Skip to main content

Full text of "Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde"

See other formats


REVUE  IIISTOHIOI  E 


y 


DE  BOUDE AUX 


KT    DU 


DEPARTE.MEXT    DK    LA   (ilKONDE 


CnQi'iinin  An.née 
NuMicRO   I.  —  Jwvier-Féviuku   ff)f2 


SOMMAI ni^  : 

PAGES 

La  slaliic  de  Clément  V  à   la  Cathédrale  Saint- 
André ". 

A  tra>crs  le  >cliisiiie  consUtiilioanel  en  Girouil' 

fA  suivre). 

La  prise  du  corsaire  de  Jersey  la  MoUy  (•l  avril 

•7"-7) •.'.....       '.  ■ 

Viticulture  et  vinification  en  Bordelais  au  moyen 

âge  (Suile) ".   .       \- 

L'ilorloge   de   la    Grosse -Cloclic,    par    M.   Pierre 

IIauli: .'ni 

Le  lieu  de  décès  du  comte  Lynch,  par  M.  K.  H.  .    .       iji 
Baisers  patriotiques,  par  M.  R.  BiiouiLLvni».  .    , 
In   prince    royal    d'Angkti'rn'    'i    l'urd'-aux .    y   : 

M.  leroand  Thomas 03 

Questions  et  Béponses t',\ 

Chronique ('"i 

Imle.r  bibliographique ii., 


Ml    Vl  ORK    lir    LVPOIYADI' 

Abhé  Alhcrt  (i  Mr  i. mu)  . 
Jt-an  ni    Mvipassant.    . 

Jean  I$aresxes 

MiHunges 


BORDEAUX 


FKIIKT  &   FILS 

LIBRAIRES 

l(  Il  !•    d  o    C  r.i  -  ^  i  . 


M.   M()U.\\STIU:-I»I(:\MI 

.     MltRMRK 

'i'',  Mil''  p  ■'■I''  r>ii.i'i\. 


LIBOURNE  :   M     MALI-VILLi:.  mbuaiiie. 


'  0  ' 


CONSEIL  D'ADMINISTRATION 

Président.  —  M.  le  D'  G.  Mautin,  membre  de  la  Société  des  Archives 

historiques  de  la  Gironde. 
Secrétaire.  —  M.  G.  Ducauk>iès-Dlval,  archiviste  municipal. 
Trésorier.  —  M.  F.  Thomas,  membre  de  la  Société  des  Archives  histo- 
riques de  la  Giipnde. 
Archiviste.  —  M.  Barrî;ue,  membre  de  la  Société  des  Archives  histo- 
riques de  la  Gironde, 

M.  J.  Benzacak,  professeur  à  la  Faculté  de  Droit  de 
Bordeaux . 

^         .      .        1  M.  Sam  Maxavell,  président  de  la  Société  des  Archives 
Commissaires.  '       ,  .        .  ,    ,  ^.        , 

historiques  de  la  Gironde. 

M.  G.  CiROT,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de 
Bordeaux. 


.COMITE  DE  REDACTION 

MM.  Barrère  (.!.),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  membre  de  la  Société 
des  Archives  historiques  de  la  Gironde. 

Bkutails  (J.-A.),  archiviste  du  déparlement  de  la  Gironde. 

CiROT  (G.),  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Bordeaux. 

CouRTEALLT  (P.),  profcsscur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Bor- 
deaux, vice -président  de  la  Société  des  Archives  historiques 
de  la  Gironde. 

Gebelin  (F.),  bibliothécaire  de  la  Ville  de  Bordeaux. 

Secrétaire-Gérant  :  Ducal'n>'ès-Duval  (G.),  archiviste  municipal  de 
Bordeaux,  secrétaire  général  de  la  Société  des  Archives  histori- 
ques de  la  Gironde. 


La  Revue  historique  de  Bordeaux  paraît  tous  les  deux  mois;  elle 
forme  chaque  année  un  volume  d'environ  5oo  pages. 

Le  prix  de  l'abonnement  annuel  est  de  lo  francs  pour  la  France 
et  II  fr.  5o  pour  l'étranger;  frais  de  recouvrement,  5o  centimes  en 
sus.  —  Le  numéro,  2  fr.  5o. 

On  peut  s'abonner  soit  en  s'adressant  directement  à  M.  F.  Thomas, 
trésorier  de  la  Revue,  63,  rue  Minvielle,  soit  chez  un  des  libraires 
ci -contre. 

Adresser  la  correspondance  et  les  communications 

Aux  Archives  municipales. 


La  "  Revue  historique  "  n'est  pas  responsable  des  manuscrits. 


REVUE   HISTORIQUE 

DE  BORDEAUX 


ET    DU 


DEPARTEMENT  DE  LA  r.IKONDE 


REVUi:  HISTOKIOl  E 

DE  BORDEAUX 


ET    UU 


DEPARTEMENT   DE    LA   (ilKO.M)E 


TOMK    V 


1912 


^*< 


BORDEAUX 


FE1\1:T  &   FILS 

LIBRAIRES 
5,    Cours   de    l'Intendance,    if» 


M.    M<»1  WSTKK-IMCAMII 

I  IIIR  VIHK 
'in,  H'i"  Porte- Dijeaui,  45 


LIBOURNE  :    M.    M  VI.K\  II.Li:.   iihh\iiif. 

1  9  i  i 


LA  STATUE  DE  CLÉMENT  V 

\   LA  CATIIKDUALE  SAINT-ANDKK 


La  construction  du  portail  du  transept  nord  de  l'église  Saint- 
André  de  Bordeaux  peut  être  fixée  d'une  manière  assez  précise 
au  milieu  du  xiv^  siècle.  Elle  marque  la  fin  des  grands  travaux 
entrepris  cent  ans  auparavant  par  l'archevêque  de  Bordeaux 
Géraud  de  Malemort,  et  continués  grâce  aux  libéralités  d'un  de  ses 
successeurs,  Bertrand  de  Goth,  «levenu  pape  en  1305  sous  le  nom 
de  Clément  V. 

Elevé  au  siège  de  Rome,  il  n'avait  pas  cessé  de  s'intéresser  à 
Saint- André,  et,  dès  la  seconde  année  de  son  pontificat,  il  avait 
même  accordé  des  indulgences  aux  fidèles  qui  visiteraient  l'église 
et  donneraient  une  «  aumône  »  pour  aider  à  son  achèvement.  Aussi, 
quand  vint,  trente  ou  quarante  ans  après  la  mort  de  Clément  V, 
l'édification  du  portail,  y  plaga-t-on,  c'était  justice,  la  statue  de  ce 
pape  d'heureuse  mémoire,  entourée  de  six  évoques,  trois  à  sa  droite 
et  trois  à  sa  gauche. 

Telle  est  du  moins  la  légende  et  peut-être  celle-ci  aurait-elle 
besoin  d'être  confirmée,  car  on  la  rencontre  pour  la  première  fois 
dans  Lopès^,  en  1668,  c'est-à-dire  trois  cents  ans  après  l'érection  de 
la  statue.  Or,  déjà  à  cette  époque,  il  était  sans  doute  trop  tard  pour 
savoir  la  vérité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  ignore  si  cotte  statue  re}>ruduisait  réellement 
les  traits  de  Clément  V,  ce  qui  est  douteux,  ou  si  elle  était  purement 
symbolique,  ce  que  nous  serions  tenté  de  croire.  Car,  cinq  des  têtes 
d'évêques  —  on  verra  plus  loin  pourquoi  nous  exceptons  la  sixième 
—  semblent  n'être,  malgré  certaines  variantes  dans  l'attitude  et  dans 
i'i'xpression.  cjut"  les  répliques  d'un  mOnu.'  modèle  2.  Or.  si  l'on  n'a 

I.  Ilierosine  Lopes,  L'Eglise  métropolilainc  et  primaliale  S.  André  de  Bourdeaux. 
lUmrdedux,  G.  De  La  Court,  16G8,  \>.  4i. 

•2.  Aiidrfi  Micliel,  Histoire  de  l'Art,  t.  II.  2'  partie,  p.  692.  —  Certains  ont  voulu 
r"(i)im;iitrc  dans;  ces  personnages  les  membres  Mu  haut  rlerçt^  bordelais  élevés  nu  car- 
diiinl.it  par  Clément  V  dans  la  promotion  de  130".  (L.  de  Laniothe,  E.<!sui  sur  l'Enlisé 
Soiiit-Aiiilré,  Actes  de  r.Vradémif.  1H4>.  p.  3'271.  P'autres  y  ont  \u  de-  év(»<|ues  suCfra- 


6  I.\    STATUE    DE    CLÉMENT    V    A    LA    CATHEDRALE    SAINT-ANDUÉ 

pas  essayé  ou  s'il  n'a  pas  été  possible  de  donner  à  l' effigie  d'aucun 
de  ces  évêques  le  caractère  d'un  portrait,  il  est  probable  que,  pour 
les  mêmes  raisons,  l'effigie  du  pape  était,  elle  aussi,  de  pure  fantaisie. 


En  observant  attentivement  ces  statues,  nous  avions  toujours 
remarqué  que  celles  de  Clément  V  et  de  l'évêque  à  sa  droite,  présen- 
taient avec  les  autres  des  différences  inexplicables. 

C'était  d'abord  leur  tête  qui  semblait  trop  petite,  autant  par 
rapport  aux  dimensions  du  corps  que  par  comparaison  avec  les  têtes 
des  statues  voisines.  Et,  procédant  à  une  mensuration  à  vue  d'oeil, 
nous  avions  constaté,  en  effet,  que  ces  deux  statues  mesuraient 
sept  têtes  et  demie,  tandis  que  les  autres  n'en  mesuraient  que  six 
et  demie.  En  revanche,  elles  avaient  toutes,  des  épaules  aux  talons, 
les  mêmes  dimensions.  Cette  seule  différence  de  grandeur  de  tête, 
que  rien  ne  justifiait,  ne  pouvait  donc  provenir  que  d'une  restau- 
ration maladroite. 

Nous  avions  remarqué  ensuite  que  la  tiare  du  pape  était  presque 
aussi  large  au  sommet  qu'à  la  base,  de  forme  arrondie,  trapue  et 
massive.  Or,  au  xiv^  siècle,  la  tiare  offrait  encore  l'aspect  d'un 
bonnet  pointu.  C'est  ainsi  qu'on  la  voit  toujours  représentée  sur  les 
tombeaux  et  les  documents  de  l'époque,  et  elle  n'était  pas  autre- 
ment figurée  sur  le  mausolée  ^  de  Clément  V  lui-même,  à  Uzeste, 
ainsi  qu'on  peut  le  voir  par  la  dépression,  très  bien  silhouettée, 
que  remplissaient  la  tête  et  la  tiare  sur  le  coussin  où  elles  repo- 
saient.' La  forme  en  boule  n'est  apparue  que  beaucoup  plus  tard,  au 
XVI®  siècle. 

A  leur  tour,  les  fleurons  ornant  les  couronnes  du  trirègne  étaient 
d'un  dessin  confus,  lourd  et  monotone,  et  en  contradiction  complète 
avec  l'élégante  sobriété  des  scu'ptures  du  xiv®,  en  particu'ier  avec 
celle^des  tiares  représentées  sur  les  mauso!é  s  du  temps,  témoin 
celle  du  pape  Urbain  II,  du  musée  Calvet,  d'Avignon.  L'anachro- 
nisme semblait  donc  manifeste. 

gants  de  la  métropole  ayant  participé  à  sa  construction  (Mgr  Donnet,  Monographie 
de  Sainl-André ;  Ch.  Marionneau,  Description  des  œuvres  d'art  qui  décorent  les  édifices 
publics  de  la  ville  de  Bordeaux,  Chaumas-Gayet,  1861,  p.  27).  Mais  ce  ne  sont  là  que  des 
hypothèses,  et  des  hypothèses  sans  valeur,  puisque  tous  ces  évêques  représentent  un 
seul  et  même  personnage.  Elles  n'ont  de  portée  que  si  on  admet  que  ces  figures  étaient 
symboliques,  et,  dans  ce  cas,  c'est  le  symbolisme  de  la  statue  du  pape  qu'il  faut  éga- 
lement admettre. 

1.  Ce  mausolée  date  de  la  seconde  moitié  du  xiy«. 


STATUE    DU    PAPE   CLEMENT    V 


A   LA   CATHEDRALE  SAINT-ANDRÉ 


LV    SI'ATL'E    PK    CITMINI     V     A     l\     (    VIIMliUMl      SMN|-VM)Hr.  "] 


■^ 


TIARE    DU    PAPE    URBAIN    II 

(Seconde  nioilii'  '1"  xiV  siirlei 

Avignon,    Musée    Calvet. 


8  LE    STATUE    DE    CLEMENT    V    A    LA    CATHEDRALE    SAINT-ANDRB 

Enfin,  nos  deux  statues  n'étaient  pas,  non  plus,  coifîées  comme 
les  autres  et  elles  étaient,  en  outre,  mal  coiffées.  Car,  au  lieu  d'être 
posées  légèrement  en  arrière  et  de  découvrir  le  front,  même  un  peu 
les  cheveux,  la  tiare  et  la  mitre  étaient  enfoncées  jusqu'aux  yeux, 
masquant  ainsi  le  haut  du  visage  et  écrasant  la  tête. 

En  dépit  de  leur  caractère  décisif,  nous  entendions  déjà  dire  que 
ces  anomalies  n'avaient  aucune  importance  parce  qu'elles  pouvaient 
provenir  soit  de  la  fantaisie  du  sculpteur,  soit  de  son  erreur,  soit 
au  contraire  de  sa  trop  scrupuleuse  attention  à  reproduire  les  imper- 
fections physiques  de  ses  modèles.  Et,  quelque  fragile  qu'elle  fût, 
nous  comprenions  que  l'objection  pouvait  rallier  des  partisans. 

Mais  voici  ce  que  nous  avions  encore  remarqué  :  autant  le  cou 
et  la  tête  des  cinq  évêques  avaient  de  souplesse  et  un  mouvement 
en  harmonie  avec  celui  du  corps,  autant  la  tête  et  le  cou  du  pape 
et  de  son  voisin  de  droite  étaient  raides,  désunis  et  comme  étrangers 
aux  épaules  qui  les  portaient;  autant  la  facture  des  uns  avait  de 
moelleux  et  de  maîtrise,  autant  celle  des  autres  était  timide  et  sèche  ; 
autant  le  visage  des  cinq  évêques  était  vivant  et  respirait  cet  air 
de  béatitude  qui  caractérise  les  figures  du  xiv^  siècle,  autant  le  visage 
des  deux  autres  personnages  était  morne  et  vulgaire.  Par  contre, 
aucune  différence  entre  les  corps;  tous  les  sept  offraient  la  même 
pureté  de  style,  la  même  beauté  et  les  mêmes  procédés  d'exécution, 
c'est-à-dire  les  mêmes  caractères  d'authenticité  et,  cette  fois,  la 
conclusion  s'imposait  :  la  statue  du  pape  et  celle  de  son  voisin  de 
droite  avaient  été  décapitées,  et  leurs  têtes,  brisées  ou  perdues, 
refaites  à  une  époque  qui  restait  à  préciser. 

Longtemps  avant  nous,  Marionneau  avait  mis  en  doute  l'authen- 
ticité de  la  tête  de  Clément  V,  qui  ne  lui  «  paraissait  pas  originale  »  ^ 
C'était  en  1861.  Vingt  ans  plus  tard,  le  marquis  de  Castelnau  d'Esse- 
nault,  un  autre  archéologue  bordelais,  et  non  des  moindres,  se  fit 
le  défenseur  de  la  statue.  Il  l'avait  lui-même  examinée  de  très  près 
et  pouvait  garantir  qu'elle  était  bien  d'un  seul  bloc  et  parfaitement 
ancienne  de  la  tête  aux  pieds  : 

La  mutilation,  disait-il,  ou  plutôt  la  perte  de  la  statue  {celle  du 
tombeau  de  Clément  V  à  Uzeste),  est  éminemment  regrettable  comme 
iconographie  historique.  Nous  n'avons  plus,  pour  la  remplacer,  si 
quelque  jour  on  entreprend  la  restauration  du  tombeau,  qu'à  repro- 
duire sur  moulage  la  .tête  d'une  autre  statue  de  notre  illustre  compa- 
triote, statue  unique  aujourd'hui  et  qui,  du  même  temps  que  celle 

\.  Ch.  Marionneau,  loc.  cit.,  p.  ■??. 


!,A    STAlLi:    DK    CI.I^MKM     \      \     I.  \    CvlliriHtMK    SMM^MHif:  (| 

d'Lzi'Sli;,  décore  lo  Inmii-iin  ilu  Ihshi  in»rt;ul  Iml'tl  de  lu  cathcUralc. 
:i  Dorfleaiix. 

Il  l'sl.  Vrai  <|m'  des  dttult's  ont  éft''  t''iiii>  >ur  IdriL'inalilf!'  de  Cflh* 
tête.  Aussi,  non  eoiilinl  d';ivoir  ImII  ((iiislatn-  dr  |ir»'>.  cl  par  diversr» 
personnes  expérimentées  (notamment  par  M.  Hastard,  le  léfjendairt* 
cicérone  de  la  cathédrale,  et  M.  X...,  appanillfur;,  Pinexactiliide 
d'une  telh'  alléiration,  nous  sommes-nous  assuré  par  nous-ménir.  à 
l'aide  dune  échelle  qui  nous  a  permis  de  faire  un  examen  miiiulii-ux. 
en  présence  lie  MM.  I  'o  l)r()u\n  ri  lai. lu-  l'ailhès,  (pie  çelte  lèlr 
ajtpartient  au  même  bloc  (pic  le  reste  de  la  statue,  et  que  par  son 
caractère  de  vérité  absolumeiil  dilïérent  de  celui,  toul  conventionnel, 
des  autres  statues  (jui  l'entourent,  par  sa  physionomie  expres>i\e, 
son  type  méridional  et  aciuitain,  elle  offre  toutes  les  garanties  d'une 
reproduction  d'après  des  données  certaines,  toutes  les  probahililés 
de  ressemblance  d'un  buste  ou,  si  l'on  aime  mieux,  il'uu  iK.rtrail'. 

La  (juestion  semblait  donc  trancliée.  Aussi,  l(irs(iu'i-ii  Ih'.tl  If 
D''  Berchon  publia  une  étude-  sur  la  statue  et  le  tombeau  mutilés  de 
Clément  V,  à  Uzeste,  s'empressa-t-il  de  rappeler  les  constatations 
faites  par  le  marquis  de  Castelnau  et  de  demander  qu'on  restaurât 
le  monument  en  s'aidant  de  la  statue  du  portail  de  la  cathédrale. 
Le  D^"  Berchon,  du  reste,  apportait  lui-même  une  nouvelle  preuve 
de  l'authenticité  de  cette  statue,  preuve  tirée,  celle-ci.  d'un  j>im.  e~- 
verbal  du  Conseil  général  de  la  commune  de  Bordeaux,  du  IJ  ven- 
tôse an  II  (2  mars  1794),  et  il  concluait  : 

.le  pense  donc  qu'on  peut  |>ai\enir  sans  peine  à  rétablir  les  traits 
du  pape  Clément  dans  un  élal  de  ressemblance  au.ssi  satisfaisant  que 
possible  eu  iilili-aiil  loul  ce  (|ui  rc-le  de  >()U  premier  monument  à 
Uzeste...  et  surtoul  de  la  slalue  (|ui  l'ut  si  heureusement  c<»n>.ervée 
:\  Saint-André,  pendant  la  période  révolutionnaire.  On  allait  la  détruire 
le  12  ventôse  an  II.  quand  un  jacobin  du  Con^^eil  municipal  trouva 
très  drôle  l'idée  de  faire  du  pape  le  portier  du  temidc  de  iP.tre  -.upréme 
(Ml  de  la    Haisoii.   cl    lit    adopter  sa   niotioii   par  ses  collè^rues  3. 

...Tout  plaide  pour  la  juste  et  |>ronq)le  réparation  des  oulrapes 
subis  par  le  grand  pape  L'irondin...  et  la  Société  Archéulogi»iue  tiendra 

1.   Rrruc  cnlhoUque  de  liurdaïus,   issd,  p.  .'V21.  .    ,   „, 

■>  D'  E  Berchon,  Bertrand  du  Col  vl  son  nuiiisoUe  à  V:esle,  HonJcaux.  «îKlorPl,  IS.M. 
3  Cette  légende  a  tHé  puisi-e  dans  O'Rcilly.  Kn  voici  le  texte  exnd  :  .  I.e  Vi  ventôse 
nn  II.  le  Conseil  municipal  fut  convoqué  nu  sujet  .le  l«  .|ueslion  «les  l«l.ac.s  et  .len 
contnl.i.tions.  On  discutait  cette  niati.re.  .pinnd  tout  ù  coup  un  Jacobin  se  eya  et 
dit  :  ..  <iuil  existait  sur  la  j.orte  principale  de  la  ci-,levant  iVUsc  de  Sninl-.Kndré  une 
..sculpture  représentant  un  ci-devant  pape.  .1  ,piil  demandait  que  le  C.(inseil  prit  dex 
•  mesures  pour  renlèvement  .le  ce  monument  de  la  superstition.  •  Un  allait  ex.-j.nmer 
cette  question  quand  un  liomm.-  .l'esprit,  m..ins  i.onoclaM"-  «lue  noire  .lac.l.m  s  icri.-: 
..  Bah!  ce  n'est  là  .piun  pape  en  i-ierre;  celui-là  ne  lan.-e  pas  les  f.Midres  .lu  \ali.«n: 
■  laissons-le  le  portier  du  temple  .le  l'Être  suprême  !  •  Le  ridicule,  "'«••"x  que  le  raison- 
nement, sauva  ce  monument  de  sculpture..  Il  y  est  encore.  •  M»  Kedly,  //(.Woirr  de  Uor- 
deimx,  I.  Il,  î'-  partie,  p.  45.) 


lO  L.\    STATUE    DE    CLEMENT    V    A    LA    CATHÉDRALE    SAINT-ANDRÉ 

à  honneur  d'émettre  le  vœu  de  restaurer,  dans  les  meilleures  condi- 
tions artistiques  et  archéologiques  possible,  le  mausolée  de  Clément  V, 
à  Uzeste  K 

Le  débat,  cependant,  devait  se  rouvrir  en  1897,  lors  des  recherches 
que  fit  Miintz  sur  la  tiare  pontificale  2.  Celle  de  Clément  V  consti- 
tuait un  document  de  trop  haute  importance  pour  qu'elle  fût 
négligée  par  Miintz.  Mais  celui-ci  se  souvenait  des  doutes  jadis  for- 
mulés par  Marionneau  et,  prudemment,  il  alla  aux  renseignements 
sur  place.  C'est  à  M.  Camille  Jullian,  l'éminent  professeur  d'histoire 
de  Bordeaux  à  notre  Faculté,  aujourd'hui  professeur  au  Collège 
de  France,  qu'il  s'adressa.  Voici  la  réponse  qu'il  en  reçut  : 

Il  est  question  du  pied  droit  de  la  porte  nord  de  Saint-André 
représentant,  dit-on,  Clément  V,  dans  l'ouvrage  que  Lopès  a  fait 
paraître  sur  cette  église  en  1668.  La  tête  existait  encore  ou  existait 
dès  lors.  Elle  parait  être  restée  telle  jusque  sous  la  Révolution.  Le 
12  ventôse  an  II,  il  fut  question  de  l'abattre  au  Conseil  général  de 
la  commune;  elle  fut  sauvée  parce  qu'un  facétieux  jacobin  proposa 
de  laisser  Clément  V  comme  portier  du  temple  de  l'Etre  suprême. 
Depuis,  tous  ceux  qui  l'ont  vue  ne  mentionnent  ni  destruction  ni 
réfection  (un  des  bras  seul  a  été  refait);  j'ai  vu  une  série  assez  nom- 
breuse de  vignettes  depuis  1840;  c'est  bien  toujours  la  même  tête. 
Si  donc  elle  a  été  refaite,  ce  serait,  selon  moi,  entre  1453  et  1650. 

M.  Jullian  continuait  : 

M.  Miailhe,  fils  de  l'architecte  chargé  d(^  restaurer  Saint-André 
au  milieu  de  ce  siècle,  n'a  jamais  entendu  dire  qu'on  eût  changé  la 
tête  du  pape. 

L'architecte  actuel,  M.  Laljbé,  est  très  net.  Il  a  étudié  la  statue 
de  près,  pendant  qu'on  la  remontait  (?).  Il  affirme  qu'il  n'y  a  pas  trace 
de  substitution. 

Enfin,  sur  ma  demande,  M.  Brutails,  qui  s'occupe  spécialement 
de  sculpture  médiévale,  a  fait  dresser  une  échelle  et  a  examiné  de 
très  près  le  corps  du  délit.  Voici  ce  qu'il  m'écrit  :  «  Je  ne  sais  trop 
que  penser.  J'ai  vu  certaines  parties  du  cou  qui  sont  lisses;  mais  la 
chevelure,  où  les  traces  de  reprise  devraient  être  plus  visibles,  ne  pré- 
sente rien  d'anormal...  Cette  tête  est  plus  réaliste,  plus  finie  que  les 
têtes  des  statues  voisines.  Le  fait  peut  s'expliquer  autrement  que 
par  une  refaçon.  Je  persiste  à  croire,  malgré  tout,  que  la  tête  est 
moderne,  quoique  peut-être  d'une  modernité  moins  rapprochée  qu'on 
ne  pense.  La  solution  de  la  question  doit  se  trouver  dans  les  docu- 
ments de  1500-1600  3.  ,, 

1.  D'  Berchon,  loc.  cil.,  p.  105. 

2.  Eugène  Mûntz,  La  Tiare  ponlificale,  du  huilième  au  seizième  siècle,  Paris,  Impri- 
merie Nationale,  1897. 

3.  Ibid.,  p.  44. 


< 
a. 


< 


/ 


l.\    ST.A  II  E    DE    GII'.MF.NI     \     A     l\    (  :  \  I  II  I  I  >U  M  i:    S\1\T    AM)RK  II 

l'iiur  tout  autre  que  MtiuLz,  li's  alliriiialiuus,  si  catégoriques,  <if 
l'architecte  de  la  cathédrale  eussent  été  déoisives.  Mais  le  gran<l 
érudit  avait  été,  lui  aussi,  frappé  par  certaines  particularités,  notaiii- 
nu'ut  par  la  forme  insolite  de  la  tiare,  et  il  préféra  se  ranger  à  l'opi- 
nion de  ceux  qui  mettaient  en  floutc  l'authenticité  de  la  t/te. 
Ce  fut  cependant  sans  vouloir  pirmlir  ikhi  plus  tout  à  fait  p;irli 
poui-  eux  et,  pnulrimnent,  il  oonelut  (|u"'il  n'était  pas  impossible 
([iii'   hi   t  iiuc   lût    iiloileriie...  "  '. 

Quant  au  publie,  son  npinion  était  bien  l;iile  :  la  statue  de  élé- 
ment V  n'avait  pas  été  mutilée  pendant  la  Révolution.  Il  ne  restait 
[dus  qu'à  savoir  quel  était  r«  homme  d'esprit  »  qui  l'avait  sauvée. 
C-'est  ce  que,  très  longtemps  plus  tanl.  !••  12  janviir  r.M  1 .  demandait 
le  journal  la  Liberté  du  Sud-Ouest.  Notre  confrère  et  ami  M.  Roger 
Brouillard  entreprit  «le  li-pomlre  à  la  cpiesl  ion -,  mais  il  lin  fallut 
y  renoncer,  n'ayant  même  pas  été  assez  li'iireux  pour  retrouver 
dans  les  arehives  muniiipides,  à  demi-consumées  par  l'incendie  île 
1862,  le  procès-verbal  de  ventôse  an  II,  cité  par  O'Reilly. 


* 


Ce  regain  d'actualité  de  la  question  uuus  invita  à  procéder  à  notre 
tour  à  l'examen  de  la  statue. 

Les  constatations  déjà  faites  par  le  marquis  de  Castelnau  et  (piel- 
ques  autres  n'étaient  pas  de  nature  à  nous  arrêter,  car  notre  convic- 
tion de  la  fausseté  de  la  tête  de  Clément  V  était  assez  intime  pour 
nous  laisser  croire,  nous  osons  l'avouer,  qu'on  ne  s'était  pas  livré 
à  des  investigations  sidTisamment  minutieuses. 

L'argument  lin-  du  procès-verbal  de  ventôse  an  II  n'avait  non 
plus  aucune  valeur  à  nos  yeux.  En  elTet.  f'I  ipie  O'Reilly  l'a  rap- 
porté, ce  procès-verbal  dit  seulement  (pi'un  d.-  numbres  du  Conseil 
général  de  la  commune  aurait  demandé  qu'on  gardât  le  pape  comme 
portier  du  temple  de  l'p.tre  suprême.  11  n'ajoute  pas,  ce  qui  serait 
essentiel,  que  cette  motion  fut  ad<»plée.  O'Reilly  .1  laid  d'autres 
.[ui  n'ont  fait  que  copier  cet  historien,  n'étaient  donc  pas  autorisés 
à  affirmer  que  la  statue  avait  été  sauvée  par  le  Conseil  général  Le 
D""  Berchon.  ({ui  jinur  en  arrivera  cette  conclusion  avait  senti  la 
nécessité  que  la  motion  rûf    été  adoptée,  n'a  pas  hésité  à  ailm.-ltro 

^    1.  E.  Mûntz,  loc.  cit. 

'i.  Bévue  historique  de  Bordeaux,  1911,  n' l,  p.  ô8. 


Î2  LA    STATUE   DE   CL^ÊMENT    V    A    LA    CATHEDRALE   SAI>'T-ANDRÉ 

le  principe  de  son  adoption,  mais  il  l'a  fait  de  son  chef  et  pour  les 
besoins  de  la  cause. 

'  Au  reste,  le  Conseil  général  eût-il  vraiment  décidé  de  ne  pas 
faire  abattre  la  statue  du  pape,  cela  n'aurait  pas  empêché  d'autres 
énergumènes  de  se  livrer  à  cette  triste  besogne.  L'argument  n'était 
donc  pas  péremptoire. 

Voici  d'ailleurs  qui  démontrait  a  priori  la  témérité  des  conclusions 
qu'on  s'était  plu  à  tirer  de  la  boutade  de  ce  membre  du  Conseil 
général,  boutade  qui  fut  sans  doute  une  irrévérence  calculée  bien 
plutôt  qu'un  habile  subterfuge  destiné  à  sauver  une  œuvre  d'art. 

Lorsque  le  25  germinal  an  V  (14  avril  1797),  les  citoyens  Durand, 
architecte,  et  Rivière,  menuisier,  experts  commis  à  cet  effet  par  la 
municipalité  du  3^  arrondissement,  se  rendirent  à  Saint-André  — 
où  devait  avoir  lieu  l'assemblée  électorale  —  pour  rechercher  s'il 
n'y  aurait  point  été  commis  de  dégradations  depuis  la  suppression 
du  culte,  ils  constatèrent  que  «  plusieurs  des  figures  placées  dans 
l'arcade  où  se  trouve  la  principale  porte  d'entrée,  côté  nord,  avaient 
été  mutilées,  que  les  unes  étaient  sans  bras,  les  autres  sans  iête  »  i. 
Or,  parmi  toutes  ces  figures,  c'était  évidemment  celle  du  pape  qui 
avait  dû  attirer  d'abord  la  fureur  des  vandales  et  tomber  la  première 
sous  leurs  coups.  L'histoire  rapportée  par  O'Reilly  est  là  pour  le 
prouver.  Si  donc  plusieurs  statues  du  portail  se  trouvaient  brisées, 
celle  du  pape  était  nécessairement  du  nombre.  Et  l'on  arrivait  à 
cette  conclusion,  que  nous  faisions  entrevoir  quelques  lignes  plus 
haut,  c'est  que,  en  dépit  de  la  décision  prise  par  le  Conseil  général 
de  conserver  la  statue  de  Clément  V,  quelqu'un  s'était  trouvé  pour 
la  briser  et  en  briser  d'autres  avec  elle. 

Aussi,  notre  conviction  que  la  tête  du  pape  et  celle  de  son  voisin 
de  droite  étaient  fausses,  se  trouvait-elle  déjà  faite  avant  même  que 
de  les  examiner,  ce  que  nous  fîmes  le  15  juillet  dernier,  à  six  heures 
et  demie  du  matin,  aidé  de  M.  Roger  Brouillard. 

Grâce  à  une  échelle  double,  haute  de  4  mètres  environ,  obli- 
geamment mise  à  notre  disposition  par  M.  le  curé  de  Saint- André, 
nous  pûmes  facilement  atteindre  et  même  dominer  la  tête  du  pape. 
Ainsi  vue  de  près,  la  vulgarité  de  ses  traits,  la  sécheresse  et  les 
imperfections  de  sa  sculpture,  en  un  mot  tous  les  défauts  que  nous 
avions  remarqués  d'en  bas  et  qu'atténuaient  la  distance  et  la  pers- 
pective, s'accentuèrent  au  point  que,  dès  cet  instant,  l'expérience 
parut ,  concluante. 

!     1,   Arch.  niun.,  série  II,  re^.  00,  fol.  l"-?, 


I 


tK    STATLE  l>i:  CLÉMENT  V  V  I.A  CA  riir;r)H\I.K  S\IM  ANDIU      |3 

Poursuivant  alors  nos  recherches,  nous  brossâmes  la  base  du  cou 
et  l'extrémité  supérieure  de  la  chasuble  que  recouvrait  toutes  deux 
une  couche  épaisse  de  poussière.  Les  traces  de  mutilation  et  de  res- 
tauration, auparavant  invisibles,  apparurent  alors  très  nettement. 

Au  lieu  de  monter  vers  la  nuijue  et  d'entourer  la  chevelure,  comme 
dans  les  statues  voisines,  la  chasuble  s'arrête  au  bas  du  cou.  Elle 
est,  en  outre,  complètement  déchiquetée  en  cet  endroit  :  en  frappant 
sur  le  cou  pour  détacher  la  tête,  on  a  brisé  la  partie  de  la  chasuble 
qui  l'entourait  et  le  protégeait. 

Loin  d'être  rond  et  souple,  comme  chez  les  autres  statues,  le  cou 
du  pape  est  anguleux  et  sec;  il  porte  lempreinte  de  ces  touches 
plates  et  heurtées  que  fait  la  truelle,  et  à  sa  base  perle  encore  le 
mortier  qui  a  giclé  sous  le  poids  de  la  nouvelle  tête...  Enfin,  soit 
erreur  ou  fantaisie  de  sa  part,  le  réparateur  a  négligé  de  rendre 
au  cou  sa  largeur  primitive,  et,  mettant  à  profit  la  surface  de  pii^rre 
laissée  par  cette  différence  de  diamètre,  il  y  a  taillé  un  col  rabattu 
([ui  a  l'air  d'être  celui  d'une  chemise,  et  qu'on  ne  saurait  auniiir- 
ment  confondre  avec  le  col  d'un  amict  ayant  préexisté. 

Les  cheveux,  à  leur  tour,  ne  ressemblent  guère  aux  chcveu.v 
(tnnelés  ou  vermiformes  des  autres  personnages.  Ce  sont  de  longu»'s 
mèches  ondulées,  massives  et  sans  aucun  caractère.  Leur  extrémité 
est  retournée  sur  elle-même  en  une  grosse  boucle  qui  est  comme 
alTouillée  à  sa  base  et  séparée  des  cassures  de  la  chasuble  par  un  sillon 
marquant  de  façon  précise  le  raccord  des  deux  blocs  de  pierre. 

Notre  attention  ayant  été  attirée  ensuite  par  une  proéminence 
située  tout  au  sommet  de  la  tiare  et  que  nous  pensions  être  un 
bouton  ou  un  fleuron  noyé  dans  la  poussière,  nous  brossâmes  égale- 
ment cette  partie  et  découvrîmes  l'e.xtrémité  d'une  tige  de  fer,  d'un 
«  goujon  »,  qui  traverse  la  tête  de  part  en  part  et  lui  donne  une 
solidité  que  n'eût  pas  suffisamment  assurée  le  scellement  au  mortier. 

Enfin,  détail  peut-être  plus  topique  et  plus  décisif  encore  que  tous 
les  autres,  nous  aperçûmes  dans  le  dos  du  pape,  bien  que  l'inspection 
en  soit  malaisée  car  la  statue  touche  presque  à  la  muraille,  les 
bouts  inférieurs  des  fanons,  sortes  de  bandeaux  fixés  à  la  base  pos- 
térieure des  tiares  et  des  mitres  et  qui  tombent  sur  les  épaules.  Ces 
fanons,  étroitement  appliqués  sur  la  chasuble,  ne  montent  pas  plus 
haut  que  l'endroit  voisin  du  cou  où  celle-ci  est  brisée. 

Il  va  de  soi  que,  si  seule  cette  partie  de  la  chasuble  et  des  fancms 
avait  été  cassée,  et  que  nous  fussions  en  face  de  la  tête  originale,  soit 
qu'elle  n'eût  jamais  été  décollée,  soit  (lu'elle  eût  été  remise  en  pla«-i> 


l4  LA    STATUE    DE    CLEMENT    V    A    LA    CATHEDRALE    SAINT-ANDRE 

après  avoir  été  détachée,  nous  devrions  nécessairement  retrouver 
plus  haut  ces  fanons,  d'abord  sur  la  chevelure,  qui  est  intacte  et 
dont  la  sailhe  dépasse  de  beaucoup  le  bord  inférieur  de  la  tiare, 
ensuite  sur  le  bord  de  la  tiare  elle-même  où  était  leur  point  d'attache. 
Or,  il  n'en  reste  trace  nulle  part...  Nous  avons  donc  la  preuve  indis-. 
cutable  que  la  tête  de  Clément  V  a  été  refaite  et  sans  beaucoup  de 
soin  ni  de  goût,  puisqu'on  a  négligé  d'en  reconstituer  les  fanons 
comme  on  a  négligé  de  rendre  au  cou  sa  largeur  primitive  et  de 
restaurer  le  haut  de  la  chasuble. 

Courajod  et  M.  Marcou,  analysant,  dans  leur  Étude  raisonnée 
du  musée  de  sculpture  comparée,  le  portail  de  Saint-André,  dont  il 
existe  un  moulage  au  Trocadéro,  n'avaient  pas  mis  en  doute,  eux 
non  plus,  que  la  tête  de  Clément  V  fût  postérieure  à  l'époque  de  la 
construction  du  portail.  Mais  il  ne  leur  était  pas  venu  à  la  pensée 
que  cette  tête  pût  être  elle-même  plus  récente  que  le  reste  de  la 
statue.  Ils  croyaient  (|ue  l'une  et  l'autre  dataient  du  xvi*^  siècle  : 
«  La  forme  de  la  tiare,  disaient-ils,  le  style  de  la  figure  et  de  la  dra- 
perie indiquent  que  cette  statue  est  une  restitution  du  xvi^  siècle.  « 

On  pourrait  s'étonner  que  Courajod  et  M.  Marcou  aient  pu  retrou- 
ver quelque  part  dans  cette  statue,  surtout  dans  les  draperies,  si 
semblables  à  notre  avis  à  celles  des  autres  statues,  le  style  du 
xvi*î  siècle.  Mais,  très  visiblement,  c'est  la  forme  de  la  tiare  qui  a 
guidé  et  faussé  leur  opinion,  sans  compter  que  le  flou  d'un  moulage, 
qu'ils  n'ont  peut-être  pas  non  plus  regardé  d'assez  près,  ne  leur 
permettait  pas  d'observer  toutes  les  imperfections  d'une  figure 
qu'on  eût  sans  conteste  plus  habilement  traitée  et  plus  consciencieu- 
sement restaurée  au  xvi^  siècle.  Du  reste,  la  statue  fût-elle  réelle- 
ment de  cette  époque,  la  tête  n'en  resterait  pas  moins,  pour  toutes 
les  raisons  qu'on  vient  de  voir,  une  tête  refaite,  et  là  est  toute 
la  question. 

Gomme  nous  l'avons  laissé  pressentir,  et  cela  vient  confirmer  les 
constatations  du  procès-verbal  dressé  en  1797  par  les  citoyens 
Durand  et  Rivière,  il  est  une  autre  statue  qui  a  subi  le  même  sort 
que  celle  de  Clément  V  :  c'est  la  statue  de  l'évêque  placée  à  sa 
droite. 

Déjà,  en  la  voyant  d'en  bas,  nous  avions  remarqué  que  sa  tête 
présentait  avec  celle  du  pape  une  analogie  de  facture  et  d'aspect 
des  plus  frappantes  :  c'était  encore  la  mitre  qui  coiffait  le  person- 
nage jusqu'aux  oreilles;  c'était  la  même  chevelure  ondulée  et  lourde, 
les  mêmes  yeux  ronds  et  à  fleur  de  tête,  le  même  nez  de  carton,  la 


LA    STATUE    ni:    CLÉMKNT    V     \     I   \    C  \TllKI»l«AI,i:    SAI>r-AMtHK  l5 

mi'int'   hnlli'lli'  l'hdilr   ri     |iiIHir,   |i'    IIICIIH'    lictllS.    Il'   llHMIli"  IIKMlttHI   t'ii 

galoche,  rnliii  ce  même  masque  simiesque  et  griinaçant  s(ju.s  letjiiel 
If  marquis  de  Castelnau  avait  cru  rctrouN.i-  le  t\  |»f  <(  mcrifliorial 
cl  a((uitain  »  de  Bertrand  do  Golli  !  II  ii'\  ;i\;iil  pas  jusfju'au  cou  (jui 
ii'rûl  été  particiilirrcmciil  l'Irangic,  et  à  sa  base  le  réj)arati'ur  avait 
laisse  un  véritable  trottoir  l'ormant  colliii-. 

najqu'oclinnl  alor^  iioln'  l'ihcllr  pour  cxjimini'r  l;i  lête  de  près, 
nous  constatons  l'exactitude  de  nos  observai i()n>.  Cette  fois  encore 
les  fanons,  visibles  dans  le  dos,  s'arrêlrnl  .m  hnrd  de  la  chape  dont 
est  revêtu  l'évêque.  On  ne  les  rehiuive  ni  sur  les  cheveux,  ni  sur 
la   mitre,  preuve  indéniable  do  la   n'fection  de  la  tête. 

Nous  examinons  ensuite  un(>  .'i  une  les  têtes  des  cinq  autres  évêqucs 
et  constatons,  non  seulemcnl  (iiie  toutes  ont  les  a])parcncrs  de 
l'authenticité,  mais  encore  ({u'elles  ne  portent  aucune  trace  de 
déeollation. 

Il  est  donc  prouvé  que  la  tête  de  Clément  \  et  celle  de  mui  Noisin 
lie  droite  ont  été  abattues  et  qu'elles  seules  ont  été  abattues.  Mais 
(jui  dira  jamais  comment  ont  été  sauvées  les  autres? 

L"examen  des  têtes  fut  complété  par  la  prise  i\f  l|lh■lqll('^  Mieii>u- 
rations  qui  confirmèrent  les  difïérences  de  grandeui  (pie  nous  avions 
remarquées  entre  les  têtes  restaurées  et  les  autres.  Voici  les  moyennes 
de  ces  mensurations  : 

TÈTES  TÈTES 

RESTAIRÉES      >OS  RESTAIRÉES 

1"  Largeur  de  bouche 5  cent.  6  cent,  .i  1 

2°  Distance  du   nez   an    iiinildii.  ....      5  cent.  3/4  7  cenl.  M  I 

3°         —          ilu    liez   à    l'oreille IOcimiI.  10  10  ctMil. 

4°        —          ilu  sourcil  au   nieiiloii.    .    .    12  cent.  Ib  cent. 
5°  Tour   (lu    cou   arrêté   à    raiiluinb   des 

(ireilles 22  cent.  26  cent.     ■ 

Ces  difTérences  en  moin-  nu  préjudice  des  têtes  restaurées,  chez 
lesquelles  la  distance  seule  du  sourejl  au  mouton  accuse  un  déficit 
<le  3  centimètres,  ont  eu  iialurelleiueiit  une  répercussion  sensible 
>ur  la  hauteur  totale  des  statues  elles-mêmes.  Et.  tandis  que  les 
ciiuj  évêques  mesurent  tous  l'"85  de  haut  —  le  Iroisionie  à  la 
gauche  du  pape  a  même  l"i87,  —  le  pape  ne  mesure  plus  que  l '"80 
et  son  voisin  de  droite  1"'76  seulement  ^ 

1.  Le  D'  lU'Kiion.  pour  (lui  l'Hrrhilerle  ilp  la  ralliédralc,  M.  Louis  LabW,  avait 
mesuré  la  slntno  ilii  paiic.  voyait  ilaiis  ses  iliiupusioiw  ((""SO)  la  prouve  «lu'elle  repré- 
sentait liieii  Cleinent  V.  dont  la  taille  était,  parait-il,  exiraonlinaire.  C.omine  on  le  voit, 
l'armiinint,  «tout  il  est  inutile  de  faire  renuiniuer  la  nalv<>lé.  reposait  >ur  une  base  fausse, 


l6  LA    STATUE    DE    CLEMENT    V    A    LA    CATHEDRALE    SAINT-ANDRÉ 

Nous  avons  profité  de  notre  visite  à  Saint-André  pour  examiner 
aussi  la  main  droite  de  Clément  V,  celle  qu'il  lève  dans  un  geste  de 
bénédiction,  et  dont  l'attitude  fausse,  la  vulgarité  de  forme  et  la 
grossièreté  de  sculpture  trahissaient  également  la  réfection. 

Nous  avons  constaté  que  le  bras  avait  été  brisé  à  hauteur  du  poi- 
gnet. On  y  voit  encore  les  vestiges  du  gant  liturgique,  aux  fines 
broderies  exactement  semblables  à  celles  du  gant  de  la  main  gauche, 
main  restée  à  peu  près  entière  celle-ci. 

Mais  le  réparateur  ne  s'est  pas  donné  la  peine  de  reconstituer  le 
gant  mutilé.  Il  a  simplement  rasé  et  aplani  la  cassure,  puis  il  est 
verm  y  fixer  une  main  quelconque,  dont  le  poignet  est  beaucoup 
plus  étroit  que  l'ancien  et  tout  autour  duquel  les  restes  du  gant, 
qu'on  prendrait  pour  l'extrémité  d'une  manche  retroussée,  débor- 
dent de  plusieurs  centimètres.  Le  réparateur  ne  s'est  pas  davantage 
préoccupé  de  refaire  une  main  gantée.  On  ne  saurait  en  douter,  car 
non  seulement  la  main  apparaît  visiblement  nue,  mais  on  ne  retrouve 
pas  sur  le  revers  de  celle-ci  le  fermail  ou  pièce  d'orfèvrerie  qui  se 
voit  sur  le  gant  au  dos  de  la  main  qui  n'a  pas  été  refaite.  C'est  donc 
"à  tort  que  dans  sa  Monographie  de  Saint-André,  Mgr  Donnât  a  dit 
que  les  deux  mains  étaient  gantées.  Le  réparateur  ne  s'est  pas  non 
plus  soucié  de  donner  à  la  nouvelle  main  un  mouvement  en  harmonie 
avec  celui  du  bras,  ni  le  geste  traditionnel  de  la  bénédiction.  De  là 
cette  raideur  et  cette  banalité  d'attitude  qu'accentue  encore  la 
difformité  de  ces  doigts  boursoufiés.  Ce  n'est  pas  une  main,  c'est 
une  patte,  et  nous  nous  étonnons  que  le  marquis  de  Castelnau 
ait  défendu  aussi  son  authenticité. 

On  n'a  retrouvé  aucune  trace  de  toutes  ces  réparations  dans  les 
comptes  et  devis  des  grands  travaux  de  restauration  effectués  à 
Saint-André  à  partir  de  1810.  C'était  du  reste  là  un  des  arguments 
qu'on  donnait  contre  l'existence  de  ces  réparations.  Mais  on  oubliait 
que,  déjà  de  1803  à  1804,  lors  du  rétablissement  du  culte,  certains 
travaux,  dont  les  comptes  ne  nous  sont  pas  parvenus,  avaient  été 
exécutés  à  l'église  à  l'aide  du  produit  des  quêtes  ordonnées  par 
M-'  d'Aviau,  archevêque  de  Bordeaux.  Et  c'est  à  cette  époque, 
à  notre  avis,  que  doit  remonter  la  réfection  de  la  tête  de  Clément  V. 

puisque  les  autres  statues,  que  M.  Berchon  avait  négligé  de  faire  mesurer,  étaient 
toutes  plus  grandes  que  celle  du  pape.  Ajoutons  que  cette  taille  de  1™80,  en  somme 
assez  fréquente,  ne  répondait  pas  à  celle  de  Clément  V.  Sa  taille  était,  d'après  le 
livre  du  D'  Berchon  lui-même,  de  1°'97,  ce  qui  est  bien  différent.  Le  texte,  à  la  vérité, 
porte  1"'77,  mais  ce  ne  peut  être  là  qu'une  erreur  d'impression,  ou  alors  la  taille 
de  Clément  V  était  normale  et  toute  l'argumentation  échafaudée  à  ce  sujet  par  le 
U"^  Berchon  s'écroule. 


l.\  siATir:  DK  cr.KMTNT  V    \    I  \   <;\  ririiDUALK  saint-a^cdrk  17 

Nos  constatation^  Icriiiiin'-cs,  iimis  avons  pensé,  (|ii<l(|iii-  (J«'ci.sivt's 
i|ii'i'll<'s  fussent,  (lui'ii  n'aurait  jxîut-être  auruncraiscjii  de  les  préférer 
aux  constatations  contraires  faites  par  nos  devanciers.  Aussi  avons- 
nous  pliotogiaphié  le  corps  du  délit,  puis  prié  MM.  .I.-A.  Brutaiis, 
archiviste  de  la  Gironde,  et  G.  Ducaunnès-iJuvai,  archiviste  de  la 
Ville,  dont  la  compétence  seront  pour  tous  la  meilleure  des 
garanties,  de  venir  sur  place  contrôler  l'exactitude  de  nos  dires. 
Nous  les  remercions  d'avoir  bien  voulu  se  rendre  à  notre  désir. 
Et  nous  remercions  aussi  M.  Roger  Brouillard  di-  nous  avoir  si  aima- 
blement secondé  dans  notre  recherche  archéologique,  ainsi  que  dans 
notre  tâche  de  photographe,  si  malaisément  accomplie  au  sonitm-f 
d'une  échelle. 

S'il  nous  faut  coik  lurr,  ce  sera  pour  j)rotester  contre  les  restau- 
rations du  genre  de  celles  de  la  statue  de  ('dément  \  .  Les  meilleures 
ne  valent  rien,  parce  qu'un  artiste,  pour  >i  li;d)ilf  (jn'il  soit,  ne  peu! 
jamais  reprendre  sans  faillir  nnr  o-uvre  qui  n'est  pas  la  sienne,  sur- 
tout quand  cette  œuvre  est  celle  d'iin  mitre  âge;  parce  que,  encore, 
c'est  toujours  une  profanation  que  d'allier  à  l'œuvre  d'un  artiste  le 
travail  d'une  main  étrangère...  Et,  pour  notre  part,  nous  eussion> 
mieux  aimé  une  statue  de  Clément  V  décapitée  et  incomplète, 
mais  dont  la  nature  et  la  beauté  seraient  demeurées  intactes,  ipiime 
statue  à  la({uelle  rien  ne  manque  sans  doute,  mais  affublée  d'une 
tête  d'occasion  qui  suffît  à  la  déshonorer. 

Ces  restaurations,  déjà  si  condamnables  au  point  de  vue  de  l'a  ri, 
ne  le  sont  pas  moins  au  point  de  vue  île  l'archéologie  elle-même, 
de  cette  science  archéologique  au  nom  de  laquelle  fin  ne  craint 
cependant  pas  de  les  faire,  car  tout  en  faussard  l'éducation  de  l'<eil. 
elles  fraudent  aussi  la  vérité  histori(|ue  et  peux  eut  devenir  la  source 
de  regrettables  erreurs.  T. "histoire  de  notre  statue  en  est  la  preuve. 

t'élicitons-nous  donc  ([ue  la  Société  Archéologi([ue  n'ait  j)as  pro- 
voqué la  restauration  du  ii>mbeau  du  pape  ClénuMd.  à  Uzesle.  JCt 
réjouissons-nous  surtout  que,  svn-  ce  nuiusolée,  l'on  n'ait  pas  repro- 
duit le  faux  Clément  V  de  Saint-André  ! 

MEAUDRE  DE  I.APOUYADE. 


A  TRAVERS  LE  SCHISME  CONSTITUTIONNEL 

EN  GIRONDE 


Le  schisme  constitutionnel  doit  son  origine  à  une  loi  que  l'Assem- 
blée constituante  vota  le  12  juillet  1790,  sous  le  nom  de  Constitu- 
tion civile  du  Clergé. 

Par  cette  loi,  le  pouvoir  civil,  se  tenant  pour  maître  absolu  ot 
législateur  suprême,  aussi  bien  dans  les  questions  purement  reli- 
gieuses que  dans  les  autres,  décidait,  de  son  autorité  privée  : 

1»  La  suppression  des  anciens  diocèses  et  leur  remplacement  par 
des  diocèses  nouveaux; 

2*^  L'élection  des  évêques  et  des  curés  par  le  peuple,  y  compris 
les  citoyens  non  catholiques; 

3°  L'interdiction  aux  évêques  ,élus  de  solliciter  du  pape  leur 
institution  canonique; 

4°  L'obligation,  pour  tous  les  membres  du  clergé  en  exercice, 
d^  prêter  serment  à  la  Constitution  civile. 

La  loi  qui  édictait  de  pareilles  obligations  était  évidemment 
une  loi  schismatique  au  premier  chef.  Malgré  cela,  quatre  évêques 
et  un  certain  nombre  de  prêtres  n'hésitèrent  pas  à  l'accepter. 

Dans  les  Grandes  Landes  du  Bordelais,  en  particulier  i,  le  schisme 
constitutionnel  trouva  un  terrain  tout  particulièrement  propice 
à  sa  propagation.  Aussi  nous  a-t-il  paru  intéressant  de  rechercher 
les  causes  qui  facilitèrent  la  réussite  momentanée  de  ce  mouvement, 
et  la  façon  dont  les  fidèles  arrivèrent  à  s'en  accommoder. 

Toutefois,  avant  d'aborder  une  telle  étude,  il  importe  de  connaître, 
avec  une  précision  aussi  minutieuse  que  possible,  l'histoire  reli- 
gieuse de  ce  petit  pays,  à  cette  époque  si  troublée.  C'est,  en  effet, 
sur  les  menus  incidents  de  la  vie  populaire,  sur  les  détails  de  l'exis- 
tence quotidienne  que  nos  conclusions  seront  basées  en  grande  partie. 

Or,  nous  avons  déjà  raconté,  dans  notre  volume  intitulé  :  Deux 
Paroisses  de  l'Ancien   Temps  ^,  les  diverses  péripéties  du  schisme 

1.  On  entend  par  Grandes  Landes  du  Bordelais  la  partie  de  landes  comprise  entre 
Bordeaux  et  le  département  des  Landes.  C'est  la  région  à  travers  laquelle  passe  la 
grand'route  de  Bordeaux  à  Bayonne. 

2v  Pages   18G-138,   149-150,  305-33S. 


\     IRAVERS    LE    SCHISME    CO>STrrUTIO>MEI,    EN    f.IROMDE  HJ 

i.'onstitutionru'l  à  Holii»  et  à  Bélict.  !)•'  iiiêine  le  récit  des  événcinciif  s 
suscités  par  ce  même  schisme  à  Hostens  et  à  Saint-Magii»-  a  trouvé 
place  dans  un  (uivra^'i-  (|ue  nous  venons  de  publier  sous  le  titre: 
La  Baronnic  de  Saint- Maf/ne  K  De  sorte  que  j)Our  tjbtenir  mih' 
idée  générale  du  mouvement  schismatique  dans  la  partie  centrale 
des  Grandes  Landes  du  Bordelais,  il  nous  reste  seulement  trois 
paroisses  à  examiner  :  Lugos,  Le  Barp  et  Salles. 

Nous  allons  le  faire  dans  la  première  partie  de  cette  étude.  Dans 
la  seconde,  nous  exposerons  les  conclusions  ffui  nous  j)araissent 
résulter  des  faits  connus  avec  certitude. 

Mais,  d'abord,  une  observation  importante  en  ce  ({ui  coneerne 
les  curés,  dont  nous  avons  à  retracer  la  I  riste  histoire. 

Les  curés  schismatiques  sont  tous,  quoi([ue  à  des  degrés  divers, 
des  prêtres  tarés,  théologiquement  pour  le  moins.  Les  uns,  plus 
faibles  que  mauvais,  subissant  l'intluence  de  peurs  trop  fortes  pour 
eux,  mais  conscients  des  devoirs  essentiels  qu'impose  le  caractère 
sacerdotal,  surent  rester  humainement  honnêtes  dans  leur  déchéance. 
Certains,  au  contraire,  heureux  de  pouvoir  suivre  les  inspirations 
d'un  cœur  déjà  gilté,  n'hésitèrent  pas  à  descendre  jusqu'aux  extrêmes 
bas-fonds  du  vice,  et  trouvèrent  un  premier  châtiment  dans  le  mépris 
universel  qui  les  entoura  vite.  Quelques-uns  enfin,  appelés  au  sacer- 
doce par  les  évêques  schismatiques,  qui  manquaient  de  sujets  et 
qui  s'elïorçaient  d'en  recruter  à  tout  prix,  étaient  si  clairement 
indignes,  au  moment  même  de  leur  ordination,  qu'en  des  temps 
moins  accidentés  ils  n'eussent  jamais  gravi  les  marches  du  sanc- 
tuaire. Rebuts  d'humanité  que  leurs  patrons  eux-mêmes  ne  pou- 
vaient estimer,  ils  lurent  les  hommes  à  tout  faire  dont  on  a  hâte 
de  se  débarrasser  après  s'en  être  servi. 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'ailleurs,  à  quek{ue  degré  que  les  prêtres  du 
schisme  constitutionnel  aient  été  coupables,  ni  les  uns  ni  les  autres 
n'étaient  de  vrais  curés,  ni  les  uns  ni  les  autres  n'appartenaient  à 
l'Église  catholique. 

C'est  la  paroisse  schismatiipie  rpie  nous  étudions. 

Les  prêtres  qui,  pour  l'éternel  honneur  de  l'Eglise,  gardèrent 
intacte  l'intégrité  de  leur  foi,  les  bons  pasteurs  en  un  mot,  ne  sont 
pas  en  question.  Chassés  de  la  patrie,  enfermés  dans  les  geôles 
publiques,  ou  couchés  sur  It.'s  planches  de  l'échafaud,  ils  ne  pou- 
vaient que  prier  et  soulTrir. 

1.  Tome  II,  pages  8y-U4. 


20  A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL    EN    GIRONDE 


PREMIÈRE   PARTIE 


PAROISSES   SCHISMATIQUES 


I.  —  LUGOS. 

La  paroisse  Notre-Dame  de  Lugos  fut  toujours  connue,  jusqu'aux 
premières  années  du  xix^  siècle,  sous  le  nom  de  Lugo.  Actuellement 
encore,  après  plus  de  cent  ans,  on  supprime  s  dans  la  prononciation  ; 
et  cet  usage  a  cela  de  curieux  qu'il  n'existe  pour  aucune  des  localités 
avoisinantes  :  Mios,  Caudos,  Andernos,  Biganos. 

Cette  paroisse  appartenait  au  diocèse  de  Bazas  et  faisait  partie 
de  l'archiprêtré  de  Bernos  ^. 

Érigée  en  vicairie  perpétuelle  sur  la  fin  du  xvii^  siècle,  au  plus 
tard  en  janvier  1664  ^,  elle  formait  l'une  des  sept  paroisses  annexes, 
possédées  par  le  prieuré  Saint-Jean-de-Mons  dans  la  région  avoi- 
sinante  ^ 

En  1789,  le  curé  se  nommait  Jean-Baptiste  Bellard.  Né  à  Bor- 
deaux le  30  juin  1752,  il  exerça  d'abord  les  fonctions  de  vicaire  à 
Salles;  puis,  au  commencement  de  1783,  l'évêque  de  Bazas  lui 
conféra  la  vicairie  perpétuelle  de  Lugos*,  qu'il  desservait  déjà 
depuis  la  mort  de  M.  Richard  Deschamps  ^,  survenue  quelque 
temps  auparavant  ^. 

Quand  la  révolution  éclata,  M.  Bellard  adopta  avec  empresse- 
ment les  idées  nouvelles;  et  comme  il  avait  su  mériter  la  confiance 
de  ses  paroissiens,  ceux-ci  l'appelèrent  à  administrer  leur  commune. 
Il  fut  élu  maire  le  18  février  1790,  par  18  voix  sur  19  votants. 

1.  Bernos  est  une  commune  des  canton  et  arrondissement  de  Bazas. 

2.  Arch.  mun.  de  Belin.  Registres  paroissiaux.  M.  Ferrère  fut  le  premier  vicaire  per- 
pétuel de  Lugos. 

3.  Mons,  Saugnac-et-Muret,  Moustey,  Lugos,   Biganon,  Pissos,  Liposthey. 

4.  Cf.  mon  ouvrage  Deux  Paroisses  de  l'ancien  temps,  p.  314  et  suiv. 

5.  Vicaire  perpétuel  de  Lugos  depuis  le  9  janvier  1765.  (Minutes  de  M'  Hosten, 
notaire  à  Belin.) 

6.  Arch.  mun.  de  Lugos.  Registres  paroissiaux.  L'évêque  de  Bazas  était  devenu 
curé  primitif  et  collateur  ordinaire  de  Lugos  après  la  suppression  du  prieuré  de  Mons, 
en  1762.  On  appelait  collateur  ordinaire  d'un  bénéfice  celui  qui  possédait  le  privilège 
de  nommer  à  ce  bénéfice. 


A    TRAVERS    I.E    SCHISME    CONSTITUTIONMEL    EN    GIRO>(OF.  J I 

L'ii  ;iii  plus  l;ii(i,  il  [i;iss;i  ;iii  sclii-iin-.  En  \ui<'i  la  preuve  : 

\'erral  de  la  prestation  de  siT/minl  ilr  M'  Jntn-  Hapliste  licllani, 
curé  et  maire  de  la  parroisse,  en  eiinjonnilé  du  di'irel  du  12  juilhl, 
eonsernant  la  Constitution  sirile  du  rlerf/é. 

AiijourdliuN ,  If  viiijjf-iml  jaiixicr,  a  comparu  M'  .Jt-an-HaplisU- 
Ut'llard,  cin"6  de  la  parroissc,  par  dcvunt  les  ollicicrs  municipaux  et 
la  communauté  assambléc,  lcc|uel  a  déclaré  v(ud(uir  taire  «-(uit  st-r- 
mant  il  la  lait  élaictivitmcnl.  prf)testant  d'être  fidcllt-  à  la  milicmt, 
à  la  loy  et  au  roy,  de  maintenir  de  tout  son  pouvoire  la  (auislilulion 
décrétée  par  rAssaml)lée  et  acceptée  par  le  roy,  de  vi-iller  a\fc  soiiit 
sur  les  fidelles  de  sa  paroisse,  dénombrés  à  trois  cent  ({uel([ues  âmes; 
—  accejilir  la  Constitution  civile  du  clertré.  En  conséquence  le  décret 
du   !'2  juillet  demeure  acceptée  et  obtient  son  effet. 

A  Luj;o,  le  "29  janvier  1791. 

L.ANUC,  olïicier  municipal;  Bai.este.  procurur  de  ctjuiune;  .Mak- 
TiENS,  notable;  13oidé,  notable;  Raba,  notable;  Bellard,  curé 
et  maire  de  la  paroisse  de  Lugo  '. 

M.  Bellard  demeura  encore  quelques  mois  à  Lugos;  puis  ayant  été 
nommé  curé  de  Ludon  par  M.  Pacareau  2,  il  alla  occuper  son  nouveau 
poste  et,  peu  de  temps  après,  le  19  décembre  1791 ,  il  donna  sa  démis- 
sion de  maire  ^.  Presque  aussitôt  arrivé  à  Ludon,  il  obtint  d'être 
transféré  au  Porge  *.  Là,  encore,  il  s'ennuya  vite.  Dès  le  3  mai  1792, 
en  eiïet,  il  se  fit  instituer  vicaire  desservant  de  Béliet  ^. 

Lorsqu'il  eut  quitte  Lugos,  la  commune  resta  sans  «un-.  Les 
fonctions  ilu  saint  ministère  y  furent  d'abord  exercées  par  M.  Jean 
Laforcade,  vicaire  de  Salles;  mais  ce  prêtre  ayant  pris  dès  le  K""  mai 
la  succession  de  son  curé  défunt,  ne  [lut  à  lui  seul  cunlinuei  un 
service  si  pénible.  A  partir  de  ce  moment  donc,  le  culte  ne  se  trouva 
plus  assuré  dans  la  paroisse  de  Lugos.  Les  liabilanls  ne  tardèrent 
pas  à  en  témoigner  un  vif  mécontentement;  aussi  la  municipalité 
adressa- t-el le  bientôt  à  M.  Pacareau"  la  pT-lition  sui\ante  : 

Nous,  otTiciers  inunii'i[iaux  el  h'  procureur  de  la  parruisse  de  Lu|,'0, 
avons  l'honneur  de  prier  Monsieur  Pierre  Pacareau,  évoque  de  Bor- 

1.  .\rch.  nuiii.  de  Lusros.  Reg.  des  di^libérations  du  Conseil  niiiiiicipnl. 
*2.  Arcli.  ilioc.  de  Bordeaux.  Fonds  moderne.  Ludon  est   une  roniinune  du  rantoii 
de   Hlanrjuefort,  arrondissement  de   Hordeaux. 

3.  Anli.  mun.  de  Lutros.   ÏU'iz.  des  délil)éralions  du  (.oiiseil  muniiipal. 

4.  Anii.  dép.  de  la  (lironde,  L  14  Jl.  Le  l'orue  e.-l  une  ronunune  du  eanton  de  Cas- 
lelnau,   arrondissement  de   Hordeaux. 

T).   Areli.  dép.  de  la  (iironde,  L   1095. 

6.  Pierre  F'acareau,  né  à  Bordeaux  le  '27  seplendire  1711,  tlail  elianoine  de  Saint- 
.\ndrt''  quand,  le  15  mars  1791,  on  l'élut  évéque  nulropolitain  du  Sud-(tuesl.  Il  se  lit 
sacrer  le  3  avril  suivant,  et  mourut  le  5  septembre  1797.  (Aurélien  Vivie,  Histoire  de 
la  Terreur  à  Bordeaux,  t.  I,  p.  61  et  suiv.) 


2  2  A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL   EN    GIRONDE 

deaux,  de  doner  le  bis  in  die  i  à  M""  J"  Péés,  desservant  de  Béliet, 
nous  trouvant  depuis  longtemps  sans  aucun  secours  spirituel.  Et 
nous  dézirons  d'autant  plus  M""  J"  Péés  que  nous  reconnoissons  ses 
bonnes  vies,  et  mœurs,  et  capacité.  En  conséquance  nous  vous  sup- 
plions de  luy  expédier  par  le  présant  porteur  l'eftet  de  notre  demande. 
Et  nous  adressons  des  vœux  au  ciel  pour  la  conservation  et  prospé- 
rité de  Monsieur  Pierre  Pacareau,  évêque  de  Bordeaux, 

Et  avons  signé,  le  5  août  1791. 

Lanuc,  officier  municipal;  Boudé,  officier  municipal;  Baleste, 
procureur  de  la  commune^. 

On  donna  satisfaction  à  ce  désir.  M.  Péés  assura  le  service  de 
Lugos,  et  le  gouvernement  lui  accorda,  pour  cette  fin  de  trimestre 
(mois  d'août  et  de  septembre),  une  indemnité  de  58  livres  ^ 

M.  Bellard,  à  son  tour,  se  chargea  du  même  travail,  lorsqu'il 
eut  remplacé  M.  Péés  à  Béliet.  La  municipalité  de  Lugos  demanda 
alors  au  Directoire  du  département  qu'un  traitement  annuel  de 
700  livres  fût  alloué  pour  ce  service  à  son  ancien  curé  ■*.  Elle  obtint 
sans  peine  ce  qu'elle  désirait^,  et  les  choses  allèrent  tant  bien  que 
mal  jusqu'au  moment  de  la  Terreur.  Mais  alors,  M.  Bellard  ayant 
abdiqué  le  sacerdoce  ^,  se  retira  à  Salles  où  il  se  maria.  A  partir 
de  ce  jour,  Lugos  vit  cesser  tout  service  religieux  jusqu'au  réta- 
blissement du  culte  en  France. 

M.  Bellard  mourut  réconcilié  avec  l'Église  et  curé  de  Sanguinct 
le  1er  niai  1821  \ 

A  Lugos,  comme  partout  ailleurs,  les  biens  d'Église  furent  natio- 
nalisés et  aliénés.  C'est  ainsi  qu'on  vendit  : 

Le  20  thermidor  an  II  (7  août  1794),  20  livres  1/2  de  «  laine  en 
graisse  »,  appartenant  à  la  fabrique,  au  prix  de  15  livres,  7  sous, 
6  deniers  ®; 

Le  14  nivôse  an  III  (3  janvier  1795),  un  troupeau  de  brebis  appar- 
tenant à  la  fabrique,  moyennant  404  livres  8  sous  6  deniers  ^; 

Le  21  germinal  an  V  (10  avril  1797),  le  presbytère,  comprenant 
une  maison  en  mauvais  état,  une  écurie  en  pierre  en  bon  état,  et 


1.  Autorisation  de  célébrer  deux  messes  le  dimanche. 

2.  Arch.  dioc.  de  Bordeaux.  Fonds  moderne. 

3.  Arch.  dép.  delà  Gironde,  L 510. 

4.  Arch.  mun.  de  Lugos.  Reg.  des  délibérations  du  Conseil  municipal. 

5.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1107. 

6.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1436. 

7.  Nous  avons  raconté  en  détail  la  vie  de  M.   Bellard  dans  noire  ouvrage  :   Deux 
Paroisses  de  l'ancien  temps,  pp.  314-324. 

8.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q  846. 

9.  Arch.  dép.  de  la  Gironde.  Contrôle  des  actes  de  Belin, 


A     rUAVERS    I.F.    «;CIIIS.MF.    CONSTITUTIONNEL    EN    GIHONUE  a'i 

iiii  tiTiaiii  en  friche  de  2  journaux  environ,  le  tout  adjugé  au  cito\ t-n 
Juàt  Joseph,  de  Bordeaux,  pour  931  francs  ^ 

L'éghse  paroissiale  se  trouvait,  à  ce  moment,  sur  h-s  bords  de  la 
Leyre,  à  deux  kilomètres  environ  de  Béliet,  et  à  peu  près  à  égale 
distance  de  Belin.  Elle  existe  toujours.  C'est  un  monument  sans 
j,'rand  caractère  architectural,  comprenant  un  clocher  carré  -  sur 
la  façade,  une  nef  sans  bas-côtés,  une  abside  semi-circulaire,  le  tout 
llanqué  de  contreforts  à  structure  massive.  Au  sud  du  chœur 
s'avance  une  sacristie;  et  dans  le  bas  de  l'abside,  au  nord,  se  pré- 
sente une  petite  ouverture  qui  a  tous  les  caractères  du  style  roman  ^ 

Cette  ouverture  porte,  dans  l'archéologie  chrétienne,  le  nom  de 
rcijrine.  C'est  une  sorte  de  fenêtre  étroite,  par  laquelle  on  faisait 
passer  les  enfants,  le  jour  de  la  Saint-Michel,  pour  attirer  sur  eux 
la  protection  du  glorieux  archange.  Actuellement,  elle  est  fejmée 
par  un  volet  en  bois  qui  ne  s'ouvre  jamais,  l'ancien  usage  d'y  faire 
passer  les  enfants  ayant  complètement  cessé,  bien  qu'aux  deux 
fêtes  de  Saint-Michel,  le  8  mai  et  le  29  septembre,  un  grand  concours 
de  fidèles  se  réunisse  dans  cette  église. 

Ces  deux  jours  de  l'année  sont,  au  surplus,  les  seuls  où  l'on  y 
célèbre  le  service  divin.  En  eiïet,  disait  en  1803  le  curé  de  Belin, 
elle  s'élève  dans  «  un  lieu  inhabitable  (qui)  depuis  un  temps  immé- 
morial a  été  déserté  par  les  curés,  à  cause  de  l'insalubrité  de  l'air  ))■*. 
Dix-huit  ans  plus  tôt,  un  médecin  du  pays,  exprimant  la  même  idée, 
déclarait  qu'un  «  hair  inpur  se  lève  continuellement  des  mares  qui 
entouroient  se  lyeu  »,  occasionnant  des  «  fièvres  putrides  »  ■\ 

Dans  ces  conditions,  on  comprend  que  les  habitants  aient  imité 
leur  curé.  De  fait,  la  population  se  transporta  peu  à  peu  à  six  kilo- 
mètres plus  loin,  dans  un  quartier  nonmié  Séouzc  *,  et  situé  beau- 
coup plus  au  centre  de  la  comnniiic.  Aus.>i,  quand  il  devint  possible 
de  donner  un  curé  ù  Lugos,  abandonna-t-on  l'ancienne  église  qui 
ne  répondait  plus  aux  nécessités  paroissiales,  pour  en  construire 
une  nouvelle  à  Séouze.  Malheureusement,  cette  solution  tarda  à 
se  réaliser. 

1.   An  11.  (It'p.  (le  la  (iiroinle,  0  731. 

'i.   Il  ifiifcrme  une  cloche  (|ui  poilt-  riiisi-ri|ilion  siiiviiiite  :   IIIS.  Sancla  Maria  ora 

Itro  nohix  /uilf  pinir  l'i'ijlize  de Luyo  1643  et  parrain  .A/""  Jefiaii  de  Laforgue  Juge 

de  lifllin  Marraine  Jeanne  Desans. 

3.  C(.  Arcli.  inuii.  de  Mordeaux.  Fonds  Léo  Drou>ii,  lonic  XI.A'I,  p.  643. 

1.  .\rfli.   dioc.   modernes  de  r.\rche\  èrhé. 

5.  Arch.  de  M.  .\urénen  IJoireau,  propriétaire  à  Salles.  Cerlillcal  délivré  à  M.  Bellard. 
le  ô  avril  1785,  par  M.  Saint-Hilaire,  maître-cliinircieii  de  Salles. 

t).  Les  vicaires  perpétuels  de  I.ugns  se  «piaiidaienl  vicaires  per(>éluels  cle  Liiiro«  et 
de  Séouze, 


2^  A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTlOXJiEL   EX    GIRONDE 

En  1803,  quand  on  rétablit  le  culte  catholique  en  France,  Lugos 
n'obtint  pas  le  titre  de  succursale.  L'autorité  diocésaine  l'annexa 
à  la  paroisse  de  Mons  ^,  et  le  curé  de  Belin  d'abord,  le  curé  de  Béliet 
ensuite,  y  accomplirent  les  diverses  fonctions  ecclésiastiques.  En 
1845,  pourtant,  le  4  novembre,  une  ordonnance  royale  érigea  Lugos 
en  paroisse  indépendante.  La  nouvelle  succursale  reçut  alors  pour 
curé  M.  P.  Niel,  qui  conserva  ce  poste  jusqu'en  1851  ^. 

!        '  II.  —Le  Barp. 

La  paroisse  Saint-Jacques  du  Barp  appartenait  au  diocèse  de 
Bordeaux  et  faisait  partie  de  l'archiprêtré  de  Cernés.  Elle  avait  été 
érigée  en  vicairie  perpétuelle  par  ordonnances  archiépiscopales  des 
24  juillet  1618-18  juillet  1623  ^,  et  dépendait  d'un  prieuré  hospi- 
talier établi,  au  lieu  même  du  Barp,  pour  recevoir  les  pèlerins  qui 
allaient  à  Saint-Jacques-de-Compostelle.  C'est  le  prieur  de  cette 
maison  qui  était  curé  primitif  du  Barp;  mais  la  collation  de  la 
vicairie  perpétuelle  appartenait  pleno  jure  à  l'archevêque  de  Bor- 
deaux. 

L'église,  s'il  faut  en  croire  Léo  Drouyn,  remontait  au  xiii^  siècle. 
Elle  comportait,  dit-il,  «  une  nef  carrée  à  chevet  droit,  composée 
de  deux  travées  éclairées  par  deux  longues  fenêtres  en  lancettes  de 
chaque  côté.  Trois  contreforts  assez  saillants  renforcent  chacune 
des  façades  nord  et  sud.  Sur  la  façade  rampent  deux  contreforts 
presque  plats  qui  soutiennent  un  clocher  arcade,  à  pignon  peu 
élevé,  percé  de  deux  baies  pour  les  cloches.  L'escalier  pour  monter 
au  clocher  est  renfermé  dans  une  cage,  de  forme  irrégulière  au 
nord  »  *.  Cet  édifice  a  été  complètement  reconstruit  vers  le  milieu 
du  xix^  siècle. 

En  1789,  le  curé  du  Barp  se  nommait  Jean-Baptiste  Anglade. 

Né  le  14  mars  1737,  dans  la  ville  de  Garcassonne,  sur  le  territoire 

1.  Avant  la  Révolution,  la  paroisse  de  Belin  actuelle  portait  le  nom  de  paroisse  de 
Mons.  Au  moment  du  Concordat,  on  divisa  cette  paroisse,  qui  est  immense,  en  deux 
parties  :  la  paroisse  de  Mons,  au  delà  de  la  Leyre,  vers  les  Landes:  la  paroisse  de  Belin, 
en  deçà.  Mais  les  circonstances  ne  permirent  pas  de  faire  exécuter  cette  décision,  et 
les  deux  paroisses  n'en  forment  qu'une  :  celle  de  Belin. 

2.  Voici  la  liste  de  ses  successeurs:  MM.  Joseph  Méliet,  1851-1894;  Balancie,  1894- 
189.5;  Lucien-Claude  Bronde,  1896-1902;  Germain-Arcangel  Fougère,  1903-1907; 
Marcel-Mathieu  Darnaudpeys,   1907. 

3.  Le  premier  vicaire  perpétuel  du  Barp  fut  M.  François  de  Mompontet,  qui  accepta 
cette  charge  après  s'être  démis  du  j^rieuré  du  Barp  en  faveur  des  Feuillants.  Ce  sont 
Précisément  les  difficultés  survenues  à  propos  de  cette  mutation  de  prieur  qui  néces- 
sitèrent deux  décrets  d'érection. 

4.  Arch.  mun.  de  Bordeaux,  Fonds  Léo  Drouyn,  t.  XL\'I,  p.  G37, 


A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTI  I  I   liowil.    »N    i.llU'M.i:  3  ) 

de  la  paroisse  Saiiit-Micliel,  M.  Angladc  était  lils  de  Jean  Auglade 
et  de  Catherine  Berj^er  ^  Il  exerçait  les  foiicti»jiis  de  vicaire  condur- 
tice  à  Saint-Magne  de  Bcliii,  depuis  l'année  1774  '^,  lorsqu'il  réussit, 
le  9  mars  1782,  à  se  faire  noninicr  curé  du  Barp  ^.  Son  action  y  fut 
longtemps  celle  d'un  excellent  pasteur:  et  de  fait,  ce  pauvre  honinit- 
était  un  bon  prêtre.  Par  malheur,  (piand  vint  l;i  I {évolution,  il  ne 
sut  pas,  ou  plutôt  il  n'osa  pas  réagir  contre  l'obse-ssion  des  idées 
ambiantes,  et  le  23  janvier  1791,  après  avoir  célébré  la  messe  parois- 
siale, il  prêta  serment  à  la  Constitution  civile  du  Clergé.  Un  procès- 
verbal  nous  a  conservé  le  récit  succinct  de  cette  triste  cérémonie  : 

Nous,  soussignés,  maires  cl  officit-rs  municii>;iiix  de  la  p;irroissi'  du 
Barp,  certifions  que  ce  jourd  luii.  vinirtruis  du  mois  de  janvier  mil 
sept  cents  quatre  vingt  onze,  M.  Aiii:ladt',  curé  de  la  présantf  |tai- 
roisse,  suivant  sa  déclaration  au  greffe  de  la  ditte  municipalité  ù\i 
\  ing  de  ce  mois,  en  conformité  des  articles  .38  et  39  du  litre  "2  >'.u 
décret  de  l'Assemblée  nationale  du  12  juillet  dernier,  sanctionné 
par  le  roi  le  24  août  suivant,  et  de  l'article  39  du  décret  du  24  juillet 
du  traitement  du  clergé  actuel,  et  de  l'article  l"  de  celui  du  27  novcm- 
i)re  aussi  dernier,  sanctioné  le  26  décembre  suivant,  —  après  la 
messe  parroissiale,  devant  le  Conseil  général  et  du  puple  assemblé. 
a  levé  sa  min  droite  et  fait  le  serment  solemnel  de  renqtlir  ces  lom- 
tions  avec  exactitude,  de  veiller  avec  soin  sur  le  troupau  i\\u  lui  f^t 
confié,  d'être  fidelle  à  la  iialiDO.  à  la  loi  et  au  roi,  et  de  maintenir  dt- 
tout  son  pouvoir  la  Constitution  décrettée  par  rAssemblée  nationnaIi> 
et  acceptée  par  le  roi.  En  conséquance  avons  dressé  le  présant  procès- 
verbal. 

Hazera,  maire;  Taris,  officifr  municipal;  Ahnaudin,  olTicier 
municipal:   Lafourcade,  secrétaire  général. 

A  ce  moment,  d'ailleurs,  le  pouvoir  civil  venait  de  se  livrer  à  une 
série  d'empiétements  (|ui  n'avaient  pas  peu  contribué  à  effrayer  le 
malheureux  curé. 

En  effet,  le  2  février  179U,  les  citoyens  actifs  du  Barp.  réunis  -nus 
la  présidence  d'Arnaud  Hazera,  président  du  Conseil  muniejpal 
provisoire,  procédèrent  à  l'élection  définitive  de  leur  municipalité. 
La  loi  exigeait  qu'on  nommât  six  officiers  municipaux;  >>  mais  à 
cause  de  la  rareté  des  sujets  et  de  sux  qui  savent  sulement  signer  », 
on  décida  de  n'en  désigner  ipie  trois,  y  compris  le  maire.  Après  cela, 
Arnaud  Hazera  fut  élu  maire  par  32  voix  sur  38  votants,  Jérôme 
Arnaudin,  premier  municipal  par  32  voix,  et  Arnaud  Taris,  deuxième 

1.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  10!).'^. 

2.  Cf.  mon  ouvrage:  La  hnronnie  de  Sainl-Magne,  I.  II.  |'.  !S7, 

3.  Anii.  dioc.  de  IJordcanx.  p.  "il. 


a6  A   TRAVERS    LE    SCHISME   CONSTITUTIONNEL   EN    GIRONDE 

municipal  par  21  voix.  Le  procureur  de  la  commune  fut  André 
Hazera. 

Aussitôt  constituée,  la  nouvelle  municipalité  somma  le  curé 
d'avoir  à  lui  faire  connaître  le  montant  de  ses  biens  et  revenus, 
ainsi  que  leur  nature.  M.  Anglade  répondit,  le  17  avril  suivant, 
que  son  bénéfice  lui  rapportait  uniquement  700  livres  de  portion 
congrue  ^  et  400  à  500  livres  de  casuel.  Il  ajoutait  que  le  presbytère 
était  entouré  d'un  petit  jardin  et  «d'un  lopin  de  terre  en  pré»; 
mais  que  la  bâtisse  tombait  en  ruines  ^. 

Le  19  septembre  de  la  même  année,  nouvelle  intervention  de  la 
municipalité  qui,  appelée  d'office  à  l'assemblée  paroissiale  où  l'on 
devait  élire  les  fabriciens,  fit  décider  «  que  les  fabriciens  doresna- 
vant  ne  livreront  aucune  somme  appartenant  aux  pauvres,  venant 
de  lecs  ou  d'aumônes,  à  quiconque  que  du  consentement  par  écrit 
de  la  municipalité,  faute  d'en  répondre  en  son  propre  et  privé  nom. 
Ont  délibéré  aussi  que  ledits  fabriciens  ne  fairont  aucune  dépence 
extraordinaire  de  deniers  de  la  fabrique  que  du  consentement  de 
laditte  municipalité  »  ^. 

Le  Conseil  municipal  ne  voulait  pourtant  pas  se  poser  en  adver- 
saire de  la  relioion  nationale;  bien  au  contraire,  il  avait  pris,  le 

3  mai  précédent,  une  délibération  défendant  aux  cabaretiers  de 
servir  à  boire,  durant  les  offices,  à  quelque  personne  que  ce  fût,  les 
voyageurs  exceptés,  et  ce,  sous  peine  d'une  amende  de  6  livres  pour 
les  cabaretiers  et  de  40  sous  pour  les  buveurs  ■*. 

Malgré  tout,  on  ne  peut  trouver  étonnant  qu'un  esprit  timoré  s'in- 
quiétât d'un  état  de  choses  pareil.  C'est  ce  qui  arriva  à  M.  Anglade. 
La  peur  s'empara  de  lui  et  le  poussa  aux  pires  déchéances.   Le 

4  avril  1791,  il  adressa  aux  administrateurs  du  district  de  Bordeaux 
une  supplique  tendant  à  obtenir  un  logement  convenable,  car  son 
presbytère  tombait  en  ruines  ^  Et  comme  on  ne  lui  donna  pas 
satisfaction,  il  se  fit  transférer  à  la  cure  de  Montussan  ^  Il  y  passa 
quelque  temps  dans  une  tranquillité  relative.  Mais  la  guerre  reli- 
gieuse ne  tarda  pas  à  s'accentuer;  le  moment  vint  vite  où  l'on  ne 
voulut  plus  de  prêtres  en  France  :  les  constitutionnels  eux-mêmes 

1.  On  désignait  .sou?  le  nom  de  porlion  congrue  la  pension  annuelle  que  le  curé  pri- 
mitif d'une  paroisse  payait  au  vicaire  perpétuel. 

2.  Arch.  de  M.  Daney,  maire  du  Barp.  Nous  y  avons  puisé  tout  ce  qui  concerne 
les  actes  de  la  municipalité  jusqu'à  ce  moment. 

3.  Arch.  de  la  fabrique  du  Barp. 

4.  Arch.  de  M.  Daney,  maire  du   Barp. 

5.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L   1102. 

G.  Montussan  est  une  commune  du  canton  du  Carbon-Blanc,  arrondissement  île 
Bordea\ix, 


n'y  élaient  plus  tolérés  qu'à  la  condition  d'abdiquer  leur  sacerdoce, 
r.i"  ne  fut  certeg  pas  sans  de  lonpfut'si  et  cruelles  hésitations  que 
M.  Anglade  se  soumit  à  cette  nouvelle  exigence;  il  finit  par  le  faire 
pourtant,  et  le  17  ])rairial  an  II  (5  juin  1704),  il  signa  son  al»(li<a- 
tion  1.  Après  le  9  thermidor,  il  s'établit  ministre  du  culte  à  Belin; 
puis  à  la  fin  de  1799,  il  se  retira  à  Carcassonne^.  Le  gouvernemeiil 
lui  avait  accordé  une  pension  annuelle  de  1,200  livres^. 

Lorsque  M.  Anglade  eut  «[nitté  Le  Barp,  la  paroisse  resta  sans 
curé,  et  il  s'y  passa  ce  qui  se  passait  dans  tout  le  reste  de  la  France. 

Le  21  frimaire  an  II  (11  décembre  1793),  Pierre  Martin,  l'un  des 
ofilciers  municipaux,  remit  «  à  la  fundrie  nationnalle  du  Fort  Trom- 
pette :  une  cloche  pezant  trois  cents,  avec  six  chandelliers  en  cuivra, 
une  petite  clochette,  un  bassin  d'étein,  et  un  plat  et  une  lampe 
argentée,  le  tout  ensemble  pesant  soixante  et  dix  livres  ■*.  » 

Dix  jours  plus  tard,  le  30  frimaire  (20  décembre  1-793),  le  fabricifii 
en  exercice  Pierre  Lafourcade  se  vit  inviter  à  comparaître  en  la 
maison  commune  pour  y  rendre  compte  de  sa  gestion.  «  Il  détenait, 
dit  le  procès-verbal  de  sa  comparution,  une  somme  de  240  \ï\vi-> 
10  sous  qu'il  a  remis  entre  les  mains  de  ladite  municipalité  et  (IdhI 
Pierre  Martin,  dit  Pierrot,  s'est  chargé  pour  en  rendre  compte  en 
temps  et  lieu  à  ladite  commune.  »  —  Une  note  officielle  ajoutée  au 
procès-verbal  de  remise  nous  apprend  que  cette  «  somme  a  été 
employée  à  la  construction  de  la  maison  commune,  et  portée  par 
ledit  Martin  dans  le  compte  qu'il  a  rendu  do  ladite  construction, 
et  la  commune  lui  en  tient  quite  »  l 

Presque  aussitôt  après,  l'église  fut  convertie  en  Temple  de  la 
Raison  ^ 

Entre  temps,  ou  avait  commencé  l'aliénation  des  biens  apparte- 
nant à  l'Eglise.  C'est  ainsi  que  le  18  janvier  1792,  la  chapelle  «1"  Ar- 
genteires,  qui  était  située  à  Biganos  et  appartenait  au  prieur  du 
Barp,  fut  vendue  à  un  sieur  Béroul,  moyennant  300  livres". 

On  continua  naturellement  ces  opérations,  et  l'on  vendit  : 

Le  1"  pluviôse  an  III  (20  janvier  1795),  un  troupeau  de  brebis 
venant  de  la  fabrique  et  adjugé  pour  595  livres  à  Jeantille  Lanuc  *; 

1.  Anii.  (lép.  (le  la  Gironde,  L   1436. 

2.  Arch.  mun.  de  Beliii. 

3.  Arch.  dép.  de  la  (liromlf,  L    llu". 

4.  Arch.  de  M.  Daney,  maire  du  Barp. 
•ô.  Arch.  de  la  fabrique  du  Barp. 

6.  Arch.  de  M.  Daney,  maire  du   Barp. 

7.  Arch.  dép.  de  la  Gironde.  O  1)0.  Biganos  est  une  commune  du  canton  d'Audenttc, 
arrondissement   de   Bordeaux. 

5.  Arch.  dép.  de  I.i   (Jiponde,   t'.otilrnle  de-  aili--  di'   B.-lin, 


aS  A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL    EN    GIRONDE 

Le  22  germinal  an  III  (11  avril  1795),  un  pré  situé  au  bourg  du 
Barp,  d'une  contenance  de  20  règes  7  carreaux,  qui  faisait  partie 
lui  aussi  des  biens  de  la  fabrique  et  qu'un  marchand  nommé  Lafour- 
cade  acheta  au  prix  de  2,600  livres  i. 

Le  presbytère  ne  trouva  pas  d'acquéreur;  mais  le  pré  et  le  jardin 
qui  y  attenaient  furent,  par  acte  du  25  ventôse  an  III  (15  mars 
1795),  affermés  à  Jean  Dutauzin,  pour  trois  ans,  moyennant  un 
loyer  annuel  de  170  livres  2. 

C'est  dans  le  courant  de  l'année  suivante  que  l'exercice  du  culte 
recommença  au  Barp.  Un  prêtre  constitutionnel,  nommé  Joseph 
Marcourt,  vint,  en  effet,  s'y  établir  à  ce  moment  \  Religieux  capucin 
avant  la  Révolution,  M.  Marcourt  avait  prêté  le  serment  schisma- 
tique  et  se  trouvait  à  Calais  ^  quand  il  fut  nommé  curé  d' Avensan  ^ 

Il  s'empressa  de  notifier  son  acceptation  par  la  lettre  suivante  : 

A  Monsieur,  Al^  Duuiyneau,  secrétaire  de  r Assemblée  électorale 

du  District  de  Bordeaux. 

Monsieur,  j'accepte  avec  reconnoissance  la  cure  d'Avensan  à  la- 
quelle les  électeurs  de  votre  District  ont  bien  voulu  me  nommer. 
Persuadé  que  la  voix  du  peuple  est  celle  de  Dieu,  je  vais  prendre 
les  précautions  nécessaires  pour  me  rendre  à  Bordeaux  le  plutôt 
possible,  et  de  là  à  ma  cure,  où  j'espère  opérer  par  mes  soins  tout  le 
bien  qu'on  peut  attendre  d'un  pasteur  vrayment  patriotique,  et  juâ- 
tifler  le  choix  de  ceux  qui  m'ont  honoré  de  leurs  suffrages.  En  atten- 
dant que  j'ai  l'honneur  de  vous  saluer  en  personne,  agréez  les  senti- 
mens  respectueux  de  celui  cjui  a  l'honneur  d'être,  Monsieur,  votre 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Marcourt,   élu  curé  d'Avensan. 

Calais,  ce  5  avril  1791  «. 

M.  Marcourt  vint  donc  à  Avensan;  mais,  dès  le  mois  de  septem- 
bre suivant,  il  se  fit  nommer  curé  de  Cadaujac  ',  où  il  resta  jusqu'à 
la  suppression  du  culte  en  France. 

Arrivé  au  Barp  le  7  prairial  de  l'an  IV  (26  mai  1796),  il  en  partit  à 
la  fin  de  1797  ^.  Avant  de  s'en  aller,  il  eut  soin  de  faire  procéder  à 

1.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q  442. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Gironde.  Contrôle  des  actes  de  Belin. 

3.  Arch.   mun.   de   Belin. 

4.  Chef-lieu  de  canton  du  Pas-de-Calais,  arrondissement  de  Boulogne. 

5.  Commune  de  la  Gironde,  canton  de  Castelnau,  arrondissement  de  Bordeaux. 

6.  Cette  lettre  est  scellée  du  sceau  des  Capucins  de  Calais.  Ce  sceau,  de  forme  ovale, 
porte  au  centre  l'image  de  saint  Antoine  de  Padoue,  et  tout  autour  l'inscription  sui- 
vante :  +  Sig.  Convent.  Fra.  Capuc.  Callel. 

7.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  510.  Cadaujac  est  une  commune  du  canton  de  La 
Brède,  arrondissement  de  Bordeaux. 

8.  Arch.  mun,  de  Belin, 


I 


A    TRAVERS    LE    SCllISME    CONSTITITIONNEF.    E\    GIRONDE  Ui) 

rélectiou    d'un    labricicii,    acte    <|iii    donna    lieu    au    |uo<'rs-\oil'al 
suivant  ^: 

/-.7(//  ih's  rffrls  srrvanis  au  mile  de  réfflise  du  Harj»,  ron/irs  nu  rilni^en 
Antoine  Du  linurf/,  faliri(/ueur. 

Scavoir  :  1"  deux  linct'uils;  -2"  vintrL  na|i|»cs  d'autel,  treize  à  dentel- 
les et  sept  unies;  3"  cinc}  nappes  de  communion;  1"  onze  serviettes, 
(juatre  ouvrées  et  sept  unies;  5"  tout  le  linge  servant  au  ministre 
pour  le  culte. 

Ledit  Antoine  Du  Bourg  n'a  pas  reçu  d'argent  de  Pierre  Lafoiir- 
cade  (t'al)ri([U(nir)  sortant,  parce  que  la  dispense  a  surpass(''e  la  recette 
de  (juelques  li\  res  que  ledit  Lal'ourcade  n"a  pas  exigé. 

Au  Barp,  le  7  mai  1797. 

M.  Marcourt  fut  remplacé  par  Jean-René  Gravier,  m-  1"  1 1  mai 
1750  de  Pierre  Gravier,  notaire,  et  de  Marie  Bichet,  sur  la  paroisse 
des  Chézeaux  2.  Après  avoir  prêté  serment  à  la  Constitution  rivile 
du  clergé,  il  resta  encore  quelque  temps  dans  la  paroisse  de  Pleine- 
selve  ^,  dont  il  était  curé;  puis,  à  la  fin  de  1792,  il  se  fit  élire  à  la  cure 
d'Anglade  *,  et  réclama  l'institution  canonique  par  la  lettre  sui- 
vante, adressée  «  au  citoyen  Lassalle,  secrétaire  du  cytoien  évêque, 
à  Bordeaux  ^  » 

Citoyen,  je  vous  envois  l'extrait  du  procès-verbal  de  mon  élection 

à  la  cure  d'Anglade;  vous  voudrez  bien  m'envoyer  l'institution  caim- 

nique,  afTm  que  je  puisse  prendre  possession  tout  de  suit  le.  Adressez 

moi  aussi  le  Bis'j;  il  est  bien  nécessaire  dans  une  paroisse,  qui  a\ail 

toujours  coutume  d'avoir  deux  messes,  et  surtout  en  ce  moment,  nù 

le  peuple  des  paroisses   voisines,  Saint-Louis,  Eran,  Saint-. \ndroni  ". 

privés  de    pasteurs,   affluent   à    Anglade.   Je    suis    très    cordialement 

votre  frère  et  ami. 

Gravier,  curé  d.Vnglade. 

.\  Anglade.  le  1  t  décembre  170-2. 


11  reçut  satist'aclion  cimi  jouis  phis  tard,  l'I  s'installa  aussitôt 
dans  son  nouveau  |)0ste.  .Malheureusement  pour  lui,  il  ne  devait  pas 
y  trouver  les  avantages  qu'il  espérait.  Au.>.-i  ne  tarda-t-il  pas  à  se 

1.  Arch.  de  la  fiibritiue  du  Barp. 

•-'.  Actuelleinenl  département  de  la  Ilaute-N'ienno. 

3.  Commune  de  la  Gironde,  canton  de  Saiul-Ciers-sur-Gironde,  firrondiïiscmriil  d<' 
Blaye. 

4.  Commune  de  la  Gironde,  mi^me  canton  que  Pleineselve. 
îi.  Arcli.  dioc.  de  Hordeaux.  Fonds  moderne. 

6.  ,\brévialion  pour  lli.s  in  (tic  :  deux  fois  dans  le  jour.  C'est  lu  permission  de  célébrer 
la  messe  deux  fois  le  dinianclie. 

7.  Ce  sont  trois  localités  de  l'arrondissement  de  Ulaye  :  Saint-Louis  (conunune  de 
Braud)  et  F.yrans,  dans  le  canton  de  Saint-Ciers-sur-CJironde;  Saint-.\ndrony,  dans 
le  canton  de  Blave. 


3o  A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTiTUTIONNEL    EN    GlhONbE 

dégoûter  de  sa  paroisse  et  le  28  septembre  1793,  de  Blayc  où  il  se 
trouvait  alors,  il  écrivit  à  Desaubiers,  procureur  de  la  commune 
d'Anglade,  la  lettre  suivante  : 

Citoyen,  ayant  été  depuis  huit  jours  retenu  au  lit  par  une  attaque 
de  goutte  qui  m'a  fait  beaucoup  souffrir,  je  n'ai  pu  me  rendre  diman- 
che dernier.  Aujourd'huy  je  mv  porte  un  peu  mieux  et  j'en  profTite 
pour  vous  dire  que,  d'après  les  propos  malhonnêtes  qu'on  tient  sur 
mon  compte  ou  qu'on  m'a  rapporté,  vous  vous  procuriez  un  curé 
qui  ait  le  don  de  vous  plaire.  Quant  à  moi  je  ne  scache  point  avoir 
offensé  personne.  J'aurois  désiré  être  plus  sédentaire;  mais  comme 
je  n'ai  point  de  maison  montée  et  que  je  n'éprouve  que  des  désagré- 
mens,  je  profTite  de  la  liberté  dont  nous  jouissons  pour  me  mettre  à 
mon  aise. 

Je  vous  prie  de  m'envoyer  mes  effets  qui  consistent  en  une  chenille 
noire,  une  culotte  et  quelques  autres  bagatelles.  Ils  sont  dans  les 
deux  côtés  de  la  grande  armoire  de  la  chambre  commune,  et  la  clef 
que  je  vous  envoyé  les  ouvre.  Vous  y  trouverez  aussi  deux  autres 
clefs  qui  ouvrent  le  haut  et  le  bas  de  l'armoire  de  la  salle  qui  joint 
la  cuisine. 

Si  Fanchon  s'imagine  avoir  quelque  chose  à  réclamer  parce  que 

j'ai  couché  chez  elle,   vous  lui  raj)p(!llerez  qu'elle  sest  servi  de  la 

maison  curiale,  et  que  sa  jument  et  ses  vaches  y  ont  couché.  De  plus, 

la    maison   curiale   m'appartcnant   incontestablement  pendant   mon 

séjour  à  Anglade,  la  municipalité  me  doit  le  loyer  de  la  chambre 

(fu'elle  a  occuppé,   et  je  la  prie  d'employer  cette  somme  à  rendre 

Fanchon  satisfaite.  Je  compte,  citoyen,  sur  votre  justice  à  cet  égard. 

Je  suis  très  paternellement  tout  à  vous. 

Gravie». 

A  peu  près  vers  la  même  époque,  M.  Gravier  abdiqua  la  prêtrise 
et  se  qualifia  désormais  :  ex-prêlre.  Il  se  retira  alors  quelque  temps 
à  Mirambeau,  fut  ensuite  instituteur  à  Boisredon  ^;  puis  le  29  floréal 
an  III  (18  mai  1795),  il  vint  se  fixera  Bordeaux,  «  rue  André  n»  116  »2. 
Il  n'y  resta  pourtant  pas  longtemps,  les  circonstances  lui  ayant  permis 
de  s'établir  ministre  du  culte  aux  Chezeaux,  sa  paroisse  natale  ^ 

Sans  doute,  ne  dut -il  pas  s'y  plaire,  car  il  abandonna  bientôt 
cette  cure  pour  celle  de  Chaillac,  au  département  de  l'Indre.  Chail- 
lac,  d'ailleurs,  ne  le  fixa  pas  davantage,  et  il  finit  en  mai  1798  par 
échouer  au  Barp  ^,  oîi  il  resta  jusqu'en  1801. 

1.  Ces  deux  communes  appartiennent  au  département  de  la  Charente-hiférieure. 
•Z.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1107. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1095. 

4.  Arch.  mun.  de  Belin.  Un  passeport  nous  donne  le  signalement  suivant  de  M.  Gra- 
vier à  cette  époque  :  «  Taille  4  pieds  11  pouces  1/2,  cheveux  gris,  sourcils  châtains, 
yeux  gris,  nez  long  et  gros,  bouche  moyenne,  menton  rond,  front  large  et  le  visage 
ovale.  »  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1953. 


A    ThAVKhS    I.F.    SCmSMK    COMSriTrTIONNKI.    EN    GIRONMK  .Si 

Le  2lj  riuctidor  an  \  1  ('J  .scptrmlirt'  17'J<S),  il  lit  pruccdfi-  a  l'i-lfi- 
lion  de  nouveaux  fabri(iueurs.  On  d(^><igna  pour  cette;  ch.ut,'»- 
Jérôme  l 'arriet  et  Jean  Ballion;  puis  on  examina  les  comptes  d'An- 
toine Dubourg,  (jui  avait  administré  les  revenus  de  la  paroisse  p«'i;- 
dant  l'année  écoulée. 

L'église  n'était  guère  fréquentée,  sembic-t-il,  car  les  recettes  du 
labriqueur  s'élevaient  à  peine  à  la  somme  de  47  francs  et  19  sou.". 
Il  fallut  en  dt'duire  37  francs  et  4  sous  de  dépenses,  en  sortr  que 
Dubourg  remit  à  son  successeur  10  francs  et  15  sous. 

L'année  suivante,  le  15  fructidor  au  \'II  (1^""  septembre  17*J9j, 
un  élut  pour  fabriqueurs  Jean  Ballion  et  Pierre  Dubernet,  dit 
Pierre  Déjean.  Vinrent  ensuite  :  le  15  vendémiaire  an  IX  (7  octobre 
1800),  Pierre  Dubernet  et  Antoine  Barrière;  le  7  prairial  an  \ 
(27  mai  1802),  Antoine  Barrière  et  Pierrille  Dubernet;  le  27  ;_'•  i- 
uiinal  au  XT  (17  avril  1803),  Pierrille  Dubernet  '. 

Au  nu)ment  où  Mgr  d'Aviau  arriva  à  Bordeaux,  M.  Gravier  était 
euré  de  Saint-Julien  2.  Il  se  soumit  au  nouvel  archevêque,  rétracta 
ï>es  erreurs  et  signa,  ainsi  que  M.  Marcourt,  son  prédécesseur,  la 
déclaration  suivante,  qui  avait  été  concertée  entre  les  autorités 
religieuses  et  civiles  :  «  J'adhère  au  Concordat  et  je  suis  dan<  la 
communion  de  mon  évêque,  nommé  par  le  premier  Consul  et  ins- 
titué par  le  Pape.  »  Cet  acte  de  soumission  fut-il  sincère?  Il  est 
possible  d'en  douter,  car  le  caractère,  les  mœurs  et  les  idées  de 
M.  Gravier  donnaient  lieu  à  de  très  sérieuses  suspicions.  En  tout 
cas,  les  adiuiuistrateurs  diocésains,  nommés  par  Mgr  d"A\iau, 
jugeaient  très  sévèrement  l'ancien  intrus  du  Barp,  «  En  1790,  décla- 
rent-ils, nous  le  mandâmes  à  la  Congrégation,  pour  savoir  di-  lui 
si  un  livre  qui  rouroit  contre  le  célibat  des  prêtres,  et  sous  son  nom, 
étoit  réellement  de  lui.  Il  en  conviul  et  soutint  la  thèse  devant  nous, 
assez  mal  à  la  vérité,  et  se  retira  fort  content  de  lui-même,  malgré 
nos  anathèmes.  11  nous  assura  cependant  qu'il  ne  compttoit  i)as  se 
marier  et  que  même  il  n'avoit  jamais  permis  à  sa  servante  de  coucher 
sous  le  même  toit  ([ue  lui. 

"  J'oubliois  de  dire  que,  déguisé  eu  meunier,  il  alloil  dan-;  tous 
les  marchés  du  Blayais  et  des  parties  voisines  de  la  Saintonge  pour 
colporter  son  ouvrage. 

"Malgré  cette  grande  délicatesse  de  mœurs  qu'il  alTecla  devant 


h   Arcli.  ilf  la  r;iliii<|ii»'  "lu  H;iip. 

•2,   e.oniiiuine  ilu  raiitou  de  l'auillac,  an'oiidi^-dciuutil  Je  Lt.'i*parrci 


Ô-2  A   TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL   EN    GIRONDE 

nous,  son   frère,  intrus   de  Vignac  en  Buch-et-Born  ^,   m'assuroit 
l'autre  jour  qu'il  étoit  marié  et  que  la  femme  étoit  en  Berry  2.  « 

La  déclaration  de  soumission  à  Mgr  d'Aviau,  signée  par  M.  Gra- 
vier et  M.  Marcourt,  le  fut  aussi  par  un  prêtre  du  diocèse  de  Saint- 
Flour  ^,  nommé  Contrastin,  qui,  à  l'occasion  de  cet  acte,  se  qualifie  : 
curé  du  Barp.  A  ce  moment,  en  effet,  M.  Contrastin  desservait  la 
paroisse.  Malgré  son  adhésion  au  Concordat,  c'était  un  fort  triste 
sire.  Voici  ce  qu'en  dit  le  maire  du  Barp  :  «  Ce  prêtre  se  plaça  dans 
cette  commune,  dans  le  mois  de  novembre  dernier.  Un  particulier, 
qui  vouloit  marier  une  fille,  le  rencontra  par  hasard  du  côté  de  Bor- 
deaux et  se  l'amena  pour  faire  le  mariage.  Il  s'établit  comme  cela 
dans  la  commune.  J'oublia  de  lui  demender  pour  lors  son  passe- 
port, et  il  ne  m'a  pas  été  possible  de  le  voir  du  depuis.  Ce  prêtre  est 
natif,  à  ce  que  j'ai  pu  découvrir,  du  côté  d'Aurillac  *.  Il  y  a  près 
de  deux  ans  qu'il  fut  desservir  la  commune  de  Saucats^;  mais 
comme  le  peuple  ne  lui  donnoit  pas  toute  sa  confiance,  il  se  mit 
marchand  de  laine,  et  erra  de  côté  et  d'autre  jusqu'à  son  entrée 
ici.  Au  reste,  cet  un  homme  qui  n'a  pas  de  caractère.  Tantôt,  il  dit 
qu'il  n'a  pas  fait  le  serment,  qu'il  n'a  jamais  connu  pour  évêques, 
ni  Pacarreau,  ni  Lacombe;  une  autre  fois,  il  dira  mille  invectives 
contre  les  prêtres  qui  n'ont  pas  fait  le  serment.  Et  pour  débiter 
tous  ces  discours,  il  va  trouver  les  pauvres  paysans,  ou  bien,  les  jours 
de  fête,  il  yra  dans  les  auberges  où,  après  avoir  bu  quelque  coup,  il 
fera  les  harangues  à  sa  manière,  traitant  d'aristocrates  tous  ceux 
qui  ne  veulent  pas  aller  à  sa  messe;  et  ayant  été,  dans  ces  auberges, 
jusqu'à  à  en  prendre  un  au  collet  pour  se  faire  donner  de  l'argent. 
Les  paysans  lui  ont  reproché  qu'on  ne  le  voyoit  pas,  comme  aux 
autres  prêtres,  un  livre  à  la  main  pour  dire  son  oiïice,  et  qu'au 
contraire  il  étoit  toujours  dans  les  auberges;  il  répond  que,  depuis 
la  Révolution,  on  n'est  plus  obligé  de  prier  Dieu,  parce  qu'on  n'a 
plus  la  dîme.  Il  ne  ce  fait  pas  non  plus  de  scrupule  de  faire  gras  les 
jours  maigres.  Il  dit  que  tous  les  prêtres  qui  n'avoient  pas  prêté 
le  serment  seront  renfermés  dans  cinq  couvents  en  Suisse;  et  qu'il 


1.  vignac,  désigné,  dans  une  liève  du  xiii"  siècle,  sous  le  nom  de  Sanclus 
Murlinus  de  Aubinhac  (Arch.  hist.  de  la  Gironde,  t.  XLIV,  p.  5),  n'est  autre  que 
Lévignac,  commune  des  Landes,  arr.  de  Dax,  cent,  de  Castets.  Il  se  trouvait  dan 
l'archiprètré  de  Born. 

2.  Arch.  dior.  de  Bordeaux.  Fonds  moderne.  Nous  y  avons  également  puisé  tous  les 
documents  qui  suivent,  sauf  un  que  nous  signalerons. 

3.  Ciief-lieu  d'arrondissement  du  Cantal. 

4.  Chef-lieu  du  Cantal. 

5.  Commune  de  la  Gironde,  canton  de  La  Brède,  arrondissement  de  Bordeaux. 


1 


V    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITI  TtONNEI.    IN    (imO>J)E  33 

ni  auia  (|Ut'  lui  et  ses  pareils  de  placo  dans  le.-,  paroisses.  Xnilà, 
Monsieur,  ce  que  je  puis  vous  dire  au  sujet  de  Contrastin,  le  pn-fre 
de  cette  commune  \  » 

La  conduite  de  ce  pasteur  indigne  occasionna  bientôt  un  scandale 
permanent  tel,  que  plusieurs  paroissiens  du  Barp  adressèrent  à 
larchevêque  de  Bordeaux,  en  date  du  27  pluviôse  an  XI  (16  février 
1803),  une  pétition  où  ils  disaient  entre  autres  choses  : 

Li-  prêtre  Contrastin  ne  cesse  par  la  jdns  dégoulaiilf  crapule  de 
1rs  scandalist-r.  IlaidluelicnuMiL  dans  les  cabarets,  il  mêle  au  délire 
de  l'ivresse  les  propos  les  plus  indécents;  c'est  dans  cet  état  qu'on 
le  \  il  encore  dernièrement  venir  à  Téglise  pour  clianU'r  les  vêpres, 
où  à  peine  pouvoil-il  se  soutenir.  Il  l'ut  dernièrement  à  Biganos  (tù 
<i^  l'aisoit  la  l'êlc  localle,  et  là,  après  s'être  rempli  de  vin  avec  un  autre 
uiauNais  Jeune  prêtre  qu'il  y  a  là,  ils  ont  tenu  les  pro|»os  les  pln> 
scandaleux  sur  la  chasteté;  au  point  que  des  personnes,  qui  éldiml 
présentes,  en  rougissoient  et  ont  déclaré  ne  vouloir  plus  assistei-  à 
sa  messe.  Au  mépris  des  loix  de  l'Église,  il  mangera  du  gras  les  jours 
maigres:  il  en  demande  même,  si  on  n'a  pas  autre  chose  à  lui  donner. 
De  même  lorsqu'il  y  a  quehjue  mariage  à  l'aire  dans  les  communes 
voisines,  où  les  parties  n'ont  pas  l'ait  leur  première  communion,  il> 
\  iriiiii'iit  s'adresser  à  lui  |M)ur  avoir,  disent-ils,  plutôt  fini,  soit  |tour 
la  eoiiiinunion,  soit  pour  le  mariage  (jn'il  l'ail  même  quelquefois  sans 
(|ue  les  |)arLies  se  soient  confessées. 

Finalement,  les  pétitionnaires  demandaient  à  l'archevêque  de 
«taire  cesser  un  scandale  si  révoltant»,  en  jetant  l'interdit  >iir 
Contrastin. 

Le  lendemain,  17  février,  Mgr  d'Aviau  prononça  l'inleidiL  demandé 
se  basant  : 

1»  Sur  les  mauvaises  mœurs  de  Contrastin; 

2''  Sur  ce  fait  qu'il  avait  exercé  les  fonctions  ecclésiastiques  sans 
avoir  reçu  des  pouvoirs  de  l'ordinaire. 

Le  maire  du  Barp,  qui  avait  été  chargé  de  notifier  au  malheureux 
prêtre  la  censure  portée  contre  lui,  lentiit  compte  de  sa  missidn. 
le  25  février,  dans  les  termes  suivaids:  «(Au  reçu  de  l'interdil, 
M.  Contrastin)  s'est  privé  de  faire  aucune  fonction  ecclésiasti(pie; 
mais  il  a  harangué  le  peuple  sur  la  place  publique  en  leur  disant 
que  M^  l'Archevêque  l'empêchoit  dédire  la  messe;  mais  qu'il  fairoil 
une  pétition  qu'il  les  prieroit  de  signer,  -  ce  qu'il  a  t'ait,  -  -  et 
((u'ensuite  il  procéderait  contre  Monsieur  et  contre  ceux  qui  l'avoit 
accusé  devant  lui.  De  sorte  ipi  il  n'a  j)as  manqué  de  réunir  ses  par- 

1.    r.ellf  lettre  est  adressée  à  M.  Uflapoilc,  rue  «lu  Cliapeau-Hou'jii».  n"  "îo.  ;«  P.ordcaux. 

3 


u 


k   TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL    EN    GIRONDE 


lisants  qui  ne  sont  que  malheureusement  en  trop  grand  nombre 
pour  signer  cette  dite  pétition.  Il  fait  espérer  ces  partisans  que  son 
interdit  sera  levé  dimanche  prochain,  et  qu'il  leur  dira  encore  la 
inesse.  »  Le  maire  ajoutait  enfin  qu'il  avait  réclamé  à  M.  Gontrastin 
la  clef  de  la  sacristie,  mais  que  celui-ci  avait  formellement  refusé 
de  la  lui  livrer.  ' 

L'embryon  de  résistance,  essayé  par  l'intrus  du  Barp,  ne  pouvait 
évidemment  aboutir.  M,  Gontrastin  s'en  rendit  vite  compte,  et  il 
partit. 

La  paroisse,  ainsi  débarrassée  d'un  mauvais  prêtre,  attendit 
quelques  mois,  puis  on  lui  donna  pour  curé  M.  Antoine  Gachet^; 
mais  cet  ecclésiastique  refusa  le  poste  qu'on  lui  offrait.  L'adminis- 
tration diocésaine  procéda  alors  à  une  seconde  nomination  et,  par 
acte  du  20  octobre  1803,  elle  désigna  comme  curé  du  Barp  M.  Joseph 
Alexandre  de  Gauran,  ancien  curé  de  Trasits  et  Gajac  ^. 

Le  nouveau  pasteur  était  né  le  23  novembre  1758.  Il  était  donc 
âgé  de  45  ans  au  moment  où  il  arriva  au  Barp.  Solennellement  ins- 
tallé par  M.  Sabès,  curé  de  Belin,  le  21  octobre  1803,  il  prit  aussitôt  en 
mains  l'administration  de  sa  paroisse.  Le  8  avril  1804,  «  Guillaume 
Lafourcadc,  administrateur,  nommé  par  le  gouvernement  ecclésias- 
tique pour  administrer  l'église  de  la  dite  commune,  qui  entre  aujour- 
d'huy  en  fonctions,  en  qualité  de  trésorier  de  la  dite  église  »,  reçut 
le  compte  de  la  gestion  de  Pierre  Dubernet,  dernier  fabriqueur  ^. 

La  paroisse  du  Barp  était  définitivement  reconstituée.  Quatorze 
bons  prêtres  allaient  faire  oublier  les  scandales  accumulés  par  les 
malheureux  schismatiques  leurs  prédécesseurs  *. 

f  III.  —  Salles. 

La  paroisse  Saint-Pierre  de  Salles  faisait  partie  du  diocèse  de 
Bordeaux,  et  était  située  dans  l'archiprêtré  de  Buch-et-Born. 
Éi'igée  eu  vicairie  perpétuelle  le  13  mai  1626,  avec  M.  Dominique 


\.  AiiLoiiu'  (iaiht'l,  né  W.  2  août  17GÔ,  fui  iioiiuné  v  icuire  de  Mlaye.  Tian^iféré  à  Caïuiraa 
le  !'•'■  avril  l!S07,  il  inoiinit  à  Gironde  le  17  iiovenilne  1S-2S.  {Secrélnrial  de  rarrhcnêrli''.) 

2.  Trasils  e>>t  loujouis  une  annexe  de  Gajac.  Gajac  est  une  commune  des  canlon 
cl  arrondissement  de  Bazas. 

3.  Arch.  de  la  Fabrique  du  Barp. 

4.  Ce  sont:  MM.  de  Gauran,  1803-1810;  Girard,  1811-1817:  Peynaud,  curé  de  Béliet, 
intérimaire,  1817-1818;  Charles-Bernard  Chatinel,  1819-1829;  Jean-Guillaume-Alexis 
Ferran,  1829-1834;  Champagnac,  1834;  Fr.  Giresse,  1834-1840;  Salabert,  intérimaire, 
1840;  Lavigne,  1840-1854;  Pierre-Marie  Rousset,  1854-1856;  Macaire  Suberville,  1856- 
1874;  Jean-Henri  Lapeyre,  1874-1902;  Gabriel-Jean  Salles,   1902. 


A     lUWKHS    l.t    SGMI>MK    CO.NSTITUTIOM.NEL    EN    GIHOMIE  .S.) 

liichard  i)nur  pioniicr  <iiré  \  elle  dépendait  du  pricuiv  d<- 
Belin  ■'. 

I  /église  ne  se  distinguait  par  rien  de  reinarquahle.  Elle  a,  d'ailleur-, 
lait  place,  au  milieu  du  xi-x*-'  siècle,  à  une  église  neuve,  très  bellf 
certes,  mais  gâtée  par  le_mélange  inattendu  du  style  grec  ^  et  du 
style  ogival. 

En  1789,  Saint-Pierre  de  Salles  possédait,  comme  curé,  uii  prêtre 
du  diocèse  de  Bordeaux,  nommé  Joseph  Gornillot. 

M.  Gornillot  occupait  le  poste  de  vicaire  à  Lansac  ■*  quand,  sur 
la  lin  d'avril  1769^,  l'administration  diocésaine  le  transféra  à 
Salles,  en  remplacement  de  M.  Gausse  qui  venait  de  mourir  ^  Le 
nouveau  pasteur  était  un  brave  homme,  conscient  de  ses  devoirs 
t't  désireux  de  les  accomplir  tous.  Il  prit  possession  oiïicielle  de  son 
j)ostele  l^'"  mai  1769  ';  puis  il  se  consacra  au  soin  des  âmes  avec  un 
zèle  si  paternel  qu'en  1791  il  possédait  l'estime,  l'affection  même  de 
tous  ses  paroissiens,  ou  à  peu  près.  Rien  n'avait  jamais  assombri 
l'honorabilité  de  sa  vie  pastorale.  Par  malheur,  les  bouleversements 
révolutionnaires,  secouant  à  l'improviste  cette  calme  existence 
de  prêtre,  allaient  la  modifier  du  tout  au  tout. 

Lorsque  les  fantaisies  législatives  de  l'Assemblée  nationale  accu- 
lèrent le  clergé  au  schisme,  M.  Gornillot,  vieillard  affaibli  par  l'âge, 
avait  soixahte-dix-sept  ans.  De  plus,  il  était  malade.  Aussi,  quand 

1.  Arch.  dioc.  de  Bordeaux,  p.  19;  Registre  des  collations,  p.  129.  M.  Richard,  pré- 
cédemment vicaire  amovible  de  Béliet  (de  1613  à  1626),  fut  inhumé  dans  l'église  de 
Salles  le  2-1  mai  1639. 

2.  En  1766,  le  piieurù  de  Belin  ayant  été  supiirimé  et  ses  biens  réunis  à  la  mense 
du  Séminaire  Saint-Raphaël  de  Bordeaux,  l'archevêque  en  profita  pour  insérer  dans 
l'acte  d'union  une  clause  par  laquelle  il  se  réservait  le  droit  de  collation.  Quant  au 
titre  de  curé  primitif,  il  passa  naturellement  au  supérieur  du  Séminaire. 

3.  Est-ce  même  du  «rrec? 

•l.  Commune  de  la  Gironde,  canton  de  Bourg,  arrondissement  de  Blaye. 

5.  Le  registre  des  collations  qui  nous  donnerait  la  date  de  son  instiluLion  canonique 
est  perdu.   . 

6.  Charles-Joseph  -tausse,  •  prêtre  et  chanoine  de  Saint-Georsres  de  Rex,  diocèze  de 
.Nantes  ',  prit  o  possession  civille  de  la  cure  de  Salles  »  le  27  avril  1730  (acte  de  Précy, 
notaire  à  Salles);  mais  il  ne  reçut,  sans  doute,  linslilution  canonique  que  bien  plus  tard, 
car  il  retarda  sa  prise  de  possession  définitive  et  son  installation  jusqu'au  27  février  1731 
(Arch.  dép.  de  la  Gironde;  contrôle  des  actes  de  Belin).  —  M.  Causse  él<iit  né  à  Gon- 
drccourt-le-Chàteau,  diocèse  de  Toul,  vers  1696.  Toujoui-s  est-il  qu'on  1731  il  se  disait 
{^!,'é  de  trente-cinq  ans  environ  (Arch.  dioc.  de  Bordeaux,  L  17).  Son  séjour  à  Salli-s 
le  lit  estimer  de  ses  confrères.  Un  en  trouve  une  preuve  tlans  ce  fait  que  les  prêtres  du 
district  auquel  il  appartenait,  réunis  à  Lanlon,  le  choisirent  pour  leur  délégué  aux 
assemblées  du  bureau  diocésain  (Arch.  mun.  de  Lanton,  reg.  |iaroissiaux),  et  aussi  dans 
•  et  autre  fait  qu'au  moment  de  sa  mort  il  exerçait  la  charge  de  vicaire  forain  de  la 
troisième  congrégation  de  Bu<h-et-Born  (Arch.  mun.  de  Salles,  reg.  paroissiaux).  Le 
21  avril  17G9,  il  permuta  son  bénéfice  avec  .M.  (iontié,  vicaire  perpétuel  d'Audenge;  et 
celui-ci  prit  possession  de  Salles  le  surlendemain  de  cet  arrangenienl,  23  avril  (ArcJ». 
dép.  de  la  Gironclc,  contrôle  des  actes  de  Belin).  .Mais,  à  ce  moment  même,  .M.  CaU5.sc 
venait  de  mourir.  On  l'inhuma  le  24  avril  (.\rch.  mun.  de  Salles,  reg.  paroissiaux)  et 
la  permutation  qu'il  avait  réglée  avec  M.  Gonliê  ne  sortit  pas  son  ertet. 

7.  .\rch.  dép.  de  la  Gironde.  Contrôle  des  actes  de  Bciin. 


36  A    TRAVERS    LE    S'iHISME    CONSTITUTIONNEL    EN    GIRONDE 

il  fallut  résister  aux  entreprises  du  pouvoir  civil,  il  ne  trouva  pas 
en  son  âme  débilitée  la  force  nécessaire,  et  dès  qu'on  le  lui  demanda, 
il  prêta  serment  à  la  Constitution  civile  du  Clergé  ^ 

On  l'inscrivit  alors  sur  les  registres  du  fisc  pour  un  traitement 
annuel  de  2,000  livres;  mais  il  trouva  cette  somme  insuffisante, 
aussi  intrigua- t-il  tant  et  si  bien  qu'il  finit  par  obtenir  2,400  livres  ^. 
Ce  ne  fut  pourtant  pas  sans  difficulté  qu'on  lui  accorda  une  telle 
augmentation.  Il  dut,  pour  gagner  sa  cause,  adresser  lettres  sur 
lettres  à  l'Administration  départementale;  mais  qu'importait  à 
M.  Cornillot?  Son  obstination  ne  recula  devant  aucune  démarche. 
Il  alla  même  jusqu'à  accuser  les  officiers  municipaux  de  Salles 
d'avoir  opéré  un  recensement  de  la  population  volontairement 
inexact  et  de  beaucoup  inférieur  au  nombre  réel  des  habitants. 
Comme  conclusion  pratique,  il  s'offrait  pour  procéder  lui-même  à 
une  seconde  opération  plus  sérieuse  que  la  première.  Au  surplus, 
on  ne  pouvait  guère  lui  reprocher  de  réclamer  ce  contrôle,  car  le 
traitement  des  curés  était  basé,  entre  autres  choses,  sur  le  nombre 
de  leurs  paroissiens^. 

Fit-on  le  nouveau  recensement  ou  non?  peu  importe.  Toujours 
est-il  que  M.  Cornillot  reçut  le  supplément  de  pension  qu'il  désirait. 

Ce  pauvre  homme  mourut  le  22  avril  1792.  On  l'inhuma  le  lende- 
main dans  l'église.  A  ses  obsèques,  présidées  par  M.  Anglade,  curé 
du  Barp,  assistèrent  aussi,  outre  le  vicaire,  MM.  François  Castéra, 
curé  du  Teich,  et  Félix  Fabre,  curé  de  Mios  *. 

M.  Cornillot  eut  pour  successeur  à  la  cure  de  Salles,  son  vicaire, 
M.  Jean  Laforcade,  qui  prit  possession  de  la  paroisse  dès  le  l^i"  mai. 
Ce  prêtre  était  originaire  des  Hautes-Pyrénées.  Il  était  fils  d'Antoine 
Laforcade,  cultivateur,  et  de  Jeanne  Désis  ^ 

Ce  nouveau  curé  n'exerça  pas  longtemps  ses  fonctions.  Le  18  fri- 
maire an  II  (8  décembre  1793),  il  abdiqua  la  prêtrise  et  vécut  en 
simple  particulier  ^  Quelques  jours  plus  tard,  le  24  pluviôse  an  II 
(12  février  1794),  il  se  fit  élire  officier  de  l'état  civil  '';  puis  entré 
ainsi  parmi  les  dirigeants  locaux,  il  essaya  de  s'établir  à  Salles  d'une 

1.  Son  vicaire,  M.  Fabre,  prêta  serment  lui  aussi  et  fut,  quelques  jours  après,  élu 
curé  de  Montferrand. 

2.  Arcli.  dép.  de  la  Gironde,  L  1098. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  G  988. 

4.  Arcli.  niun.  de  Salles.  Reg.  paroissiaux.  M.  François  Castéra  était  né  à  Bordeaux 
le  4  octobre  1737.  Au  rétablissement  du  culte,  on  le  nomma  curé  de  Saint-Médard-de» 
Guizière,  d'où  on  le  transféra  à  Sigalens.  (Secrétariat  de  l'Archevêché.) 

5.  Minutes  de  M''  Hosten,  notaire  à  Belin,  Fonds  Lafilte. 

6.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1438. 

7.  Arch.  mun.  de  Salles. 


A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONS  l  ITIJTIONXEL    EN    GIMOM)E  87 

f;icuii  définitive,  en  épousant  hik-  jtum'  lillc  dt-  l:i  iiihiiiiuih'.  l);ins  i'<- 
liiil.  il  se  présenta  devant  l»-  nntairc  de  Belin,  le  G  {germinal  ;iri  II 
(26  mars  1794),  et  passa  contrat  avec  «  Marie  Saint-Iiiiière,  liahi- 
lante  de  Salles,  fille  iégitini»'  d'Arnaud  Saint-Hillère  et  de  fue  Mar- 
iruerite  Caupos,  procédant  comme  majeure  et  maîtresse  de  ses  <lroits. 
néanmoins  du  consentement  de  son  dit  père,  présent».  La  liif\i;<- 
apportait  en  dot  les  droits  de  sa  mère,  évalués  250  livres.  M.  Saint- 
llilaire  promettait  en  outre  de  donner  aux  nouveaux  époux 
100  livres  de  pension  alimentaire  par  an  ^. 

Tout  paraissait  donc  aller  au  mieux  pour  les  désirs  du  pivfir 
apostat  quand  brusquement  le  mariage  projeté  fut  rompu.  Cet  ail 
un  coup  terrible  pour  M.  Laforcade;  aussi,  le  11  prairial  an  II 
30  mai  1794),  vendit-il  ses  meubles  et  une  petite  prairie  qu'il  possé- 
dait à  Salles-;  ensuite,  il  disparut  du  pays.  Après  la  Terreur,  il 
trouva  intérêt  à  se  rappeler  qu'il  était  prêtre  et  s'établit  «  ministre 
(lu  rnlte,  du  côté  de  Soustons  »,  dans  les  Landes  ^ 

M.  Laforcade  recevait  de  l'État  une  pension  annuelle  de  2,000 
livres  •*.    . 

Durant  son  court  pasLuial.  il  a\ait  été  aidé  dans  1(^  ministère 
par  un  ancien  religieux  bénédictin  de  Bordeaux,  Jacques-Philippe 
Bruguièrc.  Né  à  Conques,  diocèse  de  Carcassonne,  le  21  octobre 
1725.  M.  Bruguière  avait  été  admis  à  la  profession  solennelle  le 
30  août  1744,  dans  l'église  abbatiale  de  Sainte-Croix  ^  Passé  au 
>chisme  aux  débuts  de  la  Révolution,  il  se  fit  d'abord  nommer 
curé  de  Ludon;  puis  le  l'''"  mai  1792  il  vint  se  fixer  à  Salles^.  11  y 
resta  pendant  tout  le  temps  de  la  Terreur;  puis,  dès  que  la  chute  rie 
liobespierre  eut  rendu  un  peu  de  liberté  aux  consciences,  il  com- 
mença à  y  exercer  le  ininistère  pastoral.  Sa  pension,  bien  inférieure 
à  celle  de  ses  prédécesseurs,  ne  (h'-passait  pas  mille  livres  par  an  ". 
^A  ce  moment,  il  ne  restait  à  peu  près  plus  a\i(un  bien  d'hglise 
dans  la  paroisse.  On  avait  aliéné  aux  enchères  publiques  : 

Le  16  prairial  an  II  (4  juin  1794),  un  pré  de  la  contenance  de  1  jour- 
nal 5  règes  10  carreaux,  au  lieu  appelé  Badet,  appartenant  à  la 
fabrique,  adjugé  à  Pierre  Menesplier  cadet,  cultivateur,  et  Pierre 
Mano,  tous  les  deux  de  Salles,  pour  la  somme  de  10.100  li\ies; 

l.  Minutes  de  M"  Hosten,  notaire  à  Belin.  Fonds  Lafltte. 

'2.  Minutes  de  M"  Eymery,  nol;iire  i\  Salles. 

3.  Arcli.  dép.   de  l;i   (.iionde,   L    19.")3. 

4.  Arcli.   dép.  de  la  Gironde,  L    1441.  ' 
Là.  Arch.  dép.   de  la   Gironde,   L    1583. 

L  6.  Arrh.  dép.  de  la  Gironde,  L   109.5.  "    . 

7.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  UOO.  j  ■'? 


38  A     TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL   EN    GIRONDE 

Le  même  jour,  une  vigne  de  la  contenance  de  2  journaux,  atte- 
nante à  la  cure  et  appartenant  à  la  fabrique,  achetée  pour  7,000  livres 
par  Pierre  Menesplier  cadet  et  la  veuve  Française  Dupuch,  sa  belle- 
mère,  demeurant  tous  deux  à  Salles  i; 

Le  30  thermidor  an  II  (17  août  1794),  56  livres  de  laine  appar- 
tenant à  la  fabrique,  moyennant  49  livres  19  sous  2  deniers; 

Le  7  frimaire  an  III  (27  novembre  1794),  des  brebis,  des  chèvres 
et  des  abeilles,  appartenant  à  la  fabrique,  au  prix  de  2,443  livres 
10  sous  2; 

Le  12  ventôse  an  III  (2  mars  1795),  le  mobilier  de  l'église,  qui 
fut  payé  1,281  livres  15  sous  ^; 

Le  21  germinal  an  III  (10  avril  1795),  un  pré,  appartenant  à  la 
fabrique,  adjugé  à  Lafourcade,  moyennant  2,600  livres-*; 

Le  21  messidor  an  IV  (9  juillet  1796),  le  presbytère  vendu  à 
Arnaud  Gazauvieilh  pour  4,320  francs; 

Le  même  jour,  une  lande  appartenant  à  la  fabrique,  vendue  à 
Dupuch-Lapointe  pour  3,300  francs^; 

Le  24  messidor  an  IV  (12  juillet  1796),  le  pré  de  Camelave,  appar- 
tenant à  la  fabrique,  acheté  par  Saint-Hilaire  fils,  de  Salles,  moyen- 
nant 137  francs  50  centimes  ^; 

La  veille,  23  messidor  anIV  (11  juillet  1796),  on  avait  également 
mis  en  vente  550  journaux  de  lande,  appartenant  à  l'ordre  de 
Malte  '^,  et  estimés  3,300  livres. 

Enfin  le  8  germinal  an  III  (28  mars  1795),  l'administration  avait, 
en  attendant  de  pouvoir  les  vendre,  affermé  pour  trois  ans  : 

1»  Certains  biens,  appartenant  à  la  cure,  loués  à  Jérôme  Lafage, 
de  Salles,  moyennant  101  livres  par  an; 

2°  Certains  biens,  appartenant  à  la  fabrique,  loués  à  Etienne 
Bédouret,  de  Salles,  moyennant  80  livres  par  an  ^ 

M.  Bruguière,  nous  l'avons  dit,  avait  repris  les  fonctions  de  curé 

1.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q  444. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Gironde.  Contrôle  des  actes  de  Belin. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q  848.  J 

4.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q.  Reç.  des  ventes. 

5.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q  698. 

6.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  O  698. 

7.  Les  Chevaliers  de  Malte  ou  Hospitaliers  de  Saint-Jean-de-Jérusalem  étaient  des 
religieux  militaires  institués  au  début  du  xii=  siècle  par  un  gentilhomme  provençal, 
le  bienheureux  Gérard.  Ils  portaient  un  vêtement  noir  orné,  sur  la  poitrine,  d'une  croix 
blanche  en  linge  terminée  par  huit  pointes.  Cet  ordre,  supprimé  par  Bonaparte,  existe 
encore  au  point  de  vue  honorifique.  L'insigne  est  une  croix  d'or  à  huit  pointes,  émaillée 
de  blanc.  Les  Chevaliers  de  Malte  possédaient  divers  biens  dans  Salles,  en  particulier 
une  chapelle  à  Bilos;  et  ils  percevaient  une  partie  de  la  grosse  dîme  (300  fivres  au 
xviii=  siècle). 

8.  Arch.  dép.  de  la  Gironde.  Contrôle  des  actes  de  Belin, 


A    rUAVEHS    I.E    SCHISME   CONgTlTtTIONNEL    EN    GmONDE  .{9 

dès  quo  la  fin  de  la  Terreur  rendit  la  chose  possible  ^  Il  ne  Larda  jtas 
tependont  à  se  voir  troubler  dans  la  possession  de  sa  cure.  Une 
lettre  que  l'administration  municipale  de  Salles  adressa  le  13  plu- 
viôse an  IV  (2  février  1796)  au  citoyen  Maugeret,  commissaire  du 
Directoire  exécutif  de  la  Gironde,  raconte  ainsi  les  faits  : 

Lorsque,  pur  la  loi  du  11  prairial  an  III  (30  mai  1795),  les  églises 
lurent  remises  aux  communes,  celle  de  Salles  voulut  un  ministre. 
Le  citoyen  Bellard,  ci  di'v;m(  curé  de  Lugo,  de  Ludon,  du  Por^'c  i-l 
Kéliet,  s'étoit  retiré  daii>  iim  piLite  maison  qu'il  possède  à  Salles  cl 
ou  il  scait  marié.  Étant  procureur  de  la  commune,  il  voulut,  malf.Ti'' 
son  vœu  presque  général,  en  exercer  les  fonctions.  Les  tiabitans  si 
opposèrent;  mais  inutillement.  Bellard  persista  et  le  trouble  contirni:i 
au  point  que  les  femmes  le  déshabillèrent  dans  l'église  à  trois  reprise^, 
et  qu'enfin  tous  l'empêchèrent,  le  13  vendémiaire  dernier  (4  octoJ»re 
1795),  de  faire  aucune  cérémonie  dans  l'église,  parce  qu'il  étoit  marié, 
et  que  les  fonctions  du  culte  catholique  devoit  lui  être  interdit. 

La  lettre  continue  en  exposant  que  la  commune  a  choisi  pour 
curé  le  citoyen  Bruguière  dont  on  est  très  content  et  qui  «  se  com- 
porte bien».  Malgré  cela,  ajoutent  les  administrateurs,  Bellard  a 
insisté  pour  qu'on  lui  assigne  une  heure  où  il  ait  la  liberté  de  célé- 
brer la  Sainte-Messe  dans  l'église.  Dans  un  but  de  concorde,  l'agent 
municipal  lui  a  fixé  neuf  heures;  mais  les  troubles  ont  recommencé 
aussitôt  avec  plus  de  violence,  et  il  en  sera  ainsi  tant  que' l'ancien 
curé  de  Béliet  s'obstinera  à  vouloir  monter  à  l'autel.  Or,  il  paraîl 
vouloir  s'entêter  dans  ce  dessein,  car,  disent  les  municipaux,  en  ter- 
minant :  «  à  présent,  il  nous  demande  les  clefs  de  la  sacristie  que  la 
commune  a  en  son  pouvoir  2.  » 

M.  Bruguière  finit  poutant  par  l'emporter  et  resta  seul  pour 
assurer  l'exercice  du  culte  à  Salles^.  Le  service  divin  s'y  célébrait 
d'ailleurs  d'une  façon  encore  bien  humiliée.  En  effet,  le  13  prairial 
an  V  (l^r  juin  1797),  l'Assemblée  primaire  du  canton,  réunie  à 
Belin,  est  officiellement  saisie  d'une  plainte  contre  certains  citoyens 
de  Salles  qui,  au  mépris  des  lois,  ont  fait  sonner  les  cloches  pour 
annoncer  les  cérémonies  du  culte.  C'est  là,  déclare  le  Commissaire 
du   directoire  exécutif  de  Belin,  un  fait  déplorable,  à  l'occasion 

1.  Un  passeport  du  25  messidor  .m  NI  (13  juillet  1798)  nous  donne  le  signalenn-iit 
>uivant  de  M.  Brut^uière  :  «  Taille  h  pieds  3  pouces,  \isage  ovale,  yeux  gris,  nez  trros, 
bouche  moyenne,  menton  rond,  front  ordinaire,  cheveux  gris  et  sourcils  de  mCme.  • 
(.\rch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1953.) 

2.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  L  2084. 

3.  Nous  avons  lonçuemeni  rnronlé  ces  troubles,  ainsi  que  la  vie  de  M.  P.ellard.  »lnns 
notre  ouvrage:  Dvu.r  Paroisses  rie  l'ancien  lem[>s,  p.  314-321, 


40  A   TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL    EN    GIRONDE 

duquel  «  un  canton,  qui  s'étoit  toujours  distingué  par  son  respect 
et  son  obéissance  aux  loix,  se  voit  à  la  veille  de  perdre  la  considé- 
ration dont  il  jouit,  à  bon  droit,  auprès  des  authorités  supérieures  ». 
Pour  éviter  un  tel  malheur,  l'Assemblée  proteste  contre  les  agisse- 
ments coupables  dont  elle  est  saisie  et  fait  défense  formelle  de  les 
renouveler  à  l'avenir  ^ 

M.  Bruguière  mourut  à  Salles  le  25  prairial  an  X  (14  juin  1802). 
Par  son  testament,  il  instituait  sa  servante  héritière  de  tout  ce  qu'il 
possédait  2. 

Le  21  thermidor  suivant  (9  août  1802),  M.  Plantey,  maire  de 
Salles,  écrivit  à  l'archevêque  de  Bordeaux  pour  lui  demander  un 
curé.  On  ne  put,  tout  d'abord,  donner  satisfaction  à  ce  désir;  mais 
au  bout  d'un  certain  temps,  l'administration  diocésaine  désigna 
M.  Joseph  Boyer  ^  pour  desservir  la  paroisse.  Ce  prêtre  s'acquitta 
de  son  ministère  à  la  satisfaction  de  tous;  il  sut  se  faire  estimer  à 
tel  point  que  la  municipalité  crut  devoir  le  demander  pour  curé. 
Malheureusement,  les  circonstances  ne  permirent  pas  à  Mgr  d'Aviau 
d'accéder  à  cette  prière  *. 

En  janvier  1804,  pourtant.  Salles  reçut  un  pasteur  en  la  personne 
de  M.  Joseph  Garnier;  mais  cet  ecclésiastique  ne  fit  que  passer 
dans  la  paroisse  où  il  resta  à  peine  jusqu'au  mois  de  juillet  ^ 

Après  son  départ,  M.  de  Gauran,  curé  du  Barp,  et  M.  Morisset  ^ 
assurèrent  l'exercice  du  service  divin;  puis,  le  25  juin  1805,  M.  Boby 
fut  enfin  nommé  curé  de  Salles  ^. 

Jean-Marie  Boby,  né  à  Mont-de-Marsan  le  31  août  1748,  était 
entré,  jeune  encore,  chez  les  Cordeliers  de  Bordeaux,  où  il  devait, 
un  jour,  faire  profession  de  la  vie  religieuse.  Quand  la  Révolution 
éclata,  il  desservait  depuis  plusieurs  années  le  Dépôt  de  mendicité. 
Il  semble  bien  qu'à  ce  moment,  il  se  laissa  aller  à  prêter  serment 
à  la  Constitution  civile  du  Clergé  \  Dans  tous  les  cas,  il  se  rétracta 


1.  Arch.  muii.  de  Beliii. 

2.  Acte  de  Larauza,  notaire  à  Salles,  enregistré  à  Belin  le  27  prairial  an  X. 

3.  M.  Joseph  Boyer  était  né  le  20  avril  1769.  Nommé  vicaire  à  Saint-Martial  de 
Bordeaux  au  rétablissement  du  culte,  il  obtint  la  cure  de  Saint-Macaire  le  f  juillet  1814, 
où  il  mourut  le  23  juillet  1840  (Secrétariat  de  l'Archevêché). 

4.  Arch.  dioc.  modernes. 

5.  M.  Garnier  fut  alors  nommé  curé  de  Bassens.  Transféré  à  Savignac-d'Auros  le 
1"  juillet  1807,  puis  à  Saint-Christoly-en-Médoc  le  1"  août  1810,  il  mourut  le  20  juin 
1820  (Secrétariat  de  l'Archevêché). 

6.  Registre  de  catholicité  de  Salles.  Jacques-Julien  Morisset,  né  le  7  juin  1756,  obtint 
la  cure  de  Margaux  le  3  juillet  1805.  Il  finit  par  quitter  le  diocèse  (Secrétariat  de  l'Ar- 
chevêché). 

7.  Arch.  diocésaines  modernes. 

8.  .\rch.  dép.  de  la  Gironde,  L  1437, 


A    THAVEHS    I.E    SCHISME    CONSTITI   rio\\ri.    IN    (.lIliiM'l  (1 

vite;  et  se  mit  à  lu  disposilinn  de  révétiuc  IrgiUinc,  dès  que  rel 
acte  de  dévouement  lui  lut  possible.  En  avril  1<S03,  M.  de  Laporte, 
vicaire  général  de  Bordeaux,  l'envoya  adininislrer  la  paroisse  <lu 
l'aillan  ^  C'est  de  là  qu'on  le  transféra  à  Salles,  où  M.  Sabès,  i-uré 
de  Belin,  l'installa  solennellement  le  û  juillet  180rj. 

presque  aussitôt  après  sa  prise  de  possession,  M.  Bohy  "ul  (|ml- 
ques  dinicultés  assez  désagréables  avec  ses  paroissiens,  au  sujcl 
de  sa  subsistance.  Les  revenus  du  pauvre  curé  w  sulîisaient  pas, 
il  s'en  fallait  de  beaucoup  ;i  \v.  faire  vivre;  et  la  municipalit»-  (|iii 
s'était  engagée,  pour  obtenir  un  prêtre,  à  fournir  le  suppléniciil 
nécessaire,  se  refusait  maintenant  à  tenir  ses  promesses.  M.  I {«>!•> 
se  trouvait  donc  pris  dans  une  situation  des  plus  pénibles.  Irrité 
par  la  mauvaise  foi  des  dirigeants  locaux,  énervé  par  l'insoucianr»' 
de  ses  fidèles  qui  le  laissaient  se  tirer  d'affaire  comme  il  pouvait, 
pressé  d'ailleurs  par  le  besoin,  il  finit  jiar  prt'nrirc  une  di-cision 
radicale.  Un  jour  donc,  après  de  longues  démarches  inutiles  et  des 
instances  en  vain  répétées,  il  s'adressa  officiellement  aux  habitants 
de  Salles,  du  haut  de  la  chaire,  leur  déclarant  «  que,  vu  leur  mau- 
vaise volonté  à  lui  fournir  un  traitement  bonnette,  il  se  retiroit  ». 

Eût-il  agi  comme  il  le  disait?  C'est  bien  possible.  Par  bonheur  on 
ne  tarda  pas  à  trouver  un  terrain  d'entente.  Le  curé  qui,  somme 
toute,  ne  se  déplaisait  pas  trop  dans  sa  paroisse,  passa  sur  quelques- 
unes  de  ses  prétentions  primitives;  ses  ouailles,  de  leur  côté,  se 
décidèrent  à  faire  quelque  chose  pour  lui,  et  en  fin  de  compte, 
M.  Boby  demeura  à  Salles  jusqu'aux  derniers  mois  de  1820 -. 

(A  suivre.)  Abbé  Albert  G.VILLAUD. 


1.  «Commune  de  la  Gironde,  canton  de  Blanqut-forl,  arrondissement  de  Bordeaux. 

2.  Voit  i  le  nom  de  ses  successeurs  à  Salles  :  MM.  Mesurel.  1K20-18-23;  d'olivau,  \Hi'i\ 
Bernard  Salle-,  1S'23-18.Ô8;  Hubert,  1858-1804;  Autusle-Osmin  Abadie,  18i;.4-lMSit; 
Pierre-Isnel  Tribolet,   18S9-1V»10;  Kutrène  Douât,   l'.UU. 


LA  PRISE  DU  CORSAIRE  DE  JERSEY  LA  "MOLLY" 

(6    AVRIL    1767) 


L'histoire  maritime  de  Bordeaux  abonde  en  brillants  épisodes. 
L'un  des  plus  connus  est  la  prise  du  corsaire  de  Jersey  la  Molly 
par  la  frégate  la  Comiesse-de-Noailles,  que  mentionne  la  Gazelle 
de  France  du  23  avril  1757  ^ 

Ce  fait  d'armes  eut  un  grand  retentissement  dans  notre  région,  car 
les  corsaires  de  Jersey  et  de  Guernesey  —  les  «  Grenezeys  »,  comme 
l'on  disait  alors  —  étaient  en  temps  de  guerre  un  véritable  fléau 
pour  notre  commerce.  Ils  infestaient  les  côtes  de  la  Manche  et  de 
l'Océan,  remontaient  la  Gironde,  faisaient  main  basse  sur  les 
bateaux  marchands  et,  voiliers  excellents,  échappaient  presque 
toujours  aux  bâtiments  plus  forts.  Lorsqu'on  avait  pu  prendre  un 
de  ces  redoutés  «  Grenezeys  »,  c'était  une  joie  générale  dans  nos 
populations  maritimes. 

La  Comtesse- de- Noailles,  frégate  de  150  tonneaux  armée  en 
course,  sortit  de  la  rivière  dans  la  seconde  quinzaine  de  février  1757. 
Son  équipage,  en  majeure  partie  girondin,  comprenait  aussi  des 
Génois,  des  Espagnols  et  des  Allemands.  Elle  était  commandée  par 
vm  jeune  capitaine  de  trente  et  un  ans,  François  Jalineau,  de  la 
paroisse  Sainte-Croix,  de  Bordeaux. 

Elle  rencontra  la  Molly  dans  les  premiers  jours  d'avril  et  en  triom- 
pha après  une  lutte  acharnée.  Les  forces  étaient  à  peu  près  égales. 
Voici  le  rapport  du  combat  rédigé  par  Jalineau  lui-même  et  publié 
au  lendemain  des  faits  2;  , 

"~1^    ■  PRÉCIS  DU  COMBAT 

'  DE    LA    FRÉGATE 

La  <^i  Comtesse-de-Noailles  »,  de  Bordeaux, 

Armée  par  Mrs  Roussens  flls  et  Graves,  de  14  canons,  dont  8  de 
6  liv.  de  balle  et  6  du  calibre  de  4  hv.  de  balle,  18  pierriers  et  150  hom- 
mes d'équipage,  commandée  par  M.  Jalineau,    :\ 

1.  Id.  Ribadieu,  Aventures  des  corsaires  et  des  grands  navigateurs  bordelais,  p.  86. 

2.  Ce  rapport,  imprimé  probablement  chez  Pierre  Albespy,  rue  du  Poisson-Salé, 
l'imprimeur  ordinaire  de  la  marine,  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de  la  ville  de  Bordeaux, 


\.\   l'iiist  1)1   coHSAiiu;  i)L  ,it:ii>-i;\    i.v   "  mom.v  V^ 

Gonti'o  |(>  corsaire  Aiii,'l<»is  la  Mollée,  (le  Jersey,  armé  de  18  canons, 
(loiil  in  (lu  calibre  de  8  liv.  de  balle  et  2  de  celui  de  4  Uv.  de  balle, 
M)  |ii(iiM('i's  et  93  hommes  d'équipaj;e  (|u'a\oMs  Irouvés  à  bord,  sans 
y  comprendre  les  morts,  commandé  par  le  capitaine  Fiat. 

Le  cinq  avril  1757,  nous  ajipareillâmes  du  Port-Louis,  où  nous 
étions  en  relAche  pour  un  coup  de  temps  (jue  nous  avions  essuyé, 
par  lequel  nous  avions  eu  le  malheur  de  casser  notre  luiiupré. 
.  Le  six,  jour  suivant,  à  six  heures  du  matin,  nous  avons  vu  dinx 
bâtiments  t\  une  lieue  dam^  le  Nord-Est.  Nous  avons  chassé  dessus. 
Le  premier  étoit  une  «^'aliute  lloUandoise.  Nous  lui  avons  demandé 
((uel  étoit  le  second,  qui  nous  paroissoit  un  navire  à  trois  miUs;  il  n'a 
pu  nous  en  donner  des  nouvelles.  Nous  avons  alors  fait  route  pour 
le  reconnoître.  D'abord,  nous  l'avons  cru  Suédois,  peu  après  Anplois. 
sans  cependant  en  faire  grand  cas,  d'autant  mieux  que  tous  ses 
sabords  étoient  fermés  et  (lu'il  ne  paroissoit  pas  gréé  à  la  létrère, 
comme  sont  ordinairement  les  corsaires.  Nous  l'avons  dans  celle 
présomption  accosté  avec  confiance  jusques  à  la  portée  du  fusil.  Ce 
qui  nous  l'a  d'abord  fait  reconnoître  a  été  son  bastingage,  par  dessus 
lequel  nous  avons  vu  paroître  de  la  mousqueterie  dans  le  même  ins- 
tant; il  a  sorti  de  ses  sabords  dix-huit  canons  et  pa\illoii  angl«jis  ;iu 
bâton  d'enseigne.  Les  vents  étoient  pour  lors  au  Sud;  l'Anglois  cou- 
roit  à  r Est-Sud-Est,  et  nous  l'avons  rangé  à  la  portée  du  pislolel, 
passant  à  sa  poupe  sans  faire  de  feu  ni  l'un  ni  l'autre,  nous  autres 
parce  que  nous  n'étions  point  entièrement  parés  et  lui  parce  quil 
ignoroit  tmcore  qui  nous  étions  et  qu'il  nous  prenoit  jiour  Anglois. 
Nous  avons  tâché  de  le  confirmer  dans  son  opinion  en  lui  arborant 
pavillon  anglois,  dans  le  dessein  de  gagiuf  du  temps,  et  dans  j'in-- 
lant  nous  avons  couru  à  l'Ouest-Sud-Ouest,  tandis  »]u"il  eouroil  à 
r  Est-Sud-Est.  Notre  manœuvre  lui  a  paru  suspecte  et,  sans  respcel 
pour  son  pavillon,  il  nous  a  envoyé  sa  volée  en  virant  vent  devant; 
elle  a  été  suivie  de  cinq  à  six  autres  que  nous  avons  souffertes  fort 
patiemment,  tandis  que  nous  nous  préparions  à  lui  inidre  la  pareille 
avec  usure.  Un  (|uart  d'iieure  nous  suffit  et  pour  loi-s  nous  axons 
arrivé  lofT  pour  lolf  pour  aller  à  sa  rencontre.  11  éloit  pour  lors  huit 
heures  du  matin.  Il  a  fait  notre  même  manœuvre  et  nous  a  |)rêté  le 
côté.  Notre  batterie  de  tribord  commença  à  fairt^  un  feu  fort  \ir, 
mais  l'éloignement  ne  secondoit  point  notre  impatience  et  l'envie 
que  nous  avions  de  joindre  notre  ennemi  de  proche;  pour  y  parvenir, 
nous  lancions  sur  lui  et,  comme  nous  courions  largue  et  que  nous 
taisions  plus  de  chemin  que  lui,  nous  tombâmes  sous  le  \eiit.  Dans 
cette  position,  nous  nous  canonnâmes  jusques  à  dix  heures,  que  nous 
nous  aperçûmes  que  le  feu  que  nous  faisions  au  vent  nous  faisoil 
dériver  insensiblement,  tandis  que  le  sien  au  contraire  le  soulenoil 
ilans  le  vent,  ce  qui,  en  nous  éloignant,  nous  met  loi!  dans  le  cas  de 
tirer  souvent  à  boulet  perdu;  il  falloit  donc  tâcher  de  gagner  le  \ent 
pour  y  réussir.  Nous  virâmes  de  bord,  bâbord  amures,  et  forçâmes 
de  voiles  au  plus  près,  c'est-à-dire  le  cap  à  rniie<;t-Sn<I-C)iie-(.  Il  nous 


/|^  LA    PRISE    DU    GOBSAIBE    DE    JERSEY    LA    "  MOLLY  " 

imita  et  retint  le  vent  aussi  en  cessajit  le  feu.  Nous  profitâmes  de  ce 
temps-là  pour  faire  manger  notre  équipage  et  l'animer  au  combat, 
bien  résolus  de  faire  notre  possible  pour  engager  notre  ennemi  à 
arriver,  s'il  nous  étoit  possible  de  lui  gagner  le  vent,  ce  que  nous 
remarquions  avec  chagrin,  puisque  nous  restions  à  peu  près  d'égale 
marche.  Notre  premier  dessein  fut  de  lui  mettre  pavillon  en  berne 
et  de  lui  tirer  quelques  coups  de  pierriers,  le  second  fut  de  donner  la 
cale  au  pavillon  anglois  et  le  troisième,  auquel  nous  nous  arrêtâmes, 
fut  de  carguer  et  de  serrer  nos  menues  voiles  et  de  l'attendre  :  il 
nous  réussit.  Il  arriva  sur  nous  vers  les  une  heure  après  midi  et  vint 
se  mettre  au  vent  à  nous,  à  demi -portée  de  canon.  Pour  lors  le 
féu  recommença  et  fut  vif.  Pendant  les  deux  premières  heures,  il 
fut  égal  de  part  et  d'autre;  d'un  côté,  nous  apercevions  les  progrès 
de  notre  artillerie,  de  l'autre,  nos  voiles  ne  laissoient  voir  que  des 
lambeaux  de  toile  pendants:  déjà  notre  mât  de  misaine  étoit  à  moitié 
coupé  par  son  milieu  d'un  boulet  ramé,  notre  petit  mât  de  hune 
avoit  le  même  sort,  mais  ils  se  soutenoient  encore  tous  deux;  d'un 
côté,  le  nombre  des  morts  et  des  blessés  augmentoit,  de  l'autre, 
nous  avions  la  satisfaction  de  voir  notre  équipage  recevoir  les  impres- 
sions de  joie  et  d'espoir  que  nous  avions  soin  à  tous  moments  de  lui 
inculquer,  les  cris  réitérés  de  «  Vive  le  Roi  !  »  faisoient  passer  l'animo- 
sité  dans  tous  les  cœurs,  l'on  n'entendoit  plus  que  des  défis  que  cha- 
cun faisoit  à  son  ennemi  d'arriver  davantage  et  chacun  brûloit  du 
désir  d'aborder  le  corsaire  ennemi.  Le  bon  exemple,  la  diligence  et 
l'ardeur  des  officiers  avoient  fait  monter  la  vivacité  du  feu,  tant  de 
la  mousqueterie  que  de  l'artillerie,  au  point  le  plus  vif,  et  déjà  nous 
avions  le  plaisir  de  voir  diminuer  par  degrés  celui  de  notre  ennemi 
lorsqu'une  bordée  à  propos  lui  rompit  sa  vergue  de  grand  hunier; 
les  acclamations  redoublèrent;  notre  ennemi  tomba  sur  nous  et  fut 
dégréé  en  fort  peu  de  temps  de  la  plus  grande  partie  de  ses  manœuvres. 
Nous  attendions  l'instant  de  le  voir  amener  son  pavillon  et  nos  dé- 
charges réitérées  sembloient  lui  annoncer  de  prévenir  sa  destruction 
lorsqu'il  envoya  vent  pour  mettre  à  l'autre  bord.  Avant  que  d'être 
viré,  il  essuya  encore  cinq  à  six  volées  consécutives,  après  lesquelles 
nous  revirâmes  aussi  pour  le  suivre.  La  nonchalance  avec  laquelle  il 
manœuvra  et  à  laquelle  notre  feu  contribua  beaucoup,  puisqu'ils 
osoient  à  peine  paroître,  les  fit  tomber  sous  le  vent.  Il  prit  chasse  sur 
le  champ  et  essaya  de  nous  échapper,  il  garnit  des  bonnettes  haut  et 
bas  et  ne  se  battit  plus  qu'en  retraite.  Nous  le  suivîmes,  résolus  de 
l'aborder.  Déjà  les  potiches,  les  cartahus  et  les  grappins  étoient  sur 
le  beaupré  et  sur  le  bout  des  vergues  et  les  civadières  prolongées, 
l'équipage  se  disputoit  entre  lui  l'avantage  de  suivre  de  près  ses  offi- 
ciers. Dans  ce  temps,  nos  canons  de  chasse  faisoient  un  feu  conti- 
nuel, auquel  il  répondoit  assidûment  avec  son  artillerie  de  retraite, 
lorsqu'un  coup  de  ses  volées  pensa  nous  être  funeste  en  nous  attra- 
pant dans  le  même  endroit  où  notre  mât  de  misaine  avoit  été  endom- 
magé par  un  boulet  ramé,  mais  notre  ardeur  n'étoit  point  sujette  au 
ralentissement,  Nous  cessâmes  le  feu  de  chasse  pour  l'aborder  plus 


LA    l'IUSK    DU    COHSAIUE    DK    JEUSKY    LV    "  MOLI.\  II') 

promptcmont.  En  un  instant  nf)ns  y  )i:ir\"îiuni's  ;'i  la  fa\ciir  (i«-  nijlrt- 
HKiUMiui'li'i'ie  et,  (ruiif  (ItTliarirr  de  toiiji-  iiulrt-  ;irlilli  rie  qui  éloiL 
empoisonnée  de  iniiiaillr.  Di'-jà  une  partit-  df  notre  équipajre  pén»^- 
ti'oit  dans  son  li(»rd  cl  alluil  tnire  main-ltasse  sur  nos  audacieux  enm-- 
inis,  l()rs(|u<'  nous  nous  aperçûmes  qu'ils  amenoient  leur  pavillon  td 
dcmandoienl  à  haute  voix  quartier.  Notre  (''quipapc  (^toit  si  aninn'*  à 
Nouloir  venger  la  mort  et  les  blessures  de  leurs  conqtaginms  (jue,  s'iU 
eussent  tardé  plus  longtemps  à  se  rendre,  il  nous  eût  été  impossildi- 
de  les  soustraire  à  la  fureur  de  notre  équipage. 

11  étoit  pour  lors  huit  heures  du  soir  lorsque  nous  l'amarinâmes. 
Toute  la  nuit  du  mercredi  ne  put  sulTire  pour  le  mettre  en  état  de  fain- 
route  et  de  nous  suivre.  Nous  y  employâmes  tout  le  matin  du  jeudi 
sept  a\ril  et  nous  parvînmes  avec  peine  à  le  mettre  en  état  de  nous 
suivre,  sans  ses  quatre  voiles  majeures,  après  lui  avoir  changé  ses 
\'ergues  et  presque  toutes  ses  mnnreuvres.  11  venta  fort  [leu  tout  le 
jour:  le  soir,  le  calme  survint  et,  la  nuit  du  sept  au  huit,  son  petit  mal 
de  hune,  que  nous  n'avions  point  changé,  se  trouva  tellement  endon:- 
magé,  qu'il  tomba  de  lui-même  au  roulis;  nous  ne  ^ûmes  nous  ser\  ir 
de  ses  mâts  de  rechange  qui  pendant  le  combat  avoient  été  coupés 
sur  le  pont,  nous  eûmes  recours  au  nôtre  et  nous  lui  fîmes  servir  notre 
grand  mât  de  hune  de  petit,  quoi(}uil  ne  se  trouvât  pas  encore  assez 
fort,  vu  la  différence  du  navire.  Toute  la  nuit  du  8  au  9  nous  fîmes 
route  pour  Brest  avec  un  petit  xcnt  (jui  sembloit  se  proportionner  à 
la  faiblesse  île  noire  mâture,  ([ui  étoit  de  part  et  d'autre  très  endom- 
magée. 

Le  9,  à  la  pointe  du  jour,  dan-  f  Ouest  d'Uuessanl,  dislance  d'envi- 
ron quinze  lieues,  nous  aperçûmes  un  navire  qui  nous  donnoit  chasse. 
Nous  continuâmes  notre  route.  Le  calme  sur\iiil:  nous  reconnûmes 
l'ennemi  qui  nous  chassoit  pour  une  frégate  de  vingt-deux  canons, 
elle  se  servoit  de  ses  avirons  pour  nous  joindre  et  y  par\int  à  dix 
htîures  et  demie  du  matin,  à  demi-portée  du  canon.  Nos  avirons  nou> 
servirent  à  nous  approcher  de  notre  prise,  qui  se  tint  en  (»rdre  de 
combat.  Le  feu  commença  de  jcirl  et  d'autre.  Elle  nous  coupa  en  pi  n 
de  temps  ({uantité  de  nuuneuvres.  Nous  nous  aperçûmes  de  la  supé- 
riorité de  son  artillerie;  et  résolûmes  de  la  combattre  de  plus  proche. 
Un  petit  vent  seconda  nos  désirs.  Nous  arri\âmes  sur  elle  suivis  de 
iKit  re  prise,  dont  larl  illiiir  jiliis  toi' le  que  la  nôtre  nous  seconda  a\  an- 
tageusetuent  el  l'obligea  à  \  ii'er  de  liord.  Non-  la  -iii\  inu'S.  Elle  passa 
des  canons  en  retraite  et  fit  un  feu  \if.  Nou-^  lui  ré|ioudinu'S  avec  nos 
canons  de  chasse  et  ne  cessâmes  de  la  jtoursuivre  (jue  lorsijue  nous 
nous  aperçûmes  que  nous  ffuittions  notre  prise,  qui  ne  pouvoit  nager 

pour    nous   suivre,    vu    le    peu    de    lihUlde    (pielle    a\(iit    à    bord.    .Mors 

nous  continuâmes  notre  route  pour  Brest  et  mouillâmes  dan>  la  rade 
le  10,  â  cpiatre  heures  du  malin. 

Il  y  a  eu  dans  le  dit  cojnbat  quatre  iionunes  de  tués,  et  dix-sejiL 
de  blessés.  La  Comtesse  a  eu  les  bras  emportés  et  un  boulel  nmd  au 
travers  du  corps.  M.  Melier  a  été  légèrement  blessé  au  bras  et  moi, 
Jalineau.  à  la  jambe,  mais  l:i  blessure  n'est  point  dangereuse. 


l\6  L\    PRISÉ    DU    CORSAIRE    DE    JERSEY    LA    "  MOLLY 


>) 


En  1758,  la  Molly,  achetée  par  un  armateur  de  notre  place,  Garrié 
aîné,  fut  chargée  de  farines  et  envoyée  au  Canada.  Selon  toute  vrai- 
semblance, elle  y  retomba  au  pouvoir  de  ses  premiers  possesseurs. 
I  La  Comtesse-de-Noailles  n'apparaît  plus  parmi  les  rôles  d'équipage 
des  années  suivantes.  Jalineau  vint  à  Saint-Domingue,  en  1761  et 
1762,  sur  le  navire  le  Solide.  On  le  revoit  plus  tard  continuant  à 
exercer  sa  profession  de  capitaine,  d'agent  commercial  des  grands 
armateurs.  La  carrière  maritime  était  avantageuse  à  celui  qui  était 
parvenu  à  se  mettre  en  vedette.  •  '    '' 

Jean  de  MAUPASSANT. 


VniCLLTlIlK  KT  VINIFICATION  KN  H(II{|)I:L\1S 

AU  MOYEN   AGE 

(Suite.) 


CIIAPITUE    V 

VlMFICAHO>  ' 

Il  laudrail  dans  ce  chapitre  examiner  le»  luodilicatiuns  >ubie.s 
|>ar  la  vendange  pour  sa  transformation  en  vin  et  faire  connaître  les 
traitements  auxquels  le  vin  était  ensuite  soumis.  Malheureusement, 
les  résultats  qu'on  obtient  dans  cet  ordre  de  recherches  sont  beau- 
coup plutôt  négatifs  que  positifs.  Certains  points  restent  tout  à  fait 
obscurs  et  de  très  nombreux  soins  que  nécessitent  aujourd'hui  la 
fabrication  et  la  conservation  du  vin  paraissent,  pour  la  plupart 
du  moins,  n'avoir  pas  été  en  usage  au  moyen  âge.  En  tout  cas,  les 
documents  qui  nous  sont  parvenus  ne  nous  signalent  pas  certains 
de  ces  traitements  qui,  comme  le  collage  par  exemple,  sont  consi- 
dérés à  l'heure  présente  comme  absolument  nécessaires,  et  il  faut, 
semble-t-il,  en  conclure  que  pour  la  vinification  les  procédés  em- 
ployés au  moyen  âge  étaient  assez  rudimentaires. 

Avant  les  vendanges,  les  viticulteurs  s'occupaient  du  nettoyage 
de  leurs  celliers,  cuviers  ou  cuveries^.  Dans  certaines  régions,  il  y 
avait  des  pressoirs  banaux,  comme  il  y  avait  des  fours  banaux,  et 
(]uelques  seigneurs  ou  quelques  communes  avaient  le  droit  d'obliger 
leurs  vassaux  ou  leurs  habitants  à  aller  y  presser  leur  vendange 
moyennant  une  redevance  qui  s'acquittait  soit  en  nature,  soit  en 
argent  •',  Pour  le  Bordelais  aucune  mention  de  pressoir  baïuil  ne 
nous  est  parvenue.  Les  installations  de  pressoirs  et  cuviers  élaietiL 
nombreuses  dans  la  région  bordelaise  et  appartenaient  u  des  parti- 

1.  Ue?  Eludes  Itisloriques  6ur  la  vinification,  publiées  après  la  rédaclioii  de  ce  travail 
par  M.  le  D^  (ieorges  Martin  dans  la  Ftcuiie  historique  de  Bordeaux,  10H),  pp.  S7,  169, 
*26I,  doivent  iHre  consullées  i>our  compléter  ce  chapitre. 

•i.    I4.V.)  (G  2  40,  fol.  409  V). 

3.  Musée  rétrospectif  des  classes  36  et  fin...,  pp.  03  OJ.  —  Pour  le  pressoir  banal,  cf. 
Df'lislf,  «,/,.  ((7..  |(.  4(59. 


48  VITICULTURE    ET    VINIFICATION    EN    BORDELAIS    AU    MOYEN    AGE 

culiers.  Dans  les  exploitations  agricoles  un  peu  importantes,  le 
cuvier  ou  cellier,  endroit  où  se  fabriquait  le  vin,  devait  être  de 
grandes  dimensions  et  il  formait  parfois,  sans  doute,  un  édifice 
séparé  des  autres  communs  \ 

Les  comptes  de  l'archevêché  contiennent  assez  fréquemment  des 
mentions  relatives  aux  celliers  et  nous  apprennent  que  le  grand 
cellier  à  Bordeaux  était  éclairé  au  moins  par  deux  fenêtres  2.  Il 
fallait,  au  moment  des  vendanges,  pouvoir  accéder  facilement  au 
cellier.  En  1459,  le  trésorier  de  l'archevêque  note  qu'il  a  fallu  payer 
des  charretiers  employés  avec  leurs  charrettes  «  à  mener  les  immon- 
dices qui  avaient  estées  de  devant  le  celier  de  Pessac  »  ^.  Pour 
nettoyer  les  locaux  et  les  vaisseaux  où  se  fabriquait  le  vin,  on  se 
servait  probablement  de  «  ginestes  »  ou  balais  de  genêt,  dont  l'usage, 
fréquent  déjà  au  moyen  âge,  s'est  perpétué  jusqu'à  nous  ■*.  Le 
nettoyage  des  ustensiles  et  appareils  nécessaires  à  la  fabrication  du 
vin  jest  une  opération  très  importante.  Il  faut,  en  efTet,  qu'ils  soient 
d'une  très  grande  propreté  pour  éviter  d'introduire  dans  la  récolte 
des  moisissures  qui  donneraient  mauvais  goût  au  vin.  Les  traités 
modernes  recommandent  le  nettoyage  à  l'eau  bouillante.  On  se 
contentait  au  moyen  âge  (et  on  s'en  contente  encore  aujourd'hui 
dans  bien  des  endroits)  de  nettoyer  avec  de  l'eau  froide  ^  Si  Vasse  ou 
crasse  qui  reste  dans  les  cuves  après  la  fabrication  du  vin  n'avait 
pas  été  enlevée  depuis  la  précédente  année,  on  s'occupait  de  l'en- 
lever. Nous  avons  vu  plus  haut  que  cette  asse  servait  parfois 
d'engrais  pour  la  vigne  ^  Dans  les  celUers  et  cuveries  du  moyen 
âge,  il  y  avait  moins  d'ustensiles  que  maintenant.  Le  pressoir  cons- 
tituait avec  les  cuves  et  les  tonneaux  ou  vaisseaux  vinaires  le  seul 
outillage  de  ces  installations  vinicoles  '. 

Dans  la  région  bordelaise,  le  terme  trulli,  trulhs,  treuil  ou  Irolium 


1.    In  donio  toicularis  (G  239,  fol.  46  v°,  et  Arvhiv.  hisl.,  l.  XXI,  p.  660). 

'2.  1459,  travaux  pour  les  celliers.  ■•  Item,  pour  ais  pour  faire  deux  fenestres  ou  grant 
celier  et  pour  la  fa(;on  payé,  xv  s.  t.  Item,  pour  ferrer  icelles  deux  fenestres  paie  iiii  s.  t. 
Item,  pour  une  clef  pour  le  celier  de  Pessac  payé  xii  d.  t.  »  (G  240,  fol.  420.) 

3.  G  240,  fol.  409. 

4.  Genesta,  gineste  =  balai  de  genêt  {Arcliiv.  hisl.,  t.  XXII,  pp.  393:  700). 

5.  '  Ad  portandum  de  aqua  supra  dicta  torcularia  et  cuvas  pro  combuando  et  ad 
mundandum  domum  ubi  sunt  ipsa  torcularia  »  et  Léo  Drouyn  traduit  «  combuare  »  par 
laver  à  grande  eau  ou  faire  tremper  (Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  687,  et  G  239,  fol.  .57). 
1356.  "  Prima  obdemoda  augusti...  pro  abluendis  cubis  et  vasis...  »  (G  238,  fol. 
352  v»,  et  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  416.)  —  2  juin  à  Lormont  :  «  Pro  abluendis  cubis 
et  vasis  »  G  238,  fol.  411  v",  et  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  507).  —  1404  :  «  Pro  abluendo 
baysillam  antiquam  »  (G  240,  fol.  246).  —  1410  :  "  Ad  lavandum  tonellos,  pipas...  » 
(G  241,  fol.  122  r"). 

6.  Archiv.  hisl.,  t.  XXII,  p.  696. 

7.  Musée  rétrospectif  des  classes  36  et  60...,  p.  63. .  L  .    .  .      ._  vi 


\  I  rii.i  II  I  Ki:   Il    NiMinKiioN   K>   iiiini>ii\i>    m    m<ivi;>   âge        ;)D 

dans  les  vaisseaux.  Il  faut  alors  ajouter  div  temps  à  autre  du  liquide 
pour  remplir  les  fûts  afin  d'éviter  que  le  vin  s'aigrisse.  C'est  \k  ce  qui 
constitue  rouillagf  des  vins,  avelhn(]ium\  et  If  trésorier  de  l'arehe- 
vé(jue  indique  fréiiueniniciil  jt-mploi  d'une  barrifjui'  de  vin  pour 
servir  à  l'ouillage  ^.  Quand  on  voulait  donner  à  un  vin  plus  de 
rouleur  ou  l'améliorer,  on  faisait  aussi  des  ouillages.  C'est  ainsi  que 
I»'  trésorier  marque  au  nombre  des  dépenses  faites  en  vin  :  un  ton- 
neau de  vin  rouge  mis  au  ouillage  pour  donner  de  la  couleur  aux 
autres  vins2.  Le  terme «arrecari» fréquemment  usité  dans  les  comptes 
est  traduit  par  Léo  Drouyn  et  Malvezin  par  l'expression  actuelle 
de  «  tirer  au  fin  »  qui  indique  le  transvasement  des  vins  d'un  fût 
dans  un  autre.  Cette  opération  a  pour  résultat  de  débarrasser  le 
vin  de  sa  lie,  et  par  suite  de  l'améliorer^;  on  la  désigne  aussi  sous 
le  nom  de  soutirage.  Le  soutirage  était  certainement  connu  au 
moyen  âge,  mais  il  est  difficile  de  savoir  si  Léo  Drouyn  et  Malvezin 
ont  bien  interprété  les  textes  au  sujet  de  cet  «  arrecari...  tonellos  ». 
La  présence  de  charpentiers  employés  pour  ce  travail  du  «  raquage  » 
des  tonneaux  et  des  barriques  n'indique-t-elle  pas  plutôt  qu'on 
désigne  aussi  par  ce  terme  les  réparations  faites  aux  vaisseaux 
vinaires?  Ces  mêmes  charpentiers  sont  aussi  nommés  dans  les 
comptes  pour  la  «  reverberatio  vinorum  ».  Léo  Drouyn  croit  que 
cette  expression  désigne  la  réparation  des  fûts.  Le  texte  «  in  mense 
martii  fecimus  reparari  sive  rebatre  XX  tonnellos  vini  »  parait  du 
reste  justifier  cette  interprétation  ^  Il  faut,  en  efïet,  réparer  de 
temps  à  autre  les  vaisseaux  de  bois  qui  contiennent  le  vin,  en  res- 
serrer les  cercles  et  veiller  à  ce  que  les  planches  ne  se  disjoignent 

1.  1354:  "  Item,  posui  quaimlaiu  li;irrii:im  iii  .luellia-rio.  ■  ((i  'iSs,  fol.  3r>  i";  n'a  pas 
(^té  transcrit  à  la  place,  (lu'il  aurait  dû  occuper  dans  les  Archir.  hisi.,  t.  XXI,  p.  330.1 

—  1356  :  «  Item,  solvi  pro  quadani  barriqua  vini  albi  ad  imideiidum  duos  tonellos  vini 
oibi,  Il  leop.  m  quartos  unius  leop.  >■  (C  238,  fol.  354  r°,  et  Archir.  hisl.,  t.  .XXI,  p.  420.1 

—  1342  :  -  Item,  in  aiilliatirio,  i  toncllum  et  i  pippam  vini  clari.  •  («i  23S,  fol.  100  V.) 

—  13.')t)  :  ■  Item,  posui  ad  iniplendnni  \  iiia  antiipia  que  erant  in  domo  de  rua  Iloqueria... 
et  ad  im()lendum  vina  liujus  anni  que  suni  in  dicta  domo,  ii  pip.is  \  ini  clari.  •  ((i  23S, 
fol.  359,  et  Arrliir.  hisl.,  t.  XXI,  [i.  420.)  —  I3s3.  ronneaux  de  vin  •  cum  oillanii-i 
eidem  pertiiientibus  •  {.Archii:  hinl.,  t.  I\',  p.  1  11  .  -  1355  :  -  Item,  enii  a  (Jerardo  de 
Fallaro  quandam  barricam  vini  de  qua  feci  iniplerl  nnum  tonellum  vini  quod  reman- 
serat  semiplenum  apud  Laureummonteni  de  ilecima  hujus  anni  et  solvi  pro  precio 
dicte  barrique  vini  II  seul,  cum  dimidio  de  aniiquis.  »  {('<  23><,  fol.  301,  et  Archir.  hisl.. 
t.  XXI,  p.  233.) 

2.  »  Emi...  unam  pi|>am  \ini  tincti  de  Tressis  pro  acolorando  dicta  vina  insointa.  ■ 
(Archir.  hist.,  t.  XXII,  p.  189  —  1357-1358:  •■  Item,  exonero  me  de  uno  ton.  vini 
rubei  posilo  in  auelhau'io  pro  dando  colorem  aliis  vinis...  ■■  {Archir.  hisl.,  t.  XXI,  p.  5It>, 
et  t.  .XXll,  p.  094.) 

3.  ■  .\rrecari,  rccari.  tirer  au  lin  (?l,  nettoyer  (?)...  fecimus  arrecari  \iiii  tonellos 
de  vinis...  »  {Archir.  /i/s/.,  t.  .XXI,  p.  487.)  ■  Pro  porlu  xi  lonellorum  arrccalorum  \ini.  • 
{.Archir.  hisl.,  t.  X.XI,  p.  491.1  Raquer  une  barrique,  la  vider  par  la  bonde,  du  casron 
raquar,  vomir  {Archiu.  hisl.,  t.  XXII,  p.  693).  —  (f.  Malvezin.  •'!'■  "'  ■  !'•   ^'".i. 

(.   Archiv.  hisl.,  t,  XXII,  pp.  188  et  702. 


56  VITICULTURE    ET    VlNIFIGVTION    EN    BOROELA^IS    AU    MOTE'S    AGE 

pas.  Au  moment  de  la  vente  à  des  marchands  de  Bretagne  de 
9  tonneaux  de  vin,  le  trésorier  les  fit  rebattre  par  des  tonneliers  ^ 

Pour  obtenir  des  vins  d'une  limpidité  parfaite,  on  procède  par- 
tout aujourd'hui  à  leur  collage,  c'est-à-dire  qu'on  met  dans  le  vin 
diverses  substances,  sable,  kaolin,  craie,  plâtre,  blancs  d'œufs,  etc., 
destinées  à  entraîner  au  fond  des  vaisseaux  les  particules  solides 
en  suspension  dans  le  vin.  L'utilité  de  ce  collage  des  vins  est  connue 
depuis  longtemps  2.  Malvezin  a  cru  que  le  collage  était  usité  en 
Bordelais  au  moyen  âge,  et  il  dit  :  «  on  savait  aussi  coller  le  vin, 
vinum  collalum  ^  » 

Malvezin  ne  renvoie  pour  cette  opinion  à  aucun  texte.  Sur  le 
revers  d'une  charte  du  xiv*  siècle,  consultée  peut-être  par  Malvezin, 
une  analyse  faite  au  xviii^  siècle,  semble-t-il,  porte  bien  «  vin  collé  ». 
.J'ai  peur  que  Ma-vezin  ait  été  induit  en  erreur  par  des  analyses  de 
ce  genre.  Le  texte  porte,  en  effet,  vinum  colaluni,  mais  ces  mots 
se  rapportent,  nous  l'avons  vu  plus  haut,  au  vin  coulé  et  non  pas 
au  vin  collé.  Dans  un  autre  texte,  on  lit  que  le  seigneur  auquel  le 
tenancier  doit  une  pipe  de  vin  enverra  un  représentant  «  per  anar 
beder  far  et  colar  lodeit  vin  »,  et  le  tenancier  devra  donner  à  manger 
et  à  ])oire  à  ce  garde  jusqu'à  la  livraison  du  vin.  Au  xviii^  siècle, 
on  a  analysé  en  marge  cette  obligation  en  mettant  :  pour  faire  le 
dit  vin  et  iceluy  coller  dans  les  barriques  •*.  C'est  évidemment  là 
encore  des  écoulages  qu'il  s'agit.  Aucun  texte,  à  ma  connaissance, 
ne  nous  permet  de  dire  si  on  continua  au  moyen  âge  à  coller  les  vins 
comme  au  temps  des  Romains.  Des  mentions  de  collage  nous  sont 
seulement  parvenues  pour  le  xvii''  et  le  xviii*^  siècle,  et  nous 
voyons  qu'alors  on  employait  pour  cet  usage  du  sable  et  des  œufs^, 
et  aussi  du  lait  *. 

C'est  peut-être  à  l'absence  de  ces  soins  et  de  beaucoup  d'autres, 
maintenant  en  usage,  qu'il  faut  attribuer  la  coutume  qu'on  avait, 

1.  Il  Solvi  pro  VI  jornalibus  carpenteriorum  qui  reverbarunt  ix  ton.  ^■illi  venditos 
duobus  mercatoribus.  »  (Archiv.  hisl..  t.  XXII,  p.  329.)  —  1404:  «  Item,  die  dominico 
ante  festum  Anunciacionis  Béate  Marie  solvi  pro  jornalibus  xvii  carpenteriorum 
conductorum  ad  reberberandum  dicta  vina.  »  (G  240,  fol.  213  v°.) 

2.  Le  collage,  comme  le  filtrage  et  le  coupasre  des  vins,  était  connu  des  Romains 
(Curtel,  op.  cit.,  pp.  156-161). 

3.  Malvezin,  op.  cit.,  t.  I,  p.  259. 

4.  1435,  4  avril  (G   1159,  fol.  30). 

5.  1671-1672.  Achat  de  «  6  charges  de  sable  portées  à  diverses  fois  pour  sabler  nostre 
vin  »  (G  2143,  fol.  27).  —  1678-1679:  «Pour  du  sable  à  sabler  le  vin,  5  sous.  »  (/d., 
fol.  226.)  —  1746,  27  août.  Achat  de  deux  douzaines  d'œufs  pour  fouetter  deux  bar- 
riques de  vin  trouillis,  12  s.  (G  2470).  —  1745,  le  26  juillet,  œufs  à  2  liv.  le  0/0  pour 
fouetter  le  vin  (G  3089). 

6.  1778.  Mémoire  de  travaux  pour  le  curé  de  Saint-Seurin  :  fouettage  au  lait  d'une 
barrique  de  vin  blanc,  etc.  (G  1650). 


viTicuLTrRE  F.T  vi-siKicATio^i  i;\   u()Ki)Ki.vi>    M    \i(tïi:>   a<;f.        03 

ï^itait'iit  pas  l'emploi  de  très  nombreux  ouvriers  supplémentaires 
que  les  écoulages  ne  sont  pas  plus  souvent  signalés  dans  les  comptes 
de  l'archevêché.  On  y  trouve  seulement  quelques  rares  mentions 
d'hommes  occupés  «  ad  excolandum  cubas  »,  ou  «  ad  escolandum 
et  ad  acandum  bis  cubas»;  et,  en  1430,  au  mois  d'octobre  on  lit  : 
i(  Item,per  lu  jornaus  de  ii  homes  que  metrren  l'aygua  en  las  cubas, 
X  s.  Item,  per  lt>  jornau  do  i  home  qui  portet  de  l'aygua  à  las  cubas, 
V  s.  »  ^  Des  articles  relatifs  au  lavage  des  vaisseaux  vinaires,  cuves 
•  t  tonneaux,  reviennent  ainsi  tous  les  ans  dans  les  comptes  *. 
Ouand  on  avait  pressé  les  raisins  et  écoulé  le  vin,  il  restait  la  «  raspa  » 
ou  Vdfle,  c'est-à-dire  le  marc  de  raisin.  Certains  textes  nous  rap- 
portent qu'on  vendait  parfois  cette  «  raspa  »  et  dans  les  statuts 
capitulaires  de  Saint-Seurin  la  vente  de  la  râpe  après  le  pressage 
de  la  vendange  est  prescrite  ^.  Cette  râpe  avait  une  certaine  valeur, 
car  on  pouvait  réutiliser  pour  en  tirer  de  la  boisson.  En  mettant  de 
l'eau  sur  la  râpe,  on  obtenait  en  efïet  de  la  piquette,  «  retrovinum, 
reyrevin  »,  ou  «  drouguet  »  en  gascon  *.  A  Lormont  en  1389  on  loua 
un  âne  pour  porter  l'eau  nécessaire  à  la  fabrication  de  ce  «  retro- 
vinum »  ^.  La  qualité  de  cette  piquette  variait  naturellement  sui- 
vant la  quantité  d'eau  qu'on  mettait  sur  le  marc  et  suivant  le  nom- 
bre de  fois  qu'on  recommençait  cette  opération.  Quand  on  avait 
obtenu  toute  la  boisson  que  la  râpe  était  susceptible  de  donner,  on 
pouvait  utiliser  cette  râpe  comme  engrais  et  la  mettre  dans  les 
vignes,  c'est  ce  qu'on  fait  aujourd'hui. 

Il  est  assez  difficile  de  donner  des  renseignements  sur  les  différentes 
sortes  de  vins  qu'on  avait  au  moyen  âge.  Les  textes  nous  en  signa- 
lent de  noms  différents.  Il  y  avait  des  vins  rouges  et  des  vins  blancs, 
des  vins  clarets  ou  clairets  ^,  des  vins  lymphatés,  du  pinpin,  de  la 

1.  •'  Ad  escolandum  et  ad  iiraiiduiit  bis  cubas.  >  {C,  239,  fol.  58  r°.  el  Arrhir.  hisL, 
t.  XXI,  p.  688.)  —  Homme  em|iloyé  -  ad  exrolundum  cubas  •  {(">  '238,  fol.  3r)3  V,  et 
Archiu.  hisl.,  t.  XXl,  \).  418,  el  <;  ifl,  fol.  1311.) 

2.  1404:  "  Hem,  solvi  pro  iin<"  joiiialibu>  homiiium  couduclorum  ad  excolandum 
vina  cubai'um  et  ad  portandum  ai]u<im  in  dictis  cubis...  ■  [G  240,  fol.  210  V.) 

3.  1373,  22  octobre  :  ■■  Hem,  in  eodeni  capitulo  statuimus  et  ordinamus  guod  vin- 
demia  sive  la  raspa  magno  [)enore  {sic)  trolii  dicti  capituli  prope  erclesiam  Sancti 
•Stephani  pnstquam  vinuni  extracluni  fuerit  in  torcularibus  vendatur,  si  vendi  possit 
per  cubarium  seu  cubarios  qui  erunl  pro  tempore  ibidem  pro  capitulo  anledicto.  • 
{Urutails,  Cart...  de  ^iiinl-Setirin...,  ji.  373.}  — •  1414,  '.•  no\embre:  -  VA  sobre  lo  biu 
et  bendeunba  deu  (iu  deudeyt  seiilior  lo  deyt  Prebost  deu  prendre  Iota  In  raspa  depnys 
que  lo  biii  clar  ne  sera  deforas.  •>  {Archir.  Iiisl.,  t.  \,  p.  âîyH.  M.ircnm  \  indeniio.  • 
{Archiv.  hist.,  t.  XXI,  p.  687.) 

4.  "  I.'nam  pipani  relrovini.  »  {(J  23s,  fol.  33,  et  Archif.  IttsI.,  t.  XXI,  p.  330,  et 
t.  XXII,  p.  702.)  —  1431  :  ■'  Las  receptas  de  la  vendicions  diii  rovrc-  vins...  •  (G  241, 
fol.  155  V.) 

5.  1389  (G  240,  fol.  201. 

6.  1356  :  «  Pro  ii  tonellis  \  iiii  albi  \i  tonellis  vini  dari  et  ii  tonellis  \  ini  nibei  puri...  • 
(G  258.  fol.  353  v»,  et  Arcliw.  hist.,  t.  .XXI,  p.  419.) 


54  VITICULTURE    ET    VINIFICATION    E^    BORDELAIS    AU    MOYEIS    AGE 

vendange  vermeille,  du  vinaigre,  etc  ^.  Malvezin  estime  que  le  clairet 
était  le  vin  produit  par  les  vignes  où  les  cépages  rouges  et  les 
cépages  blancs  étaient  mêlés  et  dont  les  raisins  étaient  cueillis  en 
même  temps  et  vinifiés  ensemble  2.  Ce  serait  alors  ce  qu'on  appelle 
aujourd'hui  le  vin  gris.  J'ignore  si  cette  explication  est  exacte. 
Aucun  texte  ne  permet  de  la  contrôler.  Les  vins  lymphatés 
étaient  les  piquettes  ou  vins  dans  la  composition  desquels  entrait 
une  certaine  quantité  d'eau.  Dans  les  comptes  il  est  souvent  fait 
une  distinction  entre  les  vins  purs  et  lymphatés  et  dans  les  énumé- 
rations  de  vins  on  compte  des  tonneaux  de  vin  rouge  «  tam  puri 
quam  lymphati  »  ^.  Ces  piquettes  paraissent  ne  pas  se  conserver  long- 
temps. En  1356  le  trésorier  de  l'archevêque  écrit  que  trois  pipes 
de  «  retrovini  »  sont  venues  à  putréfaction  et  ont  été  en  partie 
données  aux  pauvres  et  en  partie  jetées  sur  le  sol.  Puis  en  1362,  le 
trésorier  écrit  encore  «  les  vins  lymphatés  sont  venus  à  putréfac- 
tion; tout  le  vin  lymphaté,  quatre  tonneaux  environ  a  été  répandu 
et  jeté  par  terre  »*.  Le  vin  appelé  piupin  ou  pinpin  est  souvent  cité 
dans  la  liste  des  vins  mentionnés  dans  les  comptes  de  l'archevêché 
et  dans  d'autres  textes.  En  1427,  le  2  septembre,  il  fut  vendu  une 
«  redevance  de  vin  clar  et  vin  nègre  apperat  pinpin  pur  sans  aygua  ^  ». 
En  1479  une  commission  est  nommée  pour  goûter  une  pipe  de  vin 
et  savoir  «  si  est  vini  claret  vel  vini  pinpin  «^  Déjà  dans  les  comptes 
en  latin  on  emploie  ce  terme  de  pinpin  au  xiv^  siècle.  Léo  Drouyn 
estime  qu'on  désigne  ainsi  de  la  piquette,  mais  comment  alors 
expliquer  cette  mention  de  «  pinpin  pur  sans  aygua  »  qui  vient 
d'être  citée?  Peut-être  faut-il  penser  que  le  pinpin  est,  non  de  la 
piquette,  mais  du  vin  de  pressoir  '. 

Après  la  fabrication  du  vin  viennent  les  traitements  auxquels 
les  vins  nouveaux  doivent  être  soumis.  Quand  le  vin  a  été  placé 
dans  des  vaisseaux  de  bois,  après  les  écoulages,  un  travail  continue 
à  se  faire  dans  ce  vin  et  par  suite  de  l'absorption  du  vin  par  le  bois 
et  de  l'évaporation,  la  quantité  de  liquide  diminue  progressivement 

1.  1354  :  «  iiii  tonellos  cuni  dimidio  vini  rubei  tam  puri  quam  limphati  »  (G  238, 
fol.  35  v»,  et  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  3-29.)  —  1459:  «  Vendançre  vermeille.  »  (G  240, 
foi.  407  bis). 

2.  Malvezin,  Hisl.  du  commerce...,  t.  I,  p.  259.  —  Francisque  Michel,  Hist.  du  com- 
merce, t.  I,  p.  165. 

3.  1354  (G  238,  fol.  35  V). 

4.  1356  {Archiu.  hist.,  t.  XXI,  p.  429).  —  1362  ((d.,  p.  705). 

5.  1427,  2  septembre  (G  2206). 

6.  1479,  12  octobre  (G  285,  fol.  156). 

7.  «  II  tonnellos  de  pinpin  {Archiv.  hist.,  t.  XXII,  pp.  415,  702.)  —  1430,  vente  de 
4  pipes  de  pimpin  à  un  marchand  normand  (G  503).  —  Cf,  D"'  Georges  Martin.  Études 
historiques  sur  la  vinification.  Rev.  htsl.  de  Bordeaux,  1910,  |>.  90. 


VITICULTURE    ET    VIMllCATlOM    ii>    ItOKUlùLAl^    \L     MOïtN    AGL  .»  I 

veiller.  Dans  les  seigneuries  ecclésiastiques  comme  à  Saint-André 
et  à  Saint-Seurin,  on  nommait  tous  les  ans  les  chanoines  chargés 
de  s'occuper  des  vendanges.  En  1388,  par  exemple,  le  15  juin,  à 
Saint-Seurin,  deux  chanoines  lurent  désignés  pour  nommer  des 
gardes  pour  les  vendanges  et  pour  surveiller  les  foUleurs  dans  les 
pressoirs  ^  Et  en  1420,  le  11  juillet,  dans  un  registre  de  Saint-André 
de  Bordeaux,  il  est  fait  mention  des  deux  chanoines  qui,  cette 
année,  devaient  s'occuper  des  vendanges  au  treuil  de  Saint-Genès 
dans  les  faubourgs  de  la  ville  ^. 

Quand  on  foulait  ou  pressait  la  vendange,  certaines  graines 
coulaient  avec  le  moût.  C'est  sans  doute  pour  retenir  ces  graines 
et  pour  faire  office  de  tamis  qu'on  employait  le  coladny,  colador^ 
colalor  que  Léo  Drouyn  dit  être  un  panier  pour  retenir  les  graines 
et  laisser  passer  le  vin  seul^  Le  moût  à  sa  sortie  du  fouloir  et  du 
pressoir  devait  être  placé  dans  les  cuves  pour  fermenter.  C'est  ainsi 
que  les  choses  se  passent  maintenant  pour  la  récolte  rouge.  Le 
vin  blanc,  au  contraire,  est  mis  directement  du  pressoir  dans  les 
barriques  sans  séjourner  dans  les  cuves.  Aucune  mention  dune 
vinification  spéciale  pour  la  récolte  blanche  ne  nous  est  parvenue. 
On  a  même  la  surprise  de  constater  que,  à  l'encontre  de  ce  qui 
se  pratique  habiluellement  maintenant,  la  vendange  blanche  était 
parfois  faite  avant  la  rouge  ''. 

Certains  propriétaires  font  aujourd'hui  subira  leur  moût  des  pré- 
parations destinées  à  les  améliorer,  comme  le  sucrage  ou  le  plâtrage  *. 
Ces  usages  paraissent  avoir  été  ignorés  au  moyen  âge  en  Bordelais. 
Il  n'est  du  reste  pas  étonnant  que  le  sucrage  n'ait  pas  été  pratiqué 
pour  les  vins  au  moyen  âge,  le  sucre  étant  d'un  emploi  extrêmement 
rare  jusqy'au  xvi^  siècle.  Le  plus  ancien  exemple  de  sucrage  qu'on 
connaisse  pour  le  Bordelais  remonte  au  xviii^  siècle  et  il  est  relatif 
à  des  vins  de  Sainte-Foy-la-Grande.  Cette  préparation  des  vins 
avec  du  sucre  semble  même  avoir  été  alors  considérée  comme 
quelque  chose  de  nouveau  en  France  et  Legrand  d'Aussy,  dans  son 

1.   1388  (G  102.5,  (ol.  37). 

"i.  1420,  11  juillet.  De  torculatoribus  S"  Genesii.  «Fuit  ordinatum  per  dominos 
de  rapilulo  quod  de  cetero  siiit  duo  canoiiici  teiupore  vindcniiarum  in  S»"  Genesio  qui 
dispoiiaat  et  ordiiieut  de  omnibus  agendis  et  pro  anno  presenti  fuerunt  electi  doniini 
G.  Talhafer  et  Johannea  Forthonis  canonici.  »  [Archiv.  hisl.,  t.  VII,  p.  417.) 

3.  Archiu.  hisl.,  t.  XXII,  p.  696.  —  Ces  mentions  de  coladuy  ou  colador  sont  fré- 
quentes :  «  Emi  pro  trolio  unum  panerium  voialum  coladuy  {Archiv.  hisl,,  t.  XXI, 
p.  465,  et  t.  XXII,  p.  696).  Coladuy  =  passoire. 

4.  •  Item,  III»  obdemoda  septembris  incepimus  vindeniiare  vineas  de  Laureomontc, 
exrepta  vinea  alba  que  vindemiata  erat  antea...  -  (G  239,  fol.  58,  et  Archiv,  hist.t 
L  XXI,  p.  6H9.)  —  Cf.  aussi  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  CSG. 

5.  Hébert,  Le  vin,..,  pp.  6,  7. 


53  VITICULTURE    ET    VINIFICATION    EN    BORDELAIS   AU    MOYEN   AGE 

«  Histoire  de  la  vie  privée  des  François  »,  n'oublie  pas  de  mentionner 
cet  emploi  du  sucre  dans  les  vins  de  Sainte-Foy  «  Canton  du  Bor- 
delais ))  ^  La  fermentation  des  moûts  devait  se  faire  assez  bien, 
car  il  est  reconnu  que  dans  nos  pays  la  température  ambiante  est 
généralement  favorable  à  l'établissement  d'une  bonne  fermentation. 
A  ucun  document  ne  nous  permet  de  connaître  la  méthode  employée 
pour  la  fermentation  dans  les  cuves.  Il  est  logique  de  penser  qu'on 
employait  le  système  le  moins  compliqué  :  on  devait  alors  ne  pas 
fermer  absolument  la  cuve  et  se  bornera  la  recouvrir  de  planches.  Ce 
qu'on  appelle  aujourd'hui  le  chapeau,  c'est-à-dire  la  masse  pâteuse 
formée  par  les  enveloppes  des  raisins,  était  flottant.  Ce  système  est 
assez  défectueux,  car  l'acide  carbonique  qui  se  dégage  pendant  la 
fermentation  ne  forme  pas  à  la  surface  de  la  cuve  un  matelas  imper- 
méable. L'air  peut  y  pénétrer  partiellement  et  provoquer  l'acidifi- 
cation du  chapeau  ce  qui  donne  au  vin  un  mauvais  goût  2.  C'est 
pour  remédier  à  cet  inconvénient  qu'on  a  maintenant  imaginé  des 
systèmes  plus  perfectionnés. 

Il  est  difficile  de  dire,  naturellement,  le  temps  qu'on  laissait  à 
la  fermentation  :  les  comptes  de  l'Archevêché,  notre  principale 
source  d'informations,  ne  donnent  pas  à  proprement  parler  de 
renseignements  sur  le  décuvage,  ou  mieux  sur  les  écoulages,  comme 
on  dit  en  Bordelais.  Le  décuvage  a  lieu  quand  on  estime  terminée 
la  fermentation  tumultueuse,  et  il  consiste  à  faire  couler  le  vin  de 
la  cuve  dans  des  tonneaux  ou  barriques.  Pour  éviter  autant  que 
possible  de  laisser  le  vin  en  contact  avec  l'air  durant  cette  période, 
l'emploi  de  pompes  spéciales  destinées  à  transvaser  directement 
le  vin  dans  les  tonneaux  est  maintenant  recommandé.  On  ignorait 
au  moyen  âge  ce  perfectionnement.  C'est  une  dizaine  de  jours, 
au  moins,  après  le  pressage  que  le  décuvage  devait  avoir  lieu.  Il 
fallait  bien  ce  temps  pour  obtenir  une  fermentation  suffisante. 
C'est  à  cette  fermentation  qu'il  me  paraît  être  fait  allusion,  quand, 
dans  les  textes  du  moyen  âge,  il  est  question  de  «  bullitio  vini  »  et 
de  «  vinum  buUitum  »  3;  on  doit  désigner  ainsi  le  moût  qui  a  fer- 
menté, c'est-à-dire  du  vin  produit  de  la  simple  fermentation  natu- 
relle, et  non  pas  du  vin  qui  aurait  été  soumis  à  une  «  buUition  » 
artificielle  ou  pasteurisation.  C'est  sans  doute  parce  qu'ils  ne  néces- 

1.  Legrand  d'Aussy,  Hisl.  de  la  vie  privée  des  Français  (déjà  cité),  t.  III,  p.  388. 

2.  Hébert,  op.  cil.,  p.  10. 

3.  1361.  Vins  portés  à  Bordeaux  «  post  bullicioaem  »  (G  233,  fol.  44,  et  Archiv.  hisi., 
t.  XXI,  p.  654).  —  1383  :  «  Unum  toaellum  vini  bulliti.  »  (G  239,  fol.  242  V,  et  Archiv. 
hisf.,  t.  XXII,  pp.  366,  395.) 


I 


VrrlCl  LTLRE    ET    VlMF'lCATlON    EN    IlORDELAlS    AI      MOYEN     VGE  'jQ 

et  lorculariuni  fii  hilm  fl.iil  Imijuur-  i'in[>l<i\  •'•  |iiiiir  (Jt^^i^n<•|■  Ip- 
pressoirs  '.  Il  fallait  tous  les  ans  remettre  ceux-ci  en  état  avant  le> 
vendaiif^rs,  boiicliri  les  fentes,  les  interstices  des  planches  tant  aux 
I  l'iiils  (ju'aux  cuves;  on  employait  pour  cela  de  la  bourn-  mi  ('-t  (inpc-, 
de  la  mousse,  de  la  poix,  puis  il  fallait  avec  ilu  suif  graisser  le  treuil-'. 
Les  comptes  de  l'archevêché  mentionnent  les  travaux  ainsi  faits  par 
des  charpentiers  pour  rejointoyer  et  préparer  les  treuils*,  (►n  n'a 
pas  de  renseignements  sur  la  forme  des  treuils  ou  pressoirs  de  la 
région  bordelaise.  Une  seule  fois  dans  les  comptes  de  l'archevêché 
il  est  question  d'une  vis  de  pressoir  :  «  la  bitz  que  volvitur  in  tor- 
culari  »  ^  Les  vieux  pressoirs  ont  disparu  en  Bordelais  et  aucun 
dessin  n'en  a  été  conservé.  On  n'a  même  pas,  comme  dans  d'autres 
régions,  de  ces  vitraux  représentant  des  pressoirs  mystiques  sus- 
ceptibles de  fournir  d'intéressants  renseignements  ^ 

A  côté  du  treuil  ou  pressoir  se  trouvaient  les  cuves.  En  1459,  le 
trésorier  de  l'archevêque  inscrit  dans  son  registre  «  Item  pour  le 
louage  d'une  cuve  laquelle  je  loué  par  avant  que  achetasse  les  cuves 
cydevant  escriptes,  payé  pour  louage  et  menaige  XI  s.  VI  d.  t.  ".  » 
Les  locations  de  ce  genre  devaient  être  assez  rares,  car  elles  étaient 
évidemment  peu  pratiques.  Il  valait  mieux  avoir  dans  son  cuvier 
une  installation  pouvant  servir  tous  les  ans.  Les  cuves  à  l'achat  des- 
quelles le  trésorier  fait  allusion  étaient  d'assez  grandes  dimensions, 
lune  pouvant  contenir  de  14  à  15  pipes  et  l'autre  de  9  à  10  ^ 

Quand  les  raisins  étaient  portés  au  cuvier,  ils  étaient  d'abord  foulés 
ou  écrasés.  Ce  foulage,  usité  de  tout  temps,  a,  on  le  sait  maintenant, 
pour  principal  effet  de  mettre  en  contact  le  jus  du  grain  de  raisin  avec 
les  ferments  qui  se  trouvent  sur  l'enveloppe  du  raisin,  ferments  qui 
déterminent  la  fermentation.  Cette  opération  du  foulage  se  faisait 

1.  1356  :  «  Feci  reparari  iii  loi'o  de  Laureomonle  truliuiii  el  u  mangnas  cubas..." 
{<;  -238,  fol.  352  V",  et  Archiu.  hisl.,  t.  XXI,  p.   117.) 

2.  •  Horra  seu  stuppa  "  {Archiv.  hisl.,  t.  XX  11,  p.  396).  —  1490,  l)Ourre  pour  réi>ari*r 
un  pressoir,  la  livre,  2  arilits  (G  490).  —  1497,  bourre,  la  livre,  2  ardits  ^Ci  491,  fol.  5i. 

3.  "  Conduxi  quenidam  hominem  ad  coiigre<»anduni  de  la  niolsa  el  dcl  brin  [>ro 
liniendo  et  clavetando...  torcularia...  emi...  m  libra;)  picis  et  unam  libram  cepi  ad  linien- 
dum  dicta  torcularia  »  (G  239,  fol.  57,  et  Archiu.  hisl.,  t.  XXI,  p.  687).  —  1401,  octobre. 
Suif  pour  cuves,  la  livre,  10  d.  (G  240,  fol.137  v°). 

4.  Léo  Drouyn  traduit  rejunherc  par  rejoinloyer  :  ■  Ilabui  ad  rejuiilionduin  el 
parariduni  torcularia  v  carpeiitarios.  ■  (Archiv.  hisl.,  t.  X.XIl,  p.  702,  el  l.  XXI,  p.  659. i 

5.  G  239,  fol.  57  v",  et  Arcliiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  687. 

6.  Emile  MAle,  l'Art  religieux  de  la  (in  du  moyen  âge  en  France.  Paris,  Colin,  1908, 
pp.  113-118. 

7.  1459  (G  240,  fol.  413). 

