REVUE IIISTOHIOI E
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DE BOUDE AUX
KT DU
DEPARTE.MEXT DK LA (ilKONDE
CnQi'iinin An.née
NuMicRO I. — Jwvier-Féviuku ff)f2
SOMMAI ni^ :
PAGES
La slaliic de Clément V à la Cathédrale Saint-
André ".
A tra>crs le >cliisiiie consUtiilioanel en Girouil'
fA suivre).
La prise du corsaire de Jersey la MoUy (•l avril
•7"-7) •.'..... '. ■
Viticulture et vinification en Bordelais au moyen
âge (Suile) ". . \-
L'ilorloge de la Grosse -Cloclic, par M. Pierre
IIauli: .'ni
Le lieu de décès du comte Lynch, par M. K. H. . . iji
Baisers patriotiques, par M. R. BiiouiLLvni». . ,
In prince royal d'Angkti'rn' 'i l'urd'-aux . y :
M. leroand Thomas 03
Questions et Béponses t',\
Chronique ('"i
Imle.r bibliographique ii.,
Ml Vl ORK lir LVPOIYADI'
Abhé Alhcrt (i Mr i. mu) .
Jt-an ni Mvipassant. .
Jean I$aresxes
MiHunges
BORDEAUX
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M. M()U.\\STIU:-I»I(:\MI
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historiques de la Gironde.
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riques de la Gironde,
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REVUE HISTORIQUE
DE BORDEAUX
ET DU
DEPARTEMENT DE LA r.IKONDE
REVUi: HISTOKIOl E
DE BORDEAUX
ET UU
DEPARTEMENT DE LA (ilKO.M)E
TOMK V
1912
^*<
BORDEAUX
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I IIIR VIHK
'in, H'i" Porte- Dijeaui, 45
LIBOURNE : M. M VI.K\ II.Li:. iihh\iiif.
1 9 i i
LA STATUE DE CLÉMENT V
\ LA CATIIKDUALE SAINT-ANDKK
La construction du portail du transept nord de l'église Saint-
André de Bordeaux peut être fixée d'une manière assez précise
au milieu du xiv^ siècle. Elle marque la fin des grands travaux
entrepris cent ans auparavant par l'archevêque de Bordeaux
Géraud de Malemort, et continués grâce aux libéralités d'un de ses
successeurs, Bertrand de Goth, «levenu pape en 1305 sous le nom
de Clément V.
Elevé au siège de Rome, il n'avait pas cessé de s'intéresser à
Saint- André, et, dès la seconde année de son pontificat, il avait
même accordé des indulgences aux fidèles qui visiteraient l'église
et donneraient une « aumône » pour aider à son achèvement. Aussi,
quand vint, trente ou quarante ans après la mort de Clément V,
l'édification du portail, y plaga-t-on, c'était justice, la statue de ce
pape d'heureuse mémoire, entourée de six évoques, trois à sa droite
et trois à sa gauche.
Telle est du moins la légende et peut-être celle-ci aurait-elle
besoin d'être confirmée, car on la rencontre pour la première fois
dans Lopès^, en 1668, c'est-à-dire trois cents ans après l'érection de
la statue. Or, déjà à cette époque, il était sans doute trop tard pour
savoir la vérité.
Quoi qu'il en soit, on ignore si cotte statue re}>ruduisait réellement
les traits de Clément V, ce qui est douteux, ou si elle était purement
symbolique, ce que nous serions tenté de croire. Car, cinq des têtes
d'évêques — on verra plus loin pourquoi nous exceptons la sixième
— semblent n'être, malgré certaines variantes dans l'attitude et dans
i'i'xpression. cjut" les répliques d'un mOnu.' modèle 2. Or. si l'on n'a
I. Ilierosine Lopes, L'Eglise métropolilainc et primaliale S. André de Bourdeaux.
lUmrdedux, G. De La Court, 16G8, \>. 4i.
•2. Aiidrfi Micliel, Histoire de l'Art, t. II. 2' partie, p. 692. — Certains ont voulu
r"(i)im;iitrc dans; ces personnages les membres Mu haut rlerçt^ bordelais élevés nu car-
diiinl.it par Clément V dans la promotion de 130". (L. de Laniothe, E.<!sui sur l'Enlisé
Soiiit-Aiiilré, Actes de r.Vradémif. 1H4>. p. 3'271. P'autres y ont \u de- év(»<|ues suCfra-
6 I.\ STATUE DE CLÉMENT V A LA CATHEDRALE SAINT-ANDUÉ
pas essayé ou s'il n'a pas été possible de donner à l' effigie d'aucun
de ces évêques le caractère d'un portrait, il est probable que, pour
les mêmes raisons, l'effigie du pape était, elle aussi, de pure fantaisie.
En observant attentivement ces statues, nous avions toujours
remarqué que celles de Clément V et de l'évêque à sa droite, présen-
taient avec les autres des différences inexplicables.
C'était d'abord leur tête qui semblait trop petite, autant par
rapport aux dimensions du corps que par comparaison avec les têtes
des statues voisines. Et, procédant à une mensuration à vue d'oeil,
nous avions constaté, en effet, que ces deux statues mesuraient
sept têtes et demie, tandis que les autres n'en mesuraient que six
et demie. En revanche, elles avaient toutes, des épaules aux talons,
les mêmes dimensions. Cette seule différence de grandeur de tête,
que rien ne justifiait, ne pouvait donc provenir que d'une restau-
ration maladroite.
Nous avions remarqué ensuite que la tiare du pape était presque
aussi large au sommet qu'à la base, de forme arrondie, trapue et
massive. Or, au xiv^ siècle, la tiare offrait encore l'aspect d'un
bonnet pointu. C'est ainsi qu'on la voit toujours représentée sur les
tombeaux et les documents de l'époque, et elle n'était pas autre-
ment figurée sur le mausolée ^ de Clément V lui-même, à Uzeste,
ainsi qu'on peut le voir par la dépression, très bien silhouettée,
que remplissaient la tête et la tiare sur le coussin où elles repo-
saient.' La forme en boule n'est apparue que beaucoup plus tard, au
XVI® siècle.
A leur tour, les fleurons ornant les couronnes du trirègne étaient
d'un dessin confus, lourd et monotone, et en contradiction complète
avec l'élégante sobriété des scu'ptures du xiv®, en particu'ier avec
celle^des tiares représentées sur les mauso!é s du temps, témoin
celle du pape Urbain II, du musée Calvet, d'Avignon. L'anachro-
nisme semblait donc manifeste.
gants de la métropole ayant participé à sa construction (Mgr Donnet, Monographie
de Sainl-André ; Ch. Marionneau, Description des œuvres d'art qui décorent les édifices
publics de la ville de Bordeaux, Chaumas-Gayet, 1861, p. 27). Mais ce ne sont là que des
hypothèses, et des hypothèses sans valeur, puisque tous ces évêques représentent un
seul et même personnage. Elles n'ont de portée que si on admet que ces figures étaient
symboliques, et, dans ce cas, c'est le symbolisme de la statue du pape qu'il faut éga-
lement admettre.
1. Ce mausolée date de la seconde moitié du xiy«.
STATUE DU PAPE CLEMENT V
A LA CATHEDRALE SAINT-ANDRÉ
LV SI'ATL'E PK CITMINI V A l\ ( VIIMliUMl SMN|-VM)Hr. "]
■^
TIARE DU PAPE URBAIN II
(Seconde nioilii' '1" xiV siirlei
Avignon, Musée Calvet.
8 LE STATUE DE CLEMENT V A LA CATHEDRALE SAINT-ANDRB
Enfin, nos deux statues n'étaient pas, non plus, coifîées comme
les autres et elles étaient, en outre, mal coiffées. Car, au lieu d'être
posées légèrement en arrière et de découvrir le front, même un peu
les cheveux, la tiare et la mitre étaient enfoncées jusqu'aux yeux,
masquant ainsi le haut du visage et écrasant la tête.
En dépit de leur caractère décisif, nous entendions déjà dire que
ces anomalies n'avaient aucune importance parce qu'elles pouvaient
provenir soit de la fantaisie du sculpteur, soit de son erreur, soit
au contraire de sa trop scrupuleuse attention à reproduire les imper-
fections physiques de ses modèles. Et, quelque fragile qu'elle fût,
nous comprenions que l'objection pouvait rallier des partisans.
Mais voici ce que nous avions encore remarqué : autant le cou
et la tête des cinq évêques avaient de souplesse et un mouvement
en harmonie avec celui du corps, autant la tête et le cou du pape
et de son voisin de droite étaient raides, désunis et comme étrangers
aux épaules qui les portaient; autant la facture des uns avait de
moelleux et de maîtrise, autant celle des autres était timide et sèche ;
autant le visage des cinq évêques était vivant et respirait cet air
de béatitude qui caractérise les figures du xiv^ siècle, autant le visage
des deux autres personnages était morne et vulgaire. Par contre,
aucune différence entre les corps; tous les sept offraient la même
pureté de style, la même beauté et les mêmes procédés d'exécution,
c'est-à-dire les mêmes caractères d'authenticité et, cette fois, la
conclusion s'imposait : la statue du pape et celle de son voisin de
droite avaient été décapitées, et leurs têtes, brisées ou perdues,
refaites à une époque qui restait à préciser.
Longtemps avant nous, Marionneau avait mis en doute l'authen-
ticité de la tête de Clément V, qui ne lui « paraissait pas originale » ^
C'était en 1861. Vingt ans plus tard, le marquis de Castelnau d'Esse-
nault, un autre archéologue bordelais, et non des moindres, se fit
le défenseur de la statue. Il l'avait lui-même examinée de très près
et pouvait garantir qu'elle était bien d'un seul bloc et parfaitement
ancienne de la tête aux pieds :
La mutilation, disait-il, ou plutôt la perte de la statue {celle du
tombeau de Clément V à Uzeste), est éminemment regrettable comme
iconographie historique. Nous n'avons plus, pour la remplacer, si
quelque jour on entreprend la restauration du tombeau, qu'à repro-
duire sur moulage la .tête d'une autre statue de notre illustre compa-
triote, statue unique aujourd'hui et qui, du même temps que celle
\. Ch. Marionneau, loc. cit., p. ■??.
!,A STAlLi: DK CI.I^MKM \ \ I. \ CvlliriHtMK SMM^MHif: (|
d'Lzi'Sli;, décore lo Inmii-iin ilu Ihshi in»rt;ul Iml'tl de lu cathcUralc.
:i Dorfleaiix.
Il l'sl. Vrai <|m' des dttult's ont éft'' t''iiii> >ur IdriL'inalilf!' de Cflh*
tête. Aussi, non eoiilinl d';ivoir ImII ((iiislatn- dr |ir»'>. cl par diversr»
personnes expérimentées (notamment par M. Hastard, le léfjendairt*
cicérone de la cathédrale, et M. X..., appanillfur;, Pinexactiliide
d'une telh' alléiration, nous sommes-nous assuré par nous-ménir. à
l'aide dune échelle qui nous a permis de faire un examen miiiulii-ux.
en présence lie MM. I 'o l)r()u\n ri lai. lu- l'ailhès, (pie çelte lèlr
ajtpartient au même bloc (pic le reste de la statue, et que par son
caractère de vérité absolumeiil dilïérent de celui, toul conventionnel,
des autres statues (jui l'entourent, par sa physionomie expres>i\e,
son type méridional et aciuitain, elle offre toutes les garanties d'une
reproduction d'après des données certaines, toutes les probahililés
de ressemblance d'un buste ou, si l'on aime mieux, il'uu iK.rtrail'.
La (juestion semblait donc trancliée. Aussi, l(irs(iu'i-ii Ih'.tl If
D'' Berchon publia une étude- sur la statue et le tombeau mutilés de
Clément V, à Uzeste, s'empressa-t-il de rappeler les constatations
faites par le marquis de Castelnau et de demander qu'on restaurât
le monument en s'aidant de la statue du portail de la cathédrale.
Le D^" Berchon, du reste, apportait lui-même une nouvelle preuve
de l'authenticité de cette statue, preuve tirée, celle-ci. d'un j>im. e~-
verbal du Conseil général de la commune de Bordeaux, du IJ ven-
tôse an II (2 mars 1794), et il concluait :
.le pense donc qu'on peut |>ai\enir sans peine à rétablir les traits
du pape Clément dans un élal de ressemblance au.ssi satisfaisant que
possible eu iilili-aiil loul ce (|ui rc-le de >()U premier monument à
Uzeste... et surtoul de la slalue (|ui l'ut si heureusement c<»n>.ervée
:\ Saint-André, pendant la période révolutionnaire. On allait la détruire
le 12 ventôse an II. quand un jacobin du Con^^eil municipal trouva
très drôle l'idée de faire du pape le portier du temidc de iP.tre -.upréme
(Ml de la Haisoii. cl lit adopter sa niotioii par ses collè^rues 3.
...Tout plaide pour la juste et |>ronq)le réparation des oulrapes
subis par le grand pape L'irondin... et la Société Archéulogi»iue tiendra
1. Rrruc cnlhoUque de liurdaïus, issd, p. .'V21. . , „,
■> D' E Berchon, Bertrand du Col vl son nuiiisoUe à V:esle, HonJcaux. «îKlorPl, IS.M.
3 Cette légende a tHé puisi-e dans O'Rcilly. Kn voici le texte exnd : . I.e Vi ventôse
nn II. le Conseil municipal fut convoqué nu sujet .le l« .|ueslion «les l«l.ac.s et .len
contnl.i.tions. On discutait cette niati.re. .pinnd tout ù coup un Jacobin se eya et
dit : .. <iuil existait sur la j.orte principale de la ci-,levant iVUsc de Sninl-.Kndré une
..sculpture représentant un ci-devant pape. .1 ,piil demandait que le C.(inseil prit dex
• mesures pour renlèvement .le ce monument de la superstition. • Un allait ex.-j.nmer
cette question quand un liomm.- .l'esprit, m..ins i.onoclaM"- «lue noire .lac.l.m s icri.-:
.. Bah! ce n'est là .piun pape en i-ierre; celui-là ne lan.-e pas les f.Midres .lu \ali.«n:
■ laissons-le le portier du temple .le l'Être suprême ! • Le ridicule, "'«••"x que le raison-
nement, sauva ce monument de sculpture.. Il y est encore. • M» Kedly, //(.Woirr de Uor-
deimx, I. Il, î'- partie, p. 45.)
lO L.\ STATUE DE CLEMENT V A LA CATHÉDRALE SAINT-ANDRÉ
à honneur d'émettre le vœu de restaurer, dans les meilleures condi-
tions artistiques et archéologiques possible, le mausolée de Clément V,
à Uzeste K
Le débat, cependant, devait se rouvrir en 1897, lors des recherches
que fit Miintz sur la tiare pontificale 2. Celle de Clément V consti-
tuait un document de trop haute importance pour qu'elle fût
négligée par Miintz. Mais celui-ci se souvenait des doutes jadis for-
mulés par Marionneau et, prudemment, il alla aux renseignements
sur place. C'est à M. Camille Jullian, l'éminent professeur d'histoire
de Bordeaux à notre Faculté, aujourd'hui professeur au Collège
de France, qu'il s'adressa. Voici la réponse qu'il en reçut :
Il est question du pied droit de la porte nord de Saint-André
représentant, dit-on, Clément V, dans l'ouvrage que Lopès a fait
paraître sur cette église en 1668. La tête existait encore ou existait
dès lors. Elle parait être restée telle jusque sous la Révolution. Le
12 ventôse an II, il fut question de l'abattre au Conseil général de
la commune; elle fut sauvée parce qu'un facétieux jacobin proposa
de laisser Clément V comme portier du temple de l'Etre suprême.
Depuis, tous ceux qui l'ont vue ne mentionnent ni destruction ni
réfection (un des bras seul a été refait); j'ai vu une série assez nom-
breuse de vignettes depuis 1840; c'est bien toujours la même tête.
Si donc elle a été refaite, ce serait, selon moi, entre 1453 et 1650.
M. Jullian continuait :
M. Miailhe, fils de l'architecte chargé d(^ restaurer Saint-André
au milieu de ce siècle, n'a jamais entendu dire qu'on eût changé la
tête du pape.
L'architecte actuel, M. Laljbé, est très net. Il a étudié la statue
de près, pendant qu'on la remontait (?). Il affirme qu'il n'y a pas trace
de substitution.
Enfin, sur ma demande, M. Brutails, qui s'occupe spécialement
de sculpture médiévale, a fait dresser une échelle et a examiné de
très près le corps du délit. Voici ce qu'il m'écrit : « Je ne sais trop
que penser. J'ai vu certaines parties du cou qui sont lisses; mais la
chevelure, où les traces de reprise devraient être plus visibles, ne pré-
sente rien d'anormal... Cette tête est plus réaliste, plus finie que les
têtes des statues voisines. Le fait peut s'expliquer autrement que
par une refaçon. Je persiste à croire, malgré tout, que la tête est
moderne, quoique peut-être d'une modernité moins rapprochée qu'on
ne pense. La solution de la question doit se trouver dans les docu-
ments de 1500-1600 3. ,,
1. D' Berchon, loc. cil., p. 105.
2. Eugène Mûntz, La Tiare ponlificale, du huilième au seizième siècle, Paris, Impri-
merie Nationale, 1897.
3. Ibid., p. 44.
<
a.
<
/
l.\ ST.A II E DE GII'.MF.NI \ A l\ ( : \ I II I I >U M i: S\1\T AM)RK II
l'iiur tout autre que MtiuLz, li's alliriiialiuus, si catégoriques, <if
l'architecte de la cathédrale eussent été déoisives. Mais le gran<l
érudit avait été, lui aussi, frappé par certaines particularités, notaiii-
nu'ut par la forme insolite de la tiare, et il préféra se ranger à l'opi-
nion de ceux qui mettaient en floutc l'authenticité de la t/te.
Ce fut cependant sans vouloir pirmlir ikhi plus tout à fait p;irli
poui- eux et, pnulrimnent, il oonelut (|u"'il n'était pas impossible
([iii' hi t iiuc lût iiloileriie... " '.
Quant au publie, son npinion était bien l;iile : la statue de élé-
ment V n'avait pas été mutilée pendant la Révolution. Il ne restait
[dus qu'à savoir quel était r« homme d'esprit » qui l'avait sauvée.
C-'est ce que, très longtemps plus tanl. !•• 12 janviir r.M 1 . demandait
le journal la Liberté du Sud-Ouest. Notre confrère et ami M. Roger
Brouillard entreprit «le li-pomlre à la cpiesl ion -, mais il lin fallut
y renoncer, n'ayant même pas été assez li'iireux pour retrouver
dans les arehives muniiipides, à demi-consumées par l'incendie île
1862, le procès-verbal de ventôse an II, cité par O'Reilly.
*
Ce regain d'actualité de la question uuus invita à procéder à notre
tour à l'examen de la statue.
Les constatations déjà faites par le marquis de Castelnau et (piel-
ques autres n'étaient pas de nature à nous arrêter, car notre convic-
tion de la fausseté de la tête de Clément V était assez intime pour
nous laisser croire, nous osons l'avouer, qu'on ne s'était pas livré
à des investigations sidTisamment minutieuses.
L'argument lin- du procès-verbal de ventôse an II n'avait non
plus aucune valeur à nos yeux. En elTet. f'I ipie O'Reilly l'a rap-
porté, ce procès-verbal dit seulement (pi'un d.- numbres du Conseil
général de la commune aurait demandé qu'on gardât le pape comme
portier du temple de l'p.tre suprême. 11 n'ajoute pas, ce qui serait
essentiel, que cette motion fut ad<»plée. O'Reilly .1 laid d'autres
.[ui n'ont fait que copier cet historien, n'étaient donc pas autorisés
à affirmer que la statue avait été sauvée par le Conseil général Le
D"" Berchon. ({ui jinur en arrivera cette conclusion avait senti la
nécessité que la motion rûf été adoptée, n'a pas hésité à ailm.-ltro
^ 1. E. Mûntz, loc. cit.
'i. Bévue historique de Bordeaux, 1911, n' l, p. ô8.
Î2 LA STATUE DE CL^ÊMENT V A LA CATHEDRALE SAI>'T-ANDRÉ
le principe de son adoption, mais il l'a fait de son chef et pour les
besoins de la cause.
' Au reste, le Conseil général eût-il vraiment décidé de ne pas
faire abattre la statue du pape, cela n'aurait pas empêché d'autres
énergumènes de se livrer à cette triste besogne. L'argument n'était
donc pas péremptoire.
Voici d'ailleurs qui démontrait a priori la témérité des conclusions
qu'on s'était plu à tirer de la boutade de ce membre du Conseil
général, boutade qui fut sans doute une irrévérence calculée bien
plutôt qu'un habile subterfuge destiné à sauver une œuvre d'art.
Lorsque le 25 germinal an V (14 avril 1797), les citoyens Durand,
architecte, et Rivière, menuisier, experts commis à cet effet par la
municipalité du 3^ arrondissement, se rendirent à Saint-André —
où devait avoir lieu l'assemblée électorale — pour rechercher s'il
n'y aurait point été commis de dégradations depuis la suppression
du culte, ils constatèrent que « plusieurs des figures placées dans
l'arcade où se trouve la principale porte d'entrée, côté nord, avaient
été mutilées, que les unes étaient sans bras, les autres sans iête » i.
Or, parmi toutes ces figures, c'était évidemment celle du pape qui
avait dû attirer d'abord la fureur des vandales et tomber la première
sous leurs coups. L'histoire rapportée par O'Reilly est là pour le
prouver. Si donc plusieurs statues du portail se trouvaient brisées,
celle du pape était nécessairement du nombre. Et l'on arrivait à
cette conclusion, que nous faisions entrevoir quelques lignes plus
haut, c'est que, en dépit de la décision prise par le Conseil général
de conserver la statue de Clément V, quelqu'un s'était trouvé pour
la briser et en briser d'autres avec elle.
Aussi, notre conviction que la tête du pape et celle de son voisin
de droite étaient fausses, se trouvait-elle déjà faite avant même que
de les examiner, ce que nous fîmes le 15 juillet dernier, à six heures
et demie du matin, aidé de M. Roger Brouillard.
Grâce à une échelle double, haute de 4 mètres environ, obli-
geamment mise à notre disposition par M. le curé de Saint- André,
nous pûmes facilement atteindre et même dominer la tête du pape.
Ainsi vue de près, la vulgarité de ses traits, la sécheresse et les
imperfections de sa sculpture, en un mot tous les défauts que nous
avions remarqués d'en bas et qu'atténuaient la distance et la pers-
pective, s'accentuèrent au point que, dès cet instant, l'expérience
parut , concluante.
! 1, Arch. niun., série II, re^. 00, fol. l"-?,
I
tK STATLE l>i: CLÉMENT V V I.A CA riir;r)H\I.K S\IM ANDIU |3
Poursuivant alors nos recherches, nous brossâmes la base du cou
et l'extrémité supérieure de la chasuble que recouvrait toutes deux
une couche épaisse de poussière. Les traces de mutilation et de res-
tauration, auparavant invisibles, apparurent alors très nettement.
Au lieu de monter vers la nuijue et d'entourer la chevelure, comme
dans les statues voisines, la chasuble s'arrête au bas du cou. Elle
est, en outre, complètement déchiquetée en cet endroit : en frappant
sur le cou pour détacher la tête, on a brisé la partie de la chasuble
qui l'entourait et le protégeait.
Loin d'être rond et souple, comme chez les autres statues, le cou
du pape est anguleux et sec; il porte lempreinte de ces touches
plates et heurtées que fait la truelle, et à sa base perle encore le
mortier qui a giclé sous le poids de la nouvelle tête... Enfin, soit
erreur ou fantaisie de sa part, le réparateur a négligé de rendre
au cou sa largeur primitive, et, mettant à profit la surface de pii^rre
laissée par cette différence de diamètre, il y a taillé un col rabattu
([ui a l'air d'être celui d'une chemise, et qu'on ne saurait auniiir-
ment confondre avec le col d'un amict ayant préexisté.
Les cheveux, à leur tour, ne ressemblent guère aux chcveu.v
(tnnelés ou vermiformes des autres personnages. Ce sont de longu»'s
mèches ondulées, massives et sans aucun caractère. Leur extrémité
est retournée sur elle-même en une grosse boucle qui est comme
alTouillée à sa base et séparée des cassures de la chasuble par un sillon
marquant de façon précise le raccord des deux blocs de pierre.
Notre attention ayant été attirée ensuite par une proéminence
située tout au sommet de la tiare et que nous pensions être un
bouton ou un fleuron noyé dans la poussière, nous brossâmes égale-
ment cette partie et découvrîmes l'e.xtrémité d'une tige de fer, d'un
« goujon », qui traverse la tête de part en part et lui donne une
solidité que n'eût pas suffisamment assurée le scellement au mortier.
Enfin, détail peut-être plus topique et plus décisif encore que tous
les autres, nous aperçûmes dans le dos du pape, bien que l'inspection
en soit malaisée car la statue touche presque à la muraille, les
bouts inférieurs des fanons, sortes de bandeaux fixés à la base pos-
térieure des tiares et des mitres et qui tombent sur les épaules. Ces
fanons, étroitement appliqués sur la chasuble, ne montent pas plus
haut que l'endroit voisin du cou où celle-ci est brisée.
Il va de soi que, si seule cette partie de la chasuble et des fancms
avait été cassée, et que nous fussions en face de la tête originale, soit
qu'elle n'eût jamais été décollée, soit (lu'elle eût été remise en pla«-i>
l4 LA STATUE DE CLEMENT V A LA CATHEDRALE SAINT-ANDRE
après avoir été détachée, nous devrions nécessairement retrouver
plus haut ces fanons, d'abord sur la chevelure, qui est intacte et
dont la sailhe dépasse de beaucoup le bord inférieur de la tiare,
ensuite sur le bord de la tiare elle-même où était leur point d'attache.
Or, il n'en reste trace nulle part... Nous avons donc la preuve indis-.
cutable que la tête de Clément V a été refaite et sans beaucoup de
soin ni de goût, puisqu'on a négligé d'en reconstituer les fanons
comme on a négligé de rendre au cou sa largeur primitive et de
restaurer le haut de la chasuble.
Courajod et M. Marcou, analysant, dans leur Étude raisonnée
du musée de sculpture comparée, le portail de Saint-André, dont il
existe un moulage au Trocadéro, n'avaient pas mis en doute, eux
non plus, que la tête de Clément V fût postérieure à l'époque de la
construction du portail. Mais il ne leur était pas venu à la pensée
que cette tête pût être elle-même plus récente que le reste de la
statue. Ils croyaient (|ue l'une et l'autre dataient du xvi*^ siècle :
« La forme de la tiare, disaient-ils, le style de la figure et de la dra-
perie indiquent que cette statue est une restitution du xvi^ siècle. «
On pourrait s'étonner que Courajod et M. Marcou aient pu retrou-
ver quelque part dans cette statue, surtout dans les draperies, si
semblables à notre avis à celles des autres statues, le style du
xvi*î siècle. Mais, très visiblement, c'est la forme de la tiare qui a
guidé et faussé leur opinion, sans compter que le flou d'un moulage,
qu'ils n'ont peut-être pas non plus regardé d'assez près, ne leur
permettait pas d'observer toutes les imperfections d'une figure
qu'on eût sans conteste plus habilement traitée et plus consciencieu-
sement restaurée au xvi^ siècle. Du reste, la statue fût-elle réelle-
ment de cette époque, la tête n'en resterait pas moins, pour toutes
les raisons qu'on vient de voir, une tête refaite, et là est toute
la question.
Gomme nous l'avons laissé pressentir, et cela vient confirmer les
constatations du procès-verbal dressé en 1797 par les citoyens
Durand et Rivière, il est une autre statue qui a subi le même sort
que celle de Clément V : c'est la statue de l'évêque placée à sa
droite.
Déjà, en la voyant d'en bas, nous avions remarqué que sa tête
présentait avec celle du pape une analogie de facture et d'aspect
des plus frappantes : c'était encore la mitre qui coiffait le person-
nage jusqu'aux oreilles; c'était la même chevelure ondulée et lourde,
les mêmes yeux ronds et à fleur de tête, le même nez de carton, la
LA STATUE ni: CLÉMKNT V \ I \ C \TllKI»l«AI,i: SAI>r-AMtHK l5
mi'int' hnlli'lli' l'hdilr ri |iiIHir, |i' IIICIIH' lictllS. Il' llHMIli" IIKMlttHI t'ii
galoche, rnliii ce même masque simiesque et griinaçant s(ju.s letjiiel
If marquis de Castelnau avait cru rctrouN.i- le t\ |»f <( mcrifliorial
cl a((uitain » de Bertrand do Golli ! II ii'\ ;i\;iil pas jusfju'au cou (jui
ii'rûl été particiilirrcmciil l'Irangic, et à sa base le réj)arati'ur avait
laisse un véritable trottoir l'ormant colliii-.
najqu'oclinnl alor^ iioln' l'ihcllr pour cxjimini'r l;i lête de près,
nous constatons l'exactitude de nos observai i()n>. Cette fois encore
les fanons, visibles dans le dos, s'arrêlrnl .m hnrd de la chape dont
est revêtu l'évêque. On ne les rehiuive ni sur les cheveux, ni sur
la mitre, preuve indéniable do la n'fection de la tête.
Nous examinons ensuite un(> .'i une les têtes des cinq autres évêqucs
et constatons, non seulemcnl (iiie toutes ont les a])parcncrs de
l'authenticité, mais encore ({u'elles ne portent aucune trace de
déeollation.
Il est donc prouvé que la tête de Clément \ et celle de mui Noisin
lie droite ont été abattues et qu'elles seules ont été abattues. Mais
(jui dira jamais comment ont été sauvées les autres?
L"examen des têtes fut complété par la prise i\f l|lh■lqll('^ Mieii>u-
rations qui confirmèrent les difïérences de grandeui (pie nous avions
remarquées entre les têtes restaurées et les autres. Voici les moyennes
de ces mensurations :
TÈTES TÈTES
RESTAIRÉES >OS RESTAIRÉES
1" Largeur de bouche 5 cent. 6 cent, .i 1
2° Distance du nez an iiinildii. .... 5 cent. 3/4 7 cenl. M I
3° — ilu liez à l'oreille IOcimiI. 10 10 ctMil.
4° — ilu sourcil au nieiiloii. . . 12 cent. Ib cent.
5° Tour (lu cou arrêté à raiiluinb des
(ireilles 22 cent. 26 cent. ■
Ces difTérences en moin- nu préjudice des têtes restaurées, chez
lesquelles la distance seule du sourejl au mouton accuse un déficit
<le 3 centimètres, ont eu iialurelleiueiit une répercussion sensible
>ur la hauteur totale des statues elles-mêmes. Et. tandis que les
ciiuj évêques mesurent tous l'"85 de haut — le Iroisionie à la
gauche du pape a même l"i87, — le pape ne mesure plus que l '"80
et son voisin de droite 1"'76 seulement ^
1. Le D' lU'Kiion. pour (lui l'Hrrhilerle ilp la ralliédralc, M. Louis LabW, avait
mesuré la slntno ilii paiic. voyait ilaiis ses iliiupusioiw ((""SO) la prouve «lu'elle repré-
sentait liieii Cleinent V. dont la taille était, parait-il, exiraonlinaire. C.omine on le voit,
l'armiinint, «tout il est inutile de faire renuiniuer la nalv<>lé. reposait >ur une base fausse,
l6 LA STATUE DE CLEMENT V A LA CATHEDRALE SAINT-ANDRÉ
Nous avons profité de notre visite à Saint-André pour examiner
aussi la main droite de Clément V, celle qu'il lève dans un geste de
bénédiction, et dont l'attitude fausse, la vulgarité de forme et la
grossièreté de sculpture trahissaient également la réfection.
Nous avons constaté que le bras avait été brisé à hauteur du poi-
gnet. On y voit encore les vestiges du gant liturgique, aux fines
broderies exactement semblables à celles du gant de la main gauche,
main restée à peu près entière celle-ci.
Mais le réparateur ne s'est pas donné la peine de reconstituer le
gant mutilé. Il a simplement rasé et aplani la cassure, puis il est
verm y fixer une main quelconque, dont le poignet est beaucoup
plus étroit que l'ancien et tout autour duquel les restes du gant,
qu'on prendrait pour l'extrémité d'une manche retroussée, débor-
dent de plusieurs centimètres. Le réparateur ne s'est pas davantage
préoccupé de refaire une main gantée. On ne saurait en douter, car
non seulement la main apparaît visiblement nue, mais on ne retrouve
pas sur le revers de celle-ci le fermail ou pièce d'orfèvrerie qui se
voit sur le gant au dos de la main qui n'a pas été refaite. C'est donc
"à tort que dans sa Monographie de Saint-André, Mgr Donnât a dit
que les deux mains étaient gantées. Le réparateur ne s'est pas non
plus soucié de donner à la nouvelle main un mouvement en harmonie
avec celui du bras, ni le geste traditionnel de la bénédiction. De là
cette raideur et cette banalité d'attitude qu'accentue encore la
difformité de ces doigts boursoufiés. Ce n'est pas une main, c'est
une patte, et nous nous étonnons que le marquis de Castelnau
ait défendu aussi son authenticité.
On n'a retrouvé aucune trace de toutes ces réparations dans les
comptes et devis des grands travaux de restauration effectués à
Saint-André à partir de 1810. C'était du reste là un des arguments
qu'on donnait contre l'existence de ces réparations. Mais on oubliait
que, déjà de 1803 à 1804, lors du rétablissement du culte, certains
travaux, dont les comptes ne nous sont pas parvenus, avaient été
exécutés à l'église à l'aide du produit des quêtes ordonnées par
M-' d'Aviau, archevêque de Bordeaux. Et c'est à cette époque,
à notre avis, que doit remonter la réfection de la tête de Clément V.
puisque les autres statues, que M. Berchon avait négligé de faire mesurer, étaient
toutes plus grandes que celle du pape. Ajoutons que cette taille de 1™80, en somme
assez fréquente, ne répondait pas à celle de Clément V. Sa taille était, d'après le
livre du D' Berchon lui-même, de 1°'97, ce qui est bien différent. Le texte, à la vérité,
porte 1"'77, mais ce ne peut être là qu'une erreur d'impression, ou alors la taille
de Clément V était normale et toute l'argumentation échafaudée à ce sujet par le
U"^ Berchon s'écroule.
l.\ siATir: DK cr.KMTNT V \ I \ <;\ ririiDUALK saint-a^cdrk 17
Nos constatation^ Icriiiiin'-cs, iimis avons pensé, (|ii<l(|iii- (J«'ci.sivt's
i|ii'i'll<'s fussent, (lui'ii n'aurait jxîut-être auruncraiscjii de les préférer
aux constatations contraires faites par nos devanciers. Aussi avons-
nous pliotogiaphié le corps du délit, puis prié MM. .I.-A. Brutaiis,
archiviste de la Gironde, et G. Ducaunnès-iJuvai, archiviste de la
Ville, dont la compétence seront pour tous la meilleure des
garanties, de venir sur place contrôler l'exactitude de nos dires.
Nous les remercions d'avoir bien voulu se rendre à notre désir.
Et nous remercions aussi M. Roger Brouillard di- nous avoir si aima-
blement secondé dans notre recherche archéologique, ainsi que dans
notre tâche de photographe, si malaisément accomplie au sonitm-f
d'une échelle.
S'il nous faut coik lurr, ce sera pour j)rotester contre les restau-
rations du genre de celles de la statue de ('dément \ . Les meilleures
ne valent rien, parce qu'un artiste, pour >i li;d)ilf (jn'il soit, ne peu!
jamais reprendre sans faillir nnr o-uvre qui n'est pas la sienne, sur-
tout quand cette œuvre est celle d'iin mitre âge; parce que, encore,
c'est toujours une profanation que d'allier à l'œuvre d'un artiste le
travail d'une main étrangère... Et, pour notre part, nous eussion>
mieux aimé une statue de Clément V décapitée et incomplète,
mais dont la nature et la beauté seraient demeurées intactes, ipiime
statue à la({uelle rien ne manque sans doute, mais affublée d'une
tête d'occasion qui suffît à la déshonorer.
Ces restaurations, déjà si condamnables au point de vue de l'a ri,
ne le sont pas moins au point de vue île l'archéologie elle-même,
de cette science archéologique au nom de laquelle fin ne craint
cependant pas de les faire, car tout en faussard l'éducation de l'<eil.
elles fraudent aussi la vérité histori(|ue et peux eut devenir la source
de regrettables erreurs. T. "histoire de notre statue en est la preuve.
t'élicitons-nous donc ([ue la Société Archéologi([ue n'ait j)as pro-
voqué la restauration du ii>mbeau du pape ClénuMd. à Uzesle. JCt
réjouissons-nous surtout que, svn- ce nuiusolée, l'on n'ait pas repro-
duit le faux Clément V de Saint-André !
MEAUDRE DE I.APOUYADE.
A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL
EN GIRONDE
Le schisme constitutionnel doit son origine à une loi que l'Assem-
blée constituante vota le 12 juillet 1790, sous le nom de Constitu-
tion civile du Clergé.
Par cette loi, le pouvoir civil, se tenant pour maître absolu ot
législateur suprême, aussi bien dans les questions purement reli-
gieuses que dans les autres, décidait, de son autorité privée :
1» La suppression des anciens diocèses et leur remplacement par
des diocèses nouveaux;
2*^ L'élection des évêques et des curés par le peuple, y compris
les citoyens non catholiques;
3° L'interdiction aux évêques ,élus de solliciter du pape leur
institution canonique;
4° L'obligation, pour tous les membres du clergé en exercice,
d^ prêter serment à la Constitution civile.
La loi qui édictait de pareilles obligations était évidemment
une loi schismatique au premier chef. Malgré cela, quatre évêques
et un certain nombre de prêtres n'hésitèrent pas à l'accepter.
Dans les Grandes Landes du Bordelais, en particulier i, le schisme
constitutionnel trouva un terrain tout particulièrement propice
à sa propagation. Aussi nous a-t-il paru intéressant de rechercher
les causes qui facilitèrent la réussite momentanée de ce mouvement,
et la façon dont les fidèles arrivèrent à s'en accommoder.
Toutefois, avant d'aborder une telle étude, il importe de connaître,
avec une précision aussi minutieuse que possible, l'histoire reli-
gieuse de ce petit pays, à cette époque si troublée. C'est, en effet,
sur les menus incidents de la vie populaire, sur les détails de l'exis-
tence quotidienne que nos conclusions seront basées en grande partie.
Or, nous avons déjà raconté, dans notre volume intitulé : Deux
Paroisses de l'Ancien Temps ^, les diverses péripéties du schisme
1. On entend par Grandes Landes du Bordelais la partie de landes comprise entre
Bordeaux et le département des Landes. C'est la région à travers laquelle passe la
grand'route de Bordeaux à Bayonne.
2v Pages 18G-138, 149-150, 305-33S.
\ IRAVERS LE SCHISME CO>STrrUTIO>MEI, EN f.IROMDE HJ
i.'onstitutionru'l à Holii» et à Bélict. !)•' iiiêine le récit des événcinciif s
suscités par ce même schisme à Hostens et à Saint-Magii»- a trouvé
place dans un (uivra^'i- (|ue nous venons de publier sous le titre:
La Baronnic de Saint- Maf/ne K De sorte que j)Our tjbtenir mih'
idée générale du mouvement schismatique dans la partie centrale
des Grandes Landes du Bordelais, il nous reste seulement trois
paroisses à examiner : Lugos, Le Barp et Salles.
Nous allons le faire dans la première partie de cette étude. Dans
la seconde, nous exposerons les conclusions ffui nous j)araissent
résulter des faits connus avec certitude.
Mais, d'abord, une observation importante en ce ({ui coneerne
les curés, dont nous avons à retracer la I riste histoire.
Les curés schismatiques sont tous, quoi([ue à des degrés divers,
des prêtres tarés, théologiquement pour le moins. Les uns, plus
faibles que mauvais, subissant l'intluence de peurs trop fortes pour
eux, mais conscients des devoirs essentiels qu'impose le caractère
sacerdotal, surent rester humainement honnêtes dans leur déchéance.
Certains, au contraire, heureux de pouvoir suivre les inspirations
d'un cœur déjà gilté, n'hésitèrent pas à descendre jusqu'aux extrêmes
bas-fonds du vice, et trouvèrent un premier châtiment dans le mépris
universel qui les entoura vite. Quelques-uns enfin, appelés au sacer-
doce par les évêques schismatiques, qui manquaient de sujets et
qui s'elïorçaient d'en recruter à tout prix, étaient si clairement
indignes, au moment même de leur ordination, qu'en des temps
moins accidentés ils n'eussent jamais gravi les marches du sanc-
tuaire. Rebuts d'humanité que leurs patrons eux-mêmes ne pou-
vaient estimer, ils lurent les hommes à tout faire dont on a hâte
de se débarrasser après s'en être servi.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, à quek{ue degré que les prêtres du
schisme constitutionnel aient été coupables, ni les uns ni les autres
n'étaient de vrais curés, ni les uns ni les autres n'appartenaient à
l'Église catholique.
C'est la paroisse schismatiipie rpie nous étudions.
Les prêtres qui, pour l'éternel honneur de l'Eglise, gardèrent
intacte l'intégrité de leur foi, les bons pasteurs en un mot, ne sont
pas en question. Chassés de la patrie, enfermés dans les geôles
publiques, ou couchés sur It.'s planches de l'échafaud, ils ne pou-
vaient que prier et soulTrir.
1. Tome II, pages 8y-U4.
20 A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
PREMIÈRE PARTIE
PAROISSES SCHISMATIQUES
I. — LUGOS.
La paroisse Notre-Dame de Lugos fut toujours connue, jusqu'aux
premières années du xix^ siècle, sous le nom de Lugo. Actuellement
encore, après plus de cent ans, on supprime s dans la prononciation ;
et cet usage a cela de curieux qu'il n'existe pour aucune des localités
avoisinantes : Mios, Caudos, Andernos, Biganos.
Cette paroisse appartenait au diocèse de Bazas et faisait partie
de l'archiprêtré de Bernos ^.
Érigée en vicairie perpétuelle sur la fin du xvii^ siècle, au plus
tard en janvier 1664 ^, elle formait l'une des sept paroisses annexes,
possédées par le prieuré Saint-Jean-de-Mons dans la région avoi-
sinante ^
En 1789, le curé se nommait Jean-Baptiste Bellard. Né à Bor-
deaux le 30 juin 1752, il exerça d'abord les fonctions de vicaire à
Salles; puis, au commencement de 1783, l'évêque de Bazas lui
conféra la vicairie perpétuelle de Lugos*, qu'il desservait déjà
depuis la mort de M. Richard Deschamps ^, survenue quelque
temps auparavant ^.
Quand la révolution éclata, M. Bellard adopta avec empresse-
ment les idées nouvelles; et comme il avait su mériter la confiance
de ses paroissiens, ceux-ci l'appelèrent à administrer leur commune.
Il fut élu maire le 18 février 1790, par 18 voix sur 19 votants.
1. Bernos est une commune des canton et arrondissement de Bazas.
2. Arch. mun. de Belin. Registres paroissiaux. M. Ferrère fut le premier vicaire per-
pétuel de Lugos.
3. Mons, Saugnac-et-Muret, Moustey, Lugos, Biganon, Pissos, Liposthey.
4. Cf. mon ouvrage Deux Paroisses de l'ancien temps, p. 314 et suiv.
5. Vicaire perpétuel de Lugos depuis le 9 janvier 1765. (Minutes de M' Hosten,
notaire à Belin.)
6. Arch. mun. de Lugos. Registres paroissiaux. L'évêque de Bazas était devenu
curé primitif et collateur ordinaire de Lugos après la suppression du prieuré de Mons,
en 1762. On appelait collateur ordinaire d'un bénéfice celui qui possédait le privilège
de nommer à ce bénéfice.
A TRAVERS I.E SCHISME CONSTITUTIONMEL EN GIRO>(OF. J I
L'ii ;iii plus l;ii(i, il [i;iss;i ;iii sclii-iin-. En \ui<'i la preuve :
\'erral de la prestation de siT/minl ilr M' Jntn- Hapliste licllani,
curé et maire de la parroisse, en eiinjonnilé du di'irel du 12 juilhl,
eonsernant la Constitution sirile du rlerf/é.
AiijourdliuN , If viiijjf-iml jaiixicr, a comparu M' .Jt-an-HaplisU-
Ut'llard, cin"6 de la parroissc, par dcvunt les ollicicrs municipaux et
la communauté assambléc, lcc|uel a déclaré v(ud(uir taire «-(uit st-r-
mant il la lait élaictivitmcnl. prf)testant d'être fidcllt- à la milicmt,
à la loy et au roy, de maintenir de tout son pouvoire la (auislilulion
décrétée par rAssaml)lée et acceptée par le roy, de vi-iller a\fc soiiit
sur les fidelles de sa paroisse, dénombrés à trois cent ({uel([ues âmes;
— accejilir la Constitution civile du clertré. En conséquence le décret
du !'2 juillet demeure acceptée et obtient son effet.
A Luj;o, le "29 janvier 1791.
L.ANUC, olïicier municipal; Bai.este. procurur de ctjuiune; .Mak-
TiENS, notable; 13oidé, notable; Raba, notable; Bellard, curé
et maire de la paroisse de Lugo '.
M. Bellard demeura encore quelques mois à Lugos; puis ayant été
nommé curé de Ludon par M. Pacareau 2, il alla occuper son nouveau
poste et, peu de temps après, le 19 décembre 1791 , il donna sa démis-
sion de maire ^. Presque aussitôt arrivé à Ludon, il obtint d'être
transféré au Porge *. Là, encore, il s'ennuya vite. Dès le 3 mai 1792,
en eiïet, il se fit instituer vicaire desservant de Béliet ^.
Lorsqu'il eut quitte Lugos, la commune resta sans «un-. Les
fonctions ilu saint ministère y furent d'abord exercées par M. Jean
Laforcade, vicaire de Salles; mais ce prêtre ayant pris dès le K"" mai
la succession de son curé défunt, ne [lut à lui seul cunlinuei un
service si pénible. A partir de ce moment donc, le culte ne se trouva
plus assuré dans la paroisse de Lugos. Les liabilanls ne tardèrent
pas à en témoigner un vif mécontentement; aussi la municipalité
adressa- t-el le bientôt à M. Pacareau" la pT-lition sui\ante :
Nous, otTiciers inunii'i[iaux el h' procureur de la parruisse de Lu|,'0,
avons l'honneur de prier Monsieur Pierre Pacareau, évoque de Bor-
1. .\rch. nuiii. de Lusros. Reg. des di^libérations du Conseil niiiiiicipnl.
*2. Arcli. ilioc. de Bordeaux. Fonds moderne. Ludon est une roniinune du rantoii
de Hlanrjuefort, arrondissement de Hordeaux.
3. Anli. mun. de Lutros. ÏU'iz. des délil)éralions du (.oiiseil muniiipal.
4. Anii. dép. de la (lironde, L 14 Jl. Le l'orue e.-l une ronunune du eanton de Cas-
lelnau, arrondissement de Hordeaux.
T). Areli. dép. de la (iironde, L 1095.
6. Pierre F'acareau, né à Bordeaux le '27 seplendire 1711, tlail elianoine de Saint-
.\ndrt'' quand, le 15 mars 1791, on l'élut évéque nulropolitain du Sud-(tuesl. Il se lit
sacrer le 3 avril suivant, et mourut le 5 septembre 1797. (Aurélien Vivie, Histoire de
la Terreur à Bordeaux, t. I, p. 61 et suiv.)
2 2 A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
deaux, de doner le bis in die i à M"" J" Péés, desservant de Béliet,
nous trouvant depuis longtemps sans aucun secours spirituel. Et
nous dézirons d'autant plus M"" J" Péés que nous reconnoissons ses
bonnes vies, et mœurs, et capacité. En conséquance nous vous sup-
plions de luy expédier par le présant porteur l'eftet de notre demande.
Et nous adressons des vœux au ciel pour la conservation et prospé-
rité de Monsieur Pierre Pacareau, évêque de Bordeaux,
Et avons signé, le 5 août 1791.
Lanuc, officier municipal; Boudé, officier municipal; Baleste,
procureur de la commune^.
On donna satisfaction à ce désir. M. Péés assura le service de
Lugos, et le gouvernement lui accorda, pour cette fin de trimestre
(mois d'août et de septembre), une indemnité de 58 livres ^
M. Bellard, à son tour, se chargea du même travail, lorsqu'il
eut remplacé M. Péés à Béliet. La municipalité de Lugos demanda
alors au Directoire du département qu'un traitement annuel de
700 livres fût alloué pour ce service à son ancien curé ■*. Elle obtint
sans peine ce qu'elle désirait^, et les choses allèrent tant bien que
mal jusqu'au moment de la Terreur. Mais alors, M. Bellard ayant
abdiqué le sacerdoce ^, se retira à Salles où il se maria. A partir
de ce jour, Lugos vit cesser tout service religieux jusqu'au réta-
blissement du culte en France.
M. Bellard mourut réconcilié avec l'Église et curé de Sanguinct
le 1er niai 1821 \
A Lugos, comme partout ailleurs, les biens d'Église furent natio-
nalisés et aliénés. C'est ainsi qu'on vendit :
Le 20 thermidor an II (7 août 1794), 20 livres 1/2 de « laine en
graisse », appartenant à la fabrique, au prix de 15 livres, 7 sous,
6 deniers ®;
Le 14 nivôse an III (3 janvier 1795), un troupeau de brebis appar-
tenant à la fabrique, moyennant 404 livres 8 sous 6 deniers ^;
Le 21 germinal an V (10 avril 1797), le presbytère, comprenant
une maison en mauvais état, une écurie en pierre en bon état, et
1. Autorisation de célébrer deux messes le dimanche.
2. Arch. dioc. de Bordeaux. Fonds moderne.
3. Arch. dép. delà Gironde, L 510.
4. Arch. mun. de Lugos. Reg. des délibérations du Conseil municipal.
5. Arch. dép. de la Gironde, L 1107.
6. Arch. dép. de la Gironde, L 1436.
7. Nous avons raconté en détail la vie de M. Bellard dans noire ouvrage : Deux
Paroisses de l'ancien temps, pp. 314-324.
8. Arch. dép. de la Gironde, Q 846.
9. Arch. dép. de la Gironde. Contrôle des actes de Belin,
A rUAVERS I.F. «;CIIIS.MF. CONSTITUTIONNEL EN GIHONUE a'i
iiii tiTiaiii en friche de 2 journaux environ, le tout adjugé au cito\ t-n
Juàt Joseph, de Bordeaux, pour 931 francs ^
L'éghse paroissiale se trouvait, à ce moment, sur h-s bords de la
Leyre, à deux kilomètres environ de Béliet, et à peu près à égale
distance de Belin. Elle existe toujours. C'est un monument sans
j,'rand caractère architectural, comprenant un clocher carré - sur
la façade, une nef sans bas-côtés, une abside semi-circulaire, le tout
llanqué de contreforts à structure massive. Au sud du chœur
s'avance une sacristie; et dans le bas de l'abside, au nord, se pré-
sente une petite ouverture qui a tous les caractères du style roman ^
Cette ouverture porte, dans l'archéologie chrétienne, le nom de
rcijrine. C'est une sorte de fenêtre étroite, par laquelle on faisait
passer les enfants, le jour de la Saint-Michel, pour attirer sur eux
la protection du glorieux archange. Actuellement, elle est fejmée
par un volet en bois qui ne s'ouvre jamais, l'ancien usage d'y faire
passer les enfants ayant complètement cessé, bien qu'aux deux
fêtes de Saint-Michel, le 8 mai et le 29 septembre, un grand concours
de fidèles se réunisse dans cette église.
Ces deux jours de l'année sont, au surplus, les seuls où l'on y
célèbre le service divin. En eiïet, disait en 1803 le curé de Belin,
elle s'élève dans « un lieu inhabitable (qui) depuis un temps immé-
morial a été déserté par les curés, à cause de l'insalubrité de l'air ))■*.
Dix-huit ans plus tôt, un médecin du pays, exprimant la même idée,
déclarait qu'un « hair inpur se lève continuellement des mares qui
entouroient se lyeu », occasionnant des « fièvres putrides » ■\
Dans ces conditions, on comprend que les habitants aient imité
leur curé. De fait, la population se transporta peu à peu à six kilo-
mètres plus loin, dans un quartier nonmié Séouzc *, et situé beau-
coup plus au centre de la comnniiic. Aus.>i, quand il devint possible
de donner un curé ù Lugos, abandonna-t-on l'ancienne église qui
ne répondait plus aux nécessités paroissiales, pour en construire
une nouvelle à Séouze. Malheureusement, cette solution tarda à
se réaliser.
1. An 11. (It'p. (le la (iiroinle, 0 731.
'i. Il ifiifcrme une cloche (|ui poilt- riiisi-ri|ilion siiiviiiite : IIIS. Sancla Maria ora
Itro nohix /uilf pinir l'i'ijlize de Luyo 1643 et parrain .A/"" Jefiaii de Laforgue Juge
de lifllin Marraine Jeanne Desans.
3. C(. Arcli. inuii. de Mordeaux. Fonds Léo Drou>ii, lonic XI.A'I, p. 643.
1. .\rfli. dioc. modernes de r.\rche\ èrhé.
5. Arch. de M. .\urénen IJoireau, propriétaire à Salles. Cerlillcal délivré à M. Bellard.
le ô avril 1785, par M. Saint-Hilaire, maître-cliinircieii de Salles.
t). Les vicaires perpétuels de I.ugns se «piaiidaienl vicaires per(>éluels cle Liiiro« et
de Séouze,
2^ A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTlOXJiEL EX GIRONDE
En 1803, quand on rétablit le culte catholique en France, Lugos
n'obtint pas le titre de succursale. L'autorité diocésaine l'annexa
à la paroisse de Mons ^, et le curé de Belin d'abord, le curé de Béliet
ensuite, y accomplirent les diverses fonctions ecclésiastiques. En
1845, pourtant, le 4 novembre, une ordonnance royale érigea Lugos
en paroisse indépendante. La nouvelle succursale reçut alors pour
curé M. P. Niel, qui conserva ce poste jusqu'en 1851 ^.
! ' II. —Le Barp.
La paroisse Saint-Jacques du Barp appartenait au diocèse de
Bordeaux et faisait partie de l'archiprêtré de Cernés. Elle avait été
érigée en vicairie perpétuelle par ordonnances archiépiscopales des
24 juillet 1618-18 juillet 1623 ^, et dépendait d'un prieuré hospi-
talier établi, au lieu même du Barp, pour recevoir les pèlerins qui
allaient à Saint-Jacques-de-Compostelle. C'est le prieur de cette
maison qui était curé primitif du Barp; mais la collation de la
vicairie perpétuelle appartenait pleno jure à l'archevêque de Bor-
deaux.
L'église, s'il faut en croire Léo Drouyn, remontait au xiii^ siècle.
Elle comportait, dit-il, « une nef carrée à chevet droit, composée
de deux travées éclairées par deux longues fenêtres en lancettes de
chaque côté. Trois contreforts assez saillants renforcent chacune
des façades nord et sud. Sur la façade rampent deux contreforts
presque plats qui soutiennent un clocher arcade, à pignon peu
élevé, percé de deux baies pour les cloches. L'escalier pour monter
au clocher est renfermé dans une cage, de forme irrégulière au
nord » *. Cet édifice a été complètement reconstruit vers le milieu
du xix^ siècle.
En 1789, le curé du Barp se nommait Jean-Baptiste Anglade.
Né le 14 mars 1737, dans la ville de Garcassonne, sur le territoire
1. Avant la Révolution, la paroisse de Belin actuelle portait le nom de paroisse de
Mons. Au moment du Concordat, on divisa cette paroisse, qui est immense, en deux
parties : la paroisse de Mons, au delà de la Leyre, vers les Landes: la paroisse de Belin,
en deçà. Mais les circonstances ne permirent pas de faire exécuter cette décision, et
les deux paroisses n'en forment qu'une : celle de Belin.
2. Voici la liste de ses successeurs: MM. Joseph Méliet, 1851-1894; Balancie, 1894-
189.5; Lucien-Claude Bronde, 1896-1902; Germain-Arcangel Fougère, 1903-1907;
Marcel-Mathieu Darnaudpeys, 1907.
3. Le premier vicaire perpétuel du Barp fut M. François de Mompontet, qui accepta
cette charge après s'être démis du j^rieuré du Barp en faveur des Feuillants. Ce sont
Précisément les difficultés survenues à propos de cette mutation de prieur qui néces-
sitèrent deux décrets d'érection.
4. Arch. mun. de Bordeaux, Fonds Léo Drouyn, t. XL\'I, p. G37,
A TRAVERS LE SCHISME CONSTI I I liowil. »N i.llU'M.i: 3 )
de la paroisse Saiiit-Micliel, M. Angladc était lils de Jean Auglade
et de Catherine Berj^er ^ Il exerçait les foiicti»jiis de vicaire condur-
tice à Saint-Magne de Bcliii, depuis l'année 1774 '^, lorsqu'il réussit,
le 9 mars 1782, à se faire noninicr curé du Barp ^. Son action y fut
longtemps celle d'un excellent pasteur: et de fait, ce pauvre honinit-
était un bon prêtre. Par malheur, (piand vint l;i I {évolution, il ne
sut pas, ou plutôt il n'osa pas réagir contre l'obse-ssion des idées
ambiantes, et le 23 janvier 1791, après avoir célébré la messe parois-
siale, il prêta serment à la Constitution civile du Clergé. Un procès-
verbal nous a conservé le récit succinct de cette triste cérémonie :
Nous, soussignés, maires cl officit-rs municii>;iiix de la p;irroissi' du
Barp, certifions que ce jourd luii. vinirtruis du mois de janvier mil
sept cents quatre vingt onze, M. Aiii:ladt', curé de la présantf |tai-
roisse, suivant sa déclaration au greffe de la ditte municipalité ù\i
\ ing de ce mois, en conformité des articles .38 et 39 du litre "2 >'.u
décret de l'Assemblée nationale du 12 juillet dernier, sanctionné
par le roi le 24 août suivant, et de l'article 39 du décret du 24 juillet
du traitement du clergé actuel, et de l'article l" de celui du 27 novcm-
i)re aussi dernier, sanctioné le 26 décembre suivant, — après la
messe parroissiale, devant le Conseil général et du puple assemblé.
a levé sa min droite et fait le serment solemnel de renqtlir ces lom-
tions avec exactitude, de veiller avec soin sur le troupau i\\u lui f^t
confié, d'être fidelle à la iialiDO. à la loi et au roi, et de maintenir dt-
tout son pouvoir la Constitution décrettée par rAssemblée nationnaIi>
et acceptée par le roi. En conséquance avons dressé le présant procès-
verbal.
Hazera, maire; Taris, officifr municipal; Ahnaudin, olTicier
municipal: Lafourcade, secrétaire général.
A ce moment, d'ailleurs, le pouvoir civil venait de se livrer à une
série d'empiétements (|ui n'avaient pas peu contribué à effrayer le
malheureux curé.
En effet, le 2 février 179U, les citoyens actifs du Barp. réunis -nus
la présidence d'Arnaud Hazera, président du Conseil muniejpal
provisoire, procédèrent à l'élection définitive de leur municipalité.
La loi exigeait qu'on nommât six officiers municipaux; >> mais à
cause de la rareté des sujets et de sux qui savent sulement signer »,
on décida de n'en désigner ipie trois, y compris le maire. Après cela,
Arnaud Hazera fut élu maire par 32 voix sur 38 votants, Jérôme
Arnaudin, premier municipal par 32 voix, et Arnaud Taris, deuxième
1. Arch. dép. de la Gironde, L 10!).'^.
2. Cf. mon ouvrage: La hnronnie de Sainl-Magne, I. II. |'. !S7,
3. Anii. dioc. de IJordcanx. p. "il.
a6 A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
municipal par 21 voix. Le procureur de la commune fut André
Hazera.
Aussitôt constituée, la nouvelle municipalité somma le curé
d'avoir à lui faire connaître le montant de ses biens et revenus,
ainsi que leur nature. M. Anglade répondit, le 17 avril suivant,
que son bénéfice lui rapportait uniquement 700 livres de portion
congrue ^ et 400 à 500 livres de casuel. Il ajoutait que le presbytère
était entouré d'un petit jardin et «d'un lopin de terre en pré»;
mais que la bâtisse tombait en ruines ^.
Le 19 septembre de la même année, nouvelle intervention de la
municipalité qui, appelée d'office à l'assemblée paroissiale où l'on
devait élire les fabriciens, fit décider « que les fabriciens doresna-
vant ne livreront aucune somme appartenant aux pauvres, venant
de lecs ou d'aumônes, à quiconque que du consentement par écrit
de la municipalité, faute d'en répondre en son propre et privé nom.
Ont délibéré aussi que ledits fabriciens ne fairont aucune dépence
extraordinaire de deniers de la fabrique que du consentement de
laditte municipalité » ^.
Le Conseil municipal ne voulait pourtant pas se poser en adver-
saire de la relioion nationale; bien au contraire, il avait pris, le
3 mai précédent, une délibération défendant aux cabaretiers de
servir à boire, durant les offices, à quelque personne que ce fût, les
voyageurs exceptés, et ce, sous peine d'une amende de 6 livres pour
les cabaretiers et de 40 sous pour les buveurs ■*.
Malgré tout, on ne peut trouver étonnant qu'un esprit timoré s'in-
quiétât d'un état de choses pareil. C'est ce qui arriva à M. Anglade.
La peur s'empara de lui et le poussa aux pires déchéances. Le
4 avril 1791, il adressa aux administrateurs du district de Bordeaux
une supplique tendant à obtenir un logement convenable, car son
presbytère tombait en ruines ^ Et comme on ne lui donna pas
satisfaction, il se fit transférer à la cure de Montussan ^ Il y passa
quelque temps dans une tranquillité relative. Mais la guerre reli-
gieuse ne tarda pas à s'accentuer; le moment vint vite où l'on ne
voulut plus de prêtres en France : les constitutionnels eux-mêmes
1. On désignait .sou? le nom de porlion congrue la pension annuelle que le curé pri-
mitif d'une paroisse payait au vicaire perpétuel.
2. Arch. de M. Daney, maire du Barp. Nous y avons puisé tout ce qui concerne
les actes de la municipalité jusqu'à ce moment.
3. Arch. de la fabrique du Barp.
4. Arch. de M. Daney, maire du Barp.
5. Arch. dép. de la Gironde, L 1102.
G. Montussan est une commune du canton du Carbon-Blanc, arrondissement île
Bordea\ix,
n'y élaient plus tolérés qu'à la condition d'abdiquer leur sacerdoce,
r.i" ne fut certeg pas sans de lonpfut'si et cruelles hésitations que
M. Anglade se soumit à cette nouvelle exigence; il finit par le faire
pourtant, et le 17 ])rairial an II (5 juin 1704), il signa son al»(li<a-
tion 1. Après le 9 thermidor, il s'établit ministre du culte à Belin;
puis à la fin de 1799, il se retira à Carcassonne^. Le gouvernemeiil
lui avait accordé une pension annuelle de 1,200 livres^.
Lorsque M. Anglade eut «[nitté Le Barp, la paroisse resta sans
curé, et il s'y passa ce qui se passait dans tout le reste de la France.
Le 21 frimaire an II (11 décembre 1793), Pierre Martin, l'un des
ofilciers municipaux, remit « à la fundrie nationnalle du Fort Trom-
pette : une cloche pezant trois cents, avec six chandelliers en cuivra,
une petite clochette, un bassin d'étein, et un plat et une lampe
argentée, le tout ensemble pesant soixante et dix livres ■*. »
Dix jours plus tard, le 30 frimaire (20 décembre 1-793), le fabricifii
en exercice Pierre Lafourcade se vit inviter à comparaître en la
maison commune pour y rendre compte de sa gestion. « Il détenait,
dit le procès-verbal de sa comparution, une somme de 240 \ï\vi->
10 sous qu'il a remis entre les mains de ladite municipalité et (IdhI
Pierre Martin, dit Pierrot, s'est chargé pour en rendre compte en
temps et lieu à ladite commune. » — Une note officielle ajoutée au
procès-verbal de remise nous apprend que cette « somme a été
employée à la construction de la maison commune, et portée par
ledit Martin dans le compte qu'il a rendu do ladite construction,
et la commune lui en tient quite » l
Presque aussitôt après, l'église fut convertie en Temple de la
Raison ^
Entre temps, ou avait commencé l'aliénation des biens apparte-
nant à l'Eglise. C'est ainsi que le 18 janvier 1792, la chapelle «1" Ar-
genteires, qui était située à Biganos et appartenait au prieur du
Barp, fut vendue à un sieur Béroul, moyennant 300 livres".
On continua naturellement ces opérations, et l'on vendit :
Le 1" pluviôse an III (20 janvier 1795), un troupeau de brebis
venant de la fabrique et adjugé pour 595 livres à Jeantille Lanuc *;
1. Anii. (lép. (le la Gironde, L 1436.
2. Arch. mun. de Beliii.
3. Arch. dép. de la (liromlf, L llu".
4. Arch. de M. Daney, maire du Barp.
•ô. Arch. de la fabrique du Barp.
6. Arch. de M. Daney, maire du Barp.
7. Arch. dép. de la Gironde. O 1)0. Biganos est une commune du canton d'Audenttc,
arrondissement de Bordeaux.
5. Arch. dép. de I.i (Jiponde, t'.otilrnle de- aili-- di' B.-lin,
aS A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
Le 22 germinal an III (11 avril 1795), un pré situé au bourg du
Barp, d'une contenance de 20 règes 7 carreaux, qui faisait partie
lui aussi des biens de la fabrique et qu'un marchand nommé Lafour-
cade acheta au prix de 2,600 livres i.
Le presbytère ne trouva pas d'acquéreur; mais le pré et le jardin
qui y attenaient furent, par acte du 25 ventôse an III (15 mars
1795), affermés à Jean Dutauzin, pour trois ans, moyennant un
loyer annuel de 170 livres 2.
C'est dans le courant de l'année suivante que l'exercice du culte
recommença au Barp. Un prêtre constitutionnel, nommé Joseph
Marcourt, vint, en effet, s'y établir à ce moment \ Religieux capucin
avant la Révolution, M. Marcourt avait prêté le serment schisma-
tique et se trouvait à Calais ^ quand il fut nommé curé d' Avensan ^
Il s'empressa de notifier son acceptation par la lettre suivante :
A Monsieur, Al^ Duuiyneau, secrétaire de r Assemblée électorale
du District de Bordeaux.
Monsieur, j'accepte avec reconnoissance la cure d'Avensan à la-
quelle les électeurs de votre District ont bien voulu me nommer.
Persuadé que la voix du peuple est celle de Dieu, je vais prendre
les précautions nécessaires pour me rendre à Bordeaux le plutôt
possible, et de là à ma cure, où j'espère opérer par mes soins tout le
bien qu'on peut attendre d'un pasteur vrayment patriotique, et juâ-
tifler le choix de ceux qui m'ont honoré de leurs suffrages. En atten-
dant que j'ai l'honneur de vous saluer en personne, agréez les senti-
mens respectueux de celui cjui a l'honneur d'être, Monsieur, votre
très humble et très obéissant serviteur.
Marcourt, élu curé d'Avensan.
Calais, ce 5 avril 1791 «.
M. Marcourt vint donc à Avensan; mais, dès le mois de septem-
bre suivant, il se fit nommer curé de Cadaujac ', où il resta jusqu'à
la suppression du culte en France.
Arrivé au Barp le 7 prairial de l'an IV (26 mai 1796), il en partit à
la fin de 1797 ^. Avant de s'en aller, il eut soin de faire procéder à
1. Arch. dép. de la Gironde, Q 442.
2. Arch. dép. de la Gironde. Contrôle des actes de Belin.
3. Arch. mun. de Belin.
4. Chef-lieu de canton du Pas-de-Calais, arrondissement de Boulogne.
5. Commune de la Gironde, canton de Castelnau, arrondissement de Bordeaux.
6. Cette lettre est scellée du sceau des Capucins de Calais. Ce sceau, de forme ovale,
porte au centre l'image de saint Antoine de Padoue, et tout autour l'inscription sui-
vante : + Sig. Convent. Fra. Capuc. Callel.
7. Arch. dép. de la Gironde, L 510. Cadaujac est une commune du canton de La
Brède, arrondissement de Bordeaux.
8. Arch. mun, de Belin,
I
A TRAVERS LE SCllISME CONSTITITIONNEF. E\ GIRONDE Ui)
rélectiou d'un labricicii, acte <|iii donna lieu au |uo<'rs-\oil'al
suivant ^:
/-.7(// ih's rffrls srrvanis au mile de réfflise du Harj», ron/irs nu rilni^en
Antoine Du linurf/, faliri(/ueur.
Scavoir : 1" deux linct'uils; -2" vintrL na|i|»cs d'autel, treize à dentel-
les et sept unies; 3" cinc} nappes de communion; 1" onze serviettes,
(juatre ouvrées et sept unies; 5" tout le linge servant au ministre
pour le culte.
Ledit Antoine Du Bourg n'a pas reçu d'argent de Pierre Lafoiir-
cade (t'al)ri([U(nir) sortant, parce que la dispense a surpass(''e la recette
de (juelques li\ res que ledit Lal'ourcade n"a pas exigé.
Au Barp, le 7 mai 1797.
M. Marcourt fut remplacé par Jean-René Gravier, m- 1" 1 1 mai
1750 de Pierre Gravier, notaire, et de Marie Bichet, sur la paroisse
des Chézeaux 2. Après avoir prêté serment à la Constitution rivile
du clergé, il resta encore quelque temps dans la paroisse de Pleine-
selve ^, dont il était curé; puis, à la fin de 1792, il se fit élire à la cure
d'Anglade *, et réclama l'institution canonique par la lettre sui-
vante, adressée « au citoyen Lassalle, secrétaire du cytoien évêque,
à Bordeaux ^ »
Citoyen, je vous envois l'extrait du procès-verbal de mon élection
à la cure d'Anglade; vous voudrez bien m'envoyer l'institution caim-
nique, afTm que je puisse prendre possession tout de suit le. Adressez
moi aussi le Bis'j; il est bien nécessaire dans une paroisse, qui a\ail
toujours coutume d'avoir deux messes, et surtout en ce moment, nù
le peuple des paroisses voisines, Saint-Louis, Eran, Saint-. \ndroni ".
privés de pasteurs, affluent à Anglade. Je suis très cordialement
votre frère et ami.
Gravier, curé d.Vnglade.
.\ Anglade. le 1 t décembre 170-2.
11 reçut satist'aclion cimi jouis phis tard, l'I s'installa aussitôt
dans son nouveau |)0ste. .Malheureusement pour lui, il ne devait pas
y trouver les avantages qu'il espérait. Au.>.-i ne tarda-t-il pas à se
1. Arch. de la fiibritiue du Barp.
•-'. Actuelleinenl département de la Ilaute-N'ienno.
3. Commune de la Gironde, canton de Saiul-Ciers-sur-Gironde, firrondiïiscmriil d<'
Blaye.
4. Commune de la Gironde, mi^me canton que Pleineselve.
îi. Arcli. dioc. de Hordeaux. Fonds moderne.
6. ,\brévialion pour lli.s in (tic : deux fois dans le jour. C'est lu permission de célébrer
la messe deux fois le dinianclie.
7. Ce sont trois localités de l'arrondissement de Ulaye : Saint-Louis (conunune de
Braud) et F.yrans, dans le canton de Saint-Ciers-sur-CJironde; Saint-.\ndrony, dans
le canton de Blave.
3o A TRAVERS LE SCHISME CONSTiTUTIONNEL EN GlhONbE
dégoûter de sa paroisse et le 28 septembre 1793, de Blayc où il se
trouvait alors, il écrivit à Desaubiers, procureur de la commune
d'Anglade, la lettre suivante :
Citoyen, ayant été depuis huit jours retenu au lit par une attaque
de goutte qui m'a fait beaucoup souffrir, je n'ai pu me rendre diman-
che dernier. Aujourd'huy je mv porte un peu mieux et j'en profTite
pour vous dire que, d'après les propos malhonnêtes qu'on tient sur
mon compte ou qu'on m'a rapporté, vous vous procuriez un curé
qui ait le don de vous plaire. Quant à moi je ne scache point avoir
offensé personne. J'aurois désiré être plus sédentaire; mais comme
je n'ai point de maison montée et que je n'éprouve que des désagré-
mens, je profTite de la liberté dont nous jouissons pour me mettre à
mon aise.
Je vous prie de m'envoyer mes effets qui consistent en une chenille
noire, une culotte et quelques autres bagatelles. Ils sont dans les
deux côtés de la grande armoire de la chambre commune, et la clef
que je vous envoyé les ouvre. Vous y trouverez aussi deux autres
clefs qui ouvrent le haut et le bas de l'armoire de la salle qui joint
la cuisine.
Si Fanchon s'imagine avoir quelque chose à réclamer parce que
j'ai couché chez elle, vous lui raj)p(!llerez qu'elle sest servi de la
maison curiale, et que sa jument et ses vaches y ont couché. De plus,
la maison curiale m'appartcnant incontestablement pendant mon
séjour à Anglade, la municipalité me doit le loyer de la chambre
(fu'elle a occuppé, et je la prie d'employer cette somme à rendre
Fanchon satisfaite. Je compte, citoyen, sur votre justice à cet égard.
Je suis très paternellement tout à vous.
Gravie».
A peu près vers la même époque, M. Gravier abdiqua la prêtrise
et se qualifia désormais : ex-prêlre. Il se retira alors quelque temps
à Mirambeau, fut ensuite instituteur à Boisredon ^; puis le 29 floréal
an III (18 mai 1795), il vint se fixera Bordeaux, « rue André n» 116 »2.
Il n'y resta pourtant pas longtemps, les circonstances lui ayant permis
de s'établir ministre du culte aux Chezeaux, sa paroisse natale ^
Sans doute, ne dut -il pas s'y plaire, car il abandonna bientôt
cette cure pour celle de Chaillac, au département de l'Indre. Chail-
lac, d'ailleurs, ne le fixa pas davantage, et il finit en mai 1798 par
échouer au Barp ^, oîi il resta jusqu'en 1801.
1. Ces deux communes appartiennent au département de la Charente-hiférieure.
•Z. Arch. dép. de la Gironde, L 1107.
3. Arch. dép. de la Gironde, L 1095.
4. Arch. mun. de Belin. Un passeport nous donne le signalement suivant de M. Gra-
vier à cette époque : « Taille 4 pieds 11 pouces 1/2, cheveux gris, sourcils châtains,
yeux gris, nez long et gros, bouche moyenne, menton rond, front large et le visage
ovale. » Arch. dép. de la Gironde, L 1953.
A ThAVKhS I.F. SCmSMK COMSriTrTIONNKI. EN GIRONMK .Si
Le 2lj riuctidor an \ 1 ('J .scptrmlirt' 17'J<S), il lit pruccdfi- a l'i-lfi-
lion de nouveaux fabri(iueurs. On d(^><igna pour cette; ch.ut,'»-
Jérôme l 'arriet et Jean Ballion; puis on examina les comptes d'An-
toine Dubourg, (jui avait administré les revenus de la paroisse p«'i;-
dant l'année écoulée.
L'église n'était guère fréquentée, sembic-t-il, car les recettes du
labriqueur s'élevaient à peine à la somme de 47 francs et 19 sou.".
Il fallut en dt'duire 37 francs et 4 sous de dépenses, en sortr que
Dubourg remit à son successeur 10 francs et 15 sous.
L'année suivante, le 15 fructidor au \'II (1^"" septembre 17*J9j,
un élut pour fabriqueurs Jean Ballion et Pierre Dubernet, dit
Pierre Déjean. Vinrent ensuite : le 15 vendémiaire an IX (7 octobre
1800), Pierre Dubernet et Antoine Barrière; le 7 prairial an \
(27 mai 1802), Antoine Barrière et Pierrille Dubernet; le 27 ;_'• i-
uiinal au XT (17 avril 1803), Pierrille Dubernet '.
Au nu)ment où Mgr d'Aviau arriva à Bordeaux, M. Gravier était
euré de Saint-Julien 2. Il se soumit au nouvel archevêque, rétracta
ï>es erreurs et signa, ainsi que M. Marcourt, son prédécesseur, la
déclaration suivante, qui avait été concertée entre les autorités
religieuses et civiles : « J'adhère au Concordat et je suis dan< la
communion de mon évêque, nommé par le premier Consul et ins-
titué par le Pape. » Cet acte de soumission fut-il sincère? Il est
possible d'en douter, car le caractère, les mœurs et les idées de
M. Gravier donnaient lieu à de très sérieuses suspicions. En tout
cas, les adiuiuistrateurs diocésains, nommés par Mgr d"A\iau,
jugeaient très sévèrement l'ancien intrus du Barp, « En 1790, décla-
rent-ils, nous le mandâmes à la Congrégation, pour savoir di- lui
si un livre qui rouroit contre le célibat des prêtres, et sous son nom,
étoit réellement de lui. Il en conviul et soutint la thèse devant nous,
assez mal à la vérité, et se retira fort content de lui-même, malgré
nos anathèmes. 11 nous assura cependant qu'il ne compttoit i)as se
marier et que même il n'avoit jamais permis à sa servante de coucher
sous le même toit ([ue lui.
" J'oubliois de dire que, déguisé eu meunier, il alloil dan-; tous
les marchés du Blayais et des parties voisines de la Saintonge pour
colporter son ouvrage.
"Malgré cette grande délicatesse de mœurs qu'il alTecla devant
h Arcli. ilf la r;iliii<|ii»' "lu H;iip.
•2, e.oniiiuine ilu raiitou de l'auillac, an'oiidi^-dciuutil Je Lt.'i*parrci
Ô-2 A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
nous, son frère, intrus de Vignac en Buch-et-Born ^, m'assuroit
l'autre jour qu'il étoit marié et que la femme étoit en Berry 2. «
La déclaration de soumission à Mgr d'Aviau, signée par M. Gra-
vier et M. Marcourt, le fut aussi par un prêtre du diocèse de Saint-
Flour ^, nommé Contrastin, qui, à l'occasion de cet acte, se qualifie :
curé du Barp. A ce moment, en effet, M. Contrastin desservait la
paroisse. Malgré son adhésion au Concordat, c'était un fort triste
sire. Voici ce qu'en dit le maire du Barp : « Ce prêtre se plaça dans
cette commune, dans le mois de novembre dernier. Un particulier,
qui vouloit marier une fille, le rencontra par hasard du côté de Bor-
deaux et se l'amena pour faire le mariage. Il s'établit comme cela
dans la commune. J'oublia de lui demender pour lors son passe-
port, et il ne m'a pas été possible de le voir du depuis. Ce prêtre est
natif, à ce que j'ai pu découvrir, du côté d'Aurillac *. Il y a près
de deux ans qu'il fut desservir la commune de Saucats^; mais
comme le peuple ne lui donnoit pas toute sa confiance, il se mit
marchand de laine, et erra de côté et d'autre jusqu'à son entrée
ici. Au reste, cet un homme qui n'a pas de caractère. Tantôt, il dit
qu'il n'a pas fait le serment, qu'il n'a jamais connu pour évêques,
ni Pacarreau, ni Lacombe; une autre fois, il dira mille invectives
contre les prêtres qui n'ont pas fait le serment. Et pour débiter
tous ces discours, il va trouver les pauvres paysans, ou bien, les jours
de fête, il yra dans les auberges où, après avoir bu quelque coup, il
fera les harangues à sa manière, traitant d'aristocrates tous ceux
qui ne veulent pas aller à sa messe; et ayant été, dans ces auberges,
jusqu'à à en prendre un au collet pour se faire donner de l'argent.
Les paysans lui ont reproché qu'on ne le voyoit pas, comme aux
autres prêtres, un livre à la main pour dire son oiïice, et qu'au
contraire il étoit toujours dans les auberges; il répond que, depuis
la Révolution, on n'est plus obligé de prier Dieu, parce qu'on n'a
plus la dîme. Il ne ce fait pas non plus de scrupule de faire gras les
jours maigres. Il dit que tous les prêtres qui n'avoient pas prêté
le serment seront renfermés dans cinq couvents en Suisse; et qu'il
1. vignac, désigné, dans une liève du xiii" siècle, sous le nom de Sanclus
Murlinus de Aubinhac (Arch. hist. de la Gironde, t. XLIV, p. 5), n'est autre que
Lévignac, commune des Landes, arr. de Dax, cent, de Castets. Il se trouvait dan
l'archiprètré de Born.
2. Arch. dior. de Bordeaux. Fonds moderne. Nous y avons également puisé tous les
documents qui suivent, sauf un que nous signalerons.
3. Ciief-lieu d'arrondissement du Cantal.
4. Chef-lieu du Cantal.
5. Commune de la Gironde, canton de La Brède, arrondissement de Bordeaux.
1
V TRAVERS LE SCHISME CONSTITI TtONNEI. IN (imO>J)E 33
ni auia (|Ut' lui et ses pareils de placo dans le.-, paroisses. Xnilà,
Monsieur, ce que je puis vous dire au sujet de Contrastin, le pn-fre
de cette commune \ »
La conduite de ce pasteur indigne occasionna bientôt un scandale
permanent tel, que plusieurs paroissiens du Barp adressèrent à
larchevêque de Bordeaux, en date du 27 pluviôse an XI (16 février
1803), une pétition où ils disaient entre autres choses :
Li- prêtre Contrastin ne cesse par la jdns dégoulaiilf crapule de
1rs scandalist-r. IlaidluelicnuMiL dans les cabarets, il mêle au délire
de l'ivresse les propos les plus indécents; c'est dans cet état qu'on
le \ il encore dernièrement venir à Téglise pour clianU'r les vêpres,
où à peine pouvoil-il se soutenir. Il l'ut dernièrement à Biganos (tù
<i^ l'aisoit la l'êlc localle, et là, après s'être rempli de vin avec un autre
uiauNais Jeune prêtre qu'il y a là, ils ont tenu les pro|»os les pln>
scandaleux sur la chasteté; au point que des personnes, qui éldiml
présentes, en rougissoient et ont déclaré ne vouloir plus assistei- à
sa messe. Au mépris des loix de l'Église, il mangera du gras les jours
maigres: il en demande même, si on n'a pas autre chose à lui donner.
De même lorsqu'il y a quehjue mariage à l'aire dans les communes
voisines, où les parties n'ont pas l'ait leur première communion, il>
\ iriiiii'iit s'adresser à lui |M)ur avoir, disent-ils, plutôt fini, soit |tour
la eoiiiinunion, soit pour le mariage (jn'il l'ail même quelquefois sans
(|ue les |)arLies se soient confessées.
Finalement, les pétitionnaires demandaient à l'archevêque de
«taire cesser un scandale si révoltant», en jetant l'interdit >iir
Contrastin.
Le lendemain, 17 février, Mgr d'Aviau prononça l'inleidiL demandé
se basant :
1» Sur les mauvaises mœurs de Contrastin;
2'' Sur ce fait qu'il avait exercé les fonctions ecclésiastiques sans
avoir reçu des pouvoirs de l'ordinaire.
Le maire du Barp, qui avait été chargé de notifier au malheureux
prêtre la censure portée contre lui, lentiit compte de sa missidn.
le 25 février, dans les termes suivaids: «(Au reçu de l'interdil,
M. Contrastin) s'est privé de faire aucune fonction ecclésiasti(pie;
mais il a harangué le peuple sur la place publique en leur disant
que M^ l'Archevêque l'empêchoit dédire la messe; mais qu'il fairoil
une pétition qu'il les prieroit de signer, - ce qu'il a t'ait, - - et
((u'ensuite il procéderait contre Monsieur et contre ceux qui l'avoit
accusé devant lui. De sorte ipi il n'a j)as manqué de réunir ses par-
1. r.ellf lettre est adressée à M. Uflapoilc, rue «lu Cliapeau-Hou'jii». n" "îo. ;« P.ordcaux.
3
u
k TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
lisants qui ne sont que malheureusement en trop grand nombre
pour signer cette dite pétition. Il fait espérer ces partisans que son
interdit sera levé dimanche prochain, et qu'il leur dira encore la
inesse. » Le maire ajoutait enfin qu'il avait réclamé à M. Gontrastin
la clef de la sacristie, mais que celui-ci avait formellement refusé
de la lui livrer. '
L'embryon de résistance, essayé par l'intrus du Barp, ne pouvait
évidemment aboutir. M, Gontrastin s'en rendit vite compte, et il
partit.
La paroisse, ainsi débarrassée d'un mauvais prêtre, attendit
quelques mois, puis on lui donna pour curé M. Antoine Gachet^;
mais cet ecclésiastique refusa le poste qu'on lui offrait. L'adminis-
tration diocésaine procéda alors à une seconde nomination et, par
acte du 20 octobre 1803, elle désigna comme curé du Barp M. Joseph
Alexandre de Gauran, ancien curé de Trasits et Gajac ^.
Le nouveau pasteur était né le 23 novembre 1758. Il était donc
âgé de 45 ans au moment où il arriva au Barp. Solennellement ins-
tallé par M. Sabès, curé de Belin, le 21 octobre 1803, il prit aussitôt en
mains l'administration de sa paroisse. Le 8 avril 1804, « Guillaume
Lafourcadc, administrateur, nommé par le gouvernement ecclésias-
tique pour administrer l'église de la dite commune, qui entre aujour-
d'huy en fonctions, en qualité de trésorier de la dite église », reçut
le compte de la gestion de Pierre Dubernet, dernier fabriqueur ^.
La paroisse du Barp était définitivement reconstituée. Quatorze
bons prêtres allaient faire oublier les scandales accumulés par les
malheureux schismatiques leurs prédécesseurs *.
f III. — Salles.
La paroisse Saint-Pierre de Salles faisait partie du diocèse de
Bordeaux, et était située dans l'archiprêtré de Buch-et-Born.
Éi'igée eu vicairie perpétuelle le 13 mai 1626, avec M. Dominique
\. AiiLoiiu' (iaiht'l, né W. 2 août 17GÔ, fui iioiiuné v icuire de Mlaye. Tian^iféré à Caïuiraa
le !'•'■ avril l!S07, il inoiinit à Gironde le 17 iiovenilne 1S-2S. {Secrélnrial de rarrhcnêrli''.)
2. Trasils e>>t loujouis une annexe de Gajac. Gajac est une commune des canlon
cl arrondissement de Bazas.
3. Arch. de la Fabrique du Barp.
4. Ce sont: MM. de Gauran, 1803-1810; Girard, 1811-1817: Peynaud, curé de Béliet,
intérimaire, 1817-1818; Charles-Bernard Chatinel, 1819-1829; Jean-Guillaume-Alexis
Ferran, 1829-1834; Champagnac, 1834; Fr. Giresse, 1834-1840; Salabert, intérimaire,
1840; Lavigne, 1840-1854; Pierre-Marie Rousset, 1854-1856; Macaire Suberville, 1856-
1874; Jean-Henri Lapeyre, 1874-1902; Gabriel-Jean Salles, 1902.
A lUWKHS l.t SGMI>MK CO.NSTITUTIOM.NEL EN GIHOMIE .S.)
liichard i)nur pioniicr <iiré \ elle dépendait du pricuiv d<-
Belin ■'.
I /église ne se distinguait par rien de reinarquahle. Elle a, d'ailleur-,
lait place, au milieu du xi-x*-' siècle, à une église neuve, très bellf
certes, mais gâtée par le_mélange inattendu du style grec ^ et du
style ogival.
En 1789, Saint-Pierre de Salles possédait, comme curé, uii prêtre
du diocèse de Bordeaux, nommé Joseph Gornillot.
M. Gornillot occupait le poste de vicaire à Lansac ■* quand, sur
la lin d'avril 1769^, l'administration diocésaine le transféra à
Salles, en remplacement de M. Gausse qui venait de mourir ^ Le
nouveau pasteur était un brave homme, conscient de ses devoirs
t't désireux de les accomplir tous. Il prit possession oiïicielle de son
j)ostele l^'" mai 1769 '; puis il se consacra au soin des âmes avec un
zèle si paternel qu'en 1791 il possédait l'estime, l'affection même de
tous ses paroissiens, ou à peu près. Rien n'avait jamais assombri
l'honorabilité de sa vie pastorale. Par malheur, les bouleversements
révolutionnaires, secouant à l'improviste cette calme existence
de prêtre, allaient la modifier du tout au tout.
Lorsque les fantaisies législatives de l'Assemblée nationale accu-
lèrent le clergé au schisme, M. Gornillot, vieillard affaibli par l'âge,
avait soixahte-dix-sept ans. De plus, il était malade. Aussi, quand
1. Arch. dioc. de Bordeaux, p. 19; Registre des collations, p. 129. M. Richard, pré-
cédemment vicaire amovible de Béliet (de 1613 à 1626), fut inhumé dans l'église de
Salles le 2-1 mai 1639.
2. En 1766, le piieurù de Belin ayant été supiirimé et ses biens réunis à la mense
du Séminaire Saint-Raphaël de Bordeaux, l'archevêque en profita pour insérer dans
l'acte d'union une clause par laquelle il se réservait le droit de collation. Quant au
titre de curé primitif, il passa naturellement au supérieur du Séminaire.
3. Est-ce même du «rrec?
•l. Commune de la Gironde, canton de Bourg, arrondissement de Blaye.
5. Le registre des collations qui nous donnerait la date de son instiluLion canonique
est perdu. .
6. Charles-Joseph -tausse, • prêtre et chanoine de Saint-Georsres de Rex, diocèze de
.Nantes ', prit o possession civille de la cure de Salles » le 27 avril 1730 (acte de Précy,
notaire à Salles); mais il ne reçut, sans doute, linslilution canonique que bien plus tard,
car il retarda sa prise de possession définitive et son installation jusqu'au 27 février 1731
(Arch. dép. de la Gironde; contrôle des actes de Belin). — M. Causse él<iit né à Gon-
drccourt-le-Chàteau, diocèse de Toul, vers 1696. Toujoui-s est-il qu'on 1731 il se disait
{^!,'é de trente-cinq ans environ (Arch. dioc. de Bordeaux, L 17). Son séjour à Salli-s
le lit estimer de ses confrères. Un en trouve une preuve tlans ce fait que les prêtres du
district auquel il appartenait, réunis à Lanlon, le choisirent pour leur délégué aux
assemblées du bureau diocésain (Arch. mun. de Lanton, reg. |iaroissiaux), et aussi dans
• et autre fait qu'au moment de sa mort il exerçait la charge de vicaire forain de la
troisième congrégation de Bu<h-et-Born (Arch. mun. de Salles, reg. paroissiaux). Le
21 avril 17G9, il permuta son bénéfice avec .M. (iontié, vicaire perpétuel d'Audenge; et
celui-ci prit possession de Salles le surlendemain de cet arrangenienl, 23 avril (ArcJ».
dép. de la Gironclc, contrôle des actes de Belin). .Mais, à ce moment même, .M. CaU5.sc
venait de mourir. On l'inhuma le 24 avril (.\rch. mun. de Salles, reg. paroissiaux) et
la permutation qu'il avait réglée avec M. Gonliê ne sortit pas son ertet.
7. .\rch. dép. de la Gironde. Contrôle des actes de Bciin.
36 A TRAVERS LE S'iHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
il fallut résister aux entreprises du pouvoir civil, il ne trouva pas
en son âme débilitée la force nécessaire, et dès qu'on le lui demanda,
il prêta serment à la Constitution civile du Clergé ^
On l'inscrivit alors sur les registres du fisc pour un traitement
annuel de 2,000 livres; mais il trouva cette somme insuffisante,
aussi intrigua- t-il tant et si bien qu'il finit par obtenir 2,400 livres ^.
Ce ne fut pourtant pas sans difficulté qu'on lui accorda une telle
augmentation. Il dut, pour gagner sa cause, adresser lettres sur
lettres à l'Administration départementale; mais qu'importait à
M. Cornillot? Son obstination ne recula devant aucune démarche.
Il alla même jusqu'à accuser les officiers municipaux de Salles
d'avoir opéré un recensement de la population volontairement
inexact et de beaucoup inférieur au nombre réel des habitants.
Comme conclusion pratique, il s'offrait pour procéder lui-même à
une seconde opération plus sérieuse que la première. Au surplus,
on ne pouvait guère lui reprocher de réclamer ce contrôle, car le
traitement des curés était basé, entre autres choses, sur le nombre
de leurs paroissiens^.
Fit-on le nouveau recensement ou non? peu importe. Toujours
est-il que M. Cornillot reçut le supplément de pension qu'il désirait.
Ce pauvre homme mourut le 22 avril 1792. On l'inhuma le lende-
main dans l'église. A ses obsèques, présidées par M. Anglade, curé
du Barp, assistèrent aussi, outre le vicaire, MM. François Castéra,
curé du Teich, et Félix Fabre, curé de Mios *.
M. Cornillot eut pour successeur à la cure de Salles, son vicaire,
M. Jean Laforcade, qui prit possession de la paroisse dès le l^i" mai.
Ce prêtre était originaire des Hautes-Pyrénées. Il était fils d'Antoine
Laforcade, cultivateur, et de Jeanne Désis ^
Ce nouveau curé n'exerça pas longtemps ses fonctions. Le 18 fri-
maire an II (8 décembre 1793), il abdiqua la prêtrise et vécut en
simple particulier ^ Quelques jours plus tard, le 24 pluviôse an II
(12 février 1794), il se fit élire officier de l'état civil ''; puis entré
ainsi parmi les dirigeants locaux, il essaya de s'établir à Salles d'une
1. Son vicaire, M. Fabre, prêta serment lui aussi et fut, quelques jours après, élu
curé de Montferrand.
2. Arcli. dép. de la Gironde, L 1098.
3. Arch. dép. de la Gironde, G 988.
4. Arcli. niun. de Salles. Reg. paroissiaux. M. François Castéra était né à Bordeaux
le 4 octobre 1737. Au rétablissement du culte, on le nomma curé de Saint-Médard-de»
Guizière, d'où on le transféra à Sigalens. (Secrétariat de l'Archevêché.)
5. Minutes de M'' Hosten, notaire à Belin, Fonds Lafilte.
6. Arch. dép. de la Gironde, L 1438.
7. Arch. mun. de Salles.
A TRAVERS LE SCHISME CONS l ITIJTIONXEL EN GIMOM)E 87
f;icuii définitive, en épousant hik- jtum' lillc dt- l:i iiihiiiiuih'. l);ins i'<-
liiil. il se présenta devant l»- nntairc de Belin, le G {germinal ;iri II
(26 mars 1794), et passa contrat avec « Marie Saint-Iiiiière, liahi-
lante de Salles, fille iégitini»' d'Arnaud Saint-Hillère et de fue Mar-
iruerite Caupos, procédant comme majeure et maîtresse de ses <lroits.
néanmoins du consentement de son dit père, présent». La liif\i;<-
apportait en dot les droits de sa mère, évalués 250 livres. M. Saint-
llilaire promettait en outre de donner aux nouveaux époux
100 livres de pension alimentaire par an ^.
Tout paraissait donc aller au mieux pour les désirs du pivfir
apostat quand brusquement le mariage projeté fut rompu. Cet ail
un coup terrible pour M. Laforcade; aussi, le 11 prairial an II
30 mai 1794), vendit-il ses meubles et une petite prairie qu'il possé-
dait à Salles-; ensuite, il disparut du pays. Après la Terreur, il
trouva intérêt à se rappeler qu'il était prêtre et s'établit « ministre
(lu rnlte, du côté de Soustons », dans les Landes ^
M. Laforcade recevait de l'État une pension annuelle de 2,000
livres •*. .
Durant son court pasLuial. il a\ait été aidé dans 1(^ ministère
par un ancien religieux bénédictin de Bordeaux, Jacques-Philippe
Bruguièrc. Né à Conques, diocèse de Carcassonne, le 21 octobre
1725. M. Bruguière avait été admis à la profession solennelle le
30 août 1744, dans l'église abbatiale de Sainte-Croix ^ Passé au
>chisme aux débuts de la Révolution, il se fit d'abord nommer
curé de Ludon; puis le l'''" mai 1792 il vint se fixer à Salles^. 11 y
resta pendant tout le temps de la Terreur; puis, dès que la chute rie
liobespierre eut rendu un peu de liberté aux consciences, il com-
mença à y exercer le ininistère pastoral. Sa pension, bien inférieure
à celle de ses prédécesseurs, ne (h'-passait pas mille livres par an ".
^A ce moment, il ne restait à peu près plus a\i(un bien d'hglise
dans la paroisse. On avait aliéné aux enchères publiques :
Le 16 prairial an II (4 juin 1794), un pré de la contenance de 1 jour-
nal 5 règes 10 carreaux, au lieu appelé Badet, appartenant à la
fabrique, adjugé à Pierre Menesplier cadet, cultivateur, et Pierre
Mano, tous les deux de Salles, pour la somme de 10.100 li\ies;
l. Minutes de M" Hosten, notaire à Belin. Fonds Lafltte.
'2. Minutes de M" Eymery, nol;iire i\ Salles.
3. Arcli. dép. de l;i (.iionde, L 19.")3.
4. Arcli. dép. de la Gironde, L 1441. '
Là. Arch. dép. de la Gironde, L 1583.
L 6. Arrh. dép. de la Gironde, L 109.5. " .
7. Arch. dép. de la Gironde, L UOO. j ■'?
38 A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
Le même jour, une vigne de la contenance de 2 journaux, atte-
nante à la cure et appartenant à la fabrique, achetée pour 7,000 livres
par Pierre Menesplier cadet et la veuve Française Dupuch, sa belle-
mère, demeurant tous deux à Salles i;
Le 30 thermidor an II (17 août 1794), 56 livres de laine appar-
tenant à la fabrique, moyennant 49 livres 19 sous 2 deniers;
Le 7 frimaire an III (27 novembre 1794), des brebis, des chèvres
et des abeilles, appartenant à la fabrique, au prix de 2,443 livres
10 sous 2;
Le 12 ventôse an III (2 mars 1795), le mobilier de l'église, qui
fut payé 1,281 livres 15 sous ^;
Le 21 germinal an III (10 avril 1795), un pré, appartenant à la
fabrique, adjugé à Lafourcade, moyennant 2,600 livres-*;
Le 21 messidor an IV (9 juillet 1796), le presbytère vendu à
Arnaud Gazauvieilh pour 4,320 francs;
Le même jour, une lande appartenant à la fabrique, vendue à
Dupuch-Lapointe pour 3,300 francs^;
Le 24 messidor an IV (12 juillet 1796), le pré de Camelave, appar-
tenant à la fabrique, acheté par Saint-Hilaire fils, de Salles, moyen-
nant 137 francs 50 centimes ^;
La veille, 23 messidor anIV (11 juillet 1796), on avait également
mis en vente 550 journaux de lande, appartenant à l'ordre de
Malte '^, et estimés 3,300 livres.
Enfin le 8 germinal an III (28 mars 1795), l'administration avait,
en attendant de pouvoir les vendre, affermé pour trois ans :
1» Certains biens, appartenant à la cure, loués à Jérôme Lafage,
de Salles, moyennant 101 livres par an;
2° Certains biens, appartenant à la fabrique, loués à Etienne
Bédouret, de Salles, moyennant 80 livres par an ^
M. Bruguière, nous l'avons dit, avait repris les fonctions de curé
1. Arch. dép. de la Gironde, Q 444.
2. Arch. dép. de la Gironde. Contrôle des actes de Belin.
3. Arch. dép. de la Gironde, Q 848. J
4. Arch. dép. de la Gironde, Q. Reç. des ventes.
5. Arch. dép. de la Gironde, Q 698.
6. Arch. dép. de la Gironde, O 698.
7. Les Chevaliers de Malte ou Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem étaient des
religieux militaires institués au début du xii= siècle par un gentilhomme provençal,
le bienheureux Gérard. Ils portaient un vêtement noir orné, sur la poitrine, d'une croix
blanche en linge terminée par huit pointes. Cet ordre, supprimé par Bonaparte, existe
encore au point de vue honorifique. L'insigne est une croix d'or à huit pointes, émaillée
de blanc. Les Chevaliers de Malte possédaient divers biens dans Salles, en particulier
une chapelle à Bilos; et ils percevaient une partie de la grosse dîme (300 fivres au
xviii= siècle).
8. Arch. dép. de la Gironde. Contrôle des actes de Belin,
A rUAVEHS I.E SCHISME CONgTlTtTIONNEL EN GmONDE .{9
dès quo la fin de la Terreur rendit la chose possible ^ Il ne Larda jtas
tependont à se voir troubler dans la possession de sa cure. Une
lettre que l'administration municipale de Salles adressa le 13 plu-
viôse an IV (2 février 1796) au citoyen Maugeret, commissaire du
Directoire exécutif de la Gironde, raconte ainsi les faits :
Lorsque, pur la loi du 11 prairial an III (30 mai 1795), les églises
lurent remises aux communes, celle de Salles voulut un ministre.
Le citoyen Bellard, ci di'v;m( curé de Lugo, de Ludon, du Por^'c i-l
Kéliet, s'étoit retiré daii> iim piLite maison qu'il possède à Salles cl
ou il scait marié. Étant procureur de la commune, il voulut, malf.Ti''
son vœu presque général, en exercer les fonctions. Les tiabitans si
opposèrent; mais inutillement. Bellard persista et le trouble contirni:i
au point que les femmes le déshabillèrent dans l'église à trois reprise^,
et qu'enfin tous l'empêchèrent, le 13 vendémiaire dernier (4 octoJ»re
1795), de faire aucune cérémonie dans l'église, parce qu'il étoit marié,
et que les fonctions du culte catholique devoit lui être interdit.
La lettre continue en exposant que la commune a choisi pour
curé le citoyen Bruguière dont on est très content et qui « se com-
porte bien». Malgré cela, ajoutent les administrateurs, Bellard a
insisté pour qu'on lui assigne une heure où il ait la liberté de célé-
brer la Sainte-Messe dans l'église. Dans un but de concorde, l'agent
municipal lui a fixé neuf heures; mais les troubles ont recommencé
aussitôt avec plus de violence, et il en sera ainsi tant que' l'ancien
curé de Béliet s'obstinera à vouloir monter à l'autel. Or, il paraîl
vouloir s'entêter dans ce dessein, car, disent les municipaux, en ter-
minant : « à présent, il nous demande les clefs de la sacristie que la
commune a en son pouvoir 2. »
M. Bruguière finit poutant par l'emporter et resta seul pour
assurer l'exercice du culte à Salles^. Le service divin s'y célébrait
d'ailleurs d'une façon encore bien humiliée. En effet, le 13 prairial
an V (l^r juin 1797), l'Assemblée primaire du canton, réunie à
Belin, est officiellement saisie d'une plainte contre certains citoyens
de Salles qui, au mépris des lois, ont fait sonner les cloches pour
annoncer les cérémonies du culte. C'est là, déclare le Commissaire
du directoire exécutif de Belin, un fait déplorable, à l'occasion
1. Un passeport du 25 messidor .m NI (13 juillet 1798) nous donne le signalenn-iit
>uivant de M. Brut^uière : « Taille h pieds 3 pouces, \isage ovale, yeux gris, nez trros,
bouche moyenne, menton rond, front ordinaire, cheveux gris et sourcils de mCme. •
(.\rch. dép. de la Gironde, L 1953.)
2. Arch. dép. de la Gironde, L 2084.
3. Nous avons lonçuemeni rnronlé ces troubles, ainsi que la vie de M. P.ellard. »lnns
notre ouvrage: Dvu.r Paroisses rie l'ancien lem[>s, p. 314-321,
40 A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
duquel « un canton, qui s'étoit toujours distingué par son respect
et son obéissance aux loix, se voit à la veille de perdre la considé-
ration dont il jouit, à bon droit, auprès des authorités supérieures ».
Pour éviter un tel malheur, l'Assemblée proteste contre les agisse-
ments coupables dont elle est saisie et fait défense formelle de les
renouveler à l'avenir ^
M. Bruguière mourut à Salles le 25 prairial an X (14 juin 1802).
Par son testament, il instituait sa servante héritière de tout ce qu'il
possédait 2.
Le 21 thermidor suivant (9 août 1802), M. Plantey, maire de
Salles, écrivit à l'archevêque de Bordeaux pour lui demander un
curé. On ne put, tout d'abord, donner satisfaction à ce désir; mais
au bout d'un certain temps, l'administration diocésaine désigna
M. Joseph Boyer ^ pour desservir la paroisse. Ce prêtre s'acquitta
de son ministère à la satisfaction de tous; il sut se faire estimer à
tel point que la municipalité crut devoir le demander pour curé.
Malheureusement, les circonstances ne permirent pas à Mgr d'Aviau
d'accéder à cette prière *.
En janvier 1804, pourtant. Salles reçut un pasteur en la personne
de M. Joseph Garnier; mais cet ecclésiastique ne fit que passer
dans la paroisse où il resta à peine jusqu'au mois de juillet ^
Après son départ, M. de Gauran, curé du Barp, et M. Morisset ^
assurèrent l'exercice du service divin; puis, le 25 juin 1805, M. Boby
fut enfin nommé curé de Salles ^.
Jean-Marie Boby, né à Mont-de-Marsan le 31 août 1748, était
entré, jeune encore, chez les Cordeliers de Bordeaux, où il devait,
un jour, faire profession de la vie religieuse. Quand la Révolution
éclata, il desservait depuis plusieurs années le Dépôt de mendicité.
Il semble bien qu'à ce moment, il se laissa aller à prêter serment
à la Constitution civile du Clergé \ Dans tous les cas, il se rétracta
1. Arch. muii. de Beliii.
2. Acte de Larauza, notaire à Salles, enregistré à Belin le 27 prairial an X.
3. M. Joseph Boyer était né le 20 avril 1769. Nommé vicaire à Saint-Martial de
Bordeaux au rétablissement du culte, il obtint la cure de Saint-Macaire le f juillet 1814,
où il mourut le 23 juillet 1840 (Secrétariat de l'Archevêché).
4. Arch. dioc. modernes.
5. M. Garnier fut alors nommé curé de Bassens. Transféré à Savignac-d'Auros le
1" juillet 1807, puis à Saint-Christoly-en-Médoc le 1" août 1810, il mourut le 20 juin
1820 (Secrétariat de l'Archevêché).
6. Registre de catholicité de Salles. Jacques-Julien Morisset, né le 7 juin 1756, obtint
la cure de Margaux le 3 juillet 1805. Il finit par quitter le diocèse (Secrétariat de l'Ar-
chevêché).
7. Arch. diocésaines modernes.
8. .\rch. dép. de la Gironde, L 1437,
A THAVEHS I.E SCHISME CONSTITI rio\\ri. IN (.lIliiM'l (1
vite; et se mit à lu disposilinn de révétiuc IrgiUinc, dès que rel
acte de dévouement lui lut possible. En avril 1<S03, M. de Laporte,
vicaire général de Bordeaux, l'envoya adininislrer la paroisse <lu
l'aillan ^ C'est de là qu'on le transféra à Salles, où M. Sabès, i-uré
de Belin, l'installa solennellement le û juillet 180rj.
presque aussitôt après sa prise de possession, M. Bohy "ul (|ml-
ques dinicultés assez désagréables avec ses paroissiens, au sujcl
de sa subsistance. Les revenus du pauvre curé w sulîisaient pas,
il s'en fallait de beaucoup ;i \v. faire vivre; et la municipalit»- (|iii
s'était engagée, pour obtenir un prêtre, à fournir le suppléniciil
nécessaire, se refusait maintenant à tenir ses promesses. M. I {«>!•>
se trouvait donc pris dans une situation des plus pénibles. Irrité
par la mauvaise foi des dirigeants locaux, énervé par l'insoucianr»'
de ses fidèles qui le laissaient se tirer d'affaire comme il pouvait,
pressé d'ailleurs par le besoin, il finit jiar prt'nrirc une di-cision
radicale. Un jour donc, après de longues démarches inutiles et des
instances en vain répétées, il s'adressa officiellement aux habitants
de Salles, du haut de la chaire, leur déclarant « que, vu leur mau-
vaise volonté à lui fournir un traitement bonnette, il se retiroit ».
Eût-il agi comme il le disait? C'est bien possible. Par bonheur on
ne tarda pas à trouver un terrain d'entente. Le curé qui, somme
toute, ne se déplaisait pas trop dans sa paroisse, passa sur quelques-
unes de ses prétentions primitives; ses ouailles, de leur côté, se
décidèrent à faire quelque chose pour lui, et en fin de compte,
M. Boby demeura à Salles jusqu'aux derniers mois de 1820 -.
(A suivre.) Abbé Albert G.VILLAUD.
1. «Commune de la Gironde, canton de Blanqut-forl, arrondissement de Bordeaux.
2. Voit i le nom de ses successeurs à Salles : MM. Mesurel. 1K20-18-23; d'olivau, \Hi'i\
Bernard Salle-, 1S'23-18.Ô8; Hubert, 1858-1804; Autusle-Osmin Abadie, 18i;.4-lMSit;
Pierre-Isnel Tribolet, 18S9-1V»10; Kutrène Douât, l'.UU.
LA PRISE DU CORSAIRE DE JERSEY LA "MOLLY"
(6 AVRIL 1767)
L'histoire maritime de Bordeaux abonde en brillants épisodes.
L'un des plus connus est la prise du corsaire de Jersey la Molly
par la frégate la Comiesse-de-Noailles, que mentionne la Gazelle
de France du 23 avril 1757 ^
Ce fait d'armes eut un grand retentissement dans notre région, car
les corsaires de Jersey et de Guernesey — les « Grenezeys », comme
l'on disait alors — étaient en temps de guerre un véritable fléau
pour notre commerce. Ils infestaient les côtes de la Manche et de
l'Océan, remontaient la Gironde, faisaient main basse sur les
bateaux marchands et, voiliers excellents, échappaient presque
toujours aux bâtiments plus forts. Lorsqu'on avait pu prendre un
de ces redoutés « Grenezeys », c'était une joie générale dans nos
populations maritimes.
La Comtesse- de- Noailles, frégate de 150 tonneaux armée en
course, sortit de la rivière dans la seconde quinzaine de février 1757.
Son équipage, en majeure partie girondin, comprenait aussi des
Génois, des Espagnols et des Allemands. Elle était commandée par
vm jeune capitaine de trente et un ans, François Jalineau, de la
paroisse Sainte-Croix, de Bordeaux.
Elle rencontra la Molly dans les premiers jours d'avril et en triom-
pha après une lutte acharnée. Les forces étaient à peu près égales.
Voici le rapport du combat rédigé par Jalineau lui-même et publié
au lendemain des faits 2; ,
"~1^ ■ PRÉCIS DU COMBAT
' DE LA FRÉGATE
La <^i Comtesse-de-Noailles », de Bordeaux,
Armée par Mrs Roussens flls et Graves, de 14 canons, dont 8 de
6 liv. de balle et 6 du calibre de 4 hv. de balle, 18 pierriers et 150 hom-
mes d'équipage, commandée par M. Jalineau, :\
1. Id. Ribadieu, Aventures des corsaires et des grands navigateurs bordelais, p. 86.
2. Ce rapport, imprimé probablement chez Pierre Albespy, rue du Poisson-Salé,
l'imprimeur ordinaire de la marine, se trouve à la Bibliothèque de la ville de Bordeaux,
\.\ l'iiist 1)1 coHSAiiu; i)L ,it:ii>-i;\ i.v " mom.v V^
Gonti'o |(> corsaire Aiii,'l<»is la Mollée, (le Jersey, armé de 18 canons,
(loiil in (lu calibre de 8 liv. de balle et 2 de celui de 4 Uv. de balle,
M) |ii(iiM('i's et 93 hommes d'équipaj;e (|u'a\oMs Irouvés à bord, sans
y comprendre les morts, commandé par le capitaine Fiat.
Le cinq avril 1757, nous ajipareillâmes du Port-Louis, où nous
étions en relAche pour un coup de temps (jue nous avions essuyé,
par lequel nous avions eu le malheur de casser notre luiiupré.
. Le six, jour suivant, à six heures du matin, nous avons vu dinx
bâtiments t\ une lieue dam^ le Nord-Est. Nous avons chassé dessus.
Le premier étoit une «^'aliute lloUandoise. Nous lui avons demandé
((uel étoit le second, qui nous paroissoit un navire à trois miUs; il n'a
pu nous en donner des nouvelles. Nous avons alors fait route pour
le reconnoître. D'abord, nous l'avons cru Suédois, peu après Anplois.
sans cependant en faire grand cas, d'autant mieux que tous ses
sabords étoient fermés et (lu'il ne paroissoit pas gréé à la létrère,
comme sont ordinairement les corsaires. Nous l'avons dans celle
présomption accosté avec confiance jusques à la portée du fusil. Ce
qui nous l'a d'abord fait reconnoître a été son bastingage, par dessus
lequel nous avons vu paroître de la mousqueterie dans le même ins-
tant; il a sorti de ses sabords dix-huit canons et pa\illoii angl«jis ;iu
bâton d'enseigne. Les vents étoient pour lors au Sud; l'Anglois cou-
roit à r Est-Sud-Est, et nous l'avons rangé à la portée du pislolel,
passant à sa poupe sans faire de feu ni l'un ni l'autre, nous autres
parce que nous n'étions point entièrement parés et lui parce quil
ignoroit tmcore qui nous étions et qu'il nous prenoit jiour Anglois.
Nous avons tâché de le confirmer dans son opinion en lui arborant
pavillon anglois, dans le dessein de gagiuf du temps, et dans j'in--
lant nous avons couru à l'Ouest-Sud-Ouest, tandis »]u"il eouroil à
r Est-Sud-Est. Notre manœuvre lui a paru suspecte et, sans respcel
pour son pavillon, il nous a envoyé sa volée en virant vent devant;
elle a été suivie de cinq à six autres que nous avons souffertes fort
patiemment, tandis que nous nous préparions à lui inidre la pareille
avec usure. Un (|uart d'iieure nous suffit et pour loi-s nous axons
arrivé lofT pour lolf pour aller à sa rencontre. 11 éloit pour lors huit
heures du matin. Il a fait notre même manœuvre et nous a |)rêté le
côté. Notre batterie de tribord commença à fairt^ un feu fort \ir,
mais l'éloignement ne secondoit point notre impatience et l'envie
que nous avions de joindre notre ennemi de proche; pour y parvenir,
nous lancions sur lui et, comme nous courions largue et que nous
taisions plus de chemin que lui, nous tombâmes sous le \eiit. Dans
cette position, nous nous canonnâmes jusques à dix heures, que nous
nous aperçûmes que le feu que nous faisions au vent nous faisoil
dériver insensiblement, tandis que le sien au contraire le soulenoil
ilans le vent, ce qui, en nous éloignant, nous met loi! dans le cas de
tirer souvent à boulet perdu; il falloit donc tâcher de gagner le \ent
pour y réussir. Nous virâmes de bord, bâbord amures, et forçâmes
de voiles au plus près, c'est-à-dire le cap à rniie<;t-Sn<I-C)iie-(. Il nous
/|^ LA PRISE DU GOBSAIBE DE JERSEY LA " MOLLY "
imita et retint le vent aussi en cessajit le feu. Nous profitâmes de ce
temps-là pour faire manger notre équipage et l'animer au combat,
bien résolus de faire notre possible pour engager notre ennemi à
arriver, s'il nous étoit possible de lui gagner le vent, ce que nous
remarquions avec chagrin, puisque nous restions à peu près d'égale
marche. Notre premier dessein fut de lui mettre pavillon en berne
et de lui tirer quelques coups de pierriers, le second fut de donner la
cale au pavillon anglois et le troisième, auquel nous nous arrêtâmes,
fut de carguer et de serrer nos menues voiles et de l'attendre : il
nous réussit. Il arriva sur nous vers les une heure après midi et vint
se mettre au vent à nous, à demi -portée de canon. Pour lors le
féu recommença et fut vif. Pendant les deux premières heures, il
fut égal de part et d'autre; d'un côté, nous apercevions les progrès
de notre artillerie, de l'autre, nos voiles ne laissoient voir que des
lambeaux de toile pendants: déjà notre mât de misaine étoit à moitié
coupé par son milieu d'un boulet ramé, notre petit mât de hune
avoit le même sort, mais ils se soutenoient encore tous deux; d'un
côté, le nombre des morts et des blessés augmentoit, de l'autre,
nous avions la satisfaction de voir notre équipage recevoir les impres-
sions de joie et d'espoir que nous avions soin à tous moments de lui
inculquer, les cris réitérés de « Vive le Roi ! » faisoient passer l'animo-
sité dans tous les cœurs, l'on n'entendoit plus que des défis que cha-
cun faisoit à son ennemi d'arriver davantage et chacun brûloit du
désir d'aborder le corsaire ennemi. Le bon exemple, la diligence et
l'ardeur des officiers avoient fait monter la vivacité du feu, tant de
la mousqueterie que de l'artillerie, au point le plus vif, et déjà nous
avions le plaisir de voir diminuer par degrés celui de notre ennemi
lorsqu'une bordée à propos lui rompit sa vergue de grand hunier;
les acclamations redoublèrent; notre ennemi tomba sur nous et fut
dégréé en fort peu de temps de la plus grande partie de ses manœuvres.
Nous attendions l'instant de le voir amener son pavillon et nos dé-
charges réitérées sembloient lui annoncer de prévenir sa destruction
lorsqu'il envoya vent pour mettre à l'autre bord. Avant que d'être
viré, il essuya encore cinq à six volées consécutives, après lesquelles
nous revirâmes aussi pour le suivre. La nonchalance avec laquelle il
manœuvra et à laquelle notre feu contribua beaucoup, puisqu'ils
osoient à peine paroître, les fit tomber sous le vent. Il prit chasse sur
le champ et essaya de nous échapper, il garnit des bonnettes haut et
bas et ne se battit plus qu'en retraite. Nous le suivîmes, résolus de
l'aborder. Déjà les potiches, les cartahus et les grappins étoient sur
le beaupré et sur le bout des vergues et les civadières prolongées,
l'équipage se disputoit entre lui l'avantage de suivre de près ses offi-
ciers. Dans ce temps, nos canons de chasse faisoient un feu conti-
nuel, auquel il répondoit assidûment avec son artillerie de retraite,
lorsqu'un coup de ses volées pensa nous être funeste en nous attra-
pant dans le même endroit où notre mât de misaine avoit été endom-
magé par un boulet ramé, mais notre ardeur n'étoit point sujette au
ralentissement, Nous cessâmes le feu de chasse pour l'aborder plus
LA l'IUSK DU COHSAIUE DK JEUSKY LV " MOLI.\ II')
promptcmont. En un instant nf)ns y )i:ir\"îiuni's ;'i la fa\ciir (i«- nijlrt-
HKiUMiui'li'i'ie et, (ruiif (ItTliarirr de toiiji- iiulrt- ;irlilli rie qui éloiL
empoisonnée de iniiiaillr. Di'-jà une partit- df notre équipajre pén»^-
ti'oit dans son li(»rd cl alluil tnire main-ltasse sur nos audacieux enm--
inis, l()rs(|u<' nous nous aperçûmes qu'ils amenoient leur pavillon td
dcmandoienl à haute voix quartier. Notre (''quipapc (^toit si aninn'* à
Nouloir venger la mort et les blessures de leurs conqtaginms (jue, s'iU
eussent tardé plus longtemps à se rendre, il nous eût été impossildi-
de les soustraire à la fureur de notre équipage.
11 étoit pour lors huit heures du soir lorsque nous l'amarinâmes.
Toute la nuit du mercredi ne put sulTire pour le mettre en état de fain-
route et de nous suivre. Nous y employâmes tout le matin du jeudi
sept a\ril et nous parvînmes avec peine à le mettre en état de nous
suivre, sans ses quatre voiles majeures, après lui avoir changé ses
\'ergues et presque toutes ses mnnreuvres. 11 venta fort [leu tout le
jour: le soir, le calme survint et, la nuit du sept au huit, son petit mal
de hune, que nous n'avions point changé, se trouva tellement endon:-
magé, qu'il tomba de lui-même au roulis; nous ne ^ûmes nous ser\ ir
de ses mâts de rechange qui pendant le combat avoient été coupés
sur le pont, nous eûmes recours au nôtre et nous lui fîmes servir notre
grand mât de hune de petit, quoi(}uil ne se trouvât pas encore assez
fort, vu la différence du navire. Toute la nuit du 8 au 9 nous fîmes
route pour Brest avec un petit xcnt (jui sembloit se proportionner à
la faiblesse île noire mâture, ([ui étoit de part et d'autre très endom-
magée.
Le 9, à la pointe du jour, dan- f Ouest d'Uuessanl, dislance d'envi-
ron quinze lieues, nous aperçûmes un navire qui nous donnoit chasse.
Nous continuâmes notre route. Le calme sur\iiil: nous reconnûmes
l'ennemi qui nous chassoit pour une frégate de vingt-deux canons,
elle se servoit de ses avirons pour nous joindre et y par\int à dix
htîures et demie du matin, à demi-portée du canon. Nos avirons nou>
servirent à nous approcher de notre prise, qui se tint en (»rdre de
combat. Le feu commença de jcirl et d'autre. Elle nous coupa en pi n
de temps ({uantité de nuuneuvres. Nous nous aperçûmes de la supé-
riorité de son artillerie; et résolûmes de la combattre de plus proche.
Un petit vent seconda nos désirs. Nous arri\âmes sur elle suivis de
iKit re prise, dont larl illiiir jiliis toi' le que la nôtre nous seconda a\ an-
tageusetuent el l'obligea à \ ii'er de liord. Non- la -iii\ inu'S. Elle passa
des canons en retraite et fit un feu \if. Nou-^ lui ré|ioudinu'S avec nos
canons de chasse et ne cessâmes de la jtoursuivre (jue lorsijue nous
nous aperçûmes que nous ffuittions notre prise, qui ne pouvoit nager
pour nous suivre, vu le peu de lihUlde (pielle a\(iit à bord. .Mors
nous continuâmes notre route pour Brest et mouillâmes dan> la rade
le 10, â cpiatre heures du malin.
Il y a eu dans le dit cojnbat quatre iionunes de tués, et dix-sejiL
de blessés. La Comtesse a eu les bras emportés et un boulel nmd au
travers du corps. M. Melier a été légèrement blessé au bras et moi,
Jalineau. à la jambe, mais l:i blessure n'est point dangereuse.
l\6 L\ PRISÉ DU CORSAIRE DE JERSEY LA " MOLLY
>)
En 1758, la Molly, achetée par un armateur de notre place, Garrié
aîné, fut chargée de farines et envoyée au Canada. Selon toute vrai-
semblance, elle y retomba au pouvoir de ses premiers possesseurs.
I La Comtesse-de-Noailles n'apparaît plus parmi les rôles d'équipage
des années suivantes. Jalineau vint à Saint-Domingue, en 1761 et
1762, sur le navire le Solide. On le revoit plus tard continuant à
exercer sa profession de capitaine, d'agent commercial des grands
armateurs. La carrière maritime était avantageuse à celui qui était
parvenu à se mettre en vedette. • ' ''
Jean de MAUPASSANT.
VniCLLTlIlK KT VINIFICATION KN H(II{|)I:L\1S
AU MOYEN AGE
(Suite.)
CIIAPITUE V
VlMFICAHO> '
Il laudrail dans ce chapitre examiner le» luodilicatiuns >ubie.s
|>ar la vendange pour sa transformation en vin et faire connaître les
traitements auxquels le vin était ensuite soumis. Malheureusement,
les résultats qu'on obtient dans cet ordre de recherches sont beau-
coup plutôt négatifs que positifs. Certains points restent tout à fait
obscurs et de très nombreux soins que nécessitent aujourd'hui la
fabrication et la conservation du vin paraissent, pour la plupart
du moins, n'avoir pas été en usage au moyen âge. En tout cas, les
documents qui nous sont parvenus ne nous signalent pas certains
de ces traitements qui, comme le collage par exemple, sont consi-
dérés à l'heure présente comme absolument nécessaires, et il faut,
semble-t-il, en conclure que pour la vinification les procédés em-
ployés au moyen âge étaient assez rudimentaires.
Avant les vendanges, les viticulteurs s'occupaient du nettoyage
de leurs celliers, cuviers ou cuveries^. Dans certaines régions, il y
avait des pressoirs banaux, comme il y avait des fours banaux, et
(]uelques seigneurs ou quelques communes avaient le droit d'obliger
leurs vassaux ou leurs habitants à aller y presser leur vendange
moyennant une redevance qui s'acquittait soit en nature, soit en
argent •', Pour le Bordelais aucune mention de pressoir baïuil ne
nous est parvenue. Les installations de pressoirs et cuviers élaietiL
nombreuses dans la région bordelaise et appartenaient u des parti-
1. Ue? Eludes Itisloriques 6ur la vinification, publiées après la rédaclioii de ce travail
par M. le D^ (ieorges Martin dans la Ftcuiie historique de Bordeaux, 10H), pp. S7, 169,
*26I, doivent iHre consullées i>our compléter ce chapitre.
•i. I4.V.) (G 2 40, fol. 409 V).
3. Musée rétrospectif des classes 36 et fin..., pp. 03 OJ. — Pour le pressoir banal, cf.
Df'lislf, «,/,. ((7.. |(. 4(59.
48 VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MOYEN AGE
culiers. Dans les exploitations agricoles un peu importantes, le
cuvier ou cellier, endroit où se fabriquait le vin, devait être de
grandes dimensions et il formait parfois, sans doute, un édifice
séparé des autres communs \
Les comptes de l'archevêché contiennent assez fréquemment des
mentions relatives aux celliers et nous apprennent que le grand
cellier à Bordeaux était éclairé au moins par deux fenêtres 2. Il
fallait, au moment des vendanges, pouvoir accéder facilement au
cellier. En 1459, le trésorier de l'archevêque note qu'il a fallu payer
des charretiers employés avec leurs charrettes « à mener les immon-
dices qui avaient estées de devant le celier de Pessac » ^. Pour
nettoyer les locaux et les vaisseaux où se fabriquait le vin, on se
servait probablement de « ginestes » ou balais de genêt, dont l'usage,
fréquent déjà au moyen âge, s'est perpétué jusqu'à nous ■*. Le
nettoyage des ustensiles et appareils nécessaires à la fabrication du
vin jest une opération très importante. Il faut, en efTet, qu'ils soient
d'une très grande propreté pour éviter d'introduire dans la récolte
des moisissures qui donneraient mauvais goût au vin. Les traités
modernes recommandent le nettoyage à l'eau bouillante. On se
contentait au moyen âge (et on s'en contente encore aujourd'hui
dans bien des endroits) de nettoyer avec de l'eau froide ^ Si Vasse ou
crasse qui reste dans les cuves après la fabrication du vin n'avait
pas été enlevée depuis la précédente année, on s'occupait de l'en-
lever. Nous avons vu plus haut que cette asse servait parfois
d'engrais pour la vigne ^ Dans les celUers et cuveries du moyen
âge, il y avait moins d'ustensiles que maintenant. Le pressoir cons-
tituait avec les cuves et les tonneaux ou vaisseaux vinaires le seul
outillage de ces installations vinicoles '.
Dans la région bordelaise, le terme trulli, trulhs, treuil ou Irolium
1. In donio toicularis (G 239, fol. 46 v°, et Arvhiv. hisl., l. XXI, p. 660).
'2. 1459, travaux pour les celliers. ■• Item, pour ais pour faire deux fenestres ou grant
celier et pour la fa(;on payé, xv s. t. Item, pour ferrer icelles deux fenestres paie iiii s. t.
Item, pour une clef pour le celier de Pessac payé xii d. t. » (G 240, fol. 420.)
3. G 240, fol. 409.
4. Genesta, gineste = balai de genêt {Arcliiv. hisl., t. XXII, pp. 393: 700).
5. ' Ad portandum de aqua supra dicta torcularia et cuvas pro combuando et ad
mundandum domum ubi sunt ipsa torcularia » et Léo Drouyn traduit « combuare » par
laver à grande eau ou faire tremper (Archiv. hisl., t. XXI, p. 687, et G 239, fol. .57).
1356. " Prima obdemoda augusti... pro abluendis cubis et vasis... » (G 238, fol.
352 v», et Archiv. hisl., t. XXI, p. 416.) — 2 juin à Lormont : « Pro abluendis cubis
et vasis » G 238, fol. 411 v", et Archiv. hisl., t. XXI, p. 507). — 1404 : « Pro abluendo
baysillam antiquam » (G 240, fol. 246). — 1410 : " Ad lavandum tonellos, pipas... »
(G 241, fol. 122 r").
6. Archiv. hisl., t. XXII, p. 696.
7. Musée rétrospectif des classes 36 et 60..., p. 63. . L . . . ._ vi
\ I rii.i II I Ki: Il NiMinKiioN K> iiiini>ii\i> m m<ivi;> âge ;)D
dans les vaisseaux. Il faut alors ajouter div temps à autre du liquide
pour remplir les fûts afin d'éviter que le vin s'aigrisse. C'est \k ce qui
constitue rouillagf des vins, avelhn(]ium\ et If trésorier de l'arehe-
vé(jue indique fréiiueniniciil jt-mploi d'une barrifjui' de vin pour
servir à l'ouillage ^. Quand on voulait donner à un vin plus de
rouleur ou l'améliorer, on faisait aussi des ouillages. C'est ainsi que
I»' trésorier marque au nombre des dépenses faites en vin : un ton-
neau de vin rouge mis au ouillage pour donner de la couleur aux
autres vins2. Le terme «arrecari» fréquemment usité dans les comptes
est traduit par Léo Drouyn et Malvezin par l'expression actuelle
de « tirer au fin » qui indique le transvasement des vins d'un fût
dans un autre. Cette opération a pour résultat de débarrasser le
vin de sa lie, et par suite de l'améliorer^; on la désigne aussi sous
le nom de soutirage. Le soutirage était certainement connu au
moyen âge, mais il est difficile de savoir si Léo Drouyn et Malvezin
ont bien interprété les textes au sujet de cet « arrecari... tonellos ».
La présence de charpentiers employés pour ce travail du « raquage »
des tonneaux et des barriques n'indique-t-elle pas plutôt qu'on
désigne aussi par ce terme les réparations faites aux vaisseaux
vinaires? Ces mêmes charpentiers sont aussi nommés dans les
comptes pour la « reverberatio vinorum ». Léo Drouyn croit que
cette expression désigne la réparation des fûts. Le texte « in mense
martii fecimus reparari sive rebatre XX tonnellos vini » parait du
reste justifier cette interprétation ^ Il faut, en efïet, réparer de
temps à autre les vaisseaux de bois qui contiennent le vin, en res-
serrer les cercles et veiller à ce que les planches ne se disjoignent
1. 1354: " Item, posui quaimlaiu li;irrii:im iii .luellia-rio. ■ ((i 'iSs, fol. 3r> i"; n'a pas
(^té transcrit à la place, (lu'il aurait dû occuper dans les Archir. hisi., t. XXI, p. 330.1
— 1356 : « Item, solvi pro quadani barriqua vini albi ad imideiidum duos tonellos vini
oibi, Il leop. m quartos unius leop. >■ (C 238, fol. 354 r°, et Archir. hisl., t. .XXI, p. 420.1
— 1342 : - Item, in aiilliatirio, i toncllum et i pippam vini clari. • («i 23S, fol. 100 V.)
— 13.')t) : ■ Item, posui ad iniplendnni \ iiia antiipia que erant in domo de rua Iloqueria...
et ad im()lendum vina liujus anni que suni in dicta domo, ii pip.is \ ini clari. • ((i 23S,
fol. 359, et Arrliir. hisl., t. XXI, [i. 420.) — I3s3. ronneaux de vin • cum oillanii-i
eidem pertiiientibus • {.Archii: hinl., t. I\', p. 1 11 . - 1355 : - Item, enii a (Jerardo de
Fallaro quandam barricam vini de qua feci iniplerl nnum tonellum vini quod reman-
serat semiplenum apud Laureummonteni de ilecima hujus anni et solvi pro precio
dicte barrique vini II seul, cum dimidio de aniiquis. » {('< 23><, fol. 301, et Archir. hisl..
t. XXI, p. 233.)
2. » Emi... unam pi|>am \ini tincti de Tressis pro acolorando dicta vina insointa. ■
(Archir. hist., t. XXII, p. 189 — 1357-1358: •■ Item, exonero me de uno ton. vini
rubei posilo in auelhau'io pro dando colorem aliis vinis... ■■ {Archir. hisl., t. XXI, p. 5It>,
et t. .XXll, p. 094.)
3. ■ .\rrecari, rccari. tirer au lin (?l, nettoyer (?)... fecimus arrecari \iiii tonellos
de vinis... » {Archir. /i/s/., t. .XXI, p. 487.) ■ Pro porlu xi lonellorum arrccalorum \ini. •
{.Archir. hisl., t. X.XI, p. 491.1 Raquer une barrique, la vider par la bonde, du casron
raquar, vomir {Archiu. hisl., t. XXII, p. 693). — (f. Malvezin. •'!'■ "' ■ !'• ^'".i.
(. Archiv. hisl., t, XXII, pp. 188 et 702.
56 VITICULTURE ET VlNIFIGVTION EN BOROELA^IS AU MOTE'S AGE
pas. Au moment de la vente à des marchands de Bretagne de
9 tonneaux de vin, le trésorier les fit rebattre par des tonneliers ^
Pour obtenir des vins d'une limpidité parfaite, on procède par-
tout aujourd'hui à leur collage, c'est-à-dire qu'on met dans le vin
diverses substances, sable, kaolin, craie, plâtre, blancs d'œufs, etc.,
destinées à entraîner au fond des vaisseaux les particules solides
en suspension dans le vin. L'utilité de ce collage des vins est connue
depuis longtemps 2. Malvezin a cru que le collage était usité en
Bordelais au moyen âge, et il dit : « on savait aussi coller le vin,
vinum collalum ^ »
Malvezin ne renvoie pour cette opinion à aucun texte. Sur le
revers d'une charte du xiv* siècle, consultée peut-être par Malvezin,
une analyse faite au xviii^ siècle, semble-t-il, porte bien « vin collé ».
.J'ai peur que Ma-vezin ait été induit en erreur par des analyses de
ce genre. Le texte porte, en effet, vinum colaluni, mais ces mots
se rapportent, nous l'avons vu plus haut, au vin coulé et non pas
au vin collé. Dans un autre texte, on lit que le seigneur auquel le
tenancier doit une pipe de vin enverra un représentant « per anar
beder far et colar lodeit vin », et le tenancier devra donner à manger
et à ])oire à ce garde jusqu'à la livraison du vin. Au xviii^ siècle,
on a analysé en marge cette obligation en mettant : pour faire le
dit vin et iceluy coller dans les barriques •*. C'est évidemment là
encore des écoulages qu'il s'agit. Aucun texte, à ma connaissance,
ne nous permet de dire si on continua au moyen âge à coller les vins
comme au temps des Romains. Des mentions de collage nous sont
seulement parvenues pour le xvii'' et le xviii*^ siècle, et nous
voyons qu'alors on employait pour cet usage du sable et des œufs^,
et aussi du lait *.
C'est peut-être à l'absence de ces soins et de beaucoup d'autres,
maintenant en usage, qu'il faut attribuer la coutume qu'on avait,
1. Il Solvi pro VI jornalibus carpenteriorum qui reverbarunt ix ton. ^■illi venditos
duobus mercatoribus. » (Archiv. hisl.. t. XXII, p. 329.) — 1404: « Item, die dominico
ante festum Anunciacionis Béate Marie solvi pro jornalibus xvii carpenteriorum
conductorum ad reberberandum dicta vina. » (G 240, fol. 213 v°.)
2. Le collage, comme le filtrage et le coupasre des vins, était connu des Romains
(Curtel, op. cit., pp. 156-161).
3. Malvezin, op. cit., t. I, p. 259.
4. 1435, 4 avril (G 1159, fol. 30).
5. 1671-1672. Achat de « 6 charges de sable portées à diverses fois pour sabler nostre
vin » (G 2143, fol. 27). — 1678-1679: «Pour du sable à sabler le vin, 5 sous. » (/d.,
fol. 226.) — 1746, 27 août. Achat de deux douzaines d'œufs pour fouetter deux bar-
riques de vin trouillis, 12 s. (G 2470). — 1745, le 26 juillet, œufs à 2 liv. le 0/0 pour
fouetter le vin (G 3089).
6. 1778. Mémoire de travaux pour le curé de Saint-Seurin : fouettage au lait d'une
barrique de vin blanc, etc. (G 1650).
viTicuLTrRE F.T vi-siKicATio^i i;\ u()Ki)Ki.vi> M \i(tïi:> a<;f. 03
ï^itait'iit pas l'emploi de très nombreux ouvriers supplémentaires
que les écoulages ne sont pas plus souvent signalés dans les comptes
de l'archevêché. On y trouve seulement quelques rares mentions
d'hommes occupés « ad excolandum cubas », ou « ad escolandum
et ad acandum bis cubas»; et, en 1430, au mois d'octobre on lit :
i( Item,per lu jornaus de ii homes que metrren l'aygua en las cubas,
X s. Item, per lt> jornau do i home qui portet de l'aygua à las cubas,
V s. » ^ Des articles relatifs au lavage des vaisseaux vinaires, cuves
• t tonneaux, reviennent ainsi tous les ans dans les comptes *.
Ouand on avait pressé les raisins et écoulé le vin, il restait la « raspa »
ou Vdfle, c'est-à-dire le marc de raisin. Certains textes nous rap-
portent qu'on vendait parfois cette « raspa » et dans les statuts
capitulaires de Saint-Seurin la vente de la râpe après le pressage
de la vendange est prescrite ^. Cette râpe avait une certaine valeur,
car on pouvait réutiliser pour en tirer de la boisson. En mettant de
l'eau sur la râpe, on obtenait en efïet de la piquette, « retrovinum,
reyrevin », ou « drouguet » en gascon *. A Lormont en 1389 on loua
un âne pour porter l'eau nécessaire à la fabrication de ce « retro-
vinum » ^. La qualité de cette piquette variait naturellement sui-
vant la quantité d'eau qu'on mettait sur le marc et suivant le nom-
bre de fois qu'on recommençait cette opération. Quand on avait
obtenu toute la boisson que la râpe était susceptible de donner, on
pouvait utiliser cette râpe comme engrais et la mettre dans les
vignes, c'est ce qu'on fait aujourd'hui.
Il est assez difficile de donner des renseignements sur les différentes
sortes de vins qu'on avait au moyen âge. Les textes nous en signa-
lent de noms différents. Il y avait des vins rouges et des vins blancs,
des vins clarets ou clairets ^, des vins lymphatés, du pinpin, de la
1. •' Ad escolandum et ad iiraiiduiit bis cubas. > {C, 239, fol. 58 r°. el Arrhir. hisL,
t. XXI, p. 688.) — Homme em|iloyé - ad exrolundum cubas • {("> '238, fol. 3r)3 V, et
Archiu. hisl., t. XXl, \). 418, el <; ifl, fol. 1311.)
2. 1404: " Hem, solvi pro iin<" joiiialibu> homiiium couduclorum ad excolandum
vina cubai'um et ad portandum ai]u<im in dictis cubis... ■ [G 240, fol. 210 V.)
3. 1373, 22 octobre : ■■ Hem, in eodeni capitulo statuimus et ordinamus guod vin-
demia sive la raspa magno [)enore {sic) trolii dicti capituli prope erclesiam Sancti
•Stephani pnstquam vinuni extracluni fuerit in torcularibus vendatur, si vendi possit
per cubarium seu cubarios qui erunl pro tempore ibidem pro capitulo anledicto. •
{Urutails, Cart... de ^iiinl-Setirin..., ji. 373.} — • 1414, '.• no\embre: - VA sobre lo biu
et bendeunba deu (iu deudeyt seiilior lo deyt Prebost deu prendre Iota In raspa depnys
que lo biii clar ne sera deforas. •> {Archir. Iiisl., t. \, p. âîyH. M.ircnm \ indeniio. •
{Archiv. hist., t. XXI, p. 687.)
4. " I.'nam pipani relrovini. » {(J 23s, fol. 33, et Archif. IttsI., t. XXI, p. 330, et
t. XXII, p. 702.) — 1431 : ■' Las receptas de la vendicions diii rovrc- vins... • (G 241,
fol. 155 V.)
5. 1389 (G 240, fol. 201.
6. 1356 : « Pro ii tonellis \ iiii albi \i tonellis vini dari et ii tonellis \ ini nibei puri... •
(G 258. fol. 353 v», et Arcliw. hist., t. .XXI, p. 419.)
54 VITICULTURE ET VINIFICATION E^ BORDELAIS AU MOYEIS AGE
vendange vermeille, du vinaigre, etc ^. Malvezin estime que le clairet
était le vin produit par les vignes où les cépages rouges et les
cépages blancs étaient mêlés et dont les raisins étaient cueillis en
même temps et vinifiés ensemble 2. Ce serait alors ce qu'on appelle
aujourd'hui le vin gris. J'ignore si cette explication est exacte.
Aucun texte ne permet de la contrôler. Les vins lymphatés
étaient les piquettes ou vins dans la composition desquels entrait
une certaine quantité d'eau. Dans les comptes il est souvent fait
une distinction entre les vins purs et lymphatés et dans les énumé-
rations de vins on compte des tonneaux de vin rouge « tam puri
quam lymphati » ^. Ces piquettes paraissent ne pas se conserver long-
temps. En 1356 le trésorier de l'archevêque écrit que trois pipes
de « retrovini » sont venues à putréfaction et ont été en partie
données aux pauvres et en partie jetées sur le sol. Puis en 1362, le
trésorier écrit encore « les vins lymphatés sont venus à putréfac-
tion; tout le vin lymphaté, quatre tonneaux environ a été répandu
et jeté par terre »*. Le vin appelé piupin ou pinpin est souvent cité
dans la liste des vins mentionnés dans les comptes de l'archevêché
et dans d'autres textes. En 1427, le 2 septembre, il fut vendu une
« redevance de vin clar et vin nègre apperat pinpin pur sans aygua ^ ».
En 1479 une commission est nommée pour goûter une pipe de vin
et savoir « si est vini claret vel vini pinpin «^ Déjà dans les comptes
en latin on emploie ce terme de pinpin au xiv^ siècle. Léo Drouyn
estime qu'on désigne ainsi de la piquette, mais comment alors
expliquer cette mention de « pinpin pur sans aygua » qui vient
d'être citée? Peut-être faut-il penser que le pinpin est, non de la
piquette, mais du vin de pressoir '.
Après la fabrication du vin viennent les traitements auxquels
les vins nouveaux doivent être soumis. Quand le vin a été placé
dans des vaisseaux de bois, après les écoulages, un travail continue
à se faire dans ce vin et par suite de l'absorption du vin par le bois
et de l'évaporation, la quantité de liquide diminue progressivement
1. 1354 : « iiii tonellos cuni dimidio vini rubei tam puri quam limphati » (G 238,
fol. 35 v», et Archiv. hisl., t. XXI, p. 3-29.) — 1459: « Vendançre vermeille. » (G 240,
foi. 407 bis).
2. Malvezin, Hisl. du commerce..., t. I, p. 259. — Francisque Michel, Hist. du com-
merce, t. I, p. 165.
3. 1354 (G 238, fol. 35 V).
4. 1356 {Archiu. hist., t. XXI, p. 429). — 1362 ((d., p. 705).
5. 1427, 2 septembre (G 2206).
6. 1479, 12 octobre (G 285, fol. 156).
7. « II tonnellos de pinpin {Archiv. hist., t. XXII, pp. 415, 702.) — 1430, vente de
4 pipes de pimpin à un marchand normand (G 503). — Cf, D"' Georges Martin. Études
historiques sur la vinification. Rev. htsl. de Bordeaux, 1910, |>. 90.
VITICULTURE ET VIMllCATlOM ii> ItOKUlùLAl^ \L MOïtN AGL .» I
veiller. Dans les seigneuries ecclésiastiques comme à Saint-André
et à Saint-Seurin, on nommait tous les ans les chanoines chargés
de s'occuper des vendanges. En 1388, par exemple, le 15 juin, à
Saint-Seurin, deux chanoines lurent désignés pour nommer des
gardes pour les vendanges et pour surveiller les foUleurs dans les
pressoirs ^ Et en 1420, le 11 juillet, dans un registre de Saint-André
de Bordeaux, il est fait mention des deux chanoines qui, cette
année, devaient s'occuper des vendanges au treuil de Saint-Genès
dans les faubourgs de la ville ^.
Quand on foulait ou pressait la vendange, certaines graines
coulaient avec le moût. C'est sans doute pour retenir ces graines
et pour faire office de tamis qu'on employait le coladny, colador^
colalor que Léo Drouyn dit être un panier pour retenir les graines
et laisser passer le vin seul^ Le moût à sa sortie du fouloir et du
pressoir devait être placé dans les cuves pour fermenter. C'est ainsi
que les choses se passent maintenant pour la récolte rouge. Le
vin blanc, au contraire, est mis directement du pressoir dans les
barriques sans séjourner dans les cuves. Aucune mention dune
vinification spéciale pour la récolte blanche ne nous est parvenue.
On a même la surprise de constater que, à l'encontre de ce qui
se pratique habiluellement maintenant, la vendange blanche était
parfois faite avant la rouge ''.
Certains propriétaires font aujourd'hui subira leur moût des pré-
parations destinées à les améliorer, comme le sucrage ou le plâtrage *.
Ces usages paraissent avoir été ignorés au moyen âge en Bordelais.
Il n'est du reste pas étonnant que le sucrage n'ait pas été pratiqué
pour les vins au moyen âge, le sucre étant d'un emploi extrêmement
rare jusqy'au xvi^ siècle. Le plus ancien exemple de sucrage qu'on
connaisse pour le Bordelais remonte au xviii^ siècle et il est relatif
à des vins de Sainte-Foy-la-Grande. Cette préparation des vins
avec du sucre semble même avoir été alors considérée comme
quelque chose de nouveau en France et Legrand d'Aussy, dans son
1. 1388 (G 102.5, (ol. 37).
"i. 1420, 11 juillet. De torculatoribus S" Genesii. «Fuit ordinatum per dominos
de rapilulo quod de cetero siiit duo canoiiici teiupore vindcniiarum in S»" Genesio qui
dispoiiaat et ordiiieut de omnibus agendis et pro anno presenti fuerunt electi doniini
G. Talhafer et Johannea Forthonis canonici. » [Archiv. hisl., t. VII, p. 417.)
3. Archiu. hisl., t. XXII, p. 696. — Ces mentions de coladuy ou colador sont fré-
quentes : « Emi pro trolio unum panerium voialum coladuy {Archiv. hisl,, t. XXI,
p. 465, et t. XXII, p. 696). Coladuy = passoire.
4. • Item, III» obdemoda septembris incepimus vindeniiare vineas de Laureomontc,
exrepta vinea alba que vindemiata erat antea... - (G 239, fol. 58, et Archiv, hist.t
L XXI, p. 6H9.) — Cf. aussi Archiv. hisl., t. XXI, p. CSG.
5. Hébert, Le vin,.., pp. 6, 7.
53 VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MOYEN AGE
« Histoire de la vie privée des François », n'oublie pas de mentionner
cet emploi du sucre dans les vins de Sainte-Foy « Canton du Bor-
delais )) ^ La fermentation des moûts devait se faire assez bien,
car il est reconnu que dans nos pays la température ambiante est
généralement favorable à l'établissement d'une bonne fermentation.
A ucun document ne nous permet de connaître la méthode employée
pour la fermentation dans les cuves. Il est logique de penser qu'on
employait le système le moins compliqué : on devait alors ne pas
fermer absolument la cuve et se bornera la recouvrir de planches. Ce
qu'on appelle aujourd'hui le chapeau, c'est-à-dire la masse pâteuse
formée par les enveloppes des raisins, était flottant. Ce système est
assez défectueux, car l'acide carbonique qui se dégage pendant la
fermentation ne forme pas à la surface de la cuve un matelas imper-
méable. L'air peut y pénétrer partiellement et provoquer l'acidifi-
cation du chapeau ce qui donne au vin un mauvais goût 2. C'est
pour remédier à cet inconvénient qu'on a maintenant imaginé des
systèmes plus perfectionnés.
Il est difficile de dire, naturellement, le temps qu'on laissait à
la fermentation : les comptes de l'Archevêché, notre principale
source d'informations, ne donnent pas à proprement parler de
renseignements sur le décuvage, ou mieux sur les écoulages, comme
on dit en Bordelais. Le décuvage a lieu quand on estime terminée
la fermentation tumultueuse, et il consiste à faire couler le vin de
la cuve dans des tonneaux ou barriques. Pour éviter autant que
possible de laisser le vin en contact avec l'air durant cette période,
l'emploi de pompes spéciales destinées à transvaser directement
le vin dans les tonneaux est maintenant recommandé. On ignorait
au moyen âge ce perfectionnement. C'est une dizaine de jours,
au moins, après le pressage que le décuvage devait avoir lieu. Il
fallait bien ce temps pour obtenir une fermentation suffisante.
C'est à cette fermentation qu'il me paraît être fait allusion, quand,
dans les textes du moyen âge, il est question de « bullitio vini » et
de « vinum buUitum » 3; on doit désigner ainsi le moût qui a fer-
menté, c'est-à-dire du vin produit de la simple fermentation natu-
relle, et non pas du vin qui aurait été soumis à une « buUition »
artificielle ou pasteurisation. C'est sans doute parce qu'ils ne néces-
1. Legrand d'Aussy, Hisl. de la vie privée des Français (déjà cité), t. III, p. 388.
2. Hébert, op. cil., p. 10.
3. 1361. Vins portés à Bordeaux « post bullicioaem » (G 233, fol. 44, et Archiv. hisi.,
t. XXI, p. 654). — 1383 : « Unum toaellum vini bulliti. » (G 239, fol. 242 V, et Archiv.
hisf., t. XXII, pp. 366, 395.)
I
VrrlCl LTLRE ET VlMF'lCATlON EN IlORDELAlS AI MOYEN VGE 'jQ
et lorculariuni fii hilm fl.iil Imijuur- i'in[>l<i\ •'• |iiiiir (Jt^^i^n<•|■ Ip-
pressoirs '. Il fallait tous les ans remettre ceux-ci en état avant le>
vendaiif^rs, boiicliri les fentes, les interstices des planches tant aux
I l'iiils (ju'aux cuves; on employait pour cela de la bourn- mi ('-t (inpc-,
de la mousse, de la poix, puis il fallait avec ilu suif graisser le treuil-'.
Les comptes de l'archevêché mentionnent les travaux ainsi faits par
des charpentiers pour rejointoyer et préparer les treuils*, (►n n'a
pas de renseignements sur la forme des treuils ou pressoirs de la
région bordelaise. Une seule fois dans les comptes de l'archevêché
il est question d'une vis de pressoir : « la bitz que volvitur in tor-
culari » ^ Les vieux pressoirs ont disparu en Bordelais et aucun
dessin n'en a été conservé. On n'a même pas, comme dans d'autres
régions, de ces vitraux représentant des pressoirs mystiques sus-
ceptibles de fournir d'intéressants renseignements ^
A côté du treuil ou pressoir se trouvaient les cuves. En 1459, le
trésorier de l'archevêque inscrit dans son registre « Item pour le
louage d'une cuve laquelle je loué par avant que achetasse les cuves
cydevant escriptes, payé pour louage et menaige XI s. VI d. t. ". »
Les locations de ce genre devaient être assez rares, car elles étaient
évidemment peu pratiques. Il valait mieux avoir dans son cuvier
une installation pouvant servir tous les ans. Les cuves à l'achat des-
quelles le trésorier fait allusion étaient d'assez grandes dimensions,
lune pouvant contenir de 14 à 15 pipes et l'autre de 9 à 10 ^
Quand les raisins étaient portés au cuvier, ils étaient d'abord foulés
ou écrasés. Ce foulage, usité de tout temps, a, on le sait maintenant,
pour principal effet de mettre en contact le jus du grain de raisin avec
les ferments qui se trouvent sur l'enveloppe du raisin, ferments qui
déterminent la fermentation. Cette opération du foulage se faisait
1. 1356 : « Feci reparari iii loi'o de Laureomonle truliuiii el u mangnas cubas..."
{<; -238, fol. 352 V", et Archiu. hisl., t. XXI, p. 117.)
2. • Horra seu stuppa " {Archiv. hisl., t. XX 11, p. 396). — 1490, l)Ourre pour réi>ari*r
un pressoir, la livre, 2 arilits (G 490). — 1497, bourre, la livre, 2 ardits ^Ci 491, fol. 5i.
3. " Conduxi quenidam hominem ad coiigre<»anduni de la niolsa el dcl brin [>ro
liniendo et clavetando... torcularia... emi... m libra;) picis et unam libram cepi ad linien-
dum dicta torcularia » (G 239, fol. 57, et Archiu. hisl., t. XXI, p. 687). — 1401, octobre.
Suif pour cuves, la livre, 10 d. (G 240, fol.137 v°).
4. Léo Drouyn traduit rejunherc par rejoinloyer : ■ Ilabui ad rejuiilionduin el
parariduni torcularia v carpeiitarios. ■ (Archiv. hisl., t. X.XIl, p. 702, el l. XXI, p. 659. i
5. G 239, fol. 57 v", et Arcliiv. hisl., t. XXI, p. 687.
6. Emile MAle, l'Art religieux de la (in du moyen âge en France. Paris, Colin, 1908,
pp. 113-118.
7. 1459 (G 240, fol. 413).
8. 1459 : Primo, pour deux grans cuves neusves aclietées... la plus ^'ranl tenent
de xiiii a XV pipes et l'autre de ix a x pippes, payé xii liv. t. ((J 240, fol. 413). En
admettant que la dimension des fûts n'ait pas subi de grandes variations (cf. chapitre
suivant), on peut esliinei «pu' la plus grande df> (li\i\ iu\cs piui\ail «oiilcnir l'iuiron
63 hectolitres.
OO VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU >iOVE>' AGE
avec les pieds. On tend aujourd'hui pour gagner du temps à rem-
placer par des égrappoirs et fouloirs cylindriques le foulage aux
pieds. Ce foulage par des hommes piétinant les raisins avec les pieds
soit nus, soit diversement chaussés, était pourtant certainement
préférable à l'emploi de fouloirs mécaniques. Ces appareils, en
effet, ne sont pas assez délicats et provoquent souvent l'écrasement
des pépins qu'il est très important de laisser intacts, car ils con-
tiennent une huile fixe nuisible au vin; le piétinement avait l'avan-
tage de ne pas écraser les pépins i. Au moyen âge aussi bien que
dans l'antiquité, c'est le foulage aux pieds qui était partout en
usage, en Bordelais comme ailleurs. Il ne paraît pas que la pres-
cription de Gharlemagne relative à la substitution du pressage au
foulage aux pieds ait jamais été connue et observée en Bordelais.
Ce prince, réagissant contre l'emploi des pieds dans la préparation
du vin, voulait encourager celui du pressoir 2 et le texte qui nous
rapporte ce fait semble indiquer que Gharlemagne considérait
comme malsain et peu hygiénique de fouler aux pieds la vendange ^
La pratique contre laquelle s'élevait Gharlemagne n'en persista pas
moins dans toutes les régions de son empire. Les mentions relatives
au foulage reviennent régulièrement tous les ans dans les comptes
de l'archevêché de Bordeaux au xiv^ et au xv^ siècle. C'est le terme
« calcare vindemiam » •* qui est en usage pour désigner ce foulage ;
il a aussi pour équivalent en latin le terme « forare » fouler ^, rendu
par folar en gascon *. Ce sont toujours des hommes qui sont employés
à fouler la vendange. On les appelle des foladors, des fouleurs '.
Une fois foulés, les raisins étaient pressés. Ce travail de la vendange
nécessitait dans les domaines un peu importants, comme ceux
de l'archevêque et des divers seigneurs ecclésiastiques ou laïques
du pays, l'emploi d'un personnel assez nombreux qu'il fallait sur-
1. Hébert, Le vin.... Paris, Gautier {dans la Bibliothèque scientifique.,., n» 39, broch.
de 35 pages), p. .5.
2. Cil. Lamprecht, op. cit., p. 136.
3. Capitulare de Villi» (800 vel ante). C. 48 : « Ut torcularia in villis nostris bene
sint prœparata; et hoc prœvideant judices, ut vindemia nostra nullus pedibus prsemere
prœsumat sed omnia nitida et honesta sint. » {Monumenta Gtrmanix historica, Legum
sectio II, Capilularia regum francorum, éd. Alfr. Boretius, p. 82.)
4. <i Pro xiiii hominibus necessariis Burdegale ad faciendum vina et calcandum
vindemiam... » (G 238, fol. 309.) — 1356 : « Pro xviii hominibus habitis in trolio ad
calcandum et faciendum vinum vinearum... » (G 238, fol. 353 v", et Archiv. hist., t. XXI,
p. 419.)
5. 1356 : « Habui in dictis vindemiis pro forando seu calcando vindemiam et faciendo
vina XXI homines. » (G 258, fol. 353, et Archiu. hist., t. XXI, p. 418.)
6. 1430: « Venguo 1 home per folar que ce apera Ramet... — 11 homes qui a\eii
folat la vespra de Sent Matheu au trulh. » (G 241, fol. 136.)
7. 1430: « Item, per un foladors, xx s. » (G 241, fol. 135 v°).
MÉLANGES 63
*
♦ >
Un prince royal d'Angleterre à Bordeaux.
Le récent voyage aux Indes de Leurs MajesLûs Royales (JAnj^'Ic-
terre a été l'objet de nombreux articles de journaux.
C-ette circonstance nous autorise à rappeler qu'au niui- di- nwii
1791, Bordeaux reçut la visite du prince Frédéric-Auguste, fils
du roi d'Angleterre, voyageant sous le nom de comte de iJielphos.
A son arrivée, le maire, accomjtagné de sept ofïlcicrs mniucipaux,
se rendit à l'hôtel d'Angleterre, où logerait le j)rince^, et lui adressa
des compliments de bienvenue. Faisant allusion aux relations
commerciales établies entre Bordeaux et la Grande-Bretagnt;, le
maire exprimait le souhait de toujours entretenir cette réciprocité
d'estime et d'amitié. Le prince répondit dans le même sens, décla-
rant « (|ue son plus grand désir était de voir toujours régner entre
les deux nations la bonne harmonie (\m existait entre elles» 2.
Un dîner fut offert par In municipalité au fils du roi; il fiil lifn
« dans la maison de l'ancien Bardineau, près du Jardin-Public ».
Les commissaires du Directoire se rendirent aussi chez le prince
et, au nom du district et du département, l'invitèrent à un bancjuet ^.
Pendant les trois premiers jours de juin, les deux brigantins de
la ville, l'un nioidt' par dix-sept hommes et un patron, l'autre par
treize hommes et un patron, furent mis à la disposition du prince
pour faire des promenades dans la rade ou en rivière, et, le jour de
son départ, pour la traversée de La Bastide et de Saint-Panlon.
Ouant à l'entente cordiale, on sait qu'elle ne dura guèn'.
Fernand Thomas.
