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REVUE
HISTORIQUE
REVUE
HISTORIQUE
Paraissant tous les deux mois.
Ne quid falsi audeat, ne quid vert non audeal historia.
CiCÉRON, de Orat. II, i5.
NEUVIEME ANNÉE.
TOME VINGT-CINQUIEME
Mai- Août 1884.
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE et G"
FÉLIX ALGAN, Éditeur
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
AU COIN DE LA RUE HAUTEFEUILLE
1884
/
Rio
ÉTUDES ALGÉRIENNES
LA COURSE, L'ESCLAVAGE ET LA REDEMPTION
A ALGER.
PREMIERE PARTIE : LA COURSE.
Depuis la fondation de la Régence d'Alger, qui eut lieu en
1515, jusqu'au commencement du xix^ siècle, personne ne navi-
gua sur la Méditerranée sans courir le risque de tomber entre les
mains des Barbaresques, dont les corsaires infestèrent les mers
pendant toute cette période. Celui auquel ce malheur arrivait
devait s'attendre à un dur esclavage, et mourait dans les fers
s'il ne lui était pas possible de payer sa rançon. On sait combien
ce fléau pesa sur les populations européennes, et l'on retrouve
aisément la trace de cette préoccupation continue dans la littéra-
ture des xvi'' et xvif siècles. D'un autre côté, on constate avec
étonnement que ce drame trois fois séculaire n'a pas rencontré
d'historien sérieux depuis le P. Dan, qui écrivait en 1637 ^
C'est ce qui nous a engagé à entreprendre cette étude, que nous
diviserons en trois parties : La Course, c'est-à-dire : comment
on tombait entre les mains des Barbaresques ; l'Esclavage, où
nous dirons dans quelles conditions vivaient les captifs ; la
Rédemption, où l'on verra comment on sortait de captivité. Il
ne sera question dans ce travail que de ce qui se pratiquait à
Alger; mais, sur toute la côte de Barbarie, les errements étaient
1. La Course et l'Esclavage n'ont eu que deux historiens : Fray Diego de
Haëdo {Topografia e hisioria gênerai de Argel, Valladolid, 1612, in-8°) et le
P. Dan {Histoire de Barbarie et de ses corsaires. Paris, 1G37, in-4°, réimprimé
en 1649 avec quelques additions). Pour la Rédemption, on peut consulter les
nombreuses Relations des religieux de la Merci et de la T. S. Trinité.
ReV. ÏIiSTOR. XXV. le'- FASG. 1
2 e.-D. DE GRAMMONT.
les mêmes, à peu de nuances près, en sorte que l'histoire d'Alger
est, à ce sujet, celle de Tanger, Tétouan, Bizerte, Tunis et
Tripoli.
La Course.
I.
La piraterie nous apparaît dans l'antiquité en même temps
que la navigation elle-même, et semble en être la compagne insé-
parable. Les premières expéditions maritimes dont les peuples
ont gardé le souvenir ne sont, au fond, que des prises de posses-
sion violentes, et les rives de la Colchide ne furent pas les seules
où de hardis Argonautes allèrent ravir des Toisons d'or. Les
récits de voyages qui nous sont parvenus nous donnent la cer-
titude que tout étranger était considéré, sur mer, comme un
ennemi, et qu'aucun navigateur ne se faisait scrupule de des-
cendre sur un rivage inconnu et d'y prendre de gré ou de force
ce qu'il y trouvait à sa convenance. Par de justes représailles, le
malheureux que la tempête jetait à terre devenait la proie du rive-
rain, et la plus dure des captivités était le moindre des maux
qu'il eût à craindre. Ce ne fut pas seulement sur les rochers de la
Chersonèse Taurique que se dressèrent des autels où le naufragé
se vit sacrifié à des divinités vengeresses : partout où la côte était
dangereuse, le voyageur courut des risques semblables, et les
sombres droits de bris et d'épaves n'ont pas disparu depuis si
longtemps de nos mœurs que nous n'ayons pu conserver la mé-
moire de ces drames affreux, où la férocité humaine se rendait
complice de la fureur des éléments. Ce fut en vain que les civili-
sations Grecque et Romaine cherchèrent à étouffer le mal ; la
piraterie, un instant comprimée, reprit un nouvel essor vers la
fin de l'Empire, et les flottilles des Normands et des Sarrazins
purent pénétrer jusqu'au cœur de l'Europe. Un peu plus tard, les
Vénitiens, les Génois et les Pisans couvraient la mer de leurs
vaisseaux, demi-marchands, demi-corsaires, et défendaient l'ap-
proche de leurs comptoirs du Levant et de la Crimée avec la
même cruauté jalouse que les Phéniciens avaient jadis montrée
sur le chemin des îles Cassitérides. Plus tard encore, les Portu-
gais et les Espagnols ne durent qu'à des actes d'un hardi brigan-
dage la conquête des trésors de Goa, du Mexique et du Pérou, et
ETUDES ALGERIENNES. 3
chacun sait que l'atrocité des moyens employés fut à la hauteur
de l'audace de l'entreprise. En résumé, et sans entrer dans des
détails que le cadre de cette étude ne comporte pas, ce ne fut
guère qu'au siècle dernier que le droit du plus fort cessa d'être la
loi suprême de la mer. Encore ne faut-il pas oublier que les
rivages les plus riches de l'extrême Orient sont infestés de pirates,
et que le temps n'est pas bien éloigné où les forbans de l'Archipel
en rendaient la navigation très dangereuse, alors que M. Alexan-
dre de Laborde racontait plaisamment que les navires de ces
bandits portaient les noms des grands hommes de l'antiquité, et
qu'un de ses amis, après s'être vu ravir ses marchandises par le
ÎPhocion, avait, deux jours après, laissé sa montre et ses vête-
ments entre les mains du capitaine de Y Epaminondas ,
Au milieu de tous ces écumeurs de mer, les Algériens se dis-
tinguent par des caractères spéciaux qui veulent être décrits à
part. C'est seulement chez eux qu'on peut voir la Course élevée à la
hauteur d'une institution sociale, protégée et réglementée par un
gouvernement régulier, qui en fit son seul moyen d'existence
pendant plus de trois siècles, et qui finit par l'absorber et la
monopoliser à son profit. Cette longue durée d'un État qui ne
vécut que d'une semblable ressource mériterait à elle seule d'ap-
peler l'attention de l'historien, quand même il ne s'y joindrait
pas un intérêt tout particulier pour nous, qui avons succédé aux
anciens dominateurs du pays.
Les premiers musulmans ne pratiquèrent pas la Course; la
mer les effrayait, et d'ailleurs, le Prophète avait dit : « Men
nezel el bahra morreyteni f'kad kefer. » (Celui qui s'embarque
deux fois sur mer est un Infidèle.) Mais, après la prise de Car-
tilage (698) , le vieux Mousa , devenu sultan de Tunis , fit
construire cent galères, en donna le commandement à son fils
Abdallah, et proclama la guerre sainte sur mer. Ce fut alors
qu'ils s'emparèrent de la Sicile, qui devint leur place d'armes,
et d'où ils répandirent leurs ravages sur le reste de la Méditer-
ranée ^ L'énorme butin qui fut fait rendit bientôt ce mode de
guerre très populaire, et les commentateurs du Koran ne tar-
dèrent pas à déclarer que nulle œuvre ne pouvait être plus
agréable à Dieu ; que le mal de mer (en Djehad) était aussi méri-
toire que la mort au combat, et, enfin, que c'était Dieu lui-même
1. Storia dei Musulmani di Sicilia, da Michèle Araari (1864).
4 H.-D. DE GRAMMONT.
qui venait recueillir les âmes de ceux qui étaient tués sur mer,
tandis que, pour les combats terrestres, il se contentait de délé-
guer l'Ange de la Mort. Nous n'avons pas à raconter ici les
ravages commis par les flottes Sarrazines, ni la répression qui
leur fut opposée. Il nous suffira de constater, qu'au moment où les
Barberousses s'emparèrent d'Alger, il n'y avait pas une petite
crique du rivage africain qui ne donnât asile à quelques cor-
saires*. Mers-el-Kebir, Bougie, Bizerte et Tunis étaient, à cette
époque, leurs centres de ralliement et de ravitaillement.
Jusqu'au commencement du xvf siècle, Alger ne joue dans
l'histoire qu'un rôle presque nul. La beauté de son site et la com-
modité d'un petit port naturel avaient excité la tribu des Béni
Mez'ranna à venir s'établir dans la bourgade qui s'élevait sur
l'emplacement de l'ancienne Icosium % Ils avaient, comme toutes
les populations des côtes barbaresques , quelques barques de
course qui opéraient principalement sur les frontières de mer
d'Espagne, le long desquelles les Africains trouvaient des guides
et des alliés naturels dans la personne des Morisques persécutés.
Voulant mettre un terme aux incursions qui ravageaient son
pays et en détruisaient le commerce, le cardinal Ximenès avait
décidé Ferdinand le Catholique à conquérir le littoral africain, et
avait brillamment inauguré la campagne en s'emparant de Mers-
el-Kebir, d'Oran et de Bougie. Les Algériens, craignant d'être
châtiés à leur tour, firent des offres de soumission et envoyèrent,
en 1511, des ambassadeurs chargés de demander le pardon du
passé. Ils durent toutefois l'acheter en consentant à recevoir une
garnison espagnole, que le vainqueur de Bougie, Pierre de
Navarre, fut chargé d y établir. En avant du front de mer de la
ville et à une distance de cent mètres environ, se trouvait un
groupe de quatre îlots rocheux (El Djezair) ; trois d'entre eux se
suivaient de l'ouest à l'est ; le quatrième était situé un peu au sud
de l'îlot central, dont la pointe orientale se reliait à la côte par
une série de récifs. 11 résultait de cet ensemble une sorte de môle
naturel en forme de T qui jjrésentait aux navires un abri suffi-
sant pour qu'une certaine quantité de corsaires se fussent décidés
à en faire leur escale favorite.
1. Voir, entre autres, la Chronique de Suarez Montanez (Revue africaine,
1865, p. 251 et suiv.).
2. Voir fçusium, par M. Devoulx (Revue africaine, 1875, p. 299 et suiv.J.
ETUDES ALGERIENNES. 5
Pierre de Navarre jugea opportun de s'emparer de cette posi-
tion et donna ordre à son ingénieur, Martin de Renteria, de for-
tifier l'îlot de l'ouest et celui du centre, et d'y construire un
ouvrage capable de tenir la ville en respect. Les travaux furent
poussés rapidement, et, moins de deux ans après, le port était
commandé par un château-fort composé de deux grosses tours et
de quatre bastions que reliait entre eux une muraille crénelée, et
qu'occupait une troupe de deux cents hommes choisis. Les cor-
saires, fort gênés de se trouver sous le canon Espagnol, abandon-
nèrent peu à peu la route d'Alger : avec eux disparut l'aisance
des habitants, dont le mécontentement s'accrut chaque jour.
Oublieux de leurs anciennes terreurs, ils n'aspiraient plus qu'à
se délivrer delà présence du Chrétien, qui était pour eux, sui-
vant l'énergique expression de l'auteur du R'azaouât, une épine
dans le cœur. Mais, trop faibles et trop peu belliqueux pour
tenter eux-mêmes l'entreprise, ils songeaient à trouver un pro-
tecteur assez puissant et assez audacieux pour l'accomplir.
Celui dans lequel ils mirent leur espoir fut un aventurier que
son intrépidité avait rendu célèbre depuis quelques années déjà :
c'était le fils d'un potier de Mételin ; il se nommait Aroudj : lui
et son frère Kheïr ed Din étaient déjà devenus la terreur de la
Chrétienté par l'audace et le bonheur de leurs entreprises ; les
Reïs les plus hardis s'étaient groupés autour d'eux et reconnais-
saient leur commandement. Ils avaient profité de cet accroisse-
ment de forces pour étendre le cercle de leurs opérations et pour
tendre une main secourable aux Maures d'Espagne que la persé-
cution chassait de leur patrie. Par leur généreuse assistance, les
villes maritimes de l'Afrique du Nord ne tardèrent pas à se peu-
pler de ces réfugiés, dont les récits grandissaient à la fois la gloire
des Barberousses et la haine qu'on portait au nom Chrétien *. En
1515, Aroudj disposait déjà d'une vingtaine de galères bien
armées, et songeait sérieusement à entreprendre quelque chose
de grand. Il était trop intelligent pour n'avoir pas reconnu depuis
longtemps la nécessité de se procurer un bon port qui pût lui
servir d'abri pour ses navires et de centre de ravitaillement : il
l'avait d'abord cherché aux îles Gelves, que lui avait fait aban-
donner la jalousie du souverain de Tunis, puis à Djidjelli, dont
1. Voir, pour tout ce qui précède, VEpitome de los Reijes de Argel, de Haëdo,
cap. 1.
6 H.-D. DE ORAMMONT.
les habitants s'étaient déclarés en sa faveur; c'est là qu'il se
trouvait lorsque les Algériens l'envoyèrent supplier de venir à
leur secours. Nous n'avons pas à raconter ici comment il se ren-
dit maître d'Alger par le meurtre de Selim Eutemi, ni comment
il fonda la domination turque, que son frère Kheïr ed Din conti-
nua à agrandir après sa mort ; nous nous contenterons donc de
constater qu'à partir de 1516, Alger devint le refuge assuré et la
véritable place d'armes de la piraterie. Cependant le Pêfion (tel
était le nom de la forteresse espagnole) existait encore, et les
diverses tentatives qu'avaient faites les Barberousses pour s'en
emparer étaient demeurées infructueuses. C'est en 1530 seule-
ment que Kheïr ed Din se sentit assez fort pour l'attaquer utile-
ment. Il ne put toutefois s'en rendre maître qu'après une canon-
nade de quinze jours consécutifs, au moyen de laquelle il détruisit
les ouvrages de défense; encore fut-il forcé, pour avoir raison de
l'héroïque opiniâtreté du capitaine Martin de Vargas, de donner
l'assaut à cet amas de décombres avec des forces dix fois supé-
rieures à celles de l'assiégé. Immédiatement après sa victoire, il
commença la construction du port : il fit raser ce qui restait des
fortifications espagnoles, ne conservant que les deux grosses
tours de l'est et de l'ouest ; cette dernière est celle que domine
encore aujourd'hui le phare. Il employa les captifs chrétiens à
ces travaux, et les matériaux provenant des démolitions ser-
virent à combler les vides que les écueils laissaient entre eux et
à transformer en un boulevard cette ligne interrompue. Dès lors,
la darse se trouva abritée des vents du Nord, si dangereux dans
ces parages, et put offrir aux navires un refuge suffisamment
sûr. Le port fut défendu contre l'ennemi par des batteries cou-
vertes, qui furent installées sur les tours de l'ancienne forteresse,
et par les pièces dont fut armé le front de mer de la viUe. A partir
de ce moment, tous les navires de course surent où trouver un
abri contre la tempête ou contre la poursuite d'un ennemi plus
fort qu'eux, une protection assurée et un marché pour leurs
prises. L'aire était construite ; les oiseaux de proie ne tardèrent
pas à s'y rassembler*.
IL
L'histoire de la piraterie algérienne se divise en trois époques
1. Voir Le Pehon d'Alger, de M. Berbrugger (Alger, 1860, in-8°).
ETUDES ALGERIENNES. 7
bien distinctes : la première pourrait être appelée l'âge héroïque
de la Course; la deuxième, l'âge mercantile; enfin, dans la troi-
sième, on voit l'Etat se substituer peu à peu aux particuliers et
devenir lui-même le Grand Corsaire. Il est impossible d'assigner
des dates fixes à chacune de ces périodes : elles ne se terminent
pas brusquement et chacune d'elles enjambe un peu sur l'autre.
On peut cependant se représenter la première comme débutant
avec la Régence elle-même et se terminant vers 1590 ; la
deuxième dure jusqu'au milieu du xvif siècle et la troisième
finit seulement avec la domination turque en Algérie.
La Course ne fut, à son origine, qu'une des formes du Djehad
ou Guerre sainte aux chrétiens. C'était un acte méritoire et reli-
gieux; les bannières des navires étaient consacrées dans les mos-
quées et par les prières des croyants ; ceux qui périssaient dans
le combat voyaient s'ouvrir devant eux le paradis du Prophète,
et l'opinion publique entourait les vainqueurs d'hommages sem-
blables à ceux que recevaient en Europe les chefs de nos grands
ordres religieux, alors qu'ils étaient les seuls protecteurs des
populations côtières contre les incursions musulmanes. La popu-
larité dont ils jouissaient ne tardait pas à les désigner à l'atten-
tion du Grand Seigneur, qui choisissait parmi eux les gouver-
neurs de ses provinces et les amiraux de ses flottes. Pendant
presque toute la durée du xvi® siècle, les Pachas envoyés à Alger
furent d'anciens reïs, aussi bien que les chefs suprêmes des forces
maritimes du Sultan*. Ce n'était pas des hommes ordinaires que
ce Kheïr ed Din, qui, livré à ses propres ressources et entouré
d'ennemis puissants, sut étendre en quelques années sa domina-
tion de la Tunisie au Maroc ^; que ce Dragut, qui, devenu de
simple matelot Pacha de Tripoli, allait arracher Malte aux che-
valiers de Saint-Jean-de-Jérusalem, lorsque la mort vint l'arrêter
au moment où il entraînait ses soldats à l'assaut du fort Saint-
Elme^, ni que ce Sala-Reïs, qui osa porter ses armes jusqu'à
1. Les pachas d'Alger du xvi" siècle sont presque tous d'anciens capitaines
corsaires : Aroudj (1515-1518), Kheir ed Din (1518-1534), son khalifat Hassan Aga
(1534-1543), Hassan-Pacha (1543-1551, 1557-1561, 156-2-1567), Sala-Reïs (1552-
1556), son fils Mohammed (1567-1568), Euidj-Ali (1568-1571), et ses khalifats
Hassan-Coptan , Arab-Ahmed, Rabadan (1571-1587). Parmi ces pachas, Kheïr
ed Din, Sala-Reïs et Euldj-Ali devinrent capitans-pachas à Constanlinople.
2. Epitome de los Reyes de Argel, cap. ii.
3. Voir, entre autres, Vertot, Histoire des Chevaliers de Saint- Jean- de-
Jérusalem, l. HI (219-492).
8 H.-D. DE GRAMMONT.
Tuggurt et Ouargla, et dans des régions qui passaient jusque-là
pour fabuleuses *.
Il faudrait des volumes pour raconter les hauts faits de ces
grands Reïs, compagnons ou successeurs des Barberousses, qui
remplirent le xvf siècle de l'éclat de leurs noms '. Nous consa-
crerons cependant quelques lignes à un des plus glorieux et au
dernier d'entre eux, dont la vie nous montre quelles qualités de
commandement révélaient ces hommes que leur valeur faisait
sortir des positions les plus humbles.
Euldj Ali était un pauvre pêcheur Calabrais, lorsqu'il fut pris
dans une descente par le célèbre corsaire Ali Ahmed, qui le mit
à la chiourme de sa galère. Il supporta courageusement pendant
quelques années son misérable destin, jusqu'au jour où, ayant
été frappé au visage par un Turc, il se fit mahométan pour pou-
voir se venger de l'affront qu'il avait reçu. Cet acte de vigueur
attira l'attention sur lui, et il ne tarda pas à recevoir un com-
mandement dans lequel il se signala par d'audacieuses prouesses.
Il se mit ensuite sous les ordres de Dragut, auquel il rendit les
plus grands services en 1560, lors de la reprise des îles Gelves
aux Espagnols, et en 1565 à l'attaque de Malte. Pendant cette
dernière expédition, il se fit tellement remarquer par son cou-
rage, que l'amiral Piali Pacha lui fit obtenir le pachalik de Tri-
poli après la mort de Dragut, des trésors duquel il hérita en
même temps.
En 1568, le Sultan lui donna le gouvernement d'Alger, et, dès
l'année suivante, il justifiait cette faveur éclatante en s'emparant
du royaume de Tunis, soumis au protectorat espagnol depuis
1535. En 1571, ayant reçu l'ordre de rejoindre la flotte turque,
il lui amena 20 galères, avec lesquelles il prit le commandement
de l'aile gauche à la bataille de Lépante. Là, tandis que le reste
de la flotte se faisait battre, il mit en déroute les galères de Malte
qui formaient la droite de l'armée chrétienne, s'empara de l'éten-
dard de la Religion et se retira en bon ordre à la fin du combat,
sans que les vainqueurs osassent le poursuivre. A dater de ce
jour, il reçut le glorieux surnom de Kilidj (l'épée) et le comman-
dement suprême des forces maritimes ottomanes, qu'il conserva
1. Epiiome de los Reijes de Argel, cap. vu.
2. Tous les récits du temps parlent des Sinan le Juif, des Garcia Diabolo,
Amaule-Reis, Mami-Reïs, le cruel maître de Cervantes, et tant d'autres qu'il
est impossible d'énumérer.
ETUDES ALGERIENNES. 9
jusqu'à sa mort. Telle fut la fortune extraordinaire de cet
homme, qui se trouva transporté, en moins de quinze ans, de
l'esclavage le plus misérable au faîte des honneurs et de la
richesse*.
Bien loin de s'endormir dans les délices du riche palais qu'il
s'était fait construire à Thérapia , il ne se montra jamais plus
actif qu'à partir de ce moment. Il reconquit une deuxième fois la
Tunisie, de laquelle Don Juan d'Autriche s'était emparé après la
victoire de Lépante ; il fortifia les côtes de la mer Noire et les
défilés de la Géorgie ; il commença le percement de l'Isthme de
Suez 2, afin d'arrêter les conquêtes des Portugais dans les Indes,
et il eût mené à bonne fin cette œuvre gigantesque, s'il n'eût été
entravé par l'avarice du sultan, qui se refusa à fournir plus
longtemps les subsides nécessaires. Pendant tout ce temps, il ne
perdait pas de vue l'unification de l'Afrique du Nor4 en un seul
pachalik, dont il pensait obtenir le commandement, que la Porte
lui avait fait espérer. C'est pour atteindre ce but qu'il avait fait
envoyer à Alger, à Tunis et à Tripoli des gouverneurs qui n'étaient,
à vrai dire, que ses lieutenants, et qu'il allait entreprendre la con-
quête du Maroc au moment où il mourut, très probablement
empoisonné par Cigala^, qui briguait sa succession. Il eût ainsi
réalisé ce qui avait été le rêve constant de tous les grands Pachas
d'Alger, de Kheïr ed Din, de Hassan -Pacha et de Sala-Reïs.
L'exécution de ce vaste projet eût pu avoir des conséquences
incalculables. Elle eût été immédiatement suivie de l'invasion de
l'Espagne, opération singulièrement facilitée par le soulèvement
simultané de deux millions de musulmans qui s'y trouvaient
encore. On peut s'assurer, par la lecture des mémoires du duc de
Caumont de La Force, qu'ils étaient depuis longtemps préparés et
armés pour la révolte^. Le drapeau de l'Islam eût donc flotté en
1. Voir VEpitome d'Haëdo, cap. xviii, et les Négociations delà France dans
le Levant (documents inédits), t. III, p. 186-87.
2. Négociations de la France dans le Levant, t. VI, p. 536 et suiv.
3. Voir VEpitome d'Haëdo, cap. xxiii. ^ 2. Il s'agit ici de ce Cigala qui devint
grand-amiral et grand-vizir sous le nom de Sinan-Pacha, et sur le compte duquel
les Biographies Universelle et Générale ont commis de si singulières erreurs.
C'était le fils du vicomte Scipion Cigala, Génois, qui avait élé pris avec lui à
la bataille des Gelves. Il s'était fait musulman et était devenu le favori du
sultan.
4. Mémoires du, duc de Caumont de La Force (Paris, 1843, 2 vol. in-8°), 1. 1,
p. 217 et suiv.
]0 B.-D. DE GIUMMONT.
même temps sur les Pyrénées et sous les murs de Vienne, et qui
peut dire ce que fût alors devenue la civilisation européenne? Fort
heureusement pour la chrétienté, la défiance jalouse du Divan de
la Porte ne cessa pas de mettre des entraves à la réussite de ce
projet, dans la crainte que les futurs pachas du Gharb ne se ren-
dissent indépendants, et les forces redoutables de l'Afrique du
Nord s'usèrent dès lors en querelles intestines. Après la mort
d'Euldj Ali, tout changea. Le grand Divan n'envoya plus à
Alger que des hommes sans valeur, qui achetaient leur pachalik
par des présents et ne songeaient, une fois en place, qu'à rentrer
dans leurs déboursés et à faire leur fortune dans le court délai de
trois ans qui leur était accordé.
Les Reïs, écartés systématiquement du pouvoir, ne pensèrent
plus qu'à s'enrichir et à se créer dans Alger une influence locale
qui leur permît de se soustraire aux exigences toujours crois-
santes des Pachas et à la turbulence de la milice. A cet effet, ils
s'associèrent et formèrent une puissante corporation qui, sous le
nom de Taiffe, tint en respect les deux autres pouvoirs, et faillit
même un instant les dominer. Le mot Taiffe signifie exactement
faction, parti, et a souvent été employé en parlant d'un groupe
de conjurés quelconque; mais la Taiffe par excellence fut celle
qui se composait des Reïs et des gens qui vivaient sous leur
dépendance. Il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur l'état
intérieur d'Alger, pour bien s'expliquer l'importance que ne
tarda pas à acquérir cette association.
Depuis le temps des Barberousses, qui avaient exercé une
autorité à peu près absolue, le pouvoir avait été partagé entre un
pacha désigné par la Porte et un Divan composé des principaux
officiers de la milice; quelquefois même, dans les circonstances
graves, tous les janissaires faisaient partie du conseil et déci-
daient, par acclamation, sur les questions en litige. Cette troupe
indisciplinée ne tarda pas à devenir plus puissante que les pachas,
dont l'autorité fut complètement méconnue : la plupart d'entre
eux se résigna à cette usurpation, et cette marque de faiblesse ne
leur épargna pas toujours le destin tragique auquel ils avaient
cru échapper par leur soumission. Ces soldats ignorants, arro-
gants et brutaux furent les véritables tyrans d'Alger, dont ils
regardaient la population inoffensive comme taillable et cor-
véable à merci, et dont ils étaient l'exécration et la terreur. Peu
payés (la solde d'un janissaire ne dépassait jamais 24 francs par
ETODES ALGÉRIEIVNES. ^1
lune, et beaucoup d'entre eux ne recevaient que 4 fr. 80 c.) S ils
jalousaient les richesses des Reïs, auxquels ils se croyaient très
supérieurs, et qu'ils empêchaient soigneusement d'atteindre aux
charges de l'Etat. De leur côté, ceux-ci, alertes, hardis, intelli-
gents, habitués au maniement des armes, ne dissimulaient qu'à
peine le mépris qu'ils avaient pour ces soudards pauvres et rus-
tiques. Ils avaient groupé leurs riches habitations près de la
mer, dans la partie occidentale de la ville, et occupaient un
vaste quartier, habité seulement par eux et leurs équipages, sorte
de forteresse dans laquelle ils se sentaient en sûreté contre un
coup de main de la milice. Ils avaient pour voisins immédiats
toute cette population qui vit de la marine, cordiers, construc-
teurs de bâtiments, fabricants de goudron et de brai, marchands
de biscuits et de poissons salés. Tous ces gens-là étaient leurs
clients, et, pour ainsi dire, leurs vassaux. Un peu plus loin,
se trouvaient les marchands d'esclaves et ceux qui trafiquaient
sur les cargaisons prises.
Au reste, on peut dire en principe que toute la ville vivait
d'eux et ne vivait que par eux. Quand la Course s'arrêtait, la
population mourait littéralement de faim; le Pacha, privé du plus
important de ses revenus, ne pouvait plus même faire la solde
mensuelle des janissaires ; l'émeute éclatait et se terminait le plus
souvent par le meurtre du souverain et de ses conseillers. Le
maintien d'un ordre de choses où l'existence de toute une popu-
lation de cent mille âmes dépendait de la piraterie, depuis la vie
du plus misérable fellah jusqu'à celle du chef suprême de l'Etat,
paraît incroyable, et les témoignages sont cependant unanimes.
Depuis Fray Diego de Haëdo, qui écrivait à la fin du xvf siècle,
jusqu'à Shaler, qui publiait son Esquisse de l'Etat d'Alger
quelques jours avant le débarquement des Français à Sidi Fer-
ruch, tous les auteurs nous attestent qu'ils n'ont vu dans Alger
ni industrie ni commerce, et que, sans la Course, le peuple ne
pourrait pas vivre, ni le gouvernement subvenir à ses dépenses.
La correspondance de nos consuls ^ vient confirmer ces asser-
tions, et, quand on leur reproche de ne pouvoir, comme les agents
des autres Echelles, se suffire avec les droits consulaires, leur
réponse est toujours la même : « Pour que ces droits, disent-ils,
1. Voir Laugier de Tassy, Histoire du Royaume d'Alger (Amsterdam, 1725,
iu-16).
2. Archives de la Chambre de commerce de Marseille. (Art. 460 à 508, AA.)
i2 n.-D. DE GRAMMOXT.
« rapportassent quelque chose, il faudrait qu'il y eût du com-
« merce à Alger, et il n'y en a aucun, » La situation des Reïs
était donc inattaquable, et la Taiffe avait fini par devenir un
troisième pouvoir, puissance occulte et mystérieuse, qui recon-
naissait un chef choisi par elle, et rendait des décrets sans appel
dont l'exécution était confiée à une émeute qu'elle excitait ou
réfrénait à sa volonté. Car, autant les janissaires étaient détes-
tés, autant les Reïs étaient populaires. Toutes les fois qu'une prise
entrait dans le port, il y avait fête à la Marine et dans le fau-
bourg Bab el Oued, et le menu peuple héritait des reliefs du festin
et des objets qui ne valaient pas la peine d'être vendus , tandis
que les armateurs se réjouissaient des gains qu'allait leur rap-
porter l'argent engagé dans l'armement des navires. Sans la
couardise naturelle à la population d'Alger, dont les janissaires
disaient avec mépris : Quand le chien aboie, le haldi (citadin)
se sauve ^, les chefs de la TaïfTe n'eussent pas tardé à sup-
planter les deux autres pouvoirs. L'envie ne leur en manquait
pas, et il y eut à plusieurs reprises des commencements d'exé-
cution. On peut citer Mami Arnante, qui, après avoir ren-
versé son prédécesseur, se vit lui-même nommé pacha en 1583^ ;
Morat-Reïs , qui était le véritable maître d'Alger, au moment
où M. de Brèves y vint ^ , et sans l'influence duquel cet
ambassadeur n'eût pu sortir sain et sauf des mains de la milice,
excitée contre lui par un muphti qu'il avait fait jadis bà tonner à
Constantinople; Soliman Reïs, qui perdit à la fois son pouvoir et
ses richesses en 1621, sous les coups de la croisière commandée
par Philippe-Emmanuel de Gondy"; Coulchelybi, le Ghelibi des
1. Les janissaires racontaient qu'un jour les bourgeois d'Alger, excédés par
les pillages des montagnards du Bou-Zaréa, obtinrent du pacha la permission
de se défendre eux-mêmes. Ils organisèrent donc une sorte de milice, et, la
nuit venue, ils s'embusquèrent derrière le lit de l'Oued Mraccl, à quelques pas
de la ville. Soudain, un chien aboya et les citadins, pris de panique, s'enfuirent
en jetant leurs armes. Telle fut l'origine du dicton cité plus haut.
2. Voir VEpifome d'Haëdo, cap. xxiv; j'ai fait remarquer dans les notes de
ma traduction (Alger, 1881,in-8°), que Mami-Arnaute n'avait jamais été nommé
pacha, et qu'il n'avait fait qu'exercer momentanément le pouvoir lorsque
Rabadan fut choisi, grâce à ses intrigues.
3. Savary de Brèves, chargé par Henri IV d'une longue mission à Constanti-
nople, Smyrne, en Egypte et en Barbarie. Il ne put rien obtenir à Alger, où sa
vie courut de grands dangers. Voir les Voyages de M. de Brèves (Paris, 1620,
in-4<').
4. Voir le Mercure Français, 1. VI, p. 470.
ETCDES ALGERIENNES. -13
Pères Rédemptoristes, qui fut assassiné par ses esclaves*, au
moment où il commençait à devenir trop à craindre; et enfin
Ali Bitchnin, le plus connu et le plus célèbre d'entre eux, celui
dont la personnalité est le véritable type des corsaires de la
deuxième période, et qui mérite par cela même une étude spéciale.
Ali Bitchnin, auquel nous conservons le nom que lui donnent la
plupart des écrivains de son temps (quelques-uns le nomment
Pitchlin ou Pegelin, et le Mercure François Pichelingues), se
nommait en réalité Piccinino. C'était, croit-on, un Vénitien,
qui, après avoir longtemps écume la mer pour son propre compte,
avait trouvé prudent de s'assurer un port de refuge ; il était venu
à Alger, où il s'était fait musulman, et n'avait pas tardé à deve-
nir un des principaux d'entre les Reïs^ De semblables recrues
n'étaient pas rares et se voyaient toujours bien accueillies. Bit-
chnin put se rencontrer avec les Anglais Sanson et Edwart, avec
le Flamand Uver, avec le Rochellois Soliman =^, qui se repentit plus
tard et devint Chevalier de grâce de l'Ordre de Malte, et enfin
avec le célèbre Simon Dansa, qui, lui aussi, prit un beau jour en
dégoût la vie de pirate et se retira à Marseille, où il obtint son
pardon, grâce aux riches présents qu'il sut faire et à l'influence
du père Coton, confesseur de Henri IV ^. Ali Bitchnin avait des
visées bien plus hautes. De 1621 à 1645, il fut le chef suprême
de la Taïffe, et ne laissa aux souverains qui se succédèrent pen-
dant tout ce laps de temps que l'ombre du pouvoir. Il s'intitulait
Grand- Amiral d'Alger, suivant l'usage qu'avaient adopté les chefs
des Reïs, avec le consentement tacite des Pachas et de la Porte. Ses
richesses étaient immenses. Malgré les pertes énormes qu'il avait
essuyées au combat de la Velone, qui lui avait coûté 8 galères et
plus de 2,000 hommes de chiourme, il possédait encore à lui seul
près de 3,000 captife, répartis sur sa flotte et sur ses vastes pro-
1. Histoire de Barbarie et de ses Corsaires, déj. cit. (p. 332 et suiv.).
2. Pour tout ce qui concerne Ali-Bitchnin, voir : les Triomphes de la Charité,
par le P. L. Hérault (Paris, 1643, in-8°). — Les lettres du même, adressées à
son supérieur, le P. Denis Cassel, et citées par l'abbé Orse, Alger pendant
cent ans (Paris, s. d., in-t6); — la Relation de la captivité de d'Aranda
(Bruxelles, 1662, pet. in-16); — La Vive Foy, du P. Egreville (Paris, 1665,
in-8°).
3. Pour ces corsaires renégats, voir l'Histoire de Barbarie, déj. cit., p. 274,
275, 351 et suiv.
4. Voir les Recherches historiques et critiques du P. Prat (Lyon, 1876, gr.
in-S").
^14 II. -D, DE GRAMMONT.
priétés, sans compter les cinq ou six cents esclaves qu'il conser-
vait à Alger même, dans le vaste bagne qu'il avait fait construire
près de son palais, non loin de l'emplacement où se trouve aujour-
d'hui l'église Notre-Dame-des- Victoires. Il ne sortait qu'entouré
d'une cinquantaine de jeunes garçons d'une grande beauté, riche-
ment vêtus de velours et de soie, dont il avait fait ses pages. De
plus, chose que personne n'avait osé faire avant lui à Alger, il
se faisait escorter par une garde de fantassins et de cavaliers,
armés de pied en cap, qu'il entretenait de ses deniers, et qui ne
connaissaient que lui. Cette troupe était entièrement composée de
Kabyles, qu'il avait soigneusement recrutés dans les états du Roi de
Kouko, dont il avait épousé la fille. Une alliance de ce genre avec
un prince qui était en état de révolte quasi permanente eût été à
elle seule un indice des projets qu'il méditait d'accomplir, quand
même il n'eût pas pris soin de les afficher de bien d'autres façons.
Après la défaite de la Velone, il exhorta les Reïs à se soustraire à
l'obéissance du sultan, qui, disait-il, exposait au danger leurs
personnes et leurs biens, sans qu'il pût en résulter aucun profit
pour eux et qui ne les indemnisait même pas de leurs pertes. Le
résultat de cette harangue fut qae les corsaires se refusèrent à se
joindre, en 1643, à la flotte que le grand vizir assemblait contre
les "Vénitiens*, et répondirent qu'ils feraient dorénavant la
guerre pour leur propre compte et comme cela leur conviendrait.
L'irritation du Grand Divan se traduisit par l'envoi à Alger
de trois Chaoux, chargés de réclamer au pacha la tête d'Ali
Bitchnin.
Celui-ci fit appel à la Taïffe, et alluma une révolte si furieuse,
que les Chaoux efirayés se rembarquèrent le lendemain même
de leur arrivée, trop heureux d'avoir pu sortir vivants de la
bagarre. Une seconde ambassade, qui vint deux ans après, n'eut
guère plus de succès. 11 fallut parlementer avec Ali comme avec
un souverain : il ne céda rien et se contenta d'envoyer à la Porte
quelques présents, en échange desquels il reçut le caftan d'hon-
neur. Depuis ce temps, personne n'osa plus rien entreprendre
contre lui ; son influence ne fit que s'accroître ; il s'empara du
pouvoir suprême en excitant une insurrection contre Mohammed-
Pacha, et allait être le maître absolu, lorsqu'il mourut subite-
ment en 1646, très probablement empoisonné; telle fut, du
1. Gazelle de France, 1643, p. 232.
ÉTUDES ALGÉRIENNES. -) 5
moins, à cette époque, la croyance générale ^ Les Relations des
Rédemptions opérées de son temps parlent de lui à chaque page,
ce qui prouve bien l'importance du rôle qu'il jouait. Mais c'est
surtout le récit de la captivité d'Emmanuel d'Aranda qui four-
mille de détails et d'anecdotes sur ce personnage célèbre, vrai
modèle des Reïs renégats de la seconde période. C'est là qu'on
peut le mieux se rendre compte de ce caractère singulier, à la fois
plein de superbe et d'astuce, et faisant succéder des ruses de juif
à des accès d'une générosité princière. Dédaigneux du fanatisme
de la populace, il manifeste hautement le scepticisme le plus
absolu. Un jour, un de ses esclaves déclare vouloir se faire
musulmane Ali, peu touché de cette vocation subite, le fait
bàtonner sans rémission jusqu'au moment où le malheureux
avoue qu'il n'avait voulu renier sa foi que pour échapper au
travail de la chiourme. « C'est ainsi, dit d'Aranda, que Pegelin
« pouvait dire avoir remis un chrétien dans le christianisme à
« grands coups de bâton. »
Une autre fois, il perd un diamant d'une grande valeur et le
fait rechercher par ses esclaves ^ L'un d'eux le trouve et le lui
rapporte : « Tiens, dit-il, en lui jetant une pièce de monnaie,
« vas acheter une corde pour te pendre, bête brute, qui avais
« trouvé la liberté et qui n'as pas su la garder. » Avec tout
cela, il y a en lui du gentilhomme. Il a le mépris des lâches et le
respect de sa parole.
A un débarquement qu'il fait dans les environs d'Oran, il se
voit accoster par un chef d'une tribu voisine, qui ne tarde pas à
lui avouer que le grand chagrin de sa vie est de n'avoir pas
encore sacrifié un chrétien de sa propre main, action si méri-
toire, dit-il, et qui plaît tant à Mahomet: « Votre Seigneurie,
« qui a tant d'esclaves, ne pourrait-elle pas m'en donner un pour
« accomplir une œuvre aussi sainte? » « Volontiers, répond
« Ali ; rendez-vous dans ce petit bois. > Un instant après, le
Maure, qui aiguisait son coutelas, voit apparaître un vigoureux
soldat espagnol, armé de la rondache, de la dague et d'une
bonne épée, et reçoit une charge vigoureuse qui le force à se
réfugier près des vaisseaux, où il est accueilli par des huées
1. Voir l'abbé Orse, loc. cit.
2. D'Aranda, Relation d. c, p. 259.
3. M., p. 216.
^6 0.-D, DE GRAMMONÏ.
et par les railleries de Bitchnin, qui l'encourage moqueusement
à se rendre digne des faveurs du Prophète*.
Un autre jour, un de ses navires s'empare , sur la côte de
Valence, de la fille d'un riche marchand; le père, désolé, se rend
volontairement à bord et offre rançon pour lui et son enfant.
Ali le taxe à six mille patagons (17,400 fr.). A ce moment, un
renégat intervient et déclare que le marchand est fort riche et
peut payer quatre fois davantage. « Ma parole est ma parole, »
dit Ali, et il fait mettre à terre les deux captifs, moyennant la
somme convenue'. Ces exemples suffisent pour donner une juste
idée de cet homme, bien inférieur comme grandeur aux Dragut
et aux Euldj Ali, mais bien supérieur à la génération qui va lui
succéder.
LesReïs de la troisième période n'offrent pas de types aussi remar-
quables : ce ne sont plus que des écumeurs de mer, moitié mar-
chands, moitié pirates, considérant leur profession comme une
industrie qu'on doit exercer le plus prudemment possible, en évi-
tant, par tous les moyens imaginables, d'avoir à combattre.
Cela en arriva à un tel point, que les Deys furent forcés, à
diverses reprises, de faire châtier très rudement des Reïs con-
vaincus de lâcheté, et de renvoyer à la mer, en leur défendant
l'entrée du port d'Alger, ceux qui revenaient sans avoir fait de
prises ^. Les causes de cette décadence furent multiples : en pre-
mier lieu, l'accroissement des forces maritimes des nations euro-
péennes gêna l'expansion de la course et en rendit l'exercice
impossible aux petits bâtiments ; en même temps, les navires de
commerce prirent l'habitude de ne plus voyager isolément et se
groupèrent en caravanes, auxquelles les Gouvernements don-
naient une escorte de vaisseaux de guerre. Mais, en réalité, le
coup mortel porté à la piraterie barbaresque fut la fin de la lutte
séculaire de la France et de l'Espagne. En effet, tant que la
guerre avait duré, la France avait fermé les yeux sur les dépré-
dations Algériennes, et s'était bien gardée de ruiner une puis-
sance qu'elle considérait avec raison comme une plaie vive atta-
chée aux flancs de sa rivale. Lorsqu'elle n'eut plus ces motifs de
patienter, les croisières de l'escadre du Levant ne cessèrent pas
1. D'Aranda, Relation d. c, p. 278.
2. D'Aranda, Relation d. c, p. 251.
3. Voir Laugier de Tassy, déj. cit., p. 208.
KTODES ALGÉRlf:iV\F,S. ]7
de couvrir la mer, et firent subir aux corsaires des dommages
tellement considérables, que les armateurs se dégoûtèrent bientôt
d'un métier qui ne leur rapportait plus que des pertes. La corpo-
ration des Reïs disparut peu à peu et s'effaça devant le Beylik,
qui devint le grand constructeur et presque le seul armateur de
navires.
Les Deys organisèrent une marine de l'Etat, placée sous la
surveillance de l'Oukil el Hardj, l'un des cinq grands dignitaires
qui, sous le nom de Puissances, remplacèrent l'ancien Divan
dans l'administration de la Régence. Nous verrons un peu plus
loin par quels moyens ils parvinrent, pendant un certain temps,
à suffire aux dépenses de l'Etat, malgré le déficit causé par la
diminution de la Course. Disons toutefois, dès maintenant, que
vers le commencegaent du xix® siècle, la position était devenue
insoutenable ; que, chaque année, les embarras financiers allaient
en s'accroissant, et qu'au moment de l'arrivée des Français, il y
avait déjà de nombreuses années que le budget de la Régence ne
s'équilibrait plus et qu'il fallait se servir des richesses amassées
autrefois dans le Trésor public. Déjà les villes du littoral, que la
Course avait jadis enrichies et peuplées, tombaient en ruines, et
n'avaient plus que quelques habitants autour de leurs ports
déserts; le même sort ne pouvait manquer d'atteindre Alger, et
le canon de M. de Bourmont ne fit que devancer de quelques
années l'œuvre inévitable du temps.
m.
Ce n'est pas seulement dans les dissensions des nations cliré-
tiennes et dans l'incurie de leurs gouvernements qu'il faut cher-
cher la raison de la longue impunité des Algériens et celle des
succès qu'ils obtinrent pendant plus de trois cents ans : ils en
furent surtout redevables à leurs coutumes maritimes, qu'ils
conservèrent presque sans altération depuis le temps des Barbe-
rousses.
Pendant toute la durée du xvf siècle, la Course se fit exclusi-
vement avec des galères ou galiotes. Ces deux sortes de navires
se manœuvraient à la rame et ne se servaient de leur voilure que
pour faire route et croiser en attendant leur proie. Aussitôt qu'on
avait connaissance de l'ennemi, soit qu'il s'agît de le poursuivre,
soit qu'on jugeât prudent de prendre chasse, la mâture était
Rev. Histor. XXY. l'-'- FASC. 2
^<S H.-D. DE ORAMMONT.
abattue et la chiourme commençait son office. C'est là qu'éclatait
l'incontestable supériorité de la marine Algérienne. Tandis que
les bâtiments chrétiens, trop élevés au-dessus de la ligne de flot-
taison, pourvus d'une pesante artillerie, alourdis par des amas
de munitions, de vivres et de rechanges, augmentaient encore la
difficulté de la traction par le poids des riches ornements de leur
avant et par la résistance qu'opposait à la vitesse la hauteur exa-
gérée du château de poupe, les galères des Reïs, étroites, basses
sur l'eau, déchargées de tout ce qui n'était pas rigoureusement
nécessaire, volaient sur les flots comme des oiseaux de mer, et
ne mettaient que peu d'instants à s'approcher ou à s'éloigner de
ceux qu'il s'agissait de distancer ou d'atteindre. On peut lire
dans les lettres adressées au cardinal de Richelieu, à Colbert et à
M. de Seignelay par les intendants des galères les plaintes inces-
santes que font à ce sujet les Brodart, les Arnoul, les de Vauvré
et bien d'autres administrateurs de grande expérience et de bon
conseil. Mais ni les objurgations des ministres, ni les ordres du
Roi lui-même ne parvinrent à imposer la simplicité aux chefs
d'escadre, ni seulement aux capitaines de vaisseaux ^ On voit
encore aujourd'hui, dans les riches collections du Louvre, les
modèles réduits de ces superbes navires, où le goût de la France
et le génie de la sculpture ornementale furent largement prodi-
gués à ces monuments de l'architecture navale, au grand détri-
ment des qualités de vitesse qu'il eût été plus sage de rechercher.
A Alger, on ne voyait rien de pareil. La galère était aussi
basse que possible, à un tel point que, pour peu que la mer fût
houleuse, le pont était perpétuellement lavé par les lames. A
l'avant, se trouvait un canon de longue portée. C'était ordinaire-
ment toute l'artillerie du bord. Quelquefois, on plaçait une cou-
leuvrine à l'arrière pour servir de pièce de chasse. La proue était
basse, étroite, et surmontée seulement d'un tendelet d'étofîe sous
lequel se tenaient le Reïs et les principaux officiers ; ce tendelet
lui-même était abattu aussitôt que le travail de la chiourme com-
mençait. La charge était réduite au plus strict nécessaire; en
fait de vivres, on embarquait du biscuit pour 50 jours, durée
maximade la course, quelques jarres d'huile, d'olives et de vinai-
1. Voir Jal, Abraham Duquesne et la Marine de son temps, t. I, p. 252,
et son Dictionnaire critique et historique, arlicles Girardon et Sculpture des
navires.
ETUDES ALGERIENNES. ^9
gre ; la ration journalière se composait de trois biscuits et d'une
mesure d'eau vinaigrée. Les bailles d'eau servaient de lest. Les
rameurs avaient pour tout bagage une couverture; ils étaient
enchaînés à leur place et n'en bougeaient jamais pendant la
manœuvre. Lorsque la galère allait à la voile, on les déferrait
escouade par escouade, et il leur était permis d'aller respirer
quelques instants à l'avant, sous la garde des soldats de marine.
Ceux-ci ne touchaient pas d'autre ration que les forçats, et dor-
maient comme eux sur le banc qui leur était assigné et duquel
ils ne pouvaient bouger sans permission ; on leur accordait l'em-
barquement d'une petite quantité de provisions destinées à amé-
liorer le frugal ordinaire du bord ; ils emportaient le plus souvent
des oignons, du fromage, des figues et quelque peu d'eau-de-vie.
Le tout était renfermé dans un couffin qu'ils devaient amarrer
avec soin au-dessous de leur banc. C'est encore là qu'ils pla-
çaient la poudre et le plomb que chacun d'eux recevait lors de
son embarquement. A ce moment, ils ne conservaient comme
armes que leurs cimeterres; les mousquets étaient déposés dans
la chambre de l'arrière, d'où ils ne sortaient que lorsqu'on se
trouvait en vue de l'ennemi.
La discipline du bord était terrible. Le Reïs était le maître
absolu ; qu'il fût Maure, Nègre ou Colourli, il commandait sou-
verainement à tous, même aux janissaires turcs embarqués en
qualité de volontaires, et c'était la seule occasion dans laquelle
un Turc consentît à recevoir des ordres d'hommes étrangers à sa
race. A partir du moment où les rames trempaient dans l'eau, il
était interdit, sous les peines les plus sévères, de faire le moindre
mouvement, de crainte de déranger l'équilibre de la galère et de
faire perdre une partie de la vitesse. Seul, le comité courait sur
la traverse du milieu, de la poupe à la proue, marquant la
mesure et réchaufîant à grands coups de fouet le zèle de ceux des
rameurs qui lui semblaient manquer d'énergie. Le Reïs, debout à
l'arrière, donnait ses ordres et guidait la marche. Avant le
départ, il avait surveillé l'arrimage, qui était fait avec le soin le
plus scrupuleux ; le navire n'avait pas été mis à l'eau sans avoir
été, au préalable, entièrement flambé, espalmé et suifîe à neuf;
ces précautions étaient prises pour chaque traversée, et toujours
renouvelées, quelque courte qu'eût été la course précédente. Tous
ces soins faisaient de la galère d'Alger une machine de guerre
très supérieure à celles que possédaient les autres nations. Elle
20 H.-D. Di: GRAMMONT.
tirait surtout un grand avantage de la puissance de sa chiourme.
Tandis que les lourds bâtiments chrétiens parvenaient à peine k
réunir six à huit rameurs par banc, les Algériens n'en avaient
jamais moins de dix, tous gens de mer, alors que les équipes
Européennes étaient recrutées dans les prisons, parmi le rebut
des malfaiteurs des villes et des campagnes, gens auxquels man-
quait toujours la connaissance du métier et, le plus souvent, la
force physique nécessaire au dur travail de la rame, « fatigue
incroyable, dit d'Aranda, à ceux qui ne l'ont pas éprou-
vée *. »
Il est à peine nécessaire de faire ressortir l'importance qu'avait
à cette époque une bonne équipe de rameurs. C'était elle qui per-
mettait de choisir sa route par tous les temps, et de braver le
calme ou les vents contraires. Par cela même, et par la supério-
rité de vitesse qu'elle assurait, elle tenait les navires à voiles à sa
merci; c'était, eu un mot, la vapeur de ce temps-là. La galère de
vingt bancs, qui était le type communément adopté à Alger,
avait une chiourme de 200 rameurs et portait une centaine de
combattants volontaires. Ni les uns ni les autres ne recevaient
de solde, et les corsaires n'avaient à compter que sur leurs parts
de prises. La coutume l'avait voulu ainsi, afin que chacun lut
plus excité à coopérer au succès.
Il est aisé de comprendre, d'après la description que nous
avons faite des navires à rames, que leur structure ne leur per-
mettait pas de braver les gros temps ; aussi la Course était-elle
interrompue pendant l'hiver, depuis la lune d'octobre jusqu'à
celle d'avril '. Lorsque cent années de ravages continuels eurent
ruiné le commerce et les côtes de l'Italie et de l'Espagne, et que
les corsaires durent aller chercher fortune dans l'Océan, ils se
virent donc forcés de renoncer aux galères pour la navigation de
long cours ; ils construisirent alors des bâtiments à voiles, qu'on
appelait à cette époque des vaisseaux ronds. Ce fut, dit-on, le
célèbre corsaire Simon Dansa ^ qui leur en apprit l'usage. Ces
navires étaient à peu près semblables à ceux des autres nations
et ne s'en distinguaient que par une forme un peu plus allongée,
1. Relation, d. c, p. 258.
2. Pour tous les détails ci-dessus, voir Haëdo, le P. Dan, d'Aranda, Laugier
de Tassy et Pcyssonel.
3. Hut. de Barbarie, d. c, [>. 275.
ETUDES AL(iÉRIE!VNËS. 21
une plus grande hauteur de mâture et l'absence complète d'orne-
ments inutiles. Plus tard encore, les Deys d'Alger firent cons-
truire quelques vaisseaux de guerre absolument semblables à
ceux des flottes royales de France et d'Angleterre.
A Alger, tout homme de condition libre avait le droit d'entre-
prendre la course, et, par le fait, tout le monde s'en mêlait plus
ou moins. Lors de la fondation de l'Odjeac, il avait été défendu
aux janissaires de prendre du service à bord; mais, en 1568,
Mohammed ben Salah-Reïs avait été forcé de lever cette inter-
dictionS qui avait déjà causé de nombreuses révoltes delà milice.
Celui qui possédait une galère bien armée, munie de sa chiourme
et de ses approvisionnements, la commandait et la dirigeait à son
gré; d'autres s'associaient pour équiper un navire à frais com-
muns; les petits marchands et les citadins se cotisaient souvent
pour faire un armement, dont la direction était confiée par eux
à quelque capitaine connu par son audace et le bonheur de ses
entreprises. Le plus souvent, celui qui pouvait se procurer à bas
prix une misérable barque, partait au gré de la fortune avec
quinze ou vingt de ses amis, et se dirigeait au hasard sur les
côtes de l'Italie, de la Sardaigne, de la Corse ou de l'Espagne,
cherchant aventure, se cachant dans les criques et les récifs,
attendant le moment d'enlever des })êcheurs attardés ou de piller,
à la faveur de la nuit, quelques habitations isolées. Si le succès
couronnait son entreprise, il achetait à son retour un navire un
peu plus grand, et continuait de la sorte jusqu'à ce qu'il fût pro-
priétaire d'un bâtiment de guerre. Bien rares étaient les timides,
comme celui dont parle d'Aranda ', qui, ayant gagné 30,000 pa-
taquès (87,000 fr.) dans la première course qu'il fit avec une
petite barque, ne voulut jamais se remettre en mer, disant qu'il
avait maintenant de quoi vivre, et qu'une pareille chance n'arri-
vait pas deux fois à un homme.
Lorsque le navire et la chiourme avaient été trouvés à prix
d'argent, il fallait recruter les combattants volontaires. A cet
effet, le Reïs faisait arborer au grand mât un pavillon vert^ et
plantait sur le port, en face de son bâtiment, un mâtereau
orné d'une banderole de la même couleur. C'est là que se faisaient
les engagements. Lorsque le personnel était au complet, on ame-
1. Epitome de los Reyes de Argel, d. c, cap. xvii, l 1.
1. Relation, d. c, p. 263.
22 H.-D. DE GRAMMONT.
nait les bannières et l'embarquement commençait. Chaque volon-
taire devait être pourvu d'un mousquet (au commencement, d'un
arc de fer), d'un cimeterre et d'un coutelas; le bord ne lui four-
nissait que les munitions et le biscuit ; il lui était loisible, comme
nous l'avons déjà dit, d'emporter pour son usage quelques vivres
et une couverture, mais rien de plus. La veille du départ, le Reïs
et les principaux de l'équipage allaient visiter un des marabouts
en renom qui leur remettait quelques amulettes et un mouton
destiné à être sacrifié pour se rendre la fortune et la mer favo-
rables. Ce don, fait par le saint homme, était récompensé au
retour par des présents d'une valeur proportionnelle aux prises
faites.
L'appareillage se faisait avec pompe; la bannière d'Alger,
verte, aux croissants et aux étoiles d'argent sans nombre, flottait
en haut du grand mât : ces bannières étaient d'un grand luxe, et
le Père Dan assure en avoir vu quelques-unes dont le prix dépas-
sait 1,200 livres ^ ; le navire était pavoisé, et, à la sortie du port,
le canon et la mousqueterie saluaient la kouba de Sidi Betka, le
grand marabout qui avait jadis soulevé la tempête pour anéantir
les flottes de Charles-Quint. Aussitôt après le départ, l'étendard
national était amené et remplacé par un pavillon aux couleurs
d'une nation chrétienne quelconque ^. Le Reïs donnait ensuite la
route vers les parages où il croyait avoir le plus de chance de
rencontrer des vaisseaux marchands. Quelques-uns s'en remet-
taient au hasard, faisaient tourner sur le pont un poignard ou
une flèche, et mettaient le cap sur la direction qui leur avait été
indiquée par la pointe de l'arme. On naviguait ainsi jusqu'à ce
qu'on fût en présence d'un navire chrétien ; si le corsaire se croyait
assez fort pour l'amariner, la chasse commençait immédiatement.
Quand on se trouvait à portée de mousquet, il le sommait de se
rendre, et, la plupart du temps, ne rencontrait pas de résistance.
On ne peut guère avoir une meilleure idée de la manière dont
les choses se passaient dans ce cas-là, qu'en lisant le pittoresque
récit que fait René Chastelet des Boys de la prise qui le réduisit
en esclavage. Ce gentilhomme angevin a publié, sous le titre
à' Odyssée^, une narration fort intéressante de ses aventures à
1. Histoire de Barbarie, d. c, p. 259.
2. Id., id.
3. L'Odyssée, ou diversité d'avantures, rencontres et voyages en Europe,
ETUDES ALGERIENNES, 23
Alger, où il fut captif en 1642 et 1643. Laissons-lui donc un
instant la parole * :
« Les bannières bigarrées des Hollandais disparaissent et le
« haut des mâts se trouve en même temps ombragé de pavillons,
« taffetas de toute couleur, enrichis et brodés d'étoiles, de soleils,
« d'épées croisées, et de devises et d'écritures inconnues. Leurs
« galiotes, montées de 38 pièces de canon et 6 grands pierriers,
« nous avaient déjà tiré quatre volées avec un cri confus, inar-
« ticulé, et sans attendre le compassement de nos mèches, quand,
« redoublant les hurlements épouvantables de mena perros-,
« elle donna la volée entière et fracassa notre beaupré d'une
« balasse (c'est une courte barre de fer, dont les deux extrémités
« aboutissent en demi-boulet). Le cri de : Brébré, 7nena perros
« s'élève de plus en plus, quand ils s'avoisinèrent de si près, que
« de leur escopeterie ils blessèrent un de nos matelots et tuèrent
« l'un de nos camarades étrangers. Le reste de l'équipage, épou-
«.^ vanté, baisse les voiles et montre les mouchoirs pour marque
«de demande de composition. La soldatesque, encore moins
« résolue, met les armes bas ; le tillac et l'entre-deux des ponts se
« désertent, et le fond de la cale se peuple de fuyards. Les cha-
« loupes du vaisseau se mettent à la mer et nous investissent.
« Ces barbares et bigarrés aventuriers, dont elles étaient rem-
« plies, se précipitent et se prennent à l'abordage de notre désolée
« palache et à l'escalade de nos murailles de bois, sans aucune
« résistance, quelques matelots leur tendant la corde du bord, à
« fin de meilleur quartier, et de sauver la vie après la perte de
« la liberté, dont l'imminence fit naître une passion fervente de
« conserver ce que l'on pouvait de pécule. L'or s'enveloppe et se
« resser-re de diverses manières ; les uns s'en font des bracelets,
« afin ce s'en entourer les bras, et obscurcir son éclat à l'om.bre
« d'une manche de chemise, et aveugler la clairvoyance des cor-
« saires. Il s'en trouva qui le voilèrent dans le plus profond de
« leurs chausses, se persuadant ralentir l'avarice des barbares par
« la honte. Il y en eut qui en firent des ceintures qu'ils crurent
« mettre en bonne cachette sous leurs cheveux, ne sachant pas
«jusqu'où va l'invention dans la recherche de la Toison d'Or.
isie et Afrique, divisée en quatre parties, par le sieur Du Cliastelet des Bojs
(La Flèclie, 1660, in-8°).
1. /d., xxiii" rencontre.
2. Chiens, rendez-vous!
2'! H.-D. DE CRAMMOXT.
« Quelques-uns avalèrent des pistoles, êcus d'or et autres pièces
« de monnaie qui plus facilement se plient et se bossellent. Enfin,
« la chrysophagie fut si commune, que, nonobstant l'abondance
« confuse d'un chagrin désespéré qui assiégeait toutes les facultés
« de mon âme, et principalement ma mémoire, il me souvint,
« pour me consoler, de l'hémistiche : « Auri sacra famés. »
« Ces écumeurs montent à notre bord, crient, errent, cherchent
« çà et là sur le tillac, entre deux ponts et à fond de cale; les
« coffres se rompent à coups de haches et l'on prend les mieux
« minés à la gorge. A mon égard, apercevant un grand Maure,
« le bras retroussé jusqu'au coude, tenant le sabre en mains large
« de quatre doigts, s'approcher, je restai sans paroles ; et la lai-
« deur de ce charbon animé de deux pilules d'ivoire, hideusement
« se mouvant avec la lueur pirouettante d'un court, large etbril-
« lant fer, m'effraya bien davantage que ne le fut le premier des
« humains à l'aspect de l'épée flamboyante du portier du paradis
« terrestre. »
Aussitôt la prise effectuée, le vainqueur faisait passer l'équ;-
page à son bord, ne laissant sur le bâtiment chrétien que le
nombre de captifs strictement indispensable à la manœuvre du
navire capturé, sur lequel il envo^-ait bon nombre de ses sokats
tares et quelques-uns de ses officiers; après quoi, il reprenait
immédiatement la route d'Alger. Dès qu'il était en vue, il pavoi-
sait son vaisseau, et entrait dans le port en tirant des salves de
réjouissance auxquelles répondait le canon des batteries et des
forts. Cependant, toute la population était accourue sur le port;
car, depuis plusieurs heures déjà, les vigies du Bou-2aréah
avaient signalé l'arrivée d'une capture. Le débarquemen: avait
lieu au milieu des cris de joie de la foule; le Reïs, escorté de ses
officiers et suivi par la troupe des captifs enchaînés , se dirigeait
vers le palais du Pacha, auquel il présentait l'inventaire de la
prise, dressé par l'écrivain du bord. Aucune partie du butin, si
petite qu'elle fût, ne devait être détournée ; tout devait revenir au
partage. Chaque infraction à cette loi était punie par la bastonnade
et par la privation de la part qui eût incombé au délinquan:.
Malgré cette dure pénalité, plus d'un cherchait à faire sa main,
depuis le simple matelot, qui pillait au moment de l'abordage,
jusqu'au chef lui-même, qui s'assurait à prix d'or la complicité
du khodja.
Dans l'origine, la carcasse du bâtiment capturé était consi-
ETUDES ALGe'rIENNES. 25
dérêe comme arme de guerre, et appartenait en cette qualité à
rEta,t ; plus tard, on reconnut les inconvénients de cette mesure,
et le navire fit partie intégrante de la prise. En effet, sous l'em-
pire de l'ancienne loi, les corsaires ne se donnaient plus la peine
de ramener un vaisseau qui ne devait rien leur rapporter, et se
contentaient de transborder le butin et les captifs, abandonnant
ensuite ou incendiant la coque. Il ne subsista de l'ancienne cou-
tume que le droit de karaport a, en vertu duquel les agrès, depuis
le grand mât jusqu'au beaupré, furent dévolus aux gardiens du
port^
Le reste de la prises butin, marchandises, esclaves, était
vendu à l'encan ; le Pacha avait sur le tout les droits de réemp-
tion et de retrait. Le partage s'opérait ainsi qu'il suit : on préle-
vait d'abord douze pour cent pour la part du Pacha, plus un pour
cent pour l'entretien du môle du port, et encore un pour cent
pour les mosquées. Le reste était divisé en deux parties égales;
la première était donnée moitié au Reïs, moitié aux armateurs ; il
va sans dire que, lorsque le navire et son armement apparte-
naient au capitaine, toute cette part lui revenait de droit.
La seconde était attribuée à l'équipage, dans les proportions
suivantes : quinze parts au Reïs en qualité de capitaine de galère
(la première portion qui lui avait été dévolue était son droit comme
chef de l'expédition) ; trois parts aux officiers du bâtiment et à
ceux des volontaires, aux maîtres canonniers, au pilote et au
chirurgien; deux parts aux janissaires, au calfat, au maître
charpentier, et une an reste de l'équipage ; les rameurs esclaves
étaient compris dans la répartition, mais pour leurs maîtres,
qui recevaient l'argent : toutefois, il était d'usage de leur en
laisser une petite partie : cette coutume fut régularisée sous les
Deys, et la chiourme du Beylick reçut dès lors le tiers de la somme
pour laquelle elle avait été comprise dans le partage. Ces cou-
tumes restèrent en vigueur pendant toute la durée de la Régence
sans recevoir de modifications importantes ; en 1579, Hassan le
Vénitien, le terrible pacha qui fut le maître et le bourreau de
Cervantes, voulut exiger pour sa part le cinquième du butin »;
cette innovation n'eut pas de succès, et excita une révolte terrible
1. Voir Laugier de Tassy, d. c, p. 272.
2. Id., p. 270.
3. Epitome de Los Beyes de Argel, d. c, cap. xxi, é 3.
26 n.-D, DE GRAMMOIVT.
de la Taïffe, qui porta ses plaintes jusqu'à Constantinople, fit
rappeler le décret et remplacer son auteur; ce fut la seule tenta-
tive de ce genre, et l'importance des prises faites par les corsaires
dut suffire, dès lors, à satisfaire la cupidité des Pachas.
IV.
La Course n'avait pas tardé à prendre un développement
incroyable. Fray Diego de Haëdo nous apprend que, dès 1580 ^
les Algériens possédaient 35 grandes galères et une trentaine de
brigantins, sans compter une grande quantité de barques, tar-
tanes, chebeks, seyties et bertons, petites embarcations qui ne
s'éloignaient guère des côtes et faisaient ce qu'on pourrait appe-
ler la piraterie de cabotage. En 1634, le Père Dan comptait de
ses propres yeux une trentaine de galères et 70 gros vaisseaux
de la force de 25 à 40 pièces de canon ; il estimait la valeur des
marchandises prises dans les trente dernières années à plus de
vingt millions, et à plus d'un million le nombre des captifs faits
pendant la même période, ce qui représenterait une valeur de
cinq cents millions au moins ^. L'appréciation du Père Dan est
plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité, en ce qui concerne
la valeur des prises ; nous avons sous les yeux un rôle des dom-
mages occasionnés aux Français par les pirates d'Alger pendant
les huit premiers mois de l'année 1616, rôle établi par M. Chaix,
vice-consul à Alger ^ et qui évalue les pertes à 1,800,000 écus ;
encore faut-il remarquer que la nation française était la moins
maltraitée de toutes. Les côtes d'Italie, de l'Espagne et des îles
du bassin occidental de la Méditerranée furent ravagées d'une
façon inimaginable. Ce fut un pillage périodique, renouvelé
chaque année, et souvent plusieurs fois par an, ainsi qu'il est
facile de s'en assurer en consultant la collection du Mercure
françois et celle de la Gazette de France. On ne peut, à cette
lecture, se défendre d'un sentiment douloureux en pensant aux
souffrances des misérables populations de ces rivages, et l'on
admire en même temps la vitalité des races qui ont pu survivre
à de semblables épreuves. Pendant plus de deux cent cinquante
1. Topografia, cap. xxii.
2. Histoire de Barbarie, d. c, p. 282.
3. Archives de la Chambre de commerce de Marseille, AA, arl. 462.
ÉTUDES ALGÉRIENNES. 27
ans, les côtes de la Sicile, de la Galabre, de la Fouille, des Etats
Pontificaux, de la Sardaigne, de la Corse et de l'Espagne furent
mises en coupe réglée, et l'aridité actuelle de quelques-unes de
ces régions jadis si fertiles montre encore aujourd'hui combien la
nature est lente à réparer le mal -que font les hommes. Ce fut en
vain que tous ces rivages se hérissèrent de tours de guet dans
lesquelles veillaient des gardes chargés de prévenir, par le son
de la cloche, les populations riveraines de l'approche des pirates.
Ceux-ci apprirent à déjouer cette surveillance en n'abordant que
de nuit, guidés par un captif originaire du Heu de la descente,
qui se laissait séduire par l'appât de sa liberté et d'une riche
récompense.
La France, garantie par son ancienne alliance avec le Sultan
et par la bravoure de ses marins, eut bien moins à souffrir de ces
incursions; cependant les environs de Saint-Tropez, d'Antibes,
de Martigues, d'Agde et de Narbonne reçurent à plusieurs
reprises de ces terribles visites pendant la durée du xvif siècle.
Au mois de février 1647, trois corsaires eurent la hardiesse de
débarquer près de Saint-Tropez et d'envahir la Chartreuse d'Ar-
gentière, dans laquelle ils comptaient s'emparer de l'évêque de
Toulon, qui s'y trouvait en ce moment en tournée épiscopale; ce
prélat eut le temps de s'enfuir, ainsi que la plupart des char-
treux : trois d'entre eux seulement tombèrent aux mains des
Algériens 1. Le 6 août 1653, le célèbre cardinal Antoine Bar-
berini fut attaqué par deux galères d'Alger à sa sortie du port de
Marseille ; il eut le bonheur de parvenir à s'échouer sous le canon
du fort de Monaco, où les pirates n'osèrent pas le poursuivre, et
durent se contenter de capturer la tartane qui portait les riches
bagages de ce Prince de l'Eglise^, avec sa suite, composée de
70 personnes. Barberini fut tellement impressionné par cette
aventure, que, quand il dut retourner en France au mois de juin
1655, rien ne put le décider à faire la courte traversée de Savone
à Toulon : il préféra prendre la route de terre 3. Il ne consentit
même à s'embarquer le 1" novembre 1657 qu'en compagnie du
marquis de Martel, qui lui fit escorte avec son escadre jusqu'à
Civita-Vecchia \
1. Gazette de France, WH, p. 186.
2. Id., 1653, p. 764.
3. Id., 1655, p. 708.
■'i. Id., 1657, p. 1161.
28 H.-I). DE GRAMMONT.
Il est vrai de dire que, pendant tout le cours de cette même
année 1657, les mers de Provence étaient peuplées de pirates,
qui avaient poussé l'audace au point de faire une descente à trois
lieues seulement de Toulon, d'y saccager plusieurs habitations et
d'y enlever une trentaine de personnes ^ En 1661, 'ils recommen-
cèrent cette expédition à deux reprises différentes, et, au mois
d'août, s'emparèrent devant le Chàteau-d'If d'une barque sur
laquelle se trouvaient une cinquantaine d'habitants-, entre les-
quels plusieurs dames de haut rang, qui allaient en pèlerinage à
la Sainte-Baume. Au mois de juillet 1662, dix-huit de leurs bâti-
ments avaient choisi les îles d'Hyères pour quartier général, et
jetaient la consternation dans le commerce de Marseille 3; les
croisières du duc de Beaufort et du commandeur Pol éloignèrent
ces hôtes incommodes.
Leur audace était devenue excessive. Laissant leurs galères
écumer la Méditerranée, ils allaient au loin chercher fortune sur
l'Océan avec leurs vaisseaux de haut bord. Ils avaient toujours
devant le détroit de Gibraltar et dans les eaux des Açores quel-
ques croiseurs qui attendaient les galions des Indes ; l'embou-
chure du Tage était perpétuellement visitée par eux, ainsi que le
canal de La Rochelle et l'entrée de la Manche. En 1645, sept
d'entre eux avaient débarqué sur les côtes de Cornouailles, où ils
avaient enlevé 240 habitants et un énorme butin *. En 1650 ^ ils
étaient venus prendre des bâtiments marchands jusque devant
Plymouth, et ils avaient fait de même, en 1654, à l'embou-
chure de la Severn ^ En 1617, ils avaient envahi l'île de Madère,
qu'ils pillèrent à fond, emportant jusqu'aux cloches des églises,
et emmenant en captivité plus de douze cents personnes'. En
1634, Morat-Reïs avait écume les côtes d'Angleterre et d' Irlande et
y avait fait une descente près d'une petite ville nommée Baltimore,
où il avait fait 237 captifs ^ Mais aucun d'eux n'égala l'audace
aventureuse de Corne Morat, qui osa pousser jusqu'en Islande, où
1. Gazette de France, 1657, p. 956.
2. Id., 1661, p. 376, 760, 794.
3. Id., 1662, p. 729.
4. Id., 1645, p. 851.
5. Id., 1650, p. 1133.
6. Id., 1654, p. 99 et 171.
7. Histoire de Barbarie, d. c, p. 276.
8. Id., p. 276.
ÉTDDES ALGÉRIENNES. 29
il débarqua en 1627, et où il s'empara de 800 habitants, seul
butin que put lui offrir cette région désolée ^
Le fléau augmentait de jour en jour, et le nombre des pirates
s'accroissait en même temps que leur intrépidité. Gomment en
eût-il été autrement? Quelle raison eût pu empêcher tout homme
énergique d'embrasser une carrière dans laquelle on avait tout à
gagner et presque rien à perdre? Quelle excitation au mépris du
danger que la vue quotidienne de tous ces Reis gorgés de richesses,
qui traînaient quelques années auparavant une existence misé-
rable, et qui goûtaient maintenantes douceurs du kief dans leurs
somptueux palais d'Alger ou dans les villas toujours vertes qui
couronnent les coteaux voisins de la ville ! Pour devenir leur égal,
que fallait-il? Un peu de bonheur et un peu de courage. On se
racontait les histoires de ces hommes favorisés par le destin, qui
avaient conquis une fortune dès le premier jour de leur première
aventure.
On citait le Reïs, appelé le Grand More, qui, en 1635, avait
pris à l'abordage, pour son coup d'essai, le grand galion de Na-
ples^, chargé de blé, de 10,000 paires de bas de soie, 20 caisses
de fil d'or, 10 caisses de brocatelle, 76 canons, 10,000 bou-
lets et 130 captifs; Hamida ben Negro^ qui, en 1650, avait
failli prendre Don Juan d'Autriche et s'était emparé de la galère
la Sainte- Agathe, sur laquelle il avait trouvé 800,000 réaux,
les riches bagages du marquis de Serra, tué dans le combat, et
un nombre infini de captifs de qualité qui durent payer d'énormes
rançons pour recouvrer leur liberté ; Kara Oges, qui, en 1660,
se dégoûta de son métier de portefaix à la Marine, radouba, à
l'aide de quelques amis, une vieille barque abandonnée, prit la
mer au hasard et s'empara, quelques jours après, du vaisseau
marseillais Notre-Dame-de-la-Gay^de^, dont la cargaison fut
vendue 400,000 livres. Les moins favorisés prenaient des barques
chargées de blé, de vin ou de poissons salés; mais leur part se
montait encore à quelques miUiers de livres, et c'était une for-
tune dans un pays = où l'on pouvait acheter la viande de mouton
à un sou la livre, celle du bœuf à huit deniers, où la poule ne
1. Histoire de Barbarie, d. c, p. 276.
2. Gazette de France, 1635, p. 233.
3. Id., 1656, p. 390, 439, 463.
4. Gazette de France, 1660, p. 56, 1222 et 1661.
5. Histoire de Barbarie, d. c, p. 90.
30 n.-n. nE grammont,
coûtait que deux sous, une perdrix six blancs, un lièvre trois
sous, et où le pain, dit le Père Dan, était tellement bon marché,
que l'homme le plus affamé ne pouvait pas en manger pour plus
de huit deniers par jour. Aussi le corsaire indigène se bornait
généralement à une ou deux courses fructueuses et se retirait
ensuite des affaires, satisfait de jouir d'une médiocrité dorée dans
l'oisiveté chère aux Orientaux. Les renégats ne pensaient point
ainsi : ils apportaient dans l'exercice de leur profession l'ardeur,
l'activité et l'àpreté au gain des races septentrionales. Ils entas-
saient richesses sur richesses et prenaient peu de repos ; aussi
composaient-ils l'immense majorité de la corporation des Reïs.
Quelques-uns d'entre eux continuaient la course jusqu'à un âge
fabuleux. Le 24 juin 1665, lorsque le duc de Beaufort ' vint atta-
quer audacieusement les vaisseaux algériens sous le canon même
de la Goulette, le capitaine Des Lauriers, qui commandait
Y Étoile, se trouva en face d'un bâtiment corsaire de 50 canons
et de 600 hommes d'équipage, et l'aborda bravement. Le capi-
taine algérien était un renégat portugais, nommé Barbiere Has-
san : il était âgé de cent cinq ans ! Le combat, qui ne se termina
que par l'incendie du pirate, fut terrible; les deux commandants
y trouvèrent la mort, ainsi que le chevalier de Loire; l'enseigne
Riquetti se trouva cité parmi les nombreux blessés de cette rude
affaire.
Ces Reïs renégats constituèrent, pendant les deux dernières
périodes, la force vive de la Régence. Ils y apportèrent, en même
temps que leur énergie, des connaissances nautiques qui man-
quaient aux Turcs, et perfectionnèrent la construction et l'arme-
ment de leur marine. De plus, enchaînés par leur première
défection et sachant qu'ils n'avaient pas de grâce à attendre s'ils
étaient pris, ils montrèrent le plus souvent un courage indomp-
table et firent avorter la plus grande partie des tentatives que fit
la Chrétienté i)0ur purger les mers de ce fléau qui rendait la
navigation presque impossible. Ce fut à leur force de résistance
qu'Alger dut d'échapper au sort que firent subir aux corsaires de
Tripoli, de Sainte-Maure et de Bizerte les Chevaliers de l'ordre de
Saint-Jean-de-Jérusalem .
Cet ordre, institué en 1099 pour donner des soins aux malades
et aux blessés de la Croisade, s'était vu entraîné par la force des
1. Gazelle de France, 1GG5, p. 389-404.
ÉTUDES ALGÉRIENNES. 31
choses à modifier ses statuts, et, dès l'année 1118, abandonnant
aux Frères Servants les soins hospitaliers, les Chevaliers avaient
repris les armes à l'instigation de leur deuxième Grand Maître.
Leurs exploits n'avaient pas tardé à les rendre célèbres et à atti-
rer sur eux le courroux des princes musulmans. Successivement
expulsés de la Palestine, de Chypre et de Rhodes, ils avaient fini
par trouver dans l'île de Malte un abri, grâce auquel ils purent
résister victorieusement aux eff'orts de la Porte. Leurs galères
redoutables, toujours prêtes à offrir ou à accepter le combat,
sillonnèrent la Méditerranée par une croisière perpétuelle, et
firent subir au commerce et aux rivages de l'Islam le sort que les
Algériens infligeaient aux Chrétiens. Ces cadets de famille,
dressés dès leur plus tendre enfance au métier des armes, trou-
vèrent dans la guerre sans relâche qu'ils firent aux Infidèles la
satisfaction de leurs appétits belliqueux, l'accomplissement de
leurs vœux religieux, les honneurs, la gloire et quelquefois la
fortune. Lorsque, brisés par l'âge ou les blessures, ils devenaient
incapables de continuer leurs dures campagnes, ils trouvaient
une sûre et honorable retraite dans une des nombreuses Comman-
deries que les souverains chrétiens s'étaient plu à fonder ou à
enrichir de leurs dons. Ceux qui étaient encore valides servaient
dans les flottes roj'ales, auxquelles ils fournissaient un nombreux
contingent d'excellents officiers. Tous ces avantages étaient plus
que suffisants pour attirer sous la bannière de l'Ordre une ardente
jeunesse qui ne tarda pas à devenir l'effroi des côtes barba-
resques.
Il faudrait des volumes pour raconter leurs exploits contre les
seuls Algériens depuis le jour où, sous les ordres de Charles-
Quint, ils vinrent enfoncer leurs dagues dans la porte Bab-
Azoun* jusqu'au 20 juillet 1784, quand les flottes alliées les
saluèrent de leurs acclamations enthousiastes au moment où,
sous le feu terrible de la place, ils descendirent sur le môle pour
y accrocher les chaînes d'attache des brûlots incendiaires de Don
Antonio Barcelo ^ Les corsaires d'Alger purent longtemps con-
server le souvenir du chevalier de Valence qui, monté sur une
hourque de six canons et de cinquante hommes d'équipage, se vit
entouré, le 25 novembre 1633, par cinq vaisseaux de guerre qui
1. Marmol, 1. V, f» 218, elc.
2. Gazette de France, 1784, p. 310 et suiv.
32 n.-D. DE GRAMMO\T.
le som ^rent de se rendre. Il répondit en commençant le feu, se
battit dix heures de suite et parvint à ramener au port de Leu-
cate son petit bâtiment, percé de plus de 200 coups de canon et
ne contenant plus que quinze hommes en état de combattre ^; des
deux frères de Villages qui, au mois d'octobre 1635, se défen-
dirent héroïquement avec leurs deux galères contre quinze gros
vaisseaux-; du chevalier de la Perrière qui, en 1650, assailli
par trois navires ennemis, en coula un, brûla l'autre et prit le
troisième ^.
La Gazette de France est remplie de faits de ce genre. Le
29 janvier 1650 ^ un corsaire d'Alger rencontre en mer le Saint-
Jean- Baptiste, vaisseau marchand de Hambourg, et se lance
sur lui, croyant l'amariner sans combat ; mais il se trouvait à
bord 22 chevaliers de Malte , passagers français ; ils mettent
l'épée à la main, repoussent sept abordages consécutifs, sou-
tiennent un combat de cinq heures, au bout desquelles le cor-
saire, rebuté par ses pertes, se retire, laissant le vaisseau se
diriger vers Malte, la coque percée de plus de cent coups de
canon. En 1660, c'est M. de Saintôt^ qui soutient à lui seul un
combat de huit heures contre sept bâtiments ennemis ; plus tard,
c'est l'infatigable chevalier de Valbelle, toujours en lutte et
toujours vainqueur, et le chevalier Pol, et le comte de Veriie,
et tant d'autres, la terreur des pirates et la gloire de leur ordre.
Cependant tout cet héroïsme ne servit qu'à arrêter un peu les
progrès du mal, sans parvenir à le couper dans sa racine; il eût
fallu pour une pareille œuvre l'entente et l'effort simultané des
marines européennes; les conditions de rivalité dans lesquelles
elles se trouvèrent pendant presque toute la durée de la Régence
d'Alger rendirent cet accord impossible.
V.
Nous avons vu, en eJBfet, que, pendant le xvi« siècle et la pre-
mière moitié du xvif, la France avait fermé les yeux sur les
exactions des Algériens, qui ne l'atteignaient que fort peu, tandis
1. Gazette de France, 1634, p. (j.
2. Id., 1636, p. 170.
3. Id., 1650, p. 931.
4. Id., id., p. 589.
5. Id., 1660, p. 320.
ETUDES ALGERIENNES. 33
qu'elles ruinaient l'Espagne, sa rivale; celle-ci s'était donc trou-
vée seule avec Venise pour combattre la Course dans la Méditer-
ranée.
Les Anglais et les Hollandais, dont le commerce avec le
Levant était alors peu considérable, n'eurent pointa se préoc-
cuper de cette question. Du reste, leurs bâtiments marchands
avaient pris , de bonne heure , l'habitude de ne sortir que bien
armés et de traiter les pirates avec une extrême rigueur. Près de
la côte, on les pendait; au large, on les faisait sauter par-dessus
le bord, le tout sommairement et sans jugement.
Cependant, vers 1620, leurs déprédations étaient devenues
tellement nombreuses, que tout le monde s'émut. L'expédition
des galères de France commandées par M. de Gondy S celle de
la compagnie des vingt vaisseaux anglais qui canonna Alger en
1621 2, et celle de 1624, sous le commandement de l'amiral hol-
landais Lambert 3, furent les débuts de cette longue série de
répressions qui allait durer pendant deux siècles sans pouvoir
aboutir à rien. Ce fut en vain que la France envoya successive-
ment le comte d'Harcourt ^ l'amiral de Mantin % le duc de Beau-
fort ^ Duquesne", Tourville^ le maréchal d'Estrées» et tant
d'autres, appuyer ses justes plaintes par le canon de ses flottes ;
l'Angleterre n'eut pas plus de succès, malgré les efforts du duc de
Sandwich *o et du chevalier Spragg '\ non plus que la Hollande
avec des hommes comme Ruyter, Tromp et Binker ^^ ]<io^g
n'avons pas à entrer ici dans le détail des expéditions dirigées
par ces grands hommes de mer; il suffit de dire que toutes se res-
semblaient et qu'elles eurent toutes le même insuccès. Toutes ces
flottes, après une croisière plus ou moins heureuse, arrivaient
1. Mercure François, t. VI, p. 470.
2. Mercure François, t. VII, p. 179.
3. Sander Rang, Précis analytique de l'Histoire d'Alger. (Tableau des éta-
blissements français en Algérie, 1834.)
4. En 1635.
5. En 1637.
6. En 1663, 1664, 1665.
7. En 168Z et 1683.
8. En 1679 et 1681.
9. En 1685.
10. En 1661, 1662.
11. En 1669-1671.
12. En 1661-1664.
Rev. TîrsTon. XXY. l^'' F,\sr.. 3
3'( H.-D. DE ORAMJTONT.
devant Alger et se mettaient à canonner ou à bombarder la ville.
Au bout de quelques jours de feu, les pachas ou les deys, craignant
le soulèvement de la population, demandaient à entrer en pour-
parlers. Après de longues tergiversations, ils feignaient de con-
sentir à se laisser arracher un traité, qui était toujours violé dès le
lendemain du départ de la flotte. Le résultat le plus clair qu'on pût
obtenir était la délivrance de quelques misérables captifs, qui
se trouvaient payés au delà de leur valeur par les présents qu'il
était d'usage de faire en pareille occasion. Les choses se passèrent
ainsi pendant toute la durée de la Régence, et elles ne pouvaient
pas se passer autrement. Le tort des gouvernements européens
fut de ne rien comprendre à la situation intérieure d'Alger et de
considérer les paclias et les deys comme des souverains, alors
qu'ils n'avaient aucun pouvoir effectif. Ils n'eussent certainement
pas mieux demandé que d'avoir la paix et d'observer les traités;
car leur tête était mise en jeu à chaque bombardement ; mais
ils ne le pouvaient pas. Ils étaient complètement impuissants à
empêcher la Course, qui, comme nous l'avons dit, était la seule
industrie de la ville et le seul moyen d'existence de la population
tout entière. La première tentative de ce genre eût soulevé contre
eux une émeute de la Taïffe dans laquelle ils eussent perdu la
vie; les janissaires eux-mêmes, qui savaient très bien que leur
solde n'était assurée que par les revenus provenant des prises,
eussent participé à la révolte. Il existe à ce sujet des réponses
bien caractéristiques faites à nos consuls et à nos chargés d'af-
faires : en 1685, c'est Mezzomorto, qui, ayant appris de M. Dus-
sault* combien avait coûté le double armement de Duquesne,
s'écrie : « Gloire de Dieu, pour ce prix-là, j'aurais brûlé moi-
même la ville tout entière! »; en 1734, Ibrahim Kasnadji
répond à M. Lemaire, qui l'engageait à faire punir quelques
Reïs : « Je n'ai qu'une tête et je tiens à la conserver. »
Ces deux réponses donnent la véritable clef de la situation :
elles montrent combien les pachas et les deys se montraient indif-
férents aux dommages que pouvaient éprouver leurs sujets, et
combien toute innovation eût été à craindre pour eux. Voyant à
la fin qu'elles n'avaient rien à gagner de ce côté, les nations
chrétiennes s'adressèrent à la Porte et la sommèrent d'intervenir en
1. M. Dussault était gouverneur du Bastiou et avait été chargé de préparer
un traité avec Alger.
ETUDES ALGERIENNES. 3?)
qualité de suzeraine. C'était encore montrer une profonde igno-
rance de l'état d'Alger et des relations qui liaient cette puissance
au Grand Divan. Depuis la fin du xvi" siècle, la Régence ne
recevait plus d'ordres de Constantinople, ou tout au moins elle n'y
obéissait que lorsque cela lui faisait plaisir, et, depuis le combat
naval de la Velone, les Reïs refusaient de se joindre aux flottes
ottomanes, à moins d'être indemnisés d'avance des pertes qu'ils
pourraient faire. C'est ainsi que le Sultan, pour les décider à
sortir de leur port, dut leur faire parvenir 16,000 sultanins d'or
en 1646* et 50,000 en 1651^; encore trouvèrent-ils le marché
onéreux, et ce fut la dernière fois qu'ils l'acceptèrent. En même
temps, la milice, lasse de se voir envoyer des Pachas qui ne son-
geaient qu'à profiter de leurs trois ans de règne pour s'enrichir,
refusa de les laisser gouverner à partir de 1659 et finit par ne
plus les recevoir du tout. Il n'y avait donc plus aucun lien
d'obéissance entre le Divan d'Alger et celui du Grand-Seigneur.
Cependant, la Porte, trop orgueilleuse pour avouer cette
situation aux nations chrétiennes, accueillait leurs réclamations
et les appuyait à Alger par l'envoi de quelques Chaoux, généra-
lement assez mal reçus. Déjà, en 1604, Mustapha Aga, qui avait
accompagné M. de Brèves, faillit être massacré par la milice'';
en 1660, il ne fut pas même permis aux envoyés du sultan de
débarquer^; en 1725, l'envoyé de l'empereur d'Autriche, qui
avait obtenu l'escorte de la flotte ottomane, se vit bafouer en
plein Divan en même temps que l'amiral turc lui-même^, et
comme celui-ci reprochait aux Algériens leur peu de déférence
aux ordres du Grand-Seigneur : « Il nous a laissé bombarder
trois fois sans nous porter secours, » lui fut-il répondu; et le
peuple criait sur le passage des Capidjis : « De quoi le Sultan
veut-il que nous vivions, s'il faut avoir la paix avec tout le
monde? Nous l'avons avec les Français et les Anglais, et c'est
déjà trop. »
C'est qu'en eff'et la population algérienne en était arrivée à ce
point que l'exercice de la piraterie lui paraissait être un droit
naturel et une sorte de propriété qu'on était fort mal venu à
1. Gazette de France, 1646, p. 344.
2. Id., 1651, p. 375.
3. Voir les Voyages de M. de Brèves, d. c.
4. D'Araiida, Relation, d. c, p. 157.
5. Voir, entre aulres, la Gazette de France, 17'24, p. 324, et 1725, p. 539.
36 H.-D. DE GRAMMONÏ.
tenter de lui ravir. Cette appréciation peut paraître extraordi-
naire et même paradoxale, mais les exemples ne manquent pas
pour la justifier. Au mois de mai 1740 ^ le roi des Deux-Siciles
demanda à conclure un traité avec Alger, et envoya à ce sujet le
chevalier Finochietti, porteur d'un firman du Sultan. Un grand
Divan fut réuni pour délibérer et refusa de faire la paix, moti-
vant ses conclusions sur ce que toutes les nations demandaient à
traiter; que la marine n'avait plus de quoi s'occuper; que les
revenus du Trésor baissaient de jour en jour, et qu'il serait beau-
coup plus opportun de rompre les anciens traités que d'en con-
clure de nouveaux. L'envoyé deNaples ne se rebuta pas et revint
au mois d'aoiit avec une deuxième lettre du Grand Vizir ; on lui
demanda alors quelle indermiité il offrait en dédommage-
ment des pertes que ce traité causerait à la Régence; et on
lui fit des propositions tellement exorbitantes qu'il dut se retirer
sans avoir rien avancé.
En 1747, la République de Venise fut traitée absolument de la
même manière, et ne put conclure la paix que vingt et un ans plus
tard, moyennant un tribut annuel de 12,000 sequins d'or et un
présent de 22,000 sequins fait à Baba Ali -.
Nous avons vu précédemment que, depuis l'avènement des
Deys, la marine avait été reconstituée sous le patronage de l'Etat,
qui était devenu propriétaire de presque tous les gros vaisseaux
de guerre. Les reïs de ces bâtiments étaient choisis par l'Oukil el
Hardj de la marine, qui les tenait à sa discrétion, et pouvait
obtenir d'eux une obéissance presque complète. Ils devaient se
faire présenter par les capitaines de vaisseau des nations amies
les passeports algériens dont ceux-ci devaient être pourvus, et
s'arrogeaient en même temps le droit de visiter les navires mar-
chands pour s'assurer de la provenance de la cargaison et de la
nationalité de l'équipage. On comprend combien ce droit de
visite était onéreux et à combien de tracas et d'injustices il expo-
sait les capitaines marchands.
D'un autre côté, ceux-ci ne se croyaient pas tenus à la moindre
loyauté en ce qui concernait les passeports, et en faisaient un
trafic continuel au profit des nations qui n'avaient pas pu obtenir
la paix. Tout cela formait une cause permanente de chicanes, de
1. Gazette de France, 1740, p. 398, 443, etc.
2. Gazette de France, 1767, p. 181.
ETUDES ALGEUIE'V-XES. 37
mauvais procédés et de ruptures, dont les Deys étaient d'autant
plus prodigues , que chaque nouveau traité était pour eux la
source de cadeaux personnels.
Depuis qu'ils avaient fait admettre en principe que toutes les
nations qui voudraient garantir leur commerce contre la Course
devaient payer un tribut proportionnel aux pertes qu'elles auraient
pu faire, toute l'Europe s'était soumise successivement, à l'excep-
tion de la France, de l'Angleterre et de l'Espagne. La Hollande en
avait donné l'exemple, bientôt suivi par la Suède, le Danemark
et les villes anséatiques, puis plus tard par les petites puissances
de la Méditerranée. On a souvent qualifié ces transactions de
honteuses, sans vouloir se rappeler que les nations qui les avaient
faites s'étaient épuisées en vains efforts pendant de longues
années pour se débarrasser par les armes du joug qui pesait sur
elles ; ce ne fut qu'après avoir reconnu l'inutilité de leurs tenta-
tives, qu'elles se courbèrent sous un impôt devenu moins ruineux
pour elles que les démonstrations belliqueuses restées jusqu'alors
inutiles. Ce qu'il y eut de véritablement répréhensible dans la
conduite de la Hollande, du Danemark et de la Suède, fut la faci-
lité avec laquelle ces trois pays consentirent à acquitter leur
tribut en munitions de guerre et en approvisionnements de
marine, se faisant ainsi les véritables pourvoyeurs de la pira-
terie. C'est ainsi qu'en 1680 ', la Hollande fournissait à Alger
8 pièces de canon de cinquante livres de balles avec les acces-
soires, 40 mâts, 500 barils de poudre, 5,000 boulets et un vais-
seau plein de câbles et d'agrès divers, s'enga géant à faire le
même présent tous les ans. En 1711 ^, ils donnèrent 8 canons de
bronze, 16 de fer, 24 affûts, 7,000 boulets, 600 milliers de
poudre, 800 fusils, 400 lames d'épée, 25 mâts et 8 gros câbles.
En 1731 3, la Suède envoyait 800 barils de poudre, 8 gros câbles,
50 mâts, 800 fusils, 800 sabres, 40 pièces de canon et 6,000 bou-
lets. Cet excès de complaisance ne les mettait pas à l'abri des
avanies du Divan : en 1747 ^ le roi de Danemark ayant offert des
mortiers au Beylik, on les lui renvoya en constatant qu'ils étaient
en fonte : il lui fut déclaré qu'on n'acceptait que des mortiers de
bronze et qu'on lui donnait six semaines pour réparer son erreur.
1. Gazette de France, 1G80, p. 300.
2. /d., 1711, p. 59.
3. M., 1731, p. 224.
4. Id., 1747, lettre d'Alger du 14 décembre.
3s H.-D. DE GRAMMONT.
Mais, ce qui dépasse tout le reste et arrive à une sorte de gran-
deur picaresque, fut la conduite qu'ils tinrent avec la Suède en
la même année 1747 K Le gouvernement de cette nation avait
fait charger les présents annuels qu'il faisait au Dey et à la
Régence sur un navire napolitain nommé la Conception Mira-
culeuse, qui tomba entre les mains des Algériens. Bien que les
caisses fussent dûment étiquetées et portassent l'adresse des desti-
nataires, la Régence les déclara de bonne prise, comme ayant
navigué sous pavillon ennemi, et les conserva à titre de capture,
faisant savoir à l'intéressé qu'il eût à renvoyer un nouveau pré-
sent dans le plus bref délai, et, cette fois, sous pavillon ami, si
on ne voulait être exposé au même sort .
De semblables avanies n'étaient pas rares, et les Consuls y
étaient fréquemment exposés, particulièrement ceux des nations
faibles. A l'origine, la France seule avait eu des agents à Alger,
l'Angleterre et la Hollande vinrent ensuite, puis la Suède, le
Danemark et les Etats de l'Italie. A vrai dire, il est assez difficile
de comprendre à quoi pouvaient servir ces petits chargés d'affaires,
qui coûtaient fort cher, et dont les réclamations n'étaient jamais
écoutées : ceux de France et d'Angleterre avaient déjà beaucoup
de peine à obtenir justice de temps en temps ; encore fallait-il
qu'ils fussent armés d'une patience à toute épreuve et d'une fer-
meté rare, qu'ils déployassent une très grande habileté et qu'ils
prodiguassent les présents. Il est nécessaire de dire un mot de
ces donatives, qui jouent un si grand rôle dans l'histoire des
relations consulaires de l'Europe avec la Régence.
Nos premiers Consuls évitèrent avec soin de faire des présents
à époques fixes aux Pachas et aux grands dignitaires. Ils avaient
été mis en garde par les rapports de nos ambassadeurs contre
ce trait particulier du caractère turc qui transforme en droit
acquis toute habitude prise ; en sorte que celui qui a reçu deux
fois de suite un cadeau à une époque ou dans une occasion
déterminée, le considère comme lui étant dû à la même époque
ou dans une occasion semblable, et le réclame impérieusement si
on oublie de le satisfaire ^.
Ce fut pour avoir négligé de s'informer de cette particularité
que les représentants de l'Angleterre et de la Hollande se virent
1. Voir la note précédente.
2. Gétail le droit de couiame (Aouaid).
ETUDES ALGÉRIEIXNES. 31»
entraînés à des dépenses considérables qui se renouvelaient à
l'avènement des Deys, au commencement de chaque année, à la
fin du Ramadan, à la naissance ou à la circoncision d'un fils du
Souverain, et dans vingt autres occasions engendrées parla cupi-
dité naturelle de la race à laquelle ils avaient afiaire. Les con-
suls français, pour ne pas laisser ceux des nations rivales s'em-
parer de la faveur des grands, furent forcés de suivre leur
exemple, après avoir longtemps résisté. Ce fut en 1743 que
M. Thomas fit des présents pour la première fois. C'est une étude
très curieuse à faire que celle de ces donatives, et on y voit
se dévoiler la mendicité arrogante des Deys et des Puissances. Il
n'y a pas une seule lettre de nos consuls qui ne contienne quelque
nouvelle requête faite par eux^ Ils ont envie de tout ce qu'ils
voient et de tout ce dont ils entendent parler. La variété des
choses qui font l'objet de leurs demandes est incroyable. Je ne
parle pas des armes, des vêtements dorés, des pendules ni des
bijoux : ce sont là les présents d'usage ; mais ils ne craignent
pas de réclamer des bouteilles de liqueurs et d'eau de la reine de
Hongrie, des pommades, du sucre candi, des bougies, des confi-
tures, des pommes, des châtaignes, des jouets d'enfant, et jusqu'à
des meubles d'un usage tellement intime, que le consul se trouve
embarrassé pour transmettre cette étrange pétition. Et ce n'est
pas tout : ils chicanent sur la quantité et la qualité; ils renvoient
les vêtements et en demandent d'autres, parce que la doublure
ne leur a pas plu ; les caisses de fruits, parce qu'il s'en trouve
quelques-uns avariés ; l'eau de la reine de Hongrie, parce qu'elle
est d'une qualité inférieure à celle du dernier envoi, et ainsi
de suite. Le tout, sans se départir un instant de leur gravité
orgueilleuse : à les entendre, ce n'est pas pour la valeur du
cadeau, dont ils se soucient fort peu; mais ils ne peuvent pas
supporter ce manque d'égards ; ils veulent bien croire qu'on n'a
pas eu l'intention de les offenser, mais on fera bien d'y faire
attention désormais ; et là-dessus, les menaces arrivent, et l'in-
terruption des relations, et quelquefois de plus mauvais procédés
encore. Il faut toute la fermeté de nos agents, leur amour du bien
public et la certitude qu'ils ont des dommages irréparables qu'une
rupture causerait au commerce français, pour ne pas éclater d'in-
1. Voir, aux archives de la Chambre de commerce de Marseille, les lettres
des consuls d'Alger.
-^0 H.-D. DE GRAMMONT.
dignation devant des exigences semblables. La lecture de leurs
lettres nous apprend qu'ils sont bien loin d'y être insensibles, et
que les dangers que courraient leurs personnes ne les arrêteraient
pas s'ils n'étaient retenus par de plus hautes considérations.
C'est une intéressante histoire que celle de ces hommes dévoués ;
depuis M, de Vias, qui, enchaîné au bagne, écrivait à Henri IV :
« Ma personne n'est rien et le bien du royaume est tout, » jus-
qu'à M. Vallière, qui, en 1794, sauvait une partie de la France
de la famine par des envois continuels de grains, qu'il faisait
arriver en dépit des croisières ennemies, et qui trouvait moyen
de négocier auprès du dey un emprunt sans intérêt de cinq mil-
lions, à un moment où la République n'eût pas pu trouver un
écu dans toute l'Europe. Cette histoire est très honorable pour
notre pays, ainsi que pour la belle ville de Marseille, dont
presque tous ces hommes furent natifs ou originaires, et qui peut
s'enorgueillir à bon droit d'avoir été pour l'Etat, pendant près
de trois cents ans, une pépinière d'agents zélés pour le bien de la
patrie, d'une haute intelligence, d'une grande probité, et parmi
lesquels on en voit qui poussèrent l'abnégation jusqu'au sacrifice
le plus complet de leurs biens personnels.
Plusieurs d'entre eux (chose triste à dire) ne furent pas récom-
pensés comme ils auraient dû l'être, et moururent dans la misère
après avoir dépensé leur avoir au service du roi. Ni ces exemples
fâcheux, ni la mort tragique des Le Vacher, des Montmasson et
des PioUe, attachés à la bouche du canon, ne purent ralentir le
zèle de leurs successeurs, qui restèrent vaillamment sur la brèche
jusqu'au jour où le canon de 1830 vint venger d'un seul coup
toutes les injures accumulées.
VI.
La chute d'Alger, qui n'avait été si longtemps retardée,
comme nous l'avons dit plus haut, que par les dissensions euro-
péennes, était devenue un fait fatalement prochain depuis les
événements de 1815 et l'établissement de la Sainte-Alliance. Il
était en effet impossible que l'Europe pacifiée continuât à sup-
porter le joug d'une poignée de brigands et à leur payer tribut ;
les Algériens allaient être les premiers à supporter le contre-
coup du trop plein d'activité que laissait la paix aux forces vives
du continent. Les États-Unis avaient, depuis quelques années
ÉTUDES ALGÉRIENNES. A\
déjà, signifié au Dey qu'ils ne payeraient plus aucune redevance,
et qu'ils tireraient une vengeance éclatante de tout acte d'hos-
tilité commis sur leurs nationaux. Les Hollandais firent la même
déclaration en 1816, et, quelques jours après, leurs vaisseaux,
réunis à la flotte anglaise, bombardaient Alger sous le comman-
dement de l'amiral Exmouth, qui avertissait le Divan de n'avoir
plus à compter même sur les donatives. La France n'en four-
nissait plus depuis le consulat de Jean Bon Saint-André, qui
avait su habilement profiter de la frayeur qu'avaient causée aux
Barbaresques les victoires de Bonaparte, et qui put dire avec
raison à son successeur : « J'avais trouvé ici la France à genoux,
je vous la laisse debout ^ » Il ne restait donc plus à la Régence,
en fait de ressources extérieures, que les tributs, très irrégulière-
ment payés, de la Suède, du Danemark, de Hambourg et de la
Toscane; aussi le déficit croissait-il de jour en jour; tous les ans,
on était forcé de puiser de plus en plus dans le trésor de l'Etat,
que rien n'alimentait plus : on vivait sur le passé. La misère
était extrêra'e; l'armement des forts était plus qu'insuffisant, et il
avait été impossible de remplacer les pièces mises hors de service
dans l'attaque de lord Exmouth ; les vivres et les munitions man-
quaient ; il n'y avait dans le port que quatre bâtiments en état
de combattre ; la milice, que le Père Dan avait vue en 1628 forte
de vingt-deux mille hommes, n'en comptait plus que quatre mille
au moment du recensement officiel ordonné par Mohammed Kas-
nadji, et encore, sur ces quatre mille soldats, on n'en avait
trouvé que trois mille trois cents qui fussent valides. Cette troupe,
irréguhèrement soldée, était dans un état d'insurrection perma-
nente et se payait par ses propres mains en pillant les habitants
de la ville, et principalement les juifs, les seuls commerçants
d'Alger, qui se décidaient à émigrer en masse.
Ce fut en vain qu'en 1817 Ali Khodja, appuyé sur sa garde
Kabyle et sur les Coulourlis, essaya de se débarrasser de cette
horde indocile ; après en avoir fait massacrer douze ou quinze
cents, il eut la faiblesse d'entrer en composition avec le reste,
ineptie qu'il eût sans doute payée de sa tête s'il n'eût été emporté
par la peste quelques mois après.
Le vieux navire faisait eau de toutes parts : les Deys, qui le
sentaient sombrer, attendaient le dernier moment avec la rési-
l. Précis analytique de Sander Rang^ d. c.
-12 Jl.-D. m: GMMMONT. — ETUDES ALGERIENNES.
gnation du fatalisme oriental : enfermés dans la Casbah, dont ils
n'osaient presque plus sortir, vivant sous le coup d'embarras
financiers continuels et de conjurations incessantes, leur exis-
tence était certainement bien peu digne d'envie : ils s'en ren-
daient très bien compte, et, lorsque le célèbre coup d'éventail fut
venu précipiter la marche des événements, on dit que Hussein-
Dey, une fois rassuré sur son propre sort, ne se montra pas
médiocrement satisfait d'une solution qu'il jugea être tout à son
avantage; on ajoute même qu'il ne cacha pas cette manière de
voir aux émissaires d'une nation qui, pour susciter des embarras
à la France, lui laissait entrevoir l'espérance d'être aidé dans le
cas oîi il eût consenti à se mettre à la tête d'un mouvement
insurrectionnel.
Aujourd'hui, la Méditerranée est entièrement purgée du bri-
gandage maritime qui l'a désolée si longtemps : peut-être reste-
t-il encore, sur les rivages du Riff, quelques barques de marau-
deurs, qui osent à peine s'attaquer de temps en temps aux
embarcations de pêche, et dont le nombre décroît de jour en jour
depuis que la citadelle de la Course est tombée entre les mains de
la civilisation.
H.-D. DE Grammont.
[Sera continué. )
MÉLAN&ES ET DOCUMENTS
RELATIONS
DE LA FRANCE ET DE LA FRANCHE-COMTÉ
PENDANT LA FRONDE.
NÉGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET.
L'antique Séquanie, la Franclie-Gomté moderne, est une terre
essentiellement française. Incorporée par une assimilation lente et
douloureuse à la nation dont les nécessités politiques et les affinités
les plus évidentes l'appelaient à faire partie, elle a subi des rigueurs
qui l'ont obligée longtemps à lutter contre sa destinée ; mais les
malentendus et les répugnances passées ont fait place au dévouement
le plus sincère, et l'ancienne force de résistance est devenue l'énergie
défensive qui se retournerait au besoin contre les ennemis de la mère
patrie. Adossée au Jura, placée en face de la trouée de Belfort, elle
garde, sur la frontière la plus menacée, le rempart le plus indispen-
sable à la sécurité commune, au service de laquelle appartiennent
sans retour le courage héréditaire et la ténacité proverbiale de ses
enfants. Nulle province n'occupe dans notre histoire militaire une
place plus honorable. Les noms de Moncey, de Lecourbe, de Piche-
gru, de Pajol, pour n'en pas citer d'autres, attestent la puissance
des aptitudes qui, chaque année encore, y donnent de nombreuses
recrues aux grandes écoles dans lesquelles se préparent les meilleurs
éléments de la défense nationale.
Dans l'ordre purement intellectuel, sa mission n'est pas moins
manifeste ni sa nationalité moins fortement accusée. Aucune popu-
lation ne s'est montrée plus tôt et plus profondément imprégnée de
l'esprit français. Dans tous les genres d'écrire on l'a vue marcher au
premier rang et tracer la voie que d'autres devaient suivre avec plus
de bonheur. Avant Corneille, elle nous a donné dans Mairet une pre-
7,4 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
mière idée de la véritable tragédie. Avant les grands explorateurs du
passé de la France au xvii' siècle, elle a produit dans Pierre Matthieu
le poète de la ligue et l'historien d'Henri IV; avant Bossuet, elle
nous a fait voir, dans le P. Lejeune, une première image de la haute
éloquence sacrée. Le goût des sciences exactes s'y associe, dans une
heureuse mesure, aux qualités de l'imagination. Sans parler des
savants et des philosophes qui l'ont associée à leurs spéculations,
témoin Jouffroy, Pouillet, Cournot, Pasteur, sans rappeler la liste
déjà longue des peintres et des sculpteurs comtois, on peut dire en
général qu'elle unit à l'esprit d'indépendance qui la distingue ce
mélange de sagesse et de témérité qui forment le trait saillant de
notre caractère. Quand s'est produit de nos jours un essai puéril à
certains égards et si puissant à d'autres de rénovation httéraire, elle
a donné à l'armée romantique G. Nodier pour éclaireur et V. Hugo
))our chef. Partout, même dans les recherches aventureuses (\ue sus-
cite l'état inquiet d'une société travaillée par le souci du lendemain,
c'est à la Comté que revient l'honneur de poser les problèmes ou de
hasarder les solutions; quelles que soient celles que formulera
l'avenir, il ne pourra le faire sans évoquer le souvenir de Proudhon
et de Fourier. Cette province est donc française, même dans la géné-
rosité de ses illusions, et tout, jusqu'à l'erreur, y porte le cachet de
la race.
D'où vient donc qu'une nationalité si nettement attestée fut si
longtemps méconnue de ceux-là même qui devaient, autant et plus
que d'autres, l'honorer et s'en faire honneur? D'où vient qu'elle a
tant tardé à entrer dans le système auquel sa position géographique,
sa langue et ses mœurs la rattachaient si étroitement? H faut en
accuser la politique, surtout celle qui subordonne le sort des peuples
à des alliances et à des intérêts de famille, et plus encore la situation
d'une contrée limitrophe entre deux grands États presque constam-
ment ennemis l'un de l'autre. Depuis le jour où le traité de Verdun
découpa dans l'héritage de Charlemagne la longue zone de terre qui
devait ajouter la Lotharingie au domaine d'un de ses petits-fds, la
Franche-Comté ne cessa d'être l'appoint des héritages et des traités
de paix. Englobée d'abord dans le royaume de Provence, formé des
débris du grand empire, quand il se désagrégeait entre les mains
de Charles le Chauve, puis dans celui de Bourgogne supérieure à la
chute de Contran Bozon, léguée par le dernier possesseur de cette
souveraineté factice à l'empereur Conrad, et plus tard par son der-
nier comte, Othon IV, à Philippe le Bel; française sous ce prince,
sous Philippe le Long, son fils, et sous Jean le Bon, qui tous deux
épousèrent les héritières de la Comté, aliénée de nouveau par le
NÉGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET. 45
second des Valois au profit du fondateur de la puissante maison qui
devait disparaître avec Charles le Téméraire dans les fossés de Nancy^
rejetée par la politique oppressive de Louis XI et le mariage de son
fds du côté de l'Allemagne; à partir du traité de Scnlis, en ^1493,
elle passa sous la domination de l'Autriche, qui la laissa jouir d'une
autonomie presque complète. Marguerite d'Autriche, abandonnant la
Bourgogne, héritage de sa mère, à son infidèle fiancé Charles VIII,
gouverna souverainement la Franche-Comté au nom de son neveu
Charles-Quint, avec l'assistance d'un enfant du pays, le cardinal
Grandvelle, et cette heureuse époque mérita d'être appelée « l'âge
d'or » de la province. Philippe II suivit en partie ces traditions, ne
la gouverna que par des intermédiaires, et son despotisme ombra-
geux n'y produisit d'autres elTets que ceux qui répondaient le mieux
aux sentiments du pays. Isabelle-Claire-Eugénie, fille de Philippe II,
et Albert d'Autriche, son époux, lui firent connaître à leur tour, pen-
dant un quart de siècle, les bienfaits d'une administration douce et
paternelle. En \ 02 1 , Phihppe IV reprit pour son compte la souve-
raineté déléguée par ses prédécesseurs à des princes de leur sang ;
mais il l'exerça sans intervenir dans les affaires du pays, sans en
tirer d'impôts, y faisant passer au besoin l'argent nécessaire à la
répression des ennemis du dehors, se bornant à ratifier la nomina-
tion de son chef militaire ' et les actes de son parlement investi delà
puissance publique, toujours attentif à ménager ce que les Comtois
estimaient par-dessus tout, leur foi religieuse et leurs franchises.
Sa mort ouvrit pour eux des perspectives nouvelles et posa la ques-
tion d'annexion à la France. L'époux de Marie-Thérèse, le petit-fils
de Philippe III, l'héritier de ces Capétiens et de ces Valois dont le
sang s'était mêlé à celui de leurs comtes héréditaires et dont une
branche avait occupé glorieusement le trône ducal des deux Bour-
gognes, Louis XIV réclamait les droits de sa femme sur cette partie
de l'héritage paternel, et pouvait tenir le même langage que lui prê-
tait peu d'années auparavant un de ses conseillers qui répondait aux
gouverneurs ^ des intentions pacifiques du roi : a Sa Majesté ayant
« toujours eu pour première fin de faire savoir à ceux du comté
« qu'elle a la même affection pour eux que leurs anciens comtes qui
« étaient sortis de la maison de France^. »
D'où venaient donc, à la veille d'une réunion si naturelle et si
1. Il était proposé au choix du roi par le gouverneur général des Pays-Bas.
2. C'était la commission du parlement de Dôle chargée du détail de ladmi-
nistration.
3. Lettre du comte de Loménie de Brienae, datée de Blois, le 21 mars 1G52.
46 MELANGES ET DOCUMENTS.
probable, les difficultés et les projets de résistance? Peut-être d'un
goût naturel pour l'indépendance en partie conservée sous la souve-
raineté de l'Espagne, ou d'une loyauté chevaleresque envers des
maîtres généreux et menacés; plus sûrement encore du souvenir des
maux que Toccupalion française avait déchaînés sur la province. Par
une singulière fortune, c'est à des princes allemands, à la domina-
tion plus lointaine et plus étrangère encore de l'Espagne que la
Comté avait dû la libre possession d'elle-même, la paisible jouis-
sance des trésors de la plaine et de la liberté des montagnes. C'est
au contraire de ses alliés naturels, d'un peuple frère par la race, la
langue et l'esprit qu'étaient venus l'oppression et le ravage, en
attendant l'heure de la réconciliation tardive et de linévitable fusion.
Louis XI, après Pavoir débarrassée des écorcheurs, la livre aux
cruautés du sire de Craon et de Georges d'Amboise. Henri IV y
envoie six mille hommes de troupes lorraines et la punit, par les
mains de Biron, de sa connivence avec Mayenne et le connétable de
Gastille. Richelieu, pour lui faire expier l'hospitalité accordée à
Charles IV de Lorraine et à Gaston d'Orléans, hospitalité dont le
président Boy vin avait prévu les funestes conséquences ' , et surtout
pour obéir aux conseils de son patriotisme impatient d'accélérer
l'œuvre du temps, déchaîne sur elle les calamités de la guerre de dix
ans qui dévaste la province, y propage la peste, la famine et l'in-
cendie, provoque ce long exode qui dispersa les habitants sur tous
les chemins de Fexil, et ne laisse subsister de vivant que la partie
centrale protégée par le quadrilatère de Gray, Besançon, Dole et
Salins. Vint enfin le règne réparateur de Louis XIV. D'une main
prodiguant les largesses, de l'autre ordonnant des sièges rapidement
et heureusement conduits, il fixa par une conquête abandonnée en
'lees, recommencée et devenue définitive en -1674, les destinées
longtemps incertaines et agitées de la Comté de Bourgogne, enfin
rendue à sa destination de frontière française, à ses relations natu-
relles et à ses premières affections.
Ce résultat était indiqué depuis longtemps. La noblesse comtoise
aspirait à trouver dans l'armée française l'emploi et le prix de sa
valeur, à la cour de France les modèles du savoir-vivre et le théâtre
le plus favorable à son ambition. Tout ce qui brillait par l'esprit
et les talents se tournait du coté de Paris pour y chercher l'inspi-
1. Parlant de l'escorte armée qui entourait Gaston d'Orléans fugitif : « Il y
en a bien peu, écrivait Boyvin, pour faire peur à la France, mais trop pour
nous faire du mal : hospitibus, non hostibus meluendi. » (Lettre du 21 sep-
tembre 1G31.)
NÉGOCIATrO?(S DE JEAN DE MAIRET. 47
ration ou ^ conquérir la renommée ^ C'était à la France que la
jeune noblesse allait demander le complément de son éducation
littéraire et mondaine, et le plus âpre défenseur de l'indépendance
comtoise, le vieil historien Girardot de Blanchemain, ne peut s'em-
pêcher d'en faire l'aveu 2. Il n'est pas étonnant que des gens d'esprit
et de qualité aient joué le principal rôle dans l'œuvre de Tannexion
définitive ou dans les transactions qui la préparèrent. La conquête
de i6<J8 fut accomplie en quinze jours « moins par la stratégie du
grand Gondé que par celle de l'abbé de Watleville ^. »
Mais les sages et les habiles avaient pu jouer, avant l'époque de
la conquête, un rôle plus généreux, plus conforme à la loyauté de
leurs ancêtres, moins entaché surtout du soupçon de convoitise et
des apparences de la défection, c'était celui qui consistait à négocier
et à défendre la neutralité si nécessaire au repos de la province,
indispensable garantie d'une existence régulière pour ses habitants,
entre les maîtres que la politique leur avait donnés et les voisins de
même race dont la guerre les eût séparés le plus souvent, au préju-
dice des intérêts et des relations de chaque jour.
Ce système de la neutralité répondait si bien aux nécessités de
cette situation complexe, qu'il avait été indiqué et suivi par les plus
illustres hommes d'État. Gharles-Quint l'imposait à ses ministres et
le recommandait à ses successeurs. Henri IV, après la défaite de
Mayenne, avait signé, en 1d9o, un nouveau pacte de neutralité fidè-
lement observé pendant son règne, et renouvelé quand Philippe II
reprit pour lui la souveraineté directe de la Franche-Comté. Déchiré
1. Voir dans Mademoiselle de Scude'ry, sa vie et sa correspondance, etc.,
par MM. Rathery et Boutron (Paris, Techener, 1873) les lettres de l'abbé Boisot,
le correspondant assidu de Sapho, l'un de ses confidents et amis les plus intimes.
— Voir aussi notre monograpbie sur ce savant personnage dans les Mémoires
de la Société d'émulation du Doubs, année 1874, page 455 et sq.
2. « La jeune noblesse qui, du passé, faisoit ses exercices dans les terres du
roi et dans les terres espagnoles où elle apprenoit la patience et le travail (lois
fondamentales du bien-être de la noblesse), avoit commencé d'aller aux acadé-
mies de Paris où la bienséance et les points d'honneur s'enseignoient délicate-
ment, et soubs de belles apparences se glissoient les vices de France aux
esprits prompts de notre jeune noblesse; si que les Espagnols, je diz plusieurs
années ne nous recevoient plus dans leurs terres, par crainte d'affection, et
nous de côté estions contraints de tenir la bride plus courte aux esprits
remuants et délicats. — Richelieu donc, pour jeter la division en ce pays,
s'adressa à la noblesse. » — Il dit plus loin que le ministre et le prince de
Condé « l'embouchoient par discours et moyens imperceptibles. » Histoire de
dix ans de ta Franche-Comté de Bourgogne, livre IV.
3. La Franche-Comté et le pays de Montbéliard, par A. Castaii. Paris, Dela-
grave, 1877, page 84.
48 MELANGES ET DOCUMENTS.
par la violence quand Richelieu la livra aux armes du prince Otto-
Louis, du maréchal de la Force et de Bernard de Saxe-Weimar, au
lendemain de ce conflit terrible, il apparut aux meilleurs esprits
comme le seul remède à sa désolation. Le héros du siège de Dole en
^630, le président Boyvin, qui, de concert avec le vieil archevêque
Ferdinand de Rye et le maître de camp de Verne, avait organisé la
résistance devant laquelle, après un bombardement formidable, le
père du grand Condé dut plier bagage et précipiter sa retraite, Boyvin
ne vit, après la mort de Richelieu, d'espérance de repos et de réta-
blissement pour la Comté que dans un nouveau traité de ce genre.
Ce traité fut le premier acte de l'administration de Mazarin. Il stipu-
lait pour vingt-neuf ans la neutralité entre les deux Bourgognes. La
Comté donnait en gage la ville de Gray et consentait à la démolition
du Château de Grimont-sur-Poligny. C'était une petite place plus
souvent occupée par l'ennemi que par les indigènes, un moyen d'op-
pression plutôt que de défense, et le sacrifice en était facile. En
attendant les ratifications, une surséance d'armes était accordée jus-
qu'au mois d'avril 1C44.
Mais toutes ces conventions étaient facilement éludées et, sans
violation formelle, ouvraient la porte à mille vexations quotidiennes.
Elles avaient en outre le défaut de coûter fort cher, sans en être
mieux garanties. C'est pourquoi, en ^648, au moment où le traité de
Westphalie rendait la paix à l'Europe et rouvrait pour la France
l'ère des disco''de3 intestines, Boyvin résolut d'asseoir sur de meil-
leures bases un nouveau pacte de neutralité et de donner la charge
de le conclure à un intermédiaire habile, également bien vu des deux
parties contractantes. Ce négociateur fut Jean de Mairet. L'auteur de
Sophonisbe était, en effet, l'homme qui pouvait le mieux remphr
cette mission délicate. Né le î) mai ^1004 ', à Besançon, élevé à Paris,
au collège des Grassins, il avait été adopté de bonne heure par la
société polie comme un sujet d'élite et un poète à la mode. Sa Sylvie
improvisée, ou peu s'en faut, sur les bancs du collège, avait passé
1. Cette date n'a jamais été fixée avec précision. M. Bizos, auteur d'une étude
fort complète sur la vie et les œuvres de Jean de Mairet (thèse soutenue
devant la faculté de Paris, en juillet 1877), se contente de dire qu'il naquit
« en 1604 au mois de janvier. » Voici son acte de naissance ou plutôt celui de
baptême qui, à cette époque, en tenait lieu : « Joannes, films Joannis Maret
(sic) et ejusdem uxoris Maria Clerget, baptisatus fuit die décima maij
anno Domini millesimo sexcenlesimo quarto, cujus patrinus fuit dominus
docior Sauget et matrina Joanna Cler. » (Extrait des registres de baptême
de la paroisse Saint-Pierre — mairie de Besançon.) Si le baptême a eu lieu,
suivant l'usage, au lendemain de la naissance, Mairet est né le 9 mai 1604.
NÉGOCIATIONS DE JEA.\ DE MAIRET. 49
pour une merveille, et les dialogues semés de pointes de cette pré-
tentieuse pastorale faisaient les délices de la cour et l'ornement de
toutes les mémoires. Après s'être exercé dans ce genre maniéré, il
avait abordé la haute poésie dramatique et frayé la route à Corneille
dans sa tragédie de Sophonisbe. Il était un des cinq auteurs qui tra-
vaillaient sous les ordres du cardinal de Richelieu, mais avant de
remplir auprès du redoutable ministre cet emploi de collaborateur à
gages, il avait eu pour protecteur Henri de Montmorency, dont il
honora toujours la mémoire et ne craignait jamais de rappeler les
bienfaits, puis le comte d'Averton de Belin qui le recevait en ami
dans son château voisin de Blois, et le prince de Condé. Sa querelle
avec Corneille au sujet du Cid, en montrant Mairet trop sensible à
l'offense et trop accessible à la j.''lousie, montre aussi sa réputation
assez solidement acquise pour que la lutte ne parût point inégale
entre ces deux adversaires, et, s'il y mit de l'emportement, nul ne le
taxa de présomption. Un reproche plus fondé pèse sur sa mémoire.
On s'étonne qu'un fils de la Franche-Comté se soit tenu loin du
théâtre de la guerre, et qu'il ait joui sans remords de l'hospitalité
d'une nation dont les armées faisaient tant de mal à son pays. On
peut répondre qu'il était né à Besançon, Tune des trois villes rele-
vant directement de l'empire, et qui n'entra sous la domination de
l'Espagne, comme partie intégrante de la Comté, qu'au traité de
Westphalie. On peut ajouter que le patriotisme, plus subordonné
que de nos jours aux questions dynastiques et aux droits personnels
des souverains, revêtait alors d'autres formes qu'aujourd'hui et se
manifestait d'une autre manière. L'exemple de notre poète suffirait
à le trouver. Volontairement étranger aux maux de la province
ravagée par la guerre, il fut, après le rétablissement de la paix, le
plus dévoué serviteur de ses intérêts et le gardien vigilant de son
repos mal assuré.
Ce rôle lui fut déféré d'un commun accord par les plus fidèles et
les plus vaillants défenseurs du pays. M. de Bauffremont, baron de
Scey, gouverneur militaire de la Comté, le proposa, comme négocia-
teur et agent accrédité auprès du gouvernement français, au marquis
de Castel-Rodrigo, gouverneur des Pays-Bas espagnols, et transmit
cette proposition à la cour de France. Le baron de Lisola, savant
publiciste qui devait opposer son Bouclier d'État et de justice aux
revendications de Louis XIV et aux apologies anticipées de la con-
quête, obtint de Mairet son assentiment à ce projet. Le président
Boy vin agit dans le même sens. En le pressant d'accepter ce rùle
pour le repos de sa terre natale si horriblement foulée et dévastée
par la guerre de dix ans, Boyvin ne dissimule point à Mairet qu'il
ReV. HiSTOR. XXV. lei- FASC. 4
r)0 MELANGES ET DOCCMEXTS.
doit chercher pour la sécurilé de la province des garanties plus
solides et en traiter à des conditions moins onéreuses que par le
passé. Dans sa lettre datée du 4*"" février 16 58, il lui prescrit de
« s'attacher à obtenir la neutralité plutôt qu'une simple suspension
d'armes, que l'on mettait d'ailleurs à un si beau prix et que l'on
faisait acheter si cher à la province, qu'elle n'était plus en état d'y
pourvoir. » 11 se montrait d'ailleurs plein de confiance dans « l'adresse
et le zèle du négociateur >) et l'événement justifia ses prévisions.
Le 3 mars 164i) fut arrêté et signé par Mairet et le maréchal de
Villeroy. général de l'armée française en Lorraine, un premier traité
dont les effets devaient subsister jusqu'à la fin de l'année 1651. Le
prince de Condé en fut l'intermédiaire, et le bienfait de son inter-
vention fut reconnu par un don de cinquante mille livres. Quand il
s'engageait en retour à maintenir la Franche-Comté à l'abri de toute
dévastation, le héros de Rocroy. le vengeur de l'autorité royale et le
vainqueur de la Fronde promettait ce qu'il pouvait tenir. On pouvait
compter de sa part sur l'efficacité d'une protection loyale, une sécu-
rité complète du côté de la Bourgogne et les bons effets d'un crédit
alors prépondérant. Il n'en fut plus de même après « cette fatale
prison dont, » au témoignage de Bossuet. Condé lui-même a dit
« qu'il y était entré le plus innocent de tous les hommes et qu'il en
était sorti le plus coupable. » Quel appui la Comté pouvait-elle
attendre du prince annihilé par sa disgrâce et son emprisonnement
de treize mois, ou absorbe depuis sa mise en liberté par des pensées
de vengeance et de redoutables intrigues? Elle-même était suspecte
de « branler au manche « et d'être accessible à des intluences qui,
partant des Pays-Bas espagnols, la portaient du côté de la Fronde.
La situation devint plus tendue encore en \6hl, lorsque Condé. se
souvenant de l'appui donné a ses partisans dans le Midi de la France
et de l'asile que sa femme et son fils avaieiTt trouvé à Bordeaux,
demanda à échanger les gouvernements de Bourgogne et de Berry
contre celui de la Guienne déjà retiré au duc d'Épernon. Mairet
sentit le péril de cette substitution et se hâta d'en prévenir les gou-
verneurs par la lettre suivante ' :
A Paris, ce 19 may 165 L
Messeigneurs,
Après beaucoup d'irrésolutions et de changements d'opinions dans le
Conseil et dans les atïaires du Roy très chrestien, enfin U est aujourd'huy
constant que Monseigneur le prince de Condé a preste le serment de
fidélité en qualité de nouveau gouverneur de Guyenne et que Monsieur
1. .\Tcluves du département du Doubs. B 4058.
iWïoftiiite (m (ô* ;«a msaamm tfunltwi»^ (iîiîïDffeirffi seuafeaat flcsair te (findoe dte
©ijv; • . ■ ■ : ■ ■ '-sa
it<4»- du$ïmus 11'. . ^ > . . • ite
UsttigDKillk; f^ (Onsm «^($ (^Mù^^ ^ -m^m dltMaeir S(Mi$ mmsirnssili^ wss^
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52 MELANGES ET DOCUMENTS.
de pacificateur accomplie par Gondé, du moins pour en recueillir les
bénéfices qu'il prétendait ériger en droits acquis, et il appuyait ses
prétentions sur des menaces. Mairet sut éluder les unes et tenir tête
aux autres, et le compte qu'il rend de cette entrevue aux gouver-
neurs, par sa lettre du 28 août ^051, peint à merveille les deux
hommes, l'avidité arrogante de l'un, le tact et le savoir-faire de
l'autre * .
A Messeigneurs du parlement à Dôle.
A Paris, ce 28 aoust IG&l.
Messeigneurs,
Depuis celle que je me donnay l'honneur d'escrire à la Compagnie
par la voye du sieur de Faletans, j'ay gardé le silence jusques à cette
heure que je le romps pour vous donner advis qu'ayant rendu la
depesche des treize cantons à Monsieur le duc d'Epernon, il me pria de
venir le trouver, affin de m'entretenir plus particulièrement de ses
intentions et de ses intérests au subject de ma négotiation.
Après quelques voyages faits inutilement à son hostel pour cet affaire,
enfin j'eus hyer au matin paisible audience de ce seigneur, dans sa gal-
lerie et, pour faire court, la conclusion de son discours fut qu'il préten-
doit de nous le mesme traitement que nous avions fait à Monseigneur
le prince de Gondé, c'est-à-dire en bon françois la mesme somme de
cinquante mille, et que c'estoit un droist acquis au gouverneur du duché
de Bourgongne, qu'il ne pourroit céder sans se faire tort. Je luy remon-
tray fort respectueusement que nous n'avions jamais rien donné à feu
Mgr le prince durant la vie duquel ou avoit fait deux ou trois traitez
d'une année chascun, et que l'argent dont il parloit, Monseigneur son
fils ne l'avoit jamais exigé de nous comme un droit acquis aux gouver-
neurs du duché, mais que nous le lui avions offert en titre de gratifi-
cation et de reconnoissance pour les advantages que son Altesse avoit
voulu nous procurer et mesnager dans le conseil du Roy, tant par le
rang qu'il y tenoit que par son crédit auprès de leurs Majestés. C'est
pourquoy. Monsieur (luy dis-je), si V. A. veut employer sa faveur et'
ses raisons envers leurs Majestés, de telle sorte que nous en ressentions
utilement les effaits, ainsy qu'elle en est priée et soUicitée par les sei-
gneurs des ligues suisses"^, je luy promettois de vous en escrire, Mes-
seigneurs, avec une assurance de ma part plus que morale qu'un présent
de trente mille 11. luy tesmoigneroit la gratitude de la province et de
1. Archives du département du Doubs, ibid.
2. Les Suisses étaient les entremetteurs et les garants habituels des traités
de neutralité conclus entre la France et la Franche-Comté où ils écoulaient
leurs produits et dont ils liraient leur sel et leur vin. Lorsque Condé l'en-
vahit en 1668, l'abbé de Watteville courut solliciter l'intervention des ligues
suisses.
NEGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET. o3
ceux qui la gouvernent, proportionnément à l'estendue de leur petit
pouvoir, pourveu qu'il me fist mettre en main la ratification d'un traité
tel que je le demandois raisonnablement et souhs des conditions que je
luy proposay alors et lesquelles je passe icy soubs silence pour cause,
remettant à vous les dire de vive voix, adjoutant de plus que ladite
somme ne luy pourroit estre payée qu'avec celle dont il seroit convenu
pour les coffres du Roy. Je luy protestois que je proposois cet expédient
de mon chef, comme l'unique moyen que je trouvois dans mon esprit
pour le satisfaire sur cet article là.
Il me respondit assez froidement qu'il n'estoit pas marchand, qu'il
n'entendoit point cette façon de traiter, et que Monsieur le prince avoit
bien heu cinquante mille 11. ; et que, s'il n'avoit rien heu, il aymeroit
mieux estre mort que de nous rien demander, que mon dit sieur le
prince avoit véritablement Verdun, Saint-Jean-de-Laune et Bellegarde,
mais pour luy qu'il avoit Auxonne. Il me dit ces dernières paroles en
se retirant et comme par menace. Je le rejoignis et le priay encore une
fois de penser à la proposition que je venois de luy faire. Il n'est pas
besoin de cela (me dit-il), cela n'en vaut pas la peine. Alors je pris le
temps de luy dire aussy : Et bien. Monsieur, puisqu'ainsy va, je suplie
très humblement V. A. de ne trouver pas mauvais si, rencontrant
désormais l'occasion de conclure mes affaires avec le Roy, je ne la laisse
pas eschapper. F'aites, me dit-il, je n'y trouve rien à redire, mais sou-
venez-vous que je suis maistre d'Auxonne. Monsieur, luy répliquay-je
en soubsriant, Dôle n'en est qu'à deux lieiies ; cela n'iroit guaires bien
ny pour les uns ny pour les autres ; mais les Roys y donneront ordre.
Au sortir de là je m'en allay chez la personne que vous savez, Messei-
gneurs, à laquelle je fys un fidelle rapport de cette conversation. Il se
prit à rire, approuva mon procédé, me promit d'en entretenir la Reyne,
et me conseilla de dresser au plustost les articles de mon traité qui sont
desia digérés et examinés en façon qu'il ne reste plus que l'article du
temps contre lequel on forme toujours de puissantes raisons d'estat. Je
fais pour les vaincre une chose qui peut-estre me réussira moyennant
l'assistance de Dieu. Je réserve cette dernière tentative pour quand je
présenteray à la Reyne les lettres des cantons dont on fait tousiours icy
fort peu de cas. Il y a des personnes qui travaillent puisamment et de
bonne grâce pour nostre repos. Le prochain courrier vous apprendra
toutes choses, et les difficultés ny les menaces des grands ne rebutent
point,
Messeigneurs,
Votre petit, mais très humble et très obéissant serviteur,
Mairet.
Au nom de Dieu, Messeigneurs, ne vous estonnez non plus que moy
pour le bruit ; tenez votre bourse à deux mains. Donnez-vous un peu
de patience et Dieu vous donnera beaucoup de repos. Il y a tousiours
des épines parmi les roses. Je me defûe avec raison que l'on n'inter-
cepte ma lettre au passage d'Auxonne, d'autant que celuy qui porte les
54 MELANGES ET DOCUMENTS.
paquets du Comté est le courrier de Brisac' ; c'est jxmrquoy je prie le
R. P. Dom Jacques d'envoyer un homme exprès à Dole où l'on aura
soin de le satisfaire de ses peines. Les Gascons sont fort curieux et les
Comtois sont deffiants.
Le Gascon si curieux de lire les lettres qui ne lui sont pas
adressées, c'est le duc d'Épernon toujours prêt à exploiter dans son
intérêt la peur qu'il inspire ou les secrets interceptés. Quant à la
personne qui rit de ses fanfaronnades et déjouera ses menées, c'est
évidemment le comte de Brienne, secrétaire d'État et membre du con-
seil, avec lequel Mairet arrêtait les bases du traité qui devait faire
suite au précédent et en renouveler les effets pour une période d'an-
nées à déterminer. C'est « Tarticle du temps » mentionné dans la
lettre précédente. Le texte que nous donnons plus loin de la conven-
tion signée le 2A septembre fixe le terme de celte période à l'époque
où sera conclue la paix générale entre les deux couronnes. Cette
détermination si large et si précise à la fois épargna bien des
maux à la province et lui garantit une sécurité à peu près constante
jusqu'à la paix des Pyrénées, ou plutôt jusqu'à l'année qui devait,
en ouvrant la succession de Philippe lY, marquer pour la Franche-
Comté la fin de son autonomie. Si les derniers jours de son existence
indépendante s'écoulèrent dans une tranquillité relative, elle le doit
au négociateur qui fit introduire dans le traité de ^651 cette clause
tutélaire et ne cessa d'en réclamer l'application.
Pour mener à bonne fin cette entreprise, Mairet dut s'assurer des
auxiliaires. Les plus actifs furent la comtesse de Brienne, née Louise
de Béon de Luxembourg, et Dom Jacques, chartreux à Dijon. On ne
sait rien de ce dernier, son nom même est resté inconnu. Le cata-
logue des prieurs, procureurs et religieux du monastère depuis sa
fondation jusqu'en 1782, mentionne un certain Jacques Brisconi
comme ayant prononcé ses vœux à la fête de l'Assomption de
l'année ^tjlO-. Est-ce le collaborateur de Mairet? Il est impossible de
1 . On verra plus loin que la garnison de Brisach et son commandant Chas-
tenois réclamaient à la Comté un subside autrefois payé par la province aux
garnisons impériales qui les défendaient de ce côté. Cette ville fut prise par
Weimar en 1638 « et, dit un historien comtois, se trouva nostre Bourgongne
« comme une isle au milieu de ses ennemys, ne pouvant plus estre secouriie
a d'aucune part; aussi, peu avant le siège de Brisach, un seigneur de France,
« qui alloit à cette entreprise et passoit par la Lorraine, dit en discourant de
« son voyage, (juil alloit en Brisach quérir (es clefs de Bourgongne. » (Girar-
dot de Noseroy, Histoire de dix ans de la Franche-Comté de Bourgongne,
1. XI, II.)
2. Ces renseignements sont dus à l'obligeance de M. Garnier, conservateur
des archives de la Côte-d'Or.
NÉGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET. 95
raffîrmer. Quoi qu'il en soit, en ^630, au moment où Aiazarin con-
duisit en Bourgogne la reine mère et le jeune roi pour assurer par
la prise de Seurre ou Bellegarde la pacification de cette province, un
procès fut intenté aux Chartreux par la ville de Dijon pour la pos-
session d'une source et la clôture d'un étang, qui sans doute en
absorbait les eaux. Le maire de Dijon, dans un mémoire qu'il fit
paraître sur ce sujet en 1674, allègue en termes assez emphatiques à
l'appui de sa réclamation « la nécessité de conserver la santé et la
vie à tout un peuple. » Les Chartreux, ajoute-t-ii, sentirent la force
de cette raison et, pour éluder l'argument, mirent en œuvre « le
crédit qu'avait ce fameux Dom Jacques sur l'esprit de la reyne, à
laquelle il promettait des récompenses éternelles pour en recueillir
de temporelles. » Cette épigramme, qui paraît dictée surtout par le
besoin de produire un effet oratoire, atteste au moins l'influence que
le religieux exerçait sur l'esprit de la reine. Il en usait au profit de
son couvent, mais il savait aussi l'employer dans Fintérêt du bon
droit et de l'humanité. Non content de faire passer la correspon-
dance de Mairet à l'abri des indiscrétions du gouverneur de la Bour-
gogne, il paraît prendre une part très active aux négociations, il en
attend le résultat avec impatience et il en est le premier instruit par
la lettre suivante :
Le R. P. Dom Jacques, Chartreux à Dijon.
Mon très bon père.
Enfin les prémises de la paix ne seront point troublées, puisque vostre
fidèle assossié sen retourne après avoir achevé son affaire heureusement
quoy qu'avec beaucoup de peines et de difficultés qu'il a fallu vaincre.
Nous pouvons croire que les personnes que vous savez s'y sont employées
de la bonne sorte. Il en faut rendre grâces à Dieu. C'est un efïect de la
bonté du Roy et de la Reyne, dont elle a bien sujet d'attendre de ces
Messieurs du Comté quelque reconnoissance et discrétion pour estre
employée à quelque chose quelle m'a dit. M. Mairet en est chargé de
bouche et je ne double point qu'il n'en prenne soin ainsy que de tout le
reste. C'est un babille et zellé négociateur. Il vous dira toutes nouvelles
et moy je vous diray seulement que je suis, etc.
Louise DE Béon.
La paix signée aux conditions qu'avait stipulées Mairet et les rati-
fications échangées, l'œuvre du diplomate n'en était encore qu'à son
début, et Pexécution du traité allait soulever des difficultés toujours
renaissantes. Appuyé des mêmes auxiliaires, toujours prompt à inté-
resser les amis de son pays au maintien de la paix, à prévenir l'effet
56 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
des collisions qui la compromettent, à rappeler les engagements
d'honneur qui lient le gouvernement français, à écarter les soupçons
que peuvent faire naître ses relations ou celles de ses commettants,
à circuler entre les lignes de l'armée royale ou de celles des princes
pour obtenir la réparation des injures commises ou les ordres qui en
préviendront le retour, Màiret déploya, dans l'accomplissement de
cette partie de sa tâche, une activité d'autant plus méritoire que sa
voix était couverte par le bruit des armes, et ses démarches constam-
ment entravées par les désordres de la guerre civile, comme il s'en
plaint dans la lettre suivante, datée du 21 juin ^652 :
Je ne cesse de réitérer mes instances et mes escritures auprès de
Monsieur le Comte de Brienne qui respondant ne respond point à pas
une de mes lettres. Hier, en présence du R. P. Dom Jacques, je fis
encore une recharge et envoyay votre dernière depesche, qui marque la
continuation des courses et pilleries que font sur nos terres les mauvaises
garnisons du Roy qui nous avoisinent, à Madame la Comtesse de Brienne,
avec très humble et très pressante prière de la faire voir à la Reyne et à
M. son Mary... le P. dom Jacques en escrivit amplement et dans un
style véhément à ma dite dame de Brienne et à Madame la marquise
de Senecay en attendant qu'il puisse aller auprès de la Reyne qui le
demande et le désire ; il faut attendre en patience l'effait de ces der-
nières lettres.
Madame de Brienne ne se montrait ni moins active, ni moins
dévouée; quelques jours plus tard, le 2S juin, elle écrivait à son
tour « à Messieurs de la cour du parlement de Dole « et leur rendait
compte comme il suit des elîorls tentés par elle, de concert avec
Mairet, pour le maintien de la paix fragile et menacée qu'avait signée
son mari :
J'ay esté bien ayse de me rencontrer à la Cour pour apuier de mes
solicitations celles de M. Mairet et maintenir comme j'ay fait de tout
mon possible la justice de votre cause auprès de leurs Majestés et par-
ticulièrement la Reyne, laquelle a eu la bonté de faire recommander au
Roy et de recommander elle-même la pronte expédition des lettres que
j'ay remise es mains de M. Mairet tant pour Monsieur le duc d'Epernon
que pour Monsieur le marquis d'Uxelles par lesquelles il me semble,
Messieurs, que les volontés de Sa Majesté pour la continuation du repos
des deux bourgogne et lexacte observation du dernier traité sont expli-
quées en des termes sy presis qu'il y a tout subject de croire que vos en
seres pleinemant satisfais ainsy que je souhaite.
Votre très humble et très afTectionné servante,
Louise DE Béon de Luxembourg.
Le même jour, Mairet annonçait aux gouverneurs qu'il avait
NEGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET. 57
reçu les lettres indiquées dans celles de M""^ de Brienne, et ren-
dant un nouveau témoignage au dévouement de ses auxiliaires, il
ajoutait :
Le R. P. Dom Jacques partit hyer avec les députés du parlement
pour aller encore une fois exhorter leurs Majestés à la paix que les deux
tiers du monde m'ont assurée en cette ville. Le reste en doute avec plus
de raison. Je suis du nombre des derniers, bien que je sois des premiers
à la souhaiter. Mais il m'est impossible de la croire que je ne voye
leurs Majestés dans Paris et M. le Cardinal hors du royaume. Il y a
bien des choses à dire là dessus. Pour revenir à nos afTaires vous voyez,
Messeigneurs, qu'il y a des gens de bien auprès de leurs Majestés qui
sont bien persuadés de la sincérité de nostre conduite et de la justice
de nos plaintes contre ceux qui nous ont attaqués. S'il y a encore
quelque .diligence à faire, vous me trouverez tousiours prest à servir ma
chère patrie et à suivre vos ordres sans réserve, etc.
Le nom de Dom Jacques se retrouve encore dans une lettre datée
du i4 juillet, où Mairet nous le montre prêt à partir avec lui pour
rejoindre la cour à Melun, en traversant au péril de sa vie des cam-
pagnes infestées de brigands \ et y faire entendre des plaintes
auxquelles l'autorité publique, paralysée par le désordre universel,
n'était pas toujours en état de satisfaire. En revanche, elle était fort
exacte à réclamer, tantôt avec la courtoisie d'un solliciteur beso-
gneux-, tantôt avec la rudesse d'un créancier qui ne veut pas attendre,
l'annuité de cent mille livres promise par le traité du 24 septembre.
Le baron de Scey, gouverneur de la ^Gomté, d'une part, Mairet de
l'autre, ont fort à faire pour expliquer les délais de paiement et faire
opérer les versements en mains sûres ou en tirer de valables quit-
L « Si nonobstant les passeports, écrit ailleurs Mairet, la licence effrénée
des gens de guerre, tant de l'un que de l'autre party, et le désespoir des pay-
sans ne faisoient souvent courir fortune de la vie à tous ceux qui vont et
viennent de Paris à la cour, à moins que d'avoir une puissante escorte de
cavalerie, je fusse allé moy-mesme faire vos plaintes à Leurs Majestés; mais
après les funestes accidents que nous voyons arriver journellement à toutes
sortes de personnes, je n'ai pu faire mieux que de remettre mon paquet au
fils de M. le comte de Brienne. » Lettres du 7 juin 1652 (Archives du Doubs,
B 4059).
2. « Outre la cy-jointe de M. le comte de Brienne, j'ay reçu depuis une
heure seulement une lettre de cachet du roi très-chrestien, par laquelle Sa
Majesté me mande que je lui feray chose très agréable et importante à son ser-
vice si, sans retardement et en conséquence des conditions portées dans le der-
nier traité d'accommodement que j'ai signé avec M. le comte de Brienne, je
puis délivrer les cent mille livres que nous devons à Lyon, au porteur de la
présente. » Lettre du 5 avril 1G52 (ibid.).
38 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
tances ^ . Cette grosse dette acquittée, de nouvelles exigences se pro-
duisent. C'est la reine mère qui, comme l'écrivait M"® de Brienne
annonçant à Dom Jacques la conclusion du traité, « attend de ces
Messieurs de la Comté quelque reconnoissance et discrétion. » Une
discrétion c'était, en diplomatie comme au jeu, la somme à payer au
gagnant, selon la générosité du partenaire. Un M, de Brisacier, qui
travaillait sous les ordres du comte de Brienne, reçoit en deux fois
219 pistoles d'Espagne ou 2,500 livres. M""* de Brienne réclame pour
le sieur Pinet, secrétaire de son mari, une avance de 20 pistoles;
d'autres employés, les sieurs Butin et Spinaise, reçoivent 25 pistoles
sur 50 promises aux commis. Le comte de Brienne, à son tour, ne
dédaigne pas de tendre la main. La Franche-Comté y dépose une
gratification dont on ne dit pas le chiffre, mais que son sage et avisé
représentant ne délivre qu'en échange des dépêches de la cour qui
contiendront sa réponse aux doléances des gouverneurs.
Ces dépêches de la cour, que Mairet réclamait en échange de la
gratification promise à M. de Brienne, étaient trois lettres de cachet
assurant de trois cotés la sécurité de la province. L'une était adressée
au maréchal de la Ferté pour la Champagne, la seconde au comte
d'Harcourt pour la Lorraine, la troisième au maréchal de Yilleroy
pour le Lyonnais, le tout expédié aux gouverneurs par l'entremise de
Dom Jacques. Je prends cette voie, disait Mairet dans sa lettre du
5 janvier -1652, « ad majorem cautelam, » c'est-à-dire par crainte du
duc d'Epernon qui semble avoir voulu, par ses mauvais procédés,
tenir les Comtois dans une salutaire inquiétude et leur faire payer le
plus cher possible sa déférence aux ordres de son gouvernement. Il
est vrai de dire que ce gouvernement semblait Py autoriser en recon-
naissant que le plus sûr moyen d'obtenir que ses ordres fussent
accomplis était d'en payer l'accomplissement à celui qui était chargé
de les faire observer. Si Mairet annonce, le 20 mars -1652, une lettre
1 . Par une lettre du parlement de Dole, datée de Scey-sur-Saône, le 13 mars
1652, le gouverneur, M. de Bauft'reniont, indiquait la réponse à faire aux récla-
mations de la cour de France, et chargeait Mairet de lui faire observer « que,
s'il se rencontroit quelque retardement au paiement du premier terme accordé
pour notre suspension d'armes, il ne nous doit estre nullement attribué, i)uisque
nous sommes tout prêts d'y satisfaire, et que nous en avons jà donné les ordres
nécessaires de nostre costé, mais que ce retardement proviendra de ce qu'on
ne nous a pas encore fait savoir de la part du comte de Brienne ni d'ailleurs
à qui il avoil donné pouvoir de recevoir en la ville de Lyon la somme dont il
s'agit et en faire valable quittance. »
On voit par deux lettres de Mairet, du 12 et du 18 avril, que cet intermé-
diaire « fut un sieur Colbert, dit de Vandière, homme de condition, » qui parait
être le père du grand ministre.
NÉG0CUT10.\S DE JEAN DE MAIRET. 59
du roi au duc d'Epernon, lettre qui, sans doute, avait pour objet de
réprimer son humeur entreprenante, une autre lettre du comte de
Brienne, datée du jour suivant, fait savoir aux gouverneurs que « le
roi a été très content d'apprendre ce qu'on se propose de faire pour
31. d'Espernon, et qu'il le témoignera en assurant le repos de la
Comté. » Ainsi Sa Majesté com.mande à son représentant de respecter
les traités, pourvu qu'au préalable on ait acheté son obéissance. 11
faut ajouter qu'il ne la mettait pas à si haut prix que la première fois.
Ce fier duc, qui s'était vanté de ne pas être marchand, consent pour-
tant à un rabais, et son intendant Thévenin vient, au commencement
de l'année ^(îD3, déclarer à Mairet que son maître veut bien accepter
les offres qu'on lui a faites pour le don gratuit, c'est-à-dire appa-
remment les 30,000 livres que celui-ci avait pris sur lui d'offrir
au nouveau gouverneur de Bourgogne, en prévision des services
qu'il pourrait rendre pour la conclusion de la paix. Le négocia-
teur du traité de -lêDl applaudissait à cette façon d'en assurer le
maintien, et volontiers sans doute il se fût écrié :
Voici dans cette affaire un accommodement.
« M. de Brienne, écrit Mairet à la date du 10 janvier 1653 ', témoigne
« qu'il seroit ravy que la province, pour son propre repos, donnât
« contentement à M. d'Espernon, afûn de lui oster par là tout sujet de
« plainte contre nous. »
Ainsi rançonnée du côté de la Bourgogne, la Franche-Comté se
voyait menacée de l'être du côté de l'Alsace. Elle avait entretenu de ses
deniers la garnison de Brisach, au temps où cette ville, appartenant à
l'Empire, couvrait sa frontière de l'Est et lui assurait du côté de
rAllem^agne de précieuses communications. Conquise par Bernard de
Saxe-Weimar en -1638, elle passa pour quelques années au pouvoir
de la France. De même que le duc d'Epernon réclamait à titre do
précédent et de droits acquis l'équivalent des sommes payées à Condé
pour de réels services, le gouvernement français exigeait pour la gar-
nison de Brisach et son commandant, M. de Chastenois, le même
traitement qui avait été fait à leurs devanciers et réclamait de ce chef
des arrérages s'élevant à la somme de -15,000 livres '^. Les salines de
l. Archives du département du Doubs, B 4061.
1. Le comte de Brienne écrit aux gouverneurs, le 21 mars 1652 : « Ceux de
la garnison de Brisach m'ont fait entendre que la Comté étoit redevable aux
garnisons d'Alsace d'une somme de quinze mille livres. » — Mairet, dans une
lettre datée de la veille, rappelle un mémoire adressé par lui à ce sujet au
comte de Brienne, trois mois auparavant. 11 sollicite du parlement l'envoi d'un
60 MELANGES ET DOCUMENTS.
Franche-Comté paraissaient un trésor inéj3uisable et chacun voulait
y puiser. Un peu plus tard, le 21 février J654, c'est le maréchal de la
Ferté-Senecterre qui réclame i ,200 pistoles en termes cavaliers. « La
raison de vos indigences, écrit-il aux gouverneurs, n'étant point
valable auprès d'une personne qui connoit vos puissances comme
moi ; » puis il ajoute : « Quoique ce ne soit pas ma coutume de men-
dier les choses que je crois mériter en quelque façon, je ne laisse pas
de vous envoyer le sieur de la Neuville pour recevoir les i ,200 pis-
toles. » Celui-ci vient les prendre avec un présent pour lui-même. Le
prétexte ou le motif de cette largesse était un accommodement qui devait
éloigner les troupes du comte d'Harcourt du voisinage de la province.
On voit par une autre lettre du 24 mars -1604, adressée aux gouver-
neurs par leur agent de Salins ^ , que le comte de Boutteville (le futur
maréchal de Luxembourg), qui occupait Bellegarde pour le prince de
Condé, son cousin, s'était fait livrer directement 4,000 pistoles par le
caissier des saulneries.
Ainsi s'écoulait en prélèvements opérés de gré ou de force le plus
clair des revenus de la Franche-Comté, ce qui faisait déjà dire au
président Boyvin, dans sa lettre du i^'' février ^648, que la « province
n'étoit plus en état d'y fournir. » En vérité, dans l'état de dépendance
où la tenaient les exigences des uns et les menaces des autres, sans
compter les appréhensions d'une future conquête, elle aurait pu
s'appliquer en un certain sens ce que Tacite a écrit de la Bretagne :
« Servitulem suam quotidie émit, quotidiepascit^. »
Tous ces sacrifices consentis (ju ratifiés ne protégeaient qu'impar-
faitement une paix toujours caduque. La ville de Seurre ou Bellegarde,
en particulier, par sa forte position sur les bords de la Saône, en
amont de Dole, était pour la province un perpétuel sujet d'inquiétude
et donnait lieu à des plaintes partant des points les plus opposés.
Tantôt c'est le parlement qui fait dénoncer par son résident à Paris
les ravages de la garnison ; tantôt c'est Épernon, chargé par le roi
d'assiéger cette place en état de rébellion pour la cause des princes,
qui se montre fort irrité des secours qu'elle a reçus ou qu'elle attend
du côté des Comtois et qui les menace de reporter « la guerre au cœur
second mémoire analogue et il ajoute : « Je sçay bien que nous fondons notre
refus sur la paix de l'empire et l'évacuation des garnisons de Montbéliard, où
estoit le bureau des contributions que nous payons alors à l'Alsace. » Alors
c'est sans doute avant le traité de Weslphalic, quand l'Alsace protégeait la
Comté contre les ravageurs d'outre-Rhin.
1. Toutes ces lettres et celles qui seront citées plus loin sont conservées aux
archives du Doubs, années 1652 et 1653, B 4059 à 4062.
2. Tacite, Agricola, 30.
NÉGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET. 01
de la province avec tous les malheurs qui la suivent ^ . » Bellegarde et
Auxonne reparaissent incessamment, au cours de la correspondance,
comme des foyers d'où partent à chaque instant des étincelles
capables de rallumer la guerre. Lorsque la première de ces villes a
été reprise sur les partisans de Gondé, le marquis de Saulx-Tavancs-
Mirebel, qui l'occupe au nom du roi, écrit à son tour à « MM. du
parlement du comté de Bourgogne, » pour leur demander compte de
l'appui donné aux maraudeurs qui ravagent les environs de Belfort 2.
Un peu plus tard, au mois de septembre, il oppose au progrès du
mal une proclamation qui s'adresse indistinctement à tous les fauteurs
de désordre et les rappelle au respect de la neutralité jurée ^.
Les dissentiments et les collisions ne cessaient sur la frontière de
Bourgogne que pour renaître du côté de la Lorraine. Après le marquis
de Saulx-Tavanes, c'est le maréchal de la Ferté-Senecterre, gouver-
neur de Lorraine et Barrois, qui fait entendre ses plaintes à M. de
Baufîremont et à MM. du parlement de Dole « touchant les infrac-
tions qui ont été faites à la neutralité par les Francs-Comtois, et les
subjects qu'il a de s'opposer à la continuation de ladite neutralité''. »
1. Lettre du 18 mai 1653. — Le duc d'Épernon, à qui des soldats sortis de
Bellegarde ont dit qu'on y attend des secours de Franctie-Comté, écrit au par-
lement : « De quelque façon que cette place rebelle puisse tirer du secours du
comté de Bourgogne, c'est déclarer la guerre au roi mon seigneur et vous
attirer de la perte et un préjudice très notable. » — Il écrit de nouveau, le
28 du même mois : « ... J'ai su que M. le baron de Savoyeux devait entre-
prendre la chose. De quelque façon qu'on veuille donner ce secours, soit par
hommes détachés des garnisons du comté, soit par nouvelles levées, il est
impossible que vous n'ayez la guerre dans le cœur de votre province, etc. »
2. « Y ayant quelque genre d'hommes disposés naturellement à être gouvernés
populairement, et d'autres par des personnes principales, je vous écris en l'opi-
nion que le pa'is où vous rendez la justice estant ce dernier, vous y avez le
pouvoir d'y maintenir ou rompre l'entière neutralité... Nous savons que il y a
quelques gens assemblez au-delà de vos confins au château de Belfort, et aussy
les moyens, sy ils se avancent, de les empescher de faire plus grand effet que
de causer de la mésintelligence entre nous, etc. De Seurre, ce 13 août 1653. »
3. Cette proclamation, datée de Seurre, le 23 septembre 1653, fait défense
« à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, sur les
frontières du duché et du comté de Bourgogne, d'y faire aucune course n'y
chose qui y puisse intéresser la suspension d'armes consentie entre les deux
couronnes... Elle enjoint aux prévosts des mareschauds, communautés, syn-
dics, et habitans des villes et des villages de s'y saisir de tous mutinez, déser-
teurs, vagabons, bandis, voleurs, et où ils ne le pourront, de... donner avis de
leurs retraites et passages... »
4. Voici l'énoncé de ses plaintes et griefs tels que les formule une pièce non
datée de l'année 1654 :
1° On lève en sûreté des troupes et l'on prend le temps de son absence
62 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Décidément l'œuvre du négociateur était fragile et menacée. Mairet
multipliait ses efTorts pour la préserver et conjurer un péril toujours
renaissant. On le voit tenter chaque, jour de nouvelles démarches
auprès des protecteurs intéressés au maintien de la neutralité pro-
mise et si mal observée, ou même s'efforcer de parvenir jusqu'à la
reine mère et à son fds pour leur faire entendre lui-même le gémis-
sement des peuples affligés, mais de tous côtés les obstacles se
dressent devant lui. Il lui faut affronter ou « le désespoir des paysans »
ou la violence des gens de guerre « qui pillent indifféremment toutes
sortes de personnes » ou les complications produites par l'approche
des troupes de Lorraine, qui passent la Seine à Charenton pour se
joindre à l'armée de la Fronde ^ Ne pouvant obtenir justice et pro-
tection du côté de la cour, le négociateur se retournait du côté de
Condé -, il le priait d'intervenir pour réprimer l'humeur agressive de
la garnison de Seurre^, jusqu'à ce qu'enfin, las de tant d'efforts
impuissants et de promesses éludées, découragé par le silence obstiné
des uns, par l'impuissance avérée des autres, il fût réduit à penser
que dans le désordre universel chacun devait pourvoir à sa propre
défense et repousser la force par la force. Le 7 juin -1652, il écrivait
pour passer en Lorraine hostilement, comme, il y a deux ans, le baron de
Lestoille ;
2° Les Francs-Comtois favorisent les ennemis du roy en toute rencontre; ils
ont donné, il y a trois ans, retraite aux fuiarts des troupes du comte de Ligne-
ville, après que M. le Maréchal de la Ferté les eut desfaites en Loraine, et
aux troupes commandées par le baron du Chastelet après la bataille de Réthel ;
3» La Lorraine est quasi déserte par le refuge que les habitans de la
Franche-Comté donnent dans leur pays aux Lorrains qui s'y retirent pour y
vivre à leur aise, et qu'ainsy le pays n'est plus en estât de payer des contribu-
tions ni de fournir des quartiers d'hiver kux troupes du roy et demeure abso-
lument ruiné et dans l'impossibilité de payer ce qui leur est ordonné pour les
troupes de Sa Majesté.
On voit que le maréchal de La Ferlé ne pouvait pardonner aux Comtois leur
hospitalité ni aux Lorrains le crime impardonnable de se dérober à ses exac-
tions. Si tel était le style du chef suprême d'une armée française, celui des
capitaines était moins courtois encore, témoin le billet suivant :
Laforest a m™' de Molincour.
« De Saint-Loup, près Luxeuil, 5 janvier 1655.
« Tous les habitans de BoUignie se sont retirés chez vous avec tous leurs
biens. L'espéranse que l'on m'a donnée aujourd'huy qui retornerois (qu'ils
retourneraient) au lieu a empêché qui n'est pas en pousier (qu'il ne soit pas en
poussière). Sinon je vous promest que je coureray votre village de Moulincour
et feray assommé tout ce que je trouveray devant moy. » Telle était la guerre,
même sous le régime protecteur de la neutralité garantie par des traités.
1. Lettre du 7 juin 1652.
2. Lettres du 23 août 1652 et du 29 octobre 1653.
NÉGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET. (53
aux gouverneurs de la Franche-Comté : « C'est à votre prudente con-
« duite de pourvoir désormais à la sûreté de vos frontières, soit en
« repoussant l'injure par la force, soit en vous mettant en état de ne
« plus la souffrir impunément. » Mais il revenait bien vite aux moyens
connus pour arrêter les actes d'hostilité de ceux qu'il appelait « nos
« mauvais voisins et encore plus mauvais sujets du roy très chrétien,
« puisquHIs obéissent si mal à ses ordres ^ » Il proposait d'intéresser
au succès d'une nouvelle requête des Comtois opprimés « quelque
personne puissante dans le Conseil où les négoces de semblable nature
ne peuvent arriver à leur fin 'que par cette voye^, » c'est-à-dire par
la voie des largesses et gratifications. Il assiégeait le comte de Brienne
de ses sollicitations « pour l'affaire d'Epernon, » il mettait en œuvre
le crédit de M'"'' de Brienne auprès de la régente et pouvait écrire, le
2^ février 4G53, « qu'elle avoit vu la reine et lui avoit déduit bien au
« long les pilleries et violences que les trouppes du duché faisoient à
« nos pauvres peuples. »
La Franche-Comté ne donnait-elle lieu à ces attaques incessantes
que par sa faiblesse et sa proximité? On devine assez, par la corres-
pondance de Mairet, qu'elle était soupçonnée de pencher du côté des
princes, et d'avoir, comme tant d'autres provinces d'une fidélité
chancelante, quelques affinités avec la Fronde. Il est certain que dans
le tableau que Mairet a tracé de ses opérations, tableau très exact et
qui correspond parfaitement au récit qu'en a fait le savant historien
de la minorité de Louis Xiy, M. Chéruel, son impartialité n'exclut
pas une certaine préférence. Protégé de Montmorency, l'oncle de
Condé, très bien vu de celui-ci, dont il reçut, le jour même où il
quittait Paris pour s'engager sans retour dans le parti de la révolte,
un accueil très bienveillant et la promesse de faire respecter la neu-
tralité violée par la garnison de Seurre, Mairet note avec un soin qui
trahit quelque sympathie les succès de la rébellion 3. Il s'intéresse
1. Lettre du 14 juillet 1652.
2. Lettre du 21 février 1653.
3. « Le propre jour que M. le prince de Condé sortit de cette ville je pris le
temps de l'aborder au palais d'Orléans, comme il y estoit pour prendre congé
de S. A. R., et luy fls voir la lettre par laquelle vous me faisiez vos plaintes
touchant les emportements de sa garnison de Beliegarde dont dabord il me
témoigna par son geste et par ses paroles qu'il esloit extrêmement déplaisant,
et m'assura qu'il en i'eroit escrire à M. le comte de Bouteville, son cousin. En
efifait, Messeigneurs, je rencontrai le lendemain Girard (ancien secrétaire du
prince chargé d'écrire cette lettre), etc. »
P. S. — « La manière d'agir du conseil du roy, jointe à la retraite de Son
A. d'Orléans et au retour de Son Éminence, ne donne pas aux Parisiens toute
la satisfaction qu'ils s'estoieut promise en la venue de Sa Majesté, de qui la
(;/j MELANGES ET DOCDMENTS.
au duc de Nemours passant la Seine à Manies, pour rejoindre en
Beauce le duc de Beaufort et l'armée du duc d'Orléans, pendant que
« la Cour est à Saumur fort empêchée de sa contenance'. » Il les
retrouve à Vendôme, empêchant le roi de passer à Orléans ; il montre
celte ville refusant obstinément ses portes au Cardinal Mazarin, et
« la Cour fort incommodée et embarrassée du refus des Orléanois qui
tire à conséquence ^. » Il note la marche de Gondé en Guienne, et
dans le Nord celle des troupes ou des bandes formidables que le duc
de Lorraine amenait au secours des princes^.
La Franche-Gomté n'était pas, nous l'avons vu, à l'abri du soup-
çon de favoriser ces mouvements. Le marquis de Saint-Martin,
héritier et neveu d'un gouverneur de ce nom, de vaillante et que-
relleuse mémoire'', recevait de Bruxelles des lettres où le comte
de Fuensaldagne le poussait à d'imprudentes prises d'armes. Ges
lettres, interceptées, donnèrent beaucoup de peine à Mairet pour
détruire, avec Taide du comte de Brienne, les soupçons qu'elles fai-
saient naître sur les intentions pacifiques et la loyauté de son gou-
vernement^.
déclaration sur l'amnistie générale a été accompagnée à l'instant d'une autre
qui chasse et interdit quantité de personnes de condition, tant de l'épée que de
la robbe. M. le duc d'Orléans se retire à Blois avec une manière d'accomode-
ment piastre qui ne promet rien de solide ni de durable. Toutes les forces de
Flandres ont joint M. le prince eu Champagne qui commande seul une armée
de 23 mille hommes effectifs. Celle du roi n'est pas de 8 mille. Mademoiselle
est allée trouver M. le prince. On appréhende les Anglois. Barcelonne s'est rendu
dès le 15. Casai est perdu comme vous devez savoir. On dit même la citadelle.
Avec tout cela j'apprends que M. le comte d'Harcourt nous alta([ue. Il est foible
et quereleux. Si je recoy vos plaintes sur ce faict, Je les pousseray bien loin. »
(Lettre du 29 octobre 1652.)
1. 1"^ janvier 1652.
2. 20 mars 1G52.
3. Lettres du 18 avril, du 24 mai, du 7 juin et du 14 juillet 1G52.
4. Celui dont un ambassadeur d'Espagne écrivait en 1637 « que le roy don-
neroit un gouverneur à la Bourgonge qui parleroit hors de ses dents. » (Girardot
de Beauchemin, Histoire de dix ans, etc., VIII, I.)
5. Une lettre de Mairet, datée du 9 mai 1653, laisse assez entendre qu'il
existait déjà des projets de conquête auxquels les imprudentes provocations
du marquis de Fuensaldagne pouvaient offrir l'occasion de se manifester. Il
n'était pas dupe des protestations de désintéressement qu'on opposait à ses
craintes et témoignait de sa clairvoyance à ce sujet, tout en attestant avec
énergie la fidélité de ses commettants à respecter leurs engagements. « Il (M. de
Brienne) me jura que s'il découvroit quelque chose qui tendist à la rupture
de nostre accommodement, il l'emi>escheroit de tout son pouvoir, et mesme
qu'il me donneroil advis en homme de bien, s'il apprenoit qu'il se tramât
quelque surprise ou supercherie contre la province. Sur quoy je lui repartis en
NÉGOCIATIONS DE JEAX DE MAIRET. 65
Au milieu de ces embarras et de ces appréhensions, les intérêts de
son pays lui étaient toujours présents, et, dans le désordre croissant
des événements, il cherchait à tirer avantage pour la Comté de toutes
les solutions possibles. Il écrit, le 4 9 juillet^ après le massacre de
l'hôtel de ville : « Les affaires se disposent de plus en plus ou à
la paix générale ou à la continuation d'une forte guerre civile, de
sorte que l'une ou l'autre doit faire le repos de notre province. Je
souhaite et prie Dieu que ce soit par la première voye, afin que tout
le monde y trouve son compte et sa satisfaction. » Il voit approcher
cette solution, hâtée par « la déclaration du Roi touchant l'éloigne-
ment sans retour et sans équivoque du cardinal Mazarin hors du
royaume, accompagnée d'une amnistie générale et de l'esloignement
des troupes tant de Paris que des environs de Bordeaux ' . » Mais
l'amnistie est soumise à des réserves qui remettent tout en question^.
Le clergé de France et le légat s'émeuvent en faveur du Cardinal de
Retz, le parlement pour ses membres exilés, Bordeaux traite avec les
Anglais ou met sa soumission à des conditions inacceptables ; Mairet
s'étonne avec raison de ces emportements, avant-coureurs des révo-
lutions de l'avenir. « On appréhende, écrit-il le 9 mai -1653, que le
corps de ce grand État ne souffre en plusieurs endroits solution de
continuité, principalement du costé de la Guienne, du Poitou et de la
Champagne. Les dogues d'Angleterre sont surtout à craindre et la
députation solennelle de Bordeaux à Londres est d'une étrange et
redoutable conséquence. » Il revient, le -16 mai, sur l'alliance présu-
mée des Bordelais et des Anglais, coïncidant avec la dissolution du
long parlement par Gromwell. « Encore une fois, conclut-il, je vous
annonce que la campagne sera terrible et les révolutions seront
rapides et surprenantes en ce royaume. Dieu nous donne une bonne
paix ; c'est le souhait de tous les gens de bien. «
C'était le sien surtout, mais il ne lui fut pas donné d'en voir
l'accomplissement comme témoin immédiat et partie intéressée.
Mazarin était rentré à Paris le 3 février 4653. Le sort de la province
était fixé. En 4 654, Mairet fut banni sous un prétexte frivole. Il avait
défendu l'honneur du roi d'Espagne accusé de n'avoir accueilli Condé
que dans l'intention de le trahir. Le soupçonneux ministre redoutait-il
soubsriaiit : Monsieur, je ne doute point de la sincérité de vos paroles, mais le
passé nous rend un peu deffiants pour le présent et pour l'advenir; et de plus
je pense que ceux qui voudroient entreprendre de troubler nostre pais sans
aucun sujet de nostre part, le feroient sans vostre participation, estant trop
bien instruits de nostre probité. »
1. Lettre du 23 août 1G52.
2. Lettre citée plus haut du 29 octobre 1652.
Rev. Histor. XXV. l*'" FASc. 5
66 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
dans Mairet un familier de la maison de Bourbon, et senlait-il
comme un levain de Fronde sous cet empressement à défendre son
chef coupable et disgracié ? On peut le croire. Peut-être aussi voulait-
il se défaire d'un surveillant incommode, en éloignant celui que ses
services désignaient pour le poste élevé de résident de l'em.pereur
d'Allemagne à Paris. Il fallait écarter un serviteur de la maison
d'Autriche, plus capable que tout autre de pénétrer l'arrière-pensée
de la maison de France. Elle se fait jour dans quelques lettres con-
servées aux archives du Doubs. Dans l'une de ces lettres, la reine
mère recommande un comte de Goux au parlement de Dùle, à Tocca-
sion d'un procès qu'il doit soutenir devant cette compagnie. « Nous
aurions cru lui faire tort, dit Anne d'Autriche, si nous n'avions joint
notre recommandation à celle du Roi pour vous témoigner la joie que
nous aurons d'apprendre l'issue favorable de son procès, vous con-
viant de lui conserver toute la justice qu'il peut espérer de son bon
droit, ne doutant point de votre zèle et de votre affection. » Ce ton
tiatteur et bienveillant peut s'expliquer par l'origine espagnole de la
reine. Le roi écrit à son tour^ pour obtenir l'extradition de quelques
meurtriers, et l'on devine, en lisant cette lettre, combien, sous le
couvert de la neutraUté, l'annexion morale a déjà fait de chemin. La
requête est rédigée en style officiel, mais le désir de plaire et d'inspi-
rer la confiance perce à travers les formes convenues du protocole.
Rien n'est plus simple que de réclamer d'un peuple voisin son con-
sentement à l'exécution d'une sentence judiciaire, mais, en demandant
cet acte de justice internationale aux membres du parlement de Dole,
Louis XIV semble déjà les traiter comme siens. Rapprochée de la
!. A MM. LES PRÉSIDENTS ET CONSEILLERS DU PARLEMENT DE DÔLE.
Très chers et bien amés. Désirant que l'assassinat commis en la personne du
feu sieur lugurla d'Orolognc et sur ses enfants vivants nos subjetz, ne demeure
impuny, et que les sentences données par nostre prévost des mareschaux et
bailly d'Angers, obtenues par feu M. François JuUiot, vivant notre conseiller
magistrat au siège présidial de notre ville de Chauniont en Bassigny, ])our
dame Catherine d'Urologne, sa veuve, et le pareaiis que nous leur en avons
accordé soyent pleinement exécutés contre les cy-desnommez, Nous avons bien
voulu vous escrire celte lettre dans la certitude qui nous a esté donnée qu'ils
sont dans votre juridiction, pour vous prier de laisser exécuter les sentences
de pareaiis selon leur forme et teneur, permettant darrester les condamnés et
d'agir à rencontre d'eulx par la voie accoutumée; à quoy nous assurant que
vous serez bien disposez puisque vous savez la chose qui nous sera très
agréable, nous prions Dieu qu'il vous ait, très chers et bien amez, en sa sainte
garde.
Écrit à La Fère, le xx juillet 1G56.
Louis.
NÉGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET. 67
lettre du comte de Brienne citée plus haut, celle-ci laisse entendre
que l'on considère les Comtois comme des sujets acquis à la natio-
nalité française et qu^on entend même les traiter en sujets privilégiés.
Le langage du jeune roi laisse pressentir l'annexion future, et sous
la courtoisie des termes elle a bien l'air d'une prise de possession
anticipée. La conquête était faite et ratifiée par avance, au moins
dans la partie la plus ambitieuse et la plus éclairée de la population.
TlVlER.
Traité de neutralité entre la France et la Franche-Comté.
Le Comte de Brienne, Conseillier du Roy en ses conseils, chevalier
de ses ordres, Secrétaire d'Estat et des commandements de Sa Majesté,
ayant esté par elle commis pour examiner et resouidre les conditions de
neutralité ou suspension d'armes proposée et demandée par le sieur
Jean de Mairet, gentilhomme bourguignon de la cité de Besancon,
envoyé exprès en cour par les sieurs commis du Roy catholique au
gouvernement de la Franche-Comté de Bourgongne, ayant d'eux suffi-
sant pouvoir, a accordé les traittés et articles suyvants soubs le bon
plaisir de Sa Majesté, dont il a promis de fournir l'acte de rattilîcation
en bonne forme dans un mois.
Qu'il y aura neutralité ou suspension d'armes entre ceux du duché de
Bourgongne, Bresse, Bassigny et aultres pays adjacents du gouverne-
ment audit duché, et ceux de la Franche-Comté de Bourgongne
(Besançon compris) jusqu'au terme et temps qu'il plaise à Dieu nous
donner la paix générale entre les deux couronnes de France et d'Espagne.
Que les troupes et gens de ladite Majesté, de quelque nation qu'elles
puissent estre, soit en corps d'armée ou aultrement, n'entreront point
dans ladite Franche-Comté de Bourgongne (Besançon compris) et n'y
feront aucune course, siège, surprinse de place ny pillage ou vexation
quelconque, et ne s'y commettra aucun acte d'hostilité, et le semblable
sera religieusement observé par ceux de la Franche-Comté, ainsy que
tout a esté cy-devant exécuté de part et d'aultre par les traittés pré-
cédents.
Que Sa Majesté s'employera sérieusement envers ses alliés à ce qu'ils
ne nous troublent point aussy le repos et la tranquillité de ladite
Franche-Comté de Bourgongne.
Et d'autant qu'en faveur et en conséquence du dernier traitté d'acco-
modement qui expire au dernier jour de la présente année, il s'en est
fait un autre en forme de déclaration et par lettres patentes des deux
Roys qui permet la jouissance mutuelle des biens des vassaux et subjets
des deux partis, situés en France et dans la Franche-Comté,
Sa Majesté d'une part et lesdits sieurs Commis au gouvernement de
la Franche-Comté de l'aultre, consentent la continuation de ladite
jouyssance réciproque.
68 MELANGES ET DOCUMENTS.
En considération desquelles choses ledit sieur de Mairet promet et
s'oblige, en vertu de sa procuration, de payer la somme de cent mille
libvres tournois par chascun an, par forme de contribution, en un seul
payement qui se fera par advance à la manière accoustumée dans la
ville de Lyon, d'annie en année, le premier jour du mois d'apvril de
chascune desdites années, à commencer le premier payement par l'année
prochaine mil six cent cinquante deux.
Et à raison et en faveur de ladite somme et contribution générale
faitte au Roy, toutes les autres contributions particulières cesseront et
demeureront compensées et amorties, et à l'esgard du chasteau de
Gourlaon, il est convenu que lesdits Comtois luy donneront la somme
de trois cent libvres par mois, pour l'entretient et subsistance de la
garnison que sa Majesté y veut estre entretenue.
Lesdits sieurs Commis par Sa Majesté catholique au gouvernement du
Comté de Bourgongne pourront tenir dez à présent, si bon leur semble,
soit à la cour ou à Paris, une personne de créance en qualité de résident,
tant pour les interests particuliers de la province dont il aura soing que
pour avoir l'œuil à tenir la main à l'observance plus exacte des condi-
tions, circonstances et dépendances du présent traitté.
Et en cas que la paix ou la trefue à longues années entre les couronnes
de France et d'Espagne soit signée et rattifiée, lesd. Comtois seront
tenus quittes et deschargez entièrement des payements qui resteroient à
faire, bien que l'exécution des articles de ladite paix ne suyvit pas
incontinent la rattification d'icelle qui suffiroit en tous cas à les acquit-
ter de la contribution à laquelle ils sont obligez par le présent traitté
duquel ledit sieur de Mairet promet fournir aussy la rattification en
bonne forme dans un mois après celle de Sa Majesté.
Fait à Paris, le vingt-quatrième jour de septembre mil six cent cin-
quante et un, signé sur l'original de Brienne et J. de Mairet et scelé à
double sceau de cire d'Espagne.
S'ensuyt la ratification du traité cy-dessus En témoignage de quoy
ladite Majesté a signé la présente de sa main et y a fait apposer son
scel secret à Paris, le vingt-cinquième jour de septembre mil six cent
cinquante et un. Signé sur ledit original Louys et son scel royal y
apposé et au bas d'iceluy la signature de Guénegaud.
Note. La somme remise à M"" de Brienne par la reine mère (voy. p. 58) fut
de 1,000 pistoles pour la reine et 20,000 1. pour elle (voy. le reçu aux Arch. du
Doubs). Mairet navait reçu d'abord que 450 pistoles; il s'en plaignit dans le
reçu qu'il donna le 17 ocl. tG51 : « en attendant qu'il plaise à messeigneurs les
conseillers-gouverneurs de ni'ordonner une récompense plus digne d'eux et des
services que j'ay rendus à la province. » Le 22 novembre fut donné ordre « de
payera M. Mairet ... la somme de 1,000 pistoles d'Espagne. »
LA FRANCE ET LÀ PRUSSE (1763-^69). 61»
LA FRANGE ET LA PRUSSE
1763-1769.
RÉTABLISSEMENT DES RAPPORTS DIPLOMATIQUES
APRÈS LA GUERRE DE SEPT ANS ^
Les rapports diplomatiques se renouèrent assez promptemenL
entre les puissances qui avaient pris part à la guerre de Sept Ans.
Les cours de Berlin et de Versailles firent exception; elles ne se
renvoyèrent pas de ministres et ne rétablirent point de correspon-
dance officielle avant l'année ^769.
Louis XV gardait rancune à Frédéric II de l'alliance qu'il avait
contractée avec l'Angleterre et du concours qu'il lui avait prêté dans
une lutte désastreuse pour la puissance coloniale de la France. Fré-
déric, malgré ses succès militaires, ne pardonnait pas à Louis XV
de s'être ligué avec l'Autriche et d'avoir laissé remettre en question
la possession de la Silésie. En 1763, le roi de Prusse paraissait bien
résolu à traiter la cour de Versailles avec toute la supériorité d'un
vainqueur et à attendre ses ouvertures ; mais l'intérêt, ce premier
mobile de la politique, ne pouvait manquer à la longue de faire
sentir sa puissance. .
En Allemagne, dans toutes les classes de la société, et surtout
parmi les princes protestants, on ressentait très vivement, au lende-
main de la guerre, le besoin de renouer avec la France des relations
de bon voisinage et beaucoup désapprouvaient, sans oser élever la
voix, la politique d'abstention dans laquelle Frédéric se renfermait à
l'égard de Louis XV.
Rien ne nuisait davantage à la situation de la Prusse qu'un état de
choses qui rendait impossible tout rapport d'affaires avec la cour de
Versailles. Faute d'agents diplomatiques, les questions touchant au
commerce étaient forcément réservées. Elles demandaient cependant
une solution rapide. Macaulay, dans sa vie de Frédéric, trace un
tableau saisissant de l'état intérieur du royaume prussien, oii l'agri-
culture et le commerce semblaient pour longtemps ruinés.