8.  1459  :  Primo,  pour  deux  grans  cuves  neusves  aclietées...  la  plus  ^'ranl  tenent 
de  xiiii  a  XV  pipes  et  l'autre  de  ix  a  x  pippes,  payé  xii  liv.  t.  ((J  240,  fol.  413).  En 
admettant  que  la  dimension  des  fûts  n'ait  pas  subi  de  grandes  variations  (cf.  chapitre 
suivant),  on  peut  esliinei  «pu'  la  plus  grande  df>  (li\i\  iu\cs  piui\ail  «oiilcnir  l'iuiron 
63  hectolitres. 


OO  VITICULTURE    ET    VINIFICATION    EN    BORDELAIS    AU    >iOVE>'    AGE 

avec  les  pieds.  On  tend  aujourd'hui  pour  gagner  du  temps  à  rem- 
placer par  des  égrappoirs  et  fouloirs  cylindriques  le  foulage  aux 
pieds.  Ce  foulage  par  des  hommes  piétinant  les  raisins  avec  les  pieds 
soit  nus,  soit  diversement  chaussés,  était  pourtant  certainement 
préférable  à  l'emploi  de  fouloirs  mécaniques.  Ces  appareils,  en 
effet,  ne  sont  pas  assez  délicats  et  provoquent  souvent  l'écrasement 
des  pépins  qu'il  est  très  important  de  laisser  intacts,  car  ils  con- 
tiennent une  huile  fixe  nuisible  au  vin;  le  piétinement  avait  l'avan- 
tage de  ne  pas  écraser  les  pépins  i.  Au  moyen  âge  aussi  bien  que 
dans  l'antiquité,  c'est  le  foulage  aux  pieds  qui  était  partout  en 
usage,  en  Bordelais  comme  ailleurs.  Il  ne  paraît  pas  que  la  pres- 
cription de  Gharlemagne  relative  à  la  substitution  du  pressage  au 
foulage  aux  pieds  ait  jamais  été  connue  et  observée  en  Bordelais. 
Ce  prince,  réagissant  contre  l'emploi  des  pieds  dans  la  préparation 
du  vin,  voulait  encourager  celui  du  pressoir  2  et  le  texte  qui  nous 
rapporte  ce  fait  semble  indiquer  que  Gharlemagne  considérait 
comme  malsain  et  peu  hygiénique  de  fouler  aux  pieds  la  vendange  ^ 
La  pratique  contre  laquelle  s'élevait  Gharlemagne  n'en  persista  pas 
moins  dans  toutes  les  régions  de  son  empire.  Les  mentions  relatives 
au  foulage  reviennent  régulièrement  tous  les  ans  dans  les  comptes 
de  l'archevêché  de  Bordeaux  au  xiv^  et  au  xv^  siècle.  C'est  le  terme 
«  calcare  vindemiam  »  •*  qui  est  en  usage  pour  désigner  ce  foulage  ; 
il  a  aussi  pour  équivalent  en  latin  le  terme  «  forare  »  fouler  ^,  rendu 
par  folar  en  gascon  *.  Ce  sont  toujours  des  hommes  qui  sont  employés 
à  fouler  la  vendange.  On  les  appelle  des  foladors,  des  fouleurs  '. 
Une  fois  foulés,  les  raisins  étaient  pressés.  Ce  travail  de  la  vendange 
nécessitait  dans  les  domaines  un  peu  importants,  comme  ceux 
de  l'archevêque  et  des  divers  seigneurs  ecclésiastiques  ou  laïques 
du  pays,  l'emploi  d'un  personnel  assez  nombreux  qu'il  fallait  sur- 


1.  Hébert,  Le  vin....  Paris,  Gautier  {dans  la  Bibliothèque  scientifique.,.,  n»  39,  broch. 
de  35  pages),  p.  .5. 

2.  Cil.  Lamprecht,  op.  cit.,  p.   136. 

3.  Capitulare  de  Villi»  (800  vel  ante).  C.  48  :  «  Ut  torcularia  in  villis  nostris  bene 
sint  prœparata;  et  hoc  prœvideant  judices,  ut  vindemia  nostra  nullus  pedibus  prsemere 
prœsumat  sed  omnia  nitida  et  honesta  sint.  »  {Monumenta  Gtrmanix  historica,  Legum 
sectio  II,  Capilularia  regum  francorum,  éd.  Alfr.  Boretius,  p.  82.) 

4.  <i  Pro  xiiii  hominibus  necessariis  Burdegale  ad  faciendum  vina  et  calcandum 
vindemiam...  »  (G  238,  fol.  309.)  —  1356  :  «  Pro  xviii  hominibus  habitis  in  trolio  ad 
calcandum  et  faciendum  vinum  vinearum...  »  (G  238,  fol.  353  v",  et  Archiv.  hist.,  t.  XXI, 
p.  419.) 

5.  1356  :  «  Habui  in  dictis  vindemiis  pro  forando  seu  calcando  vindemiam  et  faciendo 
vina  XXI  homines.  »  (G  258,  fol.  353,  et  Archiu.  hist.,  t.  XXI,  p.  418.) 

6.  1430:  «  Venguo  1  home  per  folar  que  ce  apera  Ramet...  —  11  homes  qui  a\eii 
folat  la  vespra  de  Sent  Matheu  au  trulh.  »  (G  241,  fol.  136.) 

7.  1430:  «  Item,  per  un  foladors,  xx  s.  »  (G  241,  fol.  135  v°). 


MÉLANGES  63 


* 
♦    > 


Un  prince  royal  d'Angleterre  à  Bordeaux. 

Le  récent  voyage  aux  Indes  de  Leurs  MajesLûs  Royales  (JAnj^'Ic- 
terre  a  été  l'objet  de  nombreux  articles  de  journaux. 

C-ette  circonstance  nous  autorise  à  rappeler  qu'au  niui-  di-  nwii 
1791,  Bordeaux  reçut  la  visite  du  prince  Frédéric-Auguste,  fils 
du  roi  d'Angleterre,  voyageant  sous  le  nom  de  comte  de  iJielphos. 

A  son  arrivée,  le  maire,  accomjtagné  de  sept  ofïlcicrs  mniucipaux, 
se  rendit  à  l'hôtel  d'Angleterre,  où  logerait  le  j)rince^,  et  lui  adressa 
des  compliments  de  bienvenue.  Faisant  allusion  aux  relations 
commerciales  établies  entre  Bordeaux  et  la  Grande-Bretagnt;,  le 
maire  exprimait  le  souhait  de  toujours  entretenir  cette  réciprocité 
d'estime  et  d'amitié.  Le  prince  répondit  dans  le  même  sens,  décla- 
rant «  (|ue  son  plus  grand  désir  était  de  voir  toujours  régner  entre 
les  deux  nations  la  bonne  harmonie  (\m  existait  entre  elles»  2. 

Un  dîner  fut  offert  par  In  municipalité  au  fils  du  roi;  il  fiil  lifn 
«  dans  la   maison  de  l'ancien   Bardineau,  près  du  Jardin-Public  ». 

Les  commissaires  du  Directoire  se  rendirent  aussi  chez  le  prince 
et,  au  nom  du  district  et  du  département,  l'invitèrent  à  un  bancjuet  ^. 

Pendant  les  trois  premiers  jours  de  juin,  les  deux  brigantins  de 
la  ville,  l'un  nioidt'  par  dix-sept  hommes  et  un  patron,  l'autre  par 
treize  hommes  et  un  patron,  furent  mis  à  la  disposition  du  prince 
pour  faire  des  promenades  dans  la  rade  ou  en  rivière,  et,  le  jour  de 
son  départ,  pour  la  traversée  de  La   Bastide  et  de  Saint-Panlon. 

Ouant  à  l'entente  cordiale,  on  sait  qu'elle  ne  dura  guèn'. 

Fernand  Thomas. 


1     N'oir  <nr  «et  linli'l,  coiiiiu  -ou>  ),i    Terreur  sou^  h-  iioiii  il'hiMel  Irjiikliii,  une  iiolu 
dîins  l;i  Hi:i'iie  de  jaii\  ier-fé\  rier  l'J\  1,  |i.  11. 
•2.   Areli.  imin..  Il  91. 
J.   An  h.  tlép.,  re-iiïitre  L  508,  p.   1-23. 


OLESTfONS   ET  REPONSES 


D'Artagnan  à  Bordeaux.  —  M.  Camille  Jullian  demandait  dans 
le  numéro  de  mars-avril  1908  de  la  Revue  (p.  154)  si  l'on  avait,  la 
preuve  que  d'Artagnan  fût  venu  à  Bordeaux  pendant  la  Fronde, 
comme  l'affirme  Courtils  de  Sandras  dans  les  Mémoires  de  M.  dWita- 
gnan.  Le  livre  que  M.  Charles  Samaran  vient  de  consacrer  à  l'illustre 
mousquetaire  permet  de  répondre  à  cette  question.  On  y  lit  : 
«  Quant  aux  missions  auprès...  des  Ormistes  de  Bordeaux  pendant 
la  Fronde,  le  véritable  négociateur  fut  non  pas  Charles  de  Batz- 
Castelmore,  mais  Jean-Charles  ou  Isaac  de  Baas.  Le  rôle  véritable- 
ment rempli  par  l'un  ou  l'autre  des  Baas  dans  ces  circonstances, 
on  le  trouvera  soit  dans  l'Histoire  de  Condé  du  duc  d'Aumale,  soit 
dans  le  livre  de  Communay  sur  VOrniée  à  Bordeaux,  soit  dans  les 
nombreuses  lettres  de  Baas  aux  affaires  étrangères.  En  tout  cas, 
Baas  négociait  et  agissait  pour  les  princes  et  non  pour  Mazarin  ^  » 

Quant  à  Charles  de  Batz-Castelmore,  le  futur  capitaine  des  mous- 
quetaires, il  paraît  être  venu  devant  Bordeaux  lors  du  siège  de  1650, 
si  du  moins  c'est  lui  (|ue  désignent  comme  courrier  de  Mazarin 
deux  documents  publiés  dans  les  Archives  historiques  de  la  Gironde, 
t.  II,  p.  74,  et  t.  IV,  p.  529. 

P.  C. 


L'Œuvre  de  Pierre  Lacour.  —  Pierre  Lacour  père  (1745-1814), 
qui  a  tenu  une  place  éminente  dans  l'histoire  de  l'art  à  Boi- 
deaux,  a  laissé  un  œuvre  considérable,  mais  fort  dispersé,  dont  il 
est  difficile  de  dresser  la  liste.  On  serait  très  reconnaissant  aux 
personnes  —  et  elles  sont  nombreuses  —  qui  possèdent  ou  connais- 
sent soit  des  ouvrages  de  cet  artiste,  peintures,  gravures,  dessins, 
soit  des  documents  le  concernant,  notes,  correspondances,  etc.,  de 
vouloir  bien  en  aviser  M.  Léonard-Chalagnac,  210,  rue  François- 
de-Sourdis,  Bordeaux,  qui  travaille  à  la  confection  de  ce  catalogue. 

J.  Léonard-Chalagnac. 

1.  (.halle?  Samaran,  D'Arlagnan  cnpilainc  des  mousquetaires  du  Roi.  Ilisloire  réri- 
dique  d'un  liéro.s  de  roman.  Paris,  Calmann-Lévy  [1912],  in-18,  p.  105-106.  — ■  Ajoutons 
r|ue  l'on  trouvera  des  détails  bioaraidiiques  sur  Isaac;  et  .Jean-Charles  de  Baas  dans  le 
li\  re  de  M.  Jean  de  Jaurtrain,  Troisrilles,  d'Artagnan  et  les  Trois  Mousquelaires  (Paris, 
th:jnpion,  1908,  in-8°).  p.  196-202. 


MKI.AMOES  Cl 

11"  ii.'glagf  ilii   iiH(;iiii>irii-.  une  sohimm'  «l»-  4h  1  li\  rc>,  ijiii  >••  Li<>u\ail 
(Mitre  ses  main-,  lui  lui  aliamlonni'»'  pour  riiidoiimiser  fie  ses  peines. 

I/Hôlel  (le  N'illf  (Iduuail  l'Iirure  ,'i  toute  la  région  bordelaise. 
],('  rt'irlagf  de  riioilotre  se  taisait  au  nioyt-n  d'observations  astro- 
u<iiiii(|ues  nécessitant  des  calculs  conij>li(|U(''s  et  délicats,  et  seul 
un  savant  de  réelle  valeur,  comme  Larr(i(|ue.  était  capable  de  mener 
à  bien  cette  opérai ii)ii.  A  moins  que  celui-ci  n'ait  voulu  mettre  gra- 
tuitement ses  lumières  au  service  de  ses  concitoyens,  il  est  [«ermis 
de  trouver  bien  faible  le  cbilTre  d'une  indeninité,  à  peine  sullisante 
pour  couvrir  les  frais  qui  lui  incombaient. 

I/horloge  de  1759  n'a  pas  été  remplacée  jusqu'à  nos  jours:  celle 
de  1567  était  restée  en  place  près  de  deux  cents  ans.  Souhaitons  à 
la  nouvelle  horloge  de  la  Grosse-Cloche  une  aussi  longue  vie  que  celle 
de  s<\s  aînées,  et  à  l'artiste  qui  en  entreprendra  la  construction  un 
rapport  aussi  élcgieux  que  celui  qui  fut  lu  en  jurade  sur  le  «  travail 
immense  »  du  sieur  Larroque. 

Pierre  Hari.é. 


Le  lieu  de  décès  du  comte  Lynch. 

Dans  un  ou\  rage  paru  récemment  ^  où  il  est  question  iln  ciiinlr 
Lynch,  une  erreur  a  été  commise  sur  le  lieu  de  décès  du  maire  de 
Bordeau.x  qui  joua  le  rôle  que  Ton  connaît  le  12  mars  181  1.  On  le 
fait  mourir  dans  la  commune  de  Dauzac  qui  n'existe  pas  dans  le 
département  de  la  Gironde. 

D'autres  erreurs  s'étant  glissées  dans  les  diverses  biographies 
parues  sur  ce  peisonnage,  nous  croyons  devfur  publier  son  acte  de 
décès,  afin  de  mettre  les  choses  au  point;  nous  aurions  voulu  accom- 
pagner la  publication  de  cet  acte  de  quelques  détails  sur  les  obsèques 
de  M.  Lynch,  mais  les  deux  journaux  locaux  que  nous  avons  consul- 
tés, le  Mémorial  et  \'  Indicateur  du  Commerce,  ne  font  même  pas 
mention  du  décès  d'un  homme  f[ui  a  joué  un  rôle  important  dan>; 
l'histoire  de  son  pays. 

Extrait  des  rrijislrcs  dr  F rtal  civil  de  la  commune  de  lnharde 

{Gironde). 

Du  Ifi  août  1835.  acte  do  décès  de  Monsieiu-  .Ican-Haptisle  comte 
de  Lyncli,  décédé  d'hier  à  -i\  heures  du  malin,  âgé  de  SiS  ans,  né  à 
Bordeaux,  déparlemeni  de  la  Gironde,  l'air  de  iiance,  Grand  officier 
de  l'Ordre  Royal  de  la  Légion  d' lloimeur -,  ancien  Maire  de  la  ville 
de   Bordeaux,    veuf   en    premières   noces   de   dame Le   Berthon  ^, 

1.   \.  Mentreol,    Lr  Hrnssnrd  de   liorditius,   191 -2,  in-40. 

-,'.  M  avait  été  fait  irraiid-croix  de  l'ordre  de  la  Léi;ioii  d'honiit-iir  y.w  Loui>  \\  III. 
lu  30  juin  1K14. 

3.  Il  s'était  marié  If  2  décembre  1779  dans  la  chapelle  du  cnàleau  de  Virelade  avec 
M'"  Marie-Claire  Le  Hertlioii,  lille  de  met'sire  André-.la.  <ni<s-Ilyaciiitlie  I.i-  Iterlltnn. 
premier  |>résideiit  du  l'.irleiiniit  de  l!i>rileaux.  et  de  dame  Maryiierile-.Viidrèe  de  l'oiitac 
(paroisse  Saint-r;ioy,  re),'.  30>,  acte  33 1.  Marie-Claire  Le  Herllion  est  décédée  a  IlordeauN 
le  10  juin  178-2  [paroisse  Sainl-Kloy,  reç.  30-2,  acte  -254). 


^2  MELANGES 

époux  de  Madame  la  comles.se  Amélie-Marie-Josephe  de  Perdiguier', 
fils  de  défunts  M^  Thomas  de  Lynch,  ecuyer,  et  de  dame  Brouillard  \ 
—  Y  est  décédé  sur  son  domaine  de  DauzacS. 

Sur  la  déclaration  à  moi  faite  par  Jean  Déjean  et  Clément  Thomas, 
le  premier,  jardinier,  le  second,  homme  d'affaires  du  défunt,  etc. 

Signé,  Thomas  et  Baziadoly  maire. 

Les  restes  mortels  du  comte  Lynch  reposent,  depuis  le  9  novembre 
1841,  au  cimetière  de  la  Chartreuse,  dans  le  caveau  de  la  famille. 

E.   R. 

* 

Baisers  patriotiques. 

Un  sieur  Blanc,  de  passage  à  Bordeaux,  a  apprécié  les  charmes 
des  Bordelaises.  De  retour  dans  son  pays,  il  ne  peut  s'empêcher 
de  ghsser  dans  une  lettre  des  baisers...  patriotiques  à  leur  adresse. 
Nous  sommes  en  1791.  La  lettre  fut  lue  au  Club  des  Amis  de  la 
Constitution  de  Bordeaux,  elle  enchanta  les  dames  des  tribunes 
et  deux  d'entre  elles,  épouses  cependant  et  peut-être  mères  de 
famille,  de  retour  au  logis,  écrivent  au  président  le  joli  billet  suivant  : 

A  Messieurs  les  Amis  de  la  Conslitulion  de  Bordeaux. 

Monsieur  le  Président, 

Nous  eûmes  hier  l'avantage  d'assister  a  votre  séance.  L'extrême 
plaisir  que  nous  ressentîmes  a  la  lecture  de  la  lettre  qui  vous  fut 
adressée  par  ce  brave  Citoyen  de  Varennes  (Paul  Blanc),  nous  fil 
éprouver  la  plus  grande  joie,  en  voyant  que  ce  cher  patriote  n'ou- 
blioit  point  les  citoyennes  de  Bordeaux. 

Veuillez  je  vous  prie,  Monsieur  le  Président,  en  repondant  à  la 
lettre,  lui  en  témoigner  toute  notre  reconnaissance  et  lui  assurer  (ju'à 
son  arrivée  dans  notre  ville,  nous  lui  rendrons  avec  uzure  les  baisers 
qu'il  a  bien  voulu  nous  envoyer. 

Nous  avons  l'honneur  d'être,  Monsieur  le  Président,  vos  amies  et 
citoyennes  de  Saint-André. 

Marie  Tufferau,  femme  Damazan,  rue  Saint-Paul,  n"  12; 
Marie  Jourdan,  femme  Dominique,  rue  Saint-Paul,  n^  l'.i. 

Bordeaux,  4  août  1791  4. 

R.  Brouillard. 

1.  Jean-Baptiste  Lynch  s'était  marié  en  secondes  noces  avec  «  Madame  la  comtesse 
Amélie  de  Perdiguier,  chanoinesse  du  chapitre  royal  de  Sainte-Anne  de  Munich  en 
Bavière,  »  en  février  1823  (lettre  de  faire-part  du  19  février;  Arch.  mun.  de  Bordeaux). 

2.  Il  était  né  le  3  juin  1749,  de  Thomas  Lynch,  écuyer,  et  de  dame  Pétronille-EIi- 
sabeth  Brouillard  (paroisse  Saint-André,  reg.  91,  acte  364). 

3.  Après  la  mort  de  J.-B.  Lynch,  le  domaine  de  Dauzac  passa  entre  les  mains  du 
chevalier  Lynch,  son  frère  et  unique  héritier.  A  la  mort  du  chevalier,  ce  domaine  fut 
licite  en  1841  et  fut  acheté  par  ÂL  Wibroock,  d'Altona.  Il  appartient  aujourd'hui  à 
M.  Nathaniel  Johnston. 

4.  Arch.  dép.,  L  2146. 


MKLANUKS 


L'Horloge  de  la  Grosse- Cloche. 

i  )c  l'iimii'u  llùlx'l  dr  \'ilk'  do  Bordeaux,  il  ne  subsiste  plus  à  l'iieuro 
actuelle  que  les  deux  tours  encadrant  la  porte  monumentale  au- 
dessus  de  lacjuelle  se  trouvent  la  Grosse-Cloche  et  une  grande  hor- 
loge, probablement  la  plus  ancienne  de  notre  ville.  La  rumeur 
publi(]ue  m'ayant  appris  qu'il  est  actuellement  question  en  haut 
lieu  de  procéder  à  une  réfection  totale  de  cette  dernière,  il  m'a 
paru  intéressant  de  retracer  brièvement  son  histoire. 

La  construction  des  tours  remonte  au  xv^  siècle,  et  il  est  vraisem- 
blable que,  dès  cette  époque,  une  horloge  occupa  l'espace  vide 
laissé  au-dessus  de  la  porte.  .Je  n'ai  pu  cependant  trouver  aucun 
document  la  concernant  antérieur  à  l'année  1521  ;  l'on  voit  à  cetlf 
date  un  certain  Noël,  horloger,  s'engager  à  faire  la  montre  (ou 
cadran)  de  l'horloge  pour  la  somme  de  12  francs  bordelais  ^ 

A  la  suite  de  la  malheureuse  révolte  de  1548,  les  Bordelais  virent 
tous  leurs  privilèges  supprimés.  La  vengeance  du  Roi  fut  impla- 
cable, et  s'attaqua  même  aux  symboles  de  ces  libertés,  à  des  choses 
inanimées;  la  démolition  de  l'Hôtel  de  Ville  fut  commencée,  toutes 
les  cloches,  toutes  les  horhjges  de  Bordeaux,  celle  de  l'Hôtel  de 
\\\lo,  la  première,  furent  brisées  sans  pitié. 

Venant  de  Portugal,  Elie  Vinet  arrive  à  Bordeaux  le  2  juillet  ir>l*J, 
et  il  lui  semble  qu'il  pénètre  dans  une  ville  déserte  et  aband(mnéc 
de  ses  habitants.  «  Je  trouvai,  dit-il,  la  ville  moult  triste  et  dans  un 
silence  non  accoutumé...  Il  n'étoit  pas  demeuré  une  seule  «loche 
au.x  clochers.  Les  cloches  (jui  ne  servoint  qu'à  sonner  les  heures 
avoint  été  abatues,  les  pauvrettes,  et  cassées.  On  avoit  eu  recours 
aux  cadrans,  et  pauvres  gens  se  meslèrent  d'en  faire  qui  n'y  enten- 
doinl  guère.»  Plein  de  pitié  pour  un  étal  aussi  misérable,  Elie 
Vinet  entreprit  l'éducation  de  ces  malheureux  ignorants,  et  composa 
pour  leur  usage  La  Manière  de  faire  /p.n-  solaires  que  communément 
on  appelle  quadrans  ^. 

Entre  temps  la  clémence  royale  rendit  peu  à  peu  leurs  privilèges 
aux  Bordelais,  et  par  lettres- patentes  du  3  avril  1556,  Henii  II 
permit  de  recouvrir  les  tours  de  l'Hôtel  de  Ville,  «  ensamble  remettre 

1.  20  avril  1.521.  Anli.  niiin.  «le  Uordeaux.  liiM'nt;iire  Ilnnrcin.  V  Horloge  de  l' Hôtel 
de  Ville. 

2.  Foiliei;;.  Kimuilbert  tic  Ahiriief,  l.'>t34.  iii-1".  \  F.  I  ilinli.',  IlihUoqraphie  histot 
ri(fue  d'Elie   Vinet:  Bordeaux,  L.adoret,  1901», 


bO  MELANGES 

ung  oreloge  entre  icelles  pour  la  commodité  des  manans  et  habi- 
tans  »  ^.  Ce  n'est  qu'en  1567  que  les  jurats  se  décidèrent  à  procéder 
au  rétablissement  de  l'horloge.  Le  Registre  du  Clerc  de  Ville  de 
Bordeaux  en  contient  un  plan  très  exact,  fourni  par  Guylhem  Royer, 
horloger  probablement  ^.  Tout  y  est  prévu,  la  dimension  de  la 
cloche,  4  pieds  et  demi,  le  nombre  des  roues  du  mouvement,  fixé 
à  5,  des  ((  rouettes  »  de  la  sonnerie,  5  également,  la  longueur  de  la 
verge  du  cadran,  «  neuf  pies  de  long  ou  environ  »,  etc..  Ramond 
Sudre  offrit  de  procéder  à  l'exécution  du  plan  de  Royer  pour  la 
somme  de  600  livres. 

Jusqu'en  1756,  il  n'est  plus  question  de  l'horloge  de  l'Hôtel  de 
Ville  qu'à  propos  des  menues  réparations  à  y  exécuter.  A  cette 
date,  les  jurats  demandèrent  au  sieur  Larroque,  mathématicien  et 
astronome  distingué,  un  plan  pour  la  construction  d'une  nouvelle 
horloge,  et,  vers  la  fin  de  l'année  suivante,  le  chargèrent  de  «  la 
confection  d'un  timbre  considérable,  ce  qui  fût  très  heureusement 
exécuté  »  ^  Larroque  se  mit  ensuite  à  la  construction  de  l'horloge 
et  y  apporta  «  tant  de  soin  et  d'intelligence,  que  l'horloge  fût  para- 
chevée et  réglée  vers  la  fin  de  septembre  1759  ».  Cette  pièce  d'hor- 
logerie était  certainement  fort  bien  conditionnée,  car  deux  ans 
après  les  jurats  étaient  heureux  de  constater  qu'elle  avait  «  sonné 
sans  interruption  »,  et  qu'il  n'y  était  survenu  aucun  dérangement. 
En  un  mot,  Larroque  mérita  l'approbation  de  tous  les  gens  de 
métier  pour  son  beau  travail,  auquel  il  avait  «  joint  le  mouvement 
du  ^lobe  lunaire  ». 

Aussi,  Tcpoiir  récompenser  le  zèle,  les  soins  et  le  talent»  dont  il 
avait  fait  preuve  daTis  l'exécution  du  travail  ([u'il  avait  conduit, 
les  jurats  lui  attribuèrent-ils  une  somme  de  3,000  livres  «  par  forme 
de  gratification  ».  Il  ne  s'agit  là  bien  évidemment  que  de  la  rémuné- 
ration due  à  l'ingénieur  qui  avait  conçu  cette  belle  œuvre  et  en 
avait  dirigé  l'exécution.  Quant  aux  dépenses  nécessitées  par  la  cons- 
truction proprement  dite  d*e  l'horloge,  elles  durent  certainement 
s'élever  à  un  chiffre  considérable,  si  l'on  songe  à  la  longueur  et  à  la 
difiiculté  que  présentait  au  xviii^  siècle  un  pareil  travail. 

Après  avoir  travaillé  pendant  plus  de  quatre  ans  pour  mener  à 
bien  son  œuvre,  Larroque  paraît  avoir  eu  l'intention  de  quitter 
le  service  de  la  Ville.  Mais  les  jurats  s'avisèrent  qu'u  il  pourroit  y 
avoir  de  l'inconvénient  de  confier  à  d'autres  mains  le  soin  de  monter 
chaque  jour  et  régler  cet  horloge  ».  Aussi,  pour  chercher  à  retenir  un 
auxiliaire  si  précieux,  on  décida  de  lui  allouer  500  livres  de  gages 
annuels  avec  exemption  de  «  guet  et  garde  »,  à  condition  qu'il  for- 
merait un  élève  capable  de  le  remplacer  au  besoin,  et  subviendrait 
aux  «  frais  journaliers  ».  Enfin,  comme  depuis  l'achèvement  de 
l'horloge,  c'est-à-dire  depuis  deux  ans,   il  n'avait  rien  reçu  pour 


1.  Arch.  mun.  de  Bordeaux.  Registre  du  Clerc  de  Ville,  fol.  ix  v°. 

2.  Arch.  mun.  de  Bordeaux.  Rea:istre  du  Clerc  de  Ville,  fol.  xxviii  v"  et  xxix  r". 

3.  Arch.  mun.  de  Bordeaux, BB. Registres  des  délibérations  de  la  Juradp,17  août  17G1, 


ViriCLI.Tt  RE    ET    VIMKIC  VTir)N    F.N    ll()UI)i;i,AIS     \l      MOTE\    Ar.E  ;>- 

au  moyen  âge,  de  préférer  aux  «  vina  anliciua  »  aux  vinn  tles 
années  précédentes^,  souNcnl  tournés  on  ;iii,Mi>-.  les  vins  nou- 
veaux. Certains  documents  nous  apprennent  i|ii<in  conimençail 
de  très  bonin*  heure  à  boire  le  vin  nouveau,  et  en  1361,  dès  le  mois 
de  septembre,  (•"t-st  déjà  du  \  in  nouveau  f|u'on  buvait  ehez  l'archi'- 
vê([ue  "'.  Que  pouvait  êtrr  ce  \in?  r.c  n'était  sans  doute  pa^  riu  \iii 
ayant  fermenté',  mais  encort'  du  moût.  Le  moût  était,  st'ndil<-l-j|, 
assez  apprécié  r|  objet  de  commeice  pui.-(iu'cu  1408  la  jurade 
intei'vint  pour  défendre  de  vendre  le  moût  plus  de  2  deniers  *.  Cette 
habitude  de  consommer  le  vin  nouveau  montre  bien  que  le  k  bor- 
deaux n  du  moyen  âge  devait  avoir  un  «  caractère  »  tout  dilTérenl 
•  lu  bordeaux  servi  maintenant  aux  gourmets,  et  d'autant  plus 
apprécié  <|u'il  est  plus  vieux. 

La  distillation  était  connue  au  moyen  âge,  et  au  xiii''  siècle 
.\rnaud  de  Villeneuve  explique  qu'on  tire  du  \  in  une  eau  de  vin 
qui  n'en  a  ni  la  couleur,  ni  la  nature,  ni  les  elTets,  à  laquelle  on  a 
donné  le  nom  d'eau-de-vie,  dont  beaucoup  de  gens  ont  reconnu 
les  vertus  ^  Si  la  transformation  de  vin  en  eau-de-vie  ou  eau  ardente 
eut  lieu  à  Bordeaux  au  moyen  âge,  ce  ne  fut  bien  certainement  que 
comme  remède  qu'on  l'employa  et  aucun  document  ne  la  signale. 
Nous  savons  seulement  qu'en  1559,  le  26  août,  «  .MM.  les  jurais, 
pour  prévenir  les  incendies,  defïendent  à  toute  sorte  de  gens  sans 
exception  de  faire  ni  faire  faire  aucunes  eaux  ardentes  dans  la 
ville  ni  d'y  en  tenir  au-delà  de  quelques  barils  de  2  ou  3  pots  »*,  et  en 
1677,  un  texte  nous  rapporte  le  iK)m  d'un  certain  .lean  Deschamp 
«  brusleur  d'eau-de-vie  »". 

L'Eglise,  toujours  préoccupée  de  faire  intervenir  les  bi'nt'dictions 
du  ciel  sur  les  fruits  de  la  terre,  composa  des  prières  pour  demander 
à  Dieu  de  bénir  le  vin  nouveau,  et  un  recueil  liturgi(|ue  à  l'usage 
de  Saint-André  de  Bordeaux,  datant  du  xv^  siècle,  nous  rapporte 


1.  Dans  les  comptes  de  l'AnlieM-rlu'  il  est  parfois  fait  mention  des  ■  vina  antiqua  • 
i|iie  l'on  a  enrore  en  rliai,  par  opposition  aux  •■  \  ina  no\  a  ,  ni.iis  jam.'iis  un  ne  dit  de 
«onibien  d'annexés  ces  \  iris  sont  \  ieux  (G  '23^!,  fol.  3r>'.i,  et  Arrhir.  hist.,  t.  X.XI,  p.  130). 

•2.  14H3,  -27  décemlire.  \'enle  de  \  ins,  les  -2/3  rou<^es  et  1/3  cl.iret  livralil'-s  à  Passages 
'Kspaiîiie).  Le  niarcli*''  doit  ctre  rompu  si  les  \  ins  sont  «  agrès  o  gras  o  afiist;itz  o  colar 
peri.Mida  •  [K  not.  Dartiyaniala,  reg.   1483,  fol.  S7  v"l. 

3.  1361  (G  239,  fol.  46  V,  et  Archiv.  Iiisl..  I.  NXI,  p.  iHid  :  Inccpinui-  polar.-  seu 
l'iliere  de  vino  novo  ■  au  début  de  septembre. 

I.  I  tON,  12  septembre:  '  Que  lo  nio-^l  ne  se  IhiuIini  rinTiilis  clr  \ii  deneys.  •  (Reff. 
ili'  la  .lur-.ide,  délib.  de   I  106-1409,  Artlii\.  mun.  de  Uordi'aii\,  p.  3  «7.) 

.").    Miisri-  rrlri)K[i<>rlif  itu  f]riiii[>f    Vil...,   pp.    119-120. 

'■).    15.59   (Archiv.    mun.   de    lîordeaux,   .1.1    368). 

7.  1677  (E  suppl.  2,JH7).  Au  xvin"  siècle,  I.egrand  d'.Vussy  [op.  rit.,  t.  III,  p.  8H 
dit  ipi'im  place  ;iii  premier  rang  des  eaux-de-\ie  celle  de  Rordeaiix.  de  I..i  lioclielie,  ete. 


58  VITICULTURE   ET    VINIFICATION    EN    BORDELAIS    AU   MOTEN   AGE 

une  «  benedictio  vini  novi  »  en  usage  dans  le  pays.  Après  avoir  dit 
les  formules  habituelles  pour  les  bénédictions,  on  demandait  ainsi 
l'intervention  divine  :  «  Nous  vous  supplions,  Seigneur  tout-puissant, 
Jésus-Christ,  vous  qui  avez  rassasié  cinq  mille  hommes  avec  cinq 
pains  et  deux  poissons,  vous  qui  avez  changé  l'eau  en  vin  aux  noces 
de  Gana,  en  Galilée,  vous  qui  êtes  la  vraie  vigne,  nous  vous  sup- 
plions de  multipher  sur  vos  serviteurs  votre  pitié  miséricordieuse 
comme  vous  l'avez  fait  pour  nos  pères  qui  ont  espéré  en  elle  et  de 
daigner  bénir  et  sanctifier  cette  créature  de  vin  que  vous  avez 
accordée  en  aliment  à  vos  serviteurs  pour  que  tout  endroit  où  il 
aura  été  versé  de  ce  vin  ou  pour  que  toute  personne  qui  en  aura 
bu  soit  rempli  de  la  divine  bénédiction,  et  que  ceux  qui  en  reçoivent 
avec  action  de  grâce  soient  sanctifiés  dans  leurs  entrailles,  nous 
vous  en  supplions.  Dieu  Sauveur  du  Monde,  vous  qui  vivez  et 
régnez  dans  tous  les  siècles  des  siècles  \  » 

(A  suivre.)  Jean  BARENNES. 

I.   a  904,  fol.   144  V". 


en  KO  M  qui: 


Notre  collaborateur  M.  P.  Courloault.  président  de  l'Âcadr-mie  de  Bor- 
deaux. réniiiKTit  profosseur  d'hisloiie  locale  et  réjrionale  à  la  Kacullé"  des 
lettres,  vient  drlre  nonuué  chevalier  du  la  Légion  d'honneur. 

Tous  les  lecteurs  de  la  Revue  historique  applaudiront  à  cette  nomination. 
Mieux  que  personne  ils  savent  le  grand  rôle  joué  par  M.  Gourteaull  dans  la 
ditVusion  des  études  de  noire  histoire  locale. 

M.  l*aul  Courteault  est  depuis  la  création  de  la  Revue,  un  de  ceux  qui  lui 
ont  apporté  la  plus  active  collaboration.  II  s'est  avec  un  dévouement  inlassable 
attaché  à  en  assurer  le  succès,  avec  le  désir  de  maintenir  la  haute  tenue 
historique  de  notre  publication  qui  s'est  ainsi  classée  au  premier  rang  des 
revues  de  province.  L'action  de  M.  Paul  Courteault  se  retrouve  dans  toutes 
les  sociétés  savantes  de  notre  ville,  que  ce  soit  dans  notre  Société  d'Histoire, 
dans  la  Société  des  Archives  historiques  de  la  Gironde,  et  dans  la  Société 
plus  nouvelle  d'études  qui  groupe  le  personnel  enseignant  de  nos  écoles 
primaires. 

.\ussi  tous  ceux  qu'intéresse  l'histoire  de  notre  vieille  cité  et  de  la 
Guyenne,  tous  ceux  qui  désirent  voir  l'étude  des  questions  d'histoire  locale 
plus  en  honneur  accueilleront-ils  avec  joie  la  distinction  honorilique  qui 
récompense  le  dévouement  et  l'activité  généreuse  de  M.  Courteault. 

La  Revue  Historique  de  Bordeaux. 


Société  d'Histoire  de  Bordeaux.  —  Dans  r.\.ssemblée  générale  qu'elle 
a  tenue  le  ^7  janvier,  la  Société  d'Histoire  de  Bordeaux,  à  la  suite  du  décès 
de  M.  Céleste  et  de  la  démission  de  M.  Pierre  Meller,  a  complété  son  Conseil 
d'administration  en  nouunanl  MM.  Sam  Maxwell  et  Joseph  liarrère.  (ie 
Conseil  est  par  suite  composé  de  MM.  le  D'  Georges  Martin,  président;  G.  I)u- 
caunnès-Duval,  secrétaire  ;  F.  Thomas,  trésorier  ;  Barrère,  Ben/acar,  Cirol 
et  Sam  Maxwell. 

A  la  Bibliothèque  de  la  Ville.  —  Par  arrêté  de  M.  le  Maire  de  Bor- 
deaux, eu  date  (lu  i>2  décembre  hm'-  ^^-  l'iançois  Gebclin,  ancien  élève  de 
l'Kcole  des  Chartes,  archiviste-paléographe,  a  été  nommé  con.servateur  de  la 
liibliolhcque  municipale,  en  remplacement  du  regretté  Raymond  Céleste. 
M.  Jean  de  Maupassant  a  été  promu,  par  le  même  arrêté,  conservateur 
adjoint.  Nos  plus  cordiales  félicitations  à  nos  deux  excellents  collaborateurs. 

A  l'Académie  de  Bordeaux.  —  L>ans  sa  séance  du  ■«0  janvier,  l'Aca- 
démie a  déclaré  la  vacance  du  fauteuil  du  regretté  poète  Mauiice  LalVont. 


66  dHftONIQUË 

A  l'Académie  des  Inscriptions.  —  Dans  la  séance  du  26  janvier, 
AI.  Camille  Jullian  a  communiqué,  de  la  part  de  M.  le  D"^  Gaston  Lalanne, 
président  de  la  Société  archéologique  de  Bordeaux,  une  figure  en  relief  en 
pierre,  trouvée  dans  les  fouilles  de  Laussel  (Dordogne).  Cette  figure,  de 
l'époque  aurignacienne,  représente  deux  personnages  dont  une  femme. 
C'est  peut-être  la  plus  ancienne  figure  humaine  laissée  par  le  travail  des 
hommes.  Cette  belle  trouvaille,  qui  s'ajoute  à  la  découverte  de  sculptures 
rupestres  trouvées  l'an  dernier  dans  le  même  abri,  fait  le  plus  grand  honneur 
au  distingué  président  de  notre  Société  archéologique. 

Comité  de  publication  des  documents  économiques  relatifs  à 
la  Révolution.  —  Ce  comité  s'est  réuni  le  12  janvier  sous  la  présidence  de 
M.  Marion,  qui  a  annoncé  que  le  tome  II  des  documents  relatifs  à  la  vente 
des  biens  nationaux  dans  le  département  de  la  Gironde  paraîtrait  au  cours 
de  la  présente  année.  M.  Gebelina  été  proposé  pour  remplir  dans  le  comité 
la  place  laissée  vacante  par  la  mort  de  M.  Céleste.  Sur  la  proposition  de 
M.  Benzacar,  la  publication  de  documents  relatifs  aux  impôts  extraordinaires 
perçus  à  Bordeaux  et  dans  la  Gironde  pendant  la  Révolution  a  été  décidée 
en  principe  et  confiée  à  notre  collaborateur  M.  R.  Brouillard. 

Comité  départemental  d'études  locales.  —  Ce  comité  s'est  réuni  le 
26  janvier,  sous  la  présidence  de  M.  Camena  d'Almeida,  professeur  à  la 
Faculté  des  lettres.  11  a  décidé  la  publication  d'un  manuel  d'histoire  du 
Bordelais  à  l'usage  des  écoles  primaires  et  de  notices  de  bibliographie 
critique  sur  la  géographie,  l'histoire  et  l'archéologie  bordelaises  à  l'usage 
des  instituteurs. 

Conférence.  —  Sous  les  auspices  de  la  Société  archéologique,  notre 
collaborateur  M.  J.-A.  Brutails  a  fait,  lo  jeudi  8  février,  vine  conférence  sur 
les  portails  des  églises  girondines.  Tandis  que  défilait  sur  l'écran  une  série 
de  superbes  clichés,  l'éminent  archéologue  a  expliqué,  avec  une  netteté 
parfaite  et  dans  une  forme  très  élégante,  la  formation  artistique  des  maîtres 
d'oeuvre  du  Moyen-Age,  l'origine  et  le  choix  des  motifs  de  décoration,  la 
valeur  technique  de  la  statuaire,  la  composition  des  portes  et  des  façades,  le 
rôle  des  porches,  les  survivances  romanes  à  l'époque  gothique  et  les  survi- 
vances gothiques  ou  même  romanes  à  l'époque  moderne.  Cette  conférence, 
qui  a  révélé  nombre  d'oeuvres  grandioses  ou  charmantes  trop  peu  connues 
du  grand  public,  a  eu  le  plus  brillant  succès. 

Société  archéologique.  —  Dans  la  séance  du  7  juillet  191 1,  M.  le 
chanoine  Callen  a  donné  lecture  d'un  intéressant  travail  sur  le  cippe  de 
Domitia,  conservé  au  Musée  lapidaire;  il  conclut  au  christianisme  très 
probable  de  la  jeune  Trévire.  —  M.  Bardié  a  rendu  compte  du  Congrès 
archéologique  de  Reims  de  1909.  —  Sur  la  proposition  de  M.  Léon,  la  Société 
a  décidé  de  visiter,  le  i3  juillet,  le  cimetière  Israélite  du  cours  Saint-Jean, 
qui  est  sur  le  point  d'être  désaffecté.  —  tlle  a  admis  comme  nouveaux 
membres  MM.  Edmond  Augey  et  le  D"^  Joseph  Guyot. 

Dans  la  séance  du  i3  octobre,  M.  le  D'  Lalanne,  président,  s'est  fait 
l'interprète  des  regrets  que  cause  à  la  Société  la  mort  de  M.  Alfred  Daney, 
l'un  de  ses  membres  fondateurs,  et  félicité  M.  Corbineau,  nommé  ofTicier 


CtlROMQlE  07 

d'Acadômie.  Il  a  aussi  rendu  compU-  de  la  visite  au  ciniclit'ie  israéiil»'  du 
cours  Sainl-Jeau.  -  M.  Bardié  a  rendu  compte  du  dcrnirr  (;nntrrt"<  pn'-liistu- 
rique  de  Nitnes.  —  .\  la  suite  d'une  coniinunicalioti  de  M.  H<)ul)i'i',  la  Société 
a  désigné  MM.  Bardié,  Fourché  el  Coudol  pour  examiner  h-s  moxensà  prendre 
en  vue  de  préserver  le  pavillon  Louis  \VI  de  la  rue  Arliard.  —  M.  Coudol  a 
présenté  deux  ^rar^oulelles  en  terre  cuite,  de  l'i-pocpie  de  la  domination 
grecque  en  Kgjpte,  trouvées  au  cours  des  travaux  de  terrassement  du  canal 
de  Suez.  —  La  Société  a  adopté  un  projet  de  promenafles  archéologiques 
organisées  par  M.  Hrulails.  - —  ,Elle  a  admis  comme  nouveau  memhn- 
M.  Dumeyniou. 

Dans  la  séance  du  10  novembre.  M.  le  D'  Lalanne,  président,  a  riMidn 
hommage  à  la  mémoire  de  M.  Kmllien  Piganeau,  l'un  des  plus  aiKien> 
membres  de  la  Société.  —  M.  Courteault  a  exposé  les  raisons  pour  lesquelles 
il  ne  lui  a  pas  paru  possible  de  modifier  les  heures  de  ses  cours  à  la  Faculté 
des  lettres  et  les  mesures  qu'il  a  prises  pour  assurer,  en  dehors  de  ces  cours, 
à  l'enseignement  de  l'histoire  locale  la  vulgarisation  souhaitée  par  la  Société. 
—  M.  Coudol  a  ofl'ert  au  Musée  un  pelil  cofTrel  en  bois  peint  de  la  lin  du 
xvi"  siècle.  —  M.  Charroi,  secrétaire  général,  a  rendu  compte  des  travaux  de 
l'année.  —  M.  Uicaud  a  comnuuiiqué  un  inventaire  de  l'intérieur  de  l'église 
Saint-Pierre  en  i(')83,  où  l'on  trouve  signalés  les  fameux  reliquaires  en  bois 
doré  qui,  depuis,  ont  tant  fait  parler  d'eux.  —  M.  Daleau  a  présenté  une 
monnaie  d'argent  de  Henri  III  où  l'on  relève  un  barbarisme  à  la  légende,  el 
des  photographies  de  troglodytes  modernes  de  l'ile  de  Ceylan.  —  M.  Nicohiï 
a  rendu  compte  d'une  visite  à  Saint-Pey  de-Caslets,  où  se  lrou\eiit  des 
subslructiotis  gallo  romaines  et  proposé  à  la  Société  d'aider  par  une  subven- 
tion la  municipalité  à  faire  des  fouilles.  —  MM.  .\mtmann,  de  Mensignac, 
.Nicolaï  et  Thomas,  membres  sortants  du  bureau,  ont  été  réélus  pour  trois 
ans. —  M.  l'abbé  Léglise  ayant  demandé  à  être  relevé  de  ses  fonctions  de 
secrétaire,  M.  Th.  Uicaud  a  été  élu  à  sa  place.  —  La  Société  a  admis  comme 
nouveaux  ineinbres  MM.  '.îerthoumieu,  maire  de  Sainl-Pey-de-Caslels,  cl 
Ch.  Ivlipsch. 

Société  des  Archives  historiques. —  Dans  la  séance  du  a6  janvier. 
M.  F.  lliomas  a  lu  son  rapport  approuvant  la  gestion  du  trésorier  poui- 
l'année  r()i  i. —  M.  P.  Caraman  a  donné  lecture  du  procès-verbal  de  l'incen- 
die du  palais  de  l'Ombrière,  dressé  par  le  premier  président  Dalon  et  tinti 
conseillers  de  la  (îrand'Cliambre  (a  février  1704).  —  M  •<  Brouillani  a 
communiqué  une  lettre  par  laciuelle  l'abbé  Sieyès  refuse  le  mandat  d«' 
député  de  la  Gironde  à  la  Convention  (  1 '1  septembre  i7i)J^- —  M-  l'i-  Bicaud 
a  lu:  1"  une  lettre  du  comte  d'.Vrgenson  à  Tourny  relative  au  projet  dérec 
tien  d'un  buste  du  roi  dans  la  Bourse  de  Bordeaux,  et  la  réponse  de  l'inlfu- 
dant  (décembre  1749);  2°  des  lettres  du  capitaine  Nardeau  à  Lequicu  de 
Saint-Heiny,  armateur  à  Libourne  {S  frimaire  an  III).—  M.  V.  Thomas  a  fait 
connaître  un  amusant  conilit  entre  la  corporation  des  maîtres  pâtissiers  i-l 
les  tripières  et  le  charcutier  du  maréchal  de  Bichelieu  (i7f)()). —  La  Société  a 
chargé  M.  llabasque  de  s'informer  des  papiers  de  la  famille  d'Esparbès  de 
Lussan,  dont  M.  Edouard  Forestié  avait  signalé  l'intérêt  bordelais. 

Dans  la  séance  du  19  février,  M.  llabasque  a  donné  lecture  d'une  lettre  de 


68  CHRONIQUE 

M.  le  chanoine  Pottier,  président  de  la  Société  archéologique  de  Tarn-et- 
Garonne,  relative  aux  papiers  de  la  famille  d'Esparbès  de  Lussan.  —  M.  R. 
Brouillard  a  rendu  compte  des  deux  intéressants  volumes  consacrés  par 
M.  l'abbé  Gaillard  à  la  baronnie  et  à  la  paroisse  de  Saint-Magne. —  La  Société 
a  admis  comme  membre  titulaire  M.  Alfred  Leroux,  archiviste  honoraire. 

—  M.  P.  Caraman  a  lu  une  déclaration  relative  à  l'incendie  du  palais  de 
rOmbrière  faite  par  Jean  Boutinaud,  commis  au  grefTe  et  garde-sacs  du 
Parlement  de  Bordeaux  (i"  février  1704).  —  M.  .T.  Barennes  a  communiqué 
une  curieuse  lettre  du  chancelier  d'Aguesseau  blâmant  le  Parlement  de 
Bordeaux  de  s'être  ingéré,  à  l'occasion  des  mandements  de  deux  évêques  du 
ressort,  dans  l'affaire  de  la  bulle  Unigenitus  (3o  juin  lySi).  —  M.  F.  Thomas 
a  donné  lecture  d'une  requête  adressée  à  l'intendant  par  les  Petits  Carmes 
des  Chartrons  pour  obtenir  décharge  du  droit  d'amortissement  à  l'occasion  de 
la  construction  d'échoppes  et  de  l'ouverture  de  la  rue  Sainte-Thérèse  (17/1 4). 

—  M.  Th.  Ricaud  a  signalé  une  série  de  douze  tapisseries  de  Bruxelles 
repré.sentant  la  Vie  de  Jésus-Christ,  qui  a  appartenu  à  l'hôtel  de  ville  et  que 
.mentionne  un  reçu  du  S"^  Barbât  en  date  du  4  mars  1771. 

Un  écho  des  fouilles  de  Saint-Seurin.  —  Dans  la  Revue  des  Etudes 
anciennes  de  janvier  1912,  M.  Léon  de  Vesly,  le  distingue  conservateur  du 
Musée  de  Rouen,  observe  l'analogie  que  présente  la  construction  carrée 
retrouvée  en  19 10  dans  les  fouilles  de  Saint-Seurin  au  milieu  d'un  entasse- 
ment de  sarcophages,  avec  la  découverte,  faite  en  1908  à  Avenches  (Suisse) 
par  la  Société  «  Pro  Aventico  »,  de  plusieurs  tombeaux  de  pierre,  de  nom- 
breux ossements  dans  un  milieu  romain  et  groupés  autour  d'un  édicule  sur 
plan  carré.  A  Avenches,  M.  William  Cart  n'hésita  pas  ù  reconnaître  un 
sacellum  gallo-romain,  sur  les  ruines  duquel  l'évêque  Marins  a  élevé,  au 
vi'^  siècle,  un  sanctuaire  à  saint  Symphorien.  «N'y  aurait-il  pas,  se  demande 
M.  de  Vesly,  similitude  entre  les  nécropoles  chrétiennes  de  Bordeaux  et 
d' Avenches  établies  à  l'entour  de  petits  temples  païens  édifiés  sur  plan 
carré?  » 

Soldats  du  Bordelais.  —  Sous  ce  titre,  notre  collaborateur  M.  André 
Vovard  fait  revivre,  dans  les  Feuilles  d'hisloire  du  i"  mars  1913,  trois  frères, 
de  la  famille  de  Mathurin  Thomas  de  Sorlus,  le  subdélégué  bien  connu  de 
Tourny  :  le  maréchal  de  camp  Pierre  Thomas  Sorlus,  le  général  de  brigade 
Joseph  Sorlus  et  le  général  de  brigade  provisoire  Nicolas  Thomas  Sorlus- 
Crauze,  né  à  Bordeaux  le  1 4  février  1 743,  qui  fut  commandant  du  2'  bataillon 
des  volontaires  de  la  Gironde,  se  distingua  à  la  bataille  de  Wattignies,  fut 
mis  à  la  retraite  comme  ci-devant  noble  le  3  thermidor  an  II  et  mourut  le  4 
ou  le  6  janvier  i8i3  après  avoir  essayé  en  vain  de  reprendre  du  service  sous 
le  Directoire,  le  Consulat  et  l'Empire.  Sorlus  :  un  nom  à  ne  pas  oublier 
quand  on  aura  à  baptiser  quelque  rue  nouvelle.  11  évoquera  le  souvenir 
d'un  excellent  collaborateur  de  Tourny  et  aussi  celui  de  trois  braves  soldats 
de  la  Révolution. 


INDEX  HIHIJOGRAPIIIOLE 


Du  IS  octobre  1911  au    15  février  1913. 

Actes  de  l'Acadéinic  nntioiiîilr  des  Sciences,  Belles- Lt-t  1res  et  Aris 
de  Bordeaux.  3^  s6rie  (7U>^  aiiiit'i',  1908).  lionli'uus.  inif>r.  G.  Cnit- 
nouilhou:  Paris,  libr.  A.  Picard  cl  fils,  1908,  in-8<',  Ml   |i.  ww-r  Ml'. 

Amuon  (Gabriel).  —  Les  grands  négociants  bofdeJais  :  Marc  Maiinl 
{1826-1911).  Revue  Economique  de  Bordeaux,  1911.  p.   129-130,  |»orlrait. 

Amtmann  Th.).  —  l'ii  ehargcniiMil  de  \ins  dt-  Boi-dt.'!Hi\  :i  desli- 
naliou  d  r'dinibourg  en  K)73.  lii-vue  liisloriquc  de  liordeaux  el  du 
déparlemcnl  dr  la  Gironde,  191  I.  p.  347-348. 

Barennes  (Jean).  —  Un  incident  administratil  un  wine  siècb-. 
IImux  et  forêts.  Revue  historique  de  fiordcaux  et  du  département  dr  in 
Gironde,   1911,  p.  350-352. 

Mission  envoyée  de  Bordeaux  eu  pays  basque,  en  1744. 

—  Viticulture  et  vinification  en  Bordelais  au  Moyen-Age.  Revue 
historique  de  Bordeaux  el  du  déparlemenl  de  la  Gironde.  1911,  p.  .33H- 
34ti,    11-2-424.  (.4  suivre.) 

Cf.  mfnie  Revue,  1911,  p.  1(7-119,  191-206,  271-283. 

Bordes  de  I'ohtage  (Louis  de).  —  Poignée  de  sonnets  (1875- 
1911).  Bordeaux,  Marcel  Mounaslre-  Picamilh,  libraire-  éditeur,  1911, 
pet.  in-8'',  33  p.  Tiré  sur  pnpier  à  bi-as  à  75  cxcnipl.iirrs  numérotés. 

BRoni.LARD  (Rogei'y.  —  Lt'S  gâteaux  dt^s  rois  m  1793.  Revue 
historique  de  Bordeaux  el  du  déparlement  de  la  Gironde,  1911,  p.  426- 
427. 

—  Les  monuments  de  Bordeaux  pendant  l;i  Révolution,  l.a  tour 
Pey-Berland.  Revue  hislori(jnr  de  fiurdcau.r  cl  du  dcfinrlcmcnl  de  ht 
Gironde,  191  1,  |t.  325-3;{5. 

Brl'tails  (J.-A.). —  A  propos  du  (|u:itrièmr  ci-nltiiain'  dune  clocln'. 
Revue  archéologique  de  Bordeaux,   I.   XX.XIli,    l'.HI.   p.    17-27. 

cloche  de  l'ianiuTis. 

—  Le  droit  andorran:  sa  formation  et  son  évolution.  Arles  de 
l'Académie  des  Sciences,  Belles- Lettres  el  Arts  de  linrdcaux.  I9(ts, 
[I.    47-57. 

Oallen  (abbé  .L).  —  Le  cijipe  funémirr  tir  Ddiiiilin  :iu  Musée  des 
\nli(|ui's  de  Bordeaux.  Société  archéoloqiipic  de  Bordeaux.  I.  XXXlll, 
r.UI,   p.  2i-!-l9,   pi.  Tirage  à   part  sous  \r,  titre:   Le  ei|ipe  de   ltoMiiti;i 
Musée   lapidaire   de    Hordeau.x).    Paris,   libr.    A.   Piaud  et   [ils,    l'.M  l 
in-8o,  21  p..  pi. 

—  L'Orientalisme  à  Bordeaux.  Revue  historique  de  Bordeaux  el  du 
département  de  la  (Urondc.  191  1.  p.  289-307. 


70  INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE 

Callen  (abbé  J.).  —  Saint  Seurin  de  Bordeaux,  d'après  Fortunat 
et  Grégoire  de  Tours.  Actes  de  i  Académie  des  Sciences,  Belles- 
Lettres   et   Arts   de  Bordeaux,  1908,  p.  91-341. 

Importante  étude  sur  les  origines  du  christianisme  bordelais;  examen  et  réfu- 
tation de  la  thèse  de  dom  Quentin  sur  les  deux  Vies  de  saint  Seurin. 

Cancalon  (D"").  —  L'Esprit  positif  et  scientifique  dans  Montaigne. 
Paris,  éditions  d'arl  Edouard  Pelletan,  1912,  in- 16. 

Ganico  et  Beltchitine.  —  Farce  charivarique  traduite  pour  la 
première  fois  du  basque  en  français  ,d'après  le  manuscrit  unique  de 
la  bibliothèque  de  Bordeaux  et  accompagnée  d'une  notice  sur  le 
théâtre  basque  et  d'un  commentaire  par  G.  Hérelle.  Paris,  H.  Dara- 
gon;  Bayonne,  H.  Jérôme;  San-Sebastian,  V.  Benquet,  1908,  in-16. 
Tiré  à  150  exemplaires. 

Garaman  (P.).  —  Le  télégraphe  aérien  de  la  tour  Saint-Michel  à 
Bordeaux  (1823-1859).  Bévue  historique  de  Bordeaux  et  du  départe- 
ment de  la  Gironde,  1911,  p.  385-400.  —  Tirage  à  part.  Bordeaux, 
impr.  G.  Gounouilhou,  1912,  in-8o,  16  p. 

Gatalogue  des  livres  de  la  bibliothèque  de  feu  M.  Henri  Bordes, 
de  Bordeaux...  Paris,  A.  Durel,  1911,  gr.  in-8o,  218  p.,  portrait. 

Courteault  (Paul).  —  Élic  Vinet.  Actes  de  r Académie  des  Sciences, 
Belles-Lettres  et  Arts  de  Bordeaux,   1909,  p.  339-369. 

Conférence  faite  le  16  mai  1909  à  Barbezieux  à  l'occasion  du  400«  anniversaire 
d'Élie  Vinet. 

—  Voir  MoNLuc  (Biaise  de). 

—  Les  plaques  indicatrices  des  noms  de  rues.  Bévue  historique 
de  Bordeaux  et  du  département  de  la  Gironde,  1911,  p.  429. 

Rues  de  Bordeaux  en  1755. 

- —  Raymond  Céleste.  Bévue  historique  de  Bordeaux  et  du  dépar- 
tement de  la  Gironde,  1911,  p.  361. 

—  Un  nouveau  document  s::r  l'incident  Bersot-Lacordaire.  Bévue 
Philomalhique  de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouest,  1911,  p.  300. 

Cf.  même  Revue,  1911,  p.  145-163. 

Delavaud  (L.).  ■ —  Le  verdissement  des  huîtres.  Bévue  de  Sain- 
longe  et  d'Aunis,  1911,  p.  372-373. 

Recette  de  1688. 

DuCAUNNÈs-DuvAL  (G.).  —  FouiUes  archéologiques  rue  Neuve- 
de-l' Intendance  [à  Bordeaux]  en  1804.  Bévue  historique  de  Bordeaux 
et  du  département  de  la  Gironde,  1911,  p.  349-350. 

—  Les  fresques  de  la  salle  à  manger  de  l'Hôlel-de-Ville  [de  Bor- 
deaux]. Bévue  historique  de  Bordeaux  et  du  déparlement  de  la  Gironde, 
1911,  p.  425-426. 

Œuvre  de  Pierre  Lacour.  ' 

Ferbos  (René).  —  Excursion  du  7  mai  1911  à  Saint-Macaire,  Lan- 
gon  et  Brannens.  Société  archéologique  de  Bordeaux,  t.  XXXIII,  1911, 
p.  9-16. 

Ferrus  (Maurice).  —  Bordeaux  pittoresque  (troisième  série)  :  La 
rue  Sainte-Catherine,  son  histoire.  Préface  par  M.  Camille  Debans. 
Bordeaux,  impr.  G.  Gounouilhou,  1912,  in-12,  viii-87  p. 


I 


INDEX    niBLIOGRAPHIQLE  7I 

Gaii.i.ami)     iililiô  Alhcrl;.  I.;i  haroniiir  df  S:iiiil-.M:i;.MH',  (r;i|»rés 

des  documents  im^dils,  avec  la  collahurat  ion  de  M.  le  haron  <  )lM'r- 
kampr  (!•'  Dabruii,  ()U\  ra^'e  unie  de  liiiiL  plaiiclies  pliolulN  |tii{ues 
et  de  Iruis  eaux-fortes.  Bordeaux,  Michel  vl  l'onjeol,  1911.  iii-8", 
l  vol.,  374  et  37'J  \). 

Gebemn  (François).  —  Le  j.'ou\  ernenu-ut  <lu  niaréclial  de  .Mali- 
•.'iion  en  (juyenne  pendant  les  premières  années  du  rèj^ne  de  Henri  l\ 
(ir)89- 1594).  Avec  préi'ace  de  M.  Camille  .Jullian.  Bordeaux,  M.  Mou- 
naslre-Pininiilh.  10I"2,  in-S",  \-I0-.>  p. 

Giii'.NAHU  ^Fernandj.  —  Histoire  de  C;jslilliiii-sur-n()rd(»;:ne 
(.l'une  des  fdleules  de  Bordeaux)  et  de  la  ré<,'ion  castillonnaise  depuis 
les  origines  jusqu'en  1870.  Maison  française  d^ éditions.  Em.  M.  Le- 
lièvre,  Paris- Laval,  1912,  in-8°,  xxvi-576  p. 

IIauser  (Henri).  —  Le  père  Edmond  Auger  et  le  massacre  de  Bor- 
deaux (1572).  Biillelin  de  la  Société  de  l'histoire  du  prolrstunlismi' 
français,  juillet-août  1911.  — •  Tirage  à  part.  Paris,  Agence  ijénérale 
de  la  Société,  1911,  in-8o,  2.3  p. 

HÉRELLE  (Georges).  —  \oir  Ganico  et  Beltchitine. 

Inauguration  du  monument  de  .L  de  Romas.  Nèrac,  22  octobre 

1911.  Bordeaux,  inifir.  d.  Gounouilfiou,  1911,  in-8°,  47  p.  et  portraits. 

Extraits  des  Actes  de  l'Académie  de  Bordeaux. 

Labai  (Gustave).  —  Une  visite  au  Musée  de  la  Marinr.  Actes  de 
r  .icadémie  des  Sciences,  Belles-  Lettres  et  Arts  de  Bordeaux,  19U8, 
p.  29-43. 

En  appendice,  liîite  des  graveurs  de  rœu\  re  dt-  .Jo^epli  N'ernet. 

^-  Vieux  sou\enirs.   Cordouan.    Actes  de  l'Académie  des  Sciences, 
Belles- Lettres  et  Arts  de  Bordeaux,  1908,  p.  59-70. 
Documents  de  1740  et  1758. 

Lafont  (A.).  —  La  tour  de  Cordouan  dans  les  comptes  de  Mira- 
doux.  Revue  de  Gascogne,  1911.  p.  517-518. 

.lurades  de   1599-1600. 

La  Ville  de  Mihmont  (H.  de).  —  L'histoin'  lragi(|ue  et  miracu- 
leuse de  Martial  Ueschamps.  Revue  historique  de  Bordeaux  et  du 
déparlement  de  la  Gironde,  1911,  p.  362-384. 

Médecin  bordelais,  ami  d'Élif  \'init. 

Lkhoi  X    Alfred). Histidre  des  (Quartiers  de  Bordeaux.  Le  (juar- 

lier  de  Bacalan.   Revue  Philomalhique  de  Bordeaux  et  du  Sud-(Juesl, 

1912,  p.  1-22,  planche.  (.4  suivre.) 

Marion  (Marcel). —  Du  rôle  des  Juifs  dan>  la  \eMle  des  biens  nalio- 
naux  dans  la  (iironde.  Actes  de  f  Académie  des  Sciences,  Belles- Lettres 
i-l  Arts  de  Bordeaux,  1908,  p.  5-19. 

.Mkaidhk  df,  Lai'oivade.  —  In  poils  m\>téritn\  aiL\  Charlron^. 
Ih'vue  historique  de  Bordeaux  et  du  dép(alitniril  de  lu  Gironde.  1911 
p.  427-428. 

En    1798. 

.MEN(iE()T  (Albert;.  -  Le  Brassard  de  Bordeaux.  LJ  mar»  l>l  \. 
.Notes  et  documents.  Bordeaux,  impr.  Jules  Bière,  1912,  in- 1".  72  p. 


7 2  INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE 

MoNLuc  (Biaise  de).  —  Commentaires  de  Biaise  de  Monluc,  maré- 
chal de  France.  Édition  critique  publiée  et  annotée  par  Paul  Gour- 
teault.  T.  I,  1521-1553.  Abbeville,  impr.  F.  Paillarl.  Paris,  libr. 
A.  Picard  et  fils,  1911,  in-8o,  xviii-430  p.  et  carte  du  Piémont. 

Collection  de  textes  pour  servir  à  l'étude  et  A  renseiarneiuent  de  l'histoire. 

Montaigne.  —  Extraits  de  Montaigne,  d'après  le  dernier  texte 
publié  par  l'auteur  (édition  de  1588)  avec  une  instruction  et  des  notes 
philosophiques,  littéraires,  grammaticales.  Nouvelle  édition,  revue 
par  l'abbé  Félix  Klein.  Paris,  impr.  Levé:  libr.  J.  de  Gigord,  1911, 
in- 18,  388  p. 

Haby  (Louis).  —  Méteuil.  ancienne  capitale  du  Médoc.  Son  prin- 
cipal héritier  Saint-Germain  d'Ks(mé)teuil,  histoire  locale  racontée 
aux  paroissiens  par  leur  curé...  Bordeaux,  imprimerie  Samie  fils 
frères,  1911,  in-8o,  234  p.,  une  carte  et  35  pi. 

RiCAtD  (Th.).  —  La  inutualilé  l)ordelaise  à  la  fin  du  xvii^  siècle. 
lievue  Philomalhique  de  Bordeaux  el  du  Siid-Oue.'il,  1911,  p.  283-299. 
Nomenclature   des   confréries. 

S.AiNT-JouRS  (B.).  —  La  population  de  Bordeaux  depuis  le  xvi''  siè- 
cle.  Bévue   historique  de   Bordeaux  el   du  départemenl  de   la  (Uroride, 

1911,  p.  308-324,  4U1-412. 

Samaran  (Charles).  —  DWrIagnan,  capitaine  des  mouscpietaires 
du  Roi.  Histoire  véridique  d'un  héros  de  roman.  Paris,  Calmann-Lévy, 

1912,  in-18,  351  p.,  portrait. 

—  Dominique    de    (lourgues.    Bévue    liislorique,     t.    CV'lIl,     1911, 

p.  276-293. 

Ses  dernières  aiuiées,  son  testament,  son   ;inii    Pierre  de   Vaiiuieux;  portrait 
rei)résentant  non  Dominique,  mais  Marc-Antoine  de  (iourgues. 

Thomas  Fernand).  —  Les  armoiries  d(s  Rohan.  Bévue  historique 
de  Bordeaux  et  du  déparlement  de  la  Gironde,  1911,  i>.  428-429. 

Vesly  (Léon  de).  —  Les  édicules  carrés  de  Saint-Symphorien  à 
Avenches  (Suisse)  et  de  Saint-Seurin  à  Bordeaux.  Bévue  des  études 
anciennes,  janvier-mars  1912,  p.  76. 

VovARu  (André).  —  Le  général  Proteau.  Bévue  historique  de  Bor- 
deaux et  du  département  de  la  Gironde,  1911,   p.  429-430. 

Général  de  la  I{é\oliil  ion,  né  à  Libo\irne. 

—  Les  Girondins  titulaires  d'armes  d'honneur,  membres  de  droit 
de  la  Légion  d'Iionneur.  Bévue  historique  de  Bordeaux  el  du  déparle- 
ment de  la  Gironde,  1911,  p.  348-349. 

—  Soldats  du  Bordelais.  Les  Sorlus,  s.  1.  n.  d.,  in-8",  10  p.  (Extrait 
de  Feuilles  dliistoire,  n^  du  1"  mars  1912). 


^;s36ee^ 


Le  Gérant:  G.  DucAUis^Ès-DuvAL. 


Bordeaux.  —  Impr.  G.  Gounouilhou.  —  G.  Chapon,  directeur, 
9-11,  rue  Guirauflp,  9-11. 


lllï^T01Kt:  DES  UAI'I'OIVIS 

:  LA   r.llAMHiiE   l)K  COMMIlKCi:   l)i:   HOlihKAl  \ 

VVEC 

LES  IMK.MJAMS.   I.K  l'AULKMENT  HT  LKS  .Il  UVIS 
DE    170.")    A     171)1 


CH\1>1TKK  l'HEMIEK 

Situation  kespegtive  des  pouvoirs 

l'ouf  iléfinir  les  rapports  dr  F;i  Cliambrc  de  coniiiK'rcf  «If  (îuiinii.- 
ou  de  Bordeaux  avec  les  intendants,  le  Parlement  et  les  jurai-, 
il  faut  savoir  si  l'institution  des  Chambres  de  eunimerce  en  17U^ 
était  chose  nouvelle  et  originale,  si  elle  avait  le  sens  et  la  porté<- 
d'uni'  véritable  création.  Si  les  (Ihambres  de  commerce  ne  sont  que 
la  reprise,  le  développement  ou  !•■  dédoublement  d'institutions 
anciennes,  il  s'ensuit  qu'elles  n'auront  avec  ces  jiouvoirs  d'autres 
rapports  (jue  ceux  des  institutions  déjà  existantes  dont  elles  déri- 
vent. Qu'elles  ne  soient  rien  de  tout  cela,  et  l'on  pourra  dégager 
leur  personnalité,  des  rapports  particuliers  (ju'elles  entretinrent 
avec  les  autorités  de  la  province  et  de  la  ville. 

I 

Voici  comment  le  Conseil  d'Etat  délinissail  ii-  but  général  de 
l'institution  des  (chambres  de  commerce  dan>  YttrrrI  tl'i'lahh.^si'- 
metil  : 

>' Le  Hoi,  voulant  i'ain'  jouir  .-«es  sujets  de>  avanlage>  qur  Sa 
Majesté  a  eu  l'intention  «le  leur  prnituri-  en  .-tablissanl  un  ruii>iil 
de  commerce,  suivant  l'arrêt  du  Conseil  du  ,'*.>  juin  i7(»(i.  Sa  Majesté 
aurait  estimé  utile  et  convenable  d'élaldir  en  iharun»-  de?  villes 
de  Lyon...  des  Chambres  particulières  de  commerce,  où  les  mar- 
chand.s-négociants  des  autres  villes  et  provinces  du  Royaume  pour- 

6 


74  KA.PPOHTS    DE    LA    CHAMBRE    DE    COMMEKCE    DE    BORDEAUX 

l'aient  adresser  leurs  mémoires  contenant  les  propositions  qu'ils 
auraient  à  faire  sur  ce  qui  leur  paraîtrait  le  plus  propre  à  faciliter 
et  augmenter  le  commerce,  ou  les  plaintes  de  ce  qui  peut  y  être 
contraire,  pour  être  lesdites  propositions  ou  sujets  de  plaintes  dis- 
cutées et  examinées  par  celle  desdites  Chambres  de  commerce,  à 
laquelle  lesdits  mémoires  auraient  été  adressés,  et  ensuite  envoyés 
par  les  Chambres  particulières  avec  leur  "avis  au  Conseil  de  com- 
merce  1.  »  Ce  texte,   dont  on   trouve  déjà   les  termes  dans  un 

)némoire  de  Pontchartrain  (20  mai  1699)  -,  est  significatif  :  on  y 
voit  ce  que  devaient  être  ces  Chambres  dites  particulières,  par 
comparaison  avec  le  Bureau  de  commerce,  sorte  de  tribunal  d'appel; 
Chambre  et  Bureau  étaient  les  deux  degrés  successifs  d'une  même 
juridiction  cjui  en  comportait  à  la  rigueur  un  troisième,  le  moins 
élevée  :  à  savoir,  les  consuls,  dans  les  villes  trop  peu  importantes 
pour  avoir  une  Chambre  de  commerce. 

Sans  doute,  il  serait  erroné  d'attribuer  à  ces  Chambres  la  com- 
pétence d'une  juridiction  commerciale  proprement  dite;  à  Bordeaux, 
pourtant,  contrairement  à  ce  qui  se  passait  ailleurs,  à  La  Rochelle, 
par  exemple,  juridiction  consulaire  et  Chambre  de  commerce 
étaient  réunies  ^  Bien  mieux,  non  seulement  la  Chambre  bordelaise 
avait  à  sa  tête  le  juge  et  les  deux  consuls,  mais  encore  les  électeurs 
de  ses  six  premiers  membres  furent  les  juge  et  consuls  qui  s'assem- 
blèrent à  cet  effet  dans  l'hôtel  de  la  Bourse  avec  vingt  de  leurs 
plus  anciens  collègues  '. 

La  conséquence  naturelle  fut,  sans  qu'il  ait  été  besoin  de  rien 
édicter  à  cet  égard,  l'élection  d'anciens  consuls  : 

François  Barreyre  avait  été  premier  consul  en  1684,  juge  en  1693. 

Jean  Roche  avait  été  premier  consul  en  1668,  juge  en  1677. 

Pierre  Billatte  avait  été  consul  en  1668,  juge  en  1679. 

Pierre  Saige,  consul  en  1673,  juge  en  1688, 

De  même,  Jean  Ribail  et  Bertrand  Massieu  avaient  été  juges  ^ 

Et  la  tradition  s'établit  ainsi  d'élire  les  anciens  consuls,  direc- 
teurs du  commerce  bordelais.  La  composition  de  la  Chambre 
n'avait  donc  rien  de  bien  original;  et  il  semble  qu'au  début  cette 
institution  répondit  moins  au  besoin  de  créer  l'organe  nouveau  en 

1.  C  -1201,  20  mai  170ô.  Les  références  ne  portant  d'autre  indication  qu'une  lettre 
majuscule  suivie  d'un  nombre,  désignent  les  collections  d'archives  du  fonds  départe- 
mental. 

2.  De  Boislisle,  Correspondance  des  Conlroleurs  gcnéraiLC,  t.  II,  p.  464. 
_  3.  Garnault,  Le  Commerce  rochelais,  I,  241. 

4.  G  4251,  p.  1,  art.  v. 
r_  5.   G  1624.  .  .  _J    . 


WEC    LES    INTENDANTS,    I,E    PARLEMENT    ET    LES    JURATb  70 

rapport  avec  la  fonction  nouvelle,  qu'à  celui  d'imaginer  un  titre 
pompeux  pour  servir  de  récompense  à  l'élite  des  négociants  person- 
niliée  dans  les  anciens  consuls.  Le  même  jour  où  les  membres  du 
Conseil  du  commerce  prirent  la  résolution  d'établir,  dans  les  villes 
importantes,  des  Chambres  particulières,  ils  prenaient  aussi  celle 
de  donner  aux  négociants  des  marques  d'honneur  et  de  distinction  ^. 
Comme  l'a  très  bien  dit  M.  Brutails,  la  Chambre  était  un  intermé- 
diaire de  plus  entre  l'administration  et  le  commerce-;  mais  avec 
son  personnel  déjà  connu  adleurs,  avec  son  rôle  de  truchement, 
que  semblait  lui  déléguer  le  Conseil  du  commerce,  pour  se  décharger 
lui-même  du  plus  gros  travail,  avec  son  pauvre  budget  que  lui  firent 
les  corps  et  communautés  des  marchands  et  artisans  de  la  ville  de 
Bordeaux,  avec  ce  coin  du  palais  de  l'Ombrière  que  lui  prêtait  le 
Parlement  ^  pour  tenir  ses  séances,  elle  semblait  destinée  à  exister 
mais  en  sous-ordre,  méconnue  des  grands  pouvoirs  jaloux  de  leurs 
prérogatives.  Elle  devait  passer  inaperçue,  parce  qu'on  ne  lui  avait 
pas  marqué  sa  place  dans  la  vie  organique  de  l'ancien  régime,  qu'on 
n'avait  réformé  pour  elle  aucun  règlement;  il  n'était  pas  question 
de  la  Chambre  dans  les  assemblées  qui  se  tenaient  chez  le  Premier 
Président,  à  l'occasion  d'all'aires  importantes  concernant  le  com- 
merce; ni  même  dans  celle  des  Cent- Trente,  où  l'on  diotinguait 
pourtant   la   juridiction   consulaire   de  la  foule  des    simples  négo- 
cian..s  *.  La  Chambre  avait  surtout  son  nom,  bien  à  elle. 


Elle  était  cependant  sur  un  point  en  possession  d'un  pouvoir 
exclusif  ; 

«  Aucun  parrère  ou  avis  servant  de  règle  sur  les  matières  de 
commerce  fait  sur  la  place  de  Bordeaux  n'aura  d'autorité  dans 
les  affaires  de  commerce  qu'il  n'ait  esté  présenté  à  laditte  Chambre 
de  commerce  et  par  elle  approuvé  ^  » 

En  plus  de  ces  consultations  purement  commerciales  qui  ne 
pouvaient  qu'indirectement  la  mettre  en  rapport  avec  les  diverses 
autorités,  il  existait  entre  elle  et  l'intendant,  par  exemple,  au  moins 
une  relation  définie. 

1.  Bonnussicu,  Inucrilairc  des  arcliiues  du  Conseil  du  commerce,  S  avril  17ui. 

2.  Brulails,  Introduction  à  l'inventaire  sommaire  des  arcniues  départementales,  série  C, 

t.  III,  XXXV. 

3.  Malveziu,  Histoire  du  commerce  à  Bordeaux,  t.  111,  p.  71. 

4.  O'Keilly,  Histoire  de  Bordeaux,  1863,  l.  III,  p.  080. 

5.  C  4251,  p.   1,  art.  xii. 


76      KAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Sans  compter  que  ce  dernier  exerce  en  toutes  choses  et  sur  le 
commerce  en  particulier  sa  haute  et  active  surveillance,  il  peut  se 
trouver  aux  assemblées  de  la  Chambre,  et  la  présider  quand  bon 
lui  semble \  Au  cours  du  siècle,  les  intendants  ont  usé  de  plus  en 
plus  de  ce  droit.  Si  les  termes  de  l'arrêt  d'établissement  semblent 
conférer  à  l'intendant  le  droit  conditionnel  de  présider,  quand  il 
est  effectivement  présent,  aux  séances  de  la  Chambre,  il  n'en  va 
pas  de  même  dans  la  réalité  des  faits;  et  bien  qu'on  ne  voie  jamais 
figurer  parmi  tous  les  autres  ce  titre  des  intendants,  il  est  sûr,  et 
l'histoire  de  la  Chambre  de  commerce  est  là  pour  le  dire,  que 
non  contents  d'être,  à  certains  jours,  les  présidents  de  la  Chambre, 
quelques  intendants  l'ont  dirigée,  parfois  même  l'ont  mise  à  leur 
école. 

Pour  s'en  tenir  à  la  forme  de  ces  rapports,  voici  ce  qui  en  était  : 

L'intendant  est  invité  à  assister  à  l'élection  des  nouveaux  direc- 
teurs '^,  sans  pouvoir  d'ailleurs  y  prendre  une  part  active;  il  ne  vote 
point.  S'il  n'y  vient  pas,  on  se  borne  à  l'informer  du  résultat; 
s'il  y  vient,  voici  le  cérémonial  en  usage.  On  l'inaugura  seule- 
ment le  13  juin  1709,  les  précédents  directeurs  n'ayant  rien  men- 
tionné du  cérémonial  observé  la  première  fois.  En  parlant  à  M.  l'in- 
tendant, on  l'appellera  «Monseigneur»;  il  sera  mis  un  fauteuil, 
à  la  tête  du  bureau,  avec  un  carreau  de  soie  sur  lequel  M.  l'inten- 
dant se  placera;  il  sera  ménagé  un  vide,  aussi  grand  qu'il  se  pourra, 
entre  lui  et  les  derniers  directeurs;  les  juge  et  consuls  se  placeront 
à  sa  gauche,  et  les  autres  directeurs  de  la  Chambre  à  la  suite  et 
autour  du  bureau.  D'ailleurs,  on  a  pris  son  heure,  deux  directeurs 
en  habit  noir  se  sont  trouvés  au  bas  de  l'escalier  pour  le  recevoir, 
et  les  autres  qui  se  tenaient  dans  la  salle  d'audience  se  sont  avancés 
vers  M.  l'intendant,  pendant  qu'il  montait  l'escalier.  La  séance 
finie,  on  le  raccompagne  à  son  carrosse  ^. 

Ce  cérémonial,  qu'il  fallait  décrire  avant  d'entrer  dans  l'histoire 
des  rapports  de  l'intendant  et  de  la  Chambre,  importe  bien  plus 
H  la  première  heure  que  les  autres  formes,  consultations,  démar- 
ches, etc.,  par  lesquelles  se  manifesta  la  présidence  d'un  Tourny, 
par  exemple.  Il  demeura  aussi  longtemps  en  vigueur  que  l'usage 
d'ofïrir  à  l'intendant,  à  son  arrivée,  une  bourse  de  jetons  d'argent. 

A  côté  de  ces  rapports  officiels,  dirai-je,  entre  la  Chambre  et  les 

1.  C  4251,  p.  1,  ail.  IV. 

2.  Id.,   23  avril  1711. 

3.  M.,   13  juin  1709.  .    , 


AVEC    LES    INTENDANTS,    I.F.    PARLEMENT    ET    LES    .IIHATS  -7 

iiil  i-iidiiiil  <.  il  s\'ii  t'ialtlit  (riim-  ;iiilri'  niiliiif.  >•[  (|iii  ii'ciiifiil  p;i> 
ullliu.■^  (liiupditance.  On  >ail  ((iic  liv-  tutui>  int<'n(laiil>  ili'-lmlaiful 
pour  la  plui)art  dans  la  maj^istrat  iiif.  'r<jurny,  par  cxoniplf.  lil-  dun 
président  à  la  Cour  dfs  Aides,  avait  été  ronseillcr  au  C.lirdtirt.  jni 
Grand  Conseil  et  inaîlrc  dis  iciiiiêtes,  avant  d'ôtn'  iiilindaiil  di^ 
Limoges  et  par  la  suit»'  de  Bord»  ;ni\  '.  On  sait  niénu-  iju'avant  d'être 
intendant  de  Guienrif.  il  avait  amliil  ininn-  la  ciiar;:''  di-  inrmifr 
président  dr  nolrr  C.uur  hordi'laisf -.  Transfuges  de  la  magistra- 
ture. Tourny  et  ses  pareils  la  trouvaient  mal  disposée  à  l<'iir  l'L'ard; 
en  fait  d'amis,  «  rintendaut  en  t'-fait  n'-duit  à  un  jx'tit  groupe  com- 
posé des  trésoriers  de  France,  presque  aussi  impopulairrs  qut-  Its 
traitants,  des  candidats  aux  pn-ltcndes  nUiciellcs  et  df  (jurlqurs 
notabilités  du  commerce,  heureux  de  se  rehausser  au  fDiilact  liu 
représentant  de  la  couronne  »  •"'. 

Les  documents  noiis  renseignent  bien  mal;  l'intendanl  <!•  fait 
scrupule  même  de  nous  confier  ses  amitiés  :  ses  amis  de  cœur  sont 
encore  plus,  comme  nous  dirions,  des  amis  politiques;  les  avouer 
peut  être  compromettant.  L'intendant  avait  besoin  de  nouer  de 
secrètes  alliances  dans  le  mniid.'  des  commerçants,  sous  peine  d'a- 
voir ses  projets  sans  cesse  e(»nd»attus.  Un  groupe  de  négociants 
amis  formait  autour  de  lui  comme  un  petit  conseil  docile  et  sûr. 
qui  le  renseignait"*,  qui  lui  garantissait  toujours  une  certaine 
intluence  à  la  Chambre,  et  qui  pouvait,  plus  vite  qu'elle,  prendre  des 
mesures  et  les  mettre  à  exécution.  Le  .secours  de  ces  négociants  fut 
invoqué  dans  les  moments  difficiles  :  le  dévouement  d'un  Beaujon. 
d'un  Legris,  d'un  Flock,  d'un  Vignes,  etc..  consentant,  sur  les 
instances  de  Tourny  à  s'associer  pour  ravitailler  la  ville  \  témoigne 
aussi  bien  d'un  profond  attacheini'nt  à  l>'ur  pays  tpie  d'une  amitif' 
très  soli<le  à  l'i'gard  de  l'intendant. 

Le  nom  de  ces  familiers  est  d'ailleur>  parfois  écrit  sur  le-,  listes 
secrètes  de  l'intendance^:  en  échange  de  leur  alliance,  tui  leur 
accorde  aide  et  protection.  On  les  recommande  à  la  bienveillanee 
des  électeurs  ou  des  ministres':  on  les  défend  contre  la  cabale  à 
l'occasion  ^. 

1.   Benzacar,  Règles  économiqws  de  l'adminislration  il'.\ttl"rl  dr  Tniirnij.  l'.'Dl.  p.  il. 
•2.   r.oniiiniiiay.  /,<■  Parlrment  f/f  liordeau.r,  IHSfi.  pns.tiin. 

3.  (ir.'llet-Dunia/.caii.  /.'/  Snricir  bordelaise  xous  Louis  X  V  el  h'  sul'.ii  de  M"'  nuplessu, 
IS'.)7,  p.  \'M. 

4.  C  101 1,  ini'niDin,'  aiioiixiai-,  non  lialr. 

T).  Marion,  Une  Famine  en  Cuienne,  Rputie  historique.  1S91.  p.  Cni. 

6.  C  1624,  passim. 

1.  C  IGll,  12  may  1750,  lettre  de  Tourny. 

8.  Id. 


78      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Tourny,  Lafore,  Beaujon,  peut-être  Lamothe  1,  sont  quatre  noms 
inséparables,  que  notre  histoire  doit  retenir.  L'alliance  de  ces  per- 
sonnages, qui  ne  fut  point  unique  en  son  genre,  présida  longtemps 
aux  destinées  de  la  Chambre  de  commerce.    . 


III 


Il  n'existe  aucun  rapport  officiel  entre  jurats  et  directeurs,  mais 
leurs  occupations  journalières  suffisent  à  les  mettre  en  rapport  ; 
on  voit  les  jurats  «  s'occuper  de  l'approvisionnement  de  la  ville,  de 
la  taxe  des  denrées,  des  droits  d'entrée  en  ville,  des  importations 
et  exportations  de  marchandises,  des  changeurs,  des  courtiers,  etc.  w^. 

De  plus,  «  l'autorité  du  maire  et  de  ses  collègues  n'était  pas  res- 
treinte à  la  ville  et  aux  faubourgs.  Elle  s'exerçait  bien  au  delà,  sur 
une  banlieue  considérable.  On  y  comptait  plus  de  vingt  paroisses; 
jusqu'à  dix-huit  lieues  séparaient  la  ville  de  tel  point  extrême  de 
son  territoire  ^  » 

Le  mot  d'antique  «curie  romaine))-*  qu'on  a  prononcé  à  propos 
de  notre  ancienne  jurade,  fait  ressortir  assez  le  caractère  universel 
de  ses  pouvoirs. 

Quels  furent  ceux  qui  n'eurent  point  maille  à  partir  avec  cette 
autorité  presque  souveraine,  étendant  sa  compétence  à  toutes  les 
afïaires  et  à  toute  la  ville?  Il  serait  difficile  de  le  dire.  Ce  qui  est 
certain,  c'est  que  la  Chambre  ne  fut  pas  de  ceux-là. 

Un  jour,  c'est  un  négociant  qui  se  plaint  :  il  expose  que  les  maire 
et  jurats  ont  établi  garnison  dans  sa  maison  :  «  faute  par  luy  d'être 
venu  à  l'hôtel  de  ville  pour  prêter  le  serment  de  trésorier  de  l'hôpi- 
tal de  Saint- André  »  ^  et  le  commerce  est  en  émoi.  D'autres  fois,  les 
jurats  se  font  forts  d'appliquer  les  règlements  à  la  rigueur,  pour 
l'entrée  en  ville  des  vins  du  haut  pays,  l'encombrement  des  rues 
occasionné  par  le  «  rabatage  des  tonnes  de  sucre  ))  ®.  Ce  sont  encore 
d'autres  sujets  de  conflits.  Aussi  bien,  des  liens  plus  étroits  unis- 
saient ces  jurats  et  cette  Chambre,  que  les  circonstances  semblaient 
plutôt  devoir  opposer.  ! 

M.  Jullian  a  fait,  à  propos  des  élections  de  la  Chambre  de  com- 

1.  C  3716,  7  mars  1751.  ~ 

2.  Malvezin,  Histoire  du  commerce  à  Bordeaux,  t.  111,  p.  162. 

3.  Barckhausen,  Essai  sur  l'administration  municipale  de  Bordeaux,  p. 

4.  Malvezin,  op.  cit.,  t.  111,  p.  105.  @ 

5.  Registres  du  Parlement,  14  avril  1710, 

6.  C  4255,  22  août  1754, 


AVEC   LES    INTENDANTS,    LE   PARLEMENT   ET    LES   JtRATS  79 

mercc,  cette  remarque  des  plus  justes  :  «  C'était  un  mode  de  recru- 
fenient  passablement  aristocratique  et  calqué  sur  celui  de  la  jurade^.  » 

Les  deux  corps  avaient  si  bien  le  même  esprit,  qu'ils  élurent  à 
maintes  reprises  les  mêmes  hommes,  ici  comme  directeurs,  et  là 
comme  jurats. 

Dès  1705,  au  moment  même  de  la  création  de  la  Chambre  de 
rommerce,  cette  pénétration  des  deux  corps  est  manifeste  :  Billatte, 
1  un  des  premiers  directeurs,  a  été  jurât  en  1675,  en  1697,  en  1698; 
Hoche  l'a  été  en  1695;  Saige  en  1694,  il  le  sera  encore  en  1706  2. 

Ou' arrive- t-il,  dès  lors?  Les  mêmes  hommes  qui  ont  été  peut-être 
membres  de  l'Amirauté  sont  jurats,  seront  consuls  et  voudront  être 
de  la  Chambre  de  commerce. 

Il  s'établit.  Labraque-Bordenave  l'a  dit  ingénieusement,  comme 
un  II  cursus  honorum  umnicipal»,  et  le  dernier  degré  est  la  charge  de 
député  du  commerce  que  les  jurats  d'un  côté,  les  directeurs  de 
l'autre,  voudraient  voir  émaner  de  leur  propre  pouvoir.  L'institu- 
tion des  députés  du  commerce  a  précédé  celle  des  Chambres,  mais 
les  députés  favorables  à  ces  dernières  en  ont  fait  décider  l'établis- 
sement; Fénelon  a  été  jurât  en  1693^,  mais  il  était  premier  consul 
en  166H;  à  l'cncontre  du  gouvernement,  pas  plus  la  jurade  quo 
la  Chambre  ne  nieront  que  les  députés  aient  été  établis  «  pour  êtrt> 
les  organes  des  représentations  à  faire  sur  les  besoins  du  commerce 
dans  chaque  district»^;  seulement,  le  maire  et  ses  collègues  diront 
au  député  :  «  Vous  êtes  député  de  la  ville,  et  vous  êtes  payé  [pour 
cella  »  ",  tandis  que  la  Chambre  revendiquera  pour  elle  et  pour  le 
commerce  tous  les  soins  de  son  délégué.  Et  elle  se  l'attirera  si  bien 
qu'en  1726,  au  moment  de  faire  procéder  à  l'élection  du  députt'-. 
l'intendant  Boucher,  oubliant  tout  d'abord  les  jurats,  n'avertira  que 
la  Chambre  de  commerce';  et  qu'en  1731,  ces  mêmes  jurats  recon- 
naîtront qu'  «  il  est  d'usage  de  présenter  trois  sujets,  qu'on  choisi! 
parmy  ce  qu'il  y  a  de  plus  éclairé  dans  le  commerce,  et  qu'on 
nomme  des  négociants  qui  ont  passé  dans  le  consulat  et  dans  la 
Chambre  de  commerce  ^  » 

Si  l'on  songe  au  nombre  d'affaires  qui  se  drainent  par  la  voie  d»' 
ce  député,  on  verra  de  quelle  importance  pouvaient  être  les  rapports 

I.  .Iiillian,  Histoire  de  Bordeaux,  1895,  p.  ï^'i.A. 

•1.  Le  Vacher  de  Boisville,  Listes,  1899. 

3.  Le  Vacher  de  lîoisville,  op.  cit.,  passim.  ' 

4.  r.  1624. 

5.  C  4250,  26  may  56. 

6.  Lettres  de  Jurade,  15  nov.  1707. 

7.  C  1620,  18  janvier  1720.  Lettre  de  Boucher  à  Dodun. 

8.  Lettre  de  Jurade  au  Contrôleur  général,  1"  sseptembro  1781. 


8o  H  APPORTS   DE    LA    CHAMBRE   DE    COMMERCE   DE   BORDEAUX 

qui  s'établissaient  entre  la  Chambre  et  les  jurats  à  propos  de  lui. 
de  son  élection,  de  son  rôle. 

Malheureusement  pour  eux,  les  officiers  municipaux  s'absorbaient 
et  s'oubliaient  trop  souvent  dans  les  querelles  qu'ils  se  plaisaient 
à  entretenir  avec  leur  grand  ennemi,  le  Parlementa 

IV 

Ce  dernier  fit  connaissance  avec  la  Chambre  de  commerce  le 
jour  où  il  enregistra  les  lettres-patentes  à  elle  accordées. 

Le  commerce  a  consigné  dans  ses  registres  le  cérémonial  qui  fut 
observé;  il  nous  intéresse  doublement:  nous  y  voyons  que  la  cause 
de  la  Chambre  fut  appelée  à  son  tour,  sans  qu'une  séance  spéciale 
et  plus  solennelle  lui  ait  été  consacrée,  tout  comme  s'il  se  fût  agi 
d'homologuer  les  statuts  d'une  compagnie  ordinaire;  ensuite,  que 
les  directeurs  du  commerce  furent  reçus  :  «ainsi  qu'il  est  d'usage, 
avec  MM.  du  clergé  et  MM.  les  Jurats,  les  jours  de  cérémonie  » 
et  que  «la  Cour  ayant  monté  à  l'audiance,  l'huissier  (les)  y  a  intro- 
duits et  placés  aux  bancs  de  MM.  les  Jurats  ^.  » 

Dans  les  années  qui  suivirent,  il  semble  bien  qu'au  Parlement 
on  n'entendit  guère  parler  des  directeurs.  Ses  registres  ne  soufflent 
mot  de  cette  Chambre  de  commerce  dont  le  nom  même  fut  oublié^ 
du  jour  oîi,  entre  deux  causes  plaidées,  on  reconnut  son  existence. 

Cependant,  pour  la  même  raison  que  nous  avons  exposée  à 
propos  des  jurats  et  de  l'intendant,  les  relations  de  la  Chambre  de 
commerce  et  du  Parlement  devaient  naître  et  se  développer  :  plus 
que  tout  autre,  le  Parlement  s'intéressait  aux  opérations  mêmes 
qui  le  concernaient  le  m.oins^;  «  il  ne  dédaigna  jamais  de  fixer  non 
seulement  le  prix  de  la  viande  et  cela  à  plusieurs  époques,  mais 
encore  celui  du  gibier...  En  1721,  il  publia  un  tarif  de  la  pierre  à 
bâtir,  de  la  tuile  et  de  la  chaux,  tarif  renouvelé  à  plusieurs  époques. 
Enfin,  il  n'était  pas  jusqu'aux  chaussures  dont  il  ne  s'occupât  ^  » 

La  haute  surveillance  du  Parlement  préside  à  tous  les  établisse- 
ments, à  l'administration  des  hôpitaux,  où  les  magistrats  rencon- 
trent les  jurats  et  avec  eux  les  négociants^,  à  la  tenue  des  Assem- 
blées quelles  qu'elles  soient,  pour  «  empêcher  qu'il  ne  se  passe  et 

1.  Un  exemple  entre  touri  :  13  décembre  1710.  Lettres  de  .Jurade. 

2.  C  4251,  p.  71. 

3.  Registres  du  Parlement,  22  mars  1710. 

4.  Brutails,  op.  cil.,  x. 

5.  Boscheron  des  Portes.  Histoire  du  Parlement  de  Bordeaux,  1877,  p.  227. 

6.  C  3788. 


AVEC    LES    MTENDANTS.    I.E    l'AKI.EMF.NT    ET    LES   JIRATS  Si 

ne  cy  propose  rien  di'  contraire  aux  édits,  ordres  et  déclarations  df 
Votre  Majesté  et  aux  st;iliit>  dt-s  ju-ivilèf^es  df  la  \illc  ■.  dif-il  hii- 
MiAint'.  en  invoquant  un  édit   du  roi  Cliarles  IX'. 

Dès  lors,  ce  corps  traditionnaliste  des  Parlements  (jui  ne  semblait 
nullement  destiné  à  cnlri'i'  en  rapy)nrt  avec  les  Cliamhros  de  com- 
merce, corps  nouveau  celui-là,  ignorant  des  traditions  et  ignoré 
d'elles,  le  trouvera  sans  cesse  devant  lui  dans  une  ville  comme 
Bordeaux,  où  les  marchands  sont  partout  :  dans  la  jurade,  dans 
l'amirauté,  dans  le  conseil  d'administration  de  l'hôpital  et  dans  le 
Parlement  lui-même. 

Certains  magistrats,  comme  le  président  de  Gourgues,  intéres- 
saient plus  particulièrement  la  Chambre  ;  coiiune  propriétaires 
riverains-,  ils  devaient  entretenir  des  passages  sur  le  lleuve,  et  les 
directeurs  veillaient  à  la  sécurité  de  la  navigation;  en  outre,  ponr 
la  plupart,  MM.  du  I^arlement  possédaient  i\<-  lieaiix  vignobles,  le> 
plus  beaux  du  pays,  et  leur  condition  de  seigneurs  fonciers,  sou- 
cieux de  conserver  leur  renom  aux  grands  crus,  put  leur  faire  oublier 
leur  dignité  de  juge;  ils  vendaient  eux-mêmes  leur  récolte.  La  ques- 
tion des  vins  les  tint  constamment  en  éveil  :  ils  escomptaient  tou- 
jours les  bénéfices  de  nouvelles  mises  en  culture,  et  ne  s'en  privaient 
point  malgré  les  défenses  des  intendants 3;  même  gens  d'esprit, 
même  illustres,  ils  s'employaient  à  faire  triompher  la  politique 
viticole  de  la  compagnie'';  enfin,  ils  n'hésitaient  pas  à  appeler  les 
négociants  à  l'aide,  ou  bien  à  les  combattre  quand  lenrs  inti'rêts 
de  viticulteurs  étaient  en  jeu^ 

Chose  curieuse,  avec  cet  esprit  plutôt  mercantile  (lui  leur  ('lail 
fl'ailleurs  commun  avec  tous  les  Bordelais*, les  magistrats  du  Paric- 
iiient  demeuraient  de  très  grands  seigneurs,  et  leur  concours  était 
désirable.  Des  rapports  de  protecteur  à  protégé  s'établirent  bientôt 
entre  les  directeurs  et  les  parlementaires,  encouragés  par  les  menus 
mais  ruineux  cadeaux  où  se  complaisait  la  Chambre  :  médailles 
d'or  au  premier  président,  au  procureur,  à  l'avocat  générale 

1.   Registres  ilu  l'ailinu'iit.  •,'()  fi'nrii'i-   1715. 

•2.  r.  ^71  fi. 

.?.  Cf.  Miintesiiuieii.  Miiliinijes,  p.  "iîJH.  >  l\  (. Monli-squieu)  a  ;ir.|iiis  «les  fomls  cm  Trii  lu- 
ou  lande.s  dans  un  pays  où  il  y  a  tant  sujet  «l'espérer  il'y  (aire  venir  «les  \  iunes  d'un 
très  haut.  prix.  Ces  terres  ne  hii  ont  rnûté  ipie  fiO  livres,  roinnie  il  par.-iit  par  le  rentrât 
i-i-joint;  et  il  espère  par  son  travail,  ses  dépenses  et  son  imlustrie,  en  faire  une  terre 
<pii  vaudra  4  ou  r>00,00n  li\res.  U  send>le  iju'un  pareil  dessein  ne  devrait  poiîU  trouver 
d'obstacle  de  la  part  de  l'Etat.  " 

1.   Boscheron  des  Portes,  op.  cil.,  p.  248. 

:>.  C  4-25-2,   10  mai  \~'yi.  •  . 

6.  Communay,  op.  cil.,  p.  5. 

7,  Malvezin,  op.  rAl.,  t.  III,  p.  70. 


8„2  RAPPORTS    DE    LA    CHAMBRE    DE    COMMERCE    DE    BORDEAUX 

D'ailleurs,  ces  relations  du  Parlement  et  du  commerce  ne  pou- 
vaient guère  intéresser  que  ce  dernier,  leur  histoire  ne  faisant  que 
traverser,  pour  un  instant,  celle  des  conflits  autrement  graves  des 
jurats  et  du  Parlement. 

Au  milieu  de  ses  aînés  très  batailleurs,  la  Chambre,  toute  jeune, 
risquait  de  voir  bientôt  compromise  sa  liberté  d'action.  Ne  possé- 
dant guère  que  son  nom  bien  à  elle,  elle  avait  ses  intérêts,  son  per- 
sonnel engagés  ailleurs.  La  juridiction  consulaire,  qui  lui  transmit 
ses  membres,  l'intendant  qui  la  présidait,  le  Parlement  qui  la 
logeait,  les  jurats  qui  entretenaient  son  député  du  commerce,  tous 
avaient  droit  sur  elle,  plus  encore  que  les  négociants  auxquels  elle 
so  devait.  Son  rôle,  qui  devait  n'être  que  commercial,  ne  pouvait 
le  rester.  C'est  dans  la  société  bordelaise  qu'elle  était  appelée  à 
faire  figure  :  elle  devait  y  trouver  des  protecteurs  influents  capables 
de  faire  aboutir  ses  requêtes;  mais  ces  protecteurs  auraient  des 
ennemis,  qu'elle  serait  tenue,  elle  aussi,  de  combattre.  A  ce  jeu 
dangereux,  elle  n'eût  pas  manqué  de  perdre,  si  une  trêve  entre  les 
pouvoirs  ennemis,  provenant  de  l'excès  des  maux  acharnés  sur  la 
France,  n'avait  préparé  son  entrée  en  scène. 


CHAPITRE  II 

1705-1720 

Collaboration  en  vue  de  réparer  les  désastres 

Quand  les  Chambres  sont  créées,  la  France  est  en  guerre,  elle  a 
toute  l'Europe  sur  les  bras  :  l'ennemi  attend  pour  faire  la  paix 
d'avoir  épuisé  nos  forces,  et  Louis  XIV  sacrifiera  pour  avoir  la 
victoire  jusqu'au  dernier  homme,  jusqu'au  dernier  écu.  La  nature 
semble  avoir  fait  un  pacte  avec  les  impériaux,  l'hiver  de  1709  est 
terrible;  puis,  quand  la  paix  est  faite,  au  milieu  de  l'enthousiasme 
universel,  quand  la  France,  rajeunie  avec  son  nouveau  roi,  renaît 
à  l'espérance,  quand  un  financier  de  génie  semble  avoir  liquidé  tout 
un  passé  de  dettes  et  que  l'activité  du  commerce  est  décuplée  par 
les  nouveaux  miracles  du  crédit,  le  monde  de  prospérités  entre- 
vues s'abat  comme  un  château  de  cartes,  la  France  est  de  nouveau 
ruinée. 

De  1705  à  1720,  une  même  pensée  fit  converger  les  efïorts  des  auto- 


AVEC    LES    n'TENDANTS,    I.E    l'AULEMENT    El     LES    JtKVT^  83 

rites  Inrales  :  celle  (\o  réparer  les  désastres.  La  Chambre  l'exprimait 
à  sa  façon,  dans  la  première  lettre  que  nous  ayons  trouvée,  adressée 
par  elle  à  Chamillard,  le  2\^)  juillet  1705  : 

«  Le  commerce,  si  nécessaire  au  bien  des  États,  était  presque 
anéanti  dans  le  Royaume,  si  votre  Grandeur  n'avait  eu  la  bout/- 
de  luy  accorder  sa  puissante  protection  '.  » 

La  Chambre  songeait  surtout  au  négoce;  mais  comme  les  malheurs 
n'avaient  épargné  personne,  la  collaboration  s'imposait  pour  tous. 
Le  désir  de  travailler  au  relèvement  se  manifeste  à  cette  époque, 
non  seulement  dans  la  correspondance  et  les  délibérations  de  la 
Chambre,  mais  encore  dans  les  remontrances  et  les  arrêts  ^  du 
Parlement,  dans  les  requêtes  de  la  jurade,  dans  les  lettres  et  dans 
les  ordonnances  des  intendants. 

1 

La  Chambre  commença  de  bonne  heure  à  faire  figure;  il  est 
naturel  que,  pressée  par  la  nécessité,  elle  se  soit  mise  en  rapport 
avec  les  autorités,  à  propos  des  questions  intéressant  plus  particu- 
lièrement le  commerce  :  questions  de  la  voiture  des  espèces  et  des 
billets  de  monnaie. 

En  temps  ordinaire,  les  espèces  provenant  de  la  recette  général»; 
des  fermes  ne  sortaient  pas  de  Bordeaux^;  l'argent  en  caisse  était 
donné  pour  du  papier  dont  la  valeur  était  reconnue^;  on  prenait 
des  lettres  de  change  sur  Paris  pour  faire  la  remise  des  fonds  ^ 
L'argent,  les  espèces  restaient  à  la  disposition  du  commerce  et 
s'employaient  sur  place,  à  son  avantage  ^ 

En  temps  de  guerre,  quand  le  Gouvernement  avait  besoin  d'ar- 
gent pour  entretenir  ses  armées,  il  était  moins  accommodant  :  il 
faisait  vonir  l'argent  provenant  de  la  recette  des  fermes  :  el  c'est 
ce  que  l'on  appelait  :  la  voiture  des  espèces. 

Pour  les  Bordelais,  les  conséquences  naturelles  rl'unc  s<MiiM;iltl«' 
mesure  étaient  d'abord  la  difficulté  de  négocier  des  lettres  de  change 
sur  Paris  ^,  puis  la  gêne  qui  en  résiiltait  pour  la  ><  liberté  d\\  con,- 
merce  »  ". 

1.  C  4260,  25  juill.l  1 7(i:.. 

2.  C  3786.  C  3793. 

3.  C.  4251,  17  mars  1717.   Registre  tlt-:;  délibéralioii^. 

4.  C  4253,  19  mai   1733.   Hecistro  (if.-;  (lélib<^r;itions. 

5.  C  4251,  5   février   1711.   ReRistrt^  de.-;  (It-liluTations. 

6.  C  4300,  21   mars  1707.  Registre  île  correspondance^. 

7.  C  4252,  27  février  1716.  Registre  des  délibération^. 

8.  C  4252,  24  décembre  1716.  Registre  des  délibérations. 


84      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Si  la  crise  se  prolongeait,  si,  par  exemple,  le  contrôleur  général 
donnait  l'ordre  de  faire  voiturer  chaque  mois  l'argent  qui  se  trou- 
vait dans  les  recettes,  le  commerce  était  menacé  d'une  ruine  totale; 
les  meilleurs  négociants  ne  trouvaient  plus  à  placer  leur  papier», 
et  l'on  assistait  à  des  débâcles,  telles  que  nous  en  présente  ce 
mémoire  écrit  par  les  directeurs  : 

<(  La  place  est  aujourd'hui  dans  un  désordre  affreux,  on  y  regarde 
comme  de  la  boiie  les  lettres  tirées  sur  Paris nous  nous  conten- 
terons de  parler  de  la  plus  triste  foire  du  monde  quy  cause  une 
entière  ruine  chez  tous  les  marchands.  Il  y  en  a  beaucoup  qui  rap- 
portent toutes  leurs  marciiandises,  bien  d'autres  qui  n'ont  pas 
receu  assez  d'argent  pour  payer  leurs  voitures;  les  meilleurs  mar- 
chands de  la  province  se  sont  retirés  sans  donner  un  sol,  et  on  n'a 
jamais  veu  tant  de  condamnations  à  la  bourse  -.  » 

Les  autres  expédients  d'un  gouvernement  aux  abois  ne  portaient 
pas  moins  atteinte  à  l'activité  commerciale;  venant  après  la  voiture 
des  espèces  ^,  le  cours  forcé  des  billets  de  monnaie  n'était  pas  moins 
ruineux.  Émis  par  un  État  obéré,  incapable  d'en  garantir  la  valeur 
d'émission,  ils  étaient  voués  à  la  dépréciation  la  plus  inattendue, 
surtout  dans  une  province  comme  la  Guienne  «  où  tous  les  revenus 
consistent  en  foires  et  vignes  pour  lesquelles  il  faut  de  menues 
dépenses...  »  *  où  se  donne  de  bel  argent  comptant^. 

Que  pouvait-il  arriver  quand  «  les  étrangers  et  les  Français  ne 
traitaient  d'aucune  affaire,  où  il  ne  fut  par  exprès  stipulé  que  les 
payements  ou  les  remises  seraient  en  espèces  et  non  en  billets  »  ^? 
Le  commerce  s'arrêtait,  l'argent  devenait  de  plus  en  plus  rare,  et 
les  marchands  ne  venaient  plus  approvisionner  le  marché  ". 

Or,  le  négoce  eut  à  souffrir  de  la  voiture  des  espèces  en  1705,  1707, 
1711,  1715,  1716^,  pour  ne  parler  que  de  la  période  qui  nous  occupe; 
il  subit  le  cours  forcé  des  billets  de  monnaie  pour  un  tiers,  d'après 
la  déclaration  royale  du  12  avril  1707  qui  l'ordonnait,  à  dater  du 
20  mai,  dans  tous  les  paiements,  excepté  dans  les  recettes  des  aides, 
gabelles,  et  pour  les  droits  d'entrée  et  de  sortie^;  pour  un  quart, 

1.  C  4263,  29  mai  1753. 

2.  C  4262,  12  mars  1726.  De  ïioisXMe,  Carres /jondance  des  Conlrôlfurs  généraux,  t.  Il, 
II"  533,  p.  154,  9  oct.  1703,  lettre  de  La  Bourdonnaye,  et  t.  III,  n"  953,  p.  348,  27  jan- 
vier 1711,  lettre  de  de  Courson. 

3.  ('.  4267,  mémoire  sur  la  question. 

4.  19  mars  1707.  Registres  de  la  Jurade,  corresp. 

5.  C  4267,  mémoire  sur  la  rpiestion. 

6.  M  J 

7.  M. 

8.  C  4251.  C  4252. 

9.  C  4251,  28  avril  1707, 


AVEC    LES    INTENDANTS,     I.E    l'AKI.EMENT    FI     LES     H  R  \T>  85 

iTapivs  celle  du  l^>  octobre  17(J7.  ijui  t'xceptuit  seulement  ([uelciues 
provinces  frontières';  les  négociant.-  m-  savaient  (|ue  devenir: 
t'tiiiit  i-  rdil  vifs»,  au  ilir-r  lie  l'iiif  iMhhint ,  ils  "ni-  songent  i.uii.ii- 
aux  inconvénients  (|ui  peuvent  arriver  à  l'avenir)»;  ils  s'aventurent 
ilans  «beaucoup  drnlreprises  sans  aucun  fonds»'*;  au  moment 
'lititjue,  ils  s'alTnltiit .  n-iKJrnt  sans  raison  «  les  gens  de  |;i  Heligion  '< 
responsables  du  lorl  (pii  Irnr  est  fait'*.  Mors  tout  !•'  tiionrb;  jx-rd 
lontiance,  on  cherche  à  retin-r  1  aitriMit  i|u"oii  :i  entre  les  main>  i\>-~ 
négociants,  nul  ne  vt-ut  h'ur  pièlcr ';  ils  font  faillit t*.  Constmir.- 
avec  tout  le  coiiuncrcc,  la  C.iiainbrc  eut  recours  aux  plaintes,  et 
c'est  à  l'intendant  que  tout  fl'abord  elle  les  adressa,  à  Labourdon- 
uaye.  N'était-ce  pas  lui  ipii  représentait  ce  gouvernement  beso- 
gneux, soucieux  de  faire  argent  de  tout?  Dès  le  mois  d'août  170λ, 
l'intenihint  promit  de  s'occuper  sérieusement  i|c  la  question  des 
espèces  et  même  d'en  écrire  incessamment  au  ministère:  il  estimait 
de  plus  que  la  (-luiiiibir  Irijiit  bien  de  rontiuin  r  ses  plaintes-^.  En 
1707,  il  remporta  coup  sur  coup  deux  victoires  pour  le  commerce  et 
]»our  la  (Uiambre;  sur  une  voiture  de  100,000  livres,  il  obtenait 
eu  mais  (|ue  Chamillard  eût  «  la  bonté  de  laisser  employer  cette 
somme  à  l'avantage  du  commerce  n^:  deux  mois  après,  la  (Uiambrc 
apprenait  que  le  roi  avait  «  trouvé  bon  de  suspendre  la  déclaration 
du  rj  avril  dernier»".  L'intendant  voulait  (|ue  l.i  Chambre  fût  :  en 
exceptant  le  maréclial  de  Mont  ic\  .■!,  auquel  elle  eut  maintes  foi.> 
l'occasion  de  témoigner  sa  contiance  ou  sa  reconnaissance,  notam- 
ment en  mars  ^,  en  mai  1707^,  en  octobre^**  encore,  il  était  le  seul 
à  le  vouloir.  Les  jurats  prirent  ombrage  de  la  situation  nouvelle  (]>- 
la  Chambre;  protégée  à  la  fois  par  le  lieutenant  de  la  province  c| 
l'intendant,  elle  entrait  en  ligne  de  comj)te:  elle  osait,  à  l'occasion 
de  la  crise  monétaire,  <  faire  de  très  luunbles  remoniraiices  ^)^^  (je 
souligne  le  terme  parce  cpiil  est  intéressant)  ;  et  de  ce  seul  fait,  elle 
s'élevait  au  niveau  des  plus  vieux  corps  de  France,  pour  qui  droit 
de  remontrance  valait  indépendance  et  liberté.  Elle  avait  décou\  ert 
■e  secret  de  leur  force. 

1.  i;  ■i-2:,\.  :!i  <Ki..bi.'  ITUV. 

'2.   De  Uoi.sli.sle,  Corresiiunduiuc  tk»  Cunlrôleurs  'jfncrtiu.i .  l.  III,  n"  Isei.  -.'3  m;ir>  171.''. 

3.  /</..  t.   II.  n"  .-.33,  p.  l.M,  0  orl.  1703. 

4.  Id..  t.   m,  n"  IsUl,  -23  nuiis  1715,  p.  58-2. 
.S.   C  4-2.M,  -27   août.  170.5. 

6.  r.  4300,  -21   mars   1707.  -.    •    = 

7.  C  4-251,   19   mai   1707.  '  .      , 

».  C  4300,  -21   mars  1707.  '  '                      "     ' 

'.K  C  4-251,   19  mai  1707. 

10.  /'/.,  31   oct.   1707.  •  ■• 

11.  W.,  -28  avril  1707.  :      ••     .      .         


86      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Son  exemple  excite  le  zèle  des  jurats  :  ils  se  mêlent  à  la  lutte 
engagée  à  propos  de  la  voiture  des  espèces,  et  la  Chambre  se  fait 
un  devoir  de  leur  annoncer  leur  propre  victoire,  victoire  d'un  jour, 
remportée  en  mai  1707»;  mais  ils  se  piquent  au  jeu,  et  n'ayant 
point  été  informés  par  le  député,  en  même  temps  que  la  Chambre, 
de  la  nouvelle  déclaration  du  roi,  ils  écrivent  à  leur  mandataire 
cette  lettre  curieuse  ; 

«  Il  nous  semble  que  cette  déclaration  regardant  l'interest  publicq 
de  cette  ville  et  de  toute  la  province,  bien  plus  que  le  commerce 
particulier  des  negotians,  vous  deviez  du  moins  nous  en  informer 
dans  le  même  temps  que  vous  en  avez  informé  les  Messieurs  (de 
la  Chambre  de  commerce),  étant  bien  plus  naturel,  s'il  y  a  quelque 
grâce  à  demander  au  Roy  à  ce  sujet,  que  celle  {sic)  vienne  de  la  part 
de  ceux  en  la  main  desquels  l'authorité,  la  reforme  de  semblables 
inconvenians  et  le  soin  du  public  réside,  que  de  la  part  des  particu- 
liers qui  n'ont  de  fonction  qu'à  donner  des  avis  sur  l'idililé  du  com- 
merce; ce  n'est  pas  qu'ils  n'en  ayent  très  bien  usé  à  notre  égard, 
puisqu'ils  nous  ont  d'abord  conmiuniqué  votre  lettre,  mais,  etc.  ^.  » 

Et  les  jurats  ajoutent  à  quatre  jours  d'intervalle  : 

«  Ces  Messieurs  de  la  Chambre  de  commerce  nous  communi- 
quèrent hier  votre  dernière  lettre,  nous  vous  laissons  à  juger  s'il 
ne  doit  pas  nous  être  bien  sensible  de  voir  que  vous  informez  des 
affaires  du  public,  par  préférence  à  nous,  des  personnes  qui  n'y 
I)euvent,  n'y  doivent  entrer  que  par  notre  canal  ^.  » 

Ces  deux  lettres  sont-elles  assez  significatives  !  et  comme  il  y 
paraît  bien  que  cette  Chambre,  établie  sans  être  dotée,  plutôt  des- 
tinée, semble- 1- il,  à  récompenser  par  une  retraite  honorable  les 
négociants  vieillis,  qu'à  représenter  la  partie  jeune  et  active  du 
commerce,  devait  jouer  un  bien  mince  personnage  à  côté  de  ses 
aînés,  et  de  combien  de  siècles,  les  jurats  et  le  Parlement  ! 

Car  ce  dernier  était  peut-être  plus  hautain  encore  que  la  jurade, 
qui,  elle,  avait  daigné  collaborer  avec  la  Chambre,  encore  qu'en 
bougonnant.  Le  premier  président  Dalon  (1703-1713),  ancien  jurât 
d'ailleurs,  et  d'un  tempérament  quelque  peu  autoritaire^,  tient 
des  propos  étranges,  qui,  dans  sa  bouche,  sont  méprisants  : 
«  Messieurs,  écrit-il,  aux  directeurs,  je  n'avais  pas  attendu  votre 
lettre  sur  votre  mémoire  pour  faire  ce  qui  était  de  mon  pouvoir, 

1.  C  4251,  19  mai  1707. 

2.  Correspondance  de  Jurade,  15  nov.  1707. 

3.  Correspondance  de  Jurade,  L9  nov.  1707. 

4.  Communay,  op.  cii.,  p.  124.  .  ,  ^ 


AVEC    LEï.    1MENUAMT&,    I.t    l'ARI.LMKNT    Kl     LE>    JLHAlS  87 

ailiird'cmpêcher  l'exécution  de  la  déclaration  du  Roy  concernant 
le  cours  des  billets  de  monnaye  dans  les  provinces  '.  » 

Je  crois  bien  qu'il  veut  dire  :  vous  n'aviez  rien  à  dire  et  c'est  tuul 
comme  si  vous  n'aviez  rien  dit.  La  forme  est  détournée,  mais  cllr 
cesse  de  l'être  par  la  suite. 

K  CVest  donc  à  vous,  Messieurs,  à  obéir  avec  soumission  et  à  enjja- 
ger  tous  vos  négociants  de  ne  pas  interrompre  le  commerce  en  ser- 
rant leur  argent;  s'il  y  en  a  quelqu'un  qui  ne  les  prenne  pas  (les 
billets  de  monnaye)  sans  bénéfice,  il  sera  puni  sans  cartier  '-.  » 

Ces  citations  étaient  nécessaires  pour  montrer  (luelle  fut  au  début 
la  bienveillance  de  l'intendant,  et  au  contraire  la  défiance  des  jurais 
et  du  Parlement  à  l'égard  du  corps  naissant  des  Chambres  de 
commerce. 

Nous  avons  vu  la  position  que  prit  chacun;  les  oiUciers  munici- 
paux furent  les  premiers  à  modifier  leur  attitude. 

II 

La  crise  monétaire  et  commerciale  se  perpétuait  et  les  jurats  se 
résignaient,  comme  bien  d'autres,  à  endurer  ce  qu'ils  croyaient 
inévitable,  quand  le  commerce  crut  découvrir  une  chance  de  salut. 

Il  existait  autrefois  à  Bordeaux  un  privilège  des  bourgeois,  les 
exemptant  du  droit  de  comptablie  ^,  autrement  dit  de  la  grand»- 
et  petite  coutume'*,  perçu  sur  certaines  denrées  à  l'entrée  des  villes 
de  Guienne;  depuis  1675,  ce  privilège  était  tombé  en  désuétude; 
«•n  avait  pensé  à  le  rétablir  en  1701,  mais  le  départ  d'Amelot  pour 
l'Espagne  avait  été  cause  qu'il  n'en  avait  plus  été  parlé  ^;  et  voilà 
qu'un  beau  matin,  la  Chambre,  dans  sa  déhbération  du  5  janvier 
1708,  frappée  de  voir  l'état  pitoyable  du  commerce  et  la  cessation 
presque  générale  de  toutes  les  aiïaires,  se  demanda  s'il  ne  sérail 
pas  à  propos  de  faire  revivre  «  la  proposition  du  rétablissement  do 
la  bourgeoisie  ».  Elle  s'adressait  à  ceux  que  l'alTaire  intéressait  plus 
que  personne  :  aux  jurats  eux-mêmes.  Elle  se  mettait  sous  leur 
patronage  et  leur  demandait  une  assemblée  *. 

C'était  un  coup  de  maître  :  les  jurats  devenaient  des  alliés.  On 

1.  (;   1300,   l'J  nos.    1707.    ConeipoïKluncc.  , 

■Z.   Id. 

3.  Délibéra  lion  ilc  Jurade,  '21  avril  170S. 

■i.  Hegistrc  de  correspondan'c  de  la  Jurude,  2G  uvril  1708. 

5.  Id.,  21  avril  1708. 

6.  C  4-251,  5  janvier  1708.  Délibération. 


88      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

venait  implorer  leur  secours  dans  une  cause  qu'ils  étaient  bien 
obligés  de  défendre,  dont  ils  auraient  dû  même  se  faire  les  cham- 
pions. Ils  s'étonnent  d'avoir  pu  être  devancés  : 

«  Nous  ne  savons  non  plus  que  vous,  écrivent-ils  à  Fénelon,  par 
quelle  secrète  inspiration  et  sous  quels  favorables  auspices,  nos 
Messieurs  de  la  Chambre  de  commerce  ont  été  prévenus  que  ce 
temps  était  favorable  à  la  nouvelle  tentative  de  l'affaire  de  la  bour- 
geoisie; nous  n'avons  pas  peu  refuser  au  zelle  qu'ils  nous  ont  marqué 
avoir  pour  cela,  tout  le  secours  que  vous  voyez  que  nous  luy  donnons, 
faites-en  s'il  vous  plaît  de  même  pour  éviter  qu'ils  ne  répandent 
des  plaintes  de  quelque  molle  action  ou  négligence  auxquelles  ils 
ne  manqueraient  pas  d'imputer  l'échec  de  leur  dessaing^  »  Et  en 
fait,  les  jurats  sentent  bien  que  leur  honneur  est  engagé  avec  leur 
popularité  même.  Ils  comprennent  confusément  quel  rôle  la  Cham- 
bre va  jouer,  et  ils  se  promettent  de  ne  pas  être  les  seconds.  C'est 
à  qui  saura  le  mieux  défendre  les  intérêts  de  la  ville.  Si  du  mois  de 
janvier  au  mois  d'avril  les  directeurs  n'ont  pas  laissé  passer  de 
semaine,  de  jour  même  qu'ils  ne  vinssent,  à  propos  du  droit  de 
bourgeoisie,  tâcher  de  convaincre  les  jurats-,  ceux-ci  n'hésitent 
pas  à  écrire  partout,  à  donner  le  branle  à  toutes  les  influences;  ils 
s'adressent  à  l'intendant,  au  marquis  d'Estrades,  maire,  à  Fénelon, 
le  député,  au  chancelier,  au  duc  de  Beauvilliers,  pair  de  France,  au 
duc  de  La  Vrillière,  à  Desmarets,  au  duc  de  Chevreuse,  à  d'Agues- 
seau  et  à  d'autres  encore^.  Après  avoir  été  devancés  par  la 
Chambre,  ils  veulent  la  dépasser. 

Forts  de  leur  autorité  et  de  leurs  ressources  sans  égales,  ils  pou- 
vaient la  dépasser  sans  peine,  dans  le  soulagement  de  la  crise  extra- 
ordinaire qui  s'annonçait  pour  la  fin  de  1708  et  le  début  de  1709. 
La  Chambre,  trop  jeune  pour  pouvoir  imposer  d'ores  et  déjà  sa 
direction  aux  commerçants,  a  été  impuissante. 

Elle  a  dû  se  reconnaître  inférieure  au  rôle  que  l'intendant  vou- 
lait dès  lors  lui  faire  jouer  :  soucieux  de  conjurer  la  famine,  il  est 
venu  la  présider,  le  13  juin,  pour  s'assurer  son  concours  et  celui  des 
négociants;  les  directeurs  l'ont  remercié  «  des  soins  infatigables  qu'il 
s'était  donné  pour  remédier  aux  besoins  présents  dans  lesquels  la 
province  s'est  trouvée,  de  son  zèle  et  de  son  attention  pour  éviter 
ceux  dont  elle  est  encore  menacée  »  *  et  à  la  suite  de  cette  réconfor- 

].  Lettre  de  Jurade,  5  mai  1708. 

i.  C  4251,  5,  1-2  janvier  1708,  etc.  Délibération  de  Jurade,  21  avril  1708. 

3.  Registre  de  correspondance  de  la  Jurade,  1708. 

4.  C  4251,   13  juin  1709.  Registre  des  délibérations.  ^ 


AVEC    LES    INTENDANTS,    I.K    PARLEMENT    ET    l,ES   JURATS  89 

liiiilf  conversation,  ils  oui   ri,ii\(Hjué  des  assemblées  a  la  lioursc, 
ou  «liez  M.  Ségur  de  Cabanac  ^,  le  nouveau  sous-maire. 

Leurs  clTorts  ont  été  vains  :  ils  s'étaient  tro[)  avancés  en  jn<iini't- 
lant.  sous  certaines  conditions,  le  concours  fie  tout  le  commerce; 
ils  peuvent  bien  dissimuler  la  vérité  au  contrôleur  général,  l'échec 
est  véritable;  ils  n'^^n  cachenl  ijeii  ;'i  linlendant,  et  l'on  sent  à  les 
entendre  qu'ils  sont  profondément  déçus  et  découragés. 

«  Monseigneur,  quelque  chose  qu'on  ayt  pu  représenter,  il  n'a 
pas  été  possible  de  les  obliger  à  faire  une  compagnie  pour  faire 
venir  des  grains  des  pays  étrangers,  soit  par  la  crainte  (pi  iU  «-ni 
(des  ennemis),  ou  par  d'autres  raisons  qu'ils  alléguérenl  :  iii:iis 
ayant  examiné  les  circonstances  favorables  que  contiendraient  les 
passeports...  et  ayant  trouvé  qu'elle  leur  était  très  avantageuse, 
ils  s'en  tinrent  à  cette  voie  ^.  » 

L'intendant  ne  pu!  (|ue  déplorer  cet  échec  ^,  sans  pouvoir  y 
remédier  lui-inêine.  (>iicl(|ues  jours  jdus  tard.  r,our>oii  je  irmphi- 
çait. 

Cependant  les  jurats  s'étaient  l(M't  employés  à  comballre  |;i 
disette;  on  les  avait  vus,  dès  It;  b  septembre  170S'.  piéeoni>er 
l'expédient  que  la  Chambre  de  commerce  était  encore  à  projMisrr 
le  3  août  1709,  dans  sa  lettre  au  contrôleur  général'':  Teiivoi  à 
M.  le  marquis  de  Boussac,  ambassadeur  du  roi  de  France  eu  Polo- 
gne, de  passeports  en  blanc  pour  être  délivrés  aux  vaisseaux  qui 
ravitailleraient  le  pays,  de  blés  ^. 

Sans  s'adresser  directement  à  la  Chambre  de  commerce,  comme 
l'avait  fait  l'intendant,  les  jurats,  pour  parer  à  la  disette.  u';i\,iieiil 
pas  laissé  de  prier  M.  Daniel  Denis,  eoiisul  de  |;i  Hourse.  et.  à  ce 
titre,  membre  de  hi  Chambre,  jurai  d'ailleur-  eu  1710,  de  fjiire 
venir  des  blés  «  pour  le  compte  et  risque  de  la  ville  \  ju-qu'à  con- 
currence de  la  somme  de  -^O.CXX)  livres;  il  devait  être  payé-  u  des 
deniers  remis  au  sieur  René  Roux,  aussy  consul  d.'  I;i  Rouree.  i-l 
la  ville  devait  faire  décharger  les  vaisseaux  ili'  iin(|uaide  ><uis  par 
tonneau  »  ''. 

Jurats  et  membres  de  la  Chambre  allaient  ainsi  vers  renlenle 
quasi  cordiale.    Un  beau   joui-,   ils  s'apercureid    ipi'il-   ;i\;iieiit    les 

1.  <:  4200,  3  aoùl  170'J.  Coiic-i.Dii.laii.v. 

■Z.  C    liGO,   3   août    170'.».   Corivspdii.laiirf. 

3.  C  4301,  8   août    170'J.   CiMiitf|)(iiiilaiiCf. 

4.  Lcttr»'  di'  Juraile  à  Desmarets,  h  si-ptciulnp    I70s. 

5.  C  4-200,  3  août   \709.  ,' 
fi.  I.ettri'  lit'  Juraiif,  ,">  ?cpt>'iiil(iu  17(tS. 

7.   '.•  jainii-i'   170'.'.   Ui-libùralioii  i\v  .luradc. 


90  RAPPORTS   DE   LA.   CHAMBRE    DE    COMMERCE    DE    BORDEAUX 

iiiêmes  principes,  ou  du  moins  les  mêmes  aspirations.  Les  uns  et 
les  autres  veillaient,  en  ces  temps  malheureux,  à  ne  pas  laisser 
s'accroître  les  charges  déjà  très  lourdes  des  négociants;  des  direc- 
teurs furent  avertis  que  les  vergeurs  d'eau-de-vie  avaient  fait  sans 
autorité  et  secrètement  une  espèce  de  police  entre  eux,  par  laquelle 
ils  devaient  se  faire  payer  plus  cher  à  l'avenir:  plus  que  ne  le  com- 
portait le  tarif  ordinaire,  et  cela  contrairement  aux  précédentes 
conventions. 

M.  Saincric,  alors  consul  et  qui  devait  être  jurât  en  1717,  alla 
avertir  les  officiers  municipaux  en  la  personne  de  M.  Denis,  ancien 
consul  de  1708  et  jurât  i. 

Celui-ci  fit  venir  les  vergeurs  chez  lui,  et  s' étant  fait  remettre 
la  police  en  question  déjà  signée  par  quelques  négociants  des  Char- 
trons,  peut-être  des  rivaux  de  la  Rousselle,  où  se  recrutaient  ensem- 
ble jurats,  négociants  et  directeurs,  il  la  jeta  au  feu  et  leur  défendit 
«  de  ne  parler  plus  de  cette  affaire  et  d'entreprendre  à  l'avenir  secrè- 
tement rien  de  semble  (si:)  qui  méritait  une  réprimande  sévère  »  -. 

Il  en  advint  de  même  en  1715^,  et  l'on  peut  croire  que  les  rela- 
tions particulières  des  jurats,  des  consuls,  des  directeurs  et  le  pas- 
sage des  mêmes  hommes  à  la  jurade  et  à  la  Chambre,  ne  contri- 
buèrent pas  peu  à  rattacher  de  si  bonne  heure,  par  les  liens  les  plus 
étroits,  ces  deux  corps  que  les  intérêts  de  Bordeaux  mettaient  le 
plus  en  communion  d'idées.  Il  semble  qu'ils  tendent  déjà  à  se 
pénétrer  et  comme  à  se  confondre  :  nous  avons  vu  que  Saincric  et 
Denis  furent  presque  en  même  temps  jurats  et  directeurs.  Il  y 
en  avait  d'autres  :  Partarrieu  fut  en  même  temps  jurât  et  direc- 
teur en  1707;  Menoire,  jurât  en  1711,  fut  directeur  en  1714;  Bru- 
naud  fut  au  contraire  directeur  en  1710,  avant  d'être  jurât  en  1712. 
Dans  le  cursus  hononim  municipal,  entre  les  deux  titres  on  hési- 
tait déjà.  y 

Est-ce  à  dire  que  le  doute  fût  permis?  Il  ne  le  semble  point; 
quand  la  question  se  posa  en  1713"*,  de  savoir  qui  devait  avoir  la 
préséance  à  la  Chambre,  des  citoyens,  c'est-à-dire  des  jurats  et 
anciens  jurats,  ou  des  anciens  juges  et  consuls,  de  Courson  ayant 
écouté  les  raisons  des  deux  partis,  se  décida  en  faveur  des  premiers, 
bien  qu'en  toute  rencontre  il  défendît  ouvertement  les  intérêts  de 


1.  G  4251,  18  décembre  1710.  Registre  des  délibérations. 

2.  M,  24  décembre  1710.  M. 

3.  G  4252,  28  février  1715-7  mars  1715.   M. 

4.  G  4251,  29  avril  1713.  Id. 


AVEC    LES    I>TENDA>TS,    LE    PARLEMENT    ET    LES    JLAATS  Ql 

la  Chambre  de  commerce,  bifu  que,  suivant  eu  cela  l'exemple  de 
M.  Féuelon,  il  s'oubliât  parfois  à  liaformer  la  première,  en  certains 
cas  même  où  la  compétence  des  directeurs  pouvait  être  discutée  ^. 


NI 

(.îuillaume-Urbain  de  Lamoignon,  comité  de  Launay-Courson, 
né  le  2'J  octobre  1674,  était  lils  de  l'intendant  du  Languedoc. 

Lui-même  venait  d'être  intendant  de  Rouen,  autre  grand  port 
de  commerce,  quand  il  arriva  à  Bordeaux,  pour  remplir  cette  charge, 
le  14  août  1709=2. 

Le  commerce,  dès  l'abord,  sembla  l'intéresser  particulièrement; 
et  de  Courson  était  à  Bordeaux  depuis  trois  ans  à  peine,  que  les 
directeurs  écrivaient  :  «  Dans  ce  pays  on  n'oserait  rien  faire  contre 
les  ordres  de  M.  l'Intendant^.  » 

Au  moment  où  l'on  pouvait  déjà  prévoir  l'issue  fatale  des  confé- 
rences engagées  à  Gertruydenberg  -,  les  négociants  bordelais  trou- 
vèrent opportun  d'accueillir,  après  les  avoir  repous-^ées,  les  propo- 
sitions que  le  roi  avait  faites  au  commerce  de  tous  les  ports  par  son 
ordonnance  du  l^'''  juillet  1709^:  de  fournir  les  navires  désarmés 
qu'il  avait  dans  les  arsenaux,  de  recruter  les  équipages,  d'abandon- 
ner aux  armateurs  le  cinquième  qui  lui  revenait  sur  les  prijcs.  Un 
mémoire  fat  donc  adressé  par  les  commerçants  à  la  Chambre,  pour 
obtenir  l'armement  d'une  irégate  de  douze  canons,  destinée  à  pro- 
téger l'entrée  de  la  rivière.  Les  commerçants  n'entendaient  avoir 
recours  qu'à  Sa  Majesté  le  Roi,  qu'à  l'intendant  et  à  la  Chambre  ; 
celle-ci,  devant  choisir  et  nommer  les  capitaine,  ofTiciers,  soldats  et 
matelots  du  navire;  celui-là  devant  désigner  un  négociant  qui 
loverait  les  doits  nécessaires;  les  directeurs  se  réservaient  de  lui 
présenter  trois  sujets  :  l'élu,  sa  mission  remplie,  ne  devait  rendre 
compte  que  par-devant  la  Chambre,  en  présence  de  l'intendant^. 
Cette  collaboration  non  plus  fortuite,  mais  savamment  élaborée, 
semblait  avoir  été  établie  en  conformité  avec  les  rapports  olUciels 
existant  entre  les  directeurs  et  de  Courson,  leur  président; 

C'était  l'application  éLendue  de  l'acte  de  170Ô.  Mais  le  pauvre 

1.  C  425-2,   l'J  déciîiiiljre   1710-i  janvier  1710.  Hegiblie  des  délibéruUoii?. 

2.  Bonnussieu,  Introduction  à  l' Inventaire  des  arcliiues  du  bureau  du  cunimcrcc.  1.  111. 

3.  C  4200,  »  octobre  1712.  Correâpoiidance. 

4.  Mars  à  juillet  1710. 

5.  C  3/80.  Cité  par  Labuchelle,  in  Revue  historique  de  Bordeaux,  1909,  p.  268. 

6.  r.  42.^1,  5  juin    1710. 


Oa  RAPPORTS    DE    LA.    CHAMBRE    DE    COMMERCE    DE    BORDEAUÏ 

budget  de  la  Chambre  ne  répondait  guère  au  rôle  de  premier  plan 
qu'elle  prétendait  se  donner.  Il  lui  fallait  de  l'argent,  afin  de  pouvoir 
avancer  sur  le  produit  de  la  levée  les  premiers  fonds  nécessaires; 
de  plus,  n'ayant  rien  par  elle-même,  elle  devait  s'assurer  les  garanties 
les  plus  sérieuses  de  remboursement. 

Le  mémoire  du  commerce  lui  rappela  que  ses  4,Ub6  livres  ne  lui 
avaient  été  payées  ni  pour  1709,  ni  pour  1710  «;  le  même  jour, 
5  juin  1710,  qu'elle  exposait  à  l'intendant  la  situation  malheureuse 
du   négoce  bordelais,   elle    lui   confiait    la   sienne    plus    déplorable 


encore  ^. 


Deux  questions  étaient  ainsi  posées  :  d'une  part,  celle  des  droits 
à  lever  pour  l'armement  du  navire;  de  l'autre,  celle  de  l'augmenta- 
tion des  revenus  de  la  Chambre. 

Malgré  les  besoins  pressants  du  commerce,  la  dernière  afïaire 
devait,  avant  toute  autre,  recevoir  une  solution.  L'intendant  l'en- 
tendait bien  ainsi:  il  écrivit  à  Pontchartrain;  mais  sachant  le  désarroi 
des  finances  royales,  il  promit  à  la  Chambre  de  la  faire  payer  sans 
passer  par  le  ministre  ^.  C'était  le  plus  sûr,  mais  il  fallait  trouver  des 
fonds;  la  Chambre,  d'accord  a>ec  l'intendant,  eut  l'idée  de  deman- 
der leur  consentement  «  aux  corps  et  communautés  des  marchands 
et  artisans  des  villes  du  plat  pays,  pour  faire  attribuer  aux  gages 
à  elle  déjà  accordés  les  sommes  modiques  pour  lesquelles  les  dits 
corps  sont  compris  dans  les  états  du  Roy  »  ''. 

Ces  sommes  étaient  si  peu  considérables,  que  les  ayants  droit  ne 
les  réclamaient  point;  de  plus,  elles  provenaient  de  fonds  analogues 
à  ceux  qui  constituaient  le  budget  de  la  Chambre  '". 

Quand  celle-ci  écrivit,  sur  les  conseils  de  l'intendant  sa  lettre- 
circulaire  aux  corps  et  communautés  du  plat  pays,  elle  avait  tout 
lieu  de  voir  aboutir  sa  demande.  Mais  un  jour,  le  ministre  vint  lui 
signifier  le  refus  du  roi  ^  L'affaire  était  classée.  En  1712,  pourtant, 
Desmarets  renvoyait  la  question  à  l'intendant',  et  celui-ci  ne  put 
que  laisser  entendre  tout  le  regret  qu'il  avait  d'un  aussi  long 
retard  ^ 

—  Cependant  la  Chambre  de  commerce  avait  dû  armer  la  Nymphe, 

1.  C  4-251,  5  juin   1710.   Registre  de;-  délibération;-, 

•i.  M. 

3.  Id.,   \-î  juin   17  lu.   Registre  des  délibérations. 

4.  Id. 

5.  C  4260,   1"  juillet  1710.  Correspondance 

6.  C  1611,  30  novembre  1711. 

7.  M.,  15  juin  1712. 

8.  Id. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    LE    PAHI.EMENT    ET    I.LS    JUHATS  ()3 

trop  o^ros  vaisseau  imposé  par  un  pouvoir  hors  d'état  (!<•  f;iin'  lu  ii- 
ueur  à  sos  cntraf/t'ini^ut  s.  à  [ilii<  fuili  r.usi-n  d'en  <<iiil  r;i<  I  r  il<' 
nouveaux. 

De"  (loursou  tut  liabilf,  il  biaisa  :  ayant  trois  n"»les  ;"i  jouer,  il  n'en 
.-acrifia  aucun:  montrant  autant  d'aptitude  lour  ;'i  four  i"i  représenter 
un  fîouvernenient  absolu,  aucpicl  il  fallait  bien  obéir,  (pi'à  présider 
un  corps  autonome  soucieux  dr  taire  friomplipr  ses  justes  revendi- 
calions,  (|u'à  protéger  le  conmuTce  dont  la  détresse  était  infinie. 

Sur  son  initiative,  la  (Ihambre  fait  partir  Billaf  te  pour  aller  cher- 
cher à  Rochefort  le  naviic  (jui  peut  convenir  '.  Mais  elle  est  toujours 
ini(uiètede  l'excès  des  dépenses.  Elle  les  détaille  dans  un  mémoire  à 
l'intendant-,  où  elle  souligne  le  prodigieux  écart  entre  les  68,()0()  livres 
de  frais  nécessaires,  et  les  12,700  francs  de  recettes  attendues:  ne 
vaudrait-il  pas  mieux  que  Bordeaux,  Bayonne,  La  Rochelle,  Saint- 
Jean-de-Luz,  Ciboure  même,  se  partageassent  les  avantages  et 
au.ssi  les  charges  d'une  croisière?  Mais  Billattc  revient  sans  avoir 
abouti,  et  Pontchartrain  donne  à  entendre  que  c'est  la  Ni/mphe  qu'il 
veut  voir  armer'. 

De  Courson  désire  faire  porter  l'affaire  devant  une  assemblée,  où 
jilus  de  membres  seront  intéressés  à  l'armement. 

Les  anciens  .sont  réunis  "';  ils  se  prononcent  pour  une  augmenta- 
tiiin  sensible  des  droits  à  lever,  et  ils  prennent  à  témoin  de  leur  zèle 
pour  le  bien  et  la  conservation  du  commerce  le  maréchal  de  Mon- 
trevel  et  le  premier  présidents  Mais  l'intendant  s'est  absenté,  et 
pontchartrain  n'ayant  pas  cru  pouvoir  proposer  au  Roi  l'augmen- 
tation des  droits  que  la  Chambre  demande,  elle  se  résout  brusque- 
ment à  en  rester  là  ". 

l)e  (Icjurscju  revient;  ce  (jui  sanuuni^ait  ((uanic  la  rupture,  ne 
semble  plus  devoir  être  qu'un  nouveau  délai. 

L'intendant  est  l'acteur  principal  et  il  sait  son  rôle  à  mer\'eille. 

Tout  en  lui  faisant  des  promesses  jdus  fermes,  il  exerce  sur  la 
Chambre  une  certaine  pression  '.  11  provoque  une  seconde  asscmbléi' 
qui  lui  est  encore  favorable  ^  Il  montre  un  projet  d'arrêt  pour  la 


1.  C  4-2,'>l,    is  juin    1710.    Regislre   des  «It'libér.itioiis. 

•2.  C  4-267.    -x.t  juin    1710. 

3.  C  4-2.')l,    10  juillet    1710.   Res-'istre  des  dèlibératinns. 

4.  M.,  12  juillet  1710. 

5.  C  4251,    18  jiiillot   1710. 

6.  Id.,  -2  octobre    1710. 

7.  Id.,   10  février  1711. 

8.  Id.,  12  février  1711. 


94  RAPPORTS   DE    LA   CHAMBRE   DE   COMMERCE    DE    BORDEAUX 

levée  des  droits  demandés^;  il  flatte  la  Chambre  en  lui  communi- 
quant le  dossier  de  l'affaire,  les  pièces  que  lui  envoie  Pontchartrain  -, 
en  recevant  ses  mémoires,  en  lui  offrant  de  les  faire  parvenir^  !  Finale- 
ment, il  la  gagne  en  lui  faisant  remettre,  d'une  part,  une  lettre  du 
ministre  annonçant  que  si  les  négociants  ne  veulent  pas  armer  la 
Nymphe,  le  roi  s'en  chargera  à  leurs  dépens**:  d'autre  part,  l'arrêt 
du  Conseil  du  27  juillet  1711,  qui  permet  aux  négociants  de  Bor- 
deaux d'armer  une  frégate,  et  celui  du  18  août  suivant,  qui  les  auto- 
rise à  emprunter  par  le  ministère  de  la  Chambre  les  sommes  néces- 
saires pour  arriver  le  plus  tôt  possible  à  un  résultat  ^ 

—  Le  6  octobre,  la  frégate  la  Nymphe  sortait  du  port  de  Roche- 
fort. 

L'intendant  avait  entraîné  le  commerce.  Son  but  était  atteint, 
celui  de  la  Chambre  ne  l'était  pas. 

Quand  vint  l'heure  de  prêter  eiïectivement  la  somme  de  500  'ivres 
souscrite  pour  subvenir  aux  premiers  frais  par  chacun  des  négo- 
ciants, nombre  de  défections  se  produisirent  ^  Les  directeurs 
étaient  impuissants.  Ce  fut  encore  de  Courson  qui  prit  en  mains 
l'affaire. 

Ayant  reçu  la  liste  des  réfractaires,  il  les  envoya  chercher',  rejeta 
leur  demande  d'exemption  *  et  lança  une  ordonnance  pour  les  con- 
traindre au  payement  par  garnison  effective  ^ 

Son  bon  vouloir  ne  s^  démentit  plus;  il  obtint  de  bonne  heure 
le  désarmement  de  la  Nymphe.  Durant  tout  l'exercice  de  sa 
charge,  il  ne  cessa  d'entretenir  avec  les  Directeurs  les  meilleurs 
rapports.  Donnant  son  avis  en  conscience,  et  le  rapportant  au 
besoin  1'',  il  aimait  favoriser  le  commerce;  en  1711,  en  1715, 
en  1716  on  le  vit  tour  à  tour  interdire  la  voiture  des  espèces »», 
écrire  sur  les  frontières  de  son  département  pour  veiller  à  ce  qu'il 
n'en  sortît  point  >3j  et  s'excuser  presque  quand  il  ne  pouvait  en  arrêter 
que  la  moindre  partie  »3.  Nul  ne  se  rendait  compte  mieux  que  lui 

1.  G  4251,  15  mars  1711. 

2.  Id.,  15  may  1711. 

3.  M.,  28  août  1711. 

4.  C  4260.  26  septembre  1711. 

5.  C  4251,  6  septembre  1711. 

6.  Id.,  31  décembre  1711. 

7.  /d.,  7  janvier  1712. 

8.  Id.y  21   juillet  1712. 

9.  Id.,  3  février  1713. 

10.  C  4252,  25  février-4  mars  1717. 

11.  C  4251,  5  février  1711. 

12.  C  4252,  10  janvier  1715. 
18.  id.,  27  février.1716, 


AVEC    LES    INTENDAUTS,    I.K    FAMLEMENT    ET    LES    JLHAÏS  i^H 

des  vexations  que  faisait  endurer  au  négoce  un  fisc  toujours  auup- 
çonneux,  et  il  donna  tort,  je  crois,  à  ce  dernier,  le  plus  souvent  qu'il 
put  1-2. 

D'ailleurs,  de  Courson  n'apparut  jamais  comme  un  théoricien 
téru  de  ses  principes.  Ce  n'est  qu'en  août  1720,deux  moisavant  son 
ilépart,  qu'on  le  voit  traiter  avec  la  Chambre  une  question  géné- 
rale :  celle  du  libre  commerce  et  de  l'uniformité  des  droits;  et  encore 
t'tait-elle  posée  par  le  pouvoir  2;  et  encore  ne  prit- il  la  parole  que 
pour  la  céder  aussitôt  au  député. 

Il  aimait  mieux  faire  sentir  aux  négociants  bordelais  sa  protec- 
tion de  tous  les  instants  que  de  gêner  leur  liberté  par  une  surveil- 
lance constante. 

C'était  un  habile  et  il  comptait  sur  son  habileté  personnelle  et 
sur  son  désir  d'arranger  les  choses;  il  avait,  lui  aussi,  l'esprit  de 
commerce. 

C'est  sous  ces  traits  que  nous  allons  le  revoir,  spectateur  intéressé 
de.'?  conflits  de  la  Chambre  et  du  Parlement,  moins  soucieux  peut- 
être  de  préparer  les  voies  que  de  laisser  d'abord  agir  les  hommes, 
aller  les  choses,  confiant  qu'il  est  dans  l'heure  de  l'échéance. 

Par  son  inspiration  et  sous  son  autorité,  comme  s'en  plaignirent 
les  magistrats^,  la  Chambre  va  remporter  la  victoire  dans  l'aiTaire 
des  courtiers,  et  trouver  dans  celle  des  faillis  l'occasion  de  s'attri- 
buer une  juridiction  nouvelle. 

IV 

Ces  deux  questions  très  importantes  qui  n'ont  reçu  avant  1720 
qu'un  commencement  de  solution,  se  rattachent  pourtant  à  ce 
chapitre. 

^  Nous  l'avons  intitulé  :  «  Collaboration  en  vue  de  réparer  les 
désastres  »,  et  il  apparaît  que  les  faillites  sont  la  conséquence 
naturelle  de  la  variation  du  prix  des  espèces,  de  l'arrêt  de  cir- 
culation des  billets,  de  la  torpeur  du  commerce  en  temps  de 
guerre,  etc.  ^ 

Mais  la  question  des  courtiers  que  l'on  voit  se  rouvrir  périodi- 


1.  C  4251,  19  janvier  1710. 

2.  C  4252,  12  mors  1716. 

3.  Id.,  29  août  1720. 

4.  Registres  du  Parlement,  5  août  1715. 

5.  C  4261,  28  iQars  1715.  Lettre  à  Pesmarets, 


gÔ      RAPPORTS  DE  L4  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

quement  sous  l'ancien  régime,  comment  expliquer  qu'elle  se  soit 
posée  à  nouveau  entre  1710  et  1720? 

La  Chambre  de  commerce  dit  bien  «  que  sur  la  demande  des  An- 
glais, un  article  fut  inséré  dans  le  traité  d'Utrecht,  par  lequel  il  leur 
était  permis  de  se  servir  à  Bordeaux  des  courtiers  qu'ils  voudraient. 

Mais  ce  n'est  sûrement  pas  sur  cette  circonstance  que  s'est  rouverte 
la  question,  du  moins  en  1712.  Alors?  Il  est  probable  que  la  cause 
est  à  chercher  dans  certains  faits  que  voici  '  : 

II  existait  à  Bordeaux  deux  sortes  de  courtiers  :  les  courtiers 
royaux,  pourvus  d'offices,  et  les  courtiers  volants,  simples  parti- 
culiers, qui  s'étaient  entremis  dans  les  fonctions  des  précédents. 

Les  négociants  auraient  pu  se  servir  des  premiers,  mais  ils  aimaient 
encore  mieux  les  seconds. 

Les  étrangers,  habitant  notre  ville,  devaient  au  roi  un  droit  de 
6  %  sur  toutes  les  marchandises  qu'ils  recevaient  et  5  livres  par 
chaque  pièce  d'eau-de-vie  qu'ils  chargeaient.  Pour  ne  pas  payer  ce 
droit,  ils  déclaraient  toutes  ces  marchandises,  tant  à  l'entrée  qu'à 
la  sortie,  au  nom  de  ces  courtiers  volants,  et  par  une  suite  nécessaire 
ils  les  commettaient  à  la  vente  ou  à  l'achat  de  ces  mêmes  mar- 
chandises. 

Ils  étaient  obligés  d'en  user  ainsi,  dit  le  mémoire,  parce  qu'ils 
ne  trouvaient  pas  le  même  avantage,  s'ils  employaient  le  ministère 
des  courtiers  royaux. 

Ceux-ci,  en  eiïet,  ne  pouvaient,  sous  quelque  prétexte  que  ce  fût, 
déclarer  aucune  marchandise  en  leur  nom,  attendu  que  tout  com- 
merce pour  leur  compte  leur  était  prohibé  ^  ! 

Qu'on  juge  de  l'empressement  des  négociants  à  profiter  de  l'au- 
baine, dans  un  temps  où  il  était  si  malaisé  de  ne  point  faire 
faillite. 

En  temps  de  guerre,  le  commerce  qui  succombe  sous  les  charges, 
a  besoin  de  ménagement;  il  se  ménageait  donc  :  les  courtiers 
volants  n'avaient  jamais  été  si  nécessaires. 

La  querelle  entre  les  négociants  et  les  courtiers  royaux  s'était 
rallumée  en  1706'*;  depuis  ce  moment,  le  Parlement  et  la  Cour  des 
Aides  n'avaient  cessé  de  casser  mutuellement  leurs  arrêts  sur  la 
profession  desdits  courtiers,  comme  rendus  par  des  juges  incompé- 

1.  G  1620.   Mémoire  de  la  Chambre. 

2.  C  1620.   Mémoire  des  courtiers. 

3.  C  1620.  Mémoire  des  courtiers. 

4.  Malvezin,  op.  cit.,  t.  III,  p.  82,  83.  —  Francisque  Michel,  p.  397.  —  Nota  :  Les 
juge  et  consuls  intervinrent  seuls  à  ce  moment. 


AVEC    LES    INTEMOAJITS,    LE    FAHI.EMEM     ET    LES    JIHATS  97 

tents,  chacun  se  prétendant  le  juge  légitime  "  ;  à  la  faveur  de  la  dis- 
cussion, la  jurade,  dont  les  courtiers  relevaient  jadis,  ••!  ([iii  avait  dû 
un  b»'au  jour  abandonner  cette  prérogative-,  élevait  l.i  \oi\  à  son 
tour,  et  allait  poursuivre  cette  engean<'e  détestée  ju>cju  en  la  per- 
sonne d'un  certain  Guillaume,  bien  inolTensif  sans  doute.  (|ui  figu- 
rait parmi  les  trésoriers  de  l'hôpital  ^ 

\  ers  \~\'2.  la  paix  semblait  reviMiue;  le  Parlement  cassa  le  16  mars 
une  certaine  police  passée  entre  Jacques  Messier,  Philippe  Lamothe, 
Pierre  Dupin,  Pierre  Vallée  et  Odet  Lafore,  courtiers  royaux  *,  sur 
la  requête  du  laineux  procureur  général  Claude  du  N'igier.  C'était 
un  des  rares  nuigistrats  bien  portés  pour  la  jurade*,  et  il  avait  parlé 
dans  sa  plaidoirie  au  nom  du  commerce  et  du  bien  [tublic.  *.  Mal- 
heureusement, il  fut  convenu,  en  tin  de  séance,  que  les  sieurs  de 
P(unmiers,  de  Marans,  de  Guionnet  et  Bigot,  conseillers,  s'assem- 
bleraient chez  le  premier  président,  afin  de  rédiger  un  règlement 
de  courtage.  Ce  règlement  parut  sous  forme  d'arrêt  le  13  avril  ". 

La  Cour  des  Aides  le  cassa  encore  ^,  l'afTaire  fut  portée  au  Conseil^, 
et  la  Chambre  de  commerce,  reprenant  la  tradition  des  jurats,  dont 
elle  louait  maintenant  le  zèle  ««,  voulut  pour  la  première  fois  rédiger 
un  mémoire.  Elle  le  fit  courtoisement  d'ailleurs,  après  avoir  fait 
agréer  ses  remontrances  au  premier  président".  11  ne  convient  j»a? 
ici  de  replaider  le  procès,  mais  encore  faut-il,  pour  C(unprendre  les 
rapports  de  la  Chambre  et  du  Parlement,  savoir  sur  ipiel  point 
ils  dilTéraient  d'avi.s.  Les  directeurs  analysent  le  règlement  et  le  dis- 
cutent article  par  article  :  il  y  est  dit  :  «  Les  courtiers  expédieront 
à  tour  de  roUe  les  vaisseaux  et  les  barques  qui  arriveront  à  Bor- 
deaux. ))  Mais  alors  le  négociant  devrait  accepter  les  services  du 
couitier  dont  le  tour  serait  arrivé,  ce  qui  est  contraire  à  l'ordonnance 
de  la  marine,  au  titre  des  courtiers,  article  11,  ce  qui  serait,  île  jilus. 
infiniment  préjudiciable  au  négoce.  Le  commerce  doit  être  libre. 
Et  là-dessus,  les  directeurs  de  prendre  à  parti  ces  courtiers  qui  vou- 
draient se  soustraire  à  la  juridiction  du  Parlement,  comme  ils  se 


1.  r.  37«7. 

•2.  Hachelier.   Hixluire  du  rnmiiv^rri:  <li'  flordruii.r.    lStV2,   p.    r2.->. 

3.  Lettres  rie  .lurade,  2  août  1710.  FraiHi*(|ue  .Micliel,  p.  31*7. 

•1.  Hegistres  du  Parlement,  10  inar<  171-2. 

5.  t:nmmunay,  op.  cil.,  p.  '20.5. 

6.  Rcîristres  du  Parlfm<'iit.  16  mars  17 r2. 

7.  r.  4207.    Mémoire  de  la  Cliainbre  de  rommerre  de  1713. 
H.  C.  4251,    19  juillet    1712. 

9.  C  1620.  Arrêt  .lu  17  inav  1712. 

10.  Id. 

11.  C  4251,  21-2S  juill.-t    1712.  .  .  .. 


98      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

sont  soustraits  à  celle  des  jurats  et  qui  ont  osé  se  dire,  il  y  a  huit  ans-: 
«  préposés  pour  retrancher  la  fraude  et  les  abus  qui  se  commettent 
flans  le  commerce  »  >. 

—  Il  y  a  huit  ans,  et  le  souvenir  en  est  vivant  encore;  le  trait  a 
porté. 

Chacun  s'employa  de  son  mieux  pour  faire  triompher  sa  cause. 
Deux  courtiers  allaient  à  Paris  solliciter  du  Conseil  la  confirmation 
de  l'arrêt  du  Parlement;  et  la  Chambre  fit  appel  à  son  président,  à 
M.  de  Courson  2. 

Le  gouvernement  invitait  d'ailleurs  ce  dernier  à  donner  son  avis. 
Son  intervention  se  reconnut  à  l'habileté  du  dénouement.  Le  26  août 
1715,  les  magistrats  apprenaient  la  victoire  remportée  par  eux  sur 
la  Cour  des  Aides,  en  ce  qui  concernait  la  juridiction  des  courtiers  ^ 
Mais  un  arrêt  du  Conseil  avait  précédé,  dès  le  16  février,  sur  les 
fonctions  mêmes  du  courtage  ^. 

Répondant  aux  demandes  de  la  Chambre  de  commerce,  qui  se 
plaignait  de  voir  figurer  dans  le  corps  des  courtiers  jusqu'à  des 
prêtres,  des  clercs,  des  huissiers  et  des  employés  des  fermes^,  l'ar- 
ticle 3  enjoignait  à  ceux  des  courtiers  qui  n'étaient  pas  à  la  hauteur 
de  leur  tâche  de  se  défaire  de  leur  office,  sous  peine  de  se  le  voir 
confisquer  ^ 

Sans  doute,  l'article  8  renouvelait  les  défenses  portées  si  souvent 
contre  ceux  qui  s'immisceraient  indûment  dans  les  fonctions  du 
courtage;  mais  les  négociants  savaient  très  bien  h  quoi  s'en  tenir; 
cette  prescription  surannée  resterait  comme  toujours  lettre  morte,  et 
ils  reportaient  leur  attention  sur  une  autre  rirhe  de  belles  pro- 
messes :  à  l'avenir,  il  ne  serait  reçu  aucun  courtier,  qu'après  avoir  été 
préalablement  examiné  par  quatre  négociants,  pris  dans  le  nombre  de 
douze  choisis  par  la  Chambre. 

Quelle  belle  victoire  remportée  par  l'intendant  sur  ses  ennemis 
les  parlementaires  '-*,  au  profit  des  directeurs  du  commerce  qu'il 
aimait  tant  ! 

L'année  ne  s'écoula  point,  que  les  mêmes  directeurs  n'eussent 
encore  vu  s'accroître  leurs  prérogatives,  grâce  au  coup  de  théâtre 
par  lequel  l'intendant  imagina  de  clore  l'affaire  des  faillis. 

1.  Mémoire  de  la  Chambre,  1713.  C  4267. 

2.  C  4251,  24  may  1713.  Registre  des  délibérations. 

3.  Registres  du  Parlement,  26  août  1715. 

4.  C  1620. 

5.  Mémoire  de  la  Chambre,  1713.  C  4267. 

6.  C  1620. 

7.  Registres  du  Parlement,  28  juin  1715. 

8.  Registres  du  Parlement,  5  août  1715. 


AVEC    LES    1?ITE>DA:<TS,    LK    I'AUI.LMENT    KT    les    JtHATS  y9 

Ce  fut  très  brusque,  très  violent  et  très  court. 

Les  faillites  comptaient  parmi  les  malhoirs  <Im  temps,  les  failli-  ' 
s'adressèrent  à  la  Chambre. 

Celle-ci  s'alarma  avec  eux  d'un  arrêt  rendu  au  Parlt-menl.  Ii- 
A  mai  1715,  par  lequel  il  autorisait  le  lieutenant  criminel  à  décn-ffr 
contre  les  négociants  malheureux,  à  se  transporter  chez  eux,  à 
mettre  les  scellés  sur  leurs  effets,  à  faire  porter  leurs  livres  au 
greffe  '^. 

Quatre  jours  étaient  à  peine  écoulés  que  MM.  Billattf  et  Marchan- 
don,  revêtus  de  leur  robe  consulaire,  se  rendaient  au  Parlement 
en  cérémonie;  puis,  ce  fut  chez  le  premier  président  qu'ils  allèrent, 
chez  le  président  de  Gourgues,  chez  MM.  les  gens  du  Roi,  chez  plu- 
sieurs des  grands  chambriers  ^.  A  la  suite  de  deux  conférences  chez 
Joseph  de  Gillet,  marquis  de  la  Caze'*,  ils  obtenaient  enfin  de  belles 
promesses;  deux  jours  après,  un  arrêt  :  «  Faire  inhibition  et  deffense 
à  tout  huissier,  sergent  et  autre  officier  do  justice,  de  ramener  à 
exécution  aucun  jugement  des  juges  et  consuls  quant  à  la  contrainte 
par  corps  contre  ceux  qui  ont  fait  faillite,  lorsqu'il  n'y  aura  point 
de  preuve  de  fraude  et  se  tenant  dans  leur  domicile  actuel.... 

»  Et  ordonner  que  les  faillis,  qui  ne  se  trouveront  pas  dans  leur 
maison,  pour  être  en  état  de  répondre  à  toute  heure,  à  la  justice 
et  à  leurs  créanciers,  et  qui  n'auront  pas  remis  leurs  livres  au  greffe, 
ou  es  mains  de  leurs  créancier-,  trois  jours  après  leur  faillite,  seront 
réputés  banqueroutiers  frauduleux  ^  »  De  plus,  l'arrêt  suspendait 
les  poursuites  pour  six  mois.  La  Chambre  s>  montra  satisfait*^'. 
La  preuve  en  est  qu'elle  demanda  par  la  suite  la  prorogation  de 
l'arrêt  du  11  mai*.  A  la  faveur  de  cet  apaisement,  l'entente  allait- 
elle  se  faire  entre  la  Chambre  et  le  Parlement?  En  venant  en 
aide  aux  faillis,  les  deux  autorités  venaient  de  collaborer  en  vue 
de  réparer  les  désastres.  Il  est  dommage,  (pie  des  ressentiments 
particuliers  très  violents  soient  venus  rendre  un  accord  imp(»ssible 
et  remettre  tout  en  question.  Le  lieutenant  criminel,  interprète 
peut-être  des  sentiments  intimes  de  quelques  parlementaires,  mon- 
tra un  zèle  excessif,  et  confondant  à  loisir  faillites  et  banqueroutes  ", 


1.  C  4'^01,   18  may   171.").  Lettre  ;i  Desinaietb. 

2.  C  4252,  6  may  1715.  Registre  des  déUh^rnlions. 

3.  C  4252,  9  may  1715. 

4.  Communny,  op.  cit.,  p.  133. 

5.  C  4252,  11  mai-14  novembre  1715. 
0.  C  4252,   14  novembre  171.0. 

7.  C  4Î61,  18  may  1715. 


lOO     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

il  scellait,  enlevait,  décrétait;  s'emparant  des  livres  des  faillis, 
contrairement  aux  ordonnances,  répondant  aux  actes  que  les 
syndics  lui  faisaient  signifier,  encore  et  toujours  par  de  nouvelles 
saisies  '. 

Mais  un  terrible  soupçon  pesait  sur  la  magistrature  :  dans  la  lettre 
que  la  Chambre  fit  porter  à  Desmarets,  par  l'un  de  ces  faillis  vic- 
times du  Parlement,  elle  avait  osé  insérer  cette  phrase,  la  plus  har- 
die peut-être  qu'elle  prononça  jamais  : 

«  La  facilité  que  les  officiers  du  Parlement  trouvent  de  se  faire 
payer  à  la  faveur  des  décrets  de  prise  de  corps,  ce  qui  leur  est  deu  et 
à  leurs  amis,  au  préjudice  des  autres  créanciers  des  faillis,  donne  lieu 
à  cette  Cour  d'autoriser  les  procédures  tortionnaires  du  lieutenant- 
criminel  ^  » 

Après  cette  insinuation,  elle  en  glissait  une  autre  peut-être  plus 
adroite  encore:  elle  demandait  à  Desmarets  d'attribuer  à  la  juri- 
diction consulaire  de  Bordeaux  la  connaissance  des  faillites  ou  ban- 
queroutes,  et  de  l'enlever  à  des  magistrats  (|ui  déshonoraient  la 
justice.  Quand  elle  serait  réduite  à  procéder  extraordinairement 
contre  les  coupables,  elle  le  ferait  d'accord  avec  les  maire  et  jurats^ 

Une  pareille  attitude  nous  étonne  de  la  part  d'une  Chambre  que 
nous  avions  vue  si  humble,  si  modeste,  si  impuissante  jusqu'à  pré- 
sent. Non,  ce  n'est  pas  elle  qui  a  jeté  ce  défi  au  corps  respecté  du 
Parlement;  elle  en  a  toujours  parlé  avec  déférence*.  Ce  n'est  pas 
elle  non  plus  qui  a  voulu  se  faire  une  place  à  ses  dépens.  Pourquoi 
serait-elle  si  âpre  contre  les  magistrats?  Ils  ne  se  sont  même  pas  occu- 
pés d'elle.  Ce  rôle,  qui  n'est  pas  fait  à  sa  taille,  c'est,  on  le  devine,  un 
ennemi  du  Parlement  qui  le  lui  fait  jouer,  peut-être  malgré  elle, 
mais  pour  elle  et  pour  le  commerce,  autant  que  pour  lui,  à  coup 
sûr:  c'est  M.  de  Courson.  Nous  en  avons  les  preuves^:  d'abord, 
une  lettre  de  Desmarets  à   l'intendant,  de   1711,  dans  laquelle  il 

1.  C  4261,   18  may  1715. 

2.  /(/. 

3.  Id. 

4.  C  4251,   12  juillet   1710. 

5.  C  1624,  13  avril  1711.  Lettre  de  Desmarets  à  Courson.  En  voici  deux  extraits  : 
«  Monsieur,  les  marchands  et  nesotians  du  Royaume  ont  depuis  longtemps  prétendu 
que  les  juridictions  <onsulaires  devaient  conoitre  de  tous  procès  et  différent  de  mar- 
chand a  marchand  |iour  fait  de  marchandise  privativement  à  tous  autres  juges... 
Sa  Majesté  ayant  dessein  d'establir  une  règle  certaine,  et  s'il  se  peut  uniforme  sur  cette 
matière,  souhaitte  que  vous  nous  informiez  des  differens  litres  et  raisons  que  peuvent 
avoir  les  juges  et  consuls  de  vostre  généralité,  comme  aussy  de  l'usaye  qui  s'y  est 
observé  à  cet  égard,  et  que  vous  lui  mandiez  ce  que  vous  estimerez  le  plus  convenable 
à  faire. 

Il  Je  suis.  Monsieur,  vostre  très  humble  et  très  affeclionné  serviteur. 

>  Desmarets.  » 


AVEC    LES    INTENDANTS,    I.E    PARLEMEN  I'    ET    LES    JLRATS  lOI 

lui  «lomandait  son  avis  sur  In  juriiliction  ronsulairc;  puis  cette  auln-, 
(|U('  le  Parlement  écrivait  i»lu>  t.inl  au  cliancclifr  :  »  Il  est  vray 
iiéaiuunins  (]ue  les  négnei.'ints  <li'  crllc  \illc  (|uy  avaient  fiavailli'- 
;"i  (les  niérn(iii'e>  pdur  airibuer  ;'i  l.i  ( '.hanilire  df  rdiunieicc  uik'  umii- 
velle  juridiet  mil  ;iu  préjudiec  du  l'iirleiuctd  .  nous  avait-nl  ;i\ou(' 
(ju'ils  n'avaient    juiiaé  ces  jiidjrls  ([ue  jiai'  1  inspiration  <1<'   M.   de 

('-ourson  et  sous  son  autoiilt' (nous  croyions  pouvoir)  fain*  sentir 

eclluy  (1<'  ni;dlienri  ([ue  niiu>  a\  imis,  d'él  re  exposés  depui>  <|iic|i(iic- 
années  aux  entreprises  de  M.  de  Gourson  et  à  rafTe<'ti(m  (ju'il  a  de 
I  laiter,  dans  les  occasions,  la  compagnie  sans  aucun  mtiiagemenl, 
ce  qu'elle  n'avait  pas  éprouvée  d'aucun  de  ses  prédécesseurs'.» 

D'ailleurs,  voici  l'intendaid  cpii  vient  en  personne  présider  solen- 
nellement l'assemblée  convoquée  jxiur  lalTaire  des  faillis.  Il  rnlic  en 
scèn  ',  mais  sans  fracas. 

Comme  toujours,  il  laisse  dire;  des  négociants  proposent  di\ers 
moyens  jxiui-  relever  le  connnerce,  il  se  borne  à  ajouter  : 

«  Oue  >i  oïl  (Ml  Iriiiivait  (|m'l((ii'iiii,  il  rappiiiciJiil  Initement  auprès 


i!ii   iniiusir( 


.  z 


Mais  aucun  ne  l'ut  goût»''  de  lui  •';  et  la  C.liaiiihre  se  iiioidraii  (jim'I- 
que  peu  décontenancée  d'avoir  à  attendre  ((  les  remèdes,  des  lumières 
et  de  la  prudence  du  ministre»'',  d'autant  jilii>  ((iic  les  perséeiif imi- 
redoublaient  à  l'égard  (\i'^  faillis. 

(l'est  dans  la  correspondance  de  la  Chambre  av«' ■  |)e>maret> 
que  se  trouve  le  récit  le  plus  frapjiant  de  ces  rigueurs.  Les  lettres 
qu'«»n  lui  éerit  sont  vraiment  impressionnantes,  je  veux  diic, 
faites  pour  impressionner  ^  Elles  contrastent  avec  celles  que  les 
dir  ctei'.rs  adressent  au  député  Fénelon  ^ 

Si  I  Un  note  ([iie  l'inteinlant  insista  à  plusieui>  reprises  pour  i|ue  le 
conimerre  n'invo((uât  ])oint  à  tout  coup  la  piotecl  ion  du  ministre', 
(pi'il  la  r(''>er\ât  en  iiiiel(|in  sorte,  de  manière  ^i  se  l'assurer  par  des 
arguments  très  forts  le  moment  \ciiii,  on  jieiit  ])enser  (pie  le  coiiite 
Launay  d<;  ('.ourson  ('-tait,  (pti  >ail.  peut-être  le  conseiller  "^  de  sou 
I  ministre, ou  qu'en  tout  cas,  le  connaissant  bien,  il  savait  le  prendre, 
eoniine   l'on   dit. 


1.  Uf'_'i?iri'j  du  P;iiii'inciit,  r>  ;ioùt   171  T.. 

•J.  C  -1-2.5-',  v'ô  may   171.5. 

3.  C  4'2t)l,  •2S  may   1715.   Leilre  à  Féiu-loii. 

1.  /(/.,  30  may  1715.  Lellie  à  la  Chambre  de  comiiUTce  de   Toulouse. 

5.  Id.,  18,  '28  may  1715. 

6.  M.,  7  juin  1715. 

7.  C  425-2,  -25  may   1715. 

S.  C  l«V2t,   13  avril  1711.  Lettre  de  Desmarets  à  Courson. 


I02     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

— -  Dix  jours  étaient  à  peine  écoulés  depuis  le  moment  où  Des- 
marets  recevait  ces  plaintes  éloquentes  : 

«  On  ne  se  contente  pas  de  faire  décerner  des  décrets  de  prise  de 
corps  contre  les  faillis,  sans  aucune  preuve;  de  les  faire  trompeter 
pour  les  mieux  diffamer  et  engager  par  là  les  parents  et  les  amis  à 
payer  certains  créanciers  par  préférence,  on  a  recours  et  on  abuse 
des  monitoires  de  l'Église  qu'on  a  fait  publier  et  afficher  dans  toutes 
les  Églises,  places  et  carrefours  de  Bordeaux  «.  » 

Coup  sur  coup,  la  ville  appr  jnait  deux  nouvelles  étonnantes  :  Sa 
Majesté  avait  révoqué  en  son  conseil  «  les  contestations  formées 
et  à  former  au  sujet  de  l'apposition  du  scellé  en  cas  de  faillite  ou 
absence  des  marchands»-;  de  plus,  par  sa  déclaration  du  10  juin 
1715,  le  Roi  attribuait  aux  juges  et  consuls  la  connaissance  de  tous 
les  procès  civils  qui  pourraient  survenir  pendant  six  mois  ^,  «  à  l'oc- 
casion des  faillites  et  des  banqueroutes  ouvertes  depuis  le  l^r  avril 
1715  jusqu'au  1*^''  janvier  1716»^, 

Pour  cette  faveur  sans  seconde  accordée  au  commerce,  la  Cham- 
bre rendit  de  très  humbles  grâces  à  Desmarets  ^,  cependant  que  le 
Parlement  dénonçait  les  entreprises  de  M.  de  Courson^.., 

Ainsi  se  termina  la  première  phase  de  la  lutte;  le  Parlement  crut 
devoir  insister.  Le  28  juin,  il  enregistrait  la  déclaration  du  roi  '. 

En  vertu  de  cet  acte,  le  l*^^  juillet,  les  créanciers  de  deux  faillis, 
les  Acquart  père  et  fils,  requirent  le  lieutenant  criminel  de  faire 
surseoir  à  la  procédure  in-^n  é^  à  ces  négociants  malheureux.  Il  n'y 
en  eut  qu'un,  l'avocat  général  Albessard  pour  la  faire  continuer. 
Avant  le  3,  jour  fixé  pour  le  jugement,  il  n'avait  pas  encore  été 
possible  «  d'obtenir  des  signatures  sufiîsantes  pour  faire  plus  de  la  ' 
moitié  des  dettes  passives  des  Acquart  »  **,  condition  stipulée  par 
la  déclaration  royale.  Albessard  et  le  lieutenant  criminel  en  profi- 
tèrent. Le  3,  ce  dernier  rendit  une  sentence  par  laquelle  il  condam-  I 
nait  les  faillis,  à  mort,  par  contumace. 

Le  4,  de  grand  matin,  les  créanciers  étaient  encore  à  chercher  un    p 
huissier  pour  requérir  la  Cour  de  surseoir  à  la  procédure. 


1.  C  4'ittl,  7  juin  1715.  Lettre  à  Desmarets. 

2.  Registres  du  Parlement,  19  juin  1715. 

3.  C  42(31,  2  juillet  1715.  Lettre  à  Desmarets. 

4.  Registres  du  Parlement,  28  juin  1715.   Instruction  générale  sur  la  juridiction 
consulaire,  1750. 

5.  C  4261,  2  juillet  1715.  Lettre  à  Desmarets. 

6.  Registre»  du  Parlement,  28  juin  1715. 

7.  C  4261,  9  juillet  1715.  Lettre  au  Contrôleur  général. 

8.  C  4261,  9  juillet  1715.  Lettre  au  Contrôleur  général. 


WEC    LES    INTENDANTS,    LE    l'ARLEMENl    ET    LES    JLHATS  r  o5 

A  sept  heures,  Albessard  portait  le  procès  en  Tournelle:  à  neuf 
heures,  la  sentence  de  mort  était  confirmée  '. 

Et  le  Parlement  nous  dit  pourquoi  :  «Il  n'y  a  dans  les  alTaires  de 
it'tte  nature,  ni  dellay  a  essuyer,  ny  procédure  à  instruire,  ni  dis- 
tribution à  faire...  Ces  sortes  de  condanmations  sont  toujours  confir- 
mées et  l'on  en  ordonne  l'exécution  figurative.  Vous  nous  permet- 
trez. Monseigneur,  de  vous  représenter  que  la  conduite  de3  juges 
ne  saurait  être  reprochable  dans  un  cas  où  le  jugement  est  devenu 
nécessaire  et  qu'il  ne  peut  être  retardé  quand  une  partie  le  demande-.» 

Le  conmierce,  la  Chambre  en  tête,  s'insurgea,  l'intendant  fut 
averti^,  la  sentence  cassée;  l'on  respira. 

Mais  quel  discrédit  pour  la  magistrature  !  On  se  croirait  au  temps 
de  Labarre  ou  de  Beaumarchais.  Après  l'heure  tragique,  on  la  plai- 
sante, et  elle  donne  la  comédie  :  ces  juges  que  les  plaideurs  intéres- 
sent si  difficilement  à  leur  cause,  qui  font  traîner  les  alTaires  à 
n'en  plus  finir,  ont  montré  cette  fois  la  complaisance  et  l'empresse- 
ment les  plus  rares  :  en  peu  de  temps,  la  sentence  de  mort  a  fait 
le  tour  du  Parlement  et  recueilli  toutes  les  signatures  •*  —  il  est  \  rai 
que  le  plaignant  était  un  magistrat. 

La  Chambre  triompha,  et  poursuivit  ses  triomphes;  elle  sollicita 
du  pouvoir  la  prorogation  de  la  déclaration  royale,  portant  attri- 
bution aux  juge  et  consuls  des  affaires  de  faillis^;  du  Parlement, 
celle  de  son  arrêt  du  11  mai,  qui  épargnait  aux  négociants  malheu- 
reux la  contrainte  par  corps,  sous  certaines  conditions  ^ 

Le  Parlement  crut  encore  pouvoir  mettre  néant  sur  la  requête 
de  la  Chambre;  mais  celle-ci  sait  manœuvrer;  son  président  lui 
a  enseigné  sa  tactiqie;  elle  se  pourvoit  directement  au  Conseil  *. 

De  Courson  se  déclare,  d'ailleurs,  très  surpris  du  refus  du  Parle- 
ment, il  approuve  le  zèle  des  directeurs  et,  «  voulant  continuer 
celluy  qu'il  a  pour  le  bien  du  commerce»  il  se  charge  d'envoyer" 
leur  mémoire  en  Cour.  Quelques  jours  après,  l'ordre  venait  à  la 
Chambre  de  présenter  une  nouvelle  requête  au  Parlement.  11  éma- 
nait de  Villeroy  ^  :   Desmarets  était  tombé. 

Le  commerce  n'eut  plus  qu'une  satisfaction  :  une  nouvelle  déda- 

1.   C   1201,  l'Ublii';  jiar  liiulails,  o/j.  cil.,  p.  ".ill. 

~.  Registres  du  Parkiiient,  5  août  171.").  Lettre  au  cliaiici'liiT. 

3.  C  4-25i,    1  juilkl  1715. 

4.  C  4201,  9  juillet  1715.  Lettre  à  Desmarets. 

5.  C  4252,  14  novembre  ïllô. 

6.  M. 

7.  M,,  21  novembre  171."i. 

8.  C  4252,  24  novembre  1715. 

9.  M...  19  décembre  1715. 


lOll  RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

ration  du  Roi  communiquée  à  la  Chambre  le  9  janvier  1716,  en  séance, 
prorogeait  l'attribution  aux  juge  et  consuls  des  procès  et  différends 
civils  des  faillis,  mais  seulement  jusqu'au  l*''"  juillet'. 

Dès  lors,  ce  fut  bien  fini.  Dans  le  courant  de  l'année  même,  Lamoi- 
gnon  de  Courson  était  nommé  conseiller  d'État  2.  Avant  son  départ 
il  communiqua  aux  juge  et  consuls  un  arrêt  du  Conseil,  ordonnant 
que  la  connaissance  des  faillites  éventuelles  appartiendrait,  comme 
avant  la  déclaration  de  1715,  aux  juges  ordinaires,  en  premier  res- 
sort, et  par  appel,  au  Parlement  ^. 

La  Chambre  protesta,  rien  n'y  fit;  ni  l'accord  de  plusieurs  juridic- 
tions consulaires  "*,  ni  la  tactique  de  l'intendant  plus  savante  qu'elle 
ne  fut  jamais^,  ni  même  l'appui  du  Conseil  de  commerce,  qui  per- 
sévérait dans  ses  idées  ^;  de  guerre  lasse,  on  finit  par  ne  plus  parler 
de  cette  affaire.  La  victoire  resta  aux  magistrats,  qui  obtinrent  la 
prorogation  de  l'ordonnance  royale  du  9  janvier  1716,  en  leur  faveur^. 

C'est  qu'à  ce  moment  précis  de  l'histoire  de  France  les  Parle- 
ments pouvaient  enfin  élever  la  voix.  Leur  retour  en  grâce,  qui  dé- 
sai'ma  les  intendants,  était  une  manœuvre  dans  l'esprit  du  régent, 
en  quête  d'alliés.  Ce  n'était  point  la  récompense  venant  couronner 
les  efforts  des  Compagnies  en  vue  du  relèvement  national.  Leur  esprit 
de  routine  avait  même  compromis  le  succès  de  la  collaboration  de 
tous  les  pouvoirs.  Pour  aboutir,  ces  derniers  avaient  dû  malmener 
un  peu  ce  corps  toujours  trop  lent  à  se  mouvoir,  et  contre  lui,  la 
Chambre  avait  fait  merveille. 

Si  c'était  tout  à  ses  débuts  qu'elle  remportait  ses  plus  belles  vic- 
toires sur  les  magistrats,  elle  le  devait  un  peu  au  gouvernement  de 
Louis  XIV,  qui  ne  cessa  de  leur  marquer  sa  défiance;  elle  le  devait 
ensuite  à  son  alliance  ou,  pour  mieux  dire,  à  son  entente  intime  avec 
les  jurats,  ses  amis  naturels;  elle  le  devait  enfin  et  surtout  à  M.  de 
Courson,  l'ennemi  des  parlementaires,  plus  royaliste  contre  eux 
que  le  Roi  et  plus  négociant  que  les  directeurs  du  commerce.  C'est 
lui  qui  avait  «  lancé  »  la  Chambre,  et  les  circonstances  voulurent 
qu'elle  ne  s'arrêtât  pas  en  si  bon  chemin. 

Il  avait  affirmé  son  indépendance;  elle  voulut  la  faire  respecter 
de  tous,  même  de  l'intendant. 

(A  suivre.)  M.  LHÉKITIEK. 

1.  c:  425-2,  9  janvier  1710. 

2.  Ici.,  10  décembre   1/lG. 

3.  M.,  '27  juillet  1718. 

4.  Id.,  11  août  1718. 

5.  Id.,  18  août,   13  septembre  1718. 
G.   Id.,  26  novembre  1716. 

7.  Id.,  juillet-août  1718. 


A   TIIAVI-IIS  U:  SCllISMi:  CO.NSnTlTKlN.M-L 


EN  GIRONDE 

(Suite  pl  fin.) 


DEUXIKMK    l'AKTli; 


LE  SCHISME  CONSTITLTIONXEI. 
DANS  LES  GHANDES  LANDES  DU  HOI^DEL\IS 


L  NOTK    UMINAIRIÎ. 

Après  l'exposé  des  laits  que  nous  venons  d'esquisser,  il  n'est 
certainement  pas  inutile  de  montrer,  en  un  tableau  firiisenibl»', 
comment  les  populations  rurales  accueillirent  le  schisme  constitu- 
tionnel, et  quelle  action  il  exerça  sur  ct^s  âmes  h  mctitalili-  sim- 
pliste ^ 

Ce  n'est,  évidemment,  qu'un  j)L'tit  cdin  «le  nus  lande>  «iiir  ni>us 
avons  fouillé;  ce  sont  quelques  individus  à  peine  de  l'immense  jMipu- 
lation  forestière,  qui  s'utïrcnt  à  notre  exann'u.  Mais,  en  somme, 
cela  importe  relativement  pe\i.  Ces  individus  n-présenttMit  la  rare. 
L'âme  paysanne,  iavinciblt-nnut  iiiflinée  vers  la  tern'.  a.  partout 
et  toujours,  un  même  fonds  r(im!ii\m  d'nbstinal  ion.  d'âpn'lé, 
d'ignorance,  qui  l'empêcht'  de  monter  au-dessus  d'un  r.ihiiii 
niveau;  et  nous  sonunes  roiiv;iiiieii-.  (|iieii  beau('on|>  de  e;i>  on 
pourrait,  sans  bien  grandt;  liMiit-rili'.  eoiielnre  ilu  |iariienlier  ;in 
général.  Au  surplus,  nou^  nr  !'•  l'i  inn-  pas. 

I.    (.flli-   élutlr   ;i    r.iil    r<il>)rt    il"uiii'   ritiniiiMiiiciiliiiii    iiriVciilcr-   .111    «.iiiilT'-    «riiirliiire 
ri   ■r:iiilii''(il(>,'ii>  <li-   l!i.;itit/  i\  \\\>  Il  s'-.iiHV  |>iililii|n*-  ilii   1'  itoùl    liUl. 

8 


Io6  A    TRA-VERS    LE    SCHISME    GONSTITUTIONINEL    EN    GIRONDE 


"1  II. — ^JLe  Clergé. 

(  Dans  les  paroisses  qui  constituent  la  partie  centrale  des  Grandes 
Landes  du  Bordelais,  tous  les  curés  ^  passèrent  au  schisme'^.  Partout 
leurs  fidèles  les  suivirent,  sans  songer  même  à  ébaucher  une  protes- 
tation •^. 

Si  l'on  examine  d'où  provient  une  telle  unanimité  dans  la  chute, 
il  semble  bien  qu'on  en  trouvera  une  des  causes  principales  dans  la 
difficulté  des  communications.  Les  curés  de  la  Grande  Lande,  eu 
effet,  ne  pouvaient  guère  se  déplacer.  Aller  simplement  à  Bordeaux, 
ou  à  Bazas'S  constituait  pour  eux  un  voyage  cher  et  pénible;  car 
même  à  la  fin  du  xviii<^  siècle,  les  routes,  impraticables  pendant  la 
majeure  partie  de  l'année,  isolaient  les  paroisses^.  Ils  en  étaient 
donc  réduits  à  se  fréquenter  à  peu  près  exclusivement  les  uns  les 
autres,  formant  une  sorte  de  petit  clan  dont  les  habitudes,  parfois 
même  les  idées,  finissaient  par  se  ressembler  beaucoup;  où,  en  tout 
cas,  l'influence  d'un  seul  homme  devenait  aisément  prépondérante. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  raisons  de  leur  adhésion  au  schisme  se  décou- 
vrent avec  facilité,  et  si  elles  n'excusent  pas  leurs  lamentables 
déchéances,  elles  servent  au  moins  à  en  expliquer  la  possibilité;  elles 
permettent  aussi  de  plaider,  en  beaucoup  de  cas,  les  circonstances 
atténuantes, 

1.  En  droit  eccléïiasUqiie  strict,  il  faudrait  dire:  les  vicaire»  perpétuels,  t'.ertes,  en 
ce  qui  concernait  pratiquement  l'exercice  des  fonctions  pastorales,  les  pouvoirs  des 
curés  et  ceux  des  vicaires  perpétuels  étaient  absolument  identiques.  Mais,  au  point 
de  vue  matériel,  il  y  avait  entre  eux  une  assez  grosse  différence  :  les  curés  avaient  le 
droit  de  s'approprier  toute  la  dîme  de  la  paroisse;  il  n'en  allait  pas  de  même  des  vicaires 
perpétuels,  qui  recevaient  seulement  une  portion  congrue  et  percevaient  quelques 
petites  dîmes  accessoires.  Il  faut  remarquer,  toutefois,  qu'à  la  lin  du  xviii"^  siècle,  les 
\icaires  perpétuels  i>renaient  assez  généralement  le  titre  de  curé.  On  en  voit  même,  à 
Andernos,  par  exemple,  le  revendiquer  iiar  la  voie  judiciaire.  Ils  se  basaient,  poui- 
justifier  leur  droit,  sur  une  déclaration  du  roi,  datée  du  5  octobre  172tj,  les  autorisant 
«  à  se  qualifier  curés  de  leurs  paroisses,  comme  estant  seuls  chargés  du  soin  des  âmes  ■ 
(Arcli.  dép.  de  la  Gironde;  fonds  —  non  classé  —  des  Feuillants,  carton  42). 

2.  A  Belin,  Béliet,  Salles,  Le  Barp,  Lugos,  Saint-Magne,  Hostens,"pour  la  Gii'onde; 
Saugnac-et-Mui-et  pour  les  Landes.  Bien  que  cette  dernière  paroisse  ne  compte  point, 
à  proprement  parler,  i)armi  les  localités  englobées  dans  les  Gi-andes  Landes  du  Bor- 
delais, dont  elle  est  limitrophe,  nous  avons  cru  néanmoins  devoir  en  faire  état  dans 
cette  étude,  car,  soit  ]iar  les  relations,  soit  par  les  mœurs,  elle  a  toujours  formé,  avec 
les  paroisses  ses  voisines,  une  sorte  d'agrégat  évident.  — ■  Hostens  est  situé  dans  l'arron- 
dissement de  Bazas,  canton  de  Saint-Symphorien;  Saugnac-et-Muret,  dans  l'arrondis- 
sement de  Mont-de-Marsan,  canton  de  Pissos;  toutes  les  autres  communes  citées  appar- 
tiennent à  l'arrondissement  de  Bordeaux,  canton  de  Belin. 

3.  Les  exceptions,  s'il  s'en  produisit,  furent  excessivement  rares.  En  tout  cas,  nous 
n'en  connaissons  point. 

4.  Les  paroisses  de  Béliet,  Salles,  Le  Barp,  Saint-Magne  et  Hostens  appartenaient 
à  l'archevêché  de  Bordeaux;  celles  de  Belin,  Lugos,  Saugnac-et-Muret,  à  l'évèché  de 
Bazas. 

.'5.  Copie  de  lettres  de  Jean  Rouraégoux,  maître  de  poste  de  l'Hospitalat  (Arch.  de 
M.  Félix   Roumégoux,  ancien  magistrat,  propriétaire  à   Bélietj_ 


A    THWERS    LE   SCHISME   CONSTl TL  TI<)>>EL    EN    GIRONDE  IO7 

Tous  les  prélres^  que  nous  trouvons  en  17U1  dans  le  centre  des 
Grandes  Landes  du  Bordelais  étaient  de  braves  gens,  pénétrés  de 
leurs  devoirs,  charitables  et  bons.  Ils  aimaient  leurs  paroissiens, 
et  leurs  paroissiens  qui,  depuis  de  longues  années,  les  voyaient  à 
l'œuvre  les  aimaient  eux  aussi.  C'étaient,  en  plus,  des  hommes  de 
mœurs  honnêtes.  Peut-être  leur  foi  s'avérait-elle  un  peu  molle  ; 
mais,  en  somme,  on  ne  peut  nier  qu'elle  ne  fut  sincère.  Par  mallu-ur, 
bien  des  causes  extérieures  contribuaient  à  l'ébranler. 

Voici,  peut-être,  la  principale.  Les  curés  ne  possédaient  jamais 
de  très  gros  revenus,  ou,  pour  mieux  dire,  ils  ne  possédaient  pas  tous 
les  revenus  au.xquels  ils  jugeaient  avoir  droit;  et  cela  leur  faisait 
contester  l'honnêteté  de  leurs  chefs.  Ils  se  butaient  à  ce  principe, 
d'ailleurs  erroné,  que  la  totahté  des  recettes  paroissiales  devait  leur 
appartenir.  Et  comme  ils  n'en  percevaient  que  la  plus  petite  partie  -  ; 
comme  ils  voyaient,  chaque  année,  le  prieur  enlever,  sous  leurs 
yeux,  presque  tout  l'ensemble  des  dîmes,  ils  se  jugeaient  odieuse- 
ment lésés.  Oubliant  qu'ils  avaient  accepté  ces  restrictions  en  sol- 
licitant leurs  bénéfices,  ils  trouvaient  intolérable  que  celui  dont  la 
tâche  restait  nulle  absorbât  la  majeure  partie  des  ressources  parois- 
siales et  qu'il  leur  falLt,  eux,  malgré  tout  leur  travail,  se  contenter 
dune  portion  congrue  infime,  d'un  casuel  mesquin,  de  quelques 
malheureuses  dîmes,  rognées  d'un  côté  par  l'âpreté  du  prieur,  de 
l'autre  par  l'avarice  du  paysan  .  De  la,  des  colères  injustes,  certes, 

1.  M.  Pierre  Nau  de  Saial-.Marc,  \icaire  perpétuel  Ue  Mons  el  lieliii  depuis  le  20  mai 
17VÔ.  —  M.  Louis  Joly  lilazoïi  lie  saula,  vicaire  perpétuel  de  Ueliel  depuis  le  20  décem- 
bre l/02.  —  -M.  Jean-liaplisle  Liellard,  vicaire  perpétuel  de  Lugos  depuis  le  2  février 
l/b3.  —  M.  Jean-LSaplisle  Anglaue,  Mtaire  perpétuel  du  IJarp  depuis  le  'J  mars  1/S2. 
—  M.  ijOdefroid  Cazeueuve,  vicaire  perpétuel  d  lloslens  el  Saint-Alagiie  depuis  le 
2y  juillet  1/00.  —  M.  hraiiçois  Thiac,  \icaire  perpétuel  de  Saugiiac-et-Murel  depuis 
le  l'j  juillet  1/47.  —  MM.  L.azeiieu\e  el  iJellard,  ipii  devaient  declioir  d'iiae  fai;aii 
bien  plus  \ile  que  leurs  coulreres,  s  étaient  pourtant  montres  toujours  bons  prêtres 
avaiil  la  Hevolution.   Corru/jliij  oiiliini  pessimn. 

i.  A  1  origine,  les  cures  primilils  percevaient  la  totalité  de  la  dimc,  à  condition,  bien 
entendu,  que  la  dîme  ne  Iùl  pas,  comme  la  chose  arrivait  assez  souvent,  mi-partie 
séculière.  Avec  le  temps,  on  donna  aux  vicaires  perpétuels  la  dime,  pergue  sur  les 
biens-fonds  nouvellemenl  difriclies,  et  connue  sous  le  nom  de  navales,  cette  partie 
de  la  dune  était,  evideminent,  de  beaucoup  iiifcrieure  au  reste. 

3.  un  ne  saurait  irop  repeler  que  la  siLualion  matérielle  ilu  clergé  congruiste,  loin 
de  le  réduire  a  la  misère,  lui  donnait,  tri'S  geiier  ilemcnt,  des  moyens  d'exisleiue  fort 
suETisants.  L.e  cierge  n  elait  pas  très  riclie,  à  coup  sur;  mais  il  l'était  encore  beaucoup 
plus  quf  le  cierge  rural  actuel.  N'oici  «luelques  exemples  à  l'appui  île  celte  .•ifllrmalioii. 
.Vu  moment  de  la  Hevolution,  le  vi<-aire  perpétuel  de  Meliii.  M.  \;ui  de  Saint-Marc, 
posM'dail  un  revenu  moyen  de  1,801»  livres  par  an  (Arcli.  dep.  de  la  (iirolule.  L  113/); 
-M.  .\nglade,  vicaire  perpétuel  du  IJarp,  louchait  annuellement  1,200  livres  au  moins 
(Arch.  de  M.  Paul  Daiiey,  maire  du  Uarp);  .M.  ('.oriiillot,  vicaire  perpétuel  de  Salles, 
arrivait  à  plus  de  2,40U  livres  (Arch.  dep.  de  la  (iironde,  I.  lO'.tS';  le  seul  quartier  de 
Lavignolle  lui  donnait  pour  la  dime  3  »U  livres  plus  un  rouvert  d'argent  -  et  une  cuilliére 
potagère"  (i6/(/.,  Contrôle  des  .'ictes  de  Helin;  acte  du  1.")  juin  l/ï>3,;  M.  Cazeneuve, 
vicaire  periJetuel  d  lloslens,  avait,  pour  le  moins,  ce  que  possédaient  ses  prédécesseurs 
dans  celle  paroisse,  savoir:  l,loO  livres  el  un  casuel  consider.iide  (mon  ouvrage:  La 
baroniiie  de  Saiul-Magm',  t.  Il,  |i.   lOj. 


to8  A    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTITUTIONNEL    EN    GIRONDE 

au  moins  en  très  grande  partie,  mais  profondément  tenaces;  de  là, 
ce  fait  qu'on  en  était  venu  à  se  révolter  ouvertement. 

Dès  la  fin  du  xvii^  siècle,  nous  voyons  le  clergé  des  campagnes 
s'élever,  avec  une  insistance  tout  particulièrement  violente,  contre 
un  pareil  état  de  choses.  Les  congruistes  commencent  par  réclamer 
contre  la  modicité  de  leur  pension  et,  à  force  de  ténacité,  ils 
réussissent  à  obtenir  diverses  Ordonnances  royales  qui  leur  don- 
nent ample  satisfaction  i.  Vainqueurs  sur  ce  point,  ils  ne  s'arrêtent 
pas;  ils  s'attaquent  à  la  dîme,  essayant,  par  les  voies  judiciaires, 
d'en  enlever  le  plus  qu'ils  peuvent  aux  prieurs.  En  1726,  en  1728, 
en  1743,  ce  sont  les  curés  du  Barp  ^  qui  traînent  les  Feuillants^ 
devant  le  Parlement  de  Bordeaux;  ils  le  font  même  avec  une  telle 
âpreté,  un  tel  entêtement  que  l'un  d'entre  eux*  se  voit  arrêter  par  la 
maréchaussée  et  jeter  en  prison.  En  1753,  c'est  le  tour  des  curés  de 
BeUn,  Béliet,  Salles,  Mios,  Moustey,  Saugnac-et-Muret,  Pissos  ^,  qui 
s'attaquent  au  prieur  de  Mons  et  le  font  condamner  en  première 
instance  ^  Plus  tard,  la  lutte  va  s'accentuer  et  nous  verrons  les 
curés  de  Mios,  de  Béliet  et  de  Salles  refuser  l'entrée  de  leurs  églises, 
fermer  même  la  porte  de  leurs  presbytères  à  M.  Despujols,  qui  vient 
d'être  nommé  au  prieuré  de  Belin,  et  contre  lequel  ils  plaident  ". 
Mais  quoi?  ces  procès  coûtent  très  cher;  ils  sont  très  longs  aussi, 
car  les  prieurs  font  toujours  appel  dès  qu'une  condamnation  les 
frappe.  Puis,  il  est  bien  difficile  que  les  petits  soient  vainqueurs 
dans  la  lutte  contre  les  grands.  Aussi,  quand  1790  arrive,  la  situa- 


1.  Leur  ]>orlioii  congrue  finit  par  être  portée  à  750  livre;-  à  la  lin  ilu  .wiii'  siècle, 
alors  que  cent  cin(|uante  ans  plus  tôt  elle  n'était  guère  que  de  200  livres,  au  maximum 
de  330. 

2.  MM.  François-Antoine  Montai,  curé  du  7  novembre  1720  à  décembre  1724.  Pierre 
liarracan,  curé  du  mois  de  mai  172.S  au  mois  de  septembre  l'j'Âl.  Cuillaunie  Salesses, 
du  mois  de  juillet  1742  au  mois  d'août  1744.  Di3s  f)rocès  identi(pips  fuient  intentes 
aux  Feuillants,  et  soutenus  de  1710  à  1709,  jiar  MM.  D-sIiéli^,  Audouy,  Mas,  Scanland 
et  Grandon,  curés  successifs  d'Andernos,  qui  dépendaient  du  prieuré  du  Barp  (.\rcli. 
dép.  de  la  tiironde;  fonds  —  non  classé  —  des  Feuillants,  cartons  42  et  4.5). 

'S.  Les  Feuillants  étaient  des  moines  réformés  de  l'ordre  de  Saint-Benoît.  Ils  pos.-è- 
daient  le  prieuré  du  Barp,  auquel  était  annexée  la  paroisse  .Saint-Jacques  du  Barp. 

4.  M.  liarracan.  Il  fut  arrêté  à  la  tin  de  1,32  par  ■■  Dacoutant,  brigadier  de  la  maré- 
cliaussée  de  Blaye,  sui\ant  le  mandement  du  sieur  Malesrot,  procureur  du  Roi  de  la 
maréchaussée  de  (iuienne,  en  date  du  l*""^  sei>t('mlire  173i  .  Après  son  arrestation,  le 
mallieureux  curé  fut  conduit  •  dans  les  prisons  liu  Palais  à  Bordeaux  (Arcli.  dép.  de 
la  (iironde,  C  4052-. 

5.  Béliet.  Salles  et  Mios  dépendaient  du  prieuré  de  Belin,  situé  à  Béliet.  Mouste\  , 
Saugnai-et-Muret,  Pissos  et  Belin  dépendaient  du  prieuré  de  Mons,  situé  à  Belin. 
Les  deux  prieurés  se  trou\'aient  réunis,  à  ce  moment,  entre  les  mains  du  même  prieur  : 
M.  Souc  de  Planclier,  abbé  de  Saint-Astier  (cf.  mon  ouvrage:  Les  Prieurs  de  Mons  et 
de  Belin,  p.  23). 

G.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  G  953. 

7.  Arch.  dép.  de  la  (iironde,  (;  931.  .Jean  Dsspujols,  prêtre  du  diocèse  de  Bordeaux, 
supérieur  du  Séminaire  Saint-Raphaël  de  novembre  1759  à  mars  1767,  fut  nommé 
prieur  de  Belin  le  17  juin  1762.  Cf.  Les  Prieurs  de  Mons  et  de  Belin,  p.  25  à  28, 


\     IHAVERS    LE    SCIIISMi:    CONS  TITl  l  lO.XNtL    KN    (.UUj.MjJ.  luy 

tion  des  curés  n'a  guère  chanf;»'';  ils  n'ont  pas  obtenu  les  ressources 
nouvelles  qu'ils  réclani.iitiit.  l^f  .ilors,  quoi(ju'ils  ne  soient  point 
|i;iii\n'S.  en  réalité,  coniinr  lU  (Mil  l.t  sensation  ili'  puuvoii-  ;ilf riniln- 
ini  liini-cl  If  supérieur.  <•(  d'<ii  «tu'  |iriv('s  ])ar  riiijii.>li(f,  piir  l'av."!- 
rice  (le  leurs  chefs,  ils  se  forgent  inilli'  tit'Sftlations,  factices  en  grande 
j)artie;  ils  croient  souffrir,  ils  souffrent  vraiment.  En  outre,  ils  ont 
la  rancœur  de  leur  longue  lutte  inellicace  et  ils  appellent,  avec 
passion,  un  ordre  de  choses  nouveau. 

Or,  la  Constitution  civile  du  Clergé  leur  ài»porte  c(;  qu'ils  dési- 
rent :  elle  supprime  les  prieurs  abhorrés;  elle  remplace,  \>;w  une 
pension  fort  raisonnable,  la  dîme,  objet  de  tant  d'ennuis:  elle  va 
permettre  à  chaque  prêtre,  si  humble  soit-il,  de  rester  seul  maître 
(lie/,  lui,  à  peu  près  indépendant  de  toute  iiutoiiti-  ecclésiastique  i^. 
Et  c'est  déjà  une  raison  pour  que  le  clergé  rural  accueille  avec 
sympathie  cette  loi  ([ui  \a  supprimer  les  abus  dont  il  souffrait. 

(îertes,  il  n'y  a  pas  que  cela  dans  la  Constitution  civile;  il  y  a 
aussi  l'organisation  ofTicielle  du  schisme  et  nos  curés  devraient  le 
comprendBe.  car  ils  sont  instruits  :  tous  possèdent  quelque  grade 
théologique,  la  plupart  sont  docteurs,  le  curé  de  Belin  -  est  même 
un  ancien  jésuite  dune  haute  culture  littéraire,  philosophique  et 
théologique. 