1 N'oir <nr «et linli'l, coiiiiu -ou> ),i Terreur sou^ h- iioiii il'hiMel Irjiikliii, une iiolu
dîins l;i Hi:i'iie de jaii\ ier-fé\ rier l'J\ 1, |i. 11.
•2. Areli. imin.. Il 91.
J. An h. tlép., re-iiïitre L 508, p. 1-23.
OLESTfONS ET REPONSES
D'Artagnan à Bordeaux. — M. Camille Jullian demandait dans
le numéro de mars-avril 1908 de la Revue (p. 154) si l'on avait, la
preuve que d'Artagnan fût venu à Bordeaux pendant la Fronde,
comme l'affirme Courtils de Sandras dans les Mémoires de M. dWita-
gnan. Le livre que M. Charles Samaran vient de consacrer à l'illustre
mousquetaire permet de répondre à cette question. On y lit :
« Quant aux missions auprès... des Ormistes de Bordeaux pendant
la Fronde, le véritable négociateur fut non pas Charles de Batz-
Castelmore, mais Jean-Charles ou Isaac de Baas. Le rôle véritable-
ment rempli par l'un ou l'autre des Baas dans ces circonstances,
on le trouvera soit dans l'Histoire de Condé du duc d'Aumale, soit
dans le livre de Communay sur VOrniée à Bordeaux, soit dans les
nombreuses lettres de Baas aux affaires étrangères. En tout cas,
Baas négociait et agissait pour les princes et non pour Mazarin ^ »
Quant à Charles de Batz-Castelmore, le futur capitaine des mous-
quetaires, il paraît être venu devant Bordeaux lors du siège de 1650,
si du moins c'est lui (|ue désignent comme courrier de Mazarin
deux documents publiés dans les Archives historiques de la Gironde,
t. II, p. 74, et t. IV, p. 529.
P. C.
L'Œuvre de Pierre Lacour. — Pierre Lacour père (1745-1814),
qui a tenu une place éminente dans l'histoire de l'art à Boi-
deaux, a laissé un œuvre considérable, mais fort dispersé, dont il
est difficile de dresser la liste. On serait très reconnaissant aux
personnes — et elles sont nombreuses — qui possèdent ou connais-
sent soit des ouvrages de cet artiste, peintures, gravures, dessins,
soit des documents le concernant, notes, correspondances, etc., de
vouloir bien en aviser M. Léonard-Chalagnac, 210, rue François-
de-Sourdis, Bordeaux, qui travaille à la confection de ce catalogue.
J. Léonard-Chalagnac.
1. (.halle? Samaran, D'Arlagnan cnpilainc des mousquetaires du Roi. Ilisloire réri-
dique d'un liéro.s de roman. Paris, Calmann-Lévy [1912], in-18, p. 105-106. — ■ Ajoutons
r|ue l'on trouvera des détails bioaraidiiques sur Isaac; et .Jean-Charles de Baas dans le
li\ re de M. Jean de Jaurtrain, Troisrilles, d'Artagnan et les Trois Mousquelaires (Paris,
th:jnpion, 1908, in-8°). p. 196-202.
MKI.AMOES Cl
11" ii.'glagf ilii iiH(;iiii>irii-. une sohimm' «l»- 4h 1 li\ rc>, ijiii >•• Li<>u\ail
(Mitre ses main-, lui lui aliamlonni'»' pour riiidoiimiser fie ses peines.
I/Hôlel (le N'illf (Iduuail l'Iirure ,'i toute la région bordelaise.
],(' rt'irlagf de riioilotre se taisait au nioyt-n d'observations astro-
u<iiiii(|ues nécessitant des calculs conij>li(|U(''s et délicats, et seul
un savant de réelle valeur, comme Larr(i(|ue. était capable de mener
à bien cette opérai ii)ii. A moins que celui-ci n'ait voulu mettre gra-
tuitement ses lumières au service de ses concitoyens, il est [«ermis
de trouver bien faible le cbilTre d'une indeninité, à peine sullisante
pour couvrir les frais qui lui incombaient.
I/horloge de 1759 n'a pas été remplacée jusqu'à nos jours: celle
de 1567 était restée en place près de deux cents ans. Souhaitons à
la nouvelle horloge de la Grosse-Cloche une aussi longue vie que celle
de s<\s aînées, et à l'artiste qui en entreprendra la construction un
rapport aussi élcgieux que celui qui fut lu en jurade sur le « travail
immense » du sieur Larroque.
Pierre Hari.é.
Le lieu de décès du comte Lynch.
Dans un ou\ rage paru récemment ^ où il est question iln ciiinlr
Lynch, une erreur a été commise sur le lieu de décès du maire de
Bordeau.x qui joua le rôle que Ton connaît le 12 mars 181 1. On le
fait mourir dans la commune de Dauzac qui n'existe pas dans le
département de la Gironde.
D'autres erreurs s'étant glissées dans les diverses biographies
parues sur ce peisonnage, nous croyons devfur publier son acte de
décès, afin de mettre les choses au point; nous aurions voulu accom-
pagner la publication de cet acte de quelques détails sur les obsèques
de M. Lynch, mais les deux journaux locaux que nous avons consul-
tés, le Mémorial et \' Indicateur du Commerce, ne font même pas
mention du décès d'un homme f[ui a joué un rôle important dan>;
l'histoire de son pays.
Extrait des rrijislrcs dr F rtal civil de la commune de lnharde
{Gironde).
Du Ifi août 1835. acte do décès de Monsieiu- .Ican-Haptisle comte
de Lyncli, décédé d'hier à -i\ heures du malin, âgé de SiS ans, né à
Bordeaux, déparlemeni de la Gironde, l'air de iiance, Grand officier
de l'Ordre Royal de la Légion d' lloimeur -, ancien Maire de la ville
de Bordeaux, veuf en premières noces de dame Le Berthon ^,
1. \. Mentreol, Lr Hrnssnrd de liorditius, 191 -2, in-40.
-,'. M avait été fait irraiid-croix de l'ordre de la Léi;ioii d'honiit-iir y.w Loui> \\ III.
lu 30 juin 1K14.
3. Il s'était marié If 2 décembre 1779 dans la chapelle du cnàleau de Virelade avec
M'" Marie-Claire Le Hertlioii, lille de met'sire André-.la. <ni<s-Ilyaciiitlie I.i- Iterlltnn.
premier |>résideiit du l'.irleiiniit de l!i>rileaux. et de dame Maryiierile-.Viidrèe de l'oiitac
(paroisse Saint-r;ioy, re),'. 30>, acte 33 1. Marie-Claire Le Herllion est décédée a IlordeauN
le 10 juin 178-2 [paroisse Sainl-Kloy, reç. 30-2, acte -254).
^2 MELANGES
époux de Madame la comles.se Amélie-Marie-Josephe de Perdiguier',
fils de défunts M^ Thomas de Lynch, ecuyer, et de dame Brouillard \
— Y est décédé sur son domaine de DauzacS.
Sur la déclaration à moi faite par Jean Déjean et Clément Thomas,
le premier, jardinier, le second, homme d'affaires du défunt, etc.
Signé, Thomas et Baziadoly maire.
Les restes mortels du comte Lynch reposent, depuis le 9 novembre
1841, au cimetière de la Chartreuse, dans le caveau de la famille.
E. R.
*
Baisers patriotiques.
Un sieur Blanc, de passage à Bordeaux, a apprécié les charmes
des Bordelaises. De retour dans son pays, il ne peut s'empêcher
de ghsser dans une lettre des baisers... patriotiques à leur adresse.
Nous sommes en 1791. La lettre fut lue au Club des Amis de la
Constitution de Bordeaux, elle enchanta les dames des tribunes
et deux d'entre elles, épouses cependant et peut-être mères de
famille, de retour au logis, écrivent au président le joli billet suivant :
A Messieurs les Amis de la Conslitulion de Bordeaux.
Monsieur le Président,
Nous eûmes hier l'avantage d'assister a votre séance. L'extrême
plaisir que nous ressentîmes a la lecture de la lettre qui vous fut
adressée par ce brave Citoyen de Varennes (Paul Blanc), nous fil
éprouver la plus grande joie, en voyant que ce cher patriote n'ou-
blioit point les citoyennes de Bordeaux.
Veuillez je vous prie, Monsieur le Président, en repondant à la
lettre, lui en témoigner toute notre reconnaissance et lui assurer (ju'à
son arrivée dans notre ville, nous lui rendrons avec uzure les baisers
qu'il a bien voulu nous envoyer.
Nous avons l'honneur d'être, Monsieur le Président, vos amies et
citoyennes de Saint-André.
Marie Tufferau, femme Damazan, rue Saint-Paul, n" 12;
Marie Jourdan, femme Dominique, rue Saint-Paul, n^ l'.i.
Bordeaux, 4 août 1791 4.
R. Brouillard.
1. Jean-Baptiste Lynch s'était marié en secondes noces avec « Madame la comtesse
Amélie de Perdiguier, chanoinesse du chapitre royal de Sainte-Anne de Munich en
Bavière, » en février 1823 (lettre de faire-part du 19 février; Arch. mun. de Bordeaux).
2. Il était né le 3 juin 1749, de Thomas Lynch, écuyer, et de dame Pétronille-EIi-
sabeth Brouillard (paroisse Saint-André, reg. 91, acte 364).
3. Après la mort de J.-B. Lynch, le domaine de Dauzac passa entre les mains du
chevalier Lynch, son frère et unique héritier. A la mort du chevalier, ce domaine fut
licite en 1841 et fut acheté par ÂL Wibroock, d'Altona. Il appartient aujourd'hui à
M. Nathaniel Johnston.
4. Arch. dép., L 2146.
MKLANUKS
L'Horloge de la Grosse- Cloche.
i )c l'iimii'u llùlx'l dr \'ilk' do Bordeaux, il ne subsiste plus à l'iieuro
actuelle que les deux tours encadrant la porte monumentale au-
dessus de lacjuelle se trouvent la Grosse-Cloche et une grande hor-
loge, probablement la plus ancienne de notre ville. La rumeur
publi(]ue m'ayant appris qu'il est actuellement question en haut
lieu de procéder à une réfection totale de cette dernière, il m'a
paru intéressant de retracer brièvement son histoire.
La construction des tours remonte au xv^ siècle, et il est vraisem-
blable que, dès cette époque, une horloge occupa l'espace vide
laissé au-dessus de la porte. .Je n'ai pu cependant trouver aucun
document la concernant antérieur à l'année 1521 ; l'on voit à cetlf
date un certain Noël, horloger, s'engager à faire la montre (ou
cadran) de l'horloge pour la somme de 12 francs bordelais ^
A la suite de la malheureuse révolte de 1548, les Bordelais virent
tous leurs privilèges supprimés. La vengeance du Roi fut impla-
cable, et s'attaqua même aux symboles de ces libertés, à des choses
inanimées; la démolition de l'Hôtel de Ville fut commencée, toutes
les cloches, toutes les horhjges de Bordeaux, celle de l'Hôtel de
\\\lo, la première, furent brisées sans pitié.
Venant de Portugal, Elie Vinet arrive à Bordeaux le 2 juillet ir>l*J,
et il lui semble qu'il pénètre dans une ville déserte et aband(mnéc
de ses habitants. « Je trouvai, dit-il, la ville moult triste et dans un
silence non accoutumé... Il n'étoit pas demeuré une seule «loche
au.x clochers. Les cloches (jui ne servoint qu'à sonner les heures
avoint été abatues, les pauvrettes, et cassées. On avoit eu recours
aux cadrans, et pauvres gens se meslèrent d'en faire qui n'y enten-
doinl guère.» Plein de pitié pour un étal aussi misérable, Elie
Vinet entreprit l'éducation de ces malheureux ignorants, et composa
pour leur usage La Manière de faire /p.n- solaires que communément
on appelle quadrans ^.
Entre temps la clémence royale rendit peu à peu leurs privilèges
aux Bordelais, et par lettres- patentes du 3 avril 1556, Henii II
permit de recouvrir les tours de l'Hôtel de Ville, « ensamble remettre
1. 20 avril 1.521. Anli. niiin. «le Uordeaux. liiM'nt;iire Ilnnrcin. V Horloge de l' Hôtel
de Ville.
2. Foiliei;;. Kimuilbert tic Ahiriief, l.'>t34. iii-1". \ F. I ilinli.', IlihUoqraphie histot
ri(fue d'Elie Vinet: Bordeaux, L.adoret, 1901»,
bO MELANGES
ung oreloge entre icelles pour la commodité des manans et habi-
tans » ^. Ce n'est qu'en 1567 que les jurats se décidèrent à procéder
au rétablissement de l'horloge. Le Registre du Clerc de Ville de
Bordeaux en contient un plan très exact, fourni par Guylhem Royer,
horloger probablement ^. Tout y est prévu, la dimension de la
cloche, 4 pieds et demi, le nombre des roues du mouvement, fixé
à 5, des (( rouettes » de la sonnerie, 5 également, la longueur de la
verge du cadran, « neuf pies de long ou environ », etc.. Ramond
Sudre offrit de procéder à l'exécution du plan de Royer pour la
somme de 600 livres.
Jusqu'en 1756, il n'est plus question de l'horloge de l'Hôtel de
Ville qu'à propos des menues réparations à y exécuter. A cette
date, les jurats demandèrent au sieur Larroque, mathématicien et
astronome distingué, un plan pour la construction d'une nouvelle
horloge, et, vers la fin de l'année suivante, le chargèrent de « la
confection d'un timbre considérable, ce qui fût très heureusement
exécuté » ^ Larroque se mit ensuite à la construction de l'horloge
et y apporta « tant de soin et d'intelligence, que l'horloge fût para-
chevée et réglée vers la fin de septembre 1759 ». Cette pièce d'hor-
logerie était certainement fort bien conditionnée, car deux ans
après les jurats étaient heureux de constater qu'elle avait « sonné
sans interruption », et qu'il n'y était survenu aucun dérangement.
En un mot, Larroque mérita l'approbation de tous les gens de
métier pour son beau travail, auquel il avait « joint le mouvement
du ^lobe lunaire ».
Aussi, Tcpoiir récompenser le zèle, les soins et le talent» dont il
avait fait preuve daTis l'exécution du travail ([u'il avait conduit,
les jurats lui attribuèrent-ils une somme de 3,000 livres « par forme
de gratification ». Il ne s'agit là bien évidemment que de la rémuné-
ration due à l'ingénieur qui avait conçu cette belle œuvre et en
avait dirigé l'exécution. Quant aux dépenses nécessitées par la cons-
truction proprement dite d*e l'horloge, elles durent certainement
s'élever à un chiffre considérable, si l'on songe à la longueur et à la
difiiculté que présentait au xviii^ siècle un pareil travail.
Après avoir travaillé pendant plus de quatre ans pour mener à
bien son œuvre, Larroque paraît avoir eu l'intention de quitter
le service de la Ville. Mais les jurats s'avisèrent qu'u il pourroit y
avoir de l'inconvénient de confier à d'autres mains le soin de monter
chaque jour et régler cet horloge ». Aussi, pour chercher à retenir un
auxiliaire si précieux, on décida de lui allouer 500 livres de gages
annuels avec exemption de « guet et garde », à condition qu'il for-
merait un élève capable de le remplacer au besoin, et subviendrait
aux « frais journaliers ». Enfin, comme depuis l'achèvement de
l'horloge, c'est-à-dire depuis deux ans, il n'avait rien reçu pour
1. Arch. mun. de Bordeaux. Registre du Clerc de Ville, fol. ix v°.
2. Arch. mun. de Bordeaux. Rea:istre du Clerc de Ville, fol. xxviii v" et xxix r".
3. Arch. mun. de Bordeaux, BB. Registres des délibérations de la Juradp,17 août 17G1,
ViriCLI.Tt RE ET VIMKIC VTir)N F.N ll()UI)i;i,AIS \l MOTE\ Ar.E ;>-
au moyen âge, de préférer aux « vina anliciua » aux vinn tles
années précédentes^, souNcnl tournés on ;iii,Mi>-. les vins nou-
veaux. Certains documents nous apprennent i|ii<in conimençail
de très bonin* heure à boire le vin nouveau, et en 1361, dès le mois
de septembre, (•"t-st déjà du \ in nouveau f|u'on buvait ehez l'archi'-
vê([ue "'. Que pouvait êtrr ce \in? r.c n'était sans doute pa^ riu \iii
ayant fermenté', mais encort' du moût. Le moût était, st'ndil<-l-j|,
assez apprécié r| objet de commeice pui.-(iu'cu 1408 la jurade
intei'vint pour défendre de vendre le moût plus de 2 deniers *. Cette
habitude de consommer le vin nouveau montre bien que le k bor-
deaux n du moyen âge devait avoir un « caractère » tout dilTérenl
• lu bordeaux servi maintenant aux gourmets, et d'autant plus
apprécié <|u'il est plus vieux.
La distillation était connue au moyen âge, et au xiii'' siècle
.\rnaud de Villeneuve explique qu'on tire du \ in une eau de vin
qui n'en a ni la couleur, ni la nature, ni les elTets, à laquelle on a
donné le nom d'eau-de-vie, dont beaucoup de gens ont reconnu
les vertus ^ Si la transformation de vin en eau-de-vie ou eau ardente
eut lieu à Bordeaux au moyen âge, ce ne fut bien certainement que
comme remède qu'on l'employa et aucun document ne la signale.
Nous savons seulement qu'en 1559, le 26 août, « .MM. les jurais,
pour prévenir les incendies, defïendent à toute sorte de gens sans
exception de faire ni faire faire aucunes eaux ardentes dans la
ville ni d'y en tenir au-delà de quelques barils de 2 ou 3 pots »*, et en
1677, un texte nous rapporte le iK)m d'un certain .lean Deschamp
« brusleur d'eau-de-vie »".
L'Eglise, toujours préoccupée de faire intervenir les bi'nt'dictions
du ciel sur les fruits de la terre, composa des prières pour demander
à Dieu de bénir le vin nouveau, et un recueil liturgi(|ue à l'usage
de Saint-André de Bordeaux, datant du xv^ siècle, nous rapporte
1. Dans les comptes de l'AnlieM-rlu' il est parfois fait mention des ■ vina antiqua •
i|iie l'on a enrore en rliai, par opposition aux •■ \ ina no\ a , ni.iis jam.'iis un ne dit de
«onibien d'annexés ces \ iris sont \ ieux (G '23^!, fol. 3r>'.i, et Arrhir. hist., t. X.XI, p. 130).
•2. 14H3, -27 décemlire. \'enle de \ ins, les -2/3 rou<^es et 1/3 cl.iret livralil'-s à Passages
'Kspaiîiie). Le niarcli*'' doit ctre rompu si les \ ins sont « agrès o gras o afiist;itz o colar
peri.Mida • [K not. Dartiyaniala, reg. 1483, fol. S7 v"l.
3. 1361 (G 239, fol. 46 V, et Archiv. Iiisl.. I. NXI, p. iHid : Inccpinui- polar.- seu
l'iliere de vino novo ■ au début de septembre.
I. I tON, 12 septembre: ' Que lo nio-^l ne se IhiuIini rinTiilis clr \ii deneys. • (Reff.
ili' la .lur-.ide, délib. de I 106-1409, Artlii\. mun. de Uordi'aii\, p. 3 «7.)
."). Miisri- rrlri)K[i<>rlif itu f]riiii[>f Vil..., pp. 119-120.
'■). 15.59 (Archiv. mun. de lîordeaux, .1.1 368).
7. 1677 (E suppl. 2,JH7). Au xvin" siècle, I.egrand d'.Vussy [op. rit., t. III, p. 8H
dit ipi'im place ;iii premier rang des eaux-de-\ie celle de Rordeaiix. de I..i lioclielie, ete.
58 VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MOTEN AGE
une « benedictio vini novi » en usage dans le pays. Après avoir dit
les formules habituelles pour les bénédictions, on demandait ainsi
l'intervention divine : « Nous vous supplions, Seigneur tout-puissant,
Jésus-Christ, vous qui avez rassasié cinq mille hommes avec cinq
pains et deux poissons, vous qui avez changé l'eau en vin aux noces
de Gana, en Galilée, vous qui êtes la vraie vigne, nous vous sup-
plions de multipher sur vos serviteurs votre pitié miséricordieuse
comme vous l'avez fait pour nos pères qui ont espéré en elle et de
daigner bénir et sanctifier cette créature de vin que vous avez
accordée en aliment à vos serviteurs pour que tout endroit où il
aura été versé de ce vin ou pour que toute personne qui en aura
bu soit rempli de la divine bénédiction, et que ceux qui en reçoivent
avec action de grâce soient sanctifiés dans leurs entrailles, nous
vous en supplions. Dieu Sauveur du Monde, vous qui vivez et
régnez dans tous les siècles des siècles \ »
(A suivre.) Jean BARENNES.
I. a 904, fol. 144 V".
en KO M qui:
Notre collaborateur M. P. Courloault. président de l'Âcadr-mie de Bor-
deaux. réniiiKTit profosseur d'hisloiie locale et réjrionale à la Kacullé" des
lettres, vient drlre nonuué chevalier du la Légion d'honneur.
Tous les lecteurs de la Revue historique applaudiront à cette nomination.
Mieux que personne ils savent le grand rôle joué par M. Gourteaull dans la
ditVusion des études de noire histoire locale.
M. l*aul Courteault est depuis la création de la Revue, un de ceux qui lui
ont apporté la plus active collaboration. II s'est avec un dévouement inlassable
attaché à en assurer le succès, avec le désir de maintenir la haute tenue
historique de notre publication qui s'est ainsi classée au premier rang des
revues de province. L'action de M. Paul Courteault se retrouve dans toutes
les sociétés savantes de notre ville, que ce soit dans notre Société d'Histoire,
dans la Société des Archives historiques de la Gironde, et dans la Société
plus nouvelle d'études qui groupe le personnel enseignant de nos écoles
primaires.
.\ussi tous ceux qu'intéresse l'histoire de notre vieille cité et de la
Guyenne, tous ceux qui désirent voir l'étude des questions d'histoire locale
plus en honneur accueilleront-ils avec joie la distinction honorilique qui
récompense le dévouement et l'activité généreuse de M. Courteault.
La Revue Historique de Bordeaux.
Société d'Histoire de Bordeaux. — Dans r.\.ssemblée générale qu'elle
a tenue le ^7 janvier, la Société d'Histoire de Bordeaux, à la suite du décès
de M. Céleste et de la démission de M. Pierre Meller, a complété son Conseil
d'administration en nouunanl MM. Sam Maxwell et Joseph liarrère. (ie
Conseil est par suite composé de MM. le D' Georges Martin, président; G. I)u-
caunnès-Duval, secrétaire ; F. Thomas, trésorier ; Barrère, Ben/acar, Cirol
et Sam Maxwell.
A la Bibliothèque de la Ville. — Par arrêté de M. le Maire de Bor-
deaux, eu date (lu i>2 décembre hm'- ^^- l'iançois Gebclin, ancien élève de
l'Kcole des Chartes, archiviste-paléographe, a été nommé con.servateur de la
liibliolhcque municipale, en remplacement du regretté Raymond Céleste.
M. Jean de Maupassant a été promu, par le même arrêté, conservateur
adjoint. Nos plus cordiales félicitations à nos deux excellents collaborateurs.
A l'Académie de Bordeaux. — L>ans sa séance du ■«0 janvier, l'Aca-
démie a déclaré la vacance du fauteuil du regretté poète Mauiice LalVont.
66 dHftONIQUË
A l'Académie des Inscriptions. — Dans la séance du 26 janvier,
AI. Camille Jullian a communiqué, de la part de M. le D"^ Gaston Lalanne,
président de la Société archéologique de Bordeaux, une figure en relief en
pierre, trouvée dans les fouilles de Laussel (Dordogne). Cette figure, de
l'époque aurignacienne, représente deux personnages dont une femme.
C'est peut-être la plus ancienne figure humaine laissée par le travail des
hommes. Cette belle trouvaille, qui s'ajoute à la découverte de sculptures
rupestres trouvées l'an dernier dans le même abri, fait le plus grand honneur
au distingué président de notre Société archéologique.
Comité de publication des documents économiques relatifs à
la Révolution. — Ce comité s'est réuni le 12 janvier sous la présidence de
M. Marion, qui a annoncé que le tome II des documents relatifs à la vente
des biens nationaux dans le département de la Gironde paraîtrait au cours
de la présente année. M. Gebelina été proposé pour remplir dans le comité
la place laissée vacante par la mort de M. Céleste. Sur la proposition de
M. Benzacar, la publication de documents relatifs aux impôts extraordinaires
perçus à Bordeaux et dans la Gironde pendant la Révolution a été décidée
en principe et confiée à notre collaborateur M. R. Brouillard.
Comité départemental d'études locales. — Ce comité s'est réuni le
26 janvier, sous la présidence de M. Camena d'Almeida, professeur à la
Faculté des lettres. 11 a décidé la publication d'un manuel d'histoire du
Bordelais à l'usage des écoles primaires et de notices de bibliographie
critique sur la géographie, l'histoire et l'archéologie bordelaises à l'usage
des instituteurs.
Conférence. — Sous les auspices de la Société archéologique, notre
collaborateur M. J.-A. Brutails a fait, lo jeudi 8 février, vine conférence sur
les portails des églises girondines. Tandis que défilait sur l'écran une série
de superbes clichés, l'éminent archéologue a expliqué, avec une netteté
parfaite et dans une forme très élégante, la formation artistique des maîtres
d'oeuvre du Moyen-Age, l'origine et le choix des motifs de décoration, la
valeur technique de la statuaire, la composition des portes et des façades, le
rôle des porches, les survivances romanes à l'époque gothique et les survi-
vances gothiques ou même romanes à l'époque moderne. Cette conférence,
qui a révélé nombre d'oeuvres grandioses ou charmantes trop peu connues
du grand public, a eu le plus brillant succès.
Société archéologique. — Dans la séance du 7 juillet 191 1, M. le
chanoine Callen a donné lecture d'un intéressant travail sur le cippe de
Domitia, conservé au Musée lapidaire; il conclut au christianisme très
probable de la jeune Trévire. — M. Bardié a rendu compte du Congrès
archéologique de Reims de 1909. — Sur la proposition de M. Léon, la Société
a décidé de visiter, le i3 juillet, le cimetière Israélite du cours Saint-Jean,
qui est sur le point d'être désaffecté. — tlle a admis comme nouveaux
membres MM. Edmond Augey et le D"^ Joseph Guyot.
Dans la séance du i3 octobre, M. le D' Lalanne, président, s'est fait
l'interprète des regrets que cause à la Société la mort de M. Alfred Daney,
l'un de ses membres fondateurs, et félicité M. Corbineau, nommé ofTicier
CtlROMQlE 07
d'Acadômie. Il a aussi rendu compU- de la visite au ciniclit'ie israéiil»' du
cours Sainl-Jeau. - M. Bardié a rendu compte du dcrnirr (;nntrrt"< pn'-liistu-
rique de Nitnes. — .\ la suite d'une coniinunicalioti de M. H<)ul)i'i', la Société
a désigné MM. Bardié, Fourché el Coudol pour examiner h-s moxensà prendre
en vue de préserver le pavillon Louis \VI de la rue Arliard. — M. Coudol a
présenté deux ^rar^oulelles en terre cuite, de l'i-pocpie de la domination
grecque en Kgjpte, trouvées au cours des travaux de terrassement du canal
de Suez. — La Société a adopté un projet de promenafles archéologiques
organisées par M. Hrulails. - — ,Elle a admis comme nouveau memhn-
M. Dumeyniou.
Dans la séance du 10 novembre. M. le D' Lalanne, président, a riMidn
hommage à la mémoire de M. Kmllien Piganeau, l'un des plus aiKien>
membres de la Société. — M. Courteault a exposé les raisons pour lesquelles
il ne lui a pas paru possible de modifier les heures de ses cours à la Faculté
des lettres et les mesures qu'il a prises pour assurer, en dehors de ces cours,
à l'enseignement de l'histoire locale la vulgarisation souhaitée par la Société.
— M. Coudol a ofl'ert au Musée un pelil cofTrel en bois peint de la lin du
xvi" siècle. — M. Charroi, secrétaire général, a rendu compte des travaux de
l'année. — M. Uicaud a comnuuiiqué un inventaire de l'intérieur de l'église
Saint-Pierre en i(')83, où l'on trouve signalés les fameux reliquaires en bois
doré qui, depuis, ont tant fait parler d'eux. — M. Daleau a présenté une
monnaie d'argent de Henri III où l'on relève un barbarisme à la légende, el
des photographies de troglodytes modernes de l'ile de Ceylan. — M. Nicohiï
a rendu compte d'une visite à Saint-Pey de-Caslets, où se lrou\eiit des
subslructiotis gallo romaines et proposé à la Société d'aider par une subven-
tion la municipalité à faire des fouilles. — MM. .\mtmann, de Mensignac,
.Nicolaï et Thomas, membres sortants du bureau, ont été réélus pour trois
ans. — M. l'abbé Léglise ayant demandé à être relevé de ses fonctions de
secrétaire, M. Th. Uicaud a été élu à sa place. — La Société a admis comme
nouveaux ineinbres MM. '.îerthoumieu, maire de Sainl-Pey-de-Caslels, cl
Ch. Ivlipsch.
Société des Archives historiques. — Dans la séance du a6 janvier.
M. F. lliomas a lu son rapport approuvant la gestion du trésorier poui-
l'année r()i i. — M. P. Caraman a donné lecture du procès-verbal de l'incen-
die du palais de l'Ombrière, dressé par le premier président Dalon et tinti
conseillers de la (îrand'Cliambre (a février 1704). — M •< Brouillani a
communiqué une lettre par laciuelle l'abbé Sieyès refuse le mandat d«'
député de la Gironde à la Convention ( 1 '1 septembre i7i)J^- — M- l'i- Bicaud
a lu: 1" une lettre du comte d'.Vrgenson à Tourny relative au projet dérec
tien d'un buste du roi dans la Bourse de Bordeaux, et la réponse de l'inlfu-
dant (décembre 1749); 2° des lettres du capitaine Nardeau à Lequicu de
Saint-Heiny, armateur à Libourne {S frimaire an III).— M. V. Thomas a fait
connaître un amusant conilit entre la corporation des maîtres pâtissiers i-l
les tripières et le charcutier du maréchal de Bichelieu (i7f)()). — La Société a
chargé M. llabasque de s'informer des papiers de la famille d'Esparbès de
Lussan, dont M. Edouard Forestié avait signalé l'intérêt bordelais.
Dans la séance du 19 février, M. llabasque a donné lecture d'une lettre de
68 CHRONIQUE
M. le chanoine Pottier, président de la Société archéologique de Tarn-et-
Garonne, relative aux papiers de la famille d'Esparbès de Lussan. — M. R.
Brouillard a rendu compte des deux intéressants volumes consacrés par
M. l'abbé Gaillard à la baronnie et à la paroisse de Saint-Magne. — La Société
a admis comme membre titulaire M. Alfred Leroux, archiviste honoraire.
— M. P. Caraman a lu une déclaration relative à l'incendie du palais de
rOmbrière faite par Jean Boutinaud, commis au grefTe et garde-sacs du
Parlement de Bordeaux (i" février 1704). — M. .T. Barennes a communiqué
une curieuse lettre du chancelier d'Aguesseau blâmant le Parlement de
Bordeaux de s'être ingéré, à l'occasion des mandements de deux évêques du
ressort, dans l'affaire de la bulle Unigenitus (3o juin lySi). — M. F. Thomas
a donné lecture d'une requête adressée à l'intendant par les Petits Carmes
des Chartrons pour obtenir décharge du droit d'amortissement à l'occasion de
la construction d'échoppes et de l'ouverture de la rue Sainte-Thérèse (17/1 4).
— M. Th. Ricaud a signalé une série de douze tapisseries de Bruxelles
repré.sentant la Vie de Jésus-Christ, qui a appartenu à l'hôtel de ville et que
.mentionne un reçu du S"^ Barbât en date du 4 mars 1771.
Un écho des fouilles de Saint-Seurin. — Dans la Revue des Etudes
anciennes de janvier 1912, M. Léon de Vesly, le distingue conservateur du
Musée de Rouen, observe l'analogie que présente la construction carrée
retrouvée en 19 10 dans les fouilles de Saint-Seurin au milieu d'un entasse-
ment de sarcophages, avec la découverte, faite en 1908 à Avenches (Suisse)
par la Société « Pro Aventico », de plusieurs tombeaux de pierre, de nom-
breux ossements dans un milieu romain et groupés autour d'un édicule sur
plan carré. A Avenches, M. William Cart n'hésita pas ù reconnaître un
sacellum gallo-romain, sur les ruines duquel l'évêque Marins a élevé, au
vi'^ siècle, un sanctuaire à saint Symphorien. «N'y aurait-il pas, se demande
M. de Vesly, similitude entre les nécropoles chrétiennes de Bordeaux et
d' Avenches établies à l'entour de petits temples païens édifiés sur plan
carré? »
Soldats du Bordelais. — Sous ce titre, notre collaborateur M. André
Vovard fait revivre, dans les Feuilles d'hisloire du i" mars 1913, trois frères,
de la famille de Mathurin Thomas de Sorlus, le subdélégué bien connu de
Tourny : le maréchal de camp Pierre Thomas Sorlus, le général de brigade
Joseph Sorlus et le général de brigade provisoire Nicolas Thomas Sorlus-
Crauze, né à Bordeaux le 1 4 février 1 743, qui fut commandant du 2' bataillon
des volontaires de la Gironde, se distingua à la bataille de Wattignies, fut
mis à la retraite comme ci-devant noble le 3 thermidor an II et mourut le 4
ou le 6 janvier i8i3 après avoir essayé en vain de reprendre du service sous
le Directoire, le Consulat et l'Empire. Sorlus : un nom à ne pas oublier
quand on aura à baptiser quelque rue nouvelle. 11 évoquera le souvenir
d'un excellent collaborateur de Tourny et aussi celui de trois braves soldats
de la Révolution.
INDEX HIHIJOGRAPIIIOLE
Du IS octobre 1911 au 15 février 1913.
Actes de l'Acadéinic nntioiiîilr des Sciences, Belles- Lt-t 1res et Aris
de Bordeaux. 3^ s6rie (7U>^ aiiiit'i', 1908). lionli'uus. inif>r. G. Cnit-
nouilhou: Paris, libr. A. Picard cl fils, 1908, in-8<', Ml |i. ww-r Ml'.
Amuon (Gabriel). — Les grands négociants bofdeJais : Marc Maiinl
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la bibliothèque de Bordeaux et accompagnée d'une notice sur le
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Tiré à 150 exemplaires.
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Bordeaux (1823-1859). Bévue historique de Bordeaux et du départe-
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Cf. même Revue, 1911, p. 145-163.
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I
INDEX niBLIOGRAPHIQLE 7I
Gaii.i.ami) iililiô Alhcrl;. I.;i haroniiir df S:iiiil-.M:i;.MH', (r;i|»rés
des documents im^dils, avec la collahurat ion de M. le haron < )lM'r-
kampr (!•' Dabruii, ()U\ ra^'e unie de liiiiL plaiiclies pliolulN |tii{ues
et de Iruis eaux-fortes. Bordeaux, Michel vl l'onjeol, 1911. iii-8",
l vol., 374 et 37'J \).
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7 2 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
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— Soldats du Bordelais. Les Sorlus, s. 1. n. d., in-8", 10 p. (Extrait
de Feuilles dliistoire, n^ du 1" mars 1912).
^;s36ee^
Le Gérant: G. DucAUis^Ès-DuvAL.
Bordeaux. — Impr. G. Gounouilhou. — G. Chapon, directeur,
9-11, rue Guirauflp, 9-11.
lllï^T01Kt: DES UAI'I'OIVIS
: LA r.llAMHiiE l)K COMMIlKCi: l)i: HOlihKAl \
VVEC
LES IMK.MJAMS. I.K l'AULKMENT HT LKS .Il UVIS
DE 170.") A 171)1
CH\1>1TKK l'HEMIEK
Situation kespegtive des pouvoirs
l'ouf iléfinir les rapports dr F;i Cliambrc de coniiiK'rcf «If (îuiinii.-
ou de Bordeaux avec les intendants, le Parlement et les jurai-,
il faut savoir si l'institution des Chambres de eunimerce en 17U^
était chose nouvelle et originale, si elle avait le sens et la porté<-
d'uni' véritable création. Si les (Ihambres de commerce ne sont que
la reprise, le développement ou !•■ dédoublement d'institutions
anciennes, il s'ensuit qu'elles n'auront avec ces jiouvoirs d'autres
rapports (jue ceux des institutions déjà existantes dont elles déri-
vent. Qu'elles ne soient rien de tout cela, et l'on pourra dégager
leur personnalité, des rapports particuliers (ju'elles entretinrent
avec les autorités de la province et de la ville.
I
Voici comment le Conseil d'Etat délinissail ii- but général de
l'institution des (chambres de commerce dan> YttrrrI tl'i'lahh.^si'-
metil :
>' Le Hoi, voulant i'ain' jouir .-«es sujets de> avanlage> qur Sa
Majesté a eu l'intention «le leur prnituri- en .-tablissanl un ruii>iil
de commerce, suivant l'arrêt du Conseil du ,'*.> juin i7(»(i. Sa Majesté
aurait estimé utile et convenable d'élaldir en iharun»- de? villes
de Lyon... des Chambres particulières de commerce, où les mar-
chand.s-négociants des autres villes et provinces du Royaume pour-
6
74 KA.PPOHTS DE LA CHAMBRE DE COMMEKCE DE BORDEAUX
l'aient adresser leurs mémoires contenant les propositions qu'ils
auraient à faire sur ce qui leur paraîtrait le plus propre à faciliter
et augmenter le commerce, ou les plaintes de ce qui peut y être
contraire, pour être lesdites propositions ou sujets de plaintes dis-
cutées et examinées par celle desdites Chambres de commerce, à
laquelle lesdits mémoires auraient été adressés, et ensuite envoyés
par les Chambres particulières avec leur "avis au Conseil de com-
merce 1. » Ce texte, dont on trouve déjà les termes dans un
)némoire de Pontchartrain (20 mai 1699) -, est significatif : on y
voit ce que devaient être ces Chambres dites particulières, par
comparaison avec le Bureau de commerce, sorte de tribunal d'appel;
Chambre et Bureau étaient les deux degrés successifs d'une même
juridiction cjui en comportait à la rigueur un troisième, le moins
élevée : à savoir, les consuls, dans les villes trop peu importantes
pour avoir une Chambre de commerce.
Sans doute, il serait erroné d'attribuer à ces Chambres la com-
pétence d'une juridiction commerciale proprement dite; à Bordeaux,
pourtant, contrairement à ce qui se passait ailleurs, à La Rochelle,
par exemple, juridiction consulaire et Chambre de commerce
étaient réunies ^ Bien mieux, non seulement la Chambre bordelaise
avait à sa tête le juge et les deux consuls, mais encore les électeurs
de ses six premiers membres furent les juge et consuls qui s'assem-
blèrent à cet effet dans l'hôtel de la Bourse avec vingt de leurs
plus anciens collègues '.
La conséquence naturelle fut, sans qu'il ait été besoin de rien
édicter à cet égard, l'élection d'anciens consuls :
François Barreyre avait été premier consul en 1684, juge en 1693.
Jean Roche avait été premier consul en 1668, juge en 1677.
Pierre Billatte avait été consul en 1668, juge en 1679.
Pierre Saige, consul en 1673, juge en 1688,
De même, Jean Ribail et Bertrand Massieu avaient été juges ^
Et la tradition s'établit ainsi d'élire les anciens consuls, direc-
teurs du commerce bordelais. La composition de la Chambre
n'avait donc rien de bien original; et il semble qu'au début cette
institution répondit moins au besoin de créer l'organe nouveau en
1. C -1201, 20 mai 170ô. Les références ne portant d'autre indication qu'une lettre
majuscule suivie d'un nombre, désignent les collections d'archives du fonds départe-
mental.
2. De Boislisle, Correspondance des Conlroleurs gcnéraiLC, t. II, p. 464.
_ 3. Garnault, Le Commerce rochelais, I, 241.
4. G 4251, p. 1, art. v.
r_ 5. G 1624. . . _J .
WEC LES INTENDANTS, I,E PARLEMENT ET LES JURATb 70
rapport avec la fonction nouvelle, qu'à celui d'imaginer un titre
pompeux pour servir de récompense à l'élite des négociants person-
niliée dans les anciens consuls. Le même jour où les membres du
Conseil du commerce prirent la résolution d'établir, dans les villes
importantes, des Chambres particulières, ils prenaient aussi celle
de donner aux négociants des marques d'honneur et de distinction ^.
Comme l'a très bien dit M. Brutails, la Chambre était un intermé-
diaire de plus entre l'administration et le commerce-; mais avec
son personnel déjà connu adleurs, avec son rôle de truchement,
que semblait lui déléguer le Conseil du commerce, pour se décharger
lui-même du plus gros travail, avec son pauvre budget que lui firent
les corps et communautés des marchands et artisans de la ville de
Bordeaux, avec ce coin du palais de l'Ombrière que lui prêtait le
Parlement ^ pour tenir ses séances, elle semblait destinée à exister
mais en sous-ordre, méconnue des grands pouvoirs jaloux de leurs
prérogatives. Elle devait passer inaperçue, parce qu'on ne lui avait
pas marqué sa place dans la vie organique de l'ancien régime, qu'on
n'avait réformé pour elle aucun règlement; il n'était pas question
de la Chambre dans les assemblées qui se tenaient chez le Premier
Président, à l'occasion d'all'aires importantes concernant le com-
merce; ni même dans celle des Cent- Trente, où l'on diotinguait
pourtant la juridiction consulaire de la foule des simples négo-
cian..s *. La Chambre avait surtout son nom, bien à elle.
Elle était cependant sur un point en possession d'un pouvoir
exclusif ;
« Aucun parrère ou avis servant de règle sur les matières de
commerce fait sur la place de Bordeaux n'aura d'autorité dans
les affaires de commerce qu'il n'ait esté présenté à laditte Chambre
de commerce et par elle approuvé ^ »
En plus de ces consultations purement commerciales qui ne
pouvaient qu'indirectement la mettre en rapport avec les diverses
autorités, il existait entre elle et l'intendant, par exemple, au moins
une relation définie.
1. Bonnussicu, Inucrilairc des arcliiues du Conseil du commerce, S avril 17ui.
2. Brulails, Introduction à l'inventaire sommaire des arcniues départementales, série C,
t. III, XXXV.
3. Malveziu, Histoire du commerce à Bordeaux, t. 111, p. 71.
4. O'Keilly, Histoire de Bordeaux, 1863, l. III, p. 080.
5. C 4251, p. 1, art. xii.
76 KAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Sans compter que ce dernier exerce en toutes choses et sur le
commerce en particulier sa haute et active surveillance, il peut se
trouver aux assemblées de la Chambre, et la présider quand bon
lui semble \ Au cours du siècle, les intendants ont usé de plus en
plus de ce droit. Si les termes de l'arrêt d'établissement semblent
conférer à l'intendant le droit conditionnel de présider, quand il
est effectivement présent, aux séances de la Chambre, il n'en va
pas de même dans la réalité des faits; et bien qu'on ne voie jamais
figurer parmi tous les autres ce titre des intendants, il est sûr, et
l'histoire de la Chambre de commerce est là pour le dire, que
non contents d'être, à certains jours, les présidents de la Chambre,
quelques intendants l'ont dirigée, parfois même l'ont mise à leur
école.
Pour s'en tenir à la forme de ces rapports, voici ce qui en était :
L'intendant est invité à assister à l'élection des nouveaux direc-
teurs '^, sans pouvoir d'ailleurs y prendre une part active; il ne vote
point. S'il n'y vient pas, on se borne à l'informer du résultat;
s'il y vient, voici le cérémonial en usage. On l'inaugura seule-
ment le 13 juin 1709, les précédents directeurs n'ayant rien men-
tionné du cérémonial observé la première fois. En parlant à M. l'in-
tendant, on l'appellera «Monseigneur»; il sera mis un fauteuil,
à la tête du bureau, avec un carreau de soie sur lequel M. l'inten-
dant se placera; il sera ménagé un vide, aussi grand qu'il se pourra,
entre lui et les derniers directeurs; les juge et consuls se placeront
à sa gauche, et les autres directeurs de la Chambre à la suite et
autour du bureau. D'ailleurs, on a pris son heure, deux directeurs
en habit noir se sont trouvés au bas de l'escalier pour le recevoir,
et les autres qui se tenaient dans la salle d'audience se sont avancés
vers M. l'intendant, pendant qu'il montait l'escalier. La séance
finie, on le raccompagne à son carrosse ^.
Ce cérémonial, qu'il fallait décrire avant d'entrer dans l'histoire
des rapports de l'intendant et de la Chambre, importe bien plus
H la première heure que les autres formes, consultations, démar-
ches, etc., par lesquelles se manifesta la présidence d'un Tourny,
par exemple. Il demeura aussi longtemps en vigueur que l'usage
d'ofïrir à l'intendant, à son arrivée, une bourse de jetons d'argent.
A côté de ces rapports officiels, dirai-je, entre la Chambre et les
1. C 4251, p. 1, ail. IV.
2. Id., 23 avril 1711.
3. M., 13 juin 1709. . ,
AVEC LES INTENDANTS, I.F. PARLEMENT ET LES .IIHATS -7
iiil i-iidiiiil <. il s\'ii t'ialtlit (riim- ;iiilri' niiliiif. >•[ (|iii ii'ciiifiil p;i>
ullliu.■^ (liiupditance. On >ail ((iic liv- tutui> int<'n(laiil> ili'-lmlaiful
pour la plui)art dans la maj^istrat iiif. 'r<jurny, par cxoniplf. lil- dun
président à la Cour dfs Aides, avait été ronseillcr au C.lirdtirt. jni
Grand Conseil et inaîlrc dis iciiiiêtes, avant d'ôtn' iiilindaiil di^
Limoges et par la suit»' de Bord» ;ni\ '. On sait niénu- iju'avant d'être
intendant de Guienrif. il avait amliil ininn- la ciiar;:'' di- inrmifr
président dr nolrr C.uur hordi'laisf -. Transfuges de la magistra-
ture. Tourny et ses pareils la trouvaient mal disposée à l<'iir l'L'ard;
en fait d'amis, « rintendaut en t'-fait n'-duit à un jx'tit groupe com-
posé des trésoriers de France, presque aussi impopulairrs qut- Its
traitants, des candidats aux pn-ltcndes nUiciellcs et df (jurlqurs
notabilités du commerce, heureux de se rehausser au fDiilact liu
représentant de la couronne » •"'.
Les documents noiis renseignent bien mal; l'intendanl <!• fait
scrupule même de nous confier ses amitiés : ses amis de cœur sont
encore plus, comme nous dirions, des amis politiques; les avouer
peut être compromettant. L'intendant avait besoin de nouer de
secrètes alliances dans le mniid.' des commerçants, sous peine d'a-
voir ses projets sans cesse e(»nd»attus. Un groupe de négociants
amis formait autour de lui comme un petit conseil docile et sûr.
qui le renseignait"*, qui lui garantissait toujours une certaine
intluence à la Chambre, et qui pouvait, plus vite qu'elle, prendre des
mesures et les mettre à exécution. Le .secours de ces négociants fut
invoqué dans les moments difficiles : le dévouement d'un Beaujon.
d'un Legris, d'un Flock, d'un Vignes, etc.. consentant, sur les
instances de Tourny à s'associer pour ravitailler la ville \ témoigne
aussi bien d'un profond attacheini'nt à l>'ur pays tpie d'une amitif'
très soli<le à l'i'gard de l'intendant.
Le nom de ces familiers est d'ailleur> parfois écrit sur le-, listes
secrètes de l'intendance^: en échange de leur alliance, tui leur
accorde aide et protection. On les recommande à la bienveillanee
des électeurs ou des ministres': on les défend contre la cabale à
l'occasion ^.
1. Benzacar, Règles économiqws de l'adminislration il'.\ttl"rl dr Tniirnij. l'.'Dl. p. il.
•2. r.oniiiniiiay. /,<■ Parlrment f/f liordeau.r, IHSfi. pns.tiin.
3. (ir.'llet-Dunia/.caii. /.'/ Snricir bordelaise xous Louis X V el h' sul'.ii de M"' nuplessu,
IS'.)7, p. \'M.
4. C 101 1, ini'niDin,' aiioiixiai-, non lialr.
T). Marion, Une Famine en Cuienne, Rputie historique. 1S91. p. Cni.
6. C 1624, passim.
1. C IGll, 12 may 1750, lettre de Tourny.
8. Id.
78 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Tourny, Lafore, Beaujon, peut-être Lamothe 1, sont quatre noms
inséparables, que notre histoire doit retenir. L'alliance de ces per-
sonnages, qui ne fut point unique en son genre, présida longtemps
aux destinées de la Chambre de commerce. .
III
Il n'existe aucun rapport officiel entre jurats et directeurs, mais
leurs occupations journalières suffisent à les mettre en rapport ;
on voit les jurats « s'occuper de l'approvisionnement de la ville, de
la taxe des denrées, des droits d'entrée en ville, des importations
et exportations de marchandises, des changeurs, des courtiers, etc. w^.
De plus, « l'autorité du maire et de ses collègues n'était pas res-
treinte à la ville et aux faubourgs. Elle s'exerçait bien au delà, sur
une banlieue considérable. On y comptait plus de vingt paroisses;
jusqu'à dix-huit lieues séparaient la ville de tel point extrême de
son territoire ^ »
Le mot d'antique «curie romaine))-* qu'on a prononcé à propos
de notre ancienne jurade, fait ressortir assez le caractère universel
de ses pouvoirs.
Quels furent ceux qui n'eurent point maille à partir avec cette
autorité presque souveraine, étendant sa compétence à toutes les
afïaires et à toute la ville? Il serait difficile de le dire. Ce qui est
certain, c'est que la Chambre ne fut pas de ceux-là.
Un jour, c'est un négociant qui se plaint : il expose que les maire
et jurats ont établi garnison dans sa maison : « faute par luy d'être
venu à l'hôtel de ville pour prêter le serment de trésorier de l'hôpi-
tal de Saint- André » ^ et le commerce est en émoi. D'autres fois, les
jurats se font forts d'appliquer les règlements à la rigueur, pour
l'entrée en ville des vins du haut pays, l'encombrement des rues
occasionné par le « rabatage des tonnes de sucre )) ®. Ce sont encore
d'autres sujets de conflits. Aussi bien, des liens plus étroits unis-
saient ces jurats et cette Chambre, que les circonstances semblaient
plutôt devoir opposer. !
M. Jullian a fait, à propos des élections de la Chambre de com-
1. C 3716, 7 mars 1751. ~
2. Malvezin, Histoire du commerce à Bordeaux, t. 111, p. 162.
3. Barckhausen, Essai sur l'administration municipale de Bordeaux, p.
4. Malvezin, op. cit., t. 111, p. 105. @
5. Registres du Parlement, 14 avril 1710,
6. C 4255, 22 août 1754,
AVEC LES INTENDANTS, LE PARLEMENT ET LES JtRATS 79
mercc, cette remarque des plus justes : « C'était un mode de recru-
fenient passablement aristocratique et calqué sur celui de la jurade^. »
Les deux corps avaient si bien le même esprit, qu'ils élurent à
maintes reprises les mêmes hommes, ici comme directeurs, et là
comme jurats.
Dès 1705, au moment même de la création de la Chambre de
rommerce, cette pénétration des deux corps est manifeste : Billatte,
1 un des premiers directeurs, a été jurât en 1675, en 1697, en 1698;
Hoche l'a été en 1695; Saige en 1694, il le sera encore en 1706 2.
Ou' arrive- t-il, dès lors? Les mêmes hommes qui ont été peut-être
membres de l'Amirauté sont jurats, seront consuls et voudront être
de la Chambre de commerce.
Il s'établit. Labraque-Bordenave l'a dit ingénieusement, comme
un II cursus honorum umnicipal», et le dernier degré est la charge de
député du commerce que les jurats d'un côté, les directeurs de
l'autre, voudraient voir émaner de leur propre pouvoir. L'institu-
tion des députés du commerce a précédé celle des Chambres, mais
les députés favorables à ces dernières en ont fait décider l'établis-
sement; Fénelon a été jurât en 1693^, mais il était premier consul
en 166H; à l'cncontre du gouvernement, pas plus la jurade quo
la Chambre ne nieront que les députés aient été établis « pour êtrt>
les organes des représentations à faire sur les besoins du commerce
dans chaque district»^; seulement, le maire et ses collègues diront
au député : « Vous êtes député de la ville, et vous êtes payé [pour
cella » ", tandis que la Chambre revendiquera pour elle et pour le
commerce tous les soins de son délégué. Et elle se l'attirera si bien
qu'en 1726, au moment de faire procéder à l'élection du députt'-.
l'intendant Boucher, oubliant tout d'abord les jurats, n'avertira que
la Chambre de commerce'; et qu'en 1731, ces mêmes jurats recon-
naîtront qu' « il est d'usage de présenter trois sujets, qu'on choisi!
parmy ce qu'il y a de plus éclairé dans le commerce, et qu'on
nomme des négociants qui ont passé dans le consulat et dans la
Chambre de commerce ^ »
Si l'on songe au nombre d'affaires qui se drainent par la voie d»'
ce député, on verra de quelle importance pouvaient être les rapports
I. .Iiillian, Histoire de Bordeaux, 1895, p. ï^'i.A.
•1. Le Vacher de Boisville, Listes, 1899.
3. Le Vacher de lîoisville, op. cit., passim. '
4. r. 1624.
5. C 4250, 26 may 56.
6. Lettres de Jurade, 15 nov. 1707.
7. C 1620, 18 janvier 1720. Lettre de Boucher à Dodun.
8. Lettre de Jurade au Contrôleur général, 1" sseptembro 1781.
8o H APPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
qui s'établissaient entre la Chambre et les jurats à propos de lui.
de son élection, de son rôle.
Malheureusement pour eux, les officiers municipaux s'absorbaient
et s'oubliaient trop souvent dans les querelles qu'ils se plaisaient
à entretenir avec leur grand ennemi, le Parlementa
IV
Ce dernier fit connaissance avec la Chambre de commerce le
jour où il enregistra les lettres-patentes à elle accordées.
Le commerce a consigné dans ses registres le cérémonial qui fut
observé; il nous intéresse doublement: nous y voyons que la cause
de la Chambre fut appelée à son tour, sans qu'une séance spéciale
et plus solennelle lui ait été consacrée, tout comme s'il se fût agi
d'homologuer les statuts d'une compagnie ordinaire; ensuite, que
les directeurs du commerce furent reçus : «ainsi qu'il est d'usage,
avec MM. du clergé et MM. les Jurats, les jours de cérémonie »
et que «la Cour ayant monté à l'audiance, l'huissier (les) y a intro-
duits et placés aux bancs de MM. les Jurats ^. »
Dans les années qui suivirent, il semble bien qu'au Parlement
on n'entendit guère parler des directeurs. Ses registres ne soufflent
mot de cette Chambre de commerce dont le nom même fut oublié^
du jour oîi, entre deux causes plaidées, on reconnut son existence.
Cependant, pour la même raison que nous avons exposée à
propos des jurats et de l'intendant, les relations de la Chambre de
commerce et du Parlement devaient naître et se développer : plus
que tout autre, le Parlement s'intéressait aux opérations mêmes
qui le concernaient le m.oins^; « il ne dédaigna jamais de fixer non
seulement le prix de la viande et cela à plusieurs époques, mais
encore celui du gibier... En 1721, il publia un tarif de la pierre à
bâtir, de la tuile et de la chaux, tarif renouvelé à plusieurs époques.
Enfin, il n'était pas jusqu'aux chaussures dont il ne s'occupât ^ »
La haute surveillance du Parlement préside à tous les établisse-
ments, à l'administration des hôpitaux, où les magistrats rencon-
trent les jurats et avec eux les négociants^, à la tenue des Assem-
blées quelles qu'elles soient, pour « empêcher qu'il ne se passe et
1. Un exemple entre touri : 13 décembre 1710. Lettres de .Jurade.
2. C 4251, p. 71.
3. Registres du Parlement, 22 mars 1710.
4. Brutails, op. cil., x.
5. Boscheron des Portes. Histoire du Parlement de Bordeaux, 1877, p. 227.
6. C 3788.
AVEC LES MTENDANTS. I.E l'AKI.EMF.NT ET LES JIRATS Si
ne cy propose rien di' contraire aux édits, ordres et déclarations df
Votre Majesté et aux st;iliit> dt-s ju-ivilèf^es df la \illc ■. dif-il hii-
MiAint'. en invoquant un édit du roi Cliarles IX'.
Dès lors, ce corps traditionnaliste des Parlements (jui ne semblait
nullement destiné à cnlri'i' en rapy)nrt avec les Cliamhros de com-
merce, corps nouveau celui-là, ignorant des traditions et ignoré
d'elles, le trouvera sans cesse devant lui dans une ville comme
Bordeaux, où les marchands sont partout : dans la jurade, dans
l'amirauté, dans le conseil d'administration de l'hôpital et dans le
Parlement lui-même.
Certains magistrats, comme le président de Gourgues, intéres-
saient plus particulièrement la Chambre ; coiiune propriétaires
riverains-, ils devaient entretenir des passages sur le lleuve, et les
directeurs veillaient à la sécurité de la navigation; en outre, ponr
la plupart, MM. du I^arlement possédaient i\<- lieaiix vignobles, le>
plus beaux du pays, et leur condition de seigneurs fonciers, sou-
cieux de conserver leur renom aux grands crus, put leur faire oublier
leur dignité de juge; ils vendaient eux-mêmes leur récolte. La ques-
tion des vins les tint constamment en éveil : ils escomptaient tou-
jours les bénéfices de nouvelles mises en culture, et ne s'en privaient
point malgré les défenses des intendants 3; même gens d'esprit,
même illustres, ils s'employaient à faire triompher la politique
viticole de la compagnie''; enfin, ils n'hésitaient pas à appeler les
négociants à l'aide, ou bien à les combattre quand lenrs inti'rêts
de viticulteurs étaient en jeu^
Chose curieuse, avec cet esprit plutôt mercantile (lui leur ('lail
fl'ailleurs commun avec tous les Bordelais*, les magistrats du Paric-
iiient demeuraient de très grands seigneurs, et leur concours était
désirable. Des rapports de protecteur à protégé s'établirent bientôt
entre les directeurs et les parlementaires, encouragés par les menus
mais ruineux cadeaux où se complaisait la Chambre : médailles
d'or au premier président, au procureur, à l'avocat générale
1. Registres ilu l'ailinu'iit. •,'() fi'nrii'i- 1715.
•2. r. ^71 fi.
.?. Cf. Miintesiiuieii. Miiliinijes, p. "iîJH. > l\ (. Monli-squieu) a ;ir.|iiis «les fomls cm Trii lu-
ou lande.s dans un pays où il y a tant sujet «l'espérer il'y (aire venir «les \ iunes d'un
très haut. prix. Ces terres ne hii ont rnûté ipie fiO livres, roinnie il par.-iit par le rentrât
i-i-joint; et il espère par son travail, ses dépenses et son imlustrie, en faire une terre
<pii vaudra 4 ou r>00,00n li\res. U send>le iju'un pareil dessein ne devrait poiîU trouver
d'obstacle de la part de l'Etat. "
1. Boscheron des Portes, op. cil., p. 248.
:>. C 4-25-2, 10 mai \~'yi. • .
6. Communay, op. cil., p. 5.
7, Malvezin, op. rAl., t. III, p. 70.
8„2 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
D'ailleurs, ces relations du Parlement et du commerce ne pou-
vaient guère intéresser que ce dernier, leur histoire ne faisant que
traverser, pour un instant, celle des conflits autrement graves des
jurats et du Parlement.
Au milieu de ses aînés très batailleurs, la Chambre, toute jeune,
risquait de voir bientôt compromise sa liberté d'action. Ne possé-
dant guère que son nom bien à elle, elle avait ses intérêts, son per-
sonnel engagés ailleurs. La juridiction consulaire, qui lui transmit
ses membres, l'intendant qui la présidait, le Parlement qui la
logeait, les jurats qui entretenaient son député du commerce, tous
avaient droit sur elle, plus encore que les négociants auxquels elle
so devait. Son rôle, qui devait n'être que commercial, ne pouvait
le rester. C'est dans la société bordelaise qu'elle était appelée à
faire figure : elle devait y trouver des protecteurs influents capables
de faire aboutir ses requêtes; mais ces protecteurs auraient des
ennemis, qu'elle serait tenue, elle aussi, de combattre. A ce jeu
dangereux, elle n'eût pas manqué de perdre, si une trêve entre les
pouvoirs ennemis, provenant de l'excès des maux acharnés sur la
France, n'avait préparé son entrée en scène.
CHAPITRE II
1705-1720
Collaboration en vue de réparer les désastres
Quand les Chambres sont créées, la France est en guerre, elle a
toute l'Europe sur les bras : l'ennemi attend pour faire la paix
d'avoir épuisé nos forces, et Louis XIV sacrifiera pour avoir la
victoire jusqu'au dernier homme, jusqu'au dernier écu. La nature
semble avoir fait un pacte avec les impériaux, l'hiver de 1709 est
terrible; puis, quand la paix est faite, au milieu de l'enthousiasme
universel, quand la France, rajeunie avec son nouveau roi, renaît
à l'espérance, quand un financier de génie semble avoir liquidé tout
un passé de dettes et que l'activité du commerce est décuplée par
les nouveaux miracles du crédit, le monde de prospérités entre-
vues s'abat comme un château de cartes, la France est de nouveau
ruinée.
De 1705 à 1720, une même pensée fit converger les efïorts des auto-
AVEC LES n'TENDANTS, I.E l'AULEMENT El LES JtKVT^ 83
rites Inrales : celle (\o réparer les désastres. La Chambre l'exprimait
à sa façon, dans la première lettre que nous ayons trouvée, adressée
par elle à Chamillard, le 2\^) juillet 1705 :
« Le commerce, si nécessaire au bien des États, était presque
anéanti dans le Royaume, si votre Grandeur n'avait eu la bout/-
de luy accorder sa puissante protection '. »
La Chambre songeait surtout au négoce; mais comme les malheurs
n'avaient épargné personne, la collaboration s'imposait pour tous.
Le désir de travailler au relèvement se manifeste à cette époque,
non seulement dans la correspondance et les délibérations de la
Chambre, mais encore dans les remontrances et les arrêts ^ du
Parlement, dans les requêtes de la jurade, dans les lettres et dans
les ordonnances des intendants.
1
La Chambre commença de bonne heure à faire figure; il est
naturel que, pressée par la nécessité, elle se soit mise en rapport
avec les autorités, à propos des questions intéressant plus particu-
lièrement le commerce : questions de la voiture des espèces et des
billets de monnaie.
En temps ordinaire, les espèces provenant de la recette général»;
des fermes ne sortaient pas de Bordeaux^; l'argent en caisse était
donné pour du papier dont la valeur était reconnue^; on prenait
des lettres de change sur Paris pour faire la remise des fonds ^
L'argent, les espèces restaient à la disposition du commerce et
s'employaient sur place, à son avantage ^
En temps de guerre, quand le Gouvernement avait besoin d'ar-
gent pour entretenir ses armées, il était moins accommodant : il
faisait vonir l'argent provenant de la recette des fermes : el c'est
ce que l'on appelait : la voiture des espèces.
Pour les Bordelais, les conséquences naturelles rl'unc s<MiiM;iltl«'
mesure étaient d'abord la difficulté de négocier des lettres de change
sur Paris ^, puis la gêne qui en résiiltait pour la >< liberté d\\ con,-
merce » ".
1. C 4260, 25 juill.l 1 7(i:..
2. C 3786. C 3793.
3. C. 4251, 17 mars 1717. Registre tlt-:; délibéralioii^.
4. C 4253, 19 mai 1733. Hecistro (if.-; (lélib<^r;itions.
5. C 4251, 5 février 1711. ReRistrt^ de.-; (It-liluTations.
6. C 4300, 21 mars 1707. Registre île correspondance^.
7. C 4252, 27 février 1716. Registre des délibération^.
8. C 4252, 24 décembre 1716. Registre des délibérations.
84 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Si la crise se prolongeait, si, par exemple, le contrôleur général
donnait l'ordre de faire voiturer chaque mois l'argent qui se trou-
vait dans les recettes, le commerce était menacé d'une ruine totale;
les meilleurs négociants ne trouvaient plus à placer leur papier»,
et l'on assistait à des débâcles, telles que nous en présente ce
mémoire écrit par les directeurs :
<( La place est aujourd'hui dans un désordre affreux, on y regarde
comme de la boiie les lettres tirées sur Paris nous nous conten-
terons de parler de la plus triste foire du monde quy cause une
entière ruine chez tous les marchands. Il y en a beaucoup qui rap-
portent toutes leurs marciiandises, bien d'autres qui n'ont pas
receu assez d'argent pour payer leurs voitures; les meilleurs mar-
chands de la province se sont retirés sans donner un sol, et on n'a
jamais veu tant de condamnations à la bourse -. »
Les autres expédients d'un gouvernement aux abois ne portaient
pas moins atteinte à l'activité commerciale; venant après la voiture
des espèces ^, le cours forcé des billets de monnaie n'était pas moins
ruineux. Émis par un État obéré, incapable d'en garantir la valeur
d'émission, ils étaient voués à la dépréciation la plus inattendue,
surtout dans une province comme la Guienne « où tous les revenus
consistent en foires et vignes pour lesquelles il faut de menues
dépenses... » * où se donne de bel argent comptant^.
Que pouvait-il arriver quand « les étrangers et les Français ne
traitaient d'aucune affaire, où il ne fut par exprès stipulé que les
payements ou les remises seraient en espèces et non en billets » ^?
Le commerce s'arrêtait, l'argent devenait de plus en plus rare, et
les marchands ne venaient plus approvisionner le marché ".
Or, le négoce eut à souffrir de la voiture des espèces en 1705, 1707,
1711, 1715, 1716^, pour ne parler que de la période qui nous occupe;
il subit le cours forcé des billets de monnaie pour un tiers, d'après
la déclaration royale du 12 avril 1707 qui l'ordonnait, à dater du
20 mai, dans tous les paiements, excepté dans les recettes des aides,
gabelles, et pour les droits d'entrée et de sortie^; pour un quart,
1. C 4263, 29 mai 1753.
2. C 4262, 12 mars 1726. De ïioisXMe, Carres /jondance des Conlrôlfurs généraux, t. Il,
II" 533, p. 154, 9 oct. 1703, lettre de La Bourdonnaye, et t. III, n" 953, p. 348, 27 jan-
vier 1711, lettre de de Courson.
3. ('. 4267, mémoire sur la question.
4. 19 mars 1707. Registres de la Jurade, corresp.
5. C 4267, mémoire sur la rpiestion.
6. M J
7. M.
8. C 4251. C 4252.
9. C 4251, 28 avril 1707,
AVEC LES INTENDANTS, I.E l'AKI.EMENT FI LES H R \T> 85
iTapivs celle du l^> octobre 17(J7. ijui t'xceptuit seulement ([uelciues
provinces frontières'; les négociant.- m- savaient (|ue devenir:
t'tiiiit i- rdil vifs», au ilir-r lie l'iiif iMhhint , ils "ni- songent i.uii.ii-
aux inconvénients (|ui peuvent arriver à l'avenir)»; ils s'aventurent
ilans «beaucoup drnlreprises sans aucun fonds»'*; au moment
'lititjue, ils s'alTnltiit . n-iKJrnt sans raison « les gens de |;i Heligion '<
responsables du lorl (pii Irnr est fait'*. Mors tout !•' tiionrb; jx-rd
lontiance, on cherche à retin-r 1 aitriMit i|u"oii :i entre les main> i\>-~
négociants, nul ne vt-ut h'ur pièlcr '; ils font faillit t*. Constmir.-
avec tout le coiiuncrcc, la C.iiainbrc eut recours aux plaintes, et
c'est à l'intendant que tout fl'abord elle les adressa, à Labourdon-
uaye. N'était-ce pas lui ipii représentait ce gouvernement beso-
gneux, soucieux de faire argent de tout? Dès le mois d'août 170λ,
l'intenihint promit de s'occuper sérieusement i|c la question des
espèces et même d'en écrire incessamment au ministère: il estimait
de plus que la (-luiiiibir Irijiit bien de rontiuin r ses plaintes-^. En
1707, il remporta coup sur coup deux victoires pour le commerce et
]»our la (Uiambre; sur une voiture de 100,000 livres, il obtenait
eu mais (|ue Chamillard eût « la bonté de laisser employer cette
somme à l'avantage du commerce n^: deux mois après, la (Uiambrc
apprenait que le roi avait « trouvé bon de suspendre la déclaration
du rj avril dernier»". L'intendant voulait (|ue l.i Chambre fût : en
exceptant le maréclial de Mont ic\ .■!, auquel elle eut maintes foi.>
l'occasion de témoigner sa contiance ou sa reconnaissance, notam-
ment en mars ^, en mai 1707^, en octobre^** encore, il était le seul
à le vouloir. Les jurats prirent ombrage de la situation nouvelle (]>-
la Chambre; protégée à la fois par le lieutenant de la province c|
l'intendant, elle entrait en ligne de comj)te: elle osait, à l'occasion
de la crise monétaire, < faire de très luunbles remoniraiices ^)^^ (je
souligne le terme parce cpiil est intéressant) ; et de ce seul fait, elle
s'élevait au niveau des plus vieux corps de France, pour qui droit
de remontrance valait indépendance et liberté. Elle avait décou\ ert
■e secret de leur force.
1. i; ■i-2:,\. :!i <Ki..bi.' ITUV.
'2. De Uoi.sli.sle, Corresiiunduiuc tk» Cunlrôleurs 'jfncrtiu.i . l. III, n" Isei. -.'3 m;ir> 171.''.
3. /</.. t. II. n" .-.33, p. l.M, 0 orl. 1703.
4. Id.. t. m, n" IsUl, -23 nuiis 1715, p. 58-2.
.S. C 4-2.M, -27 août. 170.5.
6. r. 4300, -21 mars 1707. -. • =
7. C 4-251, 19 mai 1707. ' . ,
». C 4300, -21 mars 1707. ' ' " '
'.K C 4-251, 19 mai 1707.
10. /'/., 31 oct. 1707. • ■•
11. W., -28 avril 1707. : •• . .
86 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Son exemple excite le zèle des jurats : ils se mêlent à la lutte
engagée à propos de la voiture des espèces, et la Chambre se fait
un devoir de leur annoncer leur propre victoire, victoire d'un jour,
remportée en mai 1707»; mais ils se piquent au jeu, et n'ayant
point été informés par le député, en même temps que la Chambre,
de la nouvelle déclaration du roi, ils écrivent à leur mandataire
cette lettre curieuse ;
« Il nous semble que cette déclaration regardant l'interest publicq
de cette ville et de toute la province, bien plus que le commerce
particulier des negotians, vous deviez du moins nous en informer
dans le même temps que vous en avez informé les Messieurs (de
la Chambre de commerce), étant bien plus naturel, s'il y a quelque
grâce à demander au Roy à ce sujet, que celle {sic) vienne de la part
de ceux en la main desquels l'authorité, la reforme de semblables
inconvenians et le soin du public réside, que de la part des particu-
liers qui n'ont de fonction qu'à donner des avis sur l'idililé du com-
merce; ce n'est pas qu'ils n'en ayent très bien usé à notre égard,
puisqu'ils nous ont d'abord conmiuniqué votre lettre, mais, etc. ^. »
Et les jurats ajoutent à quatre jours d'intervalle :
« Ces Messieurs de la Chambre de commerce nous communi-
quèrent hier votre dernière lettre, nous vous laissons à juger s'il
ne doit pas nous être bien sensible de voir que vous informez des
affaires du public, par préférence à nous, des personnes qui n'y
I)euvent, n'y doivent entrer que par notre canal ^. »
Ces deux lettres sont-elles assez significatives ! et comme il y
paraît bien que cette Chambre, établie sans être dotée, plutôt des-
tinée, semble- 1- il, à récompenser par une retraite honorable les
négociants vieillis, qu'à représenter la partie jeune et active du
commerce, devait jouer un bien mince personnage à côté de ses
aînés, et de combien de siècles, les jurats et le Parlement !
Car ce dernier était peut-être plus hautain encore que la jurade,
qui, elle, avait daigné collaborer avec la Chambre, encore qu'en
bougonnant. Le premier président Dalon (1703-1713), ancien jurât
d'ailleurs, et d'un tempérament quelque peu autoritaire^, tient
des propos étranges, qui, dans sa bouche, sont méprisants :
« Messieurs, écrit-il, aux directeurs, je n'avais pas attendu votre
lettre sur votre mémoire pour faire ce qui était de mon pouvoir,
1. C 4251, 19 mai 1707.
2. Correspondance de Jurade, 15 nov. 1707.
3. Correspondance de Jurade, L9 nov. 1707.
4. Communay, op. cii., p. 124. . , ^
AVEC LEï. 1MENUAMT&, I.t l'ARI.LMKNT Kl LE> JLHAlS 87
ailiird'cmpêcher l'exécution de la déclaration du Roy concernant
le cours des billets de monnaye dans les provinces '. »
Je crois bien qu'il veut dire : vous n'aviez rien à dire et c'est tuul
comme si vous n'aviez rien dit. La forme est détournée, mais cllr
cesse de l'être par la suite.
K CVest donc à vous, Messieurs, à obéir avec soumission et à enjja-
ger tous vos négociants de ne pas interrompre le commerce en ser-
rant leur argent; s'il y en a quelqu'un qui ne les prenne pas (les
billets de monnaye) sans bénéfice, il sera puni sans cartier '-. »
Ces citations étaient nécessaires pour montrer (luelle fut au début
la bienveillance de l'intendant, et au contraire la défiance des jurais
et du Parlement à l'égard du corps naissant des Chambres de
commerce.
Nous avons vu la position que prit chacun; les oiUciers munici-
paux furent les premiers à modifier leur attitude.
II
La crise monétaire et commerciale se perpétuait et les jurats se
résignaient, comme bien d'autres, à endurer ce qu'ils croyaient
inévitable, quand le commerce crut découvrir une chance de salut.
Il existait autrefois à Bordeaux un privilège des bourgeois, les
exemptant du droit de comptablie ^, autrement dit de la grand»-
et petite coutume'*, perçu sur certaines denrées à l'entrée des villes
de Guienne; depuis 1675, ce privilège était tombé en désuétude;
«•n avait pensé à le rétablir en 1701, mais le départ d'Amelot pour
l'Espagne avait été cause qu'il n'en avait plus été parlé ^; et voilà
qu'un beau matin, la Chambre, dans sa déhbération du 5 janvier
1708, frappée de voir l'état pitoyable du commerce et la cessation
presque générale de toutes les aiïaires, se demanda s'il ne sérail
pas à propos de faire revivre « la proposition du rétablissement do
la bourgeoisie ». Elle s'adressait à ceux que l'alTaire intéressait plus
que personne : aux jurats eux-mêmes. Elle se mettait sous leur
patronage et leur demandait une assemblée *.
C'était un coup de maître : les jurats devenaient des alliés. On
1. (; 1300, l'J nos. 1707. ConeipoïKluncc. ,
■Z. Id.
3. Délibéra lion ilc Jurade, '21 avril 170S.
■i. Hegistrc de correspondan'c de la Jurude, 2G uvril 1708.
5. Id., 21 avril 1708.
6. C 4-251, 5 janvier 1708. Délibération.
88 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
venait implorer leur secours dans une cause qu'ils étaient bien
obligés de défendre, dont ils auraient dû même se faire les cham-
pions. Ils s'étonnent d'avoir pu être devancés :
« Nous ne savons non plus que vous, écrivent-ils à Fénelon, par
quelle secrète inspiration et sous quels favorables auspices, nos
Messieurs de la Chambre de commerce ont été prévenus que ce
temps était favorable à la nouvelle tentative de l'affaire de la bour-
geoisie; nous n'avons pas peu refuser au zelle qu'ils nous ont marqué
avoir pour cela, tout le secours que vous voyez que nous luy donnons,
faites-en s'il vous plaît de même pour éviter qu'ils ne répandent
des plaintes de quelque molle action ou négligence auxquelles ils
ne manqueraient pas d'imputer l'échec de leur dessaing^ » Et en
fait, les jurats sentent bien que leur honneur est engagé avec leur
popularité même. Ils comprennent confusément quel rôle la Cham-
bre va jouer, et ils se promettent de ne pas être les seconds. C'est
à qui saura le mieux défendre les intérêts de la ville. Si du mois de
janvier au mois d'avril les directeurs n'ont pas laissé passer de
semaine, de jour même qu'ils ne vinssent, à propos du droit de
bourgeoisie, tâcher de convaincre les jurats-, ceux-ci n'hésitent
pas à écrire partout, à donner le branle à toutes les influences; ils
s'adressent à l'intendant, au marquis d'Estrades, maire, à Fénelon,
le député, au chancelier, au duc de Beauvilliers, pair de France, au
duc de La Vrillière, à Desmarets, au duc de Chevreuse, à d'Agues-
seau et à d'autres encore^. Après avoir été devancés par la
Chambre, ils veulent la dépasser.
Forts de leur autorité et de leurs ressources sans égales, ils pou-
vaient la dépasser sans peine, dans le soulagement de la crise extra-
ordinaire qui s'annonçait pour la fin de 1708 et le début de 1709.
La Chambre, trop jeune pour pouvoir imposer d'ores et déjà sa
direction aux commerçants, a été impuissante.
Elle a dû se reconnaître inférieure au rôle que l'intendant vou-
lait dès lors lui faire jouer : soucieux de conjurer la famine, il est
venu la présider, le 13 juin, pour s'assurer son concours et celui des
négociants; les directeurs l'ont remercié « des soins infatigables qu'il
s'était donné pour remédier aux besoins présents dans lesquels la
province s'est trouvée, de son zèle et de son attention pour éviter
ceux dont elle est encore menacée » * et à la suite de cette réconfor-
]. Lettre de Jurade, 5 mai 1708.
i. C 4251, 5, 1-2 janvier 1708, etc. Délibération de Jurade, 21 avril 1708.
3. Registre de correspondance de la Jurade, 1708.
4. C 4251, 13 juin 1709. Registre des délibérations. ^
AVEC LES INTENDANTS, I.K PARLEMENT ET l,ES JURATS 89
liiiilf conversation, ils oui ri,ii\(Hjué des assemblées a la lioursc,
ou «liez M. Ségur de Cabanac ^, le nouveau sous-maire.
Leurs clTorts ont été vains : ils s'étaient tro[) avancés en jn<iini't-
lant. sous certaines conditions, le concours fie tout le commerce;
ils peuvent bien dissimuler la vérité au contrôleur général, l'échec
est véritable; ils n'^^n cachenl ijeii ;'i linlendant, et l'on sent à les
entendre qu'ils sont profondément déçus et découragés.
« Monseigneur, quelque chose qu'on ayt pu représenter, il n'a
pas été possible de les obliger à faire une compagnie pour faire
venir des grains des pays étrangers, soit par la crainte (pi iU «-ni
(des ennemis), ou par d'autres raisons qu'ils alléguérenl : iii:iis
ayant examiné les circonstances favorables que contiendraient les
passeports... et ayant trouvé qu'elle leur était très avantageuse,
ils s'en tinrent à cette voie ^. »
L'intendant ne pu! (|ue déplorer cet échec ^, sans pouvoir y
remédier lui-inêine. (>iicl(|ues jours jdus tard. r,our>oii je irmphi-
çait.
Cependant les jurats s'étaient l(M't employés à comballre |;i
disette; on les avait vus, dès It; b septembre 170S'. piéeoni>er
l'expédient que la Chambre de commerce était encore à projMisrr
le 3 août 1709, dans sa lettre au contrôleur général'': Teiivoi à
M. le marquis de Boussac, ambassadeur du roi de France eu Polo-
gne, de passeports en blanc pour être délivrés aux vaisseaux qui
ravitailleraient le pays, de blés ^.
Sans s'adresser directement à la Chambre de commerce, comme
l'avait fait l'intendant, les jurats, pour parer à la disette. u';i\,iieiil
pas laissé de prier M. Daniel Denis, eoiisul de |;i Hourse. et. à ce
titre, membre de hi Chambre, jurai d'ailleur- eu 1710, de fjiire
venir des blés « pour le compte et risque de la ville \ ju-qu'à con-
currence de la somme de -^O.CXX) livres; il devait être payé- u des
deniers remis au sieur René Roux, aussy consul d.' I;i Rouree. i-l
la ville devait faire décharger les vaisseaux ili' iin(|uaide ><uis par
tonneau » ''.
Jurats et membres de la Chambre allaient ainsi vers renlenle
quasi cordiale. Un beau joui-, ils s'apercureid ipi'il- ;i\;iieiit les
1. <: 4200, 3 aoùl 170'J. Coiic-i.Dii.laii.v.
■Z. C liGO, 3 août 170'.». Corivspdii.laiirf.
3. C 4301, 8 août 170'J. CiMiitf|)(iiiilaiiCf.
4. Lcttr»' di' Juraile à Desmarets, h si-ptciulnp I70s.
5. C 4-200, 3 août \709. ,'
fi. I.ettri' lit' Juraiif, ,"> ?cpt>'iiil(iu 17(tS.
7. '.• jainii-i' 170'.'. Ui-libùralioii i\v .luradc.
90 RAPPORTS DE LA. CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
iiiêmes principes, ou du moins les mêmes aspirations. Les uns et
les autres veillaient, en ces temps malheureux, à ne pas laisser
s'accroître les charges déjà très lourdes des négociants; des direc-
teurs furent avertis que les vergeurs d'eau-de-vie avaient fait sans
autorité et secrètement une espèce de police entre eux, par laquelle
ils devaient se faire payer plus cher à l'avenir: plus que ne le com-
portait le tarif ordinaire, et cela contrairement aux précédentes
conventions.
M. Saincric, alors consul et qui devait être jurât en 1717, alla
avertir les officiers municipaux en la personne de M. Denis, ancien
consul de 1708 et jurât i.
Celui-ci fit venir les vergeurs chez lui, et s' étant fait remettre
la police en question déjà signée par quelques négociants des Char-
trons, peut-être des rivaux de la Rousselle, où se recrutaient ensem-
ble jurats, négociants et directeurs, il la jeta au feu et leur défendit
« de ne parler plus de cette affaire et d'entreprendre à l'avenir secrè-
tement rien de semble (si:) qui méritait une réprimande sévère » -.
Il en advint de même en 1715^, et l'on peut croire que les rela-
tions particulières des jurats, des consuls, des directeurs et le pas-
sage des mêmes hommes à la jurade et à la Chambre, ne contri-
buèrent pas peu à rattacher de si bonne heure, par les liens les plus
étroits, ces deux corps que les intérêts de Bordeaux mettaient le
plus en communion d'idées. Il semble qu'ils tendent déjà à se
pénétrer et comme à se confondre : nous avons vu que Saincric et
Denis furent presque en même temps jurats et directeurs. Il y
en avait d'autres : Partarrieu fut en même temps jurât et direc-
teur en 1707; Menoire, jurât en 1711, fut directeur en 1714; Bru-
naud fut au contraire directeur en 1710, avant d'être jurât en 1712.
Dans le cursus hononim municipal, entre les deux titres on hési-
tait déjà. y
Est-ce à dire que le doute fût permis? Il ne le semble point;
quand la question se posa en 1713"*, de savoir qui devait avoir la
préséance à la Chambre, des citoyens, c'est-à-dire des jurats et
anciens jurats, ou des anciens juges et consuls, de Courson ayant
écouté les raisons des deux partis, se décida en faveur des premiers,
bien qu'en toute rencontre il défendît ouvertement les intérêts de
1. G 4251, 18 décembre 1710. Registre des délibérations.
2. M, 24 décembre 1710. M.
3. G 4252, 28 février 1715-7 mars 1715. M.
4. G 4251, 29 avril 1713. Id.
AVEC LES I>TENDA>TS, LE PARLEMENT ET LES JLAATS Ql
la Chambre de commerce, bifu que, suivant eu cela l'exemple de
M. Féuelon, il s'oubliât parfois à liaformer la première, en certains
cas même où la compétence des directeurs pouvait être discutée ^.
NI
(.îuillaume-Urbain de Lamoignon, comité de Launay-Courson,
né le 2'J octobre 1674, était lils de l'intendant du Languedoc.
Lui-même venait d'être intendant de Rouen, autre grand port
de commerce, quand il arriva à Bordeaux, pour remplir cette charge,
le 14 août 1709=2.
Le commerce, dès l'abord, sembla l'intéresser particulièrement;
et de Courson était à Bordeaux depuis trois ans à peine, que les
directeurs écrivaient : « Dans ce pays on n'oserait rien faire contre
les ordres de M. l'Intendant^. »
Au moment où l'on pouvait déjà prévoir l'issue fatale des confé-
rences engagées à Gertruydenberg -, les négociants bordelais trou-
vèrent opportun d'accueillir, après les avoir repous-^ées, les propo-
sitions que le roi avait faites au commerce de tous les ports par son
ordonnance du l^''' juillet 1709^: de fournir les navires désarmés
qu'il avait dans les arsenaux, de recruter les équipages, d'abandon-
ner aux armateurs le cinquième qui lui revenait sur les prijcs. Un
mémoire fat donc adressé par les commerçants à la Chambre, pour
obtenir l'armement d'une irégate de douze canons, destinée à pro-
téger l'entrée de la rivière. Les commerçants n'entendaient avoir
recours qu'à Sa Majesté le Roi, qu'à l'intendant et à la Chambre ;
celle-ci, devant choisir et nommer les capitaine, ofTiciers, soldats et
matelots du navire; celui-là devant désigner un négociant qui
loverait les doits nécessaires; les directeurs se réservaient de lui
présenter trois sujets : l'élu, sa mission remplie, ne devait rendre
compte que par-devant la Chambre, en présence de l'intendant^.
Cette collaboration non plus fortuite, mais savamment élaborée,
semblait avoir été établie en conformité avec les rapports olUciels
existant entre les directeurs et de Courson, leur président;
C'était l'application éLendue de l'acte de 170Ô. Mais le pauvre
1. C 425-2, l'J déciîiiiljre 1710-i janvier 1710. Hegiblie des délibéruUoii?.
2. Bonnussieu, Introduction à l' Inventaire des arcliiues du bureau du cunimcrcc. 1. 111.
3. C 4200, » octobre 1712. Correâpoiidance.
4. Mars à juillet 1710.
5. C 3/80. Cité par Labuchelle, in Revue historique de Bordeaux, 1909, p. 268.
6. r. 42.^1, 5 juin 1710.
Oa RAPPORTS DE LA. CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUÏ
budget de la Chambre ne répondait guère au rôle de premier plan
qu'elle prétendait se donner. Il lui fallait de l'argent, afin de pouvoir
avancer sur le produit de la levée les premiers fonds nécessaires;
de plus, n'ayant rien par elle-même, elle devait s'assurer les garanties
les plus sérieuses de remboursement.
Le mémoire du commerce lui rappela que ses 4,Ub6 livres ne lui
avaient été payées ni pour 1709, ni pour 1710 «; le même jour,
5 juin 1710, qu'elle exposait à l'intendant la situation malheureuse
du négoce bordelais, elle lui confiait la sienne plus déplorable
encore ^.
Deux questions étaient ainsi posées : d'une part, celle des droits
à lever pour l'armement du navire; de l'autre, celle de l'augmenta-
tion des revenus de la Chambre.
Malgré les besoins pressants du commerce, la dernière afïaire
devait, avant toute autre, recevoir une solution. L'intendant l'en-
tendait bien ainsi: il écrivit à Pontchartrain; mais sachant le désarroi
des finances royales, il promit à la Chambre de la faire payer sans
passer par le ministre ^. C'était le plus sûr, mais il fallait trouver des
fonds; la Chambre, d'accord a>ec l'intendant, eut l'idée de deman-
der leur consentement « aux corps et communautés des marchands
et artisans des villes du plat pays, pour faire attribuer aux gages
à elle déjà accordés les sommes modiques pour lesquelles les dits
corps sont compris dans les états du Roy » ''.
Ces sommes étaient si peu considérables, que les ayants droit ne
les réclamaient point; de plus, elles provenaient de fonds analogues
à ceux qui constituaient le budget de la Chambre '".
Quand celle-ci écrivit, sur les conseils de l'intendant sa lettre-
circulaire aux corps et communautés du plat pays, elle avait tout
lieu de voir aboutir sa demande. Mais un jour, le ministre vint lui
signifier le refus du roi ^ L'affaire était classée. En 1712, pourtant,
Desmarets renvoyait la question à l'intendant', et celui-ci ne put
que laisser entendre tout le regret qu'il avait d'un aussi long
retard ^
— Cependant la Chambre de commerce avait dû armer la Nymphe,
1. C 4-251, 5 juin 1710. Registre de;- délibération;-,
•i. M.
3. Id., \-î juin 17 lu. Registre des délibérations.
4. Id.
5. C 4260, 1" juillet 1710. Correspondance
6. C 1611, 30 novembre 1711.
7. M., 15 juin 1712.
8. Id.
AVEC LES INTENDANTS, LE PAHI.EMENT ET I.LS JUHATS ()3
trop o^ros vaisseau imposé par un pouvoir hors d'état (!<• f;iin' lu ii-
ueur à sos cntraf/t'ini^ut s. à [ilii< fuili r.usi-n d'en <<iiil r;i< I r il<'
nouveaux.
De" (loursou tut liabilf, il biaisa : ayant trois n"»les ;"i jouer, il n'en
.-acrifia aucun: montrant autant d'aptitude lour ;'i four i"i représenter
un fîouvernenient absolu, aucpicl il fallait bien obéir, (pi'à présider
un corps autonome soucieux dr taire friomplipr ses justes revendi-
calions, (|u'à protéger le conmuTce dont la détresse était infinie.
Sur son initiative, la (Ihambre fait partir Billaf te pour aller cher-
cher à Rochefort le naviic (jui peut convenir '. Mais elle est toujours
ini(uiètede l'excès des dépenses. Elle les détaille dans un mémoire à
l'intendant-, où elle souligne le prodigieux écart entre les 68,()0() livres
de frais nécessaires, et les 12,700 francs de recettes attendues: ne
vaudrait-il pas mieux que Bordeaux, Bayonne, La Rochelle, Saint-
Jean-de-Luz, Ciboure même, se partageassent les avantages et
au.ssi les charges d'une croisière? Mais Billattc revient sans avoir
abouti, et Pontchartrain donne à entendre que c'est la Ni/mphe qu'il
veut voir armer'.
De Courson désire faire porter l'affaire devant une assemblée, où
jilus de membres seront intéressés à l'armement.
Les anciens .sont réunis "'; ils se prononcent pour une augmenta-
tiiin sensible des droits à lever, et ils prennent à témoin de leur zèle
pour le bien et la conservation du commerce le maréchal de Mon-
trevel et le premier présidents Mais l'intendant s'est absenté, et
pontchartrain n'ayant pas cru pouvoir proposer au Roi l'augmen-
tation des droits que la Chambre demande, elle se résout brusque-
ment à en rester là ".
l)e (Icjurscju revient; ce (jui sanuuni^ait ((uanic la rupture, ne
semble plus devoir être qu'un nouveau délai.
L'intendant est l'acteur principal et il sait son rôle à mer\'eille.
Tout en lui faisant des promesses jdus fermes, il exerce sur la
Chambre une certaine pression '. 11 provoque une seconde asscmbléi'
qui lui est encore favorable ^ Il montre un projet d'arrêt pour la
1. C 4-2,'>l, is juin 1710. Regislre des «It'libér.itioiis.
•2. C 4-267. -x.t juin 1710.
3. C 4-2.')l, 10 juillet 1710. Res-'istre des dèlibératinns.
4. M., 12 juillet 1710.
5. C 4251, 18 jiiillot 1710.
6. Id., -2 octobre 1710.
7. Id., 10 février 1711.
8. Id., 12 février 1711.
94 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
levée des droits demandés^; il flatte la Chambre en lui communi-
quant le dossier de l'affaire, les pièces que lui envoie Pontchartrain -,
en recevant ses mémoires, en lui offrant de les faire parvenir^ ! Finale-
ment, il la gagne en lui faisant remettre, d'une part, une lettre du
ministre annonçant que si les négociants ne veulent pas armer la
Nymphe, le roi s'en chargera à leurs dépens**: d'autre part, l'arrêt
du Conseil du 27 juillet 1711, qui permet aux négociants de Bor-
deaux d'armer une frégate, et celui du 18 août suivant, qui les auto-
rise à emprunter par le ministère de la Chambre les sommes néces-
saires pour arriver le plus tôt possible à un résultat ^
— Le 6 octobre, la frégate la Nymphe sortait du port de Roche-
fort.
L'intendant avait entraîné le commerce. Son but était atteint,
celui de la Chambre ne l'était pas.
Quand vint l'heure de prêter eiïectivement la somme de 500 'ivres
souscrite pour subvenir aux premiers frais par chacun des négo-
ciants, nombre de défections se produisirent ^ Les directeurs
étaient impuissants. Ce fut encore de Courson qui prit en mains
l'affaire.
Ayant reçu la liste des réfractaires, il les envoya chercher', rejeta
leur demande d'exemption * et lança une ordonnance pour les con-
traindre au payement par garnison effective ^
Son bon vouloir ne s^ démentit plus; il obtint de bonne heure
le désarmement de la Nymphe. Durant tout l'exercice de sa
charge, il ne cessa d'entretenir avec les Directeurs les meilleurs
rapports. Donnant son avis en conscience, et le rapportant au
besoin 1'', il aimait favoriser le commerce; en 1711, en 1715,
en 1716 on le vit tour à tour interdire la voiture des espèces »»,
écrire sur les frontières de son département pour veiller à ce qu'il
n'en sortît point >3j et s'excuser presque quand il ne pouvait en arrêter
que la moindre partie »3. Nul ne se rendait compte mieux que lui
1. G 4251, 15 mars 1711.
2. Id., 15 may 1711.
3. M., 28 août 1711.
4. C 4260. 26 septembre 1711.
5. C 4251, 6 septembre 1711.
6. Id., 31 décembre 1711.
7. /d., 7 janvier 1712.
8. Id.y 21 juillet 1712.
9. Id., 3 février 1713.
10. C 4252, 25 février-4 mars 1717.
11. C 4251, 5 février 1711.
12. C 4252, 10 janvier 1715.
18. id., 27 février.1716,
AVEC LES INTENDAUTS, I.K FAMLEMENT ET LES JLHAÏS i^H
des vexations que faisait endurer au négoce un fisc toujours auup-
çonneux, et il donna tort, je crois, à ce dernier, le plus souvent qu'il
put 1-2.
D'ailleurs, de Courson n'apparut jamais comme un théoricien
téru de ses principes. Ce n'est qu'en août 1720,deux moisavant son
ilépart, qu'on le voit traiter avec la Chambre une question géné-
rale : celle du libre commerce et de l'uniformité des droits; et encore
t'tait-elle posée par le pouvoir 2; et encore ne prit- il la parole que
pour la céder aussitôt au député.
Il aimait mieux faire sentir aux négociants bordelais sa protec-
tion de tous les instants que de gêner leur liberté par une surveil-
lance constante.
C'était un habile et il comptait sur son habileté personnelle et
sur son désir d'arranger les choses; il avait, lui aussi, l'esprit de
commerce.
C'est sous ces traits que nous allons le revoir, spectateur intéressé
de.'? conflits de la Chambre et du Parlement, moins soucieux peut-
être de préparer les voies que de laisser d'abord agir les hommes,
aller les choses, confiant qu'il est dans l'heure de l'échéance.
Par son inspiration et sous son autorité, comme s'en plaignirent
les magistrats^, la Chambre va remporter la victoire dans l'aiTaire
des courtiers, et trouver dans celle des faillis l'occasion de s'attri-
buer une juridiction nouvelle.
IV
Ces deux questions très importantes qui n'ont reçu avant 1720
qu'un commencement de solution, se rattachent pourtant à ce
chapitre.
^ Nous l'avons intitulé : « Collaboration en vue de réparer les
désastres », et il apparaît que les faillites sont la conséquence
naturelle de la variation du prix des espèces, de l'arrêt de cir-
culation des billets, de la torpeur du commerce en temps de
guerre, etc. ^
Mais la question des courtiers que l'on voit se rouvrir périodi-
1. C 4251, 19 janvier 1710.
2. C 4252, 12 mors 1716.
3. Id., 29 août 1720.
4. Registres du Parlement, 5 août 1715.
5. C 4261, 28 iQars 1715. Lettre à Pesmarets,
gÔ RAPPORTS DE L4 CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
quement sous l'ancien régime, comment expliquer qu'elle se soit
posée à nouveau entre 1710 et 1720?
La Chambre de commerce dit bien « que sur la demande des An-
glais, un article fut inséré dans le traité d'Utrecht, par lequel il leur
était permis de se servir à Bordeaux des courtiers qu'ils voudraient.
Mais ce n'est sûrement pas sur cette circonstance que s'est rouverte
la question, du moins en 1712. Alors? Il est probable que la cause
est à chercher dans certains faits que voici ' :
II existait à Bordeaux deux sortes de courtiers : les courtiers
royaux, pourvus d'offices, et les courtiers volants, simples parti-
culiers, qui s'étaient entremis dans les fonctions des précédents.
Les négociants auraient pu se servir des premiers, mais ils aimaient
encore mieux les seconds.
Les étrangers, habitant notre ville, devaient au roi un droit de
6 % sur toutes les marchandises qu'ils recevaient et 5 livres par
chaque pièce d'eau-de-vie qu'ils chargeaient. Pour ne pas payer ce
droit, ils déclaraient toutes ces marchandises, tant à l'entrée qu'à
la sortie, au nom de ces courtiers volants, et par une suite nécessaire
ils les commettaient à la vente ou à l'achat de ces mêmes mar-
chandises.
Ils étaient obligés d'en user ainsi, dit le mémoire, parce qu'ils
ne trouvaient pas le même avantage, s'ils employaient le ministère
des courtiers royaux.
Ceux-ci, en eiïet, ne pouvaient, sous quelque prétexte que ce fût,
déclarer aucune marchandise en leur nom, attendu que tout com-
merce pour leur compte leur était prohibé ^ !
Qu'on juge de l'empressement des négociants à profiter de l'au-
baine, dans un temps où il était si malaisé de ne point faire
faillite.
En temps de guerre, le commerce qui succombe sous les charges,
a besoin de ménagement; il se ménageait donc : les courtiers
volants n'avaient jamais été si nécessaires.
La querelle entre les négociants et les courtiers royaux s'était
rallumée en 1706'*; depuis ce moment, le Parlement et la Cour des
Aides n'avaient cessé de casser mutuellement leurs arrêts sur la
profession desdits courtiers, comme rendus par des juges incompé-
1. G 1620. Mémoire de la Chambre.
2. C 1620. Mémoire des courtiers.
3. C 1620. Mémoire des courtiers.
4. Malvezin, op. cit., t. III, p. 82, 83. — Francisque Michel, p. 397. — Nota : Les
juge et consuls intervinrent seuls à ce moment.
AVEC LES INTEMOAJITS, LE FAHI.EMEM ET LES JIHATS 97
tents, chacun se prétendant le juge légitime " ; à la faveur de la dis-
cussion, la jurade, dont les courtiers relevaient jadis, ••! ([iii avait dû
un b»'au jour abandonner cette prérogative-, élevait l.i \oi\ à son
tour, et allait poursuivre cette engean<'e détestée ju>cju en la per-
sonne d'un certain Guillaume, bien inolTensif sans doute. (|ui figu-
rait parmi les trésoriers de l'hôpital ^
\ ers \~\'2. la paix semblait reviMiue; le Parlement cassa le 16 mars
une certaine police passée entre Jacques Messier, Philippe Lamothe,
Pierre Dupin, Pierre Vallée et Odet Lafore, courtiers royaux *, sur
la requête du laineux procureur général Claude du N'igier. C'était
un des rares nuigistrats bien portés pour la jurade*, et il avait parlé
dans sa plaidoirie au nom du commerce et du bien [tublic. *. Mal-
heureusement, il fut convenu, en tin de séance, que les sieurs de
P(unmiers, de Marans, de Guionnet et Bigot, conseillers, s'assem-
bleraient chez le premier président, afin de rédiger un règlement
de courtage. Ce règlement parut sous forme d'arrêt le 13 avril ".
La Cour des Aides le cassa encore ^, l'afTaire fut portée au Conseil^,
et la Chambre de commerce, reprenant la tradition des jurats, dont
elle louait maintenant le zèle ««, voulut pour la première fois rédiger
un mémoire. Elle le fit courtoisement d'ailleurs, après avoir fait
agréer ses remontrances au premier président". 11 ne convient j»a?
ici de replaider le procès, mais encore faut-il, pour C(unprendre les
rapports de la Chambre et du Parlement, savoir sur ipiel point
ils dilTéraient d'avi.s. Les directeurs analysent le règlement et le dis-
cutent article par article : il y est dit : « Les courtiers expédieront
à tour de roUe les vaisseaux et les barques qui arriveront à Bor-
deaux. )) Mais alors le négociant devrait accepter les services du
couitier dont le tour serait arrivé, ce qui est contraire à l'ordonnance
de la marine, au titre des courtiers, article 11, ce qui serait, île jilus.
infiniment préjudiciable au négoce. Le commerce doit être libre.
Et là-dessus, les directeurs de prendre à parti ces courtiers qui vou-
draient se soustraire à la juridiction du Parlement, comme ils se
1. r. 37«7.
•2. Hachelier. Hixluire du rnmiiv^rri: <li' flordruii.r. lStV2, p. r2.->.
3. Lettres rie .lurade, 2 août 1710. FraiHi*(|ue .Micliel, p. 31*7.
•1. Hegistres du Parlement, 10 inar< 171-2.
5. t:nmmunay, op. cil., p. '20.5.
6. Rcîristres du Parlfm<'iit. 16 mars 17 r2.
7. r. 4207. Mémoire de la Cliainbre de rommerre de 1713.
H. C. 4251, 19 juillet 1712.
9. C 1620. Arrêt .lu 17 inav 1712.
10. Id.
11. C 4251, 21-2S juill.-t 1712. . . ..
98 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
sont soustraits à celle des jurats et qui ont osé se dire, il y a huit ans-:
« préposés pour retrancher la fraude et les abus qui se commettent
flans le commerce » >.
— Il y a huit ans, et le souvenir en est vivant encore; le trait a
porté.
Chacun s'employa de son mieux pour faire triompher sa cause.
Deux courtiers allaient à Paris solliciter du Conseil la confirmation
de l'arrêt du Parlement; et la Chambre fit appel à son président, à
M. de Courson 2.
Le gouvernement invitait d'ailleurs ce dernier à donner son avis.
Son intervention se reconnut à l'habileté du dénouement. Le 26 août
1715, les magistrats apprenaient la victoire remportée par eux sur
la Cour des Aides, en ce qui concernait la juridiction des courtiers ^
Mais un arrêt du Conseil avait précédé, dès le 16 février, sur les
fonctions mêmes du courtage ^.
Répondant aux demandes de la Chambre de commerce, qui se
plaignait de voir figurer dans le corps des courtiers jusqu'à des
prêtres, des clercs, des huissiers et des employés des fermes^, l'ar-
ticle 3 enjoignait à ceux des courtiers qui n'étaient pas à la hauteur
de leur tâche de se défaire de leur office, sous peine de se le voir
confisquer ^
Sans doute, l'article 8 renouvelait les défenses portées si souvent
contre ceux qui s'immisceraient indûment dans les fonctions du
courtage; mais les négociants savaient très bien h quoi s'en tenir;
cette prescription surannée resterait comme toujours lettre morte, et
ils reportaient leur attention sur une autre rirhe de belles pro-
messes : à l'avenir, il ne serait reçu aucun courtier, qu'après avoir été
préalablement examiné par quatre négociants, pris dans le nombre de
douze choisis par la Chambre.
Quelle belle victoire remportée par l'intendant sur ses ennemis
les parlementaires '-*, au profit des directeurs du commerce qu'il
aimait tant !
L'année ne s'écoula point, que les mêmes directeurs n'eussent
encore vu s'accroître leurs prérogatives, grâce au coup de théâtre
par lequel l'intendant imagina de clore l'affaire des faillis.
1. Mémoire de la Chambre, 1713. C 4267.
2. C 4251, 24 may 1713. Registre des délibérations.
3. Registres du Parlement, 26 août 1715.
4. C 1620.
5. Mémoire de la Chambre, 1713. C 4267.
6. C 1620.
7. Registres du Parlement, 28 juin 1715.
8. Registres du Parlement, 5 août 1715.
AVEC LES 1?ITE>DA:<TS, LK I'AUI.LMENT KT les JtHATS y9
Ce fut très brusque, très violent et très court.
Les faillites comptaient parmi les malhoirs <Im temps, les failli- '
s'adressèrent à la Chambre.
Celle-ci s'alarma avec eux d'un arrêt rendu au Parlt-menl. Ii-
A mai 1715, par lequel il autorisait le lieutenant criminel à décn-ffr
contre les négociants malheureux, à se transporter chez eux, à
mettre les scellés sur leurs effets, à faire porter leurs livres au
greffe '^.
Quatre jours étaient à peine écoulés que MM. Billattf et Marchan-
don, revêtus de leur robe consulaire, se rendaient au Parlement
en cérémonie; puis, ce fut chez le premier président qu'ils allèrent,
chez le président de Gourgues, chez MM. les gens du Roi, chez plu-
sieurs des grands chambriers ^. A la suite de deux conférences chez
Joseph de Gillet, marquis de la Caze'*, ils obtenaient enfin de belles
promesses; deux jours après, un arrêt : « Faire inhibition et deffense
à tout huissier, sergent et autre officier do justice, de ramener à
exécution aucun jugement des juges et consuls quant à la contrainte
par corps contre ceux qui ont fait faillite, lorsqu'il n'y aura point
de preuve de fraude et se tenant dans leur domicile actuel....
» Et ordonner que les faillis, qui ne se trouveront pas dans leur
maison, pour être en état de répondre à toute heure, à la justice
et à leurs créanciers, et qui n'auront pas remis leurs livres au greffe,
ou es mains de leurs créancier-, trois jours après leur faillite, seront
réputés banqueroutiers frauduleux ^ » De plus, l'arrêt suspendait
les poursuites pour six mois. La Chambre s> montra satisfait*^'.
La preuve en est qu'elle demanda par la suite la prorogation de
l'arrêt du 11 mai*. A la faveur de cet apaisement, l'entente allait-
elle se faire entre la Chambre et le Parlement? En venant en
aide aux faillis, les deux autorités venaient de collaborer en vue
de réparer les désastres. Il est dommage, (pie des ressentiments
particuliers très violents soient venus rendre un accord imp(»ssible
et remettre tout en question. Le lieutenant criminel, interprète
peut-être des sentiments intimes de quelques parlementaires, mon-
tra un zèle excessif, et confondant à loisir faillites et banqueroutes ",
1. C 4'^01, 18 may 171."). Lettre ;i Desinaietb.
2. C 4252, 6 may 1715. Registre des déUh^rnlions.
3. C 4252, 9 may 1715.
4. Communny, op. cit., p. 133.
5. C 4252, 11 mai-14 novembre 1715.
0. C 4252, 14 novembre 171.0.
7. C 4Î61, 18 may 1715.
lOO RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
il scellait, enlevait, décrétait; s'emparant des livres des faillis,
contrairement aux ordonnances, répondant aux actes que les
syndics lui faisaient signifier, encore et toujours par de nouvelles
saisies '.
Mais un terrible soupçon pesait sur la magistrature : dans la lettre
que la Chambre fit porter à Desmarets, par l'un de ces faillis vic-
times du Parlement, elle avait osé insérer cette phrase, la plus har-
die peut-être qu'elle prononça jamais :
« La facilité que les officiers du Parlement trouvent de se faire
payer à la faveur des décrets de prise de corps, ce qui leur est deu et
à leurs amis, au préjudice des autres créanciers des faillis, donne lieu
à cette Cour d'autoriser les procédures tortionnaires du lieutenant-
criminel ^ »
Après cette insinuation, elle en glissait une autre peut-être plus
adroite encore: elle demandait à Desmarets d'attribuer à la juri-
diction consulaire de Bordeaux la connaissance des faillites ou ban-
queroutes, et de l'enlever à des magistrats (|ui déshonoraient la
justice. Quand elle serait réduite à procéder extraordinairement
contre les coupables, elle le ferait d'accord avec les maire et jurats^
Une pareille attitude nous étonne de la part d'une Chambre que
nous avions vue si humble, si modeste, si impuissante jusqu'à pré-
sent. Non, ce n'est pas elle qui a jeté ce défi au corps respecté du
Parlement; elle en a toujours parlé avec déférence*. Ce n'est pas
elle non plus qui a voulu se faire une place à ses dépens. Pourquoi
serait-elle si âpre contre les magistrats? Ils ne se sont même pas occu-
pés d'elle. Ce rôle, qui n'est pas fait à sa taille, c'est, on le devine, un
ennemi du Parlement qui le lui fait jouer, peut-être malgré elle,
mais pour elle et pour le commerce, autant que pour lui, à coup
sûr: c'est M. de Courson. Nous en avons les preuves^: d'abord,
une lettre de Desmarets à l'intendant, de 1711, dans laquelle il
1. C 4261, 18 may 1715.
2. /(/.
3. Id.
4. C 4251, 12 juillet 1710.
5. C 1624, 13 avril 1711. Lettre de Desmarets à Courson. En voici deux extraits :
« Monsieur, les marchands et nesotians du Royaume ont depuis longtemps prétendu
que les juridictions <onsulaires devaient conoitre de tous procès et différent de mar-
chand a marchand |iour fait de marchandise privativement à tous autres juges...
Sa Majesté ayant dessein d'establir une règle certaine, et s'il se peut uniforme sur cette
matière, souhaitte que vous nous informiez des differens litres et raisons que peuvent
avoir les juges et consuls de vostre généralité, comme aussy de l'usaye qui s'y est
observé à cet égard, et que vous lui mandiez ce que vous estimerez le plus convenable
à faire.
Il Je suis. Monsieur, vostre très humble et très affeclionné serviteur.
> Desmarets. »
AVEC LES INTENDANTS, I.E PARLEMEN I' ET LES JLRATS lOI
lui «lomandait son avis sur In juriiliction ronsulairc; puis cette auln-,
(|U(' le Parlement écrivait i»lu> t.inl au cliancclifr : » Il est vray
iiéaiuunins (]ue les négnei.'ints <li' crllc \illc (|uy avaient fiavailli'-
;"i (les niérn(iii'e> pdur airibuer ;'i l.i ( '.hanilire df rdiunieicc uik' umii-
velle juridiet mil ;iu préjudiec du l'iirleiuctd . nous avait-nl ;i\ou('
(ju'ils n'avaient juiiaé ces jiidjrls ([ue jiai' 1 inspiration <1<' M. de
('-ourson et sous son autoiilt' (nous croyions pouvoir) fain* sentir
eclluy (1<' ni;dlienri ([ue niiu> a\ imis, d'él re exposés depui> <|iic|i(iic-
années aux entreprises de M. de Gourson et à rafTe<'ti(m (ju'il a de
I laiter, dans les occasions, la compagnie sans aucun mtiiagemenl,
ce qu'elle n'avait pas éprouvée d'aucun de ses prédécesseurs'.»
D'ailleurs, voici l'intendaid cpii vient en personne présider solen-
nellement l'assemblée convoquée jxiur lalTaire des faillis. Il rnlic en
scèn ', mais sans fracas.
Comme toujours, il laisse dire; des négociants proposent di\ers
moyens jxiui- relever le connnerce, il se borne à ajouter :
« Oue >i oïl (Ml Iriiiivait (|m'l((ii'iiii, il rappiiiciJiil Initement auprès
i!ii iniiusir(
. z
Mais aucun ne l'ut goût»'' de lui •'; et la C.liaiiihre se iiioidraii (jim'I-
que peu décontenancée d'avoir à attendre (( les remèdes, des lumières
et de la prudence du ministre»'', d'autant jilii> ((iic les perséeiif imi-
redoublaient à l'égard (\i'^ faillis.
(l'est dans la correspondance de la Chambre av«' ■ |)e>maret>
que se trouve le récit le plus frapjiant de ces rigueurs. Les lettres
qu'«»n lui éerit sont vraiment impressionnantes, je veux diic,
faites pour impressionner ^ Elles contrastent avec celles que les
dir ctei'.rs adressent au député Fénelon ^
Si I Un note ([iie l'inteinlant insista à plusieui> reprises pour i|ue le
conimerre n'invo((uât ])oint à tout coup la piotecl ion du ministre',
(pi'il la r(''>er\ât en iiiiel(|in sorte, de manière ^i se l'assurer par des
arguments très forts le moment \ciiii, on jieiit ])enser (pie le coiiite
Launay d<; ('.ourson ('-tait, (pti >ail. peut-être le conseiller "^ de sou
I ministre, ou qu'en tout cas, le connaissant bien, il savait le prendre,
eoniine l'on dit.
1. Uf'_'i?iri'j du P;iiii'inciit, r> ;ioùt 171 T..
•J. C -1-2.5-', v'ô may 171.5.
3. C 4'2t)l, •2S may 1715. Leilre à Féiu-loii.
1. /(/., 30 may 1715. Lellie à la Chambre de comiiUTce de Toulouse.
5. Id., 18, '28 may 1715.
6. M., 7 juin 1715.
7. C 425-2, -25 may 1715.
S. C l«V2t, 13 avril 1711. Lettre de Desmarets à Courson.
I02 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
— - Dix jours étaient à peine écoulés depuis le moment où Des-
marets recevait ces plaintes éloquentes :
« On ne se contente pas de faire décerner des décrets de prise de
corps contre les faillis, sans aucune preuve; de les faire trompeter
pour les mieux diffamer et engager par là les parents et les amis à
payer certains créanciers par préférence, on a recours et on abuse
des monitoires de l'Église qu'on a fait publier et afficher dans toutes
les Églises, places et carrefours de Bordeaux «. »
Coup sur coup, la ville appr jnait deux nouvelles étonnantes : Sa
Majesté avait révoqué en son conseil « les contestations formées
et à former au sujet de l'apposition du scellé en cas de faillite ou
absence des marchands»-; de plus, par sa déclaration du 10 juin
1715, le Roi attribuait aux juges et consuls la connaissance de tous
les procès civils qui pourraient survenir pendant six mois ^, « à l'oc-
casion des faillites et des banqueroutes ouvertes depuis le l^r avril
1715 jusqu'au 1*^'' janvier 1716»^,
Pour cette faveur sans seconde accordée au commerce, la Cham-
bre rendit de très humbles grâces à Desmarets ^, cependant que le
Parlement dénonçait les entreprises de M. de Courson^..,
Ainsi se termina la première phase de la lutte; le Parlement crut
devoir insister. Le 28 juin, il enregistrait la déclaration du roi '.
En vertu de cet acte, le l*^^ juillet, les créanciers de deux faillis,
les Acquart père et fils, requirent le lieutenant criminel de faire
surseoir à la procédure in-^n é^ à ces négociants malheureux. Il n'y
en eut qu'un, l'avocat général Albessard pour la faire continuer.
Avant le 3, jour fixé pour le jugement, il n'avait pas encore été
possible « d'obtenir des signatures sufiîsantes pour faire plus de la '
moitié des dettes passives des Acquart » **, condition stipulée par
la déclaration royale. Albessard et le lieutenant criminel en profi-
tèrent. Le 3, ce dernier rendit une sentence par laquelle il condam- I
nait les faillis, à mort, par contumace.
Le 4, de grand matin, les créanciers étaient encore à chercher un p
huissier pour requérir la Cour de surseoir à la procédure.
1. C 4'ittl, 7 juin 1715. Lettre à Desmarets.
2. Registres du Parlement, 19 juin 1715.
3. C 42(31, 2 juillet 1715. Lettre à Desmarets.
4. Registres du Parlement, 28 juin 1715. Instruction générale sur la juridiction
consulaire, 1750.
5. C 4261, 2 juillet 1715. Lettre à Desmarets.
6. Registre» du Parlement, 28 juin 1715.
7. C 4261, 9 juillet 1715. Lettre au Contrôleur général.
8. C 4261, 9 juillet 1715. Lettre au Contrôleur général.
WEC LES INTENDANTS, LE l'ARLEMENl ET LES JLHATS r o5
A sept heures, Albessard portait le procès en Tournelle: à neuf
heures, la sentence de mort était confirmée '.
Et le Parlement nous dit pourquoi : «Il n'y a dans les alTaires de
it'tte nature, ni dellay a essuyer, ny procédure à instruire, ni dis-
tribution à faire... Ces sortes de condanmations sont toujours confir-
mées et l'on en ordonne l'exécution figurative. Vous nous permet-
trez. Monseigneur, de vous représenter que la conduite de3 juges
ne saurait être reprochable dans un cas où le jugement est devenu
nécessaire et qu'il ne peut être retardé quand une partie le demande-.»
Le conmierce, la Chambre en tête, s'insurgea, l'intendant fut
averti^, la sentence cassée; l'on respira.
Mais quel discrédit pour la magistrature ! On se croirait au temps
de Labarre ou de Beaumarchais. Après l'heure tragique, on la plai-
sante, et elle donne la comédie : ces juges que les plaideurs intéres-
sent si difficilement à leur cause, qui font traîner les alTaires à
n'en plus finir, ont montré cette fois la complaisance et l'empresse-
ment les plus rares : en peu de temps, la sentence de mort a fait
le tour du Parlement et recueilli toutes les signatures •* — il est \ rai
que le plaignant était un magistrat.
La Chambre triompha, et poursuivit ses triomphes; elle sollicita
du pouvoir la prorogation de la déclaration royale, portant attri-
bution aux juge et consuls des affaires de faillis^; du Parlement,
celle de son arrêt du 11 mai, qui épargnait aux négociants malheu-
reux la contrainte par corps, sous certaines conditions ^
Le Parlement crut encore pouvoir mettre néant sur la requête
de la Chambre; mais celle-ci sait manœuvrer; son président lui
a enseigné sa tactiqie; elle se pourvoit directement au Conseil *.
De Courson se déclare, d'ailleurs, très surpris du refus du Parle-
ment, il approuve le zèle des directeurs et, « voulant continuer
celluy qu'il a pour le bien du commerce» il se charge d'envoyer"
leur mémoire en Cour. Quelques jours après, l'ordre venait à la
Chambre de présenter une nouvelle requête au Parlement. 11 éma-
nait de Villeroy ^ : Desmarets était tombé.
Le commerce n'eut plus qu'une satisfaction : une nouvelle déda-
1. C 1201, l'Ublii'; jiar liiulails, o/j. cil., p. ".ill.
~. Registres du Parkiiient, 5 août 171."). Lettre au cliaiici'liiT.
3. C 4-25i, 1 juilkl 1715.
4. C 4201, 9 juillet 1715. Lettre à Desmarets.
5. C 4252, 14 novembre ïllô.
6. M.
7. M,, 21 novembre 171."i.
8. C 4252, 24 novembre 1715.
9. M... 19 décembre 1715.
lOll RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
ration du Roi communiquée à la Chambre le 9 janvier 1716, en séance,
prorogeait l'attribution aux juge et consuls des procès et différends
civils des faillis, mais seulement jusqu'au l*''" juillet'.
Dès lors, ce fut bien fini. Dans le courant de l'année même, Lamoi-
gnon de Courson était nommé conseiller d'État 2. Avant son départ
il communiqua aux juge et consuls un arrêt du Conseil, ordonnant
que la connaissance des faillites éventuelles appartiendrait, comme
avant la déclaration de 1715, aux juges ordinaires, en premier res-
sort, et par appel, au Parlement ^.
La Chambre protesta, rien n'y fit; ni l'accord de plusieurs juridic-
tions consulaires "*, ni la tactique de l'intendant plus savante qu'elle
ne fut jamais^, ni même l'appui du Conseil de commerce, qui per-
sévérait dans ses idées ^; de guerre lasse, on finit par ne plus parler
de cette affaire. La victoire resta aux magistrats, qui obtinrent la
prorogation de l'ordonnance royale du 9 janvier 1716, en leur faveur^.
C'est qu'à ce moment précis de l'histoire de France les Parle-
ments pouvaient enfin élever la voix. Leur retour en grâce, qui dé-
sai'ma les intendants, était une manœuvre dans l'esprit du régent,
en quête d'alliés. Ce n'était point la récompense venant couronner
les efforts des Compagnies en vue du relèvement national. Leur esprit
de routine avait même compromis le succès de la collaboration de
tous les pouvoirs. Pour aboutir, ces derniers avaient dû malmener
un peu ce corps toujours trop lent à se mouvoir, et contre lui, la
Chambre avait fait merveille.
Si c'était tout à ses débuts qu'elle remportait ses plus belles vic-
toires sur les magistrats, elle le devait un peu au gouvernement de
Louis XIV, qui ne cessa de leur marquer sa défiance; elle le devait
ensuite à son alliance ou, pour mieux dire, à son entente intime avec
les jurats, ses amis naturels; elle le devait enfin et surtout à M. de
Courson, l'ennemi des parlementaires, plus royaliste contre eux
que le Roi et plus négociant que les directeurs du commerce. C'est
lui qui avait « lancé » la Chambre, et les circonstances voulurent
qu'elle ne s'arrêtât pas en si bon chemin.
Il avait affirmé son indépendance; elle voulut la faire respecter
de tous, même de l'intendant.
(A suivre.) M. LHÉKITIEK.
1. c: 425-2, 9 janvier 1710.
2. Ici., 10 décembre 1/lG.
3. M., '27 juillet 1718.
4. Id., 11 août 1718.
5. Id., 18 août, 13 septembre 1718.
G. Id., 26 novembre 1716.
7. Id., juillet-août 1718.
A TIIAVI-IIS U: SCllISMi: CO.NSnTlTKlN.M-L
EN GIRONDE
(Suite pl fin.)
DEUXIKMK l'AKTli;
LE SCHISME CONSTITLTIONXEI.
DANS LES GHANDES LANDES DU HOI^DEL\IS
L NOTK UMINAIRIÎ.
Après l'exposé des laits que nous venons d'esquisser, il n'est
certainement pas inutile de montrer, en un tableau firiisenibl»',
comment les populations rurales accueillirent le schisme constitu-
tionnel, et quelle action il exerça sur ct^s âmes h mctitalili- sim-
pliste ^
Ce n'est, évidemment, qu'un j)L'tit cdin «le nus lande> «iiir ni>us
avons fouillé; ce sont quelques individus à peine de l'immense jMipu-
lation forestière, qui s'utïrcnt à notre exann'u. Mais, en somme,
cela importe relativement pe\i. Ces individus n-présenttMit la rare.
L'âme paysanne, iavinciblt-nnut iiiflinée vers la tern'. a. partout
et toujours, un même fonds r(im!ii\m d'nbstinal ion. d'âpn'lé,
d'ignorance, qui l'empêcht' de monter au-dessus d'un r.ihiiii
niveau; et nous sonunes roiiv;iiiieii-. (|iieii beau('on|> de e;i> on
pourrait, sans bien grandt; liMiit-rili'. eoiielnre ilu |iariienlier ;in
général. Au surplus, nou^ nr !'• l'i inn- pas.
I. (.flli- élutlr ;i r.iil r<il>)rt il"uiii' ritiniiiMiiiciiliiiii iiriVciilcr- .111 «.iiiilT'- «riiirliiire
ri ■r:iiilii''(il(>,'ii> <li- l!i.;itit/ i\ \\\> Il s'-.iiHV |>iililii|n*- ilii 1' itoùl liUl.
8
Io6 A TRA-VERS LE SCHISME GONSTITUTIONINEL EN GIRONDE
"1 II. — ^JLe Clergé.
( Dans les paroisses qui constituent la partie centrale des Grandes
Landes du Bordelais, tous les curés ^ passèrent au schisme'^. Partout
leurs fidèles les suivirent, sans songer même à ébaucher une protes-
tation •^.
Si l'on examine d'où provient une telle unanimité dans la chute,
il semble bien qu'on en trouvera une des causes principales dans la
difficulté des communications. Les curés de la Grande Lande, eu
effet, ne pouvaient guère se déplacer. Aller simplement à Bordeaux,
ou à Bazas'S constituait pour eux un voyage cher et pénible; car
même à la fin du xviii<^ siècle, les routes, impraticables pendant la
majeure partie de l'année, isolaient les paroisses^. Ils en étaient
donc réduits à se fréquenter à peu près exclusivement les uns les
autres, formant une sorte de petit clan dont les habitudes, parfois
même les idées, finissaient par se ressembler beaucoup; où, en tout
cas, l'influence d'un seul homme devenait aisément prépondérante.
Quoi qu'il en soit, les raisons de leur adhésion au schisme se décou-
vrent avec facilité, et si elles n'excusent pas leurs lamentables
déchéances, elles servent au moins à en expliquer la possibilité; elles
permettent aussi de plaider, en beaucoup de cas, les circonstances
atténuantes,
1. En droit eccléïiasUqiie strict, il faudrait dire: les vicaire» perpétuels, t'.ertes, en
ce qui concernait pratiquement l'exercice des fonctions pastorales, les pouvoirs des
curés et ceux des vicaires perpétuels étaient absolument identiques. Mais, au point
de vue matériel, il y avait entre eux une assez grosse différence : les curés avaient le
droit de s'approprier toute la dîme de la paroisse; il n'en allait pas de même des vicaires
perpétuels, qui recevaient seulement une portion congrue et percevaient quelques
petites dîmes accessoires. Il faut remarquer, toutefois, qu'à la lin du xviii"^ siècle, les
\icaires perpétuels i>renaient assez généralement le titre de curé. On en voit même, à
Andernos, par exemple, le revendiquer iiar la voie judiciaire. Ils se basaient, poui-
justifier leur droit, sur une déclaration du roi, datée du 5 octobre 172tj, les autorisant
« à se qualifier curés de leurs paroisses, comme estant seuls chargés du soin des âmes ■
(Arcli. dép. de la Gironde; fonds — non classé — des Feuillants, carton 42).
2. A Belin, Béliet, Salles, Le Barp, Lugos, Saint-Magne, Hostens,"pour la Gii'onde;
Saugnac-et-Mui-et pour les Landes. Bien que cette dernière paroisse ne compte point,
à proprement parler, i)armi les localités englobées dans les Gi-andes Landes du Bor-
delais, dont elle est limitrophe, nous avons cru néanmoins devoir en faire état dans
cette étude, car, soit ]iar les relations, soit par les mœurs, elle a toujours formé, avec
les paroisses ses voisines, une sorte d'agrégat évident. — ■ Hostens est situé dans l'arron-
dissement de Bazas, canton de Saint-Symphorien; Saugnac-et-Muret, dans l'arrondis-
sement de Mont-de-Marsan, canton de Pissos; toutes les autres communes citées appar-
tiennent à l'arrondissement de Bordeaux, canton de Belin.
3. Les exceptions, s'il s'en produisit, furent excessivement rares. En tout cas, nous
n'en connaissons point.
4. Les paroisses de Béliet, Salles, Le Barp, Saint-Magne et Hostens appartenaient
à l'archevêché de Bordeaux; celles de Belin, Lugos, Saugnac-et-Muret, à l'évèché de
Bazas.
.'5. Copie de lettres de Jean Rouraégoux, maître de poste de l'Hospitalat (Arch. de
M. Félix Roumégoux, ancien magistrat, propriétaire à Bélietj_
A THWERS LE SCHISME CONSTl TL TI<)>>EL EN GIRONDE IO7
Tous les prélres^ que nous trouvons en 17U1 dans le centre des
Grandes Landes du Bordelais étaient de braves gens, pénétrés de
leurs devoirs, charitables et bons. Ils aimaient leurs paroissiens,
et leurs paroissiens qui, depuis de longues années, les voyaient à
l'œuvre les aimaient eux aussi. C'étaient, en plus, des hommes de
mœurs honnêtes. Peut-être leur foi s'avérait-elle un peu molle ;
mais, en somme, on ne peut nier qu'elle ne fut sincère. Par mallu-ur,
bien des causes extérieures contribuaient à l'ébranler.
Voici, peut-être, la principale. Les curés ne possédaient jamais
de très gros revenus, ou, pour mieux dire, ils ne possédaient pas tous
les revenus au.xquels ils jugeaient avoir droit; et cela leur faisait
contester l'honnêteté de leurs chefs. Ils se butaient à ce principe,
d'ailleurs erroné, que la totahté des recettes paroissiales devait leur
appartenir. Et comme ils n'en percevaient que la plus petite partie - ;
comme ils voyaient, chaque année, le prieur enlever, sous leurs
yeux, presque tout l'ensemble des dîmes, ils se jugeaient odieuse-
ment lésés. Oubliant qu'ils avaient accepté ces restrictions en sol-
licitant leurs bénéfices, ils trouvaient intolérable que celui dont la
tâche restait nulle absorbât la majeure partie des ressources parois-
siales et qu'il leur falLt, eux, malgré tout leur travail, se contenter
dune portion congrue infime, d'un casuel mesquin, de quelques
malheureuses dîmes, rognées d'un côté par l'âpreté du prieur, de
l'autre par l'avarice du paysan . De la, des colères injustes, certes,
1. M. Pierre Nau de Saial-.Marc, \icaire perpétuel Ue Mons el lieliii depuis le 20 mai
17VÔ. — M. Louis Joly lilazoïi lie saula, vicaire perpétuel de Ueliel depuis le 20 décem-
bre l/02. — -M. Jean-liaplisle Liellard, vicaire perpétuel de Lugos depuis le 2 février
l/b3. — M. Jean-LSaplisle Anglaue, Mtaire perpétuel du IJarp depuis le 'J mars 1/S2.
— M. ijOdefroid Cazeueuve, vicaire perpétuel d lloslens el Saint-Alagiie depuis le
2y juillet 1/00. — M. hraiiçois Thiac, \icaire perpétuel de Saugiiac-et-Murel depuis
le l'j juillet 1/47. — MM. L.azeiieu\e el iJellard, ipii devaient declioir d'iiae fai;aii
bien plus \ile que leurs coulreres, s étaient pourtant montres toujours bons prêtres
avaiil la Hevolution. Corru/jliij oiiliini pessimn.
i. A 1 origine, les cures primilils percevaient la totalité de la dimc, à condition, bien
entendu, que la dîme ne Iùl pas, comme la chose arrivait assez souvent, mi-partie
séculière. Avec le temps, on donna aux vicaires perpétuels la dime, pergue sur les
biens-fonds nouvellemenl difriclies, et connue sous le nom de navales, cette partie
de la dune était, evideminent, de beaucoup iiifcrieure au reste.
3. un ne saurait irop repeler que la siLualion matérielle ilu clergé congruiste, loin
de le réduire a la misère, lui donnait, tri'S geiier ilemcnt, des moyens d'exisleiue fort
suETisants. L.e cierge n elait pas très riclie, à coup sur; mais il l'était encore beaucoup
plus quf le cierge rural actuel. N'oici «luelques exemples à l'appui île celte .•ifllrmalioii.
.Vu moment de la Hevolution, le vi<-aire perpétuel de Meliii. M. \;ui de Saint-Marc,
posM'dail un revenu moyen de 1,801» livres par an (Arcli. dep. de la (iirolule. L 113/);
-M. .\nglade, vicaire perpétuel du IJarp, louchait annuellement 1,200 livres au moins
(Arch. de M. Paul Daiiey, maire du Uarp); .M. ('.oriiillot, vicaire perpétuel de Salles,
arrivait à plus de 2,40U livres (Arch. dep. de la (iironde, I. lO'.tS'; le seul quartier de
Lavignolle lui donnait pour la dime 3 »U livres plus un rouvert d'argent - et une cuilliére
potagère" (i6/(/., Contrôle des .'ictes de Helin; acte du 1.") juin l/ï>3,; M. Cazeneuve,
vicaire periJetuel d lloslens, avait, pour le moins, ce que possédaient ses prédécesseurs
dans celle paroisse, savoir: l,loO livres el un casuel consider.iide (mon ouvrage: La
baroniiie de Saiul-Magm', t. Il, |i. lOj.
to8 A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
au moins en très grande partie, mais profondément tenaces; de là,
ce fait qu'on en était venu à se révolter ouvertement.
Dès la fin du xvii^ siècle, nous voyons le clergé des campagnes
s'élever, avec une insistance tout particulièrement violente, contre
un pareil état de choses. Les congruistes commencent par réclamer
contre la modicité de leur pension et, à force de ténacité, ils
réussissent à obtenir diverses Ordonnances royales qui leur don-
nent ample satisfaction i. Vainqueurs sur ce point, ils ne s'arrêtent
pas; ils s'attaquent à la dîme, essayant, par les voies judiciaires,
d'en enlever le plus qu'ils peuvent aux prieurs. En 1726, en 1728,
en 1743, ce sont les curés du Barp ^ qui traînent les Feuillants^
devant le Parlement de Bordeaux; ils le font même avec une telle
âpreté, un tel entêtement que l'un d'entre eux* se voit arrêter par la
maréchaussée et jeter en prison. En 1753, c'est le tour des curés de
BeUn, Béliet, Salles, Mios, Moustey, Saugnac-et-Muret, Pissos ^, qui
s'attaquent au prieur de Mons et le font condamner en première
instance ^ Plus tard, la lutte va s'accentuer et nous verrons les
curés de Mios, de Béliet et de Salles refuser l'entrée de leurs églises,
fermer même la porte de leurs presbytères à M. Despujols, qui vient
d'être nommé au prieuré de Belin, et contre lequel ils plaident ".
Mais quoi? ces procès coûtent très cher; ils sont très longs aussi,
car les prieurs font toujours appel dès qu'une condamnation les
frappe. Puis, il est bien difficile que les petits soient vainqueurs
dans la lutte contre les grands. Aussi, quand 1790 arrive, la situa-
1. Leur ]>orlioii congrue finit par être portée à 750 livre;- à la lin ilu .wiii' siècle,
alors que cent cin(|uante ans plus tôt elle n'était guère que de 200 livres, au maximum
de 330.
2. MM. François-Antoine Montai, curé du 7 novembre 1720 à décembre 1724. Pierre
liarracan, curé du mois de mai 172.S au mois de septembre l'j'Âl. Cuillaunie Salesses,
du mois de juillet 1742 au mois d'août 1744. Di3s f)rocès identi(pips fuient intentes
aux Feuillants, et soutenus de 1710 à 1709, jiar MM. D-sIiéli^, Audouy, Mas, Scanland
et Grandon, curés successifs d'Andernos, qui dépendaient du prieuré du Barp (.\rcli.
dép. de la tiironde; fonds — non classé — des Feuillants, cartons 42 et 4.5).
'S. Les Feuillants étaient des moines réformés de l'ordre de Saint-Benoît. Ils pos.-è-
daient le prieuré du Barp, auquel était annexée la paroisse .Saint-Jacques du Barp.
4. M. liarracan. Il fut arrêté à la tin de 1,32 par ■■ Dacoutant, brigadier de la maré-
cliaussée de Blaye, sui\ant le mandement du sieur Malesrot, procureur du Roi de la
maréchaussée de (iuienne, en date du l*""^ sei>t('mlire 173i . Après son arrestation, le
mallieureux curé fut conduit • dans les prisons liu Palais à Bordeaux (Arcli. dép. de
la (iironde, C 4052-.
5. Béliet. Salles et Mios dépendaient du prieuré de Belin, situé à Béliet. Mouste\ ,
Saugnai-et-Muret, Pissos et Belin dépendaient du prieuré de Mons, situé à Belin.
Les deux prieurés se trou\'aient réunis, à ce moment, entre les mains du même prieur :
M. Souc de Planclier, abbé de Saint-Astier (cf. mon ouvrage: Les Prieurs de Mons et
de Belin, p. 23).
G. Arch. dép. de la Gironde, G 953.
7. Arch. dép. de la (iironde, (; 931. .Jean Dsspujols, prêtre du diocèse de Bordeaux,
supérieur du Séminaire Saint-Raphaël de novembre 1759 à mars 1767, fut nommé
prieur de Belin le 17 juin 1762. Cf. Les Prieurs de Mons et de Belin, p. 25 à 28,
\ IHAVERS LE SCIIISMi: CONS TITl l lO.XNtL KN (.UUj.MjJ. luy
tion des curés n'a guère chanf;»''; ils n'ont pas obtenu les ressources
nouvelles qu'ils réclani.iitiit. l^f .ilors, quoi(ju'ils ne soient point
|i;iii\n'S. en réalité, coniinr lU (Mil l.t sensation ili' puuvoii- ;ilf riniln-
ini liini-cl If supérieur. <•( d'<ii «tu' |iriv('s ])ar riiijii.>li(f, piir l'av."!-
rice (le leurs chefs, ils se forgent inilli' tit'Sftlations, factices en grande
j)artie; ils croient souffrir, ils souffrent vraiment. En outre, ils ont
la rancœur de leur longue lutte inellicace et ils appellent, avec
passion, un ordre de choses nouveau.
Or, la Constitution civile du Clergé leur ài»porte c(; qu'ils dési-
rent : elle supprime les prieurs abhorrés; elle remplace, \>;w une
pension fort raisonnable, la dîme, objet de tant d'ennuis: elle va
permettre à chaque prêtre, si humble soit-il, de rester seul maître
(lie/, lui, à peu près indépendant de toute iiutoiiti- ecclésiastique i^.
Et c'est déjà une raison pour que le clergé rural accueille avec
sympathie cette loi ([ui \a supprimer les abus dont il souffrait.
(îertes, il n'y a pas que cela dans la Constitution civile; il y a
aussi l'organisation ofTicielle du schisme et nos curés devraient le
comprendBe. car ils sont instruits : tous possèdent quelque grade
théologique, la plupart sont docteurs, le curé de Belin - est même
un ancien jésuite dune haute culture littéraire, philosophique et
théologique.
Pour bien dire, ils comprennent ce qui se passe, mais ils s'effor-
cent de se démontrer que ri<]glise, atteinte dans son temporel, ne
l'est pas dans son essence; ils affirment, comme le curé de Belin,
que l'Assemblée nationale <( n'a touché ny entendeu toucher au
.spirituel, et que ce qu'elle a décrettc est purement temporel » -K
1. l'.xtrait «le la Coiistiliitiuii "ivilc ilu ( IcTtré :
1 I 1 UE I": Oes officiiTS cirlt^xiasliques. — .Vit. \x. — Les abbayt's ou jirieurt's en
ii-tlf iiu en cnnurifiiile, «le l'un el île l'aiilre sexe, sont ('■teint-- et -n|i|irinii'>, >ans nn'il
l"iiissf jamais en ("-tre étalili île semliialile-.
TITHK II : hc hi nnminalinii aux hént'itirs. — Art. i". On ne ronnailra ijn'iliu-
sPiile manière de pour\oir aux riires, c'est i\ savoir la forme îles élections. — Art. ii. —
Toutes les élections se feront par la voie ilu scrutin el à la pluraliti'- îles suffraires. —
Art. XXXVI. — L'év(^(iue aura la faculté d'examiner l'élu sur sa ductriiie el ses iiuimii^.
sHuf aux parties le recours à la puissance civiTe.
TITKK m : Du trailemenl dis minislrrs itf la rilii/iun. — Art. v. — Le traitement
«les ruré.s sera, sa\oir: dans les villes et les ImurL's dont la population est au-dessoii<
de Ifi.OlHl Ames et au-dessus de 3.000 Ames. île -2,400 livre-. I.orsipie la paroisse offrira
une population de 3,000 Ames et au-ilessons. jus.pia •.'..">(»), de -^.OOO livres; lorsiiu'elle
en oITrira une de •2,."«00 Ame> jusipi'a ^.(JOO, de I .koo li\res: loi-ipj'elle en offrira une
de moins de -2,000 el de i>lus de 1,000, de I ..'>00 livres: et lor^ipi'elle en offrira une de
I .ftoo Ames et au-dessous, de 1.-200 livres. •
■2. M. Pierre Nau de Saint-.Marc, entré i liez les .lésuiti^ le -'3 a\ ni 1737, curé di-
Melin du 20 mai 177.5 au 12 octobre 17^(3. d.itt- de sa mort. < f. mon ouvrage: Deiir
ParDtsxes '/'■ t'anrien temi>s. p. 1.3) à 13->.
3. Arch. dioc. de IJordeaux. Fonds moderne, l'rocès-verbal de sa prestation «le
serment.
IIO A TRAVERS LE SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIRONDE
Ils se basent, d'ailleurs, sur l'opinion présumée de leurs chefs qui,
peut-on croire, pensent comme eux; car enfin, Louis XVI, le roi
très chrétien, a sanctionné la constitution civile, et Mgr Champion
de Cicé, archevêque de Bordeaux ^, a contresigné l'acte royal.
En outre, ils croient que l'Assemblée avait le droit de légiférer,
même en matière religieuse. Profondément imbus du vieux principe
d'indépendance nationale qui, dans les siècles passés, avait tant
de fois mis en. avant les libertés de l' Église gallicane, ils constatent
que, de fait, l'Assemblée nationale a concentré en elle les pouvoirs
de la nation et du roi; et tout naturellement, ils lui accordent sur
les choses d'Église les droits qu'ils reconnaissaient jadis au souve-
rain. Enfin, à tout prendre, le pape ne s'est pas prononcé.
Voilà bien des raisons. Elles valent ce qu'elles valent, ou, pour
mieux dire, elles ne valent rien. Probablement, nos curés en juge-
raient ainsi, s'il leur fallait, bien tranquilles dans la solitude de leurs
presbytères, rédiger une thèse ou un sermon. Mais, c'est de tout
autre chose qu'il s'agit. La décision qu'ils vont prendre pèsera sur
leur vie entière. Et alors, par quelles cruelles incertitudes ne pas-
sent-ils pas ?
Ils sont d'autant plus perplexes que mille sollicitations extérieu-
res assaillent leur volonté hésitante. Sans compter les menaces
officielles, qui semblent n'avoir jamais été bien terribles dans les
Grandes Landes du Bordelais, il faut mettre en ligne de compte « les
prières, les instances des parents ou des amis, et parfois même le
cœur du pasteur qui luttait contre ses sentiments et ses inclinations
les plus chères, car il souhaitait de vivre avec une paroisse qui lui
avait donné jusqu'alors sa confiance, et qui l'aimait encore, mais
que les décrets avaient séduite, et qui allait ne voir en lui qu'un
ennemi » ^.
Ajoutez à cela l'efïarement peureux de tous ces pauvres curés,
qui, habitués jusqu'alors à être pratiquement les chefs incontestés
de la paroisse, se trouvent, du jour au lendemain, brutalement
dépouillés de leurs prérogatives séculaires; souvent même en butte
aux tracasseries des municipalités. On leur a pris leurs églises pour
y tenir des Assemblées où ils ne sont rien, et que préside un paysan
inconnu la veille; il faut qu'ils déposent sur le bureau du Conseil
1. Jérôme-Marie Champion de Cicé, né à Rennes en ÏTSi, mort archevêque d'Aix
le 22 août 1810, archevêque de Bordeaux du 4 février 1781 au 8 octoljre 1801, fut choisi
comme garde des sceaux par Louis XVI le 4 août 1789; il donna sa démission le 21 octo-
bre suivant (Lopès, l'Eglise Saincl-Andrc de Bourdeaux, t. II, p. 409).
2. Ludovic Sciout, Histoire de la Consliiuiion civile du Clergé, t. I, p. 410,
A THAYF.RS II" SCmSMi: Cl»SriTUT10>NF.I. E> GIRONDK I I I
municipal l'état de leurs revenus; on exige qu'ils fassent arrêter
par le maire les recettes et dépenses de la fabrique; au Barp, on
ira jusqu'à interdire d'utiliser l'argent des pauvres sans une auto-
risation formelle des officiers municipaux K En voilù bien assez,
ii'»st-il pas vrai? pour effrayer un pauvre honmie qui ne s'est
j;iiiiais préparé à la lutte, qui n'a pas trempé son caractère en pré-
\ ision de l'épreuve, qui ne trouve ni dans sa vie aux habitudes
hop bourgeoises, ni dans sa foi trop raisonneuse, ni dans sa vertu
trop routinière, le ressort dont il aurait besoin pour réagir contre
le mal.
Les curés jurent donc.
Tout au plus apportentrils quelques restrictions timides à leur
serment, comme le curé du Barp, qui jure d'obéir à la « Constitution
civile, acceptée par le roi » -; comme le curé de Belin qur jure « après
les plus mœurs examents et réflections les plus sérieuses, ne voyanl
rien que le civil dans la Consiiiuiion civille du clergé » ^ Ce n'en est
pas moins la chute. Et quelques-uns de ces pauvres malheureux :
les curés de Saugnac-et-Muret, de Salles, de Belin, de Béliet, vont
mourir trop tôt pour pouvoir se réconcilier avec Dieu, Il est vrai
que les trois premiers, au lieu de réparer leur faute, quand le pape
l'a solennellement condamnée, s'y sont ancrés contre le cri de leur
conscience \
m. — Les Fidèles.
Quant aux paroissiens, c'est beaucoup plus simple : ils n'ont
rien compris à la Constitution civile du Clergé. Trop peu instruits
pour savoir qui, du curé assermenté ou du curé insermenté, repré-
sente la vérité, la seule chose dont ils s'inquiètent c'est de conserver
les pratiques extérieures de leur religion. Ils veulent un curé; il.*;
veulent des offices; ils veulent les sacrements et la sépulture reli-
gieuse. Aussi, quand il arrive, comme à Lugos ou à Saint-Magne,
qu'on les prive de pasteurs, ils adressent pétitions sur pétitions
aux corps constitués, pour qu'on ne les réduise pas à « vivre en
1. Arch. do M. Paul Daney, maire du Bnrp. Di^libération municipale du 19 septem-
bre 1790.
2. Arrh. dioc. modernes. Prestation de serment de M. Anglade.
3. DeiiT Parois.t€.<! de l'ancien temps, p. 137.
4. Pie VI avait condamné la Constitution civile du Clergé par un bref daté du 13 avili
1791. — M. lUazon do Sabla, ruré de Ijolipt. mourut le 17 avril 1791; .M. Tliiac, cure
de Saugnac-el-Muret, en octobre 1791; M. (.mnillot. curé de Sallesi. le ii avril 1792;
M. Nau de Saint-Marc, curé de Belin, le 12 octobre 1793.
113 A TRAVERS I.E SCHISME CONSTITUTIONNEL EN GIUONDE
idolâtres ». A Saint-Magne, ils iront même jusqu'à menacer de
refuser le paiement de l'impôt, si on ne leur envoie pas im
curé ^
Mais lorsqu'on leur a donné satisfaction, ils ne s'inc{uiètent pas
de savoir si leur curé est ou non en communion avec le pape : c'est
là une chose beaucoup trop compliquée pour leur mentalité paysanne.
Au surplus, savent-ils bien ce qu'est le Pape? Sous l'ancien régime,
quantité de pasteurs, prétextant les libertés de l'Église gallicane,
avaient systématiquement refusé d'apprendre à leurs ouailles que
le Souverain Pontife possède le Magistère suprême dans l'Église,
et que tous, pasteurs aussi bien que fidèles, doivent lui obéir
Les curés schismatiques sont donc acceptés sans difficulté, dans
les paroisses où M. Pacareau les envoie. On les respecte, on les
estime, on les aime. Vienne la restauration du culte, M Sabès,
curé de Belin ^, constatera que le curé constitutionnel de Saugnac-
et-Muret ^ est un digne prêtre, jouissant de la considération géné-
rale. De même, M Bruguière a su gagner l'affection des paroissiens
de Salles; M Péés^ s'est fait aimer à Saint-Magne.
Les chrétiens les plus dévoués à leur foi agissent eux-mêmes de
la sorte. Quand le 12 nivôse an III (2 janvier 1795), M Sauvage,
riche propriétaire belinois, marie sa fille, il exige qu'on rétablisse
dans le contrat une formule supprimée depuis longtemps par
l'athéisme jacobin, une formule que personne plus n'emploie, et
dans laquelle les époux s'engagent à solenniser leur union « devant
notre Sainte Mère, l'Église catholique, apostolique et romaine ».
1. "On ne pense pas à nous fournir (un piètre). Et cependant on n'oublie pas à
nous ileuiender les impositions. Mais les habitants sont si outrés de se voir abusés
depuis longtems qu'ils ni ])ensent du tout; et quand on leur parle de la paye, ils réi)on-
dent qu'ils ne i)eu\enl point payer, s'ils ne sont point servis; et qu'il préferroit payer
la dixnie ijoui' avoir un jjrêtre, capable de les entérer et administrer les Sarremens,
non ])as à rester dans l'état où ils sont, à ce voir, comme des idoUalres, enterrés, sans
aucune cérémonie. > (Cf. mon ou\rage : l^a baronnie de Sainl-Mngne, t. II, p. 9.^-96. i
•2. .Jean Sal)ès, né le 30 mai 17.53, était curé de Beychac au moment de la Ré\o-
lution. 11 prêta le serment, mais le rétracta presq\ie aussitôt. Curé de Belin de l.SC.3
à 1807, il mourut le 29 juin 1839 {Deux Paroisses de l'ancien leiiti>s, \<. 33") à 33 .
357 à 359).
3. Il se nommait Seguès. D'abord vicaire de Saugnac-et-Muret (Reg. paroissiaux
de Béliet ; décès, 18 avril 1791), il prêta serment en même temps que M. François Tliiac,
son curé. Celui-ci étant mort en octobre 1791 (Arch. dép. de la Gironde; contrôle des
actes de Belin), M. Segués lui succéda (Reg. paroissiaux de Belin, 1791 et 1792, [jassinii.
Au rétablissement du culte, l'administration diocésaine le maintint dans la cure de
Saugnac-et-Muret, où on le trouve encore en 1814 (Arch. de la fabrique de l'.elin; reu.
des délibérations).
4. Jean Péés, prêtre du diocèse de Lescar, quitta son pays natal aux débuts de la
Révolution. D'abord vicaire de Sanguinet, puis curé de Laluque, dans les Landes, il
passa dans la Gironde, où il devint successivement curé schismatique de Béliet et de
Saint-Magne. En septembre 1797, il était ministre du culte à Sauternes (Deux Paroisses
de l'ancien /cni/).s, p. 310 à 314:.
A rUVVKKs I.E SCIIISMI (ONSnil riO?(NEL EN GU10?»L)E I I 'i
11 veut aussi que son curé assiste à la itMlacLion il<- l'actt' et le signe ".
Tout cela est bien l'œuvre (i'iiii rioyinil. Oi-, à i|Ufl «uri'' -';iilr<'sse
M. "^,iii\ .i^i''^ au iMwé coiisl it iil iiiiiinl .|c Hclin.
Il laul dirt'. jiuiir i'\|ilii|iicr rri (■lat il'i'-iuil. ipn- !<■ passage au
>rlusnie s était aceumiili -nis éelat dans tout le l'.rlinois et «laii^
les environs. Le niêmi- ruir avait confinué à incini la inêiuf vi»-.
à (•('débrcr It's iiiémrs n(li c -, à .Mlmiiiist riT Ir- ii émi'S sai'rr-
mnits. à lux'cher la iiumiic iiiiualc. à rii-riLriicr If iin-iiii' ilo^iuf,
à i|i''rt'ii(liL' les mêmes (liiclruu'.> ; It.'s lidelcs ne di-iiiaiidaient rien d<'
jdiis.
Par exi'mpl»', ils a admclliniil j>a> que le prétr»-, mt-nif pum-
obéir aux dirigeants du jour, manque aux devoirs essentiels de son
état.
Ou'un curé se inarii' ! c'est son affaire: on le laissera bien tranquille.
Mais qu'il ne s'avise point ensuite de jui'-teiidre à exercer le saint
ministère : le jieu]de ne seul plus de lui jiour cela. On verra les
l'emmes de Salles en déshabiller un dans l'église, parce qu'il s'obstine
à vouloir célébrer la messe, et le menacer d'une fustigation en
régie, s'il récidive. « Avis des fenunes, » dit une alUclie placardi'C
sur la ])orte de l'église, à côté d'une poignée de verges, « Avis des
fenunes : Si Bellard, prêtre marié, dit la messe, sera foité. Prends
garde à toi ^. » Les nmnicipalités elles-mêmes tiendront ces malheu-
reux en pauvre estime, comme on le constate par l'attitude du
niaire terroriste de Belin à l'égarrl d'un prêtre marié réfugié dans
la comnmne ^.
Certes, on rencontrera, çà et là, quelques athées d'une sottise
ou d'une méchanceté assez opiniâtre pour réclamer ctimme curé,
même au rétablissenu'nt du culte, des prêtres évideuuuent indignes,
tels que .M. Bellard à Salles ', et M. Contrastin au Barp; nuiis c'est
rinfune minorité. Le peuple comprend la dignité du sacenloce et
ne veut pas qu'on le salisse. Il tient essentiellenu^nt à conserver
sa religion intacte. Si un jour vient où il semble l'abandonner pour
aller au Temple de la Raison, il le fera sans conviction, par force,
parce qu'il a peur; mais dès qui' la l\iannie tunle-puissante des
gouvernants aura cessé de peser sur lui, il rcviemlra aussitôt au
vieux culte des ancêtres.
I. \hiinli- ili- \I l-.|jtniii' llosli'ii, imlaiii- ;i liclin. l'oiul- I.Jilillr.
"2. Deux Paroisses dr t'uiirieri Irnips, \>. IU7-31>>.
3. /./., p. 307-308.
». Ihid., p. 319-3-20.
Il4 A. TRAVERS LE SCHISME CONSTlTUTIONiSEL EM GIRONDE
IV. — Conclusion.
En résumé : chez le clergé, préjugés séculaires contre Rome, souci
trop inquiet du bien-être, colère exagérée contre des injustices
d'ailleurs certaines, solitude morale, isolement matériel, elïarement
peureux; — chez les fidèles, ignorance considérable, effrois irraison-
nés, respect inintelligent du pouvoir civil; — telles sont les causes
qui ont permis au schisme constitutionnel de réussir dans la partie
centrale des Grandes Landes du Bordelais.
Mais ces causes étaient trop évidemment extérieures à l'âme
populaire, pour qu'une œuvre, établie sur des bases pareilles, eût
chance de longue durée. Aussi, croyons- nous qu'il faut chercher
dans les raisons mêmes dont le schisme constitutiormel est issu,
le principe déterminant de sa disparition rapide. Ni le clergé apostat,
qui savait très bien ce qu'il faisait, ni les fidèles du culte constitu-
tionnel, qui ignoraient la portée de leurs actes, ne pouvaient faire
œuvre de vie.
Abbé Albert GAILLARD. •
tii^:s(\ i:\Tiiti: ii'i\ misii;il\ m i.it\Mi-Tiii:\Tiu:
EN 1781
Eu 1781 . les Bordelais ne possédaient pas seulement un magnifiqur
théâtre, chef-d'œuvre de Tarchitecte Louis, inauguré au mois d'avril
de l'année précédente et dirigé par le sieur de Belmont, ils avaient
aussi une troupe de comédiens et un orchestre de premier ordre.
(( On sait, disait à ce propos un journal du temps ' auquel nous
empruntons la petite anecdote qui va suivre, que le spe tacle de
Bordeaux tient un des premiers rangs dans le nombre de ceux df
la province. La beauté de la salle, le choix des acteurs et celui des
musiciens rendent ce spectacle digne de la ville qui le possède. »
Le mérite en revenait au maréchal de Richelieu, gouverneur de
la Guienne, lequel s'occupait activement du Théâtre, choisissant
lui-même les pièces à jouer, recrutant les artistes, distribuant les
rôles et veillant avec un soin jaloux au maintien de la discipline
dans la troupe. Celle-ci, du reste, s'appelait la troupe de Mrjr le
Maréchal, et le maréchal, bim plus que de Belmont lui-même, en
était le véritable directeur.
Ses connaissances musicales et son goût prononcé pour le théâtre
rendaient la population digne d'une sollicitude dont elle fut peut-
être l'inspiratrice et sans doute les Bordelais durent-ils tout d'abord
à eux-mêmes d'avoir de bons acteurs et de bonne nuisique.
D'après notre Journal, il y avait, en efTet, à Bordeaux « des oreilles
(jui pouvaient l'emporter, en connaissances musicales, sur bien des
oreilles de Paris, qui s'imaginent être les jiremières oreilles du
monde pour la nuisique ». Aussi <'(inq>r<'nil-(iM (pie les mélomanes
bordelais aient pris jtnrt :'i la (iiii'icljo des ghickislrs et des picci-
nistes avec une ardeur rendur curijre plus vive par le voisinagi-
de la Garonne. « Des personnes dignes d«' f<'i, dit à cet égard h'
Journal, rapportent qu'elles ont été témoins dans cette ville de
l, Arch. mxin., Journal des Causes célèbres, t. XC, juin 17S'2, p. 147.
1 l6 MÉSAVENTURE d'lN MUSICIEN DU GRAND-1 HEATRE EN 1 78 1
disputes aussi sérieuses et aussi vives que celles qui ont été agitées
dans la capitale sur la préférence qu'on doit donner au génie du
fameux Gluck sur celui du célèbre Piccini. Les amateurs de Bor-
deaux sont (si l'on en croit ces personnes) pour le moins aussi
profonds que ceux de Paris. Cette observation prouve qu'on aime
les beaux-arts avec autant de passion sur les bords de la Garonne
que sur les rives de la Seine. »
L'orchestre du Grand-Théâtre était composé en conséquence.
On y voyait, en 1781, à côté du fameux Beck comme maître de
musique, et de Lepin^ comme deuxième maître adjoint : 5 premiers
violons. 4 seconds violons, 1 alto-viola, 6 basses, 2 contrebasses,
1 premier cor, 1 deuxième cor, 2 flûtes, 2 hautbois, et 3 bassons '.
La présence de ces deux contrebasses était exceptionnelle.
L'orchestre jusqu'alors n'en avait compris qu'une seule, chose
déjà remarquable, car cet instrument, introduit seulement vers
1725 à l'Opéra de Paris où on ne l'entendait d'ailleurs que le ven-
dredi, n'était guère répandu dans les théâtres de province. C'était
un nommé Lourey qui, depuis au moins 1778, remplissait les fonc-
tions de contrebassiste du Grand-Théâtre. En 1781, le>^ action-
naires voulurent rehausser l'éclat de l'orchestre, et ils engagèrent
pour trois ans un second contrebassiste, un parisitMi nommé Cottu
ou Coutu.