Les désastres privés, dit-il, la détresse de toutes les classes sociales
étaient de nature à épouvanter l'esprit le plus ferme... Les champs
1. D'après les correspondances du dépôt des Affaires Étrangères.
70 MÉLANGES ET DOCDMEMS.
étaient restés sans culture. Le blé de semence avait même été dévoré
dans l'égarement de la faim. La famine et les maladies contagieuses
engendrées par la famine avaient anéanti les troupeaux et le bétail, et
il y avait lieu de craindre qu'une grande épidémie ne vînt frapper la
race humaine à la suite de cette effroyable guerre En sept ans, la
population du royaume avait diminué dans la redoutable proportion de
dix pour cent. Un sixième des hommes en état de porter les armes
avait péri sur les champs de bataille. Dans quelques districts, on ne
voyait dans les champs, au moment de la moisson, point d'autres tra-
vailleurs que des femmes Tout le système social était bouleversé.
L'armée était elle-même désorganisée. On pouvait à peine espérer que
trente ans de repos et d'industrie pussent réparer le mal causé par
sept années de carnage ^.
Frédéric ne pouvait se dissimuler l'étendue du mal. De tous côtés,
son attention était sollicitée par de redoutables problèmes. En 1753,
un traité de commerce avait été conclu avec la France pour une
période de dix années. Ce traité venait d'expirer. Si ses effets ces-
saient brusquement, le commerce prussien recevait une atteinte
grave. La France était, en effet, le débouché habituel des produits de
la Prusse. On y vendait les laines et les lins de la Silésie, et ces
matières, à leur entrée, bénéficiaient du tarif conventionnel de n53.
Il y avait un grand intérêt pour la Prusse à ce que rien ne fût
changé à ce régime. En France, les fermiers généraux se préoccu-
paient de la question de savoir quel tarif il faudrait appliquer
désormais aux marchandises de provenance prussienne et deman-
dèrent des instructions à ce sujet au conseil du roi pour les ports
de Bordeaux et de Nantes. Les députés du commerce se pronon-
cèrent pour le renouvellement du traité. Il fut maintenu, mais
seulement à titre provisoire.
A la même époque, Frédéric songeait à rétablir, sur des bases nou-
velles et plus larges, la Compagnie d'Embden -, dont les opérations
avaient été entravées pendant la guerre; mais là encore il ren-
contrait une difficulté et la France seule pouvait le tirer d'embarras.
La Prusse manquait de capitalistes assez entreprenants pour sub-
venir rapidement aux avances qu'exigeait une aussi vaste entreprise.
Il fallait les demander à l'étranger. Notre pays était alors en état de
fournir à la Prusse des financiers expérimentés et des commerçants
instruits. Tôt ou tard Frédéric devait se trouver amené à faire appel
à leur concours.
1. Macaulay, Essais historiques et biographiques. Frédéric le Grand. Tra-
duction de G. Guizot.
2. Compagnie fondée en 1751 pour le commerce des Indes orientales.
LA IBAN'CE ET LA PRCSSE (1763-1709). 71
Dès l'année -1764, des démarches secrètes avaient été entreprises
auprès du duc de Praslin, ministre des affaires étrangères, pour
faciliter le rétablissement des rapports. Un certain de Pinto s'était
chargé de sonder les intentions de la cour de Versailles. Il avait écrit
au ministre qu'il se sentait encouragé à l'informer de ce qui se
passai ta Berlin à ce sujet, et il lui avait communiqué des lettres échan-
gées entre le prince Wilhelm d'Anhalt et l'un de ses amis. Dans
cette 'correspondance, évidemment préparée pour être mise sous les
yeux du duc de Praslin, on laissait entendre qu'aussitôt que le départ
du ministre français serait fixé, la cour de Prusse ne manquerait pas
de désigner le sien et qu'il dépendait de Versailles de faire réussir
la négociation. Le ministre du roi de France ne crut pas devoir
accueillir une suggestion qui ne présentait pas un caraclère suffi-
sant d'autorité et qui, d'ailleurs, demandait à la France de prendre
Pinitiative. Il renvoya au sieur Pinto ses papiers, tout en ayant soin
pourtant d'en garder copie.
De son côté, au surplus, le cabinet français comprenait tout l'in-
térêt d'un rapprochement. On en trouverait au besoin la preuve dans
un rapport que le duc de Ghoiseul adressait au roi en février -J 765.
Je ne répondrais pas, disait-il, que dans quelques années les projets
singuliers du roi de Prusse, l'habitude qu'il a contractée de la guerre,
les vues d'inquiétude et d'agrandissement qu'il n'a cessé d'avoir, ne
l'engageassent, s'il se porte bien, dans une nouvelle guerre. C'est à
empêcher cette guerre, dans laquelle Votre Majesté serait obligée par
son traité de soutenir l'impératrice, qu'il est important que toute la
sagacité de votre ministère s'emploie pour que celui qui sera chargé
d'affaires à Berlin dirige sur cet objet toute son attention. Je crois
qu'avec de la douceur, et quelquefois en inspirant de la crainte, il
serait possible de faire faire des réflexions et d'arrêter ce prince dange-
reux. Rien n'est si instant pour cet objet que de renouer la correspon-
dance avec BerUn, dès qu'on en trouvera le moyen sans blesser la
dignité de Votre Majesté.
Quelle que fût la justesse de ces considérations, le cabinet de Ver-
sailles crut néanmoins de sa dignité de ne point faire les premiers
pas, et il attendit avec une rare persévérance que l'initiative vînt de
Berhn.
Dans le courant de l'année ildo, des personnages sans caractère
officiel essayaient de s'interposer pour aplanir les difficultés. Grimm
et Helvétius, fort désireux de voir cesser un état de malaise dont
souffraient les rapports des lettrés et des philosophes, pensèrent que
la duchesse de Saxe-Gotha, très écoutée à Postdam, pourrait inter-
venir utilement auprès de Frédéric pour ouvrir la voie aux négocia-
72 MIÉLANGES ET DOCUMENTS.
lions. Grimm en écrivit à l'un de ses correspondants de France, le
6 mai J765 :
J'ai pensé, disait-il, que, supposé qu'on eût le projet de se rapprocher
du roi de Prusse, on trouverait difficilement un meilleur canal que
celui de M""^ la duchese de Saxe-Gotha : 1° parce que tous les princes
protestants d'Allemagne désirent vivement ce retour de liaison; 2» parce
que la princesse dont j'ai l'honneur de vous parler est attachée à la
France et aime la nation par goût et par choix ; 3° parce que c'est une
princesse des plus éclairées, d'une sagesse et d'une prudence reconnues
et douée de toutes les grandes qualités qu'on attend de ceux qui gou-
vernent, et qui sont nécessaires à bien conduire une négociation délicate
oîi il ne faudrait compromettre personne; j'en parle avec connaissance
de cause, parce que je suis honoré de ses bontés et de sa confiance
depuis douze ans, pendant lesquels j'ai fait deux séjours à sa cour;
4» parce que cette princesse est sans contredit la personne de l'Europe
qui a le plus d'ascendant sur l'esprit du roi de Prusse, et que ce prince
a pour elle la plus haute considération et entretient avec elle un com-
merce de lettres très suivi; 5° parce que, par ce moyen, quelles que-
fussent ses dispositions à l'égard de la France, on aurait du moins
l'avantage de les connaître avec sûreté et sans détour; il n'en emploie-
rait sûrement pas avec M^»* la duchesse de Saxe-Gotha, et si cette
princesse se chargeait de quelques négociations, on pourrait s'attendre
de sa part à une bonne foi et un zèle sans réserve
Helvétius eut la même pensée et se montra plus hardi que Grimm.
Voici la lettre quMl adresse au mois de juin i7tio à la duchesse :
Pour user de mon privilège de tout dire, il faut que je dise à Vôtre
Altesse un projet qui m'a passé par la tête. Je suis las de voir le froid
qui subsiste depuis la paix entre deux anciens aUiés; j'aimais mieux
une belle haine bien déclarée comme en 1757. D'ailleurs, je suis trop
bon Français, et j'ai trop de bonnes raisons de l'être, pour ne pas
désirer que le grand Frédéric ait en ce pays-ci encore d'autres liaisons
que celle du philosophe d'Alembert ' et la mienne. Je sais depuis long-
temps qu'il estime M. le duc de Prashn; j'ai appris depuis qu'il fait
cas de M. le duc de Choiseul. A quoi tient-il donc qu'on ne rétablisse
entre les deux cours cette correspondance qui subsiste entre les cours
les moins liées et dont l'interruption m'ennuie depuis longtemps? Si
tout cela ne tient qu'à une petite cérémonie pour savoir qui nommera
le premier son ministre, il faut convenir qu'on s'arrête à bien peu de
chose, mais cela arrive souvent en politique. Moi je me suis mis en
tête que Votre Altesse doit se mêler de cette affaire; que vous satis-
ferez également, madame, et votre goût pour la France et votre amitié
pour le grand Frédéric en faisant finir un froid qui a trop duré, et que
1. D'Alembert était allé à Postdam en 1763.
LA FRANCE ET LA PRUSSE (1763-1769). 73
votre sagesse trouvera pour cela aisément ce que les Italiens appellent
« il mezzo termine. » Si vous me demandez, madame, de quoi je me
mêle je dirai que je voudrais que toutes les choses bien faites fussent
votre ouvrage.
Il était difficile d'offrir à la duchesse de Saxe-Gotha une occasion
plus belle d'employer son crédit. Sa réponse à Helvétius témoigne
de ses bonnes dispositions :
Comptez, lui écrivit-elle, que si je pouvais contribuer à obtenir le but
que vous me proposez, j'emploierais avec ardeur, avec transport, avec
zèle toutes mes facultés ; je ferai sûrement l'impossible pour le succès ;
l'idée seule m'en cause une joie infinie, car c'est là précisément ce que
mon cœur désire depuis longtemps, et je ne crois la chose nullement
impossible. Je sais positivement que le héros aime la France d'incli-
nation et l'a toujours aimée ; de plus, avec son esprit et sa sagesse, il
ne saurait méconnaître ses véritables intérêts. Il ne serait donc question
que de lui en faire venir l'idée promptement et à propos. Vous savez
que, dans la plupart des événements de ce monde, tout dépend du
moment^ et je saisirais sûrement le premier moment favorable, si je
pouvais espérer de remplir des vues utiles et réelles.
De telles assurances avaient leur valeur, et notre philosophe dut
se féliciter de les avoir provoquées ; mais en même temps Helvétius
avait trouvé le moyen d'agir personnellement et directement sur le roi
lui-même. Il s'était rendu à Berlin à l'invitation de Frédéric. Ayant eu
roccasion del'entretenir à ce sujet, il sut le sonder adroitement. Bien
que le cabinet de Versailles se soit toujours abstenu avec soin de
laisser voir qu'il encourageait ces démarches, on doit croire qu'il ne
les désapprouvait pas. Voici dans quels termes Helvétius rendit compte
à M. d'Argental, ministre du duc de Parme en France, et ami
particulier du duc de Ghoiseul, des entretiens qu'il avait eus avec
Frédéric. Cette lettre est datée de Gotha, le 4 juin 1765.
Monsieur le comte, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire. J'ai saisi toutes les occasions d'assurer le roi de Prusse de
l'attachement de MM. les ducs de Praslin et de Ghoiseul. Je me suis
vanté auprès du roi des bontés que vous aviez pour moi; il m'a parlé
de vous de la manière la plus obligeante. Mais, m'a-t-il dit, son amitié
pour M. de Voltaire ne l'aurait-il pas éloigné de moi? Je lui ai répondu
comme je le devais que vous admiriez avec toute l'Europe les ouvrages
de votre ami, mais que vous ne vous donniez point pour le défenseur
des torts qu'il pouvait avoir eus avec Sa Majesté. Dans la suite de
cette conversation, j'ai eu occasion de lui faire sentir l'intérêt réci-
proque que les deux cours de Versailles et de Postdam avaient d'être
bien ensemble. Voici sa réponse :
74 MELANGES ET DOCUMENTS.
La cour de France a eu avec moi les plus grands torts, elle le sait.
Elle m'a attaqué à Rosbach. Elle m'a fait la guerre apparemment pour
faire un cardinal. Je ne lui connais point d'autre intérêt. Comment
est-il possible qu'après avoir démoli les places des Pays-Bas, sans
doute pour s'en emparer plus facilement, elle se soit alliée avec cette
puissance au moment qu'elle pouvait la combattre avec le plus d'avan-
tages.
J'ai éprouvé tant de mauvais traitements de la part de la France que
ce serait bas à moi de faire les avances, et, d'ailleurs, pourquoi les
ferais-je? Quelles sont nos deux positions?
Je suis bien avec la Russie ; mes derrières sont assurés. La France
est trop loin de moi pour m'attaquer, et la reine de Hongrie seule ne
l'osera jamais.
La France, au contraire, sera certainement dans peu obligée de faire
la guerre à l'Angleterre. Ce n'est que par la prise des Pays-Bas qu'elle
peut s'indemniser des prises que les Anglais lui feront peut-être sup-
porter par mer; elle a donc intérêt d'être bien avec moi; il y a de plus
du froid entre l'Angleterre et la Russie ; la France peut en profiter pour
conclure un traité de commerce avec l'impératrice, d'autant plus avan-
tageux qu'il serait plus nuisible aux Anglais. La France n'ignore pas
que je puis la servir en Russie. La France a donc plus besoin de moi
que je n'ai besoin d'elle. Répondez-moi : est-ce à celui qui a le moins
de besoin à faire les avances?
J'ai répondu au roi ce que le peu d'esprit et le peu de connaissance
que j'ai des affaires m'a suggéré dans le moment. Le résultat de ma
conversation, c'est que je suis chargé de la part du roi de Prusse de
faire à MM. les ducs de Praslin et de Choiseul une proposition qui, je
crois, leur sera agréable, et qui ne compromet l'honneur d'aucune des
deux cours. Si on l'accepte, l'affaire est finie. Si on ne l'accepte pas, je
doute qu'on puisse jamais renouer avec ce roi.
Je vous écris tout ceci, afin que vous ayez la bonté d'en prévenir
MM. les ducs de Praslin et de Choiseul et de les prier de vouloir bien
me donner, à mon retour à Paris, un quart d'heure d'audience...
Quelle était celte proposition « agréable » dont Helvétius parle
encore avec discrétion et qui devait avoir tant d'excellents effets, si
elle était accueillie à Versailles? Elle se résumait dans la nomination
simultanée des deux ambassadeurs ou envoyés, à un jour donné,
dont on conviendrait des deux parts. Helvétius s'acquitta de sa mission,
mais le ministre ne la trouva pas suffisamment définie. Il exigea
qu'elle fût au moins autorisée par un écrit de Frédéric. Helvétius en
référa à Berlin. On lui répondit que, si l'on autorisait sa mission par
une lettre, il était à craindre que la cour de France ne se vantât des
avances qu'aurait faites le roi de Prusse.
Helvétius s'en explique dans une lettre au duc de Praslin en date
LA FRANCE ET LA PRUSSE (1763-1769). 75
du mois d'août -1763, et suggère même à ce propos une combinaison
qui, d'après lui, aurait aidé a tourner la difficulté.
On a soupçonné à Berlin, monseigneur, que votre intention, en
demandant que ma mission fût autorisée par une lettre du prince, était
de publier que le roi de Prusse faisait des avances à la France. Ce
soupçon peut être aisément détruit, et, si vous croyez que l'alliance du
roi de Prusse puisse nous être avantageuse, qu'il soit important de
connaître ses vraies dispositions et de savoir si, depuis mon départ, il
n'aurait pas pris quelqu'autrc engagement, il est je pense facile de le
mettre au pied du mur. J'imagine un moyen que je soumets à vos
lumières supérieures.
M. le comte d'Haussonville est actuellement sur les lieux. Si on le
chargeait de parler au roi de Prusse en particulier et de lui dire que la
cour de France nommera un ambassadeur le même jour que la cour de
Berlin nommera le sien, que lui, comte d'Haussonville, sera cet ambas-
sadeur, qu'il en recevra les patentes qu'il ne datera que du jour où Sa
Majesté aura nommé son envoyé, il me semble que, par ce moyen,
l'honneur de la France ne serait pas compromis. Sa bonne foi serait
constatée et le roi de Prusse dans la nécessité de déclarer ses vraies
intentions. Peut-être M. le comte d'Haussonville ne voudrait-il pas
accepter cette place, mais ne pourrait-on pas lui promettre de lui
envoyer six semaines après un successeur et lui dire que le bien de
l'État exige qu'il se charge seulement pendant ces six semaines d'une
place qu'il peut regarder comme au-dessous de lui.
Mandez-moi, monseigneur, vos intentions; je vous adresse copie
d'une lettre destinée pour la Prusse et qu'on montrera au roi. Je l'en-
verrai si vous l'approuvez ^.
La suggestion ne fut pas acceptée à Versailles. On n'en crut pas
moins à Berlin que le comte d'Haussonville, qui s'était rendu en
Prusse pour des affaires d'intérêt privé, était chargé d'une mission
du gouvernement français, et nous trouvons la trace de cette impres-
sion dans une dépêche de l'agent d'Angleterre Burnet au cabinet de
Londres.
On ne voit pas que l'intervention de la duchesse de Saxe-Gotha
dans cette négociation se soit manifestée par aucun fait précis. Elle
avait suspendu toute démarche en apprenant la mission qu'Helvétius
avait reçue du roi de Prusse. C'est du moins ce qui résulte d'une
lettre d'Helvétius lui-même, du mois de septembre i 763, au duc de
Praslin :
Vous savez, lui dit-il, que la princesse de Gotha ainsi que toute
l'Allemagne protestante souhaite ardemment de voir la bonne intelli-
1. Une lettre analogue a été adressée par Helvétius au duc de Cholseul.
7(> MÉLANGES ET DOCUMENTS.
gence établie entre les deux cours de Versailles et de Berlin. Je sais
même que cette princesse aurait entamé cette négociation si elle ne
m'en avait pas cru chargé de la part du roi de Prusse. Si cette alliance
nous est utile, ne pourrait-on pas profiter de ses bons offices ?
Le cabinet de Versailles ne se départit pas de sa réserve et le nom
de la duchesse de Saxe-Gotha ne reparait plus dans les pourparlers
ultérieurs.
On était en ^766. Du côté de la France, on désirait toujours
beaucoup le rétablissement des rapports diplomatiques ; mais on
avait appris par la correspondance d'Helvétius que le désir de Fré-
déric II n'était pas moins vif. On croyait avoir tout intérêt à attendre
des ouvertures mieux définies. Frédéric constatait de son côté, non
sans inquiétude, qu'il n'avait encore rien fait pour le renouvellement
de ce fameux traité de commerce expiré depuis •ITes. La situation
devenait chaque jour plus critique. II fallait enfin aviser. Voici l'ex-
pédient auquel le roi de Prusse eut recours.
Le 29 novembre I76(), M. de Finkenstein, ministre d'État en
Prusse, annonce au duc de Choiseul que le roi a chargé un certain
comte de Barberin de quelques commissions de commerce pour son
service particulier, que, dans ce but, M. de Barberin doit se rendre
en France, et qu'un sieur Mény a été investi du caractère d'agent
pour le même objet. Le comte de Finkenstein ajoutait que son sou-
verain avait l'espoir que le duc de Choiseul voudrait bien protéger
CCS messieurs relativement aux commissions qui leur étaient confiées.
On répondit de Versailles que le roi se ferait un plaisir d'accorder sa
protection la plus spéciale au comte de Barberin ainsi qu'au sieur
Mény, et que M. de Finkenstein pouvait compter sur l'assistance que
les « commissionnaires » du roi de Prusse trouveraient en France.
L'année suivante (23 mai 1767), c'est un sieur Mettra qui, en
vertu de lettres patentes délivrées par Frédéric, est nommé agent
« pour différentes commissions concernant le commerce, » et cela en
considération de ses connaissances étendues et de son expérience
dans le commerce.
Nous requérons, disait-on dans ces lettres patentes, signées par le roi
et contresignées par MM. de Finkenstein et de Hertzberg, tous ceux à
qui il appartient, de le reconnaître en qualité de notre agent pour diffé-
rentes commissions concernant le commerce, d'accepter ses mémoires,
lettres et instruments, de conférer avec lui sur tout ce qui peut avoir
rapport au commerce de nos États et de lui donner toutes sortes d'aide
et d'assistance, comme aussi de le laisser jouir de toutes les immunités,
privilèges et prérogatives dont les autres agents de commerce des rois
jouissent.
LA FRANCE ET LA PRUSSE (^763-^769). 77
Barberin, Mény, Mettra, tels sont les hommes que Frédéric envoie
en France et qu'il a chargés d'étudier la question commerciale aussi
bien que le terrain politique. Il lui était aisé de désavouer leurs
démarches s'il les jugeait trop hardies. C'est en 1768 que le fond de
sa pensée se révèle définitivement dans un document officiel, par
l'entremise de son agent Mény.
Monsieur le duc, écrit de Paris ce dernier à Choiseul le 17 juin,
comme agent de S. M. prussienne en France, où j'ai l'honneur d'être
accrédité en cette quahté, j'ai cru pouvoir lui proposer un renouvelle-
ment du traité de commerce entre ses sujets et ceux de S. M. très
chrétienne. Cet objet devenant de plus en plus intéressant pour les
deux nations, S. M. prussienne vient de m'autoriser, pendant son
séjour à Vezel, à remettre à Votre Excellence les articles ci-joints, sur
lesquels les cours de Berlin et de Versailles pourraient entrer en négo-
ciations par des ministres plénipotentiaires nommés et envoyés de part
et d'autre en même temps. Je vous prie, monsieur le duc, de vouloir
bien me marquer vos dispositions et celles du roi à cet égard, afin que
je sois en état d'en rendre compte à S. M. prussienne, dont j'attendrai
ici les ordres ultérieurs.
Ce projet de traité au sujet duquel on proposait d^entamer
des pourparlers avec la France par Pintermédiaire de ministres
respectivement nommés, contenait certaines stipulations particu-
lières. Frédéric demandait que le roi de France s'engageât à lui
faciliter la conclusion d'un traité de commerce avec l'Espagne et
de Portugal et qu'il autorisât ses sujets à s'associer entre eux
pour fournir les fonds nécessaires au rétablissement de la Com-
pagnie d'Embden. Il promettait de son coté de faire jouir les
négociants français des privilèges les plus étendus et de réclamer en
temps de guerre leurs bâtiments qui navigueraient sous pavillon
prussien et qui seraient pris ou insultés par les ennemis de la
France.
Cette fois, Choiseul n'eut garde de repousser les ouvertures de Fré-
déric. Elles étaient positives et sérieuses. La politique française souf-
frait elle-même de la gêne et de l'aigreur qui s'étaient maintenues dans
les relations des deux cabinets. Sans doute la proposition faite au nom
du roi de Prusse n'écartait pas toutes les difficultés de forme, nées
des susceptibilités réciproques; mais les intérêts parlaient trop haut
pour que l'on ne cherchât pas à accommoder les amours-propres.
Choiseul ne laissa pas échapper Foccasion favorable, il répondit au
sieur Mény que le roi était disposé à négocier sur les bases indiquées,
sauf quelques réserves, par l'entremise de ministres plénipotentiaires
78 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
qui seraient à nommer. Il ajoutait que les deux cours ne pourraient
mieux faire que de confier à leurs représentants à la Haye, MM. de
Breteuil et de Thulemeyer, le soin de combiner l'exécution de cet
envoi respectif.
Mény dépêcha à Berlin le sieur Mettra, avec une lettre qui conte-
nait la réponse et les vues du duc de Choiseul. Le 8 juillet, Frédéric
écrivit à Mény qu'il avait reçu ses communications.
Mettra, qui vient d'arriver, m'a expliqué, dit-il, quelle était, au sujet
de l'envoi réciproque des ministres, l'intention de la cour de France.
Selon ce qu'il m'a dit, je crois qu'il sera facile de s'arranger, et voici
ce qui sera le plus simple et le plus acceptable de part et d'autre. Dès
que l'ambassadeur de France sera arrivé à La Haye, il pourrait se
trouver en tiers avec le sieur de Thulemeyer chez l'ambassadeur d'Es-
pagne, sans que cela soit des déclarations ministérielles, et là, par
manière de propos, celui d'Espagne, qui se trouve autant intéressé à
cette aflaire que celui de France, pourrait dire qu'il était singulier que
ces deux cours n'entretenaient point de ministres les uns chez les
autres. Le ministre de France pourrait appuyer fortement là-dessus, le
tout pour donner à Thulemeyer l'occasion de dresser une dépèche dont
j'ai un besoin indispensable dans la situation où je me trouve, par
l'usage qu'il me convient d'en faire, qui n'est pas fort difficile à deviner
si vous y faites attention. Cette relation arrivée, on pourrait d'abord
échanger les noms des ministres, régler leur départ, etc., sans que
l'affaire put rencontrer de plus grandes difficultés. Pour ce qui regarde
le traité de commerce, vous comprenez que, Mettra n'étant arrivé
qu'hier, il m'est impossible de vous envoyer aujourd'hui tout le projet;
mais comme je ne suis pas chicaneur de mon métier et que mes
demandes ne sont ni outrées ni injustes, je ne crois pas que l'exécution
pourra rencontrer de grandes difficultés. En gros, cela roulera de notre
part sur l'échange des bois, des toiles et certaines étoffes de laine
contre des vins de France et l'eau-de-vie...
Le roi avait ajouté un post-scriptum :
« Les pleins pouvoirs seront envoyés de notre part immédia-
tement après l'arrivée de la relation, pour que cela n'ait pas un air
précipité, rien ne convenant moins en politique que de se jeter en hâte
à la tête de ceux dont on veut se rapprocher. La France ne doit pas
s'étonner que j'aie cette délicatesse ; les événements m'ont mis dans une
situation qui m'empêche d'en faire davantage. »
Frédéric, on le voit, veut s'entourer jusqu'au dernier moment de
toutes les précautions. Il va jusqu'à faire répéter à Mény par son
secrétaire de cabinet, M. de Galster, d'avoir bien soin de ne mettre
sous les yeux du duc de Choiseul que celle de ses lettres qui fût
ostensible, encore devait-il la montrer « comme par inadvertance. »
LA FRANCE ET LA PRUSSE (^ 763-^769) . 79
Et M. de Galster ajoute : « Vous cacherez qu'un exprès vous a été dépê-
ché. » Mais le point qui préoccupe avant tout Frédéric, c'est ce rapport
détaillé qu'il attend de M. de Thulemeyer et dans lequel se trouvera
reproduit l'entretien où M. de Breteuil aura déclaré devant le ministre
prussien à l'ambassadeur d'Espagne que son souverain est disposé à
rentrer en correspondance avec le roi de Prusse. Frédéric exige cette
dépêche dont il compte se servir pour répondre plus tard à ceux qui
pourraient lui reprocher d'avoir pris l'initiative dans la question du
rapprochement avec la cour de Versailles.
Une procédure aussi compliquée, l'interposition d'un tiers, tout
cet appareil destiné à laisser à M. le baron de Breteuil la responsa-
bilité apparente des premières démarches révélait bien la pensée
de Frédéric. Ghoiseul déclina l'expédient. La présence de l'ambas-
sadeur d'Espagne dans cette affaire ne lui parut pas acceptable;
mais, allant droit au but, il déclara que M. de Breteuil recevrait
l'ordre de faire lui-même à M. de Thulemeyer une ouverture qui
permit à l'envoyé prussien de rédiger son rapport.
La négociation s'engagea dans ces conditions à la grande satisfac-
tion de Frédéric. Voici ce qu'il écrivait a Mény, le -10 août -1708 :
Ce n'est pas vanité bourgeoise qui nous a fait exiger ces pourparlers
de la part du ministre de France. Cette démarclae nous était nécessaire
vis-à-vis de nos alliés. Les pleins pouvoirs et tout le reste seront aussitôt
expédiés de notre part, et je ne prescrirai pas à la cour de France qui-
conque elle voudra nommer ministre à ma cour, me confiant dans le
bon choix qu'elle fera, et je suis sûr que ce sera une personne qui
n'aura point l'esprit tracassier et difficile. Pour moi, disait Frédéric en
terminant, j'ai fait choix du colonel baron de Goltz, qui est un homme
sage, réservé, et qui a déjà donné des preuves de sa capacité dans
d'autres pays où il a été envoyé.
Si avancés que fussent les pourparlers entamés à la Haye entre
MM. de Breteuil et de Thulemeyer, et bien que Frédéric eût déjà
prononcé le nom de son futur ministre en France, on voit reparaître
ses susceptibihlés. A un moment, il se fâche, parce qu'il a appris
qu'on est informé en Angleterre de la négociation ouverte entre Berlin
et Versailles : « Je ne sais pas comment cela s'est fi^iit, écrit-il à
Mény, mais je sais bien que ce n'est pas d'ici qu'on a pu l'ap-
prendre. Je soupçonne que là où vous êtes on n'a pas mis assez de
circonspection dans cette affaire. » Et, comme s'il eût voulu adoucir
la rudesse de cette observation et réveiller le zèle de Mény, le roi
ajoute de sa main au bas de la lettre : « Nous voici au dénouement
de la pièce ; nous verrons incessamment si le sieur Mény est un
80 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
maladroit ou un des célèbres agents que la politique ait employés
dans ses opérations. »
A la fin d'octobre -J768, on était tombé d'accord sur le choix des
ministres. C'était, pour la France, le comte de Guines, favorablement
connu de Frédéric ^ Ce nom fut bien accueilli à Berlin. Quoique la
nomination de Guines ne fût point encore définitive, Mény, qui pour
sa part n'en pouvait plus douter, fit remarquer au duc de Ghoiseul
qu'il serait à désirer que son envoyé se rendit à Berlin, de manière à
voir le roi pendant son séjour dans la capitale et à entamer direc-
tement la négociation dont il serait chargé. Frédéric venait de
Posldam à Berlin chaque année vers le 20 décembre. Il n'était point
d'usage que les ministres étrangers allassent à Postdam sans y être
demandés. Mény, dans son zèle, comptait sans les difficultés qui
se présentèrent au dernier moment et retardèrent encore l'événe-
ment si impatiemment attendu.
Voici dans quels termes le baron de Breteuil rend compte à Ghoi-
seul, le 25 octobre (708, de cet incident :
J'ai dit au ministre de Prusse, écrit M. de Breteuil, ce que vous
m'avez ordonné de lui annoncer sur la nomination de M. le comte
de Guines en qualité de ministre plénipotentiaire de S. M. auprès
du roi de Prusse, sur l'époque de son départ, sur la satisfaction que le
roi ressent du parfait rétablissement de la correspondance avec Berlin.
M. de Thulemeyer m'a répondu sur tout cela dans les termes les plus
convenables. Je lui ai ensuite proposé de publier, chacun de notre côté,
la nomination respective des ministres de nos maîtres, mais j'ai eu lieu
d'être surpris, lorsque M. de Thulemeyer m'a dit qu'il ne pouvait se
prêter à cette démarche authentique, qu'au préalable nous n'eussions
signé un acte par lequel il serait dit que les deux cours étaient conve-
nues de s'envoyer réciproquement des ministres et nous avaient auto-
risés à rendre public leur choix. J'ai fait remarquer à M. de Thule-
meyer que cette proposition de sa part avait d'autant plus droit de me
surprendre, que non seulement il n'avait jamais été question entre
nous de la nécessité de. cet acte, mais qu'il ne m'avait jamais même
témoigné que son maître le désirait, lorsqu'il y a dix jours il m'a pro-
posé de rendre publique la nomination des ministres de nos deux
cours, et que je n'avais été arrêté dans cette démarche que par l'igno-
rance où j'étais alors du choix du roi. Je lui ai dit que, n'ayant pu pré-
voir cet incident, je n'avais aucun ordre qui y fût relatif, et que je ne
1. Le comte de Guines était allé à Berlin, en 1766, pour assister aux
manœuvres de l'armée prussienne. 11 n'est pas vraisemblable que sa mission
fût exclusivement militaire ; mais il n'y est fait aucune allusion dans les docu-
ments anaivsés ci-dessus.
LA FBANCE ET LA PRUSSE (^763-^769). Si
pouvais remplir ses vues, sans que vous eussiez eu la bonté de me
faire connaître les intentions du roi à cet égard. M. de Thulemeyer
s'est excusé de ne m'avoir pas parlé de l'ordre qu'il avait de signer cet
acte avant de rendre public notre rapprochement : 1" sur ce qu'il
n'avait pas douté que ce préliminaire ne fût convenu entre les deux
cours; 2o qu'il n'avait eu ordre d'y insister absolument que par la der-
nière poste. J'ai représenté à M. de Thulemeyer l'inutilité de cet écrit.
Je lui ai fait sentir qu'il paraîtrait annoncer une méfiance peu conve-
nable au principe des deux cours, et je ne lui ai pas caché qu'elle serait
aussi peu conforme à l'empressement que le roi de Prusse nous a
témoigné qu'à celui avec lequel nous y avons répondu. J'ai marqué au
ministre prussien le regret que j'avais que cette formalité inattendue
retardât le plaisir que je savais que le roi et son ministre se faisaient de
penser que notre correspondance était absolument rétablie. M. de Thu-
lemeyer m'a paru frappé comme moi de tout ce raisonnement; mais il
m'a avoué qu'il ne pouvait s'écarter de la précision de ses ordres sur la
signature dudit acte. Au moyen de quoi, nous sommes convenus de
garder encore le silence sur l'envoi des ministres respectifs, jusqu'à ce
que nous eussions nos dernières instructions sur cet objet. Dans la
suite de la conversation, M. de Thulemeyer m'a dit qu'il savait que le
roi de Prusse avait exigé et observé cette forme d'acte vis-à-vis de l'An-
gleterre après le froid qui a suivi leurs liaisons intimes. Il est vrai, m'a
ajouté M. de Thulemeyer, que le cas était différent, car le roi mon
maître se souciait peu de renouveler ses rapports avec l'Angleterre, et
il n'a cédé sur cela qu'aux plus pressantes instances, au lieu qu'il est
très sincèrement occupé et empressé de voir renouer sa corrrespondance
avec la France. J'ai cru devoir plutôt retirer de ce détail confiant et
poli la certitude que le roi de Prusse a ordonné à son ministre de
ne laisser échapper aucune occasion de me montrer combien peu
il tient à l'Angleterre, que d'en inférer qu'il craignait de se trouver
embarrassé vis-à-vis de la cour de Londres, s'il n'observait pas avec
nous la même forme qu'il a suivie avec elle dans un cas pareil. Quoi
qu'il en soit, le roi de Prusse persiste dans le désir de cet inutile préli-
minaire.
Choiseul fit cette dernière concession à l'amour-propre de Fré-
déric et l'on procéda de part et d'autre à la nomination définitive
des ministres. Le comte de Gaines venait d'arriver de Corse, où il
exerçait un commandement dans l'armée, et son départ pour Berlin
ne put s'efîecluer aussi rapidement que l'eût souhaité Mény. Il fut
convenu qu'il se mettrait en route le même jour que le baron de
Goltz, et la date du 2 janvier 1769 fut fixée d'un commun accord.
Les deux envoyés se croisèrent à la Haye le H. « Je suis arrivé ici,
écrit le comte de Guines, à peu près à la même heure que M. de
Goltz. Il compte y passer quelques jours et ne se rendra à Paris qu'à
Rev. Histor. XXV. !«■• FASC. G
82 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
l'époque de mon arrivée à Berlin. » Tout était calculé pour que M. de
Goltz ne devançât pas le ministre de France et pour que leur entrée
dans les deux capitales eût lieu autant que possible le même jour.
Frédéric tenait à cette coïncidence, afin qu'on ne pût reprocher à son
représentant d'avoir mis plus d'empressement que celui du roi de
France à se rendre à destination. Le 29, Guines était à Hambourg;
le 1" février, Goltz entrait à Paris; Guines n'arriva à Berlin que
le 2, à quatre heures du matin.
Il ne paraît pas, toutefois, que Frédéric ait attaché aucune impor-
tance à cette différence de quelques heures dans l'arrivée des deux
agents à leur poste, et, à Berlin comme à Versailles, on ne songea
qu'à se féhciter d'un rapprochement désiré par les deux cours.
Robert Hammond.
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE.
(Suite et fin.)
Napoléon savait assez bien à quoi s'en tenir à l'égard de la Prusse,
mais il croyait bon de l'épargner. « Je ne ferai pas la guerre à la
Prusse, dit-il au colonel Krusemarck, parce que j'ai besoin de mes
troupes ailleurs et que je ne veux pas me brouiller avec la Russie'. »
Cependant l'impossibilité de suffire aux exigences des finances aggrava
la situation du gouvernement prussien de jour en jour. L'empereur
demanda péremptoirement le payement des sommes dues en disant :
« Si le roi ne peut pas payer, il n'a qu'à me céder la Silésie^. » Le
ministère prussien n'était pas capable de découvrir d'autre expédient
qu'une cession territoriale. Dans cette crise terrible, le roi Frédéric-
Guillaume voulut recourir aux talents de son ancien serviteur, le
baron de Hardenberg, banni de la cour par ordre de l'empereur. Les
dépèches du comte de Saint-Marsan permettent de croire que l'idée de
la révocation du baron de Hardenberg date déjà de l'année -1809.
J'ai trouvé dans sa correspondance diplomatique les notices qu'on
va hre -.
1. Rauke : Hardenberg, l. c, p. 142.
2. Ranke, L c, p. 145.
DOCUMEXTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 83
(( Le 2G juillet 1809... Les bons Prussiens et les personnes sensées,
qui sont malheureusement en petit nombre dans la classe de celles qui
ont de l'influence, gémissent de tout ce qui a été fait et dit... Ils pré-
tendent qu'il (le roi) n'est pas satisfait de la composition de son ministère
actuel, j"ai même lieu de croire qu'on a voulu me sonder pour savoir si Sa
Majesté l'Empereur ne désapprouverait pas que M. de Hardenberg reprît le
timon des affaires... »
« Le 4 août 1809... Je ne peux pas douter que Sa Majesté le roi de
Prusse désire replacer le baron de Hardenberg au ministère. Elle
voudrait le nommer président du conseil des finances et il serait du fait
premier ministre ; mais ce projet, qui existe à l'insu du ministère,
n'aura lieu qu'en tant que le roi pourrait croire que Sa Majesté l'empe-
reur ne le désapprouverait pas, et le baron de Hardenberg, de son côté,
ne s'y prêterait pas sans cette persuasion... »
Le \ \ novembre 1809, Saint-Marsan parle de l'aclivité des amis de
Hardenberg :
« Ils dirent (ils sont sans doute chargés de me dire) que cet ancien
ministre... a dit à ses amis que, s'il reprend le timon des affaires, il ferait
tous ses efforts pour obtenir de Sa Majesté l'empereur et roi d'admettre
le roi de Prusse dans la confédération du Rhin. »
Le U février -18^0, il rend compte d'une conversation qu'il a eue
avec le roi :
... Sa Majesté a continué en disant : « Je me trouve aussi à peu près
sans coopérateurs pour mon travail intérieur, car mes ministres sont
en général de très honnêtes gens, mais de bons buralistes et rien de
plus, aucun n'a des vues, aucun n'a ni assez ma confiance ni celle du
public pour agir convenablement dans les moments actuels et pour
diriger l'opinion publique. Ce sont tous des gens nouveaux pour les
affaires en grand, tous mes anciens ministres sont hors d'activité, les
uns par leur faute et les autres par les circonstances qui ne permettent
plus qu'ils prennent part aux aflaires. J'avoue que celui que je regrette
le plus, parce que je suis intimement convaincu, malgré tout ce qui
s'est passé, qu'il est véritablement pénétré de la vérité que le seul inté-
rêt de la Prusse est l'union intime avec la France, c'est le baron de
Hardenberg, c'est un homme d'esprit, qui a la confiance générale, il
ranimerait le crédit et aiderait plus qu'aucun autre à rétablir mes
affaires. Certainement, je ne penserai jamais m'en servir de la manière
la plus indirecte tant que je ne serai pas assuré que les impressions
fâcheuses que Sa Majesté a reçues sur son compte ne sont pas dissipées
et lui-même, je puis dire qu'il me fait crainte de me compromettre.
Mais je vous serai très reconnaissant, M. le comte, de faire connaître à
votre auguste souverain ce que je viens de vous en dire. J'espère que
l'Empereur n'y verra qu'une marque d'entière confiance ; je sais qu'il a
permis qu'on donnât des passeports au baron de Hardenberg pour les
84 MÉLANGES ET DOCCMEÎVTS.
pays occupés par les troupes françaises, j'ai lu dans des journaux fran-
çais des éloges de son administration dans les pays qui ont été de son
département, et au surplus, si Sa Majesté impériale s'inclinait à appro-
fondir les sentiments du baron de Hardenberg, je verrais avec le plus
grand plaisir qu'Elle lui permît d'aller à Paris en simple voyageur,
qu'elle daignât l'entendre, et ensuite, si Elle l'approuvait, sans le placer
aux affaires étrangères, je le nommerais président du conseil où toutes
les affaires se discutent et je me croirais sur alors que la ligne de con-
duite que je me suis tracée serait exactement suivie dans tous les
dicastères... »
Je n'ai pas à raconter, d'après les dépêches du comte de Saint-
Marsan, l'histoire de la révocation de Hardenberg et des commence-
ments de son administration en 1810. On y trouverait cependant des
traits caractéristiques qui compléteraient le récit de Ranke. Celui-ci
a publié (/. c, p. 157) un fragment de la lettre adressée par Harden-
berg au comte de Saint-Marsan. Qu'il me soit permis de l'insérer
ici in - extenso d'après Toriginal (sans signature) conservé aux
archives des affaires étrangères. Le comte rapporte le 8 mai 18^0 :
« ... M. de Hardenberg... m'a fait dire hier au soir qu'il aurait désiré
m'entretenir un moment et me remettre lui-même une lettre qu'il
m'écrirait sur sa position personnelle ; je l'ai rencontré dans une maison
hier, il m'a remis la petite note que je joins ici en original et sa com-
munication n'a roulé que sur l'objet qu'elle contient... »
Voici la note de Hardenberg du 5 mai 1810 :
« Lorsque vous eûtes la bonté de me donner mes passeports, M. le
comte, j'eus l'honneur de vous entretenir sur les événements qui m'ont
attiré le mécontentement de S. M. l'Empereur Napoléon en 1805, sur la
manière dont il fut manifesté lors du traité de Vienne et depuis lors
des négociations de Tilsit, sur la conduite enfin que j'ai cru de mon
devoir d'adopter en conséquence. Vous n'ignorez pas que je me suis
tenu entièrement à l'écart de tout ce qui concerne les affaires et qu'à
l'époque de l'arrivée du roi, je me suis éloigné afin d'éviter tout contact
et l'occasion d'y être mêlé. Maintenant vous avez sans doute connais-
sance aussi des discussions qui viennent de me forcer à quitter ce rôle
entièrement passif, le Roy m'ayant demandé, quoique je fusse absent,
mon avis sur les questions des finances et sur différents plans agités pour
satisfaire à ses obligations vis-à-vis de la France. Le moyen de m'y
refuser sans blesser mes devoirs envers mon souverain et les sentiments
qui m'attachent à tant de titres à son auguste personne? Me voilà donc
occupé à m'informer de tout pour pouvoir donner mon avis avec con-
naissance de cause. Mais le puis-je sans craindre que cela ne fasse sur
l'esprit de S. M. Impériale une impression nuisible? Je serais à jamais
DOCCMEIVTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 85
inconsolable si ma concurrence pourrait servir à augmenter les griefs
qu'ElIe a contre le roi, et mes appréhensions s'accroissent par le silence
qui a suivi les ouvertures que le roi vous a chargé de faire de sa part
sur son désir de me replacer à la tête des affaires, démarche faite entiè-
rement à mon insu et que je n'ai apprise qu'à mon retour.
« Ces considérations étant de la plus grande importance, je suis d'autant
plus reconnaissant de ce que vous avez bien voulu m'accorder un entre-
tien, M. le comte. J'ose vous demander conseil avec confiance, et per-
suadé comme je le suis que toute espèce d'influence que je pourrais
exercer dans les affaires n'entraînerait que des malheurs pour la Prusse
dès qu'elle déplairait à S. M. l'Empereur et Roi, je vous prie de m'éclai-
rer, s'il vous est possible, sur cet objet et de prendre même à la source
des informations, s'il en est besoin. Les intentions de S. M. Impériale
et Royale régleront absolument ma conduite. Mon inclination me porte
vers le repos et la retraite, mais mon devoir m'appelle à vouer mon exis-
tence au Roi et à l'Etat du moment où je puis devenir utile dans la position
critique oii nous nous trouvons. Il me paraît absolument impossible
qu'aucun homme sensé et bien pensant, quelle qu'ait été son opinion
antérieure, puisse vouloir faire adopter à la Prusse tout autre système
que celui de s'attacher de bonne foi à celui de l'Empereur et de n'attendre
son salut que de lui. Je ne m'étendrai donc point sur ma profession de
foi politique, satisfaire à nos obligations et mériter la confiance de S. M.
Impériale et Royale pour ma conduite franche, loyale et conséquente,
qui resserrera les liens malheureusement encore trop relâchés entre la
France et la Prusse, voilà les bases sur lesquelles nous devons sans
contredit rétablir notre édifice, voilà à quoi doivent tendre tous nos
soins. Rien ne sera négligé pour remplir nos engagements, tous les
moyens imaginables vont être employés avec zèle pour atteindre ce but.
Le Roi se propose de consulter sur cet objet les meilleures tètes des
provinces et grandes villes de la monarchie. Sa Majesté voudrait me
charger de présider à cette convocation qui cherchera dans nos dernières
ressources les moyens de satisfaire S. M. Impériale et Royale, et
dont les membres, de retour chez eux, faciliteront, en opérant sur
l'opinion publique, les sacrifices qu'exige l'acquittement de notre dette
à la France.
« Mais oserai-je me charger même de ce rôle sans agir contre les inten-
tions de l'Empereur ? Ce ne sera qu'après en avoir acquis la certitude
que je pourrai m'y vouer avec l'espoir de faire au moins quelque chose
pour le système salutaire dont je viens parler, quoique sans doute je
répondrais bien mieux du succès si le roi pourrait me remettre publi-
quement à la tête des affaires en me munissant de l'autorité nécessaire.
Je n'ai pas besoin de faire observer à un homme aussi éclairé que vous,
M. le comte, la grande différence qu'il y a d'un conseil donné ou d'une
concurrence pour tel ou tel objet, à la faculté de tenir constamment la
main et de veiller à l'exécution scrupuleuse et conséquente d'un système
adopté. Je n'ai pas besoin de détailler les inconvénients qui doivent
80 MELANGES ET DOCUMENTS.
naître d'une influence sans responsabilité publique et sans pouvoir qui,
en même temps, rendrait ma position infiniment pénible.
« Que S. M. Impériale daigne [se] prononcer sur la part que je pourrai
prendre aux affaires. Ce sera donner au roi une preuve essentielle du
retour de sa conliance et de ses bontés ! Il se conformera aux hautes
intentions de l'Empereur et d'après celles-ci, ou bien je me renfermerai
dans la retraite ou je travaillerai avec ardeur à rétablir sur des fonde-
ments solides ce système dont dépendent la guérison des profondes
playes de la Prusse et son existence future. »
La décision de l'empereur ne se fit pas attendre. Le comte de Saint-
Marsan reçut l'instruction suivante :
« Sa Majesté vous laisse la faculté d'approuver la rentrée de M. le
baron de Hardcnberg au ministère si, après avoir mûrement examiné
la position actuelle des choses, vous jugez que la présence de ce minis-
tère dans les conseils du roi puisse être utile aux intérêts de l'Empire. »
Hardenberg rentra au ministère et il se hâta de faire parvenir à
l'empereur une lettre conservée en original aux archives des affaires
étrangères :
« Sire,
« Votre Majesté Impériale et Royale a honoré ma rentrée au service du
Roi, mon auguste souverain, de son approbation. Qu'elle daigne rece-
voir avec bonté l'hommage respectueux du sentiment que j'en éprouve !
Intimement convaincu que la Prusse ne peut être régénérée et n'assurer
son intégrité et son bonheur futur qu'en suivant loyalement votre sys-
tème, Sire, heureux de ne remplir les intentions du Roi qu'en m'appli-
quant de tous mes moyens à gérer les affaires dans ce sens, ce sera pour
moi le comble de la gloire de mériter par là le suffrage de Votre Majesté
Impériale et Royale et sa haute confiance.
« Je suis, avec le plus profond respect de Votre Majesté Impériale et
Royale, le plus humble et le plus obéissant serviteur,
« Le baron de Hardenberg,
« Chancelier d'État de Sa Majesté le Roi de Prusse.
« A Berlin, le 7^ de juin 1810. »
Il serait superflu, après tout ce que Duncker et Ranke en ont dit,
de suivre ici les péripéties de la poUlique extérieure de la Prusse,
depuis le moment de la rentrée du baron de Hardenberg jusqu'à la
conclusion du traité du 24 février -1812. Je me borne à détacher des
très nombreux documents conservés aux archives des affaires étran-
gères, à Paris, les trois suivants qui me semblent offrir un intérêt
particulier :
DOCUMENTS SDR LE PREMIER EMPIRE. 87
Instructions générales pour M. le comte de Saint-Marsan.
(Minute.)
2-2 octobre 1811.
Lorsqu'à Tilsitt Sa Majesté rendit à la Prusse ses États et presque
toutes ses places, Elle fut déterminée par cette considération que,
déchue désormais et pour toujours du rang de puissance de premier
ordre, la Prusse n'aurait à l'avenir d'autres intérêts que ceux de la
France, ne se bercerait plus d'espérances qui ne devaient se réaliser
jamais et substituerait aux illusions de la grandeur et à l'orgueil des
grandes armées le désir de rendre son peuple heureux et de jouir, à la
tête des monarchies de second ordre, de la sécurité et de l'indépendance
que lui assurerait une politique sage, sans ambition et conforme à ses
nouvelles destinées.
Tel paraissait être, en effet, depuis quelques années, le système de la
Prusse. Nous l'avons vue exclusivement livrée aux soins de son gouver-
nement intérieur, chercher avec persévérance à fonder la prospérité
publique sur le crédit, l'ordre et l'économie, et n'ambitionner que ces
conquêtes paisibles que les États secondaires peuvent entreprendre avec
succès et sans danger, parce qu'elles n'excitent ni jalousie ni haine et
qui sont le fruit assuré d'une bonne administration.
Elle n'avait point à craindre d'être détournée par la France d'un but
si digne de l'approbation de Sa Majesté.
Les incertitudes qui se sont élevées tout à coup sur le maintien de
la paix du continent l'ont conduite à reporter ses regards sur sa situa-
tion politique. Placée entre deux grands empires qui réunissaient de
nombreuses armées à la proximité de ses frontières, elle a senti qu'elle
ne pouvait conserver son existence qu'en cherchant dans l'alliance de
l'une de ces puissances la garantie et la protection qu'elle ne trouvait
pas en elle-même.
Elle a alors tourné ses espérances vers la France : Sa Majesté, dis-
posée à se rendre à ses vœux, autorise son ministre plénipotentiaire
près la cour de Berlin à entrer à cet effet en négociation.
Cette négociation aura-t-elle pour objet l'accession de la Prusse à la
confédération du Rhin ou la conclusion d'une alliance offensive et
défensive ?
Cette question est la première qui se présente à l'examen.
L'accession de la Prusse à la confédération du Rhin la mettrait, à
l'égard de la France, dans des relations parfaitement d'accord avec sa
situation réelle. Elle serait ainsi naturellement placée dans la catégorie
des puissances secondaires qui trouvent dans la protection de la France
le complément de force dont elles ont besoin pour maintenir leur indé-
pendance contre les efforts des puissances du premier ordre qui pour-
raient la menacer. Son existence serait garantie par le lien fédéral qui,
en imposant à la France les obligations de puissance protectrice, lui
$8 MELANGES ET DOCUMENTS.
donnerait en même temps le droit d'intervenir dans les affaires inté-
rieures de la Prusse, droit que Sa Majesté n'a pas voulu exercer jusqu'à
ce jour, mais qui n'en tient pas moins à l'essence de la confédération
même. On croit avoir lieu de penser que cette manière de s'unir étroi-
tement à la France n'est pas étrangère aux désirs de la Prusse, et cet
objet est le premier sur lequel il y a lieu de s'entendre dans la négo-
ciation à ouvrir.
Mais, soit que l'alliance entre la Prusse et la France doive résulter
d'un acte d'accession à la confédération ou d'un traité d'alliance offen-
sive et défensive qui produirait les mêmes effets pour la Prusse, sans
donner à l'empereur le droit de se mêler de ses affaires intérieures,
l'alliance, sous quelque forme qu'elle existe, serait-elle dans l'intérêt de
la France ? serait-elle dans l'intérêt de la Prusse ? L'examen de cette
double question est essentiel, puisqu'il ne peut y avoir d'engagements
durables entre deux États que lorsqu'ils sont cimentés par des intérêts
réciproques.
La France, dans l'état actuel de sa puissance, de ses relations poli-
tiques, de l'établissement de ses forces militaires, est bien loin sans doute
d'attacher à l'alliance un intérêt de môme nature que celui de la Prusse,
qui est un intérêt de conservation. La question serait donc posée d'une
manière plus exacte relativement à la France si elle l'était dans ces
termes : « La France a-t-elle intérêt à ne point s'engager dans une
« alliance dont le principal but serait d'assurer et de garantir l'exis-
« tence de la Prusse? »
La France n'a aucun intérêt à ce qu'une autre maison que celle de
Ilobenzollern règne en Prusse, si celle-ci prend avec sincérité pour
base de son système politique de ne rien faire qui soit contraire à la
France. S'il en était autrement, la France n'aurait aucun motif pour
s'allier avec la maison d'HohenzoUern et cette alliance serait sans
garantie pour la Prusse, puisque la France, qui l'aurait contractée sans
intérêt, n'aurait point d'intérêt à la maintenir.
Si, au contraire, les ports de la Prusse sont fermés, si le système
continental y est établi, observé comme en France, si l'alliance a pour
la France, en cas de guerre avec l'Angleterre, le même résultat que si
les côtes de la Prusse lui appartenaient, la France n'aura aucune raison
pour désirer que ces côtes n'appartiennent pas à la maison de Hohen-
zoUern.
Si, en cas de guerre contre une puissance du continent, les armées
françaises peuvent traverser les états de la Prusse avec une entière
sécurité, si elles y trouvent pour leurs opérations, pour leur subsistance
des ressources dont on n'userait toutefois qu'avec ménagement, si le
système solidement établi en Prusse offre à la France les mômes
résultats que si le pays lui appartenait, elle n'aura aucune raison pour
désirer que le pays n'appartienne pas à la maison de HohenzoUern.
Elle aura, au contraire, intérêt à ce que la monarchie prussienne
soit maintenue telle qu'elle existe et à s'engager daTis une alliance
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE. <S9
dont le principal but serait d'assurer et do garantir l'existence de la
Prusse.
Voyons maintenant quel sera l'intérêt de la Prusse.
Lorsque la France aura la guerre avec l'Angleterre, l'intérêt de la
Prusse sera de rester neutre et même d'être amie avec l'Angleterre.
En cas de guerre entre la France et la Russie, la Prusse aura intérêt
à rester neutre et à ce que son territoire soit inviolable.
Dans ces deux suppositions, la Prusse a donc un intérêt opposé à une
alliance offensive contre l'Angleterre et la Russie.
Mais ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux suppositions elle ne
peut agir selon le sens de son intérêt absolu : elle ne peut rester
neutre.
Si la France a la guerre avec l'Angleterre, le système continental doit
être établi sur les ports et sur les côtes de la Prusse par la Prusse ou
par la France.
Si la guerre a lieu entre la France et la Russie, la situation du terri-
toire de la Prusse est telle qu'elle ne peut éviter d'y prendre part. Les
deux armées ne peuvent s'atteindre que sur son territoire ou après
l'avoir traversé. Elle ne tenterait pas d'arrêter la marche de toutes les
deux, elle ne pourrait s'opposer à l'une qu'en s'unissant à l'autre. La
Saxe, la Poméranie, le Mecklembourg, le duché de Varsovie, le pays
de Danzig la laissent sans frontière. Il lui est impossible de se défendre
en deçà ou au-delà de l'Oder, et même en deçà ou au-delà de la Yis-
tule, sans appeler un secours auxiliaire.
La question n'est donc pas de savoir si la Prusse doit vouloir rester
neutre, ce serait son intérêt, mais si, ne pouvant rester neutre, elle
prendra parti pour la France ou pour la Russie.
Or, cette question ne parait pas douteuse au ministère de Berlin ;
elle ne l'est pas même pour la Russie, elle ne peut l'être pour aucune
puissance.
En effet, au premier coup de canon, si la Prusse est l'alliée de la
Russie, ou l'armée prussienne doit passer la Vistule, laissant des corps
isolés à Colberg et en Silésie, et abandonnant dès lors les cinq "sixièmes
de la monarchie à la France, ou elle doit appeler une armée russe au
camp de Spandau et fixer le théâtre de la guerre aux portes de la
capitale.
L'abandon des cinq sixièmes de la monarchie sans combat serait sans
doute un immense malheur. Mais tenter la lutte pour défendre Berlin
serait un malheur plus grand, et cette dernière supposition, l'opinion
de la Prusse même la repousse. Elle ne repousserait pas la première
avec moins d'effroi. Les peuples humiliés et mécontents méconnaî-
traient un gouvernement qui les aui'ait sacrifiés à son imprévoyance
ou à ses passions. Ils l'accuseraient d'ingratitude, et, se voyant après
quatre ans exposés aux mêmes désastres, tous leurs liens avec lui
seraient rompus, et la France obtiendrait de la fausse politique de la
90 MELANGES ET DOCUMENTS.
Prusse le résultat immense de ne plus compter d'ennemis entre la Vis-
tule et le Rhin.
Il n'est donc pas de l'intérêt de la Prusse de s'unir, en cas de guerre,
à la Russie. Nous disons plus, il n'est pas même de l'intérêt soit poli-
tique, soit militaire de la Russie de faire cause commune avec la
Prusse. Sous le point de vue politique, la Prusse est un état intermé-
diaire dont l'existence et la conservation importent essentiellement aux
intérêts à venir de la Russie. Cette vérité n'a besoin que d'être exprimée
pour être démontrée. Or, rien ne pourrait compromettre davantage
l'existence de la Prusse que son alliance avec la Russie. Sous le point
militaire, la Russie, engagée par une alliance à faire entrer dans ses
combinaisons les intérêts de son allié, ne pourrait se dispenser de com-
prendre le territoire de la Prusse dans son système de guerre. Or, il
n'est aucun militaire en Europe qui ne soit persuadé que, la France
disposant de Dantzig et du duché de Varsovie, la Russie seule se
trouvera plus forte sur un champ de bataille derrière le Niémen,
qu'elle ne le serait sur la gauche de l'Oder réunie aux troupes prus-
siennes.
Après avoir ainsi établi que la Prusse a intérêt à s'allier avec la
France et que la France n'a point d'intérêt contraire à cette alliance, il
reste à examiner quels avantages la France pourrait en retirer dans le
cas très hypothétique où la guerre viendrait à éclater entre elle et la
Russie.
L'alliance de la Prusse avec la France est utile à la France si la
Prusse est sincère et si, dans la supposition de la guerre, elle assure
à la France le concours et les avantages d'un pays ami et d'un allié
fidèle.
La Prusse fournira 20,000 hommes et son alliance dispensera la
France de laisser 20,000 hommes en Silésie : 15,000 sur Golberg et
5,000 sur Graudentz. A la vérité, 20,000 Prussiens ne vaudraient que
10,000 Saxons. Ils auront autant de discipline, de courage et d'honneur,
mais on ne peut espérer que, dès la première campagne, ils soient animés
du même esprit. Les 40,000 hommes qu'il aurait fallu laisser en Silésie
et devant les places ne seraient pas du nombre de ceux sur lesquels la
force de l'armée française est fondée et que l'empereur mettrait en
ligne contre les Russes. Enfin la confiance ne sera pas telle qu'on ne
soit obligé, pendant quelcjne temps, d'avoir un corps sur l'Elbe pour
observer les corps prussiens qui seront restés devant Golberg et en
Silésie ; cette partie des avantages de l'alliance est affaiblie sans doute
par ces considérations, mais elle offrira toujours à la France une aug-
mentation de force réelle qui mérite d'être mise en ligne de compte.
Ge n'est pas que l'alliance avec la Prusse n'ait aussi ses désavan-
tages. On renoncerait, en cas de guerre, aux immenses ressources que
la Silésie pourrait offrir à l'armée et la France laisserait échapper l'oc-
casion d'organiser pour jamais un état ami, fidèle et allié nécessaire
sur le territoire dont elle deviendrait maîtresse et sur les ruines d'une
DOCUMENTS SDR LE PREMIER EMPIRE. 91
monarchie qui s'est montrée si fréquemment disposée à faire cause
commune avec nos principaux ennemis.
Cette comparaison des avantages et des désavantages de l'alliance ne
laisse pas l'esprit sans incertitude.
Cependant, après de profondes réflexions, on croit pouvoir regarder
comme constant :
\° Qu'il serait de l'intérêt de la Prusse d'être neutre, mais qu'elle ne
peut pas l'être ;
2" Que, se trouvant dans la nécessité de s'allier à une puissance,
elle doit s'allier plutôt à la France qu'à la Russie;
3° Que, quant à la France, les avantages et les désavantages de l'alliance
sont balancés, mais que, cependant, la balance des avantages peut pen-
cher du côté de l'alliance si la Prusse agit avec confiance, avec sincé-
rité, avec abandon ; si elle n'a en Silésie et devant Colberg que le
nombre de forces strictement nécessaire pour ne donner aucune inquié-
tude à la France et si elle remplit les deux objets importants de placer
ses côtes et son territoire dans la même situation que s'ils apparte-
naient à la France. Une alliance qui ne garantirait pas ces résultats
dans toute l'étendue dont ils sont susceptibles serait inutile, dange-
reuse, contraire aux intérêts de la France et ne pourrait être conclue.
A mesure que les nuances se fortifient ou s'aflaiblissent dans l'un ou
l'autre sens, la balance change à l'avantage ou au désavantage de
l'alliance. Si par exemple l'alliance avait lieu sans que la France eût
les places de l'Oder; si les armées françaises ne pouvaient passer à
Berlin et étaient obligées de marcher par des détours; si les réquisi-
tions ne devaient être faites que par les autorités prussiennes qui pour-
raient compromettre le salut de l'armée dans des moments importants;
si les commandants français, sur les lignes d'opération, devaient avoir
sur leurs derrières des corps plus forts que les corps français, il devien-
drait alors certain qu'il serait plus avantageux à la France d'avoir la
Prusse pour ennemie dans une guerre contre la Russie que de l'avoir
pour alliée à de telles conditions, car il n'y a qu'un imprudent comme
Belle-Isle qui puisse s'aventurer dans un pays sans en occuper les for-
teresses et sous la garantie d'une puissance étrangère.
Mais les places de l'Oder sont dans nos mains et cette difficulté
n'existe point. Graudentz est effacé par Modlin et surtout par Dantzig
et il est indifférent à la France que la Prusse remette cette place ou la
conserve. Ainsi l'occupation des places de l'Oder, qui paraissait si
calamiteuse à la Prusse, est pour elle une circonstance de salut, car il
faudrait qu'elle les remit pour première condition de l'alliance ou
qu'elle souscrivît sa ruine en se décidant à la guerre.
Une alliance avec la Prusse n'est donc favorable pour la France
qu'autant que la possession des places de l'Oder donne une entière
sécurité sur les lignes d'opération, qu'à l'exception de la Silésie et de
Colberg, il n'y a dans tout le pays d'autres troupes que les milices et
que les gouverneurs ont pour instruction de faire tout ce qui est néces-
92 MELANGES ET DOCDMENTS.
saire pour faciliter les opérations de l'armée. Avec ces conditions, les
inconvénients de l'alliance disparaissent, elle concilie tous les intérêts
et elle peut produire tous les avantages dont elle est susceptible. C'est
cette alliance que Sa Majesté autorise à négocier et à conclure.
La Prusse étant alliée de la France, ce qui est dans l'intérêt de la
France est dans l'intérêt de la Prusse. Si les corps de Silésie et de Col-
berg sont peu nombreux, si tout seconde l'empereur, il arrivera avec
toutes ses forces et comme un torrent sur le Niémen. La lutte sera
bientôt décidée, la Prusse n'aura supporté qu'un fardeau passager et le
poids de la guerre pèsera tout entier sur le pays conquis.
Si, au contraire, la France est obligée de laisser de gros corps pour
observer la Silésie et Colberg, l'empereur ne fera qu'en deux ou trois
campagnes ce qu'il peut faire en une .«eule, et la prolongation de la
guerre sera toute au détriment de la Prusse.
La Prusse doit avoir confiance en l'empereur, qui lui a déjà restitué
ses provinces, mais il ne serait pas raisonnable d'exiger de l'empereur
la même confiance en la Prusse et de vouloir qu'il fût assez imprudent
pour laisser entre ses frontières et son armée des centaines de lieues
d'un pays dont la conduite ne lui serait pas solidement garantie. Il ne
demandera point ce que ferait la Prusse si elle se trouvait dans la
même position qu'en 1740, mais il demande que, pour son propre
intérêt, la Prusse évite tout ce qui pourrait laisser sur ses sentiments
la plus légère incertitude.
Sa Majesté aurait pu détruire la Prusse, elle ne l'a pas voulu. Elle
n'a pas intérêt à le vouloir, si la Prusse ne sort pas de sa position
naturelle. Enfin, elle ne le veut point parce qu'elle veut former un
système qui mette la Prusse au premier rang des puissances de second
ordre. Les avantages de ce système lui sont démontrés, et c'est pour
les obtenir que Sa Majesté, fermant les yeux sur toute autre considé-
ration, consent à l'alliance que la Prusse a désirée.
La Prusse veut-elle être puissance de premier ordre? Qu'elle fasse la
guerre, si la guerre lui offre une seule cbance pour parvenir à son but!
Yeut-elle, dans l'attitude d'une puissance de second ordre, attendre
les avantages que peuvent lui procurer les vicissitudes des choses
humaines? Qu'elle soit calme et sincère et qu'elle se persuade bien que
si, contre toutes les espérances qu'il est permis de concevoir, la guerre
se déclarait en effet entre la France et la Russie, les circonstances
deviendraient tellement fortes qu'une seule démarche équivoque de la
part de la Prusse donnerait à la question un tout autre aspect. Elle
pourrait forcer la France, pour son propre intérêt et pour le salut de la
guerre, à faire ce qu'elle n'a pas fait et que, dans la situation des
choses telles qu'elles doivent être, elle n'aura jamais ni l'intérêt ni la
volonté de faire.
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 93
Instructions particulières pour M. le comte de Saint-Marsan.
(Minute.)
22 octobre 1811.
Les relations politiques actuelles de la France et de la Prusse sont
établies par le traité de Tilsitt et la convention de Paris.
Traité de Tilsitt (9 juillet 1807).
Art. 27. « Jusqu'au jour de l'échange des ratifications du futur traité
« de paix définitive entre la France et l'Angleterre, tous les pays de la
« domination de S, M. le Roi de Prusse seront, sans exception, fermés
« à la navigation et au commerce des Anglais. »
« Aucune expédition ne pourra être faite des ports prussiens pour les
« ports britanniques, ni aucun bâtiment venant de l'Angleterre ou de ses
« colonies être reçu dans les dits ports. »
(Articles secrets.) Art. 2. « Sa Majesté le roi de Prusse s'engage à
« faire cause commune avec la France contre l'Angleterre, si, au premier
« décembre, l'Angleterre n'a point consenti à conclure la paix à des
« conditions réciproquement honorables pour les deux nations et con~
« formes aux vrais principes du droit maritime, et alors il sera fait
« une convention spéciale pour régler l'exécution de la stipulation ci-
« dessus. »
Convention de Paris (8 septembre 1808).
Art. 15. « Sa Majesté l'Empereur et Roi garantit à Sa Majesté le roi
« de Prusse l'intégrité de son territoire moyennant que Sa Majesté le
« Roi de Prusse reste le fidèle allié de la France. »
(Art^s secrets.) Art. 5. « En retour de la garantie stipulée dans le
« traité de ce jour et comme condition de l'alliance contractée avec la
« France, Sa Majesté le Roi de Prusse promet de faire cause commune
« avec Sa Majesté l'Empereur des Français, si la guerre vient à se
« déclarer entre lui et l'Autriche, et, dans ce cas, de mettre à sa dispo-
« sition une division de seize mille hommes, tant infanterie que cava-
« lerie et artillerie. »
La convention spéciale mentionnée par le 2° article secret du traité
de Tilsitt n'a pas été conclue.
Par un acte du 1<='' décembre 1807, le roi de Prusse a déclaré « que,
« jusqu'au terme d'un accommodement général et du rétablissement de la
« paix définitive entre les puissances belligérantes, il n'y aura plus
« aucun rapport entre la Prusse et l'Angleterre. »
Il résulte de ces dispositions ci-dessus :
1° Que le roi de Prusse est déjà engagé à se conformer au système
continental ;
2° Que l'intégrité de ses États est déjà garantie ;
3° Que les deux puissances se trouvent déjà en état d'alliance.
Mais la convention spéciale qui devait régler la manière dont la
Prusse ferait cause commune avec la France contre l'AuKleterrc n'a
91 MELANGES ET DOCUMENTS.
point encore été conclue et le cas de l'alliance qui résulte de la convention
du 8 septembre 1808 n'existe plus.
C'est dans cette situation de choses que le roi de Prusse a témoigné
le désir de resserrer d'une manière plus étroite et plus générale ses liens
avec la France *. Il a proposé une alliance offensive et défensive pour
toutes les guerres qui ne seraient pas étrangères aux intérêts de sa
monarchie et où la France se trouverait engagée soit en Allemagne,
soit sur les confins de la Prusse, et il a présenté, comme pouvant former
les conventions de cette alliance, les propositions suivantes :
1° L'intégrité de l'état actuel des possessions prussiennes serait
garantie ;
2'' Sa Majesté assurerait à la Prusse l'assistance et les secours néces-
saires toutes les fois qu'ils seraient réclamés ;
3° Elle ferait entrer dans l'alliance les membres de la Confédération du
Rhin et le duché de Varsovie ;
k" La Prusse fournirait un corps de troupes auxiliaires dont la force
serait convenue ;
5° Les troupes seraient sous le commandement et les ordres d'un offi-
cier supérieur de leur nation et sous les ordres immédiats du comman-
dant en chef de l'armée alliée ;
6° Les troupes françaises qui traverseraient la Prusse marcheraient
par les routes militaires stipulées conformément aux conventions
existantes ;
7° Sa Majesté Impériale aurait égard à la réclamation de la restitu-
tion de Glogau qui, aux termes des traités, est en ce moment dans le
cas d'être évacue ;
8" Pour la mise sur pied du corps auxiliaire, Sa Majesté accorderait
au roi de Prusse une remise proportionnée de la contribution, et sa
cessation entière dés que la guerre éclaterait en effet.
9» L'article de la convention du 8 septembre 1808, qui empêche
l'augmentation de l'armée prussienne, serait révoqué.
10° L'Empereur consentirait à ce qu'une partie de la Silésie voisine
des États autrichiens fût déclarée neutre, pour servir, en cas de néces-
sité, d'asile au roi de Prusse et à sa famille. Sa Majesté s'emploierait à
cet effet partout où il serait besoin.
11" Quant à la participation de la Prusse aux avantages qui résulte-
raient de la guerre, en cas de succès, le Roi s'en remet à la justice et à
l'amitié de l'Empereur.
Sa Majesté est disposée à accéder aux vœux du roi de Prusse pour
l'alliance ; mais elle envisage la question sous un rapport plus étendu,
et elle juge convenable que la négociation à intervenir renouvelle, pour
1. Cf. Ranke : Hardenberg, l. c. p. 192-194, M. Duncker, l. c, p. 360. La
première communicalion du chancelier d'État de Hardenberg vis-à-vis du comte
de Sainl-iMarsan datait du 22 mars 1811. V. la dépêche du comte de Saint-
Marsan du 2i mars 1811.
DOnUMEXTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 95
leur donner une exécution plus complète, les engagements d'une alliance
contre l'Angleterre, non d'une alliance pour la guerre actuelle seulement,
telle qu'elle existait, mais pour toutes les guerres à venir dans lesquelles
l'Angleterre aurait pour but de faire prévaloir les principes destructeurs
des droits des neutres et de la souveraineté des puissances du continent,
et renouvellerait ainsi l'injuste entreprise qu'elle soutient aujourd'hui.
Cette alliance doit être le premier objet, l'objet immédiat et ostensible
de la négociation.
La situation actuelle des affaires à l'égard de la Russie permettant
encore à Sa Majesté l'espérance d'éviter la guerre et ses sentiments la
portant à ne pas compromettre cet espoir, elle ne se détermine à entrer
dans les arrangements d'une alliance éventuelle contre la Russie que par
les motifs qui sont déjà connus de son ministre.
La partie de la négociation pour l'alliance contre l'Angleterre doit être
établie sur les principes du système continental. L'obligation de fermer
les ports aux vaisseaux et au commerce anglais sera renouvelée. La
prohibition des marchandises anglaises et des denrées coloniales sera
établie et exécutée avec encore plus d'exactitude et de sévérité qu'elle
ne l'a été jusqu'à ce jour. Il sera particulièrement stipulé que les mar-
chandises anglaises et les denrées coloniales seront repoussées de la
frontière de Russie par une surveillance active et efficace.
Les dispositions relatives à ce premier objet do la négociation n'étaient
pas comprises dans les premières propositions faites par le roi de Prusse;
mais elles ne peuvent éprouver aucune difficulté, puisqu'elles ne feront
que constater et compléter ce qui existe, et qu'elles constitueront pour
ainsi dire la convention spéciale qui devait être faite pour l'exécution de
l'article 2 des articles secrets du traité de Tilsitt.
Quant au second objet de la négociation, il se rapporte précisément
aux propositions du roi de Prusse, et il pourra donner lieu à quelques
discussions, puisque les intentions de Sa Majesté diffèrent sur plusieurs
points des propositions du roi. Il convient en conséquence d'entrer dans
des développements plus étendus.
Les conditions désirées par le roi de Prusse se composent de onze
propositions distinctes et telles qu'elles ont été établies ci-dessus.
Les deux premières, qui ont pour objet d'assurer au roi l'intégrité de
ses possessions et l'assistance de Sa Majesté Impériale en cas de besoin,
ne sont susceptibles d'aucune difficulté.
La troisième, par laquelle le roi demande l'accession à l'alliance des
membres de la Confédération, est sans objet, puisque l'alliance, avec
l'Empereur comme protecteur de la Confédération, assurant, en cas de
nécessité, l'emploi de tous les moyens dont il peut disposer, il arriverait
toujours, comme dans la guerre de Russie, si elle doit avoir lieu, que
les membres de la Confédération concourraient à la défense de sa cause
que l'alliance aurait rendue commune. Il sera d'ailleurs facile de faire
sentir à la Prusse que l'alliance de Sa Majesté lui offre une garantie
96 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
si puissante qu'elle n'a pas besoin de recourir. à aucune autre inter-
vention.
La quatrième et la cinquième proposition sont relatives au corps de
troupes auxiliaires- qui serait fourni par la Prusse. Elle désirerait que
ce corps fût sous les ordres d'un officier général prussien, qui serait lui-
même sous les ordres du commandant général de l'armée. Ce désir a été
exprimé dans la supposition que Sa Majesté exigerait que le corps auxi-
liaire fût d'une force assez considérable pour exister par lui-même
comme corps et pour faire la guerre dans une situation indépendante.
Sa Majesté, au contraire, pour ménager la Prusse et ne pas l'entraîner
dans des dépenses au-dessus de ses moyens, se contenterait d'un corps
de vingt mille hommes, savoir : douze mille d'infanterie, six mille de
cavalerie et deux mille d'artillerie avec cent pièces de canon. L'emploi
d'un corps aussi faible ne peut être prévu d'avance. Il ne peut donner
lieu à aucun engagement spécial. Il doit pouvoir être employé de la
manière que les différentes circonstances de la guerre feront juger la
plus favorable.
Par la sixième proposition on voudrait que l'armée française ne pût
marcher que par les routes militaires qui ont été stipulées. Cet engage-
ment apporterait des entraves aux combinaisons de la guerre. Les
routes stipulées ne se prêteraient pas à toutes les opérations que les
circonstances pourraient rendre nécessaires. Si la guerre a lieu et si de
nouvelles routes militaires sont indispensables, l'administration de
l'armée prendra, selon les circonstances et d'accord avec l'administration
prussienne, des mesures qui ne peuvent être dans l'intérêt d'une des
deux parties sans être en même temps dans l'intérêt de l'autre.
L'objet de la septième condition est la restitution de Glogau.
Dans la supposition de l'alliance, l'occupation des places par les
troupes françaises ne peut porter aucun ombrage à la Prusse. Dans la
supposition de la guerre, tout ce qui peut être jugé convenable pour le
succès de la guerre et la défense du pays entre dans l'intérêt de la
Prusse. Il doit lui suffire que le but de l'alliance soit atteint. Toute dis-
position de cette nature est toujours déterminée par les opérations et les
circonstances du moment et ne peut former l'objet d'un engagement
pris d'avance.
La huitième et la neuvième proposition ont été faites comme l'a été
la cinquième dans la supposition que le corps auxiliaire de Prusse serait
un corps d'armée.
On conçoit en effet que, dans ce cas. Sa Majesté aurait voulu ajouter
aux moyens de la Prusse en allégeant le poids de ses engagements, mais
Sa Majesté étant portée à ne demander qu'un corps de vingt mille
hommes pour mesurer les services qu'elle attend de la Prusse aux res-
sources de cette puissance et ne demandant réellement qu'une partie de
l'armée que la Prusse entretient aujourd'hui, le nombre d'hommes qui
prendront part à la gueri'e ne sera pas un nouveau fardeau pour elle et
les moyens dont elle dispose ne seront pas détournés de leur emploi.
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 97
La demande de la Prusse est d'ailleurs étrangère à la négociation de
l'alliance et aux avantages que s'en proposent les deux parties dans un
intérêt commun.
Quant à la révocation de l'article de la convention, qui fixe la force de
l'armée prussienne à 42,000 hommes, il est inutile de prendre cette
proposition en considération, parce que l'état militaire actuel de la
Prusse suffit pour le moment et qu'on n'exige pas comme condition de
l'alliance qu'elle augmente son armée.
Le roi de Prusse demande que la partie de la Silésie voisine des États
autrichiens soit déclarée neutre pour servir d'asile à lui et à sa famille.
C'est l'objet de la 10<= proposition.
On comprend difficilement comment la Silésie pourrait être déclarée
neutre. Il faudrait à cet effet le concours de toutes les puissances belli-
gérantes et on ne peut entrevoir le moyen de procurer à la Prusse
l'assentiment de la Russie.
Sa Majesté ne fera aucune difficulté de s'engager à ne pas faire entrer
les troupes françaises en Silésie. Elle accède ainsi au désir du roi de
Prusse en ce qui dépend d'elle. Elle ne peut prendre que les engagements
qu'il est en son pouvoir de remplir.
Par sa dernière proposition, le roi s'en remet à la justice et à l'amitié
de l'Empereur sur les avantages qu'il pourrait obtenir si la guerre avait
une heureuse issue. Sa M. I. accepte ce témoignage de la confiance de
son allié.
Cet examen des conditions proposées par la Prusse a non seulement
fait connaître celles qui ne peuvent être admises ou devraient être modi-
fiées, mais on a pu voir déjà sur quelles bases S. M. pense que la
négociation peut être ouverte.
Les deux projets d'articles ci-joints ont été rédigés pour présenter avec
plus de clarté dans leur ensemble et dans leurs détails les conditions qui
pourraient être admises.
Ces deux pièces consistent :
1° Dans un projet de traité d'alliance générale qui embrasse tous les
cas où l'alliance peut avoir lieu ;
2° Dans un projet de convention pour l'application de l'alliance dans
le cas d'une guerre avec la Russie.
Le projet de traité se compose de plusieurs parties distinctes.
Premièrement. Les conditions générales de l'alliance offensive et
défensive (art. 1 et 2).
Secondement. Les engagements réciproques pour le cas de la guerre
actuelle contre l'Angleterre (art. 3, 4, et 5).
Troisièmement. Les engagements à exécuter dans le cas des guerres
futures contre l'Angleterre (art. 6, 7, 8, 9 et 10).
Les dispositions de ces trois premières parties sont fondées sur des
principes reconnus et déjà établis entre les deux puissances par les
traités antérieurs, et ne peuvent être susceptibles de discussion que
quant à la forme et à la rédaction.
Rev. HisTon. XXY. !<:'■ fasc. 7
98 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Quatrièmement. Les stipulations relatives au cas de guerre de l'une
ou l'autre des deux puissances contre l'Autriche (art. H).
Les dispositions de cet article ne diffèrent de celles déjà stipulées par
l'article cinquième des articles secrets de la convention du 8 sep-
tembre 1808 qu'en ce que le contingent à fournir par la Prusse est
porté de 16 à 24,000 hommes.
Cinquièmement. Le renvoi à des conventions spéciales pour l'appli-
cation de l'alliance dans le cas de guerre contre la Russie ou contre
toute autre puissance (art. 12).
Sixièmement. La détermination des forces qui seront employées par
Sa Majesté dans tous les cas de l'alliance (art. 13), Sa Majesté s'enga-
geant à employer toutes les forces disponibles. Cet article offre un tel
avantage à la Prusse qu'il doit être encore plus que les précédents à
l'abri de toute discussion.
La seconde pièce jointe aux instructions a été rédigée pour l'appli-
cation de l'article 12 du projet de traité au cas de guerre contre la
Russie. Les détails dans lesquels on est entré dans les articles de cette
convention et les instructions soit générales, soit particulières, rendent
tout développement superflu.
Après avoir lu ces instructions avec attention, il ne pourra rester à
M. le comte de Saint-Marsan aucune incertitude sur les intentions de
Sa Majesté.
Si l'empereur consent à une alliance offensive et défensive, c'est sur-
tout pour satisfaire au vœu exprimé avec tant d'instance par le roi de
Prusse. C'est aussi afin de rendre à ce prince la confiance dont il a
besoin pour ne pas se jeter dans de fausses démarches qui entraîne-
raient inévitablement sa perte.
Si Sa Majesté est dans la nécessité de faire la guerre. Elle y suffira
elle-même et Elle n'a pas besoin de l'armée prussienne. Elle ne veut
trouver pour la guerre d'autre avantage dans l'alliance que la sécurité
de ses mouvements dans un pays ami et la facilité de nourrir ses
troupes dans des provinces dont les ressources seront conservées et oi!i
l'administration ne sera point désorganisée, comme cela arriverait
nécessairement dans les premiers moments de la guerre si le pays était
ennemi.
Il faut donc parvenir à désabuser le cabinet prussien de cette manie
militaire qui porterait le roi à transformer tous ses sujets en soldats. 11
doit être facile de faire entendre aux ministres qu'un ordre de choses
qui dispense d'un grand établissement militaire est le seul favorable au
rétablissement du crédit et au succès d'une bonne administration.
Le but de la négociation doit être que la Prusse entre dans l'alliance
avec le moins de troupes possible et qu'elle conserve toutes ses res-
sources afin de pourvoir le plus possible aux besoins de l'armée.
Ce dernier objet obtenu ne sera pas, à la vérité, le seul avantage que
procurera l'alliance, si elle engage le roi de Prusse plus étroitement
que jamais à garantir ses vastes côtes et ses frontières de terres des
DOCrMEîVTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 99
irruptions du commerce anglais. La Prusse est appelée par sa situation
à rendre d'importants services au système continental. C'est sous ce
rapport que son alliance est réellement utile à la France, et cette utilité
qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître, et qu'elle reconnaît sans doute
elle-même, doit, autant que l'alliance, dissiper ses craintes sur les dis-
positions de Sa Majesté à son égard.
M. le comte de Saint-Marsan, après avoir reçu ces instructions, fera
connaître au ministre qu'il a les pouvoirs pour traiter et qu'il est prêt
à entrer en négociation. Si les propositions du roi lui sont de nouveau
présentées, il en fera l'objet de ses observations. Il les discutera dans
l'esprit de ses instructions, il développera ensuite successivement les
conditions que Sa Majesté Impériale croit pouvoir accorder. Il portera
dans la discussion beaucoup de formes et d'égards. Il ne précipitera
rien. Il laissera aux ministres prussiens tout le temps de s'expliquer, et,
loin de les presser, il mettra ses soins à favoriser leur lenteur naturelle.
Il rendra compte chaque jour de la situation de la négociation. Lors-
qu'il sera au moment d'arriver à la conclusion, il rédigera les projets
de traité et de convention qui doivent passer plusieurs fois sous les
yeux de Sa Majesté.
Tandis que le gouvernement de la Prusse, cerné par un réseau de
troupes françaises, attendait avec une anxiété bien naturelle le résultat
définitif des négociations entamées, un membre de la noblesse prus-
sienne saisit le moment favorable pour faire parvenir au chancelier
d'État de Hardenberg ses conseils, opposés directement aux intentions
des adversaires patriotiques de la domination française. C'était le
prince de Hatzfeld, jadis gouverneur de Berlin. On sait qu'après
l'aflaire de son arrestation et de sa mise en liberté, en -1 806, il s'était
rapproché des autorités françaises. Accusé par le gouvernement
prussien à cause de sa conduite antérieure ^ , l'empereur le mit sous sa
protection en déclarant qu'en attaquant le prince de Hatzfeld on s'atta-
querait à lui-même. Ni le roi ni le chanceher d'État ne lui étaient
favorables, mais ils le chargèrent après la naissance du roi de Rome
de porter à Paris des félicitations officielles. Le comte de Saint-Marsan
ne savait pas assez se louer de sa fidélité. Vers la fin de l'année iSM
il espéra, ses dépêches en font foi, le voir ministre des affaires
étrangères. En transmettant la pièce qu'on va lire, à Paris, il écrit au
duc de Bassano (le 30 janvier ^812) :
« Le baron de Hardenberg a eu la complaisance de me lire en entier
le rapport que M. de Krusemarck a fait au roi de la longue conversa-
tion que Sa Majesté l'empereur a daigné avoir avec lui ^.. J'ai pris cette
1. On imputa au prince de Hatzfeld la perte de 20,000 fusils enlevés par les
Français après l'occupation de Berlin en 1806.
2. Ï7 décembre 1811.
'iOO MÉLANGES ET DOCUMENTS.
occasion pour lui dire, d'une manière tout à fait confidentielle, que,
pour éviter le risque que l'esprit du roi soit ramené à des craintes per-
nicieuses et à de fausses démarches, il fallait éloigner les intrigants et
placer à la tète des dicastères des hommes fermes et vraiment attachés
à leur pays. Il m'a paru qu'il est déterminé à y travailler. Le prince
d'Hatzfeld lui a donné un mémoire à cet objet, dont Votre Excellence
trouvera copie ci-jointe. Le tableau que le prince y fait est, on peut
dire, d'une grande vérité, à part quelques exagérations qui peuvent
avoir été dictées par la manière de voir du prince qui a été personnel-
lement persécuté par quelques-uns de ces messieurs... Votre Excellence
verra aisément, par ce mémoire même, que le prince Hatzfeld vise au
ministère des affaires étrangères... »
C'est de ce mémoire que parle une lettre de Louis d'Ompteda
adressée au comte de Munster (à Berlin, ce i"" février ^18-12) ^ :
« En attendant, le parti français prenait toujours plus de consis-
tance, et se croyait si sur de sa victoire, que le prince Hatzfeld avait
déjà formé une liste de proscription de plusieurs personnes actuellement
dans l'administration. Il l'avait remise au baron de Hardenberg et le
ministre de France en avait aussi pris copie. Le comte Goltz se trouve
parmi les rayés et sa place ne fut pas remplacée par un autre nom. Il
est très probable que le prince Hatzfeld y vise, n'ayant cependant, pour
aspirer à cette place, d'autre mérite que celui d'avoir une fortune très
considérable, et de s'être voué bassement à la France.... »
Voici le mémoire émané de la plume du prince de Hatzfeld. Je
corrige les fautes du copiste qui souvent n'a pas su déchiffrer les noms
propres -. Après avoii' renvoyé les lecteurs français aux manuels his-
toriques et biographiques, je me dispense d'accompagner la pièce
suivante d'un commentaire spécial :
Copie d'un projet d'organisation intérieure pour la Prusse, après la con-
clusion de Vaillance avec la France, donnée au cJiancelier d'état, baron
de Hardenberg , par le prince de Hatzfeld.
6 janvier 1812.
Nos relations avec la France étant sur le point d'être fixées d'une
manière déterminée et une alliance étroite de système et d'intérêt
devant en être la suite, il me paraît que les personnes employées dans
les places marquantes du gouvernement prussien ne peuvent et ne
doivent se cacher que la perte de la Prusse est inévitable, si après
1 . V. Politischer Nachlass des hannoverschen Staats-iind Cabinets Ministers
Ludwjg von Ompteda ans den Jahren 1804 bis 1813, lerœffeailicht durch
F. von Ompteda. léna, Frommann, 1869, II, 206.
2. Il écrit par exemple Griihner au lieu de Gruner, cf. la notice biogra-
phique sur Justus de Gruner (1777-1820) dans l'Allgemeine deutsche Biographie,
T. X.
DOCUMENTS SUR LE PREMIER KMPIRi:. ^0^
l'alliance signée l'on pouvait une seule fois encore vaciller dans ce sys-
tème adopté par convention et par choix, et qu'il n'y a qu'un abandon
total et loyal, sans regret pour le passé, sans inquiétude pour l'avenir,
qui puisse faire espérer de cette alliance des résultats heureux pour la
Prusse.
Je crois ne pas me tromper lorsque je mets en avant qu'aujourd'hui
Sa Majesté l'Empereur est portée à nous accorder de la confiance, et
qu'elle s'est convaincue que nous pouvons devenir vraiment utiles à
ses intérêts, mais nous ne devons pas nous cacher que, par notre faute
et par les faits précédents, cette confiance n'a pas, à beaucoup près,
encore acquis le degré de consistance auquel il faut tâcher de parvenir,
et que c'est surtout à notre manière d'agir après la signature qui fixera
son opinion à cet égard.
Notre avenir dépend du plus ou moins de confiance que nous obtien-
drons, voilà ma conviction bien prononcée; si nous la gagnons en
entier, si dès ce moment nous sommes ce que nous devons être après
le pas décisif que nous allons faire, les destinées de la Prusse peuvent
encore devenir glorieuses, il n'existe pas un autre moyen de recouvrer
une partie de l'éclat et de la grandeur qui nous environnaient autrefois
et je pense que, là-dessus, tous les gens sensés exempts de passion et
de préjugés ne peuvent avoir qu'une opinion. Cette vérité une fois
établie, il est absolument nécessaire :
1° Que d'abord, après la signature des traités, que tous ceux qui sont
employés dans notre gouvernement, et sur lesquels l'opinion est fixée à
Paris de manière à être connus par leur haine exaspérée contre la
France et pour être membres de la secte fanatique connue sous la
dénomination de frères de la vertu, soient éloignés sans la moindre
exception et sans délai, non seulement de toute influence d'affaires,
mais aussi de Berlin même, où ils ne peuvent qu'être nuisibles sous
tous les rapports.
Cette mesure me paraît d'autant plus urgente, que nous devons pré-
voir que, si nous manquions le moment de nous faire un mérite réel de
cette mesure que notre position intérieure réclame tout autant que
notre position extérieure, puisque jamais ces gens ne cesseront de
remuer, la demande nous en serait peut-être faite plus tard comme
absolument nécessaire au système adopté, et qu'alors Sa Majesté le roi
serait compromise.
2° Que dans toutes les places marquantes et influentes dont il faudra
composer le gouvernement prussien, après l'éloignement de ceux-ci, il
n'y en ait plus une seule sur laquelle l'opinion de la France et du
public se soit établie de la manière la moins douteuse, non seulement
quant à leurs opinions politiques, mais aussi quant à la sagesse de
leur conduite dans les factions intérieures.
Ces deux mesures, qui doivent marcher de front, prouveront plus
que toute autre chose à Sa Majesté Impériale que la Prusse a pris son
parti irrévocablement, et elles auront l'avantage de prouver aux fana-
102 MELANGES Eï DOCUMENTS.
tiques de tous les partis que Sa Majesté le roi est déterminée enfin à
faire punir sévèrement tous ceux qui seraient encore tentés d'avoir la
folie de sauver la Prusse à leur manière.
Les personnes en place qui, d'après mon opinion, devraient être éloi-
gnées des affaires et de Berlin sans délai, sont :
Le général Scharnhorst, faisant jusqu'ici les fonctions de ministre
de la guerre, que l'opinion publique et générale nomme comme l'un
des chefs de la secte qui a fait tant de mal à ce pays-ci et dont les
ramifications sont déjà connues dans les pays étrangers. M. de Scharn-
horst s'est fait d'ailleurs connaître dans toutes les occasions par un
acharnement sans bornes contre la France, et l'homme d'état qui se
laisse ainsi emporter par la passion est à coup sur incapable de con-
duire aucune affaire dans notre position actuelle.
Le conseiller d'état Sack, sur lequel je ne puis que répéter ce que je
viens de dire de M. de Scharnhorst, et qui déjà, lors de l'occupation fran-
çaise, s'est fait connaître à tous les employés du gouvernement français
d'une manière si désavantageuse que, d'après l'esclandre qui a eu lieu
alors ^, je n'ai jamais pu concevoir comment il était possible de le laisser
en évidence et de lui donner la direction d'un département dans lequel
il n'a pas laissé échapper une seule occasion de prouver combien peu il
connaissait les intérêts politiques du roi et de la Prusse.
Le conseiller d'état Gruner, directeur de la police secrète, connu pour
être un membre marquant de la secte et noté pour sa haine contre la
France. Son éloignement est nécessaire puisqu'il faut enfin savoir ce
qui se passe, mettre fin au jacobinisme allemand qui nous tourmente
depuis si longtemps, ce qui est impossible, comme les faits l'ont prouvé,
tant que M. Gruner conservera sa place et qu'on lui permettra d'in-
flueûcer impunément l'opinion.
Le colonel Gneisenau, connu pour être un homme de tête et d'esprit,
mais lié intimement avec M. de Scharnhorst et avec tout ce qu'il y a
de plus marquant dans la secte, sectaire lui-même d'après l'opinion
générale, fanatique dans sa haine contre la France et suspect par toutes
ses liaisons. Son éloignement est d'autant plus pressant que c'est le
seul dont le nom est marqué par quelques talents, et que, par là même,
il est plus dangereux que les autres pour l'opinion publique, qui,
aujourd'hui, ne doit pas avoir d'autre direction que celle du gouverne-
ment.
M. de Boyen, aide de camp du roi, créature aveugle de la secte, ne se
donnant pas même la peine de cacher ses opinions et sa haine contre
la France; il a fait dans les derniers temps tout ce qui était en son pou-
voir (voilà au moins l'opinion générale et publique) pour paralyser les
ordres précis du roi et pour amener des faits qui, par leur nature.
i. Sur le conlHl de Sack et de Daru éclaté en 1808, voyez Hassel, l. c,
p. 168-171.
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 103
devaient immanquablement provoquer la ruine et la dissolution de ce
pays.
Le conseiller d'état Stmgemann, placé par M. de Stein, son ami et son
protecteur. 11 en a toujours suivi fidèlement les principes et la marche.
Il s'est rendu suspect par quelques étourderies assez virulentes qui ont
été connues à Paris, et, si même depuis quelque temps il est devenu
plus prudent, il est vraisemblable au moins que son opinion ne chan-
gera jamais. Sa place, à la vérité, est peu influente, mais, lorsque déjà
on s'occupe à purifier le terrain, il vaut mieux faire la chose en
entier.
Je ne puis pas juger de ses talents, que je n'ai jamais été dans le cas
d'apprécier, mais, à en juger d'après l'opinion publique, je devrais
croire qu'il ne sera pas très difficile de le remplacer.
Plus tard, il y aura bien encore dans l'intérieur plusieurs éloigne-
ments nécessaires à faire, comme, par exemple, les deux directeurs de
police à Francfort-sur-l'Oder et à Breslau, de même que le président
Merckel à Breslau, l'un des frondeurs les plus déterminés et les plus
audacieux que nous ayons dans le pays, mais cela s'arrangera bien vite
lorsque la nouvelle organisation intérieure sera fixée et que les chefs
qui seront à la tète des différents départements feront la recherche des
individus qui y sont employés, et lorsqu'enfin, après une connaissance
plus exacte, ils pourront proposer les mesures nécessaires et propres à
éloigner des affaires, même dans les postes subalternes, tous ceux qui
pourraient encore être influencés par la secte.
J'en viens maintenant à notre organisation intérieure sous le rapport
de l'alliance contractée avec la France et celui des changements néces-
saires pour asseoir un système stable et conservateur, qui fera marcher
la machine stagnante aujourd'hui dans une grande partie de ses détails,
et qui puisse prouver enfin à la nation, toujours invariable dans son atta-
chement pour le souverain et toujours prête aux sacrifices nécessaires,
que, si même plusieurs anciennes institutions avaient besoin d'une espèce
de régénération, il n'est cependant pas dans la volonté du roi de boule-
verser tout ce qui était bon autrefois, parce que M. de Stein, dans
quelques accès de sa folie, a rêvé un bonheur poétique pour la Prusse,
dont les suites ont été trois fois plus funestes pour elle que tous les
maux réunis de la guerre et toutes les privations qui l'ont suivie. Si la
Prusse doit redevenir heureuse, il faut prouver qu'avec M. de Stein son
système entier a disparu et qu'aujourd'hui les sectaires ou, pour m'ex-
primer d'une manière plus claire, nos jacobins allemands, joueraient un
jeu trop dangereux en saisissant le brandon jeté à l'aventure pour arri-
ver, sous le masque du patriotisme, à un but qui aujourd'hui ne peut
plus être un secret pour personne.
Je n'entrerai point en détail sur les différents défauts que j'ai souvent
entendu reprocher à notre administration intérieure, je crois qu'il y a
tout autant de vrai que d'outré dans ces jugements et je pense que la
vérité est au milieu. D'ailleurs je suis de l'opinion de ceux qui pensent
J04 MELANGES ET DOCDMENTS.
que la régénération politique de la Prusse a dû précéder sa régénéra-
tion intérieure, et ce n'est qu'après l'alliance que les gens calmes ose-
ront se pernaettre un jugement.
La grande faute qui parait exister aujourd'hui, sur laquelle toutes
les voix se réunissent et qui, par sa nature, doit entraver toute la
marche du gouvernement, c'est l'augmentation vraiment incroyable et
disproportionnée des chefs à demi-pouvoir connus sous le nom de con-
seiller d'état intime et conseiller d'état que l'on a placés, avec des
appointements énormes, au moment de notre plus grande détresse
financière, qui, à leur tour, ont fait augmenter d'une manière tout
aussi énorme les employés subalternes, pour la plupart créatures de
leurs opinions politiques et qui, marchant tous d'après leurs idées per-
sonnelles, n'ont presque aucune responsabilité, parce que le chancelier
d'état, baron de Hardenberg, le seul qui puisse les surveiller, est
constamment occupé par des objets plus importants et ne peut impos-
siblement suffire à une besogne qui surpasse les forces humaines.
La Prusse, dès les plus beaux jours de sa gloire, n'avait que cinq
ministres avec le nombre proportionné des subordonnés et tout prospé-
rait; les temps étaient autres, à la vérité, mais les pouvoirs étaient
fixés, les états financiers de chaque département étaient précis et ne
pouvaient être dépassés ni pour la recette ni pour la dépense, et, si,
alors comme aujourd'hui, il avait existé un chancelier d'état au lieu
des secrétaires du cabinet qui étaient une monstruosité politique depuis
la mort de Frédéric II, je crois que nulle autre organisation n'eût pu
mieux convenir à la Prusse que celle-là. Dans notre position actuelle,
où la force du gouvernement doit être beaucoup plus concentrée, parce
qu'il existe des factions et des fanatiques dangereux qui peuvent nous
perdre par une seule imprudence, dans ce moment où il est urgent que
le système politique du roi soit soutenu par tous les ministres auxquels
il daigne accorder sa confiance, cette organisation est encore la seule
qui nous convienne, la seule qui pourra faire prospérer le système que
nous venons d'adopter, la seule qui puisse donner à tous les actes du gou-
vernement l'énergie dont il a besoin après une longue époque d'impunité
et de désordre. Le chancelier d'état doit être, d'après la nature de son
emploi, le chef et le surveillant de tous les ministres, avec lesquels il doit
discuter et préparer tous les grands intérêts de l'état à soumettre à la
sanction du roi, et ce n'est qu'ainsi que le secret couvrira enfin les opéra-
tions du gouvernement. Mais il me parait que le chancelier d'état ne
devrait point se mêler des détails des différents ministères, il ne faut
point que les subordonnés des départements puissent communiquer avec
le chancelier d'état par un autre canal que celui de leurs chefs, il faut
que les ministres aient un grand pouvoir et une grande responsabilité ;
sans cela, il ne peut exister que confusion et désordre, et sans le pouvoir
nécessaire pour opérer le bien, aucun homme de talent et de tête ne se
résoudra à accepter un ministère quelconque. En un mot, il faut que le
nouveau ministère, que je vais proposer comme une simple idée à moi.
DOCDMEMS SUR LE PREMIER EMPIRE. 105
soit composé de gens entièrement dévoués au système que Sa Majesté
le roi va adopter à présent, qu'ils soient personnellement attachés au
chancelier d'État qu'ils doivent épauler de tout leur pouvoir dans les
mesures concertées, qu'ils aient pour eux l'assentiment de la France
et l'opinion du public, et que surtout leurs possessions dans le
royaume les attachent par leur propre intérêt au bonheur de ce pays.
D'après mon opinion, le gouvernement devrait être composé :
Du chanceUer d'état, baron de Hardenberg, chef de tous les dépar-
tements ;
Du ministre des affaires étrangères ;
Du ministre de l'intérieur ;
Du ministre des finances ;
Du ministre de la guerre ;
Du ministre de la justice.
Si j'avais un conseil à donner, je proposerais :
Pour ministre des finances , l'ancien ministre d'état, baron de Voss,
le seul homme ici que je crois capable de remplir dignement cette
place. Il a pour lui l'opinion de la France et celle du public, il est
grand travailleur avec une grande routine d'affaires, il est attaché à ce
pays par la grande fortune qu'il possède, il a donné dans plusieurs
occasions des preuves de dévouement, et j'ajouterai que la voix
publique l'appelle depuis longtemps à ce poste. Le chancelier d'état
croit qu'il trouvera en lui un antagoniste à son système, sur l'attache-
ment duquel il ne pourra jamais compter, et il se trompe.
Le chancelier d'état ne peut pas douter de ma sincère amitié pour
lui, je lui en ai donné des preuvres trop réelles, et je réponds de M. de
Yoss et de ses sentiments pour le chancelier d'état comme des miens.
Il y a, à la vérité, plusieurs choses dans l'arrangement actuel de l'admi-
nistration actuelle que M. de Voss désapprouve, je partage ce sentiment
avec lui et je n'ai jamais caché, ià-dessus, mon opinion. Que le chance-
lier d'état et M. de Voss se voient une seule fois en ma présence, qu'ils
s'expliquent avec cette franchise loyale qui les caractérise tous les
deux, comme des hommes qui, tous deux, veulent le bien de la patrie,
et ils s'entendront bientôt, j'en suis bien convaincu.
Le département des affaires étrangères se trouve aujourd'hui dans les
mains du comte de Goltz, qui est vraiment le plus honnête des hommes
et qui a des principes excellents.
Cependant, si les choses doivent marcher selon le nouveau système
que l'on vient d'adopter, avec cette vigueur et ce secret qui deviennent
absolument nécessaires, ce département ne peut pas, à ce qu'il me
parait, rester dans les mains du comte de Goltz, qui a la faiblesse de
ne savoir absolument rien cacher à personne et surtout à sa femme, et
est au surplus d'une apathie qu'aucun événement ne peut émouvoir, et
depuis son dernier voyage entrepris dans un des moments les plus
décisifs, il a perdu la considération dans le public'.
1. Le comte de Goltz avait mené les négociations à Erfurt en 1808.
^06 MELANGES ET DOCUMENTS.
Si j'avais un conseil à donner, je nommerais le comte de Goltz qui,
d'ailleurs, n'a pas démérité, ministre à Vienne. J'en rappellerai M. de
Humboldt que l'intrigue et la secte y ont placé, d'autant plus qu'il ne
sera jamais par conviction dans le nouveau système. Je rappellerais de
Pétersbourg M. de Schladen, qui a intrigué dans tout ce qui s'est fait
à Kœnigsberg dans le temps où l'on travaillait à entraîner le roi dans
une nouvelle guerre contre la France, et je le rappellerai avec d'autant
plus de raison qu'il a demandé tout à l'heure un congé dans un moment
oia, avec un peu de tact, il n'aurait jamais dû en concevoir l'idée.
M. de Humboldt, si toutefois l'on trouve nécessaire de le conserver,
pourrait alors être nommé à Pétersbourg, où désormais nous n'aurons
pas des objets d'un grand intérêt à traiter. Je ne propose pas l'homme
qu'il faudrait mettre à la place du comte de Goltz, parce que, pour le
moment au moins, je ne sais pas trouver celui qui a les qualités
requises pour ce ministère. Je pense qu'il serait bon de donner à celui
que l'on nommera à la place du comte de Goltz la direction de la
police secrète non seulement à Berlin, mais aussi dans l'intérieur du
royaume.
Pour ministre de l'intérieur, je proposerais le conseiller d'état intime
Schuckmann, qui est un homme ferme avec d'excellents principes; il
est bon travailleur, il a du talent, il connaît le pays parfaitement, il
sert depuis longtemps, il doit une grande partie de sa carrière au chan-
celier d'état, qui pourra compter sur lui à toute épreuve.
Le ministère de la justice est dans les mains de M. de Kircheisen,
qui est un homme d'une grande probité, étranger aux sectes et à
l'intrigue ; il a le défaut d'être faible, mais, à coup sûr, il ne gâtera
rien.
Le ministre de la guerre doit être un homme très ferme, capable d'en
imposer au mauvais esprit qui a gagné les jeunes officiers et de rétablir
cette discipline sévère sans laquelle il n'existe pas d'armée. Il faut que
ses principes politiques pour le système actuel soient bien constatés, il
faut qu'il soit connu comme tel en France et dans le public, et per-
sonne ne réunit à un plus haut degré toutes ces qualités que le lieute-
nant général de Grawert, gouverneur en Silésie, qui jouit d'une très
grande considération méritée dans l'étranger et dans l'armée.
Ce n'est qu'à la hâte que j'ai tracé ce petit aperçu sur notre position
extérieure et intérieure ; je ne sais si je me suis trompé dans mes
aperçus, mais ma conviction intime est qu'un ministère composé de
cette manière peut seul nous valoir la confiance entière de la France,
rétablir enfin le calme dans notre intérieur.
C'est au baron de Hardenberg, à l'ami qui m'a vu le même dans
toutes les occasions et qui doit être convaincu de mon attachement,
que je confie ces pensées qui ne doivent être que pour lui ; il sait que,
depyis la paix de Tilsitt, j'ai poursuivi sans relâche le but que je
croyais seul capable de sauver mon pays, il sait que j'ai dit hautement
mes opinions, malgré les persécutions inouïes que l'on m'a fait éprouver,
DOCDMENTS SDR LE PREMIER EMPIRE. 107
et, dans ma position, j'ai au moins la présomption qu'aucun autre
intérêt secondaire ne peut influer mes opinions.
Berlin, le 6 janvier 1812.
Signé : Le prince de Hatzfeld.
C'était à peu près un an plus tard, au commencement de l'année \ S^ 3,
que l'auteur de ce mémoire, chargé de nouveau d'une mission diplo-
matique, revint à Paris oîi, deux ans auparavant, il avait vu Fempe-
reur, après la naissance d'un fds, au comble du bonheur. Que les
temps étaient changés! La grande armée avait disparu, la Prusse
commençait à secouer le joug que le traité du 24 février 18-12 lui
avait imposé, et les chefs patriotiques, que le mémoire du prince
Hatzfeld avait dénoncés, travaillaient énergiquement à l'œuvre de la
délivrance.
Alfred Stern.
LES PAPIERS DE SOULAVIE.
Bien que l'auteur des Mémoires de Richelieu et de V Histoire de la
Décadence de la Monarchie française ne jouisse plus de la bruyante
renommée qu'il avait encore au commencement de ce siècle, on sait
généralement que Soulavie ne fut pas seulement un fabricateur de
mémoires apocryphes, mais qu'il fut aussi un grand collectionneur
et que, dans sa bibliothèque riche en ouvrages rares, en plaquettes
introuvables et en estampes historiques, il possédait une grande masse
de documents authentiques et de lettres autographes précieuses,
fruits de ses vols dans les collections publiques et privées à la fin du
règne de Louis XVI et pendant la Révolution. On ignora longtemps
ce qu'étaient devenues ces collections considérables; la biographie
Michaud affirma qu'elles avaient été saisies par ordre de l'empereur
à la mort de Soulavie, en 1813, et déposées aux archives des Affaires
étrangères; plus tard, en ^862, M. Feuillet de Couches nia formel-
lement ce fait important et déclara qu'il n'y avait dans ces archives qu'un
seul volume provenant du cabinet de Soulavie* ; M. Baschet, dans son
QxceWenle Histoire duDépâl des Affaires étrangères^ établit qu'au moins
une partie des papiers de Soulavie était entrée dans ces riches archives ;
mais on sait que l'admirable livre de M. Baschet est un merveilleux
lour de force et qu'il fut écrit presque entier sur des documents
1. Causeries d'un Curieux, Paris, 1862, in-8°, tome II, p. 472.
^08 MELANGES ET DOCUMENTS.
trouvés en dehors de ces archives, alors presque complètement
fermées, même à leur historien; il n'est donc pas étonnant que
M. Baschet n'ait connu qu'une partie de la vérité. J'ai eu le
bonheur d'avoir communication des documents relatifs à la saisie
pratiquée chez Soulavie, après sa mort, à la requête du ministre des
Relations extérieures; ils m'ont paru mériter que l'attention des
historiens fût appelée à nouveau sur les papiers de Soulavie; pour
tous ceux qui s'occupent de l'histoire de la fin du xviii* s., cette
question a d'autant plus d'intérêt qu'il parait certain qu'il est sorti
des papiers de Soulavie, depuis leur saisie, un certain nombre de
publications, dont l'authenticité douteuse suscita de bruyantes et
interminables polémiques, qui auraient été complètement inutiles si
l'on avait su que ces publications faisaient en quelque sorte partie de
l'héritage de Soulavie.
L'abbé Soulavie, en arrivant à Paris en 1778, se fit connaître
comme un naturaliste éminent et, dès -1779, il lisait à l'Académie
des sciences des fragments de son Histoire naturelle de la France
méridionale, fort estimée encore aujourd'hui par les géologues.
C'est seulement vers 1784, après la puljlication du huitième et der-
nier volume de ce grand ouvrage, que Soulavie parait s'être occupé
d'études historiques proprement dites et entreprit d'écrire une his-
toire du règne de Louis XV. Il profita des hautes relations qu'il
s'était créées depuis six ans pour se faire introduire dans les biblio-
thèques et dans les archives privées, alors beaucoup plus facilement
accessibles qu'aujourd'hui. 11 travailla plusieurs années dans la
bibliothèque du maréchal de Richelieu, dont les portefeuilles conte-
naient des richesses inappréciables; Soulavie déclare lui-même qu'il
y vola la correspondance du maréchal avec son amante, M"« de
Valois, correspondance où, entre autres documents importants, se
trouvait le manuscrit sur l'Homme au Masque de Fer dont il est
parlé dans le rapport du comte d'Hauterive au duc de Bassano publié
plus loin. Pendant les premières années de la Révolution, Soulavie
eut encore plus de facilité pour grossir ses collections et pour conti-
nuer ses recherches ; il eut entre ses mains tous les papiers secrets
de Louis XVI, saisis tant dans les cachettes des Tuileries que
dans celles de Versailles; et il est permis de penser qu'il s'efforça
d'en garder quelques-uns pour lui. Cependant il ne faudrait pas
croire que tous les documents possédés par lui furent le produit
de larcins coupables, il en achetait parfois; c'est ainsi qu'il réunit
à prix d'argent une grande quantité de pièces relatives au Secret
du Bai.
En même temps, à partir de -1789, Soulavie devenait un spécula-
LES PAPIERS DE SOULAVIE. ^09
teur littéraire et s'ingéniait à exploiter l'énorme mouvement créé par
la Révolution. Il renonça à la grande et sérieuse Histoire du règne
de Louis XV qu'il préparait depuis longtemps, et il résolut de tirer
des matériaux amassés par lui une série de puijlications lucratives.
C'est alors qu'il forma une Société pour éditer la Collection histo-
rique des 3Iémoires du règne de Louis XV. On devait publier les
mémoires de Duclos, de Massillon, du président Hénault, de Mau-
repas, d'Aiguillon, de Richelieu, etc., par livraisons d'environ cent
pages paraissant le (0, le 20 et le 30 de chaque mois ; la pubhcation
commença le 30 septembre •1790 et se continua au moins jusqu'après
la 30^ livraison, à la fin de 1791. On avait publié de cette manière
la Correspondance secrète du cardinal de Tencin avec sa sœur, les
premiers volumes de la Vie secrète du maréchal de Richelieu et de
ses Mémoires, le premier volume des Mémoires de Duclos, les
Mémoires de Maurepas et ceux d'Aiguillon. A la fin de Tannée ^791 ,
Soulavie se réconcilia avec son ancien libraire Buisson, qui continua
la publication des Mémoires du règne de Louis XV, non plus en
livraisons, mais en volumes; c'est ainsi que furent terminés les
Mémoires de Richelieu en 1792 et -1793.
Une circonstance imprévue empêcha Soulavie de publier plusieurs
autres ouvrages annoncés depuis longtemps, entre autres des 31é-
moires du duc de Choiseul. Nommé ministre résident de la République
française à Genève, le 22 fructidor an II, il cessa ses publications et
emporta avec lui ses collections. Ce fut l'occasion de son malheur.
Arrêté le 7 vendémiaire an III, par ordre du Comité de Salut public,
il n'eut pas le temps de mettre en sûreté tous ses papiers ; il fut
obligé de laisser à la légation une caisse qui fut pillée ; elle contenait
une petite partie des papiers du Secret du Roi, la première compo-
sition inédite des Mémoires de Louis AT/, la première composition
des Mémoires de la Révolution et la suite des Mémoires de Duclos.,
dont la première partie seule avait été publiée. Pendant plusieurs
années, Soulavie réclama vainement ses ])apiers ou une indemnité;
il n'obtint aucun résultat et parut se décourager; il revint à ses pre-
mières occupations, en cessant toutefois de fabriquer des mémoires
apocryphes; il craignait sans doute la censure. 11 publia, en \m\,
les Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, en
G vol. in-80, en 1803, V Histoire de la décadence de la Monarchie
française, en3 vol. in-8% et enfin, en ^ 809, 2 vol. à^Pièces inédites sur
les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Il faut croire que
ces publications eurent peu de succès, car, depuis ^809, Soulavie ne
cessa de fatiguer de ses réclamations l'empereur et le gouvernement.
Il écrit au comte de Ségur, à Cambacérès; il publie, en 4 810, deux
^^0 MÉLAXfiES ET DOCDMENTS.
Mémoires à l'empereur, le tout afin de vanter ses collections et sur-
tout la série des papiers du Secret du Roi, pour engager le gouver-
nement à les acquérir, et afin de réclamer une indemnité pour la
portion pillée à Genève. Ces lettres, ces mémoires attirèrent l'atten-
tion du gouvernement, mais avec un tout autre résultat que celui
espéré par Soulavie. En -18^^, à une date inconnue, la police fit
secrètement une saisie chez Soulavie ; mais il avait sans doute été
prévenu officieusement, car cette saisie ne donna que de maigres
résultats.
Cependant le secret de cette saisie ne fut pas très bien gardé. Le
20 décembre -JSSI, Maret écrivait à Savary qu'il « paraîtrait qu'on a
fait chez M. Soulavie, par ordre du gouvernement, des perquisitions
dont le résultat aurait été de lui reprendre une collection considé-
rable de manuscrits recueillis ou volés pendant le cours de la Révo-
lution dans les dépôts puijiics ou dans les maisons particulières. »
Le 6 janvier ISI2, Savary répondit : « Il a été saisi effectivement au
sieur Soulavie une quantité assez considérable de papiers qui sont
restés en dépôt à mon ministère. » Le 9 janvier, Maret chargea
Baudard, chef de bureau des archives, d'examiner ces papiers et de
faire un état de ceux qu'il jugerait devoir être restitués dans les car-
tons des Relations extérieures *. On a conservé les états dressés par
Baudard au nombre de trois : \° manuscrits de M. Soulavie réclamés
par le Ministère des Relations extérieures-, 2" manuscrits des ouvrages
de M. Soulavie ou d'ouvrages qu'il voulait faire paraître comme édi-
teur j 3" manuscrits recueillis par M. Soulavie. Enfin, plus d'une
année après, le 23 mars U\S, le Ministère de la Police fit aux Rela-
tions étrangères une première livraison contre un reçu signé du
comte d'Hauterive '^. Cette Hvraison contenait onze articles, la plu-
part formant plusieurs volumes. Il n'y a guère qu'un seul de ces
articles qui ait pu contenir des documents particulièrement impor-
tants -, c'est le quatrième : « 4 cahiers, 2 in-folio et 2 in-4° intitulés
Louis XV. » C'est sans doute dans ces cahiers que se trouvaient les
curieux documents sur l'Homme au Masque de fer et sur Louis XVI
signalés dans le rapport adressé le 7 avril 1 SI 3 par le comte d'Haute-
rive à Maret, duc de Bassano, sur cette première livraison des papiers
de Soulavie. Ce curieux rapport m'a paru mériter d'être publié ; on
le trouvera à la suite de cette note. Quelques jours avant cette
hvraison du 23 mars 1813, Soulavie était mort et les scellés avaient
été apposés sur ses papiers à la requête du Ministre des Relations
1. Archives nationales, F^ 6572.
2. Ibidem.
LES PAPIERS DE SOULAVIi:. Ui
extérieures. Maret profita de cette circonstance pour réclamer à
Savary la remise du reste des documents saisis par la police chez
Soulavie en J8II. Savary y consentit et, le 5 mai ^813, Baudard,
devenu sous-chef de la division des archives au Ministère des Rela-
tions extérieures, donna au Ministère de la Police quittance de
-19 articles, parmi lesquels on remarque les nos ^^ manuscrit en
4 vol. gr. in-folio, contenant des Mémoires sur les finances de ^722
à -J731 -, 3, Mémoires sur l'administration des recettes et finances de
la France terminées à ^735; 9, suite de Mémoires de M. de La
Fayette; U, recueil de pièces imprimées et manuscrites sur la vie et
les amours de Louis XV; iS, liasse de papiers diplomatiques;
-19, liasse de feuilles volantes, papiers politiques, historiques, de
famille et autres. Il ne restait plus à la police qu'une liasse de
papiers sans grande importance, qui se trouvent aujourd'hui aux
Archives nationales, dans le dossier de Soulavie, sous la cote F" 6572.
La saisie pratiquée chez Soulavie n'avait donné que des résultats
presque insignifiants ; l'adroit collectionneur avait mis à l'abri des
perquisitions la plus grande partie de ses richesses, entre autres les
papiers du Secret du roi. Maret et le comte d'Hauterive regrettaient
beaucoup cet insuccès et, à la mort de Soulavie, arrivée en mars
^8■^3, ils firent mettre les scellés sur toutes ses collections.
La famille s'opposa d'abord à cette saisie ; mais une ordonnance
de référé leva tous les obstacles et Baudard put faire transporter au
ministère tous les papiers qui lui semblèrent intéresser le départe-
ment. 11 déclarait qu'en réunissant à ces manuscrits ceux qui lui
avaient déjà été remis au ministère de la police le 23 mars dernier et
deux articles qu'il y avait laissés comme n'intéressant pas le dépar-
tement, les archives des Relations extérieures possédaient la totalité
des -12 articles, décrits par Soulavie à la page ii de son second
mémoire '. Il ajoute : « On m'a représenté et j'ai cru devoir récla-
mer un nombre considérable de cahiers renfermant des pièces manus-
crites sur toutes sortes de matières politiques, finances, guerre,
marine, clergé, tout y est réuni et amalgamé sans ordre ; il s'y trouve
1 . Eu voici le titre un peu long : Second Mémoire à S. M. I. et R. sur la
dispersion, le recouvrement, les périls et l'état actuel des archives et docu-
ments du ministère secret de Louis XV, recueillis, acquis et classés depuis
1782 jusqu'en 1810 par M. J. L. Soulavie, pour obtenir de S. M. le retour en
nature de la 12" partie de ces archives ou environ, envahies les cinq premiers
jours de l'an III par la force armée des clubs genevois. Paris, 10 janvier 1810,
in-4°. Un exemplaire s'en trouve à la Bibliothèque nationale, sous la cote
Ln-^ 19097. A la page 11 de ce Mémoire se trouve l'état actuel des documents
du ministère secret de Louis XV; auquel renvoie Baudard.
^^2 MÉLANGES ET DOCDMENTS.
un grand nombre de lettres autographes, qui n'ont de mérite que
celui de présenter l'écriture de quelques personnages plus ou moins
célèbres de ces derniers temps. J'ai enliassé ces cahiers au nombre
de cinquante environ et le tout a été transporté aux Archives. »
Alors les deux sous-chefs de la division des Archives, Baudard et
Tessier, de concert avec un frère de Soulavie, conservateur au dépôt
de la guerre, entreprirent de faire un inventaire détaillé de cette
masse énorme de paperasses. Ils employèrent sept longues séances
et ils ne terminèrent cet important travail que le 6 mai. Dans une
note adressée au comte d'Hauterive sur leurs opérations, Baudard et
Tessier font cette déclaration : « Sans entrer ici dans la discussion
des motifs qui établissent le droit du gouvernement sur la plus grande
partie de ces papiers, droit qui pour nous n'est point une chose con-
testable, nous nous bornerons à faire observer qu'une très petite par-
tie de ces papiers intéresse réellement le département, que le plus
grand nombre n'est d'aucune utilité pour le dépôt, mais ne saurait
être sans inconvénient rendu à la famille ou livré au public ; qu'enfin
une troisième partie n'offre que des pièces purement littéraires ou
des papiers de famille et doit être restituée à celle-ci. « On ne sait
pas si ces conclusions furent adoptées, et si cette troisième partie fut
restituée à la famille. Toutefois on alloua aux héritiers de Soulavie
une indemnité de 20,000 fr. pour les dédommager de la valeur des
papiers retenus par le ministère, sans qu'il fût bien prouvé qu'ils
appartenaient au gouvernement ; le paiement souffrit des retards et
en ^8I0 cette indemnité fut réduite à 4,000 fr.
On voit combien est considérable la masse des papiers qui sont
entrés aux Archives des affaires étrangères à la suite des saisies pra-
tiquées en 1 81 1 et en 1 8^3 au domicile de Soulavie ; mais par malheur
nous connaissons bien mal la composition de tout ce fatras. Pour les
cinquante volumes et plus saisis en ^8^1, nous n'avons que les deux
reçus laconiques délivrés par le comte d'Hauterive et par Baudard à
la pohce et conservés aux Archives nationales dans le dossier de
Soulavie ; pour les papiers du Secret du Roi, nous n'avons que la
notice insérée à la page i i de son mémoire ; enfin, pour les cinquante
liasses saisies après le décès, nous n'avons plus rien, puisqu'on ne
retrouve plus aux Archives des Affaires étrangères l'inventaire dressé
par Baudard, Tessier et le frère de Soulavie-, la perte de cet inven-
taire est d'autant plus regrettable qu'il était très détaillé et que la
valeur de cliaque manuscrit y avait été discutée rigoureusement. On
y trouverait sans doute tous les renseignements nécessaires pour
rechercher et identifier les documents dont Soulavie était en posses-
sion à sa mort .
LES PAPIERS DE SOULAVIE. -1 -1 3
Tous les historiens savent combien un semblable travail d'identi-
fication serait utile pour la critique des documents relatifs à l'histoire
de la fin du xviii" siècle. Sans parler du mémoire concernant l'Homme
au Masque de fer, qui fit une si grande impression sur le comte
d'Hauterive, Soulavie possédait encore une grande quantité de lettres
autographes, dont un certain nombre ne sont pas dans les Archives
du ministère des Affaires étrangères'; il avait encore chez lui des
manuscrits de mémoires apocryphes inachevés, entre autres des
mémoires du duc de Ghoiseul, dont je saisis cette occasion pour dire
quelques mots.
Ce n'est pas que je veuille discuter aujourd'hui l'authenticité des
mémoires de Ghoiseul, et de ceux imprimés en -1790^, et de ceux
dont un fragment important vient d'être publié par M. VateP; j'es-
père pouvoir traiter un jour à fond cette question ici-même, quand
des circonstances indépendantes de la volonté de leur propriétaire
cesseront d'empêcher l'accès des archives de la famille de Ghoiseul;
en attendant, je veux seulement indiquer les rapports qui existent
entre Soulavie et ces mémoires.
Le 28 février I79^ , dans un prospectus joint à la ^6^ livraison des
Mémoires du règne de Louis XV, Soulavie parlait ainsi des Mémoires
du duc de Ghoiseul, imprimés en -1790 : « Aux douze volumes des
Mémoires si curieux de feu M. de Ghoiseul, on opposait alors deux
volumes de fragments que le public a déjà jugés. » G'est le langage
d'un homme furieux de se voir devancer. Les Mémoires que Sou-
lavie annonçait de cette façon étaient rédigés sous forme de lettres
à un ami. Dans une note soi-disant adressée à l'auteur des .Mémoires
de Richelieu, Soulavie disait en -1793 : « Si les Ghoiseul-la-Baume^
Ghoiseul-Gouffler, Ghoiseul-Stainville, Ghoiseul-Praslin
ne reconnaissent pas à ces traits leur parent, il faut insister pour que
Buisson imprime sur-le-champ la correspondance secrète que je vous
1. « Beaucoup d'autographes, surtout du temps de Louis XV et de Louis XVI,
fruit de ses relations ou bien épaves révolutionnaires, étaient réunis dans ses
mains et j'en ai acquis de sa veuve les derniers débris. » Feuillet de Couches,
Causeries d'un curieux. Paris, 1862, in-S", t. II, p. 473. Quelques années plus
tard, en 1864 et en 1866, après avoir publié les premiers volumes de sa collec-
tion de documents sur Louis XVI, M. F. s'indigna que M. Geffroy eût reconnu
dans quelques-unes de ces lettres suspectes le style de Soulavie et nia avoir
jamais eu le moindre rapport avec « ce misérable et audacieux menteur de Sou-
lavie. «Feuillet, LowisA'F/, Paris, 1864 et s. In-8% t. III, p. xvii, et t. IV, p. xcix.
2. Mémoires de M. le duc de Ghoiseul, écrits par lui-même et imprimés sous
ses yeux dans son cabinet, à Chanteloup, en 1778. Paris, 1790, 2 vol. in-8°.
3. Histoire de madame Dubarrij. Versailles, 1883, in-12, t. I, p. 483 et s.
Rev. Histor. XXV. !«'• fasg. 8
^^4 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
ai délivrée ^ » Buisson se refusa sans doute à entreprendre une aussi
grosse affaire et Soulavie laissa à sa mort quelques volumes manuscrits,
qui, suivant son habitude, étaient inachevés et qui, sous le titre de
Mémoires de Choiseul, contenaient seulement un canevas et des frag-
ments d'un ouvrage à peine ébauché.
Ces Mémoires de Choiseul, fabriqués pav Soulavie, se trouvaient
encore aux Archives du ministère des Affaires étrangères avant ^ 848 ;
car M. Jobez possède aujourd'hui une copie de fragments du second
volume faite avant cette époque. M. J. s'en servit dans son Histoire
du règne de Louis XV et, avec une extrême générosité, il en laissa
prendre des copies à M. Vatel, qui en tira le fragment signalé plus
haut, et à moi-même. Ni M. Jobez, ni M. Vatel ne doutèrent un seul
instant de l'authenticité de ces fragments d'origine obscure ; pour moi,
il me fut impossible de partager leur confiance. Mes soupçons furent
immédiatement éveillés par la préface que mit en tête de ces extraits
la personne qui en fit la copie sur Texemplaire autrefois conservé aux
Archives du ministère des Affaires étrangères. Voici ce qu'il en dit :
« L'idée qui le déterminait à écrire se marque dans les premières
lignes; quand cette idée est remplie, sa plume languit et souvent elle
lui tombe des mains. Les fragments ne sont donc pas finis ; il y a
plus ; le plus grand nombre est informe. Les morceaux ont deux, huit
et quatre pages d'écriture; quelques-uns en ont davantage ; aucun n'a
une certaine mesure qui le rende intéressant. Il y en a cependant
quelques-uns qui, malgré leur brièveté et leur imperfection, con-
tiennent quelquefois des faits et des jugements intéressants. « Ce
jugement pourrait s'appliquer à la plupart des ouvrages de Soulavie,
qui le plus souvent sont écrits sans suite et sans soin ; parfois seule-
ment on y trouve de brillants fragments. La façon dont on parle de
Louis XV dans ces mémoires ressemble étrangement à celle dont
use Soulavie dans ses divers ouvrages. Ces analogies de composition,
de style et d'idées me font croire que ces Mémoires attribués à Choi-
seul sont ceux que Soulavie avait commencé à rédiger en d 790 et dont
il avait annoncé la publication en noi et ^92. Cette conjecture est
d'autant plus vraisemblable que les papiers de Soulavie sont presque
tous entrés aux Archives des Affaires étrangères, d'où cette copie est
tirée, tandis que les papiers de Choiseul sont encore aujourd'hui entre
les mains de ses légitimes héritiers et qu'on ne s'explique pas com-
ment, pourquoi et quand les Mémoires de ce ministre, s'ils étaient bien
réellement l'œuvre des loisirs de sa retraite, seraient arrivés dans ce
dépôt des Archives des Affaires étrangères.
l. Mémoires de Richelieu, t. IX, p. 508.
LES PAPIERS DE SOULAVIE. ^ -1 5
Ce n'est, dira-t-on, qu'une conjecture ; mais en l'absence du manus-
crit, sur lequel a été prise la copie de ces Mémoires, et en l'absence
de l'inventaire détaillé des papiers de Soulavie, terminé et signé le
6 mai ]Si3, manuscrits qui tous deux ne se trouvent plus aujour-
d'hui aux Archives des Affaires étrangères, il est impossible d'arriver
à des résultats absolument certains.
C'est pourquoi en terminant j'appelle à nouveau l'attention des
historiens et des chercheurs sur cet inventaire.
Jules Plammermont,
Rapport du comte d'Hauterive au duc de Bassano.
Je vais mettre brièvement sous les yeux de Votre Excellence tout ce
qui est relatif à des papiers récemment mis sous le scellé par un juge
de paix à la réquisition d'un commissaire de son ministère.
A la nouvelle de la mort de M. Soulavie, je me rappelai tout ce qui
a été dit et tout ce qu'il a publié lui-même sur l'importance de ses
papiers que, dans des mémoires particuliers et dans la plupart de ses
ouvrages, il déclare avoir recueillis dans les maisons des hommes en place
ou revêtus de grandes dignités, dans les dépôts publics et jusque dans
le cabinet particulier du feu roi Louis XVI; je me rappelai en même
temps que, l'année dernière, sur la demande qu'il osa faire au gouver-
nement de lui vendre la collection de ses manuscrits dont il ne craignait
pas de lui exposer sans déguisement la nature et l'origine, S. Ex. M. le
ministre de la police fit faire chez lui la saisie de ses papiers ; et, conjec-
turant néanmoins que cette mesure pouvait n'avoir eu qu'un résultat
incomplet, je proposai à V. Ex. de requérir la mise des scellés dans le
cabinet de M. Soulavie.
Ces scellés ont été apposés et en même temps M. le ministre de la
police a consenti à faire remettre aux archives la partie des papiers
saisis par son ordre et qui ont paru devoir appartenir au ministère.
J'ai examiné ces manuscrits ; ils composent une collection faite sans
choix, sans ordre, sans intelligence et dans laquelle, au milieu d'une
foule de pièces tronquées, incomplètes, indifférentes, on rencontre sou-
vent des documents d'un assez grand intérêt. Un grand nombre de
pièces de cette dernière espèce ont déjà été publiées dans des compila-
tions qui, généralement, ont eu peu de succès. M. Soulavie se proposait
probablement de publier le reste, quand l'établissement de la censure
est venu mettre un terme à ses indiscrètes publications.
Je regarde néanmoins comme important de ne pas laisser subsister
hors des dépôts publics les manuscrits même des pièces imprimées,
attendu que le discrédit personnel de M. Soulavie avait attiré une telle
défiance sur l'authenticité de ses publications qu'elles n'ont fait aucune
espèce de sensation et que la connaissance et la communication des
-H6 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
pièces originales pourraient donner à ses scandaleux ouvrages un crédit
qu'il importe de ne pas leur laisser prendre. Il est d'ailleurs évident, à
la première inspection de ces pièces, qu'elles appartiennent presque
toutes à des établissements publics, d'où les unes ont été illégalement
soustraites, où les autres auraient dû, aux termes des règlements, être
déposées par leurs premiers possesseurs, et où celles qui ne sont que
des copies ont été indirectement et irrégulièrement transcrites.
Il m'a paru cependant que quelques-uns de ces papiers pouvaient être
regardés comme des productions purement littéraires, et, par là même,
que la famille de M. Soulavie a le droit de les réclamer ; mais ces papiers,
étant confondus et reliés dans le même volume avec les pièces d'admi-
nistration et de gouvernement, ne peuvent être distingués et distraits de
la collection que par le moyen d'un inventaire ; et, comme un très grand
nombre de parties de cette collection se compose de feuilles détachées
appartenant à des cahiers perdus et tronqués, que d'autres sont des
brouillons insignifiants, reliés et classés dans le seul objet de leur don-
ner une importance apparente, il devient d'autant plus nécessaire de
faire de la collection entière un inventaire exact et détaillé que, malgré
le droit incontestable que le gouvernement me semble avoir de retenir
toutes ces pièces pour prévenir l'abus qui peut en être fait, il y a néan-
moins un fondement plausible à la demande d'indemnité qui peut être
adressée par la famille de M. Soulavie pour les peines et soins que cette
collection a pu coûter et pour le bonheur de l'avoir conservée'.
Je joins à mon rapport deux copies que j'ai fait faire dans la partie
de la collection de M. Soulavie, qui a été rétablie aux archives par l'au-
torisation de S. Ex. M. le Ministre de la police. La première est faite
sur un manuscrit relatif au Masque de fer ; la deuxième sur un manus-
crit de Louis XVI.
C'est à la vue de la première de ces deux pièces que j'ai senti à
quel point l'examen d'un manuscrit ayant quelques caractères d'origi-
nalité pouvait donner de l'authenticité et de l'intérêt à une publication
auparavant dédaignée. J'avais lu dans les mémoires de Richelieu, sans
y ajouter aucun degré de foi et sans en recevoir aucune impression,
l'histoire du Masque de fer telle qu'elle a été publiée par M. Soulavie.
Je ne crois pas que cette lecture ait fait sur d'autres lecteurs plus d'im-
pression que sur moi ; mais, en voyant le manuscrit de ce chapitre
conservé sur un papier vieilli, écrit d'un caractère presque décoloré et
avec l'orthographe du temps, j'ai éprouvé que cette lecture faisait sur
1. Je supprime quelques pages i)leines de détails techniques et juridiques sur
la mission de Baudard.
LES PAPIERS I)E SOULA VIE. H7
moi une impression tout à fait nouvelle et je n'ai pu me défendre
d'attacher une croyance presque entière à la sincérité de ce récita
Je ferai une observation analogue sur le second manuscrit. La collec-
tion de M. Soulavie ne présente qu'une simple copie, mais les caractères
informes, exagérés et difficilement lisibles donnent tous les indices d'une
transcription extrêmement rapide, et prouvent en même temps que
l'écrivain qui n'a eu qu'un temps très court pour consommer ce larcin
d'une nouvelle espèce, n'a pas eu celui de fabriquer un écrit dont la
rédaction est très soignée et offre à chaque page des observations inté-
ressantes, judicieuses et qui sont fort au-dessus de la portée de M. Sou-
lavie.
D'Hauterive.
Paris, le 7 avril 1813.
1. Soulavie a publié ce récit au tome III des Mémoires de Richelieu, p. 74 à
84, sous ce titre : Relation de la naissance et de l'éducation du prince infor-
tuné, soustrait par les cardinaux de Bichelieu et de Mazarin à la société et
renfermé par l'ordre de Louis XIV. Ce mémoire serait l'œuvre du gouverneur
de ce jeune prince, qui ne serait autre qu'un frère jumeau de Louis XIV, né
huit heures après ce roi. Le mémoire en question aurait été donné par le régent
à Mademoiselle de Valois sa fdie, qui, elle-même, l'aurait donné à son amant,
le duc, plus tard maréchal de Richelieu. Soulavie l'aurait pris dans les papiers
de ce dernier avec un grand nombre de lettres de Mademoiselle de Valois à son
amant. Cfr. Mémoires de Richelieu, III, 73-92, et VI, 8-53.
BULLETIN HISTORIQUE
FRANCE.
NÉCROLOGIE. — Au moment où ce Bulletin allait être mis sous
presse, nous avons appris la mort du doyen des historiens français,
M. F. MiGNET. Il avait survécu à ses illustres contemporains, Aug.
Thierry, Guizot, Michelet, Thiers, et l'on peut dire qu'avec lui se
ferme une des périodes les plus hrillantes de l'historiographie fran-
çaise. Dans les années même où la Révolution changeait la consti-
tution politique et sociale de la France, naissaient des hommes qui
allaient exercer une influence profonde et novatrice sur notre littéra-
ture historique. Les cinq historiens que je viens de nommer sont
nés en effet entre -1787 et 1798. Parmi eux, M. Mignet est sans doute
celui qui eut la renommée la moins retentissante, mais c'est celui
peut-être chez qui se trouvaient dans le plus harmonieux équilibre
les qualités essentielles de l'historien. Il était philosophe sans être
aussi systématique que M. Guizot; il ne manquait pas d'imagination
ni de chaleur de cœur, mais son imagination et ses sympathies per-
sonnelles étaient mieux contenues chez lui par l'esprit critique qu'elles
ne le furent toujours chez Aug. Thierry et chez Michelet; il était un
admirable narrateur, plus sobre, plus précis et plus incisif que Thiers.
Ce n'est pas quMl faille le placer au-dessus de ses illustres émules -,
Guizot, Michelet, Thierry étaient des hommes de génie, qui l'em-
portent de beaucoup sur M. Mignet par la puissance créatrice, par la
fécondité et la profondeur des vues historiques; mais avec des qua-
lités moins éclatantes, M. Mignet a su donner à tout ce qui est sorti
de sa plume la solidité qui vient de la conscience dans les recherches
et de la justesse des jugements, la beauté qui vient de l'équilibre dans
la composition et de l'harmonie entre le style et les pensées. Le plus
connu de ses ouvrages, V Histoire de la Révolution, n'est pas, à mes
yeux, le meilleur; car il fut écrit à une époque où M. Mignet était
engagé dans la polémique politique quotidienne. Sous l'impartialité
apparente du récit, admirable de concision et de force, on sent un
FRANCE. M9
parti pris sinon d'apologie, du moins d'atténuation. 3farie Sfuorf,
qui est un chef-d'œuvre au point de vue littéraire, a beaucoup
perdu de sa valeur historique depuis les recherches faites dans les
trente dernières années sur la malheureuse reine d'Ecosse, et pour-
tant nouspersistons à croire que le portrait de Marie tracé par M. Mignet
est plus vrai que les peintures embellies et affadies de ses apologistes.
Les grandes quahtés d'historien de M. Mignet brillent surtout dans
une œuvre restée malheureusement inachevée, les Négociations rela-
tives à la succession d'Espagne^ et dans ses essais sur la Germanie,
sur le Gouvernement de Genève au xvi'' s., sur la formation territo-
riale de la France, qui semblent des fragments d'œuvres de longue
haleine restées à l'état de projet. Personne, sauf peut-être M. Ranke,
n'a su au même degré que M. Mignet manier les documents diplo-
matiques sans se laisser accabler par leur longueur ni par leur
nombre, y démêler d'emblée les choses essentielles, les éclairer par
une pénétrante intelligence des caractères et y faire circuler la vie.
A l'esprit critique, aux vues larges et impartiales de l'historien, slajoute
chez lui l'expérience pratique de l'homme d'État; mais s'il raconte
avec l'animation d'un acteur contemporain, il juge avec une sérénité
que rien n'altère. Ranke a une plus grande richesse de connaissances
et d'idées, Mignet est plus artiste et plus grand écrivain. Tous deux
ont donné les meilleurs modèles de la méthode qu'on doit appliquer
à l'étude de l'histoire moderne, de l'esprit dans lequel on doit la
comprendre, du style dont on doit l'écrire. Il est parvenu à la vieil-
lesse sans rien perdre de la lucidité ni de la fermeté de son esprit;
la nature, qui l'avait doué de tous les dons qui peuvent rendre la vie
heureuse, brillante et facile, est restée généreuse envers lui jusqu'à
son dernier jour; les écrits qu'il nous laisse conservent pour la pos-
térité cette sérénité harmonieuse, cet air de bonheur qui faisaient le
charme du beau et noble visage de M. Mignet.
La loi de recrutement militaire et l'enseignement supérieur. —
Cet air de bonheur pouvait convenir à ceux qui ont vu la France se
relever de ses ruines et panser ses blessures au lendemain de la chute
de Napoléon, et qui ont été entraînés, portés par le grand mouve-
ment intellectuel de la Restauration ; il ne serait point de mise sur
le front de ceux qui, après avoir vu la patrie démembrée, peuvent se
demander si la France ne va pas perdre par la faute des Français
eux-mêmes tout espoir de grandeur intellectuelle et scientifique. Nous
nous sammes fait une règle de ne jamais laisser pénétrer ici aucun
écho delà politique contemporaine; mais nous ne pouvons garder le
silence quand une loi sauvage menace tous les intérêts scientifiques
qui nous sont chers ; d'ailleurs une loi militaire est par sa nature ou
420 BULLETIN HISTORIQUE.
devrait être indépendante de toute préoccupation politique. Toute
la France a applaudi quand on a établi le service militaire obli-
gatoire et universel, quand on a voulu faire concourir tous les
citoyens à la défense de la patrie, quand on a imposé même à
ceux qui se destinent aux carrières libérales une année de ser-
vice, aussi profitable à leur développement moral qu'à leur déve-
loppement physique; mais, à la bonne volonté qu'a rencontrée la
première loi de recrutement de la République, succédera une pro-
testation unanime de tout ce que le pays compte d'hommes éclai-
rés, si l'on vote la loi aujourd'hui proposée au Parlement, laquelle
impose à tous, sans exception, trois ans de service effectif. Cette loi,
qui, si elle était appliquée, ferait sourire de pitié et rire de joie nos
plus cruels ennemis, rendrait bien inutiles les sacrifices faits depuis
dix ans pour l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur,
à moins qu'elle ne rende inutiles tous les sacrifices faits pour l'armée
elle-même. Si cette loi était votée, on se trouverait entre deux alter-
natives : ou bien on réussirait à l'appliquer et alors c'en serait fait
de tout ce qui rend la France digne d'être aimée, de la France artis-
tique, littéraire, scientifique; ou bien, ce qui est plus probable, la
loi soulèverait une telle réprobation que le service de trois ans
bientôt serait réduit à un an, et que l'armée française serait organisée
sur le modèle de l'armée suisse. C'est là évidemment l'idéal que rêvent
beaucoup des partisans de la nouvelle loi. Pour nous, nous concevons
autrement le rôle de la France; nous la voulons grande et forte à
l'extérieur, comme nous la voulons brillante par les arts, les lettres
et les sciences, riche par le commerce et l'industrie. La loi qu'on veut
nous donner porterait atteinte à Tâme même de la France et c'est
déjà trop qu'elle ait pu être proposée et discutée.
PcBLicATioNs. DocuMEVTs. — La compéteuce nous manque -pour
apprécier la traduction de la Chronique dite de Nestor que vient de
nous donner M. L. Léger (Leroux; publication de l'Ecole des langues
orientales vivantes), mais nous savons que les meilleurs juges en ont
loué l'exactitude, et nous sommes reconnaissants au savant profes-
seur de l'École des langues orientales d'avoir mis à la portée de tous
les historiens ce document d'une importance capitale pour l'histoire
russe et pour l'histoire Ijyzantine, qui est en même temps un docu-
ment littéraire de la plus étrange et savoureuse originalité. On regret-
tera peut-être que M. Léger n'ait pas dans son introduction donné
plus de développement à ce qu'il dit des sources et de l'autorité de la
chronique, et l'on ne trouvera pas très convaincantes les raisons par
lesquelles il refuse d'en attribuer la composition à l'hégoumène Syl-
vestre, mais on lui sera reconnaissant des services que rend pour la
FRAXCE. ^2^
lecture du texte son Index explicatif et critique (auquel il donne le
litre peu exact d'Index chronologique). Il y a là sous une forme
modeste de précieux renseignements et les résultats de sérieuses
recherches.
M. P. Meyer, après avoir fait pendant de longues années du poème
provençal de Girart de Iloussillon un des objets favoris de ses études,
s'est décidé à en donner non une édition critique, mais une traduc-
tion accompagnée d'une introduction très étendue (Champion). Je ne
sais s'il réussira, comme il l'espère et comme l'ouvrage le mérite, à
le faire lire en dehors du cercle des érudits, mais les historiens et les
littérateurs lui sauront gré d'avoir mis à leur portée dans une traduc-
tion qui n'est pas seulement fidèle, mais remarquablement expres-
sive, un des poèmes les plus remarquables que le moyen âge nous ait
laissés, un poème qui ne le cède en intérêt qu'à la chanson de Roland
et à Garin le Lohérain. Je dis en intérêt et non en mérite littéraire;
car il y a dans Girart plus de talent, de verve poétique que dans
Garin; on y trouve des sentiments délicats et passionnés et même de
l'esprit. Dans son introduction, M. Meyer a démêlé avec une admirable
sagacité les transformations de l'histoire de Girart, constatant, grâce
à une vie latine publiée par lui dans le t. YII de la Bomania, l'étroite
ressemblance que devait offrir le texte primitif du x)« s. avec le texte
du i\f que nous possédons, et suivant ensuite les traces de la légende
dans les poèmes et les chroniques du moyen âge, et ses déforma-
tions dans le roman en alexandrins du xiv' s., dans le Girart de
Roussillon de Jean Wauquelin ', et dans une Histoire de Chartes
Martel encore inédite. Il a aussi replacé à côté du Girart du poème,
ce vassal rebelle et téméraire du fourbe et violent roi Charles, le
Girart de l'histoire dont l'existence est constatée depuis S'IO jusqu'à
879, qui est comte de Paris sous Louis le Pieux, qui combat à Fon-
tenai dans les rangs des partisans de Lothaire, gouverne la Provence
pour Charles, fils de Lothaire, de 853 à 863, puis la partie de la
Provence soumise à Lothaire II, livre en 870 Vienne à Charles le
Chauve et meurt à Avignon en 879. Il est comme le Girart du poème
le fondateur des monastères de Pothières et de Vézelai -. M. Meyer a
complété cette étude historique et littéraire en montrant ce que le
poème fournit à l'historien pour la connaissance des institutions et des
1. Publiés en 1880 par M. L. de Montille pour la Société d'archéologie, d'his-
toire et de littérature de Beauiie.
2. C'est M. Longnou qui a flxé la jilupart de ces points dans son article de
la Revue historique (VIII, 251), mais AI. Meyer a complété ou rectifié sur plu-
sieurs points ses conclusions.
122 nCLLETIN niSTOR[QCE.
mœurs. Ce chapitre, un des plus intéressants de l'introduction, aurait
pu aisément être augmenté et fournir la matière d'un travail spécial.
Ce qui rend cette recherche difficile et délicate, c'est que le poème
que nous possédons n'a pas une parfaite unité. Non seulement je n'y
vois pas avec M. Meyer une composition régulière et habile, mais on
y trouve des traits d'une époque relativement plus raffinée à coté de
traits d'une sauvagerie toute primitive. Les poèmes comme Girart
et Garin se sont formés au x" s. dans l'imagination des poètes : leur
roi est un Charles de convention dont les éléments sont pris à Charles
Martel, à Charlemagne et à Charles le Chauve, et la société qu'ils nous
peignent est l'anarchie carolingienne où la féodalité s'établit sur les
ruines du pouvoir royal. Mais dans Garin la barbarie des mœurs et
la simphcilé des sentiments ont été mieux conservées que dans Girart.
Peut-être aussi l'auteur de Girart qui écrit sur les frontières du pays
provençal vivait-il au midi dans une société dont les sentiments
étaient plus compliqués, plus raffinés que dans le nord.
M. Élie Berger vient de compléter la publication du premier volume
des Registres cl' Innocent I V [Thonn] par uneexcellenteintroductionsur
ladiplom.atique du pontificat d'Innocent IV. Ce travail, où M. Berger
a fait ressortir le soin minutieux apporté par la chancellerie pontificale
à la rédaction de ses actes, forme pour ainsi dire la suite et le com-
plément du mémoire de M. Delisle sur les actes d'Innocent III. Il
tient compte non seulement des registres, mais des actes originaux
qu'il a pu étudier aux Archives nationales et à la Bibliothèque,
et il donne des renseignements précieux sur la constitution, d'ail-
leurs assez irrégulière, des registres du Vatican. On remarquera
ce que dit M. Berger de la formation à partir de Grégoire IV de séries
spéciales de lettres d'un intérêt particulier pour la curie et dites
Lettres curiales; on remarquera aussi ce qu'il nous apprend sur les
fréquentes erreurs dans le calcul des indictions commises par les
notaires pontificaux. Ces erreurs, au xrii's., dans une chancellerie
aussi scrupuleuse que celle de la curie, rendent bien sceptique à
l'égard des dates contenues dans les diplômes des siècles antérieurs
et émanés de chancelleries moins instruites.
Nous ne possédons pas d'histoire de l'Ordre de Saint-Michel, qui
joua pourtant un rôle considérable sous Tancien régime. Jean-Fran-
çois-Louis d'Hozier avait composé, de ^783 à ^793, un vaste recueil
de notices sur les chevaliers de l'Ordre. Ce recueil en onze volumes
est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale. M. G. de Carxe' en a
extrait toutes les notices concernant des nobles bretons, et les a
publiées sous le titre : Les Chevaliers bretons de Saint - Michel .,
depuis la fondation de l'Ordre, en ^09, jusqu'à l'ordonnance de 1665
FRANCE. ^23
(Nantes, Forest et Grimaud). Il y a joint une utile préface sur l'iiis-
toire de l'Ordre et des notes nombreuses qui complètent les rensei-
gnements de J.-F.-L. d'Hozier.
Le troisième volume des Mémoires du marquis de Sourches (Ha-
chette) contient les années 4089, -1690 et 1091. Cet excellent mar-
quis est toujours également ennuyeux, également bien renseigné,
également consciencieux. Son journal est d'un grand prix pour les
historiens, mais la lecture en est laborieuse. A force de naïveté, il
finit pourtant parfois par avoir involontairement de l'esprit. Le
27 février i 689 : « on eut nouvelle qu'on avait encore tué en Viva-
rais 300 huguenots révoltés et quelques ministres, et le roi témoigna
en être fâché, disant qu'il aurait bien mieux valu les prendre et les
envoyer aux galères. Ce sentiment était conforme à sa bonté natu-
relle; mais, dans la conjoncture présente, il était plus de son intérêt
d'augmenter sa chiourme que de tuer ces insensés, car il voulait
armer cette année trente galères »
M. Frédéric Masson est un homme heureux. Il a eu le privilège
d'éditer les papiers du cardinal de Bernis-, et voici qu'en parcourant
une collection d'autographes, il y trouve un journal du marquis de
Torcy pendant les années 1 709, \ 71 (Set \'1\ I (Pion, Nourrit), journal
diplomatique et journal intime, document unique dans son genre,
qui nous fait assister jour après jour aux séances du conseil d'en
haut, et même à ces séances qui se tenaient dans la chambre et à
côté du lit de M""' de Maintenon. Ce sont des années tragiques que
ces années qui précèdent la paix d'Utrecht, où Louis XIV abaisse
son orgueil devant les marchands hollandais et les implore pour
obtenir la paix, mais où jamais il n'oublie ni ses devoirs de roi ni la
dignité du pays qu'il représente. Autant la politique de Louis dans
les préliminaires de la guerre de succession d'Espagne fut impru-
dente, vacillante et même déloyale, autant au moment des revers il
montra d'énergie, de lucidité et de grandeur d'âme. Il ne pouvait
avoir un auxiliaire plus honnête ni plus habile que Torcy. Son
journal servira à la gloire du ministre ainsi qu'à celle de son maître.
Nous sommes reconnaissants à M. Masson de nous avoir fait con-
naître, en l'annotant avec soin, ce document d'un prix inestimable.
La publication, par M. A. Michel, de la Correspondance inédite de
Mallet du Pan avec la cour de Vienne^ -1794-'! 798 (Pion, Nourrit),
a été une moins grande surprise pour les historiens que celle du
journal de Torcy, car on savait que Mallet du Pan avait été un des
correspondants attitrés de la cour de Vienne à l'époque de la Révo-
lution. L'on connaissait même par M. Sayous des fragments de ses
lettres 5 mais la publication intégrale de cette correspondance offre
I 24 BULLETIN HISTORIQUE.
néanmoins un puissant intérêt. M. Taine en a marqué le caractère
dans une préface écrite de sa meilleure plume. On n'est pas étonné
que la lecture de ces lettres lui ait inspiré une admiration et une
sympathie éloquentes, car plus d'une page pourrait, au style près,
paraître empruntée aux Origines de la France contemporaine. Mallet
du Pan, comme M. Taine, voit surtout dans la France révolution-
naire et y analyse les progrès et les ravages de la maladie égalitaire,
de la fureur jacobine. C'était un caractère intègre, un observateur
attentif, un témoin renseigné par des agents nombreux et intelli-
gents, et il a noté avec sagacité tous les symptômes du mal qui
conduisit la France d'abord à l'anarchie, puis au despotisme. Toute-
fois, n'exagérons rien et ne nous extasions pas avec excès devant la
perspicacité de Mallet du Pan. Cette perspicacité, comme M. Taine
l'indique aux p. 3 et 4 de l'Introduction, il la dut plus encore à sa
situation et à son éducation qu'à la supériorité de son intelligence.
On est en effet étonné de trouver dans ses lettres, à côté de passages
remarquables, des exagérations choquantes et des illusions puériles.
Mallet n'a guère de nuances dans Pesprit et il entre une bonne dose
d'étroitesse dans la rigueur de sa logique. M. de Staël est à ses yeux
un jacobin, M'"*' de Staël « prodigue son impudence et son immo-
ralité. » Mallet du Pan accepte sans contrôle tous les bruits quand
ils sont défavorables aux révolutionnaires et, par contre, il s'exagère
singulièrement la force du mouvement de réaction monarchique. Il
serait curieux de savoir quels étaient exactement ses correspondants
et quel accueil était fait à Vienne à ses renseignements. La préface
de M. Michel ne satisfait pas à cet égard notre curiosité. Sur le pre-
mier point, peut-être la solution est-elle impossible ; mais M. Michel
aurait certainement trouvé dans les archives de Vienne des rensei-
gnements précieux sur les relations de Mallet du Pan avec la cour
impériale. Il laissera à d'autres le soin d'achever une tâche qu'il
était très capable de remplir lui-même tout entière.
Le second volume des Mémoires du baron de Vitrolles, publié par
M. FoRGUES (Charpentier) , l'emporte de beaucoup en intérêt sur le pre-
mier. Il comprend la période de la lieutenance de Monsieur pendant
laquelle Vitrolles fut secrétaire du conseil du gouvernement institué
par le comte d'Artois, les premiers temps du gouvernement de
Louis XVIII pendant lesquels relégué, à son grand dépit, dans des
fonctions mal définies de secrétaire d'Etat, il fut réduit au rôle de
spectateur impuissant, et enfin les Cent-Jours, où il fut l'auxiliaire
courageux et énergique du duc et de la duchesse d'Angoulême dans
leurs efforts pour soulever le Midi contre Napoléon. Le volume
s'arrête au moment où Vitrolles est conduit prisonnier à Vincennes.
FRANCE. ^25
Malgré son esprit chimérique et brouillon, VitroUes, qui était fort
avant dans la faveur de Monsieur et qui était au courant de toutes
les affaires de l'État, est pour nous un témoin précieux, car il est
sincère et intelligent. Il est en hostilité déclarée avec Tabbé de Mon-
tesquiou, en hostilité secrète avec Talleyrand, et il ne perd pas une
occasion de les rendre ridicules ou odieux. Parmi les curieux récits
dont ce volume est rempli, le passage sur le fonctionnement du
cabinet noir est un des plus caractéristiques. Il ajoute un trait char-
mant à l'histoire de la routine en France, histoire fort riche, comme
on sait. Après la Restauration, quand on crut devoir réorganiser le
cabinet noir, le secrétaire d'État fut fort étonné de ne recevoir com-
munication que de lettres émanant de partisans fanatiques des Bour-
bons. Le cabinet noir avait simplement conservé la liste des suspects
du temps de l'empire et continuait à surveiller les menées des monar-
chistes.
Les Souvenirs sur Vémigration^ l'Empire et la Restauration du
comte Alexandre de Puymaigre (Pion) n'apportent aucune révélation
politique et historique et n^ont pas un grand mérite littéraire, mais
ils sont écrits avec une évidente sincérité par un homme qui a été
mêlé de près à d'importants événements et qui les a jugés avec
impartialité. Bien qu'officier de l'armée de Gondé et plus tard servi-
teur dévoué de la Restauration, M. de Puymaigre n'était rien moins
qu'un fanatique; ce n'était môme pas un homme de caractère. A
l'armée de Gondé, il fut un brave soldat, mais, comme presque tous
ses compagnons, il donnait au plaisir et au jeu le temps qui n'était
pas pris par la guerre. Nous le voyons échanger des serments
d'amour éternel avec une jeune noble polonaise, puis l'oublier pour
l'as de pique; plus tard, à Paris, en cinq mois il ruine sa santé dans
le désordre, et dépense au jeu jusqu'aux diamants laissés par sa
mère. On pardonnerait encore tous ces désordres en songeant que
c'étaient là les mœurs ordinaires de la haute société du xviii^ s.; ce
qui est plus grave, c'est que ce légitimiste entre dans l'administra-
tion impériale au lendemain de l'assassinat du duc d'Enghien; ce
qui est plus grave, c'est que ce légitimiste, qui passe son temps à
déblatérer contre le régime impérial , dénonce un pauvre diable de
marchand de vins qui tenait des propos malséants sur l'empereur;
il pousse M. de Vaublanc, le préfet, à faire un rapport à Fouché, et
le jacobin dénoncé est jeté en prison et menacé de déportation. Il ne
se donne pas d'ailleurs pour plus courageux ni plus généreux qu'il
n'est; il dit sans vergogne : « Malo quietmn servilium quam peri-
culosam libertatem, » et raconte comment, lors du choléra de 1832,
il planla là sa terre et ses paysans pour s'en aller chercher refuge en
-126 BULLETIN HISTORIQDE.
Italie. Tous ces aveux dépouillés d'artifice nous permettent d'accorder
pleine confiance à M. de Puymaigre quand il se dépeint comme le
plus intègre et le plus équitable des fonctionnaires et quand il juge
ses contemporains. Ses récits sur Tarmée de Gondé ajoutent plus
d'un trait curieux et pittoresque à ce que nous savons sur la vie et
les sentiments des émigrés. Le récit de son séjour à Hambourg pen-
dant les derniers temps de la domination française est plus impor-
tant encore, et ceux qui voudront juger Davout devront tenir compte
des souvenirs de M. de Puymaigre ; enfin il devra être consulté sur
les hommes de la Restauration qu'il a tous connus et dont il parle
sine ira et studio; il a tant vu de choses et d'hommes qu'il n'est
prompt ni à l'enthousiasme ni à l'indignation, ni à l'étonnement. 11
est indulgent et perspicace.
Antiquité. — La bibliothèque des Écoles de Rome et d'Athènes
vient de s'enrichir d'une série d'ouvrages importants sur l'antiquité
romaine ; ce sont les thèses de M. Bloch sur les Origines du Sénat
romain et sur les Adlecti in ordines functorum magisiratuum, celle
de M. Lafaïe sur le Culte des divinités d'Alexandrie hors de
VÉgypte, celles de M. de la Blancuère sur Terracine et sur le Roi
Jtiba, celles de M. G. Jullian sur les Transformations politiques de
r Italie sous les empereurs romains et sur les Protectores et domestici
Augustorum. Ges thèses seront toutes l'objet de comptes-rendus
spéciaux dans la Bévue. Elles rendent un excellent témoignage de
l'activité de l'École de Rome. Les thèses de ML Bloch et Juliian en
particulier s'attaquent à des questions très délicates de l'histoire des
institutions romaines, et elles laissent une trace durable.
Je ne citerai que pour mémoire les livres de M. de la Chauvelays
sur VArt militaire chez les Romains (Pion, Nourrit). Gomme il le
dit lui-même, il n'a pas écrit un livre d'histoire en érudit, mais un
livre de lactique pour faire suite aux ouvrages de Folard et de Gui-
schardt sur la matière.
M. DE Presse NSÉ vient de donner une septième édition très rema-
niée de sa Vie de Jésus (Fischbacber). On y trouve une intéressante
introduction sur les plus récents travaux dont la vie du Christ ait
été l'objet. Le livre lui-même, où la prédication religieuse lient natu-
rellement une large place, est une étude consciencieuse, faite à un
point de vue supranaturaliste assez large, des problèmes divers que
soulève la biographie de Jésus. Les historiens seront en désaccord
avec M. de Pressensé sur plus d'une question de critique. Ils n'ad-
mettront pas que « l'hypothèse des visions pour expliquer l'appari-
tion du Ghrist se heurte contre les données les plus élémentaires de
la psychologie » et qu'une même hallucination ne puisse se répéter
FRANCE. -127
chez plusieurs personnes. N'avons-nous pas vu, en ^<S72, des habi-
tants de Strasbourg, de Barr et de plusieurs villages alsaciens en
proie à des hallucinations qui leur faisaient voir des soldats français
sur les toits des maisons et dans les champs? Ils admettront au
contraire comme très vraisemblable qu'un chrétien pieux ait écrit
l'Évangile de Jean, sans croire pour cela commettre un acte coupable;
ne voyons-nous pas Salvien écrire une Épitre de Timothée et expli-
quer ce titre en disant qu'il a voulu mettre les vérités religieuses
sous le patronage d'un nom vénéré, tandis qu'en la publiant sous
son nom, il aurait agi contrairement à la modestie chrétienne? Enfin
ils penseront que le désaccord entre les généalogies du Christ
(désaccord que M. de Pressensé n'explique pas), les contradictions
entre les récits des évangiles sur les derniers temps de la vie de Jésus,
le caractère profondément différent des synoptiques et du A^ évangile
ruinent la certitude historique des traditions du Nouveau Testament,
et ils n'admettront pas qu'on cherche à les concilier et à les faire
accepter pour certains par des arguments qu'on n'oserait pas pro-
duire s'il s'agissait d'événements de l'histoire profane. Nous ne
sommes pas de ceux qui rejettent le surnaturel au nom de la raison
et de la philosophie, la vie et le monde sont trop mystérieux pour
qu'on puisse taxer d'absurde aucune des explications qu'on en
donne; mais il n'est pas possible de concilier le surnaturel et la
critique historique; celle-ci s'arrête où le surnaturel commence, car
tous ses raisonnements reposent sur la conviction de l'immuahilité
des lois naturelles, et même, dans une certaine mesure, sur le déter-
minisme.
Moyen âge et temps modernes. — L'abbé Ulysse Chevalier vient
d'achever la première partie de son Répertoire des sciences historiques
du tnoyenâge (Société bibliographique), celle qu'il intitule Bio-biblio-
graphie, et qui contient tous les noms de personnages connus du moyen
âge avec l'indication des ouvrages où il est fait mention d'eux. Fruit
d'un travail vraiment colossal, cet ouvrage, qui doit encore contenir
deux parties (faits et localités, œuvres httéraires) , n'est pas d'un
usage très commode, mais il est néanmoins très utile et il serait injuste
de chicaner pour quelques erreurs ou omissions le savant qui, au
prix d'un dur labeur, facilite la tâche de tous ses confrères en érudi-
tion et leur épargne un temps précieux.
L'ouvrage de M. Samuel Berger sur la Bible française au moyen
âge n'est pas précisément de notre domaine. Il mérite cependant une
mention par le rôle que tiennent les livres sacrés dans l'histoire des
idées, de la httérature et des mœurs. Le livre de M. Berger est un
travail de recherches minutieuses et de critique excellente, exposé
/|28 BULLETIN HISTORIQUE.
avec beaucoup de méthode et de clarté. Par Fétude d'un nombre con-
sidérable de manuscrits, il est arrivé à ce résultat très intéressant
que toutes les traductions françaises de la Bible, jusques à celle de
Lefèvre d'É tapies inclusivement, ont pour modèle commun la Bible
traduite sous saint Louis à l'Université de Paris sur le texte latin.
Cette Bible, reproduite en grande partie dans la Bible historiale de
Guyart Desmoulins, mérite la vogue dont elle jouit par ses grandes
qualités littéraires. M. Berger a laissé de côté les Bibles rimées qui
forment l'objet d'un Mémoire à part de M. Bonnard.
Nous avons déjà eu occasion de parler avec estime des travaux du
D'' Gustave Le Bon. Il n'est malheureusement pas écrivain, mais il
apporte à Fétude de vastes et difficiles problèmes historiques une
application et une variété de connaissances qui rendent la lecture de
ses livres toujours profitable. Le grand ouvrage qu'il vient de publier
sur la Civilisation des Arabes (Didot) est le fruit non seulement de
vastes lectures, mais aussi de voyages en Espagne et en Orient, d'oii
il a rapporté les éléments d'une illustration originale et intéres-
sante qui est un des principaux attraits du livre. Quant au plai-
doyer chaleureux et convaincu en faveur de la civilisation musul-
mane qui remplit ce beau volume, nous ne saurions y souscrire sans
de nombreuses restrictions. Les Arabes n'ont joué qu'un rùle relati-
vement restreint dans ce que l'on appelle la civilisation arabe. C'est
là un point que M. Renan a bien mis en lumière. Ce sont les Persans
d'un coté, les Berbères de l'autre qui, après la conquête arabe, ont
été au sein de lïslamisme l'élément artistique, scientifique et litté-
raire. Je doute aussi beaucoup que M. Le Bon arrive à persuader
à beaucoup d'occidentaux que la polygamie est une institution excel-
lente que nous devrions nous empresser d'introduire dans nos codes,
que les harems sont les asiles de la moralité et d'une vie de famille
exemplaire, et qu'enfin les femmes musulmanes sont plus heureuses
et plus cultivées que les parisiennes.
M. F. KuH-\ vient de donner le second volume de son. Luther (San-
doz et Thuillier) qui s'étend du séjour à la Wartbourg à la Diète
d'Augsbourg. Comme l'indique l'auteur, il écrit non une histoire de
la Réforme, mais une biographie, un portrait de Luther. Que le por-
trait soit un peu flatté, que les faiblesses, les calculs, les alliances
compromettantes de Luther soient atténués, cela ne surprendra per-
sonne ; cependant on ne peut pas dire (]ue M. Kuhn ait un parti pris
d'apologie. Il a cherché à nous montrer un Luther vrai et vivant et
il a réussi à écrire un livre attachant et d'un accent origia l sur un
sujet sur lequel il est difficile aujourd'hui de dire des choses nouvelles.
Nos lecteurs connaissent déjà la plus grande partie du travail que
M. Hanotaux publie sous le titre d'Origines de l'Institution des
FRANCE. 129
intendants des provinces (Champion), mais ils seront heureux de
retrouver ces intéressantes études réunies en volume, complétées et
suivies de nombreuses pièces justiflcatives. M. Hanotaux a fait net-
tement ressortir le caractère de ces commissaires extraordinaires qui
de Henri II à Louis XIII furent chargés de missions spéciales et tem-
poraires dans les provinces pour y réparer les maux de la guerre ou
de la mauvaise administration et faire respecter les volontés royales,
dont le nombre alla toujours en augmentant, et qui finirent par deve-
nir si nombreux sous Richelieu que les historiens ont fait honneur
à celui-ci de la soi-disant création des intendants. M. Hanotaux
prouve surabondamment que Richelieu n'a nullement créé de -1633 à
4637 un rouage nouveau de gouvernement. Nous croyons même qu'il
établit entre les premiers commissaires départis et les intendants du
règne de Louis XIV et de ses successeurs une distmction plus mar-
quée que celle qui exista en réalité. Les intendants furent toujours
les commissaires départis, pris en général parmi les maîtres des
requêtes et qui revenaient ensuite au Conseil pour prendre part au
gouvernement central de l'État. Une institution qui, de sa nature,
avait un caractère provisoire, et qui jusqu'en 1601 est signalée comme
telle, s'éternisa, parce qu'elle était commode pour le despotisme royal.
C'est là du reste le caractère commun d'une foule d'institutions de
l'ancien régime. Elles sont à Forigine des mesures accidentelles, occa-
sionnelles, transitoires, et elles se perpétuent après que les motifs
qui les ont fait naître ont cessé d'exister. La France jusqu'en -1789
n'a pas eu d'institutions politiques et administratives proprement
dites, en dehors de la royauté. Elle a été gouvernée d'une manière
provisoire par une royauté absolue et sans contrôle ; aussi cette admi-
nistration provisoire, incohérente et arbitraire, s'est-elle effondrée en
peu de temps sans laisser autre chose que des ruines et aussi, il
faut le dire, de détestables habitudes d'esprit et des mœurs adminis-
tratives dont nous souffrons encore aujourd'hui.
M. FoRNËRON nous raconte les malheurs d'une partie de ceux qui
furent les victimes de l'eftondrement du régime dont ils avaient été
les privilégiés. Il a écrit une Histoire générale des émigrés pendant
la Révolution française (Pion, Nourrit). M. Forneron est un homme
de talent et un historien de grand mérite. Son Histoire de Philippe H
le prouve et son nouvel ouvrage ne le dément pas. Toutefois on ne
pourra s'empêcher de trouver qu'il a passé bien rapidement du xvi'^
au xviii" s. et surtout qu'il s'est trop hâté de donner une Histoire
générale de l'émigration, alors que tant de documents d'archives
restent inexplorés. C'est en réalité « Histoire anecdotique de l'émi-
gration » qui serait le vrai titre de l'ouvrage. On trouvera aussi qu'il
était peu utile de refaire après M. Taine et dans la manière de M. Taine
ReV. HiSTOR. XXV. l»-''' FASG. 9
J30 BULLETIN HISTORIQUE.
un tableau de la société de l'ancien régime et des premiers excès de
la Révolution. C'était affronter inutilement une comparaison redou-
table. On reprochera enfin à M. Forneron d'avoir dans tout son ouvrage
trop imité la manière de M. Taine. L'imitation d'écrivains d'une ori-
ginalité aussi puissante est toujours dangereuse. Si M. Forneron avait
suivi l'exemple de M, A. Lebon et traité un point du vaste sujet qu'il
a parcouru un peu superficiellement, il aurait peut-être fait un livre
moins amusant, il aurait fait un livre plus utile.
Parmi les familles aristocratiques qui furent victimes de la Révo-
lution, une des plus frappées fut celle de M. de Montmorin, un des
ministres libéraux de Louis XVI dont la fatalité des circonstances fit
un des complices des négociations de Marie- Antoinette avec l'Autriche^ .
La fille de Montmorin, Pauline, comtesse de Beaumont, survécut à
la tourmente, mais brisée de corps et d'âme. Cette femme d'un esprit
. délicat et enthousiaste à la fois, d'un cœur tendre, pur et passionné,
restée presque seule et ruinée après la mort des siens et sa sépara-
lion d'un mari indigne, semblait ne plus vivre que pour l'amitié, pour
les joies apaisantes et fortifiantes que pouvait lui donner la société
d'hommes comme Joubert ou Fontanes, quand elle connut Chateau-
briand. Du jour où elle le vit, elle ne s'appartint plus. La gloire, l'œuvre,
lebonheur de Chateaubriand furent sa seule pensée. Le Génie du chris-
tianisme, René, Atala, qu'il écrivait alors, doivent peut-être à cette
tendresse féminine les accents qui nous touchent le plus aujourd'hui.
L'âme la plus hautaine et la plus personnelle qui fut jamais trouvait
en Pauline de Beaumont l'incarnation du dévouement et de l'oubli de
soi-même, et cette image si pure protège encore sa mémoire contre le
jugementde la postérité. Elle lui fait involontairement un mérite d'avoir
été aimé par un si noble cœur. Ce moment d'enthousiasme et de
bonheur fut court. Pauline avait toujours été délicate; au moment où
Chateaubriand partit pour Rome, elle ne put le suivre et ne le rejoi-
gnit un peu plus tard que pour mourir. Ces derniers jours, immor-
talisés par les Mémoires d'oulre-lombe, furent d'une incomparable
poésie et on ferme le livre que M. Bardoux vient de consacrer à Paw-
line, comtesse de Beaumont (Lévy), avec une émotion presque reli-
gieuse. Dans le Comte de Montlosier, M. Bardoux nous avait déjà
donné un chapitre de l'histoire intellectuelle et morale de la France
pendant la Révolution et l'Empire. Le nouveau chapitre qu'il nous
offre aujourd'hui est d'un intérêt plus profond et plus poignant.
Le volume de Souvenirs de jeunesse de Michelet que vient de publier
sa veuve nous transporte à peu près à la même époque. Ce volume
1. M. Bardoux veut en vain laver Montmorin du reproche d'avoir été membre
actif du comité autricliien. M. Fiaramermont a retrouvé aux Arcliives de Vienne
des lettres du ministre français.
FRANCE. ^3-1
a été une surprise pour le public; Michelet a tant mis de son âme
dans ses livres, il s'est tenu si résolument éloigné de la vie publique
qu'on ne pensait pas qu'il eût à écrire des mémoires; si l'on avait
songé à des mémoires de lui, on eût imaginé une œuvre colorée,
débordante d'une sensibilité exaltée. Ce qui frappe et charme tout
d'abord dans Ma jeunesse (Lévy), c'est la simplicité du récit. Michelet
est venu au monde à un moment tragique, tragique pour la France
et tragique pour sa famille, il a eu l'enfance la plus sévère, la plus
pénible ; il s'est formé seul, par un labeur héroïque ; il n'a rien dû
qu'à lui-même et à son génie. Nulle part dans son livre on ne trouve
une sensibilité qui s'exalte et se complaît dans le récit de malheurs
personnels ; nulle part l'orgueil ne met de note discordante dans ces
confidences charmantes où l'amour est si juvénilement pur et timide
et où l'amitié est plus passionnée que l'amour. Il n'y a pas à analyser
ni à juger ces souvenirs que Michelet avait notés sur des feuillets
détachés sans souci de l'ordre chronologique ou de la composition
littéraire, et dont une main pieuse et habile a fait un livre. Il faut le
hre et s'en laisser pénétrer. J'en connais peu d'aussi bienfaisants.
M. Ch. DE Mazade a consacré à Monsieur Thiers (Pion, Nourrit) un
volume où l'on retrouve les qualités ordinaires de l'honorable acadé-
micien. On aurait souhaité peut-être plus de vivacité dans la biogra-
phie de ce petit grand homme, toujours pétillant d'esprit et d'activité,
plus de liberté aussi dans la critique, plus de sévérité à signaler ce
qui a manqué à M. Thiers pour être un vraiment grand homme d'État
et un vraiment grand historien. Malgré ces réserves, on hra avec
intérêt et agrément cette biographie consciencieuse, écrite dans un
esprit sagement libéral et prudemment conservateur.
Signalons en finissant le livre du P. Didox sur les Allemands (Lévy).
Cette peinture vive, éloquente de la vie scientifique des universités
allemandes, par un homme qui avait vécujusque-là dans des miheux
tout différents, qui ne connaissait rien de l'iVllemagne et qui a été
sévèrement, naïvement frappé de la puissance de l'organisation et de
la vie universitaires, choquera en France plus d'un préjugé, mais fera
réfléchir les esprits sérieux. L'œuvre du P. Didon est une œuvre de
bonne foi, sérieuse, courageuse, patriotique. On y trouvera quelques
exagérations, quelques illusions, des appréciations erronées sur des
points particuliers, sur le rôle de la théologie par exemple ; mais dans
son ensemble le livre est vrai. On voudrait le faire lire aux insensés
qui veulent en ce moment tuer le génie de la France sous un régime
militaire écrasant et inique -, mais cette lecture porterait-elle aucun
fruit sur des hommes assoifés de popularité ou sur des esprits sans
culture scientifique et incapables même de comprendre ce qu'est la
science ? G. Monod.
I
^32 BULLETIN HISTORIQUE.
ANGLETERRE.
Depuis le dernier bulletin relatif aux travaux publiés dans notre
pays sur l'époque ancienne et sur celle du moyen âge, il est paru
beaucoup de livres importants, et une masse considérable de docu-
ments, matériaux dont les historiens futurs pourront faire leur profit.
Une simple liste des ouvrages notables publiés pendant ces deux
dernières années demanderait plusieurs pages d'impression ; nous
n'en pouvons indiquer ici qu'un petit nombre. Le regretté M. Richard
Green avait entrepris la tâche de récrire en grand détail son Histoire
du peuple anglais, qui a obtenu une si extraordinaire popularité. La
première partie : « Gomment s'est faite l'Angleterre \ » fut écrite
avec tout le feu et l'éloquence qui caractérisent les autres ouvrages
de M. Green, et fut heureusement achevée. Quant à la seconde -.
« La conquête de l'Angleterre -, » l'auteur n'a pas assez vécu pour
la revoir; c'est sa veuve qui eut le devoir de la publier. Ce dernier
livre n'a peut-être pas été écrit d'une façon qui eût satisfait l'auteur;
c'était, en effet, un écrivain plus exigeant pour lui-même qu'on ne
l'est d'ordinaire. Il n'est guère de chapitre qui n'ait été récrit jus-
qu'à cinq fois : de nouveaux faits, de nouvelles découvertes, un
jugement différent sur les événements ou sur les hommes décidèrent
M. Green à refondre chaque fois des parties entières de son livre. Il
était touchant d'apprendre comment M. Green, bien qu'étendu sur
son lit depuis plusieurs années, et consumé par la maladie, garda
jusqu'à la fin son enthousiasme, et se cramponna pour ainsi dire à
la vie par un violent désir de terminer, de main d'ouvrier, l'entre-
prise qu'il regardait presque comme imposée par Dieu. On se sent
pénétré d'une sympathie secrète en lisant dans son Uvre le récit de
la mort de Bède : plus le docte vieillard sentait la mort approcher
rapidement, plus il travaillait avec ardeur. « Je ne veux pas que
mes enfants lisent un mensonge, « disait-il ; « je ne veux pas avoir
travaillé pour rien quand je serai parti; « et il ne cessa d'enseigner
pendant tout le jour, disant seulement d'un air joyeux à ses dis-
ciples : « Apprenez le plus vite possible ; je ne sais combien de temps
je durerai encore. » L'aurore se leva après une nouvelle nuit sans
sommeil, et le vieillard appela de nouveau ses disciples autour de
lui et leur dit d'écrire. « Il manque encore un chapitre, dit le scribe,
1. The 31(1 In» g of Encjland. Londres, Macraillan, 1881.
2. The Conquest of Eacjlaad. Ibid., 1883.
ANGLETERRE. 133
lorsque le matin fut avancé, et il est pénible pour toi de le questionner
toi-même plus longtemps. » — « 11 faut que cela se passe, » dit
Bède; « prends ta plume et écris vite. » Ce récit des derniers jours
de Bède est sans contredit vrai historiquement ; mais c'est davan-
tage encore : l'auteur y a fait entrer quelque chose de ses impres-
sions personnelles, et c'est ce qui le rend doublement touchant. Au
moment même où M. Green décrivait cette scène, il était lui-même
dans la situation de Bède, souhaitant ardemment de terminer son
livre avant que la mort vint l'enlever à son lit de souffrance.
A notre époque d'attentive recherche et de spéculation philoso-
phique, M. Green était presque seul un historien de sentiment. Les
sentiments ordinaires du patriotisme qui existent dans tous les cœurs
étaient extrêmes chez lui; c'était de la passion. A ses yeux, la plus
grande grâce qu'un homme pût recevoir de Dieu sur terre, c'était
d^être né Anglais, et il éprouvait un plaisir, une tendresse singulière
à raconter l'histoire des x\nglais depuis leurs plus anciennes ori-
gines. Aussi longtemps que ses forces le lui permirent, il parcourait
l'Angleterre en tous sens, longeant les rivières, traversant les mon-
tagnes, visitant les endroits sanctifiés par des traditions de la valeur
et de la piété anglaises. Il ne décrit aucun lieu qu'il n'ait visité lui-
même. Qu'il parle de Lindisfarne, de Wear et de Jarrow, les ber-
ceaux de la science anglaise, de Winchester, d'York et de Londres,
les plus anciennes parmi les principales villes de l'Angleterre, du
Weald de Kent, de la forêt de Sherwood ou de l'Offa's Dyke, il décrit
des scènes qui toutes lui sont familières. Personne, depuis M. Guest,
n'a autant voyagé que M. Green. Aidé de sa femme, il fit de ses voyages
un compte-rendu spécial, et écrivit la meilleure géographie abrégée
des Iles-Britanniques que nous possédions^ ; si bref qu'il soit, ce
livre ne s'adresse pas seulement aux écoliers ; toute personne qui
voudra étudier M. Green devra le connaître. Les événements de l'his-
toire qu'il raconte dans les deux volumes signalés plus haut, et la
rareté des documents le forcèrent à demander beaucoup à l'archéo-
logie et à la géographie. Il dit dans sa préface : « Des recherches
archéologiques sur les emplacements des villas et des villes, ou le
long des routes et des fossés, nous fournissent souvent des témoi--
gnages plus sûrs que celui des chroniques écrites-, le sol lui-même,
où nous pourrons lire les renseignements qu'il nous présente, soit
par l'histoire de la conquête, soit par celle de l'établissement des
envahisseurs en Bretagne, offre les documents les plus complets et
les plus certains. La géographie physique a encore un rôle à jouer
1. Geography of the British isles. Macmillan, 1880.
^31 BULLETIN HISTORIQUE.
dans la résurrection écrite de l'histoire humaine, à laquelle elle
donne tant de son relief et de sa forme. Dans le présent ouvrage, si
imparfait qu'il soit, j'ai essayé de mettre à profit ses renseignements.