Pour  bien  dire,  ils  comprennent  ce  qui  se  passe,  mais  ils  s'effor- 
cent de  se  démontrer  que  ri<]glise,  atteinte  dans  son  temporel,  ne 
l'est  pas  dans  son  essence;  ils  affirment,  comme  le  curé  de  Belin, 
que  l'Assemblée  nationale  <(  n'a  touché  ny  entendeu  toucher  au 
.spirituel,  et  que  ce  qu'elle  a  décrettc  est  purement   temporel  »  -K 

1.    l'.xtrait  «le  la  Coiistiliitiuii  "ivilc  ilu  (  IcTtré  : 

1  I  1  UE  I":  Oes  officiiTS  cirlt^xiasliques.  —  .Vit.  \x.  —  Les  abbayt's  ou  jirieurt's  en 
ii-tlf  iiu  en  cnnurifiiile,  «le  l'un  el  île  l'aiilre  sexe,  sont  ('■teint--  et  -n|i|irinii'>,  >ans  nn'il 
l"iiissf  jamais  en  ("-tre  étalili  île  semliialile-. 

TITHK  II  :  hc  hi  nnminalinii  aux  hént'itirs.  —  Art.  i".  On  ne  ronnailra  ijn'iliu- 
sPiile  manière  de  pour\oir  aux  riires,  c'est  i\  savoir  la  forme  îles  élections.  —  Art.  ii.  — 
Toutes  les  élections  se  feront  par  la  voie  ilu  scrutin  el  à  la  pluraliti'-  îles  suffraires.  — 
Art.  XXXVI.  —  L'év(^(iue  aura  la  faculté  d'examiner  l'élu  sur  sa  ductriiie  el  ses  iiuimii^. 
sHuf  aux  parties  le  recours  à  la  puissance  civiTe. 

TITKK  m  :  Du  trailemenl  dis  minislrrs  itf  la  rilii/iun.  —  Art.  v.  —  Le  traitement 
«les  ruré.s  sera,  sa\oir:  dans  les  villes  et  les  ImurL's  dont  la  population  est  au-dessoii< 
de  Ifi.OlHl  Ames  et  au-dessus  de  3.000  Ames.  île  -2,400  livre-.  I.orsipie  la  paroisse  offrira 
une  population  de  3,000  Ames  et  au-ilessons.  jus.pia  •.'..">(»),  de  -^.OOO  livres;  lorsiiu'elle 
en  oITrira  une  de  •2,."«00  Ame>  jusipi'a  ^.(JOO,  de  I  .koo  li\res:  loi-ipj'elle  en  offrira  une 
de  moins  de  -2,000  el  de  i>lus  de  1,000,  de  I  ..'>00  livres:  et  lor^ipi'elle  en  offrira  une  de 
I  .ftoo  Ames  et  au-dessous,  de  1.-200  livres.  • 

■2.  M.  Pierre  Nau  de  Saint-.Marc,  entré  i  liez  les  .lésuiti^  le  -'3  a\ ni  1737,  curé  di- 
Melin  du  20  mai  177.5  au  12  octobre  17^(3.  d.itt-  de  sa  mort.  <  f.  mon  ouvrage:  Deiir 
ParDtsxes  '/'■  t'anrien  temi>s.  p.   1.3)  à   13->. 

3.  Arch.  dioc.  de  IJordeaux.  Fonds  moderne,  l'rocès-verbal  de  sa  prestation  «le 
serment. 


IIO  A    TRAVERS    LE    SCHISME   CONSTITUTIONNEL   EN    GIRONDE 

Ils  se  basent,  d'ailleurs,  sur  l'opinion  présumée  de  leurs  chefs  qui, 
peut-on  croire,  pensent  comme  eux;  car  enfin,  Louis  XVI,  le  roi 
très  chrétien,  a  sanctionné  la  constitution  civile,  et  Mgr  Champion 
de  Cicé,  archevêque  de  Bordeaux  ^,  a  contresigné  l'acte  royal. 
En  outre,  ils  croient  que  l'Assemblée  avait  le  droit  de  légiférer, 
même  en  matière  religieuse.  Profondément  imbus  du  vieux  principe 
d'indépendance  nationale  qui,  dans  les  siècles  passés,  avait  tant 
de  fois  mis  en.  avant  les  libertés  de  l' Église  gallicane,  ils  constatent 
que,  de  fait,  l'Assemblée  nationale  a  concentré  en  elle  les  pouvoirs 
de  la  nation  et  du  roi;  et  tout  naturellement,  ils  lui  accordent  sur 
les  choses  d'Église  les  droits  qu'ils  reconnaissaient  jadis  au  souve- 
rain. Enfin,  à  tout  prendre,  le  pape  ne  s'est  pas  prononcé. 

Voilà  bien  des  raisons.  Elles  valent  ce  qu'elles  valent,  ou,  pour 
mieux  dire,  elles  ne  valent  rien.  Probablement,  nos  curés  en  juge- 
raient ainsi,  s'il  leur  fallait,  bien  tranquilles  dans  la  solitude  de  leurs 
presbytères,  rédiger  une  thèse  ou  un  sermon.  Mais,  c'est  de  tout 
autre  chose  qu'il  s'agit.  La  décision  qu'ils  vont  prendre  pèsera  sur 
leur  vie  entière.  Et  alors,  par  quelles  cruelles  incertitudes  ne  pas- 
sent-ils pas  ? 

Ils  sont  d'autant  plus  perplexes  que  mille  sollicitations  extérieu- 
res assaillent  leur  volonté  hésitante.  Sans  compter  les  menaces 
officielles,  qui  semblent  n'avoir  jamais  été  bien  terribles  dans  les 
Grandes  Landes  du  Bordelais,  il  faut  mettre  en  ligne  de  compte  «  les 
prières,  les  instances  des  parents  ou  des  amis,  et  parfois  même  le 
cœur  du  pasteur  qui  luttait  contre  ses  sentiments  et  ses  inclinations 
les  plus  chères,  car  il  souhaitait  de  vivre  avec  une  paroisse  qui  lui 
avait  donné  jusqu'alors  sa  confiance,  et  qui  l'aimait  encore,  mais 
que  les  décrets  avaient  séduite,  et  qui  allait  ne  voir  en  lui  qu'un 
ennemi  »  ^. 

Ajoutez  à  cela  l'efïarement  peureux  de  tous  ces  pauvres  curés, 
qui,  habitués  jusqu'alors  à  être  pratiquement  les  chefs  incontestés 
de  la  paroisse,  se  trouvent,  du  jour  au  lendemain,  brutalement 
dépouillés  de  leurs  prérogatives  séculaires;  souvent  même  en  butte 
aux  tracasseries  des  municipalités.  On  leur  a  pris  leurs  églises  pour 
y  tenir  des  Assemblées  où  ils  ne  sont  rien,  et  que  préside  un  paysan 
inconnu  la  veille;  il  faut  qu'ils  déposent  sur  le  bureau  du  Conseil 

1.  Jérôme-Marie  Champion  de  Cicé,  né  à  Rennes  en  ÏTSi,  mort  archevêque  d'Aix 
le  22  août  1810,  archevêque  de  Bordeaux  du  4  février  1781  au  8  octoljre  1801,  fut  choisi 
comme  garde  des  sceaux  par  Louis  XVI  le  4  août  1789;  il  donna  sa  démission  le  21  octo- 
bre suivant  (Lopès,  l'Eglise  Saincl-Andrc  de  Bourdeaux,  t.  II,  p.  409). 

2.  Ludovic  Sciout,  Histoire  de  la  Consliiuiion  civile  du  Clergé,  t.  I,  p.  410, 


A    THAYF.RS    II"    SCmSMi:    Cl»SriTUT10>NF.I.    E>    GIRONDK  I  I  I 

municipal  l'état  de  leurs  revenus;  on  exige  qu'ils  fassent  arrêter 
par  le  maire  les  recettes  et  dépenses  de  la  fabrique;  au  Barp,  on 
ira  jusqu'à  interdire  d'utiliser  l'argent  des  pauvres  sans  une  auto- 
risation formelle  des  officiers  municipaux  K  En  voilù  bien  assez, 
ii'»st-il  pas  vrai?  pour  effrayer  un  pauvre  honmie  qui  ne  s'est 
j;iiiiais  préparé  à  la  lutte,  qui  n'a  pas  trempé  son  caractère  en  pré- 
\  ision  de  l'épreuve,  qui  ne  trouve  ni  dans  sa  vie  aux  habitudes 
hop  bourgeoises,  ni  dans  sa  foi  trop  raisonneuse,  ni  dans  sa  vertu 
trop  routinière,  le  ressort  dont  il  aurait  besoin  pour  réagir  contre 
le  mal. 

Les  curés  jurent  donc. 

Tout  au  plus  apportentrils  quelques  restrictions  timides  à  leur 
serment,  comme  le  curé  du  Barp,  qui  jure  d'obéir  à  la  «  Constitution 
civile,  acceptée  par  le  roi  »  -;  comme  le  curé  de  Belin  qur  jure  «  après 
les  plus  mœurs  examents  et  réflections  les  plus  sérieuses,  ne  voyanl 
rien  que  le  civil  dans  la  Consiiiuiion  civille  du  clergé  »  ^  Ce  n'en  est 
pas  moins  la  chute.  Et  quelques-uns  de  ces  pauvres  malheureux  : 
les  curés  de  Saugnac-et-Muret,  de  Salles,  de  Belin,  de  Béliet,  vont 
mourir  trop  tôt  pour  pouvoir  se  réconcilier  avec  Dieu,  Il  est  vrai 
que  les  trois  premiers,  au  lieu  de  réparer  leur  faute,  quand  le  pape 
l'a  solennellement  condamnée,  s'y  sont  ancrés  contre  le  cri  de  leur 
conscience  \ 

m.  —  Les  Fidèles. 

Quant  aux  paroissiens,  c'est  beaucoup  plus  simple  :  ils  n'ont 
rien  compris  à  la  Constitution  civile  du  Clergé.  Trop  peu  instruits 
pour  savoir  qui,  du  curé  assermenté  ou  du  curé  insermenté,  repré- 
sente la  vérité,  la  seule  chose  dont  ils  s'inquiètent  c'est  de  conserver 
les  pratiques  extérieures  de  leur  religion.  Ils  veulent  un  curé;  il.*; 
veulent  des  offices;  ils  veulent  les  sacrements  et  la  sépulture  reli- 
gieuse. Aussi,  quand  il  arrive,  comme  à  Lugos  ou  à  Saint-Magne, 
qu'on  les  prive  de  pasteurs,  ils  adressent  pétitions  sur  pétitions 
aux  corps  constitués,  pour  qu'on  ne  les  réduise  pas  à  «  vivre  en 

1.  Arch.  do  M.  Paul  Daney,  maire  du  Bnrp.  Di^libération  municipale  du  19  septem- 
bre 1790. 

2.  Arrh.  dioc.  modernes.  Prestation  de  serment  de  M.  Anglade. 

3.  DeiiT  Parois.t€.<!  de  l'ancien  temps,  p.  137. 

4.  Pie  VI  avait  condamné  la  Constitution  civile  du  Clergé  par  un  bref  daté  du  13  avili 
1791.  —  M.  lUazon  do  Sabla,  ruré  de  Ijolipt.  mourut  le  17  avril  1791;  .M.  Tliiac,  cure 
de  Saugnac-el-Muret,  en  octobre  1791;  M.  (.mnillot.  curé  de  Sallesi.  le  ii  avril  1792; 
M.  Nau  de  Saint-Marc,  curé  de  Belin,  le  12  octobre  1793. 


113  A    TRAVERS    I.E    SCHISME    CONSTITUTIONNEL    EN    GIUONDE 

idolâtres  ».  A  Saint-Magne,  ils  iront  même  jusqu'à  menacer  de 
refuser  le  paiement  de  l'impôt,  si  on  ne  leur  envoie  pas  im 
curé  ^ 

Mais  lorsqu'on  leur  a  donné  satisfaction,  ils  ne  s'inc{uiètent  pas 
de  savoir  si  leur  curé  est  ou  non  en  communion  avec  le  pape  :  c'est 
là  une  chose  beaucoup  trop  compliquée  pour  leur  mentalité  paysanne. 
Au  surplus,  savent-ils  bien  ce  qu'est  le  Pape?  Sous  l'ancien  régime, 
quantité  de  pasteurs,  prétextant  les  libertés  de  l'Église  gallicane, 
avaient  systématiquement  refusé  d'apprendre  à  leurs  ouailles  que 
le  Souverain  Pontife  possède  le  Magistère  suprême  dans  l'Église, 
et  que  tous,  pasteurs  aussi  bien  que  fidèles,  doivent  lui  obéir 

Les  curés  schismatiques  sont  donc  acceptés  sans  difficulté,  dans 
les  paroisses  où  M.  Pacareau  les  envoie.  On  les  respecte,  on  les 
estime,  on  les  aime.  Vienne  la  restauration  du  culte,  M  Sabès, 
curé  de  Belin  ^,  constatera  que  le  curé  constitutionnel  de  Saugnac- 
et-Muret  ^  est  un  digne  prêtre,  jouissant  de  la  considération  géné- 
rale. De  même,  M  Bruguière  a  su  gagner  l'affection  des  paroissiens 
de  Salles;  M   Péés^  s'est  fait  aimer  à  Saint-Magne. 

Les  chrétiens  les  plus  dévoués  à  leur  foi  agissent  eux-mêmes  de 
la  sorte.  Quand  le  12  nivôse  an  III  (2  janvier  1795),  M  Sauvage, 
riche  propriétaire  belinois,  marie  sa  fille,  il  exige  qu'on  rétablisse 
dans  le  contrat  une  formule  supprimée  depuis  longtemps  par 
l'athéisme  jacobin,  une  formule  que  personne  plus  n'emploie,  et 
dans  laquelle  les  époux  s'engagent  à  solenniser  leur  union  «  devant 
notre  Sainte  Mère,  l'Église  catholique,   apostolique  et  romaine  ». 


1.  "On  ne  pense  pas  à  nous  fournir  (un  piètre).  Et  cependant  on  n'oublie  pas  à 
nous  ileuiender  les  impositions.  Mais  les  habitants  sont  si  outrés  de  se  voir  abusés 
depuis  longtems  qu'ils  ni  ])ensent  du  tout;  et  quand  on  leur  parle  de  la  paye,  ils  réi)on- 
dent  qu'ils  ne  i)eu\enl  point  payer,  s'ils  ne  sont  point  servis;  et  qu'il  préferroit  payer 
la  dixnie  ijoui'  avoir  un  jjrêtre,  capable  de  les  entérer  et  administrer  les  Sarremens, 
non  ])as  à  rester  dans  l'état  où  ils  sont,  à  ce  voir,  comme  des  idoUalres,  enterrés,  sans 
aucune  cérémonie.  >  (Cf.  mon  ou\rage  :  l^a  baronnie  de  Sainl-Mngne,  t.  II,  p.  9.^-96.  i 

•2.  .Jean  Sal)ès,  né  le  30  mai  17.53,  était  curé  de  Beychac  au  moment  de  la  Ré\o- 
lution.  11  prêta  le  serment,  mais  le  rétracta  presq\ie  aussitôt.  Curé  de  Belin  de  l.SC.3 
à  1807,  il  mourut  le  29  juin  1839  {Deux  Paroisses  de  l'ancien  leiiti>s,  \<.  33")  à  33  . 
357  à  359). 

3.  Il  se  nommait  Seguès.  D'abord  vicaire  de  Saugnac-et-Muret  (Reg.  paroissiaux 
de  Béliet  ;  décès,  18  avril  1791),  il  prêta  serment  en  même  temps  que  M.  François  Tliiac, 
son  curé.  Celui-ci  étant  mort  en  octobre  1791  (Arch.  dép.  de  la  Gironde;  contrôle  des 
actes  de  Belin),  M.  Segués  lui  succéda  (Reg.  paroissiaux  de  Belin,  1791  et  1792,  [jassinii. 
Au  rétablissement  du  culte,  l'administration  diocésaine  le  maintint  dans  la  cure  de 
Saugnac-et-Muret,  où  on  le  trouve  encore  en  1814  (Arch.  de  la  fabrique  de  l'.elin;  reu. 
des  délibérations). 

4.  Jean  Péés,  prêtre  du  diocèse  de  Lescar,  quitta  son  pays  natal  aux  débuts  de  la 
Révolution.  D'abord  vicaire  de  Sanguinet,  puis  curé  de  Laluque,  dans  les  Landes,  il 
passa  dans  la  Gironde,  où  il  devint  successivement  curé  schismatique  de  Béliet  et  de 
Saint-Magne.  En  septembre  1797,  il  était  ministre  du  culte  à  Sauternes  (Deux  Paroisses 
de  l'ancien  /cni/).s,  p.  310  à  314:. 


A     rUVVKKs     I.E    SCIIISMI     (ONSnil  riO?(NEL    EN    GU10?»L)E  I  I 'i 

11  veut  aussi  que  son  curé  assiste  à  la  itMlacLion  il<-  l'actt'  et  le  signe  ". 
Tout  cela  est  bien  l'œuvre  (i'iiii  rioyinil.  Oi-,  à  i|Ufl  «uri''  -';iilr<'sse 
M.  "^,iii\  .i^i''^  au  iMwé  coiisl  it  iil  iiiiiinl  .|c  Hclin. 

Il  laul  dirt'.  jiuiir  i'\|ilii|iicr  rri  (■lat  il'i'-iuil.  ipn-  !<■  passage  au 
>rlusnie  s  était  aceumiili  -nis  éelat  dans  tout  le  l'.rlinois  et  «laii^ 
les  environs.  Le  niêmi-  ruir  avait  confinué  à  incini  la  inêiuf  vi»-. 
à  (•('débrcr  It's  iiiémrs  n(li  c -,  à  .Mlmiiiist riT  Ir-  ii  émi'S  sai'rr- 
mnits.  à  lux'cher  la  iiumiic  iiiiualc.  à  rii-riLriicr  If  iin-iiii'  ilo^iuf, 
à  i|i''rt'ii(liL'  les  mêmes  (liiclruu'.>  ;  It.'s  lidelcs  ne  di-iiiaiidaient  rien  d<' 
jdiis. 

Par  exi'mpl»',  ils  a  admclliniil  j>a>  que  le  prétr»-,  mt-nif  pum- 
obéir  aux  dirigeants  du  jour,  manque  aux  devoirs  essentiels  de  son 
état. 

Ou'un  curé  se  inarii'  !  c'est  son  affaire:  on  le  laissera  bien  tranquille. 
Mais  qu'il  ne  s'avise  point  ensuite  de  jui'-teiidre  à  exercer  le  saint 
ministère  :  le  jieu]de  ne  seul  plus  de  lui  jiour  cela.  On  verra  les 
l'emmes  de  Salles  en  déshabiller  un  dans  l'église,  parce  qu'il  s'obstine 
à  vouloir  célébrer  la  messe,  et  le  menacer  d'une  fustigation  en 
régie,  s'il  récidive.  «  Avis  des  fenunes,  »  dit  une  alUclie  placardi'C 
sur  la  ])orte  de  l'église,  à  côté  d'une  poignée  de  verges,  «  Avis  des 
fenunes  :  Si  Bellard,  prêtre  marié,  dit  la  messe,  sera  foité.  Prends 
garde  à  toi  ^.  »  Les  nmnicipalités  elles-mêmes  tiendront  ces  malheu- 
reux en  pauvre  estime,  comme  on  le  constate  par  l'attitude  du 
niaire  terroriste  de  Belin  à  l'égarrl  d'un  prêtre  marié  réfugié  dans 
la  comnmne  ^. 

Certes,  on  rencontrera,  çà  et  là,  quelques  athées  d'une  sottise 
ou  d'une  méchanceté  assez  opiniâtre  pour  réclamer  ctimme  curé, 
même  au  rétablissenu'nt  du  culte,  des  prêtres  évideuuuent  indignes, 
tels  que  .M.  Bellard  à  Salles  ',  et  M.  Contrastin  au  Barp;  nuiis  c'est 
rinfune  minorité.  Le  peuple  comprend  la  dignité  du  sacenloce  et 
ne  veut  pas  qu'on  le  salisse.  Il  tient  essentiellenu^nt  à  conserver 
sa  religion  intacte.  Si  un  jour  vient  où  il  semble  l'abandonner  pour 
aller  au  Temple  de  la  Raison,  il  le  fera  sans  conviction,  par  force, 
parce  qu'il  a  peur;  mais  dès  qui'  la  l\iannie  tunle-puissante  des 
gouvernants  aura  cessé  de  peser  sur  lui,  il  rcviemlra  aussitôt  au 
vieux  culte  des  ancêtres. 


I.  \hiinli-   ili-    \I      l-.|jtniii'   llosli'ii,   imlaiii-  ;i    liclin.    l'oiul-   I.Jilillr. 

"2.  Deux  Paroisses  dr  t'uiirieri  Irnips,  \>.  IU7-31>>. 

3.  /./.,  p.  307-308. 

».  Ihid.,  p.  319-3-20. 


Il4  A.    TRAVERS    LE    SCHISME    CONSTlTUTIONiSEL   EM    GIRONDE 

IV.  —  Conclusion. 

En  résumé  :  chez  le  clergé,  préjugés  séculaires  contre  Rome,  souci 
trop  inquiet  du  bien-être,  colère  exagérée  contre  des  injustices 
d'ailleurs  certaines,  solitude  morale,  isolement  matériel,  elïarement 
peureux;  —  chez  les  fidèles,  ignorance  considérable,  effrois  irraison- 
nés, respect  inintelligent  du  pouvoir  civil;  —  telles  sont  les  causes 
qui  ont  permis  au  schisme  constitutionnel  de  réussir  dans  la  partie 
centrale  des  Grandes  Landes  du  Bordelais. 

Mais  ces  causes  étaient  trop  évidemment  extérieures  à  l'âme 
populaire,  pour  qu'une  œuvre,  établie  sur  des  bases  pareilles,  eût 
chance  de  longue  durée.  Aussi,  croyons- nous  qu'il  faut  chercher 
dans  les  raisons  mêmes  dont  le  schisme  constitutiormel  est  issu, 
le  principe  déterminant  de  sa  disparition  rapide.  Ni  le  clergé  apostat, 
qui  savait  très  bien  ce  qu'il  faisait,  ni  les  fidèles  du  culte  constitu- 
tionnel, qui  ignoraient  la  portée  de  leurs  actes,  ne  pouvaient  faire 
œuvre  de  vie. 

Abbé  Albert  GAILLARD.     • 


tii^:s(\ i:\Tiiti:  ii'i\  misii;il\  m  i.it\Mi-Tiii:\Tiu: 

EN  1781 


Eu  1781 .  les  Bordelais  ne  possédaient  pas  seulement  un  magnifiqur 
théâtre,  chef-d'œuvre  de  Tarchitecte  Louis,  inauguré  au  mois  d'avril 
de  l'année  précédente  et  dirigé  par  le  sieur  de  Belmont,  ils  avaient 
aussi  une  troupe  de  comédiens  et  un  orchestre  de  premier  ordre. 
((  On  sait,  disait  à  ce  propos  un  journal  du  temps  '  auquel  nous 
empruntons  la  petite  anecdote  qui  va  suivre,  que  le  spe  tacle  de 
Bordeaux  tient  un  des  premiers  rangs  dans  le  nombre  de  ceux  df 
la  province.  La  beauté  de  la  salle,  le  choix  des  acteurs  et  celui  des 
musiciens  rendent  ce  spectacle  digne  de  la  ville  qui  le  possède.  » 

Le  mérite  en  revenait  au  maréchal  de  Richelieu,  gouverneur  de 
la  Guienne,  lequel  s'occupait  activement  du  Théâtre,  choisissant 
lui-même  les  pièces  à  jouer,  recrutant  les  artistes,  distribuant  les 
rôles  et  veillant  avec  un  soin  jaloux  au  maintien  de  la  discipline 
dans  la  troupe.  Celle-ci,  du  reste,  s'appelait  la  troupe  de  Mrjr  le 
Maréchal,  et  le  maréchal,  bim  plus  que  de  Belmont  lui-même,  en 
était  le  véritable  directeur. 

Ses  connaissances  musicales  et  son  goût  prononcé  pour  le  théâtre 
rendaient  la  population  digne  d'une  sollicitude  dont  elle  fut  peut- 
être  l'inspiratrice  et  sans  doute  les  Bordelais  durent-ils  tout  d'abord 
à  eux-mêmes  d'avoir  de  bons  acteurs  et  de  bonne  nuisique. 

D'après  notre  Journal,  il  y  avait,  en  efTet,  à  Bordeaux  «  des  oreilles 
(jui  pouvaient  l'emporter,  en  connaissances  musicales,  sur  bien  des 
oreilles  de  Paris,  qui  s'imaginent  être  les  jiremières  oreilles  du 
monde  pour  la  nuisique  ».  Aussi  <'(inq>r<'nil-(iM  (pie  les  mélomanes 
bordelais  aient  pris  jtnrt  :'i  la  (iiii'icljo  des  ghickislrs  et  des  picci- 
nistes  avec  une  ardeur  rendur  curijre  plus  vive  par  le  voisinagi- 
de  la  Garonne.  «  Des  personnes  dignes  d«'  f<'i,  dit  à  cet  égard  h' 
Journal,  rapportent  qu'elles  ont  été  témoins  dans  cette  ville  de 

l,  Arch.  mxin.,  Journal  des  Causes  célèbres,  t.  XC,  juin  17S'2,  p.  147. 


1  l6  MÉSAVENTURE    d'lN    MUSICIEN    DU    GRAND-1 HEATRE    EN     1 78 1 

disputes  aussi  sérieuses  et  aussi  vives  que  celles  qui  ont  été  agitées 
dans  la  capitale  sur  la  préférence  qu'on  doit  donner  au  génie  du 
fameux  Gluck  sur  celui  du  célèbre  Piccini.  Les  amateurs  de  Bor- 
deaux sont  (si  l'on  en  croit  ces  personnes)  pour  le  moins  aussi 
profonds  que  ceux  de  Paris.  Cette  observation  prouve  qu'on  aime 
les  beaux-arts  avec  autant  de  passion  sur  les  bords  de  la  Garonne 
que  sur  les  rives  de  la  Seine.  » 

L'orchestre  du  Grand-Théâtre  était  composé  en  conséquence. 
On  y  voyait,  en  1781,  à  côté  du  fameux  Beck  comme  maître  de 
musique,  et  de  Lepin^  comme  deuxième  maître  adjoint  :  5  premiers 
violons.  4  seconds  violons,  1  alto-viola,  6  basses,  2  contrebasses, 
1  premier  cor,  1  deuxième  cor,  2  flûtes,  2  hautbois,  et  3  bassons  '. 

La  présence  de  ces  deux  contrebasses  était  exceptionnelle. 
L'orchestre  jusqu'alors  n'en  avait  compris  qu'une  seule,  chose 
déjà  remarquable,  car  cet  instrument,  introduit  seulement  vers 
1725  à  l'Opéra  de  Paris  où  on  ne  l'entendait  d'ailleurs  que  le  ven- 
dredi, n'était  guère  répandu  dans  les  théâtres  de  province.  C'était 
un  nommé  Lourey  qui,  depuis  au  moins  1778,  remplissait  les  fonc- 
tions de  contrebassiste  du  Grand-Théâtre.  En  1781,  le>^  action- 
naires voulurent  rehausser  l'éclat  de  l'orchestre,  et  ils  engagèrent 
pour  trois  ans  un  second  contrebassiste,  un  parisitMi  nommé  Cottu 
ou  Coutu. 

Ce  Cottu  était  un  virtuose  de  la  contrebasse  et  «  au  mérite  du 
savoir  il  joignait  celui  de  l'exactitude;  son  archet,  disait-on,  méri- 
tait l'honneur  d'être  employé  dans  l'orchestre  d'une  capitale.  » 

«  Contrairement  à  l'usage  »,  dit  le  Journal,  il  avait  été  stipulé  dans 
son  engagement  que  Cottu  se  fournirait  lui-même  son  instrument 
«  attendu  qu'il  en  avait  un  excellent  qu'il  avait  porté  de  Paris...  « 
La  vérité,  c'est  que,  à  part  celle  de  Lourey,  il  n'existait  au  Grand- 
Théâtre  ni  même  par  toute  la  ville  aucune  autre  contrebasse.  On 
eût  donc  été  bien  embarrassé  pour  en  fournir  une  à  Cottu.  Du 
reste,  puisque  celui-ci  avait  la  sienne,  n'était-il  pas  plus  naturel 
qu'il  s'en  servît  ?  D'autant  que  son  instrument  était  remarquable, 
qu'il  ((  avait  six  pieds  de  hauteur,  était  d'une  étendue  proportionnée, 
et  rendait  des  sons  lugubres  qui  contrastaient  merveilleusement 
avec  les  sons  aigus  de  la  chanterelle  des  violons.  » 

Donc,  l'archet   de  Cottu   faisait  merveille   depuis   le  1^^"  avril, 

1.  Bibliothèque  de  Bordeaux.  Manuscrit  du  comédien  Cossin  Le  Couvreur, 


MÉSAVENTIRE    o'UN    MIJSICIKN    DU    r.R\?(D-THÉ  V  inK    K>     l'Sl  II7 

jour  d Ouvorluir  ilr  la  saison  en  >>•  li'inps-là,  lorsijirunc  calast ri'plii- 
viiil   subiteiiMMit    intci-idni])!»'  les  siint'-s  de  imlic  imisiciiMi. 

Le  mardi  "J'i  mai  l7Ni,  l'.otl'i  se  ifiidit  à  riicun-  aiciuitiimi'-f  au 
(irand-Thérdrt'.  ()n  jnviait  m  soir-là  Clémenline  S:  iJésunnes  rf  l.r 
Hal  hoiirficnis  '.  Mais  (jurllcs  ne  lurent  pas  sa  surprise  et  sa  doideur 
liii>(|uc.  jM'iu'Iraul  ilaii>  l'(>rrlir>|  rc.  il  y  trouva  sa  contrebasse 
brisée!  Un  des  musiricn-.  IjiuifN  jM'ul-rl  1 1.  jiilnux  du  hdiMil  cl  di-- 
>ucfès  de  C<illu.  a\ail  pn  mmiI  -f  li\i'ci'  à  cet  aele  de  basse  vt'U- 
<;eanci'.  ("ut  tu.  ct'iifudanl .  nr  paraît  avoir  ouvrrti'iuful  accu-i'- 
personne.  A  (|uni  hdii.  d  aillcur.-.*  \  .*•  dt'lit  n'avait  pas  eu  de  t«''moin>, 
et  il  ne  }»ou\ail  êtic  (|ursli(>n  d  ru  retrouver  l'auteur.  C.ottu  n'avait 
d'autre  ressource  que  de  l'aiie  constater  l'état  de  sa  contrebasse  ••! 
l'impossibilité  oîi  il  était  de  jouer,  ce  qui  fut  l'ail  tu  jtrésence  d'uu 
-ieur  de  Carcy,  actionnaire  du  spectacle,  qui  se  trouvait  précisément 
au  théâtre  à  rc  mument  :  «  Qu'on  fasse  rétablir  au  jdus  tôt  cft  ins- 
trument, dit  cet  actionnairi'.  cl  on  verra...  » 

La  r(''ponse  de  M.  Ai'  Carcy  était  rassurante.  Et  cf  l'ut  une  cnnso- 
lation  pour  ce  pauvre  (".kIIu  de  penser  que  s'il  ne  jinuxail  pas 
retrouver  l'auteur  fin  delil.  il  aurait  du  moin.-«  la  satisfait  iiui  de 
faire  réparer  sa  contrebasse  aux  frais  des  actionnaires. 

«On  s'adressa  donc  sur-le-<;hamp  au  plus  habile  luthier'-  de  H<u- 
deaux,  cjui  promit  de  réparer  sans  délai  ce  gros  inslntnu'iiL  sans 
lequel  il  n'est  point  de  symphonie  mâle  et  parfaite  pour  l'oreille  qui 
sait  apprécier  le  mérite  d'un  concert  et  d'un  opéra.  Cet  ouvrier  lit 
dire  à  la  direction  que  la  réparation  de  la  contrebasse  pourrait 
coûter  96  livres.  » 

Son  t  avail  dura  jtrès  d'uu  mois. 

Le  .hnii'lUll  raeuiUe  (|Ue  u  pendant  ee  lein|i-.  Itiiilie-I  re  de  iior- 
deaUX  tut  pliNi'  de  eonlrebasse  parée  (|ue.  il;in>  ee  UKUlH'nt.  cette 
pièce,  duii  ^;iau(l  pii\  par  e||i'-iuême,  était  la  seule  qu'il  \  fû\  à 
Bordeaux  dans  ce  genre.  La  musique,  dit-un.  n'en  lit  pas  moins  de 
bruit,  niai>  le>  (ireille>  dillieiles  ('■juinivèicnl  une  pii\atiiiii  ilmi- 
Inureuse.  » 

Il  se  peut  que  l'tuchestre  ait  été  privé  de  contrebasse  duraid  le 
tenq)s  (|u'ou  réparait  eelle  deCnlIu.  Mais  la  raison  (|u'en  donne 
le  Journal  n'est  assurément  pa>  la  hoiiue.  Car.  dè^  l'iu-tant  qu'on 
n'avait  ]»as  eu  à  foui'uir  de  eoid  rebasse  à  Col  I  u  puisqu  il  l'u  a\ail 
porté  une  de  Paris,  il  restait  encore  celle  de  Luurey.  Et  cela  nou- 

1.  .^^lIlll^(■ril  ih'  Le  (^ou\reiir. 

■,'.   Saii^  ildiiti'  11'  liloypii  I  l>ni  \   \|iilh'iii .  ■iiii  ,i\  ;iil  sa  bouti<iiii'  m.'  Uitm. 


Il8         MÉSAVENTURE    d'uN    MUSiCIEN    DU    GRAND-THEATRE    EN    I781 

conduit  à  penser  que  les  «  oreilles  »  dont  parle  le  Journal  ne  cessèrent 
pas  d'entendre  les  sons  harmonieux  de  la  contrebasse. 

Le  25  juin,  la  réparation  étant  terminée,  le  luthier  rapporta  à 
l'orchestre  l'instrument  de  Gottu  et  présenta  à  la  direction  sa. fac- 
ture, montant  à  96  livres.  Vaine  tentative  ;  les  actionnaires  ne  vou- 
lurent rien  entendre.  Le  luthier  se  décida  alors  à  les  assigner,  mais 
comme  il  se  méfiait,  non  sans  raison,  des  lenteurs  de  la  procédure, 
il  préféra  s'en  prendre  à  Gottu  lui-même  et  faire  opposition  sur  ses 
appointements  entre  les  mains  de  Belmont.  Pour  ne  pas  se  voir 
couper  les  vivres,  Gottu  paierait  immédiatement. 

L'opposition  eut  lieu  le  30  juillet.  Affolé,  le  malheureux  musi- 
cien «  se  donna  des  mouvements  auprès  du  sieur  de  Garcy  ;  il  le  pria, 
le  supplia,  de  bouche  et  par  écrit,  de  vouloir  bien  satisfaire  le 
luthier,  qui  avait  arrêté  ses  appointements;  mais  le  sieur  de  Garcy 
répondit  :  qu'on  ne  me  parle  plus  de  celte  affaire.  Cependant  le 
sieur  Gottu  qui,  d'ailleurs,  n'avait  eu  jusque-là  qu'à  se  louer  des 
procédés  du  sieur  de  Garcy,  se  flattait  toujours  d'obtenir  de  cet 
actionnaire  la  justice  que  tout  sollicitait  en  sa  faveur.  Il  lui  écrivit 
jusqu'à  trois  fois,  d'une  manière  très  respectueuse;  mais,  n'ayant 
reçu  aucune  réponse,  il  se  crut  dispensé  d'écrire  davantage  et 
s'adressa  aux  tribunaux.  Quoique  devenu  nécessaire,  ce  parti  de 
rigueur  était  un  peu  embarrassant  pour  le  sieur  Gottu.  «  On  sçait 
bien  quand  on  commence  un  procès;  on  ne  sçait  pas  quand  on  le 
finit...  »  On  ne  sait  pas  surtout  comment  il  finit,  aurait  pu  ajouter 
le  chroniqueur. 

Le  plus  simple  pour  Gottu  eût  été  de  suivre  les  errements  de  la 
procédure,  et,  cont  stant  le  principe  lui-même  de  sa  dette,  de 
demander  la  nullité  et  la  mainlevée  de  la  saisie- arrêt.  Mais,  pen- 
dant ce  temps,  il  n'aurait  pas  touché  ses  appointements;  il  en  aurait 
même  d'autant  plus  longuement  attendu  le  paiement  que,  devant 
son  attitude,  le  luthier  n'aurait  pas  manqué  de  mettre  en  causf  la 
direction  afin  d'obtenir  condamnation  contre  l'un  ou  l'autre  de 
ses  adversaires. 

Gottu  alla  donc  au  plus  pressé  et  il  «  commença  par  capituler  avec 
le  luthier  ».  Gelui-ci  triomphait.  Mais  la  capitulation  de  Gottu  fut 
un  peu  une  capitulation  pour  rire,  car  l'accommodant  luthier 
accepta  de  recevoir  ce  qui  lui  était  dû  en  un  billet  de  96  livres 
au  15  novembre  suivant  «  ou  lorsqu'il  serait  décidé  par  justice  — 
au  résultat  du  procès  que  Gottu  s'engageait  sans  doute  à  intenter  à 
Belmont  —  si  les  actionnaires  devaient  ou  non  payer  cette  somme  », 


MÉSAVENTURE    HUN    MUSICIEN    DU    GRAND-THÉAl  HE    EN     1 78 1  II9 

ubligatiuu  alLeniuLivc  ([ui  iiuu»  laisse  assez  deviner  lequel  des  deux 
modes  de  libération  Cottu  s'empressa  de  choisir.  Notre  musicien 
obtenait  ainsi  mainlevée  de  la  saisie  sans  rien  débourser,  et  il  allail . 
cette  fois,  pouvoir  attendre  avec  sérénité  que  la  justice  décidât 
entre  lui  et  son  adversaire.  H  ne  s'agissait  plus  que  de  commencer 
l<'  jirocès  et  Cottu  assigna  immédiatement  Belmont  en  <iualité  d»- 
«i  fondé  de  procuration  pour  la  régie  des  spectacles  de  Bordeaux  », 

Comme  le  taux  du  litige  «  n'excédait  pas  le  cas  de  l'édit,  par  appoin- 
tement  du  9  janvier  1782,  la  cause  fut  retenue  au  présidial  pour  > 
être  jugée  en  dernier  ressort.  » 

De  Belmont  et  les  actionnaires,  déjà  coupables  de  ne  s'être  pas 
montrés  plus  grands  seigneurs  à  l'égard  de  Cottu  en  payant  la 
réparation  de  sa  contrebasse  même  s'ils  n'y  avaient  pas  été  tenus, 
aggravèrent  leur  cas  en  contestant  une  responsabilité  évidente. 
Ils  le  firent,  d'ailleurs,  contrairement  à  toutes  les  règles  du  droit  et 
du  bon  sens,  et  comme  il  convenait  à  des  plaideurs  décidés  à  sou- 
tenir quand  même  une  cause  qu'ils  savaient  mauvaise. 

Ils  arguèrent  d'abord  d'une  faute  à  la  charge  de  Cottu,  faute  qur 
celui-ci  aurait  commise  en  ne  prenant  pas  la  précaution,  un»- 
fois  la  représentation  terminée,  d'enfermer  sa  contrebasse  dan> 
un  étui.  Puis,  ils  contestèrent  que  leur  qualité  de  dépositaires  le> 
obligeât  à  veiller  d'une  façon  particulière  à  la  chose  reçue  en  dépôt. 
Kntin,  «  pour  se  tirer  d'embarras,  »  ils  prirent  même  «  le  parti  de  nier 
["opinion  la  plus  généralement  reçue  dans  le  droit  :  que  les  maîtres 
sont  responsables  civilement  des  délits  de  leurs  domestiques,  commis, 
facteurs  et  préposés;  c'est-à-dire  des  dommages  et  intérêts  qu'iU 
peuvent  occasionner;  ce  qu'il  ne  faut  entendre  pourtant  que  de> 
délits  commis  dans  les  lieux  et  dans  les  fonctions  où  les  maîtres  le> 
ont  employés,  »  principes  qu'on  trouve  presque  intégralenient  repro- 
duits sous  cette  forme  dans  l'article  138-1  du  Code  civil. 

Cottu  avait  pour  défenseur  un  jeune  avocat  reçu  eu  1775,  M*^  Cour- 
celle  de  Labrousse.  Celui-ci  fit  observer  avec  raison  ([u'il  n'était 
point  d'usage  et  qu'il  eût  d'ailleurs  été  fort  peu  pratique  de  mettre 
dans  un  étui  une  contrebasse  de  deux  mètres  de  hauteur  et  d'Hétemlue 
proportionnée.  »  On  ne  met  pas  plus  une  contrebasse  de  ces  dimen- 
sions dans  un  étui  qu'on  n'y  met  un  clavecin.  Quant  à  la  garde  de 
l'instrument  doni  il  avait  accepté  le  dépôt,  du  reste  nécessaire, 
Belmont  devait  y  apporter  d'autant  plus  de  soins  que  ce  dépôt 
n'était  pas  gratuit,  mais  «lucratif»,  et  qu'il  «existait  pour  liifi- 
lité  comn\une  au  musicien  Cottu  et  à  la  direction  '>. 


I30  MÉSAVENTURE    d'uN    MUSICIEN    PU    GRAND-THEATRE    EN    I781 

Mais  ce  fut  surtout  contre  la  prétention  de  Belmont  de  s'exonérer 
de  toute  responsabilité  à  raison  du  dommage  causé  par  ses  pré- 
posés, que  M*^  de  Labrousse  s'éleva  avec  le  plus  de  véhémence. 
Là,  d'ailleurs,  était  le  véritable  terrain  de  la  discussion.  «  Quoi  ! 
s'écria-t-il,  un  seigneur  qui  perçoit  quelques  deniers  à  une  barrière 
pour  l'entrée  de  chaque  tête  de  bête  à  cornes  sur  sa  terre  ou  dans  un 
marché,  sera  responsable  d'un  délit  commis  par  des  vagabonds  dans 
les  chemins  de  sa  terre;  et  les  actionnaires  qui  reçoivent  chaque  joui- 
des  citoyens  à  la  porte  du  spectacle,  un  argent  immense  qui  se  rend 
dans  leur  caisse  comme  par  une  pente  rapide,  prétendraient  avec 
succès  s'afïranchir  du  paiement  des  dommages  causés  dans  la  salh- 
par  leur  domestique  au  préjudice  de  qui  que  ce  soit  et  particuliè- 
rement d'un  mercenaire  ? 

»A  quels  désordres,  d'un  aveu  général,  ne  conduiraient  pas  des 
principes  contraires  à  ceux  qui  servent  de  base  au  système  du  sieur 
Gottu?  S'ils  pouvaient  avoir  lieu,  un  valet  de  théâtre  pourrait,  à 
son  gré,  enlever  sans  retour,  au  préjudice  des  actrices  chargées  des 
rôles  de  grandes  coquettes,  de  mères  nobles  et  de  reines,  les  bijoux 
et  diamants  qui  sont  ordinairement  des  attributs  réels  de  leur  feinte 
dignité.  Mais  les  lois,  qui  ont  tout  prévu,  ont  très  prudemment 
fait  refluer  le  bien  et  le  mal  des  causes  secondes  sur  les  premières. 
Ainsi,  juger  cette  contestation  au  préjudice  du  sieur  Gottu,  ce  serait 
inviter  à  violer  le  dépôt.  D'après  cela,  le  magasinier  pourrait  se 
laisser  piller  sans, risque,  le  cocher  pourrait,  sans  dire  gare,  ren- 
verser le  passant  dans  sa  course,  sans  intéresser  le  seigneur  qui  le 
mit  sur  le  siège;  et  le  commettant  ne  serait  plus  garant  du  commis. 

»  Qu'on  juge,  maintenant,  s'il  y  a  plus  d'extravagance  et  de  ridi- 
cule dans  l'action  qu'a  intentée  le  sieur  Gottu,  que  dans  les  efforts 
que  paraît  faire  le  sieur  de  Belmont  pour  la  repousser.  » 

Et  M*^  de  Labrousse  termina  sa  plaidoirie  par  rette  ironique  et 
plaisante  péroraison  :  «  Oh  !  grand  Apollon,  ne  souffrez  pas  plus 
longtemps  que  la  puissance  de  la  musi(jue  soit  en  défaut.  Si,  avec  le 
secours  de  ses  charmes,  Eurydice  sortit  des  enfers;  si  les  arbres, 
les  rochers  et  les  fleuves  furent  entraînés  par  la  douceur  de  la  lyre 
d'Orphée,  pourquoi  l'archet  d'Alexis  Gottu  n"a-t-il  pas  déjà  fait 
bondir  (juatre  misérables  louis  d'or  du  fond  du  gousset  des  action- 
naires du  spectacle  de  Bordeaux  ?  » 

Ge  plaidoyer  peut  nous  paraître  suranné  dans  sa  forme,  nuiis 
les  arguments  juridiques  qui  en  sont  la  base  n'ont  pas  vieilli,  et 
il  n'est  sans  doute  aucun  confrère  actuel  de  M*'  de  Labrousse  qui 


MÉSAVEMURi;    d'un    MUSICIEN    I>U    (lU  \  Mi- TIIÉA  THE    EM     1781  I  J  I 

désavouerait  la  d^-lfiisc  présciilcc  par  <.elui-ci.  Ia-.s  iiiagislrnls  du 
présidial  ne  trouvèrent  eux-niénies,  td  c'était  là  l'fssentiel,  ru-n 
à  reprendre  au  système  développé  i»ar  M*^  de  Labrousse,  et  par 
jugt'inenl  en  date  du  l'"'"  mai  178"i,  ils  ((imlamnèrent  BelmonL  au 
paiement  des  96  livres  envers  Cottu.  ;iiM>i  (ju'en  tous  les  dépens. 

Cv  juur-là,  Cottu  fut  tout  à  la  joie  d'avoir  t'rdin  ohteiui  g;)in  df 
cause,  mais  sans  songer  un  instant  que  son  procès,  bien  jdiis  «pu; 
son  talent,  venait  de  le  rendre  célèbre. 

M.   i)i;   L. 


VITICULTURE  ET  VINIFICATION  EN  BORDELAIS 


AU  MOYEN  AGE 

(Suite  et  fin.) 


CHAPITRE 

Logement  des  vins. 

L'expression  .«  loger  le  vin»  est  usitée  d'une  façon  habituelle 
pour  désigner  la  mise  du  vin  dans  des  récipients  divers  où  il  peut 
être  conservé  jusqu'au  moment  de  la  consommation.  En  Bordelais, 
au  moyen  âge,  on  se  servait  de  vaisseaux  de  bois  et  non  pas  d'autres. 
L'emploi  de  vaisseaux  de  bois  remonte  à  une  haute  antiquité  et  les 
auteurs  latins  en  parlent  souvent.  On  a  voulu  voir  dans  les  tonneaux 
de  bois  en  usage  à  l'époque  romaine  une  invention  gauloise  ^.  Ces 
vaisseaux  de  bois  étaient  en  tout  cas  employés  dans  la  Gaule- 
romaine  et  n'ont  pas  dû  cesser  de  l'être.  Les  documents  les  plus 
anciens  du  Bordelais  relatifs  au  logement  des  vins  nous  signalent 
des  fûts  et  on  ne  semble  pas  avoir  jamais  employé  de  vaisseaux 
vinaires  d'une  autre  sorte  -.  Le  mot  fût  employé  pour  désigner  des 
vaisseaux  de  bois  avait,  au  moyen  âge  comme  maintenant,  diverses 
significations  et  ne  servait  pas  seulement  à  indiquer  des  barriques 
ou  des  tonneaux  mais  aussi,  par  exemple,  des  bois  de  construc- 
tion ^. 

11  y  avait  en  Bordelais  des  vaisseaux  vinaires  de  contenances 
très  diverses.  Le  tonneau,  la  pipe  et  la  barrique  sont  les  plus  usités 
et  les  plus  fréquemment  mentionnés  dans  les  comptes  de  l'arche- 


1.  Pour  les  futailles  des  Gaulois,  cf.  Musée  rttr.  du  (ji-oupe  VU...,  p.  34.  —  Curlel, 
op.  cit.,  p.  113.  —  Francisque  Michel,  llist.  du  cornm...,  l.  1,  p.  11). 

2.  Du  reste,  dans  toute  la  France  on  parait  avoir  employé  au  moyen  âge  des  vais- 
seaux de  bois. 

3.  Le  mot  <■  fût  »  était  bien  usité  pour  les  vaisseaux  vinaires  de  bois  (G  238,  fol.  308  v" 
et  Arclïiv.  hist.,  t.  XXI,  p.  252),  mais  on  désignait  aussi  sous  ce  nom. d'autres  bois 
(E  not.  Dartigamala,  reg.  1474-1475,  fol.  121  v»  et  122,  10  oct.  1474,  et  2*=  partie,  fol. 
7  V). 


VITICULTURE    ET    VINIFICATION    KN    BOKDELAIS    Al    MOYEN    AGE        laS 

vcclic,  où  chaque  aiiuée  un  arlick'  spécial  etst  réservé  à  l'achat  de 
la  «  vaisselle  vinaire  »  nécessaire  pour  la  nouvelle  jécolLe.  Le  ton- 
neau valait  deux  pipes  ou  quatre  barriques.  La  pipe  valait  donc 
deux  barriques  ^  Aujourd'hui  ciuore,  en  Bordelais,  quatre  barriques 
de  225  litres  valent  un  tonneau  et  le  terme  tonneau  est  d'un  usage 
courant.  Un  propriétaire,  par  exemple,  inditjue  l'importance  de 
sa  récolte  en  tonneaux  et  jamais  en  barriques  ou  en  hectolitres, 
et  c'est  par  tonneaux  qu'il  la  vend.  Cependant  le  tonneau  dont 
on  pgrle  aujourd'hui  ne  correspond  pas  à  une  mesure  réelle.  C'est 
une  simple  mesure  de  compte  et  un  «  tonneau  »  de  vin  se  loge  dans 
quatre  barriques  de  225  litres.  Nous  avons  pu  constater  qu'il  n'en 
était  pas  de  même  au  moyen  âge.  Le  tonneau  correspondait,  en 
effet,  alors,  à  un  fût  spécial;  on  en  a  d'indiscutables  preuves  dont 
voici  quelques-unes  dans  un  ordre  chronologique  du  xiii"-'  au 
xv*^  siècle. 

Les  bourgeois  de  Bordeaux  s'engagèrent  en  1284,  vis-à-vis 
d'un  bourgeois  de  Londres,  pour  «  100  tonneaux  de  vin  et  2  pipes 
de  vin  ».  Si  tonneaux  et  pipes  n'avaient  pas  désigné  des  fûts 
spéciaux,  on  aurait  dit  101  tonneaux,  puisque  2  pipes  valaient  un 
tonneau^.  En  1386,  il  est  payé  ii  sous  vï  deniers  à  un  charpen- 
tier pour  la  réparation  d'un  tonneau  et  d'une  barrique^  et  en  1361 
on  place  dans  le  cellier  de  rOlïicial  à  Bordeaux  2  tonneaux  de  vin 
blanc  et  4  pipes  de  vin  clairet  •*.  Pourquoi  n'aurait-on  pas  dit  aussi 
2  tonneaux  de  vin  clairet,  au  lieu  de  dire  4  pipes,  si  le  tonneau  avait 
été  comme  aujourd'hui  une  simple  mesure  de  compte?  Enfin,  dans 
la  seconde  moitié  du  xv^  siècle,  les  tonneaux  sont  toujours  en 
usage,  puisque  dans  une  énumération  de  vaisseaux  vinaires  il  est 
successivement  question  de  ung  tonel,  des  gros  dulhs,  des  peiiis 
diilfis,  très  pipas,  quatre  bcuncas  ^ 

Ces  tonneaux,  dont  nous  avons  constaté  l'usage  du  xiii*^  au 
xvi^  siècle,  n'étaient  pas  seulement  employés  pour  loger  le  vin, 


1.  G  24U,  fol.  240  et  suiv.  • —  1368,  lO  juillet  '  Duubuj  iii|ii>  pro  iiiio  tunello  cl  duabus 
barriquis  pro  una  pipa  computatis.  ■  ((i  '230,  fol.  175  v°.) 

2.  1284,  22  février  :  «  In  cenluin  lonollis  viiii  cl  liuabus  pipi>  viiii  .-^olvendid.  ■  (Ch.  Bé- 
inoiit,  mies  gasc...,  t.  II,  p.  223,  n°  798.) 

3.  loStJ  :  «  Pro  reparatioiie  uiiius  tonelli  et  uiiiiis  baniipio.  •  ((i  23i>,  fol.  314  r».; 

1.  1301  (.Arc/là',  hisl.,  l.  XXIj.  —  Un  a  de  lI■^'•^  noinbieux  .exemples  pour  le  xi\  ' 
et  le  XV  siècle,  .\iiisi,  eu  13s2  :  •>  l'ro  repara lione  vayssellc  viiiarie  %id.  toiielloniiu, 
pipanini,  barriquarum,  loniportaniin.  »  ((J  23'.l,  fol.  220,  et  .4rf/ii;'.  hisl.,  I.  .XXll, 
p.  3ly.)  —  ,\  liourj,',  privilège  aeconlù  par  iMloiianl  III  (rAntjlelerre,  aiitoriHanl  les 
jurais  à  lever  'le  cartonnage  scavoir  seze  rartons  pour  thonneau  et  Iniict  pour  i>ipe  ■ 
(E  suppl.  2452).  —  1404  (G  240,  fol.  213  V),  etc.,  etc. 

5.   1474  (E  nol.  Dartigamala,  reg.   1474-1475,  (ol.  4). 


12/i       VITICULTURE    ET    VINIFICATION    EN    BORDELAIS    AU    MOTEN    AGE 

mais  aussi,  par  exemple,  pour  le  pasteP,  le  blé  ^  et  le  miel.  Les 
«  tonetz  de  miel  »  qui  nous  sont  signalés  en  1475  étaient  plus 
grands  que  les  tonneaux  habituels,  puisqu'il  faut  compter  «  trois 
pipes  pour  tonneau  de  miel  »  ^. 

Il  faut  remarquer  que  ce  mot  tonneau,  tonetz,  tonellus  a  en  latin, 
au  moyen  âge,  un  synonyme  fréquent  :  dolium.  Il  ne  paraît  pas, 
en  effet,  y  avoir  de  différence  entre  tonellus  et  dolium,  usités  cons- 
tamment l'un  pour  l'autre.  Dans  un  acte  de  1285,  il  est  question  de 
«  quolibet  dolio  seu  tonello  vini  »  et  tonneau  a  bien  là  le  sens  précis 
qui  vient  d'être  spécifié,  puisque,  dans  ce  même  acte,  il  est  indiqué 
que  pour  les  pipes  on  payait  des  droits  de  moitié  moindres  que  pour 
les  tonneaux  ^.  Ce  tonneau,  valant  4  barriques,  était  un  vaisseau 
de  très  grande  capacité.  Si  l'on  admet,  en  effet,  cpie  la  barrique 
bordelaise  avait  déjà  au  moyen  âge  à  peu  près  les  mêmes  dimen- 
sions qu'au  xviii^  et  au  xix^  siècle,  c'est-à-dire  une  contenance 
approximative  de  225  litres^,  on  voit  qu'en  comptant  4  barriques 
au  tonneau,  celui-ci  pouvait  contenir  environ  900  litres.  On  faisait 
néanmoins  circuler  et  voyager  les  tonneaux  *,  mais  c'est  sans  doute 
la  difficulté  qu'il  y  avait  à  remuer  ces  gros  fûts  qui  a  amené  leur 
disparition  et  leur  a  fait  peu  à  peu  substituer  les  pipes  et  les  barri- 
ques. L'emploi  des  pipes  pour  loger  le  vin  de  Bordeaux  devait 
lui-même  un  jour  être  abandonné,  et  seules  les  barriques  ont  conti- 
nué à  être  en  usage. 

Il  n'y  a  pas  de  date  précise  pour  la  disparition  des  gros  vaisseaux 
vinaires.  A  la  fin  du  xv<^  siècle,  il  semble  que  déjà  les  tonneaux 

1.  1362  {Archiv.  hisl.,  t.  XXXIV,  p.  179). 

2.  1406,  ordonnance  du  15  juillet:  «Tonetz...  en  los»iuaus  tonetz  bingud  lo  l)l;it  ijui 
era  de  la  bila.  <•  (Reg.  de  la  Juiade,  délib.  de  1406-1409...,  p.  3.) 

3.  1475,  11  avril  (E  not.  Daitigamala,  reg.  1474-1475.  2-  partie,  fol.  5  v"). 

4.  1285  (C.li.  Bémont,  fioles  ga.sc...,  l.  Il,  n"  921).  —  yuand  on  trouve  dans  les  docu- 
ments »  dolium  vini  "  (Francisque  Micliel,  Rôles  gasc...,  t.  I,  p.  419,  n°  3363,  etc.),  il  est 
donc  légitime  de  traduire  dolium  par  tonneau  (=  4  barriques). 

5.  Mal\'ezin,  dans  son  chapitre  sur  la  culture  de  la  vigne  à  l'époque  anglaise,  écrit  : 
«  La  barrique  bordelaise  avait  sa  (orme  et  ses  dimensions  particulières  qui  la  distin- 
guaient des  barriques  des  pays  voisins  et  qu'il  était  interdit  à  ceux-ci  d'imiter.  t;'étail 
une  véritable  marque  de  fabrique  protégée  par  les  lois  et  un  privilège  auquel  les  Bor- 
delais attachaient  un  grand  prix.  »  {Hisl.  du  commerce...,  t.  1,  p.  260.)  Malvezin  ne 
justifie  pas  par  des  textes  cette  affirmation.  11  semble  cependant  <\ue  ce  qu'il  dit  est 
vrai  pour  la  barrique  et  les  autres  fûts.  Us  devaient  avoir  une  contenance  fixe  et  sous 
Henri  111  d'Angleterre,  nous  dit  Francisque  Michel,  le  commerce  s'étant  plaint  des 
réductions  éprouvées  par  la  futaille  bordelaise,  ce  prince  écrivit  aux  maire  et  pru- 
d'hommes de  Bordeaux  pour  les  menacer  de  confiscation  du  vin  qui  à  l'avenir  serait 
trouvé  dans  des  tonneaux  de  courte  mesure  (Fr.  Michel,  Hisl.  du  comm.,  t.  I,  p.  194). 

- —  1351,  14  novembre  {Livre  des  Bouillons...,  p.  178).  —  Au  xv"  siècle  il  y  avait  des 
n  dotzenas  de  pipas  nebas  de  la  mesura  de  Bordeu  cubertas  d'aulan  "  (E  not.  Uartiga- 
mala,  reg.  de  1474-1475,  2^  partie,  fol.  29  et  30,  24  mai  1475).  —  Au  xv!""  siècle,  un 
arrêt  du  Parlement  (1597)  détermina  les  dimensions  de  la  barrique  bordelaise  (Kehrig, 
Le  privilège  des  vins...,  p.  27). 

6.  Francisque  Michel,  op.  cil.,  pp.  346  et  sui\ . 


VITICULTURE    ET    VIMKICMION    EN    lt()IU)i;i.AlS    Ai;    MDMN    A(;F.        taO 


sont  moins  fréqueninient  signalés  conimc  fûls,  t-L  il 
est   alors  ([uestion  surtout   <!•■  ]>ipes  et  de  barriquos'. 

A  partir  du  xvi^  sièrle,  les  rcnsfignomonf <  sur  la 
liarriqut'  liordolaise  sont  très  noinlircux.  Le  type  sCu 
lixe,  et  en  17^5'J  la  barrique  bordelaise  fst  <le  32  ver- 
ges ou  veltes,  soit   112  pots,   c'est-à-dire  environ 
224    litres  2.     Indépendamment    des    ton- 
neaux, pipes  et  barriques,  on  trouve 
encore   en    Bordelais    divers   vais- 
seaux employés  pour  !<■  trans- 
port   et  la  conservation 
des  vins. 

Le  carrai,  par  exem- 
ple, est  assez  fréquem- 
uniit  mentionné^,  et 
c'est  souvent  au  carrai 
et  aussi  au  carton  et  au 
l>ichet  que  l'on  mesure 
Ns  vins  •*. 

Il  est  de  plus 
parfois  question  de 
hoguettes  ■'',  de  ba- 
rils^ et  de  barri- 
ques ou  barri({uots 
de  dimensions  di- 
verses '. 

Les  cuves,  les 
il<iuils  grands  et  pe- 
tits, les  comportes, 
les  rondeles  et  d'au- 
tres récipients  dont 


1.   F;ir  exemple,  E  iiot.  Dnrti<.'amala,  retr.  14m(),  fol.  xviii. 

•-'.  Martin,  Aiierçu  liistori(iiie  sur  la  barri<|iie  horilelaise  [Arrhir.  Iiisl.,  I.  Xl,\'ll, 
pp.  4'2b-430). 

3.  ■  Ex  vendilioiie  i  toiielli  ii  carraliiim  et  i  pipi»e  \inorum  »  (ti  23S,  fol.  40  v",  et 
:\rchii<.  hisl.,  t.  XXI,  p.  100).  —  »  i  carralem  viiii  ■  [id..  fol.  41  v»,  et  id.,  p.  102). 

4.  Brutail*,  Article  sur  les  mesures  (iléjà  cité,  sous  pressei. 

5.  Hoquette;  une  autre  fomie  du  même  mol  serait  feuillette  (FrBnrisque  .Mirhel, 
o/).  r,7.,  t.  I,  p.  Iît7).  —  Cf.  aussi  Arrhir.  hist.,  t.  XVl,  p.  '2f,4. 

G.  13r>7  :  '■  Item,  soK  i  pro  (iuohus  barrillis  nu\  is  emplis  |>ro  portanilo  \inuin  album 
H|>U(1  Laureomonlem  —  nnum  leopiÉnlum  i\im  cpiarto.  •  ((•  '23s,  fnl.  40."»  \  °,  et  Arrhiv. 
hisl.,  t.  XXI,  p.  494.) 

7.  Voir  ci-dessus  un  dessin  représentant  la  partie  d'une  stalle  en  buis  de  l'église  «le 
N'erthnuil  v(;iroiide;  sur  laquelle  est  sculptée  un  nioini;  tenant  un  baril.  —  143;», 
21  septembre  :  «  Uarricpuis  de  ters  de  lonel,  barriquolz  de  Icrs  de  pipa,  dullial  do  nu'va 
pij>a.  »  ly,  -2186.) 


120       VITICULTURE   ET   VINIFICATION    EN    BORDELAIS   AU   MOYEN   AGE 

l'emploi  a  déjà  été  mentionné  pour  les  vendanges  et  la  vinifica- 
tion 1  étaient  aussi  en  bois. 

Ces  divers  vaisseaux  vinaires  étaient  fabriqués  à  Bordeaux,  par 
des  tonneliers  qu'on  appelait  charpentiers  de  tonneaux,  de  pipes, 
de  barriques,  ou  aussi  charpentiers  de  vaisselle  (vinaire)  ^. 

Les  tonneliers  semblent  avoir  été  assez  nombreux  à  Bordeaux 
et  étaient  groupés  dans  un  même  quartier.  Ils  habitaient,  pour  la 
plupart^,  dans  le  quartier  Saint-Michel  et  c'était  peut-être  aussi 
là  qu'habitaient,  voisins  des  tonneliers,  les  autres  charpentiers  et 
menuisiers.  La  rue  Carpenteyre,  la  rue  de  la  Fusterie,  qui  se  trou- 
vent près  de  l'église  Saint-Michel,  ont  emprunté  le  nom  qu'elles  ont 
encore  et  qu'elles  avaient  déjà  au  xv^  siècle  '*  à  l'industrie  qui  s'y 
est  exercée. 

Les  charpentiers  ont  habituellement  pour  patron  saint  Joseph  et 
formaient  au  moyen  âge,  dans  différentes  villes,  des  corporations. 
Aucun  document  ne  nous  rapporte  qu'il  y  ait  eu  à  Bordeaux  une 
corporation  de  tonneliers  et  on  n'a  pas  conservé  pour  Bordeaux, 
comme  on  l'a  fait,  par  exemple,  pour  Angers,  Bayonne  et  La  Rochelle, 
l'indication  de  la  bannière  des  tonneliers  ^ 

Un  des  textes  qui  nous  renseignent  sur  quelques  coutumes  des 
tonneliers  est  dû  au  chroniqueur  Jean  de  Gaufreteau,  qui  raconte 
en  ces  termes  la  fête  à  laquelle  les  tonneliers  prirent  part  en  1578, 
le  jour  de  la  Saint-Jean-Baptiste  : 

«  En  cette  année,  les  charpentiers  de  barriques  et  aultres   arti- 


1.  "  Ung  tonet,  des  gros  dullis,  des  petitz  dulhs,  très  pipas,  quatre  baricas,  ung  terlz 
de  tonet...  una  longua  barica,  des  barricotz...  "  (E  not.  Dartigamala,  reg.  de  1474-1475, 
fol.  4.)  —  1609,  29  janvier  :  «  Cuveaux  qu'ils  appellent  doulz.  »  (G  1078.)  —  La  com- 
porte est  un  vaisseau  de  bois  qui  est  employé  pour  le  transport  de  la  vendange  de  la 
vigne  au  cuvier  et  pour  les  manipulations  du  vin.  —  "  iif^  ton.  ac  unam  comportant  » 
(G  239,  fol.  5G  v°).  «  Una  barriqua  vini  clari  viii"  comportarum  vel  circa.  »  (G  238,  fol. 
291.)  J'ignore  la  dimension  des  rondeles.  —  1361-1362:  «  Item,  die  v  octobris  feci 
adporlari  de  Laureoraonte  videlicet  de  Castro  unam  pipam  et  unam  rondelam  vini  albi... 
et  rondela  fuit  posita  in  avelhagio  aliorum  vinorum.  »  {Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  690.) 

2.  «  Carpenteys  de  tonetz  et  de  pipas  »  (Reg.  de  la  Jurade,  délib.  de  1414-1422..., 
p.  402).  —  1497,  charpentiers  de  barriques  (G  491,  6  septembre).  —  «  Carpenters  de 
bayssera  »  (Reg.  de  la  Jurade,  délib.  de  1414-1422...,  p.  35). 

3.  On  trouve  cependant  quelques  mentions  de  tonneliers  dans  d'autres  quartiers 
de  la  ville;  ainsi,  dans  la  paroisse  de  Sainte-Eulalie  où,  en  1475,  le  22  mai,  un  «  car- 
pentey  de  pipas  «vend  des  pipes  et  des  barriques  à  un  marcliand  de  «  St-Eloy  »  (E  not. 
Dartigamala,  reg.  de  1474-1475,  2'=  partie,  fol.  29).  «  Pey  Gassias,  carpentey  de  pipas, 
paroissien  de  Sent  Eloy  »  (E  not.  Blanchardi,  reg.  1473-1,  fol.  30  v").  "  Pey  F'or- 
Uion,  carpentey  de  pipas  de  la  parropia  de  Senct  Pey  de  Bordeu  »  (E  not.  Dartigamala, 
reg.  1474-1475,  fol.  114,  23  nov.) 

4.  «  A  l'est  de  la  grande  rue  de  Sainte-Croix,  passe  celle  de  la  Fusterie  ou  Carpenteyre- 
Saint-Michel,  qui  n'est  séparée  du  fleuve  que  par  les  remparts  du  xiv«  siècle.  Elle  a 
pris  son  nom  de  l'industrie  qui  y  est  exercée  :  la  fabrication  des  tonneaux  »  (Léo  Drouyn, 
Rondeaux...,  p.  27). 

5.  Bannière  de  la  corporation  des  tonneliers  d'Angers,  des  tonneliers  de  Bayonne, 
de  La  Rochelle.  Gf.  Le  Moijen  Age  et  la  Ftenaissance  (P.  Lacroix  et  Séré,  t.  III,  p.  xx). 


VITICULTl  RK    El     MMKlCATlOr»    EU    BORDELAIS    M     MfiïKN    AGI.        \  J- 

sans    de    la    parroisse   de   Saint-  Michel    de   Bourdeaux    avoyent 
.tcroustumés  toutes  les  années,  le  jour  de  la  feste  de  saint  Jean- 
Haptiste,  qui  est  le  24  juin,  de  faire  préparer  plusieurs  théâtres 
I  l'hîvés  eu  plusieurs  endroits  ele  la  ville  de  Bourdeaux,  à  scavoir  : 
un  en  la  dicte  paroisse  de  Saint-Michel,  l'aultre  en  la  place  de  la 
C.liapelle  Sainct  Jehan,  contre  le  palais;  le  troisième,  devant  ledit 
l'a  lais  et  en  la  place  d'yceluy,  le  quatriesme  sur  les  fossés  du  (îha- 
jieau  Rouge  et  le  cinquiesme  en  la  place  du  Grand  Marché,  tout 
au  devant  de  la  CUe,  du  costé  des  Ayres;  auxquels  lieux  ils  se  trans- 
portoyent  en  procession  solennelle;  les  luminaires,  torches  et  llam- 
beaux,  croix  et  bannières,  estant   travestis  quelques  uns  d'entre 
eux  en  forme  d'ajfostres,  de  saint  Jean-Baptiste  et  de  Nostre  Sei- 
gneur aussi  pour  cette  représentation;   ayant  des  tranchoirs  de 
bois  sur  leurs  testes,  grands  comme  des  assiettes,  avec  de  longs 
cheveux  et  perruques  qui  leur  pendoyent  jusques  à  la  ceinlure 
et  resvestus  d'aubes  et  costibants  d'église  de  diverses  couleurs  et 
marchant  pieds  neuds.   Et  après  qu'ils  estoyent  arrivés   au    lieu 
ou  quelcun  de  ces  théâtres  estoit  dressé,  ceux  qui  reprèsentoyent 
Nostre  Seigneur  et  saint  Jean-Baptiste  niontoyent  sur  le  théâtre 
et  se  baptisoyent  l'un  à  l'aultre,  à  la  veiie  du  peuple  qui  acourait 
en  grande  multitude  pour  voir  ce  spectacle,  auquel  le  monde  prenoit 
un  grand  plaisir  à  cause  des  mines  et  gestes  que  faisoyent  ces 
rnaraults  en  une  représentation  aussi  sainte  que  devoitestre  celle  là. 
Mais  pour  les  aultres  qui  faisoyent  les  personnages  des  apostres  ils 
demeuroyent  en  bas  du  théastre  et  l'environnoyent.  Est  à  noter 
qu'ils  portoyent  chascun  la  marque  en  leurs  mains  de  cest  apostre 
qu'ils  reprèsentoyent:  sainct  Pierre,  les  clefs;  sainct  Paul,  l'espée; 
sainct  André  la  croix  appellée  de  son  nom  et  ainsin  en  estoit-il  des 
aultres.  Or  cela  estant  de  mauvais  exemple  et  plustost  une  farce 
que  mystcre  de  dévotion  bien  que  j'estime  qu'en  ce  bon  premier 
temps  cette  procession  et  action  avoit  esté  instituée  à  bonne  fin 
pour  représenter  au  peuple  le  hault  mystère  de  ce  baptesme  que 
le  Sauveur  de  nos  âmes  voulut  recevoir  de  la  main  de  son  précur- 
seur au  fleuve  du  Jordain  comme  aussi  appeloyent  ils  cela  la  pro- 
cession et  le  baptesme  de  sainct  Jean  ■...  ». 

Gaufreteau  note  que  cette  farce  fut  abolie  cette  même  année 
«  comme  estant  de  mauvais  exemple  »  et  aussi  à  cause  de  certains 
désordres  que  l'intervention  des  hérétiques  occasionnait.  Ce  mys- 
tère célébré  pour  la  dernière  fois  en  1578  est  annoncé,  nous  l'avons 

1.  Gaufreteau,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  212-213. 


128       VITICULTURE    ET    VINIFICATION    EN    BORDELAIS    AU    MOYEN    AGE 

VU,  comme  traditionnel.  Il  est  tout  à  fait  légitime  de  supposer  que, 
dès  le  moyen  âge,  les  tonneliers  bordelais  prenaient  part  à  de  sem- 
blables fêtes  et,  à  défaut  de  documents  plus  anciens,  ce  récit  de 
Gaufreteau  est  donc  du  plus  haut  intérêt. 

Pour  la  fabrication  des  vaisseaux  vinaires,  les  tonneliers  se  ser- 
vaient de  merrain.  On  paraît  avoir  désigné  sous  ce  nom  de  merrain 
du  bois  de  chêne».  Le  merrain  n'était,  du  reste,  pas  uniquement 
employé  pour  faire  des  barriques  et  les  Rôles  gascons  nous  rappor- 
tent qu'on  se  servait  de  «  quercus  ad  mœremium  »  pour  faire  une 
garde-robe  destinée  à  des  habits  -.  Les  tonneliers  bordelais  étaient 
tenus  d'employer  du  bois  de  bonne  qualité,  car  ceux  qui  faisaient 
des  tonneaux  avec  du  mauvais  bois  étaient  «  passibles  de  tous  dom- 
mages et  intérêts  »  ^.  La  même  prescription  se  retrouve  dans  l'ordon- 
nance de  1541,  dont  il  a  déjà  été  question  :  «  Item  est  estably  et 
ordonné  que  si  aulcun  chaplatier  de  pipes  mectoit  faulces  douelles 
et  mauvais  fons  es  pipes  ou  barriques  ne  aultre  vaisceaul,  en  ce  cas, 
celluy  qui  le  fera  esmend  îra  le  dommage  qui  en  adviendra  à  celluy 
qui  auroit  achapté  les  dicts  vaisseaulx  et  autrement  sera  pugny 
à  la  cognoissance  de  mesdits  seigneurs  »  *.  Le  merrain  employé  à 
Bordeaux  devait,  du  reste,  être  inspecté  par  des  visiteurs  nommés 
par  la  ville.  Ces  inspecteurs  municipaux  étaient  désignés  tous  les 
ans  par  la  jurade  et  devaient  prêter  le  serment  accoutumé.  Ils  ju- 
raient devant  le  peuple  qu'ils  rempliraient  bien  et  loyalement  leur 
office,  observeraient  et  feraient  observer  les  règlements  faits  au 
sujet  du  merrain,  rendraient  justice  à  chacun  et  signaleraient 
au  trésorier  de  la  ville  les  fraudes  aux  règlements  sans  tenir  compte 
de  leurs  amitiés  et  sans  se  laisser  corrompre  à  prix  d'argent  ^  Les 
registres  de  la  jurade  nous  rapportent  tout  au  long  le  serment  que 
prêtèrent  ces  inspecteurs  de  merrains  le  4  août  1406^. 

Il  était  formellement  interdit  de  se  servir  de  merrain  avant  qu'il 
eût  été  au  préalable  reconnu  bon  par  les  visiteurs,  et  on  prenait  soin 


1.  Malveziii,  Hist.  itii  cnmm...,  t.  I,  p.  260. 

2.  Francisque  Miclifl,  Eôlex  (jasc...,  t.  I,  n"  126. 

3.  Livres  des  Coutumes...,  p.  301. 

4.  Ordonnance  de  l.'=>41   [Archir.  /us/.,  t.   XXXVI,  p.  320). 

5.  1376-1389.  La  forma  deu  segrament  deu  meirame  «  E  en  après  se  deven  iiuldicar 
los  bistors  deu  mairame  ».  «  E  aqui  niedis  deven  jurar  davant  le  poble,  per  la  forma 
que  s'en  sec  ;  se  es  assaver  que  ben  e  leyaumentz  se  porteran  en  lor  offici,  e  los  esta- 
blimentz  feitz  e  ordenalz,  sobre  lodeit  mayrame  tindran  e  laran  tenir  a  cascuna  partida 
renden  son  dreit;  e  rapporteran  las  deffautas  que  troberan  contre  los  deits  establimentz 
au  tresaurey  de  la  bila  no  agardant  amie  ni  enemic  ni  per  corrupcion  d'argent  ni  per 
nulha  autra  causa.  »  (Livre  des  Bmiillons,  Archiv.  mun.  de  Bordeaux;  Bordeaux,  1867, 
p.  516.) 

6.  1406,  4  août.  (Reg.  de  la  .furade,  délib.  de  1406  à  1409,  p.  6). 


VITICLLTLUK    Kl     VlMl  ICA  1  lU^     EN     BfJHULI-AlS    At     MUlL.N    ACiE         I  J9 

de  faire  connaître  cette  prescription  par  «li  puMii-  '.  Mais  les  tonne- 
liers nt»  tt'naitMit  pas  toujours  cinnph^  dus  ([('cision-;  dt-  la  jiirade; 
aussi,  (Mil  nr>,  les  visiteurs  du  iiu-rrain  se  plaiffn»'nt-il>  (|in'  plusieurs 
(diarpenti<*r>  iii'  pipes  tif  la  \illt'  fuipldicid  du  im-rraiM  non  visit/- 
td  demandent  au  maire  td  aux  jurats  df  Hnrdraux  il'ordnruK'r  ri 
df  faire  savoir  par  cri  publie  et  à  sou  de  tr<unp<;  (pu-  la  visite 
du  merrain  par  les  inspecteurs  est  rigoureusement  exigée.  Si  les 
jurats  ne  font  pas  droit  à  leur  demande,  ils  sont  disposés  à  quilt«'r 
leur  «dlice  -.  Les  jurats,  pour  répondre  à  cette  demantle  des»  bistors 
dcu  meyrame  »,  font  alors  un  règlement  pour  le  merraiu  ••!  ilé<'i- 
dent  (|u'((  il  est  ordonné  que  nul  ne  devait  travailler  le  merraiu 
avant  ([uil  ait  été  inspecté  par  les  visiteurs''. 

(le  merrain  employé  à  Bordeaux  provenait  de  diverses  régions. 
L'Agenais  et  le  Bazadais,  le  Périgord,  TAngoumois  et  la  Saintongc 
en  envoyaient  à  Bordea\ix  '. 

Il  est  entenilu  entre  les  vendeurs  et  les  acheteurs  que,  à  son 
arrivée,  la  marchandise  sera  examinée  par  des  connaisseurs  ^  On  se 
procurait  aussi  du  merrain  provenant  des  forêts  du  Bordelais,  de 
l'Entre-deux-Mers  et  de  la  Benauge  tout  spécialement,  régions  pour 
lesquelles  des  mentions  de  bois  employés  pour  faire  des  pipes  et  des 
barriques  nous  sont  parvenues  ^ 

Parfois,  au  lieu  d'acheter  à  leurs  frais  du  merrain  pour  en  faire 
des  fûts,  les  tonneliers  recevaient  une  certaine  quantité  de  merrain 
et. s'engageaient  en  retour  à  fournir  en  payement  la  moitié  des  fûts 
(piils  fabriqueraient  avec  ce  bois.  L'autre  moitié  leur  restait  connue 
salaire. 

Des  accords  de  ce  genre  nous  sont  connus.  Ainsi,  fii  l  t7 1, 
le  25  mai,  un  tonneher  reçoit  d'un  bourgeois  de  Bordeaux  deux 

1.  1407,  13  avril  K  plus  sia  cridat  que  nulli  110  preiiL'iia  ni  recepia  aiir\in  inayraiiie 
tant  enlro  sia  liislat,  solz  la  peiia  que  dessus  \H>'i:.  de  la  .lurade.  délili.  de  I  JOi".-.... 
[>.  IT.'i.i 

•-'.    1415,  14  août. —  Hequète  îles  visiteurs  du  merrain  (k/.,  ilélih.  ite  1111  a  1  Uf..  \t.2-2S). 

:J.  1415,  15  août:  «  E  plus  sobre  la  niayranie  et  sobre  la  supplication  balliad.t  .sus 
>o  per  los  bistors  deudeyt  niayrame  (de  laquau  suppliration  la  ténor  es  plus  bas)  ani 
l'avis  deus  deytz  senhors  trenla  fo  ordenal  que  nulli  no  liobres  aucun  niayrnnie  entre 
lo  bislat  per  los  bistors.  •  (Hes,'.  de  la  Jurade,  dt'-lib.  .le  1414-...,  p.  'l'ÎH.\ 

I.  MaKezin,  o/).  cil.,  p.  2W).  -  -  1474,  4  ortobre  :  -  Très  mileys  de  meyrame  bon,  etr,  • 
du>  piir  un  liabilant  de  IJazas  el  un  habitant  de  Samndet  -  en  l'nvesrat  d'Ayre  (F.  nnt. 
I)arlii.'amala,  Toa.   1474-1475,  fol.  Itl). 

5.  14/5,  4  a\ril.  Merrain  dû  [inr  un  sabotier  du  Mas-d'Agenais.  (.)uand  le  njerrain 
arrivera,  la  marchandise  sera  examinée  par  des  connaissi'urs  (K  nrit.  Darl  iiramala.  rey. 
1474-1475,  2'  partie,  fol.  3  . 

t>.  I47',l,  La  Sauve.  Déposition  d'un  paroissien  de  (aiillac  pour  le>  terre>  de  (iuibon; 
le  témoin  a  pris,  de  l'abbé  de  La  Sauve,  des  bois  à  l'airrière  afin  d'avoir  •  meyrame  o 
ops  a  far  de  las  pipas  et  de  las  bariquas  (Il  177,  fol.  7-9;.  —  Déposition  d'un  parois- 
sien d'F.spiet  :  il  a  pris  à  l'açrière  des  bois  pour  faire  du  merrain  destiné  à  des  barriques 
et  '  de  la  coudra  a  lisjar  lesd.  pipas  «  {id.,  fo).  12-13). 


l3o       VITICULTDRE   ET   VINIFICATION   EN    BORDELAIS   AU   MOYEN    AGE 

milliers  de  merrain.  Il  en  emploie  un  à  faire  des  pipes  qu'il  doit 
livrer  au  bourgeois  dans  un  an,  après  la  prochaine  fête  de  la  Made- 
leine, et  reçoit  l'autre  pour  prix  de  son  travail  i. 

Le  merrain  se  vendait  ordinairement  par  millier  -  et  on  pouvait 
dans  un  millier  de  merrain  faire  50  pipes.  C'est  ce  qui  ressort  d'un- 
acte  du  19  décembre  1430  relatant  la  «  vente  de  2  milliers  de  mairrin 
avec  leurs  fonsailles  pour  en  faire  50  pipes  par  millier  pour  la  somme 
de  10  fr.  Bordelais  par  millier,  compté  chaque  franc  pour  25  sols 
de  la  monnoye  courante  à  Bordeaux  »  ^ 

Les  vaisseaux  vinaires,  qu'ils  s'appellent  tonneaux,  pipes  ou  bar- 
riques, sont  composés  de  diverses  parties.  Il  est  poî^sible  de  déter- 
miner les  noms  donnés  en  Bordelais  à  certaines  de  ces  parties  dès 
le  moyen  âge. 

On  appelait  «  fonssalha  »  et  on  appelle  encore  aujourd'hui  à 
Bordeaux  fonsaille  tout  ce  qui  constitue  le  fond  d'une  barrique  ^. 
On  disait  parfois  aussi  frons  °, 

La  fonsaille,  les  planches  formant  le  fond  de  la  barrique  sont 
reliées  par  une  autre  planche  placée  en  travers  nommées  la  barro  ♦*. 
La  planche  principale  de  cette  fonsaille,  tant  pour  les  barriques  et 
tonneaux  que  pour  les  cuves  s'appelle  «  meyans  »  d'après  Léo 
Drouyn  '.  C'est  dans  ce  fond  de  la  barrique  cjue  devait  se  trouver  le 
«  bartotz  »  que  Léo  Drouyn  traduit  par  esquive,  ce  qui  veut  désigner 
un  petit  morceau  de  bois  qui  sert  à  boucher  un  trou  fait  dans  la 
fonsaille  ^  Les  barriques  sont  composées  de  douves  ou  douelles  : 
l'une  de  ces  douelles  était  percée  au  centre  d'une  ouverture  que 
l'on  fermait  avec  la  bonde  (bondonus).  La  bondoneria,  taraijre  bon- 
doneif,  aurait  été  l'instrument  ou  tarière  employée  pour  faire  les 
bondes  ^.  C'est  dans  cette  ouverture  que  l'on  plaçait,  pour  remplir 
les  barriques,  un  «  enfonilh  »  ou  entonnoir  'o.  Ces  enfonilhs  étaient  (?) 

1.  1474,  25  mai  (E  not.  Darligamala,  reg.  1474-1475). 

2.  1475,  4  avril  :  «  Ung  milley  de  meyrama  de  pipailhe  et  comptât  xir-  doelas  et 
vi"  doelas  par  miley.  »  {Id.,  2"  partie,  fol.  3.) 

3.  1430,  19  décembre.  Analyse  faite  au  xvii"  siècle  au  dos  de  l'acte  (G  2281). 

4.  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p."  699. 

5.  Id.,  t.  XXII,  pp.  417  et  699. 

6.  G  241,  fol.  122,  et  Archiv.  hist.,  t.  XXII,  p.  694. 

7.  Pour  meyans,  cf.  Léo  Drouyn,  Archiv.  hist.,  t.  XXII,  p.  701.  —  «  Meyans,  meyanus, 
médium  tonelli,  douelle  du  milieu  du  fond  d'une  barrique  ou  d'une  cuve.  «  —  Cf.  aussi 
Archiv.  hisi.,  t.  XXI,  p.  252.  —  G  240,  fol.  238. 

8.  Barlotz,  bartocliium,  bartot  {Archiv.  hisi.,  t.  XXII,  p.  694). 

9.  «  Tarayre  bondoney  •  (G  241,  fol.  122  v°,  et  Archiv.  hisl.,  t.  XXll,  p.  695).  — 
1361-1362  :  «  Misi...  unam  torcliiam  viminis  pro  cuba  et  unam  doelam  novam...  »  {Archiv. 
hisl.,  t.  XXI,  p.  684.)  -^  «  Nota  quod  coudra,  talucia,  la  fonssalha,  plueres  doelle  que 
fuerunt  mutate...  »  {Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  685.) 

10.  «  Emi  unum  enfonilh  cum  longa  canera  ad  implendum  et  colorandum  dicta  ^•inn  » 
Archiv,  hist.,  t.  XXII,  p.  189). 


vrncri.TrRE  it  vimiication  r.y  imuMn  \is  al   M<»\t>  Ar;E      i3i 

semMc-t-il,  en  bois  >.  Les  faussets  ou  fossets,  peliles  chevilles  de  bois 
servant  à  boucher  les  trous  faits  ù  un  tonneau  avec  le  foret  doivent 
correspondre  à  ces  «fausetis»  ou  «  falsetis»  dont  (»n  trouve  des  men- 
tions dans  les  Comptes  de  l'Archevêché  ^  Pour  le  cerclage  des  bar- 
riques, pipes,  tonneaux,  cuves  et  douils,  on  ne  paraît  pas  s'être 
servi  de  fer  au  moyen  âge.  Pourtant,  dès  cette  époque,  on  savait 
employer  le  fer  pour  la  fabrication  de  boisseaux  et  de  quarts  ^  On 
se  servait  pour  les  vaisseaux  vinaires  de  cercles  de  bois,  et  dans  les 
Comptes  de  l'Archevêché,  il  y  a  souvent  des  mentions  de  sommes 
dépensées  «  pro  uno  feyssiculo  circulorum  »  ou  «  pro  uno  feyssiculo 
de  coudra  »■'  ou  des  indicition-^  «lu  genre  de  cellc-ei  :  «  Item  xiii 
feyssiculos  de  coudra  sive  de  circulis  «  ^  Ce  sont  là  des  cercles  de 
barriques,  des  cercles  de  coudre  ou  codre.  On  employait  aussi  pour 
faire  ces  cercles  des  pousses  de  châtaignier  et  d'autres  bois  flexi- 
bles ^  Pour  augmenter  leur  flexibilité  on  devait  les  faire  tremper 
dans  l'eau  '. 

A  chaque  vaisseau,  il  fallait  mettre  plusieurs  cercles  de  boi.-. 
On  les  fixait  au  moyen  de  vimes.  Aujourd'hui  encore,  on  ne  se 
contente  pas  de  clouer  les  cercles  de  bois  ou  les  lie  aussi  avee 
des  vimes  ^.  Quand  le  cercle  était  de  denii- grandeur,  un  le 
nommait  bastard,  baslardtist  ^  Le  terme  de  laludum  (pii  revient 
souvent  dans  la  liste  des  achats  faits  par  le  trésorier  de  l'arche- 
vêque indiquerait,  suivant  Léo  Drouyn,  le  cercle  le  plus  extérieur 
des  fûts  «o. 

Dans  ces  mêmes  comptes  de  l'archevêché,  il  est  parfois  question 
•  II'  liim.  rnm})er<i    et    de    rhevrons,    ol    on    désigne    ainsi    les  pièces 


1.    140(!,  1-2  fioilt  :   '  Plus  \iw^  i-nfonilh  de  fusl.     (.\rchiv.  Iiisl.,  t.  XIX.  p.   isi.'  M.ii< 
"iti  peut  désigner  ainsi  un  entonnoir  en  bois  et  aussi  un  entonnoir  pour  frtl. 
■i.  (i  -238,  foi.  401,  et  Arcliir.  hixl..  t.  XXI.  p.  4h7. 

3.  r.  240,  fol.  213. 

4.  G  238,  fol.  258  t°,  et  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  339.  —  (;  23s.  f„i.  pu.  .1  \rrliir. 
/lis/.,  t.  XXI,  p.  487.  —  «  Faxirulos  coldre     (C  236,  fol.  314i. 

5.  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  \).  410. 

r..  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  416,  et  t.  XXII,  pp.  353  et  090.  —  «  Emi  pro  eisileni 
cubis  duos  nianirnos  cirrulos  de  fraxinu  iiuemlibet  vu  peduni  de  gola  ■  («i  23'.i,  fol.  ÔO  . 
—  147.5,  22  mars.  Fûts  rou\erts  d'aulan  (  I-^  nol.  D  irtitraniahi.  rei;.  1474-1475,  fol.  170  v°). 

7.  •  l'ro  trenipanilo.  plirando  et  purlando  coudra,  talui'i:).  basl.-inlos  '  [Arrhiv.  hixl., 
t.  XXII,  p.  188.' 

S.  .  Torchiis  viminis  ■  ((i  239,  fol.  I7(i,  et  .Xrchiv.  hisl..  I.  Wll,  p.  188). 

9.  G  240.  fol.  246,  et  Archiu.  hisl.,  t.  XXII.  p.  094. 

10.  1404.  mars  :  «  Item,  enii  très  duodenas  talueiorum  euni  diniidia  pro  dictis  vini* 
dando  pro  duodena,  xxii  sterl.  —  xxxii  s.  i  d.  •  —  ■■  Item,  enii  iii  iluodenas  rum  diniidia 
taliiciornni  pifiarum  d.-indo  pro  duodena.  %■  n.  val.  et  solvi.  wii  s.  vi  d.  •  — •  ■  Item, 
solvi  (lantoni  pro  duobus  millenis  >  uiu  dimidio  viminum  q\ios  emer.it  pro  di''ti>«  \  inis 
dando  pro  niilleno,  xii  s.  vi  d.  s.  —  xxxvii  s.  vi  d.  •  ((i  240,  fol.  213  r".  i  Les  rercles 
se  vendaient  donc  par  douzaine  et  les  vimes  par  milliers.  —  Cf.  Léo  Drouyn  dans 
Archiv.  hisl.,  t.  XXII,  p.  703. 


iSa        VITICULTURE    ET    VINIFICATION    EN    BORDELAIS    AU    MO\EN    AGE 

de  bois  sur  lesquelles  on  plaçait  les  barriques  quand  on  les 
encavait  ou  ensoutait».  Les  tonneliers  avaient  non  seulement  à 
fabriquer  des  fûts,  mais  aussi  à  réparer  ou  à  «  relier  »  ceux  qui 
avaient  déjà  servi  et  étaient  susceptibles  d'être  utilisés  de  nouveau. 
Tous  les  ans,  un  article  des  comptes  de  l'archevêché  est  consacré  à 
cette  réparation  des  vieux  fûts  ^.  On  se  servait  alors  toujours  plu- 
sieurs fois  des  mêmes  vaisseaux.  Aujourd'hui,  on  cherche  le  plus 
possible  à  mettre  chaque  année  le  vin  dans  des  barriques  neuves. 
Quand  on  loge  le  vin  nouveau  dans  des  vaisseaux  qui  ont  déjà 
servi,  il  risque  de  perdre  de  sa  qualité.  Au  moyen  âge,  l'emploi 
des  barriques  de  l'année  précédente  pouvait  être  habituel  puisqu'on 
consommait  le  vin  très  rapidement,  comme  nous  l'avons  déjà  dit. 
Il  était  alors  nécessaire  de  recourir  aux  tonneliers  pour  renforcer 
ces  barriques  vieilles  et  les  mettre  en  état.  11  a  déjà  été  question 
dans  le  précédent  chapitre  de  ces  travaux  annuels  pour  raquer  et 
rabattre  les  tonneaux  ^ 

La  jurade  bordelaise  intervenait  pour  déterminer  le  travail  et 
les  salaires  à  donner  aux  tonneliers  comme  aux  autres  ouvriers  et  des 
règlements  sur  la  tonnellerie  étaient  édictés.  En  1414,  à  la  séance 
du  11  juillet,  il  est  ordonné  que  les  tonneliers  ne  doivent  prendre 
jusqu'à  la  Toussaint  que  15  sterlings  par  jour,  sous  peine  d'une 
amende  de  65  sous  pour  chaque  contravention  *.  Dans  ce  même 
règlement,  on  interdit,  sous  peine  encore  de  65  sous  d'amende,  de 
prendre  à  prix  fait  un  tonnelier  pour  faire  des  fûts  et  on  décide  que 
les  tonneliers  ne  doivent  prendre  que  4  francs  par  douzaine  de 


1.  «Tonnelles  «lui  fuerunt  insolati.  >  (Ensouter  ou  encaver  =  insolare;  Archiv.  hisl., 
t.  XXII.  p.  188.)  «  Pro  duolms  tignis  sive  nias^nis  coiivers  emptis  ad  ponenduni  subtus 
dicta  vina  in  volta  »  (G.  -239,  fol.  .")7.  ft  Archir.  hisl.,  t.  XXI,  p.  687).  —  «  Fust.ibus 
vocatis  combers  ad  ponenduni  dicta  vina  >  ((i  '238,  fol.  309,  et  ArchiiK  hisl.,  t.  XXI, 
p.  2.54).  —  «  Pro  duobus  cabironibus  sive  tingnis  et  pro  carpentario  qui  eos  posuit, 
III  s.  m  d.  gr.  «  (G  238,  fol.  401  v°).  —  1475,  2  mars.  Cent  de  pipes  qui  doivent  être 
placés  sur  les  tins  (E  not.  Dartigamala,  reg.  1474-1475,  fol.  171  r"). 

2.  «  Expense  pro  reparatione  vaxille  vinarie  »  (G  236,  fol.  314  r",  omis  dans  les  Archiv. 
hisl.,  t.  XXI).  —  G  239,  fol.  245  v.  —  G  236,  fol.  72  V.  —  1355  :  «  Item,  in  mense 
predicto  (julii)  feci  reparari  vi  tonellos  et  xxi  pecias  aliorum  vasorum  videlicet  piparum 
et  barricarum...  »  —  "  Item,  soKi  pro  vi  feyssiculis  coudre  et  pro  xxxii  taluciis  tam 
tonellorum  quam  piparum  et  pro  xii  meyanis  mangis  {sir)  et  xvi  parvis  et  pro  uno 
miliario  cum  dimidio  ^'imiaum  necessariis  pro  reparatione  dictorum  vasorum,  xii  s. 
VII  d.  st.  ..  (G  238,  fol.  308,  et  Archiv.  hisl.,  t.  XXI,  p.  252.)  —  14.59  :  <>  Pour  relier  la 
vaiselle  vielle.  »  (G  240,  fol.  407  bis.) 

3.  Voir  Chapitre  \. 

4.  1 1  juillet  1414  :  "  E  plus  fo  ordenat  que  los  carpenters  de  bayssera  prenguan  sola- 
inent  entro  a  la  festa  de  Totz  Santz  quinze  esterlins  per  jornau  et  los  despens;  sotz 
pena  de  lxv  soudz  paguadors  per  tantas  de  betz  cum  sera  feyt  lo  contrali;  E  plus  fo 
ordenat  que  nulh  no  sia  si  ardit  de  donar  consselh,  favor,  ni  ajuda  a  tau  qui  tara  lo 
contrari  ni  per  luy  preguar  sotz  pena  de  estre  bannit  de  la  bila  per  un  mes  et  de  estre 
pribat  de  tôt  offici  et  consselh  perpetualment.  ■  (Reg.  de  la  .Jurade,  délib.  de  1414..., 
p.  35-36.) 


I 


VITICUI-Tl'HK    i:i     VINIFICATION    Eî«    BonOEI.AIS    AU    MOYEN    Ar.E         l'^'^ 

vaisM'Ilc  iii'ii\c.  1.»  '  c.^li'iliiis  '  |p.ir  rinl  .|r  |ons;iil|i'  di-  |»ijii'>  <•!  tir 
Loimeaux  et  'iO  par  cent  de  doudlo.  l.c  ImiiH'lifr  i|iii  n'observera 
pas  ce  règlem«'nt  sera  banni  île  la  ville  puni-  un  an  '.  Min-hjue  temps 
après,  à  la  séan<'e  du  5  septembre,  la  jurade  d/'cida  de  faire  «  erier  » 
(pi'il  ('lait  d/'lrridw  d'iidirl  «r  de  la  vaissclh-  \inairi',  du  vime  nu  du 
iiuiilrr  pour  ensuite  les  revendre,  sous  peine  de  les  perdre  et  de  p;i\.i 
une  amende  de  65  sous  pour  eha(jue  eonl  ravent  ion -. 

lMu>ieui'.>  aidre>  ]ireii\f>  de  l'ini  ei\(iil  i(  ,ii  iininieipale  jiour  le'- 
vaisseaux  vinaires  pourraient  encore  être  données  ^  Elles  monli. - 
raient  toutes  combien  était  strictement  établie  pour  les  viticulteurs 
la  façon  doid  il  leur  était  jiossible  de  faire  fabriquer  rm  de  se  pro- 
curer les  vaisseaux  nécessaires  au  logement  de  leurs  récoltes. 

L'emploi  îles  bouteilles,  si  commun  aujourd'hui,  paraît  avoir  .•li- 
à  })eu  près  ignoré  au  moyen  âge  et  devait  être,  considéré  connue 
un  très  grand  luxe  *. 

Le  tirage  à  la  barrique,  au  fur  et  à  mesure  des  besoins,  du  \  in 
qu'on  consommait,  entraînait  sans  doute  souvent  la  détérioration 
de  ee  vin  quand  les  barriques  demeuraient  quelque  temps  en  peree. 
C'-ette  dernière  constatation  justilie  encore  la  conclusion  que  les 
diverses  parties  de  ce  travail  autorisent.  Le  vin  de  Bordeaux  pou- 
vait avoir  déjà  au  moyen  âge  de  grandes  qualités  naturelles,  mais 
les  perfectionnements  apportés  progressivement  à  la  eidture  de 
la  vigne,  à  la  vinification  et  à  la  conservation  du  vin.  l'emploi  géné- 
ralisé des  bouteilles,  étaient  indispensables  pour  lui  jtermettre, 
aju-ès  la  rupture  avec  l'Angleterre  et  la  suppression  des  privilèges, 
d'occuper  sur  le  marché  des  vins  la  place  qu  il  a  eue  durant  ces 

derniers  siècles. 

Jean  BA HENNES. 


1.  Il  juillet  I  11  1  :  K  |)lu<  i|ih-  iiiilli  iio  >ii;i  si  ardil  per  f;ir  h.iyssera  di-  liaver  ainiiii 
I  ;ii|>iMiti'r  a  |ir<'>  feyl  sotz  la  jifiia  (|iii'  dessus,  etc..  etc.      '/(/..  p.  3t>.  ' 

■i.  Itll,  i>  se|)teiJibre  :  •<  E  plus  fo  ordenat  ipie  fos  feyl  rrit  ipie  iiulli  iio  lompre 
bay.'sera,  binie  ni  coudre  per  revendre  si  iio  tant  cuiii  hesonh  n'aur.i  per  son  eslor  solz 
pena  de  la  perdre  et  de  lxv  soudz  per  lantas  betz  cum  sera  trobat  fasen  lo  «.-ontruli.  • 
(/(/.,  p.  H5.) 

3.  1414,24  juillet.  Salaire  des  charpentiers  (»</.,  p.  43). —  141.5, '20  juillet  (/(/.,  p.  'il-i  . 
'\AH).  -20  juill.t  il!.,  p.  40-2'.  -  -  14-20,  3  aoiM  (i-/.,  p.  42tV.  -  1497,  <i  septembre,  r.hur- 
IM-nliers  de  barriipies  pa\  es  par  jiiur   lô  ardils  et   nourris  ((i    l'.M'. 

I.  Au  -iijrt  des  boult'iilcs,  inusitées  au  moyen  Ai;e,  cf.  I.e  (ir.tnd  d'Aussy,  o/i.  ril., 
1'.  122;  Mu.ti't'  rilnisfietlil...,  |i.  71;  Hrniiilr  Iùiniiloi>r<lir...,  article  Htnilfillr.  -  l'uiir 
le  Itordelais,  ce  n'est  yuère  ipi'aii  wiii  -iécle  (|u'on  trouve  nienliun  de  bouteille-.. 
I7MI-1770:  Kmploi  de  bouteilles  pour  nultre  le  vin  {<J  •2r>7re.  —  1779,  "20  décembre: 
Mariage  d'un  écuyer  Jean-Louis  Verdelet,  -  travailleur  en  bouteilles  à  verre  '  {E  âuppl. 
3 15-2  i. 


MELANGES 


A  propos  d'un  portrait  de  Victor  Louis. 

On  connaît  deux  portraits  du  grand  artiste  :  celui  que  son  petit- 
fils,  M.  Ethis  de  Gorny  communiqua  à  Marionneau  en  1880  et  dont 
celui-ci  donna  un  dessin,  en  tête  de  son  beau  livre  sur  Vidor  Louis; 
l'autre,  appartenant  à  Charles  Durand,  qui  le  tenait  de  son  grand- 
père,  Gabriel  Durand,  l'appareilleur  en  chef  de  la  salle  de  spectacle 
de  Bordeaux.  C'est  d'après  cette  peinture  que  Maggesi  sculpta  le 
buste  de  Louis  inauguré  en  1834  et  placé  dans  le  foyer  du  Grand- 
Théâtre;  que  fut  faite  une  lithographie  pour  la  plaquette  de  Léonce 
de  Lamothe,  Les  Théâtres  à  Bordeaux,  parue  en  1853;  que  furent 
enfin  modelés,  par  Mathieu-Meusnier  le  buste  pour  l'Opéra  qui 
figura  au  Salon  de  1880  et  par  A.  Jouandot  la  statue  de  Louis  qui 
se  dresse  aujourd'hui  au  pied  de  l'escalier  du  Grand-Théâtre  i. 

Ce  portrait,  donné  à  la  Ville  en  1894  par  M^^^  Emma  Durand, 
sœur  de  Charles  Durand,  est  aujourd'hui  à  l'Hôtel  de  Ville,  dans 
le  bureau  du  chef  de  cabinet  du  maire  de  Bordeaux.  11  est  de  petites 
dimensions  :  la  toile  a  32  centimètres  de  hauteur  sur  24  de  largeur. 
Louis  est  représenté  de  face.  Il  est  assis  dans  un  fauteuil  de  cuir 
rouge,  devant  une  table  à  pieds  cannelés,  sur  laquelle  est  déployé 
le  plan  d'une  maison.  Le  corps  est  légèrement  penché  en  avant  et 
à  droite.  Le  mouvement  est  exactement  celui  du  fameux  portrait 
de  Diderot  de  Vanloo;  il  est  permis  de  supposer  que  le  pei  itre  a 
usé  du  procédé  du  mannequin,  d'un  fréquent  usage  dans  les  por- 
traits du  XVIII-  siècle,  La  tête  est  posée  droite,  légèrement  tournée 
vers  la  gauche.  Le  visage  est  plein  et  coloré,  le  regard  vif  et 
pénétrant,  le  front  largement  découvert;  les  cheveux,  poudrés, 
sont  roulés  sur  les  tempes  et  retenus  derrière  par  un  catogan  noir. 
L'artiste  est  en  déshabillé,  vêtu  d'une  ample  robe  de  chambre  bleu 
de  ciel  et,  par-dessous,  d'une  chemise  à  manches  de  dentelle;  le 
devant,  orné  de  même,  est  largement  ouvert  et  découvre  le  cou  et 
la  poitrine.  Les  mains  sont  fines;  la  droite  tient  un  compas,  la 
gauche  est  ramenée  sur  la  poitrine.  Sur  la  table,  à  gauche  de  l'ar- 
tiste, est  un  porte-crayon  à  fusain.  La  peinture,  bien  qu'écaillée, 
a  conservé  tçute  sa  fraîcheur.  Elle  n'est  pas  signée. 

D'où  vient-elle?  Au  dos  de  la  toile,  on  lit  sur  un  morceau  de  papier 
collé  sur  le  châssis  :  «  Portrait  de  Victor  Louis,  architecte  du  Grand- 
Théâtre  de  Bordeaux.  Donné  par  Louis  à  Gabriel  Durand,  mon 

1.  Gh.  Marionneau,  Vidor  Louis,  p.  591.  —  LaUthogi-aphie  sig.iiléa  p  ir  Marionaeau 
dans  la  brochure  de  L.  de  Lamothe,  manque  dans  l'exemplaire  de  la  Bibliotlièque  de 
la  Ville,  qui  est  pourtant  celui  de  Marionneau  lui-même. 


MÉLANGES  I 35 

gianti-père,  non  collab<>iaLeur,  suii  élève  et  >oii  ami.  (  iliarled  Durant), 
arcliitecte.  » 

Dans  la  notice  qui  précède  la  correspondance  de  Louis  cl  <lr 
Durand,  publiée  en  1879  dans  les  Actes  de  IWcadèmie  de  liordeum . 
('liarles  Duiand  a  répt'fé  i[ue  Louis  avait  donné  son  portrait  à  son 
grand-père,  avec  d'autres  souvenirs,  et  (|ue  ce  portrait  est  attribué 
])ar  (|uelques-uns  à  Hobin,  le  peintre  du  plafond  du  Grand-Théâtre  ", 

.rignore  ce  qu'il  faut  penser  de  cette  attribution.  Mais  voici  un 
texte  qui  prouve  que  Charles  Durand  s'est  mépris  sur  l'origine  du 
piirtrait.  11  est  tiré  d'un  factuni  conservé  à  la  Biblif>tliè(iue  de  la 
\'ille,  sous  le  n"  123,  et  qui  ma  été  signalé  par  notre  regretté  <  '.éleste. 
C'est  un  Plaidoyer  pour  le  s'"  Durand...  rotilre  le  s""  Gobineau,  imprimé 
à  Bordeaux,  l'an  premier  de  la  Hépubli(iue,  179"2,  in-4*'  de  101  pages.- 
On  sait  que  Gabriel  Durand  avait  construit  pour  Gobineau,  d'après 
les  plans  de  Louis,  sur  le  glacis  du  Château-Trompette,  la  belle  maison 
i|ui  faisait  l'angle  des  allées  de  Tourny  et  de  la  rue  projetée  ijui 
devait  unir  la  place  de  la  Comédie  au  Jardin-Public.  La  maison 
construite  et  achevée  en  1790,  Gobineau  ne  put  la  payer.  Un  procès 
s'engagea  entre  Durand  et  lui.  Le  tribunal  de  Bordeaux,  par  juge- 
ment rendu  le  10  mai  1792,  donna  raison  à  Gobineau  contre  Durand. 
Celui-ci  lit  appel  et  son  avoué,  Duverger,  rédigea  pour  lui  le, 
mémoire  d'où  j'extrais  l'intéressant  passage  que  voici. 

Après  avoir  rappelé  que  Louis  lit  gratuitement  les  plans  de  la 
maison  Gobineau,  l'auteur  du  Plaidoyer  pour  le  s""  Durand  ajoute  : 
!(  Le  sieur  Gobineau  erul  ne  pouvoir  lui  témoigner  l^sa  reconnaissance! 
il'une  manière  plus  tlatteuse  qu'en  chargeant  le  sieur  Durand  de 
faire  faire  son  portrait  à  Paris,  et  de  le  faire  porter  à  Bordeaux. 
Ce  portrait  arriva  dans  un  cadre  superbe;  le  sieur  Gobineau  le  ]>la»;;i 
dans  la  plus  belle  pièce  de  sa  maison;  le  sieur  Louis,  en  entrant 
dans  rette  maison  lors  de  son  voyage  à  Bordeaux,  fut  et  dut  ètn- 
iuliniment  sensible  à  cette  marque  d'attention.  Cependant  il  falloit 
payer  le  coût  du  portrait;  le  sieur  Gobineau  s'y  refusa,  il  aima 
mieux  le  rendre  au  sieur  Durand,  qui  en  avoit  avancé  le  pri.\. 
L'etligie  du  sieur  Louis,  si  solennell»Miient  placée,  fut  silenrieusemeid 
di'j)ondue,  rapportée  chez  le  sieur  Durand  et  séquestrée  dans  la 
poussière  d'un  galetas  où  elle  gémit  chaque  jour  de  son  obscurité  -.  " 

Charles  Durand  s'est  donc  mépris  en  disant  que  son  grand-père 
tenait  de  Louis  ce  portrait.  Gabriel  Durand  l'avait,  en  réalité,  payé 
lie  ses  beaux  deniers. 

-Marionneau  avait  entendu  parler  du  texte  que  je  viens  de  repro- 
duire; mais  il  ne  l'avait  pas  vu.  11  a  parlé  d'un  portrait  de  Louis 
«  offert  à  M.  de  Gobineau  »  et  a  paru  croire  qu'il  était  distim  t  du 
portrait  possédé  par  Durand.  On  le  voit,  les  deux  ne  font  qu'un. 

Paul    COURTEAULT. 

1.  cil.  Dmaml,  V.  Louis,  nrdiitccle  du  Graiid-Thcdlre  de  Bordeaux,  documcnU  recueillis 
et  publiai  [Actes  de  l'Académie,   1879,  p.  1-22). 

2.  Plaidoyer  pour  le  s'  Durand...,   p.  G5-GG. 


l36  MÉLAI^GES 

Un  caporal  girondin 
décoré  de  la  Légion  d'honneur  en  1807. 

Aujourd'hui,  les  officiers  reçoivent  comme  décoration  la  Légion 
d'honneur,  tandis  que  les  sous-offîciers  et  soldats,  sauf  en  des  cir- 
constances extraordinaires,  n'obtiennent  que  la  médaille  militaire. 
Sous  le  premier  Empire,  il  n'en  était  pas  ainsi.  La  médaille  militaire 
n'existait  pas  encore.  Officiers  et  soldats,  rendant  les  mêmes  services 
et  partageant  les  mêmes  périls,  se  voyaient  décerner  la  même 
récompense  :  la  croix  de  la  Légion  d'honneur.  Entre  les  différentes 
catégories  de  l'armée  il  n'y  avait  pas  de  différence  au  point  de  vue 
des  décorations,  et  c'était  justice,  car,  ainsi  qu'on  l'a  observé,  le  sang 
que  versent  les  officiers,  les  sous-officiers  et  les  soldats  sur  le  chamj» 
de  bataille  est  le  même. 

Parmi  les  militaires  qui  devinrent  légionnaires  sous  le  premier 
Empire  se  trouvait  un  Girondin,  le  caporal  Jean  Dubourg,  du 
10^  régiment  d'infanterie  légère  ^ 

Il  était  fils  d'Arnaud  Dubourg,  laboureur,  et  de  Marie  Brouard, 
et  était  né  le  13  mars  1773,  à  Martignas,  commune  des  environs  do 
Bordeaux. 

Il  entra  au  service  le  l^'  mai  1793.  Il  lit  les  campagnes  de  1793, 
de  l'an  II  et  de  l'an  III  à  l'armée  des  Pyrénées,  de  l'an  IV  à  l'armée 
de  Vendée,  de  l'an  V  à  l'armée  du  Rhin,  de  l'an  VI  à  l'armée  d'An- 
gleterre et  des  ans  VII,  VIII  et  IX  à  l'armée  du  Rhin;  en  l'an  XII 
et  en  l'an  XIII  il  servit  au  camp  de  Saint-Omer;  en  l'an  XIV,  il 
fit  partie  de  la  Grande  Armée. 

A  Austerlitz,  il  avait  été  blessé  au  pied  droit. 

Le  10*^  régiment  d'infanterie  légère,  aucjuel  il  apparlenait,  remon- 
tait de  filiation  en  filiation  au  bataillon  de  chasseurs  du  Gévaudan, 
créé  en  1788.  Il  prit  part  aux  batailles  d'Ulm  et  d' Austerlitz  en  1805, 
d'Iéna  en  1806,  d'Eylau  en  1807.  A  cette  époque,  sans  doute  pour 
le  récompenser  de  sa  conduite  à  Eylau,  l'empereur  accorda  à  ce 
régiment  seize  croix,  et  un  jury,  présidé  par  le  colonel  Berthezène, 
désigna  les  militaires  qui  méritaient  d'être  décorés. 

Les  seize  élus  furent  un  adjudant- major,  trois  capitaines,  cinq 
lieutenants,  un  sous-lieutenant,  un  adjudant  sous-officier,  deux 
sergents,  un  carabinier,  un  voltigeur  et  le  caporal  Dubourg. 

Ce  militaire  était  ainsi  noté  sur  l'état  de  propositions  :  «  ...D'une 
bravoure  distinguée,  s'est  toujours  attiré  l'estime  et  les  louanges 
de  ses  supérieurs  par  sa  bravoure  et  la  régularité  de  sa  conduite  '^.  » 

Il  fut  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  le  l^'"  octobre  1807. 

Le  16  mars  1810,  il  fut  mis  à  la  retraite.  Il  était  alors  à  Strasbourg 
en  subsistance  au  57^  de  ligne. 

Il  se  retira  à  Martignas.  Il  mourut  en  1855. 

André  Vovard. 

1.  Archives  de  la  Ciraiide  Cliaiicellerie  de  la  Légion  d'honneur,  dossier  J.  Dubourg. 

2.  Loc.  cit.,  dossier  du  10"  régiment  d'infanterie  légère. 


I 


CIIIIOMOUK 


A  l'occasion  du  Congrès  des  Sociétés  savantes,  notre  très  cher  et  très 
dévoué  collaborateur  M.  Gaston  Ducaunnès-lJuval,  archiviste  de  la  Ville, 
a  été  promu  ofTicier  de  l'Instruction  publique. 

Cette  distinction  a  été  accueillie  avec  une  joie  unanime  par  tous  ceux 
qui  s'intéressent  à  nos  études  locales,  par  tous  ceux  surtout  qui,  travailleur^ 
habitués  de  nos  archives  municipales  ou  simples  visiteurs,  ont  éprouvé 
la  parfaite  urbanité,  l'infinie  complaisance,  l'érudition  très  sûre,  dont 
M.  Ducaunnès-Duval  maintien!  les  traditions  à  l'Hotel  de  Ville.  Elle  est  la 
très  juste  récompense  d'une  irréprochable  carrière  et  de  services  émineiils 
rendus  déjà  à  la  science  historique.  Les  travaux  de  notre  ami,  ses  (lualrc 
volumes  d'invenlaires  des  archives  communales  de  la  Gironde,  ses  deux 
volumes  (le  second  est  sous  presse)  de  la  période  révolutionnaire,  ne  parais- 
sent modestes  (ju'aux  ignorants.  Ceux  qui  les  utilisent  savent  qu'ils  sont 
des  instruments  de  travail  de  tout  premier  ordre  et  en  qui  l'on  peut  avoir 
une  absolue  confiance. 

Il  nous  plaît  de  penser  que  le  dévouement  très  actif,  très  sinjple.  sans 
tapage  avec  lequel  M.  Ducaunnès-Duval  travaille  aussi  à  la  prospérité 
de  la  Société  des  Archives  historiques  et  de  cette  Revue  qui  lui  doit  lanl, 
n'a  pas  été  étranger  à  un  honneur  infiniment  mérité  et  dont  ses  collabo- 
rateurs immédiats  sont  particulièrement  heureux  de  le  féliciter. 

I'.  C. 


A  l'Académie  de  Bordeaux.  —  Dans  sa  séance  du  ji  mar>.  1 '.Vcadémie 
de  Bordeaux  a  élu  membre  résidant  notre  dislingué  collaborateur  M.  Geor 
ges  Cirot,  professeur  d'études  hispaniques  à  la  Faculté  des  Lettres. 

L'histoire  de  Bordeaux  à  l'Université  de  Madrid.  —  Sous  les 
auspices  de  l'Institut  français  en  Espagne,  notre  collaborateur  M.  Paul 
Courteault  a  fait  dans  le  courant  d'avril  à  l'iiiiversité  centrale  de  Madrid 
une  série  de  neuf  leçons  sur  «  l'I-lvolulion  d'une  grande  ville  française: 
lîordeaux.  »  \'oici  les  sujets  de  ces  leçons:  I.  Les  origines,  le  sol,  les  [)re- 
niiers  habitants.  —  H.  La  ville  romaine.  —  III.  Les  invasions  de  barbares: 
la  ville  carrée  et  la  cité  chrétienne.  —  1 V  cl  \  .  La  commune  de  Bordeaux  :  sa 
grandeur  sous  la  domination  anglaise.—  \  1.  Héunion  de  Bordeaux  à  la  France. 
Les  misères  du  \vi'  et  du  xvii"  siècles.  —  VII  et  \  ML  Ik'nais.'ance  et  trans- 
formation de  Bordeaux  au  xvni'  siècle.  —  l\.  Bordeaux  au  m\'  siècle. 

Voyages  d'études  locales.  —  M.  Corbineau.  direcleur  cl'école  à 
Libouriie,  MM.  ii.irrièie  et  l^lchiiil.  instituteurs  adjoinLs  à  Bordeau.\,  école 

lO 


1 38  CHRONIQUE 

Léonard- Lenoir,  organisent  pour  le  2  juin  une  excursion  historique  et 
archéologique  dans  le  Bourgeais,  à  l'usage  de  leurs  collègues  de  l'enseigne- 
ment primaire  désireux  de  mieux  connaître  le  passé  girondin.  L'initiative 
est  des  plus  heureuses;  il  faut  en  féliciter  chaudement  les  promoteurs. 

Les  Limousins  à  Bordeaux.  —  Dans  un  article  du  Bullelin  de  la  Société 
des  lellres,  sciences  et  arts  de  la  Corréze  (2°  livraison  1911,  p.  119-2^7), 
irililuié  Les  Limousins  à  Bordeaux,  notre  collaborateur  M.  Alfred  Leroux  a 
patiemment  et  minutieusement  coUigé  les  faits  et  les  souvenirs  qui 
attestent  les  rapports  du  Limousin  avec  Bordeaux  :  culte  de  saint  Martial  et 
de  saint  Éloi,  archevêques,  parlementaires,  professeurs  et  érudits,  nobles, 
bourgeois,  prolétaires,  sans  oublier  les  «jurais  de  Limoges»,  intendants 
passes  de  Limoges  à  Bordeaux,  documents  conservés  dans  nos  archives, 
objets  d'art  de  nos  musées,  etc.  Le  travail  est  curieux  et  très  instructif, 
même  pour  les  Bordelais.  En  appendice,  M.  Leroux  a  réuni  les  mentions 
relatives  au  culte  de  saint  Martial,  contenues  dans  le  fonds  Saint-Seurin  des 
Archives  départementales. 

Le  testament  du  second  duc  d'Epernon.  —  En  appendice  de  son 
étude  sur  le  château  de  Caumont,  imprimée  dans  le  Bulletin  de  la  Société 
archéologique  du  Gers  (1911,  4"  trimestre,  p.  3ii-3i7)  et  déjà  signalée  ici 
(cf.  Revue,  191 1,  p.  434),  M.  le  marquis  de  Castelbajac  publie  le  testament 
de  Bernard  de  Xogaret  de  La  Valette,  deuxième  duc  d'Epernon,  fait  à 
Paris  le  aS  juillet  iljlii.  Le  testateur  demande  à  être  t  porté  à  la  {)remière 
commodité  et  le  pluslôt  que  faire  se  pourra  dans  l'église  de  Cadillac,  pour 
y  esire  inhumé  et  enterré  dans  le  tombeau  de  ses  prédécesseurs  ».  Parmi 
les  nombreux  legs  on  remarque  :  Oo,ooo  livres  pour  doter  de  pauvres  filles 
des  terres  de  Cadillac  «  par  les  mains  et  par  les  soins  de  la  Doctrine  chré- 
tienne et  des  Capucins  de  (Cadillac  »  ;  i5,ooo  livres  pour  la  fondalion  d'uri 
obit  en  l'église  de  Cadillac;  «  à  l'église  de  Cadillac,  où  sont  les  sépultures  et 
tombeaux  de  ceux  de  sa  maison,  premièrement  la  tapisserie  de  Jacob  qui  est 
la  plus  basse,  plus  l'ameublement  qii'il  a  fait  faire  en  drap  d'or  fuzé  avec  un 
reste  d'étoire  de  même,  qu'est  pour  faire  un  daix,  lequel  ameublement  il 
entend  être  employé  pour  faire  des  revenus  à  ladite  église  pour  le  grand 
autel,  plus  une  tenture  de  tapisserie  de  Flandre  représentant  l'histoire  de 
Daniel»;  28,000  livres  à  l'hôpital  de  Cadillac;  10,000  livres  à  l'Hôlel-Dieu 
de  Bordeaux. 

Société  archéologique.—  Dans  la  séance  du  8  décembre  191 1,  M.  Ricaud 
a  donné  lecture  d'un  travail  sur  la  place  Dauphine  et  sur  un  monument 
qui  devait  être  édifié  sur  cette  place.  M.  Mericam  a  ofîert  au  Musée  des 
spécimens  de  serrurerie  et  de  ferronnerie  anciennes  et  M.  Minier  une  collec- 
tion d'assignats.  Le  Conseil  d'administration  a  été  ainsi  constitué  pour  1913  : 
Président,  M.  le  D'  G.  Lalanne;  vice-présidents,  MM  P.  Fourché  et  Th. 
Amtmann;  secrétaire  général,  M.  Marcel  Charroi;  secrétaires  adjoints, 
MM.  G.  Duval  et  Th.  Ricaud;  trésorier,  M.  P.  Thomas;  archiviste,  M.  R. 
Ferbos;  conseillers,  MM.  Bardié,  Brulails,  Coudol,  llabasque,  de  Mensignac, 
Nicolaï  et  Rambié. 

Dans  la  séance  du  12  janvier  1912,  M.  Brutails  a  accepté  de  faire  une  confé- 


i 


CHROK^)!  F.  |3i) 

rencp,  sous  les  auspices  de  la  Société,  sur  les  portails  d'églises  girondines.  — 
M.  Mengool  a  présenté  un  travail  sur  le  Brassard  dr-  Bordeaux.  M  Hoiulion 
a  couinieiilé  jjlusieiirs  lettres  émanant  d'arlisies,  sur  l'état  d'<'*()ril  de  la 
populatioti  bordelaise  veis  iMi'i.  M  (jharrol  a  |)résenlé  pour  le  Musée  un 
album  et  plusieurs  aquarelles  provenant  de  la  collection  donrjée  à  la  Société 
par  feu  M.  Kmilien  l'i^^uieau.  Ont  été  admis  comme  nouveaux  membres 
\IM.  l'aul  (]araman,  Joseph  liéraud  et  Paul  l.abrouclie. 

Dans  la  séance  du  mois  de  février  191a,  M.  Hamhié,  vice-présideni,  remer 
cic  M,  Brutails  de  la  conférence  si  instrucli\e  (pTil  ;i  laili-  -ur  les  l'orhiils 
d'éilUses  girondines.  M.  Bonlemps  donne  quelques  renseignenjenls  sur  les 
travaux  entrepris  à  l'iiôlel  do  Ville  de  Libourne  et  les  fouilles  qu'ils  ont 
occasiotinées.  M.  Charroi  présente  une  série  de  haches  en  bron/c  découvertes 
à  Saint-Laurent  (Médoc)  vers  1875.  M.  Bouchon  commetjte  un  curieux 
manuscrit  de  Brochon  père  sur  son  rôle  et  sa  conduite  pendant  la  période 
révolutionnaire.  M"'  Colonna  et  M.  L.  Ghalagnac,  professeurs  au  Lycée, 
ont  été  reçus  comme  membres  de  la  Société. 

Dans  la  séance  du  mois  de  mars  191 2,  .M.  le  Président  adresse  ses  félicita- 
tions à  M.  Courteault,  récemment  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur, 
et  à  M.  Mambié,  nommé  ofTicier  d'Académie.  M.  l'abbé  Léglise  a  donné 
lecture  dune  intéressante  dissertation  à  propos  d'un  ancien  tableau  de 
l'école  espagnole,  conservé  à  Bordeaux,  représentant  Saint  François  d'.\ssises. 
—  M.  Charroi  a  communiqué  une  série  d'études  faites  par  feu  .Vurélien 
\  ivie  sur  le  <<  Livre  rouge».  M.  Bouciion  a  rappelé  les  dates  de  publication 
des  divers  livres  rouges  et  a  commenté  un  document  qui  lui  a  été  commu- 
tii(pié  par  M.  Daleau  contenant  une  liste  de  dénonciations  contre  les  fonc- 
lioimaires  publics  de  l'époque  du  premier  empire.  —  .M.  Duval  a  lu  un 
mémoire  de  M.  Béchade  sur  le  pavillon  dit  de  Uiclielieu,  à  Bacalan.  l/auteur 
demande  que  des  mesures  soient  prises  pour  assurer  la  conservation  de  cet 
édifice.  M.  Bardié  a  présenté  la  photographie  d'une  pierre  armoriée  trouvée 
à  (lastillon,  ainsi  que  les  dessins  de  très  belles  cheminées  du  château  de 
(îénissac.  —  La  Société  a  admis  comme  nouveaux  membres  M.  le  U'  Gom- 
baud  et  M.  Béchade. 

Société  des  Archives  historiques. —  Dans  la  séance  du  22  mars  r9i3, 
M.  P.  (laraman  a  communiqué  un  document  relatif  aux  obsèques  de 
M-'  Paulmy  d'Argenson,  archevêque  de  Bordeaux  (décembre  i~a8). —  NL  K. 
Thomas  a  lu  une  notice  sur  la  construction  d'un  atpieduc,  au  xvui*  siècle, 
sur  l'esley  des  Moines,  aux  Chartrons. —  M  B.  Brouillard  a  donné  Iim  lure 
d'une  lettre  très  curieuse  de  M'""  Bouquey  révélant  tpie  le  (iirondin  Louvel, 
lrii([né  par  la  Convention,  logea  che/  elle  à  Saint-limilion.  —  M.  le  D'  Martin 
aentretenu  la  Société  d'un  travail  qu'il  prépare  sur  les  grands  hivers  borde- 
lais depuis  le  xv"  siècle  par  rapport  à  la  vigne.  —  M.  .V.  Leroux  a  donn»' 
communication  d'une  série  de  documents  donnant  la  délimitation  des 
paroisses  de  Bordeaux  en  1791  avec  les  cbiirrca  de  leurs  populations 
respectives. 

Dans  la  séance  du  a(i  avril  kji  ■>.  \l.  Caraman  adonné  lecture  d'un  mémoire 
adressé  au  Contrôleur  général  en  faveur  du  sieur  Trouvé,  écuyer,  cl»argé 
des  alT'aires  de  la  ville  de  Bcndeaux  à  Paris  et  à  la  suite  de  la  Cour  (1708).  — 


l4o  CHRONIQUE 

M.  Harlé  a  communiqué  une  série  d'arrêts  du  Parlement  fixant  le  maximum 
des  gibiers,  draps,  soies  et  vêtements  et  portant  condamnation  contre  les 
contrevenants  (janvier  1578).  —  M.  Brouillard  a  lu  des  documents  de  l'an  III 
sur  la  détention  du  perruquier  Troquart  qui  avait  donné  asile  aux  girondins 
Pétion,  Buzot  et  Barbaroux.  —  M.  Leroux  a  communiqué,  d'abord,  une 
requête  des  Carmes  déchaux  à  l'Archevêque  aux  fins  d'être  autorisés  à 
célébrer  la  fête  de  la  Transfiguration  dans  leur  église  (1777)  et  ensuite  un 
élat  sommaire  de  la  consistance  de  l'église  Saint-Remy.  —  M.  de  Saint-Saud 
signale  un  inventaire  de  l'église  Saint-Vincent  de  Bourg  remontant  à 
l'année  i54o. 

Le  tome  XLVI  de  la  collection  des  Archives  historiques  de  la  Gironde 
vient  de  paraître.  La  plus  grande  partie  de  ce  volume  est  consacrée  au 
Regislre  du  clerc  de  ville  de  Bordeaux;  la  transcription  de  ce  document  si 
intéressant  pour  le  xvi'  siècle  a  été  faite  par  M.  Pierre  Harlé.  La  lecture  du 
registre  présentait  des  difficultés  très  nombreuses  qui  en  rendaient  la 
consultation  particulièrement  pénible.  Grâce  à  cette  publication,  les  notes 
du  clerc  de  ville  Richard  de  Pichon  seront  utilement  mises  à  profit  par  les 
érudils.  On  trouve  également  dans  ce  volume  la  transcription,  due  à 
M.  Caraman,  d'un  procès  survenu  au  xv  siècle  entre  les  Frères  Mineurs  de 
l'Observance  et  les  Frères  Prêcheurs  de  Bordeaux,  et  enfin  une  série  de 
documents  sur  les  diverses  chapelles  de  la  palu  de  Bordeaux  qui  servent 
de  pièces  justificatives  à  l'article  publié  dans  celte  Revue  par  M  Leroux  sur 
les  origines  des  paroisses  Saint-Louis,  Saint-Martial  et  Saint-Remy. 

Congrès  des  Sociétés  savantes.  —  Au  Congrès  des  Sociétés  savantes, 
tenu  cette  année  à  la  Sorbonne,  M.  P.  Caraman.  correspondant  du  .Minis- 
tère, membre  de  la  Société  des  Archives  historiques  de  la  Gironde,  a  lait  une 
communication  relative  à  l'ancienne  église  paroissiale  Notre-Dame  de  la 
Place,  qui  a  complètement  disparu  en  avril  1880,  et  dont  l'emplacement  est 
actuellement  occupé,  place  Pey-Berland,  par  le  troisième  magasin  de  meu- 
bles de  M.  Plazanet,  en  partant  de  la  rue  du  Loup.  Cette  églLse  a  porté,  à 
travers  les  siècles,  les  noms  suivants:  INotre-Dame  de  la  Place  Saint  .\ndré, 
Saint -Eutrope,  Sainte-Anne-la-Royalc  et  chapelle  des  Irlandais.  —  Notre 
collaborateur,  M.  Vovard,  continuant  la  série  de  ses  éludes  biographiques 
sur  les  soldats  et  marins  célèbres  du  Bordelais,  a  donné  lecture  d'une  notice 
très  documentée  sur  le  général  de  Beyssac,  né  à  Marmande  en  1749  et  mort 
à  Bordeaux  en  1820. 

Archives  municipales.  —  Les  archives  municipales  viennent  d'acqué- 
rir trois  aquarelles  de  Bernède  représentant:  l'ancien  établissement  des 
Enfants  trouvés  sur  le  quai  de  Paludate,  une  vue  de  l'ancienne  rue  Sainte- 
Hélène,  près  de  l'église  Saint-André,  et  enfin  une  vue  de  la  porte  Toscanan. 
A  signaler  également  l'acquisition  d'un  dessin  de  Garneray  représentant  le 
pont  de  Bordeaux. 


nir.Li()(;u\iMiii: 


Louis  Raby,  Mcleail,  ancienne  capUtile  du  Mcdoc.  Son  principnl  héritier 
Saint-Germain  I)'es( méjlenil.  Bordeaux,  impr.  S.imie,  î|)I''  in-H" 
de  î34  pages,  35  vues  pholograplnques. 

L'auteur  pari  de  celle  donnée  que  le  pays  des  Biluriges-\  ivisques  coinplail 
trois  villes  principales  :  Burdigala,  au  bout  intérieur  du  pays;  Noviomagus, 
an  bout  extérieur  sur  l'océan,  et  une  ville  du  milieu,  Mctnllium  (Méleuili. 
ancien  chel-litMi  des  Médules,  dont  le  «  principal  iiérilier  »  serait  «  Saint- 
(icrmain  D'es(mé)teuil  ». 

En  regard  de  pareil  essai  de  reconstitution  d'un  nom  de  lieu,  il  faut 
rapporter  que  les  comptes  de  l'arclievéché  des  xiu«  et  \iv'  siècles  donnent 
pour  la  paroisse  dont  il  s'agit,  à  l'exclusion  de  toute  autre  ortliograplie. 
(piinze  fois  Ealulh,  une  fois  S/0//1,  une  autre  fois  Stoilh.  Celle  vieille  slructure 
gasconne  ne  montre  pas  une  parenté  bien  directe  avec  Melullimn,  que  l'abbé 
Haurein  a  proposé  de  traduire  en  Méteuil.  Dans  le  Médoc,  eslullt  se  dit  tlu 
ciiaume  qui  reste  sur  pied  après  la  moisson,  d'où,  à  la  rigueur,  Saint- 
fiermain-de-Chaume.  En  fait  d'étymologie,  eslulh  ne  s'inscrit  ni  pour  ni 
contre  la  présence  en  ce  lieu  d'une  ancienne  ville  ou  de  simples  villas 
romaines,  mais  il  convient  d'ajouter  qu'en  1778  le  curé  de  Saint-Gerinain- 
d'Esteuil  répondait  à  l'abbé  Haurein  qu'il  ne  subsistait  dans  la  paroisse  nulle 
tradition  sur  le  passé. 

Aucune  révolution  ou  modificalion  géologique  sérieuse  n"e>t  survenue  au 
cours  de  notre  ère.  La  partie  inférieure  de  la  Gironde,  au  lieu  d'être  <<  fort 
resserrée  »  avant  le  vi'  siècle  et  saignée  de  plusieurs  brandies  fortuanl  délia 
(page  20),  était,  au  contraire,  comme  de  nos  jours,  tellement  large  au 
I"  siècle,  disait  alors  Mêla,  qu'on  pouvait  la  prendre  pour  un  détroit. 

Camille  Jullian  a  écrit  :  «  Noviomagus,  signifiant  marclié  neuf,  ne  peut 
être  clieicbé  (jue  dans  la  région  centrale.  »  L'abbé  Raby  rapporte  (page  ~j) 
une  opinion  analogue  de  Léo  Drouyn.  Une  épitaplie  soi-disant  de  l'an  i 'i<» 
et  soi-disant  trouvée  à  Soulac  mentioime  Noviomagus.  Élie  Vinel  en  a  fait 
justice,  estimant  qu'elle  était  l'ouvrage  d'un  imposteur  qui  voulait  se 
divertir.  En  dépit  (le  celte  probable  mystification,  Noviomagus.  quand  on 
ne  le  montre  pas  iniaginairemenl  au  fond  de  la  mer  comme  au  texte  ici 
analysé,  persiste  à  conserver  élection  de  domicile  au  lieu  isolé  et  autrefois 
peu  important  de  Sonlac  A  son  tour,  le  Méteuil  (|u'on  nous  présente 
prendra  t-il  racine  aujourd'bui?  Nos  tenips  à  vulgarisation  et  à  exigence  de 
textes  formels  s^nt  trop  positifs  pour  que  Saint-Germain-d'Esteuil  soil  déjà 
temi,  malgré  toute  la  boime  foi  de  l'auteur,  pour  le  <<  principal  héritier  » 
de  Meti'llium. 

Mais  où  était  réellement  ce  Méteuil  «  ancienne  capitale  du  Médoc  »?  .\  sa 
page  32,  l'auteur  fait  dire  avec  quelque  artifice  à  Ausone.  épîlre  V  adressi-e 
à  Tliéon  :  >.  Quelle  vie  mènes-tu  sur  les  rirtKjrs  de  Méteuil?  »  Voilà  cpn  |>eut 
dérouler.  pui>(iue  l'Iiéon  vivait  à  lÏMubouchure  de  la  Gironde. —  Même 
elTorl  à  la  page  28.  Le  Médoc  était  un  piKjiia.  ■<  Mediciilus  payas  ».  lim  des 


l42  BIBLIOGRAPHIE 

cinq  pagi  se  partageant  la  côte  depuis  l'embouchure  ancienne  de  l'Adour 
jusqu'à  celle  de  la  Gironde.  Cependant  l'auteur,  à  propos  de  la  donation  de 
l'enclos  de  Secondignac,  traduit  in  pnyo  metullensi  par  :  ((  situé  clans  le  bourg 
de  Méteuil.  »  —  En  S^o,  Charles  le  Chauve  veut  qu'il  ne  soit  frappé  monnaie 
nulle  part  dans  ses  états  que  «  in  Paialio  nostro  et  in  Melnllo  et  in  Narbonn  », 
ce  que  l'abbé  Raby  (pages  43-44)  rend  par  :  «  en  notre  Palais,  à  Méteuil  et 
à  Narbonne  ».  Où  l'on  voyait  jusqu'ici  Melle  en  Poitou (Metullum  sans  i),  lui 
nous  montre  un  Méteuil  du  Médoc  et  son  hameau  de  Liard.  auquel  lieu  un 
atelier  monétaire  aurait  frappé  de  la  monnaie  de  ce  dernier  nom,  nous 
laissant  ainsi  en  présence  de  cet  anachronisme  qu'on  ne  trouve  en  France 
aucune  mention  du  liard  avant  le  règne  de  Louis  XI,  alors  que  MetuUium 
aurait  été  détruit  par  les  Normands  six  cents  ans  auparavant. 

Le  port  de  Polos,  plusieurs  fois  nommé,  n'a  jamais  disparu.  A  noter  enfin, 
page  -!i  :  «  Rappelez  que  Cordouan  tenait  encore  au  Médoc  il  y  a  deux  ou 
trois  siècles.  »  L'auteur  n'a  pas  tenu  compte  du  devis  et  des  travaux  de  Louis 
de  Foix,  ni  de  l'échec  des  trois  ermites  qui,  en  1092,  après  un  essai  d'ins- 
tallation à  Cordouan,  durent  fuir  ■  les  dangers  de  l'îlot  »  pour  s'établir  à 
la  Pointe-de-Grave. 

En  résumé,  les  questions  historiques  et  géographiques  traitées  paraissent 
le  plus  souvent  erronées. 

La  seconde  partie  de  l'ouvrage  (pages  79  à  280)  présente  sur  Saint  Germain- 
d'Esteuil  et  ses  registies  de  paroisse  un  travail  appréciable  et  bien  digne 
d'exciter  ailleurs  l'émulation. 

S. 


Abbé  Albert  Gaillard,  /.a  haronnie  de  Sainl-Magne,  d'après  des 
documents  inédits,  avec  la  collaboration  de  M.  le  baron  Em.  Ober- 
kampff  de  Dabrun;  2  volumes.  Bordeaux,  Micliel  et  Forgeot, 
éditeurs,  191 1 . 

Dans  la  première  partie  de  son  ouvrage,  M.  l'abbé  Gaillard  s'occupe  de  la 
seigneurie  de  Saint-Magne  et  de  ses  possesseurs.  Ses  sources  ne  remontent 
pas  au  delà  du  xni'  siècle.  M.  (iaillard  a  épargné  au  lecteur  des  digressions 
sur  les  temps  préhistoriques  et  l'histoire  romaine,  que  beaucoup  d'écrivains 
de  monographies  locales  se  croient  la  plupart  du  temps  obligés  de  faire. 
11  n'a  voulu  s'en  tenir  qu'à  des  documents  certains  et  ceci  prouve  la  rigueur 
de  sa  méthode. 

A  part  Pierre  II  d'Agés,  qui  fui  ambassadeur  de  François  I".  fondateur 
du  collège  de  Guyenne,  sous  maire  de  Bordeaux  pendant  les  troubles  de  la 
gabelle,  les  barons  de  Saint  Magne  sont  des  hommes  assez  obscurs,  qu'ils 
s'appellentde  Podensac,  Cailhau.  d'AIbret  ou  de  Pons.  Us  nous  apparaissent 
comme  de  rudes  capitaines,  de  courageux  guerriers,  plus  Anglais  que  Fran- 
çais, loyaux  sujets  d'ailleurs  lorsqu'ils  eurent  donné  leur  parole  au  roi  de 
France  et  dont  l'humeur  batailleuse  se  changea,  chez  leurs  descendants,  en 
amour  de  la  chicane  et  des  procès.  Mais  tous  ces  nobles,  aussi  bien  le  baron 
du  Moyen- Age  que  ceux  du  xvui"  siècle,  les  d'Agés  que  les  Cazanove  de 
LacaussadeoulesJournu-Aubert  semblent  avoir  eu  la  préoccupation  constante 
d'élever  le  niveau  social  de  leurs  vassaux,  de  leur  assurer  le  plus  de  bien-être 
inatériel.  Et  un  des  documents  les  plus  curieux  de  cet  ouvrage  est  la  charte 
par  laquelle  en  lagi  Pierre  de  Podensac,  baron  de  Saint-Magne,  afTranchit 
ses  serfs,  charte  confirmée  en  i5io,  1599,  et  très  libéralement  en  1735. 

La   publication  de  celte  importante  pièce  amène  M.   l'abbé  Gaillard  à 


iiini.iuf.n.vPMiE  1(43 

éludior  I;i  (nii'stion  si  iiilricssaiilo  ilc  la  (jui'sifilili'  en  Caxriiijiie.  Si  les  conclu- 
sions lie  ruuloiir  dillY'iciil  de  relli's  des  érudils  qui  oui  abordé  ce  problème 
avant  lui,  à  cela  rien  d'élonnanl,  Ni.  Gaillard  ayant  eu  à  sa  disposition  des 
docuinenls  iniparlaileinent  connus  juscpie-là.  l/auleur  croit  en  eiret  pouvoir 
avancer  que  les  habitants  de  Saint-Magne,  à  partir  de  ij[)>,  n'étaient  point 
des  Qni'slnitx,  c'est-à-dire  des  hommes  soumis  au  bon  vouloir  d'un  maitre, 
taillables  et  corvéables  à  merci,  mais  des  hommes  libres,  possédant  la  terre 
à  litre  précaire,  pdur  le  compte  du  seijrtieur,  en  vertu  d'un  contrai  el  sous 
certaines  condilioiis,  comme  de  résider  sur  la  seigneurie,  d'\  Imii 
<<  feu  vif  ». 

Dans  la  deuxiètne  partie  de  son  oeuvre.  M.  l'abbé  Gaillard  s'occiipe  de  lu 
paroisse  de  Saint  Mafjrne,  qui  fut  pendant  longtemps  une  dépendance  dllos- 
ten  et  eut  pour  patrons  les  Jésuites,  puis  le  collège  de  Guyenne. 

On  pourrait  craindre  que  le  sérieux  des  questions  traitées,  l'aridité  du  pa>  s 
décrit,  aicnil  inilué  sur  le  style  de  l'auteur.  Il  n'en  est  rien.  Sa  [)lnn)e.  au 
contraire,  vive  el  alerte,  court  en  phrases  courtes  et  nourries  ap|)orlant  au 
récit  de  la  couleur,  Ue  la  chn\é  et  de  la  vivacité,  soit  qu'il  parle  des  [)ins 
et  des  cultures,  du  caractère  et  des  mœurs  des  habitar)ts  ou  bien  des  dictons 
toujours  cités,  des  vieilles  prières  qu'on  ne  récite  guère  plus. 

L'ouvrage  de  M.  Gaillard  peut  servir  de  modèle  à  tous  ceux  qui  voudront 
faire  des  monographies  de  paroisse,  car  le  plan  en  est  excellent  el  très 
complet,  l'ne  table  des  noms  propres  cités  en  fait  un  ouvrage  de  travail; 
c'est  entln  une  OMivre  artisti([ne,  car,  outre  trois  eaux-forles,  .M.  Gaillard 
a  placé  en  regard  du  texte  des  chartes  (juil  transcrit,  leur  reproduction 
phototypi([ue.  On  regrettera  seulement  ((ue  l'auteur  n'ait  pas  cru  devoir 
y  ajouter  une  carte  du  pays  landais  qui  aurait  permis  de  situer  plus  aisé- 
ment Saint-Magne  cl  ses  dépendances. 

K.   M. 


Fernand  Guignard,  Ilisloire  de  Caslillon-sur-Donlogne  (l'une  des 
filleules  de  Bordeaux)  el  de  la  région  caslillonnaise,  de/)uis  les 
origines  jusqu'à   hS70...  Paris,  Laval,  1912,  in-8'  de  xw-oyG  pages. 

.Ainsi  que  l'inrii(|ue  le  titre  de  son  livre,  M.  Guignard  nous  donne  une 
histoire  de  Caslillon.  des  origines  à  1870.  Après  avoir  rappelé  l'étyiuologic 
du  mot  Cnslillon,  il  fait  un  rapide  historique  du  prieuré  bénédictin  de  Saint- 
Florent  el  du  couvent  des  Grands-Caitnes.  Les  deux  chartes  de  franchises 
octroyées  à  la  ville  par  le  captai  de  Buch  en  \^'y[\  et  i3(ti  lui  sont  un  prétexte 
de  nous  dire  ce  qu'il  sait  sur  la  vie  de  ce  personnage.  Il  raconte  la  bataille  de 
Caslillon  de  i'i53,  plus  tard  le  siège  de  i586  el  consacre  à  Montaigne  un 
ilia[)ilre  qu'il  intitule  «  lu  philosopiie  caslillonnais  ».  Les  chapitres  qui 
traitent  de  l'histoire  de  Caslillon  aux  \vu'  et  xvar  siècles  nous  paraissent  les 
mieux  venus  de  l'ouvrage  :  nous  y  signalerons  notamment  un  très  intéres- 
sant arrêt  du  Conseil, du  27  février  iGo3,  dont  l'expo.sé  alïirmc  (|ue  Castillon 
appartient  à  la  sénéchaussée  de  Hordeaux  (p.  ^a^)).  el  les  piltoresiiues  procès- 
vcrbau.\  provenant  du  greffe  de  la  justice  de  paix,  ([ui  rel.ilent  l'arrestalion 
de  Barbaroux  et  la  découverte  des  cadavres  de  l'élion  el  de  Bu/.ot.  à  moitié 
dévorés  par  les  chiens  et  d<inl  l'un  était  ron^ié  |iai-  les  vers  au  col  et  un 
boyau  lui  sorlantau  bas  ventre,  étant  infect  et  inaixndable  »  (pp.  V'ii)  el  suiv.j. 

Faracjt,  dès  sa  préface,  à  l'objection  de  ceux  (pii  reprocheraient  à  son  livre 
de  manciuer  de  conclusion,  l'auteur  nous  fait  observer:  «C'est  luie  o'uvre 
d'histoire  que  j'ai   tenté  de  réaliser,  non  tme  iruvit^  de  lilléMalure  ou  de 


l44  BIBLIOGRAPHIE 

polémique.  «  On  peut  regretter  cependant  que  cette  absence  voulue  de  toute 
idée  directrice  l'ait  amené  dans  son  dernier  chapitre  (le  xix-^  siècle)  à  ne  plus 
nous  donner  qu'une  énumération  chronologique  des  principaux  événements 
de  l'histoire  de  Castillon  (discours  du  maire  au  colonel  du  27-=  de  ligne,  vole 
d'une  somme  de  200  francs  pour  l'érection  d'une  statue  au  duc  Decazes,  etc.>. 

M.  Guignard  a  pensé  devoir  donner  à  son  travail  une  allure  d'érudition. 
Mais  il  ne  suffît  peut-être  pas  pour  faire  d'un  livre  un  ouvrage  d'érudition 
de  mettre  en  tète  une  bibliographie  impressionnante,  d'encombrer  le  texte 
de  citations  et  de  multipher  les  notes  au  bas  des  pages.  L'érudition  de 
M.  Guignard  ne  nous  paraît  pas  toujours  très  sûre.  Prenons  un  exemple, 
au  hasard  :  aux  pages  177  et  178  l'auteur  cite  trois  extraits  de  lettres  qui 
se  trouvent  dans  le  tome  LXl  de  la  collection  Dupuy  à  la  Bibliollicque 
nationale;  pourquoi  n'indique-t-il  point  que  ces  lettres  ont  été  publiées 
dans  les  Archives  historiques  de  la  Gironde  (t.  IV,  pp.  206,  221  et  227)?  et 
qu'en  devons-nous  conclure  sur  le  sérieux  des  nombreuses  recherches 
d'archives  auxquelles  il  dit  sètre  livré  ? 

Nous  regretterons  par  ailleurs  que  M.  Guignard  n'ait  pas  accompagné  son 
étude  d'un  plan  de  Castillon,  qui  serait  bien  nécessaire  pour  éclairer  les 
deux  premiers  chapitres  de  son  livre.  11  semble  que  Castillon,  simple 
casteUam  à  l'origine,  ait  dû  sa  fortune  à  sa  forte  position  stratégique  :  des 
maisons  vinrent  se  grouper  aux  abords  du  château  qui  formèrent  un  noyau 
urbain  correspondant  au  quartier  encore  aujourd'hui  appelé  0  la  ville  »  et 
dans  les  faubourgs  duquel  furent  construites  aux  xi*  et  xn'  siècles  les 
abbayes  des  Bénédictins  et  des  Carmes.  A  la  fin  du  xnr  ou  au  xiv"  siècle  fui 
élevée  une  nouvelle  enceinte  qui  entourait  la  ville  et  les  faubourgs,  celle 
dont  M.  Guignard  nous  donne  une  description  à  la  page  2  en  la  présentant 
comme  remontant  aux  «  premiers  temps  de  notre  histoire  ».  Tout  ceci  n'est 
que  pure  hypothèse  de  notre  part,  car  l'auteur  ne  nous  dit  rien  de  la  for- 
mation topographique  de  Castillon  ;  mais  nous  aimerions  pouvoir  vérifier 
nos  hypothèses  avec  un  plan,  savoir  où  se  trouve  exactement  le  quartier 
nommé  «  la  ville  »,  le  prieuré  de  Saint-Florent,  l'abbaye  des  Carmes  qui 
«était  située  sur  l'emplacement  actuel  de  l'école  communale  de  garçons», 
les  quelques  vestiges  enfin  qui  subsistent  encore  de  l'enceinte. 

Mais  ce  ne  sont  là  que  bien  petites  chicanes  que  ne  pourront  chercher 
à  l'auteur  les  habitants  de  Castillon,  pour  lesquels  il  a  écrit  son  livre  et  qui, 
bien  certainement,  y  trouveront  ce  qu'ils  cherchent  :  des  annales  très 
détaillées  de  leur  ville. 

F.  G. 


Le  Géraht  :  G.  Ducaunnès-Duval. 


Bordeaux.  —  Impr.  G.  Gounouiliiou. —  G.  Chapon,  directeur. 
9-11,  rue  Guiraude,  9-11. 


UNE  ACADEMIE  DES  SCIENCES  A  JIOUDEAL.V 

AU  XVII"  SIÈCLE 


Dans  un  discours  prononcé  le  16  janvier  1739  à  la  séance  de  rentrée 
de  l'Académie  de  Bordeaux,  le  président  Barbot  disait:  «11  se 
forma  dans  cette  ville,  en  1664,  une  assemblée  de  physiciens  et  de 
médecins,  chez  M.  Salomon,  président  à  mortier  de  ce  Parlement, 
et  l'un  dos  quarante  de  l'Académie  française.  Ces  savants,  sans 
autre  loi  que  celle  de  l'amitié  et  de  l'éniulntion.  cultivaient  les 
sciences  naturelles;  on  y  iit  même  quelque  auatumie  sur  le  cervelet 
des  animaux  et  sur  les  poissons.  On  y  lut,  entre  autres,  une  disser- 
tation sur  le  changement  d'un  fœtus  humain  en  celui  d'un  singe  par 
la  seule  force  de  l'imagination.  L'auteur  a  le  mérite  d'avoir  prévenu 
et  le  système  et  la  plupart  des  preuves  du  père  Malebranche.  Ou 
juge  bien  que  cette  pièce  fut  extrêmement  critiquée.  La  dissertation 
et  la  critique  sont  iiii])rimées,  mais  c'est  tout  ce  qui  nous  reste  de 
cette  Société  ^.  » 

Ces  lignes  révèlent  l'existence  à  Bordeaux,  en  i)li'iu  lè^qu-  de 
Louis  XIV,  d'une  Académie  scientifique,  qui  devança  de  près  de 
cinquante  ans  l'Académie  du  xviii*^  siècle.  Elles  font  connaître  le 
unm  (lu  fondateui-,  le  caractère  des  réunions,  un  des  >iijets  traités, 
la  discussion  qu'il  provoqua,  il  e~l  possible  et  il  vaid  la  peine  de 
préciser  ces  indications  un  peu  vagues  -. 

C'est  une  curieuse  figure  que  celle  de  ]-"rançois-Henri  Salomon 
de  Virelade  ^  Né  à  Bordeaux  le  4  octobre  K'r^O,  il  était  fils  de  I<'rau- 
çois-Menaut  de  Salomon,  conseiller  au  Parlement.  Il  lil  ses  études  au 
collège  de  la  Madeleine  :  le  4  juillet  1635,  on  le  t  n>uve  au  nombre  des 
seize  élèves  des  Jésuites,  qui  soûl  lurent  leiii~  Ihèses  de  ]>liilnsophie. 


1.  Hvflexions  sur  l'Iiistoire  nalurvUe  de  la  Ontieimt  (Uibl.  «le  la   ville  «le   lîordi'aux, 
ms.  528,  t.  CIV,  18). 

2.  Sur  r.Vciuléinie  île  Salomon  île  \'ii-elade,  \oir  R.  Céleste,  notice  sur  IWcailéiuie 
de  Uordeaux  (Burdvnii.r,  lS'.t-2,  I.  III,  ji.  20'2-264). 

3.  Elle  a  été  étudiée  par   Kcrviler,   Henri- Fnmçnis  Salomon  de    Virdadc  (Revue  de 
Gascogne,  1870,  p.  lH7-20y,  2'J".»-yi  l,  3U3-aiO,  -481-493). 

II 


I/J6  UNE    ACADÉMIE    DES    SCIENCES    A    HORDEALX    AU    XVll"    SIECLE 

11  cul  une  fortune  singulièrement  rapide  et  brillante  :  en  1638,  à 
l'âge  de  dix-huit" ans,  il  fut  reçu  avocat  général  au  Grand-Conseil, 
grâce  à  la  protection  du  chancelier  Pierre  Séguier,  qui  avait  dû 
connaître  son  père  lors  du  séjour  quil  fit  à  Bordeaux,  en  1623, 
comme  intendant  de  justice  en  Guienne.  Client  de  Séguier,  le  jeune 
Salomon,  auteur  d'un  Discours  d'Etat  à  M.  Grotius  sur  Vhistoire  du 
cardinal  Bentivoglio  et  de  vers  plutôt  médiocres,  dut  à  ce  tout- 
puissant  patron'  d'être  élu,  en  1644,  de  l'Académie  française,  à  la 
place  du  poète  latin  Nicolas  Bourbon,  et  d'être  préféré  au  grand 
Corneille.  Il  fut  reçu  le  23  août  :  dans  son  compliment,  après  un 
éloge  essoufflé  de  l'Académie,  de  Richelieu,  du  roi  et  de  Séguier,  il 
avoua  qu'il  devait  son  élection  à  l'autorité  du  chancelier,  et  conclut 
en  termes  modestes  :  «  Pour  moy,  qui  ne  viens  que  pour  y  apprendre, 
et  qui  n'oserois  produire  qu'avec  honte  mes  faiblesses,  je  me  trouve 
en  l'état  de  ceux  qui  prétendent  devenir  riches  en  recevant  de  toutes 
parts  et  que  leur  indigence  excuse  de  ne  rien  donner  ^.  » 

11  ne  siégea  pas  longtemps  à  l'Académie  française.  En  1647,  il 
avait  quitté  Paris  et  était  revenu  à  Bordeaux  pour  s'y  marier.  Il 
épousa  Isabeau  de  Lalanne,  fille  de  Lancelot  de  Lalanne,  président 
à  mortier  au  Parlement,  acheta  la  charge  de  lieutenant  général  du 
sénéchal  de  Guienne  et  président  au  présidial  de  Bordeaux,  et  ne 
({uitta  plus  désormais  sa  ville  natale.  De  1650  à  1653,  il  fut  l'un  des 
défenseurs  de  l'autorité  royale  contre  les  parlementaires  et  les  bour- 
geois frondeurs.  Il  se  fit  l'informateur  diligent  de  Séguier  et  de 
Mazarin  '^.  Au  moment  où  les  Bordelais  ouvrirent  leurs  portes,  en 
juillet  1653,  aux  troupes  de  Vendôme  et  de  Gandale,  il  servit  de  négo- 
ciateur ^  A  la  mort  de  son  beau-père,  en  1662,  il  lui  succéda  dans  sa 
charge  de  président  à  mortier. 

En  1665,  il  fit  paraître  à  Bordeaux,  sous  ses  initiales,  un  petit 
livre  en  latin,  sorte  de  manuel  d'antiquités  romaines  ^.  Ce  livre 
comprend  deux  parties  :  dans  la  première,  l'auteur  expose  com- 
ment à  Rome  on  instruisait  les  procès  criminels  et  de  quels  châti- 
ments on  punissait  les  coupables;  dans  la  seconde,  «  quels  étoient 
parmi  les  Romains  les  devoirs  de  la  vie  civile,  comme  de  se  trouver 
aux  cérémonies  qui  se  faisoient  lorsque  quelqu'un  prenoit  la  robe 


1.  Recueil  des  harangues  prononcées  par  MM.  de  l'Académie  françoise  dans  leurs 
réceptions...  Paris,  1698,  in-4°,  p.  8. 

2.  Cf.  Arch.  hist.  de  la  Gironde,  t.  XIII,  p.  506-507. 

3.  Cf.  ibid.,  t.  XV,  p.  355-356,  337. 

4.  De  judiciis  el  pœnis.  De  officiis  vilic  civitis  Bontanoruin  Commcnliiria,  authore  H.  F.  S. 
Bordeaux,  G.  de  La  Court,  s.  d.,  pet.  in-12. 


UNE   ACADÉMIE    DES   SCIENCES    A    UOHDEALX    Al     Wll'    SlÈCl.E  1^7 

vii'ile  (»u  (ju'oiL  luy  fuisoit  la  barbe  \)iniv  lu  lufniièro  f<»is.  »  Le 
Journal  des  Sai^anh,  ([ui  dévoila  If  nom  df  l'autt'ur,  regretta  que 
l'ouvrage  fût  déparé  par-  di-  iinnibreuscs  fautes  d'iiiipic>>iiiii  »! 
«|u'il  fût  si  sommaire;  mais  il  fii  |i»\ia  l'érudition  cl  ;ni>>i  l'nlilili'- 
pniir  hifii  entendre  les  auteurs  latins'.  Alherl-I  Irm  i  dr  S.dlt-ngr»' 
lui  lit  l'honneur  de  le  réimprimer,  en  17iy,  dans  son  A'or//.s-  l'ht'snttrux 
Antiquilatum  romananim  "-. 

En  juin  1667,  Salomonfit  un  voyage  à  Paris  pour  ses  affaires.  Il  m* 
souvint  que,  depuis  vingt  ans,  il  n'assistait  pas  aux  séances  de  cette 
Académie  française,  qui  l'avait  préféré  à  Corneille  parce  que  celui-ci 
ne  résidait  pas.  Il  y  parut  de  nouveau;  ses  confrères,  indulgents,  le 
nommèrent  aussitôt  directeur.  Au  bout  d'un  mois,  il  était  de  retour 
à  Bordeaux.  En  septembre,  il  revint  à  la  cour,  à  la  tête  d'une 
députation  du  Parlement,  pour  féliciter  le  r6i  de  l'heureux  succès  de 
ses  armes  :  il  prononça,  à  cette  occasion,  \in  discdurs  d'une  élégance 
banale,  gâtée  par  un  certain  galimatias  -K 

Tel  était  l'homme  qui,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  eut 
l'idée  de  créer  à  Bordeaux  une  Académie.  Ce  que  nous  connaissons 
de  lui  n'est  pas  fait,  il  faut  l'avouer,  pour  le  rendre  absolument  sym- 
pathique. Sa  fortune  trop  rapide  paraît  avoir  scandalisé  les  contem- 
porains :  elle  exerça  la  verve  de  Tallemant  des  Réaux.  Son  loyalisme 
pendant  et  après  la  Fronde  parut  à  ses  collègues  du  Parlement  un 
peu  servile.  Il  n'était  pas  de  la  race  des  vieux  magistrats  batailleurs, 
entêtés  à  défendre  leur  autorité  contre  le  pouvoir  central.  Créature 
des  ministres,  il  ne  sut  être  qu'un  tidèle  serviteur  de  la  monarchie. 
II  tenta,  du  iimins,  de  faire  profiter  les  Bordelais  de  son  crédit  :  il 
rêva  d'aller  en  Angleterre,  chargé  d'une  mission  secrète  auprès 
de  Gromwell.  jiour  renouer  entre  les  deux  pays  une  entente  qu'il 
jugeait  sans  doute  nécessaire  à  la  prospérité  de  Bordeaux.  Et  quand 
la  paix  fut  enfin  rétablie,  il  voulut  secouer  la  torpeur  où  languissait 
sa  patrie  épuisée  par  dix  années  de  luttes  et  d'anarchie,  en  \  n'vcil- 
lant  le  goût  des  sciences  et  des  arts. 

Cette  idée  lui  fut  suggérée  par  le  succès  des  premières  Académies 
provinciales.  La  plus  ancienne,  celle  d'Arles,  existait  dès  1622  sous  le 
nom  d'wAcaiirMiiie  du  bel  esprit  et  de  la  galanterie  ».  Ce  fut  il'abord  une 

1.   Journal  des  Sçavans,  1066,  |i.  15-16. 

'1.  T.  m,  col.  631-668. 

3.  Ce  discours  fui  inii)riiiu'  à  lîoidcaux  rlnz  Pierre  du  Coti.  Salomon  y  coinp-iriiil  lo 
zrle  (ivii  .uiiiiif  11'  l'.iilenient  à  Téf^ard  du  roi  au  culte  i\uv  \o*  nations  \oisiiu's  du  iiùle 
rtMideiil  au  soleil,  dont  elles  ne  voj-enl  que  la  pointe  des  rayons,  l'exlri-nuté  île  la  lumière 
cl  l'cinlirc  du  jour,  et  ne  laissent  pas  de  l'adorer  idus  reliirieusenuiil  tpie  ceux  qui  l'ont 
toujours  sur  leurs  testes  et  qui  en  reçoivent  les  richesses,  l'abondance  et  la  lerlililé  ». 


lA8         UNE   AÔADÊMIE   DES    SCIENCES   A    BORDEAUX    AU    Wll'   SIECLE 

réunion  de  gentilshommes,  où  les  disputes  sur  des  matières  galantes 
alternaient  avec  des  courses  de  bagues  et  des  carrousels,  une  sorte 
de  cour  d'amour,  inspirée  par  VAslrée;  à  partir  de  1633,  elle  était 
devenue  une  société  de  huit  beaux-esprits,  qui  s'occupaient  de  lettres  ; 
en  1668,  elle  obtint  d'être  érigée  en  Académie  royale  et  fut  pourvue 
d'un  protecteur,  le  duc  de  Saint-Aignan  i.  L'Académie  de  Nîmes 
ne  fut  officiellement  constituée  qu'en  1682;  mais  elle  existait  déjà 
«  vers  le  milieu  du  xvii^  siècle  »  ^.  A  Castres,  le  jeune  avocat  Pellisson, 
de  retour  de  Paris,  avait  fondé,  dès  1648,  avec  ses  collègues  du  bar- 
reau castrais,  une  Académie,  à  l'image  de  l'Académie  française.  A 
Soissons,  quatre  jeunes  gens,  ayant  terminé  leurs  études  de  droit, 
s'étaient  réunis,  en  1650,  pour  mettre  en  commun  leurs  lectures; 
encouragés  par  Patru,  protégés  par  le  maréchal  d'Estrées,  ils  vou- 
lurent obtenir,  eux  aussi,  des  lettres  patentes  et  leur  affiliation  à 
l'Académie  française;  ils  y  parvinrent,  en  1673  et  en  1675,  grâce 
à  Pellisson  ^  L'Académie  de  Caen  sortit  des  réunions  tenues  par 
quelques  lettrés,  d'abord  dans  la  boutique  du  libraire  Lebourgeois, 
puis,  à  partir  de  1652,  chez  l'un  d'eux,  Moisant  de  Brieux;  en  1654, 
Huet  vint  y  siéger,  et  par  lui  elle  acquit  vite  un  grand  prestige  *. 
Du  reste,  ces  Académies  eurent  toutes  un  grand  succès.  Sans  doute, 
elles  furent  d'abord  en  butte  aux  quolibets  :  à  Caen,  on  reprocha 
aux  amis  de  Moisant  de  Brieux  de  n'être  que  des  pédants  ergotant 
sur  les  mots,  parlant  grec  et  latin;  à  Soissons,  l'initiative  de  Julien 
d'Héricourt  excita  l'envie  et  les  critiques.  Mais  bien  vite  les  pré- 
jugés tombèrent;  tout  le  monde  voulut  faire  partie  de  ces  réunions  : 
à  Caen,  les  intendants  de  la  province  demandèrent  à  y  être  admis; 
à  Soissons,  il  fallut  prendre  des  mesures  spéciales  pour  que  la  porte 
ne  fût  pas  trop  grande  ouverte.  Il  n'est  donc  pas  surprenant  que 
Salomon  de  Virelade  ait  voulu  tenter  à  Bordeaux  ce  qui  avait  si 
heureusement  réussi  ailleurs. 

Mais  ces  Académies  avaient  toutes  un  caractère  exclusivement 

1.  Sur  les  origines  de  l'Académie  d'Arles,  voir  les  articles  de  Fassin,  dans  Le  Musée, 
revue  historique  et  littéraire  d'Arles,  nov.-déc.  1868;  Pellisson  et  d'Olivet,  Hist.  de  l'Acad. 
franc.,  éd.  Livet,  t.  II,  p.  221-222,  et  F.  Bouillier,  L'Institut  et  les  Académies  de  province, 
\>,  34-38. 

2.  Ménard,  Ilisl.  de  la  ville  de  Nîmes,  éd.  de  1875,  t.  VI.  p.  234. 

3.  L'histoire  des  origines  de  l'Académie  de  Soissons  a  été  écrite  en  latin  par  son 
fondateur,  Julien  d'Héricourt  [De  Academia  Suessionensi,  cuin  epistolis  ad  familiares 
Juliani  Hericurtii,  Suessionensis  Academici.  Montalbani,  apud  Samuelem  Dubois,  1688). 

4.  Cf.  G.  Mancel,  Biographie  de  Moisant  de  Brieux,  fondateur  de  l'Académie  de  Caen 
{Mém.  de  l'Acad.  de  Caen,  1845,  p.  333-348);  René  Delorme,  Moisant  de  Brieux,  sa  vie, 
ses  œuvres  et  ses  relations  avec  la  société  lettrée  de  son  temps  (ibid.,  1872,  p.  27-108);  Henri 
Moulin,  Deux  académiciens  caennais  au  xvii"  siècle:  finloine  llallcij  et  Jean  de  Mont- 
fleurij  (ibid.,  1881,  p.  893-414)  et  Chapelain,  Huet,  Ménage  et  l'Académie  de  Caen  {ibid., 
i882,  p.  363-391). 


l  NE    AC.VDKMIK    DES    SCIENCES    A    IJORDEAUX    AU    XVU*    SIKCI.E  1/19 

littéraire.  On  y  lisait  des  vers,  des  discours,  (Ws  (raduetions  d'au- 
teurs anciens,  on  s'y  occupait  dr  langue  et  de,  style.  L'ambition 
d'iiniltT  l'Académie  française  est  partout  visible  :  les  nn'ndjrcs  de 
ces  Sociétés  sont  en  relations  avec  Conrart,Cliapelain,  Ménage,  Patiu, 
Pellisson;  il  se  considèrent  un  peu  comme  leurs  collaborateurs;  ils 
espèrent  par  leurs  travaux  mériter  le  grand  honneur  d'être  afTdiés 
à  l'illustre  compagnie;  Arles  et  Soissons  se  disputent  le  titre  de  fdie 
ainée  de  l'Académie  française.  Or,  c'est  une  Académie  des  sciences 
que  Salomon  rêva  de  créer  à  Bordeaux.  Si  donc  le  succès  des  Aca- 
démies naissantes  l'inspira,  c'est  ailleurs  qu'il  trouva  la  forme  sous 
laquelle  son  idée  prit  corps. 

Le  xvii®  siècle  a  été  un  grand  siècle  scientifique.   11  ne  la  pas 
été  seulement  parce  qu'il  fut  le  siècle  de  Kepler,  de  Galilée,  de  Bacon, 
de  Descartes,  de  Pascal,  de  Fermât,  de  Torricelli,  de   Harvey,  de 
Malpighi;  il  le  fut  aussi  parce  que  les  idées  et  les  inventions  de  ces 
grands  esprits  firent  naître  le  désir  de  vulgariser  les  connaissances 
dont  ils  avaient  enrichi  le  patrimoine  intellectuel  de  l'humanité. 
Pour  la  première  fois,  la  science  sortit  des  Universités  et  des  écoles 
et  tenta  de  devenir,  comme  les  lettres,  l'entretien  des   honnêtes 
gens.  Pour  la  première  fois,  les  savants  écrivirent  leurs  livres  en 
français.  A  côté  des  académies  cjui  travaillaient  à  réformer  la  langue 
ou  ({ui  s'occupaient  de  lettres,  il  s'en  fonda  qui  furent  les  ouvrières 
de   la  vulgarisation  scientifique.  Ces  dernières  étaient  nombreuses 
à  Paris  dès  la  première  moitié  du  xvii^  siècle.  A  l'Académie  du  Dau- 
phin siégeaient,  à  côté  de  l'abbé  d'Aubignac,  M.  Petit,  intendant 
des  fortifications,  «  cet  Archymède  de  notre  temps,  «  comme  l'appelle 
l'abbé  Gallois,  celui-là  même  qui,  passant  à  Rouen  en  1616,  réussit 
le  premier,  en  présence  de  Pascal  et   de  son  père,  l'expérience  de 
Torricelli  ',  le  cartésien  Laiilnay,  ami  du  P.   Mersenne,  M.  Bailly, 
«  illustre  médecin  ».  Tous  les  mercredis,  il  y  avait  des  réunions  chez 
le  physicien  Rohault,  tous  les  jeudis  chez  Laulnay,  tous  les  vendredis 
chez  le  gassendiste   Denis.   Mais  de  toutes  ces  Académies,  la  plus 
illustre  fut  celle  de  M.  le  Prince,  qui  se  réunissait,  dès  1638,  à  l'hôtel 
de  Condé,  et  dont  l'âme  fut  le  fameux  médecin  Bourdclot.  On  y  vit 
passer  tous  ceux  qui  étaient  curieux  de  sciences  :  le  P.  Mersenne, 
Gassendi,  La  Mothe  le  Vayer,  Montmor,  Pascal,  le  Pailleur,  Petit, 
Roberval,    les   jésuites   Talon,    Bartet   et    Pardies,    les   physiciens 
Mariotte,  Rohault,  Gayant,  les  astronomes  Grandamy  et  Auzout, 

1.  F.  Strowski,  L'hisloire  de  Pascal,  p.  G7  et  suiv. 


l5o         UNE   ACADÉMIE   DES   SCIENCES    A    BORDEAUX   AU    XVIl'   SIÈCLE 

le  naturaliste  Dodart,  les  médecins  Borel  et  Pecqueti.  Quand 
Colbert  créa,  en  1666,  la  première  Académie  des  sciences,  eut-il 
besoin,  comme  on  le  répète,  d'en  chercher  le  modèle  à  la  Société 
royale  de  Londres?  Il  semble  bien  qu'il  en  avait  de  plus  proches  et 
d'aussi   capables   de   l'inspirer. 

Salomon  de  Virelade  était  au  courant  de  ce  travail  de  vulgari- 
sation scientifique  qui  de  Paris  débordait  jusque  dans  les  provinces  2. 
Il  avait  connu  chez  Séguier  celui  qui  en  fut  l'un  des  initiateurs,  le 
médecin  Marin  Cureau  de  La  Chambre  ^  Il  avait  lu,  sans  doute, 
son  grand  ouvrage,  les  Characières  des  passions,  dont  le  premier  volume 
parut  en  1645,  le  cinquième  et  dernier  en  1662,  qui  eut  un  succès 
considérable,  et  où  l'auteur  étudiait  les  causes  physiologiques  des 
passions,  un  des  aspects  de  ce  grand  problème  des  rapports  de  l'âme 
et  du  corps  qui  préoccupait  si  vivement  Descartes  et  qu'il  avait, 
lui  aussi,  exposé  en  1649  dans  son  Traité  des  passions.  Il  avait  lu  le 
Traité  de  V esprit  de  V homme  de  Louis  de  La  Forge,  publié  en  1666, 
où  ce  commentateur  de  Descartes  reprenait  et  développait  les  idées 
du  n>aître  sur  ces  difficiles  questions.  La  physique  cartésienne  se 
dressait  en  face  de  la  vieille  physique  d'Aristote.  Elle  apparaissait 
à  d'autres  qu'à  La  Fontaine  comme  «  subtile,  engageante  et  hardie  »; 
elle  était  faite  pour  piquer  la  curiosité;  elle  devint  vite  à  la  mode. 
Il  n'en  fallut  pas  plus,  peut-être,  pour  que  Salomon  songeât  à  créer 
à  Bordeaux  une  Académie  à  l'image  des  Académies  parisiennes  où 
l'on  se  passionnait  pour  elle. 

Le  milieu  n'était  pas  absolument  défavorable.  On  s'occu- 
pait de  sciences  à  Bordeaux  vers  cette  époque.  Les  conseillers  au 
Parlement,  fils  de»  humanistes  du  xvi*^  siècle,  s'étaient  un  peu 
détournés  de  l'antiquité  pour  s'orienter  vers  les  études  nouvelles. 
Le  vieux  président  Jean  d'Espagnet  n'était  pas  seulement  un  her- 

1.  \'oir  sur  ces  académies  lea-  Conversations  de  l'Académie  de  Monsieur  l'abbé  Bour- 
delol,  conlenani  diverses  recherches,  observations,  expériences  et  raisonnemens  de  physique, 
médecine,  chijmie  et  malhénialiques,  le  tout  recueilli]  par  le  s'  Le  Gallois,  Paris,  chez  Thomas 
Moelle,  au  bas  de  la  rue  de  la  Harpe,  à  Saint-Alexis,  1673,  in-12;  2«  éd.  augmentée, 
en  2  vol.  in-Ti,  1674.  L'auteur  est  l'abbé  Jean  Gallois,  né  à  Paris  le  14  juin  1632,  mort 
le  19  avril  1707,  rédacteur  du  Journal  des  Savants  dès  sa  fondation,  en  1665,  professeur 
de  grec  au  Collège  de  France,  membre  de  l'Académie  française,  d»  l'Académie  des 
Sciences  et  de  l'Académie  des  Inscriptions  (E.  Maindron,  L'Ancienne  Académie  des 
Sciences.  Paris,  189.5,  p.  43).  11  eut  pour  successeur  à  l'Académie  française  Edme  Mongin, 
évêque  de  Bazas,  qui  a  fait  son  éloge  (Rec.  des  harangues  de  l'Acad.  française.  2<^  éd., 
t.  III,  p.  407-408). 

2.  Il  y  eut  à  Caen,  à  côté  de  l'Académie  des  Humanistes,  une  Académie  de  Physi- 
ciens, due  sans  doute  à  l'initiative  du  médecin  Graindorge,  qui  avait  été  de  l'Académie 
de  M.  le  Prince  [Conversations  de  l'Acad.  de  M.  l'abbé  Bourdelot,  éd.  de  1673,  p.  32-33, 
30-37,  65). 

3.-  Voir,  sur  ce  curieux  personnage,  Kerviler,  Le  Chancelier  Pierre  Séguier.  Paris,  1875, 
iti-12,  1).  441-488. 


U>'E    ACAniCMIE    DES    SCIENCES    A    nORDF.VUX    AU    XVU*    SIECLE  l5l 

iin'tistc  et  un  alchiniistf.  Il  av.iit  i»ublié  en  1623  »in  Knrhiridion 
phi/sicic  reslitiilii',  i[tn\.\  liaylc  a  dit  «que  c'est  le  premier  livn'  (pii 
ait  j)aru  en  France,  où  il  y  ail  une  physique  contraire  à  celle  dAris- 
tote  ».  Avec  son  fils,  il  iit'ijiKuta  à  Paris  l'Académie  fie  M.  l»*  Prince  i. 
En  1665,  lorsque  parut  une  conlète,  qui  fit  grand  bruit  (hius  If 
monde  savant,  il  fit  faire  à  Bordeaux,  pour  robservci-,  wwr  LM-ande 
lunette  de  31  pieds  dr  lnug.  Le  premier  présidrnl,  Arnimd  de 
Pontac,  s'intéressait  aussi  aux  sciences  :  il  assista  à  la  conférence 
([ue  le  P.  Ignace- Gaston  Pardies  fit  au  collège  de  la  Madideine 
sur  cette  comète  et  (|u'il  ])\dilia  cli./.  l'imprimeur  Pierre  du  Coq, 
d'abord  en  latin,  puis  eu  français  -. 

On  ignore  à  quelle  date  commencèrent  les  réunions  du  juési- 
dent  Salomon.  Barbot  dit  :  vers  1664.  En  fait,  les  documents  qui 
les  mentionnent  attestent  leur  existence  en  1669  seulement.  Au 
mois  d'octobre  de  cette  année,  Claude  Perrault  étant  à  Bordeaux, 
logé,  et  mal  logé,  avec  son  frère  malade,  à  l'hôtellerie  du  Chapeau- 
Rouge,  y  fut  visité  par  Ii'  pi-i'-sidcnl  S.iloinou.  (jui  lui  offrit  «  avec 
beaucoup  de  civilité»  sa  maison.  Il  lui  rendit  sa  visite  le  mardi 
22  novembre.  Il  le  trouva  «  dans  un  palais  fort  magnifique  et  fort 
richement  meublé».  M.  et  M"!*^  de  Salomon  lui  réitérèrent  leur 
offre.  Le  président  l'invita  aussi  «  de  venir  à  son  Académie  qui  se 
tient  chez  lui  les  vendredis  »,  «  pour  des  expériences  curieuses  ».  La 
notoriété  de  Claude  Perrault,  membre  de  l'Académie  des  Sciences, 
son  grand  crédit  auprès  de  Colbert  expliquent  ces  politesses.  Per- 
rault ne  put  se  rendre  à  l'invitât inu:  mais  l'un  des  académiciens, 
le  médecin  Pierre  de  Galatheau,  hii  lit  hommage  d'un  discours 
qu'il  avait  prononcé  à  une  de  ces  «  assemblées  »,  sur  un  monstre 
dont  une  femme  est  accouchée  en  cette  ville,  (|ui  avoit  la  figure  «lu 
fagoliu  uu"'me  avec  sa  casaque»-''. 

Ce  discours  est  conservé.  Il  ;i  jtour  litri'  :  l>isroiirs  prononcé  dantt 
r assemblée  de  M^  le  fn'ésidenl  Salomon.  /iiiiclidnl  le^  forces  de  l'imn- 
(jinalion,  sur  le  sujet  d'un  firlus  Inimuin.  ihangc  en  celui  d'un  sinije, 
par  la  seule  force  de  l imaqinaiion*.  Voici  (juelle  eu  lut  l'occasion. 
La  femme  d'un  tailleur  d'habits  était  allée  avec  ses  voisines  vi'ir  des 


1.    Conversnlions  de  V Académie  de  M.  l'nhhr  noiirdelnl,  ^'d.  de  Uï73,  i>.  TiH. 

•2.  Dissertalin  de  niolu  et  natura  eomelarum,  Hordeaux,  Pierre  du  l^oq,  16(î.ï.  iii-S", 
et  Remarques  sur  les  comètes  et  autres  phcnnnmènes  e.rtraordinaires  de  ce  temps.  Bordeaux. 
(;.  de  La  Court,  U)G5,  in-8°. 

3.  Claude  Perrault,  Voijage  à  Bordeaux,  i\  la  suite  des  Mémoires  de  ma  vie,  par  Charles 
Perrault,  éd.  Paul  Hoiinefon.  Paris.  1900.  in-S",  p.   19-2.  193,  207. 

4.  A  Bordeaux,  i)ar  (1.  de  la  Court,  liuprinieur  du  Roy,  de  Monseigneur  l'.Vrrhe- 
vesque  et  de  l'IUiversité,  1669,  iu-4''  de  22  p. 


l52  UNE   ACADÉMIE    DES    SCIENCES    A    BORDEAUX    AU    XVII°    SIECLE 

bateleurs;  un  singe  «  extraordinairement  enjoué  faisoit  le  principal 
spectacle».  Elle  en  fut  très  frappée,  et  trois  mois  après,  elle  donna 
le  jour  à  un  monstre  qui  n'avait  rien  de  l'homme  que  la  peau 
et  qui,  pour  le  reste,  ressemblait  à  un  singe.  Galatheau  attribue  le 
fait  à  la  force  de  l'imagination,  de  la  «  phantaisie  ».  Il  l'explique 
en  exposant,  d'après  le  Traité  de  V esprit  de  Vhomme,  de  L.  de  La 
Forge,  la  doctrine  cartésienne,  mais  il  n'adopte  pas  cette  doctrine.  Il 
déclare,  en  effet,  que  les  raisonnements  du  disciple  de  Descartes  «  ont 
un  tel  brillant»  et  l'ont  à  ce  point  ébloui  qu'il  n'y  a  rien  pu  voir;  et 
il  lui  préfère  la  doctrine  d'Aristote,  fondée  sur  la  «  faculté  forma- 
trice ».  Galatheau  paraît  donc  être  un  cartésien  timoré,  que  les  nou- 
veautés séduisent  et  effrayent  tout  à  la  fois  et  qui,  après  leur  avoir 
fait  les  honneurs  d'une  exposition,  revient  prudemment,  en  fin  de 
compte,  à  la  doctrine  de  l'École.  Il  semble  bien  qu'il  s'inspire  en 
cela  de  Cureau  de  la  Chambre,  dont  les  théories  physiologiques 
étaient  un  compromis  entre  Descartes  et  l'orthodoxie  scolastique. 

La  question  traitée  était  de  celles  qui  passionnaient  philosophes 
et  médecins  au  xvii®  siècle.  L'attitude  incertaine  de  Galatheau 
était  faite  pour  provoquer  les  critiques.  Le  Discours  fut  l'objet  à 
Bordeaux  de  deux  «  Censures  »;  une  seulement  est  conservée. 'Elle 
a  pour  titre  :  Censure  du  discours  prononcé  sur  le  changement  d'un 
fœtus  humain  en  singe  ^.  Elle  est  singulièrement  acerbe.  L'auteur 
reproche  à  Galatheau  d'avoir  «  la  locution  barbare  et  gasconne  », 
un  style  «  de  deçà  Loire  »,  des  métaphores  étranges,  comme  celle 
qui  consiste  à  ceindre  d'une  épée  le  spectre  d'un  singe  pour  en  assas- 
siner par  derrière  l'appétit  et  les  esprits  animaux.  11  lui  reproche 
ses  velléités  cartésiennes  et  déclare  se  ranger,  quant  à  lui,  nette- 
ment à  l'opinion  scolastique.  Il  conclut  en  mettant  en  doute  l'exis- 
tence du  monstre  :  «  On  l'a  vu,  dit-il,  chez  Souflié,  maistre  chirur- 
gien», et  l'on  a  pu  constater  que  ce  prétendu  monstre  n'avait  rien 
d'un  singe,  que  ce  n'était  «  qu'un  ambigu  de  diverses  parties  mal 
digérées  et  de  diverses  figures  qui  ne  tenoient  pas  plus  du  singe  que 
du  Grotesque  (sic)  »2. 

A  ce  factum,  Galatheau  répondit  par  une  Censure  de  la  Censure 
d'un  discours  prononcé  en  l'assemblée  de  monsieur  le  président  de 
Salomon  sur  le  changement  d'un  fœtus  humain  en  celuy  d'un  singe 

1.  s.  1.  n.  d.,  in-4'>de  39  p.  —  L'autre  censure  avait  pour  auteur  un  «  poète  prétendu  », 
sans  doute  quelque  médecin  qui  faisait  des  vers.  Galatheau  fait  allusion  à  «  quelques 
sonnets  de  la  Garonne  amoureuse  du  cabinet  de  Trichât  »  et  à  une  pièce  «  intitulée  la 
Chirurgie  au  pied  de  la  statue  d'Hippocrate  »  {Censure  de  la  Censure...,  p.  87). 

2.  Ibid.,  p.  36. 


UNE    ACADÉMIE    DES    SCIENCES    A    BORDEAUX    AU    WIl'    SIKCI.E  l53 

par  1(1  si'uli'  force,  de  V ima(jinaliui)  '.  Il  y  déverse  sur  sou  rontra- 
iliclfui-  un  tldl  d'injures,  itlliriiu'  ([uau  moment  où  il  l'-crivit  sa 
(liali'ilM'  il  i''lait  fn  pinic  à  une  attaque  de  clinliMa-iiinilui-.  !r  liaili' 
(l'idiot  eu  grec  et  ru  Irauçais,  di'  liauiu^ton  «  (|iii  liourdouuc  tout 
autour  des  plus  belles  Heurs  et  les  llere  sans  cesse,  sans  s'arrester 
à  pas  une  et  sans  rien  emporter  de  Ifur  bouii»'  odeur  ny  participer 
en  aucune  manière  à  rexctdlciKc  df  Irm-  parfum  ».  A  son  tour,  il 
échenille  méticuleusenu'ut  le  style  de  sou  adversaire,  critique  sou 
argumentation  et  lui  reproche  «  de  faire  un  paralogisme  et  de  t<miber 
dans  cette  sixième  espèce  de  sophisme  qui  consiste  dans  le  défaut 
de  la  cause  et  de  la  conséquence,  qui  n'est  qu'une  même  chose  dans 
Aristote,  au  livre  des  Elenches  ».  Suit  la  citation  du  texte  grec.  On 
le  voit,  Molière  eût  aisément  trouvé  à  Bordeaux,  s'il  ne  les  eût  ren- 
contrés partout,  les  originaux  des  médecins  de  Monsieur  de  Poiir- 
ceaugnac.  Oiuuit  au  fait  en  lui-même,  Galatheau  s'indigne  qu'on 
puisse  le  nier  :  il  a  conservé  l'objet,  qu'il  peut  faire  voir  aussi  entier 
qu'au  premier  jour.  Entin,  contrairement  à  ce  (jm-  prrliiid  [<•  cen- 
seur, la  découverte  n'est  point  passée  inaperçue  :  elle  a  été  soumise 
aux  Académies  de  Paris,  en  particulier  à  celle  de  l'abbé  Bourdelot, 
et  l'auteur  en  a  riiçu  des  compliments,  «  pour  lui  avoir  fait  part 
d'uiu^  question  physique  si  belle  et  si  curieuse  ».  Galatheau  se  van- 
tait. Perrault,  à  qui  il  fit  voir  son  «  monstre  »  et  (|ui  le  dessina, 
avait  trouvé  (ju'il  ne  jtrésentait  d'autre  singularité  qu'une  excrois- 
sance de  chair  sur  le  dos,  (|u'avec  beaucoup  de  complaisance  on 
pouvait  prendre  pour  la  inaiidillf  di-  p'ai^otiu^.  Quaid  à  l'Académie 
de  Bourdelot,  les  cartésiens  qui  la  composaient  jugèrent  sévèrement 
le  discours  de  ce  cartésien  honteux  qui  reprochait  simphunent  au 
maître  de  ne  pas  user  du  jargon  de  l'École  ^  En  fait,  Galatheau 
n'avait  contenté  personne  :  à  Bordeaux,  il  était  apparu  riuiinir  uii 
révolutionnaire;  à  Paris,  il  faisait  figure  de  retardataire 

Le  «  discours  du  singe  »  et  les  écrits  qu'il  provoqua  présentent  uu 
autre  intérêt.  On  y  entrevoit  ce  que  dut  être  l'Académie  de  Saloruiui 
de  Virelade  et  (juel  accueil  elle  reçut  .^  Bordeaux.  J^^lle  parait  avoir 
été  surtout  composée  de  collègues  du  président,  de  magistrats.  Le 


1.  A  lioideaux,  cliez  Pii-rre  Abegoii,  impi  inicur  cl  lilir;iir(',  nn'  Saint  .lamines.  \\ec 
permission.  1670,  in-4"  de  87  p.  On  lit  à  la  lin  :  Fin  ilr  ht  iireinitrf  /xirlir.  La  Censurr 
de  la  Censure  est  dédiée  A  M.  le  Président  SaloniDn. 

2.  Voijage  à  Bordeaux,  p.  209.  M.  IJonnefon  a  reproduit  le  dessin  à  la  plume  de  Per- 
rault représentant  le  fœtus  de  Calatheau. 

3.  h.ramen  d'un  discours  ijrononcé  dans  une  très  célèbre  Académie  sur  le  sujel  d'un 
morislr-...,  dans  les  Conversations  de  l'Académie  de  M.  l'abbé  linurdelol,  'i'  éd.  Paris, 
lîarbin,  1074,  2  vol.  in-12,  t.  1,  p.  152-153. 


l54  UNE    ACADÉMIE    DES    SCIENCES    A    BORDEAUX    AU    XVII*    SIECLE 

censeur  du  Discours  les  appelle  «  les  princes  du  Sénat  ».  Il  y  avait 
aussi  des  médecins  comme  Galatheau;  mais  la  majorité  semble  avoir 
été  formée  d'amateurs.  Au  début,  on  avait  tenté  d'y  attirer  des 
professeurs  de  l'Université,  des  membres  du  Collège  des  Médecins  : 
ces  efforts  pour  unir  professionnels  et  amateurs  n'aboutirent  pas 
comme  le  souhaitait  sans  doute  Salomon  ^.  Les  réunions  avaient 
un  caractère  proprement  scientifique.  Salomon  avait  voulu  «  establir 
les  conférences  et  les  exercices  d'une  physique  expérimentale  «^i  on 
y  faisait  les  expériences  «  qui  regardent  principalement  l'anatomie 
curieuse  des  animaux  et  la  recherche  des  plantes  »  ^.  On  s'y  propo- 
sait d'imiter  «  cette  incomparable  Académie  royale,  qui  a  bien  voulu 
donner  une  partie  de  cette  année  aux  dissections  d'un  lyon,  d'un 
renard  marin,  d'un  caméléon,  d'un  castor,  d'un  dromadaire,  d'un 
ours  et  d'une  gazelle,  et  d'autres  occupations  semblables  »^.  «  Poussée 
d'un  généreux  dessein  de  relever  l'éclat  des  sciences  dans  cette  pro- 
vince »,  l'Académie  naissante  avait  «  convoqué  l'élite  des  sçavans 
pour  donner  des  éclaircissemens  aux  questions  de  la  belle  physique  », 
et  on  y  avait  fait  «  diverses  conférences  et  amusemens  anatomiques 
sur  les  cervelles  des  animaux  et  des  poissons  »  ^  Mais  les  questions 
d'anatomie  et  de  physiologie  étant  intimement  liées  aux  problèmes 
métaphysiques,  l'Académie  n'hésitait  pas  à  aborder  les  «belles 
matières...  qui  regardent  en  gros  les  forces  de  l'imagination  et  le 
siège  de  l'âme  raisonnable  et  périssable...  »  ^ 

Si  les  écrits  de  l'unique  académicien  connu  sont  infectés  de  pédan- 
tisme,  il  semble,  à  l'en  croire,  que  les  réunions  de  l'Académie  en 
étaient  absolument  exemptes.  On  y  causait  librement  et  sans  dog- 
matisme. Galatheau  se  plaint  de  ce  que  le  censeur  prétendait  en 
faire  «  une  classe  de  dialectique,  où  il  fût  permis  jusqu'aux  grimaux 
d'ergotiser  sur  toutes  sortes  de  matières  »  '.  Les  académiciens  étaient 
d'honnêtes  gens,  capables  de  distinguer  la  doctrine  de  Descartes 
de  celle  d' Aristote  ;  ils  avaient  «  les  mains  exercées  dans  les  plus  belles 

1.  Galatheau  dit  à  Salomon  dans  sa  Censure  de  la  Censure  (p.  31)  :  «  Je  vous  proposay 
d'abord  quatre  ou  cinq  de  ces  messieurs  pour  estre  du  nombre  des  Illustres  qui  dévoient 
composer  vostre  assemblée.  Ils  ne  diront  i)as  non  plus  que  je  n'aye  esté  chés  eux  les 
en  prier  de  vostre  part  et  de  la  mienne.  Si  tous  n'y  sont  pas  venus  et  que  quelqu'un 
seulement  nous  ail  rendu  visite,  ne  les  ai-je  pas  sollicités,  de  la  meilleure  grâce  qu'il 
m'a  esté  possible,  de  continuer  et  de  joindre  leurs  entretiens  aux  nostres  pour  le  bien 
de  nostre  conférence?...  • 

2.  Ibid.,  p.  33. 

3.  Ibid.,  p.  35. 

4.  Ibid.,  p.  7.  Cf.  le  Journal  des  Sçavans  de  1669  (p.  24-28),  qui  rend  compte  de  ces 
expériences. 

5.  Censure  du  discours...,  j).  2-3. 

6.  Ibid.,  p.  8. 

7.  Ibid.,  p.  27. 


I  NE    ACADKMir    DES    SCIENCES    A    RORDEVrx     \l      \S11      sikCI.E  I  ;).) 

l'cctit'irlii-;  ,\r  1' ,i  ii,i  (  (  i  ii  |  je  cl    (|r  |,i   |  m  I  ;i  lli(  JU<'  "  ;  il.-  [U'i'l  l'iid.i  ii'iil    ll.iilcl- 

li's  ((uotiiins  tir  iiiiMlfcitit'  sans  t'-ln'  iiUMlrcins.  lit  c'i'st  iM't'cisi'ini'iil 
et'  i|iii'  li'iir  coMLcstiiii'iil  I(\s  reprôseutaiil s  i.tlicirls  de  l.i  scicuco. 
I."  \';i(|t''inie  fie  Salnmou  lui  fu  Imtto,  dès  sa  naissance.  ;'i  la  jahuisif 
(le  la  Faculté  de  Mt'decine  et  du  Collège  des  Médecins.  Le  censeur 
de  Galatlieau  était  un  professeur  de  la  Faculté  ou  un  uiemhrr  du 
(lollège.  Les  citations  suivantes  ne  laissent  sur  ce  j)oint  aui  un  dfiuli-  : 
'(  Dites  le  vray.  brave  censeur,  auriés-vous  encore  la  témérité  d'en- 
treprendre une  dissection  devant  une  si  célèbre  assemblée,  pour  y 
réussir  aussi  mal  que  vous  fistes  il  y  a  quelque  temps  dans  le  Collège, 
où,  après  plusieurs  essais  aussi  honteux  qu'inutiles,  vous  vous  mîtes 
en  si  mauvaise  odeur  qu'elle  dure  encore,  quelque  efTorI  i|Uf  lOii 
lit  lors  de  l'ensevelir  avec  cfllc  du  cadavre.  »  Et  plus  Inin  ;  «Vous 
n'oseriés  pas  sans  doute  non  plus  vous  dire  sçavant  de  l'expérience 
dt's  plantes,  puis({ue  de  six  mille  qu'on  en  conte,  vous  ne  connaisses 
qui-  quelques  chardons.  »  Au  même  endroit  enfin,  Galatheau  se 
vante  que  ses  mains  n'ont  point  eu  de  plus  grande  occupation  que 
les  belles  recherches  de  l'anatomie  et  de  la  botanique,  tandis  (jue 
celles  de  son  adversaire  «  s'exerçoient  à  manier  les  quartes»^.  On 
iif  peut  s'empêcher  de  rapprocher  ce  violent  réquisitoire  d'un 
document  officiel  signalé  naguère  par  M.  Barckhausen  :  c'est  une 
enquête,  ordonnée  par  le  roi  en  1668,  où  l'on  lit  que  les  professeurs  de 
la  Faculté  de  Médeciiu-  dr  Bordeaux  ne  faisai<'iit  itiémi'  ]ias  tous 
les  ans  «  une  ou  deux  anatomies»  pour  «  la  démonshat  ion  de  l;i  (sic) 
squelette  »  -. 

Mais  si  la  lutte  était  engagée  entre  la  routine  officielle  et  la  science 
mise  à  la  portée  des  honnêtes  gens,  la  querelle  entre  les  dtMix  méde- 
cins bordelais  avait  surtout  un  caractère  personnel.  \u  dire  de  (lala- 
theau,  le  censeur  du  Discours  était  un  homme  sans  mérite  :  il  devait 
sa  chaire  au  crédit»  d'un  des  messieurs  du  Parlement,...  (|ui  laNoil 
demandée  pour  un  de  ses  domestiques  »  ^  Son  autorité  était  con- 
testée même  parmi  ses  collègues,  et  le  piinejpal  du  C.idle^f.'  de 
Guienue,  l'Irlandais  .l;ii  rpu^s  Piers,  avait  aHiehé  le  plus  ]ir<d'(iiii| 
mépris  à  l'égai'd  de  ce  docteur  de  p;ie(ilille  ',  ]-;iilin  c  t'I.iil  uu  iii-lre, 
qui  se  resseid;iil   de  ses  origines:  u'i'-tait-il  ji;i>  ii.iiir  de  Ilairelniau, 


1.  Censure  du  discours...,   p.  35. 

2.  Arresl    du  Conseil   d' lislal  du  Hoij,  cnnlennnl   le  Reslablissement   des   lînirerxilp.<t, 
Bordeaux,  G.  de  Larour    1668. 

3.  Censure  de  la  Censure,  p.  •23. 

4.  Sur  les  confliU  de  .Jacques  Fiers  .-iver  ITiiixor-ilé,  if.  (ijiullii'ui .  ///>/.  .//;  l'ullège 
de  Viui/enne,  p.  428-429.  Jacques  Piers  était  mort  en  avril  1067. 


l56  UNE    ACADÉMIE    DES    SCIENCES    A    BORDEAUX    AU    XVIl'    SIECLE 

obscur  village  des  Landes,  où  jamais  les  Grâces,  Apollon  et  les 
neuf  sœurs  n'élurent  domicile  ^  ?  Le  portrait  de  Galatheau, 
crayonné  par  son  adversaire,  n'est  pas  plus  flatté.  A  l'en  croire, 
l'auteur  du  Discours  était  mal  fait  et  négligé  de  sa  personne  2.  C'était 
un  ambitieux  et  un  intrigant  :  «  Il  a  surpris  cjuelque  faux  brillant 
de  réputation,  bastie  sur  le  caprice  de  la  fortune,  sur  l'ignorance 
du  badaud  et  sur  la  complaisance  des  intelligens,  lesquels  payent 
les  veilles  serviles  et  les  visites  fréquentes  par  des  applaudissemens 
simulés.  Il  est  officieux  en  esclave,  il  recherche  partout  avec  imper- 
tinence les  occasions  de  se  signaler;  comme  il  est  fort  peu  de  chose,  il 
fait  toutes  choses  pour  paroistre  ^.  »  En  fait,  Galatheau  était  pro- 
testant :  sa  religion  ne  lui  avait  pas  permis  d'être  de  l'Université; 
elle  ne  l'avait  pas  empêché  d'avoir  une  belle  clientèle,  qui  comptait 
«  les  personnes  les  plus  illustres  de  cette  province»*.  Son  succès  lui 
valut  des  élèves  qui  lui  dédièrent  des  thèses  de  médecine,  qui  exal- 
tèrent sa  science  aux  dépens  de  celle  des  docteurs  de  l'Université, 
qui  allèrent,  peut-être,  jusqu'à  troubler  leurs  cours  par  des  mani- 
festations bruyantes  ^  C'était  pour  la  Faculté  un  concurrent  redou- 
table :  ne  poussait-il  pas  l'audaee  jusqu'à  provoquer  les  professeurs 
à  un  tournoi  médical,  dont  il  fixait  la  durée  à  «  dix  ou  douze  jours  »  ^  ? 
Le  défi  ne  fut  pas  relevé  :  les  adversaires  de  Galatheau  se  bornèrent 
à  annoncer  qu'ils  lui  préparaient  «  de  l'ellébore,  et  du  meilleur  »  et 
que,  s'ils  ne  pouvaient  le  convaincre  de  ses  erreurs,  ils  seraient 
«  contraints  de  le  renvoyer  aux  Incurables  par  un  décret  solennel  »  '^. 
Cette  polémique  jette,  on  le  voit,  un  jour  assez  vif  sur  les  relations 
entre  médecins  bordelais  au  xvii^  siècle.  Elle  éclaire  aussi  l'histoire 
de  l'Académie  du  président  Salomon,  dont  elle  est,  du  reste,  le  seul 


1.  "  On  dit  que  le  climat  de  la  Thrace  et  celui  de  la  Boëtie  {sic)  estoit  si  contraire  aux 
Muses  que  les  habitans  n'estoient  pas  capables  de  conter  leurs  brebis  ny  leurs  moutons. 
Le  village  de  l'Agehemmau  n'est  point  en  plus  grande  réputation  aujourd'hui  :  les 
(irâces,  Apollon  et  les  neuf  sœurs  ne  sont  pas  de  ce  pays  et  il  ne  se  trouve  point  dans 
l'histoire  qu'il  en  soit  sorty  aucun  pJiilosophe,  ny  pas  un  orateur.  »  {Censure  de  la  Cen- 
sure, p.  34.)  11  y  a  dans  ce  passage  une  indication  qui  permettra  peut-être  d'identifier 
l'adversaire  de  Galatheau. 

2.  «  Car  si  l'on  luy  dit  qu'il  a  le  teint  vif,  la  perruque  bien  mise,  la  jambe  bien  faite, 
l'esprit  beau,  facile,  le  style  galant,  poly,  d'un  beau  tour,  il  est  assez  faible  pour  être 
persuadé  de  toutes  ces  contre-vérités.  »  {Apologie  du  Censeur  du  discours  /jrononcé  dans 
l'Académie  de  Bordeaux,  s.  1.  n.  d.,  in-4"  de  20  pp.,  p.  9.) 

3.  Ibid.,  p.  12. 

4.  Censure  de  la  Censure,  p.  87. 

5.  «  Il  voulut  ériger  des  escholes  en  sa  maison,  contre  la  teneur  des  ordonnances 
royaux,  où  il  declamoit  contre  nos  professeurs  et,  se  laissant  emporter  à  son  caprice, 
il  fit  troubler  la  discipline  dans  nos  classes  par  ses  émissaires  religionnaires.  »  {Apol.  du 
censeur,  p.  2.) 

6.  Voir  la  requête  «  à  MM.  du  Parlement,  à  MM.  les  Magistrats  et  à  tous  les  gens 
de  lettres  »  qui  termine  la  Censure  de  la  Censure  (p.  87). 

7.  Apologie  du  censeur,  p.  20. 


UNE    ACAUICMIE    DES    SCIENCES    A    HOUUEAI  V    AU    WlT    SIECLE  167 

('•pisode  connu.  On  y  sent  ncttcniouL  la  délianct'  (jin;  l'inslituLiou 
nouvelle  dut  inspirer  à  rUniversih*,  toujours  jalouse  de  ses  privi- 
lèges. On  y  voit  en  jirésence  et  aux  prises  la  .science  du  Moyen-Age 
et  la  science  moderne,  Aristotr  «1  hrscartes,  la  routine  et  !<'  jiro- 
grès.  Et  cette  ]M»l(''iiii([iit\  donl  !•■  hm  s'abaisse  trop  souvi-ul  ;'i  la 
vulgarité  d'une  cjucrcllt'  de  houl  iipir.  im-rllf  de  pr^nrlrc  jdacf  dans 
l'histoire  de  la  grande  bataille  iiilellerluelie  engagée,  dès  ce 
moment,  entre  les  Anciens  et  les  Modernes,  entre  le  passé  et  l'aveuir. 
Comme  l'Académie  de  Salonion  de  Virelade,  l'Académie  bordelaise 
du  .wiii'^  siècle  s'efforcera  d'être  une  ouvrière  du  progrès  scienti- 
fique :  c'est  le  lien  (jui  les  unit  l'une  à  l'autre. 

Le  président  Saloniou  mourul  le  2  mars  I67U,  au  moment  où 
paraissait  la  Censure  de  la  Censure.  Sa  mort,  coïncidant  avec  le 
grand  tapage  provoqué  par  le  «  Discours  du  singe  »,  dut  jeter  le 
désarroi  parmi  les  membres  de  son  Académie.  Elle  ne  lui  survécut 
pas  sans  doute.  En  eût-elle  eu  la  force,  elle  était  destinée  à  sombrer 
dans  le  grand  orage  (jui.  eiiuj  ans  plus  tard,  désola  Bordeaux. 
L'émotion  populaire  de  1675  et  l'exil  du  Parlement,  qui  en  fut  la 
conséquence,  auraient  suffi  à  disperser  ses  membres.  La  tentative 
du  président  Salonion  n'était  pas  viable,  parce  qu'elle  était  pré- 
maturée. Il  y  faut  voir  seulement  un  noble  effort,  semblable  à  ceux 
(|ue  fiiciil  aussi  vainement,  à  la  même  /qxxpie.  ('ollieih  el  l'infrudaid 
Pellot,  pour  tirer  Bordeaux  de  sa  tor])eur  sous  le  grand  règne. 

l'ALi,  r.UUHTLALLf. 


MU.MESOUIEU  ET  LE  BUACONNAGE  A  LA  liUÈDE 


Montesquieu,  président  à  mortier  au  Parlement  de  Bordeaux 
dès  1716,  céda  sa  charge  quelques  années  après,  bien  que  très  jeune 
encore,  sous  le  prétexte  qu'il  voulait  consacrer  son  temps  à  un 
ouvrage  sur  la  législation  ^. 

Il  n'abandonna  pas  cependant  absolument  le  palais,  car  chez  lui 
le  magistrat  se  transforma  bientôt  en  plaideur-. 

Quand  il  n'était  pas  à  Paris  ou  en  voyage,  il  aimait  à  résider  dans 
sa  baronnie  de  La  Brède,  à  quelques  kilomètres  de  Bordeaux. 