Ce Cottu était un virtuose de la contrebasse et « au mérite du
savoir il joignait celui de l'exactitude; son archet, disait-on, méri-
tait l'honneur d'être employé dans l'orchestre d'une capitale. »
« Contrairement à l'usage », dit le Journal, il avait été stipulé dans
son engagement que Cottu se fournirait lui-même son instrument
« attendu qu'il en avait un excellent qu'il avait porté de Paris... «
La vérité, c'est que, à part celle de Lourey, il n'existait au Grand-
Théâtre ni même par toute la ville aucune autre contrebasse. On
eût donc été bien embarrassé pour en fournir une à Cottu. Du
reste, puisque celui-ci avait la sienne, n'était-il pas plus naturel
qu'il s'en servît ? D'autant que son instrument était remarquable,
qu'il (( avait six pieds de hauteur, était d'une étendue proportionnée,
et rendait des sons lugubres qui contrastaient merveilleusement
avec les sons aigus de la chanterelle des violons. »
Donc, l'archet de Cottu faisait merveille depuis le 1^^" avril,
1. Bibliothèque de Bordeaux. Manuscrit du comédien Cossin Le Couvreur,
MÉSAVENTIRE o'UN MIJSICIKN DU r.R\?(D-THÉ V inK K> l'Sl II7
jour d Ouvorluir ilr la saison en >>• li'inps-là, lorsijirunc calast ri'plii-
viiil subiteiiMMit intci-idni])!»' les siint'-s de imlic imisiciiMi.
Le mardi "J'i mai l7Ni, l'.otl'i se ifiidit à riicun- aiciuitiimi'-f au
(irand-Thérdrt'. ()n jnviait m soir-là Clémenline S: iJésunnes rf l.r
Hal hoiirficnis '. Mais (jurllcs ne lurent pas sa surprise et sa doideur
liii>(|uc. jM'iu'Iraul ilaii> l'(>rrlir>| rc. il y trouva sa contrebasse
brisée! Un des musiricn-. IjiuifN jM'ul-rl 1 1. jiilnux du hdiMil cl di--
>ucfès de C<illu. a\ail pn mmiI -f li\i'ci' à cet aele de basse vt'U-
<;eanci'. ("ut tu. ct'iifudanl . nr paraît avoir ouvrrti'iuful accu-i'-
personne. A (|uni hdii. d aillcur.-.* \ .*• dt'lit n'avait pas eu de t«''moin>,
et il ne }»ou\ail êtic (|ursli(>n d ru retrouver l'auteur. C.ottu n'avait
d'autre ressource que de l'aiie constater l'état de sa contrebasse ••!
l'impossibilité oîi il était de jouer, ce qui fut l'ail tu jtrésence d'uu
-ieur de Carcy, actionnaire du spectacle, qui se trouvait précisément
au théâtre à rc mument : « Qu'on fasse rétablir au jdus tôt cft ins-
trument, dit cet actionnairi'. cl on verra... »
La r(''ponse de M. Ai' Carcy était rassurante. Et cf l'ut une cnnso-
lation pour ce pauvre (".kIIu de penser que s'il ne jinuxail pas
retrouver l'auteur fin delil. il aurait du moin.-« la satisfait iiui de
faire réparer sa contrebasse aux frais des actionnaires.
«On s'adressa donc sur-le-<;hamp au plus habile luthier'- de H<u-
deaux, cjui promit de réparer sans délai ce gros inslntnu'iiL sans
lequel il n'est point de symphonie mâle et parfaite pour l'oreille qui
sait apprécier le mérite d'un concert et d'un opéra. Cet ouvrier lit
dire à la direction que la réparation de la contrebasse pourrait
coûter 96 livres. »
Son t avail dura jtrès d'uu mois.
Le .hnii'lUll raeuiUe (|Ue u pendant ee lein|i-. Itiiilie-I re de iior-
deaUX tut pliNi' de eonlrebasse parée (|ue. il;in> ee UKUlH'nt. cette
pièce, duii ^;iau(l pii\ par e||i'-iuême, était la seule qu'il \ fû\ à
Bordeaux dans ce genre. La musique, dit-un. n'en lit pas moins de
bruit, niai> le> (ireille> dillieiles ('■juinivèicnl une pii\atiiiii ilmi-
Inureuse. »
Il se peut que l'tuchestre ait été privé de contrebasse duraid le
tenq)s (|u'ou réparait eelle deCnlIu. Mais la raison (|u'en donne
le Journal n'est assurément pa> la hoiiue. Car. dè^ l'iu-tant qu'on
n'avait ]»as eu à foui'uir de eoid rebasse à Col I u puisqu il l'u a\ail
porté une de Paris, il restait encore celle de Luurey. Et cela nou-
1. .^^lIlll^(■ril ih' Le (^ou\reiir.
■,'. Saii^ ildiiti' 11' liloypii I l>ni \ \|iilh'iii . ■iiii ,i\ ;iil sa bouti<iiii' m.' Uitm.
Il8 MÉSAVENTURE d'uN MUSiCIEN DU GRAND-THEATRE EN I781
conduit à penser que les « oreilles » dont parle le Journal ne cessèrent
pas d'entendre les sons harmonieux de la contrebasse.
Le 25 juin, la réparation étant terminée, le luthier rapporta à
l'orchestre l'instrument de Gottu et présenta à la direction sa. fac-
ture, montant à 96 livres. Vaine tentative ; les actionnaires ne vou-
lurent rien entendre. Le luthier se décida alors à les assigner, mais
comme il se méfiait, non sans raison, des lenteurs de la procédure,
il préféra s'en prendre à Gottu lui-même et faire opposition sur ses
appointements entre les mains de Belmont. Pour ne pas se voir
couper les vivres, Gottu paierait immédiatement.
L'opposition eut lieu le 30 juillet. Affolé, le malheureux musi-
cien « se donna des mouvements auprès du sieur de Garcy ; il le pria,
le supplia, de bouche et par écrit, de vouloir bien satisfaire le
luthier, qui avait arrêté ses appointements; mais le sieur de Garcy
répondit : qu'on ne me parle plus de celte affaire. Cependant le
sieur Gottu qui, d'ailleurs, n'avait eu jusque-là qu'à se louer des
procédés du sieur de Garcy, se flattait toujours d'obtenir de cet
actionnaire la justice que tout sollicitait en sa faveur. Il lui écrivit
jusqu'à trois fois, d'une manière très respectueuse; mais, n'ayant
reçu aucune réponse, il se crut dispensé d'écrire davantage et
s'adressa aux tribunaux. Quoique devenu nécessaire, ce parti de
rigueur était un peu embarrassant pour le sieur Gottu. « On sçait
bien quand on commence un procès; on ne sçait pas quand on le
finit... » On ne sait pas surtout comment il finit, aurait pu ajouter
le chroniqueur.
Le plus simple pour Gottu eût été de suivre les errements de la
procédure, et, cont stant le principe lui-même de sa dette, de
demander la nullité et la mainlevée de la saisie- arrêt. Mais, pen-
dant ce temps, il n'aurait pas touché ses appointements; il en aurait
même d'autant plus longuement attendu le paiement que, devant
son attitude, le luthier n'aurait pas manqué de mettre en causf la
direction afin d'obtenir condamnation contre l'un ou l'autre de
ses adversaires.
Gottu alla donc au plus pressé et il « commença par capituler avec
le luthier ». Gelui-ci triomphait. Mais la capitulation de Gottu fut
un peu une capitulation pour rire, car l'accommodant luthier
accepta de recevoir ce qui lui était dû en un billet de 96 livres
au 15 novembre suivant « ou lorsqu'il serait décidé par justice —
au résultat du procès que Gottu s'engageait sans doute à intenter à
Belmont — si les actionnaires devaient ou non payer cette somme »,
MÉSAVENTURE HUN MUSICIEN DU GRAND-THÉAl HE EN 1 78 1 II9
ubligatiuu alLeniuLivc ([ui iiuu» laisse assez deviner lequel des deux
modes de libération Cottu s'empressa de choisir. Notre musicien
obtenait ainsi mainlevée de la saisie sans rien débourser, et il allail .
cette fois, pouvoir attendre avec sérénité que la justice décidât
entre lui et son adversaire. H ne s'agissait plus que de commencer
l<' jirocès et Cottu assigna immédiatement Belmont en <iualité d»-
«i fondé de procuration pour la régie des spectacles de Bordeaux »,
Comme le taux du litige « n'excédait pas le cas de l'édit, par appoin-
tement du 9 janvier 1782, la cause fut retenue au présidial pour >
être jugée en dernier ressort. »
De Belmont et les actionnaires, déjà coupables de ne s'être pas
montrés plus grands seigneurs à l'égard de Cottu en payant la
réparation de sa contrebasse même s'ils n'y avaient pas été tenus,
aggravèrent leur cas en contestant une responsabilité évidente.
Ils le firent, d'ailleurs, contrairement à toutes les règles du droit et
du bon sens, et comme il convenait à des plaideurs décidés à sou-
tenir quand même une cause qu'ils savaient mauvaise.
Ils arguèrent d'abord d'une faute à la charge de Cottu, faute qur
celui-ci aurait commise en ne prenant pas la précaution, un»-
fois la représentation terminée, d'enfermer sa contrebasse dan>
un étui. Puis, ils contestèrent que leur qualité de dépositaires le>
obligeât à veiller d'une façon particulière à la chose reçue en dépôt.
Kntin, « pour se tirer d'embarras, » ils prirent même « le parti de nier
["opinion la plus généralement reçue dans le droit : que les maîtres
sont responsables civilement des délits de leurs domestiques, commis,
facteurs et préposés; c'est-à-dire des dommages et intérêts qu'iU
peuvent occasionner; ce qu'il ne faut entendre pourtant que de>
délits commis dans les lieux et dans les fonctions où les maîtres le>
ont employés, » principes qu'on trouve presque intégralenient repro-
duits sous cette forme dans l'article 138-1 du Code civil.
Cottu avait pour défenseur un jeune avocat reçu eu 1775, M*^ Cour-
celle de Labrousse. Celui-ci fit observer avec raison ([u'il n'était
point d'usage et qu'il eût d'ailleurs été fort peu pratique de mettre
dans un étui une contrebasse de deux mètres de hauteur et d'Hétemlue
proportionnée. » On ne met pas plus une contrebasse de ces dimen-
sions dans un étui qu'on n'y met un clavecin. Quant à la garde de
l'instrument doni il avait accepté le dépôt, du reste nécessaire,
Belmont devait y apporter d'autant plus de soins que ce dépôt
n'était pas gratuit, mais «lucratif», et qu'il «existait pour liifi-
lité comn\une au musicien Cottu et à la direction '>.
I30 MÉSAVENTURE d'uN MUSICIEN PU GRAND-THEATRE EN I781
Mais ce fut surtout contre la prétention de Belmont de s'exonérer
de toute responsabilité à raison du dommage causé par ses pré-
posés, que M*^ de Labrousse s'éleva avec le plus de véhémence.
Là, d'ailleurs, était le véritable terrain de la discussion. « Quoi !
s'écria-t-il, un seigneur qui perçoit quelques deniers à une barrière
pour l'entrée de chaque tête de bête à cornes sur sa terre ou dans un
marché, sera responsable d'un délit commis par des vagabonds dans
les chemins de sa terre; et les actionnaires qui reçoivent chaque joui-
des citoyens à la porte du spectacle, un argent immense qui se rend
dans leur caisse comme par une pente rapide, prétendraient avec
succès s'afïranchir du paiement des dommages causés dans la salh-
par leur domestique au préjudice de qui que ce soit et particuliè-
rement d'un mercenaire ?
»A quels désordres, d'un aveu général, ne conduiraient pas des
principes contraires à ceux qui servent de base au système du sieur
Gottu? S'ils pouvaient avoir lieu, un valet de théâtre pourrait, à
son gré, enlever sans retour, au préjudice des actrices chargées des
rôles de grandes coquettes, de mères nobles et de reines, les bijoux
et diamants qui sont ordinairement des attributs réels de leur feinte
dignité. Mais les lois, qui ont tout prévu, ont très prudemment
fait refluer le bien et le mal des causes secondes sur les premières.
Ainsi, juger cette contestation au préjudice du sieur Gottu, ce serait
inviter à violer le dépôt. D'après cela, le magasinier pourrait se
laisser piller sans, risque, le cocher pourrait, sans dire gare, ren-
verser le passant dans sa course, sans intéresser le seigneur qui le
mit sur le siège; et le commettant ne serait plus garant du commis.
» Qu'on juge, maintenant, s'il y a plus d'extravagance et de ridi-
cule dans l'action qu'a intentée le sieur Gottu, que dans les efforts
que paraît faire le sieur de Belmont pour la repousser. »
Et M*^ de Labrousse termina sa plaidoirie par rette ironique et
plaisante péroraison : « Oh ! grand Apollon, ne souffrez pas plus
longtemps que la puissance de la musi(jue soit en défaut. Si, avec le
secours de ses charmes, Eurydice sortit des enfers; si les arbres,
les rochers et les fleuves furent entraînés par la douceur de la lyre
d'Orphée, pourquoi l'archet d'Alexis Gottu n"a-t-il pas déjà fait
bondir (juatre misérables louis d'or du fond du gousset des action-
naires du spectacle de Bordeaux ? »
Ge plaidoyer peut nous paraître suranné dans sa forme, nuiis
les arguments juridiques qui en sont la base n'ont pas vieilli, et
il n'est sans doute aucun confrère actuel de M*' de Labrousse qui
MÉSAVEMURi; d'un MUSICIEN I>U (lU \ Mi- TIIÉA THE EM 1781 I J I
désavouerait la d^-lfiisc présciilcc par <.elui-ci. Ia-.s iiiagislrnls du
présidial ne trouvèrent eux-niénies, td c'était là l'fssentiel, ru-n
à reprendre au système développé i»ar M*^ de Labrousse, et par
jugt'inenl en date du l'"'" mai 178"i, ils ((imlamnèrent BelmonL au
paiement des 96 livres envers Cottu. ;iiM>i (ju'en tous les dépens.
Cv juur-là, Cottu fut tout à la joie d'avoir t'rdin ohteiui g;)in df
cause, mais sans songer un instant que son procès, bien jdiis «pu;
son talent, venait de le rendre célèbre.
M. i)i; L.
VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS
AU MOYEN AGE
(Suite et fin.)
CHAPITRE
Logement des vins.
L'expression .« loger le vin» est usitée d'une façon habituelle
pour désigner la mise du vin dans des récipients divers où il peut
être conservé jusqu'au moment de la consommation. En Bordelais,
au moyen âge, on se servait de vaisseaux de bois et non pas d'autres.
L'emploi de vaisseaux de bois remonte à une haute antiquité et les
auteurs latins en parlent souvent. On a voulu voir dans les tonneaux
de bois en usage à l'époque romaine une invention gauloise ^. Ces
vaisseaux de bois étaient en tout cas employés dans la Gaule-
romaine et n'ont pas dû cesser de l'être. Les documents les plus
anciens du Bordelais relatifs au logement des vins nous signalent
des fûts et on ne semble pas avoir jamais employé de vaisseaux
vinaires d'une autre sorte -. Le mot fût employé pour désigner des
vaisseaux de bois avait, au moyen âge comme maintenant, diverses
significations et ne servait pas seulement à indiquer des barriques
ou des tonneaux mais aussi, par exemple, des bois de construc-
tion ^.
11 y avait en Bordelais des vaisseaux vinaires de contenances
très diverses. Le tonneau, la pipe et la barrique sont les plus usités
et les plus fréquemment mentionnés dans les comptes de l'arche-
1. Pour les futailles des Gaulois, cf. Musée rttr. du (ji-oupe VU..., p. 34. — Curlel,
op. cit., p. 113. — Francisque Michel, llist. du cornm..., l. 1, p. 11).
2. Du reste, dans toute la France on parait avoir employé au moyen âge des vais-
seaux de bois.
3. Le mot <■ fût » était bien usité pour les vaisseaux vinaires de bois (G 238, fol. 308 v"
et Arclïiv. hist., t. XXI, p. 252), mais on désignait aussi sous ce nom. d'autres bois
(E not. Dartigamala, reg. 1474-1475, fol. 121 v» et 122, 10 oct. 1474, et 2*= partie, fol.
7 V).
VITICULTURE ET VINIFICATION KN BOKDELAIS Al MOYEN AGE laS
vcclic, où chaque aiiuée un arlick' spécial etst réservé à l'achat de
la « vaisselle vinaire » nécessaire pour la nouvelle jécolLe. Le ton-
neau valait deux pipes ou quatre barriques. La pipe valait donc
deux barriques ^ Aujourd'hui ciuore, en Bordelais, quatre barriques
de 225 litres valent un tonneau et le terme tonneau est d'un usage
courant. Un propriétaire, par exemple, inditjue l'importance de
sa récolte en tonneaux et jamais en barriques ou en hectolitres,
et c'est par tonneaux qu'il la vend. Cependant le tonneau dont
on pgrle aujourd'hui ne correspond pas à une mesure réelle. C'est
une simple mesure de compte et un « tonneau » de vin se loge dans
quatre barriques de 225 litres. Nous avons pu constater qu'il n'en
était pas de même au moyen âge. Le tonneau correspondait, en
effet, alors, à un fût spécial; on en a d'indiscutables preuves dont
voici quelques-unes dans un ordre chronologique du xiii"-' au
xv*^ siècle.
Les bourgeois de Bordeaux s'engagèrent en 1284, vis-à-vis
d'un bourgeois de Londres, pour « 100 tonneaux de vin et 2 pipes
de vin ». Si tonneaux et pipes n'avaient pas désigné des fûts
spéciaux, on aurait dit 101 tonneaux, puisque 2 pipes valaient un
tonneau^. En 1386, il est payé ii sous vï deniers à un charpen-
tier pour la réparation d'un tonneau et d'une barrique^ et en 1361
on place dans le cellier de rOlïicial à Bordeaux 2 tonneaux de vin
blanc et 4 pipes de vin clairet •*. Pourquoi n'aurait-on pas dit aussi
2 tonneaux de vin clairet, au lieu de dire 4 pipes, si le tonneau avait
été comme aujourd'hui une simple mesure de compte? Enfin, dans
la seconde moitié du xv^ siècle, les tonneaux sont toujours en
usage, puisque dans une énumération de vaisseaux vinaires il est
successivement question de ung tonel, des gros dulhs, des peiiis
diilfis, très pipas, quatre bcuncas ^
Ces tonneaux, dont nous avons constaté l'usage du xiii*^ au
xvi^ siècle, n'étaient pas seulement employés pour loger le vin,
1. G 24U, fol. 240 et suiv. • — 1368, lO juillet ' Duubuj iii|ii> pro iiiio tunello cl duabus
barriquis pro una pipa computatis. ■ ((i '230, fol. 175 v°.)
2. 1284, 22 février : « In cenluin lonollis viiii cl liuabus pipi> viiii .-^olvendid. ■ (Ch. Bé-
inoiit, mies gasc..., t. II, p. 223, n° 798.)
3. loStJ : « Pro reparatioiie uiiius tonelli et uiiiiis baniipio. • ((i 23i>, fol. 314 r».;
1. 1301 (.Arc/là', hisl., l. XXIj. — Un a de lI■^'•^ noinbieux .exemples pour le xi\ '
et le XV siècle, .\iiisi, eu 13s2 : •> l'ro repara lione vayssellc viiiarie %id. toiielloniiu,
pipanini, barriquarum, loniportaniin. » ((J 23'.l, fol. 220, et .4rf/ii;'. hisl., I. .XXll,
p. 3ly.) — ,\ liourj,', privilège aeconlù par iMloiianl III (rAntjlelerre, aiitoriHanl les
jurais à lever 'le cartonnage scavoir seze rartons pour thonneau et Iniict pour i>ipe ■
(E suppl. 2452). — 1404 (G 240, fol. 213 V), etc., etc.
5. 1474 (E nol. Dartigamala, reg. 1474-1475, (ol. 4).
12/i VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MOTEN AGE
mais aussi, par exemple, pour le pasteP, le blé ^ et le miel. Les
« tonetz de miel » qui nous sont signalés en 1475 étaient plus
grands que les tonneaux habituels, puisqu'il faut compter « trois
pipes pour tonneau de miel » ^.
Il faut remarquer que ce mot tonneau, tonetz, tonellus a en latin,
au moyen âge, un synonyme fréquent : dolium. Il ne paraît pas,
en effet, y avoir de différence entre tonellus et dolium, usités cons-
tamment l'un pour l'autre. Dans un acte de 1285, il est question de
« quolibet dolio seu tonello vini » et tonneau a bien là le sens précis
qui vient d'être spécifié, puisque, dans ce même acte, il est indiqué
que pour les pipes on payait des droits de moitié moindres que pour
les tonneaux ^. Ce tonneau, valant 4 barriques, était un vaisseau
de très grande capacité. Si l'on admet, en effet, cpie la barrique
bordelaise avait déjà au moyen âge à peu près les mêmes dimen-
sions qu'au xviii^ et au xix^ siècle, c'est-à-dire une contenance
approximative de 225 litres^, on voit qu'en comptant 4 barriques
au tonneau, celui-ci pouvait contenir environ 900 litres. On faisait
néanmoins circuler et voyager les tonneaux *, mais c'est sans doute
la difficulté qu'il y avait à remuer ces gros fûts qui a amené leur
disparition et leur a fait peu à peu substituer les pipes et les barri-
ques. L'emploi des pipes pour loger le vin de Bordeaux devait
lui-même un jour être abandonné, et seules les barriques ont conti-
nué à être en usage.
Il n'y a pas de date précise pour la disparition des gros vaisseaux
vinaires. A la fin du xv<^ siècle, il semble que déjà les tonneaux
1. 1362 {Archiv. hisl., t. XXXIV, p. 179).
2. 1406, ordonnance du 15 juillet: «Tonetz... en los»iuaus tonetz bingud lo l)l;it ijui
era de la bila. <• (Reg. de la Juiade, délib. de 1406-1409..., p. 3.)
3. 1475, 11 avril (E not. Daitigamala, reg. 1474-1475. 2- partie, fol. 5 v").
4. 1285 (C.li. Bémont, fioles ga.sc..., l. Il, n" 921). — yuand on trouve dans les docu-
ments » dolium vini " (Francisque Micliel, Rôles gasc..., t. I, p. 419, n° 3363, etc.), il est
donc légitime de traduire dolium par tonneau (= 4 barriques).
5. Mal\'ezin, dans son chapitre sur la culture de la vigne à l'époque anglaise, écrit :
« La barrique bordelaise avait sa (orme et ses dimensions particulières qui la distin-
guaient des barriques des pays voisins et qu'il était interdit à ceux-ci d'imiter. t;'étail
une véritable marque de fabrique protégée par les lois et un privilège auquel les Bor-
delais attachaient un grand prix. » {Hisl. du commerce..., t. 1, p. 260.) Malvezin ne
justifie pas par des textes cette affirmation. 11 semble cependant <\ue ce qu'il dit est
vrai pour la barrique et les autres fûts. Us devaient avoir une contenance fixe et sous
Henri 111 d'Angleterre, nous dit Francisque Michel, le commerce s'étant plaint des
réductions éprouvées par la futaille bordelaise, ce prince écrivit aux maire et pru-
d'hommes de Bordeaux pour les menacer de confiscation du vin qui à l'avenir serait
trouvé dans des tonneaux de courte mesure (Fr. Michel, Hisl. du comm., t. I, p. 194).
- — 1351, 14 novembre {Livre des Bouillons..., p. 178). — Au xv" siècle il y avait des
n dotzenas de pipas nebas de la mesura de Bordeu cubertas d'aulan " (E not. Uartiga-
mala, reg. de 1474-1475, 2^ partie, fol. 29 et 30, 24 mai 1475). — Au xv!"" siècle, un
arrêt du Parlement (1597) détermina les dimensions de la barrique bordelaise (Kehrig,
Le privilège des vins..., p. 27).
6. Francisque Michel, op. cil., pp. 346 et sui\ .
VITICULTURE ET VIMKICMION EN lt()IU)i;i.AlS Ai; MDMN A(;F. taO
sont moins fréqueninient signalés conimc fûls, t-L il
est alors ([uestion surtout <!•■ ]>ipes et de barriquos'.
A partir du xvi^ sièrle, les rcnsfignomonf < sur la
liarriqut' liordolaise sont très noinlircux. Le type sCu
lixe, et en 17^5'J la barrique bordelaise fst <le 32 ver-
ges ou veltes, soit 112 pots, c'est-à-dire environ
224 litres 2. Indépendamment des ton-
neaux, pipes et barriques, on trouve
encore en Bordelais divers vais-
seaux employés pour !<■ trans-
port et la conservation
des vins.
Le carrai, par exem-
ple, est assez fréquem-
uniit mentionné^, et
c'est souvent au carrai
et aussi au carton et au
l>ichet que l'on mesure
Ns vins •*.
Il est de plus
parfois question de
hoguettes ■'', de ba-
rils^ et de barri-
ques ou barri({uots
de dimensions di-
verses '.
Les cuves, les
il<iuils grands et pe-
tits, les comportes,
les rondeles et d'au-
tres récipients dont
1. F;ir exemple, E iiot. Dnrti<.'amala, retr. 14m(), fol. xviii.
•-'. Martin, Aiierçu liistori(iiie sur la barri<|iie horilelaise [Arrhir. Iiisl., I. Xl,\'ll,
pp. 4'2b-430).
3. ■ Ex vendilioiie i toiielli ii carraliiim et i pipi»e \inorum » (ti 23S, fol. 40 v", et
:\rchii<. hisl., t. XXI, p. 100). — » i carralem viiii ■ [id.. fol. 41 v», et id., p. 102).
4. Brutail*, Article sur les mesures (iléjà cité, sous pressei.
5. Hoquette; une autre fomie du même mol serait feuillette (FrBnrisque .Mirhel,
o/). r,7., t. I, p. Iît7). — Cf. aussi Arrhir. hist., t. XVl, p. '2f,4.
G. 13r>7 : '■ Item, soK i pro (iuohus barrillis nu\ is emplis |>ro portanilo \inuin album
H|>U(1 Laureomonlem — nnum leopiÉnlum i\im cpiarto. • ((• '23s, fnl. 40."» \ °, et Arrhiv.
hisl., t. XXI, p. 494.)
7. Voir ci-dessus un dessin représentant la partie d'une stalle en buis de l'église «le
N'erthnuil v(;iroiide; sur laquelle est sculptée un nioini; tenant un baril. — 143;»,
21 septembre : « Uarricpuis de ters de lonel, barriquolz de Icrs de pipa, dullial do nu'va
pij>a. » ly, -2186.)
120 VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MOYEN AGE
l'emploi a déjà été mentionné pour les vendanges et la vinifica-
tion 1 étaient aussi en bois.
Ces divers vaisseaux vinaires étaient fabriqués à Bordeaux, par
des tonneliers qu'on appelait charpentiers de tonneaux, de pipes,
de barriques, ou aussi charpentiers de vaisselle (vinaire) ^.
Les tonneliers semblent avoir été assez nombreux à Bordeaux
et étaient groupés dans un même quartier. Ils habitaient, pour la
plupart^, dans le quartier Saint-Michel et c'était peut-être aussi
là qu'habitaient, voisins des tonneliers, les autres charpentiers et
menuisiers. La rue Carpenteyre, la rue de la Fusterie, qui se trou-
vent près de l'église Saint-Michel, ont emprunté le nom qu'elles ont
encore et qu'elles avaient déjà au xv^ siècle '* à l'industrie qui s'y
est exercée.
Les charpentiers ont habituellement pour patron saint Joseph et
formaient au moyen âge, dans différentes villes, des corporations.
Aucun document ne nous rapporte qu'il y ait eu à Bordeaux une
corporation de tonneliers et on n'a pas conservé pour Bordeaux,
comme on l'a fait, par exemple, pour Angers, Bayonne et La Rochelle,
l'indication de la bannière des tonneliers ^
Un des textes qui nous renseignent sur quelques coutumes des
tonneliers est dû au chroniqueur Jean de Gaufreteau, qui raconte
en ces termes la fête à laquelle les tonneliers prirent part en 1578,
le jour de la Saint-Jean-Baptiste :
« En cette année, les charpentiers de barriques et aultres arti-
1. " Ung tonet, des gros dullis, des petitz dulhs, très pipas, quatre baricas, ung terlz
de tonet... una longua barica, des barricotz... " (E not. Dartigamala, reg. de 1474-1475,
fol. 4.) — 1609, 29 janvier : « Cuveaux qu'ils appellent doulz. » (G 1078.) — La com-
porte est un vaisseau de bois qui est employé pour le transport de la vendange de la
vigne au cuvier et pour les manipulations du vin. — " iif^ ton. ac unam comportant »
(G 239, fol. 5G v°). « Una barriqua vini clari viii" comportarum vel circa. » (G 238, fol.
291.) J'ignore la dimension des rondeles. — 1361-1362: « Item, die v octobris feci
adporlari de Laureoraonte videlicet de Castro unam pipam et unam rondelam vini albi...
et rondela fuit posita in avelhagio aliorum vinorum. » {Archiv. hisl., t. XXI, p. 690.)
2. « Carpenteys de tonetz et de pipas » (Reg. de la Jurade, délib. de 1414-1422...,
p. 402). — 1497, charpentiers de barriques (G 491, 6 septembre). — « Carpenters de
bayssera » (Reg. de la Jurade, délib. de 1414-1422..., p. 35).
3. On trouve cependant quelques mentions de tonneliers dans d'autres quartiers
de la ville; ainsi, dans la paroisse de Sainte-Eulalie où, en 1475, le 22 mai, un « car-
pentey de pipas «vend des pipes et des barriques à un marcliand de « St-Eloy » (E not.
Dartigamala, reg. de 1474-1475, 2'= partie, fol. 29). « Pey Gassias, carpentey de pipas,
paroissien de Sent Eloy » (E not. Blanchardi, reg. 1473-1, fol. 30 v"). " Pey F'or-
Uion, carpentey de pipas de la parropia de Senct Pey de Bordeu » (E not. Dartigamala,
reg. 1474-1475, fol. 114, 23 nov.)
4. « A l'est de la grande rue de Sainte-Croix, passe celle de la Fusterie ou Carpenteyre-
Saint-Michel, qui n'est séparée du fleuve que par les remparts du xiv« siècle. Elle a
pris son nom de l'industrie qui y est exercée : la fabrication des tonneaux » (Léo Drouyn,
Rondeaux..., p. 27).
5. Bannière de la corporation des tonneliers d'Angers, des tonneliers de Bayonne,
de La Rochelle. Gf. Le Moijen Age et la Ftenaissance (P. Lacroix et Séré, t. III, p. xx).
VITICULTl RK El MMKlCATlOr» EU BORDELAIS M MfiïKN AGI. \ J-
sans de la parroisse de Saint- Michel de Bourdeaux avoyent
.tcroustumés toutes les années, le jour de la feste de saint Jean-
Haptiste, qui est le 24 juin, de faire préparer plusieurs théâtres
I l'hîvés eu plusieurs endroits ele la ville de Bourdeaux, à scavoir :
un en la dicte paroisse de Saint-Michel, l'aultre en la place de la
C.liapelle Sainct Jehan, contre le palais; le troisième, devant ledit
l'a lais et en la place d'yceluy, le quatriesme sur les fossés du (îha-
jieau Rouge et le cinquiesme en la place du Grand Marché, tout
au devant de la CUe, du costé des Ayres; auxquels lieux ils se trans-
portoyent en procession solennelle; les luminaires, torches et llam-
beaux, croix et bannières, estant travestis quelques uns d'entre
eux en forme d'ajfostres, de saint Jean-Baptiste et de Nostre Sei-
gneur aussi pour cette représentation; ayant des tranchoirs de
bois sur leurs testes, grands comme des assiettes, avec de longs
cheveux et perruques qui leur pendoyent jusques à la ceinlure
et resvestus d'aubes et costibants d'église de diverses couleurs et
marchant pieds neuds. Et après qu'ils estoyent arrivés au lieu
ou quelcun de ces théâtres estoit dressé, ceux qui reprèsentoyent
Nostre Seigneur et saint Jean-Baptiste niontoyent sur le théâtre
et se baptisoyent l'un à l'aultre, à la veiie du peuple qui acourait
en grande multitude pour voir ce spectacle, auquel le monde prenoit
un grand plaisir à cause des mines et gestes que faisoyent ces
rnaraults en une représentation aussi sainte que devoitestre celle là.
Mais pour les aultres qui faisoyent les personnages des apostres ils
demeuroyent en bas du théastre et l'environnoyent. Est à noter
qu'ils portoyent chascun la marque en leurs mains de cest apostre
qu'ils reprèsentoyent: sainct Pierre, les clefs; sainct Paul, l'espée;
sainct André la croix appellée de son nom et ainsin en estoit-il des
aultres. Or cela estant de mauvais exemple et plustost une farce
que mystcre de dévotion bien que j'estime qu'en ce bon premier
temps cette procession et action avoit esté instituée à bonne fin
pour représenter au peuple le hault mystère de ce baptesme que
le Sauveur de nos âmes voulut recevoir de la main de son précur-
seur au fleuve du Jordain comme aussi appeloyent ils cela la pro-
cession et le baptesme de sainct Jean ■... ».
Gaufreteau note que cette farce fut abolie cette même année
« comme estant de mauvais exemple » et aussi à cause de certains
désordres que l'intervention des hérétiques occasionnait. Ce mys-
tère célébré pour la dernière fois en 1578 est annoncé, nous l'avons
1. Gaufreteau, op. cit., t. I, pp. 212-213.
128 VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MOYEN AGE
VU, comme traditionnel. Il est tout à fait légitime de supposer que,
dès le moyen âge, les tonneliers bordelais prenaient part à de sem-
blables fêtes et, à défaut de documents plus anciens, ce récit de
Gaufreteau est donc du plus haut intérêt.
Pour la fabrication des vaisseaux vinaires, les tonneliers se ser-
vaient de merrain. On paraît avoir désigné sous ce nom de merrain
du bois de chêne». Le merrain n'était, du reste, pas uniquement
employé pour faire des barriques et les Rôles gascons nous rappor-
tent qu'on se servait de « quercus ad mœremium » pour faire une
garde-robe destinée à des habits -. Les tonneliers bordelais étaient
tenus d'employer du bois de bonne qualité, car ceux qui faisaient
des tonneaux avec du mauvais bois étaient « passibles de tous dom-
mages et intérêts » ^. La même prescription se retrouve dans l'ordon-
nance de 1541, dont il a déjà été question : « Item est estably et
ordonné que si aulcun chaplatier de pipes mectoit faulces douelles
et mauvais fons es pipes ou barriques ne aultre vaisceaul, en ce cas,
celluy qui le fera esmend îra le dommage qui en adviendra à celluy
qui auroit achapté les dicts vaisseaulx et autrement sera pugny
à la cognoissance de mesdits seigneurs » *. Le merrain employé à
Bordeaux devait, du reste, être inspecté par des visiteurs nommés
par la ville. Ces inspecteurs municipaux étaient désignés tous les
ans par la jurade et devaient prêter le serment accoutumé. Ils ju-
raient devant le peuple qu'ils rempliraient bien et loyalement leur
office, observeraient et feraient observer les règlements faits au
sujet du merrain, rendraient justice à chacun et signaleraient
au trésorier de la ville les fraudes aux règlements sans tenir compte
de leurs amitiés et sans se laisser corrompre à prix d'argent ^ Les
registres de la jurade nous rapportent tout au long le serment que
prêtèrent ces inspecteurs de merrains le 4 août 1406^.
Il était formellement interdit de se servir de merrain avant qu'il
eût été au préalable reconnu bon par les visiteurs, et on prenait soin
1. Malveziii, Hist. itii cnmm..., t. I, p. 260.
2. Francisque Miclifl, Eôlex (jasc..., t. I, n" 126.
3. Livres des Coutumes..., p. 301.
4. Ordonnance de l.'=>41 [Archir. /us/., t. XXXVI, p. 320).
5. 1376-1389. La forma deu segrament deu meirame « E en après se deven iiuldicar
los bistors deu mairame ». « E aqui niedis deven jurar davant le poble, per la forma
que s'en sec ; se es assaver que ben e leyaumentz se porteran en lor offici, e los esta-
blimentz feitz e ordenalz, sobre lodeit mayrame tindran e laran tenir a cascuna partida
renden son dreit; e rapporteran las deffautas que troberan contre los deits establimentz
au tresaurey de la bila no agardant amie ni enemic ni per corrupcion d'argent ni per
nulha autra causa. » (Livre des Bmiillons, Archiv. mun. de Bordeaux; Bordeaux, 1867,
p. 516.)
6. 1406, 4 août. (Reg. de la .furade, délib. de 1406 à 1409, p. 6).
VITICLLTLUK Kl VlMl ICA 1 lU^ EN BfJHULI-AlS At MUlL.N ACiE I J9
de faire connaître cette prescription par «li puMii- '. Mais les tonne-
liers nt» tt'naitMit pas toujours cinnph^ dus ([('cision-; dt- la jiirade;
aussi, (Mil nr>, les visiteurs du iiu-rrain se plaiffn»'nt-il> (|in' plusieurs
(diarpenti<*r> iii' pipes tif la \illt' fuipldicid du im-rraiM non visit/-
td demandent au maire td aux jurats df Hnrdraux il'ordnruK'r ri
df faire savoir par cri publie et à sou de tr<unp<; (pu- la visite
du merrain par les inspecteurs est rigoureusement exigée. Si les
jurats ne font pas droit à leur demande, ils sont disposés à quilt«'r
leur «dlice -. Les jurats, pour répondre à cette demantle des» bistors
dcu meyrame », font alors un règlement pour le merraiu ••! ilé<'i-
dent (|u'(( il est ordonné que nul ne devait travailler le merraiu
avant ([uil ait été inspecté par les visiteurs''.
(le merrain employé à Bordeaux provenait de diverses régions.
L'Agenais et le Bazadais, le Périgord, TAngoumois et la Saintongc
en envoyaient à Bordea\ix '.
Il est entenilu entre les vendeurs et les acheteurs que, à son
arrivée, la marchandise sera examinée par des connaisseurs ^ On se
procurait aussi du merrain provenant des forêts du Bordelais, de
l'Entre-deux-Mers et de la Benauge tout spécialement, régions pour
lesquelles des mentions de bois employés pour faire des pipes et des
barriques nous sont parvenues ^
Parfois, au lieu d'acheter à leurs frais du merrain pour en faire
des fûts, les tonneliers recevaient une certaine quantité de merrain
et. s'engageaient en retour à fournir en payement la moitié des fûts
(piils fabriqueraient avec ce bois. L'autre moitié leur restait connue
salaire.
Des accords de ce genre nous sont connus. Ainsi, fii l t7 1,
le 25 mai, un tonneher reçoit d'un bourgeois de Bordeaux deux
1. 1407, 13 avril K plus sia cridat que nulli 110 preiiL'iia ni recepia aiir\in inayraiiie
tant enlro sia liislat, solz la peiia que dessus \H>'i:. de la .lurade. délili. de I JOi".-....
[>. IT.'i.i
•-'. 1415, 14 août. — Hequète îles visiteurs du merrain (k/., ilélih. ite 1111 a 1 Uf.. \t.2-2S).
:J. 1415, 15 août: « E plus sobre la niayranie et sobre la supplication balliad.t .sus
>o per los bistors deudeyt niayrame (de laquau suppliration la ténor es plus bas) ani
l'avis deus deytz senhors trenla fo ordenal que nulli no liobres aucun niayrnnie entre
lo bislat per los bistors. • (Hes,'. de la Jurade, dt'-lib. .le 1414-..., p. 'l'ÎH.\
I. MaKezin, o/). cil., p. 2W). - - 1474, 4 ortobre : - Très mileys de meyrame bon, etr, •
du> piir un liabilant de IJazas el un habitant de Samndet - en l'nvesrat d'Ayre (F. nnt.
I)arlii.'amala, Toa. 1474-1475, fol. Itl).
5. 14/5, 4 a\ril. Merrain dû [inr un sabotier du Mas-d'Agenais. (.)uand le njerrain
arrivera, la marchandise sera examinée par des connaissi'urs (K nrit. Darl iiramala. rey.
1474-1475, 2' partie, fol. 3 .
t>. I47',l, La Sauve. Déposition d'un paroissien de (aiillac pour le> terre> de (iuibon;
le témoin a pris, de l'abbé de La Sauve, des bois à l'airrière afin d'avoir • meyrame o
ops a far de las pipas et de las bariquas (Il 177, fol. 7-9;. — Déposition d'un parois-
sien d'F.spiet : il a pris à l'açrière des bois pour faire du merrain destiné à des barriques
et ' de la coudra a lisjar lesd. pipas « {id., fo). 12-13).
l3o VITICULTDRE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MOYEN AGE
milliers de merrain. Il en emploie un à faire des pipes qu'il doit
livrer au bourgeois dans un an, après la prochaine fête de la Made-
leine, et reçoit l'autre pour prix de son travail i.
Le merrain se vendait ordinairement par millier - et on pouvait
dans un millier de merrain faire 50 pipes. C'est ce qui ressort d'un-
acte du 19 décembre 1430 relatant la « vente de 2 milliers de mairrin
avec leurs fonsailles pour en faire 50 pipes par millier pour la somme
de 10 fr. Bordelais par millier, compté chaque franc pour 25 sols
de la monnoye courante à Bordeaux » ^
Les vaisseaux vinaires, qu'ils s'appellent tonneaux, pipes ou bar-
riques, sont composés de diverses parties. Il est poî^sible de déter-
miner les noms donnés en Bordelais à certaines de ces parties dès
le moyen âge.
On appelait « fonssalha » et on appelle encore aujourd'hui à
Bordeaux fonsaille tout ce qui constitue le fond d'une barrique ^.
On disait parfois aussi frons °,
La fonsaille, les planches formant le fond de la barrique sont
reliées par une autre planche placée en travers nommées la barro ♦*.
La planche principale de cette fonsaille, tant pour les barriques et
tonneaux que pour les cuves s'appelle « meyans » d'après Léo
Drouyn '. C'est dans ce fond de la barrique cjue devait se trouver le
« bartotz » que Léo Drouyn traduit par esquive, ce qui veut désigner
un petit morceau de bois qui sert à boucher un trou fait dans la
fonsaille ^ Les barriques sont composées de douves ou douelles :
l'une de ces douelles était percée au centre d'une ouverture que
l'on fermait avec la bonde (bondonus). La bondoneria, taraijre bon-
doneif, aurait été l'instrument ou tarière employée pour faire les
bondes ^. C'est dans cette ouverture que l'on plaçait, pour remplir
les barriques, un « enfonilh » ou entonnoir 'o. Ces enfonilhs étaient (?)
1. 1474, 25 mai (E not. Darligamala, reg. 1474-1475).
2. 1475, 4 avril : « Ung milley de meyrama de pipailhe et comptât xir- doelas et
vi" doelas par miley. » {Id., 2" partie, fol. 3.)
3. 1430, 19 décembre. Analyse faite au xvii" siècle au dos de l'acte (G 2281).
4. Archiv. hisl., t. XXI, p." 699.
5. Id., t. XXII, pp. 417 et 699.
6. G 241, fol. 122, et Archiv. hist., t. XXII, p. 694.
7. Pour meyans, cf. Léo Drouyn, Archiv. hist., t. XXII, p. 701. — « Meyans, meyanus,
médium tonelli, douelle du milieu du fond d'une barrique ou d'une cuve. « — Cf. aussi
Archiv. hisi., t. XXI, p. 252. — G 240, fol. 238.
8. Barlotz, bartocliium, bartot {Archiv. hisi., t. XXII, p. 694).
9. « Tarayre bondoney • (G 241, fol. 122 v°, et Archiv. hisl., t. XXll, p. 695). —
1361-1362 : « Misi... unam torcliiam viminis pro cuba et unam doelam novam... » {Archiv.
hisl., t. XXI, p. 684.) -^ « Nota quod coudra, talucia, la fonssalha, plueres doelle que
fuerunt mutate... » {Archiv. hisl., t. XXI, p. 685.)
10. « Emi unum enfonilh cum longa canera ad implendum et colorandum dicta ^•inn »
Archiv, hist., t. XXII, p. 189).
vrncri.TrRE it vimiication r.y imuMn \is al M<»\t> Ar;E i3i
semMc-t-il, en bois >. Les faussets ou fossets, peliles chevilles de bois
servant à boucher les trous faits ù un tonneau avec le foret doivent
correspondre à ces «fausetis» ou « falsetis» dont (»n trouve des men-
tions dans les Comptes de l'Archevêché ^ Pour le cerclage des bar-
riques, pipes, tonneaux, cuves et douils, on ne paraît pas s'être
servi de fer au moyen âge. Pourtant, dès cette époque, on savait
employer le fer pour la fabrication de boisseaux et de quarts ^ On
se servait pour les vaisseaux vinaires de cercles de bois, et dans les
Comptes de l'Archevêché, il y a souvent des mentions de sommes
dépensées « pro uno feyssiculo circulorum » ou « pro uno feyssiculo
de coudra »■' ou des indicition-^ «lu genre de cellc-ei : « Item xiii
feyssiculos de coudra sive de circulis « ^ Ce sont là des cercles de
barriques, des cercles de coudre ou codre. On employait aussi pour
faire ces cercles des pousses de châtaignier et d'autres bois flexi-
bles ^ Pour augmenter leur flexibilité on devait les faire tremper
dans l'eau '.
A chaque vaisseau, il fallait mettre plusieurs cercles de boi.-.
On les fixait au moyen de vimes. Aujourd'hui encore, on ne se
contente pas de clouer les cercles de bois ou les lie aussi avee
des vimes ^. Quand le cercle était de denii- grandeur, un le
nommait bastard, baslardtist ^ Le terme de laludum (pii revient
souvent dans la liste des achats faits par le trésorier de l'arche-
vêque indiquerait, suivant Léo Drouyn, le cercle le plus extérieur
des fûts «o.
Dans ces mêmes comptes de l'archevêché, il est parfois question
• II' liim. rnm})er<i et de rhevrons, ol on désigne ainsi les pièces
1. 140(!, 1-2 fioilt : ' Plus \iw^ i-nfonilh de fusl. (.\rchiv. Iiisl., t. XIX. p. isi.' M.ii<
"iti peut désigner ainsi un entonnoir en bois et aussi un entonnoir pour frtl.
■i. (i -238, foi. 401, et Arcliir. hixl.. t. XXI. p. 4h7.
3. r. 240, fol. 213.
4. G 238, fol. 258 t°, et Archiv. hisl., t. XXI, p. 339. — (; 23s. f„i. pu. .1 \rrliir.
/lis/., t. XXI, p. 487. — « Faxirulos coldre (C 236, fol. 314i.
5. Archiv. hisl., t. XXI, \). 410.
r.. Archiv. hisl., t. XXI, p. 416, et t. XXII, pp. 353 et 090. — « Emi pro eisileni
cubis duos nianirnos cirrulos de fraxinu iiuemlibet vu peduni de gola ■ («i 23'.i, fol. ÔO .
— 147.5, 22 mars. Fûts rou\erts d'aulan ( I-^ nol. D irtitraniahi. rei;. 1474-1475, fol. 170 v°).
7. • l'ro trenipanilo. plirando et purlando coudra, talui'i:). basl.-inlos ' [Arrhiv. hixl.,
t. XXII, p. 188.'
S. . Torchiis viminis ■ ((i 239, fol. I7(i, et .Xrchiv. hisl.. I. Wll, p. 188).
9. G 240. fol. 246, et Archiu. hisl., t. XXII. p. 094.
10. 1404. mars : « Item, enii très duodenas talueiorum euni diniidia pro dictis vini*
dando pro duodena, xxii sterl. — xxxii s. i d. • — ■■ Item, enii iii iluodenas rum diniidia
taliiciornni pifiarum d.-indo pro duodena. %■ n. val. et solvi. wii s. vi d. • — • ■ Item,
solvi (lantoni pro duobus millenis > uiu dimidio viminum q\ios emer.it pro di''ti>« \ inis
dando pro niilleno, xii s. vi d. s. — xxxvii s. vi d. • ((i 240, fol. 213 r". i Les rercles
se vendaient donc par douzaine et les vimes par milliers. — Cf. Léo Drouyn dans
Archiv. hisl., t. XXII, p. 703.
iSa VITICULTURE ET VINIFICATION EN BORDELAIS AU MO\EN AGE
de bois sur lesquelles on plaçait les barriques quand on les
encavait ou ensoutait». Les tonneliers avaient non seulement à
fabriquer des fûts, mais aussi à réparer ou à « relier » ceux qui
avaient déjà servi et étaient susceptibles d'être utilisés de nouveau.
Tous les ans, un article des comptes de l'archevêché est consacré à
cette réparation des vieux fûts ^. On se servait alors toujours plu-
sieurs fois des mêmes vaisseaux. Aujourd'hui, on cherche le plus
possible à mettre chaque année le vin dans des barriques neuves.
Quand on loge le vin nouveau dans des vaisseaux qui ont déjà
servi, il risque de perdre de sa qualité. Au moyen âge, l'emploi
des barriques de l'année précédente pouvait être habituel puisqu'on
consommait le vin très rapidement, comme nous l'avons déjà dit.
Il était alors nécessaire de recourir aux tonneliers pour renforcer
ces barriques vieilles et les mettre en état. 11 a déjà été question
dans le précédent chapitre de ces travaux annuels pour raquer et
rabattre les tonneaux ^
La jurade bordelaise intervenait pour déterminer le travail et
les salaires à donner aux tonneliers comme aux autres ouvriers et des
règlements sur la tonnellerie étaient édictés. En 1414, à la séance
du 11 juillet, il est ordonné que les tonneliers ne doivent prendre
jusqu'à la Toussaint que 15 sterlings par jour, sous peine d'une
amende de 65 sous pour chaque contravention *. Dans ce même
règlement, on interdit, sous peine encore de 65 sous d'amende, de
prendre à prix fait un tonnelier pour faire des fûts et on décide que
les tonneliers ne doivent prendre que 4 francs par douzaine de
1. «Tonnelles «lui fuerunt insolati. > (Ensouter ou encaver = insolare; Archiv. hisl.,
t. XXII. p. 188.) « Pro duolms tignis sive nias^nis coiivers emptis ad ponenduni subtus
dicta vina in volta » (G. -239, fol. .")7. ft Archir. hisl., t. XXI, p. 687). — « Fust.ibus
vocatis combers ad ponenduni dicta vina > ((i '238, fol. 309, et ArchiiK hisl., t. XXI,
p. 2.54). — « Pro duobus cabironibus sive tingnis et pro carpentario qui eos posuit,
III s. m d. gr. « (G 238, fol. 401 v°). — 1475, 2 mars. Cent de pipes qui doivent être
placés sur les tins (E not. Dartigamala, reg. 1474-1475, fol. 171 r").
2. « Expense pro reparatione vaxille vinarie » (G 236, fol. 314 r", omis dans les Archiv.
hisl., t. XXI). — G 239, fol. 245 v. — G 236, fol. 72 V. — 1355 : « Item, in mense
predicto (julii) feci reparari vi tonellos et xxi pecias aliorum vasorum videlicet piparum
et barricarum... » — " Item, soKi pro vi feyssiculis coudre et pro xxxii taluciis tam
tonellorum quam piparum et pro xii meyanis mangis {sir) et xvi parvis et pro uno
miliario cum dimidio ^'imiaum necessariis pro reparatione dictorum vasorum, xii s.
VII d. st. .. (G 238, fol. 308, et Archiv. hisl., t. XXI, p. 252.) — 14.59 : <> Pour relier la
vaiselle vielle. » (G 240, fol. 407 bis.)
3. Voir Chapitre \.
4. 1 1 juillet 1414 : " E plus fo ordenat que los carpenters de bayssera prenguan sola-
inent entro a la festa de Totz Santz quinze esterlins per jornau et los despens; sotz
pena de lxv soudz paguadors per tantas de betz cum sera feyt lo contrali; E plus fo
ordenat que nulh no sia si ardit de donar consselh, favor, ni ajuda a tau qui tara lo
contrari ni per luy preguar sotz pena de estre bannit de la bila per un mes et de estre
pribat de tôt offici et consselh perpetualment. ■ (Reg. de la .Jurade, délib. de 1414...,
p. 35-36.)
I
VITICUI-Tl'HK i:i VINIFICATION Eî« BonOEI.AIS AU MOYEN Ar.E l'^'^
vaisM'Ilc iii'ii\c. 1.» ' c.^li'iliiis ' |p.ir rinl .|r |ons;iil|i' di- |»ijii'> <•! tir
Loimeaux et 'iO par cent de doudlo. l.c ImiiH'lifr i|iii n'observera
pas ce règlem«'nt sera banni île la ville puni- un an '. Min-hjue temps
après, à la séan<'e du 5 septembre, la jurade d/'cida de faire « erier »
(pi'il ('lait d/'lrridw d'iidirl «r de la vaissclh- \inairi', du vime nu du
iiuiilrr pour ensuite les revendre, sous peine de les perdre et de p;i\.i
une amende de 65 sous pour eha(jue eonl ravent ion -.
lMu>ieui'.> aidre> ]ireii\f> de l'ini ei\(iil i( ,ii iininieipale jiour le'-
vaisseaux vinaires pourraient encore être données ^ Elles monli. -
raient toutes combien était strictement établie pour les viticulteurs
la façon doid il leur était jiossible de faire fabriquer rm de se pro-
curer les vaisseaux nécessaires au logement de leurs récoltes.
L'emploi îles bouteilles, si commun aujourd'hui, paraît avoir .•li-
à })eu près ignoré au moyen âge et devait être, considéré connue
un très grand luxe *.
Le tirage à la barrique, au fur et à mesure des besoins, du \ in
qu'on consommait, entraînait sans doute souvent la détérioration
de ee vin quand les barriques demeuraient quelque temps en peree.
C'-ette dernière constatation justilie encore la conclusion que les
diverses parties de ce travail autorisent. Le vin de Bordeaux pou-
vait avoir déjà au moyen âge de grandes qualités naturelles, mais
les perfectionnements apportés progressivement à la eidture de
la vigne, à la vinification et à la conservation du vin. l'emploi géné-
ralisé des bouteilles, étaient indispensables pour lui jtermettre,
aju-ès la rupture avec l'Angleterre et la suppression des privilèges,
d'occuper sur le marché des vins la place qu il a eue durant ces
derniers siècles.
Jean BA HENNES.
1. Il juillet I 11 1 : K |)lu< i|ih- iiiilli iio >ii;i si ardil per f;ir h.iyssera di- liaver ainiiii
I ;ii|>iMiti'r a |ir<'> feyl sotz la jifiia (|iii' dessus, etc.. etc. '/(/.. p. 3t>. '
■i. Itll, i> se|)teiJibre : •< E plus fo ordenat ipie fos feyl rrit ipie iiulli iio lompre
bay.'sera, binie ni coudre per revendre si iio tant cuiii hesonh n'aur.i per son eslor solz
pena de la perdre et de lxv soudz per lantas betz cum sera trobat fasen lo «.-ontruli. •
(/(/., p. H5.)
3. 1414,24 juillet. Salaire des charpentiers (»</., p. 43). — 141.5, '20 juillet (/(/., p. 'il-i .
'\AH). -20 juill.t il!., p. 40-2'. - - 14-20, 3 aoiM (i-/., p. 42tV. - 1497, <i septembre, r.hur-
IM-nliers de barriipies pa\ es par jiiur lô ardils et nourris ((i l'.M'.
I. Au -iijrt des boult'iilcs, inusitées au moyen Ai;e, cf. I.e (ir.tnd d'Aussy, o/i. ril.,
1'. 122; Mu.ti't' rilnisfietlil..., |i. 71; Hrniiilr Iùiniiloi>r<lir..., article Htnilfillr. - l'uiir
le Itordelais, ce n'est yuère ipi'aii wiii -iécle (|u'on trouve nienliun de bouteille-..
I7MI-1770: Kmploi de bouteilles pour nultre le vin {<J •2r>7re. — 1779, "20 décembre:
Mariage d'un écuyer Jean-Louis Verdelet, - travailleur en bouteilles à verre ' {E âuppl.
3 15-2 i.
MELANGES
A propos d'un portrait de Victor Louis.
On connaît deux portraits du grand artiste : celui que son petit-
fils, M. Ethis de Gorny communiqua à Marionneau en 1880 et dont
celui-ci donna un dessin, en tête de son beau livre sur Vidor Louis;
l'autre, appartenant à Charles Durand, qui le tenait de son grand-
père, Gabriel Durand, l'appareilleur en chef de la salle de spectacle
de Bordeaux. C'est d'après cette peinture que Maggesi sculpta le
buste de Louis inauguré en 1834 et placé dans le foyer du Grand-
Théâtre; que fut faite une lithographie pour la plaquette de Léonce
de Lamothe, Les Théâtres à Bordeaux, parue en 1853; que furent
enfin modelés, par Mathieu-Meusnier le buste pour l'Opéra qui
figura au Salon de 1880 et par A. Jouandot la statue de Louis qui
se dresse aujourd'hui au pied de l'escalier du Grand-Théâtre i.
Ce portrait, donné à la Ville en 1894 par M^^^ Emma Durand,
sœur de Charles Durand, est aujourd'hui à l'Hôtel de Ville, dans
le bureau du chef de cabinet du maire de Bordeaux. 11 est de petites
dimensions : la toile a 32 centimètres de hauteur sur 24 de largeur.
Louis est représenté de face. Il est assis dans un fauteuil de cuir
rouge, devant une table à pieds cannelés, sur laquelle est déployé
le plan d'une maison. Le corps est légèrement penché en avant et
à droite. Le mouvement est exactement celui du fameux portrait
de Diderot de Vanloo; il est permis de supposer que le pei itre a
usé du procédé du mannequin, d'un fréquent usage dans les por-
traits du XVIII- siècle, La tête est posée droite, légèrement tournée
vers la gauche. Le visage est plein et coloré, le regard vif et
pénétrant, le front largement découvert; les cheveux, poudrés,
sont roulés sur les tempes et retenus derrière par un catogan noir.
L'artiste est en déshabillé, vêtu d'une ample robe de chambre bleu
de ciel et, par-dessous, d'une chemise à manches de dentelle; le
devant, orné de même, est largement ouvert et découvre le cou et
la poitrine. Les mains sont fines; la droite tient un compas, la
gauche est ramenée sur la poitrine. Sur la table, à gauche de l'ar-
tiste, est un porte-crayon à fusain. La peinture, bien qu'écaillée,
a conservé tçute sa fraîcheur. Elle n'est pas signée.
D'où vient-elle? Au dos de la toile, on lit sur un morceau de papier
collé sur le châssis : « Portrait de Victor Louis, architecte du Grand-
Théâtre de Bordeaux. Donné par Louis à Gabriel Durand, mon
1. Gh. Marionneau, Vidor Louis, p. 591. — LaUthogi-aphie sig.iiléa p ir Marionaeau
dans la brochure de L. de Lamothe, manque dans l'exemplaire de la Bibliotlièque de
la Ville, qui est pourtant celui de Marionneau lui-même.
MÉLANGES I 35
gianti-père, non collab<>iaLeur, suii élève et >oii ami. ( iliarled Durant),
arcliitecte. »
Dans la notice qui précède la correspondance de Louis cl <lr
Durand, publiée en 1879 dans les Actes de IWcadèmie de liordeum .
('liarles Duiand a répt'fé i[ue Louis avait donné son portrait à son
grand-père, avec d'autres souvenirs, et (|ue ce portrait est attribué
])ar (|uelques-uns à Hobin, le peintre du plafond du Grand-Théâtre ",
.rignore ce qu'il faut penser de cette attribution. Mais voici un
texte qui prouve que Charles Durand s'est mépris sur l'origine du
piirtrait. 11 est tiré d'un factuni conservé à la Biblif>tliè(iue de la
\'ille, sous le n" 123, et qui ma été signalé par notre regretté < '.éleste.
C'est un Plaidoyer pour le s'" Durand... rotilre le s"" Gobineau, imprimé
à Bordeaux, l'an premier de la Hépubli(iue, 179"2, in-4*' de 101 pages.-
On sait que Gabriel Durand avait construit pour Gobineau, d'après
les plans de Louis, sur le glacis du Château-Trompette, la belle maison
i|ui faisait l'angle des allées de Tourny et de la rue projetée ijui
devait unir la place de la Comédie au Jardin-Public. La maison
construite et achevée en 1790, Gobineau ne put la payer. Un procès
s'engagea entre Durand et lui. Le tribunal de Bordeaux, par juge-
ment rendu le 10 mai 1792, donna raison à Gobineau contre Durand.
Celui-ci lit appel et son avoué, Duverger, rédigea pour lui le,
mémoire d'où j'extrais l'intéressant passage que voici.
Après avoir rappelé que Louis lit gratuitement les plans de la
maison Gobineau, l'auteur du Plaidoyer pour le s"" Durand ajoute :
!( Le sieur Gobineau erul ne pouvoir lui témoigner l^sa reconnaissance!
il'une manière plus tlatteuse qu'en chargeant le sieur Durand de
faire faire son portrait à Paris, et de le faire porter à Bordeaux.
Ce portrait arriva dans un cadre superbe; le sieur Gobineau le ]>la»;;i
dans la plus belle pièce de sa maison; le sieur Louis, en entrant
dans rette maison lors de son voyage à Bordeaux, fut et dut ètn-
iuliniment sensible à cette marque d'attention. Cependant il falloit
payer le coût du portrait; le sieur Gobineau s'y refusa, il aima
mieux le rendre au sieur Durand, qui en avoit avancé le pri.\.
L'etligie du sieur Louis, si solennell»Miient placée, fut silenrieusemeid
di'j)ondue, rapportée chez le sieur Durand et séquestrée dans la
poussière d'un galetas où elle gémit chaque jour de son obscurité -. "
Charles Durand s'est donc mépris en disant que son grand-père
tenait de Louis ce portrait. Gabriel Durand l'avait, en réalité, payé
lie ses beaux deniers.
-Marionneau avait entendu parler du texte que je viens de repro-
duire; mais il ne l'avait pas vu. 11 a parlé d'un portrait de Louis
« offert à M. de Gobineau » et a paru croire qu'il était distim t du
portrait possédé par Durand. On le voit, les deux ne font qu'un.
Paul COURTEAULT.
1. cil. Dmaml, V. Louis, nrdiitccle du Graiid-Thcdlre de Bordeaux, documcnU recueillis
et publiai [Actes de l'Académie, 1879, p. 1-22).
2. Plaidoyer pour le s' Durand..., p. G5-GG.
l36 MÉLAI^GES
Un caporal girondin
décoré de la Légion d'honneur en 1807.
Aujourd'hui, les officiers reçoivent comme décoration la Légion
d'honneur, tandis que les sous-offîciers et soldats, sauf en des cir-
constances extraordinaires, n'obtiennent que la médaille militaire.
Sous le premier Empire, il n'en était pas ainsi. La médaille militaire
n'existait pas encore. Officiers et soldats, rendant les mêmes services
et partageant les mêmes périls, se voyaient décerner la même
récompense : la croix de la Légion d'honneur. Entre les différentes
catégories de l'armée il n'y avait pas de différence au point de vue
des décorations, et c'était justice, car, ainsi qu'on l'a observé, le sang
que versent les officiers, les sous-officiers et les soldats sur le chamj»
de bataille est le même.
Parmi les militaires qui devinrent légionnaires sous le premier
Empire se trouvait un Girondin, le caporal Jean Dubourg, du
10^ régiment d'infanterie légère ^
Il était fils d'Arnaud Dubourg, laboureur, et de Marie Brouard,
et était né le 13 mars 1773, à Martignas, commune des environs do
Bordeaux.
Il entra au service le l^' mai 1793. Il lit les campagnes de 1793,
de l'an II et de l'an III à l'armée des Pyrénées, de l'an IV à l'armée
de Vendée, de l'an V à l'armée du Rhin, de l'an VI à l'armée d'An-
gleterre et des ans VII, VIII et IX à l'armée du Rhin; en l'an XII
et en l'an XIII il servit au camp de Saint-Omer; en l'an XIV, il
fit partie de la Grande Armée.
A Austerlitz, il avait été blessé au pied droit.
Le 10*^ régiment d'infanterie légère, aucjuel il apparlenait, remon-
tait de filiation en filiation au bataillon de chasseurs du Gévaudan,
créé en 1788. Il prit part aux batailles d'Ulm et d' Austerlitz en 1805,
d'Iéna en 1806, d'Eylau en 1807. A cette époque, sans doute pour
le récompenser de sa conduite à Eylau, l'empereur accorda à ce
régiment seize croix, et un jury, présidé par le colonel Berthezène,
désigna les militaires qui méritaient d'être décorés.
Les seize élus furent un adjudant- major, trois capitaines, cinq
lieutenants, un sous-lieutenant, un adjudant sous-officier, deux
sergents, un carabinier, un voltigeur et le caporal Dubourg.
Ce militaire était ainsi noté sur l'état de propositions : « ...D'une
bravoure distinguée, s'est toujours attiré l'estime et les louanges
de ses supérieurs par sa bravoure et la régularité de sa conduite '^. »
Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur le l^'" octobre 1807.
Le 16 mars 1810, il fut mis à la retraite. Il était alors à Strasbourg
en subsistance au 57^ de ligne.
Il se retira à Martignas. Il mourut en 1855.
André Vovard.
1. Archives de la Ciraiide Cliaiicellerie de la Légion d'honneur, dossier J. Dubourg.
2. Loc. cit., dossier du 10" régiment d'infanterie légère.
I
CIIIIOMOUK
A l'occasion du Congrès des Sociétés savantes, notre très cher et très
dévoué collaborateur M. Gaston Ducaunnès-lJuval, archiviste de la Ville,
a été promu ofTicier de l'Instruction publique.
Cette distinction a été accueillie avec une joie unanime par tous ceux
qui s'intéressent à nos études locales, par tous ceux surtout qui, travailleur^
habitués de nos archives municipales ou simples visiteurs, ont éprouvé
la parfaite urbanité, l'infinie complaisance, l'érudition très sûre, dont
M. Ducaunnès-Duval maintien! les traditions à l'Hotel de Ville. Elle est la
très juste récompense d'une irréprochable carrière et de services émineiils
rendus déjà à la science historique. Les travaux de notre ami, ses (lualrc
volumes d'invenlaires des archives communales de la Gironde, ses deux
volumes (le second est sous presse) de la période révolutionnaire, ne parais-
sent modestes (ju'aux ignorants. Ceux qui les utilisent savent qu'ils sont
des instruments de travail de tout premier ordre et en qui l'on peut avoir
une absolue confiance.
Il nous plaît de penser que le dévouement très actif, très sinjple. sans
tapage avec lequel M. Ducaunnès-Duval travaille aussi à la prospérité
de la Société des Archives historiques et de cette Revue qui lui doit lanl,
n'a pas été étranger à un honneur infiniment mérité et dont ses collabo-
rateurs immédiats sont particulièrement heureux de le féliciter.
I'. C.
A l'Académie de Bordeaux. — Dans sa séance du ji mar>. 1 '.Vcadémie
de Bordeaux a élu membre résidant notre dislingué collaborateur M. Geor
ges Cirot, professeur d'études hispaniques à la Faculté des Lettres.
L'histoire de Bordeaux à l'Université de Madrid. — Sous les
auspices de l'Institut français en Espagne, notre collaborateur M. Paul
Courteault a fait dans le courant d'avril à l'iiiiversité centrale de Madrid
une série de neuf leçons sur « l'I-lvolulion d'une grande ville française:
lîordeaux. » \'oici les sujets de ces leçons: I. Les origines, le sol, les [)re-
niiers habitants. — H. La ville romaine. — III. Les invasions de barbares:
la ville carrée et la cité chrétienne. — 1 V cl \ . La commune de Bordeaux : sa
grandeur sous la domination anglaise.— \ 1. Héunion de Bordeaux à la France.
Les misères du \vi' et du xvii" siècles. — VII et \ ML Ik'nais.'ance et trans-
formation de Bordeaux au xvni' siècle. — l\. Bordeaux au m\' siècle.
Voyages d'études locales. — M. Corbineau. direcleur cl'école à
Libouriie, MM. ii.irrièie et l^lchiiil. instituteurs adjoinLs à Bordeau.\, école
lO
1 38 CHRONIQUE
Léonard- Lenoir, organisent pour le 2 juin une excursion historique et
archéologique dans le Bourgeais, à l'usage de leurs collègues de l'enseigne-
ment primaire désireux de mieux connaître le passé girondin. L'initiative
est des plus heureuses; il faut en féliciter chaudement les promoteurs.
Les Limousins à Bordeaux. — Dans un article du Bullelin de la Société
des lellres, sciences et arts de la Corréze (2° livraison 1911, p. 119-2^7),
irililuié Les Limousins à Bordeaux, notre collaborateur M. Alfred Leroux a
patiemment et minutieusement coUigé les faits et les souvenirs qui
attestent les rapports du Limousin avec Bordeaux : culte de saint Martial et
de saint Éloi, archevêques, parlementaires, professeurs et érudits, nobles,
bourgeois, prolétaires, sans oublier les «jurais de Limoges», intendants
passes de Limoges à Bordeaux, documents conservés dans nos archives,
objets d'art de nos musées, etc. Le travail est curieux et très instructif,
même pour les Bordelais. En appendice, M. Leroux a réuni les mentions
relatives au culte de saint Martial, contenues dans le fonds Saint-Seurin des
Archives départementales.
Le testament du second duc d'Epernon. — En appendice de son
étude sur le château de Caumont, imprimée dans le Bulletin de la Société
archéologique du Gers (1911, 4" trimestre, p. 3ii-3i7) et déjà signalée ici
(cf. Revue, 191 1, p. 434), M. le marquis de Castelbajac publie le testament
de Bernard de Xogaret de La Valette, deuxième duc d'Epernon, fait à
Paris le aS juillet iljlii. Le testateur demande à être t porté à la {)remière
commodité et le pluslôt que faire se pourra dans l'église de Cadillac, pour
y esire inhumé et enterré dans le tombeau de ses prédécesseurs ». Parmi
les nombreux legs on remarque : Oo,ooo livres pour doter de pauvres filles
des terres de Cadillac « par les mains et par les soins de la Doctrine chré-
tienne et des Capucins de (Cadillac » ; i5,ooo livres pour la fondalion d'uri
obit en l'église de Cadillac; « à l'église de Cadillac, où sont les sépultures et
tombeaux de ceux de sa maison, premièrement la tapisserie de Jacob qui est
la plus basse, plus l'ameublement qii'il a fait faire en drap d'or fuzé avec un
reste d'étoire de même, qu'est pour faire un daix, lequel ameublement il
entend être employé pour faire des revenus à ladite église pour le grand
autel, plus une tenture de tapisserie de Flandre représentant l'histoire de
Daniel»; 28,000 livres à l'hôpital de Cadillac; 10,000 livres à l'Hôlel-Dieu
de Bordeaux.
Société archéologique.— Dans la séance du 8 décembre 191 1, M. Ricaud
a donné lecture d'un travail sur la place Dauphine et sur un monument
qui devait être édifié sur cette place. M. Mericam a ofîert au Musée des
spécimens de serrurerie et de ferronnerie anciennes et M. Minier une collec-
tion d'assignats. Le Conseil d'administration a été ainsi constitué pour 1913 :
Président, M. le D' G. Lalanne; vice-présidents, MM P. Fourché et Th.
Amtmann; secrétaire général, M. Marcel Charroi; secrétaires adjoints,
MM. G. Duval et Th. Ricaud; trésorier, M. P. Thomas; archiviste, M. R.
Ferbos; conseillers, MM. Bardié, Brulails, Coudol, llabasque, de Mensignac,
Nicolaï et Rambié.
Dans la séance du 12 janvier 1912, M. Brutails a accepté de faire une confé-
i
CHROK^)! F. |3i)
rencp, sous les auspices de la Société, sur les portails d'églises girondines. —
M. Mengool a présenté un travail sur le Brassard dr- Bordeaux. M Hoiulion
a couinieiilé jjlusieiirs lettres émanant d'arlisies, sur l'état d'<'*()ril de la
populatioti bordelaise veis iMi'i. M (jharrol a |)résenlé pour le Musée un
album et plusieurs aquarelles provenant de la collection donrjée à la Société
par feu M. Kmilien l'i^^uieau. Ont été admis comme nouveaux membres
\IM. l'aul (]araman, Joseph liéraud et Paul l.abrouclie.
Dans la séance du mois de février 191a, M. Hamhié, vice-présideni, remer
cic M, Brutails de la conférence si instrucli\e (pTil ;i laili- -ur les l'orhiils
d'éilUses girondines. M. Bonlemps donne quelques renseignenjenls sur les
travaux entrepris à l'iiôlel do Ville de Libourne et les fouilles qu'ils ont
occasiotinées. M. Charroi présente une série de haches en bron/c découvertes
à Saint-Laurent (Médoc) vers 1875. M. Bouchon commetjte un curieux
manuscrit de Brochon père sur son rôle et sa conduite pendant la période
révolutionnaire. M"' Colonna et M. L. Ghalagnac, professeurs au Lycée,
ont été reçus comme membres de la Société.
Dans la séance du mois de mars 191 2, .M. le Président adresse ses félicita-
tions à M. Courteault, récemment nommé chevalier de la Légion d'honneur,
et à M. Mambié, nommé ofTicier d'Académie. M. l'abbé Léglise a donné
lecture dune intéressante dissertation à propos d'un ancien tableau de
l'école espagnole, conservé à Bordeaux, représentant Saint François d'.\ssises.
— M. Charroi a communiqué une série d'études faites par feu .Vurélien
\ ivie sur le << Livre rouge». M. Bouciion a rappelé les dates de publication
des divers livres rouges et a commenté un document qui lui a été commu-
tii(pié par M. Daleau contenant une liste de dénonciations contre les fonc-
lioimaires publics de l'époque du premier empire. — .M. Duval a lu un
mémoire de M. Béchade sur le pavillon dit de Uiclielieu, à Bacalan. l/auteur
demande que des mesures soient prises pour assurer la conservation de cet
édifice. M. Bardié a présenté la photographie d'une pierre armoriée trouvée
à (lastillon, ainsi que les dessins de très belles cheminées du château de
(îénissac. — La Société a admis comme nouveaux membres M. le U' Gom-
baud et M. Béchade.
Société des Archives historiques. — Dans la séance du 22 mars r9i3,
M. P. (laraman a communiqué un document relatif aux obsèques de
M-' Paulmy d'Argenson, archevêque de Bordeaux (décembre i~a8). — NL K.
Thomas a lu une notice sur la construction d'un atpieduc, au xvui* siècle,
sur l'esley des Moines, aux Chartrons. — M B. Brouillard a donné Iim lure
d'une lettre très curieuse de M'"" Bouquey révélant tpie le (iirondin Louvel,
lrii([né par la Convention, logea che/ elle à Saint-limilion. — M. le D' Martin
aentretenu la Société d'un travail qu'il prépare sur les grands hivers borde-
lais depuis le xv" siècle par rapport à la vigne. — M. .V. Leroux a donn»'
communication d'une série de documents donnant la délimitation des
paroisses de Bordeaux en 1791 avec les cbiirrca de leurs populations
respectives.
Dans la séance du a(i avril kji ■>. \l. Caraman adonné lecture d'un mémoire
adressé au Contrôleur général en faveur du sieur Trouvé, écuyer, cl»argé
des alT'aires de la ville de Bcndeaux à Paris et à la suite de la Cour (1708). —
l4o CHRONIQUE
M. Harlé a communiqué une série d'arrêts du Parlement fixant le maximum
des gibiers, draps, soies et vêtements et portant condamnation contre les
contrevenants (janvier 1578). — M. Brouillard a lu des documents de l'an III
sur la détention du perruquier Troquart qui avait donné asile aux girondins
Pétion, Buzot et Barbaroux. — M. Leroux a communiqué, d'abord, une
requête des Carmes déchaux à l'Archevêque aux fins d'être autorisés à
célébrer la fête de la Transfiguration dans leur église (1777) et ensuite un
élat sommaire de la consistance de l'église Saint-Remy. — M. de Saint-Saud
signale un inventaire de l'église Saint-Vincent de Bourg remontant à
l'année i54o.
Le tome XLVI de la collection des Archives historiques de la Gironde
vient de paraître. La plus grande partie de ce volume est consacrée au
Regislre du clerc de ville de Bordeaux; la transcription de ce document si
intéressant pour le xvi' siècle a été faite par M. Pierre Harlé. La lecture du
registre présentait des difficultés très nombreuses qui en rendaient la
consultation particulièrement pénible. Grâce à cette publication, les notes
du clerc de ville Richard de Pichon seront utilement mises à profit par les
érudils. On trouve également dans ce volume la transcription, due à
M. Caraman, d'un procès survenu au xv siècle entre les Frères Mineurs de
l'Observance et les Frères Prêcheurs de Bordeaux, et enfin une série de
documents sur les diverses chapelles de la palu de Bordeaux qui servent
de pièces justificatives à l'article publié dans celte Revue par M Leroux sur
les origines des paroisses Saint-Louis, Saint-Martial et Saint-Remy.
Congrès des Sociétés savantes. — Au Congrès des Sociétés savantes,
tenu cette année à la Sorbonne, M. P. Caraman. correspondant du .Minis-
tère, membre de la Société des Archives historiques de la Gironde, a lait une
communication relative à l'ancienne église paroissiale Notre-Dame de la
Place, qui a complètement disparu en avril 1880, et dont l'emplacement est
actuellement occupé, place Pey-Berland, par le troisième magasin de meu-
bles de M. Plazanet, en partant de la rue du Loup. Cette églLse a porté, à
travers les siècles, les noms suivants: INotre-Dame de la Place Saint .\ndré,
Saint -Eutrope, Sainte-Anne-la-Royalc et chapelle des Irlandais. — Notre
collaborateur, M. Vovard, continuant la série de ses éludes biographiques
sur les soldats et marins célèbres du Bordelais, a donné lecture d'une notice
très documentée sur le général de Beyssac, né à Marmande en 1749 et mort
à Bordeaux en 1820.
Archives municipales. — Les archives municipales viennent d'acqué-
rir trois aquarelles de Bernède représentant: l'ancien établissement des
Enfants trouvés sur le quai de Paludate, une vue de l'ancienne rue Sainte-
Hélène, près de l'église Saint-André, et enfin une vue de la porte Toscanan.
A signaler également l'acquisition d'un dessin de Garneray représentant le
pont de Bordeaux.
nir.Li()(;u\iMiii:
Louis Raby, Mcleail, ancienne capUtile du Mcdoc. Son principnl héritier
Saint-Germain I)'es( méjlenil. Bordeaux, impr. S.imie, î|)I'' in-H"
de î34 pages, 35 vues pholograplnques.
L'auteur pari de celle donnée que le pays des Biluriges-\ ivisques coinplail
trois villes principales : Burdigala, au bout intérieur du pays; Noviomagus,
an bout extérieur sur l'océan, et une ville du milieu, Mctnllium (Méleuili.
ancien chel-litMi des Médules, dont le « principal iiérilier » serait « Saint-
(icrmain D'es(mé)teuil ».
En regard de pareil essai de reconstitution d'un nom de lieu, il faut
rapporter que les comptes de l'arclievéché des xiu« et \iv' siècles donnent
pour la paroisse dont il s'agit, à l'exclusion de toute autre ortliograplie.
(piinze fois Ealulh, une fois S/0//1, une autre fois Stoilh. Celle vieille slructure
gasconne ne montre pas une parenté bien directe avec Melullimn, que l'abbé
Haurein a proposé de traduire en Méteuil. Dans le Médoc, eslullt se dit tlu
ciiaume qui reste sur pied après la moisson, d'où, à la rigueur, Saint-
fiermain-de-Chaume. En fait d'étymologie, eslulh ne s'inscrit ni pour ni
contre la présence en ce lieu d'une ancienne ville ou de simples villas
romaines, mais il convient d'ajouter qu'en 1778 le curé de Saint-Gerinain-
d'Esteuil répondait à l'abbé Haurein qu'il ne subsistait dans la paroisse nulle
tradition sur le passé.
Aucune révolution ou modificalion géologique sérieuse n"e>t survenue au
cours de notre ère. La partie inférieure de la Gironde, au lieu d'être << fort
resserrée » avant le vi' siècle et saignée de plusieurs brandies fortuanl délia
(page 20), était, au contraire, comme de nos jours, tellement large au
I" siècle, disait alors Mêla, qu'on pouvait la prendre pour un détroit.
Camille Jullian a écrit : « Noviomagus, signifiant marclié neuf, ne peut
être clieicbé (jue dans la région centrale. » L'abbé Raby rapporte (page ~j)
une opinion analogue de Léo Drouyn. Une épitaplie soi-disant de l'an i 'i<»
et soi-disant trouvée à Soulac mentioime Noviomagus. Élie Vinel en a fait
justice, estimant qu'elle était l'ouvrage d'un imposteur qui voulait se
divertir. En dépit (le celte probable mystification, Noviomagus. quand on
ne le montre pas iniaginairemenl au fond de la mer comme au texte ici
analysé, persiste à conserver élection de domicile au lieu isolé et autrefois
peu important de Sonlac A son tour, le Méteuil (|u'on nous présente
prendra t-il racine aujourd'bui? Nos tenips à vulgarisation et à exigence de
textes formels s^nt trop positifs pour que Saint-Germain-d'Esteuil soil déjà
temi, malgré toute la boime foi de l'auteur, pour le << principal héritier »
de Meti'llium.
Mais où était réellement ce Méteuil « ancienne capitale du Médoc »? .\ sa
page 32, l'auteur fait dire avec quelque artifice à Ausone. épîlre V adressi-e
à Tliéon : >. Quelle vie mènes-tu sur les rirtKjrs de Méteuil? » Voilà cpn |>eut
dérouler. pui>(iue l'Iiéon vivait à lÏMubouchure de la Gironde. — Même
elTorl à la page 28. Le Médoc était un piKjiia. ■< Mediciilus payas ». lim des
l42 BIBLIOGRAPHIE
cinq pagi se partageant la côte depuis l'embouchure ancienne de l'Adour
jusqu'à celle de la Gironde. Cependant l'auteur, à propos de la donation de
l'enclos de Secondignac, traduit in pnyo metullensi par : (( situé clans le bourg
de Méteuil. » — En S^o, Charles le Chauve veut qu'il ne soit frappé monnaie
nulle part dans ses états que « in Paialio nostro et in Melnllo et in Narbonn »,
ce que l'abbé Raby (pages 43-44) rend par : « en notre Palais, à Méteuil et
à Narbonne ». Où l'on voyait jusqu'ici Melle en Poitou (Metullum sans i), lui
nous montre un Méteuil du Médoc et son hameau de Liard. auquel lieu un
atelier monétaire aurait frappé de la monnaie de ce dernier nom, nous
laissant ainsi en présence de cet anachronisme qu'on ne trouve en France
aucune mention du liard avant le règne de Louis XI, alors que MetuUium
aurait été détruit par les Normands six cents ans auparavant.
Le port de Polos, plusieurs fois nommé, n'a jamais disparu. A noter enfin,
page -!i : « Rappelez que Cordouan tenait encore au Médoc il y a deux ou
trois siècles. » L'auteur n'a pas tenu compte du devis et des travaux de Louis
de Foix, ni de l'échec des trois ermites qui, en 1092, après un essai d'ins-
tallation à Cordouan, durent fuir ■ les dangers de l'îlot » pour s'établir à
la Pointe-de-Grave.
En résumé, les questions historiques et géographiques traitées paraissent
le plus souvent erronées.
La seconde partie de l'ouvrage (pages 79 à 280) présente sur Saint Germain-
d'Esteuil et ses registies de paroisse un travail appréciable et bien digne
d'exciter ailleurs l'émulation.
S.
Abbé Albert Gaillard, /.a haronnie de Sainl-Magne, d'après des
documents inédits, avec la collaboration de M. le baron Em. Ober-
kampff de Dabrun; 2 volumes. Bordeaux, Micliel et Forgeot,
éditeurs, 191 1 .
Dans la première partie de son ouvrage, M. l'abbé Gaillard s'occupe de la
seigneurie de Saint-Magne et de ses possesseurs. Ses sources ne remontent
pas au delà du xni' siècle. M. (iaillard a épargné au lecteur des digressions
sur les temps préhistoriques et l'histoire romaine, que beaucoup d'écrivains
de monographies locales se croient la plupart du temps obligés de faire.
11 n'a voulu s'en tenir qu'à des documents certains et ceci prouve la rigueur
de sa méthode.
A part Pierre II d'Agés, qui fui ambassadeur de François I". fondateur
du collège de Guyenne, sous maire de Bordeaux pendant les troubles de la
gabelle, les barons de Saint Magne sont des hommes assez obscurs, qu'ils
s'appellentde Podensac, Cailhau. d'AIbret ou de Pons. Us nous apparaissent
comme de rudes capitaines, de courageux guerriers, plus Anglais que Fran-
çais, loyaux sujets d'ailleurs lorsqu'ils eurent donné leur parole au roi de
France et dont l'humeur batailleuse se changea, chez leurs descendants, en
amour de la chicane et des procès. Mais tous ces nobles, aussi bien le baron
du Moyen- Age que ceux du xvui" siècle, les d'Agés que les Cazanove de
LacaussadeoulesJournu-Aubert semblent avoir eu la préoccupation constante
d'élever le niveau social de leurs vassaux, de leur assurer le plus de bien-être
inatériel. Et un des documents les plus curieux de cet ouvrage est la charte
par laquelle en lagi Pierre de Podensac, baron de Saint-Magne, afTranchit
ses serfs, charte confirmée en i5io, 1599, et très libéralement en 1735.
La publication de celte importante pièce amène M. l'abbé Gaillard à
iiini.iuf.n.vPMiE 1(43
éludior I;i (nii'stion si iiilricssaiilo ilc la (jui'sifilili' en Caxriiijiie. Si les conclu-
sions lie ruuloiir dillY'iciil de relli's des érudils qui oui abordé ce problème
avant lui, à cela rien d'élonnanl, Ni. Gaillard ayant eu à sa disposition des
docuinenls iniparlaileinent connus juscpie-là. l/auleur croit en eiret pouvoir
avancer que les habitants de Saint-Magne, à partir de ij[)>, n'étaient point
des Qni'slnitx, c'est-à-dire des hommes soumis au bon vouloir d'un maitre,
taillables et corvéables à merci, mais des hommes libres, possédant la terre
à litre précaire, pdur le compte du seijrtieur, en vertu d'un contrai el sous
certaines condilioiis, comme de résider sur la seigneurie, d'\ Imii
<< feu vif ».
Dans la deuxiètne partie de son oeuvre. M. l'abbé Gaillard s'occiipe de lu
paroisse de Saint Mafjrne, qui fut pendant longtemps une dépendance dllos-
ten et eut pour patrons les Jésuites, puis le collège de Guyenne.
On pourrait craindre que le sérieux des questions traitées, l'aridité du pa> s
décrit, aicnil inilué sur le style de l'auteur. Il n'en est rien. Sa [)lnn)e. au
contraire, vive el alerte, court en phrases courtes et nourries ap|)orlant au
récit de la couleur, Ue la chn\é et de la vivacité, soit qu'il parle des [)ins
et des cultures, du caractère et des mœurs des habitar)ts ou bien des dictons
toujours cités, des vieilles prières qu'on ne récite guère plus.
L'ouvrage de M. Gaillard peut servir de modèle à tous ceux qui voudront
faire des monographies de paroisse, car le plan en est excellent el très
complet, l'ne table des noms propres cités en fait un ouvrage de travail;
c'est entln une OMivre artisti([ne, car, outre trois eaux-forles, .M. Gaillard
a placé en regard du texte des chartes (juil transcrit, leur reproduction
phototypi([ue. On regrettera seulement ((ue l'auteur n'ait pas cru devoir
y ajouter une carte du pays landais qui aurait permis de situer plus aisé-
ment Saint-Magne cl ses dépendances.
K. M.
Fernand Guignard, Ilisloire de Caslillon-sur-Donlogne (l'une des
filleules de Bordeaux) el de la région caslillonnaise, de/)uis les
origines jusqu'à hS70... Paris, Laval, 1912, in-8' de xw-oyG pages.
.Ainsi que l'inrii(|ue le titre de son livre, M. Guignard nous donne une
histoire de Caslillon. des origines à 1870. Après avoir rappelé l'étyiuologic
du mot Cnslillon, il fait un rapide historique du prieuré bénédictin de Saint-
Florent el du couvent des Grands-Caitnes. Les deux chartes de franchises
octroyées à la ville par le captai de Buch en \^'y[\ et i3(ti lui sont un prétexte
de nous dire ce qu'il sait sur la vie de ce personnage. Il raconte la bataille de
Caslillon de i'i53, plus tard le siège de i586 el consacre à Montaigne un
ilia[)ilre qu'il intitule « lu philosopiie caslillonnais ». Les chapitres qui
traitent de l'histoire de Caslillon aux \vu' et xvar siècles nous paraissent les
mieux venus de l'ouvrage : nous y signalerons notamment un très intéres-
sant arrêt du Conseil, du 27 février iGo3, dont l'expo.sé alïirmc (|ue Castillon
appartient à la sénéchaussée de Hordeaux (p. ^a^)). el les piltoresiiues procès-
vcrbau.\ provenant du greffe de la justice de paix, ([ui rel.ilent l'arrestalion
de Barbaroux et la découverte des cadavres de l'élion el de Bu/.ot. à moitié
dévorés par les chiens et d<inl l'un était ron^ié |iai- les vers au col et un
boyau lui sorlantau bas ventre, étant infect et inaixndable » (pp. V'ii) el suiv.j.
Faracjt, dès sa préface, à l'objection de ceux (pii reprocheraient à son livre
de manciuer de conclusion, l'auteur nous fait observer: «C'est luie o'uvre
d'histoire que j'ai tenté de réaliser, non tme iruvit^ de lilléMalure ou de
l44 BIBLIOGRAPHIE
polémique. « On peut regretter cependant que cette absence voulue de toute
idée directrice l'ait amené dans son dernier chapitre (le xix-^ siècle) à ne plus
nous donner qu'une énumération chronologique des principaux événements
de l'histoire de Castillon (discours du maire au colonel du 27-= de ligne, vole
d'une somme de 200 francs pour l'érection d'une statue au duc Decazes, etc.>.
M. Guignard a pensé devoir donner à son travail une allure d'érudition.
Mais il ne suffît peut-être pas pour faire d'un livre un ouvrage d'érudition
de mettre en tète une bibliographie impressionnante, d'encombrer le texte
de citations et de multipher les notes au bas des pages. L'érudition de
M. Guignard ne nous paraît pas toujours très sûre. Prenons un exemple,
au hasard : aux pages 177 et 178 l'auteur cite trois extraits de lettres qui
se trouvent dans le tome LXl de la collection Dupuy à la Bibliollicque
nationale; pourquoi n'indique-t-il point que ces lettres ont été publiées
dans les Archives historiques de la Gironde (t. IV, pp. 206, 221 et 227)? et
qu'en devons-nous conclure sur le sérieux des nombreuses recherches
d'archives auxquelles il dit sètre livré ?
Nous regretterons par ailleurs que M. Guignard n'ait pas accompagné son
étude d'un plan de Castillon, qui serait bien nécessaire pour éclairer les
deux premiers chapitres de son livre. 11 semble que Castillon, simple
casteUam à l'origine, ait dû sa fortune à sa forte position stratégique : des
maisons vinrent se grouper aux abords du château qui formèrent un noyau
urbain correspondant au quartier encore aujourd'hui appelé 0 la ville » et
dans les faubourgs duquel furent construites aux xi* et xn' siècles les
abbayes des Bénédictins et des Carmes. A la fin du xnr ou au xiv" siècle fui
élevée une nouvelle enceinte qui entourait la ville et les faubourgs, celle
dont M. Guignard nous donne une description à la page 2 en la présentant
comme remontant aux « premiers temps de notre histoire ». Tout ceci n'est
que pure hypothèse de notre part, car l'auteur ne nous dit rien de la for-
mation topographique de Castillon ; mais nous aimerions pouvoir vérifier
nos hypothèses avec un plan, savoir où se trouve exactement le quartier
nommé « la ville », le prieuré de Saint-Florent, l'abbaye des Carmes qui
«était située sur l'emplacement actuel de l'école communale de garçons»,
les quelques vestiges enfin qui subsistent encore de l'enceinte.
Mais ce ne sont là que bien petites chicanes que ne pourront chercher
à l'auteur les habitants de Castillon, pour lesquels il a écrit son livre et qui,
bien certainement, y trouveront ce qu'ils cherchent : des annales très
détaillées de leur ville.
F. G.
Le Géraht : G. Ducaunnès-Duval.
Bordeaux. — Impr. G. Gounouiliiou. — G. Chapon, directeur.
9-11, rue Guiraude, 9-11.
UNE ACADEMIE DES SCIENCES A JIOUDEAL.V
AU XVII" SIÈCLE
Dans un discours prononcé le 16 janvier 1739 à la séance de rentrée
de l'Académie de Bordeaux, le président Barbot disait: «11 se
forma dans cette ville, en 1664, une assemblée de physiciens et de
médecins, chez M. Salomon, président à mortier de ce Parlement,
et l'un dos quarante de l'Académie française. Ces savants, sans
autre loi que celle de l'amitié et de l'éniulntion. cultivaient les
sciences naturelles; on y iit même quelque auatumie sur le cervelet
des animaux et sur les poissons. On y lut, entre autres, une disser-
tation sur le changement d'un fœtus humain en celui d'un singe par
la seule force de l'imagination. L'auteur a le mérite d'avoir prévenu
et le système et la plupart des preuves du père Malebranche. Ou
juge bien que cette pièce fut extrêmement critiquée. La dissertation
et la critique sont iiii])rimées, mais c'est tout ce qui nous reste de
cette Société ^. »
Ces lignes révèlent l'existence à Bordeaux, en i)li'iu lè^qu- de
Louis XIV, d'une Académie scientifique, qui devança de près de
cinquante ans l'Académie du xviii*^ siècle. Elles font connaître le
unm (lu fondateui-, le caractère des réunions, un des >iijets traités,
la discussion qu'il provoqua, il e~l possible et il vaid la peine de
préciser ces indications un peu vagues -.
C'est une curieuse figure que celle de ]-"rançois-Henri Salomon
de Virelade ^ Né à Bordeaux le 4 octobre K'r^O, il était fils de I<'rau-
çois-Menaut de Salomon, conseiller au Parlement. Il lil ses études au
collège de la Madeleine : le 4 juillet 1635, on le t n>uve au nombre des
seize élèves des Jésuites, qui soûl lurent leiii~ Ihèses de ]>liilnsophie.
1. Hvflexions sur l'Iiistoire nalurvUe de la Ontieimt (Uibl. «le la ville «le lîordi'aux,
ms. 528, t. CIV, 18).
2. Sur r.Vciuléinie île Salomon île \'ii-elade, \oir R. Céleste, notice sur IWcailéiuie
de Uordeaux (Burdvnii.r, lS'.t-2, I. III, ji. 20'2-264).
3. Elle a été étudiée par Kcrviler, Henri- Fnmçnis Salomon de Virdadc (Revue de
Gascogne, 1870, p. lH7-20y, 2'J".»-yi l, 3U3-aiO, -481-493).
II
I/J6 UNE ACADÉMIE DES SCIENCES A HORDEALX AU XVll" SIECLE
11 cul une fortune singulièrement rapide et brillante : en 1638, à
l'âge de dix-huit" ans, il fut reçu avocat général au Grand-Conseil,
grâce à la protection du chancelier Pierre Séguier, qui avait dû
connaître son père lors du séjour quil fit à Bordeaux, en 1623,
comme intendant de justice en Guienne. Client de Séguier, le jeune
Salomon, auteur d'un Discours d'Etat à M. Grotius sur Vhistoire du
cardinal Bentivoglio et de vers plutôt médiocres, dut à ce tout-
puissant patron' d'être élu, en 1644, de l'Académie française, à la
place du poète latin Nicolas Bourbon, et d'être préféré au grand
Corneille. Il fut reçu le 23 août : dans son compliment, après un
éloge essoufflé de l'Académie, de Richelieu, du roi et de Séguier, il
avoua qu'il devait son élection à l'autorité du chancelier, et conclut
en termes modestes : « Pour moy, qui ne viens que pour y apprendre,
et qui n'oserois produire qu'avec honte mes faiblesses, je me trouve
en l'état de ceux qui prétendent devenir riches en recevant de toutes
parts et que leur indigence excuse de ne rien donner ^. »
11 ne siégea pas longtemps à l'Académie française. En 1647, il
avait quitté Paris et était revenu à Bordeaux pour s'y marier. Il
épousa Isabeau de Lalanne, fille de Lancelot de Lalanne, président
à mortier au Parlement, acheta la charge de lieutenant général du
sénéchal de Guienne et président au présidial de Bordeaux, et ne
({uitta plus désormais sa ville natale. De 1650 à 1653, il fut l'un des
défenseurs de l'autorité royale contre les parlementaires et les bour-
geois frondeurs. Il se fit l'informateur diligent de Séguier et de
Mazarin '^. Au moment où les Bordelais ouvrirent leurs portes, en
juillet 1653, aux troupes de Vendôme et de Gandale, il servit de négo-
ciateur ^ A la mort de son beau-père, en 1662, il lui succéda dans sa
charge de président à mortier.
En 1665, il fit paraître à Bordeaux, sous ses initiales, un petit
livre en latin, sorte de manuel d'antiquités romaines ^. Ce livre
comprend deux parties : dans la première, l'auteur expose com-
ment à Rome on instruisait les procès criminels et de quels châti-
ments on punissait les coupables; dans la seconde, « quels étoient
parmi les Romains les devoirs de la vie civile, comme de se trouver
aux cérémonies qui se faisoient lorsque quelqu'un prenoit la robe
1. Recueil des harangues prononcées par MM. de l'Académie françoise dans leurs
réceptions... Paris, 1698, in-4°, p. 8.
2. Cf. Arch. hist. de la Gironde, t. XIII, p. 506-507.
3. Cf. ibid., t. XV, p. 355-356, 337.
4. De judiciis el pœnis. De officiis vilic civitis Bontanoruin Commcnliiria, authore H. F. S.
Bordeaux, G. de La Court, s. d., pet. in-12.
UNE ACADÉMIE DES SCIENCES A UOHDEALX Al Wll' SlÈCl.E 1^7
vii'ile (»u (ju'oiL luy fuisoit la barbe \)iniv lu lufniièro f<»is. » Le
Journal des Sai^anh, ([ui dévoila If nom df l'autt'ur, regretta que
l'ouvrage fût déparé par- di- iinnibreuscs fautes d'iiiipic>>iiiii »!
«|u'il fût si sommaire; mais il fii |i»\ia l'érudition cl ;ni>>i l'nlilili'-
pniir hifii entendre les auteurs latins'. Alherl-I Irm i dr S.dlt-ngr»'
lui lit l'honneur de le réimprimer, en 17iy, dans son A'or//.s- l'ht'snttrux
Antiquilatum romananim "-.
En juin 1667, Salomonfit un voyage à Paris pour ses affaires. Il m*
souvint que, depuis vingt ans, il n'assistait pas aux séances de cette
Académie française, qui l'avait préféré à Corneille parce que celui-ci
ne résidait pas. Il y parut de nouveau; ses confrères, indulgents, le
nommèrent aussitôt directeur. Au bout d'un mois, il était de retour
à Bordeaux. En septembre, il revint à la cour, à la tête d'une
députation du Parlement, pour féliciter le r6i de l'heureux succès de
ses armes : il prononça, à cette occasion, \in discdurs d'une élégance
banale, gâtée par un certain galimatias -K
Tel était l'homme qui, dans les dernières années de sa vie, eut
l'idée de créer à Bordeaux une Académie. Ce que nous connaissons
de lui n'est pas fait, il faut l'avouer, pour le rendre absolument sym-
pathique. Sa fortune trop rapide paraît avoir scandalisé les contem-
porains : elle exerça la verve de Tallemant des Réaux. Son loyalisme
pendant et après la Fronde parut à ses collègues du Parlement un
peu servile. Il n'était pas de la race des vieux magistrats batailleurs,
entêtés à défendre leur autorité contre le pouvoir central. Créature
des ministres, il ne sut être qu'un tidèle serviteur de la monarchie.
II tenta, du iimins, de faire profiter les Bordelais de son crédit : il
rêva d'aller en Angleterre, chargé d'une mission secrète auprès
de Gromwell. jiour renouer entre les deux pays une entente qu'il
jugeait sans doute nécessaire à la prospérité de Bordeaux. Et quand
la paix fut enfin rétablie, il voulut secouer la torpeur où languissait
sa patrie épuisée par dix années de luttes et d'anarchie, en \ n'vcil-
lant le goût des sciences et des arts.
Cette idée lui fut suggérée par le succès des premières Académies
provinciales. La plus ancienne, celle d'Arles, existait dès 1622 sous le
nom d'wAcaiirMiiie du bel esprit et de la galanterie ». Ce fut il'abord une
1. Journal des Sçavans, 1066, |i. 15-16.
'1. T. m, col. 631-668.
3. Ce discours fui inii)riiiu' à lîoidcaux rlnz Pierre du Coti. Salomon y coinp-iriiil lo
zrle (ivii .uiiiiif 11' l'.iilenient à Téf^ard du roi au culte i\uv \o* nations \oisiiu's du iiùle
rtMideiil au soleil, dont elles ne voj-enl que la pointe des rayons, l'exlri-nuté île la lumière
cl l'cinlirc du jour, et ne laissent pas de l'adorer idus reliirieusenuiil tpie ceux qui l'ont
toujours sur leurs testes et qui en reçoivent les richesses, l'abondance et la lerlililé ».
lA8 UNE AÔADÊMIE DES SCIENCES A BORDEAUX AU Wll' SIECLE
réunion de gentilshommes, où les disputes sur des matières galantes
alternaient avec des courses de bagues et des carrousels, une sorte
de cour d'amour, inspirée par VAslrée; à partir de 1633, elle était
devenue une société de huit beaux-esprits, qui s'occupaient de lettres ;
en 1668, elle obtint d'être érigée en Académie royale et fut pourvue
d'un protecteur, le duc de Saint-Aignan i. L'Académie de Nîmes
ne fut officiellement constituée qu'en 1682; mais elle existait déjà
« vers le milieu du xvii^ siècle » ^. A Castres, le jeune avocat Pellisson,
de retour de Paris, avait fondé, dès 1648, avec ses collègues du bar-
reau castrais, une Académie, à l'image de l'Académie française. A
Soissons, quatre jeunes gens, ayant terminé leurs études de droit,
s'étaient réunis, en 1650, pour mettre en commun leurs lectures;
encouragés par Patru, protégés par le maréchal d'Estrées, ils vou-
lurent obtenir, eux aussi, des lettres patentes et leur affiliation à
l'Académie française; ils y parvinrent, en 1673 et en 1675, grâce
à Pellisson ^ L'Académie de Caen sortit des réunions tenues par
quelques lettrés, d'abord dans la boutique du libraire Lebourgeois,
puis, à partir de 1652, chez l'un d'eux, Moisant de Brieux; en 1654,
Huet vint y siéger, et par lui elle acquit vite un grand prestige *.
Du reste, ces Académies eurent toutes un grand succès. Sans doute,
elles furent d'abord en butte aux quolibets : à Caen, on reprocha
aux amis de Moisant de Brieux de n'être que des pédants ergotant
sur les mots, parlant grec et latin; à Soissons, l'initiative de Julien
d'Héricourt excita l'envie et les critiques. Mais bien vite les pré-
jugés tombèrent; tout le monde voulut faire partie de ces réunions :
à Caen, les intendants de la province demandèrent à y être admis;
à Soissons, il fallut prendre des mesures spéciales pour que la porte
ne fût pas trop grande ouverte. Il n'est donc pas surprenant que
Salomon de Virelade ait voulu tenter à Bordeaux ce qui avait si
heureusement réussi ailleurs.
Mais ces Académies avaient toutes un caractère exclusivement
1. Sur les origines de l'Académie d'Arles, voir les articles de Fassin, dans Le Musée,
revue historique et littéraire d'Arles, nov.-déc. 1868; Pellisson et d'Olivet, Hist. de l'Acad.
franc., éd. Livet, t. II, p. 221-222, et F. Bouillier, L'Institut et les Académies de province,
\>, 34-38.
2. Ménard, Ilisl. de la ville de Nîmes, éd. de 1875, t. VI. p. 234.
3. L'histoire des origines de l'Académie de Soissons a été écrite en latin par son
fondateur, Julien d'Héricourt [De Academia Suessionensi, cuin epistolis ad familiares
Juliani Hericurtii, Suessionensis Academici. Montalbani, apud Samuelem Dubois, 1688).
4. Cf. G. Mancel, Biographie de Moisant de Brieux, fondateur de l'Académie de Caen
{Mém. de l'Acad. de Caen, 1845, p. 333-348); René Delorme, Moisant de Brieux, sa vie,
ses œuvres et ses relations avec la société lettrée de son temps (ibid., 1872, p. 27-108); Henri
Moulin, Deux académiciens caennais au xvii" siècle: finloine llallcij et Jean de Mont-
fleurij (ibid., 1881, p. 893-414) et Chapelain, Huet, Ménage et l'Académie de Caen {ibid.,
i882, p. 363-391).
l NE AC.VDKMIK DES SCIENCES A IJORDEAUX AU XVU* SIKCI.E 1/19
littéraire. On y lisait des vers, des discours, (Ws (raduetions d'au-
teurs anciens, on s'y occupait dr langue et de, style. L'ambition
d'iiniltT l'Académie française est partout visible : les nn'ndjrcs de
ces Sociétés sont en relations avec Conrart,Cliapelain, Ménage, Patiu,
Pellisson; il se considèrent un peu comme leurs collaborateurs; ils
espèrent par leurs travaux mériter le grand honneur d'être afTdiés
à l'illustre compagnie; Arles et Soissons se disputent le titre de fdie
ainée de l'Académie française. Or, c'est une Académie des sciences
que Salomon rêva de créer à Bordeaux. Si donc le succès des Aca-
démies naissantes l'inspira, c'est ailleurs qu'il trouva la forme sous
laquelle son idée prit corps.
Le xvii® siècle a été un grand siècle scientifique. 11 ne la pas
été seulement parce qu'il fut le siècle de Kepler, de Galilée, de Bacon,
de Descartes, de Pascal, de Fermât, de Torricelli, de Harvey, de
Malpighi; il le fut aussi parce que les idées et les inventions de ces
grands esprits firent naître le désir de vulgariser les connaissances
dont ils avaient enrichi le patrimoine intellectuel de l'humanité.
Pour la première fois, la science sortit des Universités et des écoles
et tenta de devenir, comme les lettres, l'entretien des honnêtes
gens. Pour la première fois, les savants écrivirent leurs livres en
français. A côté des académies cjui travaillaient à réformer la langue
ou ({ui s'occupaient de lettres, il s'en fonda qui furent les ouvrières
de la vulgarisation scientifique. Ces dernières étaient nombreuses
à Paris dès la première moitié du xvii^ siècle. A l'Académie du Dau-
phin siégeaient, à côté de l'abbé d'Aubignac, M. Petit, intendant
des fortifications, « cet Archymède de notre temps, « comme l'appelle
l'abbé Gallois, celui-là même qui, passant à Rouen en 1616, réussit
le premier, en présence de Pascal et de son père, l'expérience de
Torricelli ', le cartésien Laiilnay, ami du P. Mersenne, M. Bailly,
« illustre médecin ». Tous les mercredis, il y avait des réunions chez
le physicien Rohault, tous les jeudis chez Laulnay, tous les vendredis
chez le gassendiste Denis. Mais de toutes ces Académies, la plus
illustre fut celle de M. le Prince, qui se réunissait, dès 1638, à l'hôtel
de Condé, et dont l'âme fut le fameux médecin Bourdclot. On y vit
passer tous ceux qui étaient curieux de sciences : le P. Mersenne,
Gassendi, La Mothe le Vayer, Montmor, Pascal, le Pailleur, Petit,
Roberval, les jésuites Talon, Bartet et Pardies, les physiciens
Mariotte, Rohault, Gayant, les astronomes Grandamy et Auzout,
1. F. Strowski, L'hisloire de Pascal, p. G7 et suiv.
l5o UNE ACADÉMIE DES SCIENCES A BORDEAUX AU XVIl' SIÈCLE
le naturaliste Dodart, les médecins Borel et Pecqueti. Quand
Colbert créa, en 1666, la première Académie des sciences, eut-il
besoin, comme on le répète, d'en chercher le modèle à la Société
royale de Londres? Il semble bien qu'il en avait de plus proches et
d'aussi capables de l'inspirer.
Salomon de Virelade était au courant de ce travail de vulgari-
sation scientifique qui de Paris débordait jusque dans les provinces 2.
Il avait connu chez Séguier celui qui en fut l'un des initiateurs, le
médecin Marin Cureau de La Chambre ^ Il avait lu, sans doute,
son grand ouvrage, les Characières des passions, dont le premier volume
parut en 1645, le cinquième et dernier en 1662, qui eut un succès
considérable, et où l'auteur étudiait les causes physiologiques des
passions, un des aspects de ce grand problème des rapports de l'âme
et du corps qui préoccupait si vivement Descartes et qu'il avait,
lui aussi, exposé en 1649 dans son Traité des passions. Il avait lu le
Traité de V esprit de V homme de Louis de La Forge, publié en 1666,
où ce commentateur de Descartes reprenait et développait les idées
du n>aître sur ces difficiles questions. La physique cartésienne se
dressait en face de la vieille physique d'Aristote. Elle apparaissait
à d'autres qu'à La Fontaine comme « subtile, engageante et hardie »;
elle était faite pour piquer la curiosité; elle devint vite à la mode.
Il n'en fallut pas plus, peut-être, pour que Salomon songeât à créer
à Bordeaux une Académie à l'image des Académies parisiennes où
l'on se passionnait pour elle.
Le milieu n'était pas absolument défavorable. On s'occu-
pait de sciences à Bordeaux vers cette époque. Les conseillers au
Parlement, fils de» humanistes du xvi*^ siècle, s'étaient un peu
détournés de l'antiquité pour s'orienter vers les études nouvelles.
Le vieux président Jean d'Espagnet n'était pas seulement un her-
1. \'oir sur ces académies lea- Conversations de l'Académie de Monsieur l'abbé Bour-
delol, conlenani diverses recherches, observations, expériences et raisonnemens de physique,
médecine, chijmie et malhénialiques, le tout recueilli] par le s' Le Gallois, Paris, chez Thomas
Moelle, au bas de la rue de la Harpe, à Saint-Alexis, 1673, in-12; 2« éd. augmentée,
en 2 vol. in-Ti, 1674. L'auteur est l'abbé Jean Gallois, né à Paris le 14 juin 1632, mort
le 19 avril 1707, rédacteur du Journal des Savants dès sa fondation, en 1665, professeur
de grec au Collège de France, membre de l'Académie française, d» l'Académie des
Sciences et de l'Académie des Inscriptions (E. Maindron, L'Ancienne Académie des
Sciences. Paris, 189.5, p. 43). 11 eut pour successeur à l'Académie française Edme Mongin,
évêque de Bazas, qui a fait son éloge (Rec. des harangues de l'Acad. française. 2<^ éd.,
t. III, p. 407-408).
2. Il y eut à Caen, à côté de l'Académie des Humanistes, une Académie de Physi-
ciens, due sans doute à l'initiative du médecin Graindorge, qui avait été de l'Académie
de M. le Prince [Conversations de l'Acad. de M. l'abbé Bourdelot, éd. de 1673, p. 32-33,
30-37, 65).
3.- Voir, sur ce curieux personnage, Kerviler, Le Chancelier Pierre Séguier. Paris, 1875,
iti-12, 1). 441-488.
U>'E ACAniCMIE DES SCIENCES A nORDF.VUX AU XVU* SIECLE l5l
iin'tistc et un alchiniistf. Il av.iit i»ublié en 1623 »in Knrhiridion
phi/sicic reslitiilii', i[tn\.\ liaylc a dit «que c'est le premier livn' (pii
ait j)aru en France, où il y ail une physique contraire à celle dAris-
tote ». Avec son fils, il iit'ijiKuta à Paris l'Académie fie M. l»* Prince i.
En 1665, lorsque parut une conlète, qui fit grand bruit (hius If
monde savant, il fit faire à Bordeaux, pour robservci-, wwr LM-ande
lunette de 31 pieds dr lnug. Le premier présidrnl, Arnimd de
Pontac, s'intéressait aussi aux sciences : il assista à la conférence
([ue le P. Ignace- Gaston Pardies fit au collège de la Madideine
sur cette comète et (|u'il ])\dilia cli./. l'imprimeur Pierre du Coq,
d'abord en latin, puis eu français -.
On ignore à quelle date commencèrent les réunions du juési-
dent Salomon. Barbot dit : vers 1664. En fait, les documents qui
les mentionnent attestent leur existence en 1669 seulement. Au
mois d'octobre de cette année, Claude Perrault étant à Bordeaux,
logé, et mal logé, avec son frère malade, à l'hôtellerie du Chapeau-
Rouge, y fut visité par Ii' pi-i'-sidcnl S.iloinou. (jui lui offrit « avec
beaucoup de civilité» sa maison. Il lui rendit sa visite le mardi
22 novembre. Il le trouva « dans un palais fort magnifique et fort
richement meublé». M. et M"!*^ de Salomon lui réitérèrent leur
offre. Le président l'invita aussi « de venir à son Académie qui se
tient chez lui les vendredis », « pour des expériences curieuses ». La
notoriété de Claude Perrault, membre de l'Académie des Sciences,
son grand crédit auprès de Colbert expliquent ces politesses. Per-
rault ne put se rendre à l'invitât inu: mais l'un des académiciens,
le médecin Pierre de Galatheau, hii lit hommage d'un discours
qu'il avait prononcé à une de ces « assemblées », sur un monstre
dont une femme est accouchée en cette ville, (|ui avoit la figure «lu
fagoliu uu"'me avec sa casaque»-''.
Ce discours est conservé. Il ;i jtour litri' : l>isroiirs prononcé dantt
r assemblée de M^ le fn'ésidenl Salomon. /iiiiclidnl le^ forces de l'imn-
(jinalion, sur le sujet d'un firlus Inimuin. ihangc en celui d'un sinije,
par la seule force de l imaqinaiion*. Voici (juelle eu lut l'occasion.
La femme d'un tailleur d'habits était allée avec ses voisines vi'ir des
1. Conversnlions de V Académie de M. l'nhhr noiirdelnl, ^'d. de Uï73, i>. TiH.
•2. Dissertalin de niolu et natura eomelarum, Hordeaux, Pierre du l^oq, 16(î.ï. iii-S",
et Remarques sur les comètes et autres phcnnnmènes e.rtraordinaires de ce temps. Bordeaux.
(;. de La Court, U)G5, in-8°.
3. Claude Perrault, Voijage à Bordeaux, i\ la suite des Mémoires de ma vie, par Charles
Perrault, éd. Paul Hoiinefon. Paris. 1900. in-S", p. 19-2. 193, 207.
4. A Bordeaux, i)ar (1. de la Court, liuprinieur du Roy, de Monseigneur l'.Vrrhe-
vesque et de l'IUiversité, 1669, iu-4'' de 22 p.
l52 UNE ACADÉMIE DES SCIENCES A BORDEAUX AU XVII° SIECLE
bateleurs; un singe « extraordinairement enjoué faisoit le principal
spectacle». Elle en fut très frappée, et trois mois après, elle donna
le jour à un monstre qui n'avait rien de l'homme que la peau
et qui, pour le reste, ressemblait à un singe. Galatheau attribue le
fait à la force de l'imagination, de la « phantaisie ». Il l'explique
en exposant, d'après le Traité de V esprit de Vhomme, de L. de La
Forge, la doctrine cartésienne, mais il n'adopte pas cette doctrine. Il
déclare, en effet, que les raisonnements du disciple de Descartes « ont
un tel brillant» et l'ont à ce point ébloui qu'il n'y a rien pu voir; et
il lui préfère la doctrine d'Aristote, fondée sur la « faculté forma-
trice ». Galatheau paraît donc être un cartésien timoré, que les nou-
veautés séduisent et effrayent tout à la fois et qui, après leur avoir
fait les honneurs d'une exposition, revient prudemment, en fin de
compte, à la doctrine de l'École. Il semble bien qu'il s'inspire en
cela de Cureau de la Chambre, dont les théories physiologiques
étaient un compromis entre Descartes et l'orthodoxie scolastique.
La question traitée était de celles qui passionnaient philosophes
et médecins au xvii® siècle. L'attitude incertaine de Galatheau
était faite pour provoquer les critiques. Le Discours fut l'objet à
Bordeaux de deux « Censures »; une seulement est conservée. 'Elle
a pour titre : Censure du discours prononcé sur le changement d'un
fœtus humain en singe ^. Elle est singulièrement acerbe. L'auteur
reproche à Galatheau d'avoir « la locution barbare et gasconne »,
un style « de deçà Loire », des métaphores étranges, comme celle
qui consiste à ceindre d'une épée le spectre d'un singe pour en assas-
siner par derrière l'appétit et les esprits animaux. 11 lui reproche
ses velléités cartésiennes et déclare se ranger, quant à lui, nette-
ment à l'opinion scolastique. Il conclut en mettant en doute l'exis-
tence du monstre : « On l'a vu, dit-il, chez Souflié, maistre chirur-
gien», et l'on a pu constater que ce prétendu monstre n'avait rien
d'un singe, que ce n'était « qu'un ambigu de diverses parties mal
digérées et de diverses figures qui ne tenoient pas plus du singe que
du Grotesque (sic) »2.
A ce factum, Galatheau répondit par une Censure de la Censure
d'un discours prononcé en l'assemblée de monsieur le président de
Salomon sur le changement d'un fœtus humain en celuy d'un singe
1. s. 1. n. d., in-4'>de 39 p. — L'autre censure avait pour auteur un « poète prétendu »,
sans doute quelque médecin qui faisait des vers. Galatheau fait allusion à « quelques
sonnets de la Garonne amoureuse du cabinet de Trichât » et à une pièce « intitulée la
Chirurgie au pied de la statue d'Hippocrate » {Censure de la Censure..., p. 87).
2. Ibid., p. 36.
UNE ACADÉMIE DES SCIENCES A BORDEAUX AU WIl' SIKCI.E l53
par 1(1 si'uli' force, de V ima(jinaliui) '. Il y déverse sur sou rontra-
iliclfui- un tldl d'injures, itlliriiu' ([uau moment où il l'-crivit sa
(liali'ilM' il i''lait fn pinic à une attaque de clinliMa-iiinilui-. !r liaili'
(l'idiot eu grec et ru Irauçais, di' liauiu^ton « (|iii liourdouuc tout
autour des plus belles Heurs et les llere sans cesse, sans s'arrester
à pas une et sans rien emporter de Ifur bouii»' odeur ny participer
en aucune manière à rexctdlciKc df Irm- parfum ». A son tour, il
échenille méticuleusenu'ut le style de sou adversaire, critique sou
argumentation et lui reproche « de faire un paralogisme et de t<miber
dans cette sixième espèce de sophisme qui consiste dans le défaut
de la cause et de la conséquence, qui n'est qu'une même chose dans
Aristote, au livre des Elenches ». Suit la citation du texte grec. On
le voit, Molière eût aisément trouvé à Bordeaux, s'il ne les eût ren-
contrés partout, les originaux des médecins de Monsieur de Poiir-
ceaugnac. Oiuuit au fait en lui-même, Galatheau s'indigne qu'on
puisse le nier : il a conservé l'objet, qu'il peut faire voir aussi entier
qu'au premier jour. Entin, contrairement à ce (jm- prrliiid [<• cen-
seur, la découverte n'est point passée inaperçue : elle a été soumise
aux Académies de Paris, en particulier à celle de l'abbé Bourdelot,
et l'auteur en a riiçu des compliments, « pour lui avoir fait part
d'uiu^ question physique si belle et si curieuse ». Galatheau se van-
tait. Perrault, à qui il fit voir son « monstre » et (|ui le dessina,
avait trouvé (ju'il ne jtrésentait d'autre singularité qu'une excrois-
sance de chair sur le dos, (|u'avec beaucoup de complaisance on
pouvait prendre pour la inaiidillf di- p'ai^otiu^. Quaid à l'Académie
de Bourdelot, les cartésiens qui la composaient jugèrent sévèrement
le discours de ce cartésien honteux qui reprochait simphunent au
maître de ne pas user du jargon de l'École ^ En fait, Galatheau
n'avait contenté personne : à Bordeaux, il était apparu riuiinir uii
révolutionnaire; à Paris, il faisait figure de retardataire
Le « discours du singe » et les écrits qu'il provoqua présentent uu
autre intérêt. On y entrevoit ce que dut être l'Académie de Saloruiui
de Virelade et (juel accueil elle reçut .^ Bordeaux. J^^lle parait avoir
été surtout composée de collègues du président, de magistrats. Le
1. A lioideaux, cliez Pii-rre Abegoii, impi inicur cl lilir;iir(', nn' Saint .lamines. \\ec
permission. 1670, in-4" de 87 p. On lit à la lin : Fin ilr ht iireinitrf /xirlir. La Censurr
de la Censure est dédiée A M. le Président SaloniDn.
2. Voijage à Bordeaux, p. 209. M. IJonnefon a reproduit le dessin à la plume de Per-
rault représentant le fœtus de Calatheau.
3. h.ramen d'un discours ijrononcé dans une très célèbre Académie sur le sujel d'un
morislr-..., dans les Conversations de l'Académie de M. l'abbé linurdelol, 'i' éd. Paris,
lîarbin, 1074, 2 vol. in-12, t. 1, p. 152-153.
l54 UNE ACADÉMIE DES SCIENCES A BORDEAUX AU XVII* SIECLE
censeur du Discours les appelle « les princes du Sénat ». Il y avait
aussi des médecins comme Galatheau; mais la majorité semble avoir
été formée d'amateurs. Au début, on avait tenté d'y attirer des
professeurs de l'Université, des membres du Collège des Médecins :
ces efforts pour unir professionnels et amateurs n'aboutirent pas
comme le souhaitait sans doute Salomon ^. Les réunions avaient
un caractère proprement scientifique. Salomon avait voulu « establir
les conférences et les exercices d'une physique expérimentale «^i on
y faisait les expériences « qui regardent principalement l'anatomie
curieuse des animaux et la recherche des plantes » ^. On s'y propo-
sait d'imiter « cette incomparable Académie royale, qui a bien voulu
donner une partie de cette année aux dissections d'un lyon, d'un
renard marin, d'un caméléon, d'un castor, d'un dromadaire, d'un
ours et d'une gazelle, et d'autres occupations semblables »^. « Poussée
d'un généreux dessein de relever l'éclat des sciences dans cette pro-
vince », l'Académie naissante avait « convoqué l'élite des sçavans
pour donner des éclaircissemens aux questions de la belle physique »,
et on y avait fait « diverses conférences et amusemens anatomiques
sur les cervelles des animaux et des poissons » ^ Mais les questions
d'anatomie et de physiologie étant intimement liées aux problèmes
métaphysiques, l'Académie n'hésitait pas à aborder les «belles
matières... qui regardent en gros les forces de l'imagination et le
siège de l'âme raisonnable et périssable... » ^
Si les écrits de l'unique académicien connu sont infectés de pédan-
tisme, il semble, à l'en croire, que les réunions de l'Académie en
étaient absolument exemptes. On y causait librement et sans dog-
matisme. Galatheau se plaint de ce que le censeur prétendait en
faire « une classe de dialectique, où il fût permis jusqu'aux grimaux
d'ergotiser sur toutes sortes de matières » '. Les académiciens étaient
d'honnêtes gens, capables de distinguer la doctrine de Descartes
de celle d' Aristote ; ils avaient « les mains exercées dans les plus belles
1. Galatheau dit à Salomon dans sa Censure de la Censure (p. 31) : « Je vous proposay
d'abord quatre ou cinq de ces messieurs pour estre du nombre des Illustres qui dévoient
composer vostre assemblée. Ils ne diront i)as non plus que je n'aye esté chés eux les
en prier de vostre part et de la mienne. Si tous n'y sont pas venus et que quelqu'un
seulement nous ail rendu visite, ne les ai-je pas sollicités, de la meilleure grâce qu'il
m'a esté possible, de continuer et de joindre leurs entretiens aux nostres pour le bien
de nostre conférence?... •
2. Ibid., p. 33.
3. Ibid., p. 35.
4. Ibid., p. 7. Cf. le Journal des Sçavans de 1669 (p. 24-28), qui rend compte de ces
expériences.
5. Censure du discours..., j). 2-3.
6. Ibid., p. 8.
7. Ibid., p. 27.
I NE ACADKMir DES SCIENCES A RORDEVrx \l \S11 sikCI.E I ;).)
l'cctit'irlii-; ,\r 1' ,i ii,i ( ( i ii | je cl (|r |,i | m I ;i lli( JU<' " ; il.- [U'i'l l'iid.i ii'iil ll.iilcl-
li's ((uotiiins tir iiiiMlfcitit' sans t'-ln' iiUMlrcins. lit c'i'st iM't'cisi'ini'iil
et' i|iii' li'iir coMLcstiiii'iil I(\s reprôseutaiil s i.tlicirls de l.i scicuco.
I." \';i(|t''inie fie Salnmou lui fu Imtto, dès sa naissance. ;'i la jahuisif
(le la Faculté de Mt'decine et du Collège des Médecins. Le censeur
de Galatlieau était un professeur de la Faculté ou un uiemhrr du
(lollège. Les citations suivantes ne laissent sur ce j)oint aui un dfiuli- :
'( Dites le vray. brave censeur, auriés-vous encore la témérité d'en-
treprendre une dissection devant une si célèbre assemblée, pour y
réussir aussi mal que vous fistes il y a quelque temps dans le Collège,
où, après plusieurs essais aussi honteux qu'inutiles, vous vous mîtes
en si mauvaise odeur qu'elle dure encore, quelque efTorI i|Uf lOii
lit lors de l'ensevelir avec cfllc du cadavre. » Et plus Inin ; «Vous
n'oseriés pas sans doute non plus vous dire sçavant de l'expérience
dt's plantes, puis({ue de six mille qu'on en conte, vous ne connaisses
qui- quelques chardons. » Au même endroit enfin, Galatheau se
vante que ses mains n'ont point eu de plus grande occupation que
les belles recherches de l'anatomie et de la botanique, tandis (jue
celles de son adversaire « s'exerçoient à manier les quartes»^. On
iif peut s'empêcher de rapprocher ce violent réquisitoire d'un
document officiel signalé naguère par M. Barckhausen : c'est une
enquête, ordonnée par le roi en 1668, où l'on lit que les professeurs de
la Faculté de Médeciiu- dr Bordeaux ne faisai<'iit itiémi' ]ias tous
les ans « une ou deux anatomies» pour « la démonshat ion de l;i (sic)
squelette » -.
Mais si la lutte était engagée entre la routine officielle et la science
mise à la portée des honnêtes gens, la querelle entre les dtMix méde-
cins bordelais avait surtout un caractère personnel. \u dire de (lala-
theau, le censeur du Discours était un homme sans mérite : il devait
sa chaire au crédit» d'un des messieurs du Parlement,... (|ui laNoil
demandée pour un de ses domestiques » ^ Son autorité était con-
testée même parmi ses collègues, et le piinejpal du C.idle^f.' de
Guienue, l'Irlandais .l;ii rpu^s Piers, avait aHiehé le plus ]ir<d'(iiii|
mépris à l'égai'd de ce docteur de p;ie(ilille ', ]-;iilin c t'I.iil uu iii-lre,
qui se resseid;iil de ses origines: u'i'-tait-il ji;i> ii.iiir de Ilairelniau,
1. Censure du discours..., p. 35.
2. Arresl du Conseil d' lislal du Hoij, cnnlennnl le Reslablissement des lînirerxilp.<t,
Bordeaux, G. de Larour 1668.
3. Censure de la Censure, p. •23.
4. Sur les confliU de .Jacques Fiers .-iver ITiiixor-ilé, if. (ijiullii'ui . ///>/. .//; l'ullège
de Viui/enne, p. 428-429. Jacques Piers était mort en avril 1067.
l56 UNE ACADÉMIE DES SCIENCES A BORDEAUX AU XVIl' SIECLE
obscur village des Landes, où jamais les Grâces, Apollon et les
neuf sœurs n'élurent domicile ^ ? Le portrait de Galatheau,
crayonné par son adversaire, n'est pas plus flatté. A l'en croire,
l'auteur du Discours était mal fait et négligé de sa personne 2. C'était
un ambitieux et un intrigant : « Il a surpris cjuelque faux brillant
de réputation, bastie sur le caprice de la fortune, sur l'ignorance
du badaud et sur la complaisance des intelligens, lesquels payent
les veilles serviles et les visites fréquentes par des applaudissemens
simulés. Il est officieux en esclave, il recherche partout avec imper-
tinence les occasions de se signaler; comme il est fort peu de chose, il
fait toutes choses pour paroistre ^. » En fait, Galatheau était pro-
testant : sa religion ne lui avait pas permis d'être de l'Université;
elle ne l'avait pas empêché d'avoir une belle clientèle, qui comptait
« les personnes les plus illustres de cette province»*. Son succès lui
valut des élèves qui lui dédièrent des thèses de médecine, qui exal-
tèrent sa science aux dépens de celle des docteurs de l'Université,
qui allèrent, peut-être, jusqu'à troubler leurs cours par des mani-
festations bruyantes ^ C'était pour la Faculté un concurrent redou-
table : ne poussait-il pas l'audaee jusqu'à provoquer les professeurs
à un tournoi médical, dont il fixait la durée à « dix ou douze jours » ^ ?
Le défi ne fut pas relevé : les adversaires de Galatheau se bornèrent
à annoncer qu'ils lui préparaient « de l'ellébore, et du meilleur » et
que, s'ils ne pouvaient le convaincre de ses erreurs, ils seraient
« contraints de le renvoyer aux Incurables par un décret solennel » '^.
Cette polémique jette, on le voit, un jour assez vif sur les relations
entre médecins bordelais au xvii^ siècle. Elle éclaire aussi l'histoire
de l'Académie du président Salomon, dont elle est, du reste, le seul
1. " On dit que le climat de la Thrace et celui de la Boëtie {sic) estoit si contraire aux
Muses que les habitans n'estoient pas capables de conter leurs brebis ny leurs moutons.
Le village de l'Agehemmau n'est point en plus grande réputation aujourd'hui : les
(irâces, Apollon et les neuf sœurs ne sont pas de ce pays et il ne se trouve point dans
l'histoire qu'il en soit sorty aucun pJiilosophe, ny pas un orateur. » {Censure de la Cen-
sure, p. 34.) 11 y a dans ce passage une indication qui permettra peut-être d'identifier
l'adversaire de Galatheau.
2. « Car si l'on luy dit qu'il a le teint vif, la perruque bien mise, la jambe bien faite,
l'esprit beau, facile, le style galant, poly, d'un beau tour, il est assez faible pour être
persuadé de toutes ces contre-vérités. » {Apologie du Censeur du discours /jrononcé dans
l'Académie de Bordeaux, s. 1. n. d., in-4" de 20 pp., p. 9.)
3. Ibid., p. 12.
4. Censure de la Censure, p. 87.
5. « Il voulut ériger des escholes en sa maison, contre la teneur des ordonnances
royaux, où il declamoit contre nos professeurs et, se laissant emporter à son caprice,
il fit troubler la discipline dans nos classes par ses émissaires religionnaires. » {Apol. du
censeur, p. 2.)
6. Voir la requête « à MM. du Parlement, à MM. les Magistrats et à tous les gens
de lettres » qui termine la Censure de la Censure (p. 87).
7. Apologie du censeur, p. 20.
UNE ACAUICMIE DES SCIENCES A HOUUEAI V AU WlT SIECLE 167
('•pisode connu. On y sent ncttcniouL la délianct' (jin; l'inslituLiou
nouvelle dut inspirer à rUniversih*, toujours jalouse de ses privi-
lèges. On y voit en jirésence et aux prises la .science du Moyen-Age
et la science moderne, Aristotr «1 hrscartes, la routine et !<' jiro-
grès. Et cette ]M»l(''iiii([iit\ donl !•■ hm s'abaisse trop souvi-ul ;'i la
vulgarité d'une cjucrcllt' de houl iipir. im-rllf de pr^nrlrc jdacf dans
l'histoire de la grande bataille iiilellerluelie engagée, dès ce
moment, entre les Anciens et les Modernes, entre le passé et l'aveuir.
Comme l'Académie de Salonion de Virelade, l'Académie bordelaise
du .wiii'^ siècle s'efforcera d'être une ouvrière du progrès scienti-
fique : c'est le lien (jui les unit l'une à l'autre.
Le président Saloniou mourul le 2 mars I67U, au moment où
paraissait la Censure de la Censure. Sa mort, coïncidant avec le
grand tapage provoqué par le « Discours du singe », dut jeter le
désarroi parmi les membres de son Académie. Elle ne lui survécut
pas sans doute. En eût-elle eu la force, elle était destinée à sombrer
dans le grand orage (jui. eiiuj ans plus tard, désola Bordeaux.
L'émotion populaire de 1675 et l'exil du Parlement, qui en fut la
conséquence, auraient suffi à disperser ses membres. La tentative
du président Salonion n'était pas viable, parce qu'elle était pré-
maturée. Il y faut voir seulement un noble effort, semblable à ceux
(|ue fiiciil aussi vainement, à la même /qxxpie. ('ollieih el l'infrudaid
Pellot, pour tirer Bordeaux de sa tor])eur sous le grand règne.
l'ALi, r.UUHTLALLf.
MU.MESOUIEU ET LE BUACONNAGE A LA liUÈDE
Montesquieu, président à mortier au Parlement de Bordeaux
dès 1716, céda sa charge quelques années après, bien que très jeune
encore, sous le prétexte qu'il voulait consacrer son temps à un
ouvrage sur la législation ^.
Il n'abandonna pas cependant absolument le palais, car chez lui
le magistrat se transforma bientôt en plaideur-.
Quand il n'était pas à Paris ou en voyage, il aimait à résider dans
sa baronnie de La Brède, à quelques kilomètres de Bordeaux.
Très épris de son pays natal, il arrange alors au goût anglais le
parc qui entoure son château gothique, écrit ou lit dans sa biblio-
thèque. De plus, il ne néglige point du tout son rôle de grand pro-
priétaire foncier, s'occupe de ses récoltes, de la vente de son vin
et veille avec une attention scrupuleuse à l'observation de ses droits
seigneuriaux.
Cette dernière affirmation, courante cependant^, a trouvé des
contradicteurs et mérite donc d'être examinée, puisque, entre
autres, un de ses historiographes modernes, M Louis Vian, traite
d'accusations vagues et de gasconnades, les allégations de ceux qui
ont peint Montesquieu comme un seigneur fort jaloux de ses droits "*.
A l'appui de cette critique, M. Vian raconte la paternelle façon
dont Montesquieu se serait conduit dans une affaire touchant à un
des principaux privilèges seigneuriaux : le droit de chasse.
L'anecdote que voici proviendrait, paraît-il, d'un manuscrit de
Bernadau, Bordelais qui aurait presque connu Montesquieu : « Le
président de Péchard (sic), son voisin de campagne, allait à La Brède.
Il trouva une pauvre femme qui, ne le connaissant pas, lui proposa
d'acheter une paire de perdrix. Il la fit mettre derrière sa voiture
et la força à le suivre jusqu'au château. Il la présente à Montes-
quieu : « Vous voyez, lui dit-il, à quoi aboutit votre indulgence,
» les braconniers dévastent votre terre. » Point du tout, répondit
Montesquieu. « Je suis moins rigoureux que vous pour la chasse et
» j'ai plus de gibier, w Alors, se tournant vers la pauvre femme, il
1. Louis Vian, Histoire de Montesquieu. Paris, Didier, 1878, p. 90.
2. Id., pp. 163-171, passim.
3. Œuvres de Montesquieu, nouvelle édition. Paris, Bastien, 1788, t. I, Préface, p. xiii.
4. Vian, op. cit., p. 141.
MONTESQUIEU ET LE llRACON>AGE A I \ lilU lii: lÔQ
lui (lit : « Voilà six francs pour vos perdrix. Allez boire à la cui-
» sine ^ » Ce récit nous montre, à vrai dire, un Mniitt'S(|iiicii très
bon, très paternel, bien semblable à celui (jui, à Marseille, aurait
racheté le pérc d'un jeune batelii-r, pris par un corsaire et esclave
en Afrique, mais ce Montesquieu-là est surtout le Montesquieu de
la légende -.
En fait, la réalité me paraît un peu autre.
M. \'ian a pris pour exemple la chasse, restons sur ce même
te ira in.
Nulle part dans ses divers ouvrages, Montesquieu, bien que très
libéral, ne s'élève contre le droit seigneurial de la chasse, ce droit
si sévèrement protégé chez ses amis les Anglais.
Prêt à défendre ses intérêts, il ne fut certainement pas toujours
aussi indulgent aux braconniers que M. Vian voudrait le faire croire.
Les preuves que j'en peux fournir ne me paraissent pas discu-
tables.
Les seigneurs avaient encore au xviii*^ siècle, sur leurs terres, le
privilège féodal de chasse dans toute son étendue et certains arti-
cles de l'ordonnance des Eaux et Forêts de 1669 donnaient le droit
« aux particuliers de faire poursuivre les délinquans chassant ou
péchant dans leurs bois, garennes, étangs et rivières par devant
les officiers des Eaux et Forêts pour les faire punir des peines
portées par cette ordonnance. »
Il est vrai de dire qu'au cours des siècles, ces peines s'étaient
singulièrement adoucies.
Montesquieu qui, en 1740, passa plusieurs mois en Guyenne',
voulut profiter de son séjour à La Brède pour essayer de réprimer
le braconnage qui se pratiquait sur sa baronnie.
S'autorisant des articles de l'ordonnance de 166'J, il adresse alors
en juillet 1740, au maître particulier des Eaux et Forêts de Guienne,
une plainte dans laquelle il expose qu'au mépris des lois un certain
Crozillac-Salebcrt fils, « personne sans profession, métier ny travail,
fa il toute son occupation à chasser journellement » sur les terres
dépendant de La Brède et ailleurs.
Çonime il importe de « faire cesser un pareil abus », MuuLcMiuieu
demande ({u'une enquête soit faite et signe celte plainte de sa large
écriture : Secondât de Montesquieu '. Ouelle suite allait être donnée
à cette affaire?
Antoine Martin, le maître particulier, commence par écrire au
1. Vian, o/j. cit., pp. 141-142.
2. H. Céleste, Montesquieu. Légende, histoire [.\.rch. hial. de la Oiruitilr. t. \1 11,
pp. 491-197.
3. Lpltre à l'abbé Niccolini [Œuvres de Monlcsquicu, t. \, 17HS, p. 277,.
4. Arth, dé[i. de la Gironde. Eaux et Forêts, 8 B 561. UoBsier concernant Monlesiiuieu.
l6o MONTESQUIEU ET LE BRACOiSNAGE A LA BRÈDE
bas de cette supplique : « Ayt le sieur suppliant acte du bail de sa
lequette en plainte » et permission est accordée de commencer
l'enquête.
On peut suivre presque jour par jour cette affaire, grâce à un
petit dossier conservé aux archives départementales de la Gironde,-
dans le fonds des Eaux et Forêts.
Au xviii<î siècle, plus encore que de nos jours, les procès se pour-
suivent lentement. Près d'un an allait se passer avant que Montes-
quieu obtînt gain de cause. Les rouages de la procédure de cette
organisation à la fois judiciaire et administrative qu'était une
maîtrise des Eaux et Forêts, apparaissent alors assez clairement
dans ce dossier.
C'était le 24 juillet 1740 que le maître particulier avait décide
de pourvoir à l'information.
Le 25 juillet, Soucaret, sergent royal, assigne, par exploit, des
témoins qui comparaissent le 27 devant « Antoine Martin, conseiller
du Roy, maître particulier des Eaux et Forêts de Guienne ».
Avant de faire leur déposition, les témoins lèvent la main droite
et jurent à Dieu de dire vérité.
Le premier, André Boyreau, est un masson de quarante- quatre
ans, habitant la paroisse de La Brède. Lui et son fils, âgé de dix-
huit ans, racontent comment, après les dernières vendanges —
celles de 1739 -^ occupés tous deux à extraire de la pierre dans une
carrière de Saint-Morillon, dans la juslice de M. de Montesquieu, ils
entendirent tireur un coup de fusil non loin d'eux. Une perdrix rouge
tomba morte au bord de la carrière, et Crozillac-Salebert arriva
avec un fusil à la main et accompagné d'un chien qu'il fit « quetter
autour des buissons et quy trouva la... perdrix « que son maître
emporta.
Successivement, les témoins font des dépositions accablantes
pour l'accusé. L'un l'avait vu tirer sur un lapin; un autre, après
avoir entendu un coup de fusil et vu de la fumée, avait aperçu
Crozillac-Salebert avec un chien qui tenait dans sa gueule un lièvre
qui n'était pas encore mort; d'autres, enfin, l'avaient vu plusieurs
fois, dans diverses circonstances, chasser sur les terres de la baronnie
de La Brède.
Cette instruction est communiquée au procureur du Roi, qui,
le 3 août, requiert pour le Roi que le sieur Crozillac-Salebert soit
décrété d'ajournement personnel.
En conséquence, le 13 août, la comparution de l'inculpé a lieu.
C'est V audition rendue par devant Antoine Martin. A l' encontre de
ce qui se fait aujourd'hui, l'inculpé commence par prêter serment.
C'était là, semble-t-il, un procédé peu naturel, car l'inculpé se trou-
vait nécessairement pris entre son serment et son intérêt. Plus
MOMESQLlEU Et t.K HUACONN A(.i; A LA BUKDE l6l
humaine, la procédure actuelle a supprimé cette tentation <lu faux
serment.
Interrogé s'il n'a pas chassé sur les t<;rrcs de la juridiction (h,- La
Brède à diverses reprises et en particulier dans les circonstances
mentionnées par les témoins, Crozillac donne des réponses néga-
tives et dénie le conlinu de l'interrogatoire des témoins.
Interpellé de dire la vérité, il répond l'avoir dite et déclare per-
sister dans ses premières réponses.
Montesquieu adresse une requête tendant au règlement extraor-
dinaire de l'afTaire, et comme de nouveaux délits de chasse sont
commis par Crozillac-Salebert et certains autres individus, il envoie
de nouvelles plaintes au maître particulier.
Dans sa supplique de novembre il insiste sur ce que Crozillac-
Salebert et trois de ses amis aiïectent « de chasser journellement
dans l'étendue de la... baronie de La Brède... à toute sorte de gibier,
avec chiens courans et couchans », bien ([ue jiar divers règlements
« il soit expressément deffendu à toutes sortes de personne, de quel-
que état et condition qu'elles soint non possédant fief, seigneurie
et haute justice de chasser en quelque lieu, sorte et manière et sur
(|uel gibier à poil et à plume que ce soit, à peine de 100 livres
d'amende pour la première fois, du double pour la seconde, et pour
la troisième d'être attaché trois heures au carcan du lieu de leur
résidence à jour et heure de marché et banis pour trois années du
ressort de la maîtrise». Un châtiment lui ])araissait mérité par
ces incorrigibles contrevenants, et il espérait bien le leur faire
infliger.
L'enquête est ordonnée par le maître particulier. (.lc\ant lequel,
le 10 décembre, dépose un nouveau témoin, convoqué à la suite des
derniers délits commis dans les vignes, alors ({u'elles n'étaient pas
encore vendangées. Un « apointement de règlement extraordinaire »
est rendu entre les parties le 1'.) di-cembre 1710 «'u conséquence
duquel, Cl janvier 1711, le 16 et le 17, il est procédi'-: au rccnlemenl
des témoins, c'est-à-dire (|ue cha(|ue témoin entend la leehire de
s;\ première déposition j)our la eoulirmer ou la nuxlilier.
Les diverses dépositions sont maintenues, et la confrontation a
lieu immédiatement après entre Crozillac et les divers témoins.
Crozillac-Salebert objecte contre les témoins certains motifs
d'incapacité: l'un hii est suspect cnnime an<'ien d/'hileur de sou
père, l'autre comme étant depuis longtemps déjà son eniiemu juré,
un troisième ne lui pa'aît pas pouvoir être reçu à itorter témoignage
à cause de sa nuuivaise réputation.
Bref, Crozillac-Salebert trouve à alléguer conlre tous les témoins
quelc[uc l)onne raison j)Our amoindiir la valeur de leurs déjiositions,
mais Montesquieu, décidé à obtenir justice, maintient sa plainte.
ta
lOa MONTESQUIEU ET LE BRACONNAGE A L\ BREDE
Un appointement ordonne que pour être fait droit aux parties,
les pièces de procédure seront présentées.
Plusieurs mois se passent encore sans que l'affaire se termine.
Enfin, le 20 avril, le procureur du Roi donne son réquisitoire.
Il demande notamment cjue Grozillac-Salebert soit condamné à
« cent livres d'amende envers le Roy » et à « pareille somme de
cent livres envers le... sieur de Montesquieu pour lui tenir lieu de
domages et intérêts pour le dépeuplement du gibier fait dans sa
terre et baronnie de La Brède »,
Deux jours après, le 22, sentence est rendue par la cour de la
maîtrise des Eaux et Forêts. Elle fait droit, en partie, aux réquisi-
tions du procureur du Roi. En effet, Grozillac-Salebert est condamné
à payer 100 livres d'amende à Montesquieu. Défense lui est faite
de récidiver sous la menace de peines plus sévères, et Montesquieu P
a la permission de faire afficher la sentence à la porte de l'église et
à la porte du parquet de La Brède. De plus, Grozillac-Salebert, mis
hors de cour et de procès, est condamné aux dépens envers Mon-
tesquieu.
Sollicitée avec insistance, cette sentence dut faire plaisir à Mon-
tesquieu qui plusieurs fois encore eut besoin, semble-t-il, de recourir
au tribunal des Eaux et Forêts pour faire respecter ses droits trop
souvent méconnus à ses yeux, non pas seulement peut-être par les
paysans de ses terres, mais surtout })ar ceux qu'on appellerait
aujourd'hui ses voisins de campagne.
G'est ainsi que quelques années après l'affaire Grozillac-Salebert.
en 1747. nous constatons encore le mécontentement de Montes-
quieu contre un certain M. de Lanticj, ancien officier d'infanterie,
qui se donnait « la lissence de chasser journellement et publique-
ment dans la paroisse de Martillaq, dépendante de la baronnie de
La Brède » \
Ge M. de Lantiq aurait, rapporte Montesquieu dans sa plainte,
notamment les 18 et 20 août, chassé avec deux chiens couchants et
un fusil, vers les six à sept heures du matin, des perdrix, dont il tua
et emporta quelques-unes; il aurait même déjà chassé les perdrix
le 27 juillet « pendant que le blé estoit encore seur pied », etc.
M. de Lantiq, qui se qualifie d'écuyer, chevalier de l'ordre mili-
taire de Saint-Louis, pensionnaire du Roi, cherche à se défendre
contre la plainte de Montesquieu : il reconnaît avoir des fusils, mais
c'est pour la garde de sa maison et de sa personne; il a bien aussi un
chien, mais c'est un mâtin qu'il garde ordinairement attaché chez
lui et qu'il prend quelquefois seulement pour aller prendre la
récréation de la chasse dans la terre de MM. du chapitre Saint-
1. Arch. dép. de la Gironde. Eaux et Forêts, 8 B 561.
MO^tESQDiEU ET l-K BKACO.'XMAGE A LA BRKI>E l63
André; s'il a tiré des coups de fusil sur des cailles, eu juillet dernier,
sans en tuer aucune d'ailleurs, c'est sur l'indii^ation de paysans (jui
lui avaient montré l'cntlroit où elles s'étaient remisées. Les délits
de ci»asse qu'on lui reproche ne sont pas graves, et il cherche à les
expliquer. C'est ainsi qu'il convient avoir « tiré un coup de fusil à
une pic ((ui était sur un brulle ». Cette pie resta même sur l'arbre
jus(|u'à ce que le lendemain son bouvier vînt la chercher. La f ut-r
était, de plus, excusable, puisqu'elle se trouvait sur une terre appar-
tenant à l'inculpé.
Ces explications ne sufiisent pas à disculper le chasseur, et l'afTaire
continue à se poursuivre eu justice plusieurs mois encore. Montes-
ijuieu veut avoir gain de cause et défend son gibier.
Ces incidents que, suivant la méthode moderne, je me suis plu
à rapporter, n'ont certes pas, par eux-mêmes, une très grande impor-
tance. Ils prouvent cependant ({ue Montesquieu, malgré ses idées
libérales, n'entendait pas abandonner ses privilèges seigneuriaux,
et contribuent, par conséquent, à éclairer d'une certaine manière,
et par un de ses petits côtés, si l'on veut, cette grande figure.
Nous nous représentons ordinairement l'auteur de l'Esprit des
Lois ^ moins soucieux de ses prérogatives seigneuriales (jue de
la recherche des causes qui ont bouleversé les empires et la solution
des graves problèmes philosophiques et sociaux qui ont agité les
esprits à la veille de la Révolution.
Tout préoccupé qu'il fût d'idées générales, nous constatons qu'il
n'oubliait pas cependant ses qualités de « baron de La Brède et
de Montesquieu » -.
Jean RARE N NES.
1. .)p ili» nrdinniremenl, iiiiii.^ il ne faut pas oublier i'e|>eiidanl iiue nous i'onnai<?onâ
il»>jà (lepuiri loii-rleiiips par de nombreux ouvrage» les diverses manières dont Mon-
Ifsipiicn, diiué d'un esprit particulièrement rurieux, a exercé son artivité. Cf. par exem-
ple H. r.arikliausen, Mdnli'sqtiitu; .ses idcrs el ses Œuvres. Paris, 1907.
2. Comme Montes(iuipu, son fils et héritier .lean - Baptiste de Secondât dut sévir
rontre les braconniers. Cf. à ce sujet, pour 1771 et I7Ntj-17Sit, les dossiers conservés
aux Archives départementales de la Gironde, Eaux et Forêts.
VOYAGE D'UN ALLEMAND A BORDEAUX
EN 180I
Aux pages si attachantes du Journal de M'"<^ de La Roche, cette
Allemande qui visita Bordeaux en 1785, et dont nous pubhions
récemment les impressions de voyage, nous venons ajouter le récit
non moins attrayant du séjour que fit dans notre ville, au mois d'août
1801, M. Lorenz Meyer, un Allemand lui aussi.
Né à Hambourg le 22 janvier 1760, Friedrich- Jahann-Lorenz
Meyer, fils de Johann-Lorenz et d'Elisabeth Michels, marié le
22 avril 1785 avec Amalia Bôhmer^, appartenait à l'une des familles
les plus anciennes et les plus considérables de la ville. Il était docteur
en droit et remplissait, sous le très ancien titre de Domherr, qu'il
fut le dernier à porter, de hautes fonctions dans l'église luthérienne.
Esprit large et tolérant, ouvert à toutes les connaissances humai-
nes, doué d'un sens critique et d'observation tout à fait rare, par-
lant le français, l'anglais et l'italien, c'était une sorte de savant,
d'encyclopédie vivante comme on en rencontrait beaucoup naguère.
Avec cela, spirituel et enjoué, de caractère même badin, et ne
craignant rien tant que la solitude. Aussi, ses écrits, des relations
de voyage pour la plupart, se recommandent-ils par la puissance et
la clarté de l'analyse, par l'élévation des idées, la profondeur de
l'érudition et le pittoresque des descriptions.
Ces relations de voyage ont été écrites sur l'Angleterre, l'Alle-
magne, l'Italie et la Russie. Deux autres concernent la France. La
première est relative au séjour que Meyer fit à Paris en 1796 lorsqu'il
y accompagna son ami Sieweking, député de Hambourg auprès du
Directoire exécutif de la République française. Elle comprend
deux volumes qui ont paru à Hambourg en 1797 chez Bohn, sous
le titre : Fragmente ans Paris in IVten Jahr der Franzosisehen
Bepublik, c'est-à-dire Notes sur Paris en l'an /T de la Bépuhlique
française. On y trouve les détails les plus curieux et souvent inédits,
1. Geschichle und Généalogie der Famille Lorenz Meyer, Hamburg, Meissner, 1861.
VOYAGE d'un AM.EMANO A UOnOEAUX EN 1 8o I ifif)
Ii-s aiM-rdotes les |iliis inlrrossaiitos aussi bii-n sur la Ht'-\nlul i<.ii «[iif
siii" 11' Paris de ('('Ile t'jKKiiH'. sur st'> inuriiiiMt'iils. sur st's uni'ur>, -ur
1.1 jinlil i(jiir. les sririicrs, les ai'ts, \r thr-âtr»' l'I la iiiu>ii|Ur. |,a
sfiiMiiJf relation est celle du voyage t'ait |iar Mr\.r m l'ranrc i-n
1801. Klle a été conçue sur \r nu'iur jdau (|ui' la précédente ci, cou-
liriil aussi des renseigneiuents dn |dii-> liaul intérêt sur liruxellcs,
l'aris, Bordeaux, Lyon, Marseille et tout le sud de la Fraiici-. Ega-
lement édité en deux volumes à Tubingen en 1^^0\>, clii/. Cotta,
libraire. l'duvrage est intitulé : Briefe aiia fier Ilduplsludl iind dfm
Innern Fv(inl;veichs, ou Lctlre.s de la rapilale el de rinlérieur dr la
France, car c'est en ell'i't un recueil des lettres adressées jtar Mi-m r
à ses « amis du Weser et de l'Elbe n.
Ces deux voyages n'étaient pas les premiers faits en Fiame par
Lorenz Meyer. 11 y était déjà venu une première fois en 17<s;i-1784
rendre visite à son frère Christoph ^ nouvellement établi à Bordeaux.
Depuis, Meyer n'y était pas retourné, car, en 1796, il ne dépassa
point Paris. Et lorsqu'en ISOl il reviendra à Bordeaux, ce sera moins
sans doute pour satisfaire son humeur voyageuse c(ue pour revuir
son frère après une longue séparation de dix-huit années.
De son premier voyage, Lorenz Meyer, encore tro}» jeune, n'a
laissé aucune relation. Regrettons-le d'autant plus que c'est à peine
si, dans ces lettres de 1801 dont nous avons traduit et extrait les
passages qui void suivre, ses souvenirs déjà lointains lui ont permis
il'esquisser entre le Bordeaux de Louis XVI et celui «lu Consulat
l'intéressant parallèle que nous eussions voulu voir développer ]tar
riioniine >\ipérieur el |r témoin impartial qiu' lut Lni'euz Meyer.
Arrivé d'Allemagne par Brème, Munster, Almeloo. Xordlioorn
et Anvers, qu'il ne lit que traverser. Meyer passa le mois de juin à
Bruxelles, et à Paris le luois de juillet 18t)l. Il partit po\ir Boi-deaux
vers le l*^"^ août suivant.
A cette épo{|ue, et tant (]u"il fallut aller en Noiluie, le trajet de
Paris à Bordeaux durait environ cinq jours et ilemi. C.eux qui
n'avaient pas de voiture taisaient le voyage à «frais communs»
avec K- ]>ropriétaire duu xCliirule (jiu-Iconque, berline, cabriolet ou
chaise de poste. Les journaux du temps sont pleins d'olTres et de
1. Daiiit'l-f'.lii'islopli Meyer. né ;'i Iliiniliourtr le 4 iléreiiilire 17.M, marie a linnle.Tiix,
\ iM> 17'.H), :i\A-r .\tarie-lleuriette Amlrieu Je Saiiit-.Viulré, iitounit le 7 avril IslN.
l66 VOYAGE d'un allemand A BORDEAUX EN 180I
demandes de cette nature. Ce moyen de locomotion était le plus
agréable et le plus rapide, parfois même le plus économique, mais
il était aussi le plus aléatoire et le moins pratique pour les voya-
geurs dont le temps était compté. Ces voyageurs, comme du reste .
la masse des gens, car le premier venu ne pouvait monter dans une
voiture particulière, ces voyageurs prenaient la diligence qui par-
tait de Paris à jour passé. Et c'était alors, durant près d' une semaine,
le plus inconfortable et le plus pénible des voyageg, dans cette lourde
luachine aux sièges peu ou point rembourrés, et qui vous cahotait
tout le long du jour à travers les nuages de poussière et les fondrières
d'une route jamais entretenue.
Le coût du voyage en diligence, place, frais de nourriture et pour-
boire compris, s'élevait à 182 livres environ, soit à peu près 364 francs
de notre monnaie. Pour les bagages, on ne jouissait que d'une fran-
chise de quinze livres. Au-dessus de ce poids, il fallait payer qua-
rante livres pour cent livres, soit 80 francs pour 50 kilos de baga-
ges !... Comme on était loin de la rapidité, du confort et de la modi-
cité relative d'un voyage actuel en train de luxe ! Les voyageurs
étaient nombreux cependant, et ceux-là mêmes qui voyageaient par
agrément ne songeaient pas à se plaindre. Ils savaient oublier leurs
aises en vue de parvenir au but d'un voyage dont ils goûtaient d'au-
tant mieux les satisfactions finales qu'il leur en avait coûté davan-
tage pour les atteindre. Tout ce qu'ils voyaient, tout ce dont ils
jouissaient, leur semblait être un peu comme leur chose parce qu'ils
l'avaient gagnq au prix de quelque peine, et c'était pour eux une
satisfaction de penser qu'il n'y aurait pour partager leur conquête
que des êtres épris du même amour et capables des mêmes sacrifices.
Aujourd'hui, il n'en va plus ainsi... La rapidité et la facilité des
voyages ont supprimé l'effort, démocratisé ses résultats, et mis sur
un même pied d'égalité l'artiste et le « snob >>, l'homme curieux de
s'instruire et l'acheteur de cartes postales ou le « bouiïeur de kilo-
mètres ». Le « tourisme » a envahi l'univers, profané de ses hordes
bruyantes et des engins de sa réclame les plus intimes recoins de la
nature et, chose inattendue, ce sont les moyens de locomotion qui,
par leur confort et leur luxe, sont devenus cette fois le prétexte et
le véritable attrait des voyages. Est-ce un progrès?
Lorenz Meyer, qui n'avait jamais pris la diligence, hésita long-
temps avant d'en faire l'expérience. « Mais j'aimais mieux, dit-il,
souffrir toutes les incommodités plutôt que de voyager seul, » et il
alla arrêter sa place pour Bordeaux. 11 ne devait point le regretter,
VOYAGE d'un allemand A BOnDEAUX EÎC 180I 167
(lu l'Cste, car ]•• hasard lui «Idiina pour coinpagiinu dr route « des
f^ens gais et bavards », doul il a tracé un portrait qui lu- va j»a.<
ilt'parer celui de la diligence elle-même :
La diligence de Paris es! iiu véritatde monslre dans l'art de la car-
rosserie. La Noilui'c du l';irlriiicnl , dans laquelle It- rni d'Anglel crri-
■^(• pniiuèuf la couroniu! sur la tête et le sceptre en main, n'est cerr
(aiuement pas d'aspect plus étrange. Celte vcdture c(dosse, foule
carrée, avec des magasins sur le toit et sur l'essieu de derrière, pos-
sède à l'intérieur deux larges bancs contenant six bonnes places
éclairées par aiihnil de tVuètres. Heureux celui <pii occupe un des
quatre coins iju'il a su retenir assez à l'avance au bureau de la dili-
irence ! Car cette place, banale en apparence, va lui procurer le douldi-
avantage de respirer lair Irais et de rei^'arder librement par la l'enétre,
puis, quand viendra l'heure du sommeil, de pouvoir s'installer confor-
laldement, blotti dans le coin.
