je  cherche  à  communiquer  à  S.  M.  les  conseils  que  me  dictent 
ma  fidélité  et  mon  zèle  pour  sa  personne^.  »  C'est  à  cette  corres- 
pondance que  nous  devons  cette  riche  mine  de  renseignements  que 
M.  d'Arneth  nous  permet  d'exploiter  en  publiant  la  correspondance 
échangée  entre  la  reine  et  l'ambassadeur  autrichien. 

«  Aller  Waiirsclieinlichkeit  nach,  wird  diesse  Monarchie  fiir  lange  Zeit  zu  Grund 
gerichlet  uiul  unbedeutend  bleihea,  so  dass  ihre  AUianz  fur  wenigst  sehr 
unniize,  viellelcht  aucli  lœstig  und  verlegenlieitsvoll  und  eben  dariiii)  schaîdlicli 
werden  dœrfte.  Zu  friihzeitig  wa3r  es,  schon  dermalen  ein  beslinirnte  Meinung 
hieriiber  feslzusetzen  ;  mein  unverfaelscliter  Dienst-Eifer  aber  verbindet  mich 
aile  die  wolilergriiadeten  Spuren  vorleeufig  anzuzeigen,  welche  zu  erforden 
scheinen,  dass  niaa  schon  von  jezo  an  auf  die  Ergreillung  politischer  Vorsichts- 
Mittel  fiirdenke,  oder  solche-wenigst  von  weiten\  her  vorbereite.  Nur  ein  ganz 
empfundener  plœtziicher  Vorfall  wser  in  Stand  diesse  Wahrheit  abzu.nendern. 
Ich  sehe  zwarden  Anschein  einiger  Parteyen,  die  sich  gern  dem  Hofe  nfehern, 
und  sich  mit  demselben  vereinigen  mœgten;  allein  dièse  Parteyen  sind  so 
schwach,  der  hierzu  nœthigeii  Mittel  sowohl  als  tiichtiger  Anfiihrer  dergestalt 
entbiœsst  ;  zudem  ist  in  Erwegung  des  persœnlichen  Charakters  des  Monarchs 
die  Mœglichkeit  Ihn  zu  retten  so  wenig  wahrscheinlich,  dass  man,  ohnc  sich 
selbst  taeuschen  zu  wollen,  von  seiner  Regierung  nichts  mehr  giinstiges  hoften 
kan.  »  Mercy  à  Kaunitz,  le  18  novembre  1789.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 

1.  Kaunitz  à  Mercy.  Vienne,  le  3  août  1789.  Archives  de  l'État  à  Vienne. 

2.  Mercy  à  Kaunitz.  Près  Paris,  le  23  juillet  17.S9.  Ibidem. 

3.  Mercy  à  Kaunitz,  le  18  novembre  1789.  Ibidem. 


334  MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

11. 

J'arrive  maintenant  aux  documents  que  m'ont  fournis  les  archives 
nationales,  et  surtout  les  archives  du  ministère  des  affaires  étran- 
gères de  Paris.  Ils  se  rapportent  pour  la  plupart  à  la  jeunesse  de 
l'archiduchesse  et  à  son  mariage  avec  le  futur  Louis  XVI-,  seuls  les 
comptes  de  toilettes  sont  d'une  époque  postérieure  de  la  vie  de  la  reine 
en  France. 

M.  d'Arneth  est  le  premier  qui  publia  des  renseignements  sur 
la  vie  de  Marie -Antoinette  lorsqu'elle  n'était  encore  qu'archi- 
duchesse. Avec  les  lettres  de  Vermond,  il  put,  par  l'intermé- 
diaire de  M.  Faugère,  prendre  connaissance  des  rapports,  assez  secs 
d'ailleurs,  de  Durfort  sur  elle.  11  paraît  que  Durfort  s'en  remit  à 
l'abbé  Vermond  du  soin  de  rédiger  ses  propres  rapports  ;  ce  dernier 
n'avait-il  pas  été  chargé  de  tenir  sans  cesse  Louis  XV  au  courant 
des  progrès  accomplis  par  Marie-Antoinette?  Partant  de  cette  hypo- 
thèse, j'ai  recherché  dans  les  archives  de  Paris  les  rapports  de  Ver- 
mond. Mes  recherches  sont  cependant  restées  sans  résultai.  Il  est 
probable  que,  si  de  pareils  rapports  ont  existé,  ils  n'existent  plus. 
Nous  devons  d'autant  plus  savoir  gré  à  Durfort  d'avoir  inséré  dans 
ses  dépêches  au  moins  quelques  détails  sur  Marie -Antoinette.  11 
parait  que  M.  Faugère  n'a  pas  fait  copier  pour  M.  d'Arneth  tous  les 
passages  relatifs  à  Marie-Antoinette;  aussi  puis-je  faire  connaître  ici 
quelques  faits  nouveaux.  Ainsi  M.  Faugère  avait  laissé  échapper  un 
tableau  de  la  cour  de  Vienne  que  j'ai  publié  dans  VArchiv  fur  œsfer- 
reichische  Geschichte  et  qui,  selon  moi,  doit  être  attribué  à  Durfort 
lui-même.  Dans  cette  description,  il  se  trouve  un  séduisant  portrait 
de  Marie-Antoinelte,  le  seul  que  nous  possédions  d'elle  comme  archi- 
duchesse. Lîien  que  je  l'aie  déjà  publié,  je  crois  pouvoir  le  reproduire 
ici.  Le  voici  : 

C'est  une  princesse  accomplie  tant  par  les  qualités  de  sa  belle  âme 
que  par  les  agrémens  de  sa  figure,  elle  a  un  discernement  infini,  de  la 
bonté  dans  le  caractère,  de  la  gaité  dans  l'esprit;  elle  aime  à  plaire, 
dit  des  choses  agréables  à  un  chacun  et  possède  au  suprême  degré  toutes 
les  qualités  qui  peuvent  assurer  le  bonheur  d'un  époux. 

Durfort  était  animé  des  meilleurs  sentiments  à  l'égard  de  la  cour 
de  Vienne,  quand  il  y  arriva  en  un  moment  où  les  rapports  entre  TAu- 
triche  et  la  France  se  troublaient  un  peu.  C'étaient  surtout  les  dispo- 
sitions de  Joseph  II  qui  excitaient  l'inquiétude  à  Versailles.  On  crai- 
gnait (lu'il  ne  restât  pas  fidèle  à  l'alliance;  sur  quoi  Raunitz  écrivait 


DOCUMENTS   INEDITS    RELATIFS   A   MARIE-ANTOINETTE.  335 

à  l'ambassadeur  de  France,  dès  le  début  même,  en  ces  termes  :  «  Il 
est  vrai,  et  je  lui  (à  Tempereurl  ai  dit,  qu'il  n'est  pas  assés  coquet 
pour  une  maîtresse  comme  la  France;  il  n'est  pas  tendre,  mais  il  est 
solide.  Je  vous  parle  en  ami  et  en  honnête  homme  ;  comptez  sur  ma 
parole.  Il  sent  tout  le  prix  de  l'alliance  et  n'y  est  pas  moins  attaché 
que  l'impératrice  '.  »  Cette  parole  réjouit  Durfort  ;  il  se  trouva  aussitôt 
mêlé  à  la  vie  de  la  cour  de  Vienne;  la  famille  impériale  surl(jut  lui 
plut;  il  en  parle  en  ces  termes  :  «  Cette  auguste  famille  réunit  tous 
les  avantages  que  la  nature  et  l'éducation  peuvent  donner-.  »  Aussi 
peut-on  comprendre  avec  quel  zèle  il  s'employa  pour  le  mariage  pro- 
jeté entre  le  Dauphin  et  Marie-Antoinette;  mais  la  cour  de  Versailles 
resta  sur  la  réserve.  Le  marquis  de  Durfort,  lisons-nous  dans  Arneth, 
dit  à  Marie-Thérèse  qu'il  était  chargé  d'envoyer  au  roi  de  Franco  les 
portraits  de  la  famille  impériale;  Arneth  publie  aussi  la  réponse  de 
l'impératrice  2.  Durfort  parait  cependant  avoir  dépassé  ici  les  bornes 
de  sa  mission,  ainsi  que  cela  ressort  de  la  réprimande  que  lui  adressa 
Choiseul.  Voici  d'abord  un  extrait  de  la  dépèche  de  Durfort  : 

II  m'est  revenu  par  plus  d'une  voye  qu'elle  en  a  parlé  et  le  peintre  de 
la  cour  est  venu  chez  moy  sous  prétexte  de  me  faire  sa  révérence.  Après 
avoir  discouru  un  moment  avec  lui  sur  son  métier,  il  m'a  dit  qu'il 
savoit  que  je  voulois  les  portraits  de  la  famille  impériale,  qu'il  m'oli'roit 
ses  talens  ;  je  luy  ai  donné  la  commission  de  les  faire,  pourvu  qu'il  me 
promit  que  la  cour  ne  le  trouveroit  pas  mauvais;  il  m'a  assuré  que 
cela  luy  feroit  au  contraire  un  très-grand  plaisir.  J'attends,  monsieur, 
le  jugement  que  vous  porterez  à  cet  égard,  et  j'espère  qu'il  me  sera 
favorable,  au  surplus  j'ai  dit  que  j'avois  ordre,  mais  je  n'ai  pas  dit  de 
qui'*. 

Voici  maintenant  la  réponse  de  Choiseul  du  24  mai  1767  : 

Le  roy  n'a  point  aprouvé,  monsieur,  que  vous  ayez  demandé  par 
ordre  les  portraits  de  la  famille  impériale.  Quoique  vous  n'ayez  pas  dit 
de  quel  ordre,  il  est  certain  que  vous  ne  pouvez  en  avoir  que  de  Sa 
Majesté  et  c'est  une  démarche  qui  peut  tirer  à  des  conséquences  qui  ne 
doivent  pas  vous  échaper.  Il  est  clair  que  le  peintre  qui  est  venu  vous 
offrir  ses  services  a  été  envoyé  chez  vous  par  l'impératrice.  En  tout,  je 
vous  prie,  monsieur,  de  ne  point  vous  presser  sur  tout  ce  qui  peut  avoir 
trait  à  un  mariage,  à  moins  que  vous  ne  receviez  des  ordres  de  Sa 

i.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  11  février  17G7.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 

2.  Idem. 

3.  Arneth.  Maria- Theresia.  VII,  422. 

4.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  II  mars  17G7.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 


336  MELANGES    ET   DOCUMENTS. 

Majesté.  Au  surplus,  quoique  nous  ayons  déjà  les  portraits  de  la  famille 
impériale,  vous  aurez  la  bonté  de  m'envoyer  ceux  que  vous  faites  faire 
lorsqu'ils  seront  achevés  ^. 

Durfort  chercha  à  se  justifier  en  alléguant,  ou  qu'on  avait  mal 
chiffré  la  dépêche  dans  son  bureau,  ou  qu'elle  avait  dû  être  mal 
déchiffrée  à  Versailles.  Mais  laissons-le  parler  lui-même  : 

Il  faut,  monsieur,  ou  qu'on  ait  mal  chiffré  chez  moi ,  ou  mal  déchif- 
fré dans  vos  bureaux  ce  que  j'ay  eu  l'honneur  de  vous  écrire  sur  les 
portraits  de  la  famille  impériale.  Je  ne  les  ai  pas  demandé,  j'ay  dit 
simplement  que /'aro/s  ordre  de  les  chercher .  La  preuve  en  existe  dans  la 
réponse  qui  me  fut  faite  :  Vous  ne  les  trouverez  pas.  Je  crois  dans  ce 
moment  remplir  les  ordres  que  j'ay  de  saisir  toutes  les  occasions  de 
plaire  en  donnant  à  penser  que  Sa  Majesté  auroit  autant  de  satisfaction 
d'avoir  les  portraits  des  enfants  de  l'impératrice  que  cette  princesse  en 
témoignait  d'avoir  ceux  de  la  famille  royalle.  Je  ne  pensais  pas  qu'il  fût 
possible  de  m'interpréter  différemment  et  je  ne  crus  pas  qu'il  pût  en 
résulter  aucune  conséquence.  Je  suis  au  desespoir  de  m'être  trompé  et  je 
vous  supplie,  monsieur,  de  vouloir  bien  mettre  aux  pieds  de  Sa  Majesté 
mes  intentions  et  ma  peine.  J'auray  l'honneur  devons  envoyer  les  por- 
traits dès  qu'ils  seront  faits. 

Les  reproches  de  Ghoiseul  rendirent  Durfort  plus  circonspect,  et  il 
repoussa  toutes  les  avances  qui  lui  vinrent  à  ce  propos.  C'est  ainsi 
qu'il  fut  tenté  par  la  grande  maîtresse  de  la  maison  de  l'archiduchesse, 
la  comtesse  Lerchenfeld,  près  de  latiuelle  il  se  trouva  lors  d'un  diver- 
tissement donné  à  la  cour.  Durfort  en  parle  en  ces  termes  :  «  Elle 
(la  grande  maîtresse)  chercha  à  entrer  en  conversation  avec  moi,  et 
elle  ne  tarda  pas  à  la  faire  tomber  sur  le  caractère,  l'esprit,  la  figure 
et  les  grâces  de  la  jeune  princesse;  elle  ne  négligea  rien  dans  le  por- 
trait qu'elle  me  fit.  Je  m'acquittai  vis-à-vis  de  cette  dame  de  tout  ce 
que  rhonnételc  exigcoit,  sans  m'écarter  en  rien  de  la  circonspection 
que  vous  m'avez  prescrite-.  » 

Cette  réserve  de  l'ambassadeur  fut  pleinement  approuvée  à  Ver- 
sailles, et  Louis  XV  fit  encore  recommander  au  marquis  de  continuer 
dans  cette  voie.  Mais,  comme  la  cour  de  France  désirait,  pour  le  cas 
où  un  mariage  serait  conclu  entre  le  dauphin  et  l'archiduchesse, 
avoir  une  copie  du  contrat  de  mariage  qui  avait  été  rédigé  lors  du 
mariage  entre  le  roi  de  Naples  et  l'archiducliesse  Caroline,  Durfort 


1.  Choiseul  à  Durfort.  Versailles,  le  24  mars  17G7.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 

2.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  19  septembre  1767.  Archives  du  ministère 
des  aiïaires  étrangères. 


DOCrMElVTS    INÉDITS    RELATIFS   A    MARlE-ANTOINETTi: .  337 

fut  chargé  de  se  procurer  celle  copie.  «  Je  présume,  écrivit  Choiseul 
à  Durforl,  qu'il  ne  vous  sera  pas  difficile  de  vous  procurer  ces  actes 
en  marquant  votre  désir  personnel  de  les  avoir,  soit  à  l'ambassadeur 
d'Espagne,  soit  à  celui  de  Naples.  Vous  attendrez  une  occasion  pour 
me  les  faire  passer'.  »  Durfort  fut  enchanté  que  sa  conduite  fût 
approuvée  du  roi,  et  promit  de  fournir  la  copie  désirée 2. 

11  suffit  ici  de  toucher  seulement  un  poini  qui  a  déjà  été  traité  par 
M.  d'Arneth.  La  seconde  femme  de  Joseph  II,  avec  laquelle  il  avait 
vécu  en  grande  mésintelligence  3,  venait  de  mourir  le  2S  mai  noT, 
et  l'on  parla  aussitôt  d'un  nouveau  mariage.  M.  d'Arneth  avait  déjà 
mis  en  doute  •«  que  la  cour  de  France  ait  eu  l'idée  de  mettre  comme 
condition  au  mariage  autrichien  l'union  de  l'empereur  Joseph  II  avec 
la  fille  du  duc  d'Orléans  ;  son  opinion  est  confirmée  par  les  rensei- 
gnements suivants  :  à  Versailles ,  on  voulait  que  la  cour  de  Vienne 
fit  les  premières  ouvertures-,  c'est  ce  qu'indique  en  ces  termes  le 
marquis  de  Durfort  :  «  Je  vous  demande  instamment  d'être  persuadé 
que  je  n'ay  rien  oublié  des  instructions  que  vous  m'avez  données  au 
cas  qu'on  me  parlât  de  mariage,  et  que  je  ne  dirai  et  ne  ferai  que  ce 
qu'elles  me  prescrivent ^  »  Ces  instructions  dont  il  parle,  et  qui 
ordonnaient,  on  le  voit,  de  la  façon  la  plus  expresse  à  l'ambassadeur 
de  se  tenir  sur  la  réserve,  ont  été  rédigées  avant  la  mort  de  la  seconde 


1.  Choiseul  à  Durfort.  Fontainebleau,  le  4  octobre  1767.  Ibidem. 

2.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  17  octobre  1767.  Ibidem. 

3.  Une  dépêche  de  Berenger  à  Choiseul,  Vienne,  le  .5  août  176G,  contient  un 
passage  très  curieux  sur  les  relations  de  Josepli  II  avec  sa  seconde  femme. 
Après  avoir  dit  que  l'impératrice  se  sentait  plus  mal  chaque  jour,  que  les  bains 
deBaden  près  de  Vienne  ne  lavaient  pas  soulagée,  et  que  tout  le  monde  était 
convaincu  que  l'impératrice  resterait  stérile ,  il  continue  ainsi  :  «  Cette  prin- 
cesse n'est  regardée  dans  la  monarchie  que  comme  une  acquisition  désagréable 
et  odieuse  et  ne  peut  devenir  intéressante  que  par  ses  disgrâces.  L'empereur  la 
traite  avec  un  mépris  qui  tient  à  la  dureté  de  son  caractère,  il  ne  lui  trouve  ni 
figure  ni  esprit,  et  ne  perd  aucune  occasion  d'humilier  publiquement  son  amour- 
propre  par  des  parallelles  dont  il  est  impossible  de  manquer  l'aplication.  Vous 
jugerez  de  sa  tendresse  par  l'anecdote  suivante  :  il  disait  dernièrement  devant 
plusieurs  personnes  à  mademoiselle  "Wallis,  qui  s'était  jetée  tout  habillée  dans 
les  bains  de  Bade  pour  secourir  l'impératrice  qui  était  tombée  à  la  suite  d'une 
faiblesse,  qu'elle  s'était  fort  trompée  si  elle  avait  imaginé  lui  faire  sa  cour  par 
cet  empressement;  qu'il  lui  aurait  su  plus  de  gré  si  elle  s'était  épargné  ce  soin, 
puisqu'il  aurait  pu  en  être  délivré.  L'on  a  de  la  peine  à  concevoir  l'inhumaine 
indécence  de  ce  propos,  et  j'avoue  qu'il  me  paroîtrait  incroyable,  s'il  ne  m'avait 
été  rendu  par  des  personnes  à  l'abri  de  tout  soupçon  de  fausseté.  »  Archives 
du  ministère  des  affaires  étiangères. 

4.  Maria  Teresia,  VII,  423. 

5.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  4  avril  1656.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères.  Le  texte  de  la  dépêche  dans  Arneth,  VII,  561. 

ReV.    HiSTOR.    XXV.    2e   FASC.  22 


338  MÉLANGES    ET    DOCnMEl>fTS. 

femme  de  Joseph  II;  elles  ne  pouvaient  donc  contenir  aucun  avis 
pour  le  cas  où  Tempereur  viendrait  à  se  remarier.  Lorsque  Durfort, 
quelques  jours  après  la  mort  de  l'impératrice  Josepha,  par  consé- 
quent après  le  28  mai,  annonce  à  sa  cour  que,  malgré  la  consterna- 
tion générale  qui  règne  à  Vienne,  on  parle  d'un  nouveau  mariage  de 
l'empereur,  et  en  première  ligne  qu'on  désigne  la  fille  du  duc  d'Or- 
léans comme  la  future  impératrice^  Ghoiseul  lui  répond  de  tenir  pour 
le  moment  toutes  ces  combinaisons  comme  prématurées,  et  il  ajoute 
dans  les  termes  les  plus  expressifs  :  «  Je  vous  prie  d'éviter  avec 
grand  soin  de  parler  le  premier  d'aucun  mariage^.  »  Ce  passage 
montre  donc  avec  la  dernière  évidence  que  l'ambassadeur  ne  devait 
parler  le  premier  ni  du  mariage  du  dauphin  avec  Marie-Antoinette, 
ni  de  celui  de  l'empereur  avec  M""=  de  Chartres.  On  n'espérait  même 
pas  à  Versailles  qu'une  démarche  officielle  fût  faite  au  sujet  du 
mariage  de  l'empereur,  c'est  ce  qui  ressort  de  ces  paroles  de  Ghoi- 
seul :  «  Si  l'on  vous  en  parlait  rainistérialemenl,  ce  que  je  ne  puis 
pas  croire,  vous  répondrez  que  vous  n'avez  reçu  aucun  ordre  à  cet 
égard,  et  que  vous  allez  rendre  compte  de  ce  que  l'on  vous  dira^.  » 
Peut-on  penser  encore,  après  tout  cela,  qu'on  ait  eu  sérieusement 
l'idée  de  combiner  le  mai'iage,  d'une  part,  de  Marie-Antoinette  avec 
le  dauj)hin,  et,  d'autre  part,  de  l'empereur  avec  M"^  de  Chartres?  Si 
cependant  on  demande  pourquoi  l'on  recommandait  à  l'ambassadeur 
une  si  grande  circonspection,  la  réponse  est  facile  :  en  voulant  que  la 
cour  de  Vienne  fit  les  premières  ouvertures,  on  espérait  s'assurer 
certains  avantages  ;  c'est  ce  qui  ressort  clairement  des  termes  où 
(Ghoiseul  blâme  la  précipitation  de  Durfort  :  «  C'est  une  démarche 
qui  peut  tirer  à  des  conséquences;  »  c'est-à-dire  qu'on  renoncerait  à 
tous  ses  avantages  dans  cette  négociation,  si  l'on  faisait  les  pre- 
miers pas. 

Apres  des  pourparlers  dont  l'exposé  se  trouve  dans  Arneth,  on 
décida  d'envoyer  l'abbé  Vermond  à  Vienne  comme  confesseur  de  l'ar- 
chiduchesse Marie-Antoinette.  Dans  la  lettre  de  recommandation  que 
Choiseul  lui  donna  pour  Durfort,  il  dépeint  ainsi  le  confesseur: 
«  C'est  un  homme  de  mérite  et  d'esprit,  qui  allie  la  prudence  aux 
lumières,  et  (jui  remplira  certainement  à  la  satisfaction  de  S.  M.  l'im- 
pératrice-reine  les  fonctions  qu'elle  veut  bien  lui  confier  ^.  » 

1.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  30  mai  1767.  Archives  du  ministère  des 
aifaires  étrangères. 

2.  Choiseul  à  Durfort.  Versailles,  le  18  juin  1767;  ibidem. 

3.  Même  dépèche. 

4.  Choiseul  à  Durfort,  Fontainebleau,  le  24  octobre  1768.  En  1769,  il  paraît 
(ju'il  fut  encore   question    d'un  mariage  de  l'empereur   Joseph   II:   c'est    ce 


DOCUMENTS    INEDITS    RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  339 

Cependant  Louis  XV  exprime  un  vif  désir  de  recevoir  les  portraits 
de  la  famille  impériale  <.  Durfort  envoya  enfin ,  le  i9  avril ,  par  son 
fils,  le  portrait  de  Marie-Antoinette,  et  il  ajoute  ces  mots  : 

Mais  ce  portrait,  au  jugement  de  toutes  les  personnes  qui  l'ont  exa- 
miné, n'est  pas  ressemblant  et  il  est  nécessaire  de  le  recommencer 

Le  sieur  Ducreux  a  peint  avec  le  plus  grand  succès  les  têtes  de  mes- 
dames les  archiduchesses  Thérèse,  Christine  et  Elisabeth  et  a  manqué 
précisément  celle  de  madame  Antoinette^. 

Louis  XV  n'en  fut  pas  moins  enchanté  du  portrait  de  Marie- 
Antoinette  3.  Il  décida  bientôt  de  faire  un  pas  de  plus  et  fit  deman- 
der officiellement  la  main  de  l'archiduchesse  pour  le  dauphin.  Voici 
en  quels  termes  il  expose  ses  vues  à  l'impératrice  Marie-Thérèse  : 

Louis  XV  A  Marie-Thérèse. 

Marly,  le  7  juin  \1&9\ 
Madame  ma  sœur. 
Je  ne  puis  retarder  plus  longtems  de  marquer  à  Votre  Majesté  la 
satisfaction  que  je  sens  de  l'union  prochaine  et  plus  particulière  que 
nous  allons  contracter  par  le  mariage  de  l'archiduchesse  Antoinette 
avec  le  Dauphin  mon  petit-fils.  Je  suis  trop  tendrement  attaché  à  Votre 
Majesté  pour  ne  pas  me  flatter  qu'elle  aprouvera  que  j'anticipe  à  cet 
égard  la  demande  en  cérémonie  et  que  je  lui  fasse  connoitre  combien 
m'est  agréable  ce  nouveau  lien  qui  va  de  plus  en  plus  unir  nos  deux 
maisons.  Si  Votre  Majesté  l'aprouve,  je  crois  que  le  mariage  pourra  se 
faire  à  Vienne  dans  la  semaine  de  Pâques  prochain  ;  en  conséquence , 
j'envoye  les  ordres  à  mon  ambassadeur  pour  demander  un  projetdecon- 
tract  au  ministère  de  Votre  Majesté.  Il  ne  sera  pas  aussi  long  à  faire 

qui  ressort  de  la  dépêche  suivante  de  Durfort,  expédiée  de  Vienne  le 
18  janvier  1769  :  «  J'ay  remis,  Monsieur,  le  portrait  de  Madame  à  la  personne 
qui  me  l'avoit  demandé  pour  l'impératrice-ieine.  Je  sais  qu'il  est  chez  cette 
princesse  depuis  avant-hier,  et  j'avois  recommandé  qu'on  le  luy  apportât 
enveloppé  et  en  disant  aux  femmes  de  chambre  qui  le  reçurent  que  c'étoil  un 
miroir.  Son  dessein  est,  dit-on,  de  le  faire  voir  à  l'empereur  sans  affectation  et 
comme  si  ce  n'étoit  qu'un  portrait  de  fantaisie.  »  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 

1.  Choiseul  à  Durfort,  le  31  mars  1769.  Archives  du  ministère  des  affaires 
étrangères. 

2.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  19  avril  1769.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 

3.  Choiseul  à  Durfort,  le  21  mai  1769.  Archives  du  ministère  des  affaires 
étrangères;  Arneth,  VIT,  426. 

4.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères.  France,  1769-70.  Vol.  75. 
Minute. 


340  MELANGES   ET  DOCUMENTS. 

que  celui  de  l'archiduchesse  Amélie  avec  mon  petit-fils  de  Parme', 
qui,  vu  la  médiocrité  de  ses  États,  demandoit  un  peu  plus  d'attention, 
mais  Votre  Majesté  et  moi  nous  aurons  soin  de  leur  postérité  et  je  ne 
puis  trop  remercier  Votre  Majesté  de  la  conclusion  de  ce  mariage  qui, 
j'espère,  lui  donnera  de  la  satisfaction  par  le  personnel  de  l'infant.  Je 
ferai  ici  ce  que  je  pourrai  ainsi  que  le  Dauphin  pour  que  l'archiduchesse 
Antoinette  soit  heureuse  et  que  nos  familles  jouissent  comme  moi  du 
bonheur  de  nos  liaisons,  ainsi  que  de  l'amitié  aussi  tendre  que  durable 
avec  laquelle  je  suis.... 

Marie-Thérèse  répondit  à  cette  lettre  par  la  suivante,  tout  entière 
écrite  de  sa  main  : 

Marie-Thérèse  a  Louis  XV-. 

Laxembourg,  le  17  juin  1709. 

Monsieur  mon  frère  et  cousin. 

De  tous  les  liens  par  lesquels  j'ai  la  satisfaction  de  me  voir  attachée 
à  Votre  Majesté,  c'est  celui  de  l'amitié  personnelle  dont  elle  m'honore, 
et  que  je  lui  rend  bien  sincèrement,  qui  m'a  toujours  été  le  plus  cher 
et  le  plus  précieux.  La  preuve  nouvelle  de  ce  sentiment  que  j'ai  retrou- 
vée dans  la  lettre  de  Votre  Majesté  du  4^  de  ce  mois,  par  laquelle  de 
la  façon  la  plus  obligeante,  elle  a  bien  voulu  anticiper  la  demande  en 
cérémonie  de  ma  fille,  l'archiduchesse  Antoinette,  pour  le  Dauphin,  son 
petit-iils,  n'a  pu  m'être  moyennant  cela  que  très-agréable.  Je  m'empresse 
donc  d'en  assurer  S^^otre  Majesté  et,  en  lui  accordant  ma  tille,  qu'elle  soit 
persuadée  que  ce  nouveau  lien  qui  va  unir  nos  maisons  ne  m'est  pas 
moins  agréable  qu'à  elle. 

Ce  mariage  se  pourra  faire  ici  selon  ses  désirs  d'abord  après  Pâques. 
On  remettra  un  projet  de  contrat  de  mariage  à  son  ambassadeur  puis- 
qu'elle le  souhaite.  Je  remercie  Votre  Majesté  de  la  façon  dont  elle  veut 
s'expliquer  au  sujet  de  la  conclusion  du  mariage  de  ma  tille  avec  l'infant, 
de  même  que  des  sentiments  qu'elle  me  témoigne  en  leur  faveur  et  sur 
lesquels  je  conte  très-fort  ainsi  qu'ils  peuvent  conter  sur  toute  mon 
affection.  Il  ne  me  reste  qu'à  souhaiter  que  ma  fille  Antoinette  puisse 
avoir  le  bonheur  de  lui  plaire.  Je  suis  bien  sûre  qu'elle  faira  tout  son 
possible  pour  mériter  ses  bontés.  J'ose  la  lui  recommander,  à  son  âge 
on  a  besoing  d'indulgence,  de  vouloir  bien  lui  servir  de  père,  et  en  ce 
cas  elle  sera  heureuse  et  moi  aussi,  ne  souhaitant  que  dans  toutes  les 
occasions  de  pouvoir  lui  prouver  le  sincer  attachement  avec  lequel  je 
suis  ^t  ne  cesserai  d'être 


1.  Ferdinand,  duc  de  Parme. 

2.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères. 

3.  Dans  une  copie  qu'on  possède  de  celte  lettre,  on  trouve  la  date  réelle  du  7. 


DOCUMENTS   INEDITS   RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  3H 

A  ces  lettres  échangées  entre  Marie-Thérèse  et  Louis  XV,  nous 
croyons  devoir  ajouter  la  lettre  suivante  du  roi  à  Joseph  IT.  Celle  de 
l'empereur  à  laquelle  Louis  XV  fait  allusion  ne  nous  est  pas  connue  : 

Louis  XV  a  Joseph  IL 

Marly,  le  18  juin  1769  L 
La  tendresse ,  mon  cher  petit-fils ,  que  vous  me  marquez  dans  votre 
lettre,  est  très-conforme  à  celle  que  je  ressens  pour  vous.  Tout  le  bien 
que  vous  me  dites  de  l'infant,  duc  de  Parme,  me  fait  le  plus  grand 
plaisir.  L'amitié  flatteuse  que  vous  me  marquez  avoir  pour  ce  jeune 
prince  fait  son  éloge  ;  j'espère  qu'elle  portera  bonheur  à  son  union 
avec  l'archiduchesse  votre  sœur.  Je  serai  toujours  très-empressé  à  don- 
ner à  l'un  et  à  l'autre  des  preuves  de  ma  tendresse.  Je  vous  demande 
aussi  votre  amitié  pour  mon  petit-fils,  le  Dauphin,  dont  le  mariage  avec 
votre  sœur  cadette  va  se  conclure.  Il  désire  que  la  multiplication  des 
liens  qui  unissent  nos  maisons  adoucisse  le  chagrin  de  la  perte  que  nous 
avons  faite  l'un  et  l'autre. 

Vous  me  faites  envisager,  mon  cher  petit-fils,  l'époque  la  plus  agréa- 
ble de  ma  vie,  en  me  parlant  de  votre  projet  de  venir  en  France  :  vous 
ne  l'exécuterez  jamais  aussi  vite  que  je  le  souhaite.  Ce  sera  pour  moi 
un  plaisir  très-vif  d'embrasser  un  prince  qui  a  des  titres  si  multipliés  à 
mon  estime  et  à  ma  tendre  affection. 

La  nation  française  admire  déjà  vos  vertus  ;  mais  elle  apprendra  par 
mon  exemple  à  vous  aimer  lorsque  je  pourrai  la  rendre  témoin  de  la 
vivacité  et  de  la  vérité  de  l'inviolable  amitié  avec  laquelle  je  ne  cesserai 
jamais  d'être 

De  temps  en  temps  Durfort  a,  parallèlement  à  Vermond,  certains 
détails  à  donner  à  sa  cour  sur  l'archiduchesse.  La  plus  grande  partie 
de  ces  rapports ,  malheureusement  beaucoup  trop  succincts,  a  été 
publiée  par  M.  d'Arneth.  Je  publierai  ici  trois  dépêches  encore  iné- 
dites de  Durfort.  Celle  du  10  février  présente  un  intérêt  particulier. 
Dans  sa  dépêche  du  3  janvier  -1770,  Durfort  parle  de  l'excellente 
impression  que  la  jeune  archiduchesse  produit  partout. 

Le  premier  jour  de  l'an,  écrit-il  à  Choiseul,  a  été  célébré  ici  selon 
l'usage  par  un  grand  gala,  un  dîner  public  et  un  appartement  à  la  cour. 
Madame  l'archiduchesse  Antoinette  a  assisté  à  toutes  les  cérémonies  de 
cette  journée,  et  s'y  est  fait  généralement  admirer  par  sa  beauté,  les 
charmes  de  sa  figure  et  tous  les  agrémens  dont  cette  princesse  est  douée. 
Sa  parure  était  beaucoup  plus  riche  que  celle  des  autres  archidu- 
chesses 2. 

1.  Minute.  Arcliives  du  ministère  des  affaires  étrangères. 

2.  Durfort  à  Choiseul.  Vienne,  le  3  janvier  1770.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 


342  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

Dans  la  dépêche  du  ^0  février,  Durfort  annonce  un  événement  qui 
rendait  le  mariage  possible  :  Marie-Antoinette  était  devenue  nubile. 
L'ambassadeur  écrit  à  ce  propos  : 

L'impératrice-reine  ayant  eu  la  bonté  de  me  faire  dire  que  j  etois  le 
maitre  d'aller  à  tous  les  cammerfest,  je  m'empressai  mercredi  dernier 
de  me  rendre  à  une  de  ces  fêtes  qu'il  y  eut  ce  jour-là.  Dès  que  j'y  fus 
arrivé ,  l'impératrice  eut  la  complaisance  de  me  tirer  à  part  et  de  me 
dire  :  J'ai  un  secret  à  vous  confier,  mais  il  faut  que  vous  le  gardiez. 
Ma  fille  est  nubile  depuis  cet  après-midi  à  cinq  heures  un  quart,  j'en  ai 

un  plaisir  infini  et  je  suis  persuadée  que  le  roi  n'en  aura  pas  moins 

Le  jour  même  de  cet  événement,  madame  l'archiduchesse  Antoinette  a 
dansé  assez  longtemps  et  je  ne  me  suis  pas  aperçu  depuis  qu'il  y  ait  eu 
le  moindre  changement  dans  sa  santé.  J'ai  eu  l'honneur  de  faire  sa 
partie  hier  au  soir.  Cette  princesse  étoit  aussi  belle,  aussi  gaye  et  aussi 
vive  qu'elle  l'est  ordinairement  L 

Si  à  Versailles  on  avait  désiré  le  portrait  de  l'archiduchesse  Marie- 
Antoinette,  on  comprend  qu'en  retour  on  ait  envoyé  à  Vienne  le  por- 
trait du  dauphin.  On  en  envoya  deux  en  même  temps.  Après  les 
avoir  reçus,  Durfort  s'exprime  en  ces  termes  : 

A  peine  furent-ils  (les  deux  portraits)  arrivés  que  j'en  fis  informer 
l'impératrice-reine,  qui  me  fit  dire  que  je  devois  les  lui  présenter  moi- 
même.  J'eus  cet  honneur  le  lendemain  à  midi.  Je  ne  saurois  vous  rendre, 
monsieur,  toute  la  satisfaction  que  ces  portraitsont  causée  à  Sa  Majesté 
impériale  et  à  madame  l'archiduchesse  Antoinette.  Cette  jeune  princesse 
les  a  tous  les  deux  dans  son  appartement  et  les  a  fait  placer  dans  la 
pièce  où  elle  se  tient-. 

Cependant  le  jour  du  mariage  approchait.  A  ce  propos ,  Joseph  11 
écrivait  la  lettre  suivante,  toute  de  sa  main,  à  Louis  XV  : 

Joseph  II  a  Louis  XY=^ 

Le  19  avril  1770. 
Monsieur  mon  frère  et  grand-père ,  puis-je  assez  témoigner  le  plaisir 
avec  lequel  je  viens  de  recevoir  la  lettre  que  Votre  Majesté  a  bien 
voulue  m'écrire  et  qui  caractérise  si  bien  son  amitié  pour  moi  et  ses 
sentiments  bien  consolants  pour  ma  sceure,  qui  va  avoir  le  bonheur 
d'appartenir  au  Dauphin,  son  digne  petit-fils;  la  fonction  du  mariage 

1.  Durfort  à  Clioiseul.  Vienne,  le  10  février  1770.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 

2.  Durfort  à  Cboiseul.  Vienne,  le  3  avril  1770.  Archives  du  ministère  des 
afl'aires  étrangères. 

.3.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères.  France,  1769-70. 


DOCUMENTS    INÉDITS    RELATIFS    A    MAllIE-ANTOLNETTE.  343 

par  procure  vient  de  se  célébrer,  si  quelque  chose  pouvoit  encore  plus 
resserrer  les  liens  sans  cella  formés  et  rendus  indissolubles  par  la  con- 
viction et  l'attachement  mutuell,  certainement  que  ce  nouveau  lien  si 
tendre  et  le  bonheur  d'une  sœure  qui  mérite  tant  d'estre  chérie  y  met- 
troit  le  comble,  croyez,  cher*  grand-père,  que  je  ne  désire  rien 
d'avantage  que  de  vous  en  convaincre  et  de  vous  faire  connoître  en 
personne  mon  cœur  et  les  sentimens  d'un  fils  qui  vous  respecte  et  dont 
l'attachement  est  à  toute  épreuve,  pour  la  vie  je  suis 

Le  jour  qui  suivit  le  mariage,  Marie-Antoinette  écrivit  à  Louis  XV 
une  lettre  autographe,  où  elle  lui  promettait  d'être  toujours  sa  fille 
la  plus  fidèle  et  la  plus  soumise.  Voici  cette  lettre,  à  laquelle  nous 
ne  changeons  pas  un  mot,  et  dont  nous  respectons  l'orthographe  : 

Marie-Antoinette  a  Louis  XV  ^. 

Vienne,  le  20  avril  1770. 
Monsieur  mon  frère  et  très-cher  grand-père.  Il  y  a  si  longtemsqueje 
désire  pouvoir  témoigner  a  Votre  Majesté ,  au  moins  en  partie ,  tous 
mes  sentiments  pour  elle,  que  je  saisis  avec  la  plus  grande  satisfaction 
la  première  occasion  qui  peut  m'y  autoriser.  Que  Votre  Majesté  me 
permette  donc  de  lui  apprendre  que  mon  mariage  avec  monsieur  le 
Dauphin  a  été  célébré  ici  hier  par  toutes  les  cérémonies  de  l'Eglise 
usitées  en  pareil  cas,  et  que  c'est  pour  moi  la  plus  douce  satisfaction  de 
me  voir  par  la  appartenir  a  Votre  Majesté,  pour  qui,  depuis  que  je 
pense,  j'ai  toujours  eue  le  plus  grand  respect  et  le  plus  vif  attachement. 
Votre  Majesté  peut  être  assurée  en  conséquence,  que  je  ne  serai  occu- 
pée toute  ma  vie  que  du  soin  de  lui  plaire  et  de  mériter  sa  confiance  et 
ses  bontés ,  et  avec  de  pareilles  intentions  je  crois  pouvoir  tout  espérer 
de  sa  part.  Je  sents  cependant,  que  mon  âge  et  mon  inexpérience  pour- 
ront peutêtre  souvent  avoir  besoin  de  son  indulgence  et  j'ose  moyennant 
cela  la  lui  demander  dez  a  présent  avec  les  plus  vives  instances  et  la 
supplier  en  même  tems  de  me  ménager  aussi  d'avance  celle  de  monsieur 
le  Dauphin  et  de  toute  la  famille  dont  je  m'en  vois  avoir  le  bonheur 
d'être.  Je  sais  que  Votre  Majesté  est  le  meilleur  des  pères  ;  je  me  pro- 
pose d'être  toute  ma  vie  la  fille  la  plus  tendre  et  la  plus  somisse  (sic) 
a  ses  volontés,  et  je  me  flatte  par  conséquent  du  sort  le  plus  heureux. 
J'ose  espérer  que  Votre  Majesté  daignera  recevoir  avec  la  bonté  qui  lui 
est  naturelle,  cette  effusion  de  cœur,  a  laquelle  je  n'ai  pu  me  refuser,  et  je 
la  supplie  de  vouloir  être  persuadée,  en  attendant,  qu'au  moment  désiré, 
ou  j'aurai  le  bonheur  de  me  trouver  auprès  d'elle ,  ce  sera  avec  autant 
de  vérité  que  de  respect  et  de  tendresse  que  j'aurai  l'honneur  de  lui 
repeter  de  vive  voix  tous  les  sentiments  avec  lesquels  je  ne  cesserai 
d'être  toute  la  vie 

1.  Dans  l'original,  il  y  a  «  chère.  » 

2.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères. 


344  MÉLANGES    ET    DOCUMENTS. 

Marie-Thérèse  écrivit  aussi  au  roi  une  lettre  autographe  au  sujet 
du  mariage  ;  nous  la  publions  plus  loin  ;  dans  une  autre  écrite 
le  même  jour  à  Louis  XV,  elle  dit  qu'elle  lui  sera  remise  par  sa 
fille  elle-même,  ou  plutôt,  comme  elle  dit,  par  la  fille  du  roi.  Nous 
donnons  aussi  cette  lettre  autographe.  Elle  n'est  pas  datée,  mais  une 
autre  main  a  ajouté  :  20  avril  -1770. 

Marie-Thérèse  a  Louis  XV  < . 

Vienne,  le  20  avril  1770. 
Monsieur  mon  frère  et  cousin,  la  célébration  du  mariage  de  ma  fille, 
l'archiduchesse  Marie- Antoinette,  qui  a  été  unie  hier  en  face  de  l'église 
à  monsieur  le  Dauphin  a  suivi  de  si  près  la  demande  solennelle  que 
Votre  Majesté  m'en  a  fait  faire  par  son  ambassadeur  extraordinaire ,  le 
sieur  marquis  de  Durfort,  que  j'ai  la  satisfaction  de  pouvoir  lui  témoi- 
gner par  mon  empressement  à  lui  apprendre  que  le  mariage  est  fait, 
combien  la  proposition  m'en  a  été  agréable.  Votre  Majesté  n'ignore  pas 
le  plaisir  que  je  me  suis  fait  de  tous  les  liens  par  lesquels  nous  avons 
put  unir  nos  maisons  jusqu'ici,  et  elle  peut  juger  moiennant  cela  du 
degré  de  satisfaction  que  doit  me  causer  celui-ci  qui  nous  attache 
encore  plus  directement  à  la  personne  de  Votre  Majesté  qui  rend  jus- 
tice, j'espère,  à  tous  mes  sentimens  pour  elle.  Je  la  prie  instam- 
ment de  vouloir  bien  être  le  père,  le  guide  et  le  protecteur  de  ma  lille 
qui  fera,  j'espère,  tout  ce  qu'elle  pourra  pour  lui  plaire,  mais  qui  bien 
jeune  encore  ne  peut  manquer  neantmoins  d'avoir  souvent  grand  besoin 
des  bontés  et  de  l'indulgence  de  Votre  Majesté.  Je  lui  demande  donc 
pour  elle  l'un  et  l'autre,  et  il  ne  me  restera  rien  à  désirer  en  ce  cas  que 
de  pouvoir  donner  sans  cesse  à  Votre  Majesté  des  preuves  delà  sincère 
et  inviolaljlc  amitié  avec  laquelle  je  suis  et  serai  toute  ma  vie 

Marie-Thérèse  a  Louis  XV-. 

Le  20  avril  1770. 
Monsieur  mon  frère,  c'est  ma  fille,  mais  plutôt  celle  de  Votre  Majesté 
qui  aura  le  bonheur  de  vous  remettre  celle-ci  ;  en  perdant  un  si  cher 
enfant  toute  ma  consolation  est  de  la  confier  au  meilleur  et  le  plus 
tendre  père;  qu'elle  veuille  la  diriger  et  lui  ordonner.  Elle  a  la  meilleur 
volonté,  mais  à  son  âge  j'ose  la  prier  d'avoir  de  l'indulgence  pour 
quelque  étourderie,  sa  volonté  est  bonne  de  vouloir  mériter  ses 
bontés  par  tout  ses  actions,  je  la  lui  recommande  encore  une  fois 
comme  le  gage  le  plus  tendre  qui  existe  si  heureusement  entre  nos  Etats 
et  maisons,  étant  toujours 

1.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères.  France,  1769-70. 

2.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères.  France,  1769-70. 


DOCUMENTS    INÉDITS   RELATIFS    A    MARIE-ANTOINETTE.  345 

Dans  sa  lettre  du  8  mai  HTO,  Louis  XV  exprime  à  l'impératrice 
son  contentement  et  en  même  temps  l'impatience  qu'il  éprouve  de 
pouvoir  embrasser  la  Dauphine  en  France.  Nous  n'avons  de  cette 
lettre  qu'une  minute.  La  voici  : 

Louis  XV  a  Marie-Thérèse. 

Versailles,  le  8  mai  1770'. 
Serenissime  et  très-puissante  impératrice,  etc.. 
J'ai  reçu  avec  la  joye  la  plus  vive  la  nouvelle  que  Votre  Majesté  a 
bien  voulu  me  donner  de  la  célébration  du  mariage  qui  s'est  fait  en  sa 
présence  de  mon  cher  petit-Mls,  le  Dauphin,  avec  sa  chère  ûlle,  l'archi- 
duchesse Antoinette.  Votre  Majesté  concevra  aisément  l'impatience  où 
je  suis  de  recevoir  cette  princesse  pour  lui  témoigner  toute  l'afection 
que  j'ai  pour  elle.  Le  moment  de  la  conclusion  d'une  alliance,  laquelle 
est  à  tant  de  titres  si  chère  à  mon  cœur,  met  le  comble  à  la  satisfaction 
que  me  causent  les  différens  liens  qui  m'unissent  déjà  à  Votre  Majesté. 
Je  ne  saurois  trop  lui  répéter  la  joye  que  j'en  ressens  ;  elle  est  aussi 
pure  et  aussi  vive  que  l'amitié  que  je  lui  ai  vouée  pour  la  vie 

Un  peu  plus  tard,  le  Dauphin  écrit  à  sa  belle-mère,  l'impératrice 
Marie- Thérèse  ;  il  promet  de  faire  tous  ses  efforts  pour  assurer  le 
bonheur  de  la  dauphine,  comme  il  est  convaincu  lui-même  que 
Marie-Antoinette  fera  son  jjonheur.  Nous  laissons  la  parole  au  Dau- 
phin; cette  lettre  n'est,  elle  aussi,  qu'une  minute  : 

Le  Dauphin  a   Marie-Thérèse. 

Le  20  mai  17702. 

Madame  ma  sœur,  cousine  et  mère,  je  ne-  puis  trop  vous  marquer  ma 
sensible  satisfaction  de  l'heureux  lien  qui  m'attache  à  votre  majesté. 
J'espère  contribuer  au  bonheur  de  madame  la  Dauphine,  comme  je  suis 
persuadé  qu'elle  fera  le  mien.  Je  n'aurai  rien  à  désirer  si  Votre  Majesté 
m'accorde  les  sentiments  que  mérite  un  ûls  bien  tendre,  qui  admire 
les  vertus  respectables  d'une  mère  aussi  chère,  qui  lui  sera  attaché 
pour  toujours  et  qui  désire  vivement  de  lui  plaire.  Madame  la  Dau- 
phine sera  l'interprète  de  ma  tendresse,  je  n'en  puis  pas  avoir  qui  soit 
plus  cher  au  cœur  de  Votre  Majesté  et  au  mien 

Une  dépèche  de  Durfort  et  deux  autres  du  comte  de  Noailles  nous 
permettent  d'accompagner  la  dauphine  dans  son  voyage  vers  Paris, 
et  lorsqu'elle  était  encore  sur  le  sol  autrichien,  et  lorsqu'elle  était 

1.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères.  France,  1769-70. 

2.  Arcliives  du  ministère  des  affaires  étrangères.  France,  1769-70. 


346  MELANGES    ET    DOCUMENTS. 

déjà  entrée  en  France.  Le  mariage  avait  eu  lieu  le  ^9  avril;  le  24, 
Marie-Antoinette  quittait  Vienne,  L'empereur  Tavait  devancée  à  Melk , 
où  il  la  reçut;  c'est  là  qu'il  se  sépara  de  sa  sœur,  qu'il  devait  revoir 
plus  tard  reine  de  France.  De  cet  endroit,  Durfort  envoya  sa  dépêche 
au  duc  de  Ghoiseul,  avant  le  départ  de  l'empereur;  la  voici  : 


Durfort  a  Choiseul'. 

Melk,  le  22  avril  1770. 

Madame  la  Dauphine  est  arrivée  ici  en  très-bonne  santé,  monsieur  le 
duc,  elle  partit  hier  de  Vienne  à  neuf  heures  précises,  elle  ne  se  sent 
nullement  fatiguée  de  sa  marche,  elle  soupa  de  très-bon  appétit,  à  ce 
que  j'ay  sceu  a  passé  parfaitement  la  nuit,  elle  se  remet  en  route  ce 
matin  à  neuf  heures.  L'empereur  s'est  trouvé  ici  à  son  arrivée  pour  la 
recevoir  et  faire  les  honneurs  de  la  maison,  il  soupa  avec  madame  la 
Dauphine.  On  donna  à  cette  princesse  après  le  souper  un  opéra  allemant 
qui  fut  exécuté  par  les  élèves  des  religieux,  vous  jugez  aisément  de 
quelle  manière,  madame  la  Dauphine  s'y  amusa  très-bien,  c'étoient  des 
moines  qui  en  habit  religieux  formoient  l'orchestre,  qui  prennoient 
seing  des  décorations,  ils  remplissoient  les  coulisses,  ils  ont  donné  aux 
augustes  spectateurs  un  tableau  tout  neuf,  on  avoit  élevé  une  estrade 
sur  laquelle  on  avoit  mis  un  magnifique  fauteuil  pour  madame  la  Dau- 
phine ;  l'empereur  se  plaça  à  sa  gauche  au  bas  de  l'estrade  sur  une 
chaise  ordinaire,  et  toute  la  suite  forma  un  demi-cercle  sans  aucune 
distinction  de  rang  à  la  réserve  de  la  grande-maîtresse  qui  étoit  placée 
derrière  madame  la  Dauphine.  L'empereur  s'en  sépare  ce  matin,  j'es- 
père que  ce  sera  sans  prendre  congé. 

Le  courrier  que  vous  m'avez  renvoyé,  monsieur  le  duc,  est  arrivé  ici 
et  m'a  remis  les  dépèches  dont  vous  l'avez  chargé,  je  ne  perdray  pas 
un  moment  à  mon  retour  pour  faire  expédier  l'acte  dont  vous  m'avez 
envoyé  la  forme  et  je  pense  que  cela  ne  soufrira  aucun  retardement. 

Ija  résolution  édifiente  et  respectable  qu'a  prise  madame  Louise  -  a 
surpris  et  touché  l'empereur,  madame  la  Dauphine  m'a  paru  y  être  très- 
sensible.  Le  tems  ne  me  permet  pas  des  détails  plus  long,  je  m'empresse 
de  faire  partir  mon  courrier,  je  juge  que  Sa  Majesté  et  monseigneur  le 
Dauphin  désirent  savoir  des  nouvelles  de  la  première  journée  de  marche 
de  madame  la  Dauphine 

Les  deux  dépêches  du  comte  de  Noailles  sont  datées  de  Strasbourg-, 
elles  contiennent  la  relation  officielle  du  séjour  à  Strasbourg.  Dans 
l'une,  du  7  mai,  le  comte  raconte  que  la  Dauphine  était  arrivée  dans 


1.  Archives  du  miuislère  des  affaires  étrangères. 

2.  Fille  de  Louis  XV  ;  elle  devint  abbesse  des  Carmélites  de  Saint-Louis. 


DOCUMENTS    INÉDITS    RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  347 

la  ville  à  une  heure  précise,  que  toul  s'était  passé  conformémenL  aux 
ordres  du  roi,  que  l'escorte  autrichienne  avait  pris  congé  et  que  les 
présentations  avaient  commencé.  La  santé  de  la  Dauphine  ne  laissait 
rien  à  désirer.  Noailles  écrit  à  ce  propos  -. 

A  juger  de  la  situation  de  madame  la  Dauphine  par  son  extérieur,  je 
ne  crois  pas  qu'on  doive  prendre  d'inquiétude  de  sa  santé.  J'espère 
qu'elle  la  conservera  de  même  jusqu'au  14  que  j'attends  avec  une  grande 
impatience  *. 

Dans  sa  seconde  lettre,  du  8  mai,  Noailles  raconte  les  fêtes  données 
par  la  ville  de  Strasbourg  en  l'honneur  de  la  dauphine.  La  voici  : 

Le  comte  de   Noailles  au  duc  de  Choiseul. 

Strasbourg,  le  8  mai  1770  2. 
Les  habitants  de  cette  ville  ont  reçu  madame  la  Dauphine  avec  beau- 
coup de  joie.  Il  s'est  trouvé  plusieurs  fontaines  de  vin  à  son  passage 
qu'on  avait  arrangé  par  les  plus  belles  rues  où  les  troupes  de  la  garni- 
son étoient  alignées  dans  le  plus  grand  ordre.  Après  son  dîner,  cette  prin- 
cesse a  été  à  la  comédie.  Elle  a  eu  pendant  le  souper,  le  coup  d'œil  d'un 
arc  de  triomphe  très-bien  illuminé  avec  de  l'artifice  en  face  du  palais  épis- 
copal,  de  l'autre  côfé  de  l'eau  et  difîérens  corps  de  métiers  sont  venus 
successivement  danser  et  chanter  vive  le  roy  sur  la  terrasse.  La  ville 
étoit  généralement  illuminée.  Après  souper,  madame  la  Dauphine  a  été 
au  bal  que  M.  le  maréchal  de  Contades  a  donné  dans  la  salle  de  la 
comédie.  Je  vais  avoir  l'honneur  de  la  conduire  à  Saverne  cet  après- 
midi. 

Marie-Antoinette  arriva  enfin  à  Gompiègne  le  ^4  mai.  Le  mariage 
fut  célébré  le  ^  6  à  Versailles.  Les  illuminations  et  le  feu  d'artifice 
n'eurent  pas  lieu  parce  qu'il  pleuvait.  Après  le  soui)er,  eut  lieu  la 
«  bénédiction  du  lit.  »  «  La  chemise  de  Madame  la  dauphine,  dit  la 
relation  officielle  que  nous  suivons  ici,  lui  aura  sans  doute  été  donnée 
par  Madame  la  duchesse  de  Chartres,  quand  Madame  la  Dauphine  a 
été  couchée^.  »  Nous  savons  aujourd'hui  que  Marie-Antoinette  sut, 
dès  son  arrivée  en  France,  s'allier  les  cœurs  par  la  séduction  de  ses 
manières.  Louis  XV  lui-même  a  exprimé  son  impression  sur  ces 
premiers  débuts  dans  des  lettres  à  Marie-Thérèse  et  à  Joseph  IL  Ces 
lettres  ne  sont  pas  connues,  mais  nous  possédons  les  réponses  de 

L  Noailles  à  Clioiseul.  Strasbourg,  le  7  mai  1770.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères. 

2.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères.  France,  1769-70. 

3.  Mariage  de  Monseigneur  le  Dauphin  dans  le  mois  de  mai  1770.  Archives 
nationales,  K.  138. 


348  MÉLANGES   ET    DOCUMENTS. 

l'empereur  et  de  lïmpératrice.  Celle  de  Joseph  II  est  conçue  en 
termes  trop  généraux  pour  qu'il  y  ait  intérêt  à  la  publier  mot  pour 
mot.  II  se  réjouit  des  sentiments  d'amitié  qu'à  cette  occasion  lui  a 
témoignés  le  roi  de  France.  «  Je  les  tiens,  écrit-il,  pour  le  gage  le 
plus  assuré  de  notre  union  inaltérable ,  et  nos  nouveaux  liens  vont 
mettre  le  sceau  au  bonheur  réciproque  et  constant  de  nos  sujets  <.  » 
La  lettre  de  l'impératrice  est  plus  intéressante.  Nous  la  publions  ici 
en  entier.  La  suscription  seule  est  de  sa  main. 

Marie-Thérèse  a  Louis  XV-. 

Sclionbrunn,  le  29  juin  1770. 
Monsieur  mon  frère  et  cousin, 
Je  ne  puis  assez  exprimer  à  Votre  Majesté  le  plaisir  que  m'a  fait  la 
lettre  que  le  comte  de  Stainville  m'a  remise  de  sa  part.  La  satisfaction 
que  Votre  Majesté  me  témoigne  du  début  de  ma  fille  et  des  dispositions 
qu'elle  paroit  lui  trouver,  me  font  espérer  qu'elle  repondra  à  la  bonne 
opinion  que  veut  bien  en  concevoir  Votre  Majesté.  Au  moins  suis-je 
assurée  qu'elle  sera  toujours  occupée  du  soin  de  plaire  à  Votre  Majesté 
et  de  contribuer  au  bonheur  de  monsieur  le  Dauphin.  Je  l'abandonne 
entièrement  aux  tendres  soins  qu'en  veut  bien  prendre  Votre  Majesté  ; 
et,  si  elle  veut  bien  les  lui  continuer,  je  suis  certaine  qu'ils  achèveront 
l'éducation  que  j'ai  tâché  de  lui  donner.  Je  souhaite  que  Votre  Majesté 
puisse  toujours  la  trouver  digne  de  ses  bontés  et  il  ne  me  restera  rien  à 
désirer  si  comme  je  m'en  flatte  elle  est  assez  heureuse  pour  contribuer 
à  cimenter  de  plus  en  plus  l'union  et  l'amitié  si  bien  établies  entre  nos 
deux  familles.  Je  suis  avec  l'amitié  la  plus  sincère  et  pour  la  vie 

Une  fois  en  France,  Marie-Antoinette  se  jeta,  avec  tout  Pemporlc- 
raent  de  son  caractère,  dans  le  tourbillon  des  plaisirs  de  la  cour,  sans 
cependant  rien  faire  qui  pût  ternir  son  honneur.  Il  n'en  courut  pas 
moins  sur  sa  vie  privée  des  histoires  scandaleuses,  qui  ne  reposaient 
sur  aucun  fondement  sérieux ,  mais  auxquelles  la  conduite  frivole 
et  irréfléchie  de  la  Dauphine  ne  fournissait  que  trop  d'apparences. 
Elle  prodigua  follement  l'argenl  pour  ses  plaisirs,  alors  que  l'argent 
devenait  rare  dans  les  coffres  de  l'État  et  que  les  ressources  dimi- 
nuaient. C'est  ce  que  montrent  des  comptes  encore  inédits  de  la  toi- 
lette royale.  Ainsi ,  en  1785 ,  un  marchand  reçut  33,286  livres  pour 
des  fournitures  d'étofles  ;  une  dame  Pompée,  25, 527,  et  M"«  Bertier, 
la  célèbre  modiste,  87,597  livres.  En  tout,  la  reine  dépensa,  en  n85, 
258,002  livres  pour  sa  toilette  :  «  Cette  somme  est  véritablement 

1.  Joseph  II  à  Louis  XV.  Vienne,  le  25  juin  1770.  Archives  du  ministère  des 
affaires  étrangères.  France,  1769-70. 

2.  Archives  du  uiinislère  des  afiaires  étrangères.  France,  1769-70. 


DOCUMENTS   INÉDITS   RELATIFS   A   MARIE-ANTOINETTE.  349 

excessive,  »  écrit  une  dame  de  la  cour  de  la  reine,  la  comtesse  d'Os- 
sun,  dans  le  mémoire  qui  accompagne  ce  compte'.  Cette  réflexion 
est  tout  à  fait  justifiée,  si  l'on  pense  que,  pendant  les  dix  années 
précédentes,  depuis  1774,  les  paiements  acquittés  pour  la  toilette  de 
la  reine  furent  loin  d'atteindre  au  chiffre  de  la  seule  année  -1785, 
Depuis  1774,  les  dépenses  de  celte  nature  avaient  pres(jue  doublé  : 
en  ]  774,  en  effet,  elles  n'avaient  été  que  de  i  20,000  livres-.  D'ailleurs, 
voici  le  compte  lui-même,  avec  le  mémoire  de  la  comtesse  d'Ossun 
qui  l'accompagne  ^. 

A  Versailles,  le  16  juillet  1786. 
J'ay  l'honneur  de  vous  adresser,  monsieur-*,  l'état  général  des  dé- 
penses de  la  garde-robe  de  la  reine  pendant  l'année  dernière ,  montant 
à  258,002  livres.  Cette  somme  est  excessive;  mais,  quoique  j'aye  l'ait 
toutes  les  diminutions  possibles  sur  les  prix,  je  n'avois  pas  pu  également 
diminuer  les  quantités  de  certains  objets  qui  par  leurs  nombres  sont  la 
principale  cause  de  l'augmentation  de  ces  dépenses.  En  mettant  cet  état 
sous  les  yeux  du  roy  je  vous  prie  de  lui  dire  tout  mon  regret  d'avoir  un 
aussi  fort  supplément  à  lui  demander.  Je  vous  prie  aussi  de  vouloir 
bien  me  faire  part  de  l'expédition  de  l'ordonnance''  de  ce  supplément 
de  138,000  livres  lorsque  vous  l'aurez  ordonnée. 

Garde-robe  de  la  reine  1785. 

État  général  des  dépenses  de  la  garde-robe  de  la  reine  faites  sous  les 
ordres  de  madame  la  comtesse  d'Ossun,  dame  d'atours  de  Sa  Majesté, 
pendant  l'année  1785  : 

Les  mémoires  du  sieur  leNormand,  marchand  d'étoftes  de  soyes,  pour 
la  ditte  année  1785  montent  à  la  somme  de  33,256  livres. 

Ceux  du  sieur  Lefevre,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de    8,510  l. 

Ceux  du  sieur  Barbier,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de    5,393  1. 

Ceux  du  sieur  Alabat,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de       7,461  1. 

Ceux  du  sieur  Marie,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de        5,007  1. 

Celui  de  la  veuve  Sallonis,  pour  étoffe  écarlate,  à  celle  de  540  1. 

Celui  du  sieur  Foucard,  marchand  d'étoffes,  à  celle  de  225  1. 

Celui  du  sieur  Ternot,  marchand  de  draps,  à  celle  de  93  1. 

Celui  du  sieur  Sauvage,  autre  marchand  de  draps,  à  celle  de     337  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Bertin,  marchande  de  modes,  à  la  somme 
de  87,597  1. 

1.  M""  d'Ossun  était  alors  tout  à  fait  en  faveur  auprès  de  la  reine.  Elle 
était  sœur  de  la  duchesse  de  Gramniont  et  nièce  du  duc  de  Choiseul. 

2.  État  de  la  maison  de  la  reine  1774.  Archiives  nationales,  0'  3793. 

3.  Les  comptes  se  trouvent  aux  Archives,  0^  3792. 

4.  Sans  doute  M.  de  Breteuil. 

5.  Le  supplément  pour  la  garde-robe,  en  1784,  s'élevait  à  97,052  livres.  Archives 
nationales,  0»  3792. 


350  MÉLANGES    ET   DOCUMENTS. 

Ceux  de  la  dame  Pompée,  autre  marchande  de  modes,  à  celle 
de  25,527  1. 

Ceux  de  la  dame  Hamel,  marchande  de  rubans,  à  celle  de       5,030  I. 

Les  mémoires  du  sieur  Messin,  marchand  de  rubans,  à  la  somme 
de  509  1. 

Celui  du  sieur  Bardel ,  autre  marchand  de  rubans,  à  celle  de     232  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Mouillard ,  marchande  de  modes,  à  celle  de  885 1. 

Celui  de  la  dame  Noël,  autre  marchande  de  modes,  à  celle  de  604  1. 

Ceux  de  la  dame  Mirvant,  marchande  de  toiles  et  dentelles,  à  celle 
de  13,822  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Berlin,  pour  les  dentelles,  à  celle  de     4,350  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Lavigne,  marchande  de  mousselines,  à  celle 
de  2,410  1. 

Celui  de  la  dame  Candor,  autre  marchande  de  mousseline,  à  celle 
de  1,824  1. 

Ceux  du  sieur  Prévost,  parfumeur,  à  celle  de  6,402  1. 

Ceux  du  sieur  Léonard,  coiffeur,  à  celle  de  1,574  1. 

Ceux  du  sieur  Tissot,  parfumeur,  à  celle  de  301  1.  18  d. 

Celui  du  sieur  Morlet,  foureur,  à  celle  de  518  1. 

Celui  du  sieur  Morel,  autre  foureur,  à  celle  de  512  1. 

Celui  du  sieur  Boutard,  marchand  de  bas,  à  celle  de  2,529  I. 

Ceux  du  sieur  Eftin,  cordonnier,  à  celle  de  2,335  I. 

Celui  du  sieur  Antoine,  autre  cordonnier,  à  170  l. 

Celui  du  sieur  Pezet,  chapelier,  à  celle  de  420  l. 

Celui  du  sieur  Desperelles,  autre  chapelier,  à  109  1. 

Ceux  des  sieur  et  dame  Sigly,  ouvriers  en  corsets  et  en  robes,  à  la 
somme  de  972  l. 

Ceux  de  la  d"*"  Breton  ,  couturière  ordinaire,  à  la  somme  de   4,411  l. 

Celui  du  sieur  Messin,  pour  fourniture  de  gands  anglois,  la  somme 
de  774  1. 

Ceux  de  la  dame  Roussel,  ouvrière  en  corsets,  la  somme  de   2,341  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Le  Roy,  blanchisseuse  des  dentelles  de  jour, 
la  somme  de  2,092  l. 

Ceux  de  la  dame  Varin,  blanchisseuse  de  dentelles  de  nuit,  la  somme 
de  957  L 

Ceux  de  la  demoiselle  Motte,  faiseuse  de  paniers,  à  celle  de       294  l. 

Celui  de  la  demoiselle  Desmarais ,  autre  faiseuse  de  paniers ,  à  celle 
de  177  1. 

Celui  du  sieur  Smith,  tailleur  d'habits  pour  monter  à  cheval,  à  celle 
de  4,097  1. 

Ceux  de  la  dame  Bonnet,  teinturière,  à  celle  de  467  1. 

Celui  de  la  dame  Berthelot,  pour  évantails,  à  celle  de  319  l. 

Celui  de  la  dame  Doyen,  blanchisseuse  des  bas,  à  celle  de  203  1. 11  s. 

Ceux  de  la  Dame  Desroches,  racommodeuse  des  bas,  à  celle 
de  154  1.  10  s. 

Ceux  de  la  d"''  Pampelune,  bàtisseuse  de  jupons,  à  celle  de       184  1. 

Celui  du  s'  Truffet,  tailleur  pour  habits  d'homme,  à  celle  de  ICI  l.  14  s. 


DOCUMENTS    INEDITS    RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  SM 

Celui  du  sieur  Ghapet,  teinturier,  à  celle  de  64  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Larsonnier,  chargée  du  détail  de  la  garde-robe, 
y  compris  les  gages  du  garçon,  à  celle  de  2,331  1.  13  s.  6  d. 

Celui  du  sieur  Roblatre,  tapissier,  à  celle  de  117  1. 

Celui  du  sieur  Vallet,  marchand  de  bois,  à  celle  de  629  1. 

Ceux  de  la  dame  Le  Tellier,  papetière,  à  celle  de  291  1. 

Les  mémoires  du  sieur  Noël,  garçon  de  garde-robe,  à  celle  de  61 1.  7  d. 

Ceux  du  sieur  Deshayes,  portefaix,  à  celle  de  174  1. 

Celui  du  sieur  Stevenot,  valet  de  garde-robe,  à  celle  de        «  1.  12  d. 

Celui  du  sieur  Bouchard,  pour  faux-frais  15  1. 

Celui  du  sieur  Dunoyer,  pour  id.,  57  L 

Celui  du  sieur  Loir,  pour  un  coffre  à  diamants,  à  celle  de  360  1. 

Celui  pour  le  prix  d'une  voiture  achetée  pour  le  service  de  la  garde- 
robe,  à  celle  de  2,000  1. 

Celui  du  sieur  Le  Bas,  secrétaire  de  la  garde-robe ,  pour  ses  menues 
dépenses,  à  celle  de  283 1.  3  d. 

Celui  pour  les  indemnités  des  frays  du  voyage  de  Fontainebleau,  à 
celle  de  396  1. 

Et  pour  les  traitements  et  gratihcations  ordinaires  des  employés  de  la 
garde-robe  pendant  la  ditte  année  1785,  la  somme  de  15,128  1. 

Total  des  dépenses  :  deux  cent  cinquante-huit  mille  deux  livres  huit 
sols,  six  deniers,  cy  258,0021.  8  s.  6  d. 

Sur  quoi  il  a  été  payé,  par  le  trésorier  de  la  maison  de  la  reine  pour 
les  fonds  ordinaires  de  la  garde-robe  pendant  la  ditte  année   120,000  1. 

II  reste  dû  pour  solde  des  dittesdépenseslasommede  138,0021. 8s. 6d. 

Pour  laquelle  dernière  somme  madame  la  comtesse  d'Ossun  demande 
qu'il  soit  expédié  une  ordonnance  de  supplément. 

Le  compte  de  l'année  1 787  montre  déjà  une  diminution  dans  les 
chiffres  des  sommes  dépensées  pour  la  toilette.  La  différence  est  d'en- 
viron 40,000  livres.  La  comtesse  d'Ossun  l'accompagne  de  remarques 
intéressantes.  Elle  écrit  de  Saint-Cloud  le  lo  juin  1788  : 

J'ay  l'honneur  de  vous  adresser,  monsieur,  l'état  général  des  dépenses 
de  la  garde-robe  de  la  reine,  montant  à  217,187  livres  13  s.,  et  en  excé- 
dent les  fonds  ordinaires  à  97,187  livres  13  sols.  Quoique  j'aye  fait  tout 
ce  qui  a  dépendu  de  moi  pour  modérer  ces  dépenses,  je  n'ai  pu  y 
réussir  que  sur  les  six  derniers  mois,  qui  ont  été  d'environ  la  moitié 
moins  chers  que  les  six  premiers.  Mais  ces  six  premiers  mois  s'étoient 
élevés  si  haut  que  la  diminution  que  j'ay  faite  ne  paroit  presque  pas  sur 
le  total  de  l'année.  J'espère  être  plus  heureuse  dans  celle-cy  pour  les 
retrancheraens  que  je  continuerai  d'y  faire,  conformément  aux  inten- 
tions du  roy  et  de  la  reine.  Je  vous  prie  de  vouloir  bien  prendre  les 
ordres  de  Sa  Majesté  pour  le  supplément  que  je  demande  et  de  me  faire 
part  de  ceux  que  vous  donnerez  en  conséquence  pour  l'expédition  de 
l'ordonnance  de  ce  supplément. 

Etat  général  des  dépenses  de  la  garde-robe  de  la  reine  faites  sous  les 


332  MELANGES   ET    DOCUMENTS. 

ordres  de  madame  la  comtesse  d'Ossun,  dame  d'atours  de  Sa  Majesté, 
pendant  l'année  1787. 

Les  mémoires  du  sieur  Le  Normand,  marchand  d'étoffes  de  soye, 
montent  à  la  somme  de  20,954  I. 

Ceux  du  sieur  Barbier,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de     7,992 1. 

Ceux  du  sieur  Marie,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de       6,051 1. 

Ceux  du  sieur  Alabat,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de      7,363  1. 

Ceux  du  sieur  Robert,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de      5,740  1. 

Ceux  du  sieur  Lefobvre,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de  2,120  1. 

Celui  du  sieur  Yber,  autre  marchand  d'étoffes,  à  celle  de         1,852  1. 

Celui  du  sieur  Sauvage,  marchand  de  draps,  450  1. 

Celui  du  sieur  Le  Comte,  marchand  d'étoffes,  à  367  1. 

Celui  du  sieur  Joraard,  autre  marchand  d'étoffes,  à  254  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Berlin,  marchande  de  modes,  à  la  somme 
de  60,225  1. 

Ceux  de  la  dame  Pompée,  autre  marchande  de  modes,  à  celle 
de  25,248  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Mouillard,  autre  marchande  de  modes,  à  celle 
de  2,830  1. 

Ceux  de  la  dame  Hamel,  marchande  de  rubans,  à  4,876  1. 

Ceux  du  sieur  Renouard,  autre  marchand  de  rubans,  à  celle  de  4131. 

Celui  du  sieur  Bêche,  autre  marchand  de  rubans,  à  celle  de      613  1. 

Celui  du  sieur  Cornedecerf,  autre  marchand  de  rubans,  à  celle 
de  140  1. 

Ceux  du  sieur  Gerdret,  marchand  de  toiles  et  dentelles,  à  la  somme 
de  8,811  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Lavigne,  autre  marchande  de  toiles  et  rubans, 
à  celle  de  1,368  1. 

Le  mémoire  de  la  dame  Candor,  marchande  de  mousselines,  à  la 
somme  de  300  1. 

Celui  de  la  demoiselle  Larsonnier,  marchande  de  toiles,  à  celle 
de  1,624  1. 

Celui  du  sieur  Moyse  Levy,  pour  des  percales,  à  celle  de  126  1. 

Celui  du  sieur  Morlet,  foureur,  à  celle  de  1,186  1. 

Celui  du  sieur  Morel,  autre  foureur,  à  celle  de  819  I. 

Ceux  du  sieur  Prévost,  parfumeur,  à  celle  de  6,294  1. 

Ceux  du  sieur  Léonard,  autre  parfumeur,  à  celle  de  4,063  1. 

Ceux  du  sieur  Bataille,  autre  parfumeur,  à  celle  de  352  1. 

Celui  d'un  payement  fait  à  M.  le  duc  de  Dorset,  pour  des  gands 
anglais,  à  celle  de  204  1. 

Celui  du  sieur  Dauffe,  bijoutier,  à  celle  de  360  1. 

Celui  de  la  dame  Berthelot,  évantailliste,  montant  à  la  somme 
de  304  1. 

Celui  du  sieur  Adam,  mercier,  à  celle  de  37  1.  10  s. 

Ceux  du  sieur  Boutard,  marchand  de  bas,  à  3,395  1. 

Ceux  du  sieur  Eftin,  cordonnier,  à  celle  de  2,353  1. 

Ceux  (lu  sieur  Antoine,  autre  cordonnier,  à  celle  de  250  1. 


DOCUMENTS   INÉDITS   RELATIFS  A   MARIE-ANTOINETTE.  3B3 

Ceux  du  sieur  Albert,  autre  cordonnier,  à  celle  de  79  1. 

Celui  du  sieur  Lafabruges,  autre  cordonnier,  à  celle  de  27  I. 

Celui  du  sieur  Pezet,  chapelier,  à  celle  de  610  l. 

Celui  du  sieur  Godard,  autre  chapelier,  à  celle  de  102  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Breton,  couturière,  à  celle  de  5,320  1. 

Celui  du  sieur  Smith,  tailleur,  à  celle  de  762  1. 

Celui  du  sieur  Pujols,  autre  tailleur,  à  celle  de  1,869  1. 

Celui  du  sieur  Taillade,  autre  tailleur,  à  celle  de  433  1. 

Celui  du  sieur  Lespinasse,  autre  tailleur,  à  celle  de  228  1. 

Ceux  des  demoiselles  Le  Roy,  blanchisseuses  des  dentelles,  montant 
à  celle  de  '  2,796  1. 

Les  mémoires  de  la  dame  Varin,  autre  blanchisseuse  des  dentelles,  à 
la  somme  de  809  1. 

Ceux  de  la  dame  Roussel,  ouvrière  en  corsets,  à  la  somme  de2, 255  1. 

Celui  de  la  dame  Lamarre,  autre  ouvrière  en  corsets,  à  celle  de  606  1. 

Celui  de  la  demoiselle  Bertin  ,  autre  ouvrière  en  corsets ,  à  celle 
de  1,320  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Omont,  couturière,  à  celle  de  744  1. 

Celui  de  la  dame  Henrion,  ouvrière  en  dentelles,  à  celle  de        197  1. 

Celui  du  sieur  Truffet,  tailleur,  à  celle  de  366  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Motte,  faiseuse  de  paniers,  à  celle  de       156  l. 

Ceux  de  la  dame  Gandeley,  teinturière,  à  celle  de  290  1. 

Ceux  de  la  dame  Doyen,  blanchisseuse  des  bas,  à  celle  de  203  1.  5  s. 

Ceux  de  la  dame  Desroches,  ouvrière  en  bas,  à  celle  de     174  1.  10  s. 

Ceux  de  la  demoiselle  Pampelune  et  de  la  dame  Villard ,  bâtisseuse 
des  volans  de  jupons,  à  celle  de  164  1. 

Ceux  des  menues  dépenses  courantes  de  la  demoiselle  Larsonnier, 
chargée  du  détail  de  la  garde-robe,  y  compris  les  gages  du  garçon,  à  la 
somme  de  1,840  1.  4  s. 

Ceux  de  la  dame  Le  Tellier,  papetière,  à  celle  de  160  1.  8  s. 

Ceux  du  sieur  Vallet,  marchand  de  bois,  à  celle  de  807  1. 

Ceux  du  sieur  Roblatre,  tapissier,  à  celle  de  235  1. 

Celui  du  sieur  Le  Bas,  secrétaire  de  la  garde-robe,  pour  différentes 
menues  dépenses  pour  le  service  de  la  garde-robe  montant  à  la  somme 
de  501  1.  16  s.  6  d. 

Et  les  traitements  ordinaires  des  employés  de  la  :dernière  garde-robe 
pour  la  dernière  année  1787,  montant  à  la  somme  de  14,828  1. 

Total  des  dépenses,  la  somme  de  deux  cent  dix-sept  mille  cent 
quatre-vingt-sept  livres  treize  sols  six  deniers,  cy    217,187  l.  13  s.  6  d. 

Sur  laquelle  somme  ayant  été  payé  par  le  trésorier  de  la  maison  de 
la  reine  pendant  le  cours  de  la  dernière  année  pour  les  fonds  ordinaires 
de  la  dernière  garde-robe,  celle  de  120,000  1. 

Il  en  reste  dû  pour  solde  celle  de  97,187  1.  13  s.  G  d. 

Pour  laquelle  madame  la  comtesse  d'Ossun  demande  ([u'il  soit  expé- 
dié une  ordonnance  de  supplément. 
L'espoir  exprimé  par  la  comtesse  d'Ossun  qu'elle  pourrait  pour 
Bev.  Hisïor.  XXV.  2«  FAsc.  23 


354  MÉLANGES   F.T    DOCUMENTS. 

l'année  suivante,  soit  pour  nss,  diminuer  le  chiffre  des  dépenses, 
ne  fut  pas  déçu  :  celui  de  -1788  se  rapproche  beaucoup  de  celui  de 
^1774,  mais  il  lui  est  encore  supérieur  d'environ  70,000  livres.  Les 
dépenses  'I7<S8  montèrent  à  ^ 90,721  livres.  «  Cette  somme,  écrit 
Madame  d'Ossun  (Versailles,  le  2^  aoûtn89),  excède  les  fonds  fixes 
de  garde-robe  qui  m'ont  été  délivrés  pendant  le  cours  de  celte  année, 
de  70,721  livres,  que  j'ay  besoin  de  recevoir  pour  faire  achever  de 
payer  cette  année  ^  788.  » 

État  général   des    dépenses  de  la  garde-robe  de   la  reine  pendant 
l'année  1788. 

Les  mémoires  du  sieur  Le  Mormand,  marchand  d'étoffes  de  soye, 

montant  à  12,085  1. 

Ceux  du  sieur  Barbier,  autre  marchand  id.,  à  5,699  1. 

Ceux  du  sieur  Robert,  autre  marchand  id.,  à  3,470  I. 

Ceux  du  sieur  AlaJjat,  autre  marchand  id.,  à  4,975  1. 

Ceux  du  sieur  Marie,  autre  marchand  id.,à  4,715  1. 

Ceux  du  sieur  Le  Febvre,  autre  marchand  id.,  à  708  1. 

Ceux  du  sieur  Ybert,  pour  draps  étrangers,  à  1,815  1. 

Celui  du  sieur  Foucart,  pour  id.,  à  704  1. 

Celui  du  sieur  Petit,  pour  id.,  à  240  1. 

Celui  de  la  dame  Candor,  pour  id.,  à  144  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Bertin,  marchande  de  modes,  à  61,992  1. 

Ceux  de  la  dame  Pompée,  autre  marchande  de  modes,  à  16,691  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Mouillard,  autre  id.,  à  3,329  1. 

Ceux  du  sieur  Beauland,  autre  id.,  à  202  1. 

Ceux  de  la  dame  Hamel,  marcliande  de  rubans,  à  2,159  1. 

Celui  de  la  demoiselle  Gosset,  autre  id.,à  36  1. 

Ceux  du  sieur  Ocndret,  marchand  de  toiles  et  dentelles,  à       7,669  1. 

Ceux  du  sieur  Pépin,  marchand  de  dentelles,  à  9,836  I. 

Ceux  de  la  demoiselle  La  Vigne,  marchande  de  toiles,  à  981  1. 

Celui  de  M.  de  la  Reynière,  pour  une  garniture  de  fourure  de 

martre,  à  3,600  1. 

Celui  du  sieur  Morlet,  foureur,  à  1,166  1. 

Celui  du  sieur  Morel,  autre  foureur,  à  730  1. 

Ceux  du  sieur  Prévost,  parfumeur,  à  3,470  1. 

Ceux  du  sieur  Léonard,  pour  autres  parfumeries,  à  3,779  1. 