Bède lui-même m'a fourni de nouveaux matériaux. Si on l'a mis lar-
gement à contribution pour Thistoire ecclésiastique et politique de
son temps, on n'a pour ainsi dire pas tiré parti des détails dissémi-
nés çà et là sur la société de l'époque. »
En toutes ces matières, M. Green était un ardent disciple de feu
le Dr. Guest ; il en avait l'enthousiasme, et aussi la puissance de
travail. Il s'indigne que « cette période de notre histoire demeure
relativement inconnue, et que ses luttes, douloureux enfantement de
notre vie nationale, fussent encore, ce qu'elles étaient pour Milton, de
simples combats de corneilles et de milans! « A ses yeux, cette
période a quelque chose de sacré. Plus il s'enfonce dans l'histoire du
peuple, plus il se le représente sans alliage, plus il le voit doué de
qualités réellement anglaises, et par conséquent plus son enthou-
siasme grandit. Peut-être son enthousiasme pour la race anglaise
l'a-t-il conduit à déprécier l'influence exercée par les Celtes, posses-
seurs du sol, sur les envahisseurs (il est encore des gens qui
refusent d'appeler les Angles et les Saxons par le titre générique de
peuple anglais), et il a certainement écrit avec des idées préconçues,
méthode toute contraire à la circonspection qu'on a tant louée dans
Hallam, cl qui explique peut-être l'idée très fortement conçue, mais
assez étroite, qu'il s'est faite de cette période. Certes, personne ne
dira d'aucun des ouvrages de M. Green ce que Carlyle disait de ceux
de Hallam : « Eh ! le pauvre squelette décharné de livre ! » M. Green
expédie les préliminaires en un court chapitre, puis il s'élance dans
son sujet. Il s'écrie avec une joie d'enfant : « Avec le débarquement
de Hcngist et de sa bande guerrière, commence l'histoire d'Angie-
lerre. Nous n'avons plus à suivre des yeux le développement de la
vie romaine sur un sol d'où la vie romaine a été balayée, ni à inter-
roger l'obscure mémoire d'un passé évanoui, dans le vain espoir de
ressusciter la vie qu'ont vécue nos pères dans leur pays originaire,
le long de la Baltique. Du moment où ils mettent le pied sur la grève
de Thanet, nous suivons Thistoire des Anglais dans le pays dont ils
ont fait leur patrie. » Voilà du sentiment, de Tenthousiasme, de la
poésie! Mais, après toul, nous ne sommes pas convaincus qu'on nous
donne là le véritable caractère de la « Conquête anglaise; « nous
nous faisons difficilement une idée de ce qu'ont été les rapports
entre les peuples envahisseurs et les peuples qui se retirèrent devant
eux, au moins pour les premières générations. Nous ne pouvons
nous empêcher de croire qu'il s'est opéré une certaine fusion entre
ANGLETERRE. iSo
les deux races; ainsi, dans le cas des Hvviccas, M, Green ne sait
guère lui-même à laquelle il doit les attribuer. Nous ne pouvons
nous empêcher de croire que des institutions celtiques et romaines
ont survécu, spécialement dans les villes et dans les modes
de culture. En lisant le livre de M. Green , on éprouve une
vive jouissance; mais les doutes assaillent notre esprit quand
ensuite nous prenons l'ouvrage de M. Seebohm sur la communauté
primitive de village en Angleterre, et le soupçon nous apprend que
cette brillante peinture est l'œuvre imaginée par un poète, plutôt
que le résultat d'une recherche approfondie et de patientes compa-
raisons. Non, bien que l'Angleterre, à cause de sa position insulaire,
ait une histoire plus complète et plus renfermée en elle-même qu'au-
cun autre pays, nous ne pouvons négliger les antécédents du pays
conquis par les races teutoniques, ni la comparaison des envahis-
seurs avec les peuples frères qu'ils ont laissés derrière eux sur le
continent, et nous ne pouvons perdre de vue ces deux facteurs en
étudiant les forces en action dans une période quelconque de notre
histoire. C'est ainsi que récemment, dans ses Romans in Britain,
M. Coote a donné tant de preuves de la persistance de l'influence
romaine dans les institutions anglaises. iM. Green suit avec un vif
intérêt la conquête du pays pouce à pouce ; il accompagne pas à pas
ses Angles et ses Saxons bien -aimés le long des fleuves, à travers
les bois, les collines et les plateaux ; tous les lecteurs n'entreront
pas dans ce sujet avec le même enthousiasme. La quantité de détails
qui ne leur sauraient être familiers est extrême, malgré le secours
des cartes insérées dans le volume et plusieurs fois répétées ; aussi
plus d'un retournera-t-il à l'opinion de Milton, que ces luttes anti-
ques sont comme « les combats des milans et des corneilles, » tant
sont obscurs le caractère, le lieu et la date des engagements qu'enre-
gistrent les chroniques de ces âges reculés. Le style de M. Green est
rapide et nerveux, non sans une 'certaine affectation de « vieux
anglais, » qui plait tant aussi, on le sait, à son ami M. Freeman.
Terminons par une dernière observation : les cartes, soit du Making
of England, soit de la Short Geography, sont très insuffisantes ;
celles des Origines celficae de M. Guest sont bien supérieures.
Parallèlement au livre de M. Green, on peut lire celui de M. Fréd.
Seebohm sur la communauté de village en Angleterre ^ ; mais on y
trouvera des principes tout différents. Avec une modestie qui sonne
1. The english village community examined in ifs relations to the manorial
and tribal Systems and to the common or open field System of husbandry.
Londres, Longmans, 1883.
J36 BULLETIN HISTORIQUE.
comme un reproche aux oreilles du lecteur, M. Seebohm s'excuse de
lui présenter « cet imparfait essai, » auquel il a « consacré plusieurs
années de loisirs. » Son essai est « une tentative pour mettre l'his-
toire économique de l'Angleterre dans la vraie direction dès ses débuts
historiques, en étudiant la question toujours ouverte de savoir si
elle a commencé par la liberté ou par le servage de la masse du
peuple, si les communautés de village, vivant dans les « hams » et
les « tons » de l'Angleterre, étaient à l'origine de l'histoire anglaise
des communautés Ubres, ou des serfs associés sous un propriétaire
de manoir ; enfin , quels étaient leurs rapports avec les commu-
nautés de tribu, avec les parties occidentales et moins facilement
conquises de File. De la réponse à cette question dépend essentiel-
lement l'idée que doivent se faire les historiens (disons aussi les
hommes politiques) sur la nature de l'évolution économique qui
s'est accomplie en Angleterre depuis la conquête anglaise. D'après
un système, l'histoire économique de l'Angleterre commence par
de libres communautés de village qui ont peu à peu dégénéré pour
tomber dans le servage du moyen âge. D'après l'autre, elle com-
mence par le servage des masses de la population rurale sous le
gouvernement saxon, servage dont il a fallu mille années à l'évolu-
tion économique pour s'afTranchir. » L'âme de M. Green eût été
tourmentée à la pensée que de pareilles questions pussent être
posées. Que devient sa noble théorie d'une communauté primitive
d'Angles ou de Saxons libres « où tous étaient égaux, ou le oui et le
non d'un homme dans l'assemblée étaient aussi bons que ceux d'un
autre, et où sa forte main droite pouvait aussi bien manier l'épieu
et le « seax » et assurer le respect de sa personne ou de sa terre,
que celle d'un autre? » Cette agréable théorie démocratique a beau-
coup contribué à l'extrême popularité de son histoire, de cette his-
toire que, conformément à sa théorie, il intitula Histoire du Peuple
anglais. Mais, comme le dit M. Seebohm, la question est une ques-
tion ouverte. Un des disciples les plus profonds et les plus sérieux
de cette école, dont MM. Green et Freeman sont cités d'ordinaire
comme les principaux représentants, M. Stubbs s'exprime lui-même
avec précaution sur le sujet; le problème est discuté en même temps
en France, en Allemagne et en Amérique. M. Seebohm sent très bien
l'opposition fondamentale de ses vues avec celles de M. Green. Il
dit : « Le résultat d'une enquête strictement économique pourrait
bien prouver qu'à la formation de l'Angleterre contribuèrent plus
d'éléments que les envahisseurs anglais de la Bretagne n'en appor-
tèrent dans leurs barques. » Malgré l'absence de témoignages irré-
cusables que regrettait si fort M. Green, on peut admettre comme
ANGLETERRE. ^37
possible « que l'histoire économique trouve parfois de solides points
d'appui qui permettent d'établir des liens qui manquent dans
l'histoire constitutionnelle; et il ne s'ensuit pas que la continuité
perdue pour l'une ne puisse pas avoir été conservée pour l'autre, »
Nous ne pouvons mieux exposer la théorie et la méthode de
M. Seebohm qu'en reproduisant ses propres paroles :
« La communauté de village anglaise, comme celle du continent,
habitait un territoire sans clôtures, mais nettement limité : c'est Vopen
field System; elle y était curieusement attachée et adoptée et en était en
apparence inséparable, comme le mollusque de sa coquille. Les débris
de cette coquille, après qu'elle eut été brisée, survivent encore dans les
paroisses où aucune loi autorisant les clôtures (Enclosure Act) ne les a
encore fait disparaitre. Le système du territoire commun ou sans clô-
tures peut être aujourd'hui encore étudié sur le terrain même dans le
village (township) où j'écris (celui de Hitchin), aussi bien que dans
beaucoup d'autres. Il y a encore aujourd'hui des gens qui ont occupé
et exploité des fermes sous ces règles incommodes, qui en comprennent
les termes et les singuliers détails. Profitant de cette circonstance, la
méthode employée dans cet essai consistera d'abord à nous familiariser
avec les noms, caractères distinctifs du système anglais de l'open-field,
de façon qu'on les reconnaisse facilement dès qu'ils se présenteront, puis,
en procédant du connu à l'inconnu, à rechercher ces traits distinctifs
dans le passé aussi loin que les documents nous le permettront. Con-
naissant ainsi l'exploitation du sol, nous étudierons ses habitants ; nous
examinerons comment la communauté de village anglais, réduite au
moyen âge au servage, s'adaptait à la condition de la terre ; puis, allant
de nouveau du connu à l'inconnu, il sera peut-être possible de distin-
guer si, aux temps historiques, elle avait été jamais libre, ou si le ser-
vage y était aussi ancien que l'exploitation même du sol. »
Il va sans dire que, d'après M. Seebohm, le servage était aussi
ancien que ce système même d'exploitation. Il lui importait assez
peu de savoir quels maîtres le pays avait trouvés; le système agraire
était le même il y a deux mille ans ; il s'est usé peu à peu lui-même
depuis un millier d'années; que la race conquérante et dominante fi\t
celle des Celtes, des Angles, des Saxons, des Danois ou des Nor-
mands, la communauté ne cessa de pratiquer le même mode de cul-
ture, de tenure et d'habitation, et retomba toujours dans le système
de la génération précédente. C'est encore à M. Seebohm que nous
demanderons de nous exposer les résultats de ses recherches.
« Pendant toute la période qui s'étend de l'époque pré-romaine à
notre temps, nous avons trouvé en Bretagne deux systèmes parallèles
d'économie rurale côte à côte, mais séparés et agissant sur des voies
tout à fait différentes, en dépit des invasions romaines, anglaises et
138 BULLETIN HISTORIQUE.
normandes : celui de !a communauté de village dans les districts orien-
taux de l'île, celui de la communauté de tribu dans les districts occiden-
taux. Aussi loin que l'on puisse remonter à l'aide des documents, ces
systèmes présentent deux caractères communs : la communauté et
l'égalité, et chacun était associé à un régime particulier d'exploitation
du sol en commun et sans clôtures (the open or common field system
of husbandry). Ces deux formes différentes du régime d'exploitation
commune se maintinrent tout le temps distinctes et le sont encore dans
ce qui reste d'elles ou qui leur survit.
« Aucun de ces deux systèmes ne paraît avoir été introduit en Bre-
tagne pendant une période historique remontant au moins à deux
mille ans.
« D'une part, la communauté de village des districts orientaux était
liée à un système déterminé de culture qui, antérieur à l'invasion
romaine et amélioré pendant l'occupation romaine, fut continué jus-
qu'à la fin sous cette forme d'exploitation triple et commune (that three-
field form of the open-field system) qui est devenue le champ d'action
de la communauté anglaise de village. L'égalité des parcelles de ter-
rain et la succession indivise qui préservait cette égalité sont des marques
évidentes, non d'une liberté originaire, non d'une répartition allodiale
du sol d'après le système de la « mark » germanique, mais d'un ser-
vage fixe sous l'autorité d'un maître, un mode de tenure à demi servile,
qui impliquait un simple usufruit, concédé seulement à vie ou à la
volonté du seigneur, et qui n'entraînait avec lui aucun droit d'héritage.
Cependant ce servage n'était pas pour la masse du peuple un état de
dégradation ; c'était au contraire un pas en avant hors de l'esclavage
primitif. Pendant les douze cents ans où s'étendent les preuves directes
tirées des documents anglais, la tendance est manifeste vers une liberté
de plus en plus grande. En autres termes, à mesure que le temps a
marché pendant ces douze cents années, le servage de l'ancien ordre de
choses s'est peu à peu brisé sous l'influence de causes quelles qu'elles
soient, qui ont produit l'ordre de choses nouveau. »
Pour appuyer sa théorie, qui ne parait pas d'ailleurs à l'abri de la
critique, M. Seebohm a utilisé un grand nombre de documents; il a
tiré des trésors d'informations des rôles des centaines, des comptes
des baillis et autres comptes de manoirs, dont on n'a que récemment
reconnu l'inépuisable richesse. Mais il semble avoir entièrement
négligé un champ d'observations : plus que les arguments fournis
par le système irlandais et gallois, le système Scandinave aurait fourni
matière à d'instructifs rapprochements. Nous comptons que M. See-
bohm ou quelque autre érudil en fera profiler le monde savant.
En dehors des résultats spéciaux auxquels il est arrivé, M. Seebohm
montre combien peu la conquête successive et les révolutions poli-
tiques ont altéré le caractère national. La destruction de l'heptarchie,
la conquête normande, la rupture avec Rome, la destruction de la
ANGLETERRE. ^ 30
monarchie, l'usurpation de Gromwell, la révolution aristocratique de
-1688 n'ont, après tout, agi qu'à la surface, et ont eu beaucoup moins
d'influence sur les choses que le changement du travail hebdomadaire
dû par le tenancier à son seigneur, en une redevance en argent. Dans
le passage cité plus haut, M. Seebohm parle de « ces influences,
quelles qu'elles soient, » qui ont conduit a la disparition du servage.
Ailleurs, il exprime l'opinion que « l'influence du christianisme ne
peut être appréciée trop haut; mais il y eut aussi une influence pure-
ment économique à l'œuvre : c'est celle des Danois, qui ont laissé des
traces dans les usages particuHers du nord de l'Angleterre. M. Seebohm
estime que dans le Domesday book, les Theoivs et les Servi n'existent
pas dans les parties de l'Angleterre soumises aux Danois; mais il
n'indique pas combien fut grande l'influence exercée par ces émi-
grants du nord sur la communauté entière. Les Adscripti glebae
étaient inconnus au nord de Watling Street. Il indique comme étant
l'origine de la communauté de village en Angleterre, non le système
de la « mark « germanique cher à M. Green, mais celui de la « villa »
romaine. Malgré l'originalité de pensée et de recherche dont il a fait
preuve à ce sujet, sa théorie reste très discutable. Le « three-field
System, » qu'il semble vouloir identifier avec l'origine romaine du
village, existait manifestement en Germanie. P. 73, il mentionne
la location de villages affermés aux villageois, dont il est souvent
question dans le comté danois de Nottingham , mais il ne fait pas
ressortir toute l'importance constitutionnelle de ce fait qui montre
l'origine de la Firma Mirgi, et qui explique comment un village a pu
devenir un bourg. Nous regrettions plus haut que M. Seebohm n'eût
pas tiré parti des documents Scandinaves; il est facile de prouver par
un exemple combien cette omission est fâcheuse : M. W. Arnold, dans
sa Deutsche Urzeif, a essayé de rattacher les terminaisons des noms
de heu en ing et en ingen à des établissements d'Alemans et de tri-
bus bavaroises, celles en heùn ou ham à des établissements de tribus
franques, théorie que M. Seebohm est disposé à admettre ; mais elle
s'écroule si l'on considère combien les terminaisons en heim et en
ham sont fréquentes en Scandinave, comme celles en heimr le sont
en vieux norois, et si l'on se rappelle que ing et ingen sont encore
aujourd'hui représentés dans les noms de lieu Scandinaves ; on les
trouverait aussi très facilement dans les chartes en vieux norois et,
croyons-nous, dans 1' « Earth-book » du roi Waldemar, le Domes-
day-book du Danemark. Quoi qu'il en soit de ces critiques, le livre
de M. Seebohm est dans son ensemble la plus solide contribution à
l'histoire constitutionnelle de l'Angleterre qui ait paru depuis le grand
ouvrage de M. Stubbs.
i-^0 BULLETIN HISTORIQUE.
Les plus anciennes explications tentées en Angleterre d'un système
qui tombait déjà en décadence se trouvent au xvi^ siècle. On a dit
que le sol de FAngleterre a dû être à un certain moment divisé entre
des favoris et des capitaines; ceux-ci auront ensuite réparti leurs
tenanciers, esclaves pour la plupart, d'après ce singulier mode de
distribution. Nous voyons maintenant les points faibles de cette
théorie. Pourquoi les auteurs du système se sont-ils rencon-
trés à établir partout le même mode de tenure? Comment en
sont-ils arrivés à inventer les règles extrêmement compliquées de la
culture coopérative dont l'existence ne faisait pas doute ? Que signifie
l'organisation d'une administration et d'une juridiction communes
qui se trouve partout oîi l'on fait la moisson en commun ? Maurer a
répondu à ces questions par sa théorie de la Mark. M. Seebobm aussi
donne une place à la communauté de village et à la culture coopéra-
tive; mais, pour lui, la communauté est encore à son origine une
création du seigneur propriétaire du sol ; les vilains ont été d'abord
des esclaves, ou ne se distinguaient pas de ses esclaves. M. Seebohm
a sans contredit puisé ses renseignements à la vraie source; des
recherches plus approfondies et plus attentives dans les anciens docu-
ments jetteront certainement la lumière sur beaucoup de points encore
enveloppés d'obscurité. Il a enfin exposé avec une abondance de détails
inconnue jusqu'ici le mode étrange d'après lequel on trouve les
tenanciers répartis. La question principale est maintenant de savoir
la situation des tenanciers dans l'état de villenage. On dit que
M. Seebohm poursuit ses recherches sur le même domaine et qu'il
prépare une histoire du « Manoir » en Angleterre.
M. Seebohm s'est appliqué à éclaircir un seul point de l'histoire
économique. Si l'on veut avoir une vue d'ensemble de l'histoire de
révolution économique en Angleterre, nous pouvons recommander
le livre de M. Guwixgham sur le développement de l'industrie et du
commerce anglaise Le sujet est très vaste; l'auteur l'a traité briève-
ment, mais complètement. Cette brièveté ne lui permettait pas d'em-
ployer les documents d'une façon aussi brillante que M. Seebohm l'a
fait dans son livre ; nous ne trouvons pas non plus chez lui la même
originalité de pensée. Il s'est proposé de montrer l'action constante
des influences qui ont conduit de l'ancien état de choses au nouveau,
et aussi les rapports qui existent entre l'histoire industrielle et l'his-
toire politique. Au début, il admet, sans hésiter, que la « mark »
germanique est la base sur laquelle repose la communauté anglaise.
1. The groirih of english Indusiri/ and Commerce. Cambridge university
press, 1882.
ANGLETERRE. \A\
Son livre a précédé celui de M. Seebohm ; s'il avait pu le connaître,
il n'est pas douteux qu'il n'eût été obligé de remanier ses premiers
chapitres. 11 paraît le plus faible justement pour cette époque primi-
tive que M. Seebohm a traitée si complètement; de là quelque con-
fusion dans ce qu'il dit des origines de la propriété foncière. Tacite,
le Fleta et les coutumes allemandes d'Altenstadt en -1 485 par exemple,
ne sauraient être allégués sur le même point. Nous comprenons que
M. Cunningham ne soit pas convaincu par tous les arguments de
M. Coote dans ses « Romains en Bretagne; » mais nous ne pensons
pas qu'après avoir lu le livre de M. Seebohm, il continuât à nier la
théorie de M. Goote, que le système romain de tenure n'a pas cessé
d'exister en Bretagne. « La prétention persistante de ce mode de
tenure, dit M. Cunningham, est incompatible avec l'existence delà
mark ; nous pourrions expliquer l'existence d'un système agraire tel
que celui du xvi" siècle, mais non la mark qui Ta précédé, et qui
paraît avoir été presque universelle. » M. Cunningham n'a pas fait
attention que le système de la mark n'était pas un fait assuré, mais
tout au plus une théorie acceptable ; il a sacrifié au désir d'être clair
et simple la discussion nécessaire des théories. Comparez par exemple
ce qu'il dit, p. 44, du système social à l'époque saxonne avec le cha-
pitre de M. Seebohm intitulé « Saxon évidence, » et ce qui dans les
deux ouvrages a trait aux services dus par les vilains à l'époque féodale.
Mais d'autre part, lorsque M. Cunningham est sorti de ces temps
primitifs, que la rareté des documents nous rendent si obscurs, il
devient moins confus, et il termine son livre par un admirable résumé,
où il expose des vues intéressantes sur l'avenir. L'appendice est enri-
chi de plusieurs tables qui montrent la valeur comparative des mon-
naies, des salaires, du blé, etc. ; l'accroissement comparé des revenus
pubhcs et de la dette nationale, de la population et des exportations.
Terminons par une citation sur Guillaume le Roux, où M. Cunnin-
gham se rencontre avec M. Freeman, sur le livre de qui nous revien-
drons plus tard :
« L'histoire des règnes des deux fils de Guillaume le Conquérant met
en pleine lumière l'extraordinaire influence exercée par le caractère de
ce roi sur la condition entière de la société et sur les rapports de la vie
privée. Guillaume le Roux, avec une certaine bienveillance chevale-
resque, mais ne craignant ni Dieu ni homme, saisit toutes les occasions
d'exactions que l'ingénuité de Ranulf Flambard put lui procurer, pour
entretenir un corps de mercenaires et pour payer la construction des
châteaux et des défenses élevés à Londres, à Garlisle et ailleurs. C'est à
cette époque que le service militaire dû par les tenanciers fut pour la
première fois explicitement demandé ; tout ce qui se trouvait en germe
J42 BULLETIN HISTORIQUE.
dans le Domepclay book sans y être nettement formulé nulle part reçut
alors ses développements logiques et implacablement exigés. L'impôt
féodal était une aide donnée en cas de nécessité, et l'art des conseillers
de la couronne consista à faire naître ces nécessités ; chaque grand
office, auquel étaient attachés des revenus de toutes sortes, fut consi-
déré comme une possession concédée par le roi, qui, en le concédant, pou-
vait fort bien en demander un relief. Quant aux responsabilités publiques
des officiers de la couronne, on n'y songea pas, et l'on oublia que la
mission des évêques était sacrée. »
Bien des gens penseront que ces quelques lignes en apprennent
aussi long que les deux volumes de M. Freeman sur Guillaume le
Roux,
C'est envers les travaux de M. Gcest que tous ceux qui se sont
occupés de l'histoire primitive de l'Angleterre doivent être et se recon-
naissent comme les débiteurs. Ce fut son exemple et son éloquence
qui dès l'abord enflammèrent ces écrivains du zèle qu'ils ont déployé
depuis dans leurs travaux. M. Guest n'était pas un simple archéologue;
ce n'est pas la simple curiosité qui l'attirait ; d'autre part il ne s'épar-
gnait aucune fatigue dès qu'il y avait la moindre chance de découvrir
un fait isolé de nature à répandre la lumière sur toute question pure-
ment historique. Nous connaissons des spéciaUstes qui ont candide-
ment offert les trésors de leur science à M. Guest, et qui ont été sur-
pris de voir que le grand antiquaire en savait dix fois autant qu'eux
sur leur propre domaine. Aussi est-ce avec reconnaissance que nous
voyons les travaux disséminés de ce père des historiens réunis en
deux volumes'. Le titre donné a cette collection : Origines celticae
n'en indique pas le véritable contenu, car la plus grande partie du
t. II est occupée par des essais sur l'histoire primitive de l'Angleterre.
Les origines celtiques ne sont par malheur qu'un fragment. M. Guest
semble s'être proposé d'écrire l'histoire de la Bretagne et de ses habi-
tants jusqu'à la fin de la conquête du pays par les Angles et les
Saxons. Par un examen attentif des noms géographiques, des tra-
ditions mythologiques et des associations ethnologiques, joint à des
considérations philologiques et à l'interprétation des anciens monu-
ments, l'écrivain a cru possible non seulement de montrer ce qu'était
la nation dans sa patrie britannique, mais encore de marquer les diffé-
rentes étapes de son mouvement vers l'ouest. Mais il n'a fait qu'en-
tasser des matériaux; sans vie, sans mouvement, presque sans ordre,
ils n'intéresseront que les érudits; ces matériaux ont cependant assez
de valeur pour que M. Stubbs et M. Deedes aient entrepris de les
1. Origines celticae. 2 vol., Macmillan, 1883.
ANGLETERRE. ^^iS
publier. M. Guest n'était pas au courant des derniers résultats obte-
nus par la philologie comparée et ignorait la méthode philologique,
néanmoins ses recherches étaient si approfondies que la plupart de
ses conclusions sont correctes. Il est parfois sévère pour des écrivains
dont les œuvres ont été largement répandues, ainsi pour le philologue
Isaac Taylor, dont l'ouvrage Words and Places est devenu presque
classique. Il est inutile de dire que M. Green a, dans son Making of
England, fait entrer toutes les conclusions des mémoires de M. Guest
sur les premiers établissements anglais dans la Bretagne méridionale,
sur la conquête de la vallée de la Severn, sur la chute d'Uriconium,
etc. Ils étaient depuis longtemps à la portée de tout le monde dans
les colonnes du Philological Journal.
MM. Gairdner et Spedding ont aussi réuni en un volume plusieurs
essais épars dans différents recueils ^ M. Spedding expose clairement
la conduite du roi d'Angleterre Jacques I" dans l'affaire de sir
T. Overbury, mais il n'a pas de nouvelles preuves externes à nous
présenter pour absoudre le roi. Les essais de M. Gairdner sur les
Lollards et sur Catherine d'Aragon sont bons à lire ; dans le dernier
cas surtout, les pratiques mesquines et rusées qui caractérisent les
négociations diplomatiques au xvi^ siècle sont bien mises en lumière.
Mais aucun des écrits qui composent le volume n'ajoute rien de nou-
veau ni n'épuise le sujet.
Les érudits ont depuis longtemps senti le besoin d'un manuel de
littérature historique; le premier travail spécial sur ce sujet qui ait
été publié en Angleterre est celui de MM. Gardiineu et Mdllinger^;
il a reçu du public l'accueil favorable qu'il méritait; mais ce livre est
spécial à l'histoire d'Angleterre; il y avait lieu d'écrire sur le même
plan un ouvrage d'un caractère plus étendu. C'est ce qu'a entrepris de
faire M. C. K. Adams, professeur d'histoire à l'université de Michi-
gan'; il a voulu donner « de courtes descriptions des plus impor-
tantes liistoires écrites en anglais, en français et en allemand, avec
des indications pratiques sur les méthodes et les progrès de l'his-
toire. » Ce que demande tout homme qui étudie, c'est en effet une
bonne bibliographie. M. Green, dans sa brève histoire du peuple
anglais, a été le premier, autant que nous pouvons le savoir, à indi-
quer avec toute la précision possible, en tête de chaque chapitre, les
principales sources de son récit. Gibbon, le roi des historiens, en
1. Stvdies in engltsh historij. Edimbourg, Douglas, 1882, cf. Rev. hist., XXI,
248.
2. Introduction to the study of engltsh history. Kegan Paul, 1881, cf. Rev.
hist., XI.X, 426.
3. Manual of historical littérature. New- York, Harper, 1882.
444 BULLETIN HISTORIQUE.
sentait si bien la nécessité, quMl conçut l'idée de mettre comme pré-
face à son grand ouvrage un exposé succinct et un examen critique
des sources et matériaux qu'il avait employés ; mais il recula effrayé
par le travail minutieux qu'une pareille entreprise lui aurait imposé,
et il se contenta de citer à la façon ordinaire ses autorités au bas des
pages. Plus récemment M. Th. D. Hardy, dans son célèbre Descrip-
tive Catalogue^ a employé vingt années de sa vie à décrire les maté-
riaux relatifs à l'histoire de la Grande-Bretagne jusqu'à l'année 1327,
et l'on annonce que le travail sera continué par xM. G. T. Martin, du
Public record offlce. Mais un ouvrage d'ensemble manque encore.
M. Adam nous l'a-t-il donné? En réalité il n'a guère fait autre chose
que reprendre, en l'élargissant, l'œuvre de MM. Gardiner et Mullin-
ger; mais il n'a pas assez reconnu tout ce qu'il leur devait ; il a, sans
en avertir le lecteur, fait entrer tout leur livre dans le sien. D'autre
part, le plan qu'il a suivi l'a conduit à de nombreuses répétitions, et
nous serions surpris si les comptes-rendus étaient de la même main
que les « indications pratiques. » Il y a des contradictions; ainsi,
tandis que, dans les comptes-rendus, l'histoire de France par M. Duruy
est appréciée comme « la meilleure histoire de France, sans contredit,
qui ait été encore écrite dans le petit espace de deux volumes, » il
n'est pas même mentionné dans les « indications pratiques. » On
peut aussi relever des omissions, mais elles étaient inévitables, et nous
devons reconnaître que nous avons consulté plusieurs fois ce livre
avec fruit. Mais aussi les inexactitudes y sont nombreuses : ainsi
Coate pour Coote ; « early setflements of Romans insouth Britain, »
au lieu de ce earhj english seltlemenis m S. B., » par Guest. Les
appréciations très générales dans les comptes-rendus, qui remplissent
une si large part du volume, ne nous paraissent pas d'une grande
utilité. L'analyse qui précède le volume, Findex qui le termine elles
notions sur la méthode historique en sont les meilleures parties. Le
malheur est que chaque année apporte une si grande quantité de
livres d'histoire qu'un livre comme celui de 3L Adams devrait être
sans cesse mis au courant : dans dix ans il sera trop vieux. Notons
a ce propos que le journal le Bibliographer de Londres a commencé
récemment la publication d'une liste mensuelle de tous les livres
publiés qui entrent au stationer's Hall.
Un signe de l'intérêt croissant provoqué par des livres comme celui
de M. Green est la publication récente de manuels sur l'histoire
primitive de la Bretagne. Un bon spécimen de cette série a été fourni
par M. ScARTH^ Il a voulu nous faire connaître les résultats des
1. Roman Britain. Soc. for promoting christtian knowledge (sans date). Deux
a:vgleterre. 445
recherches archéologiques; « mais il s'est proposé encore un autre
but, celui de montrer comment les événements qui se sont accomplis
aux temps passés ont été dirigés par le Tout-Puissant pour le bien de
l'homme. » Mais, comme la conversion de la Bretagne au christia-
nisme est précisément le sujet sur lequel nous avons les informations
les plus obscures, et comme M. Scarth est naturellement incapable de
nous en apprendre rien de nouveau, il eût bien mieux valu, avant de
songer à interpréter les intentions du Tout-Puissant dans ces événe-
ments, nous dire en quoi précisément ils ont consisté. Le livre de
M. Scarth est cependant assez consciencieux, malgré sa sécheresse ;
l'auteur n'a pas cherché, comme on pouvait le craindre, à exécuter sa
menace ni à troubler l'esprit du lecteur de sens commun par des
niaiseries ecclésiastiques-, à la fin seulement il adresse une pieuse
prière à la grâce divine, à la façon des chroniqueurs du moyen âge :
« Puisse-t-elle faire de cette île, autrefois sans importance, le centre
d'un grand empire, veiller sur elle et la protéger toujours : Esto
perpétua ! » Le pharisaïsme du moyen âge paraît étrange au xix'^ s.,
excepté chez un clergyman.
La science est le redressement des erreurs ; cela est vrai surtout de
l'histoire. Les livres de classe fourmillent; chaque grande maison de
librairie en publie sous la direction de très respectables historiens :
M. Green, M. Creighton, miss G. Young, M. Gardiner; ils font tous
de leur mieux pour que ces manuels atteignent au plus haut degré de
correction. Dans les écoles on met aux mains des enfants des livres
clairement écrits : « Récits de l'histoire d'Angleterre, » « biographies
historiques, » pour les soulager des dates et des tableaux chronolo-
giques. L'excellente collection des « Époques de l'histoire anglaise »
s'adresse aux classes supérieures ; nous ne voyons pas sans regret
que le vide entre la « Conquête normande » et les « Premiers
Plantagenets » n'a pas encore été comblé. Nous remarquons cepen-
dant avec plaisir qu'on se met à réimprimer pour l'usage des jeunes
gens d'anciens auteurs originaux, La « Pitt press séries » a déjà
donné l'histoire de Henry VII par Bacon, La « Cambridge University
press » vient de publier celle de Richard III par More\ avec des
notes et un glossaire suffisant pour des élèves. Nous espérons que
nos écoliers pourront lire un jour une bonne traduction du latin
limpide de Bède.
La chronologie a été traitée d'une façon nouvelle par M. C. T.
autres vol. de la série : Celtic Britain, par M. Rhys, et Anglo-saxon Britain,
par M. Grant Allen, ont déjà été annoncés par la Bev. hisL, XXII, 2i4.
1. More's history of Richard III. Cambridge univ. press, 1883.
Rev. Histor. XXV. !«'■ fasc. 10
•146 BULLETIN niSTORIQUE.
Ensor^ Pour aider à la mémoire par les yeux, elle est représentée
comme un tableau. Les principaux événements de toutes les nations
d'Europe et d'Amérique sont indiqués. Les divers pays sont des
lignes horizontales et parallèles ; des lignes verticales et équidistantes
les divisent en décades. On saisit ainsi d'un coup d'œil tous les évé-
nements accomplis en Europe pendant la même décade. On a apporté
les plus grands soins à faire ressortir les événements d'après leur
valeur relative : on a employé un grand nombre de caractères diffé-
rents, et les plus grands faits se détachent au milieu d'un espace
laissé blanc. Ce livre a demandé dix-sept ans d'un labeur sans relâche.
Beaucoup de salles de lecture sont ornées des cartes historiques de
Spriiner-, la carte de M. Ensor, ramenée à une moindre échelle (Pori-
ginal a 54 pieds de long), ferait très bonne figure à coté.
L'histoire locale est actuellement l'objet de très nombreuses publi-
calions. Il y a peu de villes qui n'aient trouvé leur historien :
Londres, Norfolk, Nottingham, Bristol, la liste est presque infinie
des monographies publiées pendant les deux dernières années. Il est
curieux de constater combien d'archéologues n'ont jamais fait autre
chose que d'assembler des matériaux pour l'histoire de leur ville
natale. Un très médiocre spécimen d'histoire locale est tombé entre
nos mains ^. Nous laisserons pour une autre fois ce sujet ainsi que
celui des biographies individuelles ou collectives. Il suffira de dire
que l'ouvrage dont nous parlons est le moins sensé qui nous soit
passé sous les yeux ; ses absurdités ne sont pas même amusantes :
l'auteur a voulu en faire la préface d'une liste des criminels exécutés
au château d'York. Il commence par une table chronologique partant
de la création du monde. C'est assez dire.
Nous terminerons ce bulletin en parlant d'un livre qui tient plus du
roman que de l'histoire : le don Juan d'Autriche, par sir W. Stirling-
Maxwell^. Le secret de la naissance et de l'éducation de don Juan,
la soudaineté avec laquelle il sortit d'une obscurité absolue pour
arriver à jouer le rôle le plus brillant, tout cela ressemble aux aven-
tures de Gil Blas de Santillane. Le récit de sa carrière si accidentée,
de ses combats contre les Maures de Grenade, puis contre les Turcs
à Lépante, semble détaché de l'œuvre de Cervantes, qui, d'ailleurs,
servit à Lépante et assista aux mêmes scènes. Dans son noble et
chevaleresque caractère, don Juan a plus d'un trait de ressemblance
avec le chevalier de la Manche. L'auteur s'est interdit tout portrait
1. Chronological Chart. Londres, Stanford, 1883.
2. York of York Caslle, by captain Twyford. GrilTich of Farran. 1883.
3. Bon John of Austria. Longmans. Two vols. 1883.
ANGLETERRE. 147
superflu de ce caractère. « Le lecteur, fait-il observer, aura tiré lui-
même ses conclusions sur le caractère de don Juan d'après le récit
même de sa vie. Ses actes le peignent fidèlement. » Tout ce qui rend
un homme cher aux cœurs de ses compagnons, don Juan y excellait.
Après la bataille de Lépante, dédaignant tout profit personnel, il
renvoya sans rançon les deux fils de l'amiral turc qui avait été tué,
et annonça le fait à la sœur de Sélim par une lettre qui est un modèle
de sentiments chevaleresques. Comparez la lettre de don Juan avec
celle du brutal Sélim, que nous avons traduite d'après une copie con-
servée au Record Office ; on y voit bien l'opposition du christianisme
et de la barbarie.
Copie d'une lettre de Sélim II à don Juan d'Autriche.
Moi, le grand sultan Sélim, maître de la plus grande partie du monde
habité, de Dandinople (!) et d'Albanie, du grand État de Dalmatie, de
Damas et de Remanie... empereur de Trébisonde, souverain à qui per-
sonne ne peut être comparé à cause de la Garmanie, et dont la Russie
entière doit subir les commandements, empereur du grand Khan et roi
de toute l'Arménie, maître de toute Jérusalem, que pleurent les chré-
tiens, roi de beaucoup plus d'autres grands royaumes qu'on n'en peut
énumérer ici, empereur et roi des trois parties du monde, dont deux
sont dans ma main. Toi, prince don Juan d'Autriclie, toi prince de petit
avoir, jeune homme fortuné... voici que je t'envoie un présent qui est
au-dessus de ta condition ; et je te dis pourquoi je te fais ce présent :
trois longues robes... Tout cela, je te le donne, non pour cause d'ami-
tié, non par la crainte que tes actions pourraient me faire éprouver;
mais je te l'envoie pour mes cousins qui sont avec les fils du malheu-
reux et infortuné Piali Pacha, de si grand pouvoir, nom et renom, que
tu as tué dans ta dernière bataille, qui était mon frère et avait épousé
ma sœur, qui dans ma noble cour était hautement estimé; afin que tu
les traites comme tu dois le faire, qu'ils soient assis à ta table, qu'ils
aillent côte à côte avec toi, et pour que, faisant ainsi, je déclare que tu
es, toi, Jean d'Autriche, un prince d'estimable renom... Et garde-toi
de ma colère et de ma grande puissance; car auparavant mon glaive
dormait, mais prends garde maintenant qu'il ne se réveille de son
sommeil.
Don Juan à la sœur de Sélim.
Noble et vertueuse dame. Lorsque Mahomet bey et Saïd bey, vos
frères, furent conduits dans ma galère après la défaite de la flotte turque
dans le combat, considérant la misère à laquelle est exposée la faiblesse
humaine et l'incertitude de la condition de l'homme, et que ces nobles
jeunes gens étaient sur la flotte plutôt pour leur plaisir et pour tenir
compagnie à leur frère que dans l'intention de nous faire du mal, j'ai
résolu, non seulement d'ordonner qu'ils fussent traités comme il con-
^48 BULLETIN HTSTORIQDE.
venait à leur rang, mais de leur rendre la liberté quand j'en trouverai
l'occasion. Mon intention fut grandement fortifiée quand je reçus votre
lettre si pleine de tristesse et d'afïection fraternelle, et montrant un si
grand désir pour la liberté de vos frères. Gomme j'étais déjà dans l'es-
poir d'être en état de les mettre tous deux en liberté, à mon grand
regret il arriva à Mahomet bey la fin de tous les chagrins, qui est la
mort. Aujourd'hui je rends Saïd bey à la liberté ainsi que les autres
prisonniers pour lesquels il me l'a demandée, comme j'aurais aussi
rendu libre celui qui est mort, s'il était encore vivant. Et croyez, madame,
que c'est pour moi un plaisir particulier qu'il soit en mon pouvoir de
remplir et de satisfaire, en partie du moins, votre désir, tenant, comme
je le dois, en haute estime le caractère que vous portez. Le présent que
vous m'avez envoyé, je ne l'ai pas accepté, mais je l'ai laissé entre les
mains de Saïd bey, non pas du tout parce que j'apprécie peu ce qui me
vient de vos mains, mais parce que ce fut la coutume de mes ancêtres
de ne pas recevoir de présents de ceux qui réclament leur assistance ;
au contraire, de conférer des faveurs, et comme telles, je l'espère, votre
frère et ceux qui l'accompagnent seront reçus. Vous pouvez aussi vous
assurer que ceux qui vous appartiennent deviendront mes prisonniers.
Je veux d'aussi bon cœur qu'aujourd'hui leur donner la liberté et faire
tout ce qui peut vous être agréable. De Naples, le 15 de mai 1573.
Don Juan.
Par sa parfaite loyauté à l'égard de son frère Philippe II, qu'aucune
ingratitude ne peut tarir, par ses tendres attentions pour sa nourrice
Magdalena de Ulloa, par sa foi enfantine dans ses différents pères
spirituels, qui semble être une piété toute naturelle, sans aucun
alliage de bigoterie, il commande notre admiration. Les vices qu'il a
contractés étaient ceux de son temps, augmentés par ses maîtres, bas
et fourbes. « Je me défie de lui à cause de ses manières séduisantes,
disait Guillaume le Taciturne, et je suis d'autant plus sur mes gardes
contre sa force. » Mais le Taciturne lui-même n'était pas au-dessus
de la tricherie et de la trahison qui distinguent les négociations de
cette époque. Tout ce qu'on peut dire, c'est que don Juan parait
avoir été moins dénué de scrupule que tout autre Espagnol de son
temps. Quant à ses amours, elles semblent avoir excité l'admiration
plutôt que le blâme de ses contemporains; l'ambassadeur vénitien
admet qu'il les poursuivit « sans outrage ni pour les pères, ni pour
les maris. »
C'est autour de cette figure maîtresse du xvi" s. que sir W. Stirling-
Maxwell a groupé son histoire. On ne pouvait choisir un caractère
plus séduisant, une carrière plus romanesque, une vie plus pleine
d'aventures, une figure plus dramatique, si brusquement disparue à
la fleur de l'âge. Ce livre est un drame, bien conçu et exécuté avec
ANGLETERRE. 1/(9
un soin et une recherche singuhèrcs. La brillante culture de la
noblesse espagnole, où chaque grand était le roi de sa petite cour,
le dernier effort pour l'indépendance fait parles Maures de Grenade,
la scélératesse des pirates barbaresques et la brutalité générale de la
vie maritime, la prédominance maudite de la barbarie turque en
Orient, la lutte opiniâtre des Pays-Bas pour leur indépendance, et par
dessus tout l'ombre sinistre de Philippe II et de sa bigoterie reli-
gieuse, telles sont les scènes que l'auteur nous a peintes de main de
maître. Ni peine ni argent n'ont été épargnés pour assurer l'exacti-
tude des détails. M. Stirling Maxwell a longtemps résidé en Espagne
même; il possédait sur la httérature espagnole une bibliothèque sans
rivale parmi les collections particulières ; il a dépouillé les archives
deSimancas et mit largement à contribution ses amis. Feu M. Raw-
don-Brown lui a envoyé des copies prises aux^archives de Venise -, le
British muséum et le Record office lui furent de riches mines à
exploiter. Les publications de la commission d'histoire de Belgique
lui ont été naturellement d'un grand secours, mais il paraît avoir
examiné aussi les originaux. Pris dans son ensemble, le livre a été
écrit d'après des mss. en grande partie inédits; l'appendice contient
une bibliographie complète et de nombreuses dépêches diplomatiques
imprimées in-extenso. Nous avons rarement vu une monographie
écrite avec plus d'ampleur, de sensibilité et en même temps d'éclat.
L'ouvrage est enrichi de portraits des principaux personnages, avec
une vaste collection de blasons, d'armes, d'œuvres d'armes, de
médailles, de dessins concernant les équipements de l'armée et delà
marine, les galères, les frégates et autres vaisseaux du xvi« s.; avec
une multitude de lettres ornées empruntées aux livres contempo-
rains, qui jettent une pleine lumière sur les mœurs, les habitudes et
les ornements de Tépoque. La reliure même est un chef-d'œuvre et
réjouirait le cœur de M. Ruskin lui-même; quant au prix, est-il
besoin de dire qu'il est digne de la beauté du livre? La vie de
Charles-Quint dans son monastère, le siège d'Anvers, don Juan
d'Autriche forment une brillante série à laquelle M. Stirling-
Maxwell aurait sans doute ajouté d'autres numéros, si la mort
n'était venue l'interrompre.
On remarquera que la tendance générale qui s'est manifestée dans
ces derniers temps pousse les historiens vers les questions sociales et
économiques. Les histoires qui se rapportent exclusivement à la per-
sonne des rois ou à la diplomatie des cabinets ne commandent plus
l'attention comme par le passé. A cet égard, M. Green peut être con-
sidéré comme ayant inauguré une nouvelle ère dans la manière
d'écrire l'histoire pour le peuple. Pour ce motif, le Guillaume le
^50 BULLETIN HISTORIQUE.
Roux de M. Freeman a peu attiré l'attention, et c'est seulement la
richesse avec laquelle a été publié le livre de M. Slirling-Maxwell
qui lui a assuré le succès : un exemplaire de l'édition de luxe, mis
en vente à 23 1., a été vendu récemment dans une vente publique
40 1. (i,000 fr.). L'état d'une société où M. Bradlaugh et M. George
jouent un si grand rôle contribue aussi à expliquer pourquoi des
ouvrages comme ceux de M. Seebohm et de M. Gunningham sont
publiés et lus avidement ; le livre de M. Seebohm a déjà eu deux édi-
tions. Aujourd'hui, les lecteurs se détournent du récit des brillants
exploits accomplis par nos anciens souverains; ils aiment mieux
connaître par quels moyens on put faire les dispendieuses guerres
avec la Normandie et la France, quelles souffrances elles firent
endurer à la masse du peuple ou quels sacrifices furent imposés à
ceux qui possédaient. De là la popularité d'ouvrages comme celui de
M. Th. Rogers sur l'histoire de l'agriculture et du prix des choses.
C'est un champ en partie encore inexploré. Il est très rare de trouver
dans les livres modernes des renvois aux documents conservés dans
les archives de presque toutes les nations; excepté à nos « State
Papers, » relativement sans importance. Ce sont là cependant les
matériaux qu'il faut mettre en œuvre, si l'on veut produire des idées
nouvelles. Nous savons ce que Niebuhr a pu faire pour l'histoire de
Rome avec un nombre infiniment petit de documents. Les anciennes
archives d'Angleterre attendent quelque Niebuhr qui sache leur
arracher leurs secrets. Les anciens chroniqueurs sont maintenant
relativement bien connus, mais les gens les mieux informés ignorent
encore les vastes richesses cachées dans les archives accumulées par
le temps. La difflcuUé de les déchiffrer et de les manier demandera
la collaboration des paléographes et des historiens ; de leurs efforts
combinés nous pouvons espérer d'étonnantes découvertes. C'est la
méthode qu'a appliquée M. Seebohm et on peut le suivre comme un
excellent modèle.
J. G. Black.
SMITH : THE PROPHETS OF ISRAËL. Vôi
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
W. Roberlson Smith. The prophets of Israël and their place
in hlstory to the close of the eighth century B. C, eighl lec-
tures. Edinburgh, Black, -1882; xvi et 444 p. in-8°.
M. Robertson Smith est, si nous ne nous trompons, un des chefs de
la jeune école théologique écossaise, qui s'efforce d'introduire au pays
du calvinisme rigide les principaux résultats de l'exégèse étrangère. Nous
croyons même que ce propos lui a attiré des désagréments; mais il nous
parait aussi que M. R. Smith est de ces gens qui, ayant la chance de
ne pas être trop en avant de leur entourage pour cesser d'être compris,
compensent par le succès obtenu auprès des cercles libéraux les ennuis
que leur valent les conservateurs obstinés des vieux usages. Non seule-
ment il nous 'parait, mais la préface confirme expressément ce que nous
soupçonnions. M. Robertson Smith tient pour « le progrès des études
bibliques. » Les livres qui contiennent « notre religion, dit-il, sont des
documents historiques qui réclament, comme tels, le même traitement
dont les fruits ont été si satisfaisants quand on l'a appliqué aux autres
sources de l'histoire ancienne. » Les quelques pages placées en tète du
volume sont écrites sur le ton d'ardeur et de confiance familier aux
réformateurs dans le début d'entreprises dont ils ne soupçonnent
point encore les difficultés. J'ajoute que M. R. Smith se place au
point de vue de l'école critique la plus moderne et admet avec Graf,
Kuenen, Wellhausen et Reuss que les conceptions religieuses des
prophètes se sont formées antérieurement à l'élaboration du code mo-
saïque.
On sait ce que sont les prophètes hébreux pour l'orthodoxie tradi-
tionnelle : de simples porte-voix de la divinité destinés à annoncer,
quelques siècles à l'avance, la venue du Messie et son œuvre. La cri-
tique moderne a rétabli le sens de ceux de leurs écrits qui nous sont
parvenus et restitué le rôle qu'ont eu ces personnages dans les destinées
de la nation israélite. Les prophètes sont des sortes de conseillers du
peuple et des rois, intervenant dans la conduite des affaires politiques.
L'histoire n'a pas à les reléguer au chapitre de la littérature ou de la
théologie, mais à les mettre au premier plan des événements qu'elle
rapporte.
C'est ce que M. R. S. a tenté de montrer, particulièrement pour les
plus anciens prophètes sur lesquels nous soient parvenus des rensei-
gnements ou dont nous possédions les écrits. Sa première g lecture »
-132 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
débute par des considérations théologiques dans l'esprit du « protestan-
tisme libéral. » Puis l'auteur expose avec détail la situation du peuple
Israélite dans l'Orient ancien et le caractère de son dieu particulier
Jéhovah (Yahvéh). La seconde lecture, intitulée : Jéhovah et les dieux
des païens, reprend le même sujet et l'épuisé. Ce n'est qu'avec la troi-
sième : Amos et la maison de Jéhu, que M. R. S entre véritablement
dans son sujet. Les cinq dernières traitent successivement de : Osée et
la chute d'Ephraim; le royaume de Juda et les commencements de
l'œuvre d'Isaïe ; les premières prophéties d'Isaïe; Isaïe et Michée sous
le règne d'Ezéchias ; la délivrance d'Assyrie. Nous nous arrêtons donc,
comme le titre l'indique, à la fin du viu« siècle avant l'ère chrétienne.
En présence de ce sujet volontairement restreint, l'auteur s'est trouvé
à l'aise et il a pu donner à son exposition toute l'ampleur désirable.
Bien que ce livre soit à proprement parler un livre de vulgarisation
scientifique, il n'est pas dépourvu de qualités originales. Il est remar-
quable, tout d'abord, par la vivacité et l'élégance de l'exposition ; il
témoigne d'une connaissance solide et précise de la littérature du sujet.
Toutefois on y peut signaler, à côté de ces qualités qui ne sont pas
à l'usage du premier venu, certains côtés faibles. Sur nombre de points
l'auteur croit en savoir évidemment trop long. Il ne semble pas se rendre un
compte exact des phases que traversent en ce moment les études hébraïques .
On est étonné de rencontrer côte à côte le dogmatisme delà vieille école
critique et les procédés beaucoup plus réservés de la jeune école. Avec
cette dernière, M. Robertson Smith place les prophètes avant la loi,
élimine Joël (dont il ne prononce point môme le nom, ce qui est un
inconvénient) et le pseudo Zacharie; mais, avec la première, celle
d'Ewald et de Bleek, il tient pour inattaquable l'œuvre d'Amos, d'Osée,
de Michée et de Proto-Isaïe (sauf les morceaux unanimement condam-
nés). Et c'est cette confiance en l'authenticité des écrits attribués à ces
quatre personnages qui peut seule justifier le titre de son ouvrage. Or,
nous doutons que, dans l'état actuel de la critique, un tel système puisse
être tenu pour valable.
Si donc la contribution que la nouvelle production du distingué
théologien écossais apporte à l'histoire scientifique des Israélites est
mince, le livre n'en est pas moins intéressant comme œuvre de tran-
sition. En suivant doucement — et sans se douter lui-même de la
portée de son action — les remparts derrière lesquels dort une théologie
caduque, M. Robertson Smith et ses congénères frayent la voie aux
méthodes rigoureuses de la critique.
Maurice Vernes.
Madvig. L'État romain; sa constitution et son organisation;
traduit par Gh. Morel. Tome I, hi-S" de 290 p. (Paris, Vieweg,
^882.)
L'ouvrage de M. Madvig a paru en entier dans l'édition danoise et
MADVIG : l'état ROMAIJf. Vi3
dans l'édition allemande. Il forme, dans cette dernière, deux volumes
de 593 et 801 pages (Teubner, 1881-1S82). M. Morel, qui a entrepris de
le traduire, n'en a encore publié qu'une faible partie, la moitié environ
du premier volume. J'espère qu'il se hâtera de nous donner le reste.
Outre que l'allemand n'est pas accessible à toijt le monde, M. Morel a
introduit dans le texte original d'heureuses modifications ; il l'aéclairci et
allégé ; il a rejeté au bas des pages une multitude de notes qui l'encom-
braient; il a ajouté par endroits des remarques personnelles, qui,
malheureusement, n'ont pas toujours une grande valeur ; il s'est en un
mot efforcé de présenter au public français une édition vraiment fran-
çaise de l'ouvrage et non une copie de la traduction allemande,
laquelle, semble-t-il, est assez défectueuse.
Le tome I^"" de M. Morel contient trois chapitres, dont les titres sont
les suivants : Ch. I. Le peuple romain et son empire. Citoyens et
étrangers. — Gh. IL Organisation intérieure du peuple romain. Ses
subdivisions. Distinctions des classes. — Gh. III. Le gouvernement
républicain, le peuple romain et ses assemblées. Il traite donc de l'état
social de Rome et des comices. On ne s'attend pas sans doute à ce que
l'auteur dise tout sur les questions qu'il aborde; il n'en a pas eu d'ail-
leurs l'ambition. Son but a été de décrire l'État romain dans ses traits
essentiels, sans rien omettre de ce qu'il est important de connaître, mais
aussi sans insister sur les petits détails. Il s'est proposé non pas de
rédiger un immense répertoire de faits, comme le manuel de Marquardt et
Mommsen, mais de tracer une image fidèle de la constitution romaine,
de montrer quels en étaient les principaux rouages et d'expliquer com-
ment ils fonctionnaient. Bien qu'il n'y ait pas dans ce livre étalage
d'érudition, on sent qu'il n'a pas été improvisé à la hâte; de l'aveu de
M. Madvig lui-même, il est le résumé d'un long labeur de cinquante
années, et l'on devine ce que l'auteur, considéré par un juge compétent
comme « le premier latiniste de l'Europe, » a su dans cet intervalle
accumuler de faits et d'idées sur l'histoire de Rome. Il a pourtant un
mérite encore plus rare, celui de savoir ignorer. « J'ai eu soin, dit-il dans
sa préface (p. xni), d'indiquer sur chaque sujet ce qui nous est réelle-
ment transmis dans les sources, de marquer la limite où commence le
doute et où il peut être permis d'avoir recours à des hypothèses pour
combler les lacunes; souvent même j'ai signalé sans ambages les points
où s'arrêtent nos connaissances. Gependant j'ai pu assez fréquemment
remédier d'une manière satisfaisante à l'incohérence apparente des récits
traditionnels et en combler les lacunes par simple combinaison, sans
recourir à des hypothèses téméraires ou artificielles. » On voit que, sans
aliéner en rien les droits de la critique, M. Madvig ne procède qu'appuyé
sur les témoignages anciens; quand les textes manquent, il n'a garde de
suppléer à leur silence, et il se soucie peu d'ajouter un système de
plus à tous ceux qu'a déjà suscités l'incertitude des documents. Aussi
quelques-uns l'ont-ils accusé d'avoir écrit un ouvrage presque dépourvu
de nouveautés. Il leur a répondu d'avance en disant : « Je n'ai voulu
^34 COMPTES-RENDDS CRITIQUES.
être original qu'en renonçant à toute recherche systématique de l'ori-
ginalité. »
Au reste, il serait injuste de croire que M. Madvig n'a rien à nous
apprendre. Outre qu'il a réussi à porter la lumière sur une infinité de
points de détail négligés ou mal connus avant lui, il a très nettement
déterminé les droits inhérents à la cité romaine, la condition des
peuples vaincus et les divers degrés qui conduisaient de l'assujettisse-
ment à l'égalité. Il a exposé avec force les traits qui attestent le carac-
tère aristocratique de cette société oii chaque citoyen avait son rang et
chaque classe ses privilèges. Patriciens et plébéiens, patrons et clients,
centuries et tribus, ordre sénatorial, ordre équestre, tribuni aerarii,
noblesse, affranchis, toutes ces distinctions sociales ont été soigneuse-
ment définies , sans que jamais l'esprit de système altère la vérité
scientifique. Le chapitre III, consacré aux comices, est peut-être un peu
inférieur, parce qu'il est moins complet; il suffit néanmoins pour
donner une notion exacte de ce qu'étaient les assemblées par curies, par
centuries, par tribus sous la république, et de ce qu'elles devinrent sous
l'empire. L'ouvrage, en un mot, vaut autant par les idées générales qu'il
établit que par les faits, toujours bien choisis, qui servent à les
démontrer.
J'ai pu cependant y relever, sinon des erreurs, du moins des asser-
tions qui manquent de preuves et des lacunes qu'il eût été bon de
combler.
P. 17. L'auteur dit que « le système représentatif était absolument
inconnu dans l'antiquité, » et il ajoute en note que lesltaliens, durant
la guerre sociale, tentèrent de l'organiser à Corfinium. Ce dernier point
n'est nullement certain. Il est possible que le Sénat de la ligue se com-
posât de députés élus par les peuples qui la formaient ; mais il semble
que pour délibérer et voter dans les comices souverains de Corfinium,
il faillit résider dans la ville ou s'y rendre exprès. — P. 18, note 5.
M. Madvig nie que Rome sous les rois fût une ville de commerce. Com-
ment expliquer alors la création du port d'Ostie et surtout le traité de
509 avec Carthage? — P. 89. Pour lui la plèbe n'a qu'une origine,
l'immigration des habitants que la conquête romaine chassait des cités
voisines. Ce ne fut pas là assurément la seule cause qui donna nais-
sance à la plèbe ; il serait aisé d'en citer plusieurs autres, même sans
croire à l'asile de Romulus. — P. 94. M. M. se refuse à admettre que les
mariages mixtes aient été introduits par la loi des xii tables. Le témoi-
gnage de Cicéron {De rep., II, 37) est pourtant formel, et nous n'avons
aucun motif pour le rejeter, avec cette réserve toutefois que la loi des
XII tables se borna à confirmer une règle déjà ancienne. — P. 96. Il
n'est pas probable que les plébéiens aient eu accès au Sénat dès l'année
509 ou tout au moins dès l'époque des décemvirs; on n'a, pour s'en
convaincre, qu'à se reporter aux arguments péremptoires de M. Willems
[Le Sénat romain, tome I, p. 49 et suiv.). — P. 103. A propos de la
clientèle, il eût été intéressant de rechercher quelle fut l'origine de cette
MADViG : l'État romain. -ISo
institution. Ce n'est pas assez de savoir « que les clients formaient
l'ancienne population d'ordre inférieur, attachée aux citoyens patriciens
par lesquels ils étaient tenus dans une dépendance qui se rapprochait
du servage. » — P. 110. Contrairement à l'opinion de M. M., rien ne
prouve que les plébéiens aient figuré, dès le principe, dans les curies ;
la seule raison qu'il invoque à l'appui de cette hypothèse, à savoir
l'élection des premiers tribuns par l'assemblée curiate^ outre qu'elle
n'est pas probante, est de plus en contradiction avec un ensemble de
faits bien avérés. — P. 126, note 18. La divergence entre Cicéron, De
rep., II, 22, et Denys, vn, 59; iv, 20, pour ce qui concerne le
nombre des centuries de la première classe, vient tout simplement de
ce que l'un parle de l'organisation primitive, et l'autre de celle qui
suivit la réforme du iiie siècle avant J.-C. Sur cette réforme, M. M.
adopte le système de Pantagathus; j'ai essayé d'établir ailleurs [Rev.
hist., sept. 1881) que ce système est erroné et que la réforme en ques-
tion n'a pas eu le caractère qu'on lui attribue d'ordinaire. — P. 131,
note 11. Le texte de Cicéron (Philipp. II, 33) me paraît mal interprété.
Ce n'est pas la première classe de la centurie prérogative qu'on appelle
au vote, mais la première classe tout entière qu'on appelle après
le vote de la prérogative. Quant au mot renuntiatur que notre auteur
considère comme interpolé, on a proposé de le remplacer par renun-
tiantur avec suffragia pour sujet. — P. 180. On ne voit pas assez
comment s'est formé l'ordre équestre. — P. 243. M. M. est d'avis que
les comices centuriates furent « dès le règne de Servius Tullius l'assem-
blée souveraine proprement dite. » C'est une pure conjecture. L'organi-
sation de Servius n'eut, semble-t-il, qu'un objet militaire, et les textes
ne nous montrent l'intervention des centuries dans les élections qu'à
dater de 509, dans la confection des lois qu'à dater des décemvirs. —
P. 244. Une seule page traite des élections consulaires ; elle est trop
incomplète; certains faits de l'époque primitive méritaient d'y trouver
place. — • P. 249-250. Je crains que M. M. se soit trompé %vivVauctoritas
patrum. Les documents nous disent que ce droit de veto appartenait aux
patres. Or, l'assemblée curiate était exclusivement patricienne; quant au
Sénat, il le demeura jusque vers l'année 400 ; les patriciens y possé-
daient encore la majorité en 295 (Willems, I, 109) et tous ses membres
étaient également qualifiés du titre de patres. Deux hypothèses sont donc
possibles ; le droit de veto dont il s'agit était exercé ou bien par l'assemblée
curiate ou par le Sénat. Mais M. M. ne peut recourir ni à l'un ni à
l'autre, car il pense que les curies étaient ouvertes aux plébéiens et que
le Sénat les admit aussi de très bonne heure dans son sein. Il est par
conséquent obligé d'imaginer que Vauctoritas était réservée aux seuls
patriciens du Sénat; opinion toute factice qui n'a pour elle aucun
témoignage ancien. — P. 252. J'en dirai autant de cette assertion que
l'assemblée des tribus était d'abord purement plébéienne. Elle l'était
peut-être en fait, les patriciens dédaignant d'obéir à la convocation des
tribuns; elle ne l'était pas en droit, puisque chaque tribu comprenait
-J56 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
des citoyens des deux ordres. — P. 260-261. Il est très vrai que Tacti-
vité législative tendit de plus en plus à passer des conaices centuriates
aux comices par tribus ; mais M. M. n'en dit pas la véritable raison ;
elle se déduit tout naturellement du caractère oligarchique qu'avait
gardé la première assemblée, comparée à la seconde, du meins si l'on
repousse l'opinion courante sur la réforme du ni^ siècle. — P. 263,
283 et ailleurs encore, M. M. parle de la loi CElia Fufia et de Vobnun-
tiaiio, mais sans insister assez sur l'importance de cette pratique. On
est tenté tout d'abord de la considérer comme une simple formalité
religieuse. Au fond c'était un moyen de rétablir par voie détournée
l'ancien droit de veto du Sénat sur les décisions populaires. Le Sénat
pouvait en effet casser toute loi entachée d"un vice de forme, et une loi
se trouvait dans ce cas pour peu qu'on eût négligé d'observer les pres-
criptions relatives aux auspices. Qu'un magistrat compétent déclarât, au
moment du vote, que les présages étaient défavorables, aussitôt le vote
devait être remis, et, s'il avait lieu, le Sénat était libre de l'annuler.
Cicéron l'avoue lui-même dans un curieux passage du De divinatione
(II, 35); la science augurale n'avait de son temps qu'un but politique;
c'était un frein imposé à la toute-puissance des comices ; c'était un
obstacle apporté au plein exercice de la souveraineté populaire, qui,
sans cette précaution, eût échappé à tout contrôle.
Paul GUIRAUD.
Geschichte der rœmischen Kaiserlegionen von Augustus bis
Hadrianus, voii D"" W. Pfitz\eu. Leipzig, Teubner, 188^, de
pp. vi-2y0, iii-8".
L'histoire des légions romaines, comme le dit très bien l'auteur de
ce livre (p. v), n'est pas encore une chose possible; elle exige d'abord
la monographie détaillée et complète de chaque troupe, et nous ne pos-
sédons malheureusement de bonne étude de ce genre que celle que
Borghesi a faite sur les légions du Rhin (Œuvres, IV, p. 182), et la
notice du D"" Henzen sur \diSecunda Parthica [Annali, 1867, p. 73). Les
travaux de Grotefend (surtout dans Pauly, Realencycl.^ IV, p. 868) sont
excellents, parce qu'ils nous offrent tous les textes classiques concernant
les légions. Mais la publication du Corpus et les préfaces de Mommsen
(m et vin) et de Hûbner (vu) les ont rendus, non pas inutiles, mais
incomplets.
L'étude de M. Pfitzner, comme celle M. Stille', ne va guère au
delà des travaux de Grotefend, c'est-à-dire que les inscriptions n'y
sont utilisées que d'une façon très insuffisante. Certains recueils épi-
graphiques, comme ceux de Brambach, de Renier, de Wilmanns, n'y
sont pas cités, et pour beaucoup d'inscriptions publiées dans les sept
1. Parue en 1877 ; cf. lievue historique, XIII, p. 164.
PFITZNER : GESCHICHTE DER RCEMISCHEX KAISERLEGIONEiV. ^57
premiers volumes du Corpus, la numérotation d'Orelli est conservée.
Tous les renseignements que l'épigraphie nous fournit sur l'emplace-
ment des camps des légions y sont négligés : et cela est d'autant plus
regrettable, que les préfaces du Corpus les avaient déjà recueillis. Le
livre de M. Pf. n'est même pas suivi, comme la dissertation de M. Stille,
de la liste des légats et des principaux officiers des légions : voilà qui
aurait été, non seulement très utile, mais encore nouveau, car la liste
dressée de M. St. est loin d'être complète. M. Gauer vient de donner
{Ephemeris Epigraphica, IV, p. 354) la liste de tous les sous-officiers,
de toutes les légions qui nous sont connus par les textes épigraphiques :
c'est ce que nous aurions voulu que M. Pf. fît pour les tribuns, les pré-
fets et les légats, et c'est ce qui demeure à faire.
Quant à l'histoire proprement dite des légions, elle est aussi com-
plète que celle de Grotefend : Dion, Tacite, Suétone y sont largement
mis à contribution, trop peut-être, puisqu'à propos des légions, l'his-
toire de la contrée même qu'elles défendent nous est racontée. En
revanche, les travaux exécutés par elles, les routes qu'elles ont cons-
truites, les retranchements qu'elles ont dressés sont à peine mention-
nés. Le vallum Hadriani ne fait l'objet que de trois lignes à peine
(p. 214).
Il serait facile de relever un certain nombre d'omissions. Pour se
borner à l'Afrique, M. Pf. omet de nous dire que la Illa Augusta appa-
raît pour la première fois en l'an 14 {C. i. l., VIII, 1018-1023), et que
son campement, à cette époque, était à Théveste ; la fameuse procla-
mation d'Hadrien {C, VIII, 2532) ne semble pas connue à l'auteur.
Cependant elle renferme de précieuses données sur les destinées de cette
légion : la phrase : Nostra memoria bis non tantum mutastis castra sed et
nora fecistis, révèle un fait d'une grande importance pour l'histoire
mihtaire de l'Afrique. Wilmanns (6\, VIII, p. 283) a vu là la construc-
tion de deux camps successits à Lambèse ; Mommsen {id., p. xxi) a
montré avec raison qu'entre l'établissement de Lambèse et l'ancien
campement de Théveste, la III» Augusta s'était un instant arrêtée entre
Mascula et Thamugadi, comme le prouvent deux pierres miliaires
(C, VIII, 10186, 10210). La plus ancienne inscription militaire de Lam-
bèse est de 123 {id., 2592). — M. Pf. ignore qu'en 68 le légat Glodius Macer,
qui voulut rétablir la République, appela cette légion d'abord leg('io) III
Aug(usta) libera(trix)^ nom qui se trouve sur les monnaies frappées en
cette année (Mueller, Numism. de l'anc. Afrique, II, 170). En 69, au lieu
de la ///« Augusta liberatrix, nous trouvons la /« Marciana liberatrix :
ce ne peut pas être une seconde légion, comme le croit M. Pf. (p. 199),
mais l'ancienne dont le nom ne pouvait subsister aux yeux du républi-
cain Macer (Mommsen, C, VIII, p. xx) ; d'ailleurs, quand Macer périt,
il n'y avait, comme le dit pertinemment Tacite, qu'une seule légion :
Africa, ac legio in ea (Hist., 1, 11). ^ Je ne sais s'il faut aussi croire, avec
M. Mommsen, que Galba ait supprimé la III<^ Augusta. Si dans la phrase
de Tacite {IHst., 2, 97), legio cohortesque deledae a Clodio Macro mox a
^38 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Galba dimissae, deledae ne s'entend que des cohortes, il doit en être de
même de dimissae.
Il est inutile de s'étendre plus longuement sur les lacunes de ce livre.
Ajoutons qu'il est d'une lecture difficile; les matières y sont groupées
sous trois rubriques : les légions sous chaque empereur, — la répar-
tition des légions par provinces, — l'histoire de chacune d'elles. Cette
dernière partie suffisait , puisqu'elle seule répond au titre de l'ou-
vrage, et que les deux premiers chapitres ne concernent que l'histoire
des empereurs en des provinces. Cette disposition nuit beaucoup à
l'ouvrage. Telle particularité de l'histoire d'une légion, par exemple de
la //« Adjutrix envoyée en Bretagne par Titus, ne doit être cherchée ni
à son article (p. 225), ni à celui de la Bretagne ip. 210), mais dans le
chapitre de Titus (p. 73). De là, et beaucoup d'omissions et beaucoup
de répétitions. Ce qui fait que le livre, bien que renfermant un grand
nombre de renseignements fort utiles, est à la fois trop long pour un
simple tableau, et trop court pour une véritable histoire des légions
romaines.
Camille Jullian.
Ces lignes étaient écrites lorsqu'ont paru, coup sur coup, les deux
travaux les plus importants qui aient encore été faits sur les légions
romaines, travaux d'ailleurs intimement liés l'un à l'autre. L'un a paru
dans le premier fascicule de VUermes de 1884 et traite du recrutement
des armées de l'empire; l'autre, dans VEphemeris epigraphica (1884,
1" fasc), est le tableau de tous les soldats légionnaires ou auxiliaires
dont l'epigraphie nous a conservé le lieu d'origine. Il importe de signa-
ler ces deux études, toutes deux de M. Mommsen. — C. J.
P.-E. Fahlbeck. La l'oyauté et le droit royal francs durant la
première période de Texistence du royaume (486-6^4). Librai-
rie Glecrup, Lund, -1883, ^ vol. iu-S*^ de xv-34G p.
Livre remarquable et qui fera sensation. Œuvre d'un esprit vigou-
reux et original.
Je résume l'ouvrage dans ses lignes principales : « La royauté héré-
ditaire, c'est là la grande forme des Germains : c'est la royauté qui a eu
raison du vieux monde romain; c'est elle qui a créé et organisé les
États germaniques. Le droit du roi est en efl'et la seule force constituante
et conservatrice du royaume franc. Le roi héréditaire possède le royaume
comme un domaine privé : ses droits ne sont pas constitutionnellement
balancés par ceux d'une assemblée populaire. Le peuple franc ne pos-
sède pas d'assemblée générale (p. 19).
« Les éléments qui ont servi à la fondation du royaume franc sont les
uns germaniques, les autres romains ; mais l'édifice lui-même est entiè-
rement neuf. »
FAHLBECK : LA ROYAUTÉ ET LE DROIT ROYAL FRANCS. 139
Il y a en tout ceci une part de vérité : et la thèse est présentée avec
une conviction, un entrain, une force remarquables. Je ne crois pas
néanmoins que les aperçus généraux les plus personnels et les plus neufs
soient parfaitement conformes à la vérité historique. L'esprit vigoureux
de M. F. ne paraît pas s'être exercé sur des périodes assez prolongées,
avoir embrassé toute l'histoire des Francs par exemple ; s'il eût pris la
peine de le faire, non pas d'une façon pour ainsi dire matérielle, mais
en y appliquant tout l'effort de son esprit, n'eùt-il pas été conduit,
rencontrant sous les Carolingiens et longtemps après les Carolingiens
l'expression répétée de notions de droit public déjà relevées par Tacite,
n'eùt-il pas été invité à ne pas isoler historiquement la période qu'il
étudie, à ne pas en faire une façon de monstre historique sans aïeux
et sans postérité ?
Je songe surtout, en écrivant ces lignes, au rôle des assemblées popu-
laires dont M. F. paraît faire si peu de cas. Ont-elles cessé, ces assem-
blées, ont-elles cessé, avant 614, déjouer leur rôle nécessaire dans l'ad-
fathomia^, ce grand acte juridique tout primitif qui contient le germe et
comme la racine d'institutions diverses : le testament ou adoption par-
devant le peuple, la vente sanctionnée par le peuple analogue à l'acte
romain dont la wancz^af /o est la réduction juridique ? Et comment peut-
on n'apercevoir absolument aucune trace du rôle politique de ces assem-
blées dans la création de la royauté, alors que Grégoire de Tours écrit
textuellement : a Ibique juxta pages et civitates reges crinitos super se
creavisse de prima et, ut ita dicam, nobiliori suorum familial? » Com-
ment peut-on ne pas apercevoir l'assemblée populaire, l'assemblée poli-
tique jouant quelque rôle dans la confection de la loi, alors que le grand
prologue de la Loi salique porte : « Gens Francorum inclita dicta-
verunt Salica lege, » et qu'en l'an 574 nous voyons encore le roi Chil-
péric mettre ce préambule en tête d'un édit : « Pertractantis in Dei
nomen cum viris magnificentissimis, obtinentibus vel antrustionibus
et omni populo nostro convenit^? » Sans nul doute, la nation dispersée
se trouvant dans l'impossibilité matérielle de se réunir tout entière, les
grandes assemblées prirent peu à peu un caractère de plus en plus aris-
tocratique. Sans nul doute, la royauté mérovingienne emprunte le plus
d'autorité possible aux traditions romaines et s'empara de toute la force
que lui donnaient naturellement les circonstances. Enfin elle affecta un
caractère bien plutôt héréditaire qu'électif.
Mais tout n'est pas dit quand on a constaté ces grands faits. Les rois
héréditaires ne sauraient faire oublier le point de départ de la royauté,
ou, tout au moins, ce témoignage relevé plus haut de l'opinion publique
touchant les origines de la royauté. Les lois émanées de la seule royauté
1. In mallo ante regem vei legitimo mallo publico. — Quod heredis appellarit
public] coram populo... (Behrend, Lex salica, p. 62).
2. Hist. France, II, 9.
3. Lex salica, édit. Hessels et Kern, p. 409, 1"= col.
^00 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
ne sauraient faire oublier les lois dictées par le peuple ou les témoi-
gnages relatant le rôle du peuple dans la confection de la loi. La con-
science populaire est éminemment conservatrice ; c'est un trésor de tra-
ditions. Elle forme un puissant véhicule : c'est ce véhicule qui charria
l'idée de l'élection du roi depuis Grégoire de Tours jusqu'en plein
moyen âge à travers la période carolingienne. C'est encore la conscience
populaire qui conserva pendant douze siècles la notion des pouvoirs
législatifs du peuple, notion souvent infirme, mais vivante toujours et
apparaissant çà et là jusqu'aux derniers jours.
L'histoire ne ressemble pas à une boîte à surprise : et le critique doit
se défier de lui-même le jour où il croit apercevoir tout à coup des phé-
nomènes nouveaux sans lien et sans attache avec le passé. Je crains
que M. Fahlbeck n'ait été quelquefois le jouet de ces trompeuses appa-
rences, mais je ne saurais proclamer assez haut la valeur et l'origina-
lité singulière de son livre.
M. F. termine ce remarquable ouvrage par une série à'excursus très
importants : les principaux sont intitulés : fAge de la loi salique (sui-
vant M. F., la Loi salique est antérieure à Clovis et remonte à Glodion);
Sur l'histoire des Goths par rapport à l'hérédité de la royauté chez ce
peuple (M. F. combat la thèse de 1 electivité des rois goths ; il insiste
sur le peu de crédit dû à Jordanis qui a copié hâtivement Gassiodore);
le Domesticus et l'administration des domaines dans le royaume franc; la
Constitution de Chlotachaire (discussion excellente).
La thèse suédoise, d'où est sorti ce Ijon livre français écrit et imprimé
à Lund, contenait quelques autres ei;fu?'sws qui n'ont pas été reproduits.
Paul ViOLLET.
Coutumes et institutions de l'Anjou et du Maine antérieures au
XVie siècle, textes el documents, avec notes et dissertations par
A.-C.-J. Beautemps-Beacpré. Première partie, coutumes et styles;
tome IV. — Préface (dut. III). Paris, Pédone-Lauriel, \ vol. in-8°
de 561 -^i 3 pages et \ fascicule de cxxvii pages.
M. Beautemps-Beaupré a terminé la tâche considérable qu'il s'était
imposée : le dernier volume des Coutumes et institutions de V Anjou et du
Maine vient de paraître (t. IV) ; l'auteur a publié en même temps une
préface destinée au t. III. Une bonne table termine le t. IV et rendra
les recherches faciles.
Voici l'indication des textes publiés dans le tome IV :
1' Coutume rédigée ver^ 1440, éditée d'après un manuscrit de Rome;
cette coutume dérive, en quelques parties, du Grand Coutumier; 2° cou-
tume de la seconde moitié du xv« siècle; 3° style de la fin du xv^ s.,
dont il existe plusieurs éditions gothiques; 4° quelques fragments
additionnels.
SICKEL : DAS PRIVILI-GIUM OTTONIS. ^t)^
Ce volume se recommande par les mêmes qualités que les précédents
et termine dignement cette grande publication.
Nous eussions souhaité une introduction plus longue : l'auteur y
accorde une bien faible place aux influences germaniques.
Paul ViOLLET.
Th. SiCKEL. Das Privilegium Otto I fur die rœmische kirche
vom Jahre 962. Innsbmck, Wagner; -182 p. et i fac-similé.
La publication de M. S. doit fixer l'attention de tous ceux qui s'oc-
cupent des rapports de la Papauté et de l'empire au moyen âge : elle
répand en effet une lumière nouvelle sur quelques-unes des parties les
plus obscures de cette histoire et peut servir à modifier des opinions
que beaucoup considéraient trop facilement comme acquises. En même
temps la sûreté de méthode et la finesse de critique que montre l'auteur
font de ce mémoire un véritable modèle. Un enseignement général qui
tout d'abord s'en dégage c'est qu'il faut savoir, en matière de diplômes,
se garder même des excès de défiance. Depuis longtemps on s'était
habitué à prodiguer un peu vite les termes « faux, supposé, interpolé, »
et, sous couleur d'hypercriticisme, on a condamné des documents qui
ne méritaient point toujours ce sort. Aujourd'hui cependant on parait
enclin à plus de modération : s'il en est qui s'acharnent encore sans
pitié contre quelques-uns des survivants des exécutions antérieures,
d'autres, au contraire, s'emploient à remettre sur pied les plus intéres-
sants parmi les estropiés. C'est ce que fait M. S. pour le privilège
d'Otto !«■• et par contre-coup pour celui de Louis le Débonnaire; il y a
d'autant plus de mérite qu'il plaide sur certains points contre des con-
clusions dont il s'était fait autrefois le défenseur.
On sait que les deux documents en question sont parmi les plus impor-
tants qu'on possède, pour le ix« et lex^ siècle, sur l'étendue territoriale, la
constitution, l'administration de l'État de saint Pierre, en même temps
que sur les conventions qui réglaient les rapports de la papauté et de
l'empire. Malheureusement la forme sous laquelle on les connaissait
était faite pour éveiller la défiance; aussi leur authenticité n'était-elle
plus guère défendue que par des écrivains intéressés à l'admettre.
Récemment, cependant, M. Ficker les avait soumis à un examen nou-
veau dont les conclusions étaient plus favorables. Grâce à l'accès que
Léon XIII a ménagé aux savants dans les archives du Vatican, M. S.
a pu étudier et faire reproduire l'exemplaire le plus ancien du privilège
d'Otto, soustrait jusqu'ici aux regards profanes. Il en a joint un fac-
similé à son mémoire. Est-ce l'original? Est-ce une pièce authentique ?
M. S. détermine d'abord, par un examen paléographique fort minutieux,
que l'exemplaire du Vatican date du milieu du x« siècle, et il y voit
une copie faite par un Italien d'après l'acte original. Il suppose qu'elle
aurait pu être destinée à être déposée, selon un usage consacré, sur la
ReV. HiSTÛR. XXV. l^r FASG. H
^62 COMPTES-RE.\DUS CRITIQUES.
confession de saint Pierre et que, par conséquent, elle aurait été exécu-
tée au su de l'empereur et avec son assentiment.
Mais le privilège d'Otto se rattache étroitement à celui de Louis le
Débonnaire en 817, et on ne peut examiner l'un sans s'occuper de
l'autre. Celui-ci nous ne le connaissons que par les reproductions d'une
copie du XI' siècle et nous savons que l'original môme n'existait plus
au xiii^ siècle. M. S. cherche à déterminer la valeur des manuscrits oîi
il se trouve, bien que quelques-uns, comme il le reconnaît, n'aient pas
encore été étudiés d'assez près. Ce qu'il dit des manuscrits de Cencius
doit être complété et rectifié : le troisième manuscrit, qu'il n'a pu con-
sulter, a été étudié récemment par un membre de notre école de Rome,
M. P. Fabre, qui y reconnaît tout au moins le plus ancien manuscrit
et qui compte nous donner bientôt une bonne édition de Cencius :
Mélanges d'archéologie et d'imtoire de Vécole française de Borne, 1883.
M. S. croit que toutes le's répliques que nous avons du privilège de 817
proviennent de l'œuvre de quelque canoniste, peut-être du cardinal
Deusdedit, qui, dans les dernières années du pontificat de Grégoire "VII,
aurait composé un recueil des privilèges de l'église romaine.
Le privilège de 817 devait être au xi* siècle le plus ancien de ce genre
qu'on connût à Rome, et, d'après la reproduction à peu près exacte et
complète du protocole, M. S. suppose qu'il était placé dans le recueil
en tête de la série.
Mais l'auteur du recueil n'était-il point capable de modifier ce docu-
ment au gré des intérêts de la papauté? Depuis 817, tout on gardant
les formes extérieures d'un diplôme impérial, n'avait-il pas subi quelque
atteinte ? Pour répondre à ces questions, M. S. examine la langue, le
style, les formules et le contenu du privilège. Les remarques générales
qu'il présente ici sur la méthode à suivre sont fort justes : comme il le
dit, il ne suffit pas déjuger de l'authenticité d'un document d'après des
règles de diplomatique soi-disant fixes et invariables, il faut rechercher
si les circonstances historiques qui ont entouré la rédaction de ce docu-
ment n'expliquent point les particularités qu'il présente et qui le dis-
tinguent des autres pièces du même temps. Les pactes du même genre
qui avaient été conclus au siècle précédent, et que nous n'avons plus,
devaient présenter un fond romain sous des formules franques. De
même le privilège de Louis le Débonnaire s'accorde d'une part avec les
usages de la chancellerie franque au commencement du ix« siècle, tan-
dis que de l'autre il correspond à ce qui s'était fait à Rome au vm" siècle.
Je crois que ce fut là le but que poursuivit la diplomatie pontificale
en 817, elle s'attacha à ce que le privilège de 817 ne fût sur certains
points essentiels que la reproduction des conventions antérieures à 800,
qu'on n'y tînt point compte des droits nouveaux et plus étendus que les
Carolingiens auraient pu revendiquer en raison de leur autorité impé-
riale. Le projet du privilège de 817 aurait donc été préparé par la cour
pontificale.
En résumé, M. S. admet que le style et les formules de ce document
SICKEL : DAS PRIVILEGIUM OTTONIS. ^63
tel qu'il nous est parvenu témoignent en faveur d'un original authen-
tique, mais il ne prétend pas cependant que la copie qui en a été faite
au xi« siècle et dont dérivent les autres ait une valeur absolue, qu'elle
soit entièrement exacte et pure de toute interpolation.
Le privilège de 962 se compose de deux parties dont la première
n'est que la continuation de celui de 817. Mais le rédacteur d'O^ a-t-il
connu l'original de L ? M. S. le croit. Après avoir étudié les formules
de 0, il passe au contenu, en le comparant d'une manière continue avec
L, et il traite avec beaucoup de soin la question des territoires. D'après
lui, Louis le Débonnaire n'aurait point sanctionné toutes les cessions
promises en 774, il s'en serait tenu plutôt aux conventions ultérieures
conclues sous le règne de son père et dans la suite PÉtat de saint Pierre
aurait subi quelques diminutions. Sur deux points importants, des ter-
ritoires indiqués dans L ne se retrouvent pas dans 0. Il s'agit d'abord
d'une série de villes de la Gampanie, Segni, Anagni, etc. Faut-il croire
qu'elles ne se trouvaient pas dans l'original de L que le rédacteur de 0
avait sous les yeux ? M. S. ne l'admet pas et avec raison quelque expli-
cation que l'on propose, les ■villes en question faisaient partie, en 962,
de l'État de saint Pierre. L'omission dans 0 du passage de L relatif à
la Sardaigue et à la Sicile ne s'explique pas de même façon. Ce serait
grâce à une interpolation que ces îles figurent dans L, opinion qui avait
déjà été admise par les défenseurs sérieux de l'authenticité de cette
pièce. A partir de cet endroit, l'ordre d'énumération n'est point le même
dans les deux privilèges, non plus que toutes les clauses. Comme il me
serait impossible de suivre ici M. S. dans la discussion de toutes les
questions qu'il traite, je n'insisterai que sur deux points.
A un endroit le rédacteur de 0 reproduit la délimitation géographique
qui se trouve dans le célèbre passage de la Vita Adriani relatif à la
donation de 774. A diverses reprises M. S. s'est vivement préoccupé de
la difficulté d'arriver à des solutions précises sur les donations de Pépin
etdeCharlemague. Pour expliquer le silence des annalistes du vin^ siècle
à cet endroit, il remarque que ceux du x« siècle ne parlent pas non plus
du privilège de 962. Le rapprochement ne me paraît pas tout à fait
exact : le privilège de 962 était surtout un acte de confirmation, tandis
que les donations de 754 et de 774, créant une situation nouvelle,
devaient frapper plus vivement l'attention. La vérité est que le silence
des contemporains de Pépin et de Charles n'est pas aussi absolu qu'on
le croit, piais ils se sont contentés d'expressions vagues. Quant au
fameux passage de la Vita Adriani, M. S. surprend chez le rédacteur
l'intention d'être obscur, afin de mieux favoriser les intérêts de la
papauté. S'agit-il des territoires dans leur intégralité, ou seulement,
comme on l'a souvent soutenu, des patrimoines situés dans ces terri-
toires ? Pour M. S., les renseignements que donne la Vita Adriani repré-
l. Pour plus de facilité j'emprunte les désignations adoptées par M. S. : 0 =
Privilège d'Otto P"; L = Privilège de Louis le Débonnaire.
^(54 COMPTCS-llENDUS CRITIQUES.
sentent non point la réalité, mais les désirs de la cour romaine. Il en
donne cette preuve que depuis Pépin (ainsi qu'on en peut juger par la
Vita Stephani) tous les pactes de donation procédaient à l'énumération
des villes et des territoires : si cette méthode ne se retrouve pas dans la
Vita Adn'ani, c'est que le rédacteur substitue ses inventions à l'analyse
exacte du pacte de 774 et M. S. essaie même de déterminer les sources
écrites et les cartes dont il s'est servi. C'est là un argument nouveau et
ingénieux qui mérite d'être mis en sérieuse considération. Il y a dans
ces quelques pages des remarques qui éclairent mieux l'histoire des
donations que les trois quarts des dissertations obscures qui se sont
entassées sur ce sujet.
Plus loin, à propos des documents de 824, l'auteur établit, d'après le
privilège de 962, qu'il a dû y avoir alors, outre la Constiiulio et la Pro-
missio que nous avons conservées, un pactum qui s'est perdu. Je n'avais
pas encore lu cette partie du mémoire de M. S. quand j'avais supposé,
dans un article publie ici, qu'une des pièces de 824 s'était perdue : mon
hypothèse se trouve donc confirmée et précisée. J'ajouterai que, si ce
Pactum s'est perdu, c'est probablement parce qu'il sanctionnait le droit
de confirmation impériale. La cour romaine ne devait pas se soucier
beaucoup de conserver ou de produire un pacte qui rappelait une de
ses défaites et qui pouvait être invoqué contre elle. On pourrait objecter
que le privilège de 962 fait des emprunts au Pactum de 824, et que
cependant il n'y est pas question du droit de confirmation, mais du ser-
ment stipulé par la Proinissio. Je répondrai que M. S. n'a point établi
que les rédacteurs du privilège de 962 aient employé soit l'original, soit
une copie authentique du Pactum de 824 : on peut croire qu'ils se sont
servis de copies expurgées. Il était d'autant plus facile de procéder à ces
altérations que, ainsi que l'auteur le remarque lui-même, il n'y avait
point d'archives impériales régulières et bien tenues où on put trouver
une copie authentique de ces actes; dans les négociations avec le pape,
les représentants de l'empereur étaient presque toujours forcés d'accep-
ter les documents tels que les leur présentait la cour pontificale. Enfin
on peut observer que la plupart des emprunts faits par le privilège d'Otto
aux documents de 824 proviennent soit de la Constitutio, soit de la Pro-
missio. Le Pactum, devait pourtant être bien plus développé et contenir,
comme celui de 817, un long passage sur les élections : si les rédacteurs
nel'ontpas mis plus largementàcontribution, c'est qu'ils ne l'avaient point
in-extenso. M. S. croit que des archichapelains impériaux, Bruno de
Cologne et Guillaume de Mayence, et des dignitaires de la cour romaine
ont participé à l'élaboration du privilège de 962 : dans ce système je sup-
pose que les Allemands ne connaissaient point le texte du pactum de 824,
les Romains, qui ne l'ignoraient point, n'en produisirent qu'un texte
tronqué et supprimèrent ce qui était le plus défavorable à la papauté.
Il faudrait un véritable mémoire pour faire connaître et apprécier
toutes les observations ingénieuses que contient l'étude de M. S. Je
n'ai voulu ici qu'en indiquer l'importance : elle est digne de la haute
réputation scientifique de l'auteur et on peut assurer qu'elle rendra de
CiRON : MONNAIES FEODALES FRANÇAISES. Uri
grands services à ceux qui s'occupent des mêmes questions, soit qu'ils
en acceptent toutes les conclusions, soit qu'ils s'en écartent sur quelques
points. M. S. est en effet de ces maîtres chez qui la pratique de l'érudi-
tion la plus minutieuse n'altère ni la netteté, ni la justesse, ni l'origi-
nalité du sens historique. G. Bayet.
Monnaies féodales françaises, par E. Garon. Paris, Rollin et
Feuardent, 1882, in-4°.
L'étude de la numismatique, cette auxiliaire indispensable de l'his-
toire, a été facilitée depuis quelques années par la publication de
quelques livres excellents. J'ai rendu compte, il y a peu de mois, dans
la Revue du volume de M. Hoffman sur les monnaies françaises de la
troisième race. Je dois signaler aujourd'hui à l'attention des lecteurs de
cette revue un excellent ouvrage de M. Garon, intitulé Monnaies féodales
françaises, et dont le premier fascicule vient de paraître. Ge travail est
destiné à compléter le grand répertoire publié par M. Poëy d'Avant
sous le titre de monnaies féodales de France, qui lui-même avait avan-
tageusement remplacé le traité de Tobiesen-Duby sur les vionnaies des
barons paru il y a près de cent ans. A peine terminé, le catalogue de
M. Poëy d'Avant était devenu incomplet, de plus on lui reprocha des
classifications parfois hasardées et une ignorance de la paléographie et
de l'art héraldique qui l'avait entraîné à commettre un grand nombre
d'erreurs; en outre, une recherche attentive dans les collections
publiques ou privées et l'étude de nombreuses trouvailles faites pendant
vingt ans ont permis à M. Garon de réunir un nombre respectable de
monnaies nouvelles et intéressantes. Compléter et rectifier Poëy d'Avant,
tel a été son but ; il a suivi son plan, qui, malheureusement, n'est pas
irréprochable, il s'est astreint, bien malgré lui, j'en suis sur, à ne parler
ni de la Flandre, ni du Gambrésis, de l'Alsace, de la Lorraine, de la
Savoie, etc., autant de provinces françaises. Il est même moins complet
que son devancier, ayant négligé de s'occuper des princes de Retheî,
Sully, Bouillon, etc., et autres grands seigneurs qui cherchèrent aux
xvi« et xvu'= siècle à constituer une féodalité nouvelle et ont affirmé
leurs tendances en frappant monnaie. Ges monnaies sont sans valeur
artistique, mais elles n'en constituent pas moins une des pages les plus
curieuses de notre histoire numismatique. L'ouvrage complet se com-
posera de trois fascicules, et je compte en parler de nouveau et avec
plus de détails quand il sera terminé ; qu'il me suffise, pour le moment,
de l'annoncer aux numismatistes et aux érudits. Le premier fascicule,
le seul paru, contient les provinces suivantes : Ile-de-France, Bretagne,
Anjou, Perche, Berry, Auvergne, Limousin ; plus de 200 monnaies
nouvelles sont décrites dans le texte et les types les plus intéressants
sont gravés sur huit planches. Tous les savants qui possèdent l'ouvrage
de M. Poëy d'Avant devront avoir celui de M. Garon, qui en est le
complément indispensable. J. Roman.
^66 COMPTES-REXDUS CRITIQUES.
Stato e Chiesa negli Scritti politici, dalla fine délia lotta per
le Investiture, sino alla morte di Ludovico il Bavaro
(^^22-1347), par Fr. Scaddto. — Florence, Le Monnier, 1882.
Marsilio da Padova , riformatore politieo e religioso del
secolo XIV, par Bald. Laba?(ca. Padoue, Salmin frères, -(882.
Les maîtres de la critique historique en Italie, tels que MM. Yillari,
Malfatti, del Lungo, ont la satisfaction de voir se former derrière eux
une compagnie nombreuse de disciples et de continuateurs fort habiles
à explorer les recoins de l'histoire véritablement originale de la pénin-
sule, à savoir : le moyen âge et le xvi" siècle. Les deux monographies
dont je veux rendre compte sont inspirées plus ou moins directement
par les recherches de M. "Villari au t. II de son Nicolo Machiavelli e i
suoi Umpi. L'éminent critique avait retracé , dans un chapitre curieux,
la suite des théories politiques italiennes antérieures au Prince.
MM. Scaduto et Labanca complètent ce tableau et analysent en détail,
le premier, tous les traités écrits soit en Italie, soit en France, depuis le
xn'= siècle jusqu'au milieu du xiv«, sur l'origine divine ou humaine des
gouvernements, sur l'Église et l'Empire, leurs prétentions à la primauté
universelle et l'antagonisme de leurs droits; le second, la vie et les doc-
trines de Marsilio de Padoue, le protégé de Louis de Bavière, l'adver-
saire résolu de la suprématie pontificale et le premier parmi tous ces
théoriciens qui ait entrevu dans le consentement universel le fonde-
ment du droit social et de l'autorité politique. Les deux écrivains sont
d'accord sur les idées essentielles de l'œuvre maîtresse de Marsilio, le
Defensor Pacis, sauf une, la plus importante, peut-être, celle de l'État,
entendu à la façon des modernes, l'Etat-nation, autonome, indépen-
dant de toute souveraineté supérieure ou mystique. M. Labanca affirme
(p. 126-128) que cette notion est clairement exprimée par le réformateur
padouan; M. Scaduto, après M. Villari, est d'un avis contraire (p. 132).
Selon lui, Marsilio n'a point dépassé la notion de l'État-cité, qu'il em-
prunte à Aristote plus encore qu'à la commune italienne du moyen
âge. Or, cette idée apparaît déjà chez la plupart des prédécesseurs de
Marsilio, dans le De Regimine Principiim de saint Thomas, le De Potes-
tate regia et papali de Jean de Paris. Sur ce point, M. L. me semble
avoir cédé à un enthousiasme qui l'entraîne parfois un peu loin. Ne
nous montre-t-il pas Marsilio comme « prophète de l'avenir, » précur-
seur de la Réforme et de la Révolution française? De la première, parce
qu'il croit à la révélation individuelle du Saint-Esprit dans la conscience
du fidèle et diminue le rôle médiateur du prêtre ; de la seconde, parce
qu'il considère le peuple, ou plutôt les citoyens les meilleurs {pars
valentior civîum) comme les gardiens les plus sûrs de la loi et les chefs
naturels de la société, dont ils règlent par l'élection l'organisme entier
(p. 220-222). Mais cette doctrine religieuse est au fond du christianisme
même que les Italiens ont façonné selon leur génie propre, et, au
xni^ siècle particulièrement, elle s'est manifestée d'une façon éclatante
SCADDTO : STATO E CDIESA (H 22- J 347). H7
parla religion franciscaine et dans le sein de la société joachimite;
quant à la doctrine sociale de Marsilio, où M. L. découvre même les
germes du socialisme moderne, j'y verrais simplement l'application
logique de l'idée dominante du Defensor Pacis, idée que je crois encore
plus péripatéticienne que révolutionnaire. N'oublions pas que Padoue
était au xiv^ siècle, pour l'Italie, la forteresse du péripatétisme, comme
Bologne était la métropole du Droit romain. La théorie démocratique
de Marsilio a pour source principale la Politique d'Aristote. J'en trouve
la preuve dans une contradiction assez grave. Si Marsilio écarte l'Église
du gouvernement temporel du monde et la fait rentrer, dépouillée de
toute immunité ecclésiastique, dans le droit commun et sous la loi
commune de l'État, il laisse encore au gouvernail le prince œcumé-
nique, l'empereur, qui préside à la direction générale du navire. C'est
lui, par exemple, qui peut seul accorder au pape l'autorisation de
réunir le concile universel. En d'autres passages du Defensor, le prince
n'est plus qu'un monarque élu à vie par le peuple responsable et soumis
au contrôle populaire. Or, si la notion démocratique de Marsilio avait
été inspirée directement par l'expérience historique plutôt que par une
tradition philosophique, par l'exemple des communes italiennes plutôt
que par l'École, cette primauté de l'empire eùt-elle ainsi persisté dans
la théorie du réformateur? S'il y eut des communes gibelines, telles
que Pise, leur attachement à l'empereur s'explique beaucoup par la
terreur d'une commune inquiétante, telle que fut longtemps Florence
pour ses voisins. Mais la commune italienne, considérée in abstracto,
qui représente le mouvement d'indépendance des bourgeois et des petits
seigneurs du contado, est hostile au saint-empire, c'est-à-dire à la haute
féodalité, bien plus encore qu'au saint-siège. Enfin, les définitions que
Marsilio donne du peuple, universitas civium, communitas civium, uni-
versitas fideliiim, humanus legislator, répondent plutôt à ce que les his-
toriens du xvi^ siècle appellent Vuniversale, le peuple dans son ensemble
et soumis au niveau égalitaire de la tyrannie du xv^ siècle, qu'à la
société italienne des communes, société toute hiérarchique, dont tantôt
la haute bourgeoisie, tantôt la moyenne bourgeoisie est la classe diri-
geante, où l'individu se noie, non pas dans une foule homogène de
citoyens égaux, mais dans une corporation limitée; où le gouverne-
ment, en temps de paix civile, appartient non pas à la volonté popu-
laire, au suffrage universel tel que Marsilio le conçoit, mais à des
juridictions superposées de conseils et de magistrats élus par des corps
électoraux distincts et fermés.
Nous touchons, il me semble, sur ce point particulier, au trait carac-
téristique de toute la littérature politique du moyen âge. Tous ces écri-
vains sans exception, les partisans de la suprématie ecclésiastique, tels
que saint Bernard, Jean de Salisbury, saint Thomas et son école; les
partisans de l'empire, tels que Dante et Marsilio de Padoue dans son
traité de Translatione imperii; ceux de la France, tels que Pierre
Du Bois, Jean de Paris et plusieurs autres avocats anonymes des préten-
^68 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
tions de Philippe le Bel, sont des scolastiques, indifférents à la réalité,
à l'histoire, possédés et aveuglés par la méthode a priori. Ils édifient
leur doctrine sur deux ou trois axiomes, théologiques pour la plupart,
et en tirent les dernières déductions, sans s'inquiéter des démentis que
les faits donnent sans cesse à la théorie. Ils prennent même, chemin
faisant, des comparaisons pour des raisons. Dante, en son traité de la
Monarchie, semble ébloui par la métaphore des deux luminaires, l'em-
pereur et le pape. Ils raffinent, avec une subtilité étonnante, sur les
textes de l'Ecriture, mais ils ne soupçonnent aucune des causes histo-
riques et contingentes qui ont rapproché et mis aux prises les deux
grands pouvoirs : l'état féodal de la chrétienté, source première du
conflit ; les relations mystiques des deux maîtres du monde, la consé-
cration de l'empereur à Rome, les variations dans le mode d'élection
des papes; l'horrible désordre de l'Italie et de l'Église sous les empe-
reurs saxons; la répugnance de l'Église italienne à l'égard des papes
d'origine allemande ; le profond effort de la péninsule vers l'indépen-
dance, essayé d'abord par des retours éphémères à la royauté italienne,
puis par le mouvement comm.unal, et qui prenait sur le siège aposto-
lique son principal point d'appui. Les doctrinaires de Philippe le Bel
sont peut-être les seuls dont les doctrines soient bien d'accord avec
leur moment historique. Mais il est singulier de voir saint Thomas
relever la théorie de la primauté temporelle des papes, au sens rigou-
reux de Grégoire VII, dans le siècle même de Frédéric II et de saint
Louis, et Dante évoquer la figure de l'empire œcuménique tel qu'Otton I^""
et Henri III l'avaient imaginé, au lendemain de la mort d'Albert le"", au
moment même où le débile Henri YII descendait timidement en Italie.
Certes, après Boniface VIII et Henri VII, l'heure de la France sonnait
très clairement. Les légistes et les canonistes du roi avaient l'oreille
fine et l'entendirent : plus libres à l'égard de la discipline scolastique,
ils auraient pu fonder la véritable li-ttérature politique et répondre
mieux que par des syllogismes à l'appel de l'histoire.
MM. Scaduto et Labanca terminent l'un et l'autre leur ouvrage par
un aperçu rapide des vues d'Ockam, l'un des esprits les plus indépen-
dants du xiv<= siècle, et qui a pour nous le mérite d'avoir résumé et
débattu dans ses Octo Quœstiones, comme en une Somme, la plupart des
doctrines antérieures. Les conclusions de ce moine, reproduites dans
son Dialogus inter magistrum et discipiiliim, sont parfois singulièrement
hardies. Il dépouille le souverain pontife non seulement de toute auto-
rité sur les choses politiques et de tout domaine temporel, mais encore
de tout droit à trancher dogmatiquement en matière de foi et à juger
des hérésies, privilège qu'il réserve au concile général. Il admet sans
embarras le cas où le pape serait lui-même hérétique. Ne lui parlez ni
de l'infaillibilité pontificale, ni de la fameuse donation que le moyen
âge attribuait à Constantin. Ockam a déjà le sens critique; sur la ques-
tion de la translation de l'empire des Grecs aux Francs, comme sur celle
de la royauté universelle des papes, il répond qu'il faudrait vérifier
LABANCA : MARSILIO 1)1 PADOVA. -169
d'abord les documeuts et privilèges authentiques, registra fide cligna. Il
a établi, avec une rigueur de discussion inconnue à ses prédécesseurs,
que la suprême puissance spirituelle et la suprême puissance tem-
porelle ne pouvaient se confondre dans une seule et même personne.
Cette confusion lui paraît aussi monstrueuse que le seraient « deux
têtes sur un seul corps. » Ici, c'est toujours contre le saint-siège qu'il
raisonne. Mais, ainsi qu'il arrive à tous les théoriciens du moyen âge,
sa doctrine, limitée par une expérience incomplète de l'histoire, ne sait
pas faire le tour de la question tout entière. Certes, ils ont tous assez
glosé sur la parole sainte : Regnum mcum non est de hoc mundo^ afin de
ramener la papauté à sa destination originelle. Mais aucun d'eux ne
songe à examiner la confusion du spirituel et du temporel dans la per-
sonne même de l'empereur. Un seul empereur, sans doute, Frédéric II,
vers la fin de sa vie et dans l'excès de sa passion contre Rome, a tenté
de supplanter le pape et de régner à la façon d'un Antéchrist sur la
chrétienté. Mais, antérieurement à l'empereur souabe, combien de fois
l'empire n'avait-il pas usurpé sur les fonctions spirituelles du saint-
siège! De grands politiques, tels que Charlemagne, Otton !<"• et
Henri III, un rêveur mystique tel que Otton III, s'ils nomment ou
déposent des papes, ont aussi la prétention, en vertu de l'onction impé-
riale qui a touché leur front, de parler et d'agir comme vicaires visibles
de Dieu. Quand on lit la véritable encyclique de Charlemagne à toutes
les puissances ecclésiastiques et séculières (Pertz, Monurn. Germ. Leg.
I, 53), on se demande quel était alors, de l'empereur ou de l'évêque de
Rome, le pasteur authentique de l'Église. L'histoire troublée de l'Italie
et de l'Occident avait rapproché les deux grands pouvoirs, les avait
rendus nécessaires l'un à l'autre et, par conséquent, jaloux et rivaux
l'un de l'autre. Les philosophes ont cherché la conciliation des deux
autorités dans l'abaissement ou la soumission de l'une d'elles. Il eût
été plus sage de renfermer l'Église et l'État chacun dans son domaine
propre et de creuser entre eux un fossé infranchissable. Mais le moyen
âge était à la fois trop chrétien et trop féodal pour essayer une entre-
prise que les temps modernes n'ont pas encore achevée, et dont la
notion ne fut jamais qu'imparfaitement entrevue par les dialecticiens
politiques du passé.
Emile Gebhart.
Alfred von Recmont. Kleine historische Schriften. Gotha ,
Fr.-A. Perthes. vi-535 p. in-8°, d882.
C'est un spectacle admirable de voir l'énergie et la fraîcheur d'idées
■avec lesquelles l'auteur, déjà vieux, de ces petits mémoires historiques,
se livre à ses travaux littéraires. Ces mémoires ne sont pas, en eiïet,
tout simplement des articles déjà parus et qu'on s'est contenté de
réunir ensemble; la plupart viennent seulement de paraître, et ceux
170 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
qui ont été déjà publiés sont ici étendus et remaniés; et cependant l'au-
teur les donne lui-même pour de simples intermèdes au milieu de tra-
vaux plus importants ; il y a peu de temps, en effet, il lui a été donné
de pouvoir publier une seconde édition remaniée de son excellente
biographie de Laurent le Magnifique.
On pourrait presque considérer comme se rattachant à ce même sujet
l'étude par laquelle s'ouvre le présent volume. Elle est relative (p. 1-154) à
« Alessandra Strozzi, noble dame florentine du xv^ s. » Après nous
avoir, en matière d'introduction, montré dans Mm« Bartolommea
degli Alberti le type des femmes à la fin du moyen âge, M. de Reu-
mont nous raconte brièvement l'histoire de la famille florentine des
Strozzi, pour y rattacher l'histoire de Matteo Strozzi et de sa veuve
Alessandra dei Macinghi. Matteo Strozzi, élevé à l'école des humanistes,
noble bourgeois de Florence, sans prendre une part éminente à la vie
politique de sa patrie, fut envoyé en exil en 1434 par la faction victo-
rieuse des Médicis, tandis que sa famille était bannie avec la faction
des Albizzi. Avec sa femme et six enfants, Matteo se retira à Pesaro,
où il était interné. Il y mourut l'année suivante. En 1436, M™" Ales-
sandra revint à Florence avec cinq enfants ; elle avait à peine trente ans ;
elle y mourut en 1471, après avoir eu la joie de voir ses fils, riches et
considérés, revenir à Florence des pays étrangers. C'est à l'un de ses
fils, Filippo, qu'est dû le puissant palais dont la construction solide et
fière, et cependant belle et élégante, fait revivre aujourd'hui avec le
plus de fidélité l'esprit de la Florence républicaine.
D'après la correspondance qu' « Alessandra Macinghi negli Strozzi »
entretint avec ses parents, et dont M. G. Guasti a publié, en 1877,
soixante-douze lettres avec des annotations, et d'après un grand nombre
d'autres documents plus ou moins importants sur l'histoire du xv* s.,
M. de Reumont a tracé de l'excellente femme et mère un portrait fort
touchant, où se reflète très vivement l'image des pensées et des senti-
ments d'une noble Florentine et de la meilleure des mères. Les soucis
et les joies toujours semblables d'une pieuse mère nous sont si bien
présentés au milieu de la peinture des temps et des lieux, qu'ils doivent
éveiller la sympathie de tout cœur accessible aux sentiments humains.
Comparée à cette première étude vraiment importante, les autres
essais ne peuvent réclamer qu'une place très inférieure. Le second
traité est, il est vrai, plein d'intérêt dramatique; mais il ne procure
pas autant de plaisir que le premier. Il nous raconte l'abdication et la
mort du roi Victor-Amédée II de Sardaigne ; comment ce prince
déposa solennellement la couronne le 12 août 1730, comment il s'en
repentit ensuite et voulait s'emparer à nouveau du pouvoir, comment
enfin son fils, le roi Charles-Emmanuel, le fit transporter violemment
au château de Rivoli et l'y fit détenir étroitement jusqu'à ce qu'il
mourût à Moncalieri, le 31 octobre 1755.
Le troisième essai nous décrit, d'après une connaissance personnelle
des lieux et l'étude approfondie des sources historiques dont on peut
LOSSEN : DER KœLNISCHE KRIEG. Hl
actuellement disposer, la situation des îles Ioniennes sous la domina-
tion de Venise ; l'auteur résume en ces termes son jugement sur le
gouvernement de la République : « L'administration vénitienne dans
les îles joignait à des faiblesses de toute sorte beaucoup de bons côtés;
elle avait surtout le mérite de se plier aux caractères particuliers des
gens du pays à un plus haut point que chez la plupart des gouverne-
ments étrangers. »
D'après le modèle que M. Albin Body, l'historien de Spa, a donné
pour sa ville natale, M. de Reumont nous retrace, dans le quatrième
essai, l'histoire d'Aix-la-Chapelle à l'époque de la Révolution française.
Pour donner à cet essai un centre, il l'a rattaché à la personne du roi
de Suède Gustave III qui, en 1780 et en 1791, séjourna à Aix-la-Cha-
pelle, en partie à cause de l'intérêt qu'il portait à la famille royale de
France. Pour ce mémoire très nourri de faits (p. 283-391), est-il besoin
de dire que l'auteur a mis à profit surtout les matériaux rassemblés par
M. de Klinckowstrœm dans son livre : le Comte de Fersen et la Cour de
France. De même que cette étude est suivie d'un appendice consacré à
un Italien, le comte G.-B. Baldelli, de même la suivante contient une
addition particulière. Après son essai « sur les derniers Stuarts, Vit-
torio Alfieri et la comtesse d'Albany » l'auteur nous parle, en effet, de
deux prétendus rejetons de la famille des Stuarts, sur l'origine des-
quels on n'a pu rien savoir de certain. L'auteur ajoute encore quelques
remarques sur la famille Lambertini de Bologne, mais je n'en vois
pas la raison.
Le dernier mémoire nous raconte, comme le premier, la vie d'une
femme distinguée, Mary Somerville, noble écossaise très versée dans
la connaissance des mathématiques et des sciences naturelles.
Ceux qui voudraient juger la différence qui distingue le xix^ siècle de
la fin du moyen âge d'après la vie de ces deux femmes trouveraient dans
ces deux études une abondante matière à comparaison. M. de Reu-
mont, qui a été pendant longtemps l'ami de M™« Somerville, lui a
élevé, dans cette exquise biographie, le monument qu'elle méritait.
Der Kœlnische Krieg, voii Max LossEN. Vorgeschichfe, ^565-^58l.
Gotha, Perlhes, -1882, xv-781 p. in-S".
C'est dans la seconde moitié du xvi^ siècle qu'ont été fixées les forces
respectives du catholicisme et du protestantisme. Le grand mouvement
religieux commence à se refroidir; les partis religieux se séparent de
plus en plus les uns des autres. De moins en moms l'on songe à s'en-
tendre sur le terrain dogmatique ; on croit au contraire qu'une lutte
décisive sur le terrain politique est inévitable. Cela n'est pas seule-
ment vrai pour la France, l'Angleterre et les Pays-Bas, mais aussi pour
l'Allemagne, où la paix religieuse de 1.555 n'était qu'une trêve; abrités
-172 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
derrière les clauses du traité, les adversaires continuèrent de s'observer
avec défiance et à se préparer pour la catastrophe attendue. Considérée
du dehors, cette période, l'histoire préliminaire de la guerre de Trente
ans, est très pauvre en événements; aussi, jusqu'à ces derniers temps,
avait-elle été fort négligée, tout l'intérêt se concentrant sur l'époque
de Luther et sur celle de Gustave-Adolphe. Tant qu'on en est encore à
rechercher les sources non encore utilisées et à les rendre accessibles,
un travail d'ensemble ne peut naturellement pas se produire. Nous
devons d'autant plus apprécier l'étude spéciale de certains points
importants, surtout quand elle est faite avec autant de circonspection
et de mérite que l'ouvrage de M. Lossen.
L'auteur avait pris tout d'abord pour sujet la guerre de Cologne,
c'est-à-dire les troubles qu'excita l'archevêque de Cologne, Gebhard
Truchsess (1577-83), lorsque, malgré son mariage et sa conversion au
protestantisme, il s'efforça de garder la dignité électorale. Après sa
déposition par le pape et le choix d'un successeur, Ernest de Bavière,
l'affaire fut promptement décidée; à l'automne de l'an 1583, Truchsess
fut vaincu et chassé. Mais au cours de son travail, M. Lossen s'aperçut
que cette courte lutte, au sujet de l'archevêché de Cologne, était le
dénouement tragique d'une situation qui durait depuis plus de quinze
ans. Les documents grossirent entre ses mains, aussi le gros volume
qu'il vient de publier n'est-il qu'une introduction à l'histoire de l'évé-
nement dont il porte le nom. A vrai dire, le germe d'intrigues si com-
pliquées dont l'histoire est suivie ici jusque dans les plus petits détails
se trouve dans le projet rêvé par les Wittelsbach de Bavière d'établir
leur hégémonie sur l'Allemagne catholique. Cette situation, pour
laquelle la puissance territoriale de la Bavière n'était pas un fondement
suffisant, devait être obtenue par la réunion d'évêchés aussi nombreux
et importants que possible entre les mains d'un prince bavarois; cette
concentration était d'ailleurs contraire aux principes ecclésiastiques;
mais comme le duc de Bavière était, de tous les princes d'empire,
le plus important des partisans du pape, et comme ses vues se
portaient surtout vers les diocèses menacés par l'hérésie, l'intérêt
dynastique se renconti-a avec l'intérêt général de l'Église. M. Lossen
raconte comment ces plans bavarois réussirent à Freising, Hildesheim,
Liège, comment ils échouèrent dans les évèchés westphaliens, à Salz-
bourg et tout d'abord aussi à Cologne; il examine en outre la condi-
tion juridique des propriétés possédées par les chapitres, les intérêts
opposés des princes catholiques et protestants, de la haute et de la basse
noblesse, des premières dynasties catholiques, les Habsbourg et les
Wittelsbach. Le prince bavarois Ernest, qui, dès sa jeunesse, fut des-
tiné à devenir l'instrument de cette orgueilleuse politique religieuse,
est suffisamment mis au premier plan. Les luttes que dans son ardente
enfance il engagea contre le pédantisme de ses gouverneurs, le contraste
de ses sentiments tout mondains avec les fonctions qu'on lui imposait,
ses aventures d'amour et son goût pour la magie, tout cola est bien
DE BOrSLISLE : MEMOIRES DES INTENDANTS SUR LES GÉNÉRALITÉS. -173
propre à aDimer le train un peu monotone d'une diplomatie passable-
ment mesquine.
C'est surtout l'histoire des mœurs qui gagne à cette peinture soignée
de l'aventureuse jeunesse d'un prélat éminent. Naturellement la situa-
tion politique de l'empire joue un rôle dans les luttes entamées au
sujet des évêchés. La situation indépendante (Freistellung) réclamée
par les protestants, l'élection de l'empereur Rodolphe II (1575), la der-
nière Diète de l'empereur Maximilien II sont traitées avec pénétration.
Les efforts déployés par le Palatin et autres princes pour décider l'arche-
vêque Salentin de Cologne à recevoir une pension de la France et à
séculariser son archevêché ont permis à l'auteur de jeter en passant
un coupd'œil sur l'alliance d'une partie des princes protestants avec la
France, leur protectrice traditionnelle.
En fait de précision, d'abondance dans les renseignements sur les
documents employés et les livres utilisés, l'ouvrage de M. Lossen est
un chef-d'œuvre auquel peu d'autres pourraient lui être comparés. Il ne
faut pas non plus passer sous silence l'excellente description de l'an-
cienne ville impériale de Cologne.
F. VON Bezold.
Mémoires des Intendants sur les Généralités , dressés pour
rinstruction du duc de Bourgogne. Tome 1, Mémoire de la géné-
ralité de Paris, publié par M. A. de Boislisle. Paris, imprimerie
nationale, ^88^, in-4'' (Collection des documents inédits sur l'his-
toire de France) .
Qu'on me permette d'exprimer ma pensée sur la nouvelle publication
de M. de Boislisle dans des termes parfaitement vulgaires : la sauce vaut
beaucoup mieux que le poisson. Il y avait une foule de bonnes raisons
pour que le gouvernement hésitât à entreprendre l'édition des Mémoires
des Intendants sur les Généralités : l" la publication sera immense et
coûtera cher; 2" si nous jugeons de ces Mémoires d'après le spécimen
que nous avons sous les yeux, ils sont déplorablement médiocres : le
plan est médiocre, médiocre l'exposition, et médiocre même l'autorité ;
3" ces Mémoires ont été utilisés par la plupart des géographes et des
statisticiens du siècle dernier. On en trouve la crème, si je puis dire,
dans Piganiol de la Force, dans Boulainvilliers, dans Expilly, dans
Hesseln, etc.; 4° les copies de ces Mémoires sont extrêmement nom-
breuses, — assez nombreuses même pour que la patiente perspicacité
de M. de Boislisle se soit rebutée avant d'arriver à en dresser une liste
complète. On en trouve dans la plupart des grands dépôts de France et
de l'étranger. C'est dire que les renseignements inédits qu'ils con-
tiennent se trouvent — quoique manuscrits — à la portée de tous les
travailleurs. J'ajouterai qu'ils sont en somme à peu près aussi acces-
sibles que cette majestueuse Collection des Documents inédits^ qui, par le
174 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
nombre des volumes dont elle s'accroît journellement, par le poids de
ces volumes, par le mode de distribution qui les fait parvenir aux
mains des lecteurs, se trouve de plus en plus exilée des bibliothèques
particulières et en est réduite à se cantonner sur les amples et solides
rayons des bibliothèques publiques.
Toutes ces raisons une fois exposées, je dois avouer que si j'avais eu
l'honneur de figurer parmi les membres du comité qui a décidé l'im-
pression des Mémoires des Intendants, j'eusse fait comme eux, j'eusse
voté la publication. Et la raison décisive qui, à mon avis, devait
enlever les suffrages, c'est que M. de Boislisle s'offrait pour entre-
prendre le travail.
M. de Boislisle, en effet, est un habile ouvrier. Il est de ceux qui
savent donner du prix à ce qu'ils touchent. Une fois entre ses mains,
le document le plus terne reluit et devient balai. Tenez, déjà, ces
Mémoires des Intendants, sous leur nouvelle forme on ne les reconnaît
plus.
Quelle opulence dans cette Introduction de xciv pages, dans ces appen-
dices au nombre de xix, occupant 386 pages à deux colonnes, dans ces
additions, dans ces corrections, dans ces tables qui occupent 70 pages
encore ; et par-dessus tout quelle prodigalité dans ce commentaire infa-
tigable!— On s'imagine un serviteur dévoué, agile, vigilant et modeste.
Il accompagne le maître de la plus attentive sollicitude. Il aplanit les
obstacles devant lui. Il corrige ses erreurs, le relève quand il bronche.
Il fait foule autour de lui, l'exalte au bon moment, l'admoneste quel-
quefois doucement, paternellement, et lui donne du moins les allures
d'un grand seigneur par l'illusion d'un si brillant cortège. C'est un
commentaire qui mériterait d'être texte, au rebours de ce que dit Figaro,
qu'aux qualités qu'on exige d'eux, il y a peu de maîtres qui mériteraient
d'être valets.
Le volume dont nous rendons compte a, en tout, 948 pages. Si nous
défalquons de ce total, pour l'introduction, 94 pages, pour les appen-
dices et les tables, 456 pages, pour le commentaire, un cinquième du
texte, c'est-à-dire 80 pages environ, nous arrivons à un total mini-
mum de 630 pages, constituant l'accessoire. Il reste donc pour le
principal 318 pages. N'est-ce pas que ce principal est tout à fait accom-
modant ?
Modestie d'ailleurs parfaitement justifiée. Le commentaire fait au
texte beaucoup d'honneur en s'occupant de lui avec une application si
soutenue. Ce n'est pas sans un sentiment d'admiration pour l'opiniâtre
annotateur qu'on le voit réduit à corriger, à chaque pas, les erreurs de
fait ou de chiffres qu'entasse, non moins opiniâtrement, l'auteur du
Mémoire. A la suite de celui-ci, M. de B. en arrive à discuter gra-
vement la question de savoir si « l'Université ayant été autrefois à
Athènes a été transférée à Rome et depuis, s'étant donnée à Charle-
magne, il la fit venir à Paris ! »
L'introduction du volume, extrêmement nourrie de faits curieux et
DE BOISLISLE '. MÉMOIRES DES INTENDANTS SUR LES GE'ne'rALITe's. -1 75
nouveaux pour la plupart, ne s'élève pas jusqu'à l'étude générale de la
question des Intendants, ni même jusqu'à l'examen d'ensemble de la
collection des Mémoires sur l'état des généralités. M. de B. s'occupe uni-
quement de la généralité de Paris et du Mémoire consacré à cette géné-
ralité. Sans épouser absolument le jugement si sévère de Boulainvil-
liers <, il ne cache pas le peu d'estime qu'il a pour une partie de
l'œuvre rédigée sous la direction de M. Phélypeaux. Il s'attache à
déterminer les sources auxquelles l'auteur a puisé. Il définit nettement
le sujet qu'il a traité. Il expose le plan qu'il a suivi. Il indique les
auteurs postérieurs qui se sont servis de son travail. Il étudie aussi avec
détail quelques-uns des points les plus importants touchés dans le
Mémoire, notamment la question si délicate du chiflre de la population
de Paris et de la généralité.
L'introduction se termine par une liste chronologique des adminis-
trateurs de la généralité de Paris. Je ne trouve aucun nom à y ajouter.
Je suis d'avis, comme M. de B., que le premier intendant de l'Ile-de-
France a été le sieur d'Orgeval, dont la commission datée de 1633 est
conservée aux archives de la Guerre. Mais je m'étonne que l'auteur,
si expert en ce qui concerne l'histoire des intendants, ne se soit pas
satisfait du texte de la commission et qu'il ait cru devoir supposer
qu'une autre commission donnait au sieur d'Orgeval les attributions de
Justice et de Finances. En effet, quant aux attributions de justice, elles
lui sont conférées par le titre d'intendant de justice et police compris
dans le texte même de la présente commission et par les mots : « Pour
en icelles [provinces] pourvoir à ce que la justice soit bien et sincèrement
administrée..., etc. » Les attributions de finances sont également visées
dans la même pièce, du moins en ce qui concerne le militaire : « [Vous
prendrez soin] ensuite de procéder avec les trésoriers de France en
chaque généralité, les élus appelés, au département de la contribution
qui devra être faite en espèces, des vivres et fourrages nécessaires aux
chefs, officiers et chevau-légers de chaque compagnie, régalant ladite
contribution en espèces tant sur les lieux du logement desdites troupes
que sur tous les contribuables de l'élection entière. » Ces termes indiquent
précisément les pouvoirs financiers seuls mis aux mains des intendants
à l'époque dont il s'agit. Ils visent spécialement cette qualité d'inten-
dants du militaire si naturelle en ce temps-là et si difficile à expliquer
par la suite. Ce n'est pas par hasard que les commissions des inten-
dants de la première période se trouvent conservées pour la plupart au
ministère de la guerre. La guerre fut en eff'et le vrai berceau de l'insti-
tution. Je ferai observer en outre que cette année 1633, qui vit, par
exception, un intendant de justice établi dans l'Ile-de-France (je dis
1. ... Ennuyeuse prolixité... digressions inutiles et coritiniielles... affectation
de traiter avec étendue des choses hors de son sujet et de supprimer celles qui
sont essentielles...., etc.
^76 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
dans l'Ile-de-France et non pas à Paris '), est l'année où Richelieu com-
mence à préparer la grande guerre, année de grands remuements de
troupes et de prise de positions sur la frontière.
C'est l'année précisément où le cardinal, désirant, comme il est dit
dans le texte de la commission, « que les troupes subsistent partout
sans apporter beaucoup de foule au peuple, » portait ce Règlement sur
les Etapes dont il se glorifie dans ses Mémoires, et qui nous semble
concorder de tous points avec la commission spéciale donnée au sieur
d'Orgeval.
Je pense qu'en somme, d'après la liste même de M. de Boislisle, il
faut considérer l'établissement à poste fixe des intendants dans la
généralité de Paris comme postérieur à la mort du cardinal de Riche-
lieu.
Le Mémoire sur la généralité de Paris est divisé en quatre parties
disposées dans un ordre à peu près arbitraire. Chacune de ces parties
se trouve contenir un assez grand nombre de renseignements précieux
pour l'histoire, qui, grâce à l'examen minutieux que leur a fait subir
M. de Boislisle, peuvent être considérés désormais comme faisant
autorité.
Le chapitre i«'' est consacré à l'état de l'Église avec un appendice
relatif à l'ordre de Malte. Le chapitre ii traite du gouvernement mili-
taire et comprend, outre les détails qu'on peut s'attendre à voir rangés
sous ce titre, des considérations sur le chiffre de la population, sur le
nombre des huguenots sortis de la province, enfin sur les poudres et
salpêtres. Le chapitre m est consacré à l'administration de la justice.
Le chapitre iv aux finances. On trouve dans ce chapitre, entassées
pêle-mêle, des notions sur le domaine, les impôts, l'agriculture, l'in-
dustrie, le commerce, la voirie, les forêts, les mines.
J'arrive en toute hâte et le plus volontiers du monde aux appendices
que M. do B. a cru devoir ajouter à la publication du mémoire. Ces
appendices, je l'ai dit déjà, sont au nombre de xix. Mais chacun d'entre
eux se subdivise en fragments également importants, et l'on ne
s'imagine pas l'abondance et l'intérêt des renseignements qu'on trouve
entassés dans ces huit cents colonnes in-4° imprimées en texte minus-
cule! Ils ne sont pas tous inédits. Mais, par leur rapprochement, ils
forment un ensemble extrêmement instructif. En suivant, un peu
malgré lui, probablement, le plan tracé par l'auteur du Mémoire,
M. de B. a réuni là le fruit de ses longues recherches dans les papiers
du contrôle général, aux archives nationales, au ministère des affaires
étrangères, à la bibliothèque nationale et dans les livres imprimés. II a
1. En effet, le texte de la commissioa indique très nettement que l'intendant
d'Orgeval est attaché à titre principal à l'armée de Picardie envoyée en gar-
nison sur la frontière, à titre accessoire dans les provinces de Picardie, de
Champagne et de l'Ile-de-France.
PUBLICATIONEX AUS DE\ PREUSSISCHEÎV STAATSARCHlVErV. -177
ainsi poussé bien loin le tableau de l'administration sous l'ancien
régime, tableau que le Mémoire n'avait fait qu'ébaucher. On peut
regretter peut-être quelques lacunes, par exemple que pour les pre-
mières années du xvn^ siècle, M. de Boislisle se soit contenté de
reproduire les chapitres un peu rapidement écrits de Daviti, tandis
qu'il reste dans les bibliothèques un grand nombre de documents mss.
et beaucoup plus autorisés ; mais c'est là une tache bien légère sur un
ensemble si brillant. En somme, on ne pourra plus écrire une ligne
sur l'administration de la France sous l'ancien régime sans avoir entre
les mains les appendices de M. de B., comme déjà pour l'histoire géné-
rale il faut avoir ce qui a paru de son édition de Saint-Simon, pour
l'histoire des finances il faut avoir ce qui a paru des papiers du con-
trôle général, pour l'histoire de la magistrature et des comptes il faut
avoir ce qui a paru des papiers de Nicolaï. Ce sont là — sans parler
du reste — de véritables titres de gloire, et nous n'avons plus qu'à
souhaiter longue vie et santé prospère à M. de B., afin qu'il mène à
bonne fin tant et de si honorables entreprises.
G. H.
Publicationen aus den K. Preussischen Staatsarchiven. IVBand.
I. Memoiren der Kurfiirstin Sophie von Hannover. 2. Frédéric II,
Histoire de mon temps. Leipzig, Hirzel, ^ vol. in-8% 499 p.
On ne saurait trop se féliciter de l'activité que les archives de Berlin
déploient sous l'intelligente et féconde impulsion de leur directeur,
M. de Sybel. Les dissentiments très naturels qui nous séparent sur
certains points de cet éminent historien ne nous ont jamais empêché
de signaler, avec les éloges qu'ils méritent, les services que ses colla-
borateurs et lui rendent à la science historique. Le présent volume
contient deux morceaux d'un caractère très différent.
l" Mémoires de la duchesse Sophie, plus tard électrice de Hanovre,
publiés par M. G. Kœcher. — Ces mémoires n'ont pas grand intérêt
pour l'histoire politique ; mais ils en présentent infiniment pour l'his-
toire intellectuelle et pour l'histoire des mœurs dans les familles prin-
cières allemandes au xvi^ siècle. Ils ont été commencés à Hanovre
en 1G80. Ils embrassent la vie de la duchesse depuis sa naissance
en 1620 jusqu'en 1G81. On n'en possède point le manuscrit original,
mais une copie faite par Leibnitz. « Le style paraît simple, écrit
Leibnitz sur cette copie, mais il a une force merveilleuse, et je le
trouve du caractère que Longin appelle sublime, malgré cette négli-
gence apparente. Lors même qu'il semble qu'on ne dit que des choses
ordinaires, elles se trouvent relevées par un certain tour admirable qui
donne occasion de faire des réflexions solides sur les choses humaines. »
Longin et son fameux traité sont ici de trop ; il ne faut, ni de près ni
de loin, songer à M™" de Sévigné. Mais il est incontestable que, tout
Rev. HiSTOR. XXV, le'- FASG. 12
^78 COMPTES-REiVDUS CRITIQUES.
rude et barbare qu'il est, le français de la duchesse, — elle écrivait en
français, — a de l'allure et de la saveur. Il y a quelques affinités avec
une autre Allemande du Rhin, qui fut son amie, qui joua un grand rôle
et a laissé de curieuses lettres, Madame, mère du régent. La duchesse
Sophie est honnête femme et esprit fort ; elle dédaigne la pruderie. Le
fait est qu'on n'en a point autour d'elle ; elle voit d'assez étranges
choses, et elle les dit crûment, comme elle les voit. Mais c'est la crudité
des femmes de Molière, on n'y sent jamais cette complaisance de liber-
tinage et ces arrière-pensées de sensualité qui gâtent trop souvent les
meilleurs morceaux du xvin^ siècle. La duchesse aimait son mari, qui
ne lui était guère fidèle; elle était aimée de son beau-frère, et pour s'en
débarrasser, aussi bien que pour éviter qu'il ne se mariât, elle lui
donna une maîtresse. Il y a là un contrat en forme qui est d'une nature
assez bizarre. Elle raconte ces singulières aventures avec une bonne
humeur cavalière, qui n'est pas sans charme.
Ses impressions de voyage en Italie et en France sont piquantes. En
Italie, l'esprit fort domine. II y a des traits qui, bien qu'un peu lourds,
sont d'un tranchant très affilé. Bayle et ses amis y auraient trouvé du
ragoût, et notre Allemande s'assimile mieux ce genre d'ironie grave
que ses pareilles du siècle suivant ne feront de l'ironie voltairienne.
En voici des exemples, et je ne choisis pas les plus vifs. A Venise,
« on me ht voir des religieuses qui n'ont d'esprit que pour les
hommes, et puis des églises où il y avait le rendez-vous de ces amou-
reux. » A Lorette, « on s'arrêta un jour en ce lieu-là pour bien consi-
dérer le miracle, qui était effectivement bien grand de voir des gens
assez sots pour venir de si loin pour adorer une si vilaine figure de la
vierge qui avait le nez cassé. On me montra un portrait qu'on disait
être de la main de saint Luc. Si cela était vrai, il était fort méchant
peintre. Ensuite, je vis les écuelles dans lesquelles N.-S. avait mangé
étant petit. Je fis sortir de son sérieux le prêtre qui me le montra, en
le regardant hnement d'une manière qu'il vit bien que je n'en croyais
rien. Il avait assurément sujet de rire, de ce qu'il pouvait gagner de
l'argent d'une manière si facile... » L'introduction et les notes histo-
riques sont bonnes. M. K. s'est donné une peine bien inutile pour éta-
blir l'orthographe de son texte. Leibnitz, qui avait eu le manuscrit
original, disait lui-même : « L'orthographie n'y est pas observée. Il est
vrai que cela n'importe guère. Il en faudrait faire une copie pour y
remédier. » Leibnitz, dans sa copie, y remédia de son mieux. On ne
voit pas pourquoi M. K. s'est astreint à conserver les bizarreries de
l'orthographe de Leibnitz, qu'il corrige d'ailleurs par endroits. Il
aurait dû au moins adopter l'orthographe classique du temps et impri-
mer le texte tel qu'il eût été imprimé si Leibnitz l'avait publié. — Je
relève en finissant une omission dans les notes historiques, p. 34, à
propos de cette phrase : « Ensuite elle m'apprit les quadrains de
Pebrac... » Ce nom est accompagné d'un point d'interrogation. Il s'agit
des quatrains de Pibrac, qui sont pourtant bien connus.
SCHLECHTi-WSSEHRD : DIE REVOLUTIONEX IN COXSTANTIIVOPEL ^ 807-8. -1 79
2° Frédéric II, Histuire de mon temps, rédaction de 1746, publiée par
M. Max Posner.
Frédéric a composé deux rédactions de \ Histoire de mon temps; l'une
est de 1746, c'est le premier jet, l'autre est de 1775, c'est le travail
revu à distance, remanié avec les documents, recomposé avec l'expé-
rience de la vie. C'est cette dernière rédaction qui a été publiée dans
les Œuvres. C'est la première, celle de 1746, que nous donne M. Max
Posner. Il a fait des études très approfondies sur la manière d'écrire du
roi historien', et j'en ai rendu compte dans cette revue. Il applique à
la reproduction de ce texte primitif, si intéressant pour l'histoire, une
grande connaissance des sources et une critique très judicieuse. Les
notes, qui sont très abondantes, sont excellentes. M. P., suivant en
cela les judicieux précédents de l'Académie de Berlin, a employé l'or-
thographe moderne, tout en respectant scrupuleusement les construc-
tions originales.
Albert Sorel.
ScHLECHTA-WsSEHRD. Die Revolutionen in Constantinopel in den
Jahren 1807-1808 (extrait des Sitzungsberichte de l'Académie
des sciences de Vienne, ^882). Vienne, Gerold, 228 p. in-8°.
Les « Révolutions » qui ont ensanglanté Constantinople pendant les
années 1807 et 1808, et dont M. le baron de Schlechta nous présente le
récit détaillé, avaient déjà fait l'objet de plusieurs publications tant en
Turquie qu'à l'étranger.
Considérés dans les débuts, comme dans les conséquences finales de
, l'entreprise qui les a suscités, ces événements tragiques offrent, en effet,
les éléments d'une étude nettement circonscrite et sont aussi instructifs
qu'intéressants.
Vers la fin du dernier siècle, le sultan Selini III avait reconnu la
nécessité de changer les institutions militaires de l'empire pour adopter
les divers perfectionnements en usage dans les États chrétiens. Suivant
ses vues arrêtées, la milice de plus en plus factieuse et indisciplinée
des janissaires, qui formait avec les spahis le noyau de l'armée natio-
nale, devait être remplacée par un corps d'infanterie modelé et exercé
à l'européenne et un fonds particulier, dit trésor de guerre, aurait à
subvenir à l'entretien de la nouvelle troupe dont l'effectif serait porté
tout d'abord à 12,000 hommes.
Ces dispositions, décrétées au commencement de l'année 1793 sous le
titre de Vizojni Djehid ou « nouvelle organisation, » n'entrèrent en
pleine vigueur qu'en 1807 et, lorsqu'il s'agit d'en poursuivre l'applica-
tion dans les provinces, une violente opposition se manifesta parmi les
castes féodales et les notables qui, aidés des janissaires de Roumélie,
\. Miscellaneen zur Geschkhle Kœaig Friedrichs des Grossen. Berlin, 1878.
J80 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
levèrent l'étendard de la révolte. Bientôt les Jamaks ou gardes du Bos-
phore, corps auxiliaire des janissaires, s'insurgèrent à leur tour, mar-
chèrent sur Constantinople et imposèrent au sultan le retrait du Vizami
Djehid, puis sa propre abdication en faveur de son frère Mustapha.
Le 31 mai 1807, un décret impérial fut publié, qui désavouait les
« projets inouïs » de Selim, tout en proclamant la ferme volonté du
nouveau souverain et de son peuple « de rentrer dans la bonne voie, »
c'est-à-dire de maintenir l'ancien ordre de choses.
Cependant, un pacha de province, le puissant Bairakdar de Roust-
chouk, qui, jusqu'alors s'était associé aux résistances du parti de la
réaction, abandonna brusquement la cause des janissaires et de leurs
nombreux adhérents pour se convertir à la réforme. Il rêva de réinté-
grer Selim III sur le trône et de rétablir le Vizami Djehid. Le 28 juil-
let 1808, il entra à Stamboul à la tête de 15,000 hommes et prononça la
déchéance de Mustapha IV. Selim toutefois fut assassiné par les ordres
de Mustapha et Mahmoud, son frère, ceignit le sabre d'Osman.
Bairakdar, élevé au grand Vizu'at, convoqua dans la capitale les hauts
feudataires et les notables de l'empire et, sous les auspices du pacte de
conciliation qui intervint entre les membres de cette assemblée pro-
vinciale, le Vizami Djehid redevint loi souveraine de l'Etat.
Le succès du pacha de Roustchouk fut de courte durée. Assiégé dans
son palais par les janissaires, il se donna la mort, laissant Mahmoud
aux prises avec les rebelles, c'est-à-dire avec les partisans du sultan
déchu. Mahmoud fit égorger Mustapha et entra en arrangement avec
les janissaires. Le Vizami Djehid fut supprimé pour la seconde fois avec
l'institution des réguliers dont le corps avait d'ailleurs succombé dans
la lutte.
Telles sont les principales péripéties du drame que raconte minutieu-
sement M. le baron de Schlechta, en s'aidaut de documents originaux
recueillis dans les archives de la Porte et de l'Internonciature. Sa rela-
tion, aussi consciencieuse que lucide, prendra sans doute place parmi
les plus remarquables monographies qui ont exposé à différentes époques
certaines phases particulières du travail de rénovation sociale, poli-
tique et administrative, connu sous le nom de Tanzimât.
Un diplomate français, M. Ed. Engelhardt, a entrepris récemment
d'écrire l'histoire complète de cette œuvre de réforme qui compte déjà
plus d'un demi-siècle d'épreuves ^. Ses premières études qui se ter-
minent en l'année 1867, et dont il a été rendu compte dans cette Revue,
ont révèle un fait curieux qu'il n'est pas sans intérêt de rapprocher des
conclusions du narrateur autrichien.
En 1841, le prince de Metternich recommandait aux Turcs « de res-
ter Turcs » et condamnait hautement comme funeste l'introduction dans
1. La Turquie et le Tanzimât ou histoire des réformes dans l'empire
ottoman. — Cotilion, 1882 et 1884. Paris.
A. DE MARGERIE : LE C03ITE JOSEPH DE MAISTRE. ^8^
l'empire des institutions européennes K M. le baron de Schlechta,
appréciant dans leur ensemble ces essais d'assimilation dont le Vizami
Djehid de Selim III n'a été que le prélude, pense au contraire que la
réforme a été aussi opportune qu'utile; il n'y voit sans doute pas pour
la vieille monarchie ottomane un gage assuré de salut; mais il est con-
vaincu qu'elle a eu pour effet de retarder sa chute et ce jugement est
conforme à celui dont s'est inspiré M. Ed. Engelhardt dans la préface
de son ouvrage.
Le comte Joseph de Maistre, avec des documents inédits, par
Amédée de Margerie, doyen de la Faculté catholique des lettres
de Lille. — Paris, libr. delà Soc. bibliographique, ^883, \ vol.
in-8', xxii-442 p.
Joseph de Maistre n'a pas conquis d'emblée sa réputation, et on le
comprend. C'était un Français du dehors, qui vécut la meilleure partie
de sa vie sous l'horizon lointain et sans écho de Saint-Pétersbourg, au
service d'un roi déchu ; les idées dont il s'est fait l'apôtre étaient en
opposition directe avec les idées dominantes de son temps, et pour la
plupart n'ont point, de son vivant, affronté sous sa plume la discussion
publique. On le regardait en Russie comme un esprit à la fois entier
et ouvert sur toutes choses, comme un brillant conférencier de salon;
les motifs ne manquaient pas pour le plaindre, l'applaudir ou même
pour le redouter, mais peu de personnes pressentaient sa gloire à venir.
Cependant, depuis sa mort, les traits de cette figure originale, au
lieu de s'effacer, sont devenus plus nets. Sans parler de la publication
de ses grands ouvrages, qui l'ont érigé en Père laïque de l'Église, la
mise au jour successive d'autres écrits a fait valoir le diplomate et
Ihomme privé; et voici qu'on pubhe aujourd'hui une édition com-
plète de ses œuvres, qui nous apportera encore sur lui des révélations
nouvelles. Magistrat, ambassadeur, serviteur ou confident des rois aux
deux extrémités de l'Europe, J. de Maistre n'a pourtant exercé une action
efficace que dans le monde des intelligences; ses livres ont passionné
en sens divers quiconque les a lus, et ses doctrines restent pour long-
temps encore un thème de controverse. C'est cette controverse qu'a
continuée M. de Margerie, en prenant parti pour son héros. Il a voulu
seulement préparer ses lecteurs à l'étude des écrits de Maistre (p. .352-
353), en d'autres termes exposer ses idées et en tracer l'apologie,
combattre les objections formulées, il y a cinquante ans, par Ville-
main et de nos jours par M. Franck, tout en marquant lui-même
« quelques points où il y a lieu, ce semble, d'étendre, de restreindre ou
de corriger sa pensée. «
1. Dépêche du prince de Metternich au comte Appony, datée de mai 1841.
-182 COMPTES-RENDUS CRITIQUES,
Ce livre a évidemment pour origine des leçons où l'on reconnaît la
manière vive et brillante de l'ancien professeur de philosophie de
Nancy. M. de Margerie y a laissé subsister une certaine disproportion
dans les développements, inséparable de l'exposition oratoire; il n'in-
siste que sur quelques parties de la vie de son héros (trois paragraphes
sur huit sont consacrés à ses rapports avec les jésuites), et il a ajouté
après coup à son étude un chapitre complémentaire et deux appen-
dices. C'est donc une série de dissertations polémiques que nous avons
sous les yeux, à l'usage de certains lecteurs, de ceux qui ont déjà foi en
J. de Maistre, mais qui veulent se donner la raison de leur foi. Aussi
n'a-t-on pas à y relever beaucoup de faits nouveaux relatifs soit à la
personne de l'écrivain, soit au temps oîi il vivait.
Au chapitre n, plusieurs citations intéressantes sont empruntées aux
lettres connues ou non qui vont prendre place, d'après une classification
nouvelle, dans l'édition définitive. Au chapitre !«■• est inséré en entier
un mémoire inédit sur la liberté de l'enseignement, destiné au tsar
et à ses ministres, qui complète les lettres déjà connues sur l'ins-
truction publique en Russie. Au commencement de ce siècle, les chaires
des Universités russes étaient, en dehors des salons bien clos où bril-
lait J. de Maistre, les seules tribunes ouvertes à l'expansion des idées et
des doctrines, et la Compagnie de Jésus, par l'organe de l'envoyé de
Sardaigne, réclamait à Polotsk sa part du monopole universitaire.
P. 267 et suivantes, on trouve un autre mémoire inédit sous forme de
lettre au comte de Blacas, daté de mai 1814, où l'auteur trace à la
royauté restaurée le programme d'un gouvernement selon ses rêves,
révolutionnaire à sa façon contre l'esprit gallican et parlementaire de
l'ancienne monarchie. L'appendice I renferme une lettre assez curieuse;
c'est le tableau d'une école privée de philosophie qui s'était constituée
à Pétersbourg vers 1810, où le professeur était le jésuite breton Rosaven,
et où les élèves, Nicolas de Serra-Capriola, Rodolphe de Maistre, le
baron de Damas et le prince Pierre Galitzin formaient sous sa direction
une sorte de séminaire aristocratique et cosmopolite.
Le moment serait bien venu, ce semble, pour une biographie com-
plète de J. de Maistre, replacé avec respect, mais sans fausse auréole, au
milieu des hommes et des événements de son époque. Il faut regretter
que M. de Margerie ait restreint volontairement son sujet et se soit
borné à reprendre, sous le couvert de ce nom illustre, avec habileté et
chaleur, la lutte contre les principes déjà contestés par l'auteur des
Soirées. Mais en quel sujet serait-il plus difficile d'appliquer le Scribitur
ad narrandum de l'écrivain latin ? Bien mal avisés peut-être seront ceux
qui oseront un jour retirer de Maistre de la mêlée où il s'est si bien
complu de son vivant, et le rendre tout simplement à l'histoire, avec
son vif esprit, son grand style et son noble caractère.
L. PlNGAUU.
KEIL : DIE GRUiVDCNG DER DEDTSCHEN DURSCHENSCHAFT IN lEXA. I S3
Robert und Richard Keil : Die Grûndung der deutschen Bur-
schenschaft in lena : 2« édition. Jeiia, Mauke, UO p. in-S», -1883.
Ce livre n'est pas un livre nouveau. Mais il acquiert un intérêt véri-
table, et comme une sorte de nouveauté par les circonstances qui ont
déterminé l'un des auteurs à nous en donner une deuxième édition.
On a inauguré au début de l'année dernière (1883), à léna, le monu-
ment destiné à perpétuer le souvenir de la grande association des étu-
diants allemands (Burschenschaft) que certain parti en Allemagne
serait trop disposé à oublier. M. Keil a voulu célébrer les vertus et
le patriotisme de l'étudiant de 1813 que le sculpteur avait représenté
en costume du temps, l'épée d'une main, le drapeau de l'association de
l'autre. Il a voulu rappeler le caractère, la valeur, et la portée de l'asso-
ciation au moment où les historiens prussiens et M. de Treitschke en
particulier semblent s'efforcer d'atténuer l'importance du mouvement
libéral et patriotique du 12 juin 1813. Cette seconde édition est une
réponse indirecte au chapitre que M. de Treitschke avait consacré à ce
sujet dans son deuxième volume ^ ; c'est une critique analogue à celle
que fit paraître l'an dernier, contre le même ouvrage, M. Baumgarten,
dans les colonnes de la Gazette d'Augshourg. Il est bon de remarquer
que les historiens allemands sont très divisés sur tout ce qui touche aux
origines de l'union germanique. Il faut relever, toutes les fois que l'oc-
casion s'en présente, les opinions qui les divisent.
Au début, MM. Keil ont développé une idée qui, depuis les discours
d'Humboldt etdeSavigny, était courante en Allemagne; les universités
allemandes ont été de tout temps les foyers de la pensée allemande, et
comme des images réduites de la grande patrie germanique. M. de
Treitschke avait récemment contesté cette opinion qu'il attribuait à l'or-
gueil, à la vanité des professeurs. Les universités et les professeurs avaient
eu, selon lui, beaucoup d'influence sur les destinées de l'Allemagne, mais
une influence néfaste. Ils avaient répandu le goût de la politique idéa-
liste et des théories vides que la Prusse a eu l'honneur et le mérite de
bannir pour longtemps. M. de Treitschke était particulièrement sévère
pour les professeurs d'Iéna, pour Luden qui fonda la Némesis, pour
Oken qui rédigea l'Isis « sur un ton digne des brasseries, » pour le juris-
consulte Martin qui, chassé d'Heidelberg, se réfugia en Thuringe avec
son Mercure. Cette sévérité pouvait nous étonner de la part du profes-
seur de Berlin qui est à la fois directeur des Preussische JalirbUcher . Mais
il y a université et université comme il y a professeur et professeur.
M. de Treitschke, de Berlin, n'a pas pu pardonner aux professeurs d'Iéna
la façon dont ils ont traité les Prussiens en 181.5 et accueilli leurs enne-
mis. Ce qu'il leur a reproché surtout c'est d'avoir enseigné dans cette
Thuringe, la patrie bien aimée du particularisme féodal, où par trois
1. H. de Treitschke. Deutsche Geschichte im XIX'^^" Jahrhundert. T. II, ch. 7.
Die Burschenschaft. Lèipzvé, Uhzd, 1882.
,f8î COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
fois un mouvement s'est produit inutilement en faveur de l'unité ger-
manique.
MM. Keil ont pris la défense de la Thuringe, de l'université d'Iéna
en particulier, des universités, des professeurs et des étudiants en géné-
ral. La Thuringe est le cœur de l'Allemagne, elle est un des organes
essentiels de la patrie allemande. C'est là que le sentiment national est
peut-être le plus vif. Les malheurs de l'Allemagne, au commencement
du siècle, n'ont pas laissé, comme le prétend Treitschke, la Thuringe
indifférente : Luden, dès 1806, avait le courage de faire appel au patrio-
tisme de ses auditeurs. Les étudiants d'Iéna ont combattu pour l'indé-
pendance nationale; le plus grand ami de Kœrner était Karl Schaeffer
de Weimar. — De plus, la Thuringe, avec ses petits gouvernements et
ses traditions patriarcales, s'est toujours merveilleusement prêtée aux
libres études de l'esprit, léna est une petite ville dans un site charmant
où les étudiants trouvaient plus de liberté pour leurs plaisirs et leurs
travaux, et avaient plus d'influence qu'auprès des universités des grandes
villes. Pour toutes ces raisons et aussi par les soins de Charles Auguste,
l'université d'Iéna était admirablement préparée aux grands enseigne-
ments de la fin du xvni" siècle, aux leçons de Fichte, de Schiller, de
Luden et de tant d'autres. Elle était une école de libéralisme, en même
temps qu'un ardent foyer de patriotisme. Jamais personne, en Thu-
ringe, ne songeait alors à distinguer la liberté politique de l'indépen-
dance nationale. On luttait pour l'une et pour l'autre contre la domina-
tion et le despotisme de l'étranger, et le soulèvement de 1813 fut à la
fois un grand mouvement libéral et un mouvement national. C'est peut-
être, en dernière analyse, ce que M. de Treitschke n'a pas pardonné à
Charles Auguste, aux Thuringiens qui le rêvèrent, aux professeurs
Luden, Oken, Fries qui ont collaboré et applaudi à ses réformes consti-
tutionnelles, aux étudiants enfin, qui, sous ses auspices, ont fondé leur
grande association aux cris de Freiheit-Vaterland.
M. de Treitschke n'a vu dans cette association qu'un passe-temps de
jeunes gens passionnés d'une façon très vague pour la liberté, pour la
patrie. Ce n'était pas une institution qui pût avoir dos conséquences
pratiques. Comme tout ce qui vient en tout temps des universités et de
la Thuringe, c'était une association d'esprits purs, une réunion de mys-
tiques, en deux mots, une forme vide. Ce n'est qu'en se fondant avec
les sociétés de gymnastique, créées par Hahn à Berlin, que cette société
a pris corps, et c'est alors seulement qu'elle est devenue viable et utile.
Jusque-là la Burschcnschaft restait une association chimérique, mais
funeste, qui, sans la sagesse pratique de la Prusse, n'eût pas vécu et
aurait eu pour l'unité allemande les plus fâcheuses conséquences.
M. Keil persiste, au contraire, à croire que les étudiants d'Iéna ont
contribué, en 1813, pour une large part à délivrer la patrie allemande
et à fonder l'unité germanique. La force n'aurait point suffi à grouper
les patriotes allemands. Il fallait que ces patriotes se fussent formés
d'abord dans les universités en général, et dans une vaste corporation
BERXAYS : DAS GROSSHERZOGTHUM FRANKFURT. 185
sans caractère politique ni religieux. Le professeur d'Iéna proteste avec
chaleur contre les polémistes qui n'ont pas assez d'injures pour les
écrivains de l'école à laquelle il appartient, « l'école historique libérale. »
Les opinions qu'il défend ne sont point « tm tissti de fables ridicules. »
Le temps jugera laquelle des deux méthodes vaut le mieux pour con-
server l'unité germanique qui n'est encore qu'ébauchée.
Il y a dans les deux ouvrages des erreurs de détail et des omissions
assez graves. M. de Treitschke ne connaît qu'un seul étudiant prus-
sien qui ait fait partie de la première association d'Iéna. Il aurait dû
consulter les pièces conservées à léna. Il aurait retrouvé parmi les
noms de ceux qui ont rédigé ces statuts, ou dirigé la société au
début, les noms de Berlinois, comme Rodolphe de Wulkewiz, et de
Brandebourgeois, comme Wilhelm ToU. D'autre part, M. Keil parle
bien superhciellement des effets de la domination française en Alle-
magne. Presque rien sur les remaniements territoriaux qui ont tant
contribué à l'unification postérieure de l'Allemagne. Il y a du moins
dans son livre, fait d'après les textes originaux, les registres des associa-
tions, des renseignements très intéressants : particulièrement sur la
lutte des vieilles corporations d'étudiants attachés à l'ancien régime
(Landsmannschaften) avec la nouvelle société libérale (Burschenschaft).
Enfin, ce livre est, comme l'auteur nous le dit lui-même, une de ces
œuvres que produit heureusement l'école historique libérale pour nous
aider à corriger les erreurs plus ou moins volontaires de l'école histo-
rique officielle.
Emile Bourgeois.
Schicksale des Grossherzogthums Frankfurt und seiner Trup-
pen, von Guillaume Berivays. — Berlin, E. S. Millier und Sohn,
499 p. in-80, 1882.
M. Bernays, l'avocat belge dont la mort tragique a fait tant de bruit
récemment, avait écrit en allemand un ouvrage que vient de publier le
baron d'Ardenne. Malgré son titre qui semble promettre aussi bien une
étude administrative et politique que militaire, ce livre n'est à propre-
ment parler qu'une monographie des contingents fournis à l'armée
d'Espagne ou à la grande armée de 1812 par le grand-duché de Franc-
fort.
Les renseignements ont été puisés aux bonnes sources, et l'auteur a
heureusement combiné les documents officiels déjà connus avec les
papiers des chefs de corps et les relations écrites par des officiers. Le
contingent fourni par le grand -duc de Francfort, Dalberg, prince
primat de la Confédération du Rhin , a pris part à la guerre d'Espagne
de 1808 à la fin et a déserté lorsque l'armée est entrée en France. Une
autre section, envoyée en Russie sur la fin de la campagne, a été désor-
ganisée par le froid presque sans avoir vu l'ennemi. Ses débris ont con-
tribué à former la sarnison de Dantzic;.
J86 COMPTES-RENDCS CRITIQUES.
Il y a certainement dans ce travail des parties, sinon nouvelles, du
moins intéressantes. Les récits des batailles de Medelin, de Sala-
manque et de Vittoria sont heureusement tracés. La longue marche de
la division princière le long des côtes de la Baltique suscite de curieuses
réflexions sur le patriotisme des Francfortois et de leurs officiers. Mais
on ne peut s'empêcher de trouver à la longue bien monotones ces pages
compactes, sans jours typographiques, ces longs chapitres sans points
de repos.
Ce tableau de la vie militaire montre bien quelles ont été les condi-
tions matérielles de l'organisation, les pertes et les succès des contin-
gents francfortois. Mais il est curieux de constater à quel point il
ressemble aux autres essais du même genre que nous ont laissés les
officiers français qui ont pris part aux mêmes faits de guerre. Si l'on
supprime les réflexions plus ou moins hostiles à la France qui sont du
crû de l'auteur, on constate qu'officiers supérieurs ou subalternes ne
parlent guère que du côté matériel de leur existence : avancement,
revues, gîtes d'étape, toutes les misères du métier, tel est le fonds
principal de leurs mémoires ou de leur correspondance. On peut dire
sans trop de sévérité qu'il est excessif de consacrer 470 pages à un sujet
aussi mince. L- B.
Andrei Vizaxti. Veniamin Costache mitropolit Moldovei si
Sucevei, epoca, viata si operile sale. Un vol. de iCt't pages.
Jassy, '1881.
M. André Vizanti, professeur de littérature roumaine à l'Université de
Jassy, vient de faire paraître une biographie très intéressante sur l'un des
promoteurs de la régénération du peuple roumain, le métropolitain de
Moldavie, Benjamin Costaki. Pour faireapprécier tous lesméritesdu véné-
rable prélat, il nous faudrait reproduire le tableau désolant que l'auteur
esquisse des derniers temps du régime fanariote. Il ne fallait pas peu
de courage pour entreprendre de protéger la littérature roumaine et
surtout pour essayer de fonder des écoles roumaines dans un temps où
l'idiome national était considéré comme un dialecte barbare, bon tout
au plus pour conduire les bœufs ou prononcer des injures, quand tout
homme, qui se prétendait civilisé, devait connaître le grec, sinon celui
d'Homère, au moins celui des Palikares. Le métropolitain Costaki
entreprit dans des temps si difficiles la création d'un séminaire destiné
à des prêtres roumains (1803), la fondation d'une école d'arpentage
nécessaire pour produire des ingénieurs qui connussent la langue rou-
maine, pour pouvoir délimiter les nombreuses terres en litige, d'après
la teneur des anciens documents (1813). Ce qui fut pourtant plus
remarquable, c'est l'initiative que ce Mécène roumain prit d'intro-
duire dans l'écriture les lettres latines à la place des lettres slaves
qui avaient servi jusqu'alors, et enfin ses efforts pour la création
RE1CHE\SPERGER : ERLEBNISSE. ^S7
d'un théâtre roumain. Le premier essai de représentation dramatique
se fit à Jassy, dans la maison du boyard C. Ghyca (en l'année 1813),
où l'on représenta d'abord des pièces françaises , ensuite une pièce
roumaine : La Bergère des Garpalhes^ composée pour l'occasion par
Georges Asaky, l'ami et l'émule du métropolitain dans l'œuvre de
régénération de leur peuple. Quoique les canons de l'église orthodoxe
interdisent à un moine, comme l'était nécessairement le métropolitain,
d'assister aux spectacles, ce grand esprit, connaissant la profonde influence
de la scène sur la civilisation d'un peuple , non seulement soutint
l'entreprise de toutes ses forces, mais assista même dans une chambre
latérale à la représentation de la pièce roumaine. Toujours d'après
son insistance et en partie à ses frais fut fondé le premier recueil
périodique de la Moldavie, V Abeille, en 1829.
Son action politique fut tout aussi importante, quoique plus cachée.
Il poussa les boyards à protester contre le rapt de la Bessarabie en 1812,
porta des plaintes très amères contre les ravages que les Russes com-
mirent dans le pays en 1787 et fut destitué par les Russes pendant
l'occupation des principautés par leurs armées. Il revint au trône
archiépiscopal en 1812 et le garda jusqu'en 1842, quand son opposition
manifeste aux abus du prince Stourza le renversa de nouveau et le fit
interner dans un couvent des montagnes, où il finit ses jours (1846),
sans cesser de travailler à cultiver son peuple par sa parole et ses écrits.
M. Vizanti, qui a consulté, pour rédiger son ouvrage, un nombre
considérable d'écrits, tant roumains qu'étrangers, a rendu un véritable
service à l'histoire des Roumains, en mettant dans une pleine lumière
une vie aussi bien remplie que celle de ce noble, pieux et patriote prélat.
A.-D. X.
Peter Reichensperger. Erlebnisse eines alten Parlementarien im
Revolutionsjahre 1848. — Berlin, Springer, ^882.
L'auteur de cet ouvrage est vraiment, comme il le dit, un vétéran
des assemblées prussiennes. Catholique fervent, magistrat à la cour de
Goblentz, il n'a cessé, depuis 1847, d'être le représentant des popula-
tions catholiques du Rhin, et il occupe encore aujourd'hui un siège
du centre à la Ghambre des députés de Prusse et au Reichstag alle-
mand.
En 1848, il faisait partie du centre droit qui n'avait pas encore
adopté un programme surtout ultramontain ; invité par les organisa-
teurs du Parlement préparatoire de Francfort à prendre part à leurs
travaux, il échoua aux élections comme candidat au Parlement germa-
nique, mais il fut élu à l'Assemblée nationale de Berlin.
Son rôle y fut important ; il présida le groupe dont il faisait partie,
et, dans ces journées troublées, eut plus d'une fois des risques person-
nels à courir en quittant l'Académie de musique où se tenaient les
ISS COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
séances publiques. Plusieurs pages de son livre décrivent d'une manière
saisissante l'aspect du forum berlinois de cette époque, « le bois des
Châtaignes, » qu'il fallait traverser pour se rendre à l'assemblée.
Quant aux. opinions politiques de l'auteur, aux explications qu'il
présente de diverses résolutions prises, soit par l'assemblée, soit par le
gouvernement, l'autorité dont jouissait alors M. R. leur donne une
grande valeur historique. La ténacité avec laquelle son groupe sut
défendie ses positions, malgré les défaillances quotidiennes du centre
gauche, fait comprendre la politique ferme et habile du gouvernement
prussien d'alors, qui avait ainsi un point d'appui dans cette minorité
respectable. On comparera avec fruit les dépositions de M. R. avec
l'ouvrage du député von Unruh, Esquisses de P Histoire prussienne con"
Icmforaine, qui joua un rôle très important et fut président du « Par-
lement Croupion » après la prorogation de l'Assemblée nationale.
L. B.
Oliver Cromwell ; the man and his mission, J. AUansoil PiCTON \
with Steel portrait. Cassell, Pelter, Galpin and C°. Londres, Paris
et New- York, ^S82, xi-oJ6 p. in-8».
Cette biographie se présente d'un air très modeste. Dans la préface,
l'auteur explique qu'il n'a pas la prétention d'avoir fait des recherches
originales. Il s'en tient au livre célèbre de Carlyle, auquel il emprunte
les faits. Dans certains cas seulement, MM. J. Bruce, J. Forster, J. L.
Sanford, S. R. Gardiner lui ont fourni de nouveaux matériaux. On ne
doit cependant pas avoir une médiocre opinion du travail de M. Picton.
Parmi toutes les biographies proprement dites de Cromwell, aucune, si
je ne me trompe, n'égale la sienne. Chacun des chapitres montre que
l'auteur a très profondément étudié les sources, comme les ouvrages
anglais modernes ; à ce double point de vue, la bibliothèque du Musée
britannique lui a rendu d'éminents services. On remarque par exemple
avec quel soin il a dépouillé la collection qui s'y trouve conservée de
gazettes et de pamphlets appartenant à l'époque de la Révolution
d'Angleterre et connus sous le nom de « King's Pamphlets .» Je men-
tionnerai cependant un pamphlet intéressant qui semble lui avoir
échappé : E 658. Cf. ma biographie de Milton (Leipzig, 1879, liv. III,
p. 271). Ces sources, l'auteur les utilise d'après les règles d'une saine
critique; peut-être accorde-t-il çà et là trop de confiance à la compila-
tion suspecte qui porte le titre de Mémoires de Whitelocke.
Quant à ce qui concerne la composition générale du livre, nous pou-
vons déclarer que nous sommes d'accord avec lui sur les points essen-
tiels. L'auteur n'hésite pas à caractériser Cromwell comme « the most
Imman-hearted sovereign and most impérial man in ail our annals,
since king Alfred's days ; » mais il est loin de le tenir pour impeccable
et pour incapable de faiblesses. Il a fort bien expliqué que Cromwell,
PICTON : OLIVER CROMWELL. fS9
comme un homme d'État qui ne ferme pas les yeux devant les faits,
n'était pas habitué à mesurer les choses d'après une théorie politique
déterminée. Ce n'était rien moins qu'un républicain. « Charles I'^'', dit
M. Pictou, représentait une réaction contre le progrès constant du
Selfgovernment. Gromwell, au contraire, représentait une révolution où
les meilleures forces de la nation étaient engagées pour assurer à tout
prix, au prix même d'une dictature temporaire, la victoire sur cette
réaction. » Avec une grande éloquence, M. Picton expose en combien
de choses cette dictature devançait l'esprit du temps ; de là précisément
pour le Protecteur la nécessité de recourir à des moyens violents.
L'enseignement qui ressort de l'histoire de cette vie grandiose ne peut
être douteux ; l'auteur l'exprime en ces termes : « Ce n'est pas assez que
par la force des circonstances un peuple s'attache à l'homme le plus
capable et en fasse un despote bienfaisant. Dès qu'il cesse d'être l'exé-
cuteur de la volonté du peuple et qu'il lui impose la sienne propre, la
marche en avant du peuple est arrêtée ; dès lors, pour lui l'ordre et la
prospérité dépendent, non de sa propre sagesse et de son propre contrôle,
non du caractère permanent de la nation, mais d'une force accidentelle
dont la durée est incertaine et nécessairement courte. »
M. Picton aime à interrompre son récit par de semblables considéra-
tions générales qui abordent çà et là le terrain de la politique du temps
présent. On ne peut trouver de contraste plus grand qu'entre cette
manière et la manière calme, exempte de toute allusion, de Ranke, qui,
dans son portrait de Gromwell, révèle toute la supériorité du maître. Je
ne sais si M. Picton a étudié avec le soin qu'elles méritent l'histoire
d'Angleterre de Ranke et celle de la Révolution et de la République
d'Angleterre par Guizot ; en tout cas, ces deux ouvrages lui auraient fourni
les moyens d'améliorer et de compléter ce qu'il dit de la politique exté-
rieure du Protecteur et de ses rapports avec les grandes puissances de
l'Europe. On ne comprend pas pourquoi, p. 409, M. de Bordeaux qui, en
déc. 1652, fut envoyé par Mazarin en Angleterre, est appelé « duke of
Bordeaux, » et l'époque de son voyage renvoyée en déc. 1653 (cL
Guizot, Hist. de la Rép. d'Anglet., Bruxelles, 1854, II, 220). On voudrait
aussi trouver une plus juste appréciation de la paix de Pignerol; elle
n'est en aucune façon une preuve de la générosité du duc de Savoie
envers ses sujets vaudois ; un diplomate suisse trouva des raisons pour
l'appeler « une honte pour tous les protestants d'Europe. » (Cf. Hist.
Zeitschrift, 1878, nouv. série, IV, 89 : « Olivier Gromwell et les cantons
évangéliques de la Suisse ».) Il est regrettable que M. Picton n'ait pu
mettre à profit les plus récentes publications de la Gamden Society ;
elles contiennent une lettre du comte de Manchester, publiée par
M. S. R. Gardiner; elle est très importante pour un biographe de
Gromwell, car elle explique les vrais motifs du conflit qui éclata entre
ces deux personnages.
Alfred Stern.
190 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Christophori Varsevicii opuscula inedita, ad illustres virosepis-
tolae, cgeleraque documenta vitam ac res gesta ipsius illustrantia...
edldit Th. Wierzbowski. Varsoviœ, typis J. Bergeri, un vol. in-8°
de III-278 p.
Le nom de Varsevicius est certainement inconnu de la plupart de nos
lecteurs. C'est la traduction latine d'une forme polonaise Warszewicki.
Christophe Warszewicki (1524-1603) était un chanoine de Cracovie qui
fut secrétaire du roi Etienne Bathory et chargé par lui d'une mission
diplomatique en Suède. Orateur habile, publiciste distingué, c'est l'un
des représentants les plus éloquents des idées monarchiques du xvi^ siècle.
Son idéal, c'est la monarchie absolue de Philippe II, et vraiment, quand
on songe aux misères où. l'anarchie a conduit la Pologne, on se prend
à regretter que ses théories n'aient pas prévalu. Si l'Espagne était trop
loin pour avoir une influence directe sur la Pologne, la dynastie autri-
chienne représentait également les doctrines absolutistes. Warszewicki
se tournait vers elle et lui demandait d'occuper son pays pour y établir
le principe d'autorité. Il eût volontiers retourné le mot célèbre : Malo
tutum servitium quam periculosam libertatem. Ses ouvrages presque
tous en latin sont fort nombreux; ils ont surtout pour objet des ques-
tions politiques. Un critique distingué, M. Stanislas Tarnowski, a donné
une étude détaillée sur ce curieux personnage dans les mémoires de
l'Académie de Cracovie (année 1874, tome I*"").
M. Théodore Wierzbowski se propose de publier prochainement une
monographie plus complète. En attendant, il nous présente les premiers
résultats de ses recherches dans les bibliothècjues de Pologne, d'Au-
triche et d'Italie. Il a découvert des opuscules inédits ou oubliés de
Varsevicius, des lettres en polonais, en latin, en italien. Il a établi
une bibliographie compendieuse de ses publications. Elle contient des
pièces intéressantes pour nous (par exemple deux discours adressés en
1574 et 1575 à Henri de Valois, — l'un d'entre eux a été imprimé à
Paris, chez Robert Etiennel.
Les opuscules inédits, tous en latin, comprennent un certain nombre
de discours ou de brochures politiques dont la plupart ont pour but de
soutenir l'élection de Maximilien d'Autriche au trône de Pologne, élec-
tion qui, comme on sait, n'aboutit pas. C'est la même thèse qui est
soutenue dans un curieux dialogue entre un Polonais et un Tchèque
(Lechitae ac Bohemi colloquium). Le Tchèque y fait un éloge enthou-
siaste de la maison d'Autriche ; il l'appelle : « lumen Europee, nidum vir-
tutis, honestatis omnis officinam, quae tôt tamque prseclarorum rerum
omnique œternitate dignissimarura referta monumentis est, ut nesciam
ecqua ejus similis alla possit familia inveniri. «Mais, réplique le Polo-
nais, tes compatriotes ont été réduits en servitude par les Autrichiens.
« Mi frater, noli servitutem nostram miserari ! Incertum est utrum, si
optionem mihi quis daret, meam hanc servitutem cum libertate tua
essem permutaturus. » Le Bohème de notre auteur est évidemment un
WIERZBOWSKI : CHRISTOPHORI VARSEVICU OPUSCULA IXEDITA. i 9 1
personnage de paille, un témoin de complaisance. La défenestration de
Prague devait, quelques années plus tard, donner à ces déclarations
optimistes un sanglant démenti. En revanche Warszewicki met dans la
bouche de cet interlocuteur quelques-unes des vérités sévères qu'il ne
veut pas dire lui-même à ses compatriotes : « Vous autres, Polonais,
lui fait-il dire, vous êtes de ces gens qui ne devenez sages qu'après le
dommage (ceci est un proverbe polonais), vous ne mettez votre manteau
que lorsque la pluie vous a mouillés, vous ne fermez la porte de l'écurie
que lorsqu'on a volé les chevaux. »
Parmi les lettres inédites, les plus importantes sont celles que Warsze-
wicki adresse à l'empereur Rodolphe au sujet de l'élection de Maximi-
lien d'Autriche au trône de Pologne. Il semble résulter d'une de ces
lettres que le dévouement de l'auteur aux Habsbourg n'était pas abso-
lument désintéressé. Il parle des frais considérables que doit entraîner
l'élection et réclame le paiement de la pension que l'empereur lui a pro-
mise. Le système électif, si cher aux Polonais, entraînait malheureuse-
ment avec lui une vénalité à laquelle les patriotes les plus intègres
pouvaient aisément céder, convaincus à tort ou à raison que leurs inté-
rêts se confondaient avec ceux du pays. Du reste, ce n'est pas seulement
aux princes autrichiens que Warszewicki demande des subsides ; il
s'adresse aussi à la ville de Danzig qui lui accorde libéralement cent
écus d'or.
Il faut remercier et louer M. Wierzbowski de la patience avec laquelle
il a recueilli et édité ces documents. Je disais dernièrement ici même
que la vie du cardinal Hosius fournirait le sujet d'une excellente thèse
de doctorat ; je ferai la même observation pour Varsevicius. Parmi
tous les Polonais qui ont fait leurs études chez nous et qui enseignent
dans nos lycées, ne s'en trouvera-t-il pas un pour nous faire un bon
livre en français sur tant d'épisodes ou d'hommes intéressants de l'his-
toire nationale ? Étudier le passé d'un pays même dans ses fautes ou
dans ses erreurs, c'est encore un moyen de travailler à son avenir.
L. Léger.
^1)2 RECUEILS Pe'rIODIQUES.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
1. — Revue des questions historiques. 1884. l^r avril. — Paul
Allard. Prudence historien (biographie de Prudence telle qu'on peut
la retrouver dans ses écrits. Témoin important pour l'histoire de Théo-
dose le Grand. Dans quelles circonstances fut écrit le Contra Symma-
chum). — Vicomte G. de Brémond d'Ars. La Saint-Barthélémy et
l'Espagne, d'après la correspondance de Jean de Vivonne de Saint-
Gouard (pense et montre, contrairement à l'opinion de M. de La Per-
rière, que Saint-Gouard ne connaissait nullement le prétendu plan
arrêté par la cour d'un massacre général des Huguenots. Quand on en
apprit la nouvelle à Madrid, notre ambassadeur ne fut pas un des moins
surpris. Raconte, d'après les dépèches de Saint-Gouard, l'action diplo-
matique de celui-ci; montre comment, après avoir applaudi à la Saint-
Barthélémy, Philippe II mit tout en œuvre pour empêcher le duc
d'Anjou d'être élu en Pologne). — Prévost. La vie privée d'un magis-
trat au commencement du xviii^ siècle (analyse le registre des menues
dépenses de M. de Colmoulins, président à mortier au parlement de
Normandie, 1720-30). — Abbé Allain. L'œuvre scolaire de la Révolu-
tion. L'école normale de l'an IIL — V. Pierre. La persécution religieuse
en Belgique, après Fructidor. — Le R. P. Ch. de Smedt. Les révéla-
tions de sainte Thérèse (un jésuite, le P. G. Hahn, a pris la peine de
prouver que sainte Thérèse était aifectée au plus haut degré de la mala-
die hystérique; que ses visions, ses extases, ou tout au moins une partie,
rentrent dans l'ordre des faits pathologiques et nullement surnaturels.
Le R. P. de Smedt admet entièrement ces conclusions. Il rend même
aux catholiques timorés le service de leur rappeler « que les faits mira-
culeux qu'ils doivent croire sont en très petit nombre. Ils se réduisent
à ceux que J.-C. et les apôtres ont présentés comme des preuves de
leur mission divine, et qui se trouvent consignés comme tels dans les
saints livres. ») — P. Fournier. Les institutions juridiques de l'Anjou
et du Maine. = Bulletin bibliographique : Noguier. Inscriptions de la
colonie romaine de Béziers. 2« édit. (publie 105 inscr.). — Roches. 32 ans
à travers l'Islam, 1832-64 (très curieux). — Ross. The early history of
landholding among the Germans (très savante étude; a le tort de ne
tenir aucun compte des renseignements fournis par les Scandinaves). —
Grisar. Galileistudien (important; la condamnation prononcée par la
congrégation de l'index est à la fois doctrinale et disciplinaire ; mais
elle n'a pas le caractère d'une sentence infaillible). — Mémoire pour
servir à la vie de saint Guiraud, évêque de Béziers (ce mémoire est du
RECUEILS PÉRIODIQUES. ^93
xviiie s. • l'éditeur n'y a ajouté que des notes rares, insignifiantes ou
fausses). — Ledru. Un procès du xvi<^ s. : le seigneur de Montsoreau et
les habitants de Savigny. — Charvériat. La bataille de Fribourg, 1644
(excell. monographie). — Roy. Turenne (intéress.). — Darsy. Amiens et le
départ, de la Somme pendant la Révolution. T. II (dossier tout préparé
pour celui qui voudra écrire l'hist. de la Révol. dans ce départ.). —
Saurel. Hist. de .la ville de Malaucène et de son territoire (excell.). —
L. de Piépapc. Histoire militaire du pays de Langres et du Bassigny
(bon). — Abbé Dumaine. Tinchebray et sa région au bocage normand
(bon). — Ul. Chevalier. Le dauphin Humbert II et la ville de Romans
(bon). — Queruau-Lamerie. Titres et documents concernant la comman-
derie de ïhévalles, de l'ordre de Malte. — Merlet. Bibliothèque char-
traine antérieure au xix« siècle. — R. de Crèvecœiir. Saint-John de
Crèvecœur, 1735-1813. — Brives-Cazes. De la police des livres en
Guyenne, 1713-1785.
2. — Bibliothèque de TÉcole des chartes. T. XLIV, 1883,
livr. 5-6. — RoGQUAiN. Philippe le Bel et la bulle Ausculta fili (parmi
les chroniqueurs de la première moitié du xiv^ s., deux seuls, sans
compter un fragment cité par Dupuy sans indication de provenance :
Bernard Gui et Villani, parlent de la mise au feu de la bulle ; encore
disent-ils qu'elle fut brûlée en présence du roi, peut-être par le comte
d'Artois, dans un accès de colère ; mais aucun chroniqueur ne dit que
la bulle ait été solennellement brûlée. Cependant une bulle a été détruite
par le feu ; mais c'est celle du 16 mars 1301 et concerne un différend entre
l'église et la commune de Laon. Il faut donc renoncer à croire que la
bulle Ausculta fili ait été jamais brûlée solennellement, et il est vrai-
semblable qu'elle ne l'a jamais été d'aucune façon). — N. Valois. Le
conseil du roi et le Grand Conseil pendant la première année du règne
de Charles YIII ; fin du texte : appendice. — OxMOnt. Fragment d'une
versio antiqua de l'Apocalypse. — Aug. Molinier. La sénéchaussée de
Rouergue en 1341 (publie une très intéressante liste des noms de villes,
villages et paroisses, avec le nombre des feux de chacune d'elles, pour
la sénéchaussée de Rouergue. Dans l'étude qui précède ce document,
l'auteur, par d'ingénieuses déductions, arrive à constater qu'en 1341 la
population de la sénéchaussée montait à un peu plus de 300,000 âmes ;
aujourd'hui elle est de 427,511 ; mais en 1790 elle était sensiblement la
même qu'en 1341. On était arrivé à des résultats analogues pour la chà-
tellenie de Pontoise. On est donc fondé à conclure qu'avant les guerres
des Anglais la France était à peu près aussi peuplée qu'à la fin du règne
de Louis XVI). — Guilhiermoz. Le droit de renonciation de la femme
noble, lors de la dissolution de la communauté, dans l'ancienne cou-
tume de Paris. = Bibliographie. Diekamp. Die neuere Literatur zur
pœpstlichen Diplomatik (bon résumé). — Boretius. Capitularia regum
Francorum, t. I^r, pars posterior (la date et l'attribution de nombre de
capitulaires restent encore, même après B., bien incertaines. Travail
Rev. HiSTOR. XXV. ler FASG. 13
^94 RECUEILS PERIODIQUES.
d'ailleurs fort considérable). — Fr. Michel. Le Prince noir, poème
du héraut d'armes Chandos (la partie la plus intéressante et la plus
originale est celle qui se rapporte à l'expédition du prince de Galles
en Espagne, lorsque; après Najera, il rétablit don Pèdre. Texte en
général bien établi). — R. de Lasteyrie. Inscriptions de la France,
du ve siècle au xvni^ siècle; t. V (ce t. V termine heureusement le
grand ouvrage de M. de Guilhermy. Tables excellentes). = Joubert.
Recherches épigraphiques : le mausolée de Catherine de Ghivré. Les
Gaultier de BruUon (bon). — L. de Mas Latrie. Les princes de Morée
et d'Achaïe, 1203-1461 (très-bon).
3. — Le Cabinet historique. 1883, juillet-oct. — Ul. Robert. Recueil
de lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc., concernant les
bibliothèques publiques, communales, universitaires, scolaires et popu-
laires. — Frizon. Catalogue des incunables de la bibliothèque publique
de Verdun, 1466-1500; fin.
4. — Revue archéologique. 3« série, l''^ année. 1883, déc. —
B. AuBÉ. Essai d'interprétation d'un fragment du Carmen apologeticwn
de Commodien ; suite et fin (le Néron persécuteur des chrétiens pendant
trois ans et demi ne peut être, dans la pensée de l'auteur du Carmen.,
que l'empereur Valérieu ; les faits qu'il a l'air de prédire, il les raconte
en témoin oculaire. Le Carmen a donc été écrit en 260, avant même
que Gallien eût rendu la paix à l'Église).— Carapanos. Inscr. de l'oracle
de Dodone, et pierre gravée (représentant César recevant la tête de
Pompée). = 1884, janv. Miïntz. Notes sur les mosaïques chrétiennes
de l'Italie ; suite : le triclinium du Latran. Charlemagne et Léon III.
— Dr. Vergoutre. Sur la céramique romaine de Sousse. — Bapst. L'or-
fèvrerie d'étain dans l'antiquité ; suite. := Février. Revillout. L'étalon
d'argent en Egypte. — Diehl. Découverte à Rome de la maison des
Vestales. — Lebègue. L'Inopus (une inscription découverte par M. Rei-
nach fixe la place du « fleuve » de Délos, qui serpente au pied de la
caverne du Gynthe). — Bapst. L'orfèvrerie d'étain dans l'antiquité. —
Al. Bertrand. L'amentum et la Cateia sur une plaque de ceinture en
bronze, du cimetière gaulois de Watsch, Garniole. — IIeuzey. Un nou-
veau roi de Tello.
5. — Revue critique. 1883. N» 51. — Madvig et Ussing. T. Livii his-
toriarum romauarum libri (jui supersunt. Vol. II (seconde édition des
livres 26 à 30 ; texte modifié d'après les résultats obtenus par Luchs). —
Rœhricht. Testimonia minora de Quinto bello sacro (volume qui con-
tient les extraits de 246 auteurs ; plusieurs fort peu utiles pour l'histoire
de la Croisade. — M. Riant a protesté contre cette appréciation dans le
n° 13 de 1884). — Miclielant et Raynaud. Itinéraires à Jérusalem et des-
cription de la terre sainte rédigés en français aux xi«, xn^ etxia« siècles
(contient 14 textes ou fragments fort bien publiés). = N° 52. Fontaine.