Très  épris  de  son  pays  natal,  il  arrange  alors  au  goût  anglais  le 
parc  qui  entoure  son  château  gothique,  écrit  ou  lit  dans  sa  biblio- 
thèque. De  plus,  il  ne  néglige  point  du  tout  son  rôle  de  grand  pro- 
priétaire foncier,  s'occupe  de  ses  récoltes,  de  la  vente  de  son  vin 
et  veille  avec  une  attention  scrupuleuse  à  l'observation  de  ses  droits 
seigneuriaux. 

Cette  dernière  affirmation,  courante  cependant^,  a  trouvé  des 
contradicteurs  et  mérite  donc  d'être  examinée,  puisque,  entre 
autres,  un  de  ses  historiographes  modernes,  M  Louis  Vian,  traite 
d'accusations  vagues  et  de  gasconnades,  les  allégations  de  ceux  qui 
ont  peint  Montesquieu  comme  un  seigneur  fort  jaloux  de  ses  droits  "*. 
A  l'appui  de  cette  critique,  M.  Vian  raconte  la  paternelle  façon 
dont  Montesquieu  se  serait  conduit  dans  une  affaire  touchant  à  un 
des  principaux  privilèges  seigneuriaux  :  le  droit  de  chasse. 

L'anecdote  que  voici  proviendrait,  paraît-il,  d'un  manuscrit  de 
Bernadau,  Bordelais  qui  aurait  presque  connu  Montesquieu  :  «  Le 
président  de  Péchard  (sic),  son  voisin  de  campagne,  allait  à  La  Brède. 
Il  trouva  une  pauvre  femme  qui,  ne  le  connaissant  pas,  lui  proposa 
d'acheter  une  paire  de  perdrix.  Il  la  fit  mettre  derrière  sa  voiture 
et  la  força  à  le  suivre  jusqu'au  château.  Il  la  présente  à  Montes- 
quieu :  «  Vous  voyez,  lui  dit-il,  à  quoi  aboutit  votre  indulgence, 
»  les  braconniers  dévastent  votre  terre.  »  Point  du  tout,  répondit 
Montesquieu.  «  Je  suis  moins  rigoureux  que  vous  pour  la  chasse  et 
»  j'ai  plus  de  gibier,  w  Alors,  se  tournant  vers  la  pauvre  femme,  il 

1.  Louis  Vian,  Histoire  de  Montesquieu.  Paris,  Didier,  1878,  p.  90. 

2.  Id.,  pp.  163-171,  passim. 

3.  Œuvres  de  Montesquieu,  nouvelle  édition.  Paris,  Bastien,  1788,  t.  I,  Préface,  p.  xiii. 

4.  Vian,  op.  cit.,  p.  141. 


MONTESQUIEU    ET    LE    llRACON>AGE    A     I   \     lilU  lii:  lÔQ 

lui  (lit  :  «  Voilà  six  francs  pour  vos  perdrix.  Allez  boire  à  la  cui- 
»  sine  ^  »  Ce  récit  nous  montre,  à  vrai  dire,  un  Mniitt'S(|iiicii  très 
bon,  très  paternel,  bien  semblable  à  celui  (jui,  à  Marseille,  aurait 
racheté  le  pérc  d'un  jeune  batelii-r,  pris  par  un  corsaire  et  esclave 
en  Afrique,  mais  ce  Montesquieu-là  est  surtout  le  Montesquieu  de 
la  légende  -. 

En  fait,  la  réalité  me  paraît  un  peu  autre. 

M.  \'ian  a  pris  pour  exemple  la  chasse,  restons  sur  ce  même 
te ira in. 

Nulle  part  dans  ses  divers  ouvrages,  Montesquieu,  bien  que  très 
libéral,  ne  s'élève  contre  le  droit  seigneurial  de  la  chasse,  ce  droit 
si  sévèrement  protégé  chez  ses  amis  les  Anglais. 

Prêt  à  défendre  ses  intérêts,  il  ne  fut  certainement  pas  toujours 
aussi  indulgent  aux  braconniers  que  M.  Vian  voudrait  le  faire  croire. 

Les  preuves  que  j'en  peux  fournir  ne  me  paraissent  pas  discu- 
tables. 

Les  seigneurs  avaient  encore  au  xviii*^  siècle,  sur  leurs  terres,  le 
privilège  féodal  de  chasse  dans  toute  son  étendue  et  certains  arti- 
cles de  l'ordonnance  des  Eaux  et  Forêts  de  1669  donnaient  le  droit 
«  aux  particuliers  de  faire  poursuivre  les  délinquans  chassant  ou 
péchant  dans  leurs  bois,  garennes,  étangs  et  rivières  par  devant 
les  officiers  des  Eaux  et  Forêts  pour  les  faire  punir  des  peines 
portées  par  cette  ordonnance.  » 

Il  est  vrai  de  dire  qu'au  cours  des  siècles,  ces  peines  s'étaient 
singulièrement  adoucies. 

Montesquieu  qui,  en  1740,  passa  plusieurs  mois  en  Guyenne', 
voulut  profiter  de  son  séjour  à  La  Brède  pour  essayer  de  réprimer 
le  braconnage  qui  se  pratiquait  sur  sa  baronnie. 

S'autorisant  des  articles  de  l'ordonnance  de  166'J,  il  adresse  alors 
en  juillet  1740,  au  maître  particulier  des  Eaux  et  Forêts  de  Guienne, 
une  plainte  dans  laquelle  il  expose  qu'au  mépris  des  lois  un  certain 
Crozillac-Salebcrt  fils,  «  personne  sans  profession,  métier  ny  travail, 
fa  il  toute  son  occupation  à  chasser  journellement  »  sur  les  terres 
dépendant  de  La  Brède  et  ailleurs. 

Çonime  il  importe  de  «  faire  cesser  un  pareil  abus  »,  MuuLcMiuieu 
demande  ({u'une  enquête  soit  faite  et  signe  celte  plainte  de  sa  large 
écriture  :  Secondât  de  Montesquieu  '.  Ouelle  suite  allait  être  donnée 
à  cette  affaire? 

Antoine  Martin,  le  maître  particulier,  commence  par  écrire  au 

1.  Vian,  o/j.  cit.,  pp.  141-142. 

2.  H.  Céleste,  Montesquieu.  Légende,  histoire  [.\.rch.  hial.  de  la  Oiruitilr.  t.  \1  11, 
pp.  491-197. 

3.  Lpltre  à  l'abbé  Niccolini  [Œuvres  de  Monlcsquicu,  t.  \,  17HS,  p.  277,. 

4.  Arth,  dé[i.  de  la  Gironde.  Eaux  et  Forêts,  8  B  561.  UoBsier  concernant  Monlesiiuieu. 


l6o  MONTESQUIEU    ET    LE    BRACOiSNAGE    A    LA    BRÈDE 

bas  de  cette  supplique  :  «  Ayt  le  sieur  suppliant  acte  du  bail  de  sa 
lequette  en  plainte  »  et  permission  est  accordée  de  commencer 
l'enquête. 

On  peut  suivre  presque  jour  par  jour  cette  affaire,  grâce  à  un 
petit  dossier  conservé  aux  archives  départementales  de  la  Gironde,- 
dans  le  fonds  des  Eaux  et  Forêts. 

Au  xviii<î  siècle,  plus  encore  que  de  nos  jours,  les  procès  se  pour- 
suivent lentement.  Près  d'un  an  allait  se  passer  avant  que  Montes- 
quieu obtînt  gain  de  cause.  Les  rouages  de  la  procédure  de  cette 
organisation  à  la  fois  judiciaire  et  administrative  qu'était  une 
maîtrise  des  Eaux  et  Forêts,  apparaissent  alors  assez  clairement 
dans  ce  dossier. 

C'était  le  24  juillet  1740  que  le  maître  particulier  avait  décide 
de  pourvoir  à  l'information. 

Le  25  juillet,  Soucaret,  sergent  royal,  assigne,  par  exploit,  des 
témoins  qui  comparaissent  le  27  devant  «  Antoine  Martin,  conseiller 
du  Roy,  maître  particulier  des  Eaux  et  Forêts  de  Guienne  ». 

Avant  de  faire  leur  déposition,  les  témoins  lèvent  la  main  droite 
et  jurent  à  Dieu  de  dire  vérité. 

Le  premier,  André  Boyreau,  est  un  masson  de  quarante- quatre 
ans,  habitant  la  paroisse  de  La  Brède.  Lui  et  son  fils,  âgé  de  dix- 
huit  ans,  racontent  comment,  après  les  dernières  vendanges  — 
celles  de  1739  -^  occupés  tous  deux  à  extraire  de  la  pierre  dans  une 
carrière  de  Saint-Morillon,  dans  la  juslice  de  M.  de  Montesquieu,  ils 
entendirent  tireur  un  coup  de  fusil  non  loin  d'eux.  Une  perdrix  rouge 
tomba  morte  au  bord  de  la  carrière,  et  Crozillac-Salebert  arriva 
avec  un  fusil  à  la  main  et  accompagné  d'un  chien  qu'il  fit  «  quetter 
autour  des  buissons  et  quy  trouva  la...  perdrix  «  que  son  maître 
emporta. 

Successivement,  les  témoins  font  des  dépositions  accablantes 
pour  l'accusé.  L'un  l'avait  vu  tirer  sur  un  lapin;  un  autre,  après 
avoir  entendu  un  coup  de  fusil  et  vu  de  la  fumée,  avait  aperçu 
Crozillac-Salebert  avec  un  chien  qui  tenait  dans  sa  gueule  un  lièvre 
qui  n'était  pas  encore  mort;  d'autres,  enfin,  l'avaient  vu  plusieurs 
fois,  dans  diverses  circonstances,  chasser  sur  les  terres  de  la  baronnie 
de  La  Brède. 

Cette  instruction  est  communiquée  au  procureur  du  Roi,  qui, 
le  3  août,  requiert  pour  le  Roi  que  le  sieur  Crozillac-Salebert  soit 
décrété  d'ajournement  personnel. 

En  conséquence,  le  13  août,  la  comparution  de  l'inculpé  a  lieu. 
C'est  V audition  rendue  par  devant  Antoine  Martin.  A  l' encontre  de 
ce  qui  se  fait  aujourd'hui,  l'inculpé  commence  par  prêter  serment. 
C'était  là,  semble-t-il,  un  procédé  peu  naturel,  car  l'inculpé  se  trou- 
vait nécessairement  pris  entre  son  serment  et  son  intérêt.  Plus 


MOMESQLlEU    Et    t.K    HUACONN  A(.i;    A    LA    BUKDE  l6l 

humaine,  la  procédure  actuelle  a  supprimé  cette  tentation  <lu  faux 
serment. 

Interrogé  s'il  n'a  pas  chassé  sur  les  t<;rrcs  de  la  juridiction  (h,-  La 
Brède  à  diverses  reprises  et  en  particulier  dans  les  circonstances 
mentionnées  par  les  témoins,  Crozillac  donne  des  réponses  néga- 
tives et  dénie  le  conlinu  de  l'interrogatoire  des  témoins. 

Interpellé  de  dire  la  vérité,  il  répond  l'avoir  dite  et  déclare  per- 
sister dans  ses  premières  réponses. 

Montesquieu  adresse  une  requête  tendant  au  règlement  extraor- 
dinaire de  l'afTaire,  et  comme  de  nouveaux  délits  de  chasse  sont 
commis  par  Crozillac-Salebert  et  certains  autres  individus,  il  envoie 
de  nouvelles  plaintes  au  maître  particulier. 

Dans  sa  supplique  de  novembre  il  insiste  sur  ce  que  Crozillac- 
Salebert  et  trois  de  ses  amis  aiïectent  «  de  chasser  journellement 
dans  l'étendue  de  la...  baronie  de  La  Brède...  à  toute  sorte  de  gibier, 
avec  chiens  courans  et  couchans  »,  bien  ([ue  jiar  divers  règlements 
«  il  soit  expressément  deffendu  à  toutes  sortes  de  personne,  de  quel- 
que état  et  condition  qu'elles  soint  non  possédant  fief,  seigneurie 
et  haute  justice  de  chasser  en  quelque  lieu,  sorte  et  manière  et  sur 
(|uel  gibier  à  poil  et  à  plume  que  ce  soit,  à  peine  de  100  livres 
d'amende  pour  la  première  fois,  du  double  pour  la  seconde,  et  pour 
la  troisième  d'être  attaché  trois  heures  au  carcan  du  lieu  de  leur 
résidence  à  jour  et  heure  de  marché  et  banis  pour  trois  années  du 
ressort  de  la  maîtrise».  Un  châtiment  lui  ])araissait  mérité  par 
ces  incorrigibles  contrevenants,  et  il  espérait  bien  le  leur  faire 
infliger. 

L'enquête  est  ordonnée  par  le  maître  particulier.  (.lc\ant  lequel, 
le  10  décembre,  dépose  un  nouveau  témoin,  convoqué  à  la  suite  des 
derniers  délits  commis  dans  les  vignes,  alors  ({u'elles  n'étaient  pas 
encore  vendangées.  Un  «  apointement  de  règlement  extraordinaire  » 
est  rendu  entre  les  parties  le  1'.)  di-cembre  1710  «'u  conséquence 
duquel,  Cl  janvier  1711,  le  16  et  le  17,  il  est  procédi'-:  au  rccnlemenl 
des  témoins,  c'est-à-dire  (|ue  cha(|ue  témoin  entend  la  leehire  de 
s;\  première  déposition  j)our  la  eoulirmer  ou  la  nuxlilier. 

Les  diverses  dépositions  sont  maintenues,  et  la  confrontation  a 
lieu  immédiatement  après  entre  Crozillac  et  les  divers  témoins. 

Crozillac-Salebert  objecte  contre  les  témoins  certains  motifs 
d'incapacité:  l'un  hii  est  suspect  cnnime  an<'ien  d/'hileur  de  sou 
père,  l'autre  comme  étant  depuis  longtemps  déjà  son  eniiemu  juré, 
un  troisième  ne  lui  pa'aît  pas  pouvoir  être  reçu  à  itorter  témoignage 
à  cause  de  sa  nuuivaise  réputation. 

Bref,  Crozillac-Salebert  trouve  à  alléguer  conlre  tous  les  témoins 
quelc[uc  l)onne  raison  j)Our  amoindiir  la  valeur  de  leurs  déjiositions, 
mais  Montesquieu,  décidé  à  obtenir  justice,  maintient  sa  plainte. 

ta 


lOa         MONTESQUIEU  ET  LE  BRACONNAGE  A  L\  BREDE 

Un  appointement  ordonne  que  pour  être  fait  droit  aux  parties, 
les  pièces  de  procédure  seront  présentées. 

Plusieurs  mois  se  passent  encore  sans  que  l'affaire  se  termine. 

Enfin,  le  20  avril,  le  procureur  du  Roi  donne  son  réquisitoire. 
Il  demande  notamment  cjue  Grozillac-Salebert  soit  condamné  à 
«  cent  livres  d'amende  envers  le  Roy  »  et  à  «  pareille  somme  de 
cent  livres  envers  le...  sieur  de  Montesquieu  pour  lui  tenir  lieu  de 
domages  et  intérêts  pour  le  dépeuplement  du  gibier  fait  dans  sa 
terre  et  baronnie  de  La  Brède  », 

Deux  jours  après,  le  22,  sentence  est  rendue  par  la  cour  de  la 
maîtrise  des  Eaux  et  Forêts.  Elle  fait  droit,  en  partie,  aux  réquisi- 
tions du  procureur  du  Roi.  En  effet,  Grozillac-Salebert  est  condamné 
à  payer  100  livres  d'amende  à  Montesquieu.  Défense  lui  est  faite 
de  récidiver  sous  la  menace  de  peines  plus  sévères,  et  Montesquieu  P 

a  la  permission  de  faire  afficher  la  sentence  à  la  porte  de  l'église  et 
à  la  porte  du  parquet  de  La  Brède.  De  plus,  Grozillac-Salebert,  mis 
hors  de  cour  et  de  procès,  est  condamné  aux  dépens  envers  Mon- 
tesquieu. 

Sollicitée  avec  insistance,  cette  sentence  dut  faire  plaisir  à  Mon- 
tesquieu qui  plusieurs  fois  encore  eut  besoin,  semble-t-il,  de  recourir 
au  tribunal  des  Eaux  et  Forêts  pour  faire  respecter  ses  droits  trop 
souvent  méconnus  à  ses  yeux,  non  pas  seulement  peut-être  par  les 
paysans  de  ses  terres,  mais  surtout  })ar  ceux  qu'on  appellerait 
aujourd'hui  ses  voisins  de  campagne. 

G'est  ainsi  que  quelques  années  après  l'affaire  Grozillac-Salebert. 
en  1747.  nous  constatons  encore  le  mécontentement  de  Montes- 
quieu contre  un  certain  M.  de  Lanticj,  ancien  officier  d'infanterie, 
qui  se  donnait  «  la  lissence  de  chasser  journellement  et  publique- 
ment dans  la  paroisse  de  Martillaq,  dépendante  de  la  baronnie  de 
La  Brède  »  \ 

Ge  M.  de  Lantiq  aurait,  rapporte  Montesquieu  dans  sa  plainte, 
notamment  les  18  et  20  août,  chassé  avec  deux  chiens  couchants  et 
un  fusil,  vers  les  six  à  sept  heures  du  matin,  des  perdrix,  dont  il  tua 
et  emporta  quelques-unes;  il  aurait  même  déjà  chassé  les  perdrix 
le  27  juillet  «  pendant  que  le  blé  estoit  encore  seur  pied  »,  etc. 

M.  de  Lantiq,  qui  se  qualifie  d'écuyer,  chevalier  de  l'ordre  mili- 
taire de  Saint-Louis,  pensionnaire  du  Roi,  cherche  à  se  défendre 
contre  la  plainte  de  Montesquieu  :  il  reconnaît  avoir  des  fusils,  mais 
c'est  pour  la  garde  de  sa  maison  et  de  sa  personne;  il  a  bien  aussi  un 
chien,  mais  c'est  un  mâtin  qu'il  garde  ordinairement  attaché  chez 
lui  et  qu'il  prend  quelquefois  seulement  pour  aller  prendre  la 
récréation  de  la  chasse  dans  la  terre  de  MM.   du  chapitre  Saint- 

1.  Arch.  dép.  de  la  Gironde.  Eaux  et  Forêts,  8  B  561. 


MO^tESQDiEU    ET    l-K    BKACO.'XMAGE    A    LA    BRKI>E  l63 

André;  s'il  a  tiré  des  coups  de  fusil  sur  des  cailles,  eu  juillet  dernier, 
sans  en  tuer  aucune  d'ailleurs,  c'est  sur  l'indii^ation  de  paysans  (jui 
lui  avaient  montré  l'cntlroit  où  elles  s'étaient  remisées.  Les  délits 
de  ci»asse  qu'on  lui  reproche  ne  sont  pas  graves,  et  il  cherche  à  les 
expliquer.  C'est  ainsi  qu'il  convient  avoir  «  tiré  un  coup  de  fusil  à 
une  pic  ((ui  était  sur  un  brulle  ».  Cette  pie  resta  même  sur  l'arbre 
jus(|u'à  ce  que  le  lendemain  son  bouvier  vînt  la  chercher.  La  f  ut-r 
était,  de  plus,  excusable,  puisqu'elle  se  trouvait  sur  une  terre  appar- 
tenant à  l'inculpé. 

Ces  explications  ne  sufiisent  pas  à  disculper  le  chasseur,  et  l'afTaire 
continue  à  se  poursuivre  eu  justice  plusieurs  mois  encore.  Montes- 
ijuieu  veut  avoir  gain  de  cause  et  défend  son  gibier. 

Ces  incidents  que,  suivant  la  méthode  moderne,  je  me  suis  plu 
à  rapporter,  n'ont  certes  pas,  par  eux-mêmes,  une  très  grande  impor- 
tance. Ils  prouvent  cependant  ({ue  Montesquieu,  malgré  ses  idées 
libérales,  n'entendait  pas  abandonner  ses  privilèges  seigneuriaux, 
et  contribuent,  par  conséquent,  à  éclairer  d'une  certaine  manière, 
et  par  un  de  ses  petits  côtés,  si  l'on  veut,  cette  grande  figure. 

Nous  nous  représentons  ordinairement  l'auteur  de  l'Esprit  des 
Lois  ^  moins  soucieux  de  ses  prérogatives  seigneuriales  (jue  de 
la  recherche  des  causes  qui  ont  bouleversé  les  empires  et  la  solution 
des  graves  problèmes  philosophiques  et  sociaux  qui  ont  agité  les 
esprits  à  la  veille  de  la  Révolution. 

Tout  préoccupé  qu'il  fût  d'idées  générales,  nous  constatons  qu'il 
n'oubliait  pas  cependant  ses  qualités  de  «  baron  de  La  Brède  et 
de  Montesquieu  »  -. 

Jean  RARE N NES. 


1.  .)p  ili»  nrdinniremenl,  iiiiii.^  il  ne  faut  pas  oublier  i'e|>eiidanl  iiue  nous  i'onnai<?onâ 
il»>jà  (lepuiri  loii-rleiiips  par  de  nombreux  ouvrage»  les  diverses  manières  dont  Mon- 
Ifsipiicn,  diiué  d'un  esprit  particulièrement  rurieux,  a  exercé  son  artivité.  Cf.  par  exem- 
ple H.  r.arikliausen,  Mdnli'sqtiitu;  .ses  idcrs  el  ses  Œuvres.  Paris,  1907. 

2.  Comme  Montes(iuipu,  son  fils  et  héritier  .lean  -  Baptiste  de  Secondât  dut  sévir 
rontre  les  braconniers.  Cf.  à  ce  sujet,  pour  1771  et  I7Ntj-17Sit,  les  dossiers  conservés 
aux  Archives  départementales  de  la  Gironde,  Eaux  et  Forêts. 


VOYAGE  D'UN  ALLEMAND  A  BORDEAUX 

EN    180I 


Aux  pages  si  attachantes  du  Journal  de  M'"<^  de  La  Roche,  cette 
Allemande  qui  visita  Bordeaux  en  1785,  et  dont  nous  pubhions 
récemment  les  impressions  de  voyage,  nous  venons  ajouter  le  récit 
non  moins  attrayant  du  séjour  que  fit  dans  notre  ville,  au  mois  d'août 
1801,  M.  Lorenz  Meyer,  un  Allemand  lui  aussi. 

Né  à  Hambourg  le  22  janvier  1760,  Friedrich- Jahann-Lorenz 
Meyer,  fils  de  Johann-Lorenz  et  d'Elisabeth  Michels,  marié  le 
22  avril  1785  avec  Amalia  Bôhmer^,  appartenait  à  l'une  des  familles 
les  plus  anciennes  et  les  plus  considérables  de  la  ville.  Il  était  docteur 
en  droit  et  remplissait,  sous  le  très  ancien  titre  de  Domherr,  qu'il 
fut  le  dernier  à  porter,  de  hautes  fonctions  dans  l'église  luthérienne. 

Esprit  large  et  tolérant,  ouvert  à  toutes  les  connaissances  humai- 
nes, doué  d'un  sens  critique  et  d'observation  tout  à  fait  rare,  par- 
lant le  français,  l'anglais  et  l'italien,  c'était  une  sorte  de  savant, 
d'encyclopédie  vivante  comme  on  en  rencontrait  beaucoup  naguère. 
Avec  cela,  spirituel  et  enjoué,  de  caractère  même  badin,  et  ne 
craignant  rien  tant  que  la  solitude.  Aussi,  ses  écrits,  des  relations 
de  voyage  pour  la  plupart,  se  recommandent-ils  par  la  puissance  et 
la  clarté  de  l'analyse,  par  l'élévation  des  idées,  la  profondeur  de 
l'érudition  et  le  pittoresque  des  descriptions. 

Ces  relations  de  voyage  ont  été  écrites  sur  l'Angleterre,  l'Alle- 
magne, l'Italie  et  la  Russie.  Deux  autres  concernent  la  France.  La 
première  est  relative  au  séjour  que  Meyer  fit  à  Paris  en  1796  lorsqu'il 
y  accompagna  son  ami  Sieweking,  député  de  Hambourg  auprès  du 
Directoire  exécutif  de  la  République  française.  Elle  comprend 
deux  volumes  qui  ont  paru  à  Hambourg  en  1797  chez  Bohn,  sous 
le  titre  :  Fragmente  ans  Paris  in  IVten  Jahr  der  Franzosisehen 
Bepublik,  c'est-à-dire  Notes  sur  Paris  en  l'an  /T  de  la  Bépuhlique 
française.  On  y  trouve  les  détails  les  plus  curieux  et  souvent  inédits, 

1.  Geschichle  und  Généalogie  der  Famille  Lorenz  Meyer,  Hamburg,  Meissner,  1861. 


VOYAGE    d'un    AM.EMANO    A    UOnOEAUX    EN    1 8o  I  ifif) 

Ii-s  aiM-rdotes  les  |iliis  inlrrossaiitos  aussi  bii-n  sur  la  Ht'-\nlul  i<.ii  «[iif 
siii"  11'  Paris  de  ('('Ile  t'jKKiiH'.  sur  st'>  inuriiiiMt'iils.  sur  st's  uni'ur>,  -ur 
1.1  jinlil  i(jiir.  les  sririicrs,  les  ai'ts,  \r  thr-âtr»'  l'I  la  iiiu>ii|Ur.  |,a 
sfiiMiiJf  relation  est  celle  du  voyage  t'ait  |iar  Mr\.r  m  l'ranrc  i-n 
1801.  Klle  a  été  conçue  sur  \r  nu'iur  jdau  (|ui'  la  précédente  ci,  cou- 
liriil  aussi  des  renseigneiuents  dn  |dii->  liaul  intérêt  sur  liruxellcs, 
l'aris,  Bordeaux,  Lyon,  Marseille  et  tout  le  sud  de  la  Fraiici-.  Ega- 
lement édité  en  deux  volumes  à  Tubingen  en  1^^0\>,  clii/.  Cotta, 
libraire.  l'duvrage  est  intitulé  :  Briefe  aiia  fier  Ilduplsludl  iind  dfm 
Innern  Fv(inl;veichs,  ou  Lctlre.s  de  la  rapilale  el  de  rinlérieur  dr  la 
France,  car  c'est  en  ell'i't  un  recueil  des  lettres  adressées  jtar  Mi-m  r 
à  ses  «  amis  du  Weser  et  de  l'Elbe  n. 

Ces  deux  voyages  n'étaient  pas  les  premiers  faits  en  Fiame  par 
Lorenz  Meyer.  11  y  était  déjà  venu  une  première  fois  en  17<s;i-1784 
rendre  visite  à  son  frère  Christoph  ^  nouvellement  établi  à  Bordeaux. 

Depuis,  Meyer  n'y  était  pas  retourné,  car,  en  1796,  il  ne  dépassa 
point  Paris.  Et  lorsqu'en  ISOl  il  reviendra  à  Bordeaux,  ce  sera  moins 
sans  doute  pour  satisfaire  son  humeur  voyageuse  c(ue  pour  revuir 
son  frère  après  une  longue  séparation  de  dix-huit  années. 

De  son  premier  voyage,  Lorenz  Meyer,  encore  tro}»  jeune,  n'a 
laissé  aucune  relation.  Regrettons-le  d'autant  plus  que  c'est  à  peine 
si,  dans  ces  lettres  de  1801  dont  nous  avons  traduit  et  extrait  les 
passages  qui  void  suivre,  ses  souvenirs  déjà  lointains  lui  ont  permis 
il'esquisser  entre  le  Bordeaux  de  Louis  XVI  et  celui  «lu  Consulat 
l'intéressant  parallèle  que  nous  eussions  voulu  voir  développer  ]tar 
riioniine  >\ipérieur  el  |r  témoin  impartial  qiu'  lut  Lni'euz  Meyer. 

Arrivé  d'Allemagne  par  Brème,  Munster,  Almeloo.  Xordlioorn 
et  Anvers,  qu'il  ne  lit  que  traverser.  Meyer  passa  le  mois  de  juin  à 
Bruxelles,  et  à  Paris  le  luois  de  juillet  18t)l.  Il  partit  po\ir  Boi-deaux 
vers  le  l*^"^  août  suivant. 

A  cette  épo{|ue,  et  tant  (]u"il  fallut  aller  en  Noiluie,  le  trajet  de 
Paris  à  Bordeaux  durait  environ  cinq  jours  et  ilemi.  C.eux  qui 
n'avaient  pas  de  voiture  taisaient  le  voyage  à  «frais  communs» 
avec  K-  ]>ropriétaire  duu  xCliirule  (jiu-Iconque,  berline,  cabriolet  ou 
chaise  de  poste.  Les  journaux  du  temps  sont  pleins  d'olTres  et   de 

1.  Daiiit'l-f'.lii'islopli  Meyer.  né  ;'i  Iliiniliourtr  le  4  iléreiiilire  17.M,  marie  a  linnle.Tiix, 
\  iM>  17'.H),  :i\A-r  .\tarie-lleuriette  Amlrieu  Je  Saiiit-.Viulré,  iitounit  le  7  avril  IslN. 


l66  VOYAGE  d'un  allemand  A  BORDEAUX  EN  180I 

demandes  de  cette  nature.  Ce  moyen  de  locomotion  était  le  plus 
agréable  et  le  plus  rapide,  parfois  même  le  plus  économique,  mais 
il  était  aussi  le  plus  aléatoire  et  le  moins  pratique  pour  les  voya- 
geurs dont  le  temps  était  compté.  Ces  voyageurs,  comme  du  reste  . 
la  masse  des  gens,  car  le  premier  venu  ne  pouvait  monter  dans  une 
voiture  particulière,  ces  voyageurs  prenaient  la  diligence  qui  par- 
tait de  Paris  à  jour  passé.  Et  c'était  alors,  durant  près  d' une  semaine, 
le  plus  inconfortable  et  le  plus  pénible  des  voyageg,  dans  cette  lourde 
luachine  aux  sièges  peu  ou  point  rembourrés,  et  qui  vous  cahotait 
tout  le  long  du  jour  à  travers  les  nuages  de  poussière  et  les  fondrières 
d'une  route  jamais  entretenue. 

Le  coût  du  voyage  en  diligence,  place,  frais  de  nourriture  et  pour- 
boire compris,  s'élevait  à  182  livres  environ,  soit  à  peu  près  364  francs 
de  notre  monnaie.  Pour  les  bagages,  on  ne  jouissait  que  d'une  fran- 
chise de  quinze  livres.  Au-dessus  de  ce  poids,  il  fallait  payer  qua- 
rante livres  pour  cent  livres,  soit  80  francs  pour  50  kilos  de  baga- 
ges !...  Comme  on  était  loin  de  la  rapidité,  du  confort  et  de  la  modi- 
cité relative  d'un  voyage  actuel  en  train  de  luxe  !  Les  voyageurs 
étaient  nombreux  cependant,  et  ceux-là  mêmes  qui  voyageaient  par 
agrément  ne  songeaient  pas  à  se  plaindre.  Ils  savaient  oublier  leurs 
aises  en  vue  de  parvenir  au  but  d'un  voyage  dont  ils  goûtaient  d'au- 
tant mieux  les  satisfactions  finales  qu'il  leur  en  avait  coûté  davan- 
tage pour  les  atteindre.  Tout  ce  qu'ils  voyaient,  tout  ce  dont  ils 
jouissaient,  leur  semblait  être  un  peu  comme  leur  chose  parce  qu'ils 
l'avaient  gagnq  au  prix  de  quelque  peine,  et  c'était  pour  eux  une 
satisfaction  de  penser  qu'il  n'y  aurait  pour  partager  leur  conquête 
que  des  êtres  épris  du  même  amour  et  capables  des  mêmes  sacrifices. 
Aujourd'hui,  il  n'en  va  plus  ainsi...  La  rapidité  et  la  facilité  des 
voyages  ont  supprimé  l'effort,  démocratisé  ses  résultats,  et  mis  sur 
un  même  pied  d'égalité  l'artiste  et  le  «  snob  >>,  l'homme  curieux  de 
s'instruire  et  l'acheteur  de  cartes  postales  ou  le  «  bouiïeur  de  kilo- 
mètres ».  Le  «  tourisme  »  a  envahi  l'univers,  profané  de  ses  hordes 
bruyantes  et  des  engins  de  sa  réclame  les  plus  intimes  recoins  de  la 
nature  et,  chose  inattendue,  ce  sont  les  moyens  de  locomotion  qui, 
par  leur  confort  et  leur  luxe,  sont  devenus  cette  fois  le  prétexte  et 
le  véritable  attrait  des  voyages.  Est-ce  un  progrès? 

Lorenz  Meyer,  qui  n'avait  jamais  pris  la  diligence,  hésita  long- 
temps avant  d'en  faire  l'expérience.  «  Mais  j'aimais  mieux,  dit-il, 
souffrir  toutes  les  incommodités  plutôt  que  de  voyager  seul,  »  et  il 
alla  arrêter  sa  place  pour  Bordeaux.  11  ne  devait  point  le  regretter, 


VOYAGE  d'un  allemand  A  BOnDEAUX  EÎC  180I  167 

(lu  l'Cste,  car  ]••  hasard  lui  «Idiina  pour  coinpagiinu  dr  route  «  des 
f^ens  gais  et  bavards  »,  doul  il  a  tracé  un  portrait  qui  lu-  va  j»a.< 
ilt'parer  celui  de  la  diligence  elle-même  : 

La  diligence  de  Paris  es!  iiu  véritatde  monslre  dans  l'art  de  la  car- 
rosserie. La  Noilui'c  du  l';irlriiicnl  ,  dans  laquelle  It-  rni  d'Anglel  crri- 
■^(•  pniiuèuf  la  couroniu!  sur  la  tête  et  le  sceptre  en  main,  n'est  cerr 
(aiuement  pas  d'aspect  plus  étrange.  Celte  vcdture  c(dosse,  foule 
carrée,  avec  des  magasins  sur  le  toit  et  sur  l'essieu  de  derrière,  pos- 
sède à  l'intérieur  deux  larges  bancs  contenant  six  bonnes  places 
éclairées  par  aiihnil  de  tVuètres.  Heureux  celui  <pii  occupe  un  des 
quatre  coins  iju'il  a  su  retenir  assez  à  l'avance  au  bureau  de  la  dili- 
irence  !  Car  cette  place,  banale  en  apparence,  va  lui  procurer  le  douldi- 
avantage  de  respirer  lair  Irais  et  de  rei^'arder  librement  par  la  l'enétre, 
puis,  quand  viendra  l'heure  du  sommeil,  de  pouvoir  s'installer  confor- 
laldement,  blotti  dans  le  coin. 

La  voiture  est  suspendue  à  l'aide  de  courroies  et,  en  terrain  plat, 
«die  se  comporte  en  somme  aussi  bien  que  si  elle  était  pourvue  de 
ressorts  d'acier.  Le  train  de  dessous  et  les  roues  sont  en  bois  et  en  fer 
massifs.  On  dirait  un  monument  composé  de  poutres,  de  solives,  de 
garnitures  en  fer,  de  tringles  et  de  chevilles  assemblées  comme  pour 
réicrnité.  Il  est  vrai  qu'il  lui  faut  faire  quarante-huit  fois  par  an  le 
lointain  voyacre  de  Bordeaux.  Au  second  étage  du  véhicule  et  sur 
l'essitm  d«i  derrière,  se  trouvent  Itrs  magasins  dont  j'ai  parlé.  D'après 
les  règlements,  ces  magasins  sont  exclusivement  réservés  aux  malles 
des  voyageurs  (d  aux  petits  l)agages,  mais,  dans  leur  désir  de  gagner 
le  plus  possible,  les  enlrej)reneurs  en  abusent  et  s'en  servent  aussi 
pour  transporter  les  gros  ballots  de  marchandises.  C'est  une  véritable 
montagne,  consolidée  ;'i  l'aide  de  jioutres,  de  chaînes  vi  de  treillages 
en  fer.  Sur  le  loi!  se  Ii-(mi\i'iiI  les  ]»laces  jxipuhiires  des  voyageurs  de 
seconde  et  de  troisième  classe  et  un  cadre  avec  des  corbeilles  pour  les 
menus  objets. 

Tous  les  deux  jours,  une  de  ces  voitures,  car  il  en  existe  plusieurs 
semblables,  (piitltï  les  bureaux  de  la  dilijïence.  I-^lle  va  en  c\nt\  jours 
et  demi  à  Bordeaux,  d'où  elle  ie\  icnl  s(tu\enl  dans  le  même  laps  de 
temps.  Comme  toutes  celles  qui  rayonnent  dans  les  diverses  régions 
de  la  France,  ces  dili'^ences  apparlieuneid  à  une  entreprise  privée  qui 
jiait;  un  impôt  à  l'Ktat  et  sentend  avec  les  maitres  de  poste  des  sta- 
tions pour  C(!  qui  est  des  relais,  lesquels  sont  la  propriété  des  enlre- 

pl'rnrurs. 

Avec  ses  cinq  chevaux  de  rtdais,  la  diligence  parcourt,  de  tr()is 
heuriîs  du  malin  h  neuf  heures  du  soir  el  sur  des  routes  généralement 
plaies,  (biuzc,  mais  le  j)lus  souvent  quinze  postes,  soit  environ  tlix- 
liuil  lieues  .illeinandes.  On  ne  passe  qii'une  nuit  entière  à  voyager. 
Durant  les  autres,  on  peut  se  iml  I  ic  nu  iil  ipn  Iqurs  heures.  Les  jirrêls 
pour  le  déjeuner,  pour  le  diner  et  le  coucher  sont  fixés  à  l'avance.  Il 
en  est  partout  de  la  sorte.  Partout  la  table  est  dressée,  le  lit  fait  et  le 
voyageur  a  le  hdsir  de  se  reiulre  conqde  où  il  est.  sans  pouvoir  toutefois 


l68         VOYAGE  d'un  allemand  A  BORDEAUX  EN  180I 

rester  aussi  longtemps  qu'il  le  désirerait.  Chacun  doit  plier  sous  le  joug 
du  règlement  et  obéir  aux  ordres  du  chef  quand  celui-ci  donne  le  signal 
du  départ.  Ce  chef,  c'est  le  conducteur.  Il  n'a  rien  de  la  lourdeur  d'un 
voiturier  allemand,  car  il  est  Français  et,  pour  cette  seule  raison,  de 
manières  plus  dégagées;  son  contact  permanent  avec  des  gens  du- 
monde  a  fini  de  le  débrouiller.  C'est  généralement  un  homme  poli, 
sachant  causer,  prévenant,  serviable,  à  qui  son  dévouement  aux 
intérêts  des  entrepreneurs  a  valu  les  fonctions  qu'il  exerce.  Sur  lui 
repose  le  crédit  et  la  bonne  réputation  de  la  diligence.  11  a  pour  rési- 
dence le  cabriolet,  sorte  de  place  bien  abritée  qui  se  trouve  à  l'avant 
de  la  voiture,  et  qu'il  lui  arrive  parfois  de  céder  en  cours  de  route  à 
quelque  voyageur  important;  il  se  met  alors  dans  le  cadre  qui  est  sur 
le  toit. 

Ce  maréchal  du  voyage  arrête  lui-même  le  programme  delà  journée, 
fixe  l'heure  du  départ  et  celle  d'arrivée  aux  stations,  règle  les  dépenses, 
répond  des  paquets,  des  voisins  de  table  des  voyageurs,  et  aide  ceux- 
ci  à  monter  en  voiture  et  à  descendre.  Son  pourboire  est,  pour  tout  le 
voyage,  d'un  écu  de  six  livres;  les  postillons  touchent  à  eux  tous  la 
même  gratification.  La  place  se  paie  110  livres,  somme  qui  varie  sui- 
vant le  coût  de  la  nourriture  des  chevaux.  Le  prix  convenu  pour  le 
petit  déjeuner  est  de  15  sous,  de  45  sous  pour  le  déjeuner  et  de  3  livres  ' 
pour  le  dîner  et  la  chambre  ^  On  paie  quarante  livres  pour  cent  livres 
de  bagages;  la  franchise  n'est  que  de  quinze  livres.  Si  on  se  conforme 
au  service  et  qu'on  ne  demande  rien  en  dehors  de  ce  qu'il  prévoit,  le 
voyage  de  Paris  à  Bordeaux  revient  en  tout  à  huit  carolins  et  demi. 
Pour  les  personnes  difficiles,  le  moindre  inconvénient  de  la  diligence, 
c'est  que  tout  soit  si  mal  rembourré,  si  mal  entretenu  et  si  inconfor- 
table; c'est  que  les  conducteurs  et  leurs  supérieurs  soient  si  peu  libres 
de  choisir  les  hôtels  qui,  dans  la  plupart  des  endroits  où  l'on  s'arrête, 
])Ourraient  être  meilleurs  que  ceux  où  l'on  vous  fait  descendre;  c'est 
enfin  la  façon  abusive  dont  on  surcharge  la  voiture,  bien  que  cela  ne 
nuise  en  rien  à  la  rapidité  du  voyage. 

La  composition  intérieure  de  l'Etat  de  la  diligence  est  essentielle- 
ment démocratique.  Quand  ils  se  trouvent  assis  les  uns  en  face  des 
autres,  une  petite  république  libre  a  vite  fait  de  se  fonder  entre  ces 
voyageiys  qui  ne  font  connaissance  que  pour  la  durée  du  voyage  et 
qui,  généralement,  se  voient  pour  la  'première  et  la  dernière  fois  de 
leur  vie.  Ici,  chacun  agit  à  sa  guise  et  selon  ses  goûts,  contribue  pour 
sa  part  au  bien  général  du  petit  État  et  se  soumet  à  ses  lois.  L'inco- 
gnito, l'impénétrabilité  des  individus  les  uns  envers  les  autres  ne 
durent  pas  longtemps.  Le  sans-gêne  rapproche  tout  le  monde  et  on  a 
bientôt  fait  de  se  connaître  chacun  avec  ses  petits  défauts.  Les  péri- 
péties continuelles  du  voyage  entretiennent  la  gaîté  et  c'est  par  les 
rires  et  la  plaisanterie  que  se  resserrent  les  liens  de  la  bonne  connais- 
sance. Parfois,  le  hasard  fait  se  rencontrer  ainsi  de  vieux  amis  qui 
s'étaient  perdus  de  vue  de  bonne  heure  et  qui  se  retrouvent  inopiné- 
ment à  la  portière. 

1.  Soit  environ  1  fr.  50,  4  fr.  50  et  6  francs  de  notre  monnaie. 


VOYAHE    d'un    AI.I.EMAM)    A    BORDEAl  X    F.\     1 8o  I  iCh) 

.II!  fis  MU  (li'iiai'i  1.1  rciiruiil  iT  iiKiiiiv  snit  iini'iihilr,  mais  iT[)i'inl;iiit 
i\r  Imiii  ;niLrii['c  [KHii-  11'  \oyaj;t',  de  dfiix  lioramcs  syiii|i.il  liii|iirs,  dj-ux 
li(iii(>i;ililt'--  Hordchiis,  \  olont.iirriiifiil  (•\il(''s  à  I  hinilMinr^  piMiil.'iiit 
|iliisii'iirs  îiimécs  cl  ([ui  rilouriiaiciil  iiiaiiili'iiaiil  dans  Inir  |ialrii'  rt-dc- 
\  (tmc  paisihlf.  lu  ji-iuif  savant  lui  ncdrc  (inalrièint-  nnnpaLMKtn  :  il 
alliiii  à  Hiirdi-aux  s'cndiiinjuiT  |Miin'  l'Aiin-i'iiiui'  i-l  r'i'ni|dir  ]:i  nii-^inii 
scii'nlin»juc .  dont  l'avail  cliai-iré  Itî  Gouvern»!nu'nl .  I.i-  rin<iuiènn; 
voyairt'ur  élait  un  pi'opri«''laiiH'  des  crivirons  de  Hordcaux  rt  |r  sixif-inc 
un  capilaine  de  cursairç  français.  Fait  prisonnier  par  Ic.^  Ani.dais, 
il  élait  resté  détenu  durant  cinq  mois  dans  les  prisons  de  la  marine 
enneniie:  on  \rii;iil  de  lui  rciidn'  la  lilii'ilé  ^iii'  sa  |iariilr  illionnenr 
(|u'il  ne  se  livrerait  plus  à  la  course.  C'était  un  ori<,'inal,  gascon  de 
naissance  et  de  caractère,  avec  cette  vivacité  d'esprit,  cette  fraie! é 
toujours  railleuse,  cotte  inlassalde  activité,  ce  besoin  constant  de 
raconter  des  histoires  et  cette  forfanterie  méridionale,  mais  avec 
aussi  cette  complaisance  sans  bornes  dont  ses  com|i;ilii(»tes  ont  la 
réputation.  C'était  le  boulTon  clioyé  de  nous  tous;  ses  plaisanteries 
avaient  un  sel  du  plus  haut  comi(iue,  et  la  façon  pittoresque  dont  il 
racontait  ses  croisières  elles-mêmes  eussent  déridé  le  finnl  soucieux 
d'un  Caton. 

Un  septième  voyageur  s'était  fait  le  compagnon  du  conducteur 
dans  le  cabriolet,  ce  qui  lui  jterniit  de  payer  sa  place  un  tiers  moins 
cher.  C'était  un  jeune  soldat  de  réserve  de  l'armée  de  Bonaparte, 
silencieux,  discret,  laconitjue,  mais  bon  et  aimable,  et  qui  avait  com- 
li;dlu  à  Marengo.  Il  portait  sur  l'épaule  un  beau  sabre,  au  celui  urtMi 
orné  de  l'aigle  impérial.  Où  qu'il  fût,  il  veillait  a\  ec  un  soin  j;i!ou\  sur 
cette  arme  qu'il  gardait  toujours  avec  lui,  même  à  table  et  au  lil.  Un 
jour,  comme  jtî  la  regardais  plus  que  dt^  coulume,  il  me  dit  :  «  .Je  tiens 
beaucoup  à  ce  sabre.  C'est  un  capitaine  ennemi  cpii  me  l'a  remis  (piand 
je  l'ai  fait  prisonnier  sur  le  champ  de  balailli'  de  Marengo.  Aj^rès  la 
paix,  j'ai  \idé  ma  bouleillc  avec  lui.  » 

I  Avec  de  tels  compagnons,  la  route  ne  jwmvait  paraître  longue, 
mais  Lorenz  Meyer  avait  été  si  furieusement  cahoté  pendant  tout 
le  trajet,  qu'il  éprouva  quelque  satisfaction  à  se  voir  arrivé  au 
terme  du  voyage.  Du  reste,  il  ne  raccomj)lit  jias  jusqu'au  bout  a\  ec 
la  diligence,  car  son  frère  vint  le  chercher  à  Cubzac  en  cabriolet. 
Cela  lui  permit  de  goûter  tout  à  l'aise  le  charme  des  sites  pittoresques 
(le  l'Entre-deux-Mers  et  l'imposant  spectacle  de  l'arrivée  à  Bordeaux 
par  Lormont  : 

Nous  jouîmes,  dit-il,  des  plus  beaux  |ioinls  de  \  ne.  mais  passâmes 
dans  des  chemins  affreiix  jiar  Chierzac,  Ca\  ignac  et  Cubzac.  La  dure 
consonance  de  ces  noms  inusités  —  ceux  de  prescjue  toutes  les  loca- 
lités de  la  Gascogne  finissent  en  ac  —  senddait  auLmieiiler  encore  les 
cahots  du  chemin.  Les  roules,  si  on  peu!  appeler  cela  *\c^  roules,  sont 


l'JO  VOYAGE  d'un  ALLEMAND  A  BORDEAUX  EN  1 8oi 

entièrement  défoncées  sur  plusieurs  lieues  de  long,  et  il  no  paraît  pas 
du  tout  qu'il  soit  question  de  les  réparer,  même  aux  abords  de  la 
pnuTiière  ville  de  commerce  de  France.  Secoués  sans  pitié,  cahotés  et 
jetés  sans  cesse  les  uns  contre  les  autres,  nous  atteignîmes  enfin  Us 
liords  tant  désirés  de  la  Dordogne,  rivière  qui  coule  là  au  milieu  d'une 
riante  vallée.  .l'y  trouvais  mon  frère,  venu  à  ma  rencontre.  Oh  ! 
quelle  joie  de  se  revoir  ainsi  après  une  longue  séparation...  Ayant 
laissé  là  mes  amis,  ils  l'étaient  bien  devenus  en  effet,  nous  traversâmes 
la  rivière  et  volâmes  en  trois  heures  jusqu'à  la  Garonne,  dans  un  léger 
cabriolet.  Cette  région,  comprise  entre  la  Dordogne  et  la  Garonne 
a  l'air  d'une  Suisse  en  miniature;  c'est  le  pays  appelé Enfre-deux-Mers, 
avec  ses  riantes  vallées,  ses  étages  de  hauteurs  boisées  et  ses  coteaux 
couverts  de  vignes. 

Sur  les  bords  en  demi-lune  du  large  fleuve  aux  flots  impétueux, 
s'étend  la  belle  ville  de  Bordeaux.  Une  rangée  de  maisons  splcndides 
se  dresse  le  long  des  quais  du  Chapeau- Rouge  jusqu'à  ceux  des 
Ghartrons.  Dans  le  port,  spacieux  et  libre,  une  ligne  de  navires  pavoises 
est  à  l'ancre,  semblable  à  une  flotte  armée...  C'est  une  vue  que  pour  la 
grandeur  et  la  majesté  de  l'ensemtile  je  ne  puis  comparer  qu'à  celle 
de  Gênes  et  de  Naples. 

En  arrivant  à  Bordeaux,  Lorenz  Meyer  fut  loin  de  retrouver  la 
ville  prospère  et  riche  qu'il  avait  connue  quelque  dix- huit  ans  plus 
tôt.  La  Révolution  avait  décimé  sa  population,  anéanti  son  commerce 
et  ruiné  sa  fortune.  Un  grand  silence,  tout  fait  de  recueillement  et 
de  tristesse,  planait  maintenant  sur  la  cité  meurtrie.  Seule,  la  foule 
des  navires  mouillés  dans  la  rade  faisait  encore  illusion,  mais  elle 
n'était  au  fond  qu'une  preuve  nouvelle  de  la  décadence  de  la  ville. 
Et  Meyer  va  faire  en  quelques  lignes,  qui  marqueront  bien  sa  décep- 
tion et  ses  regrets,  ce  tableau  peu  réconfortant  du  spectacle  qui 
l'attendait  : 

L'antique  splendeur  de  Bordeaux  n'est  plus...  La  dévastation  et 
la  perte  des  colonies  ont  anéanti  le  commerce  et  ruiné  du  même  coup 
la  richesse  de  la  principale  ville  de  France.  On  s'en  aperçoit  partout. 
La  Bourse  regorge  bien  de  négociants,  mais  la  plupart  n'y  vont  que 
par  habitude.  Les  affaires  sont  rares.  Le  commerce  intérieur  des  vins 
est  le  seul  qui  n'ait  pas  disparu  et  le  seul  qu'on  puisse  encore  faire 
en  même  temps  que  celui  de  quelques  produits  de  valeur  moindre  et 
dont  on  ne  tire  qu'un  maigre  profit.  Qui  se  fût  seulement  dérangé 
autrefois  pour  toucher  des  commissions  sur  des  ventes  de  prunes? 
Aujourd'hui,  les  plus  notables  négociants  ne  dédaignent  plus  de  s'occu- 
per de  semblables  affaires,  et  les  capitaines  de  navires,  qui  ne  pre- 
naient guère  de  caisses  de  prunes  qu'en  guise  de  lest,  les  recherchent 
maintenant  comme  cargaison. 

Nombre  d'importantes  maisons  de  commerce  ont  été  ruinées  par 


VOYAGE    d'uX    AM,EMAM)    A    HOROEAtX    EN     1 8o  I  I7I 

la  pcrlt'  seule  dos  colonit'"^.  1  )";iiil  n-^,  ijui  Ir  cniiriiir.'  se  snnl  :iiit'':iriiii's 
♦'Ih's-mêint's  en  acronliuil  iiiit'  coiifiaiicr  ii\rii</lc  :iii  |i.i|piir-iiioMii:ni' 
tlo  la  Hévolulion.  IClles  mit.  mis  les  assignais  en  |MM'lrlcuillc  a\cf: 
l'espoir  (|u'ils  pn-ndraienL  de  la  valeur  el  elles  oui  perdu  de  la  sorte 
toute  li'ur  tortuui'.  Seuls,  cimx  qui  out  pré\  u  assi-z  tôt  la  baisse  drs 
as*iijjuats  t-t  ijui  eu  oui  eui|»loyé  le  iuouIjuiI  dans  Tachai  ilr  terrain^ 
ou  de  maisons  ont  conservé  eu  |(,iilir  leur  situai  iou.  Li-s  Juils  cux- 
mèmes,  spéculateurs  avisés,  se  sont  départis  cette  l'ois  de  leur  pru- 
dence accoutumée.  Il  n'y  a  que  deux  négociants  israélites  (|ui  aient 
éciiappé  à  la  catastrophe.  Tous  les  autres  ont  sombré  dans  la  tourmente 
générale. 

La  rivière,  ainsi  qu'on  aiqx'llc  la  itartie  de  la  Garonnr  qui  C(mle 
di^vaiit  Bordeaux,  malgré  le  marasiuf  des  affaires,  est  enrondirée  tli- 
navires.  L'aspcîct  de  la  rade  fait  un  instant  illusion  sur  la  véritable 
situation  de  la  ville.  Car  ces  navires,  qui  viennent  des  ports  d'Amé- 
rique et  du  m»rd  de  l'Europe,  importent  maintenaul  daii'-  ir  pays 
h's  denrées  coloniales  qu'ils  en  exportaient  autrefois,  et  en  échange 
desquels  ils  rcOcN'aicrit  (|uelqui"  peu  de  \ins  et  des  ]ir«iduits  sans  trraiule 
valeur. 

La  disparition  des  corsaires  a  fait  également  éprouver  une  grosso 
perte  à  Bordeaux.  Depuis  le  début  de  la  guerre  maritime 1 10  navires 
y  ont  été  armés  en  course.  Tous  sans  exception  sont  tombés  aux 
mains  des  Anglais,  et  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  les  prise.s  antérieu- 
rement faites  compensent  la  i»erle  des  na\iri's.  Tout  cela  fait  ([ue 
la  richesse,  et  le  luxe  qui  en  est  le  signe,  ont  complètement  disparu. 
L'animation  des  quais  est  médiocre,  on  vit  retiré,  et  la  ville  ne  compte 
plus  que  deux  équipages,  celui  du  ju-éfet  et  celui  du  commissaire 
L'éiu'ral  de  la  police... 

Que  de  changements,  quelle  déchéance,  et  coinine  on  s'explique 
le  désenchantement  des  yeux  et  du  cœur  de  celui  qui  avait  contemph' 
avec  ravissement  le  Bordeaux  animé  et  somptueux  de  Louis  X\  1 
et  des  Intendants!  L'impression  fut  d'autant  plus  vive  que  Meyer 
apercevait  à  chaque  pas  les  traces  encore  fraîches  du  dranu'  qui 
venait  d'ensanglanter  hi  ville.  Partout  il  eu  rencontrait  les  ténu)ins 
attristés,  et  il  le  sentit  encore  si  près  (b-  hii  (|u'il  ]»ut  -iinairiinT  en 
avoir  été,  lui  aussi,  le  spectateur. 

Tue  des  ]u-emières  choses  (pii  frappèrent  ses  regards,  ce  fuieul 
les  Arbres  tle  la  Lihevlé.  «  On  en  avait  piaulé  sur  toutes  les  places 
et  sur  îous  les  quais,  écrit-il,  mais  ils  sont  tous  uinrls,  sans  excep- 
liou.  L'aspect  de  ces  troncs  desséehés  icud  fiudic  plus  ]>i'-nibli'  li' 
s(»uvenir  ([u'iis  rappelleid.  » 

Ces  arbres  étaient  sans  doute  (re>srii(c  hè>  dilliciie  à  lulliver. 
car  ceux  dont  parle  Meyer  n'étaient  point,  tant  s'en  fallait,  les 
arbres  plantés  vers  179'2.   En  17%,  tous  avaient  déjà   péri.  Même 


172  VOYAGE  d'un  ALLExMAND  A  BORDEAUX  EN  1801 

celui  (le  la  place  Dauphine  n'avait  pu  croître  dans  cette  terre 
cependant  arrosée  de  sang,  et  Bernadau  raconte  qu'il  fut  arraché 
vers  le  mois  d'août  ou  de  septembre  1796.  Mais,  comme  il  avait  été 
l'ornement  indispensable  de  la  place,  on  en  planta  un  autre  le 
2  décembre  suivant.  «  Le  bureau  central,  dit  Bernadau  à  ce  sujet, 
a  pensé  qu'il  n'est  pas  décent  de  laisser  une  belle  place  sans  brandon 
mort  et  que  la  tranquillité  publique  tenait  à  ce  palladium.  En 
conséquence,  il  en  fit  planter  hier  en  grande  cérémonie  couronné 
d'un  beau  bonnet  blanc.  On  avait  imaginé  que  cette  couleur  de 
l'innocence  convenait  au  lieu  où  elle  a  tant  été  immolée.  Mais  les 
sans-culottes  du  quartier,  qui  aiment  la  teinte  rouge,  l'ont  fait  ôter, 
et  on  s'est  arrangé  en  le  barbouillant  en  tricolore^.  »  Ce  nouvel  arbre, 
qui  n'était  pas  plus  vigoureux  que  le  précédent,  mourut  à  son  tour, 
et  on  en  replanta  un  troisième,  le  3  février  1798,  lorsqu'en  exécution 
d'une  loi  tous  les  arbres  de  la  Liberté  furent  renouvelés  2.  Nous 
savons  ce  qu'il  advint  encore  de  ces  arbres  :  ce  sont  ceux  qu'en  1801 
Meyer  trouva  réduits  à  l'état  de  «  troncs  desséchés  ».  Depuis,  on  a 
sagement  renoncé  à  les  remplacer. 

Meyer  eut  encore  l'attention  attirée  par  l'extravagance  des  noms 
donnés  à  certaines  rues,  et  il  ne  comprit  pas  qu'il  se  fût  trouvé  des 
hommes  assez  déments  pour  manifester  leur  haine  d'une  façon  telle- 
ment puérile  et  ridicule  : 

C'est  surtout  dans  le  faubourg  Saint-Seurin,  dit-il,  que  revit  le 
souvenir  de  la  Terreur.  On  y  voit,  gravés  à  tous  les  coins  de  rue.  des 
noms  dictés  par  la  jtlus  haineuse  des  sans-culotteries.  La  singularité 
de  ces  inscriptions  m'oblige  à  en  citer  quelques-unes,  que  j'ai  pu  lire 
moi-même,  et  auxquelles  on  a  peine  à  croire,  par  exemple  :  Bue 
Ça-Ira,  Bue  Ça- Va,  Bue  Ça-Tiendra,  Bue  de  V Arbre-Chéri,  Bue  de 
la  Bégénération,  Bue  Haine-aux-Tijrans,  Bue  Plus-de-Bois,  Bue  Vivre- 
Libre-ou-Mourir,  Bue  J'adore-T Egalité  5,  etc.  Cette  façon  de  procla- 
mer la  liberté  et  l'égalité  aux  coins  des  rues  prouvée  que  les  habitants 
de  ce  quartier  ont  la  même  mentalité  que  ceux  du  faubourg  Saint- 
Antoine  à  Paris.  Ce  sont  des  ouvriers  pour  la  plupart.  On  dit  qu'ils 
tiennent  encore  tant  à  leurs  noms  de  rues,  que  la  police  n'ose  pas 
faire  effacer  toutes  ces  inscriptions  monstrueuses. 

Elles  n'ont  jamais  été  enlevées,  du  reste,  et  celles  qui  n'ont  pas 
disparu  avec  la  maison  qui  les  portait  ou  que  ne  cachent  point  les 

1.  Bibl.  de  Bordeaux.  Bernadau,  Tablettes,  t.  VII,  p.  333, 

2.  Ibid. 

3.  Actuellement  rues  :  Ségalier,  de  Cursol,  de  la  Chapelle-Saint-Martin,  de  l'Hôtel-de- 
Ville,  Saint-Sernin  (en  partie),  du  Château-d"Eau,  d'Ares,  allées  Damour,  rue  Montbazon. 


^OYAr;l:  Wvy  ai.i.i.mwm  a  iutiii»i:AU\  en   iSoi  178 

boiseries  d'une  devauturr  mi  ([inlqui'  iii;i(juill;igt',  »M;lles-I;'i  immimmiI 
se  lire  encore,  témoin  celle  df  l.i  Une  tic  rArbre-f^liéri,  f^ravée  sur  1<' 
mur  de  la  mairie,  au  cuin  de  la  un  de  rilûf<'l-dr-\il|.-  d  di-  la  im- 
Montbazon. 

Avant  de  quilLcr  llandxiurg,  Lorcii/.  Meyer  avait  lait  à  m.'s  amis 
le  serment  de  ne  jamais  leur  parler,  dans  ses  lettres,  des  souvenirs 
sanglants  de  la  Révolution.  «  A  Paris,  je  pus  tenir  ma  promesse, 
dit-il,  parce  que  les  affreux  témoins  du  passé  ne  sont  jtlus.  »  Du 
moins  eut-il  la  chance  de  n'en  point  rencontrer.  A  Bordeau.x,  ils 
se  dressaient  encore  partout,  et  «  bien  que  leurs  blessures  fussent 
cicatrisées  pour  la  plujjart  »,  il  voulut  éviter  d"fu  jtarli-r  aux  Bor- 
delais, par  crainte  qu'en  les  interrogeant  sur  leurs  mallieurs  passés 
il  ne  rouvrît  leurs  plaies  et  s'entendît  lui  aussi  faire  ce  rej)roche  : 
Nefandnm  jubés  renovare  doloreni...  Mais,  d'elles-mêmes,  les  vic- 
times racontèrent  leur  supplice  et,  à  son  tour,  Meyer  ne  put  s'em- 
pêcher de  faire  entendre  un  cri  d'admiration  et  de  pitié  pour  elles, 
de  réprobation  indignée  contre  leurs  bourreaux  : 

J'ai  pu  voir,  de  cette  triste  époque,  maints  souvenirs  encore  vi\;iiil>, 
maintes  sépultures  que  l'herbe  n'avait  pas  encore  recouvertes,  et 
souvent  mes  regards  se  sont  arrêtés  sur  l;i  tombe  des  malheureuses 
victimes  de  la  fureur  révolu li<miiaire. 

«  C'est  ici,  me  dit  un  jour  un  Bordelais,  ;il(irs  que  pour  la  première 
fois  je  traversais  avec  lui  la  belle  place  Daiqihiue,  c'est  ici  rjue  mes 
nudheureux  coîicitoyens  ont  été  immolés  !  C'est  à  l'endroit  où  vous 
iq>ercevez  cet  exhaussement  du  sol,  recou\irl  de  p;i\és.  i[ur  leur  sang 
a  coulé  de  l'échafaud  et  arrosé  la  terre.  "  .le.  vis  eu  effet,  :ni  milieu  de 
la  place  ',  la  partie  j»a\ée  où  on  avait  installé  hi  guillotine.  Au-devant 
de  celle-ci,  une  rigoh;  était  creusée  pour  recevoir  le  sang  des  victimes. 
Cette,  belle  place,  de  formes  régulières,  est  bâtie  sur  tout  son  ]t(Mirlniir 
de  grandes  maisons.  Pour  1" instant,  ces  maisons  sont  peu  haldlées 
et  seulement  par  des  gens  du  peiqtle.  l'iles  sont  :\  \endre  ou  à  louer 
il  des  ju-ix  dérisoires,  tant  chacun  redoute  d  y  tlciueurer  à  cause  des 
souvenirs  sanglants  qu'elles  rappidleut. 

Dans  l'espace  de  quatorze  mois,  cinq  ceni  (iii;il  rr  -  \  iiigts  ^  tètes 
tombèrent.  C'étaient  celles  de  vieillards,  d'hommes,  de  femnu'S  et 
de  jeunes  1,'ens  appartenant  pour  la  plupart  aux  classes  aisc^es,  et 
qui  n'avaient  pas  su  satisfairt-  assez  tôt,  par  le  ]»aieuuMit  d'une 
forte  rançon,  les  besoins  d'argent  et  la  soif  de  l'or  du  président  du 
tiil'unid  réxolutionuaire,   Lacomlie,  ce   I',(d>espierre  de.  la  (iinuide. 

1.  C:clte  précision  Uauclie  une  queslioii  ili\  erseineiit  rt'-solue  jus<iu'à  préseiil.  Le 
D'  lianaud  {Vieux  Papiers  bordelais,  Paris,  l'icker,  ItUOl  avait  rru  pouvoir  fixer  l'em- 
placement de  la  ijuilioliiie  ^ur  le  coté  est  tle  la  place  Daupliiiie.  près  «l'un  corps  de  garde 
qui  se  trotuait  là.  Mais  n'étail-il  pas  plus  lotrique  que  l.i  truillotiue  eiU  été  dressée  au 
centre  même  de  la  place?  (.'était  la  seule  façon  d'organiser  éipiitaldeinenl  le  spectacle. 

•2.   Il  y  eut  exactement  trois  cent  une  personnes  guillotinées. 


l'jli  VOYAGE  d'un  allemand  A  BORDEAUX  EN  iSoi 

On  \  il  les  négociants  les  plus  honorables  arrachés  des  bras  de  leur 
laniille,  arrêtés  dans  la  rue,  à  la  Bourse  même,  puis  conduits  devant 
le  tribunal  sanguinaire  et  de  là  envoyés  directement  à  la  guillotine. 
Une  demi-heure  à  peine  suffisait  pour  vous  faire  passer  de  vie  à 
trépas.  On  était  en  train  d'attendre  le  père  de  famille  pour  se  mettre 
à  table,  après  la  Bourse,  lorsque  tout  à  coup  on  apprenait  sa  mort 
sur  réchafaud.  Si  l'épouse  ou  la  fille,  averties  de  l'arrestation  de  leur 
mari,  de  leur  père,  couraient  au  tribunal  de  sang  se  jeter  aux  pieds 
des  juges,  elles  rencontraient  en  route  la  charrette  du  bourreau 
emportant  déjà  l'époux  enchaîné  et  le  père  en  toilette  de  condamné 
à  mort  lesquels  leur  adressaient  un  dernier  adieu  en  maudissant  les 
assassins.  Bien  des  gens  qui  vaquaient  à  leurs  affaires  ou  qui  s'en 
allaient  avec  des  parents  respirer  l'air  frais  de  la  campagne,  entendi- 
rent dans  les  rues  de  ce  quartier  les  cris  de  détresse  des  malheureux 
ainsi  enlevés  à  leur  famille  et  brusquement  envoyés  à  la  mort.  Et  ils 
rebroussèrent  chemin  pour  s'arracher  à  la  vue  d'un  spectacle  aussi 
abominable. 

Le  moindre  soupçon  porté  sur  un  négociant  en  relations  d'affaires 
avec  l'étranger,  une  lettre  confidentielle  envoyée  du  dehors  par  un 
parent  ou  un  ami,  tout  cela  était  pour  le  frère,  pour  le  père  et  pour 
l'ami  un  arrêt  de  mort.  Les  assassins  pénétraient  de  force  jusque 
dans  les  lieux  consacrés  à  la  prière,  dans  les  hospices  et  dans  les 
couvents.  Des  nonnes  furent  ainsi  enlevées  en  masse  à  leurs  cellules 
et  conduites  à  la  guillotine.  Beaucoup  se  souviennent,  non  sans  pleurer, 
d'une  scène  de  ce  genre.  On  avait  dit  au  tyran  Lacombe  qu'un  prêtre 
insermenté  se  cachait  dans  le  couvent  des  Sœurs  grises,  cet  ordre  des 
sœurs  gardes-malades  dont  la  fondation  remonte  à  une  lointaine  épo- 
que. Les  valets  du  bourreau  cherchèrent  alors  le  prêtre,  le  découvri- 
rent et  le  traînèrent  avec  les  sœurs  devant  le  tribunal  révolutionnaire. 
Tous  furent  condamnés  à  mort,  «  Je  vois  encore,  me  disait  un  témoin 
de  cette  scène  émouvante,  je  vois  encore  le  cortège  de  ces  femmes 
arrivant  là-bas  dans  la  rue  et  marchant  deux  par  deux.  C'était  beau- 
coup plus  une  procession  de  saintes  qu'une  marche  à  la  guillotine.  Les 
nonnes  portaient  toutes  leur  habit  de  cloître.  Une  expression  d'inno- 
cence et  de  douce  gravité,  de  tranquillité  sereine  et  de  résignation 
était  peinte  sur  leurs  visages.  L'une  contemplait  avec  dévotion  le 
petit  crucifix  qu'elle  portait  sur  la  poitrine;  l'autre,  qui  marchait  à 
côté  d'elle,  levait  tout  grands  ouverts  ses  beaux  yeux  vers  le  ciel,  où 
était  son  unique  espérance;  celle-ci  pleurait  en  silence  le  rêve  enchan- 
teur qu'elle  s'était  fait  de  la  vie,  et  dans  ïe  regard  de  celle-là,  enfin, 
on  voyait  que  la  terre  n'existait  plus  pour  elle;  autour  de  sa  tête 
brillait  l'auréole  de  l'immortalité.  Et  ceux  qui  rencontrèrent  ce 
cortège  auguste  durent  rentrer  chez  eux  pour  pleurer  en  secret,  car 
les  larmes  de  la  pitié  étaient,  elles  aussi,  criminelles. 

Parmi  nombre  de  traits  d'impassibilité  et  de  ferme  résignation 
devant  la  mort,  le  suivant  est  particulièrement  remarquable.  Vigne- 
ron, jeune  homme  de  trente-six  ans,  ci-devant  trésorier  de  France, 
fut  condamné  à  mort  comme  suspect.  Il  était  très  riche,  et  il  n'en 


VOYAGK    I)N>     M.LEMVM)    A    llOI\l>EAU\    E>'     180I  176 

t;ill;iiL  pas  (lu\  aiita;,'!'.  puiir  ([ur  Lacoiahc,  It;  liL  |)érir.  On  le  coii<lui>-iL 
à  l'ôchalaud  avec  plusieurs  auln-s  niallit'uri'ux.  Sa  lêlc  devait  l«»mlM'r 
la  (li-rnièrc.  Quatre  condamnés  lurent  exécutés  di\  aiil  lui,  cl  \  Iltih  rnu 
les  vit  mourir  sans  détourner  les  yeux.  Comme  lo  coupere.t  venait 
de  lomiier  ]»(uir  la  rpiatrième  l'ois,  un  des  crochets  qui  le  maintenaient 
entre  les  deux  monlanls  de  la  guillotiner  se.  Iiris.i.  L'appareil  ne  pou- 
vant |dus  fonctionner,  le  délégué  de  la  police  ordonna  de  remettre 
l'exécution  au  lendemain  et  de  reconduire  en  |iri<nn  le  linijuiétne 
condamné.  (  Ilalte-là!  s'écrie  Vigneron  d'unir  \(»ix  l'orte;  je  ne  siu-s 
pas  d'ici,  ']i'  veux  mourir.  »  On  lui  indiqua',  alors  le  nmlif  de  cet  ajour- 
nement, (|ui  est  nécessaire.  «  Mais,  c'est  une  bagatelle!  ol»ser\  e-t-il. 
Tenez,  il  y  a  là-bas,  dans  cotte  rue,  un  serrurier;  qu'on  l'appelle,  il 
replacera  loul  de  suite  le  crochet  (jui  s'est  cassé.  J'attends  ici  jusfju'à 
ce  (|ue  ce  soit  l'ait.  »  Personne  ne  songe  à  contrc^dire  cet  homme,  qui 
paraît  si  résolu.  Le  serrurier  est  mandé,  et,  tandis  (ju'il  l'ait  la  répara- 
tion. \itrneron,  tout  à  fait  calme,  va  et  vient  le  long  de  la  guillotine, 
au  milieu  du  C(?rcle  des  soldats.  Enfin,  1:^  serrurier  a  fini  son  travail: 
on  fait  un  e--<ai  :  le  couperet  monte  et  redescend.  Vigneron  gravit 
alors  les  degrés  de  la  guillotine  :  <  lOtes-vous  sûr,  demande-t-il,  (jue 
la  machine  fonctionne  bien?  »  On  lui  alfirme  que  oui.  «  Je  veux  m'en 
assurer  moi-même,  dit-il;  voyons,  essayez...  »  Il  est  fait  selon  sou 
désir  :  le  couteau  marche,  en  effet.  «  C'est  bien,  »  dit  alors  Vigneron; 
et,  taudis  que  le  couperet  niuonle,  il  jdacc  sa  tête  sur  le  billot  et 
MieurL.. 

Poursuivant  ses  récits  sur  la  Terreur,  Meyer  parle  longuement  du 
rôle  joué  par  Tallicu  et  Lacombe  et  raconte  à  ce  sujet  nombre 
d'anecdotes  trop  connues  pour  que  nous  croyions  utile  de  les  repro- 
duire ici.  Mais  il  nous  apprend  encore,  et  le  détail  est  {tiquant,  qu'il 
eut  l'occasion  <l'ajq)nMlier  la  belle  M'"*^  Tallien,  celle  (|iii  .sauva 
Bordeaux  de  plus  grands  malheurs  et  qu'on  appelait  Notre-Dame 
de  Thermidor  : 

Je  n'oublierai  jamais,  dit-il  à  ce  sujet,  la  scène  intéressante  à  laquelltr 
j'ai  assisté  à  Paris  en  1796.  Je  dînais  un  soir  dans  une  maison  en 
compagnie  de  M^^^  Tallien  et  me  trouvais  assis  juste  en  face  d'elle. 
Un  négociant  de  Bordeaux,  qui  débarquait  dans  la  capitale,  arriva 
en  retard  au  dîner  et  jirit  la  place  demeurée,  vide  auprès  de  moi.  Dès 
qu'il  aperçut  .Mn^e  Tallien,  ([u'il  s'attendait  si  jii-u  à  trouver  là,  il 
se  i(\a  comme  mû  Jtar  nu  ressort  pour  la  saluer.  Mais,  au  lieu  de.  lui 
présenter  ses  hommages  suivant  hss  formes  courantes  de  la  politesse,  il 
lui  fit  f()rce  ré\érences  ainsi  ipTon  a  coutume  de.  le  faire  aux  jiersonnes 
de.  (jualité.  Il  paraissait  troublé  et  ci-la  éveilla  ma  curiosité,  u  On 
•lirait  ([ue  vous  connaissez  cette  jolie  femme?  »  lui  dis-je.  «Je  crois 
iiien  (pie  je  lu  connais,  répliqua-t-il  eu  pr(»ie  à  une  émotion  manifeste; 
je  crois  bien  que  je  la  connais  notre  libératrice,  notre  ange  tutélaire  ! 
Sans  elle,  moi  et  bon  noml)re  de  mes  concitoyens  nous  ne  serions  plus. 


t-6         VOYAGE  d'un  allemand  A  CORDEAUX  EN  l8oi 

Elle  a  sauvé  Bordeaux  de  sa  ruiue  et  arraché  à  la  mort  un  millier 
d'entre  nous.»  Et  mon  voisin  me  raconta  alors  bien  des  choses  que 
j'cntfcnds  aujourd'hui  confirmer  à  Bordeaux.  Il  me  dit  qu'on  avait 
également  conservé  un  excellent  souvenir  du  général  Brune,  qui  s'était 
publiquement  opposé, non  sans  danger  pour  lui,  à  ce  que  fût  mis  à 
exécution  l'infernal  projet  qu'avaient  conçu  Lacombe  et  ses  acolytes" 
de  piller  et  d'incendier  le  quartier  du  Chapeau-Rouge  qu'ils  appe- 
laient le  nid  des  arislocrales.  Son  noble  emportement,  sa  parole  forte 
et  martiale,  calmèrent  souvent  la  fureur  de  ce  sauvage  conseiller  du 
peuple. 


Le  frère  de  Lorenz  Meyer,  établi  comme  négociant  en  vins  à  Bor- 
deaux vers  1780,  et  récemment  nommé  consul  général  de  la  ville 
de  Hambourg,  habitait  au  bout  des  allées  de  Tourny,  du  côté  opposé 
à  celui  du  Grand-Théâtre,  un  très  bel  immeuble  qu'il  avait  fait 
bâtir  en  1797,  sur  les  plans  de  Combes.  Appelé  d'abord  maison 
Mener,  il  fut  connu  plus  tard  sous  le  nom  de  Café  des  Mille  Colonnes, 
puis  sous  celui  de  Café  Anglais,  nom  qu'il  porte  encore  aujourd'hui. 
C'est  là  que  Meyer  descendit  au  mois  d'août  1801. 

Cette  maison,  sans  doute  conçue  dans  le  même  esprit  que  celle 
de  la  place  Tourny  auxquelles  elle  était  adossée,  ne  comportait  à 
l'origine  qu'un  rez-de-chaussée  et  un  entresol.  Le  26  septembre  1796^, 
Meyer  sollicita  l'autoiisation  d'y  élever  un  premier  et  un  second 
étages  et  de  construire  au-devant  de  l'immeuble  un  péristyle  de 
six  colonnes.  La  permission  lui  fut  accordée  à  condition  que  sous 
ce  péristyle,  qu'on  allait  établir  sur  la  voie  publique,  le  passage 
demeurerait  libre  et  que  les  promeneurs  n'en  seraient  jamais  privés 
('SOUS  aucun  prétexte  ny  dans  aucun  temps» 2.  Un  an  plus  tard, 
la  maison  était  achevée  et  telle  que  nous  la  voyons  aujourd'hui,  si 
ce  n'est  qu'on  a,  depuis,  oublié  de  laisser  le  passage  libre  pour  les 
promeneuis  et  qu'on  a  vitre  le  péristyle  pour  agrandir  le  café.  La 
reproduction  que  nous  en  donnons  a  été  faite  d'après  un  dessin 
ancien,  que  nous  remercions  son  propriétaire,  M.  Pierre  Damas,  de 
nous  avoir  aimablement  communiqué.  On  aperçoit  à  droite  le 
Théâtre  de  la  Gaieté,  sorte  de  baraque  construite  en  1798,  brûlée 
en  1801,  rebâtie  en  1804  et  définitivement  démolie  en  182L 

La  situation  était  des  plus  agréables  et  des  plus  gaies,  sur  ces 
allées  de  Tourny,  rendez-vous  de  toutes  les  élégances,  et  dont  l'as- 
pect frais  et  riant  enchantait  les  yeux.  C'est  qu'à  cette  époque,  seul 

l-i.  .\icliiv.  mun.   Invenluire  de  la  [jtriode  révolulionnaire. 


ce 


X 
eu 

o 

H 
(/) 

ce 

X 
u 

I 

w 

►—H 

s: 

û 

û 
o 

< 


CD 


2 

W 

z 


W 
■UJ 

< 

W 

û: 

D 
LU 

h 
D 

û: 

H 
co 

2 

O 
O 


C/3 


ir 

D 

O 

O 

2 

h 

< 

(il 

UJ 

fc 

Q 

< 

o 
a: 

o 

-3 

D 
< 


VOYAGt    DLN    AI.LEM.VMt    A    BOUDEAUX    EN     1801  1 77 

le  côté  sud  était  bâti.  L'autre  côté  se  trouvait  en  bordure  sur  de 
vastes  pelouses  qui  s'étendaient  vers  les  glacis  du  (lliâtcau-Trompette 
et  jusqu'au  bord  de  la  rivièrr.  Enfin,  une  double  rangée  de  tilleuls 
—  car  à  Bordeaux,  jadis,  (Ui  aimait  les  arbres  —  s'élevait  à  droite 
et  à  gauche  des  allées,  procurant  de  frais  ombrages  aux  promeneurs 
et  encadrant  des  bouquets  de  leur  verdure  l'imposante  silhouette 
du  Grand-Théâtre.  «  Cette  promenade  était  la  plus  belle  que  je 
connusse,  »  remarque  Lorenz  Meyer,  rappelant  ses  souvenirs  du 
premier  voyage  de  1783-1784. 

Malheureusement,  les  choses  étaient  quelque  peu  changées  en  1801 . 
A  la  faveur  du  désordre  des  années  précédentes,  chacun  avait  cons- 
truit à  sa  guise  et  d'infâmes  baraques  se  dressaient  maintenant  pêle- 
mêle  sur  les  belles  pelouses  d'autrefois;  personne  ne  prenait  plus 
soin  des  arbres  de  la  promenade  et  presque  tous  dépérissaient  :  «  On 
a  profité  de  l'anarchie  qui  régnait  en  France  pour  bâtir  sans  la 
juoindre  règle  et  sans  aucun  plan  la  grande  et  belle  pelouse  longeant 
l'allée  de  Tourny  et  qui,  libre  et  découverte  jadis  jusqu'au  Château, 
embellissait  tellement  cette  promenade.  Des  baraques,  de  misérables 
bâtisses,  des  écuries,  des  entrepôts  y  ont  été  construits  d'une  façon 
tout  à  fait  incohérente  et  sans  d'autre  autorisation  que  celle  (jue 
chacun  s'est  octroyée  ou  qu'il  a  obtenue  par  surprise.  La  belle  et 
liante  allée  de  Tourny  ne  se  ressemble  plus  à  elle-mêmo;  il  n'y  a 
jdus  de  sui-veillance  et  les  tilleuls  périssent...  » 

Aujourd'hui,  Meyer,  que  hantait  le  souvenir  d'une  promenade 
({u'il  avait  admirée  dans  des  conditions  particulicroment  sédui- 
santes, se  déclarerait  moins  satisfait  encore.  Sans  doute  a-t-on 
reconstruit  le  côté  nord  des  allées  de  Tourny  et,  cette  fois,  en  suivant 
un  ]dan,  mais  sans  imposer  pour  les  maisons  une  imiformité  de 
style  et  de  hauteur  indispensabli-  à  l'harmonie  d'un  msemble 
architectural  destiné  à  mettre  en  valeur  le  Grand-Théâtre.  Si  bien 
qu'à  part  la  belle  maison  construite  par  Louis  pour  le  comte  do 
Gobineau,  et  que  des  vaiuJales  viennent  d'exhausser  ri  dr  tians- 
t'idiiKT  eu  uii  «gratte-ciel»  dont  la  cime  se  perd  dans  les  éclairs 
multicolores  de  réclaims  lumineuses,  nu  nr  \ui\  que  des  construc- 
tions de  style  bâtard  et  d'inégale  grand<'ur.  i[ui  tniiniul  nue  ligne 
irrégulicre  d'autant  plus  inesthétique  (jue  des  différences  de  plusieurs 
mètres  d'une  maison  à  l'autre  découN  rciil  de  longs  pans  de  nuirs 
nus  et  rigides,  chers  aux  afficheurs.  Quant  aux  arbres,  ils  ont  disparu, 
arrachés,  depuis  1831... 

Certes,  nous  ne  demandons  pas  qu'on  rebâtisse  ni  même  qu'on 

x3 


1^8  VOYAGE    d'un    allemand    A    BORDEAUX    EN    18OI 

«  égalise  »  les  maisons,  mais  pourquoi  ne  pas  replanter  les  arbres  ? 
La  seule  objection  d'apparence  sérieuse  qu'on  ait  formulée  contre 
cette  restitution,  c'est  que  les  arbres  masqueraient  la  vue  des  allées 
et  celle  du  Grand-Théâtre.  C'est  là  un  contresens.  Car  ces  arbres, 
en  créant  des  plans  successifs,  contribueraient  au  contraire,  et  de 
la  façon  la  plus  heureuse,  au  jeu  de  la  perspective.  Du  reste,  nos 
devanciers,  et  en  particulier  Tourny,  le  propre  créateur  de  ces 
allées,  avaient,  au  moins  autant  que  nous,  du  bon  sens  et  du  goût. 
Leur  exemple  offre  peut-être  assez  de  garanties  pour  qu'on  ose 
le  suivre.  Ce  qui  importe,  c'est  de  disposer  ces  arbres  —  qui  pour- 
raient d'ailleurs  être  maintenus  à  une  hauteur  déterminée  —  de 
telle  manière  qu'ils  ne  gênent  point  la  vue.  Et  c'est  là  chose  facile, 
car  le  terre-plein  des  allées  est  suffisamment  spacieux  pour  qu'en 
mettant  sur  chacun  de  ses  côtés  soit  une,  soit  deux  rangées  de 
tilleuls,  d'ormeaux  ou  de  platanes,  il  reste  encore  au  milieu  une 
large  avenue  à  l'extrémité  de  laquelle  apparaîtra  le  Grand-Théâtre. 
Ainsi  les  arbres  égayeraient  l'aspect  des  allées,  mettraient  leurs 
divers  monuments  en  valeur  et  feraient  d'une  esplanade  inhospi- 
talière une  promenade  ombragée  et  pleine  d'agrément.  Qui  oserait 
s'en  plaindre? 

Déjà  en  1839,  comme  la  suppression  des  arbres,  qu'on  avait  dite 
provisoire,  semblait  devenir  définitive,  Bernadau,  qui  avait  connu 
et  apprécié  pendant  plus  de  cinquante  ans  les  anciennes  allées,  en 
plaidait  le  rétablissement  avec  des  arguments  sans  réplique  : 

Les  allées  de  Tourny,  lormées  de  quatre  rangs  d'arbres  bien  dis- 
tants des  maisons  qui  les  bordaient,  se  prolongeaient  originairement 
depuis  la  porle  dt;  ce  nom  jusqu'à  celle  du  CUai)(!au-Rouge.  La  moitié 
de  ces  allées  fut  détruite  lorsqu'on  consLruisiL  le  Grand-Théâtre  et  le 
massif  des  maisons  qui  sont  à  la  suite  de  cet  édifice.  Cependant, 
malgré  sa  mutilation,  celte  promenade  était  encore  belle  et  très  fré- 
quentée, et  rien  ne  semble  excuser  sa  suppression,  (jui  a  été  prescrite 
en  18.31.  On  en  abattit  d'abord  les  arbres,  sous  prétexte  qu'ils  avaient 
besoin  d'être  renouvelés;  puis  on  annonça  qu'on  ajournait  à  l'année 
suivante  le  rétablissement  de  cette  promenade,  pour  l'ordonnance  de 
laquelle  on  sollicitait  l'avis  d(is  gens  de  l'art.  Au  centre  d'un  beau 
quartier,  la  vue  d'un  vaste  terrain  vide,  qui,  par  sa  singulière  dimen- 
sion, ne  peut  être  considéré  ni  comme  une  rue,  ni  comme  une  chaussée 
dont  l'élargissement  devenait  indispensable,  fait  désirer  qu'on  réta- 
blisse enfin  ces  magnifiques  allées  que  le  seul  nom  du  célèbre  adminis- 
trateur qui  les  a  fait  planter  aurait  dû  préserver  de  la  destruction  '. 

Souhaitons  que  cet  appel  soit  entendu  de  nos  édiles. 

Ll'  Bernadau,  Histoire  de  Bordeaux,  p.  106.  _ 


•      Voyage  d'ln  allemand  a  uoudeaux  en  i8oi  179 

A  côté  de  cette  fâcheuse  modification  des  allées  de  T<»uruy, 
Meyer  constata  heureusement  quelques  transformations  auxquelles 
l'aspect  de  la  \illt'  n'avait  pu  (|Uf  gagner.  Nous  voulons  parler 
notamment  des  rues  qu'on  venait  de  créer  aux  C.hartrons  et  dans  le 
voisinage  même  de  Tourny,  où  tout  un  quartier  neuf  s'élevait  sur 
l'ancien  emplacement  du  couvent  des  Jacobins.  On  y  remanjuait 
en  particulier  un  marché,  devenu  le  marché  d»'s  Fiécollets  actutd, 
un  \'aux-hall  et  une  nouvelle  salle  de  spectacle,  le  Théâtre-Français, 
construit  sur  les  plans  de  Combes.  Meyer  va  nous  en  diro  un  iimt 
après  avoir  salué  la  mémoire  de  Tourny  : 

I/inlfiidant  royal  dt;  T(»uruy,  en  souviîuir  (iiKpicl  tout  un  ([uarlit-r 
jiorlr  hi  nom,  s'est  re.ndu  ininiortel  par  les  tîmlH'llisscmfnts  (pril  a 
apportés  dans  Bordeaux.  C'est  lui  qui  fit  élever,  au  siècle  dernier,  les 
jdus  beaux  édifices  de.  la  \  ille.  tels  que  la  Bourse  et  l'Hôtel  di^s  Fermes; 
des  places  comme  la  [tlace  F^oyale  (aujourd'hui  de  la  Liberté),  et  ce 
loiii,'  quai  dont  la  ligne  droite  et  runiforinité  de  façade  des  maisons 
mirent  \crnet  au  désespoir  (juand  il  lut  chargé  de  peindre  la  vue  de 
Bordeaux. 

La  ville  s'est  encore  étendue  depuis  cette  époque.  De  uou\  elles 
rues,  de  nouvelles  places,  des  quartiers  entiers  ont  été  bâtis,  et  on 
pouss(>  toujours  fdiis  loin  le.  plan  des  agrandissements.  On  a  beaiicouj» 
construit  aux  ChurLrons,  niais  davantage  encore  i»rès  de  Tourny,  sur 
l'emplacement  de  l'ancien  couvent  des  Jacobins  et  des  Franciscains. 
Plusieurs  immeubles  y  sont  déjà  terminés,  entre  autres  une  salie  de 
spectacle,  le  Théâtre- Français,  (jui  est  d'un  style  bizarre,  un  \'aux- 
hall  et  un  Lycée  des  sciences  el  des  arls.  Les  habitants  ont  déserté  une 
bonne  partie  de  la  vieille  ville,  aux  rues  étroites  et  tortueuses.  Tout 
le  monde  achète  aux  Chartrons  ou  à  Tourny.  Aussi,  raconle-l-oii  (juc 
les  propriétaires  du  centre  ont  protesté  auprès  du  Préfet  contre  la 
création  de  rues  ou  d»;  places  iu>uvelles,  et  qu'ils  se  sont  ojqiosés  à 
l'exécution  du  suptTite  jdan  d'ajirès  lequel  on  devait,  conformément 
à  un»^  ordonnanci^  royale,  créer  sur  l'enqdacement  du  vieux  château 
Trompette  plusieurs  voies  aboutissant  à  uiu'  jdace  unique,  appelée 
Place  Nationale. 

Bordeaux  doit  une  de  ses  récentes  améliorations  à  sou  ancien  |U'é|'et, 
Tiiibaude.au,  lounnu;  d'une  grande  activité,  aujourd'hui  conseiller 
d'Ltat  à  Paris.  Il  a  fait  installer  un  grand  marché  sur  l'enqdaceinejit 
qu'occupait  auparavant  le  i>etit  couvent  des  Carmélites.  C'est  un 
vaste  (juadrilatère  entouré  di;  quehiues  maigres  piliers  supp(trlanl  des 
arcadeï^.  Le  marché  s'y  tient  une,  fois  par  semaine.  (JKUjue  genre  de 
produits,  cluuiue  espèce  de  vivres  occupent  une  liouti(jue  sjtéciale  et 
sont  annoncés  k  l'aide  de  petits  écriteaux.  Au  cenlre,  du  marché  s'élè- 
vent deux  fontaines  de  jolies  proportions  en  fornit^  d'obélisques;  elles 
rappellent  à  la  fois  le  nom  du  ftmdateur  et  celui  de  l'architecte.  On 
vante  la  construction  de;  l'égout  en  pierre  qui  envoie  le<  iinnïoudires 
à  lu  Garonne, 


l8o  VOYAGE    d'un    ALLEMAND    A    BORDEAUX    EN    180I        • 

Le  projet  de  démolition  du  château  Trompette  et  de  construction 
d'une  place  monumentale  n'était  pas  nouveau.  Il  remontait  au 
moins  à  1785,  époque  à  laquelle  Louis,  après  avoir  obtenu,  grâce 
à  la  protection  de  Galonné,  une  ordonnance  royale  qui  prescrivait 
la  démolition  du  château  Trompette  et  en  autorisait  la  vente,  fonda 
une  Société  pour  l'exploitation  des  terrains  de  la  citadelle.  C'est 
alors  que  le  grand  architecte  conçut  ce  plan  magnifique  qui  eût  fait 
de  Bordeaux  une  ville  incomparable.  Il  consistait  à  prolonger,  de 
la  Bourse  jusqu'aux  Ghartrons,  la  façade  monumentale  du  quai  des 
Salinières  et  à  ouvrir  au  centre  une  place  en  demi-cercle  à  laquelle 
aboutiraient,  par  autant  de  portes  en  arc  de  triomphe,  treize 
avenues  portant  les  noms  des  provinces  américaines.  Une  colonne 
•surmontée  de  la  statue  du  souverain  s'élèverait  au  milieu  de  la  place 
qu'on  appellerait  pour  cette  raison  Place  Ludovise. 

Par  chauvinisme  ou  par  dépit,  les  jurats,  qui  s'étaient  déjà  opposés, 
mais  en  vain,  à  ce  que  Louis  fût  l'architecte  du  Grand-Théâtre, 
lui  préférèrent  encore  le  Bordelais  Lhôte.  Finalement,  on  adopta 
le  plan  de  Louis,  et  le  chantier  fut  ouvert.  Mais  le  manque  de  fonds 
d'abord,  ensuite  la  chute  de  Galonné  et  toutes  sortes  d'intrigues 
ralentirent  les  travaux,  en  attendant  qu'un  arrêt  du  Gonseil  du 
roi,  de  1787,  les  interrompît,  et  qu'un  autre,  de  1790,  rapportant 
l'ordonnance  de  1785,  déclarât  nulle  la  vente  des  terrains  du  châ- 
teau Trompette.  Gette  vente  cependant  fut  à  nouveau  autorisée 
en  1795  par  le  Gonseil  des  Ginq-Gents,  et  le  projet  de  Louis  préféré 
une  fois  de  plus  à  celui  de  Lhôte.  Tout  semblait  marcher  à  souhait 
quand  survint  le  Dix-huit  Brumaire,  qui  amena  au  pouvoir  des 
hommes  hostiles  à  Louis,  lequel  décédait  le  2  juillet  1800. 

Gette  même  année,  le  projet  de  construction  de  la  place  fut  repris 
et  un  concours  organisé.  Le  second  prix  fut  décerné  au  Bordelais 
Combes  ^,  dont  le  plan,  nous  dit  Meyer,  était  cependant  très  supé- 
rieur à  celui  présenté  par  l'architecte  qui  avait  obtenu  la  première 
récompense  : 

Sur  les  trente  concurrents  pour  les  prix  offerts  par  le  Gouvernement 
à  ceux  qui  présenteraient  les  meilleurs  plans,  c'esL  Labarro,  un  jeuntj 
architecte  d(j  Paris,  qui  a  obtenu  h',  premier  prix,  Lo  second  a  été 
décerné  à  Combes,  architecte  du  département  de  la*  Gironde.  Une 
lois  de  plus,  le  Jury  des  Arls  de  Paris  a  commis  une  bévue  en  jugeant 

1.  Combes  (Louis-Guy),  1754-1818,  né  à  Podensac,  architecte  du  département  de  la 
Gironde,  a  restauré  Saint-André,  bâti  le  Théâtre-Français,  les  maisons  Meyer,  Aquart 
(hôtel  Sargel),  le  château  Margaux,  etc. 


gJM 


VOYAGE  d'un  allemand  A  nOHDEAUX  EN  180I  181 

ù  la  l(^«irèrft  et  sans  (•(jiiiuiil  rr  la  disposiliuii  <lt\s  litnix.  \  iriuu-  Ir  imuiniil 
lie  taiif  1rs  liaxaiiK  t-l,  sur  les  énergiques  rciirésenlatioiis  du  dépar- 
ti'iufiil,  il  laudra  rahatlre  la  décision  dyi  jury  jionr  donner  la  préfé- 
rence à  Combes,  dont  le.  plan  mer\'eilleu\  sera  exécuté  tel  (ju'il  est, 
saut'  (|Ui'lques  légèrt^s  modifications  exigées  jtar  les  besoins  du  port. 
Kabarre  a  manifestement  élaboré  son  proji^l  à  Paris,  et  sans  plus 
connaître  l'emplacement  à  bâtir  (luil  ne  connaissait  les  besoins  d'uin* 
\ille  de  eoinnu-rc*'.  Il  a  inventé  unv  disposition  de  place  en  fornn-  de 
cercle,  absolument  banab;  et  où  toutes  le's  rues  rayonne.nt  autour 
d'un  point  central.  Si  l'on  exécutait  ce  projet,  la  rivière  se  trouverait 
rétrécie  par  une  digue,  inutile  de  quarante  pieds  de  large,  juste,  au  seul 
endroit  où  peuvent  mouiller  les  navires  lourdement  chargés.  Le  jdan 
de  Combes  est  au  contraire  original,  majestueux  et  conçu  avec  autant 
de  bonheur  que  de  connaissance  de  l'architecture  romaine.  Ct;  (|ue  je 
lui  reprocherais  peut-être,  c'est  la  part  troj)  large  que  l'artiste  y  a  faite 
î"!  l'esprit  et  au  goût  des  anciens  pour  ces  sortes  d'ensembles. 

Et  Meyer,  un  peu  suspect  dans  son  admiration  pour  Combes,  qui 
se  trouvait  être  l'architecte  de  la  maison  de  son  frère,  sur  les  allées 
de  Tourny,  détaille  alors  avec  complaisance  ^e  fameux  plan,  qui 
comportait  une  arène  avec  un  amphithéâtre,  des  péristyles,  des 
jardins  décorés  de  portiques  à  colonnes,  la  façade  d'un  temple 
consacré  à  la  pai.x,  des  obélisques,  des  fontaines  et  jusqu'à  des 
bains  publics  et  une  école  de  natation,  c'est-à-dire  beaucoup  trop 
de  choses  à  la  fois  pour  que  l'ensemble  ne  fût  pas  lourd  et  d'un  goût 
douteux.  Combien,  dans  l'harmonieux  équilibre  de  ses  lignes  et 
dans  la  simplicité  de  son  ordonnance,  le  projet  de  Louis  était-il 
plus  grandiose  et  plein  de  majesté  ! 

(A  suivre.)  MEAUDRE  DE  LAPOUYADE. 


LES  MESSIEURS  EATAl^Y 

(HISTOIRE  DE  TROIS  PRÊTRES  CONSTITUTIONNELS) 


Sur  la  fm  de  l'ancien  régime,  trois  prêtres  portant  le  nom  de 
Latapy,  et  parents  à  des  titres  divers,  exerçaient  le  ministère  ecclé- 
siastique dans  les  diocèses  de  Bordeaux  et  de  Bazas.  Ils  se  nom- 
maient : 

Charles-Hyacinthe, 

Charles-Raymond, 

et  Joseph-Jean-Baptiste. 

Les  deux  derniers  étaient  frères. 

Tous  trois  eurent  une  existence  des  plus  accidentées,  et  il  ne  sera 
pas  sans  intérêt  d'en  rapporter  quelque  chose  ^. 


Charles-Hyacinthe  Latapy. 

M.  Charles-Hyacinthe  Latapy  naquit  le  3  novembre  1750^  Nous 
ne  savons  pas  quels  liens  exacts  de  parenté  l'unissaient  aux  deux 
autres  Latapy,  mais  leur  réalité  ne  saurait  être  mise  en  doute,  vu 
les  relations  qu'il  entretenait  avec  un  Latapy,  maire  de  Budos, 
oncle  de  Charles-Raymond  et  de  Joseph  2;  vu  surtout  le  soin  qu'il 
prit  de  s'arranger  pour  occuper,  avec  ses  deux  confrères,  trois 
paroisses  voisines  dans  le  canton  de  Podensac. 

Au  moment  de  la  Révolution,  Charles-Hyacinthe  Latapy  était 

1.  On  trouve  sur  la  fin  du  xviii"  siècle  deux  autres  Latapy  exerçant  les  fonctions 
sacerdotales  :  Pierre  Latapy,  chanoine  de  Bazas,  inhumé  le  19  août  1762,  et  Henri 
Latapy,  vicaire  perpétuel  de  Saint-Jean  de  Laroque,  inliumé  le  11  décembre  1777. 
{Inventaire-sommaire  des  archives  communales  de  la  Gironde,  série  E  supplément.) 

Mon  vénéré  collègue  et  ami  M.  l'abbé  Fourcand,  curé  de  Budos,  à  qui  j'avais  commu- 
niqué mes  notes  et  documents,  s'en  est  servi,  a%ec  mon  autorisation,  pour  publier, 
dans  son  Almanach  paroissial  de  1912,  quelques  pages  sur  les  messieurs  Latapy. 

2.  Arch.  diocésaines  de  Bordeaux.  Fonds  moderne.  Registre  du  personnel  sous 
l'épiscopat  de  Mgr  d'Aviau. 

3.  On  le  -soit,  en  particulier,  après  la  Révolution,  Acnir  assister  à  un  mariage  à  Budos. 
(Arch.  mun.  de  Budos.) 


HISTOIRE    DE    THOIS    l'RlhRES    CONSTITl'TIONNEI.S  1 83 

chanoiae  de  Villandraut.  Nommé  à  ce  poste  le  21  avril  177îj,  il  en 
avait  pris  possession  le  23  juin  suivant^;  et  sa  vie  s'était  écoulée 
ensuite  dans  la  jr.x'w.  ]>eut-r'f ri^  un  jnii  monotone,  d'une  existence 
sans  à-cfuip. 

Imbu  (les  idées  nouvelles,  M.  Latapy  se  consacra,  dès  le  premier 
instant,  au  triomphe  de  l'action  révolutionnaire.  II  le  fit  avec  une 
netteté  si  absolu^,  que  l'on  n'hésita  pas  à  réclamer  son  concours 
lorsqu'il  fallut,  aux  débuts  de  1790,  constituer  la  première  muni- 
cipalité de  Villandraut. 

Le  jeudi  1 1  février,  les  citoyens  actifs,  réunis  dans  l'église,  le 
choisirent  comme  procureur  de  la  commune;  mais  il  refusa  ces  fonc- 
tions. Ce  n'était  pas,  d'ailleurs,  par  répugnance  pour  la  politique; 
car,  trois  jours  plus  tard,  on  lui  ofTrit  le  titre  d'officier  municipal  :  et, 
cette  fois,  il  accepta.  Au  surplus,  il  devait  remplir  cette  charge  avec 
zèle.  C'est  ainsi  que,  dans  la  séance  du  18  février,  il  fit  voter  la 
nomination  d'un  percepteur  :  les  impôts  restaient  encore  à  recou- 
vrer, déclara-t-il,  et  «  l'état  délabré  des  finances  du  royaume  exi- 
geait »  impérieusement  que  cette  situation  anormale  prît  fin. 

De  même,  dans  la  séance  du  1  Ornai,  il  proposa  au  corps  municipal 
d'aller  saisir  chez  les  marchands  étrangers,  fort  nombreux  à  la  foire 
de  ce  jour,  «  les  mesures,  poids  et  demi-aunes  non  estampillés  ». 
L'opération,  exécutée  sur  l'heure,  réussit  à  merveille  et  servit  à  la 
municipalité,  car  On  condamna  chacun  des  délinquants  à  trente 
sous  d'amende,  «  applicables  à  l'achat  de  balles  et  de  poudre  pour 
s'en  servir  en  cas  de  troubles  sur  la  foire,  et  le  reste  être  distribué 
aux  soldats  patriotiques  de  garde  ».  Encouragé  par  ce  succès,  M.  La- 
tapy ne  s'en  tint  pas  là.  Le  même  jour,  il  se  rendit  sur  la  place  du 
marché  aux  grains  et  saisit  deux  sacs  de  «panis»-  appartenant  à 
un  marchand  de  Sore  ^  qui,  avec  «  une  mauvaise  foi  non  douteuse, 
avait  mis  à  l'embouchure  du  sac  du  panis  de  la  plus  belle  qualité, 
et  autaui  ;m  fond,  de  manière  à  tromper  impunément  l'acheteur». 
Or,  tout  h'  grain  placé  au  milieu  du  sac  était  pourri. 

Le  24  août  1790,  nouvelle  opération  de  police  conduite  par  Latapy, 
(|ui  saisit  et  fit  brfder  sept  demi-aunes  trop  courtes. 

Le  terrible  officier  municipal  aurait,  à  coup  sûr,  continué  ses 
incursions  sur  les  divers  marchés  de  Villandraut  si  un  triste  li;is,ird 
n'avait  tout  à  coup  mis  un  terme  à  son  activité.  Il  lut ,  en  effet,  lun 

1.  Anli.  dt-|i.  (le  la  Gironde,  O  I0'20,  f»  5. 

'2.   Le  ii;iiiis  est  une  sorte  de  millet  dont  le  grain  est  plus  petit  que  celui  du  millet 
ordinaire.  Le  mot  français  est  panic. 

3.  Sore  est  un  chef-lieu  de  canton  du  départenicnl  des  Landes. 


l84  LES    MESSIEURS    LATAPY 

des  deux  membres  du  Conseil  désignés  par  le  sort  pour  cesser  leurs 
fonctions  à  la  fin  de  1790.  La  loi  était  formelle  :  il  fallut  s'incliner. 
Mais  M.  Latapy  restait  trop  utile  aux  municipaux  pour  qu'on  le 
laissât  partir  de  la  sorte.  Le  14  novembre  1790,  dans  la  séance  même 
où  on  le  remplaça  comme  administrateur  de  la  commune,  il  obtint, 
à  l'unanimité  des  votants,  la  charge  de  secrétaire-greffier  ^ 

Ce  changement  dans  la  situation  du  chanoine  politicien  n'amoin- 
drit en  rien  la  ferveur  de  son  zèle.  Il  continua  à  défendre  les  théories 
révolutionnaires,  et  sut  se  créer  une  réputation  de  civisme  assez 
solide  pour  que  l'assemblée  électorale  tenue  dans  l'église  Saint- 
André  de  Bordeaux  le  3  avril  1791  le  choisît  comme  cUré  consti- 
tutionnel de  Gadaujac  ^. 

On  lui  donnait  une  grande  marque  de  confiance  en  l'appelant  à 
ce  poste;  car  la  situation  s'y  présentait  sous  un  aspect  assez  difficile 
pour  le  schisme,  et  cela  ne  laissait  pas  d'inquiéter  sérieusement  les 
gouvernants  locaux.  Le  curé  de  Gadaujac,  en  effet,  M.  0' Kelly, 
était  un  homme  intrépide.  Non  seulement  il  voulait  rester  catho- 
lique, mais  il  entendait  maintenir  ses  fidèles  dans  la  vraie  foi.  Et 
cela,  il  ne  s'en  cachait  point;  bien  au  contraire.  C'est  ainsi  que,  le 
dimanche  2  février  1791,  il  avait  adressé  à  ses  paroissiens,  au 
moment  du  prône,  un  petit  discours  que  la  municipalité  relate  dans 
une  plainte  adressée  au  tribunal  du  district  de  Bordeaux. 

Messieurs,  il  y  en  a  peut-être  parmi  vous  qui  sont  en  peine  de  savoir 
si  je  prêteré  le  serment,  dimanche  prochain.  Je  vous  déclare  que  je 
ne  le  prêteré  point  qu'au  préalable  notre  Saint  Père  le  pape  ne  me 
l'ordonne  par  sa  réponce  au  roy.  Si  le  pape  l'ordonne,  je  ne  serez  pas 
le  premier  à  le  prêter;  mais  je  ne  serois  point  le  dernier.  Et  quand 
même,  ce  décret  a  été  falciflé.  L'assemblée  nationale  n'a  pas  eu 
connoissance  de  l'article  sept.  La  municipalité  de  Bord"  a  rendu 
une  ordonnance  sur  ledit  article.  Et  que  ledit  décret  n'étoit  point 
enregistré  au  Département. 

On  savait  que  M.  0' Kelly  ne  céderait  pas;  et  comme  il  était  très 
aimé  de  son  peuple,  on  craignait  tout  de  son  exemple  joint  aux 
exhortations  qu'il  ne  manquerait  pas  de  multiplier. 

C'est  pour  cela  que  l'on  s'adressa  à  M.  Latapy.  Sa  conduite  à 
Villandraut  l'auréolait  d'un  nimbe  civique;  puis  sa  fermeté  dans  la 
charge  d'officier  municipal  garantissait  l'énergie  de  son  caractère. 

1.  D"^  Dubourg,  Le  Mouvement  politique,  social  et  religieux  à  Villandraut,  pp.  9  et 
41  à  48. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Gironde.  Fonds  moderne.  1"  liasse  de  l'épiscopat  de  Mgr  d'Aviau. 
—  Gadaujac  est  une  commune  du  canton  de  La  Brède,"  arrondissement  de  Bordeaux. 


HISTOIRE    DK    TROIS    PRKTRES    CO>'STITLTIO»Er,S  l85 

Personne  mieux  que  lui,  seiubl;iil-il,  ne  pouvait  lutter  contre  le  curé 
insermenté  de  Cadaujac. 

On  le  nomma  donc. 

Il  vint  voir  le  poste,  promit  (ht  s'installer  If  (liiiuinilic  suivant, 
et  se  retira  laissant  la  municipalité  dans  la  joie. 

Sans  doute  aurait-il  tenu  sa  promesse  si  les  événements  ne  lui 
avaient,  au  moment  même,  fait  espérer  une  situation  meilleure. 
En  effet,  M.  Pierre  Rage,  doyen  du  chapitre  et  curé  de  ^'illaIldraul, 
étant  mort  le  2  janvier  1790^  et  son  successeur,  M.  Feuillade,  curé 
(le  Saint-Symphorien,  dont  un  procès  retardait  la  prise  de  possession 
depuis  bientôt  un  an,  ayant  refusé  de  passer  au  schisme,  les  élec- 
teurs du  district  de  Bazas  considérèrent  la  cure  de  Villanclraut 
comme  vacante.  En  conséquence,  le  3  avril  1791,  ils  nommèrent 
M.  Charles -Hyacinthe  Latapy  à  ce  poste.  Et  celui-ci  s'empressa 
d'accepter^.  C'était  pour  lui  une  excellente  aubaine  qu'il  ne  vou- 
lait à  aucun  prix  laisser  échapper. 

Il  adressa  donc  à  l'autorité  compétente  sa  démission  de  la  cure 
de  Cadaujac.  Sa  lettre  vaut  la  peine  d'être  citée  in  exlenso.  C'est  un 
chef-d'œuvre  d'habileté  qui  pouvait,  certes,  ne  point  contenter 
ceux  qui  le  recevraient,  mais  qui  devait  tout  au  moins  faire  ressortir 
les  profondes  vertus  sacerdotales  de  celui  qui  l'avait  écrit. 

Et  M.  Latapy  ne  demandait  pas  autre  chose.  Bien  rente,  bien 
noté  :  c'est  ce  qu'il  avait  toujours  rêvé. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  sa  lettre  de  démission.  Elle  est  adressée 
aux  ofliciers  municipaux  de  Cadaujac,  qui,  on  le  verra  plus  loin, 
furent  littéralement  atterrés  en  la  recevant. 

Villendraut,  le  12  avril  I7*M. 
Monsieur, 

J'atiendois  mon  institution  canonique  pour  me  rendre  à  Cadaujaq 
remplir  les  honorables  fonctions  que  le  jteuple  m'avoil  confié,  lorsque 
messieurs  les  électeurs  de  mon  district  m'ont  choisi  pour  occuper 
à  Villendraut  la  cure  vacquanle  depuis  un  an,  et  de  la  dt^sserle  de 
lacjuelle  J'avais  été  déjà  chargé  par  les  cy-devanl  grands  \i(juaires. 
Pourvu  ainsi  de  deux  titres  conslilnlionels,  sans  avoir  encore  reçu 
r.iplirobation  de  mes  suppérieurs  sur  aucun  des  deux,  j'ai  cherché, 
avant  dt^  me  décider,  à  implorer  l'assistance  divinne,  puis  à  consulter 
mes  forces,  et  surtout  le  bien  (|ue  je  pourrois  oppérer;  et  apprés  médi- 
tation très  approfundif.  il  nia  paru,  inunsieur,  qu'une  parruisse  dans 

/ 

1.  Arch.  mun.  de  Villandraut. 

2.  D'  F<''lix  Duboiirtr,  Le  Mourcment  politique,  social  el  religieiir  à  Villnndrnul  pen- 
dant tu  liévotutiun,  pp.  01  à  05. 


l86  LES    MESSIEURS    LATAPY 

laquelle  j'ai  travaillé  déjà  depuis  quinze  ans;  dans  laquelle  j'ai  eu 
le  bonheur  de  faire  quelque  bien;  où  j'ai  su  m'attirer  l'estime  et  la 
bienveillance  de  touts  les  habitans;  où  je  n'ay  jamais  rencontré  ni 
d'ennemis,  ni  des  contradicteurs;  où  je  suis  déjà  investi  de  touts  les 
degrés  de  confiance  dont  un  bon  citoyen  puisse  s'honnorer;  il  m'a. 
paru,  dis-je,  monsieur,  qu'unne  telle  parroisse  étoit  celle  au  gouver- 
nement spirituel  de  laquelle  la  Providance  m'appelloit.  En  consé- 
quance,  j'ai  l'honneur  de  vous  prévenir,  monsieur,  que  dans  cet  ins- 
tant difficille,  résolu  de  voiler  au  secours  de  la  patrie  et  de  la  religion 
partout  où  je  serois  le  plus  nécessaire,  je  consacre  tout  ce  que  Dieu 
m'a  donné  de  courage,  de  zelle,  de  force,  et  de  lumières,  pour  la  par- 
roisse de  Villendraut,  où  le  peuple,  ainsi  qu'à  Cadaujaq,  m'a  colloque. 
Ne  croyais  pas,  monsieur,  qu'auquun  motif  humain  aye  déterminé 
mon  choix. 

Mon  traitement  pour  Cadaujaq  étoit  jtlus  considérable  que  Villen- 
draut; le  logement  y  étoit  plus  commode,  et  le  séjour  plus  sain  et  plus 
gracieux.  Mais  j'ai  fait  le  sacrifice  de  touts  ces  avantages  temporels 
au  bien  que  je  crois  pouvoir  mieux  faire  ici  quilleurs;  et  ce  sacrifice 
doit  ajoutter  à  la  bonne  idée  que  je  sai  que  vous  avais  déjà  prix  de 
moi,  et  que  j'ai  craindrois  d'affaiblir. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  la  plus  parfaite  considération, 
Monsieur, 

votre  très  humble  et  très  obéissent  serviteur. 

Latapv,  curé  de   Villendraul. 

Le  jour  même  il  annonçait  cette  décision  à  M.  Bonnet,  maire  de 
Cadaujac,  par  une  lettre  particulière  où  l'on  retrouve  l'afïectation 
d'esprit  surnaturel  qui  paraît  lui  être  habituelle  et  dont  il  était  pour- 
tant bien  éloigné,  comme  sa  triste  fin  le  prouvera. 

Voici  cette  lettre  ^  : 

Villendraut,  le  12  avril  1791. 
Monsieur  le  maire. 

Je  n'étois  encore  que  curé  de  Cadaujac  lorsque  j'eus  l'honneur  de 
faire  connoissance  avec  vous.  Depuis  cette  époque,  je  me  suis  trouvé 
investi  de  deux  nouveaux  titres  constitutionnels.  Dans  cette  position 
critique  et  difficile  j'ai  dû  consulter  plutôt  le  bien  que  je  pouvois  faire 
que  mon  avantage  et  mon  goût  particuliers  qui  m'appeloient  vers 
vous.  Tout  bon  citoyen  doit  savoir  faire  des  sacrifices  lorsque  la  chose 
publique  le  demande.  Ce  sera  mon  excuse  auprès  de  vous,  Monsieur 
et  auprès  des  braves  gens  dont  je  vous  ai  vu  entouré  ce  jour,  qui  ne 
s'efTacera  pas  de  ma  mémoire,  le  7  avril  1791.  J'aurois  eu  plus  d'agré- 
ment à  Cadaujac;  j'y  étois  mieux  logé.  J'y  étois  plus  riche.  L'air  y 
étoit  bien  plus  salubre  et  le  séjour  plus  agréable.  Enfin,  j'y  aurois 
trouvé  des  occasions  à  m'acquitter  de  toutes  les  obligations  que  j'ai 

1.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  série  L. 


lIISTOinE    DE    TROIS    PRKTRES    CONSTITITIONMI.S  1 87 

contractées  envers  .Vf»  Bonnet  il  (;t;iii«l,  d  ;i|ii('s  les  linnnrlflés 
dont  ils  m'ont  coinldé.  Miiis.  .Moiisinii-.  il  m  i^l  1res  doult-ux,  i|ui' 
jamais  j'eusse  pu  (»|(ériT  là-)ias  If  même  hitu  (|ur  je  suis  sfir  «li-  l'airi- 
ici.  11  m'(!st  très  douteux  que  jamais  j'eussti  pu  y  ohlrnir  la  nu'-mc 
confiance.  Ici,  toutes  les  voix  m'apitcllcnt  et  me  désirml.  Là-|j:is, 
i|iiil(jues-unes  me  n-jettenl.  Ici,  la  jtiii'  la  jdus  vi\r,  la  |ilus  fjéné- 
rale  et  la  plus  énerfriquement  prononcée;  a  suivi  ma  prodamatinii. 
FA,  là-bas,  elle  a  fait  répandri'  (|ui'l(|ucs  larmes  'aris(((crati(|urs, 
il  est  vrai),  mais  ce  sont  dt-s  larmrs.  Ici,  loutt-s  les  li]u'ures  se  suiil 
épanouies,  lorqu'elles  ont  vu  leur  nouveau  pasteur.  Là-bas,  quel- 
ques-unes se  sont  ridées  lorsqu'elles  ont  aperçu  le  successeur  dt; 
M.  O'Kcli.  Ah  !  il  m'en  coûte  tant  d'être  odieux,  même  mal  à  pro- 
pos !  Ali  !  il  m'est  si  doux  d'être  aimé  !  Et  je  le  s\iis  tant  et  si  j.'éiiéra- 
liMueiil  il  \  illendraut  que  certes  je  dois  vous  jtaraiirt;  excusable  de 
n'avoir  pas  pu  me  défendre  des  instances,  des  prières  df  Imilr  iiiif: 
communauté  qui  ont  pour  ainsi  dire  forcé  ma  sensibilité.  .Je  vous 
dcvois,  Monsieur,  ces  éclaircissements  et  ces  aveux.  Ils  me  justifir- 
ront  de  linq)ossibilité  où  j'ai  été  de  ne  pouvoir  répondre  à  vos  propres 
iii^^lano^s.  11  n»;  me  reste  que  le  regret  de  vous  avoir  connu  t-t  de  ne 
pouNoir,  peut-être,  jamais  vous  remercier  dignemeiil  de  loul  le  bien 
que  vous  avez  voulu  me  faire. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  les  sentiments  les  plus  respectueux  el  les 
plus  fraternels, 

Monsieur  le  maire, 

Votre  très  humble  el  très  obéissant  ser\  iteur. 

L\TA,PY,  curé  de  Villendraul. 

Cette  décision  inattendue  plongea,  nous  l'avons  dit,  les  munici- 
paux de  Cadaujac  dans  une  tristesse  sans  uoin.  l.a  ]iieuve  en  est 
dans    la    lettre    suivante    (pTils    adressèieut,    sans   désemparer,    an 

Directoire  du  (b'partement  : 

Cadaujac.   le    \A  a\  ril    179"). 
Messieurs, 

Nous  venons  de  recevoir  une  lellre  de  Mous.  Lalapie.  (|ui  nous 
allrish'  beaucoui».  Après  nous  av(»ir  pi'omis  qu'il  vieiidroil  sinslaller 
dimanclit!  prochain,  il  nous  marque  ([uil  a  crû  deNoir  t^-aider  aux 
vives  instances  de  sa  communauté.  N(»us  voyons  avec  douleur  (|ue 
le^  seuliMienU  aristocratiques  du  luré  aciuel.  influeroiil  qui'  Irnp 
dans  lame  de  nos  ciloyens,  s'il  continue  ses  fondions  |»endanl  le 
lem[>s  pasehal;  inal','ré  Ions  les  m(»yens  (|ue  nous  mêlions  en  u/au'e. 
pour  dissuader  ses  âmes  foibles,  nous  \-oyons  que  s'il  n'est  pas  pos- 
sible de  pourvoir  à  sou  remplaceinen  I  de  ~-uile,  alleudû  que  nous 
croions  que  l'a-^eiiildée  électorale  soit  dissoule  jusqu'à  mniNel  ordre, 
il  i>ourroit  ce  faire  ijue  ce  faiialique  euq»oisouiié  ne  salirai  uu  cerlaiu 
munbn;  de  salelliles  qui  regardertueiil  le  uou\eau  pasteur  a\ee  iudi- 
guation,  méritaul   au  loniraire  d'être  cou\  erl   de  laurier. 


l88  LES    MESSIEURS   LATAPY 

Veuillez,  Messieurs,  arrêter  les  cours  de  ces  sentiments  effrénés, 
en  nous  envoyant  un  prêtre  deservant  pour  dimanche  prochain,  et 
enfm  jusqu'à  ce  qu'on  procède  à  une  nouvelle  élection;  et  de  nous 
donner  des  pouvoirs  à  interdire  toutes  fonctions  ecclésiastiques  à  ce 
monstre  jaloux  du  bonheur  des  François;  et  alors,  il  ne  pourra  plus 
thimorer  les  consciences  et  mettre  la  zizannie  parmi  des  citoyens  qui 
ont  toujours  respecté  la  loi  nouvelle. 

Nous  osons  donc  espérer  cet  acte  de  justice  et  de  bienfaisance  de 
vous,  Messieurs,  et  alors,  il  ne  nous  manquera  rien  plus  que  d'implorer 
la  divine  providence  de  prolonger  vos  jours. 

Nous  sommes,  avec  les  sentiments  les  plus  respectueux  et  les  plus 
fraternels, 

Messieurs, 

Vos  lions  amis  et  frères. 

Les  officiers  municipaux  de  Gadaujac. 

P. -S.  —  Nous  vous  envolons  ci-inclus  la  lellrc  de  Mons.  Latapie; 
veuillez.  Messieurs,  y  jetter  les  yeux  i. 

Gepetidant,  M.  Latapy  avait  pris  possession  de  Villandraut,  dont 
il  se  croyait  bien  réellement  le  curé.  Par  malheur  pour  lui,  lorsqu'on 
demanda  à  l'autorité  civile  supérieure  d'approuver  cette  élection, 
on  se  heurta  à  une  fin  de  non-recevoir  absolue.  Villandraut  n'était 
pas  au  nombre  des  paroisses  auxquelles  la  loi  accordait  un  curé. 
Pour  essayer  d'influencer  les  hautes  sphères  administratives,  la 
municipalité  écrivit  au  Directoire  du  département  l'étonnante  lettre 
que  voici  : 

Nous  avons  l'honneur  de  vous  annoncer  que  M.  Latapy,  élu  par 
le  peuple  curé  de  notre  communauté,  a  eu  le  bonheur  de  voir  approcher 
du  tribunal  de  la  Pénitence  tous  les  citoyens  des  deux  seices,  sans  eipcep- 
tion  d'un  seul,  tandis  que,  sous  les  cy-devanls  curés  inconslitutionnels, 
les  trois  quarts  de  la  population  ne  se  confessoient  jamais. 

Hélas  !  cet  accès  de  piété  inattendu  ne  réussit  pas  à  toucher  le 
cœur  des  gouvernants  :  ils  continuèrent  à  refuser  à  M.  Latapy  le 
titre  et  surtout  le  traitement  de  curé  qu'il  réclamait.  Ce  fut  désas- 
treux pour  le  malheureux  chanoine  qui  dut  se  contenter  d'une  modi- 
que pension  de  350  livres  par  an  ^.  Il  est  vrai  que  cette  somme  venait 
s'ajouter  à  sa  pension  de  retraite,  fixée  par  le  département,  en 
mars  1791,  à  1,104  livres  19  sous  9  deniers  ^  Mais  cela  même  ne 

1.  Signé:  Faure  jeune,  J"  Mannan  aine,  Massiot,  officiers  municipaux;  Joffre,  pro- 
cureur de  la  commune;  Bonnet,  maire;  Seurin,  secrétaire  général. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  G  806. 

3.  Ibid.i  O  1026,  f»  5. 


IIISIOIUE    DE    TROIS    IMuVniKS    CONSTITI  TION.NEI.S  189 

suflisait  pas  à  M.  Latapy.  Aussi  son  séjour  ;i  N'illaïuJraul   m-  dura 
pas  longtemps. 

Le  dernier  acte  de  son  ministère  sacerdotal,  accomj)li  dans  cdJte 
paroisse  par  M.  Latapy,  fut  pour  lui  l'occasion  de  manifester  une 
fois  de  plus  ses  sentiments  de  bon  sans-culotte.  Cela  se  passa  après 
l'arrestation  de  Louis  XVI  à  Varennes,  et  sa  suspension  par  l'Assem- 
blée nationale.  La  nouvelle  de  ces  événements  étant  arrivée  à  \'il- 
landraut  le  dimanche  matin  26  juin  1791,  à  la  ]»remière  heure.  |;i 
nmuicipalité  décida  d'en  donner  connaissance  au  peu[de  pendant 
la  messe  paroissiale.  Conformément  à  cotte  dérision,  M.  Latapy 
prit  la  parole  à  la  fin  de  l'Evangile.  Il  lui  <1  iilnud  les  pièces  oflicielles 
qu'on  venait  de  recevoir;  puis,  au  lieu  de  s'en  tenir  là,  «  il  prononça 
un  discours  sur  le  respect  que  tous  les  citoyens  doivent  aux  loys 
et  à  ceux  qui  sont  préposés  pour  les  faire  exécuter.  Et  après  avoir 
développé  avec  énergie  la  nécessité  de  se  réunir  pour  le  maintien  du 
bon  ordre,  de  la  tranquillité  et  de  la  conservation  des  propriétés 
publiques  et  individuelles,  il  excita  tout  son  auditoire  à  montrer, 
dans  cette  circonstance  critique,  le  calme  et  le  courage  nécessaires  à 
déployer  lorsque  la  patrie  est  en  péril.  —  Et  puis,  comme  fonction- 
naire public,  il  renouvela  son  serment  de  fidélité  à  la  Nation,  en  y 
ajoutant  qu'il  préférait  victime  sur  les  marches  de  l'autel,  d'où  «m 
ne  l'arracherait  que  mort,  que  de  ne  pas  maintenir  la  Constitution. 
Et  il  finit  par  exhorter  tous  les  paroissiens  à  avoir  les  mêmes  senti- 
ments que  lui,  en  prononçant,  après  la  messe,  le  serment  (lu'il  venait 
de  faire,  et  dont  il  les  rendait  dépositaires  ^.  « 

Quelque  temps  après,  au  mois  d'octobre  de  cette  même  année 
1791,  M.  Latapy  se  fit  nommer  curé  constitutionnel  de  Virelade^; 
et  il  s'empressa  d'aller  prendre  possession  de  son  nouveati  poste, 
comme  en  fait  foi  le  curieux  acte  de  baptême  que  voici  : 

Ce  vingt  trois  8^''^  de  laii  mille  sipl  cents  quatre  vingts  onze  est 
né  et  a  été  batizé  Pierre  Tylla([,  Tds  légitime  d'aulre  Pierre  Tyllaq 
et  de  >tarie  Lalande.  Il  a  eu  pour  parrain  monsieur  l^ierre  Duhns, 
boulanger,  el  Pétronille  Despujols.  — ■  Cette  cérémonie  est  faite  î\ 
l'époque  de  la  |ipoclamation  de  l'acte  constitutionel  dans  la  parroisse, 
et  le  jour  de  la  réception  du  curé  constitutionel,  en  présence  de  .Mf»  Mo- 

1.  D'  F.  Dubourç,  I.c  Mourrinritl...,  iil  suiirn,  pp.  7"2-73. 

2.  Un  le  remplaça  dans  la  desserle  de  Villandraut  par  le  curé  ronslitutiounel  d'I' zeste, 
M.  l-'ranrois  Ramuzal.  Fil.s  de  Franrois  et  de  .^^arie  Chevassier,  ce  prùtre  avait  été  notiiiiié 
cliaiioiiie  d'Uzeste  le  il  a\  ril  178'.».  Au  rontordal,  il  rétracta  ses  erreurs  et  se  retira  à 
(Iriguols,  son  pays  natal  (Abbé  Hrun,  Uzeslc  el  Clément  Y,  p.  Gl),  où  il  mourut  le 
5  janvier  1818,  à  l'âge  de  quatre -\ingt-deux  ans  et  demi,  f .Vr.rn/.w/c  du  -/loccsc  de 
Bordeaux.) 


igo 


LES    MESSIEURS    LAtAPt 


(Ici-y  Irèri'S,  do  nuidume  Modery  la  bruc,  do   Af  Bégucy  maire,  de 

M.  Matyeu  officier  municipal,  qui  ont  signé  avec  nous  ainsi  que  le 

parrain. 

Latapy,  curé  •. 

A  Virelade,  M.  Latapy  fut  ce  qu'il  avait  été  à  Villandraut  :  poli- 
ticien beaucoup  plus  que  pasteur  des  âmes.  Cette  façon  de  vivre 
devait  fatalement  l'acculer  aux  pires  compromissions.  De  fait, 
quand  vint  la  Terreur,  il  remit  ses  lettres  de  prêtrise  à  la  municipa- 
lité, renonça  au  sacerdoce  et  consomma  son  apostasie  en  épousant, 
le  12  mars  1794,  une  «  dame  Anne  Dulou,  veuve  de  sieur  Mathieu 
Gamarocq  »  ^,  aves  laquelle  il  alla  se  fixer  à  Portets. 

Un  fils,  nommé  Antonin,  naquit  de  ce  mariage. 

De  même  qu'à  Virelade,  de  même  qu'à  Villandraut,  M.  Latapy 
fit  de  la  politique  à  Portets.  Gela  ne  lui  réussit  pas  trop  mal,  au  sur- 
plus, car  il  devint  maire  de  sa  commune;  il  obtint  même,  dans  cette 
charge,  une  importance  assez  grande,  pour  que,  dans  la  suite, 
l'écharpe  passât  à  son  fils  Antonin^. 

M.  Latapy,  malgré  ses  avatars,  n'avait  pas  absolument  perdu 
l'esprit  de  son  premier  état.  Il  ne  pouvait  oublier  que,  malgré  ses 
actes  de  reniement,  il  restait  prêtre  pour  l'éternité;  et  les  remords 
le  tourmentaient  à  tel  point  qu'il  décida  un  jour  de  régulariser  sa 
situation. 

C'était  au  début  de  l'an  1808. 

Il  adressa  au  souverain  pontife  une  supplique  demandant  qu'on 
le  ramenât  à  la  communion  laïque  et  qu'on  l'autorisât  à  garder  sa 
femme. 

Un  induit  pontifical,  daté  du  23  juillet  1808,  lui  accorda  cette 
double  grâce;  puis  le  8  septembre  suivant,  M*^""  d'Aviau  rendit  une 
ordonnance  commettant  le  curé  de  Portets  pour  donner  la  bénédic- 
tion nuptiale  à  son  malheureux  confrère;  et  la  cérémonie  religieuse 
fut  célébrée  le  18  janvier  1809  *. 

Comme  le  scandale  donné  par  M.  Latapy  avait  été  immense,  on 
voulut  le  réparer  en  donnant  à  la  célébration  de  son  mariage  reli- 
gieux autant  de  publicité  que  possible. 

1.  Arch.  mun.  de  Virelade.  Registres  paroissiaux.  —  Virelade  est  une  commune  du 
canton  de  Podensac,  arrondissement  de  Bordeaux. 

2.  Arch.  de  l'église  Saint-Vincent  de  Portets.  Registres  de  catholicité.  Acte  du 
18  janvier  1809.  • — ■  Portets  est  une  commune  du  canton  de  Podensac,  arrondissement 
de  Bordeaux. 

3.  Renseignements  communiqués  par  M.  l'abbé  Fourcand,  curé  de  Budos. 

4.  Arch.  de  l'église  Saint-Vincent  de  Portets.  Registres  paroissiaux.  Acte  du  18  jan- 
vier 1809. 


HISTOIRE    l)K    TllOIS    PUl';  I  HES    CONSTITUIK»  Ml  -  |(|  | 

Elle  eut  lieu  dans  l'église  paroissiale,  en  préseiiee  d'une  foule 
considérable,  et  se  distingua  des  autres  cérémonies  similaires  par  ee 
fait  que  M.  Latapy  y  prononça  son  dernier  sonimM. 

Le  curé  de  Portets  communiqua  ci'tff"  particularité  au  clifF  du 
diocèse  dans  les  termes  suivants  : 

J'ai  l'honneur  de  cerlifiiT  à  Moii-riiTinui'  I  \ii-h(rvêr|ut'  que  j':u 
imparti  la  bénédiction  nupliab;  (à  M.  Latapy;;  r\  de  plii^  qur  \r  illL 
S""  Latapy.  dans  un  discours  qu'il  a  prononcé,  a\t'c  imm  aiil()ri>:it  ion, 
avant  cette  sainte  cérémonie,  a  rétracté  et  condaïuiu'"  iiuliliiiurmfnl 
ses  erreurs  et  sa  conduite  pendant  la  Révolution;  (luii  1  ;i  Inil  de  sou 
pi'dpi'f  iiKiiiN  iTiinil ,  rL  ijuil  a  édifié  la  iioialtreuse  asseml>lée  ipii 
l'écoutoit  •. 

M.  Latapy  vé<'ut  cnc(jrc  douze  ans  après  suii  mariagf.  Il  niuunil. 
le  22  septembre  1821,  muni  du  sacrement  de  l' extrême-onction,  et 
fut  inliumé  dans  le  cimetière  de  Portets  -, 

11  était  alors  âgé  de  soixante  et  onze  ans  moins  deux  mois, 

(A  suivre.)  Abbé  Albert  GAILLARD. 

1.  Arrli.  diocésîtines  «le  Uoi-dcnux.  Fonds  iiioderne. 

*i.  Ardi.   de  résiliée  S^inl-Niiueiit    de   Portel^.    Kesiislres   de   riiUiolitilé.   L'acle   de 
sépulture  de  M.  Lalap\    lui  donne,  par  eireur,  soixaule-douze  ans. 


HISTOIRE  DES  RAPPORTS 

DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

AVEC 

LES  INTENDANTS,  LE  PARLEMENT  ET  LES  JURATS 

DE    I-OÔ    A     I79I 
(S  aile.) 


CHAPITRE  IJI 
1720-17^3 

FoftMATIOK    d'une    OLIGARCHIE    DIRIGEA>TE   A    LA    CllAMBRE    DE   COMMERCE 

A  partir  de  1720,  M.  de  Gourson  manque  à  la  Chambre;  mais  la 
prospérité  revient  au  commerce,  et  les  directeurs  vont  de  l'avant. 

Les  ordonnances  de  1716-1717,  qui  faisaient  de  Bordeaux  le  point 
de  départ  du  commerce  avec  les  îles  et  les  colonies,  étaient,  comme 
le  dit  très  bien  M.  Jullian^,  «  la  charte  constitutive  de  notre  richesse  ». 

Il  est  vrai  qu'un  arrêt  du  Conseil  du  27  septembre  1720  accordait 
pour  toujours  à  la  Compagnie  des  Indes  le  monopole  du  négoce 
sur  la  Côte  de  Guinée^;  mais  le  commerce  peut  se  passer  de 
faveurs  sous  un  gouvernement  pacifique. 

De  1720  à  1743,  c'est  à  peine  si  la  paix  fut  troublée  par  quelques 
brouillons  :  la  guerre  d'Espagne  attendue  n'éclata  point,  celle  de 
Pologne  fut  sans  conséquence  pour  le  commerce,  celle  de  la  succession 
d'Autriche  n'avait  pas  eu,  en  1743,  le  temps  de  lui  porter  préju- 
dice. Au  contraire,  l'entente  cordiale  franco-anglaise  le  favorisa, 
La  Chambre  de  commerce,  voyant  croître  son  influence  avec  celle 
du  négoce,  put  élever  la  voix. 

A  cette  époque,  elle  dispose  déjà  de  ressources,  de  représentants, 

1.  Jullian,  op.  cil.,  p.  521. 

2.  C  4252,  15  mars  1721. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    LE    l'AlU.EMENT    ET    LES    JLRATS  1 98 

d'un  cérémonial,  de    prérogatives  bien  à    elle;  on   lui    trouve    un 
esprit  de  corps  déjà  formé. 

Si  elle  ne  quitta  qu'en  1749  le  palais  de  l'Ombrière,  où  elle  était 
l'hôte  du  Parlement^,  elle  se  vit  attribuer,  au  («airs  de  l'exer- 
cice 1722-1723,  deux  sommes  :  l'une  de  5,866  livres  5  sols  7  deniers 
provenant  de  droits  de  sortie  indûment  perçus  pendant  une  foire, 
l'autre  de  7,763  livres,  reliquat  d'une  taxe  levée  pour  entrepren- 
dre les  travaux  de  balisage  à  la  pointe  de  la  Coubre '-. 

En  1719,  Billatte,  juge,  ancien  jurât,  mais  aussi  ancien  directeur, 
était  élu  député  à  la  place  de  Fénelon;  les  officiers  municipaux  (pif 
nous  avons  vus  en  1707,  jaloux  de  leur  député,  qu'ils  gardent  pour 
eux,  sans  partage,  le  dénomment  maintenant,  et  le  terme  mérite 
d'être  retenu,  «  député  de  la  Chambre  de  commerce  à  Paris  »^,  nou- 
veauté que  semblait  sanctionner  Boucher,  le  successeur  de  de  Cour- 
son  et  l'ennemi  des  jurats,  quand,  par  un  oubli  peut-être  volontaire,  il 
fut  sur  le  point,  en  1726,  de  ne  pas  consulter  la  Jurade  sur  l'élection 
du  député  *. 

La  même  année,  la  Chambre  délibéra  de  «  se  former  un  cérému- 
nial  »  et  de  se  prescrire  des  règles  qui  n'avilissent  jamais  son  hon- 
neur ^  Cinq  ans  après,  elle  réclame  pour  ses  consuls  un  privilège 
dont  s'honoraient  les  plus  nobles  compagnies  :  «  l'exemption  du 
logement  des  gens  de  guerre  »  ^  Cette  idée,  développée,  ne  devait 
faire  fortune  que  beaucoup  plus  tard. 

Pour  ce  qui  est  de  l'esprit  des  directeurs,  s'il  n'est  pas  bien  original, 
encore  est-il  formé. 

La  Chambre  s'oppose  en  1720  à  la  sujtpression  des  douanes 
intérieures,  soucieuse  qu'elle  est  de  conserver  à  la  jtrovince  ses 
privilèges,  obtenus  des  ducs  de  Guienne  et  plus  larc^l  des  rois  de 
France  ^.  Elle  compatit  de  moins  en  moins  à  l'infortune  des  négo- 
ciants malheureux,  après  avoir  paru  se  vouer  à  leur  défense**; 
ses  idées  ont  tellement  changé  que  le  député  s'étonne  ^ 

Cette  arrogance,  cet  égoïsme,  pour  tout  dire,  cet  esjuK  de  eorps 
lui  sont  venus  de  l'oligarchie  naissante  dont  les  intrigues  la  tra- 
vaillent, vers  l'année  1720. 

1.    Malveziii,  op.  cil.,  t.    IIF,  p.  71. 

■Z.  IJiutails,  op.  cit.,  \>.  xxii  (d'apri-s  (.'.  lU'.t  cl  sui\imL>!. 

3.  Registre  des  délibérations  de  la  .lurade,  '.t  janvier  171 

4.  <;  1626,  18  janvier  1721.  Lettre  de  Uoui  lier. 

5.  C  4252,  20  avril  1726. 

6.  C  4253,  22  février  1731. 

7.  C  4252,  11  décembre  1720. 

8.  C  4-253,  2  mars  1730. 

9.  C  4307,  23  janvier  1734. 


194     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Nous  devons  nous  y  arrêter,  car  cette  nouveauté  modifia  sensi- 
blement, sinon  dans  le  fond,  du  moins  dans  la  forme,  les  rapports 
des  directeurs  avec  l'intendant  Boucher,  le  Parlement,  les  jurats. 

I      ^ 

Vers  1720,  sous  le  rapport  de  l'activité  commerciale,  et  des 
intrigues,  c'est  la  Rousselle  qui  mène  le  branle;  et  c'est  Roche, 
qui  mène  la  Rousselle  ^. 

Roche,  le  fils,  a  beaucoup  d'esprit,  ou  passe  plutôt  pour  en  avoir; 
«  on  n'en  a  pas  bien  apprécié  l'espèce  et  tout  ce  qui  y  entre  ^.  »  C'est 
en  somme  un  aventurier,  il  avait  plus  de  trente  ans  quand  il  a  passé 
de  la  profession  d'avocat  à  celle  de  négociant.  11  n'a  jamais  fait 
le  commerce  que  très  petitement,  et  sans  succès;  sa  fortune  est  des 
plus  minces,  son  crédit  de  négociant  encore  moindre,  son  esprit 
enfante  plus  de  difficultés  que  d'expédients  ^. 

Mais  là  où  il  est  redoutable,  c'est  quand  il  se  rend  à  une  assemblée, 
entouré  de  ses  seconds,  et  de  Pérès  son  beau-frère^;  ses  alliés  sont 
tous  les  marchands  en  boutiques;  l'un  est  fils  d'un  marchand  de 
dentelles,  il  ne  sortit  jamais  de  la  boutique  de  son  père,  l'autre 
entend  bien  un  peu  la  chicane  :  quelque  Meyère,  quelque  Roma  ^ 

D'ailleurs,  il  a  aussi  Menoire  et  Barbeguière,  qui  est  de  la  rue 
des  Bahutiers  ^  Menoire  fut  exclu  de  la  Jurade,  vers  1740,  pour 
avoir  signé  un  mémoire  compromettant;  ses  amis  soutinrent  en 
vain  que  le  coupable  était  son  frère  :  c'est  l'homme  le  plus  hardi 
et  le  plus  entreprenant  dès  qu'il  s'agit  de  parler  comme  chef.  Par- 
fois, il  est  badin,  distribue  les  brocards,  et  vous  accommode  de 
la  belle  manière.  Voilà  pourquoi  le  sieur  Le  Gris  et  une  infinité 
d'autres  encore  lui  ont  dit  son  fait  '. 

Barbeguière,  natif  de  Bazas  ^,  «  prend  ses  arrangements  pour 
s'assurer  des  nominations  »  *.  C'est  vraiment  un  esprit  des  plus 
bornés  qui  puissent  être,  mais  il  s'entend  dans  les  raffineries  :  il  n'y 
a  pas  longtemps  qu'il  portait  le  tablier  i". 

1.  G  1611. 

2.  Id.,  12  mai  1750.  Lettre  de  Tourny. 

3.  Id.,  ibid. 

4.  C  1624. 

5.  C  1624,  5  mai  1732. 

6.  C  1611. 

7.  C  1620.  Mémoire  de  Lamothe  (1750?). 

8.  C  1624. 

9.  Id, 

10.  C  1624,  6  may  1752.  Lettre  de  Tourny. 


AVEC    LES    INTEJiOAMS,    LE    l'AHLEMEM    El     LES    JLRATS  IQO 

A  ceux-là  Roche,  adjoint  de  Kater,  un  autre  beau-frère,  r|  le 
gendre  de  Barbeguière,  et  presque  tous  les  Dubergier  *  :  GlénuMit 
Ihibergier,  Raymond,  son  frère,  Antoine,  son  cousiii;  Alexis,  le  fils 
de  Clément,  et  Pierre  Dubergier,  et  un  second  Raymond,  <l  un 
troisième  Raymond,  fds  d'Antoine  ^. 

Voilà  les  instruments  de  la  politique  de  Roche  et  de  la  Rousselle; 
et  parce  que  Roche  est  le  protecteur  des  Juifs  ^,  courtiers  volants, 
la  Chambre  de  ((immerce  poursuit  les  courtiers  royaux. 

Il  est  si  fort  qu'il  veut  s'y  fixer  pour  toujours  comme  secrétaire 
perpétuel  de  la  Chambre  avec  voix  délibérative  et  des  apj)oinle- 
ments  considérables*;  qu'il  pousse  Pérès,  son  beau-frère,  à  la  jtlace 
de  député  ^. 

Mais  ne  se  fait-il  pas  quelque  illusion  sur  les  hommes  de  la  r/7e? 

C'est  qu'en  effet  ils  sont  et  se  considèrent  à  part.  Ce  ne  sont  plus 
dos  marchands  en  boutiques,  mais  des  négociants  en  gros,  et  leurs 
hôtels  somptueux  rivalisent  avec  ceux  des  parlementaires;  leur 
centre  est  au  plus  vieux  Bordeaux,  dans  le  carré  central*.  11> 
s'appellent  Brunaud,  Billatte,  Pierre  Dubergier,  Alexis  Dubergier, 
Foucjues,  Gastaing,  Saige,  correspondant  de  la  Compagnie  des 
Indes  ". 

Voilà  les  vrais  Bordelais^,  et  ce  qui  les  a  distingués  entre  tous, 
c'est  qu'ils  ont  eu  l'occasion  de  témoigner  maintes  fois  de  leur 
civisme;  ils  ont  été,  ils  sont  jurats. 

La  seule  famille  des  Dubergier  exerça  par  huit  fois  cette  charge 
de  1715  à  1726;  Billatte  sept  fois;  les  Brunaud,  dou/.e  fois:  Castaing, 
à  lui  seul,  quatre  fois;  tandis  que  les  Roche  de  lu  Housselle,  l'exer- 
cèrent deux  fois  à  peine,  et  Menoire,  une  seule,  eoiniiif  Barbe- 
guière ^ 

Au  temps  où  nous  sommes,  ceux-ci  régnaient  à  la  Chamlire, 
par  eux-mêmes  ou  par  les  inconnus  qu'ils  y  poussaient.  C<mi\-I.i 
dont  l'anoblissement  datait  de  leur  passage  à  la  Jurade  '"  eu  n-jm'- 
sentaient  mieux  l'esprit, 

Ouant  au  Parlement,  s'il  dut  avoir  quelque  attention  pour  les 


1.  <.   1611. 

2.  Labraque-lîordcnavc,  vp.  cil.,  \>.  'J. 

3.  C  1620. 

4.  C  1611. 

5.  C  1624,  2  inay  1752.  Leltre  de  Touniy 

6.  C  1611.  j 

7.  C  3684. 

S.  Joinville,  op.  cit.,  p.  IG2. 
'.».  Ln  Vachi  r  de  Hoisvillc,  op.  cit.,  pa-^sim 
lu.  Coiiiinuiiuy,  op.  cil.,  p.  51  sqq. 


106  KAi'POhTS    DE    La    CliAMBilE    DE    COMMERCE    DE    BORDEAUX 

uns  ou  pour  les  autres,  ce  fut  plutôt  pour  les  directeurs  citoyens, 
comme  on  appelait  les  anciens  jurats;  Billatte  comptait  le  premier 
président  parmi  ses  protecteurs  ^. 

L'existence  d'un  parti  commercial  de  la  cité,  distinct  de  celui  de  la 
Rousselle,  se  révèle  dans  les  élections  de  députés;  y  prenaient  part  : 
les  jurats  qui  opinaient  les  premiers,  les  juges  et  consuls,  les  anciens 
membres  de  la  juridiction  consulaire  parmi  lesquels  figuraient,  sans 
distinction  spéciale,  les  directeurs,  enfin  les  plus  notables  des  com- 
merçants 2.  Plus  que  les  noms  des  élus,  gens  de  la  cité  le  plus  souvent 
(Billatte  en  1719;  Brunaud,  Brisson,  Lée,  en  1726;  Brunaud,  Carton, 
Larcebaut,  en  1732;  Gastaing,  Brunaud,  Roche  enfin,  qui  en  est 
venu  à  diriger  la  Chambre  en  1750^),  les  votes  méritent  de  nous 
intéresser:  ils  nous  ont  été  conservés  pour  deux  années,  1726^  et 
1732  ^  Nous  y  voyons  que  les  jurats  soutiennent  plutôt  les  candidats 
de  la  cité,  un  Castaing,  un  Brunaud  par  exemple. 

Les  plus  influents  sont  encore  les  Dubergier  :  la  présence  de  cette 
famille  à  la  Chambre  a  une  réelle  signification.  Les  rapports  que  les 
directeurs  entretinrent  avec  les  autorités  durent  s'en  ressentir 
parfois.  Les  Dubergier  étaient  jurats,  juges,  consuls,  membres  de  la 
Chambre,  voire  député  du  commerce,  et  quand  ils  étaient  nobles, 
conseillers  au  Parlement®;  ils  armaient  des  navires  en  course,  et 
leur  donnaient  le  nom  de  la  femme  de  l'intendant';  ils  devaient 
quelquefois  se  disputer  les  places  parce  qu'eux-mêmes  y  mettaient 
de  l'encombrement^,  mais  leurs  sept  voix  le  plus  souvent  se  réuni- 
rent ^;  ayant  des  attaches  dans  tous  les  commerces,  des  intelligences 
dans  tous  les  quartiers,  ils  disposaient  d'influences  multiples,  dont 
ils  usaient  à  bon  escient,  pour  faire  pencher  la  balance  de  leur  côté. 
Antoine  Dubergier,  lui,  est  de  la  Rousselle;  Clément  et  Raymond 
le  fils  habitent  au  pont  Saint- Jean.  Raymond  le  père  habite  sur 
les  fossés  de  ville;  et  Pierre  et  Alexis  Dubergier,  dans  les  hôtels  de 
la  rue  Neuve  ^^.  Aux  quatre  coins  de  la  ville,  on  les  connaît. 

Aux  élections  de  1732,  leurs  partisans  se  comptèrent,  et  l'on  vit 
les  marchands  en  boutiques  de  la   Rousselle,  comme   Roche  ou 

1.  C  1624,  10  juin  1759. 

2.  Délibérations  de  la  Jurade,  9  janvier  1719. 

3.  C  1611. 

4.  Délibérations  de  la  Jurade,  21  mai  1726 

5.  Id.,  15  mai  1732. 

6.  Registre  du  Parlement,  21  août  1737.  t 

7.  Archives  du  Bureau  du  commerce,  26  avrn  1747. 

8.  C  1624. 

9.  C  1624.  Réponse  de  la  Chambre  au  questionnaire  de  Tourny,  3  juin  176! 
10.  C  1611. 


AVEC    I.ES    INTE:»JDANTS,     I.E    l'Vni.EMENT    ET    LES    .irH\TS  I  f)7 

Mi^ytM'p,  les  Bruriiiiul  et  Ifs  Billatte  de  la  cité,  et  jusqu'aux  grands 
négof'iaiits  des  Cliaitrons,  comme  de  Kater,  favoriser  ]>•>  l)\d)ergier  '. 

C'est  un  peu  tôt  j)eut-être  pour  parler  des  Chartrons,  qui  nais- 
saient à  ce  moment  sous  les  auspices  du  granrl  f(»minerce.  Mais 
ce  nouveau  faubourg  du  nord  servait  déjà  de  refuge  aux  négociants 
•itrangers  et  aux  marchandises  étrangères,  f[u"au  ikhii  des  antiques 
privilèges  de  la  ville  les  jurats  ne  voulaient  pas  admettre  dans  les 
murs.  Le  parti  des  Chartrons  avec,  à  sa  tête,  de  Kater,  Lafore, 
Barreyre  2,  se  constitua  peut-être  à  la  faveur  du  conflit  de  1710'. 
qui  mit  aux  prises,  pour  des  années,  les  partisans  de  la  vente 
à  Bordeaux  des  vins  du  haut  pays  et  les  défenseurs  acharnés  des 
privilèges.  Les  négociants  chartronnais,  partisans  d'un  régime  de 
liberté,  trouvèrent  des  sympathies  dans  la  cité  :  Beaujon,  Vignes, 
Treilhet*,  d'autres  encore  vinrent  grossir  ce  parti,  en  butte  dès  lors 
aux  persécutions  des  jurats,  du  Parlement,  de  la  Rousselle  ^,  l'an- 
tique faubourg  du  sud.  Malgré  l'aijjtui  déclaré  de  l'intendant,  ]>• 
grand  commerce  n'eut  pas  toujours  le  dessus. 

De  bonne  heure,  le  président  de  la  Chambre  dut  se  préoccuper 
de  ces  intrigues,  qui  allaient  toujours  se  multipliant,  entre  les  juges, 
les  consuls,  les  directeurs.  Il  déplore  les  tendances  oligarchiques 
de  la  juridiction  consulaire  et  de  la  Chambre  :  «  Les  brigues  qui  se 
font  depuis  quelques  années,  parmi  les  marchands,  pour  parvenir 
à  la  Jurade,  au  Consulat,  et  à  être  nommés  directeurs  de  la  Chambre 
de  commerce,  en  éloignent  les  bons  sujets.  Les  jeunes  négociants 
dépensent  des  sommes  considérables  pour  acheter  les  suffrages 
et  détenir  la  préférence  sur  leurs  anciens*.  » 

Et  une  autre  fois  : 

«  Ouoy  que  le  commerce  de  Bordeaux  soit  aussi  considérable  que 
celuy  d'aucune  ville  qu'il  y  ait  en  Franee,  et  ([u'il  se  fasse  par  des 
négociants,  parmi  lesquels  il  y  en  a  un  grand  nondire  d'aussi  dis- 
tingués par  leurs  lumières  que  par  leur  probité,  je  vois  avec  une 
vraie  peine  que  la  Chambre  de  commerce  de  cette  ville  ne  se  sent 
point  de  leur  réputation  et  passe  pour  une  des  moins  fortes  i\n 
royaume  '.  » 


1.  Registre  des  délibérations  de  la  Jurade,  15  mai  173-2. 

2.  C  1611. 

3.  C  3660,  1740. 

4.  Marion,  op.  cit.,  p.  277. 

5.  C  1624,  C  1611,  C  1624,  passim.  Cf.   Labraque-Bordenavp.  tn   Les  D,épulés  du 
commerce. 

6.  C  1624,  21  mars  1732. 

7.  C  4314,  1"  may  1752.  Lettre  de  Tourny 


198     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Il  faudrait  que  le  haut  négoce  la  régénérât,  mais  les  principaux 
négociants,  écartés  à  maintes  reprises  ^,  refusent  maintenant  d'être 
directeurs  2  :  c'est  un  malheur  pour  le  commerce  bordelais,  l'in- 
tendant finit  par  avoir  de  lui  cette  opinion;  comme  il  «consiste 
en  vin,  les  propriétaires  sont  forcés  de  faire  la  cour  aux  marchands 
pour  avoir  le  débit  de  leurs  denrées,  ce  qui  leur  persuade  qu'ils 
sont  presque  indépendants,  en  sorte  qu'ils  se  soumettent  avec 
peine  à  toute  sorte  d'authorité,  sans  laquelle  il  ne  serait  pourtant 
pas  aysé  de  les  conduire  »  ^ 

Le  président  de  la  Chambre,  mal  disposé  pour  elle,  ne  cesse  d'in- 
tervenir dans  son  administration. 

Mais  ces  coups  d'autorité,  que  les  brigues  expliquent,  n'aboutis- 
sent qu'à  mettre  la  Chambre  en  défiance. 

Il  est  pénible  de  voir  combien  de  fois  l'intendant  a  dû  intervenir 
dans  les  élections,  préparant  les  unes,  cassant  les  autres,  essayant  de 
faire  arriver  les  candidats  officiels  qu'il  a  eu  le  dépit  de  voir  ensuite 
échouer  *. 

Vraiment  ces  jeux  d'influences  secrètes  ne  nous  intéressent 
guère,  et  d'ailleurs  un  érudit  consciencieux  en  a  écrit  tout  au  long 
l'histoire ^  Sachons  que  l'intendant  a  contesté  l'élection  de  Roma 
en  1723  «,  de  Castaing  le  fils  en  1729",  de  Pérès  en  1752»,  de  Bar- 
reyre  en  1753  *,  de  Barbeguière  en  1755,  etc. 

Que  ce  soit  Boucher  ou  Tourny,  peu  importe:  c'est  la  Chambre 
de  commerce  qui  est  seule  en  cause  ici;  tout  autre  intendant  moins 
zélé  aurait  agi  de  même,  car  l'attitude  de  certains  intrigants  tour- 
nait au  scandale,  et  l'initiative  des  mesures  prises  contre  eux  appar- 
tint souvent  au  Pouvoir. 

Dès  l'année  1721,  La  Vrillière  envoyait  un  arrêt  à  l'intendant  pour 
lui  permettre  d'intervenir,  à  l'occasion,  dans  l'élection  des  jurats  et 
des  consuls  i";  en  1726,  Dodun,  cette  fois,  se  permettait  de  révoquer 
en  doute  les  allégations  de  la  Chambre  de  commerce,  bien  que 
transmises  et  appuyées  par  l'intendant  ^i.  Plus  tard  Orry  ne  montrait 


1.  C  4314,  1"  may  1752.  Lettre  de  Tourny. 

2.  C  1611,  22  mars  1750. 

3.  C  1626,  22  mars  1726.  Lettre  de  Boucher. 

4.  C  1624,  2  may  1752.  Lettre  de  Tourny. 

5.  Labraque-Bordenave,  op.  cit.,  passim. 

6.  C  1624,  7  may  1723.  Lettre  de  Boucher. 

7.  C  1611,  4,  6  may  1729. 

8.  C  1624,  2  may  1752.  Lettre  de  Tourny. 

9.  C  4315,  15  may  1752.  Lettre  de  Tourny. 

10.  C  1624,  20  novembre  1721.  Lettre  à  La  Vrillière. 

11.  C  1626,  30  avril  1726.  Lettre  de  Dodun. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    LE    l'ARLEMENT    ET    I.ES    JURATS  I  r)g 

pas  inoias  do  (lt''cisi()ii,  <|uaml,  i-u  1732,  à  propos  des  élections  à  la 
Juridiction  consulaire,  il  niarcjuail  ;i  Houclicr  les  inlrnfions  très 
nettes  du  roi  ^  Et  enfin,  Trudaine  rapp«'lait  à  Touriiy  en  17^0  tous 
les  droits  de  l'intendant  sur  la  Chambre,  et  v<>ul;iil  >;ivuir  >"\\  les 
exerçait  effectivement  ^. 

Vigoureux  à  l'occasion,  le  gouvernement  absolu  de  Loui<  XV 
ne  persévérait  pas  longtemps  dans  sa  fermeté  :  il  s'énervait  vile 
et  son  mot  d'ordre  semblait  être  :  «  pas  de  règlements  généraux  »^ 
(|ui  pouvait  tout  remettre  en  question,  «pas  d'affaires»*.  N'y  en 
avait-il  pas  bien  assez  ? 

La  j)olitique  des  intendants  est  plus  sûre  et  plus  suivie;  en  1725 
le  mode  d'élection  du  député  du  Commerce  fut  modifié;  l'intendant 
fit  conférer  au  gouvernement  le  droit  de  choisir  entre  trois  candidats 
élus,  «  afin  de  ne  pas  laisser  les  électeurs  entièrement  les  maîtres  de 
cette  nomination  »^  Le  ministre  appuya  Boucher  en  1732  quand, 
dénonçant  les  abus  (non-admission  des  naturalisés  à  la  Chambre 
de  commerce,  élection  exclusive  des  anciens  juges  et  consuls,  refus 
de  faire  appel  aux  marchands  en  gros,  influence  prépondérante  de 
certaines  familles),  il  proposa  un  règlement  nouveau^. 

Ce  règlement  parut  sous  la  forme  d'un  arrêt,  obligeant  les  direc- 
teurs à  élire  chaque  année  deux  négociants  ou  marchands  en  grosi 
le  troisième  pouvant  être  marchand  en  gros,  en  détail  ou  naturalisé, 
et  ce,  quoiqu'ils  n'aient  été  ni  juges  ni  consuls  '. 

Tourny  envoya  un  projet  d'arrêt  en  1752^  pour  que  la  juridic- 
tion consulaire  de  Bordeaux  fût  composée  de  cinq  marciiands,  un 
juge  et  quatre  consuls;  cette  réforme  fut  approuvée  par  la  décla- 
ration royale  du  7  avril  1754  ^,  adoptée  et  appliquée. 

On  peut  croire  que  ces  mesures  très  sages  eurent  au  m()in>  i[url- 
ques-ims  des  bons  effets  qu'on  attendait;  néanmoins  elles  n'abou- 
tirent que  très  tard,  vers  le  milieu  du  siècle,  à  briser  l'oligarchie. 

Entre  1720  et  1743,  se  démêlant  péniblement  au  travers  des  intri- 
gues, l'histoire  de  la  Chambre  perd  sa  hellr  unité.  Li-s  partis  s'y 
succèdent;  la  politique  change  avec  les  partis;  car  chacun  n'entre- 


1.  C  1624,  24  avril  1732.   Lettre  d'Orry. 

2.  C  1611,  28  février  1750.  Lettre  de  Trudaine. 

3.  C  1611,  10  juin  1729. 

4.  C  1624,  3  juin  17Î9.  Lettre  du  Contrôleur  général 

5.  C  1626,  18  janvier  1726. 

6.  C  1624,  21  mars  1732.  Lettre  de  Boucher. 

7.  C  1624,  24  aoilt  1732. 

8.  C  1624,  4  avril  1752. 

9.  C  1624,  10  juin  1754. 


200     RAPPORTS  DE  LA  CHAMimE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

lient  pas  les  mêmes  relations  avec  les  jurats,  le  Parlement,  les 
intendants.  Les  jurats  ^  sont  recrutés  le  plus  souvent  parmi  les  négo- 
ciants de  la  cité  ;  à  l'égard  des  Chartrons,  ils  partagent  leur  défiance; 
aussi  bien  l'administration  municipale  n'est  pas  troublée  moins  que 
la  Chambre  par  l'esprit  de  parti  :  et  nous  avons  la  preuve  qu'ici  et 
là  ces  intrigues  s'accordèrent-.  «Leur  parti  [celui  des  jurats], 
écrivait  Tourny  en  1752,  a  influé  dans  cette  élection  [à  la  Chambre 
de  commerce]  ;  beaucoup  de  négociants  veulent  devenir  jurats, 
et  ils  sentent  que  vu  le  temps  qui  court,  ils  ont  plus  besoin  de  ceux 
qui  le  sont  que  de  moy  [à  cause  du  comte  de  Saint-Florentin  qui 
les  protège]  ^.  » 

Le  Parlement,  assemblée  de  grands  propriétaires,  prend  à  tâche 
de  ne  pas  rebuter  les  négociants  :  le  soin  qu'il  prend  de  ses  intérêts 
lui  tient  lieu  de  politique  commerciale;  comme  les  jurats,  il  est 
d'ailleurs  plutôt  porté  vers  les  vieilles  familles  bordelaises,  ses  voi- 
sines dans  l'ancienne  cité.  Enfin,  les  intendants  sont  en  relations 
suivies  avec  le  grand  négoce  et  se  défient  de  la  Rousselle,  où  des 
esprits  indépendants  leur  donnent  du  souci.  Et  la  Chambre  s'agite, 
sans  savoir  qui  la  mène. 


II 


Vers  1720,  les  rapports  de  la  Chambre  et  des  jurats  sont  empreints 
de  la  cordialité  la  plus  franche,  et  ces  liens  d'une  amitié  intime  ten- 
dent à  se  resserrer  encore.  Il  est  vrai  que  Fonfrède,  Fouques,  Gra- 
teloup,  François  Billatte  siègent  à  la  Jurade,  et  que,  soit  par  eux- 
mêmes,  comme  Fouques  et  Grateloup*,  soit  par  leurs  parents,  comme 
Billatte,  député  du  commerce,  ils  trouvent  du  crédit  auprès  des 
directeurs.  C'est  l'heure  où  l'on  se  confie  de  l'un  à  l'autre  les  inquié- 
tudes :  il  s'agit  d'une  foire  à  remettre  à  cause  d'une  épidémie, 
on  s'accorde  à  demander  la  franchise  des  marchandises  venant  de 
pays  non  suspects,  pendant  la  quinzaine  qu'aurait  duré  la  foire  ^, 
et  on  l'emporte  à  deux.  C'est  l'heure  où  chacun  proteste  de  ses 
bonnes  intentions  à  l'égard  de  l'autre  :  les  jurats  assurent  la  Cham- 
bre «  que  dans  toutes  les  occasions,  où  il  s'agira  du  bien  et  de  l'avan- 


1.  II  ne  s'agit  que  des  jurats  négociants. 

2.  C  1624,  21  mars  1722. 

3.  C  1624,  2  may  1752. 

4.  Dast  Le  Vacher  de  Boisville,  op.  cil.,  passim. 

5.  C  4252,  11  et  31  décembre  1721. 


AVEC    LES    INTENDANTS.    I.E    l'AlU.EMF.NT    ET    LES    JURAT^  aOf 

tago  rhi  cummoire,  ils  fi-idiil  tnujcturs  avec  plaisir  loiil  n-  (|iii 
(|(''|MMiiira  d'eux  dès  le  moment  qu'ils  en  seront  re(|uis  »  '. 

A  partir  de  1725,  M.  Hibail,  autrefois  directeur,  présenttîment 
jurât,  est  chargé  par  la  Jurade  des  missions  auprès  de  la  Chambre *: 
à  partir  de  1728,  ayant  été  élu  de  nouveau  directeur,  il  comuuiniquo 
à  ses  anciens  collègues,  les  jurats,  les  avis  de  la  C.hamhnr'.  I']n  1730, 
Castaing  (Michel)  est  en  même  temps  jurât  et  direct fiir,  ce  (jui  est 
bien  mieux  encore  *. 

Entre  temps,  une  querelle,  cunune  il  en  éclate  même  entre,  btms 
amis,  faillit  troubler  ces  excellents  rapports.  Billatte,  le  député, 
avait  achevé  sa  carrière.  Les  jurats,  dont  aucun,  j'imagine,  n'était 
à  cette  époque  ni  directeur,  ni  ancien  directeur  *,  oublièrent  tout 
simplement  de  s'entendre  avec  la  Chambre  à  propos  d'un  règle- 
ment sur  les  vergeurs  ^  La  Chambre  reçut  les  plaintes  des  négociants  ; 
elle  avait  à  les  satisfaire.  Ils  réclamaient  contre  certaines  innova- 
tions sanctionnées  par  les  jurats  ;  les  vergeurs  prétendaient  ne  plus 
travailler  qu'à  tour  de  rôle  et  faire  à  cet  effet  une  bourse  commune, 
«^)ar  là  se  perpétuer  dans  une  paresse  et  une  ignorance  égallement 
pernicieuse  et  déplorable  »  ".  La  Chambre  décida  de  s'opposer  à 
l'exécution  de  l'ordonnance,  ce  qui  était  grave;  et  les  jurats  qui 
l'avaient  rédigée,  se  décidèrent  à  la  faire  respecter.  Le  Parlement 
se  prononça  contre  elle  ^,  l'intendant  en  sa  faveur*.  Les  vergeurs 
s'impatientaient,  ils  exigeaient  double  salaire;  la  Chambre  s'indi- 
gna :  ils  oubliaient,  ces  mercenaires,  que,  vivant  du  commerce,  ils 
devaient  le  servir  i".  Le  plus  court  était  de  s'entendre  avec  la  Jurade 
pour  réprimer  cet  attentat^'.  Il  est  possible  qu'elle  se  souciât  assez 
peu  elle-même  de  défendre  des  révoltés.  Elle  eut  l'impression  de 
s'être  trop  avancée,  et  soumit  le  règlement  à  l'examea  du  commerce, 
témoignant  ainsi  de  son  désir  d'entente.  Avant  tout,  les  directeurs 
décidèrent  de  «  garder  toutes  les  mesures  qu'exigeaient  la  bien- 
séance et  la  déférence  due  aux  jurats»,  mesures  dont  la  ('.liaiiil»rc 
n'entendait  jamais  se  départir^-.   Après  cela,   M.  Ribail,  l'ancien 

1.  C  4252,  1"  juin   1724. 

2.  C  4252,  13  décembre   1725. 

3.  C  4253,  9  fiérenibre  1728,  25  août,  1"  .seplerabrft.  22  décembre  1720 

4.  C  4253,  23  mars  1730. 

5.  Le  Vacher  de  Boisville,  op.  cit.,  paxsint. 
C.  C  4269. 

7.  C  4253,  9  septembre  1728. 

Id. 
9.  C  4253,  1"  septembre  1729 

10.  Id.,  9  décembre  1728. 

11.  Id.,  id. 

12.  C  4253,  3  janvier  1729. 


202     RAPPORTS  PE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

jurât,  et  le  sous-maire  de  Ségur  discutèrent,  à  Paris.  Les  vergeurs 
se  pourvoyaient  au  Conseil.  Il  fallait  se  hâter.  Mais  M.  de  Ségur 
ne  se  prêtait  à  aucun  «  ajustement  »  ^  M.  Ribail,  de  retour  à  Bor- 
deaux, est  mandé  à  l'hôtel  de  ville.  La  Chambre  décide  qu'il  «pourra 
convenir  au  nom  de  la  Chambre,  aux  articles  dont  il  a  convenu  avec 
M.  de  Ségur,  et  ce,  seulement,  par  esprit  de  paix  »;  Ribail  a  peur 
que  trop  de  responsabilité  ne  lui  incombe,  on  lui  adjoint  M.  Saincric 
comme  second  -.  Les  choses  traînent.  Heureusement,  les  vergeurs 
commettent  l'inévitable  faute  :  ils  se  compromettent  par  une  pré- 
tention de  plus  ^.  Trop  heureux,  les  jurats  les  abandonnèrent; 
et  la  paix  se  fit  sur  la  double  élection  à  la  Chambre  et  à  la  Jurade 
de  Michel  Castaing,  qui,  l'année  précédente,  avait  eu  à  se  plaindre 
de  l'intendant.  Dès  lors,  les  officiers  municipaux  ne  songèrent  plus 
à  ménager  leurs  anciens  protégés,  les  vergeurs  :  c'étaient  des  mutins 
et  des  imposteurs  *.  L'alliance  entre  la  Chambre  et  la  Jurade  était 
scellée  à  nouveau. 

Elles  combattirent  ensemble  l'imposition  des  trois  sous  pour  livre 
établis  sur  les  droits  d'entrée  et  de  sortie ^  La  Jurade  fait  des  démar- 
ches; la  Chambre  reprend  jxiur  son  compte  les  démarches  des 
jurats. 

C'était  trop  beau;  sur  une  question  de  rabattage  des  sucres'' 
dans  les  rues,  les  jurats  firent  les  mystérieux  :  ils  avaient  des  raisons, 
dirent-ils,  pour  ne  pas  faire  connaître  leurs  intentions  '.  Un  peu 
plus  tard,  ils  demandaient  sournoisement  d'être  dispensés  d'entre- 
tenir un  député  du  commerce.  C'était  faire  pièce  à  la  Chambre^; 
pourtant  l'accord  se  maintenait  à  propos  de  l'imposition  demandée 
pour  les  travaux  exécutés  sur  la  Dordogne  ^,  à  propos  du  «  délestage  » 
et  même  des  courtiers.  Sur  cette  question,  les  jurats  évitèrent 
encore  de  se  brouiller  avec  la  Chajnbre.  Ils  n'avaient  pas  attendu 
l'avis  des  directeurs  pour  faire  droit  au  réquisitoire  du  procureur 
général,  portant  «  comme  autrefois  inhibition  et  deffense  à  toute 
manière  de  gens  de  faire  sur  le  port  et  havre  de  la  présente  ville, 
la  fonction  de  prétendu  courtier  ou  entremeteur  des  marchés  des 


1.  C  4-253,  1"  septembre  1729. 

2.  Id.,  9  mars  1730. 

3.  Id.,  23  mars  1730. 

4.  Lettre  de  Jurade,  5  janvier  1732. 

5.  C  4253,  12,  19  janvier  1730. 

6.  Jd.,  5  avril  1731. 

7.  Id.,  12  avril  1731. 

8.  Lettre  de  Jurade,  9  février  1732 

9.  C  4253,  14  mai  1733. 


AVKC    LES    INTENDANTS,     I.E    l'ARI.F.M  i:>T    1.1     I.KS    .1 1  H  M  S  ao3 

vins  »  1.  La  Chambre  ayant  ensuite  combatt\i  i  •■  it-}:;|('nieril ,  l<s 
jurais  appelèrent  devant  eux  les  parties  pour  les  ui»*ttre  irafeonl  -'. 
licvi-nant  sur  it'ur  ]»remière  décision,  ils  iiuliinMi-nl  (l.iii-;  liiir  st-u- 
Irucf  d'arbitrage  en  faveur  fie  la  riiambre,  cunt'ini»'  des  courtiers 
loyaux:  «Les  choses  doivent  rester  dans  le  même  état, conclurent-ils, 
le  bien  et  l'avantage  du  commerce  résistent  égalfinent  aux  ]»rétfii- 
tions  des  courtiers  royaux  \  » 

L'entente  durait  encore  à  la  fin  de  1738,  à  moins  que  l'rm  ne 
veuille  voir  comme  une  première  escarmouche  dans  cette  anecdote 
que  nous  content  les  jurats. 

C'était  le  22  décembre  1738,  en  plein  hiver,  et  peul-cLre  le  lenijts 
t'tait-il  mauvais;  deux  directeurs  avaient  été  députés  par  la  Chambre 
;'i  r Hôtel  de  Ville;  ils  voulurent  entrer  au  corps  de  garde  dans  leur 
chaise  à  porteurs  :  «  11  leur  fust  dit  par  l'officier  de  garde  ipiiU 
n'étaient  pas  dans  ce  droit,  ni  dans  cet  usage,  ce  qui  les  obligea 
de  rétrograder  et  de  se  faire  porter  à  la  petite  porte  de  l'Hôtel  de 
Ville,  qui  est  dans  la  rue  du  collège  de  Guienne,  où  ayant  rencontré 
M.  de  Moluin,  jurât,  et  M.  de  Moluin  en  ayant  fait  le  raport  à 
MM.  les  Jurats  qui  étaient  dans  la  chambre  du  Conseil,  il  fut  chargé 
et  prié  d'alh^r  à  ladite  petite  por^  où  les  sieurs  de  la  Chambre 
du  Commerce  attendaient,  et  leur  dire  de  la  part  de  Messieurs  les 
Jurats  qu'ils  n'étaient  point  dans  ce  droit,  ny  dans  cet  usage, 
à  quoy  s' étant  conformés,  rentrèrent  dans  leur  chaise,  se  firent 
porter  à  la  grande  porte  de  l'Hôtel  de  Ville,  où  ils  sortirent  de  leurs 
chaises  qui  restèrent  dans  la  rue  *.  » 

Si  l'on  en  croit  les  documents,  l'aventure  fut  sans  portée  :  la 
Chambre  ne  dut  pas  bouder  longtemps;  la  stsceptibilité  ombra- 
geuse des  jurats  était  trop  connue  pour  qu'elle  ])ût  inquiéter  per- 
sonne. Bref,  le  calme  devait  être  parfait  quand  l'orage  éclata,  au 
grand  étonnement  de  tout  le  monde.  On  se  battit  à  propos  d'un 
arrêt  du  Parlement  de  septembre  1738;  dans  l'arrêt  était  inséré 
un  article  du  vieux  statut  défendant  à  tout  négociant  de  Bor- 
deau.-c  d'acheter  du  vin  du  liaut  pays:  en  1710,  plus  de  quatre-vingts 
des  meilleurs  négociants  signèrent  un  mémoire  contre  cette  dispo- 
sition de  l'arrêta  Les  jurats,  l'esprit  hanté  par  leurs  vieux  ]>rivi- 
lègcs,  firent  cause  coniinuiie  avec  le  Parlement;  pendaul    plus  de 

1.  Délibération  de  Jurnclf,  27   févri'-r  1737 

•2.  C  4-254,  2  janvier  173S. 

3.  Délibération  île  Juraile,  4  janvier  HS-^. 

4.  Délibération  de  Jurade,  'Z'I  décembre   173S. 

5.  C  3660.  Lettre  de  Tourny. 


ao4  RAPPORTS    DE    LA    CHAMBRE    DE    COMMERCE    DE    BC^RDEAUX 

onze  ans,  ils  allaient  systématiquement  écarter  de  l'Hôtel  de  Ville 
tous  les  signataires  du  mémoire,  et  ceux-ci,  par  représailles,  allaient 
tâcher  de  détruire  à  la  Chambre  l'influence  des  jurats.  Entre  les 
deux  corps,  ce  fut  à  qui  subordonnerait  l'autre.  On  n'évita  plus 
les  occasions  de  froissement,  on  les  rechercha  même,  on  les  fit 
naître  comme  à  plaisir.  Les  jurats  ayant  marqué  leur  défiance  à 
l'égard  des  négociants,  ceux-ci  restent  sur  le  qui- vive. 

A  propos  de  la  présence  obligatoire  des  matelots  sur  leur  navire, 
les  jurats  demandent  les  observations  de  la  Chambre  par  écrit. 
La  Chambre,  affirment  les  directeurs,  «  ne  répond  par  écrit  pour  ce 
qui  concerne  le  commerce,  qu'à  des  ministres  »  ^  Inutile  de  dire  à 
quel  point  les  jurats  sont  mortifiés  2;  les  démarches  de  la  Chambre 
auprès  d'eux  n'auront  plus  chance  d'aboutir. 

En  réponse  à  l'obstination  des  jurats,  qui  ne  veulent  toujours  pas 
des  négociants  marqués  à  l'encre  rouge,  la  juridiction  consulaire 
élit  Menoire,  un  de  ceux-là,  juge  en  1744;  la  Chambre  le  porte  à 
la  direction  du  commerce  en  1745. 

La   paix   devient  impossible  :   «  La  Chambre,  disent  les  jurats, 

en  1745,  était  bien  la  maîtresse  de  faire  les  observations  qu'elle 

jugerait  à  propos  au  Conseil,  .d'autant  qu'elles  leur  paraissaient 

^     très  justes,  mais  ils  ne  pouvaient  pas  aller  contre  leurs  ordonnances^.» 

Les  négociants  en  vin  voudraient  quelque  relâche  dans  l'exécu- 
tion de  règlements  trop  rigoureux,  la  Chambre  est  de  leur  avis; 
mais  les  jurats  :  «  La  demande  des  négociants  était  des  plus  déplacée... 
ils  ne  pourraient  avoir  égard  à  ladite  demande  ^.  » 

Une  autre  fois,  il  s'agit  d'une  ordonnance  des  officiers  munici- 
paux sur  le  dragage  des  ancres;  ils  ont  omis  de  consulter  la  Chambre. 
Elle  en  a  «  mal  au  cœur  »  •^;  un  autre  jour,  ce  sont  les  minots  ^,  et 
l'envie  de  se  battre  est  si  forte,  qu'elle  vient  à  bout  des  meilleurs 
arguments;  la  Chambre  se  divise  et  Ollé,  Pérès-Duvivier,  Barreyre, 
trouvent  très  bon  l'avis  des  jurats'  interdisant  aux  «fabricants 
de  minots  »  de  Nérac  de  vendre  aux  boulangers  de  notre  ville  ^  Ces 
divisions,  qui  afTaiblissent  la  Chambre,  annoncent  ses  prochaines 
défaites. 


1.  C  4254,  1"  décembre  1741. 

2.  Id.,  5  décembre  1741. 

3.  C  4254,  3  juin  1745. 

4.  C  4255,  10  juillet  1749 

5.  C  4254,  9  mars  1752 

6.  Id.,  29  avril  1754. 

7.  Id.,  id. 

8.  Id.,  25  avril  1754. 


AVEC   LES    IMEKDANTS,    I.E    PAHI.EMEM    ET    ILS    .lUBATS  7O0 

Le  jour  viciil  où,  définitivement  victorieuse,  la  .fur;i<l<'  rt-fait 
iliaque  année  la  Chambre  à  son  imaf^c,  jtar  le  scandidats  i|ir<lle  y 
lait  arriver.  L'iulciidaut.  (It-iKince  a^s  menées  :  «  La  Jurade  ititlui- 
beaucoup  trop  depuis  quelques  années  sui-  \r  ilioix:  des  sujets  qui  la 
composent  [la  Chambre';  elle  ne  s'embarrasse  guère  d'y  en  inl  in- 
duire de  bons,  pourvu  (jue  ceux  qu'elle  y  introduit  soient  uliles  à 
ses  vues  ^  )^ 

L'ayant  bien  absorbée  en  elle,  la  Jurade  permit  à  la  Chambre  dt; 
roiinuler  des  vœux  et  sollicita  en  sa  faveur,  le  protecteur  avoué 
des  jurats  bordelais:  Saint- Florentin 2-3-*.  A  ce  moment,  ceu\-ei 
pouvaient  croire  avoir  associé  les  directeurs  à  leurs  destinées. 

(A  suivre.)  M.  LHLRiriER 


].  C;  3281,  G  novembre  1754. 
±  C  1624,  2  mai  17^2. 

3.  C  4255,  30  muy  1753. 

4.  C  2381,  t>  novembre  1754. 


MÉLANGES 


A  propos  d'un  portrait  de  Victor  Louis. 

J'ai  signalé  dans  le  dernier  numéro  de  la  Revue  un  document  qui 
révèle  l'existence  d'un  portrait  de  Victor  Louis  destiné  à  la  maison 
Gobineau  et  qui  était  resté  la  propriété  de  Gabriel  Durand,  l'appa- 
reilleur  de  Louis.  J'avais  supposé  que  ce  portrait  pouvait  être  celui 
que  les  héritiers  de  Charles  Durand  donnèrent  à  la  Ville  et  qui  se 
trouve  aujourd'hui  dans  le  bureau  du  chef  de  cabinet  de  M.  le  Maire 
de  Bordeaux.  M.  Meaudre  de  Lapouyade,  qui  a  examiné  de  près 
cette  toile,  estime  qu'elle  n'est  qu'une  copie  réduite  du  portrait 
appartenant  à  M.  de  Corny  et  que  Marionneau  a  reproduit  en  tête 
de  son  livre.  Il  y  a  donc  lieu  de  croire  que  ce  dernier  est  le  portrait 
même  destiné  à  la  maison  Gobineau  et  offert  sans  doute  à  Louis 
par  Gabriel  Durand.  Je  remercie  M.  Meaudre  de  Lapouyade,  dont 
la  compétence  artistique  a  résolu  ce  petit  problème.  p    q 


Un  notaire  qui  n'aime  pas  les  tyrans. 

Si  la  Révolution  fit  tomber  bien  des  têtes,  elle  en  tourna  encore 
plus.  Il  semble  cependant  que  de  tous  les  humains,  les  notaires, 
gens  calmes,  réfléchis  et  pratiques,  auraient  dû  échapper  à  la  con- 
tagion. Eh  bien  !  il  n'en  fut  rien,  et  chez  eux  comme  ailleurs  on 
trouve  des  esprits  méchamment  utopiques.  Voici  par  exemple  la 
proposition  que  le  citoyen  Rivière,  notaire,  fit  aux  représentants  du 
peuple  en  séance  à  Bordeaux  au  début  de  la  Terreur  : 

Citoyens  ReprésenLans, 

Je  viens  de  lire  sur  un  papier  public  qu'un  citoyen  offrait  50  livres 
par  année,  pour  les  frais  de  la  guerre  jusqu'à  ce  que  George,  roy 
d'Angleterre,  fut  tué. 

Je  suis  père  de  trois  enfans,  mary  d'une  jeune  épouze  que  je  crois 
enceinte,  fils  d'une  mère  pauvre  et  infirme,  assez  médiocrement  for- 
tuné, pour  ne  pas  dire  pauvre,  moi-même.  Je  suis  notaire,  c'est  mon 
seul  état,  ma  seule  ressource,  c'est  aesoz  dh'e  que  bientôt  je  n'en  auré 
aucun.  N'importe,  j'ai  des  bras  vigoureux,  je  suis  élevé  depuis  nu^ 
plus  tendre  enfance  dans  le  sein  d'un»  famille  honnête  et  extrêmement 


MELANGES  307 

hiliniicusc.  Je  va  me  doniR-r  à  une  occupation  i|iii  puisse  iournir  du 
pain  à  mes  enlans    trop  jeunes  cncure  pour  le  ^'au'ncr  cux-mémi'S. 

Je  prens  dès  ce  moment  ren^'a},'L'mfnt  lorinrl  de  payt-r  eiinpiante 
livres  ]>our  chaque  tête  de  roy  et  i»rfmii;r  minislrt;  (jui  londu-runl. 
L'homme  libre,  oui,  l'homme  libre,  qui  aura  eu  le  couraj,'!*  de  pMrj,a'r 
la  Itrre  de  ces  monstres,  recevra  de  nioy  cette  somme  sansaucundélay. 
J'alïecte  dès  ce  moment  lo  prn  de  Idens  (jue  je  possède;  et  si  mes 
besoins  me  pressoit  de  le  vendre,  quinze  cents  livres  resteront  dans 
les  mains  de  mon  acquéreur  pour  faire  fonds  h  cette  dette  que  je 
regarde  comme  sacrée. 

Kn  diminuant  de  cette  somme  la  fortune  de  mes  enfants,  ils  seront 

dedomagés  par  le  bonheur  d'être  libre  et  de  pouvoir  se  dire  les  enfants 

d'un  )ière  (}ui  aura  contribué  h  leur  [trocurer  des  frères  liiires  comme 

eux,  dans  les  peuples  qui   gémissent  encore  sous  la  Ncrge  des  tiran--. 

Sailli    cl    fratendté 

Le  vray  sans-culotte  Montagnard 

lliviÈui;. 

Bordeaux  Hue  des  Carmélites  n"  7. 

Le  sextidi  du  l'^''  decady  de  frimaire 

L'an  1793  deuxième  de  la  Rep.  une  et  indix  i>iiile. 

P.  S.  Je  paye  également  la  somme  promise  sur  le  mandat  de  celuy 
qui  l'aura  gagné  en  quelqu'endroit  qu'il  soit. 

Je  vous  réitère  l'ofTre  d'<>m[doyer  tous  mes  mcnciis  au  >oulieu  et 
au  service  de  la  Répuldiijue.  Sous  verres  si  je  sais  la  servir  et  tenir 
ma  parolle. 

RlNlÈHE  '. 

En  marge  de  la  pièce  on  lit,  de  la  main  du  représentant  du  peuple 
Ysabeau  : 

«  Répoudre  pour  le  féliciter.  » 

Ce  notaire  était-il  un  roublard  qui  cherchait  à  sauver  sa  tête  ou 
un  sincère  détraqué?  Qui  peut  le  dire? 

Roger  Brouillard, 

1,  Arcli.  diij.,  L  963. 


CHRONIQUE 


M.  Marion  professeur  au  Collège  de  France.  —  Par  décret  prési- 
dentiel en  date  du  7  mai  dernier,  notre  éminent  collaborateur  M.  Marcel 
Marion,  professeur  d'histoire  à  la  Faculté  des  Lettres,  a  été  nommé  profes- 
seur au  Collège  de  France  (étude  et  enseignement  des  faits  économiques  et 
sociaux).  Nous  le  prions  d'agréer  nos  plu*  chaleureuses  félicitations.  Parmi 
les  nombreux  titres  qui  ont  désigné  M.  Marion  à  la  chaire  qu'il  va  occuper, 
l'histoire  de  Bordeaux  a  le  droit  de  réclamer  sa  place.  C'est  de  nos  archives 
départementales,  patiemment  fouillées  et  dépouillées,  que  l'auteur  de  La 
vente  des  biens  nationaux  pendant  la  Révolution  et  des  Impôts  directs  sous  l'an- 
cien régime  a  tiré  une  bonne  part  des  documents  qui  étayent  si  solidement 
ses  magistrales  études.  L'un  de  ses  premiers  travaux  fut  consacré  à  la  famine 
de  17^8  en  Guienne;  un  autre  —  très  remarquable  — a  pour  objet  l'impôt 
sur  le  revenu  en  Guienne  au  xvni'  siècle;  un  autre  encore  l'état  des  classes 
rurales  à  la  même  époque  dans  la  généralité  de  Bordeaux.  Président  du 
Comité  départemental  chargé  de  la  publication  des  documents  sur  l'histoire 
économique  de  la  Révolution,  M.  Marion  a  donné,  en  collaboration  avec 
MM.  Benzacar  et  Caudrillier,  le  premier  volume  des  Documents  relatifs  à  la 
vente  des  biens  nationaux  dans  la  Gironde.  Il  nous  plaît  de  penser  que  ces 
recherches  d'histoire  locale,  conduites  avec  une  admirable  probité  scienti- 
fique, ont  contribué  à  imposer  son  nom  au  choix  du  Collège  de  France  et 
de  l'Institut. 

Le  bicentenaire  de  l'Académie  de  Bordeaux.  —  L'Académie  de 
Bordeaux,  créée  par  lettres  patentes  du  5  septembre  1712,  a  décidé  de 
commémorer  cette  année  le  bicentenaire  de  sa  fondation.  Elle  organise  à 
cette  occasion  des  fêtes  qui  auront  lieu  le  1 1  et  le  12  novembre  prochain  et 
auxquelles  seront  conviés  l'Institut  de  France,  la  Société  royale  de  Londres, 
les  Académies  étrangères,  les  Académies  provinciales,  les  Sociétés  savantes 
de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouest.  L'Académie  des  Sciences  y  sera  représentée 
par  son  secrétaire  perpétuel,  M.  G.  IJarboux;  l'Académie  Française  par 
M.  Marcel  Prévost;  l'Académie  des  Inscriptions  par  MM.  Marcel  Dieulafoy, 
Camille  JuUian  et  Edouard  Cuq;  PAcadémie  des  Beaux-Arts  par  M.  Pascal. 

Pour  l'histoire  religieuse  de  Bordeaux.  —  Sous  le  titre  :  Documenta 
quœdani  Clarissaram  hisloriam  generalem  et  speciatim  monasterii  0.  S.  Claric 
Bardigalensis  illustrantia  fs^cc.  XIII-XVIJ,  le  P.  Ferdinand  Delorme  a  publié 
dans  VArchivum  franciscanum  historicum, ann.\,  1913, pp.  4i-5i,  32i-35i,  des 
pages  dont  l'intérêt  mérite  d'être  signalé.  La  transcription  de  certains  de 
ces  documents  avait,;»  vrai  dire, été  déjà  donnée  dans  \es  Archives  historiques 
de  la  Gironde;  mais  le  commentaire  qui  accompagne  l'édition  du  P.  Delorme 
et  les  pièces  inédites  sont  dignes  d'attirer  l'attention  de  tous  ceux  qui  s'oc- 
cupent de  l'histoire  religieuse  bordelaise. 


CHRONIQUE  a09 

Pour  l'histoire  économique  du  Bordelais.  ~  La  belle  thèse  de 
doctorat  que  M.  Henri  Mariou,  lauréat  de  l'Ijnivcrsilé  de  Hordeaux,  vient 
de  soutenir  hrillainnionl  devant  la  Facnllé  de  Droit  de  Paris  sur  La  iliine 
ecclésiastique  en  i'raiice  an  \\iii°  sièrle  et  xa  stipi)ressi<in.  nous  inlt-rcsse  aussi, 
autant  par  sa  valeur  propre  que  par  la  mise  en  œuvre  de  nombreux 
documents  tirés  des  Archives  départementales  de  la  Gironde.  (Test  une 
contribution  très  neuve  à  notre  histoire  économique,  cl  qui  fait  le  plus 
grand  honneur  au  jeune  historien. 

Les  statues  de  Bordeaux.  —  .M.  Paul  Fourché,  vice-président  de  la 
Société  archéologique,  vient  de  retracer,  dans  une  élégante  plaquette, 
l'histoire  elles  vicissitudes  des  statues  bordelaises  :  la  Messaline  et  la  Renom- 
mée de  (  ladillac,  confisquées  par  Louis  \I  V  e't  par  Louis-Philippe  ;  le  Louis  XV 
de  Lemoyne  et  le  Napoléon  III  de  Debay.  détruits  par  les  révolutions;  le 
Loui  \VI  de  Raggi  et  le  Tourny  de  Marin,  devenus  l'un  et  l'autre  pièces  de 
musée;  Montaigne  et  Montesquieu,  le  Gloria  Vii-lis  et  le  Vercingétorix,  le 
génie  du  monument  des  Girondins,  le  président  (larnot  et  (iambetta.  La 
plume  de  M.  Fourche  est  malicieuse;  parfois  elle  égratigne.  On  ne  peut 
pourtant  qu'être  d'accord  avec  lui  pour  souhaiter  que  l'I-tat  offre  à  la  \ille 
au  moins  un  moulage  de  la  llenommée  de  Pierre  Biard,  dont  elle  a  été  si 
injustement  dépossédée.  On  lira  aussi  avec  intérêt  les  documents  inédits 
qui  prouvent  que,  en  i~^^,  les  jurais  projetèrent  d'élever  à  Louis  XVI  une 
statue  en  bronze  dans  la  cour  du  futur  hôtel  de  ville  pour  commémorer  le 
traité  de  Versailles,  au  moment  même  où  Louis  songeait  à  rendre  le  même 
hommage  au  roi  en  dressant  son  image  sur  la  colonne  de  sa  place  Ludovise. 

Un  roman  historique  bordelais.  —  M""  la  comtesse  de  lloudetot  vient 
de  publier  un  roman  historique,  Madcinoisellc  de  Galias,  qui  a  pour  cadre 
le  Bordeaux  de  la  Uévolution.  La  reconstitution  est  ingénieuse  et  précise. 
A  signaler  une  soirée  de  1778  sur  les  allées  de  Tourny,  où  les  élégants  et 
les  élégantes  écoutent,  en  mangeant  des  glaces  et  des  sorbets,  la  voix  mer- 
veilleuse de  Dominique  Garât,  le  rossignol  bordelais. 

Un  voyage  de  Laîné  aux  Pyrénées  en  1804.  —  .\I.  Manuel  Four* 
cade  a  publié  dans  la  Revue  des  Hautes -Pyrénées  (avril  1912,  pp.  i2i-i4i) 
des  notes  de  Laîné,  extraites  des  manuscrits  conservés  à  la  Bibliothèque  de 
la  ville  de  Bordeaux,  et  que  lui  avait  communiquées  le  regretté  II.  (lélestc. 
(l'est  un  journal  de  route,  écrit  au  cours  d'un  voyage  que  Laîné.  simple 
avocat  à  Bordeaux,  fit  en  i8o't  à  Barèges,  Iléas,  Gavarnie,  Cauterets,  Argc- 
lès,  Saint- Savin,  le  Tourmalet  et  Campan.  Ces  notes  sont  curieuses* 
M.  Fourcade  les  a  encadrées  d'un  très  vivant  commentaire,  où  il  donne 
quelques  pièces  de  vers,  d'ailleurs  assez  pénibles,  inspirées  à  Laine  par  ses 
clientes.  Il  révèle  aussi  que  Laine  avait  songé  à  écrire  des  .\uits.  à  l'iinitalion 
d'Voung. 

Les  hivers  «  viticides  »  en  Bordelais.  —  Dans  une  brochure  tech- 
nique sur  le  «couchage  des  vignes  grelTées  pour  prévenir  certaines  consé- 
quences graves  des  gelées  d'hiver  »,  M.  le  D"^  Georges  Martin  a  repris 
l'histoire  des  grands  hivers  bordelais  au  point  de  vue  spécial  des  donunages 
subis  par  les  vignes,  (le  travail  intéressant  et  neuf  met  en  lumière  l'utihté 
des  recherches  historiques  pour  le  progrès  de  la  viticulture. 

i5 


a  10  CHRONIQUE 

Monographies  locales.  —  Après  les  deux  solides  volumes  de  M.  l'abbé 
Gaillard  sur  Saint-Magne,  après  le  livre  de  M.  Guignard  sur  Castillon,  après 
le  travail  de  M.  l'abbé  Raby  sur  Saint-Germain-d'Esleuil,  dont  la  Revue  a  déjà 
parlé  (cf.  1912,  pp.  i4i-i4/<),  voici  qu'une  institutrice,  M"'=  Renée  PeyroUe, 
nous  donne  des  Noies  historiques  sur  deux  communes  du  Médoc,  Gaillan 
et  Naujac,  et  un  ancien  instituteur,  M,  P.  Bodin,  en  collaboration  avec  un 
secrétaire  de  mairie,  M,  A.  Clary,  une  grosse  Histoire  de  Lesparre.  Ces 
exemples  méritent  d'être  signalés  au  moment  où  les  membres  de  l'ensei- 
gnement primaire  montrent  un  sérieux  souci  de  s'intéresser  aux  recherches 
locales. 

Voyage  d'études  locales.  —  Un  groupe  d'instituteurs  et  d'institu- 
trices, ayant  à  sa  tête  M.  Rotgès,  inspecteur  primaire,  et  auxquels  s'étaient 
joints  des  professeurs  de  l'enseignement  secondaire,  a  fait,  le  dimanche 
2  juin,  sous  la  direction  de  MM.  Ktchart  et  Barrière,  l'excursion  annoncée 
dans  la  dernière  chronique  de  la  Revue,  à  la  grotte  de  Pair-non-Pair  et  à 
Bourg.  M.  F.  Daleau  a  fait  aux  excursionnistes  les  honneurs  de  son  musée 
avec  sa  bonne  grâce  ordinaire  et  il  a  montré  l'intérêt  que  les  maîtres  peu- 
vent tirer  de  la  science  préhistorique  pour  leur  enseignement. 

Le  conseiller  au  Parlement  Jean  de  Belot.  —  Dans  la  Revue  de 
r Acjeiiais  (1912,  pp.  gS-iio),  M.  l'abbé  Marl)ontin  consacre  une  intéressante 
étude  à  un  humaniste  bordelais  du  xvi*  siècle,  le  conseiller  au  Parlement 
Jean  de  Belot,  ami  de  Ronsard,  de  La  Boétie  et  de  Montaigne. 

Un  Bordelais  agent  secret  de  Mazarin.  —  Sous  le  titre  :  Un  com- 
plément au  Journal  du  procès  du  marquis  de  La  Boulaye,  M.  Henri  Courteault 
révèle,  dans  V Annuaire-Bulletin  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  la  part 
active  que  prit,  en  lO'jg,  à  un  complot  tramé  à  Paris  contre  Thibaud  de  Lavie, 
avocat  général  au  Parlement  de  Bordeaux,  un  Bordelais,  André  de  Sossiondo, 
qui  «  travaillait  »  pour  le  compte  de  Mazarin. 

La  Société  des  Amis  de  Montaigne.  —  Sur  l'initiative  de  M.  le 
D'  Armaingaud,  une  Société  des  Amis  de  Montaigne  vient  de  se  constituer 
à  Paris.  Elle  a  povir  président  M.  Anatole  France  et  pour  vice -président 
M.  Louis  Barthou.  Elle  a  inauguré  ses  travaux  par  un  banquet,  que  présida 
.M.  Henry  Roujon.  Au  dessert,  M"°  Dussanne,  de  la  Comédie -Française, 
lut  le  chapitre  des  Essais  sur  l'amitié  et  le  sonnet  de  M.  Jules  Lemaitre  : 
«  Montaigne  ». 

Le  Congrès  de  la  Société  française  d'archéologie  à  Saint- 
Emilion.  —  Les  membres  de  ce  Congrès,  qui  s'est  tenu  cette  année  à 
Angoulême,  ont  visité  Saint-Émilion  le  jeudi  20  juin,  sous  la  direction  de 
MM.  Lefèvre-Pontalis  et  L.  Serbat.  Dans  l'une  des  séances  d'études,  M.  le  mar- 
quis de  Fayolle  a  lu  une  communication  sur  les  trois  églises  monolithes  de 
la  région.  La  Société  française  d'archéologie  a  décerné  une  médaille  d'argent 
à  M"'  Henriette  de  Pierredon,  secrétaire  de  la  Société  historique  et  archéo- 
logique de  Saint-Émilion. 

Fouilles  devant  Saint-André.  —  «  En  faisant  une  tranchée  pour  le 
gaz,  sur  la  chaussée  nord  de  la  place  Pey-Berland,  à  quatre  mètres  environ 
de  la  cathédrale,  la  pioche  des  ouvriers  a  mis  au  jour  et  brisé  quelques 


CHRONIQUE  a  r  I 

sarcopha^jcs  en  pierre.  On  a  en  môme  temps  retrouvé  les  30ul)asscments  de 
deux  jambages,  soit  d'un  portail  primitif,  soit  plulAt  d'un  pordie  de  la 
première  église,  déjà  découvert  il  y  a  quelques  années  en  posant  des  càhles 
d'électricité. 

»  (les  soubassements  sont  au  niveau  de  ceux  delà  porte  Hoyale.àun  mètre 
environ  au-dessous  du  sol  actuel.  Ils  sont  placés,  presque  symétriquement, 
en  face  de  ceux  de  la  porte  Pey-Berland  [portail  nord),  un  peu  plus  vers 
l'est.  Pour  placer  les  conduites  de  gaz,  on  a  dû  malheureusement  démolir 
une  partie  de  la  maçonnerie. 

»  La  division  des  beaux-arts  à  la  mairie  s'est  empressée  de  faire  enlever 
une  fine  colonnette  et  un  fût  de  colonne  «lui  se  trouvaient  parmi  les  débris.  » 
[Pelite  Gironde  du  i/|  juin  19 12.) 

Société  archéologique.  —  Dans  la  séance  du  12  avril,  M.  Bardié  a 
annoncé  qu'il  avait  retrouvé  les  noms  des  artisans  qui  ont  exécuté  des  tra- 
vaux de  boiserie,  ferronnerie,  etc.,  (jui  décoraient  l'ancien  hôtel  Dude- 
vaut,  rue  des  \leiiuts,  ô-j. —  M.  Béchade  a  donné  des  détails  complémentaires 
sur  les  boiseries  et  sculptures  du  pavillon  Richelieu,  à  Bacalan.  —  M.  Uicaud 
a  communiqué  divers  documents  sur  le  quartier  Saint-Pierre,  en  particulier 
sur  la  rue  de  la  Vieillc-Corderie  (rue  Leupold). —  M.  Charroi  a  présenté 
plusieurs  objets  antiques  découverts  à  Saint-Laurent,  et  des  photographies 
de  la  croix  de  Peyre-Goulit,  que  lui  a  signalée  -M.  le  curé  (iaudin.  — 
M.  Bouchon  a  présenté  le  sceau  de  la  section  n»  30,  dite  de  la  Convention, 
qui  siégeait  au  séminaire  Sainl-Raphaël  en  1794.  —  Le  Musée  du  Vieux- 
Bordeaux  a  reçu  de  M.  Coudol  un  vase  en  terre  trouvé  au  cours  de  travaux 
exécutés  rue  Saiut-Christoly  •,  de  M.  Mengeot,  une  empreinte  de  sceau  du 
prieur  des  Carmes  de  Bordeaux;  de  M.  de  Saint-Saud,  une  empreinte  du 
sceau  de  Lafaurie  de  Monhadon,  maire  de  Bordeaux;  de  M.  Béraud,  une 
taque  de  cheminée  provenant  d'une  ancienne  maison,  rue  Poquelin- 
Molière;  de  M.  Boudreau,  deux  jetons  de  l'ancienne  Société  des  sciences  et 
arts  de  Bordeaux.  —  La  Société  a  admis  comme  nouveau  membro  M.  A. 
Guignaber,  pharmacien  à  Pauillac. 

Dans  la  séance  du  10  mai,  M.  le  D'  G.  Lalanne  a  fait  une  communication 
sur  le  niveau  aurignacien  de  Lausscl,  avec  pièces  à  l'appui. —  M.  G.  Bou- 
chon a  rendu  compte  d'un  récent  voyage  qu'il  a  fait  aux  ruines  romaines 
de  Tirngad,  à  Kl-l)jem,  Cartilage,  Kairouan,  et  donné  de  nombreux  détails 
sur  la  sculpture  arabe.  —  M.  Béchade  a  présenté  une  pièce  romaine  unique, 
un  sceau  bourgeois  du  xni°  siècle,  ainsi  que  dillerentes  remarques  de  sigil- 
lographie locale. —  La  Société  a  été  agréée  par  les  ministères  de  la  guerre, 
de  la  marine  et  des  colonies  au  nombre  des  Sociétés  savantes  accessibles  avix 
olliciers  des  départements. 

Le  dimanche  19  mai,  la  Société  a  lait  son  excursion  aimuelle  dans  la 
région  de  Guîtres,  sous  la  direction  de  M.  Brutails,  archiviste  déparl*-- 
mental.  Kllc  a  visité  successivement  les  églises  de  Sainl-Denis de  Pile,  de 
Coutras,  de  Saint-Martin -de -Laye,  l'abbatiale  de  Guitres,  les  églises  de 
Sablons  et  de  La  Lande. 

Société  des  Archives  historiques.  —  Dans  la  séance  du  ai  mal, 
M.  Caratnan  a  comnmniqué  :  i"  des  documents  complémentaires  sur  les 


212  CHRONIQUE 

demoiselles  Trouvé;  2°  le  récit,  tiré  des  registres  secrets  du  Parlement, 
d'une  émotion  populaire  provoquée  à  Bordeaux  par  la  condamnation  d'un 
laquais  (6  septembre  1729);  3*une  lettre  de  félicitations  adressée  à  Louis  XV 
par  lo  Parlement  de  Bordeaux  à  l'occasion  de  la  victoire  de  Fontenoy(  1745). — 
M.  Alfred  Leroux  a  fait  connaître  une  présentation  d'un  avocat  des  pauvres 
faite  au  Parlement  de  Bordeaux  par  l'avocat  général  Dusault,  avec  ordon- 
nance conforme  {i5  novembre  1691).  —  M.  F.  Thomas  a  donné  des  détails 
sur  les  dîners  offerts,  le  20  décembre  1769  et  le  6  septembre  1785,  par  la 
Chambre  de  commerce  à  MM.  de  INolivos  et  de  Beliecombe,  gouverneurs  de 
Saint-Domingue.  —  M.  Ricaud  a  communiqué  un  mémoire  des  Jésuites 
protestant  contre  le  dommage  fait  au  jardin  du  Noviciat  par  la  construction 
du  fort  de  Sainte-Croix  (fin  du  x\n'  siècle).  — M.  Courteault  a  communiqué 
une  exporle  du  7  mars  i644  et  une  reconnaissance  de  17^9,  extraites  par 
M.  l'abbé  Iloyer  du  terrier  de  Notre-Dame  de  Talence,  conservé  aux  archives 
départementales  de  Maine-et-Loire  dans  le  fonds  de  Fontevrault,  et  qui 
permettent  de  préciser  l'emplacement  de  la  chapelle  des  Monges,  lieu  pri- 
mitif du  pèlerinage  de  Talence.  M.  l'abbé  Royer  a  joint  à  ces  documents  un 
plan  et  deux  élévations  de  la  chapelle,  conservés  dans  les  mêmes  archives. 
—  La  Société  a  admis  comme  membres  titulaires  MM.  Henri  Gounouilhou 
et  Farne,  avocat  à  la  Cour  d'appel,  et  comme  membre  correspondant 
M.  Charles  Hanappier. 