Celui  du  sieur  Dauffe,  pour  boutons  d'acier,  à  600  1. 

Celui  du  sieur  Sarrete,  pour  id.,  300  1. 

Le  mémoire  du  sieur  Berthelut,  évantailliste,  à  320  I. 

Ceux  du  sieur  Bataille,  parfumeur,  à  312  1. 

Ceux  du  sieur  Boutard,  marchand  de  bas,  à  2,754  1. 

Ceux  du  sieur  Eftin,  cordonnier,  à  1,927  1. 

Ceux  du  sieur  Antoine ,  autre  cordonnier ,  y  compris  un  rembourse- 
ment fait  à  madame  la  comtesse,  129  1. 

Celui  du  sieur  Lavenue,  autre  cordonnier,  à  138  1. 


DOCUMENTS   INEDITS   RELATIFS   A    MARIE-ANTOINETTE.  355 

Ceux  de  la  demoiselle  Ste-Foy,  couturière,  à  4,622  1. 

Celui  de  la  demoiselle  Omont,  autre  couturière,  à  226  1. 

Celui  du  sieur  Pujols,  tailleur,  à  2,813  1.  7  s.  6d. 

Celui  du  sieur  Lespinasse,  autre  id.,  à  342  1. 

Celui  de  la  dame  Lamare,  ouvrière  en  corsets,  à  120  1. 

Ceux  de  la  dame  Roussel,  autre  ouvrière  id.,  à  1  948  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Le  Roy,  blanchisseuse  des  dentelles  de  jour  et 
des  lévites,  à  2  983  1 

Ceux  de  la  dame  Varin,  pour  les  dentelles  de  nuit,  à  '783  1. 

Ceux  de  la  dame  Henrion,  blanchisseuse  de  dentelles,  à  G62  1. 

Celui  de  la  dame  Fauconnier,  autre  id.,  à  416  i. 

Celui  du  sieur  Truffet,  tailleur,  à  554  1. 

Ceux  de  la  dame  Doyen,  blanchisseuse  des  bas,  à  214  1.  12  s. 

Ceux  de  la  dame  Desroches,  pour  l'entretien  des  bas,  à  187  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Motte,  faiseuse  de  paniers,  à  207  1. 

Ceux  de  la  dame  Candeley,  teinturière,  282  1. 

Ceux  de  la  dame  Yillard,  bàtisseuse  de  jupons,  à  172  1. 

Ceux  de  la  demoiselle  Larsonnier,  pour  les  dépenses  courantes  de  la 
garde-robe,  y  compris  les  nourritures  du  garçon,  1,925  1.  10  s. 

Ceux  du  sieur  Noël,  garçon  de  garde-robe,  à  148  1.  3  s. 

Ceux  de  la  veuve  Le  Tellier,  papetière,  à  224  1.  10  s. 

Ceux  du  sieur  Vallet,  marchand  de  bois,  à  707  1. 

Celui  du  sieur  Loir,  pour  étuy  à  diamants,  à  36  1. 

Et  celui  du  sieur  Le  Bas,  secrétaire  de  la  garde-robe,  pour  ses  me- 
nues dépenses  et  avances  pour  le  service  de  la  garde-robe,  à  645  1.  4  s. 

Et  finalement  pour  les  traitements  ordinaires  des  employés  de  la 
dernière  garde-robe  pendant  la  dernière  année  1788,  la  somme 
de  13,828  1. 

Total,  cent  quatre-vingt-dix  mille  sept  cent  vingt-une  livres  six  sols 
six  deniers,  cy  190,721  1.  6  s.  6  d. 

Sur  quoi  il  a  été  payé  par  le  trésorier  de  la  maison  de  la  reine  pour 
les  fonds  ordinaires  de  la  dernière  garde-robe  pendant  la  dernière 
année  1788  120,000  1. 

Il  restedùpour  solde  dessusdittes  dépenses  la  somme  de  70,721 1. 6  s.  6d. 

Pour  laquelle  dernière  somme  madame  la  comtesse  d'Ossun  demande 
qu'il  soit  expédié  une  ordonnance  de  supplément. 

Ces  derniers  documents  nous  ramènent  à  l'époque  où,  à  propos  de 
la  triste  affaire  du  collier,  se  manifestèrent  les  premiers  signes  du 
déchaînement  de  Topinion  publique  contre  la  reine  ;  nous  nous  arrê- 
tons là. 

Wertheimer. 


356  CORRESPONDANCE. 


CORRESPONDANCE. 


LETTRES  DE  M.  A.  PROST  ET  DE  M.  FUSTEL  DE  COULANGES 

(a  propos  de  l'iumcnité  mérovingienne.) 

18  mars  1884  <. 
Monsieur, 

J'ai  reçu  le  numéro  de  la  Revue  que  vous  avez  eu  l'attention  de  me 
faire  adresser,  et  dont  je  vous  remercie.  J'y  trouve,  avec  les  observa- 
tions que  vous  avez  bien  voulu  accueillir,  la  réponse  de  M.  Fustel  de 
Coulanges  qui  me  cause  quelque  étonnement.  M.  F.  de  G.  parait  tenir 
beaucoup  à  écarter  l'idée  que  je  puisse  être  quelquefois  d'accord  avec 
lui,  et  à  montrer  que  nos  opinions  sont  au  contraire  plutôt  diftérentes. 
Cela  pourrait  bien  être  sur  certains  points,  comme  je  l'ai  annoncé  ; 
mais  cela  n'est  pas  sur  le  sens  de  la  locution  Causas  audire  et  du  mot 
frcdurn,  seuls  objets  des  observations  auxquelles  il  veut  bien  répondre. 

Pour  l'interprétation  de  la  locution  Causas  audire,  dont  le  sens  est 
juger,  exercer  la  juridiction,  M.  F.  de  C.  ne  saurait  contester  davantage 
que  nous  étions  lui  et  moi  d'accord,  quoi  qu'il  en  ait  dit.  Mais  cela 
importerait  peu  maintenant,  suivant  lui,  et  au  moins  serions-nous  en 
dissentiment,  il  le  craint,  dit-il,  sur  le  caractère  des  restrictions  édic- 
tées par  le  privilège  d'immunité  touchant  l'exercice  de  cette  juridiction. 
Il  ne  se  trompe  pas  cette  fois;  car  c'est  là  le  point  principal  des  réserves 
que  j'aurais  à  faire  et  que  j'ai  annoncées  sur  ses  appréciations.  J'y 
reviendrai. 

Pour  ce  qui  est  du  fredum,  M.  F.  de  G.  m'a  relu,  dit-il.  Je  constate 
cependant  qu'il  ne  me  comprend  pas  encore.  La  faute  en  est  à  moi  cer- 
tainement; car  c'est  à  moi  de  m'expliquer  assez  clairement  pour  que  ma 
pensée  se  présente  au  lecteur  sans  ambiguïté.  Je  vais  tâcher  de  le  faire. 

M.  F.  de  G.  a  cru  et  il  croit  encore  que  je  rejetais  l'interprétation 
communément  admise  pour  le  mot  fredum,  et  que  je  voulais  en  subs- 
tituer à  celle-là  une  autre  à  laquelle  je  donnerais  pour  tout  fondement 
un  texte  unique,  et  de  plus  modifié,  dit-il,  par  moi;  autant  dire,  comme 
ne  manqueront  pas  de  le  faire  ceux  qui  lisent  entre  les  lignes,  falsifié 
pour  les  besoins  de  la  cause.  Voilà  ce  que  j'ai  pu  donner  à  penser.  Je 
me  suis  évidemment  fort  mal  expliqué.  Voici  au  contraire  ce  que  je 
voulais  dire,  ce  que  je  crois  avoir  dit. 

1.  Celte  lettre  ayant  été  égarée  par  accident,  nous  n'avons  pu  la  publier  en 
mai.  Voyez  la  lettre  de  M.  Prost  et  la  réplique  de  M.  Fustel  de  Coulanges 
t.  XXIV,  p.  357. 


CORRESPONDANCE.  357 

Ire  Thèse.  —  Je  signaLais  d'abord,  mais  sans  y  insister,  parce  que 
cela  ne  me  semblait  pas  nécessaire,  l'interprétation  communément 
admise,  et  qui  n'a  jamais  été  contestée,  du  mot  fredum.  Je  m'exprimais 
ainsi  :  «  Le  fredum  était  la  part  du  fisc  dans  la  compositio  due  pour  un 
«  crime,  pour  un  délit  ou  pour  une  injure  à  celui  qui  en  avait  été  vic- 
«  time,  en  réparation  du  tort  qu'il  avait  subi.  Cette  part  du  fisc  était 
«  ordinairement  le  tiers  de  la  compositio.  » 

2"^  Thèse.  —  Je  rappelais  ensuite  que  le  fredum  payé  ainsi  au  souve- 
rain pouvait  être  considéré  comme  une  amende  pour  violation  de  la 
paix  publique;  opinion  généralement  admise,  disais-je,  et  fournissant  à 
ce  sujet  une  justification  que  M.  F.  de  C.  a  cru  s'appliquer,  non  à  cette 
2e  thèse,  mais  à  la  première.  De  là  vient  son  erreur  en  ce  qui  me 
concerne. 

3«  Thèse.  —  Mentionnant  alors  un  texte  de  la  Lex  Ripuar.  où  le  mot 
fredura  ne  semble  pas  s'accorder  avec  son  interprétation  ordinaire,  je 
proposais  pour  ce  cas  particulier  une  interprétation  spéciale  du  mot 
fredum,  en  disant  d'oii  pouvait  venir  cette  singularité  d'une  double 
interprétation  du  même  mot.  J'essayais  ainsi  d'expliquer,  après  l'avoir 
préalablement  restitué,  ce  texte  évidemment  altéré  qui,  sans  ces  modi- 
fications, est,  ce  me  semble,  absolument  inintelligible. 

Voici  le  texte  en  question,  avec  les  changements,  entre  parenthèses, 
que  j'ai  proposé  d'y  introduire  : 

«  NuUus  judex  fiscalis  de  quacumque  libet  causa  freda  non  exigat, 

«  prius  quam  facinus  componatur Fredum  autem  non  illi  (illo?) 

«  judici  tribuat  oui  (qui?)  culpam  commisit,  sed  illi  (ille?)  qui  solutio- 
«  nem  recipit,  tertiam  partem  coram  testibus  tisco  tribuat,  ut  pax  per- 
«  petua  stabilis  permaneat.  »  —  Lex  Ripuar.  —  Baluze,  Capitul.  I,  52. 

Les  trois  corrections  que  j'ai  cru  devoir  introduire  dans  la  version 
empruntée  à  Baluze  sont  pour  ce  qui  est  des  deux  dernières  justifiées 
par  le  même  texte  reproduit  avec  ces  deux  corrections  dans  un  capitu- 
laire  de  Gharlemagne,  Excerpta  ex  lege  Longobard.,  XXXIL  Cf.  Baluze, 
Capitul.  I,  354.  La  deuxième  correction  est  de  plus  confirmée  encore 
par  une  glose  citée  dans  l'édition  de  Pertz  (Leges,  IV,  510,  n"  125),  et 
qui  porte  :  «  Non  illi  judici  tribuat  scilicet  reus  qui  culpam  commisit, 
«  sed  ille  qui  solutionem  recepit.  » 

C'est,  je  le  répète,  pour  l'explication  particulière  de  ce  texte  que  j'ai 
proposé  une  interprétation  spéciale  du  mot  fredum  applicable  à  ce  cas 
seulement.  Il  ne  s'agissait  nullement  de  substituer  à  l'interprétation 
ordinaire  une  interprétation  nouvelle.  Il  s'agissait  seulement  d'intro- 
duire celle-ci,  à  titre  d'exception,  à  côté  de  la  première  conservée  avec 
son  caractère  général.  Cette  pensée  était  clairement  exprimée  dans  le 
passage  suivant,  qui  termine  la  discussion  :  «  Ces  considérations  ten- 
te draient  à  faire  croire  que  le  fredum  aurait  pu  avoir  une  double  ori- 
«  gine,  dont  il  subsisterait  des  traces  distinctes  dans  la  législation  des 
«  capitulaires.  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  le  fredum  serait  bien  le  prix  de 
«  la  paix,  pacis  pecunia,  friedensgeld  comme  disent  les  Allemands  ; 


358  CORRESPONDANCE. 

0  mais,  dans  l'un,  il  s'agirait  de  la  paix  publique  violée  antérieurement, 
0  dans  l'autre,  d'une  paix  privée  en  quelque  sorte,  assurée  ultérieure- 
«  ment  entre  les  parties  ;  »  —  entre  celui  qui  avait  reçu  et  celui  qui 
avait  été  contraint  de  payer  l'indemnité. 

Il  paraîtrait  résulter  de  là  que  sous  la  dénomination  unique  de  fre- 
diim  se  fussent  confondues  en  quelque  sorte  les  mentions  de  deux  per- 
ceptions distinctes,  analogues  d'ailleurs,  du  fisc,  correspondant  à  des 
usages  différents,  à  des  dispositions  d'origine  diverse,  dont  l'une,  tombée 
en  désuétude,  n'aurait  laissé  de  traces  que  dans  le  texte  que  j'ai  essayé 
d'expliquer,  et  dont  l'autre,  restée  au  contraire  en  vigueur,  se  retrouve- 
rait dans  tous  les  textes,  sauf  celui-là,  qui  mentionnent  encore  le  freclum. 

Voilà  ce  que  j'ai  dit  à  propos  du  fredum.  Je  souhaiterais  beaucoup. 
Monsieur,  si  cela  n'était  pas  indiscret,  que  vous  consentissiez  à  publier 
ces  nouvelles  observations.  Elles  pourraient  attirer  l'attention  sur  le 
texte  assurément  intéressant  que  je  signale,  et  dont  je  ne  me  flatte  pas 
d'avoir  épuisé  la  discussion. 

Loin  de  là.  Je  serais  désireux  au  contraire  d'avoir  proposé  une  expli- 
cation qui  serait,  je  le  déclare,  plus  satisfaisante  que  la  mienne,  si  elle 
permettait  de  conserver  au  mot  fredum  dans  ce  cas,  de  même  que  dans 
tous  les  autres,  sa  signification  ordinaire. 

Veuillez  agréer,  etc.  Aug.  Prost. 

Baluze,  en  donnant  les  Capitul.  cxcerpta  ex  lege  Longobard.  (tome  I, 
p.  350),  cite  en  manchette  la  Lex  Longobard. 

Je  voudrais  bien  savoir  quelle  édition  il  vise.  Je  n'en  puis  trouver 
aucune  où  soient  notées,  comme  il  le  fait,  les  Lib.  Tit.  et  Cli. 

L'édition  de  Pertz  donne  ces  indications,  mais  ses  mentions  ne  cor- 
respondent pas  à  celles  de  Baluze.  A.  P. 

6  juin  1884. 
Cher  Monsieur, 

Vos  lecteurs  seront  certainement  enchantés  de  lire  cette  nouvelle 
lettre  de  M.  Prost.  Je  me  hâte  de  me  mettre  d'accord  avec  lui  en  les 
engageant  à  lire  aussi  son  mémoire.  Ils  le  trouveront  dans  la  Revue  his- 
torique de  Droit,  année  1882,  pages  113-179  et  262-350. 

Quant  à  l'article  bien  connu  de  la  loi  des  Ripuaires,  j'ai  peut-être  eu 
tort  de  dire  que  M.  Prost  l'avait  modifié,  puisqu'il  dit  dans  sa  lettre 
qu'il  n'y  a  fait  que  «  trois  corrections.  »  Il  trouvera  d'ailleurs  l'explica- 
tion très  simple  de  cet  article  dans  l'édition  de  M.  Sohm,  Monunienta, 
Leges,  t.  V,  p.  268,  et,  mieux  encore,  dans  un  document  ancien,  VE.rpo- 
sitio  au  liber  Papiensis,  Kar.  M.,  ji,  125. 

Recevez,  etc.  Fustel  de  Coulanges. 


BULLETIN    HISTORIQUE 


FRANCE. 


NÉCROLOGIE,  —  Peu  de  temps  après  M.  Mignet,  la  mort  nous  a 
enlevé  un  autre  historien,  M.  le  comte  d'Hadssonville,  qui,  bien 
qu'un  peu  plus  jeune,  peut  être  considéré  par  ses  opinions  et  par 
son  talent  comme  appartenant  à  la  même  famille  intellectuelle.  Il  y 
avait  pourtant  chez  M.  d'Haussonville  quelque  chose  de  plus  libre, 
de  plus  vif,  de  moins  académique.  On  sentait  qu'on  avait  affaire  non 
à  un  homme  de  lettres,  mais  à  un  honnête  homme  au  sens  du 
xvii'^  siècle,  à  un  gentilhomme  né  pour  se  mêler  comme  un  grand 
seigneur  anglais  à  la  politique  de  son  pays  plutôt  que  pour  se  livrer 
aux  travaux  de  cabinet,  et  qui  avait  cherché  dans  l'histoire  une  con- 
solation aux  déceptions  que  -1848  et  1852  avaient  infligées  aux  esprits 
libéraux.  On  retrouve  dans  ses  oeuvres  historiques  la  chaleur  d'un 
patriotisme  que  les  douleurs  nationales  ne  firent  qu'affermir,  l'im- 
partialité d'un  esprit  épris  de  vérité,  libre  de  préjugés  et  naturelle- 
ment judicieux,  la  vivacité  de  convictions  libérales  qui  résistèrent 
même  à  la  défaite  répétée  de  la  forme  gouvernementale  cà  laquelle  il 
était  attaché.  Dans  le  choix  des  sujets  de  ses  ouvrages,  on  recon- 
naît aussi  Thomme  d'action  qui  se  console  de  l'impuissance  à  laquelle 
il  est  réduit  par  des  livres  qui  sont  des  actes.  Monarchiste  parlemen- 
taire, il  a  écrit  ['Histoire  de  la  politique  extérieure  du  (jouvernemenl 
français  de  1830  à  1848;  patriote  lorrain  et  patriote  français, 
il  a  fait  un  exposé  lumineux,  érudit,  éloquent,  de  V Histoire  de 
la  réunion  de  la  Lorraine  à  la  France  ;  libéral  passionnément  hostile 
au  despotisme  militaire  et  très  préoccupé  du  rôle  social  des  idées 
morales  et  religieuses,  il  a  consacré  son  plus  bel  ouvrage  aux  rela- 
tions de  V Église  romaine  et  du  premier  Empire.  Je  ne  sais  cepen- 
dant si  ses  Souvenirs  et  Mélanges.,  où  se  trouve  le  charmant  frag- 
ment de  Mémoires  intitulé  «  la  Vie  de  mon  père  «,  ne  donnent  pas  une 
idée  plus  vive  encore  de  sa  fière  et  originale  nature  et  de  son  talent 
d'écrivain,  si  aisé  et  si  élégant.  On  dit  que  M.  d'Haussonville  a  laissé 
une  autobiographie.  Nous  espérons  que  cette  nouvelle  est  vraie,  car 


300  BULLETIN   HISTORIQUE. 

nous  verrions  dans  ces  Mémoires  les  événements  cl  les  hommes  de 
notre  temps  jugés  par  un  des  esprits  les  plus  clairvoyants  et  les  plus 
libres,  un  des  caractères  les  plus  droits  et  les  plus  indépendants  qu'il 
ail  connus. 

Questions  d'Exseignemeïvt.  —  Nous  voudrions  avoir  la  place  néces- 
saire pour  entretenir  nos  lecteurs  des  très  intéressantes  discussions 
qui  ont  eu  lieu  à  la  Société  d'enseignement  secondaire  au  sujet  des 
diverses  agrégations.  Pour  Pagrégation  d'histoire  la  Société  a  demandé 
que  les  sujets  des  épreuves  écrites  fussent  pris  dans  des  périodes 
indiquées  un  an  d'avance,  ou  que  les  élèves  fussent  autorisés  à  se 
servir  d'une  chronologie,  que  la  correction  de  copie  fût  supprimée, 
que  chaque  candidat  pût  choisir  la  thèse  qu'il  désire  étudier  dans 
une  liste  de  thèses  proposées  un  an  d'avance,  enfin  qu'on  interrogeât 
les  candidats  sur  la  bibliographie  générale.  Nous  ne  sommes  pas  très 
partisans,  pour  notre  part,  du  système  nouveau  proposé  pour  les 
thèses.  Nous  préférerions  le  système  qu'avait  présenté  M.  Lavisse  ; 
il  consistait  à  changer  la  thèse  en  un  travail  écrit,  préparé  à  loisir, 
et  sur  lequel  le  candidat  aurait  été  interrogé.  Le  système  actuel  des 
thèses  a  le  grand  défaut  de  provoquer  une  collaboration  trop  active 
du  professeur  avec  les  élèves  qu'il  prépare.  Cette  collaboration  est 
surtout  inévitable  pour  les  thèses  d'histoire  moderne.  Il  est  urgent 
d'y  renoncer,  et,  si  l'on  veut  conserver  trois  thèses,  de  remplacer  la 
thèse  d'histoire  moderne  par  une  thèse  de  géographie  historique. 

La  Société  a  aussi  examiné  la  proposition  faite  par  M.  Drapeyron 
de  créer  une  agrégation  de  géographie  et  une  section  de  géographie 
à  l'École  normale,  et  de  confier  à  des  professeurs  spéciaux  dans  les 
lycées  l'enseignement  de  la  géographie.  La  Société  a  répondu  négati- 
vement sur  ces  trois  points.  Elle  a  pensé  que  cette  scission  entre  la 
géographie  et  l'histoire  serait  nuisible  aux  deux  enseignements.  Nous 
serions  moins  absolus  à  ce  point  de  vue  que  la  Société  ;  nous  croyons 
que  renseignement  de  la  géographie  dans  les  lycées  par  des  profes- 
seurs spéciaux  peut  avoir  de  grands  avantages  :  Texpérience  qui  en  a 
été  faite  à  l'École  Alsacienne  a  donné  les  meilleurs  résultats. 

Par  contre,  nous  souhaitons  que  ces  professeurs  spéciaux  soient 
des  agrégés  d'histoire,  que  Ton  ne  sépare  pas  l'agrégation  de  géo- 
graphie de  celle  d'histoire,  et  que  l'on  ne  fasse  pas  perdre  de  vue  aux 
historiens  comme  aux  géographes  la  nécessité  d'être  à  la  fois  géo- 
graphes et  historiens. 

Nous  sommes  très  sympathiques  aux  efforts  faits  par  M.  Dra- 
peyron pour  qu'on  accorde  une  place  plus  large  à  la  géographie,  sur- 
tout dans  l'enseignement  supérieur  ;  mais  nous  craignons  qu'il  ne 
nuise  un  peu  à  la  cause  excellente  qu'il  défend  par  l'exagération  de 


FRANCE.  361 

ses  réclamations.  Il  n'a  parlé  à  la  Société  d'enseignement  secondaire 
que  d'une  agrégation  de  géographie  et  de  la  création  de  professeurs 
spéciaux  de  géographie  dans  les  lycées  ;  mais,  dans  plusieurs  dis- 
cours et  rapports  lus  aux  Sociétés  et  Congrès  géographiques  et  publiés 
dans  la  Revue  de  géographie,  il  a  demandé  aussi  la  création  de  pro- 
fesseurs de  topographie,  de  professeurs  de  géographie  appliquée  à 
l'histoire,  la  création  de  cinq  agrégations  de  géographie  dont  quatre 
spéciales  et  une  générale,  enfin  la  création  d'une  École  nationale  de 

géographie  pourvue  de  treize  chaires pour  commencer  !  Si  la 

géographie  a  été  jusqu^ici  traitée  avec  parcimonie,  désormais  elle  le 
serait  avec  prodigalité.  Gela  n'effraie  pas  M.  Drapeyron,  pour  qui  la 
géographie  est  le  centre,  le  lien  de  toutes  les  sciences,  «  leur  mise  en 
valeur  au  point  de  vue  politique  et  social.  »  Nous  ne  lui  répondrons 
pas  en  revendiquant  pour  l'histoire  le  rôle  qu'il  assigne  à  la  géogra- 
phie ;  nous  croyons  toutes  les  sciences  solidaires,  et  les  discussions 
sur  leur  excellence  comparative  nous  font  toujours  penser  à  la 
fameuse  dispute  entre  le  maitre  de  danse,  le  maître  d'escrime  et  le 
maître  de  philosophie  dans  le  Bourgeois  gentilhomme.  Nous  dirons 
seulement  à  M.  Drapeyron  qu'il  faut  songer  à  alléger  et  non  à  sur- 
charger l'enseignement  secondaire,  qu'il  faut  tâcher  de  diminuer  le 
nombre  et  l'importance  des  examens  et  non  l'augmenter;  qu'enfin 
la  création  d'une  nouvelle  école  spéciale  serait  la  négation  de  tout  ce 
que  nous  faisons  depuis  quelques  années  pour  la  réforme  de  rensei- 
gnement supérieur.  Les  écoles  spéciales  ont  été  le  principal  obstacle 
au  développement  de  l'enseignement  supérieur  en  France;  ce  n'est 
pas  au  moment  où  nous  nous  efforçons  de  le  fortifier  et  de  le 
compléter  que  nous  irions  augmenter  le  nombre  des  écoles  spé- 
ciales. Non  seulement  elles  séparent  la  jeuuesse  en  coteries  iso- 
lées ou  même  hostiles,  non  seulement  elles  causent  un  gaspillage 
déplorable  de  temps,  d'argent,  de  forces  intellectuelles  et  morales, 
mais  elles  ont  le  grave  inconvénient  de  parquer  les  professeurs  et  les 
élèves  dans  des  spécialités  beaucoup  trop  étroites,  de  ne  pas  leur 
laisser  cette  liberté  d'enseigner  et  d'apprendre  qui  est  l'âme  de  l'en- 
seignement supérieur.  Sauf  à  l'École  normale  et  à  l'École  des  hautes 
études  qui  échappent  à  quelques-uns  des  inconvénients  des  Écoles 
spéciales,  dans  toutes  les  autres  les  élèves  suivent  tous  les  mêmes 
leçons  et  les  professeurs  répètent  toujours  le  même  cours.  N'aggra- 
vons pas  cet  état  de  choses  en  créant  une  école  de  géographes.  Créons 
aux  Facultés  des  Lettres,  d'abord  à  Paris,  puis  en  jjrovince,  de  nou- 
velles chaires  de  géographie,  si  nous  avons  des  hommes  capables  de 
les  remplir  ;  organisons-y  un  séminaire  géographique  où  l'on  for- 
mera des  savants  et  des  professeurs.  Que  M.  Drapeyron,  M.  Paquier 


362  BULLETIN  HISTORIQUE. 

et  ceux  qui  ont  hâte  de  développer  renseignement  géograpliique, 
ouvrent  dès  aujourd'hui  à  la  Sorbonne  des  cours  libres;  la  loi 
les  y  autorise.  Nous  pourrons  ainsi  développer  l'enseignement 
géographique  au  fur  et  à  mesure  des  besoins,  à  mesure  que 
les  élèves  deviendront  plus  nombreux  et  que  l'on  trouvera  des 
hommes  de  mérite  pour  enseigner.  Actuellement,  il  y  a  une  singu- 
lière inconséquence  à  se  lamenter  sur  la  pénurie  de  géographes  et 
à  proposer  de  créer  d'un  coup  treize  chaires  de  géographie.  Quel  est 
le  pays  d'Europe  qui  pourrait  en  fournir  le  personnel  ? 

Documents.  — Ld,  Bévue  historique  a  déjà  annoncé  (XXIV,  436)  le 
t.  I  du  Recueil  des  documents  concernant  le  Poitou,  contenus  dans 
les  registres  de  la  chancellerie  de  France^  que  publie  M.  Paul  Glérin, 
des  Archives  nationales,  pour  la  Société  des  Archives  historiques  en 
Poitou  ;  ce  volume  comprenait  près  de  deux  cents  documents  adressés 
aux  agents  du  Roi  en  Poitou  par  Philippe  le  Bel  et  ses  fils  de  ^302  à 
^333,  avec  des  notices  biographiques  sur  les  sénéchaux  mis  à  la  tête 
de  la  province.  Le  tome  II  qui  vient  de  paraître  (Poitiers,  impr.  Oudin-, 
forme  le  t.  XIII  des  publications  de  la  Société,  pour  ^8S3)  ajoute  une 
cinquantaine  de  pièces  relatives  à  cette  période,  et  poursuit  le  dépouil- 
lement des  registres  de  la  chancellerie  royale  jusqu'à  l'année  -1348. 
La  préface  donne  la  nomenclature  des  sénéchaux,  des  lieutenants  du 
roi,  des  capitaines  souverains  et  des  commissaires  envoyés  en  Poitou, 
et  résume  l'histoire  de  leur  administration.  Jjes  documents  ne  pré- 
sentent pas  d'ailleurs  un  intérêt  exclusivement  local;  bon  nombre 
d'entre  eux  se  rapportent  à  l'histoire  de  la  guerre  contre  les  Anglais  ; 
c'est  ainsi  que  M.  Guérin  a  refait  le  récit  de  l'expédition  dirigée  par 
le  comte  de  Derby  en  septembre  et  octobre  4  346  contre  nos  provinces 
de  l'Ouest,  et  qui  fut  désastreuse  pour  elle.  Les  textes  sont  publiés 
avec  grand  soin  et  abondamment  pourvus  de  notes  oii  l'on  rencontre 
plus  d'un  renseignement  inédit  *. 

Le  Cartulaire  sénonais  de  Balthasar  Taveau,  publié  par  M.  G.  Jul- 
LioT  sous  les  auspices  de  la  Société  archéologique  de  Sens,  est  l'in- 
ventaire des  chartes  communales  de  cette  ville,  qui  fut  rédigé  au 
xvr**  siècle  par  H.  Taveau,  procureur  au  bailliage  et  siège  présidial 
de  Sens,  procureur  et  greffier  de  la  Chambre  de  ville,  de  1553  jus- 
qu'à sa  mort,  arrivée  le  22  août  -1586,  Cet  inventaire^  commencé  en 
-1572,  est  précieux  pour  nous,  parce  que  plus  d'un  des  documents 
analysés  par  Taveau  manque  aujourd'hui.  M.  JuUiot  la  reproduit 
intégralement,  sans  y  rien  ajouter  qu'une  notice  biographique  inté- 

1.  Signalons  en  particulier  la  note  delà  p.  31,  relative  à  un  certain  Gilles  de 
Rémi  ou  de  Reniin,  clerc  du  roi,  sans  doute  un  des  trois  fils  que  laissa  Beau- 
manoir,  et  à  une  de  ses  filles,  Marguerite,  jusqu'ici  inconnue  (1312). 


FRANCE.  363 

ressante  et  des  tables  ;  il  nous  promet  pour  un  autre  volume  le  texte 
in  extenso  des  pièces  relatives  a  l'Histoire  de  Sens,  qu'il  a  eu  la  bonne 
fortune  de  retrouver.  Il  aura  ainsi  rendu  un  double  service  à  ceux 
qui  s'occupent  de  l'ancienne  histoire  municipale  delà  France.  Il  con- 
vient d'ajouter  que  le  volume  est  admirablement  imprimé  (chez 
Duchemin,  à  Sens). 

Voici  deux  livres  qui  ont  entre  eux  un  étroit  rapport  :  Tun  est  le 
Journal  du  corsaire  Jean  Doublet  de  Ilonfleur,  publié  d'après  le 
manuscrit  autographe  par  M.  Charles  Bréard  (Gharavay)  ;  l'autre, 
la  Vie  de  Monsieur  Du  Guay-Trouin^  écrite  de  sa  main^  et  publiée, 
d'après  l'autographe  également,  par  M.  Emile  Voillaro,  bibliothé- 
caire de  la  ville  de  Chaumont  (Jouvet  et  G'^).  Doublet  et  Duguay- 
Trouin  sont  des  contemporains,  ils  appartiennent  tous  deux  à  la 
brillante  époque  de  la  marine  française  sous  Louis  XIV  ;  leur  vie 
est  remplie  des  mêmes  aventures  de  course  et  de  guerre  ;  leur  carac- 
tère est  de  la  même  trempe,  c'est  à  force  d'audace  heureuse  qu'ils  se 
font  un  nom  et  un  rang.  Duguay-Trouin  a  pris  part  à  de  plus 
grandes  entreprises;  il  eut  la  gloire  de  prendre  et  de  ruiner  Rio  de 
Janeiro  en  -ITM,  et  le  passage  où  il  raconte  cettii  brillante  expé- 
dition est  une  bonne  page  d^histoire  générale  -,  mais  il  ne  faut  pas 
oublier  que  Doublet  s'est  très  honorablement  conduit  à  la  défense 
de  Saint-Malo,  la  patrie  de  Duguay-Trouin,  attaquée  par  les  Anglais 
en  -1693.  Ce  qui  nous  touche  en  eux,  c'est  l'orgueil  avec  lequel  ils 
défendent  le  drapeau  français,  la  générosité  qu'ils  montrent  envers 
Tennemi  vaincu.  Toutes  les  actions  de  leur  vie  ne  sont  pas  irrépro- 
chables ;  mais  le  sentiment  de  l'honneur  les  empêcha  de  jamais  rien 
commettre  de  vil  ni  de  bas.  Leur  témoignage  est  naïf  et  sincère  ;  ils 
ignorent  l'art  d'écrire,  mais  leurs  récits  sont  loin  d'être  privés  d'in- 
térêt et  même  de  charme.  On  connaissait  déjà  les  mémoires  de 
Duguay-Trouin;  sans  doute  l'édition  de  -1740  était  plus  que  défec- 
tueuse, puisqu'elle  était  infidèle,  et  l'on  saura  fort  bon  gré  àM.  Voil- 
lard  de  nous  en  faire  connaître  pour  la  première  fois  le  texte  aulhcn- 
tique  ;  mais  enfin  le  fond  n'avait  pas  été  tout  à  fait  altéré.  Quant  à 
Doublet,  M.  Bréard  avait  déjà  communiqué  à  la  Bévue  historique 
(t.  XII)  quelques-uns  des  passages  les  plus  curieux  de  ses  mémoires; 
les  autres  valaient  vraiment  la  peine  d'être  publiés.  Son  mariage, 
ses  démêlés  avec  les  pirates  d'Alger,  certaine  élection  d'un  pro- 
vincial des  Franciscains  aux  îles  Açores,  et  bien  d'autres  événements 
sont  racontés  avec  une  bonhomie  parfois  aiguisée  de  malice,  qui 
a  son  prix.  M.  Bréard  a  édité  ces  mémoires  avec  un  soin  extrême  ; 
il  a  réussi  à  reconstituer  l'histoire  de  la  famille  de  Doublet  depuis  le 
xv^  siècle  jusqu'à  nos  jours,  et  l'on  ne  verra  peut-être  pas  sans 


364  BULLETIN    HISTORIQDE. 

quelque  étonnement  les  noms  de  M"''  la  marquise  de  Gaulaincourt 
et  de  ^1""=  la  comtesse  d'Andigné  terminer  le  tableau  généalogique 
de  l'obscur  corsaire  de  Louis  XIV,  fils  d'un  apothicaire  de  Honfleur, 
qui  mourut  avant  iQ78  «  aux  pais  estrangers  où  il  étoit  employé 
pour  le  service  du  roy.  » 

Comme  nous  l'avons  déjà  fait  pour  les  deux  premiers  volumes, 
nous  annoncerons  ici  la  2«  partie  du  t.  III  et  dernier  des  Négocia- 
tions de  M.  le  comte  d'Avaux  en  Suède,  pendant  les  années  4693, 
4  697  eM  698,  publiées  par  notre  collaborateur,  M.  J.-A.  Wijn-^e,  pour 
la  Société  historique  d'Utrecht  (Utrecht,  Kemink  et  fils).  Ce  volume 
n'offre  pas  le  même  genre  d'intérêt  que  les  précédents  :  ce  n'est  plus 
le  comte  d'Avaux  qui  parle  ;  c'est  le  roi  qui  lui  adresse  ses  instruc- 
tions ou  ses  ordres  ;  aussi  cette  dernière  partie  de  l'ouvrage  est-elle 
d'une  lecture  moins  attachante  que  les  précédentes;  mais  elle  en  est 
le  complément  indispensable.  M.  Wijnne  a  mis  en  tête  du  volume 
une  savante  introduction  où  il  étudie  le  caractère  d'Avaux  et  son  rôle 
politique  ;  il  le  défend  avec  succès  contre  les  jugements  trop  sévères 
d'historiens  récents  qui  avaient  mis  en  doute  la  capacité  de  l'ambas- 
sadeur, et  le  crédit  dont  il  jouissait  auprès  de  la  cour  de  Suède. 
Petit-fils,  fils  et  frère  de  diplomates  distingués,  Avaux  avait  été  élevé 
à  la  bonne  école  et  sut  rendre  à  la  France,  à  la  Suède  même,  d'émi- 
nents  services. 

Le  t.  VIII  des  Mémoires  de  Metternich,  qui  vient  de  paraître  (Pion 
et  Nourrit),  termine  ce  recueil  de  documents  si  précieux  pour  toute 
l'histoire  européenne  pendant  la  première  moitié  de  ce  siècle.  Il  con- 
tient la  fin  du  journal  de  la  princesse  Mélanie,  femme  de  Metternich, 
morte  en  1854,  cinq  ans  avant  son  mari;  la  correspondance  du 
prince  avec  sa  fille  Léontine,  comtesse  Sandor,  avec  le  baron  de 
Koller,  le  comte  de  Buol  et  diverses  autres  personnes,  de  1848  à 
\  858  ;  de  copieux  appendices  où  l'on  retrouve  encore  de  nombreux 
extraits  du  journal  de  la  princesse,  et  un  choix  d'écrits  divers  de 
Metternich  tirés  des  archives  personnelles  de  la  famille  de  l'ancien 
chancelier  d'État.  La  partie  la  plus  curieuse  de  ces  documents  est 
sans  contredit  celle  qui  se  rapporte  au  séjour  forcé  que  Metternich, 
chassé  de  Vienne  et  d'Autriche  par  la  révolution  de  mars  1848,  dut 
faire  en  Angleterre  (LS48-49).  Quelle  impression  produisit  sur  l'es- 
prit du  prince,  de  celui  qui,  pendant  un  demi-siècle,  représenta  en 
Europe  l'opposition  systématique  à  la  révolution  et  même  au  libéra- 
lisme, le  spectacle  d'un  pays  où  fonctionnait  régulièrement  le  régime 
parlementaire,  où  l'agitation  chartiste  était  exaspérée  encore  par  les 
exemples  venus  du  dehors,  où  la  prospérité  matérielle  était  cepen- 
dant extraordinaire  ?  L'eftêt  parait  avoir  été  considérable  ;  on  le 


FR.WCE.  3(»5 

constate  à  chaque  page  du  journal  de  la  princesse  -,  Metternich  le 
note  lui-même  avec  plus  de  force  et  de  pittoresque  dans  les  lettres  à 
sa  fille.  Ce  sont  de  vraies  «  Notes  sur  l'iVngleterre  «  recueillies  par 
un  observateur  qui  ne  sortait  guère  de  sa  maison,  mais  qui  voyait 
chez  lui  tout  le  monde,  qui  observait  tout  et  causait  fie  tout  comme 
s'il  devait  le  lendemain  reprendre  la  direction  des  affaires  autri- 
chiennes (il  en  était  encore  l'avocat  consultant).  Est-il  besoin  de  dire 
que  l'impression  fut  seulement  superficielle,  et  qu'après  avoir  quitté 
Londres  pour  Bruxelles,  puis  pour  son  château  de  Johannisberg, 
Metternich  resta  ce  qu'il  était  à  la  veille  de  la  révolution,  toujours 
aussi  fermement  convaincu  de  l'excellence  de  sa  politique  ?  Il  appar- 
tenait à  cette  race  de  théoriciens  imperturbables  que  rien  n'instruit 
ni  ne  déconcerte  5  voyez  en  quelle  estime  dédaigneuse  et  hautaine  il 
tient  Guizot  ;  de  quel  ton  de  pédagogue  infaillible  il  prétend  lui 
démontrer  qu'il  ne  s'est  jamais  trompé,  lui,  Metternich  !  Ce  génie 
étroit  et  pédantesque,  mais  non  sans  noblesse  ni  grandeur,  se  montre 
à  nu  dans  ces  pages  rarement  attrayantes,  mais  toujours  instruc- 
tives. 

On  vient  de  parler  de  Guizot.  Voici  justement  que  M"'^  de  Witt 
vient  de  publier  un  recueil  de  Lettres  de  M.  Guizot  à  sa  famille  et 
à  ses  amis  (Hachette)  ;  c'est  le  complément  naturel  et  le  commentaire 
du  livre  touchant  qu'elle  a  consacré  à  «  M.  Guizot  dans  sa  famille  et 
avec  ses  amis.  »  —  On  n'y  trouvera  pas  de  révélations  historiques, 
on  n'y  trouvera  même  pas  beaucoup  de  vues  politiques,  car,  chose 
curieuse,  ce  grand  esprit  à  qui  nous  devons  des  aperçus  si  lumineux 
et  si  précis  sur  les  origines  de  notre  histoire,  quand  il  s'agit  des 
événements  de  son  temps,  de  ceux  qu'il  dirige  en  partie,  s'en  tient  à 
des  généralités  d'un  caractère  plus  philosophique  que  pratique.  Il 
raisonne,  il  moralise  sur  toutes  choses  ;  il  ne  calcule  ni  ne  combine. 
Par  contre,  ces  lettres  nous  apprennent  beaucoup  sur  M.  Guizot  lui- 
même,  sur  son  caractère  5  et  plus  nous  apprenons  à  le  connaître, 
plus  nous  concevons  pour  lui,  non  seulement  d'estime,  mais  de 
sympathie.  On  parle  toujours  à  propos  de  lui  de  raideur  protestante, 
de  pédantisme  doctrinaire  ;  je  ne  dirai  pas  que  ces  reproches  soient 
tout  à  fait  injustes,  mais  je  vois  surtout  chez  lui  une  constante  élé- 
vation de  pensée  et  d'âme,  une  manière  toujours  noble  de  considérer 
la  vie  et  les  choses,  la  volonté  persévérante  de  conformer  sa  conduite 
à  un  idéal  moral.  Et  à  côté  de  cela,  ce  qui  ajoute  le  charme  à  cette 
figure  un  peu  austère,  une  tendresse  et  surtout  une  simplicité  de 
cœur  que  les  épreuves,  l'âge,  la  politique  n'arrivent  point  à  affaiblir. 
Ce  qui  ne  s'affaiblit  point  chez  lui  non  plus,  c'est  son  indomptable 
énergie,  cette  force  qui  a  sa  source  plus  encore  dans  sa  nalure  que 


366  BULLETIN  HISTORIQUE. 

dans  ses  idées  et  qui,  au  lendemain  des  pires  douleurs,  lui  permet 
de  se  ressaisir,  d'agir,  d'espérer  encore.  Il  n'y  avait  chez  M.  Guizot 
aucune  petitesse  de  vanité  ni  d'amour-propre,  et  nous  croyons  qu'il 
était  non  seulement  sincère,  mais  véridique,  lorsqu'il  écrivait  à 
M™''  Lenormant  qu'il  ne  manquait  pas  d'humilité.  Il  avait  la  con- 
fiance tranquille  d'un  homme  qui  se  croit  en  possession  de  la  vérité 
et  qui  agit  conformément  à  sa  foi  sans  s'inquiéter  des  conséquences. 
Cette  assurance  navait  rien  chez  lui  qui  ressemblât  à  de  la  fatuité, 
car  il  était  guidé  dans  sa  conduite  de  ministre-dirigeant  moins  par 
des  vues  politiques  que  par  des  convictions  morales.  S'il  a  trop  cru 
à  son  infaillibilité,  ce  n'est  point  parce  qu'il  se  fiait  à  la  supériorité 
de  son  intelligence,  mais  parce  qu'il  savait  la  droiture  de  sa  cons- 
cience. On  peut  trouver  que  cela  diminue  la  valeur  du  politique, 
mais  cela  grandit  le  caractère  de  l'homme.  D'ailleurs,  avant  de  juger 
trop  sévèrement  la  politique  intérieure  de  M.  Guizot,  nous  ne  devons 
pas  oublier  que  personne  depuis  un  siècle  n'a  réussi  à  diriger  avec 
succès  ni  d'une  manière  durable  la  politique  intérieure  de  la  France 
et  que  la  faute,  par  conséquent,  en  est  peut-être  imputable  à  la 
France  elle-même  plus  qu'à  ses  ministres.  M.  Guizot  lui-même, 
si  sûr  qu'il  fût  de  ne  s'être  jamais  trompé,  avait  au  fond  un 
sentiment  très  juste  de  ce  qui  faisait  la  vraie  grandeur  de  sa  vie 
publique.  Il  écrivait  à  M.  Piscatory  en  1N60  :  «  Les  deux  portions 
de  ma  vie  publique  auxquelles  je  tiens  le  plus  sont  mon  ministère 
de  l'instruction  publique  et  mon  ministère  des  affaires  étrangères.  » 
Sur  le  premier  point,  tout  le  monde  aujourd'hui  rend  hommage  à 
M.  Guizot-,  sur  le  second,  nous  croyons  que  la  postérité,  tout  en 
blâmant  quelques-uns  des  actes  de  sa  politique  étrangère,  lui 
accordera  plus  d'éloges  que  de  blâme.  Il  nous  semble  s'être  gra- 
vement trompé  dans  l'affaire  du  Sonderbund  ;  d'autre  part,  entraîné 
par  son  admiration  pour  le  parlementarisme  anglais  et  par  son  ami- 
tié pour  lord  Aberdeen,  il  a  jusqu'en  ^1846  trop  songé  peut-être  à 
plaire  à  l'Angleterre,  mais  on  ne  peut  oublier  qu'il  a  donné  à  la 
France  dans  le  concert  européen  une  place  ({u'elle  n'avait  pas  eue 
avant  lui  ;  que  les  mariages  espagnols,  si  critiqués,  ont  été  un 
triomphe  pour  notre  pays  ;  enfin  que  c'est  lui  qui  a  donné  de  la 
consistance  et  de  la  netteté  à  notre  politique  algérienne,  lui  qui  a 
jeté  sur  la  côte  occidentale  de  l'Afrique  les  premiers  jalons  de 
nos  futurs  établissements  coloniaux.  Gela  compense  bien ,  j'ima- 
gine, falfaire  Pritchard,  laquelle,  grâce  aux  calomnies  de  la  presse 
et  de  la  tribune,  a  fmi  par  symboliser  la  politique  de  M.  Guizot. 
La  vérité  est  que  jamais  la  France  n'a  été  dans  une  meilleure  situa- 
tion diplomatique  qu'en  1847  ;  quelque  honneur  doit,  je  pense,  en 


FRA1VCE.  367 

revenir  à  celui  qui  dirigeait  depuis  sept  ans  sa  politique  extérieure. 
Ouvrages  divers.  Antiquité.  —  Il  n'est  personne,  parmi  ceux  qui 
s'intéressent  aux  clioses  de  l'antiquité,  (|ui  ait  perdu  le  souvenir  de 
ce  pauvre  Charles  Graux,  si  tût  et  si  vite  enlevé  à  la  science.  A  peine 
fut-il  mort,  que  ses  amis  résolurent  de  perpétuer  son  souvenir  en 
publiant  un  recueil  de  travaux  dédié  à  sa  mémoire  ;  un  grand  nombre 
d'érudits  français  et  étrangers,  car  Graux,  dont  la  complaisance  était 
inépuisable,  avait  des  amis  partout,  promirent  leur  concours  à  cette 
œuvre  pieuse.  Elle  est  aujourd'hui  achevée.  Soixante-quinze  mémoires 
sur  des  sujets  d'érudition  classique  composent  le  beau  volume  des 
Mélanges  Graux  qui  vient  d'être  distribué  aux  souscripteurs  (Thorin). 
Il  est  impossible  de  faire  ici  autre  chose  que  d'annoncer  un  recueil 
aussi  considérable  et  aussi  divers  '  ;  mais  il  faut  recommander,  sur- 
tout aux  jeunes  gens ,  la  lecture  de  la  touchante  biographie  que 
M.  Lavisse  a  consacrée  à  son  compatriote  et  ami.  Ce  n'est  pas  sans 
peines  et  sans  déboires  que  Graux  est  parvenu  à  se  faire  un  rang 
dans  la  société  et  un  nom  dans  la  science;  mais  il  avait  l'amour  du 
travail  opiniâtre  que  les  insuccès  ne  découragent  pas,  la  passion  des 
études  sérieuses  et  désintéressées,  la  ferme  volonté  de  savoir  avant 
de  commencer  à  écrire.  L'enseignement  supérieur,  si  aveuglément 
négligé  pendant  tant  d'années,  ne  lui  offrit  au  début  que  des  ressources 
médiocres,  et  il  fut  obligé  de  tâtonner  pendant  quelque  temps  sans 
méthode  et  presque  sans  maîtres  ;  il  triompha  de  tous  ces  obstacles 
grâce  à  sa  ténacité,  à  son  esprit  d'initiative,  grâce  aussi  aux  trans- 
formations opportunes  qui  furent  introduites  dans  les  hautes  études 

1.  Nous  nous  contenterons  d'indiquer  en  note  le  titre  des  mémoires  qui 
peuvent  intéresser  les  historiens  :  Beurlier  :  Campidoctores  et  Campiducfores. 
—  Châtelain  :  Recherches  sur  un  ms.  célèbre  de  Sidoine  Apollinaire  (le  Vatic. 
3420).  —  Coeibo  :  Sur  la  forme  de  quelques  noms  géographiques  de  la  pénin- 
sule ibérique.  —  Comparelti  :  Sur  une  inscr.  d'Haiicarnasse.  —  Rod.  Dareste  : 
Cicéron,  pro  Flacco,  xxix-xxxii.  —  Delisle  :  JSotes  sur  les  anciennes  impres- 
sions des  classiques  latins  et  d'autres  auteurs,  conservées  dans  la  librairie 
royale  de  Naples.  —  Desjardins  :  Nouvelles  observations  sur  les  légions 
romaines,  sur  les  officiers  inférieurs  et  les  emplois  divers  des  soldats.  —  Abbé 
Duchesue  :  Les  documents  ecclésiastiques  sur  les  divisions  de  l'empire  romain 
au  IV''  s.  —  H.  Haupt  :  La  marche  d'Hannibal  contre  Home  en  211.  — 
Humphreys  :  Observations  sur  Thucydide,  I,  xi.  —  Jacob  :  Le  classement  des 
mss.  de  Diodore  de  Sicile.  —  Jullian  :  Les  limites  de  l'Italie  sous  l'empire 
romain.  —  Mistchenko  :  Sur  la  royauté  homérique.  —  Mommsen  :  Officia- 
lium  et  militum  Romanorum  sepulcretum  Carthaginiense.  —  Mowat  :  Le 
tombeau  d'un  légat  propréteur  d'Afrique,  à  Arles  ;  origine  du  nom  de  la 
Camargue  (du  nom  de  ce  magistrat  :  A.  Annius  Camars).  —  Ch.  Robert  :  Inscr. 
laissées  dans  une  carrière  de  la  Haute-Moselle  par  des  légions  romaines.  — 
Robiou  :  Monuments  gréco-égyptiens  du  Louvre.  —  Thédenat  :  Sur  une  inscr. 
inédite  conservée  au  municipe  de  Tarente. 


368  BULLETIN  HISTORIQUE. 

surtout  après  la  guerre  allemande.  Les  lettres  de  sa  première  jeu- 
nesse (Graux  est  mort  en  janvier  1882  avant  trente  ans),  que  publie 
M.  Lavisse,  nous  peignent  ingénument  l'ancienne  Sorbonne,  si  chan- 
gée depuis,  en  même  temps  qu'elles  nous  font  mieux  connaître  ce 
qu'il  y  avait  en  lui  de  fort  et  de  bon. 

Je  ne  ferai  aussi  que  signaler,  sans  ra'arrêter  autrement  à  cette 
belle  mais  trop  lente  publication ,  le  9*^  fasc.  du  Dictionnaire  des 
antiquités  grecques  et  romaines,  publié  sous  la  direction  de  M.  Saglio 
(Hachette).  Il  comprend  les  mots  de  Coena  à  Confiscafio. 

M.  Ernest  Havet  termine  avec  un  A"  volume  sa  remarquable 
étude  sur  Le  Christianisme  et  ses  origines  (G.  Lévy)  ;  il  est  consa- 
cré tout  entier  à  l'examen  du  Nouveau  testament.  C'est  vraisembla- 
blement de  toutes  les  parties  de  l'ouvrage  celle  qui  soulèvera  le  plus 
de  controverses.  L'auteur  se  place  en  effet  au  point  de  vue  rationa- 
liste pur;  comme  il  le  dit  lui-même,  il  reprend  la  tradition  du 
xviii*  s.,  respectueusement  hostile  à  l'égard  du  christianisme.  Il  ne 
s'adresse  pas  aux  croyants  :  la  critique  ne  peut  rien  contre  la  foi 
aveugle,  et  qui  veut  rester  aveugle.  Il  n'écrit  pas  non  plus  pour  les 
fanatiques  d'incrédulité  ;  s'il  est  voltairien,  il  se  garde  bien  daller 
jusqu\i  l'indécence  ou  au  sarcasme.  Il  ne  quitte  pas  le  terrain  grave 
et  désintéressé  de  la  science.  Il  s'est  efforcé  de  déterminer  le  degré 
de  créance  que  méritent  les  livres  qui  composent  le  Nouveau  testa- 
ment, et  par  conséquent  ce  que  l'on  peut  savoir  de  certain  sur  le 
fondateur  de  la  religion  nouvelle,  sur  ses  premiers  disciples,  et  sur 
les  origines  immédiates  du  christianisme;  il  ne  laisse  nulle  place  à 
l'hypothèse  ni  ta  l'imagination  (voy.  p.  60)  ;  il  entend  ne  pas  sortir 
de  la  réalité  constatée  par  les  seuls  textes  incontestablement  authen- 
tiques. Plus  d'un,  même  parmi  les  gens  indépendants  de  toute 
forme  religieuse,  trouvera  peut-être  sa  critique  trop  rigoureuse,  et 
pensera  qu'il  est  bien  sévère  d'admettre  seulement  trois  épîtres  de 
saint  Paul,  de  nier  l'authenticité  de  la  lettre  de  Pline  à  Trajan  sur 
les  chrétiens,  du  récit  d'Eusèbe  relatif  aux  martyrs  de  Lyon  et  de 
Vienne,  etc.  ;  d'autre  part  aussi  la  condamnation  portée  contre  l'in- 
fluence du  christianisme  dans  la  formation  des  sociétés  modernes 
ne  sera  pas  admise  sans  appel  ;  mais,  quelques  réserves  que  l'on 
exprime  sur  les  conclusions  du  livre,  on  ne  pourra  s'empêcher  de 
reconnaître  que  c'est  l'œuvre  d'une  des  intelligences  les  plus  nettes, 
d'un  des  dialecticiens  les  plus  vigoureux  de  notre  temps. 

La  mort  a  empêché  M.  François  Lenormant  de  terminer  son 
ouvrage  si  curieux  et  si  intéressant  sur  /a  Grande  Grèce.  Après 
avoir  visité  et  décrit  la  côte  italienne  depuis  Tarente  jusqu'à  Squil- 
lace,  il  avait  pénétré  en  Galabre,  et  entrepris  d'en  explorer  toute  la 


FRANCE.  369 

cote  occidentale,  de  Gatanzaro  à  Reggio,  puis  à  Squillace  ;  il  n'a  eu 
le  temps  de  rédiger  que  la  première  partie  de  son  voyage,  celle 
où  il  visita  Nicastro,  le  Pizzo,  Monteleone  et  Mileto  ;  c'est  la  matière 
du  3«  vol.,  qui  sera  le  dernier  (A.  Lévy).  On  sait  avec  quelle  verve, 
quel  sentiment  du  pittoresque,  quelle  abondante  connaissance  de 
l'histoire  ancienne  et  moderne  il  raconte  ces  expéditions  archéolo- 
giques dans  des  pays  où  le  touriste  ordinaire  n'a  jamais  mis  le  pied. 
C'est  ainsi  que  dans  le  présent  volume,  à  propos  de  Nicastro,  il  con- 
sacre un  chapitre  entier  à  discuter  l'emplacement  des  villes  anciennes 
de  Térina  et  de  Témésa.  Le  Pizzo  lui  rappelle  le  souvenir  de  la  mort 
de  Murât,  et  il  raconte  tout  au  long  cette  dramatique  aventure  à 
l'aide  de  renseignements  en  partie  nouveaux  puisés  dans  le  pays 
même.  A  Mileto,  c'est  l'histoire  de  la  conquête  normande  et  la  lutte 
entre  Robert  Guiscard  et  son  frère  Roger  qu'il  retrace  à  grands 
traits,  résumant  l'abbé  Delarc  et  le  corrigeant  quelquefois.  Il  n'est 
pas  jusqu'au  terrible  tremblement  de  terre  de  1 783  qu'il  ne  se  com- 
plaise à  décrire,  en  exposant  d'ailleurs  sa  théorie  personnelle  sur  les 
causes  de  ces  redoutables  phénomènes.  Le  lecteur  charmé  ne  dis- 
cute pas  :  il  est  tant  de  livres  ennuyeux  ! 

Moyen  âge.  —  M.  Perrens  a  achevé  la  première  partie  de  son  His- 
toire de  Florence  (Hachette).  Il  l'a  conduite  avec  le  VI''  volume  jus- 
qu'à l'année  1435,  jusqu'au  moment  où  Gosme  de  Médicis,  devenu 
gonfalonnier  de  justice,  transforme  le  gouvernement  de  Florence  en 
une  seigneurie,  tout  en  lui  laissant  la  forme  républicaine.  Dans  ce 
volume,  M.  Perrens  n'avait  pas,  comme  dans  les  précédents,  à 
résoudre  de  difficiles  questions  constitutionnelles,  questions  sur 
lesquelles  il  a  jeté  plus  de  lumière  qu'on  ne  l'avait  fait  jusqu'ici; 
mais  il  avait  à  traiter  Fhistoire  du  gouvernement  oligarchique  depuis 
la  révolution  démocratique  des  Giompi  jus(ju'à  rétablissement  du 
pouvoir  des  Médicis,  et  il  a  admirablement  montré  les  vices  de 
l'égoïsme  de  cette  ohgarchie  amenant  la  ruine  du  régime  républicain, 
malgré  les  services  qu'elle  avait  rendus  à  la  puissance  llorentine, 
exactement  comme  le  Sénat  de  la  République  romaine  prépara  les 
voies  à  Gésar  et  à  Auguste.  On  lira  avec  un  intérêt  particulier  le 
ch.  VI  du  1.  XII  consacré  au  tableau  animé  de  la  vie  llorentine,  le 
ch.  V  du  1.  XIII  consacré  au  régime  économique  de  Florence  au  xiv" 
et  au  xv«  siècle.  Dans  les  pages  qui  servent  de  conclusion  aux  six 
premiers  volumes  de  l'Histoire  de  Florence,  M.  Perrens  dit  adieu  à 
ses  lecteurs  jusqu'au  moment  où  il  aura  achevé  en  manuscrit  l'his- 
toire des  Médicis.  Avec  un  travailleur  aussi  assidu  et  aussi  bien  pré- 
paré à  sa  tâche,  nous  avons  confiance  que  ce  moment  ne  se  fera  pas 
attendre.  Telle  qu'elle  est,  son  œuvre  est  assurément  un  des  travaux 
Rev.  HisTon.  XXV.  2«  fasc.  24- 


370  BDLLETIN  HISTORIQUE. 

les  plus  iraporlants  et  les  plus  méritoires  qui  aient  paru  en  France 
dans  ces  dernières  années,  et,  malgré  la  haute  distinction  qui  lui  a 
été  accordée  par  TAcadémie  des  sciences  morales  (prix  Jean  Rey- 
naud),  il  ne  me  semble  pas  qu'on  ait  suffisamment  apprécié  dans  le 
public  lettré  tout  ce  qu  elle  suppose  de  recherches  patientes,  d'atten- 
tion et  de  pénétration  historique. 

Époque  moderne.  —  M.  Tceteï  nous  ramène  en  France,  et  dans 
ces  pays  de  l'Est,  dont  il  connaît  si  bien  l'histoire.  Son  gros  ouvrage 
sur  Les  Allemands  en  France  et  V invasion  du  comté  de  Monlbéliard 
par  les  Lorrains  en  1387-88  (Paris,  Champion-,  Montbéliard,  Bar- 
bier) manque  d'unité.  Il  traite  deux  sujets  que  rattache  sans  doute 
un  lien  assez  étroit,  mais  qui  n'en  sont  pas  moins  nettement  dis- 
tincts :  l'un,  c'est  l'expédition  d'une  armée  de  reitres  qui,  appelés 
par  les  huguenots  en  1 587,  ravagèrent  l'Alsace,  la  Lorraine,  et  vin- 
rent se  l'aire  battre  par  le  duc  de  Guise  à  Anneau  ;  l'autre,  c'est  la 
campagne  que  le  duc  de  Guise  dirigea  par  représailles  contre  le  mal- 
heureux pays  de  Monlbéliard,  où  bon  nombre  de  huguenots  français 
avaient  trouvé  asile,  et  dont  le  souverain,  le  duc  de  Wurtemberg, 
avait  fortement  contribué  à  l'invasion  des  Allemands  en  Lorraine. 
En  réahté,  c'est  ce  second  sujet  qui  était  l'essentiel  ;  et  l'on  peut 
regretter,  au  point  de  vue  de  la  composition,  que  l'auteur  ait  tant 
insisté  sur  la  première  partie.  Ce  défaut  est  largement  compensé 
d'ailleurs,  j'ai  hàtc  de  le  dire,  par  l'abondance  et  la  précision  des 
détails  que  M.  Tuetey  a  puisés  dans  un  grand  nombre  de  documents 
inédits.  Ces  documents  remplissent  tout  le  second  volume.  La  partie 
la  plus  originale  de  l'ouvrage  est  sans  contredit  celle  que  l'auteur  a 
consacrée  aux  misères  et  aux  malheurs  de  la  guerre.  Les  chapitres 
intitulés  :  le  meurtre  et  les  tortures  ;  le  viol  et  le  rapt  ;  les  rançon- 
nements;  les  incendies;  le  pillage,  donnent  le  frisson.  On  se  demande 
quelle  somme  prodigieuse  de  souffrances  les  hommes  sont  donc 
capables  d'endurer,  et  comment  un  pays  peut  survivre  à  tant  de 
désastres. 

Un  professeur  de  l'université,  décédé  récemment,  M.  Léon  Geleï, 
a  laissé  sur  un  pamphlétaire  au  service  de  Richelieu,  Fancan,  abbé 
de  Beaulieu  et  chantre  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  un  curieux  tra- 
vail qui  vient  de  paraître  '.  Fancan  est  bien  oubUé  aujourd'hui,  mais 
il  méritait  d'être  tiré  de  son  obscurité.  H  avait  eu  le  malheur 
de  déplaire  à  RicheUeu  devenu  tout-puissant,  après  l'avoir  habile- 
ment aidé  de  sa  plume  pendant  les  dix  premières  années  de  sa  car- 
rière politique  (1617-27),  et  il  est  mort  à  la  Bastille  (avant  1030, 

1.  Fancan  et  la  politique  de  Richelieu,  de  1617  à  1627.  Paris,  L.  Cerl. 


FRANCE.  374 

comme  le  prouve  M.  Geley)  ;  quelques  lignes  dures  el  infamantes  de 
Richelieu  dans  ses  Mémoires  ont  diclé  jusqu'à  ce  jour  le  jugement 
de  la  postérité  ;  le  terrible  cardinal  n'avait-il  pas  été  injuste  ?  iN'y 
avait-il  pas  lieu  à  réviser  le  procès?  M.  Geley  l'a  pensé  :  après  avoir 
résumé  ce  que  les  mémoires  du  temps  nous  apprennent  sur  la  per- 
sonne même  de  l'écrivain,  il  analyse  ses  pamphlets  l'un  après  l'autre, 
il  montre  la  place  honorable  que  Pancan  occupait  dans  le  «  parti 
national  »  formé  par  Richelieu  pour  combattre  rinllucnce  espagnole 
et  ultramontaine,  l'ardeur,  et,  pour  mieux  dire,  la  virulence  avec 
laquelle  il  attaquait  les  ennemis  du  cardinal,  de  sa  fortune  et  de  sa 
politique.  Il  n'échappe  pas  au  défaut  commun  aux  biographes,  celui 
de  surfaire  son  héros.  Quelles  que  soient  les  raisons  pour  lesquelles 
Fancan  devint  suspect  à  Richelieu,  et  en  admettant  môme  que  le  car- 
dinal l'ait  traité  avec  injustice,  n'est-ce  pas  aller  bien  loin  que  de 
l'appeler  un  «  patriote  incomparable,  »  comme  pour  faire  penser  que 
Richelieu  était  à  un  moindre  degré  «  bon  Français  »?  M.  Geley  ne 
paraît  pas  avoir  nettement  démêlé  les  véritables  causes  de  la  dis- 
grâce du  pamphlétaire  ;  il  pense  que  le  Père  Joseph  n'y  a  pas  été 
étranger;  c'est  atTaire  au  futur  historien  de  l'Ëminence  grise  de  por- 
ter sur  ce  point  la  lumière.  L'étude  n'est  donc  pas  définitive,  mais 
elle  plaît.  Si  le  personnage  est  peu  intéressant  en  dépit  de  ses  mal- 
heurs, l'étude  de  ses  écrits  importe  à  la  connaissance  des  idées  poli- 
tiques de  Richelieu. 

Fénelon  est  un  tout  autre  écrivain  et  un  tout  autre  homme  ;  et 
l'on  ne  saurait  dire  ce  qui  touche  le  plus  en  lui  de  l'homme  ou  de 
l'écrivain.  Sa  vie  n'est  plus  à  écrire  et  ses  idées  sont  bien  connues; 
cependant  M.  Emmanuel  de  Rroglie  a  su  composer,  sur  ce  sujet 
tant  de  fois  traité  et  discuté,  un  livre  aimable ^  Sans  rien  apprendre 
de  nouveau,  et  en  se  bornant  à  dépouiller  la  correspondance  de  Féne- 
lon pendant  les  dernières  années  de  sa  vie  passées  à  Cambrai,  il  a 
tracé  de  l'illustre  archevêque  un  portrait  de  couleurs  un  peu  éteintes, 
mais  d'un  dessin  exact  et  d'une  physionomie  pleine  de  charme. 

Il  faut  remercier  M.  Antonin  Lefèvre-Poxtalis  des  deux  gros 
volumes  qu'il  nous  a  donnés  sur  Jean  de  Witt  (Pion  et  Nourrit) . 
O'est  une  œuvre  des  plus  consciencieuses,  qui  prendra  place  dans  la 
bibliothèque  des  historiens  à  côté  de  l'excellente  histoire  de  la  Guerre 
de  Trente  ans  par  M.  Gharvériat.  M.  Lefèvre-Pontalis  a  mis  large- 
ment à  profit,  non  seulement  les  documents  imprimés  du  xvii°  s., 
mais  aussi  bon  nombre  de  documents  inédits  conservés  dans  les 


1.  Fénelon  ù   Cambrai,  d'après  sa  correspondance,    1699-1715.   Plou   el 
Nourrit. 


372  BULLETIN  HISTORIQUE. 

archives  et  dans  les  bibliothèques  de  Hollande.  Il  a  bien  distriijué 
cette  somme  considérable  de  matériaux-,  son  ouvrage,  rempli  de 
faits,  se  lit  cependant  sans  fatigue  ;  son  style  manque  d'éclat,  mais 
il  est  toujours  clair  et  précis  ;  parfois  même  le  simple  exposé  des 
faits  touche  presque  à  l'éloquence,  comme  dans  le  récit  de  l'indigne 
procès  intenté  à  Corneille  de  Witt,  et  de  la  mort  des  deux  frères;  les 
jugements  que  Fauteur  porte  sur  les  événements  et  sur  les  hommes 
sont  équitables,  inspirés  par  un  libéralisme  sincère  et  sans  parti 
pris. 

Il  était  aisé  d'ailleurs  de  parler  avec  sang-froid  d'une  époque  déjà 
si  loin  de  nous,  et  sur  laquelle  les  opinions  des  historiens  sont  main- 
tenant fixées.  L'histoire  contemporaine  ne  connaît  pas  cette  sérénité. 
Pour  la  Restauration,  passe  encore  ;  il  semble  que  cette  époque 
appartienne  plutôt  à  l'ancien  régime,  et  qu'on  puisse  l'étudier  sans 
passion,  comme  un  passé  mort  à  jamais.  Il  n'en  est  pas  de  même 
pour  le  gouvernement  de  Juillet  ;  les  hommes  ont  changé,  le  pouvoir 
s'est  déplacé,  mais  les  questions  politiques,  sociales,  religieuses,  qui 
ont  troublé  le  règne  de  Louis-Philippe,  continuent  d'agiter  notre 
époque  et  attendent  encore  une  solution  durable.  Aussi,  les  histoires 
de  ce  règne  que  nous  possédons  jusqu'ici  sont-elles  toutes  plus  ou 
moins  des  pamphlets  ou  des  plaidoyers.  M.  Paul  Tuukeau-Dangin  a 
pensé  que  l'on  pouvait  dès  maintenant  entreprendre  d'écrire  sur 
cette  époque  un  livre  impartial  et  aussi  définitif  qu'un  livre  d'histoire 
peut  rétre.  Peut-être  s'est-il  fait  un  peu  illusion  :  du  moins  l'œuvre 
considérable  qu'il  a  commencée,  et  dont  nous  avons  les  deux  pre- 
miers volumes  ',  n'échappe  pas  entièrement  à  la  loi  commune.  L'au- 
teur prend,  en  effet,  très  nettement  parti  ;  il  tient  pour  la  monarchie 
parlementaire  contre  la  république,  et  pour  les  conservateurs  contre 
les  révolutionnaires;  il  ne  cherche  pas  à  dégager  ce  qu'il  y  avait  de 
juste  dans  les  idées,  de  légitime  dans  les  réclamations  des  républi- 
cains et  même  des  socialistes.  Historien  de  réelle  valeur,  il  est  aussi 
un  polémiste  incisif  et  agressif;  si  l'on  ne  peut  dire  qu'il  ménage  ses 
amis  aux  dépens  de  la  vérité,  il  n'épargne  pas  ses  adversaires.  Le 
récity  gagne  d'ailleurs  singulièrementen  vivacité;  quelques  résistances 
qu'on  soit  tenté  d'opposer  aux  jugements  de  l'auteur,  on  se  sent 
entraîné  par  lui  à  travers  les  scènes  les  plus  variées  de  la  politique 
intérieure  et  extérieure,  et  l'on  y  trouve  autant  de  ])roflt  intellectuel 
que  de  jouissance  littéraire.  M.  Thureau-Dangin  s'arrête  à  l'année 

1.  Histoire  de  la  monarchie  de  Juillet.  Pion  et  Nourrit.  La  plupart  des 
chapitres  qui  composent  ces  deux  volumes  ont  déjà  paru  dans  le  Corres- 
pondant. 


FRANCE.  373 

^836,  après  la  chute  du  ministère  du  U  octobre.  Casimir  Périer  el 
le  duc  de  Broglie  sont  ses  héros  ;  il  a  peint  ces  deux  grandes  figures 
de  notre  histoire  parlementaire  avec  prédilection,  el  il  les  a  fait  res- 
sortir dans  un  relief  saisissant.  Souhaitons  que  la  suite  de  cette 
remarquable  histoire  ne  se  fasse  pas  attendre.  On  n'est  pas  près  de 
raconter  le  règne  de  Louis-Philippe  d'une  manière  désintéressée-, 
il  importe  peu  d'ailleurs,  si  l'on  nous  api)orte  une  étude  approfondie 
des  faits  et  si  on  les  présente  avec  sincérité;  c'est  le  cas  pour  le  livre 
de  M.  Thureau-Dangin.  Il  aura  donné  un  digne  pendant  au  livre  si 
remarquable  de  M.  K.  Hillebrand  sur  le  règne  de  Louis-Pliilijipe. 

Si  la  mort  prématurée  de  Gambetta  a  été  un  deuil,  non  seulement 
pour  ses  amis  et  pour  la  foule  de  ses  axlmirateurs,  mais  aussi  pour 
tous  ceux  qui  s'affligent  quand  ils  voient  la  France  appauvrie  d'une 
force  ou  d'un  talent,  on  peut  penser  par  contre  que  cette  brusque  el 
tragique  disparition  de  l'homme  le  plus  populaire  de  notre  pays  a 
plutôt  servi  sa  gloire.  Sans  doute  sa  riche  nature  nous  réservait 
peut-être  des  surprises;  des  circonstances  heureuses  lui  auraient 
encore  permis  de  rendre  à  la  France  les  services  que  rêvait  son 
patriotisme  ;  mais  peut-être  aussi  eût-il  succombé  devant  des  cir- 
constances plus  fortes  que  lui  ou  devant  des  défiances  que  sa  supério- 
rité même  éveillait  chaque  jour  davantage.  Aujourd'hui  sa  renommée 
bénéficie  non  seulement  de  la  sympathie  qu'éveille  la  violente  inter- 
ruption d'une  brillante  carrière,  des  souvenirs  de  l'année  terrible 
qui  font  de  l'image  de  Gambetta  le  symbole  même  de  la  résistance  à 
rétranger  et  du  patriotisme  exaspéré,  mais  aussi  de  ce  qu'il  a  rêvé, 
de  ce  qu'il  n'a  pas  pu  accomplir  et  de  ce  que  d'autres  plus  heureux 
—  ou  plus  sages  —  ont  su  accomphr  après  lui.  Depuis  qu'il  est 
mort,  on  a  mieux  vu  l'unité  de  sa  vie  et  de  sa  pensée  ;  les  injustices 
et  les  préventions  nées  de  la  lutte  politique  quotidienne  se  sont  apai- 
sées, et  tout  en  faisant  plus  ou  moins  grande  dans  son  œuvre  la  part 
des  fautes  et  des  erreurs,  tous  ceux  que  le  fanatisme  ou  la  rancune 
n'aveuglent  pas  ont  été  unanimes  à  rendre  hommage  à  ses  grandes 
qualités  d'homme  public  et  d'homme  privé.  M.  J.  Reiivach,  qui  a  pu 
assister  en  observateur  attentif  et  indépendant  aux  drames  et  comé- 
dies politiques  de  ces  dernières  années,  a  beaucoup  contribué  à  faire 
juger  Gambetta  avec  équité,  à  faire  comprendre  les  difficultés  qu'il  a 
eues  à  vaincre,  les  impossibilités  contre  lesquelles  il  s'est  heurté,  les 
intentions  qu'il  n'a  pu  réaliser;  il  a  fait  voir  en  lui,  non  un  chef  de 
parti,  mais  un  homme  d'État  préoccupé  avant  tout  des  intérêts  natio- 
naux. Il  a  publié  la  collection  complète  des  Discours  de  Gambetta, 
et  un  choix  de  ces  mêmes  discours  '  ;  il  a  donné  dans  un  volume  de 

1.  M.   Reinach  prépare  le   recueil  complet  des  dépêches  de  Gambella  au 


374  BOLLETIN   HISTORIQUE. 

la  Bibliothèque  utile  (Alcan)  une  courte  et  vivante  biographie  de  Gam- 
betta,  enfin  il  vient  d'écrire  une  Histoire  du  ministère  Gambetta  (Char- 
pentier) ,  aussi  remarquable  par  l'abondance  et  l'exactitude  des  rensei- 
gnements que  par  la  chaleur  et  la  vivacité  du  récit.  Ce  sont  des  mémoires 
d'histoire  contemporaine  d'une  grande  valeur.  Sans  doute  c'est  le 
témoignage  d^un  ami,  sans  doute  on  trouvera  que  voir  en  Gambetta 
«  le  plus  profond  politique  du  siècle,  »  c'est  décerner  une  louange 
qu'une  carrière  si  tôt  interrompue  ne  peut  guère  justifier,  et  que 
d'ailleurs  la  postérité  seule  a  le  droit  de  donner  à  un  homme  d'État; 
sans  doute  on  pourrait  beaucoup  critiquer  dans  les  projets  de  lois 
préparés  par  les  membres  du  cabinet  Gambetta,  et  où  M.  Reinach 
voit  le  programme  réfléchi  et  cohérent  des  idées  politiques  du  prési- 
dent du  conseil,  mais  en  même  temps  on  reconnaîtra  que  M.  Reinach 
a  bien  discerné  les  intentions  générales  de  Gambetta  et  les  causes 
de  sa  chute,  qu'il  a  bien  mis  en  lumière  les  raisons  de  ses  actes,  et 
qu'il  a  analysé  les  péripéties  de  ce  drame  politique  et  parlementaire 
avec  beaucoup  d'impartialité  et  de  sagacité.  La  discrétion,  le  respect 
pour  les  personnes  dont  il  ne  s'est  jamais  départi,  ajoutent  à  la 
valeur  de  son  œuvre  et  à  la  confiance  qu'inspirent  ses  récits.  Ce  n'est 
pas  un  livre  de  polémique  qu'il  a  écrit,  c'est  le  témoignage  d'un  his- 
torien perspicace  et  bien  renseigné. 

Ch.  Be'mont.        g.  MoNon. 


ROUMANIE. 


Le  5  juin  \HHZ  a  eu  lieu  l'inauguration  de  la  statue  dÉlienne  le 
Grand,  élevée  à  l'aide  d'une  souscription  nationale  dans  la  ville  de 
Jassy,  ancienne  capitale  de  la  Moldavie. 

Ce  prince,  dont  nous  avons  relevé  le  mérite  dans  un  bulletin 
précédent  ^  et  qui  régna  de  -1437  à  -1504,  produisit  une  impression 
profonde  sur  l'esprit  de  son  peuple  et  vit  encore  maintenant  dans  le 
souvenir  des  Moldaves.  Linauguration  de  la  statue  de  ce  héros  fut 
donc  une  fête  vraiment  nationale,  à  laquelle  prirent  part  des  dépu- 
tations  non  seulement  de  toute  la  Roumanie,  mais  aussi  des  pays 
habités  par  les  Roumains  qui  sont  sous  la  domination  de  l'Au- 

Gouverneinent  de  la  défense  nationale,  dont  il  a  donné   une  partie  dans  notre 
livraison  de  mars. 
1.  Voir  tome  XIX,  p.  148. 


ROCMAMK.  375 

triche,  car  le  régime  russe  ne  toléra  pas  la  participation  des  Rou- 
mains de  la  Bessarabie. 

La  grande  place  qui  s'étend  en  face  du  palais  adniinistralif  et  au 
milieu  de  laquelle  s'élevait  la  statue,  cachée  aux  regards  par  une 
couverture  en  soie,  débordait  de  monde.  Il  y  avait  au  moins 
30,000  personnes.  On  y  voyait  des  députations  venues  de  tous 
les  coins  du  pays,  à  commencer  par  celles  qui  représentaient  les 
Tihambres  législatives  jusqu'à  celles  qu'avaient  envoyées  les  com- 
munes des  endroits  illustrés  par  les  victoires  du  grand  général 
moldave.  Le  roi  en  personne  présidai!  la  solennité,  qu'il  ouvrit  par 
un  discours  éloquent  et  patriotique;  il  arracha  les  larmes  à  celle 
Ibule  immense,  lorsqu'il  finit  en  disant  qu'Etienne  le  Grand  retrou- 
vait sa  patrie  indépendante  comme  il  l'avait  laissée. 

L'aspect  de  la  place,  vue  du  grand  balcon  du  palais,  était  féerique. 
D'immenses  tribunes,  contenant  chacune  de  4  à  .j.OOO  personnes, 
réservées  aux  dames,  étalaient  au  soleil  des  toilettes  resplendis- 
santes. Au  bas  se  tenaient  les  hommes,  en  habit  noir;  le  tout  entouré 
par  l'armée,  qui  formait  une  ceinture  autour  de  la  place. 

Quand  le  roi,  à  la  fin  de  son  discours,  donna  le  signal,  le  voile  qui 
couvrait  la  statue  tomba,  et  la  majestueuse  figure  du  héros,  si  par- 
faitement exécutée  par  M.  Frémiet  de  Paris,  apparut  aux  yeux  de 
tout  le  monde.  Les  sept  corps  de  musique  militaire  qui  se  trouvaient 
réunis  sur  la  place  entonnèrent  l'hymne  national,  un  formidable 
hurrah  !  partit  de  toutes  les  bouches  et  le  canon  gronda  dans  le 
lointain. 

Le  défilé  des  députations  commença.  Chacune  d'elles,  passant 
devant  le  pavillon  où  se  tenait  le  roi,  le  saluait,  puis  allait  déposer 
sa  couronne  au  pied  de  la  statue.  Le  nombre  des  couronnes  ainsi 
déposées  dépassa  -500.  Le  roi  s'avança  ensuite  hors  du  pavillon  e( 
assista,  entouré  de  ses  généraux,  au  défilé  de  l'armée.  Le  soir  un 
grand  banquet  offert  par  la  commune  de  Jassy  à  toutes  les  députa- 
tions, dans  la  grande  salle  du  théâtre  de  la  ville,  termina  dignement 
cette  fête  nationale. 

Documents  sur  la  question  du  Danube.  —  La  question  du  Danube, 
qui  a  causé  tant  de  soucis  à  la  diplomatie  européenne  et  dans  laquelle 
la  Roumanie,  le  pays  le  plus  directement  intéressé,  a  été  injustement 
sacrifié,  a  provoqué  une  publication  historique  d'une  grande  valeur, 
où  sont  réunis  les  principaux  documents  concernant  le  régime  des 
eaux  fiuviales  en  Europe,  depuis  la  Révolution  française  jusqu'à 
ce  jour.  Elle  a  été  faite  par  le  Ministère  des  affaires  étran- 
gères de  Roumanie,  sous  la  direction  spéciale  du  savant  qui  se 
trouve  actuellement  à  la  tête  de  ce  ministère,  M.  Démèlre  Stourza. 