L'armée romaine (bon petit livre de vulgarisation). — Henry. Corresp.
RECUEILS PERIODIQUES. 495
inéd. de Condorcet etdeTurgot, 1770-79. = 1884. Zotenberg. Chron. de
Jean, év. de Nikion ; texte et trad. (cette chron., écrite à la fin du vn^ s.
de notre ère, raconte les événements accomplis depuis l'origine des
temps jusqu'à la fin de la conquête de l'Egypte par les monuments. Texte
établi avec beaucoup de sagacité et un grand labeur). — Mommsen. Cor-
pus inscriptionura latinarum; t. IX.— Basset. Relation de Sidi Brahim
de Massât (ce texte, qui date de 1854, contient des détails curieux sur
les populations de l'Oued' Sous; traduction soignée, accompagnée
d'excellentes notes philologiques, historiques et géographiques). =:N°2.
Riess. Nochmals das Geburtsjahr Ghristi (l'auteur s'est encore une fois
trompé). — Bolin. Ueber die Heimat der Praetorianer (bonne histoire
des Prétoriens ; la Gaule n'en fournit presque pas, parce que, pour être
prétorien, il fallait être citoyen romain, et qu'il n'y avait en Gaule,
avant 198, que quelques colonies romaines). — SeeUnder. Graf Secken-
dorff und die Publicistik zum Friedenvon Fiissenvon 1745 (très soigné
et très complet). = N° 3. Hartmann. Der rœmische Kalender (très clair,
très précis ; beaucoup d'hypothèses, dont quelques-unes seulement sont
admissibles). = N" 6. Beaudouin. Étude sur le Jus itahcum (la plus
com_plète étude qui ait paru en France sur ce sujet). — Maillij. Hist. de
l'Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles.
= No 7. Deeke. Die Bleitafel von Magliano (l'auteur est convaincu que
l'inscription étrusque de cette tablette appartient au système des langues
aryennes. C'est une grosse illusion). — Pauli. Altitalische Studien
(M. Pauli croit, lui aussi, que l'étrusque est une langue indo-européenne,
qui se rapproche du groupe slave ou lithuanien. Hypothèse toute gra-
tuite). — Bugge. Etruskische Forschungen und Studien (très intéres-
sant et très sûr). = N" 8. Bertrand. Cours d'archéologie nationale. La
Gaule avant les Gaulois (le critique, M. d'A. de J., expose ses idées sur
les caractères dictinctifs de la race celtique et sur sa division en deux
grands groupes : celui d'Irlande et de Grande-Bretagne, et celui de
Gaule). — Schweizer-Sidler. Corn. Tacite Germania {i" édition, excel-
lente). — Schlumberger. Documents pour servir à l'histoire des thèmes
byzantins (décrit des sceaux en plomb d'évéques et de fonctionnaires
militaires ou civils des provinces d'Asie). — Id. Sigillographie byzan-
tine des ducs et capétans d'Antioche, des patriarches d'Antioche, des
ducs et capétans de Chypre. ~~ B. de Maulde. Jeanne de France, duchesse
d'Orléans et de Berry (contient beaucoup d'informations précieuses sur
la fin du x^e g.). = No iq. Sweder. Beitraege zur Kritik der Ghorogra-
phie des Augustus. 3'= part, (l'auteur suppose l'existence d'une chroro-
graphie romaine, anonyme et officieuse, où auraient puisé Pline et
P. Mêla. Hypothèse gratuite et inutile). — Kervxjn de Lettenhove. Les
Huguenots et les Gueux; t. I<"' (important comme recherches; écrit
dans un esprit très hostile à la Réforme). — Variétés : Lettres inédites
de Lanthenas et de Roland, 1792. = N° 11. Basset. Étude sur l'histoire
d'Ethiopie (texte et traduction d'une compilation rédigée sous le règne
^9B RECUEILS PÉRIODIQUES.
d'Iason II, 1729-53, mais qui renferme des fragments d'une époque
antérieure). = N" 12. T. de Larroque. Voyage à Jérusalem du seigneur
de Montaut, 1490-91. = N° 13. Dachcrt. Sénèque et la mort d'Agrip-
pine (soutient que c'est Agrippine qui a voulu tuer Néron, et qui s'est
suicidée après avoir manqué son coup. Peu vraisemblable).
6. — Bulletin critique. 1884, 15 février. — Marucchi. Descrizione
del foro romano e guida per la visita dei suoi monumenti (très bon
guide). — Gagnât. Explorations épigraphiques et archéologiques en
Tunisie (textes bien établis, dont plusieurs importants). — Nicolas.
Les budgets de la France depuis le commencement du xix« siècle
(travail consciencieux, contenant 26 tableaux budgétaires, depuis celui
de l'an IX). = \^^ mars. Variétés : Duchesne. Un nouveau père aposto-
lique (analyse un texte ecclésiastique, fort important pour la liturgie
antique et l'organisation des églises du premier âge, que vient de publier
le métropolite de Nicomédie, M. Phil. Bryenne : c'est la AiSaxT) twv
oiTcodTÔXwv, intitulé : « Doctrine du seigneur par les douze apôtres, aux
nations). = 15 mars. Report of the commissioners appointed to inquire
into the constitution and working of the ecclesiastical courts (très
important ; contient une histoire des cours qui, jusqu'en 1832, ont exercé
en Angleterre la juridiction ecclésiastique; une liste des procès pour
hérésie intentés en Angleterre avant 1533, etc. ; c'est l'œuvre très remar-
quable de M. Stubbs). — Vérité. Gîteaux, la Trappe et Bellefontaine au
diocèse d'Angers (histoire non sans valeur du monastère de la Trappe et
Bellefontaine). ^l^"" avril. G. de la Groix. Hypogée-martyrium de Poitiers
(trav. considérable. L'auteur s'est mépris sur le caractère du monument
qu'il a découvert; ce n'est pas un tombeau de martyrs, mais simple-
ment le tombeau de Mellebaudis, abbé, pénitent du Christ; ce per-
sonnage est inconnu; après sa mort, on y a placé dans son tombeau
d'autres sépultures. Voilà qui est certain; voici ce qui est probable :
l'inscription de Mellebaudis parle de 72 martyrs ; il faudrait entendre
par là que le fondateur de la crypte y réunit un certain nombre de
reliques fournies par les trésors des églises voisines ; ces reliques auront
été déposées dans la capsa de l'autel ; quelques-unes peut-être intro-
duites dans son tombeau ; l'inscr. peinte au-dessus de celui-ci les men-
tionnait en indiquant les jours où les saints figuraient au calendrier.
Cet article, par M. L. Duchesne, est à noter). — Jouin. Antoine Goy-
sevox (critique très sévère de cet ouvrage).
7. — Polybiblion. 1884, févr. — Comte A. de Bourmont, La biblio-
thèque de l'université de Caen; l^"- art. : son histoire. 2« art. en mars :
inventaire (rédigé en 1467; il comprend 343 numéros).
8. — Bulletin de correspondance hellénique. 7^ année, déc. 1883.
— Dubois. Inscriptions des Sporades (texte et transcription de 16 inscr.
grecques). — Martha. Stèle avec inscriptions trouvée au lac Stymphale
(la seule des inscr. que l'on puisse aujourd'hui déchiffrer assez complè-
RECUEILS PERIODIQUES. J97
temcnt est un décret de proxénie en faveur d'un habitant de Tégée).
— PoTTiER et Reinach. Fouilles dans la nécropole de Myrina ; suite. —
FoNTRiER. Inscr. d'Asie-Mineure : Philadelphie et Magnésie du Méandre
(10 inscr. transcrites; la dernière est la fin de l'édit d'un gouverneur
romain adressé aux habitants de Magnésie à l'occasion d'une grève des
boulangers de cette ville; il défend aux boulangers de se former en
société et leur enjoint de ne pas interrompre l'exercice de leur industrie).
— FoucART. Bas-relief du Pirée. Culte de Zeus Milichios. — Id. Note
sur l'époque de la fête des 'AXwa à Eleusis (les Haloa se célébraient à
Eleusis pendant le mois de Poséidon). = 8» année, 1884, janv.-févr.
EuGEL. Choix de tessères grecques en plomb, tirées des collections athé-
niennes. — KouMANOuDis. Inscriptions d'Am-orgos. — Dubois. Inscrip-
tions de Calymnos. — S. Reinach. Inscriptions latines de Macédoine.
— Id. Inscriptions de Maronée. — Latichew. Nouveaux actes d'affran-
chissement à Chéronée et à Orchomène. — Homolle. Les Romains à
Délos. — FoucART. Donation de Philétaeros aux muses de l'Hélicon. —
Philippucci. Inscription archaïque de Samos.
9. — Mélanges d'archéologie et d'histoire (École française de
Rome). 3<= année, 1883, fasc. -4 et 5. — P. de Nolhac. Lettres inédites
de Paul Manuce (ajoutent des traits nouveaux à la biographie du célèbre
imprimeur). — Digard. Boniface VIII et les recteurs de Bretagne (étu-
die, d'après des bulles inédites du pape, les luttes que souleva en Bre-
tagne la perception par les recteurs du droit de tierçage, ou tiers des
biens meubles revendiqué à l'occasion des funérailles; publie 8 bulles
en appendice). — Poisnel. Recherches sur labolition de la Vicesima
hereditatium (en 320, Constantin avait entrepris un remaniement presque
complet de la législation qui a pour objet les testaments ; c'est alors que
fut abolie la v. h. ; c'est ce qu'indique par une allusion facile à saisir
un passage du panégyrique de C. par Nazarius. L'abolition de cet impôt
était un dégrèvement; cette perte pour le trésor fut compensée par de
nouveaux impôts qu'énumère Zozime ; ainsi le Follis ou bourse d'or,
et la Praetura ou dons de préture. La v. h. était tempérée par deux
immunités, l'une pour les proches parents, l'autre pour les successions
pauvres ; le texte de la loi a péri ; mais on retrouve la mention de ces
immunités dans deux lois qui ont, avec la v. h., un étroit rapport : les
lois Julia et Papia Poppaea). — P. Fabre. Étude sur un ms. du Liber
censuum de Cencius Camerarius (le ms. du Vatican 8486 est le plus
ancien exemplaire connu du Liber censuum; c'est de lui que dérivent
les deux mss. les plus anciens après lui : celui de Florence, et le
ms. 2526 du Vatican ; il a dû être rédigé au plus tard dans les pre-
mières années du xiii^ s. Les biographies des papes n'ont pas été intro-
duites dans le recueil de Cencius avant le milieu du xni'' s., puisque le
plus ancien ms. du Vatican ne les contient pas. Quant au désordre du
recueil, il s'explique par le mode de composition du ms. ; la différence
des écritures permet d'établir la date approximative de l'époque où ont
498 RECUEILS PÉRIODIQUES.
été transcrits sur le ms. les cens successivement établis dans le monde
chrétien en faveur de l'Eglise romaine ; donne en appendice le dépouil-
lement du ms. 8486. Excellente dissertation). — Grousset. Un sarco-
phage chrétien inédit. — Grandjean. Documents relatifs à la légation
du cardinal de Prato en Toscane, mars-août 1304. — Edm. Le Blant.
Les ateliers de sculpture chez les premiers chrétiens.
10. — Archives des missions scientifiques et littéraires.
3e série, t. X. 1883. — R. de La Blanchère. Voyage d'étude dans une
partie de la Maurétanie césarienne (l'auteur a parcouru surtout Mascara,
Saida, Tagremaret, Frenda, Tiaret et les localités voisines. Il note dans
son passage les ruines antiques, romaines ou berbères qu'il y a rencon-
trées, raconte l'histoire du pays et des diverses invasions qui l'ont bou-
leversé. Publie en appendice : i» 18 inscr. inédites qu'il a recueillies;
1° la description des deux nécropoles de Mecherasfa, dont l'une est de
l'époque numide et l'autre de l'époque romaine ; 3° une note sur les
ruines romaines du territoire d'Ammi Mousa. Plus un grand nombre
de cartes et de plans). — Ch. Tissot. Découverte de la Colonia Vcitana
Major. Rapport présenté à l'Institut sur la communication adressée à
l'Acadénâie des inscriptions par le lieutenant-colonel de Puymorin;
avec une carte. — Arbois de Jubainville. Rapport sur une mission lit-
téraire dans les îles Britanniques (à l'effet de dresser un catalogue des
mss. irlandais et d'étudier les antiquités celtiques irlandaises). — Tissot.
Deuxième rapport adressé à l'Académie des inscriptions sur l'inscrip-
tion de Sidi Amor Djedidi [colonia Zamensis) avec un fac-similé de
cette inscription. — Id. 3" rapport sur une mission en Tunisie de
M. Poinssot (texte et commentaire de 8 inscr., avec une carte très
détaillée de la géographie ancienne du pays compris entre Kairouan,
Macteur, le Kef, Tebournouk et Sidi Amor Djedidi).
11. — Journal des Savants. 1884, janvier. — G. Boissier. Les
rhéteurs gaulois du iv^ s. ; tin en mars (expose très finement dans quel
esprit étaient écrits les panégyriques de ces rhéteurs chargés de faire
l'éloge de l'empereur et des magistrats, ce qu'il y a d'excessif et de faux,
et la part qu'il convient d'y faire à la sincérité et à la vérité). — Dareste.
Les anciens codes brahmaniques (expose les notions qu'ils fournissent
sur les institutions juridiques). — Hauréau. Le premier registre de
Philippe-Auguste. = Mars. Egger. De quelques publications récentes
concernant Plutarque et ses écrits. — Hauréau. Les registres d'Inno-
cent IV. Le registre de Benoît XI (puise dans ces publications divers
documents relatifs surtout à l'histoire littéraire, au jurisconsulte Ber-
nard Dorna, aux canonistes Hugues de Hermo, Bertrano de Milan,
Jacques de Gutici, à Guillaume de Mâcon, évêque d'Amiens, le plus
intraitable ennemi des religieux mendiants, etc.). — Dumont. Catalogue
des figurines de terre cuite du musée du Louvre.
12. — Revue de l'histoire des religions. 4^ année, t. VIII, n» 6.
RECUEILS PERIODIQUES. ^ 99
nov.-déc. — Beaua^ois. L'Elysée transatlantique et l'Eden occidental;
fin : l'Eden occidental (on avait déjà trouvé dans les Sagas et la relation
des Zeni la preuve qu'il existait une colonie de Gaëls chrétiens sur le
littoral de la confédération canadienne du x« au xiv^ s. ; les légendes
celtiques de Saint-Brendan, de Maelduin, des fils de Ua-Corra, de
Snedhgus et de Mac-Riaghla, quelque soit le merveilleux dont elles
s'enveloppent, ne permettent pas de douter que les Gaëls du moyen
âge sont allés jusqu'aux Antilles et ont même pénétré dans le golfe du
Mexique. Les Celtes disent avoir passé l'Atlantique pour chercher l'Ely-
sée ou l'Eden ; d'autre part, les riverains du golfe du Mexique affirment
qu'un peuple venu de l'Orient a traversé la même mer, s'est établi dans
leur pays, et leur a apporté la croyance en un lieu de délices, gouverné
par un vieillard comme on représente Saturne et ouvert aux héros de
leur vivant même. Cette coïncidence est des plus curieuses à constater).
— Vernes. Les débuts de la nation juive ; fin : les Israélites constitués
en nation par Saiil et David.
13. — Revue générale du droit de la législation et de la juris-
prudence en France et à l'étranger. 8= année, !''<= livr, 1884, janv.-
févr. — EsMEiN. Note pour l'histoire des institutions primitives (signale
deux textes relatifs à la poursuite du vol. : 1° c'est, dans la Genèse,
Laban poursuivant Jacob et Rachel, qui lui a volé ses dieux domes-
tiques; 2° un passage des saturnales de Macrobe le"", vi, fournit un
exemple très ancien aussi de la Quaestio furti per licium et lancem ;
c'est peut-être aussi le seul exemple qu'on trouve chez les Romains du
serment purgatoire dans les delicta privata).
14. — Nouvelle revue historique de droit français et étran-
ger. 1884, janv.-févr. — Arbois de Jubainville. Le Senchus Môr (exis-
tait déjà certainement au xi^ s. ; il était à cette époque un texte de
grande notoriété. Il commence par un exemple de saisie; les détails où
il entre prouvent qu'à cette époque la richesse individuelle chez les
Irlandais était exclusivement mobilière et consistait surtout en trou-
peaux, en particulier en bêtes à cornes. L'Irlande est un vaste pâturage;
point de terres cultivées en blé). — Bûche. Essai sur l'ancienne cou-
tume de Paris, aux xiii^ et xiv^ s., l^r art. (intéressante reconstitution
de cette ancienne coutume, d'après les indications conservées dans les
textes postérieurs). — Chassaing. Ordonnance de Louis XI sanction-
nant des articles arrêtés entre les consuls et les habitants du Puy-en-
Velay pour l'administration de cette ville; de Montils-lès-Tours,
nov. 1469.
15. — Comité des travaux historiques et scientifiques;
section d'archéologie. Bulletin. 1884. N" 1. — Albanès. Vente du
mobilier d'Avignon Nicolaï , archevêque d'Aix, 1443. — Barbier de
MoNTAULT. Trois sceaux ecclésiastiques des xiv" et xv^ s. (sceaux de
Jean de Peyrelade, de Guillaume le Breton, d'un prieur de Sainte-
200 RECUEILS PERIODIQUES.
Radegonde de Poitiers). — René. Inventaires des églises de Psal-
mody et d'Aigues-Mortes, xv^ et xyi» siècles. — Guiffrëy. Note sur
la date de la mort et le testament de François Clouet, peintre du roi
(le testament est du 21 septembre 1572; Clouet est mort le lendemain).
16. — La Révolution française. 1884, 14 févr. — Golfa\'ru. Com-
ment la Constituante et la Convention avaient résolu la question des
incompatibilités. — MouLm. Le Courrier et le Hasard; dernier épisode
de l'insurrection de Saint-Domingue en 1793 (rappelle comment le brick
anglais le Hasard a été enlevé à l'abordage par la corvette française le
Courrier, qui portait le brave général de Noailles ; ce simple épisode a
été singulièrement travesti). — Heywood. La maladie de Marat (Marat
était atteint, au plus baut degré, du délire de la persécution). — Penaud.
Le conventionnel Noël Pointe ; suite. — Comment la royauté a violem-
ment poussé la nation à la désaffection : la commune de Sainte-Claude,
de 1789 à 1791. — Charavay. Autographes et documents révolution-
naires. — OsTYN. Le procès de Marie-Antoinette ; suite. = 14 mars.
AuLARD. Les portraits littéraires au xvin'= s., pendant la Révolution
(attribue à Mirabeau le portrait àVramba^ dans la Galerie des états géné-
raux). — Advielle. Les portraits de Robespierre et de Lebon au musée
Carnavalet (celui de Robespierre, par Bailly, date de 1783, celui de
Lebon, par Doncre, de 1792. Ils ont tous les titres possibles à l'authen-
ticité). — Charavay. Lettres de G. Desmoulins et d'A. Dillon.
17. — Revue politique et littéraire. 3® série, 4° année, 1884,
n" 2. — Ledrain. Archéologie assyrienne. Collection Sarzec; une petite
ville d'architectes et de sculpteurs, en l'an 4500 av. J.-G. (il faut admi-
rer l'assurance avec laquelle l'auteur lixe la chronologie sumérienne, et
l'imagination avec laquelle il reconstitue, au moyen de quelques monu-
ments, l'histoire primitive du peuple des Sumirs, et la part qu'ils ont
apportée à l'œuvre de la civilisation). ;= N° 6. Boissier. Charles Thurot.
= N° 10. Paul Deschanel. La société française sous Louis XVI, la
Révolution et le Consulat. Pauline de Montmorin, comtesse de Beau-
mont, d'après M. Bardoux. = N' 11. Boissier. Gaule romaine; rhé-
teurs gaulois du iv' s., les panégyristes. = N° 12. B.arine. Un Anglais
en France, 1830-48. Le journal d'Henry Greville (Henry est le père de
Charles Greville, dont les mémoires publiés en 1874 on eu un si grand
retentissement; attaché à l'ambassade anglaise à Paris, il tint aussi un
(( journal » qui vient d'être publié ; on n'y trouve pas de médisances,
mais quelques notes utiles en particulier sur le gouvernement de Juillet).
18. — Revue des Deux-Mondes. 1884, 15 février. — Duc de Bro-
glie. Études diplomatiques. La l''^ lutte de Frédéric II et de Marie-
Thérèse. 3' art. : mort de Fieury. Louis XV veut gouverner par lui-
même. 4*= art. (l^ï- mars). Évacuation de l'Allemagne et bataille de
Dettingue (très intéressant). — Plauchut. Le royaume solitaire. La
Corée et les Coréens. = 15 mars. Boissier. L'instruction publique dans
RECDEILS PÉRIODIQUES. 20 ^
l'empire romain (très intéressante étude; il importe de connaître l'orga-
nisation de cet enseignement, parce que nos écoles de la renaissance
doivent beaucoup à celles du iv« s.). — Vuitry. Un chapitre de l'his-
toire de France. 2« partie : les excès de la spéculation au début du règne
de Louis XV. La Banque de Law et la compagnie des Indes. — Anto-
nin Lefèvre-Pontalis. Une restauration en 1672 : le rétablissement du
stathoudérat en Hollande (intéressant récit).
19. — La Nouvelle Revue. 1884, l" mars. — Duplessis. La vie
parisienne en 1780 (d'après le Tableau de Paris, par Mercier).
20. — Le Correspondant. 1884. 20 février. — Waliszewski. Une
Française reine de Pologne : Marie d'Arquien-Sobieska, 2° art. et der-
nier le 25 févr. (pendant les 15 premières années du règne de son mari,
la reine participe réellement et directement aux affaires de l'État ; mais
cette influence qu'elle exerce n'est pas due, comme on le répète, à
l'amour que Jean Sobieski avait pour sa femme ; obligé d'être tou-
jours aux camps et à la tète de ses armées, il avait besoin de quelqu'un
de conliance qui le remplaçât, surtout dans ses rapports avec les puis-
sances étrangères. Sa femme lui tint lieu de premier ministre. Mais,
quand devenu vieux, incapable de diriger activement les affaires du
royaume, il eut laissé tout faire à sa femme, celle-ci se montra ce
qu'elle était en réalité : vaine et avide; elle ne s'occupa plus que de
spéculations triviales, les affaires de l'État devinrent ce qu'elles purent).
— FoRNERON. Le Gid de l'histoire. = 10 mars. Thureau-DangiiN. Études
sur la diplomatie de la monarchie de Juillet. La politique extérieure
sous le ministère du 10 octobre. Fin le 25 mars (sur la politique du duc
de Broglie ; son attitude fière et raide à l'égard des grandes puissances
continentales hostiles au gouvernement de Juillet).
21. — Le Contemporain. 1884, 15 février. — Le R. P. Ollivier.
Études hongroises : la sainte Couronne. — Abbé Sicard. L'éducation
morale et civique pendant la Révolution ; les fêtes publiques. — Lecestre.
Les pèlerinages en terre sainte au moyen âge.
22. — Revue de l'Art français. N" 1, 1884, janvier. — J.-J. G.
Date du décès de François Glouet (22 sept. 1572). — Id. Van Dyck en
France (publie une lettre de M. de Béthune Gharost datée de Galais,
4 oct. 1641, et adressée à Ghavigny oià il lui dit que Van Dyck va se
rendre à Paris à petites journées pour être présenté au roi et au cardi-
nal. = N° 2. RoNDOT. Les graveurs de la monnaie de Troyes, du xiv«
au xviii" s.
23. — Le Spectateur militaire. 4= série, t. XXIV, 1884, 15 févr.
— E. B. Lettre inédite sur Gembloux-Wavre-Paris (comme le rapport
au maréchal Gérard que nous avons analysé précédemment, cette lettre
est du général Hulot; elle fut adressée de Donchery, 18 sept. 1819, à
un colonel, à propos de la brochure, qui venait de paraître, du mare-
202 RECUEILS PÉRIODIQUES.
chai Grouchy. Pour le général, c'est la bataille du 16, Ligny, qui a tout
perdu : « du moment où cette première journée n'aboutissait pas à un
coup de massue sur l'une ou sur l'autre armée ennemie, il restait peu
de chances pour le succès final »). — Dabormida. La bataille de l'As-
siette; suite. = 15 mars. E. B. Documents historiques et militaires
tirés des papiers du lieutenant général baron Etienne Hulot (publie une
lettre au lieutenant général Tholozé où il s'agit du rôle glorieux des
tirailleurs du Pô, que le général Hulot commanda, comme chef de
bataillon, de 1805 à 1807, aux avant-gardes de la grande armée; une
lettre écrite à un rédacteur des Victoires et Conquêtes; enfin un ordre
du jour remarquable adressé par le général Hulot au bataillon de chas-
seurs à pied qu'il créa en 1839).
24. — Revue africaine. 1883, sept.-oct. — Féraud. Notes histo-
riques sur la province de Gonstantine : les Ben-Djellab, sultans de Toug-
gourt, 16" art. — Arnaud. Voyages extraordinaires et nouvelles agréables
par Mohamed Abou Ras ben Ahmed ben Abd-el-Kader En-Nasci ;
histoire de l'Afrique septent.; 20'' art. — H. de Gramont et Piesse. Les
illustres captifs ; description d'un ms. du P. Dan, 3^ art.
25. — Revue de l'Agenais. 11" année, livr. 1 et 2. — Andrieu. La
censure et la police des livres en France sous l'ancien régime ; une sai-
sie de livres à Agen, en 1775. — Tholin. Les archives de l'hôtel de
ville d'Agen (introduction à l'inventaire sommaire qui doit paraître pro-
chainement ; l'auteur y signale la valeur de chaque série de documents).
— T. DE Larroque. Trois lettres inédites du président de Sevin à Pey-
resc. — Lauzun. Documents inédits relatifs à l'entrée du duc d'Aiguil-
lon à Agen et à Gondom en 1751. — Le carnet d'un franc-tireur :
nov. 1870-mars 1871.
26. — Revue bourbonnaise. 1884. 15 févr., n" 2, — Miquel. La
porte Fouquet à Montluçon. = 15 mars. Grassoreille. Moulins au
xv= siècle.
27. — Revue historique et archéologique du Maine. T. XIV,
3« livr., 1883, second trimestre. — Vicomte de Bastard d'Estang. Lettre
d'un gentilhomme de l'armée du prince de Conti sur la bataille de
Craon, le 23 mai 1592. — Trigier, La procession des Rameaux au
Mans; fin. — Alouis. Les Coesmes, seigneurs de Lucé et de Pruillé,
l''^ partie, de 1370 à 1508; suite.
28. — Société historique et archéologique du Gâtinais.
Annales. 1883, l'^'' trim. — Bréan. Pierre tumulaire trouvée à Orléans
(on y lit : L. Corn. Magnus, curator Cenabensium, etc., non Genaben-
sium; il faut distinguer Cenabo- Orléans de Genabum-Gien-le- Vieux).
— Duhamel. Note sur une découverte de monnaies à Mérobert, S. et 0.
(356 monnaies romaines en argent, allant de Garacalla à Posthume père,
211-267; la majorité appartient au règne de Gordien HI). — Le Roy.
RECUEILS PE'rIODIQUES. 203
Topographie du Gastinois aux époques celtique et gallo-romaine, !■•« par-
tie* fin au 2^ trim. = 2" trim. Boulé. Chroniques gàtinaises (publie les
notes recueillies sur leurs registres paroissiaux par les curés de La Cha-
pelle-la-Reine, 1740-91, de Fromont, 1741-77, d'Ury, 1614-1792); suite
au 3" et au 4« trim. — 3« trim. Marlet. Le cardinal de Ghatillon; fin
au 4" trim. = 4« trim. Le ministre Enoch et l'église de Montargis,
1567-68 (réédite, d'après le Bull, de l'hist. du Prot., trois pièces relatives
à ce personnage). — Pinson. La guerre d'Estampes, en 1752, par René
Hémard (épisode des guerres de la Fronde).
29. — Revue de Gascogne. 1884, mars. — Abbadie. Roger d'Espenan
et sa familUe (appelle du sévère jugement prononcé par le duc d'Aumale
contre ce capitaine gascon, qui combattit à Rocroy). — Ant. de Lante-
NAY. Pierre Milliard, abbé de Simorre et prieur de Sainte-Dode. —
ViGNAUx. Notes pour l'histoire du couvent des Ursulines de Gimont. —
Abbé Gadbin. Notice sur la paroisse de Saint-Pierre-et-Gastets ; suite.
Gomte 0. de La Hitte. Documents sur les troubles du xvi-^ siècle en
Gascogne ; suite en avril. = Avril. Paul Durrieu. Les Gascons en Italie :
Jourdain IV, seigneur de l'Isle-Jourdain, à la conquête de Naples (sous
Charles I^"" d'Anjou. Jourdain IV mourut en 1288. Étude faite presque
entièrement d'après les registres angevins inédits). — Abbé Dugrue.
Les curés de Gazaubon au xvni^ siècle. = Bibliographie : LaJiondès.
Annales de Pamiers, t. II (bon). — Webster. Simon de Montfort et le
Parlement anglais, 1248-65 (pense que S. de M., qui introduit dans le
Parlement anglais la représentation parlementaire des bourgeois, l'avait
apprise et connue d'abord en la pratiquant dans son gouvernement
de Guyenne, en suivant les anciens fueros, coutumes et libertés du
pays. — Ces conclusions nous paraissent plus que contestables).
30. — Bulletin d'histoire ecclésiastique (Romans), 4« année,
3' livr. 1884, janv.-févr. — Roman. Visites faites dans les prieurés de
l'ordre de Cluny en Dauphiné, de 1280 à 1303. — Abbé Toupin. Notice
sur le serviteur de Dieu, Jean Sérane, profès de la comp. de Jésus,
ancien vicaire de Suze-la-Rousse, mort à Toulouse en odeur de sainteté,
1712-84. — Abbé Blaïn. 2° mémoire de M. Antoine-Amable de Chan-
temerle, vicaire-général de Valence. — Abbé Gruvellier. Notice sur
l'église de N.-D. du Bourg, ancienne cathédrale de Digne. — Ul. Che-
valier. Mélanges : pillage et incendie du prieuré d'Eurre, 1331. Entrée
et séjour de Louis XII à Romans, juin 1511. Arrivée du duc de Bour-
bon à Romans, juillet 1511.
31. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Séances.
1883, 28 déc. — M. Desjardins annonce que, sur l'emplacement de la
ville actuelle de Macteur en Tunisie, M. Letaille a trouvé une inscr.
qui donne le nom ancien de cette ville : Colonia Aelia Aurélia Macta-
ris. = 1884, 18 janvier. M. Bertrand donne des détails sur un trésor
d'objets d'or récemment découvert en Alsace et acquis par le musée de
204 RECUEILS PE'RIODrQUES.
Saint-Germain ; il paraît que ces pièces ont été fabriquées par les Boii,
peuple gaulois qui a donné son nom à la Bohème et à la Bavière. =
25 janv. Les fouilles exécutées à Rome dans la maison des Vestales ont
donné les noms complets des consuls de l'an 214 : L. Valerius Messala
et G. Suetonus Sabinus. On y a de plus découvert un trésor de 855 pièces
diverses et une fibule de cuivre portant le nom du pape Marinus II,
942-946 ; une des pièces est de l'empereur byzantin Théophile, 929-40.
— 15 février. M. Heuzey annonce la découverte d'un nouveau roi de
Tello ou Sirpourla; l'inscr. qui le donne paraît appartenir aux plus
anciennes. = 29 janv. M. Oppert propose une traduction de cette
inscr. ; le roi en question vivait environ 3,800 ans avant notre ère. =
7 mars. M. Poinssot a copié à Lambèse et à Timgad environ 150 inscr.
inédites ; une d'entre elles donne des renseignements détaillés sur les
cadres d'une légion et la composition des cohortes. M. J. Havet en
donne la transcription complète dans la Bévue critique, 1884, n» 12. =
14 mars. M. Sénart lit une étude sur le plus ancien édit religieux du
roi bouddhiste Açoka Piyadasi. — M. Desjardins soutient contre
M. Mommsen que l'inscr. de Coptos, découverte par M. Maspero, est de
la fin du second siècle après J.-G, M. M. la croit plus ancienne, peut-
être de l'époque d'Auguste.
32. — Académie des sciences morales et politiques. Gompte-
rendu. 44" année, t. XXI, 1884, février-mars. — Geffroy. L'École fran-
çaise de Rome; ses premiers travaux; fin. — Vicier. La question de
l'alliance anglaise sous le ministère de Richelieu ; ambassade extraor-
dinaire du marquis de Senneterre à Londres, avril 1635, août 1637.
1er art. — Zeller. La bataille de Bouvines ; extrait du t. V de l'Histoire
d'Allemagne; fin. — Nourrisson. Origine des idées politiques de Rous-
seau ; 3« mémoire, par M. Jules Vuy. — V. Duruy. Julien empereur.
La réaction païenne (Julien voulait restaurer doucement le passé ; les
païens profitèrent de ces bonnes dispositions du souverain pour se ven-
ger des longues humiliations que les empereurs chrétiens leur avaient
fait subir; Julien n'ordonna pas ces représailles, elles étaient inévi-
tables. Il ne faut donc point parler de persécution). — Arth. Desjardins.
Le congrès de Paris, 1856, et la jurisprudence internationale (relative
au droit maritime en temps de guerre : abolition de la course, immu-
nité de la propriété ennemie sous pavillon neutre et de la propriété
neutre sous pavillon ennemi, blocus fictifs).
33. — Société nationale des Antiquaires de France. Séance du
30 janvier. — M. Célestin Port, dans une lettre adressée à M. A. Ber-
trand, communique un titre de 1644 relatif à l'église de Saint-Jean du
Marillais, en Anjou. L'autorité ecclésiastique y ordonne de supprimer
et de faire boucher « un trou qui est au bas de l'autel pour empêcher
la superstition qu'aucuns commettent, y faisant entrer la tête de leurs
enfants. » M. Port rapproche cette superstition de celle relative aux
RECUEILS pe'riodiques. 205
dolmens troués. Plusieurs membres de la Société citent à ce propos des
exemples analogues. = Séance du 6 février. M. Mowat communique à
la Société un dessin colorié de la mosaïque découverte à Nîmes. Le
sujet représente le roi Pelias assis sur un trône au-dessus d'une sorte
d'estrade; à sa droite, sa fille Alceste, debout et demi-vètue. Devant
lui, Admète amenant un char, attelé d'un lion et d'un sanglier, et récla-
mant la main d'Alceste. Dans le fond, un garde casqué à côté d'un
esclave. M. Frossard dit que sous ce titre : la mosaïque du mariage
d'Admette, M. G. Mavejol vient de publier, à Nîmes, un mémoire très
complet sur ce sujet. La mosaïque, trouvée à 2™ 80 de profondeur sous
l'ancienne maison Mazel, en face des Halles, formait le sol d'un tabli-
num , elle a 30 pieds romains de longueur sur 20 pieds de largeur. =
Séance du 12 mars 1884. Lecture est donnée d'un mémoire de M. de
Linas sur un disque d'or trouvé à Anvers et sur ses rapports avec l'art
oriental. A ce propos, M. A. Bertrand fait remarquer qu'on n'a pas le
droit de refuser aux Gaulois de la vallée du Danube l'honneur d'objets
semblables, et que l'hypothèse d'une origine orientale n'est nullement
nécessaire. — M. l'abbé Thédenat annonce qu'on a découvert dans un
champ dépendant de la ferme de Martières, commune de Tremblay,
canton de Gonesse (Seine-et-Oise), un trésor composé de 600 monnaies
en or, en argent et en cuivre. Ces monnaies vont de François l^"" à
Henri IV. Les pièces d'argent sont les plus nombreuses.
34. — Société historique. Bulletin, l--" année 1883. — N" 1. Albert
SoREL, L'iatluence française en Europe à la veille de la Révolution. =
No 4. Bréal. La jeunesse de M. Hase (extraits curieux; la conférence a
été reproduite en entier dans la Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1883).
— Gallery. La jeunesse de Nicolas Goulas. (Les mémoires de N. G.
ont été publiés par extraits par la Société de l'histoire de France ; des
parties inédites, M. Gallery a tiré de piquants détails en ce qu'était une
cour de prmce, celle de Gaston d'Orléans, au xvu^ s.) — Taine. Le pro-
gramme jacobin. = N° 5. Fr. de Pressensé. M. Gladstone. — Le R. P . de
La Croix. Les fouilles de Sanxay. = Flammermont. Les archives des
ministères et les papiers d'État. =N° 6. R. de Maulde. Le mariage des
filles de Louis XL — Colonel Jung. De la publication des documents
historiques (propose de publier les documents d'archives sur feuillets
séparés, se vendant chacun quelques centimes, et que chacun pourrait
se procurer, classer et utiliser suivant ses besoins ou ses goûts). =
N" 7. Rabany. Les Schweighaeuser (détails très intéressants pour l'his-
toire des mœurs, de l'érudition et même de la Révolution française,
dans ces biographies d'illustres hellénistes).
35. — Société de l'Histoire de Paris. Bulletin 1883. — N° 4.
J. GuiFFREY. Testament, scellé et inventaire après décès de Germain
Brice (l'auteur de la Description de Paris, décédé le 18 novembre 1727 dans
une maison de la rue du Vieux-Colombier). — 0.mont. Inventaire som-
206 RECUEILS pe'riodiqdes.
maire des mss. grecs conservés dans les bibliothèques publiques de Paris
autres que la Bibl. nat. = N" 5. Le Calendrier des loisirs ou les amu-
semens économiques de Paris et des environs. Étrennes agréables, 1776.
— O.MONT. Une lettre inédite de saint Vincent de Paul, 19 août 1642. —
A. DE M. Le grand hiver de 1481 à Paris (extrait d'une chronique lyon-
naise de Benoit Maillard, grand prieur de l'abbaye de Savigny, qui
s'étend de 1460 à 1506). — Julien Havet. Les Esglizes de Paris (texte
du xvi« s.). = Stein. Inventaire du mobilier de maître Guillaume
As Feives, 1302. — Delachenal. Notes pour servir à la biographie de
Guillaume du Breuil (suspendu de 1330 à 1332, c'est pendant ces loisirs
forcés qu'il composa le Stylus Parlamenti. Après sa mort, il fut absous
de tous les crimes pour lesquels il avait été poursuivi par le procureur
du roi et par l'official de Paris). — Omont. Visite de Peiresc à la
Bibliothèque du roi et à celle de Saint-Germain-des-Prés, 1612 et 1617
(notes sur quelques mss.).
36. — Société de l'Histoire de France. Annuaire-Bulletin.
Année 1883. Seconde partie : documents et notices historiques. —
Valois. Fragment d'un registre du Grand Conseil de Charles VII,
mars-juin 1455; fin. — Aug. Molinier. Fragments inédits de la chro-
nique de Jean de Noyai, abbé de Saint-Vincent-de-Laon au xiv's. (ren-
seignements intéressants sur certains épisodes de la guerre de Cent
ans, notamment sur les combats dont les pays voisins de Laon furent
le théâtre de 1340 à 1380 ; beaucoup de détails curieux sur les dix der-
nières années du règne de Charles V). — A. de Boislisle. Notice bio-
graphique et historique sur Etienne de Vesc, sénéchal de Beaucaire;
6« et dernier art. — Id. Rocroy et Nordlingen (publie : 1° une dépêche
de la reine au duc d'Enghien sur le gain de la bataille de Rocroy,
22 mai 1643 ; 2° une dépêche du roi au même à propos de celle de Nord-
lingue, août 1645).
37. — Société archéologique de Tarn-et-Garonne. — Mila de
Cabarieu. Un épisode de la domination anglaise en Guyenne : somma-
tion d'évacuer la Guyenne faite au nom de Philippe le Bel par les abbés
de Belleperche et de Grandselve au lieutenant du roi d'Angleterre, 1293
(il est fâcheux que l'on ne donne pas ici le texte complet de cette pièce
et que les fragments publiés ne le soient pas avec plus d'exactitude).
38. — Société de l'histoire du protestantisme français. Bul-
letin 1884, févr. — Gaufrés. Imbert Pécolet (sur l'enseignement aux pre-
miers temps de la Réforme). — Acte de Société de deux libraires du
Béarn, 1580. — Lettre de M. Hamelot à un jeune proposant, écolier à
Saumur, 1683. Relation de la mort de Pierre Durand, 24 avril 1732. —
Ode de M. de Chandieu sur les misères des églises françaises qui ont
esté par si longtemps persécutées. := Mars. J. Bonnet. L'église réformée
de la Calmette ; pages d'histoire locale. — Guérin. Poursuites contre les
réformés d'Alençon, 1533-34. — Puaux. Thomas d'Estorbiac; lettre et
RECDEILS PÉRIODIQUES. 207
requête d'un magistrat huguenot au xvn^ s. — Lelièyre. La Réforme à
Jersey.
39. — Société des Anciens Textes français. Bulletin 1883. — -
N» 2. P. M. Inventaire d'une bibliothèque française de la seconde moitié
du xv^ s. (tous livres en langue vulgaire : un ou deux livres d'histoire
égarés au milieu de mss. appartenant à la littérature mondaine et reli-
gieuse. C'est par inadvertance que l'auteur de cette note a parlé de « la
lutte entre Charles de Blois et Simon de Montfort. »)
40. — Société des Antiquaires de l'Ouest. Bulletin, 1883,
4e trimestre. — Colonel Babinet. Étude de la Ijataille de Poitiers-Mau-
pertuis ; suite (réunit un grand nombre de récits d'auteurs contempo-
rains ou autres; avec une carte).
41. — Messager des sciences historiques de Belgique. 1884,
li'e liv. — Baron Jean B. de V. L'ancien couvent des Carmes déchaussés
à Gand. — V'^ de Groughy et C'^ de Marsy. Un administrateur au
temps de Louis XIV; suite. — Helbig. Notice sur Gilles Périander, de
Bruxelles, poète latin du xvi<= siècle. — Procès du duc de Wellington
contre l'imprimeur De Busscher.
42. — Historische Zeitschrift. N. F. Bd. XV. Heft 3.— Wohlwill.
La France et l'Allemagne du Nord de 1795 à 1800 (montre, d'après les
documents très bien publiés par M. Bailleu et par d'autres actes, com-
ment fut menacée la neutralité de l'Allemagne du Nord et comment la
Prusse réussit à la garantir). — Langen. Roger Bacon (origine et valeur
de ses conceptions scientifiques. Discours d'apparat plutôt que travail
d'érudition). — Hertzberg. Les palais impériaux de Gonstantinople. —
Feuerlein. Les premiers pas de la renaissance philosophique en Europe.
= Bibliographie. Marquardt. Das Privatleben der Romer (édition con-
sidérablement remaniée et mise au courant). — Bestmann. Geschichte
der christlichen Sitte (fait sans méthode). — Ross. The early history of
landholding among the Germans (connaît très bien les textes, les tra-
vaux publiés sur le sujet; mais interprète mal Tacite et ne réussit pas à
prouver sa thèse que l'ancienne Germanie connaissait à l'origine seule-
ment la grande propriété foncière possédée par des seigneurs et cultivée
par des esclaves ou des hommes libres). — Zeumer. Formulae mero-
vvingici et karolini aevi. — Kugler. Neue Analekten zur Geschichte des
zweiten Kreuzzuges (1" saint Bernard et la seconde croisade ; contre
Neumann; croit que la circulaire d'Eugène III pour la croisade est du
le'" mars 1146; que celle de saint Bernard aux gens de Spire a été
composée peu avant la Diète tenue en novembre 1146; 2° Cinnamus et
la politique de l'empereur Manuel; contre Kap-Herr; estime que le
récit de Cinnamus mérite toute créance; 3" critique le récit de la croi-
sade par Beruhardi dans son Conrad III). — Fischer. Die Theilnahme
208 RECUEILS Pe'rIODIQUES.
der ReichsstaecUe an der Reichsheerfahrt, 1254-1376 (excellent). — Geiger.
Renaissance und Humanismus in Italien und Deutschland (ouvrage de
valeur. Une note de la rédaction prend soin de nous avertir que l'ou-
vrage a été jugé bien moins favorablement par les Preussische Jahr-
bûcher, 1. II, 103). — Irmer. Hans Georg von Harnim als kaiserlicher
Heerfiihrer in Pommern und Polen (bon). — Onchen. Das Zeitalter
Friedrich's des Grossen (bon ouvrage de vulgarisation, malgré des
lacunes et des erreurs). — Fessier. Geschichte von Ungarn (nouvelle
édition remaniée et corrigée en 5 vol., très utile). — Uoyle. Englisb
colonies in America (excellent).
43. — Forschungen zur deutschen Geschichte. Ed. XXIV,
Heft 1. — RiBBECK. Gerhoh de Reichersberg et ses idées sur les rap-
ports entre l'État et l'Église. (Né vers la fin du xi« s., Gerhoh, chanoine
d'Augsbourg, fut pendant de longues années l'intime conseiller de
l'évèque Hermann, qu'il accompagna à Rome au concile du Latran,
en 1123; en 1132, il fut nommé prévôt de Reichersberg; il mourut en
juillet 1169. Partisan de l'empereur, il souhaitait aussi ardemment une
réforme dans l'Église, opérée par l'Église elle-même. Lorsqu'il vit que
l'idéal de sa vie était irréalisable, il se renferma dans la prédication
morale. On l'a comparé à saint Bernard; la comparaison est très forcée,
mais Gerhoh appartenait à la même famille d'esprits.) — Volkmar.
Les chroniques de Hermann, de Bernuld et l'Epitome Sangallensis, pour
les cinq premiers siècles (Bernold a composé ses chroniques à l'aide de
Hermann et de l'Epitome; puis il a remanié Hermann en l'abrégeant,
mais en utilisant aussi l'Epitome. L'Epitome, pour cette période, est
original et indépendant. Il est rédigé surtout à l'aide de Gassiodore,
puis d'Isidore, peut-être aussi du Ghron. Augustanum ou Canisianum,
d'A. Marcellin et de Jordanis ; il ne connaît ni Idace ni les Gesta Pon-
tificum. Hermann a mis à profit le Chron. Augustanum; il a connu
Prosper et Gassiodore sans les mettre beaucoup à contribution; mais il
ne s'écarte jamais de l'Epitome). — F. Stein. La Franconie orientale
au x« s. (ses limites et les dix-neuf gaue qui la composaient; le margra-
viat franconien, ses rapports avec la Thuringe et la Bavière. Comtes
des gaue et familles nobles; immunités. L'évèque de Wùrzbourg; jus-
qu'à quel point Eichstredt était-il un évêché franconien?). — Schultze.
Sur les biographies de Majolus (nous avons de ce moine, second succes-
seur d'Odon de Gluny, cinq biographies, plus les fragments d'une
sixième. On n'attache d'ordinaire d'importance qu'à la plus ancienne;
cependant, bien que dérivées, les autres ne sont pas sans valeurj. —
Seegk. A quelle époque furent livrés les combats de Pollentia et de
Vérone? (l'examen attentif des œuvres poétiques de Glaudien et des
annalistes du iv« s. prouve qu'il faut placer en 402 et non en 403 la
date de ces batailles). — Kunik. Sur la Vita Anskarii (sur la date du
double voyage d'Ansgar en Suède, et sur la mort de Gauzbert, arrivée
vers 860). — Pflugk-Harttung. De quelques lettres du moyen âge, et
RECUEILS PERIODIQUES. 209
en particulier de deux brefs d'Eugène III sur la croisade (ces deux brefs,
relatifs à la seconde croisade, sont authentiques).
44. — Gœttingische gelehrte Anzeigen. 1804, n« 3. — Ewald et
Lœwe. Exempla scripturae visigothicae xl tabulis expressa.— Pliiiippi et
Wœlkt/. Preussisches Urkundenbuck. Bd. I : die Bildung des Ordens-
staats (contient 348 documents allant de 1140 à 1257 ; très nombreuses
critiques de détail). = N° 4. Neumann. Geschichte Roms waîhrend des
Verfalles der Republik (livre très agréable à lire). =: N° 5. Seelxnder.
Graf Seckendorff und die Publicistik zum Frieden von Fiissen, 1745
(très intéressants résultats). — Enmann. Fine verlorene Geschichte der
rômischen Kaiser und das Buch de Viris illustribus urbis Romae (l'au-
teur pense qu'il y a eu une histoire des empereurs romains sous forme
de biographie, qui est la source principale d'A. Victor et d'Eutrope, et
dont d'importants fragments ont passé dans les Script, hist. aug. Elle
allait d'abord jusqu'à Dioclétien; une seconde main l'a continuée jus-
qu'à la défaite des Alamans en 357. Ce continuateur a aussi composé
sous la même forme biographique l'histoire des rois et de la Répu-
blique; ce sont ces biographies que l'on retrouve abrégées dans le De
Viris ; elles ont été utilisées par Ampelius dans son Liber meinorialis,
et par Eutrope. Discussion de ces conclusions).
45. — Deutsche Rundschau. 1884, mars.— Noeldeke. Theodoros,
roi d'Abyssinie.
46. — Hermès. Bd. XVIII, Heft 3. 1883. — Fr^nkel. L'An-
tidosis (il ne s'agissait nullement, comme Bœckh le croyait, d'un
échange de biens, mais d'un séquestre judiciaire de ces biens jusqu'à
la décision des juges). — Robert. Un antique système de numérotation
et les tablettes en plomb de Dodone (l'usage des lettres comme signe de
numération était en vigueur à Athènes vers le milieu du v^ s.) — Blass.
Du fragment sur papyrus de la politique des Athéniens, par Aristote
(correction au texte j. = Bd. XIX, Heft 1. 1884. — Mommsen. De la
conscription sous les empereurs (à l'aide d'inscriptions nouvelles, l'au-
teur constate trois époques différentes : 1° l'ordonnance d'Auguste,
d'après laquelle l'Italie et l'Occident latin fournissent les légions occi-
dentales, et l'Orient grec les légions grecques ; 2° depuis Vespasien, on
maintient l'ancien système d'Auguste, sauf que les Italiens sont dis-
pensés de tout service militaire régulier; enfin, depuis Hadrien, on
introduit la conscription locale. L'auteur traite ensuite d'une manière
approfondie la conscription des troupes auxiliaires, le mode de cons-
cription, la condition juridique des soldats, etc). — Thalheim. L'Anti-
dosis (contre l'opinion de Frœnkel exposée plus haut). — De Boor.
Le recueil de Porphyrogénète (modifie souvent l'ordre, la suite et le
rapport des extraits, tels que Nissen les avait adoptés). — Seeck.
Remarques sur la reconstruction de la sceuothèque de Philon (contre
Dorpfeld).
ReV. IIlSTOn. XXV. le'- FASC. 14
2^0 RECUEILS Pe'rIODIQUES.
47. — Neue Jahrbiicher fur Philologie und Pœdagogik.
Bd. GXXVII et GXXVIII , Heft 12. 1883. — Kothe. Sur l'éco-
nomie des histoires de Timée (contre Beloch. La valeur historique de
l'histoire de Timée est faible). — Busolt. Sur les sources des Messeniaka
de Pausanias (le cadre pour l'histoire de la première guerre messénienne
est pris de Thucydide et de Xénophon; le détail a été composé à l'aide
des récits des Messéniens et de l'épopée ; les seuls fragments de Tyrtée
ont une valeur historique). — Reuss. L'anabase de Xénophon (expose
en détail sur les évolutions des Grecs à la bataille de Gunaxa et leur
ordre de marche). — Jakoby. Sur Denys d'Halicarnasse (propose des
corrections au texte, d'après une étude attentive des particularités de
style de l'historien). — Schmidt. L'âge de la Lex Antonia Gornelia de
permutatione provinciarum (le 27 ou le 28 juillet de l'an 44 avant J.-G.).
— Gemoll. Sur le De viris illustribus de Gennadius (correction au
texte). = Bd. GXXIX et CXXX, Heft 1. — Brunn. Pausanias et ses
détracteurs (estime que Pausanias, en parlant d'Olympie, a bien décrit
ce qu'il a vu ; repousse le reproche de niaiserie qui a été fait à cet
auteur). — Brzoska. De canone decem oratorum atticorum (ce canon a
son origine à Pergame). — Eussner. Sur les histoires de Tacite (remar-
ques sur la critique du texte). — Peter. Sur les Scriptores historiae
augustae (corrige quelques leçons).
48. — Zeitschrift fur deutsche Philologie. Bd. XV, Heft 4.
4883. — Sghep.-;s. Les lettres de Froumond et Ruodlieb (correc-
tion au texte de l'édition Seiler. Froumond séjourna à Teuchtwangen
et à Wurzbourg; détail sur les écoles allemandes au x" s.). — Matthias.
La chasse dans les Nibelungcn (important pour l'histoire des mœurs au
moyen âge).
49. — Jahrbiicher fiir die Deutsche Armée und Marine. 1884,
janvier. — La campagne de Frédéric H en 1742; souvenirs (sa cam-
pagne en Moravie et la bataille de Chotusic, d'après le récit du roi et
les témoignages contemporains). — Von Kaltenborn. Lennart Tors-
tenson; suite en févr. (sa biographie; réorganisation de l'armée suédoise
en 1641). — Le premier régiment prussien de hussards dans la cam-
pagne de Russie en 1812; suite en février (des opérations sous Macdonald
à l'aile gauche de l'armée). = Compte-rendu : Gerneth. Geschichte des
kôn. bayerischen 5 Infanterie-Regimentes, 1722-1804 (très bon). =
Février. Compte-rendu : Malachowski. Ueber die Entwickelung der lei-
tenden Gedanken zur ersten Campagne Napoléons le' (très bon).
50. — Militaerische Blaetter. Jahrg. XIII, Bd. XXIV, Heft 1-2.
Berlin, 1884. — Von Czernowsky. La marche de Souvarov à travers le
Saint-Gothard en 1799; suite. = Comptes-rendus : Krausc. Die Ent-
wickelung des Brandenburg-preussischen Heeres (bon). — Von Brœckern,
Memoiren aus dem Feldzuge in Spanien, 1808-1814 (bon).
RECUEILS PÉRIODIQUES. 2^ 4
51. — Deutsche Revue. Jahrg. VIII, Bd. IV, 1883. Extraits de
lettres et de mémoriaux d'un ministre allemand (Von Freydorf, ministre
badois, 1866-70). = Jahrg. 1884. Heft 1-2. — IIoltzmann. Luther
considéré comme réformateur des universités. — Irsner. Portrait
d'un célèbre aventurier (quelques traits de la vie du colonel autrichien
von der Trenk, assez triste personnage à qui ni la flatterie ni le men-
songe n'étaient inconnus). — Langkavel. Sur l'histoire de la mode
des différents noms des objets de fourrures).
53. — Auf der Hœhe. Jahrg. III, Bd. IX, 1883, oct. — Reinagh.
Léon Gambetta. — Huet. Érasme de Rotterdam. = Dec. Schwicker.
Universités hongroises; fin. — Demetrios. Extraits des mémoires d'une
amie de Mazzini (ces notes traitent du séjour de M. à Londres et des
conspirations qu'il y prépara). = Bd. X, Heft 28. — Hannemann.
Les Basques; fin Heft 29 (histoire et ethnographie; l'auteur les fait
venir des Ibères, Turdules et Turdétains). — Sghwicker. Un savant
hongrois (article très élogieux sur le livre de J. Schwarcz, Die Demo-
kratic; fin Heft 29).
53. — Archiv fûp katolisches Kirchenrecht. 1884, Heft 1.
— ScH.MiTz. Nouvelles contributions à l'histoire des livres péniten-
ciaux (à propos du livre de Seebass : Ueber Columba von Luxeuils
Klosterregel und Bussbuch. Montre que les regulae cœnobiatcs ne sont
pas des pénitenciaux, mais seulement des listes de punitions infligées
au couvent; Columba n'a donc pas apporté en France le système de
pénitence usité en Irlande). = Comptes-rendus : Schnûrer. Pilgrim
Erzbischof. Studien zur Geschichte Heinrich II und Konrad II (bon).
— BclUsheim. Geschichte der katholischen Kirche in Schottland, von
der Einfiihrung des Christentums, bis auf die Gegenwart (très bon).
54. — Theologische Studien und Kritiken. 1884. Heft 2.
— Hering. La Réforme et le paupérisme (la Réforme, en empêchant
l'argent d'aller à Rome, fut importante en Allemagne au point de vue
économique; ses rapports avec l'insurrection des paysans). =: Compte-
rendu : De Groot. Beitrsege zur Luther (montre par de nouveaux docu-
ments la haine fanatique de Luther contre Érasme, à qui Luther ne
comprenait rien).
55. — Nord und Siid. 1883, Heft 10. — Zorn. Stein et la réforme
de l'administration prussienne (ces réformes sont le fondement de
toutes les institutions durables qui ont été édifiées dans ce siècle en
Prusse et en Allemagne). — Geyer. Hohenstaufen et Hohenzollera
(1° histoire du château de Hohenstaufen du moyen âge à l'époque con-
temporaine; 2" histoire du château d'Urach et de ses rapports avec
l'histoire des comtes de Wurtemberg; 3° les plus anciennes mentions
du château de HohenzoUern dans la Chronique Souabe de Martinus
Crusius). = Heft 12. Cantor. Sur l'histoire des universités (organisation
212 RECUEILS PERIODIQUES.
intérieure de l'université de Padoue au xvi'' s.; ses luttes contre les
jésuites). — La Prusse dans la Hesse électorale (souvenirs d'un vieux
officier prussien dans l'expédition de nov.-déc. 1850. Décrit avec soin
les événements militaires et diplomatiques. Le gouvernement prussien
avait mis tout son espoir dans la conférence ouverte le 23 décembre à
Dresde pour sauver au moins tout ce qui n'était pas encore perdu de sa
politique allemande; mais là encore elle dut céder devant la politique
énergique et tout à fait consciente de son but du prince Schwarzenberg).
= 1884. L'ultramontanisme en France sous la Restauration (la théo-
logie et la science; les idées de La Mennais).
56. — Zeitschrift der deutschen morgenlaendischen Gesell-
schaft. Bd. XXXVII, Heft 3-4. 1883. — Muller. Inscriptions
sabéennes découvertes et rassemblées par Siegfried Langer (publie
22 inscr. himyaritiques, précieuses pour la géographie et l'histoire des
mœurs). — Bûhler. Inscr. d'Asoka (publie, traduit et commente deux
édits du roi Priyadisin ou Asoka). — Stigkel. Sur la Sphragistique
orientale (publie et traduit des légendes de sceaux). — Erman. Une
statue égyptienne trouvée en Cilicie (une inscr. la fait remonter au
temps des ll«-13e dynasties). — Mayer. Origine des sept jours de la
semaine. — Garbe. Sur l"Iv5ixri d'Arrien {V'Ephwtaïc, de Mégasthène est
le fleuve Varànaù; ce qu'il dit du peuple des Mathai est une erreur ; l'In-
dien qui lui fournit ces renseignements voulait parler de Bénarèsj. —
EuTiNG. Correction à plusieurs traductions d'inscr. phéniciennes et ara-
méennes. — Hultscu. Inscr. d'Amaràvati. — Suchau. Sur le N6[j.oi;
T£>.wvixôç de Palmyre (éclaircissements sur ce texte bilingue très impor-
tant, qui date de l'an 137 ap. J.-C). — Bùhler. Inscr. d'Asoka (texte,
traduction et commentaire de quatre nouveaux edits de ce roi).
57. — Preussische Jahrbucher. Bd. LUI, Heft 2. Janvier 1884.
— Lanz. La guerre de l'indépendance américaine au point de vue
anglais (d'après l'ouvrage de Lecky). = Févr.-juill. Sghmidt. L'histoire
universelle de Ranke (analyse du 4^ vol.).=Comptes-rendus: Treitschke.
Adolf Lutzows Freikorps, 1813-1814 (bon). — Dove. Das Zeitalter Fried-
rich des Grossen und Joseph II (très-bon).
' 58. — Zeitschrift des Harz-Vereins fur Geschichte und
Alterthumskunde. Jahrg. XVI, H. 1. 1883. — Zimmerm.vnn. Ernst
Theodor Langer (publie des lettres de Langer, ami de Goethe
et de Lessing et bibliothécaire de Wolfenbùthel. Destinée de cette
bibliothèque sous le roi Jérôme). — GroEssLER. Deux contributions
à l'histoire de la Réforme au comté de Mannsfeld (1° circulaire adressée
aux prêtres d'Eisleben en 1571 ; 2° narratio historica de statu ecclesiae
in comitatu Mansfeldensi, par Menzel, surintendant général de Manns-
feld, en 1584). — Id. Explication des noms de lieu allemands du district
maritime de Mannsfeld (l'auteur y retrouve des réminiscences nom-
breuses qui rappellent la maison royale de Thuringe, et en particulier
RECUEILS PÉRIODIQUES. 243
le roi Bisin). — Funica. Sur l'histoire du couvent de Sainte-Croix à
Brunswick (intéressant pour l'histoire de la vie monacale au moyen
âge). — Ménadier. Sur les monnaies de notre pays (en étudiant des
monnaies découvertes à Gandersheim, l'auteur parvient à déterminer
un pied monétaire particulier à la Basse-Saxe pendant le moyen âge).
— Contribution à l'histoire de la corporation des menuisiers à Werni-
gerode. — Id. Arten pendant la guerre de Trente ans (publie un docu-
ment de 1628). — Jacob. Le chiffre de la population à Wernigerode
en 1682. — Lindner. Un poème satirique sur Monseigneur de Bellisle
(composé lorsqu'il fut fait prisonnier à Elbingerode). — Schell. Les
mines d'autrefois et les privilèges des villes minières du haut Harz
(publie divers privilèges accordés par les ducs de Brunswick en 1636
et en 1752).
59. — Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins. Bd. V,
Heft 3-4. 1883. — Reumont. Cornel Peter Bock (biographie de cet his-
torien distingué, né à Aix-la-Chapelle en 180-4; liste de ses productions
les plus remarquables, qui se rapportent surtout à l'histoire de l'empire
romain). — Korth. Les voyages du chevalier Arnold von Harff en
Arabie, dans l'Inde et dans l'Afrique orientale (une partie seulement
des récits de ces voyages, effectués en 1497 et en 1498, sont d'un témoin
oculaire; il a emprunté le reste à d'autres descriptions et à Ptolémée;
son œuvre est cependant fort importante pour l'histoire des villes com-
merçantes de la Méditerranée). — Gross. Sur l'histoire du territoire
d'Aix-la-Chapelle; suite (document copié en 1654, mais d'une origine
plus ancienne ; c'est une ordonnance de la commune de Laurensberg
concernant les échevins, les maîtres d'école, l'assistance publique, etc.).
— Michel. Heinden, fief mouvant de Juliers (les sires de Heiden, delà
famille des chevaliers de Bongart, jusqu'en 1783; documents relatifs à
leur histoire). — Pauls. Sorcières brûlées à Aix-la-Chapelle en 1630 et
en 1649. — Reumont. Médaille commémorative de la paix d'Aix-la-
Chapelle en 1668. — Pauls. Restes d'un observatoire romain élevé près
de Friesenrath dans le district d'Aix-la-Chapelle (la découverte de ce
monument permet de préciser la direction de la voie romaine qui tra-
verse la montagne des « hohen Veen »). = Compte-rendu : Dumont.
Geschichte der Pfarreien der Erzdiôcese Kôln. Bd. XXII (très bon).
60. — Jahrbûcher und Jahresberichte des Vereins fur mek-
lenburgische Geschichte und Alterthumskunde. Jahrg. XLVIII.
1883. — WiGGER. La forteresse de Pol (son histoire pendant la
guerre de Trente ans ; son importance pour la formation de la flotte
de Wallenstein. Publie trois documents relatifs au plan et à la cons-
truction de cette forteresse). — Balck. Les Mecklembourgeois dans les
Universités étrangères jusqu'au milieu du xvn^ s. (les Universités les
plus fréquentées par eux étaient celles de Rostock et de Wismar). —
Wilhelmi. Augusta, princesse de Mecklenburg-Giistrow, et les piétistes
214 RECUEILS PERIODIQUES.
de Dargan (origine des communautés piétistes en Mecklembourg au
commencement du xviii« s. ; luttes qu'elles curent à soutenir contre les
théologiens de Rostock; biographie de la princesse Augusta qui soute-
nait les piétistes; sa correspondance avec le duc Charles-Léopold). —
Krause. Antiquités dans les environs de Rostock (1° rapport sur l'ou-
verture de ce qu'on appelle les tombeaux coniques de Doberan, apparte-
nant à l'âge du bronze. Découverte d'anciennes fortifications wendes
primitives à l'est et à l'ouest de Warnow; 2° rapport sur une décou-
verte importante d'objets de l'âge du fer à Dierkow). — Beltz. Recher-
ches sur l'âge du bronze en Mecklembourg (au sujet des trouvailles
faites à Tessenow, près deParchim). — Brûckner. Anciennes demeures
près de Neubrandenburg (appartiennent à l'âge de pierre). — Crull.
Sur la chronique de l'église de Saint-Nicolas de Wismar, par Michael
Kopmann (notes biographiques sur ce chroniqueur et sur sa famille).
61. — GeschichtsblsBttep fur Stadt und Land Magdeburg.
1883. Heft 4. — Wegener. Coutumes nuptiales du pays de Magde-
bourg. — WoLTER. Sur l'histoire de la ville de Magdebourg (arrêté
pris par le gouvernement archiépiscopal en 1599, sur le droit de
transporter le blé par bateau). — Hertel. Lettres sur l'histoire des
archevêques Ernest et Albert V de Magdebourg (publie la correspon-
dance du comte Botho le Fortuné à Stollberg, en qualité de lieutenant
des archevêques de Magdebourg, en 1500-1538). = Comptes-rendus:
Sclium. Gesta archiepiscoporum Magdeburgensium (fin). — Jacobs.
Geschichte der in der preussisciien Provinz Sachsen vereinigten Lan-
destheile (bon).
62. — Zeitschrift des histor. Vereîns fur Sch-waben und Neu-
burg. Jahrg. X, Ilcft 1. 1883. — Vogt. La correspondance du
chef de la Ligue souabe aux années 1524 à 1526; fin Heft 2-3
(comprend 904 numéros; ce sont pour la plupart des plaintes élevées
par les communautés après la fin de la guerre contre les paysans, et
des négociations sur le chiffre des amendes. Une table termine cette
publication). — Hoerm.\nn. Souvenirs relatifs à l'ancien couvent de
femmes de Sainte-Catherine à Augsbourg; suite (liste des prieures de
1273 à 1802, avec indication des documents où elles sont mentionnées).
63. — "Wûrttembergische Vierteljahrshefte fiir Landesges-
chichte. Jahrg. VI, Heft 4. 1884. — Klemm. Sur l'histoire de Geis-
lingen et de ses environs; fin (histoire des seigneurs du Spitzenberg,
1083-1314). — BucK. Remarques sur les noms de lieux et de per-
sonnes des Codices traditionum Weingartensium., pub. au t. IV du
AVirttemberges Ilrkundenbuch (explication étymologique des noms
allemands et romains). — Giefel. Le livre de comptes de la ville de
Ravensburg, 1474-1604. — Setz. Une ordonnance impériale pour célé-
brer la victoire de Peterwardein, 1716. — Bossert. De l'origine de
l'évêque de Bamberg, Otton le saint (il était originaire de Souabe et
RECDEILS PERIODIQUES. 245
apparenté avec les comtes de Staufen, Wurtemberg, etc.). — Beck. Un
procès de sorcellerie à Ellingen en moyenne Franconie, en 1590.
64. — Verhandlungen des historischen Vereins fur Nieder-
baiern. Bd. XXII, Heft 1-2. 1882. — Stadlbauer. Les derniers
abbés du couvent d'Oberaltaich , 1593-1802 (publie un document
sur l'invasion des troupes weimariennes dans le Bayerischer Wald
en 1633). — Mûller. Un code municipal de Landshut du xiv« siècle
(publie une traduction allemande du commencement du xn^"^ s.). —
Mayerhofer. Vingt documents relatifs à l'histoire ecclésiastique de
Passau, 1457-1638. — Mûller. Lettre de privilège pour le marché de
Kœtzting, par l'empereur Louis de Bavière, 1344. — Schw^bl. Georg
Sébastian Plinganser; contribution à l'histoire de la guerre de la suc-
cession d'Espagne en Bavière (biographie de Plinganser, le chef des
Paysans en Basse-Bavière, lorsqu'ils se soulevèrent contre la domina-
tion autrichienne ; s'efforce de prouver qu'il n'a pas manqué à sa parole,
et que son mémoire à l'électeur est digne de foi). — Schreiner. Fouilles
à Eining en 1879-81 (où se trouve un des camps romains les mieux
conservés de toute l'Allemagne). — Sghilllng. Les anciens bains
romains et la paroisse de Gœcking (histoire de ce village depuis sa plus
ancienne mention en 1128). — Handel-Mazetti. Documents tirés des
archives du château d'Ering sur Inn; fin : 1511-1745. — Dollinger.
Cartulaire de la ville de Neustadt sur le Danube; suite : 1529-1551.
65. — K. Baierische Akademie der 'Wissenschaften. Philo-
soph.-philolog. und historische Classe. Sitzungsberichte. 1883. Heft 3.
— Heigel. L'électeur Joseph Clément de Bavière et le projet d'une
cession de la Bavière à l'Autriche en 1712-1715 (des documents
nouveaux ont permis à l'auteur de tirer au clair les particularités des
négociations entre la Bavière, l'Autriche et la France, au sujet d'un
échange des territoires de l'électeur; l'électeur de Cologne s'y opposa
avec la plus grande énergie. Suivent des lettres à Max Emmanuel et à
Torcy). — Stieve. L'opinion du vice-chancelier de l'empire von Stra-
lendorf sur la succession de Juliers (est apocryphe ; cette pièce a été
composée par le Brandebourg afin de détacher la Saxe de l'alliance
impériale). — Gregorovius. La fondation de la colonie romaine Aelia
Capitolina. = Heft 4. Friedrich. Sur la Vita sancti Ruperti (n'a aucune
valeur. Quant à Rupert, il doit être placé vers l'an 700). — Von Lqeher.
L'âge, l'origine et la parenté des Germains (tout montre que les Ger-
mains, lorsqu'ils se trouvèrent en contact avec les Romains, étaient
établis déjà depuis longtemps en Germanie. Si l'hypothèse qui fait de
l'Europe la patrie originaire des peuples ariens était justifiée, les Ger-
mains pourraient élever les meilleures prétentions à être le point de
départ de leurs migrations). = Historische Classe. Ahhandlungen.
Bd. XVII. Abt. 1. 1883. Rockinger. Le livre des Rois et le Miroir de
Souabe (l'auteur de la chronique intitulée « le livre des rois » était un
2-16 RECUEILS PÉRIODIQUES.
elerc de Franconie qui écrivait vers le second tiers du xiii' s. Il est
possible qu'il ait aussi composé le Miroir de Souabe ; ce dernier nom
serait donc inexact). — Preger. Les traités de Louis de Bavière avec
Frédéric le Beau en 1325 et 1326 (la renonciation de Louis au trône
dont parle le traité conclu avec Frédéric à Ulm en 1326 ne fut faite
que pour tromper le pape, pour éloigner ensuite les princes de l'empire
du candidat français que favorisait le pape, et pour les amener à la
cause de Frédéric. Il est inexact que Louis ait refusé à Frédéric le
titre de co-régent à Innsbruck en 1327. Publie 448 pièces justificatives).
66. — Mittheilungen des Instituts fur œsterreichische Ge-
schitsforschung. Ergaenzungsband I, Heft 1 . — W. Sickel. Sur l'his-
toire des institutions politiques de l'Allemagne (étudie : 1° l'État ger-
manique primitif: les assemblées populaires; la division des peuples
en groupes multiples de dix ; 2" l'organisation nouvelle de l'État libre :
les chefs du peuple, les tribunaux et le maintien de la paix publique ;
3° les institutions de l'État non libre). — Fanta. Les traités des empe-
reurs avec Venise jusqu'en 983 (du capitulaire de l'année 805 ou 806
qui accorde aux Vénitiens la paisible jouissance de leurs biens dans
l'empire; de la forme que revêtit ce capitulaire dans les traités posté-
rieurs auxquels il sert de base. Publie la confirmation donnée par
Charles III à Ravenne le II janvier 880). — Th. Sickel, E. von Otten-
THAL et Fanta. Notes sur les diplômes des Ottons. — Dobenecker. La
bataille de Miihldorf, 28 nov. 1322, sur le fragment d'une chronique
autrichienne. = Bd. IV, Heft 3. J. Figker. Commentaires sur l'histoire
de l'empire au \uv s.; suite : 8° les écrits du pape contre l'empereur
Otton IV, 1210 et 1211. 9° Invasion des États de l'Église par Reinald
de Spolète, 1218. 10° Nomination de l'archevêque de Cologne Conrad,
en qualité de légat, 1249. — 0. von Zallinger. Les classes de cheva-
liers dans le droit de la Styrie. — Hùlsen. Sur un cadavre romain
découvert en 1485 près de la Via Appia. — Fanta. Les registres ange-
vins dans l'Archivio di stato de Naples, — Schulte. Le ms. original
de Kœnigshofen. — Cipolla. L'emprisonnement du roi Enzio à Bologne
(le malheureux roi ne parait pas avoir été trop maltraité en prison : en
1252, il avait un tailleur attaché à sa personne). — Jaksch. Sur la bio-
graphie de J. Unrest, prêtre bavarois du xv« s. = Bibliographie. G. von
Buchwald. Bischofs- und Fiirsten-Urkunden des XII u. XIII Jahrh.
(très bon). — Rhomberg. Die Erhebung der Geschichte zum Range
einer Wissenschaft, oder die historische Gewissheit und ihre Gesetze
(l'auteur du livre est du nombre de ces savants qui, tous les jours,
découvrent l'Amérique). — Jxger. Geschichte der landstaendischen
Verfassung Tirols. Bd. II (bon). -= Heft 4. Diekamp. Sur les bulles des
papes, d'Alexandre IV à Jean XXII, 1254-1334 (suit le texte de quatre
bulles, d'après les originaux de Vienne). — Busson. Sur la Vita Hein-
rici imperatoris. — Koehler. Les opérations de Charles d'Anjou avant
RECUEILS PÉRIODIQUES. 2^
la bataille de Tagliacozzo en 1268. Réplique de Jul. Ficker. — Schalk.
Les monnaies de Vienne dans le premier quart du xv" s. — Zimerman.
Une lettre de Johann Eck au roi Ferdinand I«'', 1529. = Bibliographie.
Ludewîg. Poppo von Stablo und die Klosterreformen unter den ersten
Saliern (intéressant pour l'histoire de la réforme cluniasienne et de son
influence sur les idées de Grégoire VII). = Bd. V, Heft 1. Redlich.
Sur les livres de traditions et sur les traditions en Bavière (sur l'his-
toire du droit privé). — H. von Kap-herr. Bernardus Marango (n'est
pas, comme Fa pensé Scheffer-Boichorst sur l'autorité de Roncioni,
l'auteur des Annales Pisani). — Lindner. La bulle d'or et ses expédi-
tions originales (reprend la question après 0. Harnack et arrive à des
résultats tout différents). — • Thausing. Michel Wolgemut, et la publi-
cation de la Chronique universelle de Hartmann Schedel (1' la signa-
ture de maitre W., qui se rencontre sur un grand nombre de gravures
sur cuivre du xv« s., n'est pas, comme on l'a répété jusqu'ici, le mono-
gramme de l'orfèvre Wenzel d'OImutz, mais bien celle du peintre
nurembergeois Michel Wolgemut. 2° Publie le texte d'un traité passé
en 1491 pour la publication des Ghronica mundi de Schedel). — E. von
Ottenthal. Rapport sur une mission à Rome (à la recherche de docu-
ments relatifs à Rodolphe I^"" et à Albert 1""). — Diekamp. Une bulle
originale de Léon IX, postérieure au 10 nov. 1049. = Bibliographie.
OEsterley. Historisch-geographisches Wœrterbuch des deutschen Mitte-
lalters (travail matériel très considérable; mais l'auteur n'a pas puisé
ses noms à la seule vraie source: celle des chartes; aussi son ouvrage
est-il loin de répondre aux exigences de la critique). — Dittrich. Reges-
ten und Briefe des Gardinals Gasparo Contarini, 1484-1542. Sixti IV
Summi Pontihcis ad Paulum III optimum pontificem maximum com-
positionum defensio (des erreurs grossières et des lacunes).
67. — Archiv fur oeterreichische Geschichte. Bd. LXV ,
Heft 1. 1883. — DuDiK. Des mesures prises pour défendre la Mora-
vie contre la Hongrie en 1683, et pour approvisionner les auxi-
liaires étrangers. — Loserth. La ruine de la maison Slawnik (elle ne
doit pas être attribuée seulement à des motifs religieux, elle s'explique
par la position indépendante de cette famille dont la puissance égalait
celle des Prezmyslides, et par la tendance qui rapprochait les princes
Slawnick de la Pologne). — Mayer. La guerre des Paysans en Autriche
en 1515 (elle n'eut aucune cause religieuse; elle fut provoquée par le
poids excessif des impôts, causés surtout par la guerre contre les Turcs ;
publie d'importants documents). — Gindely. Une contribution à la
biographie du Père Dominicus a Jesu Maria, contemporain de la
bataille de la Montagne Blanche (ce Père entra au conseil de la guerre
avant la bataille, et y exerça une grande influence. Il intervint avec
succès entre l'empereur et le duc de Nevers en 1629). — Huber. Études
sur l'histoire de Hongrie au temps des Arpad (d'après des documents
récents, en particulier d'après les chartes de la chancellerie hongroise;
218 RECUEILS PERIODIQUES.
étudie certains points encore mal connus, ainsi les lettres du roi Eme-
rich contre son frère André, le meurtre de la reine Gertrude en 1213,
les différends entre Bêla IV et Etienne, les règnes de Ladislas IV et
d'André III).
68. — Germania. Jahrg. XXIX, Heft 1. 1884. — Kœhler. Sur
la légende de la reine de Saba. — Blaas. Mœurs et coutumes de
la Basse-Autriche. — Voin Wagner. Sur la chasse de la grosse bête au
moyen âge (explique les expressions relatives à la chasse, usitées dans
l'ancien droit germanique).
69. — Jahresbericht des Muséum- Vereins zu Bregenz.
1882. — Jenny. Les anciennes constructions de Brigantium (rap-
port sur les fouilles qu'on y a opérées, et sur les monnaies, terres
cuites, phalères, qu'on y a découvertes). — Zoesmair. Histoire de la
fondation des monastères du Vorarlberg au moyen âge. — Id. Extraits
de pièces tirées des archives de Hohenems ; suite : 1450-1498. — Zan-
(lEMEisTER. Tablettes de plomb de Bregenz (publie, traduit et commente
un de ces monuments qu'on appelle Defixio).
70. — K. K. Akademie der "Wissenschaften. Silzungsherichte.
Phil. hislor. Classe. Bd. CIV, Heft 2. 1883. — Hoefler. Antoine de
Lalaing, seigneur de Montigny, Vicenzo Quirino et don Diego de Gue-
vara, considérés comme correspondants du roi Philippe I" en 1505 et
1506 (les dépèches de Quirino sont de beaucoup les plus importantes
au point de vue des affaires d'État. Montigny est un courtisan qui tait
beaucoup de choses ; Guevara se met à un point de vue étroit ; mais
sa véracité est inattaquable).
71. — Streffleur's œsterreichische Militaerzeitschrift. Jahrg.
XXV, Bd. I, Heft 1. 1884. — Von Janko. Georg Rimpler et
Christof Bœrner, chef du génie et de l'artillerie pendant le siège de
Vienne par les Turcs en 1683 (biographie de ces deux officiers, dont
les noms sont injustement tombés dans l'oubli). = Compte-rendu.
Schrœder. Der Kampf um Wien, 1683 (très bon).
72. — The Academy. 1884, 23 févr. — Schuyler. Peter the great
(livre impartial et écrit avec beaucoup de soin). — Atkmson. Quarter
sessions records : the North Riding record society; t. I (les documents
de cette nature, trop négligés pendant longtemps, sont fort utiles à
l'histoire; ceux que publie la Société des archives du Xord Riding dans
ce premier volume se rapportent aux années 1605-09, et jettent une
vive lumière sur la condition des catholiques dans le nord de l'Angle-
terre, sur la langue, les us et coutumes du pays à l'époque d'Elisabeth).
:= 8 mars. The Camden Miscellany, t. VIU (contient 9 mémoires rela-
tifs au xvn"^ s., dont 5 à la guerre civile). = 15 mars. Buddensieg . John
Wiclif's polemical works in latin, — Loserth. Hus and Wiclif (deux
publications excellentes). — Streatfeild. Lincolnshire and the Danes
RECUEILS PE'rIODIQCES. 219
(beaucoup d'erreurs de détail, avec beaucoup de faits précieux pour
l'histoire et la philologie anglaises). = 22 mars. Pollock. The land laws
(hvre de vulgarisation très agréable à lire et très instructif). — Wace et
Buchheim. The 99 thèses and the tree primary works of Dr. M. Luther
translated into english (utile pour l'histoire des origines de la réforme.
L'introduction historique est conçue d'une manière trop ambitieuse).
— Hodgetts. Older England illustrated hy the anglo-saxon antiquities
in the Brit. Mus. (l'auteur se plaint de l'extrême ignorance où se
trouvent ses compatriotes sur les temps primitifs de leur histoire; mais
lui-même montre tant d'ignorance qu'il ne saurait être pris pour
guide). = 29 mars. Roundell. Gowdray ; the history of a great english
house (le château de Gowdray fut construit sous Henri III et détruit
pendant la guerre des Barons ; il appartenait alors à Jean de Bohun;
livre charmant).
73. — The Athenaeum. 1884, 9 février. — Playfair. The scourge
of Christendom : annals of hritish relations with Algiers prior to
the french conquest (livre écrit sans art, mais plein de faits). —
Welford. History of Newcastle and Gatheshead in the XIV a.
XV. cent, (travail consciencieux). = 23 février. Griffiths. The chro-
nicles of Newgate, 2 volumes (trop maigre pour le moyen âge, cet
ouvrage fournit pour l'époque moderne les renseignements les plus
curieux et les plus abondants sur l'histoire de la criminalité en Angle-
terre). = 1" mars. Green. Galendar of State papers, domestic séries,
during the Gommonwealth; vol. X, 1656-57. = 8 mars. Jackson. The
court of the Tuileries, 1815-48 (il serait difficile de trouver un livre
plus mal fait). = 22 mars. Khédives and Pashas (intéressant). =
29 mars. Vedel. Correspondance ministérielle du comte Bernstorff,
1751-1770 (fournit beaucoup de faits nouveaux à l'histoire des relations
du Danemark avec les grandes puissances à l'époque de la guerre de
Sept ans ; peu à l'histoire générale). = 5 avril. Davies. A history of
Southampton (bon).
74. — The Nation. 1883, 22 nov. — Biich. Finland und seine
NationalitcX'tenfrage (livre court, mais exact, clair et concis). = 29 nov.
Baker. The diplomatie history of the war of the Union (forme le t. V
des œuvres de W. Leward, secrétaire d'État pour les affaires étran-
gères pendant la guerre civile; important). == 6 déc. Anderson. Scotland
in pagan times (intéressant). = 13 déc. Hari-eij. Newfoundland ; its
history, its présent condition, and its prospects in future. = 27 déc.
George W.Juliayi. Political recoilections, 1840-72 (souvenirs intéres-
sants d'un des premiers adversaires des esclavagistes et d'un membre
très actif du parti républicain, qu'il a abandonné aujourd'hui pour le
parti démocratique). = 1884, 3 janvier. Jones. The history of Georgia.
2 vol. (ouvrage très consciencieux. L'auteur a omis de peindre les
mœurs et le caractère des habitants). = 24 janv. Seebohm. The english
220 RECUEILS PÉRIODIQUES.
village community. — Ross. The early history of landholding among
the Germans (ouvrages excellents; l'un et l'autre font la part trop
grande à l'élément aristocratique dans l'ancienne société germanique).
= 31 janv. Tuttle. History of Prussia to the accession of Frederik the
great, 113'i-1740 (ouvrage très consciencieux). = 21 et 28 févr. Schlie-
mann. Troja. — Townsend. Anecdotes of the civil war in the United
States (peu intéressant). = 6 mars. Roman. Military opérations of gêne-
rai Beauregard (contient des renseignements nouveaux sur la guerre
civile. Le général Beauregard était un officier distingué au service de
la Confédération). = 20 mars. Lea. Historical sketch of sacerdotal celi-
bacy in the Christian church (seconde édition de ce travail, considérable
comme science et comme doctrine). — Seelcij. Walpole and his world ;
sélect passages from his letter.
75. — Archivio storico italiano. T. XIII, disp. 2, 1884. — Le
Diaire de Palla di Noferi Strozzi; suite : mars 1424-avril 1425. —
GuASTi. Les archives d'un évêque de Yolterra, qui assista au concile
de Constance; suite (cf. Rev. hist., XXIV, p. 455; note des dépenses
journalières faites par l'évèque pour le service du pape ; il y est plu-
sieurs fois question de Jean Huss ; p. 203 : « pro reparatione carceris
loci ubi detinetur Johannes Us hereticus... » P. 206 : « Ego dedi de
pecuniis Registri Jacobo de Cumis servienti armorum, pro vita Us
heretici et custodum fl. 25 » (5 mars 1215) ; etc.). — Cantù. La Tos-
cane sous la république et le royaume d'Italie (publie des rapports sur
la Toscane adressés par les agents d'aflaires de la république cisalpine,
puis du royaume d'Italie, de 1798 à 1813). — Gherardi. Notice nécro-
logique sur Ant. Cosci (notre collaborateur avait publié, outre de nom-
breux articles insérés dans diverses revues, une Storia délie preponde-
ranze italiane, 1530-1789, dans la grande collection entreprise par
l'éditeur Vallardi, de Milan, et une brochure sur Bologna e la lega
lombarda, en 187C). = Comptes-rendus. Sohm. Lex Ribuaria et Lex
Francorum Chamavorum. — Scritti storici e letterari di F. Lamper-
tico senatore del regno (les écrits historiques se rapportent pour la
plupart à l'histoire de Vicence). — Zanelli. Una legazione a Costantino-
poli nel sec. x (sur l'ambassade de Liutprand envoyé par Otton I"
auprès de Nicéphon Phocas ; l'authenticité du rapport de Liutprand
est inattaquable quant aux faits; il les raconte avec une grande pas-
sion, mais en eux-mêmes ils sont exacts). — Sliimpf-Brentano. Die
Reichskanzler vornehmlich des X, XI u. XII Jahrh. (achèvement
d'un ouvrage considérable qui contient : l-Les chanceliers de l'empire,
leur histoire et leurs attributions, avec une étude rétrospective sur
la chancellerie mérovingienne et carolingienne. 2» Regestes impé-
riaux des X, XI, xije siècles, complétés et annotés par Ficker. 3° Acta
imperii inedita de Henri !«•• à Henri VI). = A part. Les Papiers
Strozzi; suite.
RECCEILS PÉRIODIQUES. 22^
76, — Archivio veneto. Nouv. série, anno XIII, fasc. 52. — Cec-
cHETTi. La médecine à Venise en 1300; fin. — Bocghi. Les déborde-
ments de l'Adige; notes d'histoire économique comparée; suite. —
CiPOLLA. L'histoire de Venise dans des documents anciens de Ravenne
récemment publiés ; fin (pendant l'épiscopat de l'archevêque Jean, qui
se qualifiait « servus servorum Dei, » entre 897 et 914, Ravenne n'a
jamais reconnu comme roi Bérenger, mais Louis de Provence, du
moins depuis 903). — Pinton. L'histoire de Venise de F. Gfrœrer; suite
(rapports de Venise avec les Otton ; organisation primitive de Venise).
— Fantoni. Les archives des notaires à Venise (leur histoire, leur
importance, leur organisation actuelle. Ces archives, réorganisées en
1883, sont, depuis le mois de janvier de cette même année, sous la
direction de M. Fantoni, l'auteur du présent article). = Compte-rendu.
Pancini. Ciro di Varmo-Pers ; memorie biografiche (chevalier de l'ordre
de Malte et poète, 1599-1663). = Actes de la R. Deputazione veneta di
storia patria. Bûcchi. Essai sur les études qui ont été faites, sur les
opinions et les idées qu'on a émises dans la suite des temps au sujet
de l'histoire d'Adria, du Polesine de Rovigo, et en particulier de l'âge
des plus anciens monuments d'Adria.
77. — Archivio storico per le provincie napoletane. Anno VIII,
fasc. 4. — C. Mi.NiERi-RiGcio. Généalogie de Charles II d'Anjou ; suite.
— Maresca. Correspondance du cardinal Ruffo avec le ministre Acton,
janv.-juin 1799 ; fin. — Cariginani. La représentation aux parlements
de Naples et leurs droits, d'après les Libri praecedentiarum (aux parle-
ments de 1494 et de 1564, on voit les syndics, solennellement élus,
venir au parlement représenter les cités domaniales et les universités
libres ; ce droit de représentation tomba en désuétude au xvu" s.; mais
il est certain qu'aux temps anciens le parlement de Naples comprenait
trois ordres distincts : les barons titrés qui représentaient les grands
fiefs, la petite noblesse et les syndics, qui représentaient les villes et
les universités. Le clergé n'y assistait pas, parce qu'il ne payait pas
l'impôt ; de même le maire de Naples, ville qui en était exempte, elle
aussi. Suit une liste des parlements généraux du royaume, de 1494 à
1642). — S. d'Aloe. Catalogue de tous les édifices sacrés de la ville et
faubourgs de Naples ; fin. — G. de Blashs. Un poème latin inédit à la
louange du comte de Sarno (Francesco Coppola, 1484). — Document
inédit relatif à Joanpiero Leostello, 1493. — S. de Benedetti. Un ms.
de la Cava en caractères rabbiniques. — Inventaires des pièces sur
parchemin ayant appartenu à la famille Fusco, et aujourd'hui possé-
dées par la Société d'histoire de Naples ; suite : chartes de l'époque
normande : 1169-1183.
78. — Archivio délia Società romana di storia patria. Vol. VII,
fasc. 1-2. — CuTURi. Les corporations de métiers dans la commune de
Viterbe (comment s'est formée la commune au xni' s. ; de l'organisa-
222 RECUEILS PERIODIQUES.
tion des corps de métiers ; les tribunaux et la procédure ; état de !a
propriété rurale ; police des marchés, etc. Excellent travail, composé
en très grande partie d'après les documents des archives communales,
dont 12 sont publiés en appendice; ils sont du xv" s.). — Levi. Le
journal d'un notaire de Nepi, Antonio Lotieri de Pisano, l'iôQ-GS
(curieux pour l'histoire des mœurs, dans une petite ville des États
romains, sous le pontificat de Paul II; publie en appendice un mande-
ment de la chambre apostolique en faveur du trésorier, pour les frais
de l'entreprise dirigée contre les fils du comte Everso d'Anguillara,
25 févr, 1467). — Tomassetti. De la campagne de Rome au moyen âge;
suite (donne une liste alphabétique des lieux principaux situés sur le
territoire CoUinense au moyen âge). — Ambrosi de Maoistris. Un
inventaire des biens de la commune d'Anagni en 1321 (textes et notes
importantes pour l'histoire de ces localités). = Bibliographie. i)e/ iJadm.
Diario fiorentino del 1450 al 1515 di L. Landucci.
79. — Archivio storico lombarde. 1883, 31 déc. — Bertolotti.
Expéditions militaires en Piémont, inconnues ou mal connues, de
Galeazzo Maria Sforza, duc de Milan ; fin. — Benvenuti. Riches et
nobles Lombards inscrits sur le livre d'or de la République de Venise.
— Tedeschi. Sur Luciano da Lovrana, architecte du xv^ s. — Claretta.
Les Assandri, patriciens milanais; dissertation historique et généa-
logique. — Ghiron. Bibliographie lombarde; catalogue des mss. relatifs
à l'histoire de la Lombardie qui se trouvent à la bibliothèque nationale
de Brera; fin. — G.^netta. Les épousailles de la maison Sforza avec la
maison d'Aragon, 1465 (publie divers documents sur l'entrée solennelle
à Naples des deux fils du duc François Sforza et de leur sœur Ippolita).
— Ghinzoni. Fausse alarme à Milan, dans la nuit du 28 août 1453 (on
crut à une attaque soudaine des Vénitiens). — Prina. Notice nécrolo-
gique sur Antonio Tiraboschi (il avait beaucoup écrit sur l'histoire de
Bergame ; la plupart de ses travaux sont encore inédits). =: Bulletin
bibliographique : Agnclli. Monografia dell' abbazia cistercense di
Cerreto (bon). — Seletti. La città di Bosseto, capitale un tempo
dello Stato Pallavicino. 3 vol. (excellente monographie). — Brain-
hilla. Monete di Pavia (très bon). — J. de capitani d'Arzago (bon
essai de science héraldique). =: Anno XI, fasc. 1. 31 mars 1884.
— Geriani et PoRRO. Le rôle epistolographe du prince Pio de Savoie
(reproduisent la plupart des textes transcrits sur cet important parche-
min, déjà étudié par M. G. Gipolla dans VArdi. veneto ; cf. Rev. hist.,
XXIV, 454. On sait que la publication intégrale de ce curieux monu-
ment paléographique, avec fac-similés, n'a été tirée qu'à 60 ex.). —
Valeri. De la souveraineté de Francesco Sforza dans la Marche, d'après
les mémoires et documents des archives de Serrasanquirico, l^'' art.
(publie 26 documents sur ce sujet). — Magistretti. Galeazzo Maria
Sforza et la chute de Négrepont, 1470 (le duc fit tous ses efforts pour
profiter de ce grand revers infligé par Mahomet II à Venise, pour
RECUEILS pe'riodiques. 223
reprendre à la République les villes lombardes cédées en 1454 : Ber-
game, Brescia et Crème. Ce n'est pas sans peine que Paul H empêcha
d'éclater la guerre et fit conclure une alliance de tous les princes ita-
liens contre le Turc, le 2 déc. Nombreux documents tirés des archives
de Milan). — Canetta. L'église et la tour de S. Giovanni in Conca, à
Milan. — Muoni. Curiosités artistiques dans l'église de l'Incoronata,
près Martinengo ; notes et impressions (suivi d'un tableau généalogique
des familles Martinengo et Martinengo-Golleoni). — Paglia. La Casa
giocosa de Vittorino de Feltre à Mantoue (école construite et ornée au
xv" s. par Vittorino à l'imitation des Grecs et des Romains). = Biblio-
graphie. Poggi. Storia d'Italia del 1814 al dî 8 agosto 1846. = Vazio.
Relazione sugli Archivi di stato italiani, 1874-82. — Vignati. Statuti
vecchi di Lodi (ces statuts proviennent d'un ms. du xni^ s. retrouvé
par M. V. au milieu de papiers sans valeur; il contient 119 documents
importants pour l'histoire de la ligue lombarde).
80. — Archivio storico siciliano. Nouv. série. Anno VIII ,
fasc. 1-2, 1883. — Tumminello. Giano Vitale, humaniste du xvi^ s.
(analyse d'abord les œuvres de ce poète latin du xvi^ s., puis sa vie. Né
à Palerme, vers 1485, il passa la plus grande partie de sa vie à Rome.
Encouragé par Léon X, ses meilleures œuvres furent publiées de 1535
à 1559, de Paul III à Pie IV ; ses plus belles ont été dédiées à Jules III.
Il mourut sans doute à Rome vers 1559). — Mondello. De quelques
inscr. de Trapani (inscr. latines arabes et hébraïques du moyen âge).
— A-MARI. Extraits du Tarih Mansuri ; trad. italienne. Lettre à M. Star-
rabba (relatifs à la guerre de Frédéric II contre les Sarrasins, 1223-24,
1229-30). — Magri. Mario Giurba, jurisconsulte sicilien du xvii^ s. —
Salinas. Excursions archéologiques en Sicile; 2« art.: Mussomeli et
Sutera. — Ca.marda. Recueil d'écrits relatifs à la médecine; ms. grec de
la bibliothèque nationale de Palerme. — Lionti. Documents relatifs
aux Hébreux de Sicile : 1'^ la synagogue de Marsala ; 2° la roue des
Juifs; publie plusieurs documents inédits en latin et en dialecte sicilien.
11 convient de rapprocher l'étude sur la « rotella rossa » de ce qui a été
récemment écrit sur le même sujet dans la Revue des Études juives). —
Starrabba. De quelques contrats de mariage stipulés à Palerme de
1293 à 1299. — Giov. d'Ajetti. Pantellaria, études historiques. —
CosENTiNO. Un catalogue des actes de Frédéric III d'Aragon (l'auteur de
l'article montre que, si beaucoup de pièces relatives à ce roi ont été déjà
publiées, il en reste beaucoup encore d'inédites dans les archives ; il se
propose d'en entreprendre la publication complète). — Lagumina. Notes
sur la Sicile orientale : l" inscr. hébraïque de San Marco ; 2° inscr.
arabe de Syracuse ; 3° nouveaux documents sur la porte arabe Bah as
Sudan. — Orlando. Onofrio Panvinio, enseveli dans l'église de Saint-
Augustin, à Palerme (liste des ouvrages publiés par ce fécond historien
du xvi*" s.) — G.-B. DE Rossi. Monuments chrétiens de Sélinonte. =
Revue bibliographique : Boglino. Palerme e Santa Gristina. —Al Umari.
22'( RECUEILS PERIODIQUES.
Condizioni degli stati cristiani dell' occidente, seconde una relazione di
Domenichino Doria da Genova ; testo arabo con versione italiana e
note di M. Amari (texte curieux et très bien commenté ; l'auteur, Ibn
Fadhl Allah, surnommé Al Umarî, naquit à Damas en 1300 et mourut
de la peste en 1349). — L'Italia descritta nel « Libro del re Ruggero »
compilato da Edrisi ; testo arabo con versione e note da M. Amari e
C. Schiaparelli. — Poggi. Storia d'Italia dal 1814 al di 8 ag. 1846
(bonne continuation des histoires de Botta).
81. — Archeografo triestino. Nuova série, vol. X, fasc. 3-4.
Janv. 1884. — Hortis. Lettres de Giuseppe Tartini, d'après les auto-
graphes conservés aux archives de Pirano, 1725-G9. — Vesnaver.
Notices historiques sur le château de Portole en Istrie; suite. —
Dr. Benussi. L'Istrie jusqu'à Auguste: fin. — Pervanoglù. La légende
d'Ulysse sur les bords de l'Adriatique. — Kunz. Monnaies inédites ou
rares de fabrique italienne; 6*= partie : Ferrare, H87-1597; suite. —
Marsigh. Inventaire des pièces en parchemin conservées aux archives
du révérendissime chapitre de la cathédrale de Trieste; suite: 1500-
1511. — Gregorutti. Inscr. inédites d'Aquilée, d'Istrie et de Trieste;
suite : n°* 95-122. — Marciiesetti. De quelques antiquités découvertes
à Vermo, près Pisino d'Istrie; note préliminaire. — Pervanoglù. De
l'inscr. de M. Caipurnius Bibulus fl'inscr. publiée au C. I. Or. II, 1880,
et dont l'original, après avoir été gravé à Corcyre, se trouve aujourd'hui
à Rovigno, se rapporte bien à ce Calp., consul en 694 et amiral de la
flotte pompéienne, non à un M. Calenus).
82. — Bollettino storico délia Svizzera italiana. Anno VI,
1884, nos 1 et 2. — D"" Liebenau. Le comte Lodovico Borromeo (prit
une part active aux guerres des Suisses en Italie, dans les premières
années du wi^ siècle ; devint bourgeois de Lucerne et de Berne, en
1518). — Curiosités d'histoire italienne du xiv« s., tirées des archives
milanaises; suite. — Les statuts d'Intragna, Golino et Verdasio, de
1469; suite. — Les monnaies romaines trouvées dans les fouilles du
grande albergo à Locarno, 1872-73.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 225
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
France. — L'Académie des sciences morales et politiques a décerné à
M. RocQUAiN un prix de 3,000 fr. pour l'ensemble de ses travaux his-
toriques.
— L'Académie française a partagé le prix Bordin entre M. Georges
DuRUY, pour son livre le cardinal Carro Caraffa, et M. J. Darmesteter
pour ses Essais sur la littérature anglaise et ses Essais orientaux. Sur le
prix Marcelin Guérin, 2,000 fr. sont attribués à MM. Perey et Maugras
pour les deux volumes sur la Jeunesse et sur les Dernières années de
Madame d'Épinaij.
— M. le général Faidherbe a été élu membre libre de l'Académie des
inscriptions et belles-lettres en remplacement de M, Th. -H. Martin,
décédé.
— La Société de VHistoire de France a décidé la publication du Liber
qiierulus de excidio Britanniae composé par saint Gildas au vi« s. M. de
La Borderie, chargé de ce travail, se propose de donner une édition
critique de ce texte si important pour l'histoire des origines armori-
caines, avec une traduction; en appendice il publiera un texte remanié
au xïi" s., sans doute par Robert de Torigny, et contenant d'utiles leçons.
— Nous annoncions dans notre dernier numéro la prochaine publica-
tion de l'excellent manuel des Antiquités grecques de Sghoemann, traduit
par M. Galusky. Le !«■■ volume vient en effet d'être mis en vente (Alph.
Picard). — Annonçons à cette occasion la seconde édition très remaniée
du Manuel de philologie classique, par M. S. Reinach (Hachette). L'auteur
n'a rien changé à la disposition primitive de son livre ; mais il réserve
les nombreuses additions qu'il se propose d'y faire pour un second
volume. Cet appendice contiendra, outre une bibliographie très étendue,
des renseignements très abondants sur l'épigraphie, l'archéologie de l'art
et la géographie comparée.
— Le Glossaire des dates, publié par M. de Mas Latrie dans le Cabinet
historique, a paru à part (Champion) ; il fournit l'explication, par ordre
alphabétique, des noms peu connus des jours de la semaine, des mois
et autres époques de l'année, employés dans les dates des documents du
moyen âge.
— L'utile collection que dirige M. B. Zeller sous le titre de : VHis-
toire de France racontée par les coniew!j)ora/n.ç (Hachette), compte actuel-
lement 14 petits volumes (à 0 fr. 50 c.) ; le dernier paru se rapporte à
Philippe-Auguste et Louis VIII (Luguaire).
ReV. HiSTOR. XXV. {'=>■ FASG. 15
226 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
— MM. Louis BoGA et A, Rendu, archivistes paléographes, ont pubUé
le t. I de l'Inventaire sommaire des archives départementales de la
Somme antérieures à 1790. Ce volume est relatif aux archives civiles
et comprend : la série A : actes du pouvoir souverain et domaine
royal, n^^ 1 à 66, dont les dates extrêmes vont de 1608 à 1789; série B :
cours et juridictions; bailliages royaux et seigneuriaux, contenant
1,664 articles, de l'an 1441 à 1790. Comme on le voit, ces archives
sont précieuses surtout pour l'époque moderne ; l'histoire administrative
aura beaucoup à y prendre.
— A partir du 15 mars dernier, paraît une Revue poitevine et sainton-
geaise, par fascicules mensuels (Melle, Deux-Sèvres, chez Lacuve; prix:
12 fr. par an). Elle est dirigée par M. Berthelé, archiviste du départe-
ment des Deux-Sèvres, à Niort.
— De la note publiée par M. Morse-Stephe.ns dans le dernier numéro
de la Revue Itistorique (p. 468), il résulte que le British Muséum possède
quelques cahiers de doléances qu'on ne retrouve plus aujourd'hui en
France. L'assertion est inexacte toutefois en ce qui concerne le cahier
du tiers état des .sénéchaussées de Limoges et Saint-Yriei.x. Les archives
départementales de la Haute-Vienne en possèdent un exemplaire
imprimé, acquis il y a six mois environ d'un ancien magistrat de la
cour de Poitiers ^. Parlant de ce cahier que M. Chassin croyait perdu,
M. Morse-Stephens trouve « qu'il présente un médiocre intérêt. » Ce
jugement est contestable. Il faudrait plutôt dire que les doléances
sont timides. On ne peut guère relever que les suivantes, comme
tranchant un peu sur les autres par le ton ou par le fond môme :
Art. 1. Les députés devront demander « sûreté de leurs personnes. »
— Art. 10. Ils réclameront également l'abolition des privilèges pécu-
niaires. « Que, s'ils (les ordres privilégiés) tenaient encore à ce sys-
tème, si leur trop longue jouissance était pour eux un prétexte de
chercher à la prolonger, tous pouvoirs de nos députés cesseront. » —
Art. 16. « Jusqu'à présent ce n'est pas seulement l'impôt qui a pesé
sur le tiers état de la province du Limousin; la manière dispendieuse
de le percevoir, l'injustice dans la répartition en ont doublé la charge;
l'intrigue, la bassesse, la faveur y ont soustrait une foule de particu-
liers, et la classe indigente a payé pour les protégés. » — Art. 18.
Les députés demanderont « que l'on prenne des moyens sûrs pour
garantir l'innocence. » — Art. 26. Ils demanderont également que
les revenus des abbayes et prieurés royaux soient perçus par les
États des provinces et employés au paiement des dettes de l'Etat.
Tout cela n'est point bien terrible et l'on s'étonne de cette timidité
1. A Limoges, chez Jacques Farne, imprimeur de l'Hôtel de ville et de la
police. MDCCCXXXIX. 15 pages pour le procès-verbal de l'assemblée préliminaire,
plus 11 pages pour les doléances formulées en 37 articles. L'exemplaire cité par
M. Stephens ne comprend que 22 pages.
I
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 227
après un préambule tel que celui-ci : « Les maux étaient extrêmes :
le tiers état en était accablé. Il gémissait en bénissant" son maître
et rendant hommage à sa bienfaisance... »
Livres nouveaux. — Documents. — Richard et Barbier. Inventaire des
archives de la ville de Poitiers; partie antérieure à 1790, dressée eu 1842 par
M. L. Rédet. Poitiers, Tolmer. — Inventaire sommaire des archives commu-
nales de la ville de Boulogne-sur-Mer antérieures à 1790. Boulogne, impr.
Simonnaix. — Mavidal et Laurent. Archives parlementaires de 1787 à 1860 :
l'" série, t. XVI, du 9 juillet au 12 août 1790. Paul Dupont. — Gouvendin.
Inventaire sommaire des archives communales de la ville de Dijon anté-
rieures à 1790. T. II, 1"= partie. Dijon, impr. Mersch. — Merlet. Inven-
taire sommaire des archives départementales d'Eure-et-Loir antérieures à
1790. Archives civiles. Série E, t. II. Chartres, impr. Garnier. — Bapst.
Testament du roi Jean le Bon et Inventaire de ses joyaux à Londres. Impr.
Lahure. — /. Guiffrey. Scellés et inventaires d'artistes (forme le t. IV, 2' série,
des Nouvelles Archives de l'Art français). Charavay. — A. de Charmasse. Car-
tulaire de l'évêché d'Autun ou Cartulaire rouge. Pedone Lauriel. Autun, Dejus-
sieu (publ. de la Société éduenne). — Cte Bu Chastel de La Howarderie-
Revireuil. Le livre noir du patriciat tournaisien, ou Mémoires de Pierre de
La Hamayde, écuyer, seigneur de Warnave et de Gamaraige. Dumoulin. —
Bréard. Journal du corsaire Jean Doublet, de Honlleur, lieutenant de frégate
sous Louis XIV. Charavay. — M. de Maupas. Mémoires sur le second empire.
Dentu. — Ch. D'HéricauH et Bord. Documents pour servir à l'histoire de la
Révolution française. Sauton. — Taniizey de Larroque. Documents inédits pour
servir à l'histoire de la ville de Dax (extrait de la Revue des Basses-Pyrénées
et des Landes). Paris, impr. Hugonis.
Histoire locale. — Biais. Notes sur les anciennes paroisses d'Angoulême
et autres documents inédits empruntés aux archives de l'hôtel de ville. (Bnllet.
de la Soc. arch. et hist. de la Charente.) Angouléme, Goumard. — Golmard.
Notice histori([ue sur le village de Pralon et sur son ancienne abbaye de béné-
dictines. Dijon, impr. de l'Union typogr. — Fr. de Chanteau. Documents iné-
dits relatifs à l'histoire de la Révolution dans les Vosges. Bar-le-Duc, impr.
de l'Œuvre de Saint-Paul. — Mériel. Gouvernement de Falaise, de 1574 à
1590. Alençon, impr. Lepage. — Thomas. Bibliographie de la ville et du can-
ton de Pontoise (Mém. de la Soc. hist. et arch. du Vexin). Pontoise, impr.
Paris. — Cte de Marsy. Les sceaux picards de la collection Charvet (extrait
de la Picardie, 1883). Amiens, impr. Delattre-Lenoel. — P. de Cagny. Notice
historique sur la chapelle-pèlerinage de N.-D.-des-Joies à Ennemain près
Péronne. Ibid. — Fage. Le château de Puy-de-Val, description et histoire.
Tulle, impr. Crauffon. — Metzger. La république de Mulhouse, son histoire,
ses anciennes familles bourgeoises et admises à la résidence jusqu'en 1798.
Lyon, impr. Storck. — Metzger et Vaesen. Lyon en 1792; notes et documents.
Jbld. — Frin du Guyboutier. Mémoires concernant la ville de Laval. Laval,
impr. Moreau. — Guigue. Les possessions du prieuré d'Alix en Lyonnais, 1410;
documents en langue vulgaire. Lyon, Georg. — Cte A. de Bourmont. La fon-
dation de l'université de Caen et son organisation au sv" s. Caen, Le Blanc-
Hardel. — Ducoux-La goutte. Notes et documents pour servir à l'histoire des
juridictions royales en Bas-Limousin, 1462-1790. Tulle, impr. Crauftbn. —
Lacoste. Histoire générale de la province de Quercy, t. I. Cahors, Girma. —
Abbé Lebouchard. Précieux documents sur N.-D. de Sauvagnac, 2" partie. —
228 CflROîVIQDE ET BIBLIOGRAPHIE.
Servin. Les martyrs du Maine; épisodes précieux de l'histoire de l'Église pen-
dant la Révolution française, t. I. Laval, Chaillaud. — Beaucousin. Histoire
de la principauté d'Yvetot, ses rois, ses seigneurs. Rouen, Métérie. —
Af. de Boureulle. L'abbaye de Remiremont et Catherine de Lorraine (extrait
du bulletin de la Soc. philom. vosgienne). — Brassard. Description historique
et topographique de l'ancienne ville de Bourg. Bourg, impr. Authier et Barbier.
— Carlet. Description de la ville de Saint-Jean-de-Losne, suivie de relations
historiques concernant cette ville. Beaune, impr. Batault. — Abbé G. Cheva-
lier. Notice historique sur Fixin et Fixey. Dijon, impr. Mersch. — Niepce.
Archéologie lyonnaise : les chambres de merveilles ou cabinets d'antiquités de
Lyon, depuis la Renaissance jusqu'en 1789. Lyon, Georg. — Dubord. Solomiac;
histoire de cette bastide depuis sa fondation en ViTl. Auch, impr. Foix (extrait
de la Revue de Gascogne). — Lecocq. Variétés historiques, archéologiques et
légendaires du dép. d'Eure-et-Loir. Chartres, Pétrot-Garnier. — Thomas.
Numismatique et sigillographie pontoisiennes. Pontoise, impr. Paris.
Biographies. — P. de Fleury. Les Ravaillac d'Angouléme ; notes et docu-
ments inédits (extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de la Charente, 1882).
Augouléme, impr. Chasseignac. — Foucault. Essai sur Ives de Chartres d'après
sa correspondance. Chartres, Pétrot-Garnier. — Chaper. Mgr le Canuis, cardi-
nal, évoque de Grenoble, de 1671 à 1707; notes pour servir à sa biographie
écrite par lui-même. Montbéliard, impr. Ilollmann. — /. Loth. Les Conven-
tionnels de la Seine-Inférieure. Rouen, Cagniard. — Bouchet. Un chanoine du
xviii^ s. : l'abbé Simon, historien du Vendômois. Vendôme, impr. Lemercier.
— Mêlais. Union du litre abbatial de la Trinité de Vendôme à la collégiale de
Saint-Georges, 1780-89; suivi d'une biographie de Mgr de Bourdeilles, 34'^ et
dernier abbé de la Trinité (extrait du Bull, de la Soc. arch. du Vendômois).
Ibid. — A. Tardieu. Généalogie de la maison du Plantadis dans la Manche
et en Auvergne. Moulins, impr. Desrosiers. — Vatel. Histoire de M""= du
Barry : t. HI. Versailles, Bernard. — Vie de M. Du Guay-Trouin, écrite de sa
main, et dont il a fait présent, lui-même, à la famille de MM. de Lamotte en
Brest. Jouvet. — Mis de Rochambeau. Hiograi)hie veiulômoise; t. I. Champion.
— Doitiel. Conciao-Concini, marquis d'Ancre, maréchal de France; récit de sa
mort par J. Boucher de Guilleville, échevin d'Orléans, témoin oculaire (extrait
des Mém. de la Soc. arch. de l'Orléanais). Orléans, Herluison.
Belgique. — M. R. de Ridder, professeur à l'université de Gand, a
publié, à la demande de la Commission parlementaire d'enquête sco-
laire, un important mémoire sur V Emeujnement professionnel dans ses
rapports avec renseignement i^ri maire en Belgique (Bruxelles, Ilayez). On
y trouve l'historique des ateliers d'apprentissage, des écoles dentel-
lières et des ouvroirs en Belgique.
— Nous avons reçu, de la part de notre correspondant belge, le deu-
xième fascicule des Travaux du cours pratique d'histoire nationale de
M. Paul Fredericq (Gand, Vuylsteke; La Haye, Nyhoff). Ce deuxième
fascicule contient des dissertations de quatre élèves de M. Fredericq
sur l'histoire des Pays-Bas au xvi* siècle : La politique de Gérard de
Griesbeck, prince-évéqiie de Liège, pendant le gouvernement de don Juan
d'Autriche dans les Pays-Bas (Henri Pirenne) ; Notice sur Fray Lorenço
de Villavicencio, agent secret de Philippe H (Alfred Journez); Contribu-
tion à V histoire des inquisiteurs des Pays-Bas au AT/« siècle (Eugène
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 229
Monseur); et table chronologique du Registre sur le faict des hérésies et
inquisition des archives royales de Bruxelles (Eugène Hubert).
— M. Max RoosES, dont nous avons annoncé le magistral ouvrage
sur Christophe Plantin, vient de publier en flamand une monographie
des plus curieuses sur les relations de Rubens et de Balthazar Moretus,
le successeur du grand imprimeur anversois.
— Nous avons déjà signalé ici le discours de M. Callier, recteur de
l'université de Gand, et la leçon d'ouverture de M. Eug. Hubert, pro-
fesseur de l'université de Liège, sur l'origine des libertés belges. M. Yer-
CAMER, auteur d'une remarquable Histoire du peuple belge et de ses insti-
tutions, vient de publier sur le même sujet une monographie assez
confuse intitulée : De l'origine de nos libertés. Réponse au discours pro-
noncé par M. le recteur A. Callier à l'occasion de la réouverture des
cours de l'université de Gand (Bruxelles, Decq).
— La Chambre des représentants de Belgique a vu surgir au mois
de mars un débat historique passionné sur la valeur scientifique de la
grande édition des Chroniques de Froissart, publiée aux frais du gou-
vernement par M. Kervyn de Lettenhove (Bruxelles, 18G7-1877, 25 vol.).
L'auteur, ancien ministre catholique, a été vivement pris à partie par
ses adversaires politiques, qui ont produit des comptes-rendus sévères
tirés de revues scientifiques, entre autres de la Revue critique. M. Kervyn
a riposté en citant des certificats de spécialistes français et autres. Pen-
dant une couple de séances, la Chambre ressemblait à une académie
divisée contre elle-même.
— Le Catalogue de la bibliothèque de feu M. Fr. Vergauiven, membre
du Sénat et président de la Société des bibliophiles flamands de Gand
(Bruxelles, Olivier, 2 vol. in-8"), offre un grand intérêt pour l'histoire,
surtout pour celle des anciens Pays-Bas. Le mauvais état des finances
publiques ayant empêché le gouvernement belge d'acheter cette admi-
rable collection en bloc, la première partie de la vente aux enchères
a eu lieu à Bruxelles en mars dernier. Quelques semaines auparavant,
avait eu lieu à La Haye la vente publique d'une autre bibliothèque de
premier ordre, celle de feu M. C.-P. Lenshoek, bourgmestre à Wol-
faartsdyk en Zélande. Le Catalogue (La Haye, Nyhoff) est aussi un
livre de grande valeur, qui a sa place marquée à côté du Catalogue
Vergauwen dans la bibliothèque des spécialistes.
— Les origines de la diplomatie et le droit d'ambassade jusqu'à Grolius.,
par M. Ernest Nys, juge au tribunal de Bruxelles, tel est le titre d'un
unportant extrait de la Revue de droit international (58 p., Bruxelles,
Muquardt). L'auteur étudie la diplomatie du xv« et du xvi^ siècle, sur-
tout celle de Venise et des autres républiques italiennes ; puis il traite
des développements du droit d'ambassade jusqu'à Grotius et passe en
revue les auteurs qui ont écrit sur la matière depuis l'ouvrage de
M. Martin Garât de Lodi (milieu du xv^ siècle) jusqu'au grand juris-
230 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
consulte hollandais. — Ce travail vient compléter l'une des faces du
sujet traité d'une manière remarquable par M. Nys dans son livre Le
Droit de Guerre et les précurseurs de Grotius.
— M. A.-D. Prins, professeur à l'université libre de Bruxelles, a
publié une critique très importante de nos institutions modernes, com-
parées à celles de l'ancien régime, dans son livre La Démocratie et le
régime parlementaire (Bruxelles, Muquardt). L'auteur met en pleine
lumière les qualités des institutions balayées par la Révolution de 1789
et la nécessité de perfectionner notre organisation actuelle en profitant
des leçons que peut nous fournir le passé.
Grande-Bretagne. — On annonce la mort de M. W. Blanchard-
Jerrold, journaliste brillant et fécond, auteur d'une biographie de
Napoléon III, qui est une longue apologie du règne du dernier souve-
rain de la France. Il est décédé le 10 mars dernier.
— Sous le titre de Bibliotheca curiosa, M. Edm. Goldsmid a entrepris
de publier à nouveau divers écrits anciens curieux à divers titres. C'est
ainsi qu'il donne un choix des Political songs, autrefois publiés par
M. "Wright pour la Camden Society; ce choix paraît fort arbitraire;
quant aux notes de l'édition primitive, M. Goldsmid les allonge ou les
raccourcit à son gré. Ces remaniements ont entièrement défiguré le
travail primitif [Athenaeum, 15 mars 1881).
— M. Fyffe vient de donner le tome premier d'une seconde édition
de sa remarquable History of modem Europe (Londres, Gassells).
— Les tomes YI, VII et VIII de la History of England, par M. Gar-
niNER, nouvelle édition, viennent de paraître (Longmans).
— M. J.-P. Brisgoe, conservateur des bibliothèques publiques de
Nottingham, prépare un second volume de son ouvrage Old Notlin-
ghamshlre; le premier a paru en 1881.
— La 36« publication servie par la Spenser Society à ses membres
contient la Respublica AngUcana, or the historié of tlie Parliament in
their late proceedings, par George Wither; Londres, 1650, mémoire en
prose, de 50 p. in-l".
Allemagne. — Notre éminent collaborateur, M. Arnold Sch.efer,
dont nous avons annoncé précédemment la mort prématurée, arrivée le
19 novembre dernier, était professeur d'histoire ancienne à l'université
de Bonn. Il était né le 16 octobre 1816 à Seehausen, près de Brème, où
son père était maître d'école. Lorsque les écoles de Brème furent réor-
ganisées, le père fut appelé à diriger une école de la ville ; c'est ainsi
qu'il put faire donner à ses fils une éducation soignée. Ils ont su en
profiter : le frère d'Arnold, son aîné de dix ans, Johann-Wilhelm, est
bien connu par ses travaux sur l'histoire littéraire. Après être sorti du
gymnase, que dirigeait alors un latiniste distingué, W.-E. Weber,
Arnold arriva à Leipzig dans l'automne de 1838 pour y étudier la phi-
CHRONIQUE ET lilBLIOGRAPHIE. 234
lologie et l'histoire. Ses maîtres : Gottfried Hermann, Wachsmuth,
Niedner, Wiener, Drobisch, ne tardèrent pas à reconnaître les qualités
de son intelligence et son travail acharné; aussi, lorsqu'il eut achevé
ses trois ans d'études et conquis son doctorat, le recommandèrent-ils à
un pédagogue distingué qui dirigeait à Dresde une grande maison
d'éducation : le Vitztliumsches Geschlechtsgymnasiiim (du nom de la
famille Vitzthum, qui l'avait fondée); à partir de Pâques 1842, il y pro-
fessa l'histoire, la littérature allemande et les langues anciennes. Il y
passa neuf ans ; l'éclat de son enseignement et divers mémoires d'éru-
dition, par exemple : Commentatio de libro vitarum X oratorum et De
locis nonnullis Ciceronis, Plinii, Frontonis, attirèrent sur lui l'attention
du gouvernement saxon et il fut nommé professeur à l'école régionale
de Grimma (2 déc. 1850); il y enseigna sept ans avec un grand succès;
l'histoire et la langue allemande étaient l'objet de son enseignement ; il
trouva en outre le temps de composer l'ouvrage qui a fondé sa réputa-
tion scientifique : Demosthenes und seine Zeit, en 3 gros volumes, qui
parurent de 1856 à 1858 : il y étudie une des périodes les plus fécondes
en événements de l'histoire grecque, à l'aide des matériaux les plus
divers, œuvres littéraires et inscriptions; et l'on peut dire qu'il a épuisé
le sujet. M. E. Miiller, l'éditeur des discours de Démosthènes, en par-
lait en 1875, à la fin de sa préface aux Ausgewwhlte Rede?i Demosthenes,
comme « d'un ouvrage classique et qu'on ne remplacerait pas de si
tôt. )) Cet ouvrage ouvrit à M. Schsefer la carrière universitaire : en
novembre 1857, il fut nommé professeur d'histoire à Greifswald. Il y
resta jusqu'à Pâques 1865, où il passa à l'université de Bonn, Il devait
lui rester fidèle jusqu'à sa mort. On s'étonna que l'historien de Démos-
thènes abordât l'étude de la guerre de Sept ans ; mais il avait une telle
puissance de travail, il avait le sens historique si aiguisé et si com-
préhensif qu'il s'acquitta heureusement de cette nouvelle tâche. Après
de longues années d'études dans les archives de Berlin, de Paris, de
Londres et de Vienne, auxquelles il consacra ses vacances, parut le
premier volume de l'ouvrage ; il raconte les débuts de la guerre jusqu'à
la bataille de Leuthen. La première partie du t. II, parue en 1870, com-
prend les événements militaires jusqu'à l'ouverture de la campagne de
1760; la seconde partie, qui forme à elle seule un gros volume, conduit
le récit jusqu'à la fin : l'ouvrage fut entièrement terminé en 1874. En
fait de recherches consciencieuses, d'impartialité, de savante ordon-
nance, il peut être considéré comme un des ornements de la littérature
historique en Allemagne. Si l'on ne peut le comparer à ceux de Ranke
ou de Carlyle pour la vivacité du récit, l'originalité de la pensée ou la
mise en relief des idées maîtresses, il n'en est pas moins le point de
départ de tous les travaux sur cette période de sept années. Pendant
qu'il y travaillait encore, M. Scha3fer fit paraître, en 1875, un recueil
de mémoires et discours historiques, qui est le meilleur témoignage du
vaste domaine qu'embrassaient ses études : histoire ancienne et moderne,
histoire même du moyen âge, il aborda les sujets les plus divers avec
232 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
le même soin et la même connaissance approfondie des choses. Le
dernier ouvrage qu'il ait publié est son Abii'ss der Quellenkunde der
griechischen und rœmischen Geschichte, qui parut en 1881 en deux par-
ties. La première, relative à l'histoire grecque, parut d'abord en 1867 et
eut trois éditions. Les dernières années de sa laborieuse existence
furent employées à remanier la Vie de Démosthènes , et l'on peut
espérer que le résultat de ces suprêmes études sera bientôt commu-
niqué au public.
Si l'on pense que M. Schœfer, à côté de ces incessants travaux d'éru-
dition, préparait ses leçons avec le plus grand soin et dirigeait avec
activité les travaux de son séminaire, on reconnaîtra aisément en lui le
modèle du professeur allemand, pour qui chercher la vérité et rempUr
son devoir sont les seuls biens désirables de l'existence. C'est seulement
pendant les vacances que, dans les dernières années de sa vie, il se per-
mettait quelque repos; il l'employait alors avec sa femme à de grands
voyages qu'il poussa jusqu'en Orient. Ses élèves lui étaient tout
dévoués et il en forma d'excellents ; on en a la preuve dans ces Ilisto-
rische Unlersuchungcn que dix d'entre eux, autrefois ses disciples à
Greifswald ou à Bonn, aujourd'hui professeurs dans diverses univer-
sités, se sont entendus pour publier, à l'occasion du 25' anniversaire de
sa nomination au professorat (30 nov. 1882) ; M. Schaefer n'avait pas
d'enfants, ses élèves lui tenaient d'autant plus au cœur. M. Schœfer,
qui avait en général joui d'une bonne santé, devint malade l'été der-
nier. Pour se rétablir, il alla prendre à l'automne les eaux à Gastein ;
mais le mieux ne dura pas longtemps; il est mort subitement. — 0. H.
— Le 31 janvier dernier est mort à Strasbourg le professeur ordinaire
de sanscrit à l'université de cette ville : M. Siegfried Goldschmidt. Il
n'avait que quarante ans. — Le 10 février est mort à Florence M. Th.
Heyse à l'âge de quatre-vingt-un ans. H y passa la plus grande partie
de sa vie ; il fut chargé par plusieurs savants et par les théologiens
d'Oxford de collationner, dans les bibliothèques de ce pays, des mss.,
soit de pères de l'Église, soit d'auteurs classiques. Il n'a publié sous son
nom que Polybii historiarum exccrpta gnomica in palimpsesto vaticano
Ixxiij (Berlin, 1846). — Le 12 février est mort à Lichtenfeld, près de
Berlin, M. A. Bernsteix, auteur de nombreux écrits relatifs surtout à
l'histoire de Ja constitution allemande. Nous mentionnerons seulement :
Die McBrz-Tage, 1848 (Berlin, 1873); Verfassungsksempfe und Kabinetsin-
trigiien, 1849 (1874); Ursprung der Sagen von Abraham, Isaak und Jacob
(1871). Il était âgé de soixante-douze ans. — Le 17 février est mort
à Stettin M. H. Berghaus, cartographe, historien et géographe distin-
gué. Son œuvre principale est intitulée Allgcrneine Lœnder-und Vœlker-
kimde, en 5 vol. — Le 19 février est mort à Berlin M. Cari MiiLLENHOFF,
à l'âge de soixante-six ans. Il était né à Marne, en Ditmarschen (Hols-
tein); professeur à Kiel de 1846 à 1858, il devint en 1858 professeur à
l'université de Berlin et depuis 1864 membre de l'Académie des sciences
du royaume ; c'était un de ceux qui connaissaient le mieux la langue et
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 233
les antiquités allemandes. Nous citerons parmi ses nombreuses publi-
cations : Denkmxler Deulscher Poésie und Prosa ans dem VIII-XU Jahrh
(en collaboration avec M. W Scherer), et une remarquable Deutsche
Aller thumskunde, dont malheureusement le l^"" vol. seul a paru (Berlin,
1870). — Le rabbin Lévy-Herzfeld, connu comme historien et comm.e
orientaliste, est mort à Brunswick le 13 mars; il laisse une Geschichte
des Volkes Israël en 2 vol. (Nordhawen, 1855-57) et une Baiidelsgscliichte
der Jiiden des Alterthums (Brunswick, 1879). — Le 15 mars est mort à
Gotha M. Behm, rédacteur en chef des Pctermann's Mittlieilimgen.
— M. LiÎDEMANN, professeur àKiel, a été nommé professeur ordinaire
d'histoire ecclésiastique à l'université de Berne. — M. Pflugk-Harttung
a été nommé professeur extraordinaire d'histoire à l'université de
Tubingue, où il était déjà privat-docent. — M. Ebrard, bibliothécaire
de l'université de Strasbourg, a été nommé conservateur de la biblio-
thèque municipale de Francfort-sur-le-Mein.
— Une lettre reçue dernièrement par ÏAll. Zeitung apprend que les
travailleurs chargés de déblayer les ruines de l'Acropole à Pergame ont
fait une découverte archéologique d'un grand intérêt. Près du tombeau
qui se trouve après l'entrée dans le temple de Minerve, ils rencontrèrent
ime petite porte qui se trouvait dans le mur; cette porte conduit par
un souterrain à un amphithéâtre très spacieux et artistement disposé.
— On a trouvé près de Bretzenheim, en novembre 1882, un trésor de
1,005 pièces d'or des xiii^ et xiv^ s. ; ces pièces proviennent un peu de
tous les pays d'Allemagne et d'Italie. Elles ont été acquises par le
Cabinet des Médailles de Mayence. Une description en a été donnée
par M. P. Joseph à Francfort, dans un écrit intitulé : Hùtorisch-Kri-
tische Beschreibung des Dretzenheimer Goldguldenfundcs.
— En février dernier, M. Schliemann a commencé des fouilles sur le
champ de bataille de Marathon, aux collines que la tradition considère
comme les tombeaux des Athéniens tombés dans le combat. Les fouilles
n'ont rien produit qui fût de nature à confirmer cette tradition. Un des
tumuli est un cénotaphe d'une époque beaucoup plus ancienne que le
combat de Marathon; les poteries qu'on y a trouvées ont une grande
ressemblance avec celles que Schliemann avait découvertes dans le ter-
rain de la Troie homérique. Actuellement, M. Schliemann a entrepris
des fouilles à Tyrinthe avec 60 ouvriers ; il n'a pu obtenir du gouver-
nement turc de firman l'autorisant à faire de grands travaux en Crète.
— Depuis le !'=■■ janvier parait comme supplément au Pastoralblatt
fur die Diœcese Rottenbiirg, sous la direction de M. E. Hofele, un Diœ-
cesan-Archiv; Blxtter fllr Kirchengescliichtliche Mittheilungen und Studien
aus Schwaben, qui se propose de devenir un organe central pour l'his-
toire de l'église catholique en Wurtemberg.
— A la librairie Cotta à Stuttgart, paraît par fascicules mensuels une
nouvelle Zeitschrift fïtr allgemeine Geschichte, Kultur-Litcratur-und
Kuntsgeschichte.
234 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
— L'Anseiger fur Kunde der dcutschen Vorzeit a cessé de paraître après
la 30« année de son existence. Il est remplacé par VA7izeîger des germa-
nischen Muséums zu NUrnberg qui contiendra la liste des acquisitions
annuelles du Musée germanique.
— L'Académie des sciences de Prusse a décerné une récompense de
400 m. à M. VON Lingenthal pour l'édition d'un Epitome juris byzantin,
et une de 1,000 m. pour l'édition des bulles des papes à M. Pflugk-
Harttung. — Dans la séance du 6 mars, M. Virchow a présenté une
série de bijoux en antimoine pur trouvés dans un cimetière de l'Anti-
caucase ; autant qu'on le peut savoir, c'est la première fois qu'on trouve
l'antimoine pur employé dans les objets antiques.
— M. DE Treitsghke a reçu le grand prix triennal de 3,000 marks
fondé par Frédéric-Guillaume IV pour l'œuvre historique la plus impor-
tante.
— On doit publier prochainement le 3" vol. des Mémoires de M. von
Friesen, ancien ministre de Saxe, récemment décédé ; ce volume a été
retrouvé dans ses papiers presque entièrement terminé.
— M. BoETHGEN est chargé par la Deutsche Morgcnlâendische Gesellschaft
de publier des Fragments d'historiens syriaques. — M. G. Henking,
professeur à Schaffouse, a été chargé par la Badische historische Com-
mission de rédiger une histoire des Ziehringer jusqu'à la fin de la ligne
ducale ; et M. Gothein d'écrire une histoire de la Forêt Noire.
— L'Historia Francorum de Grégoire de Tours, dont M. Arndt pré-
parait le texte depuis si longtemps pour les Monumenta Germaniae his-
torica, vient enfin de paraître (Hahn, Hanovre).
— Les quatre dernières livraisons que nous avons reçues (77 à 80) de
VAllgcmeine Geschichte in Einzeldarstellungen (Berlin, Grote) con-
tiennent : la l""" livraison des Anglo-Saxons, par M. Ed. Winkelmann;
la suite de l'histoire de l'Inde ancienne, par S. Lefmann ; la fin de l'his-
toire de Byzance et de l'empire ottoman, par Hertzberg ; la l""* livrai-
son de l'Europe occidentale à l'époque de Philippe II, d'Elisabeth et de
Henri IV.
Livres nouveaux. — Histoire générale. — Bergbohm. Die bewallnete
Neutrahtœt, 1780-1783. Berlin, Puttkaminer. — Conrat. Die Epitome exactis
regibus; Sludieii zur Geschichte des rœmischen Rechts un MittelaUer. Berlin,
Weidraann. — Ewald. Die Eroberung Preussens durch die Deutschen. Buch 3.
Halle, Waisenhaus. — Schletlerer. Geschichte der Hofcapelle der franzœsischeii
Kœnige. Berlin, Damkœhier. — Vlmann. Kaiser Maxiinilian I. Bd. I. Stutt-
gart, Cotta. — Kœhler. Zur Schlacht von Tagliacozzo am 23 aug. 1268. Bres-
lau, Kœbner. — Ibach. Der Kanipf zwischen Papstthum und Kœnigthuni von
Gregor VH bis Calixt II. Francforl-sur-le-Mein, Fœsser. — Leist. Die Urkunde;
ihre Behandlung and Bearbeitung. Stuttgart, Colla. — Radke. Verwaltungs-
geschichlc Frankreichs unter Ludwig XIV. Kœnigsberg, Beyer. — Schmid.
Geschichte der Erziehung vom Anfang au bis auf uasere Zeit. Bd. I. Stull-
gart. Cotta.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 235
Antiquité. — Hertzberg. Griechische Geschichte. Halle, Waisenhaus. —
Schubert. Geschichte der Kœiiige von Lydien. Breslau, Kœbner. — Berzog.
Geschichte und System der rœinischen Staatsverfassung. Bd. I : Kœnigszeit u.
Rcpublik. Leipzig, Teubner. — Kœrst. Kritisclie Untersuchungen zur Ge-
schichte des zweiten Sarnniterkrieges; ibid. — Schmidt. Die ielzten Kœmpfe
der rremischen Republilv. Th. I.: ibid. — Anonymi de situ orbis libii duo; e
cod. Leidensi nunc prinuim edidit M. Manitius. Stuttgart, Cotta. — Bergk.
Beitrœge zur rœmischen Chronologie. Leipzig, Teubner.
Histoire locale. — H. v. Schack. Beitrœge zur Geschichte der Grafen und
Herren von Schack. Bd. I, 1162-1303. — F. v. Weech. Codex diplomaticus
Saleinitanus, Lief. 5, 1267-74. Karlsruhe, Braun. — Jlge7i et Vogel. Kritische
Bearbeitung und Darstelluug der Geschichte des thuringisch-hessischen Erb-
folgekriegs, 1247-64. Marbourg, Elwert. — Lcdeburg. Kœnig Friedrich I von
Preussen. 2 vol. Schwerin, Schniall. — Kayser. Die Einfiihrung der Reforma-
tion in der Stadt Hildesheim. Hildesheim, Gude. — Hartfdder. Zur Geschichte
des Bauerukrieges in Siidwestdeutschland. Stuttgart, Cotta. — Wyss. Hes-
sisches Urkundenbuch; 1" Abth. : Urkundenbuch der Deutschordens-Ballei
Hessen. Bd. II, 1300-59. Leipzig, Hinrichs.
Autriche-Hongrie. — A Parengo, en Istrie, s'est constituée une
Società Istriana di archeologia e storia patria, consacrée aux recherches
de tout genre sur l'histoire d'Istrie, depuis l'âge préhistorique jusqu'au
moyen âge. Dans les pays de langue italienne qui appartiennent à
l'Autriche, paraît depuis longtemps, comme on sait, VArchivio tries-
tino, dirigé par M. A. Hortis; l'an dernier, s'est fondé VArchivio tren-
tino, qui a déjà donné d'excellents résultats ; on sait enfin que depuis
quelques années un Archivio storico per Triesto, l'Istria e il Trentino
parait à Rome par les soins de MM. Zenati et Morpurgo.
Livres nouveaux. — Krall. Studien zur Geschichte des alten Aegypten.
Bd. II. Vienne, Gerold. — Uelfert. Maria Karolina von Œ^sterreich, Kœnigin
von Neapel u. Sizilien. Anklagen und Verlheidigung. Vienne, Faezy.
Italie. — Le lieutenant-colonel Mariani, décédé le 20 décembre dernier
à l'âge de soixante ans, avait publié divers ouvrages estimés sur l'histoire
militaire, ainsi : Storia politica-militare délia guerra di Lombardia nel
1648 (Turin, 1854) ; DcHa vita e délie imprese del générale Eusebio Bava
(1854) ; Storia délia guerra del 1866 in Germania (Milan, 1868) ; // Plu-
tarcho italiano (2 séries, 1869 et 1875) ; Lettere di storia patria (2^ éd.
1877); La guerra delV Indipendenza italiana., 4 vol. et un atlas (1882).
— Notre collaborateur, M. Ad. Holm, vient d'être appelé à l'Univer-
sité de Naples ; et notre correspondant, M. Falletti Fossati, à l'Univei-
versité de Palerme.
— M. Guido Baccelli, naguère ministre de l'instruction publique,
a établi à Rome un Instituto storico italiano, et il lui a attribué
la très riche et célèbre bibliothèque Vallicelliana ; le décret royal
de cette fondation porte la date du 25 novembre 1S83. L'institut
se compose de 15 membres, dont quatre nommés par le ministre,
et les onze autres élus par les cinq commissions royales d'histoire
provinciale et par les six sociétés historiques existant aujourd'hui
236 CHRONIQUE ET lilBLIOGKAPHIE.
dans le royaume. Le but de cette institution est indiqué dans le rap-
port présenté au roi par M. Baccelli : « La grande œuvre qui en Italie,
en même temps que l'amour pour les études historiques, a réveillé la
conscience nationale, ... a été commencée parMuratori. En faisant con-
naître dans les Scnptores rerum italicarum les sources de l'histoire, en
les discutant dans les Antiquitates, en les digérant dans les Ânnali, il a
élevé à la patrie le monument historique le plus considérable dont elle
puisse à bon droit se glorifier... » Puis le rapport insiste sur le travail
analytique commencé par les Commissions royales et les Sociétés
d'histoire, auxquelles on doit aussi des publications périodiques et
des volumes de documents. Il rappelle l'appui que l'Etat a libéra-
lement fourni à de semblables travaux. « Mais, continue le rapport
ministériel, avec les progrès accomplis par la science historique, les
érudits s'aperçurent que, si l'impulsion spontanée des recherches limi-
tées dans un champ bien défini, la liberté et la persistance de la méthode
avaient porté leurs fruits, il était à désirer qu'on s'engageât maintenant
dans une action commune, en appliquant les forces scientifiques des
grandes régions à une œuvre homogène, à l'effet de répandre l'édition des
Scnptores historiae patriae avec des moyens plus larges, et en employant
les instruments et les secours de la critique moderne. Tout en respec-
tant, comme il le fallait, l'initiative des Commissions et des Sociétés
particulières d'histoire provinciale, et en en maintenant fermement l'au-
tonomie ; on a voulu en môme temps que toutes leurs forces s'unissent
pour tendre au but suprême de l'histoire nationale, et que le patrimoine
scientifique de chaque province devienne le patrimoine de toutes. »
Tous les membres de l'Institut ne sont pas encore nommés. Les quatre
à la nomination du ministre sont, à ce qu'on assure, MM. Francesco
Crispi, député, Cesare Correnti, Bart. Capasso, directeur des Archives
napolitaines, et Gius. De Leva, professeur à l'Université de Padoue.
La Commission vénitienne a élu M. Fedele Lampertico, sénateur; la
Commission pour la Toscane, les Marches et l'Ombrie, M. Tabarrini,
sénateur; la Société lombarde, M. Giulio Porro; celle de Naples,
M. Ruggero Bonghi; celle de Rome, M. Tommasini; celle de Romagne,
M. Giosuè Carducci.
— Deux nouveaux recueils périodiques consacrés à l'histoire ont
commencé de paraître cette année. M. Ettore Pais, directeur du Musée
des Antiques de Cagliari, a repris la publication du Bullettino archeo-
logico sardo qui avait déjà mené une existence assez brillante de 1855
à 1865 sous la direction du savant archéologue, le chanoine Giov.
Spano. Ce bulletin se propose de décrire les monuments qui existent
au Musée, ou qui leur parviendront, de rendre compte des fouilles
opérées dans l'île et des antiquités qu'on y trouvera, etc. Son domaine
est plus spécialement restreint à l'époque primitive et aux périodes
phénicienne, carthaginoise et romaine, sans cependant s'interdire le
moyen âge. Les articles du premier fasc. sont tous de M. Pais ; le pre-
mier est relatif à un passage d'Hérodote (VII, 165) sur les Sardes; le
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 237
second à deux colonnes milliaires (de l'an 13-14 et de l'an 46 av. J.-C);
suivent des comptes-rendus, des notices variées, etc.
— L'autre recueil est la Rivista storica Ualiana (trimestrielle) dirigée
par M. G. Rinaudo. La Rivista ne veut pas être un Archivio ; elle
admettra bien des documents, mais elle se propose surtout de traiter
des questions liistoriques, et de préférence celles qui présentent un
intérêt général ; elle n'accumulera pas des matériaux, elle tiendra le
lecteur au courant des questions agitées dans la science, spécialement
pour l'histoire italienne, sans distinction de provinces. Dans la pensée
du directeur, toutes les terres italiennes formeront la matière au nou-
veau périodique. Le l" numéro contient quatre mémoires : le l^""^ pa^
M. Pasq. Villari : « Une nouvelle question sur Savonarole, » où l'auteur
combat avec de solides arguments les doutes élevés par Ranke sur l'au-
thenticité et sur la valeur des plus anciennes biographies de Savonarole.
M. Gius. De Leva traite de «l'Élection du pape JulesIII,»dans un article
qui est sans doute un chapitre de son histoire de Charles-Quint, dont la
continuation est attendue depuis tant d'années. Il est bon de rappeler ù ce
propos que l'Académie dei Lincei a décerné le prix royal de 10,000 1. au
4° vol. de cette œuvre monumentale, si riche en documents inédits; c'est
en février dernier que ce prix lui a été attribué. Revenons à la Rivista :
le 3e mémoire est de M. Vito La Mantia sur les Communes de l'État
romain au moyen âge; travail d'ensemble, poursuivi jusqu'au xv" s.,
où l'auteur montre que les villes jouissaient de beaucoup d'indépen-
dance et de liberté sous la protection des papes. M. G. Rosa, dans « Les
Franciscains au xni" s., » traite en quelques pages de l'influence exer-
cée sur la Société par cet ordre religieux. Les mémoires sont suivis de
comptes-rendus critiques, des analyses de périodiques italiens et étran-
gers, etc.
— MM. Milziade Santoni, Giuseppe Mazzattini et Michele-Faloci-Puli-
gnani vont entreprendre un Archivio storico pcr le Marche e l'Umbria,
imprimé à Foligno; on y donnera une grande place aux documents.
— Également importante sera la Rivista storica mantovana dont on
annonce la prochaine apparition. Les archives et les bibliothèques de
Mantoue abondent en documents précieux, surtout pour l'époque de la
domination, aussi glorieuse que longue, des Gonzague. Comme on le
voit, cette série de publications nouvelles est de bon augure pour le
progrès des études en Italie.
— M. D. CoMPARETTi vient de faire paraître à Florence (Lœscher) le
le l^r numéro du Museo italiano di antichità classica; parmi les mémoires
contenus dans ce premier fasc, nous noterons celui de M. G. Pais sur
les Colonies militaires étabhes en Italie par les triumvirs et par Auguste,
avec le catalogue des colonies italiennes indiquées par Pline.
— Depuis l'assemblée générale tenue à Vicence en 1881, la R. depu-
tazione di storia veneta de Venise a mis en distribution : 1" le t. III
du Codice diplomatico di Padova, qui termine cette importante publica-
23S CHRO\IQrE ET BIBLIOGRAPHIE.
tion ; 2° le t. Il des Miscellanea, qui contient : les Statuti civili e crimi-
nali di Coticordia, une Monografta sui principi di Morea, une autre sur
les Popolazioni dei tredicî comuni veronesi, une enfin sur les Fonti édite
cd inédite délia storia délia rcgione vcneta ; 3" deux rapports sur la topo-
graphie de la région vénitienne à l'époque romaine, entreprise par la
Société. Sont sous presse : le t. III des Commemoriali, préparé par
M. Predelli ; le t. I des Cronache contenant les Diarii de Leonardo et
Gregorio Amasei, préparés par M. Ceruti ; le t. III des Miscellanea, qui
commence par un mémoire de M. Bertolotti sur les artistes vénitiens
à Rome; les 3 volumes de la correspondance de Paolo Paruta sont en
prépai'ation : les chroniques de Vérone de Marzagaja, les plus anciennes
chroniques vénitiennes, comme TAltinate et celle de Dandolo, les
Sécréta fidelium de Marino Sanuto Torsello ; les statuts de Trévise. —
La Société patronne aussi, comme on sait, l'édition des Diarii de
M. Sanuto; la {''^ série, de 12 gros volumes, est terminée; il en faudra
58 pour comprendre cette œuvre colossale en entier.
Livres nouveaux. — Nisco. Ferdinando II ed ilsuo regno. Naples, Delken.
— Bonghi. S(oria romana, t. I, Milan, Hœpli. — Tocco. Gh Eretici nel raedlo
evo; ibid. — Frezza di San Felice. Dei camerieri segreti e d'onore dei summo
poiitefice; memorie storiche. Rome, Spithœver.
Espagne. — Le P. Fidel Fita vient de publier le ms. inédit jus-
qu'ici des Cartes de Barcelone, tenues en 1131 et 1163. L'objet de la
première de ces assemblées, composée d'évêques, d'abbés et de grands
réunis en présence du comte Raimond, concerne surtout les droits
d'asile et de dime, la protection des marchands et des paysans. La
seconde, où assistèrent en outre des clercs de différents ordres, des
nobles et « autres serviteurs de Dieu, » s'occupe de la paix et de la
trêve de Dieu [Polybiblion , mars 1884i.
Livres nouveaux. — Colmeiro. Cortes de los antigos reiaos des Léon y de
Castilla. Madrid.
États-Unis. — Le 3« volume de l'édition révisée de la History of
the l'nited States, par M. Bangroft (D. Appleton), va jusqu'en mai 1774;
il contient la série entière des actes législatifs du gouvernement anglais
qui conduisirent à « la crise » finale.
— Le 14^ des index préparé par M. Griswold contient une table
alphabétique des matières et noms d'auteurs des volumes 193 à 268 de
la Revue des Deux-Mondes et des 21 premiers volumes de la Nouvelle
Revue (Bangor, Q. P. Index; Londres, ïriibner).
— M. Herbert B. Ad.-vms inaugure une seconde série de ses University
Studies, à l'Université de J. Hopkins, par un mémoire sur les nouvelles
méthodes pour étudier l'histoire. La première série comprenait les
mémoires suivants : Freeman: Introduction à l'histoire des institutions
américaines. H.-B. Adams : De l'origine germanique des villes de la
Nouvelle-Angleterre. Shaw : Gouvernement local en Illinois. Gould :
Gouvernement local en Pensvlvanie. H.-B. Adams : Les « tithingmen »
CHROMQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 239
saxons en Amérique. Bemis : Gouvernement local en Michigan et dans
le Nord-Ouest. Ingle : Institutions de paroisse en Maryland. Johnson :
Anciens manoirs du Maryland. H.-B. Adams : Constables normands
en Amérique. Le même : Communautés de village de Cape Anne et de
Salem. Johnston : La genèse de l'État de New-England (Connecticut).
Ramage : Le gouvernement local et les écoles libres dans la Caroline
du Sud.
— Il y a un peu plus de deux ans, les autorités municipales de Bos-
ton ont permis la publication du premier volume des Suffolk deeds, et
des actes du comté où est situé Boston. Le second est paru à la fin de
l'année dernière ; il est plein d'intérêt pour l'histoire du pays vers le
miheu du xvn« siècle.
— Une Société s'est formée en 1876 à Utica (New- York) : The Oneicla
historical Society, dans le but de recueillir, de préserver et de publier
tout ce qui se rapporte à l'histoire de cette partie de l'État de New- York,
appelée auparavant l'Yrion County, et occupée à l'origine par les tribus
iroquoises d'Oneida et de Mohawks. Le président est M. Horatio Sey-
mour, le secrétaire M. G. W. Darling.
Livres nouveaux. — Bartlett. Sources of history in the Pentateuch. New-
York, Randolph. — Jones. The history of Georgia. Boston, Houghtou, Mifilin
et C'^ — Julian. Political recollections, 1840-1872. Chicago, Jansen, Mac
Cliig et C'°.
Grèce. — Il s'est fondé à Athènes une 'lairoptxY) xal 'EôvoXoyixY) 'E-catpîa
TT)ç "EXXaSoc, SOUS la présidence de M. Philémon. Cette Société a déjà
publié trois fascicules d'un Bulletin, qui sont intéressants. Nous en ren-
drons compte à l'avenir. — D'autre part, une autre Société littéraire,
le « Parnasse, » a pris l'initiative d'organiser une exposition d'objets
ayant trait à la révolution de 1821; ce sera une espèce de Musée
Carnavalet grec. Cette exposition a été ouverte le 25 mars dernier
(v. st., soit le 6 avril), anniversaire de la Révolution grecque, dans la
rotonde de l'École polytechnique, à côté des salles réservées aux riches
collections de la Société archéologique.
Pays-Bas. — Livres nouveaux. — Telting. Friesische Stadrechten. La
Haye, Nijhofl". — Muller. De middleeuwsche rechtsbronnen der stad Utrecht.
1-2. Ibid. — J. de Jonge. De opkomst van het nederlandsch gezag in Oo.st-
Indie. 11« deel. S'Gravenhague, Nijhoff. — De Stoppelaar. Inventarls van het
oud archief der stad Middelburg, 1217-1581. Middelbourg, Altorften.
Suède. — Livres nouveaux. — Berg. Samlingar till Gœteborgs historia,
2= fasc. Stockholm, Beijer. — Souden. Nils Bielke och det svenska kavalle-
riet, 1674-79. — Aminson. Bidrag till Sœdermanlands aeldre kulturhistoria.
Stockholm, Samson et Wallin. — Edgren. De codicibus nonnullis ineditis qui
in bibliotheca universitatis Lundensis asservanlur. Lund, Gleerup. — Berg.
Samlingar till Gùteborgs historia. Stockholm, Beïjer.
2Î0 LISTE DES LIVRES De'pOSE's AU BUREAU DE LA REVUE.
LISTE DES LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
[Nous n'indiquons pas ceux qui ont été appréciés dans les Bulletins
et la Chronique.)
Allard. Esclaves, serfs et mainmortables. Librairie de la Soc. bibliograpliie.
Coll. à 3 fr. 42 p. in-12. — H. de Ferron. Institutions municipales et provin-
ciales comparées. Alcan, Larose et Forcel, xiii-575 p. in-8°. — Périgot. His-
toire du commerce français. Weill et Maurice, 504 p. in-12. — Thureau-Dan-
GiN. Histoire de la monarchie de Juillet; t. I et H. Pion et Nourrit, vii-460 et
438 p. in-8°. — Vie de Monsieur Du Guay-Trouin, écrite de sa main. Jouvet
et C'". xxi-265 p. in-8°. — Zeller. Entretiens sur l'histoire du moyen âge; t. I.
Perrin (ancienne maison Didier), in-12.
Dacbert. Séuèffue et la mort d'Agrippine. Étude historique. Leide, Brill.
Paris, Lechevallier, 236 p. in-S».
Abbé J. Gremaud. Documents relatifs à l'histoire du Valais. T. V. 1351-1375
(t. XXXIII des Mém. et Doc. p. p, la Soc. d'hist. de la Suisse romande),
Lausanne, Bridel.
WiJNNE. Négociations de M. le comte d'Avaux pendant les années 1693,
1697 et 1608. T. III, 2» part. (p. pour l'historisch Genootschap d'Ulrecht.
Nouv. série, p. 36). Utrechl, Kemink et fds. cxi-194 p. in-8°.
Bezold. Briefe des Pfalzgrafen Johann Casimir, mit verwandten Scbrift-
stlicken. Bd. II, 1582-86. Munich, Rieger. — Bresslau. Konrad II. Bd. II,
1032-39 (Jahrbiicher des deutschen Reiches). Leipzig, Duncker et Huniblot,
x-603 p. in-8°. Prix : 13 m. 60. — Brosien. Der Streit um Rcichsilandern in
der zweiten Hœlfte des xmten Jahrhunderts (appendice aJ, >'rogramm des
Sophiengymnasiums. Pâques 1884). Berlin, Gœrfner. 32 p. in-4°. — Polilische
Correspondenz Friedrich's des Grossen. Bd. XI. Berlin, Alex. Duncker. —
Wolfram. Friedrich I und das Wormser Concordat. Marbourg, Elwert. viii-
176 p. in-8".
Peralta. Costa Rica, Nicaragua y Panama, en el sigloxvi, 1522-1610; sa his-
toria y sus limites. Madrid, Murillo. Paris, Ferrer, xxiii-832 p. in-8''. Prix :
50 pesetas.
L'un des proprutaires-gérants, G. Monod.
Nogenl-ie-RùIrou, iuijirimerie Daupeley-Gouverneur.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC
ET
L'ENSEIGNEMENT CHEZ LES DOMINICAINS
A LA FIN DU XIIP SIÈCLE.
C'est quatre fois, si nous ne nous trompons, que les auteurs
de l'Histoire littéraire de la France se sont occupés de Guil-
lem Bernard de Gaillac^ Mais ils l'ont fait chaque fois en quelques
mots seulement, sans donner la preuve de leurs assertions, dont
plusieurs, à notre avis, ne peuvent être admises, sans paraître
même ajouter à ces assertions une foi absolue. En tout cas, ils
n'ont pas jugé à propos d'accorder à l'écrivain dont il s'agit une
notice particulière. Il ne la méritait peut-être pas moins cepen-
dant qu'un certain nombre de ses contemporains. Beaucoup, aussi
oubliés que lui assurément, et, à ce qu'il semble, plus dignes de
l'être, étrangers même parfois, tandis qu'il était Français après
tout, ont obtenu, malgré leur obscurité, les honneurs d'une biogra-
phie dans ce grand recueil. Pour lui, il fut à la fois écrivain,
professeur dans des enseignements variés, et cela pendant plus
de quarante ans, prédicateur remarquable et reconnu comme tel,
enfin, ce qui est plus extraordinaire au xiii" siècle, helléniste
consommé. Selon nous, c'est plus qu'il n'en faut pour que l'on
1. Voir tome XVI, p. 142; lome XIX, p. 248; tome XXIV, pp. 92 et 389. Le
premier et le second des pas.sages indiqués sont tous deux de Daunou. Ils
ligurent, l'un dans le Discours sur l'état des lettres au XIII' siècle, placé par
cet érudit au début du xvi° volume de l'Histoire littéraire, l'autre dans sa
biographie de saint Thomas d'Aquin. Le troisième et le quatrième sont de
J.-V. Le Clerc et se trouvent dans son Discours sur l'état des lettres en France
au XI V siècle {V^ et IP parties).
Rev. Histor. XXV. 2« fasc. 16
242 C. MOLIXIER.
considère comme insuffisantes au moins les indications auxquelles
les auteurs de V Histoire littéraire de la France ont cru devoir
se borner, et pour justifier l'étude qui va suivre.
Les indications si brèves dont nous venons de parler ont été
tirées, comme on pouvait s'y attendre, du grand répertoire
des Scriptores ordinis Praedicatorum. Dans ce livre, en effet,
Quétif et Échard ont consacré une notice à leur confrère du
XIII® siècle ^ Mais ils ne nous l'ont pas donnée aussi satisfaisante
qu'il l'aurait fallu, et, nous le croj^ons également, qu'il était en
leur pouvoir de nous la fournir. Ils ont mentionné, il est vrai, les
traductions d'ouvrages de saint Thomas d'Aquin en langue
grecque, exécutées par Guillem Bernard. Mais, à cela près, ils
n'ont vu dans celui-ci que le religieux plein de zèle pour la pros-
périté de son ordre et la propagation de la foi. Ils se sont contentés
de marquer l'époque et les principales circonstances des priorats
qui lui avaient été confiés. Ils n'ont considéré en lui ni le profes-
seur, ni le prédicateur, ni même véritablement l'écrivain. A cette
biographie trop abrégée, ils ont ajouté enfin une conjecture qui
ne peut être soutenue, et que nous aurons à réfuter plus loin.
Quoi qu'il en soit, tout ce qu'ils nous ont dit de Guillem Ber-
nard de Gaillac, ils l'ont emprunté, suivant leur propre aveu, à
l'un de ses contemporains, frère prêcheur comme lui-même, à
Bernard Gui. Ce dernier était d'autant mieux en mesure de nous
renseigner sur le moine dont nous nous occupons, qu'il l'avait
connu personnellement et avait passé en '■ on deux ans avec lui.
C'avait été depuis l'année 1292 jusqu'à la seconde moitié de l'an-
née 1294. Guillem Bernard dirigeait alors le couvent d'Albi en
qualité de prieur, et Bernard Gui avait été envoyé dans le même
couvent comme lecteur de théologie. Au mois de juillet 1294,
quand Guillem Bernard avait été relevé de ses fonctions, c'avait
été encore Bernard Gui qui l'y avait remplacé, bien qu'il eût été
désigné d'abord pour aller enseigner la théologie au couvent de
Castres-.
Guillem Bernard de Gaillac n'était donc pas un inconnu pour
l'historien des Frères Prêcheurs. On peut même supposer que,
quand celui-ci le qualifiait « d'homme d'une austérité et d'une
1. Voir Scriptores ordinis Praedicatorum, I, 4G0b.
2. Voir Notices et extraits des manuscrits, tome XXVII, 2« partie (Notice sur
les manuscrits de Bernard Gui, par M. Léopold Delisle), p. 17G, et notes 1-4
de la même page.
GCILLEM BERNARD DE GAILLAC. 243
frugalité remarquables, enflammé de zèle pour prêcher l'Évangile
de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour sauver les nations* », ce
n'était pas de sa part un éloge banal accordé à son ancien supé-
rieur du couvent d'Albi, comme à une foule d'autres représentants
de l'ordre dont il écrivait l'histoire. Il est permis de penser que le
spectacle de ses vertus chrétiennes l'avait profondément touché,
qu'il l'avait rempli de sympathie pour celui qui l'en rendait
témoin, qu'il lui avait inspiré enfin le désir de s'informer assidû-
ment des actes d'un religieux qu'il avait dû admirer. En tout cas,
dans sa compilation sur l'ordre des Dominicains ^, il a consigné
d'abord tous les renseignements employés par Quétif et Echard.
En outre, dans les actes des chapitres provinciaux, ajoutés en
appendice à son œuvre, et que les auteurs des Scriptores n'ont
pas dépouillés, il a noté toute une série d'indications précieuses.
C'est là, en effet, que nous trouvons, pour ainsi dire d'année en
1. « Hic frater Guillelmus vir magne aus5teritatis et abstinencie in victu
extilit, zeloque predicacionis Evangelii Doraini Jhesii Cbristi et desiderio salu-
tis genoiura succensus... » Bibliothèque de Ja ville de Toulouse, ms. 273,
I" série, f° 217 r°.
2. Voir, sur cette compilation, Notices et extraits des manuscrits, ibid., ut
supra, pp. 303 et suiv. — La bibliothèque de la ville de Toulouse possède
du travail de Bernard Gui trois exemplaires, tous trois du xiv" siècle (mss. 55
et 273, I'" série; ms. 91, IP série). Ces trois exemplaires représentent des
rédactions assez différentes du même ouvrage. C'est au n" 273 que nous
emprunterons à peu près exclusivement les citations qui doivent faire le fond
de cette notice. Les actes des chapitres provinciaux de l'ordre des Dominicains
pour l'ancienne province de Provence, avant sa division en province de Pro-
vence proprement dite et province de Toulouse au chapitre général de Bologne,
en 1302, puis ceux de la province nouvelle de Toulouse, à partir de cette date,
nous fourniront un assez grand nombre de renseignements. Or, nous ne les
trouvons pas dans le ms. 55, qui nous donne à la place les chapitres généraux
de l'ordre. Dans le ms. 91, les actes, dont nous devons nous servir, s'arrêtent
à l'année 1328, c'est-à-dire au chapitre provincial réuni cette année-là à Tou-
louse. Ce n'est aussi qu'à partir du chapitre provincial de Bordeaux (fête de
l'Assomption, 1311; f° 64 a), que le même ms. nous donne, avec le résumé des
actes, les noms des prieurs relevés de leurs fonctions, les assignations de lec-
teurs, etc. L'ordre de se procurer ces documents, en les empruntant, sans
doute, à la compilation déjà célèbre de Bernard Gui, et de les conserver avec
soin, avait été donné justement à ce même chapitre de Bordeaux. (Voir Notices
et extraits des manuscrits, ibid., ut supra, pp. 336, 337, et note 1 de la
page 337.) Les détails, fournis tardivement par le ms. 91, se trouvent au con-
traire dans le ms. 273, dès l'année 1250, date du chapitre provincial de Nar-
bonne (f° 284 v), et ils abondent à partir de celui de Montpellier (1265:
f° 299 v°). Quant aux actes proprement dits, le même ms. nous en donne les
procès-verbaux jusqu'au chapitre provincial de Carcassonne (1342).
244 C. MOLINIER.
année, les nominations de Guillem Bernard à diverses fonctions de
professeur dans quelqu'une des chaires dont l'ordre des Domini-
cains avait pourvu ses couvents du midi de la France comme
ceux de toutes les contrées où il s'était établi. Si l'on joint à cela
l'exactitude et la sincérité reconnues de l'écrivain dont nous par-
lons en ce moments il n'y a pas de doute que nous n'ayons, grâce
à lui, les éléments absolument authentiques, sinon complets, de
la biographie que nous avons entreprise.
Cette biographie doit débuter, avant tout, par une remarque
nécessaire. C'est qu'il a existé , dans la seconde moitié du
xiii" siècle, deux religieux dominicains portant l'un et l'autre le
nom de Guillem Bernard, Guillelmus ou Willelmus Bernardi,
suivant la traduction latine de l'époque. Il faut prendre soin de
les distinguer ; mais cela ne paraît point difficile, et, d'ailleurs,
les contemporains l'avaient déjà fait. Chacun de ces deux per-
sonnages avait reçu d'eux un surnom tiré du lieu de sa naissance,
et qu'on retrouve assez souvent à la suite de son nom véritable.
L'un était appelé Aquensis : il était originaire, en effet, de Dax^
en Gascogne; l'autre Galliacensis, parce qu'il était né à Gail-
lac^, en Languedoc, dans le diocèse d'Albi.
Les surnoms dont il s'agit ne sont pas, comme on le voit, inu-
tiles à relever. Leur importance est même plus considérable qu'il
ne semblerait au premier abord, car i^ s'y rattache une question
qu'il nous faut éclaircir sans aller plus loin, et d'où dépend l'au-
thenticité des indications destinées à fournir la matière de cette
notice.
Nous venons dédire que ces surnoms accompagnaient assez
fréquemment le nom réel des personnages que nous avons
rapprochés. C'est à dessein que nous avons employé cette façon
de parler, parce qu'il s'en faut qu'il en soit ainsi dans tous les
cas. En réalité, ces surnoms suivent toujours, quand il est ques-
tion des deux religieux dominicains dans le corps même de
la compilation de Bernard Gui. Ils manquent, au contraire,
généralement deux fois sur trois, dans les actes des chapitres
provinciaux, qui en sont l'appendice. Ce qui, du reste, se com-
prend sans peine, la compilation affectant une forme étendue et
1. Voir ce que dit à ce sujet M. Léopold Delisle, Notices et extraits des
manuscrits, ibid., ut supra, pp. 287-291 et 366-371.
2. Sous-préfecture du département des Landes.
3. Sou s -préfecture du département du Tarn.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 245
presque détaillée, les actes n'étant que des procès-verbaux plus
ou moins sommaires. Mais cette lacune n'est pas faite pour nous
embarrasser, autant qu'il paraîtrait à première vue, dans la
reconstitution de la biographie de Guillem Bernard de Gaillac,
le seul, il va sans dire, dont nous ayons à nous occuper. Elle ne
doit pas surtout nous conduire à rejeter absolument les indi-
cations où nous aurons à la constater.
D'abord, si communs qu'on puisse juger les noms de Guillem et
de Bernard, leur association compose après tout une appellation
particulière, qui n'a pu se présenter qu'assez rarement dans un
espace de temps borné, et dans une réunion restreinte de personnes
telle que l'ordre des Frères Prêcheurs, en dehors duquel nous
n'avons rien à chercher. Puis, si nombreux qu'aient pu être
dans cet ordre les docteurs remarquables, ils n'ont jamais dû, en
somme, y composer qu'une minorité comme partout. Ily a donc
bien des raisons de croire que, dans cette minorité, dans la
période assez courte aussi dont nous avons parlé, dans une même
contrée également, car Guillem Bernard, originaire du midi de
la France, ne semble pas en être sorti, si ce n'est pour un grand
voyage, dont nous aurons à nous occuper plus tard, il n'a pu se
rencontrer, à moins d'un hasard surprenant, deux moines domi-
nicains du même nom, ayant fourni tous les deux une carrière à
peu près semblable. Enfin, et ceci paraîtra sans doute décisif, si
l'on met à la suite les unes des autres, dans leur ordre de date, à
la fois les indications où Guillem Bernard de Gaillac se trouve
clairement désigné par la mention du lieu de sa naissance, et
celles où l'on peut douter à la rigueur qu'il s'agisse de lui, cette
mention n'existant pas, voici à quoi l'on arrive. C'est à un
ensemble, comme on le verra, non pas sans lacunes assurément,
mais dans lequel chaque fait prend tout naturellement place à la
date qu'il porte, où aucune date ne se trouve contredite par une
autre. Il y a plus : c'est à la conception bien nette d'une vie tout
entière de dévouement et d'étude, s'inaugurant, se développant,
nous dirions même se terminant aussi suivant certains principes.
Et ces principes ne sont pas simplement ceux d'après lesquels se
réglait l'existence humaine à l'époque où Guillem Bernard a vécu,
ou dans l'ordre auquel il s'était attaché. Ce sont ceux-là mêmes
qui semblent lui avoirété pour ainsi dire personnels, et qui donnent
à sa carrière ainsi considérée une unité indiscutable.
Ces remarques, qui étaient absolument nécessaires, une fois
246 C, MOLINIER.
épuisées, nous revenons aux deux religieux dominicains que
nous avons cru devoir rapprocher l'un de l'autre, à cause de
l'identité de leur nom, et aussi parce qu'ils peuvent être regardés
comme contemporains. Il y avait cependant entre eux, on ne
saurait en douter, une assez grande différence d'âge. Mais le plus
âgé était Guillem Bernard de Dax ^ Quand il mourut, en 1268
ou 1269-, à Bordeaux, prieur du couvent des Dominicains de
cette ville, son homonyme, natif de Gaillac, devait être un
enfant encore, tout au plus un adolescent, autant du moins qu'on
en peut juger.
C'est là, en effet, une question assez malaisée à éclaircir. Nous
ignorons la date de naissance de Guillem Bernard de Gaillac ;
1. Pour la biographie de Guillem Bernard de Dax, et pour la confirmation de
ce que nous disons de son âge, voir notre travail : L'Inquisition dans le midi
de la France au XUI" et au XIV" siècle, p. 172, et notes 4 et 5 de la même
page. — Voir également, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, année
1881, pp. 129-156, 361-382, l'étude historique et archéologique intitulée :
Najac en Rouergue. — Sur ce moine dominicain, nous n'avons pas de rensei-
gnements à chercher dans Quétif et Échard. Sans doute, ils n'avaient décou-
vert aucun écrit qui put lui être attribué, et qui, en lui donnant quelque
renom littéraire, fît rentrer sa biographie dans le cadre de leur travail. Cela
nous étonnerait pourtant. Guillem Berriard dut exercer près de dix ans les
fonctions d'inquisiteur. Or, on ne nommait guère à ces fonctions, surtout à
partir de la seconde moitié du xiii" siècle, que des docteurs réputés pour leur
savoir. Ce qui le prouve, ce sont des nominations comme celles de Jean de
Saint-Benoit, de Simon Duval, de GeolTroi d'Ablis, de Jean de Beaune, de
Bernard Gui enfin, et de beaucoup d'autres, tous célèbres à différents degrés,
avant de devenir inquisiteurs, soit par leur enseignement, soit par leurs
ouvrages, soit par leur éloquence. Selon nous, la véritable raison de l'oubli
que les auteurs des Scriptores ont fait de Guillem Bernard de Dax, c'est qu'ils
l'ont confondu vraisemblablement, et sans trop s'en rendre compte peut-être,
avec son homonyme, né à Gaillac, et qu'ensuite ils n'ont consacré à celui-ci
qu'une notice insuffisante. En tout cas, un indice de la confusion dont il s'agit
se retrouve, disons-le tout de suite, dans cette conjecture qui leur appartient,
et que nous avons mentionnée plus haut, avec promesse de; dire ce qu'il faut
en penser, quand le moment sera venu.
2. Les actes du chapitre provincial de Béziers, réuni en 1269, le dimanche
après l'oclave des apôtres Pierre et Paul, c'est-à-dire le 7 juillet, portent la
mention suivante : « Fratres obierunt in isto anno... Burdcgale, frater Wmus
Bernardi. » Bil)l. de Toul., ms. 273, 1"= série, f' 308 v. — Celte indication pla-
cerait donc la mort de Guillem Bernard de Dax en 1269. Mais Bernard Gui dit
ailleurs expressément qu'il mourut en 1268. Voir ibid., ut supra, f° 119 v,
et ms. 91, IP série, f° 29 a. Il semble cependant que, des deux dates, la première
soit la plus probable. Guillem Bernard sera mort, sans doute, avant le 24 mars,
date de la fête de Pâques en 1269, c'est-à-dire en l'année 1268, si l'on s'en
rapporte à l'ancien style.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 247
nous ignorons également , ce qui peut paraître plus extraordi-
naire, celle de sa mort. Il n'est pas impossible toutefois de fixer
la première d'une façon au moins approximative. Un moyen
s'offre pour cela : c'est de comparer l'existence du personnage
que nous étudions à celle d'un religieux du même ordre que lui,
ayant vécu à la même époque, ayant fourni une carrière sem-
blable par certains côtés à la sienne. Bernard Gui, à cause de
tout ce que nous avons rapporté de lui plus haut, nous semble
tout naturellement désigné pour ce rapprochement. Si sa fortune
dépassa de bien loin par la suite la destinée modeste, après tout,
de Guillem Bernard, il eut des débuts tout pareils, et dont surtout
nous pouvons dater à un an près les différentes phases. Quand il
mourut, en décembre 1331, il était dans sa soixante-dixième
ou soixante et onzième année. Il était donc né en 1261 ou 1262,
et c'est là une chose certaine, bien que l'indication formelle ne
s'en trouve nulle part*. Or, Bernard Gui est chargé pour la pre-
mière fois d'un enseignement, celui de la logique, au couvent de
Brives, en 1284, c'est-à-dire àl'àge de vingt-deux ou vingt-trois
ans. On lui confie un premiei priorat, celui du couvent d'Albi, où
il succède, comme nous l'avons vu, à Guillem Bernard lui-même,
en 1294, c'est-à-dire à l'âge de trente-deux ou trente-trois ans.
Il est nommé prédicateur général de l'ordre des Dominicains, huit
années plus tard, en 1302, à l'âge par conséquent de quarante
ou quarante et un ans^
Prenons maintenant les mêmes événements dans la vie de
Guillem Bernard de Gaillac. Il est appelé pour la première fois à
occuper une chaire en 1277, honoré du titre de prédicateur géné-
ral en 1289, investi pour la première fois des fonctions de prieur
en 1290. Qu'on admette qu'il ait été pourvu du premier de ces
titres à vingt-deux ans environ, comme l'avait été Bernard Gui,
cela lui donne trente-quatre ans pour le second, trente-cinq pour
le troisième. Ainsi son existence reproduit à peu de chose près,
au moins dans ses commencements, celle de son confrère et con-
temporain. Cela le fait partir aussi pour Constantinople, vers
laquelle il s'achemine en 1298, dans l'âge de la maturité, dans la
plénitude de ses forces, nécessaire pour les fatigues qu'il va
affronter, à quarante ans environ. Enfin, et c'est la conclusion
1. \oir Notices et extraits des manuscrits, tome XXVII, 1" partie, p. 173.
2. Voir ibid., ut supra, pp. 175, 176, 178 et notes correspondantes.
248 ^- MOLINIER.
qu'il faut établir, cela place avec quelque probabilité la date de
sa naissance vers 1255, ou, si l'on veut quelque chose de moins
arrêté, entre les années 1250 et 1260.
Quoi qu'on puisse penser de ces calculs, c'est, comme nous
venons de le dire, en 1277 que Guillem Bernard de Gaillac est
appelé pour la première fois à occuper une chaire dans un des
couvents de son ordre. C'est aussi la première fois qu'il est fait
mention de lui. Cette mention se trouve dans les actes du chapitre
provincial de Bordeaux, réuni la même année, et dont un des
articles note qu'il fut alors chargé d'enseigner la philosophie
naturelle, avec le titre de lecteur, au couvent de Carcassonne*.
L'année suivante, le même enseignement lui est confié encore,
avec le même titre, mais dans une autre ville, à Perpignan 2.
Cette décision est prise au chapitre provincial de Montpellier,
rassemblé le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine (22 juillet) .
Trois ans plus tard, en 1281, une autre décision, celle-ci du
chapitre provincial de Marseille, réuni le dimanche après l'octave
des apôtres Pierre et Paul, c'est-à-dire le 13 juillet, l'envoie au
couvent de Nice avec un certain nombre de religieux^. Nous le
retrouvons de nouveau professeur, en 1284. Cette année-là, en
effet, au chapitre provincial de Perpignan, il est nommé lecteur
dans la même ville, avec mviiation de prendre une part active
aux exercices que doit comporter son enseignement^. En 1285,
il n'est plus à Perpignan, mais à Toulouse, dans ce couvent le
plus ancien en date parmi tous ceux de l'ordre des Dominicains.
Il y a été envoyé comme sous-lecteur par une décision, du cha-
pitre provincial de Condom, réuni le jour de la fête de saint Denis
(9 octobre) ^.
1. « Studia naluraliuin ponimus : pro vicariis Tholose et Montispessulani,
in conventu Carcassone: lectorem fratrem W. Bernardi. » Bibl. de Toul.,
ins. 273, r^ série, f" 324 r. — Le titre des actes du chapitre provincial de
Bordeaux indique qu'il avait été précédé d'un chapitre général rassemblé pour
la première fois dans la môme ville. Voir ibid., ut supra, f" 323 v°.
2. « Assignamus studia naturalium. Primum ponimus in Avinione...: secun-
dum Perpinianum {sic); lectorem fratrem G. Bernardi. » Ib/d., ut supra,
P 325 r°.
3. «Assignamus conventui Niciensi : fratres G. Bernardi... » Ibid., ïit supra,
î' 334 r».
4. « Assignamus lectores : ... in Pirpiniano. fratrem W. B. Galliacensem, et
disputet;... » Ibid., ut supra, f" 337 v°.
5. « Assignamus : ... ad secundam lectionem Tholose fratrern W" B. Gallia-
censem. » Ibid., ut supra, f° 340 v.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 249
Après ces débuts, modestes encore, la situation de Guillem
Bernard de Gaillac grandit tout d'un coup, grâce sans doute à
l'estime que lui ont value ses talents joints à son dévouement
absolu. Dans l'espace de six ans*, il est nommé d'abord prédica-
teur général de son ordre, puis trois fois prieur. La première
de ces nominations date du chapitre provincial de Narbonne,
assemblé en 1289, le jour de la fête de l'Exaltation de la Sainte-
Croix (14 septembre)^. Elle n'empêche pas du reste que, dès l'an-
née suivante, nous retrouvions Guillem Bernard dans l'enseigne-
ment, qui semble avoir été son occupation favorite. En effet, le
chapitre de Pamiers (fête de l'Exaltation de la Croix, 1290) le
replace, comme lecteur, à Perpignan, où il s'était trouvé six ans
plus tôt avec le même titre ^. Mais il ne doit pas être demeuré
bien longtemps dans cette ville, si même il lui a été permis d'y
reparaître, car il est investi presque aussitôt après du premier
priera t qui lui ait été confié, celui de Montauban, et l'exerce
environ une année, dit Bernard Gui. Il en est déchargé, d'aiUeurs,
dès le 15 août 1291, au chapitre provincial de Béziers^.
1. Entre l'année 1285, date de l'envoi de Guillem Bernard au couvent de
Toulouse comme sous-lecteur, et l'année 1289, où se place sa nomination comme
prédicateur général de l'ordre des Dominicains, nous ne tenons pas compte
pour sa biographie de l'indication suivante, que nous fournissent les actes du
chapitre provincial d'Avignon (fête de sainte Marie-Madeleine, 22 juillet 1288) :
« Assignamus lectores in theologia : ... in Caturco, fratrem G. Bernardi Albiensis
[sic). » Ibid., ut supra, i" 347 r». Cependant, nous pencherions à croire que
dans ce texte il s'agit réellement de Guillem Bernard de Gaillac. Nous avons
pour cela l'ensemble des raisons exposées plus haut, à propos des indications
où son nom ne se trouve pas suivi de la mention du lieu de sa naissance. Il
faut remarquer, en outre, que ce lieu dépendait du diocèse d'Albi, et que c'est
là une circonstance que note deux fois Bernard Gui, dans des passages que
nous reproduisons plus loin, et où il parle de la nomination de Guillem Ber-
nard au priorat de Montauban, puis à celui de Rodez. De là à le qualifier de
natif dAIbi {Albiensis), c'était une confusion assez naturelle. Enfin, dans les
actes des chapitres provinciaux, rédigés assez sommairement, comme nous
l'avons observé, et peut-être parfois un peu à la hâte, des erreurs du même
genre sont assez fréquentes. M. Delisle a pu en relever, par exemple, deux
concernant Bernard Gui. Voir op. cit., p. 175, et notes 4 et 8 de la même page.
2. « Facimus predicatores générales : fratres... GuiHeimum B. Galliacensem. »
Bibl. de Toul., ms. 273, I" série, f° 351. — Nous ferons remarquer que dans
le ms. 91, IP série de la même bibliothèque, le chapitre provincial de Nar-
bonne porte la date de 1290. Voir f° 49 b.
3. « Assignamus lectores : fratres... Pirpiniani G. B. Galliacensem. » Bibl.
de Toul., ms. 273, !'<' série, f" 352 r».
4. « Frater Guillelraus Bernardi Galliacensis, dyocesis Albiensis, successit
250 C. MOLINIER.
Quoi qu'il en soit, la durée si courte de ce premier priorat, le
peu de temps que Guillem Bernard accorda aux deux autres, qui
vraisemblablement durent lui être imposés, tout cela donnerait
raison à QuétifetEchard, quand ils prétendent qu'il se débarrassa
toujours des fonctions de ce genre le plus tôt qu'il put^ Cette
répugnance, qui semble probable, ne nous édifierait pas seulement
sur sa modestie et son bumilité ; elle nous éclairerait encore sur
ses préférences, à propos desquelles il est moins permis encore de
s'abuser. Nous venons d'en faire à l'instant la remarque, ces
préférences avaient pour objet manifeste l'enseignement. C'est à
l'enseignement qu'il revient, dès qu'il a pu dépouiller ce titre de
prieur, qu'il a porté si peu de temps à Montauban. Le même
chapitre provincial de Béziers, qui lui a rendu sa liberté, le
nomme sans retard lecteur de la Bible à Toulouse^
Nous ne l'en retrouvons pas moins prieur du couvent d'Albi,
dès la fin de l'année 1292^. Ainsi que nous l'avons déjà remarqué
au début de cette notice, il 3' est en compagnie de Bernard Gui,
fratri Raymundo de Caumbosio. Prefuit anno quasi uno; fuit autem absolutus
in sequenti provinciali capituloBitterrensi, anno Domini M". 0C°. nonagesimo. 1°. »
Ibid., ut supra, f° 170 r". — « Absolvimus priores... Monlisalbani. » Ibid.,
f° 357 r". Guillem Bernard a ,»our successeur à Montauban frère Guillem de
Montclar [de Montedaro), du diocèse de Toulouse. Voir ibid., i" 170 v°.
1. « ... ad conventuum regimen plurics elcctus prier, praefuit quidem illis et
profuit, sed iis muneribus se quantocius exolvit. » Script, ord. Praedic, I,
460 b.
2. « Assignamus... ad lectioncm Biblie ibidem (Tholose) G. B. « Bibl. de
Toul., ms. 273, 1'" série, f" 357 r°.
3. « Sextus prior frater Guillelmus Bernardi Galliacensis successit fratri
Raimundo Blegerii. » Ibid., ut supra, f° 216 v°. — Le même texte, reproduit
par Martène et Durand, dans leur Amplissima collectio, d'après un ms. de
Baluze, donne pour prédécesseur à Guillem Bernard, dans le priorat d'.\lbi, non
pas Raimond Blégier, mais Raimond Rotger. Voir tome VI, c. 509. — Quant à
la date de 1292, que nous avons adoptée comme celle de l'arrivée de Guillem
Bernard à Albi, nous devons avouer qu'elle est contestée par Bernard Gui, qui
met à l'année suivante, au moins dans un passage de sa compilation, le chapitre
provincial de Brives où Raimond Blégier fut relevé de ses fonctions. Mais c'est
là une erreur facile à corriger. D'abord, ce chapitre ayant eu lieu le jour de la
fête de l'Assomption (15 août), il est évident que c'est l'Assomption de 1292 et
non de 1293 qu'il faut enteudre, puisque, dès le 12 juillet de cette dernière année,
Guillem Bernard assistait comme prieur d'Albi à la pose de la première pierre
de l'église de son couvent. En second lieu, nous retrouvons la date véritable
dans les actes du chapitre en question. Voir bibl. de Toul., ms. 273, I'" série,
f° 359 r". — C'est celle aussi que nous donne un texte reproduit dans \'Am-
plissima collectio, à l'article intitulé : Fundatio conventus S. Gaudentii. Tome VI,
c. 518.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 254
et tous deux assistent, le 12 juillet 1293 (dimanche après l'octave
des apôtres Pierre et Paul), à la pose de la première pierre
de l'église du couvent, où ils vivent alors ensemble. L'évêque
d'Albi, le célèbre Bernard de Castanet, préside à cette cérémonie.