La voiture est suspendue à l'aide de courroies et, en terrain plat,
«die se comporte en somme aussi bien que si elle était pourvue de
ressorts d'acier. Le train de dessous et les roues sont en bois et en fer
massifs. On dirait un monument composé de poutres, de solives, de
garnitures en fer, de tringles et de chevilles assemblées comme pour
réicrnité. Il est vrai qu'il lui faut faire quarante-huit fois par an le
lointain voyacre de Bordeaux. Au second étage du véhicule et sur
l'essitm d«i derrière, se trouvent Itrs magasins dont j'ai parlé. D'après
les règlements, ces magasins sont exclusivement réservés aux malles
des voyageurs (d aux petits l)agages, mais, dans leur désir de gagner
le plus possible, les enlrej)reneurs en abusent et s'en servent aussi
pour transporter les gros ballots de marchandises. C'est une véritable
montagne, consolidée ;'i l'aide de jioutres, de chaînes vi de treillages
en fer. Sur le loi! se Ii-(mi\i'iiI les ]»laces jxipuhiires des voyageurs de
seconde et de troisième classe et un cadre avec des corbeilles pour les
menus objets.
Tous les deux jours, une de ces voitures, car il en existe plusieurs
semblables, (piitltï les bureaux de la dilijïence. I-^lle va en c\nt\ jours
et demi à Bordeaux, d'où elle ie\ icnl s(tu\enl dans le même laps de
temps. Comme toutes celles qui rayonnent dans les diverses régions
de la France, ces dili'^ences apparlieuneid à une entreprise privée qui
jiait; un impôt à l'Ktat et sentend avec les maitres de poste des sta-
tions pour C(! qui est des relais, lesquels sont la propriété des enlre-
pl'rnrurs.
Avec ses cinq chevaux de rtdais, la diligence parcourt, de tr()is
heuriîs du malin h neuf heures du soir el sur des routes généralement
plaies, (biuzc, mais le j)lus souvent quinze postes, soit environ tlix-
liuil lieues .illeinandes. On ne passe qii'une nuit entière à voyager.
Durant les autres, on peut se iml I ic nu iil ipn Iqurs heures. Les jirrêls
pour le déjeuner, pour le diner et le coucher sont fixés à l'avance. Il
en est partout de la sorte. Partout la table est dressée, le lit fait et le
voyageur a le hdsir de se reiulre conqde où il est. sans pouvoir toutefois
l68 VOYAGE d'un allemand A BORDEAUX EN 180I
rester aussi longtemps qu'il le désirerait. Chacun doit plier sous le joug
du règlement et obéir aux ordres du chef quand celui-ci donne le signal
du départ. Ce chef, c'est le conducteur. Il n'a rien de la lourdeur d'un
voiturier allemand, car il est Français et, pour cette seule raison, de
manières plus dégagées; son contact permanent avec des gens du-
monde a fini de le débrouiller. C'est généralement un homme poli,
sachant causer, prévenant, serviable, à qui son dévouement aux
intérêts des entrepreneurs a valu les fonctions qu'il exerce. Sur lui
repose le crédit et la bonne réputation de la diligence. 11 a pour rési-
dence le cabriolet, sorte de place bien abritée qui se trouve à l'avant
de la voiture, et qu'il lui arrive parfois de céder en cours de route à
quelque voyageur important; il se met alors dans le cadre qui est sur
le toit.
Ce maréchal du voyage arrête lui-même le programme delà journée,
fixe l'heure du départ et celle d'arrivée aux stations, règle les dépenses,
répond des paquets, des voisins de table des voyageurs, et aide ceux-
ci à monter en voiture et à descendre. Son pourboire est, pour tout le
voyage, d'un écu de six livres; les postillons touchent à eux tous la
même gratification. La place se paie 110 livres, somme qui varie sui-
vant le coût de la nourriture des chevaux. Le prix convenu pour le
petit déjeuner est de 15 sous, de 45 sous pour le déjeuner et de 3 livres '
pour le dîner et la chambre ^ On paie quarante livres pour cent livres
de bagages; la franchise n'est que de quinze livres. Si on se conforme
au service et qu'on ne demande rien en dehors de ce qu'il prévoit, le
voyage de Paris à Bordeaux revient en tout à huit carolins et demi.
Pour les personnes difficiles, le moindre inconvénient de la diligence,
c'est que tout soit si mal rembourré, si mal entretenu et si inconfor-
table; c'est que les conducteurs et leurs supérieurs soient si peu libres
de choisir les hôtels qui, dans la plupart des endroits où l'on s'arrête,
])Ourraient être meilleurs que ceux où l'on vous fait descendre; c'est
enfin la façon abusive dont on surcharge la voiture, bien que cela ne
nuise en rien à la rapidité du voyage.
La composition intérieure de l'Etat de la diligence est essentielle-
ment démocratique. Quand ils se trouvent assis les uns en face des
autres, une petite république libre a vite fait de se fonder entre ces
voyageiys qui ne font connaissance que pour la durée du voyage et
qui, généralement, se voient pour la 'première et la dernière fois de
leur vie. Ici, chacun agit à sa guise et selon ses goûts, contribue pour
sa part au bien général du petit État et se soumet à ses lois. L'inco-
gnito, l'impénétrabilité des individus les uns envers les autres ne
durent pas longtemps. Le sans-gêne rapproche tout le monde et on a
bientôt fait de se connaître chacun avec ses petits défauts. Les péri-
péties continuelles du voyage entretiennent la gaîté et c'est par les
rires et la plaisanterie que se resserrent les liens de la bonne connais-
sance. Parfois, le hasard fait se rencontrer ainsi de vieux amis qui
s'étaient perdus de vue de bonne heure et qui se retrouvent inopiné-
ment à la portière.
1. Soit environ 1 fr. 50, 4 fr. 50 et 6 francs de notre monnaie.
VOYAHE d'un AI.I.EMAM) A BORDEAl X F.\ 1 8o I iCh)
.II! fis MU (li'iiai'i 1.1 rciiruiil iT iiKiiiiv snit iini'iihilr, mais iT[)i'inl;iiit
i\r Imiii ;niLrii['c [KHii- 11' \oyaj;t', de dfiix lioramcs syiii|i.il liii|iirs, dj-ux
li(iii(>i;ililt'-- Hordchiis, \ olont.iirriiifiil (•\il(''s à I hinilMinr^ piMiil.'iiit
|iliisii'iirs îiimécs cl ([ui rilouriiaiciil iiiaiiili'iiaiil dans Inir |ialrii' rt-dc-
\ (tmc paisihlf. lu ji-iuif savant lui ncdrc (inalrièint- nnnpaLMKtn : il
alliiii à Hiirdi-aux s'cndiiinjuiT |Miin' l'Aiin-i'iiiui' i-l r'i'ni|dir ]:i nii-^inii
scii'nlin»juc . dont l'avail cliai-iré Itî Gouvern»!nu'nl . I.i- rin<iuiènn;
voyairt'ur élait un pi'opri«''laiiH' des crivirons de Hordcaux rt |r sixif-inc
un capilaine de cursairç français. Fait prisonnier par Ic.^ Ani.dais,
il élait resté détenu durant cinq mois dans les prisons de la marine
enneniie: on \rii;iil de lui rciidn' la lilii'ilé ^iii' sa |iariilr illionnenr
(|u'il ne se livrerait plus à la course. C'était un ori<,'inal, gascon de
naissance et de caractère, avec cette vivacité d'esprit, cette fraie! é
toujours railleuse, cotte inlassalde activité, ce besoin constant de
raconter des histoires et cette forfanterie méridionale, mais avec
aussi cette complaisance sans bornes dont ses com|i;ilii(»tes ont la
réputation. C'était le boulTon clioyé de nous tous; ses plaisanteries
avaient un sel du plus haut comi(iue, et la façon pittoresque dont il
racontait ses croisières elles-mêmes eussent déridé le finnl soucieux
d'un Caton.
Un septième voyageur s'était fait le compagnon du conducteur
dans le cabriolet, ce qui lui jterniit de payer sa place un tiers moins
cher. C'était un jeune soldat de réserve de l'armée de Bonaparte,
silencieux, discret, laconitjue, mais bon et aimable, et qui avait com-
li;dlu à Marengo. Il portait sur l'épaule un beau sabre, au celui urtMi
orné de l'aigle impérial. Où qu'il fût, il veillait a\ ec un soin j;i!ou\ sur
cette arme qu'il gardait toujours avec lui, même à table et au lil. Un
jour, comme jtî la regardais plus que dt^ coulume, il me dit : « .Je tiens
beaucoup à ce sabre. C'est un capitaine ennemi cpii me l'a remis (piand
je l'ai fait prisonnier sur le champ de balailli' de Marengo. Aj^rès la
paix, j'ai \idé ma bouleillc avec lui. »
I Avec de tels compagnons, la route ne jwmvait paraître longue,
mais Lorenz Meyer avait été si furieusement cahoté pendant tout
le trajet, qu'il éprouva quelque satisfaction à se voir arrivé au
terme du voyage. Du reste, il ne raccomj)lit jias jusqu'au bout a\ ec
la diligence, car son frère vint le chercher à Cubzac en cabriolet.
Cela lui permit de goûter tout à l'aise le charme des sites pittoresques
(le l'Entre-deux-Mers et l'imposant spectacle de l'arrivée à Bordeaux
par Lormont :
Nous jouîmes, dit-il, des plus beaux |ioinls de \ ne. mais passâmes
dans des chemins affreiix jiar Chierzac, Ca\ ignac et Cubzac. La dure
consonance de ces noms inusités — ceux de prescjue toutes les loca-
lités de la Gascogne finissent en ac — senddait auLmieiiler encore les
cahots du chemin. Les roules, si on peu! appeler cela *\c^ roules, sont
l'JO VOYAGE d'un ALLEMAND A BORDEAUX EN 1 8oi
entièrement défoncées sur plusieurs lieues de long, et il no paraît pas
du tout qu'il soit question de les réparer, même aux abords de la
pnuTiière ville de commerce de France. Secoués sans pitié, cahotés et
jetés sans cesse les uns contre les autres, nous atteignîmes enfin Us
liords tant désirés de la Dordogne, rivière qui coule là au milieu d'une
riante vallée. .l'y trouvais mon frère, venu à ma rencontre. Oh !
quelle joie de se revoir ainsi après une longue séparation... Ayant
laissé là mes amis, ils l'étaient bien devenus en effet, nous traversâmes
la rivière et volâmes en trois heures jusqu'à la Garonne, dans un léger
cabriolet. Cette région, comprise entre la Dordogne et la Garonne
a l'air d'une Suisse en miniature; c'est le pays appelé Enfre-deux-Mers,
avec ses riantes vallées, ses étages de hauteurs boisées et ses coteaux
couverts de vignes.
Sur les bords en demi-lune du large fleuve aux flots impétueux,
s'étend la belle ville de Bordeaux. Une rangée de maisons splcndides
se dresse le long des quais du Chapeau- Rouge jusqu'à ceux des
Ghartrons. Dans le port, spacieux et libre, une ligne de navires pavoises
est à l'ancre, semblable à une flotte armée... C'est une vue que pour la
grandeur et la majesté de l'ensemtile je ne puis comparer qu'à celle
de Gênes et de Naples.
En arrivant à Bordeaux, Lorenz Meyer fut loin de retrouver la
ville prospère et riche qu'il avait connue quelque dix- huit ans plus
tôt. La Révolution avait décimé sa population, anéanti son commerce
et ruiné sa fortune. Un grand silence, tout fait de recueillement et
de tristesse, planait maintenant sur la cité meurtrie. Seule, la foule
des navires mouillés dans la rade faisait encore illusion, mais elle
n'était au fond qu'une preuve nouvelle de la décadence de la ville.
Et Meyer va faire en quelques lignes, qui marqueront bien sa décep-
tion et ses regrets, ce tableau peu réconfortant du spectacle qui
l'attendait :
L'antique splendeur de Bordeaux n'est plus... La dévastation et
la perte des colonies ont anéanti le commerce et ruiné du même coup
la richesse de la principale ville de France. On s'en aperçoit partout.
La Bourse regorge bien de négociants, mais la plupart n'y vont que
par habitude. Les affaires sont rares. Le commerce intérieur des vins
est le seul qui n'ait pas disparu et le seul qu'on puisse encore faire
en même temps que celui de quelques produits de valeur moindre et
dont on ne tire qu'un maigre profit. Qui se fût seulement dérangé
autrefois pour toucher des commissions sur des ventes de prunes?
Aujourd'hui, les plus notables négociants ne dédaignent plus de s'occu-
per de semblables affaires, et les capitaines de navires, qui ne pre-
naient guère de caisses de prunes qu'en guise de lest, les recherchent
maintenant comme cargaison.
Nombre d'importantes maisons de commerce ont été ruinées par
VOYAGE d'uX AM,EMAM) A HOROEAtX EN 1 8o I I7I
la pcrlt' seule dos colonit'"^. 1 )";iiil n-^, ijui Ir cniiriiir.' se snnl :iiit'':iriiii's
♦'Ih's-mêint's en acronliuil iiiit' coiifiaiicr ii\rii</lc :iii |i.i|piir-iiioMii:ni'
tlo la Hévolulion. IClles mit. mis les assignais en |MM'lrlcuillc a\cf:
l'espoir (|u'ils pn-ndraienL de la valeur el elles oui perdu de la sorte
toute li'ur tortuui'. Seuls, cimx qui out pré\ u assi-z tôt la baisse drs
as*iijjuats t-t ijui eu oui eui|»loyé le iuouIjuiI dans Tachai ilr terrain^
ou de maisons ont conservé eu |(,iilir leur situai iou. Li-s Juils cux-
mèmes, spéculateurs avisés, se sont départis cette l'ois de leur pru-
dence accoutumée. Il n'y a que deux négociants israélites (|ui aient
éciiappé à la catastrophe. Tous les autres ont sombré dans la tourmente
générale.
La rivière, ainsi qu'on aiqx'llc la itartie de la Garonnr qui C(mle
di^vaiit Bordeaux, malgré le marasiuf des affaires, est enrondirée tli-
navires. L'aspcîct de la rade fait un instant illusion sur la véritable
situation de la ville. Car ces navires, qui viennent des ports d'Amé-
rique et du m»rd de l'Europe, importent maintenaul daii'- ir pays
h's denrées coloniales qu'ils en exportaient autrefois, et en échange
desquels ils rcOcN'aicrit (|uelqui" peu de \ins et des ]ir«iduits sans trraiule
valeur.
La disparition des corsaires a fait également éprouver une grosso
perte à Bordeaux. Depuis le début de la guerre maritime 1 10 navires
y ont été armés en course. Tous sans exception sont tombés aux
mains des Anglais, et il s'en faut de beaucoup que les prise.s antérieu-
rement faites compensent la i»erle des na\iri's. Tout cela fait ([ue
la richesse, et le luxe qui en est le signe, ont complètement disparu.
L'animation des quais est médiocre, on vit retiré, et la ville ne compte
plus que deux équipages, celui du ju-éfet et celui du commissaire
L'éiu'ral de la police...
Que de changements, quelle déchéance, et coinine on s'explique
le désenchantement des yeux et du cœur de celui qui avait contemph'
avec ravissement le Bordeaux animé et somptueux de Louis X\ 1
et des Intendants! L'impression fut d'autant plus vive que Meyer
apercevait à chaque pas les traces encore fraîches du dranu' qui
venait d'ensanglanter hi ville. Partout il eu rencontrait les ténu)ins
attristés, et il le sentit encore si près (b- hii (|u'il ]»ut -iinairiinT en
avoir été, lui aussi, le spectateur.
Tue des ]u-emières choses (pii frappèrent ses regards, ce fuieul
les Arbres tle la Lihevlé. « On en avait piaulé sur toutes les places
et sur îous les quais, écrit-il, mais ils sont tous uinrls, sans excep-
liou. L'aspect de ces troncs desséehés icud fiudic plus ]>i'-nibli' li'
s(»uvenir ([u'iis rappelleid. »
Ces arbres étaient sans doute (re>srii(c hè> dilliciie à lulliver.
car ceux dont parle Meyer n'étaient point, tant s'en fallait, les
arbres plantés vers 179'2. En 17%, tous avaient déjà péri. Même
172 VOYAGE d'un ALLExMAND A BORDEAUX EN 1801
celui (le la place Dauphine n'avait pu croître dans cette terre
cependant arrosée de sang, et Bernadau raconte qu'il fut arraché
vers le mois d'août ou de septembre 1796. Mais, comme il avait été
l'ornement indispensable de la place, on en planta un autre le
2 décembre suivant. « Le bureau central, dit Bernadau à ce sujet,
a pensé qu'il n'est pas décent de laisser une belle place sans brandon
mort et que la tranquillité publique tenait à ce palladium. En
conséquence, il en fit planter hier en grande cérémonie couronné
d'un beau bonnet blanc. On avait imaginé que cette couleur de
l'innocence convenait au lieu où elle a tant été immolée. Mais les
sans-culottes du quartier, qui aiment la teinte rouge, l'ont fait ôter,
et on s'est arrangé en le barbouillant en tricolore^. » Ce nouvel arbre,
qui n'était pas plus vigoureux que le précédent, mourut à son tour,
et on en replanta un troisième, le 3 février 1798, lorsqu'en exécution
d'une loi tous les arbres de la Liberté furent renouvelés 2. Nous
savons ce qu'il advint encore de ces arbres : ce sont ceux qu'en 1801
Meyer trouva réduits à l'état de « troncs desséchés ». Depuis, on a
sagement renoncé à les remplacer.
Meyer eut encore l'attention attirée par l'extravagance des noms
donnés à certaines rues, et il ne comprit pas qu'il se fût trouvé des
hommes assez déments pour manifester leur haine d'une façon telle-
ment puérile et ridicule :
C'est surtout dans le faubourg Saint-Seurin, dit-il, que revit le
souvenir de la Terreur. On y voit, gravés à tous les coins de rue. des
noms dictés par la jtlus haineuse des sans-culotteries. La singularité
de ces inscriptions m'oblige à en citer quelques-unes, que j'ai pu lire
moi-même, et auxquelles on a peine à croire, par exemple : Bue
Ça-Ira, Bue Ça- Va, Bue Ça-Tiendra, Bue de V Arbre-Chéri, Bue de
la Bégénération, Bue Haine-aux-Tijrans, Bue Plus-de-Bois, Bue Vivre-
Libre-ou-Mourir, Bue J'adore-T Egalité 5, etc. Cette façon de procla-
mer la liberté et l'égalité aux coins des rues prouvée que les habitants
de ce quartier ont la même mentalité que ceux du faubourg Saint-
Antoine à Paris. Ce sont des ouvriers pour la plupart. On dit qu'ils
tiennent encore tant à leurs noms de rues, que la police n'ose pas
faire effacer toutes ces inscriptions monstrueuses.
Elles n'ont jamais été enlevées, du reste, et celles qui n'ont pas
disparu avec la maison qui les portait ou que ne cachent point les
1. Bibl. de Bordeaux. Bernadau, Tablettes, t. VII, p. 333,
2. Ibid.
3. Actuellement rues : Ségalier, de Cursol, de la Chapelle-Saint-Martin, de l'Hôtel-de-
Ville, Saint-Sernin (en partie), du Château-d"Eau, d'Ares, allées Damour, rue Montbazon.
^OYAr;l: Wvy ai.i.i.mwm a iutiii»i:AU\ en iSoi 178
boiseries d'une devauturr mi ([inlqui' iii;i(juill;igt', »M;lles-I;'i immimmiI
se lire encore, témoin celle df l.i Une tic rArbre-f^liéri, f^ravée sur 1<'
mur de la mairie, au cuin de la un de rilûf<'l-dr-\il|.- d di- la im-
Montbazon.
Avant de quilLcr llandxiurg, Lorcii/. Meyer avait lait à m.'s amis
le serment de ne jamais leur parler, dans ses lettres, des souvenirs
sanglants de la Révolution. « A Paris, je pus tenir ma promesse,
dit-il, parce que les affreux témoins du passé ne sont jtlus. » Du
moins eut-il la chance de n'en point rencontrer. A Bordeau.x, ils
se dressaient encore partout, et « bien que leurs blessures fussent
cicatrisées pour la plujjart », il voulut éviter d"fu jtarli-r aux Bor-
delais, par crainte qu'en les interrogeant sur leurs mallieurs passés
il ne rouvrît leurs plaies et s'entendît lui aussi faire ce rej)roche :
Nefandnm jubés renovare doloreni... Mais, d'elles-mêmes, les vic-
times racontèrent leur supplice et, à son tour, Meyer ne put s'em-
pêcher de faire entendre un cri d'admiration et de pitié pour elles,
de réprobation indignée contre leurs bourreaux :
J'ai pu voir, de cette triste époque, maints souvenirs encore vi\;iiil>,
maintes sépultures que l'herbe n'avait pas encore recouvertes, et
souvent mes regards se sont arrêtés sur l;i tombe des malheureuses
victimes de la fureur révolu li<miiaire.
« C'est ici, me dit un jour un Bordelais, ;il(irs que pour la première
fois je traversais avec lui la belle place Daiqihiue, c'est ici rjue mes
nudheureux coîicitoyens ont été immolés ! C'est à l'endroit où vous
iq>ercevez cet exhaussement du sol, recou\irl de p;i\és. i[ur leur sang
a coulé de l'échafaud et arrosé la terre. " .le. vis eu effet, :ni milieu de
la place ', la partie j»a\ée où on avait installé hi guillotine. Au-devant
de celle-ci, une rigoh; était creusée pour recevoir le sang des victimes.
Cette, belle place, de formes régulières, est bâtie sur tout son ]t(Mirlniir
de grandes maisons. Pour 1" instant, ces maisons sont peu haldlées
et seulement par des gens du peiqtle. l'iles sont :\ \endre ou à louer
il des ju-ix dérisoires, tant chacun redoute d y tlciueurer à cause des
souvenirs sanglants qu'elles rappidleut.
Dans l'espace de quatorze mois, cinq ceni (iii;il rr - \ iiigts ^ tètes
tombèrent. C'étaient celles de vieillards, d'hommes, de femnu'S et
de jeunes 1,'ens appartenant pour la plupart aux classes aisc^es, et
qui n'avaient pas su satisfairt- assez tôt, par le ]»aieuuMit d'une
forte rançon, les besoins d'argent et la soif de l'or du président du
tiil'unid réxolutionuaire, Lacomlie, ce I',(d>espierre de. la (iinuide.
1. C:clte précision Uauclie une queslioii ili\ erseineiit rt'-solue jus<iu'à préseiil. Le
D' lianaud {Vieux Papiers bordelais, Paris, l'icker, ItUOl avait rru pouvoir fixer l'em-
placement de la ijuilioliiie ^ur le coté est tle la place Daupliiiie. près «l'un corps de garde
qui se trotuait là. Mais n'étail-il pas plus lotrique que l.i truillotiue eiU été dressée au
centre même de la place? (.'était la seule façon d'organiser éipiitaldeinenl le spectacle.
•2. Il y eut exactement trois cent une personnes guillotinées.
l'jli VOYAGE d'un allemand A BORDEAUX EN iSoi
On \ il les négociants les plus honorables arrachés des bras de leur
laniille, arrêtés dans la rue, à la Bourse même, puis conduits devant
le tribunal sanguinaire et de là envoyés directement à la guillotine.
Une demi-heure à peine suffisait pour vous faire passer de vie à
trépas. On était en train d'attendre le père de famille pour se mettre
à table, après la Bourse, lorsque tout à coup on apprenait sa mort
sur réchafaud. Si l'épouse ou la fille, averties de l'arrestation de leur
mari, de leur père, couraient au tribunal de sang se jeter aux pieds
des juges, elles rencontraient en route la charrette du bourreau
emportant déjà l'époux enchaîné et le père en toilette de condamné
à mort lesquels leur adressaient un dernier adieu en maudissant les
assassins. Bien des gens qui vaquaient à leurs affaires ou qui s'en
allaient avec des parents respirer l'air frais de la campagne, entendi-
rent dans les rues de ce quartier les cris de détresse des malheureux
ainsi enlevés à leur famille et brusquement envoyés à la mort. Et ils
rebroussèrent chemin pour s'arracher à la vue d'un spectacle aussi
abominable.
Le moindre soupçon porté sur un négociant en relations d'affaires
avec l'étranger, une lettre confidentielle envoyée du dehors par un
parent ou un ami, tout cela était pour le frère, pour le père et pour
l'ami un arrêt de mort. Les assassins pénétraient de force jusque
dans les lieux consacrés à la prière, dans les hospices et dans les
couvents. Des nonnes furent ainsi enlevées en masse à leurs cellules
et conduites à la guillotine. Beaucoup se souviennent, non sans pleurer,
d'une scène de ce genre. On avait dit au tyran Lacombe qu'un prêtre
insermenté se cachait dans le couvent des Sœurs grises, cet ordre des
sœurs gardes-malades dont la fondation remonte à une lointaine épo-
que. Les valets du bourreau cherchèrent alors le prêtre, le découvri-
rent et le traînèrent avec les sœurs devant le tribunal révolutionnaire.
Tous furent condamnés à mort, « Je vois encore, me disait un témoin
de cette scène émouvante, je vois encore le cortège de ces femmes
arrivant là-bas dans la rue et marchant deux par deux. C'était beau-
coup plus une procession de saintes qu'une marche à la guillotine. Les
nonnes portaient toutes leur habit de cloître. Une expression d'inno-
cence et de douce gravité, de tranquillité sereine et de résignation
était peinte sur leurs visages. L'une contemplait avec dévotion le
petit crucifix qu'elle portait sur la poitrine; l'autre, qui marchait à
côté d'elle, levait tout grands ouverts ses beaux yeux vers le ciel, où
était son unique espérance; celle-ci pleurait en silence le rêve enchan-
teur qu'elle s'était fait de la vie, et dans ïe regard de celle-là, enfin,
on voyait que la terre n'existait plus pour elle; autour de sa tête
brillait l'auréole de l'immortalité. Et ceux qui rencontrèrent ce
cortège auguste durent rentrer chez eux pour pleurer en secret, car
les larmes de la pitié étaient, elles aussi, criminelles.
Parmi nombre de traits d'impassibilité et de ferme résignation
devant la mort, le suivant est particulièrement remarquable. Vigne-
ron, jeune homme de trente-six ans, ci-devant trésorier de France,
fut condamné à mort comme suspect. Il était très riche, et il n'en
VOYAGK I)N> M.LEMVM) A llOI\l>EAU\ E>' 180I 176
t;ill;iiL pas (lu\ aiita;,'!'. puiir ([ur Lacoiahc, It; liL |)érir. On le coii<lui>-iL
à l'ôchalaud avec plusieurs auln-s niallit'uri'ux. Sa lêlc devait l«»mlM'r
la (li-rnièrc. Quatre condamnés lurent exécutés di\ aiil lui, cl \ Iltih rnu
les vit mourir sans détourner les yeux. Comme lo coupere.t venait
de lomiier ]»(uir la rpiatrième l'ois, un des crochets qui le maintenaient
entre les deux monlanls de la guillotiner se. Iiris.i. L'appareil ne pou-
vant |dus fonctionner, le délégué de la police ordonna de remettre
l'exécution au lendemain et de reconduire en |iri<nn le linijuiétne
condamné. ( Ilalte-là! s'écrie Vigneron d'unir \(»ix l'orte; je ne siu-s
pas d'ici, ']i' veux mourir. » On lui indiqua', alors le nmlif de cet ajour-
nement, (|ui est nécessaire. « Mais, c'est une bagatelle! ol»ser\ e-t-il.
Tenez, il y a là-bas, dans cotte rue, un serrurier; qu'on l'appelle, il
replacera loul de suite le crochet (jui s'est cassé. J'attends ici jusfju'à
ce (|ue ce soit l'ait. » Personne ne songe à contrc^dire cet homme, qui
paraît si résolu. Le serrurier est mandé, et, tandis (ju'il l'ait la répara-
tion. \itrneron, tout à fait calme, va et vient le long de la guillotine,
au milieu du C(?rcle des soldats. Enfin, 1:^ serrurier a fini son travail:
on fait un e--<ai : le couperet monte et redescend. Vigneron gravit
alors les degrés de la guillotine : < lOtes-vous sûr, demande-t-il, (jue
la machine fonctionne bien? » On lui alfirme que oui. « Je veux m'en
assurer moi-même, dit-il; voyons, essayez... » Il est fait selon sou
désir : le couteau marche, en effet. « C'est bien, » dit alors Vigneron;
et, taudis que le couperet niuonle, il jdacc sa tête sur le billot et
MieurL..
Poursuivant ses récits sur la Terreur, Meyer parle longuement du
rôle joué par Tallicu et Lacombe et raconte à ce sujet nombre
d'anecdotes trop connues pour que nous croyions utile de les repro-
duire ici. Mais il nous apprend encore, et le détail est {tiquant, qu'il
eut l'occasion <l'ajq)nMlier la belle M'"*^ Tallien, celle (|iii .sauva
Bordeaux de plus grands malheurs et qu'on appelait Notre-Dame
de Thermidor :
Je n'oublierai jamais, dit-il à ce sujet, la scène intéressante à laquelltr
j'ai assisté à Paris en 1796. Je dînais un soir dans une maison en
compagnie de M^^^ Tallien et me trouvais assis juste en face d'elle.
Un négociant de Bordeaux, qui débarquait dans la capitale, arriva
en retard au dîner et jirit la place demeurée, vide auprès de moi. Dès
qu'il aperçut .Mn^e Tallien, ([u'il s'attendait si jii-u à trouver là, il
se i(\a comme mû Jtar nu ressort pour la saluer. Mais, au lieu de. lui
présenter ses hommages suivant hss formes courantes de la politesse, il
lui fit f()rce ré\érences ainsi ipTon a coutume de. le faire aux jiersonnes
de. (jualité. Il paraissait troublé et ci-la éveilla ma curiosité, u On
•lirait ([ue vous connaissez cette jolie femme? » lui dis-je. «Je crois
iiien (pie je lu connais, répliqua-t-il eu pr(»ie à une émotion manifeste;
je crois bien que je la connais notre libératrice, notre ange tutélaire !
Sans elle, moi et bon noml)re de mes concitoyens nous ne serions plus.
t-6 VOYAGE d'un allemand A CORDEAUX EN l8oi
Elle a sauvé Bordeaux de sa ruiue et arraché à la mort un millier
d'entre nous.» Et mon voisin me raconta alors bien des choses que
j'cntfcnds aujourd'hui confirmer à Bordeaux. Il me dit qu'on avait
également conservé un excellent souvenir du général Brune, qui s'était
publiquement opposé, non sans danger pour lui, à ce que fût mis à
exécution l'infernal projet qu'avaient conçu Lacombe et ses acolytes"
de piller et d'incendier le quartier du Chapeau-Rouge qu'ils appe-
laient le nid des arislocrales. Son noble emportement, sa parole forte
et martiale, calmèrent souvent la fureur de ce sauvage conseiller du
peuple.
Le frère de Lorenz Meyer, établi comme négociant en vins à Bor-
deaux vers 1780, et récemment nommé consul général de la ville
de Hambourg, habitait au bout des allées de Tourny, du côté opposé
à celui du Grand-Théâtre, un très bel immeuble qu'il avait fait
bâtir en 1797, sur les plans de Combes. Appelé d'abord maison
Mener, il fut connu plus tard sous le nom de Café des Mille Colonnes,
puis sous celui de Café Anglais, nom qu'il porte encore aujourd'hui.
C'est là que Meyer descendit au mois d'août 1801.
Cette maison, sans doute conçue dans le même esprit que celle
de la place Tourny auxquelles elle était adossée, ne comportait à
l'origine qu'un rez-de-chaussée et un entresol. Le 26 septembre 1796^,
Meyer sollicita l'autoiisation d'y élever un premier et un second
étages et de construire au-devant de l'immeuble un péristyle de
six colonnes. La permission lui fut accordée à condition que sous
ce péristyle, qu'on allait établir sur la voie publique, le passage
demeurerait libre et que les promeneurs n'en seraient jamais privés
('SOUS aucun prétexte ny dans aucun temps» 2. Un an plus tard,
la maison était achevée et telle que nous la voyons aujourd'hui, si
ce n'est qu'on a, depuis, oublié de laisser le passage libre pour les
promeneuis et qu'on a vitre le péristyle pour agrandir le café. La
reproduction que nous en donnons a été faite d'après un dessin
ancien, que nous remercions son propriétaire, M. Pierre Damas, de
nous avoir aimablement communiqué. On aperçoit à droite le
Théâtre de la Gaieté, sorte de baraque construite en 1798, brûlée
en 1801, rebâtie en 1804 et définitivement démolie en 182L
La situation était des plus agréables et des plus gaies, sur ces
allées de Tourny, rendez-vous de toutes les élégances, et dont l'as-
pect frais et riant enchantait les yeux. C'est qu'à cette époque, seul
l-i. .\icliiv. mun. Invenluire de la [jtriode révolulionnaire.
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VOYAGt DLN AI.LEM.VMt A BOUDEAUX EN 1801 1 77
le côté sud était bâti. L'autre côté se trouvait en bordure sur de
vastes pelouses qui s'étendaient vers les glacis du (lliâtcau-Trompette
et jusqu'au bord de la rivièrr. Enfin, une double rangée de tilleuls
— car à Bordeaux, jadis, (Ui aimait les arbres — s'élevait à droite
et à gauche des allées, procurant de frais ombrages aux promeneurs
et encadrant des bouquets de leur verdure l'imposante silhouette
du Grand-Théâtre. « Cette promenade était la plus belle que je
connusse, » remarque Lorenz Meyer, rappelant ses souvenirs du
premier voyage de 1783-1784.
Malheureusement, les choses étaient quelque peu changées en 1801 .
A la faveur du désordre des années précédentes, chacun avait cons-
truit à sa guise et d'infâmes baraques se dressaient maintenant pêle-
mêle sur les belles pelouses d'autrefois; personne ne prenait plus
soin des arbres de la promenade et presque tous dépérissaient : « On
a profité de l'anarchie qui régnait en France pour bâtir sans la
juoindre règle et sans aucun plan la grande et belle pelouse longeant
l'allée de Tourny et qui, libre et découverte jadis jusqu'au Château,
embellissait tellement cette promenade. Des baraques, de misérables
bâtisses, des écuries, des entrepôts y ont été construits d'une façon
tout à fait incohérente et sans d'autre autorisation que celle (jue
chacun s'est octroyée ou qu'il a obtenue par surprise. La belle et
liante allée de Tourny ne se ressemble plus à elle-mêmo; il n'y a
jdus de sui-veillance et les tilleuls périssent... »
Aujourd'hui, Meyer, que hantait le souvenir d'une promenade
({u'il avait admirée dans des conditions particulicroment sédui-
santes, se déclarerait moins satisfait encore. Sans doute a-t-on
reconstruit le côté nord des allées de Tourny et, cette fois, en suivant
un ]dan, mais sans imposer pour les maisons une imiformité de
style et de hauteur indispensabli- à l'harmonie d'un msemble
architectural destiné à mettre en valeur le Grand-Théâtre. Si bien
qu'à part la belle maison construite par Louis pour le comte do
Gobineau, et que des vaiuJales viennent d'exhausser ri dr tians-
t'idiiKT eu uii «gratte-ciel» dont la cime se perd dans les éclairs
multicolores de réclaims lumineuses, nu nr \ui\ que des construc-
tions de style bâtard et d'inégale grand<'ur. i[ui tniiniul nue ligne
irrégulicre d'autant plus inesthétique (jue des différences de plusieurs
mètres d'une maison à l'autre découN rciil de longs pans de nuirs
nus et rigides, chers aux afficheurs. Quant aux arbres, ils ont disparu,
arrachés, depuis 1831...
Certes, nous ne demandons pas qu'on rebâtisse ni même qu'on
x3
1^8 VOYAGE d'un allemand A BORDEAUX EN 18OI
« égalise » les maisons, mais pourquoi ne pas replanter les arbres ?
La seule objection d'apparence sérieuse qu'on ait formulée contre
cette restitution, c'est que les arbres masqueraient la vue des allées
et celle du Grand-Théâtre. C'est là un contresens. Car ces arbres,
en créant des plans successifs, contribueraient au contraire, et de
la façon la plus heureuse, au jeu de la perspective. Du reste, nos
devanciers, et en particulier Tourny, le propre créateur de ces
allées, avaient, au moins autant que nous, du bon sens et du goût.
Leur exemple offre peut-être assez de garanties pour qu'on ose
le suivre. Ce qui importe, c'est de disposer ces arbres — qui pour-
raient d'ailleurs être maintenus à une hauteur déterminée — de
telle manière qu'ils ne gênent point la vue. Et c'est là chose facile,
car le terre-plein des allées est suffisamment spacieux pour qu'en
mettant sur chacun de ses côtés soit une, soit deux rangées de
tilleuls, d'ormeaux ou de platanes, il reste encore au milieu une
large avenue à l'extrémité de laquelle apparaîtra le Grand-Théâtre.
Ainsi les arbres égayeraient l'aspect des allées, mettraient leurs
divers monuments en valeur et feraient d'une esplanade inhospi-
talière une promenade ombragée et pleine d'agrément. Qui oserait
s'en plaindre?
Déjà en 1839, comme la suppression des arbres, qu'on avait dite
provisoire, semblait devenir définitive, Bernadau, qui avait connu
et apprécié pendant plus de cinquante ans les anciennes allées, en
plaidait le rétablissement avec des arguments sans réplique :
Les allées de Tourny, lormées de quatre rangs d'arbres bien dis-
tants des maisons qui les bordaient, se prolongeaient originairement
depuis la porle dt; ce nom jusqu'à celle du CUai)(!au-Rouge. La moitié
de ces allées fut détruite lorsqu'on consLruisiL le Grand-Théâtre et le
massif des maisons qui sont à la suite de cet édifice. Cependant,
malgré sa mutilation, celte promenade était encore belle et très fré-
quentée, et rien ne semble excuser sa suppression, (jui a été prescrite
en 18.31. On en abattit d'abord les arbres, sous prétexte qu'ils avaient
besoin d'être renouvelés; puis on annonça qu'on ajournait à l'année
suivante le rétablissement de cette promenade, pour l'ordonnance de
laquelle on sollicitait l'avis d(is gens de l'art. Au centre d'un beau
quartier, la vue d'un vaste terrain vide, qui, par sa singulière dimen-
sion, ne peut être considéré ni comme une rue, ni comme une chaussée
dont l'élargissement devenait indispensable, fait désirer qu'on réta-
blisse enfin ces magnifiques allées que le seul nom du célèbre adminis-
trateur qui les a fait planter aurait dû préserver de la destruction '.
Souhaitons que cet appel soit entendu de nos édiles.
Ll' Bernadau, Histoire de Bordeaux, p. 106. _
• Voyage d'ln allemand a uoudeaux en i8oi 179
A côté de cette fâcheuse modification des allées de T<»uruy,
Meyer constata heureusement quelques transformations auxquelles
l'aspect de la \illt' n'avait pu (|Uf gagner. Nous voulons parler
notamment des rues qu'on venait de créer aux C.hartrons et dans le
voisinage même de Tourny, où tout un quartier neuf s'élevait sur
l'ancien emplacement du couvent des Jacobins. On y remanjuait
en particulier un marché, devenu le marché d»'s Fiécollets actutd,
un \'aux-hall et une nouvelle salle de spectacle, le Théâtre-Français,
construit sur les plans de Combes. Meyer va nous en diro un iimt
après avoir salué la mémoire de Tourny :
I/inlfiidant royal dt; T(»uruy, en souviîuir (iiKpicl tout un ([uarlit-r
jiorlr hi nom, s'est re.ndu ininiortel par les tîmlH'llisscmfnts (pril a
apportés dans Bordeaux. C'est lui qui fit élever, au siècle dernier, les
jdus beaux édifices de. la \ ille. tels que la Bourse et l'Hôtel di^s Fermes;
des places comme la [tlace F^oyale (aujourd'hui de la Liberté), et ce
loiii,' quai dont la ligne droite et runiforinité de façade des maisons
mirent \crnet au désespoir (juand il lut chargé de peindre la vue de
Bordeaux.
La ville s'est encore étendue depuis cette époque. De uou\ elles
rues, de nouvelles places, des quartiers entiers ont été bâtis, et on
pouss(> toujours fdiis loin le. plan des agrandissements. On a beaiicouj»
construit aux ChurLrons, niais davantage encore i»rès de Tourny, sur
l'emplacement de l'ancien couvent des Jacobins et des Franciscains.
Plusieurs immeubles y sont déjà terminés, entre autres une salie de
spectacle, le Théâtre- Français, (jui est d'un style bizarre, un \'aux-
hall et un Lycée des sciences el des arls. Les habitants ont déserté une
bonne partie de la vieille ville, aux rues étroites et tortueuses. Tout
le monde achète aux Chartrons ou à Tourny. Aussi, raconle-l-oii (juc
les propriétaires du centre ont protesté auprès du Préfet contre la
création de rues ou d»; places iu>uvelles, et qu'ils se sont ojqiosés à
l'exécution du suptTite jdan d'ajirès lequel on devait, conformément
à un»^ ordonnanci^ royale, créer sur l'enqdacement du vieux château
Trompette plusieurs voies aboutissant à uiu' jdace unique, appelée
Place Nationale.
Bordeaux doit une de ses récentes améliorations à sou ancien |U'é|'et,
Tiiibaude.au, lounnu; d'une grande activité, aujourd'hui conseiller
d'Ltat à Paris. Il a fait installer un grand marché sur l'enqdaceinejit
qu'occupait auparavant le i>etit couvent des Carmélites. C'est un
vaste (juadrilatère entouré di; quehiues maigres piliers supp(trlanl des
arcadeï^. Le marché s'y tient une, fois par semaine. (JKUjue genre de
produits, cluuiue espèce de vivres occupent une liouti(jue sjtéciale et
sont annoncés k l'aide de petits écriteaux. Au cenlre, du marché s'élè-
vent deux fontaines de jolies proportions en fornit^ d'obélisques; elles
rappellent à la fois le nom du ftmdateur et celui de l'architecte. On
vante la construction de; l'égout en pierre qui envoie le< iinnïoudires
à lu Garonne,
l8o VOYAGE d'un ALLEMAND A BORDEAUX EN 180I •
Le projet de démolition du château Trompette et de construction
d'une place monumentale n'était pas nouveau. Il remontait au
moins à 1785, époque à laquelle Louis, après avoir obtenu, grâce
à la protection de Galonné, une ordonnance royale qui prescrivait
la démolition du château Trompette et en autorisait la vente, fonda
une Société pour l'exploitation des terrains de la citadelle. C'est
alors que le grand architecte conçut ce plan magnifique qui eût fait
de Bordeaux une ville incomparable. Il consistait à prolonger, de
la Bourse jusqu'aux Ghartrons, la façade monumentale du quai des
Salinières et à ouvrir au centre une place en demi-cercle à laquelle
aboutiraient, par autant de portes en arc de triomphe, treize
avenues portant les noms des provinces américaines. Une colonne
•surmontée de la statue du souverain s'élèverait au milieu de la place
qu'on appellerait pour cette raison Place Ludovise.
Par chauvinisme ou par dépit, les jurats, qui s'étaient déjà opposés,
mais en vain, à ce que Louis fût l'architecte du Grand-Théâtre,
lui préférèrent encore le Bordelais Lhôte. Finalement, on adopta
le plan de Louis, et le chantier fut ouvert. Mais le manque de fonds
d'abord, ensuite la chute de Galonné et toutes sortes d'intrigues
ralentirent les travaux, en attendant qu'un arrêt du Gonseil du
roi, de 1787, les interrompît, et qu'un autre, de 1790, rapportant
l'ordonnance de 1785, déclarât nulle la vente des terrains du châ-
teau Trompette. Gette vente cependant fut à nouveau autorisée
en 1795 par le Gonseil des Ginq-Gents, et le projet de Louis préféré
une fois de plus à celui de Lhôte. Tout semblait marcher à souhait
quand survint le Dix-huit Brumaire, qui amena au pouvoir des
hommes hostiles à Louis, lequel décédait le 2 juillet 1800.
Gette même année, le projet de construction de la place fut repris
et un concours organisé. Le second prix fut décerné au Bordelais
Combes ^, dont le plan, nous dit Meyer, était cependant très supé-
rieur à celui présenté par l'architecte qui avait obtenu la première
récompense :
Sur les trente concurrents pour les prix offerts par le Gouvernement
à ceux qui présenteraient les meilleurs plans, c'esL Labarro, un jeuntj
architecte d(j Paris, qui a obtenu h', premier prix, Lo second a été
décerné à Combes, architecte du département de la* Gironde. Une
lois de plus, le Jury des Arls de Paris a commis une bévue en jugeant
1. Combes (Louis-Guy), 1754-1818, né à Podensac, architecte du département de la
Gironde, a restauré Saint-André, bâti le Théâtre-Français, les maisons Meyer, Aquart
(hôtel Sargel), le château Margaux, etc.
gJM
VOYAGE d'un allemand A nOHDEAUX EN 180I 181
ù la l(^«irèrft et sans (•(jiiiuiil rr la disposiliuii <lt\s litnix. \ iriuu- Ir imuiniil
lie taiif 1rs liaxaiiK t-l, sur les énergiques rciirésenlatioiis du dépar-
ti'iufiil, il laudra rahatlre la décision dyi jury jionr donner la préfé-
rence à Combes, dont le. plan mer\'eilleu\ sera exécuté tel (ju'il est,
saut' (|Ui'lques légèrt^s modifications exigées jtar les besoins du port.
Kabarre a manifestement élaboré son proji^l à Paris, et sans plus
connaître l'emplacement à bâtir (luil ne connaissait les besoins d'uin*
\ille de eoinnu-rc*'. Il a inventé unv disposition de place en fornn- de
cercle, absolument banab; et où toutes le's rues rayonne.nt autour
d'un point central. Si l'on exécutait ce projet, la rivière se trouverait
rétrécie par une digue, inutile de quarante pieds de large, juste, au seul
endroit où peuvent mouiller les navires lourdement chargés. Le jdan
de Combes est au contraire original, majestueux et conçu avec autant
de bonheur que de connaissance de l'architecture romaine. Ct; (|ue je
lui reprocherais peut-être, c'est la part troj) large que l'artiste y a faite
î"! l'esprit et au goût des anciens pour ces sortes d'ensembles.
Et Meyer, un peu suspect dans son admiration pour Combes, qui
se trouvait être l'architecte de la maison de son frère, sur les allées
de Tourny, détaille alors avec complaisance ^e fameux plan, qui
comportait une arène avec un amphithéâtre, des péristyles, des
jardins décorés de portiques à colonnes, la façade d'un temple
consacré à la pai.x, des obélisques, des fontaines et jusqu'à des
bains publics et une école de natation, c'est-à-dire beaucoup trop
de choses à la fois pour que l'ensemble ne fût pas lourd et d'un goût
douteux. Combien, dans l'harmonieux équilibre de ses lignes et
dans la simplicité de son ordonnance, le projet de Louis était-il
plus grandiose et plein de majesté !
(A suivre.) MEAUDRE DE LAPOUYADE.
LES MESSIEURS EATAl^Y
(HISTOIRE DE TROIS PRÊTRES CONSTITUTIONNELS)
Sur la fm de l'ancien régime, trois prêtres portant le nom de
Latapy, et parents à des titres divers, exerçaient le ministère ecclé-
siastique dans les diocèses de Bordeaux et de Bazas. Ils se nom-
maient :
Charles-Hyacinthe,
Charles-Raymond,
et Joseph-Jean-Baptiste.
Les deux derniers étaient frères.
Tous trois eurent une existence des plus accidentées, et il ne sera
pas sans intérêt d'en rapporter quelque chose ^.
Charles-Hyacinthe Latapy.
M. Charles-Hyacinthe Latapy naquit le 3 novembre 1750^ Nous
ne savons pas quels liens exacts de parenté l'unissaient aux deux
autres Latapy, mais leur réalité ne saurait être mise en doute, vu
les relations qu'il entretenait avec un Latapy, maire de Budos,
oncle de Charles-Raymond et de Joseph 2; vu surtout le soin qu'il
prit de s'arranger pour occuper, avec ses deux confrères, trois
paroisses voisines dans le canton de Podensac.
Au moment de la Révolution, Charles-Hyacinthe Latapy était
1. On trouve sur la fin du xviii" siècle deux autres Latapy exerçant les fonctions
sacerdotales : Pierre Latapy, chanoine de Bazas, inhumé le 19 août 1762, et Henri
Latapy, vicaire perpétuel de Saint-Jean de Laroque, inliumé le 11 décembre 1777.
{Inventaire-sommaire des archives communales de la Gironde, série E supplément.)
Mon vénéré collègue et ami M. l'abbé Fourcand, curé de Budos, à qui j'avais commu-
niqué mes notes et documents, s'en est servi, a%ec mon autorisation, pour publier,
dans son Almanach paroissial de 1912, quelques pages sur les messieurs Latapy.
2. Arch. diocésaines de Bordeaux. Fonds moderne. Registre du personnel sous
l'épiscopat de Mgr d'Aviau.
3. On le -soit, en particulier, après la Révolution, Acnir assister à un mariage à Budos.
(Arch. mun. de Budos.)
HISTOIRE DE THOIS l'RlhRES CONSTITl'TIONNEI.S 1 83
chanoiae de Villandraut. Nommé à ce poste le 21 avril 177îj, il en
avait pris possession le 23 juin suivant^; et sa vie s'était écoulée
ensuite dans la jr.x'w. ]>eut-r'f ri^ un jnii monotone, d'une existence
sans à-cfuip.
Imbu (les idées nouvelles, M. Latapy se consacra, dès le premier
instant, au triomphe de l'action révolutionnaire. II le fit avec une
netteté si absolu^, que l'on n'hésita pas à réclamer son concours
lorsqu'il fallut, aux débuts de 1790, constituer la première muni-
cipalité de Villandraut.
Le jeudi 1 1 février, les citoyens actifs, réunis dans l'église, le
choisirent comme procureur de la commune; mais il refusa ces fonc-
tions. Ce n'était pas, d'ailleurs, par répugnance pour la politique;
car, trois jours plus tard, on lui ofTrit le titre d'officier municipal : et,
cette fois, il accepta. Au surplus, il devait remplir cette charge avec
zèle. C'est ainsi que, dans la séance du 18 février, il fit voter la
nomination d'un percepteur : les impôts restaient encore à recou-
vrer, déclara-t-il, et « l'état délabré des finances du royaume exi-
geait » impérieusement que cette situation anormale prît fin.
De même, dans la séance du 1 Ornai, il proposa au corps municipal
d'aller saisir chez les marchands étrangers, fort nombreux à la foire
de ce jour, « les mesures, poids et demi-aunes non estampillés ».
L'opération, exécutée sur l'heure, réussit à merveille et servit à la
municipalité, car On condamna chacun des délinquants à trente
sous d'amende, « applicables à l'achat de balles et de poudre pour
s'en servir en cas de troubles sur la foire, et le reste être distribué
aux soldats patriotiques de garde ». Encouragé par ce succès, M. La-
tapy ne s'en tint pas là. Le même jour, il se rendit sur la place du
marché aux grains et saisit deux sacs de «panis»- appartenant à
un marchand de Sore ^ qui, avec « une mauvaise foi non douteuse,
avait mis à l'embouchure du sac du panis de la plus belle qualité,
et autaui ;m fond, de manière à tromper impunément l'acheteur».
Or, tout h' grain placé au milieu du sac était pourri.
Le 24 août 1790, nouvelle opération de police conduite par Latapy,
(|ui saisit et fit brfder sept demi-aunes trop courtes.
Le terrible officier municipal aurait, à coup sûr, continué ses
incursions sur les divers marchés de Villandraut si un triste li;is,ird
n'avait tout à coup mis un terme à son activité. Il lut , en effet, lun
1. Anli. dt-|i. (le la Gironde, O I0'20, f» 5.
'2. Le ii;iiiis est une sorte de millet dont le grain est plus petit que celui du millet
ordinaire. Le mot français est panic.
3. Sore est un chef-lieu de canton du départenicnl des Landes.
l84 LES MESSIEURS LATAPY
des deux membres du Conseil désignés par le sort pour cesser leurs
fonctions à la fin de 1790. La loi était formelle : il fallut s'incliner.
Mais M. Latapy restait trop utile aux municipaux pour qu'on le
laissât partir de la sorte. Le 14 novembre 1790, dans la séance même
où on le remplaça comme administrateur de la commune, il obtint,
à l'unanimité des votants, la charge de secrétaire-greffier ^
Ce changement dans la situation du chanoine politicien n'amoin-
drit en rien la ferveur de son zèle. Il continua à défendre les théories
révolutionnaires, et sut se créer une réputation de civisme assez
solide pour que l'assemblée électorale tenue dans l'église Saint-
André de Bordeaux le 3 avril 1791 le choisît comme cUré consti-
tutionnel de Gadaujac ^.
On lui donnait une grande marque de confiance en l'appelant à
ce poste; car la situation s'y présentait sous un aspect assez difficile
pour le schisme, et cela ne laissait pas d'inquiéter sérieusement les
gouvernants locaux. Le curé de Gadaujac, en effet, M. 0' Kelly,
était un homme intrépide. Non seulement il voulait rester catho-
lique, mais il entendait maintenir ses fidèles dans la vraie foi. Et
cela, il ne s'en cachait point; bien au contraire. C'est ainsi que, le
dimanche 2 février 1791, il avait adressé à ses paroissiens, au
moment du prône, un petit discours que la municipalité relate dans
une plainte adressée au tribunal du district de Bordeaux.
Messieurs, il y en a peut-être parmi vous qui sont en peine de savoir
si je prêteré le serment, dimanche prochain. Je vous déclare que je
ne le prêteré point qu'au préalable notre Saint Père le pape ne me
l'ordonne par sa réponce au roy. Si le pape l'ordonne, je ne serez pas
le premier à le prêter; mais je ne serois point le dernier. Et quand
même, ce décret a été falciflé. L'assemblée nationale n'a pas eu
connoissance de l'article sept. La municipalité de Bord" a rendu
une ordonnance sur ledit article. Et que ledit décret n'étoit point
enregistré au Département.
On savait que M. 0' Kelly ne céderait pas; et comme il était très
aimé de son peuple, on craignait tout de son exemple joint aux
exhortations qu'il ne manquerait pas de multiplier.
C'est pour cela que l'on s'adressa à M. Latapy. Sa conduite à
Villandraut l'auréolait d'un nimbe civique; puis sa fermeté dans la
charge d'officier municipal garantissait l'énergie de son caractère.
1. D"^ Dubourg, Le Mouvement politique, social et religieux à Villandraut, pp. 9 et
41 à 48.
2. Arch. dép. de la Gironde. Fonds moderne. 1" liasse de l'épiscopat de Mgr d'Aviau.
— Gadaujac est une commune du canton de La Brède," arrondissement de Bordeaux.
HISTOIRE DK TROIS PRKTRES CO>'STITLTIO»Er,S l85
Personne mieux que lui, seiubl;iil-il, ne pouvait lutter contre le curé
insermenté de Cadaujac.
On le nomma donc.
Il vint voir le poste, promit (ht s'installer If (liiiuinilic suivant,
et se retira laissant la municipalité dans la joie.
Sans doute aurait-il tenu sa promesse si les événements ne lui
avaient, au moment même, fait espérer une situation meilleure.
En effet, M. Pierre Rage, doyen du chapitre et curé de ^'illaIldraul,
étant mort le 2 janvier 1790^ et son successeur, M. Feuillade, curé
(le Saint-Symphorien, dont un procès retardait la prise de possession
depuis bientôt un an, ayant refusé de passer au schisme, les élec-
teurs du district de Bazas considérèrent la cure de Villanclraut
comme vacante. En conséquence, le 3 avril 1791, ils nommèrent
M. Charles -Hyacinthe Latapy à ce poste. Et celui-ci s'empressa
d'accepter^. C'était pour lui une excellente aubaine qu'il ne vou-
lait à aucun prix laisser échapper.
Il adressa donc à l'autorité compétente sa démission de la cure
de Cadaujac. Sa lettre vaut la peine d'être citée in exlenso. C'est un
chef-d'œuvre d'habileté qui pouvait, certes, ne point contenter
ceux qui le recevraient, mais qui devait tout au moins faire ressortir
les profondes vertus sacerdotales de celui qui l'avait écrit.
Et M. Latapy ne demandait pas autre chose. Bien rente, bien
noté : c'est ce qu'il avait toujours rêvé.
Quoi qu'il en soit, voici sa lettre de démission. Elle est adressée
aux ofliciers municipaux de Cadaujac, qui, on le verra plus loin,
furent littéralement atterrés en la recevant.
Villendraut, le 12 avril I7*M.
Monsieur,
J'atiendois mon institution canonique pour me rendre à Cadaujaq
remplir les honorables fonctions que le jteuple m'avoil confié, lorsque
messieurs les électeurs de mon district m'ont choisi pour occuper
à Villendraut la cure vacquanle depuis un an, et de la dt^sserle de
lacjuelle J'avais été déjà chargé par les cy-devanl grands \i(juaires.
Pourvu ainsi de deux titres conslilnlionels, sans avoir encore reçu
r.iplirobation de mes suppérieurs sur aucun des deux, j'ai cherché,
avant dt^ me décider, à implorer l'assistance divinne, puis à consulter
mes forces, et surtout le bien (|ue je pourrois oppérer; et apprés médi-
tation très approfundif. il nia paru, inunsieur, qu'une parruisse dans
/
1. Arch. mun. de Villandraut.
2. D' F<''lix Duboiirtr, Le Mourcment politique, social el religieiir à Villnndrnul pen-
dant tu liévotutiun, pp. 01 à 05.
l86 LES MESSIEURS LATAPY
laquelle j'ai travaillé déjà depuis quinze ans; dans laquelle j'ai eu
le bonheur de faire quelque bien; où j'ai su m'attirer l'estime et la
bienveillance de touts les habitans; où je n'ay jamais rencontré ni
d'ennemis, ni des contradicteurs; où je suis déjà investi de touts les
degrés de confiance dont un bon citoyen puisse s'honnorer; il m'a.
paru, dis-je, monsieur, qu'unne telle parroisse étoit celle au gouver-
nement spirituel de laquelle la Providance m'appelloit. En consé-
quance, j'ai l'honneur de vous prévenir, monsieur, que dans cet ins-
tant difficille, résolu de voiler au secours de la patrie et de la religion
partout où je serois le plus nécessaire, je consacre tout ce que Dieu
m'a donné de courage, de zelle, de force, et de lumières, pour la par-
roisse de Villendraut, où le peuple, ainsi qu'à Cadaujaq, m'a colloque.
Ne croyais pas, monsieur, qu'auquun motif humain aye déterminé
mon choix.
Mon traitement pour Cadaujaq étoit jtlus considérable que Villen-
draut; le logement y étoit plus commode, et le séjour plus sain et plus
gracieux. Mais j'ai fait le sacrifice de touts ces avantages temporels
au bien que je crois pouvoir mieux faire ici quilleurs; et ce sacrifice
doit ajoutter à la bonne idée que je sai que vous avais déjà prix de
moi, et que j'ai craindrois d'affaiblir.
J'ai l'honneur d'être avec la plus parfaite considération,
Monsieur,
votre très humble et très obéissent serviteur.
Latapv, curé de Villendraul.
Le jour même il annonçait cette décision à M. Bonnet, maire de
Cadaujac, par une lettre particulière où l'on retrouve l'afïectation
d'esprit surnaturel qui paraît lui être habituelle et dont il était pour-
tant bien éloigné, comme sa triste fin le prouvera.
Voici cette lettre ^ :
Villendraut, le 12 avril 1791.
Monsieur le maire.
Je n'étois encore que curé de Cadaujac lorsque j'eus l'honneur de
faire connoissance avec vous. Depuis cette époque, je me suis trouvé
investi de deux nouveaux titres constitutionnels. Dans cette position
critique et difficile j'ai dû consulter plutôt le bien que je pouvois faire
que mon avantage et mon goût particuliers qui m'appeloient vers
vous. Tout bon citoyen doit savoir faire des sacrifices lorsque la chose
publique le demande. Ce sera mon excuse auprès de vous, Monsieur
et auprès des braves gens dont je vous ai vu entouré ce jour, qui ne
s'efTacera pas de ma mémoire, le 7 avril 1791. J'aurois eu plus d'agré-
ment à Cadaujac; j'y étois mieux logé. J'y étois plus riche. L'air y
étoit bien plus salubre et le séjour plus agréable. Enfin, j'y aurois
trouvé des occasions à m'acquitter de toutes les obligations que j'ai
1. Arch. dép. de la Gironde, série L.
lIISTOinE DE TROIS PRKTRES CONSTITITIONMI.S 1 87
contractées envers .Vf» Bonnet il (;t;iii«l, d ;i|ii('s les linnnrlflés
dont ils m'ont coinldé. Miiis. .Moiisinii-. il m i^l 1res doult-ux, i|ui'
jamais j'eusse pu (»|(ériT là-)ias If même hitu (|ur je suis sfir «li- l'airi-
ici. 11 m'(!st très douteux que jamais j'eussti pu y ohlrnir la nu'-mc
confiance. Ici, toutes les voix m'apitcllcnt et me désirml. Là-|j:is,
i|iiil(jues-unes me n-jettenl. Ici, la jtiii' la jdus vi\r, la |ilus fjéné-
rale et la plus énerfriquement prononcée; a suivi ma prodamatinii.
FA, là-bas, elle a fait répandri' (|ui'l(|ucs larmes 'aris(((crati(|urs,
il est vrai), mais ce sont dt-s larmrs. Ici, loutt-s les li]u'ures se suiil
épanouies, lorqu'elles ont vu leur nouveau pasteur. Là-bas, quel-
ques-unes se sont ridées lorsqu'elles ont aperçu le successeur dt;
M. O'Kcli. Ah ! il m'en coûte tant d'être odieux, même mal à pro-
pos ! Ali ! il m'est si doux d'être aimé ! Et je le s\iis tant et si j.'éiiéra-
liMueiil il \ illendraut que certes je dois vous jtaraiirt; excusable de
n'avoir pas pu me défendre des instances, des prières df Imilr iiiif:
communauté qui ont pour ainsi dire forcé ma sensibilité. .Je vous
dcvois, Monsieur, ces éclaircissements et ces aveux. Ils me justifir-
ront de linq)ossibilité où j'ai été de ne pouvoir répondre à vos propres
iii^^lano^s. 11 n»; me reste que le regret de vous avoir connu t-t de ne
pouNoir, peut-être, jamais vous remercier dignemeiil de loul le bien
que vous avez voulu me faire.
J'ai l'honneur d'être avec les sentiments les plus respectueux el les
plus fraternels,
Monsieur le maire,
Votre très humble el très obéissant ser\ iteur.
L\TA,PY, curé de Villendraul.
Cette décision inattendue plongea, nous l'avons dit, les munici-
paux de Cadaujac dans une tristesse sans uoin. l.a ]iieuve en est
dans la lettre suivante (pTils adressèieut, sans désemparer, an
Directoire du (b'partement :
Cadaujac. le \A a\ ril 179").
Messieurs,
Nous venons de recevoir une lellre de Mous. Lalapie. (|ui nous
allrish' beaucoui». Après nous av(»ir pi'omis qu'il vieiidroil sinslaller
dimanclit! prochain, il nous marque ([uil a crû deNoir t^-aider aux
vives instances de sa communauté. N(»us voyons avec douleur (|ue
le^ seuliMienU aristocratiques du luré aciuel. influeroiil qui' Irnp
dans lame de nos ciloyens, s'il continue ses fondions |»endanl le
lem[>s pasehal; inal','ré Ions les m(»yens (|ue nous mêlions en u/au'e.
pour dissuader ses âmes foibles, nous \-oyons que s'il n'est pas pos-
sible de pourvoir à sou remplaceinen I de ~-uile, alleudû que nous
croions que l'a-^eiiildée électorale soit dissoule jusqu'à mniNel ordre,
il i>ourroit ce faire ijue ce faiialique euq»oisouiié ne salirai uu cerlaiu
munbn; de salelliles qui regardertueiil le uou\eau pasteur a\ee iudi-
guation, méritaul au loniraire d'être cou\ erl de laurier.
l88 LES MESSIEURS LATAPY
Veuillez, Messieurs, arrêter les cours de ces sentiments effrénés,
en nous envoyant un prêtre deservant pour dimanche prochain, et
enfm jusqu'à ce qu'on procède à une nouvelle élection; et de nous
donner des pouvoirs à interdire toutes fonctions ecclésiastiques à ce
monstre jaloux du bonheur des François; et alors, il ne pourra plus
thimorer les consciences et mettre la zizannie parmi des citoyens qui
ont toujours respecté la loi nouvelle.
Nous osons donc espérer cet acte de justice et de bienfaisance de
vous, Messieurs, et alors, il ne nous manquera rien plus que d'implorer
la divine providence de prolonger vos jours.
Nous sommes, avec les sentiments les plus respectueux et les plus
fraternels,
Messieurs,
Vos lions amis et frères.
Les officiers municipaux de Gadaujac.
P. -S. — Nous vous envolons ci-inclus la lellrc de Mons. Latapie;
veuillez. Messieurs, y jetter les yeux i.
Gepetidant, M. Latapy avait pris possession de Villandraut, dont
il se croyait bien réellement le curé. Par malheur pour lui, lorsqu'on
demanda à l'autorité civile supérieure d'approuver cette élection,
on se heurta à une fin de non-recevoir absolue. Villandraut n'était
pas au nombre des paroisses auxquelles la loi accordait un curé.
Pour essayer d'influencer les hautes sphères administratives, la
municipalité écrivit au Directoire du département l'étonnante lettre
que voici :
Nous avons l'honneur de vous annoncer que M. Latapy, élu par
le peuple curé de notre communauté, a eu le bonheur de voir approcher
du tribunal de la Pénitence tous les citoyens des deux seices, sans eipcep-
tion d'un seul, tandis que, sous les cy-devanls curés inconslitutionnels,
les trois quarts de la population ne se confessoient jamais.
Hélas ! cet accès de piété inattendu ne réussit pas à toucher le
cœur des gouvernants : ils continuèrent à refuser à M. Latapy le
titre et surtout le traitement de curé qu'il réclamait. Ce fut désas-
treux pour le malheureux chanoine qui dut se contenter d'une modi-
que pension de 350 livres par an ^. Il est vrai que cette somme venait
s'ajouter à sa pension de retraite, fixée par le département, en
mars 1791, à 1,104 livres 19 sous 9 deniers ^ Mais cela même ne
1. Signé: Faure jeune, J" Mannan aine, Massiot, officiers municipaux; Joffre, pro-
cureur de la commune; Bonnet, maire; Seurin, secrétaire général.
2. Arch. dép. de la Gironde, G 806.
3. Ibid.i O 1026, f» 5.
IIISIOIUE DE TROIS IMuVniKS CONSTITI TION.NEI.S 189
suflisait pas à M. Latapy. Aussi son séjour ;i N'illaïuJraul m- dura
pas longtemps.
Le dernier acte de son ministère sacerdotal, accomj)li dans cdJte
paroisse par M. Latapy, fut pour lui l'occasion de manifester une
fois de plus ses sentiments de bon sans-culotte. Cela se passa après
l'arrestation de Louis XVI à Varennes, et sa suspension par l'Assem-
blée nationale. La nouvelle de ces événements étant arrivée à \'il-
landraut le dimanche matin 26 juin 1791, à la ]»remière heure. |;i
nmuicipalité décida d'en donner connaissance au peu[de pendant
la messe paroissiale. Conformément à cotte dérision, M. Latapy
prit la parole à la fin de l'Evangile. Il lui <1 iilnud les pièces oflicielles
qu'on venait de recevoir; puis, au lieu de s'en tenir là, « il prononça
un discours sur le respect que tous les citoyens doivent aux loys
et à ceux qui sont préposés pour les faire exécuter. Et après avoir
développé avec énergie la nécessité de se réunir pour le maintien du
bon ordre, de la tranquillité et de la conservation des propriétés
publiques et individuelles, il excita tout son auditoire à montrer,
dans cette circonstance critique, le calme et le courage nécessaires à
déployer lorsque la patrie est en péril. — Et puis, comme fonction-
naire public, il renouvela son serment de fidélité à la Nation, en y
ajoutant qu'il préférait victime sur les marches de l'autel, d'où «m
ne l'arracherait que mort, que de ne pas maintenir la Constitution.
Et il finit par exhorter tous les paroissiens à avoir les mêmes senti-
ments que lui, en prononçant, après la messe, le serment (lu'il venait
de faire, et dont il les rendait dépositaires ^. «
Quelque temps après, au mois d'octobre de cette même année
1791, M. Latapy se fit nommer curé constitutionnel de Virelade^;
et il s'empressa d'aller prendre possession de son nouveati poste,
comme en fait foi le curieux acte de baptême que voici :
Ce vingt trois 8^''^ de laii mille sipl cents quatre vingts onze est
né et a été batizé Pierre Tylla([, Tds légitime d'aulre Pierre Tyllaq
et de >tarie Lalande. Il a eu pour parrain monsieur l^ierre Duhns,
boulanger, el Pétronille Despujols. — ■ Cette cérémonie est faite î\
l'époque de la |ipoclamation de l'acte constitutionel dans la parroisse,
et le jour de la réception du curé constitutionel, en présence de .Mf» Mo-
1. D' F. Dubourç, I.c Mourrinritl..., iil suiirn, pp. 7"2-73.
2. Un le remplaça dans la desserle de Villandraut par le curé ronslitutiounel d'I' zeste,
M. l-'ranrois Ramuzal. Fil.s de Franrois et de .^^arie Chevassier, ce prùtre avait été notiiiiié
cliaiioiiie d'Uzeste le il a\ ril 178'.». Au rontordal, il rétracta ses erreurs et se retira à
(Iriguols, son pays natal (Abbé Hrun, Uzeslc el Clément Y, p. Gl), où il mourut le
5 janvier 1818, à l'âge de quatre -\ingt-deux ans et demi, f .Vr.rn/.w/c du -/loccsc de
Bordeaux.)
igo
LES MESSIEURS LAtAPt
(Ici-y Irèri'S, do nuidume Modery la bruc, do Af Bégucy maire, de
M. Matyeu officier municipal, qui ont signé avec nous ainsi que le
parrain.
Latapy, curé •.
A Virelade, M. Latapy fut ce qu'il avait été à Villandraut : poli-
ticien beaucoup plus que pasteur des âmes. Cette façon de vivre
devait fatalement l'acculer aux pires compromissions. De fait,
quand vint la Terreur, il remit ses lettres de prêtrise à la municipa-
lité, renonça au sacerdoce et consomma son apostasie en épousant,
le 12 mars 1794, une « dame Anne Dulou, veuve de sieur Mathieu
Gamarocq » ^, aves laquelle il alla se fixer à Portets.
Un fils, nommé Antonin, naquit de ce mariage.
De même qu'à Virelade, de même qu'à Villandraut, M. Latapy
fit de la politique à Portets. Gela ne lui réussit pas trop mal, au sur-
plus, car il devint maire de sa commune; il obtint même, dans cette
charge, une importance assez grande, pour que, dans la suite,
l'écharpe passât à son fils Antonin^.
M. Latapy, malgré ses avatars, n'avait pas absolument perdu
l'esprit de son premier état. Il ne pouvait oublier que, malgré ses
actes de reniement, il restait prêtre pour l'éternité; et les remords
le tourmentaient à tel point qu'il décida un jour de régulariser sa
situation.
C'était au début de l'an 1808.
Il adressa au souverain pontife une supplique demandant qu'on
le ramenât à la communion laïque et qu'on l'autorisât à garder sa
femme.
Un induit pontifical, daté du 23 juillet 1808, lui accorda cette
double grâce; puis le 8 septembre suivant, M*^"" d'Aviau rendit une
ordonnance commettant le curé de Portets pour donner la bénédic-
tion nuptiale à son malheureux confrère; et la cérémonie religieuse
fut célébrée le 18 janvier 1809 *.
Comme le scandale donné par M. Latapy avait été immense, on
voulut le réparer en donnant à la célébration de son mariage reli-
gieux autant de publicité que possible.
1. Arch. mun. de Virelade. Registres paroissiaux. — Virelade est une commune du
canton de Podensac, arrondissement de Bordeaux.
2. Arch. de l'église Saint-Vincent de Portets. Registres de catholicité. Acte du
18 janvier 1809. • — ■ Portets est une commune du canton de Podensac, arrondissement
de Bordeaux.
3. Renseignements communiqués par M. l'abbé Fourcand, curé de Budos.
4. Arch. de l'église Saint-Vincent de Portets. Registres paroissiaux. Acte du 18 jan-
vier 1809.
HISTOIRE l)K TllOIS PUl'; I HES CONSTITUIK» Ml - |(| |
Elle eut lieu dans l'église paroissiale, en préseiiee d'une foule
considérable, et se distingua des autres cérémonies similaires par ee
fait que M. Latapy y prononça son dernier sonimM.
Le curé de Portets communiqua ci'tff" particularité au clifF du
diocèse dans les termes suivants :
J'ai l'honneur de cerlifiiT à Moii-riiTinui' I \ii-h(rvêr|ut' que j':u
imparti la bénédiction nupliab; (à M. Latapy;; r\ de plii^ qur \r illL
S"" Latapy. dans un discours qu'il a prononcé, a\t'c imm aiil()ri>:it ion,
avant cette sainte cérémonie, a rétracté et condaïuiu'" iiuliliiiurmfnl
ses erreurs et sa conduite pendant la Révolution; (luii 1 ;i Inil de sou
pi'dpi'f iiKiiiN iTiinil , rL ijuil a édifié la iioialtreuse asseml>lée ipii
l'écoutoit •.
M. Latapy vé<'ut cnc(jrc douze ans après suii mariagf. Il niuunil.
le 22 septembre 1821, muni du sacrement de l' extrême-onction, et
fut inliumé dans le cimetière de Portets -,
11 était alors âgé de soixante et onze ans moins deux mois,
(A suivre.) Abbé Albert GAILLARD.
1. Arrli. diocésîtines «le Uoi-dcnux. Fonds iiioderne.
*i. Ardi. de résiliée S^inl-Niiueiit de Portel^. Kesiislres de riiUiolitilé. L'acle de
sépulture de M. Lalap\ lui donne, par eireur, soixaule-douze ans.
HISTOIRE DES RAPPORTS
DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
AVEC
LES INTENDANTS, LE PARLEMENT ET LES JURATS
DE I-OÔ A I79I
(S aile.)
CHAPITRE IJI
1720-17^3
FoftMATIOK d'une OLIGARCHIE DIRIGEA>TE A LA CllAMBRE DE COMMERCE
A partir de 1720, M. de Gourson manque à la Chambre; mais la
prospérité revient au commerce, et les directeurs vont de l'avant.
Les ordonnances de 1716-1717, qui faisaient de Bordeaux le point
de départ du commerce avec les îles et les colonies, étaient, comme
le dit très bien M. Jullian^, « la charte constitutive de notre richesse ».
Il est vrai qu'un arrêt du Conseil du 27 septembre 1720 accordait
pour toujours à la Compagnie des Indes le monopole du négoce
sur la Côte de Guinée^; mais le commerce peut se passer de
faveurs sous un gouvernement pacifique.
De 1720 à 1743, c'est à peine si la paix fut troublée par quelques
brouillons : la guerre d'Espagne attendue n'éclata point, celle de
Pologne fut sans conséquence pour le commerce, celle de la succession
d'Autriche n'avait pas eu, en 1743, le temps de lui porter préju-
dice. Au contraire, l'entente cordiale franco-anglaise le favorisa,
La Chambre de commerce, voyant croître son influence avec celle
du négoce, put élever la voix.
A cette époque, elle dispose déjà de ressources, de représentants,
1. Jullian, op. cil., p. 521.
2. C 4252, 15 mars 1721.
AVEC LES INTENDANTS, LE l'AlU.EMENT ET LES JLRATS 1 98
d'un cérémonial, de prérogatives bien à elle; on lui trouve un
esprit de corps déjà formé.
Si elle ne quitta qu'en 1749 le palais de l'Ombrière, où elle était
l'hôte du Parlement^, elle se vit attribuer, au («airs de l'exer-
cice 1722-1723, deux sommes : l'une de 5,866 livres 5 sols 7 deniers
provenant de droits de sortie indûment perçus pendant une foire,
l'autre de 7,763 livres, reliquat d'une taxe levée pour entrepren-
dre les travaux de balisage à la pointe de la Coubre '-.
En 1719, Billatte, juge, ancien jurât, mais aussi ancien directeur,
était élu député à la place de Fénelon; les officiers municipaux (pif
nous avons vus en 1707, jaloux de leur député, qu'ils gardent pour
eux, sans partage, le dénomment maintenant, et le terme mérite
d'être retenu, « député de la Chambre de commerce à Paris »^, nou-
veauté que semblait sanctionner Boucher, le successeur de de Cour-
son et l'ennemi des jurats, quand, par un oubli peut-être volontaire, il
fut sur le point, en 1726, de ne pas consulter la Jurade sur l'élection
du député *.
La même année, la Chambre délibéra de « se former un cérému-
nial » et de se prescrire des règles qui n'avilissent jamais son hon-
neur ^ Cinq ans après, elle réclame pour ses consuls un privilège
dont s'honoraient les plus nobles compagnies : « l'exemption du
logement des gens de guerre » ^ Cette idée, développée, ne devait
faire fortune que beaucoup plus tard.
Pour ce qui est de l'esprit des directeurs, s'il n'est pas bien original,
encore est-il formé.
La Chambre s'oppose en 1720 à la sujtpression des douanes
intérieures, soucieuse qu'elle est de conserver à la jtrovince ses
privilèges, obtenus des ducs de Guienne et plus larc^l des rois de
France ^. Elle compatit de moins en moins à l'infortune des négo-
ciants malheureux, après avoir paru se vouer à leur défense**;
ses idées ont tellement changé que le député s'étonne ^
Cette arrogance, cet égoïsme, pour tout dire, cet esjuK de eorps
lui sont venus de l'oligarchie naissante dont les intrigues la tra-
vaillent, vers l'année 1720.
1. Malveziii, op. cil., t. IIF, p. 71.
■Z. IJiutails, op. cit., \>. xxii (d'apri-s (.'. lU'.t cl sui\imL>!.
3. Registre des délibérations de la .lurade, '.t janvier 171
4. <; 1626, 18 janvier 1721. Lettre de Uoui lier.
5. C 4252, 20 avril 1726.
6. C 4253, 22 février 1731.
7. C 4252, 11 décembre 1720.
8. C 4-253, 2 mars 1730.
9. C 4307, 23 janvier 1734.
194 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Nous devons nous y arrêter, car cette nouveauté modifia sensi-
blement, sinon dans le fond, du moins dans la forme, les rapports
des directeurs avec l'intendant Boucher, le Parlement, les jurats.
I ^
Vers 1720, sous le rapport de l'activité commerciale, et des
intrigues, c'est la Rousselle qui mène le branle; et c'est Roche,
qui mène la Rousselle ^.
Roche, le fils, a beaucoup d'esprit, ou passe plutôt pour en avoir;
« on n'en a pas bien apprécié l'espèce et tout ce qui y entre ^. » C'est
en somme un aventurier, il avait plus de trente ans quand il a passé
de la profession d'avocat à celle de négociant. 11 n'a jamais fait
le commerce que très petitement, et sans succès; sa fortune est des
plus minces, son crédit de négociant encore moindre, son esprit
enfante plus de difficultés que d'expédients ^.
Mais là où il est redoutable, c'est quand il se rend à une assemblée,
entouré de ses seconds, et de Pérès son beau-frère^; ses alliés sont
tous les marchands en boutiques; l'un est fils d'un marchand de
dentelles, il ne sortit jamais de la boutique de son père, l'autre
entend bien un peu la chicane : quelque Meyère, quelque Roma ^
D'ailleurs, il a aussi Menoire et Barbeguière, qui est de la rue
des Bahutiers ^ Menoire fut exclu de la Jurade, vers 1740, pour
avoir signé un mémoire compromettant; ses amis soutinrent en
vain que le coupable était son frère : c'est l'homme le plus hardi
et le plus entreprenant dès qu'il s'agit de parler comme chef. Par-
fois, il est badin, distribue les brocards, et vous accommode de
la belle manière. Voilà pourquoi le sieur Le Gris et une infinité
d'autres encore lui ont dit son fait '.
Barbeguière, natif de Bazas ^, « prend ses arrangements pour
s'assurer des nominations » *. C'est vraiment un esprit des plus
bornés qui puissent être, mais il s'entend dans les raffineries : il n'y
a pas longtemps qu'il portait le tablier i".
1. G 1611.
2. Id., 12 mai 1750. Lettre de Tourny.
3. Id., ibid.
4. C 1624.
5. C 1624, 5 mai 1732.
6. C 1611.
7. C 1620. Mémoire de Lamothe (1750?).
8. C 1624.
9. Id,
10. C 1624, 6 may 1752. Lettre de Tourny.
AVEC LES INTEJiOAMS, LE l'AHLEMEM El LES JLRATS IQO
A ceux-là Roche, adjoint de Kater, un autre beau-frère, r| le
gendre de Barbeguière, et presque tous les Dubergier * : GlénuMit
Ihibergier, Raymond, son frère, Antoine, son cousiii; Alexis, le fils
de Clément, et Pierre Dubergier, et un second Raymond, <l un
troisième Raymond, fds d'Antoine ^.
Voilà les instruments de la politique de Roche et de la Rousselle;
et parce que Roche est le protecteur des Juifs ^, courtiers volants,
la Chambre de ((immerce poursuit les courtiers royaux.
Il est si fort qu'il veut s'y fixer pour toujours comme secrétaire
perpétuel de la Chambre avec voix délibérative et des apj)oinle-
ments considérables*; qu'il pousse Pérès, son beau-frère, à la jtlace
de député ^.
Mais ne se fait-il pas quelque illusion sur les hommes de la r/7e?
C'est qu'en effet ils sont et se considèrent à part. Ce ne sont plus
dos marchands en boutiques, mais des négociants en gros, et leurs
hôtels somptueux rivalisent avec ceux des parlementaires; leur
centre est au plus vieux Bordeaux, dans le carré central*. 11>
s'appellent Brunaud, Billatte, Pierre Dubergier, Alexis Dubergier,
Foucjues, Gastaing, Saige, correspondant de la Compagnie des
Indes ".
Voilà les vrais Bordelais^, et ce qui les a distingués entre tous,
c'est qu'ils ont eu l'occasion de témoigner maintes fois de leur
civisme; ils ont été, ils sont jurats.
La seule famille des Dubergier exerça par huit fois cette charge
de 1715 à 1726; Billatte sept fois; les Brunaud, dou/.e fois: Castaing,
à lui seul, quatre fois; tandis que les Roche de lu Housselle, l'exer-
cèrent deux fois à peine, et Menoire, une seule, eoiniiif Barbe-
guière ^
Au temps où nous sommes, ceux-ci régnaient à la Chamlire,
par eux-mêmes ou par les inconnus qu'ils y poussaient. C<mi\-I.i
dont l'anoblissement datait de leur passage à la Jurade '" eu n-jm'-
sentaient mieux l'esprit,
Ouant au Parlement, s'il dut avoir quelque attention pour les
1. <. 1611.
2. Labraque-lîordcnavc, vp. cil., \>. 'J.
3. C 1620.
4. C 1611.
5. C 1624, 2 inay 1752. Leltre de Touniy
6. C 1611. j
7. C 3684.
S. Joinville, op. cit., p. IG2.
'.». Ln Vachi r de Hoisvillc, op. cit., pa-^sim
lu. Coiiiinuiiuy, op. cil., p. 51 sqq.
106 KAi'POhTS DE La CliAMBilE DE COMMERCE DE BORDEAUX
uns ou pour les autres, ce fut plutôt pour les directeurs citoyens,
comme on appelait les anciens jurats; Billatte comptait le premier
président parmi ses protecteurs ^.
L'existence d'un parti commercial de la cité, distinct de celui de la
Rousselle, se révèle dans les élections de députés; y prenaient part :
les jurats qui opinaient les premiers, les juges et consuls, les anciens
membres de la juridiction consulaire parmi lesquels figuraient, sans
distinction spéciale, les directeurs, enfin les plus notables des com-
merçants 2. Plus que les noms des élus, gens de la cité le plus souvent
(Billatte en 1719; Brunaud, Brisson, Lée, en 1726; Brunaud, Carton,
Larcebaut, en 1732; Gastaing, Brunaud, Roche enfin, qui en est
venu à diriger la Chambre en 1750^), les votes méritent de nous
intéresser: ils nous ont été conservés pour deux années, 1726^ et
1732 ^ Nous y voyons que les jurats soutiennent plutôt les candidats
de la cité, un Castaing, un Brunaud par exemple.
Les plus influents sont encore les Dubergier : la présence de cette
famille à la Chambre a une réelle signification. Les rapports que les
directeurs entretinrent avec les autorités durent s'en ressentir
parfois. Les Dubergier étaient jurats, juges, consuls, membres de la
Chambre, voire député du commerce, et quand ils étaient nobles,
conseillers au Parlement®; ils armaient des navires en course, et
leur donnaient le nom de la femme de l'intendant'; ils devaient
quelquefois se disputer les places parce qu'eux-mêmes y mettaient
de l'encombrement^, mais leurs sept voix le plus souvent se réuni-
rent ^; ayant des attaches dans tous les commerces, des intelligences
dans tous les quartiers, ils disposaient d'influences multiples, dont
ils usaient à bon escient, pour faire pencher la balance de leur côté.
Antoine Dubergier, lui, est de la Rousselle; Clément et Raymond
le fils habitent au pont Saint- Jean. Raymond le père habite sur
les fossés de ville; et Pierre et Alexis Dubergier, dans les hôtels de
la rue Neuve ^^. Aux quatre coins de la ville, on les connaît.
Aux élections de 1732, leurs partisans se comptèrent, et l'on vit
les marchands en boutiques de la Rousselle, comme Roche ou
1. C 1624, 10 juin 1759.
2. Délibérations de la Jurade, 9 janvier 1719.
3. C 1611.
4. Délibérations de la Jurade, 21 mai 1726
5. Id., 15 mai 1732.
6. Registre du Parlement, 21 août 1737. t
7. Archives du Bureau du commerce, 26 avrn 1747.
8. C 1624.
9. C 1624. Réponse de la Chambre au questionnaire de Tourny, 3 juin 176!
10. C 1611.
AVEC I.ES INTE:»JDANTS, I.E l'Vni.EMENT ET LES .irH\TS I f)7
Mi^ytM'p, les Bruriiiiul et Ifs Billatte de la cité, et jusqu'aux grands
négof'iaiits des Cliaitrons, comme de Kater, favoriser ]>•> l)\d)ergier '.
C'est un peu tôt j)eut-être pour parler des Chartrons, qui nais-
saient à ce moment sous les auspices du granrl f(»minerce. Mais
ce nouveau faubourg du nord servait déjà de refuge aux négociants
•itrangers et aux marchandises étrangères, f[u"au ikhii des antiques
privilèges de la ville les jurats ne voulaient pas admettre dans les
murs. Le parti des Chartrons avec, à sa tête, de Kater, Lafore,
Barreyre 2, se constitua peut-être à la faveur du conflit de 1710'.
qui mit aux prises, pour des années, les partisans de la vente
à Bordeaux des vins du haut pays et les défenseurs acharnés des
privilèges. Les négociants chartronnais, partisans d'un régime de
liberté, trouvèrent des sympathies dans la cité : Beaujon, Vignes,
Treilhet*, d'autres encore vinrent grossir ce parti, en butte dès lors
aux persécutions des jurats, du Parlement, de la Rousselle ^, l'an-
tique faubourg du sud. Malgré l'aijjtui déclaré de l'intendant, ]>•
grand commerce n'eut pas toujours le dessus.
De bonne heure, le président de la Chambre dut se préoccuper
de ces intrigues, qui allaient toujours se multipliant, entre les juges,
les consuls, les directeurs. Il déplore les tendances oligarchiques
de la juridiction consulaire et de la Chambre : « Les brigues qui se
font depuis quelques années, parmi les marchands, pour parvenir
à la Jurade, au Consulat, et à être nommés directeurs de la Chambre
de commerce, en éloignent les bons sujets. Les jeunes négociants
dépensent des sommes considérables pour acheter les suffrages
et détenir la préférence sur leurs anciens*. »
Et une autre fois :
« Ouoy que le commerce de Bordeaux soit aussi considérable que
celuy d'aucune ville qu'il y ait en Franee, et ([u'il se fasse par des
négociants, parmi lesquels il y en a un grand nondire d'aussi dis-
tingués par leurs lumières que par leur probité, je vois avec une
vraie peine que la Chambre de commerce de cette ville ne se sent
point de leur réputation et passe pour une des moins fortes i\n
royaume '. »
1. Registre des délibérations de la Jurade, 15 mai 173-2.
2. C 1611.
3. C 3660, 1740.
4. Marion, op. cit., p. 277.
5. C 1624, C 1611, C 1624, passim. Cf. Labraque-Bordenavp. tn Les D,épulés du
commerce.
6. C 1624, 21 mars 1732.
7. C 4314, 1" may 1752. Lettre de Tourny
198 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Il faudrait que le haut négoce la régénérât, mais les principaux
négociants, écartés à maintes reprises ^, refusent maintenant d'être
directeurs 2 : c'est un malheur pour le commerce bordelais, l'in-
tendant finit par avoir de lui cette opinion; comme il «consiste
en vin, les propriétaires sont forcés de faire la cour aux marchands
pour avoir le débit de leurs denrées, ce qui leur persuade qu'ils
sont presque indépendants, en sorte qu'ils se soumettent avec
peine à toute sorte d'authorité, sans laquelle il ne serait pourtant
pas aysé de les conduire » ^
Le président de la Chambre, mal disposé pour elle, ne cesse d'in-
tervenir dans son administration.
Mais ces coups d'autorité, que les brigues expliquent, n'aboutis-
sent qu'à mettre la Chambre en défiance.
Il est pénible de voir combien de fois l'intendant a dû intervenir
dans les élections, préparant les unes, cassant les autres, essayant de
faire arriver les candidats officiels qu'il a eu le dépit de voir ensuite
échouer *.
Vraiment ces jeux d'influences secrètes ne nous intéressent
guère, et d'ailleurs un érudit consciencieux en a écrit tout au long
l'histoire ^ Sachons que l'intendant a contesté l'élection de Roma
en 1723 «, de Castaing le fils en 1729", de Pérès en 1752», de Bar-
reyre en 1753 *, de Barbeguière en 1755, etc.
Que ce soit Boucher ou Tourny, peu importe: c'est la Chambre
de commerce qui est seule en cause ici; tout autre intendant moins
zélé aurait agi de même, car l'attitude de certains intrigants tour-
nait au scandale, et l'initiative des mesures prises contre eux appar-
tint souvent au Pouvoir.
Dès l'année 1721, La Vrillière envoyait un arrêt à l'intendant pour
lui permettre d'intervenir, à l'occasion, dans l'élection des jurats et
des consuls i"; en 1726, Dodun, cette fois, se permettait de révoquer
en doute les allégations de la Chambre de commerce, bien que
transmises et appuyées par l'intendant ^i. Plus tard Orry ne montrait
1. C 4314, 1" may 1752. Lettre de Tourny.
2. C 1611, 22 mars 1750.
3. C 1626, 22 mars 1726. Lettre de Boucher.
4. C 1624, 2 may 1752. Lettre de Tourny.
5. Labraque-Bordenave, op. cit., passim.
6. C 1624, 7 may 1723. Lettre de Boucher.
7. C 1611, 4, 6 may 1729.
8. C 1624, 2 may 1752. Lettre de Tourny.
9. C 4315, 15 may 1752. Lettre de Tourny.
10. C 1624, 20 novembre 1721. Lettre à La Vrillière.
11. C 1626, 30 avril 1726. Lettre de Dodun.
AVEC LES INTENDANTS, LE l'ARLEMENT ET I.ES JURATS I r)g
pas inoias do (lt''cisi()ii, <|uaml, i-u 1732, à propos des élections à la
Juridiction consulaire, il niarcjuail ;i Houclicr les inlrnfions très
nettes du roi ^ Et enfin, Trudaine rapp«'lait à Touriiy en 17^0 tous
les droits de l'intendant sur la Chambre, et v<>ul;iil >;ivuir >"\\ les
exerçait effectivement ^.
Vigoureux à l'occasion, le gouvernement absolu de Loui< XV
ne persévérait pas longtemps dans sa fermeté : il s'énervait vile
et son mot d'ordre semblait être : « pas de règlements généraux »^
(|ui pouvait tout remettre en question, «pas d'affaires»*. N'y en
avait-il pas bien assez ?
La j)olitique des intendants est plus sûre et plus suivie; en 1725
le mode d'élection du député du Commerce fut modifié; l'intendant
fit conférer au gouvernement le droit de choisir entre trois candidats
élus, « afin de ne pas laisser les électeurs entièrement les maîtres de
cette nomination »^ Le ministre appuya Boucher en 1732 quand,
dénonçant les abus (non-admission des naturalisés à la Chambre
de commerce, élection exclusive des anciens juges et consuls, refus
de faire appel aux marchands en gros, influence prépondérante de
certaines familles), il proposa un règlement nouveau^.
Ce règlement parut sous la forme d'un arrêt, obligeant les direc-
teurs à élire chaque année deux négociants ou marchands en grosi
le troisième pouvant être marchand en gros, en détail ou naturalisé,
et ce, quoiqu'ils n'aient été ni juges ni consuls '.
Tourny envoya un projet d'arrêt en 1752^ pour que la juridic-
tion consulaire de Bordeaux fût composée de cinq marciiands, un
juge et quatre consuls; cette réforme fut approuvée par la décla-
ration royale du 7 avril 1754 ^, adoptée et appliquée.
On peut croire que ces mesures très sages eurent au m()in> i[url-
ques-ims des bons effets qu'on attendait; néanmoins elles n'abou-
tirent que très tard, vers le milieu du siècle, à briser l'oligarchie.
Entre 1720 et 1743, se démêlant péniblement au travers des intri-
gues, l'histoire de la Chambre perd sa hellr unité. Li-s partis s'y
succèdent; la politique change avec les partis; car chacun n'entre-
1. C 1624, 24 avril 1732. Lettre d'Orry.
2. C 1611, 28 février 1750. Lettre de Trudaine.
3. C 1611, 10 juin 1729.
4. C 1624, 3 juin 17Î9. Lettre du Contrôleur général
5. C 1626, 18 janvier 1726.
6. C 1624, 21 mars 1732. Lettre de Boucher.
7. C 1624, 24 aoilt 1732.
8. C 1624, 4 avril 1752.
9. C 1624, 10 juin 1754.
200 RAPPORTS DE LA CHAMimE DE COMMERCE DE BORDEAUX
lient pas les mêmes relations avec les jurats, le Parlement, les
intendants. Les jurats ^ sont recrutés le plus souvent parmi les négo-
ciants de la cité ; à l'égard des Chartrons, ils partagent leur défiance;
aussi bien l'administration municipale n'est pas troublée moins que
la Chambre par l'esprit de parti : et nous avons la preuve qu'ici et
là ces intrigues s'accordèrent-. «Leur parti [celui des jurats],
écrivait Tourny en 1752, a influé dans cette élection [à la Chambre
de commerce] ; beaucoup de négociants veulent devenir jurats,
et ils sentent que vu le temps qui court, ils ont plus besoin de ceux
qui le sont que de moy [à cause du comte de Saint-Florentin qui
les protège] ^. »
Le Parlement, assemblée de grands propriétaires, prend à tâche
de ne pas rebuter les négociants : le soin qu'il prend de ses intérêts
lui tient lieu de politique commerciale; comme les jurats, il est
d'ailleurs plutôt porté vers les vieilles familles bordelaises, ses voi-
sines dans l'ancienne cité. Enfin, les intendants sont en relations
suivies avec le grand négoce et se défient de la Rousselle, où des
esprits indépendants leur donnent du souci. Et la Chambre s'agite,
sans savoir qui la mène.
II
Vers 1720, les rapports de la Chambre et des jurats sont empreints
de la cordialité la plus franche, et ces liens d'une amitié intime ten-
dent à se resserrer encore. Il est vrai que Fonfrède, Fouques, Gra-
teloup, François Billatte siègent à la Jurade, et que, soit par eux-
mêmes, comme Fouques et Grateloup*, soit par leurs parents, comme
Billatte, député du commerce, ils trouvent du crédit auprès des
directeurs. C'est l'heure où l'on se confie de l'un à l'autre les inquié-
tudes : il s'agit d'une foire à remettre à cause d'une épidémie,
on s'accorde à demander la franchise des marchandises venant de
pays non suspects, pendant la quinzaine qu'aurait duré la foire ^,
et on l'emporte à deux. C'est l'heure où chacun proteste de ses
bonnes intentions à l'égard de l'autre : les jurats assurent la Cham-
bre « que dans toutes les occasions, où il s'agira du bien et de l'avan-
1. II ne s'agit que des jurats négociants.
2. C 1624, 21 mars 1722.
3. C 1624, 2 may 1752.
4. Dast Le Vacher de Boisville, op. cil., passim.
5. C 4252, 11 et 31 décembre 1721.
AVEC LES INTENDANTS. I.E l'AlU.EMF.NT ET LES JURAT^ aOf
tago rhi cummoire, ils fi-idiil tnujcturs avec plaisir loiil n- (|iii
(|(''|MMiiira d'eux dès le moment qu'ils en seront re(|uis » '.
A partir de 1725, M. Hibail, autrefois directeur, présenttîment
jurât, est chargé par la Jurade des missions auprès de la Chambre *:
à partir de 1728, ayant été élu de nouveau directeur, il comuuiniquo
à ses anciens collègues, les jurats, les avis de la C.hamhnr'. I']n 1730,
Castaing (Michel) est en même temps jurât et direct fiir, ce (jui est
bien mieux encore *.
Entre temps, une querelle, cunune il en éclate même entre, btms
amis, faillit troubler ces excellents rapports. Billatte, le député,
avait achevé sa carrière. Les jurats, dont aucun, j'imagine, n'était
à cette époque ni directeur, ni ancien directeur *, oublièrent tout
simplement de s'entendre avec la Chambre à propos d'un règle-
ment sur les vergeurs ^ La Chambre reçut les plaintes des négociants ;
elle avait à les satisfaire. Ils réclamaient contre certaines innova-
tions sanctionnées par les jurats ; les vergeurs prétendaient ne plus
travailler qu'à tour de rôle et faire à cet effet une bourse commune,
«^)ar là se perpétuer dans une paresse et une ignorance égallement
pernicieuse et déplorable » ". La Chambre décida de s'opposer à
l'exécution de l'ordonnance, ce qui était grave; et les jurats qui
l'avaient rédigée, se décidèrent à la faire respecter. Le Parlement
se prononça contre elle ^, l'intendant en sa faveur*. Les vergeurs
s'impatientaient, ils exigeaient double salaire; la Chambre s'indi-
gna : ils oubliaient, ces mercenaires, que, vivant du commerce, ils
devaient le servir i". Le plus court était de s'entendre avec la Jurade
pour réprimer cet attentat^'. Il est possible qu'elle se souciât assez
peu elle-même de défendre des révoltés. Elle eut l'impression de
s'être trop avancée, et soumit le règlement à l'examea du commerce,
témoignant ainsi de son désir d'entente. Avant tout, les directeurs
décidèrent de « garder toutes les mesures qu'exigeaient la bien-
séance et la déférence due aux jurats», mesures dont la ('.liaiiil»rc
n'entendait jamais se départir^-. Après cela, M. Ribail, l'ancien
1. C 4252, 1" juin 1724.
2. C 4252, 13 décembre 1725.
3. C 4253, 9 fiérenibre 1728, 25 août, 1" .seplerabrft. 22 décembre 1720
4. C 4253, 23 mars 1730.
5. Le Vacher de Boisville, op. cit., paxsint.
C. C 4269.
7. C 4253, 9 septembre 1728.
Id.
9. C 4253, 1" septembre 1729
10. Id., 9 décembre 1728.
11. Id., id.
12. C 4253, 3 janvier 1729.
202 RAPPORTS PE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
jurât, et le sous-maire de Ségur discutèrent, à Paris. Les vergeurs
se pourvoyaient au Conseil. Il fallait se hâter. Mais M. de Ségur
ne se prêtait à aucun « ajustement » ^ M. Ribail, de retour à Bor-
deaux, est mandé à l'hôtel de ville. La Chambre décide qu'il «pourra
convenir au nom de la Chambre, aux articles dont il a convenu avec
M. de Ségur, et ce, seulement, par esprit de paix »; Ribail a peur
que trop de responsabilité ne lui incombe, on lui adjoint M. Saincric
comme second -. Les choses traînent. Heureusement, les vergeurs
commettent l'inévitable faute : ils se compromettent par une pré-
tention de plus ^. Trop heureux, les jurats les abandonnèrent;
et la paix se fit sur la double élection à la Chambre et à la Jurade
de Michel Castaing, qui, l'année précédente, avait eu à se plaindre
de l'intendant. Dès lors, les officiers municipaux ne songèrent plus
à ménager leurs anciens protégés, les vergeurs : c'étaient des mutins
et des imposteurs *. L'alliance entre la Chambre et la Jurade était
scellée à nouveau.
Elles combattirent ensemble l'imposition des trois sous pour livre
établis sur les droits d'entrée et de sortie ^ La Jurade fait des démar-
ches; la Chambre reprend jxiur son compte les démarches des
jurats.
C'était trop beau; sur une question de rabattage des sucres''
dans les rues, les jurats firent les mystérieux : ils avaient des raisons,
dirent-ils, pour ne pas faire connaître leurs intentions '. Un peu
plus tard, ils demandaient sournoisement d'être dispensés d'entre-
tenir un député du commerce. C'était faire pièce à la Chambre^;
pourtant l'accord se maintenait à propos de l'imposition demandée
pour les travaux exécutés sur la Dordogne ^, à propos du « délestage »
et même des courtiers. Sur cette question, les jurats évitèrent
encore de se brouiller avec la Chajnbre. Ils n'avaient pas attendu
l'avis des directeurs pour faire droit au réquisitoire du procureur
général, portant « comme autrefois inhibition et deffense à toute
manière de gens de faire sur le port et havre de la présente ville,
la fonction de prétendu courtier ou entremeteur des marchés des
1. C 4-253, 1" septembre 1729.
2. Id., 9 mars 1730.
3. Id., 23 mars 1730.
4. Lettre de Jurade, 5 janvier 1732.
5. C 4253, 12, 19 janvier 1730.
6. Jd., 5 avril 1731.
7. Id., 12 avril 1731.
8. Lettre de Jurade, 9 février 1732
9. C 4253, 14 mai 1733.
AVKC LES INTENDANTS, I.E l'ARI.F.M i:>T 1.1 I.KS .1 1 H M S ao3
vins » 1. La Chambre ayant ensuite combatt\i i •■ it-}:;|('nieril , l<s
jurais appelèrent devant eux les parties pour les ui»*ttre irafeonl -'.
licvi-nant sur it'ur ]»remière décision, ils iiuliinMi-nl (l.iii-; liiir st-u-
Irucf d'arbitrage en faveur fie la riiambre, cunt'ini»' des courtiers
loyaux: «Les choses doivent rester dans le même état, conclurent-ils,
le bien et l'avantage du commerce résistent égalfinent aux ]»rétfii-
tions des courtiers royaux \ »
L'entente durait encore à la fin de 1738, à moins que l'rm ne
veuille voir comme une première escarmouche dans cette anecdote
que nous content les jurats.
C'était le 22 décembre 1738, en plein hiver, et peul-cLre le lenijts
t'tait-il mauvais; deux directeurs avaient été députés par la Chambre
;'i r Hôtel de Ville; ils voulurent entrer au corps de garde dans leur
chaise à porteurs : « 11 leur fust dit par l'officier de garde ipiiU
n'étaient pas dans ce droit, ni dans cet usage, ce qui les obligea
de rétrograder et de se faire porter à la petite porte de l'Hôtel de
Ville, qui est dans la rue du collège de Guienne, où ayant rencontré
M. de Moluin, jurât, et M. de Moluin en ayant fait le raport à
MM. les Jurats qui étaient dans la chambre du Conseil, il fut chargé
et prié d'alh^r à ladite petite por^ où les sieurs de la Chambre
du Commerce attendaient, et leur dire de la part de Messieurs les
Jurats qu'ils n'étaient point dans ce droit, ny dans cet usage,
à quoy s' étant conformés, rentrèrent dans leur chaise, se firent
porter à la grande porte de l'Hôtel de Ville, où ils sortirent de leurs
chaises qui restèrent dans la rue *. »
Si l'on en croit les documents, l'aventure fut sans portée : la
Chambre ne dut pas bouder longtemps; la stsceptibilité ombra-
geuse des jurats était trop connue pour qu'elle ])ût inquiéter per-
sonne. Bref, le calme devait être parfait quand l'orage éclata, au
grand étonnement de tout le monde. On se battit à propos d'un
arrêt du Parlement de septembre 1738; dans l'arrêt était inséré
un article du vieux statut défendant à tout négociant de Bor-
deau.-c d'acheter du vin du liaut pays: en 1710, plus de quatre-vingts
des meilleurs négociants signèrent un mémoire contre cette dispo-
sition de l'arrêta Les jurats, l'esprit hanté par leurs vieux ]>rivi-
lègcs, firent cause coniinuiie avec le Parlement; pendaul plus de
1. Délibération de Jurnclf, 27 févri'-r 1737
•2. C 4-254, 2 janvier 173S.
3. Délibération île Juraile, 4 janvier HS-^.
4. Délibération de Jurade, 'Z'I décembre 173S.
5. C 3660. Lettre de Tourny.
ao4 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BC^RDEAUX
onze ans, ils allaient systématiquement écarter de l'Hôtel de Ville
tous les signataires du mémoire, et ceux-ci, par représailles, allaient
tâcher de détruire à la Chambre l'influence des jurats. Entre les
deux corps, ce fut à qui subordonnerait l'autre. On n'évita plus
les occasions de froissement, on les rechercha même, on les fit
naître comme à plaisir. Les jurats ayant marqué leur défiance à
l'égard des négociants, ceux-ci restent sur le qui- vive.
A propos de la présence obligatoire des matelots sur leur navire,
les jurats demandent les observations de la Chambre par écrit.
La Chambre, affirment les directeurs, « ne répond par écrit pour ce
qui concerne le commerce, qu'à des ministres » ^ Inutile de dire à
quel point les jurats sont mortifiés 2; les démarches de la Chambre
auprès d'eux n'auront plus chance d'aboutir.
En réponse à l'obstination des jurats, qui ne veulent toujours pas
des négociants marqués à l'encre rouge, la juridiction consulaire
élit Menoire, un de ceux-là, juge en 1744; la Chambre le porte à
la direction du commerce en 1745.
La paix devient impossible : « La Chambre, disent les jurats,
en 1745, était bien la maîtresse de faire les observations qu'elle
jugerait à propos au Conseil, .d'autant qu'elles leur paraissaient
^ très justes, mais ils ne pouvaient pas aller contre leurs ordonnances^.»
Les négociants en vin voudraient quelque relâche dans l'exécu-
tion de règlements trop rigoureux, la Chambre est de leur avis;
mais les jurats : « La demande des négociants était des plus déplacée...
ils ne pourraient avoir égard à ladite demande ^. »
Une autre fois, il s'agit d'une ordonnance des officiers munici-
paux sur le dragage des ancres; ils ont omis de consulter la Chambre.
Elle en a « mal au cœur » •^; un autre jour, ce sont les minots ^, et
l'envie de se battre est si forte, qu'elle vient à bout des meilleurs
arguments; la Chambre se divise et Ollé, Pérès-Duvivier, Barreyre,
trouvent très bon l'avis des jurats' interdisant aux «fabricants
de minots » de Nérac de vendre aux boulangers de notre ville ^ Ces
divisions, qui afTaiblissent la Chambre, annoncent ses prochaines
défaites.
1. C 4254, 1" décembre 1741.
2. Id., 5 décembre 1741.
3. C 4254, 3 juin 1745.
4. C 4255, 10 juillet 1749
5. C 4254, 9 mars 1752
6. Id., 29 avril 1754.
7. Id., id.
8. Id., 25 avril 1754.
AVEC LES IMEKDANTS, I.E PAHI.EMEM ET ILS .lUBATS 7O0
Le jour viciil où, définitivement victorieuse, la .fur;i<l<' rt-fait
iliaque année la Chambre à son imaf^c, jtar le scandidats i|ir<lle y
lait arriver. L'iulciidaut. (It-iKince a^s menées : « La Jurade ititlui-
beaucoup trop depuis quelques années sui- \r ilioix: des sujets qui la
composent [la Chambre'; elle ne s'embarrasse guère d'y en inl in-
duire de bons, pourvu (jue ceux qu'elle y introduit soient uliles à
ses vues ^ )^
L'ayant bien absorbée en elle, la Jurade permit à la Chambre dt;
roiinuler des vœux et sollicita en sa faveur, le protecteur avoué
des jurats bordelais: Saint- Florentin 2-3-*. A ce moment, ceu\-ei
pouvaient croire avoir associé les directeurs à leurs destinées.
(A suivre.) M. LHLRiriER
]. C; 3281, G novembre 1754.
± C 1624, 2 mai 17^2.
3. C 4255, 30 muy 1753.
4. C 2381, t> novembre 1754.
MÉLANGES
A propos d'un portrait de Victor Louis.
J'ai signalé dans le dernier numéro de la Revue un document qui
révèle l'existence d'un portrait de Victor Louis destiné à la maison
Gobineau et qui était resté la propriété de Gabriel Durand, l'appa-
reilleur de Louis. J'avais supposé que ce portrait pouvait être celui
que les héritiers de Charles Durand donnèrent à la Ville et qui se
trouve aujourd'hui dans le bureau du chef de cabinet de M. le Maire
de Bordeaux. M. Meaudre de Lapouyade, qui a examiné de près
cette toile, estime qu'elle n'est qu'une copie réduite du portrait
appartenant à M. de Corny et que Marionneau a reproduit en tête
de son livre. Il y a donc lieu de croire que ce dernier est le portrait
même destiné à la maison Gobineau et offert sans doute à Louis
par Gabriel Durand. Je remercie M. Meaudre de Lapouyade, dont
la compétence artistique a résolu ce petit problème. p q
Un notaire qui n'aime pas les tyrans.
Si la Révolution fit tomber bien des têtes, elle en tourna encore
plus. Il semble cependant que de tous les humains, les notaires,
gens calmes, réfléchis et pratiques, auraient dû échapper à la con-
tagion. Eh bien ! il n'en fut rien, et chez eux comme ailleurs on
trouve des esprits méchamment utopiques. Voici par exemple la
proposition que le citoyen Rivière, notaire, fit aux représentants du
peuple en séance à Bordeaux au début de la Terreur :
Citoyens ReprésenLans,
Je viens de lire sur un papier public qu'un citoyen offrait 50 livres
par année, pour les frais de la guerre jusqu'à ce que George, roy
d'Angleterre, fut tué.
Je suis père de trois enfans, mary d'une jeune épouze que je crois
enceinte, fils d'une mère pauvre et infirme, assez médiocrement for-
tuné, pour ne pas dire pauvre, moi-même. Je suis notaire, c'est mon
seul état, ma seule ressource, c'est aesoz dh'e que bientôt je n'en auré
aucun. N'importe, j'ai des bras vigoureux, je suis élevé depuis nu^
plus tendre enfance dans le sein d'un» famille honnête et extrêmement
MELANGES 307
hiliniicusc. Je va me doniR-r à une occupation i|iii puisse iournir du
pain à mes enlans trop jeunes cncure pour le ^'au'ncr cux-mémi'S.
Je prens dès ce moment ren^'a},'L'mfnt lorinrl de payt-r eiinpiante
livres ]>our chaque tête de roy et i»rfmii;r minislrt; (jui londu-runl.
L'homme libre, oui, l'homme libre, qui aura eu le couraj,'!* de pMrj,a'r
la Itrre de ces monstres, recevra de nioy cette somme sansaucundélay.
J'alïecte dès ce moment lo prn de Idens (jue je possède; et si mes
besoins me pressoit de le vendre, quinze cents livres resteront dans
les mains de mon acquéreur pour faire fonds h cette dette que je
regarde comme sacrée.
Kn diminuant de cette somme la fortune de mes enfants, ils seront
dedomagés par le bonheur d'être libre et de pouvoir se dire les enfants
d'un )ière (}ui aura contribué h leur [trocurer des frères liiires comme
eux, dans les peuples qui gémissent encore sous la Ncrge des tiran--.
Sailli cl fratendté
Le vray sans-culotte Montagnard
lliviÈui;.
Bordeaux Hue des Carmélites n" 7.
Le sextidi du l'^'' decady de frimaire
L'an 1793 deuxième de la Rep. une et indix i>iiile.
P. S. Je paye également la somme promise sur le mandat de celuy
qui l'aura gagné en quelqu'endroit qu'il soit.
Je vous réitère l'ofTre d'<>m[doyer tous mes mcnciis au >oulieu et
au service de la Répuldiijue. Sous verres si je sais la servir et tenir
ma parolle.
RlNlÈHE '.
En marge de la pièce on lit, de la main du représentant du peuple
Ysabeau :
« Répoudre pour le féliciter. »
Ce notaire était-il un roublard qui cherchait à sauver sa tête ou
un sincère détraqué? Qui peut le dire?
Roger Brouillard,
1, Arcli. diij., L 963.
CHRONIQUE
M. Marion professeur au Collège de France. — Par décret prési-
dentiel en date du 7 mai dernier, notre éminent collaborateur M. Marcel
Marion, professeur d'histoire à la Faculté des Lettres, a été nommé profes-
seur au Collège de France (étude et enseignement des faits économiques et
sociaux). Nous le prions d'agréer nos plu* chaleureuses félicitations. Parmi
les nombreux titres qui ont désigné M. Marion à la chaire qu'il va occuper,
l'histoire de Bordeaux a le droit de réclamer sa place. C'est de nos archives
départementales, patiemment fouillées et dépouillées, que l'auteur de La
vente des biens nationaux pendant la Révolution et des Impôts directs sous l'an-
cien régime a tiré une bonne part des documents qui étayent si solidement
ses magistrales études. L'un de ses premiers travaux fut consacré à la famine
de 17^8 en Guienne; un autre — très remarquable — a pour objet l'impôt
sur le revenu en Guienne au xvni' siècle; un autre encore l'état des classes
rurales à la même époque dans la généralité de Bordeaux. Président du
Comité départemental chargé de la publication des documents sur l'histoire
économique de la Révolution, M. Marion a donné, en collaboration avec
MM. Benzacar et Caudrillier, le premier volume des Documents relatifs à la
vente des biens nationaux dans la Gironde. Il nous plaît de penser que ces
recherches d'histoire locale, conduites avec une admirable probité scienti-
fique, ont contribué à imposer son nom au choix du Collège de France et
de l'Institut.
Le bicentenaire de l'Académie de Bordeaux. — L'Académie de
Bordeaux, créée par lettres patentes du 5 septembre 1712, a décidé de
commémorer cette année le bicentenaire de sa fondation. Elle organise à
cette occasion des fêtes qui auront lieu le 1 1 et le 12 novembre prochain et
auxquelles seront conviés l'Institut de France, la Société royale de Londres,
les Académies étrangères, les Académies provinciales, les Sociétés savantes
de Bordeaux et du Sud-Ouest. L'Académie des Sciences y sera représentée
par son secrétaire perpétuel, M. G. IJarboux; l'Académie Française par
M. Marcel Prévost; l'Académie des Inscriptions par MM. Marcel Dieulafoy,
Camille JuUian et Edouard Cuq; PAcadémie des Beaux-Arts par M. Pascal.
Pour l'histoire religieuse de Bordeaux. — Sous le titre : Documenta
quœdani Clarissaram hisloriam generalem et speciatim monasterii 0. S. Claric
Bardigalensis illustrantia fs^cc. XIII-XVIJ, le P. Ferdinand Delorme a publié
dans VArchivum franciscanum historicum, ann.\, 1913, pp. 4i-5i, 32i-35i, des
pages dont l'intérêt mérite d'être signalé. La transcription de certains de
ces documents avait,;» vrai dire, été déjà donnée dans \es Archives historiques
de la Gironde; mais le commentaire qui accompagne l'édition du P. Delorme
et les pièces inédites sont dignes d'attirer l'attention de tous ceux qui s'oc-
cupent de l'histoire religieuse bordelaise.
CHRONIQUE a09
Pour l'histoire économique du Bordelais. ~ La belle thèse de
doctorat que M. Henri Mariou, lauréat de l'Ijnivcrsilé de Hordeaux, vient
de soutenir hrillainnionl devant la Facnllé de Droit de Paris sur La iliine
ecclésiastique en i'raiice an \\iii° sièrle et xa stipi)ressi<in. nous inlt-rcsse aussi,
autant par sa valeur propre que par la mise en œuvre de nombreux
documents tirés des Archives départementales de la Gironde. (Test une
contribution très neuve à notre histoire économique, cl qui fait le plus
grand honneur au jeune historien.
Les statues de Bordeaux. — .M. Paul Fourché, vice-président de la
Société archéologique, vient de retracer, dans une élégante plaquette,
l'histoire elles vicissitudes des statues bordelaises : la Messaline et la Renom-
mée de ( ladillac, confisquées par Louis \I V e't par Louis-Philippe ; le Louis XV
de Lemoyne et le Napoléon III de Debay. détruits par les révolutions; le
Loui \VI de Raggi et le Tourny de Marin, devenus l'un et l'autre pièces de
musée; Montaigne et Montesquieu, le Gloria Vii-lis et le Vercingétorix, le
génie du monument des Girondins, le président (larnot et (iambetta. La
plume de M. Fourche est malicieuse; parfois elle égratigne. On ne peut
pourtant qu'être d'accord avec lui pour souhaiter que l'I-tat offre à la \ille
au moins un moulage de la llenommée de Pierre Biard, dont elle a été si
injustement dépossédée. On lira aussi avec intérêt les documents inédits
qui prouvent que, en i~^^, les jurais projetèrent d'élever à Louis XVI une
statue en bronze dans la cour du futur hôtel de ville pour commémorer le
traité de Versailles, au moment même où Louis songeait à rendre le même
hommage au roi en dressant son image sur la colonne de sa place Ludovise.
Un roman historique bordelais. — M"" la comtesse de lloudetot vient
de publier un roman historique, Madcinoisellc de Galias, qui a pour cadre
le Bordeaux de la Uévolution. La reconstitution est ingénieuse et précise.
A signaler une soirée de 1778 sur les allées de Tourny, où les élégants et
les élégantes écoutent, en mangeant des glaces et des sorbets, la voix mer-
veilleuse de Dominique Garât, le rossignol bordelais.
Un voyage de Laîné aux Pyrénées en 1804. — .\I. Manuel Four*
cade a publié dans la Revue des Hautes -Pyrénées (avril 1912, pp. i2i-i4i)
des notes de Laîné, extraites des manuscrits conservés à la Bibliothèque de
la ville de Bordeaux, et que lui avait communiquées le regretté II. (lélestc.
(l'est un journal de route, écrit au cours d'un voyage que Laîné. simple
avocat à Bordeaux, fit en i8o't à Barèges, Iléas, Gavarnie, Cauterets, Argc-
lès, Saint- Savin, le Tourmalet et Campan. Ces notes sont curieuses*
M. Fourcade les a encadrées d'un très vivant commentaire, où il donne
quelques pièces de vers, d'ailleurs assez pénibles, inspirées à Laine par ses
clientes. Il révèle aussi que Laine avait songé à écrire des .\uits. à l'iinitalion
d'Voung.
Les hivers « viticides » en Bordelais. — Dans une brochure tech-
nique sur le «couchage des vignes grelTées pour prévenir certaines consé-
quences graves des gelées d'hiver », M. le D"^ Georges Martin a repris
l'histoire des grands hivers bordelais au point de vue spécial des donunages
subis par les vignes, (le travail intéressant et neuf met en lumière l'utihté
des recherches historiques pour le progrès de la viticulture.
i5
a 10 CHRONIQUE
Monographies locales. — Après les deux solides volumes de M. l'abbé
Gaillard sur Saint-Magne, après le livre de M. Guignard sur Castillon, après
le travail de M. l'abbé Raby sur Saint-Germain-d'Esleuil, dont la Revue a déjà
parlé (cf. 1912, pp. i4i-i4/<), voici qu'une institutrice, M"'= Renée PeyroUe,
nous donne des Noies historiques sur deux communes du Médoc, Gaillan
et Naujac, et un ancien instituteur, M, P. Bodin, en collaboration avec un
secrétaire de mairie, M, A. Clary, une grosse Histoire de Lesparre. Ces
exemples méritent d'être signalés au moment où les membres de l'ensei-
gnement primaire montrent un sérieux souci de s'intéresser aux recherches
locales.
Voyage d'études locales. — Un groupe d'instituteurs et d'institu-
trices, ayant à sa tête M. Rotgès, inspecteur primaire, et auxquels s'étaient
joints des professeurs de l'enseignement secondaire, a fait, le dimanche
2 juin, sous la direction de MM. Ktchart et Barrière, l'excursion annoncée
dans la dernière chronique de la Revue, à la grotte de Pair-non-Pair et à
Bourg. M. F. Daleau a fait aux excursionnistes les honneurs de son musée
avec sa bonne grâce ordinaire et il a montré l'intérêt que les maîtres peu-
vent tirer de la science préhistorique pour leur enseignement.
Le conseiller au Parlement Jean de Belot. — Dans la Revue de
r Acjeiiais (1912, pp. gS-iio), M. l'abbé Marl)ontin consacre une intéressante
étude à un humaniste bordelais du xvi* siècle, le conseiller au Parlement
Jean de Belot, ami de Ronsard, de La Boétie et de Montaigne.
Un Bordelais agent secret de Mazarin. — Sous le titre : Un com-
plément au Journal du procès du marquis de La Boulaye, M. Henri Courteault
révèle, dans V Annuaire-Bulletin de la Société de l'Histoire de France, la part
active que prit, en lO'jg, à un complot tramé à Paris contre Thibaud de Lavie,
avocat général au Parlement de Bordeaux, un Bordelais, André de Sossiondo,
qui « travaillait » pour le compte de Mazarin.
La Société des Amis de Montaigne. — Sur l'initiative de M. le
D' Armaingaud, une Société des Amis de Montaigne vient de se constituer
à Paris. Elle a povir président M. Anatole France et pour vice -président
M. Louis Barthou. Elle a inauguré ses travaux par un banquet, que présida
.M. Henry Roujon. Au dessert, M"° Dussanne, de la Comédie -Française,
lut le chapitre des Essais sur l'amitié et le sonnet de M. Jules Lemaitre :
« Montaigne ».
Le Congrès de la Société française d'archéologie à Saint-
Emilion. — Les membres de ce Congrès, qui s'est tenu cette année à
Angoulême, ont visité Saint-Émilion le jeudi 20 juin, sous la direction de
MM. Lefèvre-Pontalis et L. Serbat. Dans l'une des séances d'études, M. le mar-
quis de Fayolle a lu une communication sur les trois églises monolithes de
la région. La Société française d'archéologie a décerné une médaille d'argent
à M"' Henriette de Pierredon, secrétaire de la Société historique et archéo-
logique de Saint-Émilion.
Fouilles devant Saint-André. — « En faisant une tranchée pour le
gaz, sur la chaussée nord de la place Pey-Berland, à quatre mètres environ
de la cathédrale, la pioche des ouvriers a mis au jour et brisé quelques
CHRONIQUE a r I
sarcopha^jcs en pierre. On a en môme temps retrouvé les 30ul)asscments de
deux jambages, soit d'un portail primitif, soit plulAt d'un pordie de la
première église, déjà découvert il y a quelques années en posant des càhles
d'électricité.
» (les soubassements sont au niveau de ceux delà porte Hoyale.àun mètre
environ au-dessous du sol actuel. Ils sont placés, presque symétriquement,
en face de ceux de la porte Pey-Berland [portail nord), un peu plus vers
l'est. Pour placer les conduites de gaz, on a dû malheureusement démolir
une partie de la maçonnerie.
» La division des beaux-arts à la mairie s'est empressée de faire enlever
une fine colonnette et un fût de colonne «lui se trouvaient parmi les débris. »
[Pelite Gironde du i/| juin 19 12.)
Société archéologique. — Dans la séance du 12 avril, M. Bardié a
annoncé qu'il avait retrouvé les noms des artisans qui ont exécuté des tra-
vaux de boiserie, ferronnerie, etc., (jui décoraient l'ancien hôtel Dude-
vaut, rue des \leiiuts, ô-j. — M. Béchade a donné des détails complémentaires
sur les boiseries et sculptures du pavillon Richelieu, à Bacalan. — M. Uicaud
a communiqué divers documents sur le quartier Saint-Pierre, en particulier
sur la rue de la Vieillc-Corderie (rue Leupold). — M. Charroi a présenté
plusieurs objets antiques découverts à Saint-Laurent, et des photographies
de la croix de Peyre-Goulit, que lui a signalée -M. le curé (iaudin. —
M. Bouchon a présenté le sceau de la section n» 30, dite de la Convention,
qui siégeait au séminaire Sainl-Raphaël en 1794. — Le Musée du Vieux-
Bordeaux a reçu de M. Coudol un vase en terre trouvé au cours de travaux
exécutés rue Saiut-Christoly •, de M. Mengeot, une empreinte de sceau du
prieur des Carmes de Bordeaux; de M. de Saint-Saud, une empreinte du
sceau de Lafaurie de Monhadon, maire de Bordeaux; de M. Béraud, une
taque de cheminée provenant d'une ancienne maison, rue Poquelin-
Molière; de M. Boudreau, deux jetons de l'ancienne Société des sciences et
arts de Bordeaux. — La Société a admis comme nouveau membro M. A.
Guignaber, pharmacien à Pauillac.
Dans la séance du 10 mai, M. le D' G. Lalanne a fait une communication
sur le niveau aurignacien de Lausscl, avec pièces à l'appui. — M. G. Bou-
chon a rendu compte d'un récent voyage qu'il a fait aux ruines romaines
de Tirngad, à Kl-l)jem, Cartilage, Kairouan, et donné de nombreux détails
sur la sculpture arabe. — M. Béchade a présenté une pièce romaine unique,
un sceau bourgeois du xni° siècle, ainsi que dillerentes remarques de sigil-
lographie locale. — La Société a été agréée par les ministères de la guerre,
de la marine et des colonies au nombre des Sociétés savantes accessibles avix
olliciers des départements.
Le dimanche 19 mai, la Société a lait son excursion aimuelle dans la
région de Guîtres, sous la direction de M. Brutails, archiviste déparl*--
mental. Kllc a visité successivement les églises de Sainl-Denis de Pile, de
Coutras, de Saint-Martin -de -Laye, l'abbatiale de Guitres, les églises de
Sablons et de La Lande.
Société des Archives historiques. — Dans la séance du ai mal,
M. Caratnan a comnmniqué : i" des documents complémentaires sur les
212 CHRONIQUE
demoiselles Trouvé; 2° le récit, tiré des registres secrets du Parlement,
d'une émotion populaire provoquée à Bordeaux par la condamnation d'un
laquais (6 septembre 1729); 3*une lettre de félicitations adressée à Louis XV
par lo Parlement de Bordeaux à l'occasion de la victoire de Fontenoy( 1745). —
M. Alfred Leroux a fait connaître une présentation d'un avocat des pauvres
faite au Parlement de Bordeaux par l'avocat général Dusault, avec ordon-
nance conforme {i5 novembre 1691). — M. F. Thomas a donné des détails
sur les dîners offerts, le 20 décembre 1769 et le 6 septembre 1785, par la
Chambre de commerce à MM. de INolivos et de Beliecombe, gouverneurs de
Saint-Domingue. — M. Ricaud a communiqué un mémoire des Jésuites
protestant contre le dommage fait au jardin du Noviciat par la construction
du fort de Sainte-Croix (fin du x\n' siècle). — M. Courteault a communiqué
une exporle du 7 mars i644 et une reconnaissance de 17^9, extraites par
M. l'abbé Iloyer du terrier de Notre-Dame de Talence, conservé aux archives
départementales de Maine-et-Loire dans le fonds de Fontevrault, et qui
permettent de préciser l'emplacement de la chapelle des Monges, lieu pri-
mitif du pèlerinage de Talence. M. l'abbé Royer a joint à ces documents un
plan et deux élévations de la chapelle, conservés dans les mêmes archives.
— La Société a admis comme membres titulaires MM. Henri Gounouilhou
et Farne, avocat à la Cour d'appel, et comme membre correspondant
M. Charles Hanappier.
— Dans la séance du 28 juin, la Société a désigné son président, M. Sam
Maxwell, pour la représenter aux fêtes du bicentenaire de l'Académie de
Bordeaux. — Elle a admis comme membre titulaire M. Maurice Ferrus. —
M. P. Caraman a donné lecture d'une correspondance entre l'intendant
Tourny et le ministre d'Argenson au sujet des projets d'embellissement de
Bordeaux (1744). — M. F. Thomas a complété sa précédente communica-
tion et lu trois lettres adressées en 176;') à la Chambre de commerce au
sujet des pirates barbaresques. — M. A. Leroux a présenté un texte critique
de;> plus anciens statuts de la communauté des prêtres bénéficiers de Saint
Michel de Bordeaux (i46o, i54o et lôoc)). — M. J. de Maupassant a lu plu-
sieurs documents sur la prise du navire bordelais la Gloire par la frégate
anglaise le Milford après un combat de nuit (7-8 mars 1762). — M. P. Harlé
a communiqué une condamnation aux galères pour vol d'une croix d'argent
dans la Chapelle des Chartreux (i5 avril 1578;. — M. R. Brouillard a lu
une série de documents relatifs à la pension et à la récompense attribuées
en l'an VU au perruquier Troquart, de Saint-Émilion, pour avoir recueilli
et hébergé, en l'an 11, les Girondins proscrits. — M. E. Rousselot a donné
lecture du compte rendu de la célébration de la fête nationale à Bordeaux
le 25 messidor an IX (i4 juillet 1801).
Découverte archéologique à Baurech. — A quelques mètres de
l'église de Baurech, on a découvert un hypocauste, une petite lampe de
terre grise et des monnaies plus récentes.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
Du 15 février 1918 au 15 juin 1918.
Albalat (Antoine), — Comment il faut lire Montesquieu. .Journal
des Débals, 14 juin 1912.
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moyen âge (fin). Revue hislorique de Bordeaux el du déparlernenl de
la Gironde, 1912, p. 47-58, 122-13.3.
Cf. même Revue, 1911, p. 97-119, 191-206, 271-283, 336-34C, 412-424.
BoDiN (P.) : Voir Clary (A.),
Broiii.laud (R.), — ■ Baisers patriotiques. Revue hislorique de Bor-
deaux el du déparlernenl de la Gironde, 1912, p. 62,
Lettre au.\ .\mis de la Constitution de Bordeaux,
Brutails (J,-A,). — Recherches sur l'équivalence dos anciennes
mesures de la Gironde, Bordeaux, impr. G. Gounouilhou, 1912, in-S",
ino p.
- Li's vii'illcs églises de la Gir(»nde. Bordeaux, impr. G. Gou-
nouilhou, 1912, in-4o, xii-298 p,, ouvrage orné de près de 4U0 gra-
vures dont 16 i)lanches hors texte en phototypie.
Cakaman ij'aul). — Procès entre les frères Miinm'^ di- l'Obser-
vance et les frères Prêcheurs de Bordeaux (4 avril-2 seplciiilu-e 1489).
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marquis de La Boulaye, (Exlrail de, IWnnuaire-liulhlin de la Soriélé
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Revue hislorique de Bordeaux el du déparlernenl île la Gironde, 1912,
p. 134-135.
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Cf. même Revue, 1909, p. 213-258, 734-773.
D[ujarric]-D[escombes] (A.). — Lettre du marquis de Jumilhac,
lieutenant du roi en Guyenne (1744). Bulletin historique et archéolo-
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FouRCADE (Manuel). — • Un voyage de Laîné aux Pyrénées en 1804.
Revue des Hautes-Pyrénées, 1912, \k 121-141.
Fourché (P.). — Les statues à Bordeaux depuis les premiers siècles
jusqu'en 1900, avec reproduction photographiques. — Un projet des
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Gaillard (abbé Albert). — A travers le scliisme constitutionnel
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fondatrice de la Miséricorde de Bordeaux (1754-1836). Bordeaux,
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Pierre Brissot. Paris, libr. Hachette et C'«, 1912, in-80, xx-451 p.
Harlé (Pierre). — L'Horloge de la Grosse-Cloche [à Bordeaux].
Revue historique de Bordeaux et du déparlemenl de la Gironde, 1912,
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— Registre du clerc de vilit; [dt; Bordeaux], xvi" siècle. Archives
historiques du département de la Gironde, 1911, p. 45-358. — Tirage
à part. Bordeaux, impr. G. Gounouilhou, 1912, in-40, xli-339 p., fac-
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sous la Révolution. Bordeaux, Feret et fils, 1912, pet. in-80, 377 p.
Jaurgain (Jean de). — La maison de Caumont-la-Force. Généa-
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suivie de ses preuves. Paris, H. Champion, in-4°, 157 p.
Tiré à 300 exemplaires numérotés.
Leroux (Alfred.). — Documents concernant diverses chapelles de
la Palu de Bordeaux (20 mars 1606-1'''' décembre 1792) Archives his-
toriques du département de la Gironde, 1911, p. 359-400.
27 pièces justificatives d'un article du même auteur: Origines historiques des
paroisses Saint-Louis, Saint-Martial et Saint-Remi de Bordeaux. Revue
historique de Bordeaux, 1911, p. 217-252.
— Histoire des quartiers de Bordeaux. Le quartier de Dacalan.
Revue. Philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1912, p. 1-22,
80-99, 141-166, 3 pi. — Tirage à part. Bordeaux, impr. G. Gounouilhou,
1912, in-80, 67 p.
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Darantière. Paris, libr. H. Champion, 1912, in-80, 152 p.
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(1^^ série, t. Il);
INDEX BIBLIOGRAI'IIIMLE 3l5
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de Belot. Revue de rAnennis, 1012, p. 03-11(1, jd.
Conseiller au Parleiiifiil de liordeaux.
Makion (ïleiiri). — La dîme ecclésiastique eu F"rance au xyiii"^ siècle
et sa suppression, étude d'histoire du droit, suivie dnii aperçu sur les
(limes inféodées à la mrMiie épinjiu'. Bordeaux, inipr. de l' l'niviTsitc
et des Facultés, 1912, iu-8", xx- iu;i p.
En partie d'après les documents des Archives départementales de la Gironde.
Martin (D'' Georges). — Couchage des vignes greffées pour préve-
nir cta'taiui^s couséiputuces gra\es des gel6(!s d'hiver. Tra\ail commu-
niqué à la Société d'Agriculture de la Gironde, le 8 mai 1912). Bordeaux
inipr. nouvelle F. Pecli et C'", 1912, in-S», 73 p.
P. 25-64 : historique des grands hivers funestes à la vigne.
Maupassant (Jean de). — La prise du corsaire de Jersey la ^ïul!l
(6 avril 1757). Revue historique de Bordeaux et du département de la
Gironde, 1912, p. 42-46.
Par la frégate bordelaise la Comtesse-de-Noailles.
Meauure de Lai'oi'vade. — Mésaventure d'un musicien du
Grand-Théâtre en 1781. Revue historique de Bordeaux et du départe-
ment de la Gironde, 1912, p. 115-121.
— La statue de Clément V !i la Cathédrale Saint-André [de Bor-
d(!auxj. Revue historique de Bordeaux el du département île la Gironde,
1912, p. 5-17, 2 pi. hors Itixte.
La tète du pape et celle d'un des évoques sont modernes.
Montaigne. — Les Essais. Corbeil, inipr. Creté. Paris, lihr. J. Gil-
lequin et C'% [1911], in-16, 6 vol.. I. I '^^^ 2in p.: I. II. 2(i2 p.: t. 111,
2U5 p.; t. IV, 2U9 p.; t. V, 205 p.; t. VI, 195 \).
Tous les Cliefs-d'œuvre de la littérature française.
Montesquieu. — Lettres persanes. T. I'^''. Paris, impr. nouvelle
{A. Mangeot); libr. N. Camus, 1911 (15 avril), pot. in-16, 192 p.
Bibliothèque nationale. Collection des meilleurs auteurs anciens el modernes,
n» 29.
NicoLAï (Alexandre). — Le port de Bordeaux. Son avenir. Libre-
échange. Revue économique de Bordeaux, 1912, p. 71-99, pi. et fig.
Conférence faite le 2S mars 1912.
lM:vnoLLE (Renée). — Notes hisLoriqur> >ui' Ir- ndimuines de Gail-
lan et Naujac en Médoc. Bordeaux, libr. Albin Michel, 1912, in-S",
121 p.
Registre du clerc de ville. — Voir 11 \iti.i'; (Pierre).
R[oussKi.(j i] (E.). — Le lieu de décès du comle Lyncii. Revue his'
lorique de Bordeaux el du département de la Gironde, 1912, p. 61-62.
Rover (L.). — Monse abbatiale de Fontevrault. Les fermiers du
iiordelais. L'agent P. Serin, de Saumur. Revue de l'Anjou, 1912,
p. 261-271. [A suivre.)
Détails sur radministration des prieurés de La llame en Itazadais el de Notre-
Dumc de Talence, dépendant de l'abbaye de I-'outevraull, au xvui« siècle.
ijl6 VSOEX BlbLIOGhAPHlQUÈ
Salavert (Jean). — Le commerce des vins de Bordeaux (thèse).
Bordeaux, impr. J. Cadoret, 1912, in-S», 264 p.
SoREL (Albert). — Montesquieu, 4^ édition. Coulommiers, impr.
P. Brodard. Paris, libr. Hachelle et C'% 1912, in-16, 176 p. et grav.
Les Grands Écrivains français.
Thomas (Fernand). — Les dîners de MM. les Jurais du 12 novem-
bre 1756 au 28 août 1758. Revue Philomalhique de Bordeaux et du Sud-
Ouest, 1912, p. 129-140. — Tirage à part. Bordeaux, impr. G. Gou-
nouilhou, 1912, in-8o, 11 p.
Un prince royal d'Angleterre à Bordeaux. Revue historique de
Bordeaux et du déparlement de la Gironde, 1912, p. 63.
Le prince Frédéric-Auguste, en mai 179L
VovARD (André). — Un caporal girondin décoré de la Légion
d'honneur en 1807. Revue historique de Bordeaux et du département
de la Gironde, 1912, p. 136.
Jean Dubourg, décoré pour sa conduite à Eylau.
-^91^
Le Gérant: G. Ducaunnès-Duval.
Bordeaux. — Impr. G. Gounouilhou. — G. Chapon, directeur.
9-11, rue Guiraude, 9-11.
kECHEKCHES
SUH
i/a>c]i:nm: église mjtke-da.he de la place
A BORDEAUX
I:T SLR SES DIVERSES APPELLVTIONS
Eu ;i\ ril 1880, pour se coiifonner à la lui iullcxiblf' <lr l'alif^Mic-
iiHMiL, (lisparaissail l;i modeste façade d'une bien modeste église,
((ui cependant avait joué, à travers les siècles, un rôle assez impor-
tant dû à plusieurs causes, et surtout à son vocable et à la ]»roxi-
mité de la cathédrale Saint-André. Cette églisr lui. appelée, tout
d'abord, Notre-Dame de la Place, ou de la Place Saint-André,
sans doute pour la distinguer de Notre-Dame de Puy- Paulin;
ensuite, Saint-Eutrope; parfois, concurremment, Notre-Dame de
l;i Place et Saint-Eutrope, ou réciproquement; plus tard, Sainte-
Auuc- la-Royale, et, enfin, chapelle des Irlandais. De cet édifice,
il III' reste plus que deux murs, à l'inlérioiir du troisième magasin
dune maison de meubles, en parlant ili- la ruf du Loup L
Mon intention, en l'absence d'éléments sufTisaids. prul-étre
intr(iu\ iilih's, n'est point d<' composer riii.-liijic dr .Xidri'-lUuue
de la l'hirc. Je voudrais seulemeid ajnnlrr cpirlqucs muiNfaux
rcnscigu<'mriil.- à rcux que l'on possède déjà sur cette église, et,
le cas échéant, en rectifier qur|(|ihs-iius '-.
Notre- 1 •;! iiir de la Place, située à 1 l'sl de la «aihédralc et imn
loin d'clli'. était déjà ancienne au iiiMmcnt où. ru 117:!. le papi-
1. M. l'l;iz;i!icl, iiro|iiii'tiiiic de riiiiiiii'iil>lr ilcpui:- iMit;, m'.t f.iil \ isiU'r iiM-r lii |>lii>
piiifiiiti' (il>liL'r;iiiie rciupliici'iin.'nl «le raniit'iiiir rli;i|ifllc dos Irl.iiiihiis el m'a fourni
di's d.'Ijiils fort iiiliMPSbanls sur les différenlcs iiiduslrit-!- qui s'y sont succédé dans le
conraiil du xi.\' sii'cle.
-. \'()lr sur l't' sujet : Habariis, Coinmissiiiii '/''»■ M'Hiiinirnls /M.s/oriV/iH's ilc lu Oiromlr,
1S54-1.S5V.', |>. l"J-'2-2; Saiisas, Journal le l'rogris, année IKtiTy; Lniilien IMçancau, Btillrlin
de la Société arrhéoloijiquc de Bordvnu.r, l. VI, p. 173-1H7 ; Léo Drouyn, Bordeaux ucm HiO,
liassiiu; Lopès et l'abbé Callen, llinloire de l'Iù/lise métrofmlUainr de Bordeaux, t. I",
I'. 192-193: I. 11, p. 434-135: abbé l'.erlrand, llisloire des Séminaires de Bordeaux:
I. l"^ Sémiuiiire des Irluiiilni.^, p. 321-407: le niènie, lie de Mcssirc llcnry de Brlhinie,
l. Il, p. yi-"J3.
3t8 l/ ANCIENNE ÉGLISE NOTRE-DAME DE LA PLACE
Alexandre III, s'adressant au doyen et aux chanoines de Saint-
André, leur accordait la collation de plusieurs églises, parmi les-
quelles est citée celle de Sainte-Marie « qiiip est prope ecdesiani
veslram » ^ C'est, jusqu'à ce jour, le plus lointain document relatif
à cette église fourni par les archives de la Gironde.
En 1237, sous l'archevêque Géraud de Malemorl, se fonde une
association de treize prêtres, chapelains de Saint-André, connue
sous le nom de confrérie de la Trelzenna, qui se perpétuera, avec
des statuts plusieurs fois modifiés, jusqu'à l'époque de la Révolu-
tion. Les membres de cette confrérie « devaient se visiter et se
secourir les uns les autres, quand ils étaient malades » et « dire
chacun sept messes basses et en chanter ensemble sept liantes »'-,
immédiatement après le décès de l'un d'entre eux. Plusieurs conciles
ayant prohibé la célébration des anniversaires des confrères dans
le chœur des cathédrales et même des collégiales, ces ecclésias-
tiques, « affîn de célébrer les leurs, le premier jour de chaque mois,
choisirent la chapelle, alors appelée Notre-Uamo de la Place Sainl-
André, dépendante du chapitre de l'église de ce dernier nom, et
qui n'en est séparée que par une distance de quelques toises»^.
A côté de cette confrérie, il y avait aussi dans la même église
celle de Saint-Eutrope, dont le plus ancien titre connu porte la
date du o iriars 1356, et le plus récent, celle du 20 novembre 1541.
Ce sont des exporles où l'on peut lire, écrit en langue gasconne :
La confrayria de sent Estropi, instituicla et fundada, parfois seule-
ment institnida en la gleiza de Nostra Dona de la Plassa de Bordeii,
ou en français : Confrérie de Saint Utroppe, fondée en léylise noslre
Done ou Dame de la Place de Bourdeanl.r. Un arrêt du Parlement
fut rendu, le 1*.) novembre 1554, en faveur de cette confrérie, dont
on ne trouve plus de traces dans la suite*.
Quels étaient les statuts et l'importance de cette confrérie? Nous
l'ignorons.
Des chapelles c|u'il pouvait y avoir dans cette église, nous n'en
connaissons qu'une, fondée, depuis longtemps, par un certain
Pierre de Beylac, et dont le chapelain était, en 1615, Marc Gayaud,
qui avait, le 1^'" septembre 1727, parmi ses successeurs messire
Joseph de Buhan, « chanoine de l'églize de Bordeaux ». Il est
1. Arcli. dép. de ki (iiioiide, G 267, Imllo d'Alexandre 111.
2. Lopès el iibbé Callen, ouur. cité, t. Il, p. 434.
3. Arch. dép. de la Gironde, G 604 : Mémoire de Son Altesse Mgr le prince Ferdinand
de Rohan, archevêque de Bordeaux, n» 4, 12 mars 1779.
4. Arch. dép., G 2729.
l'ancienne ÉGMSE NOTRE-DAME OE LA PLACE aig
encore fdit rnentirui de cette chapelle, le 7 septembre 1773, dans
un contrat df IVcum^ ilct^ agrières '.
Notre-Dame de hi l'Iace perdit-elle, sons Pey-Berland, ses pré-
logatives d'église paroissiale, comme lalliriiH' l;i (Commission des
monuments historiques de la Gironde ^ ?
On sait que Pey-Berland, mort le 17 janvier 1-458, avait aban-
donné ses fonctions archiépiscopales en 1456. Or, ;'i hi date du
16 août 1476, on ti-ouve mentionné \r imhii dr I';i>(;d (\i' Bad<d,
vicaire perpétuel de JN'otre-Dame de la Place ■*. Parmi ses successeurs,
il est permis de citer, le IM janvier 152"?, Pif'rrr i\r llauteserre,
« qui est tenu d'apprendre le plain-ijunil " '; Ir I T) ni;ii 1537, Massias
Riveyrol ^; en 1551, un nommé Caboi "^j le 8 novembre 1572, Jacques
l''orcade, en faveur duquel est faite une reconnaissance", «d, h-
oO juin 1588, Justin Majoui-, alors» aux estudes en la vilN- de Paris n".
Son oncle, Edmond jMajour, chanfdue rie Saint-André, agissant au
nom de son neveu absent, consent à 1" union jirojetée de la paroisse
Xotre-Dame de la Place à celle de Saint- Projet j)our les nudifs
iuflifjués dans la supplique suivante adressée à rarc|ievè(|ue de
Bordeaux : « Supplie humblement le sindic de l'église parroissielle
de Sainct-Proget de ceste ville, disant que la ditte parroisse est
une des premières et des plus antiennes de toute la ville, prez de
Saint-André el assize au cœur de rjndieime \illede Rdiirdejnix.
cl ciiiniiieii (jiK" eu la ditte parroisse y ave heauroup de lions et
indables bo\irgeoys et habitans de toutes ((ualités. iieanmoings.
par lilljure du temps ou aulremeid. il e>t ;id\eiiii (pie le re\eiMl
de hi dille église ne peult sulire à r;iire <'idretenyr eu icejle le ser-
\ iee di\ iu uy mes'mes.à uuuiiir uii;^' liomie>|r lininiiic rcclesiasti(|ue,
lellement que hi deNulidu de la dille parroisse perist el l;i ditte
église va eu lelje décadence (ju'<'ri lieii de temps sei;i deserle. sil
Il y est pai" vous pdurveu.
«Et paiTc que l;i ciirr de Sa ild -l'iid riqte el celle de .Ndl re- I >;i me
de |;i IMaee >()id deux ;mi I res parrfdsses c(udigiiës à celle de S;iiiil-
l'roget, es (juidies. |hiiii- je peu de niMiiIue d'li;d)ii;ius d ic('||e> mi
jKMir estre de si pel il revenu ijue nul ecclesiasi i(|ue ii"en peull \ i\ fi^,
1. Ai.ii. .ic|i.. (; •tiv.i.
■i. Ihi.l.
a. i>>td., <i Util.
4. /'.«/.. ». isii.
r». /''/'/., (i -'Ht;.
Cl. /'</'/.. ». .is?.
7. /'»(>/., l. -'tilT.
s. Ihid., (i '27;JN, II" lO, liiioli (II- l"f;»Ii!ie piiroissialc de Nolrc-D;iinc de la Place ù
celle lie S;iiiit-Projet.
2 3Ô l'ancienne Église NothE-bAME de la t>LACÈ
il ne si [sic) fait aucung service divin, et sont les dittes églises de
Saint-Eutrope et Notre-Dame de la Place clozes et fermées tout le
long de l'année, sauf quelques jours solempnelz, tellement que les
parroissiens d'icelles sont contraintz aler au service divin aux autres
églises de la ville, comme il est notoire, et dont plusieurs plaintes
et remontrances ont esté faites cy devant, tant à vous, mon dit
seigneur, qu'à messieurs du chapitre Saint-André, à la collation
desquelz sont toutes les dittes parroisses ^. »
Pour ces divers motifs, le syndic demande l'union de ces paroisses.
Le chapitre de Saint-André consulté répond qu'en ce qui le touche,
il consent à l'union de la vicairie perpétuelle de Notre-Dame de la
Place à celle de Saint-Projet, à la condition « que, à certains jours
de Tan, comme aux testes de Notre Dame, soubz le nom de lacjueJle
la dicte église Nostre-Dame de la Place est fondée, et aux festes
dez sainctz desquelz les reliques reposent en la dicte église, et autres
jours qui seront advisez, le service sera solenipnellement faict en
la dicte église Nostre-Dame de la Place, et que les ouvriers du dict
Sainct- Projet se chargeront de bien et douhement entretenir la
dicte église Nostre-Dame de la Place » -.
Les paroissiens « de la parroisse Sainct-Euroi)e » sollicités consen-
tent à ce que « les eglizes parroissielles de Sainct-Eutrope et Nostre
Dame de la Place soyent unies et anexées, avec tous les biens et
revenus d'icelles, à celle de Sainct- Project, plus antienne, plus
grande et capable et plus commode à eux tous que nulle des autres,
et ce à la charge toutes fois de faire i>;ir les prestres du dit Sainct-
Project le service requis et qui sera par le dict seigneur arche-
vesque de Bourdeaux ordonné es dictes églises de Sainct-Eutrope et
Nostre-Dame de la Place certains jours de l'année de dévotion,
et toutes telles autres charges et conditions que le dict seigneur
archevesque et messieurs du chaj)itre jugeront estre reisonnable » 3.
Dans de telles conditions, aucun obstacle, si ce n'est le refus peu
probable de l'archevêque de Bordeaux, A. Prévost de Sansac, ne
pouvait s'opposer à cette union, qui fut faite le 23 juillet 1588, et,
le mardi 26 du même mois, à huit heures du matin, en présence
du notaire apostolique, Martin de Lassus, et de témoins, le vicaire
perpétuel de la paroisse Saint-Projet, Jean de Lacoste, prenait
possession de la cure de Notre-Dame de la Place ^.
]. Anh. (Ipp., G -273^, ii" 10, 25 jviiii 158S.
•1. Ibid., (; 2738, ii" S, 12 juillet 1588.
3. Ibid., G 2738, n° 9, 20 juillet 1588.
4. IbiiL, G 2738, ii° 13. Exlr;iit du registre 23'' du "greffe des insinuations ecclésias-
tiques de lu ville et dioceze de Bourdeaux », f" 298.
L VNCIEPINE KGLISI-. N(»THE-I>AME IH l\ l'IACI. Wil
Doux des (liMiimi'iil > (pii \ ii-niiciil il i-l n- cih'v^, smil dr imhiff à
jrl iT im Cl 'il ,1 in I iniiMr il;i II- ri'-|iiil >l il li'it riir. Il \ l'-l i|iic-l imi lie
i|iii\ niit- il de deux églises paroissiali-s distinctes porlaiil l'iiiie
je iHHii ilr .\oLre-D;niie de l.i Pl.icf ••! r;ndii'. celui de S;iiiil -Kut r(i|te.
(>i'. iiiiii> siivrms de .-mirce certaine (pi il n'y ;i\.iii |»a>. à cûié de
Sailli-. \iiilré, deux églises ])ar'(ii.ssiale.'- [Mulaiil cr- deux noms.
\e faudrait-il pas voir dans l'une Notre-1 )anie de l.i IMaee ou Saint-
l"]nli'ope, qui était la nuMue église sous deux iinin.- diiréreiits, et
dans l'autre, l'église paroissiale Sainl-Saii\eiii-, cMnliiruë à ctdie de
\otre-Daine fie la Place, ainsi (jiie nmis ra]i|iremtenl d'anciens
dniiiiiieiil- ci des l'ouilles faites \ers le milieu du \i\*' siècle^?
Pnniiis mil' est in cajiili' crc/cs/c sanrli Sulraloris. riilelicet jiulii
erriesia/n Beale Marie de Platea, est-il écrit dans un (ibituaire^.
Au \vi*' siècle. ([Udi (pieu dise la ('.ominissioii des nionurm-nts
liist(iii(pie>, ipii pri'leiid ipi'il n'en est plus fait iiienliMii ile|Hiis la
seconde iiiuitir' du xv*-^ siècle, Saint-Sauveur existait encore, même
comme église paroissiale 3, el , le 23 octobre 1518, elle avait pour
vicaire perjtéluel .fean de Costures*. Plus lard, après l'union rie
\(il i-e-Oanie de la Place à Saiid-Prujel . elle n'ol plus église parois-
siale, puisque, le jeudi l'O ai iCd 16(11 . le sous-doyen et l' ou \iier de Saint-
André soid coimiiis pour faire recouvrir, avec l'argent de l'ieiivre,
cette église « seize en la Sauvette », et. le mardi 1 1 seplemlue di' la
même année « acte est donné au sieur trésorier » de ce ipiil a remis
la clef au ( liapitre ^. Nous la retrouvons encore, mais pour |,i dernière
fois, le 11 mai lfi?l. Elle a besoin de répai'ations urgi-ntes pour
éviter la cliide de la chai perde et des murailles, et il est oi'douné
qu'elles seront faites aux frais de la fabri(fue du i|ia|)il re ".
iMi l'esté, rien ne nous permel de croire «pie Saint-Sau\ eiir ait
t'tr- un instant n'-uni à Saiul-Projel. L'aiiioiilé ec(désia>l iqiie,
arcdievêque et cliapitie, dans les pièces relatives à I union des deux
]iar(dsses, ne parle jamais que de Notre-Dame de la Place id ne cite
]ioinl Saint-Eut rope. tandis (pie ces deux noms re\ iennent sans
cesse sou- la jdume ilii syndic de Sain! -Piujel et des jiaroissiens
de «' Saiul-Eut r(q>e ». Ne serail-ie ilunc \>:t> que le- bourgeois et
le peuple, moins instruits, et ignorani ou ne se somciiant jdus que
1. Ci)W miss ion ilfs Muniimenls histnriqiirs de la tUnindi', nmiri- lS.M-lRr>-?. p. 19-'23.
O. Léo Dcdiiyn, linrdi'ini.r vers /J.îO, p. ."î ltt-3.">0.
H. (Uiininissinn di's Mmtiimenls /i/.s7«r/(/i/i'.s-, 1 S.M - 1 8."i-2 . p. "20.
4. .Vi'cli. tl(''p.. <; -'OICi-. " .lolum (le CDstures, vicari perpeliiiMt de la glcysa Ue Saut
Sauvador. •>
5. Ibid., 291, loi. lit V» et 51 v.
6. Ibid., 295, fol. 53,
22a L ANCIENNE EGLISE NOTRE-DAME DE LA PLACE
l'église Saint-Eutrope s'appelait autrefois Notre-Dame de la Place,
attribuaient ce dernier nom à l'église voisine, c'est-à-dire à Saint-
Sauveur, sans doute, alors peu fréquentée par suite de son état de
vétusté ?
En efïet, il y avait déjà bien des années que le nom de Saint-
Eutrope était donné à Notre-Dame de la Place. La première mention
que nous en ayons trouvée date de 1551 : u Caboi, vicarius perpe-
tualis ecdesise sancli Eulropi » ^. Léo Drouyn en cite plusieurs de
15532. Efi 1589, M. Charles Dusault, avocat général au Parlement
de Bordeaux et, depuis plus de vingt ans, habitant de la paroisse
Saint-Projet, parle « de la cure de Notre-Dame de la Place, autre-
ment appelée Sainct Eustroppe w^. Et c'est ce dernier nom qui pré-
valut pendant tout le xvii^ siècle, tandis que celui de Notre-Dame
de la Place reparut au xviii^. En voici deux preuves : la chapelle
de Pey-Berland est mentionnée, le 27 mai 1646, comme ayant été
fondée « en l'église Notre-Dame de la Plasse de Bordeaux, à pré-
sent Sainct-Eutrope, » tandis que le 1*^'' septembre 1727, la même
chapelle est dite avoir été fondée « en l'église Sainct-Eutrope, à
présent Notre-Dame de la Plasse»*. Ce nom a évidemment une
origine populaire et n'a point été imposé par un acte archiépiscopal.
Les curés de Saint-Projet se sont toujours intitulés « vicaires
perpétuels de Sainct-Projet et de Notre-Dame de la Plasse, son
annexe. » 11 en est ainsi dans un acte notarié du 16 novembre 1617,
où l'on trouve le nom de M. Martin Dirigaray^, et dans la requête
adressée, le 12 mars 1779, à l'archevêque de Bordeaux, par quelques
membres de la Treizaine, ofi le sieur Baron se donne le même titre *.
D'où est venu à cette église le nom de Saint-Eutrope? Ne serait-ce
pas d'une chapelle qui y aurait été érigée en l'honneur de ce saint,
et <|iii aurait attiré dans cette église la confrérie de Saint-Eutrope
dont nous avons déjà parlé? Dans tous les cas, ce n'est point au
chef de saint Eutrope qui, pendant les guerres de religion, au dire
d'un archéologue bordelais, aurait été transporté de Saintes à Bor-
deaux et déposé, en 1601, dans l'église Notre-Dame de la Place'.
Sans doute, une église de Bordeaux a possédé le chef de saint
1. Aich. dép., (, 2S7.
2. Léo Drouyn, Bordeaux irers 1450, p. 146.
a. Aicli. ilép., (; 2738.
4. Ibid., G 2729.
5. Arch. dép., G 2729.
6. Jbid., G 604.
7,. Sansas, Journal le Progrés, année 1865, et Société archéologique de Bordeaux, t. VII,
p. ^9.
Eutrope, depuis le 20 février 1575 jusqu'iiii 17 ;i\iil Kinj'. mais
f'est l'église Saint- André, et elle seule. Si le prinir de Saintes l'a
fait transporter dans la cathédrale de Bordeaux, c'rsL probalde-
inent parée ({ue l'évêque de Saintes était sulTragatit de rarcln'vé({u»*
di' Bordeaux, et que dans une grande ville fort idée il se trouverait
{dus en sûreté qu'ailleurs. Voiei. d"aj>rés li- précieiix inaiiii-jcrif de
Bertheau, secrétaire du cardinal de Sounli^. ilr> (|('l;iil> Init inté-
ressants sui- ce chef de saint Eutrope: «Enlrr luulo lr> aili<tns
solennelles pleines de toute réjouissance, au milieu de la picss»- du
nioudc atnigeaid, tViil cflle du transport ilii rhcf de saint Enliupi-,
evesque et martyr, de la ville de Bordeaux en celle t\r Xjiimtes.