376  BULLETIN   HISTORIQUE. 

Elle  porte  le  tilre  de  Chestinnea  Dundrei  *  et  contient  les  actes  (rédigés 
tous  en  français)  des  congrès  et  conférences  suivantes,  concernant  le 
régime  appliqué  aux  diverses  rivières  et  fleuves  de  l'Europe  :  Con- 
vention nationale,  1792;  Congrès  deRastadt,n98  :  Traité  de  paix  de 
Paris,  ^844  ;  Congrès  de  Vienne,  -1815  ;  Congrès  dWix-la-Ghapelle, 
^8^8;  Conférence  de  Vienne,  -1 854-^857;  Congrès  de  Paris,  -1856- 
•1837;  Conférences  riveraines  du  Danube,  ^856-^859;  Commission 
européenne  du  Danube,  ^8(55;  Conférence  de  Paris,  1866;  Conférence 
de  Londres,  ^87i  ;  Congrès  de  Berlin,  ^878  ;  Conférence  de  Londres, 
1883.  Ce  volume,  grand  in-4''  de  plus  de  900  pages,  contient  environ 
700  actes,  traités,  mémoires,  correspondances  diplomatiques  entre 
les  ministres  et  les  agents  des  différents  pays,  tous  relatifs  au  régime 
des  eaux  courantes. 

C'est  toujours  la  Révolution  française,  si  féconde  en  résultats 
pour  le  principe  de  la  liberté,  qui  proclama  aussi  celle  de  la  naviga- 
tion sur  les  eaux  courantes.  Elle  posa  comme  axiome  que  «  le  cours 
des  fleuves  est  la  propriété  commune  et  inaliénable  de  toutes  les 
contrées  arrosées  par  leurs  eaux;  qu'une  nation  ne  saurait,  sans 
injustice,  prétendre  au  droit  d'occuper  exclusivement  le  canal  d'une 
rivière  et  d'em.pêcher  que  les  peuples  voisins  qui  bordent  les  rivages 
supérieurs  ne  jouissent  du  même  avantage^.  Partout  où  s'étendit  la 
domination  de  la  Républi(iue,  elle  supprima  tous  les  droits  de  péage 
et  autres  contributions  abusives  auxquelles  étaient  soumises  les 
embarcations  qui,  en  suivant  le  cours  d'une  rivière,  passaient  par 
un  territoire  étranger.  Les  généraux  de  la  République  furent  chargés 
d'appliquer  le  principe  de  la  liberté  de  navigation  d'abord  sur  le 
Rhin,  ensuite  sur  la  Meuse,  et  ces  idées  libérales  furent  adoptées  plus 
tard  au  (Congrès  de  Vienne,  ([uoique  la  nation  qui  les  avait  procla- 
mées pour  la  première  fois  fût  écrasée  par  le  nombre  et  subit  la  loi 
du  vainqueur. 

Parallèlement  au  principe  de  la  liberté  de  navigation  de  tous  les 
pavillons  sur  les  eaux  courantes,  nous  voyons  en  surgir  un  autre 
qui  n'a  jamais  été  enfreint  jusque  dans  ces  derniers  temps,  où  il  fut 
sacrifié  par  l'Europe  entière  aux  intérêts  de  l'Autriche ,  celui  : 
«  qu'aucun  État  riverain  ne  soit  (jêné  dans  rexercice  de  ses  droits  de 
souveraineté,  par  rapport  au  commerce,  »  que  la  police  des  cours 
d'eau,  loul  en  devant  être  uniforme  et  fixée  d'un  commun  accord, 


1.  Ministeriul  afacerilor  streine.  —  Chestiunea  Dunôrei,  acte  si  documente. 
Bucuresti.  1883. 

2.  Extrait  des  registres  des  délibérations  du  conseil   exécutif  provisoire  du 
20  novembre  1792.  Chestiunea  Dunnrei,  p.  1. 


RODMANtE.  377 

«  ne  doit  point  entraver  celle  que  ces  États,  en  vertu  dr  leur  droit 
de  souveraineté,  sont  appelés  à  exercer  sur  les  rivières  K  » 

Ce  respect  des  droits  de  souveraineté  des  pays  que  traverse  une 
rivière,  tout  en  proclamant  le  principe  si  salutaire  de  la  liberté  de 
navigation,  détermina  le  mode  de  composition  des  commissions 
chargées  de  veiller  aux  intérêts  du  commerce.  L'article  2  du  Règle- 
ment concernant  la  libre  navigation  des  rivières,  annexé  au  document 
du  Congrès  de  Vienne  de  1815,  dispose  que  :  «  chaque  état  riverain 
nommera  un  commissaire  pour  former  la  commission  centrale.  Le 
président,  qui  sans  autre  prérogative  sera  chargé  de  la  direction 
générale  des  travaux,  sera  désigné  par  le  sort^.  »  On  voit  bien  que 
pour  le  Rhin  il  ne  s'agissait  que  de  la  surveillance  dïutérèts  i)ure- 
ment  commerciaux,  et  que  ceux-ci  n'étaient  pas  invoqués  comme 
prétexte  pour  exercer  une  prépondérance  politique. 

Tous  les  documents  postérieurs  à  ceux  que  nous  venons  de  citer 
confirment  ces  principes,  aussi  justes  que  profitables  aux  nations 
qui  les  mirent  en  pratique,  et  le  volumineux  recueil  de  M.  Stourza 
n'a  pas  d'autre  but  que  celui  de  donner  une  complète  démonstration 
historique  de  la  thèse  soutenue  par  l'État  roumain  :  de  l'injustice 
des  prétentions  autrichiennes. 

L'Église  rodmaine.  —  Le  patriarche  de  Gonstantinople  apprenant 
que  l'huile  sainte,  que  le  pays  faisait  venir  auparavant,  avec  d'assez 
grands  frais,  de  Gonstantinople,  avait  été  cette  lois-ci  (dans  le  cou- 
rant de  ^  883)  sanctifiée  dans  le  pays,  adressa  au  Métropolitain  primat 
de  Roumanie  une  admonition  assez  sévère  dans  laquelle  il  impute 
aux  évêques  roumains  d'avoir  porté  atteinte  aux  droits  de  l'église 
patriarchale,  et  les  somme  de  renoncer  à  cet  abus,  ainsi  qu'à  d'autres 
qui  se  seraient  introduits  dans  l'église  roumaine,  entre  autres  l'adop- 
tion du  calendrier  grégorien. 

Le  Métropolitain  soumit  cette  missive  au  saint  Synode  roumain, 
lequel  chargea  Mgr  Melchisédek,  évéque  de  Roman,  le  plus  savant 
des  prélats  roumains,  de  rédiger  une  réponse  qui  mit  pleinement  en 
lumière  l'autonomie  de  l'église  roumaine  et  son  indépendance  hié- 
rarchique à  l'égard  du  siège  de  Gonstantinople,  avec  lequel  elle 
n'aurait  qu'une  communauté  de  dogmes. 

Mgr  Melchisédek,  dans  une  réponse   aussi  habile  que  savante, 

î.  Protocole  de  la  2'^  conférence  du  congrès  de  Vienne  relaliC  à  la  libre  navi- 
gation des  rivières,  8  février  1815.  Chestiunea  Dunârei,  p.  12  et  13. 

2.  Règlements  concernant  la  libre  navigation  des  rivières.  Annexe  n»  IG  de 
l'art,  final  du  Congrès  de  Vienne  du  5  juin  1815,  n"  2.  Articles  concernant  la 
navigation  du  Rhin.  Art.  11,  Chestiunea  Dunârei,  p.  117. 


378  BULLETIN  HISTORIQUE. 

réfute  tant  par  le  droit  canon  que  par  l'histoire  les  prétentions  de 
l'église  de  Gonstantinople  à  la  suprématie  ;  sans  nous  occuper  de  la 
partie  canonique,  nous  allons  exposer  succinctement,  et  d'après  le 
travail  deMgrMelcliisédek,  les  faits  historiques  qui  établissent,  selon 
nous  d'une  manière  victorieuse,  l'autonomie  de  l'église  roumaine  '. 

Le  28''  canon  du  quatrième  concile  œcuménique,  tenu  à  Ghalcé- 
doine  en  ^31,  dispose  que  les  évêchés  des  provinces  du  Pont,  de 
l'Asie  et  de  la  Thrace,  ainsi  que  les  évêques  desdites  provinces  qui 
se  trouveraient  au  milieu  des  barbares,  seront  soumis  au  siège  patriar- 
chal  de  Gonstantinople.  G'est  sur  cette  disposition  que  le  patriarche 
veut  surtout  fonder  ses  prétentions  à  la  suprématie  du  siège  de 
Gonstantinople  sur  les  pays  roumains,  car,  dit-il,  par  les  barbares 
qui  sont  compris  dans  le  diocèse  de  Thrace  on  ne  pourrait  entendre 
que  les  peuples  de  la  Dacie  et  par  conséquent  les  Roumains. 
Mgr  Melchisédek  repousse  cette  assertion  en  se  fondant  sur  une 
interprétation  de  ce  canon  contenu  dans  la  collection  des  canons  de 
l'éghse  orthodoxe,  le  Pidalion,  qui  entend,  par  ces  barbares,  les 
Âlains  et  les  Russes,  et  non  les  Roumains.  Rœsler  repoussait  aussi 
l'interprétation  soutenue  par  le  patriarche,  mais  pour  un  autre 
motif;  d'après  lui,  le  canon  parle  des  barbares  qui  se  trouveraient 
dans  l'intérieur  du  diocèse  de  Thrace  et  non  de  ceux  ([ui  habiteraient 
au  delà  des  confins  de  l'empire^.  Nous  pensons  que  le  patriarche  a 
pleinement  raison  sur  ce  point  et  que  les  Roumains,  qui  étaient  chré- 
tiens encore  du  temps  de  la  domination  romaine^,  étaient  les  seuls 
peuples  indiqués  comme  barbares  dans  le  diocèse  de  Thrace. 

Mais,  quand  même  les  Roumains  de  la  Dacie  trajane  auraient  été  à 
l'origine  soumis  à  l'autorité  spirituelle  du  siège  de  Gonstantinople, 
riiistoire  ultérieure  de  leur  église  prouve  d'une  manière  évidente 
qu'ils  ont  passé  sous  une  autre  autorité  religieuse  et  que  plus  tard 
ils  se  sont  complètement  émancipés  de  toute  dépendance  spirituelle. 

L'empereur  Justinien  (527-565),  voulant  relever  l'importance  de  sa 
ville  natale,  Prima  Justiniana,  située  quelque  part  sur  le  Danube, 

1.  Outre  la  réponse  du  Saint-Synode,  nous  utilisons  les  écrits  suivants  de 
Mgr  Melchisédek  :  Chronica  Husului,  si  a  episcopiei  eu  asemine  numire, 
Bucuresti,  1865,  et  Chronica  Romanului  si  a  episcopiei  de  Roman,  Bucuresli, 
1875.  Mgr  Melchisédek,  ayant  été  nommé  successivement  évêque  à  Housche 
et  à  Roman,  jjuhlia  d'après  les  archives  de  ces  deux  évêchés  leur  chronique, 
ainsi  que  celles  des  villes  où  ils  sont  établis. 

2.  Romaenische  Studien,  Untersuchungen  zur  aelteren  Geschichte  Romœniens. 
Leipzig,  1871,  p.  91. 

3.  A  preuve  les  nombreux  termes  chrétiens  d'origine  latine,  tels  que  :inger, 
crestin,  dumnezeu,  cruce,  biserica,  blaslem,  pacat,  pagln,  botez,  cuminica- 
iura,  allar,  templa,  etc. 


ROUMANIE.  37!» 

dispose  par  la  Novelle  XI  que  l'évêque  rie  celte  ville  prendrait  le 
titre  d'archevêque  et  lui  soumet  plusieurs  provinces  de  la  péninsule 
balkanique,  ainsi  que  les  pays  situés  au  nord  du  Danube. 
Au  temps  de  la  conquête  de  la  Mœsie  par  les  Bulgares  cl  après  que 
ceux-ci  eurent  été  convertis  au  christianisme,  l'archevêché  de  Prima 
.lustiniana  devint  un  siège  bulgare  dont  le  titulaire  prit  le  titre  de 
Patriarche  et  devint  indépendant  du  chef  de  l'église  grecque  de 
Gonstantinople  ^  Gomme  la  domination  des  Bulgares  s'étendait  aussi 
sur  la  rive  gauche  du  Danube,  les  Roumains  arrivèrent  à  être  soumis 
à  une  autre  juridiction  spirituelle  que  celle  du  siège  de  Gonstanti- 
nople,  c'est-à-dire  à  celle  de  l'église  de  l'empire  bulgare,  dont  ils 
dépendaient  aussi  politiquement.  La  capitale  du  premier  empire  bul- 
gare fut  d'abord  Preslaw,  ensuite  quelques  autres  villes,  et  en  dernier 
lieu  Ohrida,  quelques  années  avant  la  destruction  de  l'empire  bul- 
gare par  l'empereur  Basile  II,  le  Bulgarochtone  (101  s).  Gette  ville 
était  située  dans  les  montagnes  de  la  Macédoine.  Voilà  pourquoi  on 
trouve  toujours  l'archevêque  d'Ohrida  portant  le  titre  d'archevêque 
de  Prima  Justiniana,  des  Bulgares  et  des  pays  du  Nord  -.  Gette  même 
circonstance  explique  aussi  que,  dès  les  plus  anciens  temps  dont  on 
ait  connaissance,  l'église  de  Valachie  tout  comme  celle  de  Moldavie 
dépendait  du  patriarche  d'Ohrida^.  Gomme  ces  pays  avaient  été 
soumis  par  Justinien  à  l'autorité  de  l'archevêque  de  Prima  Justi- 
niana, et  que  cet  archevêché  fut  changé  en  un  patriarchat  bulgare 
qui  exerçait  son  autorité  aussi  au  nord  du  fleuve,  les  pays  roumains 
restèrent  soumis  à  son  autorité  dans  tous  les  endroits  où  il  trans- 
porta sa  résidence,  et  en  dernier  lieu  à  Ohrida. 

Le  patriarche  de  Gonstantinople  essaya  plus  tard,  du  temps 
d'Alexandre  le  Bon,  d'enlever  la  Moldavie  au  siège  d'Ohrida,  lequel 
était  alors  bien  déchu  de  son  ancienne  splendeur,  et  réussit  à  le  faire 
pour  quelques  années  ''.  Mais  ensuite  le  patriarche  de  (Gonstanti- 
nople, sollicité  par  l'empereur,  dont  le  trône  vacillant  était  près  de 
succomber  sous  la  main  victorieuse  de  Mahomet  II,  implora  le 
secours  du  pape  ;  celui-ci  mit  comme  condition  que  l'église  d'Orient 
serait  soumise  au  siège  de  Rome.  Le  concile  de  Florence  devait  régler 
cette  importante  affaire  (1437).  Les  pays  roumains  refusèrent  d'ac- 

1.  Nicéphore  Grégoras,  éd.  de  Bonn,  I,  p.  27  :  «  icat  [).-r\ip6nrAiç  BoyXyapta; 
■OirpwTr)  'loyffTwiavri.Coinp.  Jirecek,  GeschichtederBi(lgareti.Priii;ue,\87G,]>.  1G8. 

2.  Voir  les  citations  dans  Melchisédek,  Chronica  Jiomamdui,  p.  54  et  suiv. 

3.  Voir  entre  autres  :  Acta  patriarchaius  Constantinopolilani,  M  CGC  XV- 
M  CCCC  II.  Ed.  Miklosiscli  et  Millier.  Vienne,  1860, 11,  p.  230. 

4.  Emile  Picot  et  Georges  Bengesco,  Alexandre  le  Bon,  prince  de  Moldavie 
(1401-1433),  p.  50. 


380  BULLETIN  HISTORIQUE. 

cepler  celle  condition,  mais  le  patriarche,  fort  de  son  autorité  nou- 
vellement acquise  sur  la  Moldavie,  fit  représenter  celle-ci  au  concile 
par  un  moine,  un  certain  Damien,  qui  prit  le  titre  de  Métropolitain 
de  Moldavie.  Les  pays  roumains,  mécontents  de  celle  conduite, 
s'adressèrent  alors  de  nouveau  à  Ohrida  et  renouèrent  les  relations 
avec  leur  ancienne  métropole  qui  elle  aussi  avait  refusé  de  participer 
au  concile  de  Florence.  Aussi  voyons-nous  en  i  457  Etienne  le  Grand, 
prince  de  Moldavie,  s'adresser  à  Ohrida  pour  la  consécration  d'un 
Métropolitain  ^ ,  et  les  pays  roumains  continuent  de  rester  sous  la 
dépendance  de  ce  siège  jusqu'en'! 768,  où  les  Turcs  le  détruisent. 

A  partir  de  cette  époque  le  patriarche  de  Constantinople,  qui  n'était 
plus  qu'un  instrument  docile  de  la  politique  des  sultans,  s'efforça  de 
ramener  à  lui  les  églises  moldave  et  valaque,  soutenu  dans  cette 
tentative  par  les  princes  grecs  (phanariotes)  qui  régnaient  dans  les 
pays  roumains.  Mais  le  siège  de  Constantinople  n'aboutit  qu'à 
exploiter  l'église  roumaine  de  la  manière  la  plus  ignominieuse,  sans 
jamais  acquérir  une  autorité  légitime  sur  les  archevêchés  de  Bucha- 
resl  et  de  Jassy. 

La  renaissance  des  Roumains  devait  travailler  à  émanciper  aussi 
leur  église  du  joug  grec,  sous  lequel  elle  était  tombée.  Voilà  pour- 
quoi le  premier  acte  du  prince  Couza  fut  de  séculariser  les  biens  des 
couvents.  Cette  mesure  rendit  rËlat  roumain  propriétaire  d'une 
immense  étendue  de  pays  qui  était  passée  de  fait,  par  des  moyens 
in(|ualinables,  dans  les  mains  des  moines  grecs.  Depuis  lors  les 
Houmains  sont  considérés  par  l'église  de  Constantinople  comme  ses 
ennemis  les  plus  acharnés,  et  ces  relations  si  peu  amicales  expliquent 
bien  mieux  l'encyclique  du  patriarche  que  les  prétendus  droits  qu'il 
s'arroge  sur  la  Roumanie. 

Ajoutons  à  cet  exposé  un  épilogue  assez  curieux  : 

A  la  nouvelle  des  dissentiments  qui  existaient  entre  l'église  rou- 
maine et  celle  de  Constantinople,  le  pape  crut  peut-être  qu'il  allait 
se  produire  des  scènes  de  violence,  pareilles  à  celles  qui  dix  années 
auparavant  avaient  amené  l'excommunication  du  peuple  bulgare  de  la 
part  du  patriarche  ;  il  pensa  que  le  moment  était  venu  d'attirer  les 
Roumains  dans  le  sein  de  l'église  catholique  et  se  hâta  d'élever 
Mgr  Paoli,  évêque  catholique  de  Bucharest,  au  rang  d'archevêque. 
Il  y  eut  bien  quelques  personnes   qui  s'alarmèrent  de  ce  fait  et 


1.  Chronique  de  Moldavie  depuis  le  milieu  du  xiv''  siècle  jusqu'à  l'an  1594, 
par  Grégoire  Urèche,  texte  roumain  avec  traduction  française,  notes  histori- 
ques, tableaux  généalogiques,  glossaire  et  table  par  Emile  Picot.  Paris,  1878, 
p.  90. 


ROUMANIE.  384 

Mgr  Melchisédek  crut  devoir  publier  un  réeil,  des  ellbrU  Lentes  i)ar 
l'église  catholique  dans  les  pays  roumains,  depuis  les  temps  les  plus 
reculés,  pour  prouver,  l'histoire  en  main,  que  ses  efforts  ont  Ion- 
jours  été  infructueux  ^ 

Travaux  de  l'Agadémik  roumaine.  —  L'Académie  roumaine  com- 
prend trois  sections,  une  philologique  et  littéraire,  la  seconde  histo- 
rico-archéologique  et  la  troisième  pour  les  sciences  naturelles.  La 
section  historique  a,  d'après  les  statuts,  les  attributions  suivantes  : 
de  recueillir,  tant  dans  les  pays  roumains  qu'à  l'étranger,  toutes 
sortes  de  documents  qui  intéressent  l'histoire  des  Roumains  ; 
d'organiser  des  missions  tant  dans  ce  but  que  dans  celui  d'explorer 
les  régions  habitées  par  les  Roumains  au  point  de  vue  archéolo- 
gique ;  de  mettre  au  concours  et  accorder  des  prix  aux  œuvres 
historiques  qu'elle  jugera  utile  de  populariser. 

Grâce  à  de  généreux  donateurs,  la  collection  des  documents  de 
l'Académie,  dont  plusieurs  d'une  haute  valeur  historique,  monte  déjà 
à  quelques  miniers  ;  elle  ne  peut  pourtant,  faute  d'argent,  être 
pubhée,  car  bien  que  l'Académie  possède  un  certain  capital,  assez 
considérable  même  pour  le  court  espace  de  temps  écoulé  depuis  qu'elle 
existe,  le  revenu  en  suffit  à  peine  à  ses  dépenses  ordinaires  et  aux 
prix  qu'elle  est  tenue,  d'après  la  disposition  des  testaments  faits 
en  sa  faveur,  d'accorder  à  différents  genres  de  travaux.  L'Académie 
ne  publie  pour  le  moment  que  la  collection  des  Documents  relatifs 
à  l'histoire  des  Roumains,  extraits  des  Archives  de  Vienne  par  feu  le 
baron  Eudoxe  de  Hodrmouzaki.  Le  dernier  volume,  paru  à  la  fin  de 
l'année 'l 882,  contient  les  documents  de  ^GOO-iOîl)  au  nombre  de 
629  pièces,  qui  se  rapportent  à  l'une  des  époques  les  plus  impor- 
tantes de  l'histoire  des  Roumains,  celle  de  Michel  le  Brave,  Basile  le 
Loup  et  Matthieu  Bassaraba  ^.  Mais  cette  publication  se  fait  à  l'aide 

1.  Papismul,  si  starea  actuala  a  bisericei  orthodoxe  in  regalul  Ronianiei 
de  EpiscopuI  Melchisédek.  Bucuresti,   1883. 

2.  Documente  privitoare  la  Istoria  Romùnilor  culese  de  Eudoxiu  de  Hurmu- 
zaki.  Publicate  sut  auspiciile  Miiiisteriului  cultelor  si  al  instiuctiuuei  publiée 
si  a  le  Academici  romane.  Volumul  IV,  partea  I,  1600-1649.  Bucuresti,  1882. 
Soccec  et  Teclu.  Un  vol.  de  xxxvi  et  708  pages. 

Les  autres  volumes  sont  les  suivants  : 

Volumul  111,  1576-1599,  de  xxx  et  600  pages,  contenant  341  documents  et  un 
appendice  qui  comprend  les  documents  découverts  par  M.  C.  Exarho  dans  les 
archives  de  Venise,  relatifs  à  la  même  époque,  au  nombre  de  102,  avec  un 
Index. 

Volumul  VI,  1700-1750,  de  xxiii  et  697  pages,  contenant  355  documents,  avec 
un  Index. 

Volumul  VII,  1750-1813,  de  XXXII  et  584  pages,  contenant  278  documents  avec 
un  Index.  Trois  volumes  restent  encore  à  publier  :  1,  Il  et  V. 


382  BULLETIN  HISTORIQUE. 

d'une  subvention  du  Ministère  des  cultes,   auquel  le  défunt  avait 
légué  sa  collection  à  la  charge  de  la  publier. 

Une  mission  confiée  à  M.  Nicolas  Densouchanou,  ex-bibliothécaire 
de  l'Académie,  en  vue  de  découvrir  de  nouveaux  documents,  a  été 
particulièrement  féconde  en  résultats.  M.  Densouchanou  était  chargé 
de  rechercher  dans  les  archives  et  bibliothèques  de  la  Hongrie  et  de 
la  Transj'lvanie  ce  qui  se  rapporte  à  la  révolution  des  Roumains  de 
ce  dernier  pays,  lorsqu'en  \  785  ils  se  soulevèrent  sous  la  conduite 
des  trois  chefs  :  Nicolas  Oursou  Horia,  Jean  Closchka  et  Georges 
Crichianou.  Cette  révolution  eut  pour  cause,  on  le  sait,  l'oppression 
séculaire  dont  les  Roumains  souffraient  de  la  part  des  nations  privi- 
légiées de  la  Transylvanie  :  les  Hongrois,  les  Szèkles  et  les  Alle- 
mands; cependant  son  caractère  fut  entièrement  faussé  par  les 
écrivains  des  nations  qui  avaient  intérêt  a  cacher  le  véritable  molif 
du  mouvement.  On  le  présenta  comme  un  brigandage  organisé  pour 
dépouiller  de  leurs  biens  les  gens  riches,  et  l'on  passa  soigneusement 
sous  silence  l'oppression  intolérable  dans  laquelle  vivaient  à  cette 
époque  les  Roumains  de  la  Transylvanie.  H  était  temps  que  ces 
martyrs  d'une  juste  cause  fussent  réhabiUtés  aux  yeux  de  la  posté- 
rité, et  la  mission  de  M.  Densouchanou  a  pleinement  atteint  ce  but. 
Une  histoire  de  cette  révolution  basée  sur  de  nombreux  documents 
fera  taire  les  passions  et  laissera  libre  parole  à  la  vérité  ' .  Les  plus 
importants  de  ces  documents  sont  :  l'interrogatoire  fait  par  le  comte 
Jancovits  à  Nicolas  Oursou  ou  Horia.  chef  de  la  révolution  de  -1785, 
qui  contient  H  S  demandes  et  réponses;  l'interrogatoire  fait  par  le 
même  au  capitaine  Jean  Closchka  en  ^ 04,  demandes  et  réponses; 
l'interrogatoire  du  capitaine  Georges  Crichianou  en  47  demandes  et 
réponses;  l'interrogatoire  du  capitaine  Uibar  Oursou;  celui  d'Alexan- 
dre Chendi,  le  secrétaire  de  Horia;  le  testament  de  Horia  et  de 
Closchka,  écrit  par  le  prêtre  Nicolas  Ratz,  d'Alba  Julia  ;  la  sentence 
prononcée  par  le  comte  Jancovits  contre  Horia  et  Closchka  ;  les 
ordres  de  Tempereur  Joseph  II  adressés  au  comte  Jancovits,  au  gou- 
vernement de  la  Transylvanie,  à  la  chancellerie  aulique,  aux  com- 
mandants militaires  de  Bude  et  de  Sibiou,  tous  ayant  pour  objet  la 
révolution  de  Horia;  les  rapports  du  comte  Jancovits,  du  gouverne- 
menl  de  la  Transylvanie  et  de  la  chancellerie  aulique  dans  la  même 


1.  M.  Alfred  Rainbaiid  a  exposé  l'histoire  de  cette  révolution  des  Roumains 
de  la  Transylvanie  dans  quelques  leçons  éloquentes  faites  à  la  Sorbonne  au 
comniencenieiit  de  cette  année  1884.  C'est  ainsi  que  la  France  s'est  chargée  de 
célébrer  le  centenaire  des  héros  roumains,  qui  ne  saurait  être  célébré  dans  leur 
propre  pays. 


ROUMANIE.  383 

question  ;  les  plaintes  des  Roumains  et  celles  de  la  classe  féodale 
adressées  à  rempereui-  Joseph  II  et  au  comte  Jancovits  ;  l'enquête 
faite  par  le  conseiller  Michel  Bruckenthal  sur  les  causes  de  cette 
révolution  ;  la  Uste  des  Roumains  qui  à  la  suite  de  ces  événements 
furent  éloignés  de  la  Transylvanie  et  etai)lis  dans  le  district  de  Pan- 
ciova;  les  rapports  où  l'évoque  roumain  Gédéon  Nechitici  expose 
les  efforts  qu'il  fit  pour  calmer  les  Roumains  ;  les  circulaires  et  les 
lettres  adressées  par  Horia  au  peuple  et  à  dilféronles  j)ersoimes  *. 

Le  nombre  des  actes  relatifs  à  la  révolution  de  Horia,  copiés  i)ar 
M.  Densouchanou,  atteint  le  chiffre  de  785  ! 

En  dehors  de  cette  importante  collection  qui  a  coûté  à  M.  Densou- 
chanou -15  mois  de  travail  assidu,  il  rencontra  au  cours  de  ses 
recherches  une  foule  d'autres  documents,  manuscrits,  livres  rares 
relatifs  aux  Roumains,  entre  autres  plusieurs  manuscrits  des  chro- 
niques roumaines  déjà  publiées,  mais  qui  contiennent  des  variantes  ou 
des  additions  aux  textes  connus  jusqu'à  ce  jour,  et  qui  pourraient  être 
utilisés  avec  fruit  pour  une  édition  critique  des  chroniqueurs  rou- 
mains^, l'importante  collection  de  documents  qui  servit  à  Georges 
Schinkai,  à  la  fin  du  siècle  passé,  pour  la  rédaction  de  son  œuvre 
capitale  :  la  Chronique  des  Roumains;  enfin  plusieurs  traités  ori- 
ginaux conclus  entre  les  princes  des  pays  roumains  et  ceux  de  la 
Transylvanie. 

La  collection  entière  de  M.  Densouchanou  se  compose  de  38  vo- 
lumes manuscrits,  de  documents,  extraits,  notices,  d'un  grand  nombre 
de  photographies ,  de  deux  tableaux  anciens  à  Thuile,  de  plusieurs 
portraits,  dessins  et  fac-similés,  ainsi  que  de  trois  copies  de  la 
médaille  de  Horia  ^ . 

Une  seconde  collection  de  documents  d'une  grande  importance  a 
été  recueillie  dans  les  Archives  du  Ministère  des  affaires  étrangères 
de  France,  par  M,  A.  J.  Odobkscou,  ex-professeur  d'archéologie  à 
l'Université  de  Bucharest,  actuellement  premier  secrétaire  de  la  léga- 
tion roumaine  à  Paris. 

Ces  archives  contiennent  plus  de  8,000  volumes  in-folio,  de 
manuscrits,  dont  la  classification  en  différents  fonds  a  été  terminée 
par  la  Commission  des  archives  diplomatiques  sous  la  présidence  de 

1.  Analele  Academiei  romane.  Séria  II,  lomul  II.  Sediiitcle  ordinare  din 
1877-80,  si  sesiunca  generala  a  anului  1880,  Sectiunea  I,  Partea  adriiinislrativa 
si  desbatirele.  Bucuresti,  1881,  p.  104. 

2.  La  seule  édition  critique  d'une  chronique  roumaine  qui  existe  jusqu'à  ce 
jour  est  celle  qu'a  publiée  à  Paris  M.  Emile  Picot,  professeur  de  roumain  à 
l'école  des  langues  orientales  vivantes.  Voir  plus  haut  le  litre  de  l'ouvrage. 

3.  Analele  Academiei,  p.  117. 


384  BULLETIiV   HISTORIQDE. 

l'illustre  et  regretté  historien  français  Henri  Martin.  Quoique  tous 
ces  fonds  puissent  contenir  des  documents  relatifs  à  l'histoire  des 
Roumains,  M.  Odobescou  s'est  arrêté  d'abord  au  fonds  turc,  lequel 
devait  attirer  particulièrement  son  attention,  à  cause  de  la  dépen- 
dance dans  laquelle  se  sont  trouvées  les  provinces  roumaines  durant 
une  longue  période  de  leur  histoire  à  l'égard  de  l'empire  ottoman. 
Ce  fonds  se  compose  de  225  volumes  in-folio  et  va  de  Tannée  1570, 
époque  où  s'établit  la  première  ambassade  française  à  Gonstanti- 
nople,  jusqu'en  -1814,  année  jusqu'à  laquelle  les  archives  sont  livrées 
au  public.  Les  documents  deviennent  nombreux  et  intéressants  à 
partir  de  l'année  1630.  M.  Odoiîescou  a  dû  parcourir  page  à  page 
tous  ces  énormes  in-folio,  car  bien  souvent  les  passages  qui  inté- 
ressent l'histoire  des  Roumains  se  trouvent  intercalés  dans  les  textes 
relatifs  aux  relations  de  la  France  avec  l'empire  Ottoman.  Il  est 
arrivé  avec  son  travail  jusqu'en  ^91  et  a  extrait  des  184  volumes 
du  fonds  turc,  consultés  jusqu'à  prévSenl^  ^,144  documents  ou  notices 
sur  les  pays  roumains. 

D'après   ce  que  M.  Odobescou  nous  dit   dans   son  rapport  au 
Ministre  de  l'instruction  publique  ',  qui   Ta   chargé  de  faire  ces 
recherches,  ces  documents  contiendraient  des  données  d'un  haut 
intérêt  1"  sur  le  rùle  politique  joué  par  Matthieu  Basaraba,  prince  de 
Valachie(  1632- 1654),  dans  les  affaires  politiques  de  l'Orient;  2°  sur 
les  menées  des  diplomates  français  de  Gonstantinople  à  l'ellét  de 
compromettre  aux  yeux  de  la  Porte  le  prince  de  Valachie  Constantin 
Brancovanou,  lequel  fut  par  la  suite  décapité;  3"  sur  l'influence  de 
la  famille  des  Mavrocordato,  dont  plusieurs  membres  furent  princes 
dans  les  pays  roumains,  sur  les  relations  de  la  Porte  avec  les  puis- 
sances occidentales  ;  4°  sur  les  succès  des  Jésuites  en  Orient  à  la 
suite  de  leurs  liaisons  avec  cette  puissante  famille  ;  5»  sur  les  rela- 
tions de  la  famille  des  Ghyca  (dont  un  membre,  le  prince  Grégoire 
Ghyca,  fut  décapité  par  les  Turcs,  après  le  rapt  de  la  Bucovine  par 
lAutriche)  avec  les  ambassadeurs  français  ;  6"  sur  le  rôle  d'agents 
poUtiques  attribué  par  la  Sublime  Porte  aux  princes  fanariotes,  qui 
donna  le  jour  à  Timportante  correspondance  diplomatique  du  cheva- 
lier de  Genfz  avec  les  liospodars  de  Valachie  (1813-1828)  -,  etc.,  etc. 
M.  Odobescou  poussera  maintenant  ses  recherches  de  ^92  à  ^8^4 
et  il  exprime  dans  son  rapport  l'espoir  que,  grâce  à  la  bienveillance 
du  gouvernement  français,  il  lui  sera  peut-être  permis  d'aller  jus- 
qu'en ^S30. 


1.  Voir  le  journal  Românul,  n"  des  19,  20,  21,  22  octobre  1883, 

2.  Publiée  eu  3  voUmies  par  le  comte  Prokesch-Osleu  lils.  Paris,  Pion,  1877. 


ROUMANIE.  385 

Le  ministère  a  fait  remettre  ces  documents  à  l'Académie  ;  mais 
nous  craignons  bien  qu'ils  ne  voient  le  jour  que  lorsque  la  collection 
de  Hourmouzaki  sera  entièrement  publiée. 

Parmi  les  œuvres  présentées  pour  les  prix  d'bistoire  que  l'Acadé- 
mie propose  depuis  plusieurs  années  déjà,  trois  seulement  ont  pu 
obtenir  cette  distinction  ;  la  première  est  une  Étude  sur  les  peuples 
qui  ont  habité  le  territoire  de  la  Dacie  trajane  avant  la  com/urte 
romaine,  par  M.  Grégoire  Tocilkscou,  directeur  du  musée  d'anti- 
quités de  Bucharest  et  actuellement  sous-secrétaire  d'État  au  minis- 
tère de  l'instruction  publique.  Nous  en  avons  rendu  compte  dans  un 
bulletin  précédente  La  seconde  est  une  Introduction  à  /'histoire  de 
l'archéologie,  par  M.  A.  J.  Odobescou^,  de  qui  nous  venons  de  men- 
tionner la  collection  de  documents  extraits  des  archives  françaises. 

Ayant  été  chargé  du  cours  d'archéologie  générale  à  la  faculté  des 
lettres  de  Bucharest,  il  fit  imprimer  ses  leçons,  qui  par  leur  forme 
attrayante  réunissaient,  malgré  l'aridité  du  sujet,  un  nombreux  audi- 
toire. L'objet  de  l'archéologie,  tel  que  le  détermine  M.  Odobescou, 
est  des  plus  vastes.  Il  embrasse  toute  la  vie  physique,  morale  et 
esthétique  des  temps  anciens.  Après  avoir  passé  en  revue  l'antiquité, 
classé  toutes  les  sources  qui  peuvent  jeter  de  la  lumière  sur  la  vie  de 
ses  peuples  et  les  avoir  analysées  sommairement,  M.  Odobescou  passe 
à  la  Renaissance.  Le  tableau  qu'il  trace  du  réveil  des  esprits  au  con- 
tact des  restes  légués  par  l'antiquité  est  aussi  savant  qu'éloquent. 
Les  monuments  les  plus  remarquables  qui  furent  tirés  par  les  érudits 
et  les  savants  des  décombres  où  ils  étaient  ensevelis,  sont  décrits  et 
analysés  de  main  de  maître  :  la  table  de  Peutinger  avec  les  savants 
commentaires  de  M.  Desjardins,  la  Notitia  dignitafum  et  adminis- 
trationum  avec  les  commentaires  de  Guido  Panciroli,  le  tableau  des 
noces  Aldobrandines  avec  les  études  de  Winckelmann,  la  numis- 
matique primitive  de  l'Italie,  la  peinture  religieuse,  les  masques 
anciens,  en  un  mot  une  foule  innombrable  de  faits  se  groupent  d'une 
manière  méthodique,  et  dessinent  à  grands  traits  le  cadre  pour  ainsi 
dire  incommensurable  de  la  science  archéologique. 

Les  dernières  leçons  sont  consacrées  à  la  numismatique  des  xvii^ 
et  xviii"  siècles,  aux  découvertes  des  antiquités  chrétiennes,  cata- 
com.bes,  basiliques,  mosaïques,  à  l'étude  des  antiquités  byzantines 
et  orientales  et  à  une  foule  d'autres  faits  qui  complètent  autant  que 
possible  le  domaine  de  cet  enseignement. 

1.  Revue  historique,  lome  XIX,  j).  153. 

2.  Ixtoria  Archeologiei.  Sludiu  introductiv  la  accasta  slunta.  Prlegeri  linule 
la  taciiltalea  de  litere  din  Bucuresti  de  A.  J.  Odobescu.  I.  Anticitatea.  Rciiasterca. 
Bucuresli,  1877. 

Rev.  Histor.  XXV.  2^  fasc.  25 


38G  BULLETIX    HISTORIQUE. 

Dans  le  cours  de  son  travail,  M.  Odobescou  n'oublie  jamais  de  men- 
tionner tout  ce  qui  peut  intéresser  d'une  manière  plus  directe  la  vie 
du  peuple  roumain.  Ainsi  il  analyse  les  quelques  phrases  du  natura- 
liste Pline  sur  le  caractère  des  Daces  ;  il  étudie  dans  le  plus  grand 
détail  la  question  du  pont  de  Trajan  sur  le  Danube,  les  bas-reliefs 
de  la  colonne  trajane,  les  indications  relatives  à  l'Orient  contenues 
dans  la  Notitia  dignitatum.  Lorsqu'il  traite  de  la  peinture,  il  n'omet 
pas  de  faire  ressortir  le  caractère  spécial  de  la  i)einture  roumaine 
d'images,  sur  le  fonds  général  de  la  peinture  byzantine.  A  propos 
des  Runes  Scandinaves  il  rappelle  l'inscription  gothique  du  plateau 
d'or  massif  trouvé  à  Pelroasa  près  de  Buzéou,  dans  la  Valachie,  qui 
prouve  que  les  Golhs  ont  dû  passer  par  cette  région,  et  ainsi  de 
suite. 

Le  troisième  ouvrage  couronné  est  une  étude  sur  le  Paysan  rou- 
main par  le  même  M.  Tocilescou,  cité  plus  haut.  Cet  ouvrage  doit 
contenir  des  données  intéressantes  sur  l'histoire  du  paysan  rou- 
main, mais,  comme  il  n'a  pas  encore  été  publié,  nous  ne  pouvons 
que  Pindiquer. 

La  section  historique  de  l'Académie  a  de  plus,  conformément  à  ses 
statuts,  publié  des  éditions  nouvelles  ou  réimprimé  des  ouvrages 
importants  d'histoire  nationale.  Ainsi  elle  a  publié  une  édition  des 
œuvres  principales  du  savant  prince  de  Moldavie  Démètre  Gantemik. 

Ce  prince  écrivain  régna  en  Moldavie  pendant  quelques  mois  de 
l'aimée  M\\.  Il  prit  parti  pour  les  Russes  dans  la  guerre  qui  éclata 
cette  année  entre  ceux-ci  et  les  Turcs  à  la  suite  des  insistances  de 
Charles  Xll,  réfugié  en  Moldavie  à  Bender,  après  sa  défaite  de  Pultava. 
Les  Russes  ayant  été  battus  par  les  Turcs,  Cantémir  dut  se  réfugier 
en  Russie  à  la  conclusion  de  la  paix.  Le  czar  Pierre  le  Grand  l'esti- 
mait beaucoup  a  cause  de  ses  connaissances  profondes  et  variées. 
Comme  il  vécut  en  Russie  jusqu'à  sa  mort,  tous  ses  manuscrits  se 
trouvent  conservés  dans  les  bibliothèques  de  Moscou  et  de  Saint- 
Pétersbourg.  L'x\cadémie  roumaine  entreprit  des  démarches  auprès 
du  gouvernement  russe,  et,  grâce  au  concours  bienveillant  de  l'agent 
diplomatique  de  Russie  à  Bucharest,  M.  Zinovief,  elle  obtint  commu- 
nication d'une  partie  des  manuscrits  du  prince  Cantémir,  et  pour  le 
reste  la  permission  d'en  tirer  des  copies.  C'est  par  ce  moyen  que 
l'Académie  fut  mise  à  même  de  pouvoir  publier  la  Description  de  la 
Moldavie  dans  le  texte  original  latin,  qui  n'avait  jamais  été  publié 
et  dont  les  diiïerentes  traductions  existantes  reproduisaient  bien 
souvent  les  idées  de  l'auteur  d'une  manière  erronée.  La  publication 
du  texte  latin  est  due  aux  soins  de  M.  Papiu  Ilarian,  membre  décédé 
de  l'Académie.  M.  Joseph  Hodosid,  autre  membre  aussi  décédé,  en  a 


ROUMANIE.  387 

donné  une  traduction  nouvelle  en  roumain,  qui  n'est  pas  non  plus 
exempte  de  fautes.  Ce  dernier  traduisit  aussi  eu  roumain  V Histoire 
du  progrès  et  de  la  décadence  de  l'empire  Ottoman,  œuvre  princi- 
pale de  Gantémir,  qui  de  son  temps  eut  une  réputation  européenne 
et  fut  traduite  dans  presque  toutes  les  langues  de  l'Occident.  Les 
autres  travaux  de  Gantémir  ^  sont  une  Histoire  des  familles  Canta- 
cuzène  et  Brancovanou,  le  Divan  ou  le  procès  entre  l'âme  et  le  corps 
et  V Histoire  hiérogUjphique,  sorte  de  satire  politique.  Le  septième 
volume,  qui  doit  contenir  la  vie  du  père  de  Démètre  Gantémir,  Gons- 
tantin  et  ses  études  orientales,  n'a  pas  encore  paru.  Ce  qui  nous 
étonne  c^est  que  nous  ne  voyons  nullement  figurer  parmi  les  œuvres 
publiées  ou  à  publier  de  Gantémir  l'ouvrage  le  plus  important  peut- 
être  par  rapport  aux  Roumains,  sa  Chronique  Moldo-  Valaque,  écrite 
en  roumain  par  l'auteur.  Cette  chronique  a  été  éditée  une  fois  à 
Jassy  par  Seulescod  en  4833  en  deux  volumes,  mais  le  manque 
absolu  de  critique  de  cette  édition  rend  indispensable  la  réimpres- 
sion de  cette  œuvre,  et  l'Académie  avait  précisément  dans  ce  but 
sollicité  et  obtenu  l'autorisation  de  tirer  une  copie  du  manuscrit 
original  qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  de  Moscou. 

Parmi  les  autres  publications  de  l'Académie  relatives  à  l'histoire, 
rappelons  encore,  en  dehors  du  recueil  des  documents  de  Ilourmou- 
zaki,  mentionné  plus  haut,  la  réédition  de  VHistoire  des  Roumaine; 
sous  Michel  le  Brave,  par  Nicolas  Balcescou  -,  historien  et  patriote 
qui  joua  un  rôle  important  dans  la  Révolution  de  4  848  et  qui  mourut 


1.  Operile  principelui  Diniitrii  Cantimir  tiparite  de  societatea  academica 
romana. 

Tomu  I.  Descriptio  Moldaviae  eu  liarta  geogralica  a  Moldavie!  si  un  fac- 
simil.  Bucuresti,  1872. 

Tomu  II.  Descrierca  Moldaviei,  tradusa  dupa  textul  original  lalinesc  allât 
in  museul  asiatic  al  academici  impériale  stiintifice  de  la  St-Petropole,  eu 
harta  Moldavie!  si  un  fac-simil.  Bucuresti,  1875. 

Tomu  III  si  IV.  Istoria  imper'mlui  oiomon,  cresterea,  si  scaderea  lui  eu 
noate  foarte  instructive.  Tradusa  de  D'  Jos.  Hodosiu.  Partea  I,  Bucuresti  1876. 
Partea  II,  Bucuresti,  1878. 

Tomu  V.  Partea  I,  Evenimeniele  Caniacuzinestilor  si  Brancovenilor.  Par- 
tea II.  Divanul.  Publicate  si  insotite  eu  o  prefatza  si  un  glosar  de  G.  Sion. 
Bucuresti  1878. 

Tomu  VI.  Istoria  ieroglifica  (opéra  originala  inedita,  scrisa  in  limba  roma- 
neasca  in  1704),  eu  o  precuvîntare  analitica,  si  un  glosar  explicalor  de  A.  J. 
Odobescu.  Bucuresti,  1875. 

Tomu  VII.  Vita  Constantini  Cnntimirii  si  eollectanea  orientalia  (sous  presse). 

2.  Istoria  Rominilor  sut)  Mihaiii  Voda  Viteazul,  urmala  de  scrieri  diverse 
de  Nicolai  Balcescu,  publicata  dupa  decisiunea  societatii  academicc  romane  si 
insotite  eu  o  precuvintarc  si  eu  note  de  A.  J.  Odobescu.  Bucuresti,  1878. 


3iS8  BOLLETIN  flISTORIQDE. 

à  Palerme  en  1852.  Cette  œuvre,  écrite  sous  l'inspiration  révolution- 
naire de  l'époque,  accorde  peut-être  au  patriotisme  plus  que  ne  peut 
tolérer  l'histoire.  Elle  n'en  reste  pas  moins  un  travail  remarquable, 
tant  par  la  richesse  et  la  variété  des  sources  utilisées,  que  par  les 
pages  vraiment  éloquentes  quelle  renferme  et  qui  en  font  un  monu- 
ment littéraire  de  premier  ordre  pour  les  Roumains.  L'édition  a  été 
soigneusement  revue  par  .M.  Odobescou. 

Les  membres  de  la  section  historique  ne  se  sont  pourtant  pas  seu- 
lement bornés  à  encourager  et  favoriser  le  mouvement  historique. 
Ils  ont  mis  eux-mêmes  la  main  à  l'œuvre,  et  les  annales  de  l'Aca- 
démie roumaine  contiennent  déjà  plusieurs  travaux  d'une  véritable 
valeur  sur  l'histoire  de  ce  peuple.  Nous  ne  mentionnerons  que  les 
principaux  :  le  plus  ancien  en  date  et  en  même  temps  le  plus  riche 
en  faits  historiques  est  sans  contredit  celui  de  M.  Papiu  Ilarian,  sur  la 
vie.  les  œuvres  et  les  idées  de  Georges  Schinkaï^  Roumain  de  la  Tran- 
sylvanie, qui  le  premier  entreprit  de  régénérer  son  peuple  en  lui  fai- 
sant connaître  son  histoire.  Son  ouvrage,  à  la  composition  duquel  Schin- 
kaï  travailla  pendant  toute  sa  vie,  est  tiré  d'une  collection  de  notes  et 
de  documents  amassés  par  lui,  qui  comprend  4^  vol.  gr.  in-V\  que 
M.  Densouchanou  vient  de  déterrer  dans  les  bibliothèques  de  la  Tran- 
sylvanie, ainsi  que  nous  l'avons  rapporté  plus  haut.  Schinkai  suit 
l'ordre  chronologii[ue  à  partir  de  l'année  80  après  Jésus-Christ  jus- 
qu'en 1 739.  Quoique  Touvrage  fût  déjà  terminé  en  i  808,  il  ne  put  être 
imprimé  qu'en  1853,  longtemps  après  la  mort  de  l'auteur,  à  Jassy, 
sous  le  règne  du  prince  Grégoire  Ghyca,  car  la  censure  hongroise 
refusa  toujours  l'autorisation  de  l'imprimer  en  Transylvanie.  Elle 
apostilla  même  Touvrage  de  Schinkaï  de  la  manière  suivante  :  «  Opus 
igné,  auctor  patibulo  dignus.  »  Edgard  Quinet  apprécie  de  la 
manière  suivante  le  travail  de  Schinkaï  :  «  Depuis  les  temps  les 
plus  reculés  jusqu'en  -1739,  l'écrivain  roumain  reprend,  raconte, 
discute  chaque  année  en  particulier.  Chemin  faisant,  il  met  aux 
prises  les  historiens  polonais,  hongrois,  russes,  et  il  les  con- 
traint de  rendre  jour  par  jour  à  la  race  roumaine  le  témoignage 
qu'ils  ont  essayé  d'éluder.  Où  ils  n'ont  été  qu'incomplets,  il  les 
achevé  les  uns  par  les  autres  -,  où  ils  ont  sciemment  faussé  la 
vérité,  il  la  leur  arrache  avec  éclat,  et  il  reprend  ainsi  sur  eux 
toutes  les  dépouilles  nationales.  Au  milieu  de  trois  ou  quatre 
races  ennemies,  l'historien  conquiert,  année  par  année,  jour 
par  jour,   la  vérité  historique,  comme  un  champ  de  bataille.  » 

1.  Viata,  operile  si  ideile  lui  George  Sincal  din  Sinca,  discursul  de  recep- 

liuiii  a  dlui  A.  Papiu  Ilariaii.  Bucuiesli,  1860. 


ROUMANIE.  ;îS'.> 

Que  l'auteur  au  milieu  de  cette  mêlée  n'ait  jamais  été  entraîné 
par  sa  religion  pour  ses  pauvres  rwiimains  à  des  représailles  conli-e 
ses  adversaires  de  Pologne,  de  Hongrie,  de  Russie,  qui  pourrait 
l'affirmer?  Il  est  seulement  constant  que  par-dessus  tout  il  cliorche 
la  lumière,  que,  loin  de  taire  les  traditions,  les  systèmes  opposés,  il 
les  étale  avec  complaisance  ;  qu'il  laisse  amplement  la  parole  à  l'en- 
nemi; qu'aucun  livre  n'est  plus  nourri  de  documents  officiels, 
d'actes,  de  lettres,  de  diplômes,  de  traités,  de  monuments  authen- 
tiques; que  de  tous  côtés  sont  réunis  les  éléments  divers  de  la 
certitude.  Le  lecteur  seul  est  chargé  do  porter  le  jugement,  méthode 
qui  place  l'auteur  au  rang  des  créateurs  de  la  grande  école  historique 
du  xix"  siècle.  Si  l'on  considère  qu'il  a  été  conduit  à  celte  savante 
méthode  de  HTSO-fSOS,  c'est-à-dire  dans  un  temps  où  aucun 
des  travaux  de  la  critique  contemporaine  n'avait  encore  paru,  et 
lorsqu'un  esprit  tout  ditîérent  régnait  dans  l'histoire,  l'admira- 
tion s'ajoutera  à  la  surprise'.  »  Cette  appréciation  doit  être  com- 
plétée par  la  remarque  suivante.  Dans  un  autre  pays,  Schinkaï 
n'aurait  eu  qu'un  mérite  scientifique  :  chez  les  Roumains,  c'est  lui 
qui  par  son  œuvre  les  a  rappelés  à  la  conscience  d'eux-mêmes, 
presque  étouffée  sous  le  régime  abrutissant  où  ils  avaient  vécu  durant 
des  siècles.  Ailleurs,  Schinkaï  n'aurait  créé  qu'une  science  ;  chez 
les  Roumains,  il  a  donné  la  vie  à  un  peuple. 

Une  pareille  personnalité  était  donc  digne  à  tous  égards  de  devenir 
l'objet  d'une  étude  historique.  C'est  ce  que  le  savant  jurisconsulte 
et  historien  roumain,  dont  le  pays  déplore  la  perte,  a  exposé  avec 
une  science  profonde  de  l'époque  et  du  pays  où  Schinkaï  a  vécu. 

M.  Alexandre  Papadopoulo-Callimaqde  a  inséré  dans  les  bulletins 
de  l'Académie  une  étude  sur  les  noms  daces  de  plantes  qui  sont  cités 
dans  Dioscoride  et  dans  Apulée  2.  M.  Callimaque  s'efforce  d'identifier 
quelques-uns  de  ces  noms  avec  ceux  que  l'on  trouve  encore  aujour- 
d'hui dans  la  bouche  du  peuple  roumain,  et  de  retrouver  ainsi  dans 
le  roumain  actuel  des  restes  de  la  langue  dace.  Les  résultats  aux- 
quels l'auteur  arrive  sont  pourtant  bien  minces;  à  peine  deux  ou 
trois  noms,  parmi  plus  de  trente,  qui  ont  été  conservés  par  les  deux 
écrivains  anciens. 

M.  Démètre  A.  Stocrza,  l'auteur  de  la  collection  des  documents  sur 
la  question  du  Danube,  numismate  et  grand  amateur  d'antiquités, 
possède  la  plus  riche  de  toutes  les  collections  connues  de  monnaies 

1.  Edgard  Quiiiet.  Œuvres  complètes.  Paris,  1857  :  Les  Roumains,  p.  65. 

2.  Tiré  aussi  à  part  sous  le  litre  de  :  Dioscorides  si  Apuleius.  (Bolanica 
daco-getica),  de  Alexandra  Papadopol-Calimak  :  membru  aclual  al  societatei 
acaderaice  romane.  Bucuresti,  1875. 


390  BULLETIN    HISTORIQUIÎ. 

roumaines,  ainsi  qu'une  collection  de  portraits  de  princes  roumains 
qui  n'a  pas  son  égale.  11  a  publié  deux  études  portant  sur  ses  objets 
favoris  :  Une  bibliographie  de  la  numismatique  roumaine,  qui  pour- 
suit les  traces  des  monnaies  roumaines  dans  tous  les  écrits  de 
numismatique  parus  jusqu'à  ce  jour,  surtout  dans  ceux,  assez  rares, 
du  moyen  âge.  L'autre  dissertation  a  pour  objet  les  portraits  des 
imnces  roumains,  qu'il  étudie  tant  dans  sa  collection  qu'ailleurs. 

M.  Athanase  Marian-Marienescu  a  publié,  comme  complément 
à  l'étude  de  Papiu  Ilarian ,  une  étude  sur  la  vie  et  les  œuvres  de 
Pierre  Maïor^.  Ce  Roumain  de  la  Transylvanie  fut  le  collègue 
d'études  et  l'ami  de  Schinkai  et  concourut  à  l'œuvre  entreprise  par 
celui-ci  de  faire  connaître  aux  Roumains  leur  histoire.  11  écrivit 
avec  beaucoup  d'érudition  une  histoire  des  origines  des  Roumains 
en  Dacie,  ainsi  qu'un  traité  sur  la  langue  des  Roumains.  Comme 
son  étude  ne  touchait  pas  aux  temps  modernes ,  l'impression  en 
fut  autorisée,  et  il  y  en  eut  deux  éditions  consécutives  dans  la  capi- 
tale de  la  Hongrie,  à  Buda-Pesth,  la  première  en  \S\1,  la  seconde 
en  ^ 835. 

M.  Pierre  Poénariu,  membre  aussi  décédé  de  l'Académie,  a  publié 
une  biographie  de  Georges  Lazare'^,  Roumain  de  la  Transylvanie,  qui 
le  premier  ouvrit  à  Rucharest,  encore  soumise  au  régime  des  phana- 
riotes,  une  école  roumaine.  Les  Grecs  eux-mêmes  avaient  grand 
besoin  d'une  école  qui  formât  des  arpenteurs  roumains,  en  état  de 
lire  et  de  comprendre  le  sens  des  anciens  documents,  pour  pouvoir 
trancher  les  nombreux  procès  en  délimitations  de  terres  qui  se  pro- 
duisaient à  cette  époque  dans  les  pays  roumains.  Voilà  comment  une 
école  roumaine  put  voir  le  jour  sous  le  régime  des  Grecs  du  Pha- 
nar.  Lazare,  élevé  à  l'école  de  Scliinkaï  et  de  Pierre  Maïor,  entre- 
mêlait dans  ses  leçons  de  mathématiques  des  cours  sur  l'histoire 
nationale  ;  c'est  ainsi  que  le  réveil  des  esprits  qui  s'opérait  en  Tran- 
sylvanie ru  ni  ma  aussi  les  Roumains  de  la  Valachie  à  la  vie  nationale. 
La  biographie  et  l'activité  de  cet  apôtre  de  la  régénération  roumaine 
sont  exposées  par  Poénariu  en  pleine  connaissance  de  cause,  car  il 
fut  son  élève  à  l'école  de  Saint-Sava. 

Nous  rappellerons  enfin  les  fouilles  importantes  entreprises  par 
M.  TociLEScoD  dans  la  province  nouvellement  annexée  à  la  Roumanie, 
la  Dobroutscha;  on  y  a  découvert  une  foule  de  monuments  romains 

1.  Tiré  à  part  sous  le  titre  :  Gheorykie  Lazaru  si  scoala  romana  de  P.  Poé- 
nariu, eu  portrelul  lui  Lazaru  si  aaexe,  Bucuresti,  1874. 

2.  Viata  si  operile  lui  Petru  Maior,  de  Atanasiu  Marian  Marieuescu.  Bu- 
curesti, 1883. 


DANEMARK.  394 

de  la  plus  haute  importance,  qui  sont  destinés  non  seulement  à  jeter 
de  la  lumière  sur  les  premiers  temps  de  la  Dacie,  mais  aussi  à  enri- 
chir en  général  la  connaissance  de  Thisloire  romaine.  M.  Tocilescou, 
après  avoir  communiqué  ses  découvertes  à  l'Académie,  les  puhlia 
dans  la  Revue  cf archéologie  de  Vienne^,  ainsi  que  dans  la  Revisla 
pentru  istorie^  archéologie  si  filologie  qui  parait  à  Hucharest  sous  sa 
direction. 

A.  D.  XÉNoroL. 


DANEMARK. 

PCBLICATIOIVS   RELATIVES   AU   MOTEN    AGE   ET   A    l'e'pOQDE   MODERNE. 

Le  célèbre  historien  suédois  E.  G.  Geier  a  dit  une  fois  que  l'union 
de  Calmar,  qui  forma  un  seul  royaume  des  trois  États  du  Nord,  était 
un  accident,  qui  avait  l'apparence  d\me  pensée.  Elle  ne  résultait 
pas  d'un  rapprochement  successif  des  nations  et  n'avait  pas  été  assez 
préparée  pour  pouvoir  réussir.  On  peut  dire  que  le  professeur 
Erslev,  dans  son  important  livre  sur  la  reine  Marguerite^,  a  voulu 
prouver  la  vérité  de  cette  théorie  sur  l'union  des  trois  États.  11  a 
voulu  démontrer  qu'il  n'y  avait  en  réalité  ni  rapport  ni  ressemblance 
entre  l'union  de  Calmar  et  le  scandinavisme  moderne;  à  ses  yeux 
l'union  de  1397  n'est  pas  partie  de  cette  pensée  que  trois  peuples 
d'une  origine  commune^  de  langue  et  de  mœurs  si  peu  différentes, 
ne  devaient  pas  se  ruiner  par  des  guerres  mutuelles,  pour  devenir  la 
proie  facile  des  États  et  des  princes  étrangers.  Ce  sont  là  plutôt  les 
idées  de  nos  politiques  modernes  que  celles  des  hommes  d'État  du 
XIV*  et  du  XV''  siècle.  La  question  des  nationalités  ne  jouait  alors  qu'un 
rôle  secondaire  au  moyen  âge  ;  par  exemple,  le  but  principal  de  la 
politique  de  Valdemar  x\tterdag  fut  de  créer  un  pouvoir  royal  ferme 
et  presque  absolu.  De  même  Marguerite  chercha  à  subjuguer  les 
nobles  Danois  si  puissants ,  à  dompter  la  haute  noblesse  suédoise, 
à  diminuer  l'influence  du  conseil  (rigsraad)  et  à  maintenir  son 
autorité  intacte  en  laissant  vacantes  les  hautes  charges  de  la  cou- 

1.  Archaeologisch-Epigraphische  Mittheilungen  fiir  Œsterreich.  1882,  Juli. 
Inschrifien  ans  der  Bobroudscha,  von  Gr.  G.  ïocilescu. 

2.  Kr.  Erslev.  Dronning  Margrethe  og  Kalmarunionens  Grundlxggelse, 
1882.  Jac.  Erslev. 


392  BULLETIN   HISTORIQDE. 

roniie.  Les  raisons  qui  poussèrent  Marguerite  à  établir  l'Union  se 
montrent  par  la  manière  dont  elle  l'a  mise  ensuite  à  exécution-,  ainsi 
l'on  ne  voit  pas  qu'elle  ait  jamais  songé  à  réunir  les  trois  nations 
en  un  seul  État  ^  elle  a  donné  des  fiefs  et  des  évêchés  en  Suède  à  des 
Danois;  elle  a  marié  ses  vassaux  danois  à  des  suédoises,  mais 
d'autre  part  elle  n'a  pas  introduit  de  Suédois  en  Danemark.  Loin  de 
chercher  à  éveiller  le  sentiment  national  par  des  guerres  contre  les 
Allemands,  elle  se  servait  de  vassaux  allemands  pour  soutenir  son 
pouvoir.  C'est  la  suprématie  du  Danemark  qu'elle  a  voulu  établir 
dans  les  trois  pays.  Aussi  le  traité  de  Calmar,  qui  conservait  l'admi- 
nistration et  les  lois  particulières  de  chaque  nation,  ne  pouvait-il  pas 
plaire  à  la  reine  ;  et  c'est  ce  qui  explique,  d'après  M.  Erslev,  pour- 
quoi ce  traité  n'a  jamais  été  qu'un  acte  provisoire  ;  on  sait  en  elTet 
qu'on  n'en  a  jamais  dressé  un  instrument  officiel  et  détaillé,  et  que 
plusieurs  personnes  nommées  comme  lémoins  ne  l'ont  pas  signé. 

Nous  doutons  fort  que  le  professeur  Erslev  ail  dit  le  dernier  mot 
sur  l'union  de  Calmar  et  sur  l'idée  qui  l'inspira.  La  crainte  de  se 
laisser  influencer  par  des  idées  modernes  ou  trop  optimistes  semble 
avoir  inspiré  son  opinion,  qui  n'est  pas  exacte  de  tout  point.  Nous 
sommes  d'accord  avec  M.  Erslev  pour  admettre  que  le  but  principal 
de  la  reine  était  de  fonder  un  i)ouvoir  royal  ferme  et  puissant  ;  les 
pays  Scandinaves  en  avaient  le  plus  grand  besoin  et  c'est  justement 
le  grand  mérite  de  Marguerite  d'avoir  mis  un  obstacle  à  l'intlucnce 
des  États  allemands  dans  le  Nord  en  fondant  ce  pouvoir.  Mais  la 
conclusion  que  tire  l'auteur  de  son  administration  après  ^  397,  quant 
à  ses  idées  principales  sur  l'union  Scandinave,  ne  nous  semble  pas 
décisive.  Rien  n'empêche  que  la  reine,  pendant  qu'elle  préparait  son 
plan,  n'ait  eu  l'idée  d'un  rapprochement  plus  intime  entre  les  trois 
nations  et  qu'elle  n'ait  été  obligée  de  l'abandonner,  quand  elle  eut 
Oni  par  régner  sur  les  trois  royaumes.  Il  n'est  pas  rare  dans  l'histoire 
des  hommes  d'État,  que,  arrivés  au  pouvoir,  ils  se  voient  forcés 
de  changer,  au  moins  pour  quelque  temps,  leurs  vues  politiques. 
Ailleurs,  M.  Erslev  élève  trop  légèrement  des  soupçons  contre  les 
intentions  et  la  sincérité  de  cette  grande  princesse,  et  il  ne  semble 
pas  avoir  bien  remarqué  à  quel  degré  les  récits  sur  Marguerite  et  sur 
son  administration  sont  dus  à  des  étrangers  ou  à  des  personnes  hos- 
tiles à  sa  politique.  Malgré  ces  objections  l'ouvrage  de  M.  Erslev  est 
important  au  plus  haut  degré  :  ses  études  des  sources  témoignent 
d'une  critique  très  fine,  il  a  fouillé  partout  dans  les  archives  et  dans 
les  livres  pour  trouver  les  matériaux  si  dispersés  et  si  morcelés  sur 
lesquels  il  a  fondé  son  opinion.  C'est  un  ouvrage  capital  pour  toute 
cette  époque  ;  on  peut  le  comparer  à  l'œuvre  si  solide  et  si  intéres- 


DANEMARK.  303 

santé  du  professeur  Schœfer  à  léna  sur  les  villes  hanséatiques  el  sur 
Valdemar  Atterdag. 

L'architecte  Lceffler  a  publié  un  excellent  livre  sur  nos  églises 
du  style  roman  '.  En  dehors  de  ses  beaux  châteaux  de  la  renaissance, 
le  Danemark  est  représenté  au  point  de  vue  architectonique  surtout 
par  ses  églises  du  style  roman  bâties  pendant  la  période  dite  des  Val- 
demar (1  -107-1241).  Après  que  la  nation  eut  vaincu  et  expulsé  ses  enne- 
mis, il  se  produisit  un  vif  mouvement  d'activité  surtout  parmi  le 
clergé,  dont  les  grands  prélats,  appartenant  pour  la  plupart  à  nos 
familles  les  plus  nobles,  favorisaient  toute  sorte  de  culture.  Quelques- 
unes  de  nos  églises  sont  plus  anciennes,  par  exemple  les  belles 
cathédrales  de  Lund,  de  Ribe  et  de  Viborg,  mais  la  plupart  sont  de 
la  même  époque.  Le  pays  n'était  pas  riche  en  pierre  ;  il  a  fallu 
employer  le  granit  et  le  travertin,  ou  faire  venir  des  pierres  des 
autres  pays.  La  ville  de  Ribe  faisait  un  commerce  étendu  avec  les 
pays  de  l'Ouest;  ses  navires  lui  apportèrent  le  tuf  du  Rhin.  La  cathé- 
drale de  Ribe  ainsi  qu'une  foule  d'églises  du  voisinage  sont  cons- 
truites avec  cette  pierre  prise  à  Andernach,  et  même  le  style  de  la 
cathédrale  est  conforme  à  celui  des  anciennes  églises  de  Cologne, 
d'Andernach,  etc.  A  la  fin  du  xii*^  siècle,  nous  commencions  à  cuire 
de  la  brique  et  à  l'employer  dans  la  construction  des  égbses.  Au 
XIV®  siècle,  on  bâtit  moins,  et  le  gothique  n'est  représenté  chez 
nous  que  par  un  petit  nombre  de  monuments.  La  cause  en  est  dans 
la  décadence  du  pays.  Les  villes  hanséatiques  avaient  pris  le  dessus 
dans  le  commerce.  Au  moment  où  celles-ci  construisaient  leurs 
belles  églises  et  leurs  intéressants  monuments  au  moyen  des  richesses 
acquises  dans  le  Nord,  le  Danemark  était  déchiré  par  la  guerre 
civile,  et  nos  ressources  pécuniaires  étaient  épuisées.  Il  nous  man- 
quait aussi  une  pierre  facile  à  tailler  comme  le  grès,  qui  aurait  pu 
servir  aux  formes  multiples  du  gothique. 

Nous  relevons  un  autre  trait  dans  l'histoire  de  nos  éghses  :  assez 
souvent,  elles  ont  été  construites  pour  servir  en  même  temps  de 
forteresses.  Cette  destination  se  démontre  tout  spécialement  dans  les 
églises  élevées  dans  l'Ile  Bornholm  ;  sur  ses  quinze  églises  du  moyen 
âge,  il  n'en  est  pas  moins  de  treize  qui  ont  été  construites  de  manière 
à  pouvoir  offrir  une  défense  aussi  forte  que  possible  contre  l'ennemi. 
Il  faut  surtout  remarquer  les  quatre  églises  rondes,  bâties  comme 
le   donjon  du  moyen  âge,   avec  leur   nef  circulaire,    un   chœur 

1.  J.  B.  Lœffler.  Udsigt  over  Danmarks  Kirkebijgninger  fra  den  tidligcre 
Middel aider  (den  romanske  Période).  Aux  frais  de  la  fondation  Carlsberg.  Avec 
beaucoup  d'illustrations.  1883.  (C.  A.  Reitzel.) 


394  BULLETIN  HISTORIQUE. 

et  une  abside  en  demi-cercle  ;  dans  l'une  d'elles,  on  trouve  même 
une  galerie,  avec  des  embrasures  et  des  créneaux.  L'ouvrage  de 
M.  Lœffler  est  aussi  intéressant  que  solide  ;  cet  architecte,  qui  est 
aussi  un  archéologue  très  savant  et  très  compétent,  a  étudié  de  près 
chaque  monument;  dessinateur  excellent,  il  a  illustré  son  livre 
par  une  grande  collection  de  belles  figures  gravées  sur  bois. 

Le  pasteur  A.  Fabricics  a  écrit  un  petit  livre  sur  les  rapports  des 
pays  du  Nord  avec  l'Espagne  dans  les  temps  anciens  '.  Il  commence 
par  des  études  sur  l'affinité  des  Visigoths  et  des  Scandinaves, 
puis  il  nous  raconte  les  expéditions  des  Normands  en  Espagne, 
les  croisades  et  les  pèlerinages  des  Scandinaves  en  ce  pays. 
L'auteur,  qui  sait  l'espagnol  et  qui  connaît  bien  la  littérature 
du  moyen  âge,  a  recueilli  ses  notices  avec  beaucoup  de  diligence 
dans  les  sources  étrangères  et  dans  les  sagas  et  chroniques  du  Nord. 
Nous  lui  ferons  cette  objection,  qu'il  cite  quelquefois  de  seconde 
main  sans  le  dire,  et  que  ses  explications  philologiques  ne  sont  pas 
toujours  à  l'épreuve  de  la  critique.  Mais  on  peut  consulter  son  livre 
avec  profit,  et,  s'il  ne  forme  pas  un  ensemble,  il  est  au  moins  bon 
de  trouver  recueillis  en  un  seul  livre  une  foule  de  renseignements 
sur  les  rapports  de  ces  deux  pays  si  éloignés  l'un  de  l'autre. 

Pendant  les  années  ^  51  o- 1  ;J,  un  jeune  Danois,  Christiern  Pedersen, 
étudiait  à  Paris.  A  son  retour  en  Danemark,  il  fut  nommé  chancelier 
de  l'archevêque  de  Lund,  mais,  exilé  quebjues  années  plus  tard  avec 
le  roi  Christian  II,  il  passa  quelque  temps  dans  les  Pays-Bas.  En 
-io32,  il  revint  dans  son  pays  et  y  vécut  tranquillement  jusqu'à  sa 
mort  (en  -ioo4).  Pendant  cette  vie  errante  il  s'est  occupé  de  travaux 
littéraires  ;  nous  lui  devons  la  première  édition  de  Saxo  Gramma- 
ticns  et  la  traduction  de  beaucoup  de  livres  romanesques  du  moyen 
âge  ;  il  a  composé  un  sermonnaire,  un  livre  d'heures,  etc. ,  et  tous  ces 
livres  dans  sa  langue  maternelle  sont  écrits  dans  un  langage  aussi 
beau  que  simple  et  naturel.  C'est  la  première  fois  que  nous  possé- 
dions en  Danemark  une  littérature  danoise  en  prose.  Sans  être  un 
auteur  vraiment  original  ni  un  profond  penseur,  il  a  su  éveiller  l'es- 
prit national  et  le  sens  historique  -,  il  a  répandu  dans  le  peuple  beau- 
coup de  connaissances  religieuses  et  morales.  On  voit  que  Christiern 
Pedersen  a  joué  un  rôle  semblable  à  celui  de  Luther  en  Allemagne 
et  à  celui  d'Olaus  et  de  Laurentius  Pétri  en  Suède.  Ce  n'est  pas  sans 
raison  qu'on  l'a  appelé  le  fondateur  de  la  littérature  danoise.  Il 
mérite  bien  la  biographie  assez  étendue  que  le  pasteur  Brandt  vient 


1.  A.  Fabricius.  Forbindelserne  mellem  Norden  og   den  spanske  Halvœ  i 
xldre  Tider.  1882.  (Gad.) 


DANEMARK.  395 

de  lui  consacrer  '.  On  n'y  trouvera  pas  beaucoup  de  faits  nouveaux, 
mais  la  rareté  des  sources  rendait  presque  impossible  d'en  dire 
davantage. 

M.  Troels  Lund  a  continué  son  ouvrage  sur  le  Danemark  et  la 
Norvège  à  la  fin  du  xvi'=  siècle^.  Le  vol.  IV  traite  du  costume,  le 
vol.  V  de  la  nourriture  et  des  repas.  Ces  deux  volumes  sont  meil- 
leurs que  les  précédents.  L'auteur  a  mieux  su  faire  son  cboix  parmi 
les  documents;  il  ne  hasarde  pas  autant  d'opinions  mal  (ondées  ;  le 
volume  consacré  au  costume  contient  toute  une  série  de  belles 
illustrations.  Le  travail  est  assez  consciencieux  :  Tauteur  s'ellbrcc 
d'épuiser  les  sources  de  cette  époque  ;  mais  il  connaît  mal  le  moyen 
âge,  et  il  ne  distingue  pas  bien  les  mœurs  de  notre  pays  de  celles  de 
l'étranger  ;  de  là  des  erreurs  très  graves. 

On  a  longtemps  cru  que  l'absolutisme  fut  introduit  en  Danemark 
pour  ainsi  dire  par  suite  d'un  accident  ou  d'une  ruse.  La  bourgeoisie 
et  le  clergé  se  sont  entendus  pour  écraser  la  noblesse,  qui  s'était  mon- 
trée si  funeste  dans  les  dernières  guerres  -,  mais  ils  n'ont  pu  empêcher 
le  roi  d'en  profiter  pour  organiser  à  l'aide  d^une  habile  manœuvre  le 
pouvoir  absolu.  Pendant  la  diète  d'octobre  -1060,  le  roi,  grâce  à  l'as- 
sistance des  deux  États,  obtint  que  son  droit  fût  reconnu  héréditaire 
et  la  capitulation  de  K)48  fut  annulée  ;  il  fallait  donc  organiser  un 
nouveau  gouvernement.  Un  projet  d'ordonnance  royale  du  4  no- 
vembre indique  qu'une  constitution  parlementaire  avait  été  pro- 
jetée, et  parle  de  la  convocation  des  États Les  afiaires  prirent 

une  marche  toute  différente,  et  le  -10  janvier  ^66^  une  déclaration 
fut  publiée  qui  reconnaissait  l'hérédité  royale  et  le  pouvoir  absolu  ; 
le  roi  eut  même  le  droit  de  déterminer  plus  complètement  la  forme 
du  gouvernement.  Ce  document  a  été  signé  partout  en  Danemark  et 
en  Norvège. 

Dans  un  mémoire  très  intéressant  {Ilisforisk  Tidsskrift,  vol.  II), 
le  bibliothécaire  M.  Ghr.  Brudn  a  démontré  qu'on  a  eu  tort  de  croire 
que  le  roi  s'était  emparé  frauduleusement  du  pouvoir;  l'ordon- 
nance qu'on  a  invoquée  pour  prouver  cette  allégation  na  jamais 
été  promulguée.  Ce  n'est  qu'un  projet  imaginé,  comme  on  en  trouve 
plusieurs  autres,  par  un  simple  particulier  qui  a  exposé  ses  idées 
sur  une  réforme  du  gouvernement.  En  réalité  l'absolutisme  a  été 
introduit  par  les  cérémonies  du  18  octobre  et  du  iA  novembre. 


1.  C.  J.  Brandt.  Om  Lunde-Kanniken  Cliristiern  Pedersen  og  hans  Skriflcr. 
1882.  (Gad.) 

2.  Troels  Lund.  Danmarks  og  Norges  Historié  i  Sluiningen  af  det  16de 
Aarhundrede.  I.  Indre  Historié.  Vol.  IV- V.  1882-83.  (C.  A.  Reitzel.J 


3!)6  BULLETIN   HISTORIQUE. 

lorsque  les  quatre  États  rendirent  solennellement  hommage  au  roi 
en  qualité  de  monarque  héréditaire  ;  légalement  Tabsolutisme  date 
de  la  déclaration  du  10  janvier.  Ces  détails  n'étaient  pas  inutiles 
pour  calmer  les  gens  qui  craignaient  que  cette  forme  du  gouverne- 
ment, en  vigueur  pendant  deux  siècles,  n'eût  été  introduite  par  une 
ruse  ou  par  un  accident. 

La  forme  du  gouvernement  fut  finalement  fixée  dans  la  Loi  Royale 
du  U  novembre  -1665.  L'auteur  ou  le  rédacteur  principal  est  le 
célèbre  Schumacher,  plus  tard  anobli  sous  le  nom  de  Griffenfeld.  Le 
colonel  Vaupell  vient  de  terminer  la  biographie  de  ce  grand  homme 
d'États 

Depuis  longtemps  on  désirait  avoir  une  étude  approfondie  et 
détaillée  sur  le  caractère,  les  talents  et  la  politique  de  Griffen- 
feld, qu'on  a  toujours  admiré,  mais  plutôt  d'instinct,  que  par 
une  connaissance  profonde  de  ses  idées  et  de  son  activité.  M.  Vau- 
pell apporte  de  nouvelles  lumières  sur  son  histoire ,  et  il  a 
enrichi  son  ouvrage  d'une  série  de  documents  inédits  ;  mais  il  est 
loin  d'avoir  résolu  le  problème.  Il  manque  de  pénétration  ^  il  consi- 
dère Griffenfeld  comme  un  esprit  trop  droit  et  trop  simple.  Il  aurait 
fallu  étudier  le  développement  de  son  caractère  pendant  sa  jeunesse, 
et  comment  il  devint  si  orgueilleux  et  si  hautain  -,  de  même  il  oublie 
de  raconter  comment  sa  longue  captivité  fit  naître  en  lui  l'humilité 
et  la  piété.  En  outre  pourquoi  l'auteur  ne  nous  peint-il  pas  les  autres 
personnes  de  cette  tragédie  avec  leurs  caractères  si  intéressants  et  si 
différents  ?  C'est  bien  d'être  enthousiaste,  si  on  possède  le  contre- 
poids nécessaire  dans  sa  critique  ;  mais  celle-ci  fait  défaut  chez 
M.  Vaupell,  qui  d'ailleurs  ne  connaît  pas  assez  toutes  les  voies 
secrètes  et  les  menues  ramifications  de  la  politique  européenne.  Dans 
un  compte-rendu  du  livre,  M.  Fridericia  a  essayé  de  pénétrer  un  peu 
plus  avant  dans  les  idées  politiques  de  Grifienfeld.  Il  ne  croit  pas  à 
la  sincérité  de  ses  sympathies  pour  la  Suède  ;  il  prétend  que  sa  poli- 
tique ne  doit  pas  être  regardée  comme  ayant  préparé  ces  idées  Scan- 
dinaves du  xviiie  ou  du  xix«  siècle.  Il  lui  refuse  le  mérite  de  la  pré- 
voyance ;  il  définit  son  talent  comme  une  éminente  intelligence  de 
Tactuel  et  du  possible  ;  il  lui  attribue  une  rare  faculté  de  louvoyer 
au  milieu  des  situations  difficiles.  Griiï"enfeld  était  plein  d'ambition 
pour  son  pays  et  pour  lui-même  ;  il  croyait  aveuglément  à  sa  bonne 
étoile,  comme  il  l'a  écrit  le  30  mars  167:3  à  Meyercrone  à  La  Haye  : 
«  Je  m'abandonne  aveuglément  à  mon  destin  et  laisserai  faire  à  ma 

1.0.  Vaupell.  Rigskansler  Grev  Griffenfeld.  Et  Bidrag  lil  Nordens  Historié 
i  det  17de  Hundredaar.  Vol.  I-II.  1880-82.  (C.  A.  Reilzel.) 


DANEMARK,  397 

bonne  fortune,  qui  est  toujours  accoutumée  de  mener  mon  vaisseau 
dans  un  bon  port.  »  Sa  chute  subite  aura  dû  être  d^autant  plus  dure. 
Nous  ne  pensons  pas  que  M.  Fridcricia  ait  dit  le  dernier  mut  sur  ce 
personnage  ;  il  avoue  lui-même  qu'il  reste  encore  trop  à  étudier, 
mais  des  recherches  comme  les  siennes  démontrent  comment  il  aurait 
fallu  entreprendre  une  telle  tâche.  Du  leste  nous  notons  avec  plaisir 
que  le  livre  de  M.  Vaupell  est  écrit  d'un  style  chaleureux  et  frais  et 
quelquefois  animé  par  un  certain  entraînement  soldatesque. 

A  cette  même  époque  et  à  l'histoire  de  Griffenfeld  se  rapporte  la 
monographie  de  M.  le  pasteur  Hiiisca  ^  sur  :  «  l'élection  royale  en 
Pologne  de  1G74.  »  Pendant  une  partie  de  cette  année  on  travailla 
ici  et  en  Pologne  pour  la  candidature  du  prince  George,  frère  de  Chris- 
tian V  (plus  tard  époux  de  la  reine  Anne)  ;  mais  le  prince  avait  peu 
d'inclination  pour  le  catholicisme,  et  ce  plan  échoua.  Les  documents 
sur  ces  négociations  ont  été  publiés  dans  le  bulletin  des  archives  [Gehei- 
mearchivets  AarsberetniMjer^  vol.  V).  M.  Brasch  raconte  la  marche 
et  le  dénouement  des  affaires  ;  il  donne  quelques  renseignements  sur 
les  personnages  qui  y  jouèrent  un  rôle,  et  c'est  justement  la  peinture 
des  caractères  qu'on  cherche  en  vain  dans  le  livre  de  M.  Vaupell. 
Selon  l'auteur  les  débuts  de  cette  négociation  ont  fourni  au  roi  le 
prétexte  de  choisir  subitement  GrilTenfeld  pour  son  chancelier  et  de 
le  nommer  chevalier  de  l'ordre  de  l'Éléphant. 