Il doit aider plus tard à la construction de l'édifice, par les mêmes
moyens dont il active les travaux de sa cathédrale de Sainte-
Cécile, c'est-à-dire en y affectant, sous forme de dons, le produit
de certaines confiscations opérées sur les hérétiques de son dio-
.1
cese-
Du reste, Guillem Bernard ne fait guère à Albi un plus long
séjour qu'à Montauban. En 1294, et vraisemblablement dans la
première moitié de l'année, le chapitre général de Montpellier le
relève des fonctions qui lui 'pèsent évidemment-. Après cela, le
chapitre provincial, tenu la même année dans la même ville, le
nomme lecteur de théologie à Agen». Il est cependant chargé
encore, l'année suivante, d'un troisième priorat, celui du couvent
de Rodez. Ce priorat, qu'il garde environ deux ans comme le
second, et qui sera d'ailleurs le dernier, lui est enlevé au chapitre
provincial de Narbonne, réuni en 1296, le jour de la fête de
sainte Marie-Madeleine". Foulques de Saint-Georges, qui sera
peu après si célèbre comme inquisiteur, lui succède dans le poste
qu'il abandonne. Pour lui, il reparaît dans l'enseignement : en
1297, comme lecteur de philosophie naturelle à Béziers, sur une
décision du chapitre provincial de Tarascon, rassemblé le dimanche
après la fête de sainte Marie-Madeleine, c'est-à-dire le 23 juil-
let= ; en 1298, comme lecteur ès-arts à Arles, où l'envoie le cha-
1. Le texte curieux où se trouvent ces indications a été reproduit par
M. Delisle, op. cit., note 2 de la page 176. — Voir également Ampliss. collect.,
VI, ce. 509.
2. « Absolvimus priores conventuales... Albiensem... » Bibl. de Toul., ms. 55,
!'■'= série, f° 111b.
3. « Assignamus lectores théologie fratres :... Agenni G. Bernardi Galliacen-
sera. » Bibl. de Toul., ms. 273, I''^ série, f° 365 r°.
4. « Tertius prior frater Guillelmus Bernardi Galliacensis, Albiensis dyocesis,
successit fratri Durando prediclo (Durando Salpicati de Petrussia). Prior fuit
annis quasi duobus. Fuit aulem absolutus in capitulo provinciali Narbonensi,
anno Doniini M". CG;. nonagesimo. VI°. » Ibid., ut supra, f° 225 v". — « Absol-
vimus priores... Butheneusem... » Ibid., f" 368 v, 369 r». — Voir également
le premier de ces textes dans l'Ami)liss. collect., VI, ce. 516, 517.
5. « Assignamus studia naturalium : ... pro conventibus Grassensi, Niciensi,
etc., ponimus studium in Biterris; lectorera fratrcm G. B. » Bibl. de Toul.,
ras. 273, 1"= série, 1° 371 W
252 C. MOLINIEU.
pitre provincial de Cahors (octave des apôtres Pierre et Paul),
6 juillet*. Mais on peut douter qu'il ait paru dans le nouveau
poste qui lui était assigné. En effet, trois mois plus tard, peu
après la fête de saint Michel, c'est-à-dire peu après le 29 sep-
tembre, il part pour Constantinople.
Tout en ne se prolongeant guère au delà de deux ans, à ce
qu'il semble, ce voyage est, sans aucun doute, l'événement le
plus considérable de l'existence de Guillem Bernard de Gaillac.
Il doit frapper ses contemporains et lui donner à lui-même de la
langue grecque une connaissance, dont la tradition, bien qu'à
peine acceptée des historiens, deviendra son unique sauvegarde
contre un oubli absolu. Bernard Gui l'a noté à trois reprises dif-
férentes, deux fois il est vrai, en quelques mots seulement, mais
aussi nets que possible, une troisième enfin avec des détails pré-
cieux, dont nous croyons devoir insérer ici le texte tout entier.
« Frère Guillem..., enflammé de zèle, dit-il, pour prêcher
l'Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour sauver les
nations, passa en Grèce, et avec ses compagnons parvint à Cons-
tantinople, où il reçut une habitation qui lui permit d'y demeu-
rer. Il y fit aussi de tels progrès dans la connaissance de la langue
grecque, qu'il Ûl^A par la posséder à fond et traduisit en cette
langue des ouvrages que frère Thomas avait écrits en latin. C'est
ce que j'ai su des compagnons qui vécurent avec lui dans la même
ville, et que j'ai eu occasion de voir par la suite. Ils attestaient
en même temps sa sainteté parfaite. De Constantinople, Guillem
Bernard se transporta dans la ville qu'on nomme Péra. Il y eut
également une habitation où il séjourna, avec douze religieux de
notre ordre, conformément aux règles de la vie conventuelle,
prêchant la parole de Dieu, combattant les erreurs des Grecs, et
s' exerçant assidûment aux œuvres qui peuvent encore procurer
le salut. C'est en l'année du Seigneur 1298, peu après la fête de
saint Michel, qu'il se mit en route de Toulouse vers Rome; il
partit de Rome l'année suivante, pour passer en Grèce^. »
1. « Assignainus studia arcium : ... pro conventibus Niciensi, Grassensi et
céleris, poiiirnus studiurn in Aurelate ; lectorera fralrem W™ Bernardi. » Ibid.,
ut supra, f° 373 r.
2. « Hic fraler Guillelmus... zelo... predicacionis Evangelii Domini Jhesu
Chrisli et desiderio salutis gencium succensus, pertransivit in Greciam, perve-
nitque cum sociis in Constantinopolim, ubi locum ad habitandum accepit, pro-
fecitque sic in lingua greca, quod eani plane scivit, et libros latinos fratris
Thome in grecuni translulit, sicut audivi a sociis suis, qui ibidem cuin ipso
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 253
Comme on le voit, les indications que nous a transmises Ber-
nard Gui sur le V03^age en Orient accompli par son confrère
Guillem Bernard de Gaillac à la fin du xiif siècle, et sur les résul-
tats qu'eut ce voyage, sont aussi précises que possible. En réa-
lité, deux points seulement y laissent à désirer. Bernard Gui n'a
pas marqué exactement à quelle époque Guillem Bernard avait
pu exécuter les traductions de saint Thomas d'Aquin, que sa con-
naissance de la langue grecque lui avait permis d'entreprendre.
Ce qui est, du reste, une question peu embarrassante, et dont la
solution se tire sans peine du récit que nous avons rapporté.
Mais surtout, il n'a pas nommé les ouvrages du célèbre docteur
que son confrère s'était donné la peine de traduire. C'est là un
oubli fâcheux. Quétif et Echard l'ont relevé, dans leur notice sur
Guillem Bernard, non sans regret apparemment, comme nous-
même*. D'ailleurs, il ne semble pas impossible, ainsi que nous
l'essaierons plus loin, d'y suppléer par conjecture, et cela, à
notre sens, d'une manière satisfaisante, sinon absolument certaine.
fuerunt conversati, quos ego postmodura vidi, qui sibi perhibebant testimoniura
sanctitatis. De Constantinopoli vero transivit ultra in villam que vocatur Pera,
ubi similiter locum habuit ad habitandum cum fratribus xii conventualiter,
verbum Dornini predicaiis, et disputans contra errores Grecorum, et in aliis
salutis operibus jugiter se exercens. Arripuit autem iter versus Romam de Tho-
losa,anno Dornini M". CC°. nonagesimo, VIII", paulo post festum sancti Michaelis ;
deRoma vero in Greciamanno sequenti profectus est. » Bibl. de Toul., nis. 273,
V série, f° 317 r". — Voir aussi les mêmes renseignements dans l'Aïuplissima
coUectio, VI, ec. 509, 510. — Comme nous l'avons remarqué, en dehors du texte
assez long et aussi explicite que possible qui vient d'être reproduit, Bernard Gui
a noté encore à deux reprises différentes le voyage et le séjour de Guillem Ber-
nard à Constantinople. Voici les deux passages de sa compilation où se trouve
la mention dont il s'agit, et qui ne concerne, d'ailleurs, que le voyage accom-
pli par le moine dominicain. — 1° « Hic transivit in Greciam pervenitque in
Constantinopolim et inde in Peram ad predicandurn et dilatandum fidem et
nomen Jesu Christi, iter arripiens de Tholosa versus romanani curiam anno
Domini M°. CC°. nonagesimo. VIII°, paulo post festum Michaelis. » Bibl. de
Toul., ms. 273, I" série, f" 170 r°. — 2° « Hic transivit in Greciam et pervenit
Constantinopolim, ubi domum accepit ad predicandurn gentibus verbum Cru-
cis. Paulo post festum sancti Michaelis versus Romam iter arripuit de Tholosa,
anno Dornini M". CC°. nonagesimo. VHP. » Ibid., ut supra, f" 225 v°. — Notons
enfin, pour terminer, une indication, que nous fournissent Quétif et Échard, sur
les établissements qu'eurent les Frères Prêcheurs à Constantinople au xiir siècle.
« Jam anno MCCXXX et antea, disent-ils, Constantinopoli domum habebat ordo,
sed et postea duas habuit, hanc vero alteram Guillemus erexerit. » Script, ord.
Praedic, I, 460b.
1. « Quinam vero illi libri non indicat », disent-ils. Script, ord. J'raedic,
loc. cit.
C. MOLIXIER.
Quoi qu'il en soit, et malgré ces lacunes, nous avons entre les
mains, en y ajoutant ce que nous savons déjà de la biographie du
religieux qui nous occupe, de quoi confirmer ou bien réfuter les
assertions présentées par les auteurs de Y Histoire littéraire de
la France, et dont la mention se trouve au début de cette étude.
Pour le faire en toute justice, nous m-ettrons sous les yeux du
lecteur le texte de trois des passages, très brefs, du reste, aux-
quels nous nous référons. Les voici dans l'ordre des tomes où
ils se rencontrent :
« On rapporte, et un tel fait serait fort remarquable, que
Guillaume-Bernard de Gaillac, au diocèse d'Alby, traduisit de
latin en grec les œuvres de saint Thomas d'Aquin. Un pareil
travail supposerait, dans un habitant de la France méridionale,
une bien grande habitude de la langue grecque. » Tome XVI,
p. 142.
« Saint Thomas vivait encore, lorsque Bernard de Gailhac tra-
duisit en grec la Somme contre les gentils ; Raimond de Pegna-
fort et Urbain IV avaient commandé ce travail : on n'en indique
aucun manuscrit; mais Bernard Guidonis en fait mention, et dit
plus généralement, en parlant de Bernard de Gailhac : Libros
fratris Thomae e latino fecit graecos. » Tome XIX, p. 248.
« Guillaume Bernardi de Gaillac, qui était allé prêcher à
Constantinople, avait mis en grec plusieurs traités de saint Tho-
mas. » Tome XXIV, p. 92.
Ainsi qu'on s'en aperçoit, les auteurs de Y Histoire littéraire
n'ont connu GuiUem Bernard que comme helléniste et traducteur
en langue grecque de saint Thomas d'Aquin. C'est après tout, il
faut bien l'avouer, le côté le plus curieux et en quelque sorte
imprévu de son caractère. Mais il s'en faut encore que, sur ce
point spécial et unique, leurs indications soient réellement satis-
faisantes. Il y a, dans le premier des passages que nous avons
cités d'eux, un doute auquel on ne peut se tenir, dans le troisième
une affirmation sans preuves dont on ne saurait se contenter.
Nous ne nous y arrêterons pas, d'ailleurs. Le texte de Bernard
Gui, que nous avons donné tout au long, dissipe le doute et
donne à l'affirmation présentée toute seule l'appui qui lui faisait
défaut.
Le second de ces mêmes passages nous semble mériter plus
d'attention. On y rencontre un certain nombre d'assertions et de
rapprochements, qu'à notre sens il est impossible d'admettre.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 2S5
Saint Thomas, dont il y est parlé, meurt en 1274 ; Raimond de
Pegnafort un an plus tard; Urbain IV disparaît dès 1264. Si,
comme on peut le croire, il y a quelque vraisemblance dans les
dates sur lesquelles nous avons fondé la biographie de Guillem
Bernard, celui-ci devait être bien jeune encore au moment où
mourait le pape qui, dit-on, lui aurait commandé de traduire en
grec la Somme contre les Gentils. Qu'on rejette, nous y consen-
tons, la date de 1255, à laquelle nous avons cru pouvoir fixer
approximativement la naissance de notre religieux. Qu'on la
recule à 1250; qu'on la place même dix ans plus tôt, en 1240.
On risquera de se trouver en contradiction avec toute une série
d'autres dates que nous avons relevées, celle de sa première
nomination comme professeur, celle de son titre de prédicateur
général, celle enfin de son premier priorat. Ce sont là cependant
des indications, non seulement d'une authenticité à peu près indis-
cutable, mais encore, nous l'avons démontrépar comparaison, abso-
lument conformes aux habitudes qui réglaient ce qu'on pourrait
appeler l'avancement dans l'ordre des Dominicains. Comme der-
nière conséquence, on le fera partir, au seuil de la vieillesse,
pour l'apostolat lointain et assez rude qu'il avait embrassé. Après
tout cela, on ne fera jamais qu'il ait eu plus de vingt ans à
l'époque où il faut bien s'arrêter, en fin de compte, ni qu'un tra-
vail, comme celui dont on parle, ait pu être confié avec quelque
vraisemblance à un jeune homme de cet âge par le docteur
fameux et le pontife dont on invoque le nom^ En résumé, de
toutes ces affirmations, il n'en resterait pour nous qu'une d'ac-
ceptable. C'est que, si les traductions d'ouvrages de saint Tho-
mas d'Aquin en langue grecque exécutées par Guillem Bernard
sont certaines, on n'a pu jusqu'à présent en signaler aucun
manuscrit. Et c'est à la même conclusion que nous ont conduit
nos informations personnelles^. Nous regrettons d'avoir à le
1. Nous ferons remarquer, d'ailleurs, que toutes les affirmations si nettes,
que nous croyons ne pas devoir admettre, sont présentées sans l'accompagne-
ment d'aucune preuve.
2. Ces informations se bornent, il est vrai, à la Bibliothèque nationale.
M. Henri Omont, attaché au département des manuscrits de cette bibliothèque,
a bien voulu faire pour nous dans le fonds grec, dont il s'est occupé spéciale-
ment, un certain nombre de recherches. Comme nous le disions, elles n'ont
malheureusement pas abouti. Nous en résumons cependant ici le résultat :
n"" 1235-1237, traduction de la Somme de saint Thomas d'Aquin, par Démé-
trius Cydonius; — n"' 1273, 1274, abrégé de la Somme par un anonyme;
256 C. MOLINIER.
constater, tout en espérant que des recherches plus étendues amè-
neraient peut-être un meilleur résultat.
Quoi qu'il en soit de ce point particulier, il ne semble pas
qu'après avoir repoussé les indications que nous fournissent les
auteurs de V Histoire littërair'e de la France sur l'époque où
auraient été écrites les traductions qui nous occupent, il faille
renoncer pourtant à en fixer la date, et cela presque sûrement.
Comme nous l'avons remarqué, Bernard Gui ne s'explique pas
catégoriquement à ce propos. Mais il nous met en main tout ce
qui est nécessaire, pour que nous établissions nous-mêmes ce
dont il a négligé de nous informer d'une manière précise. De ce
qu'il nous dit il est impossible de ne pas conclure, au moins, que
c'est après son séjour à Constantinople que Guillem Bernard se
mit à traduire en grec certains ouvrages de saint Thomas. On
peut même en inférer qu'il les traduisit en vue de la prédication
qui l'avait amené en Grèce, et, par conséquent, durant son séjour
dans ce pays, c'est-à-dire dans la période comprise probablement
entre les années 1299 et 1301. C'est aussi ce que pensent Quétif et
Echard, et ils le disent aussi nettement que possible ^
Mais la question que nous venons d'examiner ne va pas seule.
Une autre s'y rattache étroitement, et les mêmes indications dont
nous nous sommes servi pour traiter la première, permettent éga-
lement, sinon de résoudre celle-ci, dumoinsdel'éclaircir. Il s'agit
de savoir quels ouvrages de saint Thomas Guillem Bernard aura
pu choisir de préférence pour les faire passer du latin en langue
grecque. Le second des fragments de V Histoire littéraire de la
France que nous avons cités affirme que ce fut la Somme
contre les Gentils. La chose est possible. C'est là, en effet, un
des traités les plus considérables et les plus fameux du docteur
dominicain. Guillem Bernard, en le choisissant, pouvait espérer
fournir aux sectateurs de la philosophie antique, s'il s'en trouvait
encore réellement à Constantinople à pareille époque, des raisons
d'abandonner leurs doctrines rationalistes et de se rallier à celles
du christianisme. Mais, si l'on se rend compte de ce qui devait avoir
— 11° 1868, Summa cathoUcae fidei confia Gentiles, traduction dont niaii([iie
le comineucemenl; — n° 2027, extraits de saint Thomas.
1. Après avoir donné dans un passage emprunté à Bernard Gui, mais d'après
un ras. autre que celui dont nous avons fait usage, et que nous ne connaissons
pas, l'indication du voyage de Guillem Bernard à Constantinople, les auteurs
des Scriptores continuent en ces termes : « ibique in eam rem libros F. Tho-
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 257
amené Guillem Bernard en Orient, et devait enflammer son zèle,
à la traduction de la Somme contre les Gentils, il faudra ajou-
ter celle d'autres ouvrages de saint Thomas d'Aquiu , moins
importants à coup sûr, mais plus directement utiles au but que
se proposait vraisemblablement notre religieux. Les ouvrages
dont il s'agit se trouvent tout indiqués en quelque sorte par leur
brièveté relative et leur caractère pratique autant que par leur
titre. C'est YEœposition sur le Symbole des Apôtres, le
Traité des articles de foi et des sept sacrements de l'Église,
adressés à l'archevêque de Palerme, Y Abrégé de théologie,
adressé à Renaud de Piperno. C'est aussi l'opuscule intitulé :
Declaratio quoruyndam articulorum contra Graecos, Ar-
menos et Sarracenos. C'est surtout le traité Contra errores
Graecorum, en deux livres, dédié à Urbain IV ^
On ne saurait douter, en effet, que ce fût le désir de travailler,
lui aussi, à la conversion de ces Grecs schismatiques, à leur récon-
ciliation et à leur fusion avec l'église latine, qui eût arraché
Guillem Bernard à ses occupations favorites pour le conduire à
CoDstantinople. Cette conversion, ce retour d'une partie de la
chrétienté sous leur obéissance qu'elle avait abjurée, c'était,
depuis des siècles, le rêve le plus cher, tout au moins le plus cons-
tant, des pontifes romains. Faudrait-il s'étonner qu'un religieux,
renommé pour sa science et son talent de prédicateur, cherchât,
dans la mesure de ses forces, à le réaliser? Il était membre après
tout de cet ordre des Dominicains, qui, dès son origine, avait
pris pour règle de conduite une soumission absolue aux inté-
rêts du pouvoir pontifical, qui, dès le xiip siècle, avait pratiqué
avec suite, sinon inventé, ce dévouement aveugle à la cour de
mae de Aquino e latiiio graecos fecit. » Loc. cit. Les mots « ibique in eain rem »
sont en lettres romaines, et expriment la pensée personnelle de Quétif et Echard.
Le reste de la phrase est en lettres italiques, et continue la citation em[)runtée
à Bernard Gui.
1. Voir, sur ces difiérents ouvrages, Quétif et Éctaard, dans la iiartie de la
notice consacrée par eux à saint Thomas d'Aquin où ils ont traité de ses écrits,
Script, ord. Praedic, I, 283 a-342. — Voir également Fabricius, Bibliotheca
latina mediae et infimae aetatis, à l'article : Thomas de Aquino. — Dans
l'édition de Rome (1570, in-f ), dont se sont servis les auteurs, auxquels nous
renvoyons, pour classer les écrits de saint Thomas, la Somme contre les
Gentils se trouve au tome IX; les cinq opuscules, que nous avons indiqués
ensuite, sont placés au tome XVIL Dans l'édition de Paris de 1660, la Somme
occupe les tomes XIII et XIV; les petits traités dont il s'agit remplissent le
début du tome XX, de la page 1 à la page 206.
ReV. HiSTOR. XXV. 2e FASC. 17.
258 C. MOLINIER.
Rome, ces visées, jusqu'à ce langage spécial, tout cet ensemble
enfin d'une politique religieuse, que nous croyons volontiers
moderne, et que nous avons appelée l'ultramontanisme.
Guillem Bernard eut-il quelque succès dans ses prédications
aux Byzantins? Nous l'ignorons, et, à vrai dire, nous en doutons
fort. Ces Grecs pouvaient bien, dans leurs moments de détresse,
assez fréquents d'ailleurs, pour tirer quelques secours de l'Europe
occidentale, lui faire concevoir l'espérance de leur conversion.
Cela ne leur coûtait guère, car ils devaient avoir en médiocre
estime la clairvoyance des Latins, et ne croire, et pour cause,
qu'à leur brutalité. Mais, ces promesses une fois faites, ils diffé-
raient toujours de les exécuter. Cent cinquante ans plus tard,
après l'assurance qu'eurent un instant les papes Eugène IV et
Nicolas V d'accomplir enfin la conversion tant de fois promise et
perpétuellement retardée, c'était encore une question pendante.
Les Turcs la tranchèrent en installant l'islamisme à Constanti-
nople, sur les ruines du vieil empire, dont la décrépitude et la
disparition s'expliquent non moins par ces affaires religieuses
sans cesse débattues et jamais décidées, que par son antiquité
vraiment étonnante et la nature surannée de ses institutions.
Peut-être Guillem Bernard eut-il le pressentiment d'une pareille
catastrophe, tant de fois annoncée, même avant le siècle où il
vivait lui-même. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà remarqué,
son séjour en Grèce dut se borner à deux années environ. Ce qui,
pour le dire en passant, supposerait qu'il aurait eu, avant de
partir pour l'Orient, une connaissance déjà assez complète de la
langue grecque. Sans cela, on s'expliquerait mal qu'il eût trouvé
moyen, en si peu de temps, à la fois d'apprendre cette langue
assez à fond pour la parler et pour l'écrire, et de se livrer à des
prédications assidues, tout en faisant encore les traductions, dont
l'exécution à cette époque, ainsi que nous l'avons montré, parait
probable. Resterait, il est vrai, une difiiculté, celle de savoir dans
quelle école, auprès de quels maîtres de l'Europe occidentale, et
même du Languedoc, qu'il n'avait, à ce qu'il semble, jamais
quitté jusqu'en 1298, il aurait puisé les éléments d'une science si
rare au xiif siècle, que pour y croire chez lui il faut les preuves
indiscutables dont nous avons parlé * .
1. Si l'on admettait que Guillem Bernard de Gaillac fût venu à Paris, ce dont
nous n'avons aucune preuve, mais qui n'est nullement impossible, on aurait à
GOILLEM BERN4RD DE GAILLAC. 239
Quoi qu'il en soit, nous le revoyons en France dès 1301. La
même année, au chapitre provincial d'Agen, tenu le jour delà
fête de sainte Marie-Madeleine (22 juillet), il est nommé lecteur
de philosophie naturelle à Arles ^ L'année suivante, le 4 août,
jour de la fête de saint Dominique, le chapitre provincial de Gar-
cassonne le maintient dans le même enseignement, mais en l'en-
voyant à Sisteron, en Provence^ A partir de ce moment, nous
n'entendons plus parler de lui pendant quinze ans, à moins que
nous ne regardions comme le concernant la mention d'un reli-
gieux du même nom, et qui n'aurait été qualifié de natif de Figeac,
Figiacensis, qne^Sir erreur^. Mais, à vrai dire, cette conjecture
ne nous semble guère devoir être acceptée. L'indication dont il
s'agit se trouve dans les actes du chapitre provincial réuni à
Figeac, en 1306, le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine.
Or, ces actes ont été revus spécialement, comme le prouve une
note autographe, par Bernard Gui lui-même, dont on ne peut
aisément mettre en doute le soin et l'exactitude ■*.
donner de sa connaissance du grec, même avant son départ pour l'Orient, une
explication assez naturelle. Il aurait pu, en effet, en puiser les éléments auprès
de ces clercs d'origine orientale, que les souverains pontifes entretinrent à
l'Université de Paris, pendant tout le xiii" siècle, aux frais des églises et des
monastères de France, et dont la réunion formait peut-être l'établissement mal
connu désigné sous le nom de collège de Constantinople. Voir à ce sujet, dans
la Revue des Sociétés savantes, année 1861, pp. C6-73, un article de M. Ch.
Jourdain intitulé : Un collège oriental à Paris au XIIP siècle.
1. « Assignamus studia naturalium : pro couventibus Avinionensi, Arelatensi,
etc., ponimus studiuni in Aurelate ; lectorem fratrem G. Bernardi. » Bibl. de
Toul., ms. 273, I'^ série, f^ 381 r".
2. « Assignamus studia naturalium : ... pro conventibusMassiliensi, Aquensi,
Grassensi, Sancti Maximini, Massiliensis (sic), ponimus studiuni in Cistarico ;
lectorem fratrem G. B. » Ibid., ut supra, f" 384 r\
3. « Isti visitabunt hoc anno : ... conventus Burdegale, Sancti Emiliani, Bra-
geriaci, Petragori, et locum Sancti Badulphi (lisez Pardulphi) extra frater
Wmus Bernardi Figiacensis. » Ibid., ut supra, f° 396 r". — Le couvent de femmes
de Saint-Pardoux, dans le diocèse de Périgueux, sur les confins du Limousin,
avait été fondé dans le courant du xni° siècle ; mais il ne passa que plus tard
entre les mains de l'ordre de Saint-Dominique, par suite d'une acceptation
résolue définitivement au chapitre provincial de Brives, en 1292. On y envoya
à cette époque un certain nombre de sœurs tirées du monastère de Prouille.
Voir, sur ce couvent, ibid., %it supra, f" 246 et suiv., et Ampliss. collect., VI,
ce. 527-529. — Saint-Pardoux est aujourd'hui Saint-Pardoux-la-Bivière, ch.-l. de
canton, arr. de Nontron, dép. de la Dordogne, sur la rive droite de la Dronne.
On y voit encore les ruines de l'établissement dont nous venons de parler.
4. Cette note consiste dans les mots « in festo sancte Marie Magdalene »,
ajoutés, nous le répétons, de la main môme de Bernard Gui, au titre des actes
200 n. MOLINIER.
Ce n'est donc qu'en 1317 que nous rencontrons de nouveau au
sujet de Guillem Bernard de Gaillac un renseignement auquel
nous puissions réellement nous fier. Cette année-là, en effet,
nous lisons encore une fois son nom dans les actes des chapitres
provinciaux de l'ordre dont il fait partie. C'est dans ceux du
chapitre de Bergerac (fête des apôtres Pierre et Paul, 29 juin),
dont une décision l'attache comme lecteur à l'enseignement des
arts au couvent delà même villes Mais c'est aussi la dernière
fois que les documents auxquels nous avons emprunté la plupart
des éléments de cette biographie nous fournissent la preuve
de son existence. En 1317, si l'on considère comme à peu près
acquise la date de 1255, à laquelle nous avons cru pouvoir
fixer sa naissance, il a dépassé l'âge de soixante ans. Que sa
mort ait suivi sans beaucoup tarder, cela n'aurait rien qui dût
nous surprendre.
On ne peut faire moins cependant que de marquer le doute
qui ressort d'une indication assez postérieure, il est vrai, à la
dernière dont il vient d'être question. En 1333, le dimanche avant
la fête de saint Jean-Baptiste, c'est-à-dire le 20 juin, le chapitre
provincial de Figeac nomme sous-lecteur au couvent de Saint-
Junien^ un moine du nom de frère Guillem de Gaillac^. Evidem-
ment, on peut penser que c'est là le religieux dominicain dont
nous avons essayé de reconstituer l'existence, et que l'appellation
qui le désigne est seulement incomplète. Mais, d'autre part, il
faut avouer que cette nouvelle date nous porte bien loin de l'an-
née 1317, à laquelle il pourrait paraître assez raisonnable de se
borner, en l'absence d'indications parfaitement précises. Elle
nous force, si nous l'acceptons, à charger un vieillard de soixante-
dix-huit ans de fonctions en quelque sorte au-dessus de ses forces,
à coup sûr en désaccord, par leur modestie même, avec son âge,
ses longs services, et enfin les honneurs dont il a été investi à
(lu chapitre provirtcial de Figeac, dans le([uel le copiste les avait oubliés
d'abord. Voir bibl. de Toul., ms. 273, I"= série, f" 395 r°.
1. « Assignanius studia arcium : ... pro conventibus Petragoricensi et Brage-
riaci, poninuis studium in Brageriaco; lectorein fratrem AV" Beriiardi. ■» Ibid,,
ut supra, f 427 r".
2. Sur la Vienne; ch.-l. de canton, arr. de Rochechouart, dép. de la Haute-
Vienne.
3. « Assignanius ad legendum secundain leclionem : ... in SanctoJuniano fratrem
Guilhelinuni de Galhaco. » — Bibl. de Toul., ras. 273, I-^"^ série, f" 469 v". —
Voir, sur le couvent de Saint-Juuien, ibid., {" 233.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 261
plusieurs reprises dans les assemblées solennelles de son ordre.
Ce ne sont peut-être pas là cependant des difficultés irréfu-
tables. Une longévité comme celle qu'il faudrait admettre n'est
pas si extraordinaire, qu'on ne puisse la supposer chez un reli-
gieux, astreint dès l'adolescence par les lois monastiques à la vie
la plus régulière et la plus paisible, soustrait aux passions et aux
soucis terrestres, assujetti seulement aux travaux intellectuels,
qui n'usent pas toujours autant qu'on veut bien le dire. Quant à
voir une sorte de déchéance dans ces fonctions, plus dignes, selon
nos idées au moins, d'un débutant que d'un personnage presque
célèbre, ayant en tout cas fait depuis longtemps ses preuves, ce
serait avoir mal saisi le fond de cette existence, que nous avons
voulu retracer. Trois vertus y dominent incontestablement, si
vives qu'on pourrait les qualifier de passions , l'amour de la
science, le dévouement, l'humilité. S'il allait donc, à près de
quatre-vingts ans, comme sous-lecteur dans un des couvents les
moins considérables de l'ordre de Saint-Dominique, recommencer
les labeurs de sa jeunesse, Guillem Bernard satisfaisait à la fois
ce qu'on pourrait appeler tous les besoins de son àme. Ainsi, dans
la décision du chapitre de Figeac, ce n'est pas là ce qui devrait
nous embarrasser. A supposer qu'elle le concerne véritablement,
il pourrait bien se faire que notre religieux l'eût sollicitée lui-
même.
Cette décision est, d'ailleurs, le dernier renseignement qui se
rattache d'une manière plus ou moins certaine à la biographie de
Guillem Bernard de Gaillac, et nous sommes arrivé au bout de
la tâche que nous avions entreprise ' . Il ne nous reste plus qu'à
1. Pour laisser une idée plus nette de cette biographie de Guillem Bernard de
Gaillac, nous croyons devoir réunir dans un tableau chronologique les faits qui
la composent, et que nous avons présentés avec toutes leurs circonstances. Un
point d'interrogation marque ceux dont on peut douter à la rigueur, parce que
les textes qui nous les donnent n'ajoutent pas au nom proprement dit du reli-
gieux dominicain l'indication du lieu où il est né.
Guillem Bernard est, en :
?t277, lecteur de philosophie naturelle au couvent de Carcassonne (décision
du chapitre provincial de Bordeaux);
? 1278, lecteur pour le même enseignement au couvent de Perpignan (décision
du chapitre provincial de Montpellier, 22 juillet) ;
■?1281, envoyé au couvent de Nice (décision du chapitre provincial de Nar-
bonne, dimanche après l'octave des apôtres Pierre et Paul, 13 juillet) ;
1284, lecteur au couvent de Perpignan (décision du chapitre provincial de
Perpignan) ;
262 C. MOLINIER.
examiner la conjecture dont nous avons parlé en commençant.
Elle est, si l'on s'en souvient, de Quétif et Ecliard. Au cas où on
l'admettrait, elle ajouterait aux fonctions exercées par le religieux
qui nous occupe celles d'inquisiteur.
« Dans un manuscrit en parchemin du xiif siècle, disent les
auteurs des Scriptores, manuscrit qui a été autrefois la propriété
de nos frères de Rouen, et qui se trouve aujourd'hui entre les
mains de nos frères du couvent de Saint-Honoré à' Paris, il y a
un traité intitulé de practica inquisitionis , où l'on trouve le
nom d'un frère Guillem Bernard, remplissant les fonctions d'in-
quisiteur de la foi, en compagnie de frère Jean de Saint-Benoît,
1285, sous-lecleur au couvent de Toulouse (décision du chapitre provincial de
Condom, 9 octobre) ;
? 1288, lecteur de théologie au couvent de Cahors (décision du chapitre pro-
vincial d'Avignon, 22 juillet);
1289, prédicateur général (décision du chapitre provincial de Narbonne,
14 septembre);
1290, lecteur au couvent de Perpignan (décision du cliapitre provincial de
Pamiers, 14 se])tcmbre) ;
1290, 1291, prieur du couvent de Montauban; relevé de ces fonctions par déci-
sion du chai)ilre provincial de Béziers (15 août 1291);
? 1291, lecteur delà Bible au couvent de Toulouse (décision du chapitre pro-
vincial de Béziers) ;
1292-1294, prieur du couvent d'AIbi; relevé de ces fonctions par décision du
chapitre général de Montpellier) ;
1294, lecteur de théologie au couvent d'Ageu (décision du chapitre provincial
de Montpellier);
1295, 1296, prieur du couvent de Rodez ; relevé de ces fonctions par décision
du chapitre provincial de Narbonne (22 juillet 1296);
? 1297, lecteur de philosophie naturelle au couvent de Béziers (décision du
chapitre provincial de Tarascon, dimanche après la fôte de sainle Marie-Made-
leine, 23 juillet) ;
? 1298, lecteur es arts au couvent d'Arles (décision du chapitre provincial de
Cahors, octave des apôtres Pierre et Paul, 6 juillet) ;
1298, il part pour Rome (peu après le 29 septembre) ;
1299, il part de Rome pour Constantinople;
?1301, lecteur de philosophie naturelle au couvent d'Arles (décision du cha-
pitre provincial d'Agen, 22 juillet);
? 1302, lecteur pour le même enseignement au couvent de Sisteron (décision
du chajiilre provincial de Carcassonne, 4 août) ;
V 1306, visiteur au couvent de Saint-Pardoux (décision du chapitre provincial
de Figeac, 22 juillet) ;
? 1317, lecteur es arts au couvent de Bergerac (décision du chapitre provin-
cial de Bergerac, 29 juin) ;
? 1333, sous-lecteur au couvent de Saint-Junien (décision du chapitre provin-
cial de Figeac, dimanche avant la fête de saint Jean-Baptiste, 20 juin).
GUILLEM BERNillD DE GAILLAC. 263
dans le territoire de Toulouse vers 1290. Est-ce le même que
celui dont nous nous occupons (Quétif et Échard veulent parler
de Guillem Bernard de Gaillac), c'est affaire aux érudits du pays
même de s'en enquérira »
Dans ce passage des Scriptores, il y a une date qu'il est
impossible d'accepter : c'est celle de 1290. Le texte auquel se
rapportent les écrivains dominicains, et que nous reproduisons
en note, parle des comtés et des territoires soumis au comte de
Toulouse. Mais il n'y a plus de comte de Toulouse depuis la mort
d'Alfonse de Poitiers, arrivée le 21 août 1270, et suivie, à trois
jours de distance, de celle de sa femme Jeanne, avec qui s'éteint
pour toujours la race des Raimonds. 11 n'y a plus de comté de
Toulouse, depuis la prise de possession, le saisimentum solen-
nel, qu'ordonne dès 1271 le roi Philippe III. D'ailleurs, dans un
autre endroit de leur livre, Quétif et Echard eux-mêmes, mieux
inspirés cette fois, substituent, à propos du même texte, la date
de 1258, qui est acceptable, à celle de 1290, qui, on le voit de
reste, ne peut se soutenir. Mais, pas plus cette fois que l'autre,
ils ne décident s'il s'agit de Guillem Bernard de Gaillac ou d'un
moine son homonyme, qui ne pourrait être que le Guillem Ber-
nard deDax, dont nous avons dit quelques mots au début de cette
notice ^
1. « In codice ins. membr. sec. XIII alias Rolomagensium nostrorum nunc
vero Parisiensiuin ad S. Honorati, est tractatus de practica inqui.sitionis, in
quo legitur quidam F. Guillelnuis Bernardi censoris fidei munere fungens cum
F. Joanne a Sancto Benedicto in paiiibus Tolosanis circa MCCXC. An idem sit
cum eo de quo agimus, disquirant indigenae curiosi. » Script, ord. Praedic, I,
460 b. — Le ms. dont parlent Quétif et Échard se trouve aujourd'iuii à la biblio-
thèque Mazarine sous le n° 1346. Dans ce nis., le traité qu'ils citent occupe les
f"' 193 B-201. D'ailleurs, ce traité tout entier a été publié sous le titre de Boc-
trina de modo procedendi contra haereticos, par Martène et Durand, dans leur
Thésaurus novus anecdotorum, tome V, ce. 1795-1822, vraisemblablement
d'après le ms. connu par les auteurs des Scriptores. Nous croyons "devoir
reproduire d'après cette publication le fragment sur lequel s'appuie la conjec-
ture que nous examinons en ce moment. « Poenitentia haerelicoruin quando
crédit {sic). — Omnibus Christi fidelibus praesentes litteras inspecturis, fratres
ordinis Praedicatorum, Guillclmus Bernardi et .Johannes de S. Benediclo,
Inquisilores haereticae pravilatis in communitalibus [lisez comitatibus) et ter-
ris nobilis viri comitis Tholosani, salutem, etc. » Thés. nov. anecdot., V,
c. 1808. La pièce, dont nous ne donnons que le commencement, parce qu'il nous
est seul nécessaire, se continue à la colonne 1809. Il faut remarquer qu'elle ne
porte aucune date.
2. Cette nouvelle indication se trouve dans la notice consacrée par Quétif et
Échard justement à ce Jean de Saint-Benoît, dont le nom ligure également dans
264 C. MOLINIER.
C'est bien de ce dernier pourtant qu'il est question. « Frère
Guillem Bernard de Dax, dit Bernard Gui, était pour la seconde
fois prieur (du couvent de Baronne), l'an du Seigneur 1257, au
mois de mai, quand il fut fait inquisiteur de la perversité héré-
tique, et par conséquent déchargé dupriorat^ » Sa mort, comme
nous l'avons établi, a lieu en 1268 ou 1269. Il était alors prieur
du couvent des Dominicains de Bordeaux, et, pour le devenir, il
avait dû, sans doute, résigner les fonctions inquisitoriales, de
même que, pour être investi de ces fonctions, il lui avait
fallu renoncer au priorat de Bayonne, ce qui bornerait son pas-
sage dans les tribunaux d'Inquisition à dix années tout au plus.
Est-il bien nécessaire d'insister, après cela, sur l'impossibilité
qu'il y aurait à accorder ces dates avec la chronologie que nous
avons cru pouvoir fixer de l'existence de Guillem Bernard de
Gaillac? S'il y a quelque probabilité dans la conjecture qui nous
a fait placer sa naissance entre 1250 et 1260, on ne saurait
admettre, on le voit, qu'il ait figuré dans ces tribunaux d'In-
quisition, dont l'accès ne semble avoir été ouvert le plus souvent
qu'à des religieux d'âge mùr, et finit même par être interdit au-
dessous de quarante ans-.
le texte que nous cherclions à éclaiicir. « In cod. ms. membr. fol. conventus
Rotomagensis laudalur quidam F. Johannes de Sancto Bcnedicto inquisitor
haerelicae pravilalis in terris nobilis viri comitis Tolosani : an idem sit cumhoc
nostro in theologia magistro noliin asserere, cuni ille collega dicatur F. Guil-
lelrni Bernardi, qui isto munere fungebatur anno MCCLVIII, sicque antiquior,
quani ut circa MCCLXXX ad agoncs scholasticos se transferret. » Script, ord.
Praedic, I, 406 b. — Quant au doute exprimé dans les derniers mots de ce pas-
sage, à vrai dire nous ne le comprenons guère. Si on suppose, ce qui est vrai-
semblable, que Jean de Saint-Benoît était âgé de quarante ans vers 1258,
époque où il aurait partagé les fonctions d'inquisiteur avec Guillem Bernard, il
n'en aurait jamais ou de la sorte que soixante tout au plus vers 1280. Ce n'est
pas là un âge qui pût lui interdire ce que les auteurs des Scriplores appellent
agones scholastici. En réalité, dans le texte, qui fait le fond de toutes ces con.
jectures, il n'y a pas les difficultés qu'ils y ont vues.
1. « Frater Guillelmus Bernardi Aquensis prefatus altéra vice erat prior (con-
ventus Baionensis), anno Doniini M. CC°. LVII", mense mayo, et tune fac-
tus fuil inquisitor beretice pravitalis, et absolutus consequenter ab oflîcio prio-
ratus. » Bibl. de Toul., ms. 273, I" série, f« 138 r°.
2. Cette décision est, il est vrai, assez tardive, puisqu'elle ne date que du
pontificat de Clément V et du concile de Vienne (1311-1312). Voir Corpusjuris
canonicl, Clemenda., lih. V, Ut. 111, cap. Il, et Nicolas Eymeric, Directorium
inquisitorum, tertio pars, quaestio IL — Qu'elle eût été motivée par les nomi-
nations trop fréquentes de jeunes gens à des fonctions dont leur emportement
naturel n'était pas fait pour tempérer le caractère réellement abusif, cela est
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 265
Guillem Bernard de Gaillac ne fut donc pas inquisiteur, et
nous nous abstiendrons de le regretter pour lui. D'autre part,
l'étude du grec, ses travaux en cette langue, d'un si grand inté-
rêt pour nous, ne l'occupèrent peut-être que passagèrement. Il
fut surtout professeur et prédicateur. Et, plus heureux de ce côté
qu'en ce qui concerne ses traductions de saint Thomas d'Aquin,
en dépit également du silence de Bernard Gui qu'on ne s'explique
guère, nous avons dans un certain nombre d'écrits le témoignage
de son éloquence et de son enseignement. La bibliothèque de
Bordeaux possède deux recueils manuscrits du xiv« siècle, rem-
plis de ses œuvres. L'un, sous le titre de Sermones dominicales,
renferme, dans sa première partie, une série de sermons, que
suivent des commentaires sur la Genèse, le livre de Job et les
Psaumes ^ L'autre, daté de 1340, contient encore des sermons,
mais différents des premiers, et intitulés Sermones de Sanctis,
auxquels se joignent les mêmes commentaires que dans le volume
précédent^. A supposer, comme c'est possible, que ce ne soit pas
là tout ce qu'il a écrit, ce qui subsisterait donc surtout des œuvres
de Guillem Bernard de Gaillac, ce serait la partie oratoire. De la
sorte, il aurait été mieux traité par le temps que son confrère,
Bernard Gui, prédicateur général de son ordre comme lui-même
et dont les sermons semblent avoir disparu^.
C'est à cela que se borne, bien entendu, la supériorité du reli-
gieux, dont nous avons essayé de reconstituer la modeste exis-
tence, sur son contemporain, l'un des représentants les plus
remarquables à coup sûr de l'ordre des Frères Prêcheurs. Est-ce
à dire cependant que cette existence, si peu extraordinaire qu'en
soit le cours, n'ait pas son prix au point de vue historique , et
qu'en ce sens l'étude que nous avons jugé devoir en faire ne puisse
être de quelque utilité ? On nous permettra de ne pas le croire.
évident. Nous n'en croyons pas moins qu'elle ne faisait que convertir en règle
définitive ce qui était passé le plus souvent dans la pratique. Bernard Gui, par
exemple, ne fut appelé à exercer la justice inquisiloriale qu'à l'âge de quarante-
cinq ou quarante-six ans, en 1307, c'est-à-dire antérieurement au décret de
Clément V.
1. N"-20 et 303 du catalogue de 1880, in-A-, vélin, 143 f°% "2 col.
2. N" 302, in-i", vélin, 146 ^^ 2 col.
3. On avait cru les posséder dans un ms. de la bibliothèque de Toulouse, le
n" 311 de la I'" série. Mais un examen plus attentif a lait reconnailre que les
sermons composant le volume dont il s'agit étaient vraisemblablement du domi-
nicain Gui d'Évreux. Voir, sur ce point, M. Delisle, op. cit., p. 336.
266 C. MOLINIER.
Personne n'ignore la place immense que tient, au xiii*^ siècle,
dans le développement littéraire et scientifique de cette époque,
la grande association religieuse fondée par saint Dominique.
Pour ne citer que les plus illustres, deux noms, ceux d'Al-
bert le Grand et de saint Thomas d'Aquin, suffisent à en don-
ner une idée. On peut penser ce qu'on voudra de leur œuvre, la
déclarer à jamais abolie, ou bien y voir le dernier mot de toute
philosophie humaine, elle n'en demeure pas moins prodigieuse.
Mais, si grands que soient les deux hommes dont nous venons de
parler, ils ne représentent pas seuls l'activité qui illustre leur
ordre. On peut ajouter à leurs noms ceux de leurs émules, frères
prêcheurs comme eux-mêmes, maîtres éminents, tout en leur étant
inférieurs, on n'a pas encore cette activité tout entière. On n'en a
pas surtout le mouvement ordinaire et en quelque sorte quotidien.
Pour le trouver, il faut descendre des grandes universités, où les
religieux de saint Dominique se montrent avec tant d'éclat au
milieu de rivalités ardentes, à leurs écoles conventuelles. C'est là
que, par une méthode savamment graduée, par des exercices
aussi variés qu'assidus, on dégrossit, on arme de toutes pièces les
jeunes esprits, dont un examen attentif a d'abord fait reconnaître
les aptitudes. C'est là qu'enseigne quarante ans Guillem Bernard
de Gaillac, avec un dévouement qui ne devait pas être commun
même autour de lui. De là sort, tel que nous le connaissons, sans
avoir eu d'autre préparation ni d'autres maîtres, Bernard Gui.
Ce que valent ces centres d'étude, ce qui s'y prépare, un avenir
de prospérité ou de décadence, on le sait de reste dans l'ordre des
Frères Prêcheurs. Aussi n'y a-t-on pas de préoccupation plus
vive ni plus constante que d'en assurer l'existence et les progrès.
Au chapitre général de Valenciennes, en 1259, une commission
réunit les docteurs en théologie les plus célèbres de l'Université de
Paris, frère Bonhomme de Bretagne, Florent d'HesdinS saint
1. Voir sur ces deux Dominicains, réunis dans une même notice avec leur
contemporain, Élie Brunet de Bergerac, Script, ord. Praedic, I, 139 b, 140 a.
— Voir également Hisl. litt. de la France, tome XIX, pp. 103, lOi. — Frère Bon-
homme, fiualifié ordinairement de Br'ito , à cause de son origine, et Florent
d'Hesdin {de Il/sdino), appelé aussi GaUicus, c'est-à-dire le Wallon, par Etienne
de Salanhac, ont été assez souvent confondus en un seul et même personnage.
Le nom de Florent, F/orentius ou même Florentinus en latin, rapproché de
celui de frère Bonhomme, avait fait naître l'opinion que ce religieux était
natif de Florence. Voir, sur cette confusion, Script, ord. Praedic, I, 140a.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 267
Thomas d'Aquin, Albert le Grand, Pierre de Tarantaise, plus
tard pape sous le nom d'Innocent V. Obéissant au mandat qu'ils
ont reçu du maître-général, Humbert de Romans*, et des diffini-
teurs du chapitre, ils élaborent tout un projet de réformes concer-
nant les écoles de leurs couvents dominicains, et, comme pour lui
donner force de loi, les articles en sont insérés dans les actes
mêmes de l'assemblée ^ On imaginerait difficilement une suite de
prescriptions mieux choisies. Ce qu'il faut y admirer surtout, c'est
la hardiesse de ces moines et leur esprit libre de tout préjugé. On
les croirait préoccupés plus que de tout le reste des obliga-
tions de leur vie claustrale, des exercices de piété qu'elle comporte
naturellement. Avec quelle indépendance ils en parlent et les
réduisent au strict nécessaire^, quand il s'agit d'enseignement et
de science, deux choses qui semblent leur tenir au cœur autant que
la religion même, ou qui leur sont plutôt une seconde religion !
Des dispositions du même genre avaient déjà été prises, mais
avec moins d'autorité, dès le chapitre provincial de Cahors, en
1255*. Au chapitre provincial de Béziers, tenu en l'année 1261,
le dimanche après l'octave des apôtres Pierre et Paul, c'est-à-dire
le 10 juillet, sous le priorat du prieur provincial Pons de Saint-
Gilles, les mesures dues au chapitre de Cahors, les prescriptions
plus solennelles édictées à Valenciennes, sont rappelées dans un
1. Humbert de Romans est maître-général de l'ordre des Dominicains depuis
l'épocpie du chapitre général de Bude (1254) jusqu'à celui de Londres (1263).
Voir Script, ord. Praedic, I, 142.
2. Voir bibl. de Toul., ms. 55, 1"= série, f" 63 d, 64a, b. — Martène et
Durand ont reproduit, d'après le même manuscrit, dans le tome V de leur
Thés. nov. anecdot., les actes des chapitres généraux de l'ordre des Domini-
cains. Voir ce. 1724-1727 les actes du chapitre de Valenciennes, et ce. 1726,
1727, de l'article 18 à l'article 39, les prescriptions concernant la réforme des
études dans les écoles conventuelles de l'ordre. — Voir également, sur celte
réforme, Hist. lltt. de la France, tome XIX, pp. 103, 104 (notice sur frère
Bonhomme, Élie Brunetti et Florent d'Hesdin) ; p. 241 (notice sur saint Thomas
d'Aquin) ; p. 365 (notice sur Albert le Grand).
3.- « Item ad proraotionem studii ordinamus hoc, quod leclores non occupen-
tur in officiis vel negociis, per que a lectionibus retrahantur. — ... Item quod
tempore lectionis non occupentur iu missis celebrandis vel aliis hujusmodi... »
— El cette autre indication, qui montre tous les membres de l'ordre soumis,
sans exception, à la nécessité de s'instruire : « Item quod priores vadant ad
scolas sicut ceteri fratres quando comode poterunt. » Bibl. de Toul., ms. 55,
I" série, f°' 03 d, 64 a.
4. Voir, pour les actes de ce chapitre, bibl. de Toul., ms. 273, V série,
f» 290 v°, et ms. 91, IP série, f» 34 b, c.
268 C. MOLINIER.
résumé qui nous en donne l'essence*. Puis, il est décidé que toutes
ces prescriptions, y compris celles qui sont l'œuvre de l'assemblée
même de Béziers, seront réunies en un tout, dont la lecture se fera
quatre fois chaque année, dans l'intervalle compris entre la fête de
saint Michel et la Pentecôte, et dans chaque couvent de l'ordre, en
présence de tous les religieux qui pourront y assister. Le prieur pro-
vincial et les visiteurs doivent s'enquérir avec soin de la manière
dont toutes ces mesures sont observées. Les maîtres qui dirigent
les études sont invités à renseigner sur ce point leurs supérieurs 2.
A tout cet ensemble s'ajoute une lettre curieuse, datée du mardi
suivant (12 juillet), et rédigée par le prieur et les diffiniteurs qui
l'ont assisté au chapitre de Béziers. Elle règle minutieusement
certaines questions relatives aux bibliothèques conventuelles et à
la propriété des livres qui y sont déposés ou peuvent y faire retour
dans certains cas. Le maître-général, Humbert de Romans, pré-
sent aux délibérations dont cette lettre constate le résultat, en a
approuvé la teneur et l'a confirmée de l'autorité de son sceau
particulier^.
1. Nous reproduisons ici ce résumé, qui fournira une idée des prescriptions
principales de l'année 1259. « Apud Valentinas, anno Doniini M°. CC°. L°. IX%
de mandato niagistri et diflinilorum, pro promotione studli ordinatum est per
fratres Bonuinlioininem, Florentinurn, Albertum Theutonicum, Thomem de
Acquino, Pelruni de Tliarantasia, niagistros theolofiie Parlsius, qui interfuerunt
dicto capitulo, qiiod lectorcs non occupenlur in officiis vel negociis, per que a
lectionibus retraliautur vel dispulalionibus. — Item (piod diligenter inquirantur
{sic) per provinciales et visitatores de juvcnibus aplis ad studium et eos promo-
veant, et quod visitatores singulis annis référant profectus et defectus eorum
capitulo provinciali. — Item quod ad studia generalia non mittantur nisi bene
morigiati {sic) et sani et apti ad profcctum. — ... Item quod studentibus vel
aplis ad hoc parcatur à discursibus et occupationibus... — Item visitatores
inquiraut singulis annis diligenter et quid et quomodo legerunt et quociens
disputaverunt, et delfectus notabiliores référant capitulo provinciali. — ... Item
in singulis capitulis provincialibusordinetur qualiter studentibus provideatur. »
Bibl. de Tout., mss. 273, 1"^ série, f" 39G: 91, 11'^ série, f" 36 b, c.
2. « Item volumus quod ordiaationes facte de studio Valenciis, Biterris et
Catursi conflcntur in unam, et illa legatur quater quolibet anno, inter festum
beati Michaclis et Penthecoste, in quolibet conventu, presentibus omnibus
fratribus qui poterunt interesse, et prior provincialis et visitatores inquirant
diligenter qualiter dicta ordinatio observetur, et niagister studencium teneatur
denunriare i>riori provinciali qualiter dicta ordinatio observetur. » Bibl. de Toul.,
ms. 273, I" série, f" 295 v°. Ce passage manque dans le ms. 91, 11" série.
3. « Noverinl universi quod nos, frater Poncius de Sancto Egidio, Fratrum
Predicatorum in provincia Provincie servus, et diffinitores provincialis capituli
ai)ud Bitterim celebrati, anno Domini M°. CC". LXI% ordinamus de consilio et
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 269
Ces assemblées mémorables de Caliors, de Valenciennes surtout
et de Béziers, ne marquent pas, d'ailleurs, un élan passager seu-
lement dans l'ordre des Frères Prêcheurs. Le mouvement qu'elles
ont fait naître et qu'elles ont réglé se soutient bien au delà, du
moins dans les couvents dominicains du midi de la France. La
preuve nous en est fournie par les actes d'un second chapitre pro-
vincial de Béziers, réuni en 1269, par ceux d'un autre chapitre
tenu à Bordeaux, et dont la date de 1311 nous porte au début du
xiv^ siècle*. Ce sont donc cinquante ans d'efforts dirigés sans
interruption dans le même sens que nous avons à constater. Les
conséquences, si elles s'expliquent par une telle opiniâtreté, n'en
sont pas moins merveilleuses. Les arts, c'est-à-dire l'enseignement
multiple désigné sous ce nom à pareille époque, grammaire, rhé-
torique, logique, la philosophie naturelle, l'explication et le com-
assensu tocius capituli de studio in hune moduni. Oïdinamus quod libri sive
scripta sive denarii pro scripturis decedentium lectorum sive actu legencium
tune sive non, exceptis iilis quos a speeialibus eonventibus habuerunt, usquc
ad provinciale capitulum reserventur, ut sicut de aliis libris eominunitatis par
priorem provincialem eunn assensu diffînitoruni et consilio ordinetur de eis ;
provideatur autem tantum de libris hujusmodi fratribus aptis et positis ad stu-
dium lectionis, qui sibi aliunde providere non possunt. Libros autem, quos pre-
dicti lectores defuncti habuerunt a eonvenlibus, statim possint dieli conventus
recipere, ita tauien quod scribant priori provinciali quos libros recuperaverunt
et quo titulo pertinent ad eos. — Item ordinaraus atque mandamus, quod, lectore
mortuo, residui libri ejus diligenter eonscribantur in presencia prioris et sup-
prioris et consiliariorum et rnagistri studencium, et diligenter consignenlur et
sub clavi custodianlur usque de eis per capitulum ordinetur. Volunius autem
quod ordinatio preraissa de libris lectorum duret usque ad V. annos, et volu-
mus quod libri et scripta omnia, que per modum istum infra quinquennium
habebuntur, communitatiprovineie intitulentur. Et ordinamus quod tam isti libri
sive scripta sive denarii sive alii libri communitati provincie undecumque acqui-
siti fratribus assignati, ipsis decedentibus, reserventur usque ad sequens capitulum
provinciale, et tuncper priorem provincialem, cum consilio et assensu didinilorum
de ipsis provideatur illis qui studentad legendum, sicut superius est expressum et
infra. — Item ordinaraus quod in ista ordinatione nichil possit mutari ab aliquo
nisi de expressa licencia et assensu tocius capituli provincialis. — Ista autem
ordinatio a nobis facta fuit, leeta et a toto capitulo aprobala, coram venera-
bih fratre Humberto, magistro ordinis nostri, qui iiisam in ])resencia d'ilTinito-
rum omnium approbavit et sui sigilli munimine roboravit. Cui etiam ordination!
ego frater Poncius dictus prior sigillum ofïicii nostri apposui in testimonium
veritatis. Datum Biterris, in capitulo provinciali, die martis post octabam
apostolorum Pétri et Pauli, aano Domini M". CC°. LX». P. » Bibl. de Tout.,
mss. 273, 1- série, f" 395 v», 396 r", et 91, IP série, f" 36, a, b.
1. Voir, pour les actes du chapitre provincial de Béziers de 1269, bibl. de
Toul., ms. 273, V^ série, f" 307 r", et pour ceux du chapitre de Bordeaux, ibid.,
i" 411 V; ras. 91, IP série, f" 64 d, 65 a. Les actes du chapitre de Béziers
manquent dans le ras. 91.
270 C. MOLI^IER.
mentaire des Livres Saints, la théologie morale et dogmatique,
toutes les divisions de la science au moyen âge se trouvent repré-
sentées dans ces écoles conventuelles. Par quels maîtres, nous le
savons, et nous savons aussi quels disciples forment ces maîtres.
En réalité, dans certaines parties de la France, dans la France
méridionale surtout, elles doublent les universités, quand elles ne
les remplacent pas d'une façon absolue, au moins pour quelque
branche de l'instruction. C'est ce qui arrive, par exemple, pour
l'Université de Toulouse, fondée en 1229 au milieu de telles cir-
constances que son développement en demeure arrêté pendant tout
le xiif siècle, et dans cette université chancelante, pour l'ensei-
gnement théologique, longtemps chez elle le plus faible de tous. En
tout cas, lorsque cette création débile prend, après plus de soixante
ans, un essor inattendu, c'est aux Dominicains encore qu'y appar-
tiennent la plupart des chaires de théologie, et ils leur donnent ce
caractère d'orthodoxie invariable et de fidélité à la cour de Rome,
qui fait le fond de leur histoire*.
Mais ils ne se contentent pas de voir professer dans leurs cou-
vents l'ensemble déjà suffisamment complexe de toutes les divi-
sions de la science, telle qu'on l'entend alors. Ils y ajoutent un
ordre entier d'études, qu'aucune école chrétienne, hormis les
leurs, ne semble avoir possédé dans ce temps, et où ils n'ont véri-
tablement pourrivaux que les rabbins de Languedoc et d'Espagne.
Ce sont l'étude et l'enseignement de l'arabe, de l'hébreu, du chal-
daïque. Un des promoteurs des prescriptions du chapitre de Valen-
ciennes, Humbert de Romans, dès son arrivée aux fonctions de
maître-général de l'ordre, s'est occupé de les développer^. Ce
chapitre même a inséré dans ses actes un article qui enjoint au
prieur d'Espagne d'établir à Barcelone, ou dans tout autre couvent
de sa province, une chaire d'arabe et d'y réunir les religieux dont
on pourrait attendre des progrès dans l'étude de cette langue 3.
1. Voir, à ce sujet. Histoire générale de Languedoc, édition Privât, t. VII,
pp. 574, 575 (note LX, Étude sur l'organisation de l'Université de Toulouse, au
quatorzième et au, quinzième siècle).
2. Voir ffist. litt. de la France, tome XXIV, p. 92.
3. « Injunginuis priori Hispaniae, quod ipse ordinet aliquod studium ad addis-
cendam linguam Arabicam in conventu Barchinonensi vel alibi, et ibidem col-
locet fratres aliquos de quibus speretur quod ex hujusmodi studio possint
proficere ad animarura salutem. Quicumque autera et de quacumque provincia
voluerit addiscere linguam Arabicam, scribat hoc magistro. » Thés. nov.
anecdot., \, c. 1725 (article 12 des actes du chapitre de Valenciennes).
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC. 274
Mais c'est l'illustre Raimond de Pegnatbrt qui s'attache spécia-
lement à la réalisation de cette œuvre, comme le constate, afin de
lui en faire honneur, la bulle donnée pour sa canonisation en
1601 par Clément VIII*. Grâce à lui, les écoles d'arabe et d'hébreu
se multiplient dans les couvents que les Dominicains possèdent
dans la péninsule. Les rois d'Aragon et de Gastilleen fondent, sur
ses instances, à Murcie et jusqu'à Tunis^. C'est de là que sort le
Catalan frère Raimond Martin, armé de son fameux livre, le
Pugio ficlei^. Devenu un maître à son tour, il voit les disciples se
presser en foule autour de lui. L'un d'eux traduit en grec plusieurs
de ses ouvrages.^ C'est peut-être un dominicain, quoi qu'en
pensent Quétif et Echard, de sorte qu'à la même époque, où vivait
Guillem Bernard de Gaillac, l'ordre aurait compté un helléniste
de plus^.
On doit le reconnaître, il serait difficile d'imaginer une activité
intellectuelle plus diverse de forme et surtout plus infatigable. Ce
n'est pas que nous devions pourtant nous abuser sur l'esprit dont
elle procède et qui lui donne son élan prodigieux. Cet esprit, il va
sans dire que ce n'est pas le nôtre, avec ses tendances absolument
désintéressées, sa passion de savoir pour le plaisir de savoir, sans
désirer rien de plus, sans chercher à quoi pourra bien servir la
connaissance acquise. Au xiir siècle, les travailleurs prodigieux
qui font notre admiration sont, avant tout, ce que nous appelle-
rions des gens pratiques. Guillem Bernard de Gaillac apprend le
grec, parce qu'il veut s'adresser aux dissidents de Constanti-
nople, et qu'il espère peut-être les convertir. Raimond de Pegna-
fort pousse à l'étude de l'hébreu et de l'arabe, Raimond Martin s'y
dévoue, parce qu'ils veulent confondre les rabbins avec leurs
propres textes et évangéliser les mahométans d'Afrique dans leur
langue.
Aussi, ces mêmes hommes nous ménagent-ils souvent d'étranges
surprises. Un seul intérêt les guide, celui de leur foi. Pensent-ils
pouvoir le servir en faisant autre chose que ce qu'ils ont fait
jusqu'alors, les voilà qui renoncent sans hésiter à des occupations
que l'habitude et leurs goûts naturels ont dû leur rendre double-
1. Voir Bollandistes, janvier, I, p. 412, n» VI.
2. Voir Touron, Histoire, des hommes illustres de l'ordre de Saint-Dominique,
I, p. 35.
3. Voir Script, ord. Praedic, ï, 396 b-398.
4. Voir, sur ce fait, ibid., lit supra, l, 398.
272 f.. MOLINIER.
ment chères. Bernard Gui s'enferme dans un greffe d'inquisition ;
il emploie à feuilleter de hideux registres ces mains qui nous ont
recueilli tant de textes précieux ; il s'occupe à préparer des actes
de foi et l'œuvre du bourreau. Pour cela, il prend sur son exis-
tence si féconde et si occupée quinze ans entiers. Il est vrai que
Nicolas Eymeric, un esprit supérieur, lui aussi, y consacrera bien
quarante ans de la sienne. Mais ce n'est pas tout encore : on les voit
longuement déchiffrer et réfuter un livre, qu'ils jugent d'impor-
tance capitale, puis, ce travail achevé, brûler le volume qui leur
a coûté tant de peine, comme ils brûleraient celui qui l'a écrit,
ceux qui le lisent, ceux qui en ont embrassé les doctrines, s'ils
tombaient entre leurs mains ^ En fait, c'est toujours le débat
d'Izarn et de Sicart de Figueiras, en face du bûcher-. Izarn,
orthodoxe, invinciblement sûr de la solidité de sa croyance, con-
descend à discuter avec l'hérétique Sicart. Il l'y invite, il l'y force
presque. C'est qu'il pense bien pouvoir lui appliquer, en fin de
compte, l'argument après lequel il n'y a pas de riposte, puisqu'il
étouffe dans les flammes la voix de l'adversaire récalcitrant.
Peu importe, d'ailleurs : ce sont là des efforts inutiles. Dans le
même moment où l'on se flatte de sauver l'orthodoxie par tant de
procédés terribles, un moine, il est vrai que c'est un franciscain,
et son ordre a toujours eu de ces audaces, Nicolas de Lyra, donne,
au sein même de l'Église, la première idée de l'exégèse biblique.
On l'a prétendu de race juive; mais l'instinct du sang ne suffirait
pas à expliquer la hardiesse de son œuvre. L'explication en est
dans le libre esprit qui commence à circuler, malgré toutes les
entraves. Et, quand il s'agit d'en contenir les échappées dange-
reuses, tous ces religieux défont d'une main ce qu'ils font de
l'autre. On les étonnerait bien si on le leur disait; le fait n'en est
pas moins évident. Écrivains et docteurs pour la plupart, que leur
sert-il d'aller s'enfermer dans des cours d'inquisition, afin d'y
1 . Voir, par exemple, au sujet de la destruction des livres juifs par le feu dans le
courant du xiii" siècle, le travail de M. Noël Valois, Guillaume d'A uvergne, évcque
de Paris, l'" partie, eh. VII, pp. 1 18-137, mais sans oublier d'y joindre les obser-
vations présentées par M. Paul Viollet dans la Revue historique (année 1883,
pp. 175-178), particulièrement à propos du passage de ce travail qui vient d'être
indiqué. — Voir également, pour la môme destruction continuée au xiv^ siècle,
Limborcb, Liber sententiarum inquisiUonis Tholosanae, f° 136 r% et Bernard
Gui, rracfica, bibl. de Toul., ms. 267, 1" série, f°' 21 b-22b.
2. Voir ce i)oème dans l'édition de M. Paul Meyer, 1880 (Extrait de VAnnuaire-
Bulletin de la Société, de l'Histoire de France, année 1879).
GCILLEM BERNARD DE GAILLAC. 273
comprimer la pensée humaine toujours inquiète? Il faudrait
d'abord ne pas l'exciter eux-mêmes en leur personne, ni faire
juger par leur propre exemple de ce que peut son activité. Il
faudrait l'éteindre chez eux comme chez autrui. Peut-être estime-
t-on que, si elle ne dort pas, du moins se contentera-t-elle éter-
nellement pour toute pâture de cette matière scolastique, maniée
et remaniée depuis deux cents ans, divisée et redivisée à l'infini,
et dont tout suc et toute saveur ont disparu. Qu'on y prenne
garde cependant ; quelques signes donneraient à en douter.
Au début du xiif siècle, pour fournir à cette Université de Tou-
louse, dont nous avons déjà parlé, à cette plante jeune et frêle,
comme le disent leurs bulles, un crédit qui semble devoir lui man-
quer au premier abord, les papes ont pris une résolution hasar-
deuse. Jusque-là, l'étude du droit romain a reçu d'eux peu
d'encouragements. Ils l'ont interdite à Paris, sous prétexte que, la
France du Nord ayant sa coutume, cette étude y était inutile. En
réalité» ils voyaient, non sans justesse, dans ce droit antique et à
demi païen un rival de leur législation particulière, de leur droit
canonique. Voilà pourtant qu'ilsl'installentàToulouse, en alléguant
qu'on ne peut en priver des populations, qui, depuis plus de douze
cents ans, l'observent comme la règle de leur existence civile. A
l'attrait de cette nouveauté qui lui est offerte, la jeunesse ne se
laisse que trop prendre. On avait compté avoir dans cette univer-
sité, imposée au Midi par la paix de 1229, une sorte de citadelle
de l'orthodoxie théologique. Mais ce qu'on y enseigne le plus
timidement, ce qu'on y étudie avec le moins d'ardeur, c'est juste-
ment la théologie. La faculté de droit prime toutes les autres. Au
xiv^ siècle, sur les quatre recteurs annuels qui se partagent le
gouvernement scolaire, elle en fournit deux à elle seule ^ Au début
du même siècle, Boniface éprouve, à ses dépens, les résultats du
mouvement déjà formidable qu'ont décidé eux-mêmes ses prédé-
cesseurs, entraînés par une nécessité passagère, et sans se rendre
bien nettement compte de l'avenir. C'est des écoles, où l'on
enseigne le droit romain, remis en honneur, que sort cette nuée de
légistes, qui, conduits par Guillaume de Nogaret, viennent lui
faire subir leur argumentation juridique jusque dans Anagni.
Elle est encore bien embarrassée de tour et de forme ; elle n'en
étonne pas moins l'adversaire et le terrasse, comme il arrive
1. Voir Hisi. ge'n. de Lang., édit. Privai, t. VIT, p. 598.
ReV. HiSTOR. XXV. 2eFASC. 18
274 C. MOLINIER. — GOILLEM BERNARD DE GAILLÀC.
toujours aux premiers coups portés par une arme nouvelle.
Aussi bien n'est-ce pas là seulement que se manifeste l'essor qui
entraîne les esprits dans toute l'Europe occidentale. Il est univer-
sel; mais il est aussi et surtout irrésistible, et ce n'est pas la
papauté qui l'arrêtera, après les désastres qui viennent de com-
promettre pour longtemps son prestige et ses forces. Il y a plus :
des auxiliaires qu'elle s'était donnés dans les périls de l'époque
d'Innocent III et d'Honorius, cette papauté affaiblie n'a pas même
à attendre un dévouement sans défaillances. Les Dominicains lui
restent et lui resteront toujours fidèles. Mais les Franciscains,
après l'avoir trop souvent plus inquiétée que servie, semblent
justement alors vouloir se tourner contre elle. Si l'Eglise, désa-
busée de ses rêves superbes des premiers jours, résolue à se con-
soler de sa chute à Avignon dans la possession et la jouissance des
biens terrestres, a laissé tomber, de découragement, l'idéal de
vertu parfaite, de justice absolue, de mépris généreux de ce monde,
qu'elle a si longtemps porté dans ses mains et proposé aux
peuples, c'est l'ordre de Saint-François qui prétend le relever.
Mais c'est pour l'abandonner en proie à ses mystiques sans
raison, qui vont dissiper ce trésor précieux dans d'extravagantes
rêveries.
Jamais changement aussi profond ne se sera fait plus vite. Que
pouvaient penser, il y a cinquante ans à peine, les chefs du mou-
A-ement intellectuel, dont l'apogée est au règne de saint Louis, des
époques obscures, déjà reculées de plus de deux siècles dans le
passé? Il faut que nous y regardions de bien près, nous autres
modernes, pour démêler dans ce néant les germes indécis de l'ave-
nir réalisé plus tard. Quant à eux, pour ces mêmes temps, était-
ce de la pitié qu'ils nourrissaient ou du dédain? Mais l'un et
l'autre supposent la mémoire et bien certainement alors ces temps-
là étaient oubliés. Cependant le monde a marché, et tous ces doc-
teurs fameux de la scolastique se voient traités par ceux qui les
remplacent, comme eux-mêmes avaient cru devoir traiter leurs
prédécesseurs. En cent ans, car, du seuil du xiv® siècle à son
apparition définitive, on ne saurait compter davantage, l'esprit
nouveau a triomphé, et, comme il arrive toujours, c'est par une
réaction poussée jusqu'à l'aveuglement qu'il marque son triomphe-
Charles MOLINIER.
MELANGES ET DOCUMENTS
MÉMOIRE ADRESSÉ A LA DAME DE BEAUJEII
SUR LES MOYENS d'uNIR LE DUCHÉ DE BRETAGNE
AU DOMAINE DU ROI DE FRANCE
(1485 ou 1486).
Au moment où quelques travaux récents ont attiré l'attention du
public sur le gouvernement de la dame de Beaujeu^ et sur les évé-
nements qui préparèrent l'union de la Bretagne au domaine de la
couronne de îVance^, on ne trouvera pas hors de propos la publi-
cation d'un mémoire adressé à la sœur de Charles VIIT, par un de
ses conseillers, sur les moyens d'assurer au roi la possession du
duché de Bretagne.
J'ai rencontré la copie de ce mémoire à Londres, parmi les manus-
crits du Musée britannique, dans un volume où une main anglaise a
transcrit, au commencement duxvi'' siècle, divers documents relatifs
aux affaires politiques de la France, de l'Angleterre, des Flandres,
etc. ^. Le texte commence et finit brusquement, sans titre ni préam-
bule et sans péroraison ; rien ne permet de décider s'il est complet
ou si nous n'en avons qu'une copie tronquée. Le manuscrit ne four-
1. P. Pélicier, Essai sur le gouvernement de la dame de Beaxijeu (Chartres,
1883, iu-S"). — Noël Valois, le Conseil du roi et le Grand Conseil pendant la
première année du règne de Charles VIJI, dans la Bibliothèque de l'École des
chartes, t. XLIII et XLIV, 1882-1883.
2. Antoine Dupuy, Histoire de la réunion de la Bretagne à la France
(Paris, 1880, 2 vol. in-S").
3. Manuscrit Arundel 26, f" 11 v°-16 v°. L'écriture des 41 premiers feuillets
de ce manuscrit paraît être des premières années du xvi° siècle. A partir du
folio 42 on trouve une autre écriture, qui peut être du milieu du même siècle.
Pour la liste des pièces contenues dans ce volume, voy. Catalogue of the
manuscripts in the British Muséum, new séries, vol. I, part J (1834, in-fol.),
the Arundel Manuscripts, p. 7.
276 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
nit aucune indication sur le nom de l'auteur el sur la date. Celle-ci
peut toutefois être déterminée approximativement. Un rapide exa-
men suffit pour reconnaître que le mémoire est adressé à la sœur de
Charles VIII, Anne, dame de Beaujeu, pendant les premières années
du règne de son frère. Les allusions qui y sont faites à la révolte des
seigneurs bretons contre le duc François II (1484), à leur fuite en
France, à leur raccommodement avec le duc de Bretagne, indiquent
une date postérieure à tous ces événements, dont le dernier est du
•12 août ^483. D'autre part, le document doit être antérieur au
■13 mai i486, jour delà mort de la duchesse de Bretagne, Marguerite
de Foix, femme du duc François II, mentionnée comme une per-
sonne encore vivante dans les premiers paragraphes, et môme pro-
bablement au 8 février ^486, époque d'une réunion des états de
Bretagne, où la question de la succession au duché fut traitée et réso-
lue dans un sens contraire aux prétentions du roi de France, et
après laquelle les conseillers de celui-ci n'auraient pu conserver les
espérances qui se manifestent ici. Le document qui va suivre a donc
été écrit, selon toute proijabilité, entre le 12 août 1485 et le
8 février ^486. Quant à l'auteur, c'est un conseiller de la cou-
ronne, serviteur dévoué de madame de Beaujeu. 11 avait été chargé
de recevoir des seigneurs bretons réfugiés en France, à Saumur, un
serment de fidélité au roi (probablement au moment de la conclusion
du traité de Montargis, 22-28 octobre -1484), puis d'exiger d'eux le
renouvellement de ce serment, après leur paix faite avec le duc
(août -1485) et leur retour en Bretagne, à Nantes. Au moment du
traité de Montargis, c'est lui qui avait reçu les articles de l'accord,
écrits de la main d'un des Bretons, le sire de Sourdéac, et qui les
avait transmis à la cour. Or, dans les procès- verbaux des séances du
conseil du roi, moins de quinze jours avant le traité de Montargis,
le-lO octobre -1484, on voit mentionnée une commission donnée à
deux membres du conseil, que le gouvernement envoie pour conférer
avec les seigneurs bretons à Saumur : ce sont le maréchal Pierre de
Rohan, seigneur de Gyé, et Adam Fumée, maître des requêtes'. II
est assez probable que Fauteur du mémoire est l'un de ces deux
personnages. Pour attribuer ce mémoire avec certitude à l'un des
deux, il faudrait savoir si l'un ou l'autre fut chargé, l'année suivante,
1. « Copi)ie de la créance de inonsur le maréchal de Gyé et de M" Adam
Fumée, lesquelz sont allez à Saumur. C'est ce que le roy a chargé à monsur le
maréchal de Gyé et à maistre Adam Fumée de dire à madame de Laval, à
monsur le prmce d'Oreuge et autres barons et nobles du pays de Bretaigne... »
A. Dernier, Procès- verbaux des séances du conseil de régence du roi
Charles VIII, dans, \à Collection de documents inédits [Psivis, 1836, in-i"), p. 127.
MEMOIRE ADRESSE A LA DAME DE BEAUJEU. 277
d'une nouvelle mission, qui l'amena à Nantes après la rentrée des
barons en Bretagne (août f^S5).
L'objet du mémoire est d'indiquer les moyens de faire valoir des
droits à la succession de Bretagne, que Charles VIII avait hérités de
son père et que le gouvernement royal venait de faire reconnaître
par plusieurs des principaux seigneurs bretons. En -1480, Louis XI
avait acheté de Nicole de Blois, fdle de Jean de Penthièvre, et de son
mari Jean de Brosses, leur droit vrai ou prétendu à succéder au duc
de Bretagne, François II, si celui-ci ne laissait pas de postérité mas-
culine; or, il n'avait, en effet, d'autres enfants légitimes que deux
fdles. La prétention des Penthièvre était fondée sur une clause du
traité de Guérande, conclu en ] 363 ; elle n'était pas reconnue par
les Bretons, qui opposaient au traité de Guérande une sentence de
déchéance rendue par les états de Bretagne contre la maison de
Penthièvre, en 1420, et une renonciation de Jean de Bretagne, comte
de Penthièvre, contenue dans une contre-lettre remise au duc Fran-
çois I" en 1448^. En avril ^ÎS4, plusieurs seigneurs bretons, tels
que le maréchal de Rieux, le sire de Sourdéac, etc., à la suite d'un
coup de main tenté en vain par eux à Nantes contre le trésorier
Pierre Landois, ministre tout-puissant du duc François II, avaient
été forcés de s'exiler et de chercher un refuge en terre française, à
Ancenis d'abord, puis à Angers. Le gouvernement royal s'était
empressé de les accueillir, de leur promettre sa protection, et avait
profité de la circonstance pour leur faire reconnaître les droits de
Charles VIII à la succession de François II (traité de Montargis,
22-28 octobre ^484). Puis, en -1485, un nouveau complot avait
réussi à renverser, en Bretagne, le trésorier Pierre Landois ; le faible
François II, après avoir laissé condamner et exécuter son ministre,
avait rappelé les exilés, par lettres du ^2 août -1485, et leur avait
rendu leurs charges et leurs biens confisqués. Le maréchal de Rieux,
l'un des chefs des révoltés, était devenu presque aussitôt l'un de ses
conseillers les plus influents 2. Ainsi, à la fin de U8d, le pouvoir se
trouvait, en Bretagne, entre les mains de ces mêmes seigneurs qui
avaient reconnu. Tannée précédente, les droits de Charles VIII à la
succession de François II. Telle est la situation que le conseiller
d'Anne de Beaujeu propose à cette princesse d'exploiter, pour assurer
au roi, le plus tôt possible et au plus tard à la mort du duc, la pos-
session de la Bretagne.
Le rédacteur du mémoire ne se dissimule pas la difficulté de
1. J'emprunte le résumé de ces faits au livre de M. Dupuy, t. I, p. 277 et 278.
2. Dupuy, t. II, p. 24-83.
278 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
l'entreprise. Il sait que l'idée de l'annexion française est très
impopulaire dans le duché, et il craint que même la bonne volonté
des seigneurs, en supposant qu'elle se soutienne, ne suffise pas à
assurer le succès du roi. Aussi propose-t-il successivement divers
subterfuges : il parle tantôt de capter l'appui de la duchesse de
Bretagne et celui du favori de François II, Jean de Ghalon, prince
d'Orange, pour obtenir qu'ils laissent entrer une garnison française
au château de Nantes, tantôt de marier Charles VIII avec Anne, fille
aînée de François II (c'est le moyen qu'on se décida à employer plus
lard et qui réussit) ; peut-être même pourrait-on, pense-t-il, avec
Faide du prince d^Orange, obtenir de François II une abdication
immédiate, qui permettrait de se saisir du duché sans attendre sa
mort. Avant tout, il faut empêcher les seigneurs bretons d'oublier
leurs engagements envers le roi, leur rappeler les bienfaits qu'ils ont
reçus de lui pendant leur exil, le serment qu'ils ont fait de soutenir
ses droits; il faut exiger d'eux une confirmation formelle de leur
promesse et surtout l'assurance explicite qu'aussitôt le duc mort ils
remettront aux troupes de Charles VIII les places dont ils ont le
commandement. Ensuite viennent des conseils sur ce qu'il faudra
faire quand le duc sera mort. Dès que la nouvelle de son décès sera
arrivée à la cour, on devra se hâter d'envoyer en Bretagne une
ambassade et une armée. L'ambassade expliquera aux états de la
province le droit du roi; si les états font difficulté de reconnaître
ce droit, l'armée s'avancera et sa présence suffira peut-être à rame-
ner les Bretons à Fobéissance, surtout si les barons de Bretagne
prennent le parti du roi. Ici vient le plus étrange de tous les avis
contenus dans le mémoire. L'auteur s'avise que, si les nobles
bretons prennent ouvertement le parti de Charles VIII, le peuple de
la province et leurs vassaux même pourront considérer leur conduite
comme une trahison et refuser de les suivre. Les barons devront
donc faire semblant d'être contre le roi ; seulement, ils attireront
l'attention des états sur les mesures à prendre pour soutenir la
guerre qui ne pourra manquer d'éclater entre la Bretagne et la France,
et en discutant ces mesures ils feront de la guerre et des dépenses
qu'elle entraîne un tableau si effrayant , que les Bretons , après
les avoir entendus, se décideront d'eux-mêmes à céder au roi plutôt
que d'en venir aux mains. Le mémoire contient, tout préparé
d'avance, le texte du discours que devrait adresser aux états celui
des barons qui consentirait à se charger de ce singulier rôle. C'est
une longue énumération, où l'orateur mentionne successivement
les diverses espèces de troupes qu'il faudra lever et entretenir, les
armes dont il faudra les pourvoir, les places où il faudra mettre gar-
MEMOIRE ADRESSE A LA DAME DE BEAUJED. 27'.»
nison, les soins à prendre et les dépenses à faire pour ces divers objets,
les exigences des gens de guerre et la difficulté de se défendre du
pillage, les maux inséparables de l'intervention étrangère, si
l'on appelle à l'aide le roi d'Angleterre (et l'on ne pourra guère se
dispenser de l'appeler), etc. C'est le procédé de Scapin, inspirant au
seigneur Argante la terreur des procès, par l'énumération des pièces
et actes de procédure à payer, des gens de loi à satisfaire'. Le
morceau est curieux et piquant à lire; mais il est difficile de croire
qu'un si singulier raffinement de ruse tortueuse ait jamais pu être
de la bonne politique.
Tous ces calculs reposaient sur la supposition que les barons de
Bretagne resteraient fidèles aux engagements qu'ils avaient pris avec
le roi. Or, dès les premiers jours de février -1486, les barons,
oubliant ces engagements, adhéraient, avec le reste des états de la
province, à une déclaration solennelle qui reconnaissait les filles
du duc François II, Anne et Isabelle, pour héritières du duché ^.
Les combinaisons savantes du conseiller d'Anne de Beaujeu deve-
naient ainsi sans objet. Peut-être trouvera-t-on pourtant que le
mémoire oii il les avait exposées mérite encore d'attirer quelque
attention, à titre de curiosité historique.
Julien Havet.
Question^. — Touchant mons"' le prince' : « Gomme estes -vous
avecques luy ne quelle sûreté et amour avez-vous avecques luy? »
Responce a ce qu'elle vous respondra. — « Il vous fault trouver moien
de gangner mons' le prince et que vous soiez bien seur de luy, affin
que se Dieu faisoit son commandement du duc et que les Bretons vous
voulsissent faire quelque force, qu'il vous aidast a garder le chasteau de
Nantes et vostre personne et mes dames vos^ filles. »
Ung advertissement a Ma Dame. — Se l'on voit que la duchesse et
mons'' le prince, ou mons' le prince seul, feust ou feussent bien affec-
tionez pour le roy, selon que on verroit en eulx, l'on pourroit pratiquer
que après la mort du duc ilz pransissent des gens du roy pour tenir le
1. Molière, les Fourberies de Scapin, acte II, scène 5.
2. États de Rennes, 8-11 février 1486 : Morice, Mémoires pour servir de
preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne (Paris, 1742-1746,
3 vol. in-foL), t. III, col. 500.
3. Dans l'intention de l'auteur, cette question doit être adressée par la dame
de Beaujeu à la duchesse de Bretagne, de même que la réplique qui suit. Il
était donc question, seinble-t-il, d'une entrevue entre les deux princesses.
4. Jean de Chalon, prince d'Orange, neveu de François II et l'un de ses prin-
cipaux favoris à partir d'août 1485 (Dupuy, l. II, p. 23 et 83).
5. Manuscrit : mes.
280 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
chasteau de Nantes, sus les lissieres de Bretaigne, pour tout inconti-
nent s'en servir quant il en seroit mestier ; par ce moyen, s'ilz les voul-
loient mectre dedens le chasteau de Nantes, le roy pourroit avoir la
duchesse et ses filles et le chasteau et ville de Nantes et toute la
duchié de Bretaigne.
Aultre moyen. — Si l'on congnoissoit mons"' le prince bien affectionné
en ceste matière, et le duc vivroit longuement, on pourroit praticquer
avecques luy d'abréger le terme, mais il fauldroit praticquer ceste
matière selon le temps et que l'on congnoistroit de son affection.
Aultre façon de faire. — Parler a la duchesse de la venue du roy et
de ma dame sa fille et luy remonstrer comme le roy est beau prince de
l'aage de xvij ans', et que sa fille ^ est belle fille, et que, quant ilz se
verront, par avanture ce seroit cause de faire leur^ appointement eulx-
mesmes, etc.
S'ensuit ce qui me semble que on devroit dire et mainctenir aux barons
de Bretaigne. — Premièrement que l'entreprinse qu'ilz firent a Nantes*
ne fut pas par l'ordonnance ne commandement du roy ne de ceuLx qui
estoient les plus prochains de luy ne pour faire service au roy no au
royaume, mais ce qu'ilz en firent estoit pour la grant hayne qu'il[z]
avoi[en]t contre le trésorier de Bretaigne ; touteffois, pource que leur
entreprinse ne vint selon leur intcncion, ilz furent constrains de estre
fuytilz hors de la duché de Bretaigne et vindrent a refuge au roy comme
a leur souverain s"", luy suppliant qu'il lay pleust de sa grâce tenir leurs
personnes et leurs biens en sûreté en son royaum[e].
Item, au moien de Ma Dame et de mous-- de Beaujeu, le roy les retint
et tint en bonne seurelé en son royaume, contre la vaillance du duc et
les grans princes et grans personnaiges de son royaume.
Item manda a ceulx de la ville d'Angers qu'ilz les receussent et les
gardassent de tort et d'injure comme de sa personne, en façon que son
auctorité n'y fcust point fouUee.
Item le roy fut adverti que aucunes entreprinses se faisoient sur la
personne du roy [sic^j., envola des archiers de sa garde pour les garder
comme sa propre personne f'.
Item, quant le roy sceut que le duc raenasoit de venir mectre le siège
a Ansenis, il envoia incontinent le s' de Heusse'^ devers le duc luy
faire signifûer que, s'il y venoit mectre le siçge, il estoit délibéré de
1. Charles VIII, né le 30 juin 1470, n'avait, entre août 1485 et février 1486,
que quinze ans accomplis ou seize ans commencés.
2. Anne de Bretagne, née le 26 janvier 1477.
3. Manuscrits : leurs.
4. Contre le trésorier Pierre Landois, le 7 avril 1484 (Dupuy, t. II, p. 24).
5. Il faut évidemment entendre : sur la personne des barons.
6. Sur cette tentative contre les réfugiés bretons à Angers, voy. Dupuy, t. II,
p. 34 et 35.
7. M. de la Heuse : Bernier, Procès-verbaux, p. 52.
MEMOIRE ADRESSÉ A LA DAME DE BEAUJEU. 281
secourir les barons ^ de Bretaigne, en façon que son auctorité et souve-
raineté y seroit gardée.
Item envola le roy devers lesd. barons leur dire que si le duc leur
couroit sus, qu'ilz ne se souciassent de riens et qu'il les aideroit et
secourroit.
Item, pour celle cause, manda le roy venir mons"" de Comynge a
Angers et luy manda qu'il fist tirer celle part des gens d'armes de sa
compagnie, ceulx de mons"" de Labret, coulx de mess^ Gracien de Gare
et d'autres, et luy manda que si le duc venoit mectre le siège a Ance-
nys, qu'il aidast et secourust aux barons, et pour lad. cause vint le
s<= de Comynge a Angiers.
Item, quelque requeste que le roy jamais ait eu du duc et de presque
tous les princes de son royaume et d'autres grans personnaiges de son
conseil que de sa chambre, jamès ne voullut entendre a les remectre
entre les mains du duc.
Item, ce temps pendant qu'ilz ont demouré pardeça, le roy, pour leur
entretencment, par fourme de pension et estât de luy, leur donnoit
tous les ans xxv ou xxx mille frans ^.
Item, par voye de fait et de faveur et de aide, le roy les a renduz a la
duché de Bretaigne, au recouvrement de leurs auctoritez, a leurs hon-
neurs de leur maisons et heritaiges, et oncques puys en ça, eulx estans
en leurs maisons et heritaiges, leurs a tousjours fait des biens et donné
pensions.
Item leur ramentevoir leurs sermens qu'ilz me hrent a Saumur.
Item leur ramentevoir la ratifficacion du serment qu'ilz me firent a
Nantes, eulx estans a leur franc et libéral arbitre.
Item leur faire et remonstrer que s'ilz veuUent bien recongnoistre
les biens et les honneurs que le roy leur a faiz, qu'ilz congnoistront
entièrement qu'ilz tiennent leur vie et leur honneur et leur bien de luy.
Item leur ramentevoir que tout incontinent que Dieu aura faict son
commandement du duc, que le roy est délibéré de leur tenir de point
en point les articles et escriptures escriptes de la main de mons'' de
Sourdiac en Saumur, lesquelz ilz rne baillèrent et les baillé au roy ^.
Item de savoir d'eulx s'ilz ne sont pas délibérez de luy tenir les ser-
mens qu'ilz ont faiz, et que tout incontinent que le duc sera mort, si
leur intencion n'est pas de mectre leur personnes, leurs places et leurs
biens entre les mains du roy et tout incontinent se declare[r] pour luy
et se mectre en son obéissance, et que s'ilz le veullent faire ainsi, le
roy leur entretiendra de son costé ce qu'ilz me baillèrent par escript
1. Manuscrit : de le secourir les barons.
2. Voir les comptes des pensions payées par le gouvernement français aux
nobles de Bretagne» dans Leroux de Lincy, Vie de la reine Anne de Bretagne
(Paris, 1860-1861, 4 vol. in-8°), t. III, p. 188 et suivantes.
3. Cf. Godefroy, Histoire de Charles VIII, roy de France, par Guillaume de
Jaligny, etc. (Paris, 1684, in-fol.), p. 458.
282 MELANGES ET DOCUMENTS.
pour porter au roy, escript de la main de mons'" de Sourdiac, quelle
chose je baillé au roy a Abbleville'.
S' Hz respondent en gênerai., comment il:- ont accoustumé de faire., qu'ilz
tiendront au roy ce qu'il luy ont promis. — Leur remonstrer que après
le décès du duc, que le roy est vray héritier de la duché de Bretaigne,
et que véritablement il est adverty par gens de bien, tant Bretons
que autres, que la contre-lettre que l'on dit est une faulceté, i'aicte par
Olivier de Coetlogon, lequel estoit ung faulsaire^, et, pource que le roy
est seur d'avoir le vray droict en ceste duché de Bretaigne après le
décès du duc, iP veult savoir d'eulx s'ilz sont délibérez de tenir leur
sermens ou nom.
Item leur dire que le roy ne '* demande que la force, l'auctorité et
la souveraineté de la duché de Bretaigne, et que entant que les
offices, les places et les gens d'armes demeurent entre les mains d'iceulx
du pays et que, au regard des deniers, qu'il veult qu'ilz soient distri-
buez au prouffit du pays, tant aux pensions que aux reparacions des
places que aultres affaires qui pourroient survenir aud. pays, et qu'il
est délibéré de les entretenir es droictz, prééminences et previlleiges
dud. pays, tout ainsi que les ducs ont accoustumé de faire, et encore
leur faire mieulx, et que son intencion est de faire tant de bien a tout
le pays qu'ilz auront cause de perpétuellement de prier Dieu pour le
roy, et que des offices, pensions et bientïaiz de luy il a bien espérance
de leur en départir largement, tant que par raison ilz en devroient estre
bien contens de luy ; et leur prier que ilz se délibèrent de franchement
et liberallement, sans contraincte de force, de se mectre entre les mains
du roy, ainsi que la raison le porte, car il est vray héritier de la duché
1. 11 no peut i^lre question d'Abbeville en Picardie. Charles VIII ue fit aucun
séjour dans celte ville ni aux environs pendant l'année 1484 [Itinéraire de
Charles VJII, de 1483 à 1491, dans le livre de M. Pélicier, p. 285-308). Le fait
mentionné ici dut avoir lieu peu avant le traité de Montargis (22-28 octobre
1484). Or, pondant la première quinzaine de septembre, le roi séjourna, selon
M. Pélicier, à Paris et à Vincennes; il était encore à Paris le 16; à Bois-Males-
berbes, le 23; à Montargis, à i)artir du 29. Peut-être s'agit-il ici du village
d'Abbeville, Seine-et-Oise, arrondissement d'Étampes, canton de Méréville.
2. Voir cette contre-lettre, en date du 24 juin 1448, signée : Jehan de
Bretaigne, Olivier de Coetlogon, dans Morice, Mémoires, t. II, col. 1424. En ce
même jour avaient été passés : un traité par lequel Jean de Bretagne, comte de
Pentbièvre, renonçait à ses droits de succession au duché; une lettre ostensible
de François I", duc de Bretagne, qui lui rendait les droits auxquels il venait
de renoncer; et la contre-lettre secrète en question, par laquelle Jean de Bre-
tagne renonçait de nouveau aux droits que le duc lui rendait par la lettre
ostensible. Le gouvernement royal pouvait soutenir, non sans apparence de rai-
son, qu'il y avait quelque chose de suspect dans celte combinaison singulière.
— Olivier de Coetlogon était secrétaire du duc François P' ; un grand nombre
de lettres de ce duc sont contresignées par lui.
3. Manuscrit : le deces duc duc ilz.
4. Manuscrit : le royaume.
MEMOIRE ADRESSE A LA DAME DE BEAUJEU. 2S3
de Bretaigne et leur s"" naturel après la mort du duc, ainsi qu'ilz le
peuvent < veoir et congnoistre ; et que, au regarde de la contre-lettre
qu'ilz pourroient dire qui fut contre le droit du roy, il n'est pas a ce
acroire que vouUentiers, sans nulle constraincte, l'on quiestat ung tel
droit que d'une duchié de Bretaigne, sans nulle recompence, et que
c'est une afTection mauvaise controuvee contre Dieu et raison ; et pource
leur prier qu'ilz obéissent au roy comme a leur s'' naturel et droicturier
après le décès du duc.
Item savoir a mons"- de Reux^ si, après la mort du duc, il est déli-
béré de se déclarer de servir le roy, comme il a promis et juré; si son
intencion n'est pas de mectre sa place d'Ancenys entre les mains du
roy, le cas avenu.
Item, semblablement, a ma dame de Laval 3, et si elle ne mectra pas
Ghasteau Brian entre les mains du roy, tout incontinent que le duc sera
mort.
S'ensuit ce que le roy doibt faire tout incontinent que le duc sera mort.
— Envoler une grosse ambassade, pourveue de bons, grans et notables
personnaiges, devers les estatz de Bretaigne, et sur ce des gens d'armes
quant et quant et bien tost après, pour eu user et s'en servir ainsi que
l'on verroit qu'il seroit neccessaire, et par lesd. ambassadeurs faire
remonstrer aux estatz du pays le droit que le roy a en ceste duché, et
leur prier qu'ilz y vueillent recevoir et obéir comme a leur droicturier
et naturel s"", et que en ce faisant il les entretiendra en leurs droictz,
prééminences et preveilleiges du pays, et a espérance de les traicter
mieulx que nulz des ducz de Bretaigne n'ont fait parcy devant, et telle-
ment qu'il espère de leur tenir si bons termes qu'ilz auront cause de
perpétuellement prier Dieu pour luy.
Cecy remonstré par le roy, les Bretons feront monstre d'une contre-
lectre, quelle contredit au droit du roy, et d'un traictié qui fut faict au
temps de la duchesse Jehanne'; et, par lad. lectre, leurs raisons et
autres choses, vous remonstreront tout le droict du roy et vous voul-
dront remonstrer par leurs raisons que le roy n'a nul droict en ceste
duchié.
Sur ceste contradicion on leur pourra faire responcc telle. — « Mess",
vous avez ouy et vous avons remonstré le droict que le roy a en ceste
duché, ainsi comme il est bien délibéré que en luy obéissant au bon
1. Manuscrit : peult.
2. Jean, seigneur de Rieux, d'Ancenis, etc., maréchal de Bretagne.
3. Françoise de Dinan, femme de Gui XIV, comte de Laval, dame de Châ-
teaubriant.
4. On trouve dans Morice, Mémoires, t. II, col. 701, un traité conclu le
l'"' janvier liOO, entre la duchesse de Bretagne, Jeanne, veuve de Jean IV,
régente pendant la minorité de son îils Jean V, et le comte de Penthièvre et
d'autres seigneurs; mais il n'y est rien réglé au sujet de la succession auduché.
284 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
droit qu'il y a, de vous entretenir voz droitz, prééminences et preveil-
leiges et de bien vous traictier et tenir bons termes.
n Mess's, les contradictions que vous faictes au droit du roy, a cause
d'une contre-lectre et d'autres raisons, sont fondées sur mauvaise rai-
son, carie roy est véritablement adverty par aucuns grans personnaiges
de Bretaigne que Olivier de Coetlogan estoit ung faulsaire et fist trois
faulcetez de trois lettres, l'une pour une^ archidiaconé, l'autre d'une
aultre chose, et lad. contre-lectre que vous avez monstree et alléguée ;
et aussi il est tout évident que ung homme raisonnable, qui seroit en
son franc et libéral arbitre, ne quicteroit ne ne renonceroit a une si belle
seigneurie comme une duché de Bretaigne, et mesmement sans en
avoir recompense.
« Mess""», puys que le duc est mort sans hoir masle procret de luy en
droicte ligne, soiez seur que le roy est le vray s"" de ceste duché de
Bretaigne, et pource il vous prie derechief et vous some que vous le
vueillez reccpvoir et obéir et mectre en possession de ceste duché, qui
est a luy, et le recepvoir comme vostre naturel et droicturier s"", et en
ce faisant il est délibéré de vous tenir les choses que je vous ay dictes
et déclarées, et si vous vouliez faire le contraire et vous mectre de vostre
droit a vostre tort, le roy vous déclare qu'il n'est pas délibéré de laisser
couller le bon droit qu'il a en ceste duché, qui est son vray heritaige,
fors ainsi qu'il sera conseillé par mess" de son conseil et des estatz de
son royaume. »
Item, sur cecy, face marcher gens d'armes de tous costez, pour les
exploicter ainsi qu'il en sera neccessité.
Or, ne sçay-on, les barons de Bretaigne pourroient servir le roy, s'ilz
^^'oient voulenté de ce faire, trop mieulx que si declairoient pour le
roy tout incontinent que le duc sera mort; car, s'ilz se declaroient pour
luy publicquement, peult estre que ceulx du pais, mesmement leurs
subgectz et serviteurs, ne les vouldroient pas suyvre ne servir en leur
voulenté en la querelle du roy ne faire tout ce qu'ilz vouldroient bien
qu'ilz feissent.
S'ensuit ce que les barons de Bretaigne pourront, après avoir ouy les
ambassadeurs du roy^ dire aux estatz du pays, et principallement nions'
de Laval ou mons^ de Reux encore myeulx. — « Mess""', vous avez ouy ce
que rness''* les ambassadeurs du roy ont dit et déclaré en la présence
de tous nous, aussi la responce et^ la contradiction que en leur a faicte,
et après la responce avez entendu la replicque et sommacion que il nous
ont faicte de obéir au roy comme a nostre droicturier s"" naturel, et que
autrement il y pourvoira ainsi que il sera conseillé de faire par mess''^
de son sang et de son conseil et par les estatz de son royaume.
(' Mess''^^, il y a long temps que j'ay ouy dire au duc, dont
1. Manuscrit : pour une pour.
2. Manuscrit : est.
3. Cet alinéa est intitulé, dans le manuscrit : Responce, et le suivant : Res-
MEMOIRE ADRESSE A LA DAME DE BEAUJEL'. 285
Dieu ait l'ame ! que les roys de France avoient une merveilleuse
envye d'avoir uny ceste duché à la couronne, touteffois, quelque bon
droict que nous pensions avoir (il n'y eust jamès roy de France qui
nous en querelast), si cestuy-cy nous querelle a cause de l'aquisicion
que son feu père fist du droict que pourroient avoir ceulx de la maison
de Panthevre en ceste duché ', toutes les fois que les ducz deccderoient
sans hoir masle procréez d'eulx en droicte ligne, cesto question du roy
et de nous si viendroil par la justice de Bretaigne, a ce que j'ay ouy
dire et déclarer a mons'' le chancellier, nous aurions bon droit, mais,
a ce que je voy, ceste question s'en viendra a l'espee et non autrement.
« Mess''s, vous voiez comment le roy fait mandement gênerai par
tout son royaume que tous ces gens se mectent en armes pour
le servir a voir et garder le droit qu'il a en ceste duché, et par
tout fait remonstrer le droit qu'il a, et ne fait nulle double que tous
les estas du royaume ne luy baillent argent et gens tant qu'il leur
en vouldra demander pour cuyder avoir ceste duché unie avecques
le royaume, et pource il fault vous délibérer de luy résister par force
d'armes, ou de luy obeyr a la somacion que il vous a faicte, ou de
envoler une grande ambassade et de grans personnaiges devers luy pour
luy faire responce et pour veoir se on pourroit trouver bonne expedicion
en ceste matière.
« Tant que touche la force, il nous fault veoir et congnoistre quelle
nous l'avons et quel nombre de gens d'armes, gens armés d'armes
blanches, quel nombre de gens de traict, archiers, arbalestriers, coule-
vriniers, canonniers, quel nombre de gens armez de brigandynes et
jacquez et d'autre habillement, pour nous servir au faict de la guerre,
gentilz hommes et autres, nous pourrions trouver et finer, qui sont
gens pour emploier pour excister le mestier de la guerre.
« Il fault que nous congnoissons comment noz places sont fortiffiees
de murailles, de tours, de fosses et de faulces vrayes (?), de moyaulx,
de bouletz et de choses neccessaires pour fortifiier places, selon le lieu
de leur assiete.
« Il fault veoir comment noz places sont pourveues de vivres, d'artil-
lerie et de pouldre, d'arbalestres, de trait, de vonges et d'autres choses
a fortiffier places.
« Il fault que nous saichons quel nombre de places nous avons qui
nous soient neccessaires d'estre pourveuz de gens de guerre et de garni-
sons, si cas est que nous ayons la guerre, et quel nombre il nous en
fault pour les pourveoir, et quelles gens nous sont plus neccessaires
ponce des ambassadeurs. Ces titres paraissent avoir été ajoutés à tort. Nous
avons là un seul discours suivi.
1. Voy. ci-dessus. La cession des droits de la maison de Penthièvre ou de
Blois au roi de France, faite en 1480 (Morice, Mémoires, t. III, col. 343), fut
renouvelée par Nicole de Blois, veuve de Jean de Brosses, en octobre 1485
(ibid., t. III, p. 48G).
286 MELANGES ET DOCUMENTS.
pour ce faire, comme, des hommes d'armes, des plus mal montez et les
plus mal armez; et ceulx qui sont mieulx, pour travailler et pour tenir
les champs ; de gens de traict, les arbalestriers, les coulevriniers, les
canonniers; et après que aurons veu quel nombre il nous en fault pour
garder noz places, il nous fault veoir quel nombre il nous fault pour
garder les champ[s], pour secourir noz places et pour combatre, se mes-
tier en est.
« Il nous fault veoir lestât de noz finances et quelle charge nous
povons porter, et comme nostre artillerie est montée et pourveue de ce
qui est neccessaire, pour nous en aider et garder que noz places ne
soient prinses par trahison, cautelles et mauvaistiez.
« Item nous fault veoir les antr[e]es de nostre pays, par la ou le roy
nous pourroit plus porter de préjudice si nous fait la guerre, pour y
pourveoir au mieulx que nous pourrons.
« Il nous fault veoir l'endroit et le lieu qui nous sera plus seur et
plus prouffitable d'assembler nostre ost et nos gens, et penser quelle
ordre, quelle poUice, quelle justice nous tiendrons contre l'ost, et noz
vivres, et conduire nos gens par pays; comment, au partir de nostre
logis, en chevauchant, a prandre champ avantageux pour combattre et
ordonner noz batailles ; a nous loger, a fortiffier nostre logis, a prandre
place avantageuse pour combatre; a sonier noz gens, noz escouttes, et
envoler noz chevaulcheurs sur les champs par le pays et sur les pas-
saiges, affin que nous ne soions prins au despourveu.
« Il nous fault veoir quelles gens nous avons pour faire noz chiefz de
guerre, car tous bons chiefz de guerre doivent estre bons et vertueulx
envers Dieu, saiges, dilligens en armes, bien atrempez et expers en
faitz d'armes de la guerre ; nous debvons bien prandre garde de noz
personnes et avoir gens bons et loyaux autour de nous et debvons bien
entretenir les grans gens de nostre pays, les villes et le peuple, affin
que si nous en avyons a besongner, qui nous servist de meilleur cueur,
de meilleure arîection et de meilleure voulenté.
« Mess''^ si le roy nous court sus et qu'il nous face la guerre, nous
serons assailliz de tous costez, et par mer de navyres de guerres qu'il a
en Normendie ; par terre, par la Normendie, par le Mens, par Poitu,
par Anjou ; par quoy nous seroit neccessité pourveoir a noz navires de
mer, aux places qui sont sur la mer, comme Sainct Malo, Gouez(?),
Orest ^ ; du cousté de la Normandie, Doul ^^ qui est grande ville et feble,
mais qui laprandroit elle nous porteroit grant préjudice, Dignan, Chas-
teau Neuf, Fougieres, d'autre costé Victery, Ghasteaubriam et Anche-
nys, Gliçon^ et le pais de Gliçonnois, et de Globeres (?), Nantes, qui est
très neccessaire ' d'estre bien gardé et pou[r]veu, et pour ce, qu'il nous
1. Auray (Morbihan), ou Brest?
2. Dol (llle-et-Vilaine).
3. Dinaii (Cotes-du-Nord) , Chàteauneuf-en-Brelagne, Fougères, Vitré (lile-el-
Vilalae), Chàteaubriant, Anceuis, Clisson (Loire-Inférieure).
'i. Manuscrit : tresnessesant .
MÉMOIRE ADRESSÉ A LA DAME DE P.EAUJEU. 287
fault veoir quel nombre de gens et d'autres choses noccessaires pour
pourveoir noz places. »
Sur cela, debatre et savoir quel nombre de gens il leur fault pour pour-
veoir leurs places et après adviser quel nombre il leur en demeure pour
tenir les champs et leur remonstrer ce qu'il s'ensuit :
« Mess''% vous voiez le nombre des gens qu'il nous fault pour garder
noz places et voiez ce qu'il nous en demeure pour tenir les champs et
pour combatre, qui n'est pas nombre ne puissance pour résister contre
le roy, parquoy, si nous voulions mainctenir la guerre contre le roy, il
nous fault aider d'autre puissance que la notre.
« Le feu duc^, qui fut ung prince saige, obey, craynct et doubté, et
se aida tousjours d'Angleterre et d'Espaigne et du duc de Bourgongne,
et du temps que le duc de Bourgongne fut avecques la plus grant partie
de Tarmee du roy estoit encores en ce temps puissante qu'il eut jamais
devant Beauvais ne a la plus grant partie de l'armée du roy estoit encorss
en ce temps la a Ancenys, le roy print Ancenys et la Guyerche sus
nous, le duc ne se fia pas en sa puissance, mais eut des Anglois
avecques nous, commes vous vistes par expérience a Marceilly, quant
nous y fusmes, nous ne pourions avoir secours qu'il nous feust proufii-
table que des Anglois; ne ne sçay- si nous l'aurions aisément, car le
roy a fait ce roy d'Angleterre roy 3; et quant ainsi seroit qu'il nous
vouldroit secourir, il est a présumer qu'il vouldroit avoir de nous meil-
leurs gaiges que la foy, et pays et places entre ses mains pour la seureté
de luy et de ses gens.
« Si nous nous aidons d'autre puissance que de la nostre, il fauldroit
qui se fist autre charge que noz places (?) ou autrement les palans et
soubdoyans a noz fraiz, mises et despens.
« Il fault que nous paions et souldoyons tous les gens que nous mec-
trons en garnisons dedens noz places, ou aultrement ilz seront cons-
trains de piller et de mal vivre, parquoy ceulx des villes et des places
se pourroient mectre contre nous.
« Il fault que nos gens qui seront sur les champs soient paiez et soul-
doiez ou autrement nous mectrions la pillerie au pays, parquoy noz
deniers et noz finances fauldront; nous aurons d'autre costé a porter les
charges du roy, qui nous court sus de tous costez, parquoy noz finances
s'en diminuront, etc. {sic). »
1. Les phrases suivantes sont peu intelligibles et évidemment défigurées par
le copiste; elles paraissent l'aire allusion aux événements de 1468 : voy. Tail-
landier, Histoire eccl. et civ. de Bretagne, 1. 11 (Paris, 1756, in-fol.), p. 106 el 107.
2. Manuscrit : ne ne scay ne ne scay.
3. Henri VII, qui vainquit Richard III à Bosworth, le 22 août 1485, avait
reçu des subsides du roi de France.
288 MELANGES ET DOCDMEIVTS.
L'ARMEMENT DES NOBLES ET DES BOURGEOIS
AU XVII^ SIÈCLE
DANS LA CHAMPAGNE MÉRIDIONALE.
I.
Il n^est pas indifTérenl de savoir comment les membres des diverses
classes de la société étaient armés aux difTérentes époques de notre
histoire. L'armement des individus indique le degré de civilisation
et de sécurité dont ils jouissent; il peut être aussi l'indice de leur
état social et politique. Quand les lois générales sont impuissantes à
garantir le droit particulier, IMndividu doit se munir d'armes suffi-
santes pour le faire respecter; le jour où la loi devient protectrice
pour tous, il rejette les armes comme un fardeau inutile et ne les
considère plus que comme un ornement ou une marque de distinc-
tion.
Au moyen âge, le droit de porter les armes fut un privilège ; les
classes supérieures, dans la noblesse comme dans la bourgeoisie,
regardaient ce privilège comme la plus sûre garantie de leur autorité.
Au xvii" siècle, lorsque Richelieu s'efforra d'abaisser la noblesse,
lorsqu'il voulut restreindre les droits des bourgeois des villes, il les
trouva encore armés; quelques châteaux, presque toutes les villes
avaient encore leur arsenal; les murailles des uns et des autres
étaient pour la plupart debout, et l'on vit encore en France des villes
soutenir des sièges contre les armées royales.
Chaque possesseur de lief, on le sait, pouvait être appelé, non
seulement à se rendre, en armes, à l'appel du roi, lors des convoca-
tions du ban et de l'arrière-ban; il pouvait être contraint de fournir
un ou plusieurs hommes armés. Une ordonnance de U)39 enjoint
« à tous gentilshommes et autres subjects au ban et à l'arrière ban
à fournir un homme de cheval, à armer et soldoyer deux hommes
de pied. « Les deux tiers de ces hommes devaient être « armés de
mousquets garnis de leurs bandolières et [le] surplus de picques,
corseletz et hausse-colz, et chacun de l'espée avec son baudrier et
seroin'. »
1. Registres des mandements du roi enregistrés au bailliage de Troyes, VI,
fol. 54.
L ARMEMENT DES NOBLES ET DES BOURGEOIS AU XVII^ S. 289
La puissance d'un seigneur pouvait se mesurer à la quantité
d'armes qu'il possédait. G'est ainsi que le connétable de Lesdiguières
aurait amassé dans son vaste château de Vizille « dix mille mous-
quets, six cents cuirasses, plus de deux mille piques et le restée »
Les seigneurs de la Champagne n'auraient pu montrer des arsenaux
aussi bien garnis; cependant quelques-uns d'entre eux pouvaient
armer toute une compagnie d'hommes d'armes. Tel était Charles de
Villemor, seigneur de Saint-Sépulcre : il avait, en -IG23, dans le
« cabinet aux armes » de son « château et maison chevallière » de
Saint-Sépulcre, « trente trois paires d'armes garnies de cuissarts et
brassards, vingt huit borguignottes, quarante deux piques, dix-sept
mousquets avec leurs bandouillières, vingt trois harquebuzes, quatre
hallebardes et quatre meschantes espées de Suisse. » Il y conservait
en outre deux tambours de guerre et « un petit barrit de pouldre à
canon, estimé ^00 sols. » Le reste du mobilier du château était
modeste; mais les moyens de défense étaient sérieux.
Transportons-nous, trente ans plus tard, en 1654, au château de
Ghamoy, qui appartient au comte de Chapelaines, bailli de Troyes.
Le « magasin aux armes » est bondé. On y trouve, en effet, « trente
paires d'armes completles et assorties de pied en cap, outre quantité
d'autres cuirasses, corceletz, cuisartz, casques, rondaches, brassartz
et ganteletz, ensemble quatre vingt mousquets tant montez que
non montez avec leurs fourchettes, vingt cinq hallebardes, douze per-
tuisannes, six rondaches, deux espadons, six selles d'armes et quan-
tité de morions et autres vieilles armes... » Ces dernières armes sont
sans doute hors de service, mais ce qui est plus formidable, ce sont,
avec douze arquebuses à croc et cinq pièces de fonte verte, « trente
petits canons sur lesquels est écrit le nom de Chapelaine. » Ces
canons sont en état, et l'arsenal renferme deux barils de poudre,
avec laquelle on peut les charger.
A la même époque, le château plus modeste de Marolles, apparte-
nant à Joachim de Lenoncourt, marquis de Marolles, est proportion-
nellement bien garni d'armes et de munitions; il contient quarante
armes à feu, et une « caque de grosse poudre pesant environ cent
livres^ : » quantité peut-être plus propre à faire sauter le château
qu'à le défendre.
Les armes renfermées dans les châteaux servirent encore à Farme-
ment des paysans, lorsqu'à l'époque de la Fronde, des troupes de
1. Louis Coulon, V Ulysse François, 1643, p. 508, d'après Abraham Gœluilz,
Ulysses Belgico-GalUcus, 1631, p. 440.
2. Archives judiciaires de l'Aube, u" 1101. 1190, 1106.
Rev. IIisTon. XXV. 2« fasc. 19
290 MÉLAWES ET DOCUMENTS.
soldats ravagèrent les campagnes et pillèrent les villages. Tandis que
le marquis de Praslain, lieutenant du roi, menait contre eux les habi-
tants armés de Troyes, la noblesse du pays, sous les ordres du mar-
quis de Payns, aurait réuni huit mille hommes pour disperser les
pillards. Si ce chiffre est exact, on aurait pu armer huit mille hommes
aux environs de Troyes. On raconte que les vivres vinrent à leur
manquer, et qu'il fallut faire une quête dans la ville pour leur pro-
curer du pain^
A partir du règne personnel de Louis XIV, la sécurité régna dans
les campagnes, si profondément troublées à diverses reprises par les
incursions des troupes françaises et étrangères. Cependant, beaucoup
de châteaux conservèrent teur arsenal, dont les armes, désormais
sans emploi, se rouillaient dans les salles où elles étaient enfermées.
Parmi les arsenaux encore bien garnis, on pourrait citer celui du
château de Saint-Phal, en ^672. Il contenait seize armures de fer
complètes et quantités de casques, morions, brassards, cuissards
démontés. II s'y trouvait en outre six canons sur la terrasse élevée
près de la porte d'entrée. Tout cet armement resta inutile, lorsqu'on
K)72, le seigneur de Saint-Phal, Georges de Vaudrey, essaya de
s'opposer par la force à l'exécution d'un arrêt du parlement de Paris,
qui avait fait saisir et vendre son château. Lorsque le lieutenant
général du bailliage de Troyes, accompagné de trente-deux huissiers,
vint en prendre possession au nom du nouvel acquéreur, on refusa
dabord d'abaisser le pont-levis et de lui ouvrir les portes; des
hommes armés de mousquets se montrèrent sur les remparts-, mais
aucune résistance ne fut tentée, lorsque les huissiers firent mine de
monter à l'assaut des murailles par les brèches que le défaut d'entre-
lien y avait pratiquées; les portes ne tardèrent pas à s'ouvrir, après
lecture d'une protestation judiciaire^.
A cette époque, les murs des châteaux tombent en ruines; et les
armures féodales sont pour la plupart démontées. Déjà, dans beau-
coup de châteaux, toute apparence de fortification et d'armement
disparaissait; il en était surtout ainsi dans ceux qui avaient été
achetés par des magistrats ou des bourgeois anoblis. Ceux-ci les
acquéraient dans le triple but de faire un placement sur, de se don-
ner un titre honorifique et d'avoir une résidence à la campagne pen-
dant les mois d'été. Ni par tradition, ni par goût, ils n'avaient les
instincts belliqueux, et, si le roi les convoquait, ils étaient tout prêts
à se lamenter, comme le gentilhomme de V arrière-ban^ dont Pavillon
a traduit en vers les ennuis.
1. Courtalon, Topographie historique delà ville et du diocèse de Troyea, 1, 191.
2. Ârcti. judiciaires de l'Aube, n" 1178.
L ARMEMENT DES NOBLES ET DES liODRGEOlS AU XVH^ S, 29 1
Bien peu de nobles, du reste, à celte époque, se souciaient de
prendre les armes. En 1074, sur deux cent quatre-vingts possesseurs
de fiefs convoqués pour le ban et l'arrièrc-ban dans le bailliage de
Troyes, quarante-quatre seuls répondent au mandement du roi;
en -1673, iln'en vient que vingt-quatre; en l()!>0, vingt-neuf. Quelques-
uns invoquent leur âge, la maladie, la gêne ; un plus grand nombre
de possesseurs de fiefs ont des enfants à l'armée active ou y servent
eux-mêmes ; mais la plupart font valoir les fonctions qui les exemptent
et les privilèges des villes de Paris ou de Troyes dont ils sont bour-
geois. Il est assez remarquable que ceux qui consentent à se mettre
aux ordres du roi ne sont pas les gentilshommes les plus riches ou
les plus titrés, mais ceux dont la noblesse a le moins d'éclat, et qui
veulent se faire un titre de leurs services pour appuyer leurs préten-
tions nobiliaires ' .
Dès cette époque, les devoirs féodaux ne sont plus compris et
tombent en désuétude pour les gentilshommes; pour ceux-ci, le châ-
teau n'est plus qu'une propriété de produit et d'agrément, et, s'ils y
gardent des armes, ce sont des mousquets, des fusils et des couteaux
de chasse, qui ne sont désormais employés que contre le gibier.
II.
Les murailles des villes de l'intérieur du royaume commencèrent
à tomber en même temps que celles des châteaux. Les progrès de
plus en plus grands de l'unité nationale, de la soumission aux lois
générales, les avaient rendues inutiles. Les bourgeois, à qui la garde
des portes et des remparts avait été partout confiée, étaient tous pour-
vus d'armes pour s'acquitter de la garde et du guet qui leur étaient
demandés ; le nombre et la qualité de ces armes étaient proportionnés
à leur rang et à leur richesse.
A Troyes, les habitants assujettis, sauf de rares exceptions, au
guet et à la garde, se divisaient, au xvi® siècle, en hommes de fer et
en hommes de pourpoint; les premiers recrutés parmi les magistrats,
les hommes de loi et les riches marchands, possédaient des armes
défensives et offensives ; ils portaient la cuirasse et le morion ; les
autres, pris parmi les artisans, étaient seulement armés de la halle-
barde ou de la pique, parfois de Tarquebuse et du mousquets.
1. Boutiot, Procès-verbal constatant la levée du ban et de l'arrière-ban
dans le bailliage de Troyes en 1674. Annuaire de l'Aube, 1855, p. 9.
2. Voir mon étude sur le guet et la milice bourgeoise à Troyes, mémoire lu
à la Sorbonne, 1878, p. 7.
292 MELANGES ET DOCUMENTS.
On prescrivit, à plusieurs reprises, en 1474 et en 1352 par exemple,
l'inventaire des armes que possédaient les habitants de la ville, afin
de savoir s'ils étaient en mesure d'en garder les remparts. En 1474,
on trouva 547 coulevrines, 287 arbalètes et 1,047 épieux. Plus lard,
en 1632, on ordonne aux bourgeois d'avoir leurs armes en bon état'.
Un règlement de -1 369 autorise les officiers de la milice de visiter les
maisons des habitants de leur quartier, « pour veoir leurs armes et
entendre d'eux en quel équipage ils se tiennent, pour estre toujours
prêts à la nécessité. Et où ils ne se trouveront armez selon leur puis-
sance et faculté, leur faire commandement et contraincte de prendre
et achepter les armes qui leur seront ordonnez par lesdits capi-
taines^. »
Ces armes n'étaient pas plus uniformes que les costumes des bour-
geois de la milice. Ce n'est guère qu'au commencement du xviii^ siècle
que ceux-ci, a l'imitation des régiments de l'armée royale, revêtirent,
les jours de service, des vestes et des habits de même coupe et de
même couleur. Chacun, au xv!!*" siècle, se procurait des armes
selon ses moyens-, l'un avait une arquebuse, l'autre un mousquet;
les hommes de pourpoint, qui sont désignés, en 1630, sous le nom
d'hommes de dizaine, se contentaient d'une hallebarde, d'un dard ou
d'une pique.
Dans chaque maison de bourgeois ou d'artisan, d'ordinaire dans
la salle basse ou la cuisine, ces armes étaient placées sur un ou deux
« rastelliers. » On peut se rappeler que le nom d'armoire vient des
armes que l'on renfermait dans ce genre de meubles d'une forme
élevée et peu profonde. Mais ici les armes sont exposées aux regards
de tous, disposées horizontalement ou verticalement sur les râteliers.
Cet usage existait à Paris comme à Troyes ; car Furetière, dans son
Roman bourgeois, parle d'une cheminée au-dessus de laquelle se
trouve un râtelier chargé d'armes qui étaient rouillées dès le temps
des guerres de la Ligue. Il en était de même un peu partout ; on
voyait souvent, côte à cote, sur les mômes râteliers, des arquebuses
à mèche et des mouscjuets en bon état, à coté de hallebardes, d'arba-
lètes et de vieilles épées, depuis longtemps hors d'usage.
Tous les habitants de Troyes n'ont pas cependant des râteliers
garnis d'armes ; on n'en trouve que par exception chez les ouvriers
qui travaillent pour le compte de maîtres, chez les compagnons qui
sont dépourvus de droits municipaux ; mais on en rencontre chez des
portefaix et de simples tisserands. Un portefaix, par exemple, pos-
1. Boutiot, Histoire de Troyes, III, 107, 108, 122; IV, 389.
2. Le guet et la milice bourgeoise à Troyes, p. 47.
LiRMEMENT DES \OBLES ET DES liOtJRGEOIS AU XVII® S. 293
sède, en Kj3S, une hallebarde, une arquebuse et une vieille épée.
Chez les maîtres artisans, ces armes sont en plus grand nombre.
Pénétrons en -1620 chez un « aloisnier; » nous y voyons sur deux
petits râteliers de bois « une vieille arquebuse, une épée, un poi-
gnard et un vieil épieu; » chez un maître savetier, il y aura « une
vieille hallebarde, un dard, deux épées, un poignard et un porte épée
de crin; » presque partout à cette époque, on trouve une hallebarde;
en outre, chez un maître passementier^ on rencontrera deux « vieilles
espées garnies de leur fourreau 5 » chez un parcheminier, « une
arquebuse à mesche garnye de son fourniment et pulverin, une espée
et deux bracquetz garnys de leurs fourreaux ; un baston à deux bouts
et un morion. » Il y a encore une arbalète à trait garnie de son ban-
dage, chez un maître charpentier en ^64J ; mais les armes à feu
commencent à devenir plus communes ; ce charpentier, outre deux
épées, a deux arquebuses à mèche. Un autre, en (648, aura un
mousquet parmi les armes qui garnissent ses deux râteliers; un
autre, en 1658, possédera deux arquebuses à mèche, un pistolet à
fusil, trois fusils et « un baudrier de bufe. » Chez un araidonnier,
en 1053, nous trouvons une arquebuse, un mousquet et deux épées
garnies de leurs fourreaux; il en est de même, sauf quelques diffé-
rences, chez un maître boulanger, en -160:3; chez un passementier et
un couvreur, en 1676; chez un cordonnier, en 1683; chez un chape-
lier, en U93. Quelques maîtres ont un assortiment plus complet,
comme ce maître teinturier, qui a chez lui, en 1671, « deux fusils,
un pistolet à fusil, deux mousquets, deux épées, une hallebarde, un
fourniment de cuivre et deux baudriers. »
Quelques artisans étaient officiers dans la milice bourgeoise;
comme tels, ils gardaient chez eux les insignes de leur grade. Tel
était, en 1660, un marchand boucher, qui laissa à son fils aîné « une
enseigne militaire de tafetas blanc, rouge et bleu, une pique, un
hausse-col d'argent et une espée à garde ou poignée d'argent. » Le
blanc, le rouge et le bleu étaient les couleurs de la ville de Troyes.
Il me paraît probable aussi que Samson Dozière, auneur de draps,
avait été officier de la milice. Il a chez lui, en -1 704, « onze tant mous-
quets que fusils, deux tambours crevés d'un côté, des piques, une
halebarde'. » Les vieilles armes du xvi'= siècle se rencontrent encore
parfois. Mais, à mesure que l'on avance dans le xviii* siècle, le nombre
et la qualité des armes diminue. La milice bourgeoise existe pour-
tant toujours, mais elle a perdu son importance municipale, et son
rôle n'est plus qu'un rôle de police et surtout de parade.
1. Archives judiciaires de l'Aube, n" 1090, 1183, 1214, lîOO, 1173, 1129,
1098, 1125, 1185, 1201, etc.
294 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
m.
Les marchands, qui forment une corporation puissante, sont bien
mieux armés que les artisans. Pour la plupart, ils figurent au
xvr« siècle, parmi les hommes de fer. Aussi ont-ils parfois chez eux
de véritables panoplies. Bien peu cependant auraient pu étaler dans
leur maison un petit arsenal, comme Fapothicaire Sébastien Sorel,
en iCAC}. Si cet arsenal peut être regardé comme une exception, il
semble pourtant qu'il n'est pas sans intérêt de le faire connaître.
Sorel possédait -.
« Une armure complète de cuirasse, haulce-col, casffue et bras-
sarts, [estimée] 20 1.
Un arrondache de fer à poincte de clous dorés, 6 1.
Une halebarde dorée garnye de franges de soye de crespine d'or, ^ 0 1,
Une halebarde de forest, 25 s.
Un mousquet avec sa fourchette, 7 1. -10 s.
Une harquebuse à rouel, ^0 1.
Une harquebuse à mèche, 4 1.
Quatre pistolets, dont un à grand ressort ;
Une espée damasquinée garnye de son fourreau, 40 s.
Une autre espée à garde noire, 30 s.
Un coutelatz garny de son fourreau, 30 s.
Un forniment ' de Milan avec son pulverinet un cordon de layne, 20 s.
Un aultre forniment garny de son pulverin de enivre fasson de
Metz avec son cordon et frange de soye noir, 3 1.
Deux ceintures porte épée et deux poignards^ 4 1.
Une cuirassine, 30 1. »
Chez les autres marchands, on ne saurait trouver une pareille
quantité et un pareil luxe d'armes. Certains d'entre eux ne sont pas
mieux fournis que les mai très artisans. Leurs râteliers contiennent
encore, sous Louis XIII, des arquebuses, des escopettes à rouet, et
des hallebardes. L'un d'eux, en ^631, a un morionet « un viel four-
niment de corne avec une fourchette à mousquet. « Je trouve plus
tard, en ^072, chez un marchand, trois arquebuses à fusil, une cara-
bine à mousquet et une épée à poignée d'argent. Un marchand dra-
pier drappant possède à la même époque, entre autres armes, trois
pistolets de poche -, on peut en conclure que le marchand doit voyager
et qu'il ne juge pas les routes comme très sûres. Ce qui peut être
1. Le fourniment était un étui à poudre.
l'armement des nobles et des bourgeois au xvii° s. 295
regardé comme une exception, car la plupart des voyageurs sont
d'accord pour louer la sûreté des routes. Encore au commencement
du xvni« siècle, on trouve chez plusieurs marchands quatre vieux
mousquets ou quatre vieux mousquetons, sans compter les pistolets
et les épées ^ .
IV.
Du marchand au bourgeois proprement dit, la transition est facile.
Le bourgeois est un marchand retiré des affaires, ou le fils d'un mar-
chand enrichi. S'il est riche, il est bien près de devenir noble par
l'acquisition d'une charge. Sous Louis XIII, il peut avoir un grand
nombre d'armes, qui, au besoin, serviront à ses domestiques. En
-1623, la cuisine de Jehan Michelin est garnie de quatre « rastelliers
de bois » où sont placés trois arquebuses, dont deux à rouet et une
à mèche, trois poitrinaux à rouet à grand ressort, à canon « à pandz »
ou « demy rond, « une « escoupette garnye du fourreau de cuyr à
grand ressort, » un autre petit pistolet à rouet à grand ressort, deux
hallebardes à manche en bois, deux épées et un cimeterre, deux
fourniments, dont l'un, accompagné d'un pulverin, est garni de cor-
dons de soie. »
Chez un marchand, Remy Le Clerc, se trouvent, en ^648, quatre
mousquets, cinq arquebuses à rouet et deux fusils. Son fils, le bour-
geois Etienne Le Clerc, qui mourut en -1686, possède une telle quan-
tité d'armes qu'il est permis de supposer qu'il les a réunies dans le
but d'en former une collection plutôt que dans celui d'en faire usage.
Etienne Le Clerc a dans ses galeries quatre trophées d'armes et
quatre « porte-armes, « sur lesquels on peut voir « une espée à garde
damasquinée, huit aultres espées à l'antique, cinq pistolets, dix
mousquets à mèche et sept arquebuses à rouet, vingt-sept piques,
trois hallebardes, huit collets de fer, une caisse ou tambour avec ses
baguettes. » Il y avait de quoi armer une compagnie de milice. Dans
un coffre, Etienne Le Clerc conservait aussi « trois baudriers, l'un
d'iceux à frange noire, l'autre en broderie, le troisième en broderie
d'argent, tous deux à franges noires, une paire de gans de cerf à
franges d'or et d'argent, le tout d'ancienne mode, et un hausse col
de cuivre doré, orné de troffées en relief. » Le hausse-col était sans
doute l'insigne de la dignité d'officier de la milice dont il était revêtu.
Les magistrats, en général, ont peu d'armes. La robe n'est pas
compatible avec l'épée. Ils ont le droit dé requérir la force armée,
1. Archives judiciaires de l'Aube, n" 1075, 1113, 1209, 1176, 1105, etc.
296 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
mais non de l'employer eux-mêmes; ils sont aussi exempts du service
de la milice. Il n'en est pas de même des procureurs et des sergents.
Un procureur possède, en ^ 687, deux arquebuses, un mousqueton et
six mousquets, sans compter six pertuisanes, quatre hallebardes,
deux épées, cinq ceinturons, deux pistolets et deux poignards. Il a
de plus une épée à garde d'argent supportée par une écharpe de gui-
pure, un hausse-col de cuivre, un drapeau et un tambour. C'est aussi
à coup sûr un officier de milice. Deux autres de ses confrères pos-
sèdent à la même époque, chacun sept fusils et deux épées. Un autre,
en 1 704, a une paire de pistolets et cinq épées ; mais chez lui, il n'est
plus question de fusils.
On conçoit mieux que les sergents royaux ou huissiers aient chez
eux un petit arsenal'. Ils étaient quelquefois obligés de s'armer pour
remplir leur ministère. Les trente-deux huissiers, qui accompagnèrent
le lieutenant général de Troyes au château de Saint-Phal, furent sur
le point d'en tenter l'escalade. Une commission du roi Louis XIII,
datée de Perpignan, le 20 mai ^642, avait ordonné de lever une com-
pagnie d'huissiers, par la raison que « leur profession les obligeant,
à cause des captures, à porter quelquesfois les armes, » il pouvait
« se rencontrer parmi eux des hommes capables de servir à la guerre. »
Le bailliage de Troyes ordonne, le 19 septembre, à tous huissiers et
sergents tant royaux que des seigneurs, de comparoir « avec armes de
guerre » pour qu'il lut dressé un « roollc de ceux qui pourraient
servir sa majesté dans ses armées^. » Aussi ne sommes-nous pas
surpris de trouver chez des sergents des râteliers garnis d'armes ,
moins nombreuses que celles des procureurs que nous venons de
citer, mais cependant formant un ensemble assez varié et capable
d'inspirer le respect 3.
Les ecclésiastiques n'ont des armes au xvii^ siècle que par excep-
tion. Ce n'est plus comme au xv^ et au xvi^, où ils étaient souvent
assujettis au service de guet et de garde. L'évêque Raguier, en ^474,
avait une armure complète de couleur blanche; les chanoines por-
taient au besoin la cuirasse et la hallebarde. On trouve encore chez
un chanoine, en 1662, trois fusils et trois « vielz pistolets, » et chez
un autre, en I6!)3, deux arbalètes à jalet et un mousqueton. Il \
1. Arch. judiciaires de l'Aube, n" 1191, 1104, 1154, 1105, etc.
2. Commission du roy pour assembler les huissiers et sergents et en faire
un roolle, afin de pouvoir une partie d'iceux servir Sa Majesté en ses armées.
Troyes, par Anloiiie Chevillot, 1642, petit iu-8° de 16 p.
3. En 1733^ un huissier possède un fusil garny de cuivre, un autre fusil garny
de fer avec un mousqueton (10 1.), une paire de pistolets d'arçon, un pistolet
de poche, etc. (Arch. jud. Aube, n' 1112).
l'armement des \0CLES et des bourgeois AI" xvii" s. 297
avait loiigLemps qu'on ne se servait plus d'arbalètes, et ces armes
avaient pu être laissées dans la maison canoniale depuis longtemps.
L'abbé de Montier-la- Celle possédait, en IG()2, dans sa maison de
ville trois arquebuses, deux fusils et deux mousquets <. Peut-être,
dans certains cas, voyageait-il escorté de domestiques armés. En
■1662, les ecclésiastiques étaient dispensés de tout service militaire
dans les villes.
Les villes de l'intérieur perdent du reste, à cette époque, leur
importance militaire. On leur enlève leur artillerie pour la transpor-
ter aux frontières. Cette opération fut faite à Troyes en 1682. Les
remparts étant dégarnis, la milice n'avait plus sa raison d'être.
Comme elle aurait pu vouloir défendre les privilèges bien diminués
de la cité, Pintendant de Champagne fit enlever les chaînes, qui
étaient encore fixées au coin des rues et qui, en cas de trouble ou
d'alarme, interceptaient la circulation^.
Les compagnies de l'arquebuse et de la milice subsistèrent jus-
qu'à la Révolution/ à Troyes comme dans la plupart des villes, mais
avec une importance plus nominale que réelle. Les magistrats et les
riches bourgeois se faisaient exempter; ils dédaignaient les fonctions
d'officiers, parce qu'elles ne donnaient ni prestige, ni autorité. Une
loi générale s'imposait de plus en plus à tous, et supprimait les dis-
tinctions qui dérivaient de la force matérielle des individus. L'aristo-
cratie des villes, comme la noblesse, quittait ses armes offensives et
défensives ; elle comptait sur le pouvoir central pour défendre ses pri-
vilèges. Elle eut sans doute tort de se désarmer -, car on ne défend
bien ses droits que soi-même. La bourgeoisie, comme la noblesse,
ne conserva plus que l'apparence de la force. Que l'on compare aux
collections d'armes des bourgeois de -1623 et de j 686 celle d'un bour-
geois de 1789. Celui-ci a un fusil à deux coups pour la chasse, une
épée à garde d'argent et une épée de deuil. L'arme n'est plus qu'une
parure, qu'il devient facile d'enlever aux nobles et aux bourgeois, et
dont ils ne se soucieront plus par la suite, parce qu'elle a cessé d'être
pour eux le signe et la garantie de l'autorité.
Albert Babeau.
1. Arch. judiciaires de l'Aube, n" 1236, etc.
2. Une de ces chaînes est conservée au musée archéologique de Troyes.
298 MÉLANGÉS ET DOCUMENTS.
DIDEROT
ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE.
Les pages que voici ne sont pas, comme leur titre pourrait le faire
supposer, une élude sur la puissante administration à laquelle La
Reynie et Sartine ont attaché leur nom et qui attend encore un histo-
rien. Diderot a pris ici le mot de police dans Tacception que lui ont
plusieurs fois donnée Pascal, Bossuet, Fléchier, Fénelon, Massillon,
Montesquieu et Voltaire, c'est-à-dire dans le sens d'organisation
politique. Le doute qui pourrait résulter de l'emploi de ce terme
tombé en désuétude serait dissipé d'ailleurs dès les premières lignes.
Ce que Diderot lente ici, ce n'est rien moins qu'une esquisse de notre
histoire féodale et de nos origines parlementaires. Il ne faut, bien
entendu, demander à cette rapide ébauche ni développements appro-
fondis, ni exactitude absolue. Diderot écrivait à huit cents lieues de
son cabinet, très probablement sans livres sous la main, et son but
principal était de montrer a Catherine les dangers que, selon lui, les
réformes de Maupeou faisaient courir à la monarchie française.
L'occasion lui était bonne pour exaller en même temps la sagesse de
sa bienfaitrice, tout occupée alors de donner un code à son empire.
La Récapitulation qui termine cet essai nous en révèle l'instigateur et
nous en fait voir le but; c'est M. de Narishkin qui avait demandé à
Diderot de jeter sur le papier un historique des récentes révolutions
judiciaires delà France, et Diderot se vante d'avoir emprunté les élé-
ments de cet exposé aux actes particuliers et secrets de la magistra-
ture. Comment se les était-il procurés à Saint-Pétersbourg ? C'est ce
qu'il ne nous dit pas. Il reconnaît d'ailleurs lui-même qu'il a pu
commettre de légères inexactitudes dans le récit des procédés du
chancellera l'égard d'Aiguillon; ce n'est point la seule faute sans
doute qu'on pourrait reprendre dans ce résumé. Les préliminaires et
les péripéties de la lutte de Maupeou ont trouvé un récent historien
dans M. Jules Flammermont et c'est à son livre qu'il faudrait cons-
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA l'OLICE. 299
lamment renvoyer le lecteur si l'on entreprenait une critique sérieuse
de ce que le philosophe a dit de ces réformes et de leurs conséquences.
L'avenir, en somme, a donné raison à Maupeou surplus d'un point;
mais les contemporains n'en jugeaient et ne pouvaient pas en juger
ainsi. Nous applaudissons aujourd'hui à la largeur et à la supériorité
de ses vues; en 4 773, Maupeou n'était aux yeux d'un grand nombre
qu'un ambitieux, servi par des comparses médiocres ou décriés : pour
apprécier sainement une révolution, il ne faut pas y avoir assisté.
Au moment où celle-ci se produisit, Catherine était, comme elle le
disait elle-même^ en pleine législomanie, et une circonstance presque
puérile, l'embargo mis pendant quelques jours par la censure sur une
traduction de son InsirucHon aux députés, avait donné encore plus
d'éclat à ces velléités pour lesquelles Voltaire n'avait pas assez de
louanges hyperboliques. S'il est vrai que Catherine faisait de V Esprit
des lois son bréviaire, comme ses flatteurs ne se lassaient pas de le
répéter, elle se l'était si parfaitement assimilé qu'elle en a reproduit
des paragraphes entiers dans sa fameuse Instruction pour la, commis-
sion chargée de dresser le projet d^un nouveau code de lois. Diderot
s'en élait-il aperçu? C'est bien probable, mais il n'eut garde de le
dire, car il aurait à cela d'autant plus mauvaise grâce que son éru-
dition historique était, comme celle de presque tous ses contemporains,
en partie puisée dans l'immortel livre de Montesquieu ; le surplus lui
venait du président Hénault et même de l'abbé Dubos.
S'il m'eût fallu relever ici ces plagiats involontaires, ces réminis-
cences ou ces allusions, j'aurais dû placer une note sous chaque
paragraphe, presque sous chaque ligne du texte. Je ne voulais pas
abuser ainsi de l'hospitalité de ]gi Revue historique et j'ai borné mon
commentaire à quelques éclaircissements indispensables. Il me reste
à dire que ces pages, rigoureusement inédites, sont empruntées au
manuscrit dont j'ai donné déjà d'importants extraits dans la Nouvelle
Revue et qui appartient à la Bibliothèque particuUère des czars, au
palais de l'Ermitage.
Maurice Tourisëdx.
ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE.
Ce ne sont point des maximes, ce sont des faits.
1. La nation française secoue le joug des Romains. Un héros est élevé
sur un pavois. La loi salique est rédigée dans trois assemblées. Le
prince et la loi sont institués en même temps.
Sans la loi, rien n'aurait été fixé. Sans l'autorité, la loi n'aurait point
eu d'exécution.
300 MELANGES ET DOCUMENTS.
Pour assurer l'exécution de la loi, les Français déposent entre les
mains du roi toute la puissance publique. Voilà la première faute, le
péché originel. Déposer entre les mains d'un roi toute la puissance
publique, ce n'est pas seulement lui conférer le pouvoir de faire exécu-
ter les lois ou de les ramener à leur pureté, à leur activité première,
quand elles l'ont perdue, c'est lui accorder bien davantage, ainsi que le
temps ne manque jamais de le prouver.
2. Dans le commencement, les rois, convaincus que cette puissance
publique n'était qu'un dépôt, se conduisirent en conséquence; ils sen-
tirent que toucher à la législation n'était point une affaire d'autorité
souveraine. De là ces conseils nombreux assemblés dès les premiers
âges de la monarchie. Aucune disposition souveraine ajoutée à la loi
salique sans le suffrage des principaux de la nation.
3. Les lois s'anéantissent dans le déclin de la maison de Clovis.
4. Gharlemagne les renouvelle et tire la loi salique de l'oubli. 11
recueille les décrets des rois. Il y ajoute ses capitulaires. Et qu'est-ce
que ces capitulaires ? Les vœux d'un peuple qui délibère avec son sou-
verain sur des intérêts communs. Victorieux et redouté, quoiqu'il put
tout, Gharlemagne fit alors ce que Catherine II fait aujourd'hui. Aussi
ce Gharlemagne de France et cet Alfred d'Angleterre, son contemporain,
n'étaient pas des hommes ordinaires. Si Sa Majesté fait peu de cas du
premier, c'est qu'elle a le droit d'être difficile en grands souverains.
Mais qu'arrive-t-il ? C'est que les lois périssent sur la fin de la seconde
race.
Sa Majesté Impériale concevra combien la législation mise sous la
sauvegarde d'un seul homme est vacillante et de peu de durée. C'est la
nation même qui doit en être la conservatrice d'âge en âge, condition qui
suppose des lois simples, un code qui puisse être entre les mains des
sujets dès la plus tendre enfance. Les prêtres ont été bien plus adroits
que le roi. Mais peut-être que Catherine II est la première souveraine
qui ait sincèrement désiré que ses sujets fussent instruits.
5. Des usages suppléent pendant des siècles aux lois oubliées, c'est-à-
dire qu'on en use ainsi, parce qu'on a continué d'en user ainsi ; quelle
singulière base de police et de tranquillité publique !
6. Le droit romain parait. Je ne sais quel rapport il pouvait y avoir
entre le droit romain et la constitution d'un gouvernement féodal dans
toute sa férocité.
Le fait est que les usages se modifient insensiblement par l'apparition
de ce droit, ainsi que Sa Majesté Impériale voit elle-même les pensées
de ses sujets se modifier par l'apparition de son code ou de son ins-
truction.
Et comment cette modification se fit-elle ? Fût-ce par la connaissance
que la nation ou le souverain prit de ce droit? Nullement. Est-ce qu'une
nation barbare lit? Est-ce qu'une nation policée lit un ouvrage de
droit? Est-ce qu'un souverain lit? Oui, une fois, tous les quatre ou cinq
cents ans, sous le pôle.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICR. aO-l
Les usages furent moditiés par la Ibrce des opinions des jurisconsultes.
Je suppose que ces jurisconsultes eussent substitué aux usages les
principes les plus solides sur l'autorité souveraine et sur les privilèges
inaliénables d'une nation, qu'en serait-il arrivé? Rien. Ces jurisconsultes
ne pouvaient représenter la nation, ils ne luisaient pas corps. 11 ne pou-
vait y avoir d'unanimité dans leurs décisions. La législation ne pouvait
devenir entre leurs mains que ce que la religion devint entre les mains
des schismatiques dans les premiers temps de la Réforme.
7. Les lois sont purement traditionnelles sous Charles VIL
Charles Vil fixe leur incertitude.
L'histoire nous apprend qu'il assemble dans chaque partie de son
royaume ceux qui vivaient sous les mêmes coutumes, et qu'il leur dit :
mettez vos lois par écrit.
En bonne foi, était-ce là ce qu'un homme de tête aurait fait ? Charles
ne devait-il pas sentir que cette diversité de coutumes était un très
grand mal ? Ne devait-il pas profiter de ce moment d'oubli pour anéantir
toutes ces coutumes et leur substituer une loi uniforme et générale ?I1
ne le fit pas, et cette faute est sans remède. La France est condamnée
à n'avoir jamais de code. Notre droit coutumier est immense. Il est lié
avec l'état et la fortune de tous les particuliers. Celui qui projetterait le
renversement de ce colosse monstrueux ébranlerait toutes les propriétés.
Il n'achèverait pas son entreprise sans commettre une foule d'injustices
criantes. Il soulèverait infailliblement les différents ordres de l'État. Je
le ferais pourtant, car je pense qu'il faut faire un grand mal d'un
moment, pour un grand bien qui dure.
Tout ce que je vois de mieux dans la conduite de Charles, et c'est le
seul point qu'elle a de commun avec celle de Votre Majesté, c'est qu'il
ne se sert point de son autorité pour consommer son mauvais ouvrage.
Il convoque une assemblée, voilà toute l'étendue qu'il donne à son
pouvoir. Je vois encore que, bonnes ou mauvaises, voilà ses lois sous-
traites et malheureusement soustraites à la mobilité de la tradition,
mobilité qui, à la longue, en aurait ramené l'oubli, et, avec leur oubli,
peut-être la nécessité d'un code uniforme et général. Il y a des circons-
tances où l'extrême du mal est un bien, et où un palliatif qui invétéré
le mal est le plus funeste de tous les remèdes.
Qu'un peuple est heureux, lorsqu'il n'y a rien de fait chez lui ! Les
mauvaises et surtout les vieilles institutions sont un obstacle presqu'in-
vincible aux bonnes. Voilà un roi sage , mais qui manque ou de
lumière, ou de force, ou de courage, qui croit faire le bien, qui en laisse
sa nation convaincue et qui perd tout, sans s'en douter. Puisse Votre
Majesté trouver dans ses sujets un profond oubli de toute ancienne
législation ! S'il y a quelque chose de bien, elle saura bien le conserver.
8. Les enquêtes 'par turbes* sont à peine aujourd'hui connues. Elles
faisaient jadis presque tout le fonds de notre droit français.
1. « On appelle enquête par turbes, dit le Répertoire de jurisprudence de
302 MELANGES ET DOCUMENTS.
N'est-ce pas une chose bien singulière que, par laps de temps, une
nation en soit réduite à s'interroger par turbe, pour savoir et statuer
sur ce que sa législation lui défend ou lui prescrit?
9. Sous la première et la seconde race de nos rois, les lois Yarièrent
suivant les cantons et suivant les personnes.
Nos princes s'engageaient à conserver à chacune sa loi.
Rien n'a changé en France, sur tous ces points. La même diversité de
lois subsiste. La coutume de Bourgogne n'est point celle qui régit la
Normandie. Le pays du droit écrit a des règles très différentes de celles
du pays coutumier. La loi des roturiers n'est point celle des nobles. Le
clergé a des constitutions particulières à son état. Il en est de môme du
militaire, de recclésiastique et du magistrat.
Cependant, est-ce que tous ces gens-là sont autre chose que des sujets
et des citoyens ? Que la nation les récompense de leurs services, cela est
juste ; mais que ce ne soit jamais par des privilèges exclusifs, par des
exemptions, par tous ces moyens iniques qui sont autant d'infractions
à la loi générale, et de surcharge pour les hommes utiles et laborieux
qui ne sont point titrés. Poui'quoi transmettre à des descendants avilis
la récompense de leurs illustres aïeux? Quelle crainte peut-on avoir de
la bassesse et du déshonneur, lorsque le sang transmet les prérogatives
de la vertu ? Que l'illustration remonte, comme à la Chine, et passe des
vivants aux morts, je n'y vois nul inconvénient, mais qu'elle passe des
morts aux vivants, c'est autre chose.
Si j'étais souverain dans une contrée où la noblesse a des franchises,
je serais bien avare de titres de noblesse. Je laisserais passer la vieille
noblesse, je l'honorerais, je la soutiendrais, mais je n'en ferais point de
nouvelle, ce qui ne déplairait à personne.
10. Pendant plus de douze siècles, la formation de lois locales fut
toujours accompagnée de délibérations solennelles. Elles n'ont jamais
dépendu de la seule volonté du souverain. Les monarques ont toujours
désiré qu'elles fussent combinées par des représentants. Ils n'ont pas
même pris sur eux de les interpréter, et le roi régnant a lui-même
ordonné plusieurs assemblées territoriales pour perfectionner les cou-
tumes et les rédiger plus clairement.
Rédigées plus clairement, en sont-elles moins folles? Non. N'y reste-
t-il plus d'obscurités ? îllles en sont pleines. C'est une source de procès
interminables.
11. Ces lois, telles quelles, c'est à l'autorité souveraine qu'il appar-
tient de les faire exécuter. Le roi seul a cette autorité.
Giiyot, une espèce d'information que les cours souveraines ordonnaient autre-
fois lorsqu'en jugeant un procès, il se trouvait de la difficulté, soit sur une cou-
tume non écrite, soit sur la manière d'en user pour celle qui était rédigée
par écrit ou sur le style d'une juridiction, ou enfin concernant des limites ou
une longue possession ou sur quelque autre point de fait important. » Les dépo-
sitions s'y faisaient toutes ensemble : c'est de là qu est venue leur dénomination.
DIDEROT. ESSAI BISTORIQUE SUR LA POLICE. 303
S'en mêle-t-il ? Non. Gela est presque impossible, il n'y suffirait pas.
Il se fait suppléer, et par qui ? par des citoyens qu'il revêt d'une partie
de son autorité.
Cette portion d'autorité n'a pas été confiée sans règle ni restriction,
et, si un monarque voulait demain s'asseoir sous un chêne, à l'exemple
de saint Louis, et juger lui-même ses peuples, il le pourrait?
Certainement; cependant je ne pense pas que Louis XV l'eût fait
sans réclamation ; on lui aurait dit l'équivalent de : « Sire, de quoi
vous mêlez-vous ? »
Juger sous le chêne, ou évoquer à soi, n'est-ce pas la môme chose ?
Combien toutefois les évocations n' ont-elles pas causé de tumulte! C'est
que, quand on a créé un tribunal souverain, il faut interdire toute évo-
cation. L'évocation' est injurieuse, l'évocation affaiblit et l'autorité delà
justice et la crainte de la loi. L'évocation est toujours une marque de
faveur et de grâce.
Ces règles, restrictions, conditions, sont connues sous le nom d'ordon-
nances. Le magistrat jure de s'y conformer, voilà qui est bien jusque-là.
Mais le magistrat a prétendu que ces conditions liaient le souverain
lui-même, tant qu'elles n'étaient point révoquées.
Et le souverain est-il le maître de les révoquer ou abroger ? Assuré-
ment. Jamais le magistrat n'eût osé dire le contraire. Cependant ces
ordonnances sont devenues un sujet de dissensions perpétuelles entre le
souverain et le magistrat.
D'où il s'ensuit qu'il est de la dernière importance pour un souverain
de ne confier à un grand corps quelconque que la portion de son auto-
rité qu'il ne sera jamais tenté de revendiquer.
Mais aussi, lorsque sa sagesse a bien fixé cette portion, il est de la
plus grande importance de prendre toutes les précautions imaginables
pour que cette aliénation soit éternelle et permanente. Il ne l'est pas
moins de bien marquer la limite qui sépare ce que l'on retient de ce
qu'on abandonne.
En revanche, je pense qu'il ne faut jamais appeler un grand corps de
l'État, quand on peut s'en passer ; jamais le faire intervenir dans les
choses étrangères à son institution, parce que les corps sont sujets à se
faire des droits de tout ce qu'on leur a accordé une fois. Plus leur sanc-
tion donne de solennité, plus il faut s'en méfier. C'est comme la volonté
de Dieu qu'il ne faut point employer; il est aisé de faire vouloir Dieu
auprès des peuples, il ne s'agit que de corrompre un prêtre; mais il est
très difficile de le faire cesser de vouloir. Lorsque Romulus eut une fois
ordonné le sacrifice des bestiaux dans la disette, il fallut encore immoler
les bestiaux lorsque la disette fut passée.
Cette concession, faite par le souverain, d'une partie de son autorite
devient avec le temps la loi fondamentale d'un État, la plus essentielle.
Tant que cette concession subsiste sans atteinte, l'État prospère. Le
peuple se croit libre. L'attaquer est le premier pas du despotisme;
l'annuler en est le dernier, et l'époque la plus voisine de la chute d'un
304 MELANGES ET DOCUMENTS.
empire, surtout si cette innovation se fait sans effusion de sang, car
alors il n'y a plus de nerfs, tout est relâché, tout est avili.
Sa Majesté Impériale ne sera peut-être pas fâchée d'entendre parler
le magistrat, le représentant ou le dépositaire d'une portion de l'autorité
souveraine. Le nom ne fait rien à la chose.
fi L'autorité légale qui vous reste, Sire, se règle tant sur les lois
« locales et personnelles que sur les ordonnances. Nous n'avons accepté
« nos fonctions qu'à cette condition. Nous n'avons acquis nos charges
« à grands frais, nous ne les avons exercées avec, tant de zèle et de peine
« que par l'importance que vous y avez attachée vous-même. Laissez-
« nous tels que nous sommes ou abolissez-nous. »
S'ils avaient osé dire de nos jours « ou coupez-nous la tête, » peut-
être subsisteraient-ils encore. Mais, pour parler ainsi, il fallait être des
hommes, et ils n'en étaient pas. Mais, pour parler ainsi, il fallait avoir
pour soi la faveur de la nation, et ils ne l'avaient pas. Mais, pour avoir la
faveur de la nation, il aurait fallu s'être montré dans tous les temps les
protecteurs de la nation, et ils ne l'avaient jamais fait. Mais, pour oser
se montrer fermement les protecteurs de la nation, il fallait que, nommés
par la nation, elle eût seule le droit de les révoquer, et il n'y avait rien
qui ressemblât à cela; s'ils étaient tels qu'ils se prétendaient, il en fal-
lait prendre acte do bonne heure, et sentir que leur existence dépendait
de ces actes réitérés et suivis sans intermission.
Que Sa Majesté Impériale a été sage, quand elle a abandonné à
chaque province de ses États le choix de son représentant ! Mais aura-
t-elle la force de laisser à chacune de ces provinces la liberté de la con-
firmation ou de la révocation de son représentant? Ne se mêlera-t-elle
plus de la conformation du corps et son génie grand et fécond lui
a-t-il inspiré le moyen d'empêcher aucun de ses successeurs de s'en
mêler? Je ne crois pas qu'il y ait un problème de politique plus difficile
à résoudre, mais je suis bien éloigné de le croire au-dessus de ses forces.
Elle a fait tant de choses surprenantes qu'on ignore ce qu'elle ne peut
pas faire.
Si elle s'est proposé d'éterniser ses lois et d'élever contre le despo-
tisme à venir une autorité insurmontable, il est certain qu'elle ne peut
rien faire de mieux.
Il est bien grand, bien courageux, bien humain dans une souveraine
de former elle-même une digue à la souveraineté. Car c'est très certai-
nement ce qu'elle aura fait si, après avoir confié à ses sujets la rédac-
tion du code, elle rend la commission permanente, si elle laisse aux
provinces le droit de perpétuer ou de casser ses représentants, et si elle
ôte à ses successeurs le pouvoir d'en disposer ou de l'anéantir.
Il ne restera plus qu'une précaution à prendre, c'est que cette fonc-
tion de magistrat, de représentant ou de commissaire, devenant très
importante, ne devienne un objet d'ambition, et que celui qui aspirera à
cette dignité ne corrompe ses vassaux, n'achète leurs voix et n'arrive à
la commission comme on arrive en Angleterre à la députation.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 305
Il n'y a en Angleterre que la voie de la corruption ; peut-être ici faut-
il y ajouter la voie de la terreur.
Que celui donc qui aura brigué, de quelque manière que ce soit, les
suffrages, soit à jamais exclu du tribunal. Les petites brigues secrètes
peuvent s'ignorer; les grandes brigues et celles qui influent sur toute
une province le sont difficilement. Voilà les seules qui puissent et même
qui doivent être proscrites.
12. La promulgation de ces ordonnances des rois ne se fit point sans
formalité, ce ne fut point une étiquette particulière à la troisième race.
Dès le commencement de la monarchie, les perceptions, c'est-à-dire les
ordres ou lettres que le roi adressait aux juges, n'avaient d'exécution
qu'après une vérification scrupuleuse.
13. Si le commencement de la troisième race n'offre rien de semblable,
c'est qu'alors il n'y avait plus de lois et que le pouvoir légal du souve-
rain, concentré dans ses seuls domaines, ne s'étendit pas sur ceux de
ses vassaux.
Sa Majesté Impériale (à moins que notre vieille histoire ne lui soit
très familière, ce qui ne me surprendrait pas) s'étonnera un peu de hre
alternativement : « il y avait des lois ; il n'y avait plus de lois. »
Cela arrivera toujours (indépendamment des circonstances particu-
lières à la France), lorsque l'ordre social et public s'établira par hasard
et sans aucun plan ; lorsqu'il ne sera pas le résultat du concours géné-
ral des volontés ; lorsqu'il ne sera que l'effet de la bonne volonté du sou-
verain que son cœur, quelquefois bon, et sa tête, fort souvent très
étroite, aura dirigé. "Votre Majesté a la tête forte, l'âme grande, les
vues étendues. Elle sait vouloir et vouloir fortement ; elle a un plan
formé, elle a appelé dans son conseil toute la nation, elle est aidée de
toutes les lumières des nations circonvoisines. C'est pour elle, et pour
elle seule, je crois, que Montesquieu a écrit. C'est elle qu'attendaient
les philosophes qui ne méditent que pour le temps où il naîtra un grand
prince. Son ouvrage durera, s'il l'achève, et il l'achèvera, si le malheur
d'une longue suite de victoires n'absorbe pas une partie de la durée de
son règne. Je l'ai déjà dit, je ne regrette pas les hommes, les hommes
se refont ; je ne regrette pas l'or de ses trésors, les trésors se remplissent;
mais qui rendra à ces peuples les années qui s'écoulent? Voilà la vraie
perte, la perte irréparable, la perte qui fait gémir toutes les personnes
honnêtes de l'Europe qui soupirent après le résultat de ses premières
opérations ; quel qu'en soit le succès, elles l'immortaliseront.
Il en serait de la Russie ainsi que de toutes les autres nations que
l'enchaînement des événements a conduites à une sorte de police, telle
quelle; elle épargnera bien des siècles à son pays.
14. Après quelque interruption, l'ordre, l'usage, les formalités
anciennes reparurent sous les successeurs d'Hugues Gapet, tandis que
tout était encore soumis à la poUce féodale, et décidé par les guerres ou
par le duel.
Montesquieu dit que c'est un grand et sublime spectacle que celui du
ReV. HiSTOR. XXV. 2e FASC. '20
306 MELANGES ET DOCUMENTS.
gouvernement féodal '. Je n'entends pas cela. Le plan s'en exposerait en
dix pages et les maux ne s'en exposeraient pas en mille ; mais je
m'incline toutes les fois que je prononce ce nom et je ne me permets pas
de discuter.
15. Louis le Gros et son successeur affranchirent les serfs, et créèrent
ainsi une nouvelle classe de sujets par l'érection des communes.
16. Philippe-Auguste étend son domaine et institue des baillis.
17. Louis VIII et saint Louis, devenus plus puissants encore, aug-
mentent le nombre de leurs officiers, sous le même nom de baillis, et
sous celui de sénéchaux.
Quel homme c'aurait été que ce saint Louis ! Je lui passerais, je crois,
son esprit intolérant s'il eut fait par politique ce qu'il fit par sottise
pieuse. Les grands vassaux le suivent en terre sainte, les uns y sont
tués; les autres ruinés ; lui-même y périt et son successeur devient tout-
puissant.
Si les seigneurs d'une contrée gênaient un souverain, j'imaginerais
bien, je crois, un moyen de se délivrer, avec le temps, de cette espèce
de gêne, sans commettre d'injustice, sans attendre le hasard sanglant
de saint Louis et sans recourir à la ressource hypocrite de l'abominable
assassin Louis XL
Mais heureusement Sa Majesté Impériale peut tout, et, plus heureu-
sement encore, elle ne veut que le bien. Aussi qu'elle est grande ! Com-
bien son nom est révéré chez toutes les nations ! et qu'elle doit être
heureuse !
Les établissements changeront, avant qu'il se soit écoulé un demi-
siècle, toute la face de son empire. Un moyen simple qui achèverait de
lever tout obstacle, ce serait l'acquisition, même au-delà de la valeur,
de toutes les possessions considérables, dont le dérangement des pro-
priétaires, ou quelqu'autre cause que ce soit, occasionne la vente.
Mais Sa Majesté Impériale dira que ce moyen suscite de l'ombrage.
L'ombrage cessera si elle acquiert, pour gratifier d'honnêtes et bons
citoyens, des serviteurs sûrs et zélés à qui ces acquisitions seraient
concédées à vie, sauf même à en prolonger la jouissance à leurs héritiers.
Ce moyen a même un double efîet, outre celui d'enrichir et de forti-
fier le souverain, et de voir les grands obstacles à ses volontés ; celui
encore d'attacher fortement plusieurs grandes familles au souverain qui
règne, d'assurer la succession, et avec la succession la paix et la tranquil-
lité intérieures.
Ainsi j'acquerrais de ceux qui vendent par indigence ou dérange-
ment; j'enrichirais ceux qui manquent et j'emprunterais de ceux qui
sont riches. Rien de si respectable qu'un débiteur qui paie bien, car il
faut bien payer.
1. Esprit des lois, livre XXX, ch. i. Montesquieu a consacré à l'examen du
gouvernement féodal et à la réfutation de l'abbé Dubos {Histoire critique de
rétablissement de la monarchie française dans les Gaules) les deux derniers
livres de sou grand ouvrage.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 307
Point de souverain plus en sûreté sur son trône que celui qui doit à
tous ses sujets, s'il paie bien sa dette.
Ces emprunts sont autant de chaînes qui partent du pied du trône et
qui s'étendent jusqu'aux dernières limites de l'Empire.
18. Tous ces officiers de baillis et sénéchaux rendaient compte de leur
administration au roi lui-même, assisté de ceux qu'il jugeait à propos
d'appeler à son conseil.
Sa Majesté Impériale croira sans doute que cela commence à prendre
forme, cependant il n'en est rien.
19. Cette juridiction purement fiscale dans son origine et propre aux
domaines particuliers du roi donna lieu dans la suite à l'intervention
des cas roi/aux et aux appels des sentences de tribunaux postérieurement
érigés, étendit sa compétence de toutes parts et renversa l'ordre judiciaire
du gouvernement de Charlemagne dont il ne reste de vestiges que dans
les pairs de France.
On a créé un tribunal, on en érige un second, sans abolir le premier,
et l'on ne s'aperçoit pas qu'on suscite en même temps mille conflits de
juridiction.
Plus on multiplie les districts, plus on embrouille l'ordre judiciaire,
parce que, les limites des juridictions n'étant jamais assez tranchées, il
s'élève entre les tribunaux les mêmes contestations qu'entre les rois, les
prêtres et les magistrats, les particuliers sur leurs domaines.
Des tribunaux nombreux, moins de tribunaux différents, s'il est
possible.
Et puis je m'arrête pour considérer un moment par combien de vicis-
situdes nous avons été conduits au point où nous en sommes ou plutôt
où nous en étions, et par combien de vicissitudes nous aurions eu
encore à passer pour arriver à quelque chose de bien, en continuant de
nous abandonner aveuglément à ce mouvement obscur et sourd qui nous
tiraille, qui nous tourmente et nous fait tourner et retourner, jusqu'à
ce que nous ayons trouvé une position moins incommode, mouvement
qui agite un empire mal policé, comme il agite un malade ! Mais nous
avons perdu jusqu'à cette inquiétude automate. Nous ne nous sentonsplus.
Il y avait dans le commencement un roi, des seigneurs et des serfs.
Il n'y a aujourd'hui qu'un maître et des serfs sous toutes sortes de noms.
20. Dans une régénération du gouvernement français, les rois s'aper-
çurent que plus leur autorité prenait d'accroissement, plus ils avaient
besoin d'aides dans son exercice.
21. Les baillis rendaient compte au roi, ou plutôt à son conseil. Mais
aucune lettre, aucun ordre ne leur était adressé sans l'avis de ce conseil.
Telle est l'origine de la vérificatmi des cours sous la troisième race.
C'est un mot bien singulier que celui de vérification. Je l'expliquerai
ailleurs.
22. La formalité de l'enregistrement est postérieure à la vérification.
Qui croirait que cette formalité de l'enregistrement, cette loi si grande,
si belle, si sacrée; cette loi qui, déposée entre des mains vraiment
30<S MELANGES ET DOCUMENTS,
patriotiques, aurait suffi pour arrêter toutes les opérations d'un minis-
tère pervers et qui les a quelquefois arrêtées, n'a qu'une origine frivole,
n'a presque produit aucun bien et a servi ou de raison ou de prétexte à
la destruction récente de toute notre magistrature et conséquemmentun
renversement de notre gouvernement! Une formalité produite parle
hasard ! Une formalité insignifiante dans son origine! Une formalité qui
devient par laps de temps la base d'un empire ! Que l'histoire écrite et
lue sous ce coup d'oeil serait une belle chose ! Mais l'incertitude ou
l'ignorance des faits s'y oppose.
L'enregistrement n'eut d'autre utilité dans son principe que la con-
servation de la loi dans un registre authentique, en cas de la perte de
l'original.
Dans la suite, il devint une condition sans laquelle aucune volonté du
roi ne pouvait avoir d'exécution. Le roi, par exemple, eût inutilement
levé un impôt sur ses sujets ; celui qui eût osé l'exiger et le percevoir,
avant l'enregistrement, aurait été traité comme concussionnaire, décrété,
appréhendé au corps et peat-être puni capitalement.
Il fallait ou l'enregistrement ou des baïonnettes, point de milieu.
Voici donc ce que l'enregistrement suppose : un souverain qui veut.
Un souverain qui notifie sa volonté à un corps de citoyens chargé
d'examiner si cette volonté n'a rien de contraire aux constitutions fon-
damentales du royaume, au bien de son état et de sa personne, et au
légitime intérêt de ses sujets.
Un corps de citoyens qui approuve et désapprouve la volonté du
souverain.
Un corps de citoyens qui, en cas d'improbation, peut ou ne peut pas
arrêter la mauvaise volonté du souverain.
Si ce corps est bien composé, si les membres en sont de bons, hon-
nêtes et braves citoyens, des patriotes zélés, des hommes justes et éclai-
rés, la belle chose que ce corps ! Une nation doit se faire égorger tout
entière plutôt que d'en souffrir l'abolition.
Mais ce corps n'est-il subsistant, ne doit-il son privilège, sa durée qu'à
la volonté du souverain ; peut-il cesser d'être au moment où le souverain
lui dit : « Vous étiez, parce que je voulais que vous fussiez ; vous n'êtes
plus, parce que je ne veux plus que vous soyez ? »
Ce corps ne peut-il rien par lui-même ?
Ce corps, lorsqu'il fait le mieux son devoir, en est-il réduit à de
vaines remontrances ?
Ce corps est-il obligé, sur des lettres de jussion, de donner la sanction
légale et publique à la volonté unique du maître?
Lorsque ce corps a le courage de désobéir à des lettres de jussion, sa
désobéissance n'amène-t-elle qu'un lit de justice où le roi saisit la main
du magistrat et lui dit : « Écris ce que je veux que tu écrives, et dis à
« mes sujets que tel est mon bon plaisir, et que tu m'approuves? »
Ce corps n'a-t-il plus de ressource alors que d'obéir, continuer ou
quitter ses fonctions de remontrants et de magistrats?
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SLR LA POLICE. 309
Ce corps n'est rien ou peu de chose pour la nation. Ce n'est qu'un
beau fantôme qui la séduit; c'est la voix de la sagesse qui crie inutile-
ment.
Si on lui a vendu et vendu bien chèrement le droit de remontrer, car
ce corps n'est qu'une assemblée de remontrants, s'il quitte ou si on le
casse, il est juste de le rembourser et de le rembourser sur-le-champ et
dans l'espèce qu'on en a reçu, et, si l'on manque d'argent, il ne faut pas
le casser, car, quand cela serait vrai, il ne faut pas dire à une nation qui
n'est pas tout à fait imbécile : « Vous n'avez rien, avez-vous bien entendu ?
Mais rien du tout, car tout m'appartient. »
Un corps pareil ne peut obtenir quelque solidité, quelque vigueur
que de la considération publique, de l'incorruptibilité de ses membres
et d'une confédération solide entre les classes qui le composent, que de
l'immensité de ses fonctions, quand il joint au titre de remontrant celui
de magistrat ; que de l'intérêt que toute une nation prend à sa conser-
vation, et que de la difficulté de le suppléer, si toutes les classes, en
abdiquant la qualité vaine de remontrant, abdiquent en même temps à
la fois la qualité importante de juge, car il est évident que son abdica-
tion générale et subite jette en un instant la nation dans l'anarchie, état
dont la durée est incompatible avec la sécurité du souverain.
Examinons notre corps remontrant sous ces différentes faces.
Jouissait-il de la considération publique? Non. Il n'en jouissait pas,
parce qu'il ne la méritait pas, et il ne la méritait pas, parce que toutes
les résistances aux volontés du souverain n'étaient que de la mômerie;
que l'intérêt de la nation était toujours sacrifié et qu'il ne se battait
bravement que pour le sien.
Ces classes étaient-elles bien unies? Aucunement. Celle de la capitale,
pleine d'une sotte morgue, dédaignait les autres, et de temps immémo-
rial elle s'était presque privée elle-même de sa principale force, en éloi-
gnant de ses séances journalières les ducs et pairs, ses membres nés,
dont le premier président prenait les avis le bonnet sur la tête, tandis
qu'il se découvrait en prenant les avis de ses confrères, distinction
injurieuse dont ces sots et orgueilleux remontrants n'avaient jamais
voulu se départir, préférant une marque ridicule de prééminence à leur
force et à leur sécurité.
Qu'on juge de l'embarras qu'auraient donné les pairs, formant corps et
cause commune avec eux, par l'embarras qu'ils donnent encore aujour-
d'hui, embarras tel que le ministère ne s'en serait jamais tiré si l'intérêt,
la faiblesse et l'ennui ne les avaient subjugués. Ils se sont tous vendus
plus ou moins cher, et quelques-uns ont déjà plié le genou et fait la
révérence aux misérables qui ont remplacé nos anciens magistrats. Il
est donc essentiel à la durée d'un corps de remontrants de pourvoir qu'à
l'avenir une classe ne s'arroge aucune prérogative sur une autre classe,
s'il est partagé en classes ; et que, dans une classe ou dans le corps entier,
il n'y ait aucun individu qui puisse en mépriser un autre. Autre précaution
à prendre, c'est qu'un député, un remontrant, un magistrat n'ait dans
3^0 MELANGES ET DOCUMENTS.
les cas de discussions particulières aucune prépondérance sur le dernier
des citoyens, et que justice se fasse.
Il faut avouer qu'ils avaient donné pour l'acquisition de leurs titres
de remontrant et de magistrat des sommes dont le revenu n'était nulle-
ment proportionné soit à leurs fatigues, soit à leur fortune, soit à leur
dignité, et voilà la base de leur vénalité et de leur esclavage. La cour
les dédommageait dans leurs enfants, qu'elle plaçait dans le militaire et
dans l'église. Ils n'étaient ni assez courageux ni assez riches pour renon-
cer à cette séduction qui les entraina dès le premier instant et à laquelle
les plus fougueux enthousiastes auraient cédé à la longue, parce que
l'enthousiasme ne peut jamais être qu'un ressort momentané, le ressort
d'un individu et non celui d'un empire.
La nation prenait-elle grand intérêt à ce corps? Aucun. Il était resté
gothique dans ses usages, opposé à toute bonne réforme, trop esclave des
formes, intolérant, bigot, superstitieux, jaloux du prêtre et ennemi du
philosophe, partial, vendu aux grands, dangereux et incommode voisin,
et cela au point que la propriété qui touchait à la sienne perdait un
quart, un cinquième, un sixième de sa valeur, que même on n'en vou-
lait point; embarrassant tout, brouillant tout, tracassier, petit, tirant à
lui les affaires de politique, de guerre, de finance, ne s'entendant à rien
hors de sa sphère, et toujours pressé d'en sortir, voyant le désordre
partout, excepté dans ses lois, dont il n'essaya jamais de débrouiller le
chaos, vindicatif, orgueilleux, ingrat, etc
Toutes les classes de corps se sont-elles soulevées à la fois ? Non. Elles
se sont laissé exterminer les unes après les autres, comme des troupeaux
de moutons. Je ne doute pas même que les classes provinciales n'aient
été assez aveugles pour ne pas voir le, sort qui les attendait dans celui
de la première classe et assez sottes pour s'en réjouir secrètement.
Mais la destruction de ce corps est donc un bonheur? Non. C'est un
très grand malheur, parce qu'elle a entraîné la ruine de vingt mille
familles, parce qu'elle a annoncé à toute la nation qu'il n'y avait plus
aucune propriété sacrée ; parce qu'on a substitué à des gens illustres
par leur place, leur naissance, leurs alliances, leur fortune, leur impor-
tance, leur grand usage des affaires, sinon leurs lumières, leur ancien-
neté, leur vieux gothique qui conservait encore je ne sais quoi d'auguste,
un ramas de malheureux, de malfaiteurs, de sycophantes, de gueux,
d'ignorants, une misérable canaille qui tient l'urne fatale où nos vies,
notre liberté, nos fortunes et notre honneur sont renfermés ; parce que
cette canaille, vile par elle-même, n'ayant pour toute fortune que son
modique salaire fixé par la cour, doit s'avilir par toutes sortes de bas-
sesses pour conserver cette place dont on peut la chasser comme on
chasse des valets, et travailler à sa fortune par toutes sortes d'iniquités,
parce que les pères ne savent plus que faire de leurs enfants à qui cette
porte honorable est fermée; parce que cette corporation d'hommes
indignes et obscurs empirera plutôt que de s'amender, ne pouvant être
recrutée, du moins de très longtemps, de meilleurs sujets; car quel est
DIDEROT. ESSAI HISTORrnUE SUR LA POLICE. 314
le père qui pousse son enfant vers un état où il n'y a ni honneur, ni
profit, ni sûreté ? on en a déjà chassé plusieurs, sans aucune sorte de
formalité. Au reste, s'il s'amende jamais, ce ne sera pas de quatre
siècles; en attendant, il perdra la France; ou, si l'État et les cours sou-
veraines subsistent encore, ces cours souveraines seront derechef exter-
minées par le monarque, ou le monarque jeté dans les fers par elles.
Si elles étaient capables de quelque vue profonde, avant le milieu du
siècle prochain, elles ramèneraient l'ancien temps des états généraux.
Mais ce qu'on ne prévoit pas, c'est qu'elles s'enrichiront avec le temps
et qu'alors leur intérêt se confondant en partie avec l'intérêt général, il
est impossible qu'elles ne deviennent pas redoutables. Le maréchal de
Broglie' me répond à cela : « Qu'est-ce que cela me fait? Je n'y serai
pas. » Et vos enfants, monsieur le maréchal, y seront-ils? mais j'en-
tends, vous vous souciez fort peu de vos enfants.
Votre Majesté Impériale dit : « Que les enfants de vos pères n'entrent-
ils dans le militaire ? u Le militaire est un état chez nous, où il n'y a
que des coups à gagner et une fortune à perdre. Le militaire achève sa
vie sur des pensions de la cour qui les paie mal. La cour vient de
réduire en rentes viagères les pensions militaires arriérées; c'est-à-dire
de condamner les petits-enfants de ces militaires à demander l'aumône.
Rien de plus commun dans nos rues qu'une croix 2 qui n'a pas d'ha-
bit; parce qu'il faut payer en rubans, quand on manque d'argent; et
que le ruban s'avilit, en se multipliant.
La nation s'est donc réjouie de l'extinction de ce corps ? Avant que
de connaître les mains infâmes dans lesquelles elle allait tomber, elle
s'en est désolée, et avec raison : il y avait entre la tête du despote et
nos yeux une grande toile d'araignée sur laquelle la multitude adorait
une grande image de la liberté. Les clairvoyants avaient regardé depuis
longtemps à travers les petits trous de la toile, et savaient bien ce qu'il
y avait derrière, on a déchiré la toile, et la tyrannie s'est montrée à
face découverte. Quand un peuple n'est pas libre, c'est encore une chose
précieuse que l'opinion qu'il a de sa liberté ; il avait cette opinion, il
fallait la lui laisser; à présent, il est esclave, et il le sent et il le voit;
aussi n'en attendez plus rien de grand ni à la guerre, ni dans les sciences,
ni dans les lettres, ni dans les arts. La philosophie est persécutée. Les
lettres ne se soutiennent que par la considération publique d'un peuple
qui s'ennuie et qui ne peut refuser sa faveur à des hommes qui
l'amusent; il n'y a que du danger à écrire et penser hardiment. On ne
peut recueillir de son ouvrage aucun lucre, aucun honneur , fparce
qu'on ne peut l'avouer. Le sentiment patriotique vit encore dans les
pères ; il vit même au fond des cœurs de tous les fauteurs actuels de la
1. Victor-François, duc de Broglie, né le 19 octobre 1718, mort à Munster
en 1804.
2. Un chevalier de Saint-Louis. Diderot a plusieurs fois employé cette abré-
viation, mais je n'en connais pas d'autres exemples chez ses contemporains.
312 MELANGES ET DOCUMENTS.
tyrannie; et c'est par cette raison qu'on n'ose pas tout contre les pères
qu'on ne croit pas disposés à tout supporter. Mais les successeurs de
ces ministres de la tyrannie seront des tigres qui se croiront nés de
tout temps pour déchirer, et nos enfants, des moutons imbéciles qui
se croiront nés de tout temps pour être déchirés.
O nation si belle, il n'y a qu'un moment ! 0 malheureuse nation, je
ne puis m'empêcher de pleurer sur toi !
Il est une haute montagne, escarpée d'un côté et terminée de l'autre
par un précipice profond, entre le côté escarpé et le précipice il y a une
plaine plus ou moins étendue. La nation qui naît grimpe le côté escarpé.
La nation formée se promène sur la plaine. La nation qui déchoit suit
la pente du précipice, et la suit avec une grande célérité ; nous y sommes.
Je présente à Votre Majesté un spectacle grand, mais affligeant; que
son âme tendre et humaine en soit touchée, mais non découragée.
Cependant il a fallu des siècles pour amener notre instant fatal ; et cet
instant pouvait être retardé par des lois et des institutions sages, si
nous eu avions eu. Songez, madame, que je vous présente l'éboulement
d'un grand amas de grains de sable que des circonstances fortuites
avaient entassés, au lieu qu'il dépend de Votre Majesté de placer la
hase de votre pyramide sur le roc, et d'en lier les différentes parties par
des crampons de fer. Le roc s'affaisse, il est vrai, les crampons de fer
se relâchent, les pierres se disjoignent, et l'édifice s'écroule à la longue;
mais il a duré cent siècles ; cent siècles d'un bonheur continu et procuré
par les travaux et le génie étonnant de Votre Majesté, à trente millions
d'hommes, ne suffiront-ils pas à son âme vaste et grande ?
23. Je continue. Sous le règne de saint Louis, le conseil du roi est
partagé en plusieurs départements.
D'abord ce prince, qui voyageait souvent, crut qu'il était utile de
détacher d'auprès de sa personne une partie des officiers de son conseil;
pour entendre les comptes des baillis, et pour être des dépositaires fixes
et permanents des titres de la couronne, des chartes et des lois.
2'i. Elle est incroyable, l'importance que des frivolités prennent à la
longue : voilà l'origine de ce sublime et magnifique nom de conservateurs
et défenseurs des lois foMamentales de la nation.
Cette juridiction fut fixée au Temple à Paris.
25. La Chambre des Comptes est le premier corps de magistrature
connu dans notre histoire.
Et à quoi cette Chambre des Comptes doit-elle son origine ? Aux fré-
quents voyages du roi.
Lorsque les institutions les plus graves sont les suites d'un hasard
capricieux qui les amène, comment n'arrivera- t-il pas qu'elles se
croisent et s'entre-détruisent ? Ce ne sont plus les matériaux d'un édi-
fice projeté où l'habile architecte fixe la place à chaque pierre. Ce sont
autant de pierres qui sortent fortuitement de la carrière, qui s'arrangent
d'elles-mêmes, sans concert, sans ordre et sans symétrie, et ne peuvent
former à la longue qu'un bâtiment ridicule.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 3^3
Et quelle sera la limite de ces institutions, si chaque moment aussi
frivole doit y donner lieu ? Sous un roi non-voyageur, la Chambre des
Comptes rentra-t-elle dans le conseil dont elle était un démembrement?