Cette sacrée relique avoit esté a{)ortée à Bordeaux, confiée en depost
à l'église métropolitaine ])aV les religieulx de l'église de Saint-
Eutrope du fauxbourg de Xainctes, lorsque les hérétiques pillioient.
|u<i|)liaiuiieid et bruslovent les églises en France, et honnissoieid
tout ec (jiii est oit de sainct et sacré en icelles. Et pour le (|ue,
depuis les premiers !idiil)les, jusques au règne bienlieiiieux du r<»y
lleiiry !, il n'y eut jamais de paix bien asseurée en ce royaulme.
Iniil estant en. iiicei't iliidc. cette s.iinele reli((ue demeiiroit toujunrs
en sou depost. Mais après c|ue Dieu eut henit les armes de ce grand
Boy. <"f qu'il eut ttdlement affermi son estât, (pie toutes les émo-
tions et séditions feurent assoupies et que l'heresie insensée ayant
vomi son premier venin promettoit avoir désormais plus de dou-
(•eui'à mesure que la honl»' divine faisoit jour au travers des ténèbres
de son aveuglement, et que les religieulx de l'église Saint-Eutrope
de Xainctes redeiuanderent leur sacré gage, UKuiseigneur le car-
dinal l'eut liMit prest il y eontriliuer les efl'eet/. de s;i dévotion,
nuii> a\t'e(| l;inl dhonneur qu'il lit paroistre enterre la gloyre du
grand sainel (jui reposoit au ciel-.»
C'est avec un soin jahuix que le chapitre de Saint-. Vndré a t<ui-
jours gardé le dépôt sacré qui lui avait été confié. En avril 1589, à
une demande du e\iré de Saint-Projet, il répond (|u il .< n'a trouvé
l)on ni expédient de lui piester le elief de saint Eutrope » •'. Eu I6(K).
c'est le prieur de Saintes qui réclame la relique ](our (|u'elle reprenne
la [diirc abandonnées depuis vingt- sept ans; mais, le l'.t sep-
trndui- de l;i nuMlU' ;iUlii''e, le e|i;i|Hlre dt'Tidi- (|u';i\;iid de taire
aiiiune répon.se, il doit être rentit'* en possession i. des actes et
1. Arch. (Jép., O 291 : Registre eapitulaire du chapitre Saint-.\iulré, -20 avril 100.'.
Haveiipz. dans son llisloire du cardinal de Sourdis, p. 50, se tronipt- i-n disant que le
clipf fut tMi\ové à LJorcleaux en IdGS.
■2. .Vrcli. dép., G 532: .Manuscrit de Bertheau, année 1600, chap. II, fol. 223.
3. Ibid.. G 290, fol. 5 V.
234 i/ancienne Église notre-dame de la place
procès-verbaux faitz de la translation du dict chef en l'église
Saint- André ))^. Voici quelles sont ces pièces: «L'acte de la
merche, » c'est-à-dire de la marque, « du dict chef pour le reco-
gnoistre, du vingt-c[uatriesme aoust 1571 , signé du prieur et relli-
gieux. Autre acte passé par feuz Themer et Guay, notaires royaulx,
comme le dict chapitre s'en est chargé, du 20^ febvrier 1575 -. »
Près de deux ans plus tard, le chef de Saint Eutrope est encore
à Bordeaux. Enfin, le 8 février 1602, une nouvelle requête ayant
été présentée par dom Pierre de la Place, « prieur de Saint-Eutrope
et de Sainctes », le chapitre ordonne que « le chef de M'' Saint
Eutrope » sera rendu au dit prieur « en rapportant par luy charge
et pouvoir des prieur, religieux et couvent du dict Sainct-Eutrope,
pour prendre et recepvoir le dict chef et en bailler bonne et
vallable descharge au dict chapitre»^.
Toutes les formalités requises ayant été remplies, le cardinal
de Sourdis prépare la translation qui sera aussi solennelle que
celle fjui a eu lieu le 27 août 1600, jour où les reliques de plusieurs
saints, mises en dépôt dans l'ancienne église Saint-Rémy, en Tan
1568, furent rapportées à Saint-Seurin *.
Bien cjue le récit des préparatifs et de la translation semble
un peu étranger à mon sujet, je ne résiste pas cependant au plaisir
de le transcrire, au moins en partie, tel qu'il est consigné dans le
manuscrit de Bertheau :
« Et pour ce qu'il désiroit — le cardinal de Sourdis — que sa
métropolitaine eust quelcfue signalée récompense de la garde de
ce thresor, pour mémoire perpétuelle de la garde, iceluy ayant
fait fondre une teste d'argent en forme d'evesque mitre jusques
à la poitrine, il tire et print seulement une des dentz de ce chef
de Sainct Eutrope et la met en cette teste pour estre représentée
sur l'autel de sa métropolitaine aux grandes celebritez, afin de
l'honorer et attirer les bénédictions de Dieu par l'assistance et
intercession de ce grand sainct ^.
» Pour parvenir donc à cette solennité et transport, il le fait
publier par la ville et par les archipretrez de Bourg et Blaye où la
procession devoit passer, et advertist Monsieur l'evesque de
1. AiTli. tlép., G 291, fol. 20 V.
2. Jbid., fol. 7N.
3. Ibicl., (i 291, fol. 71 v°.
4. Et. de Cruseau, Chronique, t. 1, p. 2.53-2.54.
5. Ce reliquaire fut conservé dans la cathédrale de Bordeaux, ofi Saint Eutrope avait
un autel, jusqu'en 1793. Depuis lors l'église Saint-André ne possède plus de reliques dç
ce saint. Voir Lopès et alabé Çallen, uuvr. cité, t. l, p. 193 et 206,
I
I, ANCIENNE EGLISE NOTHE-DAME DE I.A PLACE 33;)
XiiilicteS, et (It'S joui- ri di-s lieux où l.-i junccssiiui (Ir\i)il passer,
S'ailfl f|- cl -c l|(ill\r|' à laisdll illl loirrniclll , atill ipii' Inlll le
]H-ii|i|r hieu a(l\i'il\ \ iiil au (le\aiil !■! |ia il iii|iasl. à la l'esLe;
fjlie, <|Uaill il iuv, il avuil aiie-l i- de iiniililiie relie sailicit' reli((Uê
à pied iii<(pies ;iu lieu de >(iii rejios.
n'iiuiies elioses esliiiil préparées el les juin- des higemens et
sl.'didiis ddiiiiez. le nierere(ty 17 apvril de celle aiim-e. il |ireiid
cette saiiicle reli(pie dans >aiiie|-,\iidii''. a\('C(| huile la eeleluit <•
rpii se peiill dire, élevée sur uiig braiicail lucn iuik'-. pnili' p.ir deux
diaeres revestus d'aubes et dalinaf iipies.
I) Toute la procession iiiandie jiisipies au port où tous ceux rpii
estoyeiit desliiie/, ]i()iii' accutiipairucr el lionnorer cette saiiiete
action s'embarquent. lc\ l'eurent ces deux Lnaiid/. ])redicateurs
fie la compagnie de Jésus, les PP. liraisle el Mar((uestault , avecq
autres prédicateurs que nous vernuis prescliei- par les chemins
aux stations où le peuple se reruloit ; icy les chantres et la musique
de la chapelle, et Monsieur le Cardinal qui, honorant la saincte
relique, chantoient divers motetz à la gloyre de Dieu ^. »
La procession arrive le soir du 17 avril à Blaye où la relique
est déposée dans l'église Saint-Sauveur. Le lendemain, le cortège
poursuit à pied sa man lie jusqu'à Saintes, où, le 22 du même mois,
le chef de Saint Eufro]ie relnuiNf euiiii sa place dans la basilique
élevée en l'honneur de ce saint.
Si j'ai insisté peut-être un peu trop longuement sur ce sujet,
c'est afin de détruire r(»|»ininn accréditée qui allrilniail au dépôt
du chef de ce saint le niuu de Sainl-Kul iupe donné à \otre-l)anie
de la Place, et aussi dans le Iml de hkuiIici la grande vénération
rpie l'on avait alors pour h's reli(pies des saints el -uiloul jniur
celles de Saint Eutrope, un (\i'< plus ]U)pulaiies dans la \ille de
Bordeaux et dont le diocèse célél)re la fêle le '.]() ;i\ lil.
Depui- -on union .'i la paroisse Saint-Projel . Ii-gli.-e de \idre-
Dame de la Place était encore moins fréqueidée ([u'auparavaut.
Mais, peu de temps après son arrivée à Bordeaux, h' eardin.d île
Sourdis, voulant se mettre s(mis la prolecfi(ui de la \ ii'ige. en lil,
dés 1602, pour ainsi dire, sa chapelle de prt'- li'erl i(Mi.
« L'église de Saiuet-Eut ro]>e, » dit Rertheau, « autrement .\ostre-
l)aiue de la Pliice. piitclie de la Mel r(q)()lilaine. estoit délaissée
de service ordinaire. c(uiiiiie il aiii\i' (Uilinairemenl es villes les-
ipielles bastissaiit plu-ieiiis ('glises nouvelles, vous sèment quant
\. Arch. dép., G 532 : Manusrrit de Bertheau, année 160.', chap. II. fol. •2-24 et 5Uiv.
2 20 I l'ancienne Église notre-dame de la place
et quant des causes de la ruine des autres. Nostre Prélat, voulant
avoir une église proche de son palais, visite cette cy, la trouve propre
à son dessein pourpeasé, la fait reparer, meubler, orner, y met une
chaise archiépiscopale proche de l'autel, à costé de l'évangile,
au dedans le balustre, et, hors iceluy, ung siège hault et eslevé
auquel on monte par degrez pour y recevoir les prédicateurs à
faire leur essay en sa présence avant que recevoir um^ licence et
aprobation générale.
>) Et recognoissant qu'en l'exercice qu'il alloit commencer pour
la reforme de son dioceze, il avoit besoin du secours et apuy de
celle qui favorise toutes les bonnes intentions qui tendent à la
gloire de son filz, il ordonne que tous les jours de samedy, pendant
sa vie, il seroit célébré une messe solennelle de Notre-Dame en
la dicte église, chantée par les chanlres de sa chapelle, tant en sa
présence qu'en son absence, et pour rendre ce service plus agréable
à la divine bonté, veult qu'il soit choisy de toutes les paroisses
de la ville 24^ pauvres des plus nécessiteux, rompus de travail et
impuissans à gaigner leur vie, tant de l'un que de l'autre sexe,
lesquelz assisteroyent avecq luy à cette saincte messe pour recevoir
à l'issuye d'icelle, par ses mains ou de ses aumôniers, l'aumosne
chascun de cinq solz, ordonnant qu'advenant le décès de l'un,
un autre de mesme qualité seroit substitué en sa place ^. »
Un événement imprévu va bientôt, en lui donnant une nouvelle
vie, faire retrouver à Notre-Dame de la Place les beaux jours
d'autrefois, du temps qu'elle était église paroissiale. Des catholi-
ques irlandais, o\i luihernois, comme on disait alors, bannis de
leur patrie, le 10 août 1602, viennent chercher un refuge à Bor-
deaux où ils arrivent en novembre 1603, au nombre de dix-huit,
conduits par un homme encore jeune, Demertius Maccarthy. Le
cardinal de Sourdis, vers lequel les a envoyés Alexandre de Laro-
chefoucauld, leur fail le meilleur accueil et leur donne, pour y
remplir» leurs fonctions ecclésiastiques»"^, la chapelle Saint-Eutrope,
avec l'agrément du chapitre Saint- André et celui des confrères
de la Treizaine qui y sont établis depuis plusieurs siècles. Ces der-
niers vivent en paix avec les nouveaux venus, et, en 1621, pour
des raisons inconnues, ils leur abandonnent la libre possession
de l'église et consentent à célébrer à l'avenir tous leurs anniver-
saires dans la chapelle Notre-Dame-des-Anges, à Saint- André,
1. Arch. dép., G 532 : Manuscrit de Beitheau, année 1602, chap. I. fol. 198-199.
2. Ibid., année 1603, chap. II, fol. 33-5-337.
I- ANCIEPf>E KGLISE ^OTRE-DAME DE I.A PLACE 227
fjuo le cha])itre voulut biru leur accorder, sui' i.i (ii'iiiauiif ipii lui
(Ml lui faite i)ar le cardinal de Sourdis ^.
Les Irlandais ont une église, mais pas de fortune, et vivent uni-
quement de la charité journalière. Le S noûl 16r)3, ils adressent
;"i la rrine régente une supplique apostillée par le duc de Vendôme 2.
Aime d'Autriche s'intéresse à leur sort et. dans h's lettres (ju'elle
leur adresse, en février 1654. poiu- la fondation d'un séminaire,
elle insère les claus«'s suivantes : « Et pour niar(|U(' dr notre pro-
tection singulière. Nous voulons que nos armes soient mises et
posées eu relief avec celles du loi, nôtres dit successeur et (ils, sur
la porte de la chapelle Saint-Eutrope, donnée à la communauft-
par le dit sieur cardinal de Sourdis, laquelle portera dorénavant
Je nom de Sainte-Anne-la-Royale, dans laquelle il y aura un autel
consacré à Dieu sous le titre et invocation de Sainte-Anne, où tous
les jours de la fête de cette sainte, notre patronne, et de Saint Louis,
roi de France, deux messes hautes seront cclebrées solennellement
avec diacre, sous-diacre et autres cérémonies de grandes fêtes"*. »
Les armes royales ont-elles jamais existé sur la porte de Sainte-
Anne-la-Royale? Nous ne saurions le dire; mais, si elles ont existé,
il n'eu restait plus de traces quand la façade fut (h'nuilic. Ouanl
au nom de Sainte-Anne-la-Royalc, cette chapelle devait le prirter
olïjciellement, et raiclii'vê(|ne de Bordeaux, le 16 mars 16H7, parli-
de « Notre-l)ame de la Place, appelée présentenicni Sainte-Annc-la-
Royale »*. Mais il est à croire (|ne ce nom n'a jamais été populaire,
et celui qui prévaudra, jx-ndant tout le wiii*; siècle et jusiju'à la
disparition de l'édifice, sera celui de chai)elle (\c<. Ii-landais.
A la .suite d'une querelle particulière l'utir (pielcpu-s membres du
chapitre de Saint-André et les confrères de la '['ii'i/aini\ ers dt-i'iiiers
obtiennent de rarchevé([ue IIeni-y île Hi-tlnine de i-e\eiiii dan<
l'église \otre-l>aine de la Place, où a ('•! i- fondi'e leur eonfit-rie.
«Leur ti'anslation a lieu le 7 seplcnd)!"' 1671, jour de la XaLivité
de la Vierge''', » Le suitt-rienr i\f<. Irlandais est même associé à la
confrérie, à la condition d \ lenù la deridére place.
Les Irlandais semldenl oublier |iailoi> que leur eluqn'lle est. tou-
jours S(Mls la déj>endanee du euri- ile ."^a ml -Projet , et ee dernier.
1. An 11. Ji'p., fi 004 : lli-toiie de la Trt'izaine, ii" », 1-2 mars 177".>.
■-*. Abbé Berlraiid : Hixioiri' îles Séiiiiiinires de finrileuii.r; Sruiinnire irliiniliiis. I. I".
\'. 34G.
.3. Aich. dép., G 989. Séminaire irlandais.
4. Pièce des archives du Grand Séminaire de Bordeaux, transcrite par l'abbé Ber-
trand : Séminaire des Irlandais, p. 366.
5. Arch. dép., G 604 : Histoire de la Treizaine.
228 l'ancienne église NOTRE-DAME DE LA PLACE
jaloux de ses droits, songe à les faire valoir. C'est ainsi que le
16 mars 1687, l'archevêque de Bordeaux, après avoir été invité par
le roi à étudier l'afîaire, statua qu'<( à l'avenir, lorsque les supérieurs,
les prêtres ou valets demeurant dans la maison du séminaire irlan-
dais viendroient à décéder, le supérieur ou celui qui en ferait la
fonction, seroit tenu d'avertir le curé de Saint-Projet de l'heure de
l'enterrement, afin qu'il put se trouver dans la chapelle de Notre-
Dame de la Place, appelée présentement Sainte-Anne-la-Royale,
pour y faire les fonctions curiales; que le dit curé pourroit faire les
pareilles fonctions, lorsque quelqu'un voudroit être enterré dans la
dite chapelle, et qu'il n'y pourra être fait aucun mariage que par
le curé; que néanmoins le supérieur du séminaire irlandais ou ct'Iui
qui en fera la fonction, ainsi que ses prêtres, continueront, comme
il a été pratiqué jusqu'à présent, à célébrer le service divin dans la
dite Chapelle, sans qu'ils puissent être inquiétés en quelque manière
que ce soit ^. »
Les prêtres irlandais ayant le droit de prêcher dans leur chapelle,
en usent fréquemment, et même, tous les dimanches de carême,
leurs sermons y sont faits en anglais « pour l'édification et l'instruc-
tion des Irlandais, Anglais et Écossais, dont le nombre est toujours
considérable à Bordeaux. Le 22 novembre 1701 , ils invitent la jurade
à assister à l'oraison funèbre de Jacques II, roi d'Angleterre, qui
doit être prononcée dans leur chapelle » ^.
Ils continuent paisiblement leurs exercices religieux jusqu'au
moment où une lettre circulaire de la municipalité de Bordeaux,
du dimanche 12 février 1792, leur notifie que leur église doit être
fermée le 15 de ce mois^. Après avoir été vendue, le 27 juin 1796,
pour la somme de 21,006 francs, cette chapelle servait, le 15 jan-
vier 1803, «de temple au culte catholique»'*.
Désaffectée de nouveau et ayant subi à l'intérieur plusieurs modi-
fications pour être appropriée à des industries diverses, depuis plu-
sieurs années elle a complètement disparu. Qui donc, en passant
actuellement devant le magasin de meubles que j'ai signalé au début
de mon travail, soupçonnerait que, pendant des siècles, sur son
emplacement il y a eu une église appelée tour à -tour Notre-Dame
de la Place, Saint-Eutrope, Sainte-Anne-la-Royale et chapelle des
Irlandais? p CARAMAN.
1. Pièce des archives du CJrand Séminaire de Bordeaux, citée par l'aldié Bertrand :
Séminaire irlandais, p. 366.
2. Bernadau, Annales de. Bordeaux, p. 69.
3. Inventaire sommaire des Arclni'es municipales de Bordeaux, période révolutionnaire,
t. I", p. 377.
4. Abbé Bertrand, Séminaire irlandais, p. 397.
vovAr.i: ii'LN AiM'MANn A r.mtni-Aix
EN 1801 ,
(Suite et Jin.)
Comme tous les cLraugeis, Lorcii:^ Mcy<;r est rcsl é frappe de
l'iticomparable beauté du Grand-Théâtre, qu'il déclare k uu dt> jdus
remarquables spécimens de l'architecture française ». A sou tour, il
a visité et décrit l'édifice dans tous ses détails, et comme il ne nous
apprend rien de plus que ce qu'en a dit M""^ de La Roche elle-même,
si ce n'est qu'il y avait dans les combles du monument « six grands
réservoirs en maçonnerie toujours pleins d'eau en cas d'incendie »,
nous ne citerons que ce passage :
C'esl au luihcu du premier palier, à reiuh'oiL où reseaher >e divise
en deux \olé(;s, (jue se. trouvée l'euLrcc di; la salle. On y lit celle ins-
criiiliiHi : Aux Muscs françaises, conuru'; si h\ l'rancc a\ail (le> Muses
pour elle loule stnili; ! Lorsipie Tenipereur .Joseph '. à qui lOu repro-
chaiL de n'avoir ri(;n lrou\é de. ijien pendant son voyaire eu l'ranee,
pénéLra dans la salle, il s'exclama : « Où sont donc les loges? .Je iiaper-
eois (|ue des tiroirs ouverts ! n 11 y a du vrai au loiid de celte, plaisan-
terie, dai", entre les colouues (pii ^oul ieiiiieiil le iiiiilniKl IihiI iinlour
de la salle, les l(»g-(;s sailleul el \iennent eu a\aul eouuiit^ autant di-
balcons isolés. I,;i iorme o\ aie et rensenilile de la salle oui. du reste,
un aspect aifréalde el, très éléiianl, et le coup d'ii'il de ce> lojj'cs do
balcons garnies de dames est tout à lait cliviruuuil.
« Derrière la salle de spectacle, sur les Ixuds de la (laronne, »
Meyer signale ensuite l'existence d"» établisseuuuits de bains d'oii
l'on a viiu' belle viu.' sur la ii\ière. Le plus n'^eid a été construit
dans une sorte de style à la luis oriental, nunain. chinois etgothi(jue,
caractéristique de l'architecture française actuelle, et (pii est un
1. .Jy:-e|ili 11, ciiipL'iciii- tl'.VuU ichr, litix' ili' M.ii ir-Aiiti'îiictli', |>.i;-?;i iiiioi:iiilO u
Borileaux, en 1777, sous le nom tic conik' de I-'alrUeiisUMii. (.'.'psI alors «lu'il \isilu le
Graiid-Tliéàlre sous la proine l'onduitc de Louis, dont l"(i'u\re élail à peine ai'lievée.
El c'est sans doute beaucoup moins pour la critiquer que par nianière de plaisanterie
et i)arce qu'il se trouvait piécisémeiit en face de l'arcliilecte lui-même, que Joseph II
se li\ra à la boutade dont il est ici question.
200 VOTAGE D UN ALLEMAND A BORDEAUX E>"
1801
défi porté aux usages et à toutes les règles en la matière. Pour ce qui
est de raménagement intérieur et de la propreté, il dépasse tout ce
qu'il y a de mieux dans le genre à Paris. » Ces bains, dits Bains
orientaux, étaient les seconds installés à Bordeaux, les premiers
remontant à 1763. Ils furent démolis en 1826, lors de la construction,
sur les Ouinconçes, des deux établissements qui ont eux-mêmes
diparu en 1892. On les aperçoit devant la Bourse, sur l'aquarelle
que nous reproduisons ici ^. Leur style était d'un tel mauvais goût
que le peintre Lacour fit à leur sujet une satire qu'on imprima et
dont voici le passage le plus intéressant :
Voua êtes connaisseur? Conlemplez, citoyen,
Celte arrliileclure hùlarde,
D'un ordre anlicorinlfiien.
Pol-pourri de Cfiinois, Français, Eç/iifjlien !
Voyez-vous ce toit indien.
Ce petit parasol, rliapeau iTun prêtre Hardr '.
Voyez ces pavillons que sans présumer rien,
Le peuple a nommé corps-de-yarde !
Ces li-amais de boudoirs, ces fiyures sans bras,
Ces treillis, ce donjon: oh, ipiel yalimalhias !
Ma foi, si c'est du yoùt, mieux vaut n'en avoir pas '.
Puis, notre voyageur décrit encore le Palais- Gallien, dont la
conservation des restes est duc au préfet Thibaudeau, i[m vient
d'arrêter l'œuvre de vandales occupés à le démolir, la Porte-Basse,
les Piliers de Tutelle, le Jardin-Public, enfin le couvent des Char-
treux, dont la chapelle est devenue l'église Saint-Bruno, et où l'on
a parqué six cents réfugiés de Saint-Domingue :
Ces lUîillicwreux, dil-il, arrivés ici entassés à fond de calr, oui reçu
asile derrière les murs vides du couvent. Ils sont entretenus aux trais
du Gouvernement. Dans l'omltre de cellules souillées d'ordures et dont
rentrée principale porte encore cette devise terrorisle: Vivre libre
ou mourir, ils vivent là comme des bêtes. Hommes, femmtss et eiitîuils,
blancs et noirs grouillent pêle-mêle. Quelques cellules moins sordides
sont occupées par des insulaires de race blanche; avf^c leurs femmes;
ils exercent h; métier de journaliers et suffisent à leurs besoins. Ils
bâtissent eux-mêmes leur cour à charbon (?) dont ils tapissent les
1. Celle aquarelle esl de J,-B. Pelauque (1784-1852), secrétaire des Hospices et
chevalier de la Légion d'honneur, fils de J.-B. Pelauque, seigneur de Héraut, conseiller
du roi et député de l'élection de Condoni aux États (iénéraux de 1789. Érudit et arcliéo-
logue distingué, J.-H. Pelauque, qui était aussi un artiste de talent, a laissé non»bre
de desshis et d'aquarelles intéressant Bordeaux et le Sud-Ouest. L'illustration que
nous reproduisons ici est tirée d'un album appartenant à son petit-fils, M. Dainel
Mérillon, avocat général à la Cour de Cassation.
■i. Bibliothèque de Bordeaux. P. Lacour, Recueil de iwéfiivs. N" 11 80.
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VOYAGE DLN ALLEMAND A BORDEAIX EN I ^O I a.Sl
murs a\'ec des imnges de i»iét.(^. La |»Iii[imiI fit- cps rdiiiru'^ \ivpnt
péniblement, el c'est tout juste si i'tnildritr, iii;ilgré se> prétcntiuiis a
rtiuniaaité, ne les laisse pas ninurii- de faim. Ils se sont plaints d'être
restés plusieurs jours sans pain. .Jamais je, nouldienu le luivranl
spectacle de ces misérables coiimiIs de haillons infecl^. ni If |iéiiible,
sentiment que j'éprmi\ ai imi t'aie de mon impuissance -i icv vuulairer
et à les délivrer. .Je iir jnis m rmpéclier fie ractuitir ;i mi fonc-
tionnaire ce que j'a\ais vu, mais il me répoiidil - nu devait, s'y
attendre — (jue cela ne le regardait point, (ine ce nétajt pas de son
ressort...
i,iMt'u/, Mcyrr iciiiiiiii' >a IniirniT i\r> iiiniiumi'iil ,■, ji;ir nin' \i>ile
aux moulins de Tliaynac, construits aux <.|iartrons à rendidij uu
s'est élevée plus laid la l'aïencciic X'ieillard :
huiaiil un été ditiii la sécheressi', avait amené laiiêl des moulins
•'l privé la ville de pain, 'l'IiaNnac. un maitre eliarpeiil iei- bordelais
(jui venait de gagner au\ Inde-, niie In il une considérable, conçut Tidée
d'employer une, |)artie de ses richesses à venir en aide à ses concitoyens.
Il décida d'installer de grands moulins munis de vingt-cinq roues
indépendantes les un(^s des autres et perpétuellement actiomiées par
le va-et-vieni d\i tliix et du rellnx de la (laronne. A irrands frais, on
bâtit donc une solide minoterie ainsi iiniin canal en |»ien'e de taille
placé perpendicnlaircunent à la rivière et se, prolongeant jus(jne der-
rière les moulins où il alimentait un grand réservoir également en
maçonnerie. Ce bassin devait se remplir au montant, puis, ;:râce à
l'ouv^erture d'une vanne, se vider au doeeiidanl et maintenir ainsi
les roues en mi)U\-emenl. Maliieureusiïmenl, renlreprem-ur n'a\ail
pas sulïisamment compté a\-ec lengorgement d\i canal. On ne s'aper-
çut de, cette faute capitale qu'une fois les moulins achevés et n)is en
train... La vase charriée par les eaux de la Garonne boucha le canal,
les mnnlin-. "-"arrêtèrent, et il lui impossible de les remet Ire en
marche. La Inule des actionnaires s'est fjiliguét^ de \erser des fonds
supplémenlaire>, l'entrepreneur est mort, et \-oilà dix ans (|u'nn a
atiandonué cette afTaire ([ui doit bien a\ (tir coûté quat re millicnis.
.Je profitai di; ma visitt^ à ces moulins merveilleux [mni- aller jus-
qu'à l'exlrémité des Charirons. Celle |i;ii-lie i\r la \ille e-i |a pins
belle cl ta plus séduisante par le i»anorama ((u'elle olTre. Au bord de
la Garoiiio' et sur une lieue de long s'étend une liirne de grandes mai-
sons, d'eutrepôls et de chais. On \oit à découx cri la moitié de ce port
admirable (ju'à raison de sa fniine en denii-lnne les |;niuain> appe-
laient I^orliis Lnnar : de l'exlrême horizon, du côté <le la nn-r, jus(|u'.mi
centn de la \ille. à lendroit tJi'i sélè\ e le jtalais de la Douane. Le
reste (!st caché '. Au loin, sur le large lleuve, les navires, mouillés les
uns derrière les autres, sont sur |tlusieurs rangs. r,e. va-et-vienI conti-
nuel des bateaux, ^rrands cl |tetils, l'i-nlrée et la sortie. t(»ules voiles
^dehors, des gros iia\ires, le tninuilr du ctiaPirenn-nl el du ilécharge-
1. l'iir lii jioinlL' lie niie\ ries.
aSa VOYAGE d'un ALLEMAîfD A BORDEAUX EN 1801
ment sur les quais, les manœuvres et les cris des matelots sur la rivière,
— quel délicieux tableau sans cesse renouvelé par les effets de lumière
(jui changent à toutes les heures de la journée ! On dit qu'à Saint-
PétiM-sbourg la vue de la rivière ressemble à celle de Bordeaux, mais
il manque à la Neva les rives verdoyantes qu'on aperçoit ici de
Ta II Ire côté de la Garonne.
.l'jii eu aujourd'hui l'occasion de contempler ce paysage sous un
aspect des [dus saisissants. A la fin d'une journée de chaleur étouf-
fante, où lo thermomètre marqua 28" Réaunmr *, le ciel s'obscurcit
tout à coup à l'horizon. D'épais et lourds nuages noirs s'élevèrent du
côté de la mer et, toujours de plus en plus denses, s'amoncelèrent les
uns sur h',s autres pour couvrir finalement de leur voile sombre les
co!<';mi\ \()isins. A la sinistre couleur du ciel s'opposa dans le fond
la lu'iii- éclatante des villages et des maisons de plaisance perchées
sur la hauteur. Ces nuages d'orage paraissaient immobiles. Sur la
rivière, tranquille elle aussi, car aucun souffle d'air n'en agitait la
surface, les bateaux ne bougeaient pas. Calme cl majestueuse, la
nature fêtait le repos dominical... Longtemps, cet orage resta très
menaçant. Puis, le rideau des nuages dépassa silencieusement le
coteau, faisant la nuit sur la \ille et sur loule la région. L'obscurité
ne fut plus Iroublén (pie i)ar de violents et lointains éclairs...
«
* «
Très exactement renseigné par son frère, que les fonctions de
consul ont dû mettre de façon toute particulière au courant de
la question, Lorenz Meyer étudie ensuite la nouvelle organisation
administrative et parle, chemin faisant, de Thibaudeau '^, le premier
préfet de la Gironde, nommé en 1800 et récemment appelé à Paris
comme conseiller d'État :
Les préfets ont un traitement relati\ement iuqjorlanL. Mais souvent
il arrive, par exemple à Bordeaux, qui est la seconde ville de France,
que ce traitement, dont le chiffre s'élève à vingt-quatre mille livres,
soit insulTisant pour permettre au représentant du gouvernement
d'occui)er ses fonctions avec dignité. On ignore si c'est pour ce motif
ou à raison du secret mécontentement qu'il éprouvait des lenteurs du
Ministère de l'Intérieur, que l'honorable Thibaudeau, précédent préfet
de la Gironde, a sollicité sa révocation au bout d'une année d'exercice.
Bordeaux a fait là une grande j)erte, car on ne peut comparer à
Thibaudeau l'administrateur parfaitement honnête, sans doute, mais
non moins indolent, embarrassé, indécis et timoré qu'est son succes-
1. 35" centigrades.
•i. Tliibaudeau (Antoine-Claire, comte), né à Poitiers le 23 mars 17(55, décédé à Paris
le 1'^'' mars 1854; député à la Convention nationale, vota la mort du roi. Membre du
Conseil des Cinq-Cents, Bonai.)arte lui lit, après le 18 brumaire, un accueil très flatteur,
le nomma |)rcfet de la (oronde, le 3 mars 1800, et, le 22 seidembre suivant, conseiller
d"Etul.
VOYAGE u'i > AI.LEMXNIi A liUUbtALV l\ I Sn | 333
seiir, Diiliiii,-, iiM aiiririi prètiT des X'os^'cs. Son i m ;ii h r.', ;i l.uit de
points do \ uc si dilTért-'uL de celui de son |»iédécesseur, ne siuiralL
coii\enii- aux exij,'enccs d'une \ ille aussi iniporlaiile »|ue liordeaux,
Ttiihaudeau, qui n(4aiL pas moins actif connue honiuu- pri\é que
comme ailminisl râleur, élaiL égaleiueuL très perspicace et savait
exécuter avec autant d'énergie que de décision le plan qu'il jugeait
le plus coiilorme aux intérêts du dé|iarlemenl. 11 exerçait ses fonc-
tions comme il croyait y être tenu dans la second»; ville de France,
c'est-à-dire avec éclat. Les réunions et les fêtes par lui organisées dans
son hôtel furent données avec la lihéralilô et toute la dislinelion d'un
homme du monde, la sollicitude d'un hôte aimable et toujours préoc-
cupé de bien recevoir ses invités. Comme administrateur, il s'est
souvent montré presque tranchant — c'est ce que j'appelli- a\ oir de
la décision — mais, vu l'état actuel des choses, il est très excu-
sable. \ oici un trait qui révéla bien, dès son entrée en fondions,
sa volonté tenace et la fermeté de ses décisions. 11 s'agit d'un ordre
doiuié par lui, ordre concernant sa vie privée seule et qui paraissait
n'avoir aucune importance, même à ses propres yeux, mais (jui laissait
clairement augurer de ce qu'allait être son administration elle-même.
Le préfet avait été logé dans l'ancien hôtel de l archevêclié. Or, il se
trouvait que l'édilice communiiiuait avec le Palais de Justice par une
porte de la cour d'entrée. Aussi, pour se rendre au palais, tous ceux
qui s'occupent d'affaires, magistrats, avocats, les parties elles-mêmes,
en un mot la masse des gens, passaient-ils par l'entrée principale et la
cour de la Préfecture. Thibaudeau trouva cette organisatipn parfai-
tement gênante et désagréable, u Pourtant, s'exclama-t-il, le préfet
doit bien avoir le droit d'être chez lui ! ■> Lt aussitôt il donna l'ordre
de murer la porte du Palais de Justice ouvrant sur la cour de la Pré-
fecture, tandis qu'il en faisait percer une autre sur la rue longeant
la façade postérieure du palais. Inutile de dire t|ue les présidents et
les juges ne trouvèrent pas à leur goût la fantaisie du préfet. Ils pro-
testèrent, mais ce fut en vain; on contiima les travaux. Alors, ils
lirent défense aux maçons de murer ou d'ouvrir aucune porte. A quoi
le |irélfl répondit en douidant le salaire des ouvriers et en leur ordon-
nant d achever leur lra\ ail sous peine de prison. Cette fois, les magib-
trats en appelèrent à Paris, au tribunal, mais ils n'en reçurent jamais
de réponse. Pendant ce temps, on avait muré la porte de la cour et
ouvert celle de la rue.
La prélecture, en cfTet, n'était autre que l'ancienne demeure
«lu cardinal de Holian, archevêque de Bordeaux de 17G'J à 1781,
et cellcde sou successeur, M-' Ciianipion de Cicé.tiui l'avait habitée
jusqu'à la Hévulution. C'est aujourd'hui l' Hôtel de Ville, et ce que
Meyer appelait punipeusemeul le Palais de Justice, c'était l'aile
de l'édilice adossée à la rue Montbaz,nn. Le Tribunal d'ai)pel y avait
été installé le 4 juillet 1800, le lendemain du jour où avait eu lieu
i34 AOTAGE d'un ALI.ÈMAlNt) A BORDEAUX EÎN 180I
l'installation du Tribunal de première instance dans la maison
commune du Sud, à l'ancien collège de la Madeleine, aujourd'hui le
Lycée.
A ce moment, l'organisation judiciaire, complètement remaniée
depuis la suppression des parlements, laissait bien à désirer, et
Meyer estimait avec raison qu'un de ses moindres inconvénients
c'était l'insuffisance du traitement de la plupart des magistrats :
Chaque juge des tribunaux de district et d'arrondissement touclie
mille livres de traitement, dit-il. Et il luut qu'avec cela il fasse vivre
sa famille, que pour cela il sacrifie sa vie à l'État! Mais comment
trouver des hommes à la fois assez besogneux et assez hoiiiiêlcs ])()ur
accepter de pareilles fonctions? Que d'embûches tendues à rinlégrité
des magistrats, quelle perjtétuelle tentation pour les jiarties de cher-
cher à corrompre la justice ! Les juges de jtrcniière instance touchent
deux mille cinq cents livres de traitement et ceux du Tribunal d'appel
quatre mille. On attend avec impatience rachèvemeni du nouveau
Gode civil ainsi qu'un Gode du Gomnierce et de la Marine, code tout
à fait indispensable dans une grande ville comme Bordeaux, où il
manque cependant d'une façon totale.
Les deux salles du tribunal, dont l'une est pour le civil et l'autre
pour le criminel, ont été construites par l'architecte Gombes dans un
style plein de noblesse. Les magistrats siègent dans une alcôve vofïtée,
sorte de grande niche aux murs bleu foncé et décorés à l'antique.
Gette disposition est peu agréable pour les orateurs, car leur voix se
perd dans la voûte et devient à peine intelligible. Les juges portent
une robe noire ornée de parements bleu clair. Les avocats sont assis
devant eux en demi-cercle; ils n'ont pas de robe.
Lors de sa visite au Tribunal, Lorenz Meyer eut la bonne fortune
d'y entendre deux gloires du barreau girondin, Ravez ^, encore
tout jeune, et Laîné 2, le futur ministre de la Restauration :
Bien que je n'aie pas eu la chance, dit-il, d'assister aux déjjats de
quelque cause célèbre, j'ai eu du moins l'occasion d'entendre plaider,
et dans une affaire de médiocre importance, beaucoup mieux qu'on
ne plaide à Paris. C'était le jeune avocat Ravez et son adversaire
Laîné qui discutaient une question de droit maritime. Ils par-
laient de façon remarquable, s'exprimant avec autant de clarté que
d'esprit et d'autorité. On raconte que Ravez étant allé plaider dans
1. Ravpz (Augusle-Simon-Huijeit-Maiie), né à Lyon le 10 octobre 1770. mort à
Bordeaux le 3 septembre 1849; premier président dans rette ville, conseiller il'Étal
et pair de France, « célèbre par la gravité de sa prestance et l'ample beauté de son
organe ».
.2. Laîné (Joseph-Henri-Joachim), né à Bordeaux le 11 novembre 1767, mort à
Paris le 17 décembre 1835; député au Corps législatif de 1808 à 1814, membre de
l'Académie française, ministre de l'Intérieur de 1816 à 1818, sortit du ministère aussi
pauvre qu'il y était entré. Malgré sa modeste situation pécuniaire, il envoyait, du temps
qu'il était député, son traitement de 10.030 francs aux indigents de Bordeaux.
VOYAGE d'iN ALLEMA.M) A HdUHI.AI \ IN I So F ■j?,^)
In cniiiliilr, son oloiincnco ol sa scicnrc du drnil luuduiviicnl une l<llf
iiii|tit'Ssioii ([ii'oii lui lil ii's offres les plus séduisuiilcs povir ([uil reslât
défendre les corsaires. Mais Havez n'accepta point et je ne l'en estime
que davantage d'avoir refusé.
Aux iliics (jr Mt^yer, riu.sliucliun puldiqui" ii't'sL pas niii-uv nrga-
uisé»' (|ur railruinistralion ou la jiislicr; luiil mairlie faliin-falia
et la situaLiini n'est pas près de .s auH-liorer, LellrMient est grand le
mal à réparer :
Il y en a pour i(»iiLriein|»s a\:uil dOlili-uir un iésull;il (|u<'|c(iii(nic,
tant est iiideseripl ihie le cliaos (pi"il s'airil d"((i'donnei'. l.c ltuiix iTue-
meiil ])romel aux insliluteurs S(»il un ;ipp;irleiuenl ;i\cc junlm. xiil
un I r;iil einriil li\c. Mnis il m- lenr donne ni l'un ni ImuIic. .\u>>i ecn\
ipii eonsacrent leur vie à l'aire pénildeuienl léducaliou des enfants
nianquenl-ils des choses d(? première nécessité, même de pain, ce fpii
fait ipu' souvent on ne trouve pas d'ouvriers pour faire semldalde
lra\;iil. (leitc désorganisation de l'éecde piinmire ri et- inan(;[ue dins-
Iruclion |Hii)li(jue produisent déjà leurs effets e( jcllcid mi triste jour
sur la iH>u\elle j^énéralion. I^es petits fonetioiuiaii-es se plaignent des
dillicullés qu'ils éprouvent à trouver comme garçons de bureau et
comme scribes des jeunes gens sacliaut lire e.t écrire. C'est que l'en-
lanre de ces jeunes gens, (pii onl de ipnilorze à seize ans, correspond
précisément à l'éjtoque révolutionnaire et à l'anarchie qui régnait
alors, l'inile davoir donné l'instruction primaire aux jeunes cit(tyens,
la l'rance risifue maintenant de traverser une période de liarliarie.
Des écoles centrales ont été ouvertes dans les princijiales villes de
{tro\ince. On \i[\v :i ;iM;iclié des iniiiln- ilioi-jv p;ir nn Jury l'ormé
(1;mi-- clnupie département et (}ui mil li' lilrc dr professeur, l.eur Irai-
lenn'i\t est de trois mille francs, mais (ui n'est jamais pi'essé pour le
leur verser. C'est que l'argent \(>lé aux eongrégalions a été dilapidé,
I t comme il ne peut plus servir à payer les professeurs, on priléve
les émoluments de ceux-ci sur des iiniiols ml lior, ici, par exemple,
sur l'impôt des vendanges. Malln-nreusement, cet impôt rentrant
Ini-nu-mr a\ ce dinicullé, il s'ensuit que les professeurs s(uit payés en
relard, ou qn ils m- sont pas payés du tout... Ces écoles centrales sont
|ieu fréfpn'utées. Cille dr la (lii-ondi'. niaL'ré l'élnidiir ri |c chiffre
de la popnlal 1(1 11 du départ iini'iil . e(nn|ite a prjni' qinil r»' rrnl- élèves.
Si l'on entreprend de réorganiser l'in-^l i-nel ion pultliipie, la pi-en»ière
chose à faire sera d'assurer le fonctionnement de l'école centrale en
lui procurant tous les moyens d'enseigiuMiieul nécessaires. Aux pro-
fesseur- de physiipu', à eeii\ d'iijxlniic naliMi'lli'. drs sciences mathé-
matiques et des arts, il a manqué jus(pi'à présent des appareils, des
(■(dlerli(Mis, des aniiiinilé- cl des oHivres d'art. Paris |tossède tout
cela en telle altondance ([u Ou fait là-bas à peine allenlion à beainoup
de choses qu'on regarderait ici comm«' des trésors. On refuse aux
professeurs ces moyens d'enseignennni inènu' «[iiand il- les réclament.
«Que voulez-vous, répondait d une façon éditjanle nn administrateur
336 VOYAGE d'uM ALLEMA>D A BORDEAUX EN l8ot
du Muséum de Paris à un professeur de la ville qui lui adressait une
demande à ce sujet, que voulez-vous l'aire d'œuvres d'art à Bordeaux?
Restez donc avec votre sucre et avec votre café ! » Quoique le ton en
fût plus doux, cette réponse était le digne pendant de celle que fit
le Tribunal révolutionnaire au malheureux Lavoisier demandant
qu'on le laissât vivre encore un jour pour achever une importante
découverte : « La République a besoin de canons, mais pas de savants !»
L'anarcliie n'est pas moindre en ce qui concerne le culte. Le
schisme est à son apogée et on ne tente rien pour prévenir ni pour
réprimer les désordres qu'il occasionne journellement :
Quant à l'exercice du culte et à ses ministres dissidents, on n'a
établi, ici comme partout ailleurs, aucun modus viuendi. Il faudra
pourtant bien, un jour ou l'aulre, que le gouvernement prenne une
décision et qu'il mette un terme aux protestations et à l' effervescence
qui agitent le pays, en vidant la querelle des prêtres constitutionnels
et des insermentés. A Bordeaux, la classe bourgeoise est demeurée
lîdèle à ces derniers. Le j)euple et les paysans des alentours sont au
contraire restés attachés aux autres. Chacun des deux partis va à
la messe de son prêtre respecUi. 11 n'y a en ville qu'une église, la
cathédrale Saint-André, où un prêtre assermenté dise la messe, et
seulement le dimanche. C'est là que vont les gens du peuple. Le nom
de temple décadaire nesL déjà plus une recommandation pour cette
église, car on y a célébré un simullancum républicain. Un tiers de la
nef a été entouré d'une grille. C'est à l'intérieur de cette enceinte
qu'ont lieu les fêtes républicaines, que les discours sont prononcés et
les lois promulguées. Cette séparation constitue à elle seule le leniple
de la loi '.
Les prêtres insermentés disent la messe dans les autres églises,
où vont prier les bourgeois de la ville.
A la campagne, les prêtres assermenlés, qui sont les jdus nom-
breux, font pression sur l'esprit du paysan, lui prêchent l'intolérance
contre ses frères dissidents et contre les propriétaires. Mais la pru-
dence et la circonspection n'empêchent pas ceux-ci de se faire dire
la messe par un prêtre insermenté dans la chambre habitée par lui
dans une maison du village, de s'y confesser, de s'exposer et d'exposer
leur directeur de conscience aux huées de la populace. Les prêtres
insermentés trouvent leur vengeance dans les vexations que les pay-
sans font subir aux propriétaires, dans les réclamations relatives aux
domaines, dans les menaces faites aux prêtres insermentés, et dans
les propos alarmants qu'ils tiennent eux-mêmes en chaire et à l'autel.
Le temps est proche où les réfractaires devront céder la place aux
1. « Un a séparé ce local du reste de l'église par une clairevoie. 11 est décoré de pein-
tures palriotiijues coniine des décorations d'opéra. Tous les fonctionnaires sont assis
dans des sièges élevés, comme des sénateurs. On trouv'e toutes ces peintures mesquines
et sans goût. Cependant, cela coûte 12,000 francs. » Bibl. de Bordeaux. Bernadau,
Tablettes, t. VII, p. 417.
VO-iAr.K d'un AM.F.MK>n A IU)H|iKAI'\ E\ 1 So I 3.^7
aud't'S et où ils seront chassés ilu pays. On s« lif^urt; alors si les esprits
■^impies seront molesl/'s i-l si l'on inqniétiTa les propri(''taires. I.e
prélt't, loujonrs timoré, ne lait rii-n pour protéger et-s derniers. 11
a peur de se compromettre auprès du gou\ernement. A ceux qui
lui poi'liiil liiirs doléances, il l'uil cilir (•(■•|miii'-c r\;isi\f i-i dii/io- de
loracle tie iJcljdies : Faites ce que la pi iidi-ne,»' vous eom[n:ind*-ra...
Dans certaines récrions, les prêlns constitiitionneis Inlli-nt avec
eneoi'e pins cracliarnement ('(inlrt- li-s anlns |»rélres et cunlrr tout ce
(|ui n'est pas conforme an principe répiiMiniin. Les deux partis ne
sont d'accord que lorsqu'il s'agit d'encourager li |h upli- h la supers-
tition, .l'ai vu, dans le village de BlanqnetorI, in Médoc, le jour de
la tèle de Saint-lHocli, leur jiatron, des Itiinifs de lahonr landais aller
à l'église accompagnés de lenrs conducteurs en Iniljils des dimanches.
Le prêtre constilulionnel bénissait alors les bœufs, les aspergeait
d'eau bénite et, la cérémonie terminée, renvoyait les bêtes à l'étable.
Les gens de la ville sont nutiiis attachés à ces chinoiseries et ils s'éman-
cipent justiu'à s'oublier par trop à l'égard du chef lui-même de l'église.
Sur l'allée de Tourny, des gamins vendaient, ces jours-ci, la lettre
que le concile de Paris vient d'adresser an iiajte Pie \ II. Deux ven-
deurs se rencontrèrent. L'un d'eux criait : « Voilà la lettre du concile
national de l'rance à notre Sainl-Pèro le pape Pie \'ll... !» — « Dis
donc jiolre Cher Père, » lui rijtosta l'autre. Mais le premier en tenait
pour son Sainl-Père et il le cria encore plus fort. Un portefaix, qui
passait par là, se mit alors à le contrefaire ei lui dit, en accompagnant
ses paroles d'un abominable juron : > Tais-toi, coquin, avec ton Saint-
Père, c'est un ... »
Par contre, Meyer vante l'exeellent fonctionnement d'une insti-
tution récente, à lacuielit' la Révohition n'a porté aucune atteinte, et
qui continue à produire de prodigieux résultats : c'est l'institution
lies Siiurds-.Muets. Il va en visiter rétablissenieut smis la londuite
éclairée d'un de ses administrateurs, le grand Marliguac *, ancien
avoijil au Parlement de Bordeaux :
l lie iuslilulioii \r:iiiueiit piiilanlliropiqne, e'est l' iii-t il ul ion locale
ite> SiMirds-Muets. La viileiir de ses professeurs et le nombre de ses
succès permet de la comparer à telle de Paris. 1-dle a été fondée par
M-' de Cicé, r:fncien archevêque, et organisée |tar Sieard ', \ enu
fout exprès de P:iris. Ces stu'Ies d'insf ilul ions exislaieiil depui-; plu-
1. Miiil itriKir (Lt'oiiai'd df (ijiye il»?), né l'i Mrivi' en 171.', iimit à Uorili-.iux ou IS-JO;
il'iilioril lii'iili-iKinl iiu réiîimenl de Fkindre, puis jivoral à Kordfiiiix et jurât de celle
\ illf, il fut élu liAlonniiT de l'Ordre à la it''Oi<.'aiii<alion du barreau. |iiiis iinniiné eoiirîeiller
a la four en ISIti. .\\aiil été, coniini' nu-nilirc df l.i .lurade, a|i|ii-lé à riindainner l.ai'oiiihe
pour esrroiiuerie, mi sait ipie r'esl lui qui rappela de\:uit le 'rrlliunal ri'-\ olutionnaire
où il était traduit la honte de son président. ■'! qu'il lit ainsi L'uillot iner l.ai'onihe à sa
|dace.
2. Sieard ( Hoeli-Aniliroise de C.ururron, dit l'abliéi, I74'2-1S'2'2, chanoine de Sainl-
Seurin, dirij,'ea l'Iiospiee vies sourds-muets de Bordeaux à la mort de l'abbé de l'Épée.
288 VOYAGE d'un ALLEMAND A BOUDEAUX EN 1 8o 1
sieurs années déjà, quand l'Assemblée Nationale décréta qu'il n'y
en aurait plus que deux en France, l'une à Paris, l'autre à Bordeaux.
Celle de Bordeaux est administrée par cinq bourgeois de la ville, et
le nombre des élèves en est limité à soixante. Actuellement, on n'en
compte que cinquante et — que les dames remarquent bien cela —
il y a, sur le nombre, huit femmes muettes... Un maître principal et
un adjoint, deux maîtres en second et deux maîtresses se partagent
l'enseignement. Tous remplissent avec un réel dévouement leur tâche
ingrate et infiniment méritoire. D'après les règlements, le séjour des
élèves dans l'institution dure cinq ans.
Outre riustruction générale et l'enseignement mécanique du langage
à l'aide de signes conventionnels, on enseigne aux sourds-muets les
six métiers de menuisier, de charpentier, de serrurier, de tourneur,
de cordonnier et de tailleur, afin que plus tard ils puissent gagner
leur vie. A leur sortie, quelques sujets d'élite ont été placés dans des
maisons de commerce. L'un d'eux, entre autres, est entré ici dans le
bureau de son père où il fait la correspondance française, anglaise
et allemande. Parmi les cinq administrateurs de l'Institut, figure
l'ancien avocat au Parlement, Martignac, un des citoyens les plus
considérables et les plus respectés de Bordeaux. J'ai accompagné
cet homme éminent dans une de ses tournées d'inspection hebdoma-
daire, et j'ai pu constater que ses pupilles, qui ne sont plus bien à
plaindre, le chérissaient comme un père : Hic amal dici paler '.
Il faut avoir vu soi-même un établissement de ce genre, pour com-
prendre l'émotion que j'éprouvai pendant les deux heures que j'y
restai, et la part que je pris au sort de ces pauvres enfants que les
soins et l'éducation ont cependant bien soulagés. Je ne puis analyser
ici les sentiments qui ont été les miens, pas plus que je ne puis exposer
le plan et la méthode de l'enseignement délicat qu'on donne aux
élèves, ou bien encore suivre chez ceux-ci le processus secret d'un
développement intellectuel (pii varie, du reste, d'un individu à l'autre.
Je peux seulement parler des résultats tangibles de l'enseignement
reçu, c'est-à-dire des progrès faits par les élèves dans leur façon de
percevoir les idées dautrui, dans la facilité plus ou moins grande
qu'ils ont acquise pour les comprendre et, à ce sujet, je citerai deux
faits dont je fus le témoin.
Un nommé Salcède, garçon d'une dizaine d'années et qui ne prend
de leçons que depuis dix-sept mois, était particulièrement surprenant.
Ce sourd-muet saisissait avec toute la vivacité d'un enfant supérieu-
rement organisé les idées qu'on lui transmettait par gestes ou par
écrit, puis, il faisait au maître des réponses aussi claires que précises
qu'il écrivait sur un tableau. Je posai, alors, moi-même une question
écrite à un élève plus âgé. En supprimant une lettre, j'avais donné
un double sens à certain mot. L'élève me regarda, me montra le mot
de l'air de quelqu'un qui doute, puis, ayant remplacé la lettre qui
manquait, il me demanda s'il avait bien compris. Je lui fis signe que
oui, et immédiatement la réponse suivit, détaillée, motivée et parfai-
tement correcte. A son tour, mon sourd-muet entreprit alors de me
VOYAGE d'un AI.IKMAM) V ItOUDKAlX F.\ I So I 389
demander : « Qui ètes-vous? D'où venez-vous? » et ainsi de buile.
J'écrivis: de Hambourg — lionime de letlns. Il parut, étonné que j'eusse
fait un aussi lointain voyat^e de ceLlc uitle voinmcrçunlc sur r lîlbr,
fil Ba.stii'-Sdxc, Allemagne, mots que j'ajoutais au-dessous dt- ma
réponse. Il ne saisit pas bien cet homme de lettres. 11 rélléchit et lioclia
la lêtf diiu air de mauvaise liunnnr. Je pris alors la craie et mis
au-dessous. le mot plus courant ûa sui'niit. 11 se frappa li- Iront eomnie
quelqu'un (jui s'étonm- île n'avoir i>as coinpri'- |tlus lot. ■ iJ'oi'i vimu-z-
\'ous, à présent"? » continua-t-il, — « de Fari^. » Son visajL'e s'éclaira t-l
la joie se peignit dans ses yeux. J'avoue que je n'y étais pas du tout.
l.or>qu il se mil tout ;i coup à éciiir : « Gonnaissez-vous notre Bona-
parte? » — - >i Je le coiuiais et je l'admire, i. lui répondis-je à mon tour
par écrit. Et il nir serra alors la main a\ec, une véritable émotion.
Loreuz Meyer, que ne i( Imle lingratilude (i'aueun sujet, parle
ensuite des droits l'onciers el iiiubilims, des droits somptuaires,
mais surtout, des droits dncLrwi, (|u"il dénonce comme les plus écra-
sants de tous. Sans dnule les eonnaît-il de façon toute particulière,
car son frère, propriétaire à Blanquefort, s'en sera plaint amère-
ment pour en avoiV été, tout le premier, la victime :
De tous les impôts qu'il faut acquitter, dit-il, les droits d'octroi sont
ceux dont l'abus est le plus criant. Les propriétaires des environs sont
tracassés sans cesse et écrasés de droits pour tous les produits, quelle
qu'en soit la nature, (pi'ils introduisent en ville. Il leur en faut payer
jusqu'à douze et quinze pour cent de la valeur. Ainsi, une charrette
de foin du prix de vingt-quatre livres environ, paii- trois et tjuatre
livres de droits. Les bœufs gras sont taxés, eux aussi, ce qui est assez
juste. Alors il arrive qu'un paysan, pour éviter les droits, enlre en
ville sur une charrette traînée par des bceufs, et qu'ajirés axoir \endu
Ceux-ci, il sorte avec le même \éhicule attelé, cette fois, de che\aux.
.Mais, au lieu de guetter les fraudeurs, de les frapper d'amende, et
de déjouer leurs stratagèmes par des moyens divers, on «iblige les
négociants les plus honoraldes et les |)lus connus à consigner à l'octroi
une somme de trente-six livres, cha(pn' fois qu'ils foid entrer conune
propriétaires des véhicules attelés di' bœufs. Il est vrai tjue si les
bœufs ressortent, on vous rend l'argent, mais c'est toujours avec
les plus grandes difficultés.
Lorenz Meyei-, liouinie de lellrcs. et niènie Nr//'r//i/, ainsi tpi'itu l'a
\ Il .>'iiit ilujei- lui-iriêiiie. faisait, à l'exemple de M""' de la Ibiche,
liarLie de l'Académie de Bordeaux. Il eu .ivait elé reçu comme
associé au cours même de son voyage, <'t le choix n'était pas moins
llatteur pour l'.Académie que po\ir son mniveau mi'mhre. .Meyer
n'eu fut que plus facilement introduit dans les milieux' savants,
que mieux accueilli pai Inus ceux qui s'occupaient d'art et de litté-
3^0 VOTAGE n'uiS ALLEMAND A BORDEAUX EN 180I
rature. On lui fit faire le tour des diverses sociétés; on lui présenta
l'architecte Combes et le peintre Lacour; il visita les tombeaux
des grands hommes, les curiosités archéologiques et les collections
particulières. L'activité intellectuelle, un instant ralentie par la
Révolution, semblait prendre un nouvel essor, et Meyer parut
s'étonner de la trouver aussi grande dans une ville de commerce :
A Bordeaux, dit-il, la culture intellectuelle semble moins négligée
que dans la plupart des villes de commerce. L'esprit mercantile y
pèse moins à la livre les fruits de la science; il mesure moins la litté-
rature à l'aune ou d'après le prix courant des marchandises; il consi-
dère moins les savants et les artistes comme des choses inutiles ou
qu'on peut se procurer facilement et à bon marché. J'ai entendu, ici
même, se plaindre de cette mentalité fâcheuse, mais je ne saurais dire
si le reproche est mérité ou dû seulement au besoin de critiquer et à
l'excessif orgueil des milieux savants.
Bordeaux compte plusieurs Sociétés savantes : Société des Sciences,
Société de Littérature et des Beaux-Arts, Société de Médecine. L'on
est en train d'en créer une nouvelle, celle du Muséum d'Instruction
publique, qui sera subventionnée par des négociants.
La Société des Sciences, une fille de l'Institut national de Paris, a
été fondée sur le modèle de celui-ci en l'an six républicain (1798).
Elle compte soixante-dix membres résidents et douze associés étran-
gers (j'ai l'honneur d'être un de ces associés; on m'a envoyé mon
diplôme depuis que j'ai quitté Bordeaux). Les membres sont divisés
en vingt catégories de travailleurs, correspondant aux diffé-
rentes branches des sciences et des arts. Ils se réunissent une fois
par décade dans l'ancien hôtel de l'Académie et s'occupent soit de
travaux personnels, soit de l'encouragement aux arts et aux sciences,
soit de questions intéressant la ville, car celle-ci ne dédaigne pas de
les consulter. Le bel immeuble qui sert de lieu de réunions à cette
Société, ainsi, du reste, qu'à la Société de Médecine, est situé sur
l'Allée de Tourny, où se trouve également la Bibliothèque nationale.
C'est l'ancien hôtel de J.-J. Bel, conseiller au Parlement de Bordeaux,
mort en 1738, lequel a légué à l'Académie, en même temps que sa
demeure, sa bibliothèque et une collection d'histoire naturelle. La
bibliothèque contient environ trois mille volumes. En souvenir de sa
libéralité, on a placé le portrait de ce patriote, avec une inscription
au-dessous, dans la salle où se trouve la collection d'histoire naturelle,
collection du reste peu importante. On voit aussi dans cette salle,
sur un petit socle, le très remarquable buste en marbre d'un conci-
toyen de J.-J. Bel, le président de Montesquieu, par Lemoyne. Le
préfet Thibaudeau a fait installer dans la grande salle des réunions
le monument de Montaigne, qui était autrefois dans un coin obscur
d'une chapelle de couvent. C'est un sarcophage de grès, dans le mau-
vais goût du xvi^ siècle, n'ayant comme forme ou comme exécution
aucune valeur artistique, et sur lequel Montaigne gît, revêtu de son
armiiro. Tout aulonr ouL ('[v dispost's nomlir<> df frri<,'mt'iits arflii^o-
|i»iri(Hit's et iriiiscript idiK (li'cnuvcr'ti's rl:iiis l:i rt''Lriiiii.
Les salles de rAradémie n'avaient giuTo cliang»' do physionomie
depuis la visifo de M""' df la Hdclit', t-u 1 78r). Elle aussi y avaiL vu
le poiliail di' J.-J. -Bel, aujouKrinii di.-paiu avec ceux de Galilée,
de Gassendi et de Newton; le buste de Montesquieu, actuellement
à la bibliothèque de la \illt', ot cette nit'-iuf colltMl ion dhisloire
naturelle où figurait ce monstrueux requin qui avait faut impres-
sionné la voyageuse. On voyait cependant quelque chose de nouveau
dans la grande salle des réunions : le mausolée de Montaigne
que le préfet avait eu la déplorable idée d'enlever à la chapelle des
Feuillants, au mois de septembre ISOO. Idée déplorable, parce qu'à
moins de nécessité l'on n'a pas le droit de troubler le repos des
morts, ni même de violer la pieuse volonté de ceux qui ont élu ou
pour qui d'autres ont choisi un lieu de sépulture; parce que encore,
arracher un tableau, \me statue ou un monument quelconque à
l'ensemble pour lequel ils ont été créés, c'est commettre un crmtre-
sens qui intéresse à la fois l'art, l'archéologie et l'histoire. Et, en
l'espèce, les conséquences de cette faute furent d'autant plus
fâcheuses et ridicules que, sous le cénotaphe où chacun pensait
saluer les restes vénérés de Montaigne, reposait le corps d'une femme,
celui de Jeanne de Lestonn.ic^... ! A la chapelle des Feuillants, où elle
aussi dormait en paix, on avait confondu son cercueil avec celui
de l'auteur des Essais. L'erreur fut découverte un peu jihis tard,
en 1803 2, et le tombeau de Michel Montaigne, que, trois ans plus tôt,
on avait transporté en grande pompe, au son de la musique et sur
nu char traîné par quatre chevaux, reprit, sans tambnm ni linm-
jiette cette fois, le chemin des Feuillanls d'où il n'aiirail jias dû
sortir ''.
1. Lpslonnnr {.Toîinno-Mnrio de , ufi- ,i I iunlfjnix on ir>rii., in.nifi- i>n ir>7v.' ;iii ni;irc|iii<
lit' MoiitfeiTJiiul, iiinilc en ll'ilO dans 1»' (-(uneiil «li'S lilli-s de N.-I"). i|irfllc :i\:til fond»-.
■1. Dissi-rtiitioi) d'un nicinluc de l'.\r;idi-nii<' d«'s Sricnrcs. Itt'Ili's-l.cUri'S td \rl> dt>
Mordeaux, liK- en si'-:inrt> |iiililic|iii- II' 10 in.ii 1 S(i;l I M.-Élvc/.in, M Irlirl il,' Mnnluitini'. \<. ISO'.
3. Le couvent des Feuillants, ordre de Sainl-Kernard. se lniii\ait î'i l'exlréniit»'' sud
de la rue des Ayres. Il renionlail à iris9. Oreuiié en |i;ntie au XIX" sit'^ele |i;ir le Lycée,
d fui transformé en école de filles vers IHHl. A celle époipie, les centires de Monlaimie
Inrei.t exhumées et portées au déposUoire de la Chartreuse. Klles y restèrent
jusqu'à»! 11 mars isHfi, date à laquelle on les déposa d.ins le vesllliule de la F.icullé
des Lettres, sous le mausolée (|ui venait il'ètre resl.'iuré. Comme, aux dires <le M"' de
La Hoclie, ce mausolée était encore .'disolument inl;iil i-n 17s.'i, il est prolialde qu'il
avait été cléirradé sous la Kévolulion ou Idi-n pendant l'incendie du .T) m.'ii IK71. qui
luina la cliapelle où il se trouvait. M. \'enlurini. sc\i|pteur. di- qui nous tenons i-es
ri'nseii.'nements, a refait la pleureuse .-intérieure, l.i tête d'.-inuelot et le Id.tson nrniorié
du Coté gauche, ainsi ipie nomlire de inouluies.
Ce mausolée, fait en pierre de Crazannes, n'est évidemment pas un_type parfait^de
242 VOYAGE d'uN ALLEMAND A BORDEAUX EN 180I
La Société dite du Muséum d'Instruction publique, dont Meyer
vient de parler, fut inaugurée l'année suivante, le 30 frimaire an X,
dans un local que Goethals ^, son véritable fondateur, avait fait
bâtir sur les plans de Combes. Ce local, situé rue Mably, prit plus
tard le nom d'Afhénée. Il sert actuellement de salle des ventes :
Le Muséum d' Inslruclion publique, qui vient dètrc installé dans un
immeuble construit exprès, )>romet de rendre les plus grands services.
On rouvrira bientôt. Il a pour fondateurs deux actifs citoyens, Goe-
thals et Rodrigues, qu'on a mis à la tête de l'Institut. L'autorité leur
a donné son apjjrobation, mais elle ne leur a pas accordé de subven-
tion. Une assez imporlanlt- collection d'histoire naturelle et d'objets
d'art, réunie par ces messieurs, a été exposée dans une salle fort bien
aménagée à cet effet et très élégamment décorée. Outre le but d in-
térêt public qu'on s'est proposé, on veut créer un lieu de rendez-vous
des amis des sciences en mettant à leur disposition un salon de lecture.
On pense organiser aussi, au profit des membres souscripteurs pour
une année, des cours scieidiflques, élaborer des travaux divers et
publier une histoire naturelle du département de la Gironde, une
histoire de la littérature et des mœurs du paySj ainsi (ju'une revue
périodique des lettres et des arts. Le Muséum servira en même temps
de maison d'éducation gratuite pour douze jeunes gens d'élite, et les
artistes y exposeront leurs œuvres. On décernera des prix. Tout est
parfaitement organisé et les fondateurs sont vraiment dignes du
sérieux concours qu'ils ont trouvé partout. J'ai vu dans la maison
de INI. Goethals un bon conunencement de collection d'histoire natu-
relle, de peintures et d'objets d'art qu'il destine au Muséum.
Parmi les rares peintres qui vivaient alors à Bordeaux, Lacour,
qu'on présenta à Meyer était à peu près le seul qui eût quelque
talent. Leupold avait disparu depuis 1795 et Lonsing depuis 1799,
Cependant, Lacour végétait, et Meyer raconte que son pinceau ne
rapportait à l'artiste même pas de quoi vivre :
A Bordeaux, observe-t-il, l'art meurt de faim. Du reste, il est rare
que les villes de commerce entretiennent les grands artistes: elles ne les
font vivre qu'un moment. Il n'y a guère que les peintres de portraits
qui gagnent autre chose que du pain sec. Bordeaux n'a pas échappé
à la règle. Un seul peintre distingué et que j'admire parce que c'est
un artiste qui pense, Lacour, vit ici, mais s'il vit c'est grâce à ses
ressources personnelles bien plus qu'à l'aide du produit de son travail.
Il possède en histoire ancienne et en histoire moderne, de même que
S(iil|iture (le la Renaissance. Il date de 1593 et a toutes les lourdeurs d'une époque de
transition. Mais il est loin de mériter la trop sévère appréciation portée sur lui par Meyer,
qui, du reste, a englobé dans son mépris le xvi'' siècle tout entier.
1. Goethals (Jean), amateur éclairé des beaux-arts et grand rollectionneur, né à
Courtrai en 1760, fixé vers 1780 à Bordeaux, où il est décédé en 1841.
VOYAGE l> IN ALI.EMANO A HOUOEAUX EN |8oi a/|3
(l;nis les langues étrangères, des ronnaissances exce|>l iwiiurlles. C'est
nii s|técialiste de la peinture d'histoire et du paysage. Si ses toiles sont
(l'un coloris itent-êtn- un jkmi froid, elles n'ont pas, en Ions ras, les
défauts de l'école franeai'^c. l'.lles sont composées avec aniard d'esprit
(|iii' d'intelligence et poilrnl liien l'empreinte d(; cette école de Home
à laipicllr a élé loi-na; Lacour. Son inéi-jlc est d'aut:inl plus grand que,
ilans ce milieu si peu faNorable à l'art, il doit tout tirer de lui-mê*me;
qu'il \it loin des (•liets-d(i'u\re des irrands iimil n-; él rangers et des
connaisseurs qui pourraient lui faire utilejnenl l:i rrilique de ses Ira-
\aux. (^e tprii \ a de sfn', c'est qu'il ne recueille pas It; fruit de son
laheur, car il n'\ a personne, ici. ipii reelierelie ses œuvres et qui
les paie, expérience décevante (|u'(»nl faite aussi et t|ue font encore
beaucoup do nos lions artistes en Allemagne. Sous la Terreur, le
mallu'uicux maire Saige, ami des arts et prolecteur de lout ce qui
était beau el utile, av^ait commandé à Lacour toute une suite de
grandes compositions tirées de l'histoire grecque, de l'histoire romaine
et de l'histoire de France. Kn rénnuiération de ct^ travail, Saige a\ ait
promis à l'artiste, outre ses honoraires, um- reide annuelle de 1,'2UU li-
vres... Vaine espérance ! Lacovu' travaillait au deriiier de ces tableaux
quand la lête de Saige tiunba sons le couperet de la guillotine. Ces
peintures, fort liien composées, sont encore accrochées a\i mur chez
Lacour; elles y sont les tristes témoins de toutes les déceptions de
Tartisle et ceux dune é|ioque abominable.
A en juger jiar celles que nous connaissons, ces peintures, au
nombre de neuf, n'étaient pas des morceaux de premier ordre. Nous
qualifierons volontiers leur style de « pompier ». Mais, ce (pii imus
déplaît eu elles faisait précisénniil le iliarme des jiarl isan^ de la
nouvelle école, et il était naturel (pie ceux (|ui admiraient alors le
genre gréco-romain mis à la mode par David, n'eussent pas, comme
Meyer, assez de mépris pour u les fautes de l'école française ».
Vers 1803 ou lSO-1, I.acour voulut vendre ces tableaux au Conseil
départemental pour meubler l'ancien InMei Saige, devenu celui
de la Préfecture. « Si la rente, écrivait Lacour, ([ue M. Saige devait
nié faire était accumulée, elle s'élèverait à 15,000 livnis, sans préju-
dice d'une gratification de 6,000 livres (|ue M. Saige, m'avait promise,
et qu'il eût certaiiu'inent acquittée. Loin de lUt-tendre à tout cela,
je me réduis à 12,000 livres, prix le plus m(i(ii(pie (pi' il M>il d'établir,
mais (|ui me ferait placer mes tableaux dans un endr(ut public
et permanent^. » Malheureusement, Lacour dut. garder ses peintures
qui, depuis, ont été dispersées.
Malgré cet insuccès, et (juoi ([u'(;n dise Mey(r. Lacour, (|ui fut
un p. mire très prisé et très choyé des Bordelais — sauf peut-être
1. UililiutliiMiiii.' lie IjLiiiliMiix. rii'iTc Lacour, lor. cir,
2^6 VOYAGE d'un ALLEMAND A BORDEAUX EN 180I
durant les années de trouble qui marquèrent et suivirent la Révo-
lution, — Lacour trouva dans l'exercice de son art autre chose
que la misère. Lui-même le dit bien dans l'épitaphe qu'il s'était
composée et dont voici la dernière strophe :
J'ai vécu mes quatre saisons,
Longue el belle fut ma carrière,
Comblé (Vhonneurs, chargé de dons,
Je suis rentré dans la poussière i.
D'ailleurs, comment Lacour n'aurait-il pas réussi dans une ville
d'un pareil luxe, où l'or coulait à flots et où, pendant plus d'un
demi-siècle, l'art venait de se manifester avec une extraordinaire
intensité et sous les formes les plus diverses? Les amateurs bor-
delais ne s'étaient même pas contentés de demander leur portrait
à Lacour ou de lui faire décorer leur hôtel de grisailles, voire de
sujets d'histoire dans le goût de ceux commandés par Saige; ils
avaient réuni chez eux nombre d'œuvres de maîtres anciens et
modernes, et entre autres collectionneurs dont il a visité la galerie,
Meyer cite Journu-Auber, Mollor et Bernard :
On voit ici deux collections qu'il convient de mentionner d'une
façon toute particulière : celle du négociant et sénateur Journu-Auber -
et celle du négociant Môller, un Allemand. La première renferme un
choix de tableaux de chevalet par Peter Neef, Van der Meulen, Van
de Velde, Greuze, Dietrich, Batoni et autres. De Batoni, Journu
possède la Mort d'Antoine, connue par la gravure de Wille, et, de
Vernet, les Quatre heures de la journée, quatre peintures incomparables,
exprimant bien la puissante facture et le style enchanteur et troublant
de ce peintre rare; puis un Incendie pendant la nuit, une Tempête en
mer, une Journée brumeuse et un Temps clair. Vernet considérait lui-
même ces différentes toiles comme ses meilleurs ouvrages; il les
revoyait toujours avec la satisfaction d'un artiste conscient de sa
valeur. A la manière dont est présentée cette galerie, sans doute peu
considérable, on sent que le propriétaire en a réuni les tableaux con
amore. A côté se trouvent une bibliothèque choisie et une collection
d'histoire naturelle, collection si facile à faire dans une ville maritime,
grâce aux relations avec les capitaines de navire.
La collection du négociant Môller, plus importante, est aussi plus
variée. Davantage que dans la précédente, j'y ai retrouvé mes héros,
les tableaux des grands maîtres italiens : une Mise en croix du Bassan^
de dimensions exceptionnelles et remarquable d'exécution; l'esquisse
originale, très poussée, du Saint Romuald de Sacchi, une des plus
1, Bibliothèque de lîordeaux, Pierre Lacour, lor. cil.
2. Joiuiiu-Auber, comte de Tustal (Bernard), 1745-1815, armateur, député de la
Gironde à l'Assemblée législative, pair de France.
VOYAGE d'un AI.I-EMA>U A HUhULALV EN I.*^m| uf^b
famouses |»i'iii(iirt's iju'il y (-ril ;i Himic, ;iiij*»iiril'liiii :i l'un--; «Itux
belles liuluilU's, du Bourguignon; une inugniliciuu iclcilr (Jiri.sl, pleine
d'expression, de noblesse sublime et de résignation, sans doule due
au Guide lui-même, i>u liiiu copiée d'ai>rès lui par ((uel<[ue habile
peintre de lu vieille école. J ai \u également une très belle peinture
ilu pa\sagiste anglais .Mo<»re, mon compagnon de soyagi.' à Home,
aujourd'liui décédé; enlin, iiuelques grands et beaux Téniers, i*ouh-n-
burg, Breughel, etc., etc.
Il me faut mentionner aussi les tableaux d'un orlïnre nomtné Ber-
nard ', bien ijue celui-ci traficfue de sa collection, ce qui lait (ju'elle est
un i)eu vagabonde. Je me rappelle avoir \u chez lui le plus beau
paysage de Téniers; deux batailles dune l'ougue incomparable, par
llugtenburg et \'an der Meulen, etc., etc. En homme qui spécule sur
les œuvres d'art, il m'a raconté que, dernièrement, dans une vente
laite à Paris, un collectionneur français avait iia\é un l*ol l'otter de
très modestes dimensions l'J,ôUU livres, et deux paysages, de Molinara
je crois, 4U,UUU livres ! Ce qui prouve qu'en France le luxe coûteux
de l'amateurisme est de nouveau en laveur.
\ ingt mille livres, c'est-à-dire quarante mille francs, pour un
petit Pul l^utter ! Mais, n'étaieut-ce pas déjà les folies et rinuuural
gaspillage auxquels nous ont habitu(;s aujourd'hui les tours de
passe-passe des luarcliauds et le « snobisme » des prétendus con-
naisseurs ?
Le Bernard en (luestiun, un gros orfèvre, avait son niagasin place
de la Comédie, n" 3. 11 était associé avec son beau-frère sous la raison
sociale Sicarl de Bernard. Le comte de Paroy raconte dans ses
mémoires quil faillit le faire guillotiner en même temps que neuf
autres témoins auxquels il avait demandé de signer un certilicat
de résidence que Fouquier-Tinville prétendait faux -. C'était un
homme fort bien de sa personne, élégant, distingué, et i[u'il >erait
injuste de ne pas considérer comme un véritable amateur parce
qu'il aurait, parfois, revendu des tableaux de sa collection. l>u
reste, il savait aiq)récier pour lui-même le talent duu artiste, car
i| lit faire au moins trois fois son portrait : par Lacour, précisément,
en IT'Jl ; par X'incent '^ en 17*J3, et par Eugénie Lethière * en lb(J4.
1. lifiiiurd (Juiiii-UiiiilisUv, en lamiile Léon, iiO a IJoriifaux, iMioiese Suiiile-tolombu,
le 10 u\ril 1704 et bapliaé le même jour à isuiiil-Amiie uVnli. iimii., seiie CiO. par.
Saiiil-AinJré, let,'. 104, f" 75, uele lô77); marié à ThéoUslc LacloUe le M murs l/iM
(Greffe du Tribunal civil).
-. MLiiiuircs du Cunilc de l-'aruy, p. 4.i0.
3. \ iuceal {Fraii«;oi»-.\.udré), 1/40-1610, élevé de \ ieu, Cirund l'rix de Home eu 170î>,
membre de l'Académie, marié avec .\délaïde Labille des \ erlus, premier peintre de
Mesdames de France.
4. Lelliiére (Eugénie), lille de Guillaume Guillon Lelliiére, 170O-1S32, Grand Prix
de Kome en 17S0.
346 VOYAGE d'un AIXEMA>D A BOKDEAUX EN 180I
Lorsqu'il mourut, le 9 juillet 1833^, on trouva encore chez lui
nombre de tableaux et de gravures, et une extraordinaire quantité
de... culottes de soie 2.
S'il fut séduit par Fart, Lorenz Meyer prit assurément moins
de plaisir au théâtre, alors en pleine décadence. On n'y voyait plus ■
le beau Larive, ni la Clairon et la Dugazon, la Saint- Val, les Vestris
et les Dauberval qu'avaient applaudis M'"*" de La Roche et l'anglais
Young lui-même. Mais si acteurs et danseurs étaient mauvais,
le répertoire était pis encore. On jouait, même à l'Opéra, des pièces
à peine dignes d'un théâtre de barrière :
A Bordeaux, dit Meyer, le théâtre partage d'une façon toute spé-
ciale le sort de l'art dramatique en France. Les rôles sont parfois
tenus avec une certaine maîtrise, mais quand les héros chaussent
leurs cothurnes — grand Apollon ! (piels rugissements, quelle fièvre,
quelles convulsions ! L'o[(éra et la danse sont médiocres. 11 n'y a de
bonne chanteuse (jue M"'' (Utsal. La \oix de Gueuet, qui nous avait
plu sur la scène de notre lliéâlre, à Hambourg, est éteinte, et, ici
comme cliez nous, M""^ Gasser bat l'air de ses grands bras. La dan-
seuse Coustou est sympatliique, de même (pie le premier danseur
Titus (comment un sanlenr peut-il s'an"ui)ler d'un nom si auguste?),
bien <[u'il soit mal bâti. L'orchestre est excellent.
Quant au goût du public — ne devrais-je pas dire sa jtatience? —
on chercherait \ainenient son pareil. Je n'en \ eux d'autre preuve,
car je n'ai jamais rien vu de semblable sur aucune scène de village,
que Ponce de Léon, l'opéra qu'on joua il liier. Cette dégoûtante farce
de carnaval, représentée sur une scène parisienne il y a imit ans,
faisait partie d'une série de pièces commandées (?n luiut lieu pour
démoraliser le peuple. Elle était jouée ici jiour la première fois avec
l'autorisation du commissaire de police Pierre Pierre, ce qui donne
une idée de la culture de ce Marseillais. Je ne puis la raconter en
détail, n'ayant assisté qu'à la moitié de la représentation, mais je
sais que les principaux rôles étaient tenus par des imposteurs, des
cambrioleurs et des ravisseurs de jeunes filles, tous habillés en prêtres
des différents ordres. Le plus fort de la farce consistait en un pugilat
et une prise aux cheveux entre plusieurs médecins tenant un conci-
liabule et leur malade, également déguisé; au moment où la dispute
devenait générale, le malade se levait de son lit et se ruait si furieu-
sement à coups de traversin sur les médecins, qu'il renversait tout
et que les verres de lampe de Favant-scène volaient en éclats... Ce
bruit infernal m'obligea, ainsi que quelques voisins honnêtes, à quitter
la salle. J'appris ensuite que le public avait eu la patience de laisser
jouer la j)ièce jusqu'au bout, mais que, une fois finie, il l'avait sifllée.
L État civil de Boiileaux.
2. Inventaire ilu 1.5 avril ls39. M" MacaiiT, notaiie (Étuile Peyieloague),
\<>» \(.i; Ii'l \ \IIIM\Mi A IIOHDKAI \ KN iSoi
La (lircclidii, parail-il, Ji'avail jias la iiiaiii j»lus licurrii.'C t|ii;m(|
il s'agissait de choisir lo spectarlf à jou<t ili-vauL un «Hraiigi-r de
marq\io. Et Mcyer raconte à ce propos df qm-lle façon maladroite
l'I iiirtiic grossière le rui d' Ml nirir ' , (juj voyageait, sous le nom de
diim/r ilr Liraiirnc, ;i\;ii( été reru au mui.N t\f mars ]»récédeut:
C'est surhtid il y a ([uek[nes ninis, lors de la visilc du roi d'J'ltrurle,
que la direclioii lit preuve de mauvais goCd. Ici comme à Paris, le-
souverain lut accueilli avec un (Edipc, c'est-A-dire une pièce repré-
sentant un i>rince victime de la di-slinée et jeté par rllc ù l.;is du li-ùrn-.
A Paris, on jou;iil lu tragédie dr Ndliairr: ;'i liordeaux. l'o|iér;t >\v
Saecliini. Avant le Wwv du ridrau, un aeirur j»arul sur la scéur ••!
se mit à débiter une histoire à la l'ois si hassemcnt Hat I ruse cl si iiieou-
xi'uauic, où le roi élail comitaré à je ne sais |dus ipirl lit-ros dr la
Grèce et la reine, ipii nCst pas très l»elle, à la Vénus de Médicis, (jue
les souverains ne voulurent jdus icmetlre -les pieds dans K- temple
des Muses de Bordeaux, si peu recommandables.
L'arrivée du nu à Bordeaux, sa réception à la Prélecture et le
bal donné en son iionueur n'a\aient pas été moins réussis que cette
représentation et Meyer en a lait un»' jut tori'S(pie di'xription :
Je me suis trou\é une autre tois sur la roule de ci- inouarqui' en
voyage et auquel la seconde ville de l'rance a fait un accueil des plus
maladroits et des plus blâmables, car la façon dont on a traité ce
piincr. d'un bout à l'autre de sou séjour à Fiordeaux, étiul \rai-
mcnt l'aile pour lui uionirrr qu'eu France on ne sait plus \oir un roi.
ni lui offrir l'Iiospihdité. Le |iréf(d a\ait donné l'ordre qu'on Ir reçut
comme ini roi. el une somme rondelette de 40, (KM» li\r«'S avait été
\ o| ('c du lis cr JHll . poiU' les ( | ue|(| ues joui'> si'uleniell I ipii' le r(M devait
rester à Bordeaux. ( .e|ien(l:iiil , rien de plus jdleux cpje sa réception.
Dès son arrivée, ou li(in\.i nio\en d'indisposer le comte par le cri
absurde et déplacé de 1 ii'c Le lUti ! poussé dans la rue par «b-s jeunes
gens. Mais le prince, (d cel;i fait boiiueur à sa modestie autant qu'à
son tact, ne miI nCu |:k1icc (jne pour demander si on songeait assez,
en France, à loul ce ijui' le |>a\s de\;iil au premier C.onsid...
Pour félcr l;i \euue dn loi, on ;i\ait prépai'é l'illuminai ion de
lliolel df l;i l'ii''l'ecl ui'e, on \\ ehiil descendu, mais elle ne put a\ oir
lieu. Le roi devait arrixcr à jnur li\e, d;in>- l;i soirée. Le préfet était
donc prévenu, et, pour connaître plus exactement l'iieini' d'arri\'ée
1. Louis V' lie Pîiniif (1773 lS03i, (ils «le l'(Miliii;in"l III ilf llnmlion. duc île P«rino
't lie Plaisaïuc. V.w I70t>, lors «le riinaKion ^lt'^ l-'r;mi;;ii.s en M.-ilii-. il ;i\iiil coiisiTx é
fe> petits étals giAre à sa pareille prodie avec la maison il'I-'.spairiie et i'alllaiire nou-
velle (pie celle puissance veiiail de contracter a\ec la l'r»iiii'e. Mais Itoiiaparte ne
tarda pas à s'en emparer el, en verlu d'une i'on\ entioii faite à .Madrid le -il mar.- istM,
la Toscane, (pii \enait d'être eiilc'v^e à IWulridie par le traité de Lunéxille, fui érigée
en royaume fl'Klrurie el cédée à Louis pour le dédonunager de In perle «le Plainnncei
Parmi' el ( iii:isl;illa.
j48 voyage d'ux allemand a bordeaux en 1801
de son hôte et préparer sa réception, il lui sulTisait de se l'aire renseigner
par des courriers à partir des deux derniers relais. Il n'en fit rien
cependant. Aussi, le roi étant arrivé peut-être une demi-heure plus
tôt qu'il ne l'avait annoncé, il entra à la Préfecture par une cour sans
le moindre éclairage, mais pleine d'une foule de gens qui criaient
Vive le Roi ! Le préfet, un flambeau dans chaque main, vint alors
sur l'escalier recevoir le roi et la reine, s'excusant, sans doute, auprès
d'eux que ses gens eussent pareillement négligé d'allumer les lampes.
Le mobilier de la chambre royale laissait aussi beaucoup à désirer.
Quoique notre hôte parcimonieux se fût donné beaucoup de mal
à courir toute la ville pour emprunter ce qui lui manquait, il n'avait
partout essuyé que des refus. Et sans doute n'avail-il pu trouver
rien de mieux chez les meilleurs fripiers. Les deux lits, qui n'étaient
pas de même forme, n'étaient pas non plus recouverts de la même
manière. Le trop affairé Leumund raconte même que lorsqu'elle
fut sur le point de se mettre au lit, la reine ne trouva pas cet instru-
ment qui porte le nom qu'on donne à Paris aux cabriolets de Versailles.
Le bal fut très réussi. Le préfet avait seulement négligé de composer
pour le roi un quadrille de gens bien élevés. Celui-ci fit à la bour-
geoisie l'insigne honneur d'inviter lui-même à la danse W^^ A. 1. B...,
une des meilleures danseuses de la ville. Le quadrille était conduit
d'une façon tellement désordonnée, que les danseurs, qui étaient
un peu trop gais, envoyaient, en tournant, les basques de leur habit
dans la figure du roi. Et si le malheureux venait à s'arrêter, on le
rappelait sans pitié à l'ordre, le tirant de tous les côtés. Pendant que
le roi dansait, un ofiicier se vautrait, avec un sans-gêne par trop
démocratique, dans le fauteuil resté vide à côté de la reine ^
1. MeyLT n'uxagùie rien; il est intéressant de iu|) piocher de son récit celui laissé
par Uernadau sur le même sujet :
» XXV. Floréal an XIII. Le roi jacobin d'Étrurie, sous le pseudonyme de comte
de Lixourne, est entré ce soir avec sa suite à Ltordeaux. (Juatre voitures à l'espagnole
accompagnaient la sienne, qui était escortée d'un détachement de dragons. On a crié^
sur son passage force : » Vi\e le roi I > assez déplacés. Il a été logé au département,
qui était éclaire ainsi que le chemin du SaLilona et le cours de la Convention. Le commis-
saire général et les maires de Bordeaux étaient allés l'accueillir à che\ al au moulin d'Arc,
où flollaieut les pa\illons de France, de FEmpire et de Toscane. Un monde inlini était
sur son passage, a pied, à clie\ al et en \ oilure. L'escorte était [dus brillante que l'escorté.
XX^ 1. » Le prince a été, ce jour, à la Comédie, et l'on avait mis sur l'afliche : Iwnoré
de la présence de Monseigneur le Comte de Livourne et de son épouse. Entre les deux
pièces, assez ordinaires d'ailleurs, on a lu sur le théâtre de mauvais vers à la louange
de leurs majejités. Us sont de la façon du lils du légiste Martignac, qui a fait sifller,
ces jours derniers, à Bordeaux, un \audcville intitulé Esope chez Xanlipe. Les jacobins
ont trouve ce compliment très aristocratique, les gens de goût l'ont trouvé encore
plus mal imaginé qu'exécuté, le prince Fa trouvé trop servile, et sa femme Fa trouvé
ironique; car on i)arlait de ses grâces : elle est petite, laide et un peu bossue. Le soir,
il y a eu gala et illumination à la préfecture. On dit que le général Saint-Cyr y a fort
chapitré le commissaire général de police d'a\ oir laissé lire au théâtre des \ers aussi
déplacés, et que la princesse en a paru de mauvaise humeur.
" XXVII. Le prince est allé ce matin visiter le Palais Gallien et le moulin de Lacalan,
deux ruines de divers âges. Au retour, il y a monté sur le nouveau corsaire à quatre
mâts appelé V Invention, qui est devant le Chàleau-Trompette. Le canon a ronllé à son
passage. Il était dans une voiture avec le préfet et le commissaire général. Une autre
voiture était pour la suite du prince. Il s'embarcjua au quai du Chapeau-Rouge dans un
petit canot garni tout simplement d'un teiidelet garni de cotton à raies et monté de
douze rameurs en gillet blanc. Il voulut faire le tour du navire pour y monter du cùté
VOrAGE h't N ALLEMA.ND a Uf)Rl)EAL\ EN 1801 3^9
Lorenz Moycr iciii.ii'iiiir i[\v -i I un ;i\;iil rduli»' au iiiniuilii' hdur-
geuis le soin de réjjjlt'r la récei)tion du souverain, il s'en serait certai-
neitii'ul iiijt'ux liif qur la préfecf un', n ciw les nmiii'hiis savent
concilier les convenances avec le lll\r, \'r\r'^;iiii-r d |r Imu ;.'i.ril.
reniai(|iir loiluifc, ajoult'-l-ij. (|iii m'amène à Irnlti uiir esquisse
des Mi<i'iii> (le relie \il|e intéressante, mais seult-meul, daio la mesure
où la durée des deux séjours ({uc j'y ai laits a \>\[ me iiermellie
d'étudier ces mœurs. »
A Hordeaux, la sociabilité constitue le fond des relations nmmlaiiies.
llMs|iilalité, accueil des plus larges, intércl hienveillanl el sincère
a|iporLé à votre conversation, voilà ce qu'on trouve dans presque
toutes les maisons. La |»oIilcsse française s'y allie à la i»onhomic
allemande, et la conversation en société est facile et sans aucune
affectation. (Jn vit entre amis et le cercle des amis constitue une
autre famille. Le contraste de ces habitudes avec celles de la société
parisienne est frajqjant. Car, d'une façon générale, t|u'il s'agisse de
leur aspect extérieur ou de leurs mœurs, il n'y a guère de ressemldance
entre Bordeaux et Paris. Paris a vraiment la physionomie et l'air
caractéristique de la métropole du luxe sans frein, des interminables
folies. Plaisir et luxure, joie et immoralité, y sont indissoluldement
liés. Quant à Bordeaux, c'est une grande cité sans doute, mais, des
qu'on la compare à Paris, on s'aperçoit qu'elle a les caractères. d'une
de leiTc où ét;iit plari' iii\ escylii-r, mais il ne put i>as!-er,atlt'i\i.lii l'ciuliaiias nui' roriiiaieiil
li's tailles (les iia\ lies \oisiii» tiu'oii n'axait pas eu la préeautioii <le faire anani:er. Le
eaiiol fut ot)lit;é de revenir d'où il i'init parti et de Ioniser le liord. Le prinee monta ~nr
le corsaire, où il fui reçu aux cris de : » Vive le roi et la Hépubliiiue ■ ; on y resta
demi-heure et se retira pour aller dîner à Claudeyraii, dans la maison de (-ampatine du
gC*n6ral Sainl-Lyr, beau-frère de Uonaparte. Le sala fut mai;iiilii|ue el les environs
de cette maison furent remplis de curieux et d'ivromies de tous les parli.s, i|ui eurent
des propos comme on le croit. Le prince se retira tard el n'alla pas à la Lomédie. dont
on lit retirei- les alliclies ipii l'annonçaient. Il craijinail, sans doute, d'y être in>ulté
de noiiNcau pai- ipielcpie complimenteur en \ers.
XWIII. Le prince a donné, ce soir, uala, s;rand bal et fen d'arlillct- au déparlemenl.
Il \ a\ait -,'00 invités ou invitées pai'mi les fomlioimaires actuels ou passés. L'assemblée
était lirillanle. Le prince a ouvert le bal a\ec .M"'' de Meyer, 1res belle per^onne. Il a
mis le feu à l'aitilice, el ensuite, quaml tout le monde a été à table, il en a fait le lour,
en disant de part et il'aulre des choses flatteuses aux convives, puis il s'est retiré dans
son appartement, d'où il n'est plus sorti. Il est sérieux el llecmatiiiue, i|uoii|ue jeune
el bien fait. Sa femme .i l'abord très riant et alTaldc. L'un et l'aulre parlent bien français.
Ils sont pieux comme des Ivspaunols. Letir auntciniei', qui les suivait, a dit la messe
dans leur chambre, au département, et leurs gens allaient à celle des non-confoiini^les,
aux Irlandais, ce ([ui a été très remarqué.
» XXX. Le |irince et loule sa suite a ([uitté hier matin celle ville. Li- piéfel el le
général raccompagnaient jusqu'aux frontières ilu déparlemenl. Ils parlent mécontents
des IJordelais et les bons observateurs les voienl au contraire s'éloigner avec plai^ir.
Leur présence alimentait la haine des partis. Il n'est pas de sot conle qu'on ne fa^^c
sur ce voyage. Un dit que le prince va prendre la couronne de France ou la poser sur
la tèle à un de ses pages, que les imbéciles disent être le lils île Louis XVI. Pour nous,
nous ne pounons jamais concevoir comment ils oseront aller se promener à l'aris, où
leur oncle a péri sur l'échafaud. .Vu reste, on ne cite pas un mol pii-quant, pa> une belle
action émanée de ces Majestés, depuis un mois qn'ello sont en France. ■ (Bernadau.
toc. c//., p. Ô6ô à 008.) — Ce n'était pas le général (iouvion Saint-Cyr, mais le général
Lcclerc, qui élait beau-frère de Monaparle. Uernailau, lependanl, a peut-être bien
entendu parler du uénéral Suinl-tyr. L'un el foutre élaienl. du reslc, ù Bordeaux
en 1801.
18
35o VOYAGE d'un allemand A BORDEAUX EN 1801
ville de province. L'aisance où sont encore beaucoup de gens procure
bien, ici aussi, les plaisirs et la joie de vivre, mais elle satisfait ces
sentiments sans les développer; on ne court pas non plus si ridicule-
ment après la mode; l'attrait du plaisir ne revêt point ici, comme
là-bas, les formes de la débauche; la joie n'est pas déréglée et sans
frein, et le libertinage, qui sait lui-même se présenter sous des appa-
rences moins choquantes, n'offusque personne par l'étalage du vice.
Quant à l'aspect extérieur de la ville, toutes les rues, petites ou
grandes, sont propres, mais presque toutes mal pavées. Il n'y a pas
le bruit, la confusion et les encombrements de la capitale. L'anima-
tion commerciale est concentrée aux Chartrons et dans le quartier de
la Bourse. On voit peu de voitures et de cabriolets et le nombre des
fiacres est insignifiant par rapport à l'importance de la ville. Les
prix des voitures sont arbitraires et très élevés. Rien ne trouble la
tranquillité de la nuit. Dès onze heures du soir, les maisons et les rares
cafés qui existent ici sont fermés. Même pendant le jour, ces cafés
ne sont guère fréquentés plus de quelques heures. A Paris, c'est le
désœuvrement qui domine partout et sous toutes ses formes; à
Bordeaux, au contraire, c'est l'agitation commerciale qui se manifeste
au dedans et au dehors; toute l'activité tend vers les affaires. La
foule des gens qui, à Paris, se presse dans les lieux de plaisir, laffluence
qu'on rencontre dans les établissements publics à toute heure du
jour et de la nuit, on les retrouve ici mais' sous une tout autre forme
et dans un milieu bien différent : à la Bourse, à deux heures de l'après-
midi. Du reste, les lieux de plaisir sont rares et peu fréquentés. Il
manque à leurs tenanciers le don que possèdent les entrepreneurs
parisiens pour renouveler les attractions et attirer chez eux les per-
sonnes de la société. Le théâtre lui-même est rarement plein. La
nouvelle salle de spectacles ', — et précisément parce qu'elle est
nouvelle — attire encore ciuelques personnes, bien que la chaleur
soit très' forte, car elle continue à osciller entre 26° et 28" Réaumur -.
Pour ma part, je n'aime guère à me calfeutrer dans une petite salle
après une journée étoufïante. On va plutôt au Grand-Théâtre.
Comme il est isolé, les courants d'air permettraient d'y supporter
la chaleur si Ponce de Léon et autres productions dramatiques du
même genre ne faisaient fuir les honnêtes gens.
La différence entre Paris et Bordeaux s'observe encore dans la
façon de vivre chez soi, dans la tenue de la maison et dans la manière
d'être de tous les jours. On dine après la Bourse, à trois heures. Le
menu n'est pas à proprement parler frugal, car les plats sont nom-
breux et recherchés dans leur préparation. La façon dont se passent
les repas diffère aussi de celle de Paris; on fait le service avec plus
d'ordre et moins de rapidité. La cuisine paraît supérieure à la nôtre.
La plupart des banquets, au sens véritable du mot, sont exclusi-
vement composés de messieurs, ce qui enlève à presque tous les repas
de ce genre le charme d'une conversation attrayante et spirituelle.
1. Le Théâtre-Français.
i. 32 • et 35» centigrades.
NM'iAUL U'ty Al.l.l.M\Mi A ltl)UliLAL\ L> 1 8o I J.ÎC
Daillt'urs. cc^ rôunioiis d'iiouiiiits sniil surtuul di's prôlfxtcs à jouer.
Los l'fiiuiu's vi\eiil lauiii.oup plus dans leur iiiU'ricur rt, le soir, ell<'>
réunissent généralement leurs amis à la maison. Une femme dans !<•
Irain met un cerhun ;iiii(inr-|iinpi(î à recevoir <lii innrittr clirz soi. Ces
Cercles do Dames, ainsi qu'on i)ourrait les appeler, cL qui sont parti-
culiers à Bordeaux, où on les (roux e dans les maisons riches, tiennent
leurs assises entre sept lieures et dix heures du soir. Ils sont conqjosés
d'amis et d'amies de la maison. La conversation y est plus nourrie
et les manières y sont moins affectées que dans ces soirées parisiennes
dont jai quelque part fait une es(juisse. On \a et on vient sans aucune
contrainte, on s'assoit auprès des dames, on cause a\ec les messieurs.
Tous les honneurs sont pour l'étranger et chacun tient à s'entretenir
avec lui. tiiuuine rafraîchissements, on sert généralement de la bière,
boisson fort goûtée et qu'on fabricjue très bien ici depuis «juelques
années. Le dimanche soir, ce cercle de dames s'élargit. Des connais-
sances plus éloignées viennent, à leur tour, présenter leurs hommages
à la maîtresse de maison. Tous les salons sont grand- ouverts et bril-
lamment éclairés; quantité de rafraîchissements sont offerts pendant
qu'on joue et qu'on cause.
La différence avec la capitale n'est pas moins sensible en ce qui
concerne la mode. Certes, ce n'est point que les Bordelaises ne sachent
s'habiller avec goût ni s'inspirer de l'élégance française, mais, chez
elles, la mode ne devient jamais excentrique. Le vêtement féminin
est taillé et drapé à la grecque, tout en étant plus sinq)le de forme,
l>lus Itienséant et jtlus discret que la tunique. Les décolletés exagérés
et les robes transparentes ne se voient que chez les femmes légères;
la femme honnête parle avec horreur et dégoût de ces vêtements
inconsidérés (\m altèrent la santé et enlèvent au sexe faible tnul
son charme délicat '.
Meyer liuil .-nu cludf df- inn-ur.- bordelaises eu remarquant
— aujourd'hui lui faudra il-il iMut-êtrc constater seulenu?nt liu-
terversion des rôles — que le fossé qui séiuirait jadis la Rousselle des
Chartrons, a disparu depuis 17H*J:
Lors de mou premier \u\ag(' à Bordeaux, a\anL la l{e\oluliun,
j'avais trouvé, dans le luxe extérieur et surtout dans la vie de famille,
I. r>rl liail.'iii ;i liiil, ili' l:i iiMiilc à celle i-|>i)i|ii(', iiioili' i|lli' illl rcsic lions coilictissoils
liieii |i;ir It- i.'r;ivurfs du Iciiips. niir ili'sci ijilinii ijui roiiliiiin- I'ii|iiiiioii «le Meyer, el
à Iai|uelle lii mode du jour l't l:i [;iiueiisr juin-ciilutlr donnent un iiiléii'l d'iieliiiilili'
loiil |>:iiii<'ulier : » \'. l'i;iiii;il un l.\ UiNiil isol). I.e eoslunie île nos éli^iiiinles est loiil
;i fiiil M nildalile ii relui de.s trrei"<(ues d'Aii.nliarsis. I.a di^i-enre el la eoinnindilé soiil
^aeiiliée» aux Ijisaneries. .Jamais les femmes n'onl montré dans leur air et dan? leur
mise un aussi LMainl mépris des biei.seanees par l.i maniétc jimt les<|tielles leur eorps,
ilans toutes ses formes, se prononce à l'iruil. 1,'lialiit est d'une léirèrelé el d'une traiis-
pareiii e dont rien nappioclie. I>ra> enl ii-lrmcnl nus, sein dccoiiNert. taille il»'-i.'aL'<'e.
I>;is du corp.- SCI ré par l.i manière de soulever la rolic el de la faire coller sur les ciii.-ses
el les jaml'cs, dont on apeii;oil tous les contour- ipiand on ne les montre pas en uramle
partie. l.;i tète est nue l't les dieveux y sont allacliés par un pciune. s.ins être (loiidre?.
■ hilToiiés sur le devant et eiitluils d'une composition luisante a|ipclée hiith nntufut.
ijui'lipiefois, on porte une coeffe ou un cliape.iu. mais il est ras île l'oreille d'un coté
et lre> i,'iand sur r.iutre. I.a léiréreté des propos répond à l'air el à la démarche du
losliime. La>s et l'iiryné n'étaient pas plus elTronlees .1 (.orintlié i|iie ne le sont no»
l'ram^aises du jour et «le tous les Ôsies. » (Bcrnadaii, le. cil., \>. 5t>8.(
203 TOtAGE d'uN ALLEMAIND A ËOhDEAUX EN 1 8o I
une très grande différence entre le centre de la ville {la cité) et le
faubourg des Chartrons. Ici, demeuraient et demeurent encore les
négociants riches; là habitaient les fonctionnaires royaux et les
conseillers au Parlement, hommes de robe ou de Palais, appartenant
aux familles les plus distinguées. Dans la société des Chartrons, le
bon goût, rélégance et le naturel des manières dominaient; dans celle
de la cité, c'était la morgue de la noblesse et la raideur due à la fré-
quentation de la cour. Là-bas comme ici, on jouait gros et avec passion.
Aujourd'hui, la caste des conseillers au Parlement, celle des nobles
avec toute leur séquelle, a disparu, et les aristocrates, aussi bien les
émigrés que les autres, sont obligés de baisser le ton. Le malheur
commun et la leçon des événements ont fait se rapprocher et s'unir
les maisons de la cité et celles des Chartrons. Maintenant, on ne
festoie plus là-bas, et ici on ne joue plus gros jeu.
Avant de quitter Bordeaux et de poursuivre son voyage dans le
sud de la France, Lorenx Meyer alla }»asser quelques jours à Blan-
quefort, dans la propriété de son frère. Le voisinage des grands crus
du Médoc et la visite de leurs vignobles l'intéressèrent au plus haut
point. Malheureusement, les vendanges s'annonçaient désastreuses,
et ce fut pour Meyer une grande déception de voir des vignes à peu
près sans raisins :
Je suis à Blanqueforl, déjà au delà de la frontière du beau pays
de vignobles appelé Médoc, dans la maison de campagne de mon frère.
Nous faisons exccjttion à la règle, car, à l'époque où nous sommes,
c'est-à-dire fin août, il y a bien déjà six semaines (jue la vie à la cam-
pagne a cessé pour reprendre dans quinze jours et continuer alors
jusqu'en décembre. La plupart des propriétaires trouvent qu'ils se
protègent mieux contre les chaleurs de juillet dans les maisons de la
ville, et ils ne retournent à la campagne qu'au temps des vendanges.
Je m'étais réjoui à l'idée de voir les vignes chargées de raisins,
mais c'était bien inutilement, car la gelée printanière a tout détruit.
On n'a rien vu de si pitoyable depuis longtemps. C'est à peine si la
dixième partie des ceps porte quelques raisins aux grains encore verts.
Vendémiaire, ce beau mois des vendanges, qui est aussi la fête du
pays et le moment où tous les propriétaires reçoivent, vendémiaire
ne promet pas d'être bien gai cette année •.
Le nom du petit pays où je me trouve est connu et respecté de tous
les gourmets d'Europe : c'est celui de Médoc, patrie du plus noble
de tous les vins. De Blanquefort jusqu'à la Garonne — dont on voit,
1. L'année sui\anle, le 14 avril 1802, une forte gelée emporta le quart de la récolte.
Il Les choses en sont au point, dit Bernadau, que cette calamité est regardée comme
avantageuse en ce que, les vins ne s'étant pas vendus l'année dernière, leur abondance
eût été funeste aux propriétaires... « (Bernadau, loc. cil., p. (318.) Mais puisque, aux
dires de Meyer, la récolte avait été à peu près imlle en 1801, comment, en 1802, pou-
Vcit-on en être embarrassé et se féliciter de celle nouvelle disette? Où est la sérité?
VOYAGE u'i > AM.EMAMI \ IIOHOEALX EN 180I aS.*?
pur IfS Irnêtres de ma chamltri-, llollcr les |i:ivilloiis tUs ri.ain'S —
et de là jusqu'à la mer, on com|)te t-nviron viri^M. lieues françaises;
los crus du .Mt'doc It-s plus fameux porfenl le m»m des ehâfeaux de
leurs anciens propriélaires : Château .\lar;L,'aux, Château 1. aille et
Château T. a Tour. Le palais délicat des connaisseurs dislinf,'ue heau-
coup il ;uitres crus moins importants où rmi iiiit aussi des vins fins
[vin.s lie dessert) : tels sont ceux de Ilaut-Hrion, Saint-Julien, Gruaud-
Larose, etc. Il est prohahle que, bientôt, nous ne connaîtrons phjs
que de nom la plupart de ces grands crus. Car les Anglais les acca-
parent tous les uns après les autres. Déjà, le domaine de Château
Margaux, acheté comme bien nation;il \r.ii nu I iullandais, a été afTermé
à des gourmets anglais, de telle sorte queux seuls pourront mainte-
nant déguster cet excellent vin. Et il n'y a pas moyen île fjiire cesser
un pareil scandale ! — Des souvenirs sanglants se rattachent à l'iiis-
toire de certains de ces crus : de Fumel, ancien gouverneur du Château-
Trompette et propriétaire de Château Margaux, a été guillotiné; de
Ségur, |»ropriélaire du Château Lafite, a subi le même sort à Paris
avec toute une partie de sa famille. Ce dernier cru, qui n'a fait, depuis,
que passer de main en main, finira, lui aussi par devenir un de ces
jours la proie de quelque Anglais.
Pendant son séjour à Blanquefort, Meyer fil plusieurs excursions
dans la région, notamment à la Bassiole, lieu alors célèbre par un
crime sensationnel commis fjuelqvies années jiliis tôt par des rhauf-
feursi qui s'étaient livrés à toutes sortes d'al ruelles sur un malheu-
reux aubergiste, sa femme et sa lllle. Il visita aussi diverses pro-
priétés, comme celle de son ami !•'.... à Montferrand, et s'égaya de
ne rencontrer presque partout t|ue des jardins aux jdales-bandes
eu spirale et, aux arbustes taillés eu i'oniie de ennipot iei-. Le plus
comiilel dans le genre, car il s'agrénieulait de personnages posti-
ches et de liiiiie une ménagerie de earldii l'iiarpillt'-e sur les gazons,
c'était le jardin des frères Raba ' à Talenee. Il ('liiil encore, il y a
peu d'années. Irl (|iie Meyer \a nous le d(''ci'ire :
.\ux environs de Bordeaux, dit-il, on s'occupe ilune faeon toute
.spéciale de l'art des jardins. Dans la plupart des propriétés, on
pousse à l'excès le jeu enfantin des luiies décimpées, des arltres et
des buissons taillés en éventail, des parterres de fleurs en spirale
et aux coulevu's bigarrées, des plates-bandes de gazon qui scppi-ident,
et autres fantaisies du même goût, lii jardin particulièrement
réussi dans ce genre hidlandais et on l'on voit toute une série de
caricatures, c'est le jardin des trois frères Haba, des israélit«'s.
1. Raba. — Le? fr^-res Raba, qui ax.iii-nt amassé unp eranili" imiiin.- lim- r.triiii-nifiit.
étaient au iionibre île l'iiiq. Tiailiiils dexaiil le l'riliuiial réxuliitiniiiiaire |ioiir ;if.;..-
ciandsme, ce qui était Varmlocralie des rirhesses, les >aii?-(ulotler trouvèrent moins
profitable de les guillotiner que de les condamner à 500,000 livres d'amende,
2.5^ VOYAGE d'un ALLEMAND A BOROEAUX EN 180I
Il semble qu'ils aient voulu imiter en petit les installations de ce
fou qui s'appelle le prince Palagonia, près de Palerme, à moins
qu'ils n'aient cherché à être plus originaux que lui dans ce genre.
Que de surprises à chaque pas ! Un petit bois de chêne sert ici de
repaire à des quadrupèdes de toutes espèces. Des tigres de la
taille d'un chat, des lions comme des caniches, vivent là avec les
autres colosses de la forêt, avec les lièvres et les chevreuils. Tous
ces animaux, grossièrement taillés dans le bois, sont, chaque année,
soigneusement repeints et revernis. Dans un autre coin de la propriété,
on se croirait vraiment en Arcadie. Un âne en bois y broute une
prairie émaillée de fleurs, et des vaches, guère moins grandes que
nature, des moutons avec leurs bergères folâtrent sur l'herbe. Au
milieu de cette scène pastorale, un joli petit moulin à vent hollandais
s'élève sur un tertre où l'on monte par un sentier en colimaçon.
Le meunier et la meunière sont à la fenêtre et condamnés par le
sculpteur à rire perpétuellement du même rire grimaçant. Les faisan-
deries et les volières sont aussi nombreuses que les petits temples
avec leurs statues de dieux aux noms gravés sur les socles, que les
ermitages avec leurs anachorètes et les tables de bois dont les inscrip-
tions dans toutes les langues vous expliquent en vers et en prose,
s'il en est besoin, ces beautés de l'art et de la nature. Tout cela est
cultivé avec une symétrie et une minutie plus que hollandaises; tout
est nettoyé, peigné et l'on pourrait dire poudré comme la tête elle-
même du plus âgé des propriétaires, lequel entretient, moyennant cinq
cents livres par an, un artiste perruquier qui l'opère trois fois par
semaine; aussi ses concitoyens l'ont-ils surnommé le Marquis.
La description de Meyer, déjà bien savoureuse, n'approchait
cependant pas de la réalité, car le jardin des frères Raba était un
véritable Musée Grévin en plein air, et il faut lire l'analyse détaillée
qu'en a faite Bernadau dans sa Promenade à Talence \ pour s'ima-
giner à quel point ridicule et bouffon était l'aspect de ce parc que
notre historien appelait le Chantilly des Bordelais et qu'il célébrait
dans ces vers :
Pour découvrir jardin charmant,
Vous parcourez à grands frais la Provence;
D'une belle bastide, ici, commodément
jyous jouissons de Vagrément,
En nous promenant à Talence.
Au milieu de cette fantaisie carnavalesque dont le voisinage était
une véritable profanation pour elle, une exquise habitation s'éle-
vait, de lignes et de proportions aussi élégantes que gracieuses,
1. Promenade à Talence ou Description de la maison de campagne de MM. Raba frères.
Bordeaux, psaume, 1803.
voYAr.K n'i'M Ai.i.F.MvMt \ iionoRAix K\ I So I aoô
])ur clicf-d'œuvre du sLvK' Louis W I r( ipii- muI ;i\;iil \<\i ri.'-.-i-
le gôuii' diin l.duis o\i il'un Laclottc. Meyer ou Bcruadau nous
auraient l'ai'ileincnt renseignés à cet t'-ganl. mais liin n'a gui'n-
])arlé ili- la maison et l'autre n'i'u a lit-n dit. Tous di-ux st'tiililfnt
avoir surtout prêté attention à la mascarad"- «liamitêtre organisée
par les j)ropriétaires en «ieliors de Icm- andiili-d i-. Nmis nous conso-
lerons en songeant (|iir. pai- uu ju<li- iilmii' cics rlioses, aujoiiiirimi
la farce est terminée, et (|U(% loin de t(jul l'âcluiix voisinage, la
délicate et fine architecture du chrdeau Haha. dunt le temps a doré
les pierres, s'épanouit dans la M-rduii' d'un hism jardin à la
française.
Dans les premiers joui> df .-cpt t'nd»re, Loren/, Meyer fai>ail >fs
arlicux à sa famille i-i (|uilhiil Bordeaux, 11 allait visiter le nmli
de la France, une jiartie de la Suisse, et rentrer en Allemagru' «mi
traversant de nouveau Paris. Nous savons quel souvenir il emportait
de son séjour dans notre ville. Un sentiment dominait l'intérêt qu'il
avait pris à étudier l'organisation et les mœurs nouvelles de cette
société brusquinii'iit liansformée, à voir les changements de la ville
elle-même, ses œuvres d'art et ses curiosités : c'était sa joie d'avoir
revu uu frère dont il se séparait pour toujours peut-être, et c'était
aussi sa gratitude iioui- le cordial accueil et la franche hospitalité
(pie partout il .iNail reçus. Mais il est une chose dont Meyer n'a
point parlé et que nous pouvons dire, son portrait nous y autorise
autant que son livre, c'est que sa belle liunieur et son entrain, le
charme de sa conversation et sa figuie Une et spirituelle avaient
séduit tous ceux qui l'approchèrent, et qu'il laissait ;'i Bi rdeaux
autant de regrets que lui-même pouvait en emporter.
MEAUDRE DE LAPUL YADE.
HISTOIRE DES RAPPORTS
DE LA GHAJIBliE DE COMMERCE DE ItOllDEAMX
AVEC
LES INTENDANTS, LE PARLEMENT ET LES JURATS
DE 1700 A I79I
(Suite.)
III
En passant de l'Hôtel de Ville au palais de l'Ombrière, nous
aurons l'impression d'un grand apaisement. La victoire retentis-
sante remportée par les magistrats, après la mort de Louis XVI,
doit leur avoir fait oublier le temps de M. de Courson. D'ailleurs,
ils le savent, dans l'afïaire des courtiers et dans celle des faillis,
l'hostilité de l'intendant, plutôt que celle de la Chambre, fut fatale
au Parlement. De nouveau, tout est rentré dans l'ordre; en appa-
rence C4hambre et Parlement se sont oubliés l'un l'autre : il s'agit
de faire bénéficier la ville d'une commodité nouvelle obtenue par
les Parisiens, la suppression du contrôle des actes notariés ^, Le
député Billatte écrit directement au premier président; les députés
de la Chambre venus pour s'informer des intentions du Parle-
ment s'en retournent sans rien savoir; le premier président écrit
à Billatte et s'inspire de sa réponse pour dicter son attitude au
corps des magistrats -. Ayant réuni chez lui une assemblée pour
traiter de l'affaire, il invite les commissaires du Parlement, ceux
de la Cour des Aides, les jurats, les juges et consuls. Il n'est pas
question de la Chambre ^; elle n'est décidément pas entrée dans
les traditions; le Parlement l'ignore toujours. Et cependant elle
a besoin de lui. En 1728, mais en 1728 seulement, elle invoque
dans l'affaire des vergeurs l'appui du premier président, et elle
supplie la Cour* de telle sorte, qu'on ne reconnaît plus en elle la
vaillante assemblée soulevée tout entière à la nouvelle de la con-
1. C 425-2, 13 janvier 1724.
2. Id., 17 février 1724.
3. M., id.
4. C 4253, 9 septembre 1728.
AVEC 1rs i\ rr.M» vNTs, i.k ivumui.ni li iis .mhvT'^ •j:)7
(l;iiiiii;ii ii.ii ili- \r(|u.iil: rllr iii' ni'-liil ].lii- iiuc iiia^islralurc coiii-
jtlaisante; l<'s rt'iin'n iinrut- (|\rr||r ,ii|ir>-i' \a|iMil pour rllr uao
humiliât inii, dli' hh'hI à sim pa sst* ^
Trllis Muil ifS appait'iict's. No nous y lion- pa.- tinp. Cliamhre et
l'a ilciiii'iil r liriclitMil à >«' l'ii r(iii\i'iiir l'iiii I aiilii'; cclni-ri const'l'V»*
le suuvt'iiit" <ic SCS délaitcs cl vuudiail iiilliK r >iir lo (-li'it ioiis à la
Chambre; il a ses candidats ^ ; celle-là sait toid au loiii,' les succès
de de Cnurson, son ancien chef; sans vouloir eu rt-mportcr tl'autres,
elle continue de lin-r parti des victoires d'aut idois; d'ailleurs,
vers 17"2U, composée d'anciens jurais^, elle a contre le Parlement
une alliée, la Jurade •*. A trois reprises encore, entre 1720 et 1735,
la connaissance de toutes les l'aillites et banqueroutes est attri-
buée à la juridiction consulaire; en 1725^, en 1727 '^ eu 1729',
c'est la continuation de la politique de de Courson. Il faut nnjn-
trer au Parieim-ul (|iic la (.liaïuhre existe, elle doit se dresser face
à la magistrature, la rencontrer sur tous les terrains, la l'orcer
de s'arrêter et de la reconnaître; (juand elle lui aura fait constater
ses prérogatives en des actes solennels, elle marchera de pair avec
les anciens corps.
Et la preuve que tel est bien son souci, c'est qu'elle fait cause com-
mune avec les autres Chambres contre la première venui- .rentre
les cours. Dès 1716, un marchaiid de Nantes l'ayant informée
d'un arrêt du T'arleni'iil breton ((oi prétendait réformer un avis
du Consulat, les directeurs décidèrent d'écrire à M. I-'i'-uelon en
vue d'obtenir la cassation de l'arrêt^.
Le même fait se répéta sous diverses formes en 172')'*, en 1727'*',
en 1728", en 1733 1-.
En 1728, l'attitude de la Chambre est particulièrement intéres-
sante; elle nous fait l'efl'el d'avoir découvert alors ses traddion> id
ses archives. Une dispnle /'ilale à Andens entre un ancien consul
et un procureur, sur une (|nc.-|,icin i\r [iréséance. La Chambre érige
cette simple atTaire en question de principe; elle y rattache une
1. C 4254, 26 novembre 1733.
2. C. 1G24, 11 juillet 1729.
3. Le Vaclier de Hoisville, op. cit., patsiV/i.
4. Lettre de Jur;iile, 31 janvier 1722.
r,. C. 162G, 25 aoiU 1725.
6. C 1624, 7 jnill.t 1727.
7. Id., 31 août 172H.
5. C 4252, 2 décembre 171tj.
9. C 4252, 1" février 1725.
10. C 4253, 21 août 1727.
11. Id., 20 may 1728.
12. Id., 2 juUlet 1733.
a58 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
instance formée en ce moment même à Bordeaux devant l'inten-
dant : il y a eu confit entre les anciens juges et consuls de la Bourse
et les directeurs de la Chambre d'une part, et les procureurs du
Parlement de l'autre, au sujet du droit de préséance, dans les
cérémonies célébrées dans l'église paroissiale Saint-Pierre. La'
Chambre de commerce bordelaise se donne du mouvement, écrit à
son député Brisson, veut qu'il voie M. de Chauvelin pour tâcher de
faire expédier l'affaire. Tout en cherchant des précédents, elle
se trouve des ancêtres : ce sont les anciens juges et consuls ^ du
siècle précédent. On arrêta, en 1602 au Conseil, le 13 juin 1618
au Parlement, c{ue les anciens juges et consuls marcheraient après
les avocats, devant les procureurs; le 4 juin 1619, qu'ils ne mar-
cheraient ni en corps ni en rang pour éviter les contestations;
le 10 juin 1620, que les anciens juges et consuls iraient de pair
avec les procureurs, ceux-ci marchant à gauche, ceux-là tenant
la droite. Le 8 janvier 1648, on fit défense aux uns et aux autres
de paraître en corps aux processions, et aux autres assemblées :
car pas plus les uns que les autres ne voulaient être les seconds 2.
C'étaient là de beaux titres à coup sûr, mais encore fallait-il,
pour leur donner du lustre, les rajeunir par quelque arrêt tout
frais éclos.
L'attention de la Chambre était encore toute à cette espérance,
quand Joseph de Gillet, marquis de La Caze, premier président,
mourut, en 1734, regretté du Parlement et de tout le public. La
juridiction consulaire assista à ses obsèques ^. Quand on songea
à le remplacer, les intrigues commencèrent : Albessard, l'ancien
ennemi de la Chambre, fut évincé; de même l'intendant de Limo-
ges, Tourny en personne *, Leberthon, l'élu bordelais, avait les
sympathies de tous. Ses ancêtres reposaient à Saint-Eloi, à l'ombre
du vieux beffroi communal ^ : les bourgeois montraient à cette
famille un sincère attachement.
Une victoire du Parlement, en lutte avec la Cour des Aides,
inaugura la présidence de Leberthon^. Dès 1735, tout le monde
put constater qu'on n'avait » plus besoin de ménager de longue
main, des brigues et des sollicitations pour avoir des audiences » ''.
1. C 4295.
2. c 4295, 1728, cité par la Chambre de commerce d'après les registres secrets du
Parlement.
3. Communay, op. cit., p. 133.
4. Id., p. 142.
5. Id., p. 175.
6. Registres du Parlement, 1" septembre 1734,
7. Communay, op. cit., p. 152.
AVEC I.FS INTFVDANTS. IF PAnf.FMFNT FT IFS JinVTS 35f)
Il semblait ([in' le ParltMiu'iit allait nifiifir ;'i son jtassr. I.uil il
avail dégagé sa déinarrho; dit' était alorff, moins compassé»'. Il
prenait maintenant les affaires comme elles venaient, i|e Imiffx
mains. Il paraissait moins routinier paire qu'il voulait devenir
plus ])opulaire; il s'ofTrait à tout et à tous. Son activité ainsi flis-
persée j)orta par deux fois atteinte au commerec. dons l'alT.'iire
des pilotes et dans celle des courtiers.
En 1732, un arrêl avait évoqué au Conseil li'> i()ulf>l;d inus
existant entre les courtiers de Bordeaux et le sieur Lamothe, leur
syndic 1. En 1736, le Parlement, sans tenir compte de l'évocaticui
qui le dessaisissait, provoque la reprise du débat en faisant défense
à nouveau de se servir d'autres courtiers que des courtiers royaux,
sous peine de 3,000 livres d'amende pour chaque contravention-.
Cette politique était celle du Parlement de Paris à la même époque,
il prétendait juger les affaires religieuses en dépit de leur évocati<»n
au Conseil du roi.
A Bordeaux, la Chambre insista pour que les parties fussent
renvoyées au Conseil du commerce^. La tactique des courtiers était
habile : en demandant aux magistrats du Parlement d't^tre leurs
juges, de préférence à la juridiction suprême en fait de commerce, ils
étaient sûrs de se les attacher. Mais voici, qu'ils n'avaient point
prévu : si le premier président avait favorisé les courtiers, il était
fnut aussi favorable au commerce. Il avait très bien accueilli dès
le flébut la démarche de la Chambre, quand elle attaqua l'arrêt*.
Entre ses amis les commerçants et ses amis les courtieis, le Conseil
ne lui laissa pas le choix. Il annula tout aussitôt l'arrêt du Parle-
ment ■^, et plus tard, malgré l'avis défavorable de l'intendant", les
négociants furent encore autorisés à choisir des courtiers à leur
convenance '.
Les magistrats ayant procédé de même dans l'atTaire des pilotes
se méprirent encore et furent également bernés. Dans leur empres-
sement à satisfaire chacun, ils ne se rendaient plus compte, que
défendant les intérêts les plus divers il- iii venaient à se contredire
eux-mêmes. C'est bii-n là cette indécision néfaste qu'un a ]mi repro-
cher au fameux premier président*.
1. Archives du Bureau du commerce, 14 août 1732.
2. C 1620, 7 septejnbre 1736.
3. <: 42.53, 23 octobre 1736.
4. IJ., 21 se|.tembre 1730.
.5. Id., 1.5 novembre 1736.
6. C 1620, 23 juin 1738.
7. Id., 13 août 1739.
8. Larouverade, Les dernières années du Parlement de Bordeaux, 1887, passim.
200 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
En 1732^, en 1734 2, les pilotes avaient échoué dans leurs démar-
ches au Parlement; dès 1735, quand Leberthon fut élu, ils firent
aboutir leur requête de la précédente année; la Cour s'était ainsi
déjugée une première fois; elle avait successivement rejeté, puis
hoiîiologué une sentence obtenue de l'amirauté par les pilotes de
Saint-Palais et de Saint-Georges : ils voulaient être seuls auto-
risés à faire entrer et sortir les navires, à l'exclusion des autres
pilotes de Blaye et de Pauillac. L'affaire pouvait être de conséquence,
les négociants semblaient devoir perdre le droit de confier leur
navire aux guides qui leur paraîtraient les plus sûrs. La Chambre
décida d'intervenir au nom du bien du commerce et de sa liberté ^.
Mais les pilotes l'avaient devancée; encouragés par un premier
avantage, ils attaquaient maintenant l'arrêt de 1732 auprès du
Parlement lui-même. Cette seconde prétention ne menaçait pas
moins le commerce que la première *. La Chambre continuait inlas-
sablement ses démarches^; les circonstances lui donnèrent raison.
Des accidents survinrent à des navires conduits en rivière par des
pilotes saintongeais; parmi les passes et les bancs de sable, ils navi-
guaient malaisément; il leur manquait l'expérience. Le plus embar-
rassé, c'était le Parlement, qui, chaque fois, se sentait responsable ",
La Chambre eut vent de cet embarras, le procureur général ne le
dissimula point: « Lorsque cet arrêt avait été prononcé, la Cour
n'avait pas cru qu'il dût s'ensuivre du préjudice, de son exécution ^. »
Le premier président Leberthon fut d'avis c]ue la Chambre engageât
une nouvelle procédure en opposition^; une telle proposition n'était
plus à faire; les directeurs, s'autorisant des dures leçons de l'expé-
rience, pouvaient formuler des exigences; éconduits, ils annoncè-
rent qu'ils agiraient d'un autre côté^; le Parlement aurait l'humi-
liation de voir casser son arrêt. Du Vigier, procureur général, offrait
avec plus de raison de le faire détruire par la Cour elle-même;
d'ailleurs, il ne se faisait pas fort d'aplanir, lui non plus, toutes les
difficultés 1".
Un point était acquis pourtant en ce cjui concernait l'association
1. C 4253, 6 septembre 1735.
2. C. 429.5.
3. C 4253, 21 avril 1735.
4. Ici., 6 septembre 1735.
5. C 4254, 30 mars, 13 juin 1737
6. Jd., 8 may 1738.
7. Id., 5 février 1739.
8. C 4254, 26 juin 1738.
9. Id., id,
10. Id., 5 février 1739,
iVÉC LES 1MEM).V>I>, 1.1. l'AHI.l.Mt.M KT I,ES JLKATS afil
fle.i jiilntt's; le Parleriiciil ik- Irr.iil licii sans la C.liaiiil)!»', autant
tliip (|u'il se rendait à son a\ is ' : pMui la pn'.nnèi«' joi^. il iiTnnnai»ait
>a i(ini|H'| enco : à pai'lif i\r crllf /•|i(m|1ic. ji- uuin de la ( '.lianiliri' df
l'iiiiiiiH'irc liguii' i| iirl(|ii('r(ii- -III' .>(•,> rt'gisln'>: «clic >riiit' iircnn.>-
taiict' a\ait |miiii' r\\r l;i |iiiilt'(' d'un t''\/'ni'iin'iil . i .chn-l jinn Unit
par se rangoi' à l'avis de I >ii \ igicr : la (Iniii-, par un iimiim-I arr«''l,
enlevait aux jdlid.es sainlnngcais le jtrivilège e\(|u>ir (pi il> avaient
obtenu"-. .Mai> (pnllr déennsidéi-alidii pouvait s'ensui\ ii' 1 .\u>si
Lebertlion m' l'iil-il j»as l'âilH' ilr la rcpri>r du didial : il .-•• iipiidia
moins l'a\oral)le •'. Au liiiir;m (pic le iNiiIrniciil .1 r(ui>lilni' pniir
exainiiicr icllr alïaiie, ce xiid I onjiun-- dr iiMii\c|irs dillifiillés :
eelle Iciileiir pioNciiail pfiit-être dnii ealeul; 1rs inagi.strats ejier-
eliaient à se dérober'. La ('.lianibre eoinpiil (pi i-lli- ne |i(iinrait
de Ifuigtcmps les amener à prendi'e une décision. Elle écril à Maii-
repas, le rend ail cul i!' aux iiiallieiiis (pii se siicccdeut par suite
de riiiijinidence, de liucapacité d de !a négligence (\*'> pihde.-^
saintongeais •''; le iinui^ln'. ami du ciuiiiiicrce, éeril au pidcureur
généi-al jioiir rin\iler à lairc r(dorm('r rair(''l .-iir la réquisition de
la C.luuubre ".
-Mais tout n'est jtas liiù; il était question tout à rineure de cireons
tances ({ui parlaient haut en faveur du commerce: eu voici d'autres
(pii encouragent le.'^ ieuleuis du ParlemenI ; c élaieiil de.- naufrages,
ce sont les vendanges '. Lv procureur, le iMcmier président, personne
plus n'est là. Les vendanges se feront, puis de nouveaux mallieurs
\icn(iront s'ajouter aux autres; alors enlin, la Lour .-c déclarera
« certiorée » **. Ayant à conclure dans une alTaire de peu d'impor-
tance qui concernait les arrimeurs, elle proiita de l'occasion p(mr
régler (Jélinil i\ (■mcul ccllo dc> pilotes. Ll nou> Munmes au 10 mai
1710'-'; depuis cIiki aii> des navires se pcrdaicnl.
A côté d'un Ici l'aiicmciiL ([U<dle Chambre n'aurait paru grande?
Les directeurs, que les brigues faisaient se succéder avec les partis,
ont ici de l'esprit de suite.
1. c 4-2d4, 5 février 173'J.
•2. Id., 19 février 173'J.
3. Id., 16 avril I73'J.
4. Id., 13 avril I".'}',).
ô. L. 4-ilii, -iS jiiillrl 173'J.
6. C 4-2Ô4, 13 août 173'J.
7. C 4-254, 173y.
8. Id., 10 septembre 173».
9. C 4254, -25 niay 1740,
aba RAPPORTS de la CHAAIMKE de commerce de BOhUEACX
IV
Victorieuse du Parlement, l'oligarchie commerciale se heurta,
de 1720 à 1743, à une autre puissance qui ne cessa de la contenir;
l'intendant Claude Boucher, chevalier, seigneur d'Hebecourt, Sainte-
Geneviève et autres lieux, conseiller i lu roi en ses conseils, conseiller
d'honneur au Parlement de Bordeaux, président honoraire de la
Cour des Aides de Paris, intendant de justice, police et finances
en la généralité de Bordeaux ^, entendit régler ses rapports avec
la Chambre suivant deux principes auxcjuels il tenait également.
11 énonçait l'un dans sa première lettre aux directeurs, où il répon-
dait à leurs compliments : « en toute occasion, il serait favorable
au commerce» 2; l'autre, six ans plus fard, dans une lettre au
contrôleur général : « il est important d'arrêter le désordre dans
son principe >> "'.
Ce désordre, nu l'a compris, c'étaient les intrigues de la Chambre
de ( ommerce. Le nouvel intendant voulut la présider, c'est-à-dire
la diriger, s'imposer à elle; ti»ut r(i])posé de ce qu'avait conçu le
génie plus souple de M. de Courson
Dès son arri\éc, il tente l'application de ses principes; les règle-
ments lui sont sacrés; il ne s'inquiétera de rien (|ui ne iclève de sa
compétence'. \'rut-oji sav<iir son avis".' Il tant lui laisser le temps
de mûrir la (piestion ''. S'est -il pi(ini)n('('' ? ( )n ne devra rien lui
demander de plus; il n'aura rien à ajouter.
En fait, il faut avouer qu'il conduit les entjuétes avec une atten-
tion..., des scrupules... Jamais plus sage avis que celui (pi'il donna
dans la question des courtiers*^. Malheureusement, on ne l'écouta
pas. On ne devait pas le comprendre toujours. Ses intentions étaient
excellentes : « Il serait... à souhaiter ])our cette province qu'on pût
trouver (pielque ex})édient pour étiii)lir la liberté du commerce
avec l'Angleterre '. » Il se met en raj)porL avec les fermiers géné-
raux pour faire diminuer les droits perçus sur les charbons
anglais **.
Quand la Chambre invoque de bonnes raisons, il est tout aise
1. C 4254, 10 inay 1742.
2. C 4252, 9 novembre 1720.
3. C 1626, 22 mars 1726.
4. C 4252, 27 juillet 1722.
5. Id., 8 juillet 1723.
6. C 1620, 23 juin 1738.
7. Brives-Cazes, Episodes du sjstèiiic prohibiti/ en Guyenne, 18S1, p. i4.
S. C 4253, 24 mars 1729.
AVEC LES 1ME>DAM3, If. l-AIU.LMt.M ET EE^ .HUAIS a63
de les appuyer, il l'assure qu'il empêchera la voiture des eopeccs';
il prnnttt f\r lui Taire payer les airéra^es de son budget -; sur sa
plaiutf, il iulli;j;r un blAïue sévci»' ;'i ipii dt-lnurut' dr It'ur route les
navires attendus à Bordeaux**, il ;t mênic ct'rlaint's rlélicatesses, il
consulte la Chaiidtrt' «, mais surtout il veut prrsidir^. N'oif i (Mimme
il l'entend; il a l;iil \enir les directeurs (>li«'/, lui. <>ii II >'('st rendu
lui-même à la Chambre; il expose le sujet di- l.i ituiiii.ii. S'a^dl-il
de communiquer un arrêt du Conseil? Il le commente, lexplirjue,
de façon à le l'aire agréer. \/,\ valeur des inoim^ies subit des varia-
lions, elle A diininiK' il'iiii t iei> (Unis l'espace de (|iie|(|ue> iiioi>,
il plaide el lidiixe II' iiio\cii de Imier !(>> iiilenlion> du roi; le
monar(|ue a \oulu (pie le public se ressent il du i hénèjire •> de eellc
diminution, par celle <lu ])rix de> marehandises; avant toute dis-
cussion générale, Boucher conclut; il espère que les marchands
bordelais se rangeront volontiers à l'avis de Sa Majesté, et sans
axoir l'air de menacer le moins du inonde, il 1rs a\eilil de la sanc-
tion que comporterait un retus; après cela, il demanrle aux direc
teurs de se prononcer et il les prie de faire des mémoires*. Il lui
déplaît infiniment d'être le second à donner son avis; la ('hambre
s'est-elle permise d'examiner des statuts sans être bien sûre (|u'ils
ont été communiqués à l'intendant, les reçoit-elle, même des jurats,
elle pèche, car son entreprise va « contre l'ordre »; c'est à son pré-
sident que revient le droit d'opiner eu premier-; lui seul ]h'uI lui
adresser les statuts, dans le cas un il les a fron\t's bous. En luule
occasion,, la Chambre doit 1 informer des affaires importantes (ju'cllc
traite '.
On conçoit coiidiieii impatieuuueul le> dircel fiii'.-. subissaieid.
cette tutelle.
Il e>l cuiieux de \()ii- cniriMieiit leur- lappor'ls a\cc- leur' ju"e>ideril
jîouehei" évoluèi'cid, allaid de la edidiance pi-es<|ue sans réser\ e
à la soumission feiule, m jiassaiil par la ii-\u||t' mixerle.
Dès 1726, l'intcndaid est assez, ruai ilisposé ponc le> coiiuiierçairl .>
et plus généra le iiir lit pnui' les Bordelais ; « En ce pais, les esprits sont
vil'> el iriiiuants, au>.-i je m'apei(;()i> dejuiis eu\ irori ih'UN an- que
toni se fait par cabale eut h' le.^ négociants et tjue le plus hcinncle
1. C 4-'53, -23 niaii 1731.
•l. Id., 10 juillet 173-2. «. 10-20, -2-211101-8 17-iO,
3. Jd., '.) septembre 1734.
4. Id., 7 janvier 17-23, 21 septembre 17'25,
.">. C 4-253, 7 septembre 17-29.
0. C. 4-2r.-2, -iTy avril 1724.
7. C 1253, 7 jaii\iei 173'l.
2(34 RAPPORTS DÉ LA CHAMBRÉ bE COMMERCE DE JBORDEAtX
homme est exclu des emplois pour y mettre de très mauvais
sujets ^ )'
Or voici qu'éclate une première afïaire : des réparations ont
été faites à l'île du Pâté de Blaye, le pouvoir veut que le commerce
y contribue^. Les négociants assemblés répondent qu'ils sont trop
pauvres^; la Chambre fait une démarche auprès de l'intendant*;
Boucher, après avoir fait au ministre toutes les représentations
possibles, ne voit aucun moyen de dispenser les négociants de cette
imposition ^; par l'intermédiaire de la Chambre, le commerce le prie
d'insister encore^; il ne peut pas^; il essaye pourtant; il écrit au
contrcMeur général, il a la complaisance de montrer aux directeurs
la minute de sa lettre ^, qui va leur procurer la victoire ®. Les com-
missaires de la Chambre le trouvant « en état de les écouter »,
l'ont à peine remercié qu'ils lui parlent d'une autre question, celle
des revenus de la Chambre i". L'intendant leur dit -d'attendre;
presque aussitôt d'ailleurs il se met au travail; il se repent d'être
trop bon, mais il continue de l'être : « Vous connaîtrez...., écrit-il
au contrôleur général, que je n'ai pas sujet d'être content d'une
partie des directeurs de la Chanibre de commerce, et qu'ils méritent
peu les soins que 'je me donne pour l'avantage de leur Chambre,
mais il faut espérer que, lorsqu'il y aura quelque petit honoraire
pour ceux qui entreront dans cette Chambre, il sera plus facile
de la composer de bons sujets, et que l'honneur joint à l'utile les
engagera à travailler avec plus d'application qu'ils n'ont fait jusqu'à
présent ^^ »
Boucher s'est déjà préoccupé de traiter à fond la question des
revenus de la Chambre, il a reçu d'elle un mémoire, l'a approuvé;
et voilà qu'après les élections, les nouveaux directeurs, sous prétexte
qu'ils ne sont pas au courant, reprennent le mémoire et le retouchent^^.
Cependant Boucher, l'un des intendants qui ont le plus travaillé
pour la Chambre 13, fait des comptes, combine, établit les budgets,
1. C 1G2G, 22 mars 1726. Letlie de Boucher.
2. C 4253.
3. Id., 21 août 1726.
4. M., 5 décembre 1726.
5. Id., 24 décembre 1726.
6. Id., 28 décembre 1726.
7. Id., 2 janvier 1727.
8. Id., 3 avril 1727.
9. C 4253, 8 may 1727.
10. Id., 3 avril 1727.
11. C 1611, 26 févrire 1731.
12. C 4253, 13 mai 1728.
13. C 1611.
AVEC LES INTENDANTS, LF. FAHLEMEM El \i.- .ItHAT.S a65
voudrait lattaclicr iilus élroilcmciiL If iloi)iilt' ii \n (',li;iiiiliic ijui
le payerait; il (l<*inande d'abord 17,1)U(J livres jxmm- rllr, juji.-,
après uu refus ioriuel du ministère, G, 000 \ puis 1,000 -, i-t liualcnu'ut
3,132 livres i ^. Impossible d'obtenir mieu.v, et pourtant l'inti-ndant
a lutté pied à pied; déconcerte par cet échec, il fut déc<iuragé par
la conduite de ses protégés, entachée d'ingratitude. En IToij, un négo-
ciant faisait signifier deux actes à M. de Rostan, iummissaire du roi,
chargé d'exécuter ses ordres; ce qui dénotait uu dangereux état
il'esprit dans le ciuiiinerce '. De plus, les brigues continuaient, à la
Chambre ^, irritant l'intendant que harcelaient les jurats *. La lutte
se prolongeait, mestjuine et sournoise; à pail ii <!•■ I 7:1'.', Ie> directeurs,
mandés chex l'intendant, ne se servirent plus à son adresse du terme
de Monseigneur, mais de celui de Monsieur"-**; en 1740, la Chambre
faisait imprimer le traité avec la Hollande avant (|ue l'intendant
l'eût reçu '•*.
Boucher disait : " 11 est certain que l'euprit irpnhlirain règne
. dans cette ville, et ([u'on y abhorre toute autorité^". » il s'impa-
tientait maintenante^, le ton de ses ordonnances devenait plus
impérieux : lune d'elles disait de quelle nuinière les négociants
armateurs devraient percevoir la capitation sur les officiers mariniers
et les matelots 1-. Les négociants craignirenl peut-être d'assumer
trop de responsabilité, ils prièrent la Chambre de faire des démarches
auprès de l'intendant e^; il les prit pour autant d'atteintes portées
à ses prérogatives; il répondit « qu'il ne voulait admettre aucune
des raisons proposés par les armateurs, et (|u il .idcndail que
son ordonnance eût son entier elïet ) '*; quehiues jours après, il est
plus calme, il veut montrer à la Chambre (pie ses ordres sont bien
aisés à exécuter e^ Là-dessus, il tondie malade"*. Il soulfre aussi,
cet autoritaire, cet autre « despote éclairé 'i, de voir échouer ses pro-
jets de réforme. Son dépit amer explique son attitude.
1. C IGl 1, Il nunà 1731.
■Z. Id., Z'o juin 1731.
3. Id., 11 juin 1731.
4. C 42Ô3, Zi) janvier 173.j.
5. C l&ZA, 11 avril 1732.
ti. LeUre de lu Juiadi-, 30 novembre 1734.
7. C 4254, 12 novembre 173'J.
8. C 4293.
y. C 42.j4, -T, février 174U.
10. tirellel-Dumazeau, op. cit., p. 32S.
1^1. Lettre de Juradc, itu-ssini.
12. C 4254, 1.". janvi.r 1741.
13. Id., 18 mai-s 1741.
14. C 4254, 31 mai-s 1741.
15. Id., 10 mai 1741.
10. Id., 25 mai 1741.
''.I
366 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCÉ DE BORDÈAÙt
Vis-à-vis du nouvel hôtel des Fermes, un entrepôt a été établi;
une délibération de la Chambre se prononce contre le choix de
ce local; elle trouve le magasin de Clock préférable pour la con-
servation des cafés. Seulement, l'avis du commerce n'a point été
unanime; des négociants ont fait porter leurs marchandises dans
le premier entrepôt ^. Rien de plus. On se trouvait sans doute en
présence d'une nouvelle intrigue, peut-être d'un complot ourdi
par les négociants étrangers en faveur de Clock, un aventurier.
Le propriétaire de l'entrepôt, lésé par la décision de la Chambre,
lit un mémoire; l'intendant jugea bon d'y ajouter une ordonnance
ainsi conçue : « Vu le présent mémoire, nous ordonnons qu'il sera
communiqué aux directeurs de la Chambre de commerce pour nous
fournir leur avis sur ce qui est contenu, avec défïense de prendre de
nouvelles délibérations et de passer outre jusqu'à ce qu'autrement
par nous ait été ordonné.
«Fait à Bordeaux, le 11 août 1741.
«Signé : Boucher =^. »
Que de fois l'intendant s'était montré tout aussi autoritaire ! Ce
jour-là, la Chambre se piqua d'honneur ou fit semblant.
Elle dépêcha des commissaires à l'intendant, dont M, Yung,
avec mission de lui dire : « La Chambre ne croit pas pouvoir répondre
par écrit à ce mémoire sans altérer l'honneur qu'elle a de l'avoir
pour président, et sans contrevenir à son établissement qui lui pres-
crit de correspondre directement avec le contrôleur général. »
Les directeurs retournaient contre Boucher le principe de son
administration : « l'observation des règlements ».
L'intendant demanda une réponse par écrit, il insista :
«Eh bien! encore un coup, respondez par écrit, je vous l'or-
donne. »
Puis, avec plus de chaleur : « (Juoy donc voulez-vous tirer au
court bâton avec moy, et bien, j'écriray et je vais écrire et je vous
fairay casser. »
Après ces mots, M. Bouclier marcha vers son cabinet où, étant
à même d'entrer, il se retourna, et s'adressant aux messieurs qui
étaient dans la même salle, leur dit à haute voix, indiquant M. Yung
(un des envoyés de la Chambre) :
« Quel est cet homme-là? Le connaissez-vous? » Personne n'ayant
1. G 4254, 24 août 1741.
2i M., ici.
AVEC LE-. INTENKVMS, I.E l'AKI.EMtM Kl l.l.» JIHATS 367
rien répoiiilii, M. Bnurlier parla direct<Muriil à M. ^ nii^', •■!. M. ^ uiig
lui rc{»<)ii(lit ;
<i Yung, à vou.^ rcmlrc iiit's devoirs.
— Yuiig, reprit M. Bouclier, ha ! je viuis eunnais. <> \ (pioi, M. ^ niig
répli(jua : » Vous no pouvez me toniiail rc tpii' par d»' bons t'nr|rnil>, »
et se retira sur le tliainp. »
Tel est (e récit de la Cliambri'; il (■.>! p()>sili|r (|iii' n- ^ uii^ ail j»ri>
trop ouvertement parti pour Clock, peuf-ciri- un fniiipahiule. Ouni
(ju'il en soit, l'apaisement suivit de près la ijiirifllc : f^niiclirr ('•(•ri\il
une Ici lu- (lù il faisait, comme de coutume, la inorale ;i |;i (.liamlire.
Elle ne pouvait, dans aucune circonstance importante, se passer de
lui, son président, chargé de veiller au bien du commerce, surtout,
étant au moment d'accorder un pri\ ilège exclusif. Et il finissait ^ur
une de ces phrases énigmatiques qui lui étaient chères, parce (ju'elle
enveIopj)ait des menaces :
« Comme depuis plus de vingt ans que je suis icy, c'est la première
fois que la Chambre de commerce a affecté une pareille iiidêpfn-
ilanre, il convient de savoir sur cela les intentions de M. le Contrô-
leur général ^. »
Le plus anmsant, c'est que les directeurs eurent, parait-il, le
dernier mot auprès du contrôleur général; il est vrai que les Clock
comptaient, nous l'avons vu, de puissants amis au ministère-.
Aussi bien, n'est-ce pas dans ce dénouement, pour h; nndns étrange,
qu'il faut chercher de quel côté fut la victoire. l>a réponse est fournie
par les événements qui suivirent.
La Chambre se le tint pour dit, clic n'in:ii.>La plu.-.
Le 14 septembre 17-11 a lieu la grande séance, le lit de justice,
dirais-je, si je ne craignais d'appliquer au commerce un terme
réservé au l'arlejnent. Sans avoir le moins du monde averti la
Chambre, Boucher a mandé des néyocianls à lu /hntrftr rmnnie
pour les subsliUwr aux dirccleurs ; il discute avec eux, il décide
et alors seulement il demande ;i la Chambre son a\i>; elle parle
avec modestie et soumission; « les ordres de Sa Majesté étant précis...
pendant celte tannée, on ferait dans la suite, avec réflexion, toutes
les observations qu'on croirait convenables ».
L'intendant s'en va, ses .recommandations faitcp; les directeurs
trouvent bon d'ajouter quelques mots au procès-verbal; il- jiar-
leut de Boucher, <( qu'ils ont di'n c(^nsidérer comme leur pré.^i-
1. C li'ol, n uoùl 17 il.
•i, /(/., 7 septembre 1741.
368 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
dent dans l'examen et décision des propositions intéressantes pour
le commerce » ^.
Où l'on voit bien le singulier état d'esprit de la Chambre en ces
dernières années, c'est dans les prières- et les remerciements^ un
l)eu forcés qu'elle adresse à l'intendant. En 1742, elle put bien
élire le fameux Glock directeur, et exprimer par là ses sentiments
véritables, mais les Rochellois eurent beau la presser des plus vives
instances* à propos de la perception du dixième de l'industrie
indûment étendu au commerce, parler de l'union des Chambres
contre les intendants, la Chambre bordelaise, éconduite par M. de
Boucher ^, ne se permit pas la moindre opposition ^
11 ne tenait pourtant qu'à elle d'entraîner tout le monde, clle-
n'osa point. Elle était hors d'état de manifester son esprit d'indé-
pendance; cette discipline morale, très dure à subir, l'empêcha peut-
être de développer ses légitimes aspirations; de 1720 à 1743, on lui
sent comme des poussées vers l'action; elle pose, en 1725, la question
qui sera plus tard longuement débattue, du commerce des neutres
aux colonies ^; à un autre moment, proposant l'introduction en
France du café de la Martinique, elle se mettait en rapport avec
diverses Chambres ^ et préludait ainsi au grand rôle qu'elle devait
jouer dans les années qui suivirent. L'intendant contint toutes ces
initiatives; il fit en sorte que la Chambre fût bonne tout au plus
à discuter certains points de détails, tandis que lui-même, aidé des
principaux néyocianls, se réservait d'indi(juer, dans les problèmes
commerciaux, le sens général de la solution. 11 ne trouvait point que
cette assemblée se recrutât dans l'élite du commerce; il avait une
bien mauvaise opinion des familles (pii la dirigeaient; les tendances
oligarchiques de la Chambre lui faisaient tort. Mais la Compagnie
dut peut-être à cette oligarchie de Rousselins brouillorme, mais si
vivante, sa personnalité originale qui s'affirme de plus en plus. De
toute manière, il ne fallait plus la tenir à l'étroit; il convenait qu'un
homme supérieur réussît à le dégager.
Ce fut l'œuvre de Tourny; il mit la Chambre à son école et il
voulut qu'elle travaillât avec lui sur les plus grands sujets.
(A suivre.) M. LHÉRITIER.
1. C 4254, 14 septembre 1741.
'i. Id.y 28 décembre 1741.
3. M. y l'J avril 1742.
4. M., id.
5. M., 7 juin 1742.
6. Id., 10 may 1742.
7. 14-15 mai 1725. Lettre de la Cliambre.
8. 10 maib 1733. Lettre de la Chambre. '
LES MESSIKUHS LATAl^V
(HISTUIKE Di: TKOIS PHKTKES CONSTlTLTIuNNKLS)
(Suite et fin.)
II
Charles-Raymond Latapv.
Charlos-Hnynionrl Latapv naquit à Lauguu le vondrerli 3 niars
1741 et lui haptisi', Ip leiKltMiiain, rlans la vieille église Saint -Ger-
vais. Son père, Bernard Latapy, appartenait à la bourgeoisie locale;
il exerçait les fonctions de maître- chirurgien. Sa mère, Luce Luc-
bert, est qualifiée demoiselle ^.
Devenu grand, M. Charles- Ray monfl Latapy embrassa la carrière
ecclésiastique.
l»n iiiiiis (le septembre 1776 au mois de juillet 1778, il fut vicaire
de MoTis-et-Belin ■-; puis, l'année suivante, t-n date du r> mai 177'.*,
il réussit à se faire pourvoii' di-s vicairies perpétuelles de Li-nn .f
de OcMiaiade donl il juit possession li- 17 du nn'iiir mkùs-'.
M-' Amédée de Grégoire de Saint-Sauvfur. qui était gro»^ déci-
mateur dt- Lcrni, lui payait annuellcmt'nl iiiu- jiktIIuh roiin^nn' de
1.".^'i() livres'*; et le chai)itrc de Bazas, à inii appartenaiiMit les fiuits
décimaux dt- Guualade, lui abaïuIiiiiiKiil |r lui- ,|r |,i dîme » puur
lui tenir' lieu de sa quote-part di- ]milii>ii i uulti m- |mui le service
de /) rette seconde paroisse •'.
l. Anli. ilt'-|i. lit' 1.1 (iirondc, O UlO.'i.
■-*. Airli. luiin. de fielin. Reorislres paroissi.nnx.
3. Anli. ilt^p. de la (iironde. O 10-2t'i, f" IN. — I.Piin osl une rommiiiip du l'.intnn de
(irigliols. (iniinl.'ide »■<! \n\f roinmiiin» du ranlon de ("aplifUN. Toute- deux H|>|i.')r-
lienuent à l'arroiidis-ieiiieiil de l'iaz.!-:.
4. Ihid., f" -,>.'}.
.">. I.e pi(''déi'e!ispur de M. L;it;i|iy rerpv;iit, pour le *ervire île (Inualaile, 'I.'i boisseaux
de seigle, mesure de Bazas, et 3(1 li\rps en artreiit. M. Latapy, nnlarit re (ait sur l'ut»
des registres paroissiaux de Saiiit-.^eurin de lioualade, ajoute, hu date du L'> juu> lTs3 :
«. l'observe à mes successeurs que le tiers est uillnuueut prèlérable, quant ù. pre;aiit,
à la somme de 'iôD livres qu'ils seroient en droit d'exiger. « {Inventaire-sommaire des
archives communales de la Gironde, série E supplt^ment.'
370 LES MESSIEURS LATAPY
Si l'on remarque que M. Latapy, outre ce traitement, percevait
comme tous les autres vicaires perpétuels la dîme des novales, on
devra constater qu'il possédait une situation matérielle des plus
sortables. Elle fut, il est vrai, un peu diminuée par la Révolution.
Toutefois, la pension qu'on lui alloua, à ce moment, s'élevait encore
à 1 ,500 livres ^ Et si l'on pèse bien toutes choses, cette somme appa-
raît très supérieure à ce que reçoit, au xx^ siècle, l'immense majorité
des curés de campagne. Dès lors, il semble très probable que l'on
exagère beaucoup quand on s'apitoie sur la misère affreuse où
croupissaient les congruistes de l'ancien régime.
Quoi qu'il en soit, M. Charles-Raymond Latapy aspirait à une
situation meilleure. Aussi, après avoir prêté serment à la Constitu-
tion civile du Clergé, fit-il agir un de ses oncles, alors maire de Budos,
qui intervint en sa faveur par la lettre suivante, adressée à M. de
Ghalup, procureur-syndic du district de Cadillac 2.
A Budos, le 1er m;,i 1791,
Monsieur,
Je viens d'aprandre, avec bien du plaisir, votre arivée. Je crois
que vous avés Irouvé bien de l'occupusion. .l'ay eu l'honneur de
r'i>(»Mdn' à la lellre <iue vous mefittcs l'Iiouneur de m'écrire au suget
de nolrr curé : il se dispose à sortir ^. Nous dessirons, si cela et la
volonté de l'assemblée électorale, M. Latapy, curé de Lerm, pour curé
de Budos. Sy vous ettes an fiaines pour Serons, j'ay un autre neveu,
curé de Lucmau \ dessiraut sortir des Landes; l'un et l'autre sont
de dignes prêtres; ils sont plasés dans ses |»arroisses depuis environ
quinsans.
J'espaire que vous convoquerés bientôt l'assemblée électorale. Sy
ma sauté nit^ le permet, je m'y randray, au jour (]ue vous nous indi-
querés.
J'ay l'honneur d'être, avec un profoiul respect,
Monsieur,
votre très humble, très obéissent serviteur.
Latapy.
Au moment où le maire de Budos écrivait cette lettre, Charles-
Raymond était déjà pourvu d'un nouveau poste. L'assemblée élec-
torale, réunie le 3 avril précédent dans la cathédrale Saint-André,
l'avait choisi comme curé constitutionnel de Labarde; et l'élu s'était
1. Aich. tlép. (le la (iiioiide, Q 1026, f" 18.
2. Arcli. dé|i. de la Gironde, L 1094. — La qualité de maire de Budos donnée au signa-
taire de cette lettre est constatée par un certificat délivré à Charles-Ravmond Latapy.
{Ibid., Q 1005.)
3. Il s'agit de M. .lacques Dorât, curé de Budos, qui avait refusé le serment.
4. M. Joseph-Jean-Baptiste Latapy, dont nous racontons l'histoire plus loin.
HISTOIRE MF. lUdlS l'HI lUI.S CO>STI I I lloNMvLS 'Ji~ l
t'iiipressé d'accepter cette situation'. Cela, d'aillt-urs, n'emijêclia
}>as ralïaire de se terminer, un peu j»lus tard, au }<rr il<- r<>u< It- .-l
tlu neveu. Cliarles-Rayniund quitta Lahanlr pDiii Hudus, uù im
li; trouve pleinement installé dès !<• iiutis d'aoûl dir cette mr-me
année 1791 2.
Le 9 septembre 1792, il ajouta à crt einplui l;i (|i>-(ili' di- Bali/ac
et l'indemnité de 350 livres afïéreide à ce >ei\ ice •'.
Malheureusement, il n'essaya pas de faire (niMier sitn aposla>ie
en se consacrant e.\clusi\ rmonf :m bien des âmes. Bien au contraire,
il s'occupa surtout de p()lilii|ur, cl le lil parfois d'une façon otiicuse.