Nous  arrivons  à  une  autre  victime  des  premiers  rois  absolus  : 
Léonore  Christine,  fille  de  Christian  IV,  épouse  du  comte  d'Ulfeldt 
et  comme  Griffenfeld  condamnée  à  la  prison  pendant  bien  des 
années.  M.  Birket  Smith  a  publié  le  second  volume  de  sa  belle  bio- 
graphie de  cette  dame"-^,  et  termine  ainsi  toute  une  série  de  travaux 
qu'il  avait  commencés ,  pai-  l'édition  du  Jammersminde  (souvenirs 
de  mes  douleurs).  Cette  biographie  restera  longtemps  une  source 
capitale  pour  l'histoire  de  cette  époque.  Dans  le  second  volume  nous 
voyons  les  deux  époux  emprisonnés  à  Hammershus,  la  tentative 
malheureuse  qu'ils  firent  pour  s'échapper,  leur  séjour  en  Danemark 
après  le  pardon  et  leur  dernier  voyage  à  l'étranger.  Ulfeldt  entama 
de  nouvelles  négociations  avec  les  ennemis  du  Danemark  ;  mais  sa 
trahison  fut  découverte,  et  il  mourut  fugitif-,  il  fut  enseveli  aux  bords 
du  Rhin.  Charles  II  fut  assez  ingrat  pour  faire  emprisonner  Léonore 
Christine  et  la  livrer  à  ses  ennemis  ;  pendant  vingt-deux  ans  elle 

1.  Chr.  H.  Brasch.  Det  polske  Kongevalg,  1674.  MedHensijn  til  Prins  Georg 
af  Danmark.  ISSl.  (C.  A.  Reilzel.) 

2.  S.  Birket  Smith.  Leoiwra  Christinu  Grevinde  Ulfeldls  Historié.  Med 
Bidrag  til  hendes  .Egtefaelles  og  hendes  nœnnesle  Slœgts  Historié.  Vol.  I-ll. 
1879-81.  (Gyidendal.) 


398  BULLETIN   HISTORIQUE. 

languit  dans  une  prison  rigoureuse.  Quand  enfin  la  reine  mère 
Sophie-Amélie,  son  irréconciliable  ennemie,  mourut,  elle  obtint  la 
liberté  et  vécut  treize  ans  au  couvent  de  Maribo,  toujours  active  et 
occupée  d'études  littéraires.  Sa  vie  est  un  roman  comme  il  y  en  a 
peu;  sa  captivité  décrite  par  elle-même  et  le  changement  que  son 
caractère  y  subit,  n'en  sont  pas  les  parties  les  moins  intéressantes. 
M.  Smith  a  traité  ce  sujet  avec  toute  la  finesse  de  goût  et  le  sens 
psychologique  nécessaires.  Il  ne  se  contente  pas  de  nous  raconter  et 
de  nous  expliquer  les  faits  ;  il  s'efforce  encore  de  les  considérer  dans 
leurs  rapports  avec  les  motifs  et  les  caractères  des  personnages. 
Peut-être  y  a-t-il  un  coté  de  la  vie  de  Léonore  Christine  que  Fauteur 
a  vu  trop  en  beau,  savoir  sa  conduite  en  qualité  d'épouse  d'Ulfeldt. 
Sans  doute  on  ne  saurait  nommer  une  épouse  plus  fidèle,  plus 
dévouée  à  la  fortune  bonne  ou  mauvaise  de  son  mari,  mais  on  peut 
cependant  se  demander  si  elle  ne  lui  a  pas  trop  obéi.  Il  est  vrai  qu'à 
cette  époque  on  exigeait  de  la  part  de  la  femme  une  soumission  plus 
complète  au  pouvoir  du  mari-,  mais  chez  cette  âme  forte  et  éclai- 
rée on  ne  peut  parler  de  soumission  ;  elle  a  été  la  compagne  libre 
de  son  époux,  qui  l'aimait  en  l'admirant.  Danoise  conmie  son  mari 
et  fille  du  roi  de  Danemark,  il  semble  douteux  qu'elle  ait  trempé 
dans  les  plans  d'Ulfeldt  contre  sa  patrie;  mais  on  ne  voit  pas  qu'elle 
l'en  ait  empêché.  Il  est  possible,  comme  l'a  dit  M.  Smith,  qu'elle 
n'ait  rien  su  des  derniers  projets  d'Ulfedt  pour  exciter  le  Brande- 
bourg contre  les  Danois;  à  une  époque  antérieure  Ulfedt  lui  avait 
sans  doute  confié  tous  ses  plans,  et  elle  semble  l'avoir  suivi  aveu- 
glément. Son  amour  pour  sa  patrie  paraît  avoir  été  étouffé  par  les 
mauvais  traitements  qu'on  lui  avait  fait  éprouver  ;  mais,  si  l'on  pense 
à  ses  souffrances  pendant  sa  longue  captivité  dans  la  Tour  Bleue,  on 
est  plutôt  porté  à  admirer  son  héroïsme,  son  intelligence  limpide,  sa 
piété  sincère. 

M.  Birket  Smith  a  publié  un  autre  livre  qui  touche  en  partie  à  la 
même  époque  ;  c'est  un  recueil  formé  des  études  qu'il  a  faites  sur 
Fancien  drame  et  sur  les  auteurs  dramatiques  du  Danemark  ' . 

Parlons  aussi  d'un  poète  espagnol,  le  comte  Bernardino  de  Rebol- 
ledo.  Cet  auteur  occupe  une  place  honorable  parmi  les  épigones  de 
l'âge  d'or  de  la  poésie  espagnole.  Après  avoir  combattu  bravement 
dans  la  guerre  de  la  succession  de  Mantoue  et  dans  la  guerre  de 
Trente  ans,  l'empereur  le  créa  comte  de  l'Empire  et  se  servit  de  lui 
pour  des  négociations  diplomatiques.  En  -l()48,  il  fut  envoyé  par 


1 .  S.  Birket  Smilh.  Studier  paa  det  garnie  danske  Skuespils  Omraade.  1883. 
(Gyldendal.) 


DANEMARK.  3<)9 

l'Espagne  à  la  cour  de  Copenhague,  où  il  passa  onze  ans.  Sans 
jouer  un  grand  rôle,  il  observait  plutôt  les  intrigues,  si  nom- 
breuses alors  à  la  cour  de  Copenhague,  qu'il  n'y  prenait  part. 
M.  GiGAs,  qui  est  bien  versé  dans  l'histoire  littéraire  de  l'Espagne, 
et  qui  a  étudié  avec  diligence  la  correspondance  de  ReboUcdo  aux 
archives  de  Simancas,  a  consacré  un  fort  volume  '  à  son  séjour  à 
Copenhague.  On  n'y  trouvera  pas  beaucoup  de  renseignements  nou- 
veaux sur  la  poUtique,  mais  le  livre  est  très  riche  en  traits  qui  ])ei- 
gnent  le  temps  et  le  poète.  Rebolledo  a  dédié  à  la  reine  Sophie-Amélie 
son  livre  Selvas  Danicas,  qui,  à  ce  qu'il  paraît,  a  dû  lui  plaire  beau- 
coup ;  on  a  même  dit  qu'il  avait  cherché  à  convertir  la  cour  à  la  loi 
catholique.  M.  Gigas  combat  cette  opinion.  Il  n'y  a  pas  en  effet  dans 
la  correspondance  de  l'ambassadeur  un  seul  mot  sur  ce  projet.  Dans 
un  de  ses  poèmes,  il  invite  le  roi  à  faire  revivre  la  vraie  croyance 
dans  les  églises  danoises,  mais  c'est  plutôt  le  poète  que  l'homme 
qui  parle  ainsi.  D'ailleurs  ses  relations  avec  la  cour  n'étaient  pas 
assez  intimes  pour  qu'il  pût  viser  à  un  tel  but.  Du  moins  ne  peut- 
on  parler  d'un  essai  pareil  à  celui  qui  fut  tenté  de  conquérir  à  la  foi 
catholique  la  fille  de  Gustave-Adolphe,  tentative  qu'avaient  prépai'ée 
si  longtemps  auparavant  le  pape  et  la  cour  d'Espagne.  Il  est  vrai 
qu'en  1655  le  gouvernement  danois  promulgua  une  ordonnance  qui 
défendait  aux  prêtres  des  ambassadeurs  de  faire  des  sermons  ou  de 
donner  la  communion  en  dehors  des  palais  de  leurs  maîtres  ;  mais 
cette  défense  fut  motivée  par  la  rencontre  accidentelle  qui  eut  lieu 
entre  un  domestique  de  Rebolledo  et  un  pasteur  danois.  Rebolledo 
semble  avoir  été  d'un  naturel  sérieux  et  aimable;  c'était  un  homme 
pieux  et  spirituel;  dans  ses  lettres,  il  se  plaint  souvent  du  mauvais 
état  de  sa  santé  et  surtout  de  ses  finances. 

M.  Meiborg  a  publié  un  petit  livre  sur  la  vie  et  les  cérémonies  à  la 
cour  de  Christian  V'^. 

Nous  avons  à  parler  maintenant  d'une  œuvre  capitale,  à  savoir  l'édi- 
tion de  la  correspondance  ministérielle  de  J.  H.  E,  Bernstorff  ^  et  la 
biographie  de  cet  éminent  homme  d'État,  par  M,  P.  Vedel,  directeur 
du  ministère  des  affaires  étrangères  ''.  L'auteur  est  connu  par  divers 

1.  Emil  Gigas.  Grev  Bernardino  de  Rebolledo,  spansk  Gesandt  i  Kjœben- 
havn.  1648-1659. 1883.  (Sctiubothe.)  Avec  un  beau  portrait  du  comte  et  quelques 
documents  inédits. 

i.  Billeder  af  Livel  ved  Christian  den  Fertiles  Baf.  1882  (Gad.). 

3.  P.  Vedel.  Correspondance  ministérielle  du  comte  J.  H.  E.  Bernstorff. 
1751-70.  Vol.  MI.  Aux  frais  de  la  fondation  Carlsberg.  1882.  (Gyldendal.) 

4.  P.  Vedel.  Den  xldre  Grev  Bernstorifs  Ministerimn.  Indledning  tii  «  Cor- 
respondance ministérielle.  «PaaCarlsber^FoudeusBeiiostning.  1882.  (Gyldendal. ) 


400  BULLETIN    HISTORIQDE. 

traités  sur  la  diplomatie  du  Danemark  au  xviii*  siècle  cl  par  son 
intéressant  recueil  de  lettres  échangées  entre  Bernstorff  et  Choiseul. 

Cette  biographie  est  digne  en  tous  points  d'un  homme  d'État  aussi 
supérieur  et  d'un  personnage  aussi  sympathique  que  l'était  Bern- 
slorlT.  C'était  un  plus  beau  caractère  que  Grifîenfeld;  sa  vie  fut 
aussi  plus  heureuse.  Il  eut  enfin  le  bonheur  de  servir  un  roi  moins 
jaloux  que  ne  l'était  Christian  Y,  et  qui  eut  au  moins  le  mérite  de 
savoir  choisir  pour  ministres  des  hommes  de  grande  habileté  et  d'une 
honnêteté  sans  tache.  Des  aventuriers  allemands  provoquèrent  sa 
chute  en  ^770,  mais  il  vécut  assez  longtemps  pour  voir  leur  ruine  à 
la  révolution  de  janvier  ^772;  un  mois  plus  tard,  Bernstorff  mourut. 
Sa  politique  devint  celle  que  suivit  le  Danemark  dans  la  dernière 
partie  du  siècle. 

Quel  contraste  singulier  entre  ce  livre  et  la  correspondance  poli- 
tique de  Frédéric  II,  qu'on  est  en  train  de  publier  en  Prusse  !  Bern- 
slorfî  était  d'un  caractère  trop  doux  pour  pouvoir  haïr  Frédéric  II, 
mais  il  n'avait  nulle  sympathie  pour  sa  politique  violente.  A  une 
époque  où  la  diplomatie  foulait  aux  pieds,  on  peut  le  dire,  avec  un 
véritable  cynisme,  Thonneur  et  les  promesses,  il  est  étrange  d'en- 
tendre un  homme  d'État  déclarer  comme  un  principe  que  «  l'honnê- 
teté est  la  meilleure  des  politiques,  »  et  «  qu'une  guerre  entreprise 
sans  juste  cause,  je  dis  plus,  sans  nécessité,  me  parait  la  plus  redou- 
table de  toutes  les  résolutions  que  les  hommes  puissent  prendre.  » 

Cette  opinion  n'est  pas  d'ailleurs  une  belle  phrase,  dite  pour  plaire 
aux  philosophes  du  temps  ou  pour  flatter  les  philanthropes  ;  au  con- 
traire, elle  marque  le  caractère  même  de  toute  la  politique  de  Bern- 
storff. De  même,  Findifférentismc  religieux  de  Frédéric  II  n'aurait 
pu  plaire  à  un  homme  aussi  sincèrement  religieux  que  l'était  Bern- 
storlf.  Le  roi  de  Prusse  rendait  pleine  justice  aux  talents  de  ce 
ministre,  lorsqu'il  écrivait  en  1702  :  «  Le  Danemark  possède  Bern- 
storff et  sa  flotte,  »  mais  il  le  haïssait,  et  il  le  dénonça  plusieurs  fois 
auprès  de  Louis  XV  comme  espion  anglais.  De  son  côté,  Bernstorff 
avait  Toeil  ouvert  sur  les  projets  ambitieux  de  la  Prusse,  et  il  détes- 
tait la  vigueur  de  son  gouvernement  militaire.  Le  23  février,  il  écrit 
à  M.  de  Cheusses,  à  la  Haye  :  «  Souvenez-vous  (jue  cette  monarchie 
prussienne,  dont  vous  souhaitez  si  ardemment  la  grandeur,  a  encore 
besoin  d'accroissements  pour  subsister.  L'Autriche,  la  France,  déjà 
arrêtées  par  leur  propre  poids,  ne  s'émeuvent  plus  avec  tant  de 
vivacité  ni  d'audace.  Je  les  compare  à  des  corps  gras  et  pesants  qui 
n'ont  plus  ni  l'inquiétude  ni  la  convoitise  bien  allumées.  Leur  esto- 
mac est  rempli  jusqu'à  satiété  et  tranquille.  La  monai'chie  prus- 
sienne, au  contraire,  est  un  corps  encore  jeune  et  nerveux,  son 


DAXEMARK.  40< 

appétit  est  toujours  allumé,  ses  mouvements  sont  vifs  et  violents  ;  il 
cherche  à  acquérir  cet  embonpoint,  dont  ses  rivaux  jouissent.  De 
qui  le  prendra-t-il,  monsieur  ?  —  Dernière  question.  Aimez-vous  les 
gouvernements  militaires  et  leur  despotisme,  qui,  plus  sévère  que 
celui  des  cours  de  l'Asie,  supprime  toute  liberté  naturelle  et  civile  ? 
Trouverez-vous  heureux  que  tout  soit  j^^uerrier,  ou  que  toul  s'efface 
devant  cet  intérêt,  qu'il  n'y  ait  point  d'autre  gloire  ni  fortune  que 
celle  des  armes  ;  aimez-vous  qu'un  État  voisin  soit  un  camp  et  que 
ses  voisins  soient  forcés  à  le  devenir  eux-mêmes  ?  » 

Le  désir  de  Bernstorfî  de  protéger  le  droit  des  neutres  lui  fit 
conclure  le  traité  de  la  neutralité  armée,  par  laquelle  il  revendique 
pour  le  commerce  le  respect  des  principes,  qui  ont  fini  par  être 
reconnus  et  adoptés  par  le  droit  des  gens.  Bien  que  le  Danemark 
restât  neutre,  il  ne  voulait  pas  qu'il  se  désintéressât  de  la  politique 
étrangère.  L'armistice  de  Gloster-Zeven  montre  même  que  parfois 
il  s'est  risqué  presque  trop  loin  -,  M.  Vedel  cherche  à  défendre  sa 
conduite  sur  ce  point.  Le  but  principal  que  se  proposait  Bernstorff, 
c'était  de  mener  à  bonne  fin  les  querelles  avec  la  maison  Holstein- 
Gottorp  au  moyen  d'un  contrat  d'échange.  Il  cherchait  à  mettre  à 
profit  toutes  les  complications  de  la  guerre  de  Sept  ans.  On  put 
croire  qu'il  allait  toucher  au  but,  quand  la  France,  arrêtée  par 
Bernstorff  qui  la  menaça  de  se  joindre  à  ses  ennemis,  s'efforra 
d'amener  la  Russie  à  une  solution  définitive.  Mais  ÉlisaJK'tli  mourut 
subitement,  et  Pierre  III  monta  sur  le  trône.  Bernstorff  sentit  bien 
qu'il  allait  perdre  tout  ce  qu'il  avait  préparé.  Mais  il  se  montra  plus 
ferme  que  jamais  ;  tout  convaincu  qu'il  est  du  danger  extrême  où  se 
trouvait  le  pays,  il  écrit,  le  ^9  février  -1762,  à  M.  de  Schack,  à 
Stockholm  :  «  Vous  direz  à  notre  ami  que  dans  cette  crise  il  ne  s'agit 
point  de  songer  à  soi-même  et  de  se  soustraire  aux  dangers  dont  on 
pouvait  être  menacé,  mais  qu'il  faut  être  ferme  et  s'ensevelir,  si  telle 
est  la  volonté  de  la  providence,  sous  les  ruines  de  sa  patrie  et  de  sa 
liberté.  »  Pas  un  moment  il  ne  perd  courage,  et  les  opérations  diplo- 
matiques se  continuent  sans  délai.  M.  Yedel  montre  les  moyens  qu'il 
a  employés,  et  comment  le  diplomate  russe  Saldern,  dont  Bernstorff 
avait  entrevu  l'habileté,  travailla  pour  la  cause  danoise.  Ainsi  la 
guerre  fut  évitée  ;  les  mois  d'hiver  s'écoulaient,  el  Bernstorir  jtrépa- 
rait  l'armée,  quand  enfin  la  mort  de  Pierre  III  changea  la  situation. 

Bernstorir  aimait  mieux  voir  chez  les  autres  les  bonnes  qualités 
que  les  mauvaises,  et  parfois  il  est  trop  optimiste.  Aussi  n'a-t-il  pas 
toujours  assez  finement  observé  l'état  intérieur  des  pays  ;  par 
exemple  il  ne  voit  pas  la  faiblesse  de  la  Turquie  ou  la  malheureuse 
condition  intérieure  de  la  France.  M.  Vedel  aurait  pu  çà  et  là  blâmer 
Rev.  Histor.  XXV.  2«  fasc.  ^G 


^02  BULLETIN  HISTORIQDE. 

les  idées  de  Bernstorff;  mais  en  définitive  le  portrait  qu'il  nous  trace 
de  cet  homme  d'État  est  si  fin  et  si  bien  fondé  qu'il  mérite  de  grands 
éloges.  Remarquons  en  terminant  que  le  style  des  dépêches  de 
Bernstorfî  est  très  digne  d'attention  ;  à  la  fois  vigoureux  et  précis,  il 
est  plein  de  chaleur  et  d'esprit  et  contient  souvent  des  idées  d'une 
portée  générale  ;  enfin  on  notera  que  Bernstorff  s'exprime  presque 
plus  facilement  en  français  que  dans  sa  langue  maternelle. 

Deux  auteurs  ont  traité  de  la  littérature  de  cette  période  :  feu 
PALUDAN-MiiLLiiR  dans  son  intéressant  exposé  de  l'historiographie  au 
xviii''  siècle  [Historisk  Tidss/irift,  vol.  4),  et  M.  le  professeur  Edv. 
HoLM,  dans  ses  études  sur  les  idées  du  temps  relatives  au  pouvoii' 
royal  et  à  la  liberté  civile  ^  Gomment  les  idées  de  Voltaire,  de  Mon- 
tesquieu, de  Rousseau  furent-elles  accueilUes  en  Danemark?  Il  ne 
semble  pas  que  Rousseau  ait  été  l'objet  d'une  attention  spéciale  5  d'autre 
part  Montesquieu  a  été  attaqué  par  Holberg  et  par  Kofod  Ancher. 
On  croyait  que  Montesquieu  avait  songé  au  Danemark  en  traçant  le 
tableau  d'un  gouvernement  despotique,  et  l'on  voulait  montrer  la 
différence  entre  un  gouvernement  absolu  et  ce  despotisme.  Le  philo- 
sophe français  a  plutôt- pensé  à  un  empire  d'Orient  ;  il  a  d'ailleurs 
parlé  d'une  manière  vague,  et  sans  bien  observer  les  nuances  dans 
la  constitution  des  monarchies.  M.  Holm  a  aussi  recueilli  diverses 
remarques  d'étrangers,  qui  témoignent  à  quel  point  notre  constitu- 
tion était  estimée  a  l'étranger,  quoiqu'elle  ne  répondit  pas  aux  doc- 
trines des  philosophes.  C'étaient  surtout  le  respect  pour  les  lois  et  le 
droit  des  particuliers  qui  attiraient  l'attention.  Tousles  sujets  étaient 
sûrs  d'obtenir  devant  les  tribunaux  une  sentence  impartiale,  et,  par 
une  règle  qui  ne  souffrait  pas  d'exception,  le  roi  et  l'administration 
ne  se  mêlaient  pas  des  jugements  que  ces  tribunaux  rendaient. 
C'était  autre  chose  en  Autriche  et  en  Prusse,  où  Joseph  II  ou  Fré- 
déric Il  annulaient  assez  souvent  les  décisions  de  la  justice.  —  Enfin 
M.  Stolpe  a  terminé  son  livre  sur  la  presse  journalière  en  Danemark 
jusqu'au  miheu  du  xviii*  siècle^. 

En  171)9,  le  poète  P.  A.  Heiberg  fut  exilé  du  Danemark  à  cause  de 
ses  attaques  malignes  et  continuelles  contre  le  gouvernement.  Il  par- 
tit pour  Paris,  où  il  resta  pendant  tout  le  reste  de  sa  vie.  Sa  connais- 
sance des  langues  étrangères  fut  utilisée  dans  les  bureaux  de  Tal- 
leyrand,  mais  son  talent,  en  même  temps  poétique  et  politique, 


1.  E.  Holm.  Om  det  Syn  paa  Kongemagt,  Folk  og  borgerlig  Frihed,  der 
udvihlede  sig  i  den  dansk-noiske  Stat  i  Midten  af  \Me  Aarhundrede  {17^6-70}. 
1883.  (Gad.) 

2.  P.  M.  Stolpe.  Dagspressen  i  Danmark.  Vol.  I  IV.  1878-82. 


DANEMARK.  403 

s'évanouit  :  il  n'écrivit  presque  rien.  Fidèle  à  ses  idées  politiques  et 
religieuses  d'autrefois,  il  s'indignait  de  son  compagnon  d'infortunes 
Malte-Brun,  qui  semblait  avoir  oublié  ses  opinions  antérieures;  il  ne 
le  vit  que  rarement  et  vécut  assez  isolé.  Ce  n'était  non  seulement 
l'exil  qui  lui  inspirait  cette  amertume  ;  il  avait  encore  éprouvé  une 
autre  douleur  très  grande.  Un  an  après  son  départ,  sa  femme 
demanda  le  divorce  ;  depuis  plusieurs  années  elle  en  aimait  un  autre, 
le  baron  Gyllembourg.  (Test  seulement  à  ce  moment  que  lleiberg 
sentit  ce  qu'il  allait  perdre.  Elle  avait  dix-sept  ans  quand  elle  épousa 
Heiberg:  mais  à  la  longue,  l'esprit  dur  et  austère  de  son  mari  rebuta 
sa  complexion  délicate  et  amoureuse.  La  honte  et  la  douleur  de 
perdre  sa  femme,  qu'il  aimait  au  fond  de  son  cœur  et  qu'il  estimait, 
lui  firent  faire  auprès  d'elle  diverses  tentatives  désespérées  avant 
qu'il  consentît  au  divorce.  Elle  épousa  Gvllembourg.  Le  fils  (|u'elle 
avait  eu  de  Heiberg,  Johan  Ludvig,  qui  plus  tard  devait  être  un 
célèbre  poète,  fut  confié  au  soin  d'autres  personnes.  En  -1815,  Gyl- 
lembourg  mourut;  la  mère  et  le  fils  se  trouvèrent  alors  rapprochés 
pour  toujours;  enfin  elle  obtint  le  pardon  de  Heiberg.  Rn  ^827,  son 
fils  publiait  une  nouvelle  anonyme,  dont  elle  était  l'auteur,  «  une 
histoire  de  la  vie  journalière,  »  qui  bientôt  fut  suivie  par  d'autres; 
sans  quitter  le  voile  de  l'anonyme,  elle  s'est  fait  un  nom  considérable 
dans  notre  littérature  moderne.  Elle  mourut  en  1850.  Sa  belle-fille 
vient  de  publier  toutes  les  lettres  relatives  à  cette  partie  de  l'histoire 
de  Thomasine  Gyllembourg  et  de  P.  îi.  Heiberg'.  Ces  lettres  intimes 
ont  eu  un  succès  prodigieux  :  elles  en  sont  à  leur  troisième  édition. 
Nul  roman  n'aurait  pu  peindre  d'une  manière  plus  saisissante  et  plus 
dramatique  le  conflit  qui  se  déclara  entre  des  personnes  d'un  carac- 
tère si  différent  ;  on  croit  voir  devant  soi  cette  maison  bourgeoise  de 
1793,  où  les  envoyés  de  la  République  française  répandaient  les  idées 
de  liberté  individuelle  et  politique.  Aussiya-t-il  un  charme  véritable 
dans  le  langage  et  dans  le  style  de  cette  jeune  femme  naïve  et  spiri- 
tuelle à  la  fois.  On  a  dit  que  l'éditeur,  dans  le  récit  dont  elle  accom- 
pagne ces  lettres,  s'est  montrée  un  peu  trop  paitiale  pour  sa  belle- 
mère.  La  polémique  suscitée  par  le  livre  a  provoqué  d'autres  livres 
et  recueils  de  lettres.  Mais,  selon  nous,  ces  livres,  au  lieu  de  combattre 
l'opinion  de  M"'*=  Heiberg,  prouvent  qu^en  général  elle  a  trouvé  la 
note  juste  pour  apprécier  les  personnes  de  ce  drame  '■^. 


1.  Johanne  Luise  Heiberg.  Peter  Andréas  Heiberg  og  Thomasine  Gijllem- 
bourg.  1882.  (Gyldendal.) 

2.  I.  L.  Heiberg.   Brève  fra  P.  A.  Heiberg.  1883.  (C.  A.  Reifzel.)  —  Cli. 
Thaarup.  P.  A.  Heiberg.  Seconde  édition,  1883.  (Thaarup.)  —  yordisk  Tidskrift. 


404  BDLLETIN  HISTORIQUE. 

En  fait  de  publications  généalogiques  et  héraldiques,  il  a  paru 
plusieurs  bons  livres:  ainsi  la  première  année  d'un  nobiliaire  danois, 
par  MM.  Lorextzen  et  Thiset^.  Outre  des  renseignements  exacts  sur 
tous  les  nobles  vivants,  cet  ouvrage  contient  la  liste  de  toutes  les 
familles  nobles;  le  volume  de  cette  année  va  ainsi  de  la  famille 
Abildgaard  à  celle  des  Baden.  Les  tables  sont  suivies  de  belles  gra- 
vures qui  représentent  les  armoiries  des  familles  éteintes.  Nous  espé- 
rons que  cette  entreprise  réussira.  Les  matières  de  ce  livre  sont 
recueillies  avec  beaucoup  de  soin,  et  l'ouvrage  témoigne  d'une  grande 
connaissance  de  l'histoire  des  anciennes  familles. 

Le  Dr.  Henry  Petersen  a  commencé  un  grand  ouvrage  in-folio 
intitulé  :  Sceaux  ecclésiastiques  ^  -,  nous  espérons  que  ce  sera  un 
traité  complet  sur  les  sceaux  du  moyen  âge.  Les  planches  sont  soi- 
gneusement dessinées,  et  la  description  est  bonne.  Le  même  savant 
auteur  vient  de  nous  donner  des  études  intéressantes  sur  un  pavillon 
danois  suspendu  à  léglise  Notre-Dame  de  Lubeck,  et  datant  du  com- 
mencement du  xv^  siècle,  antiquité  assez  rare  pour  un  tel  objet. 
L'auteur  montre  que  ce  dra])eau  a  été  pris  aux  Danois  dans  une 
bataille  navale  livrée  devant  Copenhague,  et  où  les  Danois  furent 
d'ailleurs  vainqueurs.  Il  examine  aussi  les  formes,  les  figures  et  les 
couleurs  du  pavillon  danois  au  moyen  âge,  ainsi  que  la  signification 
des  ligures.  A  ce  sujet,  nous  remarquons  aussi  que  M.  Lœfller,  dans 
une  étude  publiée  par  VHistorisk  Tidsskrift^  vol.  11,  prouve  que  le 
Danebrog  s'est  conservé  jusqu'à  ce  jour  tel  qu'il  était  dans  les  armes 
de  la  ville  de  Reval,  capitale  de  l'anciemie  province  danoise  l'Es- 
Ihonie. 

M.  llEisEa  écrit  l'histoire  de  la  famille  Rosenkrantz  (vol.  II);  excel- 
lent ouvrage,  qui  traite  aussi  des  (juestions  d'une  portée  générale"*, 

M.  UssiNG,  professeur  à  Tuniversité,  a  raconté  ses  souvenirs  d'un 
voyage  en  Grèce  et  Asie-Mineure  au  printemps  18.S2''.  Il  y  décrit, 
sans  aucun  appareil  d'érudition,  les  nouvelles  trouvailles  qu'on  a 
faites  dans  ce  jwys.  11  y  mêle  aussi  des  réflexions  originales.  Ainsi, 
il  combat  l'opinion  de  l'architecte  IJohn,  adoptée  par  le  musée  de 
Berlin,  sur  la  construction  de  Fautel  à  Pergame.  M.  Bohn  soutient 
quePautel  a  été  entouré  d'un  mur  et  en  outre  d'une  colonnade  érigée 

1883.  —  s.  Biiket  Smilti.  TU   Behjsning  af  Utcrxre  Personer  i  Slutningen  af 
det  \8de  og  Begijndelsen  af  det  19rfe  Aarh.  (A.  F.  Hasl.) 

1.  Hiort  Lorenlzen  og  A.  Thisel.  Damnarks  Adels  Aarbog.  1884.  (P.  G. 
Philipsen.) 

2.  Henry  Petersen.  Danske  geistlige  Sigiller  fra  Middelalderen.  2  cahiers. 
Aux  frais  de  la  fondation  Carlsberg.  1883.  (Reitzel.) 

3.  A.  Heise.  Familien  Rosenkrantz^  Historié.  Vol.  II.  1882.  (Reitzel.) 

.'i,  J.  L.  Ussing.  Fra  Hellas  og  LiUeasien  i  Foraarei  1882.  1883.  (Gyklendal.) 


DAIVEMARK.  ^O") 

sur  la  grande  terrasse  que  décorait  la  célèbre  frise  de  la  gigantoma- 
chie;  M.  Ussing  soutieiil  au  coniraire  (|ii'un  pareil  genre  de  cons- 
truction n'a  jamais  été  employé  (|ue  dans  des  monuments  funéraires. 
et  que  les  autels  ont  toujours  été  élevés  isolés  ou  devant  un  temple. 
11  nie  aussi  que  les  fouilles  exécutées  sur  la  terrasse  aient  montré  les 
traces  d'une  colonnade. 

M.  Andr/e  a  écrit  pour  le  grand  public  une  description  de  la  Via 
Appia  ^ . 

Un  beau  livre  de  vulgarisation,  où  l'on  peut  relever  plusieurs 
points  de  vue  originaux,  est  celui  de  M.  JœiicENSEv,  intitulé  :  Quarante 
narrations  sur  V histoire  d%i  Danemark  ^. 

Parmi  les  livres  sur  l'histoire  de  notre  siècle,  nous  relèverons 
l'exact  et  solide  récit  du  règne  de  Frédéric  VII  par  Thousoe^  et  Tim- 
portant  ouvrage  du  capitaine  Scerense^  :  la  guerre  de  180-4''*,  écrit 
sur  les  documents  officiels  du  ministère  de  la  guerre.  —  M.  Auxfelt 
a  publié  le  journal  du  prince  Christian-Frédéric  en  Norvège  en  ^  SI  4  '\ 

—  Nous  devons  au  pasteur  Petersex  une  bonne  biographie  de  Hen- 
rik  StefTens^,  —  Parmi  les  éditions  de  textes  et  de  documents,  nous 
signalerons  :  Kr.  Erslev.  Aktstijkker  og  Ophjsninger  til  Rigsraadefs 
og  Stxndermœdernes  Historié  i  Kristian  IV's  Tid.  r''  cahier  (docu- 
ments pour  servir  à  Fhistoire  du  conseil  et  des  États),  1.S83  (Klein). 

—  H.  RœRDAM.  Monumenta  Historix  Danicx.  Historiske  Kildcskrif- 
ter.  Cahiers  1-3,  1882-84  (Gad).  —  V.  A.  Secijek.  Judicia  P/ociti 
Régis  Daniœ  Justitiarii.  Samling  af  Kongens  Rettertings  Domme, 
^. 395-1 G04,  188^83  (Gad).— 0.  Nielsex,  Garnie  jydske  Tingsvidner 
(anciens  témoignages  rendus  aux  cours  de  Jutland),  ^882.  —  Voici 
les  titres  de  quelques  ouvrages  topographiques  :  J.  Ivrxcii.  Ribe  Bys 
Historié  (Gad),  ^530-^660.  —  H.  D.  Lixd.  Nyboder  og  dets  Bcboerc, 
^882  (Ivlewing-Evers).  —  H.  Dahlerdp.  Mariager  Klosters  og  Bys 
Historié,  -1882  (Gyldendal).  —  Citons  enfin  un  grand  noml)re  d'au- 
tobiographies ou  de  livres  sur  des  auteurs  modernes,  par  exemple  : 
Fr.  Vixkel  Horx.  N.  F.  S.  Grundtvigs  Liv  og  Gjerning,  1883.  — 
Grundtvig  og  Ingemann.  Brevvexling,   182i--)9.  —  H.  Martensen. 

Af  mit  Levnet^  vol.  I-III. 

J.  Steexstrup. 

1.  Poul  Andrae.  Via  Appia,  dens  Historié  og  Mindesmserlier.  Vol.  I.  188Î. 

—  P.  Andrae.  Senecapaasin  Villa  ved  dea  Appiske  Vei.  1883.  (Gyldendal.) 

2.  A.  D.  Jœrgensen.  Fyrreiyve  Fortnellinger  af  Ixdrelandets  Historié.  1882. 
(Gad.) 

3.  Thorsœ.  Kong  Frederik  den  Syvendes  Regering.  Vol.  I.  1882-84. 

4.  C.  Th.  Sœrensen.  Ben  anden  Slesvigshe  Krig.  3  vol,  1881-83.  (Gyldendal.) 

5.  A.  Ahnfelt.  Kong  Christian  VlJl's  Dagbog  fra  Regenttiden  i  Norge.  1883. 
(Gyldendal.) 

6.  Richard  Petersen.  Henrili  Siemens,  1881. 


406  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 


COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 


Die  rœmische  Grundsteuer  und  das  Vectigalrecht,  par  Bernhard 

Matthiass,  ^882.  Erlangen,  Ueichert,  in-8°  de  84  p. 

Le  livre  de  M.  Matthiass  se  compose  de  deux  parties  bien  distinctes. 
La  dernière,  consacrée  au  Vectigalrecht,  est  essentiellement  juridique  : 
l'auteur  étudie  surtout  les  rapports  entre  l'État  et  les  particuliers  au 
point  de  vue  fiscal.  Nous  n'avons  pas  à  examiner  ici  cette  partie.  Dans 
la  première,  il  s'occupe  de  la  Grundsteuer,  du  principe  de  l'impôt  chez 
les  Romains.  Il  admet  que  jusque  sous  Caracalla  il  y  eut  un  double 
principe  d'impôt  :  l'impôt  sur  le  sol,  pour  les  provinciaux,  l'impôt  sur 
la  fortune,  pour  les  citoyens  romains.  «  Les  deux  systèmes  furent  con- 
servés, parallèlement  l'un  à  l'autre,  jusque  sous  Caracalla.  A  partir  de 
son  règne,  on  commença  à  appliquer  aux  provinces  le  système  du 
tributum  des  citoyens  romains  (page  9).  »  Au  iv"  siècle,  nous  sommes 
en  présence  d'un  système  unique.  Le  principe  est  alors ,  dans 
tout  l'empire,  comme  autrefois  à  Rome,  l'impôt  sur  le  capital.  —  La 
théorie  de  M.  M.  est  donc  entièrement  contraire  à  la  théorie  générale- 
ment adoptée,  suivant  laquelle  l'impôt  provincial  (foncier  et  i)ersonnel) 
aurait  été  étendu,  sous  Dioclétien,  à  l'Italie  et  aux  citoyens  romains  : 
suivant  lui,  c'est  le  tributum  civium  romanorum  (sur  le  capital)  qui 
aurait  été  introduit  dans  les  provinces. 

M.  M.  sait  beaucoup  de  clioses  :  il  a  lu  infiniment  d'auteurs,  et  il 
serait  difficile  de  rêver  une  bibliographie  plus  riche  que  celle  (jui  remplit 
les  notes  du  livre.  Mais  il  a  trop  étudié  les  dissertations,  et  pas  assez 
les  textes.  Il  en  est  résulté  qu'il  a  été  séduit  et  égaré  par  les  théories 
d'un  homme  fort  habile  et  de  premier  mérite  d'ailleurs,  Rodbertus 
Jagetzow.  Rodbertus  est  dangereux  :  ses  idées  ont  toujours  quelque 
chose  d'attrayant,  de  nouveau,  qui  gagne  au  premier  abord  ;  mais  elles 
sont  loin  d'être  conformes  à  la  vérité  historique,  à  celle  qui  ressort  des 
textes.  Il  en  est  de  même  de  celles  de  M.  M.,  qui  en  dérivent.  Son  his- 
toire de  l'impôt  romain  appartient  au  domaine  de  la  théorie ,  on  serait 
presque  tenté  de  dire  de  l'allégorie.  Elle  est  trop  simple  pour  être 
vraie.  Cette  opposition  primitive  entre  les  deux  systèmes  n'a  guère 
existé  ;  les  provinces  n'ont  jamais  payé  exclusivement  l'impôt  foncier  ; 
on  ne  l'a  pas  appliqué  dans  toutes  les  provinces  ;  le  tribut  des  citoyens 
romains  n'existe  plus  au  second  siècle  ;  les  citoyens  qui  habitent 
la  province  sont  soumis  aux  impôts  provinciaux.  Au  iv»  siècle, 
il  y  a  une  contribution  foncière  que  les  textes  distinguent  bien  des 
autres  :  c'est  la  terre  qui  paye  et  non  les  personnes  ;  l'impôt  est  mis  sur 


JoeL  :  blickj:  i\  nii;  iikligionsgeschichte.  'i07 

le  sol  en  tant  que  sol,  non  pas  en  tant  qu'objet  do  propriété.  Ce  <|u'il 
est  très  vrai  dédire,  et  M.  M.  a  eu  raison  de  le  faire  remarquer,  c'est  que, 
dans  le  système  financier  d'alors,  il  y  a  beaucoup  de  points  (jui  rappel- 
lent le  système  primitif.  Mais  ces  points  de  contact  viennent  de  ce  que, 
dès  l'origine,  l'impôt  provincial  a  ressemblé  à  l'impôt  romain,  parce  que 
les  Romains  ont  le  plus  souvent  gardé  le  système  qui  existait  avant  la 
conquête,  et  que  les  régimes  financiers  des  États  antiques  ne  difleraient 
guère  les  uns  des  autres. 

G.  J. 


D''  M.  Joël..  Blieke  in  die  Religionsgeschichte  zu  Anfang  des 
zweiten  christlichen  Jahrhunderts  ;  zweite  Alilheiliiiig.  Uci" 
Gonflict  des  Heidenthums  mit  dem  Ghristenlhum  iii  seinen  Fol- 
gen  fiir  das  Judenthum.  Breslau  et  Leipzig,  Schottlaendcr,  18X3. 
i  vol.  in-i8,  de  ^90  p. 

La  première  partie  du  présent  travail,  parue  en  1880,  a  été  accueillie 
avec  intérêt,  comme  offrant  la  preuve  d'une  curiosité  élevée  servie  par 
une  investigation  abondante  et  exacte.  Voici  comment  M.  Joël  jusiilio 
les  recherches  nouvelles  dont  il  livre  aujourd'hui  les  résultats  au  public. 

La  persécution  contre  le  christianisme,  qui  a  duré  de  la  lin  du 
I"  siècle  jusque  vers  l'achèvement  du  n^,  a  amené  les  Romains  à  faire 
entre  chrétiens  et  Juifs  une  différence,  que  les  chrétiens  eux-mêmes  ne 
faisaient  pas  encore,  la  rupture  véritable  entre  ceux-ci  et  les  Juifs 
n'ayant  eu  lieu  qu'au  ii"  siècle.  La  littérature  chrétienne  a  pris  alors 
une  attitude  hostile  à  l'égard  du  judaïsme.  Les  témoignages  sur  ou 
contre  les  Juifs  que  l'on  rencontre  chez  les  écrivains  chrétiens  de  cette 
époque  ne  doivent  être  accueillis  qu'avec  une  extrême  défiance.  Les 
apologistes  chrétiens  du  n«  siècle  ont  recours  constamment  à  des  pro- 
cédés de  fraude  pieuse  ou  de  dénigrement  pour  llatter  les  empereurs 
qui  persécutaient  leurs  coreligionnaires  et  se  concilier  l'opinion  publique. 

Les  chrétiens  essaient  de  faire  croire  qu'ils  ont  toujours  été  au  mieux 
avec  le  pouvoir  et  que  les  empereurs  leur  ont,  de  tout  temps,  témoigne 
une  vraie  sympathie.  Toutes  les  calomnies  dont  ils  ont  souffert  en  divers 
temps  et  lieux  viennent  des  Juifs.  M.  Joi'l  voudrait  établir  que  le  moyen 
âge  a  pris  pour  tâche  de  rendre  aux  Juifs  tout  le  mal  qu'ils  passaient 
pour  avoir  fait  autrefois  aux  chrétiens.  Il  croit  pouvoir  affirmer  que 
cette  loi  du  talion  fut  appliquée  selon  un  programme  méthodique.  Ainsi 
les  Juifs  étaient  assujettis  à  un  impôt  sur  les  dés  à  jouer,  parce  que  les 
soldats  avaient  tiré  au  sort  la  robe  de  Jésus.  Si  on  les  accusait  d'em- 
ployer du  sang  chrétien  pour  les  rites  de  leur  religion ,  c'est  qu'ils 
avaient  accusé  les  premiers  chrétiens  do  ce  crime,  etc. 

Il  est  assez  difficile  de  suivre  M.  Joél  dans  son  excursion  un  pou  irro- 
gulière  à  travers  les  faits,  les  livres  et  les  personnes.  Sans  tenir  pour 
définitives  ces  opinions,  dont  bon  nombre  ont  besoin  d'être  soumises  à 


408  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

ua  nouvel  examen  et  dont  quelques-unes  frappent  par  leur  caractère 
excessif,  nous  ne  lui  refuserons  point  le  sérieux  mérite  d'avoir  hardi- 
ment posé  les  termes  d'un  des  problèmes  les  plus  intéressants  qui 
touchent  aux  origines  mêmes  de  la  société  moderne. 

M.  Vernes. 


Konrad  von  Marburg  und  die  Inquisition  in  Deutschland,  aus 

den  Qiiellen  bearbeilet,  von  Dr.  Ballhasar  Kaltxer.  In-8°,  x-'IOSp. 
Prag,  ^882,  Verlag  von  F.  Tempsky. 

Malgré  tout  l'appareil  scientifique  dont  il  a  pris  soin  de  l'entourer, 
le  livre  de  M.  K.  n'est  guère  qu'une  œuvre  de  polémique.  Les  premières 
lignes  le  donnent  à  penser  tout  de  suite  <,  et  l'examon  le  plus  rapide  ne 
laisse  aucun  doute  à  ce  sujet.  Ces  remarques  préliminaires  justifie- 
ront à  tous  les  égards,  nous  l'espérons,  le  caractère  du  compte  rendu 
que  nous  allons  présenter. 

Dans  ce  compte  rendu,  remarquons-le  tout  d'abord,  nous  laisserons 
de  côté  la  biographie  proprement  dite  de  Conrad  de  Marbourg^.  Nous 
nous  en  tiendrons  aux  points  qui,  avec  le  rôle  de  ce  personnage  dans 
la  persécution  de  l'hérésie,  peuvent  être  considérés  comme  formant  le 
corps  même  du  travail  que  nous  étudions,  ou  du  moins  en  donnant  le 
mieux  l'esprit.  Nous  voulons  dire  les  principes  mêmes  sur  lesquels  se 
fonda  la  justice  inquisitoriale  en  Allemagne  comme  ailleurs,  et  surtout 
l'indication  des  doctrines  hétérodoxes  qu'elle  eut  à  y  combattre.  Ces 
points  suffiront,  d'ailleurs,  amplement  à  nous  occuper,  et  à  fournir 
aussi,  nous  le  croyons,  la  preuve  de  l'assertion  que  nous  avons  émise 
en  débutant. 

Dans  cette  partie  de  son  livre,  comme  dans  celle  que  nous  laissons  de 
côté,  M.  K.,  il  faut  le  reconnaître,  tient  ce  qu'il  a  promis.  Il  remonte  tou- 


1.  Voir  Vorwort,  p.  v. 

2.  Un  point  iniporlant  de  cette  biographie  est  la  question  si  controversée  de 
savoir  quelle  fut  la  condilion  véritable  de  Conrad  de  Marbourg,  s'il  fut  simple- 
ment prêtre  séculier  ou  membre  de  quelque  grand  ordre  religieux.  M.  K.,  au 
bout  d'une  discussion  très  complète,  qui  est  assurément  ce  qu'il  y  a  de  meil- 
leur dans  son  livre,  arrive  à  conclure  que  Conrad  fut  certnineinent  prêtre  sécu- 
lier, el,  dans  les  derniers  temps  de  sa  vie,  affilié  probablement  au  tiers  ordre 
de  saint  François.  Cette  conclusion  semble  fort  juste.  Voir  ^  17  :  Konrads 
Stand,  p.  72-82.  —  Voir  également,  pour  les  rapports  du  même  personnage 
avec  la  cour  de  ïburinge  et  avec  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  qui  l'eut,  on  le 
sait,  pour  confesseur,  V.  cap.  :  Konrad  als  Beichvater  der  kl.  Elisabeth  am 
Hofe  von  Thuriwjen,  p.  97-111;  VI.  cap.:  Konrads  Thaetigkeit  und  seine  Sorge 
filr  die  heil.  Elisabeth,  p.  112-129.  En  ce  qui  concerne  enfin  le  portrait  beau- 
coup trop  flatté,  jiour  ne  pas  dire  davantage,  qu'a  tracé  de  Conrad  M.  K.,  voir 
particulièrement  g  38  :  Konrads  Ansichten  Uber  die  Haeresie,\>.  161-165;  §39: 
Charakter  Konrads  von  Marburg,  p.  166-169. 


KALTNER    :    KONRAD   VON   MARBDRG.  409 

jours  aux  sources.  Observons  cependant,  sans  vouloir  diminuer  son 
mérite  d'en  avoir  agi  de  la  sorte,  qu'il  n'a  eu  bien  souvent  pour  cela 
qu'à  repasser  par  des  chemins  tout  tracés.  Pour  ce  quiconccrno  nolam- 
ment  l'histoire  de  l'hérésie,  même  on  Allemagne,  et  celle  de  la  pénalité 
inquisitoriale,  les  travaux  de  MM.  Ficker  et  J.  Havet,  le  livre  surtout 
de  Schmidt,  qui  n'a  point  vieilli  malgré  sa  date  déjà  ancienne,  ont  pu 
lui  épargner  tout  embarras  et  presque  toute  peine  dans  ses  recherches. 

Mais,  à  cet  égard  même,  nous  avons  des  remarques  à  faire  autrement 
importantes  que  celle-là.  Pourquoi,  par  exemple,  M.  K.  n'a-t-il  pas  usé 
une  seule  fois  du  livre  de  Moneta,  ni  du  traité  de  Raiiiior  Sacchoni, 
sous  sa  forme  primitive,  celle  qu'ont  donnée  Martène  et  Durand  au 
tome  V  du  Thésaurus  îioviis  anecdotorum,  la  seule  authentique  et  réelle- 
ment utile?  Ce  sont  là  pourtant  deux  sources  capitales  d'informations. 
Moneta  et  Rainier  étaient  Italiens,  c'est  vrai.  Mais  M.  K.  ne  s'est  pas 
fait  faute  à  l'occasion  d'invoquer  le  témoignage  de  Raoul  Glaber,  do 
Guibert  de  Nogent,  de  Pierre  de  Vaux-Gernai,  de  Geolfroi  de  Vigoois, 
de  Luc  de  Tuy^.  Les  deux  écrivains  qu'il  a  négligés  pouvaient  lui 
servir  aussi  bien,  et  même,  pour  tout  dire,  beaucoup  mieux  que  tous 
ces  chroniqueurs,  qui  ne  sont  pas  Allemands.  Rs  ont  prétendu  tous 
les  deux  donner  une  idée  générale  et  complète  des  doctrines  dualistes 
dans  toutes  leurs  nuances.  En  fait,  pour  se  servir  sans  crainte  d'erreur 
des  renseignements  fournis  par  eux,  il  suffisait  d'abord  de  déterminer 
nettement  la  nature  du  catharisme  germanique. 

Disons  immédiatement  que  c'est,  à  la  vérité,  un  point  qui  demeure  très 
vague  chez  M.  K.  Penser,  comme  il  le  fait,  que  les  cathares  allemands 
se  rattachaient  vraisemblablement  au  dualisme  absolu,  parce  qu'ils 
reconnaissaient  deux  dieux,  l'un  bon  et  l'autre  mauvais  2,  c'est  donner 
de  cet  avis  une  raison  tout  à  fait  insufûhante.  Ces  deux  dieux,  les  dua- 
listes mitigés  les  admettaient  aussi,  bien  qu'avec  certaines  réserves.  En 
tout  cas,  ils  figuraient  dans  le  système  très  important  de  Jean  de  Lugio 
au  même  titre  que  dans  le  dualisme  primitif  3. 

Il  se  peut  après  tout  que  la  nature  exacte  du  catharisme  allemand 
soit  très  difficile,  sinon  impossible  à  préciser.  Mais  alors,  comment, 
ainsi  que  M.  K.  le  soutient  ailleurs  ^  une  secte  aussi  obscure,  et,  on  a 
le  droit  de  le  penser,  par  suite  assez  faible  en  Allemagne,  aurait-elle 
fait  courir  à  l'Église  dans  ce  même  pays  un  danger  plus  grand  que 
dans  tout  autre  ?  Quelque  aide  que  lui  prêtassent  pour  cela  les  Vaudois, 
et  surtout  les  Lucifériens  et  les  Frères  du  Libre-Esprit,  dont  l'auteur 
exagère,  selon  nous,  grandement  la  puissance •%  la  chose  demeure  invrai- 


1.  Voir  p.  55,  56. 

2.  Voir  p.  49,  50. 

3.  Voir  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  Cathares  ou  Alfn- 

geois,  t.  II,  p.  53. 

4.  Voir  p.  13. 

5.  Voir,  sur  ces  deux  dernières  sectes,  U  13  et  14,  p.  58-65.  Eu  ce  qui  louche 


'HO  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

semblable.  C'était  en  Italie  et  dans  le  midi  de  la  France  qu'était  à  la 
même  époque  le  péril  le  plus  menaçant  pour  l'église  de  Rome.  Nous 
n'insisterons  pas  sur  cette  remarque.  Mais  n'y  peut-on  pas  voir  déjà 
une  preuve  de  ce  que  nous  avons  indiqué  tou^  de  suite  chez  M.  K.,  le 
parti  pris  de  soutenir  une  thèse,  ce  dont  nous  avons,  d'ailleurs,  bien 
d'autres  témoignages  et  autrement  décisifs  que  celui-là  ? 

A  l'omission  absolue  de  certaines  sources  qui  vient  d'être  relevée, 
s'oppose  dans  le  travail  dont  nous  parlons  l'emploi  poussé  jusqu'à  l'abus 
de  certaines  autres.  On  ne  saurait  y  voir  une  compensation,  car  ces 
dernières  sont  aussi  défectueuses  que  sont  excellentes  au  contraire 
celles  dont  M.  K.  s'est  abstenu  de  se  servir.  Il  s'agit  du  livre  du  béné- 
dictin allemand  Eckbert  et  de  l'amplification  du  traité  original  de  Rai- 
nier  Sacchoni,  amplification  faite  en  Allemagne  dans  la  seconde  moitié 
du  xme  siècle  et  désignée  par  les  érudits  sous  le  nom  de  Pseiido-Rainier. 
Or,  Eckbert  a,  de  son  propre  aveu,  assimilé  perpétuellement  les  Cathares 
de  son  temps  aux  Manichéens  primitifs.  Sous  prétexte  que  les  uns  et 
les  autres  admettaient  deux  principes,  et  que  les  membres  d'une  des 
sectes  manichéennes  portaient  la  dénomination  très  voisine  de  Catha- 
ristae,  il  a  cru  pouvoir,  comme  l'a  fait  aussi  le  dominicain  Etienne  de 
Bourbon,  appliquer  aux  dualistes  du  xn«  siècle  tout  ce  que  saint  Augus- 
tin a  dit  de  ceux  du  v^.  Il  semble  enfin  le  représentant  le  plus  net  de 
la  croyance  à  l'identité  du  manichéisme  et  du  catharisme,  admise  sans 
plus  ample  examen  par  tous  les  docteurs  du  moyen  âge,  à  laquelle  les 
auteurs  modernes  n'ont  pas  tous  renoncé  encore,  dont  nous  ne  jurerions 
pas  que  M.  K.  lui-même  fût  entièrement  dégagé <,  mais  dont  Schmidt 
a  démontré  le  caractère  insoutenable.  Quant  au  Pseudo-Rainier,  c'est  la 
compilation  la  plus  informe  et  manifestement  la  plus  absurde  qui  puisse 
se  rencontrer.  La  précison  de  certains  détails,  loin  de  témoigner  en  sa 
faveur,  est  faite  au  contraire  pour  mettre  en  défiance  la  critique  la  plus 
débonnaire.  M.  K.  ne  pouvait  donc  plus  mal  choisir  ses  auteurs  de  pré- 
dilection. Parmi  tous  les  écrits  contemporains  du  catharisme,  il  n'y 
en  a  pas  probablement  qui  soit  mieux  fait  pour  tromper  l'historien  sur 
la  nature  réelle  de  cette  doctrine  religieuse. 

aux  Frères  du  Libre-Esprit,  nous  remarquerons  que  M.  K.  donne  au  plus  célèbre 
des  disciples  d'Amauri  de  Reynes,  David  de  Dinan,  le  prénom  de  Guillaume. 
V.  p.  63.  Nous  ne  savons  sur  quelle  autorité.  Le  nom  de  ville,  joint  au  prénom 
de  ce  David,  doit  s'écrire  également,  il  semble,  Dinan  et  non  Dinant,  comme 
il  le  fait. 

1.  Voir,  p.  28,  ce  qu'il  dit  des  origines  du  cattiarisme.  La  même  supposition 
peut  s'appuyer  également  de  ce  qu'il  dit  de  la  hiérarchie  cathare  (p.  53),  et 
de  la  fête  attribuée  aux  hérétiques  et  désignée  sous  le  nom  de  Malilosa  (p.  54). 
Mais  ce  sont  là  surtout  des  exemples  des  erreurs  oii  M.  K.  a  été  entraîné  pour 
avoir  accepté  aveuglément  toutes  les  assertions  d'Eckbert.  La  hiérarchie,  donnée 
par  lui  et  empruntée  au  moine  bénédictin,  est  purement  manichéenne.  La  fête 
Malilosa,  dont  il  parle  sur  la  foi  du  même  auteur,  n'est  que  le  Béma  des 
dualistes  contemporains  de  saint  Augustin.  Cf.  Schmidt,  t.  II,  p.  138  et  145. 


KALTNER    :    KOMiAh    V(»\    MAIIBI'IK;.  444 

Voilà,  si  nous  ne  nous  trompons,  un  certain  nombre  de  défauts  assez 
graves  pour  affaiblir  notablement  la  valeur  et  la  portée  du  livre  qui 
nous  occupe.  Mais  il  y  a  plus.  Nous  ne  pensons  pas  trop  nous  avancer 
en  affirmant  que  c'est  presque  à  chaque  page  (ju'il  faudrait  s'arrêter 
pour  relever  l'emploi  d'une  source  douteuse,  remettre  un  fait  dans  son 
véritable  jour,  discuter  une  assertion  contestable.  On  comprendra  que 
nous  n'abordions  pas  une  semblable  entreprise.  Ce  compte  rendu  ne 
sera  que  trop  long  sans  cela.  Nous  n'y  ajouterons  plus  qu'un  petit 
nombre  de  points,  qui  mettront  définitivement  hors  de  doute,  il  nous 
semble,  le  parti  pris  que  nous  avons  déjà  signalé  à  plusieurs  reprises 
chez  l'auteur. 

M.  K.  (p.  27)  trouve  tout  naturel  que  les  juges  d'inquisition  se  soient 
toujours  refusés  à  faire  connaître  aux  prévenus  les  noms  de  leurs  accu- 
sateurs. Il  ne  donne  pas,  du  reste,  de  cette  mesure  contraire  à  tout  droit 
d'autre  excuse  que  celle  dont  se  sont  servis  les  souverains  pontifes 
eux-mêmes,  ce  qui  est  tout  à  fait  insuffisant.  Mais  ce  n'est  là  qu'un 
détail. 

Dans  la  partie  de  son  livre  intitulée  :  Die  Denkwcisc  des  Mittelallers 
iiber  die  Ketzerstrafen^^  M.  K.  veut  établir  qu'en  ordonnant  de  brûler 
les  hérétiques  l'église  romaine  ne  faisait  que  se  conformer  au  sentiment 
même  de  l'époque  où  elle  ordonnait  ces  exécutions.  Nous  ne  croyons 
pas  que  son  argumentation  soit  bien  péremptoire.  11  n'examine  pas 
si  en  édictant  eux-mêmes  un  certain  nombre  de  décrets  contre  l'héré- 
sie, en  en  obtenant  ou  en  en  arrachant  un  certain  nombre  d'autres  des 
princes  séculiers,  en  imposant  enfin  à  la  société  civile  le  maintien  et  la 
pratique  de  cette  législation  pénale,  les  souverains  pontifes  n'avaient 
pas  créé  en  grande  partie  l'opinion  à  laquelle  ils  paraissaient  simple- 
ment obéir.  Il  ne  considère  pas  davantage  si  l'esprit  manifeste  de 
l'Évangile  leur  laissait  le  droit  d'en  agir  ainsi.  En  dehors  du  droit,  il  ne 
se  demande  point  si  l'abandon  de  cette  tradition  de  clémence,  démon- 
trée par  Limborch  et  par  Schmidt^,  et  sur  laquelle  il  passe  si  légère- 
ment, ne  constituait  pas  pour  eux  un  danger  plus  grand  que  celui  qu'ils 
voulaient  conjurer  par  cet  abandon  même.  En  y  persistant,  ils  pouvaient 
ne  pas  prendre  le  moyen  le  plus  énergique  de  restaurer  leur  domination 
ébranlée.  En  la  répudiant,  ils  compromettaient  à  coup  sur  leur  prestige 
moral,  c'est-à-dire  le  fondement  même  de  leur  puissance  3. 

Au  cours  de  l'argumentation,  dont  nous  venons  d'indiquer  les  lacunes, 
M.  K.  cite,  en  les  déclarant  absolument  exactes,  les  paroles  suivantes 
de  M.  Dolhnger,  dans  son  livre  Kirclie  und  Kirchen  :  «  Ces  sectes  gnos- 
tiques  (?),  les  Cathares  et  les  Albigeois...  étaient  les  communistes  et  les 
socialistes  de  ce  temps-là.  Ils  attaquaient  le  mariage,  la  famille  et  la 


1.  g  3,  p.  12-17. 

2.  Voir  Historia  inquisitionis,  p.  1-4,  16-21,  et  Histoire  ei  doclnne  de  la  secte 
des  Cathares  ou  Albigeois,  t.  II,  i>.  217-220. 

3.  Voir,  à  ce  propos,  Schniidt,  t.  II,  p.  224. 


512  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

propriété.  »  Quelle  manière  d'expliquer  l'histoire  ou  plutôt  de  l'embrouil- 
ler! Il  h'y  aurait  pas  lieu,  d'ailleurs,  de  s'arrêter  à  de  pareilles  asser- 
tions, si  elles  ne  semblaient  être  la  pensée  unanime  et  en  quelque  sorte 
définitive  d'une  certaine  école  historique,  si  surtout  on  ne  prétendait  les 
soutenir  d'une  série  de  preuves  dont  il  peut  ne  pas  être  inutile  de  mar- 
quer rapidement  la  faible  valeur. 

Ces  preuves,  il  est  vrai,  on  ne  les  donne  pas  pour  ce  qui  concerne  les 
attaques  imputées  aux  Cathares  contre  la  propriété.  L'accusation  sur  ce 
chef  en  est  réduite  à  faire  son  chemin  toute  seule  et  pour  cause.  Peut- 
être  même,  en  fin  de  compte,  le  catharisme  n'en  est-il  chargé  que  parce 
qu'elle  se  trouve  implicitement  comprise  dans  l'appellation  de  doctrine 
antisociale  dont  on  le  flétrit. 

L'accusation  de  ruiner  le  mariage  et  la  famille  a  de  bien  autres  pro- 
portions. L'origine  en  est  dans  la  condamnation  de  l'union  matrimo- 
niale par  les  sectaires.  Que  penser  exactement  de  cette  condamnation, 
absolue  en  théorie,  c'est  ce  que  nous  n'avons  pas  le  loisir  d'examiner 
ici.  Nous  nous  contenterons  de  renvoyer  sur  ce  point  aux  docteurs,  qui 
se  sont  appliqués  à  autre  chose  qu'à  injurier  la  secte,  et  en  première 
ligne  au  savant  et  scrupuleux  Moneta'.  On  verra  de  reste,  à  leur  embar- 
ras, si  la  question  se  résout  aussi  aisément  contre  le  catharisme  que 
semblent  le  croire  M.  K.  et  les  écrivains  de  la  même  école.  Nous  rap- 
pellerons également  la  parole  significative  d'Étionnc  de  Bourbon  : 
«  Uxores  electis  (=  perfectis)  eoriim  prohibentiir,  auditoribus  (=  creden- 
tibus)  conccduntur'^,  »  parole  qui  nous  montre  le  mariage  entendu  dans 
l'église  cathare,  en  dépit  de  la  théorie,  de  la  même  façon  que  dans 
l'église  catholique,  permis  aux  fidèles  et  défendu  aux  prêtres. 

Mais,  cette  même  condamnation  prononcée  par  les  sectaires  entraî- 
nait-oUe  les  déportements  abominables  qu'on  a  voulu  lui  attribuer 
comme  conséquences  nécessaires,  voilà  un  point  auquel  nous  nous  arrê- 
terons. Que  cette  corrélation  entre  les  croyances  dualistes  et  les  dépor- 
tements  dont  il  s'agit  fût  une  nécessité  inévitable,  on  ne  le  voit  pas 
bien  nettement.  En  tout  cas,  il  faudrait  donner  de  ces  mêmes  déporte- 
ments d'autres  preuves  que  celles  dont  on  a  usé  pour  en  établir  l'exis- 
tence. M.  K.  en  a  présenté  le  résumé  :  elles  y  apparaissent  dans  toute 
leur  faiblesse^. 

C'est  la  répétition  de  toutes  les  fables  toujours  identiques  qu'a  fait 
naître  l'existence  forcément  obscure  de  toutes  les  sectes  persécutées,  des 
clirétiens  eux-mêmes.  M.  K.  ne  s'étonne  pas,  d'ailleurs,  de  cette  simi- 
litude monotone.  C'est  l'attribution  aux  Cathares  des  débauches  impu- 
tées à  tort  ou  à  raison  aux  Manichéens  antiques.  M.  K.  trouve  la  chose 


1.  Voir  p.  315-346  de  son  traité.  Cf.  également  Schmidt,  t.  II,  p.  248. 

1.  Lecoy  de  la  Marche,  Légendes  et  apologues  tirés  du  recueil  inédit  d'Etienne 
de  Bourbon,  p.  302. 

3.  Voir  g  12  :  Folgerungen  fiir  die  Sittenlehre  der  Katharer,  p.  55-58.  — 
Cf.  Schmidt,  t.  II,  p.  151-153. 


KALTXER    :    KONRAD    VON    MAUBURG.  /H  3 

toute  naturelle.  «  Les  mêmes  principes,  dit-il,  ne  pouvaient-ils  et  ne 
devaient-ils  pas  produire  les  mêmes  ellets  '  ?  b  Assurément;  mais  ce  n'en 
est  pas  moins  supposer  démontré  ce  qui  est  en  question  :  d'abord,  la 
réalité  des  abominations  attribuées  aux  dualistes  du  v"  siècle,  puis 
l'identité  de  doctrines  entre  ces  mêmes  dualistes  et  ceux  du  xni*.  Or,  de 
ces  deux  points,  le  premier  n'est  peut-être  pas  complètement  hors  de 
doute,  le  second,  ainsi  que  nous  l'avons  remarqué,  est  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  contestable. 

M.  K.  aurait-il  une  prédilection  pour  le  genre  de  raisonnement  que 
nous  venons  de  signaler  chez  lui  ?  Quelques  lignes  plus  loin,  il  lui  arrive 
de  nous  en  offrir  encore  un  exemple  à  propos  du  passage  suivant  de 
Pierre  de  Vaux-Gernai  :  «  Dicebant  (haeretici)  qiiod  non  pcccabal  quis 
gravius  dormiendo  cum  quatre  vel  sorore  sua  quam  cum  qualibel  alla-.  » 
—  «  Pourquoi,  dit-il,  et  dans  quel  but  aurait-on  mis  en  avant  une 
pareille  excuse?  »  Fort  bien;  mais  qui  nous  prouve  l'exactitude  du  ren- 
seignement fourni  par  le  moine  de  Citeaux  ?  Le  caractère  même  du 
chapitre  sur  les  croyances  cathares,  auquel  il  est  emprunté,  n'est  pas 
fait  pour  nous  inspirer  une  confiance  absolue.  C'est  là  que  se  trouve 
encore  l'indication  de  cette  autre  croyance,  attribuée  par  le  même  histo- 
rien à  un  certain  nombre  d'hérétiques,  «  qiiod  nullus  poterat  peccare  ab 
umbilico  et  inferius.  »  La  croyance  dont  il  s'agit  remonte  originairement, 
il  semble,  à  la  secte  antique  des  Paterniens,  et  c'est  sans  doute,  comme 
le  remarque  Schmidt^,  par  confusion  des  deux  noms  de  Patcrini, 
celui-ci  synonyme  de  Cathari,  et  de  Paterniani,  que  Pierre  de  Vaux- 
Ceruai  et  le  Pseudo-Rainier,  chez  qui  se  trouve  également  cette  impu- 
tation, l'auront  lancée  contre  les  dualistes  de  leur  temps. 

Schmidt  remarque  encore  que  les  interrogatoires  d'inquisition  ne 
portent  point  de  traces  de  ces  crimes  affreux  attribués  aux  Cathares''. 
M.  K.  répond  que  cela  est  tout  simple  :  les  inquisiteurs,  assure-t-il,  ne 
s'informaient  avant  tout  que  des  relations  des  croyants  et  des  parfaits. 
Il  est  probable  que  M.  K.  n'a  jamais  eu  entre  les  mains  aucun  des 
interrogatoires  en  question.  Il  saurait  sans  cela  que  la  curiosité  des 

1.  Historia  Albigensium,  cap.  ii. 

2.  On  nous  permettra  de  le  reproduire  ici  :  «  Incestum  naturalem,  cum  maire 
propria  vel  sorore,  aut  cum  maire  (=  commalre),  dicunt  (liacrelicl)  esse  mun- 
dam  fornicaliouem,  dummodo  liai  secundum  rilum  seclae  qui  lalis  est  :  si  quis 
ab  ipsis  vult  abuli  propria  maire,  dabil  ei  xviii  denarios,  scx  pro  eo  quod  con- 
fecit  eum,  sex  pro  eo  quod  peperil  eum,  sex  pro  eo  quod  nulrivil  eum.  El  sic 
solula  lege  naturali  seu  nalura,  Ucenler  abulilur  ea,  quia  niliil  ei  allinere 
putatur,  et  omnino  liber  efficitur  ab  omni  naturali  reverenlia  malris,  sicul 
saccus  liber  effîcilur  a  frumenlo,  quafido  fueril  excussum.  Qui  sorore  volucril 
abuli,  dabit  ei  sex  denarios,  qui  commalre,  dabil  ei  novem  deninos.  Kl  sic 
licilum  esse  dicunt  incestum  sine  omni  peccato.  »  Maxima  bibliotheca  Patrum 
(édit.  de  Lyon,  1677),  t.  XXV,  p.  272. 

3.  Voir  t.  II,  p.  152. 

4.  Ibid.,  ut  supra. 


4^4  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

inquisiteurs  ne  connaissait  point  de  limites,  et  qu'elle  dépassait  de 
beaucoup  celle  même  de  nos  juges  d'instruction  modernes. 

A  tout  cet  ensemble  de  preuves  s'ajoute  naturellement  le  tarif  établi, 
suivant  le  Pseudo-Rainier,  pour  le  rachat  des  incestes  dans  la  secte 
cathare.  M.  K.  en  parle  sérieusement,  comme  s'il  ne  lui  inspi- 
rait pas  l'ombre  d'un  soupçon.  Est-il  en  cela  d'une  bonne  foi  entière  ? 
Quelque  atteinte  que  dût  en  éprouver  notre  confiance  dans  sa  sin- 
cérité parfaite,  nous  voudrions  presque  pouvoir  en  douter ^.  Mais 
ce  qui  l'emporte  peut-être  sur  le  passage  du  Pseudo-Rainier,  c'est  un 
témoignage  fourni  par  Geoffroi  de  Vigeois,  et  sur  l'autorité  duquel,  en 
ce  qui  concerne  les  abominations  qui  leur  étaient  reprochées,  M.  K. 
déclare  les  hérétiques  convaincus  par  leurs  propres  aveux.  Nous  en 
détachons  la  partie  la  plus  écrasante  pour  la  bonne  renommée  de  la 
secte.  Elle  fera  juger  de  ce  que  vaut  le  reste.  Qu'on  veuille  bien  seule- 
ment en  excuser  le  caractère  au  moins  étrange.  Ce  n'est  pas  nous  qui 
imaginons  de  faire  appel  à  de  semblables  textes.  «  Vierna,  conjux 
Sicardi  de  Boyssa  et  de  Granouillet,  palam  confessa  est  a  quinquaginta 
religiosioribus  ejusdem  scctae  nocle  quadam  fuisse  stupratam,  ciim  ipsa 
eisdem,  vitae  causa  sanctions,  thoro  viri  spreto,  conjunxisset  2.  » 

Nous  terminerons  ici.  Il  ne  nous  déplaît  pas,  d'ailleurs,  de  voir  l'in- 
quisition ainsi  défendue,  car  c'est  d'elle,  on  ne  doit  pas  l'oublier,  qu'il 
s'agit  toujours  en  cette  affaire.  Et  voilà  aussi  l'utilité  très  réelle  de  livres 
comme  celui  dont  nous  avons  essayé  de  donner  une  idée.  En  employant 
de  pareils  arguments  pour  justifier  le  tribunal  extraordinaire  institué 
par  l'Église  au  début  du  xni«  siècle,  ils  démontrent,  mieux  qu'on  ne 
pourrait  le  faire  par  aucune  autre  voie,  à  quel  point  la  justification  en 
est  difficile. 

Charles  Molinier. 


1.  Le  même  cloute  nous  est  inspiré  par  un  autre  passage  du  travail  de 
M.  K.  C'est  celui  où,  d'après  une  lettre  de  Grégoire  I.X  du  13  juin  123:? 
(Potthast,  Regesta,  n"  9229),  reproduisant  elle-même  une  communication 
de  Conrad  de  Marbourg,  de  l'archevêque  de  Mayence  et  de  l'évêque  d'IIil- 
desheim,  il  décrit  les  rites  secrets  des  Lucifériens.  Ces  rites  ne  sont  que 
les  pratiques  supposées  d'une  sorcellerie  ré])ugnante  et  absurde,  accompagnée 
bien  entendu  d'une  monstrueuse  promiscuité.  M.  K.  déclare  pourtant  qu'on 
ne  saurait  les  mettre  en  doute,  que  la  réalité  en  est  fondée  sur  des  faits  posi- 
tifs «  auf  Thatsuchen.  »  Voir  p.  161-164.  La  lettre  de  Grégoire  IX  figure  dans 
le  Tiiesaurus  novus  anecdotorum,  t.  I,  p.  950-953. 

2.  Labbe,  Nova  bibliotheca  manuscriptorum  Ubrorum,  l.  II,  p.  327. 


PUBLICATIONS    HONGROISES.  '4^  5 

Anjoukori  okmànytar  (Codex  diplom.  hungaricusandegavensis). 

2e  vol.  publié  par  Emerich  Nagy.  Budapest,  IS81. 
Magyar  orszàggyùlési  emlékek  (Monumenta  comitialia  regni  Hun- 

gariae).  7"  vol.  publié  par  W.  Fraknoi.  Budapest,  J8S1. 
Erdélyi  orszàggyùlési  emlékek  (Monumenta  comitialia  regni  Tran- 

sylvaniae).  7"  vol.  publié  par  Alex.  Szilagyi.  Budapest,  ISSI. 

Chacun  de  ces  trois  volumes  publiés  au  nom  de  l'Académie  hongroise 
par  un  de  ses  membres  continue  une  collection  de  documents  histo- 
riques. Leur  caractère  commun  est  d'intéresser  plutôt  l'histoire  inté- 
rieure et  administrative  du  pays  que  l'histoire  des  relations  extérieures 
de  la  Hongrie  qui  a  fait  l'objet  de  publications  parallèles  ;  exemple,  les 
Monuments  de  la  diplomatie  des  rois  angevins,  édités  par  M.  Wenzel,  sur 
lesquels  nous  avons  attiré  l'attention  des  lecteurs  de  la  Revue  à  ses 
débuts.  Aussi,  tout  en  constatant  les  services  rendus  par  les  habiles  et 
soigneux  éditeurs  à  l'histoire  spéciale  et  détaillée  de  leur  pays,  nous  nous 
bornerons  à  indiquer  ce  qui  dans  ces  recueils  nous  paraît  être  utile  pour 
l'histoire  générale  de  la  civilisation  européenne  et  de  la  politique  autri- 
chienne. 

M.  Nagy  fait  mieux  connaître  l'administration  de  Charles-Robert,  le 
premier  roi  de  la  dynastie  d'Anjou  pendant  les  dix  dernières  années  de 
son  règne  de  1322  à  1332.  C'est  l'époque  où,  sous  des  rois  capétiens,  par 
les  progrès,  à  la  fois  de  l'autorité  royale  et  d'un  régime  féodal  très  sou- 
mis à  la  couronne,  la  Hongrie,  jusque-là  seule  de  son  espèce  par  ses 
institutions  sociales,  entrait  dans  le  concert  européen.  Un  grand  nombre 
d'actes  royaux  nous  font  assister  à  cette  administration  énergique,  qui 
développait  par  la  culture  et  par  l'exploitation  encouragée  des  mines 
les  richesses  du  pays,  et  qui  se  montrait  également  résolue  à  écraser 
tout  ce  qui  lui  résistait,  et  à  combler  de  faveurs  tout  ce  qui  l'aidait. 
Contre  les  despotes  provinciaux  qui  depuis  longtemps  étaient  les  vrais 
rois  de  certaines  régions  et  dont  Mathieu  Csàk  de  Trencsén  est  resté  le 
type  effrayant,  Charles-Robert  déploie  toutes  les  puissances  d'habileté 
et  de  haine  qui  portaient  si  haut,  en  Hongrie  comme  en  France  et  en 
Italie,  sa  glorieuse  maison.  Sur  l'intensité  de  cette  haine,  que  la  ruine 
même  des  adversaires  ne  désarmait  pas,  voir  les  n^^  137  et  260  :  il  semble 
qu'on  lit  un  des  actes  les  plus  violents  de  Charles  d'Anjou  ou  de  Phi- 
lippe le  Bel. 

Les  deux  autres  volumes  nous  transportent  dans  des  époques  où  la 
Hongrie  était  beaucoup  moins  puissante,  où  la  conquête  ottomane  par- 
tageait ce  royaume  mutilé  entre  trois  dominations  :  celle  du  musul- 
man, celle  de  l'empereur  autrichien,  celle  du  prince  de  Transylvanie, 
qui  fut  plus  d'une  fois  le  seul  représentant  de  la  nationalité  hongroise, 
mais  dans  un  État  particulier.  L'éminent  secrétaire  général  de  l'Aca- 
démie, M.  le  chanoine  Fraknôi,  continue  à  étudier  les  diètes  hongroises 
de  cette  époque,  celles  qui  se  tenaient  dans  le  tiers  de  la  Hongrie  sou- 
mis à  la  maison  d'Autriche.  Le  tome  VII  va  de  1582  à  1587.  Il  com- 


A\6  COMPTES-REXDCS    CRITIQUES. 

prend  par  conséquent  deux  diètes  importantes,  celle  de  1582  et  celle  de 
1587.  Ces  assemblées  se  réunissaient  sous  le  règne  de  Rodolphe,  l'un 
des  empereurs  les  plus  fanatiques  de  sa  famille,  mais  sur  l'obstination 
duquel  l'emportaient  le  plus  souvent  une  indécision  maladive  et  les  sin- 
gulières préoccupations  des  sciences  occultes.  Nul  prince  ne  fut  plus 
antipathique  aux  Hongrois,  peuple  de  caractère  ouvert,  que  ce  taciturne, 
et  l'antipathie  était  tellement  réciproque  que  Rodolphe  mit  à  peine  le 
pied  dans  le  royaume  de  Saint-Étienne.  Néanmoins  le  caractère  par- 
faitement constitutionnel  de  la  couronne  magyare  était  pleinement 
reconnu  par  la  cour  ;  la  quatrième  pièce  du  volume,  le  long  exposé  de 
la  situation  et  des  demandes  adressées  par  le  trône  à  la  diète  de  Pres- 
bourg  en  janvier  1582,  pièce  extraite  par  M.  Fraknôi  des  archives  de 
Vienne,  est  du  plus  haut  intérêt  pour  l'histoire  de  l'Europe  centrale 
vers  la  fin  du  xvi«  siècle,  et  pour  l'histoire  de  la  monarchie  des  Habs- 
bourg dans  son  ensemble.  Les  pièces  suivantes,  notamment  la  septième 
tirée  du  même  trésor,  nous  font  assister  à  une  phase  de  ce  long  duo 
entre  l'Autriche  et  les  Hongrois,  duo  qui  a  été  tantôt  un  duel,  tantôt 
comme  aujourd'hui  un  dualisme  amical.  Assez  souvent,  notamment 
dans  ces  deux  diètes  de  1582  et  de  1587  que  iVI.  Fraknôi  fait  si  bien 
connaître  par  ses  notices  et  par  les  documents,  ce  n'était  ni  tout  à  fait 
l'un  ni  tout  à  fait  l'autre:  des  rapports  tendus,  qu'en  1587  l'approche  de 
guerres  atroces  avec  les  Turcs  rendait  plus  angoissants.  A  cette  der- 
nière date  aussi,  une  curieuse  correspondance  s'engage  entre  les  deux 
diètes  de  Pologne  et  de  Hongrie  ;  les  Polonais,  qui  voulaient  détourner 
leurs  voisins  de  soutenir  l'archiduc  Maximilien,  candidat  d'une  faible 
minorité  à  leur  trône  vacant,  invoquent  l'amitié  traditionnelle  des  deux 
pays,  et  établissent  entre  les  peuples  et  les  princes  une  distinction  que 
l'on  pourrait  croire  toute  moderne  et  occidentale  (p.  2'i7).  —  Nous  signa- 
lons aux  personnes  qui  s'occupent  de  la  Croatie  et  de  l'Esclavonie  la 
dernière  [lartie  du  volume  de  M.  Fraknôi,  elles  y  trouveront  l'histoire 
documentaire  des  assemblées  tenues  synchroniquement  dans  ces  deux 
contrées. 

M.  Szilagyi,  l'historien  de  la  Transylvanie,  continue  à  éclaircir  l'his- 
toire parlementaire  de  cette  principauté.  De  1614  à  1621,  c'est  la  plus 
grande  partie  et  la  plus  agitée  du  règne  de  Gabriel  Bethlen  (Bethlen- 
Gabor  disent  nos  précis  d'histoire,  lesquels  pourraient  ne  pas  ignorer, 
depuis  le  temps  qu'on  le  leur  dit,  que  le  prénom  en  hongrois  se  met 
après  le  nom  de  famille,  et  que  Gabor  signifie  Gabriel).  Les  diètes  de 
Transylvanie  ne  sont  pas  d'ailleurs  le  seul  objet  de  cette  publication,  il 
y  a  des  choses  d'un  intérêt  plus  général.  Le  rôle  même  de  ce  prince  émi- 
nent,  sa  situation  difficile  et  dramatique  entre  l'empereur,  ses  ennemis 
protestants  et  les  Turcs,  entre  trois  religions  et  sept  ou  huit  peuples  ; 
et  par  suite  l'histoire  prodigieusement  riche  et  incessamment  enrichie 
de  la  guerre  de  Trente  ans  reçoivent  des  lumières  nouvelles  des  travaux 
de  M.  Szilagyi. 

Au  total,  dans  ce  mouvement  de  publication  des  sources  nationales 


WACKER    :    DEK   REICHSTAG    (JNTEll   DEN    HOHENSTACFEN.  417 

qui  est  un  peu  par  toute  l'Europe  l'honneur  de  notre  temps,  l'Académie 
hongroise  continue  à  occuper  une  nohle  et  utile  place. 

Edouard  Sayous. 