Point du tout; dans les empires le mal qui se fait par hasard dure quel-
quefois plus que s'il avait été projeté. Le mal projeté s'aperçoit et effraie.
Le mal fortuit ne s'aperçoit pas.
Que Votre Majesté pousse son édifice aussi loin qu'elle pourra, et
qu'elle ait pour sa nation la bonté de tracer elle-même de sa propre
main, à son successeur, la manière dont il convient que cetedihce soit
continué; sans quoi, je crains bien que, si le ciel la rendait à la terreau
bout de deux ou trois siècles, elle n'y trouvât des parties bien bizarre-
ment et bien capricieusement surajoutées. « Mais qui m'assurera que
mon successeur se conformera à mes idées ? » Son bon cœur, son bon
esprit, son éducation, vos conseils et votre exemple, et puis Votre
Majesté aura fait tout son possible pour que le bonheur de sa nation se
poursuive selon la sagesse de ses vues. Le reste est abandonné au destin.
26. L'administration des baillis consistait alors presque tout entière
en recelte et en dépense.
Ils n'étaient point juges des nobles dans leur institution primitive,
ils avaient seulement le soin de faire rendre les jugements par ceux qui
devaient y procéder dans leurs bailliages.
Il y avait alors deux manières de juger, l'une par les pairs, l'autre
par les prud'hommes ou sages gens.
Les appels des pairs se portaient dans les cours féodales qui étaient
assemblées par semonces.
Les appels des prud'hommes ou sages gens étaient portés dans les
cours des conseils du roi, ou dans celles des grands vassaux et des sei-
gneurs particuliers.
Dans les cours féodales, c'était le combat qui servait de preuve et qui
décidait.
Dans les conseils, c'était la preuve testimoniale introduite par le droit
romain et adoptée par saint Louis.
27. Cette dernière jurisprudence ayant paru préférable aux princes
et aux grands feudataires, la cour du conseil du roi et les cours du
conseil des grands vassaux se trouvèrent chargées de la décision de
presque toutes les affaires. Les barons et les pairs ne furent plus que
très rarement semonces, parce qu'on ne jugea plus par pairs. Ainsi la
cour du con.seil du roi, dont l'origine était domaniale et extraordinaire,
devint cour de justice.
28. De même que Philippe-Auguste, en partant pour la terre sainte,
avait recommandé à la reine sa mère de tenir tous les quatre mois une
séance ou assise à Paris, pour entendre les comptes des baillis et les
plaintes qu'on pourrait faire contre eux ; de même aussi saint Louis,
dans les différents voyages qu'il fit, laissa à Paris une partie des offi-
ciers de son conseil pour tenir cette assise.
314 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Lors du temps d'assise, ces officiers jugeaient les causes commises, et
celles des commensaux de Paris, usage qui a subsisté longtemps.
Les jours où se tenaient ces assises ne furent point d'abord détermi-
nés. C'était ordinairement après les grandes fêtes. Ce temps s'appelait
le temps du parlement, nom que l'on donnait alors à toute assemblée
dans laquelle on conférait, ou parlementait.
29. Environ deux siècles après, cette commission composée, chaque
année, des personnes que le roi jugeait à propos d'y placer, prit une
consistance semblable à celle de la Chambre des Comptes, elle devint
corps dans l'État; et le nom de parlement qui désignait un établisse-
ment momentané fut néanmoins conservé à cette séance ou assise deve-
nue perpétuelle.
30. Voilà l'origine du Parlement, tribunal auquel Votre Majesté ne
reconnaîtra certainement aucun des caractères propres à une barrière
projetée pour la défense des peuples contre le pouvoir arbitraire d'un
souverain imbécile ou méchant.
Son institution est aussi fortuite que les autres; ses prérogatives
aussi incertaines; et son existence aussi précaire.
Les enquêtes et les requêtes ne faisaient point alors partie du Parle-
ment. Si dans la suite, ou dans le même temps, on les comprit sous la
même dénomination, c'est qu'ordinairement, c'était parmi eux que le
roi choisissait ceux qui devaient tenir les assises.
31. Le conseil du roi ainsi partagé en différents départements, la
vérification des lettres éprouva le même partage.
La Chambre des Comptes vérifia toutes les lettres particulières, en
matière de gestion de domaines, de finance, de comptabilité et en géné-
ral de tous les ordres adressés aux baillis.
Si ces baillis y trouvaient de l'obscurité, de l'embarras, ils en infor-
maient les gens des comptes qui, après s'être adressés au roi, leur en
donnaient l'explication ou déclaration.
32. Le roi s'est depuis réservé à lui seul le droit de donner ces déclara-
tions ; et voilà pourquoi ces lettres qui étaient autrefois expédiées par
les gens des comptes s'expédient aujourd'hui à la grande chancellerie.
Le Parlement, les requêtes et les enquêtes furent chargés de la véri-
fication des lettres de justice, chacun en ce qui les concernait.
Ces mots vérifier, vérificalion sont on ne saurait plus modestes ;
on croirait que c'est une pure et simple collation de la volonté écrite du
souverain avec une copie qu'on en aurait faite ; tandis que c'est exacte-
ment une confrontation de cette volonté avec la loi de l'État ou du sens
commun.
Lorsque le roi voulut rendre des ordonnances pour la réformation du
royaume, il les fit d'abord avec les barons et de leur consentement.
33. Les barons ayant cessé d'être indépendants, et ayant eu souvent
leur entrée au conseil du roi, ils coopérèrent encore à la formation des
grandes ordonnances.
Elles ont été faites ensuite sur les plaintes et doléances des états, par
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 3^5
le conseil du roi, et vérifiées par les parlements et chambres des comptes.
A l'égard des affaires de finances et de domaine, le Parlement a été
à peu près associé à la Chambre des Comptes pour la vérification.
Il est même entré d'autant plus facilement en correspondance, comme
elle, avec les baillis et sénéchaux pour leur faire parvenir les ordon-
nances et les règlements, que les officiers étaient déjà soumis à sa juri-
diction, par les appels des sentences qu'ils rendaient sur les contesta-
tions des particuliers.
34. Enfin la Cour des Aides qui, dans l'origine, n'était point sortie du
conseil, fut néanmoins chargée de vérifier les lettres relatives aux
matières de son département qui est tout financier.
La Chambre des comptes et le Parlement chargés des mêmes fonc-
tions, quoique dans des matières différentes, furent assujettis aux mêmes
devoirs.
Nulle lettre ne devait être passée qu'elle ne fût levée et accordée en
présence de tous sur le Burel.
Lorsque des lettres scellées contre les ordonnances venaient à la con-
naissance des gens des comptes, ils devaient les retenir avant de les
passer ou de les rendre.
Il leur était même enjoint, par tout l'amour et la féauté qu'ils avaient
au roi, de ne les passer, vérifier ou registrer, ni obéir, ni souffrir y
être obéi.
Les obligations des officiers du Parlement ont été les mêmes ; il leur
est en elîet ordonné de ne passer les lettres qui seraient contraires aux
lois, de les casser au contraire comme injustes et subreptices ; et il leur
est défendu d'obéir à tous commandements de bouche ou par écrit qui
leur seraient faits à cet égard.
L'ordonnance de Louis X, 15 mai 1315, et une multitude d'autres
imposent la même obligation à leur fidélité.
35. Voilà les révolutions diverses qu'avait subies notre police; et il y
a plus de quatre cents ans qu'elle n'avait souffert de changements
remarquables, lorsqu'elle fut tout à coup bouleversée avec plus de célé-
rité et moins de résistance que le chaume d'une vieille cabane n'en
oppose à la fureur des vents.
Mais, avant que d'aller plus loin, il est une observation importante à
faire; c'est qu'on voit successivement plusieurs rois sages prendre des
précautions infinies et employer les injonctions les plus fortes pour
engager les remontrants ou magistrats à bien faire leur devoir, à véri-
fier scrupuleusement leurs édits ou volontés, à leur désobéir formelle-
ment et à s'exposer à toute leur indignation plutôt que de souscrire à
un ordre nuisible. Cependant qu'en est-il arrivé ? rien de ce qui devait en
arriver; lorsqu'un roi commande de pareilles choses, il n'est jamais
obéi, à moins que ses actions ne montrent bien évidemment qu'il veut
l'être, et quand ses actions l'ont-elles sufhsamment prouvé? je l'ignore;
et puis son successeur dit : « Mon aïeul le voulait ainsi ; moi, je ne le
veux pas. » Tels étaient pourtant ou le privilège, ou la prétention, non
316 MELANGES ET DOCUMENTS.
contestée, de ces remontrants que le roi n'en pouvait dépouiller aucun
de son état, sans lui faire son procès; ils ne se croyaient amovibles que
par la mort naturelle ou violente.
Pourquoi cela n'a-t-il produit aucun bien? c'est que le tribunal
entier était de la création du monarque seul ; c'est que l'aliénation pré-
tendue de la portion d'autorité publique qui lui avait été faite était
mal cimentée ; c'est que l'homme du palais ne fut jamais l'homme du
peuple et qu'il resta toujours l'homme du roi ; il est inutile de m'étendre
davantage sur ce point que j'ai suffisamment examiné à l'occasion de
l'enregistrement.
36. Nous étions sous un gouvernement ou du moins nous nous
croyions sous un gouvernement vraiment monarchique. Un roi qui peut
tout sur son peuple; entre ce roi tout-puissant et son peuple, un corps
intermédiaire autorisé à suspendre l'exécution de la volonté du roi ; un
roi qui veut inutilement et qui n'est pas obéi, si sa volonté n'est véri-
fiée, c'est-à-dire déclarée conforme au bien général, par le corps inter-
médiaire; déclaration toujours subséquente à une formalité essentielle,
l'enregistrement, la bête noire des ministres.
Tout à coup il s'élève un homme de rieni, sans grande fortune, sans
grande naissance, sans grand génie, mais suppléant ces qualités par de
la bassesse, de la duplicité, l'esprit de la vengeance, l'ambition et
l'audace.
Cet homme, qui avait trompé son père et le ministre; son père pour
devenir premier président, son père et le ministre pour devenir chan-
celier, se proposait simplement de rendre au corps des remontrants ou
magistrats, dont il avait été chef, quelques mortifications qu'il en avait
reçues, du moins on le présume; mais semblable au nègre inconsidéré
qui a engagé son bras entre les rouleaux du moulin et qui sent ou qu'il
faut briser la machine ou en être broyé comme la canne, ne balance
pas, et fait bien pour son salut, il brise la machine, moins par sa force,
que par la faiblesse et la sottise de ses adversaires.
Il représente au monarque que ces remontrants le tiennent en lisière.
Il lui fait concevoir qu'il est indigne de lui d'envoyer ses volontés
sacrées à contrôler à de petits particuliers.
Il lui rappelle la multitude de circonstances où cet enregistrement
ridicule a gêné et quelquefois empêché l'exécution de ses ordres suprêmes
et les opérations de son ministère.
Il lui propose d'être maître et roi.
Il lui dit qu'il est temps d'être maître et roi.
Il lui persuade que tout lui appartient par le droit du premier roi qui
s'empara de la contrée, et que ces militaires, ces prêtres, ces magistrats,
tout ce peuple n'ont rien en propre, puisqu'ils ne tiennent ce qu'ils ont
que d'une concession d'un premier aïeul ou prédécesseur contre laquelle
il est toujours temps de revenir, en qualité de souverain absolu, et en
1. René-Mcolas-Charles-Auguslin de Maupeou.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 3^ 7
qualité de mineur, deux titres incomparables ; mais qu'importe ! un roi
à qui l'on prêche le despotisme n'a pas communément une logique bien
scrupuleuse.
Il fait la peinture la plus hideuse du corps des remontrants ; et il a
beau jeu sur ce point. Les traits vrais donnent la couleur de la vérité
aux traits calomnieux.
Il l'entête fortement du funeste principe de la puissance illimitée et
absolue ; c'est-à-dire de l'absolue pauvreté de ses sujets, et par consé-
quent de la sienne.
Il ne s'agit plus que de trouver un moyen de l'affranchir de tout lien.
Il y avait eu une affaire entre un commandant pour le roi dans une
de nos provinces et un célèbre magistrat.
Le commandant, descendant de Richelieu ^, était un homme despote
qui peut-être avait un peu abusé de l'autorité qui lui avait été confiée :
affaire de caractère.
Le magistrat^ était un homme raide, inflexible, sévère, peut-être un
peu trop jaloux des privilèges de son ordre et de sa province. Autre
affaire de caractère.
Le démêlé de ces deux hommes avait été terminé, non juridique-
ment, mais par une évocation au conseil du roi.
L'homme pervers insinue au commandant que revenir des suites
d'une accusation infamante par une évocation, c'est être vraiment
déshonoré; et il avait raison.
Il détermine le commandant à se faire juger en règle.
Les pièces du procès sont apportées de la province. L'affaire s'instruit.
A l'instigation de l'homme pervers, on comble le déshonneur du com-
mandant par des lettres d'abolition.
Ces lettres sont toujours contraires au courant de l'ordre judiciaire,
et aux vrais privilèges de la justice et des tribunaux. Abolir le délit,
c'est abolir la loi.
Ces lettres d'abolition, il les fallait enregistrées. L'homme pervers ne
doute nullement que le tribunal ne se refuse à l'enregistrement ; voilà
le moment qu'il attendait.
En réponse à la réclamation du tribunal, il lui envoie un édit. Mais,
comme son projet était que le tribunal persistât dans son opposition , il
place à la tête de cet édit un préambule insultant qui ne pouvait être
souscrit que par des infâmes. Aussi n'y souscrivirent-ils point. C'est ce
qu'il désirait; et c'est de là qu'il part pour les traduire comme des
rebelles, les anéantir, les dépouiller de leur état, et les disperser aux
extrémités du royaume, dans ces lieux affreux où plusieurs sont morts,
après avoir beaucoup souffert"^; cruauté dangereuse et superflue.
1. Armand de Vignerot, duc d'Aiguillon.
2. La Chalotais.
3. Voir dans le travail de M. J. Flammermonl (p. 220 et suivantes) le détail
des persécutions subies par divers conseillers et l'inqualiliable dureté du chan-
celier à leur égard.
3^8 MELANGES ET DOCUMENTS.
Ces gens n'ont rien deviné de toute cette manœuvre ténébreuse.
La faute qu'ils avaient coutume de commettre, faute qui les avait
toujours rendus odieux, ils la commirent ; ce fut de quitter leurs fonc-
tions de juges, et de punir ainsi leurs concitoyens d'un mécontentement
auquel ils n'avaient aucune part; et de mettre le feu à une des ailes du
bâtiment , parce qu'il avait plu à un maître insensé de mettre le feu à
l'autre aile.
Le passé ne leur apprit point que l'avenir réparait tout; et que
le point important était d'attendre cet avenir.
Ils ne virent que le moment. Ils oublièrent qu'il pouvait survenir des
changements favorables dans le ministère, un roi plus disposé à les
favoriser, des régences, des minorités. Ils se montrèrent inflexibles et
ils furent brisés.
37. Pour en imposer aux peuples, auxquels on n'en impose point, on
dit qu'on allait rendre la justice gratuite; et elle devint beaucoup' plus
dispendieuse qu'elle ne l'était auparavant.
On dit que, pour épargner aux plaideurs de longs voyages, de longues
absences et des frais immenses, on allait remplacer les tribunaux anéan-
tis par un grand nombre de cours souveraines où les affaires seraient
terminées en dernier ressort, et dont les membres seraient stipendiés
par l'État; ce qui fut fait, mais en acceptant tous les misérables qui
eurent le front de se présenter, et en les stipendiant pauvrement. Ces
places respectables de la magistrature, je les ai vues colportées de
maison en maison , sans qu'il se trouvât un homme honnête qui en
voulût.
38. Si l'homme pervers avait eu de la tête, c'était là le moment du
rappel des jésuites, et de leurs nombreux affiliés. Cette funeste idée lui
devait sourire d'autant plus qu'il n'ignorait pas qu'il y avait, dans le
corps même des remontrants qu'il détruisait, des places qui apparte-
naient en propre aux jésuites et qui étaient occupées par des prête-
noms.
Dans ce temps, il me vint en tête de lui adresser une petite lettre,
sous le nom d'un avocat bien connu et bien diffamé ^ et le titre de
Projet pour renverser siirement une monarchie. Je n'en fis rien par deux
raisons : la première, c'est que l'homme pervers était homme à se servir
de mes moyens ; la seconde, c'est qu'il est fou à un honnête citoyen de
s'exposer sans aucun fruit.
39. Afin de bien cimenter la puissance absolue et notre esclavage,
on mit à la tête des tribunaux tous ceux des intendants de province
qui se prêtèrent à cette basse complaisance pour la cour.
Dans la province, l'intendant était toujours l'homme du roi, et sou-
vent ses opérations étaient croisées par le magistrat. Ce contrepoids est
ôté ; et dans un moment, nous avons sauté de l'état monarchique
à l'état despotique le plus parfait. Aussi , a-t-ou publié en France un
1. Linguet. Ce passage est la seule trace de cette velléité polémique.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 319
petit écrit, où l'on se propose de faire voir que la conduite de Votre
Majesté est exactement le revers de la nôtre' ; et qu'au moment où
elle s'occupe à créer des citoyens, nous nous occupons à créer des
esclaves. Puisse-t-elle réussir aussi promptement et aussi laciloment
dans ses vues honnêtes et humaines que l'homme pervers a réussi dans
ses vues injustes, malhonnêtes et cruelles !
40. Il y avait trois ou quatre grandes charges dont les revêtus ou titu-
laires ne pouvaient être dépouillés :
— La charge de chancelier que l'homme pervers occupait ;
— La charge de procureur général ; celle de premier président du
parlement de Paris ; et celle, je crois, de colonel des Suisses et Grisons.
Pour qu'il ne restât pas pierre sur pierre de l'édifice, il fallait encore
rompre cette misérable petite digue.
Que fait-il? il dit au monarque : « Sire, il ne faut pas dépouiller de
« ces charges ceux qui les possèdent ; cela serait révoltant ; mais, si
« vous n'êtes pas le maître en ce point, vous l'êtes d'anéantir les
« charges. Dites aujourd'hui que vous n'avez plus besoin de chance-
ci lier, de procureur général, de premier président. Vous vous raviserez
« demain, vous recréerez les charges anéanties, et vous les conférerez à
« qui bon vous semblera. » C'est un homme charmant que ce chance-
lier ; il trouve des expédients à tout. Celui-ci parut admirable et l'on
s'en servit.
En conséquence, l'ordre public ou notre gouvernement a été si par-
faitement détruit que je ne pense pas que la toute-puissance et l'infinie
bonté du roi, qui n'y pense sûrement pas, put la rétablir. La confiance
est perdue à présent, un magistrat, un propriétaire de charge savent
qu'ils ne sont rien.
RECAPITULATION.
Voici donc à quoi tient le sort d'un grand empire, lorsque son mo-
ment est venu :
Un magistrat de province rend compte de l'institut d'une société de
moines.
Les moines sont chassés.
Le ressentiment des moines chassés suscite ou fomente la division
entre le commandant de la province et le magistrat.
1. Le Parlement justifié par l'impératrice de Russie ou Lettre à M*** dans
laquelle on répond aux différents écrits que M. le Chancelier fait distribtier
dans Paris. S. 1. u. d., in- 12, 71 p. Réimpr., tome I, p. 84-129, du Maupeou-
ana ou Correspondance secrète, etc. Selon Barbier, l'auteur de cette broctiure
serait un avocat nommé Blonde. Quérard ne la mentionne pas. La partie la plus
importante, celle à laquelle Diderot fait allusion, avait paru dans le Journal
encyclopédique de mars 1772.
320 MELANGES ET DOCUMENTS.
La querelle devient une aCfaire juridique.
Le souverain assoupit l'affaire.
Un ministre pervers la réveille.
Et la fin de cette affaire réveillée est le passage d'un gouvernement
monarchique à un gouvernement despotique, la ruine d'une nation.
Il y a peut-être quelque légère inexactitude dans la manière dont j'ai
dit que l'homme pervers s'était servi du commandant de la province
pour parvenir à l'anéantissement de la magistrature, parce que les faits
ne me sont pas assez présents.
Je sais seulement que, dans l'édit d'abolition de la magistrature
et des remontrants, l'homme pervers fut un maladroit. Au lieu de les
montrer comme rebelles au roi, j'aurais fait tout le contraire. Je
les aurais montrés comme traîtres à la nation. Et il y avait belle ma-
tière pour cela. Je voudrais bien savoir ce que la nation aurait objecté
à mille traits plus frappants les uns que les autres, par lesquels l'homme
pervers nous aurait démontré la bassesse de nos remontrants, leur cor-
ruption, leur inutilité, nos vrais intérêts sacrifiés en cent circonstances,
et la nécessité de former une plus solide barrière.
Quant à la partie historique, je réponds de la vérité. Je l'ai extraite
moi-même des actes particuliers et secrets de la magistrature. Peut-être
ces actes seront-ils un jour publiés.
Et je l'ai écrite à la persuasion de M. de Narischkin. Il a pensé que
ce tableau qui l'avait intéressé ne déplairait pas à sa souveraine, et que
des événements, qui ne m'inspiraient que des réflexions ordinaires,
pourraient devenir la source de quelque idée grande et profonde , en
passant sous les yeux d'une femme de génie, car une femme de génie
est celle qui a le jugement sain, la tête forte, une fermeté au-dessus de
tous les obstacles, l'âme honnête, l'amour de ses devoirs et le tact de la
vérité.
De «juoi cette femme ne vient-elle pas à bout, quand à ces qualités
elle réunit encore celles qui Ilattent les hommes, qui les séduisent? Elle
n'a qu'à dire : « Jetez -vous dans le feu pour moi, » et l'on s'y jette.
Qu'un homme qui n'apprécie rien la voie au milieu de ses petits-enfants
dont elle prépare le bonheur par une excellente éducation, les appeler à
elle, les prendre entre ses bras, les caresser, les encourager, il ne verra
dans cette femme qu'une mère excellente. L'homme qui pense verra en
elle la femme qui connaît le grand ressort, et je .sais bien ce qu'il
se dira, car je me le suis dit.
Ce tableau démontre au moins le prodigieux avantage d'une nation
qui tend à la police d'après un plan réglé, et d'une nation qui n'y arrive
jamais parfaitement, parce qu'elle suit de siècle en siècle l'impulsion
fortuite des circonstances qui donnent lieu à des institutions folles ,
absurdes, contradictoires. Institutions qui prennent, avec le temps, des
racines si étendues qu'il devient impossible de les couper. D'oià il
arrive qu'un peuple paraît policé lorsqu'il est resté barbare et sans
ressource.
I
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA rOLICE. 32^
Il y a des lois, mais incohérentes. Malgré leur incohérence, qu'on ne
sent pas d'abord , on s'y conforme. Le temps en fait sortir ensuite les
inconvénients et l'absurdité. On s'en écarte un peu. On s'en écarte
davantage. On les suit ou on ne les suit pas. Il émane d'un jour à l'autre
sur la même matière, d'un même tribunal, des jugements contradic-
toires. On ne prononce plus selon la loi. On prononce selon les per-
sonnes ; c'est-à-dire qu'il n'y a plus de lois, quoiqu'on les cite plus que
jamais.
A Sa Majesté Impériale.
Je prends la liberté d'adresser ces rêveries à Sa Majesté Impériale,
afin qu'elle sente toute la différence qu'il y a entre les idées d'un pauvre
diable qui s'avise de politiquer sous sa gouttière et ce qui se passe dans
la tête d'une souveraine. Voilà, madame, toute l'étendue de la force de
ce qu'on appelle un philosophe. Souriez-en, et quand vous en aurez
souri, j'aurai obtenu de Votre Majesté toute la justice que je m'en suis
promis. Je puis protester à Votre Majesté que, sans me surfaire, nous
n'en savons tous tant que nous sommes guère plus que cela. Rien n'est
plus aisé que d'ordonner un empire, la tête sur son oreiller. Là tout va
comme l'on veut. Quand on y est et qu'il s'agit de mettre la main
à l'œuvre, je crois que c'est tout autre chose. Sa Majesté a eu la bonté
de me dire qu'elle avoit souvent lu plusieurs volumes pour trouver une
bonne ligne. Je n'ose attendre d'elle que la perte d'un quart d'heure de
plus. Or c'est encore trop.
Je lui présente mon profond respect et mes très humbles excuses.
Je me console un peu de la frivolité de mes réflexions, par la vérité
de l'historique qu'on m'a permis de relever d'après les pièces originales.
Oserois-je prier Sa Majesté Impériale de faire copier ce petit écrit s'il
en vaut la peine et d'en brûler l'original ?
Rev. Histor. XXV. 2« fasc. 21
322 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
DOCUMENTS INÉDITS
RELATIFS A L'HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE.
Après les publications si considérables des derniers temps, c'est
chose rare, à coup sûr, de trouver de nouveaux documents sur la reine
de France Marie-Antoinette. Je suis cependant en état d'offrir aux
lecteurs de la Rerue historique quelques pièces relatives a cette his-
toire que j'ai trouvées soit aux Archives de l'État à Vienne, soit aux
Archives de Paris; elles ne paraîtront peut-être pas dénuées d'inté-
rêt, et l'on me saura gré, je l'espère, de les publier ici.
Pour ce qui concerne l'orthographe des documents allemands, je
ferai remarquer que je n'ai presque rien changé à la forme originale.
Cependant, comme Mercy n'est pas conséquent dans l'emploi des
majuscules pour les substantifs, je les ai rétablies partout où elles
n"'étaient pas. Quant à l'orthographe française, j'ai mis, partout où
l'usage le désire, des accents et des apostrophes, et lorsque l'original
porte, par exemple, « demandés, » j'ai adopté la forme moderne
« demandez. »
Je ne veux pas oublier d'exprimer ici mes plus vifs remerciements
pour l'accès libéral qui m'a été donné aux Archives de Paris comme
à celles de Vienne.
I.
Aux Ârcliives de l'État, a Vienne, ce sont les rapports de l'ambas-
sadeur impérial à Paris, le comte Mercy-Argenteau, qui m'ont fourni
encore un petit butin ; ils nous rappellent en même temps que
Marie-Antoinette était, depuis son mariage, devenue si complète-
ment française qu'en ^787 ce n'était pas sans peine quelle pouvait
lire une lettre en allemand ' . La correspondance déjà publiée de
Mercy avec l'impératrice Marie-Thérèse et son commerce épistolaire
avec la reine- mère ont montré de la façon la plus manifeste
quelle profonde influence ce personnage, le plus considérable peut-
être des élèves du prince Kaunitz, exerça sur la vie de Marie-Antoi-
nette. Aussi ne peut-il être sans intérêt d'insérer ici un portrait
encore inédit de ce diplomate ; il a été tracé par le chargé d'affaires
de France à Vienne, Bérenger.
1. Mercy à Kaunitz. Paris, le 20 janvier 1787. Archives d'État à Vienne.
DOCUMENTS INEDITS RELVTIFS A MARIE-ANTOINETTE. 323
Quant au personnel de M. de Merci — écrit Bérenger — vous le con-
naissez ainsi que M. le duc de Ghoiseul de très-longue main , et je
suis persuadé que vous penserez comme moi que, de tous les sujets de
l'impératrice c'étoit celui qui pouvoit le mieux convenir à la mission
agréable qui lui est destinée. Elle faisoit depuis longtemps l'objet
unique de ses désirs et nous devons lui savoir gré de l'empressement
extrême qu'il a témoigné pour l'obtenir. D'ailleurs on ne peut être
dans de meilleurs principes sur l'union intime des deux cours, puisque
M. de Merci n'en a pas d'autres que ceux du prince de Kaunitz qui l'a
toujours regardé et traité comme son fils. C'est un honneste homme et
un homme éclairé, qui joint à beaucoup de franchise et de cœur les inten-
tions les plus pures pour le maintien du système et nous devons d'autant
plus nous aplaudir du choix de l'impératrice que l'ambassade de France
remplissant toutes les vues de M. de Merci, nous pouvons nous flatter
de le conserver pendant bien longtemps et je suis persuadé, monsieur,
que vous pensez comme moi à tous égards ^.
A cette époque, la pensée dominante de la politique autrichienne
était, comme on sait, l'alliance avec la France. Kaunitz voyait dans
Marie- Antoinette la pierre angulaire de cette alliance, et le comte
Mercy avait reçu Tordre d'y employer Pinfluence qu'il exerçait sur
l'esprit de la reine. Lorsque M. de Vergennes viendrait à mourir,
Marie-Antoinette devrait user de son crédit auprès du roi pour faire
nommer un ministre favorable à TAutriche. Vergennes n'avait jamais
été bien vu de Kaunitz; il avait à Vienne la réputation d'être hostile
à l'Autriche et d"'être partisan de la Prusse ; plaintes que le ministre,
en -1783, repoussait en ces termes : « On se plaît à me croire et à me
dire Prussien; je ne suis cependant que François, et, dans cette qua-
lité, je ne connois et ne sers que l'intérêt et la gloire de mon maître ■^. »
Il fallait donc, après la mort de Vergennes, avoir à Versailles un mi-
nistre animé de sentiments moins tièdes envers l'Autriche. En aucun
cas Kaunitz ne voulait pour ministre dirigeant de Breteuil , dont il
redoutait la politique anti-autrichienne; mais il avisait Mercy d'aller
trouver la reine et la prier d'user de son influence pour faire arriver
au ministère le comte de Saint-Priest, acquis d'avance à l'Autriche et
1. Bérenger à M. le duc de Praslin. Vienne, le 19 mars 1766. Arcfiives du
ministère des aft'aires étrangères à Paris. — J'ajouterai ici la réponse du duc
de Praslin à Bérenger. Versailles, le 8 avril 176G. « Vous assurerez en môme
tems le nouvel ambassadeur que, comme M. le duc de Choiseui et moy le con-
naissons de longue main, nous luy rendons toute la justice qui est due à ses
talens et à son zèle pour le maintien de l'union entre les deux cours, et que
nous ne négligerons rien pour luy rendre son séjour agréable à ceile-cy. »
Archives du ministère des affaires étrangères à Paris.
2. Vergennes à Noailles à Vienne. Versailfes, le 4 janvier 1785. Archives du
ministère des aft'aires étrangères à Paris.
324 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
à l'alliance de celle-ci avec la France ^ Dans le conseil du roi, il n'y
avait pas un seul homme d'État qui fût pour l'Autriche et sur lequel
on pût se reposer -, or, le conseil avait alors une grande influence sur
le roi; il était donc de la plus grande importance d'y avoir un homme
qui fût, selon les expressions mêmes de Kaunitz, une « créature
directe » de la reine, et qui se sentit toujours obligé à lui en témoi-
gner sa reconnaissance 2.
On sait que le successeur de Vergennes ne fut pas M. de Saint-
Priest, mais le comte de Montmorin. Les événements intimes qui
précédèrent cette nomination sont peu ou môme point du tout expli-
qués par la lettre de Marie-Antoinette à Mercy qu'a publiée M. d'Ar-
neth; tandis que dans cette lettre la reine écrit : « j'ai nommé M. de
Saint-Priest et même je l'ai disculpé sur l'ordre de Russie; je n'ai pu
insister contre le penchant du roi ^ », Mercy raconte les faits d'une
façon un peu différente. Il estime que les ennemis du comte de
Saint-Priest avaient réussi à le desservir si bien auprès de la reine
qu'elle ne put vaincre entièrement la répugnance qu'elle sentait pour
lui. Mercy ne cesse de le regretter, parce qu'il aurait été d'ailleurs
possible d'obtenir la nomination du comte. « C'est bien fâcheux !
écrit-il le 7 avril I7S7 à Kaunitz; très fâcheux, car, si S. M. avait
sérieusement voulu user de son influence si puissante sur Tesprit
du roi en faveur du susdit comte, elle eût très vraisemblablement
emporté l'aflaire-'. » Comme, en outre, les bruits qui couraient dans
le public sur les dispositions du nouveau ministre, M. de Mont-
morin, n'étaient pas très favorables, Kaunitz regrettait aussi de son
côté que Marie-x\ntoinette n'eût pas montré plus de zèle. A ses yeux,
l'alliance n'existait plus guère que de nom. surtout s'il devait se
confirmer que Montmorin partageait les idées de ses prédécesseurs.
En ce cas, il n'y aurait qu'un moyen de salut : la reine devait prendre
la ferme résolution de peser de toutes ses forces sur l'esprit du nou-
veau ministre pour l'amener dans le bon chemin. La reine, s'écrie
emphatiquement Kaunitz, « perdrait renommée, bonheur, contente-
ment, Tamour et le respect de tous, si elle souffrait que les ministres
français ensevelissent le système de l'alliance et ramenassent l'an-
cienne hostilité entre les deux cours. » On ne peut reprocher à
Kaunitz, ministre autrichien, de chercher un appui pour la politique
autrichienne auprès de la fille de ses anciens maîtres. On ne devrait
1. Kaunitz à Mercy. Vienne, le 7 février 1787. Archives de l'État à Vienne.
2. Kaunitz à Mercy, de Vienne, le 1" janvier 1787. Archives de l'État à Vienne.
3. Arneth. Marie- Antoinette, Joseph II und Leopold II, p. 109.
4. Mercy à Kaunitz, de Paris, le 7 avril 1787. Archives de l'État à Vienne.
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 325
pas s'étonner davantage que Marie-Antoinetlc, qui no pouvait pour-
tant pas, toute reine de France ({u'elie était, oublier (înticrcment sa
patrie d'origine, prêtât l'oreille aux discours de l'ambassadeur impé-
rial et fût disposée à favoriser ses vues. Nous devons néanmoins
déclarer ici, de la façon la plus formelle, qu'à aucun moment
Marie-Antoinette n'oublia qu'elle était avant tout reine de France ;
l'archiduchesse d'Autriche ne venait chez elle qu'en seconde ligne.
Toutes les fois qu'on lui demandait d'appuyer auprès de son époux
la politique de la cour autrichienne, elle se déclarait pleine de Tar-
dent désir d'accomplir ce vœu; mais lorsque, pour arriver à rompre
la quadruple alliance entre l'Autriche, la France, l'Allemagne et
l'Espagne, on la priait de favoriser une alliance entre la France et la
Russie, elle n'était nullement disposée à donner aveuglément suite à
ce projet. Connaissant très bien la situation intérieure de la France,
qui se compliquait chaque jour davantage, la reine se tient avant
tout au point de vue français. La répugnance des ministres à parti-
ciper aux desseins de la Russie et de l'Autriche contre l'existence de
la Turquie rend la reine extraordinairement prudente; c'est pourquoi
elle ne veut pas employer son influence sur le roi de France en faveur
de la Quadruple-Alliance. C'est la crainte exprimée par Mercy à Kau-
nitz, le 22 février ^789. « que, par sa faute, la France, en vertu de
ses engagements, n'entre un jour dans une guerre du Nord '. » Les
opinions de la reine ne pouvaient cependant pas Fempécher, en i 787,
de faire tous ses efforts pour disposer le nouveau ministre, le comte
de Montmorin, en faveur de PAutriche ^.
Les papiers de Mercy vont me fournir maintenant quelques détails
sur Fattitude de Marie-iVntoinette à l'égard du second ministère de
Necker. Voici tout d'abord un épisode qui ne manque pas d'intérêt,
au sujet de Necker, avant qu'il fût redevenu ministre. Comme
Calonne avait attaqué Necker, celui-ci fut autorisé par Louis XVI
à rédiger sa réponse par écrit. Necker envoya cette défense à la
reine, en la priant de la soumettre aussi au roi ; mais il n'en resta
pas là : il communiqua la lettre à ses amis. Lorsque le roi l'eut
1. Hœchstdieselbe befûrchten, dass man Ihnen (ibr) zuletzt die ganze Schuld
beymessen niœgte, wenn Frankreich nach der Hand kraft seiner Engagements
in einem Nordiscben Krieg mit eingezohen (eingezogen) wiirde. Archives de
l'État à Vienne.
2. Je crois bon de donner ici le portrait que Mercy trace de Montmorin :
« M. de Montmorin, sans manquer d'esprit, n'annonce pas des talents supé-
rieurs. » (Ibid. Dossier B. Correspondance cliiÛrée du comte Mercy-Argcn-
teau.) 11 écrit ailleurs : « Obscbon nun der Herr Graf von Montmorin von
Natur aus eines sehr verscblossenen Karacters ist. » (Ibid. Mercy à Kaunilz,
le 7 avril 1787.)
326 MELANGES ET DOCDMENT&.
appris, il entra dans la plus grande colère, et déclara à la reine qu'il
allait chasser Necker du royaume; la reine voulut s'opposer à cette
résolution, et il y eut, à ce propos, un vif échange de paroles entre
les deux époux. La reine montra quel mauvais effet produirait cette
mesure sur la nation, qui avait toujours beaucoup d'estime pour
Necker ; quelle déconsidération elle jetterait sur le gouvernement, si
l'on persécutait injustement un homme qui avait rendu d'éminents
services, qui était honnête et désintéressé. Ces paroles de la reine
eurent d'abord pour effet d'empêcher le roi de faire exécuter sa déci-
sion sur-le-champ, mais, comme les ennemis de Necker, tout puis-
sants sur l'esprit du roi, ne cessaient de l'exciter contre lui, une seconde
explication très forte eut lieu entre la reine et le roi. Louis XVI pré-
tendit à nouveau que son honneur était engagé, qu'il fallait respecter
ses ordres; Necker les avait méprisés en répandant son apologie dans
le public; il devait donc être envoyé en exil. 11 voulait bien cependant
adoucir le châtiment en l'envoyant seulement à 20 milles de Paris,
dans un lieu que Necker choisirait lui-même. Mercy terminait son
récit en remarquant que la reine avait inutilement prolesté contre
celte résolution '.
Necker entra pour la seconde fois au ministère après le renvoi de
Brienne, l'archevêque de Toulouse ^.
Au début de l'aimée 1 7Sî). Mercy annonce à sa cour que Louis XVI
commence à vaincre peu à peu sa défiance à l'égard de Necker; il dit
la même chose de la reine : « Leurs Majestés m'ont avoué qu'ils le
considéraient comme étant le seul capable d'arracher l'État à sa
perte •*. »
Il est intéressant de savoir comment Necker, à la fin de l'année 1 788,
s'expliqua devant Mercy sur la question, non encore résolue, de savoir
quel chiffre de représentants on donnerait aux députés aux états géné-
1. Mercy à Kaunitz. Paris, le 17 avril 1787. Archives de l'État, à Vienne.
2. Sur Brienne, Mercy fait les reuianjues suivantes : « Obscbon das Zulrauen
des Kœnigs zu den [sic) Prclalen von Tage zu Tage merklich zuniniint, so sind
doch hinwicderuni S"" Majeslaît von Natur aus so unentschlossen und zuglcich
auf ihr Ansehcn, und dasjenigc was hœclislihr eigcnes Haus angchl, so eifer-
sichlig, dass nian nur mit vieler Vorsicht und Behutsainkeit diesen Punkt in
Absiclil auf einzufuhrende Ileformen beriihrea kann. » Mercy à Kaunitz. Paris,
le 14 août 1787. Archives de l'État à Vienne.
3. « Auch Ibre Majestœt die Kœniginn sind von der anfangs gefasslen Beysorge
gegen die vermeyutliche Herrscbsucht dièses Ministers gànzlich ab, und zu
seinem Vortheil berbeygekommen. Hœcbstdieselbe gerubeten selbst mir solches
zu gestehen, mit dem Beysatz, dass sie denselben fiir das einzige gescbickte
Subjecturn anseben, der den Slaat aus dem Verderben berauszuziehen im Stande
sey. » Mercy à Kaunitz. Paris, le G janvier 1789. Archives de l'État à Vienne.
DOCUMENTS INÉDtTS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 327
raux. Necker lui confiait qu'il approuvait les vœux du tiers état et qu'il
les appuierait; car, disait-il, si le roi accueillait les désirs du Tiers
et se jetait dans ses bras, Louis XVI obtiendrait de lui le i)Ius entier
concours pour se sauver lui et l'État. Gela était d'autant plus à propos
que le roi ne manquerait pas ensuite de moyens pour favoriser le
clergé et la noblesse dans tel ou tel sens, et pour leur rendre tout leur
éclat et leurs privilèges. Si au contraire le tiers état était sacrifié aux
deux autres, on aurait infailliblement une guerre civile. Peu de temps
après ces ouvertures , Mercy eut une conversation avec M""" Necker,
qui, suivant une expression de l'ambassadeur, « possédait le cœur et
toute la confiance » de son mari. Elle lui laissa entendre que Necker,
s'il ne pouvait faire admettre ses idées par le conseil, était décidé ù
se retirer, car il ne lui serait plus possible de sauver l'Etat '.
On sait dans quel sens ce problème fut résolu. Pendant que les
états, assemblés le 5 mai, débattaient la question de la vérification
des pouvoirs, une dangereuse cabale travaillait sous main contre
Necker. C'est Mercy qui nous l'apprend dans une dépêche du
4 juillet ^1789. On cherchait à le peindre aux yeux des souverains
comme un personnage dangereux, qui voulait mettre à profit sa
grande popularité pour devenir, ce sont les paroles mêmes de Mercy,
le « dictateur de la monarchie, » et « tenir le Roi Très Chrétien sous
sa tutelle. » Les chefs de cette cabale étaient les princes de Condé et
de Conti, Madame xVdélaïde, qui avaient attiré à eux le comte d'Ar-
tois, et le faisaient l'intermédiaire de leurs insinuations calomnieuses
auprès des souverains^. Une autre cabale plus dangereuse encore,
car elle était dirigée contre le roi lui-même et contre la famille
royale, avait pour chef le duc d'Orléans, qui songeait à jouer un rôle
capital à la tête du tiers état^. Telle était, ajoute en terminant
1. Ibidem.
2. Der (Necker) bey seiner erworbenen grossen Popularitaet nicbts anderes im
Schild fiihre als sich mittelst dciselben ziiin Dictator der Monarchie aufzu-
werfeii und de» Allerchristl. Kœnig gicichsam iinler seiner Vorniundscbafl
nach eigenem Gutbefinden zii leiten. Die Hœupter dieser fiirchterlicben Kabale
sind die Herren Prinzen von Condé, von Conti, Madame Adélaïde, welche nebst
mehreren vornehmen Staudes-Personen den nicht weit ausschenden weitblik-
kenden Herrn Comte d'Artois in ihre Schiinge gezohen (gezogen) und diesen
Prinzen vorausgeschoben haben, um ihre schœdliclie Insinuationen gegen ober-
wœhnten Finanz-Minister bey Ihren Majestseten auf cine unverdœchtige Art an-
zubringen.
3. Eine andere weit gefa3hrlichere Kabale, die gegen Ihre Allcrcbristlichen
Majestaeten und die kœnigliclie Familicn seibst gerichtet seyn dœrfte, scheint
jene zu seyn, fiir deren Chef der Herr duc d'Orléans anzusehen werden kann,
die aber noch uicht recht ins klare gebracht ist, um etwas sicheres und be-
328 MELANGES ET DOCUMENTS.
l'ambassadeur, la situalion des choses, lorsque le 27 juin, au matin,
je me rendis à Versailles pour exécuter vos derniers ordres, et qu'a-
près la conférence habituelle, j'eus fait ma cour à S. M. la reine; je
la trouvais dans la plus grande angoisse, que me révélèrent ses yeux
remplis de larmes ; elle me demanda mon avis sur les mesures à
prendre dans des conjonctures aussi critiques. Comme on avait
néghgé de faire tout ce que réclamaient les circonstances, qu'on
avait fait au contraire ce qui ne devait pas se faire, et comme ce qui
était fait ne pouvait pas ne pas avoir été fait, je pris la liberté de
présenter à Sa Majesté quelques idées générales sur la façon dont on
pourrait encore éviter de plus grands malheurs ^
Mercy proposa alors à la reine deux moyens. 11 est très intéressant,
à coup sûr, de voir que les conseils de Mercy ont décidé le roi à con-
sentir à la réunion des trois ordres; il est important aussi de cons-
tater que Marie-Antoinette, représentée alors comme l'adversaire la
plus déclarée et la plus aveugle du tiers état, fut assez sage et assez
intelligente, trop tard il est vrai, pour déterminer le roi à faire décider
ces mesures dans le conseil. Mais écoutons Mercy : il dit à la reine
ou qu'il fallait renvoyer Necker, ou qu'il fallait le garder, et alors
faire ce qu'il désirait. Si l'on était résolu à écarter Necker, il était
certain que les amis qui l'avaient poussé à entrer au ministère l'en-
slimmtes schon derinalen hievon sagen zu kœnnen. So viel ist gewiss, dass (1er
von jcher liekannle geizige Karakter dièses Prinzen mit seiner seit kurzem hcr
ioussenideii grossen Freygobigkcil und bcsondcreii Popularitaîl nicht wohl zu
vereinbaren sey, oliiie iliii eincr hiermiter versteckten Absicht zu beargwotinen,
die auf niciits weniger abzielen dœrfte, als au der Spitze des Tiers Etal einen
<leni kœniulicben Anseben bœclisliiacbtheiligc Rolle zu spicien nrid sich wo
iiiœglicb von deni lloie ganz unablwengig zu niacben; dièses sind zwar nurvor-
keufige, viellcichl zu weit getriebene Mubtmassungen : inzwischen ist deniioch
seia bisberiger Betrag so zweydeutig und verdi'ecbtig, dass ernannter Prinz
genau beobachtel und durcb Anwendung kluger Vorsichtsinillel bey Zeiten
noch abgehallen wcrdcn niiissen. das erworbeiie Zulrauen des Volkes zurn
wesentlichen Nacblbeil des Hofes zu rnisbrauchen.
1. Dièses war die Lage der Sacben. als icb am 27 Junius frlilic Morgens zur
Ausrichlung der letzlerhaltenen gn;edigen Anweisungen micb nacb Versailles
verfl'iget, und nacb geptlogener Konferenz bey Ibrer Majcslaet der Kôniginn
meine Aufwartung gemacht halte; ich fand hœcbsldieselbe in grœssester Her-
zensbeklenimung, die Sie mir mil Ihréenenden Augen zu erkennen gegeben,
und micb um Ratb zu fragen geruheten was, meines Ermessens, bey so kriti-
scher Wendung fiir Massregeln einzuschlœgenwœren. Nachdemman ail dasjenige
was den Umslaenden angemessen gewesen wsere zu Ihun unterlassen, dahingegen
nur jenes was unterbleiben sollle gethan , und das einmal geschebene nicht
ungescheben seyn konnle, so nabm ich mir die Freyheit Ibrer Majestœt einige
allgenieinen Ideeu liber die Art, wie noch grœsseres Uebel vermieden werden
konnle, vorzulragen.
DOCUMENTS OÉDITS RELATIFS A MARIE-A.VTOINETTE. 329
gageraient aussi à en sortir. « Dans ce cas, dit très nettement Mercy,
la banqueroute et la faillite étaient inévitaioles. » Mais, si l'on ne vou-
lait pas écarter Necker, ce qui gagnerait un temps de repos, il fallait
sans arrière-pensée lui accorder sa faveur et sa confiance. iMercy
faisait très justement ressortir qu'une conduite opposée anrail pour
effet, non seulement d'empêcher Necker de rien faire de bon, mais
encore de lui inspirer un mécontentement qui, ensuite, fournirait aux
ennemis de la royauté un prétexte pour montrer que son maintien
était un sacrifice arraché à la cour.
Mercy est assez modeste pour dire qu'il ne voulait pas déterminer
combien ses représentations avaient fait impression sur la reine; mais
il pouvait annoncer avec précision que le mémo jour le sort de Necker
avait été décidé et que la réunion des trois ordres avait été autorisée '.
Il estime qu'en présence de la grande faiblesse et de l'indécision de la
cour et du ministère, de la fidélité incertaine des troupes, de la pré-
pondérance prise par le tiers état, le roi ne pouvait choisir un
autre parti que celui qu'il prit. Il est intéressant, cependant, de le
noter : ce même Mercy, que nous venons de voir donner ces sages
conseils, fut, après le coup d'État, désigné publiquement comme
l'homme qui aurait donné à la reine le conseil d'éloigner Necker.
C'est pourquoi son nom fut mis sur la liste de proscription, et pour-
quoi on lui donna de tous côtés l'avis que l'on mettrait le feu à sa
maison. La police elle-même l'en avertit. Tout d'abord, il ne voulut
y donner aucune créance; mais, quand il eut remarqué que l'affaire
devenait sérieuse, que les communications de Paris avec Versailles
étaient interrompues et qu'il ne pouvait plus arriver jusqu'à la reine
pour lui rendre service, il résolut de s'établir dans une propriété
située à six milles français de Paris; il y était à peine arrivé que le
bruit se répandit que Marie -Antoinette avait quitté Versailles et
s'était réfugiée auprès de lui, bruit dont la fausseté ne larda pas
d'ailleurs à être reconnue -.
Mercy raconte encore que Louis XVI, en rappelant Necker. aurait
voulu ne plus entendre parler de Montmorin ni du comte de Saint-
Priest, parce que le parti de la cour avait réussi à exciter chez le roi
de la peur et de la méfiance à l'égard de ce triumvirat. D'après la
façon dont la reine s'exprima devant lui, Mercy crut pouvoir com-
1. « Zugleicli soll ich zum tjilligen Lobe (1er K(('niginn iiicht verhelilcn, dass
Ihre Majestœt an der diessfœlligen Entscliiiessiing des Allerchrisllichen Komigs
sowiean deni Ansschlag der Sache einen entsclicidenden Anllieil gcliabl liabca. »
Mercy à Kaunitz. Paris, le 4 juillet 1789. Archives de l'État à Vienne.
2. Mercy à Kaunitz. Paris, le 23 juillet 1789. Archives de l'État à Vienne.
330 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
prendre que le parti qu'on voulait suivre ne serait aucunement
avantageux; car Louis XVI ne voulait absolument rien savoir de Mont-
morin et de Saint-Priest. Il le dit à la reine « avec la plus grande
force » (mit grœsstem Nachdruck und Starke); après une heure et
demie d'entretien il réussit, non sans les plus grands efforts, à obtenir
de la reine l'assurance qu'elle ne cherchât pas à faire changer ses
résolutions. Puis Marie -Antoinette congédia l'ambassadeur en le
priant de revenir seulement à onze heures et demie du matin. A
l'heure dite, il fut reçu par la reine qui lui apprit que le roi consen-
tait à suivre ses conseils, et qu'il était disposé à rappeler non seule-
ment Necker, mais aussi Montmorin, puisqu'il ne voulait pas revenir
sans lui au pouvoir '; c'est ce qui eut lieu en effet.
Cet événement eut pour conséquence la première émigration. « Le
château de Versailles , écrit Mercy après ce départ, ressemble à un
désert; j'ai trouvé Sa Majesté la reine dans une situation qu'il est
facile de s'imaginer, mais elle montre beaucoup de courage et de réso-
lution 2. »
Plus loin, Mercy raconte que, pendant le temps où il eut avec
Marie-Antoinette les deux entretiens qu'on vient de rappeler au sujet
du ministère Necker, Louis XVI eut la pensée de se rendre à Paris ;
il était sous le coup de l'impression produite par la prise de la Bas-
tille ; mais la reine craignait que la population parisienne ne retint le
roi de force, et elle prit la résolution, si ce malheur arrivait, de se
retirer avec le Dauphin soità Valenciennes, soit aux Pays-Bas. Mercy
s'opposa de la façon la plus énergique à ce dessein. C'est seulement,
dit l'ambassadeur à .Marie-Antoinette, après que le roi aurait déclaré
à l'Assemblée nationale qu'il avait lui-même contraint la reine à
prendre ce parti, qu'il pourrait, lui, Mercy, approuver ce plan. Sans
cetti; déclaration formelle, la nation, qui d'ailleurs était déjà sur
pied tout entière, regarderait l'éloignement du Dauphin comme un
rapt véritable. Marie-Antoinette se rendit à ces raisons pressantes.
Cependant Mercy ouvrit un autre avis. Comme on craignait que la
population parisienne ne voulût forcer le roi à signer par contrainte
une capitulation, Louis XVI avait, sur la proposition de Mercy,
donné à son frère les pleins pouvoirs de lieutenant-général du royaume;
si l'événement redouté se produisait, le prince devait se rendre avec la
reine a l'Assemblée nationale, et lui persuader de quitter Versailles et
de transporter ses séances dans une autre ville. L'Assemblée voyant
de mauvais œil la conduite des Parisiens, Mercy était persuadé qu'elle
1. Mercy à Kaunitz. Paris, le î3 juillet 1787; ibid.
2. Id.; ibid.
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 334
accueillerait favorablement les vues du prince, au cas où l'on oserait
retenir le roi ^ .
On comprend aisément que les troujjles croissants aient rempli
Mercy de la plus grande inquiétude sur le sort de la reine, surtout lors-
qu'elle lui déclara elle-même qu'elle était obligée de le prier de la venir
voir moins souvent^. Le sort de la monarchie ne l'aliligeait pas moins
profondément. Cette monarchie, écrit-il de Ghennevières près Paris, le
n août 4789, « craque de toutes parts; la nation manifeste une
cruauté, une sauvagerie qu'on ne lui connaissait pas jusqu'ici. Les
décrets de l'Assemblée témoignent d'un véritable afTolemcnt, d'une
complète ignorance des choses du gouvernement-, ils produisent un
despotisme et des injustices qui, par suite de l'émigration, de l'en-
tière disparition du commerce et des arts, doivent mener peu à peu
la France au néant... Le roi ne sent que très imparfaitement la
misère de sa situation. 11 ne montre ni volonté, ni énergie durable
en employant les moyens de salut nécessaires. Le ministère tout
entier ne sait plus se défendre. M. Necker lui-même est hors d'état
d'imaginer de nouveaux moyens de salut. Je le vis dernièrement
tout à fait abattu et il m'avoua ouvertement son impuissance. Il fau-
drait un miracle pour remettre, même de bien loin, les choses sur le
pied d'une restauration possible^. »
De même que lAIercy avait déjà, dans une autre occasion, conseillé
à la reine de traiter de la façon la plus amicale Necker, Montmorin
et Saint-Priest, et qu'elle y avait consenti '', il trouve maintenant que,
1. Ibid.; idem.
2. Ibid.; idem.
3. « Diesse Monarchie lœset sich von allen Seiten auf; die Nation œusserl
eine an ihr bisher unerkannte Grausamkeit und Verwilderung; die Entschlies-
sungen der Landes-Stœnde legen eiiien wahren Wahnsinn, eine Unwissenheil in
Regierungs-Sachen, einen Despotisnnim und solche Ungerechtigkeiten an Tag,
die durch Eniigrationen und den gsenzlichen Verfall des Handels und der Kunsl,
Frankreich nach und nach zu Grand richten mlïssen. Diesser ganz besondere
Vorfall wird nolhwendiger Weise auf die dermaligen politischen Unistœnde von
Europa einfliessen, und dœrfte vielleicht dein allerdurchlauchtigsten Erzhausse
Œsterreich sehr weitschiichtige Combinationen darbiethen, die ich der erleuch-
ten Einsicht Euer fiirstlichen Gnaden anheim stellen soll. Der Kœnig Rihll nur
ganz unvollkommen seine ungliickliche Lage; er lajsst weder Willen noch hin-
laenglichen Nachdruck durch Anwendung nœthiger Rettungs-Mittel spiiren. Das
ganze Ministerium weiss sich niclil mehr zu helfen; ja selbst M'' Necker isl
ausser Stand weiter Hiilfsmiltel auszusinnen : ich sah ihn letzthin ganz nieder-
geschlagen, und er gesland mir seine Unvermœgenheit freymlithig ein. Ein
Mirackel vvlirde es seyn, um nur auch von weitem die Sache auf die Wecge
einer mœglichen Hersteilung wieder zu bringen. » Mercy à Kaunilz, le 17 août 1789.
Archives de l'État à Vienne.
4. Lettre citée plus haut du 23 juillet.
332 MÉLANGES ET DOCCMEMS.
dans les circonstances présentes, il ne restait d'autre issue que de
laisser le ministère agir liijrement et sans entraves. Mercy n'attendait
pas grand'chose de ces mesures ; mais il craignait d'autant plus pour
la sécurité de Marie-Antoinette, si l'on persistait à soupçonner qu'elle
était hostile au ministère. Cependant, il n'a pas encore perdu tout
espoir; il pense que le remède sortira de l'excès du mal et que les
esprits, fatigués du despotisme révolutionnaire, reviendront au gou-
vernement monarchique'. Cependant les nouvelles qu'il envoyait à
sa cour devenaient toujours plus somhres, et l'on peut aisément
s'imaginer l'effet qu'elles produisaient au palais impérial, où l'on
était non seulement inquiet du sort de la reine, mais du désarroi que
ces trouhles jetaient dans la politique extérieure de Joseph II, à l'idée
que le sy.stème de l'alliance française allait peut-être s'écrouler.
« Cette cour, entourée de gardes nationaux et dépouillée de tout
réclat qui auparavant signalait la grande i)uissance de cette monar-
chie, écrit Mercy le 18 novembre 1789, offre l'aspect d'une famille
prisonnière, ce qu'elle est en réalité. Le roi, qui n'avait pas fait
encore un pas hors des murs de Paris, ne veut plus en sortir, parce
que S. M. a été privée de ses gardes du corps. La vie inactive qu'il
mène menace sa santé; son état excite la compassion et la pitié; le
peuple lui témoigne la part qu'il y prend et revient à des sentiments
déplus en plus favorables à la reine; mais les effroyables cabales
des démagogues tiennent tout enchaîné , surtout par la cruauté de
leurs mesures et en môme temps par leur puissance prépondérante...
Selon toute vraisemblance, cette monarchie est pour longtemps ravalée
et restera sans importance; son alliance sera de très peu d'utilité,
peut-être même sera-t-elle plutôt un fardeau et un danger... Je vois
bien l'apparence de quelques partis qui se rapprochent volontiers de
la cour et qui pourraient s'unir avec elle; mais ces partis sont trop
faibles-, ils n'ont ni les moyens nécessaires pour agir, ni des chefs
capables de les conduire. Enfin , si l'on considère le caractère per-
sonnel du monarque, la possibilité de le sauver est si invraisemblable,
que, sans vouloir se tromper soi-même, on ne peut plus rien espérer
de bon de son gouvernement^. »
1. « Was hiebey noch eine oder andereVercenderuug anhoflen machen kôniite,
isl das innerlich anwachsende Uebel ; massen ûberhaupl aile Steende des Staats
durch einen so gewalligeii Despotisrnum gedriickt und in einer so allgeineinen
Verwirrung zulelzt gerathen werden, dass die GeiniJther, um die Last abzu-
schlitteln, wieder aui' die unendlidi vorzuziehende monarcbisclie Regierungs-
form zuriicklvommen und sicb derselben in die Armbe weilen dœrften. »
Lettre citée du 17 août 1789.
2. Nous donnerons ici seulement la seconde partie du texte de cette citation :
DOCUMENTS INÉDITS RELATIFS A !M \ RIE-ANTOINETTE. 333
Nous arrêtons ici les extraits des papiers de Mercy. C'était un
homme que la situation de la France et surtout de la reine remplis-
sait du plus profond chagrin. Ce que nous venons de publier prouve
à nouveau combien était injuste le soupçon que l'ambassadeur eût
conspiré contre le nouvel état de choses et donné à Marie-Antoinette
des conseils dans ce sens. La publication faite par M. d'Arneth a
déjà mis en lumière ce fait que Mercy s'efTorra d'apporter à la reine
les secours de son expérience. Il y était d'ailleurs encouragé d'une
façon particulière par son gouvernement. Dans une instruction du
3 août 1789, Kaunitz dit que ce serait un réel malheur si l'ambassa-
deur ne pouvait, au moins par voie de correspondance secrète^ faire
parvenir ses avis à la reine et au roi '. Ce n'était point facile. Marie-
Antoinette dut prévenir elle-même le comte Mercy de la venir voir
aussi peu que possible, car elle savait de la façon la plus certaine
que chaque quart d'heure qu'il passerait auprès d'elle serait épié,
découvert et dénoncé. On convint donc d'un échange secret de lettres
entre elle et l'ambassadeur - ; il continua encore quand Mercy put
approcher la reine. « J'ai recommencé, écrit-il à Mercy le ^s no-
vembre 1789, à voir le roi en particulier (mots en français dans la
dépêche) ; cependant je continue ma correspondance , au moyen de
laquelle je cherche à communiquer à S. M. les conseils que me dictent
ma fidélité et mon zèle pour sa personne^. » C'est à cette corres-
pondance que nous devons cette riche mine de renseignements que
M. d'Arneth nous permet d'exploiter en publiant la correspondance
échangée entre la reine et l'ambassadeur autrichien.
« Aller Waiirsclieinlichkeit nach, wird diesse Monarchie fiir lange Zeit zu Grund
gerichlet uiul unbedeutend bleihea, so dass ihre AUianz fur wenigst sehr
unniize, viellelcht aucli lœstig und verlegenlieitsvoll und eben dariiii) schaîdlicli
werden dœrfte. Zu friihzeitig wa3r es, schon dermalen ein beslinirnte Meinung
hieriiber feslzusetzen ; mein unverfaelscliter Dienst-Eifer aber verbindet mich
aile die wolilergriiadeten Spuren vorleeufig anzuzeigen, welche zu erforden
scheinen, dass niaa schon von jezo an auf die Ergreillung politischer Vorsichts-
Mittel fiirdenke, oder solche-wenigst von weiten\ her vorbereite. Nur ein ganz
empfundener plœtziicher Vorfall wser in Stand diesse Wahrheit abzu.nendern.
Ich sehe zwarden Anschein einiger Parteyen, die sich gern dem Hofe nfehern,
und sich mit demselben vereinigen mœgten; allein dièse Parteyen sind so
schwach, der hierzu nœthigeii Mittel sowohl als tiichtiger Anfiihrer dergestalt
entbiœsst ; zudem ist in Erwegung des persœnlichen Charakters des Monarchs
die Mœglichkeit Ihn zu retten so wenig wahrscheinlich, dass man, ohnc sich
selbst taeuschen zu wollen, von seiner Regierung nichts mehr giinstiges hoften
kan. » Mercy à Kaunitz, le 18 novembre 1789. Archives de l'État à Vienne.
1. Kaunitz à Mercy. Vienne, le 3 août 1789. Archives de l'État à Vienne.
2. Mercy à Kaunitz. Près Paris, le 23 juillet 17.S9. Ibidem.
3. Mercy à Kaunitz, le 18 novembre 1789. Ibidem.
334 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
11.
J'arrive maintenant aux documents que m'ont fournis les archives
nationales, et surtout les archives du ministère des affaires étran-
gères de Paris. Ils se rapportent pour la plupart à la jeunesse de
l'archiduchesse et à son mariage avec le futur Louis XVI-, seuls les
comptes de toilettes sont d'une époque postérieure de la vie de la reine
en France.
M. d'Arneth est le premier qui publia des renseignements sur
la vie de Marie -Antoinette lorsqu'elle n'était encore qu'archi-
duchesse. Avec les lettres de Vermond, il put, par l'intermé-
diaire de M. Faugère, prendre connaissance des rapports, assez secs
d'ailleurs, de Durfort sur elle. 11 paraît que Durfort s'en remit à
l'abbé Vermond du soin de rédiger ses propres rapports ; ce dernier
n'avait-il pas été chargé de tenir sans cesse Louis XV au courant
des progrès accomplis par Marie-Antoinette? Partant de cette hypo-
thèse, j'ai recherché dans les archives de Paris les rapports de Ver-
mond. Mes recherches sont cependant restées sans résultai. Il est
probable que, si de pareils rapports ont existé, ils n'existent plus.
Nous devons d'autant plus savoir gré à Durfort d'avoir inséré dans
ses dépêches au moins quelques détails sur Marie -Antoinette. 11
parait que M. Faugère n'a pas fait copier pour M. d'Arneth tous les
passages relatifs à Marie-Antoinette; aussi puis-je faire connaître ici
quelques faits nouveaux. Ainsi M. Faugère avait laissé échapper un
tableau de la cour de Vienne que j'ai publié dans VArchiv fur œsfer-
reichische Geschichte et qui, selon moi, doit être attribué à Durfort
lui-même. Dans cette description, il se trouve un séduisant portrait
de Marie-Antoinelte, le seul que nous possédions d'elle comme archi-
duchesse. Lîien que je l'aie déjà publié, je crois pouvoir le reproduire
ici. Le voici :
C'est une princesse accomplie tant par les qualités de sa belle âme
que par les agrémens de sa figure, elle a un discernement infini, de la
bonté dans le caractère, de la gaité dans l'esprit; elle aime à plaire,
dit des choses agréables à un chacun et possède au suprême degré toutes
les qualités qui peuvent assurer le bonheur d'un époux.
Durfort était animé des meilleurs sentiments à l'égard de la cour
de Vienne, quand il y arriva en un moment où les rapports entre TAu-
triche et la France se troublaient un peu. C'étaient surtout les dispo-
sitions de Joseph II qui excitaient l'inquiétude à Versailles. On crai-
gnait (lu'il ne restât pas fidèle à l'alliance; sur quoi Raunitz écrivait
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 335
à l'ambassadeur de France, dès le début même, en ces termes : « Il
est vrai, et je lui (à Tempereurl ai dit, qu'il n'est pas assés coquet
pour une maîtresse comme la France; il n'est pas tendre, mais il est
solide. Je vous parle en ami et en honnête homme ; comptez sur ma
parole. Il sent tout le prix de l'alliance et n'y est pas moins attaché
que l'impératrice '. » Cette parole réjouit Durfort ; il se trouva aussitôt
mêlé à la vie de la cour de Vienne; la famille impériale surl(jut lui
plut; il en parle en ces termes : « Cette auguste famille réunit tous
les avantages que la nature et l'éducation peuvent donner-. » Aussi
peut-on comprendre avec quel zèle il s'employa pour le mariage pro-
jeté entre le Dauphin et Marie-Antoinette; mais la cour de Versailles
resta sur la réserve. Le marquis de Durfort, lisons-nous dans Arneth,
dit à Marie-Thérèse qu'il était chargé d'envoyer au roi de Franco les
portraits de la famille impériale; Arneth publie aussi la réponse de
l'impératrice 2. Durfort parait cependant avoir dépassé ici les bornes
de sa mission, ainsi que cela ressort de la réprimande que lui adressa
Choiseul. Voici d'abord un extrait de la dépèche de Durfort :
II m'est revenu par plus d'une voye qu'elle en a parlé et le peintre de
la cour est venu chez moy sous prétexte de me faire sa révérence. Après
avoir discouru un moment avec lui sur son métier, il m'a dit qu'il
savoit que je voulois les portraits de la famille impériale, qu'il m'oli'roit
ses talens ; je luy ai donné la commission de les faire, pourvu qu'il me
promit que la cour ne le trouveroit pas mauvais; il m'a assuré que
cela luy feroit au contraire un très-grand plaisir. J'attends, monsieur,
le jugement que vous porterez à cet égard, et j'espère qu'il me sera
favorable, au surplus j'ai dit que j'avois ordre, mais je n'ai pas dit de
qui'*.
Voici maintenant la réponse de Choiseul du 24 mai 1767 :
Le roy n'a point aprouvé, monsieur, que vous ayez demandé par
ordre les portraits de la famille impériale. Quoique vous n'ayez pas dit
de quel ordre, il est certain que vous ne pouvez en avoir que de Sa
Majesté et c'est une démarche qui peut tirer à des conséquences qui ne
doivent pas vous échaper. Il est clair que le peintre qui est venu vous
offrir ses services a été envoyé chez vous par l'impératrice. En tout, je
vous prie, monsieur, de ne point vous presser sur tout ce qui peut avoir
trait à un mariage, à moins que vous ne receviez des ordres de Sa
i. Durfort à Choiseul. Vienne, le 11 février 17G7. Archives du ministère des
affaires étrangères.
2. Idem.
3. Arneth. Maria- Theresia. VII, 422.
4. Durfort à Choiseul. Vienne, le II mars 17G7. Archives du ministère des
affaires étrangères.
336 MELANGES ET DOCUMENTS.
Majesté. Au surplus, quoique nous ayons déjà les portraits de la famille
impériale, vous aurez la bonté de m'envoyer ceux que vous faites faire
lorsqu'ils seront achevés ^.
Durfort chercha à se justifier en alléguant, ou qu'on avait mal
chiffré la dépêche dans son bureau, ou qu'elle avait dû être mal
déchiffrée à Versailles. Mais laissons-le parler lui-même :
Il faut, monsieur, ou qu'on ait mal chiffré chez moi , ou mal déchif-
fré dans vos bureaux ce que j'ay eu l'honneur de vous écrire sur les
portraits de la famille impériale. Je ne les ai pas demandé, j'ay dit
simplement que /'aro/s ordre de les chercher . La preuve en existe dans la
réponse qui me fut faite : Vous ne les trouverez pas. Je crois dans ce
moment remplir les ordres que j'ay de saisir toutes les occasions de
plaire en donnant à penser que Sa Majesté auroit autant de satisfaction
d'avoir les portraits des enfants de l'impératrice que cette princesse en
témoignait d'avoir ceux de la famille royalle. Je ne pensais pas qu'il fût
possible de m'interpréter différemment et je ne crus pas qu'il pût en
résulter aucune conséquence. Je suis au desespoir de m'être trompé et je
vous supplie, monsieur, de vouloir bien mettre aux pieds de Sa Majesté
mes intentions et ma peine. J'auray l'honneur devons envoyer les por-
traits dès qu'ils seront faits.
Les reproches de Ghoiseul rendirent Durfort plus circonspect, et il
repoussa toutes les avances qui lui vinrent à ce propos. C'est ainsi
qu'il fut tenté par la grande maîtresse de la maison de l'archiduchesse,
la comtesse Lerchenfeld, près de latiuelle il se trouva lors d'un diver-
tissement donné à la cour. Durfort en parle en ces termes : « Elle
(la grande maîtresse) chercha à entrer en conversation avec moi, et
elle ne tarda pas à la faire tomber sur le caractère, l'esprit, la figure
et les grâces de la jeune princesse; elle ne négligea rien dans le por-
trait qu'elle me fit. Je m'acquittai vis-à-vis de cette dame de tout ce
que rhonnételc exigcoit, sans m'écarter en rien de la circonspection
que vous m'avez prescrite-. »
Cette réserve de l'ambassadeur fut pleinement approuvée à Ver-
sailles, et Louis XV fit encore recommander au marquis de continuer
dans cette voie. Mais, comme la cour de France désirait, pour le cas
où un mariage serait conclu entre le dauphin et l'archiduchesse,
avoir une copie du contrat de mariage qui avait été rédigé lors du
mariage entre le roi de Naples et l'archiducliesse Caroline, Durfort
1. Choiseul à Durfort. Versailles, le 24 mars 17G7. Archives du ministère des
affaires étrangères.
2. Durfort à Choiseul. Vienne, le 19 septembre 1767. Archives du ministère
des aiïaires étrangères.
DOCrMElVTS INÉDITS RELATIFS A MARlE-ANTOINETTi: . 337
fut chargé de se procurer celle copie. « Je présume, écrivit Choiseul
à Durforl, qu'il ne vous sera pas difficile de vous procurer ces actes
en marquant votre désir personnel de les avoir, soit à l'ambassadeur
d'Espagne, soit à celui de Naples. Vous attendrez une occasion pour
me les faire passer'. » Durfort fut enchanté que sa conduite fût
approuvée du roi, et promit de fournir la copie désirée 2.
11 suffit ici de toucher seulement un poini qui a déjà été traité par
M. d'Arneth. La seconde femme de Joseph II, avec laquelle il avait
vécu en grande mésintelligence 3, venait de mourir le 2S mai noT,
et l'on parla aussitôt d'un nouveau mariage. M. d'Arneth avait déjà
mis en doute •« que la cour de France ait eu l'idée de mettre comme
condition au mariage autrichien l'union de l'empereur Joseph II avec
la fille du duc d'Orléans ; son opinion est confirmée par les rensei-
gnements suivants : à Versailles , on voulait que la cour de Vienne
fit les premières ouvertures-, c'est ce qu'indique en ces termes le
marquis de Durfort : « Je vous demande instamment d'être persuadé
que je n'ay rien oublié des instructions que vous m'avez données au
cas qu'on me parlât de mariage, et que je ne dirai et ne ferai que ce
qu'elles me prescrivent ^ » Ces instructions dont il parle, et qui
ordonnaient, on le voit, de la façon la plus expresse à l'ambassadeur
de se tenir sur la réserve, ont été rédigées avant la mort de la seconde
1. Choiseul à Durfort. Fontainebleau, le 4 octobre 1767. Ibidem.
2. Durfort à Choiseul. Vienne, le 17 octobre 1767. Ibidem.
3. Une dépêche de Berenger à Choiseul, Vienne, le .5 août 176G, contient un
passage très curieux sur les relations de Josepli II avec sa seconde femme.
Après avoir dit que l'impératrice se sentait plus mal chaque jour, que les bains
deBaden près de Vienne ne lavaient pas soulagée, et que tout le monde était
convaincu que l'impératrice resterait stérile , il continue ainsi : « Cette prin-
cesse n'est regardée dans la monarchie que comme une acquisition désagréable
et odieuse et ne peut devenir intéressante que par ses disgrâces. L'empereur la
traite avec un mépris qui tient à la dureté de son caractère, il ne lui trouve ni
figure ni esprit, et ne perd aucune occasion d'humilier publiquement son amour-
propre par des parallelles dont il est impossible de manquer l'aplication. Vous
jugerez de sa tendresse par l'anecdote suivante : il disait dernièrement devant
plusieurs personnes à mademoiselle "Wallis, qui s'était jetée tout habillée dans
les bains de Bade pour secourir l'impératrice qui était tombée à la suite d'une
faiblesse, qu'elle s'était fort trompée si elle avait imaginé lui faire sa cour par
cet empressement; qu'il lui aurait su plus de gré si elle s'était épargné ce soin,
puisqu'il aurait pu en être délivré. L'on a de la peine à concevoir l'inhumaine
indécence de ce propos, et j'avoue qu'il me paroîtrait incroyable, s'il ne m'avait
été rendu par des personnes à l'abri de tout soupçon de fausseté. » Archives
du ministère des affaires étiangères.
4. Maria Teresia, VII, 423.
5. Durfort à Choiseul. Vienne, le 4 avril 1656. Archives du ministère des
affaires étrangères. Le texte de la dépêche dans Arneth, VII, 561.
ReV. HiSTOR. XXV. 2e FASC. 22
338 MÉLANGES ET DOCnMEl>fTS.
femme de Joseph II; elles ne pouvaient donc contenir aucun avis
pour le cas où Tempereur viendrait à se remarier. Lorsque Durfort,
quelques jours après la mort de l'impératrice Josepha, par consé-
quent après le 28 mai, annonce à sa cour que, malgré la consterna-
tion générale qui règne à Vienne, on parle d'un nouveau mariage de
l'empereur, et en première ligne qu'on désigne la fille du duc d'Or-
léans comme la future impératrice^ Ghoiseul lui répond de tenir pour
le moment toutes ces combinaisons comme prématurées, et il ajoute
dans les termes les plus expressifs : « Je vous prie d'éviter avec
grand soin de parler le premier d'aucun mariage^. » Ce passage
montre donc avec la dernière évidence que l'ambassadeur ne devait
parler le premier ni du mariage du dauphin avec Marie-Antoinette,
ni de celui de l'empereur avec M""= de Chartres. On n'espérait même
pas à Versailles qu'une démarche officielle fût faite au sujet du
mariage de l'empereur, c'est ce qui ressort de ces paroles de Ghoi-
seul : « Si l'on vous en parlait rainistérialemenl, ce que je ne puis
pas croire, vous répondrez que vous n'avez reçu aucun ordre à cet
égard, et que vous allez rendre compte de ce que l'on vous dira^. »
Peut-on penser encore, après tout cela, qu'on ait eu sérieusement
l'idée de combiner le mai'iage, d'une part, de Marie-Antoinette avec
le dauj)hin, et, d'autre part, de l'empereur avec M"^ de Chartres? Si
cependant on demande pourquoi l'on recommandait à l'ambassadeur
une si grande circonspection, la réponse est facile : en voulant que la
cour de Vienne fit les premières ouvertures, on espérait s'assurer
certains avantages ; c'est ce qui ressort clairement des termes où
(Ghoiseul blâme la précipitation de Durfort : « C'est une démarche
qui peut tirer à des conséquences; » c'est-à-dire qu'on renoncerait à
tous ses avantages dans cette négociation, si l'on faisait les pre-
miers pas.
Apres des pourparlers dont l'exposé se trouve dans Arneth, on
décida d'envoyer l'abbé Vermond à Vienne comme confesseur de l'ar-
chiduchesse Marie-Antoinette. Dans la lettre de recommandation que
Choiseul lui donna pour Durfort, il dépeint ainsi le confesseur:
« C'est un homme de mérite et d'esprit, qui allie la prudence aux
lumières, et (jui remplira certainement à la satisfaction de S. M. l'im-
pératrice-reine les fonctions qu'elle veut bien lui confier ^. »
1. Durfort à Choiseul. Vienne, le 30 mai 1767. Archives du ministère des
aifaires étrangères.
2. Choiseul à Durfort. Versailles, le 18 juin 1767; ibidem.
3. Même dépèche.
4. Choiseul à Durfort, Fontainebleau, le 24 octobre 1768. En 1769, il paraît
(ju'il fut encore question d'un mariage de l'empereur Joseph II: c'est ce
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 339
Cependant Louis XV exprime un vif désir de recevoir les portraits
de la famille impériale <. Durfort envoya enfin , le i9 avril , par son
fils, le portrait de Marie-Antoinette, et il ajoute ces mots :
Mais ce portrait, au jugement de toutes les personnes qui l'ont exa-
miné, n'est pas ressemblant et il est nécessaire de le recommencer
Le sieur Ducreux a peint avec le plus grand succès les têtes de mes-
dames les archiduchesses Thérèse, Christine et Elisabeth et a manqué
précisément celle de madame Antoinette^.
Louis XV n'en fut pas moins enchanté du portrait de Marie-
Antoinette 3. Il décida bientôt de faire un pas de plus et fit deman-
der officiellement la main de l'archiduchesse pour le dauphin. Voici
en quels termes il expose ses vues à l'impératrice Marie-Thérèse :
Louis XV A Marie-Thérèse.
Marly, le 7 juin \1&9\
Madame ma sœur.
Je ne puis retarder plus longtems de marquer à Votre Majesté la
satisfaction que je sens de l'union prochaine et plus particulière que
nous allons contracter par le mariage de l'archiduchesse Antoinette
avec le Dauphin mon petit-fils. Je suis trop tendrement attaché à Votre
Majesté pour ne pas me flatter qu'elle aprouvera que j'anticipe à cet
égard la demande en cérémonie et que je lui fasse connoitre combien
m'est agréable ce nouveau lien qui va de plus en plus unir nos deux
maisons. Si Votre Majesté l'aprouve, je crois que le mariage pourra se
faire à Vienne dans la semaine de Pâques prochain ; en conséquence ,
j'envoye les ordres à mon ambassadeur pour demander un projetdecon-
tract au ministère de Votre Majesté. Il ne sera pas aussi long à faire
qui ressort de la dépêche suivante de Durfort, expédiée de Vienne le
18 janvier 1769 : « J'ay remis, Monsieur, le portrait de Madame à la personne
qui me l'avoit demandé pour l'impératrice-ieine. Je sais qu'il est chez cette
princesse depuis avant-hier, et j'avois recommandé qu'on le luy apportât
enveloppé et en disant aux femmes de chambre qui le reçurent que c'étoil un
miroir. Son dessein est, dit-on, de le faire voir à l'empereur sans affectation et
comme si ce n'étoit qu'un portrait de fantaisie. » Archives du ministère des
affaires étrangères.
1. Choiseul à Durfort, le 31 mars 1769. Archives du ministère des affaires
étrangères.
2. Durfort à Choiseul. Vienne, le 19 avril 1769. Archives du ministère des
affaires étrangères.
3. Choiseul à Durfort, le 21 mai 1769. Archives du ministère des affaires
étrangères; Arneth, VIT, 426.
4. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70. Vol. 75.
Minute.
340 MELANGES ET DOCUMENTS.
que celui de l'archiduchesse Amélie avec mon petit-fils de Parme',
qui, vu la médiocrité de ses États, demandoit un peu plus d'attention,
mais Votre Majesté et moi nous aurons soin de leur postérité et je ne
puis trop remercier Votre Majesté de la conclusion de ce mariage qui,
j'espère, lui donnera de la satisfaction par le personnel de l'infant. Je
ferai ici ce que je pourrai ainsi que le Dauphin pour que l'archiduchesse
Antoinette soit heureuse et que nos familles jouissent comme moi du
bonheur de nos liaisons, ainsi que de l'amitié aussi tendre que durable
avec laquelle je suis....
Marie-Thérèse répondit à cette lettre par la suivante, tout entière
écrite de sa main :
Marie-Thérèse a Louis XV-.
Laxembourg, le 17 juin 1709.
Monsieur mon frère et cousin.
De tous les liens par lesquels j'ai la satisfaction de me voir attachée
à Votre Majesté, c'est celui de l'amitié personnelle dont elle m'honore,
et que je lui rend bien sincèrement, qui m'a toujours été le plus cher
et le plus précieux. La preuve nouvelle de ce sentiment que j'ai retrou-
vée dans la lettre de Votre Majesté du 4^ de ce mois, par laquelle de
la façon la plus obligeante, elle a bien voulu anticiper la demande en
cérémonie de ma fille, l'archiduchesse Antoinette, pour le Dauphin, son
petit-iils, n'a pu m'être moyennant cela que très-agréable. Je m'empresse
donc d'en assurer S^^otre Majesté et, en lui accordant ma tille, qu'elle soit
persuadée que ce nouveau lien qui va unir nos maisons ne m'est pas
moins agréable qu'à elle.
Ce mariage se pourra faire ici selon ses désirs d'abord après Pâques.
On remettra un projet de contrat de mariage à son ambassadeur puis-
qu'elle le souhaite. Je remercie Votre Majesté de la façon dont elle veut
s'expliquer au sujet de la conclusion du mariage de ma tille avec l'infant,
de même que des sentiments qu'elle me témoigne en leur faveur et sur
lesquels je conte très-fort ainsi qu'ils peuvent conter sur toute mon
affection. Il ne me reste qu'à souhaiter que ma fille Antoinette puisse
avoir le bonheur de lui plaire. Je suis bien sûre qu'elle faira tout son
possible pour mériter ses bontés. J'ose la lui recommander, à son âge
on a besoing d'indulgence, de vouloir bien lui servir de père, et en ce
cas elle sera heureuse et moi aussi, ne souhaitant que dans toutes les
occasions de pouvoir lui prouver le sincer attachement avec lequel je
suis ^t ne cesserai d'être
1. Ferdinand, duc de Parme.
2. Archives du ministère des affaires étrangères.
3. Dans une copie qu'on possède de celte lettre, on trouve la date réelle du 7.
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 3H
A ces lettres échangées entre Marie-Thérèse et Louis XV, nous
croyons devoir ajouter la lettre suivante du roi à Joseph IT. Celle de
l'empereur à laquelle Louis XV fait allusion ne nous est pas connue :
Louis XV a Joseph IL
Marly, le 18 juin 1769 L
La tendresse , mon cher petit-fils , que vous me marquez dans votre
lettre, est très-conforme à celle que je ressens pour vous. Tout le bien
que vous me dites de l'infant, duc de Parme, me fait le plus grand
plaisir. L'amitié flatteuse que vous me marquez avoir pour ce jeune
prince fait son éloge ; j'espère qu'elle portera bonheur à son union
avec l'archiduchesse votre sœur. Je serai toujours très-empressé à don-
ner à l'un et à l'autre des preuves de ma tendresse. Je vous demande
aussi votre amitié pour mon petit-fils, le Dauphin, dont le mariage avec
votre sœur cadette va se conclure. Il désire que la multiplication des
liens qui unissent nos maisons adoucisse le chagrin de la perte que nous
avons faite l'un et l'autre.
Vous me faites envisager, mon cher petit-fils, l'époque la plus agréa-
ble de ma vie, en me parlant de votre projet de venir en France : vous
ne l'exécuterez jamais aussi vite que je le souhaite. Ce sera pour moi
un plaisir très-vif d'embrasser un prince qui a des titres si multipliés à
mon estime et à ma tendre affection.
La nation française admire déjà vos vertus ; mais elle apprendra par
mon exemple à vous aimer lorsque je pourrai la rendre témoin de la
vivacité et de la vérité de l'inviolable amitié avec laquelle je ne cesserai
jamais d'être
De temps en temps Durfort a, parallèlement à Vermond, certains
détails à donner à sa cour sur l'archiduchesse. La plus grande partie
de ces rapports , malheureusement beaucoup trop succincts, a été
publiée par M. d'Arneth. Je publierai ici trois dépêches encore iné-
dites de Durfort. Celle du 10 février présente un intérêt particulier.
Dans sa dépêche du 3 janvier -1770, Durfort parle de l'excellente
impression que la jeune archiduchesse produit partout.
Le premier jour de l'an, écrit-il à Choiseul, a été célébré ici selon
l'usage par un grand gala, un dîner public et un appartement à la cour.
Madame l'archiduchesse Antoinette a assisté à toutes les cérémonies de
cette journée, et s'y est fait généralement admirer par sa beauté, les
charmes de sa figure et tous les agrémens dont cette princesse est douée.
Sa parure était beaucoup plus riche que celle des autres archidu-
chesses 2.
1. Minute. Arcliives du ministère des affaires étrangères.
2. Durfort à Choiseul. Vienne, le 3 janvier 1770. Archives du ministère des
affaires étrangères.
342 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Dans la dépêche du ^0 février, Durfort annonce un événement qui
rendait le mariage possible : Marie-Antoinette était devenue nubile.
L'ambassadeur écrit à ce propos :
L'impératrice-reine ayant eu la bonté de me faire dire que j etois le
maitre d'aller à tous les cammerfest, je m'empressai mercredi dernier
de me rendre à une de ces fêtes qu'il y eut ce jour-là. Dès que j'y fus
arrivé , l'impératrice eut la complaisance de me tirer à part et de me
dire : J'ai un secret à vous confier, mais il faut que vous le gardiez.
Ma fille est nubile depuis cet après-midi à cinq heures un quart, j'en ai
un plaisir infini et je suis persuadée que le roi n'en aura pas moins
Le jour même de cet événement, madame l'archiduchesse Antoinette a
dansé assez longtemps et je ne me suis pas aperçu depuis qu'il y ait eu
le moindre changement dans sa santé. J'ai eu l'honneur de faire sa
partie hier au soir. Cette princesse étoit aussi belle, aussi gaye et aussi
vive qu'elle l'est ordinairement L
Si à Versailles on avait désiré le portrait de l'archiduchesse Marie-
Antoinette, on comprend qu'en retour on ait envoyé à Vienne le por-
trait du dauphin. On en envoya deux en même temps. Après les
avoir reçus, Durfort s'exprime en ces termes :
A peine furent-ils (les deux portraits) arrivés que j'en fis informer
l'impératrice-reine, qui me fit dire que je devois les lui présenter moi-
même. J'eus cet honneur le lendemain à midi. Je ne saurois vous rendre,
monsieur, toute la satisfaction que ces portraitsont causée à Sa Majesté
impériale et à madame l'archiduchesse Antoinette. Cette jeune princesse
les a tous les deux dans son appartement et les a fait placer dans la
pièce où elle se tient-.
Cependant le jour du mariage approchait. A ce propos , Joseph 11
écrivait la lettre suivante, toute de sa main, à Louis XV :
Joseph II a Louis XY=^
Le 19 avril 1770.
Monsieur mon frère et grand-père , puis-je assez témoigner le plaisir
avec lequel je viens de recevoir la lettre que Votre Majesté a bien
voulue m'écrire et qui caractérise si bien son amitié pour moi et ses
sentiments bien consolants pour ma sceure, qui va avoir le bonheur
d'appartenir au Dauphin, son digne petit-fils; la fonction du mariage
1. Durfort à Clioiseul. Vienne, le 10 février 1770. Archives du ministère des
affaires étrangères.
2. Durfort à Cboiseul. Vienne, le 3 avril 1770. Archives du ministère des
afl'aires étrangères.
.3. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
DOCUMENTS INÉDITS RELATIFS A MAllIE-ANTOLNETTE. 343
par procure vient de se célébrer, si quelque chose pouvoit encore plus
resserrer les liens sans cella formés et rendus indissolubles par la con-
viction et l'attachement mutuell, certainement que ce nouveau lien si
tendre et le bonheur d'une sœure qui mérite tant d'estre chérie y met-
troit le comble, croyez, cher* grand-père, que je ne désire rien
d'avantage que de vous en convaincre et de vous faire connoître en
personne mon cœur et les sentimens d'un fils qui vous respecte et dont
l'attachement est à toute épreuve, pour la vie je suis
Le jour qui suivit le mariage, Marie-Antoinette écrivit à Louis XV
une lettre autographe, où elle lui promettait d'être toujours sa fille
la plus fidèle et la plus soumise. Voici cette lettre, à laquelle nous
ne changeons pas un mot, et dont nous respectons l'orthographe :
Marie-Antoinette a Louis XV ^.
Vienne, le 20 avril 1770.
Monsieur mon frère et très-cher grand-père. Il y a si longtemsqueje
désire pouvoir témoigner a Votre Majesté , au moins en partie , tous
mes sentiments pour elle, que je saisis avec la plus grande satisfaction
la première occasion qui peut m'y autoriser. Que Votre Majesté me
permette donc de lui apprendre que mon mariage avec monsieur le
Dauphin a été célébré ici hier par toutes les cérémonies de l'Eglise
usitées en pareil cas, et que c'est pour moi la plus douce satisfaction de
me voir par la appartenir a Votre Majesté, pour qui, depuis que je
pense, j'ai toujours eue le plus grand respect et le plus vif attachement.
Votre Majesté peut être assurée en conséquence, que je ne serai occu-
pée toute ma vie que du soin de lui plaire et de mériter sa confiance et
ses bontés , et avec de pareilles intentions je crois pouvoir tout espérer
de sa part. Je sents cependant, que mon âge et mon inexpérience pour-
ront peutêtre souvent avoir besoin de son indulgence et j'ose moyennant
cela la lui demander dez a présent avec les plus vives instances et la
supplier en même tems de me ménager aussi d'avance celle de monsieur
le Dauphin et de toute la famille dont je m'en vois avoir le bonheur
d'être. Je sais que Votre Majesté est le meilleur des pères ; je me pro-
pose d'être toute ma vie la fille la plus tendre et la plus somisse (sic)
a ses volontés, et je me flatte par conséquent du sort le plus heureux.
J'ose espérer que Votre Majesté daignera recevoir avec la bonté qui lui
est naturelle, cette effusion de cœur, a laquelle je n'ai pu me refuser, et je
la supplie de vouloir être persuadée, en attendant, qu'au moment désiré,
ou j'aurai le bonheur de me trouver auprès d'elle , ce sera avec autant
de vérité que de respect et de tendresse que j'aurai l'honneur de lui
repeter de vive voix tous les sentiments avec lesquels je ne cesserai
d'être toute la vie
1. Dans l'original, il y a « chère. »
2. Archives du ministère des affaires étrangères.
344 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Marie-Thérèse écrivit aussi au roi une lettre autographe au sujet
du mariage ; nous la publions plus loin ; dans une autre écrite
le même jour à Louis XV, elle dit qu'elle lui sera remise par sa
fille elle-même, ou plutôt, comme elle dit, par la fille du roi. Nous
donnons aussi cette lettre autographe. Elle n'est pas datée, mais une
autre main a ajouté : 20 avril -1770.
Marie-Thérèse a Louis XV < .
Vienne, le 20 avril 1770.
Monsieur mon frère et cousin, la célébration du mariage de ma fille,
l'archiduchesse Marie- Antoinette, qui a été unie hier en face de l'église
à monsieur le Dauphin a suivi de si près la demande solennelle que
Votre Majesté m'en a fait faire par son ambassadeur extraordinaire , le
sieur marquis de Durfort, que j'ai la satisfaction de pouvoir lui témoi-
gner par mon empressement à lui apprendre que le mariage est fait,
combien la proposition m'en a été agréable. Votre Majesté n'ignore pas
le plaisir que je me suis fait de tous les liens par lesquels nous avons
put unir nos maisons jusqu'ici, et elle peut juger moiennant cela du
degré de satisfaction que doit me causer celui-ci qui nous attache
encore plus directement à la personne de Votre Majesté qui rend jus-
tice, j'espère, à tous mes sentimens pour elle. Je la prie instam-
ment de vouloir bien être le père, le guide et le protecteur de ma lille
qui fera, j'espère, tout ce qu'elle pourra pour lui plaire, mais qui bien
jeune encore ne peut manquer neantmoins d'avoir souvent grand besoin
des bontés et de l'indulgence de Votre Majesté. Je lui demande donc
pour elle l'un et l'autre, et il ne me restera rien à désirer en ce cas que
de pouvoir donner sans cesse à Votre Majesté des preuves delà sincère
et inviolaljlc amitié avec laquelle je suis et serai toute ma vie
Marie-Thérèse a Louis XV-.
Le 20 avril 1770.
Monsieur mon frère, c'est ma fille, mais plutôt celle de Votre Majesté
qui aura le bonheur de vous remettre celle-ci ; en perdant un si cher
enfant toute ma consolation est de la confier au meilleur et le plus
tendre père; qu'elle veuille la diriger et lui ordonner. Elle a la meilleur
volonté, mais à son âge j'ose la prier d'avoir de l'indulgence pour
quelque étourderie, sa volonté est bonne de vouloir mériter ses
bontés par tout ses actions, je la lui recommande encore une fois
comme le gage le plus tendre qui existe si heureusement entre nos Etats
et maisons, étant toujours
1. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
2. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
DOCUMENTS INÉDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 345
Dans sa lettre du 8 mai HTO, Louis XV exprime à l'impératrice
son contentement et en même temps l'impatience qu'il éprouve de
pouvoir embrasser la Dauphine en France. Nous n'avons de cette
lettre qu'une minute. La voici :
Louis XV a Marie-Thérèse.
Versailles, le 8 mai 1770'.
Serenissime et très-puissante impératrice, etc..
J'ai reçu avec la joye la plus vive la nouvelle que Votre Majesté a
bien voulu me donner de la célébration du mariage qui s'est fait en sa
présence de mon cher petit-Mls, le Dauphin, avec sa chère ûlle, l'archi-
duchesse Antoinette. Votre Majesté concevra aisément l'impatience où
je suis de recevoir cette princesse pour lui témoigner toute l'afection
que j'ai pour elle. Le moment de la conclusion d'une alliance, laquelle
est à tant de titres si chère à mon cœur, met le comble à la satisfaction
que me causent les différens liens qui m'unissent déjà à Votre Majesté.
Je ne saurois trop lui répéter la joye que j'en ressens ; elle est aussi
pure et aussi vive que l'amitié que je lui ai vouée pour la vie
Un peu plus tard, le Dauphin écrit à sa belle-mère, l'impératrice
Marie- Thérèse ; il promet de faire tous ses efforts pour assurer le
bonheur de la dauphine, comme il est convaincu lui-même que
Marie-Antoinette fera son jjonheur. Nous laissons la parole au Dau-
phin; cette lettre n'est, elle aussi, qu'une minute :
Le Dauphin a Marie-Thérèse.
Le 20 mai 17702.
Madame ma sœur, cousine et mère, je ne- puis trop vous marquer ma
sensible satisfaction de l'heureux lien qui m'attache à votre majesté.
J'espère contribuer au bonheur de madame la Dauphine, comme je suis
persuadé qu'elle fera le mien. Je n'aurai rien à désirer si Votre Majesté
m'accorde les sentiments que mérite un ûls bien tendre, qui admire
les vertus respectables d'une mère aussi chère, qui lui sera attaché
pour toujours et qui désire vivement de lui plaire. Madame la Dau-
phine sera l'interprète de ma tendresse, je n'en puis pas avoir qui soit
plus cher au cœur de Votre Majesté et au mien
Une dépèche de Durfort et deux autres du comte de Noailles nous
permettent d'accompagner la dauphine dans son voyage vers Paris,
et lorsqu'elle était encore sur le sol autrichien, et lorsqu'elle était
1. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
2. Arcliives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
346 MELANGES ET DOCUMENTS.
déjà entrée en France. Le mariage avait eu lieu le ^9 avril; le 24,
Marie-Antoinette quittait Vienne, L'empereur Tavait devancée à Melk ,
où il la reçut; c'est là qu'il se sépara de sa sœur, qu'il devait revoir
plus tard reine de France. De cet endroit, Durfort envoya sa dépêche
au duc de Ghoiseul, avant le départ de l'empereur; la voici :
Durfort a Choiseul'.
Melk, le 22 avril 1770.
Madame la Dauphine est arrivée ici en très-bonne santé, monsieur le
duc, elle partit hier de Vienne à neuf heures précises, elle ne se sent
nullement fatiguée de sa marche, elle soupa de très-bon appétit, à ce
que j'ay sceu a passé parfaitement la nuit, elle se remet en route ce
matin à neuf heures. L'empereur s'est trouvé ici à son arrivée pour la
recevoir et faire les honneurs de la maison, il soupa avec madame la
Dauphine. On donna à cette princesse après le souper un opéra allemant
qui fut exécuté par les élèves des religieux, vous jugez aisément de
quelle manière, madame la Dauphine s'y amusa très-bien, c'étoient des
moines qui en habit religieux formoient l'orchestre, qui prennoient
seing des décorations, ils remplissoient les coulisses, ils ont donné aux
augustes spectateurs un tableau tout neuf, on avoit élevé une estrade
sur laquelle on avoit mis un magnifique fauteuil pour madame la Dau-
phine ; l'empereur se plaça à sa gauche au bas de l'estrade sur une
chaise ordinaire, et toute la suite forma un demi-cercle sans aucune
distinction de rang à la réserve de la grande-maîtresse qui étoit placée
derrière madame la Dauphine. L'empereur s'en sépare ce matin, j'es-
père que ce sera sans prendre congé.
Le courrier que vous m'avez renvoyé, monsieur le duc, est arrivé ici
et m'a remis les dépèches dont vous l'avez chargé, je ne perdray pas
un moment à mon retour pour faire expédier l'acte dont vous m'avez
envoyé la forme et je pense que cela ne soufrira aucun retardement.
Ija résolution édifiente et respectable qu'a prise madame Louise - a
surpris et touché l'empereur, madame la Dauphine m'a paru y être très-
sensible. Le tems ne me permet pas des détails plus long, je m'empresse
de faire partir mon courrier, je juge que Sa Majesté et monseigneur le
Dauphin désirent savoir des nouvelles de la première journée de marche
de madame la Dauphine
Les deux dépêches du comte de Noailles sont datées de Strasbourg-,
elles contiennent la relation officielle du séjour à Strasbourg. Dans
l'une, du 7 mai, le comte raconte que la Dauphine était arrivée dans
1. Archives du miuislère des affaires étrangères.
2. Fille de Louis XV ; elle devint abbesse des Carmélites de Saint-Louis.
DOCUMENTS INÉDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 347
la ville à une heure précise, que toul s'était passé conformémenL aux
ordres du roi, que l'escorte autrichienne avait pris congé et que les
présentations avaient commencé. La santé de la Dauphine ne laissait
rien à désirer. Noailles écrit à ce propos -.
A juger de la situation de madame la Dauphine par son extérieur, je
ne crois pas qu'on doive prendre d'inquiétude de sa santé. J'espère
qu'elle la conservera de même jusqu'au 14 que j'attends avec une grande
impatience *.
Dans sa seconde lettre, du 8 mai, Noailles raconte les fêtes données
par la ville de Strasbourg en l'honneur de la dauphine. La voici :
Le comte de Noailles au duc de Choiseul.
Strasbourg, le 8 mai 1770 2.
Les habitants de cette ville ont reçu madame la Dauphine avec beau-
coup de joie. Il s'est trouvé plusieurs fontaines de vin à son passage
qu'on avait arrangé par les plus belles rues où les troupes de la garni-
son étoient alignées dans le plus grand ordre. Après son dîner, cette prin-
cesse a été à la comédie. Elle a eu pendant le souper, le coup d'œil d'un
arc de triomphe très-bien illuminé avec de l'artifice en face du palais épis-
copal, de l'autre côfé de l'eau et difîérens corps de métiers sont venus
successivement danser et chanter vive le roy sur la terrasse. La ville
étoit généralement illuminée. Après souper, madame la Dauphine a été
au bal que M. le maréchal de Contades a donné dans la salle de la
comédie. Je vais avoir l'honneur de la conduire à Saverne cet après-
midi.
Marie-Antoinette arriva enfin à Gompiègne le ^4 mai. Le mariage
fut célébré le ^ 6 à Versailles. Les illuminations et le feu d'artifice
n'eurent pas lieu parce qu'il pleuvait. Après le soui)er, eut lieu la
« bénédiction du lit. » « La chemise de Madame la dauphine, dit la
relation officielle que nous suivons ici, lui aura sans doute été donnée
par Madame la duchesse de Chartres, quand Madame la Dauphine a
été couchée^. » Nous savons aujourd'hui que Marie-Antoinette sut,
dès son arrivée en France, s'allier les cœurs par la séduction de ses
manières. Louis XV lui-même a exprimé son impression sur ces
premiers débuts dans des lettres à Marie-Thérèse et à Joseph IL Ces
lettres ne sont pas connues, mais nous possédons les réponses de
L Noailles à Clioiseul. Strasbourg, le 7 mai 1770. Archives du ministère des
affaires étrangères.
2. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
3. Mariage de Monseigneur le Dauphin dans le mois de mai 1770. Archives
nationales, K. 138.
348 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
l'empereur et de lïmpératrice. Celle de Joseph II est conçue en
termes trop généraux pour qu'il y ait intérêt à la publier mot pour
mot. II se réjouit des sentiments d'amitié qu'à cette occasion lui a
témoignés le roi de France. « Je les tiens, écrit-il, pour le gage le
plus assuré de notre union inaltérable , et nos nouveaux liens vont
mettre le sceau au bonheur réciproque et constant de nos sujets <. »
La lettre de l'impératrice est plus intéressante. Nous la publions ici
en entier. La suscription seule est de sa main.
Marie-Thérèse a Louis XV-.
Sclionbrunn, le 29 juin 1770.
Monsieur mon frère et cousin,
Je ne puis assez exprimer à Votre Majesté le plaisir que m'a fait la
lettre que le comte de Stainville m'a remise de sa part. La satisfaction
que Votre Majesté me témoigne du début de ma fille et des dispositions
qu'elle paroit lui trouver, me font espérer qu'elle repondra à la bonne
opinion que veut bien en concevoir Votre Majesté. Au moins suis-je
assurée qu'elle sera toujours occupée du soin de plaire à Votre Majesté
et de contribuer au bonheur de monsieur le Dauphin. Je l'abandonne
entièrement aux tendres soins qu'en veut bien prendre Votre Majesté ;
et, si elle veut bien les lui continuer, je suis certaine qu'ils achèveront
l'éducation que j'ai tâché de lui donner. Je souhaite que Votre Majesté
puisse toujours la trouver digne de ses bontés et il ne me restera rien à
désirer si comme je m'en flatte elle est assez heureuse pour contribuer
à cimenter de plus en plus l'union et l'amitié si bien établies entre nos
deux familles. Je suis avec l'amitié la plus sincère et pour la vie
Une fois en France, Marie-Antoinette se jeta, avec tout Pemporlc-
raent de son caractère, dans le tourbillon des plaisirs de la cour, sans
cependant rien faire qui pût ternir son honneur. Il n'en courut pas
moins sur sa vie privée des histoires scandaleuses, qui ne reposaient
sur aucun fondement sérieux , mais auxquelles la conduite frivole
et irréfléchie de la Dauphine ne fournissait que trop d'apparences.
Elle prodigua follement l'argenl pour ses plaisirs, alors que l'argent
devenait rare dans les coffres de l'État et que les ressources dimi-
nuaient. C'est ce que montrent des comptes encore inédits de la toi-
lette royale. Ainsi , en 1785 , un marchand reçut 33,286 livres pour
des fournitures d'étofles ; une dame Pompée, 25, 527, et M"« Bertier,
la célèbre modiste, 87,597 livres. En tout, la reine dépensa, en n85,
258,002 livres pour sa toilette : « Cette somme est véritablement
1. Joseph II à Louis XV. Vienne, le 25 juin 1770. Archives du ministère des
affaires étrangères. France, 1769-70.
2. Archives du uiinislère des afiaires étrangères. France, 1769-70.
DOCUMENTS INÉDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 349
excessive, » écrit une dame de la cour de la reine, la comtesse d'Os-
sun, dans le mémoire qui accompagne ce compte'. Cette réflexion
est tout à fait justifiée, si l'on pense que, pendant les dix années
précédentes, depuis 1774, les paiements acquittés pour la toilette de
la reine furent loin d'atteindre au chiffre de la seule année -1785,
Depuis 1774, les dépenses de celte nature avaient pres(jue doublé :
en ] 774, en effet, elles n'avaient été que de i 20,000 livres-. D'ailleurs,
voici le compte lui-même, avec le mémoire de la comtesse d'Ossun
qui l'accompagne ^.
A Versailles, le 16 juillet 1786.
J'ay l'honneur de vous adresser, monsieur-*, l'état général des dé-
penses de la garde-robe de la reine pendant l'année dernière , montant
à 258,002 livres. Cette somme est excessive; mais, quoique j'aye l'ait
toutes les diminutions possibles sur les prix, je n'avois pas pu également
diminuer les quantités de certains objets qui par leurs nombres sont la
principale cause de l'augmentation de ces dépenses. En mettant cet état
sous les yeux du roy je vous prie de lui dire tout mon regret d'avoir un
aussi fort supplément à lui demander. Je vous prie aussi de vouloir
bien me faire part de l'expédition de l'ordonnance'' de ce supplément
de 138,000 livres lorsque vous l'aurez ordonnée.
Garde-robe de la reine 1785.
État général des dépenses de la garde-robe de la reine faites sous les
ordres de madame la comtesse d'Ossun, dame d'atours de Sa Majesté,
pendant l'année 1785 :
Les mémoires du sieur leNormand, marchand d'étoftes de soyes, pour
la ditte année 1785 montent à la somme de 33,256 livres.
Ceux du sieur Lefevre, autre marchand d'étoffes, à celle de 8,510 l.
Ceux du sieur Barbier, autre marchand d'étoffes, à celle de 5,393 1.
Ceux du sieur Alabat, autre marchand d'étoffes, à celle de 7,461 1.
Ceux du sieur Marie, autre marchand d'étoffes, à celle de 5,007 1.
Celui de la veuve Sallonis, pour étoffe écarlate, à celle de 540 1.
Celui du sieur Foucard, marchand d'étoffes, à celle de 225 1.
Celui du sieur Ternot, marchand de draps, à celle de 93 1.
Celui du sieur Sauvage, autre marchand de draps, à celle de 337 1.
Ceux de la demoiselle Bertin, marchande de modes, à la somme
de 87,597 1.
1. M"" d'Ossun était alors tout à fait en faveur auprès de la reine. Elle
était sœur de la duchesse de Gramniont et nièce du duc de Choiseul.
2. État de la maison de la reine 1774. Archiives nationales, 0' 3793.
3. Les comptes se trouvent aux Archives, 0^ 3792.
4. Sans doute M. de Breteuil.
5. Le supplément pour la garde-robe, en 1784, s'élevait à 97,052 livres. Archives
nationales, 0» 3792.
350 MÉLANGES ET DOCUMENTS.
Ceux de la dame Pompée, autre marchande de modes, à celle
de 25,527 1.
Ceux de la dame Hamel, marchande de rubans, à celle de 5,030 I.
Les mémoires du sieur Messin, marchand de rubans, à la somme
de 509 1.
Celui du sieur Bardel , autre marchand de rubans, à celle de 232 1.
Ceux de la demoiselle Mouillard , marchande de modes, à celle de 885 1.
Celui de la dame Noël, autre marchande de modes, à celle de 604 1.
Ceux de la dame Mirvant, marchande de toiles et dentelles, à celle
de 13,822 1.
Ceux de la demoiselle Berlin, pour les dentelles, à celle de 4,350 1.
Ceux de la demoiselle Lavigne, marchande de mousselines, à celle
de 2,410 1.
Celui de la dame Candor, autre marchande de mousseline, à celle
de 1,824 1.
Ceux du sieur Prévost, parfumeur, à celle de 6,402 1.
Ceux du sieur Léonard, coiffeur, à celle de 1,574 1.
Ceux du sieur Tissot, parfumeur, à celle de 301 1. 18 d.
Celui du sieur Morlet, foureur, à celle de 518 1.
Celui du sieur Morel, autre foureur, à celle de 512 1.
Celui du sieur Boutard, marchand de bas, à celle de 2,529 I.
Ceux du sieur Eftin, cordonnier, à celle de 2,335 I.
Celui du sieur Antoine, autre cordonnier, à 170 l.
Celui du sieur Pezet, chapelier, à celle de 420 l.
Celui du sieur Desperelles, autre chapelier, à 109 1.
Ceux des sieur et dame Sigly, ouvriers en corsets et en robes, à la
somme de 972 l.
Ceux de la d"*" Breton , couturière ordinaire, à la somme de 4,411 l.
Celui du sieur Messin, pour fourniture de gands anglois, la somme
de 774 1.
Ceux de la dame Roussel, ouvrière en corsets, la somme de 2,341 1.
Ceux de la demoiselle Le Roy, blanchisseuse des dentelles de jour,
la somme de 2,092 l.
Ceux de la dame Varin, blanchisseuse de dentelles de nuit, la somme
de 957 L
Ceux de la demoiselle Motte, faiseuse de paniers, à celle de 294 l.
Celui de la demoiselle Desmarais , autre faiseuse de paniers , à celle
de 177 1.
Celui du sieur Smith, tailleur d'habits pour monter à cheval, à celle
de 4,097 1.
Ceux de la dame Bonnet, teinturière, à celle de 467 1.
Celui de la dame Berthelot, pour évantails, à celle de 319 l.
Celui de la dame Doyen, blanchisseuse des bas, à celle de 203 1. 11 s.
Ceux de la Dame Desroches, racommodeuse des bas, à celle
de 154 1. 10 s.
Ceux de la d"'' Pampelune, bàtisseuse de jupons, à celle de 184 1.
Celui du s' Truffet, tailleur pour habits d'homme, à celle de ICI l. 14 s.
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. SM
Celui du sieur Ghapet, teinturier, à celle de 64 1.
Ceux de la demoiselle Larsonnier, chargée du détail de la garde-robe,
y compris les gages du garçon, à celle de 2,331 1. 13 s. 6 d.
Celui du sieur Roblatre, tapissier, à celle de 117 1.
Celui du sieur Vallet, marchand de bois, à celle de 629 1.
Ceux de la dame Le Tellier, papetière, à celle de 291 1.
Les mémoires du sieur Noël, garçon de garde-robe, à celle de 61 1. 7 d.
Ceux du sieur Deshayes, portefaix, à celle de 174 1.
Celui du sieur Stevenot, valet de garde-robe, à celle de « 1. 12 d.
Celui du sieur Bouchard, pour faux-frais 15 1.
Celui du sieur Dunoyer, pour id., 57 L
Celui du sieur Loir, pour un coffre à diamants, à celle de 360 1.
Celui pour le prix d'une voiture achetée pour le service de la garde-
robe, à celle de 2,000 1.
Celui du sieur Le Bas, secrétaire de la garde-robe , pour ses menues
dépenses, à celle de 283 1. 3 d.
Celui pour les indemnités des frays du voyage de Fontainebleau, à
celle de 396 1.
Et pour les traitements et gratihcations ordinaires des employés de la
garde-robe pendant la ditte année 1785, la somme de 15,128 1.
Total des dépenses : deux cent cinquante-huit mille deux livres huit
sols, six deniers, cy 258,0021. 8 s. 6 d.
Sur quoi il a été payé, par le trésorier de la maison de la reine pour
les fonds ordinaires de la garde-robe pendant la ditte année 120,000 1.
II reste dû pour solde des dittesdépenseslasommede 138,0021. 8s. 6d.
Pour laquelle dernière somme madame la comtesse d'Ossun demande
qu'il soit expédié une ordonnance de supplément.
Le compte de l'année 1 787 montre déjà une diminution dans les
chiffres des sommes dépensées pour la toilette. La différence est d'en-
viron 40,000 livres. La comtesse d'Ossun l'accompagne de remarques
intéressantes. Elle écrit de Saint-Cloud le lo juin 1788 :
J'ay l'honneur de vous adresser, monsieur, l'état général des dépenses
de la garde-robe de la reine, montant à 217,187 livres 13 s., et en excé-
dent les fonds ordinaires à 97,187 livres 13 sols. Quoique j'aye fait tout
ce qui a dépendu de moi pour modérer ces dépenses, je n'ai pu y
réussir que sur les six derniers mois, qui ont été d'environ la moitié
moins chers que les six premiers. Mais ces six premiers mois s'étoient
élevés si haut que la diminution que j'ay faite ne paroit presque pas sur
le total de l'année. J'espère être plus heureuse dans celle-cy pour les
retrancheraens que je continuerai d'y faire, conformément aux inten-
tions du roy et de la reine. Je vous prie de vouloir bien prendre les
ordres de Sa Majesté pour le supplément que je demande et de me faire
part de ceux que vous donnerez en conséquence pour l'expédition de
l'ordonnance de ce supplément.
Etat général des dépenses de la garde-robe de la reine faites sous les
332 MELANGES ET DOCUMENTS.
ordres de madame la comtesse d'Ossun, dame d'atours de Sa Majesté,
pendant l'année 1787.
Les mémoires du sieur Le Normand, marchand d'étoffes de soye,
montent à la somme de 20,954 I.
Ceux du sieur Barbier, autre marchand d'étoffes, à celle de 7,992 1.
Ceux du sieur Marie, autre marchand d'étoffes, à celle de 6,051 1.
Ceux du sieur Alabat, autre marchand d'étoffes, à celle de 7,363 1.
Ceux du sieur Robert, autre marchand d'étoffes, à celle de 5,740 1.
Ceux du sieur Lefobvre, autre marchand d'étoffes, à celle de 2,120 1.
Celui du sieur Yber, autre marchand d'étoffes, à celle de 1,852 1.
Celui du sieur Sauvage, marchand de draps, 450 1.
Celui du sieur Le Comte, marchand d'étoffes, à 367 1.
Celui du sieur Joraard, autre marchand d'étoffes, à 254 1.
Ceux de la demoiselle Berlin, marchande de modes, à la somme
de 60,225 1.
Ceux de la dame Pompée, autre marchande de modes, à celle
de 25,248 1.
Ceux de la demoiselle Mouillard, autre marchande de modes, à celle
de 2,830 1.
Ceux de la dame Hamel, marchande de rubans, à 4,876 1.
Ceux du sieur Renouard, autre marchand de rubans, à celle de 4131.
Celui du sieur Bêche, autre marchand de rubans, à celle de 613 1.
Celui du sieur Cornedecerf, autre marchand de rubans, à celle
de 140 1.
Ceux du sieur Gerdret, marchand de toiles et dentelles, à la somme
de 8,811 1.
Ceux de la demoiselle Lavigne, autre marchande de toiles et rubans,
à celle de 1,368 1.
Le mémoire de la dame Candor, marchande de mousselines, à la
somme de 300 1.
Celui de la demoiselle Larsonnier, marchande de toiles, à celle
de 1,624 1.
Celui du sieur Moyse Levy, pour des percales, à celle de 126 1.
Celui du sieur Morlet, foureur, à celle de 1,186 1.
Celui du sieur Morel, autre foureur, à celle de 819 I.
Ceux du sieur Prévost, parfumeur, à celle de 6,294 1.
Ceux du sieur Léonard, autre parfumeur, à celle de 4,063 1.
Ceux du sieur Bataille, autre parfumeur, à celle de 352 1.
Celui d'un payement fait à M. le duc de Dorset, pour des gands
anglais, à celle de 204 1.
Celui du sieur Dauffe, bijoutier, à celle de 360 1.
Celui de la dame Berthelot, évantailliste, montant à la somme
de 304 1.
Celui du sieur Adam, mercier, à celle de 37 1. 10 s.
Ceux du sieur Boutard, marchand de bas, à 3,395 1.
Ceux du sieur Eftin, cordonnier, à celle de 2,353 1.
Ceux (lu sieur Antoine, autre cordonnier, à celle de 250 1.
DOCUMENTS INÉDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 3B3
Ceux du sieur Albert, autre cordonnier, à celle de 79 1.
Celui du sieur Lafabruges, autre cordonnier, à celle de 27 I.
Celui du sieur Pezet, chapelier, à celle de 610 l.
Celui du sieur Godard, autre chapelier, à celle de 102 1.
Ceux de la demoiselle Breton, couturière, à celle de 5,320 1.
Celui du sieur Smith, tailleur, à celle de 762 1.
Celui du sieur Pujols, autre tailleur, à celle de 1,869 1.
Celui du sieur Taillade, autre tailleur, à celle de 433 1.
Celui du sieur Lespinasse, autre tailleur, à celle de 228 1.
Ceux des demoiselles Le Roy, blanchisseuses des dentelles, montant
à celle de ' 2,796 1.
Les mémoires de la dame Varin, autre blanchisseuse des dentelles, à
la somme de 809 1.
Ceux de la dame Roussel, ouvrière en corsets, à la somme de2, 255 1.
Celui de la dame Lamarre, autre ouvrière en corsets, à celle de 606 1.
Celui de la demoiselle Bertin , autre ouvrière en corsets , à celle
de 1,320 1.
Ceux de la demoiselle Omont, couturière, à celle de 744 1.
Celui de la dame Henrion, ouvrière en dentelles, à celle de 197 1.
Celui du sieur Truffet, tailleur, à celle de 366 1.
Ceux de la demoiselle Motte, faiseuse de paniers, à celle de 156 l.
Ceux de la dame Gandeley, teinturière, à celle de 290 1.
Ceux de la dame Doyen, blanchisseuse des bas, à celle de 203 1. 5 s.
Ceux de la dame Desroches, ouvrière en bas, à celle de 174 1. 10 s.
Ceux de la demoiselle Pampelune et de la dame Villard , bâtisseuse
des volans de jupons, à celle de 164 1.
Ceux des menues dépenses courantes de la demoiselle Larsonnier,
chargée du détail de la garde-robe, y compris les gages du garçon, à la
somme de 1,840 1. 4 s.
Ceux de la dame Le Tellier, papetière, à celle de 160 1. 8 s.
Ceux du sieur Vallet, marchand de bois, à celle de 807 1.
Ceux du sieur Roblatre, tapissier, à celle de 235 1.
Celui du sieur Le Bas, secrétaire de la garde-robe, pour différentes
menues dépenses pour le service de la garde-robe montant à la somme
de 501 1. 16 s. 6 d.
Et les traitements ordinaires des employés de la :dernière garde-robe
pour la dernière année 1787, montant à la somme de 14,828 1.
Total des dépenses, la somme de deux cent dix-sept mille cent
quatre-vingt-sept livres treize sols six deniers, cy 217,187 l. 13 s. 6 d.
Sur laquelle somme ayant été payé par le trésorier de la maison de
la reine pendant le cours de la dernière année pour les fonds ordinaires
de la dernière garde-robe, celle de 120,000 1.
Il en reste dû pour solde celle de 97,187 1. 13 s. G d.
Pour laquelle madame la comtesse d'Ossun demande ([u'il soit expé-
dié une ordonnance de supplément.
L'espoir exprimé par la comtesse d'Ossun qu'elle pourrait pour
Bev. Hisïor. XXV. 2« FAsc. 23
354 MÉLANGES F.T DOCUMENTS.
l'année suivante, soit pour nss, diminuer le chiffre des dépenses,
ne fut pas déçu : celui de -1788 se rapproche beaucoup de celui de
^1774, mais il lui est encore supérieur d'environ 70,000 livres. Les
dépenses 'I7<S8 montèrent à ^ 90,721 livres. « Cette somme, écrit
Madame d'Ossun (Versailles, le 2^ aoûtn89), excède les fonds fixes
de garde-robe qui m'ont été délivrés pendant le cours de celte année,
de 70,721 livres, que j'ay besoin de recevoir pour faire achever de
payer cette année ^ 788. »
État général des dépenses de la garde-robe de la reine pendant
l'année 1788.
Les mémoires du sieur Le Mormand, marchand d'étoffes de soye,
montant à 12,085 1.
Ceux du sieur Barbier, autre marchand id., à 5,699 1.
Ceux du sieur Robert, autre marchand id., à 3,470 I.
Ceux du sieur AlaJjat, autre marchand id., à 4,975 1.
Ceux du sieur Marie, autre marchand id.,à 4,715 1.
Ceux du sieur Le Febvre, autre marchand id., à 708 1.
Ceux du sieur Ybert, pour draps étrangers, à 1,815 1.
Celui du sieur Foucart, pour id., à 704 1.
Celui du sieur Petit, pour id., à 240 1.
Celui de la dame Candor, pour id., à 144 1.
Ceux de la demoiselle Bertin, marchande de modes, à 61,992 1.
Ceux de la dame Pompée, autre marchande de modes, à 16,691 1.
Ceux de la demoiselle Mouillard, autre id., à 3,329 1.
Ceux du sieur Beauland, autre id., à 202 1.
Ceux de la dame Hamel, marcliande de rubans, à 2,159 1.
Celui de la demoiselle Gosset, autre id.,à 36 1.
Ceux du sieur Ocndret, marchand de toiles et dentelles, à 7,669 1.
Ceux du sieur Pépin, marchand de dentelles, à 9,836 I.
Ceux de la demoiselle La Vigne, marchande de toiles, à 981 1.
Celui de M. de la Reynière, pour une garniture de fourure de
martre, à 3,600 1.
Celui du sieur Morlet, foureur, à 1,166 1.
Celui du sieur Morel, autre foureur, à 730 1.
Ceux du sieur Prévost, parfumeur, à 3,470 1.
Ceux du sieur Léonard, pour autres parfumeries, à 3,779 1.
Celui du sieur Dauffe, pour boutons d'acier, à 600 1.
Celui du sieur Sarrete, pour id., 300 1.
Le mémoire du sieur Berthelut, évantailliste, à 320 I.
Ceux du sieur Bataille, parfumeur, à 312 1.
Ceux du sieur Boutard, marchand de bas, à 2,754 1.
Ceux du sieur Eftin, cordonnier, à 1,927 1.
Ceux du sieur Antoine , autre cordonnier , y compris un rembourse-
ment fait à madame la comtesse, 129 1.
Celui du sieur Lavenue, autre cordonnier, à 138 1.
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 355
Ceux de la demoiselle Ste-Foy, couturière, à 4,622 1.
Celui de la demoiselle Omont, autre couturière, à 226 1.
Celui du sieur Pujols, tailleur, à 2,813 1. 7 s. 6d.
Celui du sieur Lespinasse, autre id., à 342 1.
Celui de la dame Lamare, ouvrière en corsets, à 120 1.
Ceux de la dame Roussel, autre ouvrière id., à 1 948 1.
Ceux de la demoiselle Le Roy, blanchisseuse des dentelles de jour et
des lévites, à 2 983 1
Ceux de la dame Varin, pour les dentelles de nuit, à '783 1.
Ceux de la dame Henrion, blanchisseuse de dentelles, à G62 1.
Celui de la dame Fauconnier, autre id., à 416 i.
Celui du sieur Truffet, tailleur, à 554 1.
Ceux de la dame Doyen, blanchisseuse des bas, à 214 1. 12 s.
Ceux de la dame Desroches, pour l'entretien des bas, à 187 1.
Ceux de la demoiselle Motte, faiseuse de paniers, à 207 1.
Ceux de la dame Candeley, teinturière, 282 1.
Ceux de la dame Yillard, bàtisseuse de jupons, à 172 1.
Ceux de la demoiselle Larsonnier, pour les dépenses courantes de la
garde-robe, y compris les nourritures du garçon, 1,925 1. 10 s.
Ceux du sieur Noël, garçon de garde-robe, à 148 1. 3 s.
Ceux de la veuve Le Tellier, papetière, à 224 1. 10 s.
Ceux du sieur Vallet, marchand de bois, à 707 1.
Celui du sieur Loir, pour étuy à diamants, à 36 1.
Et celui du sieur Le Bas, secrétaire de la garde-robe, pour ses me-
nues dépenses et avances pour le service de la garde-robe, à 645 1. 4 s.
Et finalement pour les traitements ordinaires des employés de la
dernière garde-robe pendant la dernière année 1788, la somme
de 13,828 1.
Total, cent quatre-vingt-dix mille sept cent vingt-une livres six sols
six deniers, cy 190,721 1. 6 s. 6 d.
Sur quoi il a été payé par le trésorier de la maison de la reine pour
les fonds ordinaires de la dernière garde-robe pendant la dernière
année 1788 120,000 1.
Il restedùpour solde dessusdittes dépenses la somme de 70,721 1. 6 s. 6d.
Pour laquelle dernière somme madame la comtesse d'Ossun demande
qu'il soit expédié une ordonnance de supplément.
Ces derniers documents nous ramènent à l'époque où, à propos de
la triste affaire du collier, se manifestèrent les premiers signes du
déchaînement de Topinion publique contre la reine ; nous nous arrê-
tons là.
Wertheimer.
356 CORRESPONDANCE.
CORRESPONDANCE.
LETTRES DE M. A. PROST ET DE M. FUSTEL DE COULANGES
(a propos de l'iumcnité mérovingienne.)
18 mars 1884 <.
Monsieur,
J'ai reçu le numéro de la Revue que vous avez eu l'attention de me
faire adresser, et dont je vous remercie. J'y trouve, avec les observa-
tions que vous avez bien voulu accueillir, la réponse de M. Fustel de
Coulanges qui me cause quelque étonnement. M. F. de G. parait tenir
beaucoup à écarter l'idée que je puisse être quelquefois d'accord avec
lui, et à montrer que nos opinions sont au contraire plutôt diftérentes.
Cela pourrait bien être sur certains points, comme je l'ai annoncé ;
mais cela n'est pas sur le sens de la locution Causas audire et du mot
frcdurn, seuls objets des observations auxquelles il veut bien répondre.
Pour l'interprétation de la locution Causas audire, dont le sens est
juger, exercer la juridiction, M. F. de C. ne saurait contester davantage
que nous étions lui et moi d'accord, quoi qu'il en ait dit. Mais cela
importerait peu maintenant, suivant lui, et au moins serions-nous en
dissentiment, il le craint, dit-il, sur le caractère des restrictions édic-
tées par le privilège d'immunité touchant l'exercice de cette juridiction.
Il ne se trompe pas cette fois; car c'est là le point principal des réserves
que j'aurais à faire et que j'ai annoncées sur ses appréciations. J'y
reviendrai.
Pour ce qui est du fredum, M. F. de G. m'a relu, dit-il. Je constate
cependant qu'il ne me comprend pas encore. La faute en est à moi cer-
tainement; car c'est à moi de m'expliquer assez clairement pour que ma
pensée se présente au lecteur sans ambiguïté. Je vais tâcher de le faire.
M. F. de G. a cru et il croit encore que je rejetais l'interprétation
communément admise pour le mot fredum, et que je voulais en subs-
tituer à celle-là une autre à laquelle je donnerais pour tout fondement
un texte unique, et de plus modifié, dit-il, par moi; autant dire, comme
ne manqueront pas de le faire ceux qui lisent entre les lignes, falsifié
pour les besoins de la cause. Voilà ce que j'ai pu donner à penser. Je
me suis évidemment fort mal expliqué. Voici au contraire ce que je
voulais dire, ce que je crois avoir dit.
1. Celte lettre ayant été égarée par accident, nous n'avons pu la publier en
mai. Voyez la lettre de M. Prost et la réplique de M. Fustel de Coulanges
t. XXIV, p. 357.
CORRESPONDANCE. 357
Ire Thèse. — Je signaLais d'abord, mais sans y insister, parce que
cela ne me semblait pas nécessaire, l'interprétation communément
admise, et qui n'a jamais été contestée, du mot fredum. Je m'exprimais
ainsi : « Le fredum était la part du fisc dans la compositio due pour un
« crime, pour un délit ou pour une injure à celui qui en avait été vic-
« time, en réparation du tort qu'il avait subi. Cette part du fisc était
« ordinairement le tiers de la compositio. »
2"^ Thèse. — Je rappelais ensuite que le fredum payé ainsi au souve-
rain pouvait être considéré comme une amende pour violation de la
paix publique; opinion généralement admise, disais-je, et fournissant à
ce sujet une justification que M. F. de C. a cru s'appliquer, non à cette
2e thèse, mais à la première. De là vient son erreur en ce qui me
concerne.
3« Thèse. — Mentionnant alors un texte de la Lex Ripuar. où le mot
fredura ne semble pas s'accorder avec son interprétation ordinaire, je
proposais pour ce cas particulier une interprétation spéciale du mot
fredum, en disant d'oii pouvait venir cette singularité d'une double
interprétation du même mot. J'essayais ainsi d'expliquer, après l'avoir
préalablement restitué, ce texte évidemment altéré qui, sans ces modi-
fications, est, ce me semble, absolument inintelligible.
Voici le texte en question, avec les changements, entre parenthèses,
que j'ai proposé d'y introduire :
« NuUus judex fiscalis de quacumque libet causa freda non exigat,
« prius quam facinus componatur Fredum autem non illi (illo?)
« judici tribuat oui (qui?) culpam commisit, sed illi (ille?) qui solutio-
« nem recipit, tertiam partem coram testibus tisco tribuat, ut pax per-
« petua stabilis permaneat. » — Lex Ripuar. — Baluze, Capitul. I, 52.
Les trois corrections que j'ai cru devoir introduire dans la version
empruntée à Baluze sont pour ce qui est des deux dernières justifiées
par le même texte reproduit avec ces deux corrections dans un capitu-
laire de Gharlemagne, Excerpta ex lege Longobard., XXXIL Cf. Baluze,
Capitul. I, 354. La deuxième correction est de plus confirmée encore
par une glose citée dans l'édition de Pertz (Leges, IV, 510, n" 125), et
qui porte : « Non illi judici tribuat scilicet reus qui culpam commisit,
« sed ille qui solutionem recepit. »
C'est, je le répète, pour l'explication particulière de ce texte que j'ai
proposé une interprétation spéciale du mot fredum applicable à ce cas
seulement. Il ne s'agissait nullement de substituer à l'interprétation
ordinaire une interprétation nouvelle. Il s'agissait seulement d'intro-
duire celle-ci, à titre d'exception, à côté de la première conservée avec
son caractère général. Cette pensée était clairement exprimée dans le
passage suivant, qui termine la discussion : « Ces considérations ten-
te draient à faire croire que le fredum aurait pu avoir une double ori-
« gine, dont il subsisterait des traces distinctes dans la législation des
« capitulaires. Dans l'un et l'autre cas, le fredum serait bien le prix de
« la paix, pacis pecunia, friedensgeld comme disent les Allemands ;
358 CORRESPONDANCE.
0 mais, dans l'un, il s'agirait de la paix publique violée antérieurement,
0 dans l'autre, d'une paix privée en quelque sorte, assurée ultérieure-
« ment entre les parties ; » — entre celui qui avait reçu et celui qui
avait été contraint de payer l'indemnité.
Il paraîtrait résulter de là que sous la dénomination unique de fre-
diim se fussent confondues en quelque sorte les mentions de deux per-
ceptions distinctes, analogues d'ailleurs, du fisc, correspondant à des
usages différents, à des dispositions d'origine diverse, dont l'une, tombée
en désuétude, n'aurait laissé de traces que dans le texte que j'ai essayé
d'expliquer, et dont l'autre, restée au contraire en vigueur, se retrouve-
rait dans tous les textes, sauf celui-là, qui mentionnent encore le freclum.
Voilà ce que j'ai dit à propos du fredum. Je souhaiterais beaucoup.
Monsieur, si cela n'était pas indiscret, que vous consentissiez à publier
ces nouvelles observations. Elles pourraient attirer l'attention sur le
texte assurément intéressant que je signale, et dont je ne me flatte pas
d'avoir épuisé la discussion.
Loin de là. Je serais désireux au contraire d'avoir proposé une expli-
cation qui serait, je le déclare, plus satisfaisante que la mienne, si elle
permettait de conserver au mot fredum dans ce cas, de même que dans
tous les autres, sa signification ordinaire.
Veuillez agréer, etc. Aug. Prost.
Baluze, en donnant les Capitul. cxcerpta ex lege Longobard. (tome I,
p. 350), cite en manchette la Lex Longobard.
Je voudrais bien savoir quelle édition il vise. Je n'en puis trouver
aucune où soient notées, comme il le fait, les Lib. Tit. et Cli.
L'édition de Pertz donne ces indications, mais ses mentions ne cor-
respondent pas à celles de Baluze. A. P.
6 juin 1884.
Cher Monsieur,
Vos lecteurs seront certainement enchantés de lire cette nouvelle
lettre de M. Prost. Je me hâte de me mettre d'accord avec lui en les
engageant à lire aussi son mémoire. Ils le trouveront dans la Revue his-
torique de Droit, année 1882, pages 113-179 et 262-350.
Quant à l'article bien connu de la loi des Ripuaires, j'ai peut-être eu
tort de dire que M. Prost l'avait modifié, puisqu'il dit dans sa lettre
qu'il n'y a fait que « trois corrections. » Il trouvera d'ailleurs l'explica-
tion très simple de cet article dans l'édition de M. Sohm, Monunienta,
Leges, t. V, p. 268, et, mieux encore, dans un document ancien, VE.rpo-
sitio au liber Papiensis, Kar. M., ji, 125.
Recevez, etc. Fustel de Coulanges.
BULLETIN HISTORIQUE
FRANCE.
NÉCROLOGIE, — Peu de temps après M. Mignet, la mort nous a
enlevé un autre historien, M. le comte d'Hadssonville, qui, bien
qu'un peu plus jeune, peut être considéré par ses opinions et par
son talent comme appartenant à la même famille intellectuelle. Il y
avait pourtant chez M. d'Haussonville quelque chose de plus libre,
de plus vif, de moins académique. On sentait qu'on avait affaire non
à un homme de lettres, mais à un honnête homme au sens du
xvii'^ siècle, à un gentilhomme né pour se mêler comme un grand
seigneur anglais à la politique de son pays plutôt que pour se livrer
aux travaux de cabinet, et qui avait cherché dans l'histoire une con-
solation aux déceptions que -1848 et 1852 avaient infligées aux esprits
libéraux. On retrouve dans ses oeuvres historiques la chaleur d'un
patriotisme que les douleurs nationales ne firent qu'affermir, l'im-
partialité d'un esprit épris de vérité, libre de préjugés et naturelle-
ment judicieux, la vivacité de convictions libérales qui résistèrent
même à la défaite répétée de la forme gouvernementale cà laquelle il
était attaché. Dans le choix des sujets de ses ouvrages, on recon-
naît aussi Thomme d'action qui se console de l'impuissance à laquelle
il est réduit par des livres qui sont des actes. Monarchiste parlemen-
taire, il a écrit ['Histoire de la politique extérieure du (jouvernemenl
français de 1830 à 1848; patriote lorrain et patriote français,
il a fait un exposé lumineux, érudit, éloquent, de V Histoire de
la réunion de la Lorraine à la France ; libéral passionnément hostile
au despotisme militaire et très préoccupé du rôle social des idées
morales et religieuses, il a consacré son plus bel ouvrage aux rela-
tions de V Église romaine et du premier Empire. Je ne sais cepen-
dant si ses Souvenirs et Mélanges., où se trouve le charmant frag-
ment de Mémoires intitulé « la Vie de mon père «, ne donnent pas une
idée plus vive encore de sa fière et originale nature et de son talent
d'écrivain, si aisé et si élégant. On dit que M. d'Haussonville a laissé
une autobiographie. Nous espérons que cette nouvelle est vraie, car
300 BULLETIN HISTORIQUE.
nous verrions dans ces Mémoires les événements cl les hommes de
notre temps jugés par un des esprits les plus clairvoyants et les plus
libres, un des caractères les plus droits et les plus indépendants qu'il
ail connus.
Questions d'Exseignemeïvt. — Nous voudrions avoir la place néces-
saire pour entretenir nos lecteurs des très intéressantes discussions
qui ont eu lieu à la Société d'enseignement secondaire au sujet des
diverses agrégations. Pour Pagrégation d'histoire la Société a demandé
que les sujets des épreuves écrites fussent pris dans des périodes
indiquées un an d'avance, ou que les élèves fussent autorisés à se
servir d'une chronologie, que la correction de copie fût supprimée,
que chaque candidat pût choisir la thèse qu'il désire étudier dans
une liste de thèses proposées un an d'avance, enfin qu'on interrogeât
les candidats sur la bibliographie générale. Nous ne sommes pas très
partisans, pour notre part, du système nouveau proposé pour les
thèses. Nous préférerions le système qu'avait présenté M. Lavisse ;
il consistait à changer la thèse en un travail écrit, préparé à loisir,
et sur lequel le candidat aurait été interrogé. Le système actuel des
thèses a le grand défaut de provoquer une collaboration trop active
du professeur avec les élèves qu'il prépare. Cette collaboration est
surtout inévitable pour les thèses d'histoire moderne. Il est urgent
d'y renoncer, et, si l'on veut conserver trois thèses, de remplacer la
thèse d'histoire moderne par une thèse de géographie historique.
La Société a aussi examiné la proposition faite par M. Drapeyron
de créer une agrégation de géographie et une section de géographie
à l'École normale, et de confier à des professeurs spéciaux dans les
lycées l'enseignement de la géographie. La Société a répondu négati-
vement sur ces trois points. Elle a pensé que cette scission entre la
géographie et l'histoire serait nuisible aux deux enseignements. Nous
serions moins absolus à ce point de vue que la Société ; nous croyons
que renseignement de la géographie dans les lycées par des profes-
seurs spéciaux peut avoir de grands avantages : Texpérience qui en a
été faite à l'École Alsacienne a donné les meilleurs résultats.
Par contre, nous souhaitons que ces professeurs spéciaux soient
des agrégés d'histoire, que Ton ne sépare pas l'agrégation de géo-
graphie de celle d'histoire, et que l'on ne fasse pas perdre de vue aux
historiens comme aux géographes la nécessité d'être à la fois géo-
graphes et historiens.
Nous sommes très sympathiques aux efforts faits par M. Dra-
peyron pour qu'on accorde une place plus large à la géographie, sur-
tout dans l'enseignement supérieur ; mais nous craignons qu'il ne
nuise un peu à la cause excellente qu'il défend par l'exagération de
FRANCE. 361
ses réclamations. Il n'a parlé à la Société d'enseignement secondaire
que d'une agrégation de géographie et de la création de professeurs
spéciaux de géographie dans les lycées ; mais, dans plusieurs dis-
cours et rapports lus aux Sociétés et Congrès géographiques et publiés
dans la Revue de géographie, il a demandé aussi la création de pro-
fesseurs de topographie, de professeurs de géographie appliquée à
l'histoire, la création de cinq agrégations de géographie dont quatre
spéciales et une générale, enfin la création d'une École nationale de
géographie pourvue de treize chaires pour commencer ! Si la
géographie a été jusqu^ici traitée avec parcimonie, désormais elle le
serait avec prodigalité. Gela n'effraie pas M. Drapeyron, pour qui la
géographie est le centre, le lien de toutes les sciences, « leur mise en
valeur au point de vue politique et social. » Nous ne lui répondrons
pas en revendiquant pour l'histoire le rôle qu'il assigne à la géogra-
phie ; nous croyons toutes les sciences solidaires, et les discussions
sur leur excellence comparative nous font toujours penser à la
fameuse dispute entre le maitre de danse, le maître d'escrime et le
maître de philosophie dans le Bourgeois gentilhomme. Nous dirons
seulement à M. Drapeyron qu'il faut songer à alléger et non à sur-
charger l'enseignement secondaire, qu'il faut tâcher de diminuer le
nombre et l'importance des examens et non l'augmenter; qu'enfin
la création d'une nouvelle école spéciale serait la négation de tout ce
que nous faisons depuis quelques années pour la réforme de rensei-
gnement supérieur. Les écoles spéciales ont été le principal obstacle
au développement de l'enseignement supérieur en France; ce n'est
pas au moment où nous nous efforçons de le fortifier et de le
compléter que nous irions augmenter le nombre des écoles spé-
ciales. Non seulement elles séparent la jeuuesse en coteries iso-
lées ou même hostiles, non seulement elles causent un gaspillage
déplorable de temps, d'argent, de forces intellectuelles et morales,
mais elles ont le grave inconvénient de parquer les professeurs et les
élèves dans des spécialités beaucoup trop étroites, de ne pas leur
laisser cette liberté d'enseigner et d'apprendre qui est l'âme de l'en-
seignement supérieur. Sauf à l'École normale et à l'École des hautes
études qui échappent à quelques-uns des inconvénients des Écoles
spéciales, dans toutes les autres les élèves suivent tous les mêmes
leçons et les professeurs répètent toujours le même cours. N'aggra-
vons pas cet état de choses en créant une école de géographes. Créons
aux Facultés des Lettres, d'abord à Paris, puis en jjrovince, de nou-
velles chaires de géographie, si nous avons des hommes capables de
les remplir ; organisons-y un séminaire géographique où l'on for-
mera des savants et des professeurs. Que M. Drapeyron, M. Paquier
362 BULLETIN HISTORIQUE.
et ceux qui ont hâte de développer renseignement géograpliique,
ouvrent dès aujourd'hui à la Sorbonne des cours libres; la loi
les y autorise. Nous pourrons ainsi développer l'enseignement
géographique au fur et à mesure des besoins, à mesure que
les élèves deviendront plus nombreux et que l'on trouvera des
hommes de mérite pour enseigner. Actuellement, il y a une singu-
lière inconséquence à se lamenter sur la pénurie de géographes et
à proposer de créer d'un coup treize chaires de géographie. Quel est
le pays d'Europe qui pourrait en fournir le personnel ?
Documents. — Ld, Bévue historique a déjà annoncé (XXIV, 436) le
t. I du Recueil des documents concernant le Poitou, contenus dans
les registres de la chancellerie de France^ que publie M. Paul Glérin,
des Archives nationales, pour la Société des Archives historiques en
Poitou ; ce volume comprenait près de deux cents documents adressés
aux agents du Roi en Poitou par Philippe le Bel et ses fils de ^302 à
^333, avec des notices biographiques sur les sénéchaux mis à la tête
de la province. Le tome II qui vient de paraître (Poitiers, impr. Oudin-,
forme le t. XIII des publications de la Société, pour ^8S3) ajoute une
cinquantaine de pièces relatives à cette période, et poursuit le dépouil-
lement des registres de la chancellerie royale jusqu'à l'année -1348.
La préface donne la nomenclature des sénéchaux, des lieutenants du
roi, des capitaines souverains et des commissaires envoyés en Poitou,
et résume l'histoire de leur administration. Jjes documents ne pré-
sentent pas d'ailleurs un intérêt exclusivement local; bon nombre
d'entre eux se rapportent à l'histoire de la guerre contre les Anglais ;
c'est ainsi que M. Guérin a refait le récit de l'expédition dirigée par
le comte de Derby en septembre et octobre 4 346 contre nos provinces
de l'Ouest, et qui fut désastreuse pour elle. Les textes sont publiés
avec grand soin et abondamment pourvus de notes oii l'on rencontre
plus d'un renseignement inédit *.
Le Cartulaire sénonais de Balthasar Taveau, publié par M. G. Jul-
LioT sous les auspices de la Société archéologique de Sens, est l'in-
ventaire des chartes communales de cette ville, qui fut rédigé au
xvr** siècle par H. Taveau, procureur au bailliage et siège présidial
de Sens, procureur et greffier de la Chambre de ville, de 1553 jus-
qu'à sa mort, arrivée le 22 août -1586, Cet inventaire^ commencé en
-1572, est précieux pour nous, parce que plus d'un des documents
analysés par Taveau manque aujourd'hui. M. JuUiot la reproduit
intégralement, sans y rien ajouter qu'une notice biographique inté-
1. Signalons en particulier la note delà p. 31, relative à un certain Gilles de
Rémi ou de Reniin, clerc du roi, sans doute un des trois fils que laissa Beau-
manoir, et à une de ses filles, Marguerite, jusqu'ici inconnue (1312).
FRANCE. 363
ressante et des tables ; il nous promet pour un autre volume le texte
in extenso des pièces relatives a l'Histoire de Sens, qu'il a eu la bonne
fortune de retrouver. Il aura ainsi rendu un double service à ceux
qui s'occupent de l'ancienne histoire municipale delà France. Il con-
vient d'ajouter que le volume est admirablement imprimé (chez
Duchemin, à Sens).
Voici deux livres qui ont entre eux un étroit rapport : Tun est le
Journal du corsaire Jean Doublet de Ilonfleur, publié d'après le
manuscrit autographe par M. Charles Bréard (Gharavay) ; l'autre,
la Vie de Monsieur Du Guay-Trouin^ écrite de sa main^ et publiée,
d'après l'autographe également, par M. Emile Voillaro, bibliothé-
caire de la ville de Chaumont (Jouvet et G'^). Doublet et Duguay-
Trouin sont des contemporains, ils appartiennent tous deux à la
brillante époque de la marine française sous Louis XIV ; leur vie
est remplie des mêmes aventures de course et de guerre ; leur carac-
tère est de la même trempe, c'est à force d'audace heureuse qu'ils se
font un nom et un rang. Duguay-Trouin a pris part à de plus
grandes entreprises; il eut la gloire de prendre et de ruiner Rio de
Janeiro en -ITM, et le passage où il raconte cettii brillante expé-
dition est une bonne page d^histoire générale -, mais il ne faut pas
oublier que Doublet s'est très honorablement conduit à la défense
de Saint-Malo, la patrie de Duguay-Trouin, attaquée par les Anglais
en -1693. Ce qui nous touche en eux, c'est l'orgueil avec lequel ils
défendent le drapeau français, la générosité qu'ils montrent envers
Tennemi vaincu. Toutes les actions de leur vie ne sont pas irrépro-
chables ; mais le sentiment de l'honneur les empêcha de jamais rien
commettre de vil ni de bas. Leur témoignage est naïf et sincère ; ils
ignorent l'art d'écrire, mais leurs récits sont loin d'être privés d'in-
térêt et même de charme. On connaissait déjà les mémoires de
Duguay-Trouin; sans doute l'édition de -1740 était plus que défec-
tueuse, puisqu'elle était infidèle, et l'on saura fort bon gré àM. Voil-
lard de nous en faire connaître pour la première fois le texte aulhcn-
tique ; mais enfin le fond n'avait pas été tout à fait altéré. Quant à
Doublet, M. Bréard avait déjà communiqué à la Bévue historique
(t. XII) quelques-uns des passages les plus curieux de ses mémoires;
les autres valaient vraiment la peine d'être publiés. Son mariage,
ses démêlés avec les pirates d'Alger, certaine élection d'un pro-
vincial des Franciscains aux îles Açores, et bien d'autres événements
sont racontés avec une bonhomie parfois aiguisée de malice, qui
a son prix. M. Bréard a édité ces mémoires avec un soin extrême ;
il a réussi à reconstituer l'histoire de la famille de Doublet depuis le
xv^ siècle jusqu'à nos jours, et l'on ne verra peut-être pas sans
364 BULLETIN HISTORIQDE.
quelque étonnement les noms de M"'' la marquise de Gaulaincourt
et de ^1""= la comtesse d'Andigné terminer le tableau généalogique
de l'obscur corsaire de Louis XIV, fils d'un apothicaire de Honfleur,
qui mourut avant iQ78 « aux pais estrangers où il étoit employé
pour le service du roy. »
Comme nous l'avons déjà fait pour les deux premiers volumes,
nous annoncerons ici la 2« partie du t. III et dernier des Négocia-
tions de M. le comte d'Avaux en Suède, pendant les années 4693,
4 697 eM 698, publiées par notre collaborateur, M. J.-A. Wijn-^e, pour
la Société historique d'Utrecht (Utrecht, Kemink et fils). Ce volume
n'offre pas le même genre d'intérêt que les précédents : ce n'est plus
le comte d'Avaux qui parle ; c'est le roi qui lui adresse ses instruc-
tions ou ses ordres ; aussi cette dernière partie de l'ouvrage est-elle
d'une lecture moins attachante que les précédentes; mais elle en est
le complément indispensable. M. Wijnne a mis en tête du volume
une savante introduction où il étudie le caractère d'Avaux et son rôle
politique ; il le défend avec succès contre les jugements trop sévères
d'historiens récents qui avaient mis en doute la capacité de l'ambas-
sadeur, et le crédit dont il jouissait auprès de la cour de Suède.
Petit-fils, fils et frère de diplomates distingués, Avaux avait été élevé
à la bonne école et sut rendre à la France, à la Suède même, d'émi-
nents services.
Le t. VIII des Mémoires de Metternich, qui vient de paraître (Pion
et Nourrit), termine ce recueil de documents si précieux pour toute
l'histoire européenne pendant la première moitié de ce siècle. Il con-
tient la fin du journal de la princesse Mélanie, femme de Metternich,
morte en 1854, cinq ans avant son mari; la correspondance du
prince avec sa fille Léontine, comtesse Sandor, avec le baron de
Koller, le comte de Buol et diverses autres personnes, de 1848 à
\ 858 ; de copieux appendices où l'on retrouve encore de nombreux
extraits du journal de la princesse, et un choix d'écrits divers de
Metternich tirés des archives personnelles de la famille de l'ancien
chancelier d'État. La partie la plus curieuse de ces documents est
sans contredit celle qui se rapporte au séjour forcé que Metternich,
chassé de Vienne et d'Autriche par la révolution de mars 1848, dut
faire en Angleterre (LS48-49). Quelle impression produisit sur l'es-
prit du prince, de celui qui, pendant un demi-siècle, représenta en
Europe l'opposition systématique à la révolution et même au libéra-
lisme, le spectacle d'un pays où fonctionnait régulièrement le régime
parlementaire, où l'agitation chartiste était exaspérée encore par les
exemples venus du dehors, où la prospérité matérielle était cepen-
dant extraordinaire ? L'eftêt parait avoir été considérable ; on le
FR.WCE. 3(»5
constate à chaque page du journal de la princesse -, Metternich le
note lui-même avec plus de force et de pittoresque dans les lettres à
sa fille. Ce sont de vraies « Notes sur l'iVngleterre « recueillies par
un observateur qui ne sortait guère de sa maison, mais qui voyait
chez lui tout le monde, qui observait tout et causait fie tout comme
s'il devait le lendemain reprendre la direction des affaires autri-
chiennes (il en était encore l'avocat consultant). Est-il besoin de dire
que l'impression fut seulement superficielle, et qu'après avoir quitté
Londres pour Bruxelles, puis pour son château de Johannisberg,
Metternich resta ce qu'il était à la veille de la révolution, toujours
aussi fermement convaincu de l'excellence de sa politique ? Il appar-
tenait à cette race de théoriciens imperturbables que rien n'instruit
ni ne déconcerte 5 voyez en quelle estime dédaigneuse et hautaine il
tient Guizot ; de quel ton de pédagogue infaillible il prétend lui
démontrer qu'il ne s'est jamais trompé, lui, Metternich ! Ce génie
étroit et pédantesque, mais non sans noblesse ni grandeur, se montre
à nu dans ces pages rarement attrayantes, mais toujours instruc-
tives.
On vient de parler de Guizot. Voici justement que M"'^ de Witt
vient de publier un recueil de Lettres de M. Guizot à sa famille et
à ses amis (Hachette) ; c'est le complément naturel et le commentaire
du livre touchant qu'elle a consacré à « M. Guizot dans sa famille et
avec ses amis. » — On n'y trouvera pas de révélations historiques,
on n'y trouvera même pas beaucoup de vues politiques, car, chose
curieuse, ce grand esprit à qui nous devons des aperçus si lumineux
et si précis sur les origines de notre histoire, quand il s'agit des
événements de son temps, de ceux qu'il dirige en partie, s'en tient à
des généralités d'un caractère plus philosophique que pratique. Il
raisonne, il moralise sur toutes choses ; il ne calcule ni ne combine.
Par contre, ces lettres nous apprennent beaucoup sur M. Guizot lui-
même, sur son caractère 5 et plus nous apprenons à le connaître,
plus nous concevons pour lui, non seulement d'estime, mais de
sympathie. On parle toujours à propos de lui de raideur protestante,
de pédantisme doctrinaire ; je ne dirai pas que ces reproches soient
tout à fait injustes, mais je vois surtout chez lui une constante élé-
vation de pensée et d'âme, une manière toujours noble de considérer
la vie et les choses, la volonté persévérante de conformer sa conduite
à un idéal moral. Et à côté de cela, ce qui ajoute le charme à cette
figure un peu austère, une tendresse et surtout une simplicité de
cœur que les épreuves, l'âge, la politique n'arrivent point à affaiblir.
Ce qui ne s'affaiblit point chez lui non plus, c'est son indomptable
énergie, cette force qui a sa source plus encore dans sa nalure que
366 BULLETIN HISTORIQUE.
dans ses idées et qui, au lendemain des pires douleurs, lui permet
de se ressaisir, d'agir, d'espérer encore. Il n'y avait chez M. Guizot
aucune petitesse de vanité ni d'amour-propre, et nous croyons qu'il
était non seulement sincère, mais véridique, lorsqu'il écrivait à
M™'' Lenormant qu'il ne manquait pas d'humilité. Il avait la con-
fiance tranquille d'un homme qui se croit en possession de la vérité
et qui agit conformément à sa foi sans s'inquiéter des conséquences.
Cette assurance navait rien chez lui qui ressemblât à de la fatuité,
car il était guidé dans sa conduite de ministre-dirigeant moins par
des vues politiques que par des convictions morales. S'il a trop cru
à son infaillibilité, ce n'est point parce qu'il se fiait à la supériorité
de son intelligence, mais parce qu'il savait la droiture de sa cons-
cience. On peut trouver que cela diminue la valeur du politique,
mais cela grandit le caractère de l'homme. D'ailleurs, avant de juger
trop sévèrement la politique intérieure de M. Guizot, nous ne devons
pas oublier que personne depuis un siècle n'a réussi à diriger avec
succès ni d'une manière durable la politique intérieure de la France
et que la faute, par conséquent, en est peut-être imputable à la
France elle-même plus qu'à ses ministres. M. Guizot lui-même,
si sûr qu'il fût de ne s'être jamais trompé, avait au fond un
sentiment très juste de ce qui faisait la vraie grandeur de sa vie
publique. Il écrivait à M. Piscatory en 1N60 : « Les deux portions
de ma vie publique auxquelles je tiens le plus sont mon ministère
de l'instruction publique et mon ministère des affaires étrangères. »
Sur le premier point, tout le monde aujourd'hui rend hommage à
M. Guizot-, sur le second, nous croyons que la postérité, tout en
blâmant quelques-uns des actes de sa politique étrangère, lui
accordera plus d'éloges que de blâme. Il nous semble s'être gra-
vement trompé dans l'affaire du Sonderbund ; d'autre part, entraîné
par son admiration pour le parlementarisme anglais et par son ami-
tié pour lord Aberdeen, il a jusqu'en ^1846 trop songé peut-être à
plaire à l'Angleterre, mais on ne peut oublier qu'il a donné à la
France dans le concert européen une place ({u'elle n'avait pas eue
avant lui ; que les mariages espagnols, si critiqués, ont été un
triomphe pour notre pays ; enfin que c'est lui qui a donné de la
consistance et de la netteté à notre politique algérienne, lui qui a
jeté sur la côte occidentale de l'Afrique les premiers jalons de
nos futurs établissements coloniaux. Gela compense bien , j'ima-
gine, falfaire Pritchard, laquelle, grâce aux calomnies de la presse
et de la tribune, a fmi par symboliser la politique de M. Guizot.
La vérité est que jamais la France n'a été dans une meilleure situa-
tion diplomatique qu'en 1847 ; quelque honneur doit, je pense, en
FRA1VCE. 367
revenir à celui qui dirigeait depuis sept ans sa politique extérieure.
Ouvrages divers. Antiquité. — Il n'est personne, parmi ceux qui
s'intéressent aux clioses de l'antiquité, (|ui ait perdu le souvenir de
ce pauvre Charles Graux, si tût et si vite enlevé à la science. A peine
fut-il mort, que ses amis résolurent de perpétuer son souvenir en
publiant un recueil de travaux dédié à sa mémoire ; un grand nombre
d'érudits français et étrangers, car Graux, dont la complaisance était
inépuisable, avait des amis partout, promirent leur concours à cette
œuvre pieuse. Elle est aujourd'hui achevée. Soixante-quinze mémoires
sur des sujets d'érudition classique composent le beau volume des
Mélanges Graux qui vient d'être distribué aux souscripteurs (Thorin).
Il est impossible de faire ici autre chose que d'annoncer un recueil
aussi considérable et aussi divers ' ; mais il faut recommander, sur-
tout aux jeunes gens , la lecture de la touchante biographie que
M. Lavisse a consacrée à son compatriote et ami. Ce n'est pas sans
peines et sans déboires que Graux est parvenu à se faire un rang
dans la société et un nom dans la science; mais il avait l'amour du
travail opiniâtre que les insuccès ne découragent pas, la passion des
études sérieuses et désintéressées, la ferme volonté de savoir avant
de commencer à écrire. L'enseignement supérieur, si aveuglément
négligé pendant tant d'années, ne lui offrit au début que des ressources
médiocres, et il fut obligé de tâtonner pendant quelque temps sans
méthode et presque sans maîtres ; il triompha de tous ces obstacles
grâce à sa ténacité, à son esprit d'initiative, grâce aussi aux trans-
formations opportunes qui furent introduites dans les hautes études
1. Nous nous contenterons d'indiquer en note le titre des mémoires qui
peuvent intéresser les historiens : Beurlier : Campidoctores et Campiducfores.
— Châtelain : Recherches sur un ms. célèbre de Sidoine Apollinaire (le Vatic.
3420). — Coeibo : Sur la forme de quelques noms géographiques de la pénin-
sule ibérique. — Comparelti : Sur une inscr. d'Haiicarnasse. — Rod. Dareste :
Cicéron, pro Flacco, xxix-xxxii. — Delisle : JSotes sur les anciennes impres-
sions des classiques latins et d'autres auteurs, conservées dans la librairie
royale de Naples. — Desjardins : Nouvelles observations sur les légions
romaines, sur les officiers inférieurs et les emplois divers des soldats. — Abbé
Duchesue : Les documents ecclésiastiques sur les divisions de l'empire romain
au IV'' s. — H. Haupt : La marche d'Hannibal contre Home en 211. —
Humphreys : Observations sur Thucydide, I, xi. — Jacob : Le classement des
mss. de Diodore de Sicile. — Jullian : Les limites de l'Italie sous l'empire
romain. — Mistchenko : Sur la royauté homérique. — Mommsen : Officia-
lium et militum Romanorum sepulcretum Carthaginiense. — Mowat : Le
tombeau d'un légat propréteur d'Afrique, à Arles ; origine du nom de la
Camargue (du nom de ce magistrat : A. Annius Camars). — Ch. Robert : Inscr.
laissées dans une carrière de la Haute-Moselle par des légions romaines. —
Robiou : Monuments gréco-égyptiens du Louvre. — Thédenat : Sur une inscr.
inédite conservée au municipe de Tarente.
368 BULLETIN HISTORIQUE.
surtout après la guerre allemande. Les lettres de sa première jeu-
nesse (Graux est mort en janvier 1882 avant trente ans), que publie
M. Lavisse, nous peignent ingénument l'ancienne Sorbonne, si chan-
gée depuis, en même temps qu'elles nous font mieux connaître ce
qu'il y avait en lui de fort et de bon.
Je ne ferai aussi que signaler, sans ra'arrêter autrement à cette
belle mais trop lente publication , le 9*^ fasc. du Dictionnaire des
antiquités grecques et romaines, publié sous la direction de M. Saglio
(Hachette). Il comprend les mots de Coena à Confiscafio.
M. Ernest Havet termine avec un A" volume sa remarquable
étude sur Le Christianisme et ses origines (G. Lévy) ; il est consa-
cré tout entier à l'examen du Nouveau testament. C'est vraisembla-
blement de toutes les parties de l'ouvrage celle qui soulèvera le plus
de controverses. L'auteur se place en effet au point de vue rationa-
liste pur; comme il le dit lui-même, il reprend la tradition du
xviii* s., respectueusement hostile à l'égard du christianisme. Il ne
s'adresse pas aux croyants : la critique ne peut rien contre la foi
aveugle, et qui veut rester aveugle. Il n'écrit pas non plus pour les
fanatiques d'incrédulité ; s'il est voltairien, il se garde bien daller
jusqu\i l'indécence ou au sarcasme. Il ne quitte pas le terrain grave
et désintéressé de la science. Il s'est efforcé de déterminer le degré
de créance que méritent les livres qui composent le Nouveau testa-
ment, et par conséquent ce que l'on peut savoir de certain sur le
fondateur de la religion nouvelle, sur ses premiers disciples, et sur
les origines immédiates du christianisme; il ne laisse nulle place à
l'hypothèse ni ta l'imagination (voy. p. 60) ; il entend ne pas sortir
de la réalité constatée par les seuls textes incontestablement authen-
tiques. Plus d'un, même parmi les gens indépendants de toute
forme religieuse, trouvera peut-être sa critique trop rigoureuse, et
pensera qu'il est bien sévère d'admettre seulement trois épîtres de
saint Paul, de nier l'authenticité de la lettre de Pline à Trajan sur
les chrétiens, du récit d'Eusèbe relatif aux martyrs de Lyon et de
Vienne, etc. ; d'autre part aussi la condamnation portée contre l'in-
fluence du christianisme dans la formation des sociétés modernes
ne sera pas admise sans appel ; mais, quelques réserves que l'on
exprime sur les conclusions du livre, on ne pourra s'empêcher de
reconnaître que c'est l'œuvre d'une des intelligences les plus nettes,
d'un des dialecticiens les plus vigoureux de notre temps.
La mort a empêché M. François Lenormant de terminer son
ouvrage si curieux et si intéressant sur /a Grande Grèce. Après
avoir visité et décrit la côte italienne depuis Tarente jusqu'à Squil-
lace, il avait pénétré en Galabre, et entrepris d'en explorer toute la
FRANCE. 369
cote occidentale, de Gatanzaro à Reggio, puis à Squillace ; il n'a eu
le temps de rédiger que la première partie de son voyage, celle
où il visita Nicastro, le Pizzo, Monteleone et Mileto ; c'est la matière
du 3« vol., qui sera le dernier (A. Lévy). On sait avec quelle verve,
quel sentiment du pittoresque, quelle abondante connaissance de
l'histoire ancienne et moderne il raconte ces expéditions archéolo-
giques dans des pays où le touriste ordinaire n'a jamais mis le pied.
C'est ainsi que dans le présent volume, à propos de Nicastro, il con-
sacre un chapitre entier à discuter l'emplacement des villes anciennes
de Térina et de Témésa. Le Pizzo lui rappelle le souvenir de la mort
de Murât, et il raconte tout au long cette dramatique aventure à
l'aide de renseignements en partie nouveaux puisés dans le pays
même. A Mileto, c'est l'histoire de la conquête normande et la lutte
entre Robert Guiscard et son frère Roger qu'il retrace à grands
traits, résumant l'abbé Delarc et le corrigeant quelquefois. Il n'est
pas jusqu'au terrible tremblement de terre de 1 783 qu'il ne se com-
plaise à décrire, en exposant d'ailleurs sa théorie personnelle sur les
causes de ces redoutables phénomènes. Le lecteur charmé ne dis-
cute pas : il est tant de livres ennuyeux !
Moyen âge. — M. Perrens a achevé la première partie de son His-
toire de Florence (Hachette). Il l'a conduite avec le VI'' volume jus-
qu'à l'année 1435, jusqu'au moment où Gosme de Médicis, devenu
gonfalonnier de justice, transforme le gouvernement de Florence en
une seigneurie, tout en lui laissant la forme républicaine. Dans ce
volume, M. Perrens n'avait pas, comme dans les précédents, à
résoudre de difficiles questions constitutionnelles, questions sur
lesquelles il a jeté plus de lumière qu'on ne l'avait fait jusqu'ici;
mais il avait à traiter Fhistoire du gouvernement oligarchique depuis
la révolution démocratique des Giompi jus(ju'à rétablissement du
pouvoir des Médicis, et il a admirablement montré les vices de
l'égoïsme de cette ohgarchie amenant la ruine du régime républicain,
malgré les services qu'elle avait rendus à la puissance llorentine,
exactement comme le Sénat de la République romaine prépara les
voies à Gésar et à Auguste. On lira avec un intérêt particulier le
ch. VI du 1. XII consacré au tableau animé de la vie llorentine, le
ch. V du 1. XIII consacré au régime économique de Florence au xiv"
et au xv« siècle. Dans les pages qui servent de conclusion aux six
premiers volumes de l'Histoire de Florence, M. Perrens dit adieu à
ses lecteurs jusqu'au moment où il aura achevé en manuscrit l'his-
toire des Médicis. Avec un travailleur aussi assidu et aussi bien pré-
paré à sa tâche, nous avons confiance que ce moment ne se fera pas
attendre. Telle qu'elle est, son œuvre est assurément un des travaux
Rev. HisTon. XXV. 2« fasc. 24-
370 BDLLETIN HISTORIQUE.
les plus iraporlants et les plus méritoires qui aient paru en France
dans ces dernières années, et, malgré la haute distinction qui lui a
été accordée par TAcadémie des sciences morales (prix Jean Rey-
naud), il ne me semble pas qu'on ait suffisamment apprécié dans le
public lettré tout ce qu elle suppose de recherches patientes, d'atten-
tion et de pénétration historique.
Époque moderne. — M. Tceteï nous ramène en France, et dans
ces pays de l'Est, dont il connaît si bien l'histoire. Son gros ouvrage
sur Les Allemands en France et V invasion du comté de Monlbéliard
par les Lorrains en 1387-88 (Paris, Champion-, Montbéliard, Bar-
bier) manque d'unité. Il traite deux sujets que rattache sans doute
un lien assez étroit, mais qui n'en sont pas moins nettement dis-
tincts : l'un, c'est l'expédition d'une armée de reitres qui, appelés
par les huguenots en 1 587, ravagèrent l'Alsace, la Lorraine, et vin-
rent se l'aire battre par le duc de Guise à Anneau ; l'autre, c'est la
campagne que le duc de Guise dirigea par représailles contre le mal-
heureux pays de Monlbéliard, où bon nombre de huguenots français
avaient trouvé asile, et dont le souverain, le duc de Wurtemberg,
avait fortement contribué à l'invasion des Allemands en Lorraine.
En réahté, c'est ce second sujet qui était l'essentiel ; et l'on peut
regretter, au point de vue de la composition, que l'auteur ait tant
insisté sur la première partie. Ce défaut est largement compensé
d'ailleurs, j'ai hàtc de le dire, par l'abondance et la précision des
détails que M. Tuetey a puisés dans un grand nombre de documents
inédits. Ces documents remplissent tout le second volume. La partie
la plus originale de l'ouvrage est sans contredit celle que l'auteur a
consacrée aux misères et aux malheurs de la guerre. Les chapitres
intitulés : le meurtre et les tortures ; le viol et le rapt ; les rançon-
nements; les incendies; le pillage, donnent le frisson. On se demande
quelle somme prodigieuse de souffrances les hommes sont donc
capables d'endurer, et comment un pays peut survivre à tant de
désastres.
Un professeur de l'université, décédé récemment, M. Léon Geleï,
a laissé sur un pamphlétaire au service de Richelieu, Fancan, abbé
de Beaulieu et chantre de Saint-Germain-l'Auxerrois, un curieux tra-
vail qui vient de paraître '. Fancan est bien oubUé aujourd'hui, mais
il méritait d'être tiré de son obscurité. H avait eu le malheur
de déplaire à RicheUeu devenu tout-puissant, après l'avoir habile-
ment aidé de sa plume pendant les dix premières années de sa car-
rière politique (1617-27), et il est mort à la Bastille (avant 1030,
1. Fancan et la politique de Richelieu, de 1617 à 1627. Paris, L. Cerl.
FRANCE. 374
comme le prouve M. Geley) ; quelques lignes dures el infamantes de
Richelieu dans ses Mémoires ont diclé jusqu'à ce jour le jugement
de la postérité ; le terrible cardinal n'avait-il pas été injuste ? iN'y
avait-il pas lieu à réviser le procès? M. Geley l'a pensé : après avoir
résumé ce que les mémoires du temps nous apprennent sur la per-
sonne même de l'écrivain, il analyse ses pamphlets l'un après l'autre,
il montre la place honorable que Pancan occupait dans le « parti
national » formé par Richelieu pour combattre rinllucnce espagnole
et ultramontaine, l'ardeur, et, pour mieux dire, la virulence avec
laquelle il attaquait les ennemis du cardinal, de sa fortune et de sa
politique. Il n'échappe pas au défaut commun aux biographes, celui
de surfaire son héros. Quelles que soient les raisons pour lesquelles
Fancan devint suspect à Richelieu, et en admettant môme que le car-
dinal l'ait traité avec injustice, n'est-ce pas aller bien loin que de
l'appeler un « patriote incomparable, » comme pour faire penser que
Richelieu était à un moindre degré « bon Français »? M. Geley ne
paraît pas avoir nettement démêlé les véritables causes de la dis-
grâce du pamphlétaire ; il pense que le Père Joseph n'y a pas été
étranger; c'est atTaire au futur historien de l'Ëminence grise de por-
ter sur ce point la lumière. L'étude n'est donc pas définitive, mais
elle plaît. Si le personnage est peu intéressant en dépit de ses mal-
heurs, l'étude de ses écrits importe à la connaissance des idées poli-
tiques de Richelieu.
Fénelon est un tout autre écrivain et un tout autre homme ; et
l'on ne saurait dire ce qui touche le plus en lui de l'homme ou de
l'écrivain. Sa vie n'est plus à écrire et ses idées sont bien connues;
cependant M. Emmanuel de Rroglie a su composer, sur ce sujet
tant de fois traité et discuté, un livre aimable ^ Sans rien apprendre
de nouveau, et en se bornant à dépouiller la correspondance de Féne-
lon pendant les dernières années de sa vie passées à Cambrai, il a
tracé de l'illustre archevêque un portrait de couleurs un peu éteintes,
mais d'un dessin exact et d'une physionomie pleine de charme.
Il faut remercier M. Antonin Lefèvre-Poxtalis des deux gros
volumes qu'il nous a donnés sur Jean de Witt (Pion et Nourrit) .
O'est une œuvre des plus consciencieuses, qui prendra place dans la
bibliothèque des historiens à côté de l'excellente histoire de la Guerre
de Trente ans par M. Gharvériat. M. Lefèvre-Pontalis a mis large-
ment à profit, non seulement les documents imprimés du xvii° s.,
mais aussi bon nombre de documents inédits conservés dans les
1. Fénelon ù Cambrai, d'après sa correspondance, 1699-1715. Plou el
Nourrit.
372 BULLETIN HISTORIQUE.
archives et dans les bibliothèques de Hollande. Il a bien distriijué
cette somme considérable de matériaux-, son ouvrage, rempli de
faits, se lit cependant sans fatigue ; son style manque d'éclat, mais
il est toujours clair et précis ; parfois même le simple exposé des
faits touche presque à l'éloquence, comme dans le récit de l'indigne
procès intenté à Corneille de Witt, et de la mort des deux frères; les
jugements que Fauteur porte sur les événements et sur les hommes
sont équitables, inspirés par un libéralisme sincère et sans parti
pris.
Il était aisé d'ailleurs de parler avec sang-froid d'une époque déjà
si loin de nous, et sur laquelle les opinions des historiens sont main-
tenant fixées. L'histoire contemporaine ne connaît pas cette sérénité.
Pour la Restauration, passe encore ; il semble que cette époque
appartienne plutôt à l'ancien régime, et qu'on puisse l'étudier sans
passion, comme un passé mort à jamais. Il n'en est pas de même
pour le gouvernement de Juillet ; les hommes ont changé, le pouvoir
s'est déplacé, mais les questions politiques, sociales, religieuses, qui
ont troublé le règne de Louis-Philippe, continuent d'agiter notre
époque et attendent encore une solution durable. Aussi, les histoires
de ce règne que nous possédons jusqu'ici sont-elles toutes plus ou
moins des pamphlets ou des plaidoyers. M. Paul Tuukeau-Dangin a
pensé que l'on pouvait dès maintenant entreprendre d'écrire sur
cette époque un livre impartial et aussi définitif qu'un livre d'histoire
peut rétre. Peut-être s'est-il fait un peu illusion : du moins l'œuvre
considérable qu'il a commencée, et dont nous avons les deux pre-
miers volumes ', n'échappe pas entièrement à la loi commune. L'au-
teur prend, en effet, très nettement parti ; il tient pour la monarchie
parlementaire contre la république, et pour les conservateurs contre
les révolutionnaires; il ne cherche pas à dégager ce qu'il y avait de
juste dans les idées, de légitime dans les réclamations des républi-
cains et même des socialistes. Historien de réelle valeur, il est aussi
un polémiste incisif et agressif; si l'on ne peut dire qu'il ménage ses
amis aux dépens de la vérité, il n'épargne pas ses adversaires. Le
récity gagne d'ailleurs singulièrementen vivacité; quelques résistances
qu'on soit tenté d'opposer aux jugements de l'auteur, on se sent
entraîné par lui à travers les scènes les plus variées de la politique
intérieure et extérieure, et l'on y trouve autant de ])roflt intellectuel
que de jouissance littéraire. M. Thureau-Dangin s'arrête à l'année
1. Histoire de la monarchie de Juillet. Pion et Nourrit. La plupart des
chapitres qui composent ces deux volumes ont déjà paru dans le Corres-
pondant.
FRANCE. 373
^836, après la chute du ministère du U octobre. Casimir Périer el
le duc de Broglie sont ses héros ; il a peint ces deux grandes figures
de notre histoire parlementaire avec prédilection, el il les a fait res-
sortir dans un relief saisissant. Souhaitons que la suite de cette
remarquable histoire ne se fasse pas attendre. On n'est pas près de
raconter le règne de Louis-Philippe d'une manière désintéressée-,
il importe peu d'ailleurs, si l'on nous api)orte une étude approfondie
des faits et si on les présente avec sincérité; c'est le cas pour le livre
de M. Thureau-Dangin. Il aura donné un digne pendant au livre si
remarquable de M. K. Hillebrand sur le règne de Louis-Pliilijipe.
Si la mort prématurée de Gambetta a été un deuil, non seulement
pour ses amis et pour la foule de ses axlmirateurs, mais aussi pour
tous ceux qui s'affligent quand ils voient la France appauvrie d'une
force ou d'un talent, on peut penser par contre que cette brusque el
tragique disparition de l'homme le plus populaire de notre pays a
plutôt servi sa gloire. Sans doute sa riche nature nous réservait
peut-être des surprises; des circonstances heureuses lui auraient
encore permis de rendre à la France les services que rêvait son
patriotisme ; mais peut-être aussi eût-il succombé devant des cir-
constances plus fortes que lui ou devant des défiances que sa supério-
rité même éveillait chaque jour davantage. Aujourd'hui sa renommée
bénéficie non seulement de la sympathie qu'éveille la violente inter-
ruption d'une brillante carrière, des souvenirs de l'année terrible
qui font de l'image de Gambetta le symbole même de la résistance à
rétranger et du patriotisme exaspéré, mais aussi de ce qu'il a rêvé,
de ce qu'il n'a pas pu accomplir et de ce que d'autres plus heureux
— ou plus sages — ont su accomphr après lui. Depuis qu'il est
mort, on a mieux vu l'unité de sa vie et de sa pensée ; les injustices
et les préventions nées de la lutte politique quotidienne se sont apai-
sées, et tout en faisant plus ou moins grande dans son œuvre la part
des fautes et des erreurs, tous ceux que le fanatisme ou la rancune
n'aveuglent pas ont été unanimes à rendre hommage à ses grandes
qualités d'homme public et d'homme privé. M. J. Reiivach, qui a pu
assister en observateur attentif et indépendant aux drames et comé-
dies politiques de ces dernières années, a beaucoup contribué à faire
juger Gambetta avec équité, à faire comprendre les difficultés qu'il a
eues à vaincre, les impossibilités contre lesquelles il s'est heurté, les
intentions qu'il n'a pu réaliser; il a fait voir en lui, non un chef de
parti, mais un homme d'État préoccupé avant tout des intérêts natio-
naux. Il a publié la collection complète des Discours de Gambetta,
et un choix de ces mêmes discours ' ; il a donné dans un volume de
1. M. Reinach prépare le recueil complet des dépêches de Gambella au
374 BOLLETIN HISTORIQUE.
la Bibliothèque utile (Alcan) une courte et vivante biographie de Gam-
betta, enfin il vient d'écrire une Histoire du ministère Gambetta (Char-
pentier) , aussi remarquable par l'abondance et l'exactitude des rensei-
gnements que par la chaleur et la vivacité du récit. Ce sont des mémoires
d'histoire contemporaine d'une grande valeur. Sans doute c'est le
témoignage d^un ami, sans doute on trouvera que voir en Gambetta
« le plus profond politique du siècle, » c'est décerner une louange
qu'une carrière si tôt interrompue ne peut guère justifier, et que
d'ailleurs la postérité seule a le droit de donner à un homme d'État;
sans doute on pourrait beaucoup critiquer dans les projets de lois
préparés par les membres du cabinet Gambetta, et où M. Reinach
voit le programme réfléchi et cohérent des idées politiques du prési-
dent du conseil, mais en même temps on reconnaîtra que M. Reinach
a bien discerné les intentions générales de Gambetta et les causes
de sa chute, qu'il a bien mis en lumière les raisons de ses actes, et
qu'il a analysé les péripéties de ce drame politique et parlementaire
avec beaucoup d'impartialité et de sagacité. La discrétion, le respect
pour les personnes dont il ne s'est jamais départi, ajoutent à la
valeur de son œuvre et à la confiance qu'inspirent ses récits. Ce n'est
pas un livre de polémique qu'il a écrit, c'est le témoignage d'un his-
torien perspicace et bien renseigné.
Ch. Be'mont. g. MoNon.
ROUMANIE.
Le 5 juin \HHZ a eu lieu l'inauguration de la statue dÉlienne le
Grand, élevée à l'aide d'une souscription nationale dans la ville de
Jassy, ancienne capitale de la Moldavie.
Ce prince, dont nous avons relevé le mérite dans un bulletin
précédent ^ et qui régna de -1437 à -1504, produisit une impression
profonde sur l'esprit de son peuple et vit encore maintenant dans le
souvenir des Moldaves. Linauguration de la statue de ce héros fut
donc une fête vraiment nationale, à laquelle prirent part des dépu-
tations non seulement de toute la Roumanie, mais aussi des pays
habités par les Roumains qui sont sous la domination de l'Au-
Gouverneinent de la défense nationale, dont il a donné une partie dans notre
livraison de mars.
1. Voir tome XIX, p. 148.
ROCMAMK. 375
triche, car le régime russe ne toléra pas la participation des Rou-
mains de la Bessarabie.
La grande place qui s'étend en face du palais adniinistralif et au
milieu de laquelle s'élevait la statue, cachée aux regards par une
couverture en soie, débordait de monde. Il y avait au moins
30,000 personnes. On y voyait des députations venues de tous
les coins du pays, à commencer par celles qui représentaient les
Tihambres législatives jusqu'à celles qu'avaient envoyées les com-
munes des endroits illustrés par les victoires du grand général
moldave. Le roi en personne présidai! la solennité, qu'il ouvrit par
un discours éloquent et patriotique; il arracha les larmes à celle
Ibule immense, lorsqu'il finit en disant qu'Etienne le Grand retrou-
vait sa patrie indépendante comme il l'avait laissée.
L'aspect de la place, vue du grand balcon du palais, était féerique.
D'immenses tribunes, contenant chacune de 4 à .j.OOO personnes,
réservées aux dames, étalaient au soleil des toilettes resplendis-
santes. Au bas se tenaient les hommes, en habit noir; le tout entouré
par l'armée, qui formait une ceinture autour de la place.
Quand le roi, à la fin de son discours, donna le signal, le voile qui
couvrait la statue tomba, et la majestueuse figure du héros, si par-
faitement exécutée par M. Frémiet de Paris, apparut aux yeux de
tout le monde. Les sept corps de musique militaire qui se trouvaient
réunis sur la place entonnèrent l'hymne national, un formidable
hurrah ! partit de toutes les bouches et le canon gronda dans le
lointain.
Le défilé des députations commença. Chacune d'elles, passant
devant le pavillon où se tenait le roi, le saluait, puis allait déposer
sa couronne au pied de la statue. Le nombre des couronnes ainsi
déposées dépassa -500. Le roi s'avança ensuite hors du pavillon e(
assista, entouré de ses généraux, au défilé de l'armée. Le soir un
grand banquet offert par la commune de Jassy à toutes les députa-
tions, dans la grande salle du théâtre de la ville, termina dignement
cette fête nationale.
Documents sur la question du Danube. — La question du Danube,
qui a causé tant de soucis à la diplomatie européenne et dans laquelle
la Roumanie, le pays le plus directement intéressé, a été injustement
sacrifié, a provoqué une publication historique d'une grande valeur,
où sont réunis les principaux documents concernant le régime des
eaux fiuviales en Europe, depuis la Révolution française jusqu'à
ce jour. Elle a été faite par le Ministère des affaires étran-
gères de Roumanie, sous la direction spéciale du savant qui se
trouve actuellement à la tête de ce ministère, M. Démèlre Stourza.
376 BULLETIN HISTORIQUE.
Elle porte le tilre de Chestinnea Dundrei * et contient les actes (rédigés
tous en français) des congrès et conférences suivantes, concernant le
régime appliqué aux diverses rivières et fleuves de l'Europe : Con-
vention nationale, 1792; Congrès deRastadt,n98 : Traité de paix de
Paris, ^844 ; Congrès de Vienne, -1815 ; Congrès dWix-la-Ghapelle,
^8^8; Conférence de Vienne, -1 854-^857; Congrès de Paris, -1856-
•1837; Conférences riveraines du Danube, ^856-^859; Commission
européenne du Danube, ^8(55; Conférence de Paris, 1866; Conférence
de Londres, ^87i ; Congrès de Berlin, ^878 ; Conférence de Londres,
1883. Ce volume, grand in-4'' de plus de 900 pages, contient environ
700 actes, traités, mémoires, correspondances diplomatiques entre
les ministres et les agents des différents pays, tous relatifs au régime
des eaux courantes.
C'est toujours la Révolution française, si féconde en résultats
pour le principe de la liberté, qui proclama aussi celle de la naviga-
tion sur les eaux courantes. Elle posa comme axiome que « le cours
des fleuves est la propriété commune et inaliénable de toutes les
contrées arrosées par leurs eaux; qu'une nation ne saurait, sans
injustice, prétendre au droit d'occuper exclusivement le canal d'une
rivière et d'em.pêcher que les peuples voisins qui bordent les rivages
supérieurs ne jouissent du même avantage^. Partout où s'étendit la
domination de la Républi(iue, elle supprima tous les droits de péage
et autres contributions abusives auxquelles étaient soumises les
embarcations qui, en suivant le cours d'une rivière, passaient par
un territoire étranger. Les généraux de la République furent chargés
d'appliquer le principe de la liberté de navigation d'abord sur le
Rhin, ensuite sur la Meuse, et ces idées libérales furent adoptées plus
tard au (Congrès de Vienne, ([uoique la nation qui les avait procla-
mées pour la première fois fût écrasée par le nombre et subit la loi
du vainqueur.