Il succédait à un vénérable vieillard di' soixaidc-quinze ans, .M. Jac-
ques Dorai, (jui administrait la paroisse depuis jilus d'un «b'mi-
siècle (^t ({ui venait d'en être chassé pour n'avoir pas voulu passer
au schisme *. Sans do\de l'intluence de ce bon prêtre coniribua-l-elle
à éloigner les fidèles d*' \\[\A<>> du nouveau pasteur, car M. I)iu;d
étant revenu pour quelcjues jours dans sa paroisse et ayant c(tmmis
le ciiiue de rtivêtir une soutane, M. Latapy j)erdil tout sang-froid.
Il lit signifier à s(»n prédécesseur un acte par lequel il |c déclarait
«perturbateur ilu repos ])ublic » et lui signiliail (|u"il alhiil .le
dénoncer comme tel devant iiu'il appartiendra ». Ainsi lil-on eu clïet;
on accusa M, Dorât de semer la division dans les familles, et. le
Directoire du département lui notifia, en date du 29 décembre 1792,
l'ordre de se constituer prisonnier aux Orphelines de Bordeaux ^.
Cet acte de méchanceté ne donna pas au curé constitutionnel
liulluence morale qu'il espérait; mais il lui servit à établir de plus
en plus solidement sa réputation de bon sans-culotte. Du reste, il
ne négligea rien de ce (jui était idile pour ai ri\ fr à ce résultat. Voici,
en elïet, le léiuoignage (|uc lui j-cudciil les uiuiiiii|iaux «le ci-tt.e
époque ''.
Ils constatent d'aboi'd ([ue CJiai'les-Haymoiui Latapy a juèté le
serment prescrit par la loi ilii 11 août 1792.
1. Anh. (It'i>. ilf l;i (liiDtnlf. l-'oiuls iiio.liTiif. l.iiisst' do l.i Hi^volnlion. — Lahiirdp
est Ulif cunillUllif ilu i-aiitim de C.asIcliKUl, ,irii>iidissi'iiit'iil ilr Itiiidi-aiiX.
2. Jbid., L !094.
3. Ibid., fonds moderne. Liasse de la Hcvolutioii. — lUdizae esl une coiniiiuiic «lu
ranton de Saint-Syinidiorien, arrondissemenf de Hazas.
4. .;ainiies Dorât, lils de .lean Donit, aiuieii tapilaiiie, lioiirunois de Honleaux, et
de ilanie Anne (Jiozieiix, naiinit le -î-î mars 17lii el fut lia|di>é le lendemain dans l'e^lise
de lîudos. Le 17 mai I73;i,à peine ;^t,'é de vinu'l.-lrois ans, il fut inmimé \ ii-.-iire |ier|>éluel
de liudiis en remplarenieni «le son onele el parrain, nonuiii^ .lai-.pn-> l>oral hii aussi,
ipii avait desservi la paroisse pendant, ipiaranle-sepl ;ms. M. .Iae(|ue> Dorai mouriil
à l'hôpital de Bordeaux au enmmenetMnent de I7VI3. Son oinle et lui axaient été eurés
de liudos pendant cent un ans, de 1G92 à 1793.
5. Abbé H. Lelièvre, Une nouvelle page au martyrologe de 1793, p. •203-204.
6. Arch. dép. de la Gironde, Q 1005.
372 LES MESSIEUBS LATAPY
Ce serment était celui « de maintenir de tout son pouvoir la liberté
et l'égalité ou de mourir à son poste ». Il fut, quand les gouvernants
l'exigèrent du clergé, la cause de divisions regrettables entre ecclé-
siastiques très fidèles à leur foi; toutefois l'Église ne le condamna
jamais, et des prêtres d'une orthodoxie incontestable, tel M. Emery,
supérieur du séminaire Saint-Sulpice, n'hésitèrent pas à s'y sou-
mettre 1. M. Latapy aurait donc pu agir de même sans qu'on eût
rien à lui reprocher à ce sujet. Mais le malheureux schismatique ne
pouvait pardonner à ceux de ses frères dans le sacerdoce qui, plus
courageux que lui, étaient demeurés fermes dans le devoir. C'est
pour cela que, loin de se contenter de l'acte accompli en petit comité
devant les municipaux, il voulut, même au risque de commettre une
infamie nouvelle, profiter de la circonstance qu'on lui offrait pour
faire d'une pierre deux coups : se venger de ceux dont la conduite
le condamnait et donner une preuve nouvelle de son zèle civique.
Il renouvela donc son serment en pleine église, devant le peuple
assemblé, et il le fit suivre d'un sermon « où il retraça le devoir de
tout citoyen pour la soumission aux loix de son pays; otù il fit le
tableau des maux qu'avoit cauzé à la France la résistance des prêtres
à cette soumission. 11 rapella, à cette occazidu, le projet des amis
des roix et leur coalition avec les prêtres pour l'émigration des
ennemis de la patrie » 2,
Au surplus, la chose lui réussit en partie. Il devint d'abord pro-
cureur de la commune^, puis, le 2 décembre 1792, on l'élut maire
de Budos, fonctions qu'il conserva jusqu'au 29 mars suivant, jour
où il donna sa démission *.
Ses collègues dans l'administration communale lui furent d'ailleurs
reconnaissants des.efïorts qu'il multiplia en faveur de la Révolution,
et quelques années plus tard, comme il avait besoin d'un certificat,
ils n'hésitèrent pas à lui rendre le témoignage suivant'^ :
Nous devons à la vérif é de dire que pendant le lems que le citoyen
l.atapy a resté dans la commune de Budos, il n'a cessé, par son
exemple et ses exhortations, à nous porter à la soumission aux loix,
1. Vie de M. Emeni, tome I, page 230. A Bordeaux, «lu contraire, on condamnait
unaiiiniemeiit ce serment à cause du sens qu'y attachaient les législateurs. {Guillaume-
Joseph Chnminnde, par le R. P. .1. Simler, p. 69.)
2. Arch. dép. de la Ciironde, Q 100.5.
3. Lettre de M. Dorât au Directoire du département, citée dans : Une nouvelle page
au murlijrologe de 1793, p. 204.
4. Louis Bacque, Les seigneurs, le château, l'église de Budos, p. 47.
.5. Arch. dép. de la Gironde, O 1005. Les signatures qui terminent cette pièce sont
certifiées, en date du 14 fructidor an VI (31 août 1798), par Courbin, agent municipal
de Budos.
HISTOIRF MF" TROIS PRl'^inES COVSTITITIONNELS U~3
k raïuuur .!.■ l.i liln-ilc. A Hutlus 1.- 1 ;{ l'riicl idor :ui 0>- f.'id .-lofit 1798)
(Itf la l{<'-|iulili(|uit rr:mr<)is(> uw id. iiiilis i>i|ili'. I.vrM'v, iiiairt". ('(tin-
IHN, (tdicicr iinmici|i:il. Uee.as, ((fllcici- iiiiniii'i|i:il. M \miii ikin, tinirit-r
iiuniii'ipal.
Afirès la suppression du ruKe en Franco, M. Charles- Raymond
Lata[)y livra ses lettres de prêtrise, renonça au sacerdoce et se retira
à Bazas, (ni il luurliait, durant l'au IN', la [it'usinii afTnrdt''e par le
fi^ouveriUMnciit aux ex-curés ^.
Plus laiil, il (juitta Bazas pour \riiir se fixer à Bordeaux, où, :\
paitir «lu 1''' vendéniiairc au V (22 septembre 1796), il élut domicile
ruf df la Devise-Saiut-Pierre, n" S-.
Il s'y trouvait encore le -1 brumaire an \'n (25 octobre 1798),
jour nii il prêta le serment suivant, imposé au clergé par la lui du
5 septembre 1797: «Je jure haine à la luyauté cl à rauaichie.
attachement et fidélité à la B/jndiIiquo et à la (lonstitulinu de
l'an trois. »
Désormais M. Latapy avait obéi à toutes les sommations offi-
cielles de la Révolution. Il importe de dire, toutefois, que ce rler-
nier acte n'ajoutait rien à sa déchéance sacerdotale. En efTet, le
serment de 1797, malgré les expressions outranciéres qu'il all'ecfe,
n'a pas été positivement condamné par l'Eglise; en tout cas. elle
n'en a jamais exigé la rétractation. On ne pouvait évidemmcid h-
conseiller; on comprend même que des prêtres à l'âme un peu di'-li-
cate aient refusé de le prêter : malgré tout, nu n'a pas le dmil de
blâmer ceux qui agirent autrement. La raiscui en est bien simple.
Le rapporteur de la loi av.iit déclaré, pendaid la di.'^cussiou à l' A.s-
semblée, que l'aflinuation de haine réclamée à tojis les citoyens ne
concernail en litu li- passé; quCllf s'appli([uaif uni(|uement à la
royauté future, .si nu teidail jamais de ri-taldii' eu l-'rance ct-lfc
forme de gouverneineiit . Pourquoi ceux qui ]»rêtèrenf ce seniieid
auraient-ils outrepassé les intentions du législateur, et, dans ce cas,
comment reprocher quelque chose de bien sérieux aux jureurs? En
somme, de tous les serments réclamés au eleri,'t' pendant la Révo-
lution, un seul engageait gravement la conscience : celui de la Cons-
titution civile. Nul n'a pu le prêter sans forfaire.
Le 11 frimaire an VII (1'''' décembre 179R), M. Latapy déclara
qu'il n'avait jamais rétracté le serment jirescrif oar la loi du 11 anOt
1792 3.
1. .\rch. dép. de la Gironde, O 996.
2. Ibid., Q 1005.
3. Arch. dép. de Ja Gjrçnde, Q 1005.
27^
LES MESSIEURS LATAPY
C'est le dernier acte de sa vie que l'on connaisse. Ensuite on perd
définitivement sa trace ^.
III
Joseph-Jean-Baptiste Latapy,
Joseph-Jean-Baptiste Latapy, frère cadet de Charles-Raymond,
naquit le 22 mai 1744 2.
Le 8 novembre 1774, il obtint la cure de Lucmau, dont il prit
possession le 16 ^.
Quelques mois plus tard, le 13 mai 1770, il ajouta à son bénéfice
im nouveau titre et de nouveaux émoluments : il se fit nommer
chapelain de la chapelle de Martineau, à Bazas "*, Le tout lui créait
une situation matérielle des plus enviables.
Voici, en effet, quels étaient ses revenus, « année commune »,
d'après la déclaration officielle qu'il fit en 1790:
1° Dix boisseaux de froment à 16 livres 8 sous 9 deniers, suivanl
la moyenne des 14 dernières années, distraction faite des deux plus
fortes (^l des deux plus fiiildcs .... 104 livres 15 sous.
2" GenL cinq Ijoisscaux de scif^'lt^ à
10 livres 9 sous 8 deniers le l)oisseau. 1,100 livres 5 sous.
3° Dix boisseaux de millet à 9 livres
2 sous 2 deniers h; boisseau 91 livres 1 sou 8 deniers.
4° Soixante boisseaux de millade '■ à
7 livres 1 sou 9 deniers le boisseau. . 425 livres 5 sous.
5" Quatre vinti:t six agneaux à grosse
laine, à 3 livres 5 sous pièce 279 livres 10 sous.
6° Cinquante deux agneaux à laine
fine, à 52 sous pièce 135 livres 4 sous.
70 Six chevreaux à 39 sous pièce . 11 livres 14 sous.
8° Essaims 10 livres.
90 Paillt', de seigle 100 livres.
10° Paille de millade 75 livres.
11° Paille de millet 9 livres.
12° La dime de deux petites mé-
tairies 48 livres.
13" La ferme d'une maison située à
Bazas et dépendant de la chapelle de
Martineau 60 livres,
Total ... . . 2,514 livres 4 sous 8 deniers.
1. il ne paraît ni sur la liste des prêtres (jui rétractèrent leurs erreurs au moment du
Concordat, ni sur le registre du personnel pendant l'épiscopat de Mgr d'Aviau, registre
où figurent pourtant M. .Joseph Latapy et même M. Hyacintlie Lata|iy, liien qu'il
fût marié.
2. Registre du personnel pendant l'épiscopat de Mgr d'Aviau.
3. Arch. dép. de la Gironde, Q 1026, f* 22. — Lucmau est une commune du canton
de Villandraut, arrondissement de Bazas.
4. Ibid., i" 39 verso.
5. La inillade n'est pas autre chose que le panic.
HISTOIRF DE TUOIS FRI^TRES CONSTITUTIONNELS Q-f)
Or, cette soiiirni- t'ii(i;iil |in'>([ii.' lonf t-iil it-rr (l;iii> l.i luturs»* du
car»''; car ses seules rliarges (•(Hisistaieril. à |iayer les iiKJividus aux-
quels il cundait hi iH-tccptictti di- l;i diim-; cl il m- d<''|ii'ii>ail pour
ri'la (|M(' G? livres 7 sous 5 deniers.
Il avait donc, lu tu an mal an, un rr\t'ini \\,-\ (le "j. iTil livres 1 7 sous
et 3 deniers K
On comprend assez après cela, ((ue M. Lal.apy ne clierchâl pas à
quitter un poste ni'i il Irinivail de ]»areils avantages. 1 )e lail. il était
encoi'e ;'i Lucniaii au iiinineiil de l;i T-{évidid ion.
.\Ia!!ieiir'eMsenienl jimim- lui. la su]qui's>i()U de la dîme et SfUi rem-
placemcnl par une ]tcn>inu diminuèrenl, de, i"ac;on assez sensiMe,
le montant de ses revenus. 1! ne toucha plus désormais que 1,8*2'2 li-
vres 7 sous 4 deniers. Encore se trouvait-il parmi les mieux j>ar-
tagés '-. De ce fait, le curé de Lucmau décida de quitter sa paroisse
dès (]u"il pourrait s'en procurer une meilleui-e.
Il avait, d'ailleurs, adopté sans réserve toutes les idées nouvelles,
et prêté serment à la Constitution civile du Clergé. Sans doute
donna- t-il d'autres gages de son civisme, des gages accentués évi-
demment, car on le choisit pour célébrer la messe à la cathédrale
le 16 mars 1791, jour de l'intronisation de M. Pacareau comme
évêque-métropolitaiu du Sud-Ouest^. A la fin de la cérémonie, le
prêtre et le pontife tombèrent dans les bras l'un de l'autre. .1 eum-
niuniant dans une même émotion, ils s'embrassèrent, à la face du
peuple, sur les degrés de l'autel "*.
On a vu plus haut que le maire de Budos avait proposé son neveu
pour la cure de Cérons. Ce dessein n'aboutit pas en ce qui concernait
le poste espéré; mais les choses ne tournèrent pourtant pas trop mal,
car M. .Joseph Latapy se vit élire curé constitutionnel de Laiuliras,
situation qu'il conserva jusqu'à la suppression du culte en France ^
.\ ce moment, M. Latapy livra ses lettres de prêtrise, renonça au
sacerdoce et se retira à Bazas avec s(ui frère Gharles-Haymond '^.
1. \nli. (l(-|i. il.' I;i (iiionilc, O InjC, f" -J-^ cl 11.
■l. Il>i,l., f" 40.
.3. Parîireau (Pierre), clianoine (le .Saint-.Vndr/-, vicaire capitulaire apn^s Ip déc^s de
Mut (r.VudilMTt île Liissaii, ('•lail un janséiiisle ardent. Son instniclion des plus remar-
<|ualilcs r.uail mis an picinicr raiiL' dans le cleri;»'' lionli-lais. N('' en 1711. sacr^ en IT'.M,
il nninnil en 17'.t7.
4. .Vuriflicn \'i\ ie, Ilisloire ilf la Ti'rn'ur à Hunlfnux, luni"- 1. p. fi5.
•">. Ar(li. ih'p. lie la (iirnnilr. l'nmls moderne. Liasse de la !<('•> oliilion. — I.andiras
esl une romniune du eanton de l'odensae, iirrondissement de llordeanx.
G. Ihid., O 996. Cliarles-Haymond et .loseph I.atapy avaieni à IJaz.as tin parent
nommé Charles Latapy. (|ui, avant la Rt-volution, se (lualiliait • directeur de la verrerie
royale de Bazas ». Le '27 janvier 1779, il avait ('pous(:' Elisabeth ("liresse dans l'éiilise
de Lucmau. [Inventaire-sommaire des archives communales de la Gironde, série E supplé-
jnent.)
376 LES MESSIEURS LATAPY
Ce ne fut pas pour longtemps, car, sur la fin de 1796, rappelé « par
le vœu unanime des habitants de Lucmau «, il revint se fixer dans
son ancienne paroisse, où on l'accueillit « avec de grandes manifesta-
tions de joie et d'honneurs « \
Plus tard, quand le Concordat rendit la paix religieuse à la France,
le malheureux prêtre fit, entre les mains de M^'' d'Aviau, une sou-
mission pleine et entière. Et comme, en dehors de son passage au
schisme, sa conduite pendant la Révolution n'avait donné lieu à
aucun scandale, on lui rendit son ancienne paroisse.
Nommé curé de Lucmau par ordonnance archiépiscopale du
14 septembre 1803 2, M. Latapy s'occupa avec zèle à réparer les
ruines matérielles accumulées dans son église par le vandalisme
terroriste. « Le grand- autel n'étant plus convenable, le sous- préfet
de Bazas autorisa, en 1804, le transfert du maître-autel de l'église
d'Insos ^ dans celle de Lucmau. Les fonts baptismaux furent mis en
place la même année. Les garnitures des trois autels, croix et chan-
deliers, furent achetées; les lambris furent peints; l'église tout
entière fut restaurée, et la clôture du cimetière fut relevée "*. »
Ainsi le pauvre prêtre s' efforçait-il de réparer, autant que possible,
les scandales de sa vie passée. Il y réussit, d'ailleurs, à merveille, et
la paroisse de Lucmau se distingua bientôt, sous sa direction, par
« un grand renouveau de foi, de piété et de générosité ».
M. Joseph-Jean-Baptiste Latapy mourut à son poste le 22 juin
1812 5.
Par testament, en date du 7 septembre 1809, il léguait à la fabri-
que de son église « une maison avec toutes ses appartenances et
dépendances, pour servir de logement au desservant ». Le Conseil
de fabrique se réunit, le 5 mai 1813, j)our délibérer sur ce legs;
mais il ne put l'accepter, l'immeuble étant grevé d'une hypothèque
de 2,500 francs «.
Abbé Albert GAILLARD.
1. Arcli. de la Falniqiie fie Lurmau. Rpçristrp des délibérations.
2. Arch. dép. de la (lironde. Fonds moderne. 1 "■ liasse de Mgr d'Aviau.
3. Insos était alors, comme aujouid'lini, nne annexe de Lucmau.
4. Almanach paroissial de Liirman et Insos. année 1S07, d'après le registre des déli-
bérations de la Fabiiqne.
5. Bibliothèque de la xiWe de Bordeaux, Ordo diocésain de 18(3,
6. Arch. de la Fabrique de Lucmau. Registre des délibérations.
MÉLANGES
Un ballet original.
Afin de rendre populjurc le iKiuvcau ciilciulrier que la Convention
avait, iinpost', au ix'Ujilr Iraurais par la lui ilii I t'iimairt' an 11, un
envoyé du Cuniitc de taiuL public, le ciLuyeu Marc- Antoine Julien,
eut ridée de le mettre sur les planches.
11 composa dune un balle! qu'il intitula le Calendv'wr liépuhliraiii •,
et qu'il lit jouei- au Grand-Théâtre de Bordeaux lois des sans-
culottides de l'an II.
La scène représentait un temple devant lc(jurl délilaicut le»
douze nouveaux mois : Vendémiaire, vêtu d'un pantalon « couleur
de chair, habit de gaze garni de pampres, une branche de vigne
chargée de raisins à la main », paraissait le premier, suivi de ven-
dangeurs et de vendangeuses tenant des corbeilles de raisins. On
voyait ensuite Brumaire, « vêtu de gaze teinte en gris, imitant
les brouillards dont il est entouré»; quatre enfants le suivaient,
vêtus de même, « rej)résentant d'épaisses nuées et d'obscures
vaj)euis >; l"'rimaire, couvert de peaux de bêtes féroces, un arc et
des tlêches à la main; Nivôse, « tout en blanc pour jieindre la neige,
tenant un réchaud en inrme di; tr('q)ied, d'où sort une forte ilamme
imitée au moyeu de l'espiil dr vin»; deux enfiiiil- inairlient der-
rière lui, «ayant des patins et tenant des boules de neige»; Plu-
viôse, <( en naïade, tenant une urne », entouré de vieux et de vieilles
portant des parapluies; \ entôse, « habillé comme 1 est ordinaire-
ment Kole : gaze aurore ou couleur de feu, groupée par de petits
masques, imitant lenllure des vents (?) », suivi de « quatre vents
vêtus comme Borée»; Germinal, couvert de Heurs, une branche
de cerisier lleuri à la main; l"'loréal, coslumi- eu l^'Inre. marchant
au milieu « de petits zéphyrs qui tiennent des guirlandes de Heurs '>;
Prairial, « tout en gaze verte », avec une ceinture de violettes, et
entouré de « quatre enfants tenant des arrosoirs »; Messidor, cou-
ronné d'épis; Thermidor, «presque nu, un large soleil sur la poi-
trine, K visage couvert de sueur et tenant à la main îles lia m beaux
allumés; quatre paysans le soutiennent et s'essuient le visage»;
1. Le CiilcitJritr HepubUcain — Ballcl qui doit être éxvculc à la suite de l'Engagement
des Citoijtnnes, sansculvttidi: imliunalc — à Bordeaux. De l' lmi.>rinicric du Ciloijen Dclonncl.
— rue des Aijres n" 54. Un ('Xfnipkiiru se Iioun e ù la LSil'IioUii'iiUf iuuiiiL'i|iiilc- ilc Uor-
deaux. CuUecUuu de brochures icvolulioiuiaiies, LJ' — n" bâS.
3-8 MÉLANGES
enfin Fructidor, vêtu « comme l'est ordinairement Pomone », avec
une corne d'abondance.
On voyait ensuite s'avancer les cinq sans-culottides représen-
tées par la Vertu, qui avait eu soin d'inscrire son nom sur son front;
par le Génie « tout en chair et gaze blanche, ailé, le front ceint
d'une couronne, d'où paroit sortir, au moyen de l'esprit de vin,
une flamme légère»; par le Travail, paysan robuste, la bêche sur
l'épaule; par l'Opinion, habillée aux trois couleurs, suivie du « peu-
ple sans- culotte »; par la Récompense, tenant d'une main des
couronnes civiques et de l'autre un petit obélisque; à sa suite
« troupe de jeunes filles i>ortant un petit modèle en carton du Pan-
théon français ».
Après ces différents personnages arrivaient des « figures allégo-
riques » : la Liberté d'abord « vêtue comme elle a coutume de l'être
sur le théâtre», portée par quatre sans-culottes à bonnet rouge;
l'Kgalité et son niveau, soutenue jtar un Laboureur, un Riche, un
Maure et un Mulâtre; la Fraternité, représentée par deux femmes
blanches ayant un noir au milieu d'elles, « tous trois enveloppés
sous le même manteau, comme Paul cl Mrginie )); la Surveillance,
avec « un œil au milieu du front, un triangle sur la poitrine, avec un
œil dans le triangle, une robe ])arsemée d'yeux»; la Victoire, «en
Corinde»; et enfin la Raison, tenant les Droits de l'Homme et
écrasant les préjugés sous les roues de son char.
Ce défilé était suivi de danses auxquelles prenaienent part d'abord
les douze nouveaux mois, qui, en se groupant, formaient les saisons;
ensuite les autres personnages, selon un ordre réglé. Des groupes
d'enfants, de vieillards et de marins venaient se mêler à eux « et
dansaient à leur manière ».
On célébrait ensuite une adoption et un hymen civique. Et la
joie d'une aussi belle fête se manifesluit par une farandole générale
à laquelle prenaient part tous les ligurants : « Ils formaient des
danses autour des deux époux, leur oflraient des préseus, des Heurs,
les instrumens des travaux qui devaient les occuper, et, par l'image
d'enfans de l'un et l'autre sexe, semblaient leur présager les jouis-
sances qu'ils trouveraient dans la naissante famille, fruit de leur
union et gage de leur amour i. »
C'est ce que l'on peut appeler un ballet éducatif et moral.
R. Brouillard.
L'État-major du Château Trompette en 1773.
Le gouvernement du Château-Trompette, devenu vacant par
la mort du maréchal duc de Lorges, fut attribué par le roi, le
28 juillet 1773, au comte Joseph de Fumel, maréchal de camp.
1. Dans un article publié par le Correspondant (10 lév. 1883), « Les Alnianachs poli-
liquea sous la Révolution », M. Henri Welschinger a consacré quelques lignes à ce ballet*
MKr.ANCES 37»)
Ce <xoii\ crnoMH'nt \;ihiil ;ilur> m itpjioiiif oinonts rj,(MM» li\ic« cL
en •'•iiiiiliiiiifuts b,H'2'} li\i('>: .111 fnlal I7,S'J"J. Lr ikhinisiii i^uiivi'i-
iitiii-, ut' ;t Touloust' II- 1 1 iii;ii> I 7',M), srrvait. fln[mis l'âgr «lo rli\-
iKMit ;iii> »'t avait, particij)»"' à la «^iifiif d' \llfrii;i^nf <<tiiitiit' iiiarr-
(lial-gt'm'ïral dos logis <li' l;i laxalcric. l*ar la suil-c, il lui lunniii
« ommamlaul <Mi stHMtrul de la jun\ iucc ilc (l\iy<MitH' (,' 1 Jim'il 1777,,
lit'iif t'iiaid-grruM'a! des arriu'cs du roi ( U'"' luats 17H()j cl grand rmix
dr r(ii(lir de Saiut-Louis ("io août 17^51).
Il t'ul [M)ur liciil fii;i ul (If n>i. Messin- Ali-xaudir de l'iMUMiirui' dr
l.agroli'l, brigadier i\{;s ainn''i's. «■oniniaiidi-ur di- Saiul-Loui>, «pli
portail, le liLri^ dr coiiiuiaudaid du r.lirdcau-'i'rnmpfl Ir ef aiihcs
forts de Bordeaux, (lelui-ei hkuuiiI \r T.) avril I77r», à là;;!* d'fu\ i-
rnii (jualre-viagts ans, et son eorp^ lui iidiiiiin' \r Itudcniaiu d;iu.s
l'église des HF^. PP. Dominicains.
Les fonctions de major du Cdiâteau-'i'rompell e, l'taieul reuiplie.s
par M. Jean- Baptiste- Pierre- Charles Cham]>ion <le .Nausuuly,
ancien capitaine de grenadiers au régiment de Bourgogne-infan-
terie, marié à Bordeaux, paroisse Saint- Rémi, avec deiuoiselle
Antoinette-Hélène Herpailler. le '2\ avril 1 76r). iJe ce mariage
naquit, en 176M, le vaillant général de Nausouty, giand-aigle de la
Légion d'honneur, premier inspecteur général des dragons et j'uu
des meilleurs chefs de cavalerie de la Grande Armée. En I7f>6,
le capitain»; de Nansouty avait obtenu, après plus de cimpiaulc
années de service, la « majorité» d»i Château-Trompette (jui valail
.),()()0 livres; il partageait ce trailemenf axi'c le major-adjniid .
mais il t-ouchait persojiuellement une ]ieu.>ii«u .le !,(»(>(» Ii\re>.
Des indications qui nous ont été obligeammeid fouruii-s |iar
M. Rousselot, il résulte (jue plusieui> eorps de troupes liiuerd
garnison au Chfdeau-Trompettc. de 177"2 à I7S((: noiammeut
les régiments de Bretagne, de Cambrésis, I{oyal-\ aisseaux. d'(M-
léans. de Picardie, Bourbon et le régimeid de La Fère-arl illeiie.
Il y eu! aussi une compagnie de cannuniers in\alide> (|ue cdui-
mandait le capitaine Bertrand Ttiomas, surnommi' de Malion par
le maré(dial de |{ichelie\i <'t cdidirmé' dau> ce nom par l.nuis Wl,
en rt'ccuiipensc de ses exploits à Port-Malnui. .\é au Irieux. parni.«,sc
de Bussière-Badil, en mars 172*J, ce brave (d'Iicier mnuiul près
du Bourdeix (Dordogne) eu 1784, étaid clicNalier île r(»idre de
Saint-Louis.
Joseph I >i itii.L .\.
CHRONIQUE
Soutenance des thèses de M. Brutails. - Le jeudi 20 juin a eu lieu,
dans le grand amphithéâtre de la Faculté des lettres, la soutenance des
thèses de doctorat de notre collaborateur M. J.-A. Brutails, archiviste
paiéograplie.
La liante compétence archéologique et historique, depuis longtemps éta-
blie, du candidat a fait de celte soutenance un véritable événement local.
Le jury était présidé par M. le comte liobert de Lasteyrie, membre de
l'Institut, professeur honoraire à l'École des (Chartes, qui avait tenu
à donner un témoignage particulier d'estime à son plus brillant élève en
venant argumenter avec lui A ses côtés siégeaient M, Radet, doyen de la
Faculté des lettres, M. Camille JuUian, membre de l'Institut, professeur au
Collège de France, M. Marion, professeur au Clollège de France, MM. Paris
et Courteault, professeurs à la Faculté des lettres.
La soutenance a été ouverte par une allocution de M. le dojen Uadet, qui
a remercié M. de Lasteyrie d'avoir bien voulu répondre à l'invitation de la
Faculté, et exprimé sa joie de l'union intime entre l'École des Charles elles
Universités dont sa présence dans le jury est une éclatante preuve.
Lu thèse complémentaire de M. Brutails avait pour objet des Recherches
sur l'éiiuioalence des anciennes mesures dé la Gironde. On sait — M. Jullian
l'a souligné — l'importance et la diiliculté des problèmes de métrologie.
Pour résoudre ceux qu'il s'était posés, M. Brutails a fait une enquête très
vaste et très minutieuse dans les divers fonds des archives départementales
de la (iironde. Une documentation très abondante et très précise lui a
fourni pour ses calculs une base solide. Elle lui a permis de démontrer que,
contrairement à l'opinion de M. d'Avenel, la valeur des mesures a varié sui-
vant les temps et les lieux et que «l'évolution des mesures du Bordelais
à travers les siècles écoulés est soumise à une force constante, qui les conduit
à la précision et à l'uniformité ». MM. Marion et Courteault ont mis en
relief les grands services qu'est appelée à rendre à nos travailleurs locaux
celte contribution à la métrologie girondine. Le premier s'est borné à
contester quelques chiffres; le second à signaler quelques menus documents
échappés aux investigations de M. Brutails.
La thèse principale — Étude archéologique sur les églises de la Gironde —
est un véritable monument, le très digne pendant de la Guienne militaire de
Drouyn, et destiné, comme elle, à devenir promptement classique. L'ouvrage,
un magnifique in-4", orné de seize planches hors texte fort belles et de trois
cent cinquante gravures, dues en presque totalité au talent photographique
deraulcur, comprend deux parties. La première est une série de soixante
monographies d'églises girondines, dont M. Brutails fait l'histoire en asso-
CHKOMQL'E 381
ciant peipcliielleriii^nl los docniniMils à rcxann-tj ;irclit''<»lo^'ii|ii('. suivant la
méthode la plus sévère et la plus pnidfiile. La srconde, la plus étendue, est
une mafrisliale élude sur rarcliileclurc lelij^ieuse en (iirondi-. I.'.nileur en
recherthc les causes dans la nature du sol. dans la j,'éo;.'rapliie lii^loriquc
et riiisioire, dans l'origine des constructeurs et la lurnialion dfs chantiers.
Il étudie ensuite les difTérenls plans des églises, les détails de leur conslruc-
lion, couvertures en bois, arcs cl voûtes, supports, colonnes, piliers et murs.
peKcments, clochers, cryptes, etc., la fortificaiion des é;,dises, leur déco-
ration dans ses motifs, ses procédés et ses applications. Le livri* est conclu
par une classilicalion des églises de lu tiironde. L'examen de ce travail
considérable a présenté, pour le public très nombreux et très altentir qui
assistait à la .soutenance, un très haut inlércl. (ie lut entre le président du
jurv et le candidat uti vérilable tournoi arché()loj,M(|ue. M. de Lasleyrie,
apiès avoir rendu un niagniliiiue lioiumagc au labeur et à la compétence
de M. Brutails, lui a soumis quelques objections sur sa lerminologie,
sur des datations d'églises, en particulier sur La Uéole et Francs
Le débat fut parfois très viL car le candidat se défendit avec sa
vigueur coulumière. .\près M. de Lasleyrie. M. l'aris présenta (juelques
observations sur la survivance de motifs auticiues au Moyeu Age. M. .lullian
termina la séance en disant, avec ,sa prestigieuse éloquence, l'amour que
méritent nos églises urbaines ou rustiques et la recoimaissance que l'on doit
à M. Hrutails pour avoir su si bien les faire connaître et les faire aimer.
V l'unanimité, la Faculté a reconnu M. Hrulails digne du grade de
docteur es lettres, avec la mention « très honorable >■. La lievue est particu-
lièrement heureuse de constater l'éclatant hominage rendu à l'un de ses
plus précieux collaborateurs et lui adresse ses chaleureuses félicitations.
A l'Académie de Bordeaux. -7 Dans sa séance du •j.'i juillet. l'Aca-
démie de Bordeaux a élu membre résiflanl. en remplacement de Uavmond
Céleste. M. Saiut-.Iours. dont nos lecteurs ont pu ai)précier les remarquables
recherches sur la population de Bonleaux, et à qui ses travaux si rigoureux
et si neufs sur les embouchures de l'Adour et sur le Iilt<:tral gascon ont
\alii une uoloriélé scientifique aujourd'hui incontestée en I raruc et
à l'étranger.
Pour l'histoire de la Révolution. \u\ ( hercheurs, de plus en
plus nombreux, qu'attire l'Iiisloire rcvohiliomiaire. il inquirle de signaler
le Manuel inaliquc pour l'élude de la liérolulidii française que vient de faire
paraître M. Pierre Caron, archiviste aux Archives Nationales (Paris. Picard.
1912, in 8°, de xv-294 p.; 6 fr.;. Méthodique, clair, sobre, bien présenté, ce
livre sera pour les novices un initiateur 1res conuuodc. j)our tous lui instrii-
menl de trHv;iil précieux. Sur l'organisation du travail histrritiue conunis-
sions onicielles, sociétés libres, périodi(iues parisiens, régionaux ou locaux,
étrangers, collections), sur les sources manuscrites (répertoires et travaux
bibliographiques. Archives nationales, Archives des ministères, .Vrchivcs
départemonlales, communales et hospitalières, dépcHs divers. Archives
étrangères, bibliothèques de manuscrits), sur les sources imprimées ^ biblio-
graphies, recueils législatifs et aduiinislralifs. journaux et almanachs,
instruments de travail courant), ils trouveront dans ce manuel les renscl-
30
382 CHRONIQUE
gnements essentiels nécessaires pour entreprendre une recherche ou une
étude. Souhaitons avec l'auteur qu'un de nos spécialistes locaux nous donne
le relevé méthodique et complet des sources de l'histoire révolutionnaire à
Bordeaux et dans la Gironde, qui nous manque malheureusement.
Société Archéologique. — Dans la séance du i'\ juin, M. Bontemps
a fait connaître l'état actuel de l'église de Saint-Macaire. — M. Ferbos a rendvi
compte de l'excursion annuelle de la Société. — M. Ricaud a présenté et
commenté de nombreux documents sur le Vieux- Marché. — M. le D' Im-
bert a donné lecture de lettres sur plusieurs épisodes de la Révolution aux
\ntilles. — \{. Coudol a présenté un éventail peint du xv^n"" siècle. —
M. Bardié a rendu compte du transfert des boiseries de l'hôtel de la rue des
Menuts, 57, à l'École des Beaux-Arts. — M. Brouillaud a offert au Musée du
vieux Bordeaux le cartouche qui surmontait la porte d'entrée de l'orangerie
du pavillon Labottière; M"- Gazenave, deux gravures signées J.-B. Pallière;
M. de Saint-Saud, huit empreintes de sceaux se rapportant à Bordeaux et
à la région.
Les débuts de la Réforme protestante à Bordeaux. — Sous ce
titre légèrement inexact, M. H. Palrj a publié dans la Revue hislori(jue
(juillet-août 1912, p. 2()i-3ai) trois éludes, dont les deux premières seules
nous intéressent directement (la dernière concerne Agen). L'une est consa-
crée à Thomas lllyricus. l'autre aux premiers professeurs du Collège de
Guienne considérés comme propagateurs des idées religieuses nouvelles.
Sur lllyricus, dont il analyse les sermons, M. Patry donne le texte d'une
jurade de Condom qui fait un tableau très vivant de la prédication du
fameux franciscain dans cette ville (au mois d'octobre de quelle année?;.
11 croit qu'il fut peut-être un de ces moines que signale le Journal d'un
bounjeois de l'aris, envoyés en lôaS par Frant^ois 1" et Louise de Savoie en
Guienne « pour y prescher la foy catholique, y abattre et adnichiller les
hérésies de Luther ». Sur les professeurs du Collège de Guienne, on trou-
vera dans l'article de M. Patry de bonnes indications bibliograpiiitiues. On
regrette de n'y voir pas cités, à côté du livre de GauUieur, des travaux
bordelais tels que l'étude consacrée dans la Revue Philomatfwj[ue par M. de
La Ville de Mirmont à Buchanan.
Un nouveau livre sur Montesquieu. — M. F. Strovvski vient de faire
paraître un Montesquieu dans la nouvelle Bihliothè(iue française qyi'édiie la
librairie Pion -Nourrit. On trouvera dans ce petit volume un recueil fort
bien fait des pages les plus significatives de Montesquieu, encadrées dans
une biographie très vivante et, à certains égards, très neuve. M. Strowski
y redresse au passage quelques grosses erreurs de Vian et y utilise large-
ment, pour la première fois, les beaux travaux de MM. Barckhausen et
Céleste. L'image de Montesquieu qui s'en dégage est très savoureuse. Mais
pourquoi, dans ce livre si bordelais, n'avoir laissé qu'entrevoir le gentil-
homme campagnard et n'avoir dit mot du marchand de vins?
BIBI.KKilUriMK
Clary et Bodin, Histoire de f.es/jarre, Boideaux. impr. Pcrli, in-S' de
48o pages. 19 gravures.
.Vlus par un « pieux devoir de palrioli.sme local », et 8'e(Tor<,ant de « faire
œuvre d'Iiislorieiis impartiaux », les auteurs présentent non pas une simple
monographie, mais riiisloirc de la puissante siric de i.cspiirn'. iiver des
aper(,'us plus généraux encore sur l'i-lal ancien du peuple. La dernière partie,
depuis la Itévolulion jusqu'en 1909, est un défdé de notes annales dans
Tordre chronologique.
Sans se préoccuper d'une prétention identique de Saint (iermaind'Ksteuil,
l'ouvrage débute sans anibat,'es par ces mots que Lesparre est " bâtie sur
l'emplacement de l'antique Metullium ». Le pa\s des Médules. ce Medulicus
Paijus. se trouve rendu on i>lii'-. page 3. en \fe<lili<iis Ptiyus, le premier ujot
étant dit «une contraction de médius imilieu; et de //(•(/.< (liquide 1 », pays
entouré par les eaux. Le même Médoc des vieux Médules de l'époque latine,
le \!édi)uc d'Klie \ inet, est en même temps présenté, par une élrange con-
tradiction, comme un nom de la dernière période des troubadours. pro\e-
nanl de me, contraction du latin maie et de «c. qualificatiC de notre dialecte
méridional, soit: mauvaise langue d'oc. Nous considérons comme profondé-
ment regrettables ces étymologies (jui, placées en tèle de l'ouvrage, sont de
natine à rebuter le lecteur, ou au moins à troubler sa confiance. Novioma-
gus reçoit de savants' la signilication : «Marché-Neuf», el non < fllf de
« Ville aux navires », qu'on lit page 34.
Les auteurs nous apporteraient toutefois une bonne contribution a I his-
toire régionale si l'œuvre n'était gâtée [)ar la partie scienliliiiue. celle qui a
trait à la géologie et au préhistorique. Pages 05 à 7G. ils transcrivent la
Lt-ijeiide de Cénehrun pour en faire ressortir les invraisemblances el les
incohérences. Que n'ont ils eu la même perspicacité à l'égard de> auties
traditions et légendes qui dénaturent le passé de notre région? Ils renché
rissent même sur elles, page iti, en nous [)arlanf des u villages» de (iordoiian.
de la « paroisse» et du « phare » de <ù)rdouan en ioqj! .\ la même page on
lit le contraire de ce qu'a écrit et enduré Louis de Foix sur l'îlot • estant,
dit cet architecte, au luilieu de la mer en un peu de sec qu'elle laisse deux
fois en a'i heures». — Le sondage de M. (iuy à Sainl-Mcolas-de (irave
(page 16) lui fit rencontrei- à la profondeur normale et h-gale de deux mètres
les squelettes du cimetière: donc, d'après ce dernier complément d'infor-
mation, le prieuré de Sainf-Nicolas-de-rirave, (ju'on a tant signalé au large
en mer, ne peut pas maintenant être dit «ense\eli «. Hattaché contre son
gré à Sainte-Croix, en ii3i, comme étant situé, avec ses dépendances, dans
la juridiction de iNotre-Dame de Soulac, il dut être fermé ou abandonné en
un temps foit reculé resté ignoré de Raurein. — fiontrairement aux énon-
cialions des pages 16 et ijo. Soulac n'avait pas d'inq>ortance et n'a pas
connu « une ère de prospérité inouïe»: il uf fut pas bâti au bord de la
(iironde et n'a pas \u s'éloigner les rives de celleci. fait qui ressort du seul
examen géologique du sol. Son port, port d'abri et d allenle. était Dom-
I. Voyez Camille Jullian, Journal des Savants, igoS. p. Sao. — Léo Drouyn, dans I9
Guienne militaire, place Noviomagus à Brion-
284 BIBLIOGRAPHIE
noton, c'est à- dire le Verdon, si l'on combine les textes de Mêla et d'Ausone
avec les dunes dii Verdon, que tels géologues classent pléistocènes, soit
antérieures d'au moins deux cents siècles à l'apparition de l'homme sur nos
côtes; le port non identifié aux pages 17 et 82 est le port Leyron, sur le
chenal du Conseiller fcarte des fiefs de Lesparre). - Artigues-Extiemeyie
(lisez: défrichements du bord de l'eau) n'a pas été englouti par la mer ni
recouvert par les sables (page 21), pas plus que le Lilhan. Le premier de ces'
endroits, ancienne ferme monacale sise à l'ouest de Vensac, avait pour
prieur, en août 161G, le curé de Saint-Vivien (archives de Vensac), et en 1772
il se trouvait loué i5o livres par an au profit d'un chanoine de Bordeaux
(arcfi. diocésaines). Des litres authentiques portent quelque peu dans le
même sens des indications sur le Lilhan aux années i6"6/(, 1GO6, 1670 (Arch.
départ.).— Le mythe d'Anchise. de son lleuve et de son port est une inven-
tion fâcheuse à classer avec la Légende de Cénebrun (voyez p. 8, 18, 28). —
L'humble Pelos ou Pelons existe à l'abri du vieux Mont, et la célèbre forêt
citée, dite de Lesparre (page 12). tapissait simplement la partie orientale
(le l'étang d'Hourtin. Des textes du xui"" siècle font ressortir que l'étang
d'Hourtin était alors aussi étendu qu'en i8()0, et un titre diocésain de mars
lOii montre nettement que le transfert de la chapelle de Sainte-Hélène-de-
l'Etang fut alors projeté (voyez p. 21J sans aucune préoccupation des eaux
de ce lac. Les coquillages du pont de Lupian (page 9) sont lacustres et non
marins; notre Muséum étale des spécimens de ces mollusques qui vivent
dans les marais et étangs du Médoc, de Buch et de Born.
Puisque, d'après des savants', il n'y a pas eu modification du niveau de
la mer au cours de notre ère, et {|u'il n'y a pas airaissement du sol', ces
deux éléments ne peuvent pas se superposer, et les localités n'ont pas changé
de limite d'une manière appréciable par rapport au rivage de la mer. Dire
que Boïos (p. 82; élait au bord de l'Océan, c'est méconnaître l'Itinéraire
d'Antonin et errer autant qu'à répéter (page 117) que Talbol avait débarqué
au Gurp. Ni sur ce point ni ailleurs, il n'y a eu ces baies ouvertes mention-
nées à la page 9, pas même à Arcachon. Boïos devait être à la Teste.
Grave (pages 7 et i-j), au lieu de signifier bois, forêt, pourrait bien avoir
eu à Bordeaux (quai de Grave, porte de Grave) et à Soulac la signification
qu'on lui trouve encore dans les Landes et les Basses-Pyrénées: lieu maréca-
geux; d'où Pointe des marais, pointe presque aussi vieille probablement, en
partie ou en son tout, que les dunes du Verdon. De même (p. 11) pour
barthe, endroit marécageux peuplé de plantes aquatiques, de vergues, de
saules.
Mais il ne conviendrait pas d'arriver jusqu'aux détails trop peu importants
au sujet d'un ouvrage qui, sous réserves expresses des critiques qui précè-
dent, reste après tout estimable au point de vue local.
S.
Chinard (Gilbert). L'exotisme américain dans la littérature française
au wr sit-cle, d'après Rabelais, Ronsard, Montaigne, etc. Paris, libr.
Hachette et C'', in-12 de xvii-247 pages.
M. G. Chinard, maître de conférences à Brown University, s'est proposé
d'étudier dans ce volume les idées que nos écrivains du xvi' siècle se sont
1. Bouquet de la Grye, Alfred Guy.
2. Rauiin.
Hini.in(;KM'iiir 28')
faites de l'Aiiirrique t't des sauvages américains. I.a (|(ieslioii est neuve; elle
valait la peine d'être traitée. iSous ne retiendrons ici que le chapitre consa-
cré à Montaigne. II est intéressant. Montaigne a très souvent parlé de la
découverte du Nouveau-Monde; .sa ruricisilé a éti- très lortement captivée
par les récils de voyage eu .Vniérique. M. Pierre N illey avait déjà niontré
que l'auteur des Essais avait datïs sa bibliothèque Vllistoire générale des
Imles ocritleiitalex et Tcrri's-Xeni'es du l'érun. de Lopez de (ioniara, dans la
lra(lu<liou fran^-aise de .Martin Fumée (Paris, l'ig'j); du même auteur,
l'Ilisloria de don Ferdinnndino Curiez, dans la traduction italienne de 157G;
enfir» les deux Cosimufvaphies de Belleforest et d'.Vndré Thevet. M. C.
démontre (jne Montaigne a aussi très probablement connu la très curieuse
relation que le pasteur protestant Jean di' l.éry a laissée de l'expédition d«'
Villegaignon au Brésil, publiée à La Rochelle en \\)-i< el souvent réimpri-
mée depuis, ef très certainement la traduclion franc^aise (ju'un pasteur de
(ienève, Lrbain Ghauveton, donna en ir)7(( du livre où le Milanais Men/oni
avait conté le désastre de l'expédition tentée en iTiôa par Jean lUbaut el les
protestants français pour coloniser la l'Ioride. Montaigne a plagié (Ghau-
veton dans son chapitre des Cannibales. Il l'a copié sans le nommer, par
prudence, car les viclimes des Espagnols étaient des protestants, et aussi
parce qu'il était, en principe, opposé à toute entreprise coloniale. Le plagiat
permet de dater le chapitre des Cannibales ("XW du livre 1) : il est posté-
rieur à 1079. Dans ce chapitre, Montaigne « n'a mis que sa curiosité, son
goût de l'enquête, du fait menu et pittoresque ». Tout autre est le chapitre
des Coches (M du livre 11; : ici, la conscience du moraliste s'est éveillée. « il
considère la question sous un jour plus large et il prend nettement parti
pour les anciens possesseurs des Terres-Nouvelles, contre leurs barbares
conquérants, au nom du droit et de l'humanité». Dans les Cannibales, il
s'était amusé à montrer que le sauvage est peut-être supérieur au civilisé,
el il avait consigné l'entretien qu'il eut à Itouen avec trois sauvages ({iii
y furent amenés au temps du roi Charles 1\ Dans les Coches, suidant
surtout de Gomara, il trouve, pour fléchir la barbarie des Rsp.qi^rnols. des
accents que n'eût pas désavoués Las Casas. Il se pose en véritable iléfenseur
des Indiens; « il fait déjà pressentir les pages les plus hardies des philo-
sophes du xvui' siècle». M. Jameson. dans son étude sur Monlisiniien et
l'esi-lavoge iCf. Revue, 1911. p. r'ia). avait à peine cité Montaigne, M. G.
montie qu'il mérite d'être placé à côté, peut être au dessus de l'auteur de
\'EsprU des Lois. Les deux écrivains, du reste, offrent de curieuses ressem-
blances : le trait d'esprit à la cavalière qui termine le chapitre des Canni-
bales ( I Mais quoi ! ils ne portent pas de liauts-de-chausse-;' " ' cesl déjà du
.Montesquieu, et du meilleur.
l\ C.
E. Levi-fHalvano, Montesquieu e Machiavelli. Paris, Cliainpion, nju,
in-.S" de i/|Z| pages. (Bibliothèque de rinslilut fran(;ais de llurence,
I" série, t. II.)
Les rapports entre la pensée de Machiavel el celle de Montesquieu ont été
souvent soupçonnés et affirmés, rarement contestés. M. Levi-Malvano
a entiepris de les démontrer par une étude attentive dps deux grands écri-
vains. On peut dire (ju'il y a réussi. Son livre atteste une connaissance
approfondie île l'œuvre entière de Montesquieu et des travaux, anciens et
récents, qui lui ont été cop-arré>i I '.nitein a |)ri-^ la peine de venir à
286 BIBLIOGRAPHIE
Bordeaux consulter le catalogue de la bibliothèque de La Brèdo ; il a eu la
bonne fortune de bénélicier de l'érudition et de l'obligeance de notre
regretté R. Céleste; les belles publications de M. Barckhauseri lui sont fami-
lières. Son livre est un hommage au grand travail, trop longtemps
méconnu, qui a renouvelé l'étude de Montesquieu et dont Bordeaux a été
le foyer depuis vingt ans. Sa méthode mérite aussi d'être louée: elle consiste
dans une confrontation minutieuse des textes, dans une analyse toujours
ingénieuse, souvent subtile et pénétrante, des deux pensées, qui en montre
les ressemblances, mais ne dissimule jamais les divergences. Méthode délicate
à manier, car combien il est facile de solliciter les textes et de trouver entre
eux des ressemblances tout artificielles! M. Levi-Malvano a évité ce défaut.
11 n'a pas bésité non plus à reconnaître que ses deux auteurs ont pu parfois
se rencontrer simplement parce qu'ils ont eu des sources antiques com-
munes, Végèce, par exemple.
Que Montesquieu ait connu et pratiqué Machiavel, cela résulte d'une
note des Pensées et de la présence dans la bibliothèque do La Brède de plu-
sieurs éditions des œuvres du secrétaire llorentin. Qu'il ait subi de bonne
heure son influence, on peut le voir dans cette Dissertation sur la politique
des Romains dans la religion, qu'il lut en 1716 à l'Académie de Bordeaux,
dont les idées essentielles sont tirées des iJiscorsi et que l'auteur des Consi-
dérations, plus mûri, désavoua plus tard. Mais il y a plus. M. Levi-Malvano
reconnaît i'inlluence de Machiavel dans quelques idées générales de Montes-
quieu : sa façon de comprendre l'histoire en philosophe expérimental pliilôt
qu'en métaphysicien; son idée que les lois supposent l'homme meilleur
qu'il n'est en réalité; sa fameu.se théorie des climats (elle est déjà dans les
Discorsi); la «vertu » principe de la république (si l'idée se trouve déjà chez
Tite Live et chez les historiens anciens, le mot et la chose sont dans Machiavel
et c'est bien de lui que Montesquieu semble les avoir directement emprun-
tés, en les transformant, d'ailleurs). Les Discorsi onl aussi fourni à Montes-
quieu, pour ses Considérations, l'idée maîtresse, à savoir l'efllcacité d'une
bonne législation pour maintenir les bonnes qualités d'un peuple, et.
réciproquement, l'efficacité des bonnes qualités d'un peuple pour maintenir
une bonne législation : des idées secondaires, comme le rôle de la religion
chez les Romains, l'utilité des luttes intestines entre patriciens et plébéiens,
l'importance de l'armée, la politique du sénat à l'égard des peuples vaincus,
le danger des dictatures militaires, le rôle de la fortune dans l'établissement
de la puissance romaine, etc. Les rapprochements très précis auxquels se
livre M. Levi-Malvano sont souvent saisissants, presque toujours convain-
cants. Il sera désormais difficile de nier la profonde influence exercée par
Machiavel sur la pensée de Montesquieu.
Klle n'a pas empêché, d'ailleurs, le philosophe de La Brède d'être un
anfimachiavéliste convaincu. Le chapitre où M. Levi Malvano le démontre
n'est pas un des moins curieux du livre. Montesquieu a cordialement
détesté l'auteur du Prince; il a même songé à le réfuter. 11 a proclamé
Machiavel « un grand esprit s, mais il a aussi dénoncé son « délire ». Avec
tout son siècle, il a haï le panégyriste de l'absolutisme, le négateur du droit
et de la justice, l'apologiste de la force et de la ruse. Et par là Montesquieu
prend place dans cette lignée d'écrivains français qui, depuis la seconde
moitié du xvi' siècle, ont travaillé à réfuter les doctrines machiavéliques
introduites chez nous par Catherine de Médicis. M. .loseph Barièie avait
déjà brillamment démontré (cf. Revue, 1908, p. 'x';i)-'\']-) que La Boétie fut un
de nos premiers anlimachiavélistes. En attendant qu'il nous donne l'histoire,
impatiemment désirée, cle ce mouveo^ent au xvi' s\èc\e, i\ nous plaît
BlULlOGHAIllII 387
de constater, ;i la siiilo de M. Lcvi-M.dsjmo, ijiic M(iiiliv,i|iiirii lui, au
xviii' siècle, nu loprt'scnlaul de celte luutilioti tr;ini,iiis<' i|ui ili^liu;^na
toujours railleur du Prince el l'auteur des Discours sur In première décade de
Tite Live. j, ^j
Toiiniyol du Clos. Les idées financibrcs de Monlesfjuicu (extrait île la
Revue de science et de térjisldtion Jinnncières, avril-mai-jiiin Iî(M^
l'aris, Tîiard cl Hricre, i<)ia, in-cS" de a/i pages.
Voici uu travail, qui, connue le préci-deiit, eût ravi d'aise noire rcyicllc
tjéleste. Il est consacré aux deux mémoires de 1715 sur les finances : celui
(lui a été reproduit, d'après les archives de La Hrède. dans li-s Mchuuies
publiés en 189a, el la rédaction remaniée (jue M. I. K. Mann a découverte
réceunnent à la Hibliotliè(|ue Nalionale, el ilont nous a\uns |iii lire le Icxtr,
en 1910, dans la Revue écunoinitjue de Bordeaux. M. l'ourn^ol du iAos étudie
successivement les deux mémoires: il en montre les diirérences par une
minutieuse analyse; il attribue les remaniements (jne Monte^ciuieii lit subir
au texte primitif à l'inHuence de Melon ; il ne croit pas d ailleurs, contrai-
rement à M. Mann, qu'il y ait eu un troisième mémoire, rédigé antérieure-
ment, que le texte de La Hrède soil postérieur à celui de la iNationale. 11
mainlient (|u'il n'y eut que deux rédactions, l'une, celle de La Hrède, écrite
au début de novembre lyi.'i: l'autre, celle de la iNationale, ù la lin du
même mois. Sa démonstration est convaincante; on la voudrait moins
brève . Dans ces deux mémoires apparaissent les si<;nes distinctifs de Montes-
quieu linancier : « une faible compétence tecliniciue, une extrême mtidéra-
tion, une prédilection passionnée pour l'agriculture. » Montesquieu lut
un médiocre arithméticien, un agrarien convaincu, un modéré à l'égard
des rentiers et des « publicains. » (^ela explique les indécisions, les exagéra
lions el les contradictions de sa pensée. Il est modéré lorsipiil combat
linstitulion d'une chambre de justice, lorsqu'il préconise comme le
moindre mal la banqueroute paiiielle. Il est excessif lors({n°il exige des
porteurs de papiers publics une déclaration de leur fortune globale, el (juil
édicté contre les fraudeurs la peine de la confiscation. Il est agrarien
lorsqu'il demande le dégrèvement de l'octroi parisien. M. Tournyol d»i
Clos a fort délicatement mis en lumière les incohérences de cette pensée
novice, d'ailleurs généreuse et désintéressée. Son article mérite délre
signalé comme l'amorce- d'un travail d'ensemble très .souhaitable .sur les
idées financières de Montesquieu.
P, C.
Auguste Giraudin, i)rèlre de Saint -Snipicc, supérieur du (irand-
Scminaire. — Marie-Thérèse-Cliarlolle de Lamourous, J'ondalrice de
la Miséricorde de Bordeaux (il 'jU-i83(J). Bordeaux, 1913, in-i6 de
186 pages.
Il n'\ a peut-être pa^ un Bordelais (pii n'ait entendu parler <le la Miséri-
corde, celte ii'uvre admirable de préservation sociale, ou, chaciue auîiee, se
réfugient loin du \ice un nombre important de [)auvres filles perdues.
Conunent pourrait on ignorer luie maison (jui. dans une période de cent
onze ans, a reçu (),8i8 repenties, et (jui, Chose bien plus extraordinaire, les
a presque toutes ramenées au devoir? i,20'i d'entre elles, en ellcl. ont passé
388 BIBLIOGRAPHIE
leur existence tout entière dans l'asile qui les avait recueillies; «les autres,
en très j^r.inde majorité, sont redevenues des filles d'honneur, ont été dans
la suite des mères dévouées». Seule, une âme d'élite pouvait arriver à ces
résultats. Il y fallait, avec un dévouement héroïque, une intelligence des
plus solidement équilibrées. Et pourtant la fondatrice de la Miséricorde n'a
pas, auprès de tous nos compatriotes, une notoriété aussi complète qu'elle
le mérite. C'est à populariser cette figure si attrayante que le livre dont
nous nous occupons est consacré.
L'auteur a divisé son travail en six chapitres, dont les quatre premiers
racontent l'existence quotidienne de M"' de Lamourous; le cinquième
nous initie au mystère de son âme ; le dernier est l'histoire de son œuvre.
Tout cela en un style clair, rapide, élégant, avec parfois une pointe d'atten-
drissement involontaire.
M. le chanoine (iiraudin déclare à la fin de son Avant-Propos qu'il n'a pas
voulu écrire une Vie. Cela le regarde ; mais je me trompe fort, ou son livre
restera par evcellence la 1 7e de M"' de Lamourous. Au surplus, c'est chose
toute naturelle. Quoique née à Barsac, M"' de Lamourous était une Borde-
laise d'Oicigine, de tempérament, d'habitudes. Or, je tiens qu'un étranger,
si averti soit il, ne comprendra jamais tout à fait le caractère, peut-être un
peu complexe, du véritable Bordelais. Et c'est une des raisons qui rendront
populaire l'œuvre de M. Giraudin. « Bordelais de vieille souche, » il a su,
mieux que le P. Pouget, son prédécesseur, pénétrer l'âme qu'il étudiait,
choisir les traits qui l'extériorisent. Aussi la silhouette de son héroïne,
dessinée avec amour, s'impose-t-elle vite à l'attention : elle s'anime, on la
voit agir, on l'entend parler, elle \it vraiment; c'est bien la Bonne Mère;
c'est Mamizelle ressuscitée.
Puis l'auteur a gardé de son séjour à l'Ecole des Chartes la rigueur de
méthode, le besoin de précision, qui, depuis un certain temps, ont produit
tant d'œ'uvres définitives en histoire. Ces principes lui ont servi à resserrer
son plan, à élaguer de son discours le fatras des discussions inutiles, à sabrer
impitoyablement tout ce qui est simple merveilleux de surface, à sérier sa
documentation avec une sévérité assez grande pour que la critique la plus
minutieuse désarme devant l'œuvre réalisée. Hagiographe vaut historien:
on ne saurait trouver meilleure occasion de le constater.
Nous ne parlerons pas de la partie : édification, qui est pourtant des plus
intéressantes, ha Revue historique, en elTct, n'est pas compétente sur ce point;
en outre, tout ce que nous pourrions dire a déjà été dit excellemment dans
la belle lettre-préface du cardinal de Bordeaux.
En résumé, l'ouvrage de M. Giraudin est une œuvre historique très
sérieuse. D'autres plus qualifiés diront : c'est un beau et bon livre.
Abbé Albert Gaillard.
Le Gérant: G. Ducaunnès-Duval.
Bordeaux. — Impr. G. Gounouilhou. — G. Chapon, directeur.
9-11, rue Guiraudc, 9-11.
POHTAILS D'I'GLISKS (ilItONDINKS"
Mesdames,
Messieurs,
Dans le rite des conférences publiques, il est un usage dont j';ii
Idujours admiré la sagesse. Il consiste en ceci que le président, dès
le début de la séance, a la précaution d'adressiT à l'orateur des
éloges (|u'il nCsl pas sûr de pouvoir lui décerner à la lin. Xotre
président vient de sacrifier à cette coutume d<' la l'aron la plus
aimable, et je l'en remercie, il sait combien cordialement. Mais à
vous, qui êtes venus pour m'entendre, je dois la vérité. Or, la vérité
est que je ne comprends pas encore comment il se fait que je sois
ce soir à cette place, derrière le verre d'eau du conférencier, pour
vous parler de nos vieilles églises, alors que je sais mon impuissance
à traduire les idées, les sentiments, les entbousiasmes que ce sujet
vous inspire.
DiMix considérations me serviront de circonstances atténuantes.
iJ'abord, mes collègues de la Société arcliéologique avaient témoigné
le désir que je prisse la parole ce soir, et ce désir, j(^ ne pouvais jias
ne pas y déférer. Ensuite, je ne m'abuse pas sur le rôle (jui m'est
dévolu : lorsque nous montrons la lanterne magitpie, le Clial boité,
le Pelil Pourel, Cendrilloiu l<' mérite du spectaclf va surtout au
conteur qui a inuiginé et, pour employer un vieux mot, tpii a
//•ofM'é ces belles histoires. De mêmt;, les véritables auteurs de notre
entretien sont les artistes d'autnd'ois : ils ont trouvé, ils oïd. ciselé
dans le calcaire de nos carrières girondines les admiral»les poèmes
de pierre qui vont défiler sous vos yeux. M ni. je me borno à montrer
la lanterne magique.
Permettez-moi de vous présenler brièvement ces artistes. .\près
quoi, ils se chargeront eux-mêmes de vous exposer par leurs ceuvres
où ils prennent leurs motifs, comment ils les traitent, commenl ils
h's agencent eiijiu ])our composer une; porte ou une façade.
I. Conférence faite à l'AUiénée, le S février l'Jl-', sous les anspico •!'• Ii Sm i.'té
archéologiiiue de Bordeaux.
âgo PORTAILS d'Églises girondines
Je viens de parler d'artistes et je ne m'en dédis pas, car ces
hommes ont produit des œuvres d'art souvent remarquables. Encore
faut-il nous expliquer. La distinction, courante aujourd'hui, entre
l'artiste et l'ouvrier n'était pas admise dans les chantiers du Moyen-
Age : l'architecte était un ouvrier habile. L'architecte de la tour
Saint-Michel, Jean Lebas, n'était sûrement pas un vulgaire gâcheur
de mortier; son engagement, signé le 29 août 1464, le qualifie
«maçon, maître après Dieu des ouvrages de pierre du chantier»;
c'était un appareilleur, un tailleur de pierre, et son contrat l'obli-
geait à travailler de ses mains, à donner le trait.
En 1510-1511, le chapitre de Saint-André voulait refaire dans la
cathédrale les voûtes ouest, les plus rapprochées de la Mairie, et
construire des arcs-boutants pour les contenir. Il engagea un archi-
tecte, Imbert Boachon. Boachon est connu, grâce à une étude que
lui a consacrée un érudit avignonnais, M. l'abbé Requin. Il entreprit,
en 1524, d'élever en Avignon le tombeau de maître Perrinet Par-
paille, docteur en chacun droit. A voir ce tombeau, vous constaterez
que Boachon tirait de la pierre, non pas seulement des blocs d'appa-
reil ou des moulures, mais encore des statues, et fort belles.
Voilà donc un fait acquis : tailleur de pierre, tailleur d'images ou
sculpteur, architecte, ces divers états se rapprochaient, se mêlaient,
et parfois ne faisaient qu'un. A l'époque romane surtout, l'ordon-
nance et la décoration des portails étaient confiées, non pas à un
monsieur sorti d'une école, mais à un artisan que ses précédents
travaux avaient tiré hors de pair.
Cet aperçu sur la formation des ouvriers vous rendra indulgents
aux imperfections de l'œuvre et vous permettra de comprendre la
verve, le rude bon sens dont cette œuvre témoigne souvent. Ce n'est
pas un art raffiné et trop souvent conventionnel : il porte l'empreinte
du peuple, d'où il sort, parfois violent et grossier, toujours robuste
et sain.
Naturellement, ces artistes ne tiraient pas toutes leurs formules
de leur propre cerveau. Ils s'inspiraient, pour l'ornementation des
portes, des œuvres existantes et des idées qui avaient cours.
Le plus simple était de réemployer les sculptures antiques, lorsque
par hasard on en avait sous la main. C'est ce que l'on a fait dans la
porte de Tauriac, où se trouvent un ou deux chapiteaux gallo-romains.
Le cas est rare. Lorsqu'ils étaient livrés à eux-mêmes, nos orne-
manistes puisaient à des sources d'inspiration très diverses. L'école
poutaiis n'rcr.isKs (;iiiom)i>fs nji
jtt('T(iriiaue, celle ((iii rèj^iie entre la liii île larL romain et l'an HKX»
à peu près, avait t';iil un Lri.tiul fm|i|(ii des entrelaes. Les romans
eonservèreut une prédilr( I mu jKuir i-e ^'tinc d'ornement, (|ui permet
d'obtenir à peu de frais des o})positions nian|uées d** lumière et
d'ombre. Les tres.-es. les ])asseiiienteries (tutrelacées suivant maintes
eonibinaisous tigurent dans de-; dinjuteaux romans de Tauriae voi-
sins du chapiteau anticpie >iii' lr,|iii| Je viens d'attirer votre attention.
La décoration géorni'l ii(| lie iin'duiiiiiK' mieux «'ucru'e dans la porte
(le Cardan: des deuLs-de-.-cie, des lo>auyes, des bâtons brisés on
relèvent les voussures. L'emploi trop exclusif de cette décoration
a un avantage: la facilil»' il'exécution. — et un inconvénient: la
sécheresse. C'est de (|iiiii ou >c icud \i\rinenl com]ile (juand on
étudie les églises normandes, dont les architectes étaient des ingti-
uieurs remarquables et de piètres artistes.
Ce sont également des entrelacs, des dents-de-louj» ou festons et
d'autres motifs très simples qui fonueui le fond de l'ornementation
de la porte de Pujols-sur-Cirou, uu peu délabrée j)eut-être, mais si
touchante dans la sincérité avec la(jiic||r elle avoue son âge. CJue
Dieu la garde des accidents, des injures des enfaids et i\i'> restau-
rations des architectes !
Dans la porte d'Arsac, la prédtuninance du décor géométri<pie
s'aflirme avec une énergie sauvage. Ct^s voussoirs cu-nés de simples
trous qui sont disposés synuitriquement sou! ion! ( c que l'un jieut
imaginer de plus primitif. Et cette impression s'accroit de la mala-
dresse avec laciuelle l'archivolte extérieure est conduite.
Cette porte d'Arsac, de style inusité, nous donne cependant uu
spécimen de l'un des ornenumts les plus répandus dans n(»s portails
bordelais : je fais allusion à la file de pointes-de-diamaid qui décore
cette archivolte extérieure dont je vous parlais il n'y a (|u'un
instant. Quelquefois — du côté de Lussac et de Castillon notam-
ment — quelquefois les voussures de la ]toilc s(»nl nues: mais à
l'extrados de la plus grande voussure est uu «ordou (\r point lîs-de-
dianuud. Ainsi en est-il à Gardegan et dans la jnule, (|ue \ou> \ erre/,
tout à l'heure, de Sainte-Colond)e.
Les pointes-de-diamant se remoulrcul >ur le |i'.|lail de Corons
avec divers ornements, dont l'un un- parai! parlicnlièroment inté-
ressant : ce sont peut-être d<'s feuillages stylisés, <les biins dont
l'extrémité dessine une ileur-de-lys. Ce dessin est fréquent d.ui- les
édifices romans de la Gironde. On le trouve sur des chapiteaux de
La Sauve. On le trouve également sur des débris d'une ancienne
PORTAILS d'Églises girondines
392
abbaye de Blaye qui proviennent, au moins en partie, d'un portail :
c'est un claveau d'archivolte, une de ces pierres qui ressortent sur
le nu du mur, de façon à obtenir un ornement en relief; c'est un
bloc couvert d'entrelacs, qui était destiné à être placé entre les
corbeaux d'une corniche, peut-être au-dessus d'une porte.
Le décor végétal tient une place importante dans l'ornementa-
tion romane. Mais toujours il est simplifié, stylisé. Les feuilles sont
creusées d'une gouttière à facettes; la facture est sèche, à vives
arêtes, qui accrochent la lumière. Quelques-unes sont très belles :
dans la porte de Saint- Émilion, par exemple, dans celle d'Izon,
surtout dans la porte de Blasimon, que nous verrons dans quelques
minutes. C'est, d'ailleurs, l'exception : nos sculpteurs girondins
n'ont généralement tiré qu'un assez pauvre parti des feuilles; ils
ont été plus heureux avec les tiges, qu'ils ont disposées en des
enroulements gracieux.
Arrêtons-nous un instant à la porte de Marcillac : nous y retrou-
vons l'archivolte d'extrados en pointes -de -diamant, qui nous est
déjà familière. Dans la voussure du plus petit rayon est un joli spé-
cimen de ces enroulements, de ces rinceaux que je viens de vous
signaler.
Cette belle porte de Marcillac, qui est malheureusement mutilée
et incomplète, se recommande par d'autres détails, surtout par la
frise, qui est délicieuse, — j'irais jusqu'à dire admirable, si jo n<i
craignais de n'être pas suivi. Ce qui est certain, c'est que cette frise,
très riche, est habilement composée. Dans le motif central, les deux
griffons affrontés sont de jolies lignes. II est vrai qu'ils sont empruntés
à un art qui n'est pas le nôtre, qui est très éloigné du nôtre, un art
oriental.
Vous n'êtes pas sans savoir que les archéologues sont divisés en
ce qui concerne les origines de notre art du Moyen-Age. Certains
voudraient qu'il soit sorti tout entier des très anciennes civilisations
orientales. D'autres, qui sont de la vieille école, répondent par une
négation intransigeante. D'autres, enfin, pensent que les rapproche-
ments rendus possibles par les voyages et la photographie nous
apportent bien des révélations et nous réservent bien des surprises :
ils étudient chaque cas, chaque espèce, sans parti pris, en dehors
de toute généralisation, de tout préjugé. Pour ma part, je crois
jusqu'à présent que dans l'art de bâtir du Moyen-Age il faut à ce
point de vue faire deux parts : construction et décoration. Pour la
construction, la preuve des influences orientales est encore à faire,
PORTAILS d'kglises f;ir»r)\ni'<iEs 39^
même en ce qui concerne nos églises à coupoles; pour la décoraLion,
il est acquis que les objets mobiliers apport»^s <lu Levant par les
pèlerinages et par le commerce ont fourni à nos oinemanisles des
modèles qui ont été souvent reprofluits. Les motifs étaient stylisés,
faciles à copier, ils meublaient bien un fond. On peut dire qu'ils
s'imposaient. Dans un magnifique ouvrage paru ces jours derniers,
M. de Lastcyrie a recueilli cette observation que des tailleurs d'image
romans ont bien pu imiter à Bayeux des magots chinois.
En Gironde, plusieurs sculptures portent, bii'^n visibles, des
influences, non pas de l'Extrême-Orient, mais de l'Orient, \ Mar-
cillac, sur la tête du claveau inférieur de la seconde voussure, se
cache un quadrupède accroupi, vu de profil, avec une tête étrange
vue de face. Vient-il de Perse ou d'Assyrie? Je ne jiuis pas préciser;
mais il a vu le jour dans ces contrées.
Vous avez contemplé ses ancêtres dans
les salles orientales du Louvre.
Saint-Macaire. Illats, Saint-Mi rtin-de-
Sescas, etc., ont des lions qui portent sur
la cuisse une croix. C'est une très ancienne
pratique de l'art oriental de graver un
signe sur la cuisse des quadrupèdes.
L'une des productions de l'art roman
les plus étonnantes à cet égard est un
chapiteau qui vague dans le jardin du
presbytère de Bommes : deux oiseaux
boivent dans une coupe. Le sujet est
oriental; la façon dont il est traité l'est
bien davantage.
Mais il est un motif plus caractéristi-
que encore, que vous devez avoir vu et
auquel vous n'avez pas accordé peut-être
toute l'attention qu'il mérite. Il encadre
la porte de Sar te- Croix. Un oiseau est
monté sur un félin qu'il becqueté. Ce
groupe est répété indéfiniment sur la
voussure (ît sur les pieds-droits. On le dirait détaché d'un ivoire ou
d'un tissu d'origine musulmane, comme ceux que M. ^îarquet de
Vasselot signalait naguère dans Vllislnire de iArt de M. \ndré
Michel.
Nos sculpteurs ont pris quelquefois ailleurs leurs maltreset leurs
PORTE DE L LCI.ISE
s\inte-i;roi\ de iionDB.vt'x
(Extrait de La V'i>-i</r> t^glitt»
dr la Cironde. p. I).)
29^ PORTAILS d'Églises girondines
modèles : ils se sont inspirés des œuvres gallo-romaines, qui devaient
être plus nombreuses que de nos jours. Dans l'église d'Avensan était
représentée une femme faisant un geste tel que Balguerie l'a décrit
en latin : c'était la copie d'une statuette antique pareille à celle
qui a été trouvée rue de Grassi et que M. Gollignon a publiée dans
le bulletin de notre Société.
Dans deux ou trois portails, j'ai vu figuré un homme assis, reti-
rant de l'un de ses pieds une épine. Ces effigies reproduisent le
Tireur d'épine, si répandu dans l'antiquité.
Parfois aussi, les imagiers romans ont laissé la bride sur le cou
à leur imagination : c'étaient alors des scènes de plaisir et de fêtes,
des chasses où les chiens s'allongent sur les tailloirs et sur les archi-
voltes, des bateleurs dansant sur les mains, comme celui qui est à
Blaignac, sous des stries rappelant les vanneries et qu'on dirait
préhistoriques, à côté d'un linteau très joliment décoré.
Mais l'imagination de ces rudes artistes les emportait plus loin
et franchissait volontiers les limites de la décence.
Vous avez lu dans Anatole France certain épisode oii ce perpétuel
ironiste, <|ui s'est moqué de tout et de tous, se moque de l'archéo-
logie et des archéologues : il s'agit d'une sculpture polissonne que
les collègues de M. Mazure à la Société d'Agriculture et d'Archéo-
logie montrent aux visiteurs « en saisissant le moment où les dames
sont inattentives ». Nos églises romanes de la Gironde abondent en
représentations plus crues encore, franchement grossières et que je
ne montrerais pas même à des archéologues, même à des capitaines
de cuirassiers.
Mieux vaut étudier une source d'inspiration plus relevée et où
nos pères ont, d'ailleurs, puisé plus abondamment : l'iconographie
religieuse.
Cette iconographie s'alimente peut-être moins dans les Livres
saints, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, (jue dans toute cette
littérature pieuse, mystique, éclose à côté de l'Évangile. Ce que nous
y voyons, ce n'est p -s la trame austère du texte sacré, ce sont les
fleurs aimables brodées sur cette trame par l'imagination.
A Lalande-de-Cubzac, un tympan bien connu traduit un passage
de l'Apocalypse. Le Fils de l'homme tient sept étoiles; un glaive
sort de sa bouche; dans un angle est saint Jean, à côté des sept
églises, figurées par des coupoles. Cette scène est entourée d'une
efflorescence émouvante de décoration barbare : entrelacs, monstres,
personnages mystérieux. L'ensemble est déconcertant : l'auteur
l'OHIAll.S D KGI.ISi:s «.IHOMilNES a()5
tW,aiL Ijcaufou]» iiiuins liabik* (|u liiL,'ri- .>u IJctugin-rrau ; tuais (juaiitl,
dans le silence de la campagne du C.ubzagais, on est seul à seul,
tête à tête avec cette œuvre étrange et puissante, <»n éprouve une
impression réelle, un peu de ctitfo éponvanfo <pii »•• dégage dn t<\te
de l'Apocalypse.
La vision de saint Jean a rnuitii aux sculpteurs dir nos portails
romans un aidre motif ; ce sont les vingt-cjuatie vieillards qui entou-
rent le souverain Juge. Une file de vingt-cjuatre petits personnages,
voilà un thème facile pour la décoration d'une voussure. On les
voit, à Vertheuil, associés à un autre suji^t dont la signification
m'échappe, mais d'un joli sentiment artistique. Sainte-Croi.x, Cas-
telvieil, d'autres portails encore présentent la série, pas toujours
numériquement exacte, des vingt-quatre vieillards.
Un chapiteau de la porte de Saint-Martial, dans le canton de
Saint-Macaire, figure une pei sonne divine i econnaissable à son nimbe
timbré d'une croix; cette personne divine émerge d'une cuve près
de laquelle se tiennent, si j'ai bien vu. deux femmes: un ange appa-
raît dans le haut. C'est une scène racontée dans l'Évangile apo-
cryphe De la Naiivilé de Marie et de l'Enfance du Sauveur. Ouand
Jésus naquit, Joseph amena deux femmes, Zélémi et Salomé, qui
baignèrent le nouveau-né. Or, Salomé ayant perdu l'usage d'un
bras, un jeune homme d'une grande beauté survint, qui lui
conseilla de toucher l'Enfant; elle le fd, et fut guérie.
Vous savez que certaines églises do l'Ouest ont sur la fa«;adt; un
cavalier : c'est Constantin liiomphaut. Il y avait un jtaieil cavalier
à Sainte-Croix de Bordeaux, avant (pir le car<linal Donnet et l'ar-
chitecte Abadif fussent passés par là. Il reste en Gironde un Cons-
tantin, sur la façade de Tauriar : c'est une efrigie hicu luodeste,
bien délabrée; ce chevalier n'a été défendu contre les injures du
temps ni par son arnuue ai })ar sa lan<<' à gnnfanon. cette lance
chevaleresque qui a fait coni])ar<'r une aruu'-e à une fiu-êt de frênes
don! les arlucs auraiciil i|c> Hciirs (ra<'i<'r. Telle ([u'elle est, cette
pauvre elligie est, sur notre sol ffirondin. \o seul spécimen subsistant
d'une donnée iconographique intéressante.
L'usage de taire de ces cavaliers nous vi<mt du Nord, je veux dire
de la SaiutdUffe : les Saintongeais sont pour nous comme les
gens de Tarascon i>our ceux d'Arles — îles hommes du Nord. C'est
de la même contrée que nous est arrivée l'iilée des \'^ertus et îles
Vices, qui se trouvent dans les deux jtius beaux juirtails rtunans
de la Gironde ; Castcdvieil et. Blnsiuion.
296 PORTAILS D EGLISES GIRONDINES
Un poète chrétien du iv*^ siècle, Prudence, a raconté en vers la
Psychomachie, le combat qui se livre dans notre âme : les Vertus
sont de jeunes Vierges. Chacune d'elles engage la lutte contre le
Vice opposé et le défait en combat singulier : la Foi terrasse l'Ido-
lâtrie, la Pudeur renverse et tue la Débauche, etc. La P.^ychomachie
de Prudence a servi à illustrer un assez grand nombre de portails
en Poitou et en Saintonge : Parthenay, Melle, Givray, Aulnay, etc.
C'est plutôt à Parthenay que ressemble Blasimon : les Vertus fou-
lent aux pieds les Vices sous la forme de monstres. On admire à
peine moins les tiges perlées, les fleurs côtelées, toute cette végé-
tation somptueuse qui accompagne le sujet principal.
Nous allons maintenant envisager un autre aspect du problème,
nous enquérir de la valeur technique de cette décoration.
Messieurs, il vaut mieux le dire tout de suite et simplement : la
statuaire est au-dessous du médiocre dans les portails romans. Les
tailleurs d'image avaient une tendance déplorable à augmenter les
proportions des diverses parties du corps, suivant la difficulté qu'ils
éprouvaient à les traiter : le buste est aisé à faire, aussi est-il petit;
mais les têtes et les bras... Ah ! les bras ! Sur le portail de Courpiac,
un personnage — peut-être Tobie — porte un poisson et un autre
— sans doute Samson — est à cheval sur un lion. Il est fort heureux
qu'ils lèvent tous les deux le bras, l'un pour retenir son poisson,
l'autre pour ouvrir la gueule de son lion : sans cette circonstance,
leurs mains traîneraient à terre, parce que les bras sont plus longs
que les corps.
Vous avez peut-être vu la porte de Cérons, et, dans cette porte,
des bêtes extraordinaires : on dirait des larves, des vers dont la tête
ressemble vaguement à une tête de cheval. Et, en effet, ce sont des
chevaux. Ne vous récriez pas : ils ont des pattes; seulement, ces
pattes sont sur l'autre face des claveaux : le corps sur la tête de
l'arc, les pattes sur l'intrados.
Dans la splendide porte de Haux — qui n'est pas classée par les
Monuments historiques — des hommes sont représentés suivant le
même procédé : le haut du corps est sur la face verticale, les jambes
sont sur l'autre face et forment avec le corps un angle de 90». Il
y a pire.
Il me souvient d'une discussion que j'eus un jour avec Léo Drouyn
sur l'âge de la porte de Gabarnac : je datais la construction d'après
la forme des écus, des boucliers que portaient certains guerriers
1'ORTA.iLS D Kr.LisEs f;iRnNr)i>F«; •j<)7
représentés sur un rliapitcau; à (|U((i l)r()uyii n-jxtinlail *\\u- je
faisais erreur : ( «-s jiréteiulus friinriers t'-tairnl. des oiseaux, et ces
prétendus boucliers, des ailes. l'ÀidciiiiiM'iil , rda était vafruf : nos
iruprossionnistcs et ]><)inl ilMstcs les plus talculiu'ux ne f«>nf. pas
plUN llou.
11 faut arriver juscjuà la période {^'ijLhique pnur Irouver de belles
statues, comme celles de la porte Royale de Saint-André, dont
Viollet-le-Duc a écrit en 1817. dans un rapport conservé aux Monu-
ments historiques : « Cette ancienne porte d(^ la cathédrale de fîor-
deaux est un des monuments de sculpture les plus remarquables
que nous ayons en France. Toutes les statues ciui 1.» déc(jraient sont
de véritables chefs-d'œuvre comme on n'on liduve (prà la cathé-
drale de Chartres ou à Notre-Dame de Paiis. »
L'artiste roman est plus heureux avec la sculpture purement déco-
rative. Sans doute, ici encore, l'imagier gothique est nettement supé-
rieur : il domine mieux la matière, la modèle et l'assouplit à son
gré. Le roman cherche ses effets non pas dai\s la vigueur «mi la
sûreté du modelé, mais dans la nudtiplicité des facettes et des lignes :
là où le gothique profilera de belles moulures, le roman sème do.^
dessins courants, de petits sujets répétés maintes fois. Ccpemlant,
certaines sculptures romaiies. vraiseniblal)lemenl allardéos. siuit
très bien comprises.
Il existe près du flanc .^ud de l'église de Blasimon une baie (jui
s'ouvrait peut-être sur la salle capitulaire et dont les chapiteaux,
malheureusement mutilés, se composent d'une corbeille dont les
angles supérieurs laissent échapper un jiaquet de folioles; le, bas de
la corbeille est plissé : on dirait un corselet de toile enferuiant un
buste. 11 est diflicile d'imaginei une entente jdu> parfaite des moyens,
un art plus sobre et plus sûr.
Mais, je répète le mot, ces chapiteaux soûl d'un roman attardé.
La génération qui les a produits avait bénéficié des progrès réali.*<és
par le style gothi([u<\ Dans l'ensemlde. l'orneinentation sculpturale
romane est, dans nos pays, jiau\ leiuetd e\r(ul(''e.
Et malgré cette gaucherie du ciseau, l'abondance des détails, la
grandeur farouche de l'idée produisent souvent une iuqiression
profonde.
11 nous reste à passer en revue les dilTérentes ]>ailies du ]»orlail
et à rechercher comment la décoration de chai'uno d'elles est
comprise.
298
PORTAILS D EGLISES GIRO^DlNES
Les arcs de la porte sont souvent en plein cintre, même à une
époque assez avancée. C'est le cas à Magrigne, que le style des
chapiteaux à crochets ne permet guère de faire remonter au delà de
1200. Vous remarquerez, dans cette jolie porte d'une église d'Hos-
pitaliers, un mélange de caractères bien romans et de caractères"
non moins gothiques : sont gothiques l'importance de la moulura-
tion, la sculpture des chapiteaux, le style bien naturel des feuilles
posées sur le chanfrein de l'imposte.
Oueynac, près de Galgon, est également une ancienne église des
KGLISE DE QUEYNAC
(Extrait <le Lei> Vieilles Éi/lises de ta Gironde, p. 258.
chevaliers de l'Hôpital Saint- Jean-de- Jérusalem. Elle est d'une
mélancolie prenante, cette ruine superbe, cjui appartenait jadis. à
un ordre militaire puissant et qui, aujourd'hui, est envahie par
les vignes. Ce sanctuaire, couronné d'une fortification, a retenti du
chant des cantiques, peut-être des clameurs des hommes d'armes :
on n'y entend plus que l'appel du laboureur poussant son attelage
le long des « règes » verdoyantes.
Queynac est un exemple de porte polylobée, découpée de lobes,
de festons concaves. 11 en est quelques autres en Gironde, notam-
ment dans les églises de Lalande-de-Pomerol et de Yillemartin,
qui étaient également aux mains des Hospitaliers,
l'OUIAII.S IJ KGMSKS GIU(iM)IM,S 3(|y
l'Iiis (jrtliuair(MU(!iil,, les an-s sojil, Iracrs m ilriiii-c rnli', mais il-
soiil couverts de sculptures. Coiircrb n'fst pas cxccs^^if. Vous on
jugerez par le détail de la porte de Saiut-.Martiu-do-Sescas. En regar-
dant avec attention, voii'^ reinarquere/ (|ur rliacju»' voussure est
lormée de deux rouleaux rt chacun des rouleaux a son décor spé-
cial. Comme toutes ces lignes d'ornements sont nettement distinctes,
il n'y a pas de confusion et l'ensemble, bien que d'une r'iclii'.;-.^
(exubérante, ne manque pas de fermeté.
La voussure externe a une file de bonshommes superposés.
C'est une règle presque constante, que les ornemanistes de notre
contrée ont rejeté vers la périphérie des voussures la représentation
humaine.
Un autre exemple de cette règle se peut observer dans la porte de
Petit-Palais. Mais ici la répartition des sculptures est toute diffé-
rente : les voussures en sont presque dépourvues. Les menus orne-
ments, dents-de-scie, dents-de-loup, abondent. Deux ou trois cha-
piteaux appartiennent à des types assez répandus : cette grosse tête,
(jui semble avaler la colonne, ces masses de j)ierre qui f<irment des
feuillages d'un dessin particulier, enlin cette corbeille à facettes,
comme la Société en a vu, l'été dernier, à Notre-Daïue de Langon.
La porte de Faleyras est l'une des plus jolies de la Girond<'. L'ar-
tiste qui l'a faite était un délicat : il a traité ses nujtifs avec tant de
finesse et de discrétion qu'à nioins d'une bonne himière frisante qui
les mette en valeur ils échappent à l'objectif.
Castelvieil est d'un art plus franc et plus na'if. Le relief est plus
fort: les motifs s'affirment davantage. Sur l'une des voussures, une
l]l(.' de personnages semblables paraissent tirer une corde. Sur une
autre, les Vertus et les Vices. Sur la dernière, un calendrier, où sont
représentées les occupations de chaque mois : janvier, les plaisirs de
la table; mars, la taille de la vigne; septemlire, les vendanges;
novembre, la mort du coclion, etc.
A (juclle date doit-on attribuer celte i»age déc(»rative? Si Ion
<iu juge par l'armemeid, do^ \ 'ri us. surtout p.ir l;i l'ortne (]<• leurs
boucliers, si l'on tient loiiqile de |;i coilTure ;'i mentonnière dos
Saintes Femmes au Toudieiui. la \u>\\'' de ( '.;isl c|\ icjl w th'il pas
être éloignée du régne de saint L<uiis ni dfs di'-but.- du xin"' siècle.
Drouyn pensait (jue c'est la [dus Ixdie prtrte romane du déparle-
men'. L'appréciation est exacte si on fait tle Blasimf)n une œuvre
gothique.
l^>mane par le choix des ornements, gtdhique ji.ir l'ampleur et.
300 PORTAILS D EGLISES GIRO?lDINES
la maîtrise de l'exécution, Blasimon doit être postérieure de peu
à Gastelvieil. Les pentures, les ferrures de la porte ont été publiées
dans le Diclionnaire fV architedure de Viollet-le-Duc. Blasimon est,
avant notre Saint-André, la porte la plus splendide du Bordelais
et du Bazadais. Ces statues sont trop étirées, trop immatérielles.
Elles sont un rêve, mais un rêve d'artiste. Un architecte des Monu-
ments historiques me disait naguère que le moulage de cette porte
devrait être au Trocadéro. Un tel hommage n'a rien d'excessif.
La plupart des portes que nous avons passées en revue n'ont pas
de tympan, cette dalle ornée qui s'insère dans l'arc. Vous vous
rappelez cependant qu'il y a un tympan à Lalande-de-Gubzac. Il
en reste un, provenant d'une porte démolie, à Lugon : le Christ y
est assis dans sa gloire, au milieu des animaux qui symbolisent les
Évangélistes : l'Aigle, saint Jean; le Lion, saint Marc; le Veau, saint
Luc; l'Homme ailé, saint Mathieu.
11 n'est pas toujours facile de répartir les sculptures sur le tym-
pan, de façon à garnir les angles : l'artiste qui a fait la jolie porte
Sud à la collégiale d'Uzeste a mis là, près du couronnement de la
Vierge, deux anges adorateurs à genoux; les ailes sont mi-éployées
et suivent la courbe de l'arc.
A Sainte-Radegonde, on a donné au problème une autre solution
et plus naïve : on a fait les personnages plus ou moins longs suivant
la place qu'ils occupent : très grands au milieu, très petits sur les
côtés.
Le tympan, ai-je dit, est une dalle : il est rationnel qu'elle soit
soutenue par une poutre en pierre ou linteau, et il en est ainsi quel-
quefois dans nos pays, souvent ailleurs. Le linteau de Coubeyrac
porte des cercles qui se coupent : c'est un dessin très archaïque;
mais ces entrelacs sont unis et non pas creusés en gouttière; ils ne
doivent pas être très anciens, — du xii<^ siècle peut-être.
Quant aux pieds-droits des portes, ils n'ont généralement pas
d'ornementation — sauf les colonnes avec leurs chapiteaux. — Je
noterai en passant qu'ils offraient assez souvent un bénitier aux
fidèles qui entraient dans l'église. Il existait un bénitier dans cette
jolie porte de Montussan, qui sollicitait par ailleurs l'attention des
archéologues: les colonnettes des jalnbages étaient exceptionnelle-
ment courtes, l'arc était en plein cintre et les chapiteaux accusaient
la période gothique. Tout cela n'empêche pas que cette curieuse
porte a été sottement démolie il y a quelques années. Et voilà, une
fois de plus, un type original d'architecture disparu pour toujours...
l'OUTE 1)K IlLVMMlIN. 1 UAl.MEM'.
(Kxh'iiil lie /,<■« Vii'illes hijlise» île la (!iriiiiil<-, |i. <o.
PORTAILS d'Églises girondines Soi
La porte n'est pas percée uniment dans le mur; elle est accom-
pagnée, en général, ilim enseinhlr. il'un dispositif assez coiiipli(|ué.
L'encadrement de nos jjortcs, du mkuus des pt)rt(*s riches, suppose
un mur épais. Pour ne pjis donner cette surépaisseur ;"i loiilc la
l'acade, on pratiijuait la porte dans un avant-corps. L'ava ut-corps
de Cubnezais est encadré ])ar des colonnes engagées et surmcjuté
d'une corniche sur corbeau.x : entiv^ les corbeaux peuvent être des
dalles ornementées; les corbeaux cu.v-mêmes sont sculptés. C'est là
que nos artistes plaçaient leurs personnages les plus décolletés.
A Ruch, où ces personnages sont particulièrement inconvenants,
on dit, pour les excuser peut-être, qu'ils figurent les péchés capitaux.
Je veux bien; niais il n'est pas permis, niême à des péchés capitaux,
d'être à ce point indécents.
Quoi qu'il en soit, l'avant- corps, les colonnes, la corniche,
tout cela forme un édicule et comme une petite façade dans la
grande.
Il est de ces avant-corps, à Doulezon, à Cornemps, à Saiut-
Georges-de-Montagne et ailleurs, (jui sont couronnés d'un fnuiton.
D'autre part, à 8aint-Étienne-dc-Lisse, les fausses portes ne sont
pas dans l' avant-corps; elles sont reléguées sur le luui en retrait.
Dans deux églises girondines, qui se ressemblaient étroitement,
Loupiac et Labrède, on a combiné ces deux dispositions en uu<'
façade originale. Par malheui. Tune et l'autre ont été livrées à des
architectes entreprenants. Viollet-le-Duc avait admiré, à Loupiac,
la parfaite conservation des sculptures; cela n'a pas empêché
Abadie de refaire la porte à neuf presque en entier. Ouant à La-
brède... mieux vaut ne pas en parler.
Les maîtres d'oeuvre, ne pouvaient pas maiu{uer de recourir aux
arcatures aveugles, aux arcs simulés, jx-ui- décorer les portails.
A Sainte-Croix, deux arcs sont moulé-s de cha(|ue côté au-dessus de
la fausse porte, et nous savons par une plaiK lie du Moiuisliron
qu'uiu:; disposition ideidi(jue avait été adoptée à La Sauve. Aillas
et la façade ruinée de Lur/iiu^, près de Sainl-Laurenl-dWrce, ont
des arcs du même genre, mais sans fausse porte. Plus souvent, ces
arcatures se développent horizontalement au-dessus de la porte, de
façon à tenir la largeur >\r la façade.
L'arcature de Galgon est exceptionnellement rich»; : chapiteaux
sculptés, cordon de moulures très travaillées à la hauteur des
tailloirs, archivoltes et pieds-droits couverts de motifs variés, etc.
Il n'est pas jusqu'à la moulure d'appui qui ne soit traitée avec
3o2 PORTAILS d'Églises girondines
raffinement, en échiquier sur les conipartinients creux duquel res-
sortent des besants minuscules.
L'arcature de Sainte-Colombe, moins luxueuse, est mieux comprise
et de lignes moins recherchées; ce n'est plus de l'orfèvrerie trans-
posée sur la pierre, mais de F architecture large et ferme. On y
remarque des supports, dans lesquels les chapiteaux cubiques affleu-
rent le j)Ian antérieur du pied-droit; Ruprich-Robert a publié au
moins une arcature anglaise, qui est exactement sur ce thème.
Nous venons d'étudier les portes d'architecture soignée. D'autres,
plus archaïques, sont néanmoins dignes d'intérêt : Marimbaut est
un type de ces façades simples jusqu'à la pauvreté, mais fortes et
énergiques. Deux contreforts montés contre la façade et le clocher-
arcade les' assurent contre les efforts du vent d'est. La porte est
percée sans apprêt entre ces contreforts. C'est bien peu de chose.
Les Monuments historiques ont cependant classé cette façade et
ils ont bien fait.
A Cudos et à Saint-Ferme, les deu.K contreforts sont réunis par
un arc percé d'un mâchicoulis, par où on pouvait accabler les
assaillants. Car la porte était le point faible de l'église et il était
nécessaire d'en défendre l'accès. Un constructeur a donné à cette diffi-
culté une solution originale dans la façade de Mourens : sur l'avant-
corps de la porte il a monté trois murs qui fout comme une tour
très plate accolée à la façade; en haut est une ligne de mâchicoulis.
La fortification peut consister aussi en archères pratiquées près
de la porte, comme dans l'église de La Tresne, en échauguettes
juchées sur des contreforts voisins, etc.
Ou bien le porche était converti en une barbacane, c'est-à-dire
en un ouvrage avancé couvrant la porte.
Les porches étaient nombreux jadis. Ils protégeaient contre les
intempéries les sculptures des portails; ils servaient d'abri aux
fidèles et, à ce dernier titre, ils tenaient une place importante dans
la vieille France rurale. Lorsqu'on pénètre pendant la semaine sous
ces porches vermoulus et délabrés, perdus entre les deux solitudes
d'une église vide et d'un cimetière désert, on prend plaisir à recons-
tituer les scènes qui ont empli ces modestes constructions d'ani-
mation et de vie.
C'étaient des lieux de réunion. Dans quelques paroisses, la Fa-
brique louait à des marchands les emplacements du porche, ou bien
les officiers des confréries y vendaient aux enchères les offrandes
en nature faites à ces confréries. Les chemins étaient mauvais et
i'ORTAII-S I) KGI.ISIS (UKONDINES
:uk\
les paroissiens étaient dévots : 1rs tainillcs (jui Iiabitaieut les quar-
licrs éloignés venaient à l'éirlisc poiii li> olliics «lu mal in d |;i
([luttaient après les ollices du soir. Enl ic, messe et vêpres, on prenait
le repas sons le porcli{\ Ajtiés i(ii(ii, les groupes se forin;»i('nt : 1rs
gens de sens rassis par-
laient de leurs iiil<''r('ls
eomniuns : des rceoltes,
de la levée des rede-
vances, du procès en-
gagé contre le seigneur
pour l'usage des pa-
douens, de la dernières
victoire remportée par
l'armée du roi; les
jeunes gens parlaieul...
d'autre chose. Bien des
idylles se sont ébau-
chées là ; là est née cette
solidarité, municipale
et nationale, cjui est le
ciment de notre édifice
social.
Dans la campagne,
le porche est l'endroit
où, si nous savions
prêter l'oreille, nous
percevrions le plus dis-
tinctement les rumeurs
et les leçons qui mon-
tent v^ers nous du passé.
POIIIL: liT l'JULISK llli M\sM;iLl.b>
(Extrait de /,es Viii//<'« i'j/ise^ «'« la Gironde, p. 212.)
Il me resterait à vous i)arl('r des portails gothiques. Mais l'heure
s'avance. Je serai brel'.
Parmi ces portails, certains ii'out di' giroudiu qu»- la |»lac«' où ils
ont été édifiés : leur style appartient à d'autres provinces. Il en est
d'ailleurs d'exquis.
On peut bien appliquer cette épitliète à la ]ioilt! de l'église souter-
raine de Saint-Émilion : la somptuosité des voussures fait valoir la
note simple du tympan, où la majesté sobre des draperies fait songer
à l'antique.
3o4 PORTAILS d'églises GIRONDINES
Vous VOUS demanderez peut-être d'où vient la végétation exubé-
rante que vous montre la projection. Un ancien président de la
Société française d'Archéologie, Palustre, me disait un jour que
c'était le signe auquel on connaissait les monuments classés, et
il exprimait le regret que, pour équilibrer le budget, on ne mît pas
en adjudication la coupe des foins et des arbres qui poussent sur
les monuments historiques. Palustre exagérait. Avait-il tout à fait
tort? Je ne saurais le dire. Si vous désirez avoir sur ce point une
opinion personnelle, vous pourrez aller faire un tour du côté de
notre église Sainte-Croix.
Dans cette revue rapide des portails girondins, je ne puis pas
en omettre un auquel il ne manque, pour être plus connu, que d'être
plus loin : en Italie, sur les bords du Rhin ou dans telle autre contrée
à la mode. Mais cette merveille — c'en est une — est près de nous,
à Bazas.
C'est le portail le plus imposant de la Gironde. Veuillez noter que
l'iconographie en est attachante, que la sculpture en est belle :
Lacour en a dessiné des fragments à une époque où on était délibé-
rément hostile à l'art gothique.
D'autres portails, de style plus local, ont pour nous plus d'intérêt.
Fontet, dont la photographie m'a été communiquée le plus aima-
blement du monde par un de mes collègues de la Société archéolo-
gique, M. Dubreuilh, Fontet rappelle, vers 1600, la façade fortifiée
de Saint-Ferme. De l'appareil défensif il ne reste, à Fontet, comme
dans certains châteaux Renaissance, qu'une silhouette pittoresque.
C'est de la fortification d'opéra.
Saint-Macaire et la porte méridionale de Saint-Seurin forment un
groupe à part: on y trouve deux arcs superposés; l'arc inférieur,
qui est trilobé, est un linteau de deux pièces, que Viollet-le-Duc a
fort ingénieusement expliqué. Les arcades aveugles disposées à
gauche rappellent les arcades qui, à Sainte-Croix ou à Lurzine,
sont au niveau de la partie supérieure de la porte.
A Sainte-Eulalie de Bordeaux, les arcades, placées plus bas, rap-
pellent plutôt les portes feintes de l'époque romane. Vous n'ignorez
pas que cette porte du bas-côté de Sainte-Eulalie a été réédifiée
naguère; mais ce sont les mêmes matériaux. C'est la porte du
xiii^ siècle, qui a un peu changé de place.
Comme à Sainte-Eulalie, la porte nord de l'église haute de Saint-
Émilion, avec ses enfoncements latéraux, dérive des façades décorées
de fausses portes. Ce poitail était, à l'origine, de silhouette plus
PORTAILS d'Églises girondines 3o5
jiiouvonu'iiLt'f : la porh' était .suriiKiuit'c d'iui gâblc, «'t chacune des
niches hautes avait pareillement un gable, c'esL-à-dire un petit
fronton.
La composition architecturale est assez réussie; la statuaire a de
la valeur. Cette porte, qui n'est pas assez connue, mériterait de
prendre place parmi les curiosités qui attirent les touristes dans
cette ville délicieuse.
A Berson, la réminiscence des portails romans est plus frap-
pante : les fausses portes sont devenues des guérites (|ui semblent
attendre un factionnaire. Vous êtes sûrement frappés de la dilTé-
rence qui sépare cette porte des portes romanes. Dans la porte
gothique dont la iirojection est sous vos yeux, le rapport est plus
étroit entre l'arc et les pieds-droits. C'est l'une des notes de nos
portails gollii([ui's. doiil nous avons un spécimen typique à Luc-
mau : les arcs ont exactement li' même profil que les jambages, ils
continuent ces jambages; entre ceux-ci et ceux-là, un simple éva-
sement, qui tient lieu de chapiteau. C'est propret, correct, mais
froid, et cela ne nous fait pas oublier les vieilles portes romanes, où
la verve des imagiers a semé parfois des extravagances, mais qui
offrent tant de détails imprévus et attrayants.
La porte de Saint-Michcl-Lapujade est conçue conmie celle île
Lucmau. C'est une porte gothique et on la daterait volontiers,
(/ priori, du xiv^ ou du xv^ siècle. Or, en 16-10, le curé de Sainl-
Michel-Lapujade traita avec Mailnliu Guyet, maixui à La Ré(de,
pour « desmoulir tout icelluy pignon de murailhe dv la présent
esglise qui est du cousté du Couchant, pour icelluy rebattir et y
faire un portai au milieu du pignon ». Voilà les règles archéologiques
en défaut.
Le ])orlail dr Saint-Laurent (Médoc) peut être attribué avec une
quasi certitude au xiv'" siècle ou à la lia «lu \iii'\ notamment parce
qu(! le clocher avec leijuel il la il corps a des voûtes caractéristii|ues
de cette époque : la porte est de style gothi(|ue pur, et aussi l'ar-
caiurc, plus légère ({ue les arcatures romanes,*avc<- des lril(d)es et
des (|uadrilobcs dans les écoinçons.
iVIais îa \nnte de Saint-Palais-La lande est à peu près C(mtempo-
raine de la précédente : la date est donnée par le style des feuillages
du portail. Et cependant, ce détail excepté, la façade est romane :
romane la porte, avec ses colonnes traimes et ses arcs vigoureux,
romane l'arcature en plein cintre relevée d'une archiv(dtc de pointes-
de-diamant.
Ï3
3o6 PORTAILS d'Églises girondines
Nous avons en Gironde un anachronisme de ce genre autrement
extraordinaire. C'est l'église de Francs. Le choix des sujets de
quelques corbeaux, le faire de tous décèlent une origine peu reculée;
mais dans l'ordonnance de la façade, de cette porte flanquée de
fausses baies élevées, de cette arcature formant un premier étage,
vous reconnaissez la formule de nos façades romanes. Eh bien !
l'église de Francs a été construite à neuf, sur un autre emplace-
ment que l'ancienne, en 1605.
Il y a longtemps déjà, à la première séance de notre Société à
laquelle j'assistai, je lus sur ce curieux édifice une note que j'offris à
Courajod. Courajod fut ravi; c'était un convaincu et il entendait
que l'on partageât ses enthousiasmes. A quelque temps de là. il
faisait partie d'un jury pour un concours d'architectes des Monu-
ments historiques. Tl demanda à un candidat ce qu'il pensait du
cas de l'église de Francs. Francs... le candidat eut beau chercher,
il dut avouer que ce nom ne lui rappelait rien. Sur quoi cet excellent
Courajod songea à l'éliminer. La morale de cette histoire, que je
tiens de Courajod lui-même, est que Francs est moins célèbre qu'il
ne mériterait de l'être.
Messieurs, j'ai fini.
Non pas certes qu'il n'y ait beaucoup à dire encore; mais cet
entretien, déjà long, serait interminable si vous aviez à voir défiler
sur l'écran tous ceux de nos portails girondins qui méritent les
honneurs d'une projection. On ne compte pas chez nous les portes
qui sont à peine moins belles que celles dont je vous ai entretenus.
Je cite au hasard Saint-Christophe-des-Bardes, Illats, Villemartin,
Izon, Listrac-de-Durèze, Coirac, Cessac, Saint-Hilaire-de-la-Noaille,
Puisseguin, Nérigean, Lugasson, Jugazan, Cours, Saint-Genès-de-
Lorabaud, Moulis, Pellegrue, Villegougc... et tant d'autres.
Ajoutez que nous pourrions suivre le portail girondin à l'étranger.
Il faut bien nous dire, en effet, que les artistes français des époques
reculées dont nous nous occupons ne se sont pas bornés à couvrir
de leurs chefs-d'œuvre le sol natal; ils en ont enrichi encore les
nations voisines et toute la chrétienté.
En Espagne, l'art de bâtir a beaucoup tiré de la France et spécia-
lement, quoi qu'on en dise, de l'école architecturale à laquelle se
rattache la nôtre. Ce fait, M. Lampérez l'a consigné dans son magis-
tral ouvrage, et moi-même je l'ai observé à Salamanque et sur diffé^
rents points, par exemple au portail Sud de la cathédrale de Zamora.
PORTAILS n'ÉGLlSES GIRONDINES 3o7
Cette porte flanquée de fausses pcjrtesetsurniontéc, trniit' airature,
c'est l'idée de nos façades de Saiiitongc ou du Bordelais. Assurément,
rimitation n'est pas servile : c'est moins une copie (pi'une interpré-
tation. L'artiste était-il de clic/, nous? .le no sais; mais si l'orifçine
de l'architecte est douteuse, l'oiiiriue de la fuimnle architecturalo
nv. l'est pas. Par mie \uie mi ji.ir nui' .nilie, les iulluenccs françaises
sont arrivées jusqu'itM. Dans cette façade, un n-il jiverli voil luire
une étincelle du génie français.
Je contemplais cette porte ])ar une radieuse jniniu'e il'orhdiie et
je me laissais aller aux réflexions <|ue y vi«.'ns d<' ruriiniler t|ii;ind.
en face, je vis s'ouvrir uiu' fenêlre ilu jialais épiscopal et ajqiaraîlie
deux silhouettes, dont une violette, (l'éhii! l'évêtjue de Zamora qui
faisait à un visiteur les honneurs du transept de sa cathédrale.
On est chauvin quand on a franchi la frontière, (;t je fus ému au
spectacle de ce prélat es])agn(»l qui rendait hommage --- incons-
ciemment peut-être — à l'architecture français»; du Moyen-Ag<^
Un moment après, pendant qu'un fringant attelage de mules
emportait l'ami de Monseigneur dans un bruit de grelots et dans
un nuage de poussière, je regagnai, pensif, la joiuhi. Et, vous
l'avouerai-je? ma poitrine battait un peu plus fort tandis que je
songeais à cette race semeuse d'idéal qui, dès l'époque lointaine où
on élevait les cathédrales romanes et gothiques, répandait dans le
monde des germes d'art et de beauté.
J.-A. BRUT A ILS.
NOUVELLES RECHERCHES
SUR
LES GIRONDINS PROSCRITS'
(1793-1794)
PREMIERE PARTIE
DE BREST A LIBOURNE
CHAPITRE PREMIER
Vers « la terre de Gironde ».
Juste en face de Brest, de l'autre côte de la rade, au nord de la
presqu'île si pittoresque de Grozon, abritée du vent d'ouest par
un massif rocheux qui surmonte un vieux fort, se trouve une petite
plage de galets sauvage et solitaire.
Pas une maison ne s'y voit, la grande route de Quimper vient
se perdre dans la mer p^r une chaussée de pierre et, tout en haut,
sur le plateau qui la domine, on aperçoit, à travers la verdure,
les maisons du village de Lanvëoc groupées autour de l'aiguille
fine de son église -.
C'est dans ce paisible coin du Finistère qu'un soir du mois de
1. Si nous ii\ons eiilreinis de raconter, après bien d'autres, la triste odyssée des
conventionnels proscrits qui vinrent mourir dans le déi)artenient de la tiironde, c'est
parce que nous avons eu la bonne fortune de décon\rir dans les arclii\es locales un
certain nombre de documents jusqu'à ce jour inédits.
Cette trouvaille nous a permis, en prenant pour base les Alémoires de Louvet, de
combler bien des lacunes et de démolir pas mal d'erreurs.
On ne cherchera dans ce récit ni une apologie ni une critique de la conduite et des
idées des Girondins, mais simplement le journal, aussi minutieux et exact que possible,
des derniers mois de leur vie. Nous nous sommes efforcé d'éviter tout commentaire
personnel et de laisser surtout parler les textes.
2. Lanvëoc (se prononce Lanvô), 1,234 hab. Canton de Grozon, arrondissement de
Cliàteaulin.
»
NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS SoQ
septembre 1793 quelques Girondins proscrits vinrent s'embar-
quer pour aller chercher sous d'autres cieux la sécurité et le repos ^
C'étaient les conventionnels Guadet, Pétion, Buzot. Barbaroux
ot Louvet -.
I.e triomjjhe du parti de la Montagne, après le coup de force par-
lementaire du 2 juin 1793, l'exclusion et la mise en arrestation des
députés modérés, avaient nécessité leur fuite hors de Paris et leur
exode vers la province.
Un moment ils avaient cru que les départements se lèveraient
pour les venger et délivrer la Convention nationale; mais ce n'avait
été qu'une illusion : l'émotion s'était rapidement calmée, on les
avait vite oubliés.
Et depuis près de trois mois, en compagnie de collègues et d'amis
aussi compromis qu'eux, ils erraient à travers la Normandie et la
Bretagne ^, d'abord sous des déguisements d'enrôlés volontaires,
1. Comme le fait très bien remarquer M. Aulard {Histoire politique de la Révolution
française, p. 387), ce sont les historien;;, plu.s enrore que les contemporains, qui ont
(It'siené les amis de Brissot, de Vert'niaud, lie M"" Holand, de Buzot, sous le nom
collectif de Girondins. Sous la Lt'gislati\e, leurs ad\ersaires les appelaient par dérision :
Jirissolins, Bordelais, faction Guadet- Brissot, et, eux, s'honoraient du titre de patriotes
jacobins. A la Convention, ils sont toujours les Brissotins, mais aussi les Rolandisles,
les Buzotins. C'est Thiers et Charles Nodier qui accréditèrent l'usage d'appeler Girondins
les députés de la Gironde et d'autres départements formant la droite de la Convention
ou même la gauche de la Législati\e. Depuis 1S47, l'ouvrage de Lamartine, Histoire
des Girondins, a rendu cette appellation populaire.
2. Guadet (Marguerite-Élie;, né à Saint-Éniilion le 20 juillet 1758. Avocat, député
de la Gironde à la Législative et à la Convention. Guillotiné à Bordeaux le 19 juin 1794.
Pètion de Villeneuve (Jérôme), né à Chartres (fîure-et-Loir) le 2 janvier 1736. Avocat,
dè|iulé pour le bailliage de Chartres aux Étals généraux, maire de Paris, député de
l'fîure-et-Loir à la Convention. Se suicida à Saint-.Magne (Gironde), juin 1794.
Buzot (François-N'icolas-Léonard), né à Évreux le 1" mars 1760. Avocat, député
du bailliage d'Évreux aux États généraux, député de l'Eure à la Convention. Se suicida
à Sainl-Magne (GirondeS juin 1794.
Barbaroux (Charles-Jean-Marie\ né à .Marseille le 6 mars 1767. Avocat, député
des Bourhes-du-Rliône à la Convention. Guillotiné à Bordeaux le 25 juin 1794.
Lou\('t (le ('.ouvrai (.Jean-Baptiste\ né à Paris le H juin 1760. Littérateur, jour-
naliste et libraire, auteur des .\cenlures du Chevalier de Faublas, député du Loiret à
la Convention, dé|>uté do la llaute-Vieiuie au Conseil des Cinq-Cents. Mort à Paris
le 24 août 1797.
Louvet a laissé des Mémoires qui font connaître d'une manière assez exacte la vie
des Girondins jiroscrits. Ils sont intitulés : Quelques notices pour l'histoire et le récit de
mes périls depuis le 31 mai. Il en a été fait neuf éditions, la première, par Louvet lui-
nième, en l'an III, l;i dernière en 1889 par .M. Aulard. .Sauf indication contraire, c'est
à celte dernière édition que nous ren\oyons {Mémoires de Luuvel de Couvrai sur la
Révolution française; première édition complète avec préface, notes et tables, par M. F. -A.
.\ulard; 2 vol., 1889, Paris, Librairie des Bibliophiles). — Sur les èilitions de.s Mémoires
de Lou\et, voir l'excellent travail de M. llénion : Le Deisl de Bolidoux a-l-il trahi les
députés girondins proscrits? Paris, C.liampion, 1909, p. 15.
3. Le 24 juin 1793, Louvet a\ail (piitlé Paris; le 25, il était A Êvreux, où il trouvait
(Juadet «lui voyageait à pied, déguisé en garçon tapissier; le 26, ils arrivaient ensemble
à f:aen, où étaient déjà rendus Barbaroux, Bu/nl et Pètion. Salle les y rejoignit. .\prè»
l'insuccès du mou\-ement <lit fé<téralisl<\ les (■iromlins cpiittèreiil C.aen avec les Brefonti.
Ils se dirigèrent vers Ouiniper par Dol, Oinan, Momimliiur, Itoternlieim et ("arliaix.
(V. Mémoires de Meillan, Hiouffe et Louvet.) — M. P. Ilèmon préparc en ce moment
un ouvrage sur les Députés qirondins proscrits en Bretagne; l'article cité plus haut en
est un fragment.)
3lO NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
vivant de la vie du soldat, réclamant aux fermes « la couchée»,
un billet de logement à la main; bientôt dépistés et poursuivis, sans
guide, sans chaussures, les pieds en sang, cachés pendant le jour
dans des granges isolées, dans les bois, dans les marais, se traînant
la nuit, évitant les villages, se croyant trahis par leurs meilleurs-
amis, et trouvant à chaque pas des dévouements sublimes i.
Ils étaient allés ainsi vers la mer, espérant s'embarquer, gagner
« la terre de Gironde », avec la certitude d'y trouver des cœurs chauds
et des patriotes purs 2.
Grâce à la diligence d'un armateur quimpérois. Clément de la
Hubaudière ^, la plupart de leurs compagnons d'infortune avaient
pu déjà prendre la mer. Ils étaient partis de Rossulien, dans la
rivière de Quimper, le 21 août 1793, à bord d'une mauvaise petite
barque appelée la Diligente, cjue commandait le capitaine Le
Scanvic *.
Ce premier convoi comprenait les conventionnels Bergoeing,
député de la Gironde, Cussy, du Calvados, Duchâtel, des Deux-
Sèvres, Meillan, des Basses-Pyrénées, et Salle, de la Meurthe,
auxquels s'étaient joints un officier, l'adjudant général Bois-Guyon,
deux journalistes, Girey-Dupré et Rioufïe, et un Espagnol, ami de
Brissot, Marchena. En tout neuf personnes ^
Barbaroux, atteint par la petite vérole, n'avait pu partir ^
Louvet était reste auprès de lui, retenu surtout par la présence de
sa femme, la belle Lodoïska, dont il parle avec tant de passion
dans ses Mémoires et qui était venu le rejoindre '. Au dernier
moment, Guadet, Buzot et Pétion, qui se cachaient dans les envi-
rons de Douarnencz, au château de Kervenargan ^, avaient fait
1. Leiioli-i", Vieilles maisons, virii.v papiers, 3" série, p. 371.
2. M.
3. La Hubaudière {Clément-Antoine-Josepli-Marie de), né à Quimper le 8 septem-
bre 1772. Industriel et armateur, président du Tribunal de commerce de Quimper
après la Révolution, conseiller de |iréfecture. Mort le 16 mai 1S41.
4. P. Le\ol, Histoire de la ville el du porl de Brest pendant In Terreur, p. 13G.
5. M. Lenotre, ilans le chapitre cjuMl a consacré à M""^ lîoui|uey {Vieilles maisons,
vieux papiers, 3'' série), a écrit par erreur (p. 372) que Salle s'embarqua avec (Uiadef
el les autres Girondins à Lanvëoc, le 21 .septembre 1793; à cette date, le député de la
Meurthe était à Bordeaux depuis un mois.
(). Lon\el, Mémoires, l, 171.
7. De son vrai nom Marguerite Dcnuelle (17.59-1827). Elle était divorcée d'un riche
joaillier du Palais-Royal, M. Cholet; Louvet l'avait épousée « à la Jean-Jacques », lors
de son séjour à Vire, à la lin de juillet 1793. (V. article que lui a consacré M. Cl. Perroud,
liévolulion française, LX, p. 216 et suiv.)
8. Du C'.liatellier, Histoire de la Béiiolution dans les départements de rancienne Bre-
tagne, t. 111, 28-29. Ce vieux château se ^'oit encore à 500 mètres du village de Poul-
lian, sur la route de Douarnenez à Audierne. Le pays qui l'entoure, avec ses bouipiets
de [tins, ses ajoncs cl ses fougères, rappelle beaucoup nos landes.
NOUVELLES RECHERCHES SUR LES (URONDINS PROSCRITS 3ll
(lire de ne pas s'occuper doux, h ijuils se rcndraieat incessamment
à Bordeaux par une autre voie » ^.
De riches armateurs brestois, les frères Puuliquen^, étaient,
en eiïet, en train d'organiser leur fuite. Au dôLut de juillet 1793,
ils avaient acheté aux enchères j)ubliques, pour la smume de
26,00t> li\ les, aux citoyens Duchéne et Pintedeviii. armateurs à
Saint-Mali», un navire anglais nommé l'Imlnslrie (ju'un corsaire
malouin venait de capturer^.
C'était un brick « du port d'environ 220 tonneaux, construit à la
fin de l'année 1790, ayant soixante-douze pieds de tête en tête »
avec un entrepont volant entre le grand mât et la caudiusc''.
Le capitaine que les frères Pouliquen chargèrent d'armer et de
commander le navire s'appelait Jean -Jacques Granger. C'était
un homme de haute taille, blond, âgé de quarante à quarante-trois
ans, né en Acadie ^ et demeurant à Brest, oii il était marié et père
d'un enfant. Il paraissait jouir de l'entière confiance de ses arma-
teurs, « ses bourgeois » comme il les appelait, car son nom figure à
côté des leurs et de ceux de leurs associés, les frères Binard, sur
la déclaration de propriété du navire ^.
Outre le capitaine, l'équipage se composait d'un second, César-
Marie Prévost, âgé de trente-huit ans, originaire de Camaret, d'un
contremaître, de cinq matelots et d'un mousse'.
Il semble que tout d'abord les messieurs Pouliquen n'aient point
songé à utiliser ce brick pour l ransporter les Girondins à Bordeaux ;
ils II' destinaient à un simple voyage d'affaires à l'île de Hé. Il devait,
en effet, y transporter des futailles vides, et toutes les dispositions
furent prises en conséquence. Le 8 septembre 1793 on avait embarqui'
734 barriques, 4 pièces et 23 tierçons, plus 5 fûts de Saintonge. La
1. Louvel, Mémoires, I, 171. — Mcillan, Mémoires, l.Si'i.
2. Un des fril-rcs Pouliquen, .Jeun-Maurice, nt'- ;'t Itresl le "iO juillet 17t'>3, ilértmé ilans
cette ville le 19 avril 1814, fut maire de Brest tlu 17 lliermidor an VIII au l""' prairial
an X.
3. Acte de vente du navire anglais l' Intluslrie, l" juillet 1703. .\rcli. île la (iironde,
L 2835 (dossier firanger, A 5).
4. Certificat de jaugeage, 7 septembre 1793. Placard annonçant In \ente du navire
r Jnduslrie. .\rcli. de la Ciroiide, L iSS") (dossier (iraniier, \ Il et 13^
5. (/est tout au moins ainsi que nous intcrpriMons la phrase • natif d'.Vnacady •
(|ui .se trouve dans l'interrogatoire dev;uit la Commission milil.'iire et dans le jugement.
Lou\et le croyait Écossais.
6. Acte de propriété du navire l' Indiislrie, 29 aoiU 1793. • que les intéressés nu
susdit navire sont: les citoyens Pouliquen, comparaiU pour un quart; .Jacques Itinard
pour un autre t|uart, Louis-.Marie Binard pour un quart, Élienne-Françoi» .M.irchancI
pour cinq \ingt-(iuatrièmes et .Jean-.Iac(|ues (iranger pour un \ ingl-qualriéme.» .\rcli.
de la (iironfle, I. 2S35 (dossier (iranger, A 0^.
7. Rôle d'équipage du ItricU t' Industrie, de Brest. Arch. de la «iironde, L 2835 (dos-
sier Granger, .\ 12).
3l2 NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
veille, le capitaine Oranger avait payé Jes droits de naviga-
tion, conformément à la loi du 13 août 1791 ; il avait pris en douane
un acquit-à-caution à destination de Saint-Martin-de-Ré et fait
établir le rôle par le chef d'administration chargé du détail des
classes ^.
Ce rôle, qui prévoyait deux passagers « pour lîle de Ré », les
citoyens Guillaume Balara, de Langon, et Henry Jacques, tous deux
marins à bord de la frégate la Pomone, ne fut point modifié par
la suite, et les onze autres personnes, parmi lesquelles les Girondins,
que l'on embarqua plus tard, n'y furent point portées.
On serait peut-être tenté de croire que tous ces préparatifs
n'étaient point étrangers à la fuite des proscrits et qu'en prenant
Saint-Martin-de-Ré comme but du voyage, quitte ensuite à pousser
plus loin, sans même s'y arrêter, les armateurs voulaient simple-
ment écarter une surveillance gênante que la destination de Bor-
deaux, indiquée sur les papiers de bord, aurait peut-être provoquée.
Cette hypothèse est inadmissible ; en effet, nous trouvons la preuve
que la destination primitive du navire était bien l'île de Ré dans
une lettre adressée par un des frères Pouliquen aux citoyens P. -P.
Fournier et C'^, à Saint-Martin-de-Ré, le 11 septembre 1793, et
qui est inédite comme toutes les pièces d'archives citées jusqu'à
présent ^. On y lit ceci :
Ce sera le Citoyen Oranger, cap"^ du navire V Industrie, qui
vous remettra cette lettre. II a passé 200 t^"^ de bons fûts bordelais
à bord de son navire. Il pourroit s'entendre avec vous pour vous
les vendre ou pratiquer une échange pour du sel ou des vins. Je lui
recommande de vous voir et de traiter avec vous. Je vous prierai
dans le cas qu'il eût besoin de fonds de lui en faire les avances et sur
votre avis, je vous en remettrai de suite le montant.
Votre concitoyen.
Pouliquen.
Cinq jours plus tard, le plan de fuite était combiné; le navire
V Industrie devait aller jusqu'en Gironde. Le 16 septembre, en effet,
le capitaine Le Scanvic, qui avait piloté le premier convoi de Giron-
1. « Facture des pièces barriques et tierçons vuides chargés sur le bâtiment l' In-
dustrie... », septembre 1793. Quittance des droits de navigation, septembre 1793. AcquU
à caution. Arch. de la Gironde, L 2835 (dossier Oranger, A 3, 4 et 9'.
2. Sur vingt-cinq pièces, de valeurs diverses, que contient le dossier Granger dans le
fonds de la Commission militaire aux Archives départementales de la Gironde, trois
eulement ont été publiées, et encore d'une manière incomplète et fautive, par M. Vatel,
■ ans son livre Charlotte de Cordaij et les Girondins, sa\ oir : interrogatoire du capitaine
'ranger, par P. Pasquet, off. mun. de Pauillac (Vatel, p. 212); interrogatoire de Blanc,
onnelier (Vatel, p. 213); interrogatoire de Grèze, gabarier (Vatel, p. 214),
NOUVELLES RECnERCHES SUR r.FS OIROJiniNS PROSCRITS 3l3
diiis, 01 ait heurcust'iiii'iiL d»; rclnur ;'i lircsL <;L roiiirllail au lapil aine
Grangor « uno friiillc do sisfnaux pour aller à linrih-nu r ■ '.
Toutefois on ne iiarlil |iniiil (oui do suili-.
La Républiijuc (''Lail eu «^miciic avec l'Aufrl* tt-rro oL un navire
non arnn';, comme l'était le brick F Indiislrir, ne pouvait sans dan-
ger s'aventurer seul sur la nur. Il risquait soit (Têtre juis par un
des corsaires britanniques (|ui infestaient les côtes, soit de rencon-
trer quelque naviœ de guerre français, ce f[ui était aussi dangereux
pour lui, car il n'aurait pas luanqui- irêlrc reconuM rt visité. Aussi,
les arnuifeurs préférèrent-ils atltiidcc le dépari d'nu (-«invoi di- blé,
à destination de Bordeaux, (jui se préparait à ee Mioiiioul-là dans
la rade de Brest et devait appareiller le 20 septembre; ou uaviguo-
rait de conserve et on aurait des chances de passer ainsi plus l'aei-
lement inaperçu.
Les Girondins furent dntic prévenus d'avoir à se tenir prêls, et
le capitaine Granger reçut les instructions nécessaires.
Ici se pose la question de savoir si le capitaine du brick l' Intlnslrio
eouiuit la vérifable iflentité des passagers (|ui naviguèrent à xm
bord, s il l'ut eu un mot comj)lice de l'évasion d<'s Gironrlins.
Il s'en est toujours défendu avec vigueur. Dans l'interrogatoire
que lui fit subir le citoyen Pasquet, oUicier nuuiiciiial de Pauillae,
le 28 septembre 1793=^, il répondit à la question: «S'il connoit
la profession de ces voyageurs? — Qu'ils sont négotiants à Bor-
deaux. » Plus loin, il expliqua que « le dit jour 25 (septembre), à
quatre heures de l'après-midy, la citoyenne Rivière, aubergiste
(à Ambès), lui a dit (|uc l'un d'eux ((îuadet) était le gendre du
' it. Dupeyrat... » Deux mois plus tard, devaul la C-oiumission
militaire de Bordeaux, huscpn' le président Lacoudie lui reprocha
d'avoir « voulu dérober (les i)roscrits) aux yeux {sic) du (navirq)
surveillant (l'entrée de la rivière) », Granger répli(iua : » Pouliiain,
son armateur, les amena à bord <'u disaid. que c'étcut des négo-
ciants, de Bordeaux; ... (/ii'il ne les nuiiiaissoil fxis, sans quoi il Irs
aiiroit dénoncés ^. »
Et Guadet, dans l'interrogatoirt* qu'il subi! devant le ComifT' de
surveillance de Bordeaux, le 30 prairial an 11. c'est-à-dire sept mois
après la mori du capilainc du brick /' //i'/f/.s7/-/'c. déclara : «Sur ce
1. « Note des p.'ifiiers trouvés au rit. Cranter, «-.iiin' ilu navire l' Industrie «le Brest. •
Arrli. (le 1,1 Girnudc, I. '2X35. Celle feuille de si^tiaux, iiiii av;ul éU- versùe au dossier,
ne s'y trouve |ilus.
•2. Arcli. de la «iironde. L 2835 (dossier Granger, p. 3'.
3. kl., p. 13.
3l/i NOUVELLES UECHERCHES SUR LES GlRONDl-VS PROSCRITS
qu'il y a de plus sacré, j'allesle qu'il (le capitaine de la barque) ne
sqavoil pas qui nous étions, tandis que j'ai appris qu'il avoit été
condamné pour nous avoir donné passage sciemment ^. »
Malgré ce dernier témoignage, très formel et tout à fait désinté-
ressé, mais qui ne prouve qu'une chose, c'est que vis-à-vis des prosr
crits. Oranger se conduisit comme s'il ne les connaissait pas, il nous
paraît inadmissible que ce même Oranger, coïntéressé à l'expédition
du navire qu'il commandait, homme certainement très intelligent
— la présence d'esprit et l'habileté avec lesquelles il se défendit
par la suite, le démontrent, — ait ignoré la véritable identité des
voyageurs qu'il reçut successivement à son bord d'une manière
assez louche, et qu'il débarqua, en pleine Oironde, d'une manière
plus louche encore.
Ce n'est c{u'une présomption, il est vrai, mais la suite du récit
en démontrera la vraisemblance ^.
20 septembre 1793. — - Le convoi devait prendre la mer le 20 sep-
tembre à minuit, au signal d'un coup de canon. Il fut convenu que
les Oirondins se trouveraient à « onze heures du soir au plus tard »
sur la plage de Lanvëoc, où un canot du bord devait venir les
prendre ^. Le choix de ce lieu de rendez-vous s'explique par ce
fait, que c'était le point do la rade le plus accessible en venant de
Quimper.
« Nous commencions, écrit Louvet dans ses Mémoires *, à déses-
pérer de l'embarcation tant promise, lorsque, le 20 septembre, on
vint me chercher. Hélas oui ! on ne venait chercher que moi ! Jus-
qu'alors on m'avait assuré que rien n'empêcherait que ma femme
fût reçue à bord du bâtiment; on vint, dans cette triste soirée, nous
apprendre que les circonstances étaient telles qu'il était impossible
qu'une femme entrât dans le vaisseau sans nous compromettre tous,
et que le capitaine se voyait à regret obligé de déclarer qu'il n'en
recevrait aucune. Quel coup de foudre pour ma Lodoïska ! Je ne
voulais pas partir puisqu'elle ne partait pas. Elle sentit qu'une telle
résolution ne pourrait que nous perdre; elle exigea que je m'éloi-
gnasse. »
1. Arch. de la Girontle, L 2858 (dossier Guadet, p. 1). Publié par Vatel, Charlolle de
Cordaij et les Girondins, p. 172.
2. Nous ne faisons en cela que suivie Louvet, qui, dans ses Mémoires, fait jouer au
capitaine le rôle de complice.
3. Louvet, Mémoires, I, .187.
4. Id., I, 185.
>'ouvEr,rES nEcnEnciiKs snu les <;irt()M)!N> 1'K<»s(;uits .'{i.'»
Lduvct, quitta nuiiiipcr ;'i cinq lii'uri'> du .sdir. ^ ;'i la vui- df tout
le monde,» en. compaguic d'un auii aûr. Hors dt^ la ville, «à deux
cents pas », ils trouvèrent des rhevaux poui- faire its (|uin/e lieues
de poste qui les séparaient, de Lanvëoc. Ils eu avaient fait à peine
deux, lorsqu'ils rcneontrèrent Guadet, Pétiou et Huzot i qui. ayant
abandonné l'asile que le citoyen Cliajjpuis leur a\ait si généreuse-
ment donné au château de Kervcrnargan -, attendaient leurs col-
lègues en compagnie d'amis fidèles : c'étaient Belval, Souche de la
Brémaudière et de La Hubaudièrc. l.'nii de.s l'ouliquen était resté
en arrière ihmm- dépister, au besoin, en causant avec eux, les gen-
darmes en (ournée ^.
Les premières effusions passées, on causa du voyage et celui des
Pouliquen qui était là, offrit de l'argent aux proscrits : ils refusèrent,
d'autant plus que ces armateurs ne voulaient rien accepter pour le
prix du voyage à Bordeaux^. Mais ils prirent avec reconnais-
sance les passeports délivrés par la municipalité de Brest que leurs
amis leur avaient procurés sous des noms supposés ^
Barbaroux, qui manquait, se fit beaucoup attendre. Cependant
il n'était pas minuit lorsqu'ils parvinrent tous à Lanvëoc. Pouliquen,
qui le matin même y avait débarqué en venant de Brest aviM-
Belval, avait fait préparer un repas dans une auberge; on s'attabla
lorsqu'on apprit que la chaloupe, que le capitaine devait envoyer,
n'avait pas encore paru.
Au bout d'une demi-heure, les armateurs ne voyant rien venir
commencèrent à s'alarmer, d'autant plus (|u'un tel rassemblement
de personnes dans cette auberge de villag»', à une pareille heure,
pouvait donner l'éveil. Et leurs craintes redoublèrent lorsqu'ils
aperçurent, parmi les gens (|iii buvaient dans la salle à côté de celle
où se trouvaient les Girondins, le cor7imandant du fort de Lanvëoc ".
lis se décidèrent alors à fréter une barque. L'un d'eux courut
i'i\ lillcr des pêcheurs (|ui, juoyennant trii)le salaire, consentirent à
les conduire, mais il fjilhil attendre encore Iroj.-; (piarls dlicure |ioiir
l)ermcttre à la marée montante de mettre l'endiarcation à Ilot.
1. I.,oint't, Mriii'iircs, I, 187.
'2. Du (ili.-ilcllier, llisl')irc de In Hvi'nliiliini ihins les dviuirlrmruls (/<• l'ancirnni' lirc-
lagne, t. III, p. 2S.
3. J.f'\o(. Hi.slnirc ilr lu villr ri ilii pnrl de lircsl i>riidiinl lu Trrrciir, \t. I.'jy.
4. l.oiiM'l, Mémoires, I, IS7.
5. Itilerrntjntoirp <lc (;r;iiiî.'iT |i;ir le C. l'asiiiid. Atrli. de I.'i (iiroMlc, I, '.'.S35. — (iu.-i<lrt
avait (li>jà nu passeport que lui avait délivnS la niiiniripaliti^ do Falaise sous le nom
d'» Ilrliùs, nég' français ••. Hepioduit p.ir Valfl, Chnrlotlc de Cordai/ cl les (Jirortdins,
p. 18.'!.
(). l,o'i\iM, Mémoires, \, 1n7.
3l6 NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
21 septembre 1793. — « Il était plus d'une heure » lorsque Guadet,
Barbaroux, Pétion, Louvet et Buzot, avec les armateurs Pouliquen,
s'installèrent dans une de ces grosses barques pointues des deux
bouts, avec deux mâts inclinés et un beaupré mobile, telles qu'on
en voit encore aujourd'hui, à sec, sur les plages de la côte, ou dans
la rade, fendant la lame, poussées par des voiles multicolores.
On partit à la rame. Il avait été convenu avec le capitaine Oranger
que le navire devait rester en arrière du convoi et attendre les voya-
geurs à une lieue de Lanvëoc, derrière une pointe^. Mais lorsqu'on
y parvint, aucun navire ne s'y trouvait.
La déception fut cruelle et l'anxiété grande pour les fugitifs :
« Nous l'avons fait attendre trop longtemps, dirent-ils, il a été forcé
de retirer les ancres et de suivre le convoi. »
On hissa les voiles et pendant toute la nuit la petite barque se
mit à courir des bordées...
Peu à peu le jour parut; mais, dans la brume qui les enveloppait,
ils ne distinguèrent d'abord rien et leur désespoir s'accrut, « Nos
montres, à chaque instant consultées, marquent six heures, sept
heures, sept heures et demie ! Toute espérance nous abandonne :
qu'allons-nous devenir? la terre et la mer sont en ce moment éga-
lement dangereuses pour nous 2. »
Exténués de fatigue, transis de froid, ils gisaient au fond de la
barque, ne sachant quel parti prendre, ne regardant même plus la
mer, car pour eux il n'y avait plus d'espoir : le brick V Industrie
voguait maintenant bien loin en plein océan.
Soudain, un des messieurs Pouliquen ayant levé la tête vit, tout
proche, un navire qu'il crut reconnaître. Il le héla : « L'Industrie?
demanda-t-il; on répond: Oui. — Capitaine Granger ? — Oui,
nous vient-il encore. » La joie des proscrits fut extrême, ils s'em-
brassèrent : « Vite, vite au vaisseau ^ ! »
« Avec quelle légèreté, — ajoute Louvet, dont nous suivons le
récit pas à pas, — le plus pesant d'entre nous y grimpa ! « Il fait
ainsi allusion à la corpulence de Barbaroux qui cependant, à ce
moment-là, se hissa aussi aisément que les autres à bord du navire.
1. Probablement derrière l'Ile Longue, dans le petit port formé par la presqu'île de
Quelern.
2. Louvet, Mémoires, I, 188-189. Ce serait donc vers les huit heures du matin que
les Girondins seraient montés à bord de l' Industrie. Toutefois, dans son interrogatoire,
Prévost, second du navire, déclare que le brick quitta la rade de Brest « le 21 du cou-
rant à cinq heures du matin ». Arcli. de la Gironde, L 2835 (dossier Granger, n" .5).
3. C'est ainsi que Louvet décrit la scène, Ménioires, I, 189. Nous y avons ajouté les
noms propres.
NOUVELLES RECHERCHES St h I.ES GIRONDINS PROSCRITS 3 1 "^
Puis on leur lit passer leurs bagages, assez niodestos d aillrur> ; une
pcititt' malli" pesante, dlc^ (•(tiilrn.iit «des papii;rs j)ul)lic.s », trois
valises liées eiiseinblf rt l<iul uu assortimcul de «pistolets, sabres
et cannes à sabre » ^.
Les armateurs detnandèrent ainrs au cajjitaine (juelques exjdi-
cations. Celui-ci répondit u ({u'il avait délil<'- à uiinuil, précis. Pour
ne pas nie rendre suspect, j'ai enlin (b'inarré, poursuivit-il; bit-nlûl
je suis resté en arrière, malgré mes matelots uu'^contents d(; nu;s
manœuvres, j'ai perdu iium Icmps; je jiarhiis eidin, quand j'ai iru
voir queUiuc chose. .) ;ii lait voile de ce côté; mais une, secdiidf
plus tard tout était dit... » Bien que h^ navire soit bon voilier, il
ne fallait pas compter ratlrîqier le convoi avant la lin du jour et
Oranger se montrait soutieu.v de cela, il crainnail « l'Anglais n. Les
frères Pouliquen l'encouragèrent : « Au i i>(iui' de perdre le bâtiment,
s'écrièrent-ils, allez, essayons i'i tout prix de sauver ces braves
gens 2. » Puis ils embrassèrent une dernière fois leurs amis, n-mon-
tèrent dans la barque et prirent la direction de Brest tandis que
r Industrie traversant le goulet, gagnait la haute mer.
La cabine du capitaine, où les armateurs avaient conduit aussitôt
les Girondins, et qui devait leur servir de logement ^ pendant la
traversée, était assez exiguë et très sommairement meubh'-e d'une
table à tiroir, de bancs et de coffres, contenant le vestiaire assez
considérable du capitaine avec ses cartes et quehiues livres. Il y
avait pour tout couchage « un matelas à carraux rouges, un (U'eiller,
un drap commun, une couverte blanche bordée aux quatre coins... » •*.
Mais ce peu de confort ne devait guère i)réoccuper dvs homnies (|ui
depuis trois mois menaient la vie errante des hors la lui.
Guadet, Pétion, Buzot, Louvet et Barbaroux trouvèreni di'j;i
installés dans cette pièce leur collègue Valady ^ et //// de ses amis.
Ils avaient été embarqués, au moment où le brick allait quiUer
Brest, en même temps que (juatre matelots de la frégate la Ptnnone^
1. Déclnralioii «le M.irijuorilo (irellet, épouse liliinr. Arcli. ilt- lii liiroiulo, L •2".î.'i7.
Inlerrogaloire de Ciraiiixer par Pasqupl, off. imin. ilt' Pauillac. liiU'rrogaloiru île Pré-
vost, seconil de l' Induslric. Arcli. de la Cirondc, I. 'ix'S't.
•2. Louvet, Mémoires, I, 100.
3. Id., I, 180.
4. « Inventaire des effets a|>pai'lenant au ry tle\ant capitaine (ir.'inger trou,vés ù
bord de l' Industrie... » Arcli. de la (iironde. L "iliU. .le no s.-tis où il a pria ce renseljfne-
nicnt, mais Lamartine j)réteinl (lue les fiirondins couchèrent sur des nattes {Histoire
des Girondins, édit. 1S4S, t. VI, p. ■222*.
5. Izarn, marcjuis de Valady (.laccpn-s-tlndefroy-C.linrles-XHN ier-.Fe.-in-Josepli". né à
llanassac (Lozère) le 23 septembre 1700. (Jflicier dans le.s (iardes fr.'in^'uises, aide de
camp de La Fayette, député de IWveyron à la Convention. Guillotiné ù Périgueux le
5 décenilire 1793.
tJ. Eu plus des deux matelots portés sur le rôle d'équipage.
3l8 NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIROINDINS PROSCRITS
qui, en congé régulier, regagnaient leurs foyers. Le capitaine les
avait lui-même amenés clans le canot du bord ^
Qu'était cet ami de Valadij que nous voyons ainsi partager les
périls du voyage?
A notre connaissance, cette question jusqu'à ce jour est restée
sans réponse. Louvet dit simplement qu'il n'était pas conventionnel
et qu'il alla se faire prendre aux environs de Périgueux -. Il ajoute,
autre part, qu'il était grand et blond, et, qu'à cause de cela, il fut
confondu par les terroristes bordelais avec le général fédéraliste
Wimpfen^. M. Aulard, dans l'édition critique qu'il a donnée des
Mémoires de Louvet, n'a mis aucune note au bas de ces passages.
C'est grâce à l'obligeance des arrière-petits-neveux du député de
l'Aveyron que nous croyons pouvoir donner quelques renseigne-
ments sur ce mystérieux personnage^.
Il s'appelait Aubert et exerçait, au moment de la chute des
Girondins, le métier d'imprimeur à Paris, rue des Prêtres-Saint-
Paul, n° 5. Jusqu'en mars 1793, nous ne savons rien de lui, sinon
qu'il avait vingt-quatre ans à cette époque et venait de publier un
livre sur l'Educaiion. En juin 1793, il suivit Valady à Caen, et
celui-ci l'avait en si haute estime que, prévoyant sa fin prochaine,
dans les dernières volontés qu'il écrivit, il légua à Aubert tout ce
qu'il possédait à Paris. Les deux amis firent ensemble toutes les
étapes du voyage et lorsque Valady quitta Saint-Émilion, c'est avec
ce jeune homme qu'il s'achemina vers Périgueux, où il devait trouver
la mort. Arrêté lui-même à Brantôme, Aubert fut conduit à Ver-
sailles. En avril 1794, il est en prison aux Madelonnettes, à Paris;
il en sort quelque temps avant le 9 thermidor. Ensuite nous perdons
sa trace ^.
Au moment où nous rencontrons Aubert, sa présence à bord de
r Industrie s'explique donc uniquement par l'amitié très vive qu'il
portait au représentant de l'Aveyron, car il n'avait point été pros-
crit; tout au plus était-il suspect.
A se trouver ainsi réunis, Guadet et ses compagnons durent
éprouver un peu de joie; mais elle fut de courte durée, les craintes
et les dangers qu'ils avaient peut-être espéré laisser en quittant la
1. Interrogatoire de Grunger par Pierre Pasquet. Arch. de la Gironde, L 2835.
2. Louvet, Mémoires, I, 245.
3. M., I, 202.
4. Que M. le marquis et M. le comte de Valady veuillent bien recevoir nos bien vifs
remerciements pour l'amabilité avec laquelle ils ont répondu à nos questions.
5. Renseignements recueillis par M. Jany, de Paris, et qui nous ont été communiqués
par M. le comte de Valady.
NOUVELLES RECHERCHES SLR LKS (ilRONDINS PROSCRITS 3iy
Bretagne, allaient de nouveau les assaillir, et cela dès le début du
voyage.
Il, y avait, en effet, deux [niii<'> (jm ji' hiick n labourait la inern,
forçant de voiles pour rattraper If convoi, Idrsjpur tout à coup, cinq
bâtiments apparurent ;'i l'Imri/.iiu, rangés m cercle: «Corsaire
anglais ! » cria l'équipage.
Le capitaine ne parut pas d'abord y faire grande attention, il
Voulut continuer sa route, attendu « qu'on ne pouvait distinguer
encore», mais les matelots murmurèrent et le second, César-Marie
Prévost, « qui avait bu », se Faisaid, l'interprète des sentiments de
l'équipage, déclara à son clief : « qu'on ne prétendait pas, piiiir ije-
passagers inconnus, courir le risque d'être conduit en Angleterre; » ',
La situation du capitaine Oranger était à ce moment très délicate;
se réfugier en eiïet dans un port de France, c'était risquer sa tête
et celles des passagers; continuer le voyage, c'était la révolte à son
bord ou la capture par les Anglais, et les Girondins ne se souciaient
guère d'être conduits en Angleterre.
« La Grande-Bretagne, explique Louvet dans ses Méinuircs, devait
être pour nous la terre maudite. Quelle que pût avoir été la violence
qui nous y aurait conduits, la calomnie ne manquerait pas de nous
y poursuivre; elle serait crue en affirmant que nous y avions passé
volontairement. Nous y laisserions avec la vie, un bien plus précieux :
l'honneur. Aussi, devant un corsaire de cette nation, ne restait-il
qu'une ressource, et la résolution en était prise, c'était de nous jeter
à la mer pour ne pas tomber dans ses mains '-. »
Le capitaine de l'Industrie prit alors le parti le plus sage, celui
de rebrousser chemin dans la direction de Brest. Guadet prétend
que, par deux fois, ou recommença cette manoeuvre par peur des
corsaires britanniques ^.
Au bout de deux heures de navigation en sens contraire. « sur
le point de rentrer dans la rade », le brick vira de bord de nouveau,
la mer paraissant libre. L'équipage, mis en belle humeur par une
large distribution d'eau-de-vie, manœuvra activement alin de rat-
traper le convoi qui avait à ce moment-là douze heures d'avance *.
Cependant la journée s'écoula sans incident, mais on juge faci-
1. I.ouvel, Mémoires, I, 11*0.
2. ht., I, 190. Sur les motifs nui iiii|.i'.ii;iifiil les (iiioïKliiu. de passer à l'élronirer,
voir article de M. Cl. Perroiid : » l.a iirosiriplion de Louvel , Hévolulion française,
t. l.XIII, p. 303.
3. InIciTOï.itoire de (niaiiel dev.wit le Comité de >ur\ eill.inru de Bordeaux. .Vrch.
de l:i Gironde, L iS-^S.
4. Louvel, Mt'iiniires, Ij 192;
SaO NOUVELLES «ECHERCHES SUh LES GIRONDINS PtlOSCtllTS
lement de l'état d'esprit des proscrits, « Nous n'étions rien moins
que tranquilles » déclare Louvet \
22 septembre 1793. — La nuit se passa bien. Au lever du soleil
les Girondins eurent une nouvelle alerte : des navires apparurent
à l'horizon, « jetés à peu près comme ceux de la veille », seulement
ils étaient plus nombreux. Le capitaine se fit apporter sa lunette
et, après quelques minutes d'observation, déclara que c'étaient les
Français. Effectivement, un moment après, V Industrie passait devant
le front de la grande flotte de Brest. « Vingt-deux vaisseaux de ligne
et douze à quinze frégates étaient devant nous, écrit Louvet, jugez
de nos transes à ce magnifique spectacle ! » Les Girondins n'igno-
raient pas en effet que leurs signalements avaient été envoyés à tous
les capitaines des vaisseaux de la République avec injonction for-
melle de visiter tous bâtiments en mer, et surtout d'y examiner
les passagers.
Si pareille visite avait eu lieu, sans nul doute, leurs passeports
ne leur auraient guère servi, la tête de plusieurs d'entre eux était
trop populaire pour n'être pas de suite reconnue. « N'avions-nous
pas avec nous ce Pétion, dont la figure était si généralement connue
et qui, de peur d'être trop méconnaissable, s'avisait d'avoir, à moins
de quarante ans, la barbe et les cheveux blancs ^ ?»
Aussi, pendant tout le temps que le brick mit à longer la ligne
de l'escadre, les Girondins eurent soin de ne pas se montrer, et même,
par excès de précaution, ils se couchèrent à plat ventre dans la
cabine où ils étaient enfermés, redoutant sans doute d'être aperçus
par les hublots, et serrant contre eux leurs armes, décidés qu'ils
étaient à se tuer eux-mêmes plutôt que de se laisser appréhender
vivants.
Mais leurs craintes furent vaines. Personne ne songea à inquiéter
ces « marchands » d'allure inoffensive et on n'interrogea même pas
le capitaine qui se tenait debout sur le pont, l'air assuré, « prêt à
mentir au premier porte-voix qui le questionnerait»^.
Même, après le passage de l'escadre, les voyageurs « affectèrent
de ne pas se montrer sur le pont » *. — Bien mal à l'aise dans l'étroite
1. Louvet, Mémoires, I, 192.
2. Id., I, 193.
8. Id.
4. Déposition de l'équipage de l'Industrie. Arcli. de la Gironde, L 2858 (dossier
Granger, n" 2).
NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS l'HOSCRITS 3a I
cabine, ils préféré l'eut néanmoins no pas so faiic \Mir. lif juin- irétre
reconnus des autres passagers et île l'équipage.
Pour passer le temps ils dormaient, ils devisaient, ds lisaient.
Les ressources de cv. côté-là n'étaient guère abondantes; on avait
embar([ué à Brest une malle pleine de pajjiers publics et il n'y avait
à bord que « trois bouquins », en outre d'ouvrages spéciaux tels
qu" » un Cours de Navigation, un livi'c de sinus et tangentes, l'arith-
métiqur ru. sa perfection l'u un nmIuihc jniif > '. 1/un des conven-
I ionnels avait. niiiMiitt- uur ^n'aiiiiii;iirr anglais»^ c\ travaillai! la
langue |iinlial>lciiii'ul iKnir le cas où il i|i\i;iil |p.i>.-i|- en AiMéri(|UT' '.
liarbaroux jilaisantail ■'. IN'tion. I(»uj(»uis calme, « inaltérable,
i)ravant Inus les besoins», méditait le souiire aux lèvres-*. Ru/»tt
s'isolait pour savourer, encore et toujours, la dernière lettre si pas-
sionnée que M'"*^ Roland, du fond de sa prison, lui avait fait parvenir :
« ... Dans l'étrange destinée, lui écrivait-elle, qui vous réunit si étroi-
tement pour vous séparer plus cruellement encore, jouis du moins,
ô mon ami ! de l'assurance d'être chéri du cœur le plus tendre qui
fut jamais... Adieu, l'homme le plus aimé de la fenuiie la plus
aimante ! Va, je puis te le dire : on n'a pas encore tout perdu avec
un tel cœur; en dépit de la fortune, il est à toi pour jamais... .\dieu !
oh! comme tu es aimé ^ ! » Quant à Louvet, il notait avec soin
les péripéties du voyage et mettait au point son Ilijinne de mort
([u'il voulait, s'il tombait aux mains de ses ennemis, chanter en
allant à l'échafaud :
Mais la foule se j)resse et crie.
Peuple infortuné, je t'entends !
Adieu, tria famille chérie,
Adieu, mes amis de vingt ans !
Liberté ! Liberté ! pardonne à la foule aliusée !
Mais vous, tyrans ! le Midi peut encore vous punir !
Moi je m'en vais dans l'Elysée,
Avec Sidncy m'entretcnir " 1
1. Iri\ciilaire des effels apparlcruuil au ci-devant eapilaiiie Cirangor. • .\rch. de la
(iiroiidc, L 2\<M.
2. Déclaration de la fcinine lîlani'. Arcli. de la «orondc, I, •i-2T>~.
3. -Meillan, Mcrnoires, \>. 131.
4. Louvet, Mcrnoires, I, 104. — .Meillan, Miinoirvft, |>. 130.
5. Cl. l'eiioud, Lcllrcs de A/""^ Holund, 11, .■>()/ et t^uix.
6. Louvet, Mcmdires, I, 174. — « En sontreanl à ce (iu"a%.'iient élé les proscrits, à
ce qu'étaient alors leurs espérances ou leurs déceptions, on regrette que n'aient pu être
recueillis les épanchenienls de ces pramles Ames pendant les lonijs montent^» île la tra-
versée. ■• J. Guadet, Les Girondins, leur vie privée, leur vie publique, leur proscription
cl leur mort, II, p. 3i33.
s3
52 2 NOUVELLES RECHERCHES SUR LÈS GIRONDINS PROSCRITS
Ah ! ce Midi! comme il devait faire l'objet de leurs conversation,s
et quels projets de vengeance ils méditaient déjà !...
Sur le soir, les Girondins eurent encore une forte émotion. Le
brick se trouvait au nord-ouest de Belle-Ile, lorsqu'un groupe de
voiles fut signalé. Le capitaine annonça le convoi de Brest. Bientôt"
un navire s'en détacha et vint à la rencontre de F Industrie. C'était
la corvette la Chérie, un des deux navires de guerre de l'escorte,
qui venait reconnaître le bâtiment \
Dès qu'on fut à portée de voix, les questions et les réponses se
croisèrent : « D'où venez-vous ? — De Brest. — - Vous êtes bien arriéré.
— J'ai été aussi vite que j'ai pu. — // faut que vous soyez bien mau-
vais voilier! » A cette question désobligeante le capitaine ne répondit
pas. Enfin, on demanda s'il y avait des passagers à bord et, encore
une fois. Oranger « fit retentir l'air d'un non le plus vigoureux ».
Comme pour vérifier cette réponse, la corvette mit, à ce moment-là,
sa chaloupe à la mer 2.
Les proscrits, qui, par les hublots de la cabine du capitaine, sui-
vaient la scène, furent absolument affolés en voyant cette manœuvre.
Ils jetèrent à la mer « tous les papiers qui auraient pu compromettre
quelques amis », et ils chargèrent leurs pistolets, prêts une fois de
plus à se donner la mort plutôt que de tomber vivants entre les
mains de leurs ennemis ^.
Mais ils furent quittes encore une fois pour la peur. La chaloupe
de la corvette la Chérie vint tout simplement prendre un câble
pour remorquer le brick et lui faire ainsi rejoindre plus vite le convoi.
Et, comme le fait remarquer Louvet, « ce ne fut pas à nos yeux
une des moindres bizarreries de ce voyage, que de nous voir ainsi
protégés par un des bâtiments essentiellement préposés à nous
perdre » *.
Ainsi traînés par un vaisseau de la République, les Girondins,
à cinq milles environ de Belle- lie, rattrapèrent les autres navires
marchands. A ce moment, « le grelin » de remorque, qu'avait fourni
le capitaine, cassa; il n'était plus nécessaire; l'Industrie se mit à
voguer de conserve par ses propres moyens ^.
1. Le lieutenant de vaisseau Bergevia, qui commandait le convoi, se trouvait sur
l'autre corvette, appelée la Vigilante.
2. Le dialogue est ainsi rapporté par Louvet. Mémoires, I, 194.
3. Louvet, id., I, 195.
4. id.
5. Interrogatoire de Granger, par P; Pasquet, et de Prévost, second de l'Industrie.
Arcli. de la Gironde, L 2858;
NOUVELLES lirCIlEIlCHES >l II I.L> UlH(iM>lN> l'IUJXJhlis SaS
23 seplemhre 179o. I.;i unit, l;i imr lHl grosse, a A la pointe du
jour c'était prcsiiiH' iim^ triiiiM-tf " ^ Lfs passagers furent
malades-'. Ou(d(jues u;i\ir(s «lu cdiiNoi ;dlèreiit se réfugier à
La Hoilidle. L'é<|uipage de 1' I mliislrii' aurai! I»ieu \iiulu en faire
autant, mais le capitaine, avec beaueoup de fermeté, .s"y opposa. lN»ur
rafl'ermir les courages, les Girondins lirent distribuer aux matelots
quatre cents livres en assignats. L'Océan di'cluiinr' leur faisait moins
de peur que la terre ferme; u tous ses llols .soulevés, érrit Lnuv<-t
dans ses Mémoires, nous étaient moins redoidaMes, que les ll«ds
de cette multitude insensée <|ui, sur unt; terre ingrat»;, nous appelait
stupidement à l'échafaud •'. )>
Vers midi, hi temps se mit au lieaii. Le luirk pril |;i lél.- du lunvni ;
il dut môme, à un moment, diminuer sa voilure sur un signal dun
des navires convoyeurs •*.
Bientôt on aperçut, sur la gauche, dans les dunes de sable, la
balise ruinée de la pointe de la Coubre ^ et tout au fond, en mer,
le phare de Cordouan.
On allait ainsi entrer dans la Gironde et l'équipage de l' Imluslrie
en marqua quelque étonnement : la destination du iiavin' n'était-
elle pas l'île de Ré? — Le capitaine répliqua (juil donnerait congé
à ceux qui ne seraient pas contents. Et tout le monde se le tint
pour dit ^.
Peu à peu, les principaux repères de la côte de Saintonge <lppa-
rurent. Le bois de Saint- Palais, bien éclairci ', puis la tour du
Chay ^ et derrière elle, le clocher de Saint-Pierre de Royan avec
ses murs décrépits et sa toiture percée ^.
1. Louvel, Mtmoires, I, lit.'j.
2. Iiitcrro<,'aloire de (îran^er devaiil la l.()lllllli^^•ioll luililain'. Anli. i|r l,i Giroinli".
L 2858 (dossier tiianger, ii" 13).