Der  Reichstag  unter  den  Hohenstaufen.  Ein  Beitrag  zur  deut- 
schen  Verfassungsgeschichle  von  Cari  Wacker.  Eingeleitet  von 
W.  Arndt  (Sixième  fascicule  des  Hislorische  Studien).  Leipzig,  Veil, 
-1882.  U2  pp.  in-8".  Prix  :  3  marcs. 

La  grande  histoire  des  institutions  allemandes  publiée  par  M.  Waitz, 
de  1844  à  1874,  a  eu  cet  honneur  de  provoquer  par  toute  l'Allemagne 
un  mouvement  de  recherches  et  d'études  qui  dure  encore.  Bien  loin  de 
s'oublier  dans  la  contemplation  du  monument  que  venait  d'élever  leur 
compatriote,  les  érudits  allemands,  se  rendant  compte  des  chances  de 
durée  que  lui  assurait  le  génie  de  l'architecte,  ne  songèrent  plus  qu'à 
le  fortifier  par  une  foule  de  travaux  en  sous-œuvre,  destinés  à  le  mettre 
un  jour  hors  de  pair.  Les  uns,  prenant  la  truelle,  bouchèrent  les  trous 
et  cimentèrent  plus  étroitement  les  pierres  que  Waitz  avait  accumulées 
parfois  à  la  grosse.  Les  autres  recoururent  au  marteau  pour  aplanir  les 
surfaces,  redresser  les  angles  et  faire  disparaître  quelques  saillies  inu- 
tiles. M.  Cari  Wacker  n'a  pas  lui-même  d'autre  prétention.  Il  veut  de 
la  même  manière  parfaire  le  grand  édihce  à  l'un  de  ses  étages,  celui  des 
Staufen,  —  moins  encore,  à  l'une  des  pièces  de  cet  étage,  celle  des 
diètes  de  l'empire  sous  les  Staufen,  et  il  abrite  modestement  sa  préten- 
tion sous  le  nom  du  professeur  Arndt  qui  avait  lui-même  proposé  cette 
tâche  aux  élèves  de  son  séminaire  historique.  Toute  difficile  qu'elle  était, 
l'entreprise  a  été  menée  à  bien.  Nous  disons  difficile,  car  enfin,  si,  dans 
les  études  de  ce  genre,  les  textes  témoignent  de  quelque  chose,  c'est  à 
la  condition  de  savoir  les  interroger.  Il  n'y  a  jamais  eu  à  cette  époque 
d'ordonnance  qui  réglât  dans  tous  ses  détails  la  tenue  des  diètes,  le 
mode,  le  temps  et  le  lieu  de  leur  convocation,  la  forme  de  leurs  délibé- 
rations, leurs  attributions  exactes;  jamais  non  plus  il  n'y  a  eu  de  véri- 
tables procès-verbaux  de  leurs  séances.  Or,  chacun  des  points  que  nous 
venons  d'énumérer  fait  l'objet  d'un  chapitre  spécial  dans  l'opuscule  de 
M.  W.  C'est  dire  avec  quel  soin  l'auteur  a  dû  rassembler  les  textes, 
chartes  ou  chroniques,  qui  pouvaient  servir  à  son  dessein,  avec  quelle 
critique  il  a  su  les  examiner,  en  historien  et  en  juriste  à  la  fois,  pour 
en  tirer  tant  de  renseignements  précis  que  ces  textes  ne  contenaient 
qu'en  germe  ou  par  incidence.  Aussi  la  contribution  apportée  par  l'au- 
teur à  l'œuvre  de  Joachim,  de  Franklin,  de  Roth  et  de  Waitz  est-elle 
assez  sensible  pour  justifier  aux  yeux  des  plus  exigeants  cette  reprise 
du  sujet. 

L'appendice  du  livre  mérite  aussi  une  mention.  M.  W.  a  dressé  la 
liste  des  130  diètes  impériales  tenues  entre  les  années  1125  et  1247  sur 
tout  le  territoire  du  saint  empire,  en  no  regardant  comme  telles  toute- 
Rev.  Histor.  XXV.  2e  fasc.  27 


^-IS  COMPTES-RENDUS   CRITIQUES. 

fois  que  les  assemblées  où  se  trouvaient  des  représentants  de  toutes  les 
parties  de  l'Allemagne.  Pour  bien  établir  ce  dernier  point,  il  n'a  eu 
d'autre  ressource  que  d'examiner  les  souscriptions  des  rares  documents 
rédigés  à  l'occasion  de  ces  assemblées,  et  de  considérer  la  nature  de 
leurs  délibérations,  —  la  qualification  de  curia  generalis,  curia  sollem- 
nis  donnée  à  la  plupart  des  diètes  n'ayant  point  paru  garantir  toujours 
suffisamment  le  fait  de  leur  généralité. 

Dans  cette  liste  des  diètes  impériales  figurent  celles  de  Besançon 
(fin  oct.  1157)  et  de  Saint-Jean-de-Losne  (comm.  de  sept.  1162)  que 
M.  W.  mentionne  en  indiquant  soigneusement,  comme  toujours,  les 
diverses  sources  contemporaines  où  il  en  est  question. 

En  résumé,  travail  très  méthodique  et  qui  satisfait  de  tout  point  aux 
exigences  du  sujet. 

Alfred  Leroux. 


Dei  remoti  fattori  délia  potenza  economica  di  Firenze  nel  me- 
dio-evo,  considerazioni  sociali-economiche,  cicl  doUor  Giuseppe 
ToNiuLO,  proiessore  di  economia  polillca  presso  runiversità  di  Pisa. 
Milan,  Hoepli,  I.SS2.  i  vol.  in-S"  de  xr-220  p. 
Nul  ne  s'étonnera  sans  doute  qu'un  professeur  d'économie  politique 
soit  plus  économiste  qu'historien.  On  le  voit  à  l'usage,  je  ne  voudrais 
pas  dire  l'abus,  de  la  terminologie  plus  ou  moins  barbare  où  se  com- 
plaît la  science  qu'il  enseigne,  et  aussi  à  la  position  qu'il  prend  devant 
l'histoire.  Il  ne  prétend  point  remonter  aux  sources.  Il  tient  pour  auto- 
rités des  auteurs  modernes,  MM.  Reumont,  Ilartwig,  Lastig,  Villari, 
Gapponi,  Perrcns.  Il  admet  comme  établi  ce  qu'il  y  trouve  ;  il  y  prend 
les  citations,  les  assertions  même,  et  il  bâtit  là-dessus  ses  raisonnements. 
C'était  son  droit,  étant  donné  ce  qu'il  voulait  faire;  et,  comme  il  a 
beaucoup  de  lecture,  on  ne  peut  pas  lui  reprocher  de  bâtir  en  l'air.  Tout 
au  plus  est-il  permis  de  regretter  qu'il  invoque  quelquefois  des  compi- 
lateurs tels  que  cet  Inghirami,  étonnant  auteur  d'une  histoire  de  Tos- 
cane, qui  prend  dans  Sismondi  ses  citations  d'Ammirato,  et  donne  bien 
d'autres  preuves  d'un  travail  superficiel,  léger  à  l'excès. 

Il  faut  donc,  et  M.  Toniolo  ne  nous  en  voudra  pas,  jeter  à  la  mer 
l'historien  qu'il  y  a  en  lui,  et  ne  conserver  que  l'économiste.  Pour  jus- 
tifier ce  procédé,  je  ne  prendrai  qu'un  exemple  dans  les  passages,  d'ail- 
leurs assez  rares,  où  notre  auteur  s'aventure  sur  le  terrain  de  la  critique 
historique. 

A  la  p.  60,  note  2,  M.  Toniolo  dit  :  «  On  admettait  jusqu'à  présent, 
et  Perrens  l'affirme  encore  (I,  109),  que  la  première  fois  où  se  trouve  le 
nom  de  consuls  de  la  ville,  c'est  dans  un  document  de  1002  sur  Pegna... 
Ce  document  n'est  pas  faux,  mais  la  date  est  une  erreur  de  copiste  ;  il 
faut  lire  1182,  comme  il  résulte  d'autres  indications  du  document.  « 
Voici  les  observations  que  suggèrent  ces  lignes  : 


TONIOLO    :    POTENZA   ECOXOMICA   DI    FIRENZE.  A\^ 

1°  Elles  contiennent  une  erreur  que  M.  Toniolo  a  lui-même  relevée 
dans  son  errata.  Il  avertit  qu'on  doit  lire  H02  et  non  1002^. 

2*  Il  indique  un  passage  de  M.  Perrens,  t.  I,  p.  109.  Cherchez  et  vous 
ne  trouverez  rien.  Le  passage  auquel  il  se  réfère  esta  la  p.  120.  Il  aura 
pris  le  vo  pour  le  r",  aura  écrit  119,  et  laissé  son  imprimeur  impri- 
mer 109. 

3°  Il  renvoie  à  Gino  Capponi  (I  append.],  qui  ne  donne  ni  le  docu- 
ment ni  aucune  lumière  sur  le  fait  dont  il  s'agit. 

4°  Quant  au  document  lui-même,  comment  admettre  une  erreur  de 
copie  ?  Il  se  trouve  non  pas  dans  un,  mais  dans  deux  registres  des 
archives  florentines  (voy.  les  indications  précises  dans  Perrens,  I,  120). 
On  voit,  au  surplus,  dans  les  Delizie  degli  eruditi  toscani  (VII,  136-44) 
que  les  consules  civitatis  ne  remontent  qu'à  1204.  M.  Toniolo  a  donc 
plus  raison  qu'il  ne  le  croit  ou  ne  le  dit;  mais  pourquoi  attribuer  à 
M.  Perrens  l'erreur  commune,  si  erreur  il  y  a,  puisque  cet  auteur  donne 
la  date  de  1204  (p.  211),  puisqu'il  renvoie  aux  Delizie,  puisque,  d'après 
les  Delizie,  il  donne  dans  une  note,  année  par  année  autant  que  possible, 
le  nombre  des  consuls  depuis  1138  ? 

J'ai  hâte,  on  le  comprend,  de  passer  à  l'économiste.  Prenant  la  science 
historique  où  elle  en  est,  sans  s'inquiéter  de  savoir  ce  qu'elle  sera 
demain,  ni  même  de  lui  faire  faire  un  pas  nouveau,  il  étudie,  pour  par- 
ler sa  langue,  les  facteurs  les  plus  éloignés  de  la  puissance  économique 
de  Florence  dans  le  moyen  âge.  De  là  quatre  chapitres  :  1°  facteurs 
naturels-territoriaux,  ou,  en  langue  commune,  d'après  la  nature  du  sol  ; 
2°  facteurs  ethniques;  3°  facteurs  storico-civils  ;  4°  facteurs  éthico-éco- 
nomiques. 

Le  premier  chapitre  montre  fort  judicieusement  que  la  configuration 
montueuse  du  sol  toscan  y  a  rendu  plus  durable  qu'en  d'autres  pays  la 
vie  féodale  isolée,  mais  que  cette  conliguration  était  propre  aussi  à  pro- 
longer la  vie  municipale  plus  qu'ailleurs,  une  fois  que  les  communes 
avaient  vaincu  la  féodalité.  Il  est  également  vrai  que  la  distribution  du 
sol  en  montagnes,  plaines,  côtes  maritimes,  est  cause  que  la  Toscane 
était  également  prédestinée  à  l'autonomie  économique,  en  même  temps 
que,  par  sa  position  centrale,  elle  était  soustraite  à  l'isolement. 

Mais  il  faudrait  ne  point  tirer  de  ces  prémisses  des  conclusions  exa- 
gérées. De  ce  que  le  fractionnement  du  sol  n'empêche  pas  une  certaine 
unité  dans  la  région,  s'ensuit-il  qu'on  dût,  au  xvi«  siècle,  arriver  à 
l'unité  politique  ?  Il  n'est  pas  bon,  il  n'est  pas  sain  de  trop  soutenir  que 
ce  qui  a  été  devait  être.  Si  la  thèse  du  fatalisme  historique  a  eu  son 
heure  de  vogue,  cette  heure  est  passée,  et  la  critique  ne  conteste  plus 


i.  Puiscfue  M.  Toniolo  fait  un  errata  qui  est  fort  nécessaire,  ne  fut-ce  que 
pour  les  incroyables  fautes  d'impression  accumulées  dans  trois  malheureux 
vers  latins  de  Donizo,  il  aurait  bien  dû  corriger  Toscana  urbicarica  (p.  24)  en 
urbicaria.  Cela  lui  eût  été  facile,  car  il  écrit  quelques  lignes  plus  bas  :  Toscana 
annoaaria.,  et  non  annonarica. 


420  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

au  hasard  sa  part  dans  les  choses  humaines.  M.  Toniolo  reconnaît  lui- 
même  qu'au  sud  les  limites  de  la  Toscane  sont  mal  déterminées.  Il  y  a 
donc  d'autres  raisons  que  la  configuration  du  sol  pour  que  la  Toscane 
ait,  de  ce  côté,  telles  limites  plutôt  que  telles  autres.  De  même,  s'il  fal- 
lait en  croire  notre  auteur,  ce  serait  encore  la  configuration  du  sol  qui 
aurait  fait  de  Sienne  la  dernière  ville  toscane  à  se  soumettre.  Cependant 
les  montagnes,  si  l'on  veut  donner  ce  nom  ambitieux  à  de  simples  col- 
lines, ne  pouvaient  être  un  obstacle  sérieux  aux  conquérants,  une 
sérieuse  protection  pour  les  pays  à  conquérir.  Celles  du  Casentino  sont 
bien  autrement  élevées,  d'un  accès  bien  autrement  difficile,  et  les  châ- 
teaux forts  qui  les  couronnent  ont  été  soumis  bien  avant  les  murailles 
de  Sienne.  A  vrai  dire,  M.  Toniolo  reconnaît  que,  pour  profiter  du 
milieu  où  l'on  vit,  il  faut  avoir  les  qualités  nécessaires.  Cette  observa- 
tion judicieuse  ouvre  heureusement  la  porte  à  toutes  les  exceptions; 
mais  comment  ce  qui  précède  n'en  perdrait-il  pas  un  peu  de  sa  portée  ? 

Le  deuxième  chapitre  (facteurs  ethniques)  tend  à  faire  voir  comment 
les  différentes  populations  qui  se  sont  établies  en  Toscane  ont  contribué 
au  développement  industriel  et  commercial  de  ce  pays.  M.  Toniolo  a 
très  bien  vu  que  les  barbares  germains  préférant  à  la  Toscane  la  Lom- 
bardie,  où  ils  étaient  plus  facilement  en  communication  avec  la  mère 
patrie,  n'ont  pas  laissé  sur  le  sol  toscan  une  trace  aussi  profonde  que 
les  Étrusques  et  les  Latins.  'Ceux  des  Germains  qui  s'y  établissent,  ce 
sont  des  seigneurs  envoyés  pour  dominer  le  pays,  et  dont  les  instincts 
féodaux  y  trouvent  satisfaction.  Ils  furent  ainsi  un  facteur,  malgré  leur 
petit  nombre  ;  car,  installés  dans  les  manoirs  ou  châteaux  de  la  cam- 
pagne, devenus  grands  ])ropriétaires  fonciers  sans  cesser  d'être  brigands 
(ce  que  M.  Toniolo  ne  dit  peut-être  pas  assez),  ils  forcèrent  les  occu- 
pants antérieurs,  pour  éviter  la  servitude,  à  se  réfugier  dans  les  villes 
et  à  s'y  organiser  par  le  travail  pour  vivre,  par  la  politique  pour  se 
défendre.  Il  est  quelque  peu  imprudent  de  voir  là  une  preuve  de  la  supé- 
riorité économifjuc  des  Italiens  sur  les  Germains,  car  nous  voyons  d'une 
part  ceux-ci  créer  chez  eux  la  hanse,  la  ligue  hanséati(iue,  d'autre  part, 
Florence,  alors  même  qu'elle  possède  Pise  et  Livourno,  ne  point  devenir 
la  puissance  maritime  que  Pise  a  été. 

Dans  ce  chapitre,  M.  Toniolo  touche  à  la  question  religieuse  ;  nous 
ne  saurions  nous  associer  à  ses  vues.  Nous  pouvons  lui  accorder  que 
l'Église  ayant  pour  rôle  de  défendre  l'esprit  contre  la  matière,  les  faibles 
contre  les  forts,  était  la  protectrice  naturelle  de  la  démocratie.  Mais  peut- 
on  admettre  avec  lui  qu'elle  ait  transformé  les  peuples  par  le  sentiment 
de  l'égalité  morale,  du  respect  de  la  personnalité,  de  la  charité  réci- 
proque ou  fraternité?  Il  devrait  bien  nous  dire,  alors,  comment  les 
classes  aristocratiques  sont  restées  rebelles.  Ce  qui  développa  surtout 
ces  sentiments,  ce  furent  les  besoins  de  la  vie  en  commun  ou  presque 
en  commun  d'êtres  qui  vivaient  rapprochés  les  uns  des  autres,  et  la 
preuve  c'est  qu'on  trouve  dans  plus  d'une  ville,  avant  le  christianisme, 
le  germe  des  idées  nouvelles  dont  ou  lui  attribuera  plus  tard  tout  l'hon- 


TONIOLO    :    l'OTENZA   ECONOMICA   1)1    FIRENZE.  A2i 

neur.  Les  hobereaux  qui  vivent  isolés  n'ont  le  goût  ni  de  l'égalité  ni  de 
ia  fraternité. 

Passant  du  général  au  particulier,  M,  Toniolo  voit  dans  Florence,  au 
moyen  âge,  le  centre  du  mouvement  religieux.  Il  y  a  ici  une  confusion 
entre  la  foi  religieuse,  qui  est  fort  contestable  chez  les  Florentins,  et  la 
religion  politique  qui  fait  d'elle  la  ville  guelfe  par  excellence.  On  n'ira 
pas  jusqu'à  dire  que  Florence  fût  en  majorité  libre  penseuse;  mais  nulle 
part,  au  xni%  au  xiv®  siècle,  la  libre  pensée  n'a  été  si  libre,  si  auda- 
cieuse, si  impertinente,  et  soutenue  par  un  si  grand  nombre  d'esprits 
indépendants.  En  outre,  cette  vive  population  se  laissa  toucher  par  l'hé- 
résie, et  lui  resta  toujours  douce,  tolérante,  même  après  le  triomphe  de 
l'orthodoxie.  S'il  est  vrai,  comme  le  dit  M.  Toniolo,  qu'il  y  eut  à  Flo- 
rence moins  d'hérésies  qu'ailleurs,  ce  qui  resterait  à  démontrer,  ce  n'est 
pas  que  les  Florentins  restassent  en  deçà,  c'est  qu'ils  allaient  au  delà, 
bien  entendu  en  conservant  toutes  les  formes  catholiques  avec  cette 
désinvolture  italienne  qui  allie  fort  bien  le  matérialisme  et  la  messe,  le 
poignard  et  l'hostie  consacrée  de  la  communion.  Il  y  a  plus  de  finesse 
à  remarquer,  comme  le  fait  M.  Toniolo,  que  l'hérésie  succomba  à  Flo- 
rence, parce  que  sa  haine  de  la  papauté  la  forçait  à  être  gibeline  dans 
la  ville  qui  avait  mis  tout  son  enjeu  sur  la  carte  du  guelfisme.  Encore 
ne  serait-il  pas  hors  de  propos  d'ajouter  qu'il  dut  bien  y  avoir  d'autres 
causes,  puisque  le  patarisme  ne  triompha  nulle  part,  et  aussi  que  le 
guelfisme  de  Florence  n'a  empêché  ni  ses  querelles  avec  plus  d'un  pape, 
ni  la  fameuse  guerre  contre  le  saint-siège,  dite  des  Huit-Saints.  Rele- 
vons encore  une  erreur  d'appréciation.  Si  les  patarins,  dit  M.  Toniolo, 
avaient  prévalu,  ils  auraient  compromis,  avec  la  foi  et  la  morale,  la  fibre 
économique,  comme  en  Languedoc.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  dire  com- 
ment et  pourquoi  le  patarisme  a  été  étouffé  en  Languedoc;  mais,  en  ce 
qui  concerne  Florence,  j'opposerai  M.  Toniolo  à  lui-même  :  il  dit,  en 
effet,  plus  loin  que  les  patarins  se  plièrent,  dans  cette  ville,  à  une 
grande  austérité  de  vie,  jointe  à  une  grande  activité,  à  une  grande  éco- 
nomie, et  qu'ils  devinrent  riches. 

Cette  question  nous  a  fait  mettre  un  pied  dans  le  troisième  chapitre 
(facteurs  slorico-civils)  ;  mettons-y  les  deux  dès  à  présent.  C'est  de  beau- 
coup la  plus  considérable  partie  de  l'ouvrage,  car  elle  embrasse  toute 
l'histoire  florentine  jusqu'au  milieu  du  xni«  siècle,  et  il  s'agit  de  recher- 
cher comment  les  événements  de  cette  histoire  ont  pu  contribuer  au 
développement  économique.  Toutefois  il  y  a  des  longueurs,  des  hors- 
d'œuvre.  A  quoi  bon,  par  exemple,  nous  parler  de  la  construction  des 
ponts,  du  pavage  de  la  ville,  de  l'érection  d'un  palais  pour  le  podestat 
et  autres  choses  semblables  ?  sont-ce  donc  des  facteurs  économiques  ? 
Sans  doute  le  trafic  a  plus  ses  aises  là  où  il  y  a  des  ponts,  des  pavés, 
des  routes,  des  maisons;  mais,  comme  cela  est  vrai  de  toute  ville,  pas 
n'était  besoin  d'en  parler,  ou,  sur  cette  échelle-là,  il  faudrait  parler  de 
tout. 

Mais,  cette  réserve  faite,  nous  reconnaîtrons  volontiers  que  M.  Toniolo 


422  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

voit,  ici,  fort  juste  sur  bien  des  points.  II  a  raison  de  montrer  le  génie 
économique  éclatant  dès  les  premiers  jours  chez  ces  montagnards  de 
Fiesolo  qui  viennent  s'établir  sur  les  bords  de  l'Arno  dans  ces  fameuses 
villette  ou  magasins  d'où  sortit  Florence.  Il  a  raison  de  dire  que  l'im- 
portance économique  de  Florence  en  précéda  de  beaucoup  l'importance 
politique  et  en  fut  le  principal  élément  générateur;  que  dans  aucune 
autre  cité  d'Italie  les  événements  politiques  ne  sont  aussi  étroitement 
liés  aux  faits  économiques;  que  le  gouvernement  des  marquis  a  pu  con- 
tribuer à  ce  succès  industriel  et  commercial,  parce  que  les  marquis 
étaient  supérieurs  aux  autres  gouvernements  contemporains  et  qu'ils 
parvenaient  à  reporter  la  guerre  jusqu'aux  frontières  de  leur  État  ;  que 
les  nobles  eux-mêmes  furent  un  facteur  de  quelque  importance,  parce 
que  la  propriété  foncière  s'ajoutait,  grâce  à  eux,  à  la  propriété  mobi- 
lière, et  parce  qu'ils  employaient  leurs  revenus  dans  les  entreprises  du 
trafic,  soit  pour  participer  aux  profits,  soit  pour  suppléer  éventuelle- 
ment à  l'insuffisance  de  leurs  revenus  ordinaires.  Enfin,  on  ne  peut 
qu'approuver  M.  Toniolo  quand  il  remarque  que  Florence,  par  la  pré- 
dominance du  travail  industriel  sur  le  commerce  proprement  dit,  put 
jouir  d'une  existence  propre  et,  tout  ensemble,  se  mêler  à  l'existence 
des  autres  États,  ce  que  ne  firent  jamais  au  même  degré  ni  Yenise, 
Gênes,  Pise  au  moyen  âge,  ni  l'Angleterre  dans  les  temps  modernes. 
Tout  cela  est  fort  bien  déduit  des  faits;  il  n'y  manque  (jue  quelques 
preuves,  quelques  textes  à  l'appui. 

Il  est  bien  clair,  d'ailleurs,  que,  touchant  à  tant  de  choses,  M.  Toniolo 
fournit  ample  matière  à  la  discussion.  Je  ne  puis  ici  qu'indiquer  quelques 
points. 

Est-il  vrai  que  Florence  soit  plus  italienne  que  Sienne  et  Lucques 
par  sa  population  ?  Et  en  admettant  que  cela  put  être  bien  établi,  com- 
ment y  prétendrait-on  voir  un  motif  de  soutenir  que  cette  population 
était  plus  propre  au  travail  ?  Les  Italiens  ne  passent  pas,  que  je  sache, 
pour  y  être  plus  ardents  que  les  autres  peuples.  Ne  savons-nous  pas 
qu'une  foule  d'étrangers,  des  Flamands  surtout,  venaient  dans  cette  ville 
offrir  leurs  bras  à  un  travail  vraiment  rémunérateur  ? 

M.  Toniolo  affirme,  sur  le  témoignage  des  chroniqueurs,  que  jus- 
qu'en 1215,  sauf  entre  1177  et  1180,  les  Florentins  furent  unis.  Je  ne 
crois  guère  à  l'union  stable  chez  un  peuple  non  soumis  à  un  maître, 
sauf  aux  heures  critiques  où  un  grand  intérêt  lésé  réunit  momentané- 
ment toutes  les  volontés,  impose  silence  à  toutes  les  oppositions.  En  ce 
qui  concerne  Florence,  quand  on  connaît  son  procédé  de  faire  la  paix 
dans  les  campagnes,  lequel  était  de  forcer  les  nobles  vaincus  à  vivre 
dans  la  ville,  je  ne  puis  me  persuader  qu'il  n'en  résultât  pas  des  divi- 
sions, des  agitations.  Le  silence  des  chroniqueurs  prouve  simplement 
qu'ils  ne  parlent  que  des  grandes  crises,  à  forme  épique,  comme  celle 
de  1177,  où  éclatèrent  toutes  les  haines  accumulées. 

Le  peu  qu'on  sait  sur  ces  périodes  reculées  ne  permet  guère  d'admettre 
autrement  que  sous  bénéfice  d'inventaire  les  époiiues  que  prétend  établir 


TONIOLO    :    POTENZA   ECONOMICA   1)1    FI11E\ZE.  123 

M.  Toniolo.  Admettons  que  la  .conquête  de  Fiesole,  en  1125,  soit  une 
époque  économique,  parce  que  l'industrie  et  le  trafic  des  Florentins, 
n'ayant  plus  l'ennemi  féodal  sur  la  tète,  purent  prendre  un  plus  libre 
essor  ;  mais  pourquoi  faire  le  même  honneur  au  gouvernement  du  podes- 
tat ?  Quelle  influence  ce  magistrat  étranger,  ce  souteneur  de  nobles, 
put-il  avoir  pour  accélérer  le  progrès  ?  Voici  une  période  qui  s'étend  de 
1180  à  1-250;  M.  Toniolo  y  voit  deux  époques  distinctes  :  1»  de  1180  à 
1218,  «  pacifique  évolution  de  la  vie  intérieure  et  suite  de  la  politique 
extérieure  commerciale.  »  Ainsi  définie,  en  quoi  cette  fraction  de  période 
mérite-t-elle  d'être  considérée  comme  une  époque  ?  2"  De  1218  à  1250, 
plus  d'éclat  dans  les  luttes  intérieures,  développement  des  vues  de  poli- 
tique extérieure  commerciale.  Avec  des  motifs  aussi  vagues,  des  carac- 
tères aussi  peu  tranchés,  rien  ne  serait  plus  facile  que  de  multiplier 
indéfiniment  et  de  modifier  incessamment  les  divisions.  Je  ne  prétends 
pas  d'une  manière  absolue  que  toutes  celles  de  notre  auteur  manquent  de 
fondement;  ce  que  je  dis,  c'est  que,  si  elles  en  ont  un,  il  n'a  pas  été  mis 
en  lumière.  Après  1250,  c'est  autre  chose.  Là  on  voit  nettement  paraitre 
un  caractère  nouveau,  des  prétentions  à  l'hégémonie  économique  sur 
les  autres  villes  de  la  région,  et  cela  justement  à  l'heure  oij  s'accentuent 
les  conflits  entre  classes. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  légitime  de  signaler  chez  les  Florentins  des 
tendances  à  attribuer  une  part  de  plus  en  plus  grande  et  finalement 
absorbante  à  la  population  des  artisans.  Si  M.  Toniolo  veut  dire  l'en- 
semble des  arts  majeurs  et  mineurs,  il  a  trop  raison  :  traitant  les  nobles 
en  parias,  les  meneurs  de  la  bourgeoisie  ne  pouvaient  s'appuyer  que  sur 
les  arts  ;  mais  si,  comme  son  mot  de  «  population  artisane  »  permet  de 
l'inférer,  il  pense  aux  arts  mineurs  ou  à  la  classe  au-dessous,  celle  des 
braccianti  ou  hommes  de  peine,  il  se  trompe  gravement,  puisque  la 
démocratie  florentine  est  tombée  en  oligarchie,  et  de  là  en  monarchie, 
justement  parce  qu'elle  n'a  pas  su  faire  une  juste  part  aux  moindres 
arts,  aux  artisans. 

Le  dernier  chapitre  (facteurs  éthico-économiques)  a,  comme  le  précé- 
dent, l'inconvénient  d'indiquer  des  facteurs  universels,  qui  n'ont  rien  de 
particulièrement  florentin  :  par  exemple,  l'influence  de  la  religion,  des 
doctrines  philosophiques,  l'affranchissement  des  serfs,  voulu  par  la  reli- 
gion, ce  qui,  pour  le  dire  en  passant,  n'a  pas  empêché  Florence  d'avoir 
fort  longtemps  des  esclaves.  Beaucoup  de  considérations  générales  n'au- 
raient dû  trouver  place  dans  cet  ouvrage  que  sous  la  forme  rhétoricienne 
de  la  prétérition.  II  y  en  a  même  qui  pourraient  être  discutées  :  ainsi, 
selon  M.  Toniolo,  l'industrie  manufacturière  élève  à  l'amour  de  la  loca- 
lité, tandis  que  la  possession  foncière  et  l'agriculture  donnent  et  entre- 
tiennent l'amour  de  la  grande  patrie.  Quoi  !  n'est-ce  donc  pas  pour  les 
paysans  qu'on  a  créé  ce  mot  :  patriotisme  de  clocher?  Il  est  vrai  que 
ceux  qui  préconisent  aujourd'hui  la  commune  autonome  mériteraient 
aussi  bien  qu'on  le  leur  appliquât,  si  le  mot  de  clocher  n'était  propre  à 
les  frapper  d'apoplexie.  Il  n'y  a  que  l'éducation  et  l'instruction,  —  ou 


j[2Ji  COMl'TES-UENDOS   CRITIQUES. 

les  voyages  et  par  conséquent  le  service  militaire,  —  pour  inspirer, 
sous  sa  forme  la  plus  large,  le  vrai  patriotisme.  Sans  ce  qui  ouvre  l'es- 
prit en  élargissant  les  horizons,  il  n'y  a  dans  la  campagne,  comme  dans 
les  villes,  qu'amour  étroit  de  la  localité. 

Chose  singulière  !  n'étant  point  historien,  M.  Toniolo  devrait,  semble- 
t-il,  se  mouvoir  à  l'aise  surtout  dans  les  considérations  générales  et  y 
être  plus  invulnérable  ;  c'est  pourtant  dans  les  considérations  particu- 
lières, quand  il  parle  de  ce  qui  est  proprement  florentin,  qu'il  est  le 
plus  solide;  c'est  que  son  pied  se  pose  alors  sur  le  sol.  Il  sent  bien  que 
Florence  est  une  ville  industrielle  plus  que  commerçante  et  qu'elle  ne 
fait  le  commerce  que  pour  alimenter  son  industrie,  tandis  que  Venise, 
Gênes,  Pise  sont  des  puissances  vetturiere,  des  ports  de  transit.  Il  voit 
bien  que,  si  dans  les  autres  villes  les  arts  ont  pu  tenir  le  pouvoir  un 
moment,  Florence  est  la  seule  où  ils  l'aient  tenu  un  siècle  et  demi,  et 
où,  l'ayant  un  moment  perdu,  ils  l'ont  recouvré.  Seulement,  il  ne  me 
parait  pas  plus  ici  que  plus  haut  tenir  un  compte  suffisant  de  la  distinc- 
tion entre  les  arts  majeurs  et  les  arts  mineurs,  qui  sont  presque  con- 
stamment en  lutte  pendant  la  plus  grande  partie  de  cette  histoire.  De 
plus,  il  est  dupe  d'une  illusion,  quand  il  semble  admettre  que  tomber 
en  oligarchie,  ce  soit  pour  les  arts,  même  majeurs,  recouvrer  la  prépon- 
dérance. Sans  doute  ce  sont  leurs  chefs  qui  la  reprennent;  mais  alors, 
sous  les  Albizzi,  ils  forment  une  oligarchie  de  richards  qui  cessent,  pour 
le  plus  grand  nombre,  de  travailler  et  même  de  faire  travailler.  Et  c'est 
parce  que  les  Médicis  eurent,  au  contraire,  le  bon  esprit  de  rester  dans 
les  grandes  affaires,  d'employer  tout  un  monde  d'agents  et  d'artisans, 
qu'ils  ont  acquis  une  base  solide  d'opérations  et  fini  par  triompher. 

On  voit  que  nous  faisons  la  part  belle  au  travail;  il  ne  faudrait  pas 
pourtant  l'exagérer.  Si  les  Florentins  ont  eu  l'énergie,  la  flexibilité  du 
caractère,  l'activité  dans  la  liberté,  la  dignité  civique  à  un  plus  haut 
degré  que  les  autres  républiques  d'Italie,  ce  n'est  pas  parce  qu'ils  étaient 
industriels,  comme  le  dit  M.  Toniolo  ;  c'est  parce  qu'ils  étaient  Floren- 
tins. C'est  pour  cela  qu'ils  se  sont  appliqués  à  l'industrie  et  que,  quand 
ils  l'ont  empruntée  à  d'autres,  ils  l'ont  transformée  par  le  génie  de  l'in- 
vention, comme  l'art  de  fabriquer  le  drap,  venu  de  Pise,  de  Lucques, 
de  Sienne,  mais  devenu  l'art  perfectionné,  l'art  éminemment  florentin 
de  Calimala.  Quant  aux  autres  facteurs  «  éthiques,  »  l'honnêteté  privée, 
la  sobriété,  la  parcimonie,  dont  parle  aussi  notre  auteur,  ce  sont  là,  je 
le  sais,  des  qualités  célébrées  par  Dante,  mais  pour  glorifier  les  temps 
antérieurs  au  sien,  et  au  détriment  du  sien;  puis  par  Villani,  mais  pour 
louer  le  temps  de  Dante.  C'est  toujours  l'histoire  de  l'âge  d'or  que 
placent  dans  le  passé,  comme  un  mirage  rétrospectif,  toutes  les  barbes 
grises  qui  se  font  laudatores  temjjoris  acti.  En  tout  cas,  ces  facteurs-là, 
s'ils  ont  servi  à  fonder  la  prospérité  industrielle  et  commerciale  de  Flo- 
rence, ce  dont  je  ne  voudrais  pas  jurer,  l'homme  au  bout  du  compte 
étant  toujours  le  même,  ils  avaient  certainement  disparu  dans  la 
période  du  plein  développement. 


BEZOLD    :    BRIEFE   DES    PFALZGRAFEN   .1. -CASIMIR.  425 

En  somme,  il  faut  retenir  ce  que  notre  auteur  s'est  efforcé  de  bien 
faire  ressortir,  à  savoir  que  Florence,  arrivant  plus  tard  que  les  villes 
ses  voisines  sur  le  champ  du  travail  industriel,  y  a  su  prendre  la  pri- 
mauté. C'est  là  un  fait  très  digne  d'attention  pour  l'économiste  et  aussi 
pour  l'historien  ;  nous  ne  sommes  point  surpris  qu'il  ait  donné  à 
M.  Toniolo  l'idée  de  sa  grave  étude.  Ce  docte  professeur  a  beaucoup 
d'idées  justes  et  il  fait  penser;  que  peut-on  lui  demander  de  plus  sur 
ce  terrain  mouvant  de  l'économie  politique  ?  P. 


Briefe  des  Pfalzgrafen  Johann  Casimir,  mit  verwandten 
Schriftstucken ,  gesammelt  uncl  bearbeitet  von  Friedrich  von 
Bezold.  Auf  Veranlassung  une!  mit  Unterstutzung  S.  M.  des  Kœnigs 
von  Bayern  herausgegeben  durch  die  Historisclie  Commmion  der 
k.  Akademie  der  Wissenschaften.  Bd  I,  ^  576-82.  Munich,  Rieger, 
4  882,  vni-590  p.  in-8°. 

L'ouvrage,  dont  la  rédaction  a  été  confiée  à  M.  Fr.  de  Bezold,  con- 
tinue les  Briefe  des  Kurfûrsten  Friedrichs  des  Frommen  ;  il  complète  en 
même  temps  cet  important  travail  de  Kluckhohn,  car  l'éditeur  avait 
à  traiter  en  première  ligne  de  la  politique  suivie  par  la  cour  de  Heidel- 
berg.  En  réalité,  fils  chéri  de  l'électeur  Frédéric,  l'ambitieux,  le  belli- 
queux Jean-Casimir  exerça  pendant  les  dernières  années  du  règne  de 
son  père  une  influence  extraordinaire  ;  c'est  grâce  à  lui  que,  môme 
après  la  Saint-Barthélémy  ',  les  relations  furent  reprises  avec  le  gouver- 
nement français.  Après  la  mort  de  l'électeur  Frédéric,  la  petite  cour  de 
Jean-Casimir  fut  le  centre  de  projets  guerriers.  M.  Fr.  de  Bezold  a 
déjà  montré,  dans  un  remarquable  article  de  l'Allgemeine  deutsche  Bio- 
çfraphie,  combien  les  desseins  de  ce  prince  ambitieux  étaient  mal  pro- 
portionnés à  ses  moyens.  Son  intervention  aux  Pays-Bas  et  en  France 
lui  apporta  peu  de  renommée.  Parfois  le  rôle  qu'il  joua  fut  bien  près 
d'être  une  trahison  envers  les  intérêts  des  Réformés.  Le  même  homme 
qui  a  sauvé  l'église  réformée  d'Allemagne  d'une  crise  dangereuse  parait, 
suivant  une  excellente  expression  de  M.  de  Bezold,  «  sur  la  scène  delà 
politique  européenne  comme  un  acteur  maladroit  et  malheureux.  » 

Le  l""'  vol.  de  ses  lettres,  bien  qu'il  embrasse  seulement  six  années, 
contient  déjà  des  preuves  nombreuses  de  l'exactitude  de  ce  jugement. 
Il  montre  aussi  que  la  vie  de  ce  prince  est  un  très  précieux  commen- 
taire pour  l'intelligence  de  la  politique  européenne,  si  compliquée  à  cette 
époque.  M.  do  Bezold  a  tout  fait  pour  que  le  lecteur  lui  sache  de  sa 

1 .  Remarquons  en  passant  que  Bezold  rejette  lui  aussi  la  théorie  de  la  prémé- 
ditation (p.  87,  88).  M.  Baumgarten  a  pu  mettre  à  profit  ce  l"  vol.  des  lettres 
de  Jean  Casimir  pour  son  livre  Vor  der  Bnrtholomxusnacht  (Strasbourg, 
Trlibner  1882),  la  meilleure  réfutation  qu'on  ait  de  l'ouvrage  de  M.  Henri  Bordier. 


'i2<i  COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

publication  le  gré  qu'elle  mérite.  Son  introduction,  de  plus  de  deux 
cents  pages,  est  un  modèle;  les  remarques  dont  les  pièces  sont  accom- 
pagnées en  sont  un  excellent  contrôle.  Il  possède  la  littérature  du  sujet 
comme  on  ne  pouvait  guère  l'acquérir  ailleurs  qu'à  Munich,  où  il  avait 
à  sa  disposition  une  admirable  bibliothèque.  Lorsqu'il  a  eu  à  enga- 
ger des  polémiques  contre  d'autres  historiens,  par  exemple  contre  Groen 
van  Prinsterer,  Motley,  Hicusser,  Ritter,  il  l'a  fait  avec  circonspection. 
Il  n'est  pas  besoin  de  dire  combien  sa  publication  doit  être  consultée 
pour  la  critique  des  sources  françaises  telles  que  de  Thou  et  de  Serres. 
Les  historiens  français  devront  aussi  accorder  leur  attention  à  ce  travail 
qui  traite  si  particulièrement  des  événements  et  des  personnages  fran- 
çais, et  cela  d'autant  plus  que  l'éditeur  a  mis  à  profit  leurs  propres 
recherches.  La  première  campagne  en  France  du  jeune  comte  palatin 
Jean-Casimir  en  1567-68,  où  il  conduisit  des  secours  aux  Huguenots 
fort  pressés  ;  les  négociations  avec  le  duc  d'Anjou  qui,  élu  roi  de  Pologne, 
prit  son  chemin  à  travers  l'Allemagne  ;  l'alliance  conclue  par  Jean- 
Casimir  avec  Henri  de  Gondé  à  Strasbourg  en  1.574  ;  la  seconde  cam- 
pagne en  France  de  l'ambitieux  prince  allemand  en  1575  et  1576;  la 
paix  de  Monsieur;  sur  tous  ces  événements,  l'introduction  de  M.  do 
Bezold  jette  une  nouvelle  lumière.  Dans  les  documents  publiés  à  la 
suite,  les  affaires  françaises,  les  négociations  de  Jean-Casimir  avec  tous 
les  partis,  les  Guises  et  les  Huguenots,  le  roi  et  Henri  de  Navarre,  com- 
posent peut-être  le  principal  sujet.  Il  va  sans  dire  que  l'histoire  de 
l'empire  allemand  reçoit  elle  aussi,  de  la  présente  publication,  de  nom- 
breux éclaircissements  ;  mais  même  les  historiens  des  Pays-Bas,  de  la 
Suisse ^,  de  l'Angleterre  n'y  trouveront  pas  peu  de  documents  qu'aupa- 
ravant ils  ne  pouvaient  connaître. 

Ce  volume  aurait  été  beaucoup  plus  complet  encore  si  de  gros  morceaux 
de  la  correspondance  politique  de  Jean-Casimir  n'avaient  été  perdus.  Les 
archives  de  l'ancien  Palatinat  ne  contiennent  que  des  fragments  de  ses 
négociations  avec  l'Angleterre,  les  Pays-Bas  et  les  cantons  réformés  de 
la  Suisse  ;  il  existe  aussi  plus  d'une  lacune  dans  le  commerce  diploma- 
tique de  l'infatigable  prince  allemand  avec  la  France;  M.  de  Bezold, 
dans  son  vif  désir  de  se  procurer  en  dehors  de  Munich  des  éclaircisse- 
ments plus  étendus,  a  cherché  et  trouvé  dans  de  nombreuses  archives 
et  bibliothèques  d'importants  compléments  à  ce  que  Munich  lui  avait 
fourni  d'abord.  Il  a  été  surtout  heureux  à  Marbourg,  à  Dresde  et  à 
Paris.  En  ce  qui  concerne  Paris,  il  ne  pouvait  lui  être  possible,  à  beau- 
coup près,  de  fouiller  les  grandes  masses  de  documents  qui  s'y  trouvent, 
et  en  particulier  à  la  Bibliothèque  nationale;  c'est  l'affaire  des  érudits  fran- 
çais de  venir  en  aide  aux  travailleurs  étrangers  par  leurs  propres  publi- 
cations. M.  de  Bezold  remarque  qu'on  ne  devrait  pas  non  plus  se  borner 
à  Paris.  D'après  une  note  àe\à  France  protestante,  à  laquelle  il  se  réfère 

l .  Cf.  par  exemple  une  lettre  très  intéressante  de  Beutterich  à  Bèze,  6  sept. 
1582,  p.  533;  elle  est  conservée  aux  archives  de  Genève. 


ROOSES    :    CHRISTOPHE    PLANTIN.  427 

dans  sa  préface,  p.  vi,  la  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Saiat-Vincent  à 
Besançon  a  possédé  des  parties  de  la  correspondance  de  Jean-Casimir 
avec  Gondé.  Un  séjour  accidentel  à  Venise  a  fait  connaître  à  M.  de 
Bezold  des  copies  de  dépêches  des  envoyés  vénitiens,  qui  lui  ont  été 
d'une  grande  utilité  ;  il  espère,  pour  les  volumes  suivants,  pouvoir  uti- 
liser les  originaux  qui  se  trouvent  à  Vienne.  Il  n'est  pas  nécessaire 
d'énumérer  toutes  les  autres  archives  et  bibliothèques  d'où  M.  de 
Bezold  a  tiré  des  documents  entiers  ou  de  petites  notices.  Personne  ne 
sait  mieux  que  lui  qu'il  reste  encore  dans  l'ombre  beaucoup  de  points 
importants  ;  que  beaucoup  de  documents,  qui  pourraient  servir  à  les 
éclairer,  sont  disparus  sans  laisser  de  traces  ;  mais  il  parle  presque 
trop  modestement  de  ce  qu'il  a  fait  lui-même.  Le  mérite  de  son  ouvrage 
sera  reconnu  avec  le  plus  de  gratitude  par  tous  ceux  qui  seront  assez 
heureux  pour  combler  une  des  lacunes  que  sa  publication  laisse  sub- 
sister. Nous  espérons  en  recevoir  bientôt  la  suite. 

Alfred  Stern. 


Christophe  Plantin,  imprimeur  anversois,  par  Max  RoosES,  con- 
servateur du  musée  Plantin-Mo relus.  —Anvers,  Jos.  Maes,  ^882. 
(466  pages  in-folio.  Prix  :  ^00  fr.) 

C'est  par  erreur  que  ce  splendide  volume  porte  la  date  de  1882.  Il  a 
paru  seulement  à  la  fin  de  1883,  comme  le  prouve  la  dédicace  de  l'au- 
teur au  bourgmestre  d'Anvers,  M.  Léopold  de  Wael,  datée  du  l*'-  sep- 
tembre de  l'année  dernière.  Aussi  pensons-nous  être  l'un  des  premiers 
à  signaler  le  livre  de  M.  Rooses  à  l'attention  des  spécialistes. 

On  sait  qu'il  existe  à  Anvers  un  musée  unique,  composé  des  bâti- 
ments, du  matériel,  de  la  bibliothèque,  des  tableaux  et  des  archives  de 
l'officine  plantinienne ,  créée  au  xvi«  siècle  par  Christophe  Plantin  et 
conservée  jusqu'à  nos  jours  avec  un  soin  pieux  par  ses  descendants 
anoblis  les  Moretus.  La  ville  d'Anvers  acheta  cette  admirable  collection 
avec  son  local  pour  la  somme  de  1,200,000  francs,  l'ouvrit  au  public  en 
1877  et  chargea  M.  Rooses  d'utiliser  les  milliers  de  documents  contenus 
dans  la  «  Maison  Plantin.  » 

M.  Rooses,  qui  a  beaucoup  écrit  en  néerlandais,  est  un  critique  d'art 
et  de  littérature  très  estimé  en  Hollande  et  dans  la  Belgique  flamande. 
Sa  grande  histoire  de  l'école  de  peinture  anversoise  [Geschicdetiis  der 
Antiverpsche  Schilderschool ,  1879),  a  été  traduite  en  allemand  et  devrait 
l'être  aussi  en  français.  Depuis  qu'il  est  conservateur  du  musée  Plantin, 
M.  Rooses  a  produit  plusieurs  travaux  d'érudition  relatifs  à  l'impri- 
merie plantinienne.  Son  Christophe  Plantin^  que  l'éditeur  Maes  a  publié 
avec  un  luxe  digne  du  sujet,  est  une  œuvre  de  premier  ordre,  pleine  de 
révélations  et  d'aperçus  nouveaux. 

Christophe  Plantin  était  Tourangeau.  Il  naquit  dans  un  village  près 
de  Tours  (on  ne  sait  au  juste  lequel)  en  1514  et  il  était  iils  d'un  dômes- 


428  COMl'TES-RENDUS    CRITÏQCES. 

tique.  M.  Rooses  renverse  définitivement  la  légende  de  son  origine 
noble  que  ses  descendants  imaginèrent  plus  tard.  Plantin  fit  son  appren- 
tissage d'imprimeur  à,  Caen,  où  il  se  maria.  En  1549,  deux  ans  après 
la  naissance  de  son  premier  enfant,  il  vint  s'établir  à  Anvers,  qui  était 
alors  la  ville  la  plus  florissante  et  la  plus  opulente  du  nord  de  l'Europe. 
Plantin  y  exerça  d'abord  la  profession  de  relieur  et  de  maroquinier. 
En  1555,  il  ouvrit  une  petite  imprimerie.  En  peu  d'années  et  malgré  les 
troubles  religieux  il  était  devenu  le  premier  imprimeur  des  Pays-Bas 
et  avait  obtenu  de  Philippe  II  le  titre  d'imprimeur  du  roi  ou  d'archi- 
typographe  de  S.  M.  En  même  temps  sa  librairie  était  l'une  des  plus 
considérables  de  l'époque.  Lorsque  le  parti  du  prince  d'Orange  prit  le 
dessus  pendant  quelques  années,  il  devint  imprimeur  officiel  des  Etats- 
généraux  et,  s'étant  transporté  à  Leide ,  imprimeur  de  l'université  cal- 
viniste et  des  États  de  Hollande.  Après  la  prise  d'Anvers  par  Alexandre 
Farnèse,  il  revint  prendre  la  direction  de  ses  ateliers,  dont  il  avait 
abandonné  le  soin  à  son  gendre  Jean  Moretus ,  et  il  mourut  à  Anvers 
en  1589. 

M.  Rooses  a  dressé  une  longue  liste  de  tous  les  imprimeurs  et 
libraires  avec  lesquels  Plantin  eut  des  rapports  [Documents  n»  ix).  A  côté 
de  ceux  des  Pays-Bas,  on  y  trouve  une  multitude  de  confrères  français, 
allemands,  suisses,  anglais,  écossais,  italiens,  espagnols,  portugais  et 
polonais.  A  partir  de  1567,  Plantin  eut  une  succursale  à  Paris.  Il  eut 
aussi  des  agents  en  Espagne ,  puis  une  succursale  à  Salamanque.  Il 
songea  à  en  fonder  une  à  Londres.  Une  partie  de  l'édition  de  la  Bible 
en  hébreu  (1566i  fut  écoulée  par  un  agent  spécial  en  Barbarie.  Tous  les 
ans,  Plantin  se  rendait  à  la  célèbre  foire  de  Francfort  ou  y  envoyait  l'un 
de  ses  gendres.  Toute  sa  vie  il  mit  en  pratique  sa  fameuse  devise  : 
Labore  et  constantia.  Malgré  le  malheur  des  temps,  malgré  des  embarras 
financiers  un  instant  inextricables  et  des  difficultés  incessantes,  il  laissa 
une  fortune  que  M.  Rooses  ne  craint  pas  d'évaluer  à  plus  d'un  million 
de  francs  de  notre  monnaie. 

Le  livre  de  M.  Rooses  nous  rappelle  ces  grandes  compositions  des  maî- 
tres hollandais  du  XYii'2  siècle,  représentant  une  nombreuse  famille:  père, 
mère,  enfants,  gendres,  brus,  petits-enfants,  intimes  et  familiers  de  la 
maison.  Toutes  ces  figures,  vues  de  face,  de  profil,  de  trois  quarts, 
éclairées  vivement  ou  laissées  dans  la  pénombre,  ont  cependant  chacune 
leur  physionomie  propre  et  toutes  sont  groupées  avec  une  savante 
naïveté  autour  du  chef  de  la  famille.  Christophe  Plantin  est  ici  le 
centre  de  la  composition  ;  mais  à  ses  côtés  nous  voyons  sa  vaillante  et 
simple  épouse,  Jeanne  Rivière,  de  Caen,  ses  nombreuses  filles,  ses 
gendres ,  parmi  lesquels  se  détachent  sur  le  premier  plan  les  excellents 
typographes  Jean  Moretus  et  François  Raphelengien. 

Voici  près  de  lui  le  groupe  des  savants  du  temps,  qui  ont  eu  des  rela- 
tions suivies  et  cordiales  avec  Plantin  :  le  directeur  de  la  fameuse 
_6?'&;ej:)o/7/^;o«(;,  le  sympathique  Arias  Montanus,confesseurde  Philippe II, 
les  grands  botanistes  du  xvi«  siècle,  Dodonée  (Rembert  Dodoens)  de 


ROOSES   :    CHRISTOPHE    PLANTIN.  '«29 

Malines,  Charles  de  l'Escluse  d'Arras  et  Mathieu  de  Lobel  de  Lille,  pour 
les  ouvrages  desquels  Plantin  a  fait  dessiner  d'après  nature  et  graver 
des  centaines  de  planches  admirables  ;  les  grands  géographes  Abraham 
Ortelius,  d'Anvers,  et  Gérard  Mercator  de  Rupelmonde  ;  l'archéologue 
Hubert  Goltzius,  l'un  des  fondateurs  de  la  numismatique  ;  le  mathéma- 
ticien Simon  Stévin,  de  Bruges;  le  grand  et  modeste  philologue  Kilia- 
nus,  simple  typographe  ;  le  cardinal  Baronius  et  surtout  Juste-Lipse, 
l'ami  illustre  et  dévoué  de  Plantin  jusqu'à  sa  mort. 

Mais  voici  un  autre  groupe,  plus  nombreux  encore,  que  M.  Rooses  a 
tiré  d'un  injuste  oubli.  Ce  sont  les  artistes  que  Plantin  employait  à  illus- 
trer ses  admirables  éditions.  Il  y  a  là  les  dessinateurs  Pierre  van  der 
Borcht  et  Grispin  van  den  Broeck,  de  Malines,  Godefroi  Ballain,  de 
Paris,  Luc  d'Heere,  de  Gand,  Martin  de  Vos  et  Pierre  Huys,  d'Anvers  ; 
les  graveurs  sur  bois  Arnaud  Nicolaï,  Antoine  van  Leest,  Gérard  Jansen 
de  Kampen,  Corneille  MuUer,  Guiliaume  de  Paris,  Jean  de  Gourmont, 
de  Paris,  Marc  Duchêne,  Jean  Crisoone  ;  les  graveurs  sur  cuivre  Jean 
et  Jérôme  Wiericx,  toujours  ivres,  toujours  en  prison  ou  dans  les  mau- 
vais lieux,  d'où  il  fallait  les  arracher  pour  obtenir  d'eux  des  chefs- 
d'œuvre,  Abraham  de  Bruyn,  Jean  Sadeler,  Pierre  van  der  Heyden, 
Jules  Goltzius,  Pierre  Dufour  (Furnius),  de  Liège,  etc. 

Cette  biographie  de  Plantin  est  ainsi  une  galerie  des  savants,  des 
artistes,  des  imprimeurs  et  des  libraires  du  xvi«  siècle  dans  les  Pays- 
Bas.  L'énigmatique  figure  de  Philippe  II  n'y  manque  même  pas  : 
M.  Rooses  nous  le  montre  se  faisant  envoyer  d'Anvers  en  Espagne  une 
épreuve  de  chaque  feuille  d'impression  de  la  Bible  polyglotte,  au  moment 
même  où  l'administration  du  duc  d'Albe  dans  les  Pays-Bas  et  toutes 
ses  autres  entreprises  lui  donnaient  cependant  tant  de  soucis,  et  corri- 
geant de  sa  propre  main,  en  1571,  les  instructions  très  étendues  four- 
nies à  Plantin  pour  l'impression  des  livres  liturgiques  destinés  à  l'Es- 
pagne, changeant  certaines  dispositions  des  offices,  certaines  expressions 
des  cantiques  et  des  prières,  émendant  des  erreurs  de  copiste,  se  préoc- 
cupant de  l'emploi  d'une  vignette,  d'une  lettre  coloriée,  en  un  mot  fai- 
sant œuvre  de  correcteur  d'imprimerie.  «  Ainsi,  au  lieu  de  Magnifica 
beata  mater  et  innupta,  comme  portait  le  petit  office  du  samedi,  il  pro- 
posa de  dire  :  Magnifica  beata  mater  et  intacta,  ce  qui  vaut  évidemment 
mieux.  Aux  mots  Domine,  salvum  fac  Regem,  il  proposa  d'ajouter  nos- 
trum,  parce  qu'on  dit  :  Oremus  pro  Papa  nostro.  »  (P.  166  et  167.) 

M.  Rooses  expose  en  détail  l'origine  et  les  développements  de  la 
législation  draconienne  que  Charles-Quint  et  Philippe  II  firent  peser 
sur  l'imprimerie  et  sur  la  librairie  dans  les  Pays-Bas  (p.  201  et  suiv.). 
Avant  d'imprimer  ou  de  réimprimer  quoi  que  ce  soit,  l'éditeur  devait 
se  pourvoir  d'une  approbation  ecclésiastique  et  d'un  privilège  émanant 
des  autorités  civiles.  Ces  pièces  ne  s'obtenaient  pas  sans  cadeaux.  Dans 
ses  comptes  de  1565,  Plantin  mentionne  qu'il  s'est  rendu  à  Bruxelles 
pour  solliciter  quelques  autorisations  et  qu'il  a  offert  à  M.  le  chancelier 
«  4  formages  d'Auvergne  constants  15  patards  pièce,  8  paniers  de  pru- 


430  COMPTES-RENDUS    CRITIQUES. 

neaux  et  poires  à  3  1/2  patards  pièces,  1  Bible  in-ie»  réglée,  dorée;  » 
de  plus  il  a  offert  au  curé  de  Sainte-Gudule  «  2  formages  et  6  paniers, 
1  Bible  16o  lavée,  réglée,  dorée,  «  et  à  d'autres  personnages,  parmi  les- 
quels se  trouve  Hopperus,  des  fromages,  des  pruneaux,  des  poires  et  des 
Bibles  en  proportion  de  leur  influence,  sans  compter  les  taxes  acquittées 
en  argent. 

Néanmoins  Plantin  gagnait  d'ordinaire  de  300  à  400  pour  cent  sur 
les  livres  qu'il  imprimait  et  éditait.  Malgré  ce  bénéfice  énorme,  le  prix 
de  vente  était  remarquablement  bas  en  comparaison  de  ce  que  nous 
payons  actuellement  nos  livres.  Gela  s'explique.  Les  imprimeurs  du 
xvi«  siècle  ne  payaient  presque  jamais  d'honoraires  aux  auteurs;  le 
salaire  des  ouvriers  typographes  était  si  peu  élevé  qu'il  était  de  beau- 
coup inférieur  à  celui  des  maçons,  des  charpentiers  et  des  ardoisiers 
(p.  253)  ;  enfin  le  tirage  était  considérable  et  la  consommation  impor- 
tante à  cause  de  la  soif  de  lecture  et  de  science  qui  distinguait  alors  la 
classe  aisée. 

Le  livre  de  M.  Rooses  nous  fait  connaître  jusque  dans  ses  moindres 
particularités  l'organisation  de  l'imprimerie  au  xvi«  siècle,  ainsi  que  celle 
de  toutes  les  industries  qui  s'y  rattachent  :  reliure,  papeterie,  gravure, 
taille  des  caractères  typographiques.  Il  nous  renseigne  aussi  exactement 
sur  la  condition  des  ouvriers,  la  correction  des  épreuves,  les  salaires, 
l'apprentis-sage,  les  rapports  entre  patron  et  ouvriers,  les  grèves  des 
typographes,  les  règlements  détaillés  et  très  sévères  qui  étaient  affichés 
dans  les  ateliers,  la  caisse  des  pauvres,  des  malades  et  des  ouvriers 
voyageant  en  quête  d'ouvrage,  le  conseil  des  typographes  où  le  patron 
siégeait  avec  les  délégués  de  l'atelier,  etc. 

Plantin  alla  jusqu'à  employer  160  ouvriers  dans  son  officine.  Il  était 
très  exigeant,  mais  il  semble  avoir  été  juste,  compatissant  et  aimé  de 
ses  inférieurs.  Il  donnait  lui-même  l'exemple  de  l'activité  et  de  l'ardeur 
au  travail  et  il  élevait  très  sévèrement  ses  cinq  filles.  «  Dès  leur  pre- 
mière enfance,  il  leur  faisait  apprendre  à  lire  et  à  écrire,  et,  chose  à  peine 
croyable,  depuis  l'âge  de  quatre  à  cinq  jusqu'à  l'âge  de  douze  ans,  les 
quatre  premières  de  ses  cinq  filles  étaient  employées  à  lire  les  épreuves 
de  l'imprimerie,  de  quelque  écriture  et  dans  quelle  langue  qu'elles  fussent. 
Dans  les  intervalles  de  leurs  études  et  de  leurs  occupations  de  correc- 
teurs, elles  s'initiaient  aux  travaux  à  l'aiguille.  »  (P.  214.) 

M.  Rooses  nous  conte  par  le  menu  la  vie  et  les  mariages  de  ces  filles, 
nous  décrit  leurs  repas  de  noces,  nous  renseigne  sur  leurs  dots,  sur 
leurs  maris,  sur  leurs  enfants  et  sur  leurs  occupations.  Il  nous  présente 
même  le  jeune  Christophe  Beys,  fils  d'Egide  et  de  Madeleine  Plantin, 
qui  habitait  chez  son  grand-père  et  lui  donnait  parfois  du  fil  à  retordre. 
Un  jour  que  la  conduite  de  l'enfant  avait  laissé  à  désirer,  Plantin,  en 
guise  de  pensum,  lui  fit  rédiger  une  page  en  latin,  dans  laquelle  le  jeune 
Christophe,  âgé  de  quatorze  ans,  donne  en  détail  l'emploi  de  sa  journée. 
Voici  ce  curieux  document,  traduit  en  français  : 


ROOSES    :    CHRISTOPHE    PLANTIN.  431 

«  Occupations  de  Christophe  Bei/s,  le  21  février  iS87. 

«  A  six  heures  et  demie,  je  me  suis  levé.  Je  suis  allé  embrasser  mon 
grand-père  et  ma  grand'mère.  J'ai  déjeuné  ensuite.  Avant  sept  heures 
j'allai  en  classe  et  récitai  bien  ma  leçon  de  syntaxe.  A  huit  heures, 
j'entendis  la  messe.  A  huit  heures  et  demie,  j'ai  appris  ma  leçon  de 
Cicéron  et  l'ai  bien  récitée.  A  onze  heures,  je  suis  revenu  à  la  maison 
et  j'ai  appris  ma  leçon  de  phraséologie.  Après  le  dîner,  je  suis  retourné 
en  classe  et  ai  bien  récité  ma  leçon.  A  deux  heures  et  demie,  j'ai  bien 
récité  ma  leçon  de  Cicéron.  A  quatre  heures,  je  suis  allé  au  sermon. 
Avant  six  heures,  je  suis  retourné  à  la  maison  et  j'ai  lu  une  épreuve  du 
Libellus  Sodalitatis  avec  mon  cousin  François  (Raphelengien).  Je  me 
suis  montré  récalcitrant  en  lisant  les  épreuves  de  la  Bible.  Avant  le 
souper,  mon  grand-père  m'ayant  fait  venir  pour  lui  répéter  ce  que  l'on 
avait  prêché,  je  n'ai  voulu  ni  aller  ni  répéter;  et  même,  quand  les 
autres  m'engageaient  à  demander  pardon  à  grand-père,  je  n'ai  pas  voulu 
répondre.  Enfin  je  me  suis  montré  à  l'égard  de  tous  orgueilleux,  opi- 
niâtre et  entêté.  Après  le  souper,  j'ai  écrit  mes  occupations  de  la  journée 
et  je  les  ai  lues  à  mon  grand-père.  La  fin  couronne  l'œuvre  »  (p.  225). 

A  l'aide  des  archives  plantiniennes,  M.  Rooses  est  ainsi  parvenu  à  nous 
tracer  un  tableau  complet  et  des  plus  intéressants  de  l'intérieur  de 
Christophe  Plantin  et  de  la  manière  de  vivre  de  cette  importante  et 
nombreuse  famille  anversoise  de  la  fin  du  xvi^  siècle. 

Il  est  surtout  une  face  de  son  sujet  que  M.  Rooses  a  traitée  avec  soin 
et  qui  méritait  d'ailleurs  de  l'être:  les  relations  de  Plantin  avec  la 
Réforme  et  son  attitude  au  milieu  des  tourmentes  politiques  et  reli- 
gieuses de  son  pays  d'adoption. 

Quand  Plantin  vint  s'établir  à  Anvers  en  1549,  cette  ville  était  déjà 
le  foyer  de  la  propagande  occulte  des  protestants  dans  les  Pays-Bas.  Or, 
en  1562,  tous  les  biens  de  Plantin,  qui  s'était  prudemment  retiré  à  Paris, 
furent  saisis  et  vendus.  Il  n'y  eut  de  réservé  que  les  habillements  de  sa 
femme  et  de  ses  enfants.  Le  margrave  d'Anvers  avait  procédé  à  cette 
exécution,  parce  qu'on  avait  découvert  que  Plantin  avait  imprimé  un 
livre  hétérodoxe.  C'était  la  gouvernante  des  Pays-Bas,  Marguerite  de 
Parme,  sœur  naturelle  de  Philippe  II,  qui  avait  ordonné  les  poursuites. 
Le  chanoine  Josse  Ravesteyn,  dit  Tiletanus,  inquisiteur  général  des 
Pays-Bas,  avait  même  fait  arrêter  toute  la  famille  Plantin  y  compris 
la  servante.  Christophe  Plantin  resta  absent  pendant  environ  vingt  mois. 
Etant  rentré  à  Anvers  en  septembre  1563,  il  parvint  à  se  justifier  tant 
bien  que  mal  et  rouvrit  une  imprimerie.  Il  est  à  remarquer  que  tous 
ses  bailleurs  de  fonds  se  distinguèrent  dans  la  suite  par  leur  attache- 
ment au  culte  calviniste. 

On  avait  toujours  cru  que  Plantin  avait  été  secrètement  calviniste, 
mais  M.  Rooses  prouve  qu'il  a  appartenu  successivement  à  deux  sectes 
extrêmement  bizarres  de  libertins  ou  libres-penseurs  du  xvi^  siècle. 


432  COMPTES-RENDUS    CHITIQDES. 

L'une  d'elles  s'intitulait  «  la  Famille  de  la  Charité  »  et  avait  pour  chef 
Henri  Niclaes.  C'était  un  mystique  dont  les  ouvrages  sont  extrêmement 
nébuleux  ;  taais  sa  doctrine  ofl're  un  côté  très  curieux.  Il  rapportait  tout 
à  la  pratique  de  la  charité  et  enseignait  que  le  culte  extérieur  est  sans 
importance.  «  A  une  époque,  dit  M.  Rooses,  où  l'on  guerroyait  sans 
trêve  ni  merci  avec  les  textes  bibliques,  oii  on  les  employait  à  prouver 
les  systèmes  les  plus  contradictoires,  où  les  églises  se  levaient  du  jour 
au  lendemain  comme  les  champignons  dans  les  bois,  où  la  haine  reli- 
gieuse mettait  les  armes  à  la  main  et  l'injure  à  la  bouche  des  chrétiens 
dans  la  plus  grande  partie  de  l'Europe,  une  doctrine  de  paix  et  de  cha- 
rité qui  iaisait  abstraction  de  tout  esprit  sectaire  et,  en  prêchant  l'amour 
du  prochain  et  de  Dieu,  prenait  dans  les  différentes  églises  ce  qu'elles 
avaient  de  commun  et  de  plus  noble,  devait  faire  des  adeptes,  même 
parmi  des  esprits  d'élite,  comme  Plaatin  et  certains  de  ses  amis  »  (p.  65). 
D'ailleurs  Henri  Niclaes  permettait  à  ses  disciples  de  rester  fidèles  aux 
pratiques  du  catholicisme  et  lui-même  se  déclarait  fils  soumis  de  Rome. 
Tel  était  le  rêveur  nuageux  qui  fut  en  rapports  intimes  avec  Plantin, 
esprit  lucide,  homme  pratique  par  excellence.  M.  Rooses  a  surtout  tire 
ces  révélations  d'un  manuscrit  conservé  à  Leide  dans  la  bibliothèque 
de  la  Société  de  littérature  néerlandaise,  manuscrit  qui  lui  avait  été 
signalé  par  M.  P. -A.  Tiele,  alors  bibliothécaire  de  l'université  de  Leide^ 
et  que  le  savant  M.  Arnold,  actuellement  collaborateur  de  la  Bibliotheca 
helgica  à  Gand,  a  bien  voulu  transcrire  pour  M.  Rooses. 

On  y  voit  que  Plantin  avait  imprimé  clandestinement  les  livres  de 
Henri  Niclaes,  et  était  resté  en  correspondance  secrète  avec  lui  jusque 
sous  le  duc  d'Albe,  au  moment  où  il  sollicitait  de  Philippe  H  l'autori- 
sation d'éditer  la  Bible  polyglotte  et  où  il  fai.'^ait  tant  de  protestations 
d'orthodoxie.  Mais  il  quitta  ensuite  la  secte  de  Henri  Niclaes  et  s'affi- 
lia à  une  communauté  dissidente,  fondée  par  Henri  «lanssen,  plus  connu 
sous  les  noms  de  Barrefelt  et  de  Hièl.  «  De  même  que  Henri  Niclaes, 
Barrefelt,  dit  M.  Rooses,  se  met  en  opposition  complète  avec  ses  con- 
temporains sur  des  (juestions  religieuses  de  haute  importance.  Dans 
un  siècle  où  l'autorité  divine  des  Écritures  était  admise  sans  conteste 
par  toutes  les  églises  chrétiennes,  où  la  plus  grande  importance  était 
attachée  aux  points  les  plus  subtils  de  la  doctrine  et  du  dogme  et  où 
les  martyrs  étaient  proclamés  les  héros  de  l'humanité,  les  deux  nova- 
teurs professaient  un  dédain  à  peine  déguisé  pour  la  Bible  et  les  dogmes 
révélés,  et  n'étaient  pas  loin  de  traiter  d'égarés  et  de  niais  ceux  qui 
aimaient  mieux  sacrifier  leur  vie  que  de  renoncer  à  leur  foi  ou  de  cacher 
leurs  convictions  religieuses  »  (p.  77  et  78). 

Les  archives  de  la  maison  Plantin  contiennent  beaucoup  de  lettres 
adressées  par  Barrefelt  à  Plantin  lui-même  et  à  son  gendre  Jean  More- 
tus;  un  bien  plus  grand  nombre  se  sont  perdues.  De  son  côté,  Plantin 
lui  écrivait  chacjue  semaine  jusqu'à  sa  mort  et  imprimait  en  secret  ses 
ouvrages.  Non  seulement  il  partageait  ses  opinions,  mais  il  était  le  chef 
de  sa  secte  à  Anvers  et  y  dirigeait  les  adeptes,  au  nombre  desquels  se 


ROOSES    :    CHRISTOPHE   PLANTIN.  433 

trouvaient  presque  tous  les  membres  de  sa  famille.  Plantin  etBarrefelt 
employaient  un  argot  de  convention  dans  leur  correspondance.  La  secte 
se  nommait  le  commerce,  les  livres  à  imprimer  étaient  des  échantillons 
à  teindre;  les  presses  d'imprimerie  s'appelaient  des  cuves,  les  imprimeurs 
de  la  secte  étaient  les  teinturiers,  les  manuscrits  à  imprimer  étaient 
désignés  sous  le  nom  de  bo7ine  laine,  etc.  «  Il  fallait  des  preuves  aussi 
abondantes  et  aussi  irrécusables,  dit  M.  Rooses,  pour  élever  au-dessus 
de  toute  contestation  le  fait  étrange  que  l'architypographe  de  Sa  Majesté 
catholique,  qui  publia  avec  les  privilèges  du  pape  et  du  roi  d'Espagne 
les  livres  liturgiques  de  l'église  catholique  et  l'Index  des  livres  prohi- 
bés, ait  été  l'un  des  principaux  adhérents  de  deux  sectes  hétérodoxes 
et  l'imprimeur  des  livres  qu'elles  vénéraient  comme  leurs  Écritures 
saintes  »  (p.  81). 

L'attitude  de  Plantin  fut  tout  aussi  énigmatique  à  l'égard  du  parti  du 
prince  d'Orange.  On  sait  qu'à  la  mort  de  Requesens  les  soldats  espa- 
gnols, restés  sans  solde  depuis  de  longs  mois,  se  mutinèrent  et  com- 
mirent une  foule  d'excès,  dont  la  Furie  espagnole,  l'affreux  sac  d'Anvers 
qui  dura  trois  jours  (nov.  1576),  est  le  plus  célèbre.  Pendant  ces  trois 
jours  de  pillage  effréné,  Plantin  fut  rançonné  neuf  fois  et  il  déclare 
quelque  part  qu'il  lui  eût  été  plus  profitable  d'abandonner  ses  biens  et 
son  officine  aux  pillards  que  de  les  racheter  tant  de  fois  de  suite.  Ces 
débordements  de  la  soldatesque  soulevèrent  les  Pays-Bas  et  les  catho- 
liques tendirent  la  main  aux  calvinistes  pour  combattre  l'ennemi  com- 
mun (Pacification  de  Gand).  Aussitôt  Plantin  se  mit  à  louvoyer  entre  les 
partis.  Sans  se  prononcer  jamais  ouvertement  contre  l'Espagne,  il  faisait 
ce  qu'il  pouvait  pour  ne  pas  offusquer  le  parti  national  et  les  Réformés. 
En  1578,  les  États  généraux  le  nommèrent  leur  imprimeur.  Il  édita  leurs 
ordonnances  ainsi  qu'une  foule  de  pamphlets  anti-espagnols.  De  plus, 
il  combla  de  dédicaces  et  de  politesses  le  prince  d'Orange,  l'archiduc 
Mathias  et  le  duc  d'Alençon.  Parfois  les  livres  trop  violents  contre 
l'Église  et  Philippe  II  étaient  imprimés  à  l'aide  de  ses  caractères,  mais 
publiés  sous  un  autre  nom  d'imprimeur.  En  même  temps  il  correspon- 
dait activement  avec  Barrefelt  et  imprimait  en  secret  ses  ouvrages. 
Enfin  il  ne  rompait  pas  pour  cela  ses  relations  affectueuses  et  sa  cor- 
respondance avec  ses  protecteurs  espagnols,  Çayas,  secrétaire  de  Phi- 
lippe II,  Arias  Montanus,  son  confesseur,  et  d'autres.  Il  se  justifiait 
sans  cesse  dans  les  lettres  qu'il  leur  adressait  et  prétendait  n'agir  que 
contraint  et  forcé.  Pour  mettre  le  comble  à  sa  bizarre  situation,  il  ne 
cessait,  sous  ce  régime  ultracalviniste,  d'imprimer  les  Pères  de  l'église 
et  des  Bibles  catholiques  sous  la  direction  des  professeurs  et  des  théo- 
logiens de  Louvain. 

M.  Rooses  ne  se  dissimule  pas  ce  qu'il  y  a  de  choquant  dans  la  con- 
duite de  son  héros.  Il  n'excuse  pas,  il  explique  d'après  la  vraie  méthode 
historique.  On  peut  aussi  se  rallier  pleinement  à  cette  réflexion  :  «  Nous 
nous  permettrons  de  rappeler  que,  si  le  xvi^  siècle  a  compté  par  milliers 
les  martyrs  de  la  liberté  religieuse  et  politique,  il  a  compté  aussi  des 
Rev.  Histor.  XXV.  2«  fasc.  28 


434  COMPTES-REXDUS  CRITIQUES. 

millions  d'âmes  moins  fortement  trempées  dont  les  opinions  changeaient 
avec  celles  du  parti  dominant.  Dans  une  époque  de  terrorisme,  la  con- 
science humaine  peut  paraître  moins  scrupuleuse  que  dans  notre  temps 
de  liberté  et  de  calme;  mais  qui  nous  dépeindra  le  spectacle  que  nos 
contemporains  nous  offriraient,  si  ces  temps  d'angoisse  et  de  tyrannie 
devaient  revenir  ?  »  (P.  377.) 

M.  Rooses  ne  fait  pas  seulement  l'histoire  de  Plantin  et  de  ses  con- 
temporains, il  fait  aussi  l'histoire  de  ses  livres.  Il  y  emploie  des  cha- 
pitres très  fouillés  et  très  curieux.  Ainsi  le  chapitre  vi,  consacré  à  la 
Bible  royale  ou  Bible  polyglotte,  est  une  monographie  de  grande  valeur. 
On  y  trouvera  des  détails  précieux  sur  les  attaques  passionnées  que  sou- 
leva cette  grande  entreprise  scientifique  et  industrielle  malgré  l'appro- 
bation du  pape  et  du  roi.  Les  ennemis  de  Plantin  et  d'Arias  Montanus 
partaient  de  ce  principe  que,  la  Vulgate  ayant  été  déclarée  la  version 
authentique  de  l'Écriture  sainte  par  le  concile  de  Trente,  il  était  défendu 
de  s'en  éloigner  en  aucun  point  et  de  recourir  jamais  aux  textes  grecs, 
hébreux  ou  syriaques.  Parmi  ces  théologiens  fanatiques,  il  faut  surtout 
citer  Léon  de  Castro,  professeur  à  l'université  de  Salamauquo,  et  Guil- 
laume Lindanus  (Vander  Linden),  inquisiteur  des  Pays-Bas,  plus  tard 
évêque  de  Ruremonde  et  de  Gand.  Tous  deux  étaient  fort  ignorants 
dans  les  langues  incriminées. 

Au  chapitre  vni,  nous  trouvons  l'histoire  tout  aussi  détaillée  du 
fameux  Thésaurus  teutomcae  linguae  (1573),  du  lexique  llamand-latin 
de  Kilianus  et  des  autres  dictionnaires  publiés  par  Plantin.  C'est  une 
page  importante  de  l'histoire  de  la  philologie  néerlandaise.  «  De  1573, 
dit  M.  Rooses,  date,  pour  ainsi  dire,  l'acte  d'émancipation  du  néerlan- 
dais ;  celui-ci  devient  l'héritier  légitime  de  tous  les  dialectes  qui  aupa- 
ravant se  disputaient  la  prépondérance.  La  langue  de  la  Flandre  occi- 
dentale avait  servi  d'idiome  littéraire  pendant  la  phase  la  plus  ancienne 
de  notre  civilisation,  s'étendant  de  1200  à  l-iSO.  La  prospérité  de  nos 
contrées,  en  se  déplaçant  vers  l'Est  et  vers  le  Nord,  donna,  dans  le  cours 
du  xvie  siècle,  la  prépondérance  au  dialecte  du  Brabant.  C'est  la  langue 
telle  qu'elle  était  parlée  à  Anvers,  le  brabançon,  la  langue  du  Thésaurus 
et  du  dictionnaire  de  Kiel  (Kilianus)  qui,  grâce  à  la  situation  privilégiée 
de  notre  métropole  commerciale  et  grâce  aussi  aux  travaux  de  Plantin 
et  de  ses  collaborateurs,  devint  la  langue  universelle  des  Pays-Bas.  Il 
manquait  à  nos  contrées  une  capitale  et  une  cour  pour  opérer  cette 
fusion  des  dialectes  et  créer  l'uniformité;  l'officine  plantinienne  com- 
bla cette  lacune  ;  elle  servit  d'académie  où  des  savants,  guidés  et  encou- 
ragés par  la  vive  intelligence  de  l'imprimeur,  effectuèrent  un  travail 
dont  nos  pères  avaient  le  plus  grand  besoin  et  dont  nous  profitons  encore 
de  nos  jours  »  (p.  190).  C'est  ainsi  le  Tourangeau  Plantin  qui  a  conso- 
lidé les  bases  de  la  langue  néerlandaise. 

Douze  documents  inédits  et  un  index  des  noms  propres  et  des  édi- 
tions plantiniennes  terminent  l'ouvrage  de  M.  Rooses,  qui  est  de  plus 
illustré  splendidement  par  cent  planches  in-folio  hors  texte  et  par  des 


ROOSES    :    CHRISTOPHE   PLANTIN.  435 

centaines  de  gravures,  de  lettrines,  de  culs-de-lampe,  etc.,  le  tout  tiré 
de  l'officine  plantinienne  elle-même  et  exécuté  à  la  perfection.  Les  ama- 
teurs de  beaux  livres  peuvent  difficilement  rêver  mieux  que  le  Chris- 
tophe Plantin.  Il  y  a  là  les  portraits  en  phototypie  ou  en  gravure  de 
Plantin,  de  sa  femme,  de  ses  filles,  de  Jean  Moretus,  de  Raphelengien 
(plusieurs  d'entre  eux  sont  d'après  Rubens),  de  Guillaume  d'Orange,  du 
cardinal  Granville,  de  Philippe  II,  d'Arias  Montanus,  do  Hubert  Golt- 
zius,  de  Martin  de  Vos,  d'Abraham  Ortelius,  du  cardinal  Baronius,  de 
Juste-Lipse,  etc.  Les  grands  fac-similés  des  frontispices  et  des  planches 
des  principaux  chefs-d'œuvre  de  Plantin  sont  également  superbes.  Ce 
sont  des  merveilles  qui  font  honneur  à  l'éditeur  anversois,  M.  Joseph 
Maes. 

Je  crois  en  avoir  dit  assez  pour  montrer  combien  le  Christophe  Plan- 
lin  de  M.  Rooses  contient  de  choses  neuves  et  importantes.  Il  est  plein 
de  révélations  sur  l'histoire  d'une  industrie  moderne  de  premier  ordre, 
sur  les  savants  et  les  artistes  des  Pays-Bas  au  xvi"  siècle  et  sur  les  mœurs 
des  Anversois  à  la  grande  époque  historique  de  leur  ville.  Je  n'ai  qu'une 
critique  à  faire  à  l'auteur,  c'est  de  n'avoir  pas  spécifié  plus  nettement 
les  documents  inédits  des  archives  plantiniennes,  qui  lui  ont  servi  à 
éditier  sa  belle  œuvre.  Peut-être  un  inventaire  et  un  numérotage  sys- 
tématique de  ces  pièces  n'existent-ils  pas  encore.  En  tout  cas,  sans 
indications  nouvelles,  on  pourra  difficilement  contrôler,  sur  les  pièces 
originales,  les  conclusions  de  l'auteur. 

Paul  Fredericq. 