Parallèlement au principe de la liberté de navigation de tous les
pavillons sur les eaux courantes, nous voyons en surgir un autre
qui n'a jamais été enfreint jusque dans ces derniers temps, où il fut
sacrifié par l'Europe entière aux intérêts de l'Autriche , celui :
« qu'aucun État riverain ne soit (jêné dans rexercice de ses droits de
souveraineté, par rapport au commerce, » que la police des cours
d'eau, loul en devant être uniforme et fixée d'un commun accord,
1. Ministeriul afacerilor streine. — Chestiunea Dunôrei, acte si documente.
Bucuresti. 1883.
2. Extrait des registres des délibérations du conseil exécutif provisoire du
20 novembre 1792. Chestiunea Dunnrei, p. 1.
RODMANtE. 377
« ne doit point entraver celle que ces États, en vertu dr leur droit
de souveraineté, sont appelés à exercer sur les rivières K »
Ce respect des droits de souveraineté des pays que traverse une
rivière, tout en proclamant le principe si salutaire de la liberté de
navigation, détermina le mode de composition des commissions
chargées de veiller aux intérêts du commerce. L'article 2 du Règle-
ment concernant la libre navigation des rivières, annexé au document
du Congrès de Vienne de 1815, dispose que : « chaque état riverain
nommera un commissaire pour former la commission centrale. Le
président, qui sans autre prérogative sera chargé de la direction
générale des travaux, sera désigné par le sort^. » On voit bien que
pour le Rhin il ne s'agissait que de la surveillance dïutérèts i)ure-
ment commerciaux, et que ceux-ci n'étaient pas invoqués comme
prétexte pour exercer une prépondérance politique.
Tous les documents postérieurs à ceux que nous venons de citer
confirment ces principes, aussi justes que profitables aux nations
qui les mirent en pratique, et le volumineux recueil de M. Stourza
n'a pas d'autre but que celui de donner une complète démonstration
historique de la thèse soutenue par l'État roumain : de l'injustice
des prétentions autrichiennes.
L'Église rodmaine. — Le patriarche de Gonstantinople apprenant
que l'huile sainte, que le pays faisait venir auparavant, avec d'assez
grands frais, de Gonstantinople, avait été cette lois-ci (dans le cou-
rant de ^ 883) sanctifiée dans le pays, adressa au Métropolitain primat
de Roumanie une admonition assez sévère dans laquelle il impute
aux évêques roumains d'avoir porté atteinte aux droits de l'église
patriarchale, et les somme de renoncer à cet abus, ainsi qu'à d'autres
qui se seraient introduits dans l'église roumaine, entre autres l'adop-
tion du calendrier grégorien.
Le Métropolitain soumit cette missive au saint Synode roumain,
lequel chargea Mgr Melchisédek, évéque de Roman, le plus savant
des prélats roumains, de rédiger une réponse qui mit pleinement en
lumière l'autonomie de l'église roumaine et son indépendance hié-
rarchique à l'égard du siège de Gonstantinople, avec lequel elle
n'aurait qu'une communauté de dogmes.
Mgr Melchisédek, dans une réponse aussi habile que savante,
î. Protocole de la 2'^ conférence du congrès de Vienne relaliC à la libre navi-
gation des rivières, 8 février 1815. Chestiunea Dunârei, p. 12 et 13.
2. Règlements concernant la libre navigation des rivières. Annexe n» IG de
l'art, final du Congrès de Vienne du 5 juin 1815, n" 2. Articles concernant la
navigation du Rhin. Art. 11, Chestiunea Dunârei, p. 117.
378 BULLETIN HISTORIQUE.
réfute tant par le droit canon que par l'histoire les prétentions de
l'église de Gonstantinople à la suprématie ; sans nous occuper de la
partie canonique, nous allons exposer succinctement, et d'après le
travail deMgrMelcliisédek, les faits historiques qui établissent, selon
nous d'une manière victorieuse, l'autonomie de l'église roumaine '.
Le 28'' canon du quatrième concile œcuménique, tenu à Ghalcé-
doine en ^31, dispose que les évêchés des provinces du Pont, de
l'Asie et de la Thrace, ainsi que les évêques desdites provinces qui
se trouveraient au milieu des barbares, seront soumis au siège patriar-
chal de Gonstantinople. G'est sur cette disposition que le patriarche
veut surtout fonder ses prétentions à la suprématie du siège de
Gonstantinople sur les pays roumains, car, dit-il, par les barbares
qui sont compris dans le diocèse de Thrace on ne pourrait entendre
que les peuples de la Dacie et par conséquent les Roumains.
Mgr Melchisédek repousse cette assertion en se fondant sur une
interprétation de ce canon contenu dans la collection des canons de
l'éghse orthodoxe, le Pidalion, qui entend, par ces barbares, les
Âlains et les Russes, et non les Roumains. Rœsler repoussait aussi
l'interprétation soutenue par le patriarche, mais pour un autre
motif; d'après lui, le canon parle des barbares qui se trouveraient
dans l'intérieur du diocèse de Thrace et non de ceux ([ui habiteraient
au delà des confins de l'empire^. Nous pensons que le patriarche a
pleinement raison sur ce point et que les Roumains, qui étaient chré-
tiens encore du temps de la domination romaine^, étaient les seuls
peuples indiqués comme barbares dans le diocèse de Thrace.
Mais, quand même les Roumains de la Dacie trajane auraient été à
l'origine soumis à l'autorité spirituelle du siège de Gonstantinople,
riiistoire ultérieure de leur église prouve d'une manière évidente
qu'ils ont passé sous une autre autorité religieuse et que plus tard
ils se sont complètement émancipés de toute dépendance spirituelle.
L'empereur Justinien (527-565), voulant relever l'importance de sa
ville natale, Prima Justiniana, située quelque part sur le Danube,
1. Outre la réponse du Saint-Synode, nous utilisons les écrits suivants de
Mgr Melchisédek : Chronica Husului, si a episcopiei eu asemine numire,
Bucuresti, 1865, et Chronica Romanului si a episcopiei de Roman, Bucuresli,
1875. Mgr Melchisédek, ayant été nommé successivement évêque à Housche
et à Roman, jjuhlia d'après les archives de ces deux évêchés leur chronique,
ainsi que celles des villes où ils sont établis.
2. Romaenische Studien, Untersuchungen zur aelteren Geschichte Romœniens.
Leipzig, 1871, p. 91.
3. A preuve les nombreux termes chrétiens d'origine latine, tels que :inger,
crestin, dumnezeu, cruce, biserica, blaslem, pacat, pagln, botez, cuminica-
iura, allar, templa, etc.
ROUMANIE. 37!»
dispose par la Novelle XI que l'évêque rie celte ville prendrait le
titre d'archevêque et lui soumet plusieurs provinces de la péninsule
balkanique, ainsi que les pays situés au nord du Danube.
Au temps de la conquête de la Mœsie par les Bulgares cl après que
ceux-ci eurent été convertis au christianisme, l'archevêché de Prima
.lustiniana devint un siège bulgare dont le titulaire prit le titre de
Patriarche et devint indépendant du chef de l'église grecque de
Gonstantinople ^ Gomme la domination des Bulgares s'étendait aussi
sur la rive gauche du Danube, les Roumains arrivèrent à être soumis
à une autre juridiction spirituelle que celle du siège de Gonstanti-
nople, c'est-à-dire à celle de l'église de l'empire bulgare, dont ils
dépendaient aussi politiquement. La capitale du premier empire bul-
gare fut d'abord Preslaw, ensuite quelques autres villes, et en dernier
lieu Ohrida, quelques années avant la destruction de l'empire bul-
gare par l'empereur Basile II, le Bulgarochtone (101 s). Gette ville
était située dans les montagnes de la Macédoine. Voilà pourquoi on
trouve toujours l'archevêque d'Ohrida portant le titre d'archevêque
de Prima Justiniana, des Bulgares et des pays du Nord -. Gette même
circonstance explique aussi que, dès les plus anciens temps dont on
ait connaissance, l'église de Valachie tout comme celle de Moldavie
dépendait du patriarche d'Ohrida^. Gomme ces pays avaient été
soumis par Justinien à l'autorité de l'archevêque de Prima Justi-
niana, et que cet archevêché fut changé en un patriarchat bulgare
qui exerçait son autorité aussi au nord du fleuve, les pays roumains
restèrent soumis à son autorité dans tous les endroits où il trans-
porta sa résidence, et en dernier lieu à Ohrida.
Le patriarche de Gonstantinople essaya plus tard, du temps
d'Alexandre le Bon, d'enlever la Moldavie au siège d'Ohrida, lequel
était alors bien déchu de son ancienne splendeur, et réussit à le faire
pour quelques années ''. Mais ensuite le patriarche de (Gonstanti-
nople, sollicité par l'empereur, dont le trône vacillant était près de
succomber sous la main victorieuse de Mahomet II, implora le
secours du pape ; celui-ci mit comme condition que l'église d'Orient
serait soumise au siège de Rome. Le concile de Florence devait régler
cette importante affaire (1437). Les pays roumains refusèrent d'ac-
1. Nicéphore Grégoras, éd. de Bonn, I, p. 27 : « icat [).-r\ip6nrAiç BoyXyapta;
■OirpwTr) 'loyffTwiavri.Coinp. Jirecek, GeschichtederBi(lgareti.Priii;ue,\87G,]>. 1G8.
2. Voir les citations dans Melchisédek, Chronica Jiomamdui, p. 54 et suiv.
3. Voir entre autres : Acta patriarchaius Constantinopolilani, M CGC XV-
M CCCC II. Ed. Miklosiscli et Millier. Vienne, 1860, 11, p. 230.
4. Emile Picot et Georges Bengesco, Alexandre le Bon, prince de Moldavie
(1401-1433), p. 50.
380 BULLETIN HISTORIQUE.
cepler celle condition, mais le patriarche, fort de son autorité nou-
vellement acquise sur la Moldavie, fit représenter celle-ci au concile
par un moine, un certain Damien, qui prit le titre de Métropolitain
de Moldavie. Les pays roumains, mécontents de celle conduite,
s'adressèrent alors de nouveau à Ohrida et renouèrent les relations
avec leur ancienne métropole qui elle aussi avait refusé de participer
au concile de Florence. Aussi voyons-nous en i 457 Etienne le Grand,
prince de Moldavie, s'adresser à Ohrida pour la consécration d'un
Métropolitain ^ , et les pays roumains continuent de rester sous la
dépendance de ce siège jusqu'en'! 768, où les Turcs le détruisent.
A partir de cette époque le patriarche de Constantinople, qui n'était
plus qu'un instrument docile de la politique des sultans, s'efforça de
ramener à lui les églises moldave et valaque, soutenu dans cette
tentative par les princes grecs (phanariotes) qui régnaient dans les
pays roumains. Mais le siège de Constantinople n'aboutit qu'à
exploiter l'église roumaine de la manière la plus ignominieuse, sans
jamais acquérir une autorité légitime sur les archevêchés de Bucha-
resl et de Jassy.
La renaissance des Roumains devait travailler à émanciper aussi
leur église du joug grec, sous lequel elle était tombée. Voilà pour-
quoi le premier acte du prince Couza fut de séculariser les biens des
couvents. Cette mesure rendit rËlat roumain propriétaire d'une
immense étendue de pays qui était passée de fait, par des moyens
in(|ualinables, dans les mains des moines grecs. Depuis lors les
Houmains sont considérés par l'église de Constantinople comme ses
ennemis les plus acharnés, et ces relations si peu amicales expliquent
bien mieux l'encyclique du patriarche que les prétendus droits qu'il
s'arroge sur la Roumanie.
Ajoutons à cet exposé un épilogue assez curieux :
A la nouvelle des dissentiments qui existaient entre l'église rou-
maine et celle de Constantinople, le pape crut peut-être qu'il allait
se produire des scènes de violence, pareilles à celles qui dix années
auparavant avaient amené l'excommunication du peuple bulgare de la
part du patriarche ; il pensa que le moment était venu d'attirer les
Roumains dans le sein de l'église catholique et se hâta d'élever
Mgr Paoli, évêque catholique de Bucharest, au rang d'archevêque.
Il y eut bien quelques personnes qui s'alarmèrent de ce fait et
1. Chronique de Moldavie depuis le milieu du xiv'' siècle jusqu'à l'an 1594,
par Grégoire Urèche, texte roumain avec traduction française, notes histori-
ques, tableaux généalogiques, glossaire et table par Emile Picot. Paris, 1878,
p. 90.
ROUMANIE. 384
Mgr Melchisédek crut devoir publier un réeil, des ellbrU Lentes i)ar
l'église catholique dans les pays roumains, depuis les temps les plus
reculés, pour prouver, l'histoire en main, que ses efforts ont Ion-
jours été infructueux ^
Travaux de l'Agadémik roumaine. — L'Académie roumaine com-
prend trois sections, une philologique et littéraire, la seconde histo-
rico-archéologique et la troisième pour les sciences naturelles. La
section historique a, d'après les statuts, les attributions suivantes :
de recueillir, tant dans les pays roumains qu'à l'étranger, toutes
sortes de documents qui intéressent l'histoire des Roumains ;
d'organiser des missions tant dans ce but que dans celui d'explorer
les régions habitées par les Roumains au point de vue archéolo-
gique ; de mettre au concours et accorder des prix aux œuvres
historiques qu'elle jugera utile de populariser.
Grâce à de généreux donateurs, la collection des documents de
l'Académie, dont plusieurs d'une haute valeur historique, monte déjà
à quelques miniers ; elle ne peut pourtant, faute d'argent, être
pubhée, car bien que l'Académie possède un certain capital, assez
considérable même pour le court espace de temps écoulé depuis qu'elle
existe, le revenu en suffit à peine à ses dépenses ordinaires et aux
prix qu'elle est tenue, d'après la disposition des testaments faits
en sa faveur, d'accorder à différents genres de travaux. L'Académie
ne publie pour le moment que la collection des Documents relatifs
à l'histoire des Roumains, extraits des Archives de Vienne par feu le
baron Eudoxe de Hodrmouzaki. Le dernier volume, paru à la fin de
l'année 'l 882, contient les documents de ^GOO-iOîl) au nombre de
629 pièces, qui se rapportent à l'une des époques les plus impor-
tantes de l'histoire des Roumains, celle de Michel le Brave, Basile le
Loup et Matthieu Bassaraba ^. Mais cette publication se fait à l'aide
1. Papismul, si starea actuala a bisericei orthodoxe in regalul Ronianiei
de EpiscopuI Melchisédek. Bucuresti, 1883.
2. Documente privitoare la Istoria Romùnilor culese de Eudoxiu de Hurmu-
zaki. Publicate sut auspiciile Miiiisteriului cultelor si al instiuctiuuei publiée
si a le Academici romane. Volumul IV, partea I, 1600-1649. Bucuresti, 1882.
Soccec et Teclu. Un vol. de xxxvi et 708 pages.
Les autres volumes sont les suivants :
Volumul 111, 1576-1599, de xxx et 600 pages, contenant 341 documents et un
appendice qui comprend les documents découverts par M. C. Exarho dans les
archives de Venise, relatifs à la même époque, au nombre de 102, avec un
Index.
Volumul VI, 1700-1750, de xxiii et 697 pages, contenant 355 documents, avec
un Index.
Volumul VII, 1750-1813, de XXXII et 584 pages, contenant 278 documents avec
un Index. Trois volumes restent encore à publier : 1, Il et V.
382 BULLETIN HISTORIQUE.
d'une subvention du Ministère des cultes, auquel le défunt avait
légué sa collection à la charge de la publier.
Une mission confiée à M. Nicolas Densouchanou, ex-bibliothécaire
de l'Académie, en vue de découvrir de nouveaux documents, a été
particulièrement féconde en résultats. M. Densouchanou était chargé
de rechercher dans les archives et bibliothèques de la Hongrie et de
la Transj'lvanie ce qui se rapporte à la révolution des Roumains de
ce dernier pays, lorsqu'en \ 785 ils se soulevèrent sous la conduite
des trois chefs : Nicolas Oursou Horia, Jean Closchka et Georges
Crichianou. Cette révolution eut pour cause, on le sait, l'oppression
séculaire dont les Roumains souffraient de la part des nations privi-
légiées de la Transylvanie : les Hongrois, les Szèkles et les Alle-
mands; cependant son caractère fut entièrement faussé par les
écrivains des nations qui avaient intérêt a cacher le véritable molif
du mouvement. On le présenta comme un brigandage organisé pour
dépouiller de leurs biens les gens riches, et l'on passa soigneusement
sous silence l'oppression intolérable dans laquelle vivaient à cette
époque les Roumains de la Transylvanie. H était temps que ces
martyrs d'une juste cause fussent réhabiUtés aux yeux de la posté-
rité, et la mission de M. Densouchanou a pleinement atteint ce but.
Une histoire de cette révolution basée sur de nombreux documents
fera taire les passions et laissera libre parole à la vérité ' . Les plus
importants de ces documents sont : l'interrogatoire fait par le comte
Jancovits à Nicolas Oursou ou Horia. chef de la révolution de -1785,
qui contient H S demandes et réponses; l'interrogatoire fait par le
même au capitaine Jean Closchka en ^ 04, demandes et réponses;
l'interrogatoire du capitaine Georges Crichianou en 47 demandes et
réponses; l'interrogatoire du capitaine Uibar Oursou; celui d'Alexan-
dre Chendi, le secrétaire de Horia; le testament de Horia et de
Closchka, écrit par le prêtre Nicolas Ratz, d'Alba Julia ; la sentence
prononcée par le comte Jancovits contre Horia et Closchka ; les
ordres de Tempereur Joseph II adressés au comte Jancovits, au gou-
vernement de la Transylvanie, à la chancellerie aulique, aux com-
mandants militaires de Bude et de Sibiou, tous ayant pour objet la
révolution de Horia; les rapports du comte Jancovits, du gouverne-
menl de la Transylvanie et de la chancellerie aulique dans la même
1. M. Alfred Rainbaiid a exposé l'histoire de cette révolution des Roumains
de la Transylvanie dans quelques leçons éloquentes faites à la Sorbonne au
comniencenieiit de cette année 1884. C'est ainsi que la France s'est chargée de
célébrer le centenaire des héros roumains, qui ne saurait être célébré dans leur
propre pays.
ROUMANIE. 383
question ; les plaintes des Roumains et celles de la classe féodale
adressées à rempereui- Joseph II et au comte Jancovits ; l'enquête
faite par le conseiller Michel Bruckenthal sur les causes de cette
révolution ; la Uste des Roumains qui à la suite de ces événements
furent éloignés de la Transylvanie et etai)lis dans le district de Pan-
ciova; les rapports où l'évoque roumain Gédéon Nechitici expose
les efforts qu'il fit pour calmer les Roumains ; les circulaires et les
lettres adressées par Horia au peuple et à dilféronles j)ersoimes *.
Le nombre des actes relatifs à la révolution de Horia, copiés i)ar
M. Densouchanou, atteint le chiffre de 785 !
En dehors de cette importante collection qui a coûté à M. Densou-
chanou -15 mois de travail assidu, il rencontra au cours de ses
recherches une foule d'autres documents, manuscrits, livres rares
relatifs aux Roumains, entre autres plusieurs manuscrits des chro-
niques roumaines déjà publiées, mais qui contiennent des variantes ou
des additions aux textes connus jusqu'à ce jour, et qui pourraient être
utilisés avec fruit pour une édition critique des chroniqueurs rou-
mains^, l'importante collection de documents qui servit à Georges
Schinkai, à la fin du siècle passé, pour la rédaction de son œuvre
capitale : la Chronique des Roumains; enfin plusieurs traités ori-
ginaux conclus entre les princes des pays roumains et ceux de la
Transylvanie.
La collection entière de M. Densouchanou se compose de 38 vo-
lumes manuscrits, de documents, extraits, notices, d'un grand nombre
de photographies , de deux tableaux anciens à Thuile, de plusieurs
portraits, dessins et fac-similés, ainsi que de trois copies de la
médaille de Horia ^ .
Une seconde collection de documents d'une grande importance a
été recueillie dans les Archives du Ministère des affaires étrangères
de France, par M, A. J. Odobkscou, ex-professeur d'archéologie à
l'Université de Bucharest, actuellement premier secrétaire de la léga-
tion roumaine à Paris.
Ces archives contiennent plus de 8,000 volumes in-folio, de
manuscrits, dont la classification en différents fonds a été terminée
par la Commission des archives diplomatiques sous la présidence de
1. Analele Academiei romane. Séria II, lomul II. Sediiitcle ordinare din
1877-80, si sesiunca generala a anului 1880, Sectiunea I, Partea adriiinislrativa
si desbatirele. Bucuresti, 1881, p. 104.
2. La seule édition critique d'une chronique roumaine qui existe jusqu'à ce
jour est celle qu'a publiée à Paris M. Emile Picot, professeur de roumain à
l'école des langues orientales vivantes. Voir plus haut le litre de l'ouvrage.
3. Analele Academiei, p. 117.
384 BULLETIiV HISTORIQDE.
l'illustre et regretté historien français Henri Martin. Quoique tous
ces fonds puissent contenir des documents relatifs à l'histoire des
Roumains, M. Odobescou s'est arrêté d'abord au fonds turc, lequel
devait attirer particulièrement son attention, à cause de la dépen-
dance dans laquelle se sont trouvées les provinces roumaines durant
une longue période de leur histoire à l'égard de l'empire ottoman.
Ce fonds se compose de 225 volumes in-folio et va de Tannée 1570,
époque où s'établit la première ambassade française à Gonstanti-
nople, jusqu'en -1814, année jusqu'à laquelle les archives sont livrées
au public. Les documents deviennent nombreux et intéressants à
partir de l'année 1630. M. Odoiîescou a dû parcourir page à page
tous ces énormes in-folio, car bien souvent les passages qui inté-
ressent l'histoire des Roumains se trouvent intercalés dans les textes
relatifs aux relations de la France avec l'empire Ottoman. Il est
arrivé avec son travail jusqu'en ^91 et a extrait des 184 volumes
du fonds turc, consultés jusqu'à prévSenl^ ^,144 documents ou notices
sur les pays roumains.
D'après ce que M. Odobescou nous dit dans son rapport au
Ministre de l'instruction publique ', qui Ta chargé de faire ces
recherches, ces documents contiendraient des données d'un haut
intérêt 1" sur le rùle politique joué par Matthieu Basaraba, prince de
Valachie( 1632- 1654), dans les affaires politiques de l'Orient; 2° sur
les menées des diplomates français de Gonstantinople à l'ellét de
compromettre aux yeux de la Porte le prince de Valachie Constantin
Brancovanou, lequel fut par la suite décapité; 3" sur l'influence de
la famille des Mavrocordato, dont plusieurs membres furent princes
dans les pays roumains, sur les relations de la Porte avec les puis-
sances occidentales ; 4° sur les succès des Jésuites en Orient à la
suite de leurs liaisons avec cette puissante famille ; 5» sur les rela-
tions de la famille des Ghyca (dont un membre, le prince Grégoire
Ghyca, fut décapité par les Turcs, après le rapt de la Bucovine par
lAutriche) avec les ambassadeurs français ; 6" sur le rôle d'agents
poUtiques attribué par la Sublime Porte aux princes fanariotes, qui
donna le jour à Timportante correspondance diplomatique du cheva-
lier de Genfz avec les liospodars de Valachie (1813-1828) -, etc., etc.
M. Odobescou poussera maintenant ses recherches de ^92 à ^8^4
et il exprime dans son rapport l'espoir que, grâce à la bienveillance
du gouvernement français, il lui sera peut-être permis d'aller jus-
qu'en ^S30.
1. Voir le journal Românul, n" des 19, 20, 21, 22 octobre 1883,
2. Publiée eu 3 voUmies par le comte Prokesch-Osleu lils. Paris, Pion, 1877.
ROUMANIE. 385
Le ministère a fait remettre ces documents à l'Académie ; mais
nous craignons bien qu'ils ne voient le jour que lorsque la collection
de Hourmouzaki sera entièrement publiée.
Parmi les œuvres présentées pour les prix d'bistoire que l'Acadé-
mie propose depuis plusieurs années déjà, trois seulement ont pu
obtenir cette distinction ; la première est une Étude sur les peuples
qui ont habité le territoire de la Dacie trajane avant la com/urte
romaine, par M. Grégoire Tocilkscou, directeur du musée d'anti-
quités de Bucharest et actuellement sous-secrétaire d'État au minis-
tère de l'instruction publique. Nous en avons rendu compte dans un
bulletin précédente La seconde est une Introduction à /'histoire de
l'archéologie, par M. A. J. Odobescou^, de qui nous venons de men-
tionner la collection de documents extraits des archives françaises.
Ayant été chargé du cours d'archéologie générale à la faculté des
lettres de Bucharest, il fit imprimer ses leçons, qui par leur forme
attrayante réunissaient, malgré l'aridité du sujet, un nombreux audi-
toire. L'objet de l'archéologie, tel que le détermine M. Odobescou,
est des plus vastes. Il embrasse toute la vie physique, morale et
esthétique des temps anciens. Après avoir passé en revue l'antiquité,
classé toutes les sources qui peuvent jeter de la lumière sur la vie de
ses peuples et les avoir analysées sommairement, M. Odobescou passe
à la Renaissance. Le tableau qu'il trace du réveil des esprits au con-
tact des restes légués par l'antiquité est aussi savant qu'éloquent.
Les monuments les plus remarquables qui furent tirés par les érudits
et les savants des décombres où ils étaient ensevelis, sont décrits et
analysés de main de maître : la table de Peutinger avec les savants
commentaires de M. Desjardins, la Notitia dignitafum et adminis-
trationum avec les commentaires de Guido Panciroli, le tableau des
noces Aldobrandines avec les études de Winckelmann, la numis-
matique primitive de l'Italie, la peinture religieuse, les masques
anciens, en un mot une foule innombrable de faits se groupent d'une
manière méthodique, et dessinent à grands traits le cadre pour ainsi
dire incommensurable de la science archéologique.
Les dernières leçons sont consacrées à la numismatique des xvii^
et xviii" siècles, aux découvertes des antiquités chrétiennes, cata-
com.bes, basiliques, mosaïques, à l'étude des antiquités byzantines
et orientales et à une foule d'autres faits qui complètent autant que
possible le domaine de cet enseignement.
1. Revue historique, lome XIX, j). 153.
2. Ixtoria Archeologiei. Sludiu introductiv la accasta slunta. Prlegeri linule
la taciiltalea de litere din Bucuresti de A. J. Odobescu. I. Anticitatea. Rciiasterca.
Bucuresli, 1877.
Rev. Histor. XXV. 2^ fasc. 25
38G BULLETIX HISTORIQUE.
Dans le cours de son travail, M. Odobescou n'oublie jamais de men-
tionner tout ce qui peut intéresser d'une manière plus directe la vie
du peuple roumain. Ainsi il analyse les quelques phrases du natura-
liste Pline sur le caractère des Daces ; il étudie dans le plus grand
détail la question du pont de Trajan sur le Danube, les bas-reliefs
de la colonne trajane, les indications relatives à l'Orient contenues
dans la Notitia dignitatum. Lorsqu'il traite de la peinture, il n'omet
pas de faire ressortir le caractère spécial de la i)einture roumaine
d'images, sur le fonds général de la peinture byzantine. A propos
des Runes Scandinaves il rappelle l'inscription gothique du plateau
d'or massif trouvé à Pelroasa près de Buzéou, dans la Valachie, qui
prouve que les Golhs ont dû passer par cette région, et ainsi de
suite.
Le troisième ouvrage couronné est une étude sur le Paysan rou-
main par le même M. Tocilescou, cité plus haut. Cet ouvrage doit
contenir des données intéressantes sur l'histoire du paysan rou-
main, mais, comme il n'a pas encore été publié, nous ne pouvons
que Pindiquer.
La section historique de l'Académie a de plus, conformément à ses
statuts, publié des éditions nouvelles ou réimprimé des ouvrages
importants d'histoire nationale. Ainsi elle a publié une édition des
œuvres principales du savant prince de Moldavie Démètre Gantemik.
Ce prince écrivain régna en Moldavie pendant quelques mois de
l'aimée M\\. Il prit parti pour les Russes dans la guerre qui éclata
cette année entre ceux-ci et les Turcs à la suite des insistances de
Charles Xll, réfugié en Moldavie à Bender, après sa défaite de Pultava.
Les Russes ayant été battus par les Turcs, Cantémir dut se réfugier
en Russie à la conclusion de la paix. Le czar Pierre le Grand l'esti-
mait beaucoup a cause de ses connaissances profondes et variées.
Comme il vécut en Russie jusqu'à sa mort, tous ses manuscrits se
trouvent conservés dans les bibliothèques de Moscou et de Saint-
Pétersbourg. L'x\cadémie roumaine entreprit des démarches auprès
du gouvernement russe, et, grâce au concours bienveillant de l'agent
diplomatique de Russie à Bucharest, M. Zinovief, elle obtint commu-
nication d'une partie des manuscrits du prince Cantémir, et pour le
reste la permission d'en tirer des copies. C'est par ce moyen que
l'Académie fut mise à même de pouvoir publier la Description de la
Moldavie dans le texte original latin, qui n'avait jamais été publié
et dont les diiïerentes traductions existantes reproduisaient bien
souvent les idées de l'auteur d'une manière erronée. La publication
du texte latin est due aux soins de M. Papiu Ilarian, membre décédé
de l'Académie. M. Joseph Hodosid, autre membre aussi décédé, en a
ROUMANIE. 387
donné une traduction nouvelle en roumain, qui n'est pas non plus
exempte de fautes. Ce dernier traduisit aussi eu roumain V Histoire
du progrès et de la décadence de l'empire Ottoman, œuvre princi-
pale de Gantémir, qui de son temps eut une réputation européenne
et fut traduite dans presque toutes les langues de l'Occident. Les
autres travaux de Gantémir ^ sont une Histoire des familles Canta-
cuzène et Brancovanou, le Divan ou le procès entre l'âme et le corps
et V Histoire hiérogUjphique, sorte de satire politique. Le septième
volume, qui doit contenir la vie du père de Démètre Gantémir, Gons-
tantin et ses études orientales, n'a pas encore paru. Ce qui nous
étonne c^est que nous ne voyons nullement figurer parmi les œuvres
publiées ou à publier de Gantémir l'ouvrage le plus important peut-
être par rapport aux Roumains, sa Chronique Moldo- Valaque, écrite
en roumain par l'auteur. Cette chronique a été éditée une fois à
Jassy par Seulescod en 4833 en deux volumes, mais le manque
absolu de critique de cette édition rend indispensable la réimpres-
sion de cette œuvre, et l'Académie avait précisément dans ce but
sollicité et obtenu l'autorisation de tirer une copie du manuscrit
original qui se trouve à la bibliothèque de Moscou.
Parmi les autres publications de l'Académie relatives à l'histoire,
rappelons encore, en dehors du recueil des documents de Ilourmou-
zaki, mentionné plus haut, la réédition de VHistoire des Roumaine;
sous Michel le Brave, par Nicolas Balcescou -, historien et patriote
qui joua un rôle important dans la Révolution de 4 848 et qui mourut
1. Operile principelui Diniitrii Cantimir tiparite de societatea academica
romana.
Tomu I. Descriptio Moldaviae eu liarta geogralica a Moldavie! si un fac-
simil. Bucuresti, 1872.
Tomu II. Descrierca Moldaviei, tradusa dupa textul original lalinesc allât
in museul asiatic al academici impériale stiintifice de la St-Petropole, eu
harta Moldavie! si un fac-simil. Bucuresti, 1875.
Tomu III si IV. Istoria imper'mlui oiomon, cresterea, si scaderea lui eu
noate foarte instructive. Tradusa de D' Jos. Hodosiu. Partea I, Bucuresti 1876.
Partea II, Bucuresti, 1878.
Tomu V. Partea I, Evenimeniele Caniacuzinestilor si Brancovenilor. Par-
tea II. Divanul. Publicate si insotite eu o prefatza si un glosar de G. Sion.
Bucuresti 1878.
Tomu VI. Istoria ieroglifica (opéra originala inedita, scrisa in limba roma-
neasca in 1704), eu o precuvîntare analitica, si un glosar explicalor de A. J.
Odobescu. Bucuresti, 1875.
Tomu VII. Vita Constantini Cnntimirii si eollectanea orientalia (sous presse).
2. Istoria Rominilor sut) Mihaiii Voda Viteazul, urmala de scrieri diverse
de Nicolai Balcescu, publicata dupa decisiunea societatii academicc romane si
insotite eu o precuvintarc si eu note de A. J. Odobescu. Bucuresti, 1878.
3iS8 BOLLETIN flISTORIQDE.
à Palerme en 1852. Cette œuvre, écrite sous l'inspiration révolution-
naire de l'époque, accorde peut-être au patriotisme plus que ne peut
tolérer l'histoire. Elle n'en reste pas moins un travail remarquable,
tant par la richesse et la variété des sources utilisées, que par les
pages vraiment éloquentes quelle renferme et qui en font un monu-
ment littéraire de premier ordre pour les Roumains. L'édition a été
soigneusement revue par .M. Odobescou.
Les membres de la section historique ne se sont pourtant pas seu-
lement bornés à encourager et favoriser le mouvement historique.
Ils ont mis eux-mêmes la main à l'œuvre, et les annales de l'Aca-
démie roumaine contiennent déjà plusieurs travaux d'une véritable
valeur sur l'histoire de ce peuple. Nous ne mentionnerons que les
principaux : le plus ancien en date et en même temps le plus riche
en faits historiques est sans contredit celui de M. Papiu Ilarian, sur la
vie. les œuvres et les idées de Georges Schinkaï^ Roumain de la Tran-
sylvanie, qui le premier entreprit de régénérer son peuple en lui fai-
sant connaître son histoire. Son ouvrage, à la composition duquel Schin-
kaï travailla pendant toute sa vie, est tiré d'une collection de notes et
de documents amassés par lui, qui comprend 4^ vol. gr. in-V\ que
M. Densouchanou vient de déterrer dans les bibliothèques de la Tran-
sylvanie, ainsi que nous l'avons rapporté plus haut. Schinkai suit
l'ordre chronologii[ue à partir de l'année 80 après Jésus-Christ jus-
qu'en 1 739. Quoique Touvrage fût déjà terminé en i 808, il ne put être
imprimé qu'en 1853, longtemps après la mort de l'auteur, à Jassy,
sous le règne du prince Grégoire Ghyca, car la censure hongroise
refusa toujours l'autorisation de l'imprimer en Transylvanie. Elle
apostilla même Touvrage de Schinkaï de la manière suivante : « Opus
igné, auctor patibulo dignus. » Edgard Quinet apprécie de la
manière suivante le travail de Schinkaï : « Depuis les temps les
plus reculés jusqu'en -1739, l'écrivain roumain reprend, raconte,
discute chaque année en particulier. Chemin faisant, il met aux
prises les historiens polonais, hongrois, russes, et il les con-
traint de rendre jour par jour à la race roumaine le témoignage
qu'ils ont essayé d'éluder. Où ils n'ont été qu'incomplets, il les
achevé les uns par les autres -, où ils ont sciemment faussé la
vérité, il la leur arrache avec éclat, et il reprend ainsi sur eux
toutes les dépouilles nationales. Au milieu de trois ou quatre
races ennemies, l'historien conquiert, année par année, jour
par jour, la vérité historique, comme un champ de bataille. »
1. Viata, operile si ideile lui George Sincal din Sinca, discursul de recep-
liuiii a dlui A. Papiu Ilariaii. Bucuiesli, 1860.
ROUMANIE. ;îS'.>
Que l'auteur au milieu de cette mêlée n'ait jamais été entraîné
par sa religion pour ses pauvres rwiimains à des représailles conli-e
ses adversaires de Pologne, de Hongrie, de Russie, qui pourrait
l'affirmer? Il est seulement constant que par-dessus tout il cliorche
la lumière, que, loin de taire les traditions, les systèmes opposés, il
les étale avec complaisance ; qu'il laisse amplement la parole à l'en-
nemi; qu'aucun livre n'est plus nourri de documents officiels,
d'actes, de lettres, de diplômes, de traités, de monuments authen-
tiques; que de tous côtés sont réunis les éléments divers de la
certitude. Le lecteur seul est chargé do porter le jugement, méthode
qui place l'auteur au rang des créateurs de la grande école historique
du xix" siècle. Si l'on considère qu'il a été conduit à celte savante
méthode de HTSO-fSOS, c'est-à-dire dans un temps où aucun
des travaux de la critique contemporaine n'avait encore paru, et
lorsqu'un esprit tout ditîérent régnait dans l'histoire, l'admira-
tion s'ajoutera à la surprise'. » Cette appréciation doit être com-
plétée par la remarque suivante. Dans un autre pays, Schinkaï
n'aurait eu qu'un mérite scientifique : chez les Roumains, c'est lui
qui par son œuvre les a rappelés à la conscience d'eux-mêmes,
presque étouffée sous le régime abrutissant où ils avaient vécu durant
des siècles. Ailleurs, Schinkaï n'aurait créé qu'une science ; chez
les Roumains, il a donné la vie à un peuple.
Une pareille personnalité était donc digne à tous égards de devenir
l'objet d'une étude historique. C'est ce que le savant jurisconsulte
et historien roumain, dont le pays déplore la perte, a exposé avec
une science profonde de l'époque et du pays où Schinkaï a vécu.
M. Alexandre Papadopoulo-Callimaqde a inséré dans les bulletins
de l'Académie une étude sur les noms daces de plantes qui sont cités
dans Dioscoride et dans Apulée 2. M. Callimaque s'efforce d'identifier
quelques-uns de ces noms avec ceux que l'on trouve encore aujour-
d'hui dans la bouche du peuple roumain, et de retrouver ainsi dans
le roumain actuel des restes de la langue dace. Les résultats aux-
quels l'auteur arrive sont pourtant bien minces; à peine deux ou
trois noms, parmi plus de trente, qui ont été conservés par les deux
écrivains anciens.
M. Démètre A. Stocrza, l'auteur de la collection des documents sur
la question du Danube, numismate et grand amateur d'antiquités,
possède la plus riche de toutes les collections connues de monnaies
1. Edgard Quiiiet. Œuvres complètes. Paris, 1857 : Les Roumains, p. 65.
2. Tiré aussi à part sous le litre de : Dioscorides si Apuleius. (Bolanica
daco-getica), de Alexandra Papadopol-Calimak : membru aclual al societatei
acaderaice romane. Bucuresti, 1875.
390 BULLETIN HISTORIQUIÎ.
roumaines, ainsi qu'une collection de portraits de princes roumains
qui n'a pas son égale. 11 a publié deux études portant sur ses objets
favoris : Une bibliographie de la numismatique roumaine, qui pour-
suit les traces des monnaies roumaines dans tous les écrits de
numismatique parus jusqu'à ce jour, surtout dans ceux, assez rares,
du moyen âge. L'autre dissertation a pour objet les portraits des
imnces roumains, qu'il étudie tant dans sa collection qu'ailleurs.
M. Athanase Marian-Marienescu a publié, comme complément
à l'étude de Papiu Ilarian , une étude sur la vie et les œuvres de
Pierre Maïor^. Ce Roumain de la Transylvanie fut le collègue
d'études et l'ami de Schinkai et concourut à l'œuvre entreprise par
celui-ci de faire connaître aux Roumains leur histoire. 11 écrivit
avec beaucoup d'érudition une histoire des origines des Roumains
en Dacie, ainsi qu'un traité sur la langue des Roumains. Comme
son étude ne touchait pas aux temps modernes , l'impression en
fut autorisée, et il y en eut deux éditions consécutives dans la capi-
tale de la Hongrie, à Buda-Pesth, la première en \S\1, la seconde
en ^ 835.
M. Pierre Poénariu, membre aussi décédé de l'Académie, a publié
une biographie de Georges Lazare'^, Roumain de la Transylvanie, qui
le premier ouvrit à Rucharest, encore soumise au régime des phana-
riotes, une école roumaine. Les Grecs eux-mêmes avaient grand
besoin d'une école qui formât des arpenteurs roumains, en état de
lire et de comprendre le sens des anciens documents, pour pouvoir
trancher les nombreux procès en délimitations de terres qui se pro-
duisaient à cette époque dans les pays roumains. Voilà comment une
école roumaine put voir le jour sous le régime des Grecs du Pha-
nar. Lazare, élevé à l'école de Scliinkaï et de Pierre Maïor, entre-
mêlait dans ses leçons de mathématiques des cours sur l'histoire
nationale ; c'est ainsi que le réveil des esprits qui s'opérait en Tran-
sylvanie ru ni ma aussi les Roumains de la Valachie à la vie nationale.
La biographie et l'activité de cet apôtre de la régénération roumaine
sont exposées par Poénariu en pleine connaissance de cause, car il
fut son élève à l'école de Saint-Sava.
Nous rappellerons enfin les fouilles importantes entreprises par
M. TociLEScoD dans la province nouvellement annexée à la Roumanie,
la Dobroutscha; on y a découvert une foule de monuments romains
1. Tiré à part sous le titre : Gheorykie Lazaru si scoala romana de P. Poé-
nariu, eu portrelul lui Lazaru si aaexe, Bucuresti, 1874.
2. Viata si operile lui Petru Maior, de Atanasiu Marian Marieuescu. Bu-
curesti, 1883.
DANEMARK. 394
de la plus haute importance, qui sont destinés non seulement à jeter
de la lumière sur les premiers temps de la Dacie, mais aussi à enri-
chir en général la connaissance de Thisloire romaine. M. Tocilescou,
après avoir communiqué ses découvertes à l'Académie, les puhlia
dans la Revue cf archéologie de Vienne^, ainsi que dans la Revisla
pentru istorie^ archéologie si filologie qui parait à Hucharest sous sa
direction.
A. D. XÉNoroL.
DANEMARK.
PCBLICATIOIVS RELATIVES AU MOTEN AGE ET A l'e'pOQDE MODERNE.
Le célèbre historien suédois E. G. Geier a dit une fois que l'union
de Calmar, qui forma un seul royaume des trois États du Nord, était
un accident, qui avait l'apparence d\me pensée. Elle ne résultait
pas d'un rapprochement successif des nations et n'avait pas été assez
préparée pour pouvoir réussir. On peut dire que le professeur
Erslev, dans son important livre sur la reine Marguerite^, a voulu
prouver la vérité de cette théorie sur l'union des trois États. 11 a
voulu démontrer qu'il n'y avait en réalité ni rapport ni ressemblance
entre l'union de Calmar et le scandinavisme moderne; à ses yeux
l'union de 1397 n'est pas partie de cette pensée que trois peuples
d'une origine commune^ de langue et de mœurs si peu différentes,
ne devaient pas se ruiner par des guerres mutuelles, pour devenir la
proie facile des États et des princes étrangers. Ce sont là plutôt les
idées de nos politiques modernes que celles des hommes d'État du
XIV* et du XV'' siècle. La question des nationalités ne jouait alors qu'un
rôle secondaire au moyen âge ; par exemple, le but principal de la
politique de Valdemar x\tterdag fut de créer un pouvoir royal ferme
et presque absolu. De même Marguerite chercha à subjuguer les
nobles Danois si puissants , à dompter la haute noblesse suédoise,
à diminuer l'influence du conseil (rigsraad) et à maintenir son
autorité intacte en laissant vacantes les hautes charges de la cou-
1. Archaeologisch-Epigraphische Mittheilungen fiir Œsterreich. 1882, Juli.
Inschrifien ans der Bobroudscha, von Gr. G. ïocilescu.
2. Kr. Erslev. Dronning Margrethe og Kalmarunionens Grundlxggelse,
1882. Jac. Erslev.
392 BULLETIN HISTORIQDE.
roniie. Les raisons qui poussèrent Marguerite à établir l'Union se
montrent par la manière dont elle l'a mise ensuite à exécution-, ainsi
l'on ne voit pas qu'elle ait jamais songé à réunir les trois nations
en un seul État ^ elle a donné des fiefs et des évêchés en Suède à des
Danois; elle a marié ses vassaux danois à des suédoises, mais
d'autre part elle n'a pas introduit de Suédois en Danemark. Loin de
chercher à éveiller le sentiment national par des guerres contre les
Allemands, elle se servait de vassaux allemands pour soutenir son
pouvoir. C'est la suprématie du Danemark qu'elle a voulu établir
dans les trois pays. Aussi le traité de Calmar, qui conservait l'admi-
nistration et les lois particulières de chaque nation, ne pouvait-il pas
plaire à la reine ; et c'est ce qui explique, d'après M. Erslev, pour-
quoi ce traité n'a jamais été qu'un acte provisoire ; on sait en elTet
qu'on n'en a jamais dressé un instrument officiel et détaillé, et que
plusieurs personnes nommées comme lémoins ne l'ont pas signé.
Nous doutons fort que le professeur Erslev ail dit le dernier mot
sur l'union de Calmar et sur l'idée qui l'inspira. La crainte de se
laisser influencer par des idées modernes ou trop optimistes semble
avoir inspiré son opinion, qui n'est pas exacte de tout point. Nous
sommes d'accord avec M. Erslev pour admettre que le but principal
de la reine était de fonder un i)ouvoir royal ferme et puissant ; les
pays Scandinaves en avaient le plus grand besoin et c'est justement
le grand mérite de Marguerite d'avoir mis un obstacle à l'intlucnce
des États allemands dans le Nord en fondant ce pouvoir. Mais la
conclusion que tire l'auteur de son administration après ^ 397, quant
à ses idées principales sur l'union Scandinave, ne nous semble pas
décisive. Rien n'empêche que la reine, pendant qu'elle préparait son
plan, n'ait eu l'idée d'un rapprochement plus intime entre les trois
nations et qu'elle n'ait été obligée de l'abandonner, quand elle eut
Oni par régner sur les trois royaumes. Il n'est pas rare dans l'histoire
des hommes d'État, que, arrivés au pouvoir, ils se voient forcés
de changer, au moins pour quelque temps, leurs vues politiques.
Ailleurs, M. Erslev élève trop légèrement des soupçons contre les
intentions et la sincérité de cette grande princesse, et il ne semble
pas avoir bien remarqué à quel degré les récits sur Marguerite et sur
son administration sont dus à des étrangers ou à des personnes hos-
tiles à sa politique. Malgré ces objections l'ouvrage de M. Erslev est
important au plus haut degré : ses études des sources témoignent
d'une critique très fine, il a fouillé partout dans les archives et dans
les livres pour trouver les matériaux si dispersés et si morcelés sur
lesquels il a fondé son opinion. C'est un ouvrage capital pour toute
cette époque ; on peut le comparer à l'œuvre si solide et si intéres-
DANEMARK. 303
santé du professeur Schœfer à léna sur les villes hanséatiques el sur
Valdemar Atterdag.
L'architecte Lceffler a publié un excellent livre sur nos églises
du style roman '. En dehors de ses beaux châteaux de la renaissance,
le Danemark est représenté au point de vue architectonique surtout
par ses églises du style roman bâties pendant la période dite des Val-
demar (1 -107-1241). Après que la nation eut vaincu et expulsé ses enne-
mis, il se produisit un vif mouvement d'activité surtout parmi le
clergé, dont les grands prélats, appartenant pour la plupart à nos
familles les plus nobles, favorisaient toute sorte de culture. Quelques-
unes de nos églises sont plus anciennes, par exemple les belles
cathédrales de Lund, de Ribe et de Viborg, mais la plupart sont de
la même époque. Le pays n'était pas riche en pierre ; il a fallu
employer le granit et le travertin, ou faire venir des pierres des
autres pays. La ville de Ribe faisait un commerce étendu avec les
pays de l'Ouest; ses navires lui apportèrent le tuf du Rhin. La cathé-
drale de Ribe ainsi qu'une foule d'églises du voisinage sont cons-
truites avec cette pierre prise à Andernach, et même le style de la
cathédrale est conforme à celui des anciennes églises de Cologne,
d'Andernach, etc. A la fin du xii*^ siècle, nous commencions à cuire
de la brique et à l'employer dans la construction des égbses. Au
XIV® siècle, on bâtit moins, et le gothique n'est représenté chez
nous que par un petit nombre de monuments. La cause en est dans
la décadence du pays. Les villes hanséatiques avaient pris le dessus
dans le commerce. Au moment où celles-ci construisaient leurs
belles églises et leurs intéressants monuments au moyen des richesses
acquises dans le Nord, le Danemark était déchiré par la guerre
civile, et nos ressources pécuniaires étaient épuisées. Il nous man-
quait aussi une pierre facile à tailler comme le grès, qui aurait pu
servir aux formes multiples du gothique.
Nous relevons un autre trait dans l'histoire de nos éghses : assez
souvent, elles ont été construites pour servir en même temps de
forteresses. Cette destination se démontre tout spécialement dans les
églises élevées dans l'Ile Bornholm ; sur ses quinze églises du moyen
âge, il n'en est pas moins de treize qui ont été construites de manière
à pouvoir offrir une défense aussi forte que possible contre l'ennemi.
Il faut surtout remarquer les quatre églises rondes, bâties comme
le donjon du moyen âge, avec leur nef circulaire, un chœur
1. J. B. Lœffler. Udsigt over Danmarks Kirkebijgninger fra den tidligcre
Middel aider (den romanske Période). Aux frais de la fondation Carlsberg. Avec
beaucoup d'illustrations. 1883. (C. A. Reitzel.)
394 BULLETIN HISTORIQUE.
et une abside en demi-cercle ; dans l'une d'elles, on trouve même
une galerie, avec des embrasures et des créneaux. L'ouvrage de
M. Lœffler est aussi intéressant que solide ; cet architecte, qui est
aussi un archéologue très savant et très compétent, a étudié de près
chaque monument; dessinateur excellent, il a illustré son livre
par une grande collection de belles figures gravées sur bois.
Le pasteur A. Fabricics a écrit un petit livre sur les rapports des
pays du Nord avec l'Espagne dans les temps anciens '. Il commence
par des études sur l'affinité des Visigoths et des Scandinaves,
puis il nous raconte les expéditions des Normands en Espagne,
les croisades et les pèlerinages des Scandinaves en ce pays.
L'auteur, qui sait l'espagnol et qui connaît bien la littérature
du moyen âge, a recueilli ses notices avec beaucoup de diligence
dans les sources étrangères et dans les sagas et chroniques du Nord.
Nous lui ferons cette objection, qu'il cite quelquefois de seconde
main sans le dire, et que ses explications philologiques ne sont pas
toujours à l'épreuve de la critique. Mais on peut consulter son livre
avec profit, et, s'il ne forme pas un ensemble, il est au moins bon
de trouver recueillis en un seul livre une foule de renseignements
sur les rapports de ces deux pays si éloignés l'un de l'autre.
Pendant les années ^ 51 o- 1 ;J, un jeune Danois, Christiern Pedersen,
étudiait à Paris. A son retour en Danemark, il fut nommé chancelier
de l'archevêque de Lund, mais, exilé quebjues années plus tard avec
le roi Christian II, il passa quelque temps dans les Pays-Bas. En
-io32, il revint dans son pays et y vécut tranquillement jusqu'à sa
mort (en -ioo4). Pendant cette vie errante il s'est occupé de travaux
littéraires ; nous lui devons la première édition de Saxo Gramma-
ticns et la traduction de beaucoup de livres romanesques du moyen
âge ; il a composé un sermonnaire, un livre d'heures, etc. , et tous ces
livres dans sa langue maternelle sont écrits dans un langage aussi
beau que simple et naturel. C'est la première fois que nous possé-
dions en Danemark une littérature danoise en prose. Sans être un
auteur vraiment original ni un profond penseur, il a su éveiller l'es-
prit national et le sens historique -, il a répandu dans le peuple beau-
coup de connaissances religieuses et morales. On voit que Christiern
Pedersen a joué un rôle semblable à celui de Luther en Allemagne
et à celui d'Olaus et de Laurentius Pétri en Suède. Ce n'est pas sans
raison qu'on l'a appelé le fondateur de la littérature danoise. Il
mérite bien la biographie assez étendue que le pasteur Brandt vient
1. A. Fabricius. Forbindelserne mellem Norden og den spanske Halvœ i
xldre Tider. 1882. (Gad.)
DANEMARK. 395
de lui consacrer '. On n'y trouvera pas beaucoup de faits nouveaux,
mais la rareté des sources rendait presque impossible d'en dire
davantage.
M. Troels Lund a continué son ouvrage sur le Danemark et la
Norvège à la fin du xvi'= siècle^. Le vol. IV traite du costume, le
vol. V de la nourriture et des repas. Ces deux volumes sont meil-
leurs que les précédents. L'auteur a mieux su faire son cboix parmi
les documents; il ne hasarde pas autant d'opinions mal (ondées ; le
volume consacré au costume contient toute une série de belles
illustrations. Le travail est assez consciencieux : Tauteur s'ellbrcc
d'épuiser les sources de cette époque ; mais il connaît mal le moyen
âge, et il ne distingue pas bien les mœurs de notre pays de celles de
l'étranger ; de là des erreurs très graves.
On a longtemps cru que l'absolutisme fut introduit en Danemark
pour ainsi dire par suite d'un accident ou d'une ruse. La bourgeoisie
et le clergé se sont entendus pour écraser la noblesse, qui s'était mon-
trée si funeste dans les dernières guerres -, mais ils n'ont pu empêcher
le roi d'en profiter pour organiser à l'aide d^une habile manœuvre le
pouvoir absolu. Pendant la diète d'octobre -1060, le roi, grâce à l'as-
sistance des deux États, obtint que son droit fût reconnu héréditaire
et la capitulation de K)48 fut annulée ; il fallait donc organiser un
nouveau gouvernement. Un projet d'ordonnance royale du 4 no-
vembre indique qu'une constitution parlementaire avait été pro-
jetée, et parle de la convocation des États Les afiaires prirent
une marche toute différente, et le -10 janvier ^66^ une déclaration
fut publiée qui reconnaissait l'hérédité royale et le pouvoir absolu ;
le roi eut même le droit de déterminer plus complètement la forme
du gouvernement. Ce document a été signé partout en Danemark et
en Norvège.
Dans un mémoire très intéressant {Ilisforisk Tidsskrift, vol. II),
le bibliothécaire M. Ghr. Brudn a démontré qu'on a eu tort de croire
que le roi s'était emparé frauduleusement du pouvoir; l'ordon-
nance qu'on a invoquée pour prouver cette allégation na jamais
été promulguée. Ce n'est qu'un projet imaginé, comme on en trouve
plusieurs autres, par un simple particulier qui a exposé ses idées
sur une réforme du gouvernement. En réalité l'absolutisme a été
introduit par les cérémonies du 18 octobre et du iA novembre.
1. C. J. Brandt. Om Lunde-Kanniken Cliristiern Pedersen og hans Skriflcr.
1882. (Gad.)
2. Troels Lund. Danmarks og Norges Historié i Sluiningen af det 16de
Aarhundrede. I. Indre Historié. Vol. IV- V. 1882-83. (C. A. Reitzel.J
3!)6 BULLETIN HISTORIQUE.
lorsque les quatre États rendirent solennellement hommage au roi
en qualité de monarque héréditaire ; légalement Tabsolutisme date
de la déclaration du 10 janvier. Ces détails n'étaient pas inutiles
pour calmer les gens qui craignaient que cette forme du gouverne-
ment, en vigueur pendant deux siècles, n'eût été introduite par une
ruse ou par un accident.
La forme du gouvernement fut finalement fixée dans la Loi Royale
du U novembre -1665. L'auteur ou le rédacteur principal est le
célèbre Schumacher, plus tard anobli sous le nom de Griffenfeld. Le
colonel Vaupell vient de terminer la biographie de ce grand homme
d'États
Depuis longtemps on désirait avoir une étude approfondie et
détaillée sur le caractère, les talents et la politique de Griffen-
feld, qu'on a toujours admiré, mais plutôt d'instinct, que par
une connaissance profonde de ses idées et de son activité. M. Vau-
pell apporte de nouvelles lumières sur son histoire , et il a
enrichi son ouvrage d'une série de documents inédits ; mais il est
loin d'avoir résolu le problème. Il manque de pénétration ^ il consi-
dère Griffenfeld comme un esprit trop droit et trop simple. Il aurait
fallu étudier le développement de son caractère pendant sa jeunesse,
et comment il devint si orgueilleux et si hautain -, de même il oublie
de raconter comment sa longue captivité fit naître en lui l'humilité
et la piété. En outre pourquoi l'auteur ne nous peint-il pas les autres
personnes de cette tragédie avec leurs caractères si intéressants et si
différents ? C'est bien d'être enthousiaste, si on possède le contre-
poids nécessaire dans sa critique ; mais celle-ci fait défaut chez
M. Vaupell, qui d'ailleurs ne connaît pas assez toutes les voies
secrètes et les menues ramifications de la politique européenne. Dans
un compte-rendu du livre, M. Fridericia a essayé de pénétrer un peu
plus avant dans les idées politiques de Grifienfeld. Il ne croit pas à
la sincérité de ses sympathies pour la Suède ; il prétend que sa poli-
tique ne doit pas être regardée comme ayant préparé ces idées Scan-
dinaves du xviiie ou du xix« siècle. Il lui refuse le mérite de la pré-
voyance ; il définit son talent comme une éminente intelligence de
Tactuel et du possible ; il lui attribue une rare faculté de louvoyer
au milieu des situations difficiles. Griiï"enfeld était plein d'ambition
pour son pays et pour lui-même ; il croyait aveuglément à sa bonne
étoile, comme il l'a écrit le 30 mars 167:3 à Meyercrone à La Haye :
« Je m'abandonne aveuglément à mon destin et laisserai faire à ma
1.0. Vaupell. Rigskansler Grev Griffenfeld. Et Bidrag lil Nordens Historié
i det 17de Hundredaar. Vol. I-II. 1880-82. (C. A. Reilzel.)
DANEMARK, 397
bonne fortune, qui est toujours accoutumée de mener mon vaisseau
dans un bon port. » Sa chute subite aura dû être d^autant plus dure.
Nous ne pensons pas que M. Fridcricia ait dit le dernier mut sur ce
personnage ; il avoue lui-même qu'il reste encore trop à étudier,
mais des recherches comme les siennes démontrent comment il aurait
fallu entreprendre une telle tâche. Du leste nous notons avec plaisir
que le livre de M. Vaupell est écrit d'un style chaleureux et frais et
quelquefois animé par un certain entraînement soldatesque.
A cette même époque et à l'histoire de Griffenfeld se rapporte la
monographie de M. le pasteur Hiiisca ^ sur : « l'élection royale en
Pologne de 1G74. » Pendant une partie de cette année on travailla
ici et en Pologne pour la candidature du prince George, frère de Chris-
tian V (plus tard époux de la reine Anne) ; mais le prince avait peu
d'inclination pour le catholicisme, et ce plan échoua. Les documents
sur ces négociations ont été publiés dans le bulletin des archives [Gehei-
mearchivets AarsberetniMjer^ vol. V). M. Brasch raconte la marche
et le dénouement des affaires ; il donne quelques renseignements sur
les personnages qui y jouèrent un rôle, et c'est justement la peinture
des caractères qu'on cherche en vain dans le livre de M. Vaupell.
Selon l'auteur les débuts de cette négociation ont fourni au roi le
prétexte de choisir subitement GrilTenfeld pour son chancelier et de
le nommer chevalier de l'ordre de l'Éléphant.
Nous arrivons à une autre victime des premiers rois absolus :
Léonore Christine, fille de Christian IV, épouse du comte d'Ulfeldt
et comme Griffenfeld condamnée à la prison pendant bien des
années. M. Birket Smith a publié le second volume de sa belle bio-
graphie de cette dame"-^, et termine ainsi toute une série de travaux
qu'il avait commencés , pai- l'édition du Jammersminde (souvenirs
de mes douleurs). Cette biographie restera longtemps une source
capitale pour l'histoire de cette époque. Dans le second volume nous
voyons les deux époux emprisonnés à Hammershus, la tentative
malheureuse qu'ils firent pour s'échapper, leur séjour en Danemark
après le pardon et leur dernier voyage à l'étranger. Ulfeldt entama
de nouvelles négociations avec les ennemis du Danemark ; mais sa
trahison fut découverte, et il mourut fugitif-, il fut enseveli aux bords
du Rhin. Charles II fut assez ingrat pour faire emprisonner Léonore
Christine et la livrer à ses ennemis ; pendant vingt-deux ans elle
1. Chr. H. Brasch. Det polske Kongevalg, 1674. MedHensijn til Prins Georg
af Danmark. ISSl. (C. A. Reilzel.)
2. S. Birket Smith. Leoiwra Christinu Grevinde Ulfeldls Historié. Med
Bidrag til hendes .Egtefaelles og hendes nœnnesle Slœgts Historié. Vol. I-ll.
1879-81. (Gyidendal.)
398 BULLETIN HISTORIQUE.
languit dans une prison rigoureuse. Quand enfin la reine mère
Sophie-Amélie, son irréconciliable ennemie, mourut, elle obtint la
liberté et vécut treize ans au couvent de Maribo, toujours active et
occupée d'études littéraires. Sa vie est un roman comme il y en a
peu; sa captivité décrite par elle-même et le changement que son
caractère y subit, n'en sont pas les parties les moins intéressantes.
M. Smith a traité ce sujet avec toute la finesse de goût et le sens
psychologique nécessaires. Il ne se contente pas de nous raconter et
de nous expliquer les faits ; il s'efforce encore de les considérer dans
leurs rapports avec les motifs et les caractères des personnages.
Peut-être y a-t-il un coté de la vie de Léonore Christine que Fauteur
a vu trop en beau, savoir sa conduite en qualité d'épouse d'Ulfeldt.
Sans doute on ne saurait nommer une épouse plus fidèle, plus
dévouée à la fortune bonne ou mauvaise de son mari, mais on peut
cependant se demander si elle ne lui a pas trop obéi. Il est vrai qu'à
cette époque on exigeait de la part de la femme une soumission plus
complète au pouvoir du mari-, mais chez cette âme forte et éclai-
rée on ne peut parler de soumission ; elle a été la compagne libre
de son époux, qui l'aimait en l'admirant. Danoise conmie son mari
et fille du roi de Danemark, il semble douteux qu'elle ait trempé
dans les plans d'Ulfeldt contre sa patrie; mais on ne voit pas qu'elle
l'en ait empêché. Il est possible, comme l'a dit M. Smith, qu'elle
n'ait rien su des derniers projets d'Ulfedt pour exciter le Brande-
bourg contre les Danois; à une époque antérieure Ulfedt lui avait
sans doute confié tous ses plans, et elle semble l'avoir suivi aveu-
glément. Son amour pour sa patrie paraît avoir été étouffé par les
mauvais traitements qu'on lui avait fait éprouver ; mais, si l'on pense
à ses souffrances pendant sa longue captivité dans la Tour Bleue, on
est plutôt porté à admirer son héroïsme, son intelligence limpide, sa
piété sincère.
M. Birket Smith a publié un autre livre qui touche en partie à la
même époque ; c'est un recueil formé des études qu'il a faites sur
Fancien drame et sur les auteurs dramatiques du Danemark ' .
Parlons aussi d'un poète espagnol, le comte Bernardino de Rebol-
ledo. Cet auteur occupe une place honorable parmi les épigones de
l'âge d'or de la poésie espagnole. Après avoir combattu bravement
dans la guerre de la succession de Mantoue et dans la guerre de
Trente ans, l'empereur le créa comte de l'Empire et se servit de lui
pour des négociations diplomatiques. En -l()48, il fut envoyé par
1 . S. Birket Smilh. Studier paa det garnie danske Skuespils Omraade. 1883.
(Gyldendal.)
DANEMARK. 3<)9
l'Espagne à la cour de Copenhague, où il passa onze ans. Sans
jouer un grand rôle, il observait plutôt les intrigues, si nom-
breuses alors à la cour de Copenhague, qu'il n'y prenait part.
M. GiGAs, qui est bien versé dans l'histoire littéraire de l'Espagne,
et qui a étudié avec diligence la correspondance de ReboUcdo aux
archives de Simancas, a consacré un fort volume ' à son séjour à
Copenhague. On n'y trouvera pas beaucoup de renseignements nou-
veaux sur la poUtique, mais le livre est très riche en traits qui ])ei-
gnent le temps et le poète. Rebolledo a dédié à la reine Sophie-Amélie
son livre Selvas Danicas, qui, à ce qu'il paraît, a dû lui plaire beau-
coup ; on a même dit qu'il avait cherché à convertir la cour à la loi
catholique. M. Gigas combat cette opinion. Il n'y a pas en effet dans
la correspondance de l'ambassadeur un seul mot sur ce projet. Dans
un de ses poèmes, il invite le roi à faire revivre la vraie croyance
dans les églises danoises, mais c'est plutôt le poète que l'homme
qui parle ainsi. D'ailleurs ses relations avec la cour n'étaient pas
assez intimes pour qu'il pût viser à un tel but. Du moins ne peut-
on parler d'un essai pareil à celui qui fut tenté de conquérir à la foi
catholique la fille de Gustave-Adolphe, tentative qu'avaient prépai'ée
si longtemps auparavant le pape et la cour d'Espagne. Il est vrai
qu'en 1655 le gouvernement danois promulgua une ordonnance qui
défendait aux prêtres des ambassadeurs de faire des sermons ou de
donner la communion en dehors des palais de leurs maîtres ; mais
cette défense fut motivée par la rencontre accidentelle qui eut lieu
entre un domestique de Rebolledo et un pasteur danois. Rebolledo
semble avoir été d'un naturel sérieux et aimable; c'était un homme
pieux et spirituel; dans ses lettres, il se plaint souvent du mauvais
état de sa santé et surtout de ses finances.
M. Meiborg a publié un petit livre sur la vie et les cérémonies à la
cour de Christian V'^.
Nous avons à parler maintenant d'une œuvre capitale, à savoir l'édi-
tion de la correspondance ministérielle de J. H. E, Bernstorff ^ et la
biographie de cet éminent homme d'État, par M, P. Vedel, directeur
du ministère des affaires étrangères ''. L'auteur est connu par divers
1. Emil Gigas. Grev Bernardino de Rebolledo, spansk Gesandt i Kjœben-
havn. 1648-1659. 1883. (Sctiubothe.) Avec un beau portrait du comte et quelques
documents inédits.
i. Billeder af Livel ved Christian den Fertiles Baf. 1882 (Gad.).
3. P. Vedel. Correspondance ministérielle du comte J. H. E. Bernstorff.
1751-70. Vol. MI. Aux frais de la fondation Carlsberg. 1882. (Gyldendal.)
4. P. Vedel. Den xldre Grev Bernstorifs Ministerimn. Indledning tii « Cor-
respondance ministérielle. «PaaCarlsber^FoudeusBeiiostning. 1882. (Gyldendal. )
400 BULLETIN HISTORIQDE.
traités sur la diplomatie du Danemark au xviii* siècle cl par son
intéressant recueil de lettres échangées entre Bernstorff et Choiseul.
Cette biographie est digne en tous points d'un homme d'État aussi
supérieur et d'un personnage aussi sympathique que l'était Bern-
slorlT. C'était un plus beau caractère que Grifîenfeld; sa vie fut
aussi plus heureuse. Il eut enfin le bonheur de servir un roi moins
jaloux que ne l'était Christian Y, et qui eut au moins le mérite de
savoir choisir pour ministres des hommes de grande habileté et d'une
honnêteté sans tache. Des aventuriers allemands provoquèrent sa
chute en ^770, mais il vécut assez longtemps pour voir leur ruine à
la révolution de janvier ^772; un mois plus tard, Bernstorff mourut.
Sa politique devint celle que suivit le Danemark dans la dernière
partie du siècle.
Quel contraste singulier entre ce livre et la correspondance poli-
tique de Frédéric II, qu'on est en train de publier en Prusse ! Bern-
slorfî était d'un caractère trop doux pour pouvoir haïr Frédéric II,
mais il n'avait nulle sympathie pour sa politique violente. A une
époque où la diplomatie foulait aux pieds, on peut le dire, avec un
véritable cynisme, Thonneur et les promesses, il est étrange d'en-
tendre un homme d'État déclarer comme un principe que « l'honnê-
teté est la meilleure des politiques, » et « qu'une guerre entreprise
sans juste cause, je dis plus, sans nécessité, me parait la plus redou-
table de toutes les résolutions que les hommes puissent prendre. »
Cette opinion n'est pas d'ailleurs une belle phrase, dite pour plaire
aux philosophes du temps ou pour flatter les philanthropes ; au con-
traire, elle marque le caractère même de toute la politique de Bern-
storff. De même, Findifférentismc religieux de Frédéric II n'aurait
pu plaire à un homme aussi sincèrement religieux que l'était Bern-
storlf. Le roi de Prusse rendait pleine justice aux talents de ce
ministre, lorsqu'il écrivait en 1702 : « Le Danemark possède Bern-
storff et sa flotte, » mais il le haïssait, et il le dénonça plusieurs fois
auprès de Louis XV comme espion anglais. De son côté, Bernstorff
avait Toeil ouvert sur les projets ambitieux de la Prusse, et il détes-
tait la vigueur de son gouvernement militaire. Le 23 février, il écrit
à M. de Cheusses, à la Haye : « Souvenez-vous (jue cette monarchie
prussienne, dont vous souhaitez si ardemment la grandeur, a encore
besoin d'accroissements pour subsister. L'Autriche, la France, déjà
arrêtées par leur propre poids, ne s'émeuvent plus avec tant de
vivacité ni d'audace. Je les compare à des corps gras et pesants qui
n'ont plus ni l'inquiétude ni la convoitise bien allumées. Leur esto-
mac est rempli jusqu'à satiété et tranquille. La monai'chie prus-
sienne, au contraire, est un corps encore jeune et nerveux, son
DAXEMARK. 40<
appétit est toujours allumé, ses mouvements sont vifs et violents ; il
cherche à acquérir cet embonpoint, dont ses rivaux jouissent. De
qui le prendra-t-il, monsieur ? — Dernière question. Aimez-vous les
gouvernements militaires et leur despotisme, qui, plus sévère que
celui des cours de l'Asie, supprime toute liberté naturelle et civile ?
Trouverez-vous heureux que tout soit j^^uerrier, ou que toul s'efface
devant cet intérêt, qu'il n'y ait point d'autre gloire ni fortune que
celle des armes ; aimez-vous qu'un État voisin soit un camp et que
ses voisins soient forcés à le devenir eux-mêmes ? »
Le désir de Bernstorfî de protéger le droit des neutres lui fit
conclure le traité de la neutralité armée, par laquelle il revendique
pour le commerce le respect des principes, qui ont fini par être
reconnus et adoptés par le droit des gens. Bien que le Danemark
restât neutre, il ne voulait pas qu'il se désintéressât de la politique
étrangère. L'armistice de Gloster-Zeven montre même que parfois
il s'est risqué presque trop loin -, M. Vedel cherche à défendre sa
conduite sur ce point. Le but principal que se proposait Bernstorff,
c'était de mener à bonne fin les querelles avec la maison Holstein-
Gottorp au moyen d'un contrat d'échange. Il cherchait à mettre à
profit toutes les complications de la guerre de Sept ans. On put
croire qu'il allait toucher au but, quand la France, arrêtée par
Bernstorff qui la menaça de se joindre à ses ennemis, s'efforra
d'amener la Russie à une solution définitive. Mais ÉlisaJK'tli mourut
subitement, et Pierre III monta sur le trône. Bernstorff sentit bien
qu'il allait perdre tout ce qu'il avait préparé. Mais il se montra plus
ferme que jamais ; tout convaincu qu'il est du danger extrême où se
trouvait le pays, il écrit, le ^9 février -1762, à M. de Schack, à
Stockholm : « Vous direz à notre ami que dans cette crise il ne s'agit
point de songer à soi-même et de se soustraire aux dangers dont on
pouvait être menacé, mais qu'il faut être ferme et s'ensevelir, si telle
est la volonté de la providence, sous les ruines de sa patrie et de sa
liberté. » Pas un moment il ne perd courage, et les opérations diplo-
matiques se continuent sans délai. M. Yedel montre les moyens qu'il
a employés, et comment le diplomate russe Saldern, dont Bernstorff
avait entrevu l'habileté, travailla pour la cause danoise. Ainsi la
guerre fut évitée ; les mois d'hiver s'écoulaient, el Bernstorir jtrépa-
rait l'armée, quand enfin la mort de Pierre III changea la situation.
Bernstorir aimait mieux voir chez les autres les bonnes qualités
que les mauvaises, et parfois il est trop optimiste. Aussi n'a-t-il pas
toujours assez finement observé l'état intérieur des pays ; par
exemple il ne voit pas la faiblesse de la Turquie ou la malheureuse
condition intérieure de la France. M. Vedel aurait pu çà et là blâmer
Rev. Histor. XXV. 2« fasc. ^G
^02 BULLETIN HISTORIQDE.
les idées de Bernstorff; mais en définitive le portrait qu'il nous trace
de cet homme d'État est si fin et si bien fondé qu'il mérite de grands
éloges. Remarquons en terminant que le style des dépêches de
Bernstorfî est très digne d'attention ; à la fois vigoureux et précis, il
est plein de chaleur et d'esprit et contient souvent des idées d'une
portée générale ; enfin on notera que Bernstorff s'exprime presque
plus facilement en français que dans sa langue maternelle.
Deux auteurs ont traité de la littérature de cette période : feu
PALUDAN-MiiLLiiR dans son intéressant exposé de l'historiographie au
xviii'' siècle [Historisk Tidss/irift, vol. 4), et M. le professeur Edv.
HoLM, dans ses études sur les idées du temps relatives au pouvoii'
royal et à la liberté civile ^ Gomment les idées de Voltaire, de Mon-
tesquieu, de Rousseau furent-elles accueilUes en Danemark? Il ne
semble pas que Rousseau ait été l'objet d'une attention spéciale 5 d'autre
part Montesquieu a été attaqué par Holberg et par Kofod Ancher.
On croyait que Montesquieu avait songé au Danemark en traçant le
tableau d'un gouvernement despotique, et l'on voulait montrer la
différence entre un gouvernement absolu et ce despotisme. Le philo-
sophe français a plutôt- pensé à un empire d'Orient ; il a d'ailleurs
parlé d'une manière vague, et sans bien observer les nuances dans
la constitution des monarchies. M. Holm a aussi recueilli diverses
remarques d'étrangers, qui témoignent à quel point notre constitu-
tion était estimée a l'étranger, quoiqu'elle ne répondit pas aux doc-
trines des philosophes. C'étaient surtout le respect pour les lois et le
droit des particuliers qui attiraient l'attention. Tousles sujets étaient
sûrs d'obtenir devant les tribunaux une sentence impartiale, et, par
une règle qui ne souffrait pas d'exception, le roi et l'administration
ne se mêlaient pas des jugements que ces tribunaux rendaient.
C'était autre chose en Autriche et en Prusse, où Joseph II ou Fré-
déric Il annulaient assez souvent les décisions de la justice. — Enfin
M. Stolpe a terminé son livre sur la presse journalière en Danemark
jusqu'au miheu du xviii* siècle^.
En 171)9, le poète P. A. Heiberg fut exilé du Danemark à cause de
ses attaques malignes et continuelles contre le gouvernement. Il par-
tit pour Paris, où il resta pendant tout le reste de sa vie. Sa connais-
sance des langues étrangères fut utilisée dans les bureaux de Tal-
leyrand, mais son talent, en même temps poétique et politique,
1. E. Holm. Om det Syn paa Kongemagt, Folk og borgerlig Frihed, der
udvihlede sig i den dansk-noiske Stat i Midten af \Me Aarhundrede {17^6-70}.
1883. (Gad.)
2. P. M. Stolpe. Dagspressen i Danmark. Vol. I IV. 1878-82.
DANEMARK. 403
s'évanouit : il n'écrivit presque rien. Fidèle à ses idées politiques et
religieuses d'autrefois, il s'indignait de son compagnon d'infortunes
Malte-Brun, qui semblait avoir oublié ses opinions antérieures; il ne
le vit que rarement et vécut assez isolé. Ce n'était non seulement
l'exil qui lui inspirait cette amertume ; il avait encore éprouvé une
autre douleur très grande. Un an après son départ, sa femme
demanda le divorce ; depuis plusieurs années elle en aimait un autre,
le baron Gyllembourg. (Test seulement à ce moment que lleiberg
sentit ce qu'il allait perdre. Elle avait dix-sept ans quand elle épousa
Heiberg: mais à la longue, l'esprit dur et austère de son mari rebuta
sa complexion délicate et amoureuse. La honte et la douleur de
perdre sa femme, qu'il aimait au fond de son cœur et qu'il estimait,
lui firent faire auprès d'elle diverses tentatives désespérées avant
qu'il consentît au divorce. Elle épousa Gvllembourg. Le fils (|u'elle
avait eu de Heiberg, Johan Ludvig, qui plus tard devait être un
célèbre poète, fut confié au soin d'autres personnes. En -1815, Gyl-
lembourg mourut; la mère et le fils se trouvèrent alors rapprochés
pour toujours; enfin elle obtint le pardon de Heiberg. Rn ^827, son
fils publiait une nouvelle anonyme, dont elle était l'auteur, « une
histoire de la vie journalière, » qui bientôt fut suivie par d'autres;
sans quitter le voile de l'anonyme, elle s'est fait un nom considérable
dans notre littérature moderne. Elle mourut en 1850. Sa belle-fille
vient de publier toutes les lettres relatives à cette partie de l'histoire
de Thomasine Gyllembourg et de P. îi. Heiberg'. Ces lettres intimes
ont eu un succès prodigieux : elles en sont à leur troisième édition.
Nul roman n'aurait pu peindre d'une manière plus saisissante et plus
dramatique le conflit qui se déclara entre des personnes d'un carac-
tère si différent ; on croit voir devant soi cette maison bourgeoise de
1793, où les envoyés de la République française répandaient les idées
de liberté individuelle et politique. Aussiya-t-il un charme véritable
dans le langage et dans le style de cette jeune femme naïve et spiri-
tuelle à la fois. On a dit que l'éditeur, dans le récit dont elle accom-
pagne ces lettres, s'est montrée un peu trop paitiale pour sa belle-
mère. La polémique suscitée par le livre a provoqué d'autres livres
et recueils de lettres. Mais, selon nous, ces livres, au lieu de combattre
l'opinion de M"'*= Heiberg, prouvent qu^en général elle a trouvé la
note juste pour apprécier les personnes de ce drame '■^.
1. Johanne Luise Heiberg. Peter Andréas Heiberg og Thomasine Gijllem-
bourg. 1882. (Gyldendal.)
2. I. L. Heiberg. Brève fra P. A. Heiberg. 1883. (C. A. Reifzel.) — Cli.
Thaarup. P. A. Heiberg. Seconde édition, 1883. (Thaarup.) — yordisk Tidskrift.
404 BDLLETIN HISTORIQUE.
En fait de publications généalogiques et héraldiques, il a paru
plusieurs bons livres: ainsi la première année d'un nobiliaire danois,
par MM. Lorextzen et Thiset^. Outre des renseignements exacts sur
tous les nobles vivants, cet ouvrage contient la liste de toutes les
familles nobles; le volume de cette année va ainsi de la famille
Abildgaard à celle des Baden. Les tables sont suivies de belles gra-
vures qui représentent les armoiries des familles éteintes. Nous espé-
rons que cette entreprise réussira. Les matières de ce livre sont
recueillies avec beaucoup de soin, et l'ouvrage témoigne d'une grande
connaissance de l'histoire des anciennes familles.
Le Dr. Henry Petersen a commencé un grand ouvrage in-folio
intitulé : Sceaux ecclésiastiques ^ -, nous espérons que ce sera un
traité complet sur les sceaux du moyen âge. Les planches sont soi-
gneusement dessinées, et la description est bonne. Le même savant
auteur vient de nous donner des études intéressantes sur un pavillon
danois suspendu à léglise Notre-Dame de Lubeck, et datant du com-
mencement du xv^ siècle, antiquité assez rare pour un tel objet.
L'auteur montre que ce dra])eau a été pris aux Danois dans une
bataille navale livrée devant Copenhague, et où les Danois furent
d'ailleurs vainqueurs. Il examine aussi les formes, les figures et les
couleurs du pavillon danois au moyen âge, ainsi que la signification
des ligures. A ce sujet, nous remarquons aussi que M. Lœfller, dans
une étude publiée par VHistorisk Tidsskrift^ vol. 11, prouve que le
Danebrog s'est conservé jusqu'à ce jour tel qu'il était dans les armes
de la ville de Reval, capitale de l'anciemie province danoise l'Es-
Ihonie.
M. llEisEa écrit l'histoire de la famille Rosenkrantz (vol. II); excel-
lent ouvrage, qui traite aussi des (juestions d'une portée générale"*,
M. UssiNG, professeur à Tuniversité, a raconté ses souvenirs d'un
voyage en Grèce et Asie-Mineure au printemps 18.S2''. Il y décrit,
sans aucun appareil d'érudition, les nouvelles trouvailles qu'on a
faites dans ce jwys. 11 y mêle aussi des réflexions originales. Ainsi,
il combat l'opinion de l'architecte IJohn, adoptée par le musée de
Berlin, sur la construction de Fautel à Pergame. M. Bohn soutient
quePautel a été entouré d'un mur et en outre d'une colonnade érigée
1883. — s. Biiket Smilti. TU Behjsning af Utcrxre Personer i Slutningen af
det \8de og Begijndelsen af det 19rfe Aarh. (A. F. Hasl.)
1. Hiort Lorenlzen og A. Thisel. Damnarks Adels Aarbog. 1884. (P. G.
Philipsen.)
2. Henry Petersen. Danske geistlige Sigiller fra Middelalderen. 2 cahiers.
Aux frais de la fondation Carlsberg. 1883. (Reitzel.)
3. A. Heise. Familien Rosenkrantz^ Historié. Vol. II. 1882. (Reitzel.)
.'i, J. L. Ussing. Fra Hellas og LiUeasien i Foraarei 1882. 1883. (Gyklendal.)
DAIVEMARK. ^O")
sur la grande terrasse que décorait la célèbre frise de la gigantoma-
chie; M. Ussing soutieiil au coniraire (|ii'un pareil genre de cons-
truction n'a jamais été employé (|ue dans des monuments funéraires.
et que les autels ont toujours été élevés isolés ou devant un temple.
11 nie aussi que les fouilles exécutées sur la terrasse aient montré les
traces d'une colonnade.
M. Andr/e a écrit pour le grand public une description de la Via
Appia ^ .
Un beau livre de vulgarisation, où l'on peut relever plusieurs
points de vue originaux, est celui de M. JœiicENSEv, intitulé : Quarante
narrations sur V histoire d%i Danemark ^.
Parmi les livres sur l'histoire de notre siècle, nous relèverons
l'exact et solide récit du règne de Frédéric VII par Thousoe^ et Tim-
portant ouvrage du capitaine Scerense^ : la guerre de 180-4''*, écrit
sur les documents officiels du ministère de la guerre. — M. Auxfelt
a publié le journal du prince Christian-Frédéric en Norvège en ^ SI 4 '\
— Nous devons au pasteur Petersex une bonne biographie de Hen-
rik StefTens^, — Parmi les éditions de textes et de documents, nous
signalerons : Kr. Erslev. Aktstijkker og Ophjsninger til Rigsraadefs
og Stxndermœdernes Historié i Kristian IV's Tid. r'' cahier (docu-
ments pour servir à Fhistoire du conseil et des États), 1.S83 (Klein).
— H. RœRDAM. Monumenta Historix Danicx. Historiske Kildcskrif-
ter. Cahiers 1-3, 1882-84 (Gad). — V. A. Secijek. Judicia P/ociti
Régis Daniœ Justitiarii. Samling af Kongens Rettertings Domme,
^. 395-1 G04, 188^83 (Gad).— 0. Nielsex, Garnie jydske Tingsvidner
(anciens témoignages rendus aux cours de Jutland), ^882. — Voici
les titres de quelques ouvrages topographiques : J. Ivrxcii. Ribe Bys
Historié (Gad), ^530-^660. — H. D. Lixd. Nyboder og dets Bcboerc,
^882 (Ivlewing-Evers). — H. Dahlerdp. Mariager Klosters og Bys
Historié, -1882 (Gyldendal). — Citons enfin un grand noml)re d'au-
tobiographies ou de livres sur des auteurs modernes, par exemple :
Fr. Vixkel Horx. N. F. S. Grundtvigs Liv og Gjerning, 1883. —
Grundtvig og Ingemann. Brevvexling, 182i--)9. — H. Martensen.
Af mit Levnet^ vol. I-III.
J. Steexstrup.
1. Poul Andrae. Via Appia, dens Historié og Mindesmserlier. Vol. I. 188Î.
— P. Andrae. Senecapaasin Villa ved dea Appiske Vei. 1883. (Gyldendal.)
2. A. D. Jœrgensen. Fyrreiyve Fortnellinger af Ixdrelandets Historié. 1882.
(Gad.)
3. Thorsœ. Kong Frederik den Syvendes Regering. Vol. I. 1882-84.
4. C. Th. Sœrensen. Ben anden Slesvigshe Krig. 3 vol, 1881-83. (Gyldendal.)
5. A. Ahnfelt. Kong Christian VlJl's Dagbog fra Regenttiden i Norge. 1883.
(Gyldendal.)
6. Richard Petersen. Henrili Siemens, 1881.
406 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Die rœmische Grundsteuer und das Vectigalrecht, par Bernhard
Matthiass, ^882. Erlangen, Ueichert, in-8° de 84 p.
Le livre de M. Matthiass se compose de deux parties bien distinctes.
La dernière, consacrée au Vectigalrecht, est essentiellement juridique :
l'auteur étudie surtout les rapports entre l'État et les particuliers au
point de vue fiscal. Nous n'avons pas à examiner ici cette partie. Dans
la première, il s'occupe de la Grundsteuer, du principe de l'impôt chez
les Romains. Il admet que jusque sous Caracalla il y eut un double
principe d'impôt : l'impôt sur le sol, pour les provinciaux, l'impôt sur
la fortune, pour les citoyens romains. « Les deux systèmes furent con-
servés, parallèlement l'un à l'autre, jusque sous Caracalla. A partir de
son règne, on commença à appliquer aux provinces le système du
tributum des citoyens romains (page 9). » Au iv" siècle, nous sommes
en présence d'un système unique. Le principe est alors , dans
tout l'empire, comme autrefois à Rome, l'impôt sur le capital. — La
théorie de M. M. est donc entièrement contraire à la théorie générale-
ment adoptée, suivant laquelle l'impôt provincial (foncier et i)ersonnel)
aurait été étendu, sous Dioclétien, à l'Italie et aux citoyens romains :
suivant lui, c'est le tributum civium romanorum (sur le capital) qui
aurait été introduit dans les provinces.
M. M. sait beaucoup de clioses : il a lu infiniment d'auteurs, et il
serait difficile de rêver une bibliographie plus riche que celle (jui remplit
les notes du livre. Mais il a trop étudié les dissertations, et pas assez
les textes. Il en est résulté qu'il a été séduit et égaré par les théories
d'un homme fort habile et de premier mérite d'ailleurs, Rodbertus
Jagetzow. Rodbertus est dangereux : ses idées ont toujours quelque
chose d'attrayant, de nouveau, qui gagne au premier abord ; mais elles
sont loin d'être conformes à la vérité historique, à celle qui ressort des
textes. Il en est de même de celles de M. M., qui en dérivent. Son his-
toire de l'impôt romain appartient au domaine de la théorie , on serait
presque tenté de dire de l'allégorie. Elle est trop simple pour être
vraie. Cette opposition primitive entre les deux systèmes n'a guère
existé ; les provinces n'ont jamais payé exclusivement l'impôt foncier ;
on ne l'a pas appliqué dans toutes les provinces ; le tribut des citoyens
romains n'existe plus au second siècle ; les citoyens qui habitent
la province sont soumis aux impôts provinciaux. Au iv» siècle,
il y a une contribution foncière que les textes distinguent bien des
autres : c'est la terre qui paye et non les personnes ; l'impôt est mis sur
JoeL : blickj: i\ nii; iikligionsgeschichte. 'i07
le sol en tant que sol, non pas en tant qu'objet do propriété. Ce <|u'il
est très vrai dédire, et M. M. a eu raison de le faire remarquer, c'est que,
dans le système financier d'alors, il y a beaucoup de points (jui rappel-
lent le système primitif. Mais ces points de contact viennent de ce que,
dès l'origine, l'impôt provincial a ressemblé à l'impôt romain, parce que
les Romains ont le plus souvent gardé le système qui existait avant la
conquête, et que les régimes financiers des États antiques ne difleraient
guère les uns des autres.
G. J.
D'' M. Joël.. Blieke in die Religionsgeschichte zu Anfang des
zweiten christlichen Jahrhunderts ; zweite Alilheiliiiig. Uci"
Gonflict des Heidenthums mit dem Ghristenlhum iii seinen Fol-
gen fiir das Judenthum. Breslau et Leipzig, Schottlaendcr, 18X3.
i vol. in-i8, de ^90 p.
La première partie du présent travail, parue en 1880, a été accueillie
avec intérêt, comme offrant la preuve d'une curiosité élevée servie par
une investigation abondante et exacte. Voici comment M. Joël jusiilio
les recherches nouvelles dont il livre aujourd'hui les résultats au public.
La persécution contre le christianisme, qui a duré de la lin du
I" siècle jusque vers l'achèvement du n^, a amené les Romains à faire
entre chrétiens et Juifs une différence, que les chrétiens eux-mêmes ne
faisaient pas encore, la rupture véritable entre ceux-ci et les Juifs
n'ayant eu lieu qu'au ii" siècle. La littérature chrétienne a pris alors
une attitude hostile à l'égard du judaïsme. Les témoignages sur ou
contre les Juifs que l'on rencontre chez les écrivains chrétiens de cette
époque ne doivent être accueillis qu'avec une extrême défiance. Les
apologistes chrétiens du n« siècle ont recours constamment à des pro-
cédés de fraude pieuse ou de dénigrement pour llatter les empereurs
qui persécutaient leurs coreligionnaires et se concilier l'opinion publique.
Les chrétiens essaient de faire croire qu'ils ont toujours été au mieux
avec le pouvoir et que les empereurs leur ont, de tout temps, témoigne
une vraie sympathie. Toutes les calomnies dont ils ont souffert en divers
temps et lieux viennent des Juifs. M. Joi'l voudrait établir que le moyen
âge a pris pour tâche de rendre aux Juifs tout le mal qu'ils passaient
pour avoir fait autrefois aux chrétiens. Il croit pouvoir affirmer que
cette loi du talion fut appliquée selon un programme méthodique. Ainsi
les Juifs étaient assujettis à un impôt sur les dés à jouer, parce que les
soldats avaient tiré au sort la robe de Jésus. Si on les accusait d'em-
ployer du sang chrétien pour les rites de leur religion , c'est qu'ils
avaient accusé les premiers chrétiens do ce crime, etc.
Il est assez difficile de suivre M. Joél dans son excursion un pou irro-
gulière à travers les faits, les livres et les personnes. Sans tenir pour
définitives ces opinions, dont bon nombre ont besoin d'être soumises à
408 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
ua nouvel examen et dont quelques-unes frappent par leur caractère
excessif, nous ne lui refuserons point le sérieux mérite d'avoir hardi-
ment posé les termes d'un des problèmes les plus intéressants qui
touchent aux origines mêmes de la société moderne.
M. Vernes.
Konrad von Marburg und die Inquisition in Deutschland, aus
den Qiiellen bearbeilet, von Dr. Ballhasar Kaltxer. In-8°, x-'IOSp.
Prag, ^882, Verlag von F. Tempsky.
Malgré tout l'appareil scientifique dont il a pris soin de l'entourer,
le livre de M. K. n'est guère qu'une œuvre de polémique. Les premières
lignes le donnent à penser tout de suite <, et l'examon le plus rapide ne
laisse aucun doute à ce sujet. Ces remarques préliminaires justifie-
ront à tous les égards, nous l'espérons, le caractère du compte rendu
que nous allons présenter.
Dans ce compte rendu, remarquons-le tout d'abord, nous laisserons
de côté la biographie proprement dite de Conrad de Marbourg^. Nous
nous en tiendrons aux points qui, avec le rôle de ce personnage dans
la persécution de l'hérésie, peuvent être considérés comme formant le
corps même du travail que nous étudions, ou du moins en donnant le
mieux l'esprit. Nous voulons dire les principes mêmes sur lesquels se
fonda la justice inquisitoriale en Allemagne comme ailleurs, et surtout
l'indication des doctrines hétérodoxes qu'elle eut à y combattre. Ces
points suffiront, d'ailleurs, amplement à nous occuper, et à fournir
aussi, nous le croyons, la preuve de l'assertion que nous avons émise
en débutant.
Dans cette partie de son livre, comme dans celle que nous laissons de
côté, M. K., il faut le reconnaître, tient ce qu'il a promis. Il remonte tou-
1. Voir Vorwort, p. v.
2. Un point iniporlant de cette biographie est la question si controversée de
savoir quelle fut la condilion véritable de Conrad de Marbourg, s'il fut simple-
ment prêtre séculier ou membre de quelque grand ordre religieux. M. K., au
bout d'une discussion très complète, qui est assurément ce qu'il y a de meil-
leur dans son livre, arrive à conclure que Conrad fut certnineinent prêtre sécu-
lier, el, dans les derniers temps de sa vie, affilié probablement au tiers ordre
de saint François. Cette conclusion semble fort juste. Voir ^ 17 : Konrads
Stand, p. 72-82. — Voir également, pour les rapports du même personnage
avec la cour de ïburinge et avec sainte Elisabeth de Hongrie, qui l'eut, on le
sait, pour confesseur, V. cap. : Konrad als Beichvater der kl. Elisabeth am
Hofe von Thuriwjen, p. 97-111; VI. cap.: Konrads Thaetigkeit und seine Sorge
filr die heil. Elisabeth, p. 112-129. En ce qui concerne enfin le portrait beau-
coup trop flatté, jiour ne pas dire davantage, qu'a tracé de Conrad M. K., voir
particulièrement g 38 : Konrads Ansichten Uber die Haeresie,\>. 161-165; §39:
Charakter Konrads von Marburg, p. 166-169.
KALTNER : KONRAD VON MARBDRG. 409
jours aux sources. Observons cependant, sans vouloir diminuer son
mérite d'en avoir agi de la sorte, qu'il n'a eu bien souvent pour cela
qu'à repasser par des chemins tout tracés. Pour ce quiconccrno nolam-
ment l'histoire de l'hérésie, même on Allemagne, et celle de la pénalité
inquisitoriale, les travaux de MM. Ficker et J. Havet, le livre surtout
de Schmidt, qui n'a point vieilli malgré sa date déjà ancienne, ont pu
lui épargner tout embarras et presque toute peine dans ses recherches.
Mais, à cet égard même, nous avons des remarques à faire autrement
importantes que celle-là. Pourquoi, par exemple, M. K. n'a-t-il pas usé
une seule fois du livre de Moneta, ni du traité de Raiiiior Sacchoni,
sous sa forme primitive, celle qu'ont donnée Martène et Durand au
tome V du Thésaurus îioviis anecdotorum, la seule authentique et réelle-
ment utile? Ce sont là pourtant deux sources capitales d'informations.
Moneta et Rainier étaient Italiens, c'est vrai. Mais M. K. ne s'est pas
fait faute à l'occasion d'invoquer le témoignage de Raoul Glaber, do
Guibert de Nogent, de Pierre de Vaux-Gernai, de Geolfroi de Vigoois,
de Luc de Tuy^. Les deux écrivains qu'il a négligés pouvaient lui
servir aussi bien, et même, pour tout dire, beaucoup mieux que tous
ces chroniqueurs, qui ne sont pas Allemands. Rs ont prétendu tous
les deux donner une idée générale et complète des doctrines dualistes
dans toutes leurs nuances. En fait, pour se servir sans crainte d'erreur
des renseignements fournis par eux, il suffisait d'abord de déterminer
nettement la nature du catharisme germanique.
Disons immédiatement que c'est, à la vérité, un point qui demeure très
vague chez M. K. Penser, comme il le fait, que les cathares allemands
se rattachaient vraisemblablement au dualisme absolu, parce qu'ils
reconnaissaient deux dieux, l'un bon et l'autre mauvais 2, c'est donner
de cet avis une raison tout à fait insufûhante. Ces deux dieux, les dua-
listes mitigés les admettaient aussi, bien qu'avec certaines réserves. En
tout cas, ils figuraient dans le système très important de Jean de Lugio
au même titre que dans le dualisme primitif 3.
Il se peut après tout que la nature exacte du catharisme allemand
soit très difficile, sinon impossible à préciser. Mais alors, comment,
ainsi que M. K. le soutient ailleurs ^ une secte aussi obscure, et, on a
le droit de le penser, par suite assez faible en Allemagne, aurait-elle
fait courir à l'Église dans ce même pays un danger plus grand que
dans tout autre ? Quelque aide que lui prêtassent pour cela les Vaudois,
et surtout les Lucifériens et les Frères du Libre-Esprit, dont l'auteur
exagère, selon nous, grandement la puissance •% la chose demeure invrai-
1. Voir p. 55, 56.
2. Voir p. 49, 50.
3. Voir C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares ou Alfn-
geois, t. II, p. 53.
4. Voir p. 13.
5. Voir, sur ces deux dernières sectes, U 13 et 14, p. 58-65. Eu ce qui louche
'HO COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
semblable. C'était en Italie et dans le midi de la France qu'était à la
même époque le péril le plus menaçant pour l'église de Rome. Nous
n'insisterons pas sur cette remarque. Mais n'y peut-on pas voir déjà
une preuve de ce que nous avons indiqué tou^ de suite chez M. K., le
parti pris de soutenir une thèse, ce dont nous avons, d'ailleurs, bien
d'autres témoignages et autrement décisifs que celui-là ?
A l'omission absolue de certaines sources qui vient d'être relevée,
s'oppose dans le travail dont nous parlons l'emploi poussé jusqu'à l'abus
de certaines autres. On ne saurait y voir une compensation, car ces
dernières sont aussi défectueuses que sont excellentes au contraire
celles dont M. K. s'est abstenu de se servir. Il s'agit du livre du béné-
dictin allemand Eckbert et de l'amplification du traité original de Rai-
nier Sacchoni, amplification faite en Allemagne dans la seconde moitié
du xme siècle et désignée par les érudits sous le nom de Pseiido-Rainier.
Or, Eckbert a, de son propre aveu, assimilé perpétuellement les Cathares
de son temps aux Manichéens primitifs. Sous prétexte que les uns et
les autres admettaient deux principes, et que les membres d'une des
sectes manichéennes portaient la dénomination très voisine de Catha-
ristae, il a cru pouvoir, comme l'a fait aussi le dominicain Etienne de
Bourbon, appliquer aux dualistes du xn« siècle tout ce que saint Augus-
tin a dit de ceux du v^. Il semble enfin le représentant le plus net de
la croyance à l'identité du manichéisme et du catharisme, admise sans
plus ample examen par tous les docteurs du moyen âge, à laquelle les
auteurs modernes n'ont pas tous renoncé encore, dont nous ne jurerions
pas que M. K. lui-même fût entièrement dégagé <, mais dont Schmidt
a démontré le caractère insoutenable. Quant au Pseudo-Rainier, c'est la
compilation la plus informe et manifestement la plus absurde qui puisse
se rencontrer. La précison de certains détails, loin de témoigner en sa
faveur, est faite au contraire pour mettre en défiance la critique la plus
débonnaire. M. K. ne pouvait donc plus mal choisir ses auteurs de pré-
dilection. Parmi tous les écrits contemporains du catharisme, il n'y
en a pas probablement qui soit mieux fait pour tromper l'historien sur
la nature réelle de cette doctrine religieuse.
aux Frères du Libre-Esprit, nous remarquerons que M. K. donne au plus célèbre
des disciples d'Amauri de Reynes, David de Dinan, le prénom de Guillaume.
V. p. 63. Nous ne savons sur quelle autorité. Le nom de ville, joint au prénom
de ce David, doit s'écrire également, il semble, Dinan et non Dinant, comme
il le fait.
1. Voir, p. 28, ce qu'il dit des origines du cattiarisme. La même supposition
peut s'appuyer également de ce qu'il dit de la hiérarchie cathare (p. 53), et
de la fête attribuée aux hérétiques et désignée sous le nom de Malilosa (p. 54).
Mais ce sont là surtout des exemples des erreurs oii M. K. a été entraîné pour
avoir accepté aveuglément toutes les assertions d'Eckbert. La hiérarchie, donnée
par lui et empruntée au moine bénédictin, est purement manichéenne. La fête
Malilosa, dont il parle sur la foi du même auteur, n'est que le Béma des
dualistes contemporains de saint Augustin. Cf. Schmidt, t. II, p. 138 et 145.
KALTNER : KOMiAh V(»\ MAIIBI'IK;. 444
Voilà, si nous ne nous trompons, un certain nombre de défauts assez
graves pour affaiblir notablement la valeur et la portée du livre qui
nous occupe. Mais il y a plus. Nous ne pensons pas trop nous avancer
en affirmant que c'est presque à chaque page (ju'il faudrait s'arrêter
pour relever l'emploi d'une source douteuse, remettre un fait dans son
véritable jour, discuter une assertion contestable. On comprendra que
nous n'abordions pas une semblable entreprise. Ce compte rendu ne
sera que trop long sans cela. Nous n'y ajouterons plus qu'un petit
nombre de points, qui mettront définitivement hors de doute, il nous
semble, le parti pris que nous avons déjà signalé à plusieurs reprises
chez l'auteur.
M. K. (p. 27) trouve tout naturel que les juges d'inquisition se soient
toujours refusés à faire connaître aux prévenus les noms de leurs accu-
sateurs. Il ne donne pas, du reste, de cette mesure contraire à tout droit
d'autre excuse que celle dont se sont servis les souverains pontifes
eux-mêmes, ce qui est tout à fait insuffisant. Mais ce n'est là qu'un
détail.
Dans la partie de son livre intitulée : Die Denkwcisc des Mittelallers
iiber die Ketzerstrafen^^ M. K. veut établir qu'en ordonnant de brûler
les hérétiques l'église romaine ne faisait que se conformer au sentiment
même de l'époque où elle ordonnait ces exécutions. Nous ne croyons
pas que son argumentation soit bien péremptoire. 11 n'examine pas
si en édictant eux-mêmes un certain nombre de décrets contre l'héré-
sie, en en obtenant ou en en arrachant un certain nombre d'autres des
princes séculiers, en imposant enfin à la société civile le maintien et la
pratique de cette législation pénale, les souverains pontifes n'avaient
pas créé en grande partie l'opinion à laquelle ils paraissaient simple-
ment obéir. Il ne considère pas davantage si l'esprit manifeste de
l'Évangile leur laissait le droit d'en agir ainsi. En dehors du droit, il ne
se demande point si l'abandon de cette tradition de clémence, démon-
trée par Limborch et par Schmidt^, et sur laquelle il passe si légère-
ment, ne constituait pas pour eux un danger plus grand que celui qu'ils
voulaient conjurer par cet abandon même. En y persistant, ils pouvaient
ne pas prendre le moyen le plus énergique de restaurer leur domination
ébranlée. En la répudiant, ils compromettaient à coup sur leur prestige
moral, c'est-à-dire le fondement même de leur puissance 3.
Au cours de l'argumentation, dont nous venons d'indiquer les lacunes,
M. K. cite, en les déclarant absolument exactes, les paroles suivantes
de M. Dolhnger, dans son livre Kirclie und Kirchen : « Ces sectes gnos-
tiques (?), les Cathares et les Albigeois... étaient les communistes et les
socialistes de ce temps-là. Ils attaquaient le mariage, la famille et la
1. g 3, p. 12-17.
2. Voir Historia inquisitionis, p. 1-4, 16-21, et Histoire ei doclnne de la secte
des Cathares ou Albigeois, t. II, i>. 217-220.
3. Voir, à ce propos, Schniidt, t. II, p. 224.
512 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
propriété. » Quelle manière d'expliquer l'histoire ou plutôt de l'embrouil-
ler! Il h'y aurait pas lieu, d'ailleurs, de s'arrêter à de pareilles asser-
tions, si elles ne semblaient être la pensée unanime et en quelque sorte
définitive d'une certaine école historique, si surtout on ne prétendait les
soutenir d'une série de preuves dont il peut ne pas être inutile de mar-
quer rapidement la faible valeur.
Ces preuves, il est vrai, on ne les donne pas pour ce qui concerne les
attaques imputées aux Cathares contre la propriété. L'accusation sur ce
chef en est réduite à faire son chemin toute seule et pour cause. Peut-
être même, en fin de compte, le catharisme n'en est-il chargé que parce
qu'elle se trouve implicitement comprise dans l'appellation de doctrine
antisociale dont on le flétrit.
L'accusation de ruiner le mariage et la famille a de bien autres pro-
portions. L'origine en est dans la condamnation de l'union matrimo-
niale par les sectaires. Que penser exactement de cette condamnation,
absolue en théorie, c'est ce que nous n'avons pas le loisir d'examiner
ici. Nous nous contenterons de renvoyer sur ce point aux docteurs, qui
se sont appliqués à autre chose qu'à injurier la secte, et en première
ligne au savant et scrupuleux Moneta'. On verra de reste, à leur embar-
ras, si la question se résout aussi aisément contre le catharisme que
semblent le croire M. K. et les écrivains de la même école. Nous rap-
pellerons également la parole significative d'Étionnc de Bourbon :
« Uxores electis (= perfectis) eoriim prohibentiir, auditoribus (= creden-
tibus) conccduntur'^, » parole qui nous montre le mariage entendu dans
l'église cathare, en dépit de la théorie, de la même façon que dans
l'église catholique, permis aux fidèles et défendu aux prêtres.
Mais, cette même condamnation prononcée par les sectaires entraî-
nait-oUe les déportements abominables qu'on a voulu lui attribuer
comme conséquences nécessaires, voilà un point auquel nous nous arrê-
terons. Que cette corrélation entre les croyances dualistes et les dépor-
tements dont il s'agit fût une nécessité inévitable, on ne le voit pas
bien nettement. En tout cas, il faudrait donner de ces mêmes déporte-
ments d'autres preuves que celles dont on a usé pour en établir l'exis-
tence. M. K. en a présenté le résumé : elles y apparaissent dans toute
leur faiblesse^.
C'est la répétition de toutes les fables toujours identiques qu'a fait
naître l'existence forcément obscure de toutes les sectes persécutées, des
clirétiens eux-mêmes. M. K. ne s'étonne pas, d'ailleurs, de cette simi-
litude monotone. C'est l'attribution aux Cathares des débauches impu-
tées à tort ou à raison aux Manichéens antiques. M. K. trouve la chose
1. Voir p. 315-346 de son traité. Cf. également Schmidt, t. II, p. 248.
1. Lecoy de la Marche, Légendes et apologues tirés du recueil inédit d'Etienne
de Bourbon, p. 302.
3. Voir g 12 : Folgerungen fiir die Sittenlehre der Katharer, p. 55-58. —
Cf. Schmidt, t. II, p. 151-153.
KALTXER : KONRAD VON MAUBURG. /H 3
toute naturelle. « Les mêmes principes, dit-il, ne pouvaient-ils et ne
devaient-ils pas produire les mêmes ellets ' ? b Assurément; mais ce n'en
est pas moins supposer démontré ce qui est en question : d'abord, la
réalité des abominations attribuées aux dualistes du v" siècle, puis
l'identité de doctrines entre ces mêmes dualistes et ceux du xni*. Or, de
ces deux points, le premier n'est peut-être pas complètement hors de
doute, le second, ainsi que nous l'avons remarqué, est tout ce qu'il y a
de plus contestable.
M. K. aurait-il une prédilection pour le genre de raisonnement que
nous venons de signaler chez lui ? Quelques lignes plus loin, il lui arrive
de nous en offrir encore un exemple à propos du passage suivant de
Pierre de Vaux-Gernai : « Dicebant (haeretici) qiiod non pcccabal quis
gravius dormiendo cum quatre vel sorore sua quam cum qualibel alla-. »
— « Pourquoi, dit-il, et dans quel but aurait-on mis en avant une
pareille excuse? » Fort bien; mais qui nous prouve l'exactitude du ren-
seignement fourni par le moine de Citeaux ? Le caractère même du
chapitre sur les croyances cathares, auquel il est emprunté, n'est pas
fait pour nous inspirer une confiance absolue. C'est là que se trouve
encore l'indication de cette autre croyance, attribuée par le même histo-
rien à un certain nombre d'hérétiques, « qiiod nullus poterat peccare ab
umbilico et inferius. » La croyance dont il s'agit remonte originairement,
il semble, à la secte antique des Paterniens, et c'est sans doute, comme
le remarque Schmidt^, par confusion des deux noms de Patcrini,
celui-ci synonyme de Cathari, et de Paterniani, que Pierre de Vaux-
Ceruai et le Pseudo-Rainier, chez qui se trouve également cette impu-
tation, l'auront lancée contre les dualistes de leur temps.
Schmidt remarque encore que les interrogatoires d'inquisition ne
portent point de traces de ces crimes affreux attribués aux Cathares''.
M. K. répond que cela est tout simple : les inquisiteurs, assure-t-il, ne
s'informaient avant tout que des relations des croyants et des parfaits.
Il est probable que M. K. n'a jamais eu entre les mains aucun des
interrogatoires en question. Il saurait sans cela que la curiosité des
1. Historia Albigensium, cap. ii.
2. On nous permettra de le reproduire ici : « Incestum naturalem, cum maire
propria vel sorore, aut cum maire (= commalre), dicunt (liacrelicl) esse mun-
dam fornicaliouem, dummodo liai secundum rilum seclae qui lalis est : si quis
ab ipsis vult abuli propria maire, dabil ei xviii denarios, scx pro eo quod con-
fecit eum, sex pro eo quod peperil eum, sex pro eo quod nulrivil eum. El sic
solula lege naturali seu nalura, Ucenler abulilur ea, quia niliil ei allinere
putatur, et omnino liber efficitur ab omni naturali reverenlia malris, sicul
saccus liber effîcilur a frumenlo, quafido fueril excussum. Qui sorore volucril
abuli, dabit ei sex denarios, qui commalre, dabil ei novem deninos. Kl sic
licilum esse dicunt incestum sine omni peccato. » Maxima bibliotheca Patrum
(édit. de Lyon, 1677), t. XXV, p. 272.
3. Voir t. II, p. 152.
4. Ibid., ut supra.
4^4 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
inquisiteurs ne connaissait point de limites, et qu'elle dépassait de
beaucoup celle même de nos juges d'instruction modernes.
A tout cet ensemble de preuves s'ajoute naturellement le tarif établi,
suivant le Pseudo-Rainier, pour le rachat des incestes dans la secte
cathare. M. K. en parle sérieusement, comme s'il ne lui inspi-
rait pas l'ombre d'un soupçon. Est-il en cela d'une bonne foi entière ?
Quelque atteinte que dût en éprouver notre confiance dans sa sin-
cérité parfaite, nous voudrions presque pouvoir en douter ^. Mais
ce qui l'emporte peut-être sur le passage du Pseudo-Rainier, c'est un
témoignage fourni par Geoffroi de Vigeois, et sur l'autorité duquel, en
ce qui concerne les abominations qui leur étaient reprochées, M. K.
déclare les hérétiques convaincus par leurs propres aveux. Nous en
détachons la partie la plus écrasante pour la bonne renommée de la
secte. Elle fera juger de ce que vaut le reste. Qu'on veuille bien seule-
ment en excuser le caractère au moins étrange. Ce n'est pas nous qui
imaginons de faire appel à de semblables textes. « Vierna, conjux
Sicardi de Boyssa et de Granouillet, palam confessa est a quinquaginta
religiosioribus ejusdem scctae nocle quadam fuisse stupratam, ciim ipsa
eisdem, vitae causa sanctions, thoro viri spreto, conjunxisset 2. »
Nous terminerons ici. Il ne nous déplaît pas, d'ailleurs, de voir l'in-
quisition ainsi défendue, car c'est d'elle, on ne doit pas l'oublier, qu'il
s'agit toujours en cette affaire. Et voilà aussi l'utilité très réelle de livres
comme celui dont nous avons essayé de donner une idée. En employant
de pareils arguments pour justifier le tribunal extraordinaire institué
par l'Église au début du xni« siècle, ils démontrent, mieux qu'on ne
pourrait le faire par aucune autre voie, à quel point la justification en
est difficile.
Charles Molinier.
1. Le même cloute nous est inspiré par un autre passage du travail de
M. K. C'est celui où, d'après une lettre de Grégoire I.X du 13 juin 123:?
(Potthast, Regesta, n" 9229), reproduisant elle-même une communication
de Conrad de Marbourg, de l'archevêque de Mayence et de l'évêque d'IIil-
desheim, il décrit les rites secrets des Lucifériens. Ces rites ne sont que
les pratiques supposées d'une sorcellerie ré])ugnante et absurde, accompagnée
bien entendu d'une monstrueuse promiscuité. M. K. déclare pourtant qu'on
ne saurait les mettre en doute, que la réalité en est fondée sur des faits posi-
tifs « auf Thatsuchen. » Voir p. 161-164. La lettre de Grégoire IX figure dans
le Tiiesaurus novus anecdotorum, t. I, p. 950-953.
2. Labbe, Nova bibliotheca manuscriptorum Ubrorum, l. II, p. 327.
PUBLICATIONS HONGROISES. '4^ 5
Anjoukori okmànytar (Codex diplom. hungaricusandegavensis).
2e vol. publié par Emerich Nagy. Budapest, IS81.
Magyar orszàggyùlési emlékek (Monumenta comitialia regni Hun-
gariae). 7" vol. publié par W. Fraknoi. Budapest, J8S1.
Erdélyi orszàggyùlési emlékek (Monumenta comitialia regni Tran-
sylvaniae). 7" vol. publié par Alex. Szilagyi. Budapest, ISSI.
Chacun de ces trois volumes publiés au nom de l'Académie hongroise
par un de ses membres continue une collection de documents histo-
riques. Leur caractère commun est d'intéresser plutôt l'histoire inté-
rieure et administrative du pays que l'histoire des relations extérieures
de la Hongrie qui a fait l'objet de publications parallèles ; exemple, les
Monuments de la diplomatie des rois angevins, édités par M. Wenzel, sur
lesquels nous avons attiré l'attention des lecteurs de la Revue à ses
débuts. Aussi, tout en constatant les services rendus par les habiles et
soigneux éditeurs à l'histoire spéciale et détaillée de leur pays, nous nous
bornerons à indiquer ce qui dans ces recueils nous paraît être utile pour
l'histoire générale de la civilisation européenne et de la politique autri-
chienne.
M. Nagy fait mieux connaître l'administration de Charles-Robert, le
premier roi de la dynastie d'Anjou pendant les dix dernières années de
son règne de 1322 à 1332. C'est l'époque où, sous des rois capétiens, par
les progrès, à la fois de l'autorité royale et d'un régime féodal très sou-
mis à la couronne, la Hongrie, jusque-là seule de son espèce par ses
institutions sociales, entrait dans le concert européen. Un grand nombre
d'actes royaux nous font assister à cette administration énergique, qui
développait par la culture et par l'exploitation encouragée des mines
les richesses du pays, et qui se montrait également résolue à écraser
tout ce qui lui résistait, et à combler de faveurs tout ce qui l'aidait.
Contre les despotes provinciaux qui depuis longtemps étaient les vrais
rois de certaines régions et dont Mathieu Csàk de Trencsén est resté le
type effrayant, Charles-Robert déploie toutes les puissances d'habileté
et de haine qui portaient si haut, en Hongrie comme en France et en
Italie, sa glorieuse maison. Sur l'intensité de cette haine, que la ruine
même des adversaires ne désarmait pas, voir les n^^ 137 et 260 : il semble
qu'on lit un des actes les plus violents de Charles d'Anjou ou de Phi-
lippe le Bel.
Les deux autres volumes nous transportent dans des époques où la
Hongrie était beaucoup moins puissante, où la conquête ottomane par-
tageait ce royaume mutilé entre trois dominations : celle du musul-
man, celle de l'empereur autrichien, celle du prince de Transylvanie,
qui fut plus d'une fois le seul représentant de la nationalité hongroise,
mais dans un État particulier. L'éminent secrétaire général de l'Aca-
démie, M. le chanoine Fraknôi, continue à étudier les diètes hongroises
de cette époque, celles qui se tenaient dans le tiers de la Hongrie sou-
mis à la maison d'Autriche. Le tome VII va de 1582 à 1587. Il com-
A\6 COMPTES-REXDCS CRITIQUES.
prend par conséquent deux diètes importantes, celle de 1582 et celle de
1587. Ces assemblées se réunissaient sous le règne de Rodolphe, l'un
des empereurs les plus fanatiques de sa famille, mais sur l'obstination
duquel l'emportaient le plus souvent une indécision maladive et les sin-
gulières préoccupations des sciences occultes. Nul prince ne fut plus
antipathique aux Hongrois, peuple de caractère ouvert, que ce taciturne,
et l'antipathie était tellement réciproque que Rodolphe mit à peine le
pied dans le royaume de Saint-Étienne. Néanmoins le caractère par-
faitement constitutionnel de la couronne magyare était pleinement
reconnu par la cour ; la quatrième pièce du volume, le long exposé de
la situation et des demandes adressées par le trône à la diète de Pres-
bourg en janvier 1582, pièce extraite par M. Fraknôi des archives de
Vienne, est du plus haut intérêt pour l'histoire de l'Europe centrale
vers la fin du xvi« siècle, et pour l'histoire de la monarchie des Habs-
bourg dans son ensemble. Les pièces suivantes, notamment la septième
tirée du même trésor, nous font assister à une phase de ce long duo
entre l'Autriche et les Hongrois, duo qui a été tantôt un duel, tantôt
comme aujourd'hui un dualisme amical. Assez souvent, notamment
dans ces deux diètes de 1582 et de 1587 que iVI. Fraknôi fait si bien
connaître par ses notices et par les documents, ce n'était ni tout à fait
l'un ni tout à fait l'autre: des rapports tendus, qu'en 1587 l'approche de
guerres atroces avec les Turcs rendait plus angoissants. A cette der-
nière date aussi, une curieuse correspondance s'engage entre les deux
diètes de Pologne et de Hongrie ; les Polonais, qui voulaient détourner
leurs voisins de soutenir l'archiduc Maximilien, candidat d'une faible
minorité à leur trône vacant, invoquent l'amitié traditionnelle des deux
pays, et établissent entre les peuples et les princes une distinction que
l'on pourrait croire toute moderne et occidentale (p. 2'i7). — Nous signa-
lons aux personnes qui s'occupent de la Croatie et de l'Esclavonie la
dernière [lartie du volume de M. Fraknôi, elles y trouveront l'histoire
documentaire des assemblées tenues synchroniquement dans ces deux
contrées.
M. Szilagyi, l'historien de la Transylvanie, continue à éclaircir l'his-
toire parlementaire de cette principauté. De 1614 à 1621, c'est la plus
grande partie et la plus agitée du règne de Gabriel Bethlen (Bethlen-
Gabor disent nos précis d'histoire, lesquels pourraient ne pas ignorer,
depuis le temps qu'on le leur dit, que le prénom en hongrois se met
après le nom de famille, et que Gabor signifie Gabriel). Les diètes de
Transylvanie ne sont pas d'ailleurs le seul objet de cette publication, il
y a des choses d'un intérêt plus général. Le rôle même de ce prince émi-
nent, sa situation difficile et dramatique entre l'empereur, ses ennemis
protestants et les Turcs, entre trois religions et sept ou huit peuples ;
et par suite l'histoire prodigieusement riche et incessamment enrichie
de la guerre de Trente ans reçoivent des lumières nouvelles des travaux
de M. Szilagyi.
Au total, dans ce mouvement de publication des sources nationales
WACKER : DEK REICHSTAG (JNTEll DEN HOHENSTACFEN. 417
qui est un peu par toute l'Europe l'honneur de notre temps, l'Académie
hongroise continue à occuper une nohle et utile place.
Edouard Sayous.
Der Reichstag unter den Hohenstaufen. Ein Beitrag zur deut-
schen Verfassungsgeschichle von Cari Wacker. Eingeleitet von
W. Arndt (Sixième fascicule des Hislorische Studien). Leipzig, Veil,
-1882. U2 pp. in-8". Prix : 3 marcs.
La grande histoire des institutions allemandes publiée par M. Waitz,
de 1844 à 1874, a eu cet honneur de provoquer par toute l'Allemagne
un mouvement de recherches et d'études qui dure encore. Bien loin de
s'oublier dans la contemplation du monument que venait d'élever leur
compatriote, les érudits allemands, se rendant compte des chances de
durée que lui assurait le génie de l'architecte, ne songèrent plus qu'à
le fortifier par une foule de travaux en sous-œuvre, destinés à le mettre
un jour hors de pair. Les uns, prenant la truelle, bouchèrent les trous
et cimentèrent plus étroitement les pierres que Waitz avait accumulées
parfois à la grosse. Les autres recoururent au marteau pour aplanir les
surfaces, redresser les angles et faire disparaître quelques saillies inu-
tiles. M. Cari Wacker n'a pas lui-même d'autre prétention. Il veut de
la même manière parfaire le grand édihce à l'un de ses étages, celui des
Staufen, — moins encore, à l'une des pièces de cet étage, celle des
diètes de l'empire sous les Staufen, et il abrite modestement sa préten-
tion sous le nom du professeur Arndt qui avait lui-même proposé cette
tâche aux élèves de son séminaire historique. Toute difficile qu'elle était,
l'entreprise a été menée à bien. Nous disons difficile, car enfin, si, dans
les études de ce genre, les textes témoignent de quelque chose, c'est à
la condition de savoir les interroger. Il n'y a jamais eu à cette époque
d'ordonnance qui réglât dans tous ses détails la tenue des diètes, le
mode, le temps et le lieu de leur convocation, la forme de leurs délibé-
rations, leurs attributions exactes; jamais non plus il n'y a eu de véri-
tables procès-verbaux de leurs séances. Or, chacun des points que nous
venons d'énumérer fait l'objet d'un chapitre spécial dans l'opuscule de
M. W. C'est dire avec quel soin l'auteur a dû rassembler les textes,
chartes ou chroniques, qui pouvaient servir à son dessein, avec quelle
critique il a su les examiner, en historien et en juriste à la fois, pour
en tirer tant de renseignements précis que ces textes ne contenaient
qu'en germe ou par incidence. Aussi la contribution apportée par l'au-
teur à l'œuvre de Joachim, de Franklin, de Roth et de Waitz est-elle
assez sensible pour justifier aux yeux des plus exigeants cette reprise
du sujet.
L'appendice du livre mérite aussi une mention. M. W. a dressé la
liste des 130 diètes impériales tenues entre les années 1125 et 1247 sur
tout le territoire du saint empire, en no regardant comme telles toute-
Rev. Histor. XXV. 2e fasc. 27
^-IS COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
fois que les assemblées où se trouvaient des représentants de toutes les
parties de l'Allemagne. Pour bien établir ce dernier point, il n'a eu
d'autre ressource que d'examiner les souscriptions des rares documents
rédigés à l'occasion de ces assemblées, et de considérer la nature de
leurs délibérations, — la qualification de curia generalis, curia sollem-
nis donnée à la plupart des diètes n'ayant point paru garantir toujours
suffisamment le fait de leur généralité.
Dans cette liste des diètes impériales figurent celles de Besançon
(fin oct. 1157) et de Saint-Jean-de-Losne (comm. de sept. 1162) que
M. W. mentionne en indiquant soigneusement, comme toujours, les
diverses sources contemporaines où il en est question.
En résumé, travail très méthodique et qui satisfait de tout point aux
exigences du sujet.
Alfred Leroux.
Dei remoti fattori délia potenza economica di Firenze nel me-
dio-evo, considerazioni sociali-economiche, cicl doUor Giuseppe
ToNiuLO, proiessore di economia polillca presso runiversità di Pisa.
Milan, Hoepli, I.SS2. i vol. in-S" de xr-220 p.
Nul ne s'étonnera sans doute qu'un professeur d'économie politique
soit plus économiste qu'historien. On le voit à l'usage, je ne voudrais
pas dire l'abus, de la terminologie plus ou moins barbare où se com-
plaît la science qu'il enseigne, et aussi à la position qu'il prend devant
l'histoire. Il ne prétend point remonter aux sources. Il tient pour auto-
rités des auteurs modernes, MM. Reumont, Ilartwig, Lastig, Villari,
Gapponi, Perrcns. Il admet comme établi ce qu'il y trouve ; il y prend
les citations, les assertions même, et il bâtit là-dessus ses raisonnements.
C'était son droit, étant donné ce qu'il voulait faire; et, comme il a
beaucoup de lecture, on ne peut pas lui reprocher de bâtir en l'air. Tout
au plus est-il permis de regretter qu'il invoque quelquefois des compi-
lateurs tels que cet Inghirami, étonnant auteur d'une histoire de Tos-
cane, qui prend dans Sismondi ses citations d'Ammirato, et donne bien
d'autres preuves d'un travail superficiel, léger à l'excès.
Il faut donc, et M. Toniolo ne nous en voudra pas, jeter à la mer
l'historien qu'il y a en lui, et ne conserver que l'économiste. Pour jus-
tifier ce procédé, je ne prendrai qu'un exemple dans les passages, d'ail-
leurs assez rares, où notre auteur s'aventure sur le terrain de la critique
historique.
A la p. 60, note 2, M. Toniolo dit : « On admettait jusqu'à présent,
et Perrens l'affirme encore (I, 109), que la première fois où se trouve le
nom de consuls de la ville, c'est dans un document de 1002 sur Pegna...
Ce document n'est pas faux, mais la date est une erreur de copiste ; il
faut lire 1182, comme il résulte d'autres indications du document. «
Voici les observations que suggèrent ces lignes :
TONIOLO : POTENZA ECOXOMICA DI FIRENZE. A\^
1° Elles contiennent une erreur que M. Toniolo a lui-même relevée
dans son errata. Il avertit qu'on doit lire H02 et non 1002^.
2* Il indique un passage de M. Perrens, t. I, p. 109. Cherchez et vous
ne trouverez rien. Le passage auquel il se réfère esta la p. 120. Il aura
pris le vo pour le r", aura écrit 119, et laissé son imprimeur impri-
mer 109.
3° Il renvoie à Gino Capponi (I append.], qui ne donne ni le docu-
ment ni aucune lumière sur le fait dont il s'agit.
4° Quant au document lui-même, comment admettre une erreur de
copie ? Il se trouve non pas dans un, mais dans deux registres des
archives florentines (voy. les indications précises dans Perrens, I, 120).
On voit, au surplus, dans les Delizie degli eruditi toscani (VII, 136-44)
que les consules civitatis ne remontent qu'à 1204. M. Toniolo a donc
plus raison qu'il ne le croit ou ne le dit; mais pourquoi attribuer à
M. Perrens l'erreur commune, si erreur il y a, puisque cet auteur donne
la date de 1204 (p. 211), puisqu'il renvoie aux Delizie, puisque, d'après
les Delizie, il donne dans une note, année par année autant que possible,
le nombre des consuls depuis 1138 ?
J'ai hâte, on le comprend, de passer à l'économiste. Prenant la science
historique où elle en est, sans s'inquiéter de savoir ce qu'elle sera
demain, ni même de lui faire faire un pas nouveau, il étudie, pour par-
ler sa langue, les facteurs les plus éloignés de la puissance économique
de Florence dans le moyen âge. De là quatre chapitres : 1° facteurs
naturels-territoriaux, ou, en langue commune, d'après la nature du sol ;
2° facteurs ethniques; 3° facteurs storico-civils ; 4° facteurs éthico-éco-
nomiques.
Le premier chapitre montre fort judicieusement que la configuration
montueuse du sol toscan y a rendu plus durable qu'en d'autres pays la
vie féodale isolée, mais que cette conliguration était propre aussi à pro-
longer la vie municipale plus qu'ailleurs, une fois que les communes
avaient vaincu la féodalité. Il est également vrai que la distribution du
sol en montagnes, plaines, côtes maritimes, est cause que la Toscane
était également prédestinée à l'autonomie économique, en même temps
que, par sa position centrale, elle était soustraite à l'isolement.
Mais il faudrait ne point tirer de ces prémisses des conclusions exa-
gérées. De ce que le fractionnement du sol n'empêche pas une certaine
unité dans la région, s'ensuit-il qu'on dût, au xvi« siècle, arriver à
l'unité politique ? Il n'est pas bon, il n'est pas sain de trop soutenir que
ce qui a été devait être. Si la thèse du fatalisme historique a eu son
heure de vogue, cette heure est passée, et la critique ne conteste plus
i. Puiscfue M. Toniolo fait un errata qui est fort nécessaire, ne fut-ce que
pour les incroyables fautes d'impression accumulées dans trois malheureux
vers latins de Donizo, il aurait bien dû corriger Toscana urbicarica (p. 24) en
urbicaria. Cela lui eût été facile, car il écrit quelques lignes plus bas : Toscana
annoaaria., et non annonarica.
420 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
au hasard sa part dans les choses humaines. M. Toniolo reconnaît lui-
même qu'au sud les limites de la Toscane sont mal déterminées. Il y a
donc d'autres raisons que la configuration du sol pour que la Toscane
ait, de ce côté, telles limites plutôt que telles autres. De même, s'il fal-
lait en croire notre auteur, ce serait encore la configuration du sol qui
aurait fait de Sienne la dernière ville toscane à se soumettre. Cependant
les montagnes, si l'on veut donner ce nom ambitieux à de simples col-
lines, ne pouvaient être un obstacle sérieux aux conquérants, une
sérieuse protection pour les pays à conquérir. Celles du Casentino sont
bien autrement élevées, d'un accès bien autrement difficile, et les châ-
teaux forts qui les couronnent ont été soumis bien avant les murailles
de Sienne. A vrai dire, M. Toniolo reconnaît que, pour profiter du
milieu où l'on vit, il faut avoir les qualités nécessaires. Cette observa-
tion judicieuse ouvre heureusement la porte à toutes les exceptions;
mais comment ce qui précède n'en perdrait-il pas un peu de sa portée ?
Le deuxième chapitre (facteurs ethniques) tend à faire voir comment
les différentes populations qui se sont établies en Toscane ont contribué
au développement industriel et commercial de ce pays. M. Toniolo a
très bien vu que les barbares germains préférant à la Toscane la Lom-
bardie, où ils étaient plus facilement en communication avec la mère
patrie, n'ont pas laissé sur le sol toscan une trace aussi profonde que
les Étrusques et les Latins. 'Ceux des Germains qui s'y établissent, ce
sont des seigneurs envoyés pour dominer le pays, et dont les instincts
féodaux y trouvent satisfaction. Ils furent ainsi un facteur, malgré leur
petit nombre ; car, installés dans les manoirs ou châteaux de la cam-
pagne, devenus grands ])ropriétaires fonciers sans cesser d'être brigands
(ce que M. Toniolo ne dit peut-être pas assez), ils forcèrent les occu-
pants antérieurs, pour éviter la servitude, à se réfugier dans les villes
et à s'y organiser par le travail pour vivre, par la politique pour se
défendre. Il est quelque peu imprudent de voir là une preuve de la supé-
riorité économifjuc des Italiens sur les Germains, car nous voyons d'une
part ceux-ci créer chez eux la hanse, la ligue hanséati(iue, d'autre part,
Florence, alors même qu'elle possède Pise et Livourno, ne point devenir
la puissance maritime que Pise a été.
Dans ce chapitre, M. Toniolo touche à la question religieuse ; nous
ne saurions nous associer à ses vues. Nous pouvons lui accorder que
l'Église ayant pour rôle de défendre l'esprit contre la matière, les faibles
contre les forts, était la protectrice naturelle de la démocratie. Mais peut-
on admettre avec lui qu'elle ait transformé les peuples par le sentiment
de l'égalité morale, du respect de la personnalité, de la charité réci-
proque ou fraternité? Il devrait bien nous dire, alors, comment les
classes aristocratiques sont restées rebelles. Ce qui développa surtout
ces sentiments, ce furent les besoins de la vie en commun ou presque
en commun d'êtres qui vivaient rapprochés les uns des autres, et la
preuve c'est qu'on trouve dans plus d'une ville, avant le christianisme,
le germe des idées nouvelles dont ou lui attribuera plus tard tout l'hon-
TONIOLO : l'OTENZA ECONOMICA 1)1 FIRENZE. A2i
neur. Les hobereaux qui vivent isolés n'ont le goût ni de l'égalité ni de
ia fraternité.
Passant du général au particulier, M, Toniolo voit dans Florence, au
moyen âge, le centre du mouvement religieux. Il y a ici une confusion
entre la foi religieuse, qui est fort contestable chez les Florentins, et la
religion politique qui fait d'elle la ville guelfe par excellence. On n'ira
pas jusqu'à dire que Florence fût en majorité libre penseuse; mais nulle
part, au xni% au xiv® siècle, la libre pensée n'a été si libre, si auda-
cieuse, si impertinente, et soutenue par un si grand nombre d'esprits
indépendants. En outre, cette vive population se laissa toucher par l'hé-
résie, et lui resta toujours douce, tolérante, même après le triomphe de
l'orthodoxie. S'il est vrai, comme le dit M. Toniolo, qu'il y eut à Flo-
rence moins d'hérésies qu'ailleurs, ce qui resterait à démontrer, ce n'est
pas que les Florentins restassent en deçà, c'est qu'ils allaient au delà,
bien entendu en conservant toutes les formes catholiques avec cette
désinvolture italienne qui allie fort bien le matérialisme et la messe, le
poignard et l'hostie consacrée de la communion. Il y a plus de finesse
à remarquer, comme le fait M. Toniolo, que l'hérésie succomba à Flo-
rence, parce que sa haine de la papauté la forçait à être gibeline dans
la ville qui avait mis tout son enjeu sur la carte du guelfisme. Encore
ne serait-il pas hors de propos d'ajouter qu'il dut bien y avoir d'autres
causes, puisque le patarisme ne triompha nulle part, et aussi que le
guelfisme de Florence n'a empêché ni ses querelles avec plus d'un pape,
ni la fameuse guerre contre le saint-siège, dite des Huit-Saints. Rele-
vons encore une erreur d'appréciation. Si les patarins, dit M. Toniolo,
avaient prévalu, ils auraient compromis, avec la foi et la morale, la fibre
économique, comme en Languedoc. Ce n'est pas ici le lieu de dire com-
ment et pourquoi le patarisme a été étouffé en Languedoc; mais, en ce
qui concerne Florence, j'opposerai M. Toniolo à lui-même : il dit, en
effet, plus loin que les patarins se plièrent, dans cette ville, à une
grande austérité de vie, jointe à une grande activité, à une grande éco-
nomie, et qu'ils devinrent riches.
Cette question nous a fait mettre un pied dans le troisième chapitre
(facteurs slorico-civils) ; mettons-y les deux dès à présent. C'est de beau-
coup la plus considérable partie de l'ouvrage, car elle embrasse toute
l'histoire florentine jusqu'au milieu du xni« siècle, et il s'agit de recher-
cher comment les événements de cette histoire ont pu contribuer au
développement économique. Toutefois il y a des longueurs, des hors-
d'œuvre. A quoi bon, par exemple, nous parler de la construction des
ponts, du pavage de la ville, de l'érection d'un palais pour le podestat
et autres choses semblables ? sont-ce donc des facteurs économiques ?
Sans doute le trafic a plus ses aises là où il y a des ponts, des pavés,
des routes, des maisons; mais, comme cela est vrai de toute ville, pas
n'était besoin d'en parler, ou, sur cette échelle-là, il faudrait parler de
tout.
Mais, cette réserve faite, nous reconnaîtrons volontiers que M. Toniolo
422 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
voit, ici, fort juste sur bien des points. II a raison de montrer le génie
économique éclatant dès les premiers jours chez ces montagnards de
Fiesolo qui viennent s'établir sur les bords de l'Arno dans ces fameuses
villette ou magasins d'où sortit Florence. Il a raison de dire que l'im-
portance économique de Florence en précéda de beaucoup l'importance
politique et en fut le principal élément générateur; que dans aucune
autre cité d'Italie les événements politiques ne sont aussi étroitement
liés aux faits économiques; que le gouvernement des marquis a pu con-
tribuer à ce succès industriel et commercial, parce que les marquis
étaient supérieurs aux autres gouvernements contemporains et qu'ils
parvenaient à reporter la guerre jusqu'aux frontières de leur État ; que
les nobles eux-mêmes furent un facteur de quelque importance, parce
que la propriété foncière s'ajoutait, grâce à eux, à la propriété mobi-
lière, et parce qu'ils employaient leurs revenus dans les entreprises du
trafic, soit pour participer aux profits, soit pour suppléer éventuelle-
ment à l'insuffisance de leurs revenus ordinaires. Enfin, on ne peut
qu'approuver M. Toniolo quand il remarque que Florence, par la pré-
dominance du travail industriel sur le commerce proprement dit, put
jouir d'une existence propre et, tout ensemble, se mêler à l'existence
des autres États, ce que ne firent jamais au même degré ni Yenise,
Gênes, Pise au moyen âge, ni l'Angleterre dans les temps modernes.
Tout cela est fort bien déduit des faits; il n'y manque (jue quelques
preuves, quelques textes à l'appui.
Il est bien clair, d'ailleurs, que, touchant à tant de choses, M. Toniolo
fournit ample matière à la discussion. Je ne puis ici qu'indiquer quelques
points.
Est-il vrai que Florence soit plus italienne que Sienne et Lucques
par sa population ? Et en admettant que cela put être bien établi, com-
ment y prétendrait-on voir un motif de soutenir que cette population
était plus propre au travail ? Les Italiens ne passent pas, que je sache,
pour y être plus ardents que les autres peuples. Ne savons-nous pas
qu'une foule d'étrangers, des Flamands surtout, venaient dans cette ville
offrir leurs bras à un travail vraiment rémunérateur ?
M. Toniolo affirme, sur le témoignage des chroniqueurs, que jus-
qu'en 1215, sauf entre 1177 et 1180, les Florentins furent unis. Je ne
crois guère à l'union stable chez un peuple non soumis à un maître,
sauf aux heures critiques où un grand intérêt lésé réunit momentané-
ment toutes les volontés, impose silence à toutes les oppositions. En ce
qui concerne Florence, quand on connaît son procédé de faire la paix
dans les campagnes, lequel était de forcer les nobles vaincus à vivre
dans la ville, je ne puis me persuader qu'il n'en résultât pas des divi-
sions, des agitations. Le silence des chroniqueurs prouve simplement
qu'ils ne parlent que des grandes crises, à forme épique, comme celle
de 1177, où éclatèrent toutes les haines accumulées.
Le peu qu'on sait sur ces périodes reculées ne permet guère d'admettre
autrement que sous bénéfice d'inventaire les époiiues que prétend établir
TONIOLO : POTENZA ECONOMICA 1)1 FI11E\ZE. 123
M. Toniolo. Admettons que la .conquête de Fiesole, en 1125, soit une
époque économique, parce que l'industrie et le trafic des Florentins,
n'ayant plus l'ennemi féodal sur la tète, purent prendre un plus libre
essor ; mais pourquoi faire le même honneur au gouvernement du podes-
tat ? Quelle influence ce magistrat étranger, ce souteneur de nobles,
put-il avoir pour accélérer le progrès ? Voici une période qui s'étend de
1180 à 1-250; M. Toniolo y voit deux époques distinctes : 1» de 1180 à
1218, « pacifique évolution de la vie intérieure et suite de la politique
extérieure commerciale. » Ainsi définie, en quoi cette fraction de période
mérite-t-elle d'être considérée comme une époque ? 2" De 1218 à 1250,
plus d'éclat dans les luttes intérieures, développement des vues de poli-
tique extérieure commerciale. Avec des motifs aussi vagues, des carac-
tères aussi peu tranchés, rien ne serait plus facile que de multiplier
indéfiniment et de modifier incessamment les divisions. Je ne prétends
pas d'une manière absolue que toutes celles de notre auteur manquent de
fondement; ce que je dis, c'est que, si elles en ont un, il n'a pas été mis
en lumière. Après 1250, c'est autre chose. Là on voit nettement paraitre
un caractère nouveau, des prétentions à l'hégémonie économique sur
les autres villes de la région, et cela justement à l'heure oij s'accentuent
les conflits entre classes.
Je ne crois pas qu'il soit légitime de signaler chez les Florentins des
tendances à attribuer une part de plus en plus grande et finalement
absorbante à la population des artisans. Si M. Toniolo veut dire l'en-
semble des arts majeurs et mineurs, il a trop raison : traitant les nobles
en parias, les meneurs de la bourgeoisie ne pouvaient s'appuyer que sur
les arts ; mais si, comme son mot de « population artisane » permet de
l'inférer, il pense aux arts mineurs ou à la classe au-dessous, celle des
braccianti ou hommes de peine, il se trompe gravement, puisque la
démocratie florentine est tombée en oligarchie, et de là en monarchie,
justement parce qu'elle n'a pas su faire une juste part aux moindres
arts, aux artisans.
Le dernier chapitre (facteurs éthico-économiques) a, comme le précé-
dent, l'inconvénient d'indiquer des facteurs universels, qui n'ont rien de
particulièrement florentin : par exemple, l'influence de la religion, des
doctrines philosophiques, l'affranchissement des serfs, voulu par la reli-
gion, ce qui, pour le dire en passant, n'a pas empêché Florence d'avoir
fort longtemps des esclaves. Beaucoup de considérations générales n'au-
raient dû trouver place dans cet ouvrage que sous la forme rhétoricienne
de la prétérition. II y en a même qui pourraient être discutées : ainsi,
selon M. Toniolo, l'industrie manufacturière élève à l'amour de la loca-
lité, tandis que la possession foncière et l'agriculture donnent et entre-
tiennent l'amour de la grande patrie. Quoi ! n'est-ce donc pas pour les
paysans qu'on a créé ce mot : patriotisme de clocher? Il est vrai que
ceux qui préconisent aujourd'hui la commune autonome mériteraient
aussi bien qu'on le leur appliquât, si le mot de clocher n'était propre à
les frapper d'apoplexie. Il n'y a que l'éducation et l'instruction, — ou
j[2Ji COMl'TES-UENDOS CRITIQUES.
les voyages et par conséquent le service militaire, — pour inspirer,
sous sa forme la plus large, le vrai patriotisme. Sans ce qui ouvre l'es-
prit en élargissant les horizons, il n'y a dans la campagne, comme dans
les villes, qu'amour étroit de la localité.
Chose singulière ! n'étant point historien, M. Toniolo devrait, semble-
t-il, se mouvoir à l'aise surtout dans les considérations générales et y
être plus invulnérable ; c'est pourtant dans les considérations particu-
lières, quand il parle de ce qui est proprement florentin, qu'il est le
plus solide; c'est que son pied se pose alors sur le sol. Il sent bien que
Florence est une ville industrielle plus que commerçante et qu'elle ne
fait le commerce que pour alimenter son industrie, tandis que Venise,
Gênes, Pise sont des puissances vetturiere, des ports de transit. Il voit
bien que, si dans les autres villes les arts ont pu tenir le pouvoir un
moment, Florence est la seule où ils l'aient tenu un siècle et demi, et
où, l'ayant un moment perdu, ils l'ont recouvré. Seulement, il ne me
parait pas plus ici que plus haut tenir un compte suffisant de la distinc-
tion entre les arts majeurs et les arts mineurs, qui sont presque con-
stamment en lutte pendant la plus grande partie de cette histoire. De
plus, il est dupe d'une illusion, quand il semble admettre que tomber
en oligarchie, ce soit pour les arts, même majeurs, recouvrer la prépon-
dérance. Sans doute ce sont leurs chefs qui la reprennent; mais alors,
sous les Albizzi, ils forment une oligarchie de richards qui cessent, pour
le plus grand nombre, de travailler et même de faire travailler. Et c'est
parce que les Médicis eurent, au contraire, le bon esprit de rester dans
les grandes affaires, d'employer tout un monde d'agents et d'artisans,
qu'ils ont acquis une base solide d'opérations et fini par triompher.
On voit que nous faisons la part belle au travail; il ne faudrait pas
pourtant l'exagérer. Si les Florentins ont eu l'énergie, la flexibilité du
caractère, l'activité dans la liberté, la dignité civique à un plus haut
degré que les autres républiques d'Italie, ce n'est pas parce qu'ils étaient
industriels, comme le dit M. Toniolo ; c'est parce qu'ils étaient Floren-
tins. C'est pour cela qu'ils se sont appliqués à l'industrie et que, quand
ils l'ont empruntée à d'autres, ils l'ont transformée par le génie de l'in-
vention, comme l'art de fabriquer le drap, venu de Pise, de Lucques,
de Sienne, mais devenu l'art perfectionné, l'art éminemment florentin
de Calimala. Quant aux autres facteurs « éthiques, » l'honnêteté privée,
la sobriété, la parcimonie, dont parle aussi notre auteur, ce sont là, je
le sais, des qualités célébrées par Dante, mais pour glorifier les temps
antérieurs au sien, et au détriment du sien; puis par Villani, mais pour
louer le temps de Dante. C'est toujours l'histoire de l'âge d'or que
placent dans le passé, comme un mirage rétrospectif, toutes les barbes
grises qui se font laudatores temjjoris acti. En tout cas, ces facteurs-là,
s'ils ont servi à fonder la prospérité industrielle et commerciale de Flo-
rence, ce dont je ne voudrais pas jurer, l'homme au bout du compte
étant toujours le même, ils avaient certainement disparu dans la
période du plein développement.
BEZOLD : BRIEFE DES PFALZGRAFEN .1. -CASIMIR. 425
En somme, il faut retenir ce que notre auteur s'est efforcé de bien
faire ressortir, à savoir que Florence, arrivant plus tard que les villes
ses voisines sur le champ du travail industriel, y a su prendre la pri-
mauté. C'est là un fait très digne d'attention pour l'économiste et aussi
pour l'historien ; nous ne sommes point surpris qu'il ait donné à
M. Toniolo l'idée de sa grave étude. Ce docte professeur a beaucoup
d'idées justes et il fait penser; que peut-on lui demander de plus sur
ce terrain mouvant de l'économie politique ? P.
Briefe des Pfalzgrafen Johann Casimir, mit verwandten
Schriftstucken , gesammelt uncl bearbeitet von Friedrich von
Bezold. Auf Veranlassung une! mit Unterstutzung S. M. des Kœnigs
von Bayern herausgegeben durch die Historisclie Commmion der
k. Akademie der Wissenschaften. Bd I, ^ 576-82. Munich, Rieger,
4 882, vni-590 p. in-8°.
L'ouvrage, dont la rédaction a été confiée à M. Fr. de Bezold, con-
tinue les Briefe des Kurfûrsten Friedrichs des Frommen ; il complète en
même temps cet important travail de Kluckhohn, car l'éditeur avait
à traiter en première ligne de la politique suivie par la cour de Heidel-
berg. En réalité, fils chéri de l'électeur Frédéric, l'ambitieux, le belli-
queux Jean-Casimir exerça pendant les dernières années du règne de
son père une influence extraordinaire ; c'est grâce à lui que, môme
après la Saint-Barthélémy ', les relations furent reprises avec le gouver-
nement français. Après la mort de l'électeur Frédéric, la petite cour de
Jean-Casimir fut le centre de projets guerriers. M. Fr. de Bezold a
déjà montré, dans un remarquable article de l'Allgemeine deutsche Bio-
çfraphie, combien les desseins de ce prince ambitieux étaient mal pro-
portionnés à ses moyens. Son intervention aux Pays-Bas et en France
lui apporta peu de renommée. Parfois le rôle qu'il joua fut bien près
d'être une trahison envers les intérêts des Réformés. Le même homme
qui a sauvé l'église réformée d'Allemagne d'une crise dangereuse parait,
suivant une excellente expression de M. de Bezold, « sur la scène delà
politique européenne comme un acteur maladroit et malheureux. »
Le l""' vol. de ses lettres, bien qu'il embrasse seulement six années,
contient déjà des preuves nombreuses de l'exactitude de ce jugement.
Il montre aussi que la vie de ce prince est un très précieux commen-
taire pour l'intelligence de la politique européenne, si compliquée à cette
époque. M. do Bezold a tout fait pour que le lecteur lui sache de sa
1 . Remarquons en passant que Bezold rejette lui aussi la théorie de la prémé-
ditation (p. 87, 88). M. Baumgarten a pu mettre à profit ce l" vol. des lettres
de Jean Casimir pour son livre Vor der Bnrtholomxusnacht (Strasbourg,
Trlibner 1882), la meilleure réfutation qu'on ait de l'ouvrage de M. Henri Bordier.
'i2<i COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
publication le gré qu'elle mérite. Son introduction, de plus de deux
cents pages, est un modèle; les remarques dont les pièces sont accom-
pagnées en sont un excellent contrôle. Il possède la littérature du sujet
comme on ne pouvait guère l'acquérir ailleurs qu'à Munich, où il avait
à sa disposition une admirable bibliothèque. Lorsqu'il a eu à enga-
ger des polémiques contre d'autres historiens, par exemple contre Groen
van Prinsterer, Motley, Hicusser, Ritter, il l'a fait avec circonspection.
Il n'est pas besoin de dire combien sa publication doit être consultée
pour la critique des sources françaises telles que de Thou et de Serres.
Les historiens français devront aussi accorder leur attention à ce travail
qui traite si particulièrement des événements et des personnages fran-
çais, et cela d'autant plus que l'éditeur a mis à profit leurs propres
recherches. La première campagne en France du jeune comte palatin
Jean-Casimir en 1567-68, où il conduisit des secours aux Huguenots
fort pressés ; les négociations avec le duc d'Anjou qui, élu roi de Pologne,
prit son chemin à travers l'Allemagne ; l'alliance conclue par Jean-
Casimir avec Henri de Gondé à Strasbourg en 1.574 ; la seconde cam-
pagne en France de l'ambitieux prince allemand en 1575 et 1576; la
paix de Monsieur; sur tous ces événements, l'introduction de M. do
Bezold jette une nouvelle lumière. Dans les documents publiés à la
suite, les affaires françaises, les négociations de Jean-Casimir avec tous
les partis, les Guises et les Huguenots, le roi et Henri de Navarre, com-
posent peut-être le principal sujet. Il va sans dire que l'histoire de
l'empire allemand reçoit elle aussi, de la présente publication, de nom-
breux éclaircissements ; mais même les historiens des Pays-Bas, de la
Suisse ^, de l'Angleterre n'y trouveront pas peu de documents qu'aupa-
ravant ils ne pouvaient connaître.
Ce volume aurait été beaucoup plus complet encore si de gros morceaux
de la correspondance politique de Jean-Casimir n'avaient été perdus. Les
archives de l'ancien Palatinat ne contiennent que des fragments de ses
négociations avec l'Angleterre, les Pays-Bas et les cantons réformés de
la Suisse ; il existe aussi plus d'une lacune dans le commerce diploma-
tique de l'infatigable prince allemand avec la France; M. de Bezold,
dans son vif désir de se procurer en dehors de Munich des éclaircisse-
ments plus étendus, a cherché et trouvé dans de nombreuses archives
et bibliothèques d'importants compléments à ce que Munich lui avait
fourni d'abord. Il a été surtout heureux à Marbourg, à Dresde et à
Paris. En ce qui concerne Paris, il ne pouvait lui être possible, à beau-
coup près, de fouiller les grandes masses de documents qui s'y trouvent,
et en particulier à la Bibliothèque nationale; c'est l'affaire des érudits fran-
çais de venir en aide aux travailleurs étrangers par leurs propres publi-
cations. M. de Bezold remarque qu'on ne devrait pas non plus se borner
à Paris. D'après une note àe\à France protestante, à laquelle il se réfère
l . Cf. par exemple une lettre très intéressante de Beutterich à Bèze, 6 sept.
1582, p. 533; elle est conservée aux archives de Genève.
ROOSES : CHRISTOPHE PLANTIN. 427
dans sa préface, p. vi, la bibliothèque de l'abbaye de Saiat-Vincent à
Besançon a possédé des parties de la correspondance de Jean-Casimir
avec Gondé. Un séjour accidentel à Venise a fait connaître à M. de
Bezold des copies de dépêches des envoyés vénitiens, qui lui ont été
d'une grande utilité ; il espère, pour les volumes suivants, pouvoir uti-
liser les originaux qui se trouvent à Vienne. Il n'est pas nécessaire
d'énumérer toutes les autres archives et bibliothèques d'où M. de
Bezold a tiré des documents entiers ou de petites notices. Personne ne
sait mieux que lui qu'il reste encore dans l'ombre beaucoup de points
importants ; que beaucoup de documents, qui pourraient servir à les
éclairer, sont disparus sans laisser de traces ; mais il parle presque
trop modestement de ce qu'il a fait lui-même. Le mérite de son ouvrage
sera reconnu avec le plus de gratitude par tous ceux qui seront assez
heureux pour combler une des lacunes que sa publication laisse sub-
sister. Nous espérons en recevoir bientôt la suite.
Alfred Stern.
Christophe Plantin, imprimeur anversois, par Max RoosES, con-
servateur du musée Plantin-Mo relus. —Anvers, Jos. Maes, ^882.
(466 pages in-folio. Prix : ^00 fr.)
C'est par erreur que ce splendide volume porte la date de 1882. Il a
paru seulement à la fin de 1883, comme le prouve la dédicace de l'au-
teur au bourgmestre d'Anvers, M. Léopold de Wael, datée du l*'- sep-
tembre de l'année dernière. Aussi pensons-nous être l'un des premiers
à signaler le livre de M. Rooses à l'attention des spécialistes.
On sait qu'il existe à Anvers un musée unique, composé des bâti-
ments, du matériel, de la bibliothèque, des tableaux et des archives de
l'officine plantinienne , créée au xvi« siècle par Christophe Plantin et
conservée jusqu'à nos jours avec un soin pieux par ses descendants
anoblis les Moretus. La ville d'Anvers acheta cette admirable collection
avec son local pour la somme de 1,200,000 francs, l'ouvrit au public en
1877 et chargea M. Rooses d'utiliser les milliers de documents contenus
dans la « Maison Plantin. »
M. Rooses, qui a beaucoup écrit en néerlandais, est un critique d'art
et de littérature très estimé en Hollande et dans la Belgique flamande.
Sa grande histoire de l'école de peinture anversoise [Geschicdetiis der
Antiverpsche Schilderschool , 1879), a été traduite en allemand et devrait
l'être aussi en français. Depuis qu'il est conservateur du musée Plantin,
M. Rooses a produit plusieurs travaux d'érudition relatifs à l'impri-
merie plantinienne. Son Christophe Plantin^ que l'éditeur Maes a publié
avec un luxe digne du sujet, est une œuvre de premier ordre, pleine de
révélations et d'aperçus nouveaux.
Christophe Plantin était Tourangeau. Il naquit dans un village près
de Tours (on ne sait au juste lequel) en 1514 et il était iils d'un dômes-
428 COMl'TES-RENDUS CRITÏQCES.
tique. M. Rooses renverse définitivement la légende de son origine
noble que ses descendants imaginèrent plus tard. Plantin fit son appren-
tissage d'imprimeur à, Caen, où il se maria. En 1549, deux ans après
la naissance de son premier enfant, il vint s'établir à Anvers, qui était
alors la ville la plus florissante et la plus opulente du nord de l'Europe.
Plantin y exerça d'abord la profession de relieur et de maroquinier.
En 1555, il ouvrit une petite imprimerie. En peu d'années et malgré les
troubles religieux il était devenu le premier imprimeur des Pays-Bas
et avait obtenu de Philippe II le titre d'imprimeur du roi ou d'archi-
typographe de S. M. En même temps sa librairie était l'une des plus
considérables de l'époque. Lorsque le parti du prince d'Orange prit le
dessus pendant quelques années, il devint imprimeur officiel des Etats-
généraux et, s'étant transporté à Leide , imprimeur de l'université cal-
viniste et des États de Hollande. Après la prise d'Anvers par Alexandre
Farnèse, il revint prendre la direction de ses ateliers, dont il avait
abandonné le soin à son gendre Jean Moretus , et il mourut à Anvers
en 1589.
M. Rooses a dressé une longue liste de tous les imprimeurs et
libraires avec lesquels Plantin eut des rapports [Documents n» ix). A côté
de ceux des Pays-Bas, on y trouve une multitude de confrères français,
allemands, suisses, anglais, écossais, italiens, espagnols, portugais et
polonais. A partir de 1567, Plantin eut une succursale à Paris. Il eut
aussi des agents en Espagne , puis une succursale à Salamanque. Il
songea à en fonder une à Londres. Une partie de l'édition de la Bible
en hébreu (1566i fut écoulée par un agent spécial en Barbarie. Tous les
ans, Plantin se rendait à la célèbre foire de Francfort ou y envoyait l'un
de ses gendres. Toute sa vie il mit en pratique sa fameuse devise :
Labore et constantia. Malgré le malheur des temps, malgré des embarras
financiers un instant inextricables et des difficultés incessantes, il laissa
une fortune que M. Rooses ne craint pas d'évaluer à plus d'un million
de francs de notre monnaie.
Le livre de M. Rooses nous rappelle ces grandes compositions des maî-
tres hollandais du XYii'2 siècle, représentant une nombreuse famille: père,
mère, enfants, gendres, brus, petits-enfants, intimes et familiers de la
maison. Toutes ces figures, vues de face, de profil, de trois quarts,
éclairées vivement ou laissées dans la pénombre, ont cependant chacune
leur physionomie propre et toutes sont groupées avec une savante
naïveté autour du chef de la famille. Christophe Plantin est ici le
centre de la composition ; mais à ses côtés nous voyons sa vaillante et
simple épouse, Jeanne Rivière, de Caen, ses nombreuses filles, ses
gendres , parmi lesquels se détachent sur le premier plan les excellents
typographes Jean Moretus et François Raphelengien.
Voici près de lui le groupe des savants du temps, qui ont eu des rela-
tions suivies et cordiales avec Plantin : le directeur de la fameuse
_6?'&;ej:)o/7/^;o«(;, le sympathique Arias Montanus,confesseurde Philippe II,
les grands botanistes du xvi« siècle, Dodonée (Rembert Dodoens) de
ROOSES : CHRISTOPHE PLANTIN. '«29
Malines, Charles de l'Escluse d'Arras et Mathieu de Lobel de Lille, pour
les ouvrages desquels Plantin a fait dessiner d'après nature et graver
des centaines de planches admirables ; les grands géographes Abraham
Ortelius, d'Anvers, et Gérard Mercator de Rupelmonde ; l'archéologue
Hubert Goltzius, l'un des fondateurs de la numismatique ; le mathéma-
ticien Simon Stévin, de Bruges; le grand et modeste philologue Kilia-
nus, simple typographe ; le cardinal Baronius et surtout Juste-Lipse,
l'ami illustre et dévoué de Plantin jusqu'à sa mort.
Mais voici un autre groupe, plus nombreux encore, que M. Rooses a
tiré d'un injuste oubli. Ce sont les artistes que Plantin employait à illus-
trer ses admirables éditions. Il y a là les dessinateurs Pierre van der
Borcht et Grispin van den Broeck, de Malines, Godefroi Ballain, de
Paris, Luc d'Heere, de Gand, Martin de Vos et Pierre Huys, d'Anvers ;
les graveurs sur bois Arnaud Nicolaï, Antoine van Leest, Gérard Jansen
de Kampen, Corneille MuUer, Guiliaume de Paris, Jean de Gourmont,
de Paris, Marc Duchêne, Jean Crisoone ; les graveurs sur cuivre Jean
et Jérôme Wiericx, toujours ivres, toujours en prison ou dans les mau-
vais lieux, d'où il fallait les arracher pour obtenir d'eux des chefs-
d'œuvre, Abraham de Bruyn, Jean Sadeler, Pierre van der Heyden,
Jules Goltzius, Pierre Dufour (Furnius), de Liège, etc.
Cette biographie de Plantin est ainsi une galerie des savants, des
artistes, des imprimeurs et des libraires du xvi« siècle dans les Pays-
Bas. L'énigmatique figure de Philippe II n'y manque même pas :
M. Rooses nous le montre se faisant envoyer d'Anvers en Espagne une
épreuve de chaque feuille d'impression de la Bible polyglotte, au moment
même où l'administration du duc d'Albe dans les Pays-Bas et toutes
ses autres entreprises lui donnaient cependant tant de soucis, et corri-
geant de sa propre main, en 1571, les instructions très étendues four-
nies à Plantin pour l'impression des livres liturgiques destinés à l'Es-
pagne, changeant certaines dispositions des offices, certaines expressions
des cantiques et des prières, émendant des erreurs de copiste, se préoc-
cupant de l'emploi d'une vignette, d'une lettre coloriée, en un mot fai-
sant œuvre de correcteur d'imprimerie. « Ainsi, au lieu de Magnifica
beata mater et innupta, comme portait le petit office du samedi, il pro-
posa de dire : Magnifica beata mater et intacta, ce qui vaut évidemment
mieux. Aux mots Domine, salvum fac Regem, il proposa d'ajouter nos-
trum, parce qu'on dit : Oremus pro Papa nostro. » (P. 166 et 167.)
M. Rooses expose en détail l'origine et les développements de la
législation draconienne que Charles-Quint et Philippe II firent peser
sur l'imprimerie et sur la librairie dans les Pays-Bas (p. 201 et suiv.).
Avant d'imprimer ou de réimprimer quoi que ce soit, l'éditeur devait
se pourvoir d'une approbation ecclésiastique et d'un privilège émanant
des autorités civiles. Ces pièces ne s'obtenaient pas sans cadeaux. Dans
ses comptes de 1565, Plantin mentionne qu'il s'est rendu à Bruxelles
pour solliciter quelques autorisations et qu'il a offert à M. le chancelier
« 4 formages d'Auvergne constants 15 patards pièce, 8 paniers de pru-
430 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
neaux et poires à 3 1/2 patards pièces, 1 Bible in-ie» réglée, dorée; »
de plus il a offert au curé de Sainte-Gudule « 2 formages et 6 paniers,
1 Bible 16o lavée, réglée, dorée, « et à d'autres personnages, parmi les-
quels se trouve Hopperus, des fromages, des pruneaux, des poires et des
Bibles en proportion de leur influence, sans compter les taxes acquittées
en argent.
Néanmoins Plantin gagnait d'ordinaire de 300 à 400 pour cent sur
les livres qu'il imprimait et éditait. Malgré ce bénéfice énorme, le prix
de vente était remarquablement bas en comparaison de ce que nous
payons actuellement nos livres. Gela s'explique. Les imprimeurs du
xvi« siècle ne payaient presque jamais d'honoraires aux auteurs; le
salaire des ouvriers typographes était si peu élevé qu'il était de beau-
coup inférieur à celui des maçons, des charpentiers et des ardoisiers
(p. 253) ; enfin le tirage était considérable et la consommation impor-
tante à cause de la soif de lecture et de science qui distinguait alors la
classe aisée.
Le livre de M. Rooses nous fait connaître jusque dans ses moindres
particularités l'organisation de l'imprimerie au xvi« siècle, ainsi que celle
de toutes les industries qui s'y rattachent : reliure, papeterie, gravure,
taille des caractères typographiques. Il nous renseigne aussi exactement
sur la condition des ouvriers, la correction des épreuves, les salaires,
l'apprentis-sage, les rapports entre patron et ouvriers, les grèves des
typographes, les règlements détaillés et très sévères qui étaient affichés
dans les ateliers, la caisse des pauvres, des malades et des ouvriers
voyageant en quête d'ouvrage, le conseil des typographes où le patron
siégeait avec les délégués de l'atelier, etc.
Plantin alla jusqu'à employer 160 ouvriers dans son officine. Il était
très exigeant, mais il semble avoir été juste, compatissant et aimé de
ses inférieurs. Il donnait lui-même l'exemple de l'activité et de l'ardeur
au travail et il élevait très sévèrement ses cinq filles. « Dès leur pre-
mière enfance, il leur faisait apprendre à lire et à écrire, et, chose à peine
croyable, depuis l'âge de quatre à cinq jusqu'à l'âge de douze ans, les
quatre premières de ses cinq filles étaient employées à lire les épreuves
de l'imprimerie, de quelque écriture et dans quelle langue qu'elles fussent.
Dans les intervalles de leurs études et de leurs occupations de correc-
teurs, elles s'initiaient aux travaux à l'aiguille. » (P. 214.)
M. Rooses nous conte par le menu la vie et les mariages de ces filles,
nous décrit leurs repas de noces, nous renseigne sur leurs dots, sur
leurs maris, sur leurs enfants et sur leurs occupations. Il nous présente
même le jeune Christophe Beys, fils d'Egide et de Madeleine Plantin,
qui habitait chez son grand-père et lui donnait parfois du fil à retordre.
Un jour que la conduite de l'enfant avait laissé à désirer, Plantin, en
guise de pensum, lui fit rédiger une page en latin, dans laquelle le jeune
Christophe, âgé de quatorze ans, donne en détail l'emploi de sa journée.
Voici ce curieux document, traduit en français :
ROOSES : CHRISTOPHE PLANTIN. 431
« Occupations de Christophe Bei/s, le 21 février iS87.
« A six heures et demie, je me suis levé. Je suis allé embrasser mon
grand-père et ma grand'mère. J'ai déjeuné ensuite. Avant sept heures
j'allai en classe et récitai bien ma leçon de syntaxe. A huit heures,
j'entendis la messe. A huit heures et demie, j'ai appris ma leçon de
Cicéron et l'ai bien récitée. A onze heures, je suis revenu à la maison
et j'ai appris ma leçon de phraséologie. Après le dîner, je suis retourné
en classe et ai bien récité ma leçon. A deux heures et demie, j'ai bien
récité ma leçon de Cicéron. A quatre heures, je suis allé au sermon.
Avant six heures, je suis retourné à la maison et j'ai lu une épreuve du
Libellus Sodalitatis avec mon cousin François (Raphelengien). Je me
suis montré récalcitrant en lisant les épreuves de la Bible. Avant le
souper, mon grand-père m'ayant fait venir pour lui répéter ce que l'on
avait prêché, je n'ai voulu ni aller ni répéter; et même, quand les
autres m'engageaient à demander pardon à grand-père, je n'ai pas voulu
répondre. Enfin je me suis montré à l'égard de tous orgueilleux, opi-
niâtre et entêté. Après le souper, j'ai écrit mes occupations de la journée
et je les ai lues à mon grand-père. La fin couronne l'œuvre » (p. 225).
A l'aide des archives plantiniennes, M. Rooses est ainsi parvenu à nous
tracer un tableau complet et des plus intéressants de l'intérieur de
Christophe Plantin et de la manière de vivre de cette importante et
nombreuse famille anversoise de la fin du xvi^ siècle.
Il est surtout une face de son sujet que M. Rooses a traitée avec soin
et qui méritait d'ailleurs de l'être: les relations de Plantin avec la
Réforme et son attitude au milieu des tourmentes politiques et reli-
gieuses de son pays d'adoption.
Quand Plantin vint s'établir à Anvers en 1549, cette ville était déjà
le foyer de la propagande occulte des protestants dans les Pays-Bas. Or,
en 1562, tous les biens de Plantin, qui s'était prudemment retiré à Paris,
furent saisis et vendus. Il n'y eut de réservé que les habillements de sa
femme et de ses enfants. Le margrave d'Anvers avait procédé à cette
exécution, parce qu'on avait découvert que Plantin avait imprimé un
livre hétérodoxe. C'était la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite de
Parme, sœur naturelle de Philippe II, qui avait ordonné les poursuites.
Le chanoine Josse Ravesteyn, dit Tiletanus, inquisiteur général des
Pays-Bas, avait même fait arrêter toute la famille Plantin y compris
la servante. Christophe Plantin resta absent pendant environ vingt mois.
Etant rentré à Anvers en septembre 1563, il parvint à se justifier tant
bien que mal et rouvrit une imprimerie. Il est à remarquer que tous
ses bailleurs de fonds se distinguèrent dans la suite par leur attache-
ment au culte calviniste.
On avait toujours cru que Plantin avait été secrètement calviniste,
mais M. Rooses prouve qu'il a appartenu successivement à deux sectes
extrêmement bizarres de libertins ou libres-penseurs du xvi^ siècle.
432 COMPTES-RENDUS CHITIQDES.
L'une d'elles s'intitulait « la Famille de la Charité » et avait pour chef
Henri Niclaes. C'était un mystique dont les ouvrages sont extrêmement
nébuleux ; taais sa doctrine ofl're un côté très curieux. Il rapportait tout
à la pratique de la charité et enseignait que le culte extérieur est sans
importance. « A une époque, dit M. Rooses, où l'on guerroyait sans
trêve ni merci avec les textes bibliques, oii on les employait à prouver
les systèmes les plus contradictoires, où les églises se levaient du jour
au lendemain comme les champignons dans les bois, où la haine reli-
gieuse mettait les armes à la main et l'injure à la bouche des chrétiens
dans la plus grande partie de l'Europe, une doctrine de paix et de cha-
rité qui iaisait abstraction de tout esprit sectaire et, en prêchant l'amour
du prochain et de Dieu, prenait dans les différentes églises ce qu'elles
avaient de commun et de plus noble, devait faire des adeptes, même
parmi des esprits d'élite, comme Plaatin et certains de ses amis » (p. 65).
D'ailleurs Henri Niclaes permettait à ses disciples de rester fidèles aux
pratiques du catholicisme et lui-même se déclarait fils soumis de Rome.
Tel était le rêveur nuageux qui fut en rapports intimes avec Plantin,
esprit lucide, homme pratique par excellence. M. Rooses a surtout tire
ces révélations d'un manuscrit conservé à Leide dans la bibliothèque
de la Société de littérature néerlandaise, manuscrit qui lui avait été
signalé par M. P. -A. Tiele, alors bibliothécaire de l'université de Leide^
et que le savant M. Arnold, actuellement collaborateur de la Bibliotheca
helgica à Gand, a bien voulu transcrire pour M. Rooses.
On y voit que Plantin avait imprimé clandestinement les livres de
Henri Niclaes, et était resté en correspondance secrète avec lui jusque
sous le duc d'Albe, au moment où il sollicitait de Philippe H l'autori-
sation d'éditer la Bible polyglotte et où il fai.'^ait tant de protestations
d'orthodoxie. Mais il quitta ensuite la secte de Henri Niclaes et s'affi-
lia à une communauté dissidente, fondée par Henri «lanssen, plus connu
sous les noms de Barrefelt et de Hièl. « De même que Henri Niclaes,
Barrefelt, dit M. Rooses, se met en opposition complète avec ses con-
temporains sur des (juestions religieuses de haute importance. Dans
un siècle où l'autorité divine des Écritures était admise sans conteste
par toutes les églises chrétiennes, où la plus grande importance était
attachée aux points les plus subtils de la doctrine et du dogme et où
les martyrs étaient proclamés les héros de l'humanité, les deux nova-
teurs professaient un dédain à peine déguisé pour la Bible et les dogmes
révélés, et n'étaient pas loin de traiter d'égarés et de niais ceux qui
aimaient mieux sacrifier leur vie que de renoncer à leur foi ou de cacher
leurs convictions religieuses » (p. 77 et 78).
Les archives de la maison Plantin contiennent beaucoup de lettres
adressées par Barrefelt à Plantin lui-même et à son gendre Jean More-
tus; un bien plus grand nombre se sont perdues. De son côté, Plantin
lui écrivait chacjue semaine jusqu'à sa mort et imprimait en secret ses
ouvrages. Non seulement il partageait ses opinions, mais il était le chef
de sa secte à Anvers et y dirigeait les adeptes, au nombre desquels se
ROOSES : CHRISTOPHE PLANTIN. 433
trouvaient presque tous les membres de sa famille. Plantin etBarrefelt
employaient un argot de convention dans leur correspondance. La secte
se nommait le commerce, les livres à imprimer étaient des échantillons
à teindre; les presses d'imprimerie s'appelaient des cuves, les imprimeurs
de la secte étaient les teinturiers, les manuscrits à imprimer étaient
désignés sous le nom de bo7ine laine, etc. « Il fallait des preuves aussi
abondantes et aussi irrécusables, dit M. Rooses, pour élever au-dessus
de toute contestation le fait étrange que l'architypographe de Sa Majesté
catholique, qui publia avec les privilèges du pape et du roi d'Espagne
les livres liturgiques de l'église catholique et l'Index des livres prohi-
bés, ait été l'un des principaux adhérents de deux sectes hétérodoxes
et l'imprimeur des livres qu'elles vénéraient comme leurs Écritures
saintes » (p. 81).
L'attitude de Plantin fut tout aussi énigmatique à l'égard du parti du
prince d'Orange. On sait qu'à la mort de Requesens les soldats espa-
gnols, restés sans solde depuis de longs mois, se mutinèrent et com-
mirent une foule d'excès, dont la Furie espagnole, l'affreux sac d'Anvers
qui dura trois jours (nov. 1576), est le plus célèbre. Pendant ces trois
jours de pillage effréné, Plantin fut rançonné neuf fois et il déclare
quelque part qu'il lui eût été plus profitable d'abandonner ses biens et
son officine aux pillards que de les racheter tant de fois de suite. Ces
débordements de la soldatesque soulevèrent les Pays-Bas et les catho-
liques tendirent la main aux calvinistes pour combattre l'ennemi com-
mun (Pacification de Gand). Aussitôt Plantin se mit à louvoyer entre les
partis. Sans se prononcer jamais ouvertement contre l'Espagne, il faisait
ce qu'il pouvait pour ne pas offusquer le parti national et les Réformés.
En 1578, les États généraux le nommèrent leur imprimeur. Il édita leurs
ordonnances ainsi qu'une foule de pamphlets anti-espagnols. De plus,
il combla de dédicaces et de politesses le prince d'Orange, l'archiduc
Mathias et le duc d'Alençon. Parfois les livres trop violents contre
l'Église et Philippe II étaient imprimés à l'aide de ses caractères, mais
publiés sous un autre nom d'imprimeur. En même temps il correspon-
dait activement avec Barrefelt et imprimait en secret ses ouvrages.
Enfin il ne rompait pas pour cela ses relations affectueuses et sa cor-
respondance avec ses protecteurs espagnols, Çayas, secrétaire de Phi-
lippe II, Arias Montanus, son confesseur, et d'autres. Il se justifiait
sans cesse dans les lettres qu'il leur adressait et prétendait n'agir que
contraint et forcé. Pour mettre le comble à sa bizarre situation, il ne
cessait, sous ce régime ultracalviniste, d'imprimer les Pères de l'église
et des Bibles catholiques sous la direction des professeurs et des théo-
logiens de Louvain.
M. Rooses ne se dissimule pas ce qu'il y a de choquant dans la con-
duite de son héros. Il n'excuse pas, il explique d'après la vraie méthode
historique. On peut aussi se rallier pleinement à cette réflexion : « Nous
nous permettrons de rappeler que, si le xvi^ siècle a compté par milliers
les martyrs de la liberté religieuse et politique, il a compté aussi des
Rev. Histor. XXV. 2« fasc. 28
434 COMPTES-REXDUS CRITIQUES.
millions d'âmes moins fortement trempées dont les opinions changeaient
avec celles du parti dominant. Dans une époque de terrorisme, la con-
science humaine peut paraître moins scrupuleuse que dans notre temps
de liberté et de calme; mais qui nous dépeindra le spectacle que nos
contemporains nous offriraient, si ces temps d'angoisse et de tyrannie
devaient revenir ? » (P. 377.)
M. Rooses ne fait pas seulement l'histoire de Plantin et de ses con-
temporains, il fait aussi l'histoire de ses livres. Il y emploie des cha-
pitres très fouillés et très curieux. Ainsi le chapitre vi, consacré à la
Bible royale ou Bible polyglotte, est une monographie de grande valeur.
On y trouvera des détails précieux sur les attaques passionnées que sou-
leva cette grande entreprise scientifique et industrielle malgré l'appro-
bation du pape et du roi. Les ennemis de Plantin et d'Arias Montanus
partaient de ce principe que, la Vulgate ayant été déclarée la version
authentique de l'Écriture sainte par le concile de Trente, il était défendu
de s'en éloigner en aucun point et de recourir jamais aux textes grecs,
hébreux ou syriaques. Parmi ces théologiens fanatiques, il faut surtout
citer Léon de Castro, professeur à l'université de Salamauquo, et Guil-
laume Lindanus (Vander Linden), inquisiteur des Pays-Bas, plus tard
évêque de Ruremonde et de Gand. Tous deux étaient fort ignorants
dans les langues incriminées.
Au chapitre vni, nous trouvons l'histoire tout aussi détaillée du
fameux Thésaurus teutomcae linguae (1573), du lexique llamand-latin
de Kilianus et des autres dictionnaires publiés par Plantin. C'est une
page importante de l'histoire de la philologie néerlandaise. « De 1573,
dit M. Rooses, date, pour ainsi dire, l'acte d'émancipation du néerlan-
dais ; celui-ci devient l'héritier légitime de tous les dialectes qui aupa-
ravant se disputaient la prépondérance. La langue de la Flandre occi-
dentale avait servi d'idiome littéraire pendant la phase la plus ancienne
de notre civilisation, s'étendant de 1200 à l-iSO. La prospérité de nos
contrées, en se déplaçant vers l'Est et vers le Nord, donna, dans le cours
du xvie siècle, la prépondérance au dialecte du Brabant. C'est la langue
telle qu'elle était parlée à Anvers, le brabançon, la langue du Thésaurus
et du dictionnaire de Kiel (Kilianus) qui, grâce à la situation privilégiée
de notre métropole commerciale et grâce aussi aux travaux de Plantin
et de ses collaborateurs, devint la langue universelle des Pays-Bas. Il
manquait à nos contrées une capitale et une cour pour opérer cette
fusion des dialectes et créer l'uniformité; l'officine plantinienne com-
bla cette lacune ; elle servit d'académie où des savants, guidés et encou-
ragés par la vive intelligence de l'imprimeur, effectuèrent un travail
dont nos pères avaient le plus grand besoin et dont nous profitons encore
de nos jours » (p. 190). C'est ainsi le Tourangeau Plantin qui a conso-
lidé les bases de la langue néerlandaise.
Douze documents inédits et un index des noms propres et des édi-
tions plantiniennes terminent l'ouvrage de M. Rooses, qui est de plus
illustré splendidement par cent planches in-folio hors texte et par des
ROOSES : CHRISTOPHE PLANTIN. 435
centaines de gravures, de lettrines, de culs-de-lampe, etc., le tout tiré
de l'officine plantinienne elle-même et exécuté à la perfection. Les ama-
teurs de beaux livres peuvent difficilement rêver mieux que le Chris-
tophe Plantin. Il y a là les portraits en phototypie ou en gravure de
Plantin, de sa femme, de ses filles, de Jean Moretus, de Raphelengien
(plusieurs d'entre eux sont d'après Rubens), de Guillaume d'Orange, du
cardinal Granville, de Philippe II, d'Arias Montanus, do Hubert Golt-
zius, de Martin de Vos, d'Abraham Ortelius, du cardinal Baronius, de
Juste-Lipse, etc. Les grands fac-similés des frontispices et des planches
des principaux chefs-d'œuvre de Plantin sont également superbes. Ce
sont des merveilles qui font honneur à l'éditeur anversois, M. Joseph
Maes.
Je crois en avoir dit assez pour montrer combien le Christophe Plan-
lin de M. Rooses contient de choses neuves et importantes. Il est plein
de révélations sur l'histoire d'une industrie moderne de premier ordre,
sur les savants et les artistes des Pays-Bas au xvi" siècle et sur les mœurs
des Anversois à la grande époque historique de leur ville. Je n'ai qu'une
critique à faire à l'auteur, c'est de n'avoir pas spécifié plus nettement
les documents inédits des archives plantiniennes, qui lui ont servi à
éditier sa belle œuvre. Peut-être un inventaire et un numérotage sys-
tématique de ces pièces n'existent-ils pas encore. En tout cas, sans
indications nouvelles, on pourra difficilement contrôler, sur les pièces
originales, les conclusions de l'auteur.
Paul Fredericq.
436 RECOEILS PERIODIQUES.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
1. —Bibliothèque de l'École des chartes. T. XLV, 1884, livr. 1.
— Hauréau. Disputatio mundi et religionis ; poème de Gui de la
Marche (ce Gui était fils naturel de Hugues XII, comte d'Angoulême
et de La iMarche). — Em. Molinier. Inventaire du trésor du saint-siège
sous Boniface VIII (1295) ; suite. — Gauthier. Notice sur les mss. de
la bibliothèque publique de Pontarlier. — Al. Pinghart. Lettres mis-
sives tirées des archives de Belgique, concernant l'histoire de France,
1317-1324 (1" lettre écrite au nom de Jeanne, fille de Louis X le Hutin
et de Marguerite de Bourgogne, sur les protestations élevées par le duc
de Bourgogne et autres vassaux de la couronne contre l'avènement de
Philippe V, 1317 ; elle a dû être envoyée à Jean III, duc de Brabant et
de Limbourg. Les deux autres lettres, de l'an 1324, ont trait aux que-
relles incessantes soulevées entre les sujets des rois de France et d'An-
gleterre en Guyenne et ailleurs). = Bibliographie. Schmitz. Monumenta
tachygraphica cod. Paris, lat. 2718; fasc. alter (très utile pour les
paléographes). — Liichaire. Histoire des institutions monarchiques de
la France sons les premiers Capétiens, 987-1180 (excellent). — Pa/wi-irc.
La renaissance en France, 9'= et 10^ livr. : Normandie (excellent ; ces
deux fasc. terminent le t. II et achèvent la description des monuments
de la renaissance dans tout le nord de la France). — Les Curiositez de
Paris, réimprimées d'après l'édition originale de 1716 (M. de Montai-
glon a prouvé que cet ouvrage a pour auteur Claude Marin Saugrain).
— Corroyer. Guide descriptif du Mont-Saint-Michel (excellent). —
Tamizey de Larroque. Voyage à Jérusalem de Philippe de Voisins,
seigneur de Montant (un passage de cette relation dit qu'à Monteleone
les gens parlaient « gascon ; » c'est grifon qu'il faut lire ; on ne peut
s'étonner que l'on parlât encore grec dans le sud de l'Italie à la fin du
xv« s.; mais il serait bien invraisemblable qu'on y parlât gascon). =
Livr. 2. Kohler. Note sur un ms. de la bibliothèque d'Arezzo (contient
le De mysteriis, de saint Hilaire de Poitiers, qu'on croyait perdu, deux
hymnes, et un intéressant fragment d'un Voyage en Orient, dont le
rédacteur paraît avoir vécu du iv= au v^ s.; peut-être est-ce même
Galla Placidia qui fit ce voyage, et dont nous posséderions ainsi l'iti-
néraire. Intéressante analyse de ce morceau). — Vaesen. Catalogue du
fonds Bourré à la Bibliothèque nationale ; suite. — Welwert. Philippe
le Bel et la maison de Luxembourg (rassemble dans les documents de
l'époque les principaux faits qui rattachent à la France Henri de
Luxembourg, le futur empereur Henri VII, et son frère Baudouin). —
BECUEILS PÉRIODIQUES. 437
BissoN DE Sainte-Marie. Testament de Jacques de Tarente, dernier
empereur de Constantinople, en faveur de Louis d'Anjou (15 juillet 1383).