—  Dans  la  séance  du  28  juin,  la  Société  a  désigné  son  président,  M.  Sam 
Maxwell,  pour  la  représenter  aux  fêtes  du  bicentenaire  de  l'Académie  de 
Bordeaux.  —  Elle  a  admis  comme  membre  titulaire  M.  Maurice  Ferrus.  — 
M.  P.  Caraman  a  donné  lecture  d'une  correspondance  entre  l'intendant 
Tourny  et  le  ministre  d'Argenson  au  sujet  des  projets  d'embellissement  de 
Bordeaux  (1744).  —  M.  F.  Thomas  a  complété  sa  précédente  communica- 
tion et  lu  trois  lettres  adressées  en  176;')  à  la  Chambre  de  commerce  au 
sujet  des  pirates  barbaresques.  —  M.  A.  Leroux  a  présenté  un  texte  critique 
de;>  plus  anciens  statuts  de  la  communauté  des  prêtres  bénéficiers  de  Saint 
Michel  de  Bordeaux  (i46o,  i54o  et  lôoc)).  —  M.  J.  de  Maupassant  a  lu  plu- 
sieurs documents  sur  la  prise  du  navire  bordelais  la  Gloire  par  la  frégate 
anglaise  le  Milford  après  un  combat  de  nuit  (7-8  mars  1762).  —  M.  P.  Harlé 
a  communiqué  une  condamnation  aux  galères  pour  vol  d'une  croix  d'argent 
dans  la  Chapelle  des  Chartreux  (i5  avril  1578;.  —  M.  R.  Brouillard  a  lu 
une  série  de  documents  relatifs  à  la  pension  et  à  la  récompense  attribuées 
en  l'an  VU  au  perruquier  Troquart,  de  Saint-Émilion,  pour  avoir  recueilli 
et  hébergé,  en  l'an  11,  les  Girondins  proscrits.  —  M.  E.  Rousselot  a  donné 
lecture  du  compte  rendu  de  la  célébration  de  la  fête  nationale  à  Bordeaux 
le  25  messidor  an  IX  (i4  juillet  1801). 

Découverte  archéologique  à  Baurech.  —  A  quelques  mètres  de 
l'église  de  Baurech,  on  a  découvert  un  hypocauste,  une  petite  lampe  de 
terre  grise  et  des  monnaies  plus  récentes. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


Du  15  février  1918  au   15  juin  1918. 

Albalat  (Antoine),  —  Comment  il  faut  lire  Montesquieu.  .Journal 
des  Débals,  14  juin  1912. 

Archives  histokiqiîes  du  dépari enit'ul  de  la  Gironde.  Tonu'  XT.\'I. 
Bordeaux,  impr.  G.  Gounouilhou.  Paris,  libr.  A,  Picard  et  /ils.  linr- 
ileaux,  libr.   Ferel  el  fils.    1911,  in-é»,  xvii-431   p.,  fac-similé. 

Barennes  (Jean),  —  Viticulture  et  vinification  t'u  Uordclais  au 
moyen  âge  (fin).  Revue  hislorique  de  Bordeaux  el  du  déparlernenl  de 
la  Gironde,   1912,  p.  47-58,  122-13.3. 

Cf.  même  Revue,  1911,  p.  97-119,  191-206,  271-283,  336-34C,  412-424. 

BoDiN  (P.)  :  Voir  Clary  (A.), 

Broiii.laud  (R.),  — ■  Baisers  patriotiques.  Revue  hislorique  de  Bor- 
deaux el  du  déparlernenl  de  la  Gironde,   1912,  p.  62, 
Lettre  au.\  .\mis  de  la  Constitution  de  Bordeaux, 

Brutails  (J,-A,).  —  Recherches  sur  l'équivalence  dos  anciennes 
mesures  de  la  Gironde,  Bordeaux,  impr.  G.  Gounouilhou,  1912,  in-S", 
ino  p. 

-  Li's  vii'illcs  églises  de  la  Gir(»nde.  Bordeaux,  impr.  G.  Gou- 
nouilhou, 1912,  in-4o,  xii-298  p,,  ouvrage  orné  de  près  de  4U0  gra- 
vures dont  16  i)lanches  hors  texte  en  phototypie. 

Cakaman  ij'aul). — Procès  entre  les  frères  Miinm'^  di-  l'Obser- 
vance et  les  frères  Prêcheurs  de  Bordeaux  (4  avril-2  seplciiilu-e  1489). 
Archirrs  hisloriques  du  déparlernenl  dr  la  t'iiromlr.   lOII,  p.    l-ll. 

Glarv  (A,)  et  P.  BoDiN.  —  Histoire  de  Lespaiic.  Honleaux,  impr. 
F.  Peeh  el  C''.  1912,  in-8",  xvi-lSd  p.  cf  gniv. 

Goi.AS  (L,).  — ■  La  voie  romaine,  de  Hordcaiix  à  Asiorga  dans  sa 
traversée  des  Pyrénées,  Revue  des  Eludes  (inrimnes.  1912.  p.  175-1^8. 

Col  RTE.Mi/r  (Henri),  —  Un  complérntMil  au  .Inunial  du  procès  du 
marquis  de  La  Boulaye,  (Exlrail  de,  IWnnuaire-liulhlin  de  la  Soriélé 
de  VHisloire  de  France.)  Paris,  1911,  in-S",  39  \\. 

Détails  sur  trois  agents  secrets  de  Mazarin,  dont  »m  Uordelais  et  un  Béarnais. 

CouRTEAULT  (Paul). — -A  propos  d'un  i)orlrait  de  \'ictor  Louis. 
Revue  hislorique  de  Bordeaux  el  du  déparlernenl  île  la  Gironde,  1912, 
p.  134-135. 


2l/i  INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE 

C[ourteault]  (P[aul]).  —  D'Artagnan  à  Bordeaux.  Revue  historique 
de  Bordeaux  et  du  département  de  la  Gironde,  1912,  p.  64. 

Dezeimeris  (R.).  — AnnoLalions  inédites  de  Michel  de  Montaigne 
sur  les  «  Annales  et  chroniques  de  France  de  Nicole  Gilles  ».  Revue 
d'histoire  littéraire  de  la  France,  1912,  p.  126-149.  [A  suivre.) 
Cf.  même  Revue,  1909,  p.  213-258,  734-773. 

D[ujarric]-D[escombes]  (A.).  —  Lettre  du  marquis  de  Jumilhac, 
lieutenant  du  roi  en  Guyenne  (1744).  Bulletin  historique  et  archéolo- 
gique du  Périgord,  1912,  p.  107-108. 

FouRCADE  (Manuel).  — •  Un  voyage  de  Laîné  aux  Pyrénées  en  1804. 
Revue  des  Hautes-Pyrénées,   1912,  \k   121-141. 

Fourché  (P.).  —  Les  statues  à  Bordeaux  depuis  les  premiers  siècles 
jusqu'en  1900,  avec  reproduction  photographiques.  —  Un  projet  des 
Jurats  en  1784.  Bordeaux,  iinpr.  Cadoret,  1912,  pet.  in-S",  62  p.,  pi. 

Gaillard  (abbé  Albert).  —  A  travers  le  scliisme  constitutionnel 
en  Gironde.  Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  déparlenienl  de  lu 
Gironde,  1912,  p.   18-41,  105-114. 

Giraudin  (Auguste).  —  Marie-Thérèse-Gharlotle  de  Lamourous, 
fondatrice  de  la  Miséricorde  de  Bordeaux  (1754-1836).  Bordeaux, 
imp.  L.  Delbrel  et  C'%  1912,  pet.  in-8",  183  p.,  portr. 

Goetz-Bernstein  (H.  A.).  —  La  diplomatie  de  la  Gironde.  Jacques- 
Pierre  Brissot.  Paris,  libr.  Hachette  et  C'«,  1912,  in-80,  xx-451  p. 

Harlé  (Pierre).  —  L'Horloge  de  la  Grosse-Cloche  [à  Bordeaux]. 
Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  déparlemenl  de  la  Gironde,  1912, 
p.  59-61. 

—  Registre  du  clerc  de  vilit;  [dt;  Bordeaux],  xvi"  siècle.  Archives 
historiques  du  département  de  la  Gironde,  1911,  p.  45-358.  —  Tirage 
à  part.  Bordeaux,  impr.  G.  Gounouilhou,  1912,  in-40,  xli-339  p.,  fac- 
similé. 

HouD£Tor  (Comtesse  de).  —  Mademoiselle  de  Galias.  Bordeaux 
sous  la  Révolution.  Bordeaux,  Feret  et  fils,  1912,  pet.  in-80,  377  p. 

Jaurgain  (Jean  de).  —  La  maison  de  Caumont-la-Force.  Généa- 
logie de  ses  diverses  branches  du  xv'^  siècle  à  nos  jours,  rectifiée  et 
suivie  de  ses  preuves.  Paris,  H.  Champion,  in-4°,  157  p. 

Tiré  à  300  exemplaires  numérotés. 

Leroux  (Alfred.).  —  Documents  concernant  diverses  chapelles  de 
la  Palu  de  Bordeaux  (20  mars  1606-1''''  décembre  1792)  Archives  his- 
toriques du  département  de  la  Gironde,  1911,  p.  359-400. 

27  pièces  justificatives  d'un  article  du  même  auteur:  Origines  historiques  des 
paroisses  Saint-Louis,  Saint-Martial  et  Saint-Remi  de  Bordeaux.  Revue 
historique  de  Bordeaux,  1911,  p.  217-252. 

—  Histoire  des  quartiers  de  Bordeaux.  Le  quartier  de  Dacalan. 
Revue.  Philomathique  de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouest,  1912,  p.  1-22, 
80-99,  141-166,  3  pi.  —  Tirage  à  part.  Bordeaux,  impr.  G.  Gounouilhou, 
1912,  in-80,  67  p. 

Levi-Malvano  (E.).  — ■  Montesquieu  e  Machiavelli.  Dijon,  impr. 
Darantière.  Paris,  libr.  H.  Champion,  1912,  in-80,  152  p. 

Bibliothèque    de    l'Institut    français    de    Florence.    Université    de    Grenoble 

(1^^  série,  t.  Il); 


INDEX    BIBLIOGRAI'IIIMLE  3l5 

LirÈRiTiER  (M.)-  —  Histoire  dos  rapports  ilc  la  («liaïuhri!  dt;  rmii- 
mnrcc  dt',  Bordeaux  avec  les  Inteiidaiils,  le  Parlt'uifiil  i'\  It-s  Jurais, 
de  1705  à  1781.  Revue  fiislorique  de  liordeciux  cl  du  département  de  la 
Gironde,  I91'2,  p.  7:i-l()t.  (A  suivre.) 

Marboutin  (J.-R.). —  Un  Ageiiais  ami  de  Housard  :  Jean  Dutniiilli 
de  Belot.  Revue  de  rAnennis,  1012,  p.  03-11(1,  jd. 
Conseiller  au  Parleiiifiil  de  liordeaux. 

Makion  (ïleiiri).  —  La  dîme  ecclésiastique  eu  F"rance  au  xyiii"^  siècle 
et  sa  suppression,  étude  d'histoire  du  droit,  suivie  dnii  aperçu  sur  les 
(limes  inféodées  à  la  mrMiie  épinjiu'.  Bordeaux,  inipr.  de  l' l'niviTsitc 
et  des  Facultés,  1912,  iu-8",  xx-  iu;i  p. 

En  partie  d'après  les  documents  des  Archives  départementales  de  la  Gironde. 

Martin  (D''  Georges).  —  Couchage  des  vignes  greffées  pour  préve- 
nir cta'taiui^s  couséiputuces  gra\es  des  gel6(!s  d'hiver.  Tra\ail  commu- 
niqué à  la  Société  d'Agriculture  de  la  Gironde,  le  8  mai  1912).  Bordeaux 
inipr.  nouvelle  F.  Pecli  et  C'",  1912,  in-S»,  73  p. 

P.  25-64  :  historique  des  grands  hivers  funestes  à  la  vigne. 

Maupassant  (Jean  de).  —  La  prise  du  corsaire  de  Jersey  la  ^ïul!l 
(6  avril  1757).  Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  département  de  la 
Gironde,  1912,  p.  42-46. 

Par  la  frégate  bordelaise  la  Comtesse-de-Noailles. 

Meauure  de  Lai'oi'vade.  —  Mésaventure  d'un  musicien  du 
Grand-Théâtre  en  1781.  Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  départe- 
ment de  la  Gironde,  1912,  p.  115-121. 

—  La  statue  de  Clément  V  !i  la  Cathédrale  Saint-André  [de  Bor- 
d(!auxj.  Revue  historique  de  Bordeaux  el  du  département  île  la  Gironde, 
1912,  p.  5-17,  2  pi.  hors  Itixte. 

La  tète  du  pape  et  celle  d'un  des  évoques  sont  modernes. 

Montaigne.  —  Les  Essais.  Corbeil,  inipr.  Creté.  Paris,  lihr.  J.  Gil- 
lequin  et  C'%  [1911],  in-16,  6  vol..  I.   I '^^^  2in  p.:  I.   II.  2(i2  p.:  t.  111, 
2U5  p.;  t.  IV,  2U9  p.;  t.  V,  205  p.;  t.  VI,  195  \). 
Tous  les  Cliefs-d'œuvre  de  la  littérature  française. 

Montesquieu.  —  Lettres  persanes.  T.  I'^''.  Paris,  impr.  nouvelle 
{A.  Mangeot);  libr.  N.  Camus,  1911  (15  avril),  pot.  in-16,  192  p. 

Bibliothèque  nationale.  Collection  des  meilleurs  auteurs  anciens  el  modernes, 
n»  29. 

NicoLAï  (Alexandre).  —  Le  port  de  Bordeaux.  Son  avenir.  Libre- 
échange.  Revue  économique  de  Bordeaux,  1912,  p.  71-99,  pi.  et  fig. 
Conférence  faite  le  2S  mars  1912. 

lM:vnoLLE  (Renée).  —  Notes  hisLoriqur>  >ui'  Ir-  ndimuines  de  Gail- 
lan  et  Naujac  en  Médoc.  Bordeaux,  libr.  Albin  Michel,  1912,  in-S", 
121  p. 

Registre  du  clerc  de  ville.  —  Voir  11  \iti.i';  (Pierre). 

R[oussKi.(j  i]  (E.).  —  Le  lieu  de  décès  du  comle  Lyncii.  Revue  his' 
lorique  de  Bordeaux  el  du  département  de  la  Gironde,  1912,  p.  61-62. 

Rover  (L.).  —  Monse  abbatiale  de  Fontevrault.  Les  fermiers  du 
iiordelais.  L'agent  P.  Serin,  de  Saumur.  Revue  de  l'Anjou,  1912, 
p.  261-271.  [A  suivre.) 

Détails  sur  radministration  des  prieurés  de  La  llame  en  Itazadais  el  de  Notre- 
Dumc  de  Talence,  dépendant  de  l'abbaye  de  I-'outevraull,  au  xvui«  siècle. 


ijl6  VSOEX    BlbLIOGhAPHlQUÈ 

Salavert  (Jean).  —  Le  commerce  des  vins  de  Bordeaux  (thèse). 
Bordeaux,  impr.  J.  Cadoret,  1912,  in-S»,  264  p. 

SoREL   (Albert).  —  Montesquieu,    4^    édition.    Coulommiers,    impr. 
P.  Brodard.  Paris,  libr.  Hachelle  et  C'%  1912,  in-16,  176  p.  et  grav. 
Les  Grands  Écrivains  français. 

Thomas  (Fernand).  —  Les  dîners  de  MM.  les  Jurais  du  12  novem- 
bre 1756  au  28  août  1758.  Revue  Philomalhique  de  Bordeaux  et  du  Sud- 
Ouest,  1912,  p.  129-140.  —  Tirage  à  part.  Bordeaux,  impr.  G.  Gou- 
nouilhou,  1912,  in-8o,  11  p. 

Un  prince  royal  d'Angleterre  à  Bordeaux.  Revue  historique  de 

Bordeaux  et  du  déparlement  de  la  Gironde,  1912,  p.  63. 

Le  prince  Frédéric-Auguste,  en  mai   179L 

VovARD  (André).  —  Un  caporal  girondin  décoré  de  la  Légion 
d'honneur  en  1807.  Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  département 
de  la  Gironde,  1912,  p.  136. 

Jean  Dubourg,  décoré  pour  sa  conduite  à  Eylau. 


-^91^ 


Le  Gérant:  G.  Ducaunnès-Duval. 


Bordeaux.  —  Impr.  G.  Gounouilhou.  —  G.  Chapon,  directeur. 
9-11,  rue  Guiraude,  9-11. 


kECHEKCHES 


SUH 


i/a>c]i:nm:  église  mjtke-da.he  de  la  place 

A    BORDEAUX 

I:T  SLR  SES  DIVERSES  APPELLVTIONS 


Eu  ;i\  ril  1880,  pour  se  coiifonner  à  la  lui  iullcxiblf'  <lr  l'alif^Mic- 
iiHMiL,  (lisparaissail  l;i  modeste  façade  d'une  bien  modeste  église, 
((ui  cependant  avait  joué,  à  travers  les  siècles,  un  rôle  assez  impor- 
tant dû  à  plusieurs  causes,  et  surtout  à  son  vocable  et  à  la  ]»roxi- 
mité  de  la  cathédrale  Saint-André.  Cette  églisr  lui.  appelée,  tout 
d'abord,  Notre-Dame  de  la  Place,  ou  de  la  Place  Saint-André, 
sans  doute  pour  la  distinguer  de  Notre-Dame  de  Puy- Paulin; 
ensuite,  Saint-Eutrope;  parfois,  concurremment,  Notre-Dame  de 
l;i  Place  et  Saint-Eutrope,  ou  réciproquement;  plus  tard,  Sainte- 
Auuc- la-Royale,  et,  enfin,  chapelle  des  Irlandais.  De  cet  édifice, 
il  III'  reste  plus  que  deux  murs,  à  l'inlérioiir  du  troisième  magasin 
dune  maison  de  meubles,  en  parlant  ili-  la  ruf  du  Loup  L 

Mon  intention,  en  l'absence  d'éléments  sufTisaids.  prul-étre 
intr(iu\  iilih's,  n'est  point  d<'  composer  riii.-liijic  dr  .Xidri'-lUuue 
de  la  l'hirc.  Je  voudrais  seulemeid  ajnnlrr  cpirlqucs  muiNfaux 
rcnscigu<'mriil.-  à  rcux  que  l'on  possède  déjà  sur  cette  église,  et, 
le  cas  échéant,  en  rectifier  qur|(|ihs-iius '-. 

Notre- 1  •;!  iiir  de  la  Place,  située  à  1  l'sl  de  la  «aihédralc  et  imn 
loin  d'clli'.  était  déjà  ancienne  au   iiiMmcnt  où.  ru   117:!.   le  papi- 

1.  M.  l'l;iz;i!icl,  iiro|iiii'tiiiic  de  riiiiiiii'iil>lr  ilcpui:-  iMit;,  m'.t  f.iil  \  isiU'r  iiM-r  lii  |>lii> 
piiifiiiti'  (il>liL'r;iiiie  rciupliici'iin.'nl  «le  raniit'iiiir  rli;i|ifllc  dos  Irl.iiiihiis  el  m'a  fourni 
di's  d.'Ijiils  fort  iiiliMPSbanls  sur  les  différenlcs  iiiduslrit-!-  qui  s'y  sont  succédé  dans  le 
conraiil   du  xi.\'   sii'cle. 

-.  \'()lr  sur  l't'  sujet  :  Habariis,  Coinmissiiiii  '/''»■  M'Hiiinirnls  /M.s/oriV/iH's  ilc  lu  Oiromlr, 
1S54-1.S5V.',  |>.  l"J-'2-2;  Saiisas,  Journal  le  l'rogris,  année  IKtiTy;  Lniilien  IMçancau,  Btillrlin 
de  la  Société  arrhéoloijiquc  de  Bordvnu.r,  l.  VI,  p.  173-1H7  ;  Léo  Drouyn,  Bordeaux  ucm  HiO, 
liassiiu;  Lopès  et  l'abbé  Callen,  llinloire  de  l'Iù/lise  métrofmlUainr  de  Bordeaux,  t.  I", 
I'.  192-193:  I.  11,  p.  434-135:  abbé  l'.erlrand,  llisloire  des  Séminaires  de  Bordeaux: 
I.  l"^  Sémiuiiire  des  Irluiiilni.^,  p.  321-407:  le  niènie,  lie  de  Mcssirc  llcnry  de  Brlhinie, 
l.  Il,  p.  yi-"J3. 


3t8  l/ ANCIENNE    ÉGLISE    NOTRE-DAME    DE    LA    PLACE 

Alexandre  III,  s'adressant  au  doyen  et  aux  chanoines  de  Saint- 
André,  leur  accordait  la  collation  de  plusieurs  églises,  parmi  les- 
quelles est  citée  celle  de  Sainte-Marie  «  qiiip  est  prope  ecdesiani 
veslram  »  ^  C'est,  jusqu'à  ce  jour,  le  plus  lointain  document  relatif 
à  cette  église  fourni  par  les  archives  de  la  Gironde. 

En  1237,  sous  l'archevêque  Géraud  de  Malemorl,  se  fonde  une 
association  de  treize  prêtres,  chapelains  de  Saint-André,  connue 
sous  le  nom  de  confrérie  de  la  Trelzenna,  qui  se  perpétuera,  avec 
des  statuts  plusieurs  fois  modifiés,  jusqu'à  l'époque  de  la  Révolu- 
tion. Les  membres  de  cette  confrérie  «  devaient  se  visiter  et  se 
secourir  les  uns  les  autres,  quand  ils  étaient  malades  »  et  «  dire 
chacun  sept  messes  basses  et  en  chanter  ensemble  sept  liantes  »'-, 
immédiatement  après  le  décès  de  l'un  d'entre  eux.  Plusieurs  conciles 
ayant  prohibé  la  célébration  des  anniversaires  des  confrères  dans 
le  chœur  des  cathédrales  et  même  des  collégiales,  ces  ecclésias- 
tiques, «  affîn  de  célébrer  les  leurs,  le  premier  jour  de  chaque  mois, 
choisirent  la  chapelle,  alors  appelée  Notre-Uamo  de  la  Place  Sainl- 
André,  dépendante  du  chapitre  de  l'église  de  ce  dernier  nom,  et 
qui  n'en  est  séparée  que  par  une  distance  de  quelques  toises»^. 

A  côté  de  cette  confrérie,  il  y  avait  aussi  dans  la  même  église 
celle  de  Saint-Eutrope,  dont  le  plus  ancien  titre  connu  porte  la 
date  du  o  iriars  1356,  et  le  plus  récent,  celle  du  20  novembre  1541. 
Ce  sont  des  exporles  où  l'on  peut  lire,  écrit  en  langue  gasconne  : 
La  confrayria  de  sent  Estropi,  instituicla  et  fundada,  parfois  seule- 
ment institnida  en  la  gleiza  de  Nostra  Dona  de  la  Plassa  de  Bordeii, 
ou  en  français  :  Confrérie  de  Saint  Utroppe,  fondée  en  léylise  noslre 
Done  ou  Dame  de  la  Place  de  Bourdeanl.r.  Un  arrêt  du  Parlement 
fut  rendu,  le  1*.)  novembre  1554,  en  faveur  de  cette  confrérie,  dont 
on  ne  trouve  plus  de  traces  dans  la  suite*. 

Quels  étaient  les  statuts  et  l'importance  de  cette  confrérie?  Nous 
l'ignorons. 

Des  chapelles  c|u'il  pouvait  y  avoir  dans  cette  église,  nous  n'en 
connaissons  qu'une,  fondée,  depuis  longtemps,  par  un  certain 
Pierre  de  Beylac,  et  dont  le  chapelain  était,  en  1615,  Marc  Gayaud, 
qui  avait,  le  1^'"  septembre  1727,  parmi  ses  successeurs  messire 
Joseph   de   Buhan,   «  chanoine   de   l'églize   de   Bordeaux  ».    Il   est 

1.  Arcli.  dép.  de  ki  (iiioiide,  G  267,  Imllo  d'Alexandre  111. 

2.  Lopès  el  iibbé  Callen,  ouur.  cité,  t.   Il,  p.  434. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  G  604  :  Mémoire  de  Son  Altesse  Mgr  le  prince  Ferdinand 
de  Rohan,  archevêque  de  Bordeaux,  n»  4,  12  mars  1779. 

4.  Arch.  dép.,  G  2729. 


l'ancienne    ÉGMSE    NOTRE-DAME    OE    LA    PLACE  aig 

encore  fdit  rnentirui  de  cette  chapelle,  le  7  septembre  1773,  dans 
un  contrat  df  IVcum^  ilct^  agrières  '. 

Notre-Dame  de  hi  l'Iace  perdit-elle,  sons  Pey-Berland,  ses  pré- 
logatives  d'église  paroissiale,  comme  lalliriiH'  l;i  (Commission  des 
monuments  historiques  de  la  Gironde  ^  ? 

On  sait  que  Pey-Berland,  mort  le  17  janvier  1-458,  avait  aban- 
donné ses  fonctions  archiépiscopales  en  1456.  Or,  ;'i  hi  date  du 
16  août  1476,  on  ti-ouve  mentionné  \r  imhii  dr  I';i>(;d  (\i'  Bad<d, 
vicaire  perpétuel  de  JN'otre-Dame  de  la  Place  ■*.  Parmi  ses  successeurs, 
il  est  permis  de  citer,  le  IM  janvier  152"?,  Pif'rrr  i\r  llauteserre, 
«  qui  est  tenu  d'apprendre  le  plain-ijunil  "  ';  Ir  I T)  ni;ii  1537,  Massias 
Riveyrol  ^;  en  1551,  un  nommé  Caboi  "^j  le  8  novembre  1572,  Jacques 
l''orcade,  en  faveur  duquel  est  faite  une  reconnaissance",  «d,  h- 
oO  juin  1588,  Justin  Majoui-,  alors»  aux  estudes  en  la  vilN-  de  Paris  n". 
Son  oncle,  Edmond  jMajour,  chanfdue  rie  Saint-André,  agissant  au 
nom  de  son  neveu  absent,  consent  à  1" union  jirojetée  de  la  paroisse 
Xotre-Dame  de  la  Place  à  celle  de  Saint- Projet  j)our  les  nudifs 
iuflifjués  dans  la  supplique  suivante  adressée  à  rarc|ievè(|ue  de 
Bordeaux  :  «  Supplie  humblement  le  sindic  de  l'église  parroissielle 
de  Sainct-Proget  de  ceste  ville,  disant  que  la  ditte  parroisse  est 
une  des  premières  et  des  plus  antiennes  de  toute  la  ville,  prez  de 
Saint-André  el  assize  au  cœur  de  rjndieime  \illede  Rdiirdejnix. 
cl  ciiiniiieii  (jiK"  eu  la  ditte  parroisse  y  ave  heauroup  de  lions  et 
indables   bo\irgeoys   et   habitans   de   toutes   ((ualités.    iieanmoings. 

par    lilljure    du    temps    ou    aulremeid.    il    e>t    ;id\eiiii    (pie    le    re\eiMl 

de  hi  dille  église  ne  peult  sulire  à  r;iire  <'idretenyr  eu  icejle  le  ser- 
\  iee  di\  iu  uy  mes'mes.à  uuuiiir  uii;^'  liomie>|r  lininiiic  rcclesiasti(|ue, 
lellement  que  hi  deNulidu  de  la  dille  parroisse  perist  el  l;i  ditte 
église  va  eu  lelje  décadence  (ju'<'ri  lieii  de  temps  sei;i  deserle.  sil 
Il  y  est  pai"  vous  pdurveu. 

«Et  paiTc  que  l;i  ciirr  de  Sa  ild -l'iid  riqte  el  celle  de  .Ndl  re- I  >;i  me 
de  |;i  IMaee  >()id  deux  ;mi I  res  parrfdsses  c(udigiiës  à  celle  de  S;iiiil- 
l'roget,  es  (juidies.  |hiiii-  je  peu  de  niMiiIue  d'li;d)ii;ius  d  ic('||e>  mi 
jKMir  estre  de  si  pel  il  revenu  ijue  nul  ecclesiasi  i(|ue  ii"en  peull  \  i\ fi^, 

1.  Ai.ii.  .ic|i..  (;  •tiv.i. 

■i.     Ihi.l. 

a.  i>>td.,  <i  Util. 

4.    /'.«/..   ».    isii. 

r».  /''/'/.,  (i  -'Ht;. 

Cl.  /'</'/..  ».    .is?. 

7.  /'»(>/.,  l.    -'tilT. 

s.  Ihid.,  (i  '27;JN,  II"  lO,   liiioli  (II-  l"f;»Ii!ie  piiroissialc  de  Nolrc-D;iinc  de  la  Place  ù 

celle  lie  S;iiiit-Projet. 


2  3Ô  l'ancienne  Église  NothE-bAME  de  la  t>LACÈ 

il  ne  si  [sic)  fait  aucung  service  divin,  et  sont  les  dittes  églises  de 
Saint-Eutrope  et  Notre-Dame  de  la  Place  clozes  et  fermées  tout  le 
long  de  l'année,  sauf  quelques  jours  solempnelz,  tellement  que  les 
parroissiens  d'icelles  sont  contraintz  aler  au  service  divin  aux  autres 
églises  de  la  ville,  comme  il  est  notoire,  et  dont  plusieurs  plaintes 
et  remontrances  ont  esté  faites  cy  devant,  tant  à  vous,  mon  dit 
seigneur,  qu'à  messieurs  du  chapitre  Saint-André,  à  la  collation 
desquelz  sont  toutes  les  dittes  parroisses  ^.  » 

Pour  ces  divers  motifs,  le  syndic  demande  l'union  de  ces  paroisses. 

Le  chapitre  de  Saint-André  consulté  répond  qu'en  ce  qui  le  touche, 
il  consent  à  l'union  de  la  vicairie  perpétuelle  de  Notre-Dame  de  la 
Place  à  celle  de  Saint-Projet,  à  la  condition  «  que,  à  certains  jours 
de  Tan,  comme  aux  testes  de  Notre  Dame,  soubz  le  nom  de  lacjueJle 
la  dicte  église  Nostre-Dame  de  la  Place  est  fondée,  et  aux  festes 
dez  sainctz  desquelz  les  reliques  reposent  en  la  dicte  église,  et  autres 
jours  qui  seront  advisez,  le  service  sera  solenipnellement  faict  en 
la  dicte  église  Nostre-Dame  de  la  Place,  et  que  les  ouvriers  du  dict 
Sainct- Projet  se  chargeront  de  bien  et  douhement  entretenir  la 
dicte  église  Nostre-Dame  de  la  Place  »  -. 

Les  paroissiens  «  de  la  parroisse  Sainct-Euroi)e  »  sollicités  consen- 
tent à  ce  que  «  les  eglizes  parroissielles  de  Sainct-Eutrope  et  Nostre 
Dame  de  la  Place  soyent  unies  et  anexées,  avec  tous  les  biens  et 
revenus  d'icelles,  à  celle  de  Sainct- Project,  plus  antienne,  plus 
grande  et  capable  et  plus  commode  à  eux  tous  que  nulle  des  autres, 
et  ce  à  la  charge  toutes  fois  de  faire  i>;ir  les  prestres  du  dit  Sainct- 
Project  le  service  requis  et  qui  sera  par  le  dict  seigneur  arche- 
vesque  de  Bourdeaux  ordonné  es  dictes  églises  de  Sainct-Eutrope  et 
Nostre-Dame  de  la  Place  certains  jours  de  l'année  de  dévotion, 
et  toutes  telles  autres  charges  et  conditions  que  le  dict  seigneur 
archevesque  et  messieurs  du  chaj)itre  jugeront  estre  reisonnable  »  3. 

Dans  de  telles  conditions,  aucun  obstacle,  si  ce  n'est  le  refus  peu 
probable  de  l'archevêque  de  Bordeaux,  A.  Prévost  de  Sansac,  ne 
pouvait  s'opposer  à  cette  union,  qui  fut  faite  le  23  juillet  1588,  et, 
le  mardi  26  du  même  mois,  à  huit  heures  du  matin,  en  présence 
du  notaire  apostolique,  Martin  de  Lassus,  et  de  témoins,  le  vicaire 
perpétuel  de  la  paroisse  Saint-Projet,  Jean  de  Lacoste,  prenait 
possession  de  la  cure  de  Notre-Dame  de  la  Place  ^. 

].   Anh.  (Ipp.,  G  -273^,  ii"  10,  25  jviiii  158S. 
•1.    Ibid.,  (;  2738,  ii"  S,  12  juillet  1588. 

3.  Ibid.,  G  2738,  n°  9,  20  juillet  1588. 

4.  IbiiL,  G  2738,  ii°  13.  Exlr;iit  du  registre  23''  du  "greffe  des  insinuations  ecclésias- 
tiques de  lu  ville  et  dioceze  de  Bourdeaux  »,  f"  298. 


L   VNCIEPINE    KGLISI-.    N(»THE-I>AME    IH      l\     l'IACI.  Wil 

Doux  des  (liMiimi'iil  >  (pii  \  ii-niiciil  il  i-l  n- cih'v^,  smil  dr  imhiff  à 
jrl  iT  im  Cl 'il  ,1  in  I  iniiMr  il;i  II-  ri'-|iiil  >l  il  li'it  riir.  Il  \  l'-l  i|iic-l  imi  lie 
i|iii\  niit-  il  de  deux  églises  paroissiali-s  distinctes  porlaiil  l'iiiie 
je  iHHii  ilr  .\oLre-D;niie  de  l.i  Pl.icf  ••!  r;ndii'.  celui  de  S;iiiil -Kut  r(i|te. 
(>i'.  iiiiii>  siivrms  de  .-mirce  certaine  (pi  il  n'y  ;i\.iii  |»a>.  à  cûié  de 
Sailli-. \iiilré,  deux  églises  ])ar'(ii.ssiale.'-  [Mulaiil  cr-  deux  noms. 
\e  faudrait-il  pas  voir  dans  l'une  Notre-1  )anie  de  l.i  IMaee  ou  Saint- 
l"]nli'ope,  qui  était  la  nuMue  église  sous  deux  iinin.-  diiréreiits,  et 
dans  l'autre,  l'église  paroissiale  Sainl-Saii\eiii-,  cMnliiruë  à  ctdie  de 
\otre-Daine  fie  la  Place,  ainsi  (jiie  nmis  ra]i|iremtenl  d'anciens 
dniiiiiieiil-  ci  des  l'ouilles  faites  \ers  le  milieu  du  \i\*'  siècle^? 
Pnniiis  mil'  est  in  cajiili'  crc/cs/c  sanrli  Sulraloris.  riilelicet  jiulii 
erriesia/n  Beale  Marie  de  Platea,  est-il  écrit  dans  un  (ibituaire^. 

Au  \vi*'  siècle.  ([Udi  (pieu  dise  la  ('.ominissioii  des  nionurm-nts 
liist(iii(pie>,  ipii  pri'leiid  ipi'il  n'en  est  plus  fait  iiienliMii  ile|Hiis  la 
seconde  iiiuitir'  du  xv*-^  siècle,  Saint-Sauveur  existait  encore,  même 
comme  église  paroissiale  3,  el ,  le  23  octobre  1518,  elle  avait  pour 
vicaire  perjtéluel  .fean  de  Costures*.  Plus  lard,  après  l'union  rie 
\(il  i-e-Oanie  de  la  Place  à  Saiid-Prujel .  elle  n'ol  plus  église  parois- 
siale, puisque,  le  jeudi  l'O  ai  iCd  16(11 .  le  sous-doyen  et  l' ou  \iier  de  Saint- 
André  soid  coimiiis  pour  faire  recouvrir,  avec  l'argent  de  l'ieiivre, 
cette  église  «  seize  en  la  Sauvette  »,  et.  le  mardi  1 1  seplemlue  di'  la 
même  année  «  acte  est  donné  au  sieur  trésorier  »  de  ce  ipiil  a  remis 
la  clef  au  (  liapitre  ^.  Nous  la  retrouvons  encore,  mais  pour  |,i  dernière 
fois,  le  11  mai  lfi?l.  Elle  a  besoin  de  répai'ations  urgi-ntes  pour 
éviter  la  cliide  de  la  chai  perde  et  des  murailles,  et  il  est  oi'douné 
qu'elles  seront  faites  aux  frais  de  la  fabri(fue  du  i|ia|)il  re  ". 

iMi  l'esté,  rien  ne  nous  permel  de  croire  «pie  Saint-Sau\  eiir  ait 
t'tr-  un  instant  n'-uni  à  Saiul-Projel.  L'aiiioiilé  ec(désia>l  iqiie, 
arcdievêque  et  cliapitie,  dans  les  pièces  relatives  à  I  union  des  deux 
]iar(dsses,  ne  parle  jamais  que  de  Notre-Dame  de  la  Place  id  ne  cite 
]ioinl  Saint-Eut  rope.  tandis  (pie  ces  deux  noms  re\  iennent  sans 
cesse  sou-  la  jdume  ilii  syndic  de  Sain! -Piujel  et  des  jiaroissiens 
de  «'  Saiul-Eut  r(q>e  ».  Ne  serail-ie  ilunc  \>:t>  que  le-  bourgeois  et 
le  peuple,  moins  instruits,  et  ignorani   ou  ne  se  somciiant   jdus  que 

1.   Ci)W  miss  ion  ilfs  Muniimenls  histnriqiirs  de  la  tUnindi',  nmiri-   lS.M-lRr>-?.  p.  19-'23. 

O.   Léo  Dcdiiyn,  linrdi'ini.r  vers   /J.îO,  p.  ."î  ltt-3.">0. 

H.    (Uiininissinn  di's  Mmtiimenls  /i/.s7«r/(/i/i'.s-,   1  S.M - 1 8."i-2 .  p.  "20. 

4.  .Vi'cli.  tl(''p..  <;   -'OICi-.  "  .lolum  (le  CDstures,  vicari  perpeliiiMt  de  la  glcysa  Ue  Saut 
Sauvador.  •> 

5.  Ibid.,  291,  loi.   lit  V»  et  51  v. 

6.  Ibid.,  295,  fol.  53, 


22a  L  ANCIENNE    EGLISE    NOTRE-DAME    DE    LA    PLACE 

l'église  Saint-Eutrope  s'appelait  autrefois  Notre-Dame  de  la  Place, 
attribuaient  ce  dernier  nom  à  l'église  voisine,  c'est-à-dire  à  Saint- 
Sauveur,  sans  doute,  alors  peu  fréquentée  par  suite  de  son  état  de 
vétusté  ? 

En  efïet,  il  y  avait  déjà  bien  des  années  que  le  nom  de  Saint- 
Eutrope  était  donné  à  Notre-Dame  de  la  Place.  La  première  mention 
que  nous  en  ayons  trouvée  date  de  1551  :  u  Caboi,  vicarius  perpe- 
tualis  ecdesise  sancli  Eulropi  »  ^.  Léo  Drouyn  en  cite  plusieurs  de 
15532.  Efi  1589,  M.  Charles  Dusault,  avocat  général  au  Parlement 
de  Bordeaux  et,  depuis  plus  de  vingt  ans,  habitant  de  la  paroisse 
Saint-Projet,  parle  «  de  la  cure  de  Notre-Dame  de  la  Place,  autre- 
ment appelée  Sainct  Eustroppe  w^.  Et  c'est  ce  dernier  nom  qui  pré- 
valut pendant  tout  le  xvii^  siècle,  tandis  que  celui  de  Notre-Dame 
de  la  Place  reparut  au  xviii^.  En  voici  deux  preuves  :  la  chapelle 
de  Pey-Berland  est  mentionnée,  le  27  mai  1646,  comme  ayant  été 
fondée  «  en  l'église  Notre-Dame  de  la  Plasse  de  Bordeaux,  à  pré- 
sent Sainct-Eutrope,  »  tandis  que  le  1*^''  septembre  1727,  la  même 
chapelle  est  dite  avoir  été  fondée  «  en  l'église  Sainct-Eutrope,  à 
présent  Notre-Dame  de  la  Plasse»*.  Ce  nom  a  évidemment  une 
origine  populaire  et  n'a  point  été  imposé  par  un  acte  archiépiscopal. 

Les  curés  de  Saint-Projet  se  sont  toujours  intitulés  «  vicaires 
perpétuels  de  Sainct-Projet  et  de  Notre-Dame  de  la  Plasse,  son 
annexe.  »  11  en  est  ainsi  dans  un  acte  notarié  du  16  novembre  1617, 
où  l'on  trouve  le  nom  de  M.  Martin  Dirigaray^,  et  dans  la  requête 
adressée,  le  12  mars  1779,  à  l'archevêque  de  Bordeaux,  par  quelques 
membres  de  la  Treizaine,  ofi  le  sieur  Baron  se  donne  le  même  titre  *. 

D'où  est  venu  à  cette  église  le  nom  de  Saint-Eutrope?  Ne  serait-ce 
pas  d'une  chapelle  qui  y  aurait  été  érigée  en  l'honneur  de  ce  saint, 
et  <|iii  aurait  attiré  dans  cette  église  la  confrérie  de  Saint-Eutrope 
dont  nous  avons  déjà  parlé?  Dans  tous  les  cas,  ce  n'est  point  au 
chef  de  saint  Eutrope  qui,  pendant  les  guerres  de  religion,  au  dire 
d'un  archéologue  bordelais,  aurait  été  transporté  de  Saintes  à  Bor- 
deaux et  déposé,  en  1601,  dans  l'église  Notre-Dame  de  la  Place'. 
Sans  doute,  une    église  de  Bordeaux  a  possédé    le  chef  de   saint 


1.  Aich.  dép.,  (,  2S7. 

2.  Léo  Drouyn,  Bordeaux  irers  1450,  p.  146. 
a.  Aicli.  ilép.,  (;  2738. 

4.  Ibid.,   G  2729. 

5.  Arch.  dép.,  G  2729. 

6.  Jbid.,  G  604. 

7,.  Sansas,  Journal  le  Progrés,  année  1865,  et  Société  archéologique  de  Bordeaux,  t.  VII, 
p.  ^9. 


Eutrope,  depuis  le  20  février  1575  jusqu'iiii  17  ;i\iil  Kinj'.  mais 
f'est  l'église  Saint- André,  et  elle  seule.  Si  le  prinir  de  Saintes  l'a 
fait  transporter  dans  la  cathédrale  de  Bordeaux,  c'rsL  probalde- 
inent  parée  ({ue  l'évêque  de  Saintes  était  sulTragatit  de  rarcln'vé({u»* 
di'  Bordeaux,  et  que  dans  une  grande  ville  fort  idée  il  se  trouverait 
{dus  en  sûreté  qu'ailleurs.  Voiei.  d"aj>rés  li-  précieiix  inaiiii-jcrif  de 
Bertheau,  secrétaire  du  cardinal  de  Sounli^.  ilr>  (|('l;iil>  Init  inté- 
ressants sui-  ce  chef  de  saint  Eutrope:  «Enlrr  luulo  lr>  aili<tns 
solennelles  pleines  de  toute  réjouissance,  au  milieu  de  la  picss»-  du 
nioudc  atnigeaid,  tViil  cflle  du  transport  ilii  rhcf  de  saint  Enliupi-, 
evesque  et  martyr,  de  la  ville  de  Bordeaux  en  celle  t\r  Xjiimtes. 
Cette  sacrée  relique  avoit  esté  a{)ortée  à  Bordeaux,  confiée  en  depost 
à  l'église  métropolitaine  ])aV  les  religieulx  de  l'église  de  Saint- 
Eutrope  du  fauxbourg  de  Xainctes,  lorsque  les  hérétiques  pillioient. 
|u<i|)liaiuiieid  et  bruslovent  les  églises  en  France,  et  honnissoieid 
tout  ec  (jiii  est  oit  de  sainct  et  sacré  en  icelles.  Et  pour  le  (|ue, 
depuis  les  premiers  !idiil)les,  jusques  au  règne  bienlieiiieux  du  r<»y 
lleiiry  !,  il  n'y  eut  jamais  de  paix  bien  asseurée  en  ce  royaulme. 
Iniil  estant  en.  iiicei't  iliidc.  cette  s.iinele  reli((ue  demeiiroit  toujunrs 
en  sou  depost.  Mais  après  c|ue  Dieu  eut  henit  les  armes  de  ce  grand 
Boy.  <"f  qu'il  eut  ttdlement  affermi  son  estât,  (pie  toutes  les  émo- 
tions et  séditions  feurent  assoupies  et  que  l'heresie  insensée  ayant 
vomi  son  premier  venin  promettoit  avoir  désormais  plus  de  dou- 
(•eui'à  mesure  que  la  honl»'  divine  faisoit  jour  au  travers  des  ténèbres 
de  son  aveuglement,  et  que  les  religieulx  de  l'église  Saint-Eutrope 
de  Xainctes  redeiuanderent  leur  sacré  gage,  UKuiseigneur  le  car- 
dinal l'eut  liMit  prest  il  y  eontriliuer  les  efl'eet/.  de  s;i  dévotion, 
nuii>  a\t'e(|  l;inl  dhonneur  qu'il  lit  paroistre  enterre  la  gloyre  du 
grand  sainel   (jui  reposoit  au  ciel-.» 

C'est  avec  un  soin  jahuix  que  le  chapitre  de  Saint-. Vndré  a  t<ui- 
jours  gardé  le  dépôt  sacré  qui  lui  avait  été  confié.  En  avril  1589,  à 
une  demande  du  e\iré  de  Saint-Projet,  il  répond  (|u  il  .<  n'a  trouvé 
l)on  ni  expédient  de  lui  piester  le  elief  de  saint  Eutrope  »  •'.  Eu  I6(K). 
c'est  le  prieur  de  Saintes  qui  réclame  la  relique  ](our  (|u'elle  reprenne 
la    [diirc    abandonnées    depuis    vingt- sept    ans;    mais,    le    l'.t    sep- 

trndui-    de     l;i     nuMlU'    ;iUlii''e,    le    e|i;i|Hlre    dt'Tidi-    (|u';i\;iid     de     taire 

aiiiune   répon.se,   il    doit   être    rentit'*   en   possession   i.  des  actes   et 

1.  Arch.  (Jép.,  O  291  :  Registre  eapitulaire  du  chapitre  Saint-.\iulré,  -20  avril  100.'. 
Haveiipz.  dans  son  llisloire  du  cardinal  de  Sourdis,  p.  50,  se  tronipt-  i-n  disant  que  le 
clipf  fut  tMi\ové  à  LJorcleaux  en  IdGS. 

■2.  .Vrcli.  dép.,  G  532:  .Manuscrit  de  Bertheau,  année  1600,  chap.  II,  fol.  223. 

3.    Ibid..  G  290,  fol.  5  V. 


234  i/ancienne  Église  notre-dame  de  la  place 

procès-verbaux  faitz  de  la  translation  du  dict  chef  en  l'église 
Saint- André  ))^.  Voici  quelles  sont  ces  pièces:  «L'acte  de  la 
merche,  »  c'est-à-dire  de  la  marque,  «  du  dict  chef  pour  le  reco- 
gnoistre,  du  vingt-c[uatriesme  aoust  1571 ,  signé  du  prieur  et  relli- 
gieux.  Autre  acte  passé  par  feuz  Themer  et  Guay,  notaires  royaulx, 
comme  le  dict  chapitre  s'en  est  chargé,  du  20^  febvrier  1575 -.  » 

Près  de  deux  ans  plus  tard,  le  chef  de  Saint  Eutrope  est  encore 
à  Bordeaux.  Enfin,  le  8  février  1602,  une  nouvelle  requête  ayant 
été  présentée  par  dom  Pierre  de  la  Place,  «  prieur  de  Saint-Eutrope 
et  de  Sainctes  »,  le  chapitre  ordonne  que  «  le  chef  de  M''  Saint 
Eutrope  »  sera  rendu  au  dit  prieur  «  en  rapportant  par  luy  charge 
et  pouvoir  des  prieur,  religieux  et  couvent  du  dict  Sainct-Eutrope, 
pour  prendre  et  recepvoir  le  dict  chef  et  en  bailler  bonne  et 
vallable  descharge  au  dict  chapitre»^. 

Toutes  les  formalités  requises  ayant  été  remplies,  le  cardinal 
de  Sourdis  prépare  la  translation  qui  sera  aussi  solennelle  que 
celle  fjui  a  eu  lieu  le  27  août  1600,  jour  où  les  reliques  de  plusieurs 
saints,  mises  en  dépôt  dans  l'ancienne  église  Saint-Rémy,  en  Tan 
1568,  furent  rapportées  à  Saint-Seurin  *. 

Bien  cjue  le  récit  des  préparatifs  et  de  la  translation  semble 
un  peu  étranger  à  mon  sujet,  je  ne  résiste  pas  cependant  au  plaisir 
de  le  transcrire,  au  moins  en  partie,  tel  qu'il  est  consigné  dans  le 
manuscrit  de   Bertheau  : 

«  Et  pour  ce  qu'il  désiroit  —  le  cardinal  de  Sourdis  —  que  sa 
métropolitaine  eust  quelcfue  signalée  récompense  de  la  garde  de 
ce  thresor,  pour  mémoire  perpétuelle  de  la  garde,  iceluy  ayant 
fait  fondre  une  teste  d'argent  en  forme  d'evesque  mitre  jusques 
à  la  poitrine,  il  tire  et  print  seulement  une  des  dentz  de  ce  chef 
de  Sainct  Eutrope  et  la  met  en  cette  teste  pour  estre  représentée 
sur  l'autel  de  sa  métropolitaine  aux  grandes  celebritez,  afin  de 
l'honorer  et  attirer  les  bénédictions  de  Dieu  par  l'assistance  et 
intercession  de  ce  grand   sainct  ^. 

»  Pour  parvenir  donc  à  cette  solennité  et  transport,  il  le  fait 
publier  par  la  ville  et  par  les  archipretrez  de  Bourg  et  Blaye  où  la 
procession    devoit    passer,    et    advertist    Monsieur     l'evesque    de 

1.  AiTli.  tlép.,  G  291,  fol.  20  V. 

2.  Jbid.,  fol.  7N. 

3.  Ibicl.,  (i  291,  fol.  71  v°. 

4.  Et.  de  Cruseau,  Chronique,  t.  1,  p.  2.53-2.54. 

5.  Ce  reliquaire  fut  conservé  dans  la  cathédrale  de  Bordeaux,  ofi  Saint  Eutrope  avait 
un  autel,  jusqu'en  1793.  Depuis  lors  l'église  Saint-André  ne  possède  plus  de  reliques  dç 
ce  saint.  Voir  Lopès  et  alabé  Çallen,  uuvr.  cité,  t.   l,  p.  193  et  206, 


I 


I,  ANCIENNE    EGLISE    NOTHE-DAME    DE    I.A    PLACE  33;) 

XiiilicteS,  et  (It'S  joui-  ri  di-s  lieux  où  l.-i  junccssiiui  (Ir\i)il  passer, 
S'ailfl  f|-  cl  -c  l|(ill\r|'  à  laisdll  illl  loirrniclll  ,  atill  ipii'  Inlll  le 
]H-ii|i|r  hieu  a(l\i'il\  \  iiil  au  (le\aiil  !■!  |ia  il  iii|iasl.  à  la  l'esLe; 
fjlie,  <|Uaill  il  iuv,  il  avuil  aiie-l  i-  de  iiniililiie  relie  sailicit'  reli((Uê 
à   pied    iii<(pies  ;iu   lieu   de  >(iii   rejios. 

n'iiuiies  elioses  esliiiil  préparées  el  les  juin-  des  higemens  et 
sl.'didiis  ddiiiiez.  le  nierere(ty  17  apvril  de  celle  aiim-e.  il  |ireiid 
cette  saiiicle  reli(pie  dans  >aiiie|-,\iidii''.  a\('C(|  huile  la  eeleluit <• 
rpii  se  peiill  dire,  élevée  sur  uiig  braiicail  lucn  iuik'-.  pnili'  p.ir  deux 
diaeres  revestus  d'aubes  et  dalinaf iipies. 

I)  Toute  la  procession  iiiandie  jiisipies  au  port  où  tous  ceux  rpii 
estoyeiit  desliiie/,  ]i()iii'  accutiipairucr  el  lionnorer  cette  saiiiete 
action  s'embarquent.  lc\  l'eurent  ces  deux  Lnaiid/.  ])redicateurs 
fie  la  compagnie  de  Jésus,  les  PP.  liraisle  el  Mar((uestault ,  avecq 
autres  prédicateurs  que  nous  vernuis  prescliei-  par  les  chemins 
aux  stations  où  le  peuple  se  reruloit  ;  icy  les  chantres  et  la  musique 
de  la  chapelle,  et  Monsieur  le  Cardinal  qui,  honorant  la  saincte 
relique,  chantoient  divers  motetz  à   la  gloyre  de  Dieu  ^.  » 

La  procession  arrive  le  soir  du  17  avril  à  Blaye  où  la  relique 
est  déposée  dans  l'église  Saint-Sauveur.  Le  lendemain,  le  cortège 
poursuit  à  pied  sa  man  lie  jusqu'à  Saintes,  où,  le  22  du  même  mois, 
le  chef  de  Saint  Eufro]ie  relnuiNf  euiiii  sa  place  dans  la  basilique 
élevée  en  l'honneur  de  ce  saint. 

Si  j'ai  insisté  peut-être  un  peu  trop  longuement  sur  ce  sujet, 
c'est  afin  de  détruire  r(»|»ininn  accréditée  qui  allrilniail  au  dépôt 
du  chef  de  ce  saint  le  niuu  de  Sainl-Kul  iupe  donné  à  \otre-l)anie 
de  la  Place,  et  aussi  dans  le  Iml  de  hkuiIici  la  grande  vénération 
rpie  l'on  avait  alors  pour  h's  reli(pies  des  saints  el  -uiloul  jniur 
celles  de  Saint  Eutrope,  un  (\i'<  plus  ]U)pulaiies  dans  la  \ille  de 
Bordeaux    et    dont     le    diocèse    célél)re    la    fêle    le    '.]()   ;i\  lil. 

Depui-  -on  union  .'i  la  paroisse  Saint-Projel .  Ii-gli.-e  de  \idre- 
Dame  de  la  Place  était  encore  moins  fréqueidée  ([u'auparavaut. 
Mais,  peu  de  temps  après  son  arrivée  à  Bordeaux,  h'  eardin.d  île 
Sourdis,  voulant  se  mettre  s(mis  la  prolecfi(ui  de  la  \  ii'ige.  en  lil, 
dés   1602,   pour   ainsi   dire,   sa    chapelle   de   prt'- li'erl  i(Mi. 

«  L'église  de  Saiuet-Eut ro]>e,  »  dit  Rertheau,  «  autrement  .\ostre- 
l)aiue  de  la  Pliice.  piitclie  de  la  Mel  r(q)()lilaine.  estoit  délaissée 
de  service  ordinaire.  c(uiiiiie  il  aiii\i'  (Uilinairemenl  es  villes  les- 
ipielles   bastissaiit    plu-ieiiis   ('glises    nouvelles,    vous   sèment    quant 

\.  Arch.  dép.,  G  532  :  Manusrrit  de  Bertheau,  année  160.',  chap.  II.  fol.  •2-24  et  5Uiv. 


2  20  I    l'ancienne  Église  notre-dame  de  la  place 

et  quant  des  causes  de  la  ruine  des  autres.  Nostre  Prélat,  voulant 
avoir  une  église  proche  de  son  palais,  visite  cette  cy,  la  trouve  propre 
à  son  dessein  pourpeasé,  la  fait  reparer,  meubler,  orner,  y  met  une 
chaise  archiépiscopale  proche  de  l'autel,  à  costé  de  l'évangile, 
au  dedans  le  balustre,  et,  hors  iceluy,  ung  siège  hault  et  eslevé 
auquel  on  monte  par  degrez  pour  y  recevoir  les  prédicateurs  à 
faire  leur  essay  en  sa  présence  avant  que  recevoir  um^  licence  et 
aprobation  générale. 

>)  Et  recognoissant  qu'en  l'exercice  qu'il  alloit  commencer  pour 
la  reforme  de  son  dioceze,  il  avoit  besoin  du  secours  et  apuy  de 
celle  qui  favorise  toutes  les  bonnes  intentions  qui  tendent  à  la 
gloire  de  son  filz,  il  ordonne  que  tous  les  jours  de  samedy,  pendant 
sa  vie,  il  seroit  célébré  une  messe  solennelle  de  Notre-Dame  en 
la  dicte  église,  chantée  par  les  chanlres  de  sa  chapelle,  tant  en  sa 
présence  qu'en  son  absence,  et  pour  rendre  ce  service  plus  agréable 
à  la  divine  bonté,  veult  qu'il  soit  choisy  de  toutes  les  paroisses 
de  la  ville  24^  pauvres  des  plus  nécessiteux,  rompus  de  travail  et 
impuissans  à  gaigner  leur  vie,  tant  de  l'un  que  de  l'autre  sexe, 
lesquelz  assisteroyent  avecq  luy  à  cette  saincte  messe  pour  recevoir 
à  l'issuye  d'icelle,  par  ses  mains  ou  de  ses  aumôniers,  l'aumosne 
chascun  de  cinq  solz,  ordonnant  qu'advenant  le  décès  de  l'un, 
un  autre  de  mesme  qualité  seroit  substitué  en  sa  place  ^.  » 

Un  événement  imprévu  va  bientôt,  en  lui  donnant  une  nouvelle 
vie,  faire  retrouver  à  Notre-Dame  de  la  Place  les  beaux  jours 
d'autrefois,  du  temps  qu'elle  était  église  paroissiale.  Des  catholi- 
ques irlandais,  o\i  luihernois,  comme  on  disait  alors,  bannis  de 
leur  patrie,  le  10  août  1602,  viennent  chercher  un  refuge  à  Bor- 
deaux où  ils  arrivent  en  novembre  1603,  au  nombre  de  dix-huit, 
conduits  par  un  homme  encore  jeune,  Demertius  Maccarthy.  Le 
cardinal  de  Sourdis,  vers  lequel  les  a  envoyés  Alexandre  de  Laro- 
chefoucauld,  leur  fail  le  meilleur  accueil  et  leur  donne,  pour  y 
remplir»  leurs  fonctions  ecclésiastiques»"^,  la  chapelle  Saint-Eutrope, 
avec  l'agrément  du  chapitre  Saint- André  et  celui  des  confrères 
de  la  Treizaine  qui  y  sont  établis  depuis  plusieurs  siècles.  Ces  der- 
niers vivent  en  paix  avec  les  nouveaux  venus,  et,  en  1621,  pour 
des  raisons  inconnues,  ils  leur  abandonnent  la  libre  possession 
de  l'église  et  consentent  à  célébrer  à  l'avenir  tous  leurs  anniver- 
saires   dans    la    chapelle    Notre-Dame-des-Anges,    à    Saint- André, 

1.  Arch.  dép.,  G  532  :  Manuscrit  de  Beitheau,  année  1602,  chap.  I.  fol.  198-199. 

2.  Ibid.,  année  1603,  chap.  II,  fol.  33-5-337. 


I-  ANCIEPf>E    KGLISE    ^OTRE-DAME    DE    I.A    PLACE  227 

fjuo  le  cha])itre  voulut  biru  leur  accorder,  sui'  i.i  (ii'iiiauiif  ipii  lui 
(Ml  lui    faite  i)ar  le  cardinal  de  Sourdis  ^. 

Les  Irlandais  ont  une  église,  mais  pas  de  fortune,  et  vivent  uni- 
quement de  la  charité  journalière.  Le  S  noûl  16r)3,  ils  adressent 
;"i  la  rrine  régente  une  supplique  apostillée  par  le  duc  de  Vendôme  2. 
Aime  d'Autriche  s'intéresse  à  leur  sort  et.  dans  h's  lettres  (ju'elle 
leur  adresse,  en  février  1654.  poiu-  la  fondation  d'un  séminaire, 
elle  insère  les  claus«'s  suivantes  :  «  Et  pour  niar(|U('  dr  notre  pro- 
tection singulière.  Nous  voulons  que  nos  armes  soient  mises  et 
posées  eu  relief  avec  celles  du  loi,  nôtres  dit  successeur  et  (ils,  sur 
la  porte  de  la  chapelle  Saint-Eutrope,  donnée  à  la  communauft- 
par  le  dit  sieur  cardinal  de  Sourdis,  laquelle  portera  dorénavant 
Je  nom  de  Sainte-Anne-la-Royale,  dans  laquelle  il  y  aura  un  autel 
consacré  à  Dieu  sous  le  titre  et  invocation  de  Sainte-Anne,  où  tous 
les  jours  de  la  fête  de  cette  sainte,  notre  patronne,  et  de  Saint  Louis, 
roi  de  France,  deux  messes  hautes  seront  cclebrées  solennellement 
avec  diacre,  sous-diacre  et  autres  cérémonies  de  grandes  fêtes"*.  » 

Les  armes  royales  ont-elles  jamais  existé  sur  la  porte  de  Sainte- 
Anne-la-Royale?  Nous  ne  saurions  le  dire;  mais,  si  elles  ont  existé, 
il  n'eu  restait  plus  de  traces  quand  la  façade  fut  (h'nuilic.  Ouanl 
au  nom  de  Sainte-Anne-la-Royalc,  cette  chapelle  devait  le  prirter 
olïjciellement,  et  raiclii'vê(|ne  de  Bordeaux,  le  16  mars  16H7,  parli- 
de  «  Notre-l)ame  de  la  Place,  appelée  présentenicni  Sainte-Annc-la- 
Royale  »*.  Mais  il  est  à  croire  (|ne  ce  nom  n'a  jamais  été  populaire, 
et  celui  qui  prévaudra,  jx-ndant  tout  le  wiii*;  siècle  et  jusiju'à  la 
disparition  de  l'édifice,  sera  celui  de  chai)elle  (\c<.  Ii-landais. 

A  la  .suite  d'une  querelle  particulière  l'utir  (pielcpu-s  membres  du 
chapitre  de  Saint-André  et  les  confrères  de  la  '['ii'i/aini\  ers  dt-i'iiiers 
obtiennent  de  rarchevé([ue  IIeni-y  île  Hi-tlnine  de  i-e\eiiii  dan< 
l'église  \otre-l>aine  de  la  Place,  où  a  ('•!  i-  fondi'e  leur  eonfit-rie. 
«Leur  ti'anslation  a  lieu  le  7  seplcnd)!"'  1671,  jour  de  la  XaLivité 
de  la  Vierge''',  »  Le  suitt-rienr  i\f<.  Irlandais  est  même  associé  à  la 
confrérie,  à  la  condition  d  \    lenù    la  deridére  place. 

Les  Irlandais  semldenl  oublier  |iailoi>  que  leur  eluqn'lle  est.  tou- 
jours   S(Mls    la    déj>endanee    du    euri-    ile    ."^a  ml -Projet  ,    et    ee    dernier. 

1.   An  11.  Ji'p.,  fi  004  :  lli-toiie  de  la  Trt'izaine,  ii"  »,  1-2  mars  177".>. 
■-*.  Abbé  Berlraiid  :  Hixioiri'  îles  Séiiiiiinires  de  finrileuii.r;  Sruiinnire  irliiniliiis.  I.  I". 
\'.  34G. 

.3.  Aich.  dép.,  G  989.  Séminaire  irlandais. 

4.  Pièce  des  archives  du  Grand  Séminaire  de  Bordeaux,  transcrite  par  l'abbé  Ber- 
trand :  Séminaire  des  Irlandais,  p.  366. 

5.  Arch.  dép.,  G  604  :  Histoire  de  la  Treizaine. 


228  l'ancienne    église    NOTRE-DAME    DE    LA    PLACE 

jaloux  de  ses  droits,  songe  à  les  faire  valoir.  C'est  ainsi  que  le 
16  mars  1687,  l'archevêque  de  Bordeaux,  après  avoir  été  invité  par 
le  roi  à  étudier  l'afîaire,  statua  qu'<(  à  l'avenir,  lorsque  les  supérieurs, 
les  prêtres  ou  valets  demeurant  dans  la  maison  du  séminaire  irlan- 
dais viendroient  à  décéder,  le  supérieur  ou  celui  qui  en  ferait  la 
fonction,  seroit  tenu  d'avertir  le  curé  de  Saint-Projet  de  l'heure  de 
l'enterrement,  afin  qu'il  put  se  trouver  dans  la  chapelle  de  Notre- 
Dame  de  la  Place,  appelée  présentement  Sainte-Anne-la-Royale, 
pour  y  faire  les  fonctions  curiales;  que  le  dit  curé  pourroit  faire  les 
pareilles  fonctions,  lorsque  quelqu'un  voudroit  être  enterré  dans  la 
dite  chapelle,  et  qu'il  n'y  pourra  être  fait  aucun  mariage  que  par 
le  curé;  que  néanmoins  le  supérieur  du  séminaire  irlandais  ou  ct'Iui 
qui  en  fera  la  fonction,  ainsi  que  ses  prêtres,  continueront,  comme 
il  a  été  pratiqué  jusqu'à  présent,  à  célébrer  le  service  divin  dans  la 
dite  Chapelle,  sans  qu'ils  puissent  être  inquiétés  en  quelque  manière 
que  ce  soit  ^.  » 

Les  prêtres  irlandais  ayant  le  droit  de  prêcher  dans  leur  chapelle, 
en  usent  fréquemment,  et  même,  tous  les  dimanches  de  carême, 
leurs  sermons  y  sont  faits  en  anglais  «  pour  l'édification  et  l'instruc- 
tion des  Irlandais,  Anglais  et  Écossais,  dont  le  nombre  est  toujours 
considérable  à  Bordeaux.  Le  22  novembre  1701 ,  ils  invitent  la  jurade 
à  assister  à  l'oraison  funèbre  de  Jacques  II,  roi  d'Angleterre,  qui 
doit  être  prononcée  dans  leur  chapelle  »  ^. 

Ils  continuent  paisiblement  leurs  exercices  religieux  jusqu'au 
moment  où  une  lettre  circulaire  de  la  municipalité  de  Bordeaux, 
du  dimanche  12  février  1792,  leur  notifie  que  leur  église  doit  être 
fermée  le  15  de  ce  mois^.  Après  avoir  été  vendue,  le  27  juin  1796, 
pour  la  somme  de  21,006  francs,  cette  chapelle  servait,  le  15  jan- 
vier 1803,  «de  temple  au  culte  catholique»'*. 

Désaffectée  de  nouveau  et  ayant  subi  à  l'intérieur  plusieurs  modi- 
fications pour  être  appropriée  à  des  industries  diverses,  depuis  plu- 
sieurs années  elle  a  complètement  disparu.  Qui  donc,  en  passant 
actuellement  devant  le  magasin  de  meubles  que  j'ai  signalé  au  début 
de  mon  travail,  soupçonnerait  que,  pendant  des  siècles,  sur  son 
emplacement  il  y  a  eu  une  église  appelée  tour  à -tour  Notre-Dame 
de  la  Place,  Saint-Eutrope,  Sainte-Anne-la-Royale  et  chapelle  des 
Irlandais?  p    CARAMAN. 

1.  Pièce  des  archives  du  CJrand  Séminaire  de  Bordeaux,  citée  par  l'aldié  Bertrand  : 
Séminaire  irlandais,  p.  366. 

2.  Bernadau,  Annales  de.  Bordeaux,  p.  69. 

3.  Inventaire  sommaire  des  Arclni'es  municipales  de  Bordeaux,  période  révolutionnaire, 
t.  I",  p.  377. 

4.  Abbé  Bertrand,  Séminaire  irlandais,  p.  397. 


vovAr.i:  ii'LN  AiM'MANn  A  r.mtni-Aix 

EN     1801  , 

(Suite  et  Jin.) 


Comme  tous  les  cLraugeis,  Lorcii:^  Mcy<;r  est  rcsl  é  frappe  de 
l'iticomparable  beauté  du  Grand-Théâtre,  qu'il  déclare  k  uu  dt>  jdus 
remarquables  spécimens  de  l'architecture  française  ».  A  sou  tour,  il 
a  visité  et  décrit  l'édifice  dans  tous  ses  détails,  et  comme  il  ne  nous 
apprend  rien  de  plus  que  ce  qu'en  a  dit  M""^  de  La  Roche  elle-même, 
si  ce  n'est  qu'il  y  avait  dans  les  combles  du  monument  «  six  grands 
réservoirs  en  maçonnerie  toujours  pleins  d'eau  en  cas  d'incendie  », 
nous  ne  citerons  que  ce  passage  : 

C'esl  au  luihcu  du  premier  palier,  à  reiuh'oiL  où  reseaher  >e  divise 
en  deux  \olé(;s,  (jue  se.  trouvée  l'euLrcc  di;  la  salle.  On  y  lit  celle  ins- 
criiiliiHi  :  Aux  Muscs  françaises,  conuru';  si  h\  l'rancc  a\ail  (le>  Muses 
pour  elle  loule  stnili;  !  Lorsipie  Tenipereur  .Joseph  '.  à  qui  lOu  repro- 
chaiL  de  n'avoir  ri(;n  lrou\é  de.  ijien  pendant  son  voyaire  eu  l'ranee, 
pénéLra  dans  la  salle,  il  s'exclama  :  «  Où  sont  donc  les  loges?  .Je  iiaper- 
eois  (|ue  des  tiroirs  ouverts  !  n  11  y  a  du  vrai  au  loiid  de  celte,  plaisan- 
terie, dai",  entre  les  colouues  (pii  ^oul  ieiiiieiil  le  iiiiilniKl  IihiI  iinlour 
de  la  salle,  les  l(»g-(;s  sailleul  el  \iennent  eu  a\aul  eouuiit^  autant  di- 
balcons  isolés.  I,;i  iorme  o\  aie  et  rensenilile  de  la  salle  oui.  du  reste, 
un  aspect  aifréalde  el,  très  éléiianl,  et  le  coup  d'ii'il  de  ce>  lojj'cs  do 
balcons  garnies  de  dames  est  tout  à  lait  cliviruuuil. 

«  Derrière  la  salle  de  spectacle,  sur  les  Ixuds  de  la  (laronne,  » 
Meyer  signale  ensuite  l'existence  d"»  établisseuuuits  de  bains  d'oii 
l'on  a  viiu'  belle  viu.'  sur  la  ii\ière.  Le  plus  n'^eid  a  été  construit 
dans  une  sorte  de  style  à  la  luis  oriental,  nunain.  chinois  etgothi(jue, 
caractéristique  de  l'architecture  française  actuelle,  et  (pii  est  un 

1.  .Jy:-e|ili  11,  ciiipL'iciii-  tl'.VuU  ichr,  litix'  ili'  M.ii  ir-Aiiti'îiictli',  |>.i;-?;i  iiiioi:iiilO  u 
Borileaux,  en  1777,  sous  le  nom  tic  conik'  de  I-'alrUeiisUMii.  (.'.'psI  alors  «lu'il  \isilu  le 
Graiid-Tliéàlre  sous  la  proine  l'onduitc  de  Louis,  dont  l"(i'u\re  élail  à  peine  ai'lievée. 
El  c'est  sans  doute  beaucoup  moins  pour  la  critiquer  que  par  nianière  de  plaisanterie 
et  i)arce  qu'il  se  trouvait  piécisémeiit  en  face  de  l'arcliilecte  lui-même,  que  Joseph  II 
se  li\ra  à  la  boutade  dont  il  est  ici  question. 


200         VOTAGE  D  UN  ALLEMAND  A  BORDEAUX  E>" 


1801 


défi  porté  aux  usages  et  à  toutes  les  règles  en  la  matière.  Pour  ce  qui 
est  de  raménagement  intérieur  et  de  la  propreté,  il  dépasse  tout  ce 
qu'il  y  a  de  mieux  dans  le  genre  à  Paris.  »  Ces  bains,  dits  Bains 
orientaux,  étaient  les  seconds  installés  à  Bordeaux,  les  premiers 
remontant  à  1763.  Ils  furent  démolis  en  1826,  lors  de  la  construction, 
sur  les  Ouinconçes,  des  deux  établissements  qui  ont  eux-mêmes 
diparu  en  1892.  On  les  aperçoit  devant  la  Bourse,  sur  l'aquarelle 
que  nous  reproduisons  ici  ^.  Leur  style  était  d'un  tel  mauvais  goût 
que  le  peintre  Lacour  fit  à  leur  sujet  une  satire  qu'on  imprima  et 
dont  voici  le  passage  le  plus  intéressant  : 

Voua    êtes    connaisseur?    Conlemplez,    citoyen, 

Celte  arrliileclure  hùlarde, 

D'un  ordre  anlicorinlfiien. 
Pol-pourri  de  Cfiinois,   Français,  Eç/iifjlien  ! 

Voyez-vous    ce    toit    indien. 
Ce  petit  parasol,  rliapeau  iTun  prêtre  Hardr '. 
Voyez  ces  pavillons  que  sans  présumer  rien, 

Le  peuple  a  nommé  corps-de-yarde  ! 
Ces  li-amais  de  boudoirs,  ces  fiyures  sans  bras, 
Ces    treillis,  ce  donjon:   oh,  ipiel  yalimalhias  ! 
Ma  foi,  si  c'est  du  yoùt,  mieux  vaut  n'en  avoir  pas  '. 

Puis,  notre  voyageur  décrit  encore  le  Palais- Gallien,  dont  la 
conservation  des  restes  est  duc  au  préfet  Thibaudeau,  i[m  vient 
d'arrêter  l'œuvre  de  vandales  occupés  à  le  démolir,  la  Porte-Basse, 
les  Piliers  de  Tutelle,  le  Jardin-Public,  enfin  le  couvent  des  Char- 
treux, dont  la  chapelle  est  devenue  l'église  Saint-Bruno,  et  où  l'on 
a  parqué  six  cents  réfugiés  de  Saint-Domingue  : 

Ces  lUîillicwreux,  dil-il,  arrivés  ici  entassés  à  fond  de  calr,  oui  reçu 
asile  derrière  les  murs  vides  du  couvent.  Ils  sont  entretenus  aux  trais 
du  Gouvernement.  Dans  l'omltre  de  cellules  souillées  d'ordures  et  dont 
rentrée  principale  porte  encore  cette  devise  terrorisle:  Vivre  libre 
ou  mourir,  ils  vivent  là  comme  des  bêtes.  Hommes,  femmtss  et  eiitîuils, 
blancs  et  noirs  grouillent  pêle-mêle.  Quelques  cellules  moins  sordides 
sont  occupées  par  des  insulaires  de  race  blanche;  avf^c  leurs  femmes; 
ils  exercent  h;  métier  de  journaliers  et  suffisent  à  leurs  besoins.  Ils 
bâtissent  eux-mêmes  leur  cour  à  charbon  (?)  dont  ils   tapissent  les 

1.  Celle  aquarelle  esl  de  J,-B.  Pelauque  (1784-1852),  secrétaire  des  Hospices  et 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  fils  de  J.-B.  Pelauque,  seigneur  de  Héraut,  conseiller 
du  roi  et  député  de  l'élection  de  Condoni  aux  États  (iénéraux  de  1789.  Érudit  et  arcliéo- 
logue  distingué,  J.-H.  Pelauque,  qui  était  aussi  un  artiste  de  talent,  a  laissé  non»bre 
de  desshis  et  d'aquarelles  intéressant  Bordeaux  et  le  Sud-Ouest.  L'illustration  que 
nous  reproduisons  ici  est  tirée  d'un  album  appartenant  à  son  petit-fils,  M.  Dainel 
Mérillon,  avocat  général  à  la  Cour  de  Cassation. 

■i.   Bibliothèque  de  Bordeaux.  P.  Lacour,   Recueil  de  iwéfiivs.   N"  11 80. 


< 

H 
'Z. 

UJ 

s 

O 

z 
< 

•y) 


0 

3 

.a 

< 

-1 


VOYAGE    DLN    ALLEMAND    A    BORDEAIX    EN     I  ^O I  a.Sl 

murs  a\'ec  des  imnges  de  i»iét.(^.  La  |»Iii[imiI  fit-  cps  rdiiiru'^  \ivpnt 
péniblement,  el  c'est  tout  juste  si  i'tnildritr,  iii;ilgré  se>  prétcntiuiis  a 
rtiuniaaité,  ne  les  laisse  pas  ninurii-  de  faim.  Ils  se  sont  plaints  d'être 
restés  plusieurs  jours  sans  pain.  .Jamais  je,  nouldienu  le  luivranl 
spectacle  de  ces  misérables  coiimiIs  de  haillons  infecl^.  ni  If  |iéiiible, 
sentiment  que  j'éprmi\  ai  imi  t'aie  de  mon  impuissance  -i  icv  vuulairer 
et  à  les  délivrer.  .Je  iir  jnis  m  rmpéclier  fie  ractuitir  ;i  mi  fonc- 
tionnaire ce  que  j'a\ais  vu,  mais  il  me  répoiidil  -  nu  devait,  s'y 
attendre  —  (jue  cela  ne  le  regardait  point,  (ine  ce  nétajt  pas  de  son 
ressort... 

i,iMt'u/,  Mcyrr  iciiiiiiii'  >a  IniirniT  i\r>  iiiniiumi'iil  ,■,  ji;ir  nin'  \i>ile 
aux  moulins  de  Tliaynac,  construits  aux  <.|iartrons  à  rendidij  uu 
s'est  élevée  plus  laid  la  l'aïencciic  X'ieillard  : 

huiaiil  un  été  ditiii  la  sécheressi',  avait  amené  laiiêl  des  moulins 
•'l  privé  la  ville  de  pain,  'l'IiaNnac.  un  maitre  eliarpeiil  iei-  bordelais 
(jui  venait  de  gagner  au\  Inde-,  niie  In  il  une  considérable,  conçut  Tidée 
d'employer  une,  |)artie  de  ses  richesses  à  venir  en  aide  à  ses  concitoyens. 
Il  décida  d'installer  de  grands  moulins  munis  de  vingt-cinq  roues 
indépendantes  les  un(^s  des  autres  et  perpétuellement  actiomiées  par 
le  va-et-vieni  d\i  tliix  et  du  rellnx  de  la  (laronne.  A  irrands  frais,  on 
bâtit  donc  une  solide  minoterie  ainsi  iiniin  canal  en  |»ien'e  de  taille 
placé  perpendicnlaircunent  à  la  rivière  et  se,  prolongeant  jus(jne  der- 
rière les  moulins  où  il  alimentait  un  grand  réservoir  également  en 
maçonnerie.  Ce  bassin  devait  se  remplir  au  montant,  puis,  ;:râce  à 
l'ouv^erture  d'une  vanne,  se  vider  au  doeeiidanl  et  maintenir  ainsi 
les  roues  en  mi)U\-emenl.  Maliieureusiïmenl,  renlreprem-ur  n'a\ail 
pas  sulïisamment  compté  a\-ec  lengorgement  d\i  canal.  On  ne  s'aper- 
çut de,  cette  faute  capitale  qu'une  fois  les  moulins  achevés  et  n)is  en 
train...  La  vase  charriée  par  les  eaux  de  la  Garonne  boucha  le  canal, 
les  mnnlin-.  "-"arrêtèrent,  et  il  lui  impossible  de  les  remet  Ire  en 
marche.  La  Inule  des  actionnaires  s'est  fjiliguét^  de  \erser  des  fonds 
supplémenlaire>,  l'entrepreneur  est  mort,  et  \-oilà  dix  ans  (|u'nn  a 
atiandonué  cette  afTaire  ([ui  doit  bien  a\  (tir  coûté  quat  re  millicnis. 

.Je  profitai  di;  ma  visitt^  à  ces  moulins  merveilleux  [mni-  aller  jus- 
qu'à l'exlrémité  des  Charirons.  Celle  |i;ii-lie  i\r  la  \ille  e-i  |a  pins 
belle  cl  ta  plus  séduisante  par  le  i»anorama  ((u'elle  olTre.  Au  bord  de 
la  Garoiiio'  et  sur  une  lieue  de  long  s'étend  une  liirne  de  grandes  mai- 
sons, d'eutrepôls  et  de  chais.  On  \oit  à  découx  cri  la  moitié  de  ce  port 
admirable  (ju'à  raison  de  sa  fniine  en  denii-lnne  les  |;niuain>  appe- 
laient I^orliis  Lnnar  :  de  l'exlrême  horizon,  du  côté  <le  la  nn-r,  jus(|u'.mi 
centn  de  la  \ille.  à  lendroit  tJi'i  sélè\  e  le  jtalais  de  la  Douane.  Le 
reste  (!st  caché  '.  Au  loin,  sur  le  large  lleuve,  les  navires,  mouillés  les 
uns  derrière  les  autres,  sont  sur  |tlusieurs  rangs.  r,e.  va-et-vienI  conti- 
nuel des  bateaux,  ^rrands  cl  |tetils,  l'i-nlrée  et  la  sortie.  t(»ules  voiles 
^dehors,  des  gros  iia\ires,  le  tninuilr  du  ctiaPirenn-nl   el   du  ilécharge- 

1.    l'iir  lii  jioinlL'  lie  niie\  ries. 


aSa  VOYAGE  d'un  ALLEMAîfD  A  BORDEAUX  EN  1801 

ment  sur  les  quais,  les  manœuvres  et  les  cris  des  matelots  sur  la  rivière, 
—  quel  délicieux  tableau  sans  cesse  renouvelé  par  les  effets  de  lumière 
(jui  changent  à  toutes  les  heures  de  la  journée  !  On  dit  qu'à  Saint- 
PétiM-sbourg  la  vue  de  la  rivière  ressemble  à  celle  de  Bordeaux,  mais 
il  manque  à  la  Neva  les  rives  verdoyantes  qu'on  aperçoit  ici  de 
Ta  II  Ire  côté  de  la  Garonne. 

.l'jii  eu  aujourd'hui  l'occasion  de  contempler  ce  paysage  sous  un 
aspect  des  [dus  saisissants.  A  la  fin  d'une  journée  de  chaleur  étouf- 
fante, où  lo  thermomètre  marqua  28"  Réaunmr  *,  le  ciel  s'obscurcit 
tout  à  coup  à  l'horizon.  D'épais  et  lourds  nuages  noirs  s'élevèrent  du 
côté  de  la  mer  et,  toujours  de  plus  en  plus  denses,  s'amoncelèrent  les 
uns  sur  h',s  autres  pour  couvrir  finalement  de  leur  voile  sombre  les 
co!<';mi\  \()isins.  A  la  sinistre  couleur  du  ciel  s'opposa  dans  le  fond 
la  lu'iii-  éclatante  des  villages  et  des  maisons  de  plaisance  perchées 
sur  la  hauteur.  Ces  nuages  d'orage  paraissaient  immobiles.  Sur  la 
rivière,  tranquille  elle  aussi,  car  aucun  souffle  d'air  n'en  agitait  la 
surface,  les  bateaux  ne  bougeaient  pas.  Calme  cl  majestueuse,  la 
nature  fêtait  le  repos  dominical...  Longtemps,  cet  orage  resta  très 
menaçant.  Puis,  le  rideau  des  nuages  dépassa  silencieusement  le 
coteau,  faisant  la  nuit  sur  la  \ille  et  sur  loule  la  région.  L'obscurité 
ne  fut  plus  Iroublén  (pie  i)ar  de  violents  et  lointains  éclairs... 

« 
*    « 

Très  exactement  renseigné  par  son  frère,  que  les  fonctions  de 
consul  ont  dû  mettre  de  façon  toute  particulière  au  courant  de 
la  question,  Lorenz  Meyer  étudie  ensuite  la  nouvelle  organisation 
administrative  et  parle,  chemin  faisant,  de  Thibaudeau  '^,  le  premier 
préfet  de  la  Gironde,  nommé  en  1800  et  récemment  appelé  à  Paris 
comme  conseiller  d'État  : 

Les  préfets  ont  un  traitement  relati\ement  iuqjorlanL.  Mais  souvent 
il  arrive,  par  exemple  à  Bordeaux,  qui  est  la  seconde  ville  de  France, 
que  ce  traitement,  dont  le  chiffre  s'élève  à  vingt-quatre  mille  livres, 
soit  insulTisant  pour  permettre  au  représentant  du  gouvernement 
d'occui)er  ses  fonctions  avec  dignité.  On  ignore  si  c'est  pour  ce  motif 
ou  à  raison  du  secret  mécontentement  qu'il  éprouvait  des  lenteurs  du 
Ministère  de  l'Intérieur,  que  l'honorable  Thibaudeau,  précédent  préfet 
de  la  Gironde,  a  sollicité  sa  révocation  au  bout  d'une  année  d'exercice. 
Bordeaux  a  fait  là  une  grande  j)erte,  car  on  ne  peut  comparer  à 
Thibaudeau  l'administrateur  parfaitement  honnête,  sans  doute,  mais 
non  moins  indolent,  embarrassé,  indécis  et  timoré  qu'est  son  succes- 

1.  35"  centigrades. 

•i.  Tliibaudeau  (Antoine-Claire,  comte),  né  à  Poitiers  le  23  mars  17(55,  décédé  à  Paris 
le  1'^''  mars  1854;  député  à  la  Convention  nationale,  vota  la  mort  du  roi.  Membre  du 
Conseil  des  Cinq-Cents,  Bonai.)arte  lui  lit,  après  le  18  brumaire,  un  accueil  très  flatteur, 
le  nomma  |)rcfet  de  la  (oronde,  le  3  mars  1800,  et,  le  22  seidembre  suivant,  conseiller 
d"Etul. 


VOYAGE    u'i  >    AI.LEMXNIi    A    liUUbtALV     l\     I  Sn  |  333 

seiir,  Diiliiii,-,  iiM  aiiririi  prètiT  des  X'os^'cs.  Son  i m  ;ii  h  r.',  ;i  l.uit  de 
points  do  \  uc  si  dilTért-'uL  de  celui  de  son  |»iédécesseur,  ne  siuiralL 
coii\enii-  aux  exij,'enccs  d'une  \  ille  aussi  iniporlaiile  »|ue  liordeaux, 
Ttiihaudeau,  qui  n(4aiL  pas  moins  actif  connue  honiuu-  pri\é  que 
comme  ailminisl râleur,  élaiL  égaleiueuL  très  perspicace  et  savait 
exécuter  avec  autant  d'énergie  que  de  décision  le  plan  qu'il  jugeait 
le  plus  coiilorme  aux  intérêts  du  dé|iarlemenl.  11  exerçait  ses  fonc- 
tions comme  il  croyait  y  être  tenu  dans  la  second»;  ville  de  France, 
c'est-à-dire  avec  éclat.  Les  réunions  et  les  fêtes  par  lui  organisées  dans 
son  hôtel  furent  données  avec  la  lihéralilô  et  toute  la  dislinelion  d'un 
homme  du  monde,  la  sollicitude  d'un  hôte  aimable  et  toujours  préoc- 
cupé de  bien  recevoir  ses  invités.  Comme  administrateur,  il  s'est 
souvent  montré  presque  tranchant  —  c'est  ce  que  j'appelli-  a\  oir  de 
la  décision  —  mais,  vu  l'état  actuel  des  choses,  il  est  très  excu- 
sable. \  oici  un  trait  qui  révéla  bien,  dès  son  entrée  en  fondions, 
sa  volonté  tenace  et  la  fermeté  de  ses  décisions.  11  s'agit  d'un  ordre 
doiuié  par  lui,  ordre  concernant  sa  vie  privée  seule  et  qui  paraissait 
n'avoir  aucune  importance,  même  à  ses  propres  yeux,  mais  (jui  laissait 
clairement  augurer  de  ce  qu'allait  être  son  administration  elle-même. 
Le  préfet  avait  été  logé  dans  l'ancien  hôtel  de  l  archevêclié.  Or,  il  se 
trouvait  que  l'édilice  communiiiuait  avec  le  Palais  de  Justice  par  une 
porte  de  la  cour  d'entrée.  Aussi,  pour  se  rendre  au  palais,  tous  ceux 
qui  s'occupent  d'affaires,  magistrats,  avocats,  les  parties  elles-mêmes, 
en  un  mot  la  masse  des  gens,  passaient-ils  par  l'entrée  principale  et  la 
cour  de  la  Préfecture.  Thibaudeau  trouva  cette  organisatipn  parfai- 
tement gênante  et  désagréable,  u  Pourtant,  s'exclama-t-il,  le  préfet 
doit  bien  avoir  le  droit  d'être  chez  lui  !  ■>  Lt  aussitôt  il  donna  l'ordre 
de  murer  la  porte  du  Palais  de  Justice  ouvrant  sur  la  cour  de  la  Pré- 
fecture, tandis  qu'il  en  faisait  percer  une  autre  sur  la  rue  longeant 
la  façade  postérieure  du  palais.  Inutile  de  dire  t|ue  les  présidents  et 
les  juges  ne  trouvèrent  pas  à  leur  goût  la  fantaisie  du  préfet.  Ils  pro- 
testèrent, mais  ce  fut  en  vain;  on  contiima  les  travaux.  Alors,  ils 
lirent  défense  aux  maçons  de  murer  ou  d'ouvrir  aucune  porte.  A  quoi 
le  |irélfl  répondit  en  douidant  le  salaire  des  ouvriers  et  en  leur  ordon- 
nant d  achever  leur  lra\  ail  sous  peine  de  prison.  Cette  fois,  les  magib- 
trats  en  appelèrent  à  Paris,  au  tribunal,  mais  ils  n'en  reçurent  jamais 
de  réponse.  Pendant  ce  temps,  on  avait  muré  la  porte  de  la  cour  et 
ouvert  celle  de  la  rue. 

La  prélecture,  en  cfTet,  n'était  autre  que  l'ancienne  demeure 
«lu  cardinal  de  Holian,  archevêque  de  Bordeaux  de  17G'J  à  1781, 
et  cellcde  sou  successeur,  M-'  Ciianipion  de  Cicé.tiui  l'avait  habitée 
jusqu'à  la  Hévulution.  C'est  aujourd'hui  l' Hôtel  de  Ville,  et  ce  que 
Meyer  appelait  punipeusemeul  le  Palais  de  Justice,  c'était  l'aile 
de  l'édilice  adossée  à  la  rue  Montbaz,nn.  Le  Tribunal  d'ai)pel  y  avait 
été  installé  le  4  juillet  1800,  le  lendemain  du  jour  où  avait  eu  lieu 


i34  AOTAGE    d'un    ALI.ÈMAlNt)    A    BORDEAUX    EÎN    180I 

l'installation  du  Tribunal  de  première  instance  dans  la  maison 
commune  du  Sud,  à  l'ancien  collège  de  la  Madeleine,  aujourd'hui  le 
Lycée. 

A  ce  moment,  l'organisation  judiciaire,  complètement  remaniée 
depuis  la  suppression  des  parlements,  laissait  bien  à  désirer,  et 
Meyer  estimait  avec  raison  qu'un  de  ses  moindres  inconvénients 
c'était  l'insuffisance  du  traitement  de  la  plupart  des  magistrats  : 

Chaque  juge  des  tribunaux  de  district  et  d'arrondissement  touclie 
mille  livres  de  traitement,  dit-il.  Et  il  luut  qu'avec  cela  il  fasse  vivre 
sa  famille,  que  pour  cela  il  sacrifie  sa  vie  à  l'État!  Mais  comment 
trouver  des  hommes  à  la  fois  assez  besogneux  et  assez  hoiiiiêlcs  ])()ur 
accepter  de  pareilles  fonctions?  Que  d'embûches  tendues  à  rinlégrité 
des  magistrats,  quelle  perjtétuelle  tentation  pour  les  jiarties  de  cher- 
cher à  corrompre  la  justice  !  Les  juges  de  jtrcniière  instance  touchent 
deux  mille  cinq  cents  livres  de  traitement  et  ceux  du  Tribunal  d'appel 
quatre  mille.  On  attend  avec  impatience  rachèvemeni  du  nouveau 
Gode  civil  ainsi  qu'un  Gode  du  Gomnierce  et  de  la  Marine,  code  tout 
à  fait  indispensable  dans  une  grande  ville  comme  Bordeaux,  où  il 
manque  cependant  d'une  façon  totale. 

Les  deux  salles  du  tribunal,  dont  l'une  est  pour  le  civil  et  l'autre 
pour  le  criminel,  ont  été  construites  par  l'architecte  Gombes  dans  un 
style  plein  de  noblesse.  Les  magistrats  siègent  dans  une  alcôve  vofïtée, 
sorte  de  grande  niche  aux  murs  bleu  foncé  et  décorés  à  l'antique. 
Gette  disposition  est  peu  agréable  pour  les  orateurs,  car  leur  voix  se 
perd  dans  la  voûte  et  devient  à  peine  intelligible.  Les  juges  portent 
une  robe  noire  ornée  de  parements  bleu  clair.  Les  avocats  sont  assis 
devant  eux  en  demi-cercle;  ils  n'ont  pas  de  robe. 

Lors  de  sa  visite  au  Tribunal,  Lorenz  Meyer  eut  la  bonne  fortune 
d'y  entendre  deux  gloires  du  barreau  girondin,  Ravez  ^,  encore 
tout  jeune,  et  Laîné  2,  le  futur  ministre  de  la  Restauration  : 

Bien  que  je  n'aie  pas  eu  la  chance,  dit-il,  d'assister  aux  déjjats  de 
quelque  cause  célèbre,  j'ai  eu  du  moins  l'occasion  d'entendre  plaider, 
et  dans  une  affaire  de  médiocre  importance,  beaucoup  mieux  qu'on 
ne  plaide  à  Paris.  C'était  le  jeune  avocat  Ravez  et  son  adversaire 
Laîné  qui  discutaient  une  question  de  droit  maritime.  Ils  par- 
laient de  façon  remarquable,  s'exprimant  avec  autant  de  clarté  que 
d'esprit  et  d'autorité.  On  raconte  que  Ravez  étant  allé  plaider  dans 

1.  Ravpz  (Augusle-Simon-Huijeit-Maiie),  né  à  Lyon  le  10  octobre  1770.  mort  à 
Bordeaux  le  3  septembre  1849;  premier  président  dans  rette  ville,  conseiller  il'Étal 
et  pair  de  France,  «  célèbre  par  la  gravité  de  sa  prestance  et  l'ample  beauté  de  son 
organe  ». 

.2.  Laîné  (Joseph-Henri-Joachim),  né  à  Bordeaux  le  11  novembre  1767,  mort  à 
Paris  le  17  décembre  1835;  député  au  Corps  législatif  de  1808  à  1814,  membre  de 
l'Académie  française,  ministre  de  l'Intérieur  de  1816  à  1818,  sortit  du  ministère  aussi 
pauvre  qu'il  y  était  entré.  Malgré  sa  modeste  situation  pécuniaire,  il  envoyait,  du  temps 
qu'il  était  député,  son  traitement  de  10.030  francs  aux  indigents  de  Bordeaux. 


VOYAGE    d'iN    ALLEMA.M)    A     HdUHI.AI   \     IN     I  So  F  ■j?,^) 

In  cniiiliilr,  son  oloiincnco  ol  sa  scicnrc  du  drnil  luuduiviicnl  une  l<llf 
iiii|tit'Ssioii  ([ii'oii  lui  lil  ii's  offres  les  plus  séduisuiilcs  povir  ([uil  reslât 
défendre  les  corsaires.  Mais  Havez  n'accepta  point  et  je  ne  l'en  estime 
que  davantage  d'avoir  refusé. 

Aux  iliics  (jr  Mt^yer,  riu.sliucliun  puldiqui"  ii't'sL  pas  niii-uv  nrga- 
uisé»'  (|ur  railruinistralion  ou  la  jiislicr;  luiil  mairlie  faliin-falia 
et  la  situaLiini  n'est  pas  près  de  .s  auH-liorer,  LellrMient  est  grand  le 
mal  à  réparer  : 

Il  y  en  a  pour  i(»iiLriein|»s  a\:uil  dOlili-uir  un  iésull;il  (|u<'|c(iii(nic, 
tant  est  iiideseripl  ihie  le  cliaos  (pi"il  s'airil  d"((i'donnei'.  l.c  ltuiix  iTue- 
meiil  ])romel  aux  insliluteurs  S(»il  un  ;ipp;irleiuenl  ;i\cc  junlm.  xiil 
un  I  r;iil  einriil  li\c.  Mnis  il  m-  lenr  donne  ni  l'un  ni  ImuIic.  .\u>>i  ecn\ 
ipii  eonsacrent  leur  vie  à  l'aire  pénildeuienl  léducaliou  des  enfants 
nianquenl-ils  des  choses  d(?  première  nécessité,  même  de  pain,  ce  fpii 
fait  ipu'  souvent  on  ne  trouve  pas  d'ouvriers  pour  faire  semldalde 
lra\;iil.  (leitc  désorganisation  de  l'éecde  piinmire  ri  et-  inan(;[ue  dins- 
Iruclion  |Hii)li(jue  produisent  déjà  leurs  effets  e(  jcllcid  mi  triste  jour 
sur  la  iH>u\elle  j^énéralion.  I^es  petits  fonetioiuiaii-es  se  plaignent  des 
dillicullés  qu'ils  éprouvent  à  trouver  comme  garçons  de  bureau  et 
comme  scribes  des  jeunes  gens  sacliaut  lire  e.t  écrire.  C'est  que  l'en- 
lanre  de  ces  jeunes  gens,  (pii  onl  de  ipnilorze  à  seize  ans,  correspond 
précisément  à  l'éjtoque  révolutionnaire  et  à  l'anarchie  qui  régnait 
alors,  l'inile  davoir  donné  l'instruction  primaire  aux  jeunes  cit(tyens, 
la   l'rance  risifue  maintenant   de   traverser  une   période  de  liarliarie. 

Des  écoles  centrales  ont  été  ouvertes  dans  les  princijiales  villes  de 
{tro\ince.  On  \i[\v  :i  ;iM;iclié  des  iniiiln-  ilioi-jv  p;ir  nn  Jury  l'ormé 
(1;mi--  clnupie  département  et  (}ui  mil  li'  lilrc  dr  professeur,  l.eur  Irai- 
lenn'i\t  est  de  trois  mille  francs,  mais  (ui  n'est  jamais  pi'essé  pour  le 
leur  verser.  C'est  que  l'argent  \(>lé  aux  eongrégalions  a  été  dilapidé, 
I  t  comme  il  ne  peut  plus  servir  à  payer  les  professeurs,  on  priléve 
les  émoluments  de  ceux-ci  sur  des  iiniiols  ml  lior,  ici,  par  exemple, 
sur  l'impôt  des  vendanges.  Malln-nreusement,  cet  impôt  rentrant 
Ini-nu-mr  a\ ce  dinicullé,  il  s'ensuit  que  les  professeurs  s(uit  payés  en 
relard,  ou  qn  ils  m-  sont  pas  payés  du  tout...  Ces  écoles  centrales  sont 
|ieu  fréfpn'utées.  Cille  dr  la  (lii-ondi'.  niaL'ré  l'élnidiir  ri  |c  chiffre 
de  la  popnlal  1(1  11  du  départ  iini'iil .  e(nn|ite  a  prjni'  qinil  r»'  rrnl-  élèves. 

Si  l'on  entreprend  de  réorganiser  l'in-^l  i-nel  ion  pultliipie,  la  pi-en»ière 
chose  à  faire  sera  d'assurer  le  fonctionnement  de  l'école  centrale  en 
lui  procurant  tous  les  moyens  d'enseigiuMiieul  nécessaires.  Aux  pro- 
fesseur- de  physiipu',  à  eeii\  d'iijxlniic  naliMi'lli'.  drs  sciences  mathé- 
matiques et  des  arts,  il  a  manqué  jus(pi'à  présent  des  appareils,  des 
(■(dlerli(Mis,  des  aniiiinilé-  cl  des  oHivres  d'art.  Paris  |tossède  tout 
cela  en  telle  altondance  ([u Ou  fait  là-bas  à  peine  allenlion  à  beainoup 
de  choses  qu'on  regarderait  ici  comm«'  des  trésors.  On  refuse  aux 
professeurs  ces  moyens  d'enseignennni  inènu'  «[iiand  il-  les  réclament. 
«Que  voulez-vous,  répondait  d  une  façon  éditjanle  nn  administrateur 


336  VOYAGE  d'uM  ALLEMA>D  A  BORDEAUX  EN  l8ot 

du  Muséum  de  Paris  à  un  professeur  de  la  ville  qui  lui  adressait  une 
demande  à  ce  sujet,  que  voulez-vous  l'aire  d'œuvres  d'art  à  Bordeaux? 
Restez  donc  avec  votre  sucre  et  avec  votre  café  !  »  Quoique  le  ton  en 
fût  plus  doux,  cette  réponse  était  le  digne  pendant  de  celle  que  fit 
le  Tribunal  révolutionnaire  au  malheureux  Lavoisier  demandant 
qu'on  le  laissât  vivre  encore  un  jour  pour  achever  une  importante 
découverte  :  «  La  République  a  besoin  de  canons,  mais  pas  de  savants  !» 

L'anarcliie  n'est  pas  moindre  en  ce  qui  concerne  le  culte.  Le 
schisme  est  à  son  apogée  et  on  ne  tente  rien  pour  prévenir  ni  pour 
réprimer  les  désordres   qu'il  occasionne  journellement  : 

Quant  à  l'exercice  du  culte  et  à  ses  ministres  dissidents,  on  n'a 
établi,  ici  comme  partout  ailleurs,  aucun  modus  viuendi.  Il  faudra 
pourtant  bien,  un  jour  ou  l'aulre,  que  le  gouvernement  prenne  une 
décision  et  qu'il  mette  un  terme  aux  protestations  et  à  l' effervescence 
qui  agitent  le  pays,  en  vidant  la  querelle  des  prêtres  constitutionnels 
et  des  insermentés.  A  Bordeaux,  la  classe  bourgeoise  est  demeurée 
lîdèle  à  ces  derniers.  Le  j)euple  et  les  paysans  des  alentours  sont  au 
contraire  restés  attachés  aux  autres.  Chacun  des  deux  partis  va  à 
la  messe  de  son  prêtre  respecUi.  11  n'y  a  en  ville  qu'une  église,  la 
cathédrale  Saint-André,  où  un  prêtre  assermenté  dise  la  messe,  et 
seulement  le  dimanche.  C'est  là  que  vont  les  gens  du  peuple.  Le  nom 
de  temple  décadaire  nesL  déjà  plus  une  recommandation  pour  cette 
église,  car  on  y  a  célébré  un  simullancum  républicain.  Un  tiers  de  la 
nef  a  été  entouré  d'une  grille.  C'est  à  l'intérieur  de  cette  enceinte 
qu'ont  lieu  les  fêtes  républicaines,  que  les  discours  sont  prononcés  et 
les  lois  promulguées.  Cette  séparation  constitue  à  elle  seule  le  leniple 
de  la  loi  '. 

Les  prêtres  insermentés  disent  la  messe  dans  les  autres  églises, 
où  vont  prier  les  bourgeois  de  la  ville. 

A  la  campagne,  les  prêtres  assermenlés,  qui  sont  les  jdus  nom- 
breux, font  pression  sur  l'esprit  du  paysan,  lui  prêchent  l'intolérance 
contre  ses  frères  dissidents  et  contre  les  propriétaires.  Mais  la  pru- 
dence et  la  circonspection  n'empêchent  pas  ceux-ci  de  se  faire  dire 
la  messe  par  un  prêtre  insermenté  dans  la  chambre  habitée  par  lui 
dans  une  maison  du  village,  de  s'y  confesser,  de  s'exposer  et  d'exposer 
leur  directeur  de  conscience  aux  huées  de  la  populace.  Les  prêtres 
insermentés  trouvent  leur  vengeance  dans  les  vexations  que  les  pay- 
sans font  subir  aux  propriétaires,  dans  les  réclamations  relatives  aux 
domaines,  dans  les  menaces  faites  aux  prêtres  insermentés,  et  dans 
les  propos  alarmants  qu'ils  tiennent  eux-mêmes  en  chaire  et  à  l'autel. 
Le  temps  est  proche  où  les  réfractaires  devront  céder  la  place  aux 

1.  «  Un  a  séparé  ce  local  du  reste  de  l'église  par  une  clairevoie.  11  est  décoré  de  pein- 
tures palriotiijues  coniine  des  décorations  d'opéra.  Tous  les  fonctionnaires  sont  assis 
dans  des  sièges  élevés,  comme  des  sénateurs.  On  trouv'e  toutes  ces  peintures  mesquines 
et  sans  goût.  Cependant,  cela  coûte  12,000  francs.  »  Bibl.  de  Bordeaux.  Bernadau, 
Tablettes,  t.  VII,  p.  417. 


VO-iAr.K    d'un    AM.F.MK>n     A     IU)H|iKAI'\     E\     1  So  I  3.^7 

aud't'S  et  où  ils  seront  chassés  ilu  pays.  On  s«  lif^urt;  alors  si  les  esprits 
■^impies  seront  molesl/'s  i-l  si  l'on  inqniétiTa  les  propri(''taires.  I.e 
prélt't,  loujonrs  timoré,  ne  lait  rii-n  pour  protéger  et-s  derniers.  11 
a  peur  de  se  compromettre  auprès  du  gou\ernement.  A  ceux  qui 
lui  poi'liiil  liiirs  doléances,  il  l'uil  cilir  (•(■•|miii'-c  r\;isi\f  i-i  dii/io-  de 
loracle  tie  iJcljdies  :  Faites  ce  que  la  pi  iidi-ne,»'  vous  eom[n:ind*-ra... 
Dans  certaines  récrions,  les  prêlns  constitiitionneis  Inlli-nt  avec 
eneoi'e  pins  cracliarnement  ('(inlrt-  li-s  anlns  |»rélres  et  cunlrr  tout  ce 
(|ui  n'est  pas  conforme  an  principe  répiiMiniin.  Les  deux  partis  ne 
sont  d'accord  que  lorsqu'il  s'agit  d'encourager  li  |h  upli-  h  la  supers- 
tition, .l'ai  vu,  dans  le  village  de  BlanqnetorI,  in  Médoc,  le  jour  de 
la  tèle  de  Saint-lHocli,  leur  jiatron,  des  Itiinifs  de  lahonr  landais  aller 
à  l'église  accompagnés  de  lenrs  conducteurs  en  Iniljils  des  dimanches. 
Le  prêtre  constilulionnel  bénissait  alors  les  bœufs,  les  aspergeait 
d'eau  bénite  et,  la  cérémonie  terminée,  renvoyait  les  bêtes  à  l'étable. 
Les  gens  de  la  ville  sont  nutiiis  attachés  à  ces  chinoiseries  et  ils  s'éman- 
cipent justiu'à  s'oublier  par  trop  à  l'égard  du  chef  lui-même  de  l'église. 
Sur  l'allée  de  Tourny,  des  gamins  vendaient,  ces  jours-ci,  la  lettre 
que  le  concile  de  Paris  vient  d'adresser  an  iiajte  Pie  \  II.  Deux  ven- 
deurs se  rencontrèrent.  L'un  d'eux  criait  :  «  Voilà  la  lettre  du  concile 
national  de  l'rance  à  notre  Sainl-Pèro  le  pape  Pie  \'ll...  !»  —  «  Dis 
donc  jiolre  Cher  Père,  »  lui  rijtosta  l'autre.  Mais  le  premier  en  tenait 
pour  son  Sainl-Père  et  il  le  cria  encore  plus  fort.  Un  portefaix,  qui 
passait  par  là,  se  mit  alors  à  le  contrefaire  ei  lui  dit,  en  accompagnant 
ses  paroles  d'un  abominable  juron  :  >  Tais-toi,  coquin,  avec  ton  Saint- 
Père,  c'est  un  ...  » 

Par  contre,  Meyer  vante  l'exeellent  fonctionnement  d'une  insti- 
tution récente,  à  lacuielit'  la  Révohition  n'a  porté  aucune  atteinte,  et 
qui  continue  à  produire  de  prodigieux  résultats  :  c'est  l'institution 
lies  Siiurds-.Muets.  Il  va  en  visiter  rétablissenieut  smis  la  londuite 
éclairée  d'un  de  ses  administrateurs,  le  grand  Marliguac  *,  ancien 
avoijil   au  Parlement  de  Bordeaux  : 

l  lie  iuslilulioii  \r:iiiueiit  piiilanlliropiqne,  e'est  l' iii-t  il  ul  ion  locale 
ite>  SiMirds-Muets.  La  viileiir  de  ses  professeurs  et  le  nombre  de  ses 
succès  permet  de  la  comparer  à  telle  de  Paris.  1-dle  a  été  fondée  par 
M-'  de  Cicé,  r:fncien  archevêque,  et  organisée  |tar  Sieard  ',  \  enu 
fout  exprès  de  P:iris.  Ces  stu'Ies  d'insf  ilul  ions  exislaieiil   depui-;  plu- 


1.  Miiil  itriKir  (Lt'oiiai'd  df  (ijiye  il»?),  né  l'i  Mrivi'  en  171.',  iimit  à  Uorili-.iux  ou  IS-JO; 
il'iilioril  lii'iili-iKinl  iiu  réiîimenl  de  Fkindre,  puis  jivoral  à  Kordfiiiix  et  jurât  de  celle 
\  illf,  il  fut  élu  liAlonniiT  de  l'Ordre  à  la  it''Oi<.'aiii<alion  du  barreau.  |iiiis  iinniiné  eoiirîeiller 
a  la  four  en  ISIti.  .\\aiil  été,  coniini'  nu-nilirc  df  l.i  .lurade,  a|i|ii-lé  à  riindainner  l.ai'oiiihe 
pour  esrroiiuerie,  mi  sait  ipie  r'esl  lui  qui  rappela  de\:uit  le  'rrlliunal  ri'-\  olutionnaire 
où  il  était  traduit  la  honte  de  son  président.  ■'!  qu'il  lit  ainsi  L'uillot  iner  l.ai'onihe  à  sa 
|dace. 

2.  Sieard  (  Hoeli-Aniliroise  de  C.ururron,  dit  l'abliéi,  I74'2-1S'2'2,  chanoine  de  Sainl- 
Seurin,  dirij,'ea  l'Iiospiee  vies  sourds-muets  de  Bordeaux  à  la  mort  de  l'abbé  de  l'Épée. 


288  VOYAGE    d'un    ALLEMAND    A    BOUDEAUX    EN     1 8o  1 

sieurs  années  déjà,  quand  l'Assemblée  Nationale  décréta  qu'il  n'y 
en  aurait  plus  que  deux  en  France,  l'une  à  Paris,  l'autre  à  Bordeaux. 
Celle  de  Bordeaux  est  administrée  par  cinq  bourgeois  de  la  ville,  et 
le  nombre  des  élèves  en  est  limité  à  soixante.  Actuellement,  on  n'en 
compte  que  cinquante  et  —  que  les  dames  remarquent  bien  cela  — 
il  y  a,  sur  le  nombre,  huit  femmes  muettes...  Un  maître  principal  et 
un  adjoint,  deux  maîtres  en  second  et  deux  maîtresses  se  partagent 
l'enseignement.  Tous  remplissent  avec  un  réel  dévouement  leur  tâche 
ingrate  et  infiniment  méritoire.  D'après  les  règlements,  le  séjour  des 
élèves  dans  l'institution  dure  cinq  ans. 

Outre  riustruction  générale  et  l'enseignement  mécanique  du  langage 
à  l'aide  de  signes  conventionnels,  on  enseigne  aux  sourds-muets  les 
six  métiers  de  menuisier,  de  charpentier,  de  serrurier,  de  tourneur, 
de  cordonnier  et  de  tailleur,  afin  que  plus  tard  ils  puissent  gagner 
leur  vie.  A  leur  sortie,  quelques  sujets  d'élite  ont  été  placés  dans  des 
maisons  de  commerce.  L'un  d'eux,  entre  autres,  est  entré  ici  dans  le 
bureau  de  son  père  où  il  fait  la  correspondance  française,  anglaise 
et  allemande.  Parmi  les  cinq  administrateurs  de  l'Institut,  figure 
l'ancien  avocat  au  Parlement,  Martignac,  un  des  citoyens  les  plus 
considérables  et  les  plus  respectés  de  Bordeaux.  J'ai  accompagné 
cet  homme  éminent  dans  une  de  ses  tournées  d'inspection  hebdoma- 
daire, et  j'ai  pu  constater  que  ses  pupilles,  qui  ne  sont  plus  bien  à 
plaindre,  le  chérissaient  comme  un  père  :  Hic  amal  dici  paler '. 

Il  faut  avoir  vu  soi-même  un  établissement  de  ce  genre,  pour  com- 
prendre l'émotion  que  j'éprouvai  pendant  les  deux  heures  que  j'y 
restai,  et  la  part  que  je  pris  au  sort  de  ces  pauvres  enfants  que  les 
soins  et  l'éducation  ont  cependant  bien  soulagés.  Je  ne  puis  analyser 
ici  les  sentiments  qui  ont  été  les  miens,  pas  plus  que  je  ne  puis  exposer 
le  plan  et  la  méthode  de  l'enseignement  délicat  qu'on  donne  aux 
élèves,  ou  bien  encore  suivre  chez  ceux-ci  le  processus  secret  d'un 
développement  intellectuel  (pii  varie,  du  reste,  d'un  individu  à  l'autre. 
Je  peux  seulement  parler  des  résultats  tangibles  de  l'enseignement 
reçu,  c'est-à-dire  des  progrès  faits  par  les  élèves  dans  leur  façon  de 
percevoir  les  idées  dautrui,  dans  la  facilité  plus  ou  moins  grande 
qu'ils  ont  acquise  pour  les  comprendre  et,  à  ce  sujet,  je  citerai  deux 
faits  dont  je  fus  le  témoin. 

Un  nommé  Salcède,  garçon  d'une  dizaine  d'années  et  qui  ne  prend 
de  leçons  que  depuis  dix-sept  mois,  était  particulièrement  surprenant. 
Ce  sourd-muet  saisissait  avec  toute  la  vivacité  d'un  enfant  supérieu- 
rement organisé  les  idées  qu'on  lui  transmettait  par  gestes  ou  par 
écrit,  puis,  il  faisait  au  maître  des  réponses  aussi  claires  que  précises 
qu'il  écrivait  sur  un  tableau.  Je  posai,  alors,  moi-même  une  question 
écrite  à  un  élève  plus  âgé.  En  supprimant  une  lettre,  j'avais  donné 
un  double  sens  à  certain  mot.  L'élève  me  regarda,  me  montra  le  mot 
de  l'air  de  quelqu'un  qui  doute,  puis,  ayant  remplacé  la  lettre  qui 
manquait,  il  me  demanda  s'il  avait  bien  compris.  Je  lui  fis  signe  que 
oui,  et  immédiatement  la  réponse  suivit,  détaillée,  motivée  et  parfai- 
tement correcte.  A  son  tour,  mon  sourd-muet  entreprit  alors  de  me 


VOYAGE    d'un    AI.IKMAM)     V     ItOUDKAlX     F.\     I  So  I  389 

demander  :  «  Qui  ètes-vous?  D'où  venez-vous?  »  et  ainsi  de  buile. 
J'écrivis:  de  Hambourg  —  lionime  de  letlns.  Il  parut,  étonné  que  j'eusse 
fait  un  aussi  lointain  voyat^e  de  ceLlc  uitle  voinmcrçunlc  sur  r lîlbr, 
fil  Ba.stii'-Sdxc,  Allemagne,  mots  que  j'ajoutais  au-dessous  dt-  ma 
réponse.  Il  ne  saisit  pas  bien  cet  homme  de  lettres.  11  rélléchit  et  lioclia 
la  lêtf  diiu  air  de  mauvaise  liunnnr.  Je  pris  alors  la  craie  et  mis 
au-dessous. le  mot  plus  courant  ûa  sui'niit.  11  se  frappa  li-  Iront  eomnie 
quelqu'un  (jui  s'étonm-  île  n'avoir  i>as  coinpri'-  |tlus  lot.  ■  iJ'oi'i  vimu-z- 
\'ous,  à  présent"?  »  continua-t-il,  —  «  de  Fari^.  »  Son  visajL'e  s'éclaira  t-l 
la  joie  se  peignit  dans  ses  yeux.  J'avoue  que  je  n'y  étais  pas  du  tout. 
l.or>qu  il  se  mil  tout  ;i  coup  à  éciiir  :  «  Gonnaissez-vous  notre  Bona- 
parte? »  — -  >i  Je  le  coiuiais  et  je  l'admire,  i.  lui  répondis-je  à  mon  tour 
par  écrit.   Et  il  nir  serra  alors  la  main  a\ec,  une  véritable  émotion. 

Loreuz  Meyer,  que  ne  i(  Imle  lingratilude  (i'aueun  sujet,  parle 
ensuite  des  droits  l'onciers  el  iiiubilims,  des  droits  somptuaires, 
mais  surtout,  des  droits  dncLrwi,  (|u"il  dénonce  comme  les  plus  écra- 
sants de  tous.  Sans  dnule  les  eonnaît-il  de  façon  toute  particulière, 
car  son  frère,  propriétaire  à  Blanquefort,  s'en  sera  plaint  amère- 
ment pour  en  avoiV  été,  tout  le  premier,  la  victime  : 

De  tous  les  impôts  qu'il  faut  acquitter,  dit-il,  les  droits  d'octroi  sont 
ceux  dont  l'abus  est  le  plus  criant.  Les  propriétaires  des  environs  sont 
tracassés  sans  cesse  et  écrasés  de  droits  pour  tous  les  produits,  quelle 
qu'en  soit  la  nature,  (pi'ils  introduisent  en  ville.  Il  leur  en  faut  payer 
jusqu'à  douze  et  quinze  pour  cent  de  la  valeur.  Ainsi,  une  charrette 
de  foin  du  prix  de  vingt-quatre  livres  environ,  paii-  trois  et  tjuatre 
livres  de  droits.  Les  bœufs  gras  sont  taxés,  eux  aussi,  ce  qui  est  assez 
juste.  Alors  il  arrive  qu'un  paysan,  pour  éviter  les  droits,  enlre  en 
ville  sur  une  charrette  traînée  par  des  bceufs,  et  qu'ajirés  axoir  \endu 
Ceux-ci,  il  sorte  avec  le  même  \éhicule  attelé,  cette  fois,  de  che\aux. 
.Mais,  au  lieu  de  guetter  les  fraudeurs,  de  les  frapper  d'amende,  et 
de  déjouer  leurs  stratagèmes  par  des  moyens  divers,  on  «iblige  les 
négociants  les  plus  honoraldes  et  les  |)lus  connus  à  consigner  à  l'octroi 
une  somme  de  trente-six  livres,  cha(pn'  fois  qu'ils  foid  entrer  conune 
propriétaires  des  véhicules  attelés  di'  bœufs.  Il  est  vrai  tjue  si  les 
bœufs  ressortent,  on  vous  rend  l'argent,  mais  c'est  toujours  avec 
les  plus  grandes  difficultés. 

Lorenz  Meyei-,  liouinie  de  lellrcs.  et  niènie  Nr//'r//i/,  ainsi  tpi'itu  l'a 
\  Il  .>'iiit  ilujei-  lui-iriêiiie.  faisait,  à  l'exemple  de  M""'  de  la  Ibiche, 
liarLie  de  l'Académie  de  Bordeaux.  Il  eu  .ivait  elé  reçu  comme 
associé  au  cours  même  de  son  voyage,  <'t  le  choix  n'était  pas  moins 
llatteur  pour  l'.Académie  que  po\ir  son  mniveau  mi'mhre.  .Meyer 
n'eu  fut  que  plus  facilement  introduit  dans  les  milieux' savants, 
que  mieux  accueilli  pai  Inus  ceux  qui  s'occupaient  d'art  et  de  litté- 


3^0  VOTAGE  n'uiS  ALLEMAND  A  BORDEAUX  EN  180I 

rature.  On  lui  fit  faire  le  tour  des  diverses  sociétés;  on  lui  présenta 
l'architecte  Combes  et  le  peintre  Lacour;  il  visita  les  tombeaux 
des  grands  hommes,  les  curiosités  archéologiques  et  les  collections 
particulières.  L'activité  intellectuelle,  un  instant  ralentie  par  la 
Révolution,  semblait  prendre  un  nouvel  essor,  et  Meyer  parut 
s'étonner  de  la  trouver  aussi  grande  dans  une  ville  de  commerce  : 

A  Bordeaux,  dit-il,  la  culture  intellectuelle  semble  moins  négligée 
que  dans  la  plupart  des  villes  de  commerce.  L'esprit  mercantile  y 
pèse  moins  à  la  livre  les  fruits  de  la  science;  il  mesure  moins  la  litté- 
rature à  l'aune  ou  d'après  le  prix  courant  des  marchandises;  il  consi- 
dère moins  les  savants  et  les  artistes  comme  des  choses  inutiles  ou 
qu'on  peut  se  procurer  facilement  et  à  bon  marché.  J'ai  entendu,  ici 
même,  se  plaindre  de  cette  mentalité  fâcheuse,  mais  je  ne  saurais  dire 
si  le  reproche  est  mérité  ou  dû  seulement  au  besoin  de  critiquer  et  à 
l'excessif  orgueil  des  milieux  savants. 

Bordeaux  compte  plusieurs  Sociétés  savantes  :  Société  des  Sciences, 
Société  de  Littérature  et  des  Beaux-Arts,  Société  de  Médecine.  L'on 
est  en  train  d'en  créer  une  nouvelle,  celle  du  Muséum  d'Instruction 
publique,  qui  sera  subventionnée  par  des  négociants. 

La  Société  des  Sciences,  une  fille  de  l'Institut  national  de  Paris,  a 
été  fondée  sur  le  modèle  de  celui-ci  en  l'an  six  républicain  (1798). 
Elle  compte  soixante-dix  membres  résidents  et  douze  associés  étran- 
gers (j'ai  l'honneur  d'être  un  de  ces  associés;  on  m'a  envoyé  mon 
diplôme  depuis  que  j'ai  quitté  Bordeaux).  Les  membres  sont  divisés 
en  vingt  catégories  de  travailleurs,  correspondant  aux  diffé- 
rentes branches  des  sciences  et  des  arts.  Ils  se  réunissent  une  fois 
par  décade  dans  l'ancien  hôtel  de  l'Académie  et  s'occupent  soit  de 
travaux  personnels,  soit  de  l'encouragement  aux  arts  et  aux  sciences, 
soit  de  questions  intéressant  la  ville,  car  celle-ci  ne  dédaigne  pas  de 
les  consulter.  Le  bel  immeuble  qui  sert  de  lieu  de  réunions  à  cette 
Société,  ainsi,  du  reste,  qu'à  la  Société  de  Médecine,  est  situé  sur 
l'Allée  de  Tourny,  où  se  trouve  également  la  Bibliothèque  nationale. 
C'est  l'ancien  hôtel  de  J.-J.  Bel,  conseiller  au  Parlement  de  Bordeaux, 
mort  en  1738,  lequel  a  légué  à  l'Académie,  en  même  temps  que  sa 
demeure,  sa  bibliothèque  et  une  collection  d'histoire  naturelle.  La 
bibliothèque  contient  environ  trois  mille  volumes.  En  souvenir  de  sa 
libéralité,  on  a  placé  le  portrait  de  ce  patriote,  avec  une  inscription 
au-dessous,  dans  la  salle  où  se  trouve  la  collection  d'histoire  naturelle, 
collection  du  reste  peu  importante.  On  voit  aussi  dans  cette  salle, 
sur  un  petit  socle,  le  très  remarquable  buste  en  marbre  d'un  conci- 
toyen de  J.-J.  Bel,  le  président  de  Montesquieu,  par  Lemoyne.  Le 
préfet  Thibaudeau  a  fait  installer  dans  la  grande  salle  des  réunions 
le  monument  de  Montaigne,  qui  était  autrefois  dans  un  coin  obscur 
d'une  chapelle  de  couvent.  C'est  un  sarcophage  de  grès,  dans  le  mau- 
vais goût  du  xvi^  siècle,  n'ayant  comme  forme  ou  comme  exécution 
aucune  valeur  artistique,  et  sur  lequel  Montaigne  gît,  revêtu  de  son 


armiiro.  Tout  aulonr  ouL  ('[v  dispost's  nomlir<>  df  frri<,'mt'iits  arflii^o- 

|i»iri(Hit's  et  iriiiscript idiK  (li'cnuvcr'ti's  rl:iiis  l:i   rt''Lriiiii. 

Les  salles  de  rAradémie  n'avaient  giuTo  cliang»'  do  physionomie 
depuis  la  visifo  de  M""'  df  la  Hdclit',  t-u  1 78r).  Elle  aussi  y  avaiL  vu 
le  poiliail  di'  J.-J. -Bel,  aujouKrinii  di.-paiu  avec  ceux  de  Galilée, 
de  Gassendi  et  de  Newton;  le  buste  de  Montesquieu,  actuellement 
à  la  bibliothèque  de  la  \illt',  ot  cette  nit'-iuf  colltMl  ion  dhisloire 
naturelle  où  figurait  ce  monstrueux  requin  qui  avait  faut  impres- 
sionné la  voyageuse.  On  voyait  cependant  quelque  chose  de  nouveau 
dans  la  grande  salle  des  réunions  :  le  mausolée  de  Montaigne 
que  le  préfet  avait  eu  la  déplorable  idée  d'enlever  à  la  chapelle  des 
Feuillants,  au  mois  de  septembre  ISOO.  Idée  déplorable,  parce  qu'à 
moins  de  nécessité  l'on  n'a  pas  le  droit  de  troubler  le  repos  des 
morts,  ni  même  de  violer  la  pieuse  volonté  de  ceux  qui  ont  élu  ou 
pour  qui  d'autres  ont  choisi  un  lieu  de  sépulture;  parce  que  encore, 
arracher  un  tableau,  \me  statue  ou  un  monument  quelconque  à 
l'ensemble  pour  lequel  ils  ont  été  créés,  c'est  commettre  un  crmtre- 
sens  qui  intéresse  à  la  fois  l'art,  l'archéologie  et  l'histoire.  Et,  en 
l'espèce,  les  conséquences  de  cette  faute  furent  d'autant  plus 
fâcheuses  et  ridicules  que,  sous  le  cénotaphe  où  chacun  pensait 
saluer  les  restes  vénérés  de  Montaigne,  reposait  le  corps  d'une  femme, 
celui  de  Jeanne  de  Lestonn.ic^...  !  A  la  chapelle  des  Feuillants,  où  elle 
aussi  dormait  en  paix,  on  avait  confondu  son  cercueil  avec  celui 
de  l'auteur  des  Essais.  L'erreur  fut  découverte  un  peu  jihis  tard, 
en  1803  2,  et  le  tombeau  de  Michel  Montaigne,  que,  trois  ans  plus  tôt, 
on  avait  transporté  en  grande  pompe,  au  son  de  la  musique  et  sur 
nu  char  traîné  par  quatre  chevaux,  reprit,  sans  tambnm  ni  linm- 
jiette  cette  fois,  le  chemin  des  Feuillanls  d'où  il  n'aiirail  jias  dû 
sortir  ''. 

1.  Lpslonnnr  {.Toîinno-Mnrio  de  ,  ufi-  ,i  I  iunlfjnix  on  ir>rii.,  in.nifi-  i>n  ir>7v.'  ;iii  ni;irc|iii< 
lit'  MoiitfeiTJiiul,  iiinilc  en   ll'ilO  dans  1»'  (-(uneiil  «li'S  lilli-s  de  N.-I").    i|irfllc  :i\:til  fond»-. 

■1.  Dissi-rtiitioi)  d'un  nicinluc  de  l'.\r;idi-nii<'  d«'s  Sricnrcs.  Itt'Ili's-l.cUri'S  td  \rl>  dt> 
Mordeaux,  liK- en  si'-:inrt>  |iiililic|iii- II'  10  in.ii  1  S(i;l  I  M.-Élvc/.in,  M Irlirl  il,'  Mnnluitini'.  \<.  ISO'. 

3.  Le  couvent  des  Feuillants,  ordre  de  Sainl-Kernard.  se  lniii\ait  î'i  l'exlréniit»''  sud 
de  la  rue  des  Ayres.  Il  renionlail  à  iris9.  Oreuiié  en  |i;ntie  au  XIX"  sit'^ele  |i;ir  le  Lycée, 
d  fui  transformé  en  école  de  filles  vers  IHHl.  A  celle  époipie,  les  centires  de  Monlaimie 
Inrei.t  exhumées  et  portées  au  déposUoire  de  la  Chartreuse.  Klles  y  restèrent 
jusqu'à»!  11  mars  isHfi,  date  à  laquelle  on  les  déposa  d.ins  le  vesllliule  de  la  F.icullé 
des  Lettres,  sous  le  mausolée  (|ui  venait  il'ètre  resl.'iuré.  Comme,  aux  dires  <le  M"'  de 
La  Hoclie,  ce  mausolée  était  encore  .'disolument  inl;iil  i-n  17s.'i,  il  est  prolialde  qu'il 
avait  été  cléirradé  sous  la  Kévolulion  ou  Idi-n  pendant  l'incendie  du  .T)  m.'ii  IK71.  qui 
luina  la  cliapelle  où  il  se  trouvait.  M.  \'enlurini.  sc\i|pteur.  di-  qui  nous  tenons  i-es 
ri'nseii.'nements,  a  refait  la  pleureuse  .-intérieure,  l.i  tête  d'.-inuelot  et  le  Id.tson  nrniorié 
du  Coté  gauche,  ainsi  ipie  nomlire  de  inouluies. 

Ce  mausolée,  fait  en  pierre  de  Crazannes,  n'est  évidemment  pas  un_type  parfait^de 


242  VOYAGE  d'uN  ALLEMAND  A  BORDEAUX  EN  180I 

La  Société  dite  du  Muséum  d'Instruction  publique,  dont  Meyer 
vient  de  parler,  fut  inaugurée  l'année  suivante,  le  30  frimaire  an  X, 
dans  un  local  que  Goethals  ^,  son  véritable  fondateur,  avait  fait 
bâtir  sur  les  plans  de  Combes.  Ce  local,  situé  rue  Mably,  prit  plus 
tard  le  nom  d'Afhénée.  Il  sert  actuellement  de  salle  des  ventes  : 

Le  Muséum  d' Inslruclion  publique,  qui  vient  dètrc  installé  dans  un 
immeuble  construit  exprès,  )>romet  de  rendre  les  plus  grands  services. 
On  rouvrira  bientôt.  Il  a  pour  fondateurs  deux  actifs  citoyens,  Goe- 
thals et  Rodrigues,  qu'on  a  mis  à  la  tête  de  l'Institut.  L'autorité  leur 
a  donné  son  apjjrobation,  mais  elle  ne  leur  a  pas  accordé  de  subven- 
tion. Une  assez  imporlanlt-  collection  d'histoire  naturelle  et  d'objets 
d'art,  réunie  par  ces  messieurs,  a  été  exposée  dans  une  salle  fort  bien 
aménagée  à  cet  effet  et  très  élégamment  décorée.  Outre  le  but  d  in- 
térêt public  qu'on  s'est  proposé,  on  veut  créer  un  lieu  de  rendez-vous 
des  amis  des  sciences  en  mettant  à  leur  disposition  un  salon  de  lecture. 
On  pense  organiser  aussi,  au  profit  des  membres  souscripteurs  pour 
une  année,  des  cours  scieidiflques,  élaborer  des  travaux  divers  et 
publier  une  histoire  naturelle  du  département  de  la  Gironde,  une 
histoire  de  la  littérature  et  des  mœurs  du  paySj  ainsi  (ju'une  revue 
périodique  des  lettres  et  des  arts.  Le  Muséum  servira  en  même  temps 
de  maison  d'éducation  gratuite  pour  douze  jeunes  gens  d'élite,  et  les 
artistes  y  exposeront  leurs  œuvres.  On  décernera  des  prix.  Tout  est 
parfaitement  organisé  et  les  fondateurs  sont  vraiment  dignes  du 
sérieux  concours  qu'ils  ont  trouvé  partout.  J'ai  vu  dans  la  maison 
de  INI.  Goethals  un  bon  conunencement  de  collection  d'histoire  natu- 
relle, de  peintures  et  d'objets  d'art  qu'il  destine  au  Muséum. 

Parmi  les  rares  peintres  qui  vivaient  alors  à  Bordeaux,  Lacour, 
qu'on  présenta  à  Meyer  était  à  peu  près  le  seul  qui  eût  quelque 
talent.  Leupold  avait  disparu  depuis  1795  et  Lonsing  depuis  1799, 
Cependant,  Lacour  végétait,  et  Meyer  raconte  que  son  pinceau  ne 
rapportait  à  l'artiste  même  pas  de  quoi  vivre  : 

A  Bordeaux,  observe-t-il,  l'art  meurt  de  faim.  Du  reste,  il  est  rare 
que  les  villes  de  commerce  entretiennent  les  grands  artistes:  elles  ne  les 
font  vivre  qu'un  moment.  Il  n'y  a  guère  que  les  peintres  de  portraits 
qui  gagnent  autre  chose  que  du  pain  sec.  Bordeaux  n'a  pas  échappé 
à  la  règle.  Un  seul  peintre  distingué  et  que  j'admire  parce  que  c'est 
un  artiste  qui  pense,  Lacour,  vit  ici,  mais  s'il  vit  c'est  grâce  à  ses 
ressources  personnelles  bien  plus  qu'à  l'aide  du  produit  de  son  travail. 
Il  possède  en  histoire  ancienne  et  en  histoire  moderne,  de  même  que 

S(iil|iture  (le  la  Renaissance.  Il  date  de  1593  et  a  toutes  les  lourdeurs  d'une  époque  de 
transition.  Mais  il  est  loin  de  mériter  la  trop  sévère  appréciation  portée  sur  lui  par  Meyer, 
qui,  du  reste,  a  englobé  dans  son  mépris  le  xvi''  siècle  tout  entier. 

1.   Goethals   (Jean),   amateur  éclairé  des   beaux-arts  et  grand   rollectionneur,  né   à 
Courtrai  en  1760,  fixé  vers  1780  à  Bordeaux,  où  il  est  décédé  en  1841. 


VOYAGE    l>  IN    ALI.EMANO    A    HOUOEAUX    EN     |8oi  a/|3 

(l;nis  les  langues  étrangères,  des  ronnaissances  exce|>l  iwiiurlles.  C'est 
nii  s|técialiste  de  la  peinture  d'histoire  et  du  paysage.  Si  ses  toiles  sont 
(l'un  coloris  itent-êtn-  un  jkmi  froid,  elles  n'ont  pas,  en  Ions  ras,  les 
défauts  de  l'école  franeai'^c.  l'.lles  sont  composées  avec  aniard  d'esprit 
(|iii'  d'intelligence  et  poilrnl  liien  l'empreinte  d(;  cette  école  de  Home 
à  laipicllr  a  élé  loi-na;  Lacour.  Son  inéi-jlc  est  d'aut:inl  plus  grand  que, 
ilans  ce  milieu  si  peu  faNorable  à  l'art,  il  doit  tout  tirer  de  lui-mê*me; 
qu'il  \it  loin  des  (•liets-d(i'u\re  des  irrands  iimil  n-;  él  rangers  et  des 
connaisseurs  qui  pourraient  lui  faire  utilejnenl  l:i  rrilique  de  ses  Ira- 
\aux.  (^e  tprii  \  a  de  sfn',  c'est  qu'il  ne  recueille  pas  It;  fruit  de  son 
laheur,  car  il  n'\  a  personne,  ici.  ipii  reelierelie  ses  œuvres  et  qui 
les  paie,  expérience  décevante  (|u'(»nl  faite  aussi  et  t|ue  font  encore 
beaucoup  do  nos  lions  artistes  en  Allemagne.  Sous  la  Terreur,  le 
mallu'uicux  maire  Saige,  ami  des  arts  et  prolecteur  de  lout  ce  qui 
était  beau  el  utile,  av^ait  commandé  à  Lacour  toute  une  suite  de 
grandes  compositions  tirées  de  l'histoire  grecque,  de  l'histoire  romaine 
et  de  l'histoire  de  France.  Kn  rénnuiération  de  ct^  travail,  Saige  a\  ait 
promis  à  l'artiste,  outre  ses  honoraires,  um-  reide  annuelle  de  1,'2UU  li- 
vres... Vaine  espérance  !  Lacovu'  travaillait  au  deriiier  de  ces  tableaux 
quand  la  lête  de  Saige  tiunba  sons  le  couperet  de  la  guillotine.  Ces 
peintures,  fort  liien  composées,  sont  encore  accrochées  a\i  mur  chez 
Lacour;  elles  y  sont  les  tristes  témoins  de  toutes  les  déceptions  de 
Tartisle  et  ceux  dune  é|ioque  abominable. 

A  en  juger  jiar  celles  que  nous  connaissons,  ces  peintures,  au 
nombre  de  neuf,  n'étaient  pas  des  morceaux  de  premier  ordre.  Nous 
qualifierons  volontiers  leur  style  de  «  pompier  ».  Mais,  ce  (pii  imus 
déplaît  eu  elles  faisait  précisénniil  le  iliarme  des  jiarl  isan^  de  la 
nouvelle  école,  et  il  était  naturel  (pie  ceux  (|ui  admiraient  alors  le 
genre  gréco-romain  mis  à  la  mode  par  David,  n'eussent  pas,  comme 
Meyer,  assez  de  mépris  pour  u  les  fautes  de  l'école  française  ». 

Vers  1803  ou  lSO-1,  I.acour  voulut  vendre  ces  tableaux  au  Conseil 
départemental  pour  meubler  l'ancien  InMei  Saige,  devenu  celui 
de  la  Préfecture.  «  Si  la  rente,  écrivait  Lacour,  ([ue  M.  Saige  devait 
nié  faire  était  accumulée,  elle  s'élèverait  à  15,000  livnis,  sans  préju- 
dice d'une  gratification  de  6,000  livres  (|ue  M.  Saige,  m'avait  promise, 
et  qu'il  eût  certaiiu'inent  acquittée.  Loin  de  lUt-tendre  à  tout  cela, 
je  me  réduis  à  12,000  livres,  prix  le  plus  m(i(ii(pie  (pi' il  M>il  d'établir, 
mais  (|ui  me  ferait  placer  mes  tableaux  dans  un  endr(ut  public 
et  permanent^.  »  Malheureusement,  Lacour  dut.  garder  ses  peintures 
qui,  depuis,  ont  été  dispersées. 

Malgré  cet  insuccès,  et  (juoi  ([u'(;n  dise  Mey(r.  Lacour,  (|ui  fut 
un  p. mire  très  prisé  et  très  choyé  des  Bordelais  —  sauf  peut-être 

1.    UililiutliiMiiii.'  lie   IjLiiiliMiix.  rii'iTc  Lacour,  lor.  cir, 


2^6  VOYAGE  d'un  ALLEMAND  A  BORDEAUX  EN  180I 

durant  les  années  de  trouble  qui  marquèrent  et  suivirent  la  Révo- 
lution, —  Lacour  trouva  dans  l'exercice  de  son  art  autre  chose 
que  la  misère.  Lui-même  le  dit  bien  dans  l'épitaphe  qu'il  s'était 
composée  et  dont  voici  la  dernière  strophe  : 

J'ai  vécu  mes  quatre  saisons, 
Longue  el  belle  fut  ma  carrière, 
Comblé  (Vhonneurs,  chargé  de  dons, 
Je  suis  rentré  dans  la  poussière  i. 

D'ailleurs,  comment  Lacour  n'aurait-il  pas  réussi  dans  une  ville 
d'un  pareil  luxe,  où  l'or  coulait  à  flots  et  où,  pendant  plus  d'un 
demi-siècle,  l'art  venait  de  se  manifester  avec  une  extraordinaire 
intensité  et  sous  les  formes  les  plus  diverses?  Les  amateurs  bor- 
delais ne  s'étaient  même  pas  contentés  de  demander  leur  portrait 
à  Lacour  ou  de  lui  faire  décorer  leur  hôtel  de  grisailles,  voire  de 
sujets  d'histoire  dans  le  goût  de  ceux  commandés  par  Saige;  ils 
avaient  réuni  chez  eux  nombre  d'œuvres  de  maîtres  anciens  et 
modernes,  et  entre  autres  collectionneurs  dont  il  a  visité  la  galerie, 
Meyer  cite  Journu-Auber,  Mollor  et    Bernard  : 

On  voit  ici  deux  collections  qu'il  convient  de  mentionner  d'une 
façon  toute  particulière  :  celle  du  négociant  et  sénateur  Journu-Auber  - 
et  celle  du  négociant  Môller,  un  Allemand.  La  première  renferme  un 
choix  de  tableaux  de  chevalet  par  Peter  Neef,  Van  der  Meulen,  Van 
de  Velde,  Greuze,  Dietrich,  Batoni  et  autres.  De  Batoni,  Journu 
possède  la  Mort  d'Antoine,  connue  par  la  gravure  de  Wille,  et,  de 
Vernet,  les  Quatre  heures  de  la  journée,  quatre  peintures  incomparables, 
exprimant  bien  la  puissante  facture  et  le  style  enchanteur  et  troublant 
de  ce  peintre  rare;  puis  un  Incendie  pendant  la  nuit,  une  Tempête  en 
mer,  une  Journée  brumeuse  et  un  Temps  clair.  Vernet  considérait  lui- 
même  ces  différentes  toiles  comme  ses  meilleurs  ouvrages;  il  les 
revoyait  toujours  avec  la  satisfaction  d'un  artiste  conscient  de  sa 
valeur.  A  la  manière  dont  est  présentée  cette  galerie,  sans  doute  peu 
considérable,  on  sent  que  le  propriétaire  en  a  réuni  les  tableaux  con 
amore.  A  côté  se  trouvent  une  bibliothèque  choisie  et  une  collection 
d'histoire  naturelle,  collection  si  facile  à  faire  dans  une  ville  maritime, 
grâce  aux  relations  avec  les  capitaines  de  navire. 

La  collection  du  négociant  Môller,  plus  importante,  est  aussi  plus 
variée.  Davantage  que  dans  la  précédente,  j'y  ai  retrouvé  mes  héros, 
les  tableaux  des  grands  maîtres  italiens  :  une  Mise  en  croix  du  Bassan^ 
de  dimensions  exceptionnelles  et  remarquable  d'exécution;  l'esquisse 
originale,   très  poussée,  du  Saint  Romuald  de  Sacchi,   une  des  plus 

1,  Bibliothèque  de  lîordeaux,  Pierre  Lacour,  lor.  cil. 

2.  Joiuiiu-Auber,  comte  de  Tustal  (Bernard),  1745-1815,  armateur,  député  de  la 
Gironde  à  l'Assemblée  législative,  pair  de  France. 


VOYAGE    d'un    AI.I-EMA>U    A    HUhULALV    EN     I.*^m|  uf^b 

famouses  |»i'iii(iirt's  iju'il  y  (-ril  ;i  Himic,  ;iiij*»iiril'liiii  :i  l'un--;  «Itux 
belles  liuluilU's,  du  Bourguignon;  une  inugniliciuu  iclcilr  (Jiri.sl,  pleine 
d'expression,  de  noblesse  sublime  et  de  résignation,  sans  doule  due 
au  Guide  lui-même,  i>u  liiiu  copiée  d'ai>rès  lui  par  ((uel<[ue  habile 
peintre  de  lu  vieille  école.  J  ai  \u  également  une  très  belle  peinture 
ilu  pa\sagiste  anglais  .Mo<»re,  mon  compagnon  de  soyagi.'  à  Home, 
aujourd'liui  décédé;  enlin,  iiuelques  grands  et  beaux  Téniers,  i*ouh-n- 
burg,  Breughel,  etc.,  etc. 

Il  me  faut  mentionner  aussi  les  tableaux  d'un  orlïnre  nomtné  Ber- 
nard ',  bien  ijue  celui-ci  traficfue  de  sa  collection,  ce  qui  lait  (ju'elle  est 
un  i)eu  vagabonde.  Je  me  rappelle  avoir  \u  chez  lui  le  plus  beau 
paysage  de  Téniers;  deux  batailles  dune  l'ougue  incomparable,  par 
llugtenburg  et  \'an  der  Meulen,  etc.,  etc.  En  homme  qui  spécule  sur 
les  œuvres  d'art,  il  m'a  raconté  que,  dernièrement,  dans  une  vente 
laite  à  Paris,  un  collectionneur  français  avait  iia\é  un  l*ol  l'otter  de 
très  modestes  dimensions  l'J,ôUU  livres,  et  deux  paysages,  de  Molinara 
je  crois,  4U,UUU  livres  !  Ce  qui  prouve  qu'en  France  le  luxe  coûteux 
de  l'amateurisme  est  de  nouveau  en  laveur. 

\  ingt  mille  livres,  c'est-à-dire  quarante  mille  francs,  pour  un 
petit  Pul  l^utter  !  Mais,  n'étaieut-ce  pas  déjà  les  folies  et  rinuuural 
gaspillage  auxquels  nous  ont  habitu(;s  aujourd'hui  les  tours  de 
passe-passe  des  luarcliauds  et   le  «  snobisme  »  des   prétendus  con- 


naisseurs ? 


Le  Bernard  en  (luestiun,  un  gros  orfèvre,  avait  son  niagasin  place 
de  la  Comédie,  n"  3.  11  était  associé  avec  son  beau-frère  sous  la  raison 
sociale  Sicarl  de  Bernard.  Le  comte  de  Paroy  raconte  dans  ses 
mémoires  quil  faillit  le  faire  guillotiner  en  même  temps  que  neuf 
autres  témoins  auxquels  il  avait  demandé  de  signer  un  certilicat 
de  résidence  que  Fouquier-Tinville  prétendait  faux  -.  C'était  un 
homme  fort  bien  de  sa  personne,  élégant,  distingué,  et  i[u'il  >erait 
injuste  de  ne  pas  considérer  comme  un  véritable  amateur  parce 
qu'il  aurait,  parfois,  revendu  des  tableaux  de  sa  collection.  l>u 
reste,  il  savait  aiq)récier  pour  lui-même  le  talent  duu  artiste,  car 
i|  lit  faire  au  moins  trois  fois  son  portrait  :  par  Lacour,  précisément, 
en  IT'Jl  ;  par  X'incent '^  en  17*J3,  et  par  Eugénie  Lethière  *  en  lb(J4. 


1.  lifiiiurd  (Juiiii-UiiiilisUv,  en  lamiile  Léon,  iiO  a  IJoriifaux,  iMioiese  Suiiile-tolombu, 
le  10  u\ril  1704  et  bapliaé  le  même  jour  à  isuiiil-Amiie  uVnli.  iimii.,  seiie  CiO.  par. 
Saiiil-AinJré,  let,'.  104,  f"  75,  uele  lô77);  marié  à  ThéoUslc  LacloUe  le  M  murs  l/iM 
(Greffe  du  Tribunal  civil). 

-.   MLiiiuircs  du  Cunilc  de  l-'aruy,  p.  4.i0. 

3.  \  iuceal  {Fraii«;oi»-.\.udré),  1/40-1610,  élevé  de  \  ieu,  Cirund  l'rix  de  Home  eu  170î>, 
membre  de  l'Académie,  marié  avec  .\délaïde  Labille  des  \  erlus,  premier  peintre  de 
Mesdames  de  France. 

4.  Lelliiére  (Eugénie),  lille  de  Guillaume  Guillon  Lelliiére,  170O-1S32,  Grand  Prix 
de  Kome  en  17S0. 


346  VOYAGE  d'un  AIXEMA>D  A  BOKDEAUX  EN  180I 

Lorsqu'il  mourut,  le  9  juillet  1833^,  on  trouva  encore  chez  lui 
nombre  de  tableaux  et  de  gravures,  et  une  extraordinaire  quantité 
de...  culottes  de  soie  2. 

S'il  fut  séduit  par  Fart,  Lorenz  Meyer  prit  assurément  moins 
de  plaisir  au  théâtre,  alors  en  pleine  décadence.  On  n'y  voyait  plus  ■ 
le  beau  Larive,  ni  la  Clairon  et  la  Dugazon,  la  Saint- Val,  les  Vestris 
et  les  Dauberval  qu'avaient  applaudis  M'"*"  de  La  Roche  et  l'anglais 
Young  lui-même.  Mais  si  acteurs  et  danseurs  étaient  mauvais, 
le  répertoire  était  pis  encore.  On  jouait,  même  à  l'Opéra,  des  pièces 
à  peine  dignes  d'un  théâtre  de  barrière  : 

A  Bordeaux,  dit  Meyer,  le  théâtre  partage  d'une  façon  toute  spé- 
ciale le  sort  de  l'art  dramatique  en  France.  Les  rôles  sont  parfois 
tenus  avec  une  certaine  maîtrise,  mais  quand  les  héros  chaussent 
leurs  cothurnes  —  grand  Apollon  !  (piels  rugissements,  quelle  fièvre, 
quelles  convulsions  !  L'o[(éra  et  la  danse  sont  médiocres.  11  n'y  a  de 
bonne  chanteuse  (jue  M"''  (Utsal.  La  \oix  de  Gueuet,  qui  nous  avait 
plu  sur  la  scène  de  notre  lliéâlre,  à  Hambourg,  est  éteinte,  et,  ici 
comme  cliez  nous,  M""^  Gasser  bat  l'air  de  ses  grands  bras.  La  dan- 
seuse Coustou  est  sympatliique,  de  même  (pie  le  premier  danseur 
Titus  (comment  un  sanlenr  peut-il  s'an"ui)ler  d'un  nom  si  auguste?), 
bien  <[u'il  soit  mal  bâti.  L'orchestre  est  excellent. 

Quant  au  goût  du  public  —  ne  devrais-je  pas  dire  sa  jtatience?  — 
on  chercherait  \ainenient  son  pareil.  Je  n'en  \ eux  d'autre  preuve, 
car  je  n'ai  jamais  rien  vu  de  semblable  sur  aucune  scène  de  village, 
que  Ponce  de  Léon,  l'opéra  qu'on  joua  il  liier.  Cette  dégoûtante  farce 
de  carnaval,  représentée  sur  une  scène  parisienne  il  y  a  imit  ans, 
faisait  partie  d'une  série  de  pièces  commandées  (?n  luiut  lieu  pour 
démoraliser  le  peuple.  Elle  était  jouée  ici  jiour  la  première  fois  avec 
l'autorisation  du  commissaire  de  police  Pierre  Pierre,  ce  qui  donne 
une  idée  de  la  culture  de  ce  Marseillais.  Je  ne  puis  la  raconter  en 
détail,  n'ayant  assisté  qu'à  la  moitié  de  la  représentation,  mais  je 
sais  que  les  principaux  rôles  étaient  tenus  par  des  imposteurs,  des 
cambrioleurs  et  des  ravisseurs  de  jeunes  filles,  tous  habillés  en  prêtres 
des  différents  ordres.  Le  plus  fort  de  la  farce  consistait  en  un  pugilat 
et  une  prise  aux  cheveux  entre  plusieurs  médecins  tenant  un  conci- 
liabule et  leur  malade,  également  déguisé;  au  moment  où  la  dispute 
devenait  générale,  le  malade  se  levait  de  son  lit  et  se  ruait  si  furieu- 
sement à  coups  de  traversin  sur  les  médecins,  qu'il  renversait  tout 
et  que  les  verres  de  lampe  de  Favant-scène  volaient  en  éclats...  Ce 
bruit  infernal  m'obligea,  ainsi  que  quelques  voisins  honnêtes,  à  quitter 
la  salle.  J'appris  ensuite  que  le  public  avait  eu  la  patience  de  laisser 
jouer  la  j)ièce  jusqu'au  bout,  mais  que,  une  fois  finie,  il  l'avait  sifllée. 


L   État  civil  de  Boiileaux. 

2.    Inventaire  ilu    1.5  avril   ls39.   M"  MacaiiT,   notaiie  (Étuile   Peyieloague), 


\<>»  \(.i;    Ii'l   \     \IIIM\Mi    A     IIOHDKAI   \     KN      iSoi 


La  (lircclidii,  parail-il,  Ji'avail  jias  la  iiiaiii  j»lus  licurrii.'C  t|ii;m(| 
il  s'agissait  de  choisir  lo  spectarlf  à  jou<t  ili-vauL  un  «Hraiigi-r  de 
marq\io.  Et  Mcyer  raconte  à  ce  propos  df  qm-lle  façon  maladroite 
l'I  iiirtiic  grossière  le  rui  d' Ml  nirir  ' ,  (juj  voyageait,  sous  le  nom  de 
diim/r  ilr   Liraiirnc,   ;i\;ii(    été  reru   au    mui.N   t\f   mars  ]»récédeut: 

C'est  surhtid  il  y  a  ([uek[nes  ninis,  lors  de  la  visilc  du  roi  d'J'ltrurle, 
que  la  direclioii  lit  preuve  de  mauvais  goCd.  Ici  comme  à  Paris,  le- 
souverain  lut  accueilli  avec  un  (Edipc,  c'est-A-dire  une  pièce  repré- 
sentant un  i>rince  victime  de  la  di-slinée  et  jeté  par  rllc  ù  l.;is  du  li-ùrn-. 
A  Paris,  on  jou;iil  lu  tragédie  dr  Ndliairr:  ;'i  liordeaux.  l'o|iér;t  >\v 
Saecliini.  Avant  le  Wwv  du  ridrau,  un  aeirur  j»arul  sur  la  scéur  ••! 
se  mit  à  débiter  une  histoire  à  la  l'ois  si  hassemcnt  Hat  I  ruse  cl  si  iiieou- 
xi'uauic,  où  le  roi  élail  comitaré  à  je  ne  sais  |dus  ipirl  lit-ros  dr  la 
Grèce  et  la  reine,  ipii  nCst  pas  très  l»elle,  à  la  Vénus  de  Médicis,  (jue 
les  souverains  ne  voulurent  jdus  icmetlre  -les  pieds  dans  K-  temple 
des  Muses  de  Bordeaux,  si  peu  recommandables. 

L'arrivée  du  nu  à  Bordeaux,  sa  réception  à  la  Prélecture  et  le 
bal  donné  en  son  iionueur  n'a\aient  pas  été  moins  réussis  que  cette 
représentation  et  Meyer  en  a   lait    un»'  jut  tori'S(pie  di'xription  : 

Je  me  suis  trou\é  une  autre  tois  sur  la  roule  de  ci-  inouarqui'  en 
voyage  et  auquel  la  seconde  ville  de  l'rance  a  fait  un  accueil  des  plus 
maladroits  et  des  plus  blâmables,  car  la  façon  dont  on  a  traité  ce 
piincr.  d'un  bout  à  l'autre  de  sou  séjour  à  Fiordeaux,  étiul  \rai- 
mcnt  l'aile  pour  lui  uionirrr  qu'eu  France  on  ne  sait  plus  \oir  un  roi. 
ni  lui  offrir  l'Iiospihdité.  Le  |iréf(d  a\ait  donné  l'ordre  qu'on  Ir  reçut 
comme   ini   roi.   el    une  somme  rondelette  de  40, (KM»  li\r«'S  avait  été 

\  o|  ('c  du  lis  cr   JHll  .   poiU'  les  (  |  ue|(|  ues  joui'>  si'uleniell  I    ipii'   le  r(M  devait 

rester  à  Bordeaux.  (  .e|ien(l:iiil ,  rien  de  plus  jdleux  cpje  sa  réception. 
Dès  son  arrivée,  ou  li(in\.i  nio\en  d'indisposer  le  comte  par  le  cri 
absurde  et  déplacé  de  1  ii'c  Le  lUti  !  poussé  dans  la  rue  par  «b-s  jeunes 
gens.  Mais  le  prince,  (d  cel;i  fait  boiiueur  à  sa  modestie  autant  qu'à 
son  tact,  ne  miI  nCu  |:k1icc  (jne  pour  demander  si  on  songeait  assez, 
en  France,  à  loul  ce  ijui'  le  |>a\s  de\;iil  au  premier  C.onsid... 

Pour  félcr  l;i  \euue  dn  loi,  on  ;i\ait  prépai'é  l'illuminai  ion  de 
lliolel  df  l;i  l'ii''l'ecl  ui'e,  on  \\  ehiil  descendu,  mais  elle  ne  put  a\  oir 
lieu.  Le  roi  devait  arrixcr  à  jnur  li\e,  d;in>-  l;i  soirée.  Le  préfet  était 
donc  prévenu,  et,  pour  connaître   plus  exactement    l'iieini'  d'arri\'ée 

1.  Louis  V'  lie  Pîiniif  (1773  lS03i,  (ils  «le  l'(Miliii;in"l  III  ilf  llnmlion.  duc  île  P«rino 
't  lie  Plaisaïuc.  V.w  I70t>,  lors  «le  riinaKion  ^lt'^  l-'r;mi;;ii.s  en  M.-ilii-.  il  ;i\iiil  coiisiTx  é 
fe>  petits  étals  giAre  à  sa  pareille  prodie  avec  la  maison  il'I-'.spairiie  et  i'alllaiire  nou- 
velle (pie  celle  puissance  veiiail  de  contracter  a\ec  la  l'r»iiii'e.  Mais  Itoiiaparte  ne 
tarda  pas  à  s'en  emparer  el,  en  verlu  d'une  i'on\  entioii  faite  à  .Madrid  le  -il  mar.-  istM, 
la  Toscane,  (pii  \enait  d'être  eiilc'v^e  à  IWulridie  par  le  traité  de  Lunéxille,  fui  érigée 
en  royaume  fl'Klrurie  el  cédée  à  Louis  pour  le  dédonunager  de  In  perle  «le  Plainnncei 
Parmi'  el    (  iii:isl;illa. 


j48  voyage  d'ux  allemand  a  bordeaux  en  1801 

de  son  hôte  et  préparer  sa  réception,  il  lui  sulTisait  de  se  l'aire  renseigner 
par  des  courriers  à  partir  des  deux  derniers  relais.  Il  n'en  fit  rien 
cependant.  Aussi,  le  roi  étant  arrivé  peut-être  une  demi-heure  plus 
tôt  qu'il  ne  l'avait  annoncé,  il  entra  à  la  Préfecture  par  une  cour  sans 
le  moindre  éclairage,  mais  pleine  d'une  foule  de  gens  qui  criaient 
Vive  le  Roi  !  Le  préfet,  un  flambeau  dans  chaque  main,  vint  alors 
sur  l'escalier  recevoir  le  roi  et  la  reine,  s'excusant,  sans  doute,  auprès 
d'eux  que  ses  gens  eussent  pareillement  négligé  d'allumer  les  lampes. 
Le  mobilier  de  la  chambre  royale  laissait  aussi  beaucoup  à  désirer. 
Quoique  notre  hôte  parcimonieux  se  fût  donné  beaucoup  de  mal 
à  courir  toute  la  ville  pour  emprunter  ce  qui  lui  manquait,  il  n'avait 
partout  essuyé  que  des  refus.  Et  sans  doute  n'avail-il  pu  trouver 
rien  de  mieux  chez  les  meilleurs  fripiers.  Les  deux  lits,  qui  n'étaient 
pas  de  même  forme,  n'étaient  pas  non  plus  recouverts  de  la  même 
manière.  Le  trop  affairé  Leumund  raconte  même  que  lorsqu'elle 
fut  sur  le  point  de  se  mettre  au  lit,  la  reine  ne  trouva  pas  cet  instru- 
ment qui  porte  le  nom  qu'on  donne  à  Paris  aux  cabriolets  de  Versailles. 
Le  bal  fut  très  réussi.  Le  préfet  avait  seulement  négligé  de  composer 
pour  le  roi  un  quadrille  de  gens  bien  élevés.  Celui-ci  fit  à  la  bour- 
geoisie l'insigne  honneur  d'inviter  lui-même  à  la  danse  W^^  A.  1.  B..., 
une  des  meilleures  danseuses  de  la  ville.  Le  quadrille  était  conduit 
d'une  façon  tellement  désordonnée,  que  les  danseurs,  qui  étaient 
un  peu  trop  gais,  envoyaient,  en  tournant,  les  basques  de  leur  habit 
dans  la  figure  du  roi.  Et  si  le  malheureux  venait  à  s'arrêter,  on  le 
rappelait  sans  pitié  à  l'ordre,  le  tirant  de  tous  les  côtés.  Pendant  que 
le  roi  dansait,  un  ofiicier  se  vautrait,  avec  un  sans-gêne  par  trop 
démocratique,  dans  le  fauteuil  resté  vide  à  côté  de  la  reine  ^ 

1.  MeyLT  n'uxagùie  rien;  il  est  intéressant  de  iu|) piocher  de  son  récit  celui  laissé 
par  Uernadau  sur  le  même  sujet  : 

»  XXV.  Floréal  an  XIII.  Le  roi  jacobin  d'Étrurie,  sous  le  pseudonyme  de  comte 
de  Lixourne,  est  entré  ce  soir  avec  sa  suite  à  Ltordeaux.  (Juatre  voitures  à  l'espagnole 
accompagnaient  la  sienne,  qui  était  escortée  d'un  détachement  de  dragons.  On  a  crié^ 
sur  son  passage  force  :  »  Vi\e  le  roi  I  >  assez  déplacés.  Il  a  été  logé  au  département, 
qui  était  éclaire  ainsi  que  le  chemin  du  SaLilona  et  le  cours  de  la  Convention.  Le  commis- 
saire général  et  les  maires  de  Bordeaux  étaient  allés  l'accueillir  à  che\  al  au  moulin  d'Arc, 
où  flollaieut  les  pa\illons  de  France,  de  FEmpire  et  de  Toscane.  Un  monde  inlini  était 
sur  son  passage,  a  pied,  à  clie\  al  et  en  \  oilure.  L'escorte  était  [dus  brillante  que  l'escorté. 

XX^  1.  »  Le  prince  a  été,  ce  jour,  à  la  Comédie,  et  l'on  avait  mis  sur  l'afliche  :  Iwnoré 
de  la  présence  de  Monseigneur  le  Comte  de  Livourne  et  de  son  épouse.  Entre  les  deux 
pièces,  assez  ordinaires  d'ailleurs,  on  a  lu  sur  le  théâtre  de  mauvais  vers  à  la  louange 
de  leurs  majejités.  Us  sont  de  la  façon  du  lils  du  légiste  Martignac,  qui  a  fait  sifller, 
ces  jours  derniers,  à  Bordeaux,  un  \audcville  intitulé  Esope  chez  Xanlipe.  Les  jacobins 
ont  trouve  ce  compliment  très  aristocratique,  les  gens  de  goût  l'ont  trouvé  encore 
plus  mal  imaginé  qu'exécuté,  le  prince  Fa  trouvé  trop  servile,  et  sa  femme  Fa  trouvé 
ironique;  car  on  i)arlait  de  ses  grâces  :  elle  est  petite,  laide  et  un  peu  bossue.  Le  soir, 
il  y  a  eu  gala  et  illumination  à  la  préfecture.  On  dit  que  le  général  Saint-Cyr  y  a  fort 
chapitré  le  commissaire  général  de  police  d'a\  oir  laissé  lire  au  théâtre  des  \ers  aussi 
déplacés,  et  que  la  princesse  en  a  paru  de  mauvaise  humeur. 

"  XXVII.  Le  prince  est  allé  ce  matin  visiter  le  Palais  Gallien  et  le  moulin  de  Lacalan, 
deux  ruines  de  divers  âges.  Au  retour,  il  y  a  monté  sur  le  nouveau  corsaire  à  quatre 
mâts  appelé  V  Invention,  qui  est  devant  le  Chàleau-Trompette.  Le  canon  a  ronllé  à  son 
passage.  Il  était  dans  une  voiture  avec  le  préfet  et  le  commissaire  général.  Une  autre 
voiture  était  pour  la  suite  du  prince.  Il  s'embarcjua  au  quai  du  Chapeau-Rouge  dans  un 
petit  canot  garni  tout  simplement  d'un  teiidelet  garni  de  cotton  à  raies  et  monté  de 
douze  rameurs  en  gillet  blanc.  Il  voulut  faire  le  tour  du  navire  pour  y  monter  du  cùté 


VOrAGE    h't  N    ALLEMA.ND    a    Uf)Rl)EAL\    EN     1801  3^9 

Lorenz  Moycr  iciii.ii'iiiir  i[\v  -i  I  un  ;i\;iil  rduli»'  au  iiiniuilii' hdur- 
geuis  le  soin  de  réjjjlt'r  la  récei)tion  du  souverain,  il  s'en  serait  certai- 
neitii'ul    iiijt'ux   liif   qur   la   préfecf un',  n  ciw    les    nmiii'hiis    savent 

concilier    les    convenances    avec     le     lll\r,     \'r\r'^;iiii-r    d     |r     Imu    ;.'i.ril. 

reniai(|iir  loiluifc,  ajoult'-l-ij.  (|iii  m'amène  à  Irnlti  uiir  esquisse 
des  Mi<i'iii>  (le  relie  \il|e  intéressante,  mais  seult-meul,  daio  la  mesure 
où  la  durée  des  deux  séjours  ({uc  j'y  ai  laits  a  \>\[  me  iiermellie 
d'étudier  ces  mœurs.  » 

A  Hordeaux,  la  sociabilité  constitue  le  fond  des  relations  nmmlaiiies. 
llMs|iilalité,  accueil  des  plus  larges,  intércl  hienveillanl  el  sincère 
a|iporLé  à  votre  conversation,  voilà  ce  qu'on  trouve  dans  presque 
toutes  les  maisons.  La  |»oIilcsse  française  s'y  allie  à  la  i»onhomic 
allemande,  et  la  conversation  en  société  est  facile  et  sans  aucune 
affectation.  (Jn  vit  entre  amis  et  le  cercle  des  amis  constitue  une 
autre  famille.  Le  contraste  de  ces  habitudes  avec  celles  de  la  société 
parisienne  est  frajqjant.  Car,  d'une  façon  générale,  t|u'il  s'agisse  de 
leur  aspect  extérieur  ou  de  leurs  mœurs,  il  n'y  a  guère  de  ressemldance 
entre  Bordeaux  et  Paris.  Paris  a  vraiment  la  physionomie  et  l'air 
caractéristique  de  la  métropole  du  luxe  sans  frein,  des  interminables 
folies.  Plaisir  et  luxure,  joie  et  immoralité,  y  sont  indissoluldement 
liés.  Quant  à  Bordeaux,  c'est  une  grande  cité  sans  doute,  mais,  des 
qu'on  la  compare  à  Paris,  on  s'aperçoit  qu'elle  a  les  caractères. d'une 

de  leiTc  où  ét;iit  plari'  iii\  escylii-r,  mais  il  ne  put  i>as!-er,atlt'i\i.lii  l'ciuliaiias  nui'  roriiiaieiil 
li's  tailles  (les  iia\  lies  \oisiii»  tiu'oii  n'axait  pas  eu  la  préeautioii  <le  faire  anani:er.  Le 
eaiiol  fut  ot)lit;é  de  revenir  d'où  il  i'init  parti  et  de  Ioniser  le  liord.  Le  prinee  monta  ~nr 
le  corsaire,  où  il  fui  reçu  aux  cris  de  :  »  Vive  le  roi  et  la  Hépubliiiue  ■  ;  on  y  resta 
demi-heure  et  se  retira  pour  aller  dîner  à  Claudeyraii,  dans  la  maison  de  (-ampatine  du 
gC*n6ral  Sainl-Lyr,  beau-frère  de  Uonaparte.  Le  sala  fut  mai;iiilii|ue  el  les  environs 
de  cette  maison  furent  remplis  de  curieux  et  d'ivromies  de  tous  les  parli.s,  i|ui  eurent 
des  propos  comme  on  le  croit.  Le  prince  se  retira  tard  el  n'alla  pas  à  la  Lomédie.  dont 
on  lit  retirei-  les  alliclies  ipii  l'annonçaient.  Il  craijinail,  sans  doute,  d'y  être  in>ulté 
de  noiiNcau   pai-  ipielcpie  complimenteur  en  \ers. 

XWIII.  Le  prince  a  donné,  ce  soir,  uala,  s;rand  bal  et  fen  d'arlillct-  au  déparlemenl. 
Il  \  a\ait  -,'00  invités  ou  invitées  pai'mi  les  fomlioimaires  actuels  ou  passés.  L'assemblée 
était  lirillanle.  Le  prince  a  ouvert  le  bal  a\ec  .M"''  de  Meyer,  1res  belle  per^onne.  Il  a 
mis  le  feu  à  l'aitilice,  el  ensuite,  quaml  tout  le  monde  a  été  à  table,  il  en  a  fait  le  lour, 
en  disant  de  part  et  il'aulre  des  choses  flatteuses  aux  convives,  puis  il  s'est  retiré  dans 
son  appartement,  d'où  il  n'est  plus  sorti.  Il  est  sérieux  el  llecmatiiiue,  i|uoii|ue  jeune 
el  bien  fait.  Sa  femme  .i  l'abord  très  riant  et  alTaldc.  L'un  et  l'aulre  parlent  bien  français. 
Ils  sont  pieux  comme  des  Ivspaunols.  Letir  auntciniei',  qui  les  suivait,  a  dit  la  messe 
dans  leur  chambre,  au  département,  et  leurs  gens  allaient  à  celle  des  non-confoiini^les, 
aux   Irlandais,  ce  ([ui  a  été  très  remarqué. 

»  XXX.  Le  |irince  et  loule  sa  suite  a  ([uitté  hier  matin  celle  ville.  Li-  piéfel  el  le 
général  raccompagnaient  jusqu'aux  frontières  ilu  déparlemenl.  Ils  parlent  mécontents 
des  IJordelais  et  les  bons  observateurs  les  voienl  au  contraire  s'éloigner  avec  plai^ir. 
Leur  présence  alimentait  la  haine  des  partis.  Il  n'est  pas  de  sot  conle  qu'on  ne  fa^^c 
sur  ce  voyage.  Un  dit  que  le  prince  va  prendre  la  couronne  de  France  ou  la  poser  sur 
la  tèle  à  un  de  ses  pages,  que  les  imbéciles  disent  être  le  lils  île  Louis  XVI.  Pour  nous, 
nous  ne  pounons  jamais  concevoir  comment  ils  oseront  aller  se  promener  à  l'aris,  où 
leur  oncle  a  péri  sur  l'échafaud.  .Vu  reste,  on  ne  cite  pas  un  mol  pii-quant,  pa>  une  belle 
action  émanée  de  ces  Majestés,  depuis  un  mois  qn'ello  sont  en  France.  ■  (Bernadau. 
toc.  c//.,  p.  Ô6ô  à  008.)  —  Ce  n'était  pas  le  général  (iouvion  Saint-Cyr,  mais  le  général 
Lcclerc,  qui  élait  beau-frère  de  Monaparle.  Uernailau,  lependanl,  a  peut-être  bien 
entendu  parler  du  uénéral  Suinl-tyr.  L'un  el  foutre  élaienl.  du  reslc,  ù  Bordeaux 
en  1801. 

18 


35o  VOYAGE  d'un  allemand  A  BORDEAUX  EN  1801 

ville  de  province.  L'aisance  où  sont  encore  beaucoup  de  gens  procure 
bien,  ici  aussi,  les  plaisirs  et  la  joie  de  vivre,  mais  elle  satisfait  ces 
sentiments  sans  les  développer;  on  ne  court  pas  non  plus  si  ridicule- 
ment après  la  mode;  l'attrait  du  plaisir  ne  revêt  point  ici,  comme 
là-bas,  les  formes  de  la  débauche;  la  joie  n'est  pas  déréglée  et  sans 
frein,  et  le  libertinage,  qui  sait  lui-même  se  présenter  sous  des  appa- 
rences moins  choquantes,  n'offusque  personne  par  l'étalage  du  vice. 

Quant  à  l'aspect  extérieur  de  la  ville,  toutes  les  rues,  petites  ou 
grandes,  sont  propres,  mais  presque  toutes  mal  pavées.  Il  n'y  a  pas 
le  bruit,  la  confusion  et  les  encombrements  de  la  capitale.  L'anima- 
tion commerciale  est  concentrée  aux  Chartrons  et  dans  le  quartier  de 
la  Bourse.  On  voit  peu  de  voitures  et  de  cabriolets  et  le  nombre  des 
fiacres  est  insignifiant  par  rapport  à  l'importance  de  la  ville.  Les 
prix  des  voitures  sont  arbitraires  et  très  élevés.  Rien  ne  trouble  la 
tranquillité  de  la  nuit.  Dès  onze  heures  du  soir,  les  maisons  et  les  rares 
cafés  qui  existent  ici  sont  fermés.  Même  pendant  le  jour,  ces  cafés 
ne  sont  guère  fréquentés  plus  de  quelques  heures.  A  Paris,  c'est  le 
désœuvrement  qui  domine  partout  et  sous  toutes  ses  formes;  à 
Bordeaux,  au  contraire,  c'est  l'agitation  commerciale  qui  se  manifeste 
au  dedans  et  au  dehors;  toute  l'activité  tend  vers  les  affaires.  La 
foule  des  gens  qui,  à  Paris,  se  presse  dans  les  lieux  de  plaisir,  laffluence 
qu'on  rencontre  dans  les  établissements  publics  à  toute  heure  du 
jour  et  de  la  nuit,  on  les  retrouve  ici  mais' sous  une  tout  autre  forme 
et  dans  un  milieu  bien  différent  :  à  la  Bourse,  à  deux  heures  de  l'après- 
midi.  Du  reste,  les  lieux  de  plaisir  sont  rares  et  peu  fréquentés.  Il 
manque  à  leurs  tenanciers  le  don  que  possèdent  les  entrepreneurs 
parisiens  pour  renouveler  les  attractions  et  attirer  chez  eux  les  per- 
sonnes de  la  société.  Le  théâtre  lui-même  est  rarement  plein.  La 
nouvelle  salle  de  spectacles  ',  —  et  précisément  parce  qu'elle  est 
nouvelle  —  attire  encore  ciuelques  personnes,  bien  que  la  chaleur 
soit  très' forte,  car  elle  continue  à  osciller  entre  26°  et  28"  Réaumur -. 
Pour  ma  part,  je  n'aime  guère  à  me  calfeutrer  dans  une  petite  salle 
après  une  journée  étoufïante.  On  va  plutôt  au  Grand-Théâtre. 
Comme  il  est  isolé,  les  courants  d'air  permettraient  d'y  supporter 
la  chaleur  si  Ponce  de  Léon  et  autres  productions  dramatiques  du 
même  genre  ne  faisaient  fuir  les  honnêtes  gens. 

La  différence  entre  Paris  et  Bordeaux  s'observe  encore  dans  la 
façon  de  vivre  chez  soi,  dans  la  tenue  de  la  maison  et  dans  la  manière 
d'être  de  tous  les  jours.  On  dine  après  la  Bourse,  à  trois  heures.  Le 
menu  n'est  pas  à  proprement  parler  frugal,  car  les  plats  sont  nom- 
breux et  recherchés  dans  leur  préparation.  La  façon  dont  se  passent 
les  repas  diffère  aussi  de  celle  de  Paris;  on  fait  le  service  avec  plus 
d'ordre  et  moins  de  rapidité.  La  cuisine  paraît  supérieure  à  la  nôtre. 

La  plupart  des  banquets,  au  sens  véritable  du  mot,  sont  exclusi- 
vement composés  de  messieurs,  ce  qui  enlève  à  presque  tous  les  repas 
de  ce  genre  le  charme  d'une  conversation  attrayante  et  spirituelle. 

1.  Le  Théâtre-Français. 
i.  32  •  et  35»  centigrades. 


NM'iAUL    U'ty    Al.l.l.M\Mi     A     ltl)UliLAL\     L>     1 8o  I  J.ÎC 

Daillt'urs.  cc^  rôunioiis  d'iiouiiiits  sniil  surtuul  di's  prôlfxtcs  à  jouer. 
Los  l'fiiuiu's  vi\eiil  lauiii.oup  plus  dans  leur  iiiU'ricur  rt,  le  soir,  ell<'> 
réunissent  généralement  leurs  amis  à  la  maison.  Une  femme  dans  !<• 
Irain  met  un  cerhun  ;iiii(inr-|iinpi(î  à  recevoir  <lii  innrittr  clirz  soi.  Ces 
Cercles  do  Dames,  ainsi  qu'on  i)ourrait  les  appeler,  cL  qui  sont  parti- 
culiers à  Bordeaux,  où  on  les  (roux  e  dans  les  maisons  riches,  tiennent 
leurs  assises  entre  sept  lieures  et  dix  heures  du  soir.  Ils  sont  conqjosés 
d'amis  et  d'amies  de  la  maison.  La  conversation  y  est  plus  nourrie 
et  les  manières  y  sont  moins  affectées  que  dans  ces  soirées  parisiennes 
dont  jai  quelque  part  fait  une  es(juisse.  On  \a  et  on  vient  sans  aucune 
contrainte,  on  s'assoit  auprès  des  dames,  on  cause  a\ec  les  messieurs. 
Tous  les  honneurs  sont  pour  l'étranger  et  chacun  tient  à  s'entretenir 
avec  lui.  tiiuuine  rafraîchissements,  on  sert  généralement  de  la  bière, 
boisson  fort  goûtée  et  qu'on  fabricjue  très  bien  ici  depuis  «juelques 
années.  Le  dimanche  soir,  ce  cercle  de  dames  s'élargit.  Des  connais- 
sances plus  éloignées  viennent,  à  leur  tour,  présenter  leurs  hommages 
à  la  maîtresse  de  maison.  Tous  les  salons  sont  grand-  ouverts  et  bril- 
lamment éclairés;  quantité  de  rafraîchissements  sont  offerts  pendant 
qu'on  joue  et  qu'on  cause. 

La  différence  avec  la  capitale  n'est  pas  moins  sensible  en  ce  qui 
concerne  la  mode.  Certes,  ce  n'est  point  que  les  Bordelaises  ne  sachent 
s'habiller  avec  goût  ni  s'inspirer  de  l'élégance  française,  mais,  chez 
elles,  la  mode  ne  devient  jamais  excentrique.  Le  vêtement  féminin 
est  taillé  et  drapé  à  la  grecque,  tout  en  étant  plus  sinq)le  de  forme, 
l>lus  Itienséant  et  jtlus  discret  que  la  tunique.  Les  décolletés  exagérés 
et  les  robes  transparentes  ne  se  voient  que  chez  les  femmes  légères; 
la  femme  honnête  parle  avec  horreur  et  dégoût  de  ces  vêtements 
inconsidérés  (\m  altèrent  la  santé  et  enlèvent  au  sexe  faible  tnul 
son  charme  délicat  '. 

Meyer  liuil  .-nu  cludf  df-  inn-ur.-  bordelaises  eu  remarquant 
—  aujourd'hui  lui  faudra il-il  iMut-êtrc  constater  seulenu?nt  liu- 
terversion  des  rôles —  que  le  fossé  qui  séiuirait  jadis  la  Rousselle  des 
Chartrons,  a  disparu  depuis  17H*J: 

Lors  de  mou  premier  \u\ag('  à  Bordeaux,  a\anL  la  l{e\oluliun, 
j'avais  trouvé,  dans  le  luxe  extérieur  et  surtout  dans  la  vie  de  famille, 

I.  r>rl  liail.'iii  ;i  liiil,  ili'  l:i  iiMiilc  à  celle  i-|>i)i|ii(',  iiioili'  i|lli'  illl  rcsic  lions  coilictissoils 
liieii  |i;ir  It-  i.'r;ivurfs  du  Iciiips.  niir  ili'sci  ijilinii  ijui  roiiliiiin-  I'ii|iiiiioii  «le  Meyer,  el 
à  Iai|uelle  lii  mode  du  jour  l't  l:i  [;iiueiisr  juin-ciilutlr  donnent  un  iiiléii'l  d'iieliiiilili' 
loiil  |>:iiii<'ulier  :  »  \'.  l'i;iiii;il  un  l.\  UiNiil  isol).  I.e  eoslunie  île  nos  éli^iiiinles  est  loiil 
;i  fiiil  M  nildalile  ii  relui  de.s  trrei"<(ues  d'Aii.nliarsis.  I.a  di^i-enre  el  la  eoinnindilé  soiil 
^aeiiliée»  aux  Ijisaneries.  .Jamais  les  femmes  n'onl  montré  dans  leur  air  et  dan?  leur 
mise  un  aussi  LMainl  mépris  des  biei.seanees  par  l.i  maniétc  jimt  les<|tielles  leur  eorps, 
ilans  toutes  ses  formes,  se  prononce  à  l'iruil.  1,'lialiit  est  d'une  léirèrelé  el  d'une  traiis- 
pareiii  e  dont  rien  nappioclie.  I>ra>  enl  ii-lrmcnl  nus,  sein  dccoiiNert.  taille  il»'-i.'aL'<'e. 
I>;is  du  corp.-  SCI  ré  par  l.i  manière  de  soulever  la  rolic  el  de  la  faire  coller  sur  les  ciii.-ses 
el  les  jaml'cs,  dont  on  apeii;oil  tous  les  contour-  ipiand  on  ne  les  montre  pas  en  uramle 
partie.  l.;i  tète  est  nue  l't  les  dieveux  y  sont  allacliés  par  un  pciune.  s.ins  être  (loiidre?. 
■  hilToiiés  sur  le  devant  et  eiitluils  d'une  composition  luisante  a|ipclée  hiith  nntufut. 
ijui'lipiefois,  on  porte  une  coeffe  ou  un  cliape.iu.  mais  il  est  ras  île  l'oreille  d'un  coté 
et  lre>  i,'iand  sur  r.iutre.  I.a  léiréreté  des  propos  répond  à  l'air  el  à  la  démarche  du 
losliime.  La>s  et  l'iiryné  n'étaient  pas  plus  elTronlees  .1  (.orintlié  i|iie  ne  le  sont  no» 
l'ram^aises  du  jour  et  «le  tous  les  Ôsies.  »  (Bcrnadaii,  le.  cil.,  \>.  5t>8.( 


203  TOtAGE  d'uN  ALLEMAIND  A  ËOhDEAUX  EN  1 8o  I 

une  très  grande  différence  entre  le  centre  de  la  ville  {la  cité)  et  le 
faubourg  des  Chartrons.  Ici,  demeuraient  et  demeurent  encore  les 
négociants  riches;  là  habitaient  les  fonctionnaires  royaux  et  les 
conseillers  au  Parlement,  hommes  de  robe  ou  de  Palais,  appartenant 
aux  familles  les  plus  distinguées.  Dans  la  société  des  Chartrons,  le 
bon  goût,  rélégance  et  le  naturel  des  manières  dominaient;  dans  celle 
de  la  cité,  c'était  la  morgue  de  la  noblesse  et  la  raideur  due  à  la  fré- 
quentation de  la  cour.  Là-bas  comme  ici,  on  jouait  gros  et  avec  passion. 
Aujourd'hui,  la  caste  des  conseillers  au  Parlement,  celle  des  nobles 
avec  toute  leur  séquelle,  a  disparu,  et  les  aristocrates,  aussi  bien  les 
émigrés  que  les  autres,  sont  obligés  de  baisser  le  ton.  Le  malheur 
commun  et  la  leçon  des  événements  ont  fait  se  rapprocher  et  s'unir 
les  maisons  de  la  cité  et  celles  des  Chartrons.  Maintenant,  on  ne 
festoie  plus  là-bas,  et  ici  on  ne  joue  plus  gros  jeu. 

Avant  de  quitter  Bordeaux  et  de  poursuivre  son  voyage  dans  le 
sud  de  la  France,  Lorenx  Meyer  alla  }»asser  quelques  jours  à  Blan- 
quefort,  dans  la  propriété  de  son  frère.  Le  voisinage  des  grands  crus 
du  Médoc  et  la  visite  de  leurs  vignobles  l'intéressèrent  au  plus  haut 
point.  Malheureusement,  les  vendanges  s'annonçaient  désastreuses, 
et  ce  fut  pour  Meyer  une  grande  déception  de  voir  des  vignes  à  peu 
près  sans  raisins  : 

Je  suis  à  Blanqueforl,  déjà  au  delà  de  la  frontière  du  beau  pays 
de  vignobles  appelé  Médoc,  dans  la  maison  de  campagne  de  mon  frère. 
Nous  faisons  exccjttion  à  la  règle,  car,  à  l'époque  où  nous  sommes, 
c'est-à-dire  fin  août,  il  y  a  bien  déjà  six  semaines  (jue  la  vie  à  la  cam- 
pagne a  cessé  pour  reprendre  dans  quinze  jours  et  continuer  alors 
jusqu'en  décembre.  La  plupart  des  propriétaires  trouvent  qu'ils  se 
protègent  mieux  contre  les  chaleurs  de  juillet  dans  les  maisons  de  la 
ville,  et  ils  ne  retournent  à  la  campagne  qu'au  temps  des  vendanges. 

Je  m'étais  réjoui  à  l'idée  de  voir  les  vignes  chargées  de  raisins, 
mais  c'était  bien  inutilement,  car  la  gelée  printanière  a  tout  détruit. 
On  n'a  rien  vu  de  si  pitoyable  depuis  longtemps.  C'est  à  peine  si  la 
dixième  partie  des  ceps  porte  quelques  raisins  aux  grains  encore  verts. 
Vendémiaire,  ce  beau  mois  des  vendanges,  qui  est  aussi  la  fête  du 
pays  et  le  moment  où  tous  les  propriétaires  reçoivent,  vendémiaire 
ne  promet  pas  d'être  bien  gai  cette  année  •. 

Le  nom  du  petit  pays  où  je  me  trouve  est  connu  et  respecté  de  tous 
les  gourmets  d'Europe  :  c'est  celui  de  Médoc,  patrie  du  plus  noble 
de  tous  les  vins.  De  Blanquefort  jusqu'à  la  Garonne  —  dont  on  voit, 

1.  L'année  sui\anle,  le  14  avril  1802,  une  forte  gelée  emporta  le  quart  de  la  récolte. 
Il  Les  choses  en  sont  au  point,  dit  Bernadau,  que  cette  calamité  est  regardée  comme 
avantageuse  en  ce  que,  les  vins  ne  s'étant  pas  vendus  l'année  dernière,  leur  abondance 
eût  été  funeste  aux  propriétaires...  «  (Bernadau,  loc.  cil.,  p.  (318.)  Mais  puisque,  aux 
dires  de  Meyer,  la  récolte  avait  été  à  peu  près  imlle  en  1801,  comment,  en  1802,  pou- 
Vcit-on  en  être  embarrassé  et  se  féliciter  de  celle  nouvelle  disette?  Où  est  la  sérité? 


VOYAGE    u'i  >    AM.EMAMI     \     IIOHOEALX    EN     180I  aS.*? 

pur  IfS  Irnêtres  de  ma  chamltri-,  llollcr  les  |i:ivilloiis  tUs  ri.ain'S  — 
et  de  là  jusqu'à  la  mer,  on  com|)te  t-nviron  viri^M.  lieues  françaises; 
los  crus  du  .Mt'doc  It-s  plus  fameux  porfenl  le  m»m  des  ehâfeaux  de 
leurs  anciens  propriélaires  :  Château  .\lar;L,'aux,  Château  1. aille  et 
Château  T. a  Tour.  Le  palais  délicat  des  connaisseurs  dislinf,'ue  heau- 
coup  il  ;uitres  crus  moins  importants  où  rmi  iiiit  aussi  des  vins  fins 
[vin.s  lie  dessert)  :  tels  sont  ceux  de  Ilaut-Hrion,  Saint-Julien,  Gruaud- 
Larose,  etc.  Il  est  prohahle  que,  bientôt,  nous  ne  connaîtrons  phjs 
que  de  nom  la  plupart  de  ces  grands  crus.  Car  les  Anglais  les  acca- 
parent tous  les  uns  après  les  autres.  Déjà,  le  domaine  de  Château 
Margaux,  acheté  comme  bien  nation;il  \r.ii  nu  I  iullandais,  a  été  afTermé 
à  des  gourmets  anglais,  de  telle  sorte  queux  seuls  pourront  mainte- 
nant déguster  cet  excellent  vin.  Et  il  n'y  a  pas  moyen  île  fjiire  cesser 
un  pareil  scandale  !  —  Des  souvenirs  sanglants  se  rattachent  à  l'iiis- 
toire  de  certains  de  ces  crus  :  de  Fumel,  ancien  gouverneur  du  Château- 
Trompette  et  propriétaire  de  Château  Margaux,  a  été  guillotiné;  de 
Ségur,  |»ropriélaire  du  Château  Lafite,  a  subi  le  même  sort  à  Paris 
avec  toute  une  partie  de  sa  famille.  Ce  dernier  cru,  qui  n'a  fait,  depuis, 
que  passer  de  main  en  main,  finira,  lui  aussi  par  devenir  un  de  ces 
jours  la  proie  de  quelque  Anglais. 

Pendant  son  séjour  à  Blanquefort,  Meyer  fil  plusieurs  excursions 
dans  la  région,  notamment  à  la  Bassiole,  lieu  alors  célèbre  par  un 
crime  sensationnel  commis  fjuelqvies  années  jiliis  tôt  par  des  rhauf- 
feursi  qui  s'étaient  livrés  à  toutes  sortes  d'al  ruelles  sur  un  malheu- 
reux aubergiste,  sa  femme  et  sa  lllle.  Il  visita  aussi  diverses  pro- 
priétés, comme  celle  de  son  ami  !•'....  à  Montferrand,  et  s'égaya  de 
ne  rencontrer  presque  partout  t|ue  des  jardins  aux  jdales-bandes 
eu  spirale  et,  aux  arbustes  taillés  eu  i'oniie  de  ennipot  iei-.  Le  plus 
comiilel  dans  le  genre,  car  il  s'agrénieulait  de  personnages  posti- 
ches et  de  liiiiie  une  ménagerie  de  earldii  l'iiarpillt'-e  sur  les  gazons, 
c'était  le  jardin  des  frères  Raba  '  à  Talenee.  Il  ('liiil  encore,  il  y  a 
peu  d'années.  Irl  (|iie  Meyer  \a  nous  le  d(''ci'ire  : 

.\ux  environs  de  Bordeaux,  dit-il,  on  s'occupe  ilune  faeon  toute 
.spéciale  de  l'art  des  jardins.  Dans  la  plupart  des  propriétés,  on 
pousse  à  l'excès  le  jeu  enfantin  des  luiies  décimpées,  des  arltres  et 
des  buissons  taillés  en  éventail,  des  parterres  de  fleurs  en  spirale 
et  aux  coulevu's  bigarrées,  des  plates-bandes  de  gazon  qui  scppi-ident, 
et  autres  fantaisies  du  même  goût,  lii  jardin  particulièrement 
réussi  dans  ce  genre  hidlandais  et  on  l'on  voit  toute  une  série  de 
caricatures,    c'est    le    jardin    des    trois    frères    Haba,  des  israélit«'s. 

1.  Raba.  —  Le?  fr^-res  Raba,  qui  ax.iii-nt  amassé  unp  eranili"  imiiin.-  lim-  r.triiii-nifiit. 
étaient  au  iionibre  île  l'iiiq.  Tiailiiils  dexaiil  le  l'riliuiial  réxuliitiniiiiaire  |ioiir  ;if.;..- 
ciandsme,  ce  qui  était  Varmlocralie  des  rirhesses,  les  >aii?-(ulotler  trouvèrent  moins 
profitable  de  les  guillotiner  que  de  les  condamner  à  500,000  livres  d'amende, 


2.5^  VOYAGE  d'un  ALLEMAND  A  BOROEAUX  EN  180I 

Il  semble  qu'ils  aient  voulu  imiter  en  petit  les  installations  de  ce 
fou  qui  s'appelle  le  prince  Palagonia,  près  de  Palerme,  à  moins 
qu'ils  n'aient  cherché  à  être  plus  originaux  que  lui  dans  ce  genre. 
Que  de  surprises  à  chaque  pas  !  Un  petit  bois  de  chêne  sert  ici  de 
repaire  à  des  quadrupèdes  de  toutes  espèces.  Des  tigres  de  la 
taille  d'un  chat,  des  lions  comme  des  caniches,  vivent  là  avec  les 
autres  colosses  de  la  forêt,  avec  les  lièvres  et  les  chevreuils.  Tous 
ces  animaux,  grossièrement  taillés  dans  le  bois,  sont,  chaque  année, 
soigneusement  repeints  et  revernis.  Dans  un  autre  coin  de  la  propriété, 
on  se  croirait  vraiment  en  Arcadie.  Un  âne  en  bois  y  broute  une 
prairie  émaillée  de  fleurs,  et  des  vaches,  guère  moins  grandes  que 
nature,  des  moutons  avec  leurs  bergères  folâtrent  sur  l'herbe.  Au 
milieu  de  cette  scène  pastorale,  un  joli  petit  moulin  à  vent  hollandais 
s'élève  sur  un  tertre  où  l'on  monte  par  un  sentier  en  colimaçon. 
Le  meunier  et  la  meunière  sont  à  la  fenêtre  et  condamnés  par  le 
sculpteur  à  rire  perpétuellement  du  même  rire  grimaçant.  Les  faisan- 
deries et  les  volières  sont  aussi  nombreuses  que  les  petits  temples 
avec  leurs  statues  de  dieux  aux  noms  gravés  sur  les  socles,  que  les 
ermitages  avec  leurs  anachorètes  et  les  tables  de  bois  dont  les  inscrip- 
tions dans  toutes  les  langues  vous  expliquent  en  vers  et  en  prose, 
s'il  en  est  besoin,  ces  beautés  de  l'art  et  de  la  nature.  Tout  cela  est 
cultivé  avec  une  symétrie  et  une  minutie  plus  que  hollandaises;  tout 
est  nettoyé,  peigné  et  l'on  pourrait  dire  poudré  comme  la  tête  elle- 
même  du  plus  âgé  des  propriétaires,  lequel  entretient,  moyennant  cinq 
cents  livres  par  an,  un  artiste  perruquier  qui  l'opère  trois  fois  par 
semaine;  aussi  ses  concitoyens  l'ont-ils  surnommé  le  Marquis. 

La  description  de  Meyer,  déjà  bien  savoureuse,  n'approchait 
cependant  pas  de  la  réalité,  car  le  jardin  des  frères  Raba  était  un 
véritable  Musée  Grévin  en  plein  air,  et  il  faut  lire  l'analyse  détaillée 
qu'en  a  faite  Bernadau  dans  sa  Promenade  à  Talence  \  pour  s'ima- 
giner à  quel  point  ridicule  et  bouffon  était  l'aspect  de  ce  parc  que 
notre  historien  appelait  le  Chantilly  des  Bordelais  et  qu'il  célébrait 
dans  ces  vers  : 

Pour  découvrir    jardin  charmant, 
Vous  parcourez  à  grands  frais  la  Provence; 
D'une  belle  bastide,  ici,  commodément 

jyous  jouissons  de  Vagrément, 

En  nous  promenant  à  Talence. 

Au  milieu  de  cette  fantaisie  carnavalesque  dont  le  voisinage  était 
une  véritable  profanation  pour  elle,  une  exquise  habitation  s'éle- 
vait, de  lignes  et  de  proportions  aussi  élégantes  que  gracieuses, 

1.  Promenade  à  Talence  ou  Description  de  la  maison  de  campagne  de  MM.  Raba  frères. 
Bordeaux,  psaume,  1803. 


voYAr.K  n'i'M   Ai.i.F.MvMt    \    iionoRAix   K\    I So I  aoô 

])ur  clicf-d'œuvre  du  sLvK'  Louis  W  I  r(  ipii-  muI  ;i\;iil  \<\i  ri.'-.-i- 
le  gôuii'  diin  l.duis  o\i  il'un  Laclottc.  Meyer  ou  Bcruadau  nous 
auraient  l'ai'ileincnt  renseignés  à  cet  t'-ganl.  mais  liin  n'a  gui'n- 
])arlé  ili-  la  maison  et  l'autre  n'i'u  a  lit-n  dit.  Tous  di-ux  st'tiililfnt 
avoir  surtout  prêté  attention  à  la  mascarad"-  «liamitêtre  organisée 
par  les  j)ropriétaires  en  «ieliors  de  Icm-  andiili-d  i-.  Nmis  nous  conso- 
lerons en  songeant  (|iir.  pai-  uu  ju<li-  iilmii'  cics  rlioses,  aujoiiiirimi 
la  farce  est  terminée,  et  (|U(%  loin  de  t(jul  l'âcluiix  voisinage,  la 
délicate  et  fine  architecture  du  chrdeau  Haha.  dunt  le  temps  a  doré 
les  pierres,  s'épanouit  dans  la  M-rduii'  d'un  hism  jardin  à  la 
française. 

Dans  les  premiers  joui>  df  .-cpt  t'nd»re,  Loren/,  Meyer  fai>ail  >fs 
arlicux  à  sa  famille  i-i  (|uilhiil  Bordeaux,  11  allait  visiter  le  nmli 
de  la  France,  une  jiartie  de  la  Suisse,  et  rentrer  en  Allemagru'  «mi 
traversant  de  nouveau  Paris.  Nous  savons  quel  souvenir  il  emportait 
de  son  séjour  dans  notre  ville.  Un  sentiment  dominait  l'intérêt  qu'il 
avait  pris  à  étudier  l'organisation  et  les  mœurs  nouvelles  de  cette 
société  brusquinii'iit  liansformée,  à  voir  les  changements  de  la  ville 
elle-même,  ses  œuvres  d'art  et  ses  curiosités  :  c'était  sa  joie  d'avoir 
revu  uu  frère  dont  il  se  séparait  pour  toujours  peut-être,  et  c'était 
aussi  sa  gratitude  iioui-  le  cordial  accueil  et  la  franche  hospitalité 
(pie  partout  il  .iNail  reçus.  Mais  il  est  une  chose  dont  Meyer  n'a 
point  parlé  et  que  nous  pouvons  dire,  son  portrait  nous  y  autorise 
autant  que  son  livre,  c'est  que  sa  belle  liunieur  et  son  entrain,  le 
charme  de  sa  conversation  et  sa  figuie  Une  et  spirituelle  avaient 
séduit  tous  ceux  qui  l'approchèrent,  et  qu'il  laissait  ;'i  Bi  rdeaux 
autant  de  regrets  que  lui-même  pouvait  en  emporter. 

MEAUDRE  DE  LAPUL  YADE. 


HISTOIRE  DES  RAPPORTS 

DE  LA  GHAJIBliE  DE  COMMERCE  DE  ItOllDEAMX 

AVEC 

LES  INTENDANTS,  LE  PARLEMENT  ET  LES  JURATS 

DE  1700  A  I79I 

(Suite.) 


III 

En  passant  de  l'Hôtel  de  Ville  au  palais  de  l'Ombrière,  nous 
aurons  l'impression  d'un  grand  apaisement.  La  victoire  retentis- 
sante remportée  par  les  magistrats,  après  la  mort  de  Louis  XVI, 
doit  leur  avoir  fait  oublier  le  temps  de  M.  de  Courson.  D'ailleurs, 
ils  le  savent,  dans  l'afïaire  des  courtiers  et  dans  celle  des  faillis, 
l'hostilité  de  l'intendant,  plutôt  que  celle  de  la  Chambre,  fut  fatale 
au  Parlement.  De  nouveau,  tout  est  rentré  dans  l'ordre;  en  appa- 
rence C4hambre  et  Parlement  se  sont  oubliés  l'un  l'autre  :  il  s'agit 
de  faire  bénéficier  la  ville  d'une  commodité  nouvelle  obtenue  par 
les  Parisiens,  la  suppression  du  contrôle  des  actes  notariés  ^,  Le 
député  Billatte  écrit  directement  au  premier  président;  les  députés 
de  la  Chambre  venus  pour  s'informer  des  intentions  du  Parle- 
ment s'en  retournent  sans  rien  savoir;  le  premier  président  écrit 
à  Billatte  et  s'inspire  de  sa  réponse  pour  dicter  son  attitude  au 
corps  des  magistrats  -.  Ayant  réuni  chez  lui  une  assemblée  pour 
traiter  de  l'affaire,  il  invite  les  commissaires  du  Parlement,  ceux 
de  la  Cour  des  Aides,  les  jurats,  les  juges  et  consuls.  Il  n'est  pas 
question  de  la  Chambre  ^;  elle  n'est  décidément  pas  entrée  dans 
les  traditions;  le  Parlement  l'ignore  toujours.  Et  cependant  elle 
a  besoin  de  lui.  En  1728,  mais  en  1728  seulement,  elle  invoque 
dans  l'affaire  des  vergeurs  l'appui  du  premier  président,  et  elle 
supplie  la  Cour*  de  telle  sorte,  qu'on  ne  reconnaît  plus  en  elle  la 
vaillante  assemblée  soulevée  tout  entière  à  la  nouvelle  de  la  con- 

1.  C  425-2,   13  janvier  1724. 

2.  Id.,  17  février  1724. 

3.  M.,  id. 

4.  C  4253,  9  septembre  1728. 


AVEC   1rs  i\  rr.M»  vNTs,    i.k   ivumui.ni    li    iis  .mhvT'^  •j:)7 

(l;iiiiii;ii  ii.ii  ili-  \r(|u.iil:  rllr  iii'  ni'-liil  ].lii-  iiuc  iiia^islralurc  coiii- 
jtlaisante;  l<'s  rt'iin'n  iinrut-  (|\rr||r  ,ii|ir>-i'  \a|iMil  pour  rllr  uao 
humiliât inii,  dli'  hh'hI   à  sim  pa sst*  ^ 

Trllis  Muil  ifS  appait'iict's.  No  nous  y  lion-  pa.-  tinp.  Cliamhre  et 
l'a  ilciiii'iil  r  liriclitMil  à  >«'  l'ii  r(iii\i'iiir  l'iiii  I  aiilii';  cclni-ri  const'l'V»* 
le  suuvt'iiit"  <ic  SCS  délaitcs  cl  vuudiail  iiilliK  r  >iir  lo  (-li'it  ioiis  à  la 
Chambre;  il  a  ses  candidats  ^  ;  celle-là  sait  toid  au  loiii,'  les  succès 
de  de  Cnurson,  son  ancien  chef;  sans  vouloir  eu  rt-mportcr  tl'autres, 
elle  continue  de  lin-r  parti  des  victoires  d'aut  idois;  d'ailleurs, 
vers  17"2U,  composée  d'anciens  jurais^,  elle  a  contre  le  Parlement 
une  alliée,  la  Jurade  •*.  A  trois  reprises  encore,  entre  1720  et  1735, 
la  connaissance  de  toutes  les  l'aillites  et  banqueroutes  est  attri- 
buée à  la  juridiction  consulaire;  en  1725^,  en  1727 '^  eu  1729', 
c'est  la  continuation  de  la  politique  de  de  Courson.  Il  faut  nnjn- 
trer  au  Parieim-ul  (|iic  la  (.liaïuhre  existe,  elle  doit  se  dresser  face 
à  la  magistrature,  la  rencontrer  sur  tous  les  terrains,  la  l'orcer 
de  s'arrêter  et  de  la  reconnaître;  (juand  elle  lui  aura  fait  constater 
ses  prérogatives  en  des  actes  solennels,  elle  marchera  de  pair  avec 
les  anciens  corps. 

Et  la  preuve  que  tel  est  bien  son  souci,  c'est  qu'elle  fait  cause  com- 
mune avec  les  autres  Chambres  contre  la  première  venui-  .rentre 
les  cours.  Dès  1716,  un  marchaiid  de  Nantes  l'ayant  informée 
d'un  arrêt  du  T'arleni'iil  breton  ((oi  prétendait  réformer  un  avis 
du  Consulat,  les  directeurs  décidèrent  d'écrire  à  M.  I-'i'-uelon  en 
vue  d'obtenir  la  cassation  de  l'arrêt^. 

Le  même  fait  se  répéta  sous  diverses  formes  en  172')'*,  en  1727'*', 
en  1728",  en  1733 1-. 

En  1728,  l'attitude  de  la  Chambre  est  particulièrement  intéres- 
sante; elle  nous  fait  l'efl'el  d'avoir  découvert  alors  ses  traddion>  id 
ses  archives.  Une  dispnle  /'ilale  à  Andens  entre  un  ancien  consul 
et  un  procureur,  sur  une  (|nc.-|,icin  i\r  [iréséance.  La  Chambre  érige 
cette  simple  atTaire  en  question  de  principe;  elle  y  rattache  une 

1.  C  4254,  26  novembre  1733. 

2.  C.  1G24,  11  juillet  1729. 

3.  Le  Vaclier  de  Hoisville,  op.  cit.,  patsiV/i. 

4.  Lettre  de  Jur;iile,  31  janvier  1722. 
r,.   C.   162G,  25  aoiU  1725. 

6.  C   1624,  7  jnill.t  1727. 

7.  Id.,  31   août    172H. 

5.  C  4252,  2  décembre   171tj. 
9.  C  4252,   1"  février  1725. 

10.  C  4253,  21   août  1727. 

11.  Id.,  20  may  1728. 

12.  Id.,  2  juUlet  1733. 


a58     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

instance  formée  en  ce  moment  même  à  Bordeaux  devant  l'inten- 
dant :  il  y  a  eu  confit  entre  les  anciens  juges  et  consuls  de  la  Bourse 
et  les  directeurs  de  la  Chambre  d'une  part,  et  les  procureurs  du 
Parlement  de  l'autre,  au  sujet  du  droit  de  préséance,  dans  les 
cérémonies  célébrées  dans  l'église  paroissiale  Saint-Pierre.  La' 
Chambre  de  commerce  bordelaise  se  donne  du  mouvement,  écrit  à 
son  député  Brisson,  veut  qu'il  voie  M.  de  Chauvelin  pour  tâcher  de 
faire  expédier  l'affaire.  Tout  en  cherchant  des  précédents,  elle 
se  trouve  des  ancêtres  :  ce  sont  les  anciens  juges  et  consuls  ^  du 
siècle  précédent.  On  arrêta,  en  1602  au  Conseil,  le  13  juin  1618 
au  Parlement,  c{ue  les  anciens  juges  et  consuls  marcheraient  après 
les  avocats,  devant  les  procureurs;  le  4  juin  1619,  qu'ils  ne  mar- 
cheraient ni  en  corps  ni  en  rang  pour  éviter  les  contestations; 
le  10  juin  1620,  que  les  anciens  juges  et  consuls  iraient  de  pair 
avec  les  procureurs,  ceux-ci  marchant  à  gauche,  ceux-là  tenant 
la  droite.  Le  8  janvier  1648,  on  fit  défense  aux  uns  et  aux  autres 
de  paraître  en  corps  aux  processions,  et  aux  autres  assemblées  : 
car  pas  plus  les  uns  que  les  autres  ne  voulaient  être  les  seconds  2. 

C'étaient  là  de  beaux  titres  à  coup  sûr,  mais  encore  fallait-il, 
pour  leur  donner  du  lustre,  les  rajeunir  par  quelque  arrêt  tout 
frais  éclos. 

L'attention  de  la  Chambre  était  encore  toute  à  cette  espérance, 
quand  Joseph  de  Gillet,  marquis  de  La  Caze,  premier  président, 
mourut,  en  1734,  regretté  du  Parlement  et  de  tout  le  public.  La 
juridiction  consulaire  assista  à  ses  obsèques  ^.  Quand  on  songea 
à  le  remplacer,  les  intrigues  commencèrent  :  Albessard,  l'ancien 
ennemi  de  la  Chambre,  fut  évincé;  de  même  l'intendant  de  Limo- 
ges, Tourny  en  personne  *,  Leberthon,  l'élu  bordelais,  avait  les 
sympathies  de  tous.  Ses  ancêtres  reposaient  à  Saint-Eloi,  à  l'ombre 
du  vieux  beffroi  communal  ^  :  les  bourgeois  montraient  à  cette 
famille  un  sincère  attachement. 