436  RECOEILS  PERIODIQUES. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES  ET  SOCIÉTÉS  SAVANTES. 


1.  —Bibliothèque  de  l'École  des  chartes.  T.  XLV,  1884,  livr.  1. 
—  Hauréau.  Disputatio  mundi  et  religionis  ;  poème  de  Gui  de  la 
Marche  (ce  Gui  était  fils  naturel  de  Hugues  XII,  comte  d'Angoulême 
et  de  La  iMarche).  —  Em.  Molinier.  Inventaire  du  trésor  du  saint-siège 
sous  Boniface  VIII  (1295)  ;  suite.  —  Gauthier.  Notice  sur  les  mss.  de 
la  bibliothèque  publique  de  Pontarlier.  —  Al.  Pinghart.  Lettres  mis- 
sives tirées  des  archives  de  Belgique,  concernant  l'histoire  de  France, 
1317-1324  (1"  lettre  écrite  au  nom  de  Jeanne,  fille  de  Louis  X  le  Hutin 
et  de  Marguerite  de  Bourgogne,  sur  les  protestations  élevées  par  le  duc 
de  Bourgogne  et  autres  vassaux  de  la  couronne  contre  l'avènement  de 
Philippe  V,  1317  ;  elle  a  dû  être  envoyée  à  Jean  III,  duc  de  Brabant  et 
de  Limbourg.  Les  deux  autres  lettres,  de  l'an  1324,  ont  trait  aux  que- 
relles incessantes  soulevées  entre  les  sujets  des  rois  de  France  et  d'An- 
gleterre en  Guyenne  et  ailleurs).  =  Bibliographie.  Schmitz.  Monumenta 
tachygraphica  cod.  Paris,  lat.  2718;  fasc.  alter  (très  utile  pour  les 
paléographes).  —  Liichaire.  Histoire  des  institutions  monarchiques  de 
la  France  sons  les  premiers  Capétiens,  987-1180  (excellent).  —  Pa/wi-irc. 
La  renaissance  en  France,  9'=  et  10^  livr.  :  Normandie  (excellent  ;  ces 
deux  fasc.  terminent  le  t.  II  et  achèvent  la  description  des  monuments 
de  la  renaissance  dans  tout  le  nord  de  la  France).  —  Les  Curiositez  de 
Paris,  réimprimées  d'après  l'édition  originale  de  1716  (M.  de  Montai- 
glon  a  prouvé  que  cet  ouvrage  a  pour  auteur  Claude  Marin  Saugrain). 
—  Corroyer.  Guide  descriptif  du  Mont-Saint-Michel  (excellent).  — 
Tamizey  de  Larroque.  Voyage  à  Jérusalem  de  Philippe  de  Voisins, 
seigneur  de  Montant  (un  passage  de  cette  relation  dit  qu'à  Monteleone 
les  gens  parlaient  «  gascon  ;  »  c'est  grifon  qu'il  faut  lire  ;  on  ne  peut 
s'étonner  que  l'on  parlât  encore  grec  dans  le  sud  de  l'Italie  à  la  fin  du 
xv«  s.;  mais  il  serait  bien  invraisemblable  qu'on  y  parlât  gascon).  = 
Livr.  2.  Kohler.  Note  sur  un  ms.  de  la  bibliothèque  d'Arezzo  (contient 
le  De  mysteriis,  de  saint  Hilaire  de  Poitiers,  qu'on  croyait  perdu,  deux 
hymnes,  et  un  intéressant  fragment  d'un  Voyage  en  Orient,  dont  le 
rédacteur  paraît  avoir  vécu  du  iv=  au  v^  s.;  peut-être  est-ce  même 
Galla  Placidia  qui  fit  ce  voyage,  et  dont  nous  posséderions  ainsi  l'iti- 
néraire. Intéressante  analyse  de  ce  morceau).  —  Vaesen.  Catalogue  du 
fonds  Bourré  à  la  Bibliothèque  nationale  ;  suite.  — Welwert.  Philippe 
le  Bel  et  la  maison  de  Luxembourg  (rassemble  dans  les  documents  de 
l'époque  les  principaux  faits  qui  rattachent  à  la  France  Henri  de 
Luxembourg,  le  futur  empereur  Henri  VII,  et  son  frère  Baudouin).  — 


BECUEILS   PÉRIODIQUES.  437 

BissoN  DE  Sainte-Marie.  Testament  de  Jacques  de  Tarente,  dernier 
empereur  de  Constantinople,  en  faveur  de  Louis  d'Anjou  (15  juillet  1383). 
=  Bibliographie.  Thibaudeau.  Catalogue  of  the  collection  of  autograph 
letters  and  historical  documents  formed  between  1865  and  1882  by 
Alfred  Morrison  (admirable  collection  ;  plus  d'un  autographe  provient 
de  nos  dépôts  publics,  surtout  de  celui  du  ministère  des  affaires  étran- 
gères. M.  Delisle  publie  deux  documents  indiqués  dans  ce  premier  vol. 
du  catalogue  ;  ils  se  rapportent  au  règne  de  Louis  XI  ;  l'un  est  le 
sauf-conduit  accordé  à  Louis  XI  par  Charles  le  Téméraire,  lors  de 
l'entrevue  de  Péronne).  —  Moris  et  Blanc.  Cartulaire  de  l'abbaye  de 
Lérins  (travail  estimable  et  utile).  —  Goi/fon.  BuUaire  de  l'abbaye  de 
Saint-Gilles  (bon).  —  Lindner.  Das  Urkundenwesen  Karls  IV  und  sei- 
ner  Nachfolger,  1346-47  (hon).—UL  Robert.  Étude  historique  et  archéo- 
logique sur  la  roue  des  Juifs  depuis  le  xiii"  s.  (court  mémoire  plein 
de  faits).  —  Marchegay.  Variétés  historiques  (publie  24  documents, 
allant  de  1080  à  1794). 

2.  —  Le  Cabinet  historique.  Nouv.  série.  1883,  nov.-déc,  n"  6 
(Champion).  —  Recueil  de  lois,  décrets  et  ordonnances,  etc.,  concer- 
nant les  bibliothèques  publiques,  communales,  universitaires,  scolaires 
et  populaires  ;  suite  et  fin.  —  Raynaud.  Catalogue  des  mss.  anglais  de 
la  Bibliothèque  nationale  (comprend  95  numéros).  —  Lois,  instructions 
et  règlements  relatifs  aux  archives  départementales,  communales  et 
hospitalières;  appendice.  Fin.  —  Louis  Guibert.  Les  confréries  de 
dévotion  et  de  charité,  et  les  œuvres  laïques  de  bienfaisance  à  Limoges 
avant  le  xv^  s.  (analyse  les  statuts  des  confréries  de  Notre-Dame  de 
Saint-Sauveur  et  de  Saint-Martial.  Cette  dernière  subsiste  encore 
aujourd'hui). 

3.  —  Revue  critique.  1884,  n"  14.  —  MUller.  Ancient  inscriptions 
in  Ceylon  (collection  de  mince  intérêt  historique  ;  son  importance  est 
surtout  paléographique).  —  Joret.  Des  rapports  intellectuels  et  litté- 
raires de  la  France  avec  l'Allemagne  avant  1789  (beaucoup  de  choses 
intéressantes).  =  N°  15.  Delattre.  Le  peuple  et  l'empire  des  Mèdes  jus- 
qu'à la  fin  du  règne  de  Cyaxare  (mémoire  qui  témoigne  de  réelles  qua- 
lités de  méthode  et  de  critique  ;  ajoute  peu  à  nos  connaissances  posi- 
tives sur  le  sujet).  —  Millier.  Cl.  Ptolemaei  Geographia;  vol.  I  pars 
prima  (édition  remarquable).— 67mgue/.  Le  général  Chanzy  (excellent). 
=r  N»  16.  Mispoulet.  Les  institutions  politiques  des  Romains;  t.  II  : 
l'Administration  (peu  original,  mais  fort  consciencieux  et  complet;  les 
renvois  sont  très  défectueux).  — Variété.  Deux  lettres  intimes  de  M.  et 
Mme  Roland  (avant,  et  aussitôt  après  leur  mariage).  =  N°  17.  Schiller. 
Geschichte  der  rœmischen  Kaiserzeit.  Bd.  I  (livre  tout  à  fait  au  courant 
des  dernières  découvertes,  qu'il  résume  ;  écrit  dans  un  esprit  partial  et 
exclusif;  en  somme,  bon  instrument  de  travail).  —  Pélicier.  Essai  sur 
le  gouvernement  de  la  dame  de  Beaujeu,  1483-91  (très  bon).  =  N°  18. 
Boissiére.  L'Algérie  romaine  (livre  très  agréable,  et  qui  donne  une  idée 


438  RECUEILS  PERIODIQnES. 

juste  de  l'Algérie  romaine;  d'ailleurs  ni  résultats  nouveaux,  ni  érudi- 
tion). —  F.  de  Guilhermy  et  R.  de  Lasteyrie.   Inscriptions  de  la  France, 
du  v«  au  xviiie  s.;  t.  V  :  ancien  diocèse  de  Paris  (M.  R.  de  L.  a  com- 
plété le  travail  de  M.    de  G.  par  un  copieux  supplément  et  par  une 
table  excellente).  —  Chuquet.  Goethe;  campagne  de  France,  1792;  édi- 
tion nouvelle  (excellent).  =  N°  19.  Enmann.  Eine  verlorene  Geschichte 
der  rœmischen  Kaiser,  und  das  Buch  De  Yiris  illustribus  urbis  Romae 
(travail  très  consciencieux  ;  prouve  qu'Eutrope  et  Aurélius  Victor,  dans 
son  De  Caesaribus,  ont  eu  une  source  commune  pour  la  période  qui 
suit  l'avènement  de  Septime  Sévère  ;  et  que  le  De  viris  est  un  extrait 
d'un  livre  plus  volumineux  sur  le  même  sujet).  —  Gaullieur.  Histoire 
de  la  Réformation  à  Bordeaux  et  dans  le  ressort  du  parlement  de 
Guyenne  ;  t.  I  (science  solide,  exposé  intéressant).  —  Craven.  Le  prince 
Albert  de  Saxe-Cobourg-Gotha,  d'après  l'ouvrage  de  sir  Th.  Martin 
(indispensable  à  qui  veut  étudier  l'histoire  contemporaine).— ia»mn5/c(/. 
Secrets  d'État  de  Venise  (très  curieux). =N<'  20.  Homolle.  Les  Romains 
à  Délos  (excellent  et  nouveau).  —  Chaste! .  Histoire  du  christianisme; 
t.  IV  et  V  (digne  fin  d'un  ouvrage  rempli  de  faits  et  d'idées  intéres- 
santes). -    Gachard.  Lettres  de  Philippe  II  à  ses  filles,  1.581-83  (apporte 
quelques  corrections  à  la  traduction  de  M.  Gachard).  —  dommartin. 
Beaurepaire;  épisode   de  la  reddition  de   Verdun   (Beaurepaire   s'est 
donné  la  mort  le  2  septembre  1792,  entre  deux  heures  et  demie  et  trois 
heures  du  matin,  non  point  au  sein  du  conseil  de  défense,  mais  seul  et 
dans  l'appartement  qu'il  occupait  à  l'hôtel  de  ville.  Il  n'était  pas  noble). 
:=  N"  21.  E.  Du  Sommerard.  Musée  des  Thermes  et  de  l'hôtel  de  Cluny  ; 
catalogue  (excellent  remaniement).  —  Vatel.  Histoire  de  M"»*  du  Barry 
(long  article,  rempli  de  détails  intéressants). =  N'  22.  MiUler.  De  demis 
atticis  (médiocre).  —  Szanto.  Untersuchungen  iiber  das  attische  Bur- 
gerrecht  (beaucoup  de  bonnes  choses).  —  Hug.  Studien  aus  dem  clas- 
sischen   Alterthum    (discours    académique,  où  l'auteur  a   essayé   de 
mettre  en  relief  les  pensées  créatrices  «  du  vrai  fondateur  de  la  démo- 
cratie athénienne,  Clisthène  »).  =  N»  23.   Drunot.  Un  fragment  des 
Histoires  de  Tacite.  Étude  sur  le  De  moribus  Germanorum  (des  vues 
ingénieuses  ;  travail  un  peu  superficiel).  —  Forneron.  Histoire  générale 
des  émigrés  pendant  la  Révolution  française  (très  intéressant,   mais 
fait  beaucoup  trop  vite.  Beaucoup  d'erreurs  de  détail).=N°  24.  Gagnât. 
Explorations  épigraphiques  et  archéologiques  en  Tunisie;   fasc.    1-2 
(d'heureuses  trouvailles,  fort  bien  présentées).  —  Harrisse.  Les  Corte 
Real  et  leurs  voyages  au  Nouveau-Monde  (étude  remarquable,  complé- 
tée par  le  fac-similé  d'un  planisphère  composé  en  1502).  —  HeUivald. 
Kulturgeschichte  in  ihrer  natiirlichen  Entwickelung  (livre  rempli  d'idées 
originales  et  suggestives). 

4.  —  Bulletin  critique.  1884,  15  avril.  —  Gautier.  La  chevalerie 
(important  pour  l'histoire  de  la  civilisation  en  France).  —  Jouin. 
Antoine  Goysevox  ;  sa  vie,  son  œuvre  et  ses  contemporains  (excellent 
art.    de  M.   Courajod,  qui  relève  des  erreurs   nombreuses   dans  cet 


RECUEILS   PERIODIQUES.  439 

ouvrage). =  1"  juin.  Callen.  L'église  métropolitaine  et  abbatiale  Sainct- 
André  de  Bourdeaux,  par  maître  Hierosme  Lopès  (bonne  réimpression, 
avec  d'utiles  additions  et  commentaires).  —  Luchaire.  Histoire  des 
institutions  monarchiques  de  la  France,  987-1180  (excellent).  —  Grand- 
claude.  Jux  canonicum  juxta  ordinem  decretalium  (excellent  commen- 
taire des  décrétales).  —  Tamizey  de  Larroque.  Arnauld  de  Pontac, 
évèque  de  Bazas,  1572-1605  (réimpression  de  plusieurs  de  ses  œuvres, 
avec  des  notes  aussi  copieuses  qu'instructives).  —  Sudre.  Les  finances 
de  la  France  au  xix^  s.  (bon). 

5.  —  La  Révolution  française.  1884,  14  avril.  —  Aulard.  Des 
portraits  littéraires  au  xvin^  s.  pendant  la  Révolution  ;  suite.  —  Duc 
d'Orléans.  Traité  philosophique,  théologique  et  politique  de  la  loi  sur 
le  divorce.  —  Advielle.  Les  portraits  inédits  des  révolutionnaires 
d'Arras. — Ostyn.  Le  procès  de  Marie- Antoinette  :  suite.  Fin  le  14  mai. 
=  14  mai.  Penaud.  Le  conventionnel  Noël  Pointe;  suite. 

6.  —  Répertoire  des  travaux  historiques,  contenant  l'analyse 
des  publications  faites  en  France  et  à  l'étranger  sur  l'histoire,  les  monu- 
ments et  la  langue  de  la  France  pendant  l'année  1882.  Tome  II,  n°  4 
(Hachette,  1883  ;  paru  en  1884). 

7.  —  Comité  des  travaux  historiques  et  scientifiques.  Bulle- 
tin. Section  d'archéologie.  1884,  n°  2.  —  Barbier  de  Montault.  Inven- 
taire des  reliques  de  l'abbaye  de  Nouaillé  (Vienne,  au  xvn"  siècle).  — 
Castan.  L'origine  et  la  qualité  du  portrait  de  l'infante  Isabelle-Claire- 
Eugénie,  par  Van  Dyck,  au  musée  du  Louvre.  —  J.  Guiffrey.  Les 
ateliers  de  tapisseries  de  Tours.  Privilège  octroyé  à  Comans  et  de  La 
Planche  pour  l'établissement  d'une  manufacture  de  tapisseries  à  Tours  ; 
févr.  1613.  —  Maxe-Werly.  Les  vitraux  de  Saint-Nicaise  de  Reims 
(publie  un  dessin  à  la  plume  de  ces  vitraux,  qui  ont  été  détruits  de 
1760  à  1764;  on  y  lit  les  noms  des  enfants  de  Thibaut  II,  comte  de 
Bar,  et  de  Jeanne  de  Toucy,  sa  femme).  =  Section  d'histoire  et  de  phi- 
lologie. 1883,  n"  2.  M.  de  Montégut.  Un  document  relatif  au  grand- 
père  de  Bugeaud  (Simon  Bugeaud  de  la  Piconnerie  sollicite,  en  1769, 
une  remise  sur  ses  impositions,  comme  ayant  douze  enfants  à  sa 
charge). 

8.  —  Revue  de  l'Histoire  des  religions.  5"  année  ;  nouv.  série. 
Tome  IX,  1884,  n°  1.  —  Massebieau.  Les  sacrifices  ordonnés  à  Car- 
thage  au  commencement  de  la  persécution  de  Décius.  —  N"  2.  Boughé- 
Leclercq.  Les  oracles  sibyllins;  suite  et  fin  (traduction  inédite  du 
livre  IH). 

9.  —  Revue  de  géographie.  1884,  avril.  —  L.  Drapeyron.  Essai 
de  psychologie  géographique  (sic).  Le  caractère  byzantin  au  vn=  s.  — 
Cherbonneau.  Légende  territoriale  de  l'Algérie  en  arabe,  en  berbère  et 
en  français;  suite. 

10.  —  Nouvelle  revue  historique  de  droit  français  et  étran- 
ger. 8'  année,  1884.  N»  2.  —  Glasson.  Les  origines  du  costume  de  la 


440  RECCEILS   PERIODIQUES. 

magistrature.  —  Prou.  Les  coutumes  de  Lorris  et  leur  propagation  au 
xii«  et  au  xiii"  siècle;  Is^^art.;  2«  art.  au  n»  3  (travail  important  et  bien 
fait  ;  l'auteur  n'étudie  que  la  charte  de  1155  et  les  chartes  qui  en  sont 
dérivées,  laissant  de  côté  la  coutume  officielle  de  1494  réformée  en  1531. 
Il  donne  d'abord  des  renseignements  historiques  et  géographiques  sur  le 
Gâtinais  au  xi^  et  au  xii^  s.;  puis  analyse  le  texte  de  1155,  qui  n'est 
sans  doute  qu'une  confirmation  de  la  charte  de  Louis  VL  Ce  n'est  pas 
une  charte  de  commune  ;  c'est  une  série  de  privilèges  propres  à  déve- 
lopper l'agriculture  et  le  commerce.  La  royauté  cherchait  aussi  à  aug- 
menter la  population,  et  par  suite  ses  revenus,  dans  le  Gâtinais.  Dis- 
tingue enfin  cette  charte  de  franchise  de  la  coutume  Lorris-Montargis, 
rédigée  à  la  fin  du  xv*  s.;  montre  la  différence  considérable  qui  sépare 
ces  deux  textes.  Propagation  de  ces  coutumes  dans  le  domaine  royal, 
dans  les  domaines  des  maisons  de  Gourtenay  et  de  Sancerre,  en  Cham- 
pagne). —  Blondel.  Note  sur  quelques  mss.  de  la  bibliothèque  royale 
de  Berlin;  coll.  Hamilton  (5  mss.  de  droit  canonique,  n»'*  132,  31,  345, 
279,  181  du  catal.  de  vente;  le  n°  192,  qui  renferme  le  texte  français 
du  Grand  Coutumier  de  Normandie  en  126  chap.  ;  le  n»  193,  qui  ren- 
ferme le  texte  complet  des  Coutumes  de  Beauvoisis  par  Beaumanoir, 
seul  ms.  illustré  de  B.  jusqu'ici  connu,  très  important  pour  la  constitu- 
tion du  texte.  A  la  fin  de  ce  dernier  ms.  est  une  petite  coutume  du 
Vexin,  inédite,  et  dont  le  texte,  fort  court,  est  publié  en  entier  ici).  — 
Brunner.  Note  sur  une  somme  française  du  xiv^  s.  sur  le  Code  (texte 
de  la  préface,  en  français,  d'après  le  ms.  du  Vatican  Reg.  1063,  du 
XIV*  s.).  =  N°  3.  BucHE.  Es.sai  sur  l'ancienne  coutume  de  Paris  aux 
xni^  et  xiv«  s.  ;  suite.  —  Auhert.  Sur  la  date  du  Stilus  parlamenti,  de 
Guillaume  du  Breuil  (rédigé  en  1329  ou  en  1330).  —  H.  de  Ferron.  De 
la  circonscription  des  communes  par  la  constitution  de  1789  (la  Cons- 
tituante n'a  pas  placé  une  municipalité  dans  chaque  paroisse,  les  com- 
munes de  100  à  300  hab.  sont  de  création  postérieure). 

11.  —  Revue  archéologique.  3=  série,  2«  année,  1884,  avril.  — 
AuBÉ.  Un  supplément  aux  Acta  aincera  de  Ruinart.  Actes  inédits  de 
l'évêque  de  Pamphylie,  Nestor,  martyr  le  28  févr.  250.  —  Bapst.  L'or- 
fèvrerie d'étain  dans  l'antiquité  ;  suite. 

12.  —  Bulletin  d'archéologie  chrétienne.  Édition  française. 
4"  série,  1"  année,  livr.  1-2.  —  Éloge  anonyme  d'un  pape,  dans  le 
recueil  épigraphique  du  ms.  de  Pétersbourg  (ce  ms.,  qui  provient  de 
Gorbie,  et  qui  parait  être  de  la  fin  du  \m«  s.,  est  formé  par  la  réunion 
de  deux  exemplaires  d'un  même  recueil  d'inscr.  métriques,  qui  fut 
compilé  à  Rome  au  vii^  s.  Donne,  d'après  ces  deux  exemplaires,  le 
texte  de  l'éloge  susdit,  qui  va  être  prochainement  publié,  avec  tout 
l'appareil  critique,  dans  le  t.  II  des  Inscr.  christ.  Urbis  Bomae;  c'est  le 
plus  long  texte  épigraphique  connu  pendant  les  quatre  premiers  siècles 
de  l'Église.  A  qui  se  rapporte-l-il  ?  M.  Rossi  se  déclare  fermement 
convaincu  que  l'éloge  s'adresse  au  pape  Libère,  mort  à  Rome  le  24  sep- 


RECUEILS   PERIODIQUES.  U^ 

tembre  366,  et  enterré  au  cimetière  de  Priscille,  au  3"  mille  de  la  voie 
Salaria  nova).  —  Inscription  historique  du  temps  du  pape  Damase, 
trouvée  dans  le  cimetière  de  Saint-Hippolyte  (complète  cette  inscrip- 
tion mutilée). 

13.  —  Bulletin  de  correspondance  hellénique  (École  française 
d'Athènes).  8'  année,  mars  1884,  —  Heuzey.  Papposilène  et  le  dieu 
Bès.  —  S.  Reinach.  Monuments  figurés  à  Délos.  —  A.  Dumont.  Vases 
grecs  trouvés  à  Marseille  (sont  au  plus  du  iii^  s.  av.  J.-C).  —  Foucart. 
Note  sur  les  comptes  d'Eleusis  sous  l'archontat  de  Képhisophon  (publie 
le  texte  d'un  second  fragment  des  comptes  de  l'an  329/8,  que  l'on  vient 
de  retrouver;  suivi  d'un  curieux  commentaire).  —  Bilco.  Inscription 
archaïque  de  Phocide  («  celui  qui  offre  un  sacrifice  peut  dresser  une 
tente  dans  l'enceinte  des  Anakes;  une  femme  ne  doit  pas  y  pénétrer  »). 
—  Haussoullier.  Inscr.  de  l'île  de  Karyanda  (texte,  transcription,  com- 
mentaire. Ce  décret  a  pour  objet  de  régler  la  distribution  de  la  paie  de 
l'assemblée. 

14.  —  Journal  des  Savants.  1884,  avril.  —  Alf.  Maury.  Les 
œuvres  de  Lougpérier.  —  Miller.  'H[iepo),6ytov  iriz  'Ava-ro),-?,;  (analyse  les 
3  vol.  parus  sous  ce  titre  en  1879,  1883  et  1884.  Ce  Calendrier  de 
l'Orient  politique,  commercial  et  philologique,  contient  d'abondants 
renseignements  sur  le  calendrier,  la  généalogie  des  souverains  de 
l'Orient,  les  descriptions  et  les  statistiques  de  divers  pays  :  Turquie, 
Grèce,  Roumanie,  etc.).  —  Hauréau.  Les  filles  du  Diable  (commente 
un  passage  de  Gérald  de  Barri.  Foulques  de  Neuilly  avait  essayé  de 
réconcilier  Richard  Cœur  de  Lion  et  Philippe-Auguste.  Richard  avait 
repoussé  durement  son  entremise.  «  Roi,  dit  alors  Foulques,  vous  avez 
trois  filles  qui  ne  vous  permettront  pas,  tant  qu'elles  resteront  près  de 
vous,  de  recouvrer  la  grâce  de  Dieu  :  Orgueil,  Luxure  et  Convoitise. — 
Ces  trois  filles,  réplique  le  roi,  je  les  ai  depuis  longtemps  mariées  : 
Orgueil  aux  Templiers,  Luxure  aux  moines  noirs,  et  Convoitise  aux 
moines  blancs.  »  —  Ces  trois  filles  sont  bien  connues  des  prédicateurs 
du  moyen  âge  :  leur  père  est  Satan,  qui  les  eut  de  sa  femme  Iniquité, 
avec  plusieurs  autres).  =  Mai.  Egger.  Publications  récentes  sur  Plu- 
tarque,  3^  et  dern.  art.  —  Wallon.  Correspondance  de  M.  de  Rémusat 
pendant  les  premières  années  de  la  Restauration.  —  Hauréau.  Quels 
sont  les  auteurs  du  6«  livre  des  Décrétales  ?  (Guillaume  de  Mandagout, 
archevêque  d'Embrun,  et  Bérenger  de  Frédol,  évêque  de  Béziers, 
assistés  de  Richard  de  Sienne.  La  tradition  qui  attribue  cette  œuvre  à 
Dino  de  Mugello  est  erronée.) 

15.  —  Revue  des  Deux-Mondes.  1884,  1«'"  avril.  —  Duc  de  Bro- 
glte.  Études  diplomatiques.  La  première  lutte  de  Frédéric  II  et  de 
Marie-Thérèse,  5"  art.  :  l'ambassade  de  Voltaire  à  Berlin  ;  6''  art. 
(1«'"  mai)  :  Reprise  des  négociations  de  la  France  avec  Frédéric.  Départ 
de  Louis  XV  pour  l'armée;  1"  art.  (15  juin)  :  campagne  de  Flandre; 
invasion  de  l'Alsace.  =  15  avril.  Vuitry.   Un  chapitre  de  l'histoire 


442  RECUEILS    PERIODIQUES. 

financière  de  la  France;  suite  :  la  chute  du  système  de  Law  et  la 
liquidation  (le  fait  général  qui  se  dégage  du  désordre  financier  de  la  fin 
du  règne  de  Louis  XIV  et  de  la  crise  qui  troubla  le  début  du  règne  de 
Louis  XV,  c'est  qu'à  cette  époque  le  gouvernement  ne  se  croyait  pas  tenu 
d'accomplir  les  obligations  résultant  des  contrats  qu'il  avait  consentis. 
Si,  de  nos  jours,  des  excès  de  spéculation  bouleversent  les  fortunes  privées, 
ce  n'est  que  l'abus  de  la  liberté  ;  c'était  alors  l'œuvre  de  l'autorité  publique) . 
=  !«■•  mai.  E.-M.  de  VoGiiÉ.  Un  compagnon  de  Cortez.  La  chronique  de 
Bernai  Diaz.  =  15  mai.  Colonel  Tgheng-Ki-Tong.  La  Chine  et  les  Chi- 
nois. !«'■  art.  :  Famille,  religion  et  philosophie  ;  2°  art.  (l^""  juin)  :  la 
langue,  les  classes,  les  lettres,  époques  préhistoriques;  3«art.  (15  juin): 
l'éducation,  le  culte  des  ancêtres;  les  classes  laborieuses;  la  société 
européenne  (contient  beaucoup  de  détails  piquants  et  de  première 
main).  —  V.  Duruy.  Une  dernière  page  d'histoire  romaine  (brillante 
esquisse  qui  doit  servir  de  conclusion  à  la  grande  Histoire  des  Romains). 
—  Amagat.  m.  Gambetta  et  son  rôle  politique.  —  C.  de  Varigny.  La 
guerre  du  Pacifique,  1880-81,  3«  art.  (campagne  de  Lima;  incendie  de 
la  flotte  péruvienne).  :=  l"""  juin.  Lavisse.  Universités  allemandes  et 
universités  françaises  (examine  le  livre  du  P.  Didon  ;  montre  qu'à  côté 
d'une  grande  part  de  vérité  il  y  a  dans  ce  livre  une  grosse  part  d'illu- 
sions ;  l'histoire  de  l'Allemagne  explique  les  faits  contradictoires  que 
présente  l'étude  de  ces  universités.  Expose  enfin  comment  on  pourrait 
organiser  en  France  de  véritables  universités  semblables  à  celles  de 
l'Allemagne,  mais  appropriées  à  notre  histoire  et  à  notre  génie  propres). 
=  15  juin.  A.  Duruy.  Une  page  do  l'histoire  de  Hoche;  la  capitulation 
de  Quiberon  (il  n'y  a  pas  eu  de  capitulation  à  Quiberon.  Hoche  n'a 
donc  pu,  comme  le  dit  M.  Forneron,  la  violer  ;  mais  il  eût  pu  sauver 
au  moins  la  plupart  des  émigrés  pris  ;  il  s'abstint.  Il  n'a  pas  manqué 
à  la  foi  jurée;  il  a  manqué  de  générosité,  M.  Duruy  omet  d'ajouter  que 
cette  générosité  eût  été  une  violation  de  ses  devoirs  militaires,  et  n'eût 
pas  fait  échapper  ses  prisonniers  à  la  mort). 

16.  —  Le  Correspondant.  188'i,  25  avril.  —  Waliszewski.  Une 
Française  reine  de  Pologne:  Marie  d'Arquien-Sobieska;  fin  (mort  de 
Sobieski  ;  intrigues  de  sa  veuve  contre  son  propre  fils  ;  son  séjour  à 
Rome  et  ses  dernières  années).  =  10  juin.  V'e  de  Brémond  d'Ars,  Les 
dernières  années  de  Jean  de  Vivonne  et  l'enfance  de  M™«  de  Rambouil- 
let (mariage  du  marquis  avec  la  princesse  Julia  Savelli  ;  ses  relations 
avec  la  princesse  Charlotte  de  Condé,  quand  il  fut  chargé  de  l'éducation 
de  son  jeune  fils  Henri  ;  ses  dernières  années  ;  sa  mort  le  7  oct.  1599). 

17.  —  La  Nouvelle  Revue.  1884,  15  mai.  —  Gagnière.  Un  Mahdi 
au  xvui<=  s.  :  le  prophète  Mansour,  scheikh  Oghan-Oolô  (d'après  les 
papiers  des  archives  diplomatiques  de  Turin,  les  mémoires  et  les  cor- 
respondances du  prophète,  1787). 

18.  —  Le  Contemporain.  1884,  15  avril.  —  Allard.  La  polémique 
contre  le  paganisme  au  iv^  s.,  d'après  les  poèmes  de  Prudence.  — 
LoLiÉE.  La  littérature  et  les  mœurs  au  moyen  âge. 


RECUEILS  PÉRIODIQUES.  443 

19.  —  La  Controverse  et  le  Contemporain.  (Cette  Revue  n'est 
que  la  précédente  transformée  dans  son  titre,  non  dans  son  esprit.) 
Nouv.  série,  t.  I,  !'■«  livr.  15  mai  1884.  —  Allard.  Les  persécutions 
au  me  s. 

20.  —  Polybiblion.  1884,  ¥  livraison.  Avril.  —  Bibliographie  des 
fouilles  de  Sanxay.  =Mai.  Poinssot.  Publications  relatives  à  l'Afrique: 
Archéologie. 

21.  —  Revue  de  l'Extrême-Orient.  T.  II,  n»  4,  oct.-déc.  1883 
(Leroux,  1884).  —  Marcel.  Un  épisode  de  notre  histoire  coloniale  : 
l'expédition  de  Siam  en  1C87  (complète  l'étude  de  M.  Lanier,  annoncée 
en  son  temps  par  la  Rev.  hist.,  XXIII,  377,  à  l'aide  de  pièces  tirées  du 
ministère  des  affaires  étrangères). — Bons  dAnty.  Les  grands  voyageurs 
au  Japon.  Essais  bio-bibliographiques  :  Engelbert  Knompfer,  1651-1716. 
—  CoRDiER.  Mémoires  sur  le  Pégou,  tirés  des  archives  de  la  marine  et 
des  colonies.  —  Id.  Mss.  relatifs  à  la  Chine;  notes  bibliographiques  : 
6"  art.  :  Londres,  British  Muséum  ;  suite. 

22.  —  Archives  historiques  du  Poitou.  T.  XIII  (1883).  —  Gué- 
RiN.  Recueil  des  documents  concernant  le  Poitou,  contenus  dans  les 
registres  de  la  chancellerie  de  France.  2«  partie  :  1334-48  (voy.  plus 
haut,  au  Bulletin  histor.).  =  T.  XIV.  Ledain.  Lettres  adressées  à  Jean 
et  Guy  de  Daillon,  comtes  du  Lude,  gouverneurs  de  Poitou  de  1543  à 
1557,  et  de  1557  à  1585;  2^  partie,  et  fin  (ce  recueil  contient  en  tout 
424  numéros).  —  G.  de  La  Marque  et  Ed.  de  Barthélémy.  Lettres 
adressées  de  1585  à  1625  à  Marc-Antoine  Marreau  de  Boisguérin,  gou- 
verneur de  Loudun  (avec  une  biographie  de  Boisguérin,  un  de  ces 
gouverneurs  militaires  qui  prirent  une  part  si  active  à  la  guerre  civile, 
et  qui  vendirent  si  cher  leur  soumission.  Mort  en  1634.  Il  était  resté 
l'ami  de  Sully,  bien  qu'il  en  eût  été  le  débiteur  assez  peu  exact  ;  ses 
lettres  d'anoblissement  sont  publiées  en  appendice) . 

23.  —  Le  Spectateur  militaire.  1884.  l^'-  avril.  —  E.  B.  1815- 
1870.  A  propos  des  documents  historiques  et  militaires  tirés  des  papiers 
du  général  baron  E.  Hulot  (montre  qu'en  1870  on  n'a  pas  su  profiter 
de  la  leçon  de  1815,  et  qu'on  a  commis,  mais  en  plus  grand,  les  fautes 
de  Napoléon  P"-).  =  15  avril,  le"-  et  15  mai.  Souvenirs  militaires  du 
général  baron  J.-L.  Hulot;  suite  le  1«''  et  le  15  juin.  =  15  mai.  Faust- 
LuRiON.  Guerre  turco-russe,  1877-78  :  Suleyman-Pacha  et  son  procès  ; 
fin.  =  le"-  juin.  Lehautcourt.  Campagne  de  l'armée  du  Nord,  1870-71  : 
Péronne  et  Bapaume  ;  suite  le  15  juin. 

24.  —  Bulletin  de  la  Réunion  des  officiers.  1884.  3,  24  mai  et 
numéros  suivants.  —  L'armée  danoise  et  la  défense  de  Sundevit  en 
1864;  avec  cartes. 

25.  —  Bulletin  de  correspondance  africaine.  (Ecole  supérieure 
des  lettres  d'Alger.)  1884,  fasc.  1.  15  janvier.  —  Houdas  et  R.  Basset. 
Mission  scientifique  en  Tunisie;  2«  partie  :  bibliographie,  l*"-  art.; 
2»  art.  au  n°  2.   Masqueray.  Nouvelles  recherches  de  M.  Choisnet  à 


444  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

Rapidi  et  inscr.  découvertes  par  M.  Charrier  sur  le  Guelala  (publie 
diverses  inscr.  intéressantes,  dont  une  longue  dédicace  à  Marc- Aurèle  et 
à  Lucius  Vérus).  =  Fasc.  2.  R.  de  La  Blanchère.  Malva,  Mulucha, 
Molochath  ;  étude  d'un  nom  géographique. 

26.  —  Revue  africaine.  N»  161.  1883,  sept.-oct.  —  Féraud.  Les 
Ren-Djellab,  sultans  de  Touggourt;  16°  art.;  17«  art.  au  n°  162.  — 
Arnaud.  Voyages  extraordinaires  et  nouvelles  agréables,  par  Mohamed 
Abou  Ras  ben  Ahmed  ben  Abdel  Kader  En-Nasri;  histoire  de  l'Afrique 
septentrionale;  20'^  art.;  21^  art.  au  n°  162.  — H.  de  Grammont  et 
PiESSE.  Les  Illustres  captifs  ;  description  du  ms.  du  P.  Dan.  3^  art.  = 
N»  162.  RiNN.  Essai  d'études  linguistiques  et  ethnologiques  sur  les 
origines  berbères,  8«  art.  —  Robin.  Histoire  du  chériff  Bou  Bar'la, 
12«  article. 

27.  —  Bulletin  d'histoire  ecclésiastique  et  d'archéologie  reli- 
gieuse (Romans).  4''  année,  4^  livr.  —  Abbé  J.  Chevalier.  Mémoires 
des  frères  Gay,  pour  servir  à  l'histoire  des  guerres  religieuses  en  Dau- 
phiné  au  xvi«  s.  ;  suite.  =  5°  et  6*  livr.  D""  Francus.  Visite  des  églises 
du  Bas-Vivarais  en  1675-76,  par  M.  Monge,  délégué  de  l'évéque  de 
Viviers;  suite  dans  la  liv.  7«.  —  Abbé  Toupin.  Notice  sur  le  serviteur 
de  Dieu  Jean  Sérane,  mort  à  Toulouse  en  odeur  de  sainteté,  1784.  — 
Le  chanoine  Ul.  Chevalier.  Documents  relatifs  aux  représentations 
théâtrales  en  Dauphiné,  de  1483  à  1535;  suite  dans  la  7«  livr.  —  Abbé 
Cruvellier.  Notice  sur  l'église  de  N.-D.  du  Bourg,  ancienne  cathédrale 
de  Digne  ;  suite  dans  la  7«  livr.  —  Abbé  Chosson.  Chronique  du  dio- 
cèse de  Valence;  suite  dans  la  7«  livr.  =  7"  livr.  Abbé  Fillet.  Notice 
historique  sur  les  paroisses  de  Colonzelle  et  de  Margerio. 

28.  —  Revue  de  l'Agenais.  1884,  3«  et  4^  livr.  Tamizey  de  Lar- 
RonuE.  Récit  de  la  conversion  d'un  ministre  de  Gontaud,  1629  (il  s'agit 
du  sieur  Pompée  de  Remerville,  d'une  vieille  famille  lorraine  trans- 
plantée en  Provence).  —  J.  Andrieu.  La  censure  et  la  police  des  livres 
en  France  sous  l'ancien  régime.  Une  saisie  de  livres  à  Agen  en  1775; 
iin.  —  Tholin.  Les  cahiers  du  pays  d'Agenais  aux  états  généraux  ; 
suite  (étudie  les  origines  et  l'histoire  des  intendants  au  pays  d'Agenais). 

—  Le  carnet  d'un  franc-tireur,  1870-71;  fin.  —  Martinaud.  Note  sur 
les  barons  de  Valenx  au  xiv"  s.  —  Labrunie.  Précis  d'un  mémoire  sur 
les  écrivains  de  l'histoire  de  l'Agenais. 

29.  —  Revue  de  Béarn ,  Navarre  et  Landes.  Partie  historique 
de  la  Revue  des  Basses-Pyrénées  et  des  Landes,  l''"  année,  livr.  1. 
Janv.-mars  1884.  —  Mgr  Puyol.  La  jeunesse  de  Pierre  de  Marca  ;  fin. 

—  Brutails.  Une  charte  suspecte  de  CentuUe  IV  (il  s'agit  de  la  dona- 
tion que  CentuUe  IV,  prenant  le  titre  de  comte  de  Bigorre,  aurait  faite 
aux  moines  de  Saint-Jean  de  la  Pena,  d'un  serf  et  de  sa  famille, 
24  juin  1077).  —  Jaurgain.  Troisvilles,  d'Artagnan  et  les  trois  mous- 
quetaires ;  fin.  —  Ducéré.  Le  théâtre  bayonnais  sous  l'ancien  régime  ; 
suite.  —  Batgave.  Une  aventure  du  maire  d'Orthez  au  xviii*  s.  :  fin.  — 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  445 

Gabarra.  Pontonx  sur  l'Adour  et  le  prieuré  de  Saint-Caprais  ;  suite 
(Pontonx  sous  la  domination  anglaise).  — T.  de  L.  Un  naufrage  devant 
Gapbreton  en  1627.  —  Labrouche.  Armoriai  général  de  1696;  généra- 
lité de  Guyenne  :  Dax. 

30.  —  Revue  de  Gascogne.  1884,  mai.  —  Gommunay.  Un  épisode 
de  l'ambassade  du  duc  de  Gramont  en  Espagne,  1704  (la  correspon- 
dance du  duc  est  conservée  aux  archives  de  Gramont  en  trois  grands 
vol.  in-fol.  Publie  une  lettre  de  l'ambassadeur  à  Torcy,  30  oct.  1704). 
—  Camoreyt.  L'établissement  des  capucins  dans  la  ville  de  Lectoure, 
1628,  1631.  =  Bibliographie.  Haristoy.  Recherches  historiques  sur  les 
Pays-Bas;  1. 1  (la  \^^  partie  du  vol.  :  la  Novempopulanie,  est  faite  sans 
critique.  La  seconde  se  rapporte  à  l'allodialité  du  pays  basque  que  l'au- 
teur s'efforce  de  prouver.  Aucun  argument  nouveau.  La  3°  partie,  con- 
sacrée à  des  monographies  sur  les  maisons  nobiliaires,  ne  manque  pas 
de  valeur). 

31.  —  Revue  historique  et  archéologique  du  Maine.  T.  XV, 
l^e  livr.  (1884).  —  F.  de  La  Bouillerie.  Bazouges-le-Loir  ;  son  église 
et  ses  fiefs  ;  suite  dans  la  2"  livr. —  Abbé  Frogier.  Nouvelles  recherches 
sur  la  famille  de  Ronsard.  Les  seigneurs  de  la  Poissonnière  et  de  Gla- 
tigny  ;  suite  dans  la  2«  livr.  :  les  seigneurs  de  Monchenou  et  de  Beau- 
mont.  —  Dom  PiOLiN.  Testament  du  cardinal  d'Angennes  de  Rambouil- 
let, évèque  du  Mans,  1556-87.— Legeay.  Compagnie  du  jeudePapegault, 
au  Mans.  =  2°  livr.  Abbé  G.  Esnault.  Le  Mans  en  1736,  d'après  le 
plan  de  César  Aubry  (et  avec  une  reproduction  de  ce  plan). 

32.  —  Revue  des  Études  juives.  1884,  janvier-mars.  N»  15.  — 
HiLD.  Les  Juifs  à  Rome  devant  l'opinion  et  dans  la  littérature  (on  a 
exagéré  le  prétendu  mépris  des  païens  éclairés  pour  les  choses  et  les 
hommes  du  judaïsme  ;  des  mutilations  pratiquées  depuis  le  vi^  s.  de 
Rome  sur  les  monuments  de  la  littérature  romaine  nous  ont  privés 
des  documents  les  plus  décisifs  sur  ce  sujet)  ;  l"^'"  art.  —  Kayserling. 
Richelieu,  Buxtorf  père  et  fils  et  Jacob  Roman  ;  documents  pour  ser- 
vir à  l'histoire  du  commerce  de  la  librairie  juive  au  xvii^  s.  —  R.  de 
Maulde.  Les  Juifs  dans  les  États  français  du  pape  au  moyen  âge  ; 
suite.  —  Levin.  Localités  illustrées  par  le  martyre  des  Juifs  en  1096  et 
en  1349  (identifie  les  noms  de  lieu  indiqués  dans  les  extraits  du  Memor- 
buch  de  Mayence,  publiés  par  M.  Neubauer,  et  dans  le  Contros-Ha-me- 
konen,  pub.  p.  M.  Jellinek;  ces  localités  sont  toutes  situées  en  Alle- 
magne). —  Schwab.  Inscr.  juive  du  musée  de  Saint-Germain.  —  Les 
Juifs  dans  l'opinion  chrétienne  aux  xvii'  et  xvui'=  siècles  :  Peuchet  et 
Diderot. 

33.  —  Société  des  Études  juives.  Annuaire.  3=  année,  1884  (Uur- 
lacheri.  —  Ern.  Renan.  De  l'identité  originelle  et  de  la  séparation  gra- 
duelle du  judaïsme  et  du  christianisme;  conférence.  —  Astrug.  Ori- 
gines et  causes  historiques  de  l'Antisémitisme;  conférence.  —  L.  Kahn. 
Histoire  des  écoles  consistoires  et  communales  israélites    de   Paris, 


446  RECUEILS  PERIODIQUES. 

1809-1883.  —  LœB.  Borach  Lévy  (raconte  le  procès  porté  devant  le 
Parlement  de  Paris  par  B.  Lévy,  juif  qui,  marié  en  Alsace  avec  une 
juive,  puis  s'étant  converti  au  cliristianisme,  demande  que  son  premier 
mariage  soit  déclaré  nul,  et  qu'il  puisse  épouser  légalement  une  chré- 
tienne, 1752-58  ;  le  Parlement  repousse  sa  requête). 

34.  —  Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Séances 
et  travaux.  Compte-rendu.  Nouvelle  série,  t.  XXI,  1884,  avril-mai.  — 
DoNioL.  Préliminaires  de  l'intervention  de  la  France  dans  l'établisse- 
ment des  États-Unis  d'Amérique  :  la  politique  de  M.  de  Vergennes 
(expose  la  politique  hésitante,  pusillanime,  double  même  jusqu'à  un 
certain  point,  de  Vergennes,  et  cherche  à  la  justifier.  Cite  des  pièces 
inédites  tirées  des  Archives  nationales  et  des  affaires  étrangères).  — 
Arthur  Desjardins,  Le  congrès  de  Paris  (1856)  et  la  jurisprudence 
internationale.  —  Vigier.  La  question  de  l'alliance  anglaise  sous  le 
ministère  de  Richelieu.  Ambassade  extraordinaire  du  marquis  de  Sen- 
ueterre  à  Londres,  1635-37  ;  suite.  —  Nourrisson.  Origine  des  idées 
politiques  de  Rousseau,  3^  mémoire,  par  M.  Jules  Vuy;  suite.  —  C. 
Bayet.  Les  élections  pontificales  au  vm^  et  au  i.x*  siècle,  sous  les 
Carolingiens  (résumé  de  l'article  paru  ici-même  récemment). 

35.  —  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes- 
rendus  des  séances  de  l'année  1883.  4»  série,  t.  XL  Bulletin  d'octobre- 
décembre.  —  Barbier  de  Meynard.  Notice  sur  le  congrès  orientaliste 
de  Leydc.  —  Deloghe.  Cachet  en  or  à  double  inscription  de  l'époque 
mérovingienne  (fragment  de  sceau  ou  de  cachet  portant  le  nom  de  Roc- 
colane,  et  qu'elle  apposait  aux  lettres  ou  actes  où  elle  figurait  comme 
partie  ou  comme  témoin  ;  c'est  ce  qu'indiquent  les  mots  «  Reccolane 
su(bscripsi).  »  Il  lui  avait  été  donné  par  son  fiancé  ou  son  époux,  ce 
qu'indiquent  les  mots  :  «  Warembertus  dedi  »).  —  Barbier  de  Meynard. 

Rapport  sur  des  inscr.  arabes  provenant  de  Mehdya,  régence  de  Tunis 
(une  d'elles  est  l'épitaphe  d'un  chef  arabe,  Mohammed,  fils  d'Ab-el- 
Kerîm,  qui  se  révolta  contre  le  kalife  fatimite  xMansour  en  1199,  et 
mourut  en  prison  en  1201).  —  Romanet  du  Caillaud.  De  la  date  de  la 
loi  Julia  Norbana  (l'auteur  maintient  que  la  loi  fut  portée  en  728  sous 
le  consulat  d'Auguste  et  de  Junius  Silanus,  et  modifiée  l'année  sui- 
vante sous  le  consul  C.  Norbanus  Flaccus).  —  Desjardins.  Un  diplôme 
militaire  inédit  ;  envoi  de  M.  Maspero  (daté  du  9  juin  83  de  notre  ère; 
texte,  transcription  et  commentaire).  —  Wallon.  Notice  sur  la  vie  et 
les  travaux  de  Mariette-Pacha  (suivie  du  catalogue  de  ses  ouvrages).  — 
Hauréau.  Les  propos  de  maître  Robert  de  Sorbon.  ==  Séances.  1884, 
21  mars.  Observations  sur  l'inscription  de  Lambèse  de  l'an  112,  pré- 
sentées par  M.  Desjardins.  =  9  avril.  M.  Riant  annonce  la  découverte, 
faite  par  M.  H.  Haupt,  d'une  lettre  historique  relative  à  la  première 
croisade  ;  elle  est  adressée  par  le  cardinal  Daimbert  de  Pise  au  clergé 
et  aux  fidèles  d'Allemagne,  en  1100.  Daimbert  se  plaint  de  manquer 
d'argent  pour  la  solde  des  troupes.  =  18  avril.  M.  Marmier  étudie  la 


RECUEILS    Pe'rIODIQUES.  447 

route  de  Samosate  au  Zeugma.  =:  25  avril.  M.  Renan  annonce  que 
M.  Maspero  vient  de  découvrir  à  Saqqarah  une  tombe  de  la  6°  dynastie; 
elle  est  intacte.  —  M.  Sacaze  rectifie  la  lecture  erronée  de  plusieurs 
inscriptions  latines  où  l'on  avait  cru  voir  des  noms  de  dieux  gaulois.  — 
2  et  16  mai.  M.  Gasati  lit  une  seconde  étude  sur  les  origines  étrusques 
du  droit  romain.  :=  30  mai.  Lecture  du  5«  rapport  de  M.  Tissot  sur  les 
monuments  africains  communiqués  récemment  à  l'Académie,  et  en 
particulier  sur  les  inscriptions  romaines  de  Ghemtu,  l'ancienne  Simittu 
colonia.  —  M.  Egger  étudie  le  nom  et  les  attributions  d'une  magistra- 
ture romaine,  à  propos  de  la  biographie  du  philosophe  Musonius  Rufus  : 
au  moment  où  il  fut  exilé  par  Néron,  Rufus  avait  «  la  direction  des 
poids  »  ;  la  forme  de  ce  titre  en  latin  était  sans  doute  «  exactor  »  ou 
«  examinator  ponderum  et  mensurarum.  » 

36.  —  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France.  1884, 
2  avril.  —  M.  Monvat  annonce  que  M.  Ferdinand  Rey  a  découvert  à 
Mirebeau  (Côte-d'Or)  de  nouvelles  tuiles  romaines  portant  l'estampille 
de  vexillation  des  légions  I,  VIII,  XI,  XIII,  XXI.  Il  communique 
aussi  la  copie  d'une  inscription  de  Mirebeau  où  l'on  remarque 
le  nom  gaulois  SANVAGA.  —  M.  l'abbe  Thédenat  communique 
une  Uste  d'une  quarantaine  de  noms  qu'il  a  relevés  sur  des  frag- 
ments de  poteries  provenant  de  Reims.  Parmi  ces  noms  figurent 
les  noms  nouveaux  et  barbares  BoudiUus  et  Aunedo;  ce  dernier 
entre  dans  la  composition  du  nom  de  ville  Aunedonnacum,  ville 
d'Aquitaine,  située  sur  la  route  de  Bordeaux  à  Autun,  aujourd'hui 
Aunay.  =  9  avril.  M.  Le  Blant  écrit  de  Rome  pour  annoncer  la  pré- 
sence chez  un  marchand  d'antiquités  de  cette  ville  d'une  tète  en 
marbre  du  cardinal  de  Richelieu.  —  M.  de  Barthélémy  lit  un  mémoire 
sur  une  vie  inédite  de  saint  Tugdual,  un  des  saints  les  plus  vénérés  de 
l'ancienne  Armorique.  —  M.  Héron  de  Villefosse  communique,  de  la 
part  de  M.  Morel,  une  inscription  funéraire  latine  récemment  acquise 
pour  le  musée  de  Garpentras.  Elle  contient  une  formule  qui  indique  les 
dimensions  du  monument  ;  le  défunt  porte  le  nom  de  famille  Thorius, 
qui  est  assez  rare.  —  M.  A.  Nicaise  communique  une  sépulture  à  char 
découverte  à  Septsaulx  (Marne),  et  qui  a  donné  une  collection  d'objets 
trop  longue  pour  être  énumérée  ici,  mais  des  plus  importantes  pour  la 
reconstitution  des  usages  funéraires  des  Gaulois.  —  M.  Héron  de  Vil- 
lefosse dépose  sur  le  bureau  un  très  beau  cachet  d'oculiste  récemment 
découvert  à  Vertault  (Gôte-d'Or)  ;  les  inscriptions  font  connaître  le  nom 
de  l'oculiste  Qwintus  Albius  Vitalio  et  quatre  remèdes  différents  destinés 
à  combattre  des  maladies  des  yeux  déterminées.  Il  signale  ensuite  un 
cachet  semblable  portant  le  nom  de  l'oculiste  Sennius  Virilis  ;  on 
ignore  ce  qu'est  devenu  le  monument  original;  le  texte  a  été  retrouvé 
dans  les  papiers  de  Montfaucon  conservés  à  la  Bibliothèque  nationale. 
=  7  mai.  M.  Flouest  entretient  la  Société  de  trois  armes  en  fer  rencon- 
trées dans  une  sépulture  gauloise  découverte  près  de  Langres.  Inhumé 
dans  une  nacelle  creusée  dans  un  tronc  de  chêne,  le  défunt  avait  au 


448  RECDEILS  PÉRIODIQUES. 

flanc  droit  une  lance  effilée  ou  goesa  et  une  longue  épée.  Au  flanc  gauche 
était  un  poignard  à  lame  de  fer  à  poignée  en  bronze  en  forme  de  X 
très  allongé  surmonté  d'une  tête  humaine  en  ronde  bosse  d'un  style 
tout  particulier,  (les  armes  appartiennent  à  l'art  spécial  des  populations 
celtiques  établies  dans  la  région  moyenne  du  Danube.  —  M.  Héron  de 
YiLLEFOSSE  communique  le  texte  d'une  inscription  latine  très  intéress. 
découverte  à  Makteur.  Elle  mentionne  un  fonctionnaire  dont  on  con- 
naissait l'existence,  mais  dont  on  n'avait  pas  encore  trouvé  le  titre 
exact  dans  les  documents  épigraphiques.  C'est  le  délégué  impérial 
chargé  de  juger  les  nombreuses  contestations  qui  s'élevaient  entre  les 
négociants  et  les  chefs  des  bureaux  de  douane.  Celui  qui  est  mentionné 
dans  cette  inscription  était  appelé  à  trancher  les  différends  entre  les 
commerçants  de  la  Gaule  et  les  agents  de  la  quadragésime  des  Gaules. 
=  21  mai.  M.  Bertrand  annonce  la  découverte  de  clous-fiches  en  fer 
qui  paraissent  provenir  d'un  mur  gaulois  au  Catele  d'Avesnelle,  près 
d'Avesne  (Nord).  Cela  constituerait  le  neuvième  oppidum  gaulois  connu 
à  l'heure  actuelle.  Les  huit  autres  sont  Vertaux,  Murseins,  Mont-Beu- 
vray,  Saint-Marcel  de  Febiue,  BovioUe,  La  Segourie,  Couloumier,  et 
l'Impernal,  près  Luzeck.  —  M.  Héron  de  Villefosse  présente  le  mou- 
lage d'une  inscription  gauloise  en  caractères  grecs,  récemment  décou- 
verte à  Malaucène  (Vaucluse);  elle  contient  les  termes  Braloude  et 
Kantona,  qui  autorisent  à  la  classer  parmi  les  inscriptions  celtiques. 
C'est  la  première  inscription  gauloise  connue  en  caractères  grecs.  = 
23  mai.  M.  Schlimberger  présente  un  reliquaire  d'or  avec  inscription 
niellée  indiquant  qu'il  a  contenu  une  relique  de  saint  Etienne  le  jeune, 
fils  de  l'empereur  Basile  I^""  et  patriarche  de  Constantinople  au  x»  s. 

37.  —  Société  des  Anciens  textes  français.  Bulletin.  1883,  n°  3. 

—  P.  Meyeu.  Notice  du  ms.  A  45  i  de  la  ])iljliothèque  de  Rouen  (donne 
la  liste,  l'analyse  et  des  extraits  des  onze  pièces  en  français  que  con- 
tient ce  ms.;  publie  un  double  texte  nouveau  d'un  traité  en  vers  sur 
l'art  de  dresser  un  calendrier  au  moyen  âge,  que  M.  de  Montaiglon 
avait  déjà  édité  d'après  un  autre  ms.) . 

38.  —  Société  de  l'histoire  du  protestantisme  français.  Bull. 
1884,  n"  4.  —  Bonnet.  L'Église  réformée  de  la  Calmette;  pages  d'his- 
toire locale;  suite.  —  Guérin.  Poursuites  contre  les  réformés  d'Alen- 
çon.  1533-34.  —  Roy.  Les  écoles  de  campagne  dans  l'ancien  pays  de 
Montbéliard.  =  N"  5.  Read.  Rulhière  et  Rabaud  Saint-Étienne  |cor- 
respondance  échangée  entre  eux  à  propos  des  Éclaircissements  du  pre- 
mier, 1787-88).  —  P.  DE  Félice.  Deux  intérieurs  de  pasteur  au  xvn^  s. 

—  Estât  des  cens  camisards  partis  avec  Cavalier,  1704. 

39.  —  Société  de  l'Histoire   de  Paris  et  de  TIle-de-France. 

Mémoires.  Tome  X  (1883).  —  Mortet.  Le  livre  des  Gonstitucions  déme- 
nées el  Chastelet  de  Paris  (recueil  des  règles  et  usages  suivis  dans  les 
cours  laïques  du  pays  de  France;  c'est  l'œuvre  d'un  praticien  qui 
emprunte  ses  décisions  et  ses  formules  à  la  Coutume  générale  du  pays 


RECUEILS   PÉRIODIQOES.  440 

de  France.  Le  texte  original  est  antérieur  au  xiv«  s.  et  postérieur 
à  1260  ;  il  paraît  être  contemporain  du  livre  de  Beaumanoir  écrit  entre 
1279  et  1282.  Nouvelle  édition,  d'après  Tunique  ms.  de  la  Bibl.  nat. 
fr.  19778,  accompagnée  de  notes  abondantes  et  suivie  d'un  glossaire). 

—  Valois.  Notes  sur  la  révolution  parisienne  de  1356-58  ;  la  revanche 
des  frères  Braque  (le  dauphin  Charles  y  prit  une  part  peu  honorable 
pour  sa  mémoire).  —  FnANKLi.\.  Les  armoiries  des  corporations  ouvrières 
de  Paris.  —  Dr.  Le  Paulmier.  Mondor  et  Tabarin,  seigneurs  féodaux 
(Philippe  Girard,  autrement  dit  Mondor,  le  célèbre  «  opérateur  »  du 
Pont-Neuf,  acheta,  de  compte  à  demi  avec  son  frère  Antoine,  la  terre 
du  Fréty  et  du  Couldrois,  au  bailliage  de  Sens,  en  1623.  A  la  mort 
d'Antoine,  sa  veuve  épousa  le  valet  de  Mondor,  le  joyeux  Tabarin, 
1628:  ce  dernier  mourut  peu  avant  1633,  sans  doute  assassiné  par  les 
hobereaux  du  voisinage,  qui  ne  purent  supporter  ce  «  pantalon,  emba- 
bouineur  de  badauds.  »  Mondor  mourut  après  16''i6,  laissant  un  fils, 
Philandre,  sur  lequel  une  pièce  inédite  donne  des  détails).  —  A.  de 
Dion.  Les  seigneurs  de  Breteuil  en  Beauvaisis  (essai  sur  leur  généalo- 
gie). —  Denifle.  Documents  relatifs  à  la  fondation  et  aux  premiers 
temps  de  l'Université  de  Paris  (publie  15  pièces  importantes,  dont  l'acte 
de  fondation  de  la  Sorbonne,  févr.  1257,  avec  un  fac-similé).  —  J,  J. 
GuiFFREY.  Nicolas  Bataille,  tapissier  parisien  du  xiv«  s.;  sa  vie,  son 
œuvre,  sa  famille  (auteur  de  la  précieuse  tenture  de  l'Apocalypse  con- 
servée dans  la  cathédrale  d'Angers  ;  on  possède,  et  l'on  a  reproduit  ici 
le  sceau  de  cet  artiste;  c'est  le  seul  sceau  connu  d'un  tapissier  au 
moyen  âge;  article  suivi  de 51  documents  inédits. )=  Bulletin,  11^  année, 
2«  livr.,  mars-avril  1884.  Fr.  Delaborde.  La  légation  du  cardinal  Balue 
en  1484  et  le  Parlement  de  Paris  (le  Parlement  protesta  contre  l'entrée 
solennelle  du  légat  à  Paris;  le  Conseil  du  roi,  que  le  cardinal  Balue 
avait  su  gagner  à  ses  intérêts,  le  défendit;  mais  le  Parlement  tint  bon, 
et  le  cardinal  dut  quitter  secrètement  Paris,  ce  qui  n'empêcha  pas  le 
roi  de  le  combler  de  faveurs.  Curieux  exposé  des  intrigues  où  s'agita 
l'ancien  compère  de  Louis  XI).  —  Bapst.  Une  manufacture  de  bas  de 
soie  à  Paris  en  1664. 

40.  —  Société  des  Antiquaires  de  Normandie.  Bulletin  ;  t.  XI  ; 
années  1881  et  1882.  —  Guillouard.  Les  médecins  et  la  coutume  au 
moyen  âge  (de  la  législation  appliquée  aux  médecins,  qui  étaient  dure- 
ment traités,  parfois  même  subissaient  la  peine  de  mort  lorsqu'ils 
avaient  laissé  mourir  leur  malade).  —  Chatel.  Liste  des  recteurs  de 
l'Université  de  Caen,  dressée  d'après  leurs  signatures  sur  les  registres 
des  rectories  et  autres  documents  conservés  aux  archives  du  Calvados. 

—  Desprairies.  Note  sur  l'inscr.  céramique  de  Breuil,  canton  de  Tré- 
vières  (cette  inscr.,  mutilée,  mentionne  plusieurs  membres  de  la  famille 
de  Bacon  du  Molaj').  —  Un  ms.  des  Chroniques  de  Normandie  (acheté 
par  le  comte  de  Toustain  à  la  vente  de  Didot;  splendide  ras.  du  xv"  s., 
orné  de  15  grandes  miniatures;  peut-être  exécuté  pour  Philippe  de 
Grèvecœur,  maréchal  de  France,  mort  en  1494,  dont  les  armoiries  sont 

Rev.  Histor.  XXY.  2«  fasc.  29 


450  RECOEILS  PERIODIQUES. 

dessinées  à  deux  endroits  du  vol.).  —  F.  de  la  Londe.  Une  mission  his- 
torique et  scientifique  envoyée  par  Colbert  à  Leptis  la  Grande  sur  la 
côte  d'Afrique  vers  l'an  1670  (extrait  curieux  d'une  dissertation  de 
F.-R.  de  la  Londe,  érudit  normand  du  siècle  dernier).  —  Ch.  Bréard. 
Inventaires  de  l'abbaye  du  Val-Richer  et  de  la  collégiale  de  Croissan- 
ville  dressés  en  1790.  —  Anquetil.  Francs-bouchers  de  Bayeux  en  1480. 

41.  —  Société  de  Thistoire  de  Normandie.  Bulletin.  Exercice 
18S3-84;  suite.  Extraits  du  journal  d'un  bourgeois  de  Rouen;  suite, 
1711-1720.  —  Fêtes  publiques  offertes  par  la  ville  de  Rouen  à  l'occa- 
sion de  la  publication  de  la  paix,  en  nov.  1696  et  en  janv.  1698.  — 
Bénet.  Lettre  des  habitants  de  Rouen  à  ceux  d'Évreux,  relative  à  la 
confirmation  de  la  charte  aux  Normands,  1495. 

42.  —  Société  archéologique  de  Tarn-et-Garonne.  Bulletin 
archéologique  et  historique.  T.  XI,  1883,  4«  trira.  —  Ed.  Forestié. 
Une  journée  au  château  de  Saint-Roch,  Tarn-et-Garonne.  —  Rebouis. 
Enquête  sur  la  mouvance  du  château  de  Brassac-en-Quercy  (texte  eu 
langue  vulgaire  de  l'an  1246).  —  Dumas  de  Rauly.  Analyse  d'anciens 
registres  de  notaires  de  Saint-Antonin. 

43.  —  Société  d'émulation  de  l'Ain.  Annales.  1884.  Janv. -mars. 
—  Jarrin.  La  Bresse  et  le  Bugey.  16'-  partie  :  la  Réforme;  17°  partie  : 
l'occupation  française.  —  Tiersot.  La  Restauration  dans  le  département 
de  l'Ain  ;  l'invasion,  les  Cours  prévôtales. 

44.  —  Société  d'archéologie  lorraine.  Mémoires.  3«  série, 
t.  XI  (Nancy,  Wiener,  1883).  —  M.  de  Riocour.  Les  monnaies  lor- 
raines, 1''*^  partie  (l'auteur  s'est  proposé  de  donner,  sous  forme  de 
tableaux  faciles  à  consulter,  tous  les  renseignements  qu'il  peut  être 
utile  de  posséder  sur  la  valeur  de  ces  monnaies.  Dans  cette  l''^  partie, 
il  recherche  la  valeur  intrinsèque  des  monnaies  réelles  ou  fictives, 
autrefois  en  usage  en  Lorraine,  et  il  résume  son  travail  en  22  tableaux 
destinés  à  rendre  de  grands  services).  —  Gh.  Guyot.  Les  villes  neuves 
en  Lorraine  (analyse  treize  chartes  de  fondation  de  villes  neuves; 
«  l'histoire  de  la  formation  des  villages  lorrains  résulte,  pour  la  plaine, 
de  l'organisation  du  domaine  gallo-germain,  du  v"  au  viif^  siècle;  pour 
la  montagne,  des  acensements  des  xv"  et  xvi°  s.  »  Dans  l'une  et  dans 
l'autre  partie  de  la  province,  la  fondation  des  villes  neuves  aux  xni«  et 
XIV''  s.  n'a  été  qu'un  accident,  et  n'a  pas  exercé  d'influence  notable  sur 
les  populations  urbaines  ou  rurales).  —  Favier.  Coup  d'oeil  sur  les 
bibliothèques  des  couvents  du  district  de  Nancy  pendant  la  Révolution. 
Ce  qu'elles  étaient,  ce  qu'elles  sont  devenues.  —  Eug.  MiiNTZ.  Les 
fabriques  de  tapisseries  de  Nancy.  —  Rouyer.  Nouvelles  recherches 
biographiques  sur  Pierre  de  Blarru  (l'auteur  de  la  Nancéïde,  dont  parle 
Villon,  naquit  à  Paris  en  1437  ;  il  y  fut  reçu  maître  ès-arts  en  1455.  Il 
fut  chanoine  de  Saint-Dié  et  curé  de  Saint-Clément  en  Lorraine,  mort 
en  1510).  —  Henri  Lepage.  L'assassinat  de  Philippe-Egloff  de  Lutzel- 
bourg,  1617  (ce  crime  eut  pour  cause  les  discordes  survenues  entre 


RECUEILS   PERIODIQUES.  45 1 

Henri  II  de  Lorraine  et  son  frère  le  comte  de  Vaudémont.  C'est  ce  der- 
nier qui  fit  tuer  le  comte  de  Lutzelbourg).  —  Wiener.  Jean  Volay  et 
les  cartiers  lorrains.  —  Authelin.  Notice  sur  le  village  de  Sanxey.  — 
L.  Germain.  Le  pèlerinage  de  la  ville  de  Nancy  à  N.-D.  de  Benoite- 
Vaux,  1642.  —  Bretagne.  Description  d'un  laraire  antique  trouvé  à 
Naix  (l'ancien  Nasium  des  Leuci). 

45.  —  Comité  d'histoire  Vosgienne.  1884.  —  Documents  rares  ou 
inédits  de  l'histoire  des  Vosges,  publiés  par  MM.  Ghapellier,  Chevreux 
et  Gley  ;  t.  VIII  (Paris,  Dumoulin  et  Champion  ;  Épinal,  GoUot).  Ce 
volume  contient  plus  de  cent  documents  compris  entre  les  années  1224 
et  1790.  Il  est  suivi  d'une  table  détaillée  des  noms  de  personnes  et  de 
lieux. 


46.  —  Revue  d'Alsace.  1884.  Janv.-mars.  —  Stoeber.  Recherches 
sur  le  droit  d'asile  dans  l'ancienne  république  de  Mulhouse  (dans  l'an- 
tiquité et  au  moyen  âge  ;  droit  d'asile  des  bourgeois  et  des  maisons  reli- 
gieuses; droit  d'asile  accordé  aux  malfaiteurs  étrangers).  —  Usages  et 
traditions  populaires  qui  se  perdent  dans  l'Alsace  romande  (en  parti- 
culier sur  les  mariages).  —  Sghmidt  et  Roesch.  Les  imprimeurs  alsa- 
ciens avant  1520;  suite  dans  la  livr.  suiv.  —  Tuefferd.  L'Alsace  artis- 
tique; suite  dans  la  livr.  suiv.  —  Benoit.  Les  ex-libris  dans  ces  trois 
évêchés,  1552-1790;  suite.  — Corbis.  Recueil  alphabétique  de  croyances 
et  superstitions  qui  avaient  cours  à  Belfort  et  aux  environs;  suite,  fin 
dans  la  livr.  suiv.  =  Avril-juin.  Ganel.  Recherches  historiques  sur 
l'état  et  le  développement  de  l'instruction  primaire  à  Héricourt,  depuis 
la  fin  du  moyen  âge  jusqu'à  nos  jours. 


47.  —  Historische  Zeitschrift.  Neue  Folge.  Bd.  XVI,  Heft  1.  — 
A.  VON  Druffêl.  Grétineau-Joly  (biographie  de  cet  historien,  qui  fut 
aussi  un  homme  d'action,  d'après  le  livre  de  l'abbé  Maynard).  — 
Lehmann.  Une  prétendue  lettre  de  Stein  (adressée  au  chancelier  d'État 
prussien,  en  déc.  1812;  Stein  l'invite  à  se  défier  du  tsar  et  des  Russes; 
elle  n'est  certainement  pas  de  Stein,  mais  d'une  personne  du  même 
nom).  —  Berner.  Les  institutions  domestiques  des  HohenzoUern  (à 
propos  des  lois  domestiques  des  maisons  régnantes  de  l'Allemagne, 
publiées  l'an  dernier  par  H.  Schulze).  =  Bibliographie.  Mûrdter. 
Kurzgefasste  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens  nach  den  Keil- 
schriftdenkmaelern  (bon  manuel,  sauf  pour  la  partie  relative  à  l'ancienne 
Babylone).  —  Arnold.  Untersuchungen  iiber  Theophanes  von  Mytilene 
und  Posidonius  von  Apamea  (recherche  les  sources  des  Mithidratica 
d'Appien;  estime  qu'il  a  utilisé  surtout  Théophane  et  Posidonius; 
recherches  très  approfondies  et  minutieuses  sur  les  guerres  de  Mithri- 
date).  —  Wellliausen.  Muhammed  in  Médina  (adaptation  allemande  du 
Vakidi's  Kitab  al  Maghasic,  ou  Livre  des  Campagnes).  —  Seelssnder. 
Graf  Seckendorf  und  die  Publizistik  zum  Frieden  von  Fùssen  von  1745 


452  IIECDEILS  PERIODIQUES. 

(curieux).  —  Weissenborn.  Akten  der  Erfurter  Universitaet.  Th.  I.  — 
Bertolini.  Saggi  critici  di  storia  italiana  (le  plus  important  de  ces 
mémoires  se  rapporte  à  la  bataille  de  Legnano).  —  Donmaud.  SuUe 
origini  del  comune  e  degli  antichii  partiti  in  Genova  e  nella  Liguria 
(contient  d'utiles  renseignements  sur  l'histoire  des  anciens  partis  poli- 
tiques dans  la  Ligurie,  mais  se  trompe  sur  les  origines  des  institutions 
municipales  de  Gènes  qu'il  fait  remonter  aux  Romains).  —  Handloike. 
Die  lombardischen  St«dte  unter  der  Herrschaft  der  Bischœfe  und  die 
Entstehung  der  Kommunen  (trace  l'histoire  communale  de  Crémone  ; 
quant  aux  idées  générales,  il  adopte  celles  de  Ficker,  sans  s'y  asservir). 

48.  —  Neues  Archiv.  Bd.  IX,  Heft  3.  —  Waitz.  Sur  le  Catalogus 
Cononianus  des  papes  (étudie  deux  mss.  de  ce  catalogue  important  pour 
la  critique  du  Liber  pontihcalis;  celui  de  Vérone,  bibl.  du  chapitre  lu, 
et  celui  de  Paris,  Bibl.  nat.  2123,  tous  deux  du  ix.^  s.).  —  Pflugk- 
Harttung.  Bulles  fausses  au  Mont-Cassin,  à  la  Gava  et  à  Nonantola.  — 
ScHULTZE.  Jean  de  Gorze  a-t-il  écrit  des  ouvrages  historiques?  (Pertz 
attribue  à  ce  personnage,  bien  connu  par  les  réformes  qu'il  opéra  dans 
les  couvents  lorrains  au  x«  s.,  4  ouvrages  historiques  :  le  Miracula  sancti 
Gorgonii,  une  Vita  sanctae  Glodesindis  et  les  Miracula  sanctae  Glode- 
sindis,  enfin  la  Vita  sancti  Chrodegandi.  Un  examen  attentif  ne  per- 
met pas  d'admettre  ces  conclusions.  Les  Miracula  s.  Gorgonii  ont  été 
composés  par  un  moine  de  Gorze  vers  965  ;  la  Vita  et  les  Mirac.  s. 
Glod.  sont  l'œuvre  de  Jean  de  Saint-Arnulf,  qui  composa  aussi  la  \ie 
de  Jean  de  Gorze  ;  ils  ont  été  écrits  en  963.  Enfin,  la  Vita  Chrodegandi 
a  été  composée  entre  933  et  96'i  par  un  moine  de  Gorze,  peut-être,  il 
est  vrai,  par  notre  Jean).  —  Loewenfeld,  Huit  lettres  du  temps  du  roi 
Bérenger  publiées  et  commentées  par  Ccriani  et  Porro  dans  leur 
ouvrage  :  Il  rotolo  opistografo  del  principe  Antonio  Pio  di  Savoja;  tra- 
duit de  l'italien  avec  des  remarques  subsidiaires.  —  HoLDER-EaaEit. 
Manuscrits  de  la  bibliothèque  royale  de  Munich  ;  fin.  —  Thaner.  Sur 
un  ms.  d'Humbert  (décrit  lems.  delà  cathédrale  de  Vich  qui  contient, 
outre  le  De  Virtutibus  d'Alcuin,  le  Liber  correptorius  du  cardinal 
Humbert).  —  Schoep.  Critique  des  Gesta  Trevirorum  de  1152  à  1190. 
—  Manitius.  Sur  le  poème  intitulé  Karolus  magnus  et  Léo  papa.  — 
Lamprecht.  Vers  et  miniatures  tirés  d'un  ms.  des  évangiles  du  x«  s., 
conservé  à  la  bibliothè(jue  oapitulaire  de  Cologne.  —  W'attenbach. 
Extraits  de  ms.  de  la  bibl.  de  Berlin.  —  Wolff.  Une  bulle  d'Inno- 
cent III  de  1204  (au  sujet  d'un  différend  entre  les  églises  de  Saint- 
Martin-de-Cologne  et  celle  d'Aix-la-Chapelle).  —  Ewald.  Sur  les  plus 
anciennes  bulles  en  plomb  des  papes.  —  Waitz.  Sur  les  mss.  de  Munich. 

49.  —  Gœttingische  gelehrte  Anzeigen.  1884.  =  N°  6.  Leupold. 
Berthol  von  Buchegg,  Bischof  von  Strassburg  (bonne  monographie  sur 
l'histoire  de  l'Alsace  et  de  l'empire  au  xiy'=  s.).  ~  N"  8.  Waitz.  Dahl- 
mann's  Quellenkunde  der  deutschen  Geschichte.  3«  Aufl.  — Krumbholz. 
De  Asiae  minoris  satrapis  persicis  (a  réuni  avec  soin  et  intelligence 


RECnEILS  PÉRIODIQUES.  453 

toutes  les  notions  disséminées  un  peu  partout  sur  les  satrapes  et  les 
satrapies  de  l'Asie-Minoure.  Il  reste  eucure  bien  des  obscurités).  — 
Hatch.  Die  Gesellschaftsverfassung  der  christlichen  Kirchen  im  Alter- 
thum  (suite  de  8  conférences  faites  à  Oxford  ;  traduites  en  allemand 
avec  des  notes  et  des  appendices  par  Harnack.  L'auteur  cherche  à 
prouver  que  l'épiscopat  n'est  pas  une  création  du  Christ  ni  des  apôtres, 
mais  qu'il  est  le  produit  des  besoins  du  temps.  Son  traducteur  présente 
sur  le  même  sujet  une  autre  théorie.  Ni  l'une  ni  l'autre  ne  sont  satis- 
faisantes. La  lecture  de  ces  8  conférences  présente  d'ailleurs  le  plus  vif 
intérêt).  —  Prutz.  Malteser  Urkunden  und  Regesten  zur  Geschichte 
der  Tempelherren  und  der  Johanniter  (publie  des  documents  impor- 
tants tirés  des  archives  de  Malte;  retrace  l'histoire  des  deux  ordres  des 
Templiers  et  des  Hospitaliers.  Il  est  fâcheux  que  l'auteur  croie  que  les 
Templiers  aient  eu  une  doctrine  secrète  et  aient  été  vraiment  entachés 
d'hérésie.  Les  richesses  et  les  privilèges  des  Templiers  étaient  si  grands 
qu'ils  portaient  ombrage  aux  rois  de  France  ;  ils  tombèrent  sous  leurs 
coups  pour  des  raisons  purement  politiques).  =  N°  9.  Belck.  Geschichte 
des  Montanismus  (la  faculté  théologique  de  Berlin  a  eu  raison  de  cou- 
ronner cet  ouvrage  ;  mais  l'auteur  aurait  aussi  bien  fait  de  ne  pas  le 
publier).  =  N"  10.  Doiilcet.  Essai  sur  les  rapports  de  l'église  chrétienne 
avec  l'État  romain  (de  cet  ouvrage,  la  seule  partie  qui  valût  la  peine 
d'être  publiée  est  le  mémoire  publié  en  appendice  sur  le  Martyre  de 
sainte  Félicité  et  de  ses  fils). 

50.  —  Deutsche  Rundschau.  1884.  =  Mai.  Curtius.  Athènes  et 
Eleusis  (discours  d'apparat  prononcé  à  l'anniversaire  dé  la  fête  de  l'em- 
pereur dans  l'aula  de  l'Université).  =  Juin.  La  marche  du  major  Schill 
sur  Stralsund,  1809  (d'après  les  souvenirs  personnels  de  M.  G.  von 
Scriba,  qui  faisait  alors  partie  du  contingent  mecklembourgeois  sous 
les  ordres  de  SalveUier  de  Gandras,  baron  de  la  Tour-du-Pré,  gouver- 
neur français  de  la  Poméranie;  M.  G.  von  Scriba  est  mort  en  1868  à 
l'âge  de  quatre-vingts  ans).  —  Seuffert.  La  législation  de  Justinien. 

51.  —  Gœrres-Gesellschaft.  Jahrg.  1883,  Heft  1.  —  Pohle.  An- 
gelo  Secchi  (biographie  de  cet  érudit;  étudie  surtout  les  événements  de 
Rome  en  1848  d'après  des  témoignages  contemporains  et  les  notes  de 
Secchi).  =  Heft  2.  Grube.  Gerhard  Groot  et  ses  fondations  (biogr.  de  ce 
prêtre  néerlandais' du  xiv^  siècle,  fondateur  de  l'école  ascétique  qui  pro- 
duisit Thomas  à  Kempis).  =  Vereinschrift.  Jahrg.  1883.  Cardauns.  Le 
renversement  de  Marie  Stuart  (il  est  faux  que  Marie  Stuart  ait  eu  déjà 
des  rapports  avec  Bothwell  avant  le  meurtre  de  Darnley  ;  la  lettre  dite 
de  la  cassette  de  Glasgow  est  une  grossière  fabrication.  Bothwell  prit 
part  à  la  conspiration  contre  Darnley  pour  gagner  la  main  de  la  reine, 
mais  il  n'était  qu'un  instrument  aux  mains  du  parti  de  la  noblesse, 
qui  à  son  tour  ne  faisait  que  travailler  aux  plans  secrets  de  Murray.  La 
plus  grosse  faute  de  Marie  fut  de  consentir  à  épouser  Bothwell.  Récit 
des  intrigues  dirigées  par  Murray  avec  la  connivence  des  commissaires 


55-^  RECUEILS  PERIODIQUES. 

anglais  contre  Marie  en  Angleterre.  =  Historisches-Taschenbuch.  6^  Folge. 
Jahrg.  m.  Leipzig,  1884.  Sch^fer.  La  royauté  macédonienne  (les  rois 
macédoniens  ne  furent  jamais  considérés  que  comme  les  premiers  de 
la  noblesse;  aussi  la  Macédoine,  bien  qu'elle  ait  produit  de  grands  rois, 
n'eut-elle  jamais  une  forme  puissante  de  gouvernement  capable  de  per- 
suader aux  États  grecs  à  renoncer  à  leur  liberté  pour  obéir  aux  ordres 
arbitraires  de  despotes  étrangers).  —  Bernheim.  La  légende  des  dames 
fidèles  de  Weinsberg  (elle  a  été  inventée  par  l'annaliste  de  la  chronique 
de  Cologne,  qui  s'est  inspiré  de  la  capitulation  de  Crème  et  de  son  éva- 
cuation par  les  habitants).  —  Wegele.  Le  chancelier  Conrad  de  Quer- 
l'urt  (partisan  de  l'empereur  Henri  VI  et  de  Philippe  de  Souabe,  il  s'est 
déshonoré  en  trahissant  indignement  ce  dernier  ;  ce  fut  la  cause  directe 
de  sa  mort).  —  Kliippel.  La  ligue  souabe  (histoire  des  démêlés  de  la 
ligue  souabe  avec  la  Bavière  jusqu'à  l'entrée  de  celle-ci  dans  la  ligue; 
histoire  de  la  guerre  contre  les  Eidgenossen.  Si  elle  eut  une  issue  aussi 
honteuse,  c'est  à  cause  de  la  répugnance  qu'avait  la  ligue  à  combattre 
les  Suisses,  au  seul  profit  des  intérêts  autrichiens).  —  Wenzelburger. 
Johan  van  Oldenbarnevelt  (sa  biographie;  si  injuste  qu'ait  été  sa  con- 
damnation, elle  fut  un  bien  pour  le  Pays-Bas,  parce  qu'étant  données 
les  circonstances,  sa  politique  intérieure  et  extérieure  était  de  nature  à 
perdre  la  république).  —  Althaus.  Samuel  Hartlib  (biographie  de  ce 
puritain  allemand  naturalisé  en  Angleterre  au  temps  de  Cromwell  ;  ses 
efforts  pour  régénérer  l'enseignement  en  Angleterre).  —  Hùffer.  La 
république  napolitaine  de  1799  (la  capitulation  de  Naples  n'était  pas 
valable  au  point  de  vue  juridique;  la  conduite  de  Nelson  n'en  a  pas  été 
pour  cela  plus  honorable  ;  les  exécutions  continuelles  doivent  être 
reprochées  à  Nelson,  au  roi  et  à  Acton,  mais  non  à  la  reine  ni  à  Ruffo, 
qui  n'avait  cessé  de  conseiller  la  modération). 