= Bibliographie. Thibaudeau. Catalogue of the collection of autograph
letters and historical documents formed between 1865 and 1882 by
Alfred Morrison (admirable collection ; plus d'un autographe provient
de nos dépôts publics, surtout de celui du ministère des affaires étran-
gères. M. Delisle publie deux documents indiqués dans ce premier vol.
du catalogue ; ils se rapportent au règne de Louis XI ; l'un est le
sauf-conduit accordé à Louis XI par Charles le Téméraire, lors de
l'entrevue de Péronne). — Moris et Blanc. Cartulaire de l'abbaye de
Lérins (travail estimable et utile). — Goi/fon. BuUaire de l'abbaye de
Saint-Gilles (bon). — Lindner. Das Urkundenwesen Karls IV und sei-
ner Nachfolger, 1346-47 (hon).—UL Robert. Étude historique et archéo-
logique sur la roue des Juifs depuis le xiii" s. (court mémoire plein
de faits). — Marchegay. Variétés historiques (publie 24 documents,
allant de 1080 à 1794).
2. — Le Cabinet historique. Nouv. série. 1883, nov.-déc, n" 6
(Champion). — Recueil de lois, décrets et ordonnances, etc., concer-
nant les bibliothèques publiques, communales, universitaires, scolaires
et populaires ; suite et fin. — Raynaud. Catalogue des mss. anglais de
la Bibliothèque nationale (comprend 95 numéros). — Lois, instructions
et règlements relatifs aux archives départementales, communales et
hospitalières; appendice. Fin. — Louis Guibert. Les confréries de
dévotion et de charité, et les œuvres laïques de bienfaisance à Limoges
avant le xv^ s. (analyse les statuts des confréries de Notre-Dame de
Saint-Sauveur et de Saint-Martial. Cette dernière subsiste encore
aujourd'hui).
3. — Revue critique. 1884, n" 14. — MUller. Ancient inscriptions
in Ceylon (collection de mince intérêt historique ; son importance est
surtout paléographique). — Joret. Des rapports intellectuels et litté-
raires de la France avec l'Allemagne avant 1789 (beaucoup de choses
intéressantes). = N° 15. Delattre. Le peuple et l'empire des Mèdes jus-
qu'à la fin du règne de Cyaxare (mémoire qui témoigne de réelles qua-
lités de méthode et de critique ; ajoute peu à nos connaissances posi-
tives sur le sujet). — Millier. Cl. Ptolemaei Geographia; vol. I pars
prima (édition remarquable).— 67mgue/. Le général Chanzy (excellent).
=r N» 16. Mispoulet. Les institutions politiques des Romains; t. II :
l'Administration (peu original, mais fort consciencieux et complet; les
renvois sont très défectueux). — Variété. Deux lettres intimes de M. et
Mme Roland (avant, et aussitôt après leur mariage). = N° 17. Schiller.
Geschichte der rœmischen Kaiserzeit. Bd. I (livre tout à fait au courant
des dernières découvertes, qu'il résume ; écrit dans un esprit partial et
exclusif; en somme, bon instrument de travail). — Pélicier. Essai sur
le gouvernement de la dame de Beaujeu, 1483-91 (très bon). = N° 18.
Boissiére. L'Algérie romaine (livre très agréable, et qui donne une idée
438 RECUEILS PERIODIQnES.
juste de l'Algérie romaine; d'ailleurs ni résultats nouveaux, ni érudi-
tion). — F. de Guilhermy et R. de Lasteyrie. Inscriptions de la France,
du v« au xviiie s.; t. V : ancien diocèse de Paris (M. R. de L. a com-
plété le travail de M. de G. par un copieux supplément et par une
table excellente). — Chuquet. Goethe; campagne de France, 1792; édi-
tion nouvelle (excellent). = N° 19. Enmann. Eine verlorene Geschichte
der rœmischen Kaiser, und das Buch De Yiris illustribus urbis Romae
(travail très consciencieux ; prouve qu'Eutrope et Aurélius Victor, dans
son De Caesaribus, ont eu une source commune pour la période qui
suit l'avènement de Septime Sévère ; et que le De viris est un extrait
d'un livre plus volumineux sur le même sujet). — Gaullieur. Histoire
de la Réformation à Bordeaux et dans le ressort du parlement de
Guyenne ; t. I (science solide, exposé intéressant). — Craven. Le prince
Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, d'après l'ouvrage de sir Th. Martin
(indispensable à qui veut étudier l'histoire contemporaine).— ia»mn5/c(/.
Secrets d'État de Venise (très curieux). =N<' 20. Homolle. Les Romains
à Délos (excellent et nouveau). — Chaste! . Histoire du christianisme;
t. IV et V (digne fin d'un ouvrage rempli de faits et d'idées intéres-
santes). - Gachard. Lettres de Philippe II à ses filles, 1.581-83 (apporte
quelques corrections à la traduction de M. Gachard). — dommartin.
Beaurepaire; épisode de la reddition de Verdun (Beaurepaire s'est
donné la mort le 2 septembre 1792, entre deux heures et demie et trois
heures du matin, non point au sein du conseil de défense, mais seul et
dans l'appartement qu'il occupait à l'hôtel de ville. Il n'était pas noble).
:= N" 21. E. Du Sommerard. Musée des Thermes et de l'hôtel de Cluny ;
catalogue (excellent remaniement). — Vatel. Histoire de M"»* du Barry
(long article, rempli de détails intéressants). = N' 22. MiUler. De demis
atticis (médiocre). — Szanto. Untersuchungen iiber das attische Bur-
gerrecht (beaucoup de bonnes choses). — Hug. Studien aus dem clas-
sischen Alterthum (discours académique, où l'auteur a essayé de
mettre en relief les pensées créatrices « du vrai fondateur de la démo-
cratie athénienne, Clisthène »). = N» 23. Drunot. Un fragment des
Histoires de Tacite. Étude sur le De moribus Germanorum (des vues
ingénieuses ; travail un peu superficiel). — Forneron. Histoire générale
des émigrés pendant la Révolution française (très intéressant, mais
fait beaucoup trop vite. Beaucoup d'erreurs de détail).=N° 24. Gagnât.
Explorations épigraphiques et archéologiques en Tunisie; fasc. 1-2
(d'heureuses trouvailles, fort bien présentées). — Harrisse. Les Corte
Real et leurs voyages au Nouveau-Monde (étude remarquable, complé-
tée par le fac-similé d'un planisphère composé en 1502). — HeUivald.
Kulturgeschichte in ihrer natiirlichen Entwickelung (livre rempli d'idées
originales et suggestives).
4. — Bulletin critique. 1884, 15 avril. — Gautier. La chevalerie
(important pour l'histoire de la civilisation en France). — Jouin.
Antoine Goysevox ; sa vie, son œuvre et ses contemporains (excellent
art. de M. Courajod, qui relève des erreurs nombreuses dans cet
RECUEILS PERIODIQUES. 439
ouvrage). = 1" juin. Callen. L'église métropolitaine et abbatiale Sainct-
André de Bourdeaux, par maître Hierosme Lopès (bonne réimpression,
avec d'utiles additions et commentaires). — Luchaire. Histoire des
institutions monarchiques de la France, 987-1180 (excellent). — Grand-
claude. Jux canonicum juxta ordinem decretalium (excellent commen-
taire des décrétales). — Tamizey de Larroque. Arnauld de Pontac,
évèque de Bazas, 1572-1605 (réimpression de plusieurs de ses œuvres,
avec des notes aussi copieuses qu'instructives). — Sudre. Les finances
de la France au xix^ s. (bon).
5. — La Révolution française. 1884, 14 avril. — Aulard. Des
portraits littéraires au xvin^ s. pendant la Révolution ; suite. — Duc
d'Orléans. Traité philosophique, théologique et politique de la loi sur
le divorce. — Advielle. Les portraits inédits des révolutionnaires
d'Arras. — Ostyn. Le procès de Marie- Antoinette : suite. Fin le 14 mai.
= 14 mai. Penaud. Le conventionnel Noël Pointe; suite.
6. — Répertoire des travaux historiques, contenant l'analyse
des publications faites en France et à l'étranger sur l'histoire, les monu-
ments et la langue de la France pendant l'année 1882. Tome II, n° 4
(Hachette, 1883 ; paru en 1884).
7. — Comité des travaux historiques et scientifiques. Bulle-
tin. Section d'archéologie. 1884, n° 2. — Barbier de Montault. Inven-
taire des reliques de l'abbaye de Nouaillé (Vienne, au xvn" siècle). —
Castan. L'origine et la qualité du portrait de l'infante Isabelle-Claire-
Eugénie, par Van Dyck, au musée du Louvre. — J. Guiffrey. Les
ateliers de tapisseries de Tours. Privilège octroyé à Comans et de La
Planche pour l'établissement d'une manufacture de tapisseries à Tours ;
févr. 1613. — Maxe-Werly. Les vitraux de Saint-Nicaise de Reims
(publie un dessin à la plume de ces vitraux, qui ont été détruits de
1760 à 1764; on y lit les noms des enfants de Thibaut II, comte de
Bar, et de Jeanne de Toucy, sa femme). = Section d'histoire et de phi-
lologie. 1883, n" 2. M. de Montégut. Un document relatif au grand-
père de Bugeaud (Simon Bugeaud de la Piconnerie sollicite, en 1769,
une remise sur ses impositions, comme ayant douze enfants à sa
charge).
8. — Revue de l'Histoire des religions. 5" année ; nouv. série.
Tome IX, 1884, n° 1. — Massebieau. Les sacrifices ordonnés à Car-
thage au commencement de la persécution de Décius. — N" 2. Boughé-
Leclercq. Les oracles sibyllins; suite et fin (traduction inédite du
livre IH).
9. — Revue de géographie. 1884, avril. — L. Drapeyron. Essai
de psychologie géographique (sic). Le caractère byzantin au vn= s. —
Cherbonneau. Légende territoriale de l'Algérie en arabe, en berbère et
en français; suite.
10. — Nouvelle revue historique de droit français et étran-
ger. 8' année, 1884. N» 2. — Glasson. Les origines du costume de la
440 RECCEILS PERIODIQUES.
magistrature. — Prou. Les coutumes de Lorris et leur propagation au
xii« et au xiii" siècle; Is^^art.; 2« art. au n» 3 (travail important et bien
fait ; l'auteur n'étudie que la charte de 1155 et les chartes qui en sont
dérivées, laissant de côté la coutume officielle de 1494 réformée en 1531.
Il donne d'abord des renseignements historiques et géographiques sur le
Gâtinais au xi^ et au xii^ s.; puis analyse le texte de 1155, qui n'est
sans doute qu'une confirmation de la charte de Louis VL Ce n'est pas
une charte de commune ; c'est une série de privilèges propres à déve-
lopper l'agriculture et le commerce. La royauté cherchait aussi à aug-
menter la population, et par suite ses revenus, dans le Gâtinais. Dis-
tingue enfin cette charte de franchise de la coutume Lorris-Montargis,
rédigée à la fin du xv* s.; montre la différence considérable qui sépare
ces deux textes. Propagation de ces coutumes dans le domaine royal,
dans les domaines des maisons de Gourtenay et de Sancerre, en Cham-
pagne). — Blondel. Note sur quelques mss. de la bibliothèque royale
de Berlin; coll. Hamilton (5 mss. de droit canonique, n»'* 132, 31, 345,
279, 181 du catal. de vente; le n° 192, qui renferme le texte français
du Grand Coutumier de Normandie en 126 chap. ; le n» 193, qui ren-
ferme le texte complet des Coutumes de Beauvoisis par Beaumanoir,
seul ms. illustré de B. jusqu'ici connu, très important pour la constitu-
tion du texte. A la fin de ce dernier ms. est une petite coutume du
Vexin, inédite, et dont le texte, fort court, est publié en entier ici). —
Brunner. Note sur une somme française du xiv^ s. sur le Code (texte
de la préface, en français, d'après le ms. du Vatican Reg. 1063, du
XIV* s.). = N° 3. BucHE. Es.sai sur l'ancienne coutume de Paris aux
xni^ et xiv« s. ; suite. — Auhert. Sur la date du Stilus parlamenti, de
Guillaume du Breuil (rédigé en 1329 ou en 1330). — H. de Ferron. De
la circonscription des communes par la constitution de 1789 (la Cons-
tituante n'a pas placé une municipalité dans chaque paroisse, les com-
munes de 100 à 300 hab. sont de création postérieure).
11. — Revue archéologique. 3= série, 2« année, 1884, avril. —
AuBÉ. Un supplément aux Acta aincera de Ruinart. Actes inédits de
l'évêque de Pamphylie, Nestor, martyr le 28 févr. 250. — Bapst. L'or-
fèvrerie d'étain dans l'antiquité ; suite.
12. — Bulletin d'archéologie chrétienne. Édition française.
4" série, 1" année, livr. 1-2. — Éloge anonyme d'un pape, dans le
recueil épigraphique du ms. de Pétersbourg (ce ms., qui provient de
Gorbie, et qui parait être de la fin du \m« s., est formé par la réunion
de deux exemplaires d'un même recueil d'inscr. métriques, qui fut
compilé à Rome au vii^ s. Donne, d'après ces deux exemplaires, le
texte de l'éloge susdit, qui va être prochainement publié, avec tout
l'appareil critique, dans le t. II des Inscr. christ. Urbis Bomae; c'est le
plus long texte épigraphique connu pendant les quatre premiers siècles
de l'Église. A qui se rapporte-l-il ? M. Rossi se déclare fermement
convaincu que l'éloge s'adresse au pape Libère, mort à Rome le 24 sep-
RECUEILS PERIODIQUES. U^
tembre 366, et enterré au cimetière de Priscille, au 3" mille de la voie
Salaria nova). — Inscription historique du temps du pape Damase,
trouvée dans le cimetière de Saint-Hippolyte (complète cette inscrip-
tion mutilée).
13. — Bulletin de correspondance hellénique (École française
d'Athènes). 8' année, mars 1884, — Heuzey. Papposilène et le dieu
Bès. — S. Reinach. Monuments figurés à Délos. — A. Dumont. Vases
grecs trouvés à Marseille (sont au plus du iii^ s. av. J.-C). — Foucart.
Note sur les comptes d'Eleusis sous l'archontat de Képhisophon (publie
le texte d'un second fragment des comptes de l'an 329/8, que l'on vient
de retrouver; suivi d'un curieux commentaire). — Bilco. Inscription
archaïque de Phocide (« celui qui offre un sacrifice peut dresser une
tente dans l'enceinte des Anakes; une femme ne doit pas y pénétrer »).
— Haussoullier. Inscr. de l'île de Karyanda (texte, transcription, com-
mentaire. Ce décret a pour objet de régler la distribution de la paie de
l'assemblée.
14. — Journal des Savants. 1884, avril. — Alf. Maury. Les
œuvres de Lougpérier. — Miller. 'H[iepo),6ytov iriz 'Ava-ro),-?,; (analyse les
3 vol. parus sous ce titre en 1879, 1883 et 1884. Ce Calendrier de
l'Orient politique, commercial et philologique, contient d'abondants
renseignements sur le calendrier, la généalogie des souverains de
l'Orient, les descriptions et les statistiques de divers pays : Turquie,
Grèce, Roumanie, etc.). — Hauréau. Les filles du Diable (commente
un passage de Gérald de Barri. Foulques de Neuilly avait essayé de
réconcilier Richard Cœur de Lion et Philippe-Auguste. Richard avait
repoussé durement son entremise. « Roi, dit alors Foulques, vous avez
trois filles qui ne vous permettront pas, tant qu'elles resteront près de
vous, de recouvrer la grâce de Dieu : Orgueil, Luxure et Convoitise. —
Ces trois filles, réplique le roi, je les ai depuis longtemps mariées :
Orgueil aux Templiers, Luxure aux moines noirs, et Convoitise aux
moines blancs. » — Ces trois filles sont bien connues des prédicateurs
du moyen âge : leur père est Satan, qui les eut de sa femme Iniquité,
avec plusieurs autres). = Mai. Egger. Publications récentes sur Plu-
tarque, 3^ et dern. art. — Wallon. Correspondance de M. de Rémusat
pendant les premières années de la Restauration. — Hauréau. Quels
sont les auteurs du 6« livre des Décrétales ? (Guillaume de Mandagout,
archevêque d'Embrun, et Bérenger de Frédol, évêque de Béziers,
assistés de Richard de Sienne. La tradition qui attribue cette œuvre à
Dino de Mugello est erronée.)
15. — Revue des Deux-Mondes. 1884, 1«'" avril. — Duc de Bro-
glte. Études diplomatiques. La première lutte de Frédéric II et de
Marie-Thérèse, 5" art. : l'ambassade de Voltaire à Berlin ; 6'' art.
(1«'" mai) : Reprise des négociations de la France avec Frédéric. Départ
de Louis XV pour l'armée; 1" art. (15 juin) : campagne de Flandre;
invasion de l'Alsace. = 15 avril. Vuitry. Un chapitre de l'histoire
442 RECUEILS PERIODIQUES.
financière de la France; suite : la chute du système de Law et la
liquidation (le fait général qui se dégage du désordre financier de la fin
du règne de Louis XIV et de la crise qui troubla le début du règne de
Louis XV, c'est qu'à cette époque le gouvernement ne se croyait pas tenu
d'accomplir les obligations résultant des contrats qu'il avait consentis.
Si, de nos jours, des excès de spéculation bouleversent les fortunes privées,
ce n'est que l'abus de la liberté ; c'était alors l'œuvre de l'autorité publique) .
= !«■• mai. E.-M. de VoGiiÉ. Un compagnon de Cortez. La chronique de
Bernai Diaz. = 15 mai. Colonel Tgheng-Ki-Tong. La Chine et les Chi-
nois. !«'■ art. : Famille, religion et philosophie ; 2° art. (l^"" juin) : la
langue, les classes, les lettres, époques préhistoriques; 3«art. (15 juin):
l'éducation, le culte des ancêtres; les classes laborieuses; la société
européenne (contient beaucoup de détails piquants et de première
main). — V. Duruy. Une dernière page d'histoire romaine (brillante
esquisse qui doit servir de conclusion à la grande Histoire des Romains).
— Amagat. m. Gambetta et son rôle politique. — C. de Varigny. La
guerre du Pacifique, 1880-81, 3« art. (campagne de Lima; incendie de
la flotte péruvienne). := l""" juin. Lavisse. Universités allemandes et
universités françaises (examine le livre du P. Didon ; montre qu'à côté
d'une grande part de vérité il y a dans ce livre une grosse part d'illu-
sions ; l'histoire de l'Allemagne explique les faits contradictoires que
présente l'étude de ces universités. Expose enfin comment on pourrait
organiser en France de véritables universités semblables à celles de
l'Allemagne, mais appropriées à notre histoire et à notre génie propres).
= 15 juin. A. Duruy. Une page do l'histoire de Hoche; la capitulation
de Quiberon (il n'y a pas eu de capitulation à Quiberon. Hoche n'a
donc pu, comme le dit M. Forneron, la violer ; mais il eût pu sauver
au moins la plupart des émigrés pris ; il s'abstint. Il n'a pas manqué
à la foi jurée; il a manqué de générosité, M. Duruy omet d'ajouter que
cette générosité eût été une violation de ses devoirs militaires, et n'eût
pas fait échapper ses prisonniers à la mort).
16. — Le Correspondant. 188'i, 25 avril. — Waliszewski. Une
Française reine de Pologne: Marie d'Arquien-Sobieska; fin (mort de
Sobieski ; intrigues de sa veuve contre son propre fils ; son séjour à
Rome et ses dernières années). = 10 juin. V'e de Brémond d'Ars, Les
dernières années de Jean de Vivonne et l'enfance de M™« de Rambouil-
let (mariage du marquis avec la princesse Julia Savelli ; ses relations
avec la princesse Charlotte de Condé, quand il fut chargé de l'éducation
de son jeune fils Henri ; ses dernières années ; sa mort le 7 oct. 1599).
17. — La Nouvelle Revue. 1884, 15 mai. — Gagnière. Un Mahdi
au xvui<= s. : le prophète Mansour, scheikh Oghan-Oolô (d'après les
papiers des archives diplomatiques de Turin, les mémoires et les cor-
respondances du prophète, 1787).
18. — Le Contemporain. 1884, 15 avril. — Allard. La polémique
contre le paganisme au iv^ s., d'après les poèmes de Prudence. —
LoLiÉE. La littérature et les mœurs au moyen âge.
RECUEILS PÉRIODIQUES. 443
19. — La Controverse et le Contemporain. (Cette Revue n'est
que la précédente transformée dans son titre, non dans son esprit.)
Nouv. série, t. I, !'■« livr. 15 mai 1884. — Allard. Les persécutions
au me s.
20. — Polybiblion. 1884, ¥ livraison. Avril. — Bibliographie des
fouilles de Sanxay. =Mai. Poinssot. Publications relatives à l'Afrique:
Archéologie.
21. — Revue de l'Extrême-Orient. T. II, n» 4, oct.-déc. 1883
(Leroux, 1884). — Marcel. Un épisode de notre histoire coloniale :
l'expédition de Siam en 1C87 (complète l'étude de M. Lanier, annoncée
en son temps par la Rev. hist., XXIII, 377, à l'aide de pièces tirées du
ministère des affaires étrangères). — Bons dAnty. Les grands voyageurs
au Japon. Essais bio-bibliographiques : Engelbert Knompfer, 1651-1716.
— CoRDiER. Mémoires sur le Pégou, tirés des archives de la marine et
des colonies. — Id. Mss. relatifs à la Chine; notes bibliographiques :
6" art. : Londres, British Muséum ; suite.
22. — Archives historiques du Poitou. T. XIII (1883). — Gué-
RiN. Recueil des documents concernant le Poitou, contenus dans les
registres de la chancellerie de France. 2« partie : 1334-48 (voy. plus
haut, au Bulletin histor.). = T. XIV. Ledain. Lettres adressées à Jean
et Guy de Daillon, comtes du Lude, gouverneurs de Poitou de 1543 à
1557, et de 1557 à 1585; 2^ partie, et fin (ce recueil contient en tout
424 numéros). — G. de La Marque et Ed. de Barthélémy. Lettres
adressées de 1585 à 1625 à Marc-Antoine Marreau de Boisguérin, gou-
verneur de Loudun (avec une biographie de Boisguérin, un de ces
gouverneurs militaires qui prirent une part si active à la guerre civile,
et qui vendirent si cher leur soumission. Mort en 1634. Il était resté
l'ami de Sully, bien qu'il en eût été le débiteur assez peu exact ; ses
lettres d'anoblissement sont publiées en appendice) .
23. — Le Spectateur militaire. 1884. l^'- avril. — E. B. 1815-
1870. A propos des documents historiques et militaires tirés des papiers
du général baron E. Hulot (montre qu'en 1870 on n'a pas su profiter
de la leçon de 1815, et qu'on a commis, mais en plus grand, les fautes
de Napoléon P"-). = 15 avril, le"- et 15 mai. Souvenirs militaires du
général baron J.-L. Hulot; suite le 1«'' et le 15 juin. = 15 mai. Faust-
LuRiON. Guerre turco-russe, 1877-78 : Suleyman-Pacha et son procès ;
fin. = le"- juin. Lehautcourt. Campagne de l'armée du Nord, 1870-71 :
Péronne et Bapaume ; suite le 15 juin.
24. — Bulletin de la Réunion des officiers. 1884. 3, 24 mai et
numéros suivants. — L'armée danoise et la défense de Sundevit en
1864; avec cartes.
25. — Bulletin de correspondance africaine. (Ecole supérieure
des lettres d'Alger.) 1884, fasc. 1. 15 janvier. — Houdas et R. Basset.
Mission scientifique en Tunisie; 2« partie : bibliographie, l*"- art.;
2» art. au n° 2. Masqueray. Nouvelles recherches de M. Choisnet à
444 RECUEILS PÉRIODIQUES.
Rapidi et inscr. découvertes par M. Charrier sur le Guelala (publie
diverses inscr. intéressantes, dont une longue dédicace à Marc- Aurèle et
à Lucius Vérus). = Fasc. 2. R. de La Blanchère. Malva, Mulucha,
Molochath ; étude d'un nom géographique.
26. — Revue africaine. N» 161. 1883, sept.-oct. — Féraud. Les
Ren-Djellab, sultans de Touggourt; 16° art.; 17« art. au n° 162. —
Arnaud. Voyages extraordinaires et nouvelles agréables, par Mohamed
Abou Ras ben Ahmed ben Abdel Kader En-Nasri; histoire de l'Afrique
septentrionale; 20'^ art.; 21^ art. au n° 162. — H. de Grammont et
PiESSE. Les Illustres captifs ; description du ms. du P. Dan. 3^ art. =
N» 162. RiNN. Essai d'études linguistiques et ethnologiques sur les
origines berbères, 8« art. — Robin. Histoire du chériff Bou Bar'la,
12« article.
27. — Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéologie reli-
gieuse (Romans). 4'' année, 4^ livr. — Abbé J. Chevalier. Mémoires
des frères Gay, pour servir à l'histoire des guerres religieuses en Dau-
phiné au xvi« s. ; suite. = 5° et 6* livr. D"" Francus. Visite des églises
du Bas-Vivarais en 1675-76, par M. Monge, délégué de l'évéque de
Viviers; suite dans la liv. 7«. — Abbé Toupin. Notice sur le serviteur
de Dieu Jean Sérane, mort à Toulouse en odeur de sainteté, 1784. —
Le chanoine Ul. Chevalier. Documents relatifs aux représentations
théâtrales en Dauphiné, de 1483 à 1535; suite dans la 7« livr. — Abbé
Cruvellier. Notice sur l'église de N.-D. du Bourg, ancienne cathédrale
de Digne ; suite dans la 7« livr. — Abbé Chosson. Chronique du dio-
cèse de Valence; suite dans la 7« livr. = 7" livr. Abbé Fillet. Notice
historique sur les paroisses de Colonzelle et de Margerio.
28. — Revue de l'Agenais. 1884, 3« et 4^ livr. Tamizey de Lar-
RonuE. Récit de la conversion d'un ministre de Gontaud, 1629 (il s'agit
du sieur Pompée de Remerville, d'une vieille famille lorraine trans-
plantée en Provence). — J. Andrieu. La censure et la police des livres
en France sous l'ancien régime. Une saisie de livres à Agen en 1775;
iin. — Tholin. Les cahiers du pays d'Agenais aux états généraux ;
suite (étudie les origines et l'histoire des intendants au pays d'Agenais).
— Le carnet d'un franc-tireur, 1870-71; fin. — Martinaud. Note sur
les barons de Valenx au xiv" s. — Labrunie. Précis d'un mémoire sur
les écrivains de l'histoire de l'Agenais.
29. — Revue de Béarn , Navarre et Landes. Partie historique
de la Revue des Basses-Pyrénées et des Landes, l''" année, livr. 1.
Janv.-mars 1884. — Mgr Puyol. La jeunesse de Pierre de Marca ; fin.
— Brutails. Une charte suspecte de CentuUe IV (il s'agit de la dona-
tion que CentuUe IV, prenant le titre de comte de Bigorre, aurait faite
aux moines de Saint-Jean de la Pena, d'un serf et de sa famille,
24 juin 1077). — Jaurgain. Troisvilles, d'Artagnan et les trois mous-
quetaires ; fin. — Ducéré. Le théâtre bayonnais sous l'ancien régime ;
suite. — Batgave. Une aventure du maire d'Orthez au xviii* s. : fin. —
RECUEILS PÉRIODIQUES. 445
Gabarra. Pontonx sur l'Adour et le prieuré de Saint-Caprais ; suite
(Pontonx sous la domination anglaise). — T. de L. Un naufrage devant
Gapbreton en 1627. — Labrouche. Armoriai général de 1696; généra-
lité de Guyenne : Dax.
30. — Revue de Gascogne. 1884, mai. — Gommunay. Un épisode
de l'ambassade du duc de Gramont en Espagne, 1704 (la correspon-
dance du duc est conservée aux archives de Gramont en trois grands
vol. in-fol. Publie une lettre de l'ambassadeur à Torcy, 30 oct. 1704).
— Camoreyt. L'établissement des capucins dans la ville de Lectoure,
1628, 1631. = Bibliographie. Haristoy. Recherches historiques sur les
Pays-Bas; 1. 1 (la \^^ partie du vol. : la Novempopulanie, est faite sans
critique. La seconde se rapporte à l'allodialité du pays basque que l'au-
teur s'efforce de prouver. Aucun argument nouveau. La 3° partie, con-
sacrée à des monographies sur les maisons nobiliaires, ne manque pas
de valeur).
31. — Revue historique et archéologique du Maine. T. XV,
l^e livr. (1884). — F. de La Bouillerie. Bazouges-le-Loir ; son église
et ses fiefs ; suite dans la 2" livr. — Abbé Frogier. Nouvelles recherches
sur la famille de Ronsard. Les seigneurs de la Poissonnière et de Gla-
tigny ; suite dans la 2« livr. : les seigneurs de Monchenou et de Beau-
mont. — Dom PiOLiN. Testament du cardinal d'Angennes de Rambouil-
let, évèque du Mans, 1556-87.— Legeay. Compagnie du jeudePapegault,
au Mans. = 2° livr. Abbé G. Esnault. Le Mans en 1736, d'après le
plan de César Aubry (et avec une reproduction de ce plan).
32. — Revue des Études juives. 1884, janvier-mars. N» 15. —
HiLD. Les Juifs à Rome devant l'opinion et dans la littérature (on a
exagéré le prétendu mépris des païens éclairés pour les choses et les
hommes du judaïsme ; des mutilations pratiquées depuis le vi^ s. de
Rome sur les monuments de la littérature romaine nous ont privés
des documents les plus décisifs sur ce sujet) ; l"^'" art. — Kayserling.
Richelieu, Buxtorf père et fils et Jacob Roman ; documents pour ser-
vir à l'histoire du commerce de la librairie juive au xvii^ s. — R. de
Maulde. Les Juifs dans les États français du pape au moyen âge ;
suite. — Levin. Localités illustrées par le martyre des Juifs en 1096 et
en 1349 (identifie les noms de lieu indiqués dans les extraits du Memor-
buch de Mayence, publiés par M. Neubauer, et dans le Contros-Ha-me-
konen, pub. p. M. Jellinek; ces localités sont toutes situées en Alle-
magne). — Schwab. Inscr. juive du musée de Saint-Germain. — Les
Juifs dans l'opinion chrétienne aux xvii' et xvui'= siècles : Peuchet et
Diderot.
33. — Société des Études juives. Annuaire. 3= année, 1884 (Uur-
lacheri. — Ern. Renan. De l'identité originelle et de la séparation gra-
duelle du judaïsme et du christianisme; conférence. — Astrug. Ori-
gines et causes historiques de l'Antisémitisme; conférence. — L. Kahn.
Histoire des écoles consistoires et communales israélites de Paris,
446 RECUEILS PERIODIQUES.
1809-1883. — LœB. Borach Lévy (raconte le procès porté devant le
Parlement de Paris par B. Lévy, juif qui, marié en Alsace avec une
juive, puis s'étant converti au cliristianisme, demande que son premier
mariage soit déclaré nul, et qu'il puisse épouser légalement une chré-
tienne, 1752-58 ; le Parlement repousse sa requête).
34. — Académie des sciences morales et politiques. Séances
et travaux. Compte-rendu. Nouvelle série, t. XXI, 1884, avril-mai. —
DoNioL. Préliminaires de l'intervention de la France dans l'établisse-
ment des États-Unis d'Amérique : la politique de M. de Vergennes
(expose la politique hésitante, pusillanime, double même jusqu'à un
certain point, de Vergennes, et cherche à la justifier. Cite des pièces
inédites tirées des Archives nationales et des affaires étrangères). —
Arthur Desjardins, Le congrès de Paris (1856) et la jurisprudence
internationale. — Vigier. La question de l'alliance anglaise sous le
ministère de Richelieu. Ambassade extraordinaire du marquis de Sen-
ueterre à Londres, 1635-37 ; suite. — Nourrisson. Origine des idées
politiques de Rousseau, 3^ mémoire, par M. Jules Vuy; suite. — C.
Bayet. Les élections pontificales au vm^ et au i.x* siècle, sous les
Carolingiens (résumé de l'article paru ici-même récemment).
35. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes-
rendus des séances de l'année 1883. 4» série, t. XL Bulletin d'octobre-
décembre. — Barbier de Meynard. Notice sur le congrès orientaliste
de Leydc. — Deloghe. Cachet en or à double inscription de l'époque
mérovingienne (fragment de sceau ou de cachet portant le nom de Roc-
colane, et qu'elle apposait aux lettres ou actes où elle figurait comme
partie ou comme témoin ; c'est ce qu'indiquent les mots « Reccolane
su(bscripsi). » Il lui avait été donné par son fiancé ou son époux, ce
qu'indiquent les mots : « Warembertus dedi »). — Barbier de Meynard.
Rapport sur des inscr. arabes provenant de Mehdya, régence de Tunis
(une d'elles est l'épitaphe d'un chef arabe, Mohammed, fils d'Ab-el-
Kerîm, qui se révolta contre le kalife fatimite xMansour en 1199, et
mourut en prison en 1201). — Romanet du Caillaud. De la date de la
loi Julia Norbana (l'auteur maintient que la loi fut portée en 728 sous
le consulat d'Auguste et de Junius Silanus, et modifiée l'année sui-
vante sous le consul C. Norbanus Flaccus). — Desjardins. Un diplôme
militaire inédit ; envoi de M. Maspero (daté du 9 juin 83 de notre ère;
texte, transcription et commentaire). — Wallon. Notice sur la vie et
les travaux de Mariette-Pacha (suivie du catalogue de ses ouvrages). —
Hauréau. Les propos de maître Robert de Sorbon. == Séances. 1884,
21 mars. Observations sur l'inscription de Lambèse de l'an 112, pré-
sentées par M. Desjardins. = 9 avril. M. Riant annonce la découverte,
faite par M. H. Haupt, d'une lettre historique relative à la première
croisade ; elle est adressée par le cardinal Daimbert de Pise au clergé
et aux fidèles d'Allemagne, en 1100. Daimbert se plaint de manquer
d'argent pour la solde des troupes. = 18 avril. M. Marmier étudie la
RECUEILS Pe'rIODIQUES. 447
route de Samosate au Zeugma. =: 25 avril. M. Renan annonce que
M. Maspero vient de découvrir à Saqqarah une tombe de la 6° dynastie;
elle est intacte. — M. Sacaze rectifie la lecture erronée de plusieurs
inscriptions latines où l'on avait cru voir des noms de dieux gaulois. —
2 et 16 mai. M. Gasati lit une seconde étude sur les origines étrusques
du droit romain. := 30 mai. Lecture du 5« rapport de M. Tissot sur les
monuments africains communiqués récemment à l'Académie, et en
particulier sur les inscriptions romaines de Ghemtu, l'ancienne Simittu
colonia. — M. Egger étudie le nom et les attributions d'une magistra-
ture romaine, à propos de la biographie du philosophe Musonius Rufus :
au moment où il fut exilé par Néron, Rufus avait « la direction des
poids » ; la forme de ce titre en latin était sans doute « exactor » ou
« examinator ponderum et mensurarum. »
36. — Société nationale des Antiquaires de France. 1884,
2 avril. — M. Monvat annonce que M. Ferdinand Rey a découvert à
Mirebeau (Côte-d'Or) de nouvelles tuiles romaines portant l'estampille
de vexillation des légions I, VIII, XI, XIII, XXI. Il communique
aussi la copie d'une inscription de Mirebeau où l'on remarque
le nom gaulois SANVAGA. — M. l'abbe Thédenat communique
une Uste d'une quarantaine de noms qu'il a relevés sur des frag-
ments de poteries provenant de Reims. Parmi ces noms figurent
les noms nouveaux et barbares BoudiUus et Aunedo; ce dernier
entre dans la composition du nom de ville Aunedonnacum, ville
d'Aquitaine, située sur la route de Bordeaux à Autun, aujourd'hui
Aunay. = 9 avril. M. Le Blant écrit de Rome pour annoncer la pré-
sence chez un marchand d'antiquités de cette ville d'une tète en
marbre du cardinal de Richelieu. — M. de Barthélémy lit un mémoire
sur une vie inédite de saint Tugdual, un des saints les plus vénérés de
l'ancienne Armorique. — M. Héron de Villefosse communique, de la
part de M. Morel, une inscription funéraire latine récemment acquise
pour le musée de Garpentras. Elle contient une formule qui indique les
dimensions du monument ; le défunt porte le nom de famille Thorius,
qui est assez rare. — M. A. Nicaise communique une sépulture à char
découverte à Septsaulx (Marne), et qui a donné une collection d'objets
trop longue pour être énumérée ici, mais des plus importantes pour la
reconstitution des usages funéraires des Gaulois. — M. Héron de Vil-
lefosse dépose sur le bureau un très beau cachet d'oculiste récemment
découvert à Vertault (Gôte-d'Or) ; les inscriptions font connaître le nom
de l'oculiste Qwintus Albius Vitalio et quatre remèdes différents destinés
à combattre des maladies des yeux déterminées. Il signale ensuite un
cachet semblable portant le nom de l'oculiste Sennius Virilis ; on
ignore ce qu'est devenu le monument original; le texte a été retrouvé
dans les papiers de Montfaucon conservés à la Bibliothèque nationale.
= 7 mai. M. Flouest entretient la Société de trois armes en fer rencon-
trées dans une sépulture gauloise découverte près de Langres. Inhumé
dans une nacelle creusée dans un tronc de chêne, le défunt avait au
448 RECDEILS PÉRIODIQUES.
flanc droit une lance effilée ou goesa et une longue épée. Au flanc gauche
était un poignard à lame de fer à poignée en bronze en forme de X
très allongé surmonté d'une tête humaine en ronde bosse d'un style
tout particulier, (les armes appartiennent à l'art spécial des populations
celtiques établies dans la région moyenne du Danube. — M. Héron de
YiLLEFOSSE communique le texte d'une inscription latine très intéress.
découverte à Makteur. Elle mentionne un fonctionnaire dont on con-
naissait l'existence, mais dont on n'avait pas encore trouvé le titre
exact dans les documents épigraphiques. C'est le délégué impérial
chargé de juger les nombreuses contestations qui s'élevaient entre les
négociants et les chefs des bureaux de douane. Celui qui est mentionné
dans cette inscription était appelé à trancher les différends entre les
commerçants de la Gaule et les agents de la quadragésime des Gaules.
= 21 mai. M. Bertrand annonce la découverte de clous-fiches en fer
qui paraissent provenir d'un mur gaulois au Catele d'Avesnelle, près
d'Avesne (Nord). Cela constituerait le neuvième oppidum gaulois connu
à l'heure actuelle. Les huit autres sont Vertaux, Murseins, Mont-Beu-
vray, Saint-Marcel de Febiue, BovioUe, La Segourie, Couloumier, et
l'Impernal, près Luzeck. — M. Héron de Villefosse présente le mou-
lage d'une inscription gauloise en caractères grecs, récemment décou-
verte à Malaucène (Vaucluse); elle contient les termes Braloude et
Kantona, qui autorisent à la classer parmi les inscriptions celtiques.
C'est la première inscription gauloise connue en caractères grecs. =
23 mai. M. Schlimberger présente un reliquaire d'or avec inscription
niellée indiquant qu'il a contenu une relique de saint Etienne le jeune,
fils de l'empereur Basile I^"" et patriarche de Constantinople au x» s.
37. — Société des Anciens textes français. Bulletin. 1883, n° 3.
— P. Meyeu. Notice du ms. A 45 i de la ])iljliothèque de Rouen (donne
la liste, l'analyse et des extraits des onze pièces en français que con-
tient ce ms.; publie un double texte nouveau d'un traité en vers sur
l'art de dresser un calendrier au moyen âge, que M. de Montaiglon
avait déjà édité d'après un autre ms.) .
38. — Société de l'histoire du protestantisme français. Bull.
1884, n" 4. — Bonnet. L'Église réformée de la Calmette; pages d'his-
toire locale; suite. — Guérin. Poursuites contre les réformés d'Alen-
çon. 1533-34. — Roy. Les écoles de campagne dans l'ancien pays de
Montbéliard. = N" 5. Read. Rulhière et Rabaud Saint-Étienne |cor-
respondance échangée entre eux à propos des Éclaircissements du pre-
mier, 1787-88). — P. DE Félice. Deux intérieurs de pasteur au xvn^ s.
— Estât des cens camisards partis avec Cavalier, 1704.
39. — Société de l'Histoire de Paris et de TIle-de-France.
Mémoires. Tome X (1883). — Mortet. Le livre des Gonstitucions déme-
nées el Chastelet de Paris (recueil des règles et usages suivis dans les
cours laïques du pays de France; c'est l'œuvre d'un praticien qui
emprunte ses décisions et ses formules à la Coutume générale du pays
RECUEILS PÉRIODIQOES. 440
de France. Le texte original est antérieur au xiv« s. et postérieur
à 1260 ; il paraît être contemporain du livre de Beaumanoir écrit entre
1279 et 1282. Nouvelle édition, d'après Tunique ms. de la Bibl. nat.
fr. 19778, accompagnée de notes abondantes et suivie d'un glossaire).
— Valois. Notes sur la révolution parisienne de 1356-58 ; la revanche
des frères Braque (le dauphin Charles y prit une part peu honorable
pour sa mémoire). — FnANKLi.\. Les armoiries des corporations ouvrières
de Paris. — Dr. Le Paulmier. Mondor et Tabarin, seigneurs féodaux
(Philippe Girard, autrement dit Mondor, le célèbre « opérateur » du
Pont-Neuf, acheta, de compte à demi avec son frère Antoine, la terre
du Fréty et du Couldrois, au bailliage de Sens, en 1623. A la mort
d'Antoine, sa veuve épousa le valet de Mondor, le joyeux Tabarin,
1628: ce dernier mourut peu avant 1633, sans doute assassiné par les
hobereaux du voisinage, qui ne purent supporter ce « pantalon, emba-
bouineur de badauds. » Mondor mourut après 16''i6, laissant un fils,
Philandre, sur lequel une pièce inédite donne des détails). — A. de
Dion. Les seigneurs de Breteuil en Beauvaisis (essai sur leur généalo-
gie). — Denifle. Documents relatifs à la fondation et aux premiers
temps de l'Université de Paris (publie 15 pièces importantes, dont l'acte
de fondation de la Sorbonne, févr. 1257, avec un fac-similé). — J, J.
GuiFFREY. Nicolas Bataille, tapissier parisien du xiv« s.; sa vie, son
œuvre, sa famille (auteur de la précieuse tenture de l'Apocalypse con-
servée dans la cathédrale d'Angers ; on possède, et l'on a reproduit ici
le sceau de cet artiste; c'est le seul sceau connu d'un tapissier au
moyen âge; article suivi de 51 documents inédits. )= Bulletin, 11^ année,
2« livr., mars-avril 1884. Fr. Delaborde. La légation du cardinal Balue
en 1484 et le Parlement de Paris (le Parlement protesta contre l'entrée
solennelle du légat à Paris; le Conseil du roi, que le cardinal Balue
avait su gagner à ses intérêts, le défendit; mais le Parlement tint bon,
et le cardinal dut quitter secrètement Paris, ce qui n'empêcha pas le
roi de le combler de faveurs. Curieux exposé des intrigues où s'agita
l'ancien compère de Louis XI). — Bapst. Une manufacture de bas de
soie à Paris en 1664.
40. — Société des Antiquaires de Normandie. Bulletin ; t. XI ;
années 1881 et 1882. — Guillouard. Les médecins et la coutume au
moyen âge (de la législation appliquée aux médecins, qui étaient dure-
ment traités, parfois même subissaient la peine de mort lorsqu'ils
avaient laissé mourir leur malade). — Chatel. Liste des recteurs de
l'Université de Caen, dressée d'après leurs signatures sur les registres
des rectories et autres documents conservés aux archives du Calvados.
— Desprairies. Note sur l'inscr. céramique de Breuil, canton de Tré-
vières (cette inscr., mutilée, mentionne plusieurs membres de la famille
de Bacon du Molaj'). — Un ms. des Chroniques de Normandie (acheté
par le comte de Toustain à la vente de Didot; splendide ras. du xv" s.,
orné de 15 grandes miniatures; peut-être exécuté pour Philippe de
Grèvecœur, maréchal de France, mort en 1494, dont les armoiries sont
Rev. Histor. XXY. 2« fasc. 29
450 RECOEILS PERIODIQUES.
dessinées à deux endroits du vol.). — F. de la Londe. Une mission his-
torique et scientifique envoyée par Colbert à Leptis la Grande sur la
côte d'Afrique vers l'an 1670 (extrait curieux d'une dissertation de
F.-R. de la Londe, érudit normand du siècle dernier). — Ch. Bréard.
Inventaires de l'abbaye du Val-Richer et de la collégiale de Croissan-
ville dressés en 1790. — Anquetil. Francs-bouchers de Bayeux en 1480.
41. — Société de Thistoire de Normandie. Bulletin. Exercice
18S3-84; suite. Extraits du journal d'un bourgeois de Rouen; suite,
1711-1720. — Fêtes publiques offertes par la ville de Rouen à l'occa-
sion de la publication de la paix, en nov. 1696 et en janv. 1698. —
Bénet. Lettre des habitants de Rouen à ceux d'Évreux, relative à la
confirmation de la charte aux Normands, 1495.
42. — Société archéologique de Tarn-et-Garonne. Bulletin
archéologique et historique. T. XI, 1883, 4« trira. — Ed. Forestié.
Une journée au château de Saint-Roch, Tarn-et-Garonne. — Rebouis.
Enquête sur la mouvance du château de Brassac-en-Quercy (texte eu
langue vulgaire de l'an 1246). — Dumas de Rauly. Analyse d'anciens
registres de notaires de Saint-Antonin.
43. — Société d'émulation de l'Ain. Annales. 1884. Janv. -mars.
— Jarrin. La Bresse et le Bugey. 16'- partie : la Réforme; 17° partie :
l'occupation française. — Tiersot. La Restauration dans le département
de l'Ain ; l'invasion, les Cours prévôtales.
44. — Société d'archéologie lorraine. Mémoires. 3« série,
t. XI (Nancy, Wiener, 1883). — M. de Riocour. Les monnaies lor-
raines, 1''*^ partie (l'auteur s'est proposé de donner, sous forme de
tableaux faciles à consulter, tous les renseignements qu'il peut être
utile de posséder sur la valeur de ces monnaies. Dans cette l''^ partie,
il recherche la valeur intrinsèque des monnaies réelles ou fictives,
autrefois en usage en Lorraine, et il résume son travail en 22 tableaux
destinés à rendre de grands services). — Gh. Guyot. Les villes neuves
en Lorraine (analyse treize chartes de fondation de villes neuves;
« l'histoire de la formation des villages lorrains résulte, pour la plaine,
de l'organisation du domaine gallo-germain, du v" au viif^ siècle; pour
la montagne, des acensements des xv" et xvi° s. » Dans l'une et dans
l'autre partie de la province, la fondation des villes neuves aux xni« et
XIV'' s. n'a été qu'un accident, et n'a pas exercé d'influence notable sur
les populations urbaines ou rurales). — Favier. Coup d'oeil sur les
bibliothèques des couvents du district de Nancy pendant la Révolution.
Ce qu'elles étaient, ce qu'elles sont devenues. — Eug. MiiNTZ. Les
fabriques de tapisseries de Nancy. — Rouyer. Nouvelles recherches
biographiques sur Pierre de Blarru (l'auteur de la Nancéïde, dont parle
Villon, naquit à Paris en 1437 ; il y fut reçu maître ès-arts en 1455. Il
fut chanoine de Saint-Dié et curé de Saint-Clément en Lorraine, mort
en 1510). — Henri Lepage. L'assassinat de Philippe-Egloff de Lutzel-
bourg, 1617 (ce crime eut pour cause les discordes survenues entre
RECUEILS PERIODIQUES. 45 1
Henri II de Lorraine et son frère le comte de Vaudémont. C'est ce der-
nier qui fit tuer le comte de Lutzelbourg). — Wiener. Jean Volay et
les cartiers lorrains. — Authelin. Notice sur le village de Sanxey. —
L. Germain. Le pèlerinage de la ville de Nancy à N.-D. de Benoite-
Vaux, 1642. — Bretagne. Description d'un laraire antique trouvé à
Naix (l'ancien Nasium des Leuci).
45. — Comité d'histoire Vosgienne. 1884. — Documents rares ou
inédits de l'histoire des Vosges, publiés par MM. Ghapellier, Chevreux
et Gley ; t. VIII (Paris, Dumoulin et Champion ; Épinal, GoUot). Ce
volume contient plus de cent documents compris entre les années 1224
et 1790. Il est suivi d'une table détaillée des noms de personnes et de
lieux.
46. — Revue d'Alsace. 1884. Janv.-mars. — Stoeber. Recherches
sur le droit d'asile dans l'ancienne république de Mulhouse (dans l'an-
tiquité et au moyen âge ; droit d'asile des bourgeois et des maisons reli-
gieuses; droit d'asile accordé aux malfaiteurs étrangers). — Usages et
traditions populaires qui se perdent dans l'Alsace romande (en parti-
culier sur les mariages). — Sghmidt et Roesch. Les imprimeurs alsa-
ciens avant 1520; suite dans la livr. suiv. — Tuefferd. L'Alsace artis-
tique; suite dans la livr. suiv. — Benoit. Les ex-libris dans ces trois
évêchés, 1552-1790; suite. — Corbis. Recueil alphabétique de croyances
et superstitions qui avaient cours à Belfort et aux environs; suite, fin
dans la livr. suiv. = Avril-juin. Ganel. Recherches historiques sur
l'état et le développement de l'instruction primaire à Héricourt, depuis
la fin du moyen âge jusqu'à nos jours.
47. — Historische Zeitschrift. Neue Folge. Bd. XVI, Heft 1. —
A. VON Druffêl. Grétineau-Joly (biographie de cet historien, qui fut
aussi un homme d'action, d'après le livre de l'abbé Maynard). —
Lehmann. Une prétendue lettre de Stein (adressée au chancelier d'État
prussien, en déc. 1812; Stein l'invite à se défier du tsar et des Russes;
elle n'est certainement pas de Stein, mais d'une personne du même
nom). — Berner. Les institutions domestiques des HohenzoUern (à
propos des lois domestiques des maisons régnantes de l'Allemagne,
publiées l'an dernier par H. Schulze). = Bibliographie. Mûrdter.
Kurzgefasste Geschichte Babyloniens und Assyriens nach den Keil-
schriftdenkmaelern (bon manuel, sauf pour la partie relative à l'ancienne
Babylone). — Arnold. Untersuchungen iiber Theophanes von Mytilene
und Posidonius von Apamea (recherche les sources des Mithidratica
d'Appien; estime qu'il a utilisé surtout Théophane et Posidonius;
recherches très approfondies et minutieuses sur les guerres de Mithri-
date). — Wellliausen. Muhammed in Médina (adaptation allemande du
Vakidi's Kitab al Maghasic, ou Livre des Campagnes). — Seelssnder.
Graf Seckendorf und die Publizistik zum Frieden von Fùssen von 1745
452 IIECDEILS PERIODIQUES.
(curieux). — Weissenborn. Akten der Erfurter Universitaet. Th. I. —
Bertolini. Saggi critici di storia italiana (le plus important de ces
mémoires se rapporte à la bataille de Legnano). — Donmaud. SuUe
origini del comune e degli antichii partiti in Genova e nella Liguria
(contient d'utiles renseignements sur l'histoire des anciens partis poli-
tiques dans la Ligurie, mais se trompe sur les origines des institutions
municipales de Gènes qu'il fait remonter aux Romains). — Handloike.
Die lombardischen St«dte unter der Herrschaft der Bischœfe und die
Entstehung der Kommunen (trace l'histoire communale de Crémone ;
quant aux idées générales, il adopte celles de Ficker, sans s'y asservir).
48. — Neues Archiv. Bd. IX, Heft 3. — Waitz. Sur le Catalogus
Cononianus des papes (étudie deux mss. de ce catalogue important pour
la critique du Liber pontihcalis; celui de Vérone, bibl. du chapitre lu,
et celui de Paris, Bibl. nat. 2123, tous deux du ix.^ s.). — Pflugk-
Harttung. Bulles fausses au Mont-Cassin, à la Gava et à Nonantola. —
ScHULTZE. Jean de Gorze a-t-il écrit des ouvrages historiques? (Pertz
attribue à ce personnage, bien connu par les réformes qu'il opéra dans
les couvents lorrains au x« s., 4 ouvrages historiques : le Miracula sancti
Gorgonii, une Vita sanctae Glodesindis et les Miracula sanctae Glode-
sindis, enfin la Vita sancti Chrodegandi. Un examen attentif ne per-
met pas d'admettre ces conclusions. Les Miracula s. Gorgonii ont été
composés par un moine de Gorze vers 965 ; la Vita et les Mirac. s.
Glod. sont l'œuvre de Jean de Saint-Arnulf, qui composa aussi la \ie
de Jean de Gorze ; ils ont été écrits en 963. Enfin, la Vita Chrodegandi
a été composée entre 933 et 96'i par un moine de Gorze, peut-être, il
est vrai, par notre Jean). — Loewenfeld, Huit lettres du temps du roi
Bérenger publiées et commentées par Ccriani et Porro dans leur
ouvrage : Il rotolo opistografo del principe Antonio Pio di Savoja; tra-
duit de l'italien avec des remarques subsidiaires. — HoLDER-EaaEit.
Manuscrits de la bibliothèque royale de Munich ; fin. — Thaner. Sur
un ms. d'Humbert (décrit lems. delà cathédrale de Vich qui contient,
outre le De Virtutibus d'Alcuin, le Liber correptorius du cardinal
Humbert). — Schoep. Critique des Gesta Trevirorum de 1152 à 1190.
— Manitius. Sur le poème intitulé Karolus magnus et Léo papa. —
Lamprecht. Vers et miniatures tirés d'un ms. des évangiles du x« s.,
conservé à la bibliothè(jue oapitulaire de Cologne. — W'attenbach.
Extraits de ms. de la bibl. de Berlin. — Wolff. Une bulle d'Inno-
cent III de 1204 (au sujet d'un différend entre les églises de Saint-
Martin-de-Cologne et celle d'Aix-la-Chapelle). — Ewald. Sur les plus
anciennes bulles en plomb des papes. — Waitz. Sur les mss. de Munich.
49. — Gœttingische gelehrte Anzeigen. 1884. = N° 6. Leupold.
Berthol von Buchegg, Bischof von Strassburg (bonne monographie sur
l'histoire de l'Alsace et de l'empire au xiy'= s.). ~ N" 8. Waitz. Dahl-
mann's Quellenkunde der deutschen Geschichte. 3« Aufl. — Krumbholz.
De Asiae minoris satrapis persicis (a réuni avec soin et intelligence
RECnEILS PÉRIODIQUES. 453
toutes les notions disséminées un peu partout sur les satrapes et les
satrapies de l'Asie-Minoure. Il reste eucure bien des obscurités). —
Hatch. Die Gesellschaftsverfassung der christlichen Kirchen im Alter-
thum (suite de 8 conférences faites à Oxford ; traduites en allemand
avec des notes et des appendices par Harnack. L'auteur cherche à
prouver que l'épiscopat n'est pas une création du Christ ni des apôtres,
mais qu'il est le produit des besoins du temps. Son traducteur présente
sur le même sujet une autre théorie. Ni l'une ni l'autre ne sont satis-
faisantes. La lecture de ces 8 conférences présente d'ailleurs le plus vif
intérêt). — Prutz. Malteser Urkunden und Regesten zur Geschichte
der Tempelherren und der Johanniter (publie des documents impor-
tants tirés des archives de Malte; retrace l'histoire des deux ordres des
Templiers et des Hospitaliers. Il est fâcheux que l'auteur croie que les
Templiers aient eu une doctrine secrète et aient été vraiment entachés
d'hérésie. Les richesses et les privilèges des Templiers étaient si grands
qu'ils portaient ombrage aux rois de France ; ils tombèrent sous leurs
coups pour des raisons purement politiques). = N° 9. Belck. Geschichte
des Montanismus (la faculté théologique de Berlin a eu raison de cou-
ronner cet ouvrage ; mais l'auteur aurait aussi bien fait de ne pas le
publier). = N" 10. Doiilcet. Essai sur les rapports de l'église chrétienne
avec l'État romain (de cet ouvrage, la seule partie qui valût la peine
d'être publiée est le mémoire publié en appendice sur le Martyre de
sainte Félicité et de ses fils).
50. — Deutsche Rundschau. 1884. = Mai. Curtius. Athènes et
Eleusis (discours d'apparat prononcé à l'anniversaire dé la fête de l'em-
pereur dans l'aula de l'Université). = Juin. La marche du major Schill
sur Stralsund, 1809 (d'après les souvenirs personnels de M. G. von
Scriba, qui faisait alors partie du contingent mecklembourgeois sous
les ordres de SalveUier de Gandras, baron de la Tour-du-Pré, gouver-
neur français de la Poméranie; M. G. von Scriba est mort en 1868 à
l'âge de quatre-vingts ans). — Seuffert. La législation de Justinien.
51. — Gœrres-Gesellschaft. Jahrg. 1883, Heft 1. — Pohle. An-
gelo Secchi (biographie de cet érudit; étudie surtout les événements de
Rome en 1848 d'après des témoignages contemporains et les notes de
Secchi). = Heft 2. Grube. Gerhard Groot et ses fondations (biogr. de ce
prêtre néerlandais' du xiv^ siècle, fondateur de l'école ascétique qui pro-
duisit Thomas à Kempis). = Vereinschrift. Jahrg. 1883. Cardauns. Le
renversement de Marie Stuart (il est faux que Marie Stuart ait eu déjà
des rapports avec Bothwell avant le meurtre de Darnley ; la lettre dite
de la cassette de Glasgow est une grossière fabrication. Bothwell prit
part à la conspiration contre Darnley pour gagner la main de la reine,
mais il n'était qu'un instrument aux mains du parti de la noblesse,
qui à son tour ne faisait que travailler aux plans secrets de Murray. La
plus grosse faute de Marie fut de consentir à épouser Bothwell. Récit
des intrigues dirigées par Murray avec la connivence des commissaires
55-^ RECUEILS PERIODIQUES.
anglais contre Marie en Angleterre. = Historisches-Taschenbuch. 6^ Folge.
Jahrg. m. Leipzig, 1884. Sch^fer. La royauté macédonienne (les rois
macédoniens ne furent jamais considérés que comme les premiers de
la noblesse; aussi la Macédoine, bien qu'elle ait produit de grands rois,
n'eut-elle jamais une forme puissante de gouvernement capable de per-
suader aux États grecs à renoncer à leur liberté pour obéir aux ordres
arbitraires de despotes étrangers). — Bernheim. La légende des dames
fidèles de Weinsberg (elle a été inventée par l'annaliste de la chronique
de Cologne, qui s'est inspiré de la capitulation de Crème et de son éva-
cuation par les habitants). — Wegele. Le chancelier Conrad de Quer-
l'urt (partisan de l'empereur Henri VI et de Philippe de Souabe, il s'est
déshonoré en trahissant indignement ce dernier ; ce fut la cause directe
de sa mort). — Kliippel. La ligue souabe (histoire des démêlés de la
ligue souabe avec la Bavière jusqu'à l'entrée de celle-ci dans la ligue;
histoire de la guerre contre les Eidgenossen. Si elle eut une issue aussi
honteuse, c'est à cause de la répugnance qu'avait la ligue à combattre
les Suisses, au seul profit des intérêts autrichiens). — Wenzelburger.
Johan van Oldenbarnevelt (sa biographie; si injuste qu'ait été sa con-
damnation, elle fut un bien pour le Pays-Bas, parce qu'étant données
les circonstances, sa politique intérieure et extérieure était de nature à
perdre la république). — Althaus. Samuel Hartlib (biographie de ce
puritain allemand naturalisé en Angleterre au temps de Cromwell ; ses
efforts pour régénérer l'enseignement en Angleterre). — Hùffer. La
république napolitaine de 1799 (la capitulation de Naples n'était pas
valable au point de vue juridique; la conduite de Nelson n'en a pas été
pour cela plus honorable ; les exécutions continuelles doivent être
reprochées à Nelson, au roi et à Acton, mais non à la reine ni à Ruffo,
qui n'avait cessé de conseiller la modération).
52. — Archivalische Zeitschrift. Bd. VIIL Munich, 1883. —
Contzen. Les chartes de l'évéché de Wurzbourg; suite. — Prutz.
Etudes sur l'ordre de Malte ; suite (sur les archives des chevaliers de
Saint-Jean à Malte; publie 6 chartes importantes pour l'histoire de
l'ordre, qui en proviennent). — St^elin. Gommanderies d'hospitaliers
dans le royaume de Wurtemberg (publie des pièces inédites relatives à
6 commanderies). — Rieder. Chartes tirées d'archives municipales dans
la Bavière souabe. — Mayerhofer. Sur le plus ancien ms. de Freising
(rassemble les sources relatives à l'histoire des Agilolfingiens). — Inven-
taire méthodique des archives bavaroises; fin. — Loewenfeld. Études
sur les archives de Normandie (liste d'originaux relatifs à l'histoire des
papes dans les archives de Rouen, Caen, Saint-Lô, Alençon et Évreux).
— Ermisch. Pièces tirées des archives d'État à Stadthagen (publie entre
autres le plus ancien coutumier municipal, qui est de 1344). — Doebner.
Description des archives municipales de Stadthagen. — Pfannenschmid.
Classement et inventaire des archives communales. — Primes. Le bla-
son des Wittelsbach, depuis le duc Otton 1^'' jusqu'à l'électeur Max III
Joseph (l'aigle est le plus ancien des emblèmes qui composent le blason
RECUEILS PÉRIODIQUES. 455
de cette famille). — Von Pflugk-Harttung. De la façon dont sont men-
tionnés les noms dans les bulles pontificales (moyen de reconnaître
l'inauthenticité de certaines bulles d'après la façon dont un nom est
mentionné). — Von Loeher. Pièces relatives à l'histoire de la civilisation
(les inscr. latines mises sur les tombeaux des Germains chrétiens
appartiennent non à l'époque mérovingienne, mais à l'époque de l'em-
pire romain. L'habitude des épitaphes ne pénétra pas en Allemagne
avant l'époque de Hohenstaufen ; les inscr. tumulaires que l'on ren-
contre avant cette époque sont falsifiées, ou ce sont de simples épi-
graphes).
53. — Zeitschrift fur aegyptische Sprache und Alterthums-
kunde. Leipzig, 1883, Heft 2. — Lepsius. Sur l'emplacement de
Pithom et de Raemses (Gosen était situé à l'ouest de Wadi Tumilât ou
du « pays de Ramses. » La capitale du pays « Ramses » était Pa-tum,
le Patumos d'Hérodote, le Sukkot des Hébreux. La seconde ville, Pa-
Ramses Miamoun ou Raemses, plus tard Heroonpolis, était située sur
l'emplacement actuel de Maschùtah). — Erman. L'inscr. de Bentresch
(sans valeur historique, car elle se rapporte à une légende religieuse
des derniers temps de l'empire égyptien, rattachée au souvenir divinisé
de Ramses II). — Id. Les fils de Ramses IH (les dynasties postérieures
ont cherché à se rattacher de toute manière, par les noms et par les
titres, à la rénommée de Ramses H). — Krall, Analectes historico-
philologiques (l» les « tomoi » ou listes royales contiennent des remar-
ques et des éclaircissements qui n'appartiennent pas à Manéthon, mais
qui lui sont très postérieurs; 2° le calcul d'Ideler, qui place au 13 juin
la mort d'Alexandre, est confirmé par le Pseudo-Gallisthènes dont les
données proviennent d'une source égyptienne). = Haupt. L'expédition
d'Assourbanipal en Egypte (publie une relation assyrienne de la défaite
de Targù, roi d'Egypte et d'Ethiopie).
54. — Philologus. Bd. XLHI, Heft 2. Gœttingue, 1884. — Unger.
Renseignements fournis par ApoUodore surXénophane(ils sont emprun-
tés à Eratosthènes et sont inexacts ; il faut d'ailleurs se défier d'Era-
tostlîènes). — Beloch. Sur la chronologie des dernières années de la
guerre en Péloponèse (admet les conclusions de Dodwell, qui place le
départ de Thrasyllos par l'Ionie on mai 409 et la chute de Sélinonte et
d'Himère en 408). — Bauer. Sur le supplice des mille Mytiléniens
(contre Miiller-Striibing, qui croit à une interpolation dans le récit de
Thucydide). — Unger. Le début du règne de Pyrrhus (n'eut pas lieu,
comme le pense Droysen, en 295, mais au plus tard en 297).
55. — Rheinisches Muséum fiir Philologie. Bd. XXXIX,
Heft 2. Francfort-sur-le-Mein, 1884. — Koepp. Sur les guerres syriennes
des premiers Ptolémées et sur la guerre de Seleucos Kallinikos contre
son frère Antiochos Hierax (!<> contre Droysen, l'auteur place en l'an-
née 276 av. J.-C. la première guerre de Syrie et la guerre contre Magas,
2» La Cœlésyrie appartenait alors, depuis Ptolémée Lagus, à l'Egypte.
/,56 RECUEILS PERIODIQUES.
Récit détaillé de la lutte entre Seleucos et Antiochos). — Beloch. Sur
l'histoire financière d'Atliènes (1' la Siwê£).îa des inscr. n'est pas autre
chose que le salaire des héliastes qui fut rétabli en 406/405 par les
efforts des démagogues Archedemos et Gléophon. 2° Les dépenses
totales de la guerre de Péloponèse pour Athènes s'élevèrent à environ
35,000 talents. 3» Importance de la charge des Poristes). — Faltin.
Polybe et Tite-Live, sur la bataille de Trasimène (le récit de Polybe
est complet et logiquement composé ; mais Polybe s'est fait une idée
inexacte du champ de bataille. Le récit de Tite-Live, moins détaillé,
doit être cependant préféré à celui de Polybe). — Koehler. Remarques
critiques et exégétiques sur les fragments d'Antignos de Karystos. —
Stahl, Sur Thucydide et Diodore (les textes de ces deux historiens sur
la colonisation de Potidée peuvent être rectifiés en les comparant l'un
à l'autre). — Kirchner. Sur l'authenticité des documents insérés dans
les discours de Démosthènes (plusieurs données fournies par les dis-
cours contre Stephanos et Lakritos sont confirmées par des inscr. du
temps). — F.-B. Inscr. osque (texte et commentaire ; l'inscr. vient des
environs de Santa-Maria-de-Capoue). — Gardthausen. Le poisson d'or
de Vettersfelde (c'est une tessera hospitalis échangée par deux princes
Scythes engagés l'un à l'autre par les liens de l'hospitalité).
56. — Zeitschrift fur vergleichende Rechtswissenschaft.
Bd. V. Heft 2. Stuttgard, 1883. — Dargln. La propriété; son origine
ot son développement historique (au premier degré de la civilisation,
alors qu'il n'y a pas encore à vrai dire d'organisation politique, la pro-
priété est encore individuelle ; c'est plus tard, avec le développement
des idées politiques, que la communauté agraire se forme ; puis à
mesure que le sentiment de l'individualité se développe, on revient à la
propriété individuelle). — Von Tornauw. Le droit successoral dans
l'Islamisme (Mahomet garda dans ses traits généraux la législation
arabe ; il en modifia certains détails dans un esprit d'humanité).
57. — Archiv fur katholisches Kirchenrecht. Mayence, 1884,
mai-juin, Heft 3. — Schmitz. Les pénitentiaux conservés dans les biblio-
thèques de Danemark et de Suède (ces livres n'existent qu'à partir de
la seconde moitié du xni^s.; ils ne contiennent que les Canones poeni-
ientiales Astesani).
58. — Theologische Studien und Kritiken. Jahrg. 1884, Heft 3.
Gotha. — UsTERi. La doctrine de Calvin sur les sacrements et sur le
l)aptème (Zwingli ni Calvin n'ont sur ce point d'idées originales ; on ne
peut admettre que Zwingli ait à cet égard exercé de l'influence sur
Calvin). — Id. De l'attitude prise par les réformateurs strasbourgeois
Bucer et Capito dans la question du baptême (elle fut peu nette, parce
qu'ils s'efforcèrent de concilier Zwingli, Luther et Calvin). — Koldewey.
La première tentative faite pour justifier la bigamie du landgrave de
Hesse (parle de l'apologie composée par le curé Lening de Melsungen,
qui excita le mécontentement de Luther). — Kcestllx et Buchwald. Sur
RECUEILS PÉRIODIQUES. '<57
la dispute avec les chanoines de Wittemberg (publ. une lettre de Bugen-
hagen et du magistrat de Wittemberg sur la suppression de la messe
catholique dans cette ville en 1523). = Comptes-rendus critiques :
Kolde. Analecta Lutherana (bon). — Kokle. Luther und der Reichstag
zu Worms, 1521 (bon). — Koldcwey. Ileinz von Wolfenbùttol (bon).
59. — Neue Beitraege zur Geschichte des deutschen Alter-
thums (Henneberg. alterthumsforschender Verein). Meiningen, 1883,
livr. 4. Extraits de la chronique du secrétaire de la ville de Meiningen,
Sébastian Gùth, de 1628 à 1677.
60. — Archiv fur Anthropologie. Bd. XV. Ileft 3. Brunswick,
1884. — Penck. L'homme et l'époque glaciaire (l'Europe était déjà
habitée à cette époque par des êtres humains). — Mehlis. Tumuli
fouillés près de Thselmassing, dans la vallée de l'Altmùhl (les tombeaux
sont d'époques diverses, mais appartiennent au même peuple doliclo-
céphale, sans doute de race celtique). — Sophie Mûller. Origine et
premiers développements de la civilisation européenne à l'âge du
bronze, d'après les plus anciennes découvertes d'objets de bronze dans
le sud-est de l'Europe). — Naue. Poignards de bronze trouvés dans le
Palatinat et en Crète. — Bartels. Rapport sur les fouilles opérées à
Bologne et sur les objets d'origine ombrienne, étrusque et celtique,
qu'on y a découverts.
61. — Nord und Sud. 1883, Heft 10. — Zorn. Stein et la réforme
de l'administration prussienne (sa législation et ses projets de loi sont
la base de toutes les institutions qui ont pu se maintenir et vivre en
Prusse et en Allemagne dans le cours de ce siècle). — Lïibke. Le culte
de Marie dans les premiers siècles (critique de l'ouvrage de Lehner sur
le même sujet). — Geyer. Hohenstaufen et HohenzoUern (1° histoire du
château de Hohenstaufen du moyen âge à l'époque moderne ; 2° his-
toire du château d'Urach ; ses rapports avec l'histoire des comtes de
Wurtemberg ; 3° les plus anciennes mentions du château de Hohen-
zoUern dans la Schwœbische Chronik de Martinus Crusius). = Heft 12.
Cantor. Sur l'histoire des universités (histoire intérieure de l'univer-
sité de Padoue au xvi« s. ; luttes des Jésuites avec cette université). —
La Prusse dans la Hesse électorale, nov.-déc. 1850 (souvenirs d'un offi-
cier prussien ; détails abondants sur les événements diplomatiques et
militaires. Le gouvernement prussien avait mis tout son espoir dans la
conférence de Dresde ouverte le 23 déc. 1850, pour sauver au moins de
sa politique allemande déjà fort compromise ce qu'on pouvait sauver
encore; mais, là aussi, il dut reculer devant l'énergique attitude du
prince Schwarzenberg. Il ne resta plus à la Prusse d'autre issue que
d'adhérer de nouveau à la diète de Francfort, ce qui eut lieu en mai 1851 .
En sacrifiant sa considération dans la politique extérieure, la Prusse
eut les mains libres pour travailler à sa réorganisation intérieure, à
laquelle l'auteur attribue les succès de 1866).
62. — K. Ssechsische Gesellschaft der AVissenschaften.
458 RECUEILS PERIODIQUES.
Berichte ùber die Verhandlungen. Philol. histor. Classe. 1883, Heft 1-2.
Leipzig, 1884. — Voigt. Sur la légende de Lucrèce et ses parentés lit-
téraires (suit l'histoire de cette légende à travers l'antiquité et le moyen
âge). — Heydemann. La légende de Niobé et son développement (les
peintres et les sculpteurs romains ont varié le modèle donné par les
maîtres grecs).
63. — Neues Archiv fiir Saechsische Geschichte. Bd. Y. Heft 1
et 2. — Heller. Les routes de commerce dans l'Allemagne centrale aux
xvi% xvn« et xvni*' s., et leurs rapports avec Leipzig (avec une carte, qui
montre clairement à quel point Leipzig était le centre de tout ce com-
merce). — Knothe. Sur l'histoire primitive de la ville de Bautzen jus-
qu'en 1346. — Opel. Les débuts de l'opéra à Leipzig, 1680-1710. — Frhr.
von Welck. Correspondance du duc Jean-Frédéric de Saxe et Ambro-
sius Roth, pasteur de Geithain, 1568 (publie cinq lettres écrites pen-
dant la captivité du duc de Saxe en Autriche). := Bibliographie : Bacli,-
mann. Deutsche Reichsgeschichte im Zeitalter Friedrich III und MaxI
(excellent). — Das Kriegsjahr 1683 (analyse de plusieurs ouvrages rela-
tifs au siège de Vienne par les Turcs).
64. — Neues Lausitzisches Magazin. Bd. LIX. Heft 2. Gorlitz,
1883. — ScHLOB.\GH. Les frontières méridionales du territoire du monas-
tère de Dabrilugk (déterminées d'après un document nouveau, avec une
carte). — Tzschabran. Rapports de Luther aveclaRasse-Lusace (publie
le rapport des Visiteurs envoyés par Luther pour s'enquérir de la situa-
tion ecclésiastique dans le district de Schliebcn, 1529 ; notes historiques
et documents relatifs à cette contrée). — Sohr. La vie de théâtre en
Allemagne au siècle dernier (publie la correspondance du réformateur
des théâtres Grossmann avec Schiller et Goethe). — Korschelt. Événe-
ments militaires à l'époque de la guerre de la succession bavaroise
(brève esquisse de cette guerre, en ce qui concerne la Lusace ; expose le
violent système de réqui.sitions et de pillages pratiqué par les soldats
autrichiens et prussiens). — Von Keltsch. Où était situé le Mîegdeland?
(l'apparition de ces amazones du nord remonte aux institutions reli-
gieuses des Celtes. Le culte a son origine en Silésie ; il s'éteignit vers
l'an 900).
65. — Beitrœge zur Anthropologie und Urgeschichte Baierns.
Munich. Bd. V. Helt 4. — Ohle.nschlauer. Carte préhistorique de la
Bavière (deux planches pour les environs de Wurzbourg et de Schwein-
furt, où sont indiquées les antiquités préhistoriques de toute espèce
qu'on y a découvertes; avec une table). — Id. Sur l'époque, l'origine
et l'extension des « Hochsecker » en Bavière.
66. — "Wûrttembergische Vierteljahrshefte fur Landesges-
chichte. Jahrg. VI. Heft 2. Stuttgart, 1883. — Wagner. De la compo-
sition originaire de la ligue souabe (elle ne fut à l'origine que la réunion
de deux facteurs indépendants : l'association des chevaliers du bouclier
de Saint-Georges et une ligue des villes souabes, que la nécessité con-
RECUEILS pe'riodiqces. 459
traignit à agir de concert). — Bossert. La liste des combattants tués
au combat de Reutlingen eu 1377. — In. De l'origine de l'évêque de
Bamberg, Otton le Saint (il était d'une famille noble de Wurtembt^rg).
— Schneider. Les châteaux et forteresses de "Wurtemberg vers l'an 1600.
— Ofterdinger. Histoire du théâtre à Biberach de 168G jusqu'à nos
jours. — BossERT. Régestes sur l'histoire de la Haute-Souabe (publie
des extraits de 26 documents des années 1271-1373). — Schilling. Trois
sorcières brûlées à Ulm en 1613, 1616 et 1621. — Id. L'évêque Henri
de Bamberg et sa parenté avec Konrad de Schmidelfeld. — Id. Détails
sur le règne du margrave Georges-Frédéric de Brandebourg- A nsbach
(des violences et des injustices que ce prince commit sur le territoire
wurtembergeois). — Buck. Sur l'étymologie de Weinsberg. — Bossert.
Sur l'histoire de Bebenburg près de Blaufelden.
67. — Diœcesan-Archiv der Diœcese Freiburg. Bd. XVL Fri-
bourg-en-B. 1883. — Poinsignon. Le monastère des Prêcheurs à Fri-
bourg (fondé en 1235 pour servir de défense contre les gens de la Forêt
Noire. Les Dominicains jouirent d'une grande influence dans le pays
jusqu'au commencement du xv« s. ; puis le peuple se laissa gagner par
les idées socialistes, et l'université de Fribourg fit aux reUgieux une
opposition continuelle. Liste nécrologique des moines du monastère, de
1253 à 1798). — Trenkle. Contributions sur l'histoire des paroisses
situées dans les districts de Gernsbach et d'Ettlingen ; suite. — Koenig.
Les statuts de l'Ordre teutonique, d'après la révision du grand chapitre
de l'Ordre à Mergentheim 1606 (suit la liste des couvents désignés à
l'Ordre pour des indemnités en 1802). — Mayer. Contributions à l'histoire
du monastère de Gengenbach (publie la chronique de ce monastère par
Gallus Melzer, et d'autres documents relatifs à cet établissement). —
LiNDNER. Catalogus possessionum monasterii Rhenaugiensis (publie une
liste ancienne des possessions du monastère de Rheinau, avec un com-
mentaire et l'identification des noms de lieu). — Vanotti. Histoire de
l'Ordre teutonique dans le diocèse de Rottenburg. — Schnell. Histoire
du château de Schalksburg (publie 25 doc. des années 1395-1517). —
Staiger. Sur l'histoire du monastère de Wagenhausen.
68. — Archiv fur Frankfurts Geschichte und Kunst. Bd. VIII.
Francfort-sur-le-Mein, 1882. — Joseph. Monnaies en or des xiv" et
XV' s. (description, classement chronologique et histoire des monnaies
provenant d'un trésor enfoui en 1504 près de Disibodenberg et décou-
vert en 1841 ; histoire du gulden de Francfort au xv s.). — Froning,
Les deux chroniques francfortoises de Johannes Latomus, et leurs
sources (pour la période antérieure à l'an 1500, elles reproduisent deux
annales francfortoises du xiv" s. dont l'une, d'une grande valeur histo-
rique, est perdue, et dont l'autre nous est parvenue seulement sous une
forme très défigurée). = Bd. IX. Histoire du théâtre à Francfort-sur-le-
Mein (les premières représentations de mystères remontent au xiv* s.
Des comédiens anglais jouent à Fi'ancfort de 1600 à 1631. Les
460 RECUEILS PERIODIQUES.
théâtres à Francfort lors du couronnement de Charles VII, de Fran- ■
çois I'^'" et de Joseph II). = Bd. X. Faulhaber. Histoire de la poste à
Francfort-sur-le-Mein, d'après des pièces d'archives.
69. — Mittheilungen des Vereins fur Geschichte und Alter-
thumskunde in Hohenzollern. Jahrg. XV, Heft 2. Signiaringen,
1882. — ScHMiD. La plus ancienne histoire de la maison royale et prin-
cière de Hohenzollern ; !''<= partie (il est très vraisemblable que les
Hohenzollern descendent des margraves de Rhétie, des Burkardingiens,
qui de leur côté étaient d'origine franque. Histoire de ces ducs et de
leurs possessions en Souabe). — Zingeler. Chartes inédites concernant
Hohenzollern et Zollernhohenberg, 1285-1457. — Thele. Une ordon-
nance juridique (publie un recueil des droits seigneuriaux et régaliens
du comte de Hohenzollern, composé en 1599 sur les ordres du comte
Frédéric de Hohenzollern). — Logher. Les seigneurs de Neuneck (docu-
ments des années 1547-85). — Von Lehner. Rapport sur des fouilles
opérées près de Sigmaringen (on y a découvert une construction romaine,
d'un caractère sans doute administratif).
70. — Historischer Verein zu Heilbronn. Bericht fiir das Jalir
1882. — DiiRR. Sceaux et armes d'Heilbronn. — H.erle. Événements
militaires de l'année 1693 dans les environs d'Heilbronn (tactique du
margrave de Bade, généralissime de l'armée impériale ; elle a eu ce
résultat de conserver à l'empereur et à l'empire sa dernière armée et
d'empêcher la marche en avant des Français).
71. — Schau in's Land. Jahrg. VII, 1884. — Bader. Le château
et la ville de Staufen (étymologie du nom et histoire de la famille de
Staufen jusqu'à son extinction en 1602). — KiiRZEL. Saint-Landolin
(notes sur l'histoire de cette ville et surtout de ses bains, depuis le
xvn" s.). — Mai;rer. Histoire de la ville de Kenzingen (son histoire est
intimement liée à celle de ses seigneurs d'Ussenberg, jusqu'à son
annexion à l'Autriche. Droits et obligations des bourgeois à l'égard de
leurs suzerains).
72. — Mûnster-Blaetter. Heft 3-4. Ulm, 1883. Dieterich, curé à
Ulm à l'époque de la guerre de Trente ans (les papiers qu'il a laissés
jettent beaucoup de lumière sur la situation religieuse et sociale à Ulm
à cette époque). — Seuffer. Une charte du xv" s. sur l'histoire de la
cathédrale d'Ulm. — Klemm. Sur deux architectes d'Ulm du nom de
Ceorg Siirlin, au xv« et au xvi« s.
73. — Zeitschrift fur die Geschichte des Oberrheins.
Bd. XXXVIl. Heft 2-3. Carlsruhe, 1883. — Von Weech. Cartulairc
de l'abbaye cistercienne de Salem ; suite (100 num. de 1267 à 1274). —
Wille. Analectes sur l'histoire de la Haute Allemagne, et surtout du
Wurtemberg (publie : 1° les relations de l'envoyé bavarois en Wurtem-
berg, Hans Werner, adressées au ministre bavarois von Eck pour les
années 1533-36, sur les événements religieux et politiques du Wur-
temberg, en particulier sur les rapports entre les ducs Ulrich et
RECUEILS PE'rIODIQUES. ^6-1
Ghristoph ; 2° la correspondance d'Ulrich avec le landgrave de Hesse,
qui s'efforça de réconcilier le duc Ulrich avec son fils et de gagner ce
dernier à la cause de la Réforme). — Hartfelder. Revue des livres
parus sur l'histoire du grand-duché de Bade pour les années 1880-82.
— Weiss. Les archives d'Adelsheim. — Rapport sur les travaux de la
commission badoise d'histoire.
74. — Annalen des historischen Vereins fur den Niederrhein.
Heft 37. Cologne, 1882. — Maassen. La voie romaine de Trêves à Wes-
seling sur le Rhin et le canal romain du « Vorgebirge » (les points où
aboutissait ce canal sont Belgika et Bonn ; il servait aux besoins de
25 localités que l'auteur place le long du canal et de la route militaire
de Bonn à Belgika ; le canal a été construit sans doute à l'époque
d'Hadrien). — Floss. Documents relatifs au gouvernement de l'arche-
vêque de Cologne Hermann de Wied, 1543-45 (expose, en s'appuyant
sur 35 doc, les efforts déployés par le chapitre et le clergé de Cologne
contre les tentatives réformatrices d'Hermann de Wied). — Id. Quatre
documents relatifs aux biens-fonds de l'abbaye de Heisterbach à Ober-
kassel en 1335, 1413 et 1566. — Loersch. Sur l'histoire de la seigneurie
de Lœwenberg.
75. — Mittheilungen des Instituts fur œsterreichische Ge-
schichtsforschung. Bd. V. Heft 2. — Sgheffer-Boighorst. Les dona-
tions de Pépin et de Charlemagne ; contribution à la critique de la Yita
Hadriani (le passage relatif à ces donations est certainement d'un con-
temporain; mais c'est une main postérieure qui a ajouté l'indication
précise des limites des pays que les rois francs promettaient de donner
au pape ; le biographe lui-même nous fournit le meilleur moyen pour
découvrir cette interpolation). — Kaltenbrunner. Études sur l'histoire
de Rome (les registres des papes au xm« siècle; leur composition).
— BucHWALD. Sur la procédure dans les jugements de Dieu; second
article. — Ficker. Actes relatifs à l'empereur Henri VI , d'après un
registre du notaire Guillaume du Mont-Cassin conservé aux archives
de l'État à Gênes, 1191-1206. = Bibliographie : Balm. Deutsche Urzeit
(insuftisant parfois pour ce qui touche l'histoire romaine ou romane, ce
livre est au contraire excellent en ce qui concerne l'histoire propre
des Germains). — Livres nouveaux parus en 1883.
76. — Mittheilungen der authropologischen Gesellschaft in
AVien. Bd. XHI (nouv. série, III). Vienne, 1883. — V^^oldrigh. Sur
l'histoire primitive de la Bohème (à propos de cinq nouveaux camps
retranchés découverts dans le sud de la Bohême, de nombreux tom-
beaux fouillés au nord de Frauenberg, et qui sont antérieurs à l'époque
slave, et d'une importante trouvaille d'objets en bronze déterrés à Kren-
dorf; ces derniers ont beaucoup de ressemblance avec les antiquités
étrusques de Narni et de Valentano ; ils sont seulement de date plus
récente. Ce sont les plus anciens objets en bronze trouvés jusqu'ici en
Bohême). — Radimsky. Études d'histoire primitive dans les environs de
462 RECUEILS PERIODIQUES.
Wies; dans la Styrie moyenne. — Tomascheck. Sur les études
et recherches ethnologiques du docteur Fligier (défend les conclu-
sions de son livre Goten in Taurien, contre les attaques de Fligier
dont il montre le caractère superficiel et peu scientifique). —
Reyer. Sur l'emploi des outils de pierre (explique les raisons pour
lesquelles on s'en est servi pendant si longtemps. Ce qu'on appelle
l'âge de pierre ne correspond pas toujours à un degré déterminé de civi-
lisation , car les Orientaux ont connu les métaux résistants alors que
leur culture intellectuelle était faible encore ; le cas contraire eut lieu
chez les Indo-Européens). — Szombathy. Objets préhistoriques provenant
des îles Canaries. — Krauss. Légendes des Slaves du Sud relatives à la
peste. — HoERNES. Tombeaux anciens en Bosnie et en Herzégovine (les
inscriptions et sculptures tombales du moyen âge trahissent une bar-
barie extraordinaire, et l'on comprend que la noblesse ait si facilement
adopté l'islamisme). = Comptes-rendus critiques : Faudel et Bleicher.
Matériaux pour une étude préhistorique de l'Alsace (bon). — Gi^oss. Les
Protohelvètes, ou les premiers colons sur les bords des lacs de Bienne
et de Neuchâtel (bon). — Pigorini. Terramara dell' età del bronzo, situata
in Castione dei Marchesi (très bon). — De Stefano. Nuove scoperte di
antichità nei circondari di Legnago e Sanguinetto (très bon). — Virchow.
Das Grseberfeld von Koban ira Lande der Osseten (remarquable).
77. — The Athenaeum. 1884, 12 avril. — Th. Rogers. Six centuries
of work and wages; the historyof english labour (ouvrage très savant et
très instructif. = 19 avr. Hutchinson. The diary and letters of bis Excel-
lency Th. Hutchinson captain-general in North America (documents rela-
tifs au dernier gouverneur anglais de la colonie de Massachussetts Bay;
important pour l'histoire de la guerre de l'indépendance américaine).
= 2G avril. Streatfeild. Lincolnshire and the Danes (beaucoup de
labeur, des observations justes, mais critique peu exercée en général).
= 3 mai. Storms and sanshine of a soldiers life : lieut.-gen. Colin
Mackensie, 1825-1881 (biographie d'un brave général de l'armée des
Indes; il échappa comme par miracle au désastre de l'Afghanistan en
1841-1842. Biographie qui serait très intéressante si l'auteur, la veuve
du général, n'avait pas prodigué les dissertations théologiques). =:
10 mai. Fitzgerald. The life and times of William IV (compilation amu-
sante faite à coups de ciseaux à travers les mémoires qui contiennent la
chronique scandaleuse de l'époque). = 17 mai. Loserth. Hus und Wiclif
(montre combien Hus s'inspira de Wiclif; mais exagère en disant que
le hussitisme n'eut rien d'original, et que c'est vraiment les doctrines
de Wiclif qui furent brûlées dans la personne de Hus). =: 24 mai.
Brewer. The reign of Henry VIU, to the death of Wolsey (ce sont les
préfaces des volumes des Calendars of State Papers que M. Gairdner a
réunies ici en vol.). = 14 juin. R.-B. Gardiner. The admission registers
of St Paul's school, 1748-1876 (intéressant).
78. — The Academy. 1884, 12 avril. — i/. Gra)it. The story of the
RECUEILS PERIODIQUES. 463
University of Edinburgh during its lirst three hundrod years (très inté-
ressant). — Lettre de Jeanne de Navarre à la Bibliothèque nationale
{5 lettres inédites, publiées par M. Gertrude-Everctt Green). =2G avril.
Rogers. Six centuries of work and wages; the history of english labour
(excellent). — Maxwell. The history of Old Dundee (bonne histoire
municipale de Dundee dans la seconde moitié du xvi« s. et dans la pre-
mière du xvn^). =• .3 mai. Omond. The lord advocates of Scotland (très
intéressant). = 10 mai. Armstrong. The history of Liddesdale, Eskdale,
Ewesdale, Wauchopedale, and the debateable land. l^e partie (excellente
histoire du border écossais). — O'Conor. History of the irish people.
2 vol. (remarquable; mais l'histoire économique du pays est seulement
esquissée). — Newton. The collection of ancient greek inscriptions in
the British muséum ; 2« partie (contient les inscr. du Péloponèse, de la
Grèce septentrionale, de la Macédoine, de la Thrace, du Bosphore cim-
mérien et des îles de l'Archipel. Le t. III, qui est sous presse, contien-
dra les inscr. de Priène, Ephèse et Jasos). = 17 mai. The historical
charters and constitutional documents of the city of London (traduction
des principales chartes intéressant l'histoire communale de Londres). —
Watson. Spanish and portuguese South -America during the colonial
period (bon résumé). — Lady Jackson. The court of the Tuileries, from
the Restauration to the flight of Louis-Philippe (sans valeur historique
ni littéraire, mais amusant). = 31 mai. Ross. Scottish history and lite-
rature, to the period of the Reformation (excellent).
79. — The Contemporary review. 1884, juin. — Hatch. Les
théories historiques de la Commission chargée de l'enquête sur les cours
ecclésiastiques (le travail des commissaires est très important au point de
vue historique; leurs conclusions pratiques sont contestables; « aban-
donner le contrôle que la nation anglaise a exercé jusqu'ici sur l'Église
anglaise serait, non pas continuer l'histoire, mais briser net avec elle »).
— Mary Gladstone. Les lettres de la princesse Alice.
80. — The Nation. 1884, 3 avril. Hutchinson. The diary and the
letters of Thomas Hutchinson (beaucoup trop long; Uvre d'une lecture
difficile; les documents qui y sont publiés apportent peu de chose à
l'histoire, mais contribuent à mettre en lumière une des figures les plus
intéressantes de la Révolution américaine). =: 10 avril. Lowell. The
Hessians, and the other German auxiliaries of Great Britain in the
revolutionary war (bon livre, bien informé, consciencieux et sensé). =
17 avril. Chamberlain. John Adams, the statesman of the American
Révolution (intéressant). = 24 avril. Martin. A life of lord Lindhurst
(apologie outrée et fort contestable). — Cliurch. Bacon (excellente
étude sur le célèbre ministre et philosophe anglais). =: le^ mai.
Schuyler. Peter the Great (livre plein de faits, entassés sans ordre;
mais très instructif). — Todd. The campaigns of the Rébellion
(une esquisse de la guerre de sécession en 130 pages ne peut guère
464 RECDEILS PERIODIQUES.
être utile, tut-elle même exempte de fautes, ce qui n'est pas ici
le cas). = 8 mai. Playfair. The scourge of Christendom. Annals of
british relations with Algiers prior to the french conquest (intéressante
histoire d'Alger avant 1830, avec un récit de la prise de la ville par un
témoin oculaire). — Mead. Martin Luther (esquisse passionnée, mais
intéressante). = 2-2 mai. Dabry-Tliiersant. De l'origine des Indiens du
Nouveau-Monde et de leur civilisation (l'auteur estime que la civilisa-
tion fut portée en Amérique par des bandes de Carismiens chassés de
leurs demeures par l'invasion mahométane ; tous les efforts de son éru-
dition n'ont pu réussir à prouver cette thèse au moins singulière). —
Schuchardt. Kreolische Studien (très curieux).
81, — Archivio storico italiano. Tome XIII, disp. 3, 1884. —
GuASTi. Les archives d'un évêque de Volterra, qui fut au concile de
Constance ; suite (publie entre autres quatre documents relatifs au pape
Jean XXIII : « que uecessaria esse videntur fieri per papam in prima
sessione »). — Cantù. La république et le royaume d'Italie et la Tos-
cane; suite (documents des années 1804 à 1807. — Paoli. Le privilège
d'Otton I^'' pour l'Église romaine, d'après le travail récent de Th. Sickel.
— Livi. Des rapports des Corses avec la République de Florence et avec
Giov. de' Medici, des Bandes Noires (introduction à une étude : la Cor-
sica e Cosimo I de' Medici, qui doit paraître prochainement). = Biblio-
graphie : MarceUino da Civezza. Storia universale délie mission! fran-
cescane; t. VI. — Gaspari. Memorie storiche di Sarrasanquirico. —
Nani. Nuova edizione degli statut! del 1379, di Amedeo VI di Savoia.
— Giralamo-Rossi. Statut! del comune di Castellaro dell'anno 1274. —
Caretta. Sulla famiglia Assandri patrizia milanese.
83. — Archivio storico per le provincie napoletane. Anne IX,
fasc. 1. — Barone. Les cédules de trésorerie des archives d'État à Naples,
de 1460 à 1504; suite. — Faraglia. Les deux amis de Pétrarque : Gio-
vanni Baril! et Marco Barbato (leur biographie, accompagnée de docu-
ments). - GiAMPiETRO. Un registre aragonais de la Bibliothèque natio-
nale de Paris; suite.— De Blasus. Des supplices ordonnés à Naples au
temps des tumultes de Masaniello. — Lippi. Une monnaie inconnue de
Tebe Lucana. = Bibliographie : Hiiffer. Die neapolitanische Republik
des Jahres 1799 (parle de la violation de cette capitulation; il en rend
responsable le roi d'abord, puis la reine et Nelson, déchargeant ainsi le
card. Ruffo, qui dut s'incliner devant des volontés souveraines).— Pro-
logo. I primi tempi délia città di Trani, e l'origine probabile del nome
délia stessa (identifie cette ville avec le Turenum de la Table de Peu-
tinger; mais cette identification est impossible). — Pepé. Notizie sto-
riche ed archeologiche dell' antica Gnathia (consciencieux). — Gioia.
Memorie storiche et document! sopra Lao, Laino, Sibari, Tebe-Lucana
délia Magna Grecia città antichissime (des erreurs et des confusions
nombreuses). — Fortunato. I Napoletani del 1799 (boni. — Morcaldi.
RECUEILS PERIODIQUES. Ji&^^
Una bulla di Urbano II e i suoi detrattori (s'efforce, sans grand succès,
d'établir l'authenticité, fort contestée, de la bulle d'Urbain II en faveur
de l'église de la Trinité de la Gava, 5 sept. 1092K
83. — Archivio storico Siciliano. Nouvelle série; anno YIII,
fasc. 3-4. — GoGLiTORE. Etudes historico-archéologiques : Mozia (les
passages où il est question de l'île et de la cité de Mozia dans les écri-
vains de l'antiquité s'appliquent tous à la petite ile actuelle de S. Pan-
taleo, située près de Marsala ; dans un prochain article l'auteur étudiera
l'histoire de cette localité). — Bellio. Notes sur les mss. géographiques
de la bibliothèque communale de Palerme. — Lagumina, Les médailles
et les artistes du séminaire des clercs de Palerme, lors de sa fondation.
— La Colla. L'histoire des municipalités siciliennes, et le Libro rosso
de la ville de Salemi (note sur ce ms., qui contient 1^25 documents pos-
térieurs à l'an 1314; suit une table chronologique et analytique de ces
documents). — Salinas. Sur un registre de Giov. Majorana, notaire de
Monte San Giulano, au xm^ s. (fournit de curieux renseignements sur
l'histoire du commerce, de l'industrie, de l'armée, des rapports entre le
Mont et Trapani, de 1297 à 1300). — Lionti. Les Juifs et la fête de saint
Etienne, protomartyr à Marsala (documents de 1399 à 1431). — Di Gio-
vanni. La première Société d'histoire à Palerme, 1777-1803 (avec la table
des mémoires qui y ont été lus sur l'histoire sacrée et la littérature ita-
lienne). — Lagumina. La date de l'inscr. hébraïque de San Marco (elle
est de l'an 1418 de notre ère).
84. — Archivio veneto. Anno XIV, nouv. série, fasc. 53, T. XXVII,
!■■« partie. — Cecchetti. La vie des Vénitiens vers 1300; la ville, la lagune
(à l'aide d'un grand nombre de documents d'archives). — Bocchi. L'Adige
et son débordement, 18 sept. 1882, à Angiari-Legnago; notes historico-
économiques comparées; suite et fin. — Pinton. L'histoire de Venise
de A. -F. Gfrôrer; l''^ partie : les matériaux de l'œuvre; suite et fin. —
GiOMO. Les rubriques des « Libri misti » du Sénat, aujourd'hui perdus;
suite. — GiURiATO. Mentions relatives à Venise dans les monuments de
Rome; suite. — R.-F. Giorgio Zorzi; relation de son ambassade en
Hollande et en France, 1626-29, tirée des mss. de la bibliothèque de Fer-
rare, par le prof. Gius. Ferraro (texte de cette relation). — Biadego.
Muratoriana (documents relatifs à Muratori). — Berlan. Un nouveau
document sur Gutenberg (discute les conclusions tirées par M. Glaudin
de la lettre qu'il a récemment publiée dans le Livre). = Bibliographie :
Relazione sugli Archivi di stato italiani, 1874-82. — Simson. Jahrbù-
cher des frœnkischen Reiches unter Karl dem grossen (bon). — Manto-
vani. Lagune (cet ouvrage, qui a été fort loué par plusieurs journaux,
n'est qu'un plagiat effronté de Taiue, Gh. Blanc, Th. Gauthier,
Tôpffer, etc.). = Fulin. Bulletin de bibliographie vénitienne; suite. =
Actes de la R. Deputazione veneta di storia patria.
85. — Studi e documenti di storia e diritto. Anno V, fasc. 1-2.
— Talamo. L'esclavage selon Aristote et les docteurs scolastiques ;
Rev. Htstor. XXV. 2« fasc 30
/,0() RECUEILS PÉRIODIQUES.
seconde partie. — Gamurrini. Les mystères et les hymnes de saint Hilaire,
évèque de Poitiers, et un voyage aux lieux saints au iv s., découverts
dans un très ancien ms. (ce ms., conservé à la bibliothèque de la Fra-
ternità de S. Maria, à Arezzo, est écrit en caractères lombards, et appar-
tient au plus tard à la fin du xi^ s.; analyse de ce ms.). — Gatti. Notes
sur des matériaux et des monuments antiques, prises par J.-B. NoUi
en dessinant le plan de Rome, et conservées aux archives du Vatican;
suite.
86. — Bolletino storico délia Svizzera italiana. Anne VI, n^^ 3 et A.
— LiEBENAu. Lodovico Borromeo; suite. — Curiosités de l'histoire ita-
lienne au xv« s., tirées des archives de Milan; suite. — Inscriptions his-
toriques du canton du Tessin; suite. — Les statuts dlntragua, Golino
et Verdasio, de 1469; suite. — N» 5. Les imprimeries du canton du
Tessin; série alphabétique de leurs publications, de 1800 à 1859. — Bel-
linzone excommuniée en 1483; pièce.
87. — Der Geschichtsfreund. Bd. XXXVIIL 1883. — L. Brand-
STETTER. Rôles financiers de la prévôté et de l'aumônerie du couvent de
Lucerne. — G. Meyer von Knonau. Coup d'oeil sur l'histoire de la Con-
fédération suisse pendant les premières années du xv^ s., 1405-1415. —
K. VON Deschwanden. Le repas de l'ammann à Nidwalden pendant le
xvii'' s. (coutume patriarcale en vertu de laquelle le landammann élu
par ia landsgemeinde ordinaire do l'année régalait, le même soir, à l'au-
berge, tous les citoyens âgés de plus de quatorze ans). — K. von Iîett-
LiNGEN. Compte des frais de guerre de la ville de Zurich pendant la pre-
mière guerre de Vilmergen, 1656.
88. — Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in
Zurich. Bd. XXI. Heft 5, 1884. — U. Zeller-Werdmùller. Monu-
ments de l'époque féodale dans le pays d'Uri (lecolfretd'Attinghausen),
89. — Jahrbuch des historischen Vereins des Kt. Glarus.
Heft XX, 1883. — G. IIkek. Histoire de l'instruction publique dans le
canton de Claris (enseignement secondaire). — Idem. Les fonds scolaires
de Claris. — N. Tschudi. La fonderie de fer de Seerûti. — J.-G. Mayer.
L'établissement des capucins à Nacfels, 1674.
90. — Mémoires et Documents publiés par la Société d'his-
toire de la Suisse romande. Tome XXXIII, 1884. — .1. Gremaud.
Documents relatifs à l'histoire du Vallais, 5^ partie, 1351-1375 (avec
une introduction où sont résumées les données que ces documents
renferment sur Tévèché, le chapitre et la ville de Sion, les familles féo-
dales du Vallais épiscopal, le Vallais savoyard, etc.).
91. — Musée neuchâtelois. XX« année, n" 12, déc. 1883. —
A. Daguet. La question de Winkelried, ou résumé des recherches
faites depuis vingt ans sur l'existence d'Arnold de W. et son exploit
héroïque à Sempach (résumé un peu tardif, dirions-nous plutôt, du
mémoire lu en 1878, à Stans, par M. le pasteur Ochsenbein, avec
RECUEILS pe'riodiques. 467
quelques remarques additionnelles sur un article plus récent de feu
M. de Stùrler).
92.— Mémoires de l'Institut national genevois. Tome XV, 1883.
— H. Fazy. Genève, le parti huguenot et le traité de Soleure , 1574-
1579 (Cf. Revue, XXIV, 477). — J. Vuy. Chartes inédites du duc de
Savoie Charles III (titre inexact, en ce sens qu'il ne s'agit que de
quelques lettres assez insignifiantes de Charles III).
93. — Étrennes genevoises. Hommes et choses du temps
passé, par A. Hoget. vi^ série, 1884. — Cent ans en arrière. Chro-
nique genevoise, 1780-1785. — Pierre Bayle et Genève.
94. — Étrennes chrétiennes, publiées par une réunion de pasteurs
et de laïques. XI" année, 1884. — A. Roget. Calvin et les églises de
Pologne. — E. Saint-Paul. La tour de Constance et ses prisonnières.
— E. RiTTER. La rentrée de J.-J. Rousseau dans l'Église de Genève, 1754.
■ — P. Vaucher. Notes bibliographiques : Reimarus, Baur, Renan.
95. — Gelehrte Estnische Gesellschaft. Verhandlungen. Dor-
part, 1881. — Hausmann. Études sur l'histoire du roi de Pologne Etienne
(expose les données fournies sur ce règne par les sources ; presque toutes
les indications du temps sont puisées dans des communications offi-
cielles du roi, qui était fort désireux de ne laisser parvenir, même dans
l'Europe occidentale, que des récits favorables à sa politique; les ren-
seignements les plus indépendants, il faut les chercher dans certains
pamphlets allemands du temps; énumère les plus importants de ces
documents). — Holzmayer. Osiliana; suite (rapport sur les fouilles opé-
rées dans les îles d'CEsel et de Mohn, et se rapportant aux années 918
à 1227 ap. J.-C). — Rupniewski. Trouvailles faites dans des tombeaux
en Wolhynie (appartiennent à l'âge de pierre). — Sievers. Rapport sur
des recherches archéologiques opérées en 1876 (l'auteur attribue à un
peuple de race normande les nombreuses collines tumulaires de l'Es-
thonie ; la présence de bijoux bretons de l'époque de Marc-Aurèle est
due à des intrusions fortuites d'Anglo-Saxons, de Normands, etc., en
Bretagne, d'une époque antérieure à celle que l'on admet d'ordinaire).
— MoLLENHAUER. Une soutenance de doctorat à Wittemberg en 1544,
sous la présidence de Luther (publie ce texte important pour les idées
théologiques de Luther).
46S CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
France. — M. le général Faidherbe a été élu membre libre de
l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
— M. HiMLY, doyen de la Faculté des lettres de Paris, a été élu membre
de l'Académie des sciences morales et politiques en remplacement de
M. Mignet.
— M. Jalliffier a été élu membre du Conseil supérieur de l'instruc-
tion publique, en remplacement de M. Marion, qui ne se représentait pas.
— L'Académie française a décerné le grand prix Gobert à VHisloire
de la chevalerie, par M. Léon Gautier, et le second prix à M. R. de
Maulde, pour son Histoire de Jeanne de France, duchesse d'Orléans et de
Berry ; le prix Halphen à M. A. Lefèvre-Pontalis, pour son histoire de
Jea7i de Wilt, grand [lensiomiaire de Hollande. Elle a partagé le prix
Guizot entre Rivarol et la Société française pendant la Révolution et l'Émi-
gration, par M. de Lesgure, et le Maréchal Bugeaiid, par le comte
d'L)eville. — Un prix a été décerné à M. Georges Duruy pour son
étude sur le cardinal Caraffa.
— L'Académie des inscriptions et belles-lettres a maintenu le grand
prix Gobert à M. Paul Viollet, éditeur des Établissements de saint Louis
et auteur du Précis de l'histoire du droit français, et décerné le second
prix à M. Tuetey, pour son livre : Les Allemands en France et l'invasion
du comté de Montbéliard par les Lorrains en 1587-88 (Mémoires de la
Société d'émulation de iMontbéliard). — Elle a partagé le prix Duclia-
lais entre M. Garon : Les Monnaies féodales françaises, et M. Ponton
d'Amégouut, pour ses Recherches des monnaies mérovingiennes du Céno-
mannicum, que nous avons maintes fois signalées en analysant la Revue
historique du Maine. — Elle a décerné le prix ordinaire du budget à
M. Neubauer, sous-bibliothécaire à la Bodléienne, Oxford, pour un
mémoire sur ce sujet : classer et identifier les noms géographiques de
l'occident de l'Europe qu'on trouve dans les ouvrages rabbiuiques.
— L'Académie des sciences morales et politiques a mis au concours
pour 1886 une étude sur le Père Joseph. Notre collaborateur, M. G.
Fagniez, met en ce moment la dernière main à un ouvrage sur le même
sujet, pour lequel il a réuni de nombreux matériaux tirés tant des
archives privées que des dépôts publics de la France et de l'étranger.
— On a fêté le 20 mai dernier le cinquantième anniversaire de la
fondation de la Société de l'Histoire de France. A cette occasion, la Société
a fait impriiuer un volume de Notices et Docwiicnts dont voici la table
CHRONIQUE ET r.IBLIOGRAPHIE. 469 _
des matières : Omont : Mss. en lettres onciales de Vlh'storia Francorum
de Grégoire de Tours. — LongnOxN. Notice sur le plus ancien obituaire
de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. — Luge. La continuation d'Ai-
moin et le ms. latin 12711 de la Bibl. nat. — .T. Havet. Poème ryth-
mique d'Adelman de Liège sur plusieurs savants du xi« s. — Delisle.
Les courtes annales du Bec (xii' s.). — Roman. Le cartulaire de Dur-
bon, 1116-1216. — Delaborde. Un poème inédit de Pierre Riga sur la
naissance de Philippe-Auguste. — A. Mounier. Récit en vers de la
bataille de Muret, 13 septembre 1213. — Delisle. La chronique d'Héli-
nand, moine de Froidmont, 120i. — Riant. Déposition de Charles
d'Anjou pour la canonisation de saint Louis, 1282. — P. Viollet. Une
charte de Philippe de Beaumanoir, 27 janv. 1292. — L. de Mas-Latrie.
Le ms. de la Prattica délia mercatura de B. Pegolotti. — E. Dupont.
Trois chartes à vignettes de 1377, 1389, 1402. — A. de Boislisle. Un
épisode de la domination des Armagnacs à Paris, 1416-17. — D. de
Beaucourt. Cahier de doléances des députés de Languedoc, 1428. — A.
de La Borderie. Correspondance de Charles YIII avec le parlement de
Paris pendant la guerre de Bretagne, 1487-88. — Basghet. Quelques
lettres missives extraites des archives de la maison de Gonzague, 1494-
1520. — G^e DE LuGAY. La succession du connétable de Bourbon, 25 août
1531. — Baron de Ruble. La cour dès enfants de France sous François I«'',
1531. — Lalanne. Deux pièces extraites de la collection Godefroy, 1577
et 1645. — Baguenault de Puchesse. Une lettre de Villeroy sur l'atten-
tat de Jean Chastel, 1595. — A. de Boislisle. Lettre de la duchesse de
La Trémoïlle sur la mort de M™« Du Plessis-Mornay ; mai 1606. —
G. Pigot. Doléances des habitants de Paris aux états-généraux, 1614.
— Tamizey de Larroque. Une lettre de Ph. Fortin de La Hoguette à
Louis Xin, 1628. — M'^ de Vogué. Lettres et discours de Sully sur le
projet de république chrétienne, 1630. — Duc d'Aumale. Cinq lettres de
Turenne au duc d'Enghien, 1643-45. — G.-J. de Cosnac. Mémoire de
Jean du Bouchet sur la charge de maréchal général, 15 mai 1673. —
Ed. de Barthélémy. Plan d'une invasion en Angleterre, 1759. — Duc
de Broglie. Mémoire du duc de Praslin sur les affaires de Pologne,
avec les observations du comte de Broglie, 8 mai 1763. — Delisle.
Lettres du bénédictin dom Brial à l'abbé Lespine, 1790-1801. Ce volume
a été dédié à M. Jules Desnoyers, secrétaire de la Société depuis sa
fondation en 1834.
— Le congrès annuel des sociétés savantes s'est réuni à la Sorbonne
du 15' au 19 avril dernier. Dans la section d'histoire et de philologie,
on peut noter les communications suivantes : M. Castonnet Desfosses
a annoncé qu'il a découvert une correspondance inédite de Dupleix,
environ un millier de lettres, alors qu'il n'était que gouverneur de Chan-
dernagor. — M. Forestié, continuant ses intéressantes études sur les
livres de comptes du marchand Bonis, a décrit l'état des dix confréries
qui existaient à Montauban au xiv^ s. — M. Deloche a étudié la
manière dont les actes étaient datés à la fin du xm« s. et au commen-
470 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
cernent du xiv« s. dans le Rouergue, le Quercy et le bas Limousin. Dom
Clément, dans l'Art de vérifier les dates, avait dit que les divers modes
de commencer l'année avaient été, dans ces trois pays, ramenés en 1289
à un seul, celui de l'Ascension (25 mars). Cela est vrai pour le Rouergue;
pour le bas Limousin, ce n'est exact que depuis 1301 ; pour le Quercy,
le fait n'a pu avoir lieu qu'après 1316. = Dans la section d'archéologie,
le R. P. de La Croix a fait connaître le résultat de ses fouilles dans les
nécropoles antiques de Poitiers ; il a pu y constater vingt et une espèces
différentes de sépultures, datant du iV et du v« s. — On paraît avoir
constaté cette année un ralentissement dans les travaux de ce congrès,
comme si la liste des questions proposées par le ministère, au lieu de
rendre les études plus fécondes en les concentrant, avait diminué l'ini-
tiative des délégués. Ce serait bien dommage, et bien mal comprendre
la pensée de l'administration, qui n'entend pas lier la liberté person-
nelle à aucun genre particulier de recherches.
— Le 11 avril dernier, on a inauguré au Collège de France trois
médaillons de bronze destinés à perpétuer le souvenir de Michelet, de
Quinet et de Mickiewicz, révoqués lors du coup d'État. Nous reprodui-
sons ici la fin de l'allocution prononcée par l'administrateur du Collège,
M. Renan, à cette occasion : « Maîtres illustres, » dit-il, en s'adressant
par la pensée aux trois amis, « maîtres illustres qui fûtes, au jour de
votre vie terrestre, des porteurs de vérité, de cette vérité qui est à la
fois lumière et chaleur, apprenez-nous à marcher sur vos traces ! Vous
renouvelâtes, en votre temps, les miracles que vit au moyen âge cette
montagne Sainte-Geneviève, quand toutes les nations de l'Europe
venaient autour d'Abelard, ou bien au Clos-Bruneau, à la rue du Fouarre,
chercher les principes de la liberté dans la communauté de l'esprit
humain. Ces hommages qui viennent aujourd'hui, de toutes les parties
régénérées de l'Europe, se mêler à notre fête, montrent que votre parole
eut le grand caractère du vrai ; elle fut universelle, elle remua toutes
les races. Nous ne sommes pas changés. D'autres ont pu changer dans
le monde ; mais rassurez-vous, nous resterons incorrigibles. Nous ne
séparerons jamais l'intérêt de la France de celui de la vérité. Jamais
nous n'envisagerons la science, la civilisation, la justice comme l'œuvre
d'une seule race ou d'un seul peuple. Nous persisterons à croire que
toutes les nations y servent, chacune selon son génie. En cultivant la
science, nous ne dirons jamais notre science ; le vrai, le bien et le beau
étant, à nos yeux, l'apanage de tous. Comme vous, nous nous laisse-
rions arracher de notre chaire, plutôt que de dire autre chose que ce
que nous avons résolu de dire. Votre génie planera sur ces lieux, pleins
encore de votre parole. Le souvenir de votre courage et de votre sincé-
rité, ravivé par cette image, nous soutiendra dans l'accomplissement de
notre grand devoir, le culte absolu de la vérité. »
— On sait avec quelle persévérance et avec quel succès M. Maspero
continue les fouilles qu'il dirige en Egypte. Dernièrement encore des
CHRONIQUE £T UrBLIOGRAPHIE. 47i
tombeaux importants appartonant à l'ancien Empire. Il ne désespère
pas de porter la lumière dans la période presque entièrement inconnue
pour nous qui sépare la 6« de la 11« dynastie ; mais, au milieu des diffi-
cultés où se débat aujourd'hui la malheureuse Egypte, les ressources
dont peut disposer notre illustre compatriote sont devenues tout à fait
insuffisantes. M. Renan a déjà fait appel au public dans le Journal des
Débats du 11 mars. « La conservation de l'Egypte depuis Champollion,
dit-il, surtout depuis Mariette, a été moralement dévolue à la France.
Voici un protectorat qu'il nous est permis de réclamer, puisqu'il n'a
que des clauses onéreuses... Mais l'argent manque... Il faut que toutes
les personnes qui ont à cœur la conservation des monuments du passé
apportent à M. Maspero leur concours. Quarante siècles ; c'est trop peu
dire, soixante siècles d'histoire y sont intéressés. Ajoutons que l'hon-
neur de la France s'y trouve engagé. » L'appel a déjà été entendu ; une
première liste a recueilli 12,150 fr. La Société historique s'est associée de
toutes ses forces à cette souscription nationale. La Bévue historique la
recommande chaleureusement à la générosité de ses lecteurs. Ajoutons
à ce propos que M. Maspero, directeur général des musées d'Egypte,
vient de faire paraître un exteWeni Guide du visiteur de Doulaq (Vieweg).
— M. E. Babelon et M. S. Reinach, chargés d'une mission en Tuni-
sie, ont entrepris des fouilles sur l'emplacement de Carthage, au lieu
que les Arabes appellent encore aujourd'hui Carthagenna ; les antiqui-
tés puniques qu'ils y ont rencontrées sont insignifiantes, ainsi qu'on
devait d'ailleurs s'y attendre après le résultat des fouilles déjà opérées
par M. Beulé ; ils ont cependant découvert une statue colossale d'un empe-
reur romain en marbre, d'un beau travail. La tête manque. Ils ont été
plus heureux à El-Kantara (l'ancienne Maninx, dans l'île de Djerba), à
Bou-Ghara (l'ancienne Gightis, sur la côte tunisienne en face de Djerba),
et à Zian (anc. Ciparea, entre Zerzis et Matmeur). A Bou-Ghara, ils
ont déterré beaucoup d'inscriptions, trois statues de magistrats romains
et une belle tête d'Auguste en pontife romain. A Zian, il ont déblayé
un forum entouré de grands portiques. Ils ont aussi exploré Sfax et les
environs. Rappelons en même temps les fructueuses expéditions de
M. Gagnât, qui a déjà publié deux importants fascicules sur ses décou-
vertes (chez Thorin) et de MM. Basset et Houdas qui ont poussé jus-
qu'à Kairouan. Le Bulletin de Correspondance africaine publie les résul-
tats de leur mission.
— Nous sommes heureux d'apprendre que la conservation des célèbres
ruines de Sanxay est enfin assurée. Grâce à de généreux donateurs,
l'acquisition des terrains où se trouvent les ruines est chose dès aujour-
d'hui certaine.
— M. Paul Allard a résumé dans un bref exposé les notions les plus
générales concernant les Esclaves, serfs et mainmortahles (librairie de la
Soc. bibliogr.). On connaît le point de vue auquel se place l'auteur et
le rôle tout à fait prédominant qu'il attribue à l'église dans l'affran-
^72 CHRONIQUE ET BIBLIOGlUPniE.
chissement des esclaves; il est donc inutile d'y insister autrement. Son
petit livre est d'ailleurs intéressant et au courant des derniers travaux
sur la question. C'est l'œuvre d'un homme de foi qui est aussi un éru-
dit consciencieux.
— Le 3<' fascicule du Glossaire archéologique du moyen âge et de la
Renaissance, par M. Victor Gay, vient de paraître (libr. de la Soc. biblio-
graphique) ; il contient les mots Chape à Coutelier . On annonce comme
très prochaine la publication du 4« tasc.
— M. J. JussERAND a fait paraître en volume (Hachette) après l'avoir
remaniée la curieuse étude déjà publiée dans la Revue historique sur la
vie nomade et les routes d'Angleterre au XIV'' s. Il y a ajouté un appen-
dice qui contient une trentaine de pièces ou extraits qui contiennent
de piquants détails sur les mœurs du temps. On sait que M. Jusse-
rand, qui prépare depuis longtemps un grand ouvrage sur Ghaucer,
connaît très bien la vie anglaise au moyen âge.
— M. le vicomte deGAix de Saint-Aymour a découvert et publié onze
lettres françaises inédites du célèbre Grotius, de qui la Hollande célé-
brait l'an dernier le 3« centenaire (1583-1645). Cinq de ces lettres sont
adressées à Pierre Du Puy, 1624-1632 ; cinq autres au comte de Ghauvi-
gny, 1639-1642. Elles ont été annotées avec soin et précédées d'une
notice biographique (Notice sur Hugues de Groot; suivie de lettres inédites.
Gharavay).
— M. Raunié a donné dans la bibliothèque Gharpentier une nouvelle
édition des Mémoires et réflexions du marquis de La Fare sur les princi-
paux événements du règne de Louis XIV, avec des notes abondantes puisées
dans les Mémoires du temps.
— M. le D"" Robinet a donné chez Gharavay une 3« édition de son
mémoire sur la vie privée de Danton. On sait que l'auteur, admirateur
passionné de Danton et de son rôle politique, a entrepris de le venger
contre les accusations de vénalité que l'on n'a pas épargnées au célèbre
conventionnel. Il a fourni au procès un grand nombre de pièces impor-
tantes dont il importera de tenir un grand compte, lorsqu'on entrepren-
dra sans aucun parti pris l'histoire de Danton. Danton ne vaut pas la
réputation que lui font ses apologistes, mais il vaut mieux certainement
que la réputation que lui ont faite ses ennemis politiques.
— La biographie de Dumouriez par M. A. Monchanin (Ollendorff) n'est
pas une œuvre d'érudition, ni même un livre au courant des dernières
recherches ; c'est un exposé intéressant de la carrière militaire de Dumou-
riez ; mais le côté le plus curieux de cette singulière physionomie est
laissé dans l'ombre. On ne se douterait pas à lire ce livre que Dumou-
riez a été un des plus grands intrigants de son époque; son rôle dans
la diplomatie secrète n'est pas indiqué ; rien ou presque rien sur les
vingt dernières années de la vie du général girondin (1793-1823).
— A la séance solennelle de rentrée des écoles d'enseignement supérieur
CHRONIQUE ET BIBLIOfiKAPHIE. 473
de l'Académie d'Alger (5 fév. 1884 1, M. A. de L.v Blanchère a lu un
intéressant épisode d'histoire coloniale; c'est l'histoire d'un Français de
Madagascar, Le Vacher de La Case; arrive dans le pays on 165G, il
devint l'hôte d'un prince indigène, Dian Rasisatte, seigneur d'Amboule,
l'aida à triompher de ses ennemis, épousa sa fille, appelée Dian Nong,
la convertit et succéda à son beau-père dans la principauté d'Amboule.
Pendant quatorze ans, il n'attaqua pas d'ennemis qu'il ne vainquît; les
seules difficultés sérieuses qu'il rencontra vinrent de la colonie officielle
établie au Fort-Dauphin. Nommé enfin major de l'ile par Louis XIV
(nov. 1670), il mourut en juin suivant, après avoir essayé d'organiser un
État français qui lui survécut à peine quelques années.
— M. Gaston Raynaud a fait insérer dans le Cabinet Historique et
publier à part le Catalogue des inss. anglais de la Bibliothèque nationale
(Champion); le fonds des mss. anglais, formé en 1860 par M. N. de
Wailly, comprend 95 numéros. Il n'avait pas encore été décrit; c'est
donc un réel service que M. Raynaud vient de rendre. La plupart de
ces mss. se rapportent à l'histoire moderne.
— A la même librairie (Champion), M. Delisle vient de publier un
nouveau volume de ÏJnvcntaire des mss. de la Bibliothèque nationale; il
est tout entier consacré au Fonds de Gluni. M. Delisle fait d'abord l'his-
toire de la bibliothèque de Cluni ; il note les pertes qu'elle a éprouvées,
surtout depuis la Révolution : en 1801, on pouvait cataloguer 295 mss.
existant encore à Cluni. En 1829, Buchon n'en trouvait plus que 225 ;
il n'en reste plus aujourd'hui que 97 qui ont été cédés en 1881 par la
municipalité de Cluni à la Bibliothèque nationale, moyennant une
indemnité de 20,000 fr. Avec ceux qui, à diverses époques, sont entrés
au même dépôt, M. Delisle a pu nous donner la notice de 226 mss.; il
a aussi publié en appendice une liste de 198 mss. qui étaient encore à
Cluni en l'an IX et qui ont disparu depuis.
— Le second volume du Nouveau Dictionnaire de géographie univer-
selle, publié par M. Vivien de Saint-Martin (Hachette), est terminé
aujourd'hui avec le 24e fascicule. Les lettres A à J sont désormais com-
plètes. En même temps a été mise en vente la ¥ livraison de V Atlas;
elle contient : la Russie occidentale et la Roumanie, le Mexique, la
région polaire antarctique. On assure que la 5" livraison suivra celle-ci
de très près.
— M. Ch. Périgot a publié chez Weill et Maurice une intéressante
Histoire du commerce français, qui est le résumé du cours professé
depuis plusieurs années par l'auteur à l'École commerciale de l'avenue
Trudaine et à l'École supérieure de la rue Amelot. C'est un livre excel-
lent à mettre entre les mains des élèves, au même litre que celui de
M. Pigeonneau, que nous avons déjà signalé (chez Cerf).
— Nous avons déjà signalé le choix de lectures géographiques publié
par M. Lanier, chez Belin, à propos du l^"" vol. l'Amérique. Le second
vient de paraître. Il est consacré à l'Afrique. Nous n'avons plus à dire
474 CHfiO.MQlIE ET BIBLIOGRAPHIE.
quelle méthode a suivie l'auteur ni à rappeler quelle abondance de
renseignements de toutes sortes : bibliographiques, historiques, admi-
nistratifs, statistiques, il nous fournit dans son livre. Nous dirons seule-
ment que la lecture de V Afrique est des plus attachantes, surtout pour
les Français, si directement intéressés à l'histoire et à la géographie de
l'Algérie, de la Tunisie, du Gabon, de Madagascar. Le choix de lectures
est généralement excellent, et les cartes très utiles. Ce n'est pas seule-
ment un livre de classe; le grand public y trouverait aussi beaucoup
de profit, et le travailleur un guide précieux.
— M. Paul Lecèxe, professeur d'histoire au lycée Gharlemagne,
vient de publier, dans la Bibliothèque de la Jeunesse française (librairie
centrale des publications populaires, 45, rue des Saints-Pères), un très
intéressant volume sur Les Marins de la Hépublique et de l'Empire, 1793-
1815. Ce n'est pas un simple livre de vulgarisation ; l'auteur s'est livré
à des recherches personnelles aux Archives du ministère de la marine;
il est remonté aux sources officielles des événements qu'il raconte ; il a
même publié en appendice quelques rapports adressés au gouvernement
sur les combats soutenus par nos marins : ceux entre autres de Renau-
din sur l'affaire du Vengeur, de Ganteaume sur Aboukir, de Lucas sur
Trafalgar, du capitaine Duperré au général Decaen sur l'heureuse
croisière accomplie par sa division dans l'Océan indien en 1810. La
préface expose les nombreuses causes d'infériorité où nous nous trou-
vions par rapport aux Anglais ; les récits, composés avec une chaleur
communicative, montrent que du moins ce n'est pas l'héroïsme qui
faisait défaut à nos marins. — Dans la même collection ont encore
paru : les Généraux de la République, par M. Guillon, et une Histoire de
Paris, par M. Scehnée.
— On annonce que M. le duc d'AuDiFFRET-PASQUiER doit publier pro-
chainement une Histoire du duc de Richelieu.
— Une 3= édition des Français sur le Rhin (1792-1804), par M. Ra.m-
BAUD, vient de paraître chez Didier.
— La conférence que M. G. Hanotaux a faite à la Société historique
sur Henri Martin va paraître en un volume (chez L. Cerf).
— On vient de réunir en volume les articles critiques publiés par
Ch. Graux dans diverses revues d'érudition; cette édition est due aux
soins de M. Henri Graux, son père (Vieweg),
— M. Céleste, sous-bibliothécaire de la ville de Bordeaux, vient de
publier un supplément aux œuvres de Montesquieu ; ce sont trente-deux
lettres inédites de l'auteur de VEsprit des lois, trouvées dans les papiers
de M. de Lamontaigne, que le conseil municipal de Bordeaux a récem-
ment achetés. Cette publication sera accompagnée de nombreux détails
biographiques et bibliographiques provenant pour la plupart de la même
source.
— M Gaston.net-Desfosses a publié dans le Bulletin de la Société
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. '«75
académique indo-chinoise, et publié à part (Leroux ; Ghallemei) une
élude sur Les relations do la France avec le Tong-Kin et la Cochinchinc,
d'après les documents inédits du ministère de la marine et des colonies.
— Le président du Conseil, ministre des affaires étrangères, sur la
désignation de la Commission des arcliivcs diplomatiques, a chargé
M. Joseph Refnagh de publier le Recueil des instructions aux ambassa-
deurs de France à Naplcs et à Parme; M. de Gaix de Saint-Aymour, le
Recueil des instructions pour le Portugal, et M. Kaulek, sous-chef de
bureau à la division des Archives des affaires étrangères, le Recueil des
instructions pour Venise.
— Dans son Essai sur l'influence française (L. Cerf), M. Lefedvre
Saint-Ogan a tracé le programme d'un beau Uvre. Déterminer quelle a
été la part de la France dans la civilisation européenne, ce que le
monde a dû h. la France ; c'est là une belle tâche, digne d'un historien
et d'un philosophe. M. Saint-Ogan n'a fait que donner des points de
repère pour cette étude, et encore n'a-t-il pas vu que le moment de
l'apogée de l'influence française est le xni<= s. et non le xvn^ et le xvni«;
mais, tout incomplète et insuffisante qu'elle est, cette étude peut sug-
gérer d'utiles réflexions et provoquer d'intéressants travaux.
— M. F. Brunetière a réuni on volume, sous le titre Histoire et Lit-
térature (G. Lévy), des études publiées par lui dans la Revue des Deux-
Mondes. — Nous y signalerons en particulier aux historiens les articles
intitulés : M™e de La Vallière ; les chansons historiques du xvni" s. ;
l'enseignement primaire avant 1789 ; l'impératrice Marie-Thérèse et
M"^^ de Pompadour ; les philosophes de la Révolution française ; le
Paysan sous l'ancien régime. On peut souvent contredire aux juge-
ments de M. B., mais il est un des rares écrivains de notre temps qui
méritent toujours d'être lus, car il est de ceux qui, après avoir acquis
sur les sujets dont il parle de solides connaissances, se donnent la peine
de penser avant d'écrire et d'écrire d'un bon style, bie^ à eux. Son
humeur chagrine et batailleuse, sa franchise parfois un peu rude, son
hostilité contre les idées courantes et les tendances modernes ne sont
pas pour nous déplaire, même où nous ne l'approuvons point, car il ne
nous laisse jamais indifférent et nous provoque toujours à la réflexion
ou à l'étude.
— Le tome I«'' de l'Inventaire de la sorie E des archives de l'Aube
vient d'être terminé par M. Alphonse Roserot. Il contient l'analyse de
1,223 liasses et registres relatifs aux familles du département et aux
corporations d'arts et métiers de Troyes. Parmi les pièces importantes
qui sont mentionnées et analysées, il faut citer de curieux fragments
de la correspondance commerciale des Colbert de Reims et de Troyes,
dont Grosley avait parlé au siècle dernier ; un compte précieux de la
châtellenie de Nogent-sur-Seine, de 1419 à 1426, très instructif sur les
incursions des Anglais et des Armagnacs aux environs de cette ville ;
d'intéressants détails sur la vie privée, sur l'instruction secondaire aux
JiTfi CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
XY" et xvi« siècles dans des comptes de la seigneurie de Barberey Saint-
Sulpice. D'autres fonds sont particulièrement précieux pour l'histoire
féodale des communes. Il es^t regrettable que l'auteur n'ait pas été auto-
risé à faire suivre le premier volume d'une table alphabétique, qui est
véritablement indispensable pour les travailleurs. Gela est d'autant plus
regrettable qu'on ne peut conjecturer à quelle époque sera publié le
second volume. Le conseil général de l'Aube a jugé à propos de sup-
primer les fonctions d'archiviste adjoint, qui auraient permis à
M. Roserot de faire l'inventaire du fonds considérable du prince Xavier
de Saxe, frère de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, belle-fille de
Louis XV. Ce fonds a déjà donné lieu à d'importants travaux de
MM. Guignard et Thévenot, mais par la variété, la richesse et rintérêt
de ses documents, il mérite une description et une analyse métho-
diques.
— M. Arthur Daguin vient de publier un beau volume in-'i'» de
192 pages sur les Évêqiies de Langres. C'est une bonne étude épigra-
phique, sigillographique et héraldique. L'auteur a complété les travaux
du père Anselme et de Ghevillard sur les armoiries des évoques de
Langres ; il a décrit les tombeaux de ces derniers, rappelé leurs épi-
taphes, fait connaître ceux de leurs sceaux qui existent encore. La pre-
mière partie de son travail est consacrée à des généralités sur l'évêché,
sur le diocèse, sur les titres et les droits de l'évèque de Langres, qui,
comme on le sait, était duc et pair. La seconde partie est de beaucoup
la plus importante ; elle se termine par des notices sur les évêques
depuis 980 jusqu'à nos jours, avec de nombreuses gravures sur bois
représentant des armoiries et des sceaux.
— hWnnuaire de l'Aube pour 1884 contient, comme les précédents,
plusieurs notices historiques, parmi lesquelles nous citerons la Belle
croix de Troyes, par M. A. S. Det, bibliothécaire-adjoint de la ville.
C'est l'histoire d'un monument religieux de Troyes, élevé à la fin du
xv" siècle sur la place de l'IIôtel-de-Ville, et « déconstruit » en 1792.
L'auteur a fait connaître des documents d'archives inédits, qui ont
rapport à ce monument.
— La librairie Firmin Didot annonce la publication prochaine de
deux grands ouvrages illustrés : la Renaissance en Italie et en France à
l'époque de Charles VIII, par M. Eug. Mu.ntz, et les Modes et usages au
temps de Marie- Antoinette, par M. le comte de Reiset, qui reproduit, en
y ajoutant des notes et des dessins nombreux, le livre-journal de
Mme Élofle, marchande de modes, couturière-lingère ordinaire de la
reine et des dames de sa cour de 1787 à 1793.
— La seconde partie du t. IV de la nouvelle édition de la France
protesta7ite (Fischbacher) vient de paraître. Elle nous conduit jusqu'à la
iin de la lettre G et contient entre autres articles importants : A. Court,
J. Cousin, Grespin, Crussol, Gujas, Cuvier. Les quatre-vingts colonnes
d'additions et corrections, les tables des matières et des personnes sont
CmiONIQUE ET RIBLtOaRAPHIE, 477
une preuve du soin admirable avec lequel est conduite l'entreprise de
M. H. BoRDiER. Il est regrettable que les feuilles 25 à 32 soient impri-
mées dans un caractère différent du reste de l'ouvrage.
— M. E. Chastel est aussi au terme de sa grande publication sur
Y Histoire du Christianisme (Fischbacher). Le t. V est consacré aux
xvni« et xixe siècles. Ce résumé des travaux de toute une vie d'ensei-
gnement et d'étude tiendra une place très honorable parmi les nom-
breuses histoires ecclésiastiques que nous possédons ; mais on regret-
tera que les renvois aux sources y fassent entièrement défaut et que
l'auteur ait été trop préoccupé de transformer son histoire en une
démonstration de ses idées théologiques particulières, celles du protes-
tantisme libéral modéré.
— Le t. IX du Chansonnier historique du XVIII^ s., contenant les
chansons des années 1774-1780, est un des plus intéressants du recueil.
Le Roi et la Reine, Malesherbes, Saint-Germain, Maurepas, Turgot,
Necker, la Guerre d'Amérique, le duc de Chartres y sont chantés ou
chansonnés, et de nombreuses pièces sur la littérature et le théâtre
nous renseignent sur la société du temps (Quantin).
— M. H. DE Ferron vient de publier sous le titre d'Institutions
municipales et provinciales comparées (Alcan) un livre qui mérite toute
l'attention des hommes d'État et des historiens. Dans la première partie
il trace un rapide tableau de nos institutions municipales et provin-
ciales avant 1789 et étudie leur organisation depuis 1791 ; dans la
seconde, il institue une comparaison entre nos institutions et celles des
autres pays européens, comparaison qui est loin d'être toute à notre
avantage ; dans la troisième, il expose les réformes qui lui semblent
nécessaires et qui ne sont rien moins qu'un système très complet de
décentralisation. Les idées de M. de Ferron sont très dignes d'examen
et les renseignements qu'il a réunis très instructifs.
— On trouvera dans le Capitaine Vallé, par M. H. Dutasta (Alcan),
une peinture- très vive, très amusante, du monde semi-bonapartiste,
semi-républicain, qui fournissait sous la Restauration le personnel des
conspirations. Quoique par la forme ce récit tienne un peu du roman,
le fond en est exact. Si M. Dutasta avait écrit un livi'e purement histo-
rique, nous lui reprocherions d'avoir si complètement adopté à l'égard
des Bourbons les idées de son héros ; mais cette passion qui l'anime
donne à son œuvre une saveur et une couleur qui en augmentent l'effet.
— M. Steenackers, qui a déjà publié ïllistoire des Postes et Télé-
graphes pendant le siège de Paris, nous donne avec M. Le Goff une
Histoire du gouvernement de la Défense nationale en province (Char-
pentier). Le premier volume nous conduit jusqu'au 9 octobre. On y
trouve beaucoup de fastidieux bavardages, mais aussi beaucoup d'anec-
dotes qui ont leur prix, et le livre reproduit fidèlement le désordre
d'idées, de sentiments et d'actions qui régnait en France à cette triste
époque.
47S CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
— Les souvenirs de Sylvanecte sur la Cour impériale à Compiègne
(Charpentier) sont loin d'avoir le même intérêt. Quelques anecdotes
piquantes ne suffisent pas à faire un livre. Ce que ce volume contient
de plus intéressant, ce sont les renseignements sur l'organisation des
Chevaliers de Saint- Jean en Allemagne.
— Nous recommandons à tous ceux qui s'intéressent à notre déve-
loppement colonial le livre très important que viennent de publier
MM. Neuville et Bréard sur les Voyages de Savorgnan de Drazza
(Berger-Levrault). Les auteurs se sont modestement effacés devant des
documents officiels qu'ils ont été admis à publier. A l'exception d'une
courte et substantielle introduction sur l'histoire de la colonisation
européenne entre le Congo et le Sénégal, et une notice sur les missions
européennes dans la même région, le volume ne contient que les docu-
ments officiels relatifs aux deux voyages de M. de Brazza, et en parti-
culier les lettres et rapports du courageux explorateur, et les relations
du voyage de deux missionnaires, le R. P. Augouard et M. Holraan
Bentley, à Stanley Pool. —Il est peu de lectures aussi attachantes que
celle des lettres de M. de Brazza. Il est impossible de réunir plus de
courage, d'intelligence et de désintéressement.
Livres nouveaux. — Documents. — Re'det et Richard. Inventaire-sommaire
des archives iléparlementales de la Vienne antérieures à 1790. Archives ecclé-
siastiques: série G. Poitiers, imp. Tolmer. — Ch. Kohler. Les actes religieux
des prolestants à Paris pendant les xvii'' et xvni" siècles. — Sathas. Monu-
menla historiae hellenicae ; t. V. Maisonneuve. — Guillotin de Courson.
Pouiilé historique de l'archevi^ché de Rennes: t. V. Rennes, Fougeray ; Paris,
Haton. — Chronique du Bec et chronique de François Carré, puhhées d'après
les mss. 3427 et 5428, lai., de la Bibl. nat., par l'abbé Porée. Rouen, Métérie
(Soc. de l'hist. de la Norm.). — Legeay. Inventaire-sommaire des registres de
l'état civil, antérieur à 1790, des paroisses d'Aubigné, Coulongé, Lavernat,
Sarcé, Vaas et Verneil-le-Chétif. Le Mans, imp. Leguicheux-Gallienne.— Mer-
let. Cartulairc de l'abbaye de la Sainte-Trinité de Tiron; t. I. Chartres, imp.
Garnier (Soc. arch. d'Eure-et-Loir). — Wurth Paquet et Van Warveke.
Charles de la famille de Reinacli. Luxembourg. — Id. Cartulaire ou recueil des
documents diplomatiques et administratifs de la ville de Luxembourg, 1244-
171)5; ibid. — M. Archives de Clervaux; ibid. — Bonne foy et Perrin. Docu-
ments relatifs au prieuré et à la vallée de Chamonix, Haute-Savoie. Chamonix,
Lachevalier. — Lettres de M. Hageneck au baron d'Alstrœmer sur la période
du règne de Louis .\VI, Charpentier,
Histoire locale. — C. Baux. Histoire de l'église de Montauban; t. II,
3-^ période. Montauban, Georges et Ferrie; Paris, Bray et Retaux. — Bruas.
La Société populaire de Saumur en l'an II et en l'an III (extrait de la
Revue de l'Anjou). Angers, Germain et Grassin. — Delmas. Le monastère de
Sainte-Claire-de-Boisset et sa translation à Aurillac, 1323-1625. Jouaust et
Sigaux. — Deramecourt. Le clergé du diocèse d'Arras, Boulogne et Saint-
Omer pendant la Révolution, 1789-1802; t. I. Arras, imp. Laroche; Paris,
Bray et Retaux. — Gilles. Les voies romaines et massihennes dans le dép. des
Bouches-du-Khône. Thorin. — Guyaz. Histoire des institutions municipales de
Lvon avant 1789. Lvon, Georg: Paris, Dentu. — Prompsault. Histoire de
CHRONIQUE ET BIRLIOGRAPHIE. ^79
Modène (comtal Venaissiii), avec dessins héraldiques et gravures. Carpentras,
imp. Tourelle. — P. de Smyttere. La balaille du Val de Cassel, 1328. Lille,
imp. Danel. — Frain. Mœurs cl coulumes des familles bretonnes avant 1789;
t. III, 1'"' partie : les archives d'un éclievin de Rennes; 2"' partie : les archives
d'un échevin à Vitré. Rennes, Plihon. — Lepage. Sur l'organisation et les ins-
lilulions militaires de la Lorraine. Berger- Levrault.
Biographies. — /. de Bourrousse de LafJ'ore. Nobiliaire de Guyenne et de
Gascogne, revue des familles d'ancienne chevalerie ou anoblies de ces pro-
vinces, antérieures à 1789; t. IV. Bordeaux, Ferel : Paris, Champion. — A. de
BoisUsle. Histoire de la maison Nicolay. Pièces jusliticalives, l. I. Nogent-le-
Rolrou, imp. Gouverneur. — Maisire. Histoire de la maison de Dampierre.
Palmé. — Lallemend et Boinette. Jean Errard, de Bar-le-Duc, premier ingé-
nieur du très chrestien roy de France et de Navarre Henry IV; sa vie, ses
œuvres, sa forlificatioa. — Lagrange. Vie de Mgr Dupanloup. Poussielgue,
3 volumes.
Grande-Bretagne. — La Camdeti Society a décidé de publier, pour
l'exercice de 1884-85 : i° les documents relatifs à la publication du
second Prayer-book d'Edouard VI, publiés par M. Pocock ; 2° les
Mémoires politiques du cinquième duc de Leeds, 1774, publiés par
M. Browning; 3° des Extraits des Lauderdale papers, t. II, publiés par
M. Airy. Aux ouvrages en préparation, on a ajouté un récit de la guerre
d'Irlande après la révolte de 1642, dû à la plume du colonel Plunket,
officier catholique sous les ordres du marquis d'Ormond.
— Le second volume du Calendar of documents relating to Scotland,
préparé par M. J. Bain, va bientôt paraître. Il embrasse tout le règne
d'Edouard I*^"" et contient un document de grande importance histo-
rique : le Ragman RoU, rouleau où sont enregistrés les hommages
prêtés en 1296 par le clergé, les nobles, les propriétaires et les bourgs.
— D'une note publiée par M. Matthew dans VAcade^ny du 7 juin
dernier sur l'orthographe véritable du nom de Wyclif, il résulte que ce
nom est, dans les documents du temps, écrit de cinq ou six manières
différentes : Wyclif, Wycliff, WycklilY, Wycliffe, Wichf ; une seule
fois peut-être Wyclefe. Voilà qui peut justifier toutes les orthographes
possibles. Le mieux serait encore de donner à ce nom sa forme actuelle :
John (du village de) Wycliffe ; la société chargée de publier les œuvres
du célèbre hérésiarque a pris le nom de Wyclif Society.
— La nouvelle édition des Chronica majora de Mathieu Paris (Rolls
séries) est enfin terminée : M. Luard vient de publier le t. VII et der-
nier. Il contient une préface, trop brève à notre gré, sur la composition
de la chronique et sur l'autorité de son témoignage ; un très précieux
index, qui rendra aux historiens les plus grands et les plus durables
services; un glossaire que l'on aurait pu facilement, soit abréger, soit
augmenter ; enfin une longue liste à' Errata et à' Addenda, où l'on pour-
rait se donner le facile plaisir de marquer des lacunes. Mais l'ensemble
de ce travail mérite les plus grands éloges.
— M. S. R. G-ARDiNER vient aussi de terminer la nouvelle édition de
son excellente History of Englaiid, 1603-1642, en 10 vol. (Longmans).
480 CHRONIQUE ET lUBLlOGRAPHrE.
— M. Thorold Rogers vient de donner une sorte de remaniement de
son grand ouvrage sur l'histoire de l'Agriculture et des prix en Angle-
terre, sous le titre : Six centuries of work and wages ; il y a supprimé
tout appareil critique et les statistiques qui remplissaient la moitié du
premier ouvrage. Par un artifice de librairie qu'on nous permettra de
trouver au moins singulier, l'ouvrage est découpé en deux tomes,
bien qu'il n'atteigne pas en tout six cents pages. Le t. I s'arrête à la
page 30'j, au beau milieu d'une phrase. C'est un moyen ingénieux pour
extorquer aux gens 30 francs au lieu de \h (Londres, Swan Son-
nenschein).
— La librairie Longmans vient de faire paraître sous ce titre : A
history of Ihe kniglUs of Malta, or the order of S^ John of Jérusalem,
une nouvelle édition de l'Histoire des chevaliers de Malte, due à la
plume du major Whitworth Porter, dont la première édition date
de 18.58. Ce résumé de l'histoire de l'ordre de Saint-Jean, très favora-
blement accueilli à son apparition, a été réduit en un volume de xiv-
744 p. in-8'',au lieu des deux volumes qu'il comprenait originairement,
mais le fonds du livre reste le même, quoique les chapitres aient été
autrement divisés et que la nouvelle édition renferme quelques addi-
tions. L'histoire de cet ordre célèbre a fait, depuis vingt-cinq ans, de
grands progrès, dont l'auteur n'a pas toujours su profiter autant qu'il
Taurait pu. Quoi qu'il en soit, le public érudit, surtout le public anglais
qui est resté un peu en dehors du mouvement scientifique auquel les
Hospitaliers ont donné naissance, accueillera avec faveur un livre écrit
avec facilité et résumant, dans ses grandes lignes, les fastes d'un Ordre
qui intéresse spécialement les possesseurs d'une île, dernier séjour des
chevaliers de Saint- Jean.
Allemagne. — Le 17 mars dernier, est mort à Munster le docteur
A. BispiNG, qui publia en 1845 les Canones et décréta s. concilii triden-
tini. — Le 5 avril, est mort à Berlin le directeur du cabinet royal des
médailles, le D"" Julius Friedlaender. Parmi ses nombreux travaux de
numismatique et d'histoire, notons ceux sur les monnaies de l'ordre de
Saint-Jean de Jérusalem (1843), des Ostrogoths (1844), des Vandales (1849),
sur les monnaies osques (1850), et deux ouvrages récents : Markgraf
PhJlipp i:un Brandenburg und die Grasfin Salmour (1881), enfin Die ita-
lianischen Schaumilnzen des XV'^ Jahrhunderts (1880-82). — De M. G. He-
ROi.B, professeur à Munich, décédé le 14 avril à soixante-quatorze ans,
nous avons des Ikitraege :uv Kenntniss des griechischen Landes und Vœlkes
in Briefen (1839). — Le 15 mai, est mort à Munich M. Georg Kolu. Né à
Spire en 1808, il était en 1848 bourgmestre de sa ville natale, et fut
choisi comme député à l'Assemblée nationale de Francfort; en 1849, il
entra au Landtag bavarois, dont il fit partie jusqu'en 1870. Il était
démocrate fédéraliste, et fit une vive opposition à l'unité germanique.
Sans compter plusieurs ouvrages de statistique, il a écrit une Kultur-
gcschiclUe der Menschlieit, dont on prépare une seconde édition ; un
traité sur les inconvénients des armées permanentes; un ouvrage (sous
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. Â8\
le pseudonyme de Broch) sur Kaspar Hausor, ce personnage mystérieux
qu'il croyait fermement appartenir à la maison princière de Bade.
— M, W. Maurenbrecher , professeur d'histoire à l'université de
Bonn, a été appelé à Berlin. — Le D"" W. Sickel a été appelé de la
faculté de droit de Gœttingue à celle de Marbourg.
— Le 37" congrès des philologues allemands se réunira du l^^ au
4 oct. à Dessau.
— La Société Jablonowski de Leipzig a couronné un ouvrage de
M. Robert Poehlmann, de l'université d'Erlangen, sur les excès dépopu-
lation dans les grandes villes de l'antiquité. La Société a prorogé jus-
qu'en 1885 le concours sur les Regestes des rois de Pologne depuis le
couronnement de Przemislaw II, jusqu'à la mort du roi Alexandre
(1295-1506).
— LeD'"KarlKEHRBAGHa tracé le plan d'une publication de Monumenta
Germanicae paedagogica ; la première partie doit contenir les décrets
relatifs aux écoles ; la seconde, les plus estimés parmi les livres sco-
laires ; la troisième, des mémoires, correspondances, etc., relatifs à la
pédagogie d'après le moyen âge ; la quatrième, des études approfondies
sur l'histoire de la pédagogie.
— La direction centrale des Monumenta Germaniae a publié dans le
courant de l'année dernière les Ausonii opiiscula, publ. p. G. Schenkel
(2'= part, du t. V des Script, antiquissimi)'^ Q. Aurelli Symmachi quae
supersunt, par O. Seeck (l'"e part, du t. "VI; les Alcimi Ecdicii Aviti
Viennensis episcopi opéra, par M. Peiper (2^ part, du t. VI). — Dans la
section des Scriptores, le t. I^^" des Gregorii Turonensis opéra, par
W. Arndt; le t. XIV de l'édition in-fol.; la Vita Anskarii, auctore
Rimberto, pub. par G. Waitz dans la collection scolaire in-8°. — Dans la
section des Leges, le 2^ fasc. du t. V. de l'édit. in-fol. — Dans celle des
Antiquitates, le t. II des Poetae latini aevi Caroiini. — M. Mommsen
a envoyé à l'imprimeur la seconde partie des œuvres de Fortunat.
M. Krusch est chargé de publier Frédégaire. On prépare pour le t. XV
des Scriptores des Vies de l'époque carolingienne, auquel travaille
M. Holder-Egger. Il est déjà parvenu à constater que la Vita Lulli est
l'œuvre de Lambert de Hersfeld, et que la forme primitive de cette bio-
graphie est fournie par un ms. de la bibliothèque de Wallenstein à
Maihingen ; la Vita Benedicti Anianensis, les Gesta Aldrici cenomannensis
entreront dans ce volume. On travaille aussi activement au t. XXVII,
qui doit contenir des extraits de chroniqueurs anglais, flamands et ita-
liens du xri^ et du xiu'' s. — Dans la section des Diplomata, les diplômes
d'Otton I^f, réunis par M. Sickel, sont entièrement imprimés; les tables
manquent encore. M. Fanta est chargé des diplômes d'Otton II et III.
Le t. II des Acta imperii, par M. Winkelmann, est presque achevé.
— Un nouveau demi-volume de la Deutsche Verfassungsgeschichte de
M. Waitz vient de paraître; c'est la l""*^ partie du t. IV, portant le sous-
titre : Die Verfassung des frankischen Reichs, Bd. III, 2^ édition : Die
Rev. Histor. XXV. 2« fasc. 31
482 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
Karolingische Zeit, 2"= partie. Il comprend les chapitres vi : l'Adminis-
tration et surtout les finances, et vu : Bénéfices, vassalité, immunité ;
classes de la société. Ce dernier chapitre, comme on le voit, ne traite
rien moins que la grosse question des origines du système féodal. (Ber-
lin, Weidmann.)
— Voici un livre destiné à rendre des services à l'homme d'État, au
jurisconsulte et à l'historien : le Handbuch cler deutschen Verfassungen
par le D"" Félix Stoerk, professeur de droit à Greifswald (Leipzig, Dunc-
ker et Ilumblot) ; c'est le recueil des lois constitutionnelles relatives à
l'empire d'Allemagne et des États confédérés tels qu'ils sont actuelle-
ment constitués. Il est divisé en vingt-quatre chapitres consacrés à l'em-
pire allemand, aux vingt États et aux trois villes libres et hanséatiques
qui le composent ; chacun d'eux précédé d'un court résumé historique,
et suivi du texte même des lois, sans commentaires.
— La commission de l'Académie royale des sciences de Berlin, char-
gée de publier la correspondance politique de Frédéric le Grand, a
protesté contre l'accusation portée contre elle par le duc de Broglie, dans
la Revue des Deux-Mondes du 1" avril dernier, d'avoir omis à dessein
tout ce qui rappelait Voltaire et son rôle à Berlin. M. le duc de Broglie,
dans une réponse parue le l6''juin, a reconnu que son affirmation était
trop absolue, mais prouvé que son accusation n'était pas tout à fait
injuste.
Livres nouveaux. — .\ntiquité. — Schœnemann. De cohortibus Roma-
noruin auxiliariis. 2"^ partie. Berlin, Mayer et Millier — Schleusinger . Sludie
zii Caesar's Rheiiibriicke. Munich, Lindaiier. — Reuter. Die Rœmer im Mat-
tiakerland. Wiesbaden, Niedcr. — Thurm. De Romanorum legatis reipublicae
liberae lemporibus ad esteras nationes raissis. Leipzig, Fock.
Histoire générale. — Von Schubert. Die Unterwerfung der Alamannen
unter die Fraukcn. Strasbourg, Trùbner. — Von Druffel. Monumenta Tri-
deulina. Beitraege zur Geschichlp des Coneils von Trient. Munich, Akad. der
Wissens. — Th. Fœrster. Ambrosius, Bischof von Mailaiid. Halle, SUien. —
Cuba. Der deuische Reichstag, 911-925. Leipzig, Veit. — Millier. Polilische
Geschichte der Gegenwart. Das Jahr 1883. Berlin, Springer. — Zirmner. Kel-
tische Sludien. "l" fasc. Berlin, Weidmann. — Meyer. Die Handwerkerpolitik
des Grossen Kurfiirsten iind Kœnig Friedrich's I. Minden, Bruns. — Fenner.
Zwingll als Patriol und Poliliker. Frauenfeld, Huber. — Seinecke. Geschichte
des Volkes Israël. Theil H. Gœtlinguc, Vandenhœck. — Prinz. Studien ùber
das VerhujUniss Frislands zu Kaiser und Reich ; insbesondere iiber die frisis-
chen Grafen iin Mitlelaller Euiden, Haynel. — Kehl. Das Leben und die
Lehre des Muhamined. Theil I. Leipzig, Schulze.
Histoire locale. — Weissenborn. Acten der Erfurter Universilajt. Halle,
Hendel. — Mayer. Die Kirchenhoheitsrechte des Kœnigs von Bayern. Munich,
Rieger. — G/'Hft/iapen.' Geschichte Schlesiens; livr. 2-4. Gotha, Perthes. —
Jacobs. Geschichte der in der preussischen Provinz Sachsen vereinigten Ge-
biete; livr. 2-3; ibid. — Wachenfeld. Die politischen Beziehungen zwischen
den Fiirsten von Brandenburg und Hessen-Kassel bis zura Anfange desSOjtehr.
CHRONIQUE ET IlIIiHOGRAPHIE. ^S3
Krieges. Hersfeld, Ilœhl. — Uehjel. Kiirsfïirst Joscf Klemens von Kœlii, und
das Project einer Ablretung Bayeras an Œsterreicb, 1712-15. Munich, Straub.
— Bissinger. Uebersiclit iiber Urgescliichte und Altertbumer des badisciien
Landes. Carlsruhe, IJielefeld. — Von Weech. Codex diploniaticus Salemitanus.
Urkundenbuch der Cislerzienserablei Salem. Bd. II, 2° Liefer. Carlsruhe,
Braun. — Neuling. Schlesiens ailtcrc Kirchen und kirchliche Stiftungen nach
ihren frûhesten urkundiichen Erwa'hnungen, Breslau. Max. — Von Grïinhacjcn.
Regesten zur schlesischen Geschicble; ibid. — Fleischfresser. Die polilische
Stellung Hamburgs in der Zeit des 30 ji«hr. Krieges. Bd. II, 1G27-29. —
Wœrner et Ueckmann. Orts- und Landesbefestigungen des Miltelalters mit
Riicksicht auf Hessen und die benachbarten Gebiele. Mayence, Faber.
Autriche-Hongrie. — Sous les auspices des archiducs Albreclit et
Willielm, fils du célèbre archiduc Charles, paraîtra bientôt un ouvrage
détaillé sur cet éminent homme de guerre, par des historiens militaires
distingués : M. R. von Zeissberg, pour la partie biographique, le major
Angeli, pour les faits militaires. M. Walcher donnera un choix des écrits
dus à la plume de l'archiduc.
Livres nouveaux. — Bullarium ordinis fratrum minorum S. Francisci Capu-
cinorum; continuationis tomus II. Insbruck, Wagner. — Bellagi. Wallenstein's
kroatische Arkebusiere, 1622-26. Budapest, Kilian. — Historiae hungaricae
fontes domestici. Pars I, Scriptores, vol. III : Chronicon Dubnicense. Leipzig,
Brockhaus.
Belgique. — M. Théodore Juste, l'infatigable historien qui est d'une
fécondité sans égale en Belgique, vient de publier deux œuvres nouvelles,
La Révolution brabançonne et La République belge de 1790 (Bruxelles,
Lebègue, 326 et 360 p. in-8°).
— M. Alph. Wautebs, archiviste de la ville de Bruxelles, poursuit
avec activité ses intéressantes recherches sur l'histoire de l'école flamande
de peinture pendant la seconde moitié du XV'^ siècle. Le troisième fascicule
a paru récemment (Bruxelles, Hayez).
— A l'occasion du cinquantième anniversaire de l'Université catho-
lique de Louvain, qui a été fêté solennellement en mai dernier, M. Arthur
Yerhaeghen a publié un livre apologétique intitulé Les cinquante der-
nières années de l'ancienne Université de Louvain, embrassant les règnes
de Marie-Thérèse et de Joseph pendant le dernier demi-siècle de cette
école fameuse, fondée en 1425 par Martin Yet, supprimée en 1797
par la République française, après la conquête de la Belgique (Liège,
Société bibliographique belge).
— L'Académie royale de Belgique a enfin accueilli dans son sein
M. Alexandre Henné, l'auteur de V Histoire du règne de Charles-Quint
en Belgique (10 vol., 1858-1860), qui est peut-être l'ouvrage historique le
plus important paru en Belgique depuis 1830. Le monde savant rati-
fiera le vote de l'Académie, qui ne s'est fait attendre que trop longtemps.
— Les quatre dernières livraisons (45 à 48) de la Bibliotheca Belgica
de MM. Ferd. Vander Haeghen , Arnold et Vanden Berghe (Gand,
J. Vuylsteke) contiennent une étude des plus remarquables sur la vie
484 ceRo:^iQUE et bibliographie.
et les œuvres de Jean-Baptiste Gramaye, d'Anvers (1579-1635), quia
écrit une foule d'ouvrages historiques et a eu une existence très mou-
vementée; elles contiennent aussi une notice tout aussi importante sur
la vie et les écrits de Rembert Dodoens ou Dodonée, botaniste célèbre
du xvie s. Son fameux Cruijde Boeck (Livre des plantes) fut traduit en
latin, en français et en anglais, et compte parmi les ouvrages qui ont
fondé la botanique. On trouve encore dans ces livraisons de la Biblio-
tlieca Belgica la description des œuvres de Grucius, philologue flamand
du xvi« siècle, et de quelques plaquettes curieuses, telles que la nomen-
clature minutieuse des diverses variétés de voleurs et de mendiants (en
flamand, Anvers, 1563) et le Traicté de l'eaue de talcque blancissante, fort
propice pour nettoier les faces et les mains des hommes et des femmes :
auquel sont briefvement deduictes plusieurs choses plaisantes à lire des fards
des anciens et des modernes (Anvers, 1606).
— Parmi le? savants à qui l'Université catholique de Louvain a décerné
le titre doctoral honoris causa lors de son récent cinquantenaire, nous
remarquons le commandeur de Rossi, conservateur du musée du Vati-
can; Mgr Jean Janssen, professeur d'histoire au gymnase de Francfort;
M. Arthur-Théodore Yerhaeghen, l'auteur du livre jubilaire dont il est
question plus haut; et M. Léon Gautier, professeur à l'École des
Chartes à Paris.
— Le second volume de Les Huguenots et les Gueux, par M. le baron
Kervyn de Lettenhoye, vient de paraître (Bruges, Beyaert-Storie). Il
embrasse les années 1567 à 1572.
— M. Alp. Vandenpeereboom, ministre d'État, qui a déjà consacré les
sept importants volumes de ses Ypriana à retracer des parties notables
de l'histoire d'Ypres, de ses institutions et de ses monuments, com-
mence maintenant une série nouvelle, intitulée Varia Yprensia. Le
1" fascicule contient Ypi'es et Warneton, conflit de juridiction au
XV^ siècle (Bruges, de Zuttere).
— Le 1' fascicule du tome VIII de la Biographie nationale, publiée
aux frais du gouvernement par l'Académie royale de Belgique, va de
Grobhendonck à Gysen. On y remarque surtout les articles consacrés à
Guillaume le Taciturne et à Guillaume !'•'•, roi des Pays-Bas (Th. Juste),
à Guillaume, l'auteur du Renard famand (N. de Pauw), et à Groesbeck,
prince-évêque liégeois, contemporain de Philippe II iR. Le Roy).
Italie. — La R. Depiitazdone di storia patria pour la Romagne a
décidé d'entreprendre une nouvelle série de publications sous le titre de
Documenti e studi, laquelle contiendra tout ce qui, de sa nature, ne
pourrait entrer dans les séries déjà ouvertes des « Statut! , » des « Carte, »
des « Cronache » ou des « Atti e Memorie. »
— La librairie Zanichelli (Bologne) va bientôt publier l'importante
correspondance que Magini, professeur d'astrologie, d'astronomie et de
mathématiques à Bologne, de 1588 à 1617, entretint avec les plus
grands astronomes de son temps.
CHRONfQUE ET IIIBLIOGIIAI'IIIE. 485
— Le gouvernement allemand a entrepris de publier les statuts, privi-
lèges et annales de la nation allemande à l'Université de Bologne, du
xiii® au xvi" s. Ces pièces seront précédées d'une Histoire de la nation
allemande à l'Université, par M. Malagola.
— Le marquis Fernando Panciatichi Ximenes d'Aragon vient do
faire don aux archives de l'État de Florence d'un grand nombre de
documents manuscrits relatifs à l'histoire des trois derniers siècles. On
en trouvera l'inventaire très succinct dans VArchivio storico italiano,
disp. 3 de 1884; t. XIII.
— M. Ruggiero Bonghi vient de publier le !«■■ vol. d'une histoire de
Rome (Florence, Trêves) ; il comprend la période des rois et celle de la
République, jusqu'à l'an 283 de Rome.
— MM. ViTELLi et G. Paoli ont entrepris, on le sait, un recueil de
fac-similés destinés à l'étude de la paléographie et de la diplomatique. Il
doit comprendre environ 300 .planches; les documents sont puisés
exclusivement dans les archives et les bibliothèques de Florence. Le
1" fasc. vient de paraître, sous les auspices du R. Istituto di studi
superiori ; il comprend 24 planches (Florence, Le Monnier).
Livres nouveaux. — Ciotti-Grasso. Del diritto pubblico Siciliano al tempo
dei Normanni. Palerme, lip. dello Statuto (extrait de l'Arch. sicil.).— Casait.
Cronichetta di Lodi del sec. xv, annotata. Milan, Dumolard. — Il quarto cen-
tenario di Martino Lutero; la sua vita, le sue opère, e la sua malefica influenza
in Europa. Palerme, Tamburello (extrait de la Sicilia cattolica). — Sllvesiri.
De rébus regni Siciliae, documenti inediti, estratti dall' Archivio délia corona
d"Aragona. Vol. I. Palerme, tip. dello Statuto (publ. par la Société sicil. di
storia patria). — Josa. Legenda, seu vita et miracula S. Antonii de Padua,
saec. xni concinnata, et nuncprimum édita. Bologne, Mareggiani. — Manfrin.
I Veneli salvatori di Roma. Turin, Bocca. — Gnecchi. Le monete di Milano
da Carlo Magno a Vittorio Emanuele II, descrilte ed illustrale. Milan, Dumolard.
— Martello. La guerra délia independenza italiana. Vol. IV. Turin, Roux et
Favale. — Lodi et Vandini. Catalogo dei mss. posseduti dal rnarchese Gius.
Càmpori, 4° et 5" parties. Modène. — Elenco provvisorio cronologico dei gior-
nali di Torino, 1645-1883. Turin, Paravia et Vigliardi (2" partie du t. I de la
Bibliografia storica degli stati délia monarchia di Savoia). — Cavallari et
Holm. Topografia archeologica di Siracusa. Palerme, tip. dello Statuto.
Espagne. — M. Andres Balaguer y Merino est mort à Barcelone le
5 oct, 1883 à l'âge de trente-cinq ans. On lui doit un grand nombre de
monographies relatives à l'histoire et à la littérature aragonaises. On en
trouvera l'indication dans Vlllu.stracio catalana de M. Antonio Aulestia,
t. IV, et une analyse dans le Polyhiblion d'avril 1884.
Suisse. — La dernière livraison (vu, 2) de l'Histoire du peuple de
Genève, par M. Amédée Roget, est précédée d'une préface de M. P. Vau-
cher, à laquelle nous empruntons les lignes suivantes :
« En divisant, comme il l'a fait il y a cinq ans, en deux sections
le plan général de son livre, Roget prévoyait lui-même (t. V, p. 3) que
la seconde partie de sa tâche ne serait ni moins longue ni moins com-
pliquée que la première, et, dans l'abandon de l'intimité, il avouait
Rev. Histor. XXV. 2<' fasc. 31*
7,86 CHRO-NIQDE ET BIBLIOGRAPHIE.
volontiers ne rien savoir du nombre de volumes qui lui serait nécessaire
pour mener à bonne fin l'entreprise. Cette incertitude, dont il n'éprou-
vait aucun souci, était-elle seulement l'effet d'un mode de publication
défectueux , et des occupations diverses entre lesquelles se partageait
une existence consacrée tout entière au service de la patrie ? Ou bien
tenait-elle à la nature même de ses travaux , à son tempérament et à
ses goûts, à sa manière d'entendre et d'étudier l'histoire? C'est là une
question qu'il serait malaisé de résoudre et qui n'a pas, du reste, une
bien grande importance. Un auteur a toujours le droit de faire ce qu'il
veut et de ne faire que cela , pourvu qu'il fasse en réalité ce qu'il a
prorais. Or, il suffit de parcourir les sept volumes de Roget pour
s'assurer qu'ils répondent fidèlement au dessein qu'il avait formé de
tracer un tableau aussi exact, aussi complet, aussi détaillé que possible
de l'histoire de Genève pendant la période la plus agitée et la plus déci-
sive de nos annales.
« L'ouvrage, il faut bien convenir, affecte un peu trop les allures
d'une simple chronique : il a des lenteurs qui sont dues à la reproduc-
tion trop fréquente des documents, des longueurs qui témoignent d'une
singulière indifférence à l'endroit de la composition ; mais, en revanche,
de quels solides mérites ne fournit-il pas la preuve ! Investigation per-
sévérante des sources les plus directes et les plus authentiques; dis-
cussion critique des faits; redressement incessant des erreurs où les
panégyristes et les adversaires de Calvin sont tombes comme à l'envi
les uns après les autres; connaissance exacte du caractère genevois,
de SCS qualités et de ses défauts ; intelligence très nette des oscillations
perpétuelles que les causes en apparence les plus fortuites peuvent faire
subir au mouvement des partis; originalité des aperçus et indépendance
des jugements : voilà ce que les lecteurs sérieux de ces sept volumes
sont depuis longtemps accoutumés à y rencontrer. Quand on a suivi
pas à pas Roget dans ses infatigables recherches, on possède par le
menu la cité genevoise du xvi" siècle, et l'on a traversé je ne sais com-
bien de petites ou de grosses (juerelles sans que l'impartialité de l'his-
torien se soit démentie un seul instant en face des sujets irritants entre
tous qui, durant tant d'années, ont constitué le fond ordinaire de ses
récits. Je n'oserais affirmer, il est vrai, que notre excellent ami fût aussi
fort sur les idées que sur les faits, et je doute que la théologie assez
vague à laquelle il inclinait le préparât suffisamment à comprendre la
pensée du réformateur; mais, alors même qu'une critique pointilleuse
trouverait là-dessus quelque chose à redire, il n'en ressortirait pas moins
de l'ensemble du livre que, si Calvin avait plus que personne besoin de
Genève et n'a rien négligé pour la conquérir, Genève, d'autre part, avait
grandement besoin de Calvin , parce qu'elle devait profiter la première
de ce qui a fait dans le monde la valeur morale et la puissance de son
œuvre... »
LISTE DES LIVRES DE'pOSE's AU BUREAU DE LA REVUE. 4S7
LISTE DES LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
{Nous n'indiquons pas ceux qui ont été appréciés dans les Bulletins
et la Chronique.)
Douais. Essai sur l'organisation des études dans l'ordre des Frères Prêcheurs
au XIII" et au xiv" s., 121G-13'i2. Paris, Picard; Toulouse, Privât, xvi-285 p.
in-8». Prix : 8 fr. 50. — Gaullieur. Histoire de la Réforme à Bordeaux et
dans le ressort du Parlement de Guyenne. Tome I. 1523-63. Champion. —
Leabar Gabala. Livre des invasions, traduit de l'irlandais par H. Ligeray et
W. O'Dwyer. Maisonneuve, xxii-255 p. in-8°. — IIothan. Souvenirs diplo-
matiques. L'Allemagne et l'Italie, 1870-71 ; t. I : l'Allemagne. C. Lévy, 400 p.
in-8°. Prix : 7 fr. 50.
Bezold. Briefe des Pfalzgrafen Johann Casimir mit verwandten Schriftstiicken,
Bd. II, 1582-86. Munich, Rieger, 476 p. in-8". — Borkowskv. Die englische
Friedensvermittlung im Jahre 1745. Berlin, Berggold, 127 p. in-8°. — Bress-
LAU. Konrad IL Bd. Il, 1032-39 (Jahrbiicher des deutschen Reiches). Leipzig,
Duncker et Humblot, x-603 p. in-8°. Prix : 13 m. 60. — Hanssen. Agrarhis-
torische Abhandlnngen. Bd. IL Leipzig, Hirzel, iv-577 p. in-8°. — Kœcher.
Geschichte von Hannover und Braunschweig, 1648-1714. Theil L Ibid., viii-
742 p. in-8". — Landau. Rom, Wien, Neapel, waehrend des spanischen Erb-
folgekrieges ; ein Beitrag zur Geschichte des Kampfes zwischen Papstlhum
und Kaiserthum. Leipzig, Friedrich, 1885 (sic), xx-480 p. in-8°. Prix : 10 m. —
ScHMiTZ. Der englische Investiturstreit. — Schrœrs. Hinkmar, Erzbischof von
Reims; sein Leben und seine Schriften. FribourgenB. Herder, xii-588p. in-8°.
Prix : 12 m. 50. — Sepp. Maria Stuart und ihre Ankiaiger zu York, West-
minster und Hamptoncourt, oct. 1568-janv. 1569. .Munich, Lindauer, v-i67 p.
in-8°. — Wertheimer. Geschichte Œsterreichs und Ungarns im ersten Jahr-
zehnt des xixten Jahrh. Bd. I. Leipzig, Duncker et Humblot, xxiii-375 p. in-8".
HuNT. Norman Britain. Soc. for promoting christ, knowledge, 1884. Prix :
2 sh. 6 d.
BiANCHi, La politica di Massirao d'Azeglio, 1848-59. Documentl. Turin, Roux
et Favale, 278 p. in-8°. Prix : 5 I. — Chiala. C. Cavour; lettere édite ed iné-
dite. Vol. III; ibid., ix-419 p. in-8°. Prix : 8 1. — A. de Gerbaix-Sonnaz.
Studi storici sul contado di Savoia e marchesato in Italia. Vol. I, 2" part.;
ibid., xii-209 à 522 p. Prix : 6 1.
Errata du présent numéro.
Page 152. La dernière phrase de l'art, de M. Vernes doit être lue : En sapant
doucement, au lieu de : en suivant.
Page 184, ligne 37, au lieu de : Hahn, Usez : Jahn.
Page 185, ligne 1, «m ^iew rfe .• le professeur d'Iéna proleste, lisez : MM. Kcil
protestent.
Page 187, au titre de l'ouvrage de M. Reichensperger, au lieu de : Parlamen-
tarien, lisez : Parlamentariers.
Page 232, ligne 34, au lieu de : Lichterfeld, lisez : Lichterfelde. — Ajouter
à ce propos que le principal ouvrage de M. Bernstein est :
NatUrwissenschaftliche Volksbiicher, en 20 vol.
488 TABLE DES MATIERES.
TABLE DES MATIERES.
ARTICLES DE FOND.
Pages
H. DE Grammont. Études algériennes, l'^ partie : la course à
Alger 1
Ch. MoLiNiER. Guillem Bernard de Gaillac et l'enseignement
chez les Dominicains à la fin du xni« siècle .... 241
MÉLANGES ET DOCUMENTS.
A. Babeau. De l'armement des nobles et des bourgeois au
xvii" s. dans la Champagne méridionale 288
.]. Flammermont. Les papiers de Soulavie 107
R. PL\MMONn. Le rétablissement des relations diplomatiques
entre la France et la Prusse après la guerre de Sept
ans 69
J. Havet. Mémoire adressé à la dame de Beaujou sur les
moyens d'unir le duché de Bretagne au domaine du
roi de France 275
Alf. Stern. Documents inédits relatifs au 1^^ Empire; fin , . 82
TiviER. Relations de la France et de la Franche-Comté pendant
la Fronde. Négociations de Jean de Mairet .... 43
M. TouRNEux. Diderot. Essai historique sur la police. . . . 298
E. Wertheimer. Documents inédits relatifs à Marie- Antoinette 322
CORRESPONDANCE.
Lettres de M. Aug. Prost et de M. Fustel de Coulanges sur
l'Immunité mérovingienne 357
BULLETIN HISTORIQUE.
Angleterre (moyen âge), par J. -G. Black 132
Danemark, par J. Steenstrup 391
France, par G. Monod et Ch. Bémont 118,359
Roumanie, par Al. Xénopol 374
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Beautemps-Beaupré. Coutumes et institutions de l'Anjou et
du Maine antérieures au xvi" s 161
Bernays. Schicksale des Grossherzogthums Frankfurt und
seiner Truppen 185
Bezold. Briefe des Pfalzgrafen Johann Casimir 425
BoisLisLE (A. de). Mémoires des intendants sur les généralités 173
Caron. Monnaies féodales françaises 165
TABLE DES MATIERES. 489
Pages
Fahlbeck. La royauté et le droit francs (486-614) 158
Fraknoi. Monumenta comitalia regni Hungariae 415
JopL. Blicke in die Religionsgeschichte 407
Kaltner. Konrad v. Marburg u. d. Inquisition in Deutschland 408
Keil. Die Griindung der deutsclien Bursclienscliaft in Jena . 183
Labanca. Marsilio da Padova 166
LossEN. Der Kœlnische Krieg 171
Madvig. L'État romain 152
Margerie (A. DE). Le comte Joseph de Maistre 181
MATraïASS. Die rœmisclie Grundsteuer und das Yectigalrecht 406
Nagy. Codex diplom. liungaricus andegavensis 415
Pfitzner. Geschiclite der rœmisclien Kaiserlegionen . ... 156
PicTON. Oliver Cromwell 188
Publicationen aus den k. preussischen Staatsarchiven. IV. . 177
Reichensperger. Erlebnisse eines alten Parlamentariers im
Revolutionsjahre 1848 187
Reumont (A. von). Kleine historische Schriften 169
RoosEs. Christophe Plantin, imprimeur anversois 427
Sgaduto. Stato e chiesa negli scritti politici, 1122-1347 ... 166
ScHLECHTA-WssEHRD. Die Revolutiouon in Gonstantinopel ,
1807-1808 179
SiCKEL. Das Privilegium Otto I fiir die rœmische Kirche, 962. 161
Smith. The prophets of Israël 151
SziLAGYi. Monumenta comitalia regni Transylvaniae . ... 415
ToNiOLO. Dei remotti fattori délia potenza economica di Firenze
nel medio evo 418
VizANTi. Veniarain Costache, metropolit Moldovei .... 186
Wagker. Der Reichstag unter den Hohenstaufon 417
WiERZBOwsKi. Christophori Varsevicii opuscula inedita . . . 190
LISTE ALPHABÉTIQUE DES RECUEILS PÉRIODIQUES
ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES.
FRANCE.
1. Académie des inscriptions et belles-lettres 203,446
2. Académie des Sciences morales et politiques .... 204,446
3. Archives des missions scientiliques et littéraires . . . 198
4. Archives historiques du Poitou 443
5. Bibliothèque de l'École des chartes 193,436
6. Bulletin critique 196,438
7. Bulletin d'archéologie chrétienne 440
8. Bulletin de correspondance africaine 443
9. Bulletin de correspondance hellénique 196,441
10. Bulletin de la Réunion des Officiers 443
11. Bulletin d'histoire ecclésiastique (Romans) .... 203,444
12. Le Cabinet historique 194,437
13. Comité des Travaux historiques et scientifiques . . . 199,439
/,;)0 TABLE DES MATIERES.
Pages
14. Comité d'histoire vosgienne 451
15. Le Contemporain 201,442
16. La Controverse religieuse et le Contemporain ... 443
17. Le Correspondant 201,442
18. Le Journal des Savants 198,441
19. Mélanges d'archéologie et d'histoire 197
20. La Nouvelle Revue 201,442
21. Nouvelle Revue historique de droit 199,439
22. Polybiblion 196,443
23. Répertoire des Travaux historiques 439
24. La Révolution française 200,439
25. Revue africaine 202,444
26. Revue archéologique 194,440
27. Revue bourbonnaise 202
28. Revue critique '194
29. Revue de l'Agenais 202,444
30. Revue de l'Art français 201
31. Revue de Réarn, Navarre et Landes 444
32. Revue de l'Extrême Orient 443
33. Revue de Gascogne 203,445
34. Revue de géographie 439
35. Revue de l'Histoire des Religions 198,439
36. Revue des Deux-Mondes 200,441
37. Revue des Études juives 445
38. Revue des Questions historiques 192
39. Revue générale de droit 199
40. Revue historique et archéologique du Maine .... 202,445
41. Revue politique et littéraire 200
42. Société archéologique de Tarn-et-Garonno 206, 450
43. Société d'archéologie lorraine 450
44. Société d'émulation de l'Ain 450
45. Société de l'Histoire de France 206
46. Société de l'Histoire de Normandie 450
47. Société de l'Histoire de Paris 205,448
48. Société de l'Histoire du protestantisme français . . . 206,448
49. Société des Anciens Textes français 207,448
50. Société des Antiquaires de Normandie 449
51. Société des Antiquaires de l'Ouest 207
52. Société des Études juives (Annuaire) 445
53. Société historique 205
54. Société nationale des Antiquaires de France . . . . 204,447
55. Le Spectateur militaire 201,443
ALSACE-LORRAINE.
1. Revue d'Alsace ^^'^
BELGIQUE.
1, Messager des sciences historiques de Belgique . . . 207
TABLE DES ÎIATTÈRES. ^^^
Pages
ALLEMAGNE.
1. Annalen des histor. Vereins f. Niederrhein .... 461
2. Archiv fur Anthropologie ^^'
3. Archiv fur Frankfurts Geschichte und Kunst. . . . 459
4. Archiv fur katolisches Kirchearecht 211,456
5. Archivalische Zeitschrift ^^^
6. AufderHœhe -^J
7. Baierische Akademie der Wissenschaften 215
8. Beitraege zur Anthropologie und Urgeschichte Baierns. 458
9. Deutsche Revue 211^
10. Deutsche Rundschau 209, 453
11. Diœcesan-Archiv der Diœcese Freiburg 459
12. Forschungen zur deutschen Geschichte 208
13. Geschichtsblaetter fur Magdeburg 214
14. Gœrres-Gesellschaft 453 ^
15. Gœttingische gelehrte Anzeigen 209, 452
16. Hermès 209
17. Historische Zeitschrift 207,451
18. Historischer Verein zu Heilbronn 460
19. Jahrbûcher f. die deutsche Armée und Marine , . . 210
20. Jahrbûcher fur Meklemburgische Geschichte. ... 213
21. ililitserische Blaetter 210
22. Mittheilungen d. Vereins f. Geschichte in Hohenzollem 460
23. Mûnster-Blaetter 460
24. Neue Beitrsege zur Geschichte d. d. Aiterthums . . . 457
2o. Neue Jahrbûcher f. Philologie u. Psedagogik. . . . 210
26. Neues Archiv 452
27. Neues Archiv f. Saechsische Geschichte 458
28. Neues Lausitzisches Magazin 458
29. Nord und Sud 211,457
30. PhUoIogus 455
31. Preussische Jahrbûcher . 212
32. Rheinisches Muséum fur Philologie 455
33. Saechsische Gesellschaft der Wissenschaften .... 457
34. Schau in's Land 460
35. Theologische Studien und Kritiken 211,456
36. Verhandlungen d. histor. Vereins f. Niederbaiern . . 215
37. Wûrttembergische Viertelsjahrhefte f. Landeskunde . 214,458
38. Zeitschrift der d. morgeulîend. Gesellschaft .... 212
39. Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins .... 213
40. Zeitschrift des Harz- Vereins f. Geschichte 212
41. Zeitschrift des hist. Vereins f. Schwaben u. Neuburg . 214
42. Zeitschrift f. aegj-ptische Alterthumskunde 213,455
43. Zeitschrift fur deutsche Philologie 210
44. Zeitschrift f. d. Geschichte des Oberrheins 460
45. Zeitschrift fur vergleichende Rechtswissenschaft . . 456
492 TABLE DES MATIERES.
Pages
AUTRICHE -HONGRIE .
1. Akademie der Wissenschaften (Vienne) 218
2. Archiv fur œsterreichische Geschichte 217
3. Germania 218
4. Jahresbericht des Muséum- Vereins zu Bregenz ... 218
5. Mittheilungen der anthropol. Gesellschaft (Vienne). . 461
6. Mittheilungen des Instituts f. œsterreichische Gesch. . 216, 461
7. Streffleur's œsterreichische militeer. Zeitschrift . . . 218
ILES BRITANNIQUES.
1. TheAcademy 218,462
2. Tlie Athenaeum 219,462
3. The Contemporary Review 463
ÉTATS-UNIS.
1. Tlie Nation 219,463
ITALIE.
1 . Archeografo triestino 224
2. Archivio délia Società romana di storia patria . . . 221
3. Archivio storico italiano 220,464
4. Archivio storico lombardo 222
5. Archivio storico per le prov. napoletane 221,464
6. Archivio storico siciliano 223,465
7. Archivio storico veneto 221,465
8. Studi e documenti di storia e diritto 465
SUISSE.
1 . BoUettino Storico délia Svizzera italiana 224,466
2. Étrennes chrétiennes 467
3. Étrennes genevoises 467
4. Der Geschichtsf'reund 466
5. Jahrbuch des histor. Vereins des Kt. Glarus .... 466
6. Mémoires de l'Institut national genevois 467
7. Mittheilungen der antiquar. Gesellschaft in Zurich. . 466
8. Musée neuchâtelois 466
9. Société d'histoire de la Suisse romande 466
RUSSIE.
1. Gelehrte Estnische Gesellschaft 467
Chronique et Bibliographie 225,468
Liste des Livres déposés au bureau de la Revue .... 240, 487
Errata 487
L'un des propriétaires-gérants, G. Monod.
Nogent-le-Rotrou , imprimerie Daupeley-Gouverneur.
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