Une  victoire  du  Parlement,  en  lutte  avec  la  Cour  des  Aides, 
inaugura  la  présidence  de  Leberthon^.  Dès  1735,  tout  le  monde 
put  constater  qu'on  n'avait  »  plus  besoin  de  ménager  de  longue 
main,  des  brigues  et  des  sollicitations  pour  avoir  des  audiences  »  ''. 

1.  C  4295. 

2.  c  4295,  1728,  cité  par  la  Chambre  de  commerce  d'après  les  registres  secrets  du 
Parlement. 

3.  Communay,  op.  cit.,  p.  133. 

4.  Id.,  p.  142. 

5.  Id.,  p.  175. 

6.  Registres  du  Parlement,  1"  septembre  1734, 

7.  Communay,  op.  cit.,  p.  152. 


AVEC    I.FS    INTFVDANTS.     IF    PAnf.FMFNT    FT    IFS    JinVTS  35f) 

Il  semblait  ([in'  le  ParltMiu'iit  allait  nifiifir  ;'i  son  jtassr.  I.uil  il 
avail  dégagé  sa  déinarrho;  dit'  était  alorff,  moins  compassé»'.  Il 
prenait  maintenant  les  affaires  comme  elles  venaient,  i|e  Imiffx 
mains.  Il  paraissait  moins  routinier  paire  qu'il  voulait  devenir 
plus  ])opulaire;  il  s'ofTrait  à  tout  et  à  tous.  Son  activité  ainsi  flis- 
persée  j)orta  par  deux  fois  atteinte  au  commerec.  dons  l'alT.'iire 
des  pilotes  et  dans  celle  des  courtiers. 

En  1732,  un  arrêl  avait  évoqué  au  Conseil  li'>  i()ulf>l;d  inus 
existant  entre  les  courtiers  de  Bordeaux  et  le  sieur  Lamothe,  leur 
syndic  1.  En  1736,  le  Parlement,  sans  tenir  compte  de  l'évocaticui 
qui  le  dessaisissait,  provoque  la  reprise  du  débat  en  faisant  défense 
à  nouveau  de  se  servir  d'autres  courtiers  que  des  courtiers  royaux, 
sous  peine  de  3,000  livres  d'amende  pour  chaque  contravention-. 
Cette  politique  était  celle  du  Parlement  de  Paris  à  la  même  époque, 
il  prétendait  juger  les  affaires  religieuses  en  dépit  de  leur  évocati<»n 
au  Conseil  du  roi. 

A  Bordeaux,  la  Chambre  insista  pour  que  les  parties  fussent 
renvoyées  au  Conseil  du  commerce^.  La  tactique  des  courtiers  était 
habile  :  en  demandant  aux  magistrats  du  Parlement  d't^tre  leurs 
juges,  de  préférence  à  la  juridiction  suprême  en  fait  de  commerce,  ils 
étaient  sûrs  de  se  les  attacher.  Mais  voici,  qu'ils  n'avaient  point 
prévu  :  si  le  premier  président  avait  favorisé  les  courtiers,  il  était 
fnut  aussi  favorable  au  commerce.  Il  avait  très  bien  accueilli  dès 
le  flébut  la  démarche  de  la  Chambre,  quand  elle  attaqua  l'arrêt*. 
Entre  ses  amis  les  commerçants  et  ses  amis  les  courtieis,  le  Conseil 
ne  lui  laissa  pas  le  choix.  Il  annula  tout  aussitôt  l'arrêt  du  Parle- 
ment ■^,  et  plus  tard,  malgré  l'avis  défavorable  de  l'intendant",  les 
négociants  furent  encore  autorisés  à  choisir  des  courtiers  à  leur 
convenance  '. 

Les  magistrats  ayant  procédé  de  même  dans  l'atTaire  des  pilotes 
se  méprirent  encore  et  furent  également  bernés.  Dans  leur  empres- 
sement à  satisfaire  chacun,  ils  ne  se  rendaient  plus  compte,  que 
défendant  les  intérêts  les  plus  divers  il-  iii  venaient  à  se  contredire 
eux-mêmes.  C'est  bii-n  là  cette  indécision  néfaste  qu'un  a  ]mi  repro- 
cher au  fameux  premier  président*. 

1.  Archives  du  Bureau  du  commerce,  14  août  1732. 

2.  C   1620,  7  septejnbre   1736. 

3.  <:  42.53,  23  octobre  1736. 

4.  IJ.,  21  se|.tembre  1730. 
.5.  Id.,  1.5  novembre  1736. 

6.  C   1620,  23  juin   1738. 

7.  Id.,  13  août  1739. 

8.  Larouverade,  Les  dernières  années  du  Parlement  de  Bordeaux,  1887,  passim. 


200     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

En  1732^,  en  1734  2,  les  pilotes  avaient  échoué  dans  leurs  démar- 
ches au  Parlement;  dès  1735,  quand  Leberthon  fut  élu,  ils  firent 
aboutir  leur  requête  de  la  précédente  année;  la  Cour  s'était  ainsi 
déjugée  une  première  fois;  elle  avait  successivement  rejeté,  puis 
hoiîiologué  une  sentence  obtenue  de  l'amirauté  par  les  pilotes  de 
Saint-Palais  et  de  Saint-Georges  :  ils  voulaient  être  seuls  auto- 
risés à  faire  entrer  et  sortir  les  navires,  à  l'exclusion  des  autres 
pilotes  de  Blaye  et  de  Pauillac.  L'affaire  pouvait  être  de  conséquence, 
les  négociants  semblaient  devoir  perdre  le  droit  de  confier  leur 
navire  aux  guides  qui  leur  paraîtraient  les  plus  sûrs.  La  Chambre 
décida  d'intervenir  au  nom  du  bien  du  commerce  et  de  sa  liberté  ^. 
Mais  les  pilotes  l'avaient  devancée;  encouragés  par  un  premier 
avantage,  ils  attaquaient  maintenant  l'arrêt  de  1732  auprès  du 
Parlement  lui-même.  Cette  seconde  prétention  ne  menaçait  pas 
moins  le  commerce  que  la  première  *.  La  Chambre  continuait  inlas- 
sablement ses  démarches^;  les  circonstances  lui  donnèrent  raison. 
Des  accidents  survinrent  à  des  navires  conduits  en  rivière  par  des 
pilotes  saintongeais;  parmi  les  passes  et  les  bancs  de  sable,  ils  navi- 
guaient malaisément;  il  leur  manquait  l'expérience.  Le  plus  embar- 
rassé, c'était  le  Parlement,  qui,  chaque  fois,  se  sentait  responsable  ", 
La  Chambre  eut  vent  de  cet  embarras,  le  procureur  général  ne  le 
dissimula  point:  «  Lorsque  cet  arrêt  avait  été  prononcé,  la  Cour 
n'avait  pas  cru  qu'il  dût  s'ensuivre  du  préjudice,  de  son  exécution  ^.  » 
Le  premier  président  Leberthon  fut  d'avis  c]ue  la  Chambre  engageât 
une  nouvelle  procédure  en  opposition^;  une  telle  proposition  n'était 
plus  à  faire;  les  directeurs,  s'autorisant  des  dures  leçons  de  l'expé- 
rience, pouvaient  formuler  des  exigences;  éconduits,  ils  annoncè- 
rent qu'ils  agiraient  d'un  autre  côté^;  le  Parlement  aurait  l'humi- 
liation de  voir  casser  son  arrêt.  Du  Vigier,  procureur  général,  offrait 
avec  plus  de  raison  de  le  faire  détruire  par  la  Cour  elle-même; 
d'ailleurs,  il  ne  se  faisait  pas  fort  d'aplanir,  lui  non  plus,  toutes  les 
difficultés  1". 

Un  point  était  acquis  pourtant  en  ce  cjui  concernait  l'association 

1.  C  4253,  6  septembre  1735. 

2.  C.  429.5. 

3.  C  4253,  21  avril  1735. 

4.  Ici.,  6  septembre  1735. 

5.  C  4254,  30  mars,  13  juin   1737 

6.  Jd.,  8  may  1738. 

7.  Id.,  5  février  1739. 

8.  C  4254,  26  juin  1738. 

9.  Id.,  id, 

10.  Id.,  5  février  1739, 


iVÉC    LES    1MEM).V>I>,     1.1.    l'AHI.l.Mt.M     KT    I,ES    JLKATS  afil 

fle.i  jiilntt's;  le  Parleriiciil  ik-  Irr.iil  licii  sans  la  C.liaiiil)!»',  autant 
tliip  (|u'il  se  rendait  à  son  a\  is  '  :  pMui  la  pn'.nnèi«'  joi^.  il  iiTnnnai»ait 
>a  i(ini|H'|  enco  :  à  pai'lif  i\r  crllf  /•|i(m|1ic.  ji-  uuin  de  la  ( '.lianiliri'  df 
l'iiiiiiiH'irc  liguii'  i| iirl(|ii('r(ii-  -III'  .>(•,>  rt'gisln'>:  «clic  >riiit'  iircnn.>- 
taiict'  a\ait  |miiii'  r\\r  l;i  |iiiilt'('  d'un  t''\/'ni'iin'iil .  i  .chn-l  jinn  Unit 
par  se  rangoi'  à  l'avis  de  I  >ii  \  igicr  :  la  (Iniii-,  par  un  iimiim-I  arr«''l, 
enlevait  aux  jdlid.es  sainlnngcais  le  jtrivilège  e\(|u>ir  (pi  il>  avaient 
obtenu"-.  .Mai>  (pnllr  déennsidéi-alidii  pouvait  s'ensui\  ii' 1  .\u>si 
Lebertlion  m'  l'iil-il  j»as  l'âilH'  ilr  la  rcpri>r  du  didial  :  il  .-••  iipiidia 
moins  l'a\oral)le  •'.  Au  liiiir;m  (pic  le  iNiiIrniciil  .1  r(ui>lilni'  pniir 
exainiiicr  icllr  alïaiie,  ce  xiid  I  onjiun--  dr  iiMii\c|irs  dillifiillés  : 
eelle  Iciileiir  pioNciiail  pfiit-être  dnii  ealeul;  1rs  inagi.strats  ejier- 
eliaient  à  se  dérober'.  La  ('.lianibre  eoinpiil  (pi  i-lli-  ne  |i(iinrait 
de  Ifuigtcmps  les  amener  à  prendi'e  une  décision.  Elle  écril  à  Maii- 
repas,  le  rend  ail  cul  i!'  aux  iiiallieiiis  (pii  se  siicccdeut  par  suite 
de  riiiijinidence,  de  liucapacité  d  de  !a  négligence  (\*'>  pihde.-^ 
saintongeais  •'';  le  iinui^ln'.  ami  du  ciuiiiiicrce,  éeril  au  pidcureur 
généi-al  jioiir  rin\iler  à  lairc  r(dorm('r  rair(''l  .-iir  la  réquisition  de 
la  C.luuubre  ". 

-Mais  tout  n'est  jtas  liiù;  il  était  question  tout  à  rineure  de  cireons 
tances  ({ui  parlaient  haut  en  faveur  du  commerce:  eu  voici  d'autres 
(pii  encouragent  le.'^  ieuleuis  du  ParlemenI  ;  c  élaieiil  de.-  naufrages, 
ce  sont  les  vendanges  '.  Lv  procureur,  le  iMcmier  président,  personne 
plus  n'est  là.  Les  vendanges  se  feront,  puis  de  nouveaux  mallieurs 
\icn(iront  s'ajouter  aux  autres;  alors  enlin,  la  Lour  .-c  déclarera 
«  certiorée  » **.  Ayant  à  conclure  dans  une  alTaire  de  peu  d'impor- 
tance qui  concernait  les  arrimeurs,  elle  proiita  de  l'occasion  p(mr 
régler  (Jélinil  i\  (■mcul  ccllo  dc>  pilotes.  Ll  nou>  Munmes  au  10  mai 
1710'-';  depuis  cIiki  aii>  des  navires  se  pcrdaicnl. 

A  côté  d'un  Ici  l'aiicmciiL  ([U<dle  Chambre  n'aurait  paru  grande? 
Les  directeurs,  que  les  brigues  faisaient  se  succéder  avec  les  partis, 
ont  ici  de  l'esprit  de  suite. 


1.  c  4-2d4,  5  février  173'J. 

•2.  Id.,  19  février  173'J. 

3.  Id.,  16  avril   I73'J. 

4.  Id.,  13  avril   I".'}',). 

ô.  L.  4-ilii,  -iS  jiiillrl    173'J. 

6.  C  4-2Ô4,   13  août   173'J. 

7.  C  4-254,  173y. 

8.  Id.,  10  septembre   173». 

9.  C  4254,  -25  niay  1740, 


aba  RAPPORTS    de    la    CHAAIMKE    de    commerce    de    BOhUEACX 

IV 

Victorieuse  du  Parlement,  l'oligarchie  commerciale  se  heurta, 
de  1720  à  1743,  à  une  autre  puissance  qui  ne  cessa  de  la  contenir; 
l'intendant  Claude  Boucher,  chevalier,  seigneur  d'Hebecourt,  Sainte- 
Geneviève  et  autres  lieux,  conseiller  i  lu  roi  en  ses  conseils,  conseiller 
d'honneur  au  Parlement  de  Bordeaux,  président  honoraire  de  la 
Cour  des  Aides  de  Paris,  intendant  de  justice,  police  et  finances 
en  la  généralité  de  Bordeaux  ^,  entendit  régler  ses  rapports  avec 
la  Chambre  suivant  deux  principes  auxcjuels  il  tenait  également. 
11  énonçait  l'un  dans  sa  première  lettre  aux  directeurs,  où  il  répon- 
dait à  leurs  compliments  :  «  en  toute  occasion,  il  serait  favorable 
au  commerce»  2;  l'autre,  six  ans  plus  fard,  dans  une  lettre  au 
contrôleur  général  :  «  il  est  important  d'arrêter  le  désordre  dans 
son  principe  >>  "'. 

Ce  désordre,  nu  l'a  compris,  c'étaient  les  intrigues  de  la  Chambre 
de  (  ommerce.  Le  nouvel  intendant  voulut  la  présider,  c'est-à-dire 
la  diriger,  s'imposer  à  elle;  ti»ut  r(i])posé  de  ce  qu'avait  conçu  le 
génie  plus  souple  de   M.   de  Courson 

Dès  son  arri\éc,  il  tente  l'application  de  ses  principes;  les  règle- 
ments lui  sont  sacrés;  il  ne  s'inquiétera  de  rien  (|ui  ne  iclève  de  sa 
compétence'.  \'rut-oji  sav<iir  son  avis".'  Il  tant  lui  laisser  le  temps 
de  mûrir  la  (piestion ''.  S'est -il  pi(ini)n('('' ?  (  )n  ne  devra  rien  lui 
demander  de  plus;  il  n'aura  rien  à  ajouter. 

En  fait,  il  faut  avouer  qu'il  conduit  les  entjuétes  avec  une  atten- 
tion..., des  scrupules...  Jamais  plus  sage  avis  que  celui  (pi'il  donna 
dans  la  question  des  courtiers*^.  Malheureusement,  on  ne  l'écouta 
pas.  On  ne  devait  pas  le  comprendre  toujours.  Ses  intentions  étaient 
excellentes  :  «  Il  serait...  à  souhaiter  ])our  cette  province  qu'on  pût 
trouver  (pielque  ex})édient  pour  étiii)lir  la  liberté  du  commerce 
avec  l'Angleterre  '.  »  Il  se  met  en  raj)porL  avec  les  fermiers  géné- 
raux pour  faire  diminuer  les  droits  perçus  sur  les  charbons 
anglais  **. 

Quand  la  Chambre  invoque  de  bonnes  raisons,  il  est  tout  aise 

1.  C  4254,  10  inay  1742. 

2.  C  4252,  9  novembre  1720. 

3.  C  1626,  22  mars  1726. 

4.  C  4252,  27  juillet  1722. 

5.  Id.,  8  juillet  1723. 

6.  C  1620,  23  juin  1738. 

7.  Brives-Cazes,  Episodes  du  sjstèiiic  prohibiti/  en  Guyenne,   18S1,  p.   i4. 
S.  C  4253,  24  mars   1729. 


AVEC    LES    1ME>DAM3,    If.    l-AIU.LMt.M     ET    EE^    .HUAIS  a63 

de  les  appuyer,  il  l'assure  qu'il  empêchera  la  voiture  des  eopeccs'; 
il  prnnttt  f\r  lui  Taire  payer  les  airéra^es  de  son  budget -;  sur  sa 
plaiutf,  il  iulli;j;r  un  blAïue  sévci»'  ;'i  ipii  dt-lnurut'  dr  It'ur  route  les 
navires  attendus  à  Bordeaux**,  il  ;t  mênic  ct'rlaint's  rlélicatesses,  il 
consulte  la  Chaiidtrt'  «,  mais  surtout  il  veut  prrsidir^.  N'oif  i  (Mimme 
il  l'entend;  il  a  l;iil  \enir  les  directeurs  (>li«'/,  lui.  <>ii  II  >'('st  rendu 
lui-même  à  la  Chambre;  il  expose  le  sujet  di-  l.i  ituiiii.ii.  S'a^dl-il 
de  communiquer  un  arrêt  du  Conseil?  Il  le  commente,  lexplirjue, 
de  façon  à  le  l'aire  agréer.  \/,\  valeur  des  inoim^ies  subit  des  varia- 
lions,  elle  A  diininiK'  il'iiii  t  iei>  (Unis  l'espace  de  (|iie|(|ue>  iiioi>, 
il  plaide  el  lidiixe  II'  iiio\cii  de  Imier  !(>>  iiilenlion>  du  roi;  le 
monar(|ue  a  \oulu  (pie  le  public  se  ressent  il  du  i  hénèjire  •>  de  eellc 
diminution,  par  celle  <lu  ])rix  de>  marehandises;  avant  toute  dis- 
cussion générale,  Boucher  conclut;  il  espère  que  les  marchands 
bordelais  se  rangeront  volontiers  à  l'avis  de  Sa  Majesté,  et  sans 
axoir  l'air  de  menacer  le  moins  du  inonde,  il  1rs  a\eilil  de  la  sanc- 
tion que  comporterait  un  retus;  après  cela,  il  demanrle  aux  direc 
teurs  de  se  prononcer  et  il  les  prie  de  faire  des  mémoires*.  Il  lui 
déplaît  infiniment  d'être  le  second  à  donner  son  avis;  la  ('hambre 
s'est-elle  permise  d'examiner  des  statuts  sans  être  bien  sûre  (|u'ils 
ont  été  communiqués  à  l'intendant,  les  reçoit-elle,  même  des  jurats, 
elle  pèche,  car  son  entreprise  va  «  contre  l'ordre  »;  c'est  à  son  pré- 
sident que  revient  le  droit  d'opiner  eu  premier-;  lui  seul  ]h'uI  lui 
adresser  les  statuts,  dans  le  cas  un  il  les  a  fron\t's  bous.  En  luule 
occasion,, la  Chambre  doit  1  informer  des  affaires  importantes  (ju'cllc 
traite  '. 

On  conçoit  coiidiieii  impatieuuueul  le>  dircel  fiii'.-.  subissaieid. 
cette  tutelle. 

Il  e>l  cuiieux  de  \()ii-  cniriMieiit  leur-  lappor'ls  a\cc-  leur'  ju"e>ideril 
jîouehei"  évoluèi'cid,  allaid  de  la  edidiance  pi-es<|ue  sans  réser\  e 
à  la  soumission  feiule,  m  jiassaiil   par  la   ii-\u||t'  mixerle. 

Dès  1726,  l'intcndaid  est  assez,  ruai  ilisposé  ponc  le>  coiiuiierçairl  .> 
et  plus  généra  le  iiir  lit  pnui'  les  Bordelais  ;  «  En  ce  pais,  les  esprits  sont 
vil'>  el  iriiiuants,  au>.-i  je  m'apei(;()i>  dejuiis  eu\  irori  ih'UN  an-  que 
toni  se  fait  par  cabale  eut  h'  le.^  négociants  et  tjue  le  plus  hcinncle 

1.  C  4-'53,  -23  niaii   1731. 

•l.  Id.,  10  juillet  173-2.  «.  10-20,  -2-211101-8  17-iO, 

3.  Jd.,  '.)  septembre   1734. 

4.  Id.,  7  janvier  17-23,  21  septembre  17'25, 
.">.  C  4-253,  7  septembre   17-29. 

0.   C.  4-2r.-2,  -iTy  avril    1724. 
7.   C    1253,   7    jaii\iei    173'l. 


2(34  RAPPORTS    DÉ    LA    CHAMBRÉ    bE    COMMERCE    DE    JBORDEAtX 

homme  est  exclu  des  emplois  pour  y  mettre  de  très  mauvais 
sujets  ^  )' 

Or  voici  qu'éclate  une  première  afïaire  :  des  réparations  ont 
été  faites  à  l'île  du  Pâté  de  Blaye,  le  pouvoir  veut  que  le  commerce 
y  contribue^.  Les  négociants  assemblés  répondent  qu'ils  sont  trop 
pauvres^;  la  Chambre  fait  une  démarche  auprès  de  l'intendant*; 
Boucher,  après  avoir  fait  au  ministre  toutes  les  représentations 
possibles,  ne  voit  aucun  moyen  de  dispenser  les  négociants  de  cette 
imposition  ^;  par  l'intermédiaire  de  la  Chambre,  le  commerce  le  prie 
d'insister  encore^;  il  ne  peut  pas^;  il  essaye  pourtant;  il  écrit  au 
contrcMeur  général,  il  a  la  complaisance  de  montrer  aux  directeurs 
la  minute  de  sa  lettre  ^,  qui  va  leur  procurer  la  victoire  ®.  Les  com- 
missaires de  la  Chambre  le  trouvant  «  en  état  de  les  écouter  », 
l'ont  à  peine  remercié  qu'ils  lui  parlent  d'une  autre  question,  celle 
des  revenus  de  la  Chambre  i".  L'intendant  leur  dit -d'attendre; 
presque  aussitôt  d'ailleurs  il  se  met  au  travail;  il  se  repent  d'être 
trop  bon,  mais  il  continue  de  l'être  :  «  Vous  connaîtrez....,  écrit-il 
au  contrôleur  général,  que  je  n'ai  pas  sujet  d'être  content  d'une 
partie  des  directeurs  de  la  Chanibre  de  commerce,  et  qu'ils  méritent 
peu  les  soins  que 'je  me  donne  pour  l'avantage  de  leur  Chambre, 
mais  il  faut  espérer  que,  lorsqu'il  y  aura  quelque  petit  honoraire 
pour  ceux  qui  entreront  dans  cette  Chambre,  il  sera  plus  facile 
de  la  composer  de  bons  sujets,  et  que  l'honneur  joint  à  l'utile  les 
engagera  à  travailler  avec  plus  d'application  qu'ils  n'ont  fait  jusqu'à 
présent  ^^  » 

Boucher  s'est  déjà  préoccupé  de  traiter  à  fond  la  question  des 
revenus  de  la  Chambre,  il  a  reçu  d'elle  un  mémoire,  l'a  approuvé; 
et  voilà  qu'après  les  élections,  les  nouveaux  directeurs,  sous  prétexte 
qu'ils  ne  sont  pas  au  courant,  reprennent  le  mémoire  et  le  retouchent^^. 
Cependant  Boucher,  l'un  des  intendants  qui  ont  le  plus  travaillé 
pour  la  Chambre  13,  fait  des  comptes,  combine,  établit  les  budgets, 


1.  C  1G2G,  22  mars  1726.  Letlie  de  Boucher. 

2.  C  4253. 

3.  Id.,  21   août  1726. 

4.  M.,  5  décembre  1726. 

5.  Id.,  24  décembre  1726. 

6.  Id.,  28  décembre  1726. 

7.  Id.,  2  janvier  1727. 

8.  Id.,  3  avril  1727. 

9.  C  4253,  8  may  1727. 

10.  Id.,  3  avril  1727. 

11.  C  1611,  26  févrire  1731. 

12.  C  4253,  13  mai  1728. 

13.  C  1611. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    LF.    FAHLEMEM     El     \i.-    .ItHAT.S  a65 

voudrait  lattaclicr  iilus  élroilcmciiL  If  iloi)iilt'  ii  \n  (',li;iiiiliic  ijui 
le  payerait;  il  (l<*inande  d'abord  17,1)U(J  livres  jxmm-  rllr,  juji.-, 
après  uu  refus  ioriuel  du  ministère,  G, 000  \  puis  1,000  -,  i-t  liualcnu'ut 
3,132  livres  i  ^.  Impossible  d'obtenir  mieu.v,  et  pourtant  l'inti-ndant 
a  lutté  pied  à  pied;  déconcerte  par  cet  échec,  il  fut  déc<iuragé  par 
la  conduite  de  ses  protégés,  entachée  d'ingratitude.  En  IToij,  un  négo- 
ciant faisait  signifier  deux  actes  à  M.  de  Rostan,  iummissaire  du  roi, 
chargé  d'exécuter  ses  ordres;  ce  qui  dénotait  uu  dangereux  état 
il'esprit  dans  le  ciuiiinerce  '.  De  plus,  les  brigues  continuaient,  à  la 
Chambre  ^,  irritant  l'intendant  que  harcelaient  les  jurats  *.  La  lutte 
se  prolongeait,  mestjuine  et  sournoise;  à  pail  ii  <!•■  I  7:1'.',  Ie>  directeurs, 
mandés  chex  l'intendant,  ne  se  servirent  plus  à  son  adresse  du  terme 
de  Monseigneur,  mais  de  celui  de  Monsieur"-**;  en  1740,  la  Chambre 
faisait  imprimer  le  traité  avec  la  Hollande  avant  (|ue  l'intendant 
l'eût  reçu  '•*. 

Boucher  disait  :  "  11  est  certain  que  l'euprit  irpnhlirain  règne 
.  dans  cette  ville,  et  ([u'on  y  abhorre  toute  autorité^".  »  il  s'impa- 
tientait maintenante^,  le  ton  de  ses  ordonnances  devenait  plus 
impérieux  :  lune  d'elles  disait  de  quelle  nuinière  les  négociants 
armateurs  devraient  percevoir  la  capitation  sur  les  officiers  mariniers 
et  les  matelots  1-.  Les  négociants  craignirenl  peut-être  d'assumer 
trop  de  responsabilité,  ils  prièrent  la  Chambre  de  faire  des  démarches 
auprès  de  l'intendant  e^;  il  les  prit  pour  autant  d'atteintes  portées 
à  ses  prérogatives;  il  répondit  «  qu'il  ne  voulait  admettre  aucune 
des  raisons  proposés  par  les  armateurs,  et  (|u  il  .idcndail  que 
son  ordonnance  eût  son  entier  elïet  )  '*;  quehiues  jours  après,  il  est 
plus  calme,  il  veut  montrer  à  la  Chambre  (pie  ses  ordres  sont  bien 
aisés  à  exécuter  e^  Là-dessus,  il  tondie  malade"*.  Il  soulfre  aussi, 
cet  autoritaire,  cet  autre  «  despote  éclairé  'i,  de  voir  échouer  ses  pro- 
jets de  réforme.  Son  dépit  amer  explique  son  attitude. 

1.  C  IGl  1,  Il  nunà   1731. 

■Z.  Id.,  Z'o   juin  1731. 

3.  Id.,   11  juin  1731. 

4.  C  42Ô3,  Zi)  janvier   173.j. 

5.  C  l&ZA,   11  avril  1732. 

ti.   LeUre  de  lu  Juiadi-,  30  novembre  1734. 

7.  C  4254,   12  novembre    173'J. 

8.  C  4293. 

y.  C  42.j4,   -T,  février  174U. 
10.  tirellel-Dumazeau,  op.  cit.,  p.  32S. 
1^1.   Lettre  de  Juradc,  itu-ssini. 

12.  C  4254,   1.".  janvi.r   1741. 

13.  Id.,  18  mai-s   1741. 

14.  C  4254,  31  mai-s  1741. 

15.  Id.,  10  mai  1741. 
10.    Id.,  25   mai   1741. 

''.I 


366     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCÉ  DE  BORDÈAÙt 

Vis-à-vis  du  nouvel  hôtel  des  Fermes,  un  entrepôt  a  été  établi; 
une  délibération  de  la  Chambre  se  prononce  contre  le  choix  de 
ce  local;  elle  trouve  le  magasin  de  Clock  préférable  pour  la  con- 
servation des  cafés.  Seulement,  l'avis  du  commerce  n'a  point  été 
unanime;  des  négociants  ont  fait  porter  leurs  marchandises  dans 
le  premier  entrepôt  ^.  Rien  de  plus.  On  se  trouvait  sans  doute  en 
présence  d'une  nouvelle  intrigue,  peut-être  d'un  complot  ourdi 
par  les  négociants  étrangers  en  faveur  de  Clock,  un  aventurier. 

Le  propriétaire  de  l'entrepôt,  lésé  par  la  décision  de  la  Chambre, 
lit  un  mémoire;  l'intendant  jugea  bon  d'y  ajouter  une  ordonnance 
ainsi  conçue  :  «  Vu  le  présent  mémoire,  nous  ordonnons  qu'il  sera 
communiqué  aux  directeurs  de  la  Chambre  de  commerce  pour  nous 
fournir  leur  avis  sur  ce  qui  est  contenu,  avec  défïense  de  prendre  de 
nouvelles  délibérations  et  de  passer  outre  jusqu'à  ce  qu'autrement 
par  nous  ait  été  ordonné. 

«Fait  à  Bordeaux,  le  11  août  1741. 

«Signé  :  Boucher  =^.  » 

Que  de  fois  l'intendant  s'était  montré  tout  aussi  autoritaire  !  Ce 
jour-là,  la  Chambre  se  piqua  d'honneur  ou  fit  semblant. 

Elle  dépêcha  des  commissaires  à  l'intendant,  dont  M,  Yung, 
avec  mission  de  lui  dire  :  «  La  Chambre  ne  croit  pas  pouvoir  répondre 
par  écrit  à  ce  mémoire  sans  altérer  l'honneur  qu'elle  a  de  l'avoir 
pour  président,  et  sans  contrevenir  à  son  établissement  qui  lui  pres- 
crit de  correspondre  directement  avec  le  contrôleur  général.  » 

Les  directeurs  retournaient  contre  Boucher  le  principe  de  son 
administration  :  «  l'observation  des  règlements  ». 

L'intendant  demanda  une  réponse  par  écrit,  il  insista  : 

«Eh  bien!  encore  un  coup,  respondez  par  écrit,  je  vous  l'or- 
donne. » 

Puis,  avec  plus  de  chaleur  :  «  (Juoy  donc  voulez-vous  tirer  au 
court  bâton  avec  moy,  et  bien,  j'écriray  et  je  vais  écrire  et  je  vous 
fairay  casser.  » 

Après  ces  mots,  M.  Bouclier  marcha  vers  son  cabinet  où,  étant 
à  même  d'entrer,  il  se  retourna,  et  s'adressant  aux  messieurs  qui 
étaient  dans  la  même  salle,  leur  dit  à  haute  voix,  indiquant  M.  Yung 
(un  des  envoyés  de  la  Chambre)  : 

«  Quel  est  cet  homme-là?  Le  connaissez-vous?  »  Personne  n'ayant 


1.  G  4254,  24  août  1741. 
2i   M.,  ici. 


AVEC    LE-.    INTENKVMS,     I.E    l'AKI.EMtM     Kl     l.l.»    JIHATS  367 

rien  répoiiilii,  M.  Bnurlier  parla  direct<Muriil  à  M.  ^  nii^',  •■!.  M.  ^  uiig 
lui  rc{»<)ii(lit  ; 

<i  Yung,  à   vou.^   rcmlrc  iiit's  devoirs. 

—  Yuiig,  reprit  M.  Bouclier,  ha  !  je  viuis  eunnais.  <>  \  (pioi,  M.  ^  niig 
répli(jua  :  »  Vous  no  pouvez  me  toniiail  rc  tpii'  par  d»'  bons  t'nr|rnil>,  » 
et  se  retira  sur  le  tliainp.  » 

Tel  est  (e  récit  de  la  Cliambri';  il  (■.>!  p()>sili|r  (|iii'  n-  ^  uii^  ail  j»ri> 
trop  ouvertement  parti  pour  Clock,  peuf-ciri-  un  fniiipahiule.  Ouni 
(ju'il  en  soit,  l'apaisement  suivit  de  près  la  ijiirifllc  :  f^niiclirr  ('•(•ri\il 
une  Ici  lu-  (lù  il  faisait,  comme  de  coutume,  la  inorale  ;i  |;i  (.liamlire. 
Elle  ne  pouvait,  dans  aucune  circonstance  importante,  se  passer  de 
lui,  son  président,  chargé  de  veiller  au  bien  du  commerce,  surtout, 
étant  au  moment  d'accorder  un  pri\  ilège  exclusif.  Et  il  finissait  ^ur 
une  de  ces  phrases  énigmatiques  qui  lui  étaient  chères,  parce  (ju'elle 
enveIopj)ait  des  menaces  : 

«  Comme  depuis  plus  de  vingt  ans  que  je  suis  icy,  c'est  la  première 
fois  que  la  Chambre  de  commerce  a  affecté  une  pareille  iiidêpfn- 
ilanre,  il  convient  de  savoir  sur  cela  les  intentions  de  M.  le  Contrô- 
leur général  ^.  » 

Le  plus  anmsant,  c'est  que  les  directeurs  eurent,  parait-il,  le 
dernier  mot  auprès  du  contrôleur  général;  il  est  vrai  que  les  Clock 
comptaient,  nous  l'avons  vu,  de  puissants  amis  au  ministère-. 
Aussi  bien,  n'est-ce  pas  dans  ce  dénouement,  pour  h;  nndns  étrange, 
qu'il  faut  chercher  de  quel  côté  fut  la  victoire.  l>a  réponse  est  fournie 
par  les  événements  qui  suivirent. 

La  Chambre  se  le  tint  pour  dit,  clic  n'in:ii.>La  plu.-. 

Le  14  septembre  17-11  a  lieu  la  grande  séance,  le  lit  de  justice, 
dirais-je,  si  je  ne  craignais  d'appliquer  au  commerce  un  terme 
réservé  au  l'arlejnent.  Sans  avoir  le  moins  du  monde  averti  la 
Chambre,  Boucher  a  mandé  des  néyocianls  à  lu  /hntrftr  rmnnie 
pour  les  subsliUwr  aux  dirccleurs  ;  il  discute  avec  eux,  il  décide 
et  alors  seulement  il  demande  ;i  la  Chambre  son  a\i>;  elle  parle 
avec  modestie  et  soumission;  «  les  ordres  de  Sa  Majesté  étant  précis... 
pendant  celte  tannée,  on  ferait  dans  la  suite,  avec  réflexion,  toutes 
les  observations  qu'on  croirait  convenables  ». 

L'intendant  s'en  va,  ses  .recommandations  faitcp;  les  directeurs 
trouvent  bon  d'ajouter  quelques  mots  au  procès-verbal;  il-  jiar- 
leut   de    Boucher,   <(  qu'ils   ont   di'n    c(^nsidérer   comme    leur   pré.^i- 

1.    C    li'ol,   n  uoùl    17  il. 
•i,    /(/.,  7  septembre  1741. 


368     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

dent  dans  l'examen  et  décision  des  propositions  intéressantes  pour 
le  commerce  »  ^. 

Où  l'on  voit  bien  le  singulier  état  d'esprit  de  la  Chambre  en  ces 
dernières  années,  c'est  dans  les  prières-  et  les  remerciements^  un 
l)eu  forcés  qu'elle  adresse  à  l'intendant.  En  1742,  elle  put  bien 
élire  le  fameux  Glock  directeur,  et  exprimer  par  là  ses  sentiments 
véritables,  mais  les  Rochellois  eurent  beau  la  presser  des  plus  vives 
instances*  à  propos  de  la  perception  du  dixième  de  l'industrie 
indûment  étendu  au  commerce,  parler  de  l'union  des  Chambres 
contre  les  intendants,  la  Chambre  bordelaise,  éconduite  par  M.  de 
Boucher  ^,  ne  se  permit  pas  la  moindre  opposition  ^ 

11  ne  tenait  pourtant  qu'à  elle  d'entraîner  tout  le  monde,  clle- 
n'osa  point.  Elle  était  hors  d'état  de  manifester  son  esprit  d'indé- 
pendance; cette  discipline  morale,  très  dure  à  subir,  l'empêcha  peut- 
être  de  développer  ses  légitimes  aspirations;  de  1720  à  1743,  on  lui 
sent  comme  des  poussées  vers  l'action;  elle  pose,  en  1725,  la  question 
qui  sera  plus  tard  longuement  débattue,  du  commerce  des  neutres 
aux  colonies  ^;  à  un  autre  moment,  proposant  l'introduction  en 
France  du  café  de  la  Martinique,  elle  se  mettait  en  rapport  avec 
diverses  Chambres  ^  et  préludait  ainsi  au  grand  rôle  qu'elle  devait 
jouer  dans  les  années  qui  suivirent.  L'intendant  contint  toutes  ces 
initiatives;  il  fit  en  sorte  que  la  Chambre  fût  bonne  tout  au  plus 
à  discuter  certains  points  de  détails,  tandis  que  lui-même,  aidé  des 
principaux  néyocianls,  se  réservait  d'indi(juer,  dans  les  problèmes 
commerciaux,  le  sens  général  de  la  solution.  11  ne  trouvait  point  que 
cette  assemblée  se  recrutât  dans  l'élite  du  commerce;  il  avait  une 
bien  mauvaise  opinion  des  familles  (pii  la  dirigeaient;  les  tendances 
oligarchiques  de  la  Chambre  lui  faisaient  tort.  Mais  la  Compagnie 
dut  peut-être  à  cette  oligarchie  de  Rousselins  brouillorme,  mais  si 
vivante,  sa  personnalité  originale  qui  s'affirme  de  plus  en  plus.  De 
toute  manière,  il  ne  fallait  plus  la  tenir  à  l'étroit;  il  convenait  qu'un 
homme  supérieur  réussît  à  le  dégager. 

Ce  fut  l'œuvre  de  Tourny;  il  mit  la  Chambre  à  son  école  et  il 
voulut  qu'elle  travaillât  avec  lui  sur  les  plus  grands  sujets. 

(A  suivre.)  M.  LHÉRITIER. 

1.  C  4254,  14  septembre  1741. 

'i.  Id.y  28  décembre  1741. 

3.  M.  y  l'J  avril  1742. 

4.  M.,  id. 

5.  M.,  7  juin   1742. 

6.  Id.,  10  may  1742. 

7.  14-15  mai  1725.  Lettre  de  la  Cliambre. 

8.  10  maib  1733.  Lettre  de  la  Chambre.  ' 


LES  MESSIKUHS  LATAl^V 

(HISTUIKE  Di:  TKOIS  PHKTKES  CONSTlTLTIuNNKLS) 

(Suite  et  fin.) 


II 

Charles-Raymond  Latapv. 

Charlos-Hnynionrl  Latapv  naquit  à  Lauguu  le  vondrerli  3  niars 
1741  et  lui  haptisi',  Ip  leiKltMiiain,  rlans  la  vieille  église  Saint -Ger- 
vais.  Son  père,  Bernard  Latapy,  appartenait  à  la  bourgeoisie  locale; 
il  exerçait  les  fonctions  de  maître- chirurgien.  Sa  mère,  Luce  Luc- 
bert,  est  qualifiée  demoiselle  ^. 

Devenu  grand,  M.  Charles- Ray monfl  Latapy  embrassa  la  carrière 
ecclésiastique. 

l»n  iiiiiis  (le  septembre  1776  au  mois  de  juillet  1778,  il  fut  vicaire 
de  MoTis-et-Belin  ■-;  puis,  l'année  suivante,  t-n  date  du  r>  mai  177'.*, 
il  réussit  à  se  faire  pourvoii'  di-s  vicairies  perpétuelles  de  Li-nn  .f 
de  OcMiaiade  donl  il  juit  possession  li-  17  du  nn'iiir  mkùs-'. 

M-'  Amédée  de  Grégoire  de  Saint-Sauvfur.  qui  était  gro»^  déci- 
mateur  dt-  Lcrni,  lui  payait  annuellcmt'nl  iiiu-  jiktIIuh  roiin^nn'  de 
1.".^'i()  livres'*;  et  le  chai)itrc  de  Bazas,  à  inii  appartenaiiMit  les  fiuits 
décimaux  dt-  Guualade,  lui  abaïuIiiiiiKiil  |r  lui-  ,|r  |,i  dîme  »  puur 
lui  tenir' lieu  de  sa  quote-part  di-  ]milii>ii  i  uulti m-  |mui  le  service 
de  /)  rette  seconde  paroisse  •'. 


l.   Anli.  ilt'-|i.  lit'  1.1  (iirondc,  O  UlO.'i. 

■-*.  Airli.  luiin.  de   fielin.  Reorislres  paroissi.nnx. 

3.  Anli.  ilt^p.  de  la  (iironde.  O  10-2t'i,  f"  IN.  —  I.Piin  osl  une  rommiiiip  du  l'.intnn  de 
(irigliols.  (iniinl.'ide  »■<!  \n\f  roinmiiin»  du  ranlon  de  ("aplifUN.  Toute-  deux  H|>|i.')r- 
lienuent    à    l'arroiidis-ieiiieiil   de    l'iaz.!-:. 

4.  Ihid.,  f"  -,>.'}. 

.">.  I.e  pi(''déi'e!ispur  de  M.  L;it;i|iy  rerpv;iit,  pour  le  *ervire  île  (Inualaile,  'I.'i  boisseaux 
de  seigle,  mesure  de  Bazas,  et  3(1  li\rps  en  artreiit.  M.  Latapy,  nnlarit  re  (ait  sur  l'ut» 
des  registres  paroissiaux  de  Saiiit-.^eurin  de  lioualade,  ajoute,  hu  date  du  L'>  juu>  lTs3  : 
«. l'observe  à  mes  successeurs  que  le  tiers  est  uillnuueut  prèlérable,  quant  ù.  pre;aiit, 
à  la  somme  de  'iôD  livres  qu'ils  seroient  en  droit  d'exiger.  «  {Inventaire-sommaire  des 
archives  communales  de  la  Gironde,  série  E  supplt^ment.' 


370  LES    MESSIEURS    LATAPY 

Si  l'on  remarque  que  M.  Latapy,  outre  ce  traitement,  percevait 
comme  tous  les  autres  vicaires  perpétuels  la  dîme  des  novales,  on 
devra  constater  qu'il  possédait  une  situation  matérielle  des  plus 
sortables.  Elle  fut,  il  est  vrai,  un  peu  diminuée  par  la  Révolution. 
Toutefois,  la  pension  qu'on  lui  alloua,  à  ce  moment,  s'élevait  encore 
à  1 ,500  livres  ^  Et  si  l'on  pèse  bien  toutes  choses,  cette  somme  appa- 
raît très  supérieure  à  ce  que  reçoit,  au  xx^  siècle, l'immense  majorité 
des  curés  de  campagne.  Dès  lors,  il  semble  très  probable  que  l'on 
exagère  beaucoup  quand  on  s'apitoie  sur  la  misère  affreuse  où 
croupissaient  les  congruistes  de  l'ancien  régime. 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Charles-Raymond  Latapy  aspirait  à  une 
situation  meilleure.  Aussi,  après  avoir  prêté  serment  à  la  Constitu- 
tion civile  du  Clergé,  fit-il  agir  un  de  ses  oncles,  alors  maire  de  Budos, 
qui  intervint  en  sa  faveur  par  la  lettre  suivante,  adressée  à  M.  de 
Ghalup,  procureur-syndic  du  district  de  Cadillac  2. 

A  Budos,  le  1er  m;,i  1791, 
Monsieur, 

Je  viens  d'aprandre,  avec  bien  du  plaisir,  votre  arivée.  Je  crois 
que  vous  avés  Irouvé  bien  de  l'occupusion.  .l'ay  eu  l'honneur  de 
r'i>(»Mdn'  à  la  lellre  <iue  vous  mefittcs  l'Iiouneur  de  m'écrire  au  suget 
de  nolrr  curé  :  il  se  dispose  à  sortir  ^.  Nous  dessirons,  si  cela  et  la 
volonté  de  l'assemblée  électorale,  M.  Latapy,  curé  de  Lerm,  pour  curé 
de  Budos.  Sy  vous  ettes  an  fiaines  pour  Serons,  j'ay  un  autre  neveu, 
curé  de  Lucmau  \  dessiraut  sortir  des  Landes;  l'un  et  l'autre  sont 
de  dignes  prêtres;  ils  sont  plasés  dans  ses  |»arroisses  depuis  environ 
quinsans. 

J'espaire  que  vous  convoquerés  bientôt  l'assemblée  électorale.  Sy 
ma  sauté  nit^  le  permet,  je  m'y  randray,  au  jour  (]ue  vous  nous  indi- 
querés. 

J'ay  l'honneur  d'être,  avec  un  profoiul  respect, 

Monsieur, 
votre  très  humble,  très  obéissent  serviteur. 

Latapy. 

Au  moment  où  le  maire  de  Budos  écrivait  cette  lettre,  Charles- 
Raymond  était  déjà  pourvu  d'un  nouveau  poste.  L'assemblée  élec- 
torale, réunie  le  3  avril  précédent  dans  la  cathédrale  Saint-André, 
l'avait  choisi  comme  curé  constitutionnel  de  Labarde;  et  l'élu  s'était 

1.  Aich.  tlép.  (le  la  (iiioiide,  Q  1026,  f"  18. 

2.  Arcli.  dé|i.  de  la  Gironde,  L  1094.  —  La  qualité  de  maire  de  Budos  donnée  au  signa- 
taire de  cette  lettre  est  constatée  par  un  certificat  délivré  à  Charles-Ravmond  Latapy. 
{Ibid.,  Q  1005.) 

3.  Il  s'agit  de  M.  .lacques  Dorât,  curé  de  Budos,  qui  avait  refusé  le  serment. 

4.  M.  Joseph-Jean-Baptiste  Latapy,  dont  nous  racontons  l'histoire  plus  loin. 


HISTOIRE    MF.     lUdlS    l'HI   lUI.S    CO>STI  I  I   lloNMvLS  'Ji~  l 

t'iiipressé  d'accepter  cette  situation'.  Cela,  d'aillt-urs,  n'emijêclia 
}>as  ralïaire  de  se  terminer,  un  peu  j»lus  tard,  au  }<rr  il<-  r<>u<  It-  .-l 
tlu  neveu.  Cliarles-Rayniund  quitta  Lahanlr  pDiii  Hudus,  uù  im 
li;  trouve  pleinement  installé  dès  !<•  iiutis  d'aoûl  dir  cette  mr-me 
année  1791  2. 

Le  9  septembre  1792,  il  ajouta  à  crt  einplui  l;i  (|i>-(ili'  di-  Bali/ac 
et  l'indemnité  de  350  livres  afïéreide  à  ce  >ei\  ice  •'. 

Malheureusement,  il  n'essaya  pas  de  faire  (niMier  sitn  aposla>ie 
en  se  consacrant  e.\clusi\  rmonf  :m  bien  des  âmes.  Bien  au  contraire, 
il  s'occupa  surtout  de  p()lilii|ur,  cl  le  lil  parfois  d'une  façon  otiicuse. 
Il  succédait  à  un  vénérable  vieillard  di'  soixaidc-quinze  ans,  .M.  Jac- 
ques Dorai,  (jui  administrait  la  paroisse  depuis  jilus  d'un  «b'mi- 
siècle  (^t  ({ui  venait  d'en  être  chassé  pour  n'avoir  pas  voulu  passer 
au  schisme  *.  Sans  do\de  l'intluence  de  ce  bon  prêtre  coniribua-l-elle 
à  éloigner  les  fidèles  d*'  \\[\A<>>  du  nouveau  pasteur,  car  M.  I)iu;d 
étant  revenu  pour  quelcjues  jours  dans  sa  paroisse  et  ayant  c(tmmis 
le  ciiiue  de  rtivêtir  une  soutane,  M.  Latapy  j)erdil  tout  sang-froid. 
Il  lit  signifier  à  s(»n  prédécesseur  un  acte  par  lequel  il  |c  déclarait 
«perturbateur  ilu  repos  ])ublic  »  et  lui  signiliail  (|u"il  alhiil  .le 
dénoncer  comme  tel  devant  iiu'il  appartiendra  ».  Ainsi  lil-on  eu  clïet; 
on  accusa  M,  Dorât  de  semer  la  division  dans  les  familles,  et.  le 
Directoire  du  département  lui  notifia,  en  date  du  29  décembre  1792, 
l'ordre  de  se  constituer  prisonnier  aux  Orphelines  de  Bordeaux  ^. 

Cet  acte  de  méchanceté  ne  donna  pas  au  curé  constitutionnel 
liulluence  morale  qu'il  espérait;  mais  il  lui  servit  à  établir  de  plus 
en  plus  solidement  sa  réputation  de  bon  sans-culotte.  Du  reste,  il 
ne  négligea  rien  de  ce  (jui  était  idile  pour  ai  ri\  fr  à  ce  résultat.  Voici, 
en  elïet,  le  léiuoignage  (|uc  lui  j-cudciil  les  uiuiiiii|iaux  «le  ci-tt.e 
époque  ''. 

Ils  constatent  d'aboi'd  ([ue  CJiai'les-Haymoiui  Latapy  a  juèté  le 
serment  prescrit  par  la  loi  ilii  11  août  1792. 

1.  Anh.  (It'i>.  ilf  l;i  (liiDtnlf.  l-'oiuls  iiio.liTiif.  l.iiisst'  do  l.i  Hi^volnlion.  —  Lahiirdp 
est  Ulif  cunillUllif  ilu   i-aiitim   de   C.asIcliKUl,   ,irii>iidissi'iiit'iil    ilr    Itiiidi-aiiX. 

2.  Jbid.,  L   !094. 

3.  Ibid.,  fonds  moderne.  Liasse  de  la  Hcvolutioii.  —  lUdizae  esl  une  coiniiiuiic  «lu 
ranton   de  Saint-Syinidiorien,  arrondissemenf   de   Hazas. 

4.  .;ainiies  Dorât,  lils  de  .lean  Donit,  aiuieii  tapilaiiie,  lioiirunois  de  Honleaux,  et 
de  ilanie  Anne  (Jiozieiix,  naiinit  le  -î-î  mars  17lii  el  fut  lia|di>é  le  lendemain  dans  l'e^lise 
de  lîudos.  Le  17  mai  I73;i,à  peine  ;^t,'é  de  vinu'l.-lrois  ans,  il  fut  inmimé  \  ii-.-iire  |ier|>éluel 
de  liudiis  en  remplarenieni  «le  son  onele  el  parrain,  nonuiii^  .lai-.pn->  l>oral  hii  aussi, 
ipii  avait  desservi  la  paroisse  pendant,  ipiaranle-sepl  ;ms.  M.  .Iae(|ue>  Dorai  mouriil 
à  l'hôpital  de  Bordeaux  au  enmmenetMnent  de  I7VI3.  Son  oinle  et  lui  axaient  été  eurés 
de  liudos  pendant  cent  un  ans,  de  1G92  à   1793. 

5.  Abbé  H.  Lelièvre,   Une  nouvelle  page  au  martyrologe  de  1793,  p.  •203-204. 

6.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q  1005. 


372  LES    MESSIEUBS    LATAPY 

Ce  serment  était  celui  «  de  maintenir  de  tout  son  pouvoir  la  liberté 
et  l'égalité  ou  de  mourir  à  son  poste  ».  Il  fut,  quand  les  gouvernants 
l'exigèrent  du  clergé,  la  cause  de  divisions  regrettables  entre  ecclé- 
siastiques très  fidèles  à  leur  foi;  toutefois  l'Église  ne  le  condamna 
jamais,  et  des  prêtres  d'une  orthodoxie  incontestable,  tel  M.  Emery, 
supérieur  du  séminaire  Saint-Sulpice,  n'hésitèrent  pas  à  s'y  sou- 
mettre 1.  M.  Latapy  aurait  donc  pu  agir  de  même  sans  qu'on  eût 
rien  à  lui  reprocher  à  ce  sujet.  Mais  le  malheureux  schismatique  ne 
pouvait  pardonner  à  ceux  de  ses  frères  dans  le  sacerdoce  qui,  plus 
courageux  que  lui,  étaient  demeurés  fermes  dans  le  devoir.  C'est 
pour  cela  que,  loin  de  se  contenter  de  l'acte  accompli  en  petit  comité 
devant  les  municipaux,  il  voulut,  même  au  risque  de  commettre  une 
infamie  nouvelle,  profiter  de  la  circonstance  qu'on  lui  offrait  pour 
faire  d'une  pierre  deux  coups  :  se  venger  de  ceux  dont  la  conduite 
le  condamnait  et  donner  une  preuve  nouvelle  de  son  zèle  civique. 
Il  renouvela  donc  son  serment  en  pleine  église,  devant  le  peuple 
assemblé,  et  il  le  fit  suivre  d'un  sermon  «  où  il  retraça  le  devoir  de 
tout  citoyen  pour  la  soumission  aux  loix  de  son  pays;  otù  il  fit  le 
tableau  des  maux  qu'avoit  cauzé  à  la  France  la  résistance  des  prêtres 
à  cette  soumission.  11  rapella,  à  cette  occazidu,  le  projet  des  amis 
des  roix  et  leur  coalition  avec  les  prêtres  pour  l'émigration  des 
ennemis  de  la  patrie  »  2, 

Au  surplus,  la  chose  lui  réussit  en  partie.  Il  devint  d'abord  pro- 
cureur de  la  commune^,  puis,  le  2  décembre  1792,  on  l'élut  maire 
de  Budos,  fonctions  qu'il  conserva  jusqu'au  29  mars  suivant,  jour 
où  il  donna  sa  démission  *. 

Ses  collègues  dans  l'administration  communale  lui  furent  d'ailleurs 
reconnaissants  des.efïorts  qu'il  multiplia  en  faveur  de  la  Révolution, 
et  quelques  années  plus  tard,  comme  il  avait  besoin  d'un  certificat, 
ils  n'hésitèrent  pas  à  lui  rendre  le  témoignage  suivant'^  : 

Nous  devons  à  la  vérif  é  de  dire  que  pendant  le  lems  que  le  citoyen 
l.atapy  a  resté  dans  la  commune  de  Budos,  il  n'a  cessé,  par  son 
exemple  et  ses  exhortations,  à  nous  porter  à  la  soumission  aux  loix, 


1.  Vie  de  M.  Emeni,  tome  I,  page  230.  A  Bordeaux,  «lu  contraire,  on  condamnait 
unaiiiniemeiit  ce  serment  à  cause  du  sens  qu'y  attachaient  les  législateurs.  {Guillaume- 
Joseph  Chnminnde,  par  le  R.  P.  .1.  Simler,  p.  69.) 

2.  Arch.  dép.  de  la  Ciironde,  Q  100.5. 

3.  Lettre  de  M.  Dorât  au  Directoire  du  département,  citée  dans  :  Une  nouvelle  page 
au  murlijrologe  de  1793,  p.  204. 

4.  Louis  Bacque,  Les  seigneurs,  le  château,  l'église  de  Budos,  p.  47. 

.5.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  O  1005.  Les  signatures  qui  terminent  cette  pièce  sont 
certifiées,  en  date  du  14  fructidor  an  VI  (31  août  1798),  par  Courbin,  agent  municipal 
de  Budos. 


HISTOIRF    MF"    TROIS    PRl'^inES    COVSTITITIONNELS  U~3 

k  raïuuur  .!.■  l.i  liln-ilc.  A  Hutlus  1.-  1  ;{  l'riicl  idor  :ui  0>-  f.'id  .-lofit  1798) 
(Itf  la  l{<'-|iulili(|uit  rr:mr<)is(>  uw  id.  iiiilis  i>i|ili'.  I.vrM'v,  iiiairt".  ('(tin- 
IHN,  (tdicicr  iinmici|i:il.  Uee.as,  ((fllcici-  iiiiniii'i|i:il.  M  \miii  ikin,  tinirit-r 
iiuniii'ipal. 

Afirès  la  suppression  du  ruKe  en  Franco,  M.  Charles- Raymond 
Lata[)y  livra  ses  lettres  de  prêtrise,  renonça  au  sacerdoce  et  se  retira 
à  Bazas,  (ni  il  luurliait,  durant  l'au  IN',  la  [it'usinii  afTnrdt''e  par  le 
fi^ouveriUMnciit  aux  ex-curés  ^. 

Plus  laiil,  il  (juitta  Bazas  pour  \riiir  se  fixer  à  Bordeaux,  où,  :\ 
paitir  «lu  1'''  vendéniiairc  au  V  (22  septembre  1796),  il  élut  domicile 
ruf  df  la   Devise-Saiut-Pierre,  n"  S-. 

Il  s'y  trouvait  encore  le  -1  brumaire  an  \'n  (25  octobre  1798), 
jour  nii  il  prêta  le  serment  suivant,  imposé  au  clergé  par  la  lui  du 
5  septembre  1797:  «Je  jure  haine  à  la  luyauté  cl  à  rauaichie. 
attachement  et  fidélité  à  la  B/jndiIiquo  et  à  la  (lonstitulinu  de 
l'an  trois.  » 

Désormais  M.  Latapy  avait  obéi  à  toutes  les  sommations  offi- 
cielles de  la  Révolution.  Il  importe  de  dire,  toutefois,  que  ce  rler- 
nier  acte  n'ajoutait  rien  à  sa  déchéance  sacerdotale.  En  efTet,  le 
serment  de  1797,  malgré  les  expressions  outranciéres  qu'il  all'ecfe, 
n'a  pas  été  positivement  condamné  par  l'Eglise;  en  tout  cas.  elle 
n'en  a  jamais  exigé  la  rétractation.  On  ne  pouvait  évidemmcid  h- 
conseiller;  on  comprend  même  que  des  prêtres  à  l'âme  un  peu  di'-li- 
cate  aient  refusé  de  le  prêter  :  malgré  tout,  nu  n'a  pas  le  dmil  de 
blâmer  ceux  qui  agirent  autrement.  La  raiscui  en  est  bien  simple. 
Le  rapporteur  de  la  loi  av.iit  déclaré,  pendaid  la  di.'^cussiou  à  l' A.s- 
semblée,  que  l'aflinuation  de  haine  réclamée  à  tojis  les  citoyens  ne 
concernail  en  litu  li-  passé;  quCllf  s'appli([uaif  uni(|uement  à  la 
royauté  future,  .si  nu  teidail  jamais  de  ri-taldii'  eu  l-'rance  ct-lfc 
forme  de  gouverneineiit .  Pourquoi  ceux  qui  ]»rêtèrenf  ce  seniieid 
auraient-ils  outrepassé  les  intentions  du  législateur,  et,  dans  ce  cas, 
comment  reprocher  quelque  chose  de  bien  sérieux  aux  jureurs?  En 
somme,  de  tous  les  serments  réclamés  au  eleri,'t'  pendant  la  Révo- 
lution, un  seul  engageait  gravement  la  conscience  :  celui  de  la  Cons- 
titution civile.  Nul  n'a  pu  le  prêter  sans  forfaire. 

Le  11  frimaire  an  VII  (1''''  décembre  179R),  M.  Latapy  déclara 
qu'il  n'avait  jamais  rétracté  le  serment  jirescrif  oar  la  loi  du  11  anOt 
1792  3. 

1.  .\rch.  dép.  de  la  Gironde,  O  996. 

2.  Ibid.,  Q  1005. 

3.  Arch.  dép.  de  Ja  Gjrçnde,  Q  1005. 


27^ 


LES   MESSIEURS    LATAPY 


C'est  le  dernier  acte  de  sa  vie  que  l'on  connaisse.  Ensuite  on  perd 
définitivement  sa  trace  ^. 

III 
Joseph-Jean-Baptiste  Latapy, 


Joseph-Jean-Baptiste  Latapy,  frère  cadet  de  Charles-Raymond, 
naquit  le  22  mai  1744  2. 

Le  8  novembre  1774,  il  obtint  la  cure  de  Lucmau,  dont  il  prit 
possession  le  16  ^. 

Quelques  mois  plus  tard,  le  13  mai  1770,  il  ajouta  à  son  bénéfice 
im  nouveau  titre  et  de  nouveaux  émoluments  :  il  se  fit  nommer 
chapelain  de  la  chapelle  de  Martineau,  à  Bazas  "*,  Le  tout  lui  créait 
une  situation  matérielle  des  plus  enviables. 

Voici,  en  effet,  quels  étaient  ses  revenus,  «  année  commune  », 
d'après  la  déclaration  officielle  qu'il  fit  en  1790: 

1°  Dix  boisseaux  de  froment  à  16  livres  8  sous  9  deniers,  suivanl 
la  moyenne  des  14  dernières  années,  distraction  faite  des  deux  plus 

fortes  (^l  des  deux  plus  fiiildcs  ....  104  livres  15  sous. 

2"  GenL  cinq  Ijoisscaux  de  scif^'lt^  à 

10  livres  9  sous  8  deniers  le  l)oisseau.  1,100  livres    5  sous. 
3°  Dix  boisseaux  de  millet  à  9  livres 

2  sous  2  deniers  h;  boisseau 91  livres    1  sou  8  deniers. 

4°  Soixante  boisseaux  de  millade  '■  à 

7  livres  1  sou  9  deniers  le  boisseau.    .  425  livres    5  sous. 
5"  Quatre  vinti:t  six  agneaux  à  grosse 

laine,  à  3  livres  5  sous  pièce 279  livres  10  sous. 

6°  Cinquante  deux  agneaux  à  laine 

fine,  à  52  sous  pièce 135  livres    4  sous. 

70  Six  chevreaux  à  39  sous  pièce  .  11  livres  14  sous. 

8°  Essaims 10  livres. 

90  Paillt',  de  seigle 100  livres. 

10°  Paille  de   millade 75  livres. 

11°  Paille  de  millet 9  livres. 

12°  La    dime    de    deux    petites    mé- 
tairies      48  livres. 

13"  La  ferme  d'une  maison  située  à 
Bazas  et  dépendant  de  la  chapelle  de 

Martineau 60  livres, 

Total  ...    .    .  2,514  livres  4  sous  8  deniers. 

1.  il  ne  paraît  ni  sur  la  liste  des  prêtres  (jui  rétractèrent  leurs  erreurs  au  moment  du 
Concordat,  ni  sur  le  registre  du  personnel  pendant  l'épiscopat  de  Mgr  d'Aviau,  registre 
où  figurent  pourtant  M.  .Joseph  Latapy  et  même  M.  Hyacintlie  Lata|iy,  liien  qu'il 
fût  marié. 

2.  Registre  du  personnel  pendant  l'épiscopat  de  Mgr  d'Aviau. 

3.  Arch.  dép.  de  la  Gironde,  Q  1026,  f*  22.  —  Lucmau  est  une  commune  du  canton 
de  Villandraut,  arrondissement  de  Bazas. 

4.  Ibid.,  i"  39  verso. 

5.  La  inillade  n'est  pas  autre  chose  que  le  panic. 


HISTOIRF    DE    TUOIS    FRI^TRES    CONSTITUTIONNELS  Q-f) 


Or,  cette  soiiirni-  t'ii(i;iil  |in'>([ii.'  lonf  t-iil  it-rr  (l;iii>  l.i  luturs»*  du 
car»'';  car  ses  seules  rliarges  (•(Hisistaieril.  à  |iayer  les  iiKJividus  aux- 
quels il  cundait  hi  iH-tccptictti  di-  l;i  diim-;  cl  il  m-  d<''|ii'ii>ail  pour 
ri'la  (|M('  G?  livres  7  sous  5  deniers. 

Il  avait  donc,  lu  tu  an  mal  an,  un  rr\t'ini  \\,-\  (le  "j.  iTil  livres  1  7  sous 
et  3  deniers  K 

On  comprend  assez  après  cela,  ((ue  M.  Lal.apy  ne  clierchâl  pas  à 
quitter  un  poste  ni'i  il  Irinivail  de  ]»areils  avantages.  1  )e  lail.  il  était 
encoi'e  ;'i    Lucniaii  au   iiinineiil    de  l;i   T-{évidid  ion. 

.\Ia!!ieiir'eMsenienl  jimim-  lui.  la  su]qui's>i()U  de  la  dîme  et  SfUi  rem- 
placemcnl  par  une  ]tcn>inu  diminuèrenl,  de,  i"ac;on  assez  sensiMe, 
le  montant  de  ses  revenus.  1!  ne  toucha  plus  désormais  que  1,8*2'2  li- 
vres 7  sous  4  deniers.  Encore  se  trouvait-il  parmi  les  mieux  j>ar- 
tagés  '-.  De  ce  fait,  le  curé  de  Lucmau  décida  de  quitter  sa  paroisse 
dès  (]u"il  pourrait  s'en  procurer  une  meilleui-e. 

Il  avait,  d'ailleurs,  adopté  sans  réserve  toutes  les  idées  nouvelles, 
et  prêté  serment  à  la  Constitution  civile  du  Clergé.  Sans  doute 
donna- t-il  d'autres  gages  de  son  civisme,  des  gages  accentués  évi- 
demment, car  on  le  choisit  pour  célébrer  la  messe  à  la  cathédrale 
le  16  mars  1791,  jour  de  l'intronisation  de  M.  Pacareau  comme 
évêque-métropolitaiu  du  Sud-Ouest^.  A  la  fin  de  la  cérémonie,  le 
prêtre  et  le  pontife  tombèrent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  .1  eum- 
niuniant  dans  une  même  émotion,  ils  s'embrassèrent,  à  la  face  du 
peuple,  sur  les  degrés  de  l'autel  "*. 

On  a  vu  plus  haut  que  le  maire  de  Budos  avait  proposé  son  neveu 
pour  la  cure  de  Cérons.  Ce  dessein  n'aboutit  pas  en  ce  qui  concernait 
le  poste  espéré;  mais  les  choses  ne  tournèrent  pourtant  pas  trop  mal, 
car  M.  .Joseph  Latapy  se  vit  élire  curé  constitutionnel  de  Laiuliras, 
situation  qu'il  conserva  jusqu'à  la  suppression  du  culte  en  France ^ 

.\  ce  moment,  M.  Latapy  livra  ses  lettres  de  prêtrise,  renonça  au 
sacerdoce  et  se  retira  à  Bazas  avec  s(ui  frère  Gharles-Haymond  '^. 

1.     \nli.   (l(-|i.   il.'   I;i   (iiionilc,   O    InjC,   f"  -J-^   cl    11. 

■l.    Il>i,l.,  f"  40. 

.3.  Parîireau  (Pierre),  clianoine  (le  .Saint-.Vndr/-,  vicaire  capitulaire  apn^s  Ip  déc^s  de 
Mut  (r.VudilMTt  île  Liissaii,  ('•lail  un  janséiiisle  ardent.  Son  instniclion  des  plus  remar- 
<|ualilcs  r.uail  mis  an  picinicr  raiiL'  dans  le  cleri;»''  lionli-lais.  N(''  en  1711.  sacr^  en  IT'.M, 
il  nninnil  en  17'.t7. 

4.   .Vuriflicn  \'i\  ie,  Ilisloire  ilf  la  Ti'rn'ur  à  Hunlfnux,  luni"-  1.  p.  fi5. 

•">.  Ar(li.  ih'p.  lie  la  (iirnnilr.  l'nmls  moderne.  Liasse  de  la  !<('•> oliilion.  —  I.andiras 
esl   une  romniune  du   eanton   de   l'odensae,  iirrondissement   de   llordeanx. 

G.  Ihid.,  O  996.  Cliarles-Haymond  et  .loseph  I.atapy  avaieni  à  IJaz.as  tin  parent 
nommé  Charles  Latapy.  (|ui,  avant  la  Rt-volution,  se  (lualiliait  •  directeur  de  la  verrerie 
royale  de  Bazas  ».  Le  '27  janvier  1779,  il  avait  ('pous(:'  Elisabeth  ("liresse  dans  l'éiilise 
de  Lucmau.  [Inventaire-sommaire  des  archives  communales  de  la  Gironde,  série  E  supplé- 
jnent.) 


376  LES    MESSIEURS    LATAPY 

Ce  ne  fut  pas  pour  longtemps,  car,  sur  la  fin  de  1796,  rappelé  «  par 
le  vœu  unanime  des  habitants  de  Lucmau  «,  il  revint  se  fixer  dans 
son  ancienne  paroisse,  où  on  l'accueillit  «  avec  de  grandes  manifesta- 
tions de  joie  et  d'honneurs  «  \ 

Plus  tard,  quand  le  Concordat  rendit  la  paix  religieuse  à  la  France, 
le  malheureux  prêtre  fit,  entre  les  mains  de  M^''  d'Aviau,  une  sou- 
mission pleine  et  entière.  Et  comme,  en  dehors  de  son  passage  au 
schisme,  sa  conduite  pendant  la  Révolution  n'avait  donné  lieu  à 
aucun  scandale,  on  lui  rendit  son  ancienne  paroisse. 

Nommé  curé  de  Lucmau  par  ordonnance  archiépiscopale  du 
14  septembre  1803  2,  M.  Latapy  s'occupa  avec  zèle  à  réparer  les 
ruines  matérielles  accumulées  dans  son  église  par  le  vandalisme 
terroriste.  «  Le  grand- autel  n'étant  plus  convenable,  le  sous- préfet 
de  Bazas  autorisa,  en  1804,  le  transfert  du  maître-autel  de  l'église 
d'Insos  ^  dans  celle  de  Lucmau.  Les  fonts  baptismaux  furent  mis  en 
place  la  même  année.  Les  garnitures  des  trois  autels,  croix  et  chan- 
deliers, furent  achetées;  les  lambris  furent  peints;  l'église  tout 
entière  fut  restaurée,  et  la  clôture  du  cimetière  fut  relevée  "*.  » 
Ainsi  le  pauvre  prêtre  s' efforçait-il  de  réparer,  autant  que  possible, 
les  scandales  de  sa  vie  passée.  Il  y  réussit,  d'ailleurs,  à  merveille,  et 
la  paroisse  de  Lucmau  se  distingua  bientôt,  sous  sa  direction,  par 
«  un  grand  renouveau  de  foi,  de  piété  et  de  générosité  ». 

M.  Joseph-Jean-Baptiste  Latapy  mourut  à  son  poste  le  22  juin 
1812  5. 

Par  testament,  en  date  du  7  septembre  1809,  il  léguait  à  la  fabri- 
que de  son  église  «  une  maison  avec  toutes  ses  appartenances  et 
dépendances,  pour  servir  de  logement  au  desservant  ».  Le  Conseil 
de  fabrique  se  réunit,  le  5  mai  1813,  j)our  délibérer  sur  ce  legs; 
mais  il  ne  put  l'accepter,  l'immeuble  étant  grevé  d'une  hypothèque 
de  2,500  francs  «. 

Abbé  Albert  GAILLARD. 


1.  Arcli.  de  la  Falniqiie  fie  Lurmau.  Rpçristrp  des  délibérations. 

2.  Arch.  dép.  de  la  (lironde.  Fonds  moderne.  1  "■  liasse  de  Mgr  d'Aviau. 

3.  Insos  était  alors,  comme  aujouid'lini,  nne  annexe  de  Lucmau. 

4.  Almanach  paroissial  de  Liirman  et  Insos.  année  1S07,  d'après  le  registre  des  déli- 
bérations de  la   Fabiiqne. 

5.  Bibliothèque  de  la  xiWe  de  Bordeaux,  Ordo  diocésain  de  18(3, 

6.  Arch.  de  la   Fabrique  de  Lucmau.   Registre  des  délibérations. 


MÉLANGES 


Un  ballet  original. 

Afin  de  rendre  populjurc  le  iKiuvcau  ciilciulrier  que  la  Convention 
avait,  iinpost',  au  ix'Ujilr  Iraurais  par  la  lui  ilii  I  t'iimairt'  an  11,  un 
envoyé  du  Cuniitc  de  taiuL  public,  le  ciLuyeu  Marc- Antoine  Julien, 
eut  ridée  de  le  mettre  sur  les  planches. 

11  composa  dune  un  balle!  qu'il  intitula  le  Calendv'wr  liépuhliraiii  •, 
et  qu'il  lit  jouei-  au  Grand-Théâtre  de  Bordeaux  lois  des  sans- 
culottides  de  l'an  II. 

La  scène  représentait  un  temple  devant  lc(jurl  délilaicut  le» 
douze  nouveaux  mois  :  Vendémiaire,  vêtu  d'un  pantalon  «  couleur 
de  chair,  habit  de  gaze  garni  de  pampres,  une  branche  de  vigne 
chargée  de  raisins  à  la  main  »,  paraissait  le  premier,  suivi  de  ven- 
dangeurs et  de  vendangeuses  tenant  des  corbeilles  de  raisins.  On 
voyait  ensuite  Brumaire,  «  vêtu  de  gaze  teinte  en  gris,  imitant 
les  brouillards  dont  il  est  entouré»;  quatre  enfants  le  suivaient, 
vêtus  de  même,  «  rej)résentant  d'épaisses  nuées  et  d'obscures 
vaj)euis  >;  l"'rimaire,  couvert  de  peaux  de  bêtes  féroces,  un  arc  et 
des  tlêches  à  la  main;  Nivôse,  «  tout  en  blanc  pour  jieindre  la  neige, 
tenant  un  réchaud  en  inrme  di;  tr('q)ied,  d'où  sort  une  forte  ilamme 
imitée  au  moyeu  de  l'espiil  dr  vin»;  deux  enfiiiil-  inairlient  der- 
rière lui,  «ayant  des  patins  et  tenant  des  boules  de  neige»;  Plu- 
viôse, <(  en  naïade,  tenant  une  urne  »,  entouré  de  vieux  et  de  vieilles 
portant  des  parapluies;  \  entôse,  «  habillé  comme  1  est  ordinaire- 
ment Kole  :  gaze  aurore  ou  couleur  de  feu,  groupée  par  de  petits 
masques,  imitant  lenllure  des  vents  (?)  »,  suivi  de  «  quatre  vents 
vêtus  comme  Borée»;  Germinal,  couvert  de  Heurs,  une  branche 
de  cerisier  lleuri  à  la  main;  l"'loréal,  coslumi-  eu  l^'Inre.  marchant 
au  milieu  «  de  petits  zéphyrs  qui  tiennent  des  guirlandes  de  Heurs  '>; 
Prairial,  «  tout  en  gaze  verte  »,  avec  une  ceinture  de  violettes,  et 
entouré  de  «  quatre  enfants  tenant  des  arrosoirs  »;  Messidor,  cou- 
ronné d'épis;  Thermidor,  «presque  nu,  un  large  soleil  sur  la  poi- 
trine, K  visage  couvert  de  sueur  et  tenant  à  la  main  îles  lia  m  beaux 
allumés;  quatre  paysans  le   soutiennent   et  s'essuient   le  visage»; 

1.  Le  CiilcitJritr  HepubUcain  —  Ballcl  qui  doit  être  éxvculc  à  la  suite  de  l'Engagement 
des  Citoijtnnes,  sansculvttidi:  imliunalc  —  à  Bordeaux.  De  l'  lmi.>rinicric  du  Ciloijen  Dclonncl. 
—  rue  des  Aijres  n"  54.  Un  ('Xfnipkiiru  se  Iioun  e  ù  la  LSil'IioUii'iiUf  iuuiiiL'i|iiilc-  ilc  Uor- 
deaux.  CuUecUuu  de  brochures  icvolulioiuiaiies,  LJ'  —  n"  bâS. 


3-8  MÉLANGES 

enfin  Fructidor,  vêtu  «  comme  l'est  ordinairement  Pomone  »,  avec 
une  corne  d'abondance. 

On  voyait  ensuite  s'avancer  les  cinq  sans-culottides  représen- 
tées par  la  Vertu,  qui  avait  eu  soin  d'inscrire  son  nom  sur  son  front; 
par  le  Génie  «  tout  en  chair  et  gaze  blanche,  ailé,  le  front  ceint 
d'une  couronne,  d'où  paroit  sortir,  au  moyen  de  l'esprit  de  vin, 
une  flamme  légère»;  par  le  Travail,  paysan  robuste,  la  bêche  sur 
l'épaule;  par  l'Opinion,  habillée  aux  trois  couleurs,  suivie  du  «  peu- 
ple sans- culotte  »;  par  la  Récompense,  tenant  d'une  main  des 
couronnes  civiques  et  de  l'autre  un  petit  obélisque;  à  sa  suite 
«  troupe  de  jeunes  filles  i>ortant  un  petit  modèle  en  carton  du  Pan- 
théon français  ». 

Après  ces  différents  personnages  arrivaient  des  «  figures  allégo- 
riques »  :  la  Liberté  d'abord  «  vêtue  comme  elle  a  coutume  de  l'être 
sur  le  théâtre»,  portée  par  quatre  sans-culottes  à  bonnet  rouge; 
l'Kgalité  et  son  niveau,  soutenue  jtar  un  Laboureur,  un  Riche,  un 
Maure  et  un  Mulâtre;  la  Fraternité,  représentée  par  deux  femmes 
blanches  ayant  un  noir  au  milieu  d'elles,  «  tous  trois  enveloppés 
sous  le  même  manteau,  comme  Paul  cl  Mrginie  ));  la  Surveillance, 
avec  «  un  œil  au  milieu  du  front,  un  triangle  sur  la  poitrine,  avec  un 
œil  dans  le  triangle,  une  robe  ])arsemée  d'yeux»;  la  Victoire,  «en 
Corinde»;  et  enfin  la  Raison,  tenant  les  Droits  de  l'Homme  et 
écrasant  les  préjugés  sous  les  roues  de  son  char. 

Ce  défilé  était  suivi  de  danses  auxquelles  prenaienent  part  d'abord 
les  douze  nouveaux  mois,  qui,  en  se  groupant,  formaient  les  saisons; 
ensuite  les  autres  personnages,  selon  un  ordre  réglé.  Des  groupes 
d'enfants,  de  vieillards  et  de  marins  venaient  se  mêler  à  eux  «  et 
dansaient  à  leur  manière  ». 

On  célébrait  ensuite  une  adoption  et  un  hymen  civique.  Et  la 
joie  d'une  aussi  belle  fête  se  manifesluit  par  une  farandole  générale 
à  laquelle  prenaient  part  tous  les  ligurants  :  «  Ils  formaient  des 
danses  autour  des  deux  époux,  leur  oflraient  des  préseus,  des  Heurs, 
les  instrumens  des  travaux  qui  devaient  les  occuper,  et,  par  l'image 
d'enfans  de  l'un  et  l'autre  sexe,  semblaient  leur  présager  les  jouis- 
sances qu'ils  trouveraient  dans  la  naissante  famille,  fruit  de  leur 
union  et  gage  de  leur  amour  i.  » 

C'est  ce  que  l'on  peut  appeler  un  ballet  éducatif  et  moral. 

R.  Brouillard. 


L'État-major  du  Château  Trompette  en  1773. 

Le  gouvernement  du  Château-Trompette,  devenu  vacant  par 
la  mort  du  maréchal  duc  de  Lorges,  fut  attribué  par  le  roi,  le 
28  juillet  1773,  au  comte  Joseph  de  Fumel,  maréchal  de  camp. 

1.  Dans  un  article  publié  par  le  Correspondant  (10  lév.  1883),  «  Les  Alnianachs  poli- 
liquea  sous  la  Révolution  »,  M.  Henri  Welschinger  a  consacré  quelques  lignes  à  ce  ballet* 


MKr.ANCES  37») 

Ce  <xoii\  crnoMH'nt  \;ihiil  ;ilur>  m  itpjioiiif  oinonts  rj,(MM»  li\ic«  cL 
en  •'•iiiiiliiiiifuts  b,H'2'}  li\i('>:  .111  fnlal  I7,S'J"J.  Lr  ikhinisiii  i^uiivi'i- 
iitiii-,  ut'  ;t  Touloust'  II-  1  1  iii;ii>  I  7',M),  srrvait.  fln[mis  l'âgr  «lo  rli\- 
iKMit  ;iii>  »'t  avait,  particij)»"'  à  la  «^iifiif  d'  \llfrii;i^nf  <<tiiitiit'  iiiarr- 
(lial-gt'm'ïral  dos  logis  <li'  l;i  laxalcric.  l*ar  la  suil-c,  il  lui  lunniii 
« ommamlaul  <Mi  stHMtrul  de  la  jun\  iucc  ilc  (l\iy<MitH' (,' 1  Jim'il  1777,, 
lit'iif  t'iiaid-grruM'a!  des  arriu'cs  du  roi  (  U'"'  luats  17H()j  cl  grand  rmix 
dr   r(ii(lir  de  Saiut-Louis  ("io  août    17^51). 

Il  t'ul  [M)ur  liciil  fii;i  ul  (If  n>i.  Messin-  Ali-xaudir  de  l'iMUMiirui'  dr 
l.agroli'l,  brigadier  i\{;s  ainn''i's.  «■oniniaiidi-ur  di-  Saiul-Loui>,  «pli 
portail,  le  liLri^  dr  coiiiuiaudaid  du  r.lirdcau-'i'rnmpfl  Ir  ef  aiihcs 
forts  de  Bordeaux,  (lelui-ei  hkuuiiI  \r  T.)  avril  I77r»,  à  là;;!*  d'fu\  i- 
rnii  (jualre-viagts  ans,  et  son  eorp^  lui  iidiiiiin'  \r  Itudcniaiu  d;iu.s 
l'église   des   HF^.    PP.    Dominicains. 

Les  fonctions  de  major  du  Cdiâteau-'i'rompell  e,  l'taieul  reuiplie.s 
par  M.  Jean- Baptiste- Pierre- Charles  Cham]>ion  <le  .Nausuuly, 
ancien  capitaine  de  grenadiers  au  régiment  de  Bourgogne-infan- 
terie, marié  à  Bordeaux,  paroisse  Saint- Rémi,  avec  deiuoiselle 
Antoinette-Hélène  Herpailler.  le  '2\  avril  1 76r).  iJe  ce  mariage 
naquit,  en  176M,  le  vaillant  général  de  Nausouty,  giand-aigle  de  la 
Légion  d'honneur,  premier  inspecteur  général  des  dragons  et  j'uu 
des  meilleurs  chefs  de  cavalerie  de  la  Grande  Armée.  En  I7f>6, 
le  capitain»;  de  Nansouty  avait  obtenu,  après  plus  de  cimpiaulc 
années  de  service,  la  «  majorité»  d»i  Château-Trompette  (jui  valail 
.),()()0  livres;  il  partageait  ce  trailemenf  axi'c  le  major-adjniid . 
mais  il  t-ouchait  persojiuellement  une  ]ieu.>ii«u  .le   !,(»(>(»  Ii\re>. 

Des  indications  qui  nous  ont  été  obligeammeid  fouruii-s  |iar 
M.  Rousselot,  il  résulte  (jue  plusieui>  eorps  de  troupes  liiuerd 
garnison  au  Chfdeau-Trompettc.  de  177"2  à  I7S((:  noiammeut 
les  régiments  de  Bretagne,  de  Cambrésis,  I{oyal-\  aisseaux.  d'(M- 
léans.  de  Picardie,  Bourbon  et  le  régimeid   de  La  Fère-arl  illeiie. 

Il  y  eu!  aussi  une  compagnie  de  cannuniers  in\alide>  (|ue  cdui- 
mandait  le  capitaine  Bertrand  Ttiomas,  surnommi'  de  Malion  par 
le  maré(dial  de  |{ichelie\i  <'t  cdidirmé'  dau>  ce  nom  par  l.nuis  Wl, 
en  rt'ccuiipensc  de  ses  exploits  à  Port-Malnui.  .\é  au  Irieux.  parni.«,sc 
de  Bussière-Badil,  en  mars  172*J,  ce  brave  (d'Iicier  mnuiul  près 
du  Bourdeix  (Dordogne)  eu  1784,  étaid  clicNalier  île  r(»idre  de 
Saint-Louis. 

Joseph    I  >i  itii.L  .\. 


CHRONIQUE 


Soutenance  des  thèses  de  M.  Brutails.  -  Le  jeudi  20  juin  a  eu  lieu, 
dans  le  grand  amphithéâtre  de  la  Faculté  des  lettres,  la  soutenance  des 
thèses  de  doctorat  de  notre  collaborateur  M.  J.-A.  Brutails,  archiviste 
paiéograplie. 

La  liante  compétence  archéologique  et  historique,  depuis  longtemps  éta- 
blie, du  candidat  a  fait  de  celte  soutenance  un  véritable  événement  local. 
Le  jury  était  présidé  par  M.  le  comte  liobert  de  Lasteyrie,  membre  de 
l'Institut,  professeur  honoraire  à  l'École  des  (Chartes,  qui  avait  tenu 
à  donner  un  témoignage  particulier  d'estime  à  son  plus  brillant  élève  en 
venant  argumenter  avec  lui  A  ses  côtés  siégeaient  M,  Radet,  doyen  de  la 
Faculté  des  lettres,  M.  Camille  JuUian,  membre  de  l'Institut,  professeur  au 
Collège  de  France,  M.  Marion,  professeur  au  Clollège  de  France,  MM.  Paris 
et  Courteault,  professeurs  à  la  Faculté  des  lettres. 

La  soutenance  a  été  ouverte  par  une  allocution  de  M.  le  dojen  Uadet,  qui 
a  remercié  M.  de  Lasteyrie  d'avoir  bien  voulu  répondre  à  l'invitation  de  la 
Faculté,  et  exprimé  sa  joie  de  l'union  intime  entre  l'École  des  Charles  elles 
Universités  dont  sa  présence  dans  le  jury  est  une  éclatante  preuve. 

Lu  thèse  complémentaire  de  M.  Brutails  avait  pour  objet  des  Recherches 
sur  l'éiiuioalence  des  anciennes  mesures  dé  la  Gironde.  On  sait  —  M.  Jullian 
l'a  souligné  —  l'importance  et  la  diiliculté  des  problèmes  de  métrologie. 
Pour  résoudre  ceux  qu'il  s'était  posés,  M.  Brutails  a  fait  une  enquête  très 
vaste  et  très  minutieuse  dans  les  divers  fonds  des  archives  départementales 
de  la  (iironde.  Une  documentation  très  abondante  et  très  précise  lui  a 
fourni  pour  ses  calculs  une  base  solide.  Elle  lui  a  permis  de  démontrer  que, 
contrairement  à  l'opinion  de  M.  d'Avenel,  la  valeur  des  mesures  a  varié  sui- 
vant les  temps  et  les  lieux  et  que  «l'évolution  des  mesures  du  Bordelais 
à  travers  les  siècles  écoulés  est  soumise  à  une  force  constante,  qui  les  conduit 
à  la  précision  et  à  l'uniformité  ».  MM.  Marion  et  Courteault  ont  mis  en 
relief  les  grands  services  qu'est  appelée  à  rendre  à  nos  travailleurs  locaux 
celte  contribution  à  la  métrologie  girondine.  Le  premier  s'est  borné  à 
contester  quelques  chiffres;  le  second  à  signaler  quelques  menus  documents 
échappés  aux  investigations  de  M.  Brutails. 

La  thèse  principale  —  Étude  archéologique  sur  les  églises  de  la  Gironde  — 
est  un  véritable  monument,  le  très  digne  pendant  de  la  Guienne  militaire  de 
Drouyn,  et  destiné,  comme  elle,  à  devenir  promptement  classique.  L'ouvrage, 
un  magnifique  in-4",  orné  de  seize  planches  hors  texte  fort  belles  et  de  trois 
cent  cinquante  gravures,  dues  en  presque  totalité  au  talent  photographique 
deraulcur,  comprend  deux  parties.  La  première  est  une  série  de  soixante 
monographies  d'églises  girondines,  dont  M.  Brutails  fait  l'histoire  en  asso- 


CHKOMQL'E  381 

ciant  peipcliielleriii^nl  los  docniniMils  à  rcxann-tj  ;irclit''<»lo^'ii|ii('.  suivant  la 
méthode  la  plus  sévère  et  la  plus  pnidfiile.  La  srconde,  la  plus  étendue,  est 
une  mafrisliale  élude  sur  rarcliileclurc  lelij^ieuse  en  (iirondi-.  I.'.nileur  en 
recherthc  les  causes  dans  la  nature  du  sol.  dans  la  j,'éo;.'rapliie  lii^loriquc 
et  riiisioire,  dans  l'origine  des  constructeurs  et  la  lurnialion  dfs  chantiers. 
Il  étudie  ensuite  les  difTérenls  plans  des  églises,  les  détails  de  leur  conslruc- 
lion,  couvertures  en  bois,  arcs  cl  voûtes,  supports,  colonnes,  piliers  et  murs. 
peKcments,  clochers,  cryptes,  etc.,  la  fortificaiion  des  é;,dises,  leur  déco- 
ration dans  ses  motifs,  ses  procédés  et  ses  applications.  Le  livri*  est  conclu 
par  une  classilicalion  des  églises  de  lu  tiironde.  L'examen  de  ce  travail 
considérable  a  présenté,  pour  le  public  très  nombreux  et  très  altentir  qui 
assistait  à  la  .soutenance,  un  très  haut  inlércl.  (ie  lut  entre  le  président  du 
jurv  et  le  candidat  uti  vérilable  tournoi  arché()loj,M(|ue.  M.  de  Lasleyrie, 
apiès  avoir  rendu  un  niagniliiiue  lioiumagc  au  labeur  et  à  la  compétence 
de  M.    Brutails,   lui   a   soumis  quelques   objections    sur   sa    lerminologie, 

sur  des   datations   d'églises,   en    particulier    sur    La    Uéole    et    Francs 

Le  débat  fut  parfois  très  viL  car  le  candidat  se  défendit  avec  sa 
vigueur  coulumière.  .\près  M.  de  Lasleyrie.  M.  l'aris  présenta  (juelques 
observations  sur  la  survivance  de  motifs  auticiues  au  Moyeu  Age.  M.  .lullian 
termina  la  séance  en  disant,  avec  ,sa  prestigieuse  éloquence,  l'amour  que 
méritent  nos  églises  urbaines  ou  rustiques  et  la  recoimaissance  que  l'on  doit 
à  M.  Hrutails  pour  avoir  su  si  bien  les  faire  connaître  et  les  faire  aimer. 

V  l'unanimité,  la  Faculté  a  reconnu  M.  Hrulails  digne  du  grade  de 
docteur  es  lettres,  avec  la  mention  «  très  honorable  >■.  La  lievue  est  particu- 
lièrement heureuse  de  constater  l'éclatant  hominage  rendu  à  l'un  de  ses 
plus  précieux  collaborateurs  et  lui  adresse  ses  chaleureuses  félicitations. 

A  l'Académie  de  Bordeaux.  -7  Dans  sa  séance  du  •j.'i  juillet.  l'Aca- 
démie de  Bordeaux  a  élu  membre  résiflanl.  en  remplacement  de  Uavmond 
Céleste.  M.  Saiut-.Iours.  dont  nos  lecteurs  ont  pu  ai)précier  les  remarquables 
recherches  sur  la  population  de  Bonleaux,  et  à  qui  ses  travaux  si  rigoureux 
et  si  neufs  sur  les  embouchures  de  l'Adour  et  sur  le  Iilt<:tral  gascon  ont 
\alii  une  uoloriélé  scientifique  aujourd'hui  incontestée  en  I  raruc  et 
à  l'étranger. 

Pour  l'histoire  de  la  Révolution.  \u\  (  hercheurs,  de  plus  en 

plus  nombreux,  qu'attire  l'Iiisloire  rcvohiliomiaire.  il  inquirle  de  signaler 
le  Manuel  inaliquc  pour  l'élude  de  la  liérolulidii  française  que  vient  de  faire 
paraître  M.  Pierre  Caron,  archiviste  aux  Archives  Nationales  (Paris.  Picard. 
1912,  in  8°,  de  xv-294  p.;  6  fr.;.  Méthodique,  clair,  sobre,  bien  présenté,  ce 
livre  sera  pour  les  novices  un  initiateur  1res  conuuodc.  j)our  tous  lui  instrii- 
menl  de  trHv;iil  précieux.  Sur  l'organisation  du  travail  histrritiue  conunis- 
sions  onicielles,  sociétés  libres,  périodi(iues  parisiens,  régionaux  ou  locaux, 
étrangers,  collections),  sur  les  sources  manuscrites  (répertoires  et  travaux 
bibliographiques.  Archives  nationales,  Archives  des  ministères,  .Vrchivcs 
départemonlales,  communales  et  hospitalières,  dépcHs  divers.  Archives 
étrangères,  bibliothèques  de  manuscrits),  sur  les  sources  imprimées  ^ biblio- 
graphies, recueils  législatifs  et  aduiinislralifs.  journaux  et  almanachs, 
instruments  de  travail  courant),  ils  trouveront  dans  ce  manuel  les  renscl- 

30 


382  CHRONIQUE 

gnements  essentiels  nécessaires  pour  entreprendre  une  recherche  ou  une 
étude.  Souhaitons  avec  l'auteur  qu'un  de  nos  spécialistes  locaux  nous  donne 
le  relevé  méthodique  et  complet  des  sources  de  l'histoire  révolutionnaire  à 
Bordeaux  et  dans  la  Gironde,  qui  nous  manque  malheureusement. 

Société  Archéologique.  —  Dans  la  séance  du  i'\  juin,  M.  Bontemps 
a  fait  connaître  l'état  actuel  de  l'église  de  Saint-Macaire. —  M.  Ferbos  a  rendvi 
compte  de  l'excursion  annuelle  de  la  Société.  —  M.  Ricaud  a  présenté  et 
commenté  de  nombreux  documents  sur  le  Vieux- Marché.  —  M.  le  D'  Im- 
bert  a  donné  lecture  de  lettres  sur  plusieurs  épisodes  de  la  Révolution  aux 
\ntilles.  —  \{.  Coudol  a  présenté  un  éventail  peint  du  xv^n""  siècle.  — 
M.  Bardié  a  rendu  compte  du  transfert  des  boiseries  de  l'hôtel  de  la  rue  des 
Menuts,  57,  à  l'École  des  Beaux-Arts.  —  M.  Brouillaud  a  offert  au  Musée  du 
vieux  Bordeaux  le  cartouche  qui  surmontait  la  porte  d'entrée  de  l'orangerie 
du  pavillon  Labottière;  M"-  Gazenave,  deux  gravures  signées  J.-B.  Pallière; 
M.  de  Saint-Saud,  huit  empreintes  de  sceaux  se  rapportant  à  Bordeaux  et 
à  la  région. 

Les  débuts  de  la  Réforme  protestante  à  Bordeaux.  —  Sous  ce 
titre  légèrement  inexact,  M.  H.  Palrj  a  publié  dans  la  Revue  hislori(jue 
(juillet-août  1912,  p.  2()i-3ai)  trois  éludes,  dont  les  deux  premières  seules 
nous  intéressent  directement  (la  dernière  concerne  Agen).  L'une  est  consa- 
crée à  Thomas  lllyricus.  l'autre  aux  premiers  professeurs  du  Collège  de 
Guienne  considérés  comme  propagateurs  des  idées  religieuses  nouvelles. 
Sur  lllyricus,  dont  il  analyse  les  sermons,  M.  Patry  donne  le  texte  d'une 
jurade  de  Condom  qui  fait  un  tableau  très  vivant  de  la  prédication  du 
fameux  franciscain  dans  cette  ville  (au  mois  d'octobre  de  quelle  année?;. 
11  croit  qu'il  fut  peut-être  un  de  ces  moines  que  signale  le  Journal  d'un 
bounjeois  de  l'aris,  envoyés  en  lôaS  par  Frant^ois  1"  et  Louise  de  Savoie  en 
Guienne  «  pour  y  prescher  la  foy  catholique,  y  abattre  et  adnichiller  les 
hérésies  de  Luther  ».  Sur  les  professeurs  du  Collège  de  Guienne,  on  trou- 
vera dans  l'article  de  M.  Patry  de  bonnes  indications  bibliograpiiitiues.  On 
regrette  de  n'y  voir  pas  cités,  à  côté  du  livre  de  GauUieur,  des  travaux 
bordelais  tels  que  l'étude  consacrée  dans  la  Revue  Philomatfwj[ue  par  M.  de 
La  Ville  de  Mirmont  à  Buchanan. 

Un  nouveau  livre  sur  Montesquieu.  —  M.  F.  Strovvski  vient  de  faire 
paraître  un  Montesquieu  dans  la  nouvelle  Bihliothè(iue  française  qyi'édiie  la 
librairie  Pion -Nourrit.  On  trouvera  dans  ce  petit  volume  un  recueil  fort 
bien  fait  des  pages  les  plus  significatives  de  Montesquieu,  encadrées  dans 
une  biographie  très  vivante  et,  à  certains  égards,  très  neuve.  M.  Strowski 
y  redresse  au  passage  quelques  grosses  erreurs  de  Vian  et  y  utilise  large- 
ment, pour  la  première  fois,  les  beaux  travaux  de  MM.  Barckhausen  et 
Céleste.  L'image  de  Montesquieu  qui  s'en  dégage  est  très  savoureuse.  Mais 
pourquoi,  dans  ce  livre  si  bordelais,  n'avoir  laissé  qu'entrevoir  le  gentil- 
homme campagnard  et  n'avoir  dit  mot  du  marchand  de  vins? 


BIBI.KKilUriMK 


Clary  et  Bodin,  Histoire  de  f.es/jarre,  Boideaux.  impr.  Pcrli,  in-S'  de 
48o  pages.  19  gravures. 

.Vlus  par  un  «  pieux  devoir  de  palrioli.sme  local  »,  et  8'e(Tor<,ant  de  «  faire 
œuvre  d'Iiislorieiis  impartiaux  »,  les  auteurs  présentent  non  pas  une  simple 
monographie,  mais  riiisloirc  de  la  puissante  siric  de  i.cspiirn'.  iiver  des 
aper(,'us  plus  généraux  encore  sur  l'i-lal  ancien  du  peuple.  La  dernière  partie, 
depuis  la  Itévolulion  jusqu'en  1909,  est  un  défdé  de  notes  annales  dans 
Tordre  chronologique. 

Sans  se  préoccuper  d'une  prétention  identique  de  Saint  (iermaind'Ksteuil, 
l'ouvrage  débute  sans  anibat,'es  par  ces  mots  que  Lesparre  est  "  bâtie  sur 
l'emplacement  de  l'antique  Metullium  ».  Le  pa\s  des  Médules.  ce  Medulicus 
Paijus.  se  trouve  rendu  on  i>lii'-.  page  3.  en  \fe<lili<iis  Ptiyus,  le  premier  ujot 
étant  dit  «une  contraction  de  médius  imilieu;  et  de  //(•(/.<  (liquide  1  »,  pays 
entouré  par  les  eaux.  Le  même  Médoc  des  vieux  Médules  de  l'époque  latine, 
le  \!édi)uc  d'Klie  \  inet,  est  en  même  temps  présenté,  par  une  élrange  con- 
tradiction, comme  un  nom  de  la  dernière  période  des  troubadours.  pro\e- 
nanl  de  me,  contraction  du  latin  maie  et  de  «c.  qualificatiC  de  notre  dialecte 
méridional,  soit:  mauvaise  langue  d'oc.  Nous  considérons  comme  profondé- 
ment regrettables  ces  étymologies  (jui,  placées  en  tèle  de  l'ouvrage,  sont  de 
natine  à  rebuter  le  lecteur,  ou  au  moins  à  troubler  sa  confiance.  Novioma- 
gus  reçoit  de  savants'  la  signilication  :  «Marché-Neuf»,  el  non  <  fllf  de 
«  Ville  aux  navires  »,  qu'on  lit  page  34. 

Les  auteurs  nous  apporteraient  toutefois  une  bonne  contribution  a  I  his- 
toire régionale  si  l'œuvre  n'était  gâtée  [)ar  la  partie  scienliliiiue.  celle  qui  a 
trait  à  la  géologie  et  au  préhistorique.  Pages  05  à  7G.  ils  transcrivent  la 
Lt-ijeiide  de  Cénehrun  pour  en  faire  ressortir  les  invraisemblances  el  les 
incohérences.  Que  n'ont  ils  eu  la  même  perspicacité  à  l'égard  de>  auties 
traditions  et  légendes  qui  dénaturent  le  passé  de  notre  région?  Ils  renché 
rissent  même  sur  elles,  page  iti,  en  nous  [)arlanf  des  u  villages»  de  (iordoiian. 
de  la  «  paroisse»  et  du  «  phare  »  de  <ù)rdouan  en  ioqj!  .\  la  même  page  on 
lit  le  contraire  de  ce  qu'a  écrit  et  enduré  Louis  de  Foix  sur  l'îlot  •  estant, 
dit  cet  architecte,  au  luilieu  de  la  mer  en  un  peu  de  sec  qu'elle  laisse  deux 
fois  en  a'i  heures».  —  Le  sondage  de  M.  (iuy  à  Sainl-Mcolas-de  (irave 
(page  16)  lui  fit  rencontrei- à  la  profondeur  normale  et  h-gale  de  deux  mètres 
les  squelettes  du  cimetière:  donc,  d'après  ce  dernier  complément  d'infor- 
mation, le  prieuré  de  Sainf-Nicolas-de-rirave,  (ju'on  a  tant  signalé  au  large 
en  mer,  ne  peut  pas  maintenant  être  dit  «ense\eli  «.  Hattaché  contre  son 
gré  à  Sainte-Croix,  en  ii3i,  comme  étant  situé,  avec  ses  dépendances,  dans 
la  juridiction  de  iNotre-Dame  de  Soulac,  il  dut  être  fermé  ou  abandonné  en 
un  temps  foit  reculé  resté  ignoré  de  Raurein.  —  fiontrairement  aux  énon- 
cialions  des  pages  16  et  ijo.  Soulac  n'avait  pas  d'inq>ortance  et  n'a  pas 
connu  «  une  ère  de  prospérité  inouïe»:  il  uf  fut  pas  bâti  au  bord  de  la 
(iironde  et  n'a  pas  \u  s'éloigner  les  rives  de  celleci.  fait  qui  ressort  du  seul 
examen  géologique  du  sol.  Son  port,  port  d'abri  et  d  allenle.  était  Dom- 

I.  Voyez  Camille  Jullian,  Journal  des  Savants,  igoS.  p.  Sao. —  Léo  Drouyn,  dans  I9 

Guienne  militaire,  place  Noviomagus  à  Brion- 


284  BIBLIOGRAPHIE 

noton,  c'est  à- dire  le  Verdon,  si  l'on  combine  les  textes  de  Mêla  et  d'Ausone 
avec  les  dunes  dii  Verdon,  que  tels  géologues  classent  pléistocènes,  soit 
antérieures  d'au  moins  deux  cents  siècles  à  l'apparition  de  l'homme  sur  nos 
côtes;  le  port  non  identifié  aux  pages  17  et  82  est  le  port  Leyron,  sur  le 
chenal  du  Conseiller  fcarte  des  fiefs  de  Lesparre).  -  Artigues-Extiemeyie 
(lisez:  défrichements  du  bord  de  l'eau)  n'a  pas  été  englouti  par  la  mer  ni 
recouvert  par  les  sables  (page  21),  pas  plus  que  le  Lilhan.  Le  premier  de  ces' 
endroits,  ancienne  ferme  monacale  sise  à  l'ouest  de  Vensac,  avait  pour 
prieur,  en  août  161G,  le  curé  de  Saint-Vivien  (archives  de  Vensac),  et  en  1772 
il  se  trouvait  loué  i5o  livres  par  an  au  profit  d'un  chanoine  de  Bordeaux 
(arcfi.  diocésaines).  Des  litres  authentiques  portent  quelque  peu  dans  le 
même  sens  des  indications  sur  le  Lilhan  aux  années  i6"6/(,  1GO6,  1670  (Arch. 
départ.).—  Le  mythe  d'Anchise.  de  son  lleuve  et  de  son  port  est  une  inven- 
tion fâcheuse  à  classer  avec  la  Légende  de  Cénebrun  (voyez  p.  8,  18,  28).  — 
L'humble  Pelos  ou  Pelons  existe  à  l'abri  du  vieux  Mont,  et  la  célèbre  forêt 
citée,  dite  de  Lesparre  (page  12).  tapissait  simplement  la  partie  orientale 
(le  l'étang  d'Hourtin.  Des  textes  du  xui""  siècle  font  ressortir  que  l'étang 
d'Hourtin  était  alors  aussi  étendu  qu'en  i8()0,  et  un  titre  diocésain  de  mars 
lOii  montre  nettement  que  le  transfert  de  la  chapelle  de  Sainte-Hélène-de- 
l'Etang  fut  alors  projeté  (voyez  p.  21J  sans  aucune  préoccupation  des  eaux 
de  ce  lac.  Les  coquillages  du  pont  de  Lupian  (page  9)  sont  lacustres  et  non 
marins;  notre  Muséum  étale  des  spécimens  de  ces  mollusques  qui  vivent 
dans  les  marais  et  étangs  du  Médoc,  de  Buch  et  de  Born. 

Puisque,  d'après  des  savants',  il  n'y  a  pas  eu  modification  du  niveau  de 
la  mer  au  cours  de  notre  ère,  et  {|u'il  n'y  a  pas  airaissement  du  sol',  ces 
deux  éléments  ne  peuvent  pas  se  superposer,  et  les  localités  n'ont  pas  changé 
de  limite  d'une  manière  appréciable  par  rapport  au  rivage  de  la  mer.  Dire 
que  Boïos  (p.  82;  élait  au  bord  de  l'Océan,  c'est  méconnaître  l'Itinéraire 
d'Antonin  et  errer  autant  qu'à  répéter  (page  117)  que  Talbol  avait  débarqué 
au  Gurp.  Ni  sur  ce  point  ni  ailleurs,  il  n'y  a  eu  ces  baies  ouvertes  mention- 
nées à  la  page  9,  pas  même  à  Arcachon.  Boïos  devait  être  à  la  Teste. 

Grave  (pages  7  et  i-j),  au  lieu  de  signifier  bois,  forêt,  pourrait  bien  avoir 
eu  à  Bordeaux  (quai  de  Grave,  porte  de  Grave)  et  à  Soulac  la  signification 
qu'on  lui  trouve  encore  dans  les  Landes  et  les  Basses-Pyrénées:  lieu  maréca- 
geux; d'où  Pointe  des  marais,  pointe  presque  aussi  vieille  probablement,  en 
partie  ou  en  son  tout,  que  les  dunes  du  Verdon.  De  même  (p.  11)  pour 
barthe,  endroit  marécageux  peuplé  de  plantes  aquatiques,  de  vergues,  de 
saules. 

Mais  il  ne  conviendrait  pas  d'arriver  jusqu'aux  détails  trop  peu  importants 
au  sujet  d'un  ouvrage  qui,  sous  réserves  expresses  des  critiques  qui  précè- 
dent, reste  après  tout  estimable  au  point  de  vue  local. 

S. 


Chinard  (Gilbert).  L'exotisme  américain  dans  la  littérature  française 
au  wr  sit-cle,  d'après  Rabelais,  Ronsard,  Montaigne,  etc.  Paris,  libr. 
Hachette  et  C'',  in-12  de  xvii-247  pages. 

M.  G.  Chinard,  maître  de  conférences  à  Brown  University,  s'est  proposé 
d'étudier  dans  ce  volume  les  idées  que  nos  écrivains  du  xvi'  siècle  se  sont 

1.  Bouquet  de  la  Grye,  Alfred  Guy. 

2.  Rauiin. 


Hini.in(;KM'iiir  28') 

faites  de  l'Aiiirrique  t't  des  sauvages  américains.  I.a  (|(ieslioii  est  neuve;  elle 
valait  la  peine  d'être  traitée.  iSous  ne  retiendrons  ici  que  le  chapitre  consa- 
cré à  Montaigne.  II  est  intéressant.  Montaigne  a  très  souvent  parlé  de  la 
découverte  du  Nouveau-Monde;  .sa  ruricisilé  a  éti-  très  lortement  captivée 
par  les  récils  de  voyage  eu  .Vniérique.  M.  Pierre  N  illey  avait  déjà  niontré 
que  l'auteur  des  Essais  avait  datïs  sa  bibliothèque  Vllistoire  générale  des 
Imles  ocritleiitalex  et  Tcrri's-Xeni'es  du  l'érun.  de  Lopez  de  (ioniara,  dans  la 
lra(lu<liou  fran^-aise  de  .Martin  Fumée  (Paris,  l'ig'j);  du  même  auteur, 
l'Ilisloria  de  don  Ferdinnndino  Curiez,  dans  la  traduction  italienne  de  157G; 
enfir»  les  deux  Cosimufvaphies  de  Belleforest  et  d'.Vndré  Thevet.  M.  C. 
démontre  (jne  Montaigne  a  aussi  très  probablement  connu  la  très  curieuse 
relation  que  le  pasteur  protestant  Jean  di'  l.éry  a  laissée  de  l'expédition  d«' 
Villegaignon  au  Brésil,  publiée  à  La  Rochelle  en  \\)-i<  el  souvent  réimpri- 
mée depuis,  ef  très  certainement  la  traduclion  franc^aise  (ju'un  pasteur  de 
(ienève,  Lrbain  Ghauveton,  donna  en  ir)7((  du  livre  où  le  Milanais  Men/oni 
avait  conté  le  désastre  de  l'expédition  tentée  en  iTiôa  par  Jean  lUbaut  el  les 
protestants  français  pour  coloniser  la  l'Ioride.  Montaigne  a  plagié  (Ghau- 
veton dans  son  chapitre  des  Cannibales.  Il  l'a  copié  sans  le  nommer,  par 
prudence,  car  les  viclimes  des  Espagnols  étaient  des  protestants,  et  aussi 
parce  qu'il  était,  en  principe,  opposé  à  toute  entreprise  coloniale.  Le  plagiat 
permet  de  dater  le  chapitre  des  Cannibales  ("XW  du  livre  1)  :  il  est  posté- 
rieur à  1079.  Dans  ce  chapitre,  Montaigne  «  n'a  mis  que  sa  curiosité,  son 
goût  de  l'enquête,  du  fait  menu  et  pittoresque  ».  Tout  autre  est  le  chapitre 
des  Coches  (M  du  livre  11;  :  ici,  la  conscience  du  moraliste  s'est  éveillée.  «  il 
considère  la  question  sous  un  jour  plus  large  et  il  prend  nettement  parti 
pour  les  anciens  possesseurs  des  Terres-Nouvelles,  contre  leurs  barbares 
conquérants,  au  nom  du  droit  et  de  l'humanité».  Dans  les  Cannibales,  il 
s'était  amusé  à  montrer  que  le  sauvage  est  peut-être  supérieur  au  civilisé, 
el  il  avait  consigné  l'entretien  qu'il  eut  à  Itouen  avec  trois  sauvages  ({iii 
y  furent  amenés  au  temps  du  roi  Charles  1\  Dans  les  Coches,  suidant 
surtout  de  Gomara,  il  trouve,  pour  fléchir  la  barbarie  des  Rsp.qi^rnols.  des 
accents  que  n'eût  pas  désavoués  Las  Casas.  Il  se  pose  en  véritable  iléfenseur 
des  Indiens;  «  il  fait  déjà  pressentir  les  pages  les  plus  hardies  des  philo- 
sophes du  xvui'  siècle».  M.  Jameson.  dans  son  étude  sur  Monlisiniien  et 
l'esi-lavoge  iCf.  Revue,  1911.  p.  r'ia).  avait  à  peine  cité  Montaigne,  M.  G. 
montie  qu'il  mérite  d'être  placé  à  côté,  peut  être  au  dessus  de  l'auteur  de 
\'EsprU  des  Lois.  Les  deux  écrivains,  du  reste,  offrent  de  curieuses  ressem- 
blances :  le  trait  d'esprit  à  la  cavalière  qui  termine  le  chapitre  des  Canni- 
bales (  I  Mais  quoi  !  ils  ne  portent  pas  de  liauts-de-chausse-;'  "  '    cesl  déjà  du 

.Montesquieu,  et  du  meilleur. 

l\  C. 


E.  Levi-fHalvano,  Montesquieu  e  Machiavelli.  Paris,  Cliainpion,  nju, 
in-.S"  de  i/|Z|  pages.  (Bibliothèque  de  rinslilut  fran(;ais  de  llurence, 
I"  série,  t.  II.) 

Les  rapports  entre  la  pensée  de  Machiavel  el  celle  de  Montesquieu  ont  été 
souvent  soupçonnés  et  affirmés,  rarement  contestés.  M.  Levi-Malvano 
a  entiepris  de  les  démontrer  par  une  étude  attentive  dps  deux  grands  écri- 
vains. On  peut  dire  (ju'il  y  a  réussi.  Son  livre  atteste  une  connaissance 
approfondie  île  l'œuvre  entière  de  Montesquieu  et  des  travaux,  anciens  et 
récents,  qui   lui  ont  été  cop-arré>i     I  '.nitein    a    |)ri-^   la    peine  de  venir   à 


286  BIBLIOGRAPHIE 

Bordeaux  consulter  le  catalogue  de  la  bibliothèque  de  La  Brèdo  ;  il  a  eu  la 
bonne  fortune  de  bénélicier  de  l'érudition  et  de  l'obligeance  de  notre 
regretté  R.  Céleste;  les  belles  publications  de  M.  Barckhauseri  lui  sont  fami- 
lières. Son  livre  est  un  hommage  au  grand  travail,  trop  longtemps 
méconnu,  qui  a  renouvelé  l'étude  de  Montesquieu  et  dont  Bordeaux  a  été 
le  foyer  depuis  vingt  ans.  Sa  méthode  mérite  aussi  d'être  louée:  elle  consiste 
dans  une  confrontation  minutieuse  des  textes,  dans  une  analyse  toujours 
ingénieuse,  souvent  subtile  et  pénétrante,  des  deux  pensées,  qui  en  montre 
les  ressemblances,  mais  ne  dissimule  jamais  les  divergences.  Méthode  délicate 
à  manier,  car  combien  il  est  facile  de  solliciter  les  textes  et  de  trouver  entre 
eux  des  ressemblances  tout  artificielles!  M.  Levi-Malvano  a  évité  ce  défaut. 
11  n'a  pas  bésité  non  plus  à  reconnaître  que  ses  deux  auteurs  ont  pu  parfois 
se  rencontrer  simplement  parce  qu'ils  ont  eu  des  sources  antiques  com- 
munes, Végèce,  par  exemple. 

Que  Montesquieu  ait  connu  et  pratiqué  Machiavel,  cela  résulte  d'une 
note  des  Pensées  et  de  la  présence  dans  la  bibliothèque  do  La  Brède  de  plu- 
sieurs éditions  des  œuvres  du  secrétaire  llorentin.  Qu'il  ait  subi  de  bonne 
heure  son  influence,  on  peut  le  voir  dans  cette  Dissertation  sur  la  politique 
des  Romains  dans  la  religion,  qu'il  lut  en  1716  à  l'Académie  de  Bordeaux, 
dont  les  idées  essentielles  sont  tirées  des  iJiscorsi  et  que  l'auteur  des  Consi- 
dérations, plus  mûri,  désavoua  plus  tard.  Mais  il  y  a  plus.  M.  Levi-Malvano 
reconnaît  i'inlluence  de  Machiavel  dans  quelques  idées  générales  de  Montes- 
quieu :  sa  façon  de  comprendre  l'histoire  en  philosophe  expérimental  pliilôt 
qu'en  métaphysicien;  son  idée  que  les  lois  supposent  l'homme  meilleur 
qu'il  n'est  en  réalité;  sa  fameu.se  théorie  des  climats  (elle  est  déjà  dans  les 
Discorsi);  la  «vertu  »  principe  de  la  république  (si  l'idée  se  trouve  déjà  chez 
Tite  Live  et  chez  les  historiens  anciens,  le  mot  et  la  chose  sont  dans  Machiavel 
et  c'est  bien  de  lui  que  Montesquieu  semble  les  avoir  directement  emprun- 
tés, en  les  transformant,  d'ailleurs).  Les  Discorsi  onl  aussi  fourni  à  Montes- 
quieu, pour  ses  Considérations,  l'idée  maîtresse,  à  savoir  l'efllcacité  d'une 
bonne  législation  pour  maintenir  les  bonnes  qualités  d'un  peuple,  et. 
réciproquement,  l'efficacité  des  bonnes  qualités  d'un  peuple  pour  maintenir 
une  bonne  législation  :  des  idées  secondaires,  comme  le  rôle  de  la  religion 
chez  les  Romains,  l'utilité  des  luttes  intestines  entre  patriciens  et  plébéiens, 
l'importance  de  l'armée,  la  politique  du  sénat  à  l'égard  des  peuples  vaincus, 
le  danger  des  dictatures  militaires,  le  rôle  de  la  fortune  dans  l'établissement 
de  la  puissance  romaine,  etc.  Les  rapprochements  très  précis  auxquels  se 
livre  M.  Levi-Malvano  sont  souvent  saisissants,  presque  toujours  convain- 
cants. Il  sera  désormais  difficile  de  nier  la  profonde  influence  exercée  par 
Machiavel  sur  la  pensée  de  Montesquieu. 

Klle  n'a  pas  empêché,  d'ailleurs,  le  philosophe  de  La  Brède  d'être  un 
anfimachiavéliste  convaincu.  Le  chapitre  où  M.  Levi  Malvano  le  démontre 
n'est  pas  un  des  moins  curieux  du  livre.  Montesquieu  a  cordialement 
détesté  l'auteur  du  Prince;  il  a  même  songé  à  le  réfuter.  11  a  proclamé 
Machiavel  «  un  grand  esprit  s,  mais  il  a  aussi  dénoncé  son  «  délire  ».  Avec 
tout  son  siècle,  il  a  haï  le  panégyriste  de  l'absolutisme,  le  négateur  du  droit 
et  de  la  justice,  l'apologiste  de  la  force  et  de  la  ruse.  Et  par  là  Montesquieu 
prend  place  dans  cette  lignée  d'écrivains  français  qui,  depuis  la  seconde 
moitié  du  xvi'  siècle,  ont  travaillé  à  réfuter  les  doctrines  machiavéliques 
introduites  chez  nous  par  Catherine  de  Médicis.  M.  .loseph  Barièie  avait 
déjà  brillamment  démontré  (cf.  Revue,  1908,  p.  'x';i)-'\']-)  que  La  Boétie  fut  un 
de  nos  premiers  anlimachiavélistes.  En  attendant  qu'il  nous  donne  l'histoire, 
impatiemment  désirée,  cle    ce   mouveo^ent  au  xvi'  s\èc\e,  i\  nous  plaît 


BlULlOGHAIllII  387 

de  constater,  ;i  la  siiilo  de  M.  Lcvi-M.dsjmo,  ijiic  M(iiiliv,i|iiirii  lui,  au 
xviii'  siècle,  nu  loprt'scnlaul  de  celte  luutilioti  tr;ini,iiis<'  i|ui  ili^liu;^na 
toujours  railleur  du  Prince  el  l'auteur  des  Discours  sur  In  première  décade  de 
Tite  Live.  j,    ^j 


Toiiniyol  du  Clos.  Les  idées  financibrcs  de  Monlesfjuicu  (extrait  île  la 
Revue  de  science  et  de  térjisldtion  Jinnncières,  avril-mai-jiiin  Iî(M^ 
l'aris,  Tîiard  cl  Hricre,  i<)ia,  in-cS"  de  a/i  pages. 

Voici  uu  travail,  qui,  connue  le  préci-deiit,  eût  ravi  d'aise  noire  rcyicllc 
tjéleste.  Il  est  consacré  aux  deux  mémoires  de  1715  sur  les  finances  :  celui 
(lui  a  été  reproduit,  d'après  les  archives  de  La  Hrède.  dans  li-s  Mchuuies 
publiés  en  189a,  el  la  rédaction  remaniée  (jue  M.  I.  K.  Mann  a  découverte 
réceunnent  à  la  Hibliotliè(|ue  Nalionale,  el  ilont  nous  a\uns  |iii  lire  le  Icxtr, 
en  1910,  dans  la  Revue  écunoinitjue  de  Bordeaux.  M.  l'ourn^ol  du  iAos  étudie 
successivement  les  deux  mémoires:  il  en  montre  les  diirérences  par  une 
minutieuse  analyse;  il  attribue  les  remaniements  (jne  Monte^ciuieii  lit  subir 
au  texte  primitif  à  l'inHuence  de  Melon  ;  il  ne  croit  pas  d  ailleurs,  contrai- 
rement à  M.  Mann,  qu'il  y  ait  eu  un  troisième  mémoire,  rédigé  antérieure- 
ment, que  le  texte  de  La  Hrède  soil  postérieur  à  celui  de  la  iNationale.  11 
mainlient  (|u'il  n'y  eut  que  deux  rédactions,  l'une,  celle  de  La  Hrède,  écrite 
au  début  de  novembre  lyi.'i:  l'autre,  celle  de  la  iNationale,  ù  la  lin  du 
même  mois.  Sa  démonstration  est  convaincante;  on  la  voudrait  moins 
brève .  Dans  ces  deux  mémoires  apparaissent  les  si<;nes  distinctifs  de  Montes- 
quieu linancier  :  «  une  faible  compétence  tecliniciue,  une  extrême  mtidéra- 
tion,  une  prédilection  passionnée  pour  l'agriculture.  »  Montesquieu  lut 
un  médiocre  arithméticien,  un  agrarien  convaincu,  un  modéré  à  l'égard 
des  rentiers  et  des  «  publicains.  »  (^ela  explique  les  indécisions,  les  exagéra 
lions  el  les  contradictions  de  sa  pensée.  Il  est  modéré  lorsipiil  combat 
linstitulion  d'une  chambre  de  justice,  lorsqu'il  préconise  comme  le 
moindre  mal  la  banqueroute  paiiielle.  Il  est  excessif  lors({n°il  exige  des 
porteurs  de  papiers  publics  une  déclaration  de  leur  fortune  globale,  el  (juil 
édicté  contre  les  fraudeurs  la  peine  de  la  confiscation.  Il  est  agrarien 
lorsqu'il  demande  le  dégrèvement  de  l'octroi  parisien.  M.  Tournyol  d»i 
Clos  a  fort  délicatement  mis  en  lumière  les  incohérences  de  cette  pensée 
novice,  d'ailleurs  généreuse  et  désintéressée.  Son  article  mérite  délre 
signalé  comme  l'amorce- d'un  travail  d'ensemble  très  .souhaitable  .sur  les 
idées  financières  de  Montesquieu. 

P,  C. 


Auguste  Giraudin,  i)rèlre  de  Saint -Snipicc,  supérieur  du  (irand- 
Scminaire.  —  Marie-Thérèse-Cliarlolle  de  Lamourous,  J'ondalrice  de 
la  Miséricorde  de  Bordeaux  (il 'jU-i83(J).  Bordeaux,  1913,  in-i6  de 
186  pages. 

Il  n'\  a  peut-être  pa^  un  Bordelais  (pii  n'ait  entendu  parler  <le  la  Miséri- 
corde, celte  ii'uvre  admirable  de  préservation  sociale,  ou,  chaciue  auîiee,  se 
réfugient  loin  du  \ice  un  nombre  important  de  [)auvres  filles  perdues. 
Conunent  pourrait  on  ignorer  luie  maison  (jui.  dans  une  période  de  cent 
onze  ans,  a  reçu  (),8i8  repenties,  et  (jui,  Chose  bien  plus  extraordinaire,  les 
a  presque  toutes  ramenées  au  devoir?  i,20'i  d'entre  elles,  en  ellcl.  ont  passé 


388  BIBLIOGRAPHIE 

leur  existence  tout  entière  dans  l'asile  qui  les  avait  recueillies;  «les  autres, 
en  très  j^r.inde  majorité,  sont  redevenues  des  filles  d'honneur,  ont  été  dans 
la  suite  des  mères  dévouées».  Seule,  une  âme  d'élite  pouvait  arriver  à  ces 
résultats.  Il  y  fallait,  avec  un  dévouement  héroïque,  une  intelligence  des 
plus  solidement  équilibrées.  Et  pourtant  la  fondatrice  de  la  Miséricorde  n'a 
pas,  auprès  de  tous  nos  compatriotes,  une  notoriété  aussi  complète  qu'elle 
le  mérite.  C'est  à  populariser  cette  figure  si  attrayante  que  le  livre  dont 
nous  nous  occupons  est  consacré. 

L'auteur  a  divisé  son  travail  en  six  chapitres,  dont  les  quatre  premiers 
racontent  l'existence  quotidienne  de  M"'  de  Lamourous;  le  cinquième 
nous  initie  au  mystère  de  son  âme  ;  le  dernier  est  l'histoire  de  son  œuvre. 
Tout  cela  en  un  style  clair,  rapide,  élégant,  avec  parfois  une  pointe  d'atten- 
drissement involontaire. 

M.  le  chanoine  (iiraudin  déclare  à  la  fin  de  son  Avant-Propos  qu'il  n'a  pas 
voulu  écrire  une  Vie.  Cela  le  regarde  ;  mais  je  me  trompe  fort,  ou  son  livre 
restera  par  evcellence  la  1 7e  de  M"'  de  Lamourous.  Au  surplus,  c'est  chose 
toute  naturelle.  Quoique  née  à  Barsac,  M"'  de  Lamourous  était  une  Borde- 
laise d'Oicigine,  de  tempérament,  d'habitudes.  Or,  je  tiens  qu'un  étranger, 
si  averti  soit  il,  ne  comprendra  jamais  tout  à  fait  le  caractère,  peut-être  un 
peu  complexe,  du  véritable  Bordelais.  Et  c'est  une  des  raisons  qui  rendront 
populaire  l'œuvre  de  M.  Giraudin.  «  Bordelais  de  vieille  souche,  »  il  a  su, 
mieux  que  le  P.  Pouget,  son  prédécesseur,  pénétrer  l'âme  qu'il  étudiait, 
choisir  les  traits  qui  l'extériorisent.  Aussi  la  silhouette  de  son  héroïne, 
dessinée  avec  amour,  s'impose-t-elle  vite  à  l'attention  :  elle  s'anime,  on  la 
voit  agir,  on  l'entend  parler,  elle  \it  vraiment;  c'est  bien  la  Bonne  Mère; 
c'est  Mamizelle  ressuscitée. 

Puis  l'auteur  a  gardé  de  son  séjour  à  l'Ecole  des  Chartes  la  rigueur  de 
méthode,  le  besoin  de  précision,  qui,  depuis  un  certain  temps,  ont  produit 
tant  d'œ'uvres  définitives  en  histoire.  Ces  principes  lui  ont  servi  à  resserrer 
son  plan,  à  élaguer  de  son  discours  le  fatras  des  discussions  inutiles,  à  sabrer 
impitoyablement  tout  ce  qui  est  simple  merveilleux  de  surface,  à  sérier  sa 
documentation  avec  une  sévérité  assez  grande  pour  que  la  critique  la  plus 
minutieuse  désarme  devant  l'œuvre  réalisée.  Hagiographe  vaut  historien: 
on  ne  saurait  trouver  meilleure  occasion  de  le  constater. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  la  partie  :  édification,  qui  est  pourtant  des  plus 
intéressantes,  ha  Revue  historique,  en  elTct,  n'est  pas  compétente  sur  ce  point; 
en  outre,  tout  ce  que  nous  pourrions  dire  a  déjà  été  dit  excellemment  dans 
la  belle  lettre-préface  du  cardinal  de  Bordeaux. 

En  résumé,  l'ouvrage  de  M.  Giraudin  est  une  œuvre  historique  très 
sérieuse.  D'autres  plus  qualifiés  diront  :  c'est  un  beau  et  bon  livre. 

Abbé  Albert  Gaillard. 


Le  Gérant:  G.  Ducaunnès-Duval. 


Bordeaux.  —  Impr.  G.  Gounouilhou.  —  G.  Chapon,  directeur. 
9-11,  rue  Guiraudc,  9-11. 


POHTAILS  D'I'GLISKS  (ilItONDINKS" 


Mesdames, 
Messieurs, 

Dans  le  rite  des  conférences  publiques,  il  est  un  usage  dont  j';ii 
Idujours  admiré  la  sagesse.  Il  consiste  en  ceci  que  le  président,  dès 
le  début  de  la  séance,  a  la  précaution  d'adressiT  à  l'orateur  des 
éloges  (|u'il  nCsl  pas  sûr  de  pouvoir  lui  décerner  à  la  lin.  Xotre 
président  vient  de  sacrifier  à  cette  coutume  d<'  la  l'aron  la  plus 
aimable,  et  je  l'en  remercie,  il  sait  combien  cordialement.  Mais  à 
vous,  qui  êtes  venus  pour  m'entendre,  je  dois  la  vérité.  Or,  la  vérité 
est  que  je  ne  comprends  pas  encore  comment  il  se  fait  que  je  sois 
ce  soir  à  cette  place,  derrière  le  verre  d'eau  du  conférencier,  pour 
vous  parler  de  nos  vieilles  églises,  alors  que  je  sais  mon  impuissance 
à  traduire  les  idées,  les  sentiments,  les  entbousiasmes  que  ce  sujet 
vous  inspire. 

DiMix  considérations  me  serviront  de  circonstances  atténuantes. 
iJ'abord,  mes  collègues  de  la  Société  arcliéologique  avaient  témoigné 
le  désir  que  je  prisse  la  parole  ce  soir,  et  ce  désir,  j(^  ne  pouvais  jias 
ne  pas  y  déférer.  Ensuite,  je  ne  m'abuse  pas  sur  le  rôle  (jui  m'est 
dévolu  :  lorsque  nous  montrons  la  lanterne  magitpie,  le  Clial  boité, 
le  Pelil  Pourel,  Cendrilloiu  l<'  mérite  du  spectaclf  va  surtout  au 
conteur  qui  a  inuiginé  et,  pour  employer  un  vieux  mot,  tpii  a 
//•ofM'é  ces  belles  histoires.  De  mêmt;,  les  véritables  auteurs  de  notre 
entretien  sont  les  artistes  d'autnd'ois  :  ils  ont  trouvé,  ils  oïd.  ciselé 
dans  le  calcaire  de  nos  carrières  girondines  les  admiral»les  poèmes 
de  pierre  qui  vont  défiler  sous  vos  yeux.  M  ni.  je  me  borno  à  montrer 
la  lanterne  magique. 

Permettez-moi  de  vous  présenler  brièvement  ces  artistes.  .\près 
quoi,  ils  se  chargeront  eux-mêmes  de  vous  exposer  par  leurs  ceuvres 
où  ils  prennent  leurs  motifs,  comment  ils  les  traitent,  commenl  ils 
h's  agencent  eiijiu  ])our  composer  une;  porte  ou  une  façade. 

I.  Conférence  faite  à  l'AUiénée,  le  S  février  l'Jl-',  sous  les  anspico  •!'•  Ii  Sm  i.'té 
archéologiiiue  de  Bordeaux. 


âgo  PORTAILS  d'Églises  girondines 

Je  viens  de  parler  d'artistes  et  je  ne  m'en  dédis  pas,  car  ces 
hommes  ont  produit  des  œuvres  d'art  souvent  remarquables.  Encore 
faut-il  nous  expliquer.  La  distinction,  courante  aujourd'hui,  entre 
l'artiste  et  l'ouvrier  n'était  pas  admise  dans  les  chantiers  du  Moyen- 
Age  :  l'architecte  était  un  ouvrier  habile.  L'architecte  de  la  tour 
Saint-Michel,  Jean  Lebas,  n'était  sûrement  pas  un  vulgaire  gâcheur 
de  mortier;  son  engagement,  signé  le  29  août  1464,  le  qualifie 
«maçon,  maître  après  Dieu  des  ouvrages  de  pierre  du  chantier»; 
c'était  un  appareilleur,  un  tailleur  de  pierre,  et  son  contrat  l'obli- 
geait à  travailler  de  ses  mains,  à  donner  le  trait. 

En  1510-1511,  le  chapitre  de  Saint-André  voulait  refaire  dans  la 
cathédrale  les  voûtes  ouest,  les  plus  rapprochées  de  la  Mairie,  et 
construire  des  arcs-boutants  pour  les  contenir.  Il  engagea  un  archi- 
tecte, Imbert  Boachon.  Boachon  est  connu,  grâce  à  une  étude  que 
lui  a  consacrée  un  érudit  avignonnais,  M.  l'abbé  Requin.  Il  entreprit, 
en  1524,  d'élever  en  Avignon  le  tombeau  de  maître  Perrinet  Par- 
paille,  docteur  en  chacun  droit.  A  voir  ce  tombeau,  vous  constaterez 
que  Boachon  tirait  de  la  pierre,  non  pas  seulement  des  blocs  d'appa- 
reil ou  des  moulures,  mais  encore  des  statues,  et  fort  belles. 

Voilà  donc  un  fait  acquis  :  tailleur  de  pierre,  tailleur  d'images  ou 
sculpteur,  architecte,  ces  divers  états  se  rapprochaient,  se  mêlaient, 
et  parfois  ne  faisaient  qu'un.  A  l'époque  romane  surtout,  l'ordon- 
nance et  la  décoration  des  portails  étaient  confiées,  non  pas  à  un 
monsieur  sorti  d'une  école,  mais  à  un  artisan  que  ses  précédents 
travaux  avaient  tiré  hors  de  pair. 

Cet  aperçu  sur  la  formation  des  ouvriers  vous  rendra  indulgents 
aux  imperfections  de  l'œuvre  et  vous  permettra  de  comprendre  la 
verve,  le  rude  bon  sens  dont  cette  œuvre  témoigne  souvent.  Ce  n'est 
pas  un  art  raffiné  et  trop  souvent  conventionnel  :  il  porte  l'empreinte 
du  peuple,  d'où  il  sort,  parfois  violent  et  grossier,  toujours  robuste 
et  sain. 

Naturellement,  ces  artistes  ne  tiraient  pas  toutes  leurs  formules 
de  leur  propre  cerveau.  Ils  s'inspiraient,  pour  l'ornementation  des 
portes,  des  œuvres  existantes  et  des  idées  qui  avaient  cours. 

Le  plus  simple  était  de  réemployer  les  sculptures  antiques,  lorsque 
par  hasard  on  en  avait  sous  la  main.  C'est  ce  que  l'on  a  fait  dans  la 
porte  de  Tauriac,  où  se  trouvent  un  ou  deux  chapiteaux  gallo-romains. 

Le  cas  est  rare.  Lorsqu'ils  étaient  livrés  à  eux-mêmes,  nos  orne- 
manistes puisaient  à  des  sources  d'inspiration  très  diverses.  L'école 


poutaiis   n'rcr.isKs  (;iiiom)i>fs  nji 

jtt('T(iriiaue,  celle  ((iii  rèj^iie  entre  la  liii  île  larL  romain  et  l'an  HKX» 
à  peu  près,  avait  t';iil  un  Lri.tiul  fm|i|(ii  des  entrelaes.  Les  romans 
eonservèreut  une  prédilr(  I  mu  jKuir  i-e  ^'tinc  d'ornement,  (|ui  permet 
d'obtenir  à  peu  de  frais  des  o})positions  nian|uées  d**  lumière  et 
d'ombre.  Les  tres.-es.  les  ])asseiiienteries  (tutrelacées  suivant  maintes 
eonibinaisous  tigurent  dans  de-;  dinjuteaux  romans  de  Tauriae  voi- 
sins du  chapiteau  anticpie  >iii'  lr,|iii|  Je  viens  d'attirer  votre  attention. 

La  décoration  géorni'l  ii(|  lie  iin'duiiiiiK'  mieux  «'ucru'e  dans  la  porte 
(le  Cardan:  des  deuLs-de-.-cie,  des  lo>auyes,  des  bâtons  brisés  on 
relèvent  les  voussures.  L'emploi  trop  exclusif  de  cette  décoration 
a  un  avantage:  la  facilil»'  il'exécution.  —  et  un  inconvénient:  la 
sécheresse.  C'est  de  (|iiiii  ou  >c  icud  \i\rinenl  com]ile  (juand  on 
étudie  les  églises  normandes,  dont  les  architectes  étaient  des  ingti- 
uieurs  remarquables  et  de  piètres  artistes. 

Ce  sont  également  des  entrelacs,  des  dents-de-louj»  ou  festons  et 
d'autres  motifs  très  simples  qui  fonueui  le  fond  de  l'ornementation 
de  la  porte  de  Pujols-sur-Cirou,  uu  peu  délabrée  j)eut-être,  mais  si 
touchante  dans  la  sincérité  avec  la(jiic||r  elle  avoue  son  âge.  CJue 
Dieu  la  garde  des  accidents,  des  injures  des  enfaids  et  i\i'>  restau- 
rations des  architectes  ! 

Dans  la  porte  d'Arsac,  la  prédtuninance  du  décor  géométri<pie 
s'aflirme  avec  une  énergie  sauvage.  Ct^s  voussoirs  cu-nés  de  simples 
trous  qui  sont  disposés  synuitriquement  sou!  ion!  (  c  que  l'un  jieut 
imaginer  de  plus  primitif.  Et  cette  impression  s'accroit  de  la  mala- 
dresse avec  laciuelle  l'archivolte  extérieure  est  conduite. 

Cette  porte  d'Arsac,  de  style  inusité,  nous  donne  cependant  uu 
spécimen  de  l'un  des  ornenumts  les  plus  répandus  dans  n(»s  portails 
bordelais  :  je  fais  allusion  à  la  file  de  pointes-de-diamaid  qui  décore 
cette  archivolte  extérieure  dont  je  vous  parlais  il  n'y  a  (|u'un 
instant.  Quelquefois  —  du  côté  de  Lussac  et  de  Castillon  notam- 
ment —  quelquefois  les  voussures  de  la  ]toilc  s(»nl  nues:  mais  à 
l'extrados  de  la  plus  grande  voussure  est  uu  «ordou  (\r  point lîs-de- 
dianuud.  Ainsi  en  est-il  à  Gardegan  et  dans  la  jnule,  (|ue  \ou>  \  erre/, 
tout  à  l'heure,  de  Sainte-Colond)e. 

Les  pointes-de-diamant  se  remoulrcul  >ur  le  |i'.|lail  de  Corons 
avec  divers  ornements,  dont  l'un  un-  parai!  parlicnlièroment  inté- 
ressant :  ce  sont  peut-être  d<'s  feuillages  stylisés,  <les  biins  dont 
l'extrémité  dessine  une  ileur-de-lys.  Ce  dessin  est  fréquent  d.ui-  les 
édifices  romans  de  la  Gironde.  On  le  trouve  sur  des  chapiteaux  de 
La  Sauve.  On  le  trouve  également  sur  des  débris  d'une  ancienne 


PORTAILS  d'Églises  girondines 


392 

abbaye  de  Blaye  qui  proviennent,  au  moins  en  partie,  d'un  portail  : 
c'est  un  claveau  d'archivolte,  une  de  ces  pierres  qui  ressortent  sur 
le  nu  du  mur,  de  façon  à  obtenir  un  ornement  en  relief;  c'est  un 
bloc  couvert  d'entrelacs,  qui  était  destiné  à  être  placé  entre  les 
corbeaux  d'une  corniche,  peut-être  au-dessus  d'une  porte. 

Le  décor  végétal  tient  une  place  importante  dans  l'ornementa- 
tion romane.  Mais  toujours  il  est  simplifié,  stylisé.  Les  feuilles  sont 
creusées  d'une  gouttière  à  facettes;  la  facture  est  sèche,  à  vives 
arêtes,  qui  accrochent  la  lumière.  Quelques-unes  sont  très  belles  : 
dans  la  porte  de  Saint- Émilion,  par  exemple,  dans  celle  d'Izon, 
surtout  dans  la  porte  de  Blasimon,  que  nous  verrons  dans  quelques 
minutes.  C'est,  d'ailleurs,  l'exception  :  nos  sculpteurs  girondins 
n'ont  généralement  tiré  qu'un  assez  pauvre  parti  des  feuilles;  ils 
ont  été  plus  heureux  avec  les  tiges,  qu'ils  ont  disposées  en  des 
enroulements  gracieux. 

Arrêtons-nous  un  instant  à  la  porte  de  Marcillac  :  nous  y  retrou- 
vons l'archivolte  d'extrados  en  pointes -de -diamant,  qui  nous  est 
déjà  familière.  Dans  la  voussure  du  plus  petit  rayon  est  un  joli  spé- 
cimen de  ces  enroulements,  de  ces  rinceaux  que  je  viens  de  vous 
signaler. 

Cette  belle  porte  de  Marcillac,  qui  est  malheureusement  mutilée 
et  incomplète,  se  recommande  par  d'autres  détails,  surtout  par  la 
frise,  qui  est  délicieuse,  —  j'irais  jusqu'à  dire  admirable,  si  jo  n<i 
craignais  de  n'être  pas  suivi.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  cette  frise, 
très  riche,  est  habilement  composée.  Dans  le  motif  central,  les  deux 
griffons  affrontés  sont  de  jolies  lignes.  II  est  vrai  qu'ils  sont  empruntés 
à  un  art  qui  n'est  pas  le  nôtre,  qui  est  très  éloigné  du  nôtre,  un  art 
oriental. 

Vous  n'êtes  pas  sans  savoir  que  les  archéologues  sont  divisés  en 
ce  qui  concerne  les  origines  de  notre  art  du  Moyen-Age.  Certains 
voudraient  qu'il  soit  sorti  tout  entier  des  très  anciennes  civilisations 
orientales.  D'autres,  qui  sont  de  la  vieille  école,  répondent  par  une 
négation  intransigeante.  D'autres,  enfin,  pensent  que  les  rapproche- 
ments rendus  possibles  par  les  voyages  et  la  photographie  nous 
apportent  bien  des  révélations  et  nous  réservent  bien  des  surprises  : 
ils  étudient  chaque  cas,  chaque  espèce,  sans  parti  pris,  en  dehors 
de  toute  généralisation,  de  tout  préjugé.  Pour  ma  part,  je  crois 
jusqu'à  présent  que  dans  l'art  de  bâtir  du  Moyen-Age  il  faut  à  ce 
point  de  vue  faire  deux  parts  :  construction  et  décoration.  Pour  la 
construction,  la  preuve  des  influences  orientales  est  encore  à  faire, 


PORTAILS  d'kglises  f;ir»r)\ni'<iEs  39^ 

même  en  ce  qui  concerne  nos  églises  à  coupoles;  pour  la  décoraLion, 
il  est  acquis  que  les  objets  mobiliers  apport»^s  <lu  Levant  par  les 
pèlerinages  et  par  le  commerce  ont  fourni  à  nos  oinemanisles  des 
modèles  qui  ont  été  souvent  reprofluits.  Les  motifs  étaient  stylisés, 
faciles  à  copier,  ils  meublaient  bien  un  fond.  On  peut  dire  qu'ils 
s'imposaient.  Dans  un  magnifique  ouvrage  paru  ces  jours  derniers, 
M.  de  Lastcyrie  a  recueilli  cette  observation  que  des  tailleurs  d'image 
romans  ont  bien  pu  imiter  à  Bayeux  des  magots  chinois. 

En  Gironde,  plusieurs  sculptures  portent,  bii'^n  visibles,  des 
influences,  non  pas  de  l'Extrême-Orient,  mais  de  l'Orient,  \  Mar- 
cillac,  sur  la  tête  du  claveau  inférieur  de  la  seconde  voussure,  se 
cache  un  quadrupède  accroupi,  vu  de  profil,  avec  une  tête  étrange 
vue  de  face.  Vient-il  de  Perse  ou  d'Assyrie?  Je  ne  jiuis  pas  préciser; 
mais  il  a  vu  le  jour  dans  ces  contrées. 
Vous  avez  contemplé  ses  ancêtres  dans 
les  salles  orientales  du  Louvre. 

Saint-Macaire.  Illats,  Saint-Mi  rtin-de- 
Sescas,  etc.,  ont  des  lions  qui  portent  sur 
la  cuisse  une  croix.  C'est  une  très  ancienne 
pratique  de  l'art  oriental  de  graver  un 
signe  sur  la  cuisse  des  quadrupèdes. 

L'une  des  productions  de  l'art  roman 
les  plus  étonnantes  à  cet  égard  est  un 
chapiteau  qui  vague  dans  le  jardin  du 
presbytère  de  Bommes  :  deux  oiseaux 
boivent  dans  une  coupe.  Le  sujet  est 
oriental;  la  façon  dont  il  est  traité  l'est 
bien  davantage. 

Mais  il  est  un  motif  plus  caractéristi- 
que encore,  que  vous  devez  avoir  vu  et 
auquel  vous  n'avez  pas  accordé  peut-être 
toute  l'attention  qu'il  mérite.  Il  encadre 
la  porte  de  Sar te- Croix.  Un  oiseau  est 
monté  sur  un  félin  qu'il  becqueté.  Ce 
groupe    est    répété    indéfiniment   sur    la 

voussure  (ît  sur  les  pieds-droits.  On  le  dirait  détaché  d'un  ivoire  ou 
d'un  tissu  d'origine  musulmane,  comme  ceux  que  M.  ^îarquet  de 
Vasselot  signalait  naguère  dans  Vllislnire  de  iArt  de  M.  \ndré 
Michel. 

Nos  sculpteurs  ont  pris  quelquefois  ailleurs  leurs  maltreset  leurs 


PORTE    DE    L  LCI.ISE 

s\inte-i;roi\  de  iionDB.vt'x 

(Extrait  de  La  V'i>-i</r>  t^glitt» 
dr  la  Cironde.  p.  I).) 


29^  PORTAILS  d'Églises  girondines 

modèles  :  ils  se  sont  inspirés  des  œuvres  gallo-romaines,  qui  devaient 
être  plus  nombreuses  que  de  nos  jours.  Dans  l'église  d'Avensan  était 
représentée  une  femme  faisant  un  geste  tel  que  Balguerie  l'a  décrit 
en  latin  :  c'était  la  copie  d'une  statuette  antique  pareille  à  celle 
qui  a  été  trouvée  rue  de  Grassi  et  que  M.  Gollignon  a  publiée  dans 
le  bulletin  de  notre  Société. 

Dans  deux  ou  trois  portails,  j'ai  vu  figuré  un  homme  assis,  reti- 
rant de  l'un  de  ses  pieds  une  épine.  Ces  effigies  reproduisent  le 
Tireur  d'épine,  si  répandu  dans  l'antiquité. 

Parfois  aussi,  les  imagiers  romans  ont  laissé  la  bride  sur  le  cou 
à  leur  imagination  :  c'étaient  alors  des  scènes  de  plaisir  et  de  fêtes, 
des  chasses  où  les  chiens  s'allongent  sur  les  tailloirs  et  sur  les  archi- 
voltes, des  bateleurs  dansant  sur  les  mains,  comme  celui  qui  est  à 
Blaignac,  sous  des  stries  rappelant  les  vanneries  et  qu'on  dirait 
préhistoriques,  à  côté  d'un  linteau  très  joliment  décoré. 

Mais  l'imagination  de  ces  rudes  artistes  les  emportait  plus  loin 
et  franchissait  volontiers  les  limites  de  la  décence. 

Vous  avez  lu  dans  Anatole  France  certain  épisode  oii  ce  perpétuel 
ironiste,  <|ui  s'est  moqué  de  tout  et  de  tous,  se  moque  de  l'archéo- 
logie et  des  archéologues  :  il  s'agit  d'une  sculpture  polissonne  que 
les  collègues  de  M.  Mazure  à  la  Société  d'Agriculture  et  d'Archéo- 
logie montrent  aux  visiteurs  «  en  saisissant  le  moment  où  les  dames 
sont  inattentives  ».  Nos  églises  romanes  de  la  Gironde  abondent  en 
représentations  plus  crues  encore,  franchement  grossières  et  que  je 
ne  montrerais  pas  même  à  des  archéologues,  même  à  des  capitaines 
de  cuirassiers. 

Mieux  vaut  étudier  une  source  d'inspiration  plus  relevée  et  où 
nos  pères  ont,  d'ailleurs,  puisé  plus  abondamment  :  l'iconographie 
religieuse. 

Cette  iconographie  s'alimente  peut-être  moins  dans  les  Livres 
saints,  dans  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  (jue  dans  toute  cette 
littérature  pieuse,  mystique,  éclose  à  côté  de  l'Évangile.  Ce  que  nous 
y  voyons,  ce  n'est  p  -s  la  trame  austère  du  texte  sacré,  ce  sont  les 
fleurs  aimables  brodées  sur  cette  trame  par  l'imagination. 

A  Lalande-de-Cubzac,  un  tympan  bien  connu  traduit  un  passage 
de  l'Apocalypse.  Le  Fils  de  l'homme  tient  sept  étoiles;  un  glaive 
sort  de  sa  bouche;  dans  un  angle  est  saint  Jean,  à  côté  des  sept 
églises,  figurées  par  des  coupoles.  Cette  scène  est  entourée  d'une 
efflorescence  émouvante  de  décoration  barbare  :  entrelacs,  monstres, 
personnages    mystérieux.    L'ensemble    est    déconcertant  :    l'auteur 


l'OHIAll.S    D  KGI.ISi:s    «.IHOMilNES  a()5 

tW,aiL  Ijcaufou]»  iiiuins  liabik*  (|u  liiL,'ri-  .>u  IJctugin-rrau  ;  tuais  (juaiitl, 
dans  le  silence  de  la  campagne  du  C.ubzagais,  on  est  seul  à  seul, 
tête  à  tête  avec  cette  œuvre  étrange  et  puissante,  <»n  éprouve  une 
impression  réelle,  un  peu  de  ctitfo  éponvanfo  <pii  »••  dégage  dn  t<\te 
de  l'Apocalypse. 

La  vision  de  saint  Jean  a  rnuitii  aux  sculpteurs  dir  nos  portails 
romans  un  aidre  motif  ;  ce  sont  les  vingt-cjuatie  vieillards  qui  entou- 
rent le  souverain  Juge.  Une  file  de  vingt-cjuatre  petits  personnages, 
voilà  un  thème  facile  pour  la  décoration  d'une  voussure.  On  les 
voit,  à  Vertheuil,  associés  à  un  autre  suji^t  dont  la  signification 
m'échappe,  mais  d'un  joli  sentiment  artistique.  Sainte-Croi.x,  Cas- 
telvieil,  d'autres  portails  encore  présentent  la  série,  pas  toujours 
numériquement  exacte,  des  vingt-quatre  vieillards. 

Un  chapiteau  de  la  porte  de  Saint-Martial,  dans  le  canton  de 
Saint-Macaire,  figure  une  pei sonne  divine  i  econnaissable  à  son  nimbe 
timbré  d'une  croix;  cette  personne  divine  émerge  d'une  cuve  près 
de  laquelle  se  tiennent,  si  j'ai  bien  vu.  deux  femmes:  un  ange  appa- 
raît dans  le  haut.  C'est  une  scène  racontée  dans  l'Évangile  apo- 
cryphe De  la  Naiivilé  de  Marie  et  de  l'Enfance  du  Sauveur.  Ouand 
Jésus  naquit,  Joseph  amena  deux  femmes,  Zélémi  et  Salomé,  qui 
baignèrent  le  nouveau-né.  Or,  Salomé  ayant  perdu  l'usage  d'un 
bras,  un  jeune  homme  d'une  grande  beauté  survint,  qui  lui 
conseilla  de  toucher  l'Enfant;  elle  le  fd,  et  fut  guérie. 

Vous  savez  que  certaines  églises  do  l'Ouest  ont  sur  la  fa«;adt;  un 
cavalier  :  c'est  Constantin  liiomphaut.  Il  y  avait  un  jtaieil  cavalier 
à  Sainte-Croix  de  Bordeaux,  avant  (pir  le  car<linal  Donnet  et  l'ar- 
chitecte Abadif  fussent  passés  par  là.  Il  reste  en  Gironde  un  Cons- 
tantin, sur  la  façade  de  Tauriar  :  c'est  une  efrigie  hicu  luodeste, 
bien  délabrée;  ce  chevalier  n'a  été  défendu  contre  les  injures  du 
temps  ni  par  son  arnuue  ai  })ar  sa  lan<<'  à  gnnfanon.  cette  lance 
chevaleresque  qui  a  fait  coni])ar<'r  une  aruu'-e  à  une  fiu-êt  de  frênes 
don!  les  arlucs  auraiciil  i|c>  Hciirs  (ra<'i<'r.  Telle  ([u'elle  est,  cette 
pauvre  elligie  est,  sur  notre  sol  ffirondin.  \o  seul  spécimen  subsistant 
d'une  donnée  iconographique  intéressante. 

L'usage  de  taire  de  ces  cavaliers  nous  vi<mt  du  Nord,  je  veux  dire 
de  la  SaiutdUffe  :  les  Saintongeais  sont  pour  nous  comme  les 
gens  de  Tarascon  i>our  ceux  d'Arles  —  îles  hommes  du  Nord.  C'est 
de  la  même  contrée  que  nous  est  arrivée  l'iilée  des  \'^ertus  et  îles 
Vices,  qui  se  trouvent  dans  les  deux  jtius  beaux  juirtails  rtunans 
de  la  Gironde  ;  Castcdvieil  et.  Blnsiuion. 


296  PORTAILS    D  EGLISES    GIRONDINES 

Un  poète  chrétien  du  iv*^  siècle,  Prudence,  a  raconté  en  vers  la 
Psychomachie,  le  combat  qui  se  livre  dans  notre  âme  :  les  Vertus 
sont  de  jeunes  Vierges.  Chacune  d'elles  engage  la  lutte  contre  le 
Vice  opposé  et  le  défait  en  combat  singulier  :  la  Foi  terrasse  l'Ido- 
lâtrie, la  Pudeur  renverse  et  tue  la  Débauche,  etc.  La  P.^ychomachie 
de  Prudence  a  servi  à  illustrer  un  assez  grand  nombre  de  portails 
en  Poitou  et  en  Saintonge  :  Parthenay,  Melle,  Givray,  Aulnay,  etc. 
C'est  plutôt  à  Parthenay  que  ressemble  Blasimon  :  les  Vertus  fou- 
lent aux  pieds  les  Vices  sous  la  forme  de  monstres.  On  admire  à 
peine  moins  les  tiges  perlées,  les  fleurs  côtelées,  toute  cette  végé- 
tation somptueuse  qui  accompagne  le  sujet  principal. 

Nous  allons  maintenant  envisager  un  autre  aspect  du  problème, 
nous  enquérir  de  la  valeur  technique  de  cette  décoration. 

Messieurs,  il  vaut  mieux  le  dire  tout  de  suite  et  simplement  :  la 
statuaire  est  au-dessous  du  médiocre  dans  les  portails  romans.  Les 
tailleurs  d'image  avaient  une  tendance  déplorable  à  augmenter  les 
proportions  des  diverses  parties  du  corps,  suivant  la  difficulté  qu'ils 
éprouvaient  à  les  traiter  :  le  buste  est  aisé  à  faire,  aussi  est-il  petit; 
mais  les  têtes  et  les  bras...  Ah  !  les  bras  !  Sur  le  portail  de  Courpiac, 
un  personnage  —  peut-être  Tobie  —  porte  un  poisson  et  un  autre 
—  sans  doute  Samson  —  est  à  cheval  sur  un  lion.  Il  est  fort  heureux 
qu'ils  lèvent  tous  les  deux  le  bras,  l'un  pour  retenir  son  poisson, 
l'autre  pour  ouvrir  la  gueule  de  son  lion  :  sans  cette  circonstance, 
leurs  mains  traîneraient  à  terre,  parce  que  les  bras  sont  plus  longs 
que  les  corps. 

Vous  avez  peut-être  vu  la  porte  de  Cérons,  et,  dans  cette  porte, 
des  bêtes  extraordinaires  :  on  dirait  des  larves,  des  vers  dont  la  tête 
ressemble  vaguement  à  une  tête  de  cheval.  Et,  en  effet,  ce  sont  des 
chevaux.  Ne  vous  récriez  pas  :  ils  ont  des  pattes;  seulement,  ces 
pattes  sont  sur  l'autre  face  des  claveaux  :  le  corps  sur  la  tête  de 
l'arc,  les  pattes  sur  l'intrados. 

Dans  la  splendide  porte  de  Haux  —  qui  n'est  pas  classée  par  les 
Monuments  historiques  —  des  hommes  sont  représentés  suivant  le 
même  procédé  :  le  haut  du  corps  est  sur  la  face  verticale,  les  jambes 
sont  sur  l'autre  face  et  forment  avec  le  corps  un  angle  de  90».  Il 
y  a  pire. 

Il  me  souvient  d'une  discussion  que  j'eus  un  jour  avec  Léo  Drouyn 
sur  l'âge  de  la  porte  de  Gabarnac  :  je  datais  la  construction  d'après 
la  forme  des  écus,  des  boucliers  que  portaient  certains  guerriers 


1'ORTA.iLS  D  Kr.LisEs  f;iRnNr)i>F«;  •j<)7 

représentés  sur  un  rliapitcau;  à  (|U((i  l)r()uyii  n-jxtinlail  *\\u-  je 
faisais  erreur  :  (  «-s  jiréteiulus  friinriers  t'-tairnl.  des  oiseaux,  et  ces 
prétendus  boucliers,  des  ailes.  l'ÀidciiiiiM'iil ,  rda  était  vafruf  :  nos 
iruprossionnistcs  et  ]><)inl ilMstcs  les  plus  talculiu'ux  ne  f«>nf.  pas 
plUN  llou. 

11  faut  arriver  juscjuà  la  période  {^'ijLhique  pnur  Irouver  de  belles 
statues,  comme  celles  de  la  porte  Royale  de  Saint-André,  dont 
Viollet-le-Duc  a  écrit  en  1817.  dans  un  rapport  conservé  aux  Monu- 
ments historiques  :  «  Cette  ancienne  porte  d(^  la  cathédrale  de  fîor- 
deaux  est  un  des  monuments  de  sculpture  les  plus  remarquables 
que  nous  ayons  en  France.  Toutes  les  statues  ciui  1.»  déc(jraient  sont 
de  véritables  chefs-d'œuvre  comme  on  n'on  liduve  (prà  la  cathé- 
drale de  Chartres  ou  à  Notre-Dame  de  Paiis.  » 

L'artiste  roman  est  plus  heureux  avec  la  sculpture  purement  déco- 
rative. Sans  doute,  ici  encore,  l'imagier  gothique  est  nettement  supé- 
rieur :  il  domine  mieux  la  matière,  la  modèle  et  l'assouplit  à  son 
gré.  Le  roman  cherche  ses  effets  non  pas  dai\s  la  vigueur  «mi  la 
sûreté  du  modelé,  mais  dans  la  nudtiplicité  des  facettes  et  des  lignes  : 
là  où  le  gothique  profilera  de  belles  moulures,  le  roman  sème  do.^ 
dessins  courants,  de  petits  sujets  répétés  maintes  fois.  Ccpemlant, 
certaines  sculptures  romaiies.  vraiseniblal)lemenl  allardéos.  siuit 
très  bien  comprises. 

Il  existe  près  du  flanc  .^ud  de  l'église  de  Blasimon  une  baie  (jui 
s'ouvrait  peut-être  sur  la  salle  capitulaire  et  dont  les  chapiteaux, 
malheureusement  mutilés,  se  composent  d'une  corbeille  dont  les 
angles  supérieurs  laissent  échapper  un  jiaquet  de  folioles;  le,  bas  de 
la  corbeille  est  plissé  :  on  dirait  un  corselet  de  toile  enferuiant  un 
buste.  11  est  diflicile  d'imaginei  une  entente  jdu>  parfaite  des  moyens, 
un  art  plus  sobre  et  plus  sûr. 

Mais,  je  répète  le  mot,  ces  chapiteaux  soûl  d'un  roman  attardé. 
La  génération  qui  les  a  produits  avait  bénéficié  des  progrès  réali.*<és 
par  le  style  gothi([u<\  Dans  l'ensemlde.  l'orneinentation  sculpturale 
romane  est,  dans  nos  pays,  jiau\  leiuetd  e\r(ul(''e. 

Et  malgré  cette  gaucherie  du  ciseau,  l'abondance  des  détails,  la 
grandeur  farouche  de  l'idée  produisent  souvent  une  iuqiression 
profonde. 

11  nous  reste  à  passer  en  revue  les  dilTérentes  ]>ailies  du  ]»orlail 
et  à  rechercher  comment  la  décoration  de  chai'uno  d'elles  est 
comprise. 


298 


PORTAILS    D  EGLISES    GIRO^DlNES 


Les  arcs  de  la  porte  sont  souvent  en  plein  cintre,  même  à  une 
époque  assez  avancée.  C'est  le  cas  à  Magrigne,  que  le  style  des 
chapiteaux  à  crochets  ne  permet  guère  de  faire  remonter  au  delà  de 
1200.  Vous  remarquerez,  dans  cette  jolie  porte  d'une  église  d'Hos- 
pitaliers, un  mélange  de  caractères  bien  romans  et  de  caractères" 
non  moins  gothiques  :  sont  gothiques  l'importance  de  la  moulura- 
tion,  la  sculpture  des  chapiteaux,  le  style  bien  naturel  des  feuilles 
posées  sur  le  chanfrein  de  l'imposte. 

Oueynac,  près  de  Galgon,  est  également  une  ancienne  église  des 


KGLISE    DE    QUEYNAC 

(Extrait  <le  Lei>  Vieilles  Éi/lises  de  ta  Gironde,  p.  258. 


chevaliers  de  l'Hôpital  Saint- Jean-de- Jérusalem.  Elle  est  d'une 
mélancolie  prenante,  cette  ruine  superbe,  cjui  appartenait  jadis. à 
un  ordre  militaire  puissant  et  qui,  aujourd'hui,  est  envahie  par 
les  vignes.  Ce  sanctuaire,  couronné  d'une  fortification,  a  retenti  du 
chant  des  cantiques,  peut-être  des  clameurs  des  hommes  d'armes  : 
on  n'y  entend  plus  que  l'appel  du  laboureur  poussant  son  attelage 
le  long  des  «  règes  »  verdoyantes. 

Queynac  est  un  exemple  de  porte  polylobée,  découpée  de  lobes, 
de  festons  concaves.  11  en  est  quelques  autres  en  Gironde,  notam- 
ment dans  les  églises  de  Lalande-de-Pomerol  et  de  Yillemartin, 
qui  étaient  également  aux  mains  des  Hospitaliers, 


l'OUIAII.S    IJ  KGMSKS    GIU(iM)IM,S  3(|y 

l'Iiis  (jrtliuair(MU(!iil,,  les  an-s  sojil,  Iracrs  m  ilriiii-c  rnli',  mais  il- 
soiil  couverts  de  sculptures.  Coiircrb  n'fst  pas  cxccs^^if.  Vous  on 
jugerez  par  le  détail  de  la  porte  de  Saiut-.Martiu-do-Sescas.  En  regar- 
dant avec  attention,  voii'^  reinarquere/  (|ur  rliacju»'  voussure  est 
lormée  de  deux  rouleaux  rt  chacun  des  rouleaux  a  son  décor  spé- 
cial. Comme  toutes  ces  lignes  d'ornements  sont  nettement  distinctes, 
il  n'y  a  pas  de  confusion  et  l'ensemble,  bien  que  d'une  r'iclii'.;-.^ 
(exubérante,  ne  manque  pas  de  fermeté. 

La  voussure  externe  a  une  file  de  bonshommes  superposés. 
C'est  une  règle  presque  constante,  que  les  ornemanistes  de  notre 
contrée  ont  rejeté  vers  la  périphérie  des  voussures  la  représentation 
humaine. 

Un  autre  exemple  de  cette  règle  se  peut  observer  dans  la  porte  de 
Petit-Palais.  Mais  ici  la  répartition  des  sculptures  est  toute  diffé- 
rente :  les  voussures  en  sont  presque  dépourvues.  Les  menus  orne- 
ments, dents-de-scie,  dents-de-loup,  abondent.  Deux  ou  trois  cha- 
piteaux appartiennent  à  des  types  assez  répandus  :  cette  grosse  tête, 
(jui  semble  avaler  la  colonne,  ces  masses  de  j)ierre  qui  f<irment  des 
feuillages  d'un  dessin  particulier,  enlin  cette  corbeille  à  facettes, 
comme  la  Société  en  a  vu,  l'été  dernier,  à  Notre-Daïue  de  Langon. 

La  porte  de  Faleyras  est  l'une  des  plus  jolies  de  la  Girond<'.  L'ar- 
tiste qui  l'a  faite  était  un  délicat  :  il  a  traité  ses  nujtifs  avec  tant  de 
finesse  et  de  discrétion  qu'à  nioins  d'une  bonne  himière  frisante  qui 
les  mette  en  valeur  ils  échappent  à  l'objectif. 

Castelvieil  est  d'un  art  plus  franc  et  plus  na'if.  Le  relief  est  plus 
fort:  les  motifs  s'affirment  davantage.  Sur  l'une  des  voussures,  une 
l]l(.'  de  personnages  semblables  paraissent  tirer  une  corde.  Sur  une 
autre,  les  Vertus  et  les  Vices.  Sur  la  dernière,  un  calendrier,  où  sont 
représentées  les  occupations  de  chaque  mois  :  janvier,  les  plaisirs  de 
la  table;  mars,  la  taille  de  la  vigne;  septemlire,  les  vendanges; 
novembre,  la  mort   du  coclion,  etc. 

A  (juclle  date  doit-on  attribuer  celte  i»age  déc(»rative?  Si  Ion 
<iu  juge  par  l'armemeid,  do^  \ 'ri  us.  surtout  p.ir  l;i  l'ortne  (]<•  leurs 
boucliers,  si  l'on  tient  loiiqile  de  |;i  coilTure  ;'i  mentonnière  dos 
Saintes  Femmes  au  Toudieiui.  la  \u>\\''  de  ( '.;isl  c|\  icjl  w  th'il  pas 
être  éloignée  du  régne  de  saint    L<uiis  ni  dfs  di'-but.-  du  xin"'  siècle. 

Drouyn  pensait  (jue  c'est  la  [dus  Ixdie  prtrte  romane  du  déparle- 
men'.  L'appréciation  est  exacte  si  on  fait  tle  Blasimf)n  une  œuvre 
gothique. 

l^>mane  par  le  choix  des  ornements,  gtdhique  ji.ir  l'ampleur  et. 


300  PORTAILS    D  EGLISES    GIRO?lDINES 

la  maîtrise  de  l'exécution,  Blasimon  doit  être  postérieure  de  peu 
à  Gastelvieil.  Les  pentures,  les  ferrures  de  la  porte  ont  été  publiées 
dans  le  Diclionnaire  fV architedure  de  Viollet-le-Duc.  Blasimon  est, 
avant  notre  Saint-André,  la  porte  la  plus  splendide  du  Bordelais 
et  du  Bazadais.  Ces  statues  sont  trop  étirées,  trop  immatérielles. 
Elles  sont  un  rêve,  mais  un  rêve  d'artiste.  Un  architecte  des  Monu- 
ments historiques  me  disait  naguère  que  le  moulage  de  cette  porte 
devrait  être  au  Trocadéro.  Un  tel  hommage  n'a  rien  d'excessif. 

La  plupart  des  portes  que  nous  avons  passées  en  revue  n'ont  pas 
de  tympan,  cette  dalle  ornée  qui  s'insère  dans  l'arc.  Vous  vous 
rappelez  cependant  qu'il  y  a  un  tympan  à  Lalande-de-Gubzac.  Il 
en  reste  un,  provenant  d'une  porte  démolie,  à  Lugon  :  le  Christ  y 
est  assis  dans  sa  gloire,  au  milieu  des  animaux  qui  symbolisent  les 
Évangélistes  :  l'Aigle,  saint  Jean;  le  Lion,  saint  Marc;  le  Veau,  saint 
Luc;  l'Homme  ailé,  saint  Mathieu. 

11  n'est  pas  toujours  facile  de  répartir  les  sculptures  sur  le  tym- 
pan, de  façon  à  garnir  les  angles  :  l'artiste  qui  a  fait  la  jolie  porte 
Sud  à  la  collégiale  d'Uzeste  a  mis  là,  près  du  couronnement  de  la 
Vierge,  deux  anges  adorateurs  à  genoux;  les  ailes  sont  mi-éployées 
et  suivent  la  courbe  de  l'arc. 

A  Sainte-Radegonde,  on  a  donné  au  problème  une  autre  solution 
et  plus  naïve  :  on  a  fait  les  personnages  plus  ou  moins  longs  suivant 
la  place  qu'ils  occupent  :  très  grands  au  milieu,  très  petits  sur  les 
côtés. 

Le  tympan,  ai-je  dit,  est  une  dalle  :  il  est  rationnel  qu'elle  soit 
soutenue  par  une  poutre  en  pierre  ou  linteau,  et  il  en  est  ainsi  quel- 
quefois dans  nos  pays,  souvent  ailleurs.  Le  linteau  de  Coubeyrac 
porte  des  cercles  qui  se  coupent  :  c'est  un  dessin  très  archaïque; 
mais  ces  entrelacs  sont  unis  et  non  pas  creusés  en  gouttière;  ils  ne 
doivent  pas  être  très  anciens,  —  du  xii<^  siècle  peut-être. 

Quant  aux  pieds-droits  des  portes,  ils  n'ont  généralement  pas 
d'ornementation  —  sauf  les  colonnes  avec  leurs  chapiteaux.  —  Je 
noterai  en  passant  qu'ils  offraient  assez  souvent  un  bénitier  aux 
fidèles  qui  entraient  dans  l'église.  Il  existait  un  bénitier  dans  cette 
jolie  porte  de  Montussan,  qui  sollicitait  par  ailleurs  l'attention  des 
archéologues:  les  colonnettes  des  jalnbages  étaient  exceptionnelle- 
ment courtes,  l'arc  était  en  plein  cintre  et  les  chapiteaux  accusaient 
la  période  gothique.  Tout  cela  n'empêche  pas  que  cette  curieuse 
porte  a  été  sottement  démolie  il  y  a  quelques  années.  Et  voilà,  une 
fois  de  plus,  un  type  original  d'architecture  disparu  pour  toujours... 


l'OUTE    1)K    IlLVMMlIN.     1  UAl.MEM'. 


(Kxh'iiil   lie  /,<■«    Vii'illes  hijlise»  île  la  (!iriiiiil<-,  |i.  <o. 


PORTAILS  d'Églises  girondines  Soi 

La  porte  n'est  pas  percée  uniment  dans  le  mur;  elle  est  accom- 
pagnée, en  général,  ilim  enseinhlr.  il'un  dispositif  assez  coiiipli(|ué. 

L'encadrement  de  nos  jjortcs,  du  mkuus  des  pt)rt(*s  riches,  suppose 
un  mur  épais.  Pour  ne  pjis  donner  cette  surépaisseur  ;"i  loiilc  la 
l'acade,  on  pratiijuait  la  porte  dans  un  avant-corps.  L'ava ut-corps 
de  Cubnezais  est  encadré  ])ar  des  colonnes  engagées  et  surmcjuté 
d'une  corniche  sur  corbeau.x  :  entiv^  les  corbeaux  peuvent  être  des 
dalles  ornementées;  les  corbeaux  cu.v-mêmes  sont  sculptés.  C'est  là 
que  nos  artistes  plaçaient  leurs  personnages  les  plus  décolletés. 

A  Ruch,  où  ces  personnages  sont  particulièrement  inconvenants, 
on  dit,  pour  les  excuser  peut-être,  qu'ils  figurent  les  péchés  capitaux. 
Je  veux  bien;  niais  il  n'est  pas  permis,  niême  à  des  péchés  capitaux, 
d'être  à  ce  point  indécents. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'avant- corps,  les  colonnes,  la  corniche, 
tout  cela  forme  un  édicule  et  comme  une  petite  façade  dans  la 
grande. 

Il  est  de  ces  avant-corps,  à  Doulezon,  à  Cornemps,  à  Saiut- 
Georges-de-Montagne  et  ailleurs,  (jui  sont  couronnés  d'un  fnuiton. 
D'autre  part,  à  8aint-Étienne-dc-Lisse,  les  fausses  portes  ne  sont 
pas  dans  l' avant-corps;  elles  sont  reléguées  sur  le  luui  en  retrait. 
Dans  deux  églises  girondines,  qui  se  ressemblaient  étroitement, 
Loupiac  et  Labrède,  on  a  combiné  ces  deux  dispositions  en  uu<' 
façade  originale.  Par  malheui.  Tune  et  l'autre  ont  été  livrées  à  des 
architectes  entreprenants.  Viollet-le-Duc  avait  admiré,  à  Loupiac, 
la  parfaite  conservation  des  sculptures;  cela  n'a  pas  empêché 
Abadie  de  refaire  la  porte  à  neuf  presque  en  entier.  Ouant  à  La- 
brède... mieux  vaut  ne  pas  en  parler. 

Les  maîtres  d'oeuvre, ne  pouvaient  pas  maiu{uer  de  recourir  aux 
arcatures  aveugles,  aux  arcs  simulés,  jx-ui-  décorer  les  portails. 
A  Sainte-Croix,  deux  arcs  sont  moulé-s  de  cha(|ue  côté  au-dessus  de 
la  fausse  porte,  et  nous  savons  par  une  plaiK  lie  du  Moiuisliron 
qu'uiu:;  disposition  ideidi(jue  avait  été  adoptée  à  La  Sauve.  Aillas 
et  la  façade  ruinée  de  Lur/iiu^,  près  de  Sainl-Laurenl-dWrce,  ont 
des  arcs  du  même  genre,  mais  sans  fausse  porte.  Plus  souvent,  ces 
arcatures  se  développent  horizontalement  au-dessus  de  la  porte,  de 
façon  à  tenir  la  largeur  >\r  la  façade. 

L'arcature  de  Galgon  est  exceptionnellement  rich»;  :  chapiteaux 
sculptés,  cordon  de  moulures  très  travaillées  à  la  hauteur  des 
tailloirs,  archivoltes  et  pieds-droits  couverts  de  motifs  variés,  etc. 
Il  n'est  pas  jusqu'à  la  moulure  d'appui  qui  ne  soit  traitée  avec 


3o2  PORTAILS  d'Églises  girondines 

raffinement,  en  échiquier  sur  les  conipartinients  creux  duquel  res- 
sortent  des  besants  minuscules. 

L'arcature  de  Sainte-Colombe,  moins  luxueuse,  est  mieux  comprise 
et  de  lignes  moins  recherchées;  ce  n'est  plus  de  l'orfèvrerie  trans- 
posée sur  la  pierre,  mais  de  F  architecture  large  et  ferme.  On  y 
remarque  des  supports,  dans  lesquels  les  chapiteaux  cubiques  affleu- 
rent le  j)Ian  antérieur  du  pied-droit;  Ruprich-Robert  a  publié  au 
moins  une  arcature  anglaise,  qui  est  exactement  sur  ce  thème. 

Nous  venons  d'étudier  les  portes  d'architecture  soignée.  D'autres, 
plus  archaïques,  sont  néanmoins  dignes  d'intérêt  :  Marimbaut  est 
un  type  de  ces  façades  simples  jusqu'à  la  pauvreté,  mais  fortes  et 
énergiques.  Deux  contreforts  montés  contre  la  façade  et  le  clocher- 
arcade  les'  assurent  contre  les  efforts  du  vent  d'est.  La  porte  est 
percée  sans  apprêt  entre  ces  contreforts.  C'est  bien  peu  de  chose. 
Les  Monuments  historiques  ont  cependant  classé  cette  façade  et 
ils  ont  bien  fait. 

A  Cudos  et  à  Saint-Ferme,  les  deu.K  contreforts  sont  réunis  par 
un  arc  percé  d'un  mâchicoulis,  par  où  on  pouvait  accabler  les 
assaillants.  Car  la  porte  était  le  point  faible  de  l'église  et  il  était 
nécessaire  d'en  défendre  l'accès.  Un  constructeur  a  donné  à  cette  diffi- 
culté une  solution  originale  dans  la  façade  de  Mourens  :  sur  l'avant- 
corps  de  la  porte  il  a  monté  trois  murs  qui  fout  comme  une  tour 
très  plate  accolée  à  la  façade;  en  haut  est  une  ligne  de  mâchicoulis. 

La  fortification  peut  consister  aussi  en  archères  pratiquées  près 
de  la  porte,  comme  dans  l'église  de  La  Tresne,  en  échauguettes 
juchées  sur  des  contreforts  voisins,  etc. 

Ou  bien  le  porche  était  converti  en  une  barbacane,  c'est-à-dire 
en  un  ouvrage  avancé  couvrant  la  porte. 

Les  porches  étaient  nombreux  jadis.  Ils  protégeaient  contre  les 
intempéries  les  sculptures  des  portails;  ils  servaient  d'abri  aux 
fidèles  et,  à  ce  dernier  titre,  ils  tenaient  une  place  importante  dans 
la  vieille  France  rurale.  Lorsqu'on  pénètre  pendant  la  semaine  sous 
ces  porches  vermoulus  et  délabrés,  perdus  entre  les  deux  solitudes 
d'une  église  vide  et  d'un  cimetière  désert,  on  prend  plaisir  à  recons- 
tituer les  scènes  qui  ont  empli  ces  modestes  constructions  d'ani- 
mation et  de  vie. 

C'étaient  des  lieux  de  réunion.  Dans  quelques  paroisses,  la  Fa- 
brique louait  à  des  marchands  les  emplacements  du  porche,  ou  bien 
les  officiers  des  confréries  y  vendaient  aux  enchères  les  offrandes 
en  nature  faites  à  ces  confréries.  Les  chemins  étaient  mauvais  et 


i'ORTAII-S    I)  KGI.ISIS    (UKONDINES 


:uk\ 


les  paroissiens  étaient  dévots  :  1rs  tainillcs  (jui  Iiabitaieut  les  quar- 
licrs  éloignés  venaient  à  l'éirlisc  poiii  li>  olliics  «lu  mal  in  d  |;i 
([luttaient  après  les  ollices  du  soir.  Enl  ic,  messe  et  vêpres,  on  prenait 
le  repas  sons  le  porcli{\  Ajtiés  i(ii(ii,  les  groupes  se  forin;»i('nt  :  1rs 
gens  de  sens  rassis  par- 
laient de  leurs  iiil<''r('ls 
eomniuns  :  des  rceoltes, 
de  la  levée  des  rede- 
vances, du  procès  en- 
gagé contre  le  seigneur 
pour  l'usage  des  pa- 
douens,  de  la  dernières 
victoire  remportée  par 
l'armée  du  roi;  les 
jeunes  gens  parlaieul... 
d'autre  chose.  Bien  des 
idylles  se  sont  ébau- 
chées là  ;  là  est  née  cette 
solidarité,  municipale 
et  nationale,  cjui  est  le 
ciment  de  notre  édifice 
social. 

Dans  la  campagne, 
le  porche  est  l'endroit 
où,  si  nous  savions 
prêter  l'oreille,  nous 
percevrions  le  plus  dis- 
tinctement les  rumeurs 
et  les  leçons  qui  mon- 
tent v^ers  nous  du  passé. 


POIIIL:     liT    l'JULISK    llli    M\sM;iLl.b> 
(Extrait  de  /,es  Viii//<'«  i'j/ise^  «'«  la  Gironde,  p.  212.) 


Il  me  resterait  à  vous  i)arl('r  des  portails  gothiques.  Mais  l'heure 
s'avance.  Je  serai  brel'. 

Parmi  ces  portails,  certains  ii'out  di'  giroudiu  qu»-  la  |»lac«'  où  ils 
ont  été  édifiés  :  leur  style  appartient  à  d'autres  provinces.  Il  en  est 
d'ailleurs  d'exquis. 

On  peut  bien  appliquer  cette  épitliète  à  la  ]ioilt!  de  l'église  souter- 
raine de  Saint-Émilion  :  la  somptuosité  des  voussures  fait  valoir  la 
note  simple  du  tympan,  où  la  majesté  sobre  des  draperies  fait  songer 
à  l'antique. 


3o4  PORTAILS   d'églises    GIRONDINES 

Vous  VOUS  demanderez  peut-être  d'où  vient  la  végétation  exubé- 
rante que  vous  montre  la  projection.  Un  ancien  président  de  la 
Société  française  d'Archéologie,  Palustre,  me  disait  un  jour  que 
c'était  le  signe  auquel  on  connaissait  les  monuments  classés,  et 
il  exprimait  le  regret  que,  pour  équilibrer  le  budget,  on  ne  mît  pas 
en  adjudication  la  coupe  des  foins  et  des  arbres  qui  poussent  sur 
les  monuments  historiques.  Palustre  exagérait.  Avait-il  tout  à  fait 
tort?  Je  ne  saurais  le  dire.  Si  vous  désirez  avoir  sur  ce  point  une 
opinion  personnelle,  vous  pourrez  aller  faire  un  tour  du  côté  de 
notre  église  Sainte-Croix. 

Dans  cette  revue  rapide  des  portails  girondins,  je  ne  puis  pas 
en  omettre  un  auquel  il  ne  manque,  pour  être  plus  connu,  que  d'être 
plus  loin  :  en  Italie,  sur  les  bords  du  Rhin  ou  dans  telle  autre  contrée 
à  la  mode.  Mais  cette  merveille  —  c'en  est  une  —  est  près  de  nous, 
à  Bazas. 

C'est  le  portail  le  plus  imposant  de  la  Gironde.  Veuillez  noter  que 
l'iconographie  en  est  attachante,  que  la  sculpture  en  est  belle  : 
Lacour  en  a  dessiné  des  fragments  à  une  époque  où  on  était  délibé- 
rément hostile  à  l'art  gothique. 

D'autres  portails,  de  style  plus  local,  ont  pour  nous  plus  d'intérêt. 
Fontet,  dont  la  photographie  m'a  été  communiquée  le  plus  aima- 
blement du  monde  par  un  de  mes  collègues  de  la  Société  archéolo- 
gique, M.  Dubreuilh,  Fontet  rappelle,  vers  1600,  la  façade  fortifiée 
de  Saint-Ferme.  De  l'appareil  défensif  il  ne  reste,  à  Fontet,  comme 
dans  certains  châteaux  Renaissance,  qu'une  silhouette  pittoresque. 
C'est  de  la  fortification  d'opéra. 

Saint-Macaire  et  la  porte  méridionale  de  Saint-Seurin  forment  un 
groupe  à  part:  on  y  trouve  deux  arcs  superposés;  l'arc  inférieur, 
qui  est  trilobé,  est  un  linteau  de  deux  pièces,  que  Viollet-le-Duc  a 
fort  ingénieusement  expliqué.  Les  arcades  aveugles  disposées  à 
gauche  rappellent  les  arcades  qui,  à  Sainte-Croix  ou  à  Lurzine, 
sont  au  niveau  de  la  partie  supérieure  de  la  porte. 

A  Sainte-Eulalie  de  Bordeaux,  les  arcades,  placées  plus  bas,  rap- 
pellent plutôt  les  portes  feintes  de  l'époque  romane.  Vous  n'ignorez 
pas  que  cette  porte  du  bas-côté  de  Sainte-Eulalie  a  été  réédifiée 
naguère;  mais  ce  sont  les  mêmes  matériaux.  C'est  la  porte  du 
xiii^  siècle,  qui  a  un  peu  changé  de  place. 

Comme  à  Sainte-Eulalie,  la  porte  nord  de  l'église  haute  de  Saint- 
Émilion,  avec  ses  enfoncements  latéraux,  dérive  des  façades  décorées 
de  fausses  portes.  Ce  poitail  était,  à  l'origine,  de  silhouette  plus 


PORTAILS  d'Églises  girondines  3o5 

jiiouvonu'iiLt'f  :  la  porh'  était  .suriiKiuit'c  d'iui  gâblc,  «'t  chacune  des 
niches  hautes  avait  pareillement  un  gable,  c'esL-à-dire  un  petit 
fronton. 

La  composition  architecturale  est  assez  réussie;  la  statuaire  a  de 
la  valeur.  Cette  porte,  qui  n'est  pas  assez  connue,  mériterait  de 
prendre  place  parmi  les  curiosités  qui  attirent  les  touristes  dans 
cette  ville  délicieuse. 

A  Berson,  la  réminiscence  des  portails  romans  est  plus  frap- 
pante :  les  fausses  portes  sont  devenues  des  guérites  (|ui  semblent 
attendre  un  factionnaire.  Vous  êtes  sûrement  frappés  de  la  dilTé- 
rence  qui  sépare  cette  porte  des  portes  romanes.  Dans  la  porte 
gothique  dont  la  iirojection  est  sous  vos  yeux,  le  rapport  est  plus 
étroit  entre  l'arc  et  les  pieds-droits.  C'est  l'une  des  notes  de  nos 
portails  gollii([ui's.  doiil  nous  avons  un  spécimen  typique  à  Luc- 
mau  :  les  arcs  ont  exactement  li'  même  profil  que  les  jambages,  ils 
continuent  ces  jambages;  entre  ceux-ci  et  ceux-là,  un  simple  éva- 
sement,  qui  tient  lieu  de  chapiteau.  C'est  propret,  correct,  mais 
froid,  et  cela  ne  nous  fait  pas  oublier  les  vieilles  portes  romanes,  où 
la  verve  des  imagiers  a  semé  parfois  des  extravagances,  mais  qui 
offrent  tant  de  détails  imprévus  et  attrayants. 

La  porte  de  Saint-Michcl-Lapujade  est  conçue  conmie  celle  île 
Lucmau.  C'est  une  porte  gothique  et  on  la  daterait  volontiers, 
(/  priori,  du  xiv^  ou  du  xv^  siècle.  Or,  en  16-10,  le  curé  de  Sainl- 
Michel-Lapujade  traita  avec  Mailnliu  Guyet,  maixui  à  La  Ré(de, 
pour  «  desmoulir  tout  icelluy  pignon  de  murailhe  dv  la  présent 
esglise  qui  est  du  cousté  du  Couchant,  pour  icelluy  rebattir  et  y 
faire  un  portai  au  milieu  du  pignon  ».  Voilà  les  règles  archéologiques 
en  défaut. 

Le  ])orlail  dr  Saint-Laurent  (Médoc)  peut  être  attribué  avec  une 
quasi  certitude  au  xiv'"  siècle  ou  à  la  lia  «lu  \iii'\  notamment  parce 
qu(!  le  clocher  avec  leijuel  il  la  il  corps  a  des  voûtes  caractéristii|ues 
de  cette  époque  :  la  porte  est  de  style  gothi(|ue  pur,  et  aussi  l'ar- 
caiurc,  plus  légère  ({ue  les  arcatures  romanes,*avc<-  des  lril(d)es  et 
des  (|uadrilobcs  dans  les  écoinçons. 

iVIais  îa  \nnte  de  Saint-Palais-La  lande  est  à  peu  près  C(mtempo- 
raine  de  la  précédente  :  la  date  est  donnée  par  le  style  des  feuillages 
du  portail.  Et  cependant,  ce  détail  excepté,  la  façade  est  romane  : 
romane  la  porte,  avec  ses  colonnes  traimes  et  ses  arcs  vigoureux, 
romane  l'arcature  en  plein  cintre  relevée  d'une  archiv(dtc  de  pointes- 
de-diamant. 

Ï3 


3o6  PORTAILS  d'Églises  girondines 

Nous  avons  en  Gironde  un  anachronisme  de  ce  genre  autrement 
extraordinaire.  C'est  l'église  de  Francs.  Le  choix  des  sujets  de 
quelques  corbeaux,  le  faire  de  tous  décèlent  une  origine  peu  reculée; 
mais  dans  l'ordonnance  de  la  façade,  de  cette  porte  flanquée  de 
fausses  baies  élevées,  de  cette  arcature  formant  un  premier  étage, 
vous  reconnaissez  la  formule  de  nos  façades  romanes.  Eh  bien  ! 
l'église  de  Francs  a  été  construite  à  neuf,  sur  un  autre  emplace- 
ment que  l'ancienne,  en  1605. 

Il  y  a  longtemps  déjà,  à  la  première  séance  de  notre  Société  à 
laquelle  j'assistai,  je  lus  sur  ce  curieux  édifice  une  note  que  j'offris  à 
Courajod.  Courajod  fut  ravi;  c'était  un  convaincu  et  il  entendait 
que  l'on  partageât  ses  enthousiasmes.  A  quelque  temps  de  là.  il 
faisait  partie  d'un  jury  pour  un  concours  d'architectes  des  Monu- 
ments historiques.  Tl  demanda  à  un  candidat  ce  qu'il  pensait  du 
cas  de  l'église  de  Francs.  Francs...  le  candidat  eut  beau  chercher, 
il  dut  avouer  que  ce  nom  ne  lui  rappelait  rien.  Sur  quoi  cet  excellent 
Courajod  songea  à  l'éliminer.  La  morale  de  cette  histoire,  que  je 
tiens  de  Courajod  lui-même,  est  que  Francs  est  moins  célèbre  qu'il 
ne  mériterait  de  l'être. 

Messieurs,  j'ai  fini. 

Non  pas  certes  qu'il  n'y  ait  beaucoup  à  dire  encore;  mais  cet 
entretien,  déjà  long,  serait  interminable  si  vous  aviez  à  voir  défiler 
sur  l'écran  tous  ceux  de  nos  portails  girondins  qui  méritent  les 
honneurs  d'une  projection.  On  ne  compte  pas  chez  nous  les  portes 
qui  sont  à  peine  moins  belles  que  celles  dont  je  vous  ai  entretenus. 
Je  cite  au  hasard  Saint-Christophe-des-Bardes,  Illats,  Villemartin, 
Izon,  Listrac-de-Durèze,  Coirac,  Cessac,  Saint-Hilaire-de-la-Noaille, 
Puisseguin,  Nérigean,  Lugasson,  Jugazan,  Cours,  Saint-Genès-de- 
Lorabaud,  Moulis,  Pellegrue,  Villegougc...  et  tant  d'autres. 

Ajoutez  que  nous  pourrions  suivre  le  portail  girondin  à  l'étranger. 
Il  faut  bien  nous  dire,  en  effet,  que  les  artistes  français  des  époques 
reculées  dont  nous  nous  occupons  ne  se  sont  pas  bornés  à  couvrir 
de  leurs  chefs-d'œuvre  le  sol  natal;  ils  en  ont  enrichi  encore  les 
nations  voisines  et  toute  la  chrétienté. 

En  Espagne,  l'art  de  bâtir  a  beaucoup  tiré  de  la  France  et  spécia- 
lement, quoi  qu'on  en  dise,  de  l'école  architecturale  à  laquelle  se 
rattache  la  nôtre.  Ce  fait,  M.  Lampérez  l'a  consigné  dans  son  magis- 
tral ouvrage,  et  moi-même  je  l'ai  observé  à  Salamanque  et  sur  diffé^ 
rents  points,  par  exemple  au  portail  Sud  de  la  cathédrale  de  Zamora. 


PORTAILS    n'ÉGLlSES    GIRONDINES  3o7 

Cette  porte  flanquée  de  fausses  pcjrtesetsurniontéc,  trniit'  airature, 
c'est  l'idée  de  nos  façades  de  Saiiitongc  ou  du  Bordelais.  Assurément, 
rimitation  n'est  pas  servile  :  c'est  moins  une  copie  (pi'une  interpré- 
tation. L'artiste  était-il  de  clic/,  nous?  .le  no  sais;  mais  si  l'orifçine 
de  l'architecte  est  douteuse,  l'oiiiriue  de  la  fuimnle  architecturalo 
nv.  l'est  pas.  Par  mie  \uie  mi  ji.ir  nui'  .nilie,  les  iulluenccs  françaises 
sont  arrivées  jusqu'itM.  Dans  cette  façade,  un  n-il  jiverli  voil  luire 
une  étincelle  du  génie  français. 

Je  contemplais  cette  porte  ])ar  une  radieuse  jniniu'e  il'orhdiie  et 
je  me  laissais  aller  aux  réflexions  <|ue  y  vi«.'ns  d<'  ruriiniler  t|ii;ind. 
en  face,  je  vis  s'ouvrir  uiu'  fenêlre  ilu  jialais  épiscopal  et  ajqiaraîlie 
deux  silhouettes,  dont  une  violette,  (l'éhii!  l'évêtjue  de  Zamora  qui 
faisait  à  un  visiteur  les  honneurs  du  transept  de  sa  cathédrale. 

On  est  chauvin  quand  on  a  franchi  la  frontière,  (;t  je  fus  ému  au 
spectacle  de  ce  prélat  es])agn(»l  qui  rendait  hommage  ---  incons- 
ciemment peut-être  —  à  l'architecture  français»;  du  Moyen-Ag<^ 

Un  moment  après,  pendant  qu'un  fringant  attelage  de  mules 
emportait  l'ami  de  Monseigneur  dans  un  bruit  de  grelots  et  dans 
un  nuage  de  poussière,  je  regagnai,  pensif,  la  joiuhi.  Et,  vous 
l'avouerai-je?  ma  poitrine  battait  un  peu  plus  fort  tandis  que  je 
songeais  à  cette  race  semeuse  d'idéal  qui,  dès  l'époque  lointaine  où 
on  élevait  les  cathédrales  romanes  et  gothiques,  répandait  dans  le 


monde  des  germes  d'art  et  de  beauté. 


J.-A.   BRUT  A  ILS. 


NOUVELLES   RECHERCHES 


SUR 


LES  GIRONDINS  PROSCRITS' 

(1793-1794) 


PREMIERE   PARTIE 
DE   BREST  A   LIBOURNE 


CHAPITRE   PREMIER 
Vers  «  la  terre  de  Gironde  ». 

Juste  en  face  de  Brest,  de  l'autre  côte  de  la  rade,  au  nord  de  la 
presqu'île  si  pittoresque  de  Grozon,  abritée  du  vent  d'ouest  par 
un  massif  rocheux  qui  surmonte  un  vieux  fort,  se  trouve  une  petite 
plage  de  galets  sauvage  et  solitaire. 

Pas  une  maison  ne  s'y  voit,  la  grande  route  de  Quimper  vient 
se  perdre  dans  la  mer  p^r  une  chaussée  de  pierre  et,  tout  en  haut, 
sur  le  plateau  qui  la  domine,  on  aperçoit,  à  travers  la  verdure, 
les  maisons  du  village  de  Lanvëoc  groupées  autour  de  l'aiguille 
fine  de  son  église  -. 

C'est  dans  ce  paisible  coin  du   Finistère  qu'un  soir  du   mois  de 

1.  Si  nous  ii\ons  eiilreinis  de  raconter,  après  bien  d'autres,  la  triste  odyssée  des 
conventionnels  proscrits  qui  vinrent  mourir  dans  le  déi)artenient  de  la  tiironde,  c'est 
parce  que  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  décon\rir  dans  les  arclii\es  locales  un 
certain  nombre  de  documents  jusqu'à  ce  jour  inédits. 

Cette  trouvaille  nous  a  permis,  en  prenant  pour  base  les  Alémoires  de  Louvet,  de 
combler  bien  des  lacunes  et  de  démolir  pas  mal  d'erreurs. 

On  ne  cherchera  dans  ce  récit  ni  une  apologie  ni  une  critique  de  la  conduite  et  des 
idées  des  Girondins,  mais  simplement  le  journal,  aussi  minutieux  et  exact  que  possible, 
des  derniers  mois  de  leur  vie.  Nous  nous  sommes  efforcé  d'éviter  tout  commentaire 
personnel  et  de  laisser  surtout  parler  les  textes. 

2.  Lanvëoc  (se  prononce  Lanvô),  1,234  hab.  Canton  de  Grozon,  arrondissement  de 
Cliàteaulin. 


» 


NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS  SoQ 

septembre  1793  quelques  Girondins  proscrits  vinrent  s'embar- 
quer pour  aller  chercher  sous  d'autres  cieux  la  sécurité  et  le  repos  ^ 

C'étaient  les  conventionnels  Guadet,  Pétion,  Buzot.  Barbaroux 
ot  Louvet  -. 

I.e  triomjjhe  du  parti  de  la  Montagne,  après  le  coup  de  force  par- 
lementaire du  2  juin  1793,  l'exclusion  et  la  mise  en  arrestation  des 
députés  modérés,  avaient  nécessité  leur  fuite  hors  de  Paris  et  leur 
exode  vers  la  province. 

Un  moment  ils  avaient  cru  que  les  départements  se  lèveraient 
pour  les  venger  et  délivrer  la  Convention  nationale;  mais  ce  n'avait 
été  qu'une  illusion  :  l'émotion  s'était  rapidement  calmée,  on  les 
avait  vite  oubliés. 

Et  depuis  près  de  trois  mois,  en  compagnie  de  collègues  et  d'amis 
aussi  compromis  qu'eux,  ils  erraient  à  travers  la  Normandie  et  la 
Bretagne  ^,  d'abord  sous   des  déguisements  d'enrôlés  volontaires, 

1.  Comme  le  fait  très  bien  remarquer  M.  Aulard  {Histoire  politique  de  la  Révolution 
française,  p.  387),  ce  sont  les  historien;;,  plu.s  enrore  que  les  contemporains,  qui  ont 
(It'siené  les  amis  de  Brissot,  de  Vert'niaud,  lie  M""  Holand,  de  Buzot,  sous  le  nom 
collectif  de  Girondins.  Sous  la  Lt'gislati\e,  leurs  ad\ersaires  les  appelaient  par  dérision  : 
Jirissolins,  Bordelais,  faction  Guadet- Brissot,  et,  eux,  s'honoraient  du  titre  de  patriotes 
jacobins.  A  la  Convention,  ils  sont  toujours  les  Brissotins,  mais  aussi  les  Rolandisles, 
les  Buzotins.  C'est  Thiers  et  Charles  Nodier  qui  accréditèrent  l'usage  d'appeler  Girondins 
les  députés  de  la  Gironde  et  d'autres  départements  formant  la  droite  de  la  Convention 
ou  même  la  gauche  de  la  Législati\e.  Depuis  1S47,  l'ouvrage  de  Lamartine,  Histoire 
des  Girondins,  a  rendu  cette  appellation  populaire. 

2.  Guadet  (Marguerite-Élie;,  né  à  Saint-Éniilion  le  20  juillet  1758.  Avocat,  député 
de  la  Gironde  à  la  Législative  et  à  la  Convention.  Guillotiné  à  Bordeaux  le  19  juin  1794. 

Pètion  de  Villeneuve  (Jérôme),  né  à  Chartres  (fîure-et-Loir)  le  2  janvier  1736.  Avocat, 
dè|iulé  pour  le  bailliage  de  Chartres  aux  Étals  généraux,  maire  de  Paris,  député  de 
l'fîure-et-Loir  à  la  Convention.  Se  suicida  à  Saint-.Magne  (Gironde),  juin  1794. 

Buzot  (François-N'icolas-Léonard),  né  à  Évreux  le  1"  mars  1760.  Avocat,  député 
du  bailliage  d'Évreux  aux  États  généraux,  député  de  l'Eure  à  la  Convention.  Se  suicida 
à  Sainl-Magne  (GirondeS  juin  1794. 

Barbaroux  (Charles-Jean-Marie\  né  à  .Marseille  le  6  mars  1767.  Avocat,  député 
des  Bourhes-du-Rliône  à  la  Convention.  Guillotiné  à  Bordeaux  le  25  juin  1794. 

Lou\('t  (le  ('.ouvrai  (.Jean-Baptiste\  né  à  Paris  le  H  juin  1760.  Littérateur,  jour- 
naliste et  libraire,  auteur  des  .\cenlures  du  Chevalier  de  Faublas,  député  du  Loiret  à 
la  Convention,  dé|>uté  do  la  llaute-Vieiuie  au  Conseil  des  Cinq-Cents.  Mort  à  Paris 
le  24  août  1797. 

Louvet  a  laissé  des  Mémoires  qui  font  connaître  d'une  manière  assez  exacte  la  vie 
des  Girondins  jiroscrits.  Ils  sont  intitulés  :  Quelques  notices  pour  l'histoire  et  le  récit  de 
mes  périls  depuis  le  31  mai.  Il  en  a  été  fait  neuf  éditions,  la  première,  par  Louvet  lui- 
nième,  en  l'an  III,  l;i  dernière  en  1889  par  .M.  Aulard.  .Sauf  indication  contraire,  c'est 
à  celte  dernière  édition  que  nous  ren\oyons  {Mémoires  de  Luuvel  de  Couvrai  sur  la 
Révolution  française;  première  édition  complète  avec  préface,  notes  et  tables,  par  M.  F. -A. 
.\ulard;  2  vol.,  1889,  Paris,  Librairie  des  Bibliophiles).  —  Sur  les  èilitions  de.s  Mémoires 
de  Lou\et,  voir  l'excellent  travail  de  M.  llénion  :  Le  Deisl  de  Bolidoux  a-l-il  trahi  les 
députés  girondins  proscrits?  Paris,  C.liampion,   1909,  p.   15. 

3.  Le  24  juin  1793,  Louvet  a\ail  (piitlé  Paris;  le  25,  il  était  A  Êvreux,  où  il  trouvait 
(Juadet  «lui  voyageait  à  pied,  déguisé  en  garçon  tapissier;  le  26,  ils  arrivaient  ensemble 
à  f:aen,  où  étaient  déjà  rendus  Barbaroux,  Bu/nl  et  Pètion.  Salle  les  y  rejoignit.  .\prè» 
l'insuccès  du  mou\-ement  <lit  fé<téralisl<\  les  (■iromlins  cpiittèreiil  C.aen  avec  les  Brefonti. 
Ils  se  dirigèrent  vers  Ouiniper  par  Dol,  Oinan,  Momimliiur,  Itoternlieim  et  ("arliaix. 
(V.  Mémoires  de  Meillan,  Hiouffe  et  Louvet.)  —  M.  P.  Ilèmon  préparc  en  ce  moment 
un  ouvrage  sur  les  Députés  qirondins  proscrits  en  Bretagne;  l'article  cité  plus  haut  en 
est  un  fragment.) 


3lO  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

vivant  de  la  vie  du  soldat,  réclamant  aux  fermes  «  la  couchée», 
un  billet  de  logement  à  la  main;  bientôt  dépistés  et  poursuivis,  sans 
guide,  sans  chaussures,  les  pieds  en  sang,  cachés  pendant  le  jour 
dans  des  granges  isolées,  dans  les  bois,  dans  les  marais,  se  traînant 
la  nuit,  évitant  les  villages,  se  croyant  trahis  par  leurs  meilleurs- 
amis,  et  trouvant  à  chaque  pas  des  dévouements  sublimes  i. 

Ils  étaient  allés  ainsi  vers  la  mer,  espérant  s'embarquer,  gagner 
«  la  terre  de  Gironde  »,  avec  la  certitude  d'y  trouver  des  cœurs  chauds 
et  des  patriotes  purs  2. 

Grâce  à  la  diligence  d'un  armateur  quimpérois.  Clément  de  la 
Hubaudière  ^,  la  plupart  de  leurs  compagnons  d'infortune  avaient 
pu  déjà  prendre  la  mer.  Ils  étaient  partis  de  Rossulien,  dans  la 
rivière  de  Quimper,  le  21  août  1793,  à  bord  d'une  mauvaise  petite 
barque  appelée  la  Diligente,  cjue  commandait  le  capitaine  Le 
Scanvic  *. 

Ce  premier  convoi  comprenait  les  conventionnels  Bergoeing, 
député  de  la  Gironde,  Cussy,  du  Calvados,  Duchâtel,  des  Deux- 
Sèvres,  Meillan,  des  Basses-Pyrénées,  et  Salle,  de  la  Meurthe, 
auxquels  s'étaient  joints  un  officier,  l'adjudant  général  Bois-Guyon, 
deux  journalistes,  Girey-Dupré  et  Rioufïe,  et  un  Espagnol,  ami  de 
Brissot,  Marchena.  En  tout  neuf  personnes  ^ 

Barbaroux,  atteint  par  la  petite  vérole,  n'avait  pu  partir  ^ 
Louvet  était  reste  auprès  de  lui,  retenu  surtout  par  la  présence  de 
sa  femme,  la  belle  Lodoïska,  dont  il  parle  avec  tant  de  passion 
dans  ses  Mémoires  et  qui  était  venu  le  rejoindre  '.  Au  dernier 
moment,  Guadet,  Buzot  et  Pétion,  qui  se  cachaient  dans  les  envi- 
rons  de   Douarnencz,  au    château  de    Kervenargan  ^,  avaient  fait 


1.  Leiioli-i",   Vieilles  maisons,  virii.v  papiers,  3"  série,  p.  371. 

2.  M. 

3.  La  Hubaudière  {Clément-Antoine-Josepli-Marie  de),  né  à  Quimper  le  8  septem- 
bre 1772.  Industriel  et  armateur,  président  du  Tribunal  de  commerce  de  Quimper 
après  la  Révolution,  conseiller  de  |iréfecture.  Mort  le  16  mai  1S41. 

4.  P.  Le\ol,  Histoire  de  la  ville  el  du  porl  de  Brest  pendant  In  Terreur,  p.  13G. 

5.  M.  Lenotre,  ilans  le  chapitre  cjuMl  a  consacré  à  M""^  lîoui|uey  {Vieilles  maisons, 
vieux  papiers,  3''  série),  a  écrit  par  erreur  (p.  372)  que  Salle  s'embarqua  avec  (Uiadef 
el  les  autres  Girondins  à  Lanvëoc,  le  21  .septembre  1793;  à  cette  date,  le  député  de  la 
Meurthe  était  à  Bordeaux  depuis  un  mois. 

().  Lon\el,  Mémoires,  l,  171. 

7.  De  son  vrai  nom  Marguerite  Dcnuelle  (17.59-1827).  Elle  était  divorcée  d'un  riche 
joaillier  du  Palais-Royal,  M.  Cholet;  Louvet  l'avait  épousée  «  à  la  Jean-Jacques  »,  lors 
de  son  séjour  à  Vire,  à  la  lin  de  juillet  1793.  (V.  article  que  lui  a  consacré  M.  Cl.  Perroud, 
liévolulion  française,  LX,  p.  216  et  suiv.) 

8.  Du  C'.liatellier,  Histoire  de  la  Béiiolution  dans  les  départements  de  rancienne  Bre- 
tagne, t.  111,  28-29.  Ce  vieux  château  se  ^'oit  encore  à  500  mètres  du  village  de  Poul- 
lian,  sur  la  route  de  Douarnenez  à  Audierne.  Le  pays  qui  l'entoure,  avec  ses  bouipiets 
de  [tins,  ses  ajoncs  cl  ses  fougères,  rappelle  beaucoup  nos  landes. 


NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    (URONDINS    PROSCRITS  3ll 

(lire  de  ne  pas  s'occuper  doux,  h  ijuils  se  rcndraieat  incessamment 
à  Bordeaux  par  une  autre  voie  »  ^. 

De  riches  armateurs  brestois,  les  frères  Puuliquen^,  étaient, 
en  eiïet,  en  train  d'organiser  leur  fuite.  Au  dôLut  de  juillet  1793, 
ils  avaient  acheté  aux  enchères  j)ubliques,  pour  la  smume  de 
26,00t>  li\  les,  aux  citoyens  Duchéne  et  Pintedeviii.  armateurs  à 
Saint-Mali»,  un  navire  anglais  nommé  l'Imlnslrie  (ju'un  corsaire 
malouin  venait  de  capturer^. 

C'était  un  brick  «  du  port  d'environ  220  tonneaux,  construit  à  la 
fin  de  l'année  1790,  ayant  soixante-douze  pieds  de  tête  en  tête  » 
avec  un  entrepont  volant  entre  le  grand  mât  et  la  caudiusc''. 