52.  —  Archivalische  Zeitschrift.  Bd.  VIIL  Munich,  1883.  — 
Contzen.  Les  chartes  de  l'évéché  de  Wurzbourg;  suite.  —  Prutz. 
Etudes  sur  l'ordre  de  Malte  ;  suite  (sur  les  archives  des  chevaliers  de 
Saint-Jean  à  Malte;  publie  6  chartes  importantes  pour  l'histoire  de 
l'ordre,  qui  en  proviennent).  —  St^elin.  Gommanderies  d'hospitaliers 
dans  le  royaume  de  Wurtemberg  (publie  des  pièces  inédites  relatives  à 
6  commanderies).  — Rieder.  Chartes  tirées  d'archives  municipales  dans 
la  Bavière  souabe.  —  Mayerhofer.  Sur  le  plus  ancien  ms.  de  Freising 
(rassemble  les  sources  relatives  à  l'histoire  des  Agilolfingiens).  —  Inven- 
taire méthodique  des  archives  bavaroises;  fin.  —  Loewenfeld.  Études 
sur  les  archives  de  Normandie  (liste  d'originaux  relatifs  à  l'histoire  des 
papes  dans  les  archives  de  Rouen,  Caen,  Saint-Lô,  Alençon  et  Évreux). 
—  Ermisch.  Pièces  tirées  des  archives  d'État  à  Stadthagen  (publie  entre 
autres  le  plus  ancien  coutumier  municipal,  qui  est  de  1344).  —  Doebner. 
Description  des  archives  municipales  de  Stadthagen.  —  Pfannenschmid. 
Classement  et  inventaire  des  archives  communales.  —  Primes.  Le  bla- 
son des  Wittelsbach,  depuis  le  duc  Otton  1^''  jusqu'à  l'électeur  Max  III 
Joseph  (l'aigle  est  le  plus  ancien  des  emblèmes  qui  composent  le  blason 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  455 

de  cette  famille).  —  Von  Pflugk-Harttung.  De  la  façon  dont  sont  men- 
tionnés les  noms  dans  les  bulles  pontificales  (moyen  de  reconnaître 
l'inauthenticité  de  certaines  bulles  d'après  la  façon  dont  un  nom  est 
mentionné).  —  Von  Loeher.  Pièces  relatives  à  l'histoire  de  la  civilisation 
(les  inscr.  latines  mises  sur  les  tombeaux  des  Germains  chrétiens 
appartiennent  non  à  l'époque  mérovingienne,  mais  à  l'époque  de  l'em- 
pire romain.  L'habitude  des  épitaphes  ne  pénétra  pas  en  Allemagne 
avant  l'époque  de  Hohenstaufen  ;  les  inscr.  tumulaires  que  l'on  ren- 
contre avant  cette  époque  sont  falsifiées,  ou  ce  sont  de  simples  épi- 
graphes). 

53.  —  Zeitschrift  fur  aegyptische  Sprache  und  Alterthums- 
kunde.  Leipzig,  1883,  Heft  2.  —  Lepsius.  Sur  l'emplacement  de 
Pithom  et  de  Raemses  (Gosen  était  situé  à  l'ouest  de  Wadi  Tumilât  ou 
du  «  pays  de  Ramses.  »  La  capitale  du  pays  «  Ramses  »  était  Pa-tum, 
le  Patumos  d'Hérodote,  le  Sukkot  des  Hébreux.  La  seconde  ville,  Pa- 
Ramses  Miamoun  ou  Raemses,  plus  tard  Heroonpolis,  était  située  sur 
l'emplacement  actuel  de  Maschùtah).  —  Erman.  L'inscr.  de  Bentresch 
(sans  valeur  historique,  car  elle  se  rapporte  à  une  légende  religieuse 
des  derniers  temps  de  l'empire  égyptien,  rattachée  au  souvenir  divinisé 
de  Ramses  II).  —  Id.  Les  fils  de  Ramses  IH  (les  dynasties  postérieures 
ont  cherché  à  se  rattacher  de  toute  manière,  par  les  noms  et  par  les 
titres,  à  la  rénommée  de  Ramses  H).  —  Krall,  Analectes  historico- 
philologiques  (l»  les  «  tomoi  »  ou  listes  royales  contiennent  des  remar- 
ques et  des  éclaircissements  qui  n'appartiennent  pas  à  Manéthon,  mais 
qui  lui  sont  très  postérieurs;  2°  le  calcul  d'Ideler,  qui  place  au  13  juin 
la  mort  d'Alexandre,  est  confirmé  par  le  Pseudo-Gallisthènes  dont  les 
données  proviennent  d'une  source  égyptienne).  =  Haupt.  L'expédition 
d'Assourbanipal  en  Egypte  (publie  une  relation  assyrienne  de  la  défaite 
de  Targù,  roi  d'Egypte  et  d'Ethiopie). 

54.  —  Philologus.  Bd.  XLHI,  Heft  2.  Gœttingue,  1884.  —  Unger. 
Renseignements  fournis  par  ApoUodore  surXénophane(ils  sont  emprun- 
tés à  Eratosthènes  et  sont  inexacts  ;  il  faut  d'ailleurs  se  défier  d'Era- 
tostlîènes).  —  Beloch.  Sur  la  chronologie  des  dernières  années  de  la 
guerre  en  Péloponèse  (admet  les  conclusions  de  Dodwell,  qui  place  le 
départ  de  Thrasyllos  par  l'Ionie  on  mai  409  et  la  chute  de  Sélinonte  et 
d'Himère  en  408).  —  Bauer.  Sur  le  supplice  des  mille  Mytiléniens 
(contre  Miiller-Striibing,  qui  croit  à  une  interpolation  dans  le  récit  de 
Thucydide).  —  Unger.  Le  début  du  règne  de  Pyrrhus  (n'eut  pas  lieu, 
comme  le  pense  Droysen,  en  295,  mais  au  plus  tard  en  297). 

55.  —   Rheinisches    Muséum    fiir    Philologie.    Bd.    XXXIX, 

Heft  2.  Francfort-sur-le-Mein,  1884.  — Koepp.  Sur  les  guerres  syriennes 
des  premiers  Ptolémées  et  sur  la  guerre  de  Seleucos  Kallinikos  contre 
son  frère  Antiochos  Hierax  (!<>  contre  Droysen,  l'auteur  place  en  l'an- 
née 276  av.  J.-C.  la  première  guerre  de  Syrie  et  la  guerre  contre  Magas, 
2»  La  Cœlésyrie  appartenait  alors,  depuis  Ptolémée  Lagus,  à  l'Egypte. 


/,56  RECUEILS   PERIODIQUES. 

Récit  détaillé  de  la  lutte  entre  Seleucos  et  Antiochos).  —  Beloch.  Sur 
l'histoire  financière  d'Atliènes  (1'  la  Siwê£).îa  des  inscr.  n'est  pas  autre 
chose  que  le  salaire  des  héliastes  qui  fut  rétabli  en  406/405  par  les 
efforts  des  démagogues  Archedemos  et  Gléophon.  2°  Les  dépenses 
totales  de  la  guerre  de  Péloponèse  pour  Athènes  s'élevèrent  à  environ 
35,000  talents.  3»  Importance  de  la  charge  des  Poristes).  —  Faltin. 
Polybe  et  Tite-Live,  sur  la  bataille  de  Trasimène  (le  récit  de  Polybe 
est  complet  et  logiquement  composé  ;  mais  Polybe  s'est  fait  une  idée 
inexacte  du  champ  de  bataille.  Le  récit  de  Tite-Live,  moins  détaillé, 
doit  être  cependant  préféré  à  celui  de  Polybe).  —  Koehler.  Remarques 
critiques  et  exégétiques  sur  les  fragments  d'Antignos  de  Karystos.  — 
Stahl,  Sur  Thucydide  et  Diodore  (les  textes  de  ces  deux  historiens  sur 
la  colonisation  de  Potidée  peuvent  être  rectifiés  en  les  comparant  l'un 
à  l'autre).  —  Kirchner.  Sur  l'authenticité  des  documents  insérés  dans 
les  discours  de  Démosthènes  (plusieurs  données  fournies  par  les  dis- 
cours contre  Stephanos  et  Lakritos  sont  confirmées  par  des  inscr.  du 
temps).  —  F.-B.  Inscr.  osque  (texte  et  commentaire  ;  l'inscr.  vient  des 
environs  de  Santa-Maria-de-Capoue).  —  Gardthausen.  Le  poisson  d'or 
de  Vettersfelde  (c'est  une  tessera  hospitalis  échangée  par  deux  princes 
Scythes  engagés  l'un  à  l'autre  par  les  liens  de  l'hospitalité). 

56.  —    Zeitschrift    fur    vergleichende    Rechtswissenschaft. 

Bd.  V.  Heft  2.  Stuttgard,  1883.  —  Dargln.  La  propriété;  son  origine 
ot  son  développement  historique  (au  premier  degré  de  la  civilisation, 
alors  qu'il  n'y  a  pas  encore  à  vrai  dire  d'organisation  politique,  la  pro- 
priété est  encore  individuelle  ;  c'est  plus  tard,  avec  le  développement 
des  idées  politiques,  que  la  communauté  agraire  se  forme  ;  puis  à 
mesure  que  le  sentiment  de  l'individualité  se  développe,  on  revient  à  la 
propriété  individuelle).  —  Von  Tornauw.  Le  droit  successoral  dans 
l'Islamisme  (Mahomet  garda  dans  ses  traits  généraux  la  législation 
arabe  ;  il  en  modifia  certains  détails  dans  un  esprit  d'humanité). 

57.  —  Archiv  fur  katholisches  Kirchenrecht.  Mayence,  1884, 
mai-juin,  Heft  3.  —  Schmitz.  Les  pénitentiaux  conservés  dans  les  biblio- 
thèques de  Danemark  et  de  Suède  (ces  livres  n'existent  qu'à  partir  de 
la  seconde  moitié  du  xni^s.;  ils  ne  contiennent  que  les  Canones  poeni- 
ientiales  Astesani). 

58.  —  Theologische  Studien  und  Kritiken.  Jahrg.  1884,  Heft  3. 

Gotha.  —  UsTERi.  La  doctrine  de  Calvin  sur  les  sacrements  et  sur  le 
l)aptème  (Zwingli  ni  Calvin  n'ont  sur  ce  point  d'idées  originales  ;  on  ne 
peut  admettre  que  Zwingli  ait  à  cet  égard  exercé  de  l'influence  sur 
Calvin).  —  Id.  De  l'attitude  prise  par  les  réformateurs  strasbourgeois 
Bucer  et  Capito  dans  la  question  du  baptême  (elle  fut  peu  nette,  parce 
qu'ils  s'efforcèrent  de  concilier  Zwingli,  Luther  et  Calvin).  —  Koldewey. 
La  première  tentative  faite  pour  justifier  la  bigamie  du  landgrave  de 
Hesse  (parle  de  l'apologie  composée  par  le  curé  Lening  de  Melsungen, 
qui  excita  le  mécontentement  de  Luther).  —  Kcestllx  et  Buchwald.  Sur 


RECUEILS   PÉRIODIQUES.  '<57 

la  dispute  avec  les  chanoines  de  Wittemberg  (publ.  une  lettre  de  Bugen- 
hagen  et  du  magistrat  de  Wittemberg  sur  la  suppression  de  la  messe 
catholique  dans  cette  ville  en  1523).  =  Comptes-rendus  critiques  : 
Kolde.  Analecta  Lutherana  (bon).  —  Kokle.  Luther  und  der  Reichstag 
zu  Worms,  1521  (bon).  —  Koldcwey.  Ileinz  von  Wolfenbùttol  (bon). 

59.  —  Neue  Beitraege  zur  Geschichte  des  deutschen  Alter- 
thums  (Henneberg.  alterthumsforschender  Verein).  Meiningen,  1883, 
livr.  4.  Extraits  de  la  chronique  du  secrétaire  de  la  ville  de  Meiningen, 
Sébastian  Gùth,  de  1628  à  1677. 

60.  —  Archiv  fur  Anthropologie.  Bd.  XV.  Ileft  3.  Brunswick, 
1884.  —  Penck.  L'homme  et  l'époque  glaciaire  (l'Europe  était  déjà 
habitée  à  cette  époque  par  des  êtres  humains).  —  Mehlis.  Tumuli 
fouillés  près  de  Thselmassing,  dans  la  vallée  de  l'Altmùhl  (les  tombeaux 
sont  d'époques  diverses,  mais  appartiennent  au  même  peuple  doliclo- 
céphale,  sans  doute  de  race  celtique).  —  Sophie  Mûller.  Origine  et 
premiers  développements  de  la  civilisation  européenne  à  l'âge  du 
bronze,  d'après  les  plus  anciennes  découvertes  d'objets  de  bronze  dans 
le  sud-est  de  l'Europe).  —  Naue.  Poignards  de  bronze  trouvés  dans  le 
Palatinat  et  en  Crète.  —  Bartels.  Rapport  sur  les  fouilles  opérées  à 
Bologne  et  sur  les  objets  d'origine  ombrienne,  étrusque  et  celtique, 
qu'on  y  a  découverts. 

61.  —  Nord  und  Sud.  1883,  Heft  10.  —  Zorn.  Stein  et  la  réforme 
de  l'administration  prussienne  (sa  législation  et  ses  projets  de  loi  sont 
la  base  de  toutes  les  institutions  qui  ont  pu  se  maintenir  et  vivre  en 
Prusse  et  en  Allemagne  dans  le  cours  de  ce  siècle).  —  Lïibke.  Le  culte 
de  Marie  dans  les  premiers  siècles  (critique  de  l'ouvrage  de  Lehner  sur 
le  même  sujet). — Geyer.  Hohenstaufen  et  HohenzoUern  (1°  histoire  du 
château  de  Hohenstaufen  du  moyen  âge  à  l'époque  moderne  ;  2°  his- 
toire du  château  d'Urach  ;  ses  rapports  avec  l'histoire  des  comtes  de 
Wurtemberg  ;  3°  les  plus  anciennes  mentions  du  château  de  Hohen- 
zoUern dans  la  Schwœbische  Chronik  de  Martinus  Crusius).  =  Heft  12. 
Cantor.  Sur  l'histoire  des  universités  (histoire  intérieure  de  l'univer- 
sité de  Padoue  au  xvi«  s.  ;  luttes  des  Jésuites  avec  cette  université).  — 
La  Prusse  dans  la  Hesse  électorale,  nov.-déc.  1850  (souvenirs  d'un  offi- 
cier prussien  ;  détails  abondants  sur  les  événements  diplomatiques  et 
militaires.  Le  gouvernement  prussien  avait  mis  tout  son  espoir  dans  la 
conférence  de  Dresde  ouverte  le  23  déc.  1850,  pour  sauver  au  moins  de 
sa  politique  allemande  déjà  fort  compromise  ce  qu'on  pouvait  sauver 
encore;  mais,  là  aussi,  il  dut  reculer  devant  l'énergique  attitude  du 
prince  Schwarzenberg.  Il  ne  resta  plus  à  la  Prusse  d'autre  issue  que 
d'adhérer  de  nouveau  à  la  diète  de  Francfort,  ce  qui  eut  lieu  en  mai  1851 . 
En  sacrifiant  sa  considération  dans  la  politique  extérieure,  la  Prusse 
eut  les  mains  libres  pour  travailler  à  sa  réorganisation  intérieure,  à 
laquelle  l'auteur  attribue  les  succès  de  1866). 

62.  —  K.    Ssechsische    Gesellschaft   der    AVissenschaften. 


458  RECUEILS   PERIODIQUES. 

Berichte  ùber  die  Verhandlungen.  Philol.  histor.  Classe.  1883,  Heft  1-2. 
Leipzig,  1884.  —  Voigt.  Sur  la  légende  de  Lucrèce  et  ses  parentés  lit- 
téraires (suit  l'histoire  de  cette  légende  à  travers  l'antiquité  et  le  moyen 
âge).  —  Heydemann.  La  légende  de  Niobé  et  son  développement  (les 
peintres  et  les  sculpteurs  romains  ont  varié  le  modèle  donné  par  les 
maîtres  grecs). 

63.  —  Neues  Archiv  fiir  Saechsische  Geschichte.  Bd.  Y.  Heft  1 
et  2.  —  Heller.  Les  routes  de  commerce  dans  l'Allemagne  centrale  aux 
xvi%  xvn«  et  xvni*'  s.,  et  leurs  rapports  avec  Leipzig  (avec  une  carte,  qui 
montre  clairement  à  quel  point  Leipzig  était  le  centre  de  tout  ce  com- 
merce). —  Knothe.  Sur  l'histoire  primitive  de  la  ville  de  Bautzen  jus- 
qu'en 1346.  —  Opel.  Les  débuts  de  l'opéra  à  Leipzig,  1680-1710.  —  Frhr. 
von  Welck.  Correspondance  du  duc  Jean-Frédéric  de  Saxe  et  Ambro- 
sius  Roth,  pasteur  de  Geithain,  1568  (publie  cinq  lettres  écrites  pen- 
dant la  captivité  du  duc  de  Saxe  en  Autriche).  :=  Bibliographie  :  Bacli,- 
mann.  Deutsche  Reichsgeschichte  im  Zeitalter  Friedrich  III  und  MaxI 
(excellent).  —  Das  Kriegsjahr  1683  (analyse  de  plusieurs  ouvrages  rela- 
tifs au  siège  de  Vienne  par  les  Turcs). 

64.  —  Neues  Lausitzisches  Magazin.  Bd.  LIX.  Heft  2.  Gorlitz, 
1883.  —  ScHLOB.\GH.  Les  frontières  méridionales  du  territoire  du  monas- 
tère de  Dabrilugk  (déterminées  d'après  un  document  nouveau,  avec  une 
carte).  —  Tzschabran.  Rapports  de  Luther  aveclaRasse-Lusace  (publie 
le  rapport  des  Visiteurs  envoyés  par  Luther  pour  s'enquérir  de  la  situa- 
tion ecclésiastique  dans  le  district  de  Schliebcn,  1529  ;  notes  historiques 
et  documents  relatifs  à  cette  contrée).  —  Sohr.  La  vie  de  théâtre  en 
Allemagne  au  siècle  dernier  (publie  la  correspondance  du  réformateur 
des  théâtres  Grossmann  avec  Schiller  et  Goethe). —  Korschelt.  Événe- 
ments militaires  à  l'époque  de  la  guerre  de  la  succession  bavaroise 
(brève  esquisse  de  cette  guerre,  en  ce  qui  concerne  la  Lusace  ;  expose  le 
violent  système  de  réqui.sitions  et  de  pillages  pratiqué  par  les  soldats 
autrichiens  et  prussiens).  —  Von  Keltsch.  Où  était  situé  le  Mîegdeland? 
(l'apparition  de  ces  amazones  du  nord  remonte  aux  institutions  reli- 
gieuses des  Celtes.  Le  culte  a  son  origine  en  Silésie  ;  il  s'éteignit  vers 
l'an  900). 

65.  — Beitrœge  zur  Anthropologie  und  Urgeschichte  Baierns. 

Munich.  Bd.  V.  Helt  4.  —  Ohle.nschlauer.  Carte  préhistorique  de  la 
Bavière  (deux  planches  pour  les  environs  de  Wurzbourg  et  de  Schwein- 
furt,  où  sont  indiquées  les  antiquités  préhistoriques  de  toute  espèce 
qu'on  y  a  découvertes;  avec  une  table).  —  Id.  Sur  l'époque,  l'origine 
et  l'extension  des  «  Hochsecker  »  en  Bavière. 

66.  —  "Wûrttembergische  Vierteljahrshefte  fur  Landesges- 
chichte.  Jahrg.  VI.  Heft  2.  Stuttgart,  1883.  —  Wagner.  De  la  compo- 
sition originaire  de  la  ligue  souabe  (elle  ne  fut  à  l'origine  que  la  réunion 
de  deux  facteurs  indépendants  :  l'association  des  chevaliers  du  bouclier 
de  Saint-Georges  et  une  ligue  des  villes  souabes,  que  la  nécessité  con- 


RECUEILS  pe'riodiqces.  459 

traignit  à  agir  de  concert).  —  Bossert.  La  liste  des  combattants  tués 
au  combat  de  Reutlingen  eu  1377.  —  In.  De  l'origine  de  l'évêque  de 
Bamberg,  Otton  le  Saint  (il  était  d'une  famille  noble  de  Wurtembt^rg). 

—  Schneider.  Les  châteaux  et  forteresses  de  "Wurtemberg  vers  l'an  1600. 

—  Ofterdinger.  Histoire  du  théâtre  à  Biberach  de  168G  jusqu'à  nos 
jours.  —  BossERT.  Régestes  sur  l'histoire  de  la  Haute-Souabe  (publie 
des  extraits  de  26  documents  des  années  1271-1373).  — Schilling.  Trois 
sorcières  brûlées  à  Ulm  en  1613,  1616  et  1621.  —  Id.  L'évêque  Henri 
de  Bamberg  et  sa  parenté  avec  Konrad  de  Schmidelfeld.  —  Id.  Détails 
sur  le  règne  du  margrave  Georges-Frédéric  de  Brandebourg- A nsbach 
(des  violences  et  des  injustices  que  ce  prince  commit  sur  le  territoire 
wurtembergeois).  —  Buck.  Sur  l'étymologie  de  Weinsberg.  —  Bossert. 
Sur  l'histoire  de  Bebenburg  près  de  Blaufelden. 

67.  —  Diœcesan-Archiv  der  Diœcese  Freiburg.  Bd.  XVL  Fri- 

bourg-en-B.  1883.  —  Poinsignon.  Le  monastère  des  Prêcheurs  à  Fri- 
bourg  (fondé  en  1235  pour  servir  de  défense  contre  les  gens  de  la  Forêt 
Noire.  Les  Dominicains  jouirent  d'une  grande  influence  dans  le  pays 
jusqu'au  commencement  du  xv«  s.  ;  puis  le  peuple  se  laissa  gagner  par 
les  idées  socialistes,  et  l'université  de  Fribourg  fit  aux  reUgieux  une 
opposition  continuelle.  Liste  nécrologique  des  moines  du  monastère,  de 
1253  à  1798).  —  Trenkle.  Contributions  sur  l'histoire  des  paroisses 
situées  dans  les  districts  de  Gernsbach  et  d'Ettlingen  ;  suite.  —  Koenig. 
Les  statuts  de  l'Ordre  teutonique,  d'après  la  révision  du  grand  chapitre 
de  l'Ordre  à  Mergentheim  1606  (suit  la  liste  des  couvents  désignés  à 
l'Ordre  pour  des  indemnités  en  1802).  —  Mayer.  Contributions  à  l'histoire 
du  monastère  de  Gengenbach  (publie  la  chronique  de  ce  monastère  par 
Gallus  Melzer,  et  d'autres  documents  relatifs  à  cet  établissement).  — 
LiNDNER.  Catalogus  possessionum  monasterii  Rhenaugiensis  (publie  une 
liste  ancienne  des  possessions  du  monastère  de  Rheinau,  avec  un  com- 
mentaire et  l'identification  des  noms  de  lieu).  —  Vanotti.  Histoire  de 
l'Ordre  teutonique  dans  le  diocèse  de  Rottenburg.  —  Schnell.  Histoire 
du  château  de  Schalksburg  (publie  25  doc.  des  années  1395-1517).  — 
Staiger.  Sur  l'histoire  du  monastère  de  Wagenhausen. 

68.  —  Archiv  fur  Frankfurts  Geschichte  und  Kunst.  Bd.  VIII. 

Francfort-sur-le-Mein,  1882.  —  Joseph.  Monnaies  en  or  des  xiv"  et 
XV'  s.  (description,  classement  chronologique  et  histoire  des  monnaies 
provenant  d'un  trésor  enfoui  en  1504  près  de  Disibodenberg  et  décou- 
vert en  1841  ;  histoire  du  gulden  de  Francfort  au  xv  s.).  —  Froning, 
Les  deux  chroniques  francfortoises  de  Johannes  Latomus,  et  leurs 
sources  (pour  la  période  antérieure  à  l'an  1500,  elles  reproduisent  deux 
annales  francfortoises  du  xiv"  s.  dont  l'une,  d'une  grande  valeur  histo- 
rique, est  perdue,  et  dont  l'autre  nous  est  parvenue  seulement  sous  une 
forme  très  défigurée).  =  Bd.  IX.  Histoire  du  théâtre  à  Francfort-sur-le- 
Mein  (les  premières  représentations  de  mystères  remontent  au  xiv*  s. 
Des   comédiens   anglais   jouent   à   Fi'ancfort    de    1600    à    1631.    Les 


460  RECUEILS  PERIODIQUES. 

théâtres  à  Francfort  lors  du  couronnement  de  Charles  VII,  de  Fran-    ■ 
çois  I'^'"  et  de  Joseph  II).  =  Bd.  X.  Faulhaber.  Histoire  de  la  poste  à 
Francfort-sur-le-Mein,  d'après  des  pièces  d'archives. 

69.  —  Mittheilungen  des  Vereins  fur  Geschichte  und  Alter- 
thumskunde  in  Hohenzollern.  Jahrg.  XV,  Heft  2.  Signiaringen, 
1882.  —  ScHMiD.  La  plus  ancienne  histoire  de  la  maison  royale  et  prin- 
cière  de  Hohenzollern  ;  !''<=  partie  (il  est  très  vraisemblable  que  les 
Hohenzollern  descendent  des  margraves  de  Rhétie,  des  Burkardingiens, 
qui  de  leur  côté  étaient  d'origine  franque.  Histoire  de  ces  ducs  et  de 
leurs  possessions  en  Souabe).  —  Zingeler.  Chartes  inédites  concernant 
Hohenzollern  et  Zollernhohenberg,  1285-1457.  —  Thele.  Une  ordon- 
nance juridique  (publie  un  recueil  des  droits  seigneuriaux  et  régaliens 
du  comte  de  Hohenzollern,  composé  en  1599  sur  les  ordres  du  comte 
Frédéric  de  Hohenzollern).  —  Logher.  Les  seigneurs  de  Neuneck  (docu- 
ments des  années  1547-85).  —  Von  Lehner.  Rapport  sur  des  fouilles 
opérées  près  de  Sigmaringen  (on  y  a  découvert  une  construction  romaine, 
d'un  caractère  sans  doute  administratif). 

70.  —  Historischer  Verein  zu  Heilbronn.  Bericht  fiir  das  Jalir 
1882.  —  DiiRR.  Sceaux  et  armes  d'Heilbronn.  —  H.erle.  Événements 
militaires  de  l'année  1693  dans  les  environs  d'Heilbronn  (tactique  du 
margrave  de  Bade,  généralissime  de  l'armée  impériale  ;  elle  a  eu  ce 
résultat  de  conserver  à  l'empereur  et  à  l'empire  sa  dernière  armée  et 
d'empêcher  la  marche  en  avant  des  Français). 

71.  —  Schau  in's  Land.  Jahrg.  VII,  1884.  —  Bader.  Le  château 
et  la  ville  de  Staufen  (étymologie  du  nom  et  histoire  de  la  famille  de 
Staufen  jusqu'à  son  extinction  en  1602).  —  KiiRZEL.  Saint-Landolin 
(notes  sur  l'histoire  de  cette  ville  et  surtout  de  ses  bains,  depuis  le 
xvn"  s.).  —  Mai;rer.  Histoire  de  la  ville  de  Kenzingen  (son  histoire  est 
intimement  liée  à  celle  de  ses  seigneurs  d'Ussenberg,  jusqu'à  son 
annexion  à  l'Autriche.  Droits  et  obligations  des  bourgeois  à  l'égard  de 
leurs  suzerains). 

72.  —  Mûnster-Blaetter.  Heft  3-4.  Ulm,  1883.  Dieterich,  curé  à 
Ulm  à  l'époque  de  la  guerre  de  Trente  ans  (les  papiers  qu'il  a  laissés 
jettent  beaucoup  de  lumière  sur  la  situation  religieuse  et  sociale  à  Ulm 
à  cette  époque).  —  Seuffer.  Une  charte  du  xv"  s.  sur  l'histoire  de  la 
cathédrale  d'Ulm.  —  Klemm.  Sur  deux  architectes  d'Ulm  du  nom  de 
Ceorg  Siirlin,  au  xv«  et  au  xvi«  s. 

73.  —  Zeitschrift  fur  die  Geschichte  des  Oberrheins. 
Bd.  XXXVIl.  Heft  2-3.  Carlsruhe,  1883.  —  Von  Weech.  Cartulairc 
de  l'abbaye  cistercienne  de  Salem  ;  suite  (100  num.  de  1267  à  1274).  — 
Wille.  Analectes  sur  l'histoire  de  la  Haute  Allemagne,  et  surtout  du 
Wurtemberg  (publie  :  1°  les  relations  de  l'envoyé  bavarois  en  Wurtem- 
berg, Hans  Werner,  adressées  au  ministre  bavarois  von  Eck  pour  les 
années  1533-36,  sur  les  événements  religieux  et  politiques  du  Wur- 
temberg,  en    particulier  sur  les  rapports  entre  les  ducs    Ulrich    et 


RECUEILS  PE'rIODIQUES.  ^6-1 

Ghristoph  ;  2°  la  correspondance  d'Ulrich  avec  le  landgrave  de  Hesse, 
qui  s'efforça  de  réconcilier  le  duc  Ulrich  avec  son  fils  et  de  gagner  ce 
dernier  à  la  cause  de  la  Réforme).  —  Hartfelder.  Revue  des  livres 
parus  sur  l'histoire  du  grand-duché  de  Bade  pour  les  années  1880-82. 

—  Weiss.  Les  archives  d'Adelsheim.  —  Rapport  sur  les  travaux  de  la 
commission  badoise  d'histoire. 

74.  —  Annalen  des  historischen  Vereins  fur  den  Niederrhein. 
Heft  37.  Cologne,  1882.  —  Maassen.  La  voie  romaine  de  Trêves  à  Wes- 
seling  sur  le  Rhin  et  le  canal  romain  du  «  Vorgebirge  »  (les  points  où 
aboutissait  ce  canal  sont  Belgika  et  Bonn  ;  il  servait  aux  besoins  de 
25  localités  que  l'auteur  place  le  long  du  canal  et  de  la  route  militaire 
de  Bonn  à  Belgika  ;  le  canal  a  été  construit  sans  doute  à  l'époque 
d'Hadrien).  —  Floss.  Documents  relatifs  au  gouvernement  de  l'arche- 
vêque de  Cologne  Hermann  de  Wied,  1543-45  (expose,  en  s'appuyant 
sur  35  doc,  les  efforts  déployés  par  le  chapitre  et  le  clergé  de  Cologne 
contre  les  tentatives  réformatrices  d'Hermann  de  Wied).  —  Id.  Quatre 
documents  relatifs  aux  biens-fonds  de  l'abbaye  de  Heisterbach  à  Ober- 
kassel  en  1335,  1413  et  1566.  —  Loersch.  Sur  l'histoire  de  la  seigneurie 
de  Lœwenberg. 

75.  —  Mittheilungen  des  Instituts  fur  œsterreichische  Ge- 
schichtsforschung.  Bd.  V.  Heft  2.  —  Sgheffer-Boighorst.  Les  dona- 
tions de  Pépin  et  de  Charlemagne  ;  contribution  à  la  critique  de  la  Yita 
Hadriani  (le  passage  relatif  à  ces  donations  est  certainement  d'un  con- 
temporain; mais  c'est  une  main  postérieure  qui  a  ajouté  l'indication 
précise  des  limites  des  pays  que  les  rois  francs  promettaient  de  donner 
au  pape  ;  le  biographe  lui-même  nous  fournit  le  meilleur  moyen  pour 
découvrir  cette  interpolation).  —  Kaltenbrunner.  Études  sur  l'histoire 
de  Rome  (les  registres  des  papes  au  xm«  siècle;   leur  composition). 

—  BucHWALD.  Sur  la  procédure  dans  les  jugements  de  Dieu;  second 
article.  —  Ficker.  Actes  relatifs  à  l'empereur  Henri  VI ,  d'après  un 
registre  du  notaire  Guillaume  du  Mont-Cassin  conservé  aux  archives 
de  l'État  à  Gênes,  1191-1206.  =  Bibliographie  :  Balm.  Deutsche  Urzeit 
(insuftisant  parfois  pour  ce  qui  touche  l'histoire  romaine  ou  romane,  ce 
livre  est  au  contraire  excellent  en  ce  qui  concerne  l'histoire  propre 
des  Germains).  —  Livres  nouveaux  parus  en  1883. 

76.  —  Mittheilungen  der  authropologischen  Gesellschaft  in 
AVien.  Bd.  XHI  (nouv.  série,  III).  Vienne,  1883.  —  V^^oldrigh.  Sur 
l'histoire  primitive  de  la  Bohème  (à  propos  de  cinq  nouveaux  camps 
retranchés  découverts  dans  le  sud  de  la  Bohême,  de  nombreux  tom- 
beaux fouillés  au  nord  de  Frauenberg,  et  qui  sont  antérieurs  à  l'époque 
slave,  et  d'une  importante  trouvaille  d'objets  en  bronze  déterrés  à  Kren- 
dorf;  ces  derniers  ont  beaucoup  de  ressemblance  avec  les  antiquités 
étrusques  de  Narni  et  de  Valentano  ;  ils  sont  seulement  de  date  plus 
récente.  Ce  sont  les  plus  anciens  objets  en  bronze  trouvés  jusqu'ici  en 
Bohême).  —  Radimsky.  Études  d'histoire  primitive  dans  les  environs  de 


462  RECUEILS    PERIODIQUES. 

Wies;  dans  la  Styrie  moyenne.  —  Tomascheck.  Sur  les  études 
et  recherches  ethnologiques  du  docteur  Fligier  (défend  les  conclu- 
sions de  son  livre  Goten  in  Taurien,  contre  les  attaques  de  Fligier 
dont  il  montre  le  caractère  superficiel  et  peu  scientifique).  — 
Reyer.  Sur  l'emploi  des  outils  de  pierre  (explique  les  raisons  pour 
lesquelles  on  s'en  est  servi  pendant  si  longtemps.  Ce  qu'on  appelle 
l'âge  de  pierre  ne  correspond  pas  toujours  à  un  degré  déterminé  de  civi- 
lisation ,  car  les  Orientaux  ont  connu  les  métaux  résistants  alors  que 
leur  culture  intellectuelle  était  faible  encore  ;  le  cas  contraire  eut  lieu 
chez  les  Indo-Européens).  —  Szombathy.  Objets  préhistoriques  provenant 
des  îles  Canaries.  — Krauss.  Légendes  des  Slaves  du  Sud  relatives  à  la 
peste.  —  HoERNES.  Tombeaux  anciens  en  Bosnie  et  en  Herzégovine  (les 
inscriptions  et  sculptures  tombales  du  moyen  âge  trahissent  une  bar- 
barie extraordinaire,  et  l'on  comprend  que  la  noblesse  ait  si  facilement 
adopté  l'islamisme).  =  Comptes-rendus  critiques  :  Faudel  et  Bleicher. 
Matériaux  pour  une  étude  préhistorique  de  l'Alsace  (bon).  —  Gi^oss.  Les 
Protohelvètes,  ou  les  premiers  colons  sur  les  bords  des  lacs  de  Bienne 
et  de  Neuchâtel  (bon).  —  Pigorini.  Terramara  dell'  età  del  bronzo,  situata 
in  Castione  dei  Marchesi  (très  bon).  —  De  Stefano.  Nuove  scoperte  di 
antichità  nei  circondari  di  Legnago  e  Sanguinetto  (très  bon).  —  Virchow. 
Das  Grseberfeld  von  Koban  ira  Lande  der  Osseten  (remarquable). 


77.  —  The  Athenaeum.  1884,  12  avril.  —  Th.  Rogers.  Six  centuries 
of  work  and  wages;  the  historyof  english  labour  (ouvrage  très  savant  et 
très  instructif.  =  19  avr.  Hutchinson.  The  diary  and  letters  of  bis  Excel- 
lency  Th.  Hutchinson  captain-general  in  North  America  (documents  rela- 
tifs au  dernier  gouverneur  anglais  de  la  colonie  de  Massachussetts  Bay; 
important  pour  l'histoire  de  la  guerre  de  l'indépendance  américaine). 
=  2G  avril.  Streatfeild.  Lincolnshire  and  the  Danes  (beaucoup  de 
labeur,  des  observations  justes,  mais  critique  peu  exercée  en  général). 
=  3  mai.  Storms  and  sanshine  of  a  soldiers  life  :  lieut.-gen.  Colin 
Mackensie,  1825-1881  (biographie  d'un  brave  général  de  l'armée  des 
Indes;  il  échappa  comme  par  miracle  au  désastre  de  l'Afghanistan  en 
1841-1842.  Biographie  qui  serait  très  intéressante  si  l'auteur,  la  veuve 
du  général,  n'avait  pas  prodigué  les  dissertations  théologiques).  =: 
10  mai.  Fitzgerald.  The  life  and  times  of  William  IV  (compilation  amu- 
sante faite  à  coups  de  ciseaux  à  travers  les  mémoires  qui  contiennent  la 
chronique  scandaleuse  de  l'époque).  =  17  mai.  Loserth.  Hus  und  Wiclif 
(montre  combien  Hus  s'inspira  de  Wiclif;  mais  exagère  en  disant  que 
le  hussitisme  n'eut  rien  d'original,  et  que  c'est  vraiment  les  doctrines 
de  Wiclif  qui  furent  brûlées  dans  la  personne  de  Hus).  =:  24  mai. 
Brewer.  The  reign  of  Henry  VIU,  to  the  death  of  Wolsey  (ce  sont  les 
préfaces  des  volumes  des  Calendars  of  State  Papers  que  M.  Gairdner  a 
réunies  ici  en  vol.).  =  14  juin.  R.-B.  Gardiner.  The  admission  registers 
of  St  Paul's  school,  1748-1876  (intéressant). 

78.  —  The  Academy.  1884, 12  avril.  — i/.  Gra)it.  The  story  of  the 


RECUEILS   PERIODIQUES.  463 

University  of  Edinburgh  during  its  lirst  three  hundrod  years  (très  inté- 
ressant). —  Lettre  de  Jeanne  de  Navarre  à  la  Bibliothèque  nationale 
{5  lettres  inédites,  publiées  par  M.  Gertrude-Everctt  Green).  =2G  avril. 
Rogers.  Six  centuries  of  work  and  wages;  the  history  of  english  labour 
(excellent).  —  Maxwell.  The  history  of  Old  Dundee  (bonne  histoire 
municipale  de  Dundee  dans  la  seconde  moitié  du  xvi«  s.  et  dans  la  pre- 
mière du  xvn^).  =•  .3  mai.  Omond.  The  lord  advocates  of  Scotland  (très 
intéressant).  =  10  mai.  Armstrong.  The  history  of  Liddesdale,  Eskdale, 
Ewesdale,  Wauchopedale,  and  the  debateable  land.  l^e  partie  (excellente 
histoire  du  border  écossais).  —  O'Conor.  History  of  the  irish  people. 
2  vol.  (remarquable;  mais  l'histoire  économique  du  pays  est  seulement 
esquissée).  —  Newton.  The  collection  of  ancient  greek  inscriptions  in 
the  British  muséum  ;  2«  partie  (contient  les  inscr.  du  Péloponèse,  de  la 
Grèce  septentrionale,  de  la  Macédoine,  de  la  Thrace,  du  Bosphore  cim- 
mérien  et  des  îles  de  l'Archipel.  Le  t.  III,  qui  est  sous  presse,  contien- 
dra les  inscr.  de  Priène,  Ephèse  et  Jasos).  =  17  mai.  The  historical 
charters  and  constitutional  documents  of  the  city  of  London  (traduction 
des  principales  chartes  intéressant  l'histoire  communale  de  Londres).  — 
Watson.  Spanish  and  portuguese  South -America  during  the  colonial 
period  (bon  résumé).  —  Lady  Jackson.  The  court  of  the  Tuileries,  from 
the  Restauration  to  the  flight  of  Louis-Philippe  (sans  valeur  historique 
ni  littéraire,  mais  amusant).  =  31  mai.  Ross.  Scottish  history  and  lite- 
rature,  to  the  period  of  the  Reformation  (excellent). 

79.  —  The  Contemporary  review.  1884,  juin.  —  Hatch.  Les 
théories  historiques  de  la  Commission  chargée  de  l'enquête  sur  les  cours 
ecclésiastiques  (le  travail  des  commissaires  est  très  important  au  point  de 
vue  historique;  leurs  conclusions  pratiques  sont  contestables;  «  aban- 
donner le  contrôle  que  la  nation  anglaise  a  exercé  jusqu'ici  sur  l'Église 
anglaise  serait,  non  pas  continuer  l'histoire,  mais  briser  net  avec  elle  »). 
—  Mary  Gladstone.  Les  lettres  de  la  princesse  Alice. 


80.  —  The  Nation.  1884,  3  avril.  Hutchinson.  The  diary  and  the 
letters  of  Thomas  Hutchinson  (beaucoup  trop  long;  Uvre  d'une  lecture 
difficile;  les  documents  qui  y  sont  publiés  apportent  peu  de  chose  à 
l'histoire,  mais  contribuent  à  mettre  en  lumière  une  des  figures  les  plus 
intéressantes  de  la  Révolution  américaine).  =:  10  avril.  Lowell.  The 
Hessians,  and  the  other  German  auxiliaries  of  Great  Britain  in  the 
revolutionary  war  (bon  livre,  bien  informé,  consciencieux  et  sensé).  = 
17  avril.  Chamberlain.  John  Adams,  the  statesman  of  the  American 
Révolution  (intéressant).  =  24  avril.  Martin.  A  life  of  lord  Lindhurst 
(apologie  outrée  et  fort  contestable).  —  Cliurch.  Bacon  (excellente 
étude  sur  le  célèbre  ministre  et  philosophe  anglais).  =:  le^  mai. 
Schuyler.  Peter  the  Great  (livre  plein  de  faits,  entassés  sans  ordre; 
mais  très  instructif).  —  Todd.  The  campaigns  of  the  Rébellion 
(une  esquisse  de  la  guerre  de  sécession  en  130  pages  ne  peut  guère 


464  RECDEILS  PERIODIQUES. 

être  utile,  tut-elle  même  exempte  de  fautes,  ce  qui  n'est  pas  ici 
le  cas).  =  8  mai.  Playfair.  The  scourge  of  Christendom.  Annals  of 
british  relations  with  Algiers  prior  to  the  french  conquest  (intéressante 
histoire  d'Alger  avant  1830,  avec  un  récit  de  la  prise  de  la  ville  par  un 
témoin  oculaire).  —  Mead.  Martin  Luther  (esquisse  passionnée,  mais 
intéressante).  =  2-2  mai.  Dabry-Tliiersant.  De  l'origine  des  Indiens  du 
Nouveau-Monde  et  de  leur  civilisation  (l'auteur  estime  que  la  civilisa- 
tion fut  portée  en  Amérique  par  des  bandes  de  Carismiens  chassés  de 
leurs  demeures  par  l'invasion  mahométane  ;  tous  les  efforts  de  son  éru- 
dition n'ont  pu  réussir  à  prouver  cette  thèse  au  moins  singulière).  — 
Schuchardt.  Kreolische  Studien  (très  curieux). 


81,  —  Archivio  storico  italiano.  Tome  XIII,  disp.  3,  1884.  — 
GuASTi.  Les  archives  d'un  évêque  de  Volterra,  qui  fut  au  concile  de 
Constance  ;  suite  (publie  entre  autres  quatre  documents  relatifs  au  pape 
Jean  XXIII  :  «  que  uecessaria  esse  videntur  fieri  per  papam  in  prima 
sessione  »).  —  Cantù.  La  république  et  le  royaume  d'Italie  et  la  Tos- 
cane; suite  (documents  des  années  1804  à  1807.  —  Paoli.  Le  privilège 
d'Otton  I^''  pour  l'Église  romaine,  d'après  le  travail  récent  de  Th.  Sickel. 

—  Livi.  Des  rapports  des  Corses  avec  la  République  de  Florence  et  avec 
Giov.  de'  Medici,  des  Bandes  Noires  (introduction  à  une  étude  :  la  Cor- 
sica  e  Cosimo  I  de'  Medici,  qui  doit  paraître  prochainement).  =  Biblio- 
graphie :  MarceUino  da  Civezza.  Storia  universale  délie  mission!  fran- 
cescane;  t.  VI.  —  Gaspari.  Memorie  storiche  di  Sarrasanquirico.  — 
Nani.  Nuova  edizione  degli  statut!  del  1379,  di  Amedeo  VI  di  Savoia. 

—  Giralamo-Rossi.  Statut!  del  comune  di  Castellaro  dell'anno  1274.  — 
Caretta.  Sulla  famiglia  Assandri  patrizia  milanese. 

83.  —  Archivio  storico  per  le  provincie  napoletane.  Anne  IX, 
fasc.  1.  —  Barone.  Les  cédules  de  trésorerie  des  archives  d'État  à  Naples, 
de  1460  à  1504;  suite.  —  Faraglia.  Les  deux  amis  de  Pétrarque  :  Gio- 
vanni Baril!  et  Marco  Barbato  (leur  biographie,  accompagnée  de  docu- 
ments). -  GiAMPiETRO.  Un  registre  aragonais  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale de  Paris;  suite.—  De  Blasus.  Des  supplices  ordonnés  à  Naples  au 
temps  des  tumultes  de  Masaniello.  —  Lippi.  Une  monnaie  inconnue  de 
Tebe  Lucana.  =  Bibliographie  :  Hiiffer.  Die  neapolitanische  Republik 
des  Jahres  1799  (parle  de  la  violation  de  cette  capitulation;  il  en  rend 
responsable  le  roi  d'abord,  puis  la  reine  et  Nelson,  déchargeant  ainsi  le 
card.  Ruffo,  qui  dut  s'incliner  devant  des  volontés  souveraines).— Pro- 
logo.  I  primi  tempi  délia  città  di  Trani,  e  l'origine  probabile  del  nome 
délia  stessa  (identifie  cette  ville  avec  le  Turenum  de  la  Table  de  Peu- 
tinger;  mais  cette  identification  est  impossible).  —  Pepé.  Notizie  sto- 
riche ed  archeologiche  dell'  antica  Gnathia  (consciencieux).  —  Gioia. 
Memorie  storiche  et  document!  sopra  Lao,  Laino,  Sibari,  Tebe-Lucana 
délia  Magna  Grecia  città  antichissime  (des  erreurs  et  des  confusions 
nombreuses).  —  Fortunato.   I  Napoletani  del  1799  (boni.  —  Morcaldi. 


RECUEILS   PERIODIQUES.  Ji&^^ 

Una  bulla  di  Urbano  II  e  i  suoi  detrattori  (s'efforce,  sans  grand  succès, 
d'établir  l'authenticité,  fort  contestée,  de  la  bulle  d'Urbain  II  en  faveur 
de  l'église  de  la  Trinité  de  la  Gava,  5  sept.  1092K 

83.  —  Archivio  storico  Siciliano.  Nouvelle  série;  anno  YIII, 
fasc.  3-4.  —  GoGLiTORE.  Etudes  historico-archéologiques  :  Mozia  (les 
passages  où  il  est  question  de  l'île  et  de  la  cité  de  Mozia  dans  les  écri- 
vains de  l'antiquité  s'appliquent  tous  à  la  petite  ile  actuelle  de  S.  Pan- 
taleo,  située  près  de  Marsala  ;  dans  un  prochain  article  l'auteur  étudiera 
l'histoire  de  cette  localité).  —  Bellio.  Notes  sur  les  mss.  géographiques 
de  la  bibliothèque  communale  de  Palerme.  —  Lagumina,  Les  médailles 
et  les  artistes  du  séminaire  des  clercs  de  Palerme,  lors  de  sa  fondation. 

—  La  Colla.  L'histoire  des  municipalités  siciliennes,  et  le  Libro  rosso 
de  la  ville  de  Salemi  (note  sur  ce  ms.,  qui  contient  1^25  documents  pos- 
térieurs à  l'an  1314;  suit  une  table  chronologique  et  analytique  de  ces 
documents).  —  Salinas.  Sur  un  registre  de  Giov.  Majorana,  notaire  de 
Monte  San  Giulano,  au  xm^  s.  (fournit  de  curieux  renseignements  sur 
l'histoire  du  commerce,  de  l'industrie,  de  l'armée,  des  rapports  entre  le 
Mont  et  Trapani,  de  1297  à  1300).  —  Lionti.  Les  Juifs  et  la  fête  de  saint 
Etienne,  protomartyr  à  Marsala  (documents  de  1399  à  1431).  —  Di  Gio- 
vanni. La  première  Société  d'histoire  à  Palerme,  1777-1803  (avec  la  table 
des  mémoires  qui  y  ont  été  lus  sur  l'histoire  sacrée  et  la  littérature  ita- 
lienne). —  Lagumina.  La  date  de  l'inscr.  hébraïque  de  San  Marco  (elle 
est  de  l'an  1418  de  notre  ère). 

84. — Archivio  veneto.  Anno  XIV,  nouv.  série,  fasc.  53,  T.  XXVII, 
!■■«  partie.  —  Cecchetti.  La  vie  des  Vénitiens  vers  1300;  la  ville,  la  lagune 
(à  l'aide  d'un  grand  nombre  de  documents  d'archives).  —  Bocchi.  L'Adige 
et  son  débordement,  18  sept.  1882,  à  Angiari-Legnago;  notes  historico- 
économiques  comparées;  suite  et  fin.  —  Pinton.  L'histoire  de  Venise 
de  A. -F.  Gfrôrer;  l''^  partie  :  les  matériaux  de  l'œuvre;  suite  et  fin.  — 
GiOMO.  Les  rubriques  des  «  Libri  misti  »  du  Sénat,  aujourd'hui  perdus; 
suite.  —  GiURiATO.  Mentions  relatives  à  Venise  dans  les  monuments  de 
Rome;  suite.  —  R.-F.  Giorgio  Zorzi;  relation  de  son  ambassade  en 
Hollande  et  en  France,  1626-29,  tirée  des  mss.  de  la  bibliothèque  de  Fer- 
rare,  par  le  prof.  Gius.  Ferraro  (texte  de  cette  relation).  —  Biadego. 
Muratoriana  (documents  relatifs  à  Muratori).  —  Berlan.  Un  nouveau 
document  sur  Gutenberg  (discute  les  conclusions  tirées  par  M.  Glaudin 
de  la  lettre  qu'il  a  récemment  publiée  dans  le  Livre).  =  Bibliographie  : 
Relazione  sugli  Archivi  di  stato  italiani,  1874-82.  —  Simson.  Jahrbù- 
cher  des  frœnkischen  Reiches  unter  Karl  dem  grossen  (bon).  —  Manto- 
vani.  Lagune  (cet  ouvrage,  qui  a  été  fort  loué  par  plusieurs  journaux, 
n'est  qu'un  plagiat  effronté  de  Taiue,  Gh.  Blanc,  Th.  Gauthier, 
Tôpffer,  etc.).  =  Fulin.  Bulletin  de  bibliographie  vénitienne;  suite.  = 
Actes  de  la  R.  Deputazione  veneta  di  storia  patria. 

85.  —  Studi  e  documenti  di  storia  e  diritto.  Anno  V,  fasc.  1-2. 

—  Talamo.  L'esclavage  selon  Aristote  et  les  docteurs  scolastiques  ; 

Rev.  Htstor.  XXV.  2«  fasc  30 


/,0()  RECUEILS    PÉRIODIQUES. 

seconde  partie.  —  Gamurrini.  Les  mystères  et  les  hymnes  de  saint Hilaire, 
évèque  de  Poitiers,  et  un  voyage  aux  lieux  saints  au  iv  s.,  découverts 
dans  un  très  ancien  ms.  (ce  ms.,  conservé  à  la  bibliothèque  de  la  Fra- 
ternità  de  S.  Maria,  à  Arezzo,  est  écrit  en  caractères  lombards,  et  appar- 
tient au  plus  tard  à  la  fin  du  xi^  s.;  analyse  de  ce  ms.).  —  Gatti.  Notes 
sur  des  matériaux  et  des  monuments  antiques,  prises  par  J.-B.  NoUi 
en  dessinant  le  plan  de  Rome,  et  conservées  aux  archives  du  Vatican; 
suite. 

86. — Bolletino  storico  délia Svizzera italiana.  Anne VI,  n^^  3  et  A. 

—  LiEBENAu.  Lodovico  Borromeo;  suite.  —  Curiosités  de  l'histoire  ita- 
lienne au  xv«  s.,  tirées  des  archives  de  Milan;  suite.  —  Inscriptions  his- 
toriques du  canton  du  Tessin;  suite.  —  Les  statuts  dlntragua,  Golino 
et  Verdasio,  de  1469;  suite.  —  N»  5.  Les  imprimeries  du  canton  du 
Tessin;  série  alphabétique  de  leurs  publications,  de  1800  à  1859.  —  Bel- 
linzone  excommuniée  en  1483;  pièce. 

87.  —  Der  Geschichtsfreund.  Bd.  XXXVIIL  1883.  —  L.  Brand- 
STETTER.  Rôles  financiers  de  la  prévôté  et  de  l'aumônerie  du  couvent  de 
Lucerne.  —  G.  Meyer  von  Knonau.  Coup  d'oeil  sur  l'histoire  de  la  Con- 
fédération suisse  pendant  les  premières  années  du  xv^  s.,  1405-1415.  — 
K.  VON  Deschwanden.  Le  repas  de  l'ammann  à  Nidwalden  pendant  le 
xvii''  s.  (coutume  patriarcale  en  vertu  de  laquelle  le  landammann  élu 
par  ia  landsgemeinde  ordinaire  do  l'année  régalait,  le  même  soir,  à  l'au- 
berge, tous  les  citoyens  âgés  de  plus  de  quatorze  ans).  —  K.  von  Iîett- 
LiNGEN.  Compte  des  frais  de  guerre  de  la  ville  de  Zurich  pendant  la  pre- 
mière guerre  de  Vilmergen,  1656. 

88.  —  Mittheilungen  der  antiquarischen  Gesellschaft  in 
Zurich.  Bd.  XXI.  Heft  5,  1884.  —  U.  Zeller-Werdmùller.  Monu- 
ments de  l'époque  féodale  dans  le  pays  d'Uri  (lecolfretd'Attinghausen), 

89.  —  Jahrbuch  des  historischen  Vereins  des  Kt.  Glarus. 
Heft  XX,  1883.  —  G.  IIkek.  Histoire  de  l'instruction  publique  dans  le 
canton  de  Claris  (enseignement  secondaire).  —  Idem.  Les  fonds  scolaires 
de  Claris.  —  N.  Tschudi.  La  fonderie  de  fer  de  Seerûti.  —  J.-G.  Mayer. 
L'établissement  des  capucins  à  Nacfels,  1674. 

90.  —  Mémoires  et  Documents  publiés  par  la  Société  d'his- 
toire de  la  Suisse  romande.  Tome  XXXIII,  1884.  —  .1.  Gremaud. 
Documents  relatifs  à  l'histoire  du  Vallais,  5^  partie,  1351-1375  (avec 
une  introduction  où  sont  résumées  les  données  que  ces  documents 
renferment  sur  Tévèché,  le  chapitre  et  la  ville  de  Sion,  les  familles  féo- 
dales du  Vallais  épiscopal,  le  Vallais  savoyard,  etc.). 

91.  —  Musée  neuchâtelois.  XX«  année,  n"  12,  déc.  1883.  — 
A.  Daguet.  La  question  de  Winkelried,  ou  résumé  des  recherches 
faites  depuis  vingt  ans  sur  l'existence  d'Arnold  de  W.  et  son  exploit 
héroïque  à  Sempach  (résumé  un  peu  tardif,  dirions-nous  plutôt,  du 
mémoire  lu  en  1878,  à  Stans,  par  M.  le  pasteur  Ochsenbein,  avec 


RECUEILS  pe'riodiques.  467 

quelques  remarques  additionnelles  sur  un  article  plus  récent  de  feu 
M.  de  Stùrler). 

92.— Mémoires  de  l'Institut  national  genevois.  Tome  XV,  1883. 

—  H.  Fazy.  Genève,  le  parti  huguenot  et  le  traité  de  Soleure  ,  1574- 
1579  (Cf.  Revue,  XXIV,  477).  —  J.  Vuy.  Chartes  inédites  du  duc  de 
Savoie  Charles  III  (titre  inexact,  en  ce  sens  qu'il  ne  s'agit  que  de 
quelques  lettres  assez  insignifiantes  de  Charles  III). 

93.  —  Étrennes  genevoises.  Hommes  et  choses  du  temps 
passé,  par  A.  Hoget.  vi^  série,  1884.  —  Cent  ans  en  arrière.  Chro- 
nique genevoise,  1780-1785.  —  Pierre  Bayle  et  Genève. 

94.  —  Étrennes  chrétiennes,  publiées  par  une  réunion  de  pasteurs 
et  de  laïques.  XI"  année,  1884.  —  A.  Roget.  Calvin  et  les  églises  de 
Pologne.  —  E.  Saint-Paul.  La  tour  de  Constance  et  ses  prisonnières. 

—  E.  RiTTER.  La  rentrée  de  J.-J.  Rousseau  dans  l'Église  de  Genève,  1754. 
■ —  P.  Vaucher.  Notes  bibliographiques  :  Reimarus,  Baur,  Renan. 


95.  —  Gelehrte  Estnische  Gesellschaft.  Verhandlungen.  Dor- 
part,  1881.  —  Hausmann.  Études  sur  l'histoire  du  roi  de  Pologne  Etienne 
(expose  les  données  fournies  sur  ce  règne  par  les  sources  ;  presque  toutes 
les  indications  du  temps  sont  puisées  dans  des  communications  offi- 
cielles du  roi,  qui  était  fort  désireux  de  ne  laisser  parvenir,  même  dans 
l'Europe  occidentale,  que  des  récits  favorables  à  sa  politique;  les  ren- 
seignements les  plus  indépendants,  il  faut  les  chercher  dans  certains 
pamphlets  allemands  du  temps;  énumère  les  plus  importants  de  ces 
documents).  —  Holzmayer.  Osiliana;  suite  (rapport  sur  les  fouilles  opé- 
rées dans  les  îles  d'CEsel  et  de  Mohn,  et  se  rapportant  aux  années  918 
à  1227  ap.  J.-C).  —  Rupniewski.  Trouvailles  faites  dans  des  tombeaux 
en  Wolhynie  (appartiennent  à  l'âge  de  pierre).  —  Sievers.  Rapport  sur 
des  recherches  archéologiques  opérées  en  1876  (l'auteur  attribue  à  un 
peuple  de  race  normande  les  nombreuses  collines  tumulaires  de  l'Es- 
thonie  ;  la  présence  de  bijoux  bretons  de  l'époque  de  Marc-Aurèle  est 
due  à  des  intrusions  fortuites  d'Anglo-Saxons,  de  Normands,  etc.,  en 
Bretagne,  d'une  époque  antérieure  à  celle  que  l'on  admet  d'ordinaire). 
—  MoLLENHAUER.  Une  soutenance  de  doctorat  à  Wittemberg  en  1544, 
sous  la  présidence  de  Luther  (publie  ce  texte  important  pour  les  idées 
théologiques  de  Luther). 


46S  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 


CHRONIQUE  ET  BIBLIOGRAPHIE. 


France.  —  M.  le  général  Faidherbe  a  été  élu  membre  libre  de 
l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres. 

—  M.  HiMLY,  doyen  de  la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  a  été  élu  membre 
de  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  en  remplacement  de 
M.  Mignet. 

—  M.  Jalliffier  a  été  élu  membre  du  Conseil  supérieur  de  l'instruc- 
tion publique,  en  remplacement  de  M.  Marion,  qui  ne  se  représentait  pas. 

—  L'Académie  française  a  décerné  le  grand  prix  Gobert  à  VHisloire 
de  la  chevalerie,  par  M.  Léon  Gautier,  et  le  second  prix  à  M.  R.  de 
Maulde,  pour  son  Histoire  de  Jeanne  de  France,  duchesse  d'Orléans  et  de 
Berry  ;  le  prix  Halphen  à  M.  A.  Lefèvre-Pontalis,  pour  son  histoire  de 
Jea7i  de  Wilt,  grand  [lensiomiaire  de  Hollande.  Elle  a  partagé  le  prix 
Guizot  entre  Rivarol  et  la  Société  française  pendant  la  Révolution  et  l'Émi- 
gration, par  M.  de  Lesgure,  et  le  Maréchal  Bugeaiid,  par  le  comte 
d'L)eville.  —  Un  prix  a  été  décerné  à  M.  Georges  Duruy  pour  son 
étude  sur  le  cardinal  Caraffa. 

—  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  maintenu  le  grand 
prix  Gobert  à  M.  Paul  Viollet,  éditeur  des  Établissements  de  saint  Louis 
et  auteur  du  Précis  de  l'histoire  du  droit  français,  et  décerné  le  second 
prix  à  M.  Tuetey,  pour  son  livre  :  Les  Allemands  en  France  et  l'invasion 
du  comté  de  Montbéliard  par  les  Lorrains  en  1587-88  (Mémoires  de  la 
Société  d'émulation  de  iMontbéliard).  —  Elle  a  partagé  le  prix  Duclia- 
lais  entre  M.  Garon  :  Les  Monnaies  féodales  françaises,  et  M.  Ponton 
d'Amégouut,  pour  ses  Recherches  des  monnaies  mérovingiennes  du  Céno- 
mannicum,  que  nous  avons  maintes  fois  signalées  en  analysant  la  Revue 
historique  du  Maine.  —  Elle  a  décerné  le  prix  ordinaire  du  budget  à 
M.  Neubauer,  sous-bibliothécaire  à  la  Bodléienne,  Oxford,  pour  un 
mémoire  sur  ce  sujet  :  classer  et  identifier  les  noms  géographiques  de 
l'occident  de  l'Europe  qu'on  trouve  dans  les  ouvrages  rabbiuiques. 

—  L'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  a  mis  au  concours 
pour  1886  une  étude  sur  le  Père  Joseph.  Notre  collaborateur,  M.  G. 
Fagniez,  met  en  ce  moment  la  dernière  main  à  un  ouvrage  sur  le  même 
sujet,  pour  lequel  il  a  réuni  de  nombreux  matériaux  tirés  tant  des 
archives  privées  que  des  dépôts  publics  de  la  France  et  de  l'étranger. 

—  On  a  fêté  le  20  mai  dernier  le  cinquantième  anniversaire  de  la 
fondation  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France.  A  cette  occasion,  la  Société 
a  fait  impriiuer  un  volume  de  Notices  et  Docwiicnts  dont  voici  la  table 


CHRONIQUE   ET    r.IBLIOGRAPHIE.  469 _ 

des  matières  :  Omont  :  Mss.  en  lettres  onciales  de  Vlh'storia  Francorum 
de  Grégoire  de  Tours.  —  LongnOxN.  Notice  sur  le  plus  ancien  obituaire 
de  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés.  —  Luge.  La  continuation  d'Ai- 
moin  et  le  ms.  latin  12711  de  la  Bibl.  nat.  —  .T.  Havet.  Poème  ryth- 
mique d'Adelman  de  Liège  sur  plusieurs  savants  du  xi«  s.  —  Delisle. 
Les  courtes  annales  du  Bec  (xii'  s.).  —  Roman.  Le  cartulaire  de  Dur- 
bon,  1116-1216.  —  Delaborde.  Un  poème  inédit  de  Pierre  Riga  sur  la 
naissance  de  Philippe-Auguste.  —  A.  Mounier.  Récit  en  vers  de  la 
bataille  de  Muret,  13  septembre  1213.  —  Delisle.  La  chronique  d'Héli- 
nand,  moine  de  Froidmont,  120i.  —  Riant.  Déposition  de  Charles 
d'Anjou  pour  la  canonisation  de  saint  Louis,  1282.  —  P.  Viollet.  Une 
charte  de  Philippe  de  Beaumanoir,  27  janv.  1292.  —  L.  de  Mas-Latrie. 
Le  ms.  de  la  Prattica  délia  mercatura  de  B.  Pegolotti.  —  E.  Dupont. 
Trois  chartes  à  vignettes  de  1377,  1389,  1402.  —  A.  de  Boislisle.  Un 
épisode  de  la  domination  des  Armagnacs  à  Paris,  1416-17.  —  D.  de 
Beaucourt.  Cahier  de  doléances  des  députés  de  Languedoc,  1428.  —  A. 
de  La  Borderie.  Correspondance  de  Charles  YIII  avec  le  parlement  de 
Paris  pendant  la  guerre  de  Bretagne,  1487-88.  —  Basghet.  Quelques 
lettres  missives  extraites  des  archives  de  la  maison  de  Gonzague,  1494- 
1520.  —  G^e  DE  LuGAY.  La  succession  du  connétable  de  Bourbon,  25  août 
1531.  —  Baron  de  Ruble.  La  cour  dès  enfants  de  France  sous  François  I«'', 
1531.  —  Lalanne.  Deux  pièces  extraites  de  la  collection  Godefroy,  1577 
et  1645.  —  Baguenault  de  Puchesse.  Une  lettre  de  Villeroy  sur  l'atten- 
tat de  Jean  Chastel,  1595.  —  A.  de  Boislisle.  Lettre  de  la  duchesse  de 
La  Trémoïlle  sur  la  mort  de  M™«  Du  Plessis-Mornay  ;  mai  1606.  — 
G.  Pigot.  Doléances  des  habitants  de  Paris  aux  états-généraux,  1614. 
—  Tamizey  de  Larroque.  Une  lettre  de  Ph.  Fortin  de  La  Hoguette  à 
Louis  Xin,  1628.  —  M'^  de  Vogué.  Lettres  et  discours  de  Sully  sur  le 
projet  de  république  chrétienne,  1630.  —  Duc  d'Aumale.  Cinq  lettres  de 
Turenne  au  duc  d'Enghien,  1643-45.  —  G.-J.  de  Cosnac.  Mémoire  de 
Jean  du  Bouchet  sur  la  charge  de  maréchal  général,  15  mai  1673.  — 
Ed.  de  Barthélémy.  Plan  d'une  invasion  en  Angleterre,  1759.  —  Duc 
de  Broglie.  Mémoire  du  duc  de  Praslin  sur  les  affaires  de  Pologne, 
avec  les  observations  du  comte  de  Broglie,  8  mai  1763.  —  Delisle. 
Lettres  du  bénédictin  dom  Brial  à  l'abbé  Lespine,  1790-1801.  Ce  volume 
a  été  dédié  à  M.  Jules  Desnoyers,  secrétaire  de  la  Société  depuis  sa 
fondation  en  1834. 

—  Le  congrès  annuel  des  sociétés  savantes  s'est  réuni  à  la  Sorbonne 
du  15' au  19  avril  dernier.  Dans  la  section  d'histoire  et  de  philologie, 
on  peut  noter  les  communications  suivantes  :  M.  Castonnet  Desfosses 
a  annoncé  qu'il  a  découvert  une  correspondance  inédite  de  Dupleix, 
environ  un  millier  de  lettres,  alors  qu'il  n'était  que  gouverneur  de  Chan- 
dernagor.  —  M.  Forestié,  continuant  ses  intéressantes  études  sur  les 
livres  de  comptes  du  marchand  Bonis,  a  décrit  l'état  des  dix  confréries 
qui  existaient  à  Montauban  au  xiv^  s.  —  M.  Deloche  a  étudié  la 
manière  dont  les  actes  étaient  datés  à  la  fin  du  xm«  s.  et  au  commen- 


470  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

cernent  du  xiv«  s.  dans  le  Rouergue,  le  Quercy  et  le  bas  Limousin.  Dom 
Clément,  dans  l'Art  de  vérifier  les  dates,  avait  dit  que  les  divers  modes 
de  commencer  l'année  avaient  été,  dans  ces  trois  pays,  ramenés  en  1289 
à  un  seul,  celui  de  l'Ascension  (25  mars).  Cela  est  vrai  pour  le  Rouergue; 
pour  le  bas  Limousin,  ce  n'est  exact  que  depuis  1301  ;  pour  le  Quercy, 
le  fait  n'a  pu  avoir  lieu  qu'après  1316.  =  Dans  la  section  d'archéologie, 
le  R.  P.  de  La  Croix  a  fait  connaître  le  résultat  de  ses  fouilles  dans  les 
nécropoles  antiques  de  Poitiers  ;  il  a  pu  y  constater  vingt  et  une  espèces 
différentes  de  sépultures,  datant  du  iV  et  du  v«  s.  —  On  paraît  avoir 
constaté  cette  année  un  ralentissement  dans  les  travaux  de  ce  congrès, 
comme  si  la  liste  des  questions  proposées  par  le  ministère,  au  lieu  de 
rendre  les  études  plus  fécondes  en  les  concentrant,  avait  diminué  l'ini- 
tiative des  délégués.  Ce  serait  bien  dommage,  et  bien  mal  comprendre 
la  pensée  de  l'administration,  qui  n'entend  pas  lier  la  liberté  person- 
nelle à  aucun  genre  particulier  de  recherches. 

—  Le  11  avril  dernier,  on  a  inauguré  au  Collège  de  France  trois 
médaillons  de  bronze  destinés  à  perpétuer  le  souvenir  de  Michelet,  de 
Quinet  et  de  Mickiewicz,  révoqués  lors  du  coup  d'État.  Nous  reprodui- 
sons ici  la  fin  de  l'allocution  prononcée  par  l'administrateur  du  Collège, 
M.  Renan,  à  cette  occasion  :  «  Maîtres  illustres,  »  dit-il,  en  s'adressant 
par  la  pensée  aux  trois  amis,  «  maîtres  illustres  qui  fûtes,  au  jour  de 
votre  vie  terrestre,  des  porteurs  de  vérité,  de  cette  vérité  qui  est  à  la 
fois  lumière  et  chaleur,  apprenez-nous  à  marcher  sur  vos  traces  !  Vous 
renouvelâtes,  en  votre  temps,  les  miracles  que  vit  au  moyen  âge  cette 
montagne  Sainte-Geneviève,  quand  toutes  les  nations  de  l'Europe 
venaient  autour  d'Abelard,  ou  bien  au  Clos-Bruneau,  à  la  rue  du  Fouarre, 
chercher  les  principes  de  la  liberté  dans  la  communauté  de  l'esprit 
humain.  Ces  hommages  qui  viennent  aujourd'hui,  de  toutes  les  parties 
régénérées  de  l'Europe,  se  mêler  à  notre  fête,  montrent  que  votre  parole 
eut  le  grand  caractère  du  vrai  ;  elle  fut  universelle,  elle  remua  toutes 
les  races.  Nous  ne  sommes  pas  changés.  D'autres  ont  pu  changer  dans 
le  monde  ;  mais  rassurez-vous,  nous  resterons  incorrigibles.  Nous  ne 
séparerons  jamais  l'intérêt  de  la  France  de  celui  de  la  vérité.  Jamais 
nous  n'envisagerons  la  science,  la  civilisation,  la  justice  comme  l'œuvre 
d'une  seule  race  ou  d'un  seul  peuple.  Nous  persisterons  à  croire  que 
toutes  les  nations  y  servent,  chacune  selon  son  génie.  En  cultivant  la 
science,  nous  ne  dirons  jamais  notre  science  ;  le  vrai,  le  bien  et  le  beau 
étant,  à  nos  yeux,  l'apanage  de  tous.  Comme  vous,  nous  nous  laisse- 
rions arracher  de  notre  chaire,  plutôt  que  de  dire  autre  chose  que  ce 
que  nous  avons  résolu  de  dire.  Votre  génie  planera  sur  ces  lieux,  pleins 
encore  de  votre  parole.  Le  souvenir  de  votre  courage  et  de  votre  sincé- 
rité, ravivé  par  cette  image,  nous  soutiendra  dans  l'accomplissement  de 
notre  grand  devoir,  le  culte  absolu  de  la  vérité.  » 

—  On  sait  avec  quelle  persévérance  et  avec  quel  succès  M.  Maspero 
continue  les  fouilles  qu'il  dirige  en  Egypte.  Dernièrement  encore  des 


CHRONIQUE   £T    UrBLIOGRAPHIE.  47i 

tombeaux  importants  appartonant  à  l'ancien  Empire.  Il  ne  désespère 
pas  de  porter  la  lumière  dans  la  période  presque  entièrement  inconnue 
pour  nous  qui  sépare  la  6«  de  la  11«  dynastie  ;  mais,  au  milieu  des  diffi- 
cultés où  se  débat  aujourd'hui  la  malheureuse  Egypte,  les  ressources 
dont  peut  disposer  notre  illustre  compatriote  sont  devenues  tout  à  fait 
insuffisantes.  M.  Renan  a  déjà  fait  appel  au  public  dans  le  Journal  des 
Débats  du  11  mars.  «  La  conservation  de  l'Egypte  depuis  Champollion, 
dit-il,  surtout  depuis  Mariette,  a  été  moralement  dévolue  à  la  France. 
Voici  un  protectorat  qu'il  nous  est  permis  de  réclamer,  puisqu'il  n'a 
que  des  clauses  onéreuses...  Mais  l'argent  manque...  Il  faut  que  toutes 
les  personnes  qui  ont  à  cœur  la  conservation  des  monuments  du  passé 
apportent  à  M.  Maspero  leur  concours.  Quarante  siècles  ;  c'est  trop  peu 
dire,  soixante  siècles  d'histoire  y  sont  intéressés.  Ajoutons  que  l'hon- 
neur de  la  France  s'y  trouve  engagé.  »  L'appel  a  déjà  été  entendu  ;  une 
première  liste  a  recueilli  12,150  fr.  La  Société  historique  s'est  associée  de 
toutes  ses  forces  à  cette  souscription  nationale.  La  Bévue  historique  la 
recommande  chaleureusement  à  la  générosité  de  ses  lecteurs.  Ajoutons 
à  ce  propos  que  M.  Maspero,  directeur  général  des  musées  d'Egypte, 
vient  de  faire  paraître  un  exteWeni  Guide  du  visiteur  de  Doulaq  (Vieweg). 

—  M.  E.  Babelon  et  M.  S.  Reinach,  chargés  d'une  mission  en  Tuni- 
sie, ont  entrepris  des  fouilles  sur  l'emplacement  de  Carthage,  au  lieu 
que  les  Arabes  appellent  encore  aujourd'hui  Carthagenna  ;  les  antiqui- 
tés puniques  qu'ils  y  ont  rencontrées  sont  insignifiantes,  ainsi  qu'on 
devait  d'ailleurs  s'y  attendre  après  le  résultat  des  fouilles  déjà  opérées 
par  M.  Beulé  ;  ils  ont  cependant  découvert  une  statue  colossale  d'un  empe- 
reur romain  en  marbre,  d'un  beau  travail.  La  tête  manque.  Ils  ont  été 
plus  heureux  à  El-Kantara  (l'ancienne  Maninx,  dans  l'île  de  Djerba),  à 
Bou-Ghara  (l'ancienne  Gightis,  sur  la  côte  tunisienne  en  face  de  Djerba), 
et  à  Zian  (anc.  Ciparea,  entre  Zerzis  et  Matmeur).  A  Bou-Ghara,  ils 
ont  déterré  beaucoup  d'inscriptions,  trois  statues  de  magistrats  romains 
et  une  belle  tête  d'Auguste  en  pontife  romain.  A  Zian,  il  ont  déblayé 
un  forum  entouré  de  grands  portiques.  Ils  ont  aussi  exploré  Sfax  et  les 
environs.  Rappelons  en  même  temps  les  fructueuses  expéditions  de 
M.  Gagnât,  qui  a  déjà  publié  deux  importants  fascicules  sur  ses  décou- 
vertes (chez  Thorin)  et  de  MM.  Basset  et  Houdas  qui  ont  poussé  jus- 
qu'à Kairouan.  Le  Bulletin  de  Correspondance  africaine  publie  les  résul- 
tats de  leur  mission. 

—  Nous  sommes  heureux  d'apprendre  que  la  conservation  des  célèbres 
ruines  de  Sanxay  est  enfin  assurée.  Grâce  à  de  généreux  donateurs, 
l'acquisition  des  terrains  où  se  trouvent  les  ruines  est  chose  dès  aujour- 
d'hui certaine. 

—  M.  Paul  Allard  a  résumé  dans  un  bref  exposé  les  notions  les  plus 
générales  concernant  les  Esclaves,  serfs  et  mainmortahles  (librairie  de  la 
Soc.  bibliogr.).  On  connaît  le  point  de  vue  auquel  se  place  l'auteur  et 
le  rôle  tout  à  fait  prédominant  qu'il  attribue  à  l'église  dans  l'affran- 


^72  CHRONIQUE   ET    BIBLIOGlUPniE. 

chissement  des  esclaves;  il  est  donc  inutile  d'y  insister  autrement.  Son 
petit  livre  est  d'ailleurs  intéressant  et  au  courant  des  derniers  travaux 
sur  la  question.  C'est  l'œuvre  d'un  homme  de  foi  qui  est  aussi  un  éru- 
dit  consciencieux. 

—  Le  3<'  fascicule  du  Glossaire  archéologique  du  moyen  âge  et  de  la 
Renaissance,  par  M.  Victor  Gay,  vient  de  paraître  (libr.  de  la  Soc.  biblio- 
graphique) ;  il  contient  les  mots  Chape  à  Coutelier .  On  annonce  comme 
très  prochaine  la  publication  du  4«  tasc. 

—  M.  J.  JussERAND  a  fait  paraître  en  volume  (Hachette)  après  l'avoir 
remaniée  la  curieuse  étude  déjà  publiée  dans  la  Revue  historique  sur  la 
vie  nomade  et  les  routes  d'Angleterre  au  XIV''  s.  Il  y  a  ajouté  un  appen- 
dice qui  contient  une  trentaine  de  pièces  ou  extraits  qui  contiennent 
de  piquants  détails  sur  les  mœurs  du  temps.  On  sait  que  M.  Jusse- 
rand,  qui  prépare  depuis  longtemps  un  grand  ouvrage  sur  Ghaucer, 
connaît  très  bien  la  vie  anglaise  au  moyen  âge. 

—  M.  le  vicomte  deGAix  de  Saint-Aymour  a  découvert  et  publié  onze 
lettres  françaises  inédites  du  célèbre  Grotius,  de  qui  la  Hollande  célé- 
brait l'an  dernier  le  3«  centenaire  (1583-1645).  Cinq  de  ces  lettres  sont 
adressées  à  Pierre  Du  Puy,  1624-1632  ;  cinq  autres  au  comte  de  Ghauvi- 
gny,  1639-1642.  Elles  ont  été  annotées  avec  soin  et  précédées  d'une 
notice  biographique  (Notice  sur  Hugues  de  Groot;  suivie  de  lettres  inédites. 
Gharavay). 

—  M.  Raunié  a  donné  dans  la  bibliothèque  Gharpentier  une  nouvelle 
édition  des  Mémoires  et  réflexions  du  marquis  de  La  Fare  sur  les  princi- 
paux événements  du  règne  de  Louis  XIV,  avec  des  notes  abondantes  puisées 
dans  les  Mémoires  du  temps. 

—  M.  le  D""  Robinet  a  donné  chez  Gharavay  une  3«  édition  de  son 
mémoire  sur  la  vie  privée  de  Danton.  On  sait  que  l'auteur,  admirateur 
passionné  de  Danton  et  de  son  rôle  politique,  a  entrepris  de  le  venger 
contre  les  accusations  de  vénalité  que  l'on  n'a  pas  épargnées  au  célèbre 
conventionnel.  Il  a  fourni  au  procès  un  grand  nombre  de  pièces  impor- 
tantes dont  il  importera  de  tenir  un  grand  compte,  lorsqu'on  entrepren- 
dra sans  aucun  parti  pris  l'histoire  de  Danton.  Danton  ne  vaut  pas  la 
réputation  que  lui  font  ses  apologistes,  mais  il  vaut  mieux  certainement 
que  la  réputation  que  lui  ont  faite  ses  ennemis  politiques. 

—  La  biographie  de  Dumouriez  par  M.  A.  Monchanin  (Ollendorff)  n'est 
pas  une  œuvre  d'érudition,  ni  même  un  livre  au  courant  des  dernières 
recherches  ;  c'est  un  exposé  intéressant  de  la  carrière  militaire  de  Dumou- 
riez ;  mais  le  côté  le  plus  curieux  de  cette  singulière  physionomie  est 
laissé  dans  l'ombre.  On  ne  se  douterait  pas  à  lire  ce  livre  que  Dumou- 
riez a  été  un  des  plus  grands  intrigants  de  son  époque;  son  rôle  dans 
la  diplomatie  secrète  n'est  pas  indiqué  ;  rien  ou  presque  rien  sur  les 
vingt  dernières  années  de  la  vie  du  général  girondin  (1793-1823). 