3. Loiixet, Mrmaires, I, 195.
4. Id., I, 19.5-190.
5. «Toute la |iailii' iriférieuie ili- la 'linir en lnii-, ilans les diimv», i-l alisoliillioiit
pourrie, il es! presque iiiipossible ipir rdlc Imir pa.-st- l'hiver proiliaiti: le.s voleurs
emporU'iil des pièces de Lois et de» liens de fer de celle lour, le <|ni m- peut «lu'.nei^l.^rer
sa chute. Leilre de l'euU're, directeur des travaux di-s tours id li.dises de la ri\ iérc
la (liroiide, 15 wiay 1793. .\rch. de la (iiroudi-, I. 1051.
(j. Iiiterroiialoire de réiiuipat,'e de l' linliislrir. Arch. de la «.iroiidc, I, 2S5S (dossier
• 1 ranger, n° 2).
7. « Servant de balise pour la passe du nord, (rinspccteiir) y a toujours trouvé du
monde tciutes les fois qu'il y est allé, houinies ou feinnies qui coupent et dégrtideiil ce
bois... ' Lettre de Te\ilère, 15 inay 1793. Arch. de la <;ironde, I, 1054.
8. " La Tour du Chay prés Moyaii, servant éi,'alenn'nt avec le cloilicr île Sainl-Pierre
de balise pour la passe de (irave, est en bon état quant à l'extérieur. • HapporI de
Teulére et Tabois, ingénieurs, 25 août 1793. .\rcli. de la (Jironde, L 1051.
9. « Le clocher Saint-Pierre de la paroisse de Hoyan est égalenicnl en bon état, à
l'exception de la couverture eu ardoises qui a besoin d'être réparée priiicipalemenl
dans la partie N. C). et les murs blanchis. ■ Id.
^2^ NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
Vers les trois heures de l'après-midi ^, le convoi reconnut la
balise de la pointe de Grave qui, détruite par la mer, venait d'être
relevée par l'artillerie et servait aux signaux 2; il passa devant le
fort de La Chambrette et arriva au Verdon. Là, devait avoir lieu
une « reconnaissance générale » que redoutaient beaucoup les Giron-
dins, mais ils furent encore une fois admirablement servis par les
circonstances.
Sur une réquisition des représentants du peuple Paganel et
Garrau, en date du 31 mai 1793, le Directoire du département de
la Gironde avait arrêté qu'il serait établi à l'entrée de la rivière un
navire stationnaire et qu'on lui adjoindrait deux corvettes pour
courir sur les corsaires qui infestaient la côte et enlevaient, jusque
dans la Gironde, les bâtiments français ^.
Or, à la fin de septembre 1793, au moment où les bateaux parmi
lesquels se trouvait l'Industrie se présentèrent, une partie seule-
ment de ce programme avait été exécutée. Le stationnaire seul était
à son poste, mouillé au Verdon*. C'était un navire acheté au négo-
ciant bordelais Azéma, et auquel on avait conservé son ancien nom,
il s'appelait la Fille Unique^. Les deux corvettes n'étaient pas
encore en service. L'une, le Sans-culolle, avait son armement complet
et n'attendait plus, en rade de Bordeaux, que son équipage; l'autre,
le Républicain, n'était pas tout à fait prête ^.
En plus de cela, à l'époque où nous nous trouvons, le citoyen
Rioude-Lagesse, qui avait été désigné par les représentants du
peuple pour commander la station, n'avait pas encore reçu sa
commission officielle du Pouvoir exécutif; aussi, les officiers de la
marine de guerre ne lui reconnaissaient-ils aucune qualité ni pou-
voir'^. Le lieutenant de vaisseau Bergevin, qui dirigeait, à bord
1. Louve! dit « tinq heures », mais nous pienoiis de lu'él'érence l'heure indiquée dans
le |iiocès-verbal de l'assemblée de rétat-major du stationnaire la Fille-Unique. Arcli.
de lu Gironde, L 472.
2. Rapjjort de Teulère. Arcli. de la Gironde, L 10.54.
3. Le citoyen Pinaud éiril le 9 juin 1793 de Pauillac : « Les pirates exercent la
plus affreuse audace, ils sont tout près de la passe avec deux corsaires, l'un de six et
l'autre de douze ou quatorze canons. La pêche qui se fait à Monmusson, distant seu-
lement de trois lieues et demi de Royan, est impraticable et le peuple est privé de
coquillage et de sardines fraîches... » Arch. de la Gironde, L 992.
4. Interrogatoire de Granger, par P. Pasquet, et de Prévost, second de V Industrie.
Arch. de la Gironde, L 2858.
5. Lettre d'Azéma. Arch. de la Ciironde, L 992.
6. Lettre de J. Sénat, 24 septembre 1793. Arch. de la Gironde, L 472.
7. Informé de cette situation, le représentant Ysabeau signa, le 24 septembre, à
La Réole, où il résidait, une commission provisoire qui ne fut remise à Rioude-Lagesse
qu'à la fin du mois. Le 9 octobre 1793, Duvernay, délégué des représentants, écrit à
Ysabeau : « Il était urgent de faire parvenir les commissions des ofhciers (du sta-
tionnaire) car, s'ils les avaient eues à temps, Guadet et consors n'auraient pas échapé. »
Arch. de la Gironde, L 473.
NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS 335
de la corvette la Vifiilanlc, le cimvui (le Brest, n'eut garde de déroger
à cotte attihidr. Il u'ôcliaiigea aucun sulut avn; 1(> stalionnaire,
il lit coiuiiir s'il n'existait pas; et le coniiiiandanl «h- l'autre navire
de guerre, la Chérie, se coniiK.il.i de iiiéine. «Ces deux hrdiriients
de l'État n<; daignèrent point, aux approclics de la batterie d»'» terre,
faire les signaux di- reconnaissance; ils rangèrent à honneur le Sur-
rrillant sans vouloir lui répondre. Les barcjues convoyées passèrent
au large sans pavillon et forçant de voile ^ »
Il n'y eut donc aucune visite et les Girondins ne furent pas
in(juiétés. Louvet rapporte que Bergevin se contenta <le faire passer
devant lui chaque bâtiment marchand et que, Iors({ue ce fut le tour
du brick qui les portait, lui et ses amis, il posa la (juestion d'usage :
« Avez-vous des passagers à bord? » A quoi le capitaine répondit
comme la veille et d'un ton aussi ferme, et « que le succès ne fut pas
moins heureux » -.
JJ Induslrie débarqua eu face de lioyau deux des marins de la
Pomone ^ et, poussé par le courant, remonta la rivière, en longeant
la rive plate du Médoc.
On avait déjà fait près de dix lieues lorsque la marée commença
à descendre; il fallut s'arrêter, et le convoi mouilla en face de Saint-
Estèphe *. Ce n'était, d'ailleurs, qu'un mouillage provisoire, car,
au milieu de la nuit, avec la nouvelle marée, les navires levèrent
l'ancre et vinrent s'amarrer à trois lieues plus haut « dans la rade
de Pauillac ». C'est là que les Girondins quittèrent le brick ^
J. Procès-verbal de l'assemblée de l'état-major du stationnaire la Fille-Unique. Arcli.
de la (iiroiide, L 47'2. — Le lieutenant Hergevin connaissait parfaitement la situation
(le Hioiide-Lagesse et de ses ofliriers, car il était cliariré d'escorter les convois de Brest,
el du 23 mai au 19 octobre 1793, il lit sept fois la route. Levot, Histoire de la utile et du
port de Bresl pendant lu Terreur, p. 139, note.
'2. Louvet, Mémoires, I, 19G.
3. Décl.iration d'Henri Jacques. Arcli. de la Gironde, L 2858 (dossier Oranger, A 8).
Iiiterrotratoire de (iraiifrer par P. Pasquet, id. — C.'est par erreur que Prévost, second
lie r Imluslric, dit dans son intcrroiratoiic que trois des marins de la Pomone dcbarqui^-
rint à f'iiuillar : il n'y en eut qu'ur( seul, les deux autres avaient déjà quitta le bord
à Hoyan.
•t. Louvel, Mémoires, I, 19(). — Interroijatoire de fîranger par P. Pasquet. .\rcli.
de la <;ironde, L 28.58.
.5. (.'est tout au moins le lien indiqué par le capitaine dans son intcrrocafoire :
" D. Oi'i est-il verni niouillrr en rivière? — - ft. Vis-à-vi.-; Sainl-SIéplie i.sic;. — />. Si
ses passacers ont descendu là? — /{. Que non. — />. Où il a été mouillé après avoir
levé l'ancre de devant .Saint-Sl(iplie ? — /?. Dans la rade de P;i(iillac. — [). Si c'est
là o('i Font descendus ses voyatreurs? — H. (Ju'il les a einbaripiés dans son canot pour
d'après leurs ordres les mettre à terre... ■ — Nous axons adopté cette version h cause
de sa précision, bien qu'elle suil contredite p;ir la déposition du seionil, Prévost, qui
dit que les (^rondins débarquèrent à .S.iinl-Ivslèplie, ce qui laisse supposer que le brick
remonta à Pauillac flans la journée ilu 2t, car nous le trouvons iincré dans cette r;ide
le 2.5 septembre. Louvet ne fiarle pas de ces deux inonillat.'e.s successifs : il dit simplement
ipi'on avait fait » près de dix liern-s » lorsqu'il f.illul >".iirélcr \ Mémoires, p. I'.t(">^. l'A c'osl
bien la distance qu'il y a entre I'.itiill;ic cl le Ver<lon. On ne peut «'xpliquer celle manoeu-
vre du convoi que [lar le désir qu';i\aieiit les marins de prollter tie la marée pour se
rapprocher de Bordeaux: seulement la rivière n'ét.-inl pas b;disée ni éclairée (Arcli.
de la Gironde, L 1051), naviguer dans la nuit, au delà de Pauillac, eût été dangereux,
SaÔ NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
24 septembre 1793. — Il devait être environ trois heures du matin
lorsque le capitaine, qui avait pris soin d'ancrer son navire à quelque
distance des autres bâtiments ^, fît mettre le canot à l'eau. Les
sept Girondins y prirent place avec lui ainsi que deux matelots du
bord, Malenec et Palud, et trois marins de la Pomoiie, parmi les-
quels Balam; ils devaient, eux, remonter avec Oranger jusqu'à Bor-
deaux. On était au total treize personnes 2, bien gros chargement
pour une si frêle embarcation : « Je n'ai pas besoin de dire, note
Louvet, que le canot était plein; il l'était au point de n'y pouvoir
faire, sans témérité, beaucoup de mouvements... ^. «
Pour ne pas surcharger encore l'embarcation, les voyageurs lais-
sèrent leurs bagages et n'emportèrent que quelques armes. Avant
de quitter le bord, ils avaient distribué 50 écus aux matelots et
donné pareille somme au second *.
En partant avant l'aurore, le capitaine voulait éviter la dernière
reconnaissance des convoyeurs et surtout la visite que faisaient subir,
en temps ordinaire, les ofTiciers du fort de Blaye aux embarcations
qui allaient à Bordeaux ^.
Il faisait donc presque nuit noire lorsque, à quatre avirons, on
se mit à remonter la rivière. Tout le monde dormait à bord des
bateaux du convoi et en passant près du vaisseau commandant,
la Vifjilanle, l'iiorame de quart cria simplement de ne pas. appro-
cher de trop près pour ne pas chavirer ^
Chargé comme l'on était, la traversée fut pénible. Le bord du
canot émergeait à peine de deux pouces, la moindre oscillation
menaçait de le faire couler, et très souvent la vague y entrait.
Le capitaine Oranger, d'autre part, connaissait mal les remous et
les bancs de sable qui embarrassaient le fleuve ' et qu'aucune bouée
ni balise n'indiquait au navigateur*'. Toutefois il ne se produisit
rien de fâciieux.
J. Loin cl, M ('moires, I, l'JG.
2. Nous a\oiis vu plus haut que deux des marins de la Pomonc étaient déjà descendus
à Royan et qu'un se fit mettre à terre à Pauillac même. — Louvet se trompe lorsqu'il
dit: «Nous descendîmes (dans le canot) douze personnes» {Mémoires, I, 197).
3. Louvet, Mémoires, J, 197.
4. Interrogatoire de Prévost, second de l' Industrie. Déposition de l'équipage du
brick. Arch. de la Gironde, L 2835.
5. Louvet, Mémoires, I, 197.
6. Id.
7. Id.
S. » L'établissement de balises pour l'intérieur de la rivière, depuis Royan jusqu'à
Bordeaux, est indispensable, soit qu'on se réserve des remarques ou points fixes sur
les deux rives, soit qu'on propose d'établir des balises flottantes aux accords des bancs. »
Rapport de Teulèrc au ministre de la Marine, 29 ijluviôse an IL ,\rch. de la Gironde,
L 1051.
NOUVELLES HECIIEUCIIKS SI H I IS nilU).NUIN< PROSriRITS S?,^
On passa sans être inquiété eu \ ne de Ijlaye, entre le lurt Pâté
e( le fort Médoe; personne ne fit attention «au misérable petit
batelet ». On longea la rive droite, et bientôt, dans la brume mati-
nale, Guadet put apercevoir la ligne plat(î du Bec d'Ambès et, à
l'ouest, les arbres de l'ancien bien de campagne de son beau-père
Dupeyrat^ où il avait résolu de débarquer avec ses compagnons.
Quelle joie ce dut être pour ces pauvres gens, ([ui, en voyant ce
rivage, pensaient toucher ainsi à la fin de leurs maux ! « Nous étions
enfin dans ce département de la Gironde, écrit Louvet, et là nous
croyant non seulement en sûreté, mais en mesure; de combattr»^
les ennemis de notre patrie, il ne tint à rien que nous en baisassions
cette terre désirée ^. »
Ils ne se doutaient certes pas à ce moment, les malheureux,
que, pour la plupart d'entre eux, selon le mot de Lamartine, cette
terre de liberté allait bientôt devenir leur tombeau !
(A suivre.) H. BKOUILLARD.
1. Dupeyrat (François-Xavier), négoriaiit, m- à Blaye en 1717. Guillotiné à Bor-
«li-aux le -20 juillel 1794. — Il avail trois fille.s dont il sera ((ueslion dans re r<Vil :
M""" Bouquey, .M'"'' Guadet et M ""^ Sibadey. Par une erreur inexpliiable M. N'atfl
fait de Xavier Dupeyrat le beau-frère de Guadet {Charlolle de Cordaij et les Girondins,
p. 184.)
2. Louvet, Mémoires (édit. Beaudouin, p. 191;. — Dans l'édition de l'an III (p. 109),
suivie par M. ,\nlaicl {I, 19S\ il y a « (erre dcliuréc ■■ ; rc qui. à noire a\is, n'a pas
de sens.
HISTOIRE DES RAPPORTS
DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
AVEC
LES INTENDANTS, LE PARLEMENT ET LES JURATS
DE 1705 A I79I
(Suite.)
CHAPITRE IV
17/13-1757
LA CHAMBRE DE COMMERCE A l'ÉCOLE DE TOURNY
Les rapports de la Chambre et de l'intendant Tourny suffisent
à remplir une période. Ceux des directeurs et des jurats pour la
même époque, nous les connaissons. Tourny en a dégagé lui-même le
trait essentiel; la Jurade domine la Chambre^. Quant aux rapports
des directeurs et du Parlement, ils ont si peu d'importance, de 1743
à 1757, qu'il n'y a pas lieu de nous y arrêter; la protection de l'in-
tendant dispensa le commerce des faveurs humiliantes des magis-
trats et le mit à l'abri de leurs attaques. Entre le départ de Bou-
cher et l'arrivée au pouvoir de Choiseul, Tourny, à lui seul, conduit
l'histoire de la Chambre.
A aucun degré leurs rapports n'ont été contrariés par la mau-
vaise opinion que, suivant certains, ils auraient eu l'un de l'autre :
on cite trop le mot de Tourny : « La Chambre de commerce de cette
ville passe pour une des moins fortes du royaume. »
Il faut le contexte pour éclairer cette citation. Tourny écrit à la
Chambre, il vient de parler des négociants bordelais « parmi les-
quels il y en a un grand nombre d'aussi distingués par leurs lumières
et leur expérience que par leur probité». Et il ajoute: «Je vois
avec une vraie peine (le mot est intéressant) que la Chambre de
1. C 3281, 6 novembre 1754.
AVEC LES INTENDANTS, LE PARLEMENT ET LES JIRATS 359
commerce ne se sent point ili- leur réputation t't pns.sf pour uni*
des moins fortes du myaume^. »
De plus, il faudrait distinguer, dans les jugements deTourny, (-«'ux
qui devaient être connus de la Chambre seule, et ceux (pii étaient
destinés au ministère. Dans les premiers, aucun lermf ne sera assez
fort, aucun vocable assez expressif; l'intendant abaisse la Chambre
à ses yeux afin qu'elle s'élève au-dessus d'elle-même; c'est h- maître
et c'est l'écolier; je sais des reproches de Tourny enecue plus amers
que celui de tout à l'heure, ils flagellent : « Quelle application,
dit-il de la Chambre, donne-t-elle aux affaires du commerce ?... quel
zèle y apporte-t-elle?... l'intrigue n'y fait-elle pas loi-?»
L'intendant envoie-t-il au ministre le rapport que celui-ci a
demandé, le ton n'est plus le même: « Une chose. Monsieur, a fait toit
à la Chambre de Commerce de Bordeaux, il ij a eu des lenips où l'on a
souffert que des négociants du premier ordre refusassent, sous dif-
férents prétextes, l'élection qui était faite de leur personne pour
directeur, cela a donné à d'autres qui se croient valoir autant que
ceux-là d'écarter les sufïrages qui auraient pu tomber sur eux; de
là il est arrivé que quelquefois elle n'a pas été aussi bien composée
qu'elle aurait pu l'être; je me suis fort récrié dans l'occasion contre
cet abus qui commence à se détruire el In Chambre acluellemenl est
assez bien, quoyque. Monsieur, je ne vous doime pas le plus grand
nombre de ses membres pour fort habiles; il y a ici, en général, très
peu de négociants qui le soient, ils suivent plutôt un certain train,
fraie les uns par les autres, rpTils n'agissent de tête d'après des
connaissances approfondies et combinées selon les circonstances... »
Et il conclut : « Du reste, je ne sache pas (ju'il se soit int n>duit d'aut ics
abus ou inconvénients ^ »
Par où pèche la Chambre de l'avis d'un Tourny ? C'est moins par
ses brigues, ses intrigues, son esprit ré])ul:)licain comme l'entendait
Boucher, que par l'esprit de rcmtinc qu'elle jtartagt- avei- tous
les négociants. Que va-f,-il vouloir développer en elle? L'esprit
d'obéissance, sans doute; mais aussi et surtout, l' esprit d'initiative.
Là est la nouveauté; la première lettre de Tourny à la Chandire
la met en lumière : « Il la prierait en toute occasion de lui fournir
les instructions nécessaires *. »
Les directeurs eurent conscience du changement qui s'opérait.
1. C 4314, 1" may 17.52. Leltic de Tourny.
2. C 1624, 13 avril 17.S4.
3. C 101 1, 22 mar.-i 1750. Lellre de Tourny i\ Trudaine.
4. C 4254, 3 septembre 1743.
33o RAPPORTS DE LA CHAMBRE HE COMMERCE DE BORDEAUX
Gastaing, le député, les y rendit attentifs; il leur parla souvent
de leur président comme d'un homme à la fois « intelligent et équi-
table », capable de devenir, s'ils lui confiaient leur cause sans réserve,
leur plus ardent défenseur ^ Il les exhortait à le satisfaire autant
que possible, par leur ardeur à collaborer avet lui ^.
Si la Chambre ne montra pas toujours l'empressement désirable,
il faut dire qu'elle venait de subir pendant vingt-trois ans la tutelle
déprimante de Boucher. Elle avait perdu l'habitude du travail.
I
Voici dans quelles conditions s'exerça la collaboration très active
de Tourny et des directeurs. Voyons-les : ils sont à table; ou plutôt,
non, ils sont après dîner. C'est la première fois qu'un intendant est
reçu de semblable façon. Le café est servi sur le bureau de la Cham-
bre. A la tête du bureau un fauteuil est réservé à Tourny. Il prend
une chaise. On fait le cercle et l'on cause un peu de tout. Soudain,
l'intendant interpelle Dirouard, un directeur : n'a-t-il rien à com-
muniquei- au fermier général Helvétius, qui est aussi de la fête?
Dirouard n'a guère l'esprit d'à-propo*^; Tourny répond pour lui.
Il profite de la présence du fermier pour lui communiquer un
mémoire de la Chambre. Pour sa part, il le trouve « juste et solide ».
Il se retire sur ces mots, qui ménagent un accord entre le fisc et le
commerce ^.
Empreints de cordialité ce jour-là, les rapports de la Chambre et
de l'intendant ne manquèrent jamais de correction.
La Chambre ne perd aucune occasion de témoigner sa gratitude^,
et l'intendant ayant obtenu d'être traité de Monseigneur, dans les
lettres qu'on lui adressait^, d'avoir en communication l'état de ce
qui se faisait à la Chambre « pour en protéger les opérations, empê-
cher les abus »^, ne manqua plus de montrer dans ses relations avec
les directeurs la plus grande bienveillance, s' excusant de ne venir
point aux élections parce que ses prédécesseurs n'y avaient point
assisté ', encourageant son fils à se rendre à la Chambre pour s'y
1. C 4314, 2 mai 1752. Lettre de Castaing.
2. Id., 14 janvier 1752. Lettre de Castaing.
3. C 4255, 20 septembre 1747.
4. Id., 25 janvier 1753, 20 mars 1750.
5. C 4254, 16 juin 1745.
6. C 4255, 14 mars 1750.
7. C 4254, 30 avril 1744.
AVEC LES INTENDANTS, LK PAHI.EMENT ET LES JIHATS 33 1
inslruirc cl, la pivsidci', l'assurant (•()n>l aminrnl Iim-ummuc « qu'cllr
pouvait (Ml loul temps s'adresser à lui » -.
Quand il collabore avec elle, il n'oublie pas rpi'il se ibjit à la pr<»
\ ince ^, et à la «cause publi(juo » ', lan<lis qu'elle a à défendre les
seuls intérêts de Bordeaux. A cela ]>iès, il entre volontiers dans ses
vues. Est-il informé d'une nouvelle qui peut intéresser la C.liambre,
il la lui communique; que ce soit une permission de plus accordée
.111 commerce •'*, ou un mémoire présenté par un adver-aji-e rpii veut
eu réserver la surprise aux "directeurs ".
Une question se pose-t-elle? Il la leur fait cunuailre ', et déclariî
que u dans toutes les occasions, il continuerait à prévenir la Cham-
bre de toutce qui pourrait intéresser le commerce»**; reconnaissant
le prix d'une telle faveur, la Chambre le remercie <' de l'honneur
(fu'il luy fait»", et s'applique d'autant plus à répondre à ses ques-
tionnaires^''; quand ils partagent le même avis, rintendanl parait
content et se dit bien aise de cet accord spontané ^^.
Les directeurs montrent à Tourny une égale confiance; ils lui
demandent s'ils peuvent écrire à Maurepas pour lui témoigner la
peine qu'ils ont de sa retraite ^2 Quand l'alTaire mérite plus (piuu
-impie avis, l'intendant réclame un "petit» mémoire qu'il enverra
;iu ministre", si besoin est, ou sur lequel il statuera lui-même".
Sachant les lenteurs de la Chambre, il l'invite à faire pronqite-
mcnt^5; elle n'est jamais au bout; alors c'est tant pis pour elle; on
se passe de son avis^^; et encore, le plus souvent, Tourny a-t-il la
bonté de l'attendre ''. D'autres fois, elle exagère en parlaid de la
j»auvreté ou bi<Mi de la richesse de la ])rovince... Est-il possible (ju'elle
exagère? En bonne lille de Gascogne, elle a le don du mensonge
joyeux; on aurait tort de s'en fâcher; et Tourny, tout le premier,
s'en amuse : si la province est si riche, c'est tout sinijde, on aui::men-
1. C 4255, 11 décembre 1755.
2. C 4256, 7 juillet J757.
3. C 4314, 14 janvier 1752.
4. C 4255, 19 juin 1755.
5. Id., 4 avril 1748.
G. Id., Itj novembre 1752.
7. C 4317, 17 janvier 1755.
8. C 4255, 6 juin 1748.
'.t. Id., 12 février 1756.
10. Id., '.) juillet 1750.
11. ht., id.
12. Id., S mars 1740.
13. Id., 22 mars 1748.
14. Id., 12 décembre 1748.
15. /./., 11 février 1751.
16. <; 4314, 14 janvier 1752.
17. C 4315, 2 décembre 1753.
332 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
tera les impôts ^. D'autres fois, les torts de la Chambre sont graves;
en donnant son avis, elle se passe de le motiver ^) elle envoie vers
Tourny; il ne dit rien; il lui remet la question en mémoire^; elle
s'étonne; elle députe; Tourny lui fait la morale et lui communique
ses réflexions ^ Décidément, cette Chambre est étrange; au lieu de
faire ses observations quand on est à l'ouvrage, elle les présente quand
tout est fini; Tourny la prie de ne pas l'obliger sans cesse à recom-
mencer le travail ^.
Quand elle a raison, c'est lui qui cède^; quand il craint de l'avoir
blessée, s'il reconnaît son tort, il se fait excuser ''. Il ne la voit point
avec défiance étendre sa compétence aussi loin qu'elle peut aller :
qu'elle prenne seulement toutes les précautions et qu'elle l'informe
de sa décision dernière^. Libre à elle de faire toute espèce d'assem-
blées, de s'unir avec les autres Chambres, de faire sans cesse appel
aux commerçants de la ville, de réunir comme des étais généraux
du commerce au petit pied; ce n'est pas de lui que viendra la
défense. Il est des libertés nécessaires : toutes celles que l'on peut
accorder.
Le résultat de cette éducation journalière que, siégeant au Conseil
du roi, Tourny voulut encore continuer^, c'est que la Chambre, dans
les circonstances difficiles, arrive à se mieux dominer. Jusqu'en
1743, pour tous, c'était jour de fête ^" quand on expulsait de la ville
l(,'s Juifs avignonnais, pour tous et pour l'intendant lui-même;
en 1744, la Chambre pensait de même, mais l'intendant avait changé;
il n'était point d'avis que l'on poussât à l'extrême les prescriptions
de l'arrêt contraire aux Juifs; l'arrêt n'était-il pas par lui-même
assez dur 11 ? Pour une fois, les directeurs ayant bien raisonné firent
à quelques juifs des concessions légères, que des réserves, d'ailleurs
très importantes, atténuaient i^.
C'est le seul jour où nous voyons les directeurs du commerce, à
propos d'une question aussi passionnante pour l'époque, ne pas se
laisser surprendre par leurs sentiments intimes, mais raisonner en
1. C 4315, 9 juin 1753.
2. C 4255, 13 avril 1752.
3. M., 20 avril 1752.
4. Id., 27 avril 1752.
5. C 4317, 17 janvier 1755.
6. C 4254, 7 novembre 1743.
7. C 4255, 10 janvier 1754.
8. C 4256, 23 décembre 1756.
9. C 4322, 5 janvier 1759.
10. C 4309, 9 février 1734.
11. C 4254, 5 mars 1744.
12. C 4255, 11 février 1749,
AVEC LES lNTENr)ANT!;, f.E PAht.EMENT ET LES JlRATS 333
conscience coinnie l'intenduut, dans sa collaboraliou incessante,
le leur avait appris.
Il
Inulilc de songer à aborder toutes les questions traitées par
'lourny de concert avec la Chambre; mais certaines doivent nous
arrêter: celles qui se sont posées le plus conslammcnt, dt- MV.i
à 1707. La collaboration de l'intendant et fies directeurs, en vue de
prévenir ou de réparer les désastres, attirent l'attention en premier
lieu. Durant l'intendance de Tourny, la guerre, les mauvaises
récoltes, les disettes firent soufTrir à la généralité des maux pires
qu'en 1709^; en 1748 surtout, la i'aniiiie lui terrible en Guienne :
aux portes de Bordeaux, des gens moururent dt laini. la ville même
'•n vint à n'avoir plus (pie (|uel(|ues jours de vi\res: mais les
remèdes qu'on imagina n'étaient point nouveaux. ]ias plus (jue la
façon d'en user, à cela près que le ministère chercha à secourir la
province afTamée, sans laisser vider par l'intendant de Bordeaux
les greniers des autres -; à cela près aussi que la Chambre demanda
pour le commerce une protection plus grande ^, et obtint ])resque
aussitôt la plus entière satisfaction *.
Le 21 octobre 1755, l'ourny lui faisait dire k qu'il ajqtiouvait
d'avance le tout, et cfu'il dormait à la Chambre tous les pouvoirs et
autorités ». Les directeurs durent trouver le moyen de répondre
dignement à d'aussi généreuses avances.
Mais le soulagement des malheurs publics est une trop vieille (jue.s-
tion qui ne laisse rien de nouveau à dire, pas plus que celle des cour-
tiers. Ces derniers voudraient reprendre la lutte. Lamolhe, " eourlier
royal de profession, navigateur d'inclination, et aussy inl(>lligent
dans tout ce (pii concerne la navigation, que /.elle pour le bien
Itublic, » suivant Tourny ^, adresse sans ce.sse à ce dernier do nt»u-
veaux mémoires, en compose même pour Trudaine, jirésident du
Conseil du commerce^, en 171'j, 1750, en 1751 : l'intendant les com-
munique à la Chambre, elle ne s'en émeut jdus; elle répond par
quelques mots au bas des mémoires que l'intendant lui communifjue :
« Les directeurs estiment que conformément à la délibération du
1. Beiizacar, op. cil.' p. 27-21».
2. Marioii, op. cil.' passim.
3. C 4254, 4 février 174.5.
4. Id., 20 mai 1755. C 4255, 21 octobre 1755.
5. C 3710, 7 mars 1751.
G. C 1620.
334 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
4 mars 1750, les choses resteront dans leur état ^ » Elle dit bien que
la matière est intéressante ^, mais elle a l'air d'en parler de mémoire,
d'un ton qui n'est plus convaincu. L'intendant qui préside la séance,
ne paraît pas s'intéresser davantage à une affaire si longuement
traitée, il laisse dire; quand tout est dit, il fait part à la Chambre
du souci qui l'occupe; il s'agit d'améliorer l'état de la rivière^.
III
A qui feuillette l'énorme dossier des pièces concernant la rivière,
pour la seule intendance de Tourny, il apparaît que la Chambre
prit à l'œuvre une part bien petite ^. Lamothe, le courtier royal,
Magin, ingénieur du roi, montrèrent un plus grand zèle. Pour
le rôle que joua l'intendant, nous avons le témoignage du ministre
Moras : « Je ne puis trop, monsieur, lui écrivait-il, vous remer-
cier de la manière dont vous voulez bien concourir en toute occa-
sion et avec la plus grande activité à ce qui peut intéresser le ser-
vice de la marine. » Le mérite des directeurs se laisse mieux voir,
isolé, à la lecture des procès-verbaux de la Chambre. Elle s'inté-
ressa dès le début à la question; peut-être la posa-t-elle. Le 10 juillet
1749^, elle députait à Tourny, au sujet de l'état défectueux des passes,
plus tard au sujet de la destruction des perrés^; il l'assura de son
entier eppui ^
Au premier moment, elle conduit l'affaire : c'est pour la con-
tenter que l'intendant rédige une ordonnance, qu'il demande un
mémoire à Lamothe, en vue de la motiver, fait lever des plans,
pour en illustrer le texte; la Chambre se déclare satisfaite de l'in-
tendant, bien disposé pour elle. Mais Tourny trouve maintenant
que le zèle des directeurs s'est ralenti trop tôt. Il les invite à se
transporter sur les lieux; ils s'y rendent; ils voient la passe qui
s'ouvre entre les îles du Pâté et du Nord, la passe royale, les Peyrats
des Vaches et de La Gorelle, la passe de la Jalle, etc. '^.
L'année suivante, il les exhorte à se remettre à l'œuvre ^ La
vieille querelle avec les courtiers est oubliée, La Chambre se prête
1. C 1620, 13 mai 1750.
2. C 4255, 26 février 1750. C 4255, 29 mai 1750.
3. C 4255, 26 février 1750.
4. C 3716.
5. C 4255, 10 juUlet 1749.
6. G 3716, 5 septembre 1749.
7. C 4255, 31 juillet 1749.
8. 7d., 26 février 1750.
AVEC r.ES INTENDANTS, l.i; l'Alll.lMl.M M IIS JLKATS ."^35
à écouter le récit que Laniothe lui f.iit (\u h;uuvctage du Sdinl-Jean-
liitplisle^. Maintenant Touriiy niuUipIif les assemblées réunies
|)()ui- ramélioration du port; les directeurs se plaignent de n'être j»as
de toutes-. Ils veulent remplir le premier rôle (jue d'autres s'attri-
buent déjà. On perd le temps à se dire jxtliment d<'S injures 3.
C'est tout le résultat d'une première assemblée. Six jours plus tard,
nouvelle rencontre; cette fois, Tourny ne prend pas lavis des commis-
saires de la Chambre, la parole est aux plus compétents : des ordon-
nateurs de la* marine, des ingénieurs, des pilotes, des capitaines''.
La Chambre oubliée, oublie la ([uestion qui se traite et les discus-
sions qu'elle-même a provoquées. Tourny a beau placer ses envoyés
du côté de la cheminée et les retenir à dîner ^; de roiuiMl avec
Lamothe, ils refusent de signer le procès-verbal qui n'isl (|u'une
simple relation^, qui fait droit à leurs demandes, ([ui est cidin
conçue selon leurs vœux de manière à donner toute garantie aux
navigateurs". S'ils avaient à présenter des observations, (jue ne
les ont-ils formulées plus tôt^? Ils s'obstinent, Tourny insiste
vainement ^ : il veut qu'avec Magin, ingénieur du roi, ils collaborent
;'i l'exécution des mesures prises par l'intermédiaire de capitaines
qu'ils enverraient sur les lieux à cet effet ^''. Ils n'en ont cure: le
temps n'est pas venu, ou bien il est passé; la saison est mauvaise,
la question est remise; Tourny a deviné enfin la raison de leur
refus; ils ne se consolent pas d'avoir perdu le premier rôle. Qu'à
cela ne tienne : « C'était son intention, écrit-il, que le sieur Magin
fit sçavoir à la Chambre qu'il allait au bas de la rivière y placer
2 balises ^. » Tout est inutile. Maintenant, Magin a fini son ouvrage
et Tourny apporte son plan^^; il est à vérifier, dit la Chambre;
il est tout vérifié, dit un ancien capitaine i^; il faut le vérifier encore,
conclut le fils de Tourny soucieux de rendre les armes à la Chambre**;
mais la saison est encore trop avancée *'',
1. C 3717.
2. C 4255, IG novembre 1752.
3. C 371G.
4. C 4255, IS janvier 1753.
5. M. id,
6. C 4315, 15 février 1753. Lettre de Tmirny, C 4255, 1" février 1753.
7. C 3716, 3 février 1753. Lettre de Rost;in.
8. C 4315, 15 février 1753.
9. C 4255, 29 mars 1758.
10. /d.> 27 juin 1755.
11. Jd., 10 juillet 1755.
12. C 4256, 1" décembre 1756.
13. M., 2 décembre 1756.
14. M., IS août 1757.
15. Id., 26 août 1757.
336 RAPPORTS DE LA CMaMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
ïv
Sur une autre question, l'intendant et la Chambre entretinrent
des rapports différents en apparence, analogues en réalité. Sans être
absolument nouvelle, elle est particulière à l'époque qui nous occupe;
dès 1728, la Chambre de commerce bordelaise dénonçait les abus
d'un fisc exigeant 1; mais, surtout entre 1742 et 1757, l'accroisse-
ment des charges fut excessif -. Tourny avait des ordres ^. La
résistance que lui opposa le négoce bordelais nous renseigne sur
son véritable esprit, qui était en même temps celui de la Chambre,
et nous fait apprécier dans la personne de Tourny un admirable
éducateur; il connaît ses administrés comme pas un; l'originalité
de leur esprit, leur psychologie, dirions-nous, ne lui échappe pas;
« le caractère de beaucoup de négociants d'icy est haut et difficile;
ce qu'il y a parmi eux d'Anglais ne contribue peut-être pas peu à
ce caractère; on ne saurait vouloir les mettre en règle, sans c{ue la
plupart, non seulement y résistent, mais s'en ofïensent... ils s'ima-
ginent que quand on leur refuse quelque facilité qu'ils croient qu'on
pourrait avoir, c'est une injustice... dont ils sont en droit de se
plaindre et aux personnes et au public; cette façon de penser doit
être détruite petit à petit par une administration ferme et polie »^.
Il y revient une autre fois :
« Le négociant que son intérêt anime sans cesse regarde toujours
comme une injustice ce qu'on lui refuse, et comme une chose due
ce qu'on luy accorde, c'est le blesser en luy accordant que de luy
faire sentir qu'on luy peut refuser, parce qu'il en veut tirer un droit
pour une autre fois... c'est un amour-propre mal conduit contre
lequel se révolte celui d' autrui ^. »
Et la Chambre lui donne raison quand elle dit : « En offrant de se
prêter aux besoins particuliers et aux circonstances dans lesquelles
chaque négociant peut se trouver. Messieurs les fermiers généraux
n'ont pas considéré sans doute tout l'embarras que cela leur don-
nerait, la Chambre de commerce ne peut qu'être entièrement sen-
sible à leurs dispositions favorables, mais il lui paraît essentiel
qu'il y ait à cet égard un arrangement général sur lequel le négo-
1. Archives du Bureau du commerce, 29 avril 1728.
2. Benzacar, op. cit., p. 26, 29.
3. C 3231.
4. C 2381, 10 septembre 1754,
5. Id., 2 janvier 1755.
AVEC LES INTENDANTS, I.E PARLEMENT ET LES JURATS 337
ciitiit 11- plus |)i'lil |iiii>>r iniiijil (1 , coiiiiiii' Ir [iliis <;i;iii<l l'I i|iii ne
sciit |)(»iiil arhilfdirr '.
Tourny a )ti(iu'iii(t'' Ir inni i|iii lail l;i linnifr»' : l<'s rdiiiiiuTçants
«le H(»r<l('au\ soûl uu |mu mu/luis; il> ir\ cuiHijUiul |r> droifs (lui
h'Uf sdul <lii'r>. ;i\i'r uu rguisnit' ttMnjirn'' |>ai- li- Ikui st-iis. m des
n''uui<iu> (jui xinl do nirt'Iinffs vt'i ilabics. l'u jour Ir iniiinii'icc s'rst
asst'uibio: ou lui a lu ili'ux iiiciuoiiTs <(u'il n'a poiul, »';foul«;s. il ;j
applaudi I uu bruyauiuH'ul ; à i'aul ii-. il a ii-piuidu par dc> imiiiiuircs
cl df's (lauK'uis : la lihri Ii'' ! la librih'' ! r| . Idiijuui- l.i lilxTlr, dit !<•
uanal (Mil', fui l'étondarl (jui rallia irjlr lrou|ir i. (lu |U"iuoiica des
discour.- t l'uii-raires. Ouchpi'im ;iyaid dil : le roi |r xcul; uu autre
ré[>li(iua : cl moi, je w le veux pa&, « mais cela d iiu Ion (pi;i peine
uu emjtereur cuueuiy ne praudcrait pas vis à vi> d'un simple jiarli-
culier » -.
A Bordeaux, selon la f(Uinule anglaise, il faut (|ue le roi régne et
ne gouverne pas; avec ce lad qui faisait saisir à Tourny jusrpraux
nuances les plus délicates de l'âme bordelaise, il sut ménager les
susceptibilités, concilier 1" autorité de l'intendant avec l'autonomie
rêvée par la Guyenne.
I.'alîaire des fermiers comporte deux mouiculs; en premier lieu,
le directeur des fermes est M. de Pressigny, un homme expérimenté
(jui a exercé avant d'être à Bordeaux dans les deux principaux
jxtrts d'armement après notre ville, La Rochelle et Nantes 3.
Des (lifTicullés ne cessèrent de s'élever de Mlo à ITr^^, épo(|ue
à laquelle M. de Montau lui succéda. Pour la plupart, elles furent
résolues grâce à l'intendant également soucieux i\r> intérêts de la
régie et de ceux du commerce'*; grâce à M. de Pressigny et aux direc-
teurs eux-mêmes (jui sureul habilement ser\ii' diulcrnu-diaires
entre les reriuiers généraux et les négociants.
A l'instigation de ces dernieis. la Chambre dénonçait les << non-
veuilles» (jui allaient se iiiwliipliaut dans les procédés du (i>c. au
grand détriment du conimerce''.
Tourny, plutôt contraire à ces innovations, ordonnait de revenir
aux anciens usages, en attendant um- décision ilu Conseil*. Il
écrivait aux f<'nniers généraux, au ((udrôleur L^t'-iu-ral '. Mais .-i>u-
1. C 1G3Î).
■1. <; IiWO. Miiiii.iic .If l,MiiioUi<; a7:.o?).
y. c KiJ'.», 7 jiiillfl 1741.
4. Jd., -2 tli'.iMiibn- 1743.
5. C 4254, 10 juin 174G.
G. M., 10 février 1740.
7. C 4255, 31 août, 13 seplembre 1747.
338 RAPPORTS DE tA CHAM6RE DE COMMERCE DE BORDEAUX
vent il avait des ordres; obligé de les faire exécuter, il permettait
à la Chambre d'en attaquer l'exécution ^. Elle eut parfois le plaisir
de voir une cause portée en appel au Conseil du commerce résolue
en sa faveur 2. Contre l'intendant, Pressigny soutenait que certaines
mesures étaient exécutoires sans arrêt du Conseil ^; néanmoins, avec
tout le monde, il inclinait à la conciliation.
Tout changea avec son successeur Montau ; il manquait à ce der-
nier l'expérience : étant président des tailles, il avait indisposé le
commerce; les fermiers généraux avaient montré de l'inquiétude
quand le garde des sceaux le nomma directeur des fermes; lui-même
ne se sentait pas de force, son avancement l'avait mis dans l'em-
barras *. Montau s'attira la haine des commerçants de deux manières :
il cherchait trop à faire sentir aux gens pour lesquels il avait quelque
complaisance, que s'il l'avait, c'est qu'il le voulait bien, mais qu'il
pouvait ne pas l'avoir; d'autre part, les ordres rigoureux qu'il reçut
l'empêchèrent de se faire aimer. Les négociants ne purent plus
décharger leurs navires la nuit, à la saison même où les jours sont
très courts, faire passer des marchandises d'un bâtiment à l'autre,
entrer les barils de bœuf salé sans les faire tous peser ^, se dispenser
de faire plomber les sucres et indigos à charger pour Marseille ^, etc.
Les causes de conflit étaient partout, bien résolu qu'on était des
deux parts à ne se rien passer.
La Chambre se prêta d'abord aux exigences du nouveau venu :
celui-ci s'étant plaint que l'entrepôt des cafés n'était pas suffisam-
ment clos, elle promit de faire le nécessaire'. Mais chaque jour
apportait de nouvelles entraves au commerce. La Chambre est au
moment de se plaindre à Tourny ®.
Montau étant à la comédie, des cris sont poussés : à bas Montau !
Il attendit sans s'émouvoir la fin de la première pièce et se rendit
ensuite à l'Hôtel de Ville, voisin de la salle de spectacle, pour
informel les jurats. Ceux-ci trouvèrent à propos qu'il revînt assister
à la seconde pièce, comptant sur leur présence, sur les ordres qu'ils
donneraient pour ramener le calme. Les cris recommencèrent, nul
ne put être arrêté. C'était un complot de commis et de jeunes négo-
1. Id., 24 avril 1749.
2. Archives du Bureau du commerce, 15 novembre 1749.
3. C 4255, 6 mars 1749.
4. C 2381, 28 juin 1754.
5. C 2381, 2 janvier 17551
6. C 4255, 2 janvier 1755.
7. Id., 25 juillet 1754.
8. C 4255, 31 juUlet 1754.
AVEC LES INTENDANTS, I.E l'AhLEMIM ET LES JUHATS 33<|
ciants; un altrihuaiL à Moul.au iiii iiml (jui ((iiiiul par !a vilh- : il ii<'
coiiiiaissaiL d'intiiiiil r liniiimr |i;iriiii les nt-j^ociaiils tl'- Honiruux
que u le sieur Katcr » *.
Ouelle devait être l'attitude de Touriiy? Elail-re à lui «l<- faire
punir les coupables? Il ne h- semble pas. Les jurais, non l'iulendaiil.,
avaient la police des spectacles-; leur ordonnauei' ilu T) août !•'
piduvr. l'^llr défendait à qui (jue ce fûl. di- l;iin' «lu bruit dan> la
salle iWs spectacles, d y crier, « d'y fain; des huées », d'y aj)oslro-
plier (juelqu'un sous quelque prétexte que ce pût être 3. Le mal était
fait, les coupables avaient échappé; les jurats dressaient le pro<"ès-
vcrbal et commençaient l'enquête. Montau, satisfait de voir des
sympathies lui revenir à la suite de cet incident, demanda l'arrêt
de la jjrocédure •*. L'intendant crut devoir ajouter quelque chose :
des réparations offertes à Montau par les directeurs du commerce
au nom des commerçants. La question était délicate. Tourny dut
hésiter : on s'en aperçoit aux ratures qui rendent illisible le brouillon
d'un rapport adressé à Trudaine sur cette affaire; pour le dernier
paragraphe, l'intendant s'y est repris à trois fois'. Il dut chercher
longtemps l'expédient propre à ramener la bonne intelligence, sans
blesser ni décourager personne; il ne pensa faire tort ni aux Conseils
ni à la Chambre, en ayant l'air, tout en s'en défendaul , dr les rendre
responsables du méfait commis.
Dans son esprit, cette solidarité des directeurs avec le conuuerce
devait au contraire leur faire hormeur; en venani s'excuser des
torts des négociants, ils agiraient « comme pourrait faire un père de
famille pour ses enfants qui se seraient mal comporté^ avec (juel-
({u'un » ^, et Tourny trouve des comparaisons encore plus expres-
sives : « Si un de mes domestiques avait oITcnsé le moindre artisan,
si un de mes chevaux l'avait blessé, si mon chien l'avait tnordu, en
serais-je moins obligé à témoigner à cet ailisan par des démarches
combien j'en serais fâché " '.^ »
Il élevait les directeurs en ayant l'air de les abaisser; ce n'étaient
plus les petits boutiquiers modestes qu'une intrigue fai.sait entrer
dans une Chambre bonne tout au plus à formuler des plaintes; ils
devenaient des anciens appelés par leur mérite à représenter le
1. C 2381, 3 août 1754.
2. Bordeaux. Aperçu historique, t. I, p. 1S7.
3. Registre des délibérations de la Jurade, 5 août 1754.
4. C 2381, 3 uoùt 1754.
.">. C IGll, 7 décemhr» 1754.
«j. C 1611, 7 décerabic 1754.
7. C 2381, 10 décembre 1754.
34o RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
i( sindicat n^ des négociants; aux dépens des jurais de la ville, ils
devenaient les jurais du commerce. — La Chambre, elle, s'étonna
d'être mêlée à une afTaire oîi il était bien vrai qu'elle ne fut pour rien.
Les juges et consuls reçurent d'abord les vifs reproches de Tourny,
sans bien comprendre 2. Quelques jours plus tard, la Chambre por-
tait plainte contre Montau, écrivait au contrôleur général; l'insulte
était oubliée. Et les jurats ne demandaient pas mieux qu'elle le
fût. Si Saint-Florentin, leur protecteur, trouvait bonne et suffisante
leur en({uête 3, il ne persuada point Tourny; l'intendant fit des
démarches auprès des jurats, qui répondirent : ils ne croyaient pas
qu'on l'insultât encore, mais d'en répondre, c'était trop leur de-
mander*. Or, voici qu'un nouvel outrage est fait à Montau; des
affiches injurieuses ont paru à la Bourse ^. On les a déchirées presque
aussitôt, et d'ailleurs, écrit Tourny, « ce sont de ces choses aux-
quelles sont exposées les personnes dans les places les plus élevées
et qu'elles doivent paraître méprisées, quand elles n'ont point de
quoy convaincre les coupables *. »
Poussés à bout, les fermiers généraux deiuandent cette fois la
continuation des poursuites intentées à propos de la première affaire.
Tourny insiste pour que la Chambre fasse une démarche auprès
de Montau; elle dira : elle a eu une vraie peine, elle a fait son pos-
sible pour découvrir les auteurs, pour empêcher que rien de pareil
se produisît à l'avenir, elle désire que leurs bonnes relations ne soient
point troublées pour cela.
Mais les propositions de l'intendant avaient échoué une pre-
mière fois; du 27 août au 2 septembre, il n'avait point reçu la réponse
de la Chambre; de nouvelles explications n'avaient encore pas
abouti. Le contrôleur général Moreau de Séchelles invite les direc-
teurs à suivre le parti proposé par l'intendant. La Chambre consent à
exprimer ses regrets sur l'insulte faite à Montau, dans une lettre
au contrôleur général; mais elle riposte en accusant le directeur des
fermes : il attend, pour faire exécuter les arrêts favorables au com-
merce, d'avoir obtenu de lui satisfaction'. Il faut aboutir. Tourny
veut que la Chambre aille vers Montau, et, d'un auti'e côté, il engage
1. G 2381, 2 décenibie 1754.
2. C 4255, s août 1754.
3. C 2381, 11 août 1754.
4. Id., 10 septembre 1754.
5. Id.
6. G 2381, 10 septembre 1754.
7. G 4263, 1" octobre 1754.
AVEC LES INTENDAMTS, LE PARLEMF.MT ET LES JUR\TS 8'|I
MontiiH à \n liit'H arciit'illir '. l.;i ili'in.iiclir ••>! f.iilr, Barri'vrc «'t.
Kater sitiit alli'-s chi'/. lui; il n'y l't.iit pio; lU |ircimt'iil suii juin il
SUN lii'iiic: il Inii irii(|i;i jeu |- \- i>il c -. I ,fs ij iictl m i> . piil r iiii|)ii'>>iuii
dT'Ir*' iliiiiiiiiii''.> cl sr plaif^iK'nl ijr (clli- .illciiid- ;'i Iriir |iif-.| i<^c, ils
|taili'iil (|r (iiiiragi', « (r<''iimlali()U ', ir«W(MUUii«*ut.s «qui! in- miii>
serait j>.i> [ilus possible de prévoir (|iit' d'éviter))^. Ou diiail ([u'uii'-
Fronde de commerçants se prépare : elle avorta. La eonséiiucnre
de la visite à Mmilâu fui aulrr : eu faisant faire à la C.liainhre cette
déniarclic ([ui Iciidail au hieu du «(unmerre. TdurriN lui a\ail appris
à jdUtT sou \(''ImI ahic rôli' : celui ilc ni'inddhiirc fcsfinnsalili' 'lu u/'i/'icc
bordelais.
Mais Mtiiilau ii a Loujuurs pas de cliainc; lui d -es coiuiuis vien-
nent encore de se couvrir de ridicule: Gautier, l'un d'eux, a la clef
de l'entrepôt; sur le point de sortir, il la laisse à sf»n valet ; celiM-ci
doit la rapporter et la mettre à la place habituelle. .Mais il est nui!
quand le valej (piitte l'entrepôt, portant un petit sac de café; les
gardesde la ferme l'aperçoivent, l'arrêtent, le conduisent prisonnier
chez Montau. avec sa clef. Le lendemain, les négociants di' dcniaiider
la clef, de [tresser de questions Gautier silencieux; à la Chambre, il
racoiile l'histoire, elle envoie vers Touruy. Il sait toiil. il a jiris .ses
mesures; on ira chercher la clef au greffe, où l'on lâclici;i de \oii-
le dotnesti<(Ue, ou bien ou culuiu'eia la putle^.
.\utre affaire : (".bolet, juge de la Bourse, se plaint d'uu.- iu-\iHe
«atroce» i|ue lui a faite Montau: il a dit: «S'il ie\cu;iit che/. lui.
il lui feiiiil passer la porte. » L'outrage atteint loiHe la C.liaudu-e.
en la |iersonne de son chef''.
Les directeurs le croi<'ut- ou l'ont seinbhiid de le croire". (".'• >t la
tâche de TouriiN encore de dissiper le uialeidendu, de [uellre les
choses uu point, de plaider auprès du fetinier i^r-n/Mal ■, auprès
d<'S flirecteurs la cause de Moiilau. Car tout le monde e>l contre lui;
un sieur Bonin'-, parce ^^\^"\\ ;i lail saisir sans raison son magasin**;
Lamothe, le fameu.v syndic des court ieis. parce qu'il a contesté
ses titres et (|Ualités ^; Narès de Marlie.iu. parce (|u'il lui a refusé
1.1. -23^1, l(t iir.vciiil)!-.' I7M.
■-*. /'/., IS iio\ fiuljie 17.M.
3. C litiS, -23 novciiibiu IT.'.J.
4. (; 42.Ô5, 12 sepU'iiibre 17.'i4.
:.. i; 23H1, 4 janvier 17.">."..
ti. C. 4203, 4 janvier 17.'>.'>.
7. C 23«1, 2 janvier 175.').
5. Id., 21 novembre 17r)ri.
;>. /(/., l.T février 17.^.'>.
342 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
un délai ^; et le curé Thomas, de Bruges, parce qu'il a confisqué
dix-sept aunes de droguet, tout l'ouvrage qu'a pu faire une pauvre
femme en une semaine ^.
A la première demande que Montau fait au commerce d'un magasin
à deux clefs, Tourny l'abandonne 3, et désormais on se passa de lui.
C'est l'intendant qui travaille avec la Chambre, le député de Trudaine
à résoudre les questions fiscales. Il demande aux directeurs de lui
faire un cahier de tous leurs griefs*; Trudaine ayant décidé qu'il
n'y aura plus d'entrepôt de café, mais que le négociant devra faire
constater le poids à l'arrivée et à mesure qu'il expédiera^, la Chambre,
mal préparée à une telle réforme, se retourne vers Tourny, le prie
de l'aider de ses conseils; et l'intendant l'invite à s'inspirer de l'atti-
tude des négociants ^. Ceux-ci protestent contre la réforme, la
Chambre transmet leurs plaintes, Trudaine révoque sa décision.
Pour le choix d'un nouveau magasin', pour une prolongation
générale de l'entrepôt pendant six mois^, chacun est dans son rôle,
et chaque affaire reçoit régulièrement sa solution. L'intendant,
appelé à juger les mémoires des directeurs et ceux des fermiers,
montre le bien fondé des demandes de la Chambre^, et se prononce
même, bien que vainement ^•', pour l'établissement d'un règlement
général conçu selon les vœux des directeurs et du commerce bor-
delais. La Chambre remercie Tourny i^. Elle pouvait le remercier,
car il lui avait appris à merveille son rôle; voyant qu'elle le possé-
dait à fond, il le lui laissa jouer toute seule, dans la plus grande affaire
qui se fût jusqu'alors rencontrée, et la Chambre apparut à ceux qui
la croyaient la moins forte du royaume, comme la première de
France.
Les députés avaient proposé au garde des sceaux d'autoriser, aux
colonies, le commerce des neutres sous certaines conditions. La
Chambre bordelaise vit le danger et le dénonça. Elle construisit un
1. C 2381 15 février 1755.
2. Id.
3. C 4255, 18 décembre 1755.
4. C 4255, 2 janvier 1755.
5. C 4256, 2 octobre 1756.
6. M., 4 octobre 1756.
7. /(/., 3, 10 février 1757.
8. C 1639, 16 janvier 1757.
9. M., 14 février 1757.
10. Id., 16 mai 1757.
11. C 4256, 31 mars 1757.
AVEC I.ES INTENOVNTS, I.E PARLEMENT ET I.ES .MRATS 3^3
nK'MiKiiro solidt' ot bien ordonnr : au Hou de tr;»iterdans cctto afTain;
la (ju<'sti()ii de principe, comme elle le fd. plus tard sans grand profil,
elle discuta la question de fait : il fallait cnipùclier que les négociants
de France fussent ruinés; le seul nioytMi était de leur conserver le*
droit exclusif de commerce avec les colonies. Les Bordelais se
dévouèrent à la cause commiinc^, non pa-; dans un élan dentlimi-
siasfne, mais par poliliipic, cl. apiés examen.
Non coufenlc (le s'adresser celte, fois au premier président, à
lintendaul, chez (j\ii (^llc trouva d'ailleurs l'accueil le plus favo
rable, elle écri\iL une lettre circulaire aux Chambres de La
Rochelle. Nantes. Saint-Malo, Rouen, Marseille, Rayonne 2, décida
de convo({iiei- itnr assemblée générale du ronunerce, que Tourny
jtrésiderait.
Il ('tait malade, son lils vint ^ On d<';libcre, on met aux voix les
propositions; deux députés extraordinaires seront envoyés à Paris
pai- la Chambre bordelaise, avec l'aidorisation de l'intendant*.
Où en était la Chambre? Au point oîi son président Tourny me
paraît avoir voulu la mettre, le joui- <>ù il l'envoya porter au sieur
Montau les excuses des négociants : à la tête du commerce, qu'elle
représentait, cju'elle faisait délibérer, qu'elle faisait voter, qu'elle
dirigeait; à deux de ses membres était confiée la défense des intérêts
de la ville; ce n'étaient plus seulement les jurats qui envoyaient à
Paris leurs députés, à côté d'eux, les directeurs étaient bien cette
fois les jurais du commerce.
La Chambre en était là, et cela est si vrai que deux directeurs
furent mandés tout aussitôt par un huissier du Parlement; le bureau
les attendait : Leberthon, de Gourgues, Dublan, de Lancre. Au
Paty, Degrissac, Desmarais, Dussaut, Depis, Du Vigier, procureur
général. Ces magistrats ont compris : « La Chambre, dit le premier
président, n'était pas en droit de faire des assemblées de négociants
((ue pour des cas particuliers de commerce, mais lorsqu'il s'agissait
d'une afïaire de cette conséquence, qui intéressait toute la ville et
la jtrovince, elles ddiveul se faire dans l'hôtel de ville en y appellant
tous les ordres ^ »
Le Parlement voulu! marquer nettement la subordination des
directeurs aux ofïiciers municipaux: des arrêts anciens défendaient
1. r, 4255, 20 mars 175G.
2. Id., 22 mars 175t;.
3. Id., 23 mars 1750.
4. Id., 24 mars 175G.
5. G 4255, 1" avril 1756.
344 RAPPORTS DE Lk CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
aux bourgeois de réunir aucune assemblée sans leurs magistrats i;
d'autres, plus récents, ne permettaient d'en convoquer qu'en présence
du juge ordinaire de l'endroit^; enfin, un dernier arrêt, datant
de 1715, portait que deux jurats devaient faire part à la Cour de
la convocation des 130, et lui demander de députer deux conseillers
pour y assister ^.
La Chambre de commerce devait être subordonnée aux jurats,
comme les jurats eux-mêmes l'étaient au Parlement : l'arrêt d'in-
terdiction est du 2 avril 1756 : « La Cour fait inhibitions et dîf-
fences aux juges et consuls de convoquer des assemblées, notam-
ment dans les affaires graves et publiques qui peuvent intéresser la
communauté sans en avoir prévenu les jurats; afin que lesdits
jurats en informent la Cour, avant qu'on puisse faire l'assemblée*. »
L'arrêt devait être transcrit sur le registre de la Chambre de com-
merce, preuve que le Parlement voulait l'humilier; de plus, le pro-
cureur du roi devait « tenir la main à l'exécution du présent arrest
et certifTier la cour de ses diligences dans trois jours >\ ce qui montre
la peur très grande que cette dernière avait eue.
L'attitude de l'intendant est la plus curieuse; il ne s'est pas ému
un instant de l'entreprise de la Chambre; il a loué son initiative,
et l'a défendue contre le Parlement; il devance ses démarches en
écrivant tout aussitôt pour qu'on maintienne aux directeurs le droit
de réunir librement des assemblées générales ^; il mande au chance-
lier, à Saint-Florentin, que les représentations du Parlement ne
méritent pas d'être discutées : à la lecture, dit-il, elles s'écroulent^.
A eux deux, l'intendant et la Chambre, le maître et le disciple (|ui
vient de faire son chef-d'œuvre, pour parler comme dans le temps,
ils obtiennent que le ministre laisse aux directeurs le soin d'accorder
aux neutres le minimum de liberté, sous la forme de passeports
qu'eux-mêmes délivreront '.
La victoire était remportée et l'intendance de Tourny allait finir;
une fois encore, les directeurs demandèrent à leur président de
revoir un mémoire sur le commerce d'interlope, présenté par les
négociants ^
1. C 1611.
2. c 3789.
3. Registre du Parlement, 20 février 171.'
4. C 4255, 8 avril 1756.
5. C 4256, 13 avril 1750.
6. C 1611, 8 mai 1756.
7. C 4250, 16 juin 1756.
9. Id., 16 septembre 1756.
A^EC LES INTENDANTS, I.E PARLEMENT ET LES HHAI- 3^5
'l"iiiiiii\ |i;iili, >i>ii ;ii|iiiiiii-l r.'il imi -i-iiilil.iil »lf\<iir ><• proltuif^er,
(■;ir il rut riii-i^iir |i(iiiiiiMir di- I r.iii-nirl t ic s;i rluirf^f ;"i son lils.
Ce iliTiiici' ;issisl,;til ilrjuiis liui:,'! riii|i> di'j.'i .iiix m'.iihcs iIi- l;t ('.haiiilin-
lie fotiiiiH'nc ' ; il y ijniiii.iil s(i!i iivis sur foiil.cs les (|iifsl ittiis. il n-ti.-
I>lac;;iit smi prir. |,i's din-rl cm- lui ;i\;iiiMil oITfil iiii'- Ixtursc dt;
ji'Ioiis-; ils espéraii'ul |)i;iur()ii|i dr lui. plus ('iirorc ipii liii (iratnl
Touray : «Ses lumières, écrivaii-nl-ils, mui cn'-dil. x.n /.i-],- |miiii- Ii-
l»it'ii. iinus (lonncnl lim (respci<'r (\ur \r (■(tiiiiiicrcc s<*fa à 1 avenir
jtiiis protéf^é. Il s'est déclaré en sa faveur dt-puis N- uiuiiieid <|u"il
a e(inimencé à le connaître, e1 nous pi.uxoii^ Inul cninplfr -(di-
dement .^ur son secours •'. »
Pourtant, le jour du dé]wut du jièri' l'ut bien la datt- l'alaie. I^es
intendants vont se succéder, il.- ne serctul i)lu- entre la rdiainbre
et le pouvoir l'arhitre (pie choisissaient les deux parti-, et (|ui se
permettait de Irui' donner, avec réserve sans doute, mais avec
vigueur aussi, tort ou raison.
r.hoiseul passera par-ilessus les intermédiaires, et Ir contact immé-
diat du pouvoir absolu et du négoce libre suscitera à la r.haiulire
plus d'un ennui.
1 )"autre part, le Gouvernement ménage les cours souveraines : après
17r)7. date de la doctrine des classes, le (;ori)s de |;i magistrature,
t'd rnili iiii'ul uni, ilevient très fort : une grande épo(jue s"ou\r«' pour
lui à Bordeaux, il \a elienlier ;'i se suhslitun- ,'i la Cliaudu»- daii- la
défense des intérêts de la i)ro\ ince. et !•■> direc l.urs verront encore
s'évanouir les rêves d'aulonoiuie, d'iiidi''peudaii(e. de lil.re iuili.i-
live. (|u'Auliert de l'ourriy leur a\ail t'ait \ i\ ic. sous >oii li.iul
patronage, l'espace de ipiatorze ans.
(A suivre.) M. 1 .11 K Ml'l'll-: l{.
1. i'. 4-2.">5, S jaiivior 17rif>.
2. r, 4256, 21 :ivril 17.'>7.
n. r. -U03.
CORRESPONDANCE
Nous recevons de M. l'abbé Raby la lettre suivante à propos du compte
rendu qui a été donné, dans la Revue (n° 3, 1912), de son ouvrage: Méteuil,
ancienne capitale du Médoc. Son principal héritier Sainl-Germain D'esfméjteuil.
Monsieur le Secrétaire,
Un confrère me communique votre numéro de mars-avril. Vous me per-
mettrez de venir en appel contre l'exéculion sommaire de mon livre. Votre
chroniqueur bibliographique qui signe S., lui-même, n'a pas connu en son
temps une polémique courtoise engagée dans un journal de Lesparre: elle
donnait en somme raison à ma manière de voir; ni l'exposé de la question
de Méteuil et Saint-Germain d'Es'mé)teuil : il a paru dans notre Bulletin
paroissial. A.insi, paragraphe premier, l'auteur, dit-il, c part de cette donnée ».
Or j'écris, paragraphe deux, « de cette étude ressortira, je crois, la division
en trois villes » ; ce n'est pas une donnée a priori, c'est la conclusion d'une
étude de douze ans, laite sur place.
2. a) Notre paroisse ne peut pas être Saint-Germain de chaume. En
Médoc existent les deux mots Esteuil et Estouil. M. S. dit vrai : eslouil (non
pas estulh, a ne se prononce pas ou en France; est le chaume qui reste en
terre après la coupe du blé. Ni en patois, ni en français, ni nos gens, ni nos
voisins, personne n'a jamais prononcé Saint-Germain d'Estouil. Les habitants
doivent savoir comment se prononce le nom de leur pays, b) Les comptes
de l'Archevêché ont été savamment édités, mais ce ne sont que des comptes,
ils ne font pas autorité en orthographe. Chacun connaît les fantaisies des
anciens copistes à l'égard des noms propres. M. S. cite lui-même trois façons
pour Esteuil. c) Les copistes gascons se trompaient aisément en transcrivant
Esteuil, un nom de formation française. Le moyen Médoc, je le prouve, est
resté longtemps un îlot gallo romain opposé aux Gascons et aux Anglais.
d) L'étymologie Saint Germain d'Es(me)teuil est rigoureusement déduite
des règles de formation du français populaire, e) Le curé en 1778 aurait
répondu qu'il ne subsistait dans notre paroisse nulle tradition du passé:'
Cependant Baiinin, I, 281 : « C'est [une tradition qu'il existai! dans cette
paroisse une ancienne ville appelée d'Ârtrac, dont on voit encore les restes,
ainsi qu 011 l'assure. C'est une des paroisses du Médoc où il existait le plus
d'anciens monuments. On ne saurait assez exhorter les personnes éclairées,
etc. » ; Baurein avait été vicaire à Cissac, paroisse limitrophe de d'Artrac.
3. «Aucune révolution ou modification n'est survenue, etc.» J'appli-
que à la for, nation du Médoc ks théories de MM. de Lapparent et Brunhes.
Je n'ai trouvé aucune hypothèse scientifique qui pût s'appliquer mieux à
ce que j'avais sous mes regards. J'ai parlé de l'embouchure de la Gironde,
de ses nombreux avatars, d'après la thèse latine de doctorat de M. Outrait:
il y donne ses preuves, ses études et de nombreuses cartes. Mais pourquoi
M. S. cite-t-il .Mêla, un compilateur espagnol, et rejette-t-il le témoignage
de nos chroniqueurs nationaux au sujet des cataclysmes du Médoc?
A. M. S. parle d'une» probable mystification à propos de Noviomagos ». Mon
livre est le résultat de longues études, explorations, discussions publiques,
CORRESPONDANCE 3/|7
fouilles même. Raiirein me panil avoir raison; à ce quii dit, j'ai ajontt- une
bifurcation de voie romaine, des noms significalifs, le culte de Sainle-Uade
{jonde, notre vieille église de l'an 900, les avant-ports de Méteuil. un loni-
beau préhistorique, etc. J'ai enchaîné et exposé huit preuves, écrivant tout
simplement à mes paroissiens.
5. a) \ ieux professeur, j'ai cru ({u'on éclairait le sens, l'interprétation des
textes par les circonstances de lieu, de temps, de genre littéraire, de situa-
tion (l'auteur, etc. Je prouve d'abord que Méteuil est dans une île de tracé
des deux bras de lleuve est encore visible chez nous). Le poète Théon peut
donc vivre, .selon le poète Ausone, à une des embouchures et à la fois sur
le rivage de Méteuil. h) Le mot ita(ius, d'après le grand Freund, entre
autres, veut dire d'abord bourg ouvert, puis par extension district, il ne
signifie bien campagne, campagnards (païens) que lorsque le texte l'oppose
à ville, iti-bs. c) L'origine du liard est incertaine, il vient du .Midi, dit
Littré; d'après l'historique, ajoutet-il. il semble (jue le hardi et le liard sont
identiques (cela est vrai encore pour le vicu.x patois du .Médoc;. Dezobry
signale que depuis Louis \I l'empreinte du liard est la même que celle du
hardi de (iuyenne. (Test donc une hypothèse permise en histoire sérieuse
que de faire remonter le liard au capitulaire de .S'jo. où il s'agit de frapper
monnaie à Méteuil, lorsque, au nord de l'ile de Méteuil, nous avons un liard.
L\anl seul village en France de ce nom (sauf un Liari dans le Sud-Est. je
crois), alors qu'on y a trouvé en terre des lingots de métal fondu parmi des
feux enfouis assez profond, et non loin, une machine à frapper monnaie,
d'après un journal de Lesparre. d) L'abbé Baurein discuta avec science et
bonhomie l'attribution de Metullum entre Méteuil <de (Juyeime) et Melle du
Poitou. J'ai versé au débat ce qu'on nous enseignait aux cours de licence:
l'accent tonique latin est l'âme des mots de formation populaire; aussi ni
Metullum ni Metullium ne peuvent donner Melle en français; que si on lit
Metulum [campuni) pourquoi Melle a-l-il fâcheusement deux Idlres /. en son
orthographe?
G. Merci pour les renseignements sur Pelos et Cordouan ; ils ne font pas
partie de mon sujet. Cordouan, îlot depuis 3oo et 800 ans, confirme la thèse
de la formation du Médoc par des îles.
7. En résumé, je ne suis qu'un rénovateur, je voudrais pousser dans la voie
archéologique les bulletins paroissiaux de ce Médoc si riche en souvenirs
méconnus. Déjà on a trouvé sur le plateau de .Méteuil, à Saint-Laurent, un
sépulcre servant d'auge: le moulage des inscriptions exerce la science bor-
delaise; chez nous, une brique écrite. Des fouilles, des sondages au moins,
avanceraient la solution du problème de Méteuil.
-Monsieur le Secrétaire, j'ai dû me défondre pied à pied. J'aurais pu expo-
ser longuement un sujet que je connais; j'ai craint de paraître, dans \olre
savante Revue, un peu paysan... du Médoc.
J'ai l'honneur d'être votre très humble serviteur.
!.. lUHY,
curé de ?»ainl-Gerniaiii-(l'F.steuil.
Lne controverse ne saurait être ouverte dans un périodique comme celui-
ci. Elle aurait cependant son utilité. Si M. l'abbé Haby veut bien reprendre
dans un journal de Lesparre la polémi(pie dont il parle, je l'y suivrai très
volontiers pour que nous examinions de concert oti contradicloirement.
sous les yeux du public, ce qu'il convient de retenir ou de rejeter à propos
des faits historiques visés par l'article bibliographique sur Mrlruil.
B. SAINT-JOURS.
MÉLANGES
La maison mortuaire de Goya.
Dans V Inlermédiaire des chercheurs du 20 ortobro, un curieux a
dénoncé comme « une profanation historique » l'enlèvement de la
plaque commémorative de la mort de Goya, placée sur le n" 39-41
du cours de T Inteuflance, du côté de la rue Voltaire, à la suite des
travaux qui ont transformé le rez-de-chaussée de cet immeuble.
La presse locale et la presse parisienne se sont émues. Elles ont, du
reste, aussitôt après reconnu (|ue la plaipie avait été replacée sur
le côté de l'immeuble, à la haideur du j»remier étage.
L'auteur de l'article de V Inlermédiaire doit être sati; lait. La vérité
histiiri(|U(' ;i le droit de l'être inoins. En effet, connue J'ri déjà eu
l'occasion de le dire en passant ^, Goya n'est jamais mort dais cette
maison. Voici le texte de son acte de décès, tel f[u'on peut le lii-e
au registre des actes de l'état civil de 1828, sous la date du 16 avi'il :
Le dit jour, il a été déposé au bureau aux décès, duquel il résulte
que François de Goya y Lucientes, âgé de quatre-vingl-cin([ ans, natif
de F'uendetodos (Espagne), veuf de Joseta Bayeu, fils de défunts...,
est décédé ce matin, à deux heures, fossés de T Intendance, n" 39,
d'ai»rès la déclaration des sieurs .losé Pio-de-.^foliIla, propriétaire,
Miênu' maison, et Homualido Yaùez, négociant, cours de Toiu'uy, n" 36,
lémoins majeurs, qui ont signé le dit procès-verbal.
L'ridjoinl du indire.
De Goursson -.
C'est sur ce document que se fonda M. de Congosto, alors consul
d'Espagne à Bordeaux, lorsque, sur l'initiative d'un peintre espa-
gnol bien connu, M. de Zuloaga, il fit placer, très probablement en
l'J07, la plaque commémorative sur l'immeuble portant le n» 39
du cours de l'Intendance 3. On n'oublia qu'un détail: c'est qu'en
1842-1843, on a changé le numérotage des voies de Bordeaux, et
que le n» 39 des Fossés de l'Intendance devint alors, et est resté
1. Voir mon arlirle A proftos du séjour de (ioija à Bordeau.v, dans la Revue philoma-
Ihique de 190!S. p. 4.
'i. Cet acte a été publié jiar M. i.u^iH\e Labat dans les Archives hisiuriques de la
Cironde, t. XXXV, p. 27."). Je ciois dr\iiii- en domiei' une tianscripi ion collationnée sur
l'original.
3. Ces lenseignenieuts m'ont été liés aimablement donnés par M. le D'^ J. Vergely,
propriétaire de la maison.
MÉLANGES 3fnj
«Icpiiis. le n" .")7 •. •' l'.-l (loue bien (l;iii> l:i iiiaiMni i|iii |iurlc iiiijdiit-
<riiui le n" TjT <Iii rmirs de !' liiltMitlaïKi', <'r.sl-;'i-<lirr crllf )|iii f;iil
('XJU'lt'iiiiiil l';i(i' ;'i l.'i riif \ it ;il-( ',;irli's, (|n't'sl morl ('ii>\;i. || impor-
lail (le If jnéciser. La Lradiiiuti (nalf, avant la di'i miN ii I c (!<• l'aile
(le di'cès, ne le faisail-il pas iiKiiirir au n dciixiciin' <''laj;e d<.' la iiiaixiii
Idiriianl le ci i.i du cduis dr 1" luLeiidaucf cl de la rue des (iraiidf>-
C.arméliles (aujourd'hui rue de Grassi), apiiaiicnanl alors au jiriidie-
graveur Pierif Lainur lils- » ?
En replaçaiil la |da(|ue sui- le n" '.V.). on a siiupleuietd seclli'' dr
nouveau dans la pitTic une erirui" hi>loii<pn'. Il serai! pourlani >i
l'acilc (le einieni esl eneoie l'raisj de rétablir la vérilt'; ! Nous n'a\dn>
pas le droit de tromper les étrangers et les Bordelais eux-niêines sur
un fait iniporlanl. ijiii intéresse l'histoire d'Espagrn- ri riii>|niic df
lail. Et puis(|ui' l'oecasion s'en présente, pour(|uoi m; pas rapjieler
ipii- l'œuvre du grand (joya n'est représente' dans notre Musée (pn-
|)ai' deux toiles, d'origirn' assez douteuse, son souvenir par uti (l'-no-
laphe dévasté et nin^ pla»pie imlieatrier d'uin' fies allées de la Char-
treuse •^ t't iMiliii (|ui' raulciir i\r^ 'l'dnrrdit.r de Bordeaiid' n a pas
encore sa nie dans la ville où il j)assa ses dcrniéri-s années et où il
est mort?
Paul CoiRTEAl LT.
*
Notes sur la Basoche et ses < farces »
au XVI' siècle
«De tout temps r| daul ifiiurti'". les clfic/. résidens an Palais»
formaient entre eux une (•orporati(»u célèbre sous le nom de hnsnrhe.
Il existait des basoches non seulement dans les villes où siégeait un
Parleiin'iit, itiais encore dans la jdupart de celles ([ui possédaient un
tribunal tant soit peu impoitant. Les basochiens obéissaieid à l'un
d'entre eux, porlaid le tilir di' mi et nomiut"' à l'électicui. Ce roi île
basoche, comme tout bon monar(|ue, levait des im])ôts sur ses lidèles
sujets; à Bordeaux, cha({ue (derc devait « paier cpiinze solz par au
aux roys de bazoche, savoir est : ciui| s(d/, au mois do novembre,
cintj solz aux Boys, et ciiKi >n|/. au iin'i^ de iiiay ».
Cette perception n'allait pas toujours sans dilliiultés et le roi se
voyait «pn'hpiefois obligi'" de faire intervenir l'aulorilé du Parlement.
N'ayant reçu qu"» injures et meiuisses au lieu de jtaiemint , Jehan
de Laporte, roi de basoche en 1550. ]M>rta ses doléances devant la
Cour, (|ui ordonna «aux rliirz réskiens au Palais d'icelle. subjectz
I. /•./'(/ <li; lonrnrdnnce citln: l'uiuitii li le tiDurrntt iiunitrnliiiic..., MiVÎ-iHi'.i. l'ionlfiiiix.
lsi:i, iii-S", |.. Kî'.t.
•J. (iusl.ive Labal, Uun Irniinacu (iuija ij l.miailts (.W/cs i/r '" \(<ii/fWiV de lUtrdcnux,
iM'.ty, p. -iO".!).
3. Celte plaque a été ré<eiuiii(iil poséf n\w il'aiiln-s, par le> miiii- tjf la inuiiiiipalil)-.
en réponse à un vœu exprimé par MM. .Maurice Martin el .Maurice Ferrus dans leur
Guide illustré de la Chartreuse. Bordeaux (19111, p. Il-r2.
35o MÉLANGES
au roy de bazoche, de lui paier les droictz acoustumez paier à ses
prédécesseurs » ^.
La principale fonction du roi était d'organiser les soties, moralités
et farces que les basochiens jouaient à certains jours de fête, et où
se donnait libre cours la verve satirique des jeunes clercs. Bien
entendu, le prochain n'était guère épargné, à tel point que certaines
farces avaient leur épilogue devant le Parlement. Les conseillers qui
siégèrent le 31 octobre 1550 durent bien se divertir en écoutant les
plaidoiries de la cause portée devant eux. Un certain Deser, encadré
de Mlle de Cesta et d'Anne de La Maye, attaquait quatre clercs de
la basoche d'Agen : Jacques Pigousset, Arnaud de Girard, Bertrand
Gorse et Georges de Vernet. « Le jour de caresme prenant dernier
passer », les quatre compères avaient joué une farce « audevant la
boutique où tient le greffe Maistre Pierre Bertin ». S' estimant sans
doute gardiens de la moralité publique, ils révélèrent aux habitants
d'Agen que « Deser faisoit danser courtin soir et matin avecc|ues
une damoyselle, qui demeuroit près le horloge ». Le signalement
n'était évidemment pas assez précis, puisque deux demoiselles se
jugèrent diffamées et portèrent avec Deser leurs doléances devant
la justice. Après avoir gravement écouté les faits tant objectifs que
justificatifs des parties, la Cour ordonna une enquête supplémentaire.
Il n'est peut-être pas téméraire de penser que l'affaire ne fut pas
terminée de sitôt, et qu'au lieu de se fâcher les plaignants auraient
mieux fait de rire comme tout le monde le jour du spectacle 2.
Ces représentations obligeaient les basochiens à engager certaines
dépenses, que les 15 sols versés annuellement par chaque clerc ne
suffisaient pas à couvrir. Le Parlement leur venait en aide et versait
au roi de basoche quelques subsides » pour subvenir aux affaires
d'icelle bazoche et fère les jeuz acoustumez». En 1551, Jehan de
Laporte, roi de basoche, touchait ainsi une somme de 75 livres
tournois ^.
Les Bordelais du xvi*^ siècle aimaient la gaieté et les fêtes de plein
air; les confréries, ainsi cjue la plupart des corporations, faisaient
de magnifiques processions en l'honneur de leur saint patron, et
dans ces cérémonies une part plus ou moins large était faite aux
amusements profanes. Il leur était cependant interdit de jouer des
soties, moralités et farces, privilège des basochiens, qui entendaient
monopoliser à leur profit le droit de persifler et de ridiculiser leurs
concitoyens. « Les roy et suppost de la bazoche » eurent souvent à
batailler sur ce point; témoin leur dispute avec la corporation des
barbiers, au mois de février 1534.
« Ung nommé Mère d'Eiifence, homme incongneu, » étant venu
1. 1-2 mai 1550. Arch. de la Gironde, B 43.
2. 31 octobre 1550. Arch. de la Gironde, B 31.
3. Arch. de la Gironde, B 34. Arr. du 26 février 1550/51. «La Court a ordonné et
ordonne à Jehan Dyfleix, receveur des exploictz et amendes d'icelle, qu'il paie, baille
et délivre comptant des deniers de sa recepte à Jelian de Laporte, roy de bazoche, la
somme de lx.xv 1. Iz., sçavoir est la moitié présentement, et l'autre moitié dedans Its
premier jour de may prochain venant... »
MÉLANGES 35 I
olTrir ses services aux basocliicus, rt'u\-ci li- r«|HMiss('n'iil . i<fii>aiil
((ii'il (1 bt'soif^nasf nii\ sofic et inoralif T- cl lap'»- <!<• la \,i\/ju\\i' »,
Mt'ii- (lEulï'Ucc jura de se \fu;,'fr. S't'-laiil » n-lin- dfxci^ les harbiers
de cesto ville et certains autres leurs alliés », il Inir |i<i-suada <> contre
tdute çnustuMie aiiciemie » de « l'aire mit,' ri»y. eoudiien (luil ne mmI
loisible à autres que aux supost/ de la ba/.ocjir . |,i~ liaibii-rs firent
même K ([uel((ues jeu/ sans (îstre Ironble/. ■'.
i'iuliurdis par ces premiers succès, Mt'vr d'l")idencf cf. le.» barbi«'r.s,
voulant tourner complètement en ridicui<' la ba>oelie cl les gens de
loi, annoncent à (|ui \iiii reiiliudic (pie le leiuJemain « ils j)orteront
par ville en armes ung levrault escor( Ih-^. diront, et prononceront
plusieurs parolles injurieuses, tant desdit/, ^up|Ktst/. de la bazocbe
que levrault ». Un conllil était à craindre, comme il s'en était déjà
produit dans de semljlabies circoiisl auces. Se liidanl d'intervenir,
le priicureur général du roi obtint du Parlemriil uii arrêt interdisant
u ausditz barbiers de ne s'assembler et taire congn-gat ion en armes
à peine (W la hart •>. Jugeant que les turbulents barbiers se tien-
draient pour avertis et que la crainte de la corde les empêcherait
de taire aucun « escandaile », la Cour ne voulid pas se moiilin- par
trop trouble-fête et peiiiiil aux barbiers de clioisir dix d fntre eux
qui s<'raient autorisés u à dansser par la ville ».
Sur un point cepejidant le Parlement se montra iul ransii,'eanl .
Défense abs(due leur fut faite de « uu\sdire d'aucun jiar libelle ou
autrement » '-. Le roi de basoche et ses suppôts avaient une lois de
plus sauvegardé leur pi'ivilège le plus précieux, le droit exclu>if de
médire du ])rocliain, (|u"ils coloraient, gravement du nom de lui^ndilc.
l'ieiir 1 1 \ui.i;.
*
Le Masson du Parc
et les pêcheurs du captalat de Buch.
hans les Variélés liorflcluises, liaurein signale (|u"une tirdonnance
royale du 28 janvier 1712 ab(diL les droits imposés sur- le.s pêe|ieur>
par le captai de Hucli. ('et acte de justice fut. nnttivé par le rapport
(lu (■nmmis>aire de la luarine l.c Masson du Parc, dont on ignore
généralenu-nt l'existence.
A nuiintes re|)iises, les pêcheurs avaient pn'-serdé des re(pn''te.> à
l'Amirauté et au Parlenunit, (pii les avaient coudamni'S(( sans aucune
discussion du fait ni vérilication de titres ». Le 2'J a\ ril 1727, le mi
ordonnait à Le Masson du Parc <!>■ procéder à une inspection des
pêches dans les amirautés de Bayonne et de Bordeaux. Le rapport
manuscrit de cet examen, conservé à la Bibliotiièque municipale
1. (,p l.ii'iii •■«•oicIh' rt;iil Irt^s vraisrmlil.ililcnioiil iiiio iillusiuii injunuiiso a rinTinin»,
attribut des niagiblrat6 et des gens de robe.
•2. 17 février 1D33/34. Arch. de la Gironde, U ii.
352 MÉLANGES
de Bordeaux^, ne mentionne pas seulement tout ce qui a trait à la
technique des pêches, il enregistre aussi les abus signalés. Telle est
la plainte formulée à La Teste contre le seigneur de Ruât, captai de
Buch :
Les pêcheurs s'étant ensuite tous assemblés nous ont représenté
que quoy que la pesche soit libre et permise à tout le monde confor-
mément à Tordonnance de 1681, cej)endant le seigneur cajdal de Buch
lève sur eux plusieurs droits, tant sur les produits de leur pesche dans
la baye que pour celle du » peuigue )> ou de la grande mer.
Sous le titre de droit de capte, le seigneur percevait, depuis l'au-
nce 1713, cinquante livres par chaque chaloupe faisant la pêche
à la grande mer; ce tribut, fixé du temps des anciens seigneurs de
Foix et de Caudale à trois livres quinze sols pour toute la commu-
nauté des pêcheurs, avait été progressivement augmenté par les
divers captaux. Le propriétaire de chaque bateau allant à la pêche
dans le bassin devait payer chaque semaine trois sols comme droit
de « pinasse ». Tout pêclieur devait annuellement le « plat de pois-
son », composé d'un turbot de grande taille, de six grandes paires
de soles, d'une rose ou dorée, d'un grondin, d'un merlus, d'une raie
et de deux roussettes. Le captai s'arrogeait le droit de faire prendre
à la « clie » ou marché de la marée à Bordeaux tout le poisson qu'il
lui plaisait, de le faire apporter à son domicile et de le taxer à sa
fantaisie. Des droits de balisage, concage, ancrage étaient exigés
sur chaque bateau étranger entrant dans le havre d'Arcachon.
Les pêcheurs de La Teste remirent à l'enquêteur plusieurs pièces
« pour servir à leur défense et à les faire décharger des droits exor-
bitants et inouïs levés sur eux ». De son côté, le seigneur de Ruât
remit au commissaire les pièces les plus anciennes sur lesquelles il
fondait ses droits : 1» un contrat de l'an 1360, par lequel Jean de
Grailly affermait le droit de capte quatre-vingts écus d'or; 2° des
lettres patentes de Louis XI, datées de 1462, cédant à Jean de Foix
comte de (landale, captai de Buch, tout ce qui pouvait appartenir
au roi; 3» divers autres documents confirmant les droits perçus.
Quant à la faculté de prendre le poisson et de le faire apporter à
Bordeaux, de Ruât alléguait l'exemple du duc d'Epernon qui, le
19 septembre 1659, lors du passage du roi, fit transporter à Bor-
deaux, dans la cour de son château de Puy-Paulin, tout le poisson
qui venait du captalat de Buch, et le fit distribuer aux officiers du roi.
L'examen des documents ne fut pas favorable aux exigences du
seigneur de Buch. Après avoir signalé les droits injustes établis
depuis une viugtaine d'années par d'autres seigneurs dont les tei'res
et possessions bordent les eaux des embouchures de la Gironde, de
la Garonne et de la Dordogne, Le Masson du Parc écrit dans son
rapport :
Mais de quelque nature que soient ces nouveaux droits et de
quelques charges qu'ils soient aux pescheurs desquels on les exige
1. Manuscrit n" 562.
MLL.VMUES ."^53
•
rien ne peut entrer en comparaison à ceiu\ qui «^1 im i- ji;ir !<• i:;ij»tal
(le Bucli sur les prclieurs de lu di prudunct- du ca|)talat : il <st au delà
de tout ce qu'on peut iina^'iner; It; \\o\ ntui a aucun di- cftte nature
et pour peu (ju'on > \ tuille luire attention il n'est possdjle (ju'il i)uisse
subsister.
Et le rapporteur concluL au rejet des l'xigences du captai puur
les motifs suivants : le contrat, remis, daté de 1360, n'est pas
original; les lettres patentes de Louis XI n'inditpient rien quant
aux divers droits; pour faire subsister des droits anciens, il faut des
titres et des aveux rendus au roi avant 1541; le plat de poisson
n'est exprimé en aucun document avant la date fixée; les pièces
par lesquelles le seigneur prétend prouver l'établissement de son
droit en font voir la naissance et l'accroissement; l'arrêt du Parle-
ment confirmant une sentence de l'Amirauté relative au droit de
capte n'avait aucunement discuté le fait; les pauvres particuliers,
intimidés par la crainte duu procès intenté par le seigneur, et (jui
ont transigé, ne peuvent obliger une communauté à une servitude
contraire à loi; le fait du duc d'Epernon prouve son autorité, non
son droit; le captai ne peut taxer les denrées, les pourvoyeurs de
la table du roi étant obligés d'acheter de gré à gré ce qui leur est
nécessaire.
Le rapporteur ajoute à ses conclusions :
11 est certain qu'on ne peut laisser les choses dans Testât où elles
sont sans détruire entièrement la pesche des pescheurs du Busch
accablés par l'autorité d'un seigneur qui ne manquera pas de les
fatiguer plus que jamais et de forcer à la fin les pescheurs qui sont
en grand nondjre d'abandonner l(>ur profession ce qui ne peut arriver
sans faire perdre à S. M. de bons matelots que les j)esches de la mer
et du bassin forment continuellement.
La justice vient à pas lents; douze ans après, en 1739, des com-
missaires furent nommés pour vérifier les titres des seigneurs qui
avaient droit de pêche. Enfin, le 28 janvier 17-42, une sentence
royale défendait à Messire Francois-Allain Amanii'U de Ruât, sei-
gneur captai de Buch^ : de s'attribuer aucune étendue de mer puur
y pêcher, d'exiger le droit de capte et de pinasse ou de courage,
ni aucun droit soit en nature ou en denier sur les pêches faites en
mer ou sur les grèves le long de la seigneurie de Buch, la pêche
devant être libre dans toute la seigneurie, sous; peine ilr^^restitu-
tion du quadruple et de quinze cents livres d'amende, et tle perce-
voir les droits de balisage et d'ancrage qui demeurent réunis au
domaine du Roy.
Grâce à Le Masson du Parc, les plaintes dédaignées par l'Ami-
rauté et le Parlement furent entenrlues au Conseil du Roi. Sa
mémoire devrait être honorée en appliquant son nom à une voie
de l'une des grandes localités comprises dans l'ancien captalat «le
Buch. Fernand Thomas.
1. Arch. de la Gironde, Amirauté reg. 7.
SD
QUESTIONS ET RÉPONSES
Il existe sous le n^ 780, au Musée de la ville de Bordeaux, un
buste signé Maggesi et représentant Balguerie-Stuttenberg.
N'est-ce pas une erreur?
Le buste qui se trouve à la Chambre de commerce et dont une
copie est en possession de M™*^ Balguerie ne ressemble nullement à
celui du Musée. Pierre Balguerie-Stuttenberg est né le 30 septem-
bre 1778 et mort le 19 août 1825, à quarante-sept ans. C'est- entre
quarante et quarante-cinq ans que, sous sa direction, se firent de
grandes entreprises et se fondèrent d'admirables institutions. C'est
donc à ce moment que ses traits furent fixés dans le marbre. Dans
une période de cinq à sept ans il n'est pas admissible que les bustes
du Musée et de la Chambre de commerce puissent reproduire des
traits aussi dissemblables. De plus, le n^ 780 est représenté avec la
grande plaque de la Légion d'honneur et le ruban accompagnant
cette distinction. Balguerie-Stuttenberg ne fut que chevalier, ainsi
que l'atteste le monument funéraire du cimetière des protestants.
Si maintenant ce large ruban représente l'écharpe de député, il
y a encore erreur.
Dans ce cas connue dans le premier, Balguerie-Stuttenberg a dû
être confondu ou bien avec son frère Jean-Isaac Balguerie, qui fut
député en 1827, ou bien avec son cousin Jean-Étienne Balguerie,
qui fut également député.
11 serait très intéressant de connaître le personnage dont les traits
sont représentés sous le n» 780.
E. Etchart, insiiluieur.
CHRONIQUK
Les faux monnayeurs de Guienne (1639-1645). — Sous ce litre,
la lieviie de Paris du i" scpteuibre a publié ^p. iS3-3ia) un travail posthume
de M. A. Grellet-Dumazeau. L'auteur du livre charmant sur La société bor-
delaise au temps de Louis XV y étudie un épisode peu connu de notre
histoire locale au xvii' siècle: la scandaleuse alTaire de faux monnayage où
furent compromis, entre autres gens de (pialité, le président à mortier Sarran
de Lalanne et trois conseillers au Parlement, Floriniond de Kaymond, Jacques
Desaigues et Jean de Massiot. Comment l'instruction ouverte, en novembre
iGSg, sur l'ordre de Richelieu, conduite avec une admirable vigueur par les
avocats généraux Jean -Olivier fJusault et Thibaut de Lavie, aboutit à la
condamnation honteuse des éminents « rogneurs », comment le Parlement
se montra, dans cette affaire, plus énergique que le pouvoir royal et
n'hésita pas à pourchasser Sarran de Lalanne, contumace, jusque dans son
repaire de Villandraut, comment le condamné, après avoir erré en Angleterre,
en Suisse, en Savoie, à Rome, où il fut fort bienvenu du pape, poursuivit,
après la mort de Richelieu, sa réhabilitation avec une admirable effronterie
et l'obtint par un arrêt du 3o août i644, il faut le lire dans ces pages où
M. Grellet-Dumazeau éclaire d'une lumière vive et sobre à la fois ce
curieux tableau de mœurs de l'ancien régime. II faut nous féliciter que ce
travail, dont la documentation paraît empruntée surtout aux registres
secrets, ait pu être imprimé après la mort de son auteur.
L'histoire du Limousin à Bordeaux. — Notre collaborateur M. .\lfred
Lerou.x vient de publier dans la collection des .Vrchives historiques du
Liiriousin un gros volume de documents sur l'histoire de cette province,
tirés en grande partie de nos dépôts publics bordelais. Ce sont d'abord
54 chartes, de la^S à 1482, contenues dans un registre des .Vrchives nmni-
cipales, acquis probablement à la mort du bibliophile .lacnb et ayant fait
partie de sa bibliothèque ; des extraits des registres secrets du Parlement, de
1627 à 1749; un dossier des .Vrchives déi)artcmentales (C. 33a4) concernant
les Trinitaires et les PP. de la Merci établis dans les deux diocèses do
Limoges et d'Angoulême et emporté, .sans doute par mcgardc. par Tourny;
des documents relatifs à la réforme de la taille en Limousin, de 171.^ à 174a
(C. 379Ç) et 3797), à la suppression de la culture du tab.'t dans la vicomte do
Turenne, de 1724 à 1732 (C. i35i), à l'étal des rues, chemins et rivières, de
1724 a 1742 (G. 38oo et 42i4); une vingtaine de pièces de correspondance
relatives à l'intendance de Tourny à Limoges, de 1739 a 174a (C. 3798;; des
356 CHRONIQUE
lettres inédites du R. P. François Chabrol, récollet, que M. Leroux croit
avec vraisemblance Limousin d'origine (1754-1771), lettres tirées du fonds
de l'ancienne Académie de Bordeaux à la Bibliothèque de la Ville; enfin des
documents divers, de 1867 à 1776, empruntés aux diverses séries des
Archives départementales, où il convient de noter, entre autres, des notices
biographiques intéressantes sur les Jésuites professeurs du collège de la
Madeleine, expulsés en 1762. Cette sèche table des matières suffît à montrer
le prix du volume de M. Leroux, le soin avec lequel il a dépouillé nos
archives et mis en valeur leurs richesses pour l'histoire du Limousin.
Les Espagnols en Guienne en 1206. — Dans la Chonique latine des
rois de Castille, publiée par notre collaborateur M. Georges Cirot dans le
Bulletin hispanique (juillet-septembre 1912), il importe de signaler (p. 367-
268) une mention de la campagne d'Alphonse VllI en Guienne, l'an 1206.
On y lit : « Rex castelle cum quibusdam de uassallis suis intrauit uasconiam
et fere totam occupuit prêter baioionam et burdegalim. habuit et blayam
et bore (Bourg) que sunt ultra garonam. et terram que est inter duo maria,
et sic reuersus est in regnum suum. » M. Cirot rapproche de ce texte ceux
de Luc, qui cite, parmi les places occupées par les Espagnols, Burgum de
Ponte (Bourg-sur-Mer) et Saluaterram (Sauveterre), et Rodrigue, qui dit
qu'ils prirent « fere totam Vasconiam praeter Burdegalam, Regulam [La
Réole) et Vaionam... » A noter que les chroniqueurs espagnols sont muets
sur le siège mis sans succès devant Bordeaux par Alphonse Mil, fait
mentionné dans la chronique de Saint -Etienne de Limoges, où l'a relevé
Lopès, qui ajoute qu'il l'a lu aussi « à la fin d'un vieux bréviaire, escrit à la
main seize ans après ce siège, lequel bréviaire a esté conservé dans l'église
Sainte Colombe de cette ville ».
Un capitaine au long cours bordelais. — M. André Vovard a con-
sacré, dans la Revue économique de Bordeaux (septembre 19 12), une étude
au capitaine Pierre-Stanislas Devaulx, né à Bordeaux le i5 octobre 181 4,
disparu en mer en novembre i856, à la suite du naufrage du Lyonnais,
qu'il commandait. Devaulx avait épousé, le i4 juillet i84i, Marie-Delphine
Gantau - Gréard, fille d'un riche armateur bordelais. Il avait d'abord
commandé l'Amable, puis, pour le compte de la maison Marsaud et C'', le
Java.
Hommage au passé. — La compagnie de navigation Sud -Atlantique
a décidé de donner à trois de ses paquebots les noms de Burdigala, de
Divona et de Garonna (sic) (forme douteuse donnée par Pline l'Ancien).
Les mosaïques de Hure. — On signale la découverte de mosaïques
gallo-romaines à Hure. Des vestiges de ce genre ayant été plusieurs fois
signalés à cet endroit, il convient, avant d'apprécier cette découverte, d'être
fixé sur sa nouveauté.
Un concours littéraire sur Bordeaux. — La Revue des Français (rue
de l'Université, 56, Paris) a consacré, dans son numéro du 25 octobre, un
supplément illustré spécial à Bordeaux. Les divers articles qu'il contient
sont signés de MM. Maurice Lanoire, N..., membre de la Chambre de
CHRONIQUE 357
commerce, Charles Cazalot, Perez Henrique, Henri Lorin, Robert Kchrig,
Paul Gourfeault, Paul Berlhelot et Maurice Martin. Do plus, la Revue des
Français a eu l'oripinale idée d'instituer un concours sur le sujet suivant :
« En une page, en une ligne, en un mot, en prose ou en vers, délinissc/ et
caractérise/ liordeaux. » Ce concours sera ouvert du '2G octobre au 30 no-
vembre. Quinze prix seront attribués, dont un voyage à Paris et retour en
première classe, plus i5o francs en espèces, ou une bicyclette de grand luxe;
un appareil de photographie Vest-Pocket-Kodak; im « portrait d'art » oflerl
par la maison Panajou, etc. Le jury est composé de MM. Camille Juiiian.
membre de l'Institut, président, Ferdinand Real, Raoul de Saint-.\rromaii,
J. MaxNvell, Maurice Martin.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
Du 15 juin 191S au S5 octobre 191 S.
A- PROPOS sur le transbordeur de Bordeaux. Revue philomathique
de Bordeaux el du Sud-Ouesl, 1912, p. 193-204, grav. et pi.
Barennes (Jean). — Histoire des quartiers de Bordeaux. Le quar-
tier Saint-Michel. Revue philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouesl,
1912, p. 205-215. (A suivre.)
— Montesquieu et le braconnage à La Brède. Revue historique de
Bordeaux el du département de la Gironde, 1912, p. 158-163.
Berthelot (Paul). — L'esprit bordelais. Supplément à la Revue
des Français du 25 octobre 1912, non pag.
Bouchon (Georges). — Sceau de la section n» 20 de Bordeaux
en 1794. Société archéologique de Bordeaux, 1912, p. xxxi-xxxiii.
Brouillard (Roger). — Un notaire qui n'aime pas les tyrans.
Revue aistorique de Bordeaux el du département de la Gironde, 1912,
p. 206-207.
Sous la Révolution, à Bordeaux.
— Un ballet original. Revue historique de Bordeaux et du départe-
ment de la Gironde, 1912, p. 277-278.
Au Grand-Théâtre de Bordeaux, Tan II.
Garaman (Paul). — Recherches sur l'ancienne église Notre-Dame
de la Place à Bordeaux et sur ses diverses appellations. Revue histo-
rique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1912, p. 217-228,
Cazalet (Charles). — Le pont à transbordeur de Bordeaux. Sup-
plément à la Revue des Français du 25 octobre 1912, non pag., flg.
Gourteault (Paul). — A propos d'un portrait de Victor Louis.
Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1912,
p. 206.
Cf. même Revue, 1912, p. 134-135.
— Une Académie des Sciences à Bordeaux au xvii^ siècle. Revue
historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1912, p. 145-157.
— L'œuvre scientifique de l'Académie de Bordeaux. La Nature,
revue des sciences et de leurs applications aux arts et à V industrie,
19 octobre 1912, p. 321-324, flg.
— ■ Bordeaux ville d'art. Supplément à la Revue des Français du
25 octobre 1912, non pag., flg.
Debans (Gamille). — Voir Ferrus (Maurice).
DuRiEux (Joseph). — L'état-major du Château-Trompette en 1773.
Revue historique de Bordeaux et du déparlement de la Gironde, 1912,
p. 278-279.
INDEX BIBI.IOGKAPHIQUE 359
Ferrus (Maurice). — La rue SainLe-CaLheriue. Son liistoire. 2« édi-
liou. Bordeaux, iinpr. <•. (iounouilltoii, 191'J. iii-K;, \ iii-s7 p. avec grav.
Ilurdeau.r inllurvsquv {'6'' >i-ru- .
Gaillard (Al)hi^ Alln-rt). — Les iin-ssifiiis L;il:i|»\. (Hisloirt' de
trois prêtres constiluLiuuuels.) licvue liislori(]Ur de lionleaux ri ilu
déparlement de la Gironde, 1912, p. 182-191, 209-270.
Grellet-Dumazeau (A.). — Les faux inounayeurs de Guveniie
(1039-1645). Revue de Paris, l^-- sej)lembre 1912, p. 183-213.
GiiTARD (laigène). — La «léliinilalion du <■ Bordeaux» sous l'an-
cieii régime, dans Mémoires et documents pour servir à l'histoire du
commerce et de 1" industrie en Franc<', puldiés sous la direction di;
Julien llayem, Paris, libr. Hachelle, 1912,in-8o de viii-187 p. (p. 1-12).
Habasque (Francisque). — Épisodes d'un procès en sorcellerie dans
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in-8", 10 p.
a i)roi>os <l'uiie mission de conseillers ;iu Pailcmonl de Hordeaux.
JoANME. — Arcachon et la Côte d'Argent. 1 plan, 3 cartes, 18 gra-
vures. Paris, libr. Hachelle et C'^, 1912, pet. in-16, 52 p.
Collection des Ciuides .Joanne.
Kehhig (Henri). — Le vin de Bordeaux. Supplément à la Revue des
Français du 25 octobre 1912, non pag.
Lagarde (Gaston de). — Un paysagiste bordelais, maître de Ingres.
Revue philomalhique de Bordeaux el du Sud-Uuesl, 1912, p. 223-227.
.lean Briani (1760-1799).
Lalanne (Gaston). — Bas-reliefs à figuration humaine de l'abri
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Lanoire (Maurice). — Bordeaux. Revue des Français, 25 octobre
1912, p. 150-156.
Leroux (Alfred). — Documents limousins des archives de Bor-
deaux et autres villes. Tulle, impr. du « Corrézien républicain «, 1912,
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Société des Archives historiques du Limousin, 1"^^ série: Archi\es anciennes,
tome XII.
Lhéritier (M.). — Histoire des ra|)ports de la Chambre de com-
merce de Bordeaux avec les Intendants, le Parlement et les Jurats,
de 1705 à 1781. Revue historique de Bordeaux el du département de la
Gironde, 1912, p. 192-205, 256-268. (.4 suivre.)
Cf. même Revue, 191-2, i». 73-104.
LoRiN (Henri). — Les relations africaines de Bordeaux. Supplément
à la Revue des Français du 25 octobre 1912, non pag.
Martin (Maurice). — La Côte d'Argent. Supplément à la Revue des
Français du 25 octobre 1912, non pag.
Maupassant (.Jean de). — Les armateurs bordelais au xviii<? siècle.
Le corsaire le Pantalon et la prise de V Apparence (1701-1762). Revue
philomalhique de Bordeaux el du Sud-Ouest, 1912, p. 286-308. — Tirage
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36o INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
Meaudre de Lapouyade. — Voyage d'un Allemand à Bordeaux
en 1801. Revue historique de Bordeaux et du déparlemenl de la Gironde,
1912, p. 164-181, 229-255, deux planches.
Montesquieu. — Voir Strowski (Fortunat).
N..., membre de la Chambre de commerce. — Le nouveau port de
Bordeaux. Supplément à la Revue des Français du 25 octobre 1912,
non pag., flg.
Patry (Henry). — Les débuts de la Réforme protestante à Bor-
deaux et dans le ressort du Parlement de Guienne. Revue historique,
juillet-août 1912, p. 291-321.
Perez Henrique (J.). — De l'influence de l'ouverture du canal de
Panama sur le commerce du port de Bordeaux. Supplément à la
Revue des Français du 25 octobre 1912, non pag., 1 flg.
Strowski (Fortunat). — Montesquieu. Textes choisis et com-
mentés. Paris, libr. Pion- Nourrit et C'% 1912, pet. in-S», ii-312 p.,
portrait.
Bibliothèque française. A'V7//« siècle.
TouRNYOL DU Clos. — Lcs idécs flnancières de Montesquieu. Paris,
Giard et Brière, 1912, in-S», 24 p.
Extrait de la Reuue de science et de législation financières, avril-mai-juiu 1912.
VovARD (André). — Un capitaine au long cours bordelais. Pierre-
Stanislas Devaulx. Le naufrage du Lyonnais (1856). Revue écono-
mique de Bordeaux, 1912, p. 133-143. — Tir. à part, in-8o, 11 p.
Le Gérant: G. Ducaunnès-Duval.
Bordeaux. — Imprimeries Gounouilhou. — G. Chapok, directeur.
9-11, rue Guiraude, 9-11.
Il
UN R0M.\NC1EH BOHDKLMS INCU.NMj
ANTOLM' DU l'Iîlill'U, SIKH! I)i; SAlîLAlilKS
Dans la préface de sa tragédie dWcoubar, publiée vers l;i lin du
xvi^ siècle, à une date (|ue nous essaierons do déterniinor plus loin
avec précision, le sieur Du Hamcl, avocat an l'.n Irmcrit de Norman-
die, indique qu'il a emprunté le sujet de sa pièce au roman li nu
certain M. Du Périer, imprimé à une date <ju"il ne donuf pas. Les
historiens <lu Ihéâtre français qui se sont occupés (VAcoubar sem-
blent s'accorder pour fixer à l'année 1586 la première représentation
de cette tragédie, et cela avec une certitude d";iul,iiit plus grande
que l'on s'éloigne davantage des sources d'information.
Les frères Parfaict, dans leur Histoire du Thêâlre franrni.'^. indi-
quent simplement que la tragédie d'Acoubar fut composée en lô86,
et que le sujet en est tiré d'un mauvais roman intituh- : Les Amours
de Pislion et de Fortunie en leur Vonaqe de Canada^. L<^ chevalier
de Mouhy donne comme date de première représentation à' Acoulmr ,
1586 -; Léris affirme que cette pièce fut représentée ou du moins
imprimée en 1586^; Lmiin la Bibliotfièque du Théâtre français tlu
duc de la Vallière reproduit 1(^ titre complet de cette première
édition : Acoubar ou la Loyauté traliie, tragédie tirée des amours de
Pislion et de Fortunie en leur roifaye de Canada, arec des clio'urs,
dédiée à Philippe f)esportes, abbé de Tijron, 15S6, in-l'J*; ajoutons
que l'on mentionne partout à la suite de cette première étiilion
de 1586 deux autres, à Rouen, chez Raphaël du Petit- Val, 1603
et 1611. Il sciidilrfait donc ([Uf !•■ inm:iu de.-; Amours de Pislion et
de Forlunir dûl rire antérieur à 1586. D'auhc part, M. (î. lii'viiit'r
donne coiiinic dalc du roman M')(ll rt ajoute m nnlr (pi'un a\di'al.
au l*arlfiiiciil a lire dès 160i> une lrag(''(lir dr ce roman, Acoubar
1. Jlisloire du Thvâlre français depuis ses origines, I';iri*, 1745, t. III. |>. isl.
•Z. Tublctles drumaliiiufs, Paris, 175-2, p. .3.
3. Dictionnaire des Théâtres de Paris, 17(33, t. I, ]>. 15.
4. Bibliothèque du Théâtre français, Paris, 170>>, l. I, |i. 279.
36
362 UN ROMANCIER BORDELAIS INCONNU
OU la Loyauté trahie, tragédie sans division d'actes ni de scènes^,
et M. Lanson a suivi M. Reynier sur ce point 2. Il nous faut donc,
ou bien supposer une édition de Pislion antérieure à 1586, ou bien
admettre que les frères Parfaict et tous les critiques qui les ont
suivis se sont trompés^; c'est à cette dernière hypothèse que nous
nous arrêterons.
Bien qu'il soit assez difficile d'expliquer comment cette date de
1586 a pu s'introduire dans les bibliographies théâtrales, il semble,
en effet, que l'édition de 1601 soit la première, et qu'il faille modifier
la date de la tragédie d'Acoubar. Voici le titre du roman d'après
l'exemplaire que j'ai eu entre les mains : Les Amours de Pislion,
par Ant. Du Périer, sieur de Sarlagues, Gentilhomme Bourdelois.
A Paris, chez Thomas de la Buelle, au Palais, à la Gallerie des mer-
ciers, près la S. Chapelle. MDCI, avec privilège du Boy. Le privilège
est du « vingtième jour d'octobre mil six cent et un », et signé
Brigard. Un second I, ajouté à la plume d'une encre très pâlie, per-
met de lire MDCII; il se peut d'ailleurs que la mise en vente n'ait
eu lieu que quelques mois après la délivrance du privilège*.
Tout nous porte donc à supposer que nous nous trouvons en pré-
sence d'une première édition : l'histoire de la découverte du Canada
vient à notre aide et nous permet de confirmer cette présomption.
Dans son avis au lecteur. Du Périer nous dit en efïet : « J'ay appa-
rié des amours inventées avec le véritable discours de ce que j'ay
veu en Canada »; dans une poésie latine imprimée en tête du volume,
œuvre de « Federici Morel, interpretis regii », il nous est confirmé
que
Famam Duperier dedil Canadae,
A morlalibus insulae remolae;
enfin un poème en vers français, signé Garnier, célèbre la gloire
d'explorateur de Du Périer :
Quel renom, Du Périer, quelle gloire ennoblie,
Te doivent les destins, quelle éternelle vie,
1. G. Reynier, Le Roman scntimentul avant l'Aslrée, Paris, 1908, p. 184.
2. G. Lanson, Manuel bibliographique, t. I, p. 216.
3. M. E. Rigal, dans un chapitre de Y Histoire de la Littérature française de Petit de
Juleville, accepte la date de 1586, tandis que M. Faguet {la Tragédie française au sei-
zième siècle, Paris, 1883, p. 283) paraît avoir des doutes et remarque que d'après le
style, qui est celui des premières générations du xm!*" siècle, « cette tragédie semble
antidatée ».
4. Cet exemplaire se trouve à la « Newberry Library » de Chicago. Je suis heureux
de saisir cette occasion de reconnaître l'accueil qui m'y a été fait et d'appeler l'attention
sur les richesses françaises que contient cette bibliothèque.
ANTOINE DL: I'ÉrIEH, SIEUK DE SARI.AGUES 3fî3
Distillant à longs traits dans les plus beaux espris
I.o nectar enfanté des voyages de pris,
Que tous pleins diî laheurs et de. peines divcrM-N
Ta personne accomplit par de longues traverses,
Soit au sein d'Aniphilrite, ou soit dans les descrs
De Sauvages crineus, et de bestes couvers.
Il s'agit, évidenirnrnl d'un voyage récent, et (|ui avait fait <piej-
((ue bruit.
Or, entre la dcruirre expéditi(jn de Jacques Cartier t-t la i»rctiiit-r<'
de (llianiplain, on ne trouve qu'un voyage de cette nature, ctlui
du marquis de la Roche, en 1598, voyage qui devait d'ailleurs finir
de façon si lamentable. A moins d'admettre que le sieur de Saria-
gues se soit embarqué comme volontaire sur un de ces bateaux de
pêche rochelais ou normands qui n'avaient point cessé de fré(juenter
les bancs de Terre-Neuve, il faut donc supposer qu'il avait fait
partie de cette dernière expédition, et qu'il publia son roman à son
retour, à )iu moment où l'attention du itublic commençait à se
tourner vers le Canada et oii les marins français songeaient à repren-
dre la grande entreprise de la génération précédente : la recherche
de la route des Indes par un passage que l'on croyait trouver au
nord de l'Amérique.
A défaut d'une édition de Pislion antérieure à 1586 ou même à
1601, édition que personne n'a encore retrouvée que je sache, il
nous est donc permis de considérer l'année 1601 comme date de la
première publication du roman de Du Périer.
Pour compléter le peu de renseignements que nous avons sur
notre auteur, disons qu'il avait fait graver ses armoiries en tête de
son ouvrage : un casque empanaché surmontant un écusson où se
voient un épervier et trois poires; et (juil dédie Pislion à la reine
Marguerite « comme à sa Roine et à runi<jue déesse du monde ».
Les expéditions coloniales n'avaient encore enrichi piM-sonne à cette
date, il est très probable (jue Du Périer cherchait à ce moment à
gagner par sa plume les moyens d'existence que les Isles du Canada
lui avaient refusés, et qu'jl comptait sur la reine ]irutectrie»^ des
lettres et amie des voyageurs pour écarter la faim de sa porte '.
Comme le disait son ami Garnier dans son épitre-préfacc :
A faute de .Mécène on voit souventes fois
Les Virgillcs fanir au dommage des Hois;
1. OuplQues années plus lard, Lescarbot dùdifni à la nini- MarijuiTito son llistnire
de la Nouvelle-France, en même temps qu'à bcauioup d'autres «rands personnages du
reste.
364 ^T^ ROMANCIER BORDELAIS INCONNU
souhaitons pour Du Périer que la reine Marguerite ne soit pas restée
insensible à cet appel !
*
• *
Il ne semble pas, en tout cas, qu'il ait eu, même de son vivant,
la gloire que lui promettaient ses aimables et indulgents « préfa-
ciers ». Oublié dans son œuvre, oublié dans sa vie, le pauvre sieur
de Sarlagues n'est même pas mentionné par les bibliographes,
et les historiens ne citent même pas le nom de celui « qui avait donné
tant de gloire au Canada ».
II nous est assez difficile de dire en quoi consistait son œuvre
d'explorateur, mais son roman nous reste, et par lui nous allons
pouvoir juger de la valeur de l'écrivain. Si l'on en croit le seul cri-
tique qui se soit occupé du Du Périer, M. G. Reynier, cette valeur
est fort mince. M. Reynier ne peut pardonner au malheureux son
amphigouri et son style entortillé, et je ne prétends pas qu'il ait
tort. Déclarer que Du Périer est un bon écrivain, et même simple-
ment que la lecture de son livre est facile et agréable serait faire
preuve de plus d'endurance à la fatigue que de goût. Mal composé,
plein d'invraisemblances et de négligences, bourré de pointes et
de fadeurs amoureuses à faire envie à Mascarille, combinant dans
un éclectisme maladroit la religion chrétienne et la mythologie, le
roman de Du Périer, grâce à quelques passages où l'on distingue un
intéressant essai de couleur locale et de curieuses analyses de sen-
timents, mérite cependant mieux que cet oubli complet.
Si nous prenions à la lettre les promesses de l'auteur, (jui nous
affirme avoir dans son roman apparié à « des amours inventées le
véritable discours de ce qu'il a vu au Canada », nous pourrions être
déçus. Le brave Du Périer n'est ni un Bernardin de Saint-Pierre,
ni un Chateaubriand ; ayant le très vif désir de nous faire connaître
les pays qu'il venait de visiter et sachant, d'autre part, que son
public se complaisait aux belles aventures d'amour, le sieur de
Sarlagues s'est trouvé fort embarrassé. Les sauvages lui avaient
paru barbares, grossiers, à peine humains, il ne pouvait songer à
analyser les sentiments de gens qui d'après lui n'en avaient aucun;
d'autre part, lecteurs et surtout lectrices n'auraient pas accepté un
roman sans galanterie. Du Périer a cherché un compromis et n'en
a trouvé qu'un, dont la naïveté fait sourire.
Après nous avoir afïriandés par quelques pages de descriptions
ANTOINE DU PÉRIER, SIEl'R DE SARLAT.UES 365
réalistes dans lesquelles on sent riioinme (jui a \ u et, qui a su Vdir,
il a délibér«'nient laissé de côté sauvages, forêts, fléserts et îles
liiiiil aines, pour se lancer dans le plus extravagant récit d'aventures
amoureuses qu'on jmisse imaginer. A peine avons-nous tourru"' (|uel-
(|ues feuillets, que nous sommes transportés dans une sorte de
« pays à volonté », où les déesses de la Mythologie se rencontrent
à chaque pas avec de simples mortels; c'est le royaume de I-'an-
taisie, où, comme aurait dit Rabelais, le Pays de Salin, où les inven-
tions les plus folles et les plus mensongères sont conservées dans
une sorte de MusiMiin, snus la garde du petit vieillard OiiijDirp V
Le fait est il'autaut plus déconcertant et regrettable (jue Du
Périer fait preuve, dans les premières pages, de véritables qualités
d'observateur.
Pour les sauvages américains, il n'a ni le mépris des voyageurs
espagnols, ni l'enthousiasme philosophicpie du jia>lcur Léry, ni
même l'admiration mélangée de pitié de son i ompatriote Montaigne.
Quelques années après la publication de Pistion, l'avocat Lescarbot 2,
qui lui aussi a vécu parmi les sauvages du Canada, nous les peindra
comme des sages antiques pratiquant toutes les vertus énumérées
pai' Aristote et supérieurs en bien des points aux civilisés; voilà
ce à quoi notre romancier n'aurait jamais voulu consentir. Foin
des moralistes qui, pour nous faire la leçon, nous vantent le bon-
heur des sauvages ! La civilisation, la vie de salon et la conversation
des dames sont de trop délectables choses pour (ju»^ Du Périer songe
même à en médire.
La vérité est que la conversation des Muses et des hommes donne
le dernier embellissement à nos âmes, qui tirent de leurs plus fas-
cheuses humeurs, comme les diamants des rudes jderres f|ui les polis-
sent, la douceur et Tesclat qu'elles n'ont pas. .le n'ay jamais eu cette
cognoissance si parfaicte qu'en ce dernier voiage de Canada, com-
parant l;i ( ivilité des François à la rustique grâce de ces sauvages,
de laquelle j'ay eu tant d'horreur, vivant parmy eux, que ceux qui
sont bien ne/ se loMucnt dire les bergers de ces hestes, ou les Dieux
de ces honmies.
Ce n'est donc pas Du Périer cpii pensera jamais à nous vanter le
sort des Indiens, et qui désirera, comme l'avait fait Ronsard, dans
un jour (!<■ nii''laiieoIi(\ d'aller vivre parmi eux''. Il les a trop bien
vus et de trop près, pour ajouter foi à leur prétcjidu bonheur.
1. l'iinlagruel, V, xxxi.
■J. I.rs.jiibol, Histoire de la Noiwclte-Francc, cli. IX. p. 709, édit. 1009.
3. Ronsard, Discours contre Fortune.
366 UN ROMANCIER BORDELAIS INCONNU
Ces pauvres gens n'ayant de l'homme que la forme, vivent des
bestes comme des bestes, faisans des bois leur jardin et leur Louvre,
couvers de trois ou quatre peaux de castor cousues ensemble, non
joinctes au corps pour en retirer de la chaleur, mais nonchalamment
mises sur les espaules, auxquelles leurs mains servent de boutons et
de crochets pour les empescher de tomber. Ils ont quelque forme de
société parmy eux, de guerre avec leurs voisins et autant que ces
deux choses sont communes aux animaux, se les appeleray seulement
hommes parce qu'ils parlent, mais quasi plus heureux s'ils ne l'estoient
pas, car vivans sans délices en ce monde, ils demeurent encore avec
douleur éternelle en l'autre, à cause des démons qu'ils adorent, non
dans des somptueux temples, mais dans des stériles campagnes... Ils
ressemblent aux François de la taille et des traits du visage plus
qu'aucune nation que j'aye jamais veu, ayans comme eux une seule
femme, et une jalousie extrême de leur honneur; il e«it vray qu'il
est asses facile d'être chaste lorsque les objets ne sont ni accessibles
ni beaux.
Nous voilà bien loin de ces tableaux idylliques que nous trouvons
chez les vieux voyageurs. Où sont les beautés sauvages semblables
à des nymphes qui étaient venues en dansant à la rencontre de
Jacques Cartier et les « philosophes nuds » semblables à des sages
de la Grèce que tous les missionnaires vont rencontrer? Notre
Gascon a moins d'imagination que les Normands, ou, peut-être,
simplement plus de goût. C'est avec la même exactitude un peu
sèche que, quelques lignes plus loin, il décrit le pays lui-même :
il en a gardé, au total, un peu agréable souvenir :
L'air y est extrêmement froid à cause que le soleil est couvert de
continuels brouillars, hormis quelque heure du jour : les costes de
la mer sont fort saines, les rivières sont démesurément longues et
larges, fort poissonneuses, la terre merveilleusement bonne, pleine
d'oyseaux, d'animaux et de plusieurs sortes de graines et d'arbres de
fruict; et à faute d'estre deffrichée, d'inaccessibles forets dans les-
quelles un gentilhomme qui faisoit le voiage, ennuyé d'estre dans le
vaisseau, alla un jour si avant, porté du plaisir de la chasse, qu'il
fust plus tost mort de faim qu'il n'eust trouvé le moyen de sortir de
ce désert.
Ces derniers mots servent de transition entre les deux parties du
roman et amènent le récit des aventures de Pistion. Nous pouvons
dire adieu à nos rudes sauvages, nous ne les reverrons plus que sous
un déguisement qui les rendra méconnaissables aux meilleurs yeux.
Après nous avoir dit qu'ils n'ont pas de roi. Du Périer nous montrera
leur roi Castio, un monarque d'une galanterie toute castillane et
ANTOINE DI PÉRIER, SIEUR DE SARLAr.IES 867
• jni siiil parler aux clames mieux que le plus rafîiné courtisan; nous
verrons ses barbares sujets prendre part à des tournois, les inacces-
sibles forêts deviendront des forêts enchantées, asiles de Vénus et
de sa cour; tout décor traditionnel et banal de la féerie et de la pas-
torale va se substituer instantanément aux faroucjies cam[)agne8
et aux brouillards de la iiicr.
* •
Le jeune seigneur qui vient de nous être présenté, tout eu pi»ur-
suivant un cerf d'une blancheur éclatante, ce qui, dès l'abord,
nous met en pleine légende, arrive, nouvel Actéon, près d'une fon-
taine oîi une femme, d'une merveilleuse beauté, se baigne dans le
plus simple appareil. Plein de prudence et de déférence, le jeune
homme attend sans se montrer que la jeune fdle ait repris une tenue
décente; il se présente alors dans des termes du dernier galant,
tout en ayant bien soin de ne pas laisser soupçonner son indiscré-
tion. Transportée de joie à la vue d'un Européen. la baigneuse lui
raconte son histoire sans se faire prier; un cœur moins sensible que
ri'iuj de notre héros aurait été ému à ce récit. Bien que la destinée
semble la poursuivre, elle porte le nom menteur de Fortunie; fille
du roi d'Astrakan, elle a épousé Acoubar, roi de Guylan, par pro-
curation, « suivant les façons des princes ». Mais le traître Acoumat,
au lieu de la conduire au Guylan, l'a enlevée, après avoir corrompu
les pilotes, si bien que, « pauvre innocente, elle vit des sauvages au
lieu de son cher époux sur la rive ». Dévorée d'amour pour .\coubar,
qui, sans doute, est mort de désespoir à l'attendre en vain, elle a
pu pendant de longs mois faire patienter son infâme poursuivant ;
mais dans quelques jours, le dernier délai va expirer, il lui va falloir
se résigner à épouser son ravisseur, qui nous semble avoir été doué
d'une rare mansuétude. L'auteur d'un rapt qui attend deux ans
avant de consommer son crime, a droit au moins à des circonstances
atténuantes. Il est vrai que Fortunie est princesse du sang, et qu'à
ce titre elle a droit à des égards spéciaux. Ayant ainsi terminé le
vrcïl d»' ses malheurs, Fortunie, (|ui sait son monde, interroge h
son tour le gentilhomme : « Mais, Monsieur, (jue direz-vous de nioy,
qui au lieu de soulager la peiu<' où vous estes, je l'augmente encor
avec le récit de la mienne ? » Pistion, (pii n'a pas reçu une, moins
bonne éducation, de répondre aussitôt : « Pistion est le nom duquel
Amour honora ma naissance et que les Dames me jugent mériter
368 UN ROMANCIER BORDELAIS INCONNU
entre tous les Cavalliers de la terre, qui par fidélité espèrent l'hon-
neur de leurs bonnes grâces. » Il va commencer le récit de ses aven-
tures quand fort heureusement on vient chercher la princesse
« pour souper ». Elle quitte le gentilhomme en ces termes au moins
familiers : « Pistion, cher amy, combien m'est fascheux de laisser
ton agréable entretien pour celuy que je méprise le plus en ce monde. »
Avant de se séparer, Pistion et Fortunie ont déjà convenu de la
façon dont ils pourraient se revoir; après le fameux souper, For-
tunie emmènera son tyran faire une promenade du côté de la forêt,
et, là, comme par hasard, ils rencontreront Pistion qu'elle feindra
de n'avoir jamais vu. Sans aucun doute, Acoumat l'invitera à loger
au palais et ainsi, peut-être, pourra-t-il venir au secours de l'infor-
tunée princesse. Laissé seul, Pistion, qui aime déjà Fortunie, « com-
met mille amoureuses folies» sur lesquelles je passe; il contemple
avec ravissement la fontaine qui a eu l'honneur de servir de bai-
gnoire à la princesse « quand sortant à demy des eaux, une belle
nimfe luy parla ainsy : Pistion, je suis la mesme Venus de laquelle
les humains et les Dieux ont autrefois tiré les premières flammes
de leur embrasement ». Vénus veut favoriser ses amours, elle lui
fournira les moyens d'arriver à ses fins et de se faire aimer de
Fortunie, car l'expression des sentiments qu'éprouve Pistion pour
Fortunie a touché la charitable déesse, qui tout le long du récit se
montrera fort bonne fille. Bientôt, Pistion rencontre Acoumat et
Fortunie qui, sans doute, font leur promenade de digestion; comme
il l'avait prévu, il est invité à venir au château « tout basty de
pierres ou plutôt de pierreries, qui estant polies ont pris sinon le
pris des plus fines, au moins l'eau, la couleur et l'esclat qui ne
donne pas moins de contentement que les autres ». Voilà qui est
admirable et bien digne d'un vrai Gascon : Du Périer peut raconter
monts et merveilles et parler de châteaux bâtis en pierres pré-
cieuses, mais il conserve un doute narquois et souvent non exprimé
sur la valeur de ces diamants qu'un lapidaire n'accepterait pas pour
argent comptant.
Acoumat, malgré sa jalousie, laisse une assez grande liberté aux
deux amants que nous voyons errer dans des bosquets de jasmins
et de roses, échangeant des soupirs et de galants propos. Fortunie
prête une oreille complaisante aux paroles du jeune gentilhomme
et le quitte toute troublée. Bien qu'elle ne le connaisse que depuis
quelques instants, il a su trouver le chemin de son cœur, et déjà
le souvenir d'Acoubar s'efface et disparaît de son esprit. Fortunie
ANTOINE DU PÉRIER, SIELR DE SAI\I.AGUES SGq
Ht' ]iiiil dormir, « I;i mmIIo est le plu-- agréable rrpos de son âme,
elle a oui les rossignols (|iii Inute la nuicL oui dit mille amoureuses
chansons », et le matin venu, flic envoi»' une épitrtî ;i l'istion pour
saluer dès son réveil celui qu'elle reeonnaît déjà comme son maître :
« Pistion, ouvre les yeux, et si tu m'aimes ;iiil;iiil (pie lu \cii\ (pu;
je le croye, regarde \v. jour (pii te d(»nne espérance de revoir la
Fortunie, cpii avec mille impatiens désirs de ta veue te dit la pre-
mière bonjour. » Si le Nocabulaire amoureux de l)ii jN'rier est le
plus souvent insupportable et ridicule, il faut avouer (jue de telles
phrases, d'un aussi joli son et d'une cadence aussi harmonieuse lui
feraient pardonner bien des défauts. Ce sont là de frais b(>u(piets
de verdure et de fleurs dont le parfum de bon aloi l'ait oublier l'at-
mosphère artificielle dans laquelle se meuvent les héros du roman.
Disons à la honte de Pistion qu'il dort du meilleur de son cœur
quand la servante chargée de l'amoureuse missive entre dans sa
chambre; sans doute le rossignol n'avait pas chanté pour lui cette
nuit-là.
La position de Fortunie à ce moment est assez curieuse pour
qu'on s'y arrête, et Du Périer, ([ui avec toutes ses gaucheries
semble avoir comme un instinct de la scène à faire et de la page à
écrire, n'a pas laissé échapper une si belle (tccasion de déployer ses
talents d'analyste.
D'une part, Fortunie est mariée ofTiciellement à un ju-ine»» rpTrlIe
n'a jamais vu, mais qui l'attend en mourant d'impatience; elle n'est
donc pas libre. D'autre part, elle se voit forcée de céder à bref délai
aux désirs de son ravisseur et par conséquent de trahir son mari.
Pour elle nul espoir de sortir d'embarras, à moins qu'elle n'intéresse
Pistion à son malheur. M.iis >i Pistion la délivre d'Acoumat, n'aura-
t-il pas, par sa victoire, comiuis des droits sur elle? Xe se verra-t-elle
pas forcée de trahir son mari avec Pistion pour n'avoir pas voulu
le trahir avec Acoumat? Car elle n'est pas de celles (|ui refusent de
payer leurs dettes; elle sait « ({u'il n'appartient qu'aux ingrats de
dormir la nuict entière sur une grande obligation ». Enfin, bien
qu'elle aime dès ce moment Pistion dans le secret de son cœur, elle
ne peut s'empêcher de se souvenir qu'elle est de maison royale et
qu'épouser un petit gentilhomme c'est renoncer à son rang de prin-
cesse souveraine. Gependaul , i)uis(|ue, en tous cas, il lui faut trahir
son mari légitime, ne vaut-il pas mieux que ce sf)it avec un le>:nnie
([u'ille aime qu'avec un traître dont l'aspect lui fait horreur? C'est
donc à Pistion qu'elle demandera secours, sachant fort bien à (juoi
3^0 XJN ROMANCIER BORDELAIS INCONNU
elle s'engage par cette démarche, mais elle ne le fera pas sans une
véritable soufïrance. Ce long débat intérieur se termine par une
sorte de cri de désespoir qui me paraît la plus belle page de Pisiion ;
il serait difficile d'en trouver l'équivalent dans les romans de
l'époque.
Mais, ô Dieux pitoyables aux affligez, pardonnez à cette pauvre
misérable, qui n'ayant autre chose devant les yeux que la volupté,
a mieux aimé obéir à ses désordonnées passions qu'à vos justes
commandemens, et diminuans sa méritée peine, retranche?^ aussi une
partie du plaisir de ma joye : faictes qu'une nouvelle source de larmes
noyé en mes yeux les délices qu'ils tireront de l'objet de ma douleur,
afin que je ne convertisse point votre justice en une particulière ven-
geance; et cette grâce que je reçoy en un crime aussi digne de punition
que le sien. Rendes, ô déitez sainctes, mon ame vuide de toutes ces
passions, qui troublent nos corps au milieu de leur plus profond repos
et qui comme insatiables vautours, se paissans de nos cœurs, y ouvrent
mille ruisseaux de sang, sur lesquels insensiblemenl les Chresliens sont
portés au paganisme.
Je ne voudrais pas rapprocher de trop grands noms de celui de
notre humble auteur; il est cependant difficile de ne point se rap-
peler, en lisant de tels passages, que Corneille emploiera des pro-
cédés d'analyse semblables et nous montrera ses héros pesant ainsi
délibérément et longuement le pour et le contre avant d'agir; en
même temps, la faiblesse de la pauvre Fortunie, son abandon entre
les mains de la destinée, ses cris de douleur nous rappelleraient
cette fois non plus Corneille, mais bien Racine. Sans être aussi tra-
giquement afïïigée que Phèdre, Fortunie est comme elle la victime
de la volupté et ne peut résister à ce qu'elle appelle ses « désor-
données passions »; comme Phèdre elle est le jouet de Vénus, mais
d'une Vénus bonne fille qui ne cherche qu'à servir l'amour et à
assurer le bonheur de sa protégée. C'est Vénus, en effet, qui tient
tous les fils de l'intrigue, ce sont ses nymphes qui enchaînent le
traître Acoumat et en débarrassent Fortunie sans que Pistion ait
à intervenir; c'est elle qui montre à la fière princesse que Pistion,
malgré sa naissance relativement obscure, est digne d'un amour
royal; c'est elle, enfin, qui préside au mariage des deux amants et
leur offre dans sa grotte un festin nuptial à la fin duquel elle prononce
un discours politique des plus curieux.
Le premier acte est terminé; nous allons maintenant voir inter-
venir une péripétie qui remet tout en question.
Si complet que soit le bonheur des deux époux, il ne peut durer,
ANTOINE DU PÉRIER, SIF.L'R DE SARI.VGL'ES 37 1
car c'est en soriiiiH' lo bonheur dans W criiiie, et les mariages célj'bri^s
j»ar X'i'uus ne sont pas reconnus des ;tii(rt's dii-ux. .)uii<»n et Min«Tve,
sévères gardiennes dr l;i iiHu-.ilr, prott'stcut au nnm du inallicuriMix
Acoubar devant l<' niiiîht' dfs dinix. cf (b'-ft-ndcnt N's droits du mari.
.riipil II-, (|iii se sent assez pt'u à l'ais»'. uose rcfust'r uni* d<'maud<*
(|ui fil siuiiim^ est juste ; il csl douf déridi'' ipiAroiiljar aura un<'
chance de reconcpn rir sa fi'inme.
Las d'attendre le ictuui- de son infidtdc ambassaih'ur. le roi de
Guyian a recours aux sciences occultes. Les magiciens (dliciels, après
des cérémonies où \o clief des démons « apparaît avec milh-
effrayantes formes pleines d'esclairs et de tonnerre », lui apprennent
que Fortunie est « en un pays froid et sauvage, où .Mars et IWiiuuir
lui seront favorables ». Il est évident (ju'il ne peut s'agir (pio du
Canada, déclarent les sorciers avec une clairvoyance (pie leur envie-
rait une somnambule extra-lucide.
Sur leurs avis, Acoubar s'embarque jjour ccLle ile avec <> un ton-
nerre de canons disant adieu à sa patrie ».
Vénus, pendant que le prince vogue vers le Canada, ap^irend à
Fortunie le péril qui la menace : pour la seconde fois, la malheureuse
doit résoudre un cas de conscience des plu- ilélicats. Jusqu'ici, en
efTet, Acoubar était éliminé des données du ]>inblème et Fortunie,
sans espoir de communiquer jamais avec le reste du monde, pouvait
se faire ilhision sur sa faute ; forcée de choisir entre un homme
qu'elh» aimait et un nuire qu'elle n'aimait pas, son cœur aussi
bien que son intérêt l'avaient fait décider en fav(Hir de Pistior.
L'arrivée prochaine d' Acoubar détruit ce bonheur fragile; cette
fois, riu'nri'iic (je I )u Périer doit choisir entre son mari légal et
son mari iU' lait, entre l'homme (pi'elle a aimé sans le connaître
et celui qu'elle aime maintenant; >ihialii.n <lélicale s'il eu fui
jamais !
Fortunie, cependant, ne balance pas longtemps, elle est prompte
ta se trouver ries excuses : « Je t'ay donné ma jtaride, je l'advcuie.
pour obeyr aux commanflemens île mon j»ère. .Mais j'ay donné mon
honneur et mon cn-ui- à Pislion par (\r<. noces pul)li(pies. » Cotu-lu-
sion : elle ne veut aucun mal à .\coubar et lui souhaite de retourner
heureusement dans son pays et d'y passer en joie et bonluMir le
reste de ses jours, à condition (pi'il la laisse en <^!ana<la avec son
cher Pistion. La lutte n'est cependant pas finie. .\i Minerve m .lunoii
ne peuvent se résigner à voir \'énus triompher; aussi cmpIoient-clIcs
tous les moyens pour séparer les deux amants. Mercure, qu'elles
3'y2 UN ROMANCIER nOBDELAIS INCONNU
envoient à Fortunie, essaie, mais en vain, de lui persuader de
renoncer à Pistion :
Soyez raisonnable, lui dit-il, si Pistion n'était pas venu, vous auriez
appartenu à Acoumat, que vous n'aimiez pas et que sa perfidie avait
rendu indigne de v^ous. Maintenant, Acoubar est vostre légitime mary
que vostre père et que les Dieux vous donnent; montrez à ce coup
la force de vostre esprit, changeant les affections de l'inclination en
celles de la raison qui vous commande, avec les Dieux, d'honorer
vostre époux.
Le messager des dieux raisonne en fort bon casuiste, mais que
peuvent les raisonnements contre les désirs d'une femme amou-
reuse? Fortunie, loin de céder à ces représentations, met tout en
oeuvre pour décider Pistion à lutter avec acharnement contre l'armée
que le roi Acoubar s'apprête à jeter sur les côtes du Canada. Ils
ne peuvent espérer réussir qu'avec l'aide des sauvages; aussi For-
tunie, qui, en sa qualité de princesse, conduit les négociations,
va-t-elle trouver le roi des sauvages, Castio, pour lui demander pro-
tection. C'est seulement alors que nous voyons reparaître ces sau-
vages canadiens que nous conmiencions à oublier. Hélas, ils ressem-
blent bien peu à ceux que Du Périer nous avait décrits dans sa
préface ! Dans un discours en forme qui prouve bien que la prin-
cesse avait étudié l'art des harangues, Fortunie démontre à Castio
qu'il y va du bonheur de son peuple et de son propre bonheur de
chasser les envahisseurs de son territoire : « Ta couronne, la liberté
de ton peuple, la religion de tes Dieux, l'honneur de ta femme et
de ta chère Callie dépendent de ta valeur. » A quoi Castio, qui n'est
pas moins ferré sur la rhétorique, de répondre : « Madame, quand
je n'aurais pas assez d'affection pour mon peuple, de naturel pour
ma famille, de religion pour les Dieux et de courage pour mon
honneur, les paroles que je viens d'entendre... » Nous n'en citerons
pas plus, c'en est déjà trop pour nous convaincre que Castio n'a
de canadien que le nom.
L'auteur, cependant, n'a pas renoncé à toute couleur locale, et
bientôt après il met ses souvenirs à profit pour nous décrire de façon
assez pittoresque la bataille qui s'engage autour de la flotte
d' Acoubar.
Car tantost, les sauvages alloyent à la nage percer les vaisseaux
soubs l'eau, qui tout aussitost couloient à fond; puis avec leurs petits
canouas (ainsy s'appellent leurs batteaux faicts d'écorce d'arbres) se
laissans porter doucement à l'eau, montoyent de nuict dans les navires
ANTOINE DU PÉRIER, SIEL'R I>E SARLAOLES 873
ennemis si subtilement, qu'elles estoyent plustost en feu qu'on eust
trouvé 1(1 nioy(ui di; l'esteindre. Ils sont si asseurez di; Ifurs iircs, qui
leur servent de lévriers et d'harcjuchuses, pour prendre !•; gil)i<'r,
duquel ils vivent, qu'un soldat n'osait monstrer l'œil, qu'une nèchc
tout aussitost ne le erevast.
En fin de compte cependant, Castio est tin-, li-s Cana<liens pren-
nent la fuite, Pistion, recru de fatigue, renonce à se défendre; c'est
à Fortunie d'essayer de sauver la situation. Sur les conseils de
Vénus, qui ne l'abandonne pas diius cette circonstanee assez flélicate,
elle abandonne le palais, prend une mise modeste et se retire dans
une Immble denu.iure. Ayant ainsi préparé sa mise en scène, elle
attend son mari de pied ferme. Dès qu'elle l'aperçoit, elle se jcffc
à genoux en lui disant :
Hélas, Sire, aves-vous jugé qu'il tust tciiqis (|U(! j'eusse l'honneur
de vostre veue qu'à tous les momens de la nuict et du jour j'ay depuis
mon exil incessamment souhaitée : Vostre >fajesté a-elle voulu (juiller
ses somptueux palais pour venir voir ce pauvre petit taudis de For-
tunie qui luy sert de religion {couuenl)'}
Ne soyons pas trop étonnés de ce langage, nous verrons mieux.
l'iiitiiiiie, poussant encore plus loin l'audace et la dissimulation,
])reud un air d'iiL({uiétude pour demander au rni s'il l'aime bim
toujours e( si l'absence et l'attente n'ont pas altéré ses sentiments,
« le tout de la façon la plus amoureuse du monde ». « Fortunie cajola
si bien ce pauvre prince, que la croyant la plus chaste du moiuii-,
il en devint éperdument amoureux. » Et la fine mouche proiligue
«baisers, larmes, asseurances et sermens de fid.''lili'- .•! d'anujur »
pour le mieux duper.
Ces amoureux épanchements sont troublés par un soldat (|ui vient
annoncer fpie l'armée réclame Acoubar à grands cris; les >uldals
se révoltent dans cet étrange pays et se croient perdus dès (pi'ils
ne voient plus leur clief. Acoubar sort, tandis i\uo Pisti<»n rentre
en scène. Nous nous d. ■mandions si vraiment Fortunie ne s'était pas
laissée prendre aux bonnes manières d'Acoubar et si elle ne se déta-
chait de son soldat de fortune. Il n'en est rien, elle n'a pas cessé un
seul instant de penser à Pistion: o II a fallu ijuau lieu du visage
d'Acoubar je misse celuy de mon l'islion devant mes yeux, et que
pipée de si douce imagination, je parlasse dune lnuiehe d'amante
pi>ui- mieux caclier mes amours. » Voilà en vérité qui est fort com-
mode, mais puis(pie Pistion lui-même se contente de cette rai.son
nous n'avons pas le droit de nous montrer plus dillicile !
874 UN ROMANCIER BORDELAIS INCONNU
C'est maintenant à l'amant de Fortunie d'avoir à supporter une
lutte morale et à résoudre un cas de conscience. La princesse s'est
donnée à lui, pauvre gentilhomme perdu dans les forêts du Canada,
alors qu'elle avait toutes les raisons de croire que jamais elle ne
pourrait revoir Acoubar et partager avec lui le pouvoir. A-t-il le
droit maintenant de la forcer à cette mésalliance quand ses sujets
la réclament et qu'il est du devoir de la princesse de régner sur le
Guylan? Autrement dit, le brave Pistion comprendrait fort bien
que Fortunie ne l'ait pris que comme pis aller. « Je sçay bien, lui
dit-il pour la consoler et la décider à accepter ce sacrifice, que tous
les changemens de conversation sont d'abord un peu rudes. Mais,
belle princesse, croyez- moy, qu'une affection chasse l'autre, et
qu'en peu de temps mon absence et de nouvelles amours feront
doucement oublier les miennes. »
Pistion partira donc et reprendra ses courses aventureuses à
travers le monde, cherchant quelque dame affligée qui ait besoin
des secours d'un chevalier, sans que pourtant il cesse de penser à sa
Fortunie qui régnera toujours sur son cœur. Par malheur, le roman
ne s'arrête pas là. On aurait aimé voir Pistion, nouveau Titus,
quitter sa Fortunie, nouvelle Bérénice, invitas invitani, tandis que
cette dernière, déplorant son rang qui cause son malheur, s'écrie :
« Que ne suis-je une pauvre bergère, à fin que mariant ma vanité
avec mes désirs, mon contentement avec mon amour, je peusse
vivre exempte de la jalousie du ciel ! » Il en est tout autrement.
Les deux amants passent la nuit à se dire adieu, tandis que « les
violons et la musique du Roy sonnent et chantent sous leurs fenê-
tres », car l'armée célèbre sa victoire, et le lendemain on doit donner
de grandes fêtes et courir la bague. Au matin, on voit paraître
dans l'arène un sauvage magnifiquement costumé qui remporte le
prix, le reçoit des mains de la princesse, et après le plus galant
compliment du monde, pique des deux et disparaît dans la forêt.
Il n'est pas besoin de signaler une fois de plus les invraisemblances ;
un sauvage qui parle la langue de la galanterie la plus rafilnée,
monte à cheval, alors que les indigènes étaient, au dire des voya-
geurs, épouvantés par cet animal qui n'existait pas dans leur pays,
et pour achever le tout, un sauvage qui connaît les règles des tour-
nois ne pouvait tromper qu'un mari aussi stupide qu' Acoubar.
Fortunie, qui a reconnu Pistion malgré son ' déguisement, feint
alors d'être navrée de la perte de sa bague, et Acoubar ne peut
moins faire que de partir à la poursuite du prétendu sauvage. 11
AMTOINE DU PKIUI-U, Sll.1 n ( .| •> \ m Ki .1 is 3'J^
le rcjdiiiL bioutôL, car PisLiuii, loiil, ;i >a tlouli-iir, ne s'éloigiiaiL
(ju'à regret; soniim'' de rendre la l);ii;ui'. (jui pour lui ne saurait avoir
(le valeur, il r«'pond en jetant son niasipie à terre et en tirant IVpée.
Aeoubar ne tarde pas à tomber niortellenient blessé, et devinant
tout, s'éerie ; « Cavallier. je eognijis bien à ton visage, rjui sent plus
son galant courtisan (jii "uu rustique sauvage, (pie je suis le plus
pippé liomme du iiiontle. i l»;ius son désespoir, il couvre d'injures
J^'ortunie et sou rival; mais l'is(ioi|, (pii juscpi'alors avait fait à
nos Veux assez triste figure et avait accejjté sans sourciller le sec(»urs
de Vénus, se souvient devant le spectacle de la mort qu'il est chré-
tien, et adresse à son malheureux rival les paroles suivantes :
Sire, souvenez-vous que vostre ame doit h ce moment aller au Ciel
que vos yeux regardent; laissez avec ce corps ses passions en la terre,
à fin que vostre esprit libre de ces chênes, vole plus aysement en la
place qui luy est destinée.
Aeoubar cède sur-le-champ à ces sages exhortations, meurt en
état de grâce, et le vainqueur retourne vers celle qui était le prix
de ce combat. Après des embrassements et des larmes de joie,
« Pistion fit voir Fortunie aux sauvages qui, l'ayans appelée leur
Royne, firent mille dances à la façon du pais ». .Ainsi se termine
par une sorte de ballet sauvage cette œuvre composite et étrange,
mais où se rencontrent de réelles beautés.
*
bans cette analyse trop longue peut-être de l'ouvrage ilu mmau-
cier voyageur, nous n'avons en rien cherché à dissimuler les défauts;
le mérite de Du Périer apparaît de façon plus nette si l'on rappro-
che l'original de l'adaptation théâtrale qu'en fit deux ans plus tard
l'avocat normand Du Hamel, et si nous replaçons les Ammirs de
Pistion dans leur milieu. Dans la tragédie, toute couleur locale a
disparu : pour 1 )u Hamel, le Canada est la terre classique des démons,
ce ((ui nous reporte aux vieilles légendes des Closmographes dont
Rabelais s'était fait l'écho moqueur au livre V de l'nnlmfniel. La pièce
débute par une scène de magie dans laquelle ,\coubar, roi de Guyian
qui est en guerre contre Castio, roi de Canada, invoque l'aide des
puissances infernales. Grâce à leur secours, il jette l'elTroi dans
l'armée de son ennemi, qui est tué, fait prisonniers l'infante Fortunie,
fille du roi d'Astrakan, et uu chevalier français nommé Pistion.
876 , tN ROMANCIER BORDELAIS INCONNÛ
Généreusement, il donne à Pistion la vie et la liberté, mais garde
Fortunie qu'il prétend épouser. Au cours d'un tournoi dans lequel
Pistion, déguisé en sauvage, remporte le prix, Fortunie, qui n'a
aucun goût pour Acoubar et se fie au courage et à l'adresse de son
amant, persuade au roi de Guylan d'entrer dans l'arène et de lancer
un défi au vainqueur du tournoi. Après un assez long combat,
Acoubar tombe mortellement blessé, il reconnaît son adversaire et lui
. demande la vie, lui rappelant qu'il lui a fait grâce quelques heures
auparavant, et lui offrant même de lui abandonner Fortunie; mais
le barbare Pistion, sans vouloir l'écouter, l'égorgé impitoyablement,
et la tragédie finit sur cette scène d'horreur. Nous admettons, avec
M. Faguet, qu'il y a dans Acoubar quelques beaux vers, mais je
cherche en vain les cris de douleur sincère qui échappaient à For-
tunie dans le roman et rachetaient le pathos et l'emphase du style.
Le roi Castio est encore moins Américain que chez Du Périer, s'il
est possible, et l'on ne voit pas très bien comment Pistion peut
sans danger tuer Acoubar sous les yeux de sa cour et de son armée
sans que personne intervienne. Surtout nul reflet des mœurs
contemporaines n'apparaît dans la tragédie, qui, pauvre de style et
indigente de composition, n'a aucun intérêt pour l'histoire des
idées. Il en est tout autrement de l'œuvre de Du Périer, où, sous le
déguisement espagnol et chevaleresque du style, on voit percer des
sentiments qui sont bien ceux de la première génération du xvii^ siè-
cle. Pislion est un roman de chevalerie; mais il est passé le temps
où les chevaliers errants parcouraient le monde à la recherche d'in-
justices à réparer, et la jeune captive délivrée et le tyran puni,
reprenaient leurs courses aventureuses. Si Pistion apparaît héroïque,
désintéressé, et, si j'ose dire, traditionnel et un peu niais, Fortunie,
au moins au début, ne peut croire à un désintéressement dont elle
ne connaît nul exemple, et s'attend, dès l'abord, à lui voir réclamer
sa récompense. Passé aussi le temps où les princesses épousaient des
bergers : les alliances politiques ont remplacé les mariages d'amour,
la raison d'État intervient, et les princes se marient par procuration
sans avoir vu leur fiancée. Fortunie a peur de manquer à son rang
en épousant un pauvre gentilhomme; mais elle a peur aussi de
manquer à son devoir, qui est de commander, de régner et de faire
le bonheur de ses sujets. Bien que son cœur l'entraîne vers Pistion,
la princesse ne peut l'aimer sans remords, et ne lui céderait peut-
être jamais si Vénus ne faisait valoir un argument qui emporte tout,
mais qu'on ne s'attendait guère à voir en cette place. Sans doute,
ANTOINE n( pThIEB, SIKl h DE SARLAGLES ^77
ForLunic abandoniio la royauté, d'ailleurs illus(jin\ iln Cluylan,
mais clic va en coïKiucrir une n(»uvelle : n'est-ce donc rien (pie
d'apporter la civilisation à un j)ays encore barbare, el de régner
sur les Canadiens après les avoir transformés par de bonnes lois?
« Quel honneur aurez-vous de changer ces cspines en une fertile
moisson, ces sauvages en courtisans, et ces cffrayans déserts eu
splendides et peuplées villes. » C'est, en effet, la lâche qu'accom-
plira Fortunie aidée de Pistion à la fin du roman; surtout, c'est la
tâche que se promettaient d'accomplir le marquis de la Hoche et
Champlain, dont Vénus ne fait ici qu'exposer le i)rogranime de
colonisation. C'est le même désir de porter au loin la civilisation
que nous trouvons dans une pièce de vers anonyme mise en tête
de l'édition de 1598 des Voyages de Cartier par l'imprimeur qui
publiait au même moment la commission du marcpiis de la Roche :
Allons où le lioulicur et le (iicl nous appellent
Et provignons plus loin une France nouvelle.
Oh ! quels remparts je voy, quelles tours se lever,
Quels fleuves à fons d'or de nouveaux murs laver.
Quels royaumes s'enfler d'honorables concjuêtes,
Quels lauriers ombrager de généreuses testes '.
Ronsard d'abord, puis Montaigne avaient en vain fait entendre
des avertissements découragés et conseillé aux Français de laisser
à leur bonheur les heureuses populations du Nouveau- Monde. La
noblesse inquiète de la fin du xvi^ siècle, (jui déjà ne trouvait [dus
dans les guerres de débouché à son activité débordante et turbu-
lente, commençait à rêver d'aventures et à tourner ses regards vers
les étranges pays. Déjà, La Popelinière écrivait son livre des Trois
Mondes pour engager les Français à imiter les Espagnols, et, comme
le disait le poète, « à provigner plus loin une France nouvelle ».
Henri IV lui-même, après avoir encouragé l'expédition de la
Roche, donne son appui à celle de Razilly qui reprend au Brésil la
tentative de Villegagnon; Champlain et Lescarbot vont bientôt
publier l'un ses Sauvages, l'autre l'IIisloire et les Muses de la Nou-
velle-France^. Si tous les Français ne s'embarquent pas à cette date
pour les « isles », tous semblent au moins aimer à voyager en esprit;
et, comme l'avait dit Baïf,
Sans bouger du coing des tisons,
à lire les relations des voyages lointains. Le roi Henri le Grand fait
1. Discours du voyage /ail par le capilainc Jacques Cartier..., Houeii, Hapliacl du
Petit-Val, 1598.
2. Les Sauvages parurent en 1G03; ïllisloirc de la Nouvelle-France en 1609.
'7
378 UN ROMANCIER BORDELAIS INCONNU
venir à Fontainebleau le voyageur Jean Mocquet et lui demande
la démonstration du procédé qu'emploient les sauvages pour faire du
feu; et, les jours où sa Majesté «prend médecine», c'est encore
Jean Mocquet qui charme les loisirs du roi par le récit de ses aven-
tures. Tout Paris ira voir au couvent des Capucins de la rue Saint-
Honoré les Brésiliens ramenés par Razilly; le vieux Malherbe lui-
même, tout en pestant fort contre les dames de Paris qui se sont
entichées de ces sauvages, et tout en protestant que cela n'a rien de
curieux, cédera à la curiosité générale. Un an à peine avant la publi-
cation de Pistion, un très obscur poète ne craignait pas de placer
sa tragédie d'Adamantine dans « un pais voisin du pôle arctique »,
et nous montrait la rivalité d'amour entre un sauvage, Selpion, et
un cavalier français, Darimant, qui se disputaient la main d'une
beauté indigène ^. A peu près à la même date (1603), des Escuteaux,
dont M. G.Reynier a le premier, je crois, signalé le roman de Clida-
moni et Marilinde^, jetait ses héros sur les côtes d'une île déserte, leur
faisait défricher le sol, semer du blé, transformer la forêt, et creuser
des fontaines, si bien que les pauvres gens qui, d'abord, s'étaient
résignés par force à passer le reste de leurs jours en ce sort misérable
finissent par être consolés « en la délectation que leur offre la beauté
de cette solitude ». Ce ne sont pas les Aventures de Bobînson Crusoé
qui ont introduit chez nous le goût des récits de voyages; il y a
dès le xvi^ siècle dans le public français un véritable amour de
l'exotisme. Bien que ce sentiment ne paraisse guère dans les grandes
œuvres, il continue cependant d'exister en marge de la littérature
pendant tout le xvii^ siècle, et rien ne serait plus facile que d'en
retracer l'histoire à l'aide de romans assez médiocres, mais dont le
succès fut grand, comme le Polexandre, de Gomberville, et surtout
à l'aide des relations des missionnaires, dont quelques-unes, comme
celle de Du Tertre, sont si injustement négligées. On peut hésiter
à reconnaître en Du Périer un ancêtre du roman « psychologique »
et ne point admirer son style, il n'en a pas moins eu le mérite d'être
le premier à voir l'intérêt qu'il y avait à situer hors de France,
dans des contrées récemment découvertes et encore enveloppées
de mystère, la scène d'un roman d'amour. Pour humble et oublié
qu'il soit, et même si on ne le considère que comme un « parent
pauvre », le sieur de Sarlagues, gentilhomme bourdelois, a droit à
une place dans la longue série de nos romanciers exotiques.
Gilbert CHINARD.
1. Histoire du Théâtre Français des frères Parfaict, t. III, p. 565.
îi. Le Boinun sentimental avant l'Antrée, p. 182, note.
NOUVELLES lŒCHERCIIKS
SLR
LES GIRONDINS PKOSCIUTS
PREMIERE PARTIE
DE BREST A LIBOURNE
CHAPITRE II
Au Bec d'Ambès,
24 septembre 1793 (suite). — De nos jours encore, lorsque l'on
descend la Garonne, on remarque sur la rive droite, un peu avant
d'arriver au Bec d'Ambès, tout au bord de l'eau, une grande maison
bourgeoise élevée d'un étage, avec les communs à côté, qui émerge,
entourée de vignes, dans un bouquet de peupliers.
Cette propriété s'appelle Barbc-de-Squire ^ et, en 17'J3, elle appar-
tenait à M'"*^ V^e (le Ségonzac, (jui venait de l'acheter au citoyen
Dupeyrat, le beau-père de Guadet, mais lui en avait laissé l'admi-
nistration 2.
Or, le matin du 24 septembre 1793, « entre six et sept heures », le
jeune tonnelier du citoyen Dupeyrat, Martial Blanc, qui habitait
la maison en compagnie de sa femme, Marguerite Grellet^, vit entrer
un iiomme do taille moyenne, enveloppé dans « une roupe brune,
1. Ed. Guillon, Les châteaux historiques et vinicolcs de la Gironde, t. Il I, p. '27. — Elle
ap|>;utienl actucllempiil à la fainilli- Rivoirt-.