Le  capitaine  que  les  frères  Pouliquen  chargèrent  d'armer  et  de 
commander  le  navire  s'appelait  Jean -Jacques  Granger.  C'était 
un  homme  de  haute  taille,  blond,  âgé  de  quarante  à  quarante-trois 
ans,  né  en  Acadie  ^  et  demeurant  à  Brest,  oii  il  était  marié  et  père 
d'un  enfant.  Il  paraissait  jouir  de  l'entière  confiance  de  ses  arma- 
teurs, «  ses  bourgeois  »  comme  il  les  appelait,  car  son  nom  figure  à 
côté  des  leurs  et  de  ceux  de  leurs  associés,  les  frères  Binard,  sur 
la  déclaration  de  propriété  du  navire  ^. 

Outre  le  capitaine,  l'équipage  se  composait  d'un  second,  César- 
Marie  Prévost,  âgé  de  trente-huit  ans,  originaire  de  Camaret,  d'un 
contremaître,  de  cinq  matelots  et  d'un  mousse'. 

Il  semble  que  tout  d'abord  les  messieurs  Pouliquen  n'aient  point 
songé  à  utiliser  ce  brick  pour  l  ransporter  les  Girondins  à  Bordeaux  ; 
ils  II'  destinaient  à  un  simple  voyage  d'affaires  à  l'île  de  Hé.  Il  devait, 
en  effet,  y  transporter  des  futailles  vides,  et  toutes  les  dispositions 
furent  prises  en  conséquence.  Le  8  septembre  1793  on  avait  embarqui' 
734  barriques,  4  pièces  et  23  tierçons,  plus  5  fûts  de  Saintonge.  La 

1.  Louvel,  Mémoires,  I,  171.  —  Mcillan,  Mémoires,  l.Si'i. 

2.  Un  des  fril-rcs  Pouliquen,  .Jeun-Maurice,  nt'-  ;'t  Itresl  le  "iO  juillet  17t'>3,  ilértmé  ilans 
cette  ville  le  19  avril  1814,  fut  maire  de  Brest  tlu  17  lliermidor  an  VIII  au  l""'  prairial 
an  X. 

3.  Acte  de  vente  du  navire  anglais  l' Intluslrie,  l"  juillet  1703.  .\rcli.  île  la  (iironde, 
L  2835  (dossier  firanger,  A  5). 

4.  Certificat  de  jaugeage,  7  septembre  1793.  Placard  annonçant  In  \ente  du  navire 
r Jnduslrie.  .\rcli.  de  la  Ciroiide,  L  iSS")  (dossier  (iraniier,  \  Il  et  13^ 

5.  (/est  tout  au  moins  ainsi  que  nous  intcrpriMons  la  phrase  •  natif  d'.Vnacady  • 
(|ui  .se  trouve  dans  l'interrogatoire  dev;uit  la  Commission  milil.'iire  et  dans  le  jugement. 
Lou\et  le  croyait  Écossais. 

6.  Acte  de  propriété  du  navire  l' Indiislrie,  29  aoiU  1793.  • que  les  intéressés  nu 

susdit  navire  sont:  les  citoyens  Pouliquen,  comparaiU  pour  un  quart;  .Jacques  Itinard 
pour  un  autre  t|uart,  Louis-.Marie  Binard  pour  un  quart,  Élienne-Françoi»  .M.irchancI 
pour  cinq  \ingt-(iuatrièmes  et  .Jean-.Iac(|ues  (iranger  pour  un  \  ingl-qualriéme.»  .\rcli. 
de  la  (iironfle,  I.  2S35  (dossier  (iranger,  A  0^. 

7.  Rôle  d'équipage  du  ItricU  t' Industrie,  de  Brest.  Arch.  de  la  «iironde,  L  2835  (dos- 
sier Granger,  .\  12). 


3l2  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

veille,  le  capitaine  Oranger  avait  payé  Jes  droits  de  naviga- 
tion, conformément  à  la  loi  du  13  août  1791  ;  il  avait  pris  en  douane 
un  acquit-à-caution  à  destination  de  Saint-Martin-de-Ré  et  fait 
établir  le  rôle  par  le  chef  d'administration  chargé  du  détail  des 
classes  ^. 

Ce  rôle,  qui  prévoyait  deux  passagers  «  pour  lîle  de  Ré  »,  les 
citoyens  Guillaume  Balara,  de  Langon,  et  Henry  Jacques,  tous  deux 
marins  à  bord  de  la  frégate  la  Pomone,  ne  fut  point  modifié  par 
la  suite,  et  les  onze  autres  personnes,  parmi  lesquelles  les  Girondins, 
que  l'on  embarqua  plus  tard,  n'y  furent  point  portées. 

On  serait  peut-être  tenté  de  croire  que  tous  ces  préparatifs 
n'étaient  point  étrangers  à  la  fuite  des  proscrits  et  qu'en  prenant 
Saint-Martin-de-Ré  comme  but  du  voyage,  quitte  ensuite  à  pousser 
plus  loin,  sans  même  s'y  arrêter,  les  armateurs  voulaient  simple- 
ment écarter  une  surveillance  gênante  que  la  destination  de  Bor- 
deaux, indiquée  sur  les  papiers  de  bord,  aurait  peut-être  provoquée. 

Cette  hypothèse  est  inadmissible  ;  en  effet,  nous  trouvons  la  preuve 
que  la  destination  primitive  du  navire  était  bien  l'île  de  Ré  dans 
une  lettre  adressée  par  un  des  frères  Pouliquen  aux  citoyens  P. -P. 
Fournier  et  C'^,  à  Saint-Martin-de-Ré,  le  11  septembre  1793,  et 
qui  est  inédite  comme  toutes  les  pièces  d'archives  citées  jusqu'à 
présent  ^.  On  y  lit  ceci  : 

Ce  sera  le  Citoyen  Oranger,  cap"^  du  navire  V Industrie,  qui 

vous  remettra  cette  lettre.  II  a  passé  200  t^"^  de  bons  fûts  bordelais 

à  bord  de  son  navire.  Il  pourroit  s'entendre  avec  vous  pour  vous 

les  vendre  ou  pratiquer  une  échange  pour  du  sel  ou  des  vins.  Je  lui 

recommande  de  vous  voir  et  de  traiter  avec  vous.  Je  vous  prierai 

dans  le  cas  qu'il  eût  besoin  de  fonds  de  lui  en  faire  les  avances  et  sur 

votre  avis,  je  vous  en  remettrai  de  suite  le  montant. 

Votre    concitoyen. 

Pouliquen. 

Cinq  jours  plus  tard,  le  plan  de  fuite  était  combiné;  le  navire 
V Industrie  devait  aller  jusqu'en  Gironde.  Le  16  septembre,  en  effet, 
le  capitaine  Le  Scanvic,  qui  avait  piloté  le  premier  convoi  de  Giron- 

1.  «  Facture  des  pièces  barriques  et  tierçons  vuides  chargés  sur  le  bâtiment  l' In- 
dustrie... »,  septembre  1793.  Quittance  des  droits  de  navigation,  septembre  1793.  AcquU 
à  caution.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835  (dossier  Oranger,  A  3,  4  et  9'. 

2.  Sur  vingt-cinq  pièces,  de  valeurs  diverses,  que  contient  le  dossier  Granger  dans  le 
fonds  de  la  Commission  militaire  aux  Archives  départementales  de   la  Gironde,    trois 

eulement  ont  été  publiées,  et  encore  d'une  manière  incomplète  et  fautive,  par  M.  Vatel, 
■  ans  son  livre  Charlotte  de  Cordaij  et  les  Girondins,  sa\  oir  :  interrogatoire  du  capitaine 
'ranger,  par  P.  Pasquet,  off.  mun.  de  Pauillac  (Vatel,  p.  212);  interrogatoire  de  Blanc, 

onnelier  (Vatel,  p.  213);  interrogatoire  de  Grèze,  gabarier  (Vatel,  p.  214), 


NOUVELLES    RECnERCHES    SUR    r.FS    OIROJiniNS    PROSCRITS  3l3 

diiis,  01  ait  heurcust'iiii'iiL  d»;  rclnur  ;'i  lircsL  <;L  roiiirllail  au  lapil  aine 
Grangor  «  uno  friiillc  do  sisfnaux  pour  aller  à  linrih-nu  r  ■  '. 

Toutefois  on  ne  iiarlil   |iniiil   (oui  do  suili-. 

La  Républiijuc  (''Lail  eu  «^miciic  avec  l'Aufrl*  tt-rro  oL  un  navire 
non  arnn';,  comme  l'était  le  brick  F Indiislrir,  ne  pouvait  sans  dan- 
ger s'aventurer  seul  sur  la  nur.  Il  risquait  soit  (Têtre  juis  par  un 
des  corsaires  britanniques  (|ui  infestaient  les  côtes,  soit  de  rencon- 
trer quelque  naviœ  de  guerre  français,  ce  f[ui  était  aussi  dangereux 
pour  lui,  car  il  n'aurait  pas  luanqui-  irêlrc  reconuM  rt  visité.  Aussi, 
les  arnuifeurs  préférèrent-ils  atltiidcc  le  dépari  d'nu  (-«invoi  di-  blé, 
à  destination  de  Bordeaux,  (jui  se  préparait  à  ee  Mioiiioul-là  dans 
la  rade  de  Brest  et  devait  appareiller  le  20  septembre;  ou  uaviguo- 
rait  de  conserve  et  on  aurait  des  chances  de  passer  ainsi  plus  l'aei- 
lement  inaperçu. 

Les  Girondins  furent  dntic  prévenus  d'avoir  à  se  tenir  prêls,  et 
le  capitaine  Granger  reçut  les  instructions  nécessaires. 

Ici  se  pose  la  question  de  savoir  si  le  capitaine  du  brick  l' Intlnslrio 
eouiuit  la  vérifable  iflentité  des  passagers  (|ui  naviguèrent  à  xm 
bord,  s  il  l'ut  eu  un  mot  comj)lice  de  l'évasion  d<'s  Gironrlins. 

Il  s'en  est  toujours  défendu  avec  vigueur.  Dans  l'interrogatoire 
que  lui  fit  subir  le  citoyen  Pasquet,  oUicier  nuuiiciiial  de  Pauillae, 
le  28  septembre  1793=^,  il  répondit  à  la  question:  «S'il  connoit 
la  profession  de  ces  voyageurs?  —  Qu'ils  sont  négotiants  à  Bor- 
deaux. »  Plus  loin,  il  expliqua  que  «  le  dit  jour  25  (septembre),  à 
quatre  heures  de  l'après-midy,  la  citoyenne  Rivière,  aubergiste 
(à  Ambès),  lui  a  dit  (|uc  l'un  d'eux  ((îuadet)  était  le  gendre  du 
'  it.  Dupeyrat...  »  Deux  mois  plus  tard,  devaul  la  C-oiumission 
militaire  de  Bordeaux,  huscpn'  le  président  Lacoudie  lui  reprocha 
d'avoir  «  voulu  dérober  (les  i)roscrits)  aux  yeux  {sic)  du  (navirq) 
surveillant  (l'entrée  de  la  rivière)  »,  Granger  répli(iua  :  »  Pouliiain, 
son  armateur,  les  amena  à  bord  <'u  disaid.  que  c'étcut  des  négo- 
ciants, de  Bordeaux;  ...  (/ii'il  ne  les  nuiiiaissoil  fxis,  sans  quoi  il  Irs 
aiiroit  dénoncés  ^.  » 

Et  Guadet,  dans  l'interrogatoirt*  qu'il  subi!  devant  le  ComifT'  de 
surveillance  de  Bordeaux,  le  30  prairial  an  11.  c'est-à-dire  sept  mois 
après  la  mori    du  capilainc  du   brick  /' //i'/f/.s7/-/'c.  déclara  :  «Sur  ce 

1.  «  Note  des  p.'ifiiers  trouvés  au  rit.  Cranter,  «-.iiin'  ilu  navire  l' Industrie  «le  Brest.  • 
Arrli.  (le  1,1  Girnudc,  I.  '2X35.  Celle  feuille  de  si^tiaux,  iiiii  av;ul  éU-  versùe  au  dossier, 
ne  s'y  trouve  |ilus. 

•2.   Arcli.  de  la  «iironde.  L  2835  (dossier  Granger,  p.  3'. 

3.    kl.,  p.   13. 


3l/i  NOUVELLES    UECHERCHES    SUR    LES    GlRONDl-VS    PROSCRITS 

qu'il  y  a  de  plus  sacré,  j'allesle  qu'il  (le  capitaine  de  la  barque)  ne 
sqavoil  pas  qui  nous  étions,  tandis  que  j'ai  appris  qu'il  avoit  été 
condamné  pour  nous  avoir  donné  passage  sciemment  ^.  » 

Malgré  ce  dernier  témoignage,  très  formel  et  tout  à  fait  désinté- 
ressé, mais  qui  ne  prouve  qu'une  chose,  c'est  que  vis-à-vis  des  prosr 
crits.  Oranger  se  conduisit  comme  s'il  ne  les  connaissait  pas,  il  nous 
paraît  inadmissible  que  ce  même  Oranger,  coïntéressé  à  l'expédition 
du  navire  qu'il  commandait,  homme  certainement  très  intelligent 
—  la  présence  d'esprit  et  l'habileté  avec  lesquelles  il  se  défendit 
par  la  suite,  le  démontrent,  —  ait  ignoré  la  véritable  identité  des 
voyageurs  qu'il  reçut  successivement  à  son  bord  d'une  manière 
assez  louche,  et  qu'il  débarqua,  en  pleine  Oironde,  d'une  manière 
plus  louche  encore. 

Ce  n'est  c{u'une  présomption,  il  est  vrai,  mais  la  suite  du  récit 
en  démontrera  la  vraisemblance  ^. 

20  septembre  1793.  — -  Le  convoi  devait  prendre  la  mer  le  20  sep- 
tembre à  minuit,  au  signal  d'un  coup  de  canon.  Il  fut  convenu  que 
les  Oirondins  se  trouveraient  à  «  onze  heures  du  soir  au  plus  tard  » 
sur  la  plage  de  Lanvëoc,  où  un  canot  du  bord  devait  venir  les 
prendre  ^.  Le  choix  de  ce  lieu  de  rendez-vous  s'explique  par  ce 
fait,  que  c'était  le  point  do  la  rade  le  plus  accessible  en  venant  de 
Quimper. 

«  Nous  commencions,  écrit  Louvet  dans  ses  Mémoires  *,  à  déses- 
pérer de  l'embarcation  tant  promise,  lorsque,  le  20  septembre,  on 
vint  me  chercher.  Hélas  oui  !  on  ne  venait  chercher  que  moi  !  Jus- 
qu'alors on  m'avait  assuré  que  rien  n'empêcherait  que  ma  femme 
fût  reçue  à  bord  du  bâtiment;  on  vint,  dans  cette  triste  soirée,  nous 
apprendre  que  les  circonstances  étaient  telles  qu'il  était  impossible 
qu'une  femme  entrât  dans  le  vaisseau  sans  nous  compromettre  tous, 
et  que  le  capitaine  se  voyait  à  regret  obligé  de  déclarer  qu'il  n'en 
recevrait  aucune.  Quel  coup  de  foudre  pour  ma  Lodoïska  !  Je  ne 
voulais  pas  partir  puisqu'elle  ne  partait  pas.  Elle  sentit  qu'une  telle 
résolution  ne  pourrait  que  nous  perdre;  elle  exigea  que  je  m'éloi- 
gnasse. » 


1.  Arch.  de  la  Girontle,  L  2858  (dossier  Guadet,  p.  1).  Publié  par  Vatel,  Charlolle  de 
Cordaij  et  les  Girondins,  p.  172. 

2.  Nous  ne  faisons  en  cela  que  suivie  Louvet,  qui,  dans  ses  Mémoires,  fait  jouer  au 
capitaine  le  rôle  de  complice. 

3.  Louvet,  Mémoires,  I,  .187. 

4.  Id.,  I,  185. 


>'ouvEr,rES  nEcnEnciiKs  snu  les  <;irt()M)!N>  1'K<»s(;uits  .'{i.'» 

Lduvct,  quitta  nuiiiipcr  ;'i  cinq  lii'uri'>  du  .sdir.  ^  ;'i  la  vui-  df  tout 
le  monde,»  en.  compaguic  d'un  auii  aûr.  Hors  dt^  la  ville,  «à  deux 
cents  pas  »,  ils  trouvèrent  des  rhevaux  poui-  faire  its  (|uin/e  lieues 
de  poste  qui  les  séparaient,  de  Lanvëoc.  Ils  eu  avaient  fait  à  peine 
deux,  lorsqu'ils  rcneontrèrent  Guadet,  Pétiou  et  Huzot  i  qui.  ayant 
abandonné  l'asile  que  le  citoyen  Cliajjpuis  leur  a\ait  si  généreuse- 
ment donné  au  château  de  Kervcrnargan -,  attendaient  leurs  col- 
lègues en  compagnie  d'amis  fidèles  :  c'étaient  Belval,  Souche  de  la 
Brémaudière  et  de  La  Hubaudièrc.  l.'nii  de.s  l'ouliquen  était  resté 
en  arrière  ihmm-  dépister,  au  besoin,  en  causant  avec  eux,  les  gen- 
darmes en  (ournée  ^. 

Les  premières  effusions  passées,  on  causa  du  voyage  et  celui  des 
Pouliquen  qui  était  là,  offrit  de  l'argent  aux  proscrits  :  ils  refusèrent, 
d'autant  plus  que  ces  armateurs  ne  voulaient  rien  accepter  pour  le 
prix  du  voyage  à  Bordeaux^.  Mais  ils  prirent  avec  reconnais- 
sance les  passeports  délivrés  par  la  municipalité  de  Brest  que  leurs 
amis  leur  avaient  procurés  sous  des  noms  supposés  ^ 

Barbaroux,  qui  manquait,  se  fit  beaucoup  attendre.  Cependant 
il  n'était  pas  minuit  lorsqu'ils  parvinrent  tous  à  Lanvëoc.  Pouliquen, 
qui  le  matin  même  y  avait  débarqué  en  venant  de  Brest  aviM- 
Belval,  avait  fait  préparer  un  repas  dans  une  auberge;  on  s'attabla 
lorsqu'on  apprit  que  la  chaloupe,  que  le  capitaine  devait  envoyer, 
n'avait  pas  encore  paru. 

Au  bout  d'une  demi-heure,  les  armateurs  ne  voyant  rien  venir 
commencèrent  à  s'alarmer,  d'autant  plus  (|u'un  tel  rassemblement 
de  personnes  dans  cette  auberge  de  villag»',  à  une  pareille  heure, 
pouvait  donner  l'éveil.  Et  leurs  craintes  redoublèrent  lorsqu'ils 
aperçurent,  parmi  les  gens  (|iii  buvaient  dans  la  salle  à  côté  de  celle 
où  se  trouvaient  les  Girondins,  le  cor7imandant  du  fort  de  Lanvëoc  ". 

lis  se  décidèrent  alors  à  fréter  une  barque.  L'un  d'eux  courut 
i'i\  lillcr  des  pêcheurs  (|ui,  juoyennant  trii)le  salaire,  consentirent  à 
les  conduire,  mais  il  fjilhil  attendre  encore  Iroj.-;  (piarls  dlicure  |ioiir 
l)ermcttre  à  la  marée  montante  de  mettre  l'endiarcation  à  Ilot. 

1.   I.,oint't,   Mriii'iircs,    I,   187. 

'2.  Du  (ili.-ilcllier,  llisl')irc  de  In  Hvi'nliiliini  ihins  les  dviuirlrmruls  (/<•  l'ancirnni'  lirc- 
lagne,   t.    III,   p.  2S. 

3.  J.f'\o(.  Hi.slnirc  ilr  lu  villr  ri  ilii  pnrl  de  lircsl  i>riidiinl  lu  Trrrciir,  \t.  I.'jy. 

4.  l.oiiM'l,   Mémoires,   I,   IS7. 

5.  Itilerrntjntoirp  <lc  (;r;iiiî.'iT  |i;ir  le  C.  l'asiiiid.  Atrli.  de  I.'i  (iiroMlc,  I,  '.'.S35.  —  (iu.-i<lrt 
avait  (li>jà  nu  passeport  que  lui  avait  délivnS  la  niiiniripaliti^  do  Falaise  sous  le  nom 
d'»  Ilrliùs,  nég'  français  ••.  Hepioduit  p.ir  Valfl,  Chnrlotlc  de  Cordai/  cl  les  (Jirortdins, 
p.  18.'!. 

().   l,o'i\iM,  Mémoires,  \,  1n7. 


3l6  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

21  septembre  1793.  —  «  Il  était  plus  d'une  heure  »  lorsque  Guadet, 
Barbaroux,  Pétion,  Louvet  et  Buzot,  avec  les  armateurs  Pouliquen, 
s'installèrent  dans  une  de  ces  grosses  barques  pointues  des  deux 
bouts,  avec  deux  mâts  inclinés  et  un  beaupré  mobile,  telles  qu'on 
en  voit  encore  aujourd'hui,  à  sec,  sur  les  plages  de  la  côte,  ou  dans 
la  rade,  fendant  la  lame,  poussées  par  des  voiles  multicolores. 

On  partit  à  la  rame.  Il  avait  été  convenu  avec  le  capitaine  Oranger 
que  le  navire  devait  rester  en  arrière  du  convoi  et  attendre  les  voya- 
geurs à  une  lieue  de  Lanvëoc,  derrière  une  pointe^.  Mais  lorsqu'on 
y  parvint,  aucun  navire  ne  s'y  trouvait. 

La  déception  fut  cruelle  et  l'anxiété  grande  pour  les  fugitifs  : 
«  Nous  l'avons  fait  attendre  trop  longtemps,  dirent-ils,  il  a  été  forcé 
de  retirer  les  ancres  et  de  suivre  le  convoi.  » 

On  hissa  les  voiles  et  pendant  toute  la  nuit  la  petite  barque  se 
mit  à  courir  des  bordées... 

Peu  à  peu  le  jour  parut;  mais,  dans  la  brume  qui  les  enveloppait, 
ils  ne  distinguèrent  d'abord  rien  et  leur  désespoir  s'accrut,  «  Nos 
montres,  à  chaque  instant  consultées,  marquent  six  heures,  sept 
heures,  sept  heures  et  demie  !  Toute  espérance  nous  abandonne  : 
qu'allons-nous  devenir?  la  terre  et  la  mer  sont  en  ce  moment  éga- 
lement dangereuses  pour  nous  2.  » 

Exténués  de  fatigue,  transis  de  froid,  ils  gisaient  au  fond  de  la 
barque,  ne  sachant  quel  parti  prendre,  ne  regardant  même  plus  la 
mer,  car  pour  eux  il  n'y  avait  plus  d'espoir  :  le  brick  V Industrie 
voguait  maintenant  bien  loin  en  plein  océan. 

Soudain,  un  des  messieurs  Pouliquen  ayant  levé  la  tête  vit,  tout 
proche,  un  navire  qu'il  crut  reconnaître.  Il  le  héla  :  «  L'Industrie? 
demanda-t-il;  on  répond:  Oui.  —  Capitaine  Granger  ?  —  Oui, 
nous  vient-il  encore.  »  La  joie  des  proscrits  fut  extrême,  ils  s'em- 
brassèrent :  «  Vite,  vite  au  vaisseau  ^  !  » 

«  Avec  quelle  légèreté,  —  ajoute  Louvet,  dont  nous  suivons  le 
récit  pas  à  pas,  —  le  plus  pesant  d'entre  nous  y  grimpa  !  «  Il  fait 
ainsi  allusion  à  la  corpulence  de  Barbaroux  qui  cependant,  à  ce 
moment-là,  se  hissa  aussi  aisément  que  les  autres  à  bord  du  navire. 

1.  Probablement  derrière  l'Ile  Longue,  dans  le  petit  port  formé  par  la  presqu'île  de 
Quelern. 

2.  Louvet,  Mémoires,  I,  188-189.  Ce  serait  donc  vers  les  huit  heures  du  matin  que 
les  Girondins  seraient  montés  à  bord  de  l' Industrie.  Toutefois,  dans  son  interrogatoire, 
Prévost,  second  du  navire,  déclare  que  le  brick  quitta  la  rade  de  Brest  «  le  21  du  cou- 
rant à  cinq  heures  du  matin  ».  Arcli.  de  la  Gironde,  L  2835  (dossier  Granger,  n"  .5). 

3.  C'est  ainsi  que  Louvet  décrit  la  scène,  Ménioires,  I,  189.  Nous  y  avons  ajouté  les 
noms  propres. 


NOUVELLES    RECHERCHES   St  h    I.ES    GIRONDINS    PROSCRITS  3 1  "^ 

Puis  on  leur  lit  passer  leurs  bagages,  assez  niodestos  d  aillrur>  ;  une 
pcititt'  malli"  pesante,  dlc^  (•(tiilrn.iit  «des  papii;rs  j)ul)lic.s  »,  trois 
valises  liées  eiiseinblf  rt  l<iul  uu  assortimcul  de  «pistolets,  sabres 
et  cannes  à  sabre  »  ^. 

Les  armateurs  detnandèrent  ainrs  au  cajjitaine  (juelques  exjdi- 
cations.  Celui-ci  répondit  u  ({u'il  avait  délil<'-  à  uiinuil,  précis.  Pour 
ne  pas  nie  rendre  suspect,  j'ai  enlin  (b'inarré,  poursuivit-il;  bit-nlûl 
je  suis  resté  en  arrière,  malgré  mes  matelots  uu'^contents  d(;  nu;s 
manœuvres,  j'ai  perdu  iium  Icmps;  je  jiarhiis  eidin,  quand  j'ai  iru 
voir  queUiuc  chose.  .)  ;ii  lait  voile  de  ce  côté;  mais  une,  secdiidf 
plus  tard  tout  était  dit...  »  Bien  que  h^  navire  soit  bon  voilier,  il 
ne  fallait  pas  compter  ratlrîqier  le  convoi  avant  la  lin  du  jour  et 
Oranger  se  montrait  soutieu.v  de  cela,  il  crainnail  «  l'Anglais  n.  Les 
frères  Pouliquen  l'encouragèrent  :  «  Au  i  i>(iui'  de  perdre  le  bâtiment, 
s'écrièrent-ils,  allez,  essayons  i'i  tout  prix  de  sauver  ces  braves 
gens  2.  »  Puis  ils  embrassèrent  une  dernière  fois  leurs  amis,  n-mon- 
tèrent  dans  la  barque  et  prirent  la  direction  de  Brest  tandis  que 
r Industrie  traversant  le  goulet,  gagnait  la  haute  mer. 

La  cabine  du  capitaine,  où  les  armateurs  avaient  conduit  aussitôt 
les  Girondins,  et  qui  devait  leur  servir  de  logement  ^  pendant  la 
traversée,  était  assez  exiguë  et  très  sommairement  meubh'-e  d'une 
table  à  tiroir,  de  bancs  et  de  coffres,  contenant  le  vestiaire  assez 
considérable  du  capitaine  avec  ses  cartes  et  quehiues  livres.  Il  y 
avait  pour  tout  couchage  «  un  matelas  à  carraux  rouges,  un  (U'eiller, 
un  drap  commun,  une  couverte  blanche  bordée  aux  quatre  coins...  »  •*. 
Mais  ce  peu  de  confort  ne  devait  guère  i)réoccuper  dvs  homnies  (|ui 
depuis  trois  mois  menaient  la  vie  errante  des  hors  la  lui. 

Guadet,  Pétion,  Buzot,  Louvet  et  Barbaroux  trouvèreni  di'j;i 
installés  dans  cette  pièce  leur  collègue  Valady  ^  et  ////  de  ses  amis. 
Ils  avaient  été  embarqués,  au  moment  où  le  brick  allait  quiUer 
Brest,  en  même  temps  que  (juatre  matelots  de  la  frégate  la  Ptnnone^ 

1.  Déclnralioii  «le  M.irijuorilo  (irellet,  épouse  liliinr.  Arcli.  ilt-  lii  liiroiulo,  L  •2".î.'i7. 
Inlerrogaloire  de  Ciraiiixer  par  Pasqupl,  off.  imin.  ilt'  Pauillac.  liiU'rrogaloiru  île  Pré- 
vost, seconil  de  l' Induslric.  Arcli.  de  la  Cirondc,  I.  'ix'S't. 

•2.  Louvet,   Mémoires,    I,   100. 

3.  Id.,  I,  180. 

4.  «  Inventaire  des  effets  a|>pai'lenant  au  ry  tle\ant  capitaine  (ir.'inger  trou,vés  ù 
bord  de  l' Industrie...  »  Arcli.  de  la  (iironde.  L  "iliU.  .le  no  s.-tis  où  il  a  pria  ce  renseljfne- 
nicnt,  mais  Lamartine  j)réteinl  (lue  les  fiirondins  couchèrent  sur  des  nattes  {Histoire 
des  Girondins,  édit.  1S4S,  t.  VI,  p.  ■222*. 

5.  Izarn,  marcjuis  de  Valady  (.laccpn-s-tlndefroy-C.linrles-XHN  ier-.Fe.-in-Josepli".  né  à 
llanassac  (Lozère)  le  23  septembre  1700.  (Jflicier  dans  le.s  (iardes  fr.'in^'uises,  aide  de 
camp  de  La  Fayette,  député  de  IWveyron  à  la  Convention.  Guillotiné  ù  Périgueux  le 
5  décenilire  1793. 

tJ.  Eu  plus  des  deux  matelots  portés  sur  le  rôle  d'équipage. 


3l8  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIROINDINS    PROSCRITS 

qui,  en  congé  régulier,  regagnaient  leurs  foyers.  Le  capitaine  les 
avait  lui-même  amenés  clans  le  canot  du  bord  ^ 

Qu'était  cet  ami  de  Valadij  que  nous  voyons  ainsi  partager  les 
périls  du  voyage? 

A  notre  connaissance,  cette  question  jusqu'à  ce  jour  est  restée 
sans  réponse.  Louvet  dit  simplement  qu'il  n'était  pas  conventionnel 
et  qu'il  alla  se  faire  prendre  aux  environs  de  Périgueux  -.  Il  ajoute, 
autre  part,  qu'il  était  grand  et  blond,  et,  qu'à  cause  de  cela,  il  fut 
confondu  par  les  terroristes  bordelais  avec  le  général  fédéraliste 
Wimpfen^.  M.  Aulard,  dans  l'édition  critique  qu'il  a  donnée  des 
Mémoires  de  Louvet,  n'a  mis  aucune  note  au  bas  de  ces  passages. 

C'est  grâce  à  l'obligeance  des  arrière-petits-neveux  du  député  de 
l'Aveyron  que  nous  croyons  pouvoir  donner  quelques  renseigne- 
ments sur  ce  mystérieux  personnage^. 

Il  s'appelait  Aubert  et  exerçait,  au  moment  de  la  chute  des 
Girondins,  le  métier  d'imprimeur  à  Paris,  rue  des  Prêtres-Saint- 
Paul,  n°  5.  Jusqu'en  mars  1793,  nous  ne  savons  rien  de  lui,  sinon 
qu'il  avait  vingt-quatre  ans  à  cette  époque  et  venait  de  publier  un 
livre  sur  l'Educaiion.  En  juin  1793,  il  suivit  Valady  à  Caen,  et 
celui-ci  l'avait  en  si  haute  estime  que,  prévoyant  sa  fin  prochaine, 
dans  les  dernières  volontés  qu'il  écrivit,  il  légua  à  Aubert  tout  ce 
qu'il  possédait  à  Paris.  Les  deux  amis  firent  ensemble  toutes  les 
étapes  du  voyage  et  lorsque  Valady  quitta  Saint-Émilion,  c'est  avec 
ce  jeune  homme  qu'il  s'achemina  vers  Périgueux,  où  il  devait  trouver 
la  mort.  Arrêté  lui-même  à  Brantôme,  Aubert  fut  conduit  à  Ver- 
sailles. En  avril  1794,  il  est  en  prison  aux  Madelonnettes,  à  Paris; 
il  en  sort  quelque  temps  avant  le  9  thermidor.  Ensuite  nous  perdons 
sa  trace  ^. 

Au  moment  où  nous  rencontrons  Aubert,  sa  présence  à  bord  de 
r  Industrie  s'explique  donc  uniquement  par  l'amitié  très  vive  qu'il 
portait  au  représentant  de  l'Aveyron,  car  il  n'avait  point  été  pros- 
crit; tout  au  plus  était-il  suspect. 

A  se  trouver  ainsi  réunis,  Guadet  et  ses  compagnons  durent 
éprouver  un  peu  de  joie;  mais  elle  fut  de  courte  durée,  les  craintes 
et  les  dangers  qu'ils  avaient  peut-être  espéré  laisser  en  quittant  la 

1.  Interrogatoire  de  Grunger  par  Pierre  Pasquet.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835. 

2.  Louvet,  Mémoires,  I,  245. 

3.  M.,  I,  202. 

4.  Que  M.  le  marquis  et  M.  le  comte  de  Valady  veuillent  bien  recevoir  nos  bien  vifs 
remerciements  pour  l'amabilité  avec  laquelle  ils  ont  répondu  à  nos  questions. 

5.  Renseignements  recueillis  par  M.  Jany,  de  Paris,  et  qui  nous  ont  été  communiqués 
par  M.  le  comte  de  Valady. 


NOUVELLES    RECHERCHES    SLR    LKS    (ilRONDINS    PROSCRITS  3iy 

Bretagne,  allaient  de  nouveau  les  assaillir,  et  cela  dès  le  début  du 
voyage. 

Il,  y  avait,  en  effet,  deux  [niii<'>  (jm  ji'  hiick  n  labourait  la  inern, 
forçant  de  voiles  pour  rattraper  If  convoi,  Idrsjpur  tout  à  coup,  cinq 
bâtiments  apparurent  ;'i  l'Imri/.iiu,  rangés  m  cercle:  «Corsaire 
anglais  !  »  cria  l'équipage. 

Le  capitaine  ne  parut  pas  d'abord  y  faire  grande  attention,  il 
Voulut  continuer  sa  route,  attendu  «  qu'on  ne  pouvait  distinguer 
encore»,  mais  les  matelots  murmurèrent  et  le  second,  César-Marie 
Prévost,  «  qui  avait  bu  »,  se  Faisaid,  l'interprète  des  sentiments  de 
l'équipage,  déclara  à  son  clief  :  «  qu'on  ne  prétendait  pas,  piiiir  ije- 
passagers  inconnus,  courir  le  risque  d'être  conduit  en  Angleterre;  »  ', 

La  situation  du  capitaine  Oranger  était  à  ce  moment  très  délicate; 
se  réfugier  en  eiïet  dans  un  port  de  France,  c'était  risquer  sa  tête 
et  celles  des  passagers;  continuer  le  voyage,  c'était  la  révolte  à  son 
bord  ou  la  capture  par  les  Anglais,  et  les  Girondins  ne  se  souciaient 
guère  d'être  conduits  en  Angleterre. 

«  La  Grande-Bretagne,  explique  Louvet  dans  ses  Méinuircs,  devait 
être  pour  nous  la  terre  maudite.  Quelle  que  pût  avoir  été  la  violence 
qui  nous  y  aurait  conduits,  la  calomnie  ne  manquerait  pas  de  nous 
y  poursuivre;  elle  serait  crue  en  affirmant  que  nous  y  avions  passé 
volontairement.  Nous  y  laisserions  avec  la  vie,  un  bien  plus  précieux  : 
l'honneur.  Aussi,  devant  un  corsaire  de  cette  nation,  ne  restait-il 
qu'une  ressource,  et  la  résolution  en  était  prise,  c'était  de  nous  jeter 
à  la  mer  pour  ne  pas  tomber  dans  ses  mains  '-.  » 

Le  capitaine  de  l'Industrie  prit  alors  le  parti  le  plus  sage,  celui 
de  rebrousser  chemin  dans  la  direction  de  Brest.  Guadet  prétend 
que,  par  deux  fois,  ou  recommença  cette  manoeuvre  par  peur  des 
corsaires  britanniques  ^. 

Au  bout  de  deux  heures  de  navigation  en  sens  contraire.  «  sur 
le  point  de  rentrer  dans  la  rade  »,  le  brick  vira  de  bord  de  nouveau, 
la  mer  paraissant  libre.  L'équipage,  mis  en  belle  humeur  par  une 
large  distribution  d'eau-de-vie,  manœuvra  activement  alin  de  rat- 
traper le  convoi  qui  avait  à  ce  moment-là  douze  heures  d'avance  *. 

Cependant  la  journée  s'écoula  sans  incident,  mais  on  juge  faci- 

1.  I.ouvel,  Mémoires,  I,  11*0. 

2.  ht.,  I,  190.  Sur  les  motifs  nui  iiii|.i'.ii;iifiil  les  (iiioïKliiu.  de  passer  à  l'élronirer, 
voir  article  de  M.  Cl.  Perroiid  :  »  l.a  iirosiriplion  de  Louvel  ,  Hévolulion  française, 
t.  l.XIII,  p.  303. 

3.  InIciTOï.itoire  de  (niaiiel  dev.wit  le  Comité  de  >ur\  eill.inru  de  Bordeaux.  .Vrch. 
de  l:i  Gironde,  L  iS-^S. 

4.  Louvel,  Mt'iiniires,  Ij  192; 


SaO  NOUVELLES    «ECHERCHES    SUh    LES    GIRONDINS    PtlOSCtllTS 

lement  de  l'état  d'esprit  des  proscrits,  «  Nous  n'étions  rien  moins 
que  tranquilles  »  déclare  Louvet  \ 

22  septembre  1793.  —  La  nuit  se  passa  bien.  Au  lever  du  soleil 
les  Girondins  eurent  une  nouvelle  alerte  :  des  navires  apparurent 
à  l'horizon,  «  jetés  à  peu  près  comme  ceux  de  la  veille  »,  seulement 
ils  étaient  plus  nombreux.  Le  capitaine  se  fit  apporter  sa  lunette 
et,  après  quelques  minutes  d'observation,  déclara  que  c'étaient  les 
Français.  Effectivement,  un  moment  après,  V Industrie  passait  devant 
le  front  de  la  grande  flotte  de  Brest.  «  Vingt-deux  vaisseaux  de  ligne 
et  douze  à  quinze  frégates  étaient  devant  nous,  écrit  Louvet,  jugez 
de  nos  transes  à  ce  magnifique  spectacle  !  »  Les  Girondins  n'igno- 
raient pas  en  effet  que  leurs  signalements  avaient  été  envoyés  à  tous 
les  capitaines  des  vaisseaux  de  la  République  avec  injonction  for- 
melle de  visiter  tous  bâtiments  en  mer,  et  surtout  d'y  examiner 
les  passagers. 

Si  pareille  visite  avait  eu  lieu,  sans  nul  doute,  leurs  passeports 
ne  leur  auraient  guère  servi,  la  tête  de  plusieurs  d'entre  eux  était 
trop  populaire  pour  n'être  pas  de  suite  reconnue.  «  N'avions-nous 
pas  avec  nous  ce  Pétion,  dont  la  figure  était  si  généralement  connue 
et  qui,  de  peur  d'être  trop  méconnaissable,  s'avisait  d'avoir,  à  moins 
de  quarante  ans,  la  barbe  et  les  cheveux  blancs  ^  ?» 

Aussi,  pendant  tout  le  temps  que  le  brick  mit  à  longer  la  ligne 
de  l'escadre,  les  Girondins  eurent  soin  de  ne  pas  se  montrer,  et  même, 
par  excès  de  précaution,  ils  se  couchèrent  à  plat  ventre  dans  la 
cabine  où  ils  étaient  enfermés,  redoutant  sans  doute  d'être  aperçus 
par  les  hublots,  et  serrant  contre  eux  leurs  armes,  décidés  qu'ils 
étaient  à  se  tuer  eux-mêmes  plutôt  que  de  se  laisser  appréhender 
vivants. 

Mais  leurs  craintes  furent  vaines.  Personne  ne  songea  à  inquiéter 
ces  «  marchands  »  d'allure  inoffensive  et  on  n'interrogea  même  pas 
le  capitaine  qui  se  tenait  debout  sur  le  pont,  l'air  assuré,  «  prêt  à 
mentir  au  premier  porte-voix  qui  le  questionnerait»^. 

Même,  après  le  passage  de  l'escadre,  les  voyageurs  «  affectèrent 
de  ne  pas  se  montrer  sur  le  pont  »  *.  —  Bien  mal  à  l'aise  dans  l'étroite 


1.  Louvet,  Mémoires,  I,   192. 

2.  Id.,  I,  193. 
8.   Id. 

4.  Déposition  de  l'équipage  de  l'Industrie.  Arcli.   de  la  Gironde,  L  2858  (dossier 
Granger,  n"  2). 


NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    l'HOSCRITS  3a  I 

cabine,  ils  préféré  l'eut  néanmoins  no  pas  so  faiic  \Mir.  lif  juin-  irétre 
reconnus  des  autres  passagers  et  île  l'équipage. 

Pour  passer  le  temps  ils  dormaient,  ils  devisaient,  ds  lisaient. 

Les  ressources  de  cv.  côté-là  n'étaient  guère  abondantes;  on  avait 
embar([ué  à  Brest  une  malle  pleine  de  pajjiers  publics  et  il  n'y  avait 
à  bord  que  «  trois  bouquins  »,  en  outre  d'ouvrages  spéciaux  tels 
qu"  »  un  Cours  de  Navigation,  un  livi'c  de  sinus  et  tangentes,  l'arith- 
métiqur  ru.  sa  perfection  l'u  un  nmIuihc  jniif  >  '.  1/un  des  conven- 
I  ionnels  avait.  niiiMiitt-  uur  ^n'aiiiiii;iirr  anglais»^  c\  travaillai!  la 
langue  |iinlial>lciiii'ul  iKnir  le  cas  où  il  i|i\i;iil  |p.i>.-i|- en  AiMéri(|UT' '. 
liarbaroux  jilaisantail  ■'.  IN'tion.  I(»uj(»uis  calme,  «  inaltérable, 
i)ravant  Inus  les  besoins»,  méditait  le  souiire  aux  lèvres-*.  Ru/»tt 
s'isolait  pour  savourer,  encore  et  toujours,  la  dernière  lettre  si  pas- 
sionnée que  M'"*^  Roland,  du  fond  de  sa  prison,  lui  avait  fait  parvenir  : 
«  ...  Dans  l'étrange  destinée,  lui  écrivait-elle,  qui  vous  réunit  si  étroi- 
tement pour  vous  séparer  plus  cruellement  encore,  jouis  du  moins, 
ô  mon  ami  !  de  l'assurance  d'être  chéri  du  cœur  le  plus  tendre  qui 
fut  jamais...  Adieu,  l'homme  le  plus  aimé  de  la  fenuiie  la  plus 
aimante  !  Va,  je  puis  te  le  dire  :  on  n'a  pas  encore  tout  perdu  avec 
un  tel  cœur;  en  dépit  de  la  fortune,  il  est  à  toi  pour  jamais...  .\dieu  ! 
oh!  comme  tu  es  aimé  ^  !  »  Quant  à  Louvet,  il  notait  avec  soin 
les  péripéties  du  voyage  et  mettait  au  point  son  Ilijinne  de  mort 
([u'il  voulait,  s'il  tombait  aux  mains  de  ses  ennemis,  chanter  en 
allant  à  l'échafaud  : 


Mais  la  foule  se  j)resse  et  crie. 

Peuple  infortuné,  je  t'entends  ! 

Adieu,  tria  famille  chérie, 

Adieu,  mes  amis  de  vingt  ans  ! 
Liberté  !   Liberté  !  pardonne  à  la   foule  aliusée  ! 
Mais  vous,  tyrans  !  le  Midi  peut  encore  vous  punir  ! 

Moi  je  m'en  vais  dans  l'Elysée, 

Avec  Sidncy  m'entretcnir  "  1 


1.  Iri\ciilaire  des  effels  apparlcruuil  au  ci-devant  eapilaiiie  Cirangor.  •  .\rch.  de  la 
(iiroiidc,  L  2\<M. 

2.  Déclaration  de  la  fcinine  lîlani'.  Arcli.  de  la  «orondc,  I,  •i-2T>~. 

3.  -Meillan,  Mcrnoires,  \>.  131. 

4.  Louvet,   Mcrnoires,   I,   104.  —  .Meillan,   Miinoirvft,  |>.   130. 

5.  Cl.  l'eiioud,  Lcllrcs  de  A/""^  Holund,  11,  .■>()/  et  t^uix. 

6.  Louvet,  Mcmdires,  I,  174.  —  «  En  sontreanl  à  ce  (iu"a%.'iient  élé  les  proscrits,  à 
ce  qu'étaient  alors  leurs  espérances  ou  leurs  déceptions,  on  regrette  que  n'aient  pu  être 
recueillis  les  épanchenienls  de  ces  pramles  Ames  pendant  les  lonijs  montent^»  île  la  tra- 
versée. ■•  J.  Guadet,  Les  Girondins,  leur  vie  privée,  leur  vie  publique,  leur  proscription 
cl  leur  mort,  II,  p.  3i33. 

s3 


52  2  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LÈS    GIRONDINS    PROSCRITS 

Ah  !  ce  Midi!  comme  il  devait  faire  l'objet  de  leurs  conversation,s 
et  quels  projets  de  vengeance  ils  méditaient  déjà  !... 

Sur  le  soir,  les  Girondins  eurent  encore  une  forte  émotion.  Le 
brick  se  trouvait  au  nord-ouest  de  Belle-Ile,  lorsqu'un  groupe  de 
voiles  fut  signalé.  Le  capitaine  annonça  le  convoi  de  Brest.  Bientôt" 
un  navire  s'en  détacha  et  vint  à  la  rencontre  de  F  Industrie.  C'était 
la  corvette  la  Chérie,  un  des  deux  navires  de  guerre  de  l'escorte, 
qui  venait  reconnaître  le  bâtiment  \ 

Dès  qu'on  fut  à  portée  de  voix,  les  questions  et  les  réponses  se 
croisèrent  :  «  D'où  venez-vous  ?  —  De  Brest.  — -  Vous  êtes  bien  arriéré. 
—  J'ai  été  aussi  vite  que  j'ai  pu.  —  //  faut  que  vous  soyez  bien  mau- 
vais voilier!  »  A  cette  question  désobligeante  le  capitaine  ne  répondit 
pas.  Enfin,  on  demanda  s'il  y  avait  des  passagers  à  bord  et,  encore 
une  fois.  Oranger  «  fit  retentir  l'air  d'un  non  le  plus  vigoureux  ». 
Comme  pour  vérifier  cette  réponse,  la  corvette  mit,  à  ce  moment-là, 
sa  chaloupe  à  la  mer  2. 

Les  proscrits,  qui,  par  les  hublots  de  la  cabine  du  capitaine,  sui- 
vaient la  scène,  furent  absolument  affolés  en  voyant  cette  manœuvre. 
Ils  jetèrent  à  la  mer  «  tous  les  papiers  qui  auraient  pu  compromettre 
quelques  amis  »,  et  ils  chargèrent  leurs  pistolets,  prêts  une  fois  de 
plus  à  se  donner  la  mort  plutôt  que  de  tomber  vivants  entre  les 
mains  de  leurs  ennemis  ^. 

Mais  ils  furent  quittes  encore  une  fois  pour  la  peur.  La  chaloupe 
de  la  corvette  la  Chérie  vint  tout  simplement  prendre  un  câble 
pour  remorquer  le  brick  et  lui  faire  ainsi  rejoindre  plus  vite  le  convoi. 

Et,  comme  le  fait  remarquer  Louvet,  «  ce  ne  fut  pas  à  nos  yeux 
une  des  moindres  bizarreries  de  ce  voyage,  que  de  nous  voir  ainsi 
protégés  par  un  des  bâtiments  essentiellement  préposés  à  nous 
perdre  »  *. 

Ainsi  traînés  par  un  vaisseau  de  la  République,  les  Girondins, 
à  cinq  milles  environ  de  Belle- lie,  rattrapèrent  les  autres  navires 
marchands.  A  ce  moment,  «  le  grelin  »  de  remorque,  qu'avait  fourni 
le  capitaine,  cassa;  il  n'était  plus  nécessaire;  l'Industrie  se  mit  à 
voguer  de  conserve  par  ses  propres  moyens  ^. 


1.  Le  lieutenant  de  vaisseau  Bergevia,  qui  commandait  le  convoi,  se  trouvait  sur 
l'autre  corvette,  appelée  la  Vigilante. 

2.  Le  dialogue  est  ainsi  rapporté  par  Louvet.  Mémoires,  I,  194. 

3.  Louvet,  id.,  I,  195. 

4.  id. 

5.  Interrogatoire  de  Granger,  par  P;  Pasquet,  et  de  Prévost,  second  de  l'Industrie. 
Arcli.  de  la  Gironde,  L  2858; 


NOUVELLES    lirCIlEIlCHES    >l  II    I.L>    UlH(iM>lN>    l'IUJXJhlis  SaS 

23  seplemhre  179o.  I.;i  unit,  l;i  imr  lHl  grosse,  a  A  la  pointe  du 
jour    c'était    prcsiiiH'    iim^     triiiiM-tf  "  ^  Lfs     passagers     furent 

malades-'.  Ou(d(jues  u;i\ir(s  «lu  cdiiNoi  ;dlèreiit  se  réfugier  à 
La  Hoilidle.  L'é<|uipage  de  1'  I  mliislrii'  aurai!  I»ieu  \iiulu  en  faire 
autant,  mais  le  capitaine,  avec  beaueoup  de  fermeté,  .s"y  opposa.  lN»ur 
rafl'ermir  les  courages,  les  Girondins  lirent  distribuer  aux  matelots 
quatre  cents  livres  en  assignats.  L'Océan  di'cluiinr'  leur  faisait  moins 
de  peur  que  la  terre  ferme;  u  tous  ses  llols  .soulevés,  érrit  Lnuv<-t 
dans  ses  Mémoires,  nous  étaient  moins  redoidaMes,  que  les  ll«ds 
de  cette  multitude  insensée  <|ui,  sur  unt;  terre  ingrat»;,  nous  appelait 
stupidement  à  l'échafaud  •'.  )> 

Vers  midi,  hi  temps  se  mit  au  lieaii.  Le  luirk  pril  |;i  lél.-  du  lunvni  ; 
il  dut  môme,  à  un  moment,  diminuer  sa  voilure  sur  un  signal  dun 
des  navires  convoyeurs  •*. 

Bientôt  on  aperçut,  sur  la  gauche,  dans  les  dunes  de  sable,  la 
balise  ruinée  de  la  pointe  de  la  Coubre  ^  et  tout  au  fond,  en  mer, 
le  phare  de  Cordouan. 

On  allait  ainsi  entrer  dans  la  Gironde  et  l'équipage  de  l' Imluslrie 
en  marqua  quelque  étonnement  :  la  destination  du  iiavin'  n'était- 
elle  pas  l'île  de  Ré?  —  Le  capitaine  répliqua  (juil  donnerait  congé 
à  ceux  qui  ne  seraient  pas  contents.  Et  tout  le  monde  se  le  tint 
pour  dit  ^. 

Peu  à  peu,  les  principaux  repères  de  la  côte  de  Saintonge  <lppa- 
rurent.  Le  bois  de  Saint-  Palais,  bien  éclairci  ',  puis  la  tour  du 
Chay  ^  et  derrière  elle,  le  clocher  de  Saint-Pierre  de  Royan  avec 
ses  murs  décrépits  et  sa  toiture  percée  ^. 


1.  Louvel,  Mtmoires,  I,  lit.'j. 

2.  Iiitcrro<,'aloire  de  (îran^er  devaiil  la  l.()lllllli^^•ioll  luililain'.  Anli.  i|r  l,i  Giroinli". 
L  2858  (dossier  tiianger,  ii"  13). 

3.  Loiixet,  Mrmaires,  I,   195. 

4.  Id.,  I,  19.5-190. 

5.  «Toute  la  |iailii'  iriférieuie  ili-  la  'linir  en  lnii-,  ilans  les  diimv»,  i-l  alisoliillioiit 
pourrie,  il  es!  presque  iiiipossible  ipir  rdlc  Imir  pa.-st-  l'hiver  proiliaiti:  le.s  voleurs 
emporU'iil  des  pièces  de  Lois  et  de»  liens  de  fer  de  celle  lour,  le  <|ni  m-  peut  «lu'.nei^l.^rer 
sa  chute.  Leilre  de  l'euU're,  directeur  des  travaux  di-s  tours  id  li.dises  de  la  ri\  iérc 
la  (liroiide,   15  wiay   1793.  .\rch.  de  la  (iiroudi-,  I.   1051. 

(j.  Iiiterroiialoire  de  réiiuipat,'e  de  l' linliislrir.  Arch.  de  la  «.iroiidc,  I,  2S5S  (dossier 
•  1  ranger,  n°  2). 

7.  «  Servant  de  balise  pour  la  passe  du  nord,  (rinspccteiir)  y  a  toujours  trouvé  du 
monde  tciutes  les  fois  qu'il  y  est  allé,  houinies  ou  feinnies  qui  coupent  et  dégrtideiil  ce 
bois...  '  Lettre  de  Te\ilère,  15  inay  1793.  Arch.  de  la  <;ironde,  I,  1054. 

8.  "  La  Tour  du  Chay  prés  Moyaii,  servant  éi,'alenn'nt  avec  le  cloilicr  île  Sainl-Pierre 
de  balise  pour  la  passe  de  (irave,  est  en  bon  état  quant  à  l'extérieur.  •  HapporI  de 
Teulére  et  Tabois,  ingénieurs,  25  août   1793.  .\rcli.  de  la  (Jironde,  L  1051. 

9.  «  Le  clocher  Saint-Pierre  de  la  paroisse  de  Hoyan  est  égalenicnl  en  bon  état,  à 
l'exception  de  la  couverture  eu  ardoises  qui  a  besoin  d'être  réparée  priiicipalemenl 
dans  la  partie  N.  C).  et  les  murs  blanchis.  ■  Id. 


^2^  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES   GIRONDINS    PROSCRITS 

Vers  les  trois  heures  de  l'après-midi  ^,  le  convoi  reconnut  la 
balise  de  la  pointe  de  Grave  qui,  détruite  par  la  mer,  venait  d'être 
relevée  par  l'artillerie  et  servait  aux  signaux  2;  il  passa  devant  le 
fort  de  La  Chambrette  et  arriva  au  Verdon.  Là,  devait  avoir  lieu 
une  «  reconnaissance  générale  »  que  redoutaient  beaucoup  les  Giron- 
dins, mais  ils  furent  encore  une  fois  admirablement  servis  par  les 
circonstances. 

Sur  une  réquisition  des  représentants  du  peuple  Paganel  et 
Garrau,  en  date  du  31  mai  1793,  le  Directoire  du  département  de 
la  Gironde  avait  arrêté  qu'il  serait  établi  à  l'entrée  de  la  rivière  un 
navire  stationnaire  et  qu'on  lui  adjoindrait  deux  corvettes  pour 
courir  sur  les  corsaires  qui  infestaient  la  côte  et  enlevaient,  jusque 
dans  la  Gironde,  les  bâtiments  français  ^. 

Or,  à  la  fin  de  septembre  1793,  au  moment  où  les  bateaux  parmi 
lesquels  se  trouvait  l'Industrie  se  présentèrent,  une  partie  seule- 
ment de  ce  programme  avait  été  exécutée.  Le  stationnaire  seul  était 
à  son  poste,  mouillé  au  Verdon*.  C'était  un  navire  acheté  au  négo- 
ciant bordelais  Azéma,  et  auquel  on  avait  conservé  son  ancien  nom, 
il  s'appelait  la  Fille  Unique^.  Les  deux  corvettes  n'étaient  pas 
encore  en  service.  L'une,  le  Sans-culolle,  avait  son  armement  complet 
et  n'attendait  plus,  en  rade  de  Bordeaux,  que  son  équipage;  l'autre, 
le  Républicain,  n'était  pas  tout  à  fait  prête  ^. 

En  plus  de  cela,  à  l'époque  où  nous  nous  trouvons,  le  citoyen 
Rioude-Lagesse,  qui  avait  été  désigné  par  les  représentants  du 
peuple  pour  commander  la  station,  n'avait  pas  encore  reçu  sa 
commission  officielle  du  Pouvoir  exécutif;  aussi,  les  officiers  de  la 
marine  de  guerre  ne  lui  reconnaissaient-ils  aucune  qualité  ni  pou- 
voir'^.  Le  lieutenant    de   vaisseau  Bergevin,  qui  dirigeait,  à  bord 

1.  Louve!  dit  «  tinq  heures  »,  mais  nous  pienoiis  de  lu'él'érence  l'heure  indiquée  dans 
le  |iiocès-verbal  de  l'assemblée  de  rétat-major  du  stationnaire  la  Fille-Unique.  Arcli. 
de  lu  Gironde,  L  472. 

2.  Rapjjort  de  Teulère.  Arcli.  de  la  Gironde,  L  10.54. 

3.  Le  citoyen  Pinaud  éiril  le  9  juin  1793  de  Pauillac  :  « Les  pirates  exercent  la 

plus  affreuse  audace,  ils  sont  tout  près  de  la  passe  avec  deux  corsaires,  l'un  de  six  et 
l'autre  de  douze  ou  quatorze  canons.  La  pêche  qui  se  fait  à  Monmusson,  distant  seu- 
lement de  trois  lieues  et  demi  de  Royan,  est  impraticable  et  le  peuple  est  privé  de 
coquillage  et  de  sardines  fraîches...  »  Arch.  de  la  Gironde,  L  992. 

4.  Interrogatoire  de  Granger,  par  P.  Pasquet,  et  de  Prévost,  second  de  V Industrie. 
Arch.  de  la  Gironde,  L  2858. 

5.  Lettre  d'Azéma.  Arch.  de  la  Ciironde,  L  992. 

6.  Lettre  de  J.  Sénat,  24  septembre  1793.  Arch.  de  la  Gironde,  L  472. 

7.  Informé  de  cette  situation,  le  représentant  Ysabeau  signa,  le  24  septembre,  à 
La  Réole,  où  il  résidait,  une  commission  provisoire  qui  ne  fut  remise  à  Rioude-Lagesse 
qu'à  la  fin  du  mois.  Le  9  octobre  1793,  Duvernay,  délégué  des  représentants,  écrit  à 
Ysabeau  :  « Il  était  urgent  de  faire  parvenir  les  commissions  des  ofhciers  (du  sta- 
tionnaire) car,  s'ils  les  avaient  eues  à  temps,  Guadet  et  consors  n'auraient  pas  échapé.  » 
Arch.  de  la  Gironde,  L  473. 


NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS  335 

de  la  corvette  la  Vifiilanlc,  le  cimvui  (le  Brest,  n'eut  garde  de  déroger 
à  cotte  attihidr.  Il  u'ôcliaiigea  aucun  sulut  avn;  1(>  stalionnaire, 
il  lit  coiuiiir  s'il  n'existait  pas;  et  le  coniiiiandanl  «h-  l'autre  navire 
de  guerre,  la  Chérie,  se  coniiK.il.i  de  iiiéine.  «Ces  deux  hrdiriients 
de  l'État  n<;  daignèrent  point,  aux  approclics  de  la  batterie  d»'»  terre, 
faire  les  signaux  di-  reconnaissance;  ils  rangèrent  à  honneur  le  Sur- 
rrillant  sans  vouloir  lui  répondre.  Les  barcjues  convoyées  passèrent 
au  large  sans  pavillon  et  forçant  de  voile  ^  » 

Il  n'y  eut  donc  aucune  visite  et  les  Girondins  ne  furent  pas 
in(juiétés.  Louvet  rapporte  que  Bergevin  se  contenta  <le  faire  passer 
devant  lui  chaque  bâtiment  marchand  et  que,  Iors({ue  ce  fut  le  tour 
du  brick  qui  les  portait,  lui  et  ses  amis,  il  posa  la  (juestion  d'usage  : 
«  Avez-vous  des  passagers  à  bord?  »  A  quoi  le  capitaine  répondit 
comme  la  veille  et  d'un  ton  aussi  ferme,  et  «  que  le  succès  ne  fut  pas 
moins  heureux  »  -. 

JJ Induslrie  débarqua  eu  face  de  lioyau  deux  des  marins  de  la 
Pomone  ^  et,  poussé  par  le  courant,  remonta  la  rivière,  en  longeant 
la  rive  plate  du  Médoc. 

On  avait  déjà  fait  près  de  dix  lieues  lorsque  la  marée  commença 
à  descendre;  il  fallut  s'arrêter,  et  le  convoi  mouilla  en  face  de  Saint- 
Estèphe  *.  Ce  n'était,  d'ailleurs,  qu'un  mouillage  provisoire,  car, 
au  milieu  de  la  nuit,  avec  la  nouvelle  marée,  les  navires  levèrent 
l'ancre  et  vinrent  s'amarrer  à  trois  lieues  plus  haut  «  dans  la  rade 
de  Pauillac  ».  C'est  là  que  les  Girondins  quittèrent  le  brick  ^ 


J.  Procès-verbal  de  l'assemblée  de  l'état-major  du  stationnaire  la  Fille-Unique.  Arcli. 
de  la  (iiroiide,  L  47'2.  —  Le  lieutenant  Hergevin  connaissait  parfaitement  la  situation 
(le  Hioiide-Lagesse  et  de  ses  ofliriers,  car  il  était  cliariré  d'escorter  les  convois  de  Brest, 
el  du  23  mai  au  19  octobre  1793,  il  lit  sept  fois  la  route.  Levot,  Histoire  de  la  utile  et  du 
port  de  Bresl  pendant  lu  Terreur,  p.  139,  note. 

'2.   Louvet,  Mémoires,  I,  19G. 

3.  Décl.iration  d'Henri  Jacques.  Arcli.  de  la  Gironde,  L  2858  (dossier  Oranger,  A  8). 
Iiiterrotratoire  de  (iraiifrer  par  P.  Pasquet,  id.  —  C.'est  par  erreur  que  Prévost,  second 
lie  r  Imluslric,  dit  dans  son  intcrroiratoiic  que  trois  des  marins  de  la  Pomone  dcbarqui^- 
rint  à  f'iiuillar  :  il  n'y  en  eut  qu'ur(  seul,  les  deux  autres  avaient  déjà  quitta  le  bord 
à  Hoyan. 

•t.  Louvel,  Mémoires,  I,  19().  —  Interroijatoire  de  fîranger  par  P.  Pasquet.  .\rcli. 
de  la  <;ironde,  L  28.58. 

.5.   (.'est  tout  au  moins  le  lien  indiqué  par  le  capitaine  dans  son  intcrrocafoire  : 

" D.  Oi'i  est-il  verni  niouillrr  en  rivière?  — -  ft.  Vis-à-vi.-;  Sainl-SIéplie  i.sic;.  —  />.  Si 

ses  passacers  ont  descendu  là?  —  /{.  Que  non.  —  />.  Où  il  a  été  mouillé  après  avoir 
levé  l'ancre  de  devant  .Saint-Sl(iplie  ?  —  /?.  Dans  la  rade  de  P;i(iillac.  —  [).  Si  c'est 
là  o('i  Font  descendus  ses  voyatreurs?  —  H.  (Ju'il  les  a  einbaripiés  dans  son  canot  pour 
d'après  leurs  ordres  les  mettre  à  terre...  ■  —  Nous  axons  adopté  cette  version  h  cause 
de  sa  précision,  bien  qu'elle  suil  contredite  p;ir  la  déposition  du  seionil,  Prévost,  qui 
dit  que  les  (^rondins  débarquèrent  à  .S.iinl-Ivslèplie,  ce  qui  laisse  supposer  que  le  brick 
remonta  à  Pauillac  flans  la  journée  ilu  2t,  car  nous  le  trouvons  iincré  dans  cette  r;ide 
le  2.5  septembre.  Louvet  ne  fiarle  pas  de  ces  deux  inonillat.'e.s  successifs  :  il  dit  simplement 
ipi'on  avait  fait  »  près  de  dix  liern-s  »  lorsqu'il  f.illul  >".iirélcr  \  Mémoires,  p.  I'.t(">^.  l'A  c'osl 
bien  la  distance  qu'il  y  a  entre  I'.itiill;ic  cl  le  Ver<lon.  On  ne  peut  «'xpliquer  celle  manoeu- 
vre du  convoi  que  [lar  le  désir  qu';i\aieiit  les  marins  de  prollter  tie  la  marée  pour  se 
rapprocher  de  Bordeaux:  seulement  la  rivière  n'ét.-inl  pas  b;disée  ni  éclairée  (Arcli. 
de  la  Gironde,  L  1051),  naviguer  dans  la  nuit,  au  delà  de  Pauillac,  eût  été  dangereux, 


SaÔ  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

24  septembre  1793.  —  Il  devait  être  environ  trois  heures  du  matin 
lorsque  le  capitaine,  qui  avait  pris  soin  d'ancrer  son  navire  à  quelque 
distance  des  autres  bâtiments  ^,  fît  mettre  le  canot  à  l'eau.  Les 
sept  Girondins  y  prirent  place  avec  lui  ainsi  que  deux  matelots  du 
bord,  Malenec  et  Palud,  et  trois  marins  de  la  Pomoiie,  parmi  les- 
quels Balam;  ils  devaient,  eux,  remonter  avec  Oranger  jusqu'à  Bor- 
deaux. On  était  au  total  treize  personnes  2,  bien  gros  chargement 
pour  une  si  frêle  embarcation  :  «  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire,  note 
Louvet,  que  le  canot  était  plein;  il  l'était  au  point  de  n'y  pouvoir 
faire,  sans  témérité,  beaucoup  de  mouvements...  ^.  « 

Pour  ne  pas  surcharger  encore  l'embarcation,  les  voyageurs  lais- 
sèrent leurs  bagages  et  n'emportèrent  que  quelques  armes.  Avant 
de  quitter  le  bord,  ils  avaient  distribué  50  écus  aux  matelots  et 
donné  pareille  somme  au  second  *. 

En  partant  avant  l'aurore,  le  capitaine  voulait  éviter  la  dernière 
reconnaissance  des  convoyeurs  et  surtout  la  visite  que  faisaient  subir, 
en  temps  ordinaire,  les  ofTiciers  du  fort  de  Blaye  aux  embarcations 
qui  allaient  à  Bordeaux  ^. 

Il  faisait  donc  presque  nuit  noire  lorsque,  à  quatre  avirons,  on 
se  mit  à  remonter  la  rivière.  Tout  le  monde  dormait  à  bord  des 
bateaux  du  convoi  et  en  passant  près  du  vaisseau  commandant, 
la  Vifjilanle,  l'iiorame  de  quart  cria  simplement  de  ne  pas. appro- 
cher de  trop  près  pour  ne  pas  chavirer  ^ 

Chargé  comme  l'on  était,  la  traversée  fut  pénible.  Le  bord  du 
canot  émergeait  à  peine  de  deux  pouces,  la  moindre  oscillation 
menaçait  de  le  faire  couler,  et  très  souvent  la  vague  y  entrait. 
Le  capitaine  Oranger,  d'autre  part,  connaissait  mal  les  remous  et 
les  bancs  de  sable  qui  embarrassaient  le  fleuve  '  et  qu'aucune  bouée 
ni  balise  n'indiquait  au  navigateur*'.  Toutefois  il  ne  se  produisit 
rien  de  fâciieux. 


J.   Loin  cl,  M  ('moires,   I,   l'JG. 

2.  Nous  a\oiis  vu  plus  haut  que  deux  des  marins  de  la  Pomonc  étaient  déjà  descendus 
à  Royan  et  qu'un  se  fit  mettre  à  terre  à  Pauillac  même.  —  Louvet  se  trompe  lorsqu'il 
dit:  «Nous  descendîmes  (dans  le  canot)  douze  personnes»  {Mémoires,  I,  197). 

3.  Louvet,  Mémoires,  J,  197. 

4.  Interrogatoire  de  Prévost,  second  de  l' Industrie.  Déposition  de  l'équipage  du 
brick.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835. 

5.  Louvet,  Mémoires,  I,  197. 

6.  Id. 

7.  Id. 

S.  »  L'établissement  de  balises  pour  l'intérieur  de  la  rivière,  depuis  Royan  jusqu'à 
Bordeaux,  est  indispensable,  soit  qu'on  se  réserve  des  remarques  ou  points  fixes  sur 
les  deux  rives,  soit  qu'on  propose  d'établir  des  balises  flottantes  aux  accords  des  bancs.  » 
Rapport  de  Teulèrc  au  ministre  de  la  Marine,  29  ijluviôse  an  IL  ,\rch.  de  la  Gironde, 
L  1051. 


NOUVELLES    HECIIEUCIIKS    SI  H     I  IS    nilU).NUIN<    PROSriRITS  S?,^ 

On  passa  sans  être  inquiété  eu  \  ne  de  Ijlaye,  entre  le  lurt  Pâté 
e(  le  fort  Médoe;  personne  ne  fit  attention  «au  misérable  petit 
batelet  ».  On  longea  la  rive  droite,  et  bientôt,  dans  la  brume  mati- 
nale, Guadet  put  apercevoir  la  ligne  plat(î  du  Bec  d'Ambès  et,  à 
l'ouest,  les  arbres  de  l'ancien  bien  de  campagne  de  son  beau-père 
Dupeyrat^  où  il  avait  résolu  de  débarquer  avec  ses  compagnons. 

Quelle  joie  ce  dut  être  pour  ces  pauvres  gens,  ([ui,  en  voyant  ce 
rivage,  pensaient  toucher  ainsi  à  la  fin  de  leurs  maux  !  «  Nous  étions 
enfin  dans  ce  département  de  la  Gironde,  écrit  Louvet,  et  là  nous 
croyant  non  seulement  en  sûreté,  mais  en  mesure;  de  combattr»^ 
les  ennemis  de  notre  patrie,  il  ne  tint  à  rien  que  nous  en  baisassions 
cette  terre  désirée  ^.  » 

Ils  ne  se  doutaient  certes  pas  à  ce  moment,  les  malheureux, 
que,  pour  la  plupart  d'entre  eux,  selon  le  mot  de  Lamartine,  cette 
terre  de  liberté  allait  bientôt  devenir  leur  tombeau  ! 

(A  suivre.)  H.  BKOUILLARD. 

1.  Dupeyrat  (François-Xavier),  négoriaiit,  m-  à  Blaye  en  1717.  Guillotiné  à  Bor- 
«li-aux  le  -20  juillel  1794.  —  Il  avail  trois  fille.s  dont  il  sera  ((ueslion  dans  re  r<Vil  : 
M"""  Bouquey,  .M'"''  Guadet  et  M  ""^  Sibadey.  Par  une  erreur  inexpliiable  M.  N'atfl 
fait  de  Xavier  Dupeyrat  le  beau-frère  de  Guadet  {Charlolle  de  Cordaij  et  les  Girondins, 
p.  184.) 

2.  Louvet,  Mémoires  (édit.  Beaudouin,  p.  191;. —  Dans  l'édition  de  l'an  III  (p.  109), 

suivie  par  M.  ,\nlaicl  {I,  19S\  il  y  a  « (erre  dcliuréc  ■■  ;  rc  qui.  à  noire  a\is,  n'a  pas 

de  sens. 


HISTOIRE  DES  RAPPORTS 

DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

AVEC 

LES  INTENDANTS,  LE  PARLEMENT  ET  LES  JURATS 

DE    1705    A     I79I 
(Suite.) 


CHAPITRE  IV 
17/13-1757 

LA    CHAMBRE    DE    COMMERCE    A    l'ÉCOLE    DE    TOURNY 

Les  rapports  de  la  Chambre  et  de  l'intendant  Tourny  suffisent 
à  remplir  une  période.  Ceux  des  directeurs  et  des  jurats  pour  la 
même  époque,  nous  les  connaissons.  Tourny  en  a  dégagé  lui-même  le 
trait  essentiel;  la  Jurade  domine  la  Chambre^.  Quant  aux  rapports 
des  directeurs  et  du  Parlement,  ils  ont  si  peu  d'importance,  de  1743 
à  1757,  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  nous  y  arrêter;  la  protection  de  l'in- 
tendant dispensa  le  commerce  des  faveurs  humiliantes  des  magis- 
trats et  le  mit  à  l'abri  de  leurs  attaques.  Entre  le  départ  de  Bou- 
cher et  l'arrivée  au  pouvoir  de  Choiseul,  Tourny,  à  lui  seul,  conduit 
l'histoire  de  la  Chambre. 

A  aucun  degré  leurs  rapports  n'ont  été  contrariés  par  la  mau- 
vaise opinion  que,  suivant  certains,  ils  auraient  eu  l'un  de  l'autre  : 
on  cite  trop  le  mot  de  Tourny  :  «  La  Chambre  de  commerce  de  cette 
ville  passe  pour  une  des  moins  fortes  du  royaume.  » 

Il  faut  le  contexte  pour  éclairer  cette  citation.  Tourny  écrit  à  la 
Chambre,  il  vient  de  parler  des  négociants  bordelais  «  parmi  les- 
quels il  y  en  a  un  grand  nombre  d'aussi  distingués  par  leurs  lumières 
et  leur  expérience  que  par  leur  probité».  Et  il  ajoute:  «Je  vois 
avec  une  vraie  peine  (le  mot  est  intéressant)  que  la  Chambre  de 

1.  C  3281,  6  novembre  1754. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    LE    PARLEMENT    ET    LES    JIRATS  359 

commerce  ne  se  sent  point    ili-  leur  réputation  t't  pns.sf  pour  uni* 
des  moins  fortes  du  myaume^.  » 

De  plus,  il  faudrait  distinguer,  dans  les  jugements  deTourny,  (-«'ux 
qui  devaient  être  connus  de  la  Chambre  seule,  et  ceux  (pii  étaient 
destinés  au  ministère.  Dans  les  premiers,  aucun  lermf  ne  sera  assez 
fort,  aucun  vocable  assez  expressif;  l'intendant  abaisse  la  Chambre 
à  ses  yeux  afin  qu'elle  s'élève  au-dessus  d'elle-même;  c'est  h-  maître 
et  c'est  l'écolier;  je  sais  des  reproches  de  Tourny  enecue  plus  amers 
que  celui  de  tout  à  l'heure,  ils  flagellent  :  «  Quelle  application, 
dit-il  de  la  Chambre,  donne-t-elle  aux  affaires  du  commerce  ?...  quel 
zèle  y  apporte-t-elle?...  l'intrigue  n'y  fait-elle  pas  loi-?» 

L'intendant  envoie-t-il  au  ministre  le  rapport  que  celui-ci  a 
demandé,  le  ton  n'est  plus  le  même:  «  Une  chose.  Monsieur,  a  fait  toit 
à  la  Chambre  de  Commerce  de  Bordeaux,  il  ij  a  eu  des  lenips  où  l'on  a 
souffert  que  des  négociants  du  premier  ordre  refusassent,  sous  dif- 
férents prétextes,  l'élection  qui  était  faite  de  leur  personne  pour 
directeur,  cela  a  donné  à  d'autres  qui  se  croient  valoir  autant  que 
ceux-là  d'écarter  les  sufïrages  qui  auraient  pu  tomber  sur  eux;  de 
là  il  est  arrivé  que  quelquefois  elle  n'a  pas  été  aussi  bien  composée 
qu'elle  aurait  pu  l'être;  je  me  suis  fort  récrié  dans  l'occasion  contre 
cet  abus  qui  commence  à  se  détruire  el  In  Chambre  acluellemenl  est 
assez  bien,  quoyque.  Monsieur,  je  ne  vous  doime  pas  le  plus  grand 
nombre  de  ses  membres  pour  fort  habiles;  il  y  a  ici,  en  général,  très 
peu  de  négociants  qui  le  soient,  ils  suivent  plutôt  un  certain  train, 
fraie  les  uns  par  les  autres,  rpTils  n'agissent  de  tête  d'après  des 
connaissances  approfondies  et  combinées  selon  les  circonstances...  » 
Et  il  conclut  :  «  Du  reste,  je  ne  sache  pas  (ju'il  se  soit  int  n>duit  d'aut  ics 
abus  ou  inconvénients  ^  » 

Par  où  pèche  la  Chambre  de  l'avis  d'un  Tourny  ?  C'est  moins  par 
ses  brigues,  ses  intrigues,  son  esprit  ré])ul:)licain  comme  l'entendait 
Boucher,  que  par  l'esprit  de  rcmtinc  qu'elle  jtartagt-  avei-  tous 
les  négociants.  Que  va-f,-il  vouloir  développer  en  elle?  L'esprit 
d'obéissance,  sans  doute;  mais  aussi  et  surtout,  l' esprit  d'initiative. 

Là  est  la  nouveauté;  la  première  lettre  de  Tourny  à  la  Chandire 
la  met  en  lumière  :  «  Il  la  prierait  en  toute  occasion  de  lui  fournir 
les  instructions  nécessaires  *.  » 

Les  directeurs  eurent  conscience  du  changement  qui  s'opérait. 

1.  C  4314,  1"  may  17.52.  Leltic  de  Tourny. 

2.  C   1624,  13  avril  17.S4. 

3.  C  101 1,  22  mar.-i  1750.  Lellre  de  Tourny  i\  Trudaine. 

4.  C  4254,  3  septembre   1743. 


33o     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  HE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Gastaing,  le  député,  les  y  rendit  attentifs;  il  leur  parla  souvent 
de  leur  président  comme  d'un  homme  à  la  fois  «  intelligent  et  équi- 
table »,  capable  de  devenir,  s'ils  lui  confiaient  leur  cause  sans  réserve, 
leur  plus  ardent  défenseur  ^  Il  les  exhortait  à  le  satisfaire  autant 
que  possible,  par  leur  ardeur  à  collaborer  avet  lui  ^. 

Si  la  Chambre  ne  montra  pas  toujours  l'empressement  désirable, 
il  faut  dire  qu'elle  venait  de  subir  pendant  vingt-trois  ans  la  tutelle 
déprimante  de  Boucher.  Elle  avait  perdu   l'habitude  du  travail. 


I 

Voici  dans  quelles  conditions  s'exerça  la  collaboration  très  active 
de  Tourny  et  des  directeurs.  Voyons-les  :  ils  sont  à  table;  ou  plutôt, 
non,  ils  sont  après  dîner.  C'est  la  première  fois  qu'un  intendant  est 
reçu  de  semblable  façon.  Le  café  est  servi  sur  le  bureau  de  la  Cham- 
bre. A  la  tête  du  bureau  un  fauteuil  est  réservé  à  Tourny.  Il  prend 
une  chaise.  On  fait  le  cercle  et  l'on  cause  un  peu  de  tout.  Soudain, 
l'intendant  interpelle  Dirouard,  un  directeur  :  n'a-t-il  rien  à  com- 
muniquei-  au  fermier  général  Helvétius,  qui  est  aussi  de  la  fête? 
Dirouard  n'a  guère  l'esprit  d'à-propo*^;  Tourny  répond  pour  lui. 
Il  profite  de  la  présence  du  fermier  pour  lui  communiquer  un 
mémoire  de  la  Chambre.  Pour  sa  part,  il  le  trouve  «  juste  et  solide  ». 
Il  se  retire  sur  ces  mots,  qui  ménagent  un  accord  entre  le  fisc  et  le 
commerce  ^. 

Empreints  de  cordialité  ce  jour-là,  les  rapports  de  la  Chambre  et 
de  l'intendant  ne  manquèrent  jamais  de  correction. 

La  Chambre  ne  perd  aucune  occasion  de  témoigner  sa  gratitude^, 
et  l'intendant  ayant  obtenu  d'être  traité  de  Monseigneur,  dans  les 
lettres  qu'on  lui  adressait^,  d'avoir  en  communication  l'état  de  ce 
qui  se  faisait  à  la  Chambre  «  pour  en  protéger  les  opérations,  empê- 
cher les  abus  »^,  ne  manqua  plus  de  montrer  dans  ses  relations  avec 
les  directeurs  la  plus  grande  bienveillance,  s' excusant  de  ne  venir 
point  aux  élections  parce  que  ses  prédécesseurs  n'y  avaient  point 
assisté  ',  encourageant  son  fils  à  se  rendre  à  la  Chambre  pour  s'y 

1.  C  4314,  2  mai  1752.  Lettre  de  Castaing. 

2.  Id.,  14  janvier  1752.  Lettre  de  Castaing. 

3.  C  4255,  20  septembre  1747. 

4.  Id.,  25  janvier  1753,  20  mars  1750. 

5.  C  4254,  16  juin  1745. 

6.  C  4255,   14  mars  1750. 

7.  C  4254,  30  avril  1744. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    LK    PAHI.EMENT    ET    LES    JIHATS  33 1 

inslruirc  cl,  la  pivsidci',  l'assurant  (•()n>l  aminrnl  Iim-ummuc  «  qu'cllr 
pouvait  (Ml  loul  temps  s'adresser  à  lui  »  -. 

Quand  il  collabore  avec  elle,  il  n'oublie  pas  rpi'il  se  ibjit  à  la  pr<» 
\  ince  ^,  et  à  la  «cause  publi(juo  » ',  lan<lis  qu'elle  a  à  défendre  les 
seuls  intérêts  de  Bordeaux.  A  cela  ]>iès,  il  entre  volontiers  dans  ses 
vues.  Est-il  informé  d'une  nouvelle  qui  peut  intéresser  la  C.liambre, 
il  la  lui  communique;  que  ce  soit  une  permission  de  plus  accordée 
.111  commerce  •'*,  ou  un  mémoire  présenté  par  un  adver-aji-e  rpii  veut 
eu  réserver  la  surprise  aux  "directeurs  ". 

Une  question  se  pose-t-elle?  Il  la  leur  fait  cunuailre ',  et  déclariî 
que  u  dans  toutes  les  occasions,  il  continuerait  à  prévenir  la  Cham- 
bre de  toutce  qui  pourrait  intéresser  le  commerce»**;  reconnaissant 
le  prix  d'une  telle  faveur,  la  Chambre  le  remercie  <'  de  l'honneur 
(fu'il  luy  fait»",  et  s'applique  d'autant  plus  à  répondre  à  ses  ques- 
tionnaires^''; quand  ils  partagent  le  même  avis,  rintendanl  parait 
content  et  se  dit  bien  aise  de  cet  accord  spontané  ^^. 

Les  directeurs  montrent  à  Tourny  une  égale  confiance;  ils  lui 
demandent  s'ils  peuvent  écrire  à  Maurepas  pour  lui  témoigner  la 
peine  qu'ils  ont  de  sa  retraite  ^2  Quand  l'alTaire  mérite  plus  (piuu 
-impie  avis,  l'intendant  réclame  un  "petit»  mémoire  qu'il  enverra 
;iu  ministre",  si  besoin  est,  ou  sur  lequel  il  statuera  lui-même". 
Sachant  les  lenteurs  de  la  Chambre,  il  l'invite  à  faire  pronqite- 
mcnt^5;  elle  n'est  jamais  au  bout;  alors  c'est  tant  pis  pour  elle;  on 
se  passe  de  son  avis^^;  et  encore,  le  plus  souvent,  Tourny  a-t-il  la 
bonté  de  l'attendre  ''.  D'autres  fois,  elle  exagère  en  parlaid  de  la 
j»auvreté  ou  bi<Mi  de  la  richesse  de  la  ])rovince...  Est-il  possible  (ju'elle 
exagère?  En  bonne  lille  de  Gascogne,  elle  a  le  don  du  mensonge 
joyeux;  on  aurait  tort  de  s'en  fâcher;  et  Tourny,  tout  le  premier, 
s'en  amuse  :  si  la  province  est  si  riche,  c'est  tout  sinijde,  on  aui::men- 

1.  C  4255,   11  décembre   1755. 

2.  C  4256,  7  juillet  J757. 

3.  C  4314,   14  janvier  1752. 

4.  C  4255,   19  juin  1755. 

5.  Id.,  4  avril   1748. 

G.    Id.,   Itj  novembre  1752. 

7.  C  4317,   17  janvier  1755. 

8.  C  4255,  6  juin   1748. 
'.t.    Id.,  12  février  1756. 

10.  Id.,  '.)  juillet  1750. 

11.  ht.,  id. 

12.  Id.,  S  mars   1740. 

13.  Id.,  22  mars   1748. 

14.  Id.,  12  décembre   1748. 

15.  /./.,   11   février  1751. 

16.  <;  4314,  14  janvier  1752. 

17.  C  4315,  2  décembre   1753. 


332     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

tera  les  impôts  ^.  D'autres  fois,  les  torts  de  la  Chambre  sont  graves; 
en  donnant  son  avis,  elle  se  passe  de  le  motiver  ^)  elle  envoie  vers 
Tourny;  il  ne  dit  rien;  il  lui  remet  la  question  en  mémoire^;  elle 
s'étonne;  elle  députe;  Tourny  lui  fait  la  morale  et  lui  communique 
ses  réflexions  ^  Décidément,  cette  Chambre  est  étrange;  au  lieu  de 
faire  ses  observations  quand  on  est  à  l'ouvrage,  elle  les  présente  quand 
tout  est  fini;  Tourny  la  prie  de  ne  pas  l'obliger  sans  cesse  à  recom- 
mencer le  travail  ^. 

Quand  elle  a  raison,  c'est  lui  qui  cède^;  quand  il  craint  de  l'avoir 
blessée,  s'il  reconnaît  son  tort,  il  se  fait  excuser  ''.  Il  ne  la  voit  point 
avec  défiance  étendre  sa  compétence  aussi  loin  qu'elle  peut  aller  : 
qu'elle  prenne  seulement  toutes  les  précautions  et  qu'elle  l'informe 
de  sa  décision  dernière^.  Libre  à  elle  de  faire  toute  espèce  d'assem- 
blées, de  s'unir  avec  les  autres  Chambres,  de  faire  sans  cesse  appel 
aux  commerçants  de  la  ville,  de  réunir  comme  des  étais  généraux 
du  commerce  au  petit  pied;  ce  n'est  pas  de  lui  que  viendra  la 
défense.  Il  est  des  libertés  nécessaires  :  toutes  celles  que  l'on  peut 
accorder. 

Le  résultat  de  cette  éducation  journalière  que,  siégeant  au  Conseil 
du  roi,  Tourny  voulut  encore  continuer^,  c'est  que  la  Chambre,  dans 
les  circonstances  difficiles,  arrive  à  se  mieux  dominer.  Jusqu'en 
1743,  pour  tous,  c'était  jour  de  fête  ^"  quand  on  expulsait  de  la  ville 
l(,'s  Juifs  avignonnais,  pour  tous  et  pour  l'intendant  lui-même; 
en  1744,  la  Chambre  pensait  de  même,  mais  l'intendant  avait  changé; 
il  n'était  point  d'avis  que  l'on  poussât  à  l'extrême  les  prescriptions 
de  l'arrêt  contraire  aux  Juifs;  l'arrêt  n'était-il  pas  par  lui-même 
assez  dur  11  ?  Pour  une  fois,  les  directeurs  ayant  bien  raisonné  firent 
à  quelques  juifs  des  concessions  légères,  que  des  réserves,  d'ailleurs 
très  importantes,  atténuaient  i^. 

C'est  le  seul  jour  où  nous  voyons  les  directeurs  du  commerce,  à 
propos  d'une  question  aussi  passionnante  pour  l'époque,  ne  pas  se 
laisser  surprendre  par  leurs  sentiments  intimes,  mais  raisonner  en 

1.  C  4315,  9  juin   1753. 

2.  C  4255,   13  avril  1752. 

3.  M.,  20  avril  1752. 

4.  Id.,  27  avril   1752. 

5.  C  4317,   17  janvier  1755. 

6.  C  4254,  7  novembre  1743. 

7.  C  4255,   10  janvier  1754. 

8.  C  4256,  23  décembre   1756. 

9.  C  4322,  5  janvier  1759. 

10.  C  4309,  9  février  1734. 

11.  C  4254,  5  mars  1744. 

12.  C  4255,   11  février  1749, 


AVEC  LES  lNTENr)ANT!;,  f.E  PAht.EMENT  ET  LES  JlRATS      333 

conscience   coinnie   l'intenduut,   dans   sa   collaboraliou   incessante, 
le  leur  avait  appris. 

Il 

Inulilc  de  songer  à  aborder  toutes  les  questions  traitées  par 
'lourny  de  concert  avec  la  Chambre;  mais  certaines  doivent  nous 
arrêter:  celles  qui  se  sont  posées  le  plus  conslammcnt,  dt-  MV.i 
à  1707.  La  collaboration  de  l'intendant  et  fies  directeurs,  en  vue  de 
prévenir  ou  de  réparer  les  désastres,  attirent  l'attention  en  premier 
lieu.  Durant  l'intendance  de  Tourny,  la  guerre,  les  mauvaises 
récoltes,  les  disettes  firent  soufTrir  à  la  généralité  des  maux  pires 
qu'en  1709^;  en  1748  surtout,  la  i'aniiiie  lui  terrible  en  Guienne  : 
aux  portes  de  Bordeaux,  des  gens  moururent  dt  laini.  la  ville  même 
'•n  vint  à  n'avoir  plus  (pie  (|uel(|ues  jours  de  vi\res:  mais  les 
remèdes  qu'on  imagina  n'étaient  point  nouveaux.  ]ias  plus  (jue  la 
façon  d'en  user,  à  cela  près  que  le  ministère  chercha  à  secourir  la 
province  afTamée,  sans  laisser  vider  par  l'intendant  de  Bordeaux 
les  greniers  des  autres  -;  à  cela  près  aussi  que  la  Chambre  demanda 
pour  le  commerce  une  protection  plus  grande  ^,  et  obtint  ])resque 
aussitôt  la  plus  entière  satisfaction  *. 

Le  21  octobre  1755,  l'ourny  lui  faisait  dire  k  qu'il  ajqtiouvait 
d'avance  le  tout,  et  cfu'il  dormait  à  la  Chambre  tous  les  pouvoirs  et 
autorités  ».  Les  directeurs  durent  trouver  le  moyen  de  répondre 
dignement  à  d'aussi  généreuses  avances. 

Mais  le  soulagement  des  malheurs  publics  est  une  trop  vieille  (jue.s- 
tion  qui  ne  laisse  rien  de  nouveau  à  dire,  pas  plus  que  celle  des  cour- 
tiers. Ces  derniers  voudraient  reprendre  la  lutte.  Lamolhe,  "  eourlier 
royal  de  profession,  navigateur  d'inclination,  et  aussy  inl(>lligent 
dans  tout  ce  (pii  concerne  la  navigation,  que  /.elle  pour  le  bien 
Itublic,  »  suivant  Tourny  ^,  adresse  sans  ce.sse  à  ce  dernier  do  nt»u- 
veaux  mémoires,  en  compose  même  pour  Trudaine,  jirésident  du 
Conseil  du  commerce^,  en  171'j,  1750,  en  1751  :  l'intendant  les  com- 
munique à  la  Chambre,  elle  ne  s'en  émeut  jdus;  elle  répond  par 
quelques  mots  au  bas  des  mémoires  que  l'intendant  lui  communifjue  : 
«  Les  directeurs  estiment  que  conformément  à  la  délibération  du 

1.  Beiizacar,  op.  cil.'  p.  27-21». 

2.  Marioii,  op.  cil.'  passim. 

3.  C  4254,  4  février  174.5. 

4.  Id.,  20  mai  1755.  C  4255,  21  octobre  1755. 

5.  C  3710,  7  mars  1751. 
G.  C  1620. 


334     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

4  mars  1750,  les  choses  resteront  dans  leur  état  ^  »  Elle  dit  bien  que 
la  matière  est  intéressante  ^,  mais  elle  a  l'air  d'en  parler  de  mémoire, 
d'un  ton  qui  n'est  plus  convaincu.  L'intendant  qui  préside  la  séance, 
ne  paraît  pas  s'intéresser  davantage  à  une  affaire  si  longuement 
traitée,  il  laisse  dire;  quand  tout  est  dit,  il  fait  part  à  la  Chambre 
du  souci  qui  l'occupe;  il  s'agit  d'améliorer  l'état  de  la  rivière^. 

III 

A  qui  feuillette  l'énorme  dossier  des  pièces  concernant  la  rivière, 
pour  la  seule  intendance  de  Tourny,  il  apparaît  que  la  Chambre 
prit  à  l'œuvre  une  part  bien  petite  ^.  Lamothe,  le  courtier  royal, 
Magin,  ingénieur  du  roi,  montrèrent  un  plus  grand  zèle.  Pour 
le  rôle  que  joua  l'intendant,  nous  avons  le  témoignage  du  ministre 
Moras  :  «  Je  ne  puis  trop,  monsieur,  lui  écrivait-il,  vous  remer- 
cier de  la  manière  dont  vous  voulez  bien  concourir  en  toute  occa- 
sion et  avec  la  plus  grande  activité  à  ce  qui  peut  intéresser  le  ser- 
vice de  la  marine.  »  Le  mérite  des  directeurs  se  laisse  mieux  voir, 
isolé,  à  la  lecture  des  procès-verbaux  de  la  Chambre.  Elle  s'inté- 
ressa dès  le  début  à  la  question;  peut-être  la  posa-t-elle.  Le  10  juillet 
1749^,  elle  députait  à  Tourny,  au  sujet  de  l'état  défectueux  des  passes, 
plus  tard  au  sujet  de  la  destruction  des  perrés^;  il  l'assura  de  son 
entier  eppui  ^ 

Au  premier  moment,  elle  conduit  l'affaire  :  c'est  pour  la  con- 
tenter que  l'intendant  rédige  une  ordonnance,  qu'il  demande  un 
mémoire  à  Lamothe,  en  vue  de  la  motiver,  fait  lever  des  plans, 
pour  en  illustrer  le  texte;  la  Chambre  se  déclare  satisfaite  de  l'in- 
tendant, bien  disposé  pour  elle.  Mais  Tourny  trouve  maintenant 
que  le  zèle  des  directeurs  s'est  ralenti  trop  tôt.  Il  les  invite  à  se 
transporter  sur  les  lieux;  ils  s'y  rendent;  ils  voient  la  passe  qui 
s'ouvre  entre  les  îles  du  Pâté  et  du  Nord,  la  passe  royale,  les  Peyrats 
des  Vaches  et  de  La  Gorelle,  la  passe  de  la  Jalle,  etc.  '^. 

L'année  suivante,  il  les  exhorte  à  se  remettre  à  l'œuvre  ^  La 
vieille  querelle  avec  les  courtiers  est  oubliée,  La  Chambre  se  prête 


1.  C  1620,  13  mai  1750. 

2.  C  4255,  26  février  1750.  C  4255,  29  mai  1750. 

3.  C  4255,  26  février  1750. 

4.  C  3716. 

5.  C  4255,   10  juUlet  1749. 

6.  G  3716,  5  septembre  1749. 

7.  C  4255,  31  juillet  1749. 

8.  7d.,  26  février  1750. 


AVEC    r.ES    INTENDANTS,    l.i;    l'Alll.lMl.M     M     IIS    JLKATS  ."^35 

à  écouter  le  récit  que  Laniothe  lui  f.iit  (\u  h;uuvctage  du  Sdinl-Jean- 
liitplisle^.  Maintenant  Touriiy  niuUipIif  les  assemblées  réunies 
|)()ui-  ramélioration  du  port;  les  directeurs  se  plaignent  de  n'être  j»as 
de  toutes-.  Ils  veulent  remplir  le  premier  rôle  (jue  d'autres  s'attri- 
buent déjà.  On  perd  le  temps  à  se  dire  jxtliment  d<'S  injures  3. 
C'est  tout  le  résultat  d'une  première  assemblée.  Six  jours  plus  tard, 
nouvelle  rencontre;  cette  fois,  Tourny  ne  prend  pas  lavis  des  commis- 
saires de  la  Chambre,  la  parole  est  aux  plus  compétents  :  des  ordon- 
nateurs de  la* marine,  des  ingénieurs,  des  pilotes,  des  capitaines''. 
La  Chambre  oubliée,  oublie  la  ([uestion  qui  se  traite  et  les  discus- 
sions qu'elle-même  a  provoquées.  Tourny  a  beau  placer  ses  envoyés 
du  côté  de  la  cheminée  et  les  retenir  à  dîner ^;  de  roiuiMl  avec 
Lamothe,  ils  refusent  de  signer  le  procès-verbal  qui  n'isl  (|u'une 
simple  relation^,  qui  fait  droit  à  leurs  demandes,  ([ui  est  cidin 
conçue  selon  leurs  vœux  de  manière  à  donner  toute  garantie  aux 
navigateurs".  S'ils  avaient  à  présenter  des  observations,  (jue  ne 
les  ont-ils  formulées  plus  tôt^?  Ils  s'obstinent,  Tourny  insiste 
vainement  ^  :  il  veut  qu'avec  Magin,  ingénieur  du  roi,  ils  collaborent 
;'i  l'exécution  des  mesures  prises  par  l'intermédiaire  de  capitaines 
qu'ils  enverraient  sur  les  lieux  à  cet  effet  ^''.  Ils  n'en  ont  cure:  le 
temps  n'est  pas  venu,  ou  bien  il  est  passé;  la  saison  est  mauvaise, 
la  question  est  remise;  Tourny  a  deviné  enfin  la  raison  de  leur 
refus;  ils  ne  se  consolent  pas  d'avoir  perdu  le  premier  rôle.  Qu'à 
cela  ne  tienne  :  «  C'était  son  intention,  écrit-il,  que  le  sieur  Magin 
fit  sçavoir  à  la  Chambre  qu'il  allait  au  bas  de  la  rivière  y  placer 
2  balises  ^.  »  Tout  est  inutile.  Maintenant,  Magin  a  fini  son  ouvrage 
et  Tourny  apporte  son  plan^^;  il  est  à  vérifier,  dit  la  Chambre; 
il  est  tout  vérifié,  dit  un  ancien  capitaine  i^;  il  faut  le  vérifier  encore, 
conclut  le  fils  de  Tourny  soucieux  de  rendre  les  armes  à  la  Chambre**; 
mais  la  saison  est  encore  trop  avancée  *'', 

1.  C  3717. 

2.  C  4255,  IG  novembre  1752. 

3.  C  371G. 

4.  C  4255,  IS  janvier  1753. 

5.  M.    id, 

6.  C  4315,  15  février   1753.  Lettre  de  Tmirny,  C  4255,  1"  février  1753. 

7.  C  3716,  3  février  1753.  Lettre  de  Rost;in. 

8.  C  4315,  15  février  1753. 

9.  C  4255,  29  mars  1758. 

10.  /d.>  27  juin   1755. 

11.  Jd.,   10  juillet  1755. 

12.  C  4256,  1"  décembre  1756. 

13.  M.,   2  décembre  1756. 

14.  M.,   IS  août  1757. 

15.  Id.,   26  août  1757. 


336     RAPPORTS  DE  LA  CMaMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

ïv 

Sur  une  autre  question,  l'intendant  et  la  Chambre  entretinrent 
des  rapports  différents  en  apparence,  analogues  en  réalité.  Sans  être 
absolument  nouvelle,  elle  est  particulière  à  l'époque  qui  nous  occupe; 
dès  1728,  la  Chambre  de  commerce  bordelaise  dénonçait  les  abus 
d'un  fisc  exigeant  1;  mais,  surtout  entre  1742  et  1757,  l'accroisse- 
ment des  charges  fut  excessif  -.  Tourny  avait  des  ordres  ^.  La 
résistance  que  lui  opposa  le  négoce  bordelais  nous  renseigne  sur 
son  véritable  esprit,  qui  était  en  même  temps  celui  de  la  Chambre, 
et  nous  fait  apprécier  dans  la  personne  de  Tourny  un  admirable 
éducateur;  il  connaît  ses  administrés  comme  pas  un;  l'originalité 
de  leur  esprit,  leur  psychologie,  dirions-nous,  ne  lui  échappe  pas; 
«  le  caractère  de  beaucoup  de  négociants  d'icy  est  haut  et  difficile; 
ce  qu'il  y  a  parmi  eux  d'Anglais  ne  contribue  peut-être  pas  peu  à 
ce  caractère;  on  ne  saurait  vouloir  les  mettre  en  règle,  sans  c{ue  la 
plupart,  non  seulement  y  résistent,  mais  s'en  ofïensent...  ils  s'ima- 
ginent que  quand  on  leur  refuse  quelque  facilité  qu'ils  croient  qu'on 
pourrait  avoir,  c'est  une  injustice...  dont  ils  sont  en  droit  de  se 
plaindre  et  aux  personnes  et  au  public;  cette  façon  de  penser  doit 
être  détruite  petit  à  petit  par  une  administration  ferme  et  polie  »^. 

Il  y  revient  une  autre  fois  : 

«  Le  négociant  que  son  intérêt  anime  sans  cesse  regarde  toujours 
comme  une  injustice  ce  qu'on  lui  refuse,  et  comme  une  chose  due 
ce  qu'on  luy  accorde,  c'est  le  blesser  en  luy  accordant  que  de  luy 
faire  sentir  qu'on  luy  peut  refuser,  parce  qu'il  en  veut  tirer  un  droit 
pour  une  autre  fois...  c'est  un  amour-propre  mal  conduit  contre 
lequel  se  révolte  celui  d' autrui  ^.  » 

Et  la  Chambre  lui  donne  raison  quand  elle  dit  :  «  En  offrant  de  se 
prêter  aux  besoins  particuliers  et  aux  circonstances  dans  lesquelles 
chaque  négociant  peut  se  trouver.  Messieurs  les  fermiers  généraux 
n'ont  pas  considéré  sans  doute  tout  l'embarras  que  cela  leur  don- 
nerait, la  Chambre  de  commerce  ne  peut  qu'être  entièrement  sen- 
sible à  leurs  dispositions  favorables,  mais  il  lui  paraît  essentiel 
qu'il  y  ait  à  cet  égard  un  arrangement  général  sur  lequel  le  négo- 

1.  Archives  du  Bureau  du  commerce,  29  avril  1728. 

2.  Benzacar,  op.  cit.,  p.  26,  29. 

3.  C  3231. 

4.  C  2381,  10  septembre  1754, 

5.  Id.,  2  janvier  1755. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    I.E     PARLEMENT    ET    LES    JURATS  337 

ciitiit    11-  plus  |)i'lil    |iiii>>r  iniiijil  (1 ,  coiiiiiii'  Ir  [iliis  <;i;iii<l  l'I   i|iii  ne 
sciit  |)(»iiil  arhilfdirr  '. 

Tourny  a  )ti(iu'iii(t''  Ir  inni  i|iii  lail  l;i  linnifr»'  :  l<'s  rdiiiiiuTçants 
«le  H(»r<l('au\  soûl  uu  |mu  mu/luis;  il>  ir\ cuiHijUiul  |r>  droifs  (lui 
h'Uf  sdul  <lii'r>.  ;i\i'r  uu  rguisnit'  ttMnjirn''  |>ai-  li-  Ikui  st-iis.  m  des 
n''uui<iu>  (jui  xinl  do  nirt'Iinffs  vt'i  ilabics.  l'u  jour  Ir  iniiinii'icc  s'rst 
asst'uibio:  ou  lui  a  lu  ili'ux  iiiciuoiiTs  <(u'il  n'a  poiul,  »';foul«;s.  il  ;j 
applaudi  I  uu  bruyauiuH'ul  ;  à  i'aul  ii-.  il  a  ii-piuidu  par  dc>  imiiiiuircs 
cl  df's  (lauK'uis  :  la  lihri  Ii''  !  la  librih''  !  r|  .  Idiijuui-  l.i  lilxTlr,  dit  !<• 
uanal  (Mil',  fui  l'étondarl  (jui  rallia  irjlr  lrou|ir  i.  (lu  |U"iuoiica  des 
discour.-  t  l'uii-raires.  Ouchpi'im  ;iyaid  dil  :  le  roi  |r  xcul;  uu  autre 
ré[>li(iua  :  cl  moi,  je  w  le  veux  pa&,  «  mais  cela  d  iiu  Ion  (pi;i  peine 
uu  emjtereur  cuueuiy  ne  praudcrait  pas  vis  à  vi>  d'un  simple  jiarli- 


culier  »  -. 


A  Bordeaux,  selon  la  f(Uinule  anglaise,  il  faut  (|ue  le  roi  régne  et 
ne  gouverne  pas;  avec  ce  lad  qui  faisait  saisir  à  Tourny  jusrpraux 
nuances  les  plus  délicates  de  l'âme  bordelaise,  il  sut  ménager  les 
susceptibilités,  concilier  1" autorité  de  l'intendant  avec  l'autonomie 
rêvée  par  la  Guyenne. 

I.'alîaire  des  fermiers  comporte  deux  mouiculs;  en  premier  lieu, 
le  directeur  des  fermes  est  M.  de  Pressigny,  un  homme  expérimenté 
(jui  a  exercé  avant  d'être  à  Bordeaux  dans  les  deux  principaux 
jxtrts  d'armement  après  notre  ville,  La  Rochelle  et  Nantes  3. 

Des  (lifTicullés  ne  cessèrent  de  s'élever  de  Mlo  à  ITr^^,  épo(|ue 
à  laquelle  M.  de  Montau  lui  succéda.  Pour  la  plupart,  elles  furent 
résolues  grâce  à  l'intendant  également  soucieux  i\r>  intérêts  de  la 
régie  et  de  ceux  du  commerce'*;  grâce  à  M.  de  Pressigny  et  aux  direc- 
teurs eux-mêmes  (jui  sureul  habilement  ser\ii'  diulcrnu-diaires 
entre  les  reriuiers  généraux  et  les  négociants. 

A  l'instigation  de  ces  dernieis.  la  Chambre  dénonçait  les  <<  non- 
veuilles»  (jui  allaient  se  iiiwliipliaut  dans  les  procédés  du  (i>c.  au 
grand  détriment  du  conimerce''. 

Tourny,  plutôt  contraire  à  ces  innovations,  ordonnait  de  revenir 
aux  anciens  usages,  en  attendant  um-  décision  ilu  Conseil*.  Il 
écrivait    aux   f<'nniers  généraux,  au  ((udrôleur  L^t'-iu-ral  '.   Mais  .-i>u- 

1.  C  1G3Î). 

■1.  <;  IiWO.   Miiiii.iic  .If  l,MiiioUi<;  a7:.o?). 

y.  c   KiJ'.»,  7  jiiillfl    1741. 

4.  Jd.,  -2  tli'.iMiibn-    1743. 

5.  C  4254,   10  juin    174G. 
G.  M.,   10  février   1740. 

7.  C  4255,  31   août,   13  seplembre   1747. 


338     RAPPORTS  DE  tA  CHAM6RE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

vent  il  avait  des  ordres;  obligé  de  les  faire  exécuter,  il  permettait 
à  la  Chambre  d'en  attaquer  l'exécution  ^.  Elle  eut  parfois  le  plaisir 
de  voir  une  cause  portée  en  appel  au  Conseil  du  commerce  résolue 
en  sa  faveur  2.  Contre  l'intendant,  Pressigny  soutenait  que  certaines 
mesures  étaient  exécutoires  sans  arrêt  du  Conseil  ^;  néanmoins,  avec 
tout  le  monde,  il  inclinait  à  la  conciliation. 

Tout  changea  avec  son  successeur  Montau  ;  il  manquait  à  ce  der- 
nier l'expérience  :  étant  président  des  tailles,  il  avait  indisposé  le 
commerce;  les  fermiers  généraux  avaient  montré  de  l'inquiétude 
quand  le  garde  des  sceaux  le  nomma  directeur  des  fermes;  lui-même 
ne  se  sentait  pas  de  force,  son  avancement  l'avait  mis  dans  l'em- 
barras *.  Montau  s'attira  la  haine  des  commerçants  de  deux  manières  : 
il  cherchait  trop  à  faire  sentir  aux  gens  pour  lesquels  il  avait  quelque 
complaisance,  que  s'il  l'avait,  c'est  qu'il  le  voulait  bien,  mais  qu'il 
pouvait  ne  pas  l'avoir;  d'autre  part,  les  ordres  rigoureux  qu'il  reçut 
l'empêchèrent  de  se  faire  aimer.  Les  négociants  ne  purent  plus 
décharger  leurs  navires  la  nuit,  à  la  saison  même  où  les  jours  sont 
très  courts,  faire  passer  des  marchandises  d'un  bâtiment  à  l'autre, 
entrer  les  barils  de  bœuf  salé  sans  les  faire  tous  peser  ^,  se  dispenser 
de  faire  plomber  les  sucres  et  indigos  à  charger  pour  Marseille  ^,  etc. 
Les  causes  de  conflit  étaient  partout,  bien  résolu  qu'on  était  des 
deux  parts  à  ne  se  rien  passer. 

La  Chambre  se  prêta  d'abord  aux  exigences  du  nouveau  venu  : 
celui-ci  s'étant  plaint  que  l'entrepôt  des  cafés  n'était  pas  suffisam- 
ment clos,  elle  promit  de  faire  le  nécessaire'.  Mais  chaque  jour 
apportait  de  nouvelles  entraves  au  commerce.  La  Chambre  est  au 
moment  de  se  plaindre  à  Tourny  ®. 

Montau  étant  à  la  comédie,  des  cris  sont  poussés  :  à  bas  Montau  ! 
Il  attendit  sans  s'émouvoir  la  fin  de  la  première  pièce  et  se  rendit 
ensuite  à  l'Hôtel  de  Ville,  voisin  de  la  salle  de  spectacle,  pour 
informel  les  jurats.  Ceux-ci  trouvèrent  à  propos  qu'il  revînt  assister 
à  la  seconde  pièce,  comptant  sur  leur  présence,  sur  les  ordres  qu'ils 
donneraient  pour  ramener  le  calme.  Les  cris  recommencèrent,  nul 
ne  put  être  arrêté.  C'était  un  complot  de  commis  et  de  jeunes  négo- 


1.  Id.,  24  avril  1749. 

2.  Archives  du  Bureau  du  commerce,  15  novembre   1749. 

3.  C  4255,  6  mars  1749. 

4.  C  2381,  28  juin  1754. 

5.  C  2381,  2  janvier  17551 

6.  C  4255,  2  janvier  1755. 

7.  Id.,  25  juillet  1754. 

8.  C  4255,  31  juUlet  1754. 


AVEC    LES    INTENDANTS,     I.E    l'AhLEMIM     ET    LES    JUHATS  33<| 

ciants;  un  altrihuaiL  à  Moul.au  iiii  iiml  (jui  ((iiiiul  par  !a  vilh-  :  il  ii<' 
coiiiiaissaiL  d'intiiiiil  r  liniiimr  |i;iriiii  les  nt-j^ociaiils  tl'-  Honiruux 
que  u  le  sieur  Katcr  »  *. 

Ouelle  devait  être  l'attitude  de  Touriiy?  Elail-re  à  lui  «l<-  faire 
punir  les  coupables?  Il  ne  h-  semble  pas.  Les  jurais,  non  l'iulendaiil., 
avaient  la  police  des  spectacles-;  leur  ordonnauei'  ilu  T)  août  !•' 
piduvr.  l'^llr  défendait  à  qui  (jue  ce  fûl.  di-  l;iin'  «lu  bruit  dan>  la 
salle  iWs  spectacles,  d  y  crier,  «  d'y  fain;  des  huées  »,  d'y  aj)oslro- 
plier  (juelqu'un  sous  quelque  prétexte  que  ce  pût  être  3.  Le  mal  était 
fait,  les  coupables  avaient  échappé;  les  jurats  dressaient  le  pro<"ès- 
vcrbal  et  commençaient  l'enquête.  Montau,  satisfait  de  voir  des 
sympathies  lui  revenir  à  la  suite  de  cet  incident,  demanda  l'arrêt 
de  la  jjrocédure  •*.  L'intendant  crut  devoir  ajouter  quelque  chose  : 
des  réparations  offertes  à  Montau  par  les  directeurs  du  commerce 
au  nom  des  commerçants.  La  question  était  délicate.  Tourny  dut 
hésiter  :  on  s'en  aperçoit  aux  ratures  qui  rendent  illisible  le  brouillon 
d'un  rapport  adressé  à  Trudaine  sur  cette  affaire;  pour  le  dernier 
paragraphe,  l'intendant  s'y  est  repris  à  trois  fois'.  Il  dut  chercher 
longtemps  l'expédient  propre  à  ramener  la  bonne  intelligence,  sans 
blesser  ni  décourager  personne;  il  ne  pensa  faire  tort  ni  aux  Conseils 
ni  à  la  Chambre,  en  ayant  l'air,  tout  en  s'en  défendaul ,  dr  les  rendre 
responsables  du  méfait  commis. 

Dans  son  esprit,  cette  solidarité  des  directeurs  avec  le  conuuerce 
devait  au  contraire  leur  faire  hormeur;  en  venani  s'excuser  des 
torts  des  négociants,  ils  agiraient  «  comme  pourrait  faire  un  père  de 
famille  pour  ses  enfants  qui  se  seraient  mal  comporté^  avec  (juel- 
({u'un  »  ^,  et  Tourny  trouve  des  comparaisons  encore  plus  expres- 
sives :  «  Si  un  de  mes  domestiques  avait  oITcnsé  le  moindre  artisan, 
si  un  de  mes  chevaux  l'avait  blessé,  si  mon  chien  l'avait  tnordu,  en 
serais-je  moins  obligé  à  témoigner  à  cet  ailisan  par  des  démarches 
combien  j'en  serais  fâché  "  '.^  » 

Il  élevait  les  directeurs  en  ayant  l'air  de  les  abaisser;  ce  n'étaient 
plus  les  petits  boutiquiers  modestes  qu'une  intrigue  fai.sait  entrer 
dans  une  Chambre  bonne  tout  au  plus  à  formuler  des  plaintes;  ils 
devenaient  des  anciens  appelés  par  leur  mérite  à   représenter  le 

1.  C  2381,  3  août  1754. 

2.  Bordeaux.  Aperçu  historique,  t.  I,  p.  1S7. 

3.  Registre  des  délibérations  de  la  Jurade,  5  août  1754. 

4.  C  2381,  3  uoùt  1754. 

.">.  C  IGll,  7  décemhr»  1754. 
«j.  C  1611,  7  décerabic  1754. 
7.  C  2381,  10  décembre  1754. 


34o      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

i(  sindicat  n^  des  négociants;  aux  dépens  des  jurais  de  la  ville,  ils 
devenaient  les  jurais  du  commerce.  —  La  Chambre,  elle,  s'étonna 
d'être  mêlée  à  une  afTaire  oîi  il  était  bien  vrai  qu'elle  ne  fut  pour  rien. 
Les  juges  et  consuls  reçurent  d'abord  les  vifs  reproches  de  Tourny, 
sans  bien  comprendre  2.  Quelques  jours  plus  tard,  la  Chambre  por- 
tait plainte  contre  Montau,  écrivait  au  contrôleur  général;  l'insulte 
était  oubliée.  Et  les  jurats  ne  demandaient  pas  mieux  qu'elle  le 
fût.  Si  Saint-Florentin,  leur  protecteur,  trouvait  bonne  et  suffisante 
leur  en({uête  3,  il  ne  persuada  point  Tourny;  l'intendant  fit  des 
démarches  auprès  des  jurats,  qui  répondirent  :  ils  ne  croyaient  pas 
qu'on  l'insultât  encore,  mais  d'en  répondre,  c'était  trop  leur  de- 
mander*. Or,  voici  qu'un  nouvel  outrage  est  fait  à  Montau;  des 
affiches  injurieuses  ont  paru  à  la  Bourse  ^.  On  les  a  déchirées  presque 
aussitôt,  et  d'ailleurs,  écrit  Tourny,  «  ce  sont  de  ces  choses  aux- 
quelles sont  exposées  les  personnes  dans  les  places  les  plus  élevées 
et  qu'elles  doivent  paraître  méprisées,  quand  elles  n'ont  point  de 
quoy  convaincre  les  coupables  *.  » 

Poussés  à  bout,  les  fermiers  généraux  deiuandent  cette  fois  la 
continuation  des  poursuites  intentées  à  propos  de  la  première  affaire. 
Tourny  insiste  pour  que  la  Chambre  fasse  une  démarche  auprès 
de  Montau;  elle  dira  :  elle  a  eu  une  vraie  peine,  elle  a  fait  son  pos- 
sible pour  découvrir  les  auteurs,  pour  empêcher  que  rien  de  pareil 
se  produisît  à  l'avenir,  elle  désire  que  leurs  bonnes  relations  ne  soient 
point  troublées  pour  cela. 

Mais  les  propositions  de  l'intendant  avaient  échoué  une  pre- 
mière fois;  du  27  août  au  2  septembre,  il  n'avait  point  reçu  la  réponse 
de  la  Chambre;  de  nouvelles  explications  n'avaient  encore  pas 
abouti.  Le  contrôleur  général  Moreau  de  Séchelles  invite  les  direc- 
teurs à  suivre  le  parti  proposé  par  l'intendant.  La  Chambre  consent  à 
exprimer  ses  regrets  sur  l'insulte  faite  à  Montau,  dans  une  lettre 
au  contrôleur  général;  mais  elle  riposte  en  accusant  le  directeur  des 
fermes  :  il  attend,  pour  faire  exécuter  les  arrêts  favorables  au  com- 
merce, d'avoir  obtenu  de  lui  satisfaction'.  Il  faut  aboutir.  Tourny 
veut  que  la  Chambre  aille  vers  Montau,  et,  d'un  auti'e  côté,  il  engage 


1.  G  2381,  2  décenibie  1754. 

2.  C  4255,  s  août  1754. 

3.  C  2381,  11  août  1754. 

4.  Id.,   10  septembre  1754. 

5.  Id. 

6.  G  2381,   10  septembre  1754. 

7.  G  4263,   1"  octobre  1754. 


AVEC    LES    INTENDAMTS,    LE    PARLEMF.MT    ET    LES    JUR\TS  8'|I 

MontiiH  à  \n  liit'H  arciit'illir '.  l.;i  ili'in.iiclir  ••>!  f.iilr,  Barri'vrc  «'t. 
Kater  sitiit  alli'-s  chi'/.  lui;  il  n'y  l't.iit  pio;  lU  |ircimt'iil  suii  juin  il 
SUN  lii'iiic:  il  Inii  irii(|i;i  jeu  |- \- i>il  c -.  I  ,fs  ij  iictl  m  i>  .  piil  r  iiii|)ii'>>iuii 
dT'Ir*'  iliiiiiiiiii''.>  cl  sr  plaif^iK'nl  ijr  (clli-  .illciiid-  ;'i  Iriir  |iif-.|  i<^c,  ils 
|taili'iil  (|r  (iiiiragi',  «  (r<''iimlali()U  ',  ir«W(MUUii«*ut.s  «qui!  in-  miii> 
serait  j>.i>  [ilus  possible  de  prévoir  (|iit'  d'éviter))^.  Ou  diiail  ([u'uii'- 
Fronde  de  commerçants  se  prépare  :  elle  avorta.  La  eonséiiucnre 
de  la  visite  à  Mmilâu  fui  aulrr  :  eu  faisant  faire  à  la  C.liainhre  cette 
déniarclic  ([ui  Iciidail  au  hieu  du  «(unmerre.  TdurriN  lui  a\ail  appris 
à  jdUtT  sou  \(''ImI  ahic  rôli'  :  celui  ilc  ni'inddhiirc  fcsfinnsalili'  'lu  u/'i/'icc 
bordelais. 

Mais  Mtiiilau  ii  a  Loujuurs  pas  de  cliainc;  lui  d  -es  coiuiuis  vien- 
nent encore  de  se  couvrir  de  ridicule:  Gautier,  l'un  d'eux,  a  la  clef 
de  l'entrepôt;  sur  le  point  de  sortir,  il  la  laisse  à  sf»n  valet  ;  celiM-ci 
doit  la  rapporter  et  la  mettre  à  la  place  habituelle.  .Mais  il  est  nui! 
quand  le  valej  (piitte  l'entrepôt,  portant  un  petit  sac  de  café;  les 
gardesde  la  ferme  l'aperçoivent,  l'arrêtent,  le  conduisent  prisonnier 
chez  Montau.  avec  sa  clef.  Le  lendemain,  les  négociants  di'  dcniaiider 
la  clef,  de  [tresser  de  questions  Gautier  silencieux;  à  la  Chambre,  il 
racoiile  l'histoire,  elle  envoie  vers  Touruy.  Il  sait  toiil.  il  a  jiris  .ses 
mesures;  on  ira  chercher  la  clef  au  greffe,  où  l'on  lâclici;i  de  \oii- 
le  dotnesti<(Ue,  ou   bien  ou   culuiu'eia   la   putle^. 

.\utre  affaire  :  (".bolet,  juge  de  la  Bourse,  se  plaint  d'uu.-  iu-\iHe 
«atroce»  i|ue  lui  a  faite  Montau:  il  a  dit:  «S'il  ie\cu;iit  che/.  lui. 
il  lui  feiiiil  passer  la  porte.  »  L'outrage  atteint  loiHe  la  C.liaudu-e. 
en  la   |iersonne  de  son  chef''. 

Les  directeurs  le  croi<'ut-  ou  l'ont  seinbhiid  de  le  croire".  (".'•  >t  la 
tâche  de  TouriiN  encore  de  dissiper  le  uialeidendu,  de  [uellre  les 
choses  uu  point,  de  plaider  auprès  du  fetinier  i^r-n/Mal  ■,  auprès 
d<'S  flirecteurs  la  cause  de  Moiilau.  Car  tout  le  monde  e>l  contre  lui; 
un  sieur  Bonin'-,  parce  ^^\^"\\  ;i  lail  saisir  sans  raison  son  magasin**; 
Lamothe,  le  fameu.v  syndic  des  court  ieis.  parce  qu'il  a  contesté 
ses  titres  et  (|Ualités  ^;  Narès  de   Marlie.iu.  parce  (|u'il   lui  a   refusé 


1.1.  -23^1,    l(t   iir.vciiil)!-.'    I7M. 

■-*.  /'/.,   IS   iio\ fiuljie   17.M. 

3.  C    litiS,  -23  novciiibiu   IT.'.J. 

4.  (;  42.Ô5,   12  sepU'iiibre   17.'i4. 
:..  i;   23H1,  4  janvier   17.">.".. 

ti.  C.  4203,  4  janvier   17.'>.'>. 

7.  C  23«1,  2  janvier  175.'). 

5.  Id.,  21   novembre  17r)ri. 
;>.  /(/.,   l.T   février   17.^.'>. 


342      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

un  délai  ^;  et  le  curé  Thomas,  de  Bruges,  parce  qu'il  a  confisqué 
dix-sept  aunes  de  droguet,  tout  l'ouvrage  qu'a  pu  faire  une  pauvre 
femme  en  une  semaine  ^. 

A  la  première  demande  que  Montau  fait  au  commerce  d'un  magasin 
à  deux  clefs,  Tourny  l'abandonne  3,  et  désormais  on  se  passa  de  lui. 
C'est  l'intendant  qui  travaille  avec  la  Chambre,  le  député  de  Trudaine 
à  résoudre  les  questions  fiscales.  Il  demande  aux  directeurs  de  lui 
faire  un  cahier  de  tous  leurs  griefs*;  Trudaine  ayant  décidé  qu'il 
n'y  aura  plus  d'entrepôt  de  café,  mais  que  le  négociant  devra  faire 
constater  le  poids  à  l'arrivée  et  à  mesure  qu'il  expédiera^,  la  Chambre, 
mal  préparée  à  une  telle  réforme,  se  retourne  vers  Tourny,  le  prie 
de  l'aider  de  ses  conseils;  et  l'intendant  l'invite  à  s'inspirer  de  l'atti- 
tude  des   négociants  ^.   Ceux-ci   protestent   contre    la   réforme,    la 
Chambre  transmet  leurs  plaintes,  Trudaine  révoque  sa  décision. 
Pour  le  choix  d'un  nouveau  magasin',  pour  une   prolongation 
générale  de  l'entrepôt  pendant  six  mois^,  chacun  est  dans  son  rôle, 
et  chaque   affaire   reçoit   régulièrement   sa   solution.    L'intendant, 
appelé  à  juger  les  mémoires  des  directeurs  et  ceux  des  fermiers, 
montre  le  bien  fondé  des  demandes  de  la  Chambre^,  et  se  prononce 
même,  bien  que  vainement ^•',  pour  l'établissement  d'un  règlement 
général  conçu  selon  les  vœux  des  directeurs  et  du  commerce  bor- 
delais. La  Chambre  remercie  Tourny  i^.  Elle  pouvait  le  remercier, 
car  il  lui  avait  appris  à  merveille  son  rôle;  voyant  qu'elle  le  possé- 
dait à  fond,  il  le  lui  laissa  jouer  toute  seule,  dans  la  plus  grande  affaire 
qui  se  fût  jusqu'alors  rencontrée,  et  la  Chambre  apparut  à  ceux  qui 
la  croyaient  la  moins  forte  du  royaume,  comme  la  première  de 
France. 


Les  députés  avaient  proposé  au  garde  des  sceaux  d'autoriser,  aux 
colonies,  le  commerce  des  neutres  sous  certaines  conditions.  La 
Chambre  bordelaise  vit  le  danger  et  le  dénonça.  Elle  construisit  un 

1.  C  2381   15  février  1755. 

2.  Id. 

3.  C  4255,  18  décembre  1755. 

4.  C  4255,  2  janvier  1755. 

5.  C  4256,  2  octobre  1756. 

6.  M.,  4  octobre  1756. 

7.  /(/.,  3,  10  février  1757. 

8.  C  1639,  16  janvier  1757. 

9.  M.,  14  février  1757. 

10.  Id.,  16  mai  1757. 

11.  C  4256,  31  mars  1757. 


AVEC  I.ES  INTENOVNTS,  I.E  PARLEMENT  ET  I.ES  .MRATS      3^3 

nK'MiKiiro  solidt'  ot  bien  ordonnr  :  au  Hou  de  tr;»iterdans  cctto  afTain; 
la  (ju<'sti()ii  de  principe,  comme  elle  le  fd.  plus  tard  sans  grand  profil, 
elle  discuta  la  question  de  fait  :  il  fallait  cnipùclier  que  les  négociants 
de  France  fussent  ruinés;  le  seul  nioytMi  était  de  leur  conserver  le* 
droit  exclusif  de  commerce  avec  les  colonies.  Les  Bordelais  se 
dévouèrent  à  la  cause  commiinc^,  non  pa-;  dans  un  élan  dentlimi- 
siasfne,  mais  par  poliliipic,  cl.  apiés  examen. 

Non  coufenlc  (le  s'adresser  celte,  fois  au  premier  président,  à 
lintendaul,  chez  (j\ii  (^llc  trouva  d'ailleurs  l'accueil  le  plus  favo 
rable,  elle  écri\iL  une  lettre  circulaire  aux  Chambres  de  La 
Rochelle.  Nantes.  Saint-Malo,  Rouen,  Marseille,  Rayonne  2,  décida 
de  convo({iiei-  itnr  assemblée  générale  du  ronunerce,  que  Tourny 
jtrésiderait. 

Il  ('tait  malade,  son  lils  vint  ^  On  d<';libcre,  on  met  aux  voix  les 
propositions;  deux  députés  extraordinaires  seront  envoyés  à  Paris 
pai-  la  Chambre  bordelaise,  avec  l'aidorisation  de  l'intendant*. 

Où  en  était  la  Chambre?  Au  point  oîi  son  président  Tourny  me 
paraît  avoir  voulu  la  mettre,  le  joui-  <>ù  il  l'envoya  porter  au  sieur 
Montau  les  excuses  des  négociants  :  à  la  tête  du  commerce,  qu'elle 
représentait,  cju'elle  faisait  délibérer,  qu'elle  faisait  voter,  qu'elle 
dirigeait;  à  deux  de  ses  membres  était  confiée  la  défense  des  intérêts 
de  la  ville;  ce  n'étaient  plus  seulement  les  jurats  qui  envoyaient  à 
Paris  leurs  députés,  à  côté  d'eux,  les  directeurs  étaient  bien  cette 
fois  les  jurais  du  commerce. 

La  Chambre  en  était  là,  et  cela  est  si  vrai  que  deux  directeurs 
furent  mandés  tout  aussitôt  par  un  huissier  du  Parlement;  le  bureau 
les  attendait  :  Leberthon,  de  Gourgues,  Dublan,  de  Lancre.  Au 
Paty,  Degrissac,  Desmarais,  Dussaut,  Depis,  Du  Vigier,  procureur 
général.  Ces  magistrats  ont  compris  :  «  La  Chambre,  dit  le  premier 
président,  n'était  pas  en  droit  de  faire  des  assemblées  de  négociants 
((ue  pour  des  cas  particuliers  de  commerce,  mais  lorsqu'il  s'agissait 
d'une  afïaire  de  cette  conséquence,  qui  intéressait  toute  la  ville  et 
la  jtrovince,  elles  ddiveul  se  faire  dans  l'hôtel  de  ville  en  y  appellant 
tous  les  ordres  ^  » 

Le  Parlement  voulu!  marquer  nettement  la  subordination  des 
directeurs  aux  ofïiciers  municipaux:  des  arrêts  anciens  défendaient 

1.  r,  4255,  20  mars  175G. 

2.  Id.,   22  mars  175t;. 

3.  Id.,   23  mars  1750. 

4.  Id.,   24  mars  175G. 

5.  G  4255,  1"  avril  1756. 


344      RAPPORTS  DE  Lk    CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

aux  bourgeois  de  réunir  aucune  assemblée  sans  leurs  magistrats  i; 
d'autres,  plus  récents,  ne  permettaient  d'en  convoquer  qu'en  présence 
du  juge  ordinaire  de  l'endroit^;  enfin,  un  dernier  arrêt,  datant 
de  1715,  portait  que  deux  jurats  devaient  faire  part  à  la  Cour  de 
la  convocation  des  130,  et  lui  demander  de  députer  deux  conseillers 
pour  y  assister  ^. 

La  Chambre  de  commerce  devait  être  subordonnée  aux  jurats, 
comme  les  jurats  eux-mêmes  l'étaient  au  Parlement  :  l'arrêt  d'in- 
terdiction est  du  2  avril  1756  :  «  La  Cour  fait  inhibitions  et  dîf- 
fences  aux  juges  et  consuls  de  convoquer  des  assemblées,  notam- 
ment dans  les  affaires  graves  et  publiques  qui  peuvent  intéresser  la 
communauté  sans  en  avoir  prévenu  les  jurats;  afin  que  lesdits 
jurats  en  informent  la  Cour,  avant  qu'on  puisse  faire  l'assemblée*.  » 

L'arrêt  devait  être  transcrit  sur  le  registre  de  la  Chambre  de  com- 
merce, preuve  que  le  Parlement  voulait  l'humilier;  de  plus,  le  pro- 
cureur du  roi  devait  «  tenir  la  main  à  l'exécution  du  présent  arrest 
et  certifTier  la  cour  de  ses  diligences  dans  trois  jours  >\  ce  qui  montre 
la  peur  très  grande  que  cette  dernière  avait  eue. 

L'attitude  de  l'intendant  est  la  plus  curieuse;  il  ne  s'est  pas  ému 
un  instant  de  l'entreprise  de  la  Chambre;  il  a  loué  son  initiative, 
et  l'a  défendue  contre  le  Parlement;  il  devance  ses  démarches  en 
écrivant  tout  aussitôt  pour  qu'on  maintienne  aux  directeurs  le  droit 
de  réunir  librement  des  assemblées  générales  ^;  il  mande  au  chance- 
lier, à  Saint-Florentin,  que  les  représentations  du  Parlement  ne 
méritent  pas  d'être  discutées  :  à  la  lecture,  dit-il,  elles  s'écroulent^. 
A  eux  deux,  l'intendant  et  la  Chambre,  le  maître  et  le  disciple  (|ui 
vient  de  faire  son  chef-d'œuvre,  pour  parler  comme  dans  le  temps, 
ils  obtiennent  que  le  ministre  laisse  aux  directeurs  le  soin  d'accorder 
aux  neutres  le  minimum  de  liberté,  sous  la  forme  de  passeports 
qu'eux-mêmes  délivreront  '. 

La  victoire  était  remportée  et  l'intendance  de  Tourny  allait  finir; 
une  fois  encore,  les  directeurs  demandèrent  à  leur  président  de 
revoir  un  mémoire  sur  le  commerce  d'interlope,  présenté  par  les 
négociants  ^ 


1.  C  1611. 

2.  c  3789. 

3.  Registre  du  Parlement,  20  février  171.' 

4.  C  4255,  8  avril  1756. 

5.  C  4256,  13  avril  1750. 

6.  C  1611,  8  mai  1756. 

7.  C  4250,  16  juin  1756. 
9.  Id.,  16  septembre  1756. 


A^EC    LES    INTENDANTS,    I.E    PARLEMENT    ET    LES     HHAI-  3^5 

'l"iiiiiii\  |i;iili,  >i>ii  ;ii|iiiiiii-l  r.'il  imi  -i-iiilil.iil  »lf\<iir  ><•  proltuif^er, 
(■;ir  il  rut  riii-i^iir  |i(iiiiiiMir  di-  I  r.iii-nirl  t  ic  s;i  rluirf^f  ;"i  son  lils. 
Ce  iliTiiici'  ;issisl,;til  ilrjuiis  liui:,'!  riii|i>  di'j.'i  .iiix  m'.iihcs  iIi-  l;t  ('.haiiilin- 
lie  fotiiiiH'nc  '  ;  il  y  ijniiii.iil  s(i!i  iivis  sur  foiil.cs  les  (|iifsl  ittiis.  il  n-ti.- 
I>lac;;iit  smi  prir.  |,i's  din-rl  cm-  lui  ;i\;iiiMil  oITfil  iiii'-  Ixtursc  dt; 
ji'Ioiis-;  ils  espéraii'ul  |)i;iur()ii|i  dr  lui.  plus  ('iirorc  ipii  liii  (iratnl 
Touray  :  «Ses  lumières,  écrivaii-nl-ils,  mui  cn'-dil.  x.n  /.i-],-  |miiii-  Ii- 
l»it'ii.  iinus  (lonncnl  lim  (respci<'r  (\ur  \r  (■(tiiiiiicrcc  s<*fa  à  1  avenir 
jtiiis  protéf^é.  Il  s'est  déclaré  en  sa  faveur  dt-puis  N-  uiuiiieid  <|u"il 
a  e(inimencé  à  le  connaître,  e1  nous  pi.uxoii^  Inul  cninplfr  -(di- 
dement  .^ur  son  secours  •'.  » 

Pourtant,  le  jour  du  dé]wut  du  jièri'  l'ut  bien  la  datt-  l'alaie.  I^es 
intendants  vont  se  succéder,  il.-  ne  serctul  i)lu-  entre  la  rdiainbre 
et  le  pouvoir  l'arhitre  (pie  choisissaient  les  deux  parti-,  et  (|ui  se 
permettait  de  Irui'  donner,  avec  réserve  sans  doute,  mais  avec 
vigueur  aussi,  tort  ou  raison. 

r.hoiseul  passera  par-ilessus  les  intermédiaires,  et  Ir  contact  immé- 
diat du  pouvoir  absolu  et  du  négoce  libre  suscitera  à  la  r.haiulire 
plus  d'un  ennui. 

1  )"autre  part,  le  Gouvernement  ménage  les  cours  souveraines  :  après 
17r)7.  date  de  la  doctrine  des  classes,  le  (;ori)s  de  |;i  magistrature, 
t'd  rnili  iiii'ul  uni,  ilevient  très  fort  :  une  grande  épo(jue  s"ou\r«'  pour 
lui  à  Bordeaux,  il  \a  elienlier  ;'i  se  suhslitun-  ,'i  la  Cliaudu»-  daii-  la 
défense  des  intérêts  de  la  i)ro\  ince.  et  !•■>  direc  l.urs  verront  encore 
s'évanouir  les  rêves  d'aulonoiuie,  d'iiidi''peudaii(e.  de  lil.re  iuili.i- 
live.  (|u'Auliert  de  l'ourriy  leur  a\ail  t'ait  \  i\  ic.  sous  >oii  li.iul 
patronage,  l'espace  de  ipiatorze  ans. 

(A  suivre.)  M.    1 .11  K  Ml'l'll-:  l{. 

1.  i'.  4-2.">5,  S  jaiivior   17rif>. 

2.  r,  4256,  21   :ivril    17.'>7. 
n.   r.  -U03. 


CORRESPONDANCE 


Nous  recevons  de  M.  l'abbé  Raby  la  lettre  suivante  à  propos  du  compte 
rendu  qui  a  été  donné,  dans  la  Revue  (n°  3,  1912),  de  son  ouvrage:  Méteuil, 
ancienne  capitale  du  Médoc.  Son  principal  héritier  Sainl-Germain  D'esfméjteuil. 

Monsieur  le  Secrétaire, 

Un  confrère  me  communique  votre  numéro  de  mars-avril.  Vous  me  per- 
mettrez de  venir  en  appel  contre  l'exéculion  sommaire  de  mon  livre.  Votre 
chroniqueur  bibliographique  qui  signe  S.,  lui-même,  n'a  pas  connu  en  son 
temps  une  polémique  courtoise  engagée  dans  un  journal  de  Lesparre:  elle 
donnait  en  somme  raison  à  ma  manière  de  voir;  ni  l'exposé  de  la  question 
de  Méteuil  et  Saint-Germain  d'Es'mé)teuil  :  il  a  paru  dans  notre  Bulletin 
paroissial.  A.insi,  paragraphe  premier,  l'auteur,  dit-il,  c  part  de  cette  donnée  ». 
Or  j'écris,  paragraphe  deux,  «  de  cette  étude  ressortira,  je  crois,  la  division 
en  trois  villes  »  ;  ce  n'est  pas  une  donnée  a  priori,  c'est  la  conclusion  d'une 
étude  de  douze  ans,  laite  sur  place. 

2.  a)  Notre  paroisse  ne  peut  pas  être  Saint-Germain  de  chaume.  En 
Médoc  existent  les  deux  mots  Esteuil  et  Estouil.  M.  S.  dit  vrai  :  eslouil  (non 
pas  estulh,  a  ne  se  prononce  pas  ou  en  France;  est  le  chaume  qui  reste  en 
terre  après  la  coupe  du  blé.  Ni  en  patois,  ni  en  français,  ni  nos  gens,  ni  nos 
voisins,  personne  n'a  jamais  prononcé  Saint-Germain  d'Estouil.  Les  habitants 
doivent  savoir  comment  se  prononce  le  nom  de  leur  pays,  b)  Les  comptes 
de  l'Archevêché  ont  été  savamment  édités,  mais  ce  ne  sont  que  des  comptes, 
ils  ne  font  pas  autorité  en  orthographe.  Chacun  connaît  les  fantaisies  des 
anciens  copistes  à  l'égard  des  noms  propres.  M.  S.  cite  lui-même  trois  façons 
pour  Esteuil.  c)  Les  copistes  gascons  se  trompaient  aisément  en  transcrivant 
Esteuil,  un  nom  de  formation  française.  Le  moyen  Médoc,  je  le  prouve,  est 
resté  longtemps  un  îlot  gallo  romain  opposé  aux  Gascons  et  aux  Anglais. 
d)  L'étymologie  Saint  Germain  d'Es(me)teuil  est  rigoureusement  déduite 
des  règles  de  formation  du  français  populaire,  e)  Le  curé  en  1778  aurait 
répondu  qu'il  ne  subsistait  dans  notre  paroisse  nulle  tradition  du  passé:' 
Cependant  Baiinin,  I,  281  :  «  C'est  [une  tradition  qu'il  existai!  dans  cette 
paroisse  une  ancienne  ville  appelée  d'Ârtrac,  dont  on  voit  encore  les  restes, 
ainsi  qu  011  l'assure.  C'est  une  des  paroisses  du  Médoc  où  il  existait  le  plus 
d'anciens  monuments.  On  ne  saurait  assez  exhorter  les  personnes  éclairées, 
etc.  »  ;  Baurein  avait  été  vicaire  à  Cissac,  paroisse  limitrophe  de  d'Artrac. 

3.  «Aucune  révolution  ou  modification  n'est  survenue,  etc.»  J'appli- 
que à  la  for, nation  du  Médoc  ks  théories  de  MM.  de  Lapparent  et  Brunhes. 
Je  n'ai  trouvé  aucune  hypothèse  scientifique  qui  pût  s'appliquer  mieux  à 
ce  que  j'avais  sous  mes  regards.  J'ai  parlé  de  l'embouchure  de  la  Gironde, 
de  ses  nombreux  avatars,  d'après  la  thèse  latine  de  doctorat  de  M.  Outrait: 
il  y  donne  ses  preuves,  ses  études  et  de  nombreuses  cartes.  Mais  pourquoi 
M.  S.  cite-t-il  .Mêla,  un  compilateur  espagnol,  et  rejette-t-il  le  témoignage 
de  nos  chroniqueurs  nationaux  au  sujet  des  cataclysmes  du  Médoc? 

A.  M.  S.  parle  d'une»  probable  mystification  à  propos  de  Noviomagos  ».  Mon 
livre  est  le  résultat  de  longues  études,  explorations,  discussions  publiques, 


CORRESPONDANCE  3/|7 

fouilles  même.  Raiirein  me  panil  avoir  raison;  à  ce  quii  dit,  j'ai  ajontt-  une 
bifurcation  de  voie  romaine,  des  noms  significalifs,  le  culte  de  Sainle-Uade 
{jonde,  notre  vieille  église  de  l'an  900,  les  avant-ports  de  Méteuil.  un  loni- 
beau  préhistorique,  etc.  J'ai  enchaîné  et  exposé  huit  preuves,  écrivant  tout 
simplement  à  mes  paroissiens. 

5.  a)  \  ieux  professeur,  j'ai  cru  ({u'on  éclairait  le  sens,  l'interprétation  des 
textes  par  les  circonstances  de  lieu,  de  temps,  de  genre  littéraire,  de  situa- 
tion (l'auteur,  etc.  Je  prouve  d'abord  que  Méteuil  est  dans  une  île  de  tracé 
des  deux  bras  de  lleuve  est  encore  visible  chez  nous).  Le  poète  Théon  peut 
donc  vivre,  .selon  le  poète  Ausone,  à  une  des  embouchures  et  à  la  fois  sur 
le  rivage  de  Méteuil.  h)  Le  mot  ita(ius,  d'après  le  grand  Freund,  entre 
autres,  veut  dire  d'abord  bourg  ouvert,  puis  par  extension  district,  il  ne 
signifie  bien  campagne,  campagnards  (païens)  que  lorsque  le  texte  l'oppose 
à  ville,  iti-bs.  c)  L'origine  du  liard  est  incertaine,  il  vient  du  .Midi,  dit 
Littré;  d'après  l'historique,  ajoutet-il.  il  semble  (jue  le  hardi  et  le  liard  sont 
identiques  (cela  est  vrai  encore  pour  le  vicu.x  patois  du  .Médoc;.  Dezobry 
signale  que  depuis  Louis  \I  l'empreinte  du  liard  est  la  même  que  celle  du 
hardi  de  (iuyenne.  (Test  donc  une  hypothèse  permise  en  histoire  sérieuse 
que  de  faire  remonter  le  liard  au  capitulaire  de  .S'jo.  où  il  s'agit  de  frapper 
monnaie  à  Méteuil,  lorsque,  au  nord  de  l'ile  de  Méteuil,  nous  avons  un  liard. 
L\anl  seul  village  en  France  de  ce  nom  (sauf  un  Liari  dans  le  Sud-Est.  je 
crois),  alors  qu'on  y  a  trouvé  en  terre  des  lingots  de  métal  fondu  parmi  des 
feux  enfouis  assez  profond,  et  non  loin,  une  machine  à  frapper  monnaie, 
d'après  un  journal  de  Lesparre.  d)  L'abbé  Baurein  discuta  avec  science  et 
bonhomie  l'attribution  de  Metullum  entre  Méteuil  <de  (Juyeime)  et  Melle  du 
Poitou.  J'ai  versé  au  débat  ce  qu'on  nous  enseignait  aux  cours  de  licence: 
l'accent  tonique  latin  est  l'âme  des  mots  de  formation  populaire;  aussi  ni 
Metullum  ni  Metullium  ne  peuvent  donner  Melle  en  français;  que  si  on  lit 
Metulum  [campuni)  pourquoi  Melle  a-l-il  fâcheusement  deux  Idlres  /.  en  son 
orthographe? 

G.  Merci  pour  les  renseignements  sur  Pelos  et  Cordouan  ;  ils  ne  font  pas 
partie  de  mon  sujet.  Cordouan,  îlot  depuis  3oo  et  800  ans,  confirme  la  thèse 
de  la  formation  du  Médoc  par  des  îles. 

7.  En  résumé,  je  ne  suis  qu'un  rénovateur,  je  voudrais  pousser  dans  la  voie 
archéologique  les  bulletins  paroissiaux  de  ce  Médoc  si  riche  en  souvenirs 
méconnus.  Déjà  on  a  trouvé  sur  le  plateau  de  .Méteuil,  à  Saint-Laurent,  un 
sépulcre  servant  d'auge:  le  moulage  des  inscriptions  exerce  la  science  bor- 
delaise; chez  nous,  une  brique  écrite.  Des  fouilles,  des  sondages  au  moins, 
avanceraient  la  solution  du  problème  de  Méteuil. 

-Monsieur  le  Secrétaire,  j'ai  dû  me  défondre  pied  à  pied.  J'aurais  pu  expo- 
ser longuement  un  sujet  que  je  connais;  j'ai  craint  de  paraître,  dans  \olre 
savante  Revue,  un  peu  paysan...  du  Médoc. 

J'ai  l'honneur  d'être  votre  très  humble  serviteur. 

!..  lUHY, 
curé  de  ?»ainl-Gerniaiii-(l'F.steuil. 

Lne  controverse  ne  saurait  être  ouverte  dans  un  périodique  comme  celui- 
ci.  Elle  aurait  cependant  son  utilité.  Si  M.  l'abbé  Haby  veut  bien  reprendre 
dans  un  journal  de  Lesparre  la  polémi(pie  dont  il  parle,  je  l'y  suivrai  très 
volontiers  pour  que  nous  examinions  de  concert  oti  contradicloirement. 
sous  les  yeux  du  public,  ce  qu'il  convient  de  retenir  ou  de  rejeter  à  propos 
des  faits  historiques  visés  par  l'article  bibliographique  sur  Mrlruil. 

B.   SAINT-JOURS. 


MÉLANGES 


La  maison  mortuaire  de  Goya. 

Dans  V Inlermédiaire  des  chercheurs  du  20  ortobro,  un  curieux  a 
dénoncé  comme  «  une  profanation  historique  »  l'enlèvement  de  la 
plaque  commémorative  de  la  mort  de  Goya,  placée  sur  le  n"  39-41 
du  cours  de  T  Inteuflance,  du  côté  de  la  rue  Voltaire,  à  la  suite  des 
travaux  qui  ont  transformé  le  rez-de-chaussée  de  cet  immeuble. 
La  presse  locale  et  la  presse  parisienne  se  sont  émues.  Elles  ont,  du 
reste,  aussitôt  après  reconnu  (|ue  la  plaipie  avait  été  replacée  sur 
le  côté  de  l'immeuble,  à  la  haideur  du  j»remier  étage. 

L'auteur  de  l'article  de  V Inlermédiaire  doit  être  sati;  lait.  La  vérité 
histiiri(|U('  ;i  le  droit  de  l'être  inoins.  En  effet,  connue  J'ri  déjà  eu 
l'occasion  de  le  dire  en  passant  ^,  Goya  n'est  jamais  mort  dais  cette 
maison.  Voici  le  texte  de  son  acte  de  décès,  tel  f[u'on  peut  le  lii-e 
au  registre  des  actes  de  l'état  civil  de  1828,  sous  la  date  du  16  avi'il  : 

Le  dit  jour,  il  a  été  déposé  au  bureau  aux  décès,  duquel  il  résulte 
que  François  de  Goya  y  Lucientes,  âgé  de  quatre-vingl-cin([  ans,  natif 
de  F'uendetodos  (Espagne),  veuf  de  Joseta  Bayeu,  fils  de  défunts..., 
est  décédé  ce  matin,  à  deux  heures,  fossés  de  T Intendance,  n"  39, 
d'ai»rès  la  déclaration  des  sieurs  .losé  Pio-de-.^foliIla,  propriétaire, 
Miênu'  maison,  et  Homualido  Yaùez,  négociant,  cours  de  Toiu'uy,  n"  36, 
lémoins  majeurs,  qui  ont  signé  le  dit  procès-verbal. 

L'ridjoinl  du  indire. 

De  Goursson  -. 

C'est  sur  ce  document  que  se  fonda  M.  de  Congosto,  alors  consul 
d'Espagne  à  Bordeaux,  lorsque,  sur  l'initiative  d'un  peintre  espa- 
gnol bien  connu,  M.  de  Zuloaga,  il  fit  placer,  très  probablement  en 
l'J07,  la  plaque  commémorative  sur  l'immeuble  portant  le  n»  39 
du  cours  de  l'Intendance  3.  On  n'oublia  qu'un  détail:  c'est  qu'en 
1842-1843,  on  a  changé  le  numérotage  des  voies  de  Bordeaux,  et 
que  le  n»  39  des  Fossés  de  l'Intendance  devint  alors,  et  est  resté 

1.  Voir  mon  arlirle  A  proftos  du  séjour  de  (ioija  à  Bordeau.v,  dans  la  Revue  philoma- 
Ihique  de  190!S.  p.  4. 

'i.  Cet  acte  a  été  publié  jiar  M.  i.u^iH\e  Labat  dans  les  Archives  hisiuriques  de  la 
Cironde,  t.  XXXV,  p.  27.").  Je  ciois  dr\iiii-  en  domiei'  une  tianscripi  ion  collationnée  sur 
l'original. 

3.  Ces  lenseignenieuts  m'ont  été  liés  aimablement  donnés  par  M.  le  D'^  J.  Vergely, 
propriétaire  de  la  maison. 


MÉLANGES  3fnj 

«Icpiiis.  le  n"  .")7  •.  •'  l'.-l  (loue  bien  (l;iii>  l:i  iiiaiMni  i|iii  |iurlc  iiiijdiit- 
<riiui  le  n"  TjT  <Iii  rmirs  de  !' liiltMitlaïKi',  <'r.sl-;'i-<lirr  crllf  )|iii  f;iil 
('XJU'lt'iiiiiil  l';i(i'  ;'i  l.'i  riif  \  it  ;il-( ',;irli's,  (|n't'sl  morl  ('ii>\;i.  ||  impor- 
lail  (le  If  jnéciser.  La  Lradiiiuti  (nalf,  avant  la  di'i  miN  ii  I  c  (!<•  l'aile 
(le  di'cès,  ne  le  faisail-il  pas  iiKiiirir  au  n  dciixiciin'  <''laj;e  d<.'  la  iiiaixiii 
Idiriianl  le  ci  i.i  du  cduis  dr  1"  luLeiidaucf  cl  de  la  rue  des  (iraiidf>- 
C.arméliles  (aujourd'hui  rue  de  Grassi),  apiiaiicnanl  alors  au  jiriidie- 
graveur  Pierif  Lainur  lils-  »  ? 

En  replaçaiil  la  |da(|ue  sui-  le  n"  '.V.).  on  a  siiupleuietd  seclli''  dr 
nouveau  dans  la  pitTic  une  erirui"  hi>loii<pn'.  Il  serai!  pourlani  >i 
l'acilc  (le  einieni  esl  eneoie  l'raisj  de  rétablir  la  vérilt';  !  Nous  n'a\dn> 
pas  le  droit  de  tromper  les  étrangers  et  les  Bordelais  eux-niêines  sur 
un  fait  iniporlanl.  ijiii  intéresse  l'histoire  d'Espagrn-  ri  riii>|niic  df 
lail.  Et  puis(|ui'  l'oecasion  s'en  présente,  pour(|uoi  m;  pas  rapjieler 
ipii-  l'œuvre  du  grand  (joya  n'est  représente'  dans  notre  Musée  (pn- 
|)ai'  deux  toiles,  d'origirn'  assez  douteuse,  son  souvenir  par  uti  (l'-no- 
laphe  dévasté  et  nin^  pla»pie  imlieatrier  d'uin'  fies  allées  de  la  Char- 
treuse •^  t't  iMiliii  (|ui'  raulciir  i\r^  'l'dnrrdit.r  de  Bordeaiid'  n  a  pas 
encore  sa  nie  dans  la  ville  où  il  j)assa  ses  dcrniéri-s  années  et  où  il 
est  mort? 

Paul    CoiRTEAl  LT. 

* 

Notes  sur  la  Basoche  et  ses  <  farces  » 
au  XVI'   siècle 

«De  tout  temps  r|  daul  ifiiurti'".  les  clfic/.  résidens  an  Palais» 
formaient  entre  eux  une  (•orporati(»u  célèbre  sous  le  nom  de  hnsnrhe. 
Il  existait  des  basoches  non  seulement  dans  les  villes  où  siégeait  un 
Parleiin'iit,  itiais  encore  dans  la  jdupart  de  celles  ([ui  possédaient  un 
tribunal  tant  soit  peu  impoitant.  Les  basochiens  obéissaieid  à  l'un 
d'entre  eux,  porlaid  le  tilir  di'  mi  et  nomiut"'  à  l'électicui.  Ce  roi  île 
basoche,  comme  tout  bon  monar(|ue,  levait  des  im])ôts  sur  ses  lidèles 
sujets;  à  Bordeaux,  cha({ue  (derc  devait  «  paier  cpiinze  solz  par  au 
aux  roys  de  bazoche,  savoir  est  :  ciui|  s(d/,  au  mois  do  novembre, 
cintj  solz  aux  Boys,  et   ciiKi  >n|/.  au  iin'i^  de  iiiay  ». 

Cette  perception  n'allait  pas  toujours  sans  dilliiultés  et  le  roi  se 
voyait  «pn'hpiefois  obligi'"  de  faire  intervenir  l'aulorilé  du  Parlement. 
N'ayant  reçu  qu"»  injures  et  meiuisses  au  lieu  de  jtaiemint  ,  Jehan 
de  Laporte,  roi  de  basoche  en  1550.  ]M>rta  ses  doléances  devant  la 
Cour,  (|ui  ordonna  «aux  rliirz  réskiens  au  Palais  d'icelle.  subjectz 

I.  /•./'(/  <li;  lonrnrdnnce  citln:  l'uiuitii  li  le  tiDurrntt  iiunitrnliiiic...,  MiVÎ-iHi'.i.  l'ionlfiiiix. 
lsi:i,  iii-S",  |..   Kî'.t. 

•J.  (iusl.ive  Labal,  Uun  Irniinacu  (iuija  ij  l.miailts  (.W/cs  i/r  '"  \(<ii/fWiV  de  lUtrdcnux, 
iM'.ty,  p.  -iO".!). 

3.  Celte  plaque  a  été  ré<eiuiii(iil  poséf  n\w  il'aiiln-s,  par  le>  miiii-  tjf  la  inuiiiiipalil)-. 
en  réponse  à  un  vœu  exprimé  par  MM.  .Maurice  Martin  el  .Maurice  Ferrus  dans  leur 
Guide  illustré  de  la  Chartreuse.  Bordeaux  (19111,  p.  Il-r2. 


35o  MÉLANGES 

au  roy  de  bazoche,  de  lui  paier  les  droictz  acoustumez  paier  à  ses 
prédécesseurs  »  ^. 

La  principale  fonction  du  roi  était  d'organiser  les  soties,  moralités 
et  farces  que  les  basochiens  jouaient  à  certains  jours  de  fête,  et  où 
se  donnait  libre  cours  la  verve  satirique  des  jeunes  clercs.  Bien 
entendu,  le  prochain  n'était  guère  épargné,  à  tel  point  que  certaines 
farces  avaient  leur  épilogue  devant  le  Parlement.  Les  conseillers  qui 
siégèrent  le  31  octobre  1550  durent  bien  se  divertir  en  écoutant  les 
plaidoiries  de  la  cause  portée  devant  eux.  Un  certain  Deser,  encadré 
de  Mlle  de  Cesta  et  d'Anne  de  La  Maye,  attaquait  quatre  clercs  de 
la  basoche  d'Agen  :  Jacques  Pigousset,  Arnaud  de  Girard,  Bertrand 
Gorse  et  Georges  de  Vernet.  «  Le  jour  de  caresme  prenant  dernier 
passer  »,  les  quatre  compères  avaient  joué  une  farce  «  audevant  la 
boutique  où  tient  le  greffe  Maistre  Pierre  Bertin  ».  S' estimant  sans 
doute  gardiens  de  la  moralité  publique,  ils  révélèrent  aux  habitants 
d'Agen  que  «  Deser  faisoit  danser  courtin  soir  et  matin  avecc|ues 
une  damoyselle,  qui  demeuroit  près  le  horloge  ».  Le  signalement 
n'était  évidemment  pas  assez  précis,  puisque  deux  demoiselles  se 
jugèrent  diffamées  et  portèrent  avec  Deser  leurs  doléances  devant 
la  justice.  Après  avoir  gravement  écouté  les  faits  tant  objectifs  que 
justificatifs  des  parties,  la  Cour  ordonna  une  enquête  supplémentaire. 
Il  n'est  peut-être  pas  téméraire  de  penser  que  l'affaire  ne  fut  pas 
terminée  de  sitôt,  et  qu'au  lieu  de  se  fâcher  les  plaignants  auraient 
mieux  fait  de  rire  comme  tout  le  monde  le  jour  du  spectacle  2. 

Ces  représentations  obligeaient  les  basochiens  à  engager  certaines 
dépenses,  que  les  15  sols  versés  annuellement  par  chaque  clerc  ne 
suffisaient  pas  à  couvrir.  Le  Parlement  leur  venait  en  aide  et  versait 
au  roi  de  basoche  quelques  subsides  »  pour  subvenir  aux  affaires 
d'icelle  bazoche  et  fère  les  jeuz  acoustumez».  En  1551,  Jehan  de 
Laporte,  roi  de  basoche,  touchait  ainsi  une  somme  de  75  livres 
tournois  ^. 

Les  Bordelais  du  xvi*^  siècle  aimaient  la  gaieté  et  les  fêtes  de  plein 
air;  les  confréries,  ainsi  cjue  la  plupart  des  corporations,  faisaient 
de  magnifiques  processions  en  l'honneur  de  leur  saint  patron,  et 
dans  ces  cérémonies  une  part  plus  ou  moins  large  était  faite  aux 
amusements  profanes.  Il  leur  était  cependant  interdit  de  jouer  des 
soties,  moralités  et  farces,  privilège  des  basochiens,  qui  entendaient 
monopoliser  à  leur  profit  le  droit  de  persifler  et  de  ridiculiser  leurs 
concitoyens.  «  Les  roy  et  suppost  de  la  bazoche  »  eurent  souvent  à 
batailler  sur  ce  point;  témoin  leur  dispute  avec  la  corporation  des 
barbiers,  au  mois  de  février  1534. 

«  Ung  nommé  Mère  d'Eiifence,  homme  incongneu,  »  étant  venu 

1.  1-2  mai  1550.  Arch.  de  la  Gironde,  B  43. 

2.  31  octobre  1550.  Arch.  de  la  Gironde,  B  31. 

3.  Arch.  de  la  Gironde,  B  34.  Arr.  du  26  février  1550/51.  «La  Court  a  ordonné  et 
ordonne  à  Jehan  Dyfleix,  receveur  des  exploictz  et  amendes  d'icelle,  qu'il  paie,  baille 
et  délivre  comptant  des  deniers  de  sa  recepte  à  Jelian  de  Laporte,  roy  de  bazoche,  la 
somme  de  lx.xv  1.  Iz.,  sçavoir  est  la  moitié  présentement,  et  l'autre  moitié  dedans  Its 
premier  jour  de  may  prochain  venant...  » 


MÉLANGES  35 I 

olTrir  ses  services  aux  basocliicus,  rt'u\-ci  li-  r«|HMiss('n'iil .  i<fii>aiil 
((ii'il  (1  bt'soif^nasf  nii\  sofic  et  inoralif  T-  cl  lap'»-  <!<•  la  \,i\/ju\\i' », 
Mt'ii-  (lEulï'Ucc  jura  de  se  \fu;,'fr.  S't'-laiil  »  n-lin-  dfxci^  les  harbiers 
de  cesto  ville  et  certains  autres  leurs  alliés  »,  il  Inir  |i<i-suada  <>  contre 
tdute  çnustuMie  aiiciemie  »  de  «  l'aire  mit,'  ri»y.  eoudiien  (luil  ne  mmI 
loisible  à  autres  que  aux  supost/  de  la  ba/.ocjir  .  |,i~  liaibii-rs  firent 
même  K  ([uel((ues  jeu/  sans  (îstre   Ironble/.  ■'. 

i'iuliurdis  par  ces  premiers  succès,  Mt'vr  d'l")idencf  cf.  le.»  barbi«'r.s, 
voulant  tourner  complètement  en  ridicui<'  la  ba>oelie  cl  les  gens  de 
loi,  annoncent  à  (|ui  \iiii  reiiliudic  (pie  le  leiuJemain  «  ils  j)orteront 
par  ville  en  armes  ung  levrault  escor(  Ih-^.  diront,  et  prononceront 
plusieurs  parolles  injurieuses,  tant  desdit/,  ^up|Ktst/.  de  la  bazocbe 
que  levrault  ».  Un  conllil  était  à  craindre,  comme  il  s'en  était  déjà 
produit  dans  de  semljlabies  circoiisl auces.  Se  liidanl  d'intervenir, 
le  priicureur  général  du  roi  obtint  du  Parlemriil  uii  arrêt  interdisant 
u  ausditz  barbiers  de  ne  s'assembler  et  taire  congn-gat  ion  en  armes 
à  peine  (W  la  hart  •>.  Jugeant  que  les  turbulents  barbiers  se  tien- 
draient pour  avertis  et  que  la  crainte  de  la  corde  les  empêcherait 
de  taire  aucun  «  escandaile  »,  la  Cour  ne  voulid  pas  se  moiilin-  par 
trop  trouble-fête  et  peiiiiil  aux  barbiers  de  clioisir  dix  d fntre  eux 
qui  s<'raient  autorisés  u  à  dansser  par  la  ville  ». 

Sur  un  point  cepejidant  le  Parlement  se  montra  iul  ransii,'eanl . 
Défense  abs(due  leur  fut  faite  de  «  uu\sdire  d'aucun  jiar  libelle  ou 
autrement  » '-.  Le  roi  de  basoche  et  ses  suppôts  avaient  une  lois  de 
plus  sauvegardé  leur  pi'ivilège  le  plus  précieux,  le  droit  exclu>if  de 
médire  du  ])rocliain,  (|u"ils  coloraient,  gravement  du  nom  de  lui^ndilc. 

l'ieiir    1 1  \ui.i;. 

* 

Le  Masson  du  Parc 
et  les  pêcheurs  du  captalat  de  Buch. 

hans  les  Variélés  liorflcluises,  liaurein  signale  (|u"une  tirdonnance 
royale  du  28  janvier  1712  ab(diL  les  droits  imposés  sur-  le.s  pêe|ieur> 
par  le  captai  de  Hucli.  ('et  acte  de  justice  fut.  nnttivé  par  le  rapport 
(lu  (■nmmis>aire  de  la  luarine  l.c  Masson  du  Parc,  dont  on  ignore 
généralenu-nt  l'existence. 

A  nuiintes  re|)iises,  les  pêcheurs  avaient  pn'-serdé  des  re(pn''te.>  à 
l'Amirauté  et  au  Parlenunit,  (pii  les  avaient  coudamni'S((  sans  aucune 
discussion  du  fait  ni  vérilication  de  titres  ».  Le  2'J  a\  ril  1727,  le  mi 
ordonnait  à  Le  Masson  du  Parc  <!>■  procéder  à  une  inspection  des 
pêches  dans  les  amirautés  de  Bayonne  et  de  Bordeaux.  Le  rapport 
manuscrit  de  cet  examen,  conservé  à    la  Bibliotiièque   municipale 

1.  (,p  l.ii'iii  •■«•oicIh'  rt;iil  Irt^s  vraisrmlil.ililcnioiil  iiiio  iillusiuii  injunuiiso  a  rinTinin», 
attribut  des  niagiblrat6  et  des  gens  de  robe. 

•2.   17  février  1D33/34.  Arch.  de  la  Gironde,  U  ii. 


352  MÉLANGES 

de  Bordeaux^,  ne  mentionne  pas  seulement  tout  ce  qui  a  trait  à  la 
technique  des  pêches,  il  enregistre  aussi  les  abus  signalés.  Telle  est 
la  plainte  formulée  à  La  Teste  contre  le  seigneur  de  Ruât,  captai  de 
Buch  : 

Les  pêcheurs  s'étant  ensuite  tous  assemblés  nous  ont  représenté 
que  quoy  que  la  pesche  soit  libre  et  permise  à  tout  le  monde  confor- 
mément à  Tordonnance  de  1681,  cej)endant  le  seigneur  cajdal  de  Buch 
lève  sur  eux  plusieurs  droits,  tant  sur  les  produits  de  leur  pesche  dans 
la  baye  que  pour  celle  du  »  peuigue  )>  ou  de  la  grande  mer. 

Sous  le  titre  de  droit  de  capte,  le  seigneur  percevait,  depuis  l'au- 
nce  1713,  cinquante  livres  par  chaque  chaloupe  faisant  la  pêche 
à  la  grande  mer;  ce  tribut,  fixé  du  temps  des  anciens  seigneurs  de 
Foix  et  de  Caudale  à  trois  livres  quinze  sols  pour  toute  la  commu- 
nauté des  pêcheurs,  avait  été  progressivement  augmenté  par  les 
divers  captaux.  Le  propriétaire  de  chaque  bateau  allant  à  la  pêche 
dans  le  bassin  devait  payer  chaque  semaine  trois  sols  comme  droit 
de  «  pinasse  ».  Tout  pêclieur  devait  annuellement  le  «  plat  de  pois- 
son »,  composé  d'un  turbot  de  grande  taille,  de  six  grandes  paires 
de  soles,  d'une  rose  ou  dorée,  d'un  grondin,  d'un  merlus,  d'une  raie 
et  de  deux  roussettes.  Le  captai  s'arrogeait  le  droit  de  faire  prendre 
à  la  «  clie  »  ou  marché  de  la  marée  à  Bordeaux  tout  le  poisson  qu'il 
lui  plaisait,  de  le  faire  apporter  à  son  domicile  et  de  le  taxer  à  sa 
fantaisie.  Des  droits  de  balisage,  concage,  ancrage  étaient  exigés 
sur  chaque  bateau  étranger  entrant  dans  le  havre  d'Arcachon. 

Les  pêcheurs  de  La  Teste  remirent  à  l'enquêteur  plusieurs  pièces 
«  pour  servir  à  leur  défense  et  à  les  faire  décharger  des  droits  exor- 
bitants et  inouïs  levés  sur  eux  ».  De  son  côté,  le  seigneur  de  Ruât 
remit  au  commissaire  les  pièces  les  plus  anciennes  sur  lesquelles  il 
fondait  ses  droits  :  1»  un  contrat  de  l'an  1360,  par  lequel  Jean  de 
Grailly  affermait  le  droit  de  capte  quatre-vingts  écus  d'or;  2°  des 
lettres  patentes  de  Louis  XI,  datées  de  1462,  cédant  à  Jean  de  Foix 
comte  de  (landale,  captai  de  Buch,  tout  ce  qui  pouvait  appartenir 
au  roi;  3»  divers  autres  documents  confirmant  les  droits  perçus. 
Quant  à  la  faculté  de  prendre  le  poisson  et  de  le  faire  apporter  à 
Bordeaux,  de  Ruât  alléguait  l'exemple  du  duc  d'Epernon  qui,  le 
19  septembre  1659,  lors  du  passage  du  roi,  fit  transporter  à  Bor- 
deaux, dans  la  cour  de  son  château  de  Puy-Paulin,  tout  le  poisson 
qui  venait  du  captalat  de  Buch,  et  le  fit  distribuer  aux  officiers  du  roi. 

L'examen  des  documents  ne  fut  pas  favorable  aux  exigences  du 
seigneur  de  Buch.  Après  avoir  signalé  les  droits  injustes  établis 
depuis  une  viugtaine  d'années  par  d'autres  seigneurs  dont  les  tei'res 
et  possessions  bordent  les  eaux  des  embouchures  de  la  Gironde,  de 
la  Garonne  et  de  la  Dordogne,  Le  Masson  du  Parc  écrit  dans  son 
rapport  : 

Mais  de  quelque  nature  que  soient  ces  nouveaux  droits  et  de 
quelques  charges  qu'ils  soient  aux  pescheurs  desquels  on  les  exige 

1.  Manuscrit  n"  562. 


MLL.VMUES  ."^53 


• 


rien  ne  peut  entrer  en  comparaison  à  ceiu\  qui  «^1  im  i-  ji;ir  !<•  i:;ij»tal 
(le  Bucli  sur  les  prclieurs  de  lu  di  prudunct-  du  ca|)talat  :  il  <st  au  delà 
de  tout  ce  qu'on  peut  iina^'iner;  It;  \\o\  ntui  a  aucun  di-  cftte  nature 
et  pour  peu  (ju'on  >  \  tuille  luire  attention  il  n'est  possdjle  (ju'il  i)uisse 
subsister. 

Et  le  rapporteur  concluL  au  rejet  des  l'xigences  du  captai  puur 
les  motifs  suivants  :  le  contrat,  remis,  daté  de  1360,  n'est  pas 
original;  les  lettres  patentes  de  Louis  XI  n'inditpient  rien  quant 
aux  divers  droits;  pour  faire  subsister  des  droits  anciens,  il  faut  des 
titres  et  des  aveux  rendus  au  roi  avant  1541;  le  plat  de  poisson 
n'est  exprimé  en  aucun  document  avant  la  date  fixée;  les  pièces 
par  lesquelles  le  seigneur  prétend  prouver  l'établissement  de  son 
droit  en  font  voir  la  naissance  et  l'accroissement;  l'arrêt  du  Parle- 
ment confirmant  une  sentence  de  l'Amirauté  relative  au  droit  de 
capte  n'avait  aucunement  discuté  le  fait;  les  pauvres  particuliers, 
intimidés  par  la  crainte  duu  procès  intenté  par  le  seigneur,  et  (jui 
ont  transigé,  ne  peuvent  obliger  une  communauté  à  une  servitude 
contraire  à  loi;  le  fait  du  duc  d'Epernon  prouve  son  autorité,  non 
son  droit;  le  captai  ne  peut  taxer  les  denrées,  les  pourvoyeurs  de 
la  table  du  roi  étant  obligés  d'acheter  de  gré  à  gré  ce  qui  leur  est 
nécessaire. 

Le  rapporteur  ajoute  à  ses  conclusions  : 

11  est  certain  qu'on  ne  peut  laisser  les  choses  dans  Testât  où  elles 
sont  sans  détruire  entièrement  la  pesche  des  pescheurs  du  Busch 
accablés  par  l'autorité  d'un  seigneur  qui  ne  manquera  pas  de  les 
fatiguer  plus  que  jamais  et  de  forcer  à  la  fin  les  pescheurs  qui  sont 
en  grand  nondjre  d'abandonner  l(>ur  profession  ce  qui  ne  peut  arriver 
sans  faire  perdre  à  S.  M.  de  bons  matelots  que  les  j)esches  de  la  mer 
et  du  bassin  forment  continuellement. 

La  justice  vient  à  pas  lents;  douze  ans  après,  en  1739,  des  com- 
missaires furent  nommés  pour  vérifier  les  titres  des  seigneurs  qui 
avaient  droit  de  pêche.  Enfin,  le  28  janvier  17-42,  une  sentence 
royale  défendait  à  Messire  Francois-Allain  Amanii'U  de  Ruât,  sei- 
gneur captai  de  Buch^  :  de  s'attribuer  aucune  étendue  de  mer  puur 
y  pêcher,  d'exiger  le  droit  de  capte  et  de  pinasse  ou  de  courage, 
ni  aucun  droit  soit  en  nature  ou  en  denier  sur  les  pêches  faites  en 
mer  ou  sur  les  grèves  le  long  de  la  seigneurie  de  Buch,  la  pêche 
devant  être  libre  dans  toute  la  seigneurie,  sous;  peine  ilr^^restitu- 
tion  du  quadruple  et  de  quinze  cents  livres  d'amende,  et  tle  perce- 
voir les  droits  de  balisage  et  d'ancrage  qui  demeurent  réunis  au 
domaine  du  Roy. 

Grâce  à  Le  Masson  du  Parc,  les  plaintes  dédaignées  par  l'Ami- 
rauté et  le  Parlement  furent  entenrlues  au  Conseil  du  Roi.  Sa 
mémoire  devrait  être  honorée  en  appliquant  son  nom  à  une  voie 
de  l'une  des  grandes  localités  comprises  dans  l'ancien  captalat  «le 
Buch.  Fernand  Thomas. 

1.  Arch.  de  la  Gironde,  Amirauté  reg.  7. 

SD 


QUESTIONS  ET  RÉPONSES 


Il  existe  sous  le  n^  780,  au  Musée  de  la  ville  de  Bordeaux,  un 
buste  signé  Maggesi  et  représentant  Balguerie-Stuttenberg. 

N'est-ce  pas  une  erreur? 

Le  buste  qui  se  trouve  à  la  Chambre  de  commerce  et  dont  une 
copie  est  en  possession  de  M™*^  Balguerie  ne  ressemble  nullement  à 
celui  du  Musée.  Pierre  Balguerie-Stuttenberg  est  né  le  30  septem- 
bre 1778  et  mort  le  19  août  1825,  à  quarante-sept  ans.  C'est- entre 
quarante  et  quarante-cinq  ans  que,  sous  sa  direction,  se  firent  de 
grandes  entreprises  et  se  fondèrent  d'admirables  institutions.  C'est 
donc  à  ce  moment  que  ses  traits  furent  fixés  dans  le  marbre.  Dans 
une  période  de  cinq  à  sept  ans  il  n'est  pas  admissible  que  les  bustes 
du  Musée  et  de  la  Chambre  de  commerce  puissent  reproduire  des 
traits  aussi  dissemblables.  De  plus,  le  n^  780  est  représenté  avec  la 
grande  plaque  de  la  Légion  d'honneur  et  le  ruban  accompagnant 
cette  distinction.  Balguerie-Stuttenberg  ne  fut  que  chevalier,  ainsi 
que  l'atteste  le  monument  funéraire  du  cimetière  des  protestants. 

Si  maintenant  ce  large  ruban  représente  l'écharpe  de  député,  il 
y  a  encore  erreur. 

Dans  ce  cas  connue  dans  le  premier,  Balguerie-Stuttenberg  a  dû 
être  confondu  ou  bien  avec  son  frère  Jean-Isaac  Balguerie,  qui  fut 
député  en  1827,  ou  bien  avec  son  cousin  Jean-Étienne  Balguerie, 
qui  fut  également  député. 

11  serait  très  intéressant  de  connaître  le  personnage  dont  les  traits 
sont  représentés  sous  le  n»  780. 

E.  Etchart,  insiiluieur. 


CHRONIQUK 


Les  faux  monnayeurs  de  Guienne  (1639-1645).  —  Sous  ce  litre, 
la  lieviie  de  Paris  du  i"  scpteuibre  a  publié  ^p.  iS3-3ia)  un  travail  posthume 
de  M.  A.  Grellet-Dumazeau.  L'auteur  du  livre  charmant  sur  La  société  bor- 
delaise au  temps  de  Louis  XV  y  étudie  un  épisode  peu  connu  de  notre 
histoire  locale  au  xvii'  siècle:  la  scandaleuse  alTaire  de  faux  monnayage  où 
furent  compromis,  entre  autres  gens  de  (pialité,  le  président  à  mortier  Sarran 
de  Lalanne  et  trois  conseillers  au  Parlement,  Floriniond  de  Kaymond,  Jacques 
Desaigues  et  Jean  de  Massiot.  Comment  l'instruction  ouverte,  en  novembre 
iGSg,  sur  l'ordre  de  Richelieu,  conduite  avec  une  admirable  vigueur  par  les 
avocats  généraux  Jean -Olivier  fJusault  et  Thibaut  de  Lavie,  aboutit  à  la 
condamnation  honteuse  des  éminents  «  rogneurs  »,  comment  le  Parlement 
se  montra,  dans  cette  affaire,  plus  énergique  que  le  pouvoir  royal  et 
n'hésita  pas  à  pourchasser  Sarran  de  Lalanne,  contumace,  jusque  dans  son 
repaire  de  Villandraut,  comment  le  condamné,  après  avoir  erré  en  Angleterre, 
en  Suisse,  en  Savoie,  à  Rome,  où  il  fut  fort  bienvenu  du  pape,  poursuivit, 
après  la  mort  de  Richelieu,  sa  réhabilitation  avec  une  admirable  effronterie 
et  l'obtint  par  un  arrêt  du  3o  août  i644,  il  faut  le  lire  dans  ces  pages  où 
M.  Grellet-Dumazeau  éclaire  d'une  lumière  vive  et  sobre  à  la  fois  ce 
curieux  tableau  de  mœurs  de  l'ancien  régime.  II  faut  nous  féliciter  que  ce 
travail,  dont  la  documentation  paraît  empruntée  surtout  aux  registres 
secrets,  ait  pu  être  imprimé  après  la  mort  de  son  auteur. 

L'histoire  du  Limousin  à  Bordeaux.  —  Notre  collaborateur  M.  .\lfred 
Lerou.x  vient  de  publier  dans  la  collection  des  .Vrchives  historiques  du 
Liiriousin  un  gros  volume  de  documents  sur  l'histoire  de  cette  province, 
tirés  en  grande  partie  de  nos  dépôts  publics  bordelais.  Ce  sont  d'abord 
54  chartes,  de  la^S  à  1482,  contenues  dans  un  registre  des  .Vrchives  nmni- 
cipales,  acquis  probablement  à  la  mort  du  bibliophile  .lacnb  et  ayant  fait 
partie  de  sa  bibliothèque  ;  des  extraits  des  registres  secrets  du  Parlement,  de 
1627  à  1749;  un  dossier  des  .Vrchives  déi)artcmentales  (C.  33a4)  concernant 
les  Trinitaires  et  les  PP.  de  la  Merci  établis  dans  les  deux  diocèses  do 
Limoges  et  d'Angoulême  et  emporté,  .sans  doute  par  mcgardc.  par  Tourny; 
des  documents  relatifs  à  la  réforme  de  la  taille  en  Limousin,  de  171.^  à  174a 
(C.  379Ç)  et  3797),  à  la  suppression  de  la  culture  du  tab.'t  dans  la  vicomte  do 
Turenne,  de  1724  à  1732  (C.  i35i),  à  l'étal  des  rues,  chemins  et  rivières,  de 
1724  a  1742  (G.  38oo  et  42i4);  une  vingtaine  de  pièces  de  correspondance 
relatives  à  l'intendance  de  Tourny  à  Limoges,  de  1739  a  174a  (C.  3798;;  des 


356  CHRONIQUE 

lettres  inédites  du  R.  P.  François  Chabrol,  récollet,  que  M.  Leroux  croit 
avec  vraisemblance  Limousin  d'origine  (1754-1771),  lettres  tirées  du  fonds 
de  l'ancienne  Académie  de  Bordeaux  à  la  Bibliothèque  de  la  Ville;  enfin  des 
documents  divers,  de  1867  à  1776,  empruntés  aux  diverses  séries  des 
Archives  départementales,  où  il  convient  de  noter,  entre  autres,  des  notices 
biographiques  intéressantes  sur  les  Jésuites  professeurs  du  collège  de  la 
Madeleine,  expulsés  en  1762.  Cette  sèche  table  des  matières  suffît  à  montrer 
le  prix  du  volume  de  M.  Leroux,  le  soin  avec  lequel  il  a  dépouillé  nos 
archives  et  mis  en  valeur  leurs  richesses  pour  l'histoire  du  Limousin. 

Les  Espagnols  en  Guienne  en  1206.  —  Dans  la  Chonique  latine  des 
rois  de  Castille,  publiée  par  notre  collaborateur  M.  Georges  Cirot  dans  le 
Bulletin  hispanique  (juillet-septembre  1912),  il  importe  de  signaler  (p.  367- 
268)  une  mention  de  la  campagne  d'Alphonse  VllI  en  Guienne,  l'an  1206. 
On  y  lit  :  «  Rex  castelle  cum  quibusdam  de  uassallis  suis  intrauit  uasconiam 
et  fere  totam  occupuit  prêter  baioionam  et  burdegalim.  habuit  et  blayam 
et  bore  (Bourg)  que  sunt  ultra  garonam.  et  terram  que  est  inter  duo  maria, 
et  sic  reuersus  est  in  regnum  suum.  »  M.  Cirot  rapproche  de  ce  texte  ceux 
de  Luc,  qui  cite,  parmi  les  places  occupées  par  les  Espagnols,  Burgum  de 
Ponte  (Bourg-sur-Mer)  et  Saluaterram  (Sauveterre),  et  Rodrigue,  qui  dit 
qu'ils  prirent  «  fere  totam  Vasconiam  praeter  Burdegalam,  Regulam  [La 
Réole)  et  Vaionam...  »  A  noter  que  les  chroniqueurs  espagnols  sont  muets 
sur  le  siège  mis  sans  succès  devant  Bordeaux  par  Alphonse  Mil,  fait 
mentionné  dans  la  chronique  de  Saint -Etienne  de  Limoges,  où  l'a  relevé 
Lopès,  qui  ajoute  qu'il  l'a  lu  aussi  «  à  la  fin  d'un  vieux  bréviaire,  escrit  à  la 
main  seize  ans  après  ce  siège,  lequel  bréviaire  a  esté  conservé  dans  l'église 
Sainte  Colombe  de  cette  ville  ». 

Un  capitaine  au  long  cours  bordelais.  —  M.  André  Vovard  a  con- 
sacré, dans  la  Revue  économique  de  Bordeaux  (septembre  19 12),  une  étude 
au  capitaine  Pierre-Stanislas  Devaulx,  né  à  Bordeaux  le  i5  octobre  181 4, 
disparu  en  mer  en  novembre  i856,  à  la  suite  du  naufrage  du  Lyonnais, 
qu'il  commandait.  Devaulx  avait  épousé,  le  i4  juillet  i84i,  Marie-Delphine 
Gantau  -  Gréard,  fille  d'un  riche  armateur  bordelais.  Il  avait  d'abord 
commandé  l'Amable,  puis,  pour  le  compte  de  la  maison  Marsaud  et  C'',  le 
Java. 

Hommage  au  passé. —  La  compagnie  de  navigation  Sud -Atlantique 
a  décidé  de  donner  à  trois  de  ses  paquebots  les  noms  de  Burdigala,  de 
Divona  et  de  Garonna  (sic)  (forme  douteuse  donnée  par  Pline  l'Ancien). 

Les  mosaïques  de  Hure.  —  On  signale  la  découverte  de  mosaïques 
gallo-romaines  à  Hure.  Des  vestiges  de  ce  genre  ayant  été  plusieurs  fois 
signalés  à  cet  endroit,  il  convient,  avant  d'apprécier  cette  découverte,  d'être 
fixé  sur  sa  nouveauté. 

Un  concours  littéraire  sur  Bordeaux.  —  La  Revue  des  Français  (rue 
de  l'Université,  56,  Paris)  a  consacré,  dans  son  numéro  du  25  octobre,  un 
supplément  illustré  spécial  à  Bordeaux.  Les  divers  articles  qu'il  contient 
sont  signés  de  MM.  Maurice  Lanoire,    N...,   membre  de  la   Chambre   de 


CHRONIQUE  357 

commerce,  Charles  Cazalot,  Perez  Henrique,  Henri  Lorin,  Robert  Kchrig, 
Paul  Gourfeault,  Paul  Berlhelot  et  Maurice  Martin.  Do  plus,  la  Revue  des 
Français  a  eu  l'oripinale  idée  d'instituer  un  concours  sur  le  sujet  suivant  : 
«  En  une  page,  en  une  ligne,  en  un  mot,  en  prose  ou  en  vers,  délinissc/  et 
caractérise/  liordeaux.  »  Ce  concours  sera  ouvert  du  '2G  octobre  au  30  no- 
vembre. Quinze  prix  seront  attribués,  dont  un  voyage  à  Paris  et  retour  en 
première  classe,  plus  i5o  francs  en  espèces,  ou  une  bicyclette  de  grand  luxe; 
un  appareil  de  photographie  Vest-Pocket-Kodak;  im  «  portrait  d'art  »  oflerl 
par  la  maison  Panajou,  etc.  Le  jury  est  composé  de  MM.  Camille  Juiiian. 
membre  de  l'Institut,  président,  Ferdinand  Real,  Raoul  de  Saint-.\rromaii, 
J.  MaxNvell,  Maurice  Martin. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


Du  15  juin  191S  au  S5  octobre  191  S. 

A- PROPOS  sur  le  transbordeur  de  Bordeaux.  Revue  philomathique 
de  Bordeaux  el  du  Sud-Ouesl,  1912,  p.  193-204,  grav.  et  pi. 

Barennes  (Jean).  —  Histoire  des  quartiers  de  Bordeaux.  Le  quar- 
tier Saint-Michel.  Revue  philomathique  de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouesl, 
1912,  p.  205-215.  (A  suivre.) 

—  Montesquieu  et  le  braconnage  à  La  Brède.  Revue  historique  de 
Bordeaux  el  du  département  de  la  Gironde,  1912,  p.  158-163. 

Berthelot  (Paul).  —  L'esprit  bordelais.  Supplément  à  la  Revue 
des  Français  du  25  octobre  1912,  non  pag. 

Bouchon  (Georges).  —  Sceau  de  la  section  n»  20  de  Bordeaux 
en  1794.  Société  archéologique  de  Bordeaux,  1912,  p.  xxxi-xxxiii. 

Brouillard  (Roger).  —  Un  notaire  qui  n'aime  pas  les  tyrans. 
Revue  aistorique  de  Bordeaux  el  du  département  de  la  Gironde,  1912, 
p.  206-207. 

Sous  la  Révolution,  à  Bordeaux. 

—  Un  ballet  original.  Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  départe- 
ment de  la  Gironde,  1912,  p.  277-278. 

Au  Grand-Théâtre  de  Bordeaux,  Tan  II. 

Garaman  (Paul).  —  Recherches  sur  l'ancienne  église  Notre-Dame 
de  la  Place  à  Bordeaux  et  sur  ses  diverses  appellations.  Revue  histo- 
rique de  Bordeaux  et  du  département  de  la  Gironde,  1912,  p.  217-228, 

Cazalet  (Charles).  —  Le  pont  à  transbordeur  de  Bordeaux.  Sup- 
plément à  la  Revue  des  Français  du  25  octobre  1912,  non  pag.,  flg. 

Gourteault  (Paul).  —  A  propos  d'un  portrait  de  Victor  Louis. 
Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  département  de  la  Gironde,  1912, 
p.  206. 

Cf.  même  Revue,  1912,  p.  134-135. 

—  Une  Académie  des  Sciences  à  Bordeaux  au  xvii^  siècle.  Revue 
historique  de  Bordeaux  et  du  département  de  la  Gironde,  1912,  p.  145-157. 

—  L'œuvre  scientifique  de  l'Académie  de  Bordeaux.  La  Nature, 
revue  des  sciences  et  de  leurs  applications  aux  arts  et  à  V  industrie, 
19  octobre  1912,  p.  321-324,  flg. 

— ■  Bordeaux  ville  d'art.  Supplément  à  la  Revue  des  Français  du 
25  octobre  1912,  non  pag.,  flg. 

Debans  (Gamille).  —  Voir  Ferrus  (Maurice). 

DuRiEux  (Joseph).  —  L'état-major  du  Château-Trompette  en  1773. 
Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  déparlement  de  la  Gironde,  1912, 
p. 278-279. 


INDEX    BIBI.IOGKAPHIQUE  359 

Ferrus  (Maurice).  —  La  rue  SainLe-CaLheriue.  Son  liistoire.  2«  édi- 
liou.  Bordeaux,  iinpr.  <•.  (iounouilltoii,  191'J.  iii-K;,  \  iii-s7  p.  avec  grav. 

Ilurdeau.r  inllurvsquv  {'6''  >i-ru-  . 

Gaillard  (Al)hi^  Alln-rt).  —  Les  iin-ssifiiis  L;il:i|»\.  (Hisloirt'  de 
trois  prêtres  constiluLiuuuels.)  licvue  liislori(]Ur  de  lionleaux  ri  ilu 
déparlement  de  la  Gironde,  1912,  p.  182-191,  209-270. 

Grellet-Dumazeau  (A.).  —  Les  faux  inounayeurs  de  Guveniie 
(1039-1645).  Revue  de  Paris,  l^--  sej)lembre  1912,  p.  183-213. 

GiiTARD  (laigène).  —  La  «léliinilalion  du  <■  Bordeaux»  sous  l'an- 
cieii  régime,  dans  Mémoires  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  du 
commerce  et  de  1" industrie  en  Franc<',  puldiés  sous  la  direction  di; 
Julien  llayem,  Paris,  libr.  Hachelle,  1912,in-8o  de  viii-187  p.  (p.  1-12). 

Habasque  (Francisque).  —  Épisodes  d'un  procès  en  sorcellerie  dans 
le  Labourd  au  xviie  siècle  (1605-1607).  Biarrilz,  impr.  E.  Soulé,  1912, 
in-8",  10  p. 

a  i)roi>os  <l'uiie  mission  de  conseillers  ;iu  Pailcmonl  de  Hordeaux. 

JoANME.  —  Arcachon  et  la  Côte  d'Argent.  1  plan,  3  cartes,  18  gra- 
vures. Paris,  libr.  Hachelle  et  C'^,  1912,  pet.  in-16,  52  p. 

Collection  des  Ciuides  .Joanne. 

Kehhig  (Henri). —  Le  vin  de  Bordeaux.  Supplément  à  la  Revue  des 
Français  du  25  octobre  1912,  non  pag. 

Lagarde  (Gaston  de).  —  Un  paysagiste  bordelais,  maître  de  Ingres. 
Revue  philomalhique  de  Bordeaux  el  du  Sud-Uuesl,  1912,  p.  223-227. 

.lean  Briani  (1760-1799). 

Lalanne  (Gaston).  —  Bas-reliefs  à  figuration  humaine  de  l'abri 
sous  roche  de  Laussel(Dordogne).  L' Anthropologie,  1912,p.  129-149,  pi. 

Lanoire  (Maurice).  —  Bordeaux.  Revue  des  Français,  25  octobre 
1912,  p.  150-156. 

Leroux  (Alfred).  —  Documents  limousins  des  archives  de  Bor- 
deaux et  autres  villes.  Tulle,  impr.  du  «  Corrézien  républicain  «,  1912, 
in-8o,  xiii-394  p. 

Société  des  Archives  historiques  du  Limousin,  1"^^  série:  Archi\es  anciennes, 
tome  XII. 

Lhéritier  (M.).  —  Histoire  des  ra|)ports  de  la  Chambre  de  com- 
merce de  Bordeaux  avec  les  Intendants,  le  Parlement  et  les  Jurats, 
de  1705  à  1781.  Revue  historique  de  Bordeaux  el  du  département  de  la 
Gironde,  1912,  p.  192-205,  256-268.  (.4  suivre.) 

Cf.  même  Revue,  191-2,  i».  73-104. 

LoRiN  (Henri).  —  Les  relations  africaines  de  Bordeaux.  Supplément 
à  la  Revue  des  Français  du  25  octobre  1912,  non  pag. 

Martin  (Maurice).  —  La  Côte  d'Argent.  Supplément  à  la  Revue  des 
Français  du  25  octobre  1912,  non  pag. 

Maupassant  (.Jean  de).  —  Les  armateurs  bordelais  au  xviii<?  siècle. 
Le  corsaire  le  Pantalon  et  la  prise  de  V Apparence  (1701-1762).  Revue 
philomalhique  de  Bordeaux  el  du  Sud-Ouest,  1912,  p.  286-308.  —  Tirage 
à  part.  Bordeaux,  impr.  Gounouilhou,  1912,  iii-S»,  25  p. 


36o  INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE 

Meaudre  de  Lapouyade.  —  Voyage  d'un  Allemand  à  Bordeaux 
en  1801.  Revue  historique  de  Bordeaux  et  du  déparlemenl  de  la  Gironde, 
1912,  p.  164-181,  229-255,  deux  planches. 

Montesquieu.  —  Voir  Strowski  (Fortunat). 

N...,  membre  de  la  Chambre  de  commerce.  —  Le  nouveau  port  de 
Bordeaux.  Supplément  à  la  Revue  des  Français  du  25  octobre  1912, 
non  pag.,  flg. 

Patry  (Henry).  —  Les  débuts  de  la  Réforme  protestante  à  Bor- 
deaux et  dans  le  ressort  du  Parlement  de  Guienne.  Revue  historique, 
juillet-août  1912,  p.  291-321. 

Perez  Henrique  (J.).  —  De  l'influence  de  l'ouverture  du  canal  de 
Panama  sur  le  commerce  du  port  de  Bordeaux.  Supplément  à  la 
Revue  des  Français  du  25  octobre  1912,  non  pag.,  1  flg. 

Strowski  (Fortunat).  —  Montesquieu.  Textes  choisis  et  com- 
mentés. Paris,  libr.  Pion- Nourrit  et  C'%  1912,  pet.  in-S»,  ii-312  p., 
portrait. 

Bibliothèque  française.  A'V7//«  siècle. 

TouRNYOL  DU  Clos.  —  Lcs  idécs  flnancières  de  Montesquieu.  Paris, 
Giard  et  Brière,  1912,  in-S»,  24  p. 

Extrait  de  la  Reuue  de  science  et  de  législation  financières,  avril-mai-juiu  1912. 

VovARD  (André).  —  Un  capitaine  au  long  cours  bordelais.  Pierre- 
Stanislas  Devaulx.  Le  naufrage  du  Lyonnais  (1856).  Revue  écono- 
mique de  Bordeaux,  1912,  p.  133-143.  —  Tir.  à  part,  in-8o,  11  p. 


Le  Gérant:  G.  Ducaunnès-Duval. 


Bordeaux.  —  Imprimeries  Gounouilhou.  —  G.  Chapok,  directeur. 
9-11,  rue  Guiraude,  9-11. 


Il 


UN  R0M.\NC1EH  BOHDKLMS  INCU.NMj 


ANTOLM'    DU  l'Iîlill'U,  SIKH!  I)i;  SAlîLAlilKS 


Dans  la  préface  de  sa  tragédie  dWcoubar,  publiée  vers  l;i  lin  du 
xvi^  siècle,  à  une  date  (|ue  nous  essaierons  do  déterniinor  plus  loin 
avec  précision,  le  sieur  Du  Hamcl,  avocat  an  l'.n  Irmcrit  de  Norman- 
die, indique  qu'il  a  emprunté  le  sujet  de  sa  pièce  au  roman  li  nu 
certain  M.  Du  Périer,  imprimé  à  une  date  <ju"il  ne  donuf  pas.  Les 
historiens  <lu  Ihéâtre  français  qui  se  sont  occupés  (VAcoubar  sem- 
blent s'accorder  pour  fixer  à  l'année  1586  la  première  représentation 
de  cette  tragédie,  et  cela  avec  une  certitude  d";iul,iiit  plus  grande 
que  l'on  s'éloigne  davantage  des  sources  d'information. 

Les  frères  Parfaict,  dans  leur  Histoire  du  Thêâlre  franrni.'^.  indi- 
quent simplement  que  la  tragédie  d'Acoubar  fut  composée  en  lô86, 
et  que  le  sujet  en  est  tiré  d'un  mauvais  roman  intituh-  :  Les  Amours 
de  Pislion  et  de  Fortunie  en  leur  Vonaqe  de  Canada^.  L<^  chevalier 
de  Mouhy  donne  comme  date  de  première  représentation  à' Acoulmr , 
1586 -;  Léris  affirme  que  cette  pièce  fut  représentée  ou  du  moins 
imprimée  en  1586^;  Lmiin  la  Bibliotfièque  du  Théâtre  français  tlu 
duc  de  la  Vallière  reproduit  1(^  titre  complet  de  cette  première 
édition  :  Acoubar  ou  la  Loyauté  traliie,  tragédie  tirée  des  amours  de 
Pislion  et  de  Fortunie  en  leur  roifaye  de  Canada,  arec  des  clio'urs, 
dédiée  à  Philippe  f)esportes,  abbé  de  Tijron,  15S6,  in-l'J*;  ajoutons 
que  l'on  mentionne  partout  à  la  suite  de  cette  première  étiilion 
de  1586  deux  autres,  à  Rouen,  chez  Raphaël  du  Petit- Val,  1603 
et  1611.  Il  sciidilrfait  donc  ([Uf  !•■  inm:iu  de.-;  Amours  de  Pislion  et 
de  Forlunir  dûl  rire  antérieur  à  1586.  D'auhc  part,  M.  (î.  lii'viiit'r 
donne  coiiinic  dalc  du  roman  M')(ll  rt  ajoute  m  nnlr  (pi'un  a\di'al. 
au  l*arlfiiiciil    a   lire  dès   160i>  une  lrag(''(lir  dr  ce  roman,  Acoubar 

1.  Jlisloire  du   Thvâlre  français  depuis  ses  origines,  I';iri*,  1745,  t.   III.  |>.    isl. 

•Z.  Tublctles  drumaliiiufs,  Paris,  175-2,  p.  .3. 

3.  Dictionnaire  des  Théâtres  de  Paris,  17(33,  t.  I,  ]>.  15. 

4.  Bibliothèque  du  Théâtre  français,  Paris,  170>>,  l.  I,  |i.  279. 

36 


362  UN    ROMANCIER    BORDELAIS    INCONNU 

OU  la  Loyauté  trahie,  tragédie  sans  division  d'actes  ni  de  scènes^, 
et  M.  Lanson  a  suivi  M.  Reynier  sur  ce  point  2.  Il  nous  faut  donc, 
ou  bien  supposer  une  édition  de  Pislion  antérieure  à  1586,  ou  bien 
admettre  que  les  frères  Parfaict  et  tous  les  critiques  qui  les  ont 
suivis  se  sont  trompés^;  c'est  à  cette  dernière  hypothèse  que  nous 
nous  arrêterons. 

Bien  qu'il  soit  assez  difficile  d'expliquer  comment  cette  date  de 
1586  a  pu  s'introduire  dans  les  bibliographies  théâtrales,  il  semble, 
en  effet,  que  l'édition  de  1601  soit  la  première,  et  qu'il  faille  modifier 
la  date  de  la  tragédie  d'Acoubar.  Voici  le  titre  du  roman  d'après 
l'exemplaire  que  j'ai  eu  entre  les  mains  :  Les  Amours  de  Pislion, 
par  Ant.  Du  Périer,  sieur  de  Sarlagues,  Gentilhomme  Bourdelois. 
A  Paris,  chez  Thomas  de  la  Buelle,  au  Palais,  à  la  Gallerie  des  mer- 
ciers, près  la  S.  Chapelle.  MDCI,  avec  privilège  du  Boy.  Le  privilège 
est  du  «  vingtième  jour  d'octobre  mil  six  cent  et  un  »,  et  signé 
Brigard.  Un  second  I,  ajouté  à  la  plume  d'une  encre  très  pâlie,  per- 
met de  lire  MDCII;  il  se  peut  d'ailleurs  que  la  mise  en  vente  n'ait 
eu  lieu  que  quelques  mois  après  la  délivrance  du  privilège*. 

Tout  nous  porte  donc  à  supposer  que  nous  nous  trouvons  en  pré- 
sence d'une  première  édition  :  l'histoire  de  la  découverte  du  Canada 
vient  à  notre  aide  et  nous  permet  de  confirmer  cette  présomption. 
Dans  son  avis  au  lecteur.  Du  Périer  nous  dit  en  efïet  :  «  J'ay  appa- 
rié des  amours  inventées  avec  le  véritable  discours  de  ce  que  j'ay 
veu  en  Canada  »;  dans  une  poésie  latine  imprimée  en  tête  du  volume, 
œuvre  de  «  Federici  Morel,  interpretis  regii  »,  il  nous  est  confirmé 
que 

Famam  Duperier  dedil  Canadae, 
A  morlalibus  insulae  remolae; 

enfin  un  poème  en  vers  français,  signé  Garnier,  célèbre  la  gloire 
d'explorateur  de  Du  Périer  : 

Quel  renom,  Du  Périer,  quelle  gloire  ennoblie, 
Te  doivent  les  destins,  quelle  éternelle  vie, 

1.  G.  Reynier,  Le  Roman  scntimentul  avant  l'Aslrée,  Paris,  1908,  p.  184. 

2.  G.  Lanson,  Manuel  bibliographique,  t.  I,  p.  216. 

3.  M.  E.  Rigal,  dans  un  chapitre  de  Y  Histoire  de  la  Littérature  française  de  Petit  de 
Juleville,  accepte  la  date  de  1586,  tandis  que  M.  Faguet  {la  Tragédie  française  au  sei- 
zième siècle,  Paris,  1883,  p.  283)  paraît  avoir  des  doutes  et  remarque  que  d'après  le 
style,  qui  est  celui  des  premières  générations  du  xm!*"  siècle,  «  cette  tragédie  semble 
antidatée  ». 

4.  Cet  exemplaire  se  trouve  à  la  «  Newberry  Library  »  de  Chicago.  Je  suis  heureux 
de  saisir  cette  occasion  de  reconnaître  l'accueil  qui  m'y  a  été  fait  et  d'appeler  l'attention 
sur  les  richesses  françaises  que  contient  cette  bibliothèque. 


ANTOINE    DL:    I'ÉrIEH,    SIEUK    DE    SARI.AGUES  3fî3 

Distillant  à  longs  traits  dans  les  plus  beaux  espris 
I.o  nectar  enfanté  des  voyages  de  pris, 
Que  tous  pleins  diî  laheurs  et  de.  peines  divcrM-N 
Ta  personne  accomplit   par  de  longues  traverses, 
Soit  au  sein  d'Aniphilrite,  ou  soit  dans  les  descrs 
De  Sauvages  crineus,  et  de  bestes  couvers. 

Il  s'agit,  évidenirnrnl  d'un  voyage  récent,  et  (|ui  avait  fait  <piej- 
((ue  bruit. 

Or,  entre  la  dcruirre  expéditi(jn  de  Jacques  Cartier  t-t  la  i»rctiiit-r<' 
de  (llianiplain,  on  ne  trouve  qu'un  voyage  de  cette  nature,  ctlui 
du  marquis  de  la  Roche,  en  1598,  voyage  qui  devait  d'ailleurs  finir 
de  façon  si  lamentable.  A  moins  d'admettre  que  le  sieur  de  Saria- 
gues  se  soit  embarqué  comme  volontaire  sur  un  de  ces  bateaux  de 
pêche  rochelais  ou  normands  qui  n'avaient  point  cessé  de  fré(juenter 
les  bancs  de  Terre-Neuve,  il  faut  donc  supposer  qu'il  avait  fait 
partie  de  cette  dernière  expédition,  et  qu'il  publia  son  roman  à  son 
retour,  à  )iu  moment  où  l'attention  du  itublic  commençait  à  se 
tourner  vers  le  Canada  et  oii  les  marins  français  songeaient  à  repren- 
dre la  grande  entreprise  de  la  génération  précédente  :  la  recherche 
de  la  route  des  Indes  par  un  passage  que  l'on  croyait  trouver  au 
nord  de  l'Amérique. 

A  défaut  d'une  édition  de  Pislion  antérieure  à  1586  ou  même  à 
1601,  édition  que  personne  n'a  encore  retrouvée  que  je  sache,  il 
nous  est  donc  permis  de  considérer  l'année  1601  comme  date  de  la 
première  publication  du  roman  de  Du  Périer. 

Pour  compléter  le  peu  de  renseignements  que  nous  avons  sur 
notre  auteur,  disons  qu'il  avait  fait  graver  ses  armoiries  en  tête  de 
son  ouvrage  :  un  casque  empanaché  surmontant  un  écusson  où  se 
voient  un  épervier  et  trois  poires;  et  (juil  dédie  Pislion  à  la  reine 
Marguerite  «  comme  à  sa  Roine  et  à  runi<jue  déesse  du  monde  ». 
Les  expéditions  coloniales  n'avaient  encore  enrichi  piM-sonne  à  cette 
date,  il  est  très  probable  (jue  Du  Périer  cherchait  à  ce  moment  à 
gagner  par  sa  plume  les  moyens  d'existence  que  les  Isles  du  Canada 
lui  avaient  refusés,  et  qu'jl  comptait  sur  la  reine  ]irutectrie»^  des 
lettres  et  amie  des  voyageurs  pour  écarter  la  faim  de  sa  porte  '. 
Comme  le  disait  son  ami  Garnier  dans  son  épitre-préfacc  : 

A  faute  de  .Mécène  on  voit  souventes  fois 
Les  Virgillcs  fanir  au  dommage  des  Hois; 

1.  OuplQues  années  plus  lard,  Lescarbot  dùdifni  à  la  nini-  MarijuiTito  son  llistnire 
de  la  Nouvelle-France,  en  même  temps  qu'à  bcauioup  d'autres  «rands  personnages  du 
reste. 


364  ^T^    ROMANCIER    BORDELAIS    INCONNU 

souhaitons  pour  Du  Périer  que  la  reine  Marguerite  ne  soit  pas  restée 
insensible  à  cet  appel  ! 


* 
•  * 


Il  ne  semble  pas,  en  tout  cas,  qu'il  ait  eu,  même  de  son  vivant, 
la  gloire  que  lui  promettaient  ses  aimables  et  indulgents  «  préfa- 
ciers ».  Oublié  dans  son  œuvre,  oublié  dans  sa  vie,  le  pauvre  sieur 
de  Sarlagues  n'est  même  pas  mentionné  par  les  bibliographes, 
et  les  historiens  ne  citent  même  pas  le  nom  de  celui  «  qui  avait  donné 
tant  de  gloire  au  Canada  ». 

II  nous  est  assez  difficile  de  dire  en  quoi  consistait  son  œuvre 
d'explorateur,  mais  son  roman  nous  reste,  et  par  lui  nous  allons 
pouvoir  juger  de  la  valeur  de  l'écrivain.  Si  l'on  en  croit  le  seul  cri- 
tique qui  se  soit  occupé  du  Du  Périer,  M.  G.  Reynier,  cette  valeur 
est  fort  mince.  M.  Reynier  ne  peut  pardonner  au  malheureux  son 
amphigouri  et  son  style  entortillé,  et  je  ne  prétends  pas  qu'il  ait 
tort.  Déclarer  que  Du  Périer  est  un  bon  écrivain,  et  même  simple- 
ment que  la  lecture  de  son  livre  est  facile  et  agréable  serait  faire 
preuve  de  plus  d'endurance  à  la  fatigue  que  de  goût.  Mal  composé, 
plein  d'invraisemblances  et  de  négligences,  bourré  de  pointes  et 
de  fadeurs  amoureuses  à  faire  envie  à  Mascarille,  combinant  dans 
un  éclectisme  maladroit  la  religion  chrétienne  et  la  mythologie,  le 
roman  de  Du  Périer,  grâce  à  quelques  passages  où  l'on  distingue  un 
intéressant  essai  de  couleur  locale  et  de  curieuses  analyses  de  sen- 
timents, mérite  cependant  mieux  que  cet  oubli  complet. 