—  A  la  séance  solennelle  de  rentrée  des  écoles  d'enseignement  supérieur 


CHRONIQUE    ET    BIBLIOfiKAPHIE.  473 

de  l'Académie  d'Alger  (5  fév.  1884 1,  M.  A.  de  L.v  Blanchère  a  lu  un 
intéressant  épisode  d'histoire  coloniale;  c'est  l'histoire  d'un  Français  de 
Madagascar,  Le  Vacher  de  La  Case;  arrive  dans  le  pays  on  165G,  il 
devint  l'hôte  d'un  prince  indigène,  Dian  Rasisatte,  seigneur  d'Amboule, 
l'aida  à  triompher  de  ses  ennemis,  épousa  sa  fille,  appelée  Dian  Nong, 
la  convertit  et  succéda  à  son  beau-père  dans  la  principauté  d'Amboule. 
Pendant  quatorze  ans,  il  n'attaqua  pas  d'ennemis  qu'il  ne  vainquît;  les 
seules  difficultés  sérieuses  qu'il  rencontra  vinrent  de  la  colonie  officielle 
établie  au  Fort-Dauphin.  Nommé  enfin  major  de  l'ile  par  Louis  XIV 
(nov.  1670),  il  mourut  en  juin  suivant,  après  avoir  essayé  d'organiser  un 
État  français  qui  lui  survécut  à  peine  quelques  années. 

—  M.  Gaston  Raynaud  a  fait  insérer  dans  le  Cabinet  Historique  et 
publier  à  part  le  Catalogue  des  inss.  anglais  de  la  Bibliothèque  nationale 
(Champion);  le  fonds  des  mss.  anglais,  formé  en  1860  par  M.  N.  de 
Wailly,  comprend  95  numéros.  Il  n'avait  pas  encore  été  décrit;  c'est 
donc  un  réel  service  que  M.  Raynaud  vient  de  rendre.  La  plupart  de 
ces  mss.  se  rapportent  à  l'histoire  moderne. 

—  A  la  même  librairie  (Champion),  M.  Delisle  vient  de  publier  un 
nouveau  volume  de  ÏJnvcntaire  des  mss.  de  la  Bibliothèque  nationale;  il 
est  tout  entier  consacré  au  Fonds  de  Gluni.  M.  Delisle  fait  d'abord  l'his- 
toire de  la  bibliothèque  de  Cluni  ;  il  note  les  pertes  qu'elle  a  éprouvées, 
surtout  depuis  la  Révolution  :  en  1801,  on  pouvait  cataloguer  295  mss. 
existant  encore  à  Cluni.  En  1829,  Buchon  n'en  trouvait  plus  que  225  ; 
il  n'en  reste  plus  aujourd'hui  que  97  qui  ont  été  cédés  en  1881  par  la 
municipalité  de  Cluni  à  la  Bibliothèque  nationale,  moyennant  une 
indemnité  de  20,000  fr.  Avec  ceux  qui,  à  diverses  époques,  sont  entrés 
au  même  dépôt,  M.  Delisle  a  pu  nous  donner  la  notice  de  226  mss.;  il 
a  aussi  publié  en  appendice  une  liste  de  198  mss.  qui  étaient  encore  à 
Cluni  en  l'an  IX  et  qui  ont  disparu  depuis. 

—  Le  second  volume  du  Nouveau  Dictionnaire  de  géographie  univer- 
selle, publié  par  M.  Vivien  de  Saint-Martin  (Hachette),  est  terminé 
aujourd'hui  avec  le  24e  fascicule.  Les  lettres  A  à  J  sont  désormais  com- 
plètes. En  même  temps  a  été  mise  en  vente  la  ¥  livraison  de  V Atlas; 
elle  contient  :  la  Russie  occidentale  et  la  Roumanie,  le  Mexique,  la 
région  polaire  antarctique.  On  assure  que  la  5"  livraison  suivra  celle-ci 
de  très  près. 

—  M.  Ch.  Périgot  a  publié  chez  Weill  et  Maurice  une  intéressante 
Histoire  du  commerce  français,  qui  est  le  résumé  du  cours  professé 
depuis  plusieurs  années  par  l'auteur  à  l'École  commerciale  de  l'avenue 
Trudaine  et  à  l'École  supérieure  de  la  rue  Amelot.  C'est  un  livre  excel- 
lent à  mettre  entre  les  mains  des  élèves,  au  même  litre  que  celui  de 
M.  Pigeonneau,  que  nous  avons  déjà  signalé  (chez  Cerf). 

—  Nous  avons  déjà  signalé  le  choix  de  lectures  géographiques  publié 
par  M.  Lanier,  chez  Belin,  à  propos  du  l^""  vol.  l'Amérique.  Le  second 
vient  de  paraître.  Il  est  consacré  à  l'Afrique.  Nous  n'avons  plus  à  dire 


474  CHfiO.MQlIE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

quelle  méthode  a  suivie  l'auteur  ni  à  rappeler  quelle  abondance  de 
renseignements  de  toutes  sortes  :  bibliographiques,  historiques,  admi- 
nistratifs, statistiques,  il  nous  fournit  dans  son  livre.  Nous  dirons  seule- 
ment que  la  lecture  de  V Afrique  est  des  plus  attachantes,  surtout  pour 
les  Français,  si  directement  intéressés  à  l'histoire  et  à  la  géographie  de 
l'Algérie,  de  la  Tunisie,  du  Gabon,  de  Madagascar.  Le  choix  de  lectures 
est  généralement  excellent,  et  les  cartes  très  utiles.  Ce  n'est  pas  seule- 
ment un  livre  de  classe;  le  grand  public  y  trouverait  aussi  beaucoup 
de  profit,  et  le  travailleur  un  guide  précieux. 

—  M.  Paul  Lecèxe,  professeur  d'histoire  au  lycée  Gharlemagne, 
vient  de  publier,  dans  la  Bibliothèque  de  la  Jeunesse  française  (librairie 
centrale  des  publications  populaires,  45,  rue  des  Saints-Pères),  un  très 
intéressant  volume  sur  Les  Marins  de  la  Hépublique  et  de  l'Empire,  1793- 
1815.  Ce  n'est  pas  un  simple  livre  de  vulgarisation  ;  l'auteur  s'est  livré 
à  des  recherches  personnelles  aux  Archives  du  ministère  de  la  marine; 
il  est  remonté  aux  sources  officielles  des  événements  qu'il  raconte  ;  il  a 
même  publié  en  appendice  quelques  rapports  adressés  au  gouvernement 
sur  les  combats  soutenus  par  nos  marins  :  ceux  entre  autres  de  Renau- 
din  sur  l'affaire  du  Vengeur,  de  Ganteaume  sur  Aboukir,  de  Lucas  sur 
Trafalgar,  du  capitaine  Duperré  au  général  Decaen  sur  l'heureuse 
croisière  accomplie  par  sa  division  dans  l'Océan  indien  en  1810.  La 
préface  expose  les  nombreuses  causes  d'infériorité  où  nous  nous  trou- 
vions par  rapport  aux  Anglais  ;  les  récits,  composés  avec  une  chaleur 
communicative,  montrent  que  du  moins  ce  n'est  pas  l'héroïsme  qui 
faisait  défaut  à  nos  marins.  —  Dans  la  même  collection  ont  encore 
paru  :  les  Généraux  de  la  République,  par  M.  Guillon,  et  une  Histoire  de 
Paris,  par  M.  Scehnée. 

—  On  annonce  que  M.  le  duc  d'AuDiFFRET-PASQUiER  doit  publier  pro- 
chainement une  Histoire  du  duc  de  Richelieu. 

—  Une  3=  édition  des  Français  sur  le  Rhin  (1792-1804),  par  M.  Ra.m- 
BAUD,  vient  de  paraître  chez  Didier. 

—  La  conférence  que  M.  G.  Hanotaux  a  faite  à  la  Société  historique 
sur  Henri  Martin  va  paraître  en  un  volume  (chez  L.  Cerf). 

—  On  vient  de  réunir  en  volume  les  articles  critiques  publiés  par 
Ch.  Graux  dans  diverses  revues  d'érudition;  cette  édition  est  due  aux 
soins  de  M.  Henri  Graux,  son  père  (Vieweg), 

—  M.  Céleste,  sous-bibliothécaire  de  la  ville  de  Bordeaux,  vient  de 
publier  un  supplément  aux  œuvres  de  Montesquieu  ;  ce  sont  trente-deux 
lettres  inédites  de  l'auteur  de  VEsprit  des  lois,  trouvées  dans  les  papiers 
de  M.  de  Lamontaigne,  que  le  conseil  municipal  de  Bordeaux  a  récem- 
ment achetés.  Cette  publication  sera  accompagnée  de  nombreux  détails 
biographiques  et  bibliographiques  provenant  pour  la  plupart  de  la  même 
source. 

—  M   Gaston.net-Desfosses  a  publié  dans  le  Bulletin  de  la  Société 


CHRONIQUE  ET   BIBLIOGRAPHIE.  '«75 

académique  indo-chinoise,  et  publié  à  part  (Leroux  ;  Ghallemei)  une 
élude  sur  Les  relations  do  la  France  avec  le  Tong-Kin  et  la  Cochinchinc, 
d'après  les  documents  inédits  du  ministère  de  la  marine  et  des  colonies. 

—  Le  président  du  Conseil,  ministre  des  affaires  étrangères,  sur  la 
désignation  de  la  Commission  des  arcliivcs  diplomatiques,  a  chargé 
M.  Joseph  Refnagh  de  publier  le  Recueil  des  instructions  aux  ambassa- 
deurs de  France  à  Naplcs  et  à  Parme;  M.  de  Gaix  de  Saint-Aymour,  le 
Recueil  des  instructions  pour  le  Portugal,  et  M.  Kaulek,  sous-chef  de 
bureau  à  la  division  des  Archives  des  affaires  étrangères,  le  Recueil  des 
instructions  pour  Venise. 

—  Dans  son  Essai  sur  l'influence  française  (L.  Cerf),  M.  Lefedvre 
Saint-Ogan  a  tracé  le  programme  d'un  beau  Uvre.  Déterminer  quelle  a 
été  la  part  de  la  France  dans  la  civilisation  européenne,  ce  que  le 
monde  a  dû  h.  la  France  ;  c'est  là  une  belle  tâche,  digne  d'un  historien 
et  d'un  philosophe.  M.  Saint-Ogan  n'a  fait  que  donner  des  points  de 
repère  pour  cette  étude,  et  encore  n'a-t-il  pas  vu  que  le  moment  de 
l'apogée  de  l'influence  française  est  le  xni<=  s.  et  non  le  xvn^  et  le  xvni«; 
mais,  tout  incomplète  et  insuffisante  qu'elle  est,  cette  étude  peut  sug- 
gérer d'utiles  réflexions  et  provoquer  d'intéressants  travaux. 

—  M.  F.  Brunetière  a  réuni  on  volume,  sous  le  titre  Histoire  et  Lit- 
térature (G.  Lévy),  des  études  publiées  par  lui  dans  la  Revue  des  Deux- 
Mondes.  —  Nous  y  signalerons  en  particulier  aux  historiens  les  articles 
intitulés  :  M™e  de  La  Vallière  ;  les  chansons  historiques  du  xvni"  s.  ; 
l'enseignement  primaire  avant  1789  ;  l'impératrice  Marie-Thérèse  et 
M"^^  de  Pompadour  ;  les  philosophes  de  la  Révolution  française  ;  le 
Paysan  sous  l'ancien  régime.  On  peut  souvent  contredire  aux  juge- 
ments de  M.  B.,  mais  il  est  un  des  rares  écrivains  de  notre  temps  qui 
méritent  toujours  d'être  lus,  car  il  est  de  ceux  qui,  après  avoir  acquis 
sur  les  sujets  dont  il  parle  de  solides  connaissances,  se  donnent  la  peine 
de  penser  avant  d'écrire  et  d'écrire  d'un  bon  style,  bie^  à  eux.  Son 
humeur  chagrine  et  batailleuse,  sa  franchise  parfois  un  peu  rude,  son 
hostilité  contre  les  idées  courantes  et  les  tendances  modernes  ne  sont 
pas  pour  nous  déplaire,  même  où  nous  ne  l'approuvons  point,  car  il  ne 
nous  laisse  jamais  indifférent  et  nous  provoque  toujours  à  la  réflexion 
ou  à  l'étude. 

—  Le  tome  I«''  de  l'Inventaire  de  la  sorie  E  des  archives  de  l'Aube 
vient  d'être  terminé  par  M.  Alphonse  Roserot.  Il  contient  l'analyse  de 
1,223  liasses  et  registres  relatifs  aux  familles  du  département  et  aux 
corporations  d'arts  et  métiers  de  Troyes.  Parmi  les  pièces  importantes 
qui  sont  mentionnées  et  analysées,  il  faut  citer  de  curieux  fragments 
de  la  correspondance  commerciale  des  Colbert  de  Reims  et  de  Troyes, 
dont  Grosley  avait  parlé  au  siècle  dernier  ;  un  compte  précieux  de  la 
châtellenie  de  Nogent-sur-Seine,  de  1419  à  1426,  très  instructif  sur  les 
incursions  des  Anglais  et  des  Armagnacs  aux  environs  de  cette  ville  ; 
d'intéressants  détails  sur  la  vie  privée,  sur  l'instruction  secondaire  aux 


JiTfi  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

XY"  et  xvi«  siècles  dans  des  comptes  de  la  seigneurie  de  Barberey  Saint- 
Sulpice.  D'autres  fonds  sont  particulièrement  précieux  pour  l'histoire 
féodale  des  communes.  Il  es^t  regrettable  que  l'auteur  n'ait  pas  été  auto- 
risé à  faire  suivre  le  premier  volume  d'une  table  alphabétique,  qui  est 
véritablement  indispensable  pour  les  travailleurs.  Gela  est  d'autant  plus 
regrettable  qu'on  ne  peut  conjecturer  à  quelle  époque  sera  publié  le 
second  volume.  Le  conseil  général  de  l'Aube  a  jugé  à  propos  de  sup- 
primer les  fonctions  d'archiviste  adjoint,  qui  auraient  permis  à 
M.  Roserot  de  faire  l'inventaire  du  fonds  considérable  du  prince  Xavier 
de  Saxe,  frère  de  la  dauphine  Marie-Josèphe  de  Saxe,  belle-fille  de 
Louis  XV.  Ce  fonds  a  déjà  donné  lieu  à  d'importants  travaux  de 
MM.  Guignard  et  Thévenot,  mais  par  la  variété,  la  richesse  et  rintérêt 
de  ses  documents,  il  mérite  une  description  et  une  analyse  métho- 
diques. 

—  M.  Arthur  Daguin  vient  de  publier  un  beau  volume  in-'i'»  de 
192  pages  sur  les  Évêqiies  de  Langres.  C'est  une  bonne  étude  épigra- 
phique,  sigillographique  et  héraldique.  L'auteur  a  complété  les  travaux 
du  père  Anselme  et  de  Ghevillard  sur  les  armoiries  des  évoques  de 
Langres  ;  il  a  décrit  les  tombeaux  de  ces  derniers,  rappelé  leurs  épi- 
taphes,  fait  connaître  ceux  de  leurs  sceaux  qui  existent  encore.  La  pre- 
mière partie  de  son  travail  est  consacrée  à  des  généralités  sur  l'évêché, 
sur  le  diocèse,  sur  les  titres  et  les  droits  de  l'évèque  de  Langres,  qui, 
comme  on  le  sait,  était  duc  et  pair.  La  seconde  partie  est  de  beaucoup 
la  plus  importante  ;  elle  se  termine  par  des  notices  sur  les  évêques 
depuis  980  jusqu'à  nos  jours,  avec  de  nombreuses  gravures  sur  bois 
représentant  des  armoiries  et  des  sceaux. 

—  hWnnuaire  de  l'Aube  pour  1884  contient,  comme  les  précédents, 
plusieurs  notices  historiques,  parmi  lesquelles  nous  citerons  la  Belle 
croix  de  Troyes,  par  M.  A.  S.  Det,  bibliothécaire-adjoint  de  la  ville. 
C'est  l'histoire  d'un  monument  religieux  de  Troyes,  élevé  à  la  fin  du 
xv"  siècle  sur  la  place  de  l'IIôtel-de-Ville,  et  «  déconstruit  »  en  1792. 
L'auteur  a  fait  connaître  des  documents  d'archives  inédits,  qui  ont 
rapport  à  ce  monument. 

—  La  librairie  Firmin  Didot  annonce  la  publication  prochaine  de 
deux  grands  ouvrages  illustrés  :  la  Renaissance  en  Italie  et  en  France  à 
l'époque  de  Charles  VIII,  par  M.  Eug.  Mu.ntz,  et  les  Modes  et  usages  au 
temps  de  Marie- Antoinette,  par  M.  le  comte  de  Reiset,  qui  reproduit,  en 
y  ajoutant  des  notes  et  des  dessins  nombreux,  le  livre-journal  de 
Mme  Élofle,  marchande  de  modes,  couturière-lingère  ordinaire  de  la 
reine  et  des  dames  de  sa  cour  de  1787  à  1793. 

—  La  seconde  partie  du  t.  IV  de  la  nouvelle  édition  de  la  France 
protesta7ite  (Fischbacher)  vient  de  paraître.  Elle  nous  conduit  jusqu'à  la 
iin  de  la  lettre  G  et  contient  entre  autres  articles  importants  :  A.  Court, 
J.  Cousin,  Grespin,  Crussol,  Gujas,  Cuvier.  Les  quatre-vingts  colonnes 
d'additions  et  corrections,  les  tables  des  matières  et  des  personnes  sont 


CmiONIQUE    ET    RIBLtOaRAPHIE,  477 

une  preuve  du  soin  admirable  avec  lequel  est  conduite  l'entreprise  de 
M.  H.  BoRDiER.  Il  est  regrettable  que  les  feuilles  25  à  32  soient  impri- 
mées dans  un  caractère  différent  du  reste  de  l'ouvrage. 

—  M.  E.  Chastel  est  aussi  au  terme  de  sa  grande  publication  sur 
Y  Histoire  du  Christianisme  (Fischbacher).  Le  t.  V  est  consacré  aux 
xvni«  et  xixe  siècles.  Ce  résumé  des  travaux  de  toute  une  vie  d'ensei- 
gnement et  d'étude  tiendra  une  place  très  honorable  parmi  les  nom- 
breuses histoires  ecclésiastiques  que  nous  possédons  ;  mais  on  regret- 
tera que  les  renvois  aux  sources  y  fassent  entièrement  défaut  et  que 
l'auteur  ait  été  trop  préoccupé  de  transformer  son  histoire  en  une 
démonstration  de  ses  idées  théologiques  particulières,  celles  du  protes- 
tantisme libéral  modéré. 

—  Le  t.  IX  du  Chansonnier  historique  du  XVIII^  s.,  contenant  les 
chansons  des  années  1774-1780,  est  un  des  plus  intéressants  du  recueil. 
Le  Roi  et  la  Reine,  Malesherbes,  Saint-Germain,  Maurepas,  Turgot, 
Necker,  la  Guerre  d'Amérique,  le  duc  de  Chartres  y  sont  chantés  ou 
chansonnés,  et  de  nombreuses  pièces  sur  la  littérature  et  le  théâtre 
nous  renseignent  sur  la  société  du  temps  (Quantin). 

—  M.  H.  DE  Ferron  vient  de  publier  sous  le  titre  d'Institutions 
municipales  et  provinciales  comparées  (Alcan)  un  livre  qui  mérite  toute 
l'attention  des  hommes  d'État  et  des  historiens.  Dans  la  première  partie 
il  trace  un  rapide  tableau  de  nos  institutions  municipales  et  provin- 
ciales avant  1789  et  étudie  leur  organisation  depuis  1791  ;  dans  la 
seconde,  il  institue  une  comparaison  entre  nos  institutions  et  celles  des 
autres  pays  européens,  comparaison  qui  est  loin  d'être  toute  à  notre 
avantage  ;  dans  la  troisième,  il  expose  les  réformes  qui  lui  semblent 
nécessaires  et  qui  ne  sont  rien  moins  qu'un  système  très  complet  de 
décentralisation.  Les  idées  de  M.  de  Ferron  sont  très  dignes  d'examen 
et  les  renseignements  qu'il  a  réunis  très  instructifs. 

—  On  trouvera  dans  le  Capitaine  Vallé,  par  M.  H.  Dutasta  (Alcan), 
une  peinture- très  vive,  très  amusante,  du  monde  semi-bonapartiste, 
semi-républicain,  qui  fournissait  sous  la  Restauration  le  personnel  des 
conspirations.  Quoique  par  la  forme  ce  récit  tienne  un  peu  du  roman, 
le  fond  en  est  exact.  Si  M.  Dutasta  avait  écrit  un  livi'e  purement  histo- 
rique, nous  lui  reprocherions  d'avoir  si  complètement  adopté  à  l'égard 
des  Bourbons  les  idées  de  son  héros  ;  mais  cette  passion  qui  l'anime 
donne  à  son  œuvre  une  saveur  et  une  couleur  qui  en  augmentent  l'effet. 

—  M.  Steenackers,  qui  a  déjà  publié  ïllistoire  des  Postes  et  Télé- 
graphes pendant  le  siège  de  Paris,  nous  donne  avec  M.  Le  Goff  une 
Histoire  du  gouvernement  de  la  Défense  nationale  en  province  (Char- 
pentier). Le  premier  volume  nous  conduit  jusqu'au  9  octobre.  On  y 
trouve  beaucoup  de  fastidieux  bavardages,  mais  aussi  beaucoup  d'anec- 
dotes qui  ont  leur  prix,  et  le  livre  reproduit  fidèlement  le  désordre 
d'idées,  de  sentiments  et  d'actions  qui  régnait  en  France  à  cette  triste 
époque. 


47S  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

—  Les  souvenirs  de  Sylvanecte  sur  la  Cour  impériale  à  Compiègne 
(Charpentier)  sont  loin  d'avoir  le  même  intérêt.  Quelques  anecdotes 
piquantes  ne  suffisent  pas  à  faire  un  livre.  Ce  que  ce  volume  contient 
de  plus  intéressant,  ce  sont  les  renseignements  sur  l'organisation  des 
Chevaliers  de  Saint- Jean  en  Allemagne. 

—  Nous  recommandons  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  notre  déve- 
loppement colonial  le  livre  très  important  que  viennent  de  publier 
MM.  Neuville  et  Bréard  sur  les  Voyages  de  Savorgnan  de  Drazza 
(Berger-Levrault).  Les  auteurs  se  sont  modestement  effacés  devant  des 
documents  officiels  qu'ils  ont  été  admis  à  publier.  A  l'exception  d'une 
courte  et  substantielle  introduction  sur  l'histoire  de  la  colonisation 
européenne  entre  le  Congo  et  le  Sénégal,  et  une  notice  sur  les  missions 
européennes  dans  la  même  région,  le  volume  ne  contient  que  les  docu- 
ments officiels  relatifs  aux  deux  voyages  de  M.  de  Brazza,  et  en  parti- 
culier les  lettres  et  rapports  du  courageux  explorateur,  et  les  relations 
du  voyage  de  deux  missionnaires,  le  R.  P.  Augouard  et  M.  Holraan 
Bentley,  à  Stanley  Pool.  —Il  est  peu  de  lectures  aussi  attachantes  que 
celle  des  lettres  de  M.  de  Brazza.  Il  est  impossible  de  réunir  plus  de 
courage,  d'intelligence  et  de  désintéressement. 

Livres  nouveaux.  —  Documents.  —  Re'det  et  Richard.  Inventaire-sommaire 
des  archives  iléparlementales  de  la  Vienne  antérieures  à  1790.  Archives  ecclé- 
siastiques: série  G.  Poitiers,  imp.  Tolmer.  —  Ch.  Kohler.  Les  actes  religieux 
des  prolestants  à  Paris  pendant  les  xvii''  et  xvni"  siècles.  —  Sathas.  Monu- 
menla  historiae  hellenicae  ;  t.  V.  Maisonneuve.  —  Guillotin  de  Courson. 
Pouiilé  historique  de  l'archevi^ché  de  Rennes:  t.  V.  Rennes,  Fougeray  ;  Paris, 
Haton.  —  Chronique  du  Bec  et  chronique  de  François  Carré,  puhhées  d'après 
les  mss.  3427  et  5428,  lai.,  de  la  Bibl.  nat.,  par  l'abbé  Porée.  Rouen,  Métérie 
(Soc.  de  l'hist.  de  la  Norm.).  —  Legeay.  Inventaire-sommaire  des  registres  de 
l'état  civil,  antérieur  à  1790,  des  paroisses  d'Aubigné,  Coulongé,  Lavernat, 
Sarcé,  Vaas  et  Verneil-le-Chétif.  Le  Mans,  imp.  Leguicheux-Gallienne.— Mer- 
let.  Cartulairc  de  l'abbaye  de  la  Sainte-Trinité  de  Tiron;  t.  I.  Chartres,  imp. 
Garnier  (Soc.  arch.  d'Eure-et-Loir).  —  Wurth  Paquet  et  Van  Warveke. 
Charles  de  la  famille  de  Reinacli.  Luxembourg.  —  Id.  Cartulaire  ou  recueil  des 
documents  diplomatiques  et  administratifs  de  la  ville  de  Luxembourg,  1244- 
171)5;  ibid.  —  M.  Archives  de  Clervaux;  ibid.  —  Bonne foy  et  Perrin.  Docu- 
ments relatifs  au  prieuré  et  à  la  vallée  de  Chamonix,  Haute-Savoie.  Chamonix, 
Lachevalier.  —  Lettres  de  M.  Hageneck  au  baron  d'Alstrœmer  sur  la  période 
du  règne  de  Louis  .\VI,  Charpentier, 

Histoire  locale.  —  C.  Baux.  Histoire  de  l'église  de  Montauban;  t.  II, 
3-^  période.  Montauban,  Georges  et  Ferrie;  Paris,  Bray  et  Retaux.  —  Bruas. 
La  Société  populaire  de  Saumur  en  l'an  II  et  en  l'an  III  (extrait  de  la 
Revue  de  l'Anjou).  Angers,  Germain  et  Grassin.  —  Delmas.  Le  monastère  de 
Sainte-Claire-de-Boisset  et  sa  translation  à  Aurillac,  1323-1625.  Jouaust  et 
Sigaux.  —  Deramecourt.  Le  clergé  du  diocèse  d'Arras,  Boulogne  et  Saint- 
Omer  pendant  la  Révolution,  1789-1802;  t.  I.  Arras,  imp.  Laroche;  Paris, 
Bray  et  Retaux.  —  Gilles.  Les  voies  romaines  et  massihennes  dans  le  dép.  des 
Bouches-du-Khône.  Thorin.  —  Guyaz.  Histoire  des  institutions  municipales  de 
Lvon  avant   1789.  Lvon,   Georg:    Paris,  Dentu.    —  Prompsault.    Histoire   de 


CHRONIQUE   ET   BIRLIOGRAPHIE.  ^79 

Modène  (comtal  Venaissiii),  avec  dessins  héraldiques  et  gravures.  Carpentras, 
imp.  Tourelle.  —  P.  de  Smyttere.  La  balaille  du  Val  de  Cassel,  1328.  Lille, 
imp.  Danel.  —  Frain.  Mœurs  cl  coulumes  des  familles  bretonnes  avant  1789; 
t.  III,  1'"'  partie  :  les  archives  d'un  éclievin  de  Rennes;  2"'  partie  :  les  archives 
d'un  échevin  à  Vitré.  Rennes,  Plihon.  —  Lepage.  Sur  l'organisation  et  les  ins- 
lilulions  militaires  de  la  Lorraine.  Berger- Levrault. 

Biographies.  —  /.  de  Bourrousse  de  LafJ'ore.  Nobiliaire  de  Guyenne  et  de 
Gascogne,  revue  des  familles  d'ancienne  chevalerie  ou  anoblies  de  ces  pro- 
vinces, antérieures  à  1789;  t.  IV.  Bordeaux,  Ferel  :  Paris,  Champion.  —  A.  de 
BoisUsle.  Histoire  de  la  maison  Nicolay.  Pièces  jusliticalives,  l.  I.  Nogent-le- 
Rolrou,  imp.  Gouverneur.  —  Maisire.  Histoire  de  la  maison  de  Dampierre. 
Palmé.  —  Lallemend  et  Boinette.  Jean  Errard,  de  Bar-le-Duc,  premier  ingé- 
nieur du  très  chrestien  roy  de  France  et  de  Navarre  Henry  IV;  sa  vie,  ses 
œuvres,  sa  forlificatioa.  —  Lagrange.  Vie  de  Mgr  Dupanloup.  Poussielgue, 
3  volumes. 

Grande-Bretagne.  —  La  Camdeti  Society  a  décidé  de  publier,  pour 
l'exercice  de  1884-85  :  i°  les  documents  relatifs  à  la  publication  du 
second  Prayer-book  d'Edouard  VI,  publiés  par  M.  Pocock  ;  2°  les 
Mémoires  politiques  du  cinquième  duc  de  Leeds,  1774,  publiés  par 
M.  Browning;  3°  des  Extraits  des  Lauderdale  papers,  t.  II,  publiés  par 
M.  Airy.  Aux  ouvrages  en  préparation,  on  a  ajouté  un  récit  de  la  guerre 
d'Irlande  après  la  révolte  de  1642,  dû  à  la  plume  du  colonel  Plunket, 
officier  catholique  sous  les  ordres  du  marquis  d'Ormond. 

—  Le  second  volume  du  Calendar  of  documents  relating  to  Scotland, 
préparé  par  M.  J.  Bain,  va  bientôt  paraître.  Il  embrasse  tout  le  règne 
d'Edouard  I*^""  et  contient  un  document  de  grande  importance  histo- 
rique :  le  Ragman  RoU,  rouleau  où  sont  enregistrés  les  hommages 
prêtés  en  1296  par  le  clergé,  les  nobles,  les  propriétaires  et  les  bourgs. 

—  D'une  note  publiée  par  M.  Matthew  dans  VAcade^ny  du  7  juin 
dernier  sur  l'orthographe  véritable  du  nom  de  Wyclif,  il  résulte  que  ce 
nom  est,  dans  les  documents  du  temps,  écrit  de  cinq  ou  six  manières 
différentes  :  Wyclif,  Wycliff,  WycklilY,  Wycliffe,  Wichf  ;  une  seule 
fois  peut-être  Wyclefe.  Voilà  qui  peut  justifier  toutes  les  orthographes 
possibles.  Le  mieux  serait  encore  de  donner  à  ce  nom  sa  forme  actuelle  : 
John  (du  village  de)  Wycliffe  ;  la  société  chargée  de  publier  les  œuvres 
du  célèbre  hérésiarque  a  pris  le  nom  de  Wyclif  Society. 

—  La  nouvelle  édition  des  Chronica  majora  de  Mathieu  Paris  (Rolls 
séries)  est  enfin  terminée  :  M.  Luard  vient  de  publier  le  t.  VII  et  der- 
nier. Il  contient  une  préface,  trop  brève  à  notre  gré,  sur  la  composition 
de  la  chronique  et  sur  l'autorité  de  son  témoignage  ;  un  très  précieux 
index,  qui  rendra  aux  historiens  les  plus  grands  et  les  plus  durables 
services;  un  glossaire  que  l'on  aurait  pu  facilement,  soit  abréger,  soit 
augmenter  ;  enfin  une  longue  liste  à' Errata  et  à' Addenda,  où  l'on  pour- 
rait se  donner  le  facile  plaisir  de  marquer  des  lacunes.  Mais  l'ensemble 
de  ce  travail  mérite  les  plus  grands  éloges. 

—  M.  S.  R.  G-ARDiNER  vient  aussi  de  terminer  la  nouvelle  édition  de 
son  excellente  History  of  Englaiid,  1603-1642,  en  10  vol.  (Longmans). 


480  CHRONIQUE    ET    lUBLlOGRAPHrE. 

—  M.  Thorold  Rogers  vient  de  donner  une  sorte  de  remaniement  de 
son  grand  ouvrage  sur  l'histoire  de  l'Agriculture  et  des  prix  en  Angle- 
terre, sous  le  titre  :  Six  centuries  of  work  and  wages  ;  il  y  a  supprimé 
tout  appareil  critique  et  les  statistiques  qui  remplissaient  la  moitié  du 
premier  ouvrage.  Par  un  artifice  de  librairie  qu'on  nous  permettra  de 
trouver  au  moins  singulier,  l'ouvrage  est  découpé  en  deux  tomes, 
bien  qu'il  n'atteigne  pas  en  tout  six  cents  pages.  Le  t.  I  s'arrête  à  la 
page  30'j,  au  beau  milieu  d'une  phrase.  C'est  un  moyen  ingénieux  pour 
extorquer  aux  gens  30  francs  au  lieu  de  \h  (Londres,  Swan  Son- 
nenschein). 

—  La  librairie  Longmans  vient  de  faire  paraître  sous  ce  titre  :  A 
history  of  Ihe  kniglUs  of  Malta,  or  the  order  of  S^  John  of  Jérusalem, 
une  nouvelle  édition  de  l'Histoire  des  chevaliers  de  Malte,  due  à  la 
plume  du  major  Whitworth  Porter,  dont  la  première  édition  date 
de  18.58.  Ce  résumé  de  l'histoire  de  l'ordre  de  Saint-Jean,  très  favora- 
blement accueilli  à  son  apparition,  a  été  réduit  en  un  volume  de  xiv- 
744  p.  in-8'',au  lieu  des  deux  volumes  qu'il  comprenait  originairement, 
mais  le  fonds  du  livre  reste  le  même,  quoique  les  chapitres  aient  été 
autrement  divisés  et  que  la  nouvelle  édition  renferme  quelques  addi- 
tions. L'histoire  de  cet  ordre  célèbre  a  fait,  depuis  vingt-cinq  ans,  de 
grands  progrès,  dont  l'auteur  n'a  pas  toujours  su  profiter  autant  qu'il 
Taurait  pu.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  public  érudit,  surtout  le  public  anglais 
qui  est  resté  un  peu  en  dehors  du  mouvement  scientifique  auquel  les 
Hospitaliers  ont  donné  naissance,  accueillera  avec  faveur  un  livre  écrit 
avec  facilité  et  résumant,  dans  ses  grandes  lignes,  les  fastes  d'un  Ordre 
qui  intéresse  spécialement  les  possesseurs  d'une  île,  dernier  séjour  des 
chevaliers  de  Saint- Jean. 

Allemagne.  —  Le  17  mars  dernier,  est  mort  à  Munster  le  docteur 
A.  BispiNG,  qui  publia  en  1845  les  Canones  et  décréta  s.  concilii  triden- 
tini.  —  Le  5  avril,  est  mort  à  Berlin  le  directeur  du  cabinet  royal  des 
médailles,  le  D""  Julius  Friedlaender.  Parmi  ses  nombreux  travaux  de 
numismatique  et  d'histoire,  notons  ceux  sur  les  monnaies  de  l'ordre  de 
Saint-Jean  de  Jérusalem  (1843), des  Ostrogoths  (1844), des  Vandales  (1849), 
sur  les  monnaies  osques  (1850),  et  deux  ouvrages  récents  :  Markgraf 
PhJlipp  i:un  Brandenburg  und  die  Grasfin  Salmour  (1881),  enfin  Die  ita- 
lianischen  Schaumilnzen  des XV'^  Jahrhunderts  (1880-82).  —  De  M.  G.  He- 
ROi.B,  professeur  à  Munich,  décédé  le  14  avril  à  soixante-quatorze  ans, 
nous  avons  des  Ikitraege  :uv  Kenntniss  des  griechischen  Landes  und  Vœlkes 
in  Briefen  (1839).  —  Le  15  mai,  est  mort  à  Munich  M.  Georg  Kolu.  Né  à 
Spire  en  1808,  il  était  en  1848  bourgmestre  de  sa  ville  natale,  et  fut 
choisi  comme  député  à  l'Assemblée  nationale  de  Francfort;  en  1849,  il 
entra  au  Landtag  bavarois,  dont  il  fit  partie  jusqu'en  1870.  Il  était 
démocrate  fédéraliste,  et  fit  une  vive  opposition  à  l'unité  germanique. 
Sans  compter  plusieurs  ouvrages  de  statistique,  il  a  écrit  une  Kultur- 
gcschiclUe  der  Menschlieit,  dont  on  prépare  une  seconde  édition  ;  un 
traité  sur  les  inconvénients  des  armées  permanentes;  un  ouvrage  (sous 


CHRONIQUE    ET   BIBLIOGRAPHIE.  Â8\ 

le  pseudonyme  de  Broch)  sur  Kaspar  Hausor,  ce  personnage  mystérieux 
qu'il  croyait  fermement  appartenir  à  la  maison  princière  de  Bade. 

—  M,  W.  Maurenbrecher  ,  professeur  d'histoire  à  l'université  de 
Bonn,  a  été  appelé  à  Berlin.  —  Le  D""  W.  Sickel  a  été  appelé  de  la 
faculté  de  droit  de  Gœttingue  à  celle  de  Marbourg. 

—  Le  37"  congrès  des  philologues  allemands  se  réunira  du  l^^  au 
4  oct.  à  Dessau. 

—  La  Société  Jablonowski  de  Leipzig  a  couronné  un  ouvrage  de 
M.  Robert  Poehlmann,  de  l'université  d'Erlangen,  sur  les  excès  dépopu- 
lation dans  les  grandes  villes  de  l'antiquité.  La  Société  a  prorogé  jus- 
qu'en 1885  le  concours  sur  les  Regestes  des  rois  de  Pologne  depuis  le 
couronnement  de  Przemislaw  II,  jusqu'à  la  mort  du  roi  Alexandre 
(1295-1506). 

—  LeD'"KarlKEHRBAGHa  tracé  le  plan  d'une  publication  de  Monumenta 
Germanicae  paedagogica  ;  la  première  partie  doit  contenir  les  décrets 
relatifs  aux  écoles  ;  la  seconde,  les  plus  estimés  parmi  les  livres  sco- 
laires ;  la  troisième,  des  mémoires,  correspondances,  etc.,  relatifs  à  la 
pédagogie  d'après  le  moyen  âge  ;  la  quatrième,  des  études  approfondies 
sur  l'histoire  de  la  pédagogie. 

—  La  direction  centrale  des  Monumenta  Germaniae  a  publié  dans  le 
courant  de  l'année  dernière  les  Ausonii  opiiscula,  publ.  p.  G.  Schenkel 
(2'=  part,  du  t.  V  des  Script,  antiquissimi)'^  Q.  Aurelli  Symmachi  quae 
supersunt,  par  O.  Seeck  (l'"e  part,  du  t.  "VI;  les  Alcimi  Ecdicii  Aviti 
Viennensis  episcopi  opéra,  par  M.  Peiper  (2^  part,  du  t.  VI).  —  Dans  la 
section  des  Scriptores,  le  t.  I^^"  des  Gregorii  Turonensis  opéra,  par 
W.  Arndt;  le  t.  XIV  de  l'édition  in-fol.;  la  Vita  Anskarii,  auctore 
Rimberto,  pub.  par  G.  Waitz  dans  la  collection  scolaire  in-8°.  —  Dans  la 
section  des  Leges,  le  2^  fasc.  du  t.  V.  de  l'édit.  in-fol.  —  Dans  celle  des 
Antiquitates,  le  t.  II  des  Poetae  latini  aevi  Caroiini.  —  M.  Mommsen 
a  envoyé  à  l'imprimeur  la  seconde  partie  des  œuvres  de  Fortunat. 
M.  Krusch  est  chargé  de  publier  Frédégaire.  On  prépare  pour  le  t.  XV 
des  Scriptores  des  Vies  de  l'époque  carolingienne,  auquel  travaille 
M.  Holder-Egger.  Il  est  déjà  parvenu  à  constater  que  la  Vita  Lulli  est 
l'œuvre  de  Lambert  de  Hersfeld,  et  que  la  forme  primitive  de  cette  bio- 
graphie est  fournie  par  un  ms.  de  la  bibliothèque  de  Wallenstein  à 
Maihingen  ;  la  Vita  Benedicti  Anianensis,  les  Gesta  Aldrici  cenomannensis 
entreront  dans  ce  volume.  On  travaille  aussi  activement  au  t.  XXVII, 
qui  doit  contenir  des  extraits  de  chroniqueurs  anglais,  flamands  et  ita- 
liens du  xri^  et  du  xiu''  s.  — Dans  la  section  des  Diplomata,  les  diplômes 
d'Otton  I^f,  réunis  par  M.  Sickel,  sont  entièrement  imprimés;  les  tables 
manquent  encore.  M.  Fanta  est  chargé  des  diplômes  d'Otton  II  et  III. 
Le  t.  II  des  Acta  imperii,  par  M.  Winkelmann,  est  presque  achevé. 

—  Un  nouveau  demi-volume  de  la  Deutsche  Verfassungsgeschichte  de 
M.  Waitz  vient  de  paraître;  c'est  la  l""*^  partie  du  t.  IV,  portant  le  sous- 
titre  :  Die  Verfassung  des  frankischen  Reichs,  Bd.  III,  2^  édition  :  Die 

Rev.  Histor.  XXV.  2«  fasc.  31 


482  CHRONIQUE    ET    BIBLIOGRAPHIE. 

Karolingische  Zeit,  2"=  partie.  Il  comprend  les  chapitres  vi  :  l'Adminis- 
tration et  surtout  les  finances,  et  vu  :  Bénéfices,  vassalité,  immunité  ; 
classes  de  la  société.  Ce  dernier  chapitre,  comme  on  le  voit,  ne  traite 
rien  moins  que  la  grosse  question  des  origines  du  système  féodal.  (Ber- 
lin, Weidmann.) 

—  Voici  un  livre  destiné  à  rendre  des  services  à  l'homme  d'État,  au 
jurisconsulte  et  à  l'historien  :  le  Handbuch  cler  deutschen  Verfassungen 
par  le  D""  Félix  Stoerk,  professeur  de  droit  à  Greifswald  (Leipzig,  Dunc- 
ker  et  Ilumblot)  ;  c'est  le  recueil  des  lois  constitutionnelles  relatives  à 
l'empire  d'Allemagne  et  des  États  confédérés  tels  qu'ils  sont  actuelle- 
ment constitués.  Il  est  divisé  en  vingt-quatre  chapitres  consacrés  à  l'em- 
pire allemand,  aux  vingt  États  et  aux  trois  villes  libres  et  hanséatiques 
qui  le  composent  ;  chacun  d'eux  précédé  d'un  court  résumé  historique, 
et  suivi  du  texte  même  des  lois,  sans  commentaires. 

—  La  commission  de  l'Académie  royale  des  sciences  de  Berlin,  char- 
gée de  publier  la  correspondance  politique  de  Frédéric  le  Grand,  a 
protesté  contre  l'accusation  portée  contre  elle  par  le  duc  de  Broglie,  dans 
la  Revue  des  Deux-Mondes  du  1"  avril  dernier,  d'avoir  omis  à  dessein 
tout  ce  qui  rappelait  Voltaire  et  son  rôle  à  Berlin.  M.  le  duc  de  Broglie, 
dans  une  réponse  parue  le  l6''juin,  a  reconnu  que  son  affirmation  était 
trop  absolue,  mais  prouvé  que  son  accusation  n'était  pas  tout  à  fait 
injuste. 

Livres  nouveaux.  —  .\ntiquité.  —  Schœnemann.  De  cohortibus  Roma- 
noruin  auxiliariis.  2"^  partie.  Berlin,  Mayer  et  Millier  —  Schleusinger .  Sludie 
zii  Caesar's  Rheiiibriicke.  Munich,  Lindaiier.  —  Reuter.  Die  Rœmer  im  Mat- 
tiakerland.  Wiesbaden,  Niedcr.  —  Thurm.  De  Romanorum  legatis  reipublicae 
liberae  lemporibus  ad  esteras  nationes  raissis.  Leipzig,  Fock. 

Histoire  générale.  —  Von  Schubert.  Die  Unterwerfung  der  Alamannen 
unter  die  Fraukcn.  Strasbourg,  Trùbner.  —  Von  Druffel.  Monumenta  Tri- 
deulina.  Beitraege  zur  Geschichlp  des  Coneils  von  Trient.  Munich,  Akad.  der 
Wissens.  —  Th.  Fœrster.  Ambrosius,  Bischof  von  Mailaiid.  Halle,  SUien.  — 
Cuba.  Der  deuische  Reichstag,  911-925.  Leipzig,  Veit.  —  Millier.  Polilische 
Geschichte  der  Gegenwart.  Das  Jahr  1883.  Berlin,  Springer.  —  Zirmner.  Kel- 
tische  Sludien.  "l"  fasc.  Berlin,  Weidmann.  —  Meyer.  Die  Handwerkerpolitik 
des  Grossen  Kurfiirsten  iind  Kœnig  Friedrich's  I.  Minden,  Bruns.  —  Fenner. 
Zwingll  als  Patriol  und  Poliliker.  Frauenfeld,  Huber.  —  Seinecke.  Geschichte 
des  Volkes  Israël.  Theil  H.  Gœtlinguc,  Vandenhœck.  —  Prinz.  Studien  ùber 
das  VerhujUniss  Frislands  zu  Kaiser  und  Reich  ;  insbesondere  iiber  die  frisis- 
chen  Grafen  iin  Mitlelaller  Euiden,  Haynel.  —  Kehl.  Das  Leben  und  die 
Lehre  des  Muhamined.  Theil  I.  Leipzig,  Schulze. 

Histoire  locale.  —  Weissenborn.  Acten  der  Erfurter  Universilajt.  Halle, 
Hendel.  —  Mayer.  Die  Kirchenhoheitsrechte  des  Kœnigs  von  Bayern.  Munich, 
Rieger.  —  G/'Hft/iapen.' Geschichte  Schlesiens;  livr.  2-4.  Gotha,  Perthes.  — 
Jacobs.  Geschichte  der  in  der  preussischen  Provinz  Sachsen  vereinigten  Ge- 
biete;  livr.  2-3;  ibid.  —  Wachenfeld.  Die  politischen  Beziehungen  zwischen 
den  Fiirsten  von  Brandenburg  und  Hessen-Kassel  bis  zura  Anfange  desSOjtehr. 


CHRONIQUE    ET    IlIIiHOGRAPHIE.  ^S3 

Krieges.  Hersfeld,  Ilœhl.  —  Uehjel.  Kiirsfïirst  Joscf  Klemens  von  Kœlii,  und 
das  Project  einer  Ablretung  Bayeras  an  Œsterreicb,  1712-15.  Munich,  Straub. 
—  Bissinger.  Uebersiclit  iiber  Urgescliichte  und  Altertbumer  des  badisciien 
Landes.  Carlsruhe,  IJielefeld.  —  Von  Weech.  Codex  diploniaticus  Salemitanus. 
Urkundenbuch  der  Cislerzienserablei  Salem.  Bd.  II,  2°  Liefer.  Carlsruhe, 
Braun.  —  Neuling.  Schlesiens  ailtcrc  Kirchen  und  kirchliche  Stiftungen  nach 
ihren  frûhesten  urkundiichen  Erwa'hnungen,  Breslau.  Max.  —  Von  Grïinhacjcn. 
Regesten  zur  schlesischen  Geschicble;  ibid.  —  Fleischfresser.  Die  polilische 
Stellung  Hamburgs  in  der  Zeit  des  30  ji«hr.  Krieges.  Bd.  II,  1G27-29.  — 
Wœrner  et  Ueckmann.  Orts-  und  Landesbefestigungen  des  Miltelalters  mit 
Riicksicht  auf  Hessen  und  die  benachbarten  Gebiele.  Mayence,  Faber. 

Autriche-Hongrie.  —  Sous  les  auspices  des  archiducs  Albreclit  et 
Willielm,  fils  du  célèbre  archiduc  Charles,  paraîtra  bientôt  un  ouvrage 
détaillé  sur  cet  éminent  homme  de  guerre,  par  des  historiens  militaires 
distingués  :  M.  R.  von  Zeissberg,  pour  la  partie  biographique,  le  major 
Angeli,  pour  les  faits  militaires.  M.  Walcher  donnera  un  choix  des  écrits 
dus  à  la  plume  de  l'archiduc. 

Livres  nouveaux.  —  Bullarium  ordinis  fratrum  minorum  S.  Francisci  Capu- 
cinorum;  continuationis  tomus  II.  Insbruck,  Wagner. —  Bellagi.  Wallenstein's 
kroatische  Arkebusiere,  1622-26.  Budapest,  Kilian.  —  Historiae  hungaricae 
fontes  domestici.  Pars  I,  Scriptores,  vol.  III  :  Chronicon  Dubnicense.  Leipzig, 
Brockhaus. 

Belgique.  —  M.  Théodore  Juste,  l'infatigable  historien  qui  est  d'une 
fécondité  sans  égale  en  Belgique,  vient  de  publier  deux  œuvres  nouvelles, 
La  Révolution  brabançonne  et  La  République  belge  de  1790  (Bruxelles, 
Lebègue,  326  et  360  p.  in-8°). 

—  M.  Alph.  Wautebs,  archiviste  de  la  ville  de  Bruxelles,  poursuit 
avec  activité  ses  intéressantes  recherches  sur  l'histoire  de  l'école  flamande 
de  peinture  pendant  la  seconde  moitié  du  XV'^  siècle.  Le  troisième  fascicule 
a  paru  récemment  (Bruxelles,  Hayez). 

—  A  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de  l'Université  catho- 
lique de  Louvain,  qui  a  été  fêté  solennellement  en  mai  dernier,  M.  Arthur 
Yerhaeghen  a  publié  un  livre  apologétique  intitulé  Les  cinquante  der- 
nières années  de  l'ancienne  Université  de  Louvain,  embrassant  les  règnes 
de  Marie-Thérèse  et  de  Joseph  pendant  le  dernier  demi-siècle  de  cette 
école  fameuse,  fondée  en  1425  par  Martin  Yet,  supprimée  en  1797 
par  la  République  française,  après  la  conquête  de  la  Belgique  (Liège, 
Société  bibliographique  belge). 

—  L'Académie  royale  de  Belgique  a  enfin  accueilli  dans  son  sein 
M.  Alexandre  Henné,  l'auteur  de  V Histoire  du  règne  de  Charles-Quint 
en  Belgique  (10  vol.,  1858-1860),  qui  est  peut-être  l'ouvrage  historique  le 
plus  important  paru  en  Belgique  depuis  1830.  Le  monde  savant  rati- 
fiera le  vote  de  l'Académie,  qui  ne  s'est  fait  attendre  que  trop  longtemps. 

—  Les  quatre  dernières  livraisons  (45  à  48)  de  la  Bibliotheca  Belgica 
de  MM.  Ferd.  Vander  Haeghen  ,  Arnold  et  Vanden  Berghe  (Gand, 
J.  Vuylsteke)  contiennent  une  étude  des  plus  remarquables  sur  la  vie 


484  ceRo:^iQUE  et  bibliographie. 

et  les  œuvres  de  Jean-Baptiste  Gramaye,  d'Anvers  (1579-1635),  quia 
écrit  une  foule  d'ouvrages  historiques  et  a  eu  une  existence  très  mou- 
vementée; elles  contiennent  aussi  une  notice  tout  aussi  importante  sur 
la  vie  et  les  écrits  de  Rembert  Dodoens  ou  Dodonée,  botaniste  célèbre 
du  xvie  s.  Son  fameux  Cruijde  Boeck  (Livre  des  plantes)  fut  traduit  en 
latin,  en  français  et  en  anglais,  et  compte  parmi  les  ouvrages  qui  ont 
fondé  la  botanique.  On  trouve  encore  dans  ces  livraisons  de  la  Biblio- 
tlieca  Belgica  la  description  des  œuvres  de  Grucius,  philologue  flamand 
du  xvi«  siècle,  et  de  quelques  plaquettes  curieuses,  telles  que  la  nomen- 
clature minutieuse  des  diverses  variétés  de  voleurs  et  de  mendiants  (en 
flamand,  Anvers,  1563)  et  le  Traicté  de  l'eaue  de  talcque  blancissante,  fort 
propice  pour  nettoier  les  faces  et  les  mains  des  hommes  et  des  femmes  : 
auquel  sont  briefvement  deduictes  plusieurs  choses  plaisantes  à  lire  des  fards 
des  anciens  et  des  modernes  (Anvers,  1606). 

—  Parmi  le?  savants  à  qui  l'Université  catholique  de  Louvain  a  décerné 
le  titre  doctoral  honoris  causa  lors  de  son  récent  cinquantenaire,  nous 
remarquons  le  commandeur  de  Rossi,  conservateur  du  musée  du  Vati- 
can; Mgr  Jean  Janssen,  professeur  d'histoire  au  gymnase  de  Francfort; 
M.  Arthur-Théodore  Yerhaeghen,  l'auteur  du  livre  jubilaire  dont  il  est 
question  plus  haut;  et  M.  Léon  Gautier,  professeur  à  l'École  des 
Chartes  à  Paris. 

—  Le  second  volume  de  Les  Huguenots  et  les  Gueux,  par  M.  le  baron 
Kervyn  de  Lettenhoye,  vient  de  paraître  (Bruges,  Beyaert-Storie).  Il 
embrasse  les  années  1567  à  1572. 

—  M.  Alp.  Vandenpeereboom,  ministre  d'État,  qui  a  déjà  consacré  les 
sept  importants  volumes  de  ses  Ypriana  à  retracer  des  parties  notables 
de  l'histoire  d'Ypres,  de  ses  institutions  et  de  ses  monuments,  com- 
mence maintenant  une  série  nouvelle,  intitulée  Varia  Yprensia.  Le 
1"  fascicule  contient  Ypi'es  et  Warneton,  conflit  de  juridiction  au 
XV^  siècle  (Bruges,  de  Zuttere). 

—  Le  1'  fascicule  du  tome  VIII  de  la  Biographie  nationale,  publiée 
aux  frais  du  gouvernement  par  l'Académie  royale  de  Belgique,  va  de 
Grobhendonck  à  Gysen.  On  y  remarque  surtout  les  articles  consacrés  à 
Guillaume  le  Taciturne  et  à  Guillaume  !'•'•,  roi  des  Pays-Bas  (Th.  Juste), 
à  Guillaume,  l'auteur  du  Renard  famand  (N.  de  Pauw),  et  à  Groesbeck, 
prince-évêque  liégeois,  contemporain  de  Philippe  II  iR.  Le  Roy). 

Italie.  —  La  R.  Depiitazdone  di  storia  patria  pour  la  Romagne  a 
décidé  d'entreprendre  une  nouvelle  série  de  publications  sous  le  titre  de 
Documenti  e  studi,  laquelle  contiendra  tout  ce  qui,  de  sa  nature,  ne 
pourrait  entrer  dans  les  séries  déjà  ouvertes  des  «  Statut! ,  »  des  «  Carte,  » 
des  «  Cronache  »  ou  des  «  Atti  e  Memorie.  » 

—  La  librairie  Zanichelli  (Bologne)  va  bientôt  publier  l'importante 
correspondance  que  Magini,  professeur  d'astrologie,  d'astronomie  et  de 
mathématiques  à  Bologne,  de  1588  à  1617,  entretint  avec  les  plus 
grands  astronomes  de  son  temps. 


CHRONfQUE    ET   IIIBLIOGIIAI'IIIE.  485 

—  Le  gouvernement  allemand  a  entrepris  de  publier  les  statuts,  privi- 
lèges et  annales  de  la  nation  allemande  à  l'Université  de  Bologne,  du 
xiii®  au  xvi"  s.  Ces  pièces  seront  précédées  d'une  Histoire  de  la  nation 
allemande  à  l'Université,  par  M.  Malagola. 

—  Le  marquis  Fernando  Panciatichi  Ximenes  d'Aragon  vient  do 
faire  don  aux  archives  de  l'État  de  Florence  d'un  grand  nombre  de 
documents  manuscrits  relatifs  à  l'histoire  des  trois  derniers  siècles.  On 
en  trouvera  l'inventaire  très  succinct  dans  VArchivio  storico  italiano, 
disp.  3  de  1884;  t.  XIII. 

—  M.  Ruggiero  Bonghi  vient  de  publier  le  !«■■  vol.  d'une  histoire  de 
Rome  (Florence,  Trêves)  ;  il  comprend  la  période  des  rois  et  celle  de  la 
République,  jusqu'à  l'an  283  de  Rome. 

—  MM.  ViTELLi  et  G.  Paoli  ont  entrepris,  on  le  sait,  un  recueil  de 
fac-similés  destinés  à  l'étude  de  la  paléographie  et  de  la  diplomatique.  Il 
doit  comprendre  environ  300  .planches;  les  documents  sont  puisés 
exclusivement  dans  les  archives  et  les  bibliothèques  de  Florence.  Le 
1"  fasc.  vient  de  paraître,  sous  les  auspices  du  R.  Istituto  di  studi 
superiori  ;  il  comprend  24  planches  (Florence,  Le  Monnier). 

Livres  nouveaux.  —  Ciotti-Grasso.  Del  diritto  pubblico  Siciliano  al  tempo 
dei  Normanni.  Palerme,  lip.  dello  Statuto  (extrait  de  l'Arch.  sicil.).—  Casait. 
Cronichetta  di  Lodi  del  sec.  xv,  annotata.  Milan,  Dumolard.  —  Il  quarto  cen- 
tenario  di  Martino  Lutero;  la  sua  vita,  le  sue  opère,  e  la  sua  malefica  influenza 
in  Europa.  Palerme,  Tamburello  (extrait  de  la  Sicilia  cattolica).  —  Sllvesiri. 
De  rébus  regni  Siciliae,  documenti  inediti,  estratti  dall'  Archivio  délia  corona 
d"Aragona.  Vol.  I.  Palerme,  tip.  dello  Statuto  (publ.  par  la  Société  sicil.  di 
storia  patria).  —  Josa.  Legenda,  seu  vita  et  miracula  S.  Antonii  de  Padua, 
saec.  xni  concinnata,  et  nuncprimum  édita.  Bologne,  Mareggiani.  —  Manfrin. 
I  Veneli  salvatori  di  Roma.  Turin,  Bocca.  —  Gnecchi.  Le  monete  di  Milano 
da  Carlo  Magno  a  Vittorio  Emanuele  II,  descrilte  ed  illustrale.  Milan,  Dumolard. 
—  Martello.  La  guerra  délia  independenza  italiana.  Vol.  IV.  Turin,  Roux  et 
Favale.  —  Lodi  et  Vandini.  Catalogo  dei  mss.  posseduti  dal  rnarchese  Gius. 
Càmpori,  4°  et  5"  parties.  Modène.  —  Elenco  provvisorio  cronologico  dei  gior- 
nali  di  Torino,  1645-1883.  Turin,  Paravia  et  Vigliardi  (2"  partie  du  t.  I  de  la 
Bibliografia  storica  degli  stati  délia  monarchia  di  Savoia).  —  Cavallari  et 
Holm.  Topografia  archeologica  di  Siracusa.  Palerme,  tip.  dello  Statuto. 

Espagne.  —  M.  Andres  Balaguer  y  Merino  est  mort  à  Barcelone  le 
5  oct,  1883  à  l'âge  de  trente-cinq  ans.  On  lui  doit  un  grand  nombre  de 
monographies  relatives  à  l'histoire  et  à  la  littérature  aragonaises.  On  en 
trouvera  l'indication  dans  Vlllu.stracio  catalana  de  M.  Antonio  Aulestia, 
t.  IV,  et  une  analyse  dans  le  Polyhiblion  d'avril  1884. 

Suisse.  —  La  dernière  livraison  (vu,  2)  de  l'Histoire  du  peuple  de 
Genève,  par  M.  Amédée  Roget,  est  précédée  d'une  préface  de  M.  P.  Vau- 
cher,  à  laquelle  nous  empruntons  les  lignes  suivantes  : 

«  En  divisant,  comme  il  l'a  fait  il  y  a  cinq  ans,  en  deux  sections 

le  plan  général  de  son  livre,  Roget  prévoyait  lui-même  (t.  V,  p.  3)  que 
la  seconde  partie  de  sa  tâche  ne  serait  ni  moins  longue  ni  moins  com- 
pliquée que  la  première,  et,  dans  l'abandon  de  l'intimité,  il  avouait 
Rev.  Histor.  XXV.  2<'  fasc.  31* 


7,86  CHRO-NIQDE   ET    BIBLIOGRAPHIE. 

volontiers  ne  rien  savoir  du  nombre  de  volumes  qui  lui  serait  nécessaire 
pour  mener  à  bonne  fin  l'entreprise.  Cette  incertitude,  dont  il  n'éprou- 
vait aucun  souci,  était-elle  seulement  l'effet  d'un  mode  de  publication 
défectueux ,  et  des  occupations  diverses  entre  lesquelles  se  partageait 
une  existence  consacrée  tout  entière  au  service  de  la  patrie  ?  Ou  bien 
tenait-elle  à  la  nature  même  de  ses  travaux ,  à  son  tempérament  et  à 
ses  goûts,  à  sa  manière  d'entendre  et  d'étudier  l'histoire?  C'est  là  une 
question  qu'il  serait  malaisé  de  résoudre  et  qui  n'a  pas,  du  reste,  une 
bien  grande  importance.  Un  auteur  a  toujours  le  droit  de  faire  ce  qu'il 
veut  et  de  ne  faire  que  cela ,  pourvu  qu'il  fasse  en  réalité  ce  qu'il  a 
prorais.  Or,  il  suffit  de  parcourir  les  sept  volumes  de  Roget  pour 
s'assurer  qu'ils  répondent  fidèlement  au  dessein  qu'il  avait  formé  de 
tracer  un  tableau  aussi  exact,  aussi  complet,  aussi  détaillé  que  possible 
de  l'histoire  de  Genève  pendant  la  période  la  plus  agitée  et  la  plus  déci- 
sive de  nos  annales. 

«  L'ouvrage,  il  faut  bien  convenir,  affecte  un  peu  trop  les  allures 
d'une  simple  chronique  :  il  a  des  lenteurs  qui  sont  dues  à  la  reproduc- 
tion trop  fréquente  des  documents,  des  longueurs  qui  témoignent  d'une 
singulière  indifférence  à  l'endroit  de  la  composition  ;  mais,  en  revanche, 
de  quels  solides  mérites  ne  fournit-il  pas  la  preuve  !  Investigation  per- 
sévérante des  sources  les  plus  directes  et  les  plus  authentiques;  dis- 
cussion critique  des  faits;  redressement  incessant  des  erreurs  où  les 
panégyristes  et  les  adversaires  de  Calvin  sont  tombes  comme  à  l'envi 
les  uns  après  les  autres;  connaissance  exacte  du  caractère  genevois, 
de  SCS  qualités  et  de  ses  défauts  ;  intelligence  très  nette  des  oscillations 
perpétuelles  que  les  causes  en  apparence  les  plus  fortuites  peuvent  faire 
subir  au  mouvement  des  partis;  originalité  des  aperçus  et  indépendance 
des  jugements  :  voilà  ce  que  les  lecteurs  sérieux  de  ces  sept  volumes 
sont  depuis  longtemps  accoutumés  à  y  rencontrer.  Quand  on  a  suivi 
pas  à  pas  Roget  dans  ses  infatigables  recherches,  on  possède  par  le 
menu  la  cité  genevoise  du  xvi"  siècle,  et  l'on  a  traversé  je  ne  sais  com- 
bien de  petites  ou  de  grosses  (juerelles  sans  que  l'impartialité  de  l'his- 
torien se  soit  démentie  un  seul  instant  en  face  des  sujets  irritants  entre 
tous  qui,  durant  tant  d'années,  ont  constitué  le  fond  ordinaire  de  ses 
récits.  Je  n'oserais  affirmer,  il  est  vrai,  que  notre  excellent  ami  fût  aussi 
fort  sur  les  idées  que  sur  les  faits,  et  je  doute  que  la  théologie  assez 
vague  à  laquelle  il  inclinait  le  préparât  suffisamment  à  comprendre  la 
pensée  du  réformateur;  mais,  alors  même  qu'une  critique  pointilleuse 
trouverait  là-dessus  quelque  chose  à  redire,  il  n'en  ressortirait  pas  moins 
de  l'ensemble  du  livre  que,  si  Calvin  avait  plus  que  personne  besoin  de 
Genève  et  n'a  rien  négligé  pour  la  conquérir,  Genève,  d'autre  part,  avait 
grandement  besoin  de  Calvin ,  parce  qu'elle  devait  profiter  la  première 
de  ce  qui  a  fait  dans  le  monde  la  valeur  morale  et  la  puissance  de  son 
œuvre...  » 


LISTE    DES   LIVRES   DE'pOSE's  AU   BUREAU   DE   LA    REVUE.  4S7 

LISTE  DES  LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE. 

{Nous  n'indiquons  pas  ceux  qui  ont  été  appréciés  dans  les  Bulletins 
et  la  Chronique.) 

Douais.  Essai  sur  l'organisation  des  études  dans  l'ordre  des  Frères  Prêcheurs 
au  XIII"  et  au  xiv"  s.,  121G-13'i2.  Paris,  Picard;  Toulouse,  Privât,  xvi-285  p. 
in-8».  Prix  :  8  fr.  50.  —  Gaullieur.  Histoire  de  la  Réforme  à  Bordeaux  et 
dans  le  ressort  du  Parlement  de  Guyenne.  Tome  I.  1523-63.  Champion.  — 
Leabar  Gabala.  Livre  des  invasions,  traduit  de  l'irlandais  par  H.  Ligeray  et 
W.  O'Dwyer.  Maisonneuve,  xxii-255  p.  in-8°.  —  IIothan.  Souvenirs  diplo- 
matiques. L'Allemagne  et  l'Italie,  1870-71  ;  t.  I  :  l'Allemagne.  C.  Lévy,  400  p. 
in-8°.  Prix  :  7  fr.  50. 

Bezold.  Briefe  des  Pfalzgrafen  Johann  Casimir  mit  verwandten  Schriftstiicken, 
Bd.  II,  1582-86.  Munich,  Rieger,  476  p.  in-8".  —  Borkowskv.  Die  englische 
Friedensvermittlung  im  Jahre  1745.  Berlin,  Berggold,  127  p.  in-8°.  —  Bress- 
LAU.  Konrad  IL  Bd.  Il,  1032-39  (Jahrbiicher  des  deutschen  Reiches).  Leipzig, 
Duncker  et  Humblot,  x-603  p.  in-8°.  Prix  :  13  m.  60.  —  Hanssen.  Agrarhis- 
torische  Abhandlnngen.  Bd.  IL  Leipzig,  Hirzel,  iv-577  p.  in-8°.  —  Kœcher. 
Geschichte  von  Hannover  und  Braunschweig,  1648-1714.  Theil  L  Ibid.,  viii- 
742  p.  in-8".  —  Landau.  Rom,  Wien,  Neapel,  waehrend  des  spanischen  Erb- 
folgekrieges  ;  ein  Beitrag  zur  Geschichte  des  Kampfes  zwischen  Papstlhum 
und  Kaiserthum.  Leipzig,  Friedrich,  1885  (sic),  xx-480  p.  in-8°.  Prix  :  10  m.  — 
ScHMiTZ.  Der  englische  Investiturstreit.  —  Schrœrs.  Hinkmar,  Erzbischof  von 
Reims;  sein  Leben  und  seine  Schriften.  FribourgenB.  Herder,  xii-588p.  in-8°. 
Prix  :  12  m.  50.  —  Sepp.  Maria  Stuart  und  ihre  Ankiaiger  zu  York,  West- 
minster und  Hamptoncourt,  oct.  1568-janv.  1569.  .Munich,  Lindauer,  v-i67  p. 
in-8°.  —  Wertheimer.  Geschichte  Œsterreichs  und  Ungarns  im  ersten  Jahr- 
zehnt  des  xixten  Jahrh.  Bd.  I.  Leipzig,  Duncker  et  Humblot,  xxiii-375  p.  in-8". 

HuNT.  Norman  Britain.  Soc.  for  promoting  christ,  knowledge,  1884.  Prix  : 
2  sh.  6  d. 

BiANCHi,  La  politica  di  Massirao  d'Azeglio,  1848-59.  Documentl.  Turin,  Roux 
et  Favale,  278  p.  in-8°.  Prix  :  5  I.  —  Chiala.  C.  Cavour;  lettere  édite  ed  iné- 
dite. Vol.  III;  ibid.,  ix-419  p.  in-8°.  Prix  :  8  1.  —  A.  de  Gerbaix-Sonnaz. 
Studi  storici  sul  contado  di  Savoia  e  marchesato  in  Italia.  Vol.  I,  2"  part.; 
ibid.,  xii-209  à  522  p.  Prix  :  6  1. 


Errata  du  présent  numéro. 

Page  152.  La  dernière  phrase  de  l'art,  de  M.  Vernes  doit  être  lue  :  En  sapant 

doucement,  au  lieu  de  :  en  suivant. 
Page  184,  ligne  37,  au  lieu  de  :  Hahn,  Usez  :  Jahn. 
Page  185,  ligne  1,  «m  ^iew  rfe  .•  le  professeur  d'Iéna  proleste,  lisez  :  MM.  Kcil 

protestent. 
Page  187,  au  titre  de  l'ouvrage  de  M.  Reichensperger,  au  lieu  de  :  Parlamen- 

tarien,  lisez  :  Parlamentariers. 
Page  232,  ligne  34,  au  lieu  de  :  Lichterfeld,  lisez  :  Lichterfelde.  —  Ajouter 

à  ce  propos  que  le   principal  ouvrage  de  M.  Bernstein  est  : 

NatUrwissenschaftliche  Volksbiicher,  en  20  vol. 


488  TABLE    DES   MATIERES. 


TABLE  DES   MATIERES. 


ARTICLES  DE  FOND. 

Pages 

H.  DE  Grammont.  Études  algériennes,  l'^  partie  :  la  course  à 

Alger 1 

Ch.  MoLiNiER.  Guillem  Bernard  de  Gaillac  et  l'enseignement 

chez  les  Dominicains  à  la  fin  du  xni«  siècle ....  241 

MÉLANGES  ET  DOCUMENTS. 

A.  Babeau.  De  l'armement  des  nobles  et  des  bourgeois  au 

xvii"  s.  dans  la  Champagne  méridionale 288 

.].  Flammermont.  Les  papiers  de  Soulavie 107 

R.  PL\MMONn.  Le  rétablissement  des  relations  diplomatiques 
entre  la  France  et  la  Prusse  après  la  guerre  de  Sept 

ans 69 

J.  Havet.  Mémoire  adressé  à  la  dame  de  Beaujou  sur  les 
moyens  d'unir  le  duché  de  Bretagne  au  domaine  du 

roi  de  France 275 

Alf.  Stern.  Documents  inédits  relatifs  au  1^^  Empire;  fin  ,     .  82 

TiviER.  Relations  de  la  France  et  de  la  Franche-Comté  pendant 

la  Fronde.  Négociations  de  Jean  de  Mairet  ....  43 

M.  TouRNEux.  Diderot.  Essai  historique  sur  la  police.     .     .     .  298 

E.  Wertheimer.  Documents  inédits  relatifs  à  Marie- Antoinette  322 

CORRESPONDANCE. 

Lettres  de  M.  Aug.  Prost  et  de  M.  Fustel  de  Coulanges  sur 

l'Immunité  mérovingienne 357 

BULLETIN  HISTORIQUE. 

Angleterre  (moyen  âge),  par  J. -G.  Black 132 

Danemark,  par  J.  Steenstrup 391 

France,  par  G.  Monod  et  Ch.  Bémont 118,359 

Roumanie,  par  Al.  Xénopol 374 

COMPTES-RENDUS  CRITIQUES. 

Beautemps-Beaupré.   Coutumes  et  institutions  de  l'Anjou  et 

du  Maine  antérieures  au  xvi"  s 161 

Bernays.    Schicksale   des   Grossherzogthums  Frankfurt  und 

seiner  Truppen 185 

Bezold.  Briefe  des  Pfalzgrafen  Johann  Casimir 425 

BoisLisLE  (A.  de).  Mémoires  des  intendants  sur  les  généralités  173 

Caron.  Monnaies  féodales  françaises 165 


TABLE   DES   MATIERES.  489 

Pages 

Fahlbeck.  La  royauté  et  le  droit  francs  (486-614) 158 

Fraknoi.  Monumenta  comitalia  regni  Hungariae 415 

JopL.  Blicke  in  die  Religionsgeschichte 407 

Kaltner.  Konrad  v.  Marburg  u.  d.  Inquisition  in  Deutschland  408 

Keil.  Die  Griindung  der  deutsclien  Bursclienscliaft  in  Jena    .  183 

Labanca.  Marsilio  da  Padova 166 

LossEN.  Der  Kœlnische  Krieg 171 

Madvig.  L'État  romain 152 

Margerie  (A.  DE).  Le  comte  Joseph  de  Maistre 181 

MATraïASS.  Die  rœmisclie  Grundsteuer  und  das  Yectigalrecht  406 

Nagy.  Codex  diplom.  liungaricus  andegavensis 415 

Pfitzner.  Geschiclite  der  rœmisclien  Kaiserlegionen  .     ...  156 

PicTON.  Oliver  Cromwell 188 

Publicationen  aus  den  k.  preussischen  Staatsarchiven.  IV.  .  177 
Reichensperger.   Erlebnisse   eines  alten  Parlamentariers   im 

Revolutionsjahre  1848 187 

Reumont  (A.  von).  Kleine  historische  Schriften 169 

RoosEs.  Christophe  Plantin,  imprimeur  anversois 427 

Sgaduto.  Stato  e  chiesa  negli  scritti  politici,  1122-1347  ...  166 
ScHLECHTA-WssEHRD.    Die   Revolutiouon  in   Gonstantinopel , 

1807-1808 179 

SiCKEL.  Das  Privilegium  Otto  I  fiir  die  rœmische  Kirche,  962.  161 

Smith.  The  prophets  of  Israël 151 

SziLAGYi.  Monumenta  comitalia  regni  Transylvaniae  .  ...  415 
ToNiOLO.  Dei  remotti  fattori  délia  potenza  economica  di  Firenze 

nel  medio  evo 418 

VizANTi.  Veniarain  Costache,  metropolit  Moldovei     ....  186 

Wagker.  Der  Reichstag  unter  den  Hohenstaufon 417 

WiERZBOwsKi.  Christophori  Varsevicii  opuscula  inedita  .     .     .  190 

LISTE  ALPHABÉTIQUE  DES  RECUEILS  PÉRIODIQUES 

ET   DES   SOCIÉTÉS    SAVANTES. 
FRANCE. 

1.  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres 203,446 

2.  Académie  des  Sciences  morales  et  politiques  ....  204,446 

3.  Archives  des  missions  scientiliques  et  littéraires .     .     .  198 

4.  Archives  historiques  du  Poitou 443 

5.  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes 193,436 

6.  Bulletin  critique 196,438 

7.  Bulletin  d'archéologie  chrétienne 440 

8.  Bulletin  de  correspondance  africaine 443 

9.  Bulletin  de  correspondance  hellénique 196,441 

10.  Bulletin  de  la  Réunion  des  Officiers 443 

11.  Bulletin  d'histoire  ecclésiastique  (Romans)     ....  203,444 

12.  Le  Cabinet  historique 194,437 

13.  Comité  des  Travaux  historiques  et  scientifiques  .     .     .  199,439 


/,;)0  TABLE   DES   MATIERES. 

Pages 

14.  Comité  d'histoire  vosgienne 451 

15.  Le  Contemporain 201,442 

16.  La  Controverse  religieuse  et  le  Contemporain     ...  443 

17.  Le  Correspondant 201,442 

18.  Le  Journal  des  Savants 198,441 

19.  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire 197 

20.  La  Nouvelle  Revue 201,442 

21.  Nouvelle  Revue  historique  de  droit 199,439 

22.  Polybiblion 196,443 

23.  Répertoire  des  Travaux  historiques 439 

24.  La  Révolution  française 200,439 

25.  Revue  africaine 202,444 

26.  Revue  archéologique 194,440 

27.  Revue  bourbonnaise 202 

28.  Revue  critique '194 

29.  Revue  de  l'Agenais 202,444 

30.  Revue  de  l'Art  français 201 

31.  Revue  de  Réarn,  Navarre  et  Landes 444 

32.  Revue  de  l'Extrême  Orient 443 

33.  Revue  de  Gascogne 203,445 

34.  Revue  de  géographie 439 

35.  Revue  de  l'Histoire  des  Religions 198,439 

36.  Revue  des  Deux-Mondes 200,441 

37.  Revue  des  Études  juives 445 

38.  Revue  des  Questions  historiques 192 

39.  Revue  générale  de  droit 199 

40.  Revue  historique  et  archéologique  du  Maine  ....  202,445 

41.  Revue  politique  et  littéraire 200 

42.  Société  archéologique  de  Tarn-et-Garonno 206, 450 

43.  Société  d'archéologie  lorraine 450 

44.  Société  d'émulation  de  l'Ain 450 

45.  Société  de  l'Histoire  de  France 206 

46.  Société  de  l'Histoire  de  Normandie 450 

47.  Société  de  l'Histoire  de  Paris 205,448 

48.  Société  de  l'Histoire  du  protestantisme  français  .     .     .  206,448 

49.  Société  des  Anciens  Textes  français 207,448 

50.  Société  des  Antiquaires  de  Normandie 449 

51.  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest 207 

52.  Société  des  Études  juives  (Annuaire) 445 

53.  Société  historique 205 

54.  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France  .     .     .     .  204,447 

55.  Le  Spectateur  militaire 201,443 

ALSACE-LORRAINE. 

1.  Revue  d'Alsace ^^'^ 

BELGIQUE. 

1,  Messager  des  sciences  historiques  de  Belgique    .     .     .  207 


TABLE   DES   ÎIATTÈRES.  ^^^ 

Pages 

ALLEMAGNE. 

1.  Annalen  des  histor.  Vereins  f.  Niederrhein    ....  461 

2.  Archiv  fur  Anthropologie ^^' 

3.  Archiv  fur  Frankfurts  Geschichte  und  Kunst.     .     .     .  459 

4.  Archiv  fur  katolisches  Kirchearecht 211,456 

5.  Archivalische  Zeitschrift ^^^ 

6.  AufderHœhe -^J 

7.  Baierische  Akademie  der  Wissenschaften 215 

8.  Beitraege  zur  Anthropologie  und  Urgeschichte  Baierns.  458 

9.  Deutsche  Revue 211^ 

10.  Deutsche  Rundschau 209, 453 

11.  Diœcesan-Archiv  der  Diœcese  Freiburg 459 

12.  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte 208 

13.  Geschichtsblaetter  fur  Magdeburg 214 

14.  Gœrres-Gesellschaft 453     ^ 

15.  Gœttingische  gelehrte  Anzeigen 209, 452 

16.  Hermès 209 

17.  Historische  Zeitschrift 207,451 

18.  Historischer  Verein  zu  Heilbronn 460 

19.  Jahrbûcher  f.  die  deutsche  Armée  und  Marine   ,     .     .  210 

20.  Jahrbûcher  fur  Meklemburgische  Geschichte.     ...  213 

21.  ililitserische  Blaetter 210 

22.  Mittheilungen  d.  Vereins  f.  Geschichte  in  Hohenzollem  460 

23.  Mûnster-Blaetter 460 

24.  Neue  Beitrsege  zur  Geschichte  d.  d.  Aiterthums .     .     .  457 
2o.  Neue  Jahrbûcher  f.  Philologie  u.  Psedagogik.     .     .     .  210 

26.  Neues  Archiv 452 

27.  Neues  Archiv  f.  Saechsische  Geschichte 458 

28.  Neues  Lausitzisches  Magazin 458 

29.  Nord  und  Sud 211,457 

30.  PhUoIogus 455 

31.  Preussische  Jahrbûcher  . 212 

32.  Rheinisches  Muséum  fur  Philologie 455 

33.  Saechsische  Gesellschaft  der  Wissenschaften  ....  457 

34.  Schau  in's  Land 460 

35.  Theologische  Studien  und  Kritiken 211,456 

36.  Verhandlungen  d.  histor.  Vereins  f.  Niederbaiern  .     .  215 

37.  Wûrttembergische  Viertelsjahrhefte  f.  Landeskunde   .  214,458 

38.  Zeitschrift  der  d.  morgeulîend.  Gesellschaft    ....  212 

39.  Zeitschrift  des  Aachener  Geschichtsvereins    ....  213 

40.  Zeitschrift  des  Harz- Vereins  f.  Geschichte 212 

41.  Zeitschrift  des  hist.  Vereins  f.  Schwaben  u.  Neuburg  .  214 

42.  Zeitschrift  f.  aegj-ptische  Alterthumskunde 213,455 

43.  Zeitschrift  fur  deutsche  Philologie 210 

44.  Zeitschrift  f.  d.  Geschichte  des  Oberrheins 460 

45.  Zeitschrift  fur  vergleichende  Rechtswissenschaft     .     .  456 


492  TABLE   DES   MATIERES. 

Pages 

AUTRICHE -HONGRIE . 

1.  Akademie  der  Wissenschaften  (Vienne) 218 

2.  Archiv  fur  œsterreichische  Geschichte 217 

3.  Germania 218 

4.  Jahresbericht  des  Muséum- Vereins  zu  Bregenz  ...  218 

5.  Mittheilungen  der  anthropol.  Gesellschaft  (Vienne).     .  461 

6.  Mittheilungen  des  Instituts  f.  œsterreichische  Gesch.  .  216,  461 

7.  Streffleur's  œsterreichische  militeer.  Zeitschrift  .     .     .  218 

ILES    BRITANNIQUES. 

1.  TheAcademy 218,462 

2.  Tlie  Athenaeum 219,462 

3.  The  Contemporary  Review 463 

ÉTATS-UNIS. 

1.  Tlie  Nation 219,463 

ITALIE. 

1 .  Archeografo  triestino 224 

2.  Archivio  délia  Società  romana  di  storia  patria    .     .     .  221 

3.  Archivio  storico  italiano 220,464 

4.  Archivio  storico  lombardo 222 

5.  Archivio  storico  per  le  prov.  napoletane 221,464 

6.  Archivio  storico  siciliano 223,465 

7.  Archivio  storico  veneto 221,465 

8.  Studi  e  documenti  di  storia  e  diritto 465 

SUISSE. 

1 .  BoUettino  Storico  délia  Svizzera  italiana 224,466 

2.  Étrennes  chrétiennes 467 

3.  Étrennes  genevoises 467 

4.  Der  Geschichtsf'reund 466 

5.  Jahrbuch  des  histor.  Vereins  des  Kt.  Glarus  ....  466 

6.  Mémoires  de  l'Institut  national  genevois 467 

7.  Mittheilungen  der  antiquar.  Gesellschaft  in  Zurich.     .  466 

8.  Musée  neuchâtelois 466 

9.  Société  d'histoire  de  la  Suisse  romande 466 

RUSSIE. 

1.  Gelehrte  Estnische  Gesellschaft 467 

Chronique  et  Bibliographie 225,468 

Liste  des  Livres  déposés  au  bureau  de  la  Revue  ....  240, 487 

Errata 487 


L'un  des  propriétaires-gérants,  G.  Monod. 


Nogent-le-Rotrou ,  imprimerie  Daupeley-Gouverneur. 


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t. 25 


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