Z. liilt-nogatoire île Ulaiii, loimclier. Aich. île la (iiroiule, L 2.S3r. («Iossmt Graiisrrr,
ji. 1). Celle pallie «le riiiterrogaloiie ii a pas été puliliée par .M. N'alel. Les Diipeyrni
et les de Ségoiizar devaieal éire pan-nU. C'est un de Sf^çoiiz.ir (Cilberf, eiiré de Saint-
Aubin, qui avait béni le mariage d'Élie Guadet avec Marie-Tlu'i èse Dupeyrat.
3. Procès-verbal de dépôt d'une malle laissée par les Girondins. Arch. de la Gironde,
L 2257.
38o NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
une canne-épée à la main ». Il marquait trente-cinq ans environ,
son visage était maigre, il avait le nez relevé et les yeux bleus et
portait « la barbe longue » i.
Cet inconnu parut étonné de se trouver en présence du tonnelier,
et le « regardant fixement » il lui dit : « Je ne le connais pas. — Ni moi,
yous», repartit celui-ci. Alors il se présenta « comme un parent delà
V^e de Ségonzac et parent de très près du citoyen Dupeyrat ». Puis, il
demanda au jeune homme: «Où est Marguerite^? » — L'autre répliqua
qu'elle était allée à Bordeaux pour affaire. L'étranger commanda
alors d'allumer du feu, et tandis que Martial Blanc s'en occupait,
il se nomma ; « Je suis Guadet, gendre du citoyen Dupeyrat ». Il
expliqua ensuite « qu'il avait quitté l'Assemblée (la Convention)
pour prendre l'air et voir ses parents et qu'il avait passé par Brest ».
Puis, marchant vers la porte, il ajouta : « Je vais chercher six autres
de mes amis » ^.
Les Girondins, en efTet, ne débarquèrent pas en face de Barbe-
de-Squire *. Probablement à cause des vases et des roseaux qui bor-
dent les rives et rendent l'atterrissage difficile, ils se firent déposer
à deux cents mètres environ plus haut, vers Bordeaux, devant l'au-
berge de la citoyenne Rivière ^
Avant de quitter le canot, ils remirent au capitaine Granger une
somme de deux mille livres pour payer ses services; ils avaient
l'intention d'y ajouter mille écus qu'ils pensaient trouver à em-
prunter aisément auprès de leurs amis ^. Ils lui donnèrent donc
rendez-vous pour le lendemain soir, à Bordeaux, chez Dupeyrat,
(jui habitait rue Rohan, 5, et Guadet le chargea d'aller, à cette
adresse, prévenir au plus tôt son beau-père de son arrivée '.
Sitôt débarqués, les proscrits se mirent en quête de nouvelles.
Étant entrés dans l'auberge, ils questionnèrent l'hôtesse, et Guadet,
« avec sa confiance ordinaire », poussa la témérité jusqu'à dire son
1. Passeport délivré à Guadet par la municipalité de Falaise. Arcli. de la Gironde,
L 2858, reproduit par M. A'atel, Ch. de Cordaij et les Girondins, 183. — Interrogatoire
de Blanc. — .1. Guadet, Saint-Einilion, p. 155.
2. Il y a tout lieu de croire que Marguerite Grellet s'était mariée pendant l'absence
de Guadet.
3. Ce dialogue est ainsi rapporté dans l'interrogatoire de Blanc.
4. C'est tout au moins ce qui résulte des interrogatoires du capitaine Granger et du
tonnelier Blanc. Ce dernier déclare : « Les passagers firent leur première arrivée chez
la citoyenne Rivière, i Le récit de Louvet fait cependant supposer que c'est parce que
les proscrits trouvèrent la maison fermée «[u'ils allèrent à l'auberge, et " les clefs étant
arrivées », ils se rendirent à Barbe-de-Squire {Mémoires, I, 199). Or, Blanc dit formel-
lement que la maison était habitée (interrogatoire, Arch. de la Gironde, L 2835).
5. Vraisemblablement, le débarquement, se flt au lieu dit Saini-Vincent, où se trouve
encore de nos jours une auberge.
6. Louvet, Mémoires, I, 198.
7. Interrogatoire de Dupeyrat. Arch. de la Gironde, L 2835 (dossier Granger, p. 7).
NOUVELLES RECHEnCIIES SUR LES GIRODINS PnOSrRtTS ^^8 1
nom. C'était une grave imprudence dont il devait se repentir bientôt,
(le que les Girondins a]»piin'nL là les surprit énoriiK-iuful. : A iJor-
deaux (leur dit-on), les Maralisles venaient de l'emporter, la nuini-
cipalité et le département étaient en fuit»-; les représentants du
peuple y entraient en force ». Guadet afïirma que ce n'était pas
possible^. Et laissant ses compagnons discuter la nouvelle, il se
dirigea vers l'ancienne propriété de son beau-père aliu d'annoncer
son arrivée.
Nous avons vu comment il fut reçu...
Lorsque les fugitifs parvinrent tous à Barbe-de-Squire, le feu
était préparé dans la grande salle, mais ils ne s'arrêtèrent pas.
Après l'immobilité d'une longue traversée, il leur tardait de se dégour
dir un peu les jambes, aussi demandèrent-ils à Blanc de leur donner
du pain, et « ils furent se promener tous ensembh' à la vigne » et
manger des raisins ~.
Il n'entrait pas tout d'ubuid dans les plans des Girondins
de s'arrêter longtemps à Ambès^, Us avaient hâte, en effet, de se
rendre à Bordeaux pour revoir leurs amis et préparer avec eux la
vengeance qu'ils méditaient depuis longtemps. Mais les nouvelles
apprises à l'auberge vinrent modifier leurs projets. « Quoi qu'il
pût être de ces bruits, nous pensâmes, dit Louvet, qu'il ne convenait
pas de nous enfourner tous dans cette ville avant de les avoir véri-
fiés. »
Guadet, qui connaissait parfaitement le pays pour l'avoir habité
au momont de son mariage*, offrit de se rendre à Bordeaux pour se
renseigner et demanda à Petion de l'accompagnera Tous deux
partirent à pied, vers les trois heures de l'après-midi ; et en s'en
allant, Guadet recommanda au tonnelier Blanc « de prendre soin
de ces messieurs, que c'étaient des capitaines » *.
A la nuit, ils pénétrèrent en ville, très probablemiMd. par les Char-
trons, après avoir passé la rivière au passage de Lormonf , bien
moins surveillé et plui» solitaire que celui de La Bastide ".
Chez qui Guadet et son compagnon se rendirenf-ils? Notis ne le
1. Louvet, Mimoires, I, l'J'.).
2. Interroiialoire île Bltinc. Arrh. de la Ciiroii'l»', L '2S35.
3. « Le capitaine se rendait à Bordeaux:.... il ne nous précéderai! apporcmmcnt que
de vingt-quatre heures. ■ Louvet, Minwires, I, 198.
4. C'est en effet à Saint-.Jar(iues-d'An»l)è.s (lu'I^lie Guadet, bnrhclier en droit, épous.i
Marii-Tliérèse Dupeyrat, le 20 décembre 1781. — L'acte a été transcrit par M. Dasl de
ilois\ ille dans le \ol. XXXI des Arcliiucs historiques de la Cirvride, p. 109.
5. Louvet, Mcinoirfs, I, 200.
6. Interros,'al. de lîlanc. Arcli. de la Gironde, L 2S35.
7. H y a entre Ambés et Bordeaux \iiiirt-lHjit kilomètres. C'est probablement entre
sept et huit heures que Guadet et sou compagnon par\ inrent à llurdi-auv.
382 NOUVELLES RECHERCHES SI R LES GIRONDINS PROSCRITS
savons. Dans tous les cas, ils restèrent très peu de temps à Bordeaux,
une heure tout au plus i, et n'allèrent pas chez Dupeyrat^.
Ce peu de temps suffît d'ailleurs pour leur confirmer l'exactitude
des propos de l'aubergiste d'Ambès...
Qu'elle semblait maintenant lointaine cette époque, où Bordeaux
s'était soulevé, plein d'enthousiasme, à l'appel de Vergniaud ! Le
4 mai 1793, dans une lettre écrite i( sous le couteau ^)^, le tribun
annonçait que la fureur des ennemis du parti girondin s'accroissait
de jour en jour; « les proscriptions et l'assassinat circulent contre
nous, disait-il, et on s'apprête d'aller à la barre nationale demander
nos têtes; quel est donc notre crime? c'est d'avoir fait entendre la
voix de l'humanité au milieu des horreurs qui nous ont si souvent
environnés ; c'est d'avoir voulu conserver vos propriétés et vous
garantir de la tyrannie de Marat ou des hommes dont il n'est que le
mannequin. » Et il reprochait à ses commettants de se désintéresser
des affaires publiques ; il les suppliait de lui adresser quelqu'encourage-
ment. « Nous ne craignons pas la mort, concluait-il, mais il est cruel,
alors que l'on se sacrifie, de ne pas emporter au tombeau la certitude
qu'on laisse au moins quelques regrets, à ceux pour lesquels on
s'immole. »
Cet appel douloureux avait eu un grand retentissement dans toute
la contrée, d'autant plus qu'il se produisait à une époque de malaise.
La ville de Bordeaux, si prospère à la fin de l'Ancien Régime, qui,
au début, s'était montrée favorable à la Révolution, avait vu soudain
sa fortune se tarir, les troubles de Saint-Domingue avaient ruiné
ses rentiers, la guerre avait vidé son port et anéanti son négoce;
la disparition du numéraire, les mauvaises récoltes avaient arrêté
les transactions. On était mécontent, et on fut heureux de trouver
une occasion de le manifester^.
Les 28 sections de Bordeaux répondirent à la lettre de Vergniaud
par une adresse à la Convention, pleine de menaces; on y lisait
1. Louvet nous apprend, en effet, que c'est vers neuf heures du soir qu'ils quittèrent
la ville.
2. Interrogat. de Blanc et Dupeyrat. Arch. de la Gironde, L 2835.
3. V. cette lettre dans Vatel, Vergniaud, II, 151. M. N'atel dit que l'original se trou-
vait aux Archives municipales de Bordeaux, mais qu'il était égaré au moment où il
écrivait son livre (1871). Il n'a pas été retrouvé depuis. Il eût été intéressant de voir
si l'expression «sous le couteau » était sur l'original à côté de la date. M. Vatel prétend
qu'elle aurait été ajoutée par le Club des Amis de la Liberté, qui fit imprimer la lettre.
4. Dans son beau travail sur le Pain à Bordeaux, M. J. Benzacar a écrit (p. 45) :
« Nous n'avons certes pas... à rechercher les origines de l'insurrection... dont Bordeaux
fut accusé d'être l'instigateur. Mais il nous paraît que visiblement les causes écono-
miques dominaient de beaucoup les causes politiques, »
NOUVELLES nRCIIEHCIIES SUR LES GmoM>IN< PlloSCUl I S !i83
notamment ceci : « Oui, nous organisons sur le chainp notre
garde nationale, nous nous élançons sur Paris, si un décret vengeur
ne nous arrête, et nous jurons de sauvtT nos frér<;s ou de ftérir sur
leur tombeau ! ^ »
Survinrent les évéuiunculs {\r juin, (jui luirinL le cunible à Irxas-
pération populaire. On voulut passer des paroles aux actes.
Le Conseil général du département, investi par les sections di- la
pléniiude du pouvoir, convoqua une assemblée de délégués de tf»us
les corps constitués de la Gironde qui, 1»' 'J juin 17U3, s'érigeait en
Commission populaire de Salul Public-. Pres(jU(' toute les muiM<i-
palités du département donnèrent leur adhésion avec empresse-
ment ^
Cette Commission organisa une véritable insurrection, non certes,
contre la Convention elle-même, mais « contre les scélérats (pii
l'oppriment»; et cela, en vertu du principe de la résistance à l'op-
pression *. Elle refusa de reconnaître et de publier les décrets de la
Convention qui lui paraissaient contraires à ses idées ^ Elle décida
de créer une force départementale, qui devait marcher sur Paris
et délivrer l'Assemblée ^; elle écrivit aux armées pour s'assurer leur
concours, ou tout au moins une neutralité bienveillante ". Elle
envoya des commissaires par toute la France pour obtenir l'adhé-
sion des départements et des secours en hommes et en argent. Près
de 60 départements répondirent, paraît-il, à cet appel ^.
Mais tout cet enthousiasme devait se calmer très vile et ce sou-
lèvement avorta misérablement. Les chefs ne furent point à la
hauteur des circonstances. Certes, le premier président de la Com-
1. Bernadau, Hisloire de Bordeaux, p. 431.
2. Sur cette Commission, voir \i\ ie, lu Tirrciir à Bordeaux, 1, 213 et suiv. C'est de
celte Commission [lopulaire de la (iironde qu'il s'assit dans rintt'rro>;atolrc île (luadet
(30 i)rairial an II), et non pas de la Cuntmissiori de Caen, comme l'écrit M. Viitel, Char-
lotie de Cordai! e/ les Girondins, 170, n* 2.
3. V. nombreuses délibérations. Arch. de la Gironde, L 21.")'2.
4. Dans une proclamation de la liommission popul.-iire, adressée aux linbiLunt^ des
cam[)aj;nes, on trouve cette phrase : « L'insurrection dans le lant;a(;e des l>rit;.'indi
(des Nendéens) veut dire meurtre cl pillage ; dans la bouche des \rais répiiblic.iins, il
signifie seulement résistance à rofpprcssion. » Cette pièce, encore inédite, est très curieuse
au point de \ue de l'état d'esprit des ISordelais à cette épocpie. Il y est question de
« la Montagne se disant sainte ■•; et .Marat est «pialillé de ■ monstre iloiil l'flme atroce
se délecte à la seule idée du sang et du carnage ■.Arch. de la (iironde, L 2li>'.>, t" 33 et suiv.
5. Arch. de la Gironde, L 21t>9, t" 79.
(5. Id., f» 10 et suiv.
7. V. Proclamation aux armées. Vivie, ta Terreur à Bordeaux, I, 235. Lettre de
Grangeneuve au général Custine, id., I, 202, et au général llouchard, id., I, 274 et
Arcli. de la Gironde, L. 2lG'.t, f 11.
S. Vi\ ie, la Terreur à Bordeaux, 1, 230. Sur la firoposilioii du département «le la CMo-
d'Or, il fut question de réunir à lîourges, le 10 juillet ll'J'J, une assemblée de commis-
saires de tous les départements en insurrection. .\rch. de la (.iironde, L 2169, !• 27 et suiv.
384 NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
mission populaire, Pierre Sers i, et ses collègues firent preuve de
beaucoup d'énergie et d'activité, mais c'étaient beaucoup plus des
discoureurs que des entraîneurs d'hommes. Il faut lire les procès-
verbaux des séances de la Commission pour se rendre compte du
temps que l'on perdit en bavardages et en réceptions de députa-
tions 2.
La force armée, qui devait marcher sur Paris, ne put être rassem-
blée^; les emprunts décrétés, ne rentrèrent pas; la ville manqua de
pain et la peur fit le reste 4.
Devant l'indifférence des uns et l'abattement des autres, la
Commission populaire de Salut Public de la Gironde s'était vue
dans l'obligation de se dissoudre. Elle le fit le 2 août 1793 ^ Quatre
jours plus tard, la Convention décrétait « que tous ceux qui ont pro-
voqué, concouru ou adhéré » aux actes de la Commission populaire
étaient déclarés traîtres à la patrie et mis hors la loi ^ Chacun ne
pensa plus alors qu'à sauver sa tête.
Cependant, les partisans des Girondins manifestèrent encore
violemment leurs sentiments, lorsque, le 19 août, les représentants
Ysabeau et Baudot, envoyés par la Convention « pour mettre au
pas les Bordelais «, arrivèrent dans la ville. Sous les menaces et les
huées, les députés furent obligés aussitôt de s'éloigner et se fixèrent
à La Réole '.
De là, ils affamèrent Bordeaux en empêchant les départements
voisins de lui envoyer des subsistances ^, et, grâce aux intelligences
1. Sers (Jean-Pierre), né à Montiedon (Tarn), pasteur protestant, négociant, arma-
teur, député de la Gironde à la Législative, président du Directoire du département de
la Gironde en juillet 1793; mis hors la loi parle décret du 6 août 1793; membre du Sénat
conservateur (an VIII); commandeur de la Légion d'honneur (1804); fait comte par
Napoléon, le 1" mars 1808, mort à Montredon le 16 septembre 1809. — Renseignements
dus à l'obligeance de M. Rousselot, sous-archiviste de la ville de Bordeaux.
2. Registre des procés-verbaux. Arch. de la Gironde, L 2169. Les notes de séance
se trouvent dans la collection Vivie, t. VI, VII et VIII, aux Arch. mun. de Bordeaux.
3. Sur 1,200 hommes demandés, on put péniblement en réunir 400, qui furent envoyés
à Langon en juillet 1793. Vivie, La Terreur à Bordeaux, I, p. 241, 271, 275, 279.
4. Le 18 août 1793 le délégué des Représentants leur écrit: «Jamais ville ne se
trouva dans une situation plus affligeante; les denrées y sont portées à un prix excessif;
les portes des boulangers y sont constamment assiégées; encore une grande partie des
citoyens est-elle privée de pain. La terreur et l'effroi sont peints sur toutes les figures.
Le désespoir ne tardera pas de suivre toutes ces calamités. » Arch. de la Gironde, L 473.
5. Vivie, La Terreur à Bordeaux, I, 281.
6. Décret du 6 août 1793.
7. V. Yzabeau, Rapport de ce qui s'est passé à Bordeaux à l'arrivée et pendant le séjour
des Représentans du peuple Baudot et Yzabeau. Extrait du Journal du C. Yzabeau, Des-
champs, impr., Bordeaux, 15 p; et Baudot, Rapport de ce qui s'est passé à Bordeaux
pendant le séjour des Représentans du peuple Baudot et Ysabeau, rédigé par Baudot,
extrait du Journal de son voyage, s. i., 23 p.
8. ■" On ne refuse pas de grains à Bordeaux fidèle à la République, mais à Bordeaux
en état de rébellion. » Lettre de Roux-Fazillac, 16 sept. 1793. — Aulard, Recueil des
Actes du Comité de Salut public, VI, 528.
NorvEi.r.Es iirnirncnES si n \.\< (.hkimuns i-uo-ciuis 385
qu'ils avaient dans la place, ils j)rcparèr(*nt k-ur retour". I.;i jeu-
nesse bordelaise essaya bien de lutter contre leur iniluence, mais,
désavouée par les autorités, elle vit bientôt l'opinion se retourner en
faveur de la Montagne -.
Le 18 septembre 1793, six jours juste avant le débarquement de
Guadet et de ses compagnons à Ambès, des commissaires nommés
par les 28 sections se rendirent à l'Hôlcl de Ville, déclarèrent à la
municipalité en séance qu'elle n'avait plus la fonfiance du peujde,
et sur le champ, formèrent un Conseil général provisoire de la ('oni-
niune ^
Et c'est ainsi que Bordeaux élait passé aux mains dos terroristes...
Guadet et Petion apprirent toutes ces choses, et ce fut pour eux
une déception bien cruelle. Ils virent ainsi, en un instant, s'évanouir
toutes leurs espérances. Non seulement Bordeaux ne pouvait plus
les aider à résister à la Convention, mais elle était dans l'impossibilité
même de leur offrir un asile assuré. La terreur était telle, à ce moment-
là, qu'à neuf heures du soir, les deux proscrits ne purent pas trouver
un gîte, et c'est à grand peine qu'un de leurs amis consentit à mar-
cher devant eux pour les guider dans les ténèbres, jusqu'à ce qu'ils
fussent hors de la ville *.
25 septembre 1793. — L'ancien maire de Paris et son compagnon
durent donc passer la iiuil il.nis (pichpn^ cdin «lu Ilaut-Médoc, et
c'est seulement le lendemain, vers les deux heures de l'après-midi,
qu'ils reparurent à Barbe-de-Squirc », « trop heureux d'avoir pu
entrer(dans Bordeaux) sans être vus, et d'eu être sortis sans avoir
été arrêtés » ^
Ils racontèrent à leurs amis ce qu'ils avaient appris, c'est-à-dire
que « tout ce qu'on leur avait dit était vrai ».
Louvet nous a conservé dans ses Mémoires "' des échos de ce récit,
où les derniers incidents de la lutte entre les .Maratistes et les fédé-
ralistes bordelais, tiennent la première place: «Là comme ailleurs,
les honnêtes gens périssaient par leur faiblesse. Il n'y avait pas
cinq jours que la bonne et brave jeunesse de Bordeaux, assemblée
1. Sur les rapports des Représentants avec leurs émissaires, voir Arcli. <le la Cirondp,
L 473.
•2. Vivie, La Terreur à Bordeaux, I, 292 et suiv.
3. M, I, 353.
4. Louvet, Mémoires, I, 201.
5. Interrogatoire de Blanc. Arcli. de la Ciironde, L. 2^35.
(>. Louvet, Mémoires, I, 200.
7. Id.
38G NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
en armes, avait été demander au Département la permission de
désarmer la section Franklin, où les brigands tenaient leur place
d'armes i. Au lieu de profiter de ce mouvement, les administrateurs
avaient répondu qu'il fallait attendre, patienter, n'employer que la
douceur, etc.; et le lendemain, la section Franklin avait culbuté
Bordeaux 2. Au reste, les administrateurs y avaient fait fautes sur
fautes. Ils avaient pu souiïrir tranquillement, au jour de leur toute
puissance^, que les commissaires montagnards, postés à dix lieues
de là *, s'emparassent, par quatre ou cinq hommes, porteurs d'un
arrêté, du Château-Trompette et de tout ce qu'il contenait de pro-
visions de guerre et de bouche. De même, ils les avaient vus tran-
quillement prendre possession du fort de Blaye, d'où les Monta-
gnards avaient, sans éprouver la moindre résistance, éconduit deux
bataillons bordelais auxquels ils avaient substitué deux bataillons
révolidionnaires, ce qui est tout dire ^. Avec tant de mollesse, il
fallait nécessairement succomber. »
Les paroles que les Girondins échangèrent à ce moment-là durent
être poignantes. Ce n'étaient pas seulement leurs espérances qui
sombraient, c'étaient leurs existences qui étaient de nouveau
menacées. Il fallait encore songer à leur sûreté personnelle ^, recom-
mencer peut-être leur vie errante de bêtes traquées.
A ce dernier point de vue, Guadet, cependant, ne perdait pas tout
espoir. Il y avait, à quelques lieues d'Ambès, une petite ville, où
habitait son père ainsi que « quelques parents, plusieurs amis, de
ces amis d'enfance, dont on se croit sûr, tant que nos adversités ne
les ont point éprouvés » '. C'était Saint-Émilion, son pays natal.
1. Cette section comprenait la partie du faubourg Saint-Seurin comprise entre les
rues actuelles Foniiaudège, Croix-de-Seguey, Mondenard, Duranteau, Saint-Fort et
Huguerie. Elle était habitée par une population très turbulente composée d'ouvriers
et de maraîchers. Le 11 septembre 1793, les membres de cette section, sous prétexte
de tirer des salves d'artillerie pour célébrer la fête de Marat, envaiiirent le Château-
Trompette et s'emparèrent de quelques pièces de canon, qu'ils traînèrent au Grand
Séminaire (aujourd'hui l'Hôtel des Postes, rue du Palais-Gallien), où ils se réunissaient.
Ils s'y retranchèrent et dictèrent, de là, des ordres aux autorités constituées. O. Reilly,
Histoire de Bordeaux, 2^ partie, t. 1, 334.
2. Ce ne sont point les administrateurs du département qui empêchèrent les jeunes
gens d'attaquer la section Franklin, mais la municipalité de Bordeaux. O. Reilly, His-
toire de Bordeaux, 2'= partie, t. 1, 356.
3. Louvet ne se rend pas compte que, depuis la dissolution de la Commission popu-
laire, les administrateurs étaient sous le coup du décret du 6 août et n'avaient plus
aucun pouvoir effectif.
4. Les Représentants Ysabeau et Baudot, en séance à La Réole, auxquels était venu
se joindre Tallien.
5. Sur les moyens employés par les Représentants pour s'assurer du Château-Trom-
pette et de la citadelle de Blaye, voir lettres de Duvernay, délégué des Représentants,
et de ^'oidet, commissaire des guerres. Arch. de la Gironde, L 473,
6. Louvet, Mémoires, I, 201.
7. Id.,
NOUVELLES RECHERCHES SIR LES r.IROJtOIMS PROSCRITS 387
Guadet afTinnait quo Ti-fat (rcsiuil ih-s habitants était oxcollt'iil.
N'avaient-ils point été ilrs pit'niicrs à répondre ;'i l'appel dt* la (!oni-
mission popnlaire, accompagnant Irm- adhésion d.- coFisidérations
énergiques?
On y lisait ceci notamment « ...que, jtour subjuguer à leurs [irojets
liberticides les représentants du peuple », une farlinn dangereuse
avait pris «tous les moyens d'écarter du sein de l'Assemblée conven-
tionnellr un grand nombre de ses membres les plus courageux et
les plus zélés défenseurs de la constitution républicaine, et les
mettre en arrestation par un décret qu'elle a extorqué à force do
tumulte et de clameurs au milieu de l'Assemblé-e... Oue les ilesseins
de cette faction perfide ne tendent à rien moins (pi'à rétablir le gou-
vernement tiranique de la Royauté, sous la dénomination d'un
dictateur 1, tandis que toute la Nation ne veut plus jamais recon-
naître aucune autre autorité que celle de la puissance suprême qui
réside en elle seule » 2. Et encore plus -récemment, lorsqu'il s'était
agi d'accepter la Constitution, l'Assemblée primaire du canton de
Saint-Émilion avait cru devoir réclamer des mesures « pour que la
volonté du peuple ne soit ni méconnue ni éludée » ^.
Il fut alors convenu que Guadet irait seul tout d'abord à Saint-
Émilion: qu'il y chercherait un gîte pour cliamn. d ipic, li>r>qur
tout serait prêt, il enverrait prendre ses amis qui sy rendraient, à
leur tour, le plus secrètement possible*...
Le même jour, un peu avant dix heures du soir, tous les proscrits
étant couchés, sauf un — probablement Guadet, — le capitaine
Granger se présenta à la maison d'Ambès *. Il arrivait de Bordeaux,
et n'ayant pas trouvé ses passagers nu rendez-vous qu'ils hii avaient
fixé la veille chez Dupeyrat, rue Rohan, il venait voir ce qui était
advenu. Il dut raconter au Girondin l'accueil que lui avait fait Du-
peyrat. Celui-ci avait pnni très surpris de la venue de son gendre
et il lui faisait flire de ri'>l('r l<^ moins possibh* à IJarbi>-de-S(piire «.
1. «Séance du 9 juin 1793 Le C. Drouot, arrivé de Paris aujourd'hui, fait un
laiiport des faits dont il a été témoin les 2, 3 et 4 au matin... U dit avoir entendu Marat
proposer à la triliune un dictateur dans la personne de Danton, et un {sic) Hentalmle
le repousser a\ec indiL'ii.'ition. » Commission populaire. Ari'li. <le la <;inuide. L '2lti',»,
f» 7. — Imprimée et répamlue dans les ••jimpaçnes, cette nouvelle avait produit une cer-
taine émotion.
2. Prorés-verbal de l'assemblée extraordinaire du Conseil général de In commune de
Saint-Kmilion, auquel s'étaient joints des commissaires des communes du mnlon.
18 juin 1793. .Vrcli. de la Cironde, L •2M)9 bis.
3. 21 juillet 1793. Arcli. de la Gironde, L 2ltJ9 bis. — .Sur m; votant<. il y eut lOG
voix pour l'acceptation de la Constitution et une contre.
4. Louvet, Mémoires, I, 201.
.'». Interrogat. de Granuer, par P. Pas<|uet. .\rcli. de la Gironde, I, ÎS.I.").
0. Interrogat. de Dupeyrat. .Vrcli. de la (iiroiide, I, 2^3.').
388 NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
Le capitaine porta- t-il de l'argent à Guadet de la part de son
beau-père? C'est très probable, bien que Dupeyrat, dans un inter-
rogatoire, ait nié lui en avoir envoyé. Mais Louvet nous dit, qu'en
débarquant à Ambès, la bourse des fugitifs était presque vide^,
et à dix heures du soir, ce jour-là, au moment où Oranger se retirait,
et en sa présence, nous voyons un des Girondins payer à l'aubergiste,
la citoyenne Rivière, « la somme de 246 livres pour dépenses qu'ils
avaient fait chez elle » 2.
26 Septembre 1793. — Le lendemain matin, « à la pointe du
jour », Guadet fit appeler, dans sa chambre, Martial Blanc et lui
dit de lui procurer un bateau, pour se rendre à Libourne...
Il devait être à peu près, six heures et demie, lorsque Guadet
quitta Barbe-de-Squire, accompagné du tonnelier. Ils se rendirent
tous deux au bourg de Notre-Darne-d' Ambès ^, situé à une lieue de
là, sur les bords de la Dordogne, où le gabarier Jacques Grèze les
attendait avec la barque de la veuve Rivanceau *.
Le conventionnel n'emportait aucun paquet ; il n'avait pour
arme qu'une canne épée et des pistolets, et ne portait pas de sabre.
En «'embarquant, il dit à Blanc qu'il reviendrait le surlendemain
samedi ^.
Le voyage se fit sans incident. Favorisée par la marée, l'embar-
cation arriva un peu avant midi à Libourne ^. En sautant à terre,
Guadet annonça qu'il se rendait à Saint-Émilion, et le batelier lui
vit prendre la grande rue de la ville '...
Pendant ce temps, Petion, Buzot et les autres Girondins, se tenaient
enfermés dans la maison de la veuve Ségonzac.On les avait, en effet,
prévenus que «le bruit sourd» de leur présence courait déjà dans le
1. Louvet, Mémoires, I, 198.
2. InteiTogat. de Granger, par P. Pasquet. Arch. de la Gironde, L 2833.
3. C'est le bourg actuel d'Ambès. — Blanc indique comme lieu d'embarquement :
« La Chapelle. » C'est en effet ainsi que, sur certaines cartes du xviii'-' siècle, on désigne
le village de N.-D. d'Ambès (sur la Dordogne), pour le distinguer de l'ancienne paroisse
de Saint-Jacques d'Ambès (sur la Garonne), dont dépendait Barbe-de-Squire.
4. Interrogat. de Blanc et procès-verbal de transport à Ambès. Arch. de la Gironde,
L 2835 (dossier Granger, n° 4). Dans son interrogatoire, le batelier déclare s'appeler
« Jacques Grèze, âgé de vingt-deux ans, habitant le Bec d'Embez et que sa profession
est celle de gabarrier. » Sur le procès-verbal de transport à Ambès, on le nomme « Jean,
dit Cammis ".
5. Interrogat. de Blanc. Arch. de la Gironde, L 2835.
6. Dans son interrogatoire, le batelier dit que Guadet parvint à Libourne « vers les
midi >■. Il est probable que c'est plus tôt, vers les onze heures du matin, car à midi, il est
chez son père à Saint-Emilion. Déposition d'Isabeau Bernatau, domestique de Guadet
père. Arch. de la Gironde, L 2869 (dossier Nau, p. 3).
7. Interrogat. de Grèze, batelier. Arch. de la Gironde, L 2835 (dossier Granger, n» 6).
M. Va tel a fait, de cette pièce, une publication fautive et incomplète. [Charlotte de Cordaij
et les Cirondins, p. 214.)
.NOLVEM.ES UECIIKUCIIES .SI II LES MluiMUNS l'IUtSCHITS SSq
pays ^ Aussi recommandèrenl-ils ;iii>c doincbliques de dire qu'ils
s'étaient rembarques et ils Liissèn-nt les volets clos*. La consigne
lut parfaitement observée, si bien que lorsf|uc le capitaine GraJi-' i
vint, accompagné de deux matelots, j)orler la niallc et les lr<>i>
portemanteaux qu'il avait gardés à son bnrd, il ne vil poini les fugitifs
et laissa les objets entre les mains du Itumelier, en présence de
Marguerite et d'un petit garçon, qui était aussi employé dans la
maison ^.
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Et de même, lorsque « l'aubergiste voisin » s'empiit curieuse-
ment de ce qu'ils étaient devenus, les dumestiqut's lui réi>ondirent
aussi, que « les particuliers » s'étaient rembarques au milieu de la
nuit ])our descendre la rivière"'.
1. D;ins soi> iiiterrogaloirc, Grèze dil, i-n effet, qu'il éloil à UokUmux lorsiiiio les
Giioiulins arrivèrent, «mais qu'à sou retour, il ^ul qu'il y Jvail rccllciucnt quelques
partifuliers dans la dite Ma'son».
■2. Louvet, Mémoires, I, 20i.
3. Iritcrroirat. de Granfjer et déposition de l'équipacc. Arcli. do In Gironde, L 2835.
•1. \.ou\ei, Mémoires, I, 201, et lettre de Duvcrnny citée plu» linut
SgO NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDOS PROSCRITS
Cette précaution devait sauver la vie aux Girondins.
Il y avait, en effet, à l'auberge, «un mauvais sujet,... un maratiste ».
C'était probablement le mari i de cette citoyenne Rousseau que tous
les documents d'archives nous désignent comme tenant le cabaret
de Saint-Jacques-d'Ambès.
Les conventionnels ne s'étaient pas assez méfiés de lui.
Dans la matinée même du départ de Guadet, cet homme se rendit
à Bordeaux et se présenta chez le délégué officiel des Représentants
du peuple. Ce délégué était Jacques Duvernay, ancien artiste peintre
« fort clabaudeur » 2, devenu par l'intrigue, « Inspecteur de la défense
générale des côtes », en attendant d'être nommé, par Ysabeau,
adjudant général 3. Un document officiel le signalera, en l'an III,
comme « un de ceux qui ont causé le plus de malheur à Bordeaux » ^ ;
et il est certain que c'est lui qui fut le premier organisateur de la
terreur dans cette ville ^. Aux questions qui lui furent posées,
le dénonciateur expliqua que les « contre-révolutionnaires » étaient
arrivés par mer et que le bateau qui les portait était encore à Pauillac,
qu'on disait qu'ils s'y étaient rembarques. Sur l'identité de « ces
particuliers », il fournit des renseignements assez vagues. Sauf
Guadet, qu'il avait entendu se nommer dans l'auberge, il ne connais-
sait pas les six autres; entre eux, ils s'appelaient simplement « ami » ^
Invité à les décrire, dans l'homme à cheveux blancs, joli de figure
et air riant, Duvernay reconnut de suite Petion; l'autre à la tournure
élégante, à la figure noble, dont les vêtements paraissaient moins
fripés, c'était sûrement Buzot; un troisième avait « la taille haute
et les cheveux blonds », et le délégué, aussitôt, identifia, sur
cette simple indication, Y ami de Valady avec le général fédéra-
liste Wimpfen ', qui avait organisé le soulèvement de la Normandie,
1. Louvet dit > le maître de l'auberge ». — Le 20 octobre 1793, lorsque David, com-
missaire du Comité de surveillance de Bordeaux, vint à Ambès pour prendre divers
objets laissés par les Girondins, c'est le c. Rivière qui lui servit de secrétaire. Arch. de
la Gironde, L 2257.
2. Bernadau, Tablettes manuscrites — VI, 503 Bibl. mun.'de Bordeaux. 11 avait tra-
vaillé à la décoration du Grand-Théâtre. Laboubée, Notes biographiques, \'II, 314.
3. Arrêté d'Ysabeau, premier jour des sans-culotlides de Tan II, nommant Duvernay
au commandement de la place de Bordeaux, en remplacement du général Béguinot.
G. Ducaunnès-Duval, Inventaire sommaire des Archives municipales de Bordeaux,
Période révolutionnaire. II. 96.
4. Tableau des hommes connus dans les Sections de Bordeaux comme aijanl participé
aux horreurs commises sous la tyrannie qui a précédé le neuf thermidor; {dressé) en exé-
cution du décret du 21 germinal an III. Arch. de la Gironde, L 2193, et Arch. mun. de
Bordeaux, reg. 114, 1° 44, publié par M. D.-Duval dans son Inventaire, II, p. 125 et suiv.
5. Voir sa correspondance avec les Représentants en séance à La Réole, août-sep-
tembre 1793. Arch. de la Gironde, L 473.
C. Interrogat. de Blanc. Arch. de la Gironde, L 2S35.
7. Louvet, Mémoires, I, 202. Wimpfen (Louis-Félix baron de), né à Minfeld (Alsace)
NOUVELLES RECHERCHES SI II LES (.lnr«M)I\S l'IKtx.UIIS 3i) I
cL dont on voyait, encore le nom s'étaler sur les murs de Bordeaux,
au bas d'une proclamation insolente ^
Muni de ces indications, Duvernay, sans perdre d<' temps, se
rendit auprès de la munici])alité provisoire de Bordeaux vl lui
demanda de désigner un de ses membres, pour remplir une mission
de confiance et arrêter des contre-révolutionnaires qui se cachaient
à Ambès. Le corps municipal nomme aussitôt « le bans-culottc
Morel » 2, C'était un pauvre ouvrier doreur sur bois ^ cpii devait,
par là suite, très rapidement, amasser une petite fortun»; comme
vice-président de la Commission militaire*. Le délégué des Repré-
sentants lui adjoignit un ancien ouvrier typographe, Pierre Charles,
dont il avait apprécié le zèle dans la pacificaliun de Bordeaux, et
en qui il avait toute confiance 5. Il leur remit une ré(iuisition afin
de pouvoir obtenir des municipalités la force armée qui Itur »cr;iit
nécessaire, et 3.000 livres pour payer leurs dépenses. Et les commis-
saires partirent aussitôt pour Ambès conduits par le maître de
l'auberge.
Duvernay prévint en même temps les Représentants, qui étaient
toujours à La Réolc, par la -note suivante^: «...Ce matin j'ai eu
l'indice que sept des principaux contre-révolutionnaires, à la tête
desquels étaient Guadet, Winfem, Douziés ' et autres, avaient cou-
le 5 novembre 1744; maréchal de camp des armées du roi, défiuté de la noblesse du
baillage de Caen, gouverneur de Thion\ille (179'2), çénéral de l'armée fédéraliste de
Normandie. Ne mit jamais les f)ieds en Gironde. V. inlerrot^at. de Guadet Sainl-Urice,
frère du Girondin, .\reli. de la Gironde, L "ibSOy, p. 2. Du '22 juillet 1703 au '.t thermidor,
resta caché à Hayeux (N'atel, Charlulle de ConUvj cl les Oirundins, 171, n.). Inspecteur
des haras sous l'Emi^ire, mort à Hayeux le 23 fé\ricr lyl4.
1. « Félix Wimplien aux lions Citoyens de l'aris. Salul... » bordeaux, riiez ,\. Le\ icux,
imprimeur de la Commission, rue Monbazon, n" 2. Arch. de la (lironde, L. 1102.
2. Lettre de Duvernay. .Vrch. de la (iironde, L 473 et Di-libération du ilistrict de
Bourg, 28 septembre 1703. Arrh. de la Gironde, L 1538. — Les procés-verbaux de la
municipalité de llordeaux pour cette période, n'existent plus. — Voir à ce sujet la note
de <iravc, archiviste, à la lin du reg. 97 (Arch. mun. de Uordeaux) et Introduction de M.
G. Ducaunnés-Duval au t. II de l Inventaire sommaire des Arcltii'cs municipales de Bor-
deaux. Pijriode révolnlionnairc.
3. Il ne faut pas le confondre avec Michel .Morel, juge de paix à Saint-Kmilion, dont
Guadet parle dans son interrogatoire.
4. En thermidor an II, il fut accusé, par le c. Iley, d'avoir \oulu acheter une mnison
à Saint-Seurin, 3U.U00 livres. Arch. de la Gironde, L 2211.
5. Voici le signalement de ce terroriste : • Taille .") pieds 2 polices environ, voùlé,
figure basse, cheveux noirs, yeux en dessous. Originaire d'.Vvignon. Imprimeur à In
ci-devant Loterie .Nationale. » Arch. de la Gironde, L 2201!). Membre du l'.oniilé de sur-
veillance et de la muniripalité de Uordeaux, il fut le complice des cMirtions fl pill,ige:i
du maire Hcrtrand. \. OHciily, Ilisloiredc liordeau.r, 2" partie, II, l'JO, et Dénonciation
de lioïKiuet, Arch. de la (lirondi-, L 2211.
0. Arch. de la Gironde, L 473.
7. Dou/.iech (.Jean), né à Toulouse en 1717. Cumniandant général de? forces de la
Haute-Garonne; après les journées de juin, organi>a un corps de troupes destiné à mar-
cher sur la Convention. Comme Wimpfen, il ne vint jamais en Gironde. ,\rrél6 à Tou-
louse, il fut traduit devant le Tribunal ré\olutionnaire de Paris et guillotiné, le 11 mes-
sidor an IL
Sga NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
ché, la nuit dernière au Bec d'Ambès, qu'ils en sont partis à une
heure après minuit pour dessendre la rivière; mais l'on n'a pas su
me dire le lieu de leur destination. — Dans cette incertitude, j'ai fait
partir Charles, accompagné du sans-culotte Morel, avec une autho-
risation suffisante pour requérir la force sur leur passage; il fallait
des fonds, cela aurait pris du tems, je me suis décidé à leur remettre
trois mille livres pour que cette expédition ne souffre aucun retard.
La municipalité me les remboursera. J'espère que notre entreprise
ne sera pas sans succès, mais je voie qu'il faut que nous soyons sur
l'œil plus que jamais, car, si les intrigans n'osent pas tramer ouver-
tement, ils ont au moins l'art d'arrêter les progrès de l'esprit public
et de paraliser les intentions des bons patriotes qui de leur coté
n'ont pas toute l'énergie que les circonstances exigent... »
Charles, Morel et leur compagnon parvinrent sur le soir à Ambès.
Les Girondins furent aussitôt prévenus de leur arrivée : « Nous
étions avertis, écrit Louvet dans ses mémoires, que le maître de
l'auberge, maratiste soldé, venait de faire un voyage à Bordeaux;
qu'il en revenait à l'heure même, avec quelque visages nouveaux
et qu'aussitôt on avait remarqué chez lui du mouvement, des chu-
chottemens, des conciliabules. ^ »
Cette nouvelle inquiéta fort les proscrits. D'autre part Louvet
nous dit, bien que cela semble invraisemblable, qu'ils s'attendaient
à voir revenir Guadet ce soir-là, et qu'en ne le voyant pas arriver,
leur inquiétude redoubla ^.
Ils prirent en conséquence quelques précautions, bien décidés
qu'ils étaient, à se défendre. Ils commencèrent d'abord par se barri-
cader et se répartirent ensuite, entre eux six, les quelques armes
qu'ils avaient : quatorze pistolets, cinq sabres et un seul fusil.
Petion, Buzot, Valady et son ami se couchèrent tout habillés.
Barbaroux et Louvet firent sentinelle toute la nuit; mais il n'y
eut aucune alerte ^.
Il est probable que Morel et Charles, se fiant au bruit qui courait
que les proscrits s'étaient rembarques et descendaient la rivière,
craignirent de perdre un temps précieux en démarches et en pour-
parlers pour obtenir les forces nécessaires et fouiller la demeure
de la veuve Ségonzac. Ils préférèrent se lancer à la poursuite du
1. Louvet, Mémoires, I, 202.
2. Id. Toute cette partie des Mémoires se ressent de l'état d'esprit de l'auteur à ce
moment-là. Louvet s'embrouille dans les faits, et nous le verrons tout à Theure prendre
la Dordogne pour la Garonne.
3. Louvet, Mémoires, I, 203.
^OUVELLES RECIIEIlCnES Slll LES GIRONDINS PROSCRITS SqS
brick i Indiislrie qui, pensaient-ils, avait dû recueillir les fugitifs,
et ils se firent dans la nuit conduire à Pauillac ^
27 septembre. — Le lendemain" malin, 27 septembre, les deux
commissaires purent apercevoir, sur la rivière, le brick L' Iruluslrie,
qui n'avait pas r'nangé de mouillage. Mais le ca[»itaine Grangr-r
faisait ses préparatifs de départ. Son intention était de se rendre
au Verdon, où il savait trouver deux chaloupes canonnières pour
le convoyer jusqu'à l'Ile de Ré. Le navire repartait avec sa cargai-
son de futailles vides; le capitaine les avait proposées au citoyen
Delbos, courtier à Bordeaux, mais celui-ci n'avait voulu donner
que douze livres par barrique et on n'avait pas pu s'entendre 2.
Morel et Charles se rendirent aussitôt auprès de la municipalité
de Pauillac, et, le Conseil ayant été assemblé en hâte, ils lui expo-
sèrent l'objet de leur mission, exhibèrent la réquisition de Duvernay,
et demandèrent de désigner parmi les membres un commissaire
qui se joindrait à eux et les aiderait dans leurs recherches. Le
Conseil, sur le champ, nomma le citoyen Pasquet et ordonna, par la
même délibération, au citoyen Pontlevoy, inspecteur des Douanes,
de fournir les barques nécessaires pour transporter les commissaires
où il leur plairait d'aller 3.
Pendant que Charles se faisait porter, par la grande chaloupe
de la Douane, jusqu'au Verdon, afin de conférer avec le commandant
du stationnaire, Morel ordonnait à Pasquet de visiter le navire
r Induslrie et de s'assurer de ceux qui s'y trouvaient.
Il était à peu près neuf heures du matin, lorsqu'un grand canot,
monté par un patron et six matelots, déposa à bord Pasquet et son
secrétaire, le (■" Lafitte; six préposés delà Douane les accompagnaient.
Selon les ordres qu'il avait reçus, le commissaire de la munici-
palité de Pauillac interpella le capitaine »•( lui demanda son nom,
celui de son armateur et des membres de son équipage. Il se lit
remettre les papiers du navire, mit les scellés sur le secrétaire du
capitaine et somma toutes les personnes présentes à bord d'avoir
à le suivre à la Maison commune. Ce qui fut fait sans observations *.
1. L'est luul au moins ce que nous roncluoiis di-à tiurluucs doiunu-nl-s i|uo nous
avons. Les délibéralions de la municipalilti d'Ambf^s, (|ui nous auraient i-té trùs utile»,
sont mallieureusenient i)erdues. (Lettre de M. le .Maire d'.\nihèi, 23 juin 19r2.)
2. Interrogat. de CJranger par P. Pasquet. .\rrh. de la (lironde, L •2S3.').
3. Délibérulion de la inunioi|ialilé de Pauillac, Vi7 septembre 17'.'3. .\r<;li. de Paudlar.
Que M. Brulails, par l'intermédiaire duquel nous en a\ons eu communication, veuille
bien accepter nos remerciements.
4. Procès-verbal dressé par P. Pasquet. Arch. de la Gironde, L 2835 (dossier Grangcr}.
a8
394 NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
En présence de la municipalité de Pauillac et du délégué des Re-
présentants, Oranger et ses compagnons donnèrent vraisemblable-
ment les mêmes renseignements, que ceux que nous trouvons repro-
duits dans les interrogatoires offiRels qu'ils subirent le lendemain.
Oranger fut mis en prison sous la garde de quatre préposés ^,
et Morel, n'ayant pas trouvé les Oirondins à Pauillac, retourna à
Ambès. Il parvint au Bec probablement dans la soirée et n'y apprit
rien de nouveau. Barbe-de-Squire, avec ses volets clos, avait bien
l'air abandonnée.
Comme la veille, les Oirondins n'avaient eu garde de se montrer.
Il est probable qu'ils employèrent la journée, les uns à dormir sur
les lits, les autres à faire le guet...
Pendant que tout cela se passait, Ouadet se démenait pour trouver
chez ses parents et ses amis des asiles pour ses compagnons d'infor-
tune. Mais la chose était plus difficile qu'il ne le supposait tout
d'abord. A Saint-Émilion, comme ailleurs, les esprits avaient été
travaillés par les agents des Représentants; la municipalité avait
capitulé, et la terreur était partout 2. Ayant néanmoins trouvé
quelque chose, il fit prévenir aussitôt les proscrits...
En effet, ce jour-là, vers midi, le batelier qui avait amené Ouadet,
était sur le port de Libourne, lorsque un homme « joli de figure,
bien fait de corps, assez mince, la jambe assez bien faite, habillé
d'une lévite bleue, ayant une épée au côté », lui demanda s'il vou-
lait le porter au Bec d' Ambès. Orèze accepta, mais fit observer
à l'inconnu qu'il ne pouvait partir que dans une demi-heure, à cause
de la marée. Celui-ci s'assit sur l'herbe, à côté du bateau, en atten-
dant 3.
Durant le trajet, le particulier, dont nous ignorons l'identité*,
mais qui était le messager de Ouadet, dit au batelier qu'il faudrait
l'attendre parce que, soit le soir même, soit le lendemain, il s'en
retournerait à Libourne.
Il était sept heures du soir, lorsque l'homme à la lévite bleue
débarqua au Bec d' Ambès ^ Il se rendit aussitôt auprès des Oiron-
dins et leur transmit le message de Ouadet. « Celui-ci, écrit Louvet
1. Délibération du 29 septembre 1793. Arch. de Pauillac.
2. tluinaudie, Histoire de Libourne, t. II, p. 48.
3. Intenogat. de Grèze, batelier. Arch. de la Gironde, L 2835.
4. Louvet dit simplement « un envoyé de Guadet ». Mémoires, I, 203. Nous avons
tout lieu de croire que c'était Guadet Saint-Brice, le frère du Girondin, qui, adjudant
général et mis en disponibilité après les événements de juin, habitait Saint-Emilion
depuis quelques jours.
5. Interrogat, de Gréze. Arch. de la Gironde, L 2835.
l
NOUVELLES UECHERCIIES SL H LES (WnOMDINS THOSCRITS Sgj
dans ses mémoires ^, n'avait trouvé dans sa famille et parmi ses
amis, qu'une seule personne, qui ne pouvait donner asile iju'à deux
d'entre nous. 11 espérait, le jour suivant, en placer deux autres qu'il
enverrait chercher à leur tour, et ainsi de suite, jusqu'au dernier.
Nous n'avions plus qu'à décider quels seraient les deux élus appelés
à suivre actuellement celui qui venait les sauver. » La perplexité
des proscrits fut grande: ils n'avaient rien prévu de pareil; aussi
se regardèrent-ils un moment en silence '^. Barbaroux fut le premier
qui prit la parole, et Louvet le fait parler ainsi ^ : a Nous ne doutons
pas, s'écria-t-il, qu'ici le péril ne soit éminent (sic). Lequel d'entre
nous pourrait songer à n'y dérober que lui, et ne serait pas arrêté par
cette pensée que, demain peut-être, ceux qu'il va laisser ici ne
seront plus? Quant à moi, je n'abandonne point les compagnons
de mes travaux et de ma gloire ! N'y a-t-il asile que pour deux?
Restons tous; mourons enstmible ! Mais Guadet, s'il connaissait
notre position, n'en enverrait-il chercher que deux? Ne sentirait-il
point que le plus pressant est de nous retirer d'ici? Quelqu'un offre
asile pour deux d'entre nous, eh bien ! pour quatre ou cinq jours,
s'il le faut, ne tiendrons-nous pas six dans la chambre où deux sont
attendus? Partons tous. »
Ils discutaient encore, lorsqu'on vint les prévenir « qu'il y avait
grand monde et grand bruit dans l'auberge voisine ». C'était Morel
qui était de retour de Pauillac *.
Cette nouvelle trancha le débat. Rapidement, les derniers pré-
paratifs furent faits; les Girondins prirent avec eux leurs armes et
les trois valises qu'ils avaient embarquées à Brest^ Ils laissèrent la
malle, qui ne contenait que des journaux et oublièrent dans une des
chambres un petit pistolet et une grammaire anglaise-française*.
Puis, en silence, ils suivirent leur guide, le tonnelier Blanc ne les
accompagna pas '.
]. Louvet, Mémoires, I, 203.
ti. Id.
3. M.
4. M., I, 204. Louvet parle d'- une trentaine il'ofliciers (qui) venait d'y arriNcr. Lliolc
avait dit que ces messieurs éloienl les chefs d'un bataillon de l'année révolutionnaire
qui devait passer par ici, allant à lîordeaux ». Nous n'a\ons trouvé trace de ce fait.
(;'est seulement avec la garde nationale de Bourg et celle d'Ambès que les Commissaires
visitèrent Darbe-de-Squire.
5. Registre de police et d'ordre de la Municipalité de Sainl-Emiiion; procés-verbal
du 3 novembre 1793. Cité par J. (Juadet, les Girondins, leur vie privée, leur vie publique,
leur proscription el leur mort, II, 379.
G. Procès-verbal de remise de ces objets au délégué du Comité de surveillance de
bordeaux par la citoyenne Grellet, épouse Blanc, le 20 octobre 1793. Arch. de la Gironde,
L 2257. Mous avons vu aux Archives de la Gironde (L 2193) un inventaire du contenu
de cette malle; malheureusement, cette pièce a été égarée.
7. luterrogat. de Blanc. Arch. de la Gironde, L 283.3.
396 NOUAELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDI?iS PROSCRITS
L'envoyé de Guadet leur fît faire quelques détours à travers les
vignes pour aller chercher, à un quart de lieue de là ^, le bateau qui
les attendait aux bords de la Dordogne, à la calle de Lopès 2, Lors-
qu'ils y parvinrent, il ne devait pas être loin de huit heures et demie.
Grèze les attendait avec le fds de la veuve Rivanceau, qu'il était
allé chercher pour l'aider à manœuvrer la barque, à cause du
nombre des passagers.
A peu près aux trois quarts du trajet entre le Bec et Libourne,
la marée ayant changé, Petion et ses compagnons furent obligés
d'aborder. Ils débarquèrent en face du village de Saint-Pardon 3,
sur la rive droite. A cet endroit, la Dordogne fait un coude et revient
sur elle-même. Les Girondins gagnèrent à pied la route de Saint-
André-de-Cubzac, entre Saint-Michel-la-Rivière et Fronsac, et après
avoir traversé ce dernier bourg, passèrent une deuxième fois la
Dordogne devant Libourne *. C'était en pleine nuit, et les voyageurs
eurent beaucoup de difficulté à éveiller le passeur. Il fallut le héler
pendant trois quarts d'heure. Le bruit qu'ils firent n'attira néan-
moins aucune curiosité malveillante, et ils purent pénétrer dans
la ville sans être inquiétés ^
Pour achever le récit de cette journée, du 27 septembre, si remplie
de péripéties, il nous reste à voir ce qu'il advint une fois que les
Girondins eurent quitté Ambès.
Au dire de Louvet, lui et ses compagnons « n'étaient pas encore
sur l'eau, qu'à la faveur des ombres de la nuit, quatre cents braves,
armés de pied en cap, vinrent braquer deux pièces de canon sur
une maison de campagne où ils espéraient trouver huit à dix vic-
times » ^.
11 y a presque autant d'erreurs que de mots dans ce passage des
Mémoires, mais on ne peut Certes en faire grief à l'auteur, car, très
1. Louvet, Mémoires, I, 204.
2. Interrogat. de Grùze. Arch. de la Gironde, L 2835. — Louvet écrit (I, 204) : « La
LaiTiue nous attendait sur la Garonne. » C'est une erreur qui a été répétée par Guillon
(Les Châteaux de la Gironde, III, 27). Grèze est formel : « Environ une heure ou
une heure et demi après, ce même particulier vint avec six autres, qu'il (Grèze) assure
être les six particuliers retirés sur le bien de campagne de la V^ Ségonzac, s' embarquer
dans Sun bateau, à la calle du Citoyen Lopès du Bec... " Et il suffit de regarder une carte
moderne pour voir Porl-Lopcs sur la Dordogne, en face de l'île de Bourg. Sur la carte
de Belleyme (voir p. 389), c'est le lieu dit La Maisonnette.
3. Saint-Pardon, arrondissement et canton de Libourne, sur la rive gauche de la
Dordogne.
4. Dans son trouble et au milieu des ténèbres, Louvet ne s'est pas rendu compte
de la route suivie; aussi note-t-il qu'il passa successivement deux rivières :.la Garonne
et la Dordogne, alors que c'est cette dernière seulement que lui et ses compagnons
traversèrent deux fois.
5. Louvet, Mémoires, I, 205.
b. Id.
NOUVELLES RECFIEIlCHES SIR LES (;mONDINS PROSCRITS 897
exact on général à rapporter ce qu'il a vu, il ne parltr ici qiicpar ouï-
dire.
En arrivaiil de Pauillac, Morel aurait certainement voulu faire co
que raconte L'xivet, c'est-à-dire investir Barbc-de-Squire à la
tombée du j<iui\ mais il ne put se procurer les forces nécessaires. Le
maire d'Ambès^ éluda, en effet, la réquisition qu'il lui lit, en jiré-
textant que tout le monde était occupé aux vendanges, cl que
ce travail pressait davantage » '-.
Morel, devant cette mauvaise volonté, alla chercher main-forte
ailleurs; et, quelques heures après le départ des Girondins, il tra-
versa la Dordogne à son tour, et se fit porter au chef-lieu du district,
à Bourg ^.
28 septembre 1793. — A deux heures du matin, le "28 septembre,
le Directoire du District de Bourg, convoqué d'urgence, se réunit
d en séance extraordinaire ». Le procureur syndic expliqua qu'ayant
été mandé à la maison commune, il s'y était rendu et avait trouvé
un membre de la municipalité provisoire de Bordeaux, le citoyen
Morel, qui lui avait présenté une réquisition du citoyen Duvernay,
délégué des Représentants du peuple en séance à La Réole, invitant
les autorités constituées à l'aider et à lui fournir les forces nécessaires
pour remplir sa mission. Et que lecitoyenMorell'avait ensuite invité,
en vertu de ce pouvoir, à réunir le District et à faire désigner un
commissaire qui irait avec lui et un détachement de la garde natif»-
nale, dans la paroisse d'Ambès, à l'effet « d'arrêter des députés fugi-
tifs qui étaient dans la maison du citoyen Dupeyrat au nombre
desquels étaient les citoyens Guadet, Pction, Buzot, le général
Wimpfen et autres. »
Aussitôt le Directoire, faisant droit à ce réquisitoire, désigna le
citoyen Dupuy fils comme commissaire, et décida r|u'une troupe
de 60 gardes nationaux l'accompagnerait, et qu'il aurait tout pou-
voir pour requérir, «tant la municij)alité de Notre-Dame d'Ambès
qu'autres de ce district, de lui fournir tel nombre de leurs gardes
nationales qu'il sera nécessaire pour l'exécution des réquisitions des
citoyens Duvernay et Morel » *.
1. U s'appelait CaviErnac. (Lettre de M. le >fnire (i'Aniln^?, '23 juin 191'2).
2. Dénonciation du C. Saint-Blanrard contre le Maire d'Ambès. Ani». de la Gironde,
L 2189.
3. Bourg-sur-Gironde est situé sur la rive droite de la Dordogne.
4. Délibération du District de Bourg, 28 septembre (matin). Arcli. de la Gironde,
L 1538.
SgS ' NOUVELLES RECHERCHES SUR LES GIRONDINS PROSCRITS
Ce n'est qu'à six heures du matin ^, c'est-à-dire plus de neuf heures
après le départ des Girondins, que le délégué du district et Morel
arrivèrent à Barbe-de-Squire, accompagnés de la garde nationale
de Bourg et de celle d'Ambès 2. Ils n'y trouvèrent que « le sieur
Martial Blanc », et lui firent subir aussitôt un interrogatoire. Blanc
déclara « que le nombre de sept était celui des proscrits..., que jeudi
dernier, il avait lui-même accompagné Guadet, l'un des réfugiés,
armé de deux pistolets, au bord de la rivière de la Dordogne, pour
aller à Libourne; que le batelier conducteur du bateau de la veuve
Rivanceau, accompagné du fils de la dite veuve, en avait traversé
six autres allant dans le même endroit...; qu'il ignorait le nom de
ces personnes » ^
Les commissaires firent ensuite la visite exacte de la maison, du
chai et du cuvier de la veuve Ségonzac, ils n'y trouvèrent rien*.
Il n'est question, dans le procès-verbal, ni de la malle, ni des armes
laissées par les proscrits. Seulement, il est probable que Morel et son
compagnons virent les lits défaits, et ce détail raconté aux Repré-
sentants, donna lieu à cette phrase que Baudot, au dire de Louvet,
aurait mis dans un rapport adressé à la Convention : « Que grâce à
l'activité des sans-culottes, on avait entouré la maison et on y
avait trouvé les lits encore chauds ^. »
Ce qui attira aussi l'attention des commissaires, ce furent cinq
pierriers qui étaient dans le jardin, et qu'ils saisirent et firent trans-
porter à Bourg 6. Cette trouvaille permit à Ysabeau d'écrire au
Comité de Salut Public : « Les scélérats, ayant quitté le brick qui
les portait, s'étaient retranchés dans une maison isolée avec beau-
coup d'armes... On a trouvé sept pierriers dans la maison où ils
s'étaient retirés et qu'ils ont abandonné ' .»
Ceux que Morel pensait surprendre à Ambès ne s'y trouvaient
donc plus, son amour-propre de sans-culotte dut en souffrir beaucoup.
Il chercha des complices. Autour de lui, on disait que c'était « par
la perfidie des voisins » que les proscrits avaient échappé aux
1. Procès-verbal de transport. Arch. de la Gironde, L. 283").
2. M.
3. Procès-verbal de transport. Arch. de la Gironde, L 2835.
4. Rapport de Dupuy au District de Bourg. Séance du 28 septembre (soir). Arch.
de la Gironde, L 1538.
5. Louvet, Mémoires, I 205.
6. Rapport de Dupuy au District de Bourg. Dupeyrat, négociant, faisait probable-
ment aussi de l'armement, d'où la présence de ces pièces de canon dans sa propriété;
peut-être aussi que ces pierriers servaient tout simplement de bornes.
7. Lettre du 2 octobre 1793. Aulard, Recueil des Actes du Comité de Salut Public
vil, 192.
NOL'VEf-LEs nECiirncirrs si n ifs niiiriM)iNs i-uoscrits 3qq
recherches. On citait niênie un nom «mi particulirr '. Mais l'tMKjuéte
qu'il fit ne donna aucun résultat. 11 lança cl(»nc seuhMiient un mandat
d'arrêt contre le batelier et le fils de la veuve Hivanceau, (|ui avaient
transporté les Girondins et n'étaient pas encore revenus de I.ibourne,
et il avertit « le citoyen Blanc, tonnelier, de se tenir, dans tous les cas,
prêt à être requis pour recevoir de lui des informations ultérieures » 2.
Le soir même, Dupuy fils rendait compte de sa mission au district
de Bourg 3, et Duvernay, prévenu par son envoyé, du peu de réus-
site de l'expédition, en faisait part aux Représentants: «....Il est
bien fâcheux, écrivit-il, que Charlc et Morel ayent manqué nos
moineaux si maladroitement, cependant, je les avais bien mis sur la
voye... *. »
Ainsi tout était à recommencer, mais cette fois ce ne sera pas
sans succès, car deux des moineaux, et non des moindres, dans
quelques mois seront pris au nid.
(A suivre.) M. BROUILLARD.
1. Celui de Jacques Burke, ancien curé de Saint-Jacques d'Ambùs, dont nous par-
lerons plus loin.
•2. Procès-verbal de transport. Arch. de la Gironde, L 2S3j.
3. .\rcli. de la Gironde, L loSS.
4. Id., L 473.
HISTOIRE DES RAPPORTS
DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
AVEC
LES INTENDANTS, LE PARLEMENT ET LES JURATS
DE 1705 A I79I
(Suite.)
CHAPITRE V
1757-1771-177/i
lAl chambre sous vs gouvernement autoritaire
favorable au parleaient
De 1757 à 1771, l'histoire des rapports de la Chambre avecles au-
torités devient plus complexe, et ses caractères plus malaisés à définir.
La guerre a commencé; plus que jamais, ses conséquences sont
désastreuses, le port perd 236 vaisseaux ^ ; les principaux négociants
« s'arrangent et s'épaulent entre eux à tant pour cent de perte w^;
les autres se résignent à demander des sauf-conduits.
La paix est faite; mais les colonies qui nous restent « sont inondées
de navires étrangers»^ et le Canada est perdu; c'est la ruine pour
certains petits manufacturiers qui y avaient tous leurs clients^;
l'hiver de 1765 est plus long que celui de 1709 et presque aussi froid;
les vignes sont gelées^, le blé est hors de prix; en 1770, les ravages
de l'inondation sont considérables; on évalue les pertes à 1,147,000 li-
vres pour Bordeaux, à 2,000,000 pour les subdélégations 6; le bétail
a péri, les semences sont recouvertes de sable et de fange ' ; on écrit
des campagnes : « Tous les jours il passe 50 à 60 pauvres avec leur
femme, enfants et bagages, ils ont l'air d'être demi-morts de faim;
nos gens du pays les plus riches ne savent pas comment faire pour
avoir du pain... personne ne fait travailler tant l'année est misérable...
Nous avons ici, un homme de 107 ans qui a été obligé de quitter
le Limousin pour ne pas mourir de faim, c'est la première fois qu'il
eût demandé l'aumône; lorsqu'il est arrivé, il était si affamé, qu'après
1. C 1611, 22 août 1759.
2. C 3491.
3. C 4264, 17 décembre 1763.
4. C 3169.
5. C 3885.
6. Communay, Les grands nêgocianls bordelais au dix-huilième siècle, 1888, p. 18.
7. C 41, 20 avril 1770.
RAPPORTS ni: I.A CHAMIUIE I>E COMMnu.F: ME ROROEALX ^OI
avoir inang-é guulûmeiit un morceau de pain, il s'est évanoui et
a resté trois semaines sans pouvoir bouger de dessus la paill<- «mi
on l'avait mis^. »
Les recouvrements ne se font plus, les recettes perçues flans la
généralité ont été pour trois ans de 13,000,rKX) de livres, ([uand
l'impôt annuel atteint h- diifTre de 0,000,0()(»-.
Le gouvernement est acculé à la banqueroute. 11 se montre d'au-
tant plus exigeant; les Intendants, surveillés de très près, doivent
s'interdire toute complaisance à l'égard de leurs administrés; ils ne
peuvent leur venir en aide, ni même sauvegarder toujours leurs droits'.
Un arrêt du Conseil suspend tous les payements à la charge du
Trésor, à l'exception des seules rentes viagères; »in autre, le paye-
ment des lettres de change tirées des colonies-*; en vertu d'un troi-
sième, le roi cesse de payer le fret de la frégate entretenue par le
Commerce^. L'État fait argent de tout, tous les expédients lui sont
bons : l'édit de février 1761 porte création de deux cents offices
de courtiers dans notre ville".
De 1758 à 1770, Choiseul est au pouvoir; il est de la lignée des
grands ministres, il gouverne comme au temps de Louis XIV. L'heure
est passée, son initiative inquiète : à tout moment il intervient, pour
distribuer des passeports', pour faire expulser les .\nglais de Bor-
deaux^; il s'entremet dans l'administration des Intendants. Ceux-
ci se succèdent avec rapidité: alors que l'Intendance d'Aubert de
Tourny avait duré quatorze ans, celle de Boucher vingt- trois,
Tourny le fds reste trois ans à peine, de 1757 à 1760; Boutin, six,
de 1760 à 1766; Fargès, quatre, de 1766 ;i 1770; Esmangart, cinq,
de 1770 à 1775.
Même à la Chambre le premier rôle leur échappe. A partir de 1758,
le duc de Richelieu, Gouverneur de la province, préside avec Choiseul
aux relations des Directeurs avec les autorités. Son influence est
grande, et lui et les belles dames qui lui font cortège exigent sans
cesse des faveurs contraires aux règles, même en matière commer-
ciale ^ En même temps le duc veut passer pour le protecteur du
commerce; c'est un maître qui sait se faire obéir; la Chambre s'oriente
1. C 41, 20 avril 1770.
2. C 3169.
3. C. 42.56, 9 octobre 1760.
4. Jd., 2 novembre 1759.
5. C 4256, 13 décembre 1759.
• 6. C 1620.
7. C 4264, 1" janvier 1763.
8. Prives-Gazes, op. cil., p. 59.
9. C 3614.
402 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
vers lui, cherche à lui plaire, lui fait accepter toujours quelque
menu cadeau^, et néglige l'Intendant, moins bien en cour 2, même
dans les affaires les plus graves 2.
Le Parlement est moins diminué; il est très fort depuis qu'en
1757 il s'est reconnu solidaire de toutes les cours de France*,
depuis le moment aussi où Choiseul, le ministre ami des parlemen-
taires, est arrivé au pouvoir. Ils tomberont ensemble suivis de près
par Richelieu, le Gouverneur, par Esmangart, l'Intendant^. A la
fin de cette période, un nouveau ministre, Terray, viendra, sans que
la Chambre y gagne rien.
I
Le fils de Tourny, Claude-Louis de Tourny, était un petit homme
de figure maladive, très consciencieux, plein de scrupules même *.
On a dit que les couvents et les églises absorbaient le plus clair
de son temps '; je réclame pour le commerce. Non content d'assister
aux séances de la Chambre, il demandait toujours : à quand la
prochaine^, et il s'y rendait. Il voulait bien dire et bien faire, il
imitait son père, il promettait que dans toute occasion il communi-
querait à la Chambre les mémoires l'intéressant.
Il a l'air de prononcer des vœux; mais des influences auxquelles
on ne résiste pas l'empêchent de tenir ses bonnes promesses. Ainsi
certain billet, bon à citer parce qu'il caractérise l'époque tout
entière; c'est une dame qui écrit, en faveur d'un directeur connu
de nous : « Faites bien les choses. Monsieur, pour M. Lafore. 1,200 li-
vres ne sont point assez. Ajoutez-y quelque chose qui fasse honneur
à l'intérêt que Madame d'Egmont et nous y prenons. Songez que
c'est l'unique protégé de cet espèce, que je ne vous en importuneray
plus ny n'en reprendray point d'autre. J'ai écrit à M. d'Orléans
pour Mlle de Villeroy et de m'informer d'elle à vous, je suis si lasse
d'écrire que j'en reste là. Mes tendresses^. » C'est grand'pitié, mais
notre rigoriste cède ^"j cède toujours, et il n'est pas récompensé.
Jusqu'à la Chambre qui est ingrate. Sans doute, en avril 1758,
l'Intendant eut le plaisir de voir les négociants intéressés dans le
1. C 4257, 10 avril 1766.
2. C 4264, 29 septembre 1764.
3. C 4256, 11 janvier 1759, 4 juin 1760.
4. Nous faisons allusion à la doctrine des classes formulée à cette époque.
5. Grellet-Dumazeau, op. cit., passim.
6. Grellet-Dumazeau, op. cil., p. 174.
7. Id., p. 175.
8. C 4257, 8 janvier 1766.
9. C 1624, 8 mars 1760.
10. C 1624, 20 mars 1760.
AVEC LES INTENDANTS, I.E PAHI.EMENT FT LES JL'HATS '|03
reliquat d'une somme provenant «lu dinil d'iinlult consentir,
sur sa demande, à l'employer à l'cntretitMi d'une fri''gate destinée
à garder l'entrée de I;i rivière'. (;ii;i.|iir I (irecteur avança inême
500 livres pour les premiers frais 2. Mais dès la première année,
ayant eu l'imprudence de demander à la Chambre l'état des prin-
cipaux corps de commerçants en vue de les exempter de la milice,
Tourny fut victime d'une mystification; la Cliambre allongea déme-
surément la liste, jusqu'à y faire figurer les marcliands de poisson
salé^ En 1760, les élections se firent sansque l'intendantfûf informé.
C'en était trop, — mais non; tout en se plaignant un peu, Tourny
se déclare satisfait*. La Chambre en fut quitte pour imaginer une
excuse compliquée ^ La vérité était plus simple : elle avait oublié son
président. L'oublier, quand il avait fait preuve d'un tel bon vouloir !
Dans la lettre qu'elle lui écrivait, la Chambre citait l'exemple de
son père, « votre illustre prédécesseur ». Cette comparaison, présente
à tous les esprits, dut lui être funeste.
Charles-Robert Boutin, sieur de la Coulommière, né en 1722',
lui succéda. Il avait été substitut du procureur général, conseiller
au Parlement, commissaire aux requêtes du l'alais, président au
Grand Conseil, et mlin commissaire du Roi près la Compagnie
des Indes. De sa longue carrière parlementaire, il garda une secrète
prédilection {)0ur la magistrature : « Vous connaissez mieux ipie
personne combien il est important de ne pas avilir les états de ceux
qui consacrent leur vie, leur temps et leur fortune à la dT-fense
de l'État ou au maintien de l'ordre publifiuV;'. » A son passage à
la Compagnie des Indes, où il re\ int après 1766, il récolta des cpio-
libets; on disait: «M. Boutin, intendant des Finances, (pii a la
Compagnie des Indes dans son département et qui par une piilili(iue
incompétente est le promoteur le plus ardent de sa destruction". »
Il pouvait être un magistrat très distingué^; mais préeisément
parce qu'il restait magistrat, qu'il n'ajiporlait point à l'exercice
de ses nouvelles fonctions l'esprit d'un transfuge des Parlements,
rintendani Boutin devait avoir maille à partir avec la Chambre
1. C. 4256, l-i avril 17.5S.
'2. l'i., 9 et 10 juin 1759.
3. C. 43-21, 11 octobre 175S.
4. C. 4256, 1" mai 1760.
5. C IGll, 7 juin 1760.
0. Bonnassieu, op. cit., XLI.
7. Biivt's-Cazes, op. cit., p. 56.
8. Mémoires de Terraij, t. II, p. 16S, noli-.
9. Orellet-Dumazeau, ^op. cit., p. 306, note.
4o4 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE CO'WMERCE DE BORDEAUX
de commerce; même quand il daigna s'occuper d'elle, il lui restait,
comme à tout bon parlementaire, je ne sais quelle prévention intime
contre le négoce et les négociants. Il ne parvint jamais à la dissi-
muler complètement, et les commerçants ne pouvaient s'empêcher
de la découvrir et même de la deviner, par esprit de défiance.
Boutin fut à Bordeaux le Choiseul de la province. Quand, prenant
quelque sage mesure, il voudrait faire penser au grand Tourny,
la Chambre croit être sous la tutelle de Boucher; elle aussi dissi-
mule. Il est rare que ses registres fassent allusion à l'Intendant;
quand ce dernier lui soumet une question, elle ne dit que son mot,
craignant toujours qu'on ne lui impose silence. On a l'impression
que Boutin a étendu le rôle délibératif de la Chambre; il la consulte,
mais on ne la voit point décider; elle n'a pas non plus l'initiative;
par elle-même, elle n'est rien. Pour l'Intendant, elle est un Conseil
de commerce, dont il convient de requérir l'avis, mais sans le mettre
de moitié dans la décision, ni même dans la discussion i. Jusqu'à
présent les Intendants avaient toujours parlé d'augmenter les reve-
nus de la Chambre, Boutin les trouve presque trop élevés, il partage
l'avis de son ministre : « Je ne puis m'empêcher d'observer qu'une
Chambre de commerce et une juridiction consulaire ne paraissent
pas être autorisées à posséder des revenus 2, »
Les Directeurs se méfient de Boutin, parce qu'ils ont vent d'un
complot qui se trame contre eux à l'Intendance; l'Intendant a fait
diverses tentatives pour savoir comment la Chambre administre
ses revenus, elles ont été inutiles; il a exigé alors qu'aucune dépense
ne fût faite sans son autorisation ^ Il provoque à ce sujet un arrêt
du Conseil (24 juin 1763), dont le Contrôleur général requiert l'immé-
diate exécution*; en vertu de cet acte, il demande aux Directeurs
leurs états et exige que tous les ans on lui remette une copie du
dernier compte rendue Les revenus soi-disant considérables de la
1. Voici deux exemples : Un certain Canezin, marchand au détail, n'ayant point ses
livres timbrés, on lui dresse procès-verbal: la Chambre fait une visite à l'Intendant;
il promet de faire cesser la nouveauté, dit de faire un mémoire, communique au Com-
merce celui du Directeur des Fermes, et pour conclure il établit la contravention; et
c'est tout. Il propose de rendre fictif l'entrepôt du café, la Chambre tente de s'y opposer
par un mémoire; il conclut à ce que l'entrepôt soit fictif; et c'est encore tout : un avis,
plus de collaboration. (C 4256, nov.-déc. 1760, sept. 1763, mai 1764.)
Il croit imiter Tourny en s'intéressant à la navigation; mais il demande d'être seul
en droit de surveiller le lit des rivières (C 3718), prétention que n'eût point élevée
Tourny. La Chambre voudrait utiliser les cartes que ce dernier a fait dresser; on ne
sait plus où elles sont, on ne les retrouve qu'après avoir longtemps cherché (C 3256,
13 déc. 1764).
2. C 1611, 7 juin 1763.
3. C 1611.
4. C 4256, 21 juillet 1763.
5. C 1611, 28 mars 1763.
AVEC LES IMENUAMS, I.E PAIU EME.M El EES JLUAl.S lOJ
(Ihanibre ont éveillé les soupçons ^. Boutin voudrait augnienter
SOS charges en l'obligeant à entretenir elle-même le député-; ce
que voyant, elle le prie de ne pas trouver mauvais qu'elle réclame
la libre administration dont elle a joui jusqu'à lui ^.
Aussi bien, les procédés de Boutin ont contribué à faire prévaloir
à la Chambre une tendance nouvelle qui s'accuse de plus en plus.
Après avoir collaboré et presque fraternisé à l'époque de Tourny,
la Chambre et son président vont se séparer, se quitter. Leurs
rapports vont se relâcher, leur iiistoire ne se confondra plus, ils
ne seront plus faits lua pour l'autre. Le guide de la Chambre, son
conseiller, son vrai président, ce sera le public. l)éjà, en 1766, les
Directeurs ayant à s'excuser de n'avoir puint répondu assez tût
à une demande du chancelier, trouvent bon d'invoquer ce motif :
« Gomme nos occupations journalières à 1er miner lea affaires du
public ne nous auraient pas permis de faire cet ouvrage... ^>*. Ces
quelques mots en disent long, ils ne pouvaient pas être prononcés
sous Boucher: la personnalité de la Chambre n'était pas formée,
la confiance du public ne lui était point suffisamment acquise;
ils ne pouvaient pas l'être non plus sous Tourny, parce que l'Inten-
dant, tout le premier, invitait les Directeurs à ailiT au peuple;
mais précisément parce que ce même Tourny présenta cette Chambre
au public « comme un père à sa famille », pareille chose devait être
dite sous le premier Intendant qui manquerait aux devoirs de sa
présidence, pour trop bien exercer ses fonctions lie représentant du Hnj.
Fargès vint; il fut si bon, quil aurait pu reconijut-rir la Chambre
à son Président. Mais il demeura à Bordeaux quatre ans à peine.
Dès le premier jour, il se montra l'ami déclaré non seulement du
Commerce, mais de la Chambre; il répond ainsi à ses compliments
de bienvenue.
« C'est en assistant souvent aux assemblées de la Chambre qu'il
se formera des principes sûrs, qu'il suivra sans autre vue que de
discuter et connaître ce qui peut être le plus avantageux au bien
de l'État en général et à la province en particulier ^ » La Chambre
s'était mise à l'école deTourny; Fargès se mita l'école de la Chambre,
devenue éducatrice à son tour.
1. 1(1., 7 juin 1763.
2. Id., '28 mars 1703.
3. C 4256, 2S juillet 1763.
4. C 1624, 1" février 1766.
5. C 4257, 27 novembre 1766,
4o6 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Charmée de ces bonnes dispositions, elle lui témoigna sa gratitude,
comme à Tourny, en le priant à dîner i; comme Tourny, il lui
fit l'honneur de se rendre à son invitation.
En décembre 1774 2, en janvier 1775^, ayant depuis longtemps
quitté Bordeaux, devenu maître des requêtes, Intendant du Commercé,
appelé «à la tête de l'administration des grains», Fargès montrait
encore à la Chambre la même bienveillance; il écrit, en mai 1775 :
« La principale satisfaction qu'il peut trouver dans la marque de
confiance que le Roy vient de luy donner est la correspondance
qu'elle peut le mestre à portée d'entretenir avec la Chambre sur
le plus grand nombre d'objets^. »
On peut penser que, tout le temps que dura son Intendance, ses
rapports avec les Directeurs ne cessèrent d'être excellents; de concert
avec eux il combattit l'arrêt du Parlement de 1764, contraire à la
liberté du commerce des vins ^. Il fut, semble-t-il, le premier des
Intendants qui consulta la Chambre de commerce au sujet des
sauf-conduits à accorder aux négociants malheureux ^. Quand il
lui demandait son avis sur un projet d'arrêt, elle le lui envoyait
détaillé et motivé '^, souvent presque aussitôt; il aurait voulu qu'elle
fît connaître au public ses réflexions sur le commerce^. Parfois
d'ailleurs, la complaisance de Fargès ne pouvait se manifester que
dans les formes qu'il mettait à communiquer aux Directeurs les
ordres sans réplique du pouvoir ^-^".
Deux questions particulièrement difficiles se présentèrent.
La première, l'Intendant la résolut avec habileté. Au sujet de l'ex-
portation des blés la Chambre avait maintenant sa théorie : « Le
commerce ne peut subsister que par la libre exportation il faut
une liberté pleine et entière, et ce ne sont que des besoins momen-
tanés et locaux qui peuvent faire souffrir quelques exceptions à
cette règle ". »
En 1768, ces besoins s'étaient fait sentir : la disette menaçait;
d'autre part une loi datant de quatre ans à peine avait proclamé
la libre exportation des grains. Le Parlement de Paris voulait réta-
1.
G 4257, 19 novembre 1767.
2.
Jd., 7 décembre 1774.
3.
Id., 26 janvier 1775.
4.
G 4257, 24 mai 1775.
5.
G 3683.
6.
C 4257, 25 février 1768, 25 janvier 1770.
7.
G 4257, 22 décembre 1768. C 4264, 24 décembre 17G8
8.
G 1611, 26 mai 1768.
9.
C 4257, 23 février 1769.
10.
Id., 17 novembre 1768.
11.
C 4264, 27 mai 1769.
AVEC LES INTEMVVNTS, I.E l'AKtF.MENT T.T l.E< .M n.V T'? '\0-
blir l'ancien état de choses. Le Hoi ne se prélu point à une pareille
rétractation ^ ; il se borna à accorder des gratifications aux négo-
ciants qui feraient venir des grains de l'étranger 2. Les négociants
de Bordeaux exportaient quantité de blés français; leurs opérations
allaient juste à l'encontre des mesures prises par le f)ouvoir pour
conjurer le péril. Fargès invita le Commerce à entrer le plus possible
dans l'esprit de la loi, en limitant ses spéculations à rintérienr du
royaume.
L'édit de 1764, d'inspiration si libérale, avait pourtant prévu un
terme à la libre exportation : il avait fixé le prix maximum au delà
duquel serait suspendu le droit d'exporter. Ce prix fut atteint,
peut-être par la faute des exportateurs qui, soucieux de leurs inté-
rêts immédiats, prêtèrent trop peu l'oreille aux sages conseils de
l'Intendant^.
Alors la sortie des grains fut interdite; ils encombrèrent le marché,
la baisse des prix s'ensuivit, ce fut la ruine pour un grand nombre.
Fargès s'empressa de renouveler au Commerce l'assurance que le
gouvernement maintiendrait les lois de libre exportation*; le com-
merce des farines et des légumes ne souffrirait aucune atteinte *.
Cependant les blés se vendent peu et mal, et la disette n'est plus à
craindre; — il faut revenir au commerce d'exportation. Fargès
s'adresse aux négociants : il les invite à ne pas s'écarter des prin-
cipes de liberté qu'ils ont défendus autrefois avec tant de vigueur;
il faut qu'ils exportent beaucoup après avoir beaucoup importé®.
Ils n'arrivent pas aisément à faire alterner les deux commerces sui-
vant la fluctuation des prix. Ils doivent rompre les dernières relations
qu'ils se sont créées, renouer celles qu'ils ont rompues. L'Intendant
et la Chambre en viennent à bout. On est tout près de les féliciter,
à voir comme s'aidant l'un l'autre, en des circonstances si dilliciles,
ils ont su aboutir.
La seconde question qui se posa est déjà connue de nous : c'est
celle de la voiture des espèces. La Chambre tenait une séance pré-
sidée par l'Intendant; on apprit par la rumeur publique que les
Fermiers généraux avaient tout à coup donné l'ordre de diriger
sur Paris, tous les huit jours, le produit de la recette en argent avec
défense expresse de remettre aucune espèce de papier. La situation
1. C 4331, 20 décembre 1768.
2. Id., 22 novembre 170S.
3. C 4331, 22 novembre 17G8. C 4257, 1" décembre 1708.
4. C 4257, 12 janvier 1769.
5. Id., 27 avril 1769.
6. C 4257 » 11 mai 1769.
f\08 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
était grave, l'Intendant fut prié d'intervenir. Il quitta la Bourse,
se rendit tout aussitôt chez le Directeur des Fermes et le pressa de
ne pas voiturer les espèces de quelques jours « jusqu'à ce que les
intentions de M. le Controlleur général soient connues à cet égard ^. »
Le directeur y consentit, à condition que l'Intendant lui notifiât
par écrit son injonction; ainsi fut fait 2. Fargès s'adressa ensuite
directement au Contrôleur général ^, en même temps que les Direc-
teurs du commerce : « La plus grande partie de nos fortunes, disaient
ceux-ci, ne réside pas dans le numéraire, elle existe en papiers négo-
ciables, au moyen desquels chacun se procure par son crédit des
espèces pour payer*. » Quelques jours après, la Chambre députait
vers l'Intendant pour implorer son secours dans une autre affaire;
recevant les commissaires du Commerce, Fargès leur annonça son
échec ; ce fut son premier mot : il avait été désavoué et mis en demeure
par le ministre de révoquer son ordonnance. Les Fermiers n'avaient
agi que sur les instances du Contrôleur général ^; forts de son appui,
ils renouvelaient leurs ordres^. L'Intendant osa insister encore.
Des négociants avaient présenté une requête au Parlement en leur
nom personnel, et ils avaient obtenu un arrêt du 15 mars, signifié
aux receveurs le même jour', défendant «sous le bon plaisir du
Roy » le transport des espèces. Admis à la Chambre, les négociants
proposèrent d'envoyer quatre députés, deux Directeurs, deux à
choisir parmi les autres commerçants; ils priaient la Chambre d'ex-
pédier un courrier extraordinaire porteur de lettres pour tous les
ministres d'Etat; ils se réservaient en outre d'écrire eux aussi en
leur nom particulier.
Les Directeurs les invitèrent à leur remettre leurs représenta-
tions; elles seraient transmises au Contrôleur général, au ministre
ayant le département de la province et la Chambre en garderait
copie. De son côté l'Intendant écrivit, mettant la Chambre en cause
le moins qu'il se pouvait^. Les Directeurs, préoccupés, l'en remer-
cièrent à peine; un beau jour, ils apprirent que leur échec était
complet. L'arrêt du Parlement fut cassé, les représentations du
Commerce restèrent sans réponse^; le député annonça coup sur
1. C 4264, 3 mars 1770.
2. C 4257, 1" mars 1770.
3. C 4264, 3 mars 1770.
4. ici., ici.
5. C 4257, 14 mars 1770.
6. C 4264, 16 mars 1770.
7. C 4264, 16 mars 1770.
s. C 4333, 24 mars 1770.
9. C 4264, 7 avril 1770.
I
AVEC LES INTENDANTS, l.E l'Ani.EMF.NT El' I.ES JIRATS /1O9
coup que Tcrray })crsistait jiliis iiuc jamais dans ses intentions*;
que l'Intendant était mandé à Versailles 2; que le roi avait nommé
à sa place M. Esmangart, maître des recpiêles à l'Intendance de
Bordeaux^. Et il ajoutait avec mélancolie : « Je désire bien ardemment
qu'on se porte à dédommager M. de Fargès du iori (lu'nn lui fait*. )•
La Chambre le plaignit de même, le louant de n'avoir pas craint
de se dévouer à leur cause. Lui parti, les Fermiers générau.x usèrent
de nouvelles rigueurs ''; la Chambre sentit que la partie était perdue;
elle se résigna, se fit humble, craignant peut-être de s'être compro-
mise avec Fargès dont la disgrâce l'atteignait; elle écrit aux l>irec-
teurs de La Rochelle de ne plus mettre obstacle à l'exécution des
volontés du Contrôleur général : « De nouvelles tentatives de notre
part marqueraient un esprit d'opposition qui ne fut jamais le nôtre. »
Dans cette môme lettre où elle faisait craindre aux Rochellois
les représailles du pouvoir, elle signalait un ;iutre pt'-ril. ;iu nmins
aussi grave : « Nos négociants, disait-elle, sans la paiiicipalion de
la Chambre, présentèrent leur requête au Parlement*. » C'est bien
là le signe des temps. La Chambre doit choisir entre son Président
et les négociants qu'elle représenlc. Est-elle Iroj» di-vouée à ceux-ci,
le premier lui tourne le dos, c'était le cas pour Boutin; est-elle trop
attachée à celui-là, à Fargès par exemple, le, puMio <•.><( linu en
défiance et croit ([uil ne dépend j)as plus d'elle (prelle ne dépend
de lui. il s'en passe et l'oublie; « l'opinion chemine, monte, grandit»,
comme dit d'Argenson; le pouvoir reste absolu et l'arbitraire le
niid de plus en plus insupportable; le rôle d'intermédiaire est vrai-
ment difficile à jouer.
Esmangart, le dernier Intendant qu'eut Bordeaux sous Louis .W,
renonçant à concilier les intérêts contradictoires de la Clunnbre
et du pouvoir, essaya de donner le change par des hésitations cal-
culées.
On ne peut dcuiter qu il ne lûL bien porté pour h- Commerce et
pour la Chambre : il lui écrit qu'a elle peut être assuré de tout son
zèle, pour ce qui pourra lui être de queUjue avantage, qu'il se fera
toujours un devoir et en même tenqts un plaisir d'assister à ses
1. C 4333, 17 m;iis 1770.
2. M., -24 mars 1770.
3. /(/., 31 mars 1770.
4. Id., id.
5. C 42G4, 17 avril 1770.
6. C 4264, 7 avril 1770.
3')
4lO RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
assemblées, et de concourir avec elle à tout ce qui pourra être du
bien du service du Roi ^. »
Les compliments flatteurs qu'ils échangèrent par la suite témoi-
gnent des rapports les plus cordiaux.
D'autre part, on ne niera point qu'Esmangart fût un homme
énergique, à voir comme il refusa d'appuyer une demande en sauf-
conduit présenté par un ex-receveur général des Fermes, prévari-
cateur, fort de l'amitié du Contrôleur général; écoutez-le définir
lui-même le devoir d'un magistrat « jaloux de la confiance de son
ministre et de l'estime publique )>, attaché aux principes d'honneur
et de bon ordre « qu'il doit surtout maintenir avec force dans la
province dont l'administration lui est confiée 2. »
Son administration fut sage et prévoyante; nous pouvons en
croire la Chambre quand elle le dit^; si sage, qu'elle voulut le com-
mettre au soin de délivrer des permissions pour la réexportation
des blés étrangers, dans le dessein, elle l'avoue, d'épargner aux
négociants les tracasseries d'une régie nouvelle*. L'ancienne régie
ne les gênait déjà que trop. Obligé d'intervenir à tout coup dans leurs
conflits qui renaissaient avec la prospérité du commerce, Esman-
gart apparut ici comme timide et hésitant.
Voici par exemple une affaire.
Bachelier, le Directeur des Fermes, prétend faire peser les cafés
sur le quai, avant l'embarquement; la Cour des Aides rend contre
lui un jugement sur requête^ (31 août 1770); les négociants ont
gain de cause, le Directeur est débouté de sa prétention. Il ne s'avoue
pas vaincu; son parti est pris; il ne délivrera de permis pour embar-
quer, que si le Commerce cède. On court chez Esmangart; il demande
le temps de s'entretenir avec Bachelier; il ne veut « rien précipiter
par un coup de son autorité ». Il conseille aux négociants d'aller
chez le procureur général de la Cour des Aides. Celui-ci est à Blan-
quefort ; ils vont à Blanquefort, voient le procureur et lui demandent
conseil; il leur propose de faire réformer l'arrêt, ils refusent, le
trouvant « sagement et utilement rendu ». On retourne chez l'Inten-
dant; très bien disposé pour la Chambre, mais très incertain, il dit
qu'il verrait s'il pourrait rendre une ordonnance pour obliger le
Directeur des Fermes à délivrer des permis. Pour Esmangart, la
1. C 4257, 26 avril 1770.
2. C 3488.
3. C 4264, 30 octobre 1770 et C 4257, 29 octobre 1770.
4. Id.
5. C 4257, 6 septembre 1770.
A\EC LES INTENDANTS, LE r.Vni.EMEM' ET LES JLIUTS ^11
disgrâce de Fargès est bonne ;i méditer : (\nr la C.lianibre fasse
un mémoire. Il gagne du temps; elle travaille ferme'. Tout est
prêt dès le lendemain; voici alors la solution (juil imagine: les
négociants se départiront de l'arrêt <!<• la Cour dt-s Aides, sauf à
réserver certains articles, dont Bachelier ne réclame pas le retrait;
la Chambre rédigera une déclaration dans le même sens. Mais elle
est loin d'être satisfaite. 11 faut pourtant aboutir; alors elle rédige
la déclaration : quelle déclaration! Il y est dit en termes ambigus
qu'elle veut avec l'aide de l'Intendant rendre la paix au négoce,
i( pour que les choses soient remises sur le pied où elles ont été depuis
le mois de juillet 1767 ». Le poids fut {)rovisoirement rétabli sur le
quai; en échange, le sieur Bachelier fit délivrer les permis et reçut
les soumissions-^. A l'époque où nous sommes, le fisc finissait tou-
jours par avoir raison; le même Bachelier avait vainement demandé
à Fargès d'obliger le Commerce à fournir un entrepôt à deux clefs;
il s'adressa à Esmangart pour le même objet; l'Intendant reconnut
la prétention fondée et invita la Chambre à s'y soumettre; elle lar-
dait encore. Entre temps on l'obligea d'opter entre rentrej)ôt
fictif ou réel pour les cafés; les deux affaires étaient connexes; de
la solution de l'une, celle de l'autre dépendait; la Chambre ne se
décidait pas ^. Alors l'Intendant pria les Directeurs de passer chez
lui. Le Contrôleur général avait envoyé des ordres pour que le
magasin à deux clefs fût fourni''.
Quand on voit de pareils conflits remplir des Intendances trop
courtes elles-mêmes pour permettre l'exécution d'un programme
un peu étendu, on se rend compte que les Intendants ayant à répondre
de leurs actes à un gouvernement soupçonneu.x sont impuissants
à jouer leur rôle.
11
Entre 1757 et 1770 la parole est au Parlement. Il a à sa tète deux
grands magistrats, le père et le fils, les deux Leberthon, cpii consi-
dèrent l'institution des Parlements comme la pierre angulaire de
la monarchie" et qui aiment se sentir entourés des égards dus aux
Pères du peuple.
1. C 4257, 11 et 13 septembre 1770.
■Z. C 4257, 22 août 1771.
3. Id., 5 mars 1772.
4. ht., IH iioveml)re 1773.
5. Communay, llisloirc du Parlement, p. 157.
4l2 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
C'est dans cet esprit qu'ils président au règlement de plusieurs
affaires importantes où la Chambre intervient. D'abord la question
des courtiers. Leur but est toujours de s'associer; une lueur d'espé-
rance suffît à réveiller leur ardeur pour de nouvelles attentives;
la Chambre ne les tolère pas^, les jurats non plus, mais le Parlement
soucieux de rester populaire, homologue aisément les arrêts, sans
y regarder d'assez près peut-être. Cette fois encore, une déclaration
du roi vint le contrecarrer; elle enjoignait aux courtiers royaux de
dresser des statuts concernant l'exercice du courtage, et de les pré-
senter en cour, faute de quoi leurs arrêts ne seraient plus homologués.
Le jour d'après, autre affaire : le Parlement semble reconnaître
l'existence des courtiers volants, chers aux négociants, en faisant
entendre que les autres ne sont pas en nombre 2. C'est une avance
au commerce qui serait malvenu maintenant à tenir rigueur aux
magistrats de leurs dernières faveurs aux courtiers royaux; le
Premier Président va plus loin; il demande si les courtiers royaux
s'opposent à ce que les courtiers volants exercent leurs fonctions.
La Chambre, jouant sur les mots, répond que les courtiers royaux
ne sont point troublés dans l'exercice de leurs fonctions, par leurs
concurrents. Et le bon Président satisfait, en conclut « que l'on pouvait
demeurer tranquille » ^ C'était un bien mauvais prophète, il comp-
tait sans le gouvernement. Le Contrôleur général s'étonne de voir
les courtiers volants continuer à faire les négociations et le courtage
au préjudice des courtiers royaux^; cette fois, les courtiers volants
durent cesser leurs opérations^. La Chambre était bien vaincue,
elle commençait à se résigner, lorsque tout s'arrangea au mieux
de ses désirs. Après tout, le problème n'était point si difficile :
le gouvernement ne soutenait les courtiers royaux que parce qu'ils
lui avaient acheté leur office à beaux deniers comptant; ayant
besoin d'argent, il envoya au Premier Président un nouveau projet :
pour 6,000 livres, chacun avait la permission de se livrer au courtage,
le Parlement devant enregistrer le droit d'exercice sur une simple
information de vie et de mœurs; tout le monde, même les étrangers,
pourrait à ces conditions jouir des mêmes prérogatives. Les courtiers
royaux travailleraient « suivant la confiance qu'on aurait en eux ».
Ils ne conservaient que le droit exclusif d'affréter les navires.
1. C 4256, 26 janvier 1758
2. C 4323, 16 juillet 1760.
3. C 4256, 25 juillet 1760.
4. C 4256, 5 août 1760.
5. C 4264, 30 août 1700. . . , . ...
WEC LES IlVTENnANTS, LE PARLEMENT ET LES .M HATS '| 1 3
L'édit de février 17G1 accorda deux cents brevets de courtier'. I,a
solution était nouvelle; la question ne l'était pas autant (jue les
deux qui vont suivre.
Il est dommage que nous ne puissions les exposer ensendjle; il
pourrait être plaisant de voir au même moment les magistrats et
les Directeurs se combattre ici, tandis qu'ils rollaborent là,
La descente des Anglais à Cancale n'alla point sans dégâts; les
Malouins demandèrent comme indemnité la franchise de leur port.
Les maires et échevins présentèrent un mémc)ire au Conseil, et le
contrôleur général prescrivit à l'Intendant de Guyenne de le commu-
niquer à la Chambre bordelaise. Celle-ci était teime de répondre
dans le délai d'un mois-. La Chambre de Rouen ayant demandé
plus de temps, le jugement lut retardé. Les négociants de Bordeaux
se préparèrent tout à leur aise. Voici la thèse que soutinrent nos
Directeurs : «Le port franc est un privilège exorbitant, funeste à
l'État, contraire à sa constitution économique, il dessèche et détruit
ce germe d'émulation qui porte toutes les villes maritimes à faire
à l'envi.., les efforts les plus généreux^. » Comme toujours, en des
nécessités pressantes, la Chambre fit d'activés démarches auprès
du Premier Président et du Procureur général, elle invoqua auprès
d'eux la tradition, c'était le moyen de se les rendre favorables •*.
Entre temps, vers 1764, la question s'était posée d'une façon un
peu différente, portant plutôt maintenant sur la libre exportation
des eaux-de-vie de cidre et de poiré. Les Malouins demandaient
moins pour obtenir davantage; la tactique était habile, les intérêts
de deux provinces, Bretagne et Normandie, étaient engagés, les
Malouins pouvaient compter sur leur secours. Les Directeurs bor-
delais ne furent pas dupes : propriétaires et négociants, tout le
monde craignit à Bordeaux de voir préférer sur les marchés d'Italie,
de Portugal et d'Espagne, aux eaux-de-vie de vin les eaux-de-vie,
moins chères, de cidre et de poiré. La place y perdrait ses débouchés ^
Il revint à nos Directeurs que les Chambres bretonne et normande
avaient obtenu l'appui de leurs Parlements, même leur collaboration
active. La Cour de Guyenne ne marchanda nullement son concours;
le Procureur général joignit ses propres réflexions au mémoire adressé
par le commerce au Contrôleur général. Les magistrats de Rouen
1. C 1620.
2. c 4256, 8 mars 1759.
3. C 1011, 24 août 1759.
4. C 425<3, 12 avril 1764.
5. t 3685, juillet 1764. Mémoire du Parlement de Cordeaux.
[\l[\ RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
furent prompts à la riposte. La lutte s'étendait, les Directeurs bor-
delais firent appel à ceux de Bayonne, de Toulouse, de Montpellier,
de Marseille, de La Rochelle, en les engageant à solliciter, eux aussi,
le secours de leur Parlement i. Les magistrats saisirent avec empresy
sèment, dans ce conflit, l'occasion de se grandir aux dépens de la
Chambre, d'accroître leur popularité, d'étendre leur influence, de
prendre la tête et de se montrer les « pères du peuple » et les
« défenseurs du bien public ». Le ton de leur mémoire est significatif :
« Le Parlement, informé par la Chambre, croit devoir réitérer
les représentations qu'il a déjà faites, que de pareilles matières
intéressant le bien général de son ressort ne peuvent être complè-
tement traitées dans un bureau de commerce, avant d'être portées
à la décision du Conseil du Roy. Les provinces d'élection ne peuvent
être défendues que par leurs compagnies souveraines, elles seules
par la nature de leurs fonctions sont chargées de veiller à tout
ce qui a rapport au bien public et à l'intérêt général des peuples de
leur ressort ^. »
Après cette entrée en matière, le Parlement rappelle le temps
heureux des anciens ducs et des rois d'Angleterre, souvenir cher
aux cœurs bordelais, il vante les richesses de la province qui a de
l'or, dit-il, des oliviers, et il conclut en élargissant singulièrement
le débat et en haussant le ton : « Otés les entraves, le monopole,
les droits excessifs qui étouffent toute culture, donnés l'essor à
l'activité si reconnue du Génie Gascon, que le digne rejeton du
grand Henry daigne jeter un œil favorable sur des peuples chéris
de son aïeul, sur des lieux où fut conçu le plus grand des mortels,
nos malheurs sont finis, la prospérité va renaître dans ces climats
fortunés, notre commerce sera bientôt supérieur à celui de toutes
les nations et Bordeaux le magasin de l'univers^. »
Acceptons-en l'augure, mais surtout pesons les mots. Le but de
la Cour était d'éclipser la Chambre, et les magistrats crurent avoir
atteint ce but à grand renfort de mots, de phrases, de périodes qui
ont le malheur de n'être que des périodes, des phrases et des mots.
Le pompeux discours dont nous avons donné des extraits s'adres-
sait beaucoup moins au Conseil du commerce qu'aux gens de la
province; ils durent frémir d'aise, en écoutant cette cantate à la
Gascogne et à Bordeaux. Dubergier, le député, écrivit bientôt que
1. C 4264, 16 mai 1764.
2. C 3685, juillet 1764.
3. C 3685, juillet 1764,
AVEC I,ES INTENDANTS, r.F PVni.rMrNT ET l.i;s U RATS /j 1 5
le débat devenait « une aiïiiire df l'arleinents »> i. En efTrt. pendant
que les magistrats de Rouen attaquaient le reiuvsentant de noire
commerce -, que ceux de Guyenne le désavouaient i)resque =', un
envoyé du Parlement quittait Bordeaux, — M. Piuik-^. j| se rendait
à Paris pour réfuter les observations du Parlement de Rouen et
défcndn^ les intérêts de la province. La Chambre voyait av(;c tris-
tesse la question lui échapper : « Cette affaire devient j)ersonnelle
au Parlement. Il y a lieu de croire qu'il mettra au jour de bonnes
raisons ))^ Les raisons de nos magistrats ne purent convaincre
personne, pas plus que celles du député du commerce ^ Les Nor-
mands modifiaient une seconde fois la forme de leur demande : il
ne s'agissait plus que de leur accorder un privilège provisoire de
libre exportation pour leurs eaux-de-vie'. Ce compromis trouva des
partisans^. Après des débats si longs qu'ils duraient parfois toute
la matinée jusqu'à une heure et tout l'après-midi d»- une heure à
neuf heures et demie, la majorité du Conseil de commerce concluait
toujours, malgré l'opposition des députés des Chambres, qu'il fallait
consulter les différents Parlements^. L'affaire tourna court, il ne
fut plus question que ,de déterminer la quotit('' des droits à payer
pour les eaux-de-vie de cidre et de poiré. Dès ce moment, le Parle-
ment ralentit son beau zèle, s'ingénia à ne jamais finir son nouveau
mémoire : M. Prune mit plus d'un an à le retoucher^", les magistrats
montraient maintenant la plus complète indifïérence "; ce n'était
plus qu'une question de marchandage à débattre entre les Chambres;
la nôtre soutint l'avis d'identifier au point de vue des droits toutes
les eaux-de-vie ^2. D'ailleurs n'importe; le Parlement, après avoir
eu le beau rôle, avait choisi son heure pour abandonner la pailie.
Sur un autre terrain, la Chambre perd encore la bataille. En i7G 1,
le Parlement étonnait tout le monde en montrant un zèle « réfor-
maleiir », le mot est des contemporains : les négociants bordelais
parlent à cette époque d'une « commission nouvellement établie
1. C. 4327, 18 août 1764.
2. C 4204, !'■' septembre 1764.
3. r. 3u85, juillet 1704.
4. Hrives-Cazes, Le Parlement de Bordeaux, p. 109.
5. C. 4264, 1" septembre 1704.
0. C 4327, 1" septembre 1764.
7. C4250, 0 septembre 1704.
8. Id., id.
9. C 4327, 15 septembre 1704.
10. Brives-Cazes, Le Parlement de Hortleaux et le Durcau «le I.i erande police, in
Arles de V Acndrinie, 1S74, p. 217.
11. C 4250, y mai 1705.
12. /(/., 15 mai 1765.
4l6 RAPPORTS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
SOUS le titre de Bureau de la grande police, s'occupant plus parti-
culièrement de la recherche des abus qu'ils croyaient apercevoir
en toute matière quelconque » i. La mission du bureau consistait
« à arrêter des résolutions sur lesquelles il proposait ensuite aux
Chambres assemblées de rendre arrêt «2. N'allons pas croire que les
magistrats innovaient. En 1739 déjà, le Parlement avait édicté un
véritable code pour le commerce des vins dans le Bordelais; tous les
antiques privilèges s'y trouvaient sanctionnés : droit exclusif de
vendre en gros du 8 septembre à la Noël, monopole de la vente à
pot et à pinte, etc....^ En 1758 encore, malgré les Consuls, le Présidial
et le petit peuple, les magistrats s'étaient prononcés contre l'intro-
duction à Bordeaux des vins étrangers*. En 1763 et 1764, ils conti-
nuèrent. Dès sa première séance, le 21 novembre 1763, le Bureau
de la grande police s'occupa des vins de retour; l'année suivante,
son attention fut mise en éveil par certaines tentatives faites à
Langon et à Cubzac dans le but d'introduire en Guyenne les vins des
autres sénéchaussées; en même temps on s'étonnait de trouver
dans les chais des négociants de la ville plus de vins que n'en pro-
duisait le Bordelais même^. Alors furent lancés contre les abus
une dizaine d'arrêts : le 18 juillet, sur les étampes à mettre sur les
futailles; le 28 août, sur le transport des vins; le 7 septembre sur
leur déclaration à faire dans la quinzaine; le 7 septembre encore,
sur la fabrication des eaux-de-vie; le 21 septembre, sur la défense
de transporter du vin dans des barriques non marquées; le 21, de
même, sur la défense aux rouleurs de tirer du vin des futailles;
le 22 enfin, sur l'ordre intimé aux cabaretiers de déclarer leur vin^.
Ce que le Parlement appelle des abus, ce sont les infractions aux
antiques privilèges; un abus, c'est le mélange des vins du pays avec
ceux d'Espagne, chose « pernicieuse au corps humain et destructive
de la santé»'; un abus, ce sont les nouvelles plantations dont le
Pailement n'avait d'ailleurs cessé de se montrer le plus chaud parti-
san; un abus, ce sont encore les spéculations des négociants; des
abus, ce sont en général toutes les innovations que nous rapportons
au progrès; dans les diatribes passionnées des magistrats, quelque
chose surprend, c'est la disproportion de ces « abus » peu criants,
1. C 4327, 27 septembre 1764.
2. Brives-Cazes, op. cit., p. 170.
3. Benzacar, op. cit., p. 16. ,
4. C 3260.
5. Brives-Cazes, op. cit., p. 200 sqq.
6. C 3683, 1764.
7. C 3683, 18 juillet 1764,
AVEC LES INTENDANTS, I.E l'ARTEMENT ET F.ES JURATS ^| 1 7
en somme, et des moyens employés à les enrayn-. !.<• Parlement
ne se contente pas d'exiger la maiviue des barricpies cL la déclaration
des vins, il parle à tous moments « de confiscation, versement des-
dits vins dans la rivière, brûlement dos futailles i)ar l'exécuteur de
la Haute Justice, dix mille livres d'amende, perte de Ixmrgeoisie,
interdiction de tout commerce; même de punitions corporelles »; il
écrit dans tous les ports afin de prévenir les négociants étrangers
des fraudes dont il accuse ceux de Bordeaux *, enfin, et c'est le
comble, il choisit douze commissaires, conseillers au Parlement,
pour se transporter aux Chartrons, le faubourg où sont admis les
vins étrangers, « pour y faire état et procès-verbal des maisons,
portes et issues pouvant servir de communication d'une maison
à une autre maison voisine, ou aux rues, culs-de-sac, ensemble, de
la hauteur des ouvertures destinées à donner le jour, et être toutes
aiïaires cessantes sous le rapport desdits verbaux, statué ce qu'il
appartiendra sur les réparations à faire pour mettre lesdits lieux
à l'abri de tout soupçon» 2. Ironie des circonstances: à ce moment
même, le gouvernement rendait libre le commerce des blés, et
il parlait lui aussi de réformer les abus^. On ne com{)rend plus;
entrons dans l'esprit des magistrats, — le Parlement esl une assemblée
de propriélaires; et voilà comment ces beaux arrêts réformateurs,
qui témoignèrent diiu zèle si louable en apparence, témoignent
tout au plus d'un intérêt personnel, bien entendu. En tant (|ue
propriétaires de nombreux vignobles du Bordelais, les magistrats
de 1758 préservaient leurs vins de la concurrence, en refusant d'ad-
mettre en ville les vins étrangers; les magistrats de 1764 portaient
plus loin leurs prétentions, ils voulaient rendre les négociants
inutiles, au besoin les supprimer au seul profit des propriétaires;
souci bien légitime de leur part, mais peu d'accord avec la dignité
de leur charge.
Cette politique viticolc, de tradition à la Cour bordelaise, ne
trompa personne *-^ Les négociants s'insurgèrent*, ils signèrent,
Chambre en tête, une protestation couverte de 145 signatures,
contre l'arrêt du 18 juillet 1764 réglementant la pidice des vins.
Ce fat en vain.
1. C 4327, 27 septembre 1764.
2. C 4327, 27 septembre 1764.
3. C 4327, 27 septembre 1764.
4. C 4327, 27 septembre 1764.
5. r. 4264, 29 septembre 1764.
6. C 4264, 29 septembre 1764.
i4l8 RAPPORTS DIÇ LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BORDEAUX
Alors la Chambre, sans cesse humiliée i, adopta une autre tac-
tique. Elle s'ingénia à obtenir du Parlement par les prières et les
flatteries ce qu'elle ne pouvait lui arracher de vive force. Le Par-
lement se laissa persuader des excellentes intentions de la Chambre
à son égard, elle sut le flatter dans son rôle de « père du peuple ».
D'ailleurs le changement de premier Président lui avait épargné
la peine de se contredire; elle pouvait faire sa cour à Leberthon
le fils, sans avoir peut-être toujours pensé du bien de Leberthon
le père.
« M. le Premier Président, lit-on dans ses registres de délibérations,
frappé en bon père du peuple du désordre qui résultera, étant
trop bon citoyen pour se refuser à ce que la Chambre lui faisait
demander, etc.. 2» Sur ces entrefaites, le Parlement tombait, et un
grand vide se fit dans la vie bordelaise. Il y avait une place à prendre;
nous verrons qu'elle revint à la Chambre.
Dès 1771, on peut se faire une idée de ce que cette Chambre va
devenir. Entre l'arrivée de Choiseul au pouvoir et la chute des Parle-
ments elle se transforme, et c'est un renouveau. Elle est à un tournant
de son histoire. L'intérêt de cette période ne va point aux événe-
ments qui la remplissent; ils sont le plus souvent quelconques
et sans portée, mais chacun est un jour par où l'on peut surprendre
«l'Etre qui se décide», comme disait Frédéric II. L'affaire des
espèces, la question des blés, voire même celle des eaux-de-vie et
celle des vins n'ont rien de bien particulier, mais elles nous mon-
trent les Directeurs s'affranchissant de plus en plus de la tutelle
des Intendants, et se plaçant peu à peu sous celle du commerce
bordelais qui grandit avec tout le tiers état. D'autre part, dans les
relations du Parlement et des Directeurs entre 1757 et 1771, on
trouve la preuve de l'aisance avec laquelle la Chambre modifie sa
politique pour l'adapter aux circonstances. Elle dispose de tous
ses moyens et elle sait en user. C'est la veille de son apogée.
(A suivre.) M. LIIÉRITIER.
1. Cf. la question du droit sur le blé perçu par l'hôpital d'après un arrêt du Parlement.
G 4264, C 4331, C 4257.
2. C 4264, 10 mars 1765; C 4257, 2 mirs 1770.
MÉLANGES
Une mésaventure conjugale du peintre Lonsing.
Au début de la Révolution, le citoyen Péchade, inpféuieur arrlii-
tecte, adressa aux autorités un grand nombre de mémoires et cir-
culaires se référant à des plans ou projets plus ou moins réalisabjfs.
Dans un de ces dossiers le hasard nous a fait découvrir ' un documrnl
malencontreux pour le peintre Lonsing.
Gomme Jean-Jacc[ues, le citoyen Péchade a écrit sa confession.
Il résulte de ce fragment autobiographique, dont certains dél;iiis,
pour être communiqués, nécessiteraient une traduction !;iline, qu'il
eut des relations plus qu'amicales avec la femme de l'artiste Lon-
sing, neuf mois avant la naissance, qui eut liiii i-n iii;ii> 17^'.*, du
deuxième fils du peintre, et les renseignements donnés par Péchade
concordent avec l'acte de baptême de cet enfant 2.
M. Meaudre de Lapouyade, auteur du beau livre sur : Le pcinln'
Lonsinff, avait fait sans succès des recherches dans plusieurs villes
d'Italie pour connaître le lieu de naissance et l'acte de mariage de
la femme de l'artiste. La «confession» <Ie Péchade mentionne
(|u'Agathe Ricci, femme Lonsing, est née à Milan, où l'acte di*
mariage, également recherché ces jours derniers, à la suite de notre
petite découverte, par M. de Lapouyade, est resté introuvable.
Cette confession permet aussi de comprendre peid-être l'étrange
façon dont est représent i' le ménage Lonsing ilans la gravure de
X'illeneuve représentant V I nccndie de la ailJièilrale de liordenus.
estampe rarissime, dont la planche, nudheureuseinent mutilée, a
figuré l'an dernier à la vente Cliaigneau. Cette gravure porte, h
la suite du titre, cette mention : « Hoc triste niomimenlum mœrens
mœrentibus, dicat Joannes-Baptista Péchade, arehileelus. » Péehaiie
paraît donc être l'inspirateur de l'estampe reproduite dans l'ouvrage
de M. Meaudre de Lapouyade et accompagnée de celte description :
« Lonsing, dont on reconnaît la corpulence, est figuré la palette sous
le bras, recevant — allusion à sa vie besoigneuse — la bourse (pie
lui tend un passant, tandis qu'il conduit par la nuiin un pet il enfant ,
1. Arch. dép., série G 2374.
'2. Cf. cet acte dans Meaudre de Lapouyade, Le peintre Lonsing. Paris, 1911, in-l",
p. 63.
430 MÉLANGES
son fils Louis, sans doute, tenant des pinceaux. Derrière eux une
femme dans un état intéressant porte le chevalet du peintre et une
seringue, elle a son mouchoir sur les yeux et semble pleurer. C'est
Agathe Ricci enceinte, en efïet, de son fils François en 1788-1789 :
c'est-à-dire entre la date de l'incendie et celle de la gravure, faite,
par Villeneuve à Bordeaux, en 1790 ^»
Que signifie cette scène, qui rappelle le faire d'Hogarth? D'après
la déclaration citée plus haut, toutes les suppositions peuvent être
imaginées. Le dessinateur a-t-il voulu indiquer l'acceptation par
Lonsing de certaines situations moyennant finances? La représen-
tation de l'instrument cher à Pourceaugnac prouverait-elle qu'il a
voulu ridiculiser Agathe Ricci pleurant sa faute, de même qu'il s'est
plu à perpétuer cette faute, postérieure à la date de l'incendie et
antérieure à l'année 1790, date de la gravure? Ne serait-ce pas
plutôt un trait de malice du graveur Villeneuve à l'adresse de son
confrère Lonsing? On peut, en tout cas, regretter que Péchade, s'il
n'a pas inspiré cette scène, n'ait pas cru devoir la faire supprimer.
11 y a lieu de croire que la brouille entre Péchade et Lonsing — s'il
y eut brouille — fut de courte durée. En elïet, en cette même année
1790, Péchade proposa la création d'un atelier de charité sur les
glacis du Château-Trompette et il imagina, en vue de subvenir aux
frais d'établissement, une souscription de quarante sols par adhérent
pour faire graver les portraits du duc de Duras, commandant général,
et de Courpon, major général de l'armée patriotique bordelaise. Or,
on sait que Lonsing est l'auteur du portrait du duc de Duras, lequel
est au Musée de notre ville. Est-ce d'après ce portrait que Péchade
prétendait faire graver cette sorte de prime à ses souscripteurs? Ce
qui est certain, c'est que, au mois d'octobre 1790, le duc de Duras
faisait distribuer à Bordeaux une gravure « où était gravée sa face
bourgeonnée ))2, et qui, à n'en pas douter, était celle de Péchade,
Celui-ci était donc arrivé à ses fins.
Fernand Thomas,
* •
Une prophétie de Montesquieu (1711).
Il n'est peut-être pas hors de propos de rappeler en ce moment,
après M. H, Barckhausen, qui l'a déjà signalée^, une curieuse pré-
vision de Montesquieu.
On sait que la première édition des Lettres persanes remonte
à 1721. Or, dans l'une de ces lettres, datée de 1711, Usbek expose
à son ami Rustan l'état économique, social et politique de l'empire
1. Meaudre de Lapouyade, op. cit., p. 53, n. 4.
2. Bernaidau, Tablettes, t. VII, p. 31^.
3. Montesquieu, ses idées cl ses œuvres d'après les papiers de La Brède. Paris, 1907,
in-I6, p. 144.
MKi. \>(;i:s 4tl
des Osinanlis, sa corruption, sa misère, son despotisme, 8on igno-
rance fies choses militaires, et il termine par ces mots :
Voilà, cher Ihislun, une jiisle idée de cet empire ijtii, nvanl deux
siècles, sera le Ihêâlre des triomphes de fjiielque cnnipiéninl '.
Les événements (jui viennent il»- se déronli-r dans l.i presfprile
des Balkans vérillent, une fois de phis, l'étonnante saçacité de
Montes(iuieu.
M. Barckliausen a remar(iué aussi (pu' .MnuLes([uieu >e ravisa
plus tard, et qu'il écrivit dans ses Considérations : « L'empire des
Turcs est à présent à peu près dans le même degré de faiblesse où
était autrefois celui des Grecs; mais il subsistera longtemps, c;ir
si quelque prince que ce fût mettait cet empire en pi'-ril en ])()ur-
suivant ses conquêtes, les trois puissances commerçantes d»; l'Eu-
rope connaissent trop leurs affaires pour n'en pas prendre la défense
sur-le-champ 2. » Si les trois puissances dnnl juirlr Montes(piieu
sont la France, l'Angleterre et la Russie, comme il semble bien,
ces lignes aussi méritent d'être méditées en cette orageuse fin
d'année 1012.
A. L.
•
* •
Encore Goya.
Décidément, Goya n'a pas de chance à Bordeaux. II y passa ses
dernières années et elles furent misérables. Quand on voulut e.xhumer
son corps, déposé à la Chartreuse, on le retrouva sans tête. (Juand
on voulut conserver son souvenir parmi nous par une plaque com-
mémorative, on la fixa sur une maison où il n'était pas mort^. Pour
rétablir la vérité sur ce point, j'ai publié dans le dernier numéro
de la Hevue l'acte de décès de Goya, collationné sur l'original. Cet
acte avait été déjà imprimé, comme je l'ai dit, par M. Gustave
Labat, qui, dans sa transcription, avait omis une ligne. Par une
inadvertance vraiment fatale, j'ai fait la même omission, en dépit
de ma collation. Le début de l'acte doit être lu ainsi : « Il a été
déposé au Bureau de V FJnt-civil un procès-ver Ixil, jail pur Ir rmiunis-
saire aux décès, duquel il résulte, etc. »
P. C.
1. Lettres persanes, éd. Barckliausen, IS'J", p. J'J- lU, lellre ii" 19.
•2. Considérations, 23 (10).*
3. Des démarches sont faites en ce nionienl par la \ille pour oldonir du propriétaire
(lu n» 57 du cours de l'Inlendance l'autorisation de llxcr la placjuu sur la façade de
son immeuble. Kspérons (pi'elles ahoutiront, san.s quoi il ne restera plus qu'à enlever
l'inscription de la place où elle a\uit été mise et où elle a été rétablie par erreur.
CHRONIQUE
Société d'Histoire de Bordeaux. — Dans sa dernière assemblée
générale, la Société d'Histoire de Bordeaux a décidé de consentir aux
instituteurs et institutrices adhérents au Comité départemental d'études
locales des abonnements réduits (6 francs au lieu de lo francs par an) à la
Revue historique de Bordeaux.
Le deuxième centenaire de l'Académie. — L'Académie de Bordeaux
a commémoré, les ii et la novembre, le deuxième centenaire de sa fonda-
lion. Les fêtes organisées à cette occasion ont eu, grâce à l'appui moral et
au concours financier du département et de la Ville, un exceptionnel éclat.
Elles ont débuté, le ii, par une somptueuse réception à l'Hôtel de Ville,
offerte par la municipalité à r.\cadémie et à ses invités. Les salons de Gabirol
avaient été reliés par un passage couvert, transformé en jardin d'hiver, à la
galerie nord du ^Iusée de peinture, éclairée par des foyers électriques dispo-
sés au-dessus de la voûte vitrée. L'effet était prestigieux ; il a été unanime-
ment admiré.
Le mardi 12, dans la matinée, eut lieu une visite des deux établissements
scientifiques dus à l'initiative de r.\cadémiedu xvni' siècle: le Musée d'anti-
quesetla Bibliothèque municipale. M. Charles Gruet, maire de Bordeaux, tint
à présider en personne à cette visite, assisté de MM. Boubès, adjoint aux
Beaux-Arts, et de La Ville de Mirmont, adjoint à l'Instruction publique. M. de
Mensignac, conservateur du Musée d'antiques, fit les honneurs de ses collec-
tions et signala particulièrement les pierres du Musée de Dupré de Saint-
Maur. A la Bibliotlièque de la Ville, MM. Gebelin, conservateur, et de
Maupassant, bibliothécaire adjoint, avaient organisé une très intéressante
exposition de documents, livres, portraits et souvenirs rappelant les diverses
époques de l'histoire de l'ancienne Académie.
A midi, eut lieu à l'hôtel de Bayonne un déjeuner, présidé par M. Thamin,
recteur de l'Université de Bordeaux, délégué du ministre de l'Instruction
publique, et auquel assistaient, outre les membres de l'Académie, les princi-
pales notabilités de la ville et du département et les nombreux délégués des
Académies provinciales et des Sociétés savantes et artistiques de Bordeaux et
du Sud-Ouest. Aux places d'honneur étaient les délégués de l'Institut de
France: M. Marcel Prévost, délégué de l'Académie française, M. le comte
Robert de Lasteyrie, délégué de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
M. Pascal, délégué de l'Académie des Beaux-Arts, M.Imbart de La Tour, délé-
gué de l'Académie des Sciences morales et politiques, M. Duhem, délégué de
l'Académie des Sciences, et aussi M. Gariel, président et délégué de l'Acadé-
mie de Médecine. Au dessert, on a applaudi un toast de M. Paul Courteault,
président de l'Académie, un discours où M. Gruet, maire de Bordeaux,
a rappelé les rapports de la Jurade et de l'Académie, enfin un toast exquis
de M. le recteur Thamin.
A trois heures et demie, une séance publique a eu lieu dans la salle des
concerts du Grand Théâtre. Elle a débuté par un discours de M. Paul Cour-
cHuoMQUE 4a3
teault sur l'œuvre et le rôle de l'Acjdéiuie de Bordeaux depuis deux siècles.
Elle a coulitiué par des leclurcs de quatre uieuibres de l'Acadénue: M. Bcr-
gonié a traité de la part prise par la Compagnie à la réforme des hôpitaux
borilelais à la fui du xvni" siècle; M. Duregne, de celle ([u'elle prit au pro-
bièuie de la transfortnatiou des Landes; M. Bouvy, du portrait de Montes-
quieu; M. de Bordes de Kortage lut ses beaux vers sur Lu viiillesse d'Ausone.
M. Marcel Prévost, de l'Académie rranç<Tisc, parla ensuite au nom de l'Ins-
titut et salua, dans un discours très noble, très spirituel cl d'une forme
achevée, l'Atadémie de .Moutes([uieu. On entendit les délégués, (|ui lurent
les adresses envoyées par leurs académies et sociétés respectives, au nombre
de onze. M. Courteault ériuuiéra les adresses, au nombre de dix-huit,
envoyées par les académies étrangères et lut celle de la Société Hoyale de
Londres, particulièrement cordiale. Puis il proclama, aux applaudissements
de l'assistance, les noms des nouveaux membres associés et correspondants,
élus par l'Académie à l'occasion du deuxième cenlenaire. Parmi ces noms, il
convient de citer, après ceux des délégués de l'Institut, ceux de MM. Charles
Bémont, Emile Cartailhac, F. Sirowski, F. Daleau, (i. Millardet. La séance
fut terminée i)ar un superbe discours de M. le recteur Thamin, qui clôtura
dignement cette très belle fêle iulellectuelle.
Le soir, l'Académie ollrait, dans la salle de spectacle du Grand-Théâlrc,
gracieusement mise à sa disposition par la Ville, une représentation de gala.
Elle comprenait trois parties : une partie musicale, rappelant les concerts
de l'Académie du \\m' siècle, où l'on applaudit une éniineule cantatrice,
M""' Croiza, du théâtre de la .Monnaie de Bruxelles, et l'orchestre cl les
chœurs delà Société de Sainle-O'cile, magistralement conduits par M. lUiené-
Baloîi, dans des Iragmenls d'Orphée, de (jluck; une partie dramati(iuc,
consistant en une comédie en un acte et en vers, Sur la terrasse, dans laciuellc
M. Paul Gautier, membre de l'Académie, évoqua, en des vers tour à tour
très souples et très fermes, un épisode du légendaire conflit de l'Académie
avec Tourny, dans un décor brossé par M\l. Arlus et Lauriol et représentant
le panorama de la rivière, avec, au premier plan, le Château-Trompette et
son glacis méridional, les allées et la façade du r'.hapeau-Rouge, vus de
l'hôtel .Ican-Jacqucs Bel, et qui fut interprétée à la perfection par M. .Mexan-
dre et M"'° Robinne, de la Comédie-Française. La troisième partie de la
soirée fut remplie par des danses anciennes et le spectacle fut terminé par
le couronnement du buste de Monlesciuieu.
Le mercredi 12 novembre, l'Académie et ses invités firent une très agréa-
ble excursion à Arcachon : on visita, sous la conduite de M. le D' Hameau et
de M. Durègne, le Musée de la Société scientifique e( les laboratoires de M. le
professeur Jolyct; un déjeuner fut oHert au Casino par la ville d'.Vrcachon;
on fil en bateau une charmante promenade sur le bassin et, en forêt, une
non moins charmante excursion en voiture. Celle journée clôtura ces
belles fêles, où Bordeaux, ville de négoce, a montré d'une façon éclatante
qu'elle savait être aussi la ville de l'inlelligence, de l'esprit et du bon goût.
A l'Académie des Inscriptions. — Dans la .séance du aa novembre.
M. Camille Jullian a présenté en ces termes le livre de notre collaborateur
M. Jean Barennes, sur « La viticulture el la vinification en Bordelais au
Moyen-.Vge ». précédé d'une préface de notre collaborateur M. Brulails:
«.l'ai plaisir à associer les deux noms de M. Barennes el de M. Brutails,
qui sont celui du maître el celui de l'élève. M. Barennes se montre digne
dans ce travail du guide qui l'a conduit; l'ouvrage renferme quantité de
documents nouveaux, 1res sobrement analysés, très sagement commcnlcs.
424 CHRONIQUE
Pour la première fois, nous possédons une étude très fine sur les procédés
de viticulture au Moyen-Age. Rien n'est oublié, ni l'examen du sol (géogra-
phie viticole), ni les discussions juridiques (conditions de tenue des vigno-
bles), ni les procédés techniques (culture, vinification, logement des vins).
M. Barennes est aujourd'hui le seul érudit capable de nous donner une
étude scientifique sur l'histoire du vin de France. Quel beau sujet de thèse
et même d'enseignement! »
A la Faculté des Lettres. — M. P. Courteault, professeur d'histoire
de Bordeaux et du Sud-Ouest, traitera cette année les deux sujets suivants :
1° le Port de Bordeaux (conférence publique) ; 2° la Gascogne de i453 à 1789
(cours public). La leçon d'ouverture de la conférence publique sur le Port
a eu lieu le mercredi u décembre. M. Charles Gruet, maire de Bordeaux,
MM. Daniel Guestier et Paul Maurel, président et premier vice-président de
la Chambre de Commerce, y assistaient.
Comité girondin d'études locales. — Ce Comité, créé pour stimuler
et organiser l'enseignement de l'histoire locale dans les écoles primaires, s'est
réuni, le jeudi 21 novembre, aux Archives départementales, sous la prési-
dence de M, Camena d'Almeida. 11 a arrêté un programme d'action pour
l'année scolaire 1912-1913. Quatre conférences de méthode seront faites aux
instituteurs et aux institutrices du département par MM. Camena d'Almeida,
Brutails et Courteault. Elles seront imprimées dans le bulletin départe-
mental de l'enseignement primaire. Un recueil de dictées girondines sera
préparé. Le Comité a aussi étudié les moyens d'illustrer les couvertures des
cahiers de classe à l'aide d'images représentant les monuments ou les
grands personnages de la Gironde.
A la Bibliothèque de la Ville. — M. F. Gebelin, conservateur de la
Bibliothèque, a achevé le classement et l'inventaire des papiers de Lamon-
taigne, sauvés jadis de la destruction par R. Céleste, ainsi que ceux des
dessins de Lacour. — Par arrêté ministériel en date du 20 novembre 1912,
le Comité d'achat et d'inspection de la Bibliothèque est composé comme
suit : M. le Maire de Bordeaux, président; MM. les Doyens des Facultés des
Sciences, des Lettres, de Droit et de Médecine ; MM. Camena d'Almeida et
Courteault, professeurs à la Faculté des Lettres; Duhem, professeur à la
Faculté des Sciences; Barckhausen et Duguit, professeurs à la Faculté de
Droit; Costedoat, professeur au Lycée; de Bordes de Fortage, Baillet et
Sarreau, membres de l'Académie; Élie de Sèze, conseiller municipal. La
Commission s'est réunie pour la première fois le jeudi 19 décembre.
Aux Archives municipales. — Par arrêté de M. le Maire de Bordeaux
en date du 4 novembre 19 12, la Commission de publication des archives
municipales est composée comme suit : M. de La Ville de Mirmont, adjoint
au maire, président; MM. Boubès, Buhan, de Sèze, conseillers municipaux;
de Bordes de Fortage, Bourciez, Courteault, Duguit, F. Habasque, Alfred
Leroux, G. Bouchon, Gebelin et Ducaunnès-Duval.
Un musée au Grand-Théâtre. — Une information du Figaro a annoncé
qu'il était question de créer dans une salle du Grand-Théâtre un musée his-
torique de l'art dramatique bordelais. Cette information a été démentie'.
I. Elle a été reproduite par le Neues Wiener Tagblatt du 4 décembre. L'erreur
marche plus vite que la vérité.
CUHOMQLE 4^5
Elle était, en ellel, d'allure assez l'anlaisiste. I/idéc eliciiu-inc n'en est pas
moins dign(> d'approbation. Souliailons (]u'(;lle fasse son chmiin et <iu'à
l'occasion de la léomcilure de noire salit; de spectacle, à la suili: dos
réparations qu'elle va prochainement subir, on nous donne au moins une
exposition rétrospective du Grand-Théàlre'.
Le plafond du Grand-Théâtre. — Dans sa séance du vendredi (j dé-
cembre, le Comité consultatif des beaux-arts, réuni à l'Ilùtcl-de Ville, a
proposé, à l'unanimité, qu'à 1 occasion de la réfection du plaibnd du (Jrand-
Théàlre, on confiât à des artistes bordelais le soin de reproduire exactement
l'œuvre de Robin, refaite complètement en i85i et depuis lamentablement
détériorée par raiicien lustre à gaz. On no peut (|u'applaudir à cette i)roj)o-
sitioii, que l'administration municipale est toute disposée à faire sienne.
— Dans sa séance du vendi'edi i3 décembre, le même comité a exprimé le
vœu que l'on s'appliquât à mettre l'aménagement intérieur de la salle en
harmonie complète avec le chef-d'œuvre de Louis et qu'on s'inspirât autant
que possible de ce qui existait à ce sujet au xvur" siècle.
Une exposition Monvoisin à Santiago du Chili. — Du i<3 au 3o sep-
tembre dernier a eu lieu à Santiag<i du Chili, dans les salons du journal El
Mercario, une exposition, organisée par le Comité France-Amérique, d'une
partie de l'œuvre du peintre bordelais Uavmoiid Monvoisin. Cette exposition
ne comprenait pas moins de quatre-vingt-trois toiles, parmi lesquelles la
Séance du Neuf Thermidor, le Dernier Repas des Girondins, et une remar-
quable série de portraits peints par Monvoisin pendant les quinze années
qu'il passa au Chili ' .
Un milliardaire bordelais aux États-Unis. — Dans la conférence
qu'il a faite, le samedi (^i novembre, à la Faculté des lettres, sous le double
patronage de l'Université de Bordeaux et du Comité régional de l'Alliance
Française, M. James llyde a évoqué le souvenir de Stéphen Girard, né à
Bordeaux le 20 mai i7<jo, rue Ramonet. mort à Philadelphie le uti décembre
i83i, après y avoir fait une colossale fortune et y avoir fondé le « Girard
Collège », destiné à recevoir des orphelins de toutes les religions, mais à la
condition qu'aucun ministre d'aucun culte ne pût y pénétrer. M. James
llyde a réuni sur cet original philanthrope de nombreux renseignements.
Il serait très reconnaissant aux personnes qui pourraient, à Bordeaux, lui
permettre de les compléter. Prière de lui écrire à Paris, rue Adolphc-
Yvon, 18 (WP).
Un écusson anglais aux armes de Bordeaux, — Sur l'initiative dt>
notre collaborateur .M. Meaudre de Lapou>ade, et par les soins de .M. Bou-
bès, adjoint aux Beaux-Arts, une pierre sculptée du xV siècle, portant les
armes anglaises de Bordeaux souteimes par trois anges, qui était depuis
longtemps encastrée dans une maison de la rue Gratiolet. ac(|uise il y a deux
ans par la \ ille pour y installer une école, va être transportée au Musée lapi-
daire, ainsi ([U(; les deu\ pierres trouvées au début de kjio dans le chantier
de la Faculté de Médecine (cf. Revue, njio, p. ôy,. et restées depuis en dcpùt
au secrétariat de cette Faculté.
I. Voir la chronique bordelaise d'Argus dans la Petite Gironde du lundi a dûccm-
bre KJ12.
3. Cf. l'aul Courlcault, L'œuvre d'un peintri: bordelaii au Chili (^Petite Gironde du
3o novembre igia, avec un portrait de Monvoisin).
3o
4 2 6 CHRONIQUE
Académie de Bordeaux. — Dans la séance du ai octobre a eu lieu la
réception de notre collaborateur, M. Saint-Jours. Le récipiendaire et le pré-
sident, M. Paul Courteault, ont fait l'éloge du regretté R. Céleste. — L'Aca-
démie a mis au concours, pour le Prix de la Ville de Bordeaux, en 19 1 3, le
sujet suivant : « Un bourgeois bordelais devenu grand seigneur : Bernard
Angevin (?-i483?); l'homme, le milieu, l'époque. »
Dans la séance du 21 novembre, l'Académie a décidé de publier un
volume commémoratif dos fêtes de son deuxième centenaire. La séance
publique de 1912 a été renvoyée à 1918; mais le palmarès des concours sera
publié, comme d'usage, à la fin de la présente année.
Dans la séance du 5 décembre, l'Académie a entendu la lecture par
M. Gayon, trésorier, du bilan des fêtes du deuxième centenaire. — Elle a élu
pour 1913 : vice-président, M. Dolhassarry; trésorier, M. Gayon; archiviste,
M. llarlé ; secrétaires adjoints, MM. Cirot et Saint- Jours; membres du
conseil, MM. Courteault, Paul Gautier, D" Démons et Vèzes. M. le D"^ Régis,
vice-président en 1912, devient président pour 191 3. — L'Académie a entendu
le rapport de la commission de linguistique sur le concours La Grange. —
M. le Piésident a présenté un volume de M. H. Patry, archiviste aux Archives
nationales, sur Les débals de la réforme prolestante en Guyenne C1526-1559),
important recueil d'arrêts du Parlement de Bordeaux, précédé d'une pré-
face de M. Camille Jullian. — M. Brutails a entretenu la Compagnie d'une
récente étude sur l'origine des coupoles du Sud-Ouest, et signalé dans ce
travail un certain nombre d'erreurs. — M. Courteault a lu une note de
M.Gebelin, bibliothécaire de la Ville, sur l'élection de l'abbé Venuti comme
associé de l'Académie de Bordeaux, en 1789.
Dans la séance du 19 décembre, l'Académie a décidé d'envoyer une adresse
à l'Institut Rice, de Houston (Texas), à l'occasion de son inauguration. —
Elle a entendu le rapport sur le concours du Prix de la Ville de Bordeaux
en 191 2.
Dans la séance du 27 décembre, l'Académie a entendu le lapport sur le
concours de littérature et de poésie. Elle a ensuite dressé le palmarès de
1912. Notre collaborateur, M. Jean de Maupassant, obtient le Prix de la
Ville de Bordeaux pour une belle étude sur Abraham Gradis. Notre colla-
borateur, M. l'abbé Gaillard, est lauréat du prix Brives-Cazes pour l'en-
semble de ses pubhcations d'histoire locale. M. Bertin-Roulleau obtient une
médaille de bronze pour son livre sur La fin des Girondins, et M, Maurice
Ferrus une médaille de bronze pour son Bordeaux Pittoresque.
Société des Archives historiques. — Dans la séance du aS octobre,
M. P. Caraman a communiqué un document sur l'incendie de l'hôtel du
premier président Leberthon, le i" avril 17^1; M. de Roquette-Buisson,
des extraits du livre de raison d'Élie de Bétoulaud, jurât de Bordeaux
(iGo3-i654); M. F. Thomas, un document sur Le Masson du Parc et les
pêcheurs du captalal de Buch (1727) (cf. Revue, 1912, pp. 35 1 -353;;
M. R. Brouillard, des documents fort curieux sur le séjour à Ambès des
Girondins proscrits; M. Alfred Leroux, deux documents nouveaux sur le
quartier de Bacalan; M. Th. Ricaud, les statuts et règlements de la confrérie
des tailleurs maîtrisés de la sauvetat Saint-André (29 juillet 1771) et les
règlements de la confrérie des saints Crespin et Crespinien (i744)- — La
Société a admis comme nouveau membre M"° Cluzan.
Dans la séance du 22 novembre, M. P. Carainan a communiqué des
plaintes des habitants de Castelmoron-d'Albret contre le régent latin Véril-
lac et contre sa femme (18 octobre 1767); M. Th. Ricaud, un traité passé
'.n-
CIIRO.NIQIJE 'la
entre le m»'docin (irassi et les abliés .1. cl I'. La Pause poui- la disliil)Mlion et
vento (lu kiua superfin pn'-paré à l'auKlaise (17.S1); M. Alfn-fi Leroux, les
statuts (loiiiK's à la (oniinunaulé des pn"'trcsdo Sainl-Miclicl de Bordeaux par
François de Sourdis f lOi 1); M. R. Brouillard, l'iulerro^iatoiro des ofliciers el
de l'équipage du brick qui transporta les Girondins proscriLs {septembre
i7t).'{); M. V. f'-uiirleaull, au nom de M le iicnliMianl de Cardenal. une
drlibrralioii des yens des trois iilats du iN'-rigord, pour supplier Hem i li de
supprimer la gabelle en Poitou, Saintonge, Anpoumois el Guyenne (2a sep-
tembre i553); M. P. Harlé, une lettre de Lamonlaiirne à l'intendant Le
Camus de Névillc au sujet des impositions de rAcad('mie de Bordeaux
fi78(»); M. Rousselol, une ordonnance des trésoriers de France relative à
l'entretien de la chaussée de Bacalan jusqu'au passage de Lormonl (1781),
et des lettres patentes do Louis W relatives à la création dun débarcadi'-n'
à La Bastide (17 octobre 1737;. — La Société a procédé au reiiou\ellomriil
partiel de son bureau pour igiS. Elle a élu président M. Sam Maxwell;
vice-président, M. Paul Courleault; trésorier, M. Tli. Amtmann: archiviste.
M. P. Robert de Beauchamp; secrétaire adjoint, M. R. lirouillard; assesseur,
M. F. Gebelin.
Dans la séance du 27 décembre. M. Th. Amtmann, trésorier, a fait
connaître la situation financière de la Société en 191 a. — M. P. Caraman
a lu un document, du i" décembre ifV'jG, sur la rue de Londres;
M. A. Leroux une requête des bénéficiers de Saint-Michel à l'archevêque,
touchant le service des confréries (1751): M. [brouillard, de nouveaux
documents sur les Girondins proscrits.
Société Archéolog-ique de Bordeaux — Dans la séance du
i:? juillet, M. le D" Imbert a doimi' lecture de notes sur un livre de raison
du \vii« siècle qui contient de ciuieux détails sur la visite que fit en i~'i'<,
à Bordeaux, la dauphine Marie-Thérèse et des renseignements sur l'installa-
tion delà chaire de l'église Saint-Michel.— M. Thomas a lucpieUpies rcmar-
qucssurl'attributiondedeux gravures à .L-B. Pailière. — La Société a notnmé
une commission pour aller examiner la mosaïque gallo-romaine de Hure.
Dans la séance du 11 octobre, M. Charroi, secrétaire génc'-ral, a rendu
compte de la visite faite à Hure, le '1 août dernier, par la commission dr la
Socii'té, qui a constaté que, grâce aux mesures prises par la municipaliti-,
les mosaïques gallo-romaines, récemment mises à jour sur le cùlé' ouest de
l'i'glise, sont di'-sormais à l'abri de toute di'ti rioralioii. — M. Hi-chadc a
signalé un document latin écrit avec des caractères grecs. — M. (i. Bou-
chon a fait part de la découverte récente d'un lot de monnaies romaines du
n' siècle, à l'endroit du banc de Queyries où s'élèvera prochainement l'une
des piles du pont transbordeur.'
Dans la séance du 8 novembre, M. .\. Bardii' a rendu compte de l'inaugu-
ration delà troisième salle du Musée de la porte du fîailhau, faite en présence
de la municipalité. - :\I. K. de FayoUe a pn'soiiti' deux plats d'ofTrando, du
xvi" siècle, en (Hain, ayant au centre un godet dissimule par une statuette
de même métal représentant l'une saint Michel, l'autre saint IMerre, qui
peuvent se remplacer à volonté, (^es deux objets, oITerts à la Ville par
M. deFayolle, iront prochainement prendre place dans les vitrines du .Musie
de Carrcire. — M. Béchade a lu un mémoire relatif à un denier de Henri 11
Plantagenct. Sont réélus ou élus membres du Conseil, pour trois ans,
MM. Brutails, Bardié, D' Lalanne, Coudol et Bontemps.
La Société vient de distribuer son deuxième fascicule de 1910. Il contient :
une note de M. C. de Mensignac sur le lot de faïences bordelaises du
428 CHRONIQUE
xviii" siècle, provenant de l'ancienne pharmacie du couvent des sœurs de
Saint-Projet et acquis parla Ville le 17 mars 1909, avec deux belles planches;
un article de M. Charroi sur l'inscription gallo-romaine de l'église Sainte-
Hélène, par lui découverte (cf. Revue des Études anciennes, 1910, p. 418-419,
et ici, 1910, p. 434). avec deux très belles photographies; une très conscien-
cieuse et très intéressante étude de M. Th. Ricaud sur les deux églises de
Sainte -Colombe, d'après les procès -verbaux de visite des archevêques, et
autres documents de la série G; une note de M. A. Bontemps sur un curieux
bas-relief mérovingien de l'église de Guîtres (planche) ; une étude de M. A.
Gonil sur les sépultures franques et mérovingiennes de Saint-Nazaire-de-
Loubèsetde Cournol (planches); un excellent résumé, par M. le D"^ G. Lalanne,
des résultats, au point de vue stratigraphique, industriel et artistique, de ses
deux années de fouilles préhistoriques à Laussel (1908-1910); enfin une note
sur l'emplacement probable de la fameuse source purgative de la Rousselle.
La publication de la correspondance de Montesquieu. — Cette
publication, entreprise par R. Céleste, a été confiée par la Société des Biblio-
philes de Guyenne à MM. F. Gebelin, successeur de Céleste à la Bibliothèque
delà Ville, et Morize, ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé des
lettres, professeur au Lycée de Bordeaux.
Conférence de M. E. Oartailhac. — Sous les auspices de la Société
Linnéenne, M. ÉmileCartailhac, correspondant de l'Institut, chargé de cours
à la Faculté des Lettres de l'Université de Toulouse, a fait le mercredi
1 1 décembre, à l'Athénée, devant un amphithéâtre comble, une très belle
conférence sur les récentes découvertes d'œuvres d'art préhistorique dans
nos pays. 11 y a mis en relief tout ce que la science préhistorique doit, dans
cet ordre d'idées, à MM. F. Daleau et le D' G. Lalanne.
Les conférences populaires d'histoire locale. — Ces conférences,
organisées l'an dernier avec un grand succès sous le patronage de la Société
Philomathique, seront reprises en janvier 1918. Elles continueront d'avoir
pour objet les quartiers de Bordeaux. M. Léonard-Chalagnac, professeur
au Lycée, fera la première sur le quartier Saint-Bruno.
Autour des « Essais » de Montaigne. — La Société des Amis de Mon-
taigne constituée en mai dernier (cf. Revue, 1912, p. 21 4) s'est réunie, sous
la présidence de MM. Anatole France et Henry Roujon. M. le D' Armaingaud
y a présenté les deux premiers volumes de l'édition municipale des Essais,
et il a félicité la Ville de Bordeaux de sa libérale initiative. M. E. Courbet
a présenté à son tour les bonnes feuilles du premier volume de l'édition de
l'imprimene Nationale, qui donne le fac-similé lypofjvaphique de l'exem-
plaire de Bordeaux et qui sera livré dans quelques mois à la publicité. Il
convient d'ajouter que la maison Hachette a déjà fait paraître, en trois vo-
lumes, une reproduction p/io/oj/rap/ug»? du même exemplaire, exécutée sous
la direction de M. F. Strowski et préfacée par lui. Qui se plaindrait à Bor-
deaux de cette émulation féconde dont Montaigne est présentement l'objet?
Le concours littéraire sur Bordeaux. — Dans son numéro du
20 décembre, la Revue des Français donne les résultats du concours ouvert
par elle sur la meilleure définition de Bordeaux (cf. Revue, 1913, p. 357).
Voici, à titre de document, les quatre premières réponses couronnées :
1" Bordeaux, la Corne d'or française (M. Henri Laville de Lacombe);
3° Une grappe de raisin dans un verre d'eau (M. Ferdinand Aublin);
3" Le rubis d'Aquitaine (M. Guy Aigoin du Rey);
4° Le Cellier de la France (M. Adhémar Presle de Sainte-Marie).
BIBUOGRAlMIIi:
Harlé (Pierre). Mlle de Bordeaux. Registre du Clerc de ville, wr siè-
cle, public par Pierre llarlc... Bordeaux, (jounouillioii, kjij, in-'j
de XLi-SSg pages, avec un fac-similé. (Tirage à pari public aux
frais de la Ville de Bordeaux.)
On conserve aux Archives municipales de Bordeaux un registre écrit en
majeure partie de la main de l'avocat Richard de Pichon, qui fut clerc de
ville de i55i à i6o3. C'est une sorte de mémento à l'usage particulier de
Pichon, où il prenait note des « arestz de la Cour |de Parlement de Bordeaux]
consernant les afTayres de la ville. » Ces mentions, souvent très sommaires,
toujours très précises, offrent le plus grand intérêt et sont un f.nil(l(' jiré-
cieux à celui qui veut faire des recherches dans le fonds du Parlrmeiit ;iu\
Archives delà Gironde. Elles sont entremêlées de notes de toutes sortes:
listes de jurais, de memhres du Parlement, de prud'hommes, états de
l'armement des navires de guerre (p. 72), de l'artillerie de la ville (p. i/jg;,
des taverniers de Bordeaux f^pp. iSg et ao3), notes sur les événements du
temps, sur la famille de Pichon, etc. Le tout — arrêts et notes diverses —
inscrit au hasard sur le registre et sans aucun ordre apparent.
Nous devons une grande reconnaissance à M. Marié, qui nous rend acces-
sible cette pn-cieusc mine de renseignonicnls divers, dont il donne une
excellente édition, d'un très grand mérite paléographlipu-, munie d'un
index fait avec soin et précédée d'une fort intéressante introduction.
Le registre du clerc de ville contient une autre partie, tpu n'est plus l'iru-
vre de Bichard de Pichon, d'un caractère assez dilVérent de la précédente.
Ce n'est pas un recueil d'arrêts. Plusieurs personnes y ont simplement
inscrit, les uns à la suite des autres, des renseignements divers con
cernant la ville de Bordeaux : un extrait des registres de la Juradc de
ir)2o à 1Ô37, <lcs ordonnances de police, des comptes, etc. Kmile Lninnnc cl
plus récenunent M. Paul Courteault en ont tiré les éléments d'intéressantes
publirations, parues dans les tomes XII et \\\\ des,lrr/in'<'s/(i."î/<ir(«///<'S </<• la
Gironde. M. Ilarlé (dont le travail a paru d'abord dans le même recueil 1 a
pensé qu'il était inutile de donner à nouveau les passages édités déjà. C'est
là peut-être chose regrettable, car il nous eût été plus commode de posséder
en un seul volume une édition intégrale du registre du clerc de ville.
F. (i.
Zi3o BIBLIOGRAPHIE
H. Patry. Les débuis de la Réforme proleslanle en Guyenne (1523-
i559), arrêts du Parlement publiés avec une préface de M. Camille
Jullian. — Bordeaux, Feret et fils, 1912, in-^" de xliii-3oo pages.
Dans le tome 1, le seul paru, de son Histoire de la Réforme à Bordeaux et
dans le ressort du Parlemeni de Guienne, Gaullieur avait signalé et utilisé de
nombreux arrêts du Parlement, extraits des registres et des liasses de la
série B de nos archives départementales. Mais son dépouillement était
insufTisant et imparfait. M. Patry nous rend un grand service en publiant,
pour la plupart in extenso, tous les arrêts par lui retrouvés dans ce fonds.
Cette publication sera très précieuse pour l'histoire, encore mal connue, des
débuts de la Réforme à Bordeaux et en Guienne. Car je ne suis pas tout à
fait de l'avis de l'éditeur : j'estime que, même après Gaullieur, il était
possible et souhaitable d'écrire cette histoire, fût-ce avec ces arrêts
seulement; et je regrette un peu que M. Patry ne l'ait pas fait. 11 y a là —
M. Patry les signale d'ailleurs — des confirmations décisives de certains
Jugements de Montluc et de Florimond de Raymond, par exemple, sur les
progrès étonnants de la Réforme parmi les officiers royaux et municipaux,
sur le nombre considérable des adhérents dans les classes populaires.
Certaines questions très délicates ont été abordées et résolues par Gaullieur
d'une façon plutôt sommaire : par exemple, dans quelle mesure les régents
et les écoliers du Collège de Guienne furent contaminés par l'hérésie nais-
sante. L'article donné par M. Patry à la Revue tiistorique et reproduit ici,
dans l'introduction, ne me satisfait pas complètement. Aussi je fais le vœu
qu'il nous donne la synthèse de ces documents, qu'il a recherchés avec tant
de patience, transcrits avec un soin si minutieux, publiés d'après les
meilleures méthodes. 11 nous la doit, et il est très qualifié pour la faire.
L'introduction reproduit aussi l'article sur Thomas lUyricus — encore un
bien beau sujet! — et l'analyse avec commentaire de la curieuse enquête
de i538 sur les débuts de l'hérésie à Agen, transcrite par M. O. Fallières et
par lui communiquée à M. Patry. Le volume est précédé d'une préface de
M. Camille Jullian, qui est à lire.
Paul COURTEAULT.
TABLE DES MAIIEUKS
!•
Barennes (Jean). — Viticulliiie et vinificaliuii en liordelais au
Moyen Age /17, 10,
— Montesquieu et le braconnage à La Brède ifiS
BROUiLt.AUD (R.). — Baisers paliioliques fia
— La baronnic de Sainl-Magne, d'après des documents inrdils, avec
la collaboration de M. le baron Ein. OberkatnpIÏ de Dabnni.
\hhù WhL'il CtAiLLA.Ki) (BihlioijrapliieJ l'ia
— Ln notaire qui n'aime pas les tyrans uuti
— In ballet original j--
— Nouvelles recherches sur les Girondins proscrits (i 793-1 7iJ'4)3o8, 371»
Brutails (J.-A.). — Portails d'églises girondines •j.Sij
Caramak (P.). — Recherches sur l'ancienne église Notre-Dame de la
Place, à Bordeaux, et sur ses diverses appellalions -.(17
Chinauu (Gilbert). — Un romancier bordelais inconnu : Antoint' Du
Périer, sieur de Salargues .{(ii
GouRTEAULT (Paul). — Qucstious et réponses 6/i, ao(t
— Une Académie des sciences à Bordeaux au xviM' siècle 1 '|.">
— A propos d'un portrait de Victor Louis r3ii, jiA'i
— L'exotisme américain dans la littérature franc^aise au \vi' siècle.
d'après Rabelais, Ronsard, Montaigne, etc. — (iiiberl Gm-
NARD (Biblioyraphie) aS'i
— Montesquieu e Machiavelli. — E. Levi-Mai.vanu (Bibliographie). aSfi
— Les idées financières do Montesquieu. — ToiRNYor. dl ('los
{Bibliographie) ui<7
— La maison mortuaire de Goya 34>S
— Encore Goya f\x\
— Les débuts de la Réforme protestante en (îuyenne (i.')a3-i5.u)).
— II. Patuy {Bibliotjraphie) .'i3o
— Chroniques 05, 137, uo8, ji<o, 355, .'ia3
DuRiEtx (Josephj. — L'Étal-major du Chaleau-Trompettc en 1773 . . ^78
Etchart(E.). — Questions et réponses 3â'i
Gaillard (Abbé Albert). — .\ travers le schisme conslilulionnol m
Gironde. 18, ion
— Les Messieurs Lalapy (Histoire de trois prêtres — »»i»nt«rt»»»»»'-^
— Vlarie-Thérèse-Gharlottc de Lamourous. fond;
corde de Bordeaux ( 175.'!- 1 830). — Auguste
graphie) ^•"'7
432 TABLE DES MATIERES
Gebelin (F.). — Histoire de Gastillon-sur-Dordogne (l'une des filleules
de Bordeaux) et de la région castillonntiise, depuis les origines
jusqu'à 1870. — Vernand GviGîiA.Rj) (Bibliographie) i43
— Ville de Bordeaux. Registre du Clerc de ville xvi* siècle. —
Pierre Harlé (Bibliographie) . 429
Harlé (Pierre). — L'horloge de la Grosse Cloche ôg
— Notes sur la Basoche et ses « farces » au xvi' siècle 349
Léonard-Ghalagnac (J.). — Questions et réponses 64
L[eroux] (A..). — Une prophétie de Montesquieu • . . 420
Lhéritier (M.). — Histoire des rapports de la Chambre de Commerce
de Bordeaux avec les Intendants, le Parlement et les Jurais
de 1705 à 1781 •73, 192, 256, 338, 4oo
Maupassant (Jean de). — La prise du corsaire de Jersey la Molly
(6 avril 1767) 42
— Index bibliographique 69, 21 3, 358
Meaudre de Lapouyade. — La statue de Clément V à la cathédrale
Saint-André 5
— Mésaventure d'un musicien du Grand-Théâtre nj5
— Voyage d'un Allemand à Bordeaux en 1801 i64, 22^9
Raby (L.) . — Correspondance 346x.
R[ousselot] (E.). — Le lieu de décès du comte Lynch 61 "^
S[aint-Jours]. — Méteuil, ancienne capitale du Médoc. Son principal
héritier Saint-Germain d'Es(mé)teuil. — Louis B.KBY{Biblio-
graphie) i4i
— Histoire de Lesparre. — Clary et Bodin {Bibliographie)]. . . . 283
Thomas (Fernand). — Un prince royal d'Angleterre à Bordeaux ... 63
— Le Masson du Parc et les pêcheurs du captalat de Buch .... 35 1
— Une mésaventure conjugale du peintre Lonsing 419
VovARD (André). — Un caporal girondin décoré de la Légion d'hon-
neur, en 1807 • '^^
-^ç»^-
Le Gérant: G. DucaUxNnès-Duval.
Bordeaux. — Imprimeries Gounouilhou. — G. Chapon, directeur.
9-11, rue Guiraude, 9-11.
DC
Revue historique de Bordeaux
301 et du département de la
B71IU Gironde
t. 5
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