Si  nous  prenions  à  la  lettre  les  promesses  de  l'auteur,  (jui  nous 
affirme  avoir  dans  son  roman  apparié  à  «  des  amours  inventées  le 
véritable  discours  de  ce  qu'il  a  vu  au  Canada  »,  nous  pourrions  être 
déçus.  Le  brave  Du  Périer  n'est  ni  un  Bernardin  de  Saint-Pierre, 
ni  un  Chateaubriand  ;  ayant  le  très  vif  désir  de  nous  faire  connaître 
les  pays  qu'il  venait  de  visiter  et  sachant,  d'autre  part,  que  son 
public  se  complaisait  aux  belles  aventures  d'amour,  le  sieur  de 
Sarlagues  s'est  trouvé  fort  embarrassé.  Les  sauvages  lui  avaient 
paru  barbares,  grossiers,  à  peine  humains,  il  ne  pouvait  songer  à 
analyser  les  sentiments  de  gens  qui  d'après  lui  n'en  avaient  aucun; 
d'autre  part,  lecteurs  et  surtout  lectrices  n'auraient  pas  accepté  un 
roman  sans  galanterie.  Du  Périer  a  cherché  un  compromis  et  n'en 
a  trouvé  qu'un,  dont  la  naïveté  fait  sourire. 

Après  nous  avoir  afïriandés  par  quelques  pages  de  descriptions 


ANTOINE    DU    PÉRIER,    SIEl'R    DE    SARLAT.UES  365 

réalistes  dans  lesquelles  on  sent  riioinme  (jui  a  \  u  et,  qui  a  su  Vdir, 
il  a  délibér«'nient  laissé  de  côté  sauvages,  forêts,  fléserts  et  îles 
liiiiil aines,  pour  se  lancer  dans  le  plus  extravagant  récit  d'aventures 
amoureuses  qu'on  jmisse  imaginer.  A  peine  avons-nous  tourru"'  (|uel- 
(|ues  feuillets,  que  nous  sommes  transportés  dans  une  sorte  de 
«  pays  à  volonté  »,  où  les  déesses  de  la  Mythologie  se  rencontrent 
à  chaque  pas  avec  de  simples  mortels;  c'est  le  royaume  de  I-'an- 
taisie,  où,  comme  aurait  dit  Rabelais,  le  Pays  de  Salin,  où  les  inven- 
tions les  plus  folles  et  les  plus  mensongères  sont  conservées  dans 
une  sorte  de  MusiMiin,  snus  la  garde  du  petit  vieillard  OiiijDirp  V 

Le  fait  est  il'autaut  plus  déconcertant  et  regrettable  (jue  Du 
Périer  fait  preuve,  dans  les  premières  pages,  de  véritables  qualités 
d'observateur. 

Pour  les  sauvages  américains,  il  n'a  ni  le  mépris  des  voyageurs 
espagnols,  ni  l'enthousiasme  philosophicpie  du  jia>lcur  Léry,  ni 
même  l'admiration  mélangée  de  pitié  de  son  i ompatriote  Montaigne. 
Quelques  années  après  la  publication  de  Pistion,  l'avocat  Lescarbot  2, 
qui  lui  aussi  a  vécu  parmi  les  sauvages  du  Canada,  nous  les  peindra 
comme  des  sages  antiques  pratiquant  toutes  les  vertus  énumérées 
pai'  Aristote  et  supérieurs  en  bien  des  points  aux  civilisés;  voilà 
ce  à  quoi  notre  romancier  n'aurait  jamais  voulu  consentir.  Foin 
des  moralistes  qui,  pour  nous  faire  la  leçon,  nous  vantent  le  bon- 
heur des  sauvages  !  La  civilisation,  la  vie  de  salon  et  la  conversation 
des  dames  sont  de  trop  délectables  choses  pour  (ju»^  Du  Périer  songe 
même  à  en  médire. 

La  vérité  est  que  la  conversation  des  Muses  et  des  hommes  donne 
le  dernier  embellissement  à  nos  âmes,  qui  tirent  de  leurs  plus  fas- 
cheuses  humeurs,  comme  les  diamants  des  rudes  jderres  f|ui  les  polis- 
sent, la  douceur  et  Tesclat  qu'elles  n'ont  pas.  .le  n'ay  jamais  eu  cette 
cognoissance  si  parfaicte  qu'en  ce  dernier  voiage  de  Canada,  com- 
parant l;i  (  ivilité  des  François  à  la  rustique  grâce  de  ces  sauvages, 
de  laquelle  j'ay  eu  tant  d'horreur,  vivant  parmy  eux,  que  ceux  qui 
sont  bien  ne/  se  loMucnt  dire  les  bergers  de  ces  hestes,  ou  les  Dieux 
de  ces  honmies. 

Ce  n'est  donc  pas  Du  Périer  cpii  pensera  jamais  à  nous  vanter  le 
sort  des  Indiens,  et  qui  désirera,  comme  l'avait  fait  Ronsard,  dans 
un  jour  (!<■  nii''laiieoIi(\  d'aller  vivre  parmi  eux''.  Il  les  a  trop  bien 
vus  et  de  trop  près,  pour  ajouter  foi  à  leur  prétcjidu  bonheur. 

1.   l'iinlagruel,  V,  xxxi. 

■J.    I.rs.jiibol,  Histoire  de  la  Noiwclte-Francc,  cli.  IX.  p.  709,  édit.   1009. 

3.   Ronsard,  Discours  contre  Fortune. 


366  UN    ROMANCIER    BORDELAIS   INCONNU 

Ces  pauvres  gens  n'ayant  de  l'homme  que  la  forme,  vivent  des 
bestes  comme  des  bestes,  faisans  des  bois  leur  jardin  et  leur  Louvre, 
couvers  de  trois  ou  quatre  peaux  de  castor  cousues  ensemble,  non 
joinctes  au  corps  pour  en  retirer  de  la  chaleur,  mais  nonchalamment 
mises  sur  les  espaules,  auxquelles  leurs  mains  servent  de  boutons  et 
de  crochets  pour  les  empescher  de  tomber.  Ils  ont  quelque  forme  de 
société  parmy  eux,  de  guerre  avec  leurs  voisins  et  autant  que  ces 
deux  choses  sont  communes  aux  animaux,  se  les  appeleray  seulement 
hommes  parce  qu'ils  parlent,  mais  quasi  plus  heureux  s'ils  ne  l'estoient 
pas,  car  vivans  sans  délices  en  ce  monde,  ils  demeurent  encore  avec 
douleur  éternelle  en  l'autre,  à  cause  des  démons  qu'ils  adorent,  non 
dans  des  somptueux  temples,  mais  dans  des  stériles  campagnes...  Ils 
ressemblent  aux  François  de  la  taille  et  des  traits  du  visage  plus 
qu'aucune  nation  que  j'aye  jamais  veu,  ayans  comme  eux  une  seule 
femme,  et  une  jalousie  extrême  de  leur  honneur;  il  e«it  vray  qu'il 
est  asses  facile  d'être  chaste  lorsque  les  objets  ne  sont  ni  accessibles 
ni  beaux. 

Nous  voilà  bien  loin  de  ces  tableaux  idylliques  que  nous  trouvons 
chez  les  vieux  voyageurs.  Où  sont  les  beautés  sauvages  semblables 
à  des  nymphes  qui  étaient  venues  en  dansant  à  la  rencontre  de 
Jacques  Cartier  et  les  «  philosophes  nuds  »  semblables  à  des  sages 
de  la  Grèce  que  tous  les  missionnaires  vont  rencontrer?  Notre 
Gascon  a  moins  d'imagination  que  les  Normands,  ou,  peut-être, 
simplement  plus  de  goût.  C'est  avec  la  même  exactitude  un  peu 
sèche  que,  quelques  lignes  plus  loin,  il  décrit  le  pays  lui-même  : 
il  en  a  gardé,  au  total,  un  peu  agréable  souvenir  : 

L'air  y  est  extrêmement  froid  à  cause  que  le  soleil  est  couvert  de 
continuels  brouillars,  hormis  quelque  heure  du  jour  :  les  costes  de 
la  mer  sont  fort  saines,  les  rivières  sont  démesurément  longues  et 
larges,  fort  poissonneuses,  la  terre  merveilleusement  bonne,  pleine 
d'oyseaux,  d'animaux  et  de  plusieurs  sortes  de  graines  et  d'arbres  de 
fruict;  et  à  faute  d'estre  deffrichée,  d'inaccessibles  forets  dans  les- 
quelles un  gentilhomme  qui  faisoit  le  voiage,  ennuyé  d'estre  dans  le 
vaisseau,  alla  un  jour  si  avant,  porté  du  plaisir  de  la  chasse,  qu'il 
fust  plus  tost  mort  de  faim  qu'il  n'eust  trouvé  le  moyen  de  sortir  de 
ce  désert. 

Ces  derniers  mots  servent  de  transition  entre  les  deux  parties  du 
roman  et  amènent  le  récit  des  aventures  de  Pistion.  Nous  pouvons 
dire  adieu  à  nos  rudes  sauvages,  nous  ne  les  reverrons  plus  que  sous 
un  déguisement  qui  les  rendra  méconnaissables  aux  meilleurs  yeux. 
Après  nous  avoir  dit  qu'ils  n'ont  pas  de  roi.  Du  Périer  nous  montrera 
leur  roi  Castio,  un  monarque  d'une  galanterie  toute  castillane  et 


ANTOINE    DI      PÉRIER,    SIEUR    DE    SARLAr.IES  867 

•  jni  siiil  parler  aux  clames  mieux  que  le  plus  rafîiné  courtisan;  nous 
verrons  ses  barbares  sujets  prendre  part  à  des  tournois,  les  inacces- 
sibles forêts  deviendront  des  forêts  enchantées,  asiles  de  Vénus  et 
de  sa  cour;  tout  décor  traditionnel  et  banal  de  la  féerie  et  de  la  pas- 
torale va  se  substituer  instantanément  aux  faroucjies  cam[)agne8 
et  aux  brouillards  de  la  iiicr. 


*   • 


Le  jeune  seigneur  qui  vient  de  nous  être  présenté,  tout  eu  pi»ur- 
suivant   un   cerf  d'une   blancheur   éclatante,   ce   qui,   dès   l'abord, 
nous  met  en  pleine  légende,  arrive,  nouvel  Actéon,  près  d'une  fon- 
taine oîi  une  femme,  d'une  merveilleuse  beauté,  se  baigne  dans  le 
plus  simple  appareil.  Plein  de  prudence  et  de  déférence,  le  jeune 
homme  attend  sans  se  montrer  que  la  jeune  fdle  ait  repris  une  tenue 
décente;  il  se  présente  alors  dans  des  termes  du  dernier  galant, 
tout  en  ayant  bien  soin  de  ne  pas  laisser  soupçonner  son  indiscré- 
tion. Transportée  de  joie  à  la  vue  d'un  Européen.  la  baigneuse  lui 
raconte  son  histoire  sans  se  faire  prier;  un  cœur  moins  sensible  que 
ri'iuj  de  notre  héros  aurait  été  ému  à  ce  récit.  Bien  que  la  destinée 
semble  la  poursuivre,  elle  porte  le  nom  menteur  de  Fortunie;  fille 
du  roi  d'Astrakan,  elle  a  épousé  Acoubar,  roi  de  Guylan,  par  pro- 
curation, «  suivant  les  façons  des  princes  ».  Mais  le  traître  Acoumat, 
au  lieu  de  la  conduire  au  Guylan,  l'a  enlevée,  après  avoir  corrompu 
les  pilotes,  si  bien  que,  «  pauvre  innocente,  elle  vit  des  sauvages  au 
lieu  de  son  cher  époux  sur  la  rive  ».  Dévorée  d'amour  pour  .\coubar, 
qui,  sans  doute,  est  mort  de  désespoir  à  l'attendre  en  vain,  elle  a 
pu  pendant  de  longs  mois  faire  patienter  son  infâme  poursuivant  ; 
mais  dans  quelques  jours,  le  dernier  délai  va  expirer,  il  lui  va  falloir 
se  résigner  à  épouser  son  ravisseur,  qui  nous  semble  avoir  été  doué 
d'une  rare  mansuétude.  L'auteur  d'un  rapt  qui  attend  deux  ans 
avant  de  consommer  son  crime,  a  droit  au  moins  à  des  circonstances 
atténuantes.  Il  est  vrai  que  Fortunie  est  princesse  du  sang,  et  qu'à 
ce  titre  elle  a  droit  à  des  égards  spéciaux.  Ayant  ainsi  terminé  le 
vrcïl  d»'  ses  malheurs,  Fortunie,  (|ui  sait  son  monde,  interroge  h 
son  tour  le  gentilhomme  :  «  Mais,  Monsieur,  (jue  direz-vous  de  nioy, 
qui  au  lieu  de  soulager  la  peiu<'  où  vous  estes,  je  l'augmente  encor 
avec  le  récit  de  la  mienne  ?  »  Pistion,  (pii  n'a  pas  reçu  une,  moins 
bonne  éducation,  de  répondre  aussitôt  :  «  Pistion  est  le  nom  duquel 
Amour  honora  ma  naissance  et  que  les  Dames  me  jugent  mériter 


368  UN    ROMANCIER    BORDELAIS    INCONNU 

entre  tous  les  Cavalliers  de  la  terre,  qui  par  fidélité  espèrent  l'hon- 
neur de  leurs  bonnes  grâces.  »  Il  va  commencer  le  récit  de  ses  aven- 
tures quand  fort  heureusement  on  vient  chercher  la  princesse 
«  pour  souper  ».  Elle  quitte  le  gentilhomme  en  ces  termes  au  moins 
familiers  :  «  Pistion,  cher  amy,  combien  m'est  fascheux  de  laisser 
ton  agréable  entretien  pour  celuy  que  je  méprise  le  plus  en  ce  monde.  » 
Avant  de  se  séparer,  Pistion  et  Fortunie  ont  déjà  convenu  de  la 
façon  dont  ils  pourraient  se  revoir;  après  le  fameux  souper,  For- 
tunie emmènera  son  tyran  faire  une  promenade  du  côté  de  la  forêt, 
et,  là,  comme  par  hasard,  ils  rencontreront  Pistion  qu'elle  feindra 
de  n'avoir  jamais  vu.  Sans  aucun  doute,  Acoumat  l'invitera  à  loger 
au  palais  et  ainsi,  peut-être,  pourra-t-il  venir  au  secours  de  l'infor- 
tunée princesse.  Laissé  seul,  Pistion,  qui  aime  déjà  Fortunie,  «  com- 
met mille  amoureuses  folies»  sur  lesquelles  je  passe;  il  contemple 
avec  ravissement  la  fontaine  qui  a  eu  l'honneur  de  servir  de  bai- 
gnoire à  la  princesse  «  quand  sortant  à  demy  des  eaux,  une  belle 
nimfe  luy  parla  ainsy  :  Pistion,  je  suis  la  mesme  Venus  de  laquelle 
les  humains  et  les  Dieux  ont  autrefois  tiré  les  premières  flammes 
de  leur  embrasement  ».  Vénus  veut  favoriser  ses  amours,  elle  lui 
fournira  les  moyens  d'arriver  à  ses  fins  et  de  se  faire  aimer  de 
Fortunie,  car  l'expression  des  sentiments  qu'éprouve  Pistion  pour 
Fortunie  a  touché  la  charitable  déesse,  qui  tout  le  long  du  récit  se 
montrera  fort  bonne  fille.  Bientôt,  Pistion  rencontre  Acoumat  et 
Fortunie  qui,  sans  doute,  font  leur  promenade  de  digestion;  comme 
il  l'avait  prévu,  il  est  invité  à  venir  au  château  «  tout  basty  de 
pierres  ou  plutôt  de  pierreries,  qui  estant  polies  ont  pris  sinon  le 
pris  des  plus  fines,  au  moins  l'eau,  la  couleur  et  l'esclat  qui  ne 
donne  pas  moins  de  contentement  que  les  autres  ».  Voilà  qui  est 
admirable  et  bien  digne  d'un  vrai  Gascon  :  Du  Périer  peut  raconter 
monts  et  merveilles  et  parler  de  châteaux  bâtis  en  pierres  pré- 
cieuses, mais  il  conserve  un  doute  narquois  et  souvent  non  exprimé 
sur  la  valeur  de  ces  diamants  qu'un  lapidaire  n'accepterait  pas  pour 
argent  comptant. 

Acoumat,  malgré  sa  jalousie,  laisse  une  assez  grande  liberté  aux 
deux  amants  que  nous  voyons  errer  dans  des  bosquets  de  jasmins 
et  de  roses,  échangeant  des  soupirs  et  de  galants  propos.  Fortunie 
prête  une  oreille  complaisante  aux  paroles  du  jeune  gentilhomme 
et  le  quitte  toute  troublée.  Bien  qu'elle  ne  le  connaisse  que  depuis 
quelques  instants,  il  a  su  trouver  le  chemin  de  son  cœur,  et  déjà 
le  souvenir  d'Acoubar  s'efface  et  disparaît  de  son  esprit.  Fortunie 


ANTOINE    DU    PÉRIER,    SIELR    DE   SAI\I.AGUES  SGq 

Ht'  ]iiiil  dormir,  «  I;i  mmIIo  est  le  plu--  agréable  rrpos  de  son  âme, 
elle  a  oui  les  rossignols  (|iii  Inute  la  nuicL  oui  dit  mille  amoureuses 
chansons  »,  et  le  matin  venu,  flic  envoi»'  une  épitrtî  ;i  l'istion  pour 
saluer  dès  son  réveil  celui  qu'elle  reeonnaît  déjà  comme  son  maître  : 
«  Pistion,  ouvre  les  yeux,  et  si  tu  m'aimes  ;iiil;iiil  (pie  lu  \cii\  (pu; 
je  le  croye,  regarde  \v.  jour  (pii  te  d(»nne  espérance  de  revoir  la 
Fortunie,  cpii  avec  mille  impatiens  désirs  de  ta  veue  te  dit  la  pre- 
mière bonjour.  »  Si  le  Nocabulaire  amoureux  de  l)ii  jN'rier  est  le 
plus  souvent  insupportable  et  ridicule,  il  faut  avouer  (jue  de  telles 
phrases,  d'un  aussi  joli  son  et  d'une  cadence  aussi  harmonieuse  lui 
feraient  pardonner  bien  des  défauts.  Ce  sont  là  de  frais  b(>u(piets 
de  verdure  et  de  fleurs  dont  le  parfum  de  bon  aloi  l'ait  oublier  l'at- 
mosphère artificielle  dans  laquelle  se  meuvent  les  héros  du  roman. 
Disons  à  la  honte  de  Pistion  qu'il  dort  du  meilleur  de  son  cœur 
quand  la  servante  chargée  de  l'amoureuse  missive  entre  dans  sa 
chambre;  sans  doute  le  rossignol  n'avait  pas  chanté  pour  lui  cette 
nuit-là. 

La  position  de  Fortunie  à  ce  moment  est  assez  curieuse  pour 
qu'on  s'y  arrête,  et  Du  Périer,  ([ui  avec  toutes  ses  gaucheries 
semble  avoir  comme  un  instinct  de  la  scène  à  faire  et  de  la  page  à 
écrire,  n'a  pas  laissé  échapper  une  si  belle  (tccasion  de  déployer  ses 
talents  d'analyste. 

D'une  part,  Fortunie  est  mariée  ofTiciellement  à  un  ju-ine»»  rpTrlIe 
n'a  jamais  vu,  mais  qui  l'attend  en  mourant  d'impatience;  elle  n'est 
donc  pas  libre.  D'autre  part,  elle  se  voit  forcée  de  céder  à  bref  délai 
aux  désirs  de  son  ravisseur  et  par  conséquent  de  trahir  son  mari. 
Pour  elle  nul  espoir  de  sortir  d'embarras,  à  moins  qu'elle  n'intéresse 
Pistion  à  son  malheur.  M.iis  >i  Pistion  la  délivre  d'Acoumat,  n'aura- 
t-il  pas,  par  sa  victoire,  comiuis  des  droits  sur  elle?  Xe  se  verra-t-elle 
pas  forcée  de  trahir  son  mari  avec  Pistion  pour  n'avoir  pas  voulu 
le  trahir  avec  Acoumat?  Car  elle  n'est  pas  de  celles  (|ui  refusent  de 
payer  leurs  dettes;  elle  sait  «  ({u'il  n'appartient  qu'aux  ingrats  de 
dormir  la  nuict  entière  sur  une  grande  obligation  ».  Enfin,  bien 
qu'elle  aime  dès  ce  moment  Pistion  dans  le  secret  de  son  cœur,  elle 
ne  peut  s'empêcher  de  se  souvenir  qu'elle  est  de  maison  royale  et 
qu'épouser  un  petit  gentilhomme  c'est  renoncer  à  son  rang  de  prin- 
cesse souveraine.  Gependaul ,  i)uis(|ue,  en  tous  cas,  il  lui  faut  trahir 
son  mari  légitime,  ne  vaut-il  pas  mieux  que  ce  sf)it  avec  un  le>:nnie 
([u'ille  aime  qu'avec  un  traître  dont  l'aspect  lui  fait  horreur?  C'est 
donc  à  Pistion  qu'elle  demandera  secours,  sachant  fort  bien  à  (juoi 


3^0  XJN    ROMANCIER    BORDELAIS    INCONNU 

elle  s'engage  par  cette  démarche,  mais  elle  ne  le  fera  pas  sans  une 
véritable  soufïrance.  Ce  long  débat  intérieur  se  termine  par  une 
sorte  de  cri  de  désespoir  qui  me  paraît  la  plus  belle  page  de  Pisiion  ; 
il  serait  difficile  d'en  trouver  l'équivalent  dans  les  romans  de 
l'époque. 

Mais,  ô  Dieux  pitoyables  aux  affligez,  pardonnez  à  cette  pauvre 
misérable,  qui  n'ayant  autre  chose  devant  les  yeux  que  la  volupté, 
a  mieux  aimé  obéir  à  ses  désordonnées  passions  qu'à  vos  justes 
commandemens,  et  diminuans  sa  méritée  peine,  retranche?^  aussi  une 
partie  du  plaisir  de  ma  joye  :  faictes  qu'une  nouvelle  source  de  larmes 
noyé  en  mes  yeux  les  délices  qu'ils  tireront  de  l'objet  de  ma  douleur, 
afin  que  je  ne  convertisse  point  votre  justice  en  une  particulière  ven- 
geance; et  cette  grâce  que  je  reçoy  en  un  crime  aussi  digne  de  punition 
que  le  sien.  Rendes,  ô  déitez  sainctes,  mon  ame  vuide  de  toutes  ces 
passions,  qui  troublent  nos  corps  au  milieu  de  leur  plus  profond  repos 
et  qui  comme  insatiables  vautours,  se  paissans  de  nos  cœurs,  y  ouvrent 
mille  ruisseaux  de  sang,  sur  lesquels  insensiblemenl  les  Chresliens  sont 
portés  au  paganisme. 

Je  ne  voudrais  pas  rapprocher  de  trop  grands  noms  de  celui  de 
notre  humble  auteur;  il  est  cependant  difficile  de  ne  point  se  rap- 
peler, en  lisant  de  tels  passages,  que  Corneille  emploiera  des  pro- 
cédés d'analyse  semblables  et  nous  montrera  ses  héros  pesant  ainsi 
délibérément  et  longuement  le  pour  et  le  contre  avant  d'agir;  en 
même  temps,  la  faiblesse  de  la  pauvre  Fortunie,  son  abandon  entre 
les  mains  de  la  destinée,  ses  cris  de  douleur  nous  rappelleraient 
cette  fois  non  plus  Corneille,  mais  bien  Racine.  Sans  être  aussi  tra- 
giquement afïïigée  que  Phèdre,  Fortunie  est  comme  elle  la  victime 
de  la  volupté  et  ne  peut  résister  à  ce  qu'elle  appelle  ses  «  désor- 
données passions  »;  comme  Phèdre  elle  est  le  jouet  de  Vénus,  mais 
d'une  Vénus  bonne  fille  qui  ne  cherche  qu'à  servir  l'amour  et  à 
assurer  le  bonheur  de  sa  protégée.  C'est  Vénus,  en  effet,  qui  tient 
tous  les  fils  de  l'intrigue,  ce  sont  ses  nymphes  qui  enchaînent  le 
traître  Acoumat  et  en  débarrassent  Fortunie  sans  que  Pistion  ait 
à  intervenir;  c'est  elle  qui  montre  à  la  fière  princesse  que  Pistion, 
malgré  sa  naissance  relativement  obscure,  est  digne  d'un  amour 
royal;  c'est  elle,  enfin,  qui  préside  au  mariage  des  deux  amants  et 
leur  offre  dans  sa  grotte  un  festin  nuptial  à  la  fin  duquel  elle  prononce 
un  discours  politique  des  plus  curieux. 

Le  premier  acte  est  terminé;  nous  allons  maintenant  voir  inter- 
venir une  péripétie  qui  remet  tout  en  question. 

Si  complet  que  soit  le  bonheur  des  deux  époux,  il  ne  peut  durer, 


ANTOINE    DU    PÉRIER,    SIF.L'R    DE    SARI.VGL'ES  37 1 

car  c'est  en  soriiiiH'  lo  bonheur  dans  W  criiiie,  et  les  mariages  célj'bri^s 
j»ar  X'i'uus  ne  sont  pas  reconnus  des  ;tii(rt's  dii-ux.  .)uii<»n  et  Min«Tve, 
sévères  gardiennes  dr  l;i  iiHu-.ilr,  prott'stcut  au  nnm  du  inallicuriMix 
Acoubar  devant  l<'  niiiîht'  dfs  dinix.  cf  (b'-ft-ndcnt  N's  droits  du  mari. 
.riipil II-,  (|iii  se  sent  assez  pt'u  à  l'ais»'.  uose  rcfust'r  uni*  d<'maud<* 
(|ui  fil  siuiiim^  est  juste  ;  il  csl  douf  déridi''  ipiAroiiljar  aura  un<' 
chance  de  reconcpn  rir  sa   fi'inme. 

Las  d'attendre  le  ictuui-  de  son  infidtdc  ambassaih'ur.  le  roi  de 
Guyian  a  recours  aux  sciences  occultes.  Les  magiciens  (dliciels,  après 
des  cérémonies  où  \o  clief  des  démons  «  apparaît  avec  milh- 
effrayantes  formes  pleines  d'esclairs  et  de  tonnerre  »,  lui  apprennent 
que  Fortunie  est  «  en  un  pays  froid  et  sauvage,  où  .Mars  et  IWiiuuir 
lui  seront  favorables  ».  Il  est  évident  (ju'il  ne  peut  s'agir  (pio  du 
Canada,  déclarent  les  sorciers  avec  une  clairvoyance  (pie  leur  envie- 
rait une  somnambule  extra-lucide. 

Sur  leurs  avis,  Acoubar  s'embarque  jjour  ccLle  ile  avec  <>  un  ton- 
nerre de  canons  disant  adieu  à  sa  patrie  ». 

Vénus,  pendant  que  le  prince  vogue  vers  le  Canada,  ap^irend  à 
Fortunie  le  péril  qui  la  menace  :  pour  la  seconde  fois,  la  malheureuse 
doit  résoudre  un  cas  de  conscience  des  plu-  ilélicats.  Jusqu'ici,  en 
efTet,  Acoubar  était  éliminé  des  données  du  ]>inblème  et  Fortunie, 
sans  espoir  de  communiquer  jamais  avec  le  reste  du  monde,  pouvait 
se  faire  ilhision  sur  sa  faute  ;  forcée  de  choisir  entre  un  homme 
qu'elh»  aimait  et  un  nuire  qu'elle  n'aimait  pas,  son  cœur  aussi 
bien  que  son  intérêt  l'avaient  fait  décider  en  fav(Hir  de  Pistior. 
L'arrivée  prochaine  d' Acoubar  détruit  ce  bonheur  fragile;  cette 
fois,  riu'nri'iic  (je  I  )u  Périer  doit  choisir  entre  son  mari  légal  et 
son  mari  iU'  lait,  entre  l'homme  (pi'elle  a  aimé  sans  le  connaître 
et  celui  qu'elle  aime  maintenant;  >ihialii.n  <lélicale  s'il  eu  fui 
jamais  ! 

Fortunie,  cependant,  ne  balance  pas  longtemps,  elle  est  prompte 
ta  se  trouver  ries  excuses  :  «  Je  t'ay  donné  ma  jtaride,  je  l'advcuie. 
pour  obeyr  aux  commanflemens  île  mon  j»ère.  .Mais  j'ay  donné  mon 
honneur  et  mon  cn-ui-  à  Pislion  par  (\r<.  noces  pul)li(pies.  »  Cotu-lu- 
sion  :  elle  ne  veut  aucun  mal  à  .\coubar  et  lui  souhaite  de  retourner 
heureusement  dans  son  pays  et  d'y  passer  en  joie  et  bonluMir  le 
reste  de  ses  jours,  à  condition  (pi'il  la  laisse  en  <^!ana<la  avec  son 
cher  Pistion.  La  lutte  n'est  cependant  pas  finie.  .\i  Minerve  m  .lunoii 
ne  peuvent  se  résigner  à  voir  \'énus  triompher;  aussi  cmpIoient-clIcs 
tous  les  moyens  pour  séparer  les  deux  amants.  Mercure,  qu'elles 


3'y2  UN    ROMANCIER    nOBDELAIS    INCONNU 

envoient  à   Fortunie,   essaie,  mais  en  vain,   de  lui  persuader  de 
renoncer  à  Pistion  : 

Soyez  raisonnable,  lui  dit-il,  si  Pistion  n'était  pas  venu,  vous  auriez 
appartenu  à  Acoumat,  que  vous  n'aimiez  pas  et  que  sa  perfidie  avait 
rendu  indigne  de  v^ous.  Maintenant,  Acoubar  est  vostre  légitime  mary 
que  vostre  père  et  que  les  Dieux  vous  donnent;  montrez  à  ce  coup 
la  force  de  vostre  esprit,  changeant  les  affections  de  l'inclination  en 
celles  de  la  raison  qui  vous  commande,  avec  les  Dieux,  d'honorer 
vostre  époux. 

Le  messager  des  dieux  raisonne  en  fort  bon  casuiste,  mais  que 
peuvent  les  raisonnements  contre  les  désirs  d'une  femme  amou- 
reuse? Fortunie,  loin  de  céder  à  ces  représentations,  met  tout  en 
oeuvre  pour  décider  Pistion  à  lutter  avec  acharnement  contre  l'armée 
que  le  roi  Acoubar  s'apprête  à  jeter  sur  les  côtes  du  Canada.  Ils 
ne  peuvent  espérer  réussir  qu'avec  l'aide  des  sauvages;  aussi  For- 
tunie, qui,  en  sa  qualité  de  princesse,  conduit  les  négociations, 
va-t-elle  trouver  le  roi  des  sauvages,  Castio,  pour  lui  demander  pro- 
tection. C'est  seulement  alors  que  nous  voyons  reparaître  ces  sau- 
vages canadiens  que  nous  conmiencions  à  oublier.  Hélas,  ils  ressem- 
blent bien  peu  à  ceux  que  Du  Périer  nous  avait  décrits  dans  sa 
préface  !  Dans  un  discours  en  forme  qui  prouve  bien  que  la  prin- 
cesse avait  étudié  l'art  des  harangues,  Fortunie  démontre  à  Castio 
qu'il  y  va  du  bonheur  de  son  peuple  et  de  son  propre  bonheur  de 
chasser  les  envahisseurs  de  son  territoire  :  «  Ta  couronne,  la  liberté 
de  ton  peuple,  la  religion  de  tes  Dieux,  l'honneur  de  ta  femme  et 
de  ta  chère  Callie  dépendent  de  ta  valeur.  »  A  quoi  Castio,  qui  n'est 
pas  moins  ferré  sur  la  rhétorique,  de  répondre  :  «  Madame,  quand 
je  n'aurais  pas  assez  d'affection  pour  mon  peuple,  de  naturel  pour 
ma  famille,  de  religion  pour  les  Dieux  et  de  courage  pour  mon 
honneur,  les  paroles  que  je  viens  d'entendre...  »  Nous  n'en  citerons 
pas  plus,  c'en  est  déjà  trop  pour  nous  convaincre  que  Castio  n'a 
de  canadien  que  le  nom. 

L'auteur,  cependant,  n'a  pas  renoncé  à  toute  couleur  locale,  et 
bientôt  après  il  met  ses  souvenirs  à  profit  pour  nous  décrire  de  façon 
assez  pittoresque  la  bataille  qui  s'engage  autour  de  la  flotte 
d' Acoubar. 

Car  tantost,  les  sauvages  alloyent  à  la  nage  percer  les  vaisseaux 
soubs  l'eau,  qui  tout  aussitost  couloient  à  fond;  puis  avec  leurs  petits 
canouas  (ainsy  s'appellent  leurs  batteaux  faicts  d'écorce  d'arbres)  se 
laissans  porter  doucement  à  l'eau,  montoyent  de  nuict  dans  les  navires 


ANTOINE    DU    PÉRIER,    SIEL'R    I>E    SARLAOLES  873 

ennemis  si  subtilement,  qu'elles  estoyent  plustost  en  feu  qu'on  eust 
trouvé  1(1  nioy(ui  di;  l'esteindre.  Ils  sont  si  asseurez  di;  Ifurs  iircs,  qui 
leur  servent  de  lévriers  et  d'harcjuchuses,  pour  prendre  !•;  gil)i<'r, 
duquel  ils  vivent,  qu'un  soldat  n'osait  monstrer  l'œil,  qu'une  nèchc 
tout  aussitost  ne  le  erevast. 

En  fin  de  compte  cependant,  Castio  est  tin-,  li-s  Cana<liens  pren- 
nent la  fuite,  Pistion,  recru  de  fatigue,  renonce  à  se  défendre;  c'est 
à  Fortunie  d'essayer  de  sauver  la  situation.  Sur  les  conseils  de 
Vénus,  qui  ne  l'abandonne  pas  diius  cette  circonstanee  assez  flélicate, 
elle  abandonne  le  palais,  prend  une  mise  modeste  et  se  retire  dans 
une  Immble  denu.iure.  Ayant  ainsi  préparé  sa  mise  en  scène,  elle 
attend  son  mari  de  pied  ferme.  Dès  qu'elle  l'aperçoit,  elle  se  jcffc 
à  genoux  en  lui  disant  : 

Hélas,  Sire,  aves-vous  jugé  qu'il  tust  tciiqis  (|U(!  j'eusse  l'honneur 
de  vostre  veue  qu'à  tous  les  momens  de  la  nuict  et  du  jour  j'ay  depuis 
mon  exil  incessamment  souhaitée  :  Vostre  >fajesté  a-elle  voulu  (juiller 
ses  somptueux  palais  pour  venir  voir  ce  pauvre  petit  taudis  de  For- 
tunie qui  luy  sert  de  religion  {couuenl)'} 

Ne  soyons  pas  trop  étonnés  de  ce  langage,  nous  verrons  mieux. 
l'iiitiiiiie,  poussant  encore  plus  loin  l'audace  et  la  dissimulation, 
])reud  un  air  d'iiL({uiétude  pour  demander  au  rni  s'il  l'aime  bim 
toujours  e(  si  l'absence  et  l'attente  n'ont  pas  altéré  ses  sentiments, 
«  le  tout  de  la  façon  la  plus  amoureuse  du  monde  ».  «  Fortunie  cajola 
si  bien  ce  pauvre  prince,  que  la  croyant  la  plus  chaste  du  moiuii-, 
il  en  devint  éperdument  amoureux.  »  Et  la  fine  mouche  proiligue 
«baisers,  larmes,  asseurances  et  sermens  de  fid.''lili'-  .•!  d'anujur  » 
pour  le  mieux  duper. 

Ces  amoureux  épanchements  sont  troublés  par  un  soldat  (|ui  vient 
annoncer  fpie  l'armée  réclame  Acoubar  à  grands  cris;  les  >uldals 
se  révoltent  dans  cet  étrange  pays  et  se  croient  perdus  dès  (pi'ils 
ne  voient  plus  leur  clief.  Acoubar  sort,  tandis  i\uo  Pisti<»n  rentre 
en  scène.  Nous  nous  d. ■mandions  si  vraiment  Fortunie  ne  s'était  pas 
laissée  prendre  aux  bonnes  manières  d'Acoubar  et  si  elle  ne  se  déta- 
chait de  son  soldat  de  fortune.  Il  n'en  est  rien,  elle  n'a  pas  cessé  un 
seul  instant  de  penser  à  Pistion:  o  II  a  fallu  ijuau  lieu  du  visage 
d'Acoubar  je  misse  celuy  de  mon  l'islion  devant  mes  yeux,  et  que 
pipée  de  si  douce  imagination,  je  parlasse  dune  lnuiehe  d'amante 
pi>ui-  mieux  caclier  mes  amours.  »  Voilà  en  vérité  qui  est  fort  com- 
mode, mais  puis(pie  Pistion  lui-même  se  contente  de  cette  rai.son 
nous  n'avons  pas  le  droit  de  nous  montrer  plus  dillicile  ! 


874  UN   ROMANCIER    BORDELAIS   INCONNU 

C'est  maintenant  à  l'amant  de  Fortunie  d'avoir  à  supporter  une 
lutte  morale  et  à  résoudre  un  cas  de  conscience.  La  princesse  s'est 
donnée  à  lui,  pauvre  gentilhomme  perdu  dans  les  forêts  du  Canada, 
alors  qu'elle  avait  toutes  les  raisons  de  croire  que  jamais  elle  ne 
pourrait  revoir  Acoubar  et  partager  avec  lui  le  pouvoir.  A-t-il  le 
droit  maintenant  de  la  forcer  à  cette  mésalliance  quand  ses  sujets 
la  réclament  et  qu'il  est  du  devoir  de  la  princesse  de  régner  sur  le 
Guylan?  Autrement  dit,  le  brave  Pistion  comprendrait  fort  bien 
que  Fortunie  ne  l'ait  pris  que  comme  pis  aller.  «  Je  sçay  bien,  lui 
dit-il  pour  la  consoler  et  la  décider  à  accepter  ce  sacrifice,  que  tous 
les  changemens  de  conversation  sont  d'abord  un  peu  rudes.  Mais, 
belle  princesse,  croyez- moy,  qu'une  affection  chasse  l'autre,  et 
qu'en  peu  de  temps  mon  absence  et  de  nouvelles  amours  feront 
doucement  oublier  les  miennes.  » 

Pistion  partira  donc  et  reprendra  ses  courses  aventureuses  à 
travers  le  monde,  cherchant  quelque  dame  affligée  qui  ait  besoin 
des  secours  d'un  chevalier,  sans  que  pourtant  il  cesse  de  penser  à  sa 
Fortunie  qui  régnera  toujours  sur  son  cœur.  Par  malheur,  le  roman 
ne  s'arrête  pas  là.  On  aurait  aimé  voir  Pistion,  nouveau  Titus, 
quitter  sa  Fortunie,  nouvelle  Bérénice,  invitas  invitani,  tandis  que 
cette  dernière,  déplorant  son  rang  qui  cause  son  malheur,  s'écrie  : 
«  Que  ne  suis-je  une  pauvre  bergère,  à  fin  que  mariant  ma  vanité 
avec  mes  désirs,  mon  contentement  avec  mon  amour,  je  peusse 
vivre  exempte  de  la  jalousie  du  ciel  !  »  Il  en  est  tout  autrement. 
Les  deux  amants  passent  la  nuit  à  se  dire  adieu,  tandis  que  «  les 
violons  et  la  musique  du  Roy  sonnent  et  chantent  sous  leurs  fenê- 
tres »,  car  l'armée  célèbre  sa  victoire,  et  le  lendemain  on  doit  donner 
de  grandes  fêtes  et  courir  la  bague.  Au  matin,  on  voit  paraître 
dans  l'arène  un  sauvage  magnifiquement  costumé  qui  remporte  le 
prix,  le  reçoit  des  mains  de  la  princesse,  et  après  le  plus  galant 
compliment  du  monde,  pique  des  deux  et  disparaît  dans  la  forêt. 

Il  n'est  pas  besoin  de  signaler  une  fois  de  plus  les  invraisemblances  ; 
un  sauvage  qui  parle  la  langue  de  la  galanterie  la  plus  rafilnée, 
monte  à  cheval,  alors  que  les  indigènes  étaient,  au  dire  des  voya- 
geurs, épouvantés  par  cet  animal  qui  n'existait  pas  dans  leur  pays, 
et  pour  achever  le  tout,  un  sauvage  qui  connaît  les  règles  des  tour- 
nois ne  pouvait  tromper  qu'un  mari  aussi  stupide  qu' Acoubar. 
Fortunie,  qui  a  reconnu  Pistion  malgré  son  '  déguisement,  feint 
alors  d'être  navrée  de  la  perte  de  sa  bague,  et  Acoubar  ne  peut 
moins  faire  que  de  partir  à  la  poursuite  du  prétendu  sauvage.  11 


AMTOINE    DU    PKIUI-U,    Sll.1  n   (  .|    •>  \  m  Ki  .1  is  3'J^ 

le  rcjdiiiL  bioutôL,  car  PisLiuii,  loiil,  ;i  >a  tlouli-iir,  ne  s'éloigiiaiL 
(ju'à  regret;  soniim''  de  rendre  la  l);ii;ui'.  (jui  pour  lui  ne  saurait  avoir 
(le  valeur,  il  r«'pond  en  jetant  son  niasipie  à  terre  et  en  tirant  IVpée. 
Aeoubar  ne  tarde  pas  à  tomber  niortellenient  blessé,  et  devinant 
tout,  s'éerie  ;  «  Cavallier.  je  eognijis  bien  à  ton  visage,  rjui  sent  plus 
son  galant  courtisan  (jii "uu  rustique  sauvage,  (pie  je  suis  le  plus 
pippé  liomme  du  iiiontle.  i  l»;ius  son  désespoir,  il  couvre  d'injures 
J^'ortunie  et  sou  rival;  mais  l'is(ioi|,  (pii  juscpi'alors  avait  fait  à 
nos  Veux  assez  triste  figure  et  avait  accejjté  sans  sourciller  le  sec(»urs 
de  Vénus,  se  souvient  devant  le  spectacle  de  la  mort  qu'il  est  chré- 
tien, et  adresse  à  son  malheureux  rival  les  paroles  suivantes  : 

Sire,  souvenez-vous  que  vostre  ame  doit  h  ce  moment  aller  au  Ciel 
que  vos  yeux  regardent;  laissez  avec  ce  corps  ses  passions  en  la  terre, 
à  fin  que  vostre  esprit  libre  de  ces  chênes,  vole  plus  aysement  en  la 
place  qui  luy  est  destinée. 

Aeoubar  cède  sur-le-champ  à  ces  sages  exhortations,  meurt  en 
état  de  grâce,  et  le  vainqueur  retourne  vers  celle  qui  était  le  prix 
de  ce  combat.  Après  des  embrassements  et  des  larmes  de  joie, 
«  Pistion  fit  voir  Fortunie  aux  sauvages  qui,  l'ayans  appelée  leur 
Royne,  firent  mille  dances  à  la  façon  du  pais  ».  .Ainsi  se  termine 
par  une  sorte  de  ballet  sauvage  cette  œuvre  composite  et  étrange, 
mais  où  se  rencontrent  de  réelles  beautés. 

* 

bans  cette  analyse  trop  longue  peut-être  de  l'ouvrage  ilu  mmau- 
cier  voyageur,  nous  n'avons  en  rien  cherché  à  dissimuler  les  défauts; 
le  mérite  de  Du  Périer  apparaît  de  façon  plus  nette  si  l'on  rappro- 
che l'original  de  l'adaptation  théâtrale  qu'en  fit  deux  ans  plus  tard 
l'avocat  normand  Du  Hamel,  et  si  nous  replaçons  les  Ammirs  de 
Pistion  dans  leur  milieu.  Dans  la  tragédie,  toute  couleur  locale  a 
disparu  :  pour  1  )u  Hamel,  le  Canada  est  la  terre  classique  des  démons, 
ce  ((ui  nous  reporte  aux  vieilles  légendes  des  Closmographes  dont 
Rabelais  s'était  fait  l'écho  moqueur  au  livre  V  de  l'nnlmfniel.  La  pièce 
débute  par  une  scène  de  magie  dans  laquelle  ,\coubar,  roi  de  Guyian 
qui  est  en  guerre  contre  Castio,  roi  de  Canada,  invoque  l'aide  des 
puissances  infernales.  Grâce  à  leur  secours,  il  jette  l'elTroi  dans 
l'armée  de  son  ennemi,  qui  est  tué,  fait  prisonniers  l'infante  Fortunie, 
fille  du  roi  d'Astrakan,  et  uu  chevalier  français  nommé  Pistion. 


876  ,  tN   ROMANCIER    BORDELAIS    INCONNÛ 

Généreusement,  il  donne  à  Pistion  la  vie  et  la  liberté,  mais  garde 
Fortunie  qu'il  prétend  épouser.  Au  cours  d'un  tournoi  dans  lequel 
Pistion,  déguisé  en  sauvage,  remporte  le  prix,  Fortunie,  qui  n'a 
aucun  goût  pour  Acoubar  et  se  fie  au  courage  et  à  l'adresse  de  son 
amant,  persuade  au  roi  de  Guylan  d'entrer  dans  l'arène  et  de  lancer 
un  défi  au  vainqueur  du  tournoi.  Après  un  assez  long  combat, 
Acoubar  tombe  mortellement  blessé,  il  reconnaît  son  adversaire  et  lui 
.  demande  la  vie,  lui  rappelant  qu'il  lui  a  fait  grâce  quelques  heures 
auparavant,  et  lui  offrant  même  de  lui  abandonner  Fortunie;  mais 
le  barbare  Pistion,  sans  vouloir  l'écouter,  l'égorgé  impitoyablement, 
et  la  tragédie  finit  sur  cette  scène  d'horreur.  Nous  admettons,  avec 
M.  Faguet,  qu'il  y  a  dans  Acoubar  quelques  beaux  vers,  mais  je 
cherche  en  vain  les  cris  de  douleur  sincère  qui  échappaient  à  For- 
tunie dans  le  roman  et  rachetaient  le  pathos  et  l'emphase  du  style. 
Le  roi  Castio  est  encore  moins  Américain  que  chez  Du  Périer,  s'il 
est  possible,  et  l'on  ne  voit  pas  très  bien  comment  Pistion  peut 
sans  danger  tuer  Acoubar  sous  les  yeux  de  sa  cour  et  de  son  armée 
sans  que  personne  intervienne.  Surtout  nul  reflet  des  mœurs 
contemporaines  n'apparaît  dans  la  tragédie,  qui,  pauvre  de  style  et 
indigente  de  composition,  n'a  aucun  intérêt  pour  l'histoire  des 
idées.  Il  en  est  tout  autrement  de  l'œuvre  de  Du  Périer,  où,  sous  le 
déguisement  espagnol  et  chevaleresque  du  style,  on  voit  percer  des 
sentiments  qui  sont  bien  ceux  de  la  première  génération  du  xvii^  siè- 
cle. Pislion  est  un  roman  de  chevalerie;  mais  il  est  passé  le  temps 
où  les  chevaliers  errants  parcouraient  le  monde  à  la  recherche  d'in- 
justices à  réparer,  et  la  jeune  captive  délivrée  et  le  tyran  puni, 
reprenaient  leurs  courses  aventureuses.  Si  Pistion  apparaît  héroïque, 
désintéressé,  et,  si  j'ose  dire,  traditionnel  et  un  peu  niais,  Fortunie, 
au  moins  au  début,  ne  peut  croire  à  un  désintéressement  dont  elle 
ne  connaît  nul  exemple,  et  s'attend,  dès  l'abord,  à  lui  voir  réclamer 
sa  récompense.  Passé  aussi  le  temps  où  les  princesses  épousaient  des 
bergers  :  les  alliances  politiques  ont  remplacé  les  mariages  d'amour, 
la  raison  d'État  intervient,  et  les  princes  se  marient  par  procuration 
sans  avoir  vu  leur  fiancée.  Fortunie  a  peur  de  manquer  à  son  rang 
en  épousant  un  pauvre  gentilhomme;  mais  elle  a  peur  aussi  de 
manquer  à  son  devoir,  qui  est  de  commander,  de  régner  et  de  faire 
le  bonheur  de  ses  sujets.  Bien  que  son  cœur  l'entraîne  vers  Pistion, 
la  princesse  ne  peut  l'aimer  sans  remords,  et  ne  lui  céderait  peut- 
être  jamais  si  Vénus  ne  faisait  valoir  un  argument  qui  emporte  tout, 
mais  qu'on  ne  s'attendait  guère  à  voir  en  cette  place.  Sans  doute, 


ANTOINE    n(      pThIEB,    SIKl  h    DE    SARLAGLES  ^77 

ForLunic  abandoniio  la  royauté,  d'ailleurs  illus(jin\  iln  Cluylan, 
mais  clic  va  en  coïKiucrir  une  n(»uvelle  :  n'est-ce  donc  rien  (pie 
d'apporter  la  civilisation  à  un  j)ays  encore  barbare,  el  de  régner 
sur  les  Canadiens  après  les  avoir  transformés  par  de  bonnes  lois? 
«  Quel  honneur  aurez-vous  de  changer  ces  cspines  en  une  fertile 
moisson,  ces  sauvages  en  courtisans,  et  ces  cffrayans  déserts  eu 
splendides  et  peuplées  villes.  »  C'est,  en  effet,  la  lâche  qu'accom- 
plira Fortunie  aidée  de  Pistion  à  la  fin  du  roman;  surtout,  c'est  la 
tâche  que  se  promettaient  d'accomplir  le  marquis  de  la  Hoche  et 
Champlain,  dont  Vénus  ne  fait  ici  qu'exposer  le  i)rogranime  de 
colonisation.  C'est  le  même  désir  de  porter  au  loin  la  civilisation 
que  nous  trouvons  dans  une  pièce  de  vers  anonyme  mise  en  tête 
de  l'édition  de  1598  des  Voyages  de  Cartier  par  l'imprimeur  qui 
publiait  au  même  moment  la  commission  du  marcpiis  de  la  Roche  : 

Allons  où  le  lioulicur  et  le  (iicl  nous  appellent 
Et  provignons  plus  loin  une  France  nouvelle. 

Oh  !  quels  remparts  je  voy,  quelles  tours  se  lever, 
Quels  fleuves  à  fons  d'or  de  nouveaux  murs  laver. 
Quels  royaumes  s'enfler  d'honorables  concjuêtes, 
Quels  lauriers  ombrager  de  généreuses  testes  '. 

Ronsard  d'abord,  puis  Montaigne  avaient  en  vain  fait  entendre 
des  avertissements  découragés  et  conseillé  aux  Français  de  laisser 
à  leur  bonheur  les  heureuses  populations  du  Nouveau- Monde.  La 
noblesse  inquiète  de  la  fin  du  xvi^  siècle,  (jui  déjà  ne  trouvait  [dus 
dans  les  guerres  de  débouché  à  son  activité  débordante  et  turbu- 
lente, commençait  à  rêver  d'aventures  et  à  tourner  ses  regards  vers 
les  étranges  pays.  Déjà,  La  Popelinière  écrivait  son  livre  des  Trois 
Mondes  pour  engager  les  Français  à  imiter  les  Espagnols,  et,  comme 
le  disait  le  poète,  «  à  provigner  plus  loin  une  France  nouvelle  ». 

Henri  IV  lui-même,  après  avoir  encouragé  l'expédition  de  la 
Roche,  donne  son  appui  à  celle  de  Razilly  qui  reprend  au  Brésil  la 
tentative  de  Villegagnon;  Champlain  et  Lescarbot  vont  bientôt 
publier  l'un  ses  Sauvages,  l'autre  l'IIisloire  et  les  Muses  de  la  Nou- 
velle-France^. Si  tous  les  Français  ne  s'embarquent  pas  à  cette  date 
pour  les  «  isles  »,  tous  semblent  au  moins  aimer  à  voyager  en  esprit; 
et,  comme  l'avait  dit  Baïf, 

Sans  bouger  du  coing  des  tisons, 
à  lire  les  relations  des  voyages  lointains.  Le  roi  Henri  le  Grand  fait 

1.  Discours  du  voyage  /ail  par  le  capilainc  Jacques  Cartier...,  Houeii,  Hapliacl  du 
Petit-Val,  1598. 

2.  Les  Sauvages  parurent  en  1G03;  ïllisloirc  de  la  Nouvelle-France  en  1609. 

'7 


378  UN    ROMANCIER    BORDELAIS    INCONNU 

venir  à  Fontainebleau  le  voyageur  Jean  Mocquet  et  lui  demande 
la  démonstration  du  procédé  qu'emploient  les  sauvages  pour  faire  du 
feu;  et,  les  jours  où  sa  Majesté  «prend  médecine»,  c'est  encore 
Jean  Mocquet  qui  charme  les  loisirs  du  roi  par  le  récit  de  ses  aven- 
tures. Tout  Paris  ira  voir  au  couvent  des  Capucins  de  la  rue  Saint- 
Honoré  les  Brésiliens  ramenés  par  Razilly;  le  vieux  Malherbe  lui- 
même,  tout  en  pestant  fort  contre  les  dames  de  Paris  qui  se  sont 
entichées  de  ces  sauvages,  et  tout  en  protestant  que  cela  n'a  rien  de 
curieux,  cédera  à  la  curiosité  générale.  Un  an  à  peine  avant  la  publi- 
cation de  Pistion,  un  très  obscur  poète  ne  craignait  pas  de  placer 
sa  tragédie  d'Adamantine  dans  «  un  pais  voisin  du  pôle  arctique  », 
et  nous  montrait  la  rivalité  d'amour  entre  un  sauvage,  Selpion,  et 
un  cavalier  français,  Darimant,  qui  se  disputaient  la  main  d'une 
beauté  indigène  ^.  A  peu  près  à  la  même  date  (1603),  des  Escuteaux, 
dont  M.  G.Reynier  a  le  premier,  je  crois,  signalé  le  roman  de  Clida- 
moni  et  Marilinde^,  jetait  ses  héros  sur  les  côtes  d'une  île  déserte,  leur 
faisait  défricher  le  sol,  semer  du  blé,  transformer  la  forêt,  et  creuser 
des  fontaines,  si  bien  que  les  pauvres  gens  qui,  d'abord,  s'étaient 
résignés  par  force  à  passer  le  reste  de  leurs  jours  en  ce  sort  misérable 
finissent  par  être  consolés  «  en  la  délectation  que  leur  offre  la  beauté 
de  cette  solitude  ».  Ce  ne  sont  pas  les  Aventures  de  Bobînson  Crusoé 
qui  ont  introduit  chez  nous  le  goût  des  récits  de  voyages;  il  y  a 
dès  le  xvi^  siècle  dans   le  public  français  un  véritable  amour  de 
l'exotisme.  Bien  que  ce  sentiment  ne  paraisse  guère  dans  les  grandes 
œuvres,  il  continue  cependant  d'exister  en  marge  de  la  littérature 
pendant  tout  le  xvii^  siècle,  et  rien  ne  serait  plus  facile  que  d'en 
retracer  l'histoire  à  l'aide  de  romans  assez  médiocres,  mais  dont  le 
succès  fut  grand,  comme  le  Polexandre,  de  Gomberville,  et  surtout 
à  l'aide  des  relations  des  missionnaires,  dont  quelques-unes,  comme 
celle  de  Du  Tertre,  sont  si  injustement  négligées.  On  peut  hésiter 
à  reconnaître  en  Du  Périer  un  ancêtre  du  roman  «  psychologique  » 
et  ne  point  admirer  son  style,  il  n'en  a  pas  moins  eu  le  mérite  d'être 
le  premier  à  voir  l'intérêt  qu'il  y  avait  à  situer  hors  de  France, 
dans  des  contrées  récemment  découvertes  et  encore  enveloppées 
de  mystère,  la  scène  d'un  roman  d'amour.  Pour  humble  et  oublié 
qu'il  soit,  et  même  si  on  ne  le  considère  que  comme  un  «  parent 
pauvre  »,  le  sieur  de  Sarlagues,  gentilhomme  bourdelois,  a  droit  à 
une  place  dans  la  longue  série  de  nos  romanciers  exotiques. 

Gilbert  CHINARD. 

1.  Histoire  du  Théâtre  Français  des  frères  Parfaict,  t.  III,  p.  565. 
îi.  Le  Boinun  sentimental  avant  l'Antrée,  p.  182,  note. 


NOUVELLES    lŒCHERCIIKS 


SLR 


LES  GIRONDINS  PKOSCIUTS 


PREMIERE    PARTIE 
DE    BREST  A   LIBOURNE 


CHAPITRE    II 
Au    Bec    d'Ambès, 

24  septembre  1793  (suite).  —  De  nos  jours  encore,  lorsque  l'on 
descend  la  Garonne,  on  remarque  sur  la  rive  droite,  un  peu  avant 
d'arriver  au  Bec  d'Ambès,  tout  au  bord  de  l'eau,  une  grande  maison 
bourgeoise  élevée  d'un  étage,  avec  les  communs  à  côté,  qui  émerge, 
entourée  de  vignes,  dans  un  bouquet  de  peupliers. 

Cette  propriété  s'appelle  Barbc-de-Squire  ^  et,  en  17'J3,  elle  appar- 
tenait à  M'"*^  V^e  (le  Ségonzac,  (jui  venait  de  l'acheter  au  citoyen 
Dupeyrat,  le  beau-père  de  Guadet,  mais  lui  en  avait  laissé  l'admi- 
nistration 2. 

Or,  le  matin  du  24  septembre  1793,  «  entre  six  et  sept  heures  »,  le 
jeune  tonnelier  du  citoyen  Dupeyrat,  Martial  Blanc,  qui  habitait 
la  maison  en  compagnie  de  sa  femme,  Marguerite  Grellet^,  vit  entrer 
un  iiomme  do  taille  moyenne,  enveloppé  dans  «  une  roupe  brune, 

1.  Ed.  Guillon,  Les  châteaux  historiques  et  vinicolcs  de  la  Gironde,  t.  Il  I,  p.  '27.  —  Elle 
ap|>;utienl  actucllempiil  à  la  fainilli-  Rivoirt-. 

Z.  liilt-nogatoire  île  Ulaiii,  loimclier.  Aich.  île  la  (iiroiule,  L  2.S3r.  («Iossmt  Graiisrrr, 
ji.  1).  Celle  pallie  «le  riiiterrogaloiie  ii  a  pas  été  puliliée  par  .M.  N'alel.  Les  Diipeyrni 
et  les  de  Ségoiizar  devaieal  éire  pan-nU.  C'est  un  de  Sf^çoiiz.ir  (Cilberf,  eiiré  de  Saint- 
Aubin,  qui  avait  béni  le  mariage  d'Élie  Guadet  avec  Marie-Tlu'i èse  Dupeyrat. 

3.  Procès-verbal  de  dépôt  d'une  malle  laissée  par  les  Girondins.  Arch.  de  la  Gironde, 
L  2257. 


38o  NOUVELLES   RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

une  canne-épée  à  la  main  ».  Il  marquait  trente-cinq  ans  environ, 
son  visage  était  maigre,  il  avait  le  nez  relevé  et  les  yeux  bleus  et 
portait  «  la  barbe  longue  »  i. 

Cet  inconnu  parut  étonné  de  se  trouver  en  présence  du  tonnelier, 
et  le  «  regardant  fixement  »  il  lui  dit  :  «  Je  ne  le  connais  pas.  —  Ni  moi, 
yous»,  repartit  celui-ci.  Alors  il  se  présenta  «  comme  un  parent  delà 
V^e  de  Ségonzac  et  parent  de  très  près  du  citoyen  Dupeyrat  ».  Puis,  il 
demanda  au  jeune  homme:  «Où  est  Marguerite^?  » — L'autre  répliqua 
qu'elle  était  allée  à  Bordeaux  pour  affaire.  L'étranger  commanda 
alors  d'allumer  du  feu,  et  tandis  que  Martial  Blanc  s'en  occupait, 
il  se  nomma  ;  «  Je  suis  Guadet,  gendre  du  citoyen  Dupeyrat  ».  Il 
expliqua  ensuite  «  qu'il  avait  quitté  l'Assemblée  (la  Convention) 
pour  prendre  l'air  et  voir  ses  parents  et  qu'il  avait  passé  par  Brest  ». 
Puis,  marchant  vers  la  porte,  il  ajouta  :  «  Je  vais  chercher  six  autres 
de  mes  amis  »  ^. 

Les  Girondins,  en  efTet,  ne  débarquèrent  pas  en  face  de  Barbe- 
de-Squire  *.  Probablement  à  cause  des  vases  et  des  roseaux  qui  bor- 
dent les  rives  et  rendent  l'atterrissage  difficile,  ils  se  firent  déposer 
à  deux  cents  mètres  environ  plus  haut,  vers  Bordeaux,  devant  l'au- 
berge de  la  citoyenne  Rivière  ^ 

Avant  de  quitter  le  canot,  ils  remirent  au  capitaine  Granger  une 
somme  de  deux  mille  livres  pour  payer  ses  services;  ils  avaient 
l'intention  d'y  ajouter  mille  écus  qu'ils  pensaient  trouver  à  em- 
prunter aisément  auprès  de  leurs  amis  ^.  Ils  lui  donnèrent  donc 
rendez-vous  pour  le  lendemain  soir,  à  Bordeaux,  chez  Dupeyrat, 
(jui  habitait  rue  Rohan,  5,  et  Guadet  le  chargea  d'aller,  à  cette 
adresse,  prévenir  au  plus  tôt  son  beau-père  de  son  arrivée  '. 

Sitôt  débarqués,  les  proscrits  se  mirent  en  quête  de  nouvelles. 
Étant  entrés  dans  l'auberge,  ils  questionnèrent  l'hôtesse,  et  Guadet, 
«  avec  sa  confiance  ordinaire  »,  poussa  la  témérité  jusqu'à  dire  son 

1.  Passeport  délivré  à  Guadet  par  la  municipalité  de  Falaise.  Arcli.  de  la  Gironde, 
L  2858,  reproduit  par  M.  A'atel,  Ch.  de  Cordaij  et  les  Girondins,  183.  —  Interrogatoire 
de  Blanc.  —  .1.  Guadet,  Saint-Einilion,  p.  155. 

2.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  Marguerite  Grellet  s'était  mariée  pendant  l'absence 
de  Guadet. 

3.  Ce  dialogue  est  ainsi  rapporté  dans  l'interrogatoire  de  Blanc. 

4.  C'est  tout  au  moins  ce  qui  résulte  des  interrogatoires  du  capitaine  Granger  et  du 
tonnelier  Blanc.  Ce  dernier  déclare  :  «  Les  passagers  firent  leur  première  arrivée  chez 
la  citoyenne  Rivière,  i  Le  récit  de  Louvet  fait  cependant  supposer  que  c'est  parce  que 
les  proscrits  trouvèrent  la  maison  fermée  «[u'ils  allèrent  à  l'auberge,  et  "  les  clefs  étant 
arrivées  »,  ils  se  rendirent  à  Barbe-de-Squire  {Mémoires,  I,  199).  Or,  Blanc  dit  formel- 
lement que  la  maison  était  habitée  (interrogatoire,  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835). 

5.  Vraisemblablement,  le  débarquement, se  flt  au  lieu  dit  Saini-Vincent,  où  se  trouve 
encore  de  nos  jours  une  auberge. 

6.  Louvet,  Mémoires,  I,  198. 

7.  Interrogatoire  de  Dupeyrat.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835  (dossier  Granger,  p.  7). 


NOUVELLES    RECHEnCIIES    SUR    LES    GIRODINS    PnOSrRtTS  ^^8 1 

nom.  C'était  une  grave  imprudence  dont  il  devait  se  repentir  bientôt, 
(le  que  les  Girondins  a]»piin'nL  là  les  surprit  énoriiK-iuful.  :  A  iJor- 
deaux  (leur  dit-on),  les  Maralisles  venaient  de  l'emporter,  la  nuini- 
cipalité  et  le  département  étaient  en  fuit»-;  les  représentants  du 
peuple  y  entraient  en  force  ».  Guadet  afïirma  que  ce  n'était  pas 
possible^.  Et  laissant  ses  compagnons  discuter  la  nouvelle,  il  se 
dirigea  vers  l'ancienne  propriété  de  son  beau-père  aliu  d'annoncer 
son  arrivée. 

Nous  avons  vu  comment  il  fut  reçu... 

Lorsque  les  fugitifs  parvinrent  tous  à  Barbe-de-Squire,  le  feu 
était  préparé  dans  la  grande  salle,  mais  ils  ne  s'arrêtèrent  pas. 
Après  l'immobilité  d'une  longue  traversée,  il  leur  tardait  de  se  dégour 
dir  un  peu  les  jambes,  aussi  demandèrent-ils  à  Blanc  de  leur  donner 
du  pain,  et  «  ils  furent  se  promener  tous  ensembh'  à  la  vigne  »  et 
manger  des  raisins  ~. 

Il  n'entrait  pas  tout  d'ubuid  dans  les  plans  des  Girondins 
de  s'arrêter  longtemps  à  Ambès^,  Us  avaient  hâte,  en  effet,  de  se 
rendre  à  Bordeaux  pour  revoir  leurs  amis  et  préparer  avec  eux  la 
vengeance  qu'ils  méditaient  depuis  longtemps.  Mais  les  nouvelles 
apprises  à  l'auberge  vinrent  modifier  leurs  projets.  «  Quoi  qu'il 
pût  être  de  ces  bruits,  nous  pensâmes,  dit  Louvet,  qu'il  ne  convenait 
pas  de  nous  enfourner  tous  dans  cette  ville  avant  de  les  avoir  véri- 
fiés. » 

Guadet,  qui  connaissait  parfaitement  le  pays  pour  l'avoir  habité 
au  momont  de  son  mariage*,  offrit  de  se  rendre  à  Bordeaux  pour  se 
renseigner  et  demanda  à  Petion  de  l'accompagnera  Tous  deux 
partirent  à  pied,  vers  les  trois  heures  de  l'après-midi  ;  et  en  s'en 
allant,  Guadet  recommanda  au  tonnelier  Blanc  «  de  prendre  soin 
de  ces  messieurs,  que  c'étaient  des  capitaines  »  *. 

A  la  nuit,  ils  pénétrèrent  en  ville,  très  probablemiMd.  par  les  Char- 
trons,  après  avoir  passé  la  rivière  au  passage  de  Lormonf ,  bien 
moins  surveillé  et  plui»  solitaire  que  celui  de  La  Bastide  ". 

Chez  qui  Guadet  et  son  compagnon  se  rendirenf-ils?  Notis  ne  le 

1.  Louvet,   Mimoires,   I,   l'J'.). 

2.  Interroiialoire  île  Bltinc.  Arrh.  de  la  Ciiroii'l»',  L  '2S35. 

3.  «  Le  capitaine  se  rendait  à  Bordeaux:....  il  ne  nous  précéderai!  apporcmmcnt  que 
de  vingt-quatre  heures.  ■  Louvet,  Minwires,  I,  198. 

4.  C'est  en  effet  à  Saint-.Jar(iues-d'An»l)è.s  (lu'I^lie  Guadet,  bnrhclier  en  droit,  épous.i 
Marii-Tliérèse  Dupeyrat,  le  20  décembre  1781.  —  L'acte  a  été  transcrit  par  M.  Dasl  de 
ilois\  ille  dans  le  \ol.  XXXI  des  Arcliiucs  historiques  de  la  Cirvride,  p.  109. 

5.  Louvet,  Mcinoirfs,  I,  200. 

6.  Interros,'al.  de  lîlanc.  Arcli.  de  la  Gironde,  L  2S35. 

7.  H  y  a  entre  Ambés  et  Bordeaux  \iiiirt-lHjit  kilomètres.  C'est  probablement  entre 
sept  et  huit  heures  que  Guadet  et  sou  compagnon  par\  inrent  à  llurdi-auv. 


382  NOUVELLES    RECHERCHES    SI  R    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

savons.  Dans  tous  les  cas,  ils  restèrent  très  peu  de  temps  à  Bordeaux, 
une  heure  tout  au  plus  i,  et  n'allèrent  pas  chez  Dupeyrat^. 

Ce  peu  de  temps  suffît  d'ailleurs  pour  leur  confirmer  l'exactitude 
des  propos  de  l'aubergiste  d'Ambès... 

Qu'elle  semblait  maintenant  lointaine  cette  époque,  où  Bordeaux 
s'était  soulevé,  plein  d'enthousiasme,  à  l'appel  de  Vergniaud  !  Le 
4  mai  1793,  dans  une  lettre  écrite  i(  sous  le  couteau  ^)^,  le  tribun 
annonçait  que  la  fureur  des  ennemis  du  parti  girondin  s'accroissait 
de  jour  en  jour;  «  les  proscriptions  et  l'assassinat  circulent  contre 
nous,  disait-il,  et  on  s'apprête  d'aller  à  la  barre  nationale  demander 
nos  têtes;  quel  est  donc  notre  crime?  c'est  d'avoir  fait  entendre  la 
voix  de  l'humanité  au  milieu  des  horreurs  qui  nous  ont  si  souvent 
environnés  ;  c'est  d'avoir  voulu  conserver  vos  propriétés  et  vous 
garantir  de  la  tyrannie  de  Marat  ou  des  hommes  dont  il  n'est  que  le 
mannequin.  »  Et  il  reprochait  à  ses  commettants  de  se  désintéresser 
des  affaires  publiques  ;  il  les  suppliait  de  lui  adresser  quelqu'encourage- 
ment.  «  Nous  ne  craignons  pas  la  mort,  concluait-il,  mais  il  est  cruel, 
alors  que  l'on  se  sacrifie,  de  ne  pas  emporter  au  tombeau  la  certitude 
qu'on  laisse  au  moins  quelques  regrets,  à  ceux  pour  lesquels  on 
s'immole.  » 

Cet  appel  douloureux  avait  eu  un  grand  retentissement  dans  toute 
la  contrée,  d'autant  plus  qu'il  se  produisait  à  une  époque  de  malaise. 
La  ville  de  Bordeaux,  si  prospère  à  la  fin  de  l'Ancien  Régime,  qui, 
au  début,  s'était  montrée  favorable  à  la  Révolution,  avait  vu  soudain 
sa  fortune  se  tarir,  les  troubles  de  Saint-Domingue  avaient  ruiné 
ses  rentiers,  la  guerre  avait  vidé  son  port  et  anéanti  son  négoce; 
la  disparition  du  numéraire,  les  mauvaises  récoltes  avaient  arrêté 
les  transactions.  On  était  mécontent,  et  on  fut  heureux  de  trouver 
une  occasion  de  le  manifester^. 

Les  28  sections  de  Bordeaux  répondirent  à  la  lettre  de  Vergniaud 
par  une  adresse  à  la  Convention,  pleine  de  menaces;  on  y  lisait 


1.  Louvet  nous  apprend,  en  effet,  que  c'est  vers  neuf  heures  du  soir  qu'ils  quittèrent 
la  ville. 

2.  Interrogat.  de  Blanc  et  Dupeyrat.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835. 

3.  V.  cette  lettre  dans  Vatel,  Vergniaud,  II,  151.  M.  N'atel  dit  que  l'original  se  trou- 
vait aux  Archives  municipales  de  Bordeaux,  mais  qu'il  était  égaré  au  moment  où  il 
écrivait  son  livre  (1871).  Il  n'a  pas  été  retrouvé  depuis.  Il  eût  été  intéressant  de  voir 
si  l'expression  «sous  le  couteau  »  était  sur  l'original  à  côté  de  la  date.  M.  Vatel  prétend 
qu'elle  aurait  été  ajoutée  par  le  Club  des  Amis  de  la  Liberté,  qui  fit  imprimer  la  lettre. 

4.  Dans  son  beau  travail  sur  le  Pain  à  Bordeaux,  M.  J.  Benzacar  a  écrit  (p.  45)  : 
«  Nous  n'avons  certes  pas...  à  rechercher  les  origines  de  l'insurrection...  dont  Bordeaux 
fut  accusé  d'être  l'instigateur.  Mais  il  nous  paraît  que  visiblement  les  causes  écono- 
miques dominaient  de  beaucoup  les  causes  politiques,  » 


NOUVELLES    nRCIIEHCIIES    SUR    LES    GmoM>IN<    PlloSCUl  I  S  !i83 

notamment  ceci  :  « Oui,   nous  organisons  sur  le  chainp   notre 

garde  nationale,  nous  nous  élançons  sur  Paris,  si  un  décret  vengeur 
ne  nous  arrête,  et  nous  jurons  de  sauvtT  nos  frér<;s  ou  de  ftérir  sur 
leur  tombeau  !  ^  » 

Survinrent  les  évéuiunculs  {\r  juin,  (jui  luirinL  le  cunible  à  Irxas- 
pération  populaire.  On  voulut  passer  des  paroles  aux  actes. 

Le  Conseil  général  du  département,  investi  par  les  sections  di-  la 
pléniiude  du  pouvoir,  convoqua  une  assemblée  de  délégués  de  tf»us 
les  corps  constitués  de  la  Gironde  qui,  1»'  'J  juin  17U3,  s'érigeait  en 
Commission  populaire  de  Salul  Public-.  Pres(jU('  toute  les  muiM<i- 
palités  du  département  donnèrent  leur  adhésion  avec  empresse- 
ment ^ 

Cette  Commission  organisa  une  véritable  insurrection,  non  certes, 
contre  la  Convention  elle-même,  mais  «  contre  les  scélérats  (pii 
l'oppriment»;  et  cela,  en  vertu  du  principe  de  la  résistance  à  l'op- 
pression *.  Elle  refusa  de  reconnaître  et  de  publier  les  décrets  de  la 
Convention  qui  lui  paraissaient  contraires  à  ses  idées  ^  Elle  décida 
de  créer  une  force  départementale,  qui  devait  marcher  sur  Paris 
et  délivrer  l'Assemblée  ^;  elle  écrivit  aux  armées  pour  s'assurer  leur 
concours,  ou  tout  au  moins  une  neutralité  bienveillante  ".  Elle 
envoya  des  commissaires  par  toute  la  France  pour  obtenir  l'adhé- 
sion des  départements  et  des  secours  en  hommes  et  en  argent.  Près 
de  60  départements  répondirent,  paraît-il,  à  cet  appel  ^. 

Mais  tout  cet  enthousiasme  devait  se  calmer  très  vile  et  ce  sou- 
lèvement avorta  misérablement.  Les  chefs  ne  furent  point  à  la 
hauteur  des  circonstances.  Certes,  le  premier  président  de  la  Com- 


1.  Bernadau,  Hisloire  de  Bordeaux,  p.  431. 

2.  Sur  cette  Commission,  voir  \i\  ie,  lu  Tirrciir  à  Bordeaux,  1,  213  et  suiv.  C'est  de 
celte  Commission  [lopulaire  de  la  (iironde  qu'il  s'assit  dans  rintt'rro>;atolrc  île  (luadet 
(30  i)rairial  an  II),  et  non  pas  de  la  Cuntmissiori  de  Caen,  comme  l'écrit  M.  Viitel,  Char- 
lotie  de  Cordai!  e/  les  Girondins,  170,  n*  2. 

3.  V.  nombreuses  délibérations.  Arch.  de  la  Gironde,  L  21.")'2. 

4.  Dans  une  proclamation  de  la  liommission  popul.-iire,  adressée  aux  linbiLunt^  des 

cam[)aj;nes,  on  trouve  cette  phrase  :  « L'insurrection  dans  le  lant;a(;e  des  l>rit;.'indi 

(des  Nendéens)  veut  dire  meurtre  cl  pillage  ;  dans  la  bouche  des  \rais  répiiblic.iins,  il 
signifie  seulement  résistance  à  rofpprcssion.  »  Cette  pièce,  encore  inédite,  est  très  curieuse 
au  point  de  \ue  de  l'état  d'esprit  des  ISordelais  à  cette  épocpie.  Il  y  est  question  de 
«  la  Montagne  se  disant  sainte  ■•;  et  .Marat  est  «pialillé  de  ■  monstre  iloiil  l'flme  atroce 
se  délecte  à  la  seule  idée  du  sang  et  du  carnage  ■.Arch.  de  la  (iironde,  L  2li>'.>,  t"  33  et  suiv. 

5.  Arch.  de  la  Gironde,  L  21t>9,  t"  79. 
(5.   Id.,  f»  10  et  suiv. 

7.  V.  Proclamation  aux  armées.  Vivie,  ta  Terreur  à  Bordeaux,  I,  235.  Lettre  de 
Grangeneuve  au  général  Custine,  id.,  I,  202,  et  au  général  llouchard,  id.,  I,  274  et 
Arcli.  de  la  Gironde,  L.  2lG'.t,  f  11. 

S.  Vi\  ie,  la  Terreur  à  Bordeaux,  1,  230.  Sur  la  firoposilioii  du  département  «le  la  CMo- 
d'Or,  il  fut  question  de  réunir  à  lîourges,  le  10  juillet  ll'J'J,  une  assemblée  de  commis- 
saires de  tous  les  départements  en  insurrection.  .\rch.  de  la  (.iironde,  L  2169,  !•  27  et  suiv. 


384  NOUVELLES   RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

mission  populaire,  Pierre  Sers  i,  et  ses  collègues  firent  preuve  de 
beaucoup  d'énergie  et  d'activité,  mais  c'étaient  beaucoup  plus  des 
discoureurs  que  des  entraîneurs  d'hommes.  Il  faut  lire  les  procès- 
verbaux  des  séances  de  la  Commission  pour  se  rendre  compte  du 
temps  que  l'on  perdit  en  bavardages  et  en  réceptions  de  députa- 
tions  2. 

La  force  armée,  qui  devait  marcher  sur  Paris,  ne  put  être  rassem- 
blée^; les  emprunts  décrétés,  ne  rentrèrent  pas;  la  ville  manqua  de 
pain  et  la  peur  fit  le  reste  4. 

Devant  l'indifférence  des  uns  et  l'abattement  des  autres,  la 
Commission  populaire  de  Salut  Public  de  la  Gironde  s'était  vue 
dans  l'obligation  de  se  dissoudre.  Elle  le  fit  le  2  août  1793  ^  Quatre 
jours  plus  tard,  la  Convention  décrétait  «  que  tous  ceux  qui  ont  pro- 
voqué, concouru  ou  adhéré  »  aux  actes  de  la  Commission  populaire 
étaient  déclarés  traîtres  à  la  patrie  et  mis  hors  la  loi  ^  Chacun  ne 
pensa  plus  alors  qu'à  sauver  sa  tête. 

Cependant,  les  partisans  des  Girondins  manifestèrent  encore 
violemment  leurs  sentiments,  lorsque,  le  19  août,  les  représentants 
Ysabeau  et  Baudot,  envoyés  par  la  Convention  «  pour  mettre  au 
pas  les  Bordelais  «,  arrivèrent  dans  la  ville.  Sous  les  menaces  et  les 
huées,  les  députés  furent  obligés  aussitôt  de  s'éloigner  et  se  fixèrent 
à  La  Réole  '. 

De  là,  ils  affamèrent  Bordeaux  en  empêchant  les  départements 
voisins  de  lui  envoyer  des  subsistances  ^,  et,  grâce  aux  intelligences 

1.  Sers  (Jean-Pierre),  né  à  Montiedon  (Tarn),  pasteur  protestant,  négociant,  arma- 
teur, député  de  la  Gironde  à  la  Législative,  président  du  Directoire  du  département  de 
la  Gironde  en  juillet  1793;  mis  hors  la  loi  parle  décret  du  6  août  1793;  membre  du  Sénat 
conservateur  (an  VIII);  commandeur  de  la  Légion  d'honneur  (1804);  fait  comte  par 
Napoléon,  le  1"  mars  1808,  mort  à  Montredon  le  16  septembre  1809. —  Renseignements 
dus  à  l'obligeance  de  M.  Rousselot,  sous-archiviste  de  la  ville  de  Bordeaux. 

2.  Registre  des  procés-verbaux.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2169.  Les  notes  de  séance 
se  trouvent  dans  la  collection  Vivie,  t.  VI,  VII  et  VIII,  aux  Arch.  mun.  de  Bordeaux. 

3.  Sur  1,200  hommes  demandés,  on  put  péniblement  en  réunir  400,  qui  furent  envoyés 
à  Langon  en  juillet  1793.  Vivie,  La  Terreur  à  Bordeaux,  I,  p.  241,  271,  275,  279. 

4.  Le  18  août  1793  le  délégué  des  Représentants  leur  écrit:  «Jamais  ville  ne  se 
trouva  dans  une  situation  plus  affligeante;  les  denrées  y  sont  portées  à  un  prix  excessif; 
les  portes  des  boulangers  y  sont  constamment  assiégées;  encore  une  grande  partie  des 
citoyens  est-elle  privée  de  pain.  La  terreur  et  l'effroi  sont  peints  sur  toutes  les  figures. 
Le  désespoir  ne  tardera  pas  de  suivre  toutes  ces  calamités.  »  Arch.  de  la  Gironde,  L  473. 

5.  Vivie,  La  Terreur  à  Bordeaux,  I,  281. 

6.  Décret  du  6  août  1793. 

7.  V.  Yzabeau,  Rapport  de  ce  qui  s'est  passé  à  Bordeaux  à  l'arrivée  et  pendant  le  séjour 
des  Représentans  du  peuple  Baudot  et  Yzabeau.  Extrait  du  Journal  du  C.  Yzabeau,  Des- 
champs, impr.,  Bordeaux,  15  p;  et  Baudot,  Rapport  de  ce  qui  s'est  passé  à  Bordeaux 
pendant  le  séjour  des  Représentans  du  peuple  Baudot  et  Ysabeau,  rédigé  par  Baudot, 
extrait  du  Journal  de  son  voyage,  s.  i.,  23  p. 

8.  ■"  On  ne  refuse  pas  de  grains  à  Bordeaux  fidèle  à  la  République,  mais  à  Bordeaux 
en  état  de  rébellion.  »  Lettre  de  Roux-Fazillac,  16  sept.  1793.  —  Aulard,  Recueil  des 
Actes  du  Comité  de  Salut  public,  VI,  528. 


NorvEi.r.Es  iirnirncnES  si  n  \.\<  (.hkimuns  i-uo-ciuis  385 

qu'ils  avaient  dans  la  place,  ils  j)rcparèr(*nt  k-ur  retour".  I.;i  jeu- 
nesse bordelaise  essaya  bien  de  lutter  contre  leur  iniluence,  mais, 
désavouée  par  les  autorités,  elle  vit  bientôt  l'opinion  se  retourner  en 
faveur  de  la  Montagne  -. 

Le  18  septembre  1793,  six  jours  juste  avant  le  débarquement  de 
Guadet  et  de  ses  compagnons  à  Ambès,  des  commissaires  nommés 
par  les  28  sections  se  rendirent  à  l'Hôlcl  de  Ville,  déclarèrent  à  la 
municipalité  en  séance  qu'elle  n'avait  plus  la  fonfiance  du  peujde, 
et  sur  le  champ,  formèrent  un  Conseil  général  provisoire  de  la  ('oni- 
niune  ^ 

Et  c'est  ainsi  que  Bordeaux  élait  passé  aux  mains  dos  terroristes... 

Guadet  et  Petion  apprirent  toutes  ces  choses,  et  ce  fut  pour  eux 
une  déception  bien  cruelle.  Ils  virent  ainsi,  en  un  instant,  s'évanouir 
toutes  leurs  espérances.  Non  seulement  Bordeaux  ne  pouvait  plus 
les  aider  à  résister  à  la  Convention,  mais  elle  était  dans  l'impossibilité 
même  de  leur  offrir  un  asile  assuré.  La  terreur  était  telle,  à  ce  moment- 
là,  qu'à  neuf  heures  du  soir,  les  deux  proscrits  ne  purent  pas  trouver 
un  gîte,  et  c'est  à  grand  peine  qu'un  de  leurs  amis  consentit  à  mar- 
cher devant  eux  pour  les  guider  dans  les  ténèbres,  jusqu'à  ce  qu'ils 
fussent  hors  de  la  ville  *. 

25  septembre  1793.  —  L'ancien  maire  de  Paris  et  son  compagnon 
durent  donc  passer  la  iiuil  il.nis  (pichpn^  cdin  «lu  Ilaut-Médoc,  et 
c'est  seulement  le  lendemain,  vers  les  deux  heures  de  l'après-midi, 
qu'ils  reparurent  à  Barbe-de-Squirc  »,  «  trop  heureux  d'avoir  pu 
entrer(dans  Bordeaux)  sans  être  vus,  et  d'eu  être  sortis  sans  avoir 
été  arrêtés  »  ^ 

Ils  racontèrent  à  leurs  amis  ce  qu'ils  avaient  appris,  c'est-à-dire 
que  «  tout  ce  qu'on  leur  avait  dit  était  vrai  ». 

Louvet  nous  a  conservé  dans  ses  Mémoires  "'  des  échos  de  ce  récit, 
où  les  derniers  incidents  de  la  lutte  entre  les  .Maratistes  et  les  fédé- 
ralistes bordelais,  tiennent  la  première  place:  «Là  comme  ailleurs, 
les  honnêtes  gens  périssaient  par  leur  faiblesse.  Il  n'y  avait  pas 
cinq  jours  que  la  bonne  et  brave  jeunesse  de  Bordeaux,  assemblée 


1.  Sur  les  rapports  des  Représentants  avec  leurs  émissaires,  voir  Arcli.  <le  la  Cirondp, 
L  473. 

•2.  Vivie,  La  Terreur  à  Bordeaux,  I,  292  et  suiv. 

3.  M,   I,  353. 

4.  Louvet,  Mémoires,  I,  201. 

5.  Interrogatoire  de  Blanc.  Arcli.  de  la  Ciironde,  L.  2^35. 
(>.  Louvet,  Mémoires,  I,  200. 

7.  Id. 


38G  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

en  armes,  avait  été  demander  au  Département  la  permission  de 
désarmer  la  section  Franklin,  où  les  brigands  tenaient  leur  place 
d'armes  i.  Au  lieu  de  profiter  de  ce  mouvement,  les  administrateurs 
avaient  répondu  qu'il  fallait  attendre,  patienter,  n'employer  que  la 
douceur,  etc.;  et  le  lendemain,  la  section  Franklin  avait  culbuté 
Bordeaux  2.  Au  reste,  les  administrateurs  y  avaient  fait  fautes  sur 
fautes.  Ils  avaient  pu  souiïrir  tranquillement,  au  jour  de  leur  toute 
puissance^,  que  les  commissaires  montagnards,  postés  à  dix  lieues 
de  là  *,  s'emparassent,  par  quatre  ou  cinq  hommes,  porteurs  d'un 
arrêté,  du  Château-Trompette  et  de  tout  ce  qu'il  contenait  de  pro- 
visions de  guerre  et  de  bouche.  De  même,  ils  les  avaient  vus  tran- 
quillement prendre  possession  du  fort  de  Blaye,  d'où  les  Monta- 
gnards avaient,  sans  éprouver  la  moindre  résistance,  éconduit  deux 
bataillons  bordelais  auxquels  ils  avaient  substitué  deux  bataillons 
révolidionnaires,  ce  qui  est  tout  dire  ^.  Avec  tant  de  mollesse,  il 
fallait  nécessairement  succomber.  » 

Les  paroles  que  les  Girondins  échangèrent  à  ce  moment-là  durent 
être  poignantes.  Ce  n'étaient  pas  seulement  leurs  espérances  qui 
sombraient,  c'étaient  leurs  existences  qui  étaient  de  nouveau 
menacées.  Il  fallait  encore  songer  à  leur  sûreté  personnelle  ^,  recom- 
mencer peut-être  leur  vie  errante  de  bêtes  traquées. 

A  ce  dernier  point  de  vue,  Guadet,  cependant,  ne  perdait  pas  tout 
espoir.  Il  y  avait,  à  quelques  lieues  d'Ambès,  une  petite  ville,  où 
habitait  son  père  ainsi  que  «  quelques  parents,  plusieurs  amis,  de 
ces  amis  d'enfance,  dont  on  se  croit  sûr,  tant  que  nos  adversités  ne 
les  ont  point  éprouvés  » '.  C'était  Saint-Émilion,  son  pays  natal. 

1.  Cette  section  comprenait  la  partie  du  faubourg  Saint-Seurin  comprise  entre  les 
rues  actuelles  Foniiaudège,  Croix-de-Seguey,  Mondenard,  Duranteau,  Saint-Fort  et 
Huguerie.  Elle  était  habitée  par  une  population  très  turbulente  composée  d'ouvriers 
et  de  maraîchers.  Le  11  septembre  1793,  les  membres  de  cette  section,  sous  prétexte 
de  tirer  des  salves  d'artillerie  pour  célébrer  la  fête  de  Marat,  envaiiirent  le  Château- 
Trompette  et  s'emparèrent  de  quelques  pièces  de  canon,  qu'ils  traînèrent  au  Grand 
Séminaire  (aujourd'hui  l'Hôtel  des  Postes,  rue  du  Palais-Gallien),  où  ils  se  réunissaient. 
Ils  s'y  retranchèrent  et  dictèrent,  de  là,  des  ordres  aux  autorités  constituées.  O.  Reilly, 
Histoire  de  Bordeaux,  2^  partie,  t.  1,  334. 

2.  Ce  ne  sont  point  les  administrateurs  du  département  qui  empêchèrent  les  jeunes 
gens  d'attaquer  la  section  Franklin,  mais  la  municipalité  de  Bordeaux.  O.  Reilly,  His- 
toire de  Bordeaux,  2'=  partie,  t.  1,  356. 

3.  Louvet  ne  se  rend  pas  compte  que,  depuis  la  dissolution  de  la  Commission  popu- 
laire, les  administrateurs  étaient  sous  le  coup  du  décret  du  6  août  et  n'avaient  plus 
aucun  pouvoir  effectif. 

4.  Les  Représentants  Ysabeau  et  Baudot,  en  séance  à  La  Réole,  auxquels  était  venu 
se  joindre  Tallien. 

5.  Sur  les  moyens  employés  par  les  Représentants  pour  s'assurer  du  Château-Trom- 
pette et  de  la  citadelle  de  Blaye,  voir  lettres  de  Duvernay,  délégué  des  Représentants, 
et  de  ^'oidet,  commissaire  des  guerres.  Arch.  de  la  Gironde,  L  473, 

6.  Louvet,  Mémoires,  I,  201. 

7.  Id., 


NOUVELLES    RECHERCHES    SIR    LES    r.IROJtOIMS    PROSCRITS  387 

Guadet  afTinnait  quo  Ti-fat  (rcsiuil  ih-s  habitants  était  oxcollt'iil. 
N'avaient-ils  point  été  ilrs  pit'niicrs  à  répondre  ;'i  l'appel  dt*  la  (!oni- 
mission  popnlaire,  accompagnant  Irm-  adhésion  d.-  coFisidérations 
énergiques? 

On  y  lisait  ceci  notamment  «  ...que,  jtour  subjuguer  à  leurs  [irojets 
liberticides  les  représentants  du  peuple  »,  une  farlinn  dangereuse 
avait  pris  «tous  les  moyens  d'écarter  du  sein  de  l'Assemblée  conven- 
tionnellr  un  grand  nombre  de  ses  membres  les  plus  courageux  et 
les  plus  zélés  défenseurs  de  la  constitution  républicaine,  et  les 
mettre  en  arrestation  par  un  décret  qu'elle  a  extorqué  à  force  do 
tumulte  et  de  clameurs  au  milieu  de  l'Assemblé-e...  Oue  les  ilesseins 
de  cette  faction  perfide  ne  tendent  à  rien  moins  (pi'à  rétablir  le  gou- 
vernement tiranique  de  la  Royauté,  sous  la  dénomination  d'un 
dictateur  1,  tandis  que  toute  la  Nation  ne  veut  plus  jamais  recon- 
naître aucune  autre  autorité  que  celle  de  la  puissance  suprême  qui 
réside  en  elle  seule  »  2.  Et  encore  plus -récemment,  lorsqu'il  s'était 
agi  d'accepter  la  Constitution,  l'Assemblée  primaire  du  canton  de 
Saint-Émilion  avait  cru  devoir  réclamer  des  mesures  «  pour  que  la 
volonté  du  peuple  ne  soit  ni  méconnue  ni  éludée  »  ^. 

Il  fut  alors  convenu  que  Guadet  irait  seul  tout  d'abord  à  Saint- 
Émilion:  qu'il  y  chercherait  un  gîte  pour  cliamn.  d  ipic,  li>r>qur 
tout  serait  prêt,  il  enverrait  prendre  ses  amis  qui  sy  rendraient,  à 
leur  tour,  le  plus  secrètement  possible*... 

Le  même  jour,  un  peu  avant  dix  heures  du  soir,  tous  les  proscrits 
étant  couchés,  sauf  un  —  probablement  Guadet,  —  le  capitaine 
Granger  se  présenta  à  la  maison  d'Ambès  *.  Il  arrivait  de  Bordeaux, 
et  n'ayant  pas  trouvé  ses  passagers  nu  rendez-vous  qu'ils  hii  avaient 
fixé  la  veille  chez  Dupeyrat,  rue  Rohan,  il  venait  voir  ce  qui  était 
advenu.  Il  dut  raconter  au  Girondin  l'accueil  que  lui  avait  fait  Du- 
peyrat. Celui-ci  avait  pnni  très  surpris  de  la  venue  de  son  gendre 
et  il  lui  faisait  flire  de  ri'>l('r  l<^  moins  possibh*  à  IJarbi>-de-S(piire  «. 

1.  «Séance  du  9  juin  1793 Le  C.  Drouot,  arrivé  de  Paris  aujourd'hui,  fait  un 

laiiport  des  faits  dont  il  a  été  témoin  les  2,  3  et  4  au  matin...  U  dit  avoir  entendu  Marat 
proposer  à  la  triliune  un  dictateur  dans  la  personne  de  Danton,  et  un  {sic)  Hentalmle 
le  repousser  a\ec  indiL'ii.'ition.  »  Commission  populaire.  Ari'li.  <le  la  <;inuide.  L  '2lti',», 
f»  7. —  Imprimée  et  répamlue  dans  les  ••jimpaçnes,  cette  nouvelle  avait  produit  une  cer- 
taine émotion. 

2.  Prorés-verbal  de  l'assemblée  extraordinaire  du  Conseil  général  de  In  commune  de 
Saint-Kmilion,  auquel  s'étaient  joints  des  commissaires  des  communes  du  mnlon. 
18  juin  1793.  .Vrcli.  de  la  Cironde,  L  •2M)9  bis. 

3.  21  juillet  1793.  Arcli.  de  la  Gironde,  L  2ltJ9  bis.  —  .Sur  m;  votant<.  il  y  eut  lOG 
voix  pour  l'acceptation  de  la  Constitution  et  une  contre. 

4.  Louvet,  Mémoires,  I,  201. 

.'».    Interrogat.  de  Granuer,  par  P.  Pas<|uet.  .\rcli.  de  la  Gironde,  I,  ÎS.I."). 
0.   Interrogat.  de  Dupeyrat.  .Vrcli.  de  la  (iiroiide,  I,  2^3.'). 


388  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

Le  capitaine  porta- t-il  de  l'argent  à  Guadet  de  la  part  de  son 
beau-père?  C'est  très  probable,  bien  que  Dupeyrat,  dans  un  inter- 
rogatoire, ait  nié  lui  en  avoir  envoyé.  Mais  Louvet  nous  dit,  qu'en 
débarquant  à  Ambès,  la  bourse  des  fugitifs  était  presque  vide^, 
et  à  dix  heures  du  soir,  ce  jour-là,  au  moment  où  Oranger  se  retirait, 
et  en  sa  présence,  nous  voyons  un  des  Girondins  payer  à  l'aubergiste, 
la  citoyenne  Rivière,  «  la  somme  de  246  livres  pour  dépenses  qu'ils 
avaient  fait  chez  elle  »  2. 

26  Septembre  1793.  —  Le  lendemain  matin,  «  à  la  pointe  du 
jour  »,  Guadet  fit  appeler,  dans  sa  chambre,  Martial  Blanc  et  lui 
dit  de  lui  procurer  un  bateau,  pour  se  rendre  à  Libourne... 

Il  devait  être  à  peu  près,  six  heures  et  demie,  lorsque  Guadet 
quitta  Barbe-de-Squire,  accompagné  du  tonnelier.  Ils  se  rendirent 
tous  deux  au  bourg  de  Notre-Darne-d' Ambès  ^,  situé  à  une  lieue  de 
là,  sur  les  bords  de  la  Dordogne,  où  le  gabarier  Jacques  Grèze  les 
attendait  avec  la  barque  de  la  veuve  Rivanceau  *. 

Le  conventionnel  n'emportait  aucun  paquet  ;  il  n'avait  pour 
arme  qu'une  canne  épée  et  des  pistolets,  et  ne  portait  pas  de  sabre. 
En  «'embarquant,  il  dit  à  Blanc  qu'il  reviendrait  le  surlendemain 
samedi  ^. 

Le  voyage  se  fit  sans  incident.  Favorisée  par  la  marée,  l'embar- 
cation arriva  un  peu  avant  midi  à  Libourne  ^.  En  sautant  à  terre, 
Guadet  annonça  qu'il  se  rendait  à  Saint-Émilion,  et  le  batelier  lui 
vit  prendre  la  grande  rue  de  la  ville  '... 

Pendant  ce  temps,  Petion,  Buzot  et  les  autres  Girondins,  se  tenaient 
enfermés  dans  la  maison  de  la  veuve  Ségonzac.On  les  avait,  en  effet, 
prévenus  que  «le  bruit  sourd»  de  leur  présence  courait  déjà  dans  le 

1.  Louvet,  Mémoires,  I,  198. 

2.  InteiTogat.  de  Granger,  par  P.  Pasquet.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2833. 

3.  C'est  le  bourg  actuel  d'Ambès.  —  Blanc  indique  comme  lieu  d'embarquement  : 
«  La  Chapelle.  »  C'est  en  effet  ainsi  que,  sur  certaines  cartes  du  xviii'-'  siècle,  on  désigne 
le  village  de  N.-D.  d'Ambès  (sur  la  Dordogne),  pour  le  distinguer  de  l'ancienne  paroisse 
de  Saint-Jacques  d'Ambès  (sur  la  Garonne),  dont  dépendait  Barbe-de-Squire. 

4.  Interrogat.  de  Blanc  et  procès-verbal  de  transport  à  Ambès.  Arch.  de  la  Gironde, 
L  2835  (dossier  Granger,  n°  4).  Dans  son  interrogatoire,  le  batelier  déclare  s'appeler 
«  Jacques  Grèze,  âgé  de  vingt-deux  ans,  habitant  le  Bec  d'Embez  et  que  sa  profession 
est  celle  de  gabarrier.  »  Sur  le  procès-verbal  de  transport  à  Ambès,  on  le  nomme  «  Jean, 
dit  Cammis  ". 

5.  Interrogat.  de  Blanc.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835. 

6.  Dans  son  interrogatoire,  le  batelier  dit  que  Guadet  parvint  à  Libourne  «  vers  les 
midi  >■.  Il  est  probable  que  c'est  plus  tôt,  vers  les  onze  heures  du  matin,  car  à  midi,  il  est 
chez  son  père  à  Saint-Emilion.  Déposition  d'Isabeau  Bernatau,  domestique  de  Guadet 
père.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2869  (dossier  Nau,  p.  3). 

7.  Interrogat.  de  Grèze,  batelier.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835  (dossier  Granger,  n»  6). 
M.  Va  tel  a  fait,  de  cette  pièce,  une  publication  fautive  et  incomplète.  [Charlotte  de  Cordaij 
et  les  Cirondins,  p.  214.) 


.NOLVEM.ES    UECIIKUCIIES    .SI  II    LES    MluiMUNS    l'IUtSCHITS  SSq 

pays  ^  Aussi  recommandèrenl-ils  ;iii>c  doincbliques  de  dire  qu'ils 
s'étaient  rembarques  et  ils  Liissèn-nt  les  volets  clos*.  La  consigne 
lut  parfaitement  observée,  si  bien  que  lorsf|uc  le  capitaine  GraJi-'  i 
vint,  accompagné  de  deux  matelots,  j)orler  la  niallc  et  les  lr<>i> 
portemanteaux  qu'il  avait  gardés  à  son  bnrd,  il  ne  vil  poini  les  fugitifs 
et  laissa  les  objets  entre  les  mains  du  Itumelier,  en  présence  de 
Marguerite  et  d'un  petit  garçon,  qui  était  aussi  employé  dans  la 
maison  ^. 


:;«u«,* 


ii  iàiuit'c's 


:-^r. 


,■'  i- 


lia 


.^     il  » 


■^/. 


j  >.-" 


'<> 


^^ 


'■'r. 


f^^r 


•^ 


Et  de  même,  lorsque  «  l'aubergiste  voisin  »  s'empiit  curieuse- 
ment de  ce  qu'ils  étaient  devenus,  les  dumestiqut's  lui  réi>ondirent 
aussi,  que  «  les  particuliers  »  s'étaient  rembarques  au  milieu  de  la 
nuit  ])our  descendre  la  rivière"'. 


1.  D;ins  soi>  iiiterrogaloirc,  Grèze  dil,  i-n  effet,  qu'il  éloil  à  UokUmux  lorsiiiio  les 
Giioiulins  arrivèrent,  «mais  qu'à  sou  retour,  il  ^ul  qu'il  y  Jvail  rccllciucnt  quelques 
partifuliers  dans  la  dite  Ma'son». 

■2.  Louvet,  Mémoires,  I,  20i. 

3.   Iritcrroirat.  de  Granfjer  et  déposition  de  l'équipacc.  Arcli.  do  In  Gironde,  L  2835. 

•1.  \.ou\ei,  Mémoires,  I,  201,  et  lettre  de  Duvcrnny  citée  plu»  linut 


SgO  NOUVELLES    RECHERCHES   SUR   LES   GIRONDOS   PROSCRITS 

Cette  précaution  devait  sauver  la  vie  aux  Girondins. 

Il  y  avait,  en  effet,  à  l'auberge,  «un  mauvais  sujet,...  un maratiste  ». 
C'était  probablement  le  mari  i  de  cette  citoyenne  Rousseau  que  tous 
les  documents  d'archives  nous  désignent  comme  tenant  le  cabaret 
de  Saint-Jacques-d'Ambès. 

Les  conventionnels  ne  s'étaient  pas  assez  méfiés  de  lui. 

Dans  la  matinée  même  du  départ  de  Guadet,  cet  homme  se  rendit 
à  Bordeaux  et  se  présenta  chez  le  délégué  officiel  des  Représentants 
du  peuple.  Ce  délégué  était  Jacques  Duvernay,  ancien  artiste  peintre 
«  fort  clabaudeur  »  2,  devenu  par  l'intrigue,  «  Inspecteur  de  la  défense 
générale  des  côtes  »,  en  attendant  d'être  nommé,  par  Ysabeau, 
adjudant  général  3.  Un  document  officiel  le  signalera,  en  l'an  III, 
comme  «  un  de  ceux  qui  ont  causé  le  plus  de  malheur  à  Bordeaux  »  ^  ; 
et  il  est  certain  que  c'est  lui  qui  fut  le  premier  organisateur  de  la 
terreur  dans  cette  ville  ^.  Aux  questions  qui  lui  furent  posées, 
le  dénonciateur  expliqua  que  les  «  contre-révolutionnaires  »  étaient 
arrivés  par  mer  et  que  le  bateau  qui  les  portait  était  encore  à  Pauillac, 
qu'on  disait  qu'ils  s'y  étaient  rembarques.  Sur  l'identité  de  «  ces 
particuliers  »,  il  fournit  des  renseignements  assez  vagues.  Sauf 
Guadet,  qu'il  avait  entendu  se  nommer  dans  l'auberge,  il  ne  connais- 
sait pas  les  six  autres;  entre  eux,  ils  s'appelaient  simplement  «  ami  »  ^ 
Invité  à  les  décrire,  dans  l'homme  à  cheveux  blancs,  joli  de  figure 
et  air  riant,  Duvernay  reconnut  de  suite  Petion;  l'autre  à  la  tournure 
élégante,  à  la  figure  noble,  dont  les  vêtements  paraissaient  moins 
fripés,  c'était  sûrement  Buzot;  un  troisième  avait  «  la  taille  haute 
et  les  cheveux  blonds  »,  et  le  délégué,  aussitôt,  identifia,  sur 
cette  simple  indication,  Y  ami  de  Valady  avec  le  général  fédéra- 
liste Wimpfen  ',  qui  avait  organisé  le  soulèvement  de  la  Normandie, 


1.  Louvet  dit  >  le  maître  de  l'auberge  ».  —  Le  20  octobre  1793,  lorsque  David,  com- 
missaire du  Comité  de  surveillance  de  Bordeaux,  vint  à  Ambès  pour  prendre  divers 
objets  laissés  par  les  Girondins,  c'est  le  c.  Rivière  qui  lui  servit  de  secrétaire.  Arch.  de 
la  Gironde,  L  2257. 

2.  Bernadau,  Tablettes  manuscrites  —  VI,  503  Bibl.  mun.'de  Bordeaux.  11  avait  tra- 
vaillé à  la  décoration  du  Grand-Théâtre.  Laboubée,  Notes  biographiques,  \'II,  314. 

3.  Arrêté  d'Ysabeau,  premier  jour  des  sans-culotlides  de  Tan  II,  nommant  Duvernay 
au  commandement  de  la  place  de  Bordeaux,  en  remplacement  du  général  Béguinot. 
G.  Ducaunnès-Duval,  Inventaire  sommaire  des  Archives  municipales  de  Bordeaux, 
Période  révolutionnaire.  II.  96. 

4.  Tableau  des  hommes  connus  dans  les  Sections  de  Bordeaux  comme  aijanl  participé 
aux  horreurs  commises  sous  la  tyrannie  qui  a  précédé  le  neuf  thermidor;  {dressé)  en  exé- 
cution du  décret  du  21  germinal  an  III.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2193,  et  Arch.  mun.  de 
Bordeaux,  reg.  114,  1°  44,  publié  par  M.  D.-Duval  dans  son  Inventaire,  II,  p.  125  et  suiv. 

5.  Voir  sa  correspondance  avec  les  Représentants  en  séance  à  La  Réole,  août-sep- 
tembre 1793.  Arch.  de  la  Gironde,  L  473. 

C.   Interrogat.  de  Blanc.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2S35. 

7.  Louvet,  Mémoires,  I,  202.  Wimpfen  (Louis-Félix  baron  de),  né  à  Minfeld  (Alsace) 


NOUVELLES    RECHERCHES    SI  II    LES    (.lnr«M)I\S    l'IKtx.UIIS  3i)  I 

cL  dont  on  voyait,  encore  le  nom  s'étaler  sur  les  murs  de  Bordeaux, 
au  bas  d'une  proclamation  insolente  ^ 

Muni  de  ces  indications,  Duvernay,  sans  perdre  d<'  temps,  se 
rendit  auprès  de  la  munici])alité  provisoire  de  Bordeaux  vl  lui 
demanda  de  désigner  un  de  ses  membres,  pour  remplir  une  mission 
de  confiance  et  arrêter  des  contre-révolutionnaires  qui  se  cachaient 
à  Ambès.  Le  corps  municipal  nomme  aussitôt  «  le  bans-culottc 
Morel  »  2,  C'était  un  pauvre  ouvrier  doreur  sur  bois  ^  cpii  devait, 
par  là  suite,  très  rapidement,  amasser  une  petite  fortun»;  comme 
vice-président  de  la  Commission  militaire*.  Le  délégué  des  Repré- 
sentants lui  adjoignit  un  ancien  ouvrier  typographe,  Pierre  Charles, 
dont  il  avait  apprécié  le  zèle  dans  la  pacificaliun  de  Bordeaux,  et 
en  qui  il  avait  toute  confiance  5.  Il  leur  remit  une  ré(iuisition  afin 
de  pouvoir  obtenir  des  municipalités  la  force  armée  qui  Itur  »cr;iit 
nécessaire,  et  3.000  livres  pour  payer  leurs  dépenses.  Et  les  commis- 
saires partirent  aussitôt  pour  Ambès  conduits  par  le  maître  de 
l'auberge. 

Duvernay  prévint  en  même  temps  les  Représentants,  qui  étaient 
toujours  à  La  Réolc,  par  la -note  suivante^:  «...Ce  matin  j'ai  eu 
l'indice  que  sept  des  principaux  contre-révolutionnaires,  à  la  tête 
desquels  étaient  Guadet,  Winfem,  Douziés  '  et  autres,  avaient  cou- 


le 5  novembre  1744;  maréchal  de  camp  des  armées  du  roi,  défiuté  de  la  noblesse  du 
baillage  de  Caen,  gouverneur  de  Thion\ille  (179'2),  çénéral  de  l'armée  fédéraliste  de 
Normandie.  Ne  mit  jamais  les  f)ieds  en  Gironde.  V.  inlerrot^at.  de  Guadet  Sainl-Urice, 
frère  du  Girondin,  .\reli.  de  la  Gironde,  L  "ibSOy,  p.  2.  Du  '22  juillet  1703  au  '.t  thermidor, 
resta  caché  à  Hayeux  (N'atel,  Charlulle  de  ConUvj  cl  les  Oirundins,  171,  n.).  Inspecteur 
des  haras  sous  l'Emi^ire,  mort  à  Hayeux  le  23  fé\ricr  lyl4. 

1.  «  Félix  Wimplien  aux  lions  Citoyens  de  l'aris.  Salul...  »  bordeaux,  riiez  ,\.  Le\  icux, 
imprimeur  de  la  Commission,  rue  Monbazon,  n"  2.  Arch.  de  la  (lironde,  L.  1102. 

2.  Lettre  de  Duvernay.  .Vrch.  de  la  (iironde,  L  473  et  Di-libération  du  ilistrict  de 
Bourg,  28  septembre  1703.  Arrh.  de  la  Gironde,  L  1538.  —  Les  procés-verbaux  de  la 
municipalité  de  llordeaux  pour  cette  période,  n'existent  plus.  —  Voir  à  ce  sujet  la  note 
de  <iravc,  archiviste,  à  la  lin  du  reg.  97  (Arch.  mun.  de  Uordeaux)  et  Introduction  de  M. 
G.  Ducaunnés-Duval  au  t.  II  de  l  Inventaire  sommaire  des  Arcltii'cs  municipales  de  Bor- 
deaux. Pijriode  révolnlionnairc. 

3.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  Michel  .Morel,  juge  de  paix  à  Saint-Kmilion,  dont 
Guadet  parle  dans  son  interrogatoire. 

4.  En  thermidor  an  II,  il  fut  accusé,  par  le  c.  Iley,  d'avoir  \oulu  acheter  une  mnison 
à  Saint-Seurin,  3U.U00  livres.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2211. 

5.  Voici  le  signalement  de  ce  terroriste  :  •  Taille  .")  pieds  2  polices  environ,  voùlé, 
figure  basse,  cheveux  noirs,  yeux  en  dessous.  Originaire  d'.Vvignon.  Imprimeur  à  In 
ci-devant  Loterie  .Nationale.  »  Arch.  de  la  Gironde,  L  2201!).  Membre  du  l'.oniilé  de  sur- 
veillance et  de  la  muniripalité  de  Uordeaux,  il  fut  le  complice  des  cMirtions  fl  pill,ige:i 
du  maire  Hcrtrand.  \.  OHciily,  Ilisloiredc  liordeau.r,  2"  partie,  II,  l'JO,  et  Dénonciation 
de  lioïKiuet,  Arch.  de  la  (lirondi-,  L  2211. 

0.   Arch.  de  la  Gironde,  L  473. 

7.  Dou/.iech  (.Jean),  né  à  Toulouse  en  1717.  Cumniandant  général  de?  forces  de  la 
Haute-Garonne;  après  les  journées  de  juin,  organi>a  un  corps  de  troupes  destiné  à  mar- 
cher sur  la  Convention.  Comme  Wimpfen,  il  ne  vint  jamais  en  Gironde.  ,\rrél6  à  Tou- 
louse, il  fut  traduit  devant  le  Tribunal  ré\olutionnaire  de  Paris  et  guillotiné,  le  11  mes- 
sidor an  IL 


Sga  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

ché,  la  nuit  dernière  au  Bec  d'Ambès,  qu'ils  en  sont  partis  à  une 
heure  après  minuit  pour  dessendre  la  rivière;  mais  l'on  n'a  pas  su 
me  dire  le  lieu  de  leur  destination.  —  Dans  cette  incertitude,  j'ai  fait 
partir  Charles,  accompagné  du  sans-culotte  Morel,  avec  une  autho- 
risation  suffisante  pour  requérir  la  force  sur  leur  passage;  il  fallait 
des  fonds,  cela  aurait  pris  du  tems,  je  me  suis  décidé  à  leur  remettre 
trois  mille  livres  pour  que  cette  expédition  ne  souffre  aucun  retard. 
La  municipalité  me  les  remboursera.  J'espère  que  notre  entreprise 
ne  sera  pas  sans  succès,  mais  je  voie  qu'il  faut  que  nous  soyons  sur 
l'œil  plus  que  jamais,  car,  si  les  intrigans  n'osent  pas  tramer  ouver- 
tement, ils  ont  au  moins  l'art  d'arrêter  les  progrès  de  l'esprit  public 
et  de  paraliser  les  intentions  des  bons  patriotes  qui  de  leur  coté 
n'ont  pas  toute  l'énergie  que  les  circonstances  exigent...  » 

Charles,  Morel  et  leur  compagnon  parvinrent  sur  le  soir  à  Ambès. 
Les  Girondins  furent  aussitôt  prévenus  de  leur  arrivée  :  «  Nous 
étions  avertis,  écrit  Louvet  dans  ses  mémoires,  que  le  maître  de 
l'auberge,  maratiste  soldé,  venait  de  faire  un  voyage  à  Bordeaux; 
qu'il  en  revenait  à  l'heure  même,  avec  quelque  visages  nouveaux 
et  qu'aussitôt  on  avait  remarqué  chez  lui  du  mouvement,  des  chu- 
chottemens,  des  conciliabules.  ^  » 

Cette  nouvelle  inquiéta  fort  les  proscrits.  D'autre  part  Louvet 
nous  dit,  bien  que  cela  semble  invraisemblable,  qu'ils  s'attendaient 
à  voir  revenir  Guadet  ce  soir-là,  et  qu'en  ne  le  voyant  pas  arriver, 
leur  inquiétude  redoubla  ^. 

Ils  prirent  en  conséquence  quelques  précautions,  bien  décidés 
qu'ils  étaient,  à  se  défendre.  Ils  commencèrent  d'abord  par  se  barri- 
cader et  se  répartirent  ensuite,  entre  eux  six,  les  quelques  armes 
qu'ils  avaient  :  quatorze  pistolets,  cinq  sabres  et  un  seul  fusil. 
Petion,  Buzot,  Valady  et  son  ami  se  couchèrent  tout  habillés. 
Barbaroux  et  Louvet  firent  sentinelle  toute  la  nuit;  mais  il  n'y 
eut  aucune  alerte  ^. 

Il  est  probable  que  Morel  et  Charles,  se  fiant  au  bruit  qui  courait 
que  les  proscrits  s'étaient  rembarques  et  descendaient  la  rivière, 
craignirent  de  perdre  un  temps  précieux  en  démarches  et  en  pour- 
parlers pour  obtenir  les  forces  nécessaires  et  fouiller  la  demeure 
de  la  veuve  Ségonzac.  Ils  préférèrent  se  lancer  à  la  poursuite  du 

1.  Louvet,  Mémoires,  I,  202. 

2.  Id.  Toute  cette  partie  des  Mémoires  se  ressent  de  l'état  d'esprit  de  l'auteur  à  ce 
moment-là.  Louvet  s'embrouille  dans  les  faits,  et  nous  le  verrons  tout  à  Theure  prendre 
la  Dordogne  pour  la  Garonne. 

3.  Louvet,  Mémoires,  I,  203. 


^OUVELLES    RECIIEIlCnES    Slll    LES    GIRONDINS   PROSCRITS  SqS 

brick  i Indiislrie  qui,  pensaient-ils,  avait  dû  recueillir  les  fugitifs, 
et  ils  se  firent  dans  la  nuit  conduire  à  Pauillac  ^ 

27  septembre. — Le  lendemain"  malin,  27  septembre,  les  deux 
commissaires  purent  apercevoir,  sur  la  rivière,  le  brick  L' Iruluslrie, 
qui  n'avait  pas  r'nangé  de  mouillage.  Mais  le  ca[»itaine  Grangr-r 
faisait  ses  préparatifs  de  départ.  Son  intention  était  de  se  rendre 
au  Verdon,  où  il  savait  trouver  deux  chaloupes  canonnières  pour 
le  convoyer  jusqu'à  l'Ile  de  Ré.  Le  navire  repartait  avec  sa  cargai- 
son de  futailles  vides;  le  capitaine  les  avait  proposées  au  citoyen 
Delbos,  courtier  à  Bordeaux,  mais  celui-ci  n'avait  voulu  donner 
que  douze  livres  par  barrique  et  on  n'avait  pas   pu  s'entendre  2. 

Morel  et  Charles  se  rendirent  aussitôt  auprès  de  la  municipalité 
de  Pauillac,  et,  le  Conseil  ayant  été  assemblé  en  hâte,  ils  lui  expo- 
sèrent l'objet  de  leur  mission,  exhibèrent  la  réquisition  de  Duvernay, 
et  demandèrent  de  désigner  parmi  les  membres  un  commissaire 
qui  se  joindrait  à  eux  et  les  aiderait  dans  leurs  recherches.  Le 
Conseil,  sur  le  champ,  nomma  le  citoyen  Pasquet  et  ordonna,  par  la 
même  délibération,  au  citoyen  Pontlevoy,  inspecteur  des  Douanes, 
de  fournir  les  barques  nécessaires  pour  transporter  les  commissaires 
où  il  leur  plairait  d'aller  3. 

Pendant  que  Charles  se  faisait  porter,  par  la  grande  chaloupe 
de  la  Douane,  jusqu'au  Verdon,  afin  de  conférer  avec  le  commandant 
du  stationnaire,  Morel  ordonnait  à  Pasquet  de  visiter  le  navire 
r Induslrie  et  de  s'assurer  de  ceux  qui  s'y  trouvaient. 

Il  était  à  peu  près  neuf  heures  du  matin,  lorsqu'un  grand  canot, 
monté  par  un  patron  et  six  matelots,  déposa  à  bord  Pasquet  et  son 
secrétaire,  le  (■"  Lafitte;  six  préposés  delà  Douane  les  accompagnaient. 

Selon  les  ordres  qu'il  avait  reçus,  le  commissaire  de  la  munici- 
palité de  Pauillac  interpella  le  capitaine  »•(  lui  demanda  son  nom, 
celui  de  son  armateur  et  des  membres  de  son  équipage.  Il  se  lit 
remettre  les  papiers  du  navire,  mit  les  scellés  sur  le  secrétaire  du 
capitaine  et  somma  toutes  les  personnes  présentes  à  bord  d'avoir 
à  le  suivre  à  la  Maison  commune.  Ce  qui  fut  fait  sans  observations  *. 


1.  L'est  luul  au  moins  ce  que  nous  roncluoiis  di-à  tiurluucs  doiunu-nl-s  i|uo  nous 
avons.  Les  délibéralions  de  la  municipalilti  d'Ambf^s,  (|ui  nous  auraient  i-té  trùs  utile», 
sont  mallieureusenient  i)erdues.  (Lettre  de  M.  le  .Maire  d'.\nihèi,  23  juin  19r2.) 

2.  Interrogat.  de  CJranger  par  P.  Pasquet.  .\rrh.  de  la  (lironde,  L  •2S3.'). 

3.  Délibérulion  de  la  inunioi|ialilé  de  Pauillac,  Vi7  septembre  17'.'3.  .\r<;li.  de  Paudlar. 
Que  M.  Brulails,  par  l'intermédiaire  duquel  nous  en  a\ons  eu  communication,  veuille 
bien  accepter  nos  remerciements. 

4.  Procès-verbal  dressé  par  P.  Pasquet.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835  (dossier  Grangcr}. 

a8 


394  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR  LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

En  présence  de  la  municipalité  de  Pauillac  et  du  délégué  des  Re- 
présentants, Oranger  et  ses  compagnons  donnèrent  vraisemblable- 
ment les  mêmes  renseignements,  que  ceux  que  nous  trouvons  repro- 
duits dans  les  interrogatoires  offiRels  qu'ils  subirent  le  lendemain. 

Oranger  fut  mis  en  prison  sous  la  garde  de  quatre  préposés  ^, 
et  Morel,  n'ayant  pas  trouvé  les  Oirondins  à  Pauillac,  retourna  à 
Ambès.  Il  parvint  au  Bec  probablement  dans  la  soirée  et  n'y  apprit 
rien  de  nouveau.  Barbe-de-Squire,  avec  ses  volets  clos,  avait  bien 
l'air  abandonnée. 

Comme  la  veille,  les  Oirondins  n'avaient  eu  garde  de  se  montrer. 
Il  est  probable  qu'ils  employèrent  la  journée,  les  uns  à  dormir  sur 
les  lits,  les  autres  à  faire  le  guet... 

Pendant  que  tout  cela  se  passait,  Ouadet  se  démenait  pour  trouver 
chez  ses  parents  et  ses  amis  des  asiles  pour  ses  compagnons  d'infor- 
tune. Mais  la  chose  était  plus  difficile  qu'il  ne  le  supposait  tout 
d'abord.  A  Saint-Émilion,  comme  ailleurs,  les  esprits  avaient  été 
travaillés  par  les  agents  des  Représentants;  la  municipalité  avait 
capitulé,  et  la  terreur  était  partout  2.  Ayant  néanmoins  trouvé 
quelque  chose,  il  fit  prévenir  aussitôt  les  proscrits... 

En  effet,  ce  jour-là,  vers  midi,  le  batelier  qui  avait  amené  Ouadet, 
était  sur  le  port  de  Libourne,  lorsque  un  homme  «  joli  de  figure, 
bien  fait  de  corps,  assez  mince,  la  jambe  assez  bien  faite,  habillé 
d'une  lévite  bleue,  ayant  une  épée  au  côté  »,  lui  demanda  s'il  vou- 
lait le  porter  au  Bec  d' Ambès.  Orèze  accepta,  mais  fit  observer 
à  l'inconnu  qu'il  ne  pouvait  partir  que  dans  une  demi-heure,  à  cause 
de  la  marée.  Celui-ci  s'assit  sur  l'herbe,  à  côté  du  bateau,  en  atten- 
dant 3. 

Durant  le  trajet,  le  particulier,  dont  nous  ignorons  l'identité*, 
mais  qui  était  le  messager  de  Ouadet,  dit  au  batelier  qu'il  faudrait 
l'attendre  parce  que,  soit  le  soir  même,  soit  le  lendemain,  il  s'en 
retournerait  à  Libourne. 

Il  était  sept  heures  du  soir,  lorsque  l'homme  à  la  lévite  bleue 
débarqua  au  Bec  d' Ambès  ^  Il  se  rendit  aussitôt  auprès  des  Oiron- 
dins et  leur  transmit  le  message  de  Ouadet.  «  Celui-ci,  écrit  Louvet 


1.  Délibération  du  29  septembre  1793.  Arch.  de  Pauillac. 

2.  tluinaudie,  Histoire  de  Libourne,  t.  II,  p.  48. 

3.  Intenogat.  de  Grèze,  batelier.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835. 

4.  Louvet  dit  simplement  «  un  envoyé  de  Guadet  ».  Mémoires,  I,  203.  Nous  avons 
tout  lieu  de  croire  que  c'était  Guadet  Saint-Brice,  le  frère  du  Girondin,  qui,  adjudant 
général  et  mis  en  disponibilité  après  les  événements  de  juin,  habitait  Saint-Emilion 
depuis  quelques  jours. 

5.  Interrogat,  de  Gréze.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835. 


l 


NOUVELLES    UECHERCIIES   SL  H   LES    (WnOMDINS    THOSCRITS  Sgj 

dans  ses  mémoires  ^,  n'avait  trouvé  dans  sa  famille  et  parmi  ses 
amis,  qu'une  seule  personne,  qui  ne  pouvait  donner  asile  iju'à  deux 
d'entre  nous.  11  espérait,  le  jour  suivant,  en  placer  deux  autres  qu'il 
enverrait  chercher  à  leur  tour,  et  ainsi  de  suite,  jusqu'au  dernier. 
Nous  n'avions  plus  qu'à  décider  quels  seraient  les  deux  élus  appelés 
à  suivre  actuellement  celui  qui  venait  les  sauver.  »  La  perplexité 
des  proscrits  fut  grande:  ils  n'avaient  rien  prévu  de  pareil;  aussi 
se  regardèrent-ils  un  moment  en  silence  '^.  Barbaroux  fut  le  premier 
qui  prit  la  parole,  et  Louvet  le  fait  parler  ainsi  ^  :  a  Nous  ne  doutons 
pas,  s'écria-t-il,  qu'ici  le  péril  ne  soit  éminent  (sic).  Lequel  d'entre 
nous  pourrait  songer  à  n'y  dérober  que  lui,  et  ne  serait  pas  arrêté  par 
cette  pensée  que,  demain  peut-être,  ceux  qu'il  va  laisser  ici  ne 
seront  plus?  Quant  à  moi,  je  n'abandonne  point  les  compagnons 
de  mes  travaux  et  de  ma  gloire  !  N'y  a-t-il  asile  que  pour  deux? 
Restons  tous;  mourons  enstmible  !  Mais  Guadet,  s'il  connaissait 
notre  position,  n'en  enverrait-il  chercher  que  deux?  Ne  sentirait-il 
point  que  le  plus  pressant  est  de  nous  retirer  d'ici?  Quelqu'un  offre 
asile  pour  deux  d'entre  nous,  eh  bien  !  pour  quatre  ou  cinq  jours, 
s'il  le  faut,  ne  tiendrons-nous  pas  six  dans  la  chambre  où  deux  sont 
attendus?  Partons  tous.  » 

Ils  discutaient  encore,  lorsqu'on  vint  les  prévenir  «  qu'il  y  avait 
grand  monde  et  grand  bruit  dans  l'auberge  voisine  ».  C'était  Morel 
qui  était  de  retour  de  Pauillac  *. 

Cette  nouvelle  trancha  le  débat.  Rapidement,  les  derniers  pré- 
paratifs furent  faits;  les  Girondins  prirent  avec  eux  leurs  armes  et 
les  trois  valises  qu'ils  avaient  embarquées  à  Brest^  Ils  laissèrent  la 
malle,  qui  ne  contenait  que  des  journaux  et  oublièrent  dans  une  des 
chambres  un  petit  pistolet  et  une  grammaire  anglaise-française*. 
Puis,  en  silence,  ils  suivirent  leur  guide,  le  tonnelier  Blanc  ne  les 
accompagna  pas  '. 

].  Louvet,  Mémoires,  I,  203. 
ti.   Id. 

3.  M. 

4.  M.,  I,  204.  Louvet  parle  d'-  une  trentaine  il'ofliciers  (qui)  venait  d'y  arriNcr.  Lliolc 
avait  dit  que  ces  messieurs  éloienl  les  chefs  d'un  bataillon  de  l'année  révolutionnaire 
qui  devait  passer  par  ici,  allant  à  lîordeaux  ».  Nous  n'a\ons  trouvé  trace  de  ce  fait. 
(;'est  seulement  avec  la  garde  nationale  de  Bourg  et  celle  d'Ambès  que  les  Commissaires 
visitèrent  Darbe-de-Squire. 

5.  Registre  de  police  et  d'ordre  de  la  Municipalité  de  Sainl-Emiiion;  procés-verbal 
du  3  novembre  1793.  Cité  par  J.  (Juadet,  les  Girondins,  leur  vie  privée,  leur  vie  publique, 
leur  proscription  el  leur  mort,   II,  379. 

G.  Procès-verbal  de  remise  de  ces  objets  au  délégué  du  Comité  de  surveillance  de 
bordeaux  par  la  citoyenne  Grellet,  épouse  Blanc,  le  20  octobre  1793.  Arch.  de  la  Gironde, 
L  2257.  Mous  avons  vu  aux  Archives  de  la  Gironde  (L  2193)  un  inventaire  du  contenu 
de  cette  malle;  malheureusement,  cette  pièce  a  été  égarée. 

7.  luterrogat.  de  Blanc.  Arch.  de  la  Gironde,  L  283.3. 


396  NOUAELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDI?iS    PROSCRITS 

L'envoyé  de  Guadet  leur  fît  faire  quelques  détours  à  travers  les 
vignes  pour  aller  chercher,  à  un  quart  de  lieue  de  là  ^,  le  bateau  qui 
les  attendait  aux  bords  de  la  Dordogne,  à  la  calle  de  Lopès  2,  Lors- 
qu'ils y  parvinrent,  il  ne  devait  pas  être  loin  de  huit  heures  et  demie. 
Grèze  les  attendait  avec  le  fds  de  la  veuve  Rivanceau,  qu'il  était 
allé  chercher  pour  l'aider  à  manœuvrer  la  barque,  à  cause  du 
nombre  des  passagers. 

A  peu  près  aux  trois  quarts  du  trajet  entre  le  Bec  et  Libourne, 
la  marée  ayant  changé,  Petion  et  ses  compagnons  furent  obligés 
d'aborder.  Ils  débarquèrent  en  face  du  village  de  Saint-Pardon 3, 
sur  la  rive  droite.  A  cet  endroit,  la  Dordogne  fait  un  coude  et  revient 
sur  elle-même.  Les  Girondins  gagnèrent  à  pied  la  route  de  Saint- 
André-de-Cubzac,  entre  Saint-Michel-la-Rivière  et  Fronsac,  et  après 
avoir  traversé  ce  dernier  bourg,  passèrent  une  deuxième  fois  la 
Dordogne  devant  Libourne  *.  C'était  en  pleine  nuit,  et  les  voyageurs 
eurent  beaucoup  de  difficulté  à  éveiller  le  passeur.  Il  fallut  le  héler 
pendant  trois  quarts  d'heure.  Le  bruit  qu'ils  firent  n'attira  néan- 
moins aucune  curiosité  malveillante,  et  ils  purent  pénétrer  dans 
la  ville  sans  être  inquiétés  ^ 

Pour  achever  le  récit  de  cette  journée,  du  27  septembre,  si  remplie 
de  péripéties,  il  nous  reste  à  voir  ce  qu'il  advint  une  fois  que  les 
Girondins  eurent  quitté  Ambès. 

Au  dire  de  Louvet,  lui  et  ses  compagnons  «  n'étaient  pas  encore 
sur  l'eau,  qu'à  la  faveur  des  ombres  de  la  nuit,  quatre  cents  braves, 
armés  de  pied  en  cap,  vinrent  braquer  deux  pièces  de  canon  sur 
une  maison  de  campagne  où  ils  espéraient  trouver  huit  à  dix  vic- 
times »  ^. 

11  y  a  presque  autant  d'erreurs  que  de  mots  dans  ce  passage  des 
Mémoires,  mais  on  ne  peut  Certes  en  faire  grief  à  l'auteur,  car,  très 

1.  Louvet,  Mémoires,  I,  204. 

2.  Interrogat.  de  Grùze.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835.  —  Louvet  écrit  (I,  204)  :  «  La 
LaiTiue  nous  attendait  sur  la  Garonne.  »  C'est  une  erreur  qui  a  été  répétée  par  Guillon 

(Les  Châteaux  de  la  Gironde,  III,  27).  Grèze  est  formel  :  « Environ  une  heure  ou 

une  heure  et  demi  après,  ce  même  particulier  vint  avec  six  autres,  qu'il  (Grèze)  assure 
être  les  six  particuliers  retirés  sur  le  bien  de  campagne  de  la  V^  Ségonzac,  s' embarquer 
dans  Sun  bateau,  à  la  calle  du  Citoyen  Lopès  du  Bec...  "  Et  il  suffit  de  regarder  une  carte 
moderne  pour  voir  Porl-Lopcs  sur  la  Dordogne,  en  face  de  l'île  de  Bourg.  Sur  la  carte 
de  Belleyme  (voir  p.  389),  c'est  le  lieu  dit  La  Maisonnette. 

3.  Saint-Pardon,  arrondissement  et  canton  de  Libourne,  sur  la  rive  gauche  de  la 
Dordogne. 

4.  Dans  son  trouble  et  au  milieu  des  ténèbres,  Louvet  ne  s'est  pas  rendu  compte 
de  la  route  suivie;  aussi  note-t-il  qu'il  passa  successivement  deux  rivières  :.la  Garonne 
et  la  Dordogne,  alors  que  c'est  cette  dernière  seulement  que  lui  et  ses  compagnons 
traversèrent  deux  fois. 

5.  Louvet,  Mémoires,  I,  205. 
b.    Id. 


NOUVELLES    RECFIEIlCHES    SIR    LES    (;mONDINS    PROSCRITS  897 

exact  on  général  à  rapporter  ce  qu'il  a  vu,  il  ne  parltr  ici  qiicpar  ouï- 
dire. 

En  arrivaiil  de  Pauillac,  Morel  aurait  certainement  voulu  faire  co 
que  raconte  L'xivet,  c'est-à-dire  investir  Barbc-de-Squire  à  la 
tombée  du  j<iui\  mais  il  ne  put  se  procurer  les  forces  nécessaires.  Le 
maire  d'Ambès^  éluda,  en  effet,  la  réquisition  qu'il  lui  lit,  en  jiré- 
textant  que  tout  le  monde  était  occupé  aux  vendanges,  cl  que 
ce  travail  pressait  davantage  »  '-. 

Morel,  devant  cette  mauvaise  volonté,  alla  chercher  main-forte 
ailleurs;  et,  quelques  heures  après  le  départ  des  Girondins,  il  tra- 
versa la  Dordogne  à  son  tour,  et  se  fit  porter  au  chef-lieu  du  district, 
à  Bourg  ^. 

28  septembre  1793.  —  A  deux  heures  du  matin,  le  "28  septembre, 
le  Directoire  du  District  de  Bourg,  convoqué  d'urgence,  se  réunit 
d  en  séance  extraordinaire  ».  Le  procureur  syndic  expliqua  qu'ayant 
été  mandé  à  la  maison  commune,  il  s'y  était  rendu  et  avait  trouvé 
un  membre  de  la  municipalité  provisoire  de  Bordeaux,  le  citoyen 
Morel,  qui  lui  avait  présenté  une  réquisition  du  citoyen  Duvernay, 
délégué  des  Représentants  du  peuple  en  séance  à  La  Réole,  invitant 
les  autorités  constituées  à  l'aider  et  à  lui  fournir  les  forces  nécessaires 
pour  remplir  sa  mission.  Et  que  lecitoyenMorell'avait  ensuite  invité, 
en  vertu  de  ce  pouvoir,  à  réunir  le  District  et  à  faire  désigner  un 
commissaire  qui  irait  avec  lui  et  un  détachement  de  la  garde  natif»- 
nale,  dans  la  paroisse  d'Ambès,  à  l'effet  «  d'arrêter  des  députés  fugi- 
tifs qui  étaient  dans  la  maison  du  citoyen  Dupeyrat  au  nombre 
desquels  étaient  les  citoyens  Guadet,  Pction,  Buzot,  le  général 
Wimpfen  et  autres.  » 

Aussitôt  le  Directoire,  faisant  droit  à  ce  réquisitoire,  désigna  le 
citoyen  Dupuy  fils  comme  commissaire,  et  décida  r|u'une  troupe 
de  60  gardes  nationaux  l'accompagnerait,  et  qu'il  aurait  tout  pou- 
voir pour  requérir,  «tant  la  municij)alité  de  Notre-Dame  d'Ambès 
qu'autres  de  ce  district,  de  lui  fournir  tel  nombre  de  leurs  gardes 
nationales  qu'il  sera  nécessaire  pour  l'exécution  des  réquisitions  des 
citoyens  Duvernay  et  Morel  »  *. 


1.  U  s'appelait  CaviErnac.  (Lettre  de  M.  le  >fnire  (i'Aniln^?,  '23  juin   191'2). 

2.  Dénonciation  du  C.  Saint-Blanrard  contre  le  Maire  d'Ambès.  Ani».  de  la  Gironde, 
L  2189. 

3.  Bourg-sur-Gironde  est  situé  sur  la  rive  droite  de  la  Dordogne. 

4.  Délibération  du  District  de  Bourg,  28  septembre  (matin).  Arcli.  de  la  Gironde, 
L  1538. 


SgS  '  NOUVELLES    RECHERCHES    SUR    LES    GIRONDINS    PROSCRITS 

Ce  n'est  qu'à  six  heures  du  matin  ^,  c'est-à-dire  plus  de  neuf  heures 
après  le  départ  des  Girondins,  que  le  délégué  du  district  et  Morel 
arrivèrent  à  Barbe-de-Squire,  accompagnés  de  la  garde  nationale 
de  Bourg  et  de  celle  d'Ambès  2.  Ils  n'y  trouvèrent  que  «  le  sieur 
Martial  Blanc  »,  et  lui  firent  subir  aussitôt  un  interrogatoire.  Blanc 
déclara  «  que  le  nombre  de  sept  était  celui  des  proscrits...,  que  jeudi 
dernier,  il  avait  lui-même  accompagné  Guadet,  l'un  des  réfugiés, 
armé  de  deux  pistolets,  au  bord  de  la  rivière  de  la  Dordogne,  pour 
aller  à  Libourne;  que  le  batelier  conducteur  du  bateau  de  la  veuve 
Rivanceau,  accompagné  du  fils  de  la  dite  veuve,  en  avait  traversé 
six  autres  allant  dans  le  même  endroit...;  qu'il  ignorait  le  nom  de 
ces  personnes  »  ^ 

Les  commissaires  firent  ensuite  la  visite  exacte  de  la  maison,  du 
chai  et  du  cuvier  de  la  veuve  Ségonzac,  ils  n'y  trouvèrent  rien*. 
Il  n'est  question,  dans  le  procès-verbal,  ni  de  la  malle,  ni  des  armes 
laissées  par  les  proscrits.  Seulement,  il  est  probable  que  Morel  et  son 
compagnons  virent  les  lits  défaits,  et  ce  détail  raconté  aux  Repré- 
sentants, donna  lieu  à  cette  phrase  que  Baudot,  au  dire  de  Louvet, 
aurait  mis  dans  un  rapport  adressé  à  la  Convention  :  «  Que  grâce  à 
l'activité  des  sans-culottes,  on  avait  entouré  la  maison  et  on  y 
avait  trouvé  les  lits  encore  chauds  ^.  » 

Ce  qui  attira  aussi  l'attention  des  commissaires,  ce  furent  cinq 
pierriers  qui  étaient  dans  le  jardin,  et  qu'ils  saisirent  et  firent  trans- 
porter à  Bourg  6.  Cette  trouvaille  permit  à  Ysabeau  d'écrire  au 
Comité  de  Salut  Public  :  «  Les  scélérats,  ayant  quitté  le  brick  qui 
les  portait,  s'étaient  retranchés  dans  une  maison  isolée  avec  beau- 
coup d'armes...  On  a  trouvé  sept  pierriers  dans  la  maison  où  ils 
s'étaient  retirés  et  qu'ils  ont  abandonné  ' .» 

Ceux  que  Morel  pensait  surprendre  à  Ambès  ne  s'y  trouvaient 
donc  plus,  son  amour-propre  de  sans-culotte  dut  en  souffrir  beaucoup. 
Il  chercha  des  complices.  Autour  de  lui,  on  disait  que  c'était  «  par 
la   perfidie   des  voisins  »  que  les  proscrits   avaient    échappé    aux 


1.  Procès-verbal  de  transport.  Arch.  de  la  Gironde,  L.  283"). 

2.  M. 

3.  Procès-verbal  de  transport.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2835. 

4.  Rapport  de  Dupuy  au  District  de  Bourg.  Séance  du  28  septembre  (soir).  Arch. 
de  la  Gironde,  L  1538. 

5.  Louvet,  Mémoires,  I  205. 

6.  Rapport  de  Dupuy  au  District  de  Bourg.  Dupeyrat,  négociant,  faisait  probable- 
ment aussi  de  l'armement,  d'où  la  présence  de  ces  pièces  de  canon  dans  sa  propriété; 
peut-être  aussi  que  ces  pierriers  servaient  tout  simplement  de  bornes. 

7.  Lettre  du  2  octobre  1793.  Aulard,  Recueil  des  Actes  du  Comité  de  Salut  Public 
vil,  192. 


NOL'VEf-LEs  nECiirncirrs  si  n  ifs  niiiriM)iNs  i-uoscrits  3qq 

recherches.  On  citait  niênie  un  nom  «mi  particulirr '.  Mais  l'tMKjuéte 
qu'il  fit  ne  donna  aucun  résultat.  11  lança  cl(»nc  seuhMiient  un  mandat 
d'arrêt  contre  le  batelier  et  le  fils  de  la  veuve  Hivanceau,  (|ui  avaient 
transporté  les  Girondins  et  n'étaient  pas  encore  revenus  de  I.ibourne, 
et  il  avertit  «  le  citoyen  Blanc,  tonnelier,  de  se  tenir,  dans  tous  les  cas, 
prêt  à  être  requis  pour  recevoir  de  lui  des  informations  ultérieures  »  2. 

Le  soir  même,  Dupuy  fils  rendait  compte  de  sa  mission  au  district 
de  Bourg  3,  et  Duvernay,  prévenu  par  son  envoyé,  du  peu  de  réus- 
site de  l'expédition,  en  faisait  part  aux  Représentants:  «....Il  est 
bien  fâcheux,  écrivit-il,  que  Charlc  et  Morel  ayent  manqué  nos 
moineaux  si  maladroitement,  cependant,  je  les  avais  bien  mis  sur  la 
voye...  *.  » 

Ainsi  tout  était  à  recommencer,  mais  cette  fois  ce  ne  sera  pas 
sans  succès,  car  deux  des  moineaux,  et  non  des  moindres,  dans 
quelques  mois  seront  pris  au  nid. 

(A  suivre.)  M.  BROUILLARD. 


1.  Celui  de  Jacques  Burke,  ancien  curé  de  Saint-Jacques  d'Ambùs,  dont  nous  par- 
lerons plus  loin. 

•2.  Procès-verbal  de  transport.  Arch.  de  la  Gironde,  L  2S3j. 

3.  .\rcli.  de  la  Gironde,  L  loSS. 

4.  Id.,  L  473. 


HISTOIRE  DES  RAPPORTS 

DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

AVEC 

LES  INTENDANTS,  LE  PARLEMENT  ET  LES  JURATS 

DE    1705    A    I79I 

(Suite.) 


CHAPITRE  V 
1757-1771-177/i 

lAl  chambre  sous  vs  gouvernement  autoritaire 
favorable  au  parleaient 

De  1757  à  1771,  l'histoire  des  rapports  de  la  Chambre  avecles  au- 
torités devient  plus  complexe,  et  ses  caractères  plus  malaisés  à  définir. 

La  guerre  a  commencé;  plus  que  jamais,  ses  conséquences  sont 
désastreuses,  le  port  perd  236  vaisseaux  ^  ;  les  principaux  négociants 
«  s'arrangent  et  s'épaulent  entre  eux  à  tant  pour  cent  de  perte  w^; 
les  autres  se  résignent  à  demander  des  sauf-conduits. 

La  paix  est  faite;  mais  les  colonies  qui  nous  restent  «  sont  inondées 
de  navires  étrangers»^  et  le  Canada  est  perdu;  c'est  la  ruine  pour 
certains  petits  manufacturiers  qui  y  avaient  tous  leurs  clients^; 
l'hiver  de  1765  est  plus  long  que  celui  de  1709  et  presque  aussi  froid; 
les  vignes  sont  gelées^,  le  blé  est  hors  de  prix;  en  1770,  les  ravages 
de  l'inondation  sont  considérables;  on  évalue  les  pertes  à  1,147,000  li- 
vres pour  Bordeaux,  à  2,000,000  pour  les  subdélégations  6;  le  bétail 
a  péri,  les  semences  sont  recouvertes  de  sable  et  de  fange  '  ;  on  écrit 
des  campagnes  :  «  Tous  les  jours  il  passe  50  à  60  pauvres  avec  leur 
femme,  enfants  et  bagages,  ils  ont  l'air  d'être  demi-morts  de  faim; 
nos  gens  du  pays  les  plus  riches  ne  savent  pas  comment  faire  pour 
avoir  du  pain...  personne  ne  fait  travailler  tant  l'année  est  misérable... 
Nous  avons  ici,  un  homme  de  107  ans  qui  a  été  obligé  de  quitter 
le  Limousin  pour  ne  pas  mourir  de  faim,  c'est  la  première  fois  qu'il 
eût  demandé  l'aumône;  lorsqu'il  est  arrivé,  il  était  si  affamé,  qu'après 

1.  C  1611,  22  août  1759. 

2.  C  3491. 

3.  C  4264,  17  décembre  1763. 

4.  C  3169. 

5.  C  3885. 

6.  Communay,  Les  grands  nêgocianls  bordelais  au  dix-huilième  siècle,  1888,  p.  18. 

7.  C  41,  20  avril  1770. 


RAPPORTS    ni:    I.A    CHAMIUIE     I>E    COMMnu.F:    ME    ROROEALX  ^OI 

avoir  inang-é  guulûmeiit  un  morceau  de  pain,  il  s'est  évanoui  et 
a  resté  trois  semaines  sans  pouvoir  bouger  de  dessus  la  paill<-  «mi 
on  l'avait  mis^.  » 

Les  recouvrements  ne  se  font  plus,  les  recettes  perçues  flans  la 
généralité  ont  été  pour  trois  ans  de  13,000,rKX)  de  livres,  ([uand 
l'impôt  annuel  atteint  h-  diifTre  de  0,000,0()(»-. 

Le  gouvernement  est  acculé  à  la  banqueroute.  11  se  montre  d'au- 
tant plus  exigeant;  les  Intendants,  surveillés  de  très  près,  doivent 
s'interdire  toute  complaisance  à  l'égard  de  leurs  administrés;  ils  ne 
peuvent  leur  venir  en  aide,  ni  même  sauvegarder  toujours  leurs  droits'. 

Un  arrêt  du  Conseil  suspend  tous  les  payements  à  la  charge  du 
Trésor,  à  l'exception  des  seules  rentes  viagères;  »in  autre,  le  paye- 
ment des  lettres  de  change  tirées  des  colonies-*;  en  vertu  d'un  troi- 
sième, le  roi  cesse  de  payer  le  fret  de  la  frégate  entretenue  par  le 
Commerce^.  L'État  fait  argent  de  tout,  tous  les  expédients  lui  sont 
bons  :  l'édit  de  février  1761  porte  création  de  deux  cents  offices 
de  courtiers  dans  notre  ville". 

De  1758  à  1770,  Choiseul  est  au  pouvoir;  il  est  de  la  lignée  des 
grands  ministres,  il  gouverne  comme  au  temps  de  Louis  XIV.  L'heure 
est  passée,  son  initiative  inquiète  :  à  tout  moment  il  intervient,  pour 
distribuer  des  passeports',  pour  faire  expulser  les  .\nglais  de  Bor- 
deaux^; il  s'entremet  dans  l'administration  des  Intendants.  Ceux- 
ci  se  succèdent  avec  rapidité:  alors  que  l'Intendance  d'Aubert  de 
Tourny  avait  duré  quatorze  ans,  celle  de  Boucher  vingt- trois, 
Tourny  le  fds  reste  trois  ans  à  peine,  de  1757  à  1760;  Boutin,  six, 
de  1760  à  1766;  Fargès,  quatre,  de  1766  ;i  1770;  Esmangart,  cinq, 
de  1770  à  1775. 

Même  à  la  Chambre  le  premier  rôle  leur  échappe.  A  partir  de  1758, 
le  duc  de  Richelieu,  Gouverneur  de  la  province,  préside  avec  Choiseul 
aux  relations  des  Directeurs  avec  les  autorités.  Son  influence  est 
grande,  et  lui  et  les  belles  dames  qui  lui  font  cortège  exigent  sans 
cesse  des  faveurs  contraires  aux  règles,  même  en  matière  commer- 
ciale ^  En  même  temps  le  duc  veut  passer  pour  le  protecteur  du 
commerce;  c'est  un  maître  qui  sait  se  faire  obéir;  la  Chambre  s'oriente 

1.  C  41,  20  avril   1770. 

2.  C  3169. 

3.  C.  42.56,  9  octobre   1760. 

4.  Jd.,  2  novembre  1759. 

5.  C  4256,   13  décembre  1759. 
•     6.  C  1620. 

7.  C  4264,  1"  janvier  1763. 

8.  Prives-Gazes,  op.  cil.,  p.  59. 

9.  C  3614. 


402      RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

vers  lui,  cherche  à  lui  plaire,  lui  fait  accepter  toujours  quelque 
menu  cadeau^,  et  néglige  l'Intendant,  moins  bien  en  cour 2,  même 
dans  les  affaires  les  plus  graves  2. 

Le  Parlement  est  moins  diminué;  il  est  très  fort  depuis  qu'en 
1757  il  s'est  reconnu  solidaire  de  toutes  les  cours  de  France*, 
depuis  le  moment  aussi  où  Choiseul,  le  ministre  ami  des  parlemen- 
taires, est  arrivé  au  pouvoir.  Ils  tomberont  ensemble  suivis  de  près 
par  Richelieu,  le  Gouverneur,  par  Esmangart,  l'Intendant^.  A  la 
fin  de  cette  période,  un  nouveau  ministre,  Terray,  viendra,  sans  que 
la  Chambre  y  gagne  rien. 

I 

Le  fils  de  Tourny,  Claude-Louis  de  Tourny,  était  un  petit  homme 
de  figure  maladive,  très  consciencieux,  plein  de  scrupules  même  *. 
On  a  dit  que  les  couvents  et  les  églises  absorbaient  le  plus  clair 
de  son  temps  ';  je  réclame  pour  le  commerce.  Non  content  d'assister 
aux  séances  de  la  Chambre,  il  demandait  toujours  :  à  quand  la 
prochaine^,  et  il  s'y  rendait.  Il  voulait  bien  dire  et  bien  faire,  il 
imitait  son  père,  il  promettait  que  dans  toute  occasion  il  communi- 
querait à  la  Chambre  les  mémoires  l'intéressant. 

Il  a  l'air  de  prononcer  des  vœux;  mais  des  influences  auxquelles 
on  ne  résiste  pas  l'empêchent  de  tenir  ses  bonnes  promesses.  Ainsi 
certain  billet,  bon  à  citer  parce  qu'il  caractérise  l'époque  tout 
entière;  c'est  une  dame  qui  écrit,  en  faveur  d'un  directeur  connu 
de  nous  :  «  Faites  bien  les  choses.  Monsieur,  pour  M.  Lafore.  1,200  li- 
vres ne  sont  point  assez.  Ajoutez-y  quelque  chose  qui  fasse  honneur 
à  l'intérêt  que  Madame  d'Egmont  et  nous  y  prenons.  Songez  que 
c'est  l'unique  protégé  de  cet  espèce,  que  je  ne  vous  en  importuneray 
plus  ny  n'en  reprendray  point  d'autre.  J'ai  écrit  à  M.  d'Orléans 
pour  Mlle  de  Villeroy  et  de  m'informer  d'elle  à  vous,  je  suis  si  lasse 
d'écrire  que  j'en  reste  là.  Mes  tendresses^.  »  C'est  grand'pitié,  mais 
notre  rigoriste  cède  ^"j  cède  toujours,  et  il  n'est  pas  récompensé. 

Jusqu'à  la  Chambre  qui  est  ingrate.  Sans  doute,  en  avril  1758, 
l'Intendant  eut  le  plaisir  de  voir  les  négociants  intéressés  dans  le 

1.  C  4257,  10  avril  1766. 

2.  C  4264,  29  septembre  1764. 

3.  C  4256,  11  janvier  1759,  4  juin  1760. 

4.  Nous  faisons  allusion  à  la  doctrine  des  classes  formulée  à  cette  époque. 

5.  Grellet-Dumazeau,  op.  cit.,  passim. 

6.  Grellet-Dumazeau,  op.  cil.,  p.  174. 

7.  Id.,  p.   175. 

8.  C  4257,  8  janvier  1766. 

9.  C  1624,  8  mars  1760. 
10.  C  1624,  20  mars  1760. 


AVEC    LES    INTENDANTS,    I.E    PAHI.EMENT    FT    LES    JL'HATS  '|03 

reliquat  d'une  somme  provenant  «lu  dinil  d'iinlult  consentir, 
sur  sa  demande,  à  l'employer  à  l'cntretitMi  d'une  fri''gate  destinée 
à  garder  l'entrée  de  I;i  rivière'.  (;ii;i.|iir  I  (irecteur  avança  inême 
500  livres  pour  les  premiers  frais  2.  Mais  dès  la  première  année, 
ayant  eu  l'imprudence  de  demander  à  la  Chambre  l'état  des  prin- 
cipaux corps  de  commerçants  en  vue  de  les  exempter  de  la  milice, 
Tourny  fut  victime  d'une  mystification;  la  Cliambre  allongea  déme- 
surément la  liste,  jusqu'à  y  faire  figurer  les  marcliands  de  poisson 
salé^  En  1760,  les  élections  se  firent  sansque  l'intendantfûf  informé. 
C'en  était  trop,  —  mais  non;  tout  en  se  plaignant  un  peu,  Tourny 
se  déclare  satisfait*.  La  Chambre  en  fut  quitte  pour  imaginer  une 
excuse  compliquée  ^  La  vérité  était  plus  simple  :  elle  avait  oublié  son 
président.  L'oublier,  quand  il  avait  fait  preuve  d'un  tel  bon  vouloir  ! 
Dans  la  lettre  qu'elle  lui  écrivait,  la  Chambre  citait  l'exemple  de 
son  père,  «  votre  illustre  prédécesseur  ».  Cette  comparaison,  présente 
à  tous  les  esprits,  dut  lui  être  funeste. 

Charles-Robert  Boutin,  sieur  de  la  Coulommière,  né  en  1722', 
lui  succéda.  Il  avait  été  substitut  du  procureur  général,  conseiller 
au  Parlement,  commissaire  aux  requêtes  du  l'alais,  président  au 
Grand  Conseil,  et  mlin  commissaire  du  Roi  près  la  Compagnie 
des  Indes.  De  sa  longue  carrière  parlementaire,  il  garda  une  secrète 
prédilection  {)0ur  la  magistrature  :  «  Vous  connaissez  mieux  ipie 
personne  combien  il  est  important  de  ne  pas  avilir  les  états  de  ceux 
qui  consacrent  leur  vie,  leur  temps  et  leur  fortune  à  la  dT-fense 
de  l'État  ou  au  maintien  de  l'ordre  publifiuV;'.  »  A  son  passage  à 
la  Compagnie  des  Indes,  où  il  re\  int  après  1766,  il  récolta  des  cpio- 
libets;  on  disait:  «M.  Boutin,  intendant  des  Finances,  (pii  a  la 
Compagnie  des  Indes  dans  son  département  et  qui  par  une  piilili(iue 
incompétente  est  le  promoteur  le  plus  ardent  de  sa  destruction".  » 
Il  pouvait  être  un  magistrat  très  distingué^;  mais  préeisément 
parce  qu'il  restait  magistrat,  qu'il  n'ajiporlait  point  à  l'exercice 
de  ses  nouvelles  fonctions  l'esprit  d'un  transfuge  des  Parlements, 
rintendani    Boutin  devait  avoir  maille  à   partir  avec  la  Chambre 

1.  C.  4256,   l-i  avril   17.5S. 
'2.    l'i.,  9  et  10  juin  1759. 

3.  C.  43-21,   11   octobre   175S. 

4.  C.  4256,   1"  mai   1760. 

5.  C   IGll,  7  juin   1760. 

0.  Bonnassieu,  op.  cit.,  XLI. 

7.  Biivt's-Cazes,  op.  cit.,  p.  56. 

8.  Mémoires  de  Terraij,  t.  II,  p.  16S,  noli-. 

9.  Orellet-Dumazeau, ^op.  cit.,  p.  306,  note. 


4o4     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  CO'WMERCE  DE  BORDEAUX 

de  commerce;  même  quand  il  daigna  s'occuper  d'elle,  il  lui  restait, 
comme  à  tout  bon  parlementaire,  je  ne  sais  quelle  prévention  intime 
contre  le  négoce  et  les  négociants.  Il  ne  parvint  jamais  à  la  dissi- 
muler complètement,  et  les  commerçants  ne  pouvaient  s'empêcher 
de  la  découvrir  et  même  de  la  deviner,  par  esprit  de  défiance. 
Boutin  fut  à  Bordeaux  le  Choiseul  de  la  province.  Quand,  prenant 
quelque  sage  mesure,  il  voudrait  faire  penser  au  grand  Tourny, 
la  Chambre  croit  être  sous  la  tutelle  de  Boucher;  elle  aussi  dissi- 
mule. Il  est  rare  que  ses  registres  fassent  allusion  à  l'Intendant; 
quand  ce  dernier  lui  soumet  une  question,  elle  ne  dit  que  son  mot, 
craignant  toujours  qu'on  ne  lui  impose  silence.  On  a  l'impression 
que  Boutin  a  étendu  le  rôle  délibératif  de  la  Chambre;  il  la  consulte, 
mais  on  ne  la  voit  point  décider;  elle  n'a  pas  non  plus  l'initiative; 
par  elle-même,  elle  n'est  rien.  Pour  l'Intendant,  elle  est  un  Conseil 
de  commerce,  dont  il  convient  de  requérir  l'avis,  mais  sans  le  mettre 
de  moitié  dans  la  décision,  ni  même  dans  la  discussion  i.  Jusqu'à 
présent  les  Intendants  avaient  toujours  parlé  d'augmenter  les  reve- 
nus de  la  Chambre,  Boutin  les  trouve  presque  trop  élevés,  il  partage 
l'avis  de  son  ministre  :  «  Je  ne  puis  m'empêcher  d'observer  qu'une 
Chambre  de  commerce  et  une  juridiction  consulaire  ne  paraissent 
pas  être  autorisées  à  posséder  des  revenus  2,  » 

Les  Directeurs  se  méfient  de  Boutin,  parce  qu'ils  ont  vent  d'un 
complot  qui  se  trame  contre  eux  à  l'Intendance;  l'Intendant  a  fait 
diverses  tentatives  pour  savoir  comment  la  Chambre  administre 
ses  revenus,  elles  ont  été  inutiles;  il  a  exigé  alors  qu'aucune  dépense 
ne  fût  faite  sans  son  autorisation  ^  Il  provoque  à  ce  sujet  un  arrêt 
du  Conseil  (24  juin  1763),  dont  le  Contrôleur  général  requiert  l'immé- 
diate exécution*;  en  vertu  de  cet  acte,  il  demande  aux  Directeurs 
leurs  états  et  exige  que  tous  les  ans  on  lui  remette  une  copie  du 
dernier  compte  rendue  Les  revenus  soi-disant  considérables  de  la 

1.  Voici  deux  exemples  :  Un  certain  Canezin,  marchand  au  détail,  n'ayant  point  ses 
livres  timbrés,  on  lui  dresse  procès-verbal:  la  Chambre  fait  une  visite  à  l'Intendant; 
il  promet  de  faire  cesser  la  nouveauté,  dit  de  faire  un  mémoire,  communique  au  Com- 
merce celui  du  Directeur  des  Fermes,  et  pour  conclure  il  établit  la  contravention;  et 
c'est  tout.  Il  propose  de  rendre  fictif  l'entrepôt  du  café,  la  Chambre  tente  de  s'y  opposer 
par  un  mémoire;  il  conclut  à  ce  que  l'entrepôt  soit  fictif;  et  c'est  encore  tout  :  un  avis, 
plus  de  collaboration.  (C  4256,  nov.-déc.  1760,  sept.  1763,  mai  1764.) 

Il  croit  imiter  Tourny  en  s'intéressant  à  la  navigation;  mais  il  demande  d'être  seul 
en  droit  de  surveiller  le  lit  des  rivières  (C  3718),  prétention  que  n'eût  point  élevée 
Tourny.  La  Chambre  voudrait  utiliser  les  cartes  que  ce  dernier  a  fait  dresser;  on  ne 
sait  plus  où  elles  sont,  on  ne  les  retrouve  qu'après  avoir  longtemps  cherché  (C  3256, 
13  déc.  1764). 

2.  C  1611,  7  juin  1763. 

3.  C  1611. 

4.  C  4256,  21  juillet  1763. 

5.  C  1611,  28  mars  1763. 


AVEC    LES    IMENUAMS,    I.E    PAIU  EME.M     El    EES    JLUAl.S  lOJ 

(Ihanibre  ont  éveillé  les  soupçons  ^.  Boutin  voudrait  augnienter 
SOS  charges  en  l'obligeant  à  entretenir  elle-même  le  député-;  ce 
que  voyant,  elle  le  prie  de  ne  pas  trouver  mauvais  qu'elle  réclame 
la  libre  administration  dont  elle  a  joui  jusqu'à  lui  ^. 

Aussi  bien,  les  procédés  de  Boutin  ont  contribué  à  faire  prévaloir 
à  la  Chambre  une  tendance  nouvelle  qui  s'accuse  de  plus  en  plus. 
Après  avoir  collaboré  et  presque  fraternisé  à  l'époque  de  Tourny, 
la  Chambre  et  son  président  vont  se  séparer,  se  quitter.  Leurs 
rapports  vont  se  relâcher,  leur  iiistoire  ne  se  confondra  plus,  ils 
ne  seront  plus  faits  lua  pour  l'autre.  Le  guide  de  la  Chambre,  son 
conseiller,  son  vrai  président,  ce  sera  le  public.  l)éjà,  en  1766,  les 
Directeurs  ayant  à  s'excuser  de  n'avoir  puint  répondu  assez  tût 
à  une  demande  du  chancelier,  trouvent  bon  d'invoquer  ce  motif  : 
«  Gomme  nos  occupations  journalières  à  1er  miner  lea  affaires  du 
public  ne  nous  auraient  pas  permis  de  faire  cet  ouvrage...  ^>*.  Ces 
quelques  mots  en  disent  long,  ils  ne  pouvaient  pas  être  prononcés 
sous  Boucher:  la  personnalité  de  la  Chambre  n'était  pas  formée, 
la  confiance  du  public  ne  lui  était  point  suffisamment  acquise; 
ils  ne  pouvaient  pas  l'être  non  plus  sous  Tourny,  parce  que  l'Inten- 
dant, tout  le  premier,  invitait  les  Directeurs  à  ailiT  au  peuple; 
mais  précisément  parce  que  ce  même  Tourny  présenta  cette  Chambre 
au  public  «  comme  un  père  à  sa  famille  »,  pareille  chose  devait  être 
dite  sous  le  premier  Intendant  qui  manquerait  aux  devoirs  de  sa 
présidence,  pour  trop  bien  exercer  ses  fonctions  lie  représentant  du  Hnj. 

Fargès  vint;  il  fut  si  bon,  quil  aurait  pu  reconijut-rir  la  Chambre 
à  son  Président.  Mais  il  demeura  à  Bordeaux  quatre  ans  à  peine. 
Dès  le  premier  jour,  il  se  montra  l'ami  déclaré  non  seulement  du 
Commerce,  mais  de  la  Chambre;  il  répond  ainsi  à  ses  compliments 
de  bienvenue. 

«  C'est  en  assistant  souvent  aux  assemblées  de  la  Chambre  qu'il 
se  formera  des  principes  sûrs,  qu'il  suivra  sans  autre  vue  que  de 
discuter  et  connaître  ce  qui  peut  être  le  plus  avantageux  au  bien 
de  l'État  en  général  et  à  la  province  en  particulier ^  »  La  Chambre 
s'était  mise  à  l'école  deTourny;  Fargès  se  mita  l'école  de  la  Chambre, 
devenue  éducatrice  à  son  tour. 


1.  1(1.,  7  juin   1763. 

2.  Id.,  '28  mars   1703. 

3.  C  4256,  2S  juillet   1763. 

4.  C  1624,  1"  février  1766. 

5.  C  4257,  27  novembre  1766, 


4o6     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

Charmée  de  ces  bonnes  dispositions,  elle  lui  témoigna  sa  gratitude, 
comme  à  Tourny,  en  le  priant  à  dîner  i;  comme  Tourny,  il  lui 
fit  l'honneur  de  se  rendre  à  son  invitation. 

En  décembre  1774  2,  en  janvier  1775^,  ayant  depuis  longtemps 
quitté  Bordeaux,  devenu  maître  des  requêtes,  Intendant  du  Commercé, 
appelé  «à  la  tête  de  l'administration  des  grains»,  Fargès  montrait 
encore  à  la  Chambre  la  même  bienveillance;  il  écrit,  en  mai  1775  : 
«  La  principale  satisfaction  qu'il  peut  trouver  dans  la  marque  de 
confiance  que  le  Roy  vient  de  luy  donner  est  la  correspondance 
qu'elle  peut  le  mestre  à  portée  d'entretenir  avec  la  Chambre  sur 
le  plus  grand  nombre  d'objets^.  » 

On  peut  penser  que,  tout  le  temps  que  dura  son  Intendance,  ses 
rapports  avec  les  Directeurs  ne  cessèrent  d'être  excellents;  de  concert 
avec  eux  il  combattit  l'arrêt  du  Parlement  de  1764,  contraire  à  la 
liberté  du  commerce  des  vins  ^.  Il  fut,  semble-t-il,  le  premier  des 
Intendants  qui  consulta  la  Chambre  de  commerce  au  sujet  des 
sauf-conduits  à  accorder  aux  négociants  malheureux  ^.  Quand  il 
lui  demandait  son  avis  sur  un  projet  d'arrêt,  elle  le  lui  envoyait 
détaillé  et  motivé  '^,  souvent  presque  aussitôt;  il  aurait  voulu  qu'elle 
fît  connaître  au  public  ses  réflexions  sur  le  commerce^.  Parfois 
d'ailleurs,  la  complaisance  de  Fargès  ne  pouvait  se  manifester  que 
dans  les  formes  qu'il  mettait  à  communiquer  aux  Directeurs  les 
ordres  sans  réplique  du  pouvoir  ^-^". 

Deux  questions  particulièrement  difficiles  se  présentèrent. 

La  première,  l'Intendant  la  résolut  avec  habileté.  Au  sujet  de  l'ex- 
portation des  blés  la  Chambre  avait  maintenant  sa  théorie  :  «  Le 

commerce  ne  peut  subsister  que  par  la  libre  exportation il  faut 

une  liberté  pleine  et  entière,  et  ce  ne  sont  que  des  besoins  momen- 
tanés et  locaux  qui  peuvent  faire  souffrir  quelques  exceptions  à 
cette  règle  ".  » 

En  1768,  ces  besoins  s'étaient  fait  sentir  :  la  disette  menaçait; 
d'autre  part  une  loi  datant  de  quatre  ans  à  peine  avait  proclamé 
la  libre  exportation  des  grains.  Le  Parlement  de  Paris  voulait  réta- 


1. 

G  4257,   19  novembre   1767. 

2. 

Jd.,  7  décembre  1774. 

3. 

Id.,  26  janvier  1775. 

4. 

G  4257,  24  mai  1775. 

5. 

G  3683. 

6. 

C  4257,  25  février  1768,  25  janvier  1770. 

7. 

G  4257,  22  décembre  1768.  C  4264,  24  décembre  17G8 

8. 

G  1611,  26  mai  1768. 

9. 

C  4257,  23  février  1769. 

10. 

Id.,  17  novembre  1768. 

11. 

C  4264,  27  mai  1769. 

AVEC    LES    INTEMVVNTS,    I.E    l'AKtF.MENT    T.T    l.E<    .M  n.V T'?  '\0- 

blir  l'ancien  état  de  choses.  Le  Hoi  ne  se  prélu  point  à  une  pareille 
rétractation  ^  ;  il  se  borna  à  accorder  des  gratifications  aux  négo- 
ciants qui  feraient  venir  des  grains  de  l'étranger  2.  Les  négociants 
de  Bordeaux  exportaient  quantité  de  blés  français;  leurs  opérations 
allaient  juste  à  l'encontre  des  mesures  prises  par  le  f)ouvoir  pour 
conjurer  le  péril.  Fargès  invita  le  Commerce  à  entrer  le  plus  possible 
dans  l'esprit  de  la  loi,  en  limitant  ses  spéculations  à  rintérienr  du 
royaume. 

L'édit  de  1764,  d'inspiration  si  libérale,  avait  pourtant  prévu  un 
terme  à  la  libre  exportation  :  il  avait  fixé  le  prix  maximum  au  delà 
duquel  serait  suspendu  le  droit  d'exporter.  Ce  prix  fut  atteint, 
peut-être  par  la  faute  des  exportateurs  qui,  soucieux  de  leurs  inté- 
rêts immédiats,  prêtèrent  trop  peu  l'oreille  aux  sages  conseils  de 
l'Intendant^. 

Alors  la  sortie  des  grains  fut  interdite;  ils  encombrèrent  le  marché, 
la  baisse  des  prix  s'ensuivit,  ce  fut  la  ruine  pour  un  grand  nombre. 

Fargès  s'empressa  de  renouveler  au  Commerce  l'assurance  que  le 
gouvernement  maintiendrait  les  lois  de  libre  exportation*;  le  com- 
merce des  farines  et  des  légumes  ne  souffrirait  aucune  atteinte  *. 
Cependant  les  blés  se  vendent  peu  et  mal,  et  la  disette  n'est  plus  à 
craindre;  —  il  faut  revenir  au  commerce  d'exportation.  Fargès 
s'adresse  aux  négociants  :  il  les  invite  à  ne  pas  s'écarter  des  prin- 
cipes de  liberté  qu'ils  ont  défendus  autrefois  avec  tant  de  vigueur; 
il  faut  qu'ils  exportent  beaucoup  après  avoir  beaucoup  importé®. 
Ils  n'arrivent  pas  aisément  à  faire  alterner  les  deux  commerces  sui- 
vant la  fluctuation  des  prix.  Ils  doivent  rompre  les  dernières  relations 
qu'ils  se  sont  créées,  renouer  celles  qu'ils  ont  rompues.  L'Intendant 
et  la  Chambre  en  viennent  à  bout.  On  est  tout  près  de  les  féliciter, 
à  voir  comme  s'aidant  l'un  l'autre,  en  des  circonstances  si  dilliciles, 
ils  ont  su  aboutir. 

La  seconde  question  qui  se  posa  est  déjà  connue  de  nous  :  c'est 
celle  de  la  voiture  des  espèces.  La  Chambre  tenait  une  séance  pré- 
sidée par  l'Intendant;  on  apprit  par  la  rumeur  publique  que  les 
Fermiers  généraux  avaient  tout  à  coup  donné  l'ordre  de  diriger 
sur  Paris,  tous  les  huit  jours,  le  produit  de  la  recette  en  argent  avec 
défense  expresse  de  remettre  aucune  espèce  de  papier.  La  situation 

1.  C  4331,  20  décembre   1768. 

2.  Id.,  22  novembre   170S. 

3.  C  4331,  22  novembre  17G8.  C  4257,   1"  décembre   1708. 

4.  C  4257,   12  janvier  1769. 

5.  Id.,  27  avril  1769. 

6.  C  4257  »  11  mai  1769. 


f\08  RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

était  grave,  l'Intendant  fut  prié  d'intervenir.  Il  quitta  la  Bourse, 
se  rendit  tout  aussitôt  chez  le  Directeur  des  Fermes  et  le  pressa  de 
ne  pas  voiturer  les  espèces  de  quelques  jours  «  jusqu'à  ce  que  les 
intentions  de  M.  le  Controlleur  général  soient  connues  à  cet  égard  ^.  » 
Le  directeur  y  consentit,  à  condition  que  l'Intendant  lui  notifiât 
par  écrit  son  injonction;  ainsi  fut  fait  2.  Fargès  s'adressa  ensuite 
directement  au  Contrôleur  général  ^,  en  même  temps  que  les  Direc- 
teurs du  commerce  :  «  La  plus  grande  partie  de  nos  fortunes,  disaient 
ceux-ci,  ne  réside  pas  dans  le  numéraire,  elle  existe  en  papiers  négo- 
ciables, au  moyen  desquels  chacun  se  procure  par  son  crédit  des 
espèces  pour  payer*.  »  Quelques  jours  après,  la  Chambre  députait 
vers  l'Intendant  pour  implorer  son  secours  dans  une  autre  affaire; 
recevant  les  commissaires  du  Commerce,  Fargès  leur  annonça  son 
échec  ;  ce  fut  son  premier  mot  :  il  avait  été  désavoué  et  mis  en  demeure 
par  le  ministre  de  révoquer  son  ordonnance.  Les  Fermiers  n'avaient 
agi  que  sur  les  instances  du  Contrôleur  général  ^;  forts  de  son  appui, 
ils  renouvelaient  leurs  ordres^.  L'Intendant  osa  insister  encore. 
Des  négociants  avaient  présenté  une  requête  au  Parlement  en  leur 
nom  personnel,  et  ils  avaient  obtenu  un  arrêt  du  15  mars,  signifié 
aux  receveurs  le  même  jour',  défendant  «sous  le  bon  plaisir  du 
Roy  »  le  transport  des  espèces.  Admis  à  la  Chambre,  les  négociants 
proposèrent  d'envoyer  quatre  députés,  deux  Directeurs,  deux  à 
choisir  parmi  les  autres  commerçants;  ils  priaient  la  Chambre  d'ex- 
pédier un  courrier  extraordinaire  porteur  de  lettres  pour  tous  les 
ministres  d'Etat;  ils  se  réservaient  en  outre  d'écrire  eux  aussi  en 
leur  nom  particulier. 

Les  Directeurs  les  invitèrent  à  leur  remettre  leurs  représenta- 
tions; elles  seraient  transmises  au  Contrôleur  général,  au  ministre 
ayant  le  département  de  la  province  et  la  Chambre  en  garderait 
copie.  De  son  côté  l'Intendant  écrivit,  mettant  la  Chambre  en  cause 
le  moins  qu'il  se  pouvait^.  Les  Directeurs,  préoccupés,  l'en  remer- 
cièrent à  peine;  un  beau  jour,  ils  apprirent  que  leur  échec  était 
complet.  L'arrêt  du  Parlement  fut  cassé,  les  représentations  du 
Commerce  restèrent  sans  réponse^;  le  député  annonça  coup  sur 

1.  C  4264,  3  mars  1770. 

2.  C  4257,  1"  mars  1770. 

3.  C  4264,  3  mars  1770. 

4.  ici.,  ici. 

5.  C  4257,  14  mars  1770. 

6.  C  4264,  16  mars  1770. 

7.  C  4264,  16  mars  1770. 
s.  C  4333,  24  mars  1770. 
9.  C  4264,  7  avril  1770. 


I 

AVEC    LES    INTENDANTS,    l.E    l'Ani.EMF.NT    El'    I.ES    JIRATS  /1O9 

coup  que  Tcrray  })crsistait  jiliis  iiuc  jamais  dans  ses  intentions*; 
que  l'Intendant  était  mandé  à  Versailles 2;  que  le  roi  avait  nommé 
à  sa  place  M.  Esmangart,  maître  des  recpiêles  à  l'Intendance  de 
Bordeaux^.  Et  il  ajoutait  avec  mélancolie  :  «  Je  désire  bien  ardemment 
qu'on  se  porte  à  dédommager  M.  de  Fargès  du  iori  (lu'nn  lui  fait*.  )• 
La  Chambre  le  plaignit  de  même,  le  louant  de  n'avoir  pas  craint 
de  se  dévouer  à  leur  cause.  Lui  parti,  les  Fermiers  générau.x  usèrent 
de  nouvelles  rigueurs  '';  la  Chambre  sentit  que  la  partie  était  perdue; 
elle  se  résigna,  se  fit  humble,  craignant  peut-être  de  s'être  compro- 
mise avec  Fargès  dont  la  disgrâce  l'atteignait;  elle  écrit  aux  l>irec- 
teurs  de  La  Rochelle  de  ne  plus  mettre  obstacle  à  l'exécution  des 
volontés  du  Contrôleur  général  :  «  De  nouvelles  tentatives  de  notre 
part  marqueraient  un  esprit  d'opposition  qui  ne  fut  jamais  le  nôtre.  » 
Dans  cette  môme  lettre  où  elle  faisait  craindre  aux  Rochellois 
les  représailles  du  pouvoir,  elle  signalait  un  ;iutre  pt'-ril.  ;iu  nmins 
aussi  grave  :  «  Nos  négociants,  disait-elle,  sans  la  paiiicipalion  de 
la  Chambre,  présentèrent  leur  requête  au  Parlement*.  »  C'est  bien 
là  le  signe  des  temps.  La  Chambre  doit  choisir  entre  son  Président 
et  les  négociants  qu'elle  représenlc.  Est-elle  Iroj»  di-vouée  à  ceux-ci, 
le  premier  lui  tourne  le  dos,  c'était  le  cas  pour  Boutin;  est-elle  trop 
attachée  à  celui-là,  à  Fargès  par  exemple,  le,  puMio  <•.><(  linu  en 
défiance  et  croit  ([uil  ne  dépend  j)as  plus  d'elle  (prelle  ne  dépend 
de  lui.  il  s'en  passe  et  l'oublie;  «  l'opinion  chemine,  monte,  grandit», 
comme  dit  d'Argenson;  le  pouvoir  reste  absolu  et  l'arbitraire  le 
niid  de  plus  en  plus  insupportable;  le  rôle  d'intermédiaire  est  vrai- 
ment difficile  à  jouer. 

Esmangart,  le  dernier  Intendant  qu'eut  Bordeaux  sous  Louis  .W, 
renonçant  à  concilier  les  intérêts  contradictoires  de  la  Clunnbre 
et  du  pouvoir,  essaya  de  donner  le  change  par  des  hésitations  cal- 
culées. 

On  ne  peut  dcuiter  qu  il  ne  lûL  bien  porté  pour  h-  Commerce  et 
pour  la  Chambre  :  il  lui  écrit  qu'a  elle  peut  être  assuré  de  tout  son 
zèle,  pour  ce  qui  pourra  lui  être  de  queUjue  avantage,  qu'il  se  fera 
toujours  un  devoir  et  en  même  tenqts  un  plaisir  d'assister  à  ses 


1.  C  4333,  17  m;iis  1770. 

2.  M.,   -24  mars  1770. 

3.  /(/.,  31  mars  1770. 

4.  Id.,  id. 

5.  C  42G4,  17  avril  1770. 

6.  C  4264,  7  avril  1770. 

3') 


4lO     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

assemblées,  et  de  concourir  avec  elle  à  tout  ce  qui  pourra  être  du 
bien  du  service  du  Roi  ^.  » 

Les  compliments  flatteurs  qu'ils  échangèrent  par  la  suite  témoi- 
gnent des  rapports  les  plus  cordiaux. 

D'autre  part,  on  ne  niera  point  qu'Esmangart  fût  un  homme 
énergique,  à  voir  comme  il  refusa  d'appuyer  une  demande  en  sauf- 
conduit  présenté  par  un  ex-receveur  général  des  Fermes,  prévari- 
cateur, fort  de  l'amitié  du  Contrôleur  général;  écoutez-le  définir 
lui-même  le  devoir  d'un  magistrat  «  jaloux  de  la  confiance  de  son 
ministre  et  de  l'estime  publique  )>,  attaché  aux  principes  d'honneur 
et  de  bon  ordre  «  qu'il  doit  surtout  maintenir  avec  force  dans  la 
province  dont  l'administration  lui  est  confiée  2.  » 

Son  administration  fut  sage  et  prévoyante;  nous  pouvons  en 
croire  la  Chambre  quand  elle  le  dit^;  si  sage,  qu'elle  voulut  le  com- 
mettre au  soin  de  délivrer  des  permissions  pour  la  réexportation 
des  blés  étrangers,  dans  le  dessein,  elle  l'avoue,  d'épargner  aux 
négociants  les  tracasseries  d'une  régie  nouvelle*.  L'ancienne  régie 
ne  les  gênait  déjà  que  trop.  Obligé  d'intervenir  à  tout  coup  dans  leurs 
conflits  qui  renaissaient  avec  la  prospérité  du  commerce,  Esman- 
gart  apparut  ici  comme  timide  et  hésitant. 

Voici  par  exemple  une  affaire. 

Bachelier,  le  Directeur  des  Fermes,  prétend  faire  peser  les  cafés 
sur  le  quai,  avant  l'embarquement;  la  Cour  des  Aides  rend  contre 
lui  un  jugement  sur  requête^  (31  août  1770);  les  négociants  ont 
gain  de  cause,  le  Directeur  est  débouté  de  sa  prétention.  Il  ne  s'avoue 
pas  vaincu;  son  parti  est  pris;  il  ne  délivrera  de  permis  pour  embar- 
quer, que  si  le  Commerce  cède.  On  court  chez  Esmangart;  il  demande 
le  temps  de  s'entretenir  avec  Bachelier;  il  ne  veut  «  rien  précipiter 
par  un  coup  de  son  autorité  ».  Il  conseille  aux  négociants  d'aller 
chez  le  procureur  général  de  la  Cour  des  Aides.  Celui-ci  est  à  Blan- 
quefort  ;  ils  vont  à  Blanquefort,  voient  le  procureur  et  lui  demandent 
conseil;  il  leur  propose  de  faire  réformer  l'arrêt,  ils  refusent,  le 
trouvant  «  sagement  et  utilement  rendu  ».  On  retourne  chez  l'Inten- 
dant; très  bien  disposé  pour  la  Chambre,  mais  très  incertain,  il  dit 
qu'il  verrait  s'il  pourrait  rendre  une  ordonnance  pour  obliger  le 
Directeur  des  Fermes  à  délivrer  des  permis.  Pour  Esmangart,  la 

1.  C  4257,  26  avril  1770. 

2.  C  3488. 

3.  C  4264,  30  octobre  1770  et  C  4257,  29  octobre  1770. 

4.  Id. 

5.  C  4257,  6  septembre  1770. 


A\EC    LES    INTENDANTS,    LE    r.Vni.EMEM'    ET    LES    JLIUTS  ^11 

disgrâce  de  Fargès  est  bonne  ;i    méditer  :  (\nr   la   C.lianibre  fasse 
un  mémoire.    Il  gagne  du   temps;  elle  travaille  ferme'.   Tout  est 
prêt  dès  le  lendemain;  voici  alors  la  solution  (juil   imagine:  les 
négociants  se  départiront  de  l'arrêt   <!<•  la   Cour  dt-s  Aides,  sauf  à 
réserver  certains  articles,  dont  Bachelier  ne  réclame  pas  le  retrait; 
la  Chambre  rédigera  une  déclaration  dans  le  même  sens.  Mais  elle 
est  loin  d'être  satisfaite.  11  faut  pourtant  aboutir;  alors  elle  rédige 
la  déclaration  :  quelle  déclaration!  Il  y  est  dit  en  termes  ambigus 
qu'elle  veut  avec  l'aide  de  l'Intendant  rendre  la  paix  au  négoce, 
i(  pour  que  les  choses  soient  remises  sur  le  pied  où  elles  ont  été  depuis 
le  mois  de  juillet  1767  ».  Le  poids  fut  {)rovisoirement  rétabli  sur  le 
quai;  en  échange,  le  sieur  Bachelier  fit  délivrer  les  permis  et  reçut 
les  soumissions-^.  A  l'époque  où  nous  sommes,  le  fisc  finissait  tou- 
jours par  avoir  raison;  le  même  Bachelier  avait  vainement  demandé 
à  Fargès  d'obliger  le  Commerce  à  fournir  un  entrepôt  à  deux  clefs; 
il  s'adressa  à  Esmangart  pour  le  même  objet;  l'Intendant  reconnut 
la  prétention  fondée  et  invita  la  Chambre  à  s'y  soumettre;  elle  lar- 
dait encore.  Entre   temps    on    l'obligea    d'opter    entre    rentrej)ôt 
fictif  ou  réel  pour  les  cafés;  les  deux  affaires  étaient  connexes;  de 
la  solution  de  l'une,  celle  de  l'autre  dépendait;  la  Chambre  ne  se 
décidait  pas  ^.  Alors  l'Intendant  pria  les  Directeurs  de  passer  chez 
lui.  Le  Contrôleur  général   avait  envoyé  des  ordres  pour  que   le 
magasin  à  deux  clefs  fût  fourni''. 

Quand  on  voit  de  pareils  conflits  remplir  des  Intendances  trop 
courtes  elles-mêmes  pour  permettre  l'exécution  d'un  programme 
un  peu  étendu,  on  se  rend  compte  que  les  Intendants  ayant  à  répondre 
de  leurs  actes  à  un  gouvernement  soupçonneu.x  sont  impuissants 
à  jouer  leur  rôle. 

11 

Entre  1757  et  1770  la  parole  est  au  Parlement.  Il  a  à  sa  tète  deux 
grands  magistrats,  le  père  et  le  fils,  les  deux  Leberthon,  cpii  consi- 
dèrent l'institution  des  Parlements  comme  la  pierre  angulaire  de 
la  monarchie"  et  qui  aiment  se  sentir  entourés  des  égards  dus  aux 
Pères  du  peuple. 

1.  C  4257,  11  et  13  septembre  1770. 

■Z.  C  4257,  22  août  1771. 

3.  Id.,   5  mars  1772. 

4.  ht.,   IH  iioveml)re   1773. 

5.  Communay,  llisloirc  du  Parlement,  p.  157. 


4l2     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

C'est  dans  cet  esprit  qu'ils  président  au  règlement  de  plusieurs 
affaires  importantes  où  la  Chambre  intervient.  D'abord  la  question 
des  courtiers.  Leur  but  est  toujours  de  s'associer;  une  lueur  d'espé- 
rance suffît  à  réveiller  leur  ardeur  pour  de  nouvelles  attentives; 
la  Chambre  ne  les  tolère  pas^,  les  jurats  non  plus,  mais  le  Parlement 
soucieux  de  rester  populaire,  homologue  aisément  les  arrêts,  sans 
y  regarder  d'assez  près  peut-être.  Cette  fois  encore,  une  déclaration 
du  roi  vint  le  contrecarrer;  elle  enjoignait  aux  courtiers  royaux  de 
dresser  des  statuts  concernant  l'exercice  du  courtage,  et  de  les  pré- 
senter en  cour,  faute  de  quoi  leurs  arrêts  ne  seraient  plus  homologués. 

Le  jour  d'après,  autre  affaire  :  le  Parlement  semble  reconnaître 
l'existence  des  courtiers  volants,  chers  aux  négociants,  en  faisant 
entendre  que  les  autres  ne  sont  pas  en  nombre  2.  C'est  une  avance 
au  commerce  qui  serait  malvenu  maintenant  à   tenir  rigueur  aux 
magistrats   de   leurs   dernières   faveurs   aux   courtiers   royaux;    le 
Premier  Président  va  plus  loin;  il  demande  si  les  courtiers  royaux 
s'opposent  à  ce  que  les  courtiers  volants  exercent  leurs  fonctions. 
La  Chambre,  jouant  sur  les  mots,  répond  que  les  courtiers  royaux 
ne  sont  point  troublés  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  par  leurs 
concurrents.  Et  le  bon  Président  satisfait,  en  conclut  «  que  l'on  pouvait 
demeurer  tranquille  »  ^  C'était  un  bien  mauvais  prophète,  il  comp- 
tait sans  le  gouvernement.  Le  Contrôleur  général  s'étonne  de  voir 
les  courtiers  volants  continuer  à  faire  les  négociations  et  le  courtage 
au  préjudice  des  courtiers  royaux^;  cette  fois,  les  courtiers  volants 
durent  cesser  leurs  opérations^.  La  Chambre  était  bien  vaincue, 
elle  commençait   à  se   résigner,  lorsque  tout  s'arrangea  au  mieux 
de  ses  désirs.   Après  tout,   le  problème  n'était  point  si  difficile  : 
le  gouvernement  ne  soutenait  les  courtiers  royaux  que  parce  qu'ils 
lui   avaient  acheté   leur  office  à   beaux   deniers   comptant;  ayant 
besoin  d'argent,  il  envoya  au  Premier  Président  un  nouveau  projet  : 
pour  6,000  livres,  chacun  avait  la  permission  de  se  livrer  au  courtage, 
le  Parlement  devant  enregistrer  le  droit  d'exercice  sur  une  simple 
information  de  vie  et  de  mœurs;  tout  le  monde,  même  les  étrangers, 
pourrait  à  ces  conditions  jouir  des  mêmes  prérogatives.  Les  courtiers 
royaux  travailleraient  «  suivant  la  confiance  qu'on  aurait  en  eux  ». 
Ils   ne   conservaient   que   le   droit   exclusif   d'affréter   les   navires. 

1.  C  4256,  26  janvier  1758 

2.  C  4323,  16  juillet  1760. 

3.  C  4256,  25  juillet  1760. 

4.  C   4256,  5  août  1760. 

5.  C  4264,  30  août  1700.        .   .  ,  . ...       


WEC    LES   IlVTENnANTS,    LE    PARLEMENT    ET  LES    .M  HATS  '|  1 3 

L'édit  de  février  17G1  accorda  deux  cents  brevets  de  courtier'.  I,a 
solution  était  nouvelle;  la  question  ne  l'était  pas  autant  (jue  les 
deux  qui  vont  suivre. 

Il  est  dommage  que  nous  ne  puissions  les  exposer  ensendjle;  il 
pourrait  être  plaisant  de  voir  au  même  moment  les  magistrats  et 
les  Directeurs  se  combattre  ici,  tandis  qu'ils  rollaborent  là, 

La  descente  des  Anglais  à  Cancale  n'alla  point   sans  dégâts;  les 
Malouins  demandèrent  comme  indemnité  la  franchise  de  leur  port. 
Les  maires  et  échevins  présentèrent  un  mémc)ire  au  Conseil,  et  le 
contrôleur  général  prescrivit  à  l'Intendant  de  Guyenne  de  le  commu- 
niquer à  la  Chambre  bordelaise.  Celle-ci  était  teime  de  répondre 
dans  le  délai  d'un  mois-.  La  Chambre  de  Rouen  ayant  demandé 
plus  de  temps,  le  jugement  lut  retardé.  Les  négociants  de  Bordeaux 
se  préparèrent  tout  à  leur  aise.  Voici  la  thèse  que  soutinrent  nos 
Directeurs  :  «Le  port  franc  est  un  privilège  exorbitant,  funeste  à 
l'État,  contraire  à  sa  constitution  économique,  il  dessèche  et  détruit 
ce  germe  d'émulation  qui  porte  toutes  les  villes  maritimes  à  faire 
à  l'envi..,  les  efforts  les  plus  généreux^.  »  Comme  toujours,  en  des 
nécessités  pressantes,  la  Chambre  fit  d'activés  démarches  auprès 
du  Premier  Président  et  du  Procureur  général,  elle  invoqua  auprès 
d'eux  la  tradition,  c'était  le  moyen  de  se  les  rendre  favorables  •*. 
Entre  temps,  vers  1764,  la  question  s'était  posée  d'une  façon  un 
peu  différente,  portant  plutôt  maintenant  sur  la  libre  exportation 
des  eaux-de-vie  de  cidre  et  de  poiré.  Les  Malouins  demandaient 
moins  pour  obtenir  davantage;  la  tactique  était  habile,  les  intérêts 
de  deux  provinces,   Bretagne   et  Normandie,  étaient  engagés,  les 
Malouins  pouvaient  compter  sur  leur  secours.  Les  Directeurs  bor- 
delais ne  furent  pas  dupes  :   propriétaires  et  négociants,  tout  le 
monde  craignit  à  Bordeaux  de  voir  préférer  sur  les  marchés  d'Italie, 
de  Portugal  et  d'Espagne,  aux  eaux-de-vie  de  vin  les  eaux-de-vie, 
moins  chères,  de  cidre  et  de  poiré.  La  place  y  perdrait  ses  débouchés  ^ 
Il  revint  à  nos  Directeurs  que  les  Chambres  bretonne  et  normande 
avaient  obtenu  l'appui  de  leurs  Parlements,  même  leur  collaboration 
active.  La  Cour  de  Guyenne  ne  marchanda  nullement  son  concours; 
le  Procureur  général  joignit  ses  propres  réflexions  au  mémoire  adressé 
par  le  commerce  au  Contrôleur  général.  Les  magistrats  de  Rouen 

1.  C  1620. 

2.  c  4256,  8  mars  1759. 

3.  C  1011,  24  août  1759. 

4.  C  425<3,   12  avril   1764. 

5.  t  3685,  juillet  1764.  Mémoire  du  Parlement  de  Cordeaux. 


[\l[\  RAPPORTS   DE    LA   CHAMBRE   DE    COMMERCE   DE    BORDEAUX 

furent  prompts  à  la  riposte.  La  lutte  s'étendait,  les  Directeurs  bor- 
delais firent  appel  à  ceux  de  Bayonne,  de  Toulouse,  de  Montpellier, 
de  Marseille,  de  La  Rochelle,  en  les  engageant  à  solliciter,  eux  aussi, 
le  secours  de  leur  Parlement  i.  Les  magistrats  saisirent  avec  empresy 
sèment,  dans  ce  conflit,  l'occasion  de  se  grandir  aux  dépens  de  la 
Chambre,  d'accroître  leur  popularité,  d'étendre  leur  influence,  de 
prendre  la  tête  et  de  se  montrer  les  «  pères  du  peuple  »  et  les 
«  défenseurs  du  bien  public  ».  Le  ton  de  leur  mémoire  est  significatif  : 

«  Le  Parlement,  informé  par  la  Chambre,  croit  devoir  réitérer 
les  représentations  qu'il  a  déjà  faites,  que  de  pareilles  matières 
intéressant  le  bien  général  de  son  ressort  ne  peuvent  être  complè- 
tement traitées  dans  un  bureau  de  commerce,  avant  d'être  portées 
à  la  décision  du  Conseil  du  Roy.  Les  provinces  d'élection  ne  peuvent 
être  défendues  que  par  leurs  compagnies  souveraines,  elles  seules 
par  la  nature  de  leurs  fonctions  sont  chargées  de  veiller  à  tout 
ce  qui  a  rapport  au  bien  public  et  à  l'intérêt  général  des  peuples  de 
leur  ressort  ^.  » 

Après  cette  entrée  en  matière,  le  Parlement  rappelle  le  temps 
heureux  des  anciens  ducs  et  des  rois  d'Angleterre,  souvenir  cher 
aux  cœurs  bordelais,  il  vante  les  richesses  de  la  province  qui  a  de 
l'or,  dit-il,  des  oliviers,  et  il  conclut  en  élargissant  singulièrement 
le  débat  et  en  haussant  le  ton  :  «  Otés  les  entraves,  le  monopole, 
les  droits  excessifs  qui  étouffent  toute  culture,  donnés  l'essor  à 
l'activité  si  reconnue  du  Génie  Gascon,  que  le  digne  rejeton  du 
grand  Henry  daigne  jeter  un  œil  favorable  sur  des  peuples  chéris 
de  son  aïeul,  sur  des  lieux  où  fut  conçu  le  plus  grand  des  mortels, 
nos  malheurs  sont  finis,  la  prospérité  va  renaître  dans  ces  climats 
fortunés,  notre  commerce  sera  bientôt  supérieur  à  celui  de  toutes 
les  nations  et  Bordeaux  le  magasin  de  l'univers^.  » 

Acceptons-en  l'augure,  mais  surtout  pesons  les  mots.  Le  but  de 
la  Cour  était  d'éclipser  la  Chambre,  et  les  magistrats  crurent  avoir 
atteint  ce  but  à  grand  renfort  de  mots,  de  phrases,  de  périodes  qui 
ont  le  malheur  de  n'être  que  des  périodes,  des  phrases  et  des  mots. 
Le  pompeux  discours  dont  nous  avons  donné  des  extraits  s'adres- 
sait beaucoup  moins  au  Conseil  du  commerce  qu'aux  gens  de  la 
province;  ils  durent  frémir  d'aise,  en  écoutant  cette  cantate  à  la 
Gascogne  et  à  Bordeaux.  Dubergier,  le  député,  écrivit  bientôt  que 


1.  C  4264,  16  mai  1764. 

2.  C  3685,  juillet  1764. 

3.  C  3685,  juillet  1764, 


AVEC    I,ES    INTENDANTS,     r.F    PVni.rMrNT    ET    l.i;s     U  RATS  /j  1 5 

le  débat  devenait  «  une  aiïiiire  df  l'arleinents  »>  i.  En  efTrt.  pendant 
que  les  magistrats  de  Rouen  attaquaient  le  reiuvsentant  de  noire 
commerce  -,  que  ceux  de  Guyenne  le  désavouaient  i)resque  =',  un 
envoyé  du  Parlement  quittait  Bordeaux, —  M.  Piuik-^.  j|  se  rendait 
à  Paris  pour  réfuter  les  observations  du  Parlement  de  Rouen  et 
défcndn^  les  intérêts  de  la  province.  La  Chambre  voyait  av(;c  tris- 
tesse la  question  lui  échapper  :  «  Cette  affaire  devient  j)ersonnelle 
au  Parlement.  Il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  mettra  au  jour  de  bonnes 
raisons  ))^  Les  raisons  de  nos  magistrats  ne  purent  convaincre 
personne,  pas  plus  que  celles  du  député  du  commerce  ^  Les  Nor- 
mands modifiaient  une  seconde  fois  la  forme  de  leur  demande  :  il 
ne  s'agissait  plus  que  de  leur  accorder  un  privilège  provisoire  de 
libre  exportation  pour  leurs  eaux-de-vie'.  Ce  compromis  trouva  des 
partisans^.  Après  des  débats  si  longs  qu'ils  duraient  parfois  toute 
la  matinée  jusqu'à  une  heure  et  tout  l'après-midi  d»-  une  heure  à 
neuf  heures  et  demie,  la  majorité  du  Conseil  de  commerce  concluait 
toujours,  malgré  l'opposition  des  députés  des  Chambres,  qu'il  fallait 
consulter  les  différents  Parlements^.  L'affaire  tourna  court,  il  ne 
fut  plus  question  que  ,de  déterminer  la  quotit(''  des  droits  à  payer 
pour  les  eaux-de-vie  de  cidre  et  de  poiré.  Dès  ce  moment,  le  Parle- 
ment ralentit  son  beau  zèle,  s'ingénia  à  ne  jamais  finir  son  nouveau 
mémoire  :  M.  Prune  mit  plus  d'un  an  à  le  retoucher^",  les  magistrats 
montraient  maintenant  la  plus  complète  indifïérence  ";  ce  n'était 
plus  qu'une  question  de  marchandage  à  débattre  entre  les  Chambres; 
la  nôtre  soutint  l'avis  d'identifier  au  point  de  vue  des  droits  toutes 
les  eaux-de-vie  ^2.  D'ailleurs  n'importe;  le  Parlement,  après  avoir 
eu  le  beau  rôle,  avait  choisi  son  heure  pour  abandonner  la  pailie. 

Sur  un  autre  terrain,  la  Chambre  perd  encore  la  bataille.  En  i7G  1, 
le  Parlement  étonnait  tout  le  monde  en  montrant  un  zèle  «  réfor- 
maleiir  »,  le  mot  est  des  contemporains  :  les  négociants  bordelais 
parlent  à  cette  époque  d'une  «  commission  nouvellement  établie 


1.  C.  4327,   18  août  1764. 

2.  C  4204,   !'■'  septembre   1764. 

3.  r.  3u85,  juillet  1704. 

4.  Hrives-Cazes,  Le  Parlement  de  Bordeaux,  p.  109. 

5.  C.  4264,   1"  septembre   1704. 
0.  C  4327,   1"  septembre   1764. 

7.  C4250,  0  septembre  1704. 

8.  Id.,  id. 

9.  C  4327,   15  septembre  1704. 

10.  Brives-Cazes,   Le  Parlement  de   Hortleaux  et   le   Durcau  «le    I.i  erande  police,  in 
Arles  de  V Acndrinie,  1S74,  p.  217. 

11.  C  4250,  y  mai   1705. 

12.  /(/.,  15  mai  1765. 


4l6     RAPPORTS  DE  LA  CHAMBRE  DE  COMMERCE  DE  BORDEAUX 

SOUS  le  titre  de  Bureau  de  la  grande  police,  s'occupant  plus  parti- 
culièrement de  la  recherche  des  abus  qu'ils  croyaient  apercevoir 
en  toute  matière  quelconque  »  i.  La  mission  du  bureau  consistait 
«  à  arrêter  des  résolutions  sur  lesquelles  il  proposait  ensuite  aux 
Chambres  assemblées  de  rendre  arrêt  «2.  N'allons  pas  croire  que  les 
magistrats  innovaient.  En  1739  déjà,  le  Parlement  avait  édicté  un 
véritable  code  pour  le  commerce  des  vins  dans  le  Bordelais;  tous  les 
antiques  privilèges  s'y  trouvaient  sanctionnés  :  droit  exclusif  de 
vendre  en  gros  du  8  septembre  à  la  Noël,  monopole  de  la  vente  à 
pot  et  à  pinte,  etc....^  En  1758  encore,  malgré  les  Consuls,  le  Présidial 
et  le  petit  peuple,  les  magistrats  s'étaient  prononcés  contre  l'intro- 
duction à  Bordeaux  des  vins  étrangers*.  En  1763  et  1764,  ils  conti- 
nuèrent. Dès  sa  première  séance,  le  21  novembre  1763,  le  Bureau 
de  la  grande  police  s'occupa  des  vins  de  retour;  l'année  suivante, 
son  attention  fut  mise  en  éveil  par  certaines  tentatives  faites  à 
Langon  et  à  Cubzac  dans  le  but  d'introduire  en  Guyenne  les  vins  des 
autres  sénéchaussées;   en  même  temps  on  s'étonnait  de  trouver 
dans  les  chais  des  négociants  de  la  ville  plus  de  vins  que  n'en  pro- 
duisait le  Bordelais  même^.  Alors  furent  lancés  contre  les  abus 
une  dizaine  d'arrêts  :  le  18  juillet,  sur  les  étampes  à  mettre  sur  les 
futailles;  le  28  août,  sur  le  transport  des  vins;  le  7  septembre  sur 
leur  déclaration  à  faire  dans  la  quinzaine;  le  7  septembre  encore, 
sur  la  fabrication  des  eaux-de-vie;  le  21  septembre,  sur  la  défense 
de  transporter  du  vin  dans  des  barriques  non  marquées;  le  21,  de 
même,  sur  la  défense  aux  rouleurs  de  tirer  du  vin  des  futailles; 
le  22  enfin,  sur  l'ordre  intimé  aux  cabaretiers  de  déclarer  leur  vin^. 
Ce  que  le  Parlement  appelle  des  abus,  ce  sont  les  infractions  aux 
antiques  privilèges;  un  abus,  c'est  le  mélange  des  vins  du  pays  avec 
ceux  d'Espagne,  chose  «  pernicieuse  au  corps  humain  et  destructive 
de  la  santé»';  un  abus,  ce  sont  les  nouvelles  plantations  dont  le 
Pailement  n'avait  d'ailleurs  cessé  de  se  montrer  le  plus  chaud  parti- 
san; un  abus,  ce  sont  encore  les  spéculations  des  négociants;  des 
abus,  ce  sont  en  général  toutes  les  innovations  que  nous  rapportons 
au  progrès;  dans  les  diatribes  passionnées  des  magistrats,  quelque 
chose  surprend,  c'est  la  disproportion  de  ces  «  abus  »  peu  criants, 

1.  C  4327,  27  septembre  1764. 

2.  Brives-Cazes,  op.  cit.,  p.  170. 

3.  Benzacar,  op.  cit.,  p.  16.  , 

4.  C  3260. 

5.  Brives-Cazes,  op.  cit.,  p.  200  sqq. 

6.  C  3683,  1764. 

7.  C  3683,  18  juillet  1764, 


AVEC    LES    INTENDANTS,    I.E    l'ARTEMENT    ET    F.ES    JURATS  ^|  1 7 

en  somme,  et  des  moyens  employés  à  les  enrayn-.  !.<•  Parlement 
ne  se  contente  pas  d'exiger  la  maiviue  des  barricpies  cL  la  déclaration 
des  vins,  il  parle  à  tous  moments  «  de  confiscation,  versement  des- 
dits vins  dans  la  rivière,  brûlement  dos  futailles  i)ar  l'exécuteur  de 
la  Haute  Justice,  dix  mille  livres  d'amende,  perte  de  Ixmrgeoisie, 
interdiction  de  tout  commerce;  même  de  punitions  corporelles  »;  il 
écrit  dans  tous  les  ports  afin  de  prévenir  les  négociants  étrangers 
des  fraudes  dont  il  accuse  ceux  de  Bordeaux  *,  enfin,  et  c'est  le 
comble,  il  choisit  douze  commissaires,  conseillers  au  Parlement, 
pour  se  transporter  aux  Chartrons,  le  faubourg  où  sont  admis  les 
vins  étrangers,  «  pour  y  faire  état  et  procès-verbal  des  maisons, 
portes  et  issues  pouvant  servir  de  communication  d'une  maison 
à  une  autre  maison  voisine,  ou  aux  rues,  culs-de-sac,  ensemble,  de 
la  hauteur  des  ouvertures  destinées  à  donner  le  jour,  et  être  toutes 
aiïaires  cessantes  sous  le  rapport  desdits  verbaux,  statué  ce  qu'il 
appartiendra  sur  les  réparations  à  faire  pour  mettre  lesdits  lieux 
à  l'abri  de  tout  soupçon» 2.  Ironie  des  circonstances:  à  ce  moment 
même,  le  gouvernement  rendait  libre  le  commerce  des  blés,  et 
il  parlait  lui  aussi  de  réformer  les  abus^.  On  ne  com{)rend  plus; 
entrons  dans  l'esprit  des  magistrats,  —  le  Parlement  esl  une  assemblée 
de  propriélaires;  et  voilà  comment  ces  beaux  arrêts  réformateurs, 
qui  témoignèrent  diiu  zèle  si  louable  en  apparence,  témoignent 
tout  au  plus  d'un  intérêt  personnel,  bien  entendu.  En  tant  (|ue 
propriétaires  de  nombreux  vignobles  du  Bordelais,  les  magistrats 
de  1758  préservaient  leurs  vins  de  la  concurrence,  en  refusant  d'ad- 
mettre en  ville  les  vins  étrangers;  les  magistrats  de  1764  portaient 
plus  loin  leurs  prétentions,  ils  voulaient  rendre  les  négociants 
inutiles,  au  besoin  les  supprimer  au  seul  profit  des  propriétaires; 
souci  bien  légitime  de  leur  part,  mais  peu  d'accord  avec  la  dignité 
de  leur  charge. 

Cette  politique  viticolc,  de  tradition  à  la  Cour  bordelaise,  ne 
trompa  personne  *-^  Les  négociants  s'insurgèrent*,  ils  signèrent, 
Chambre  en  tête,  une  protestation  couverte  de  145  signatures, 
contre  l'arrêt  du  18  juillet  1764  réglementant  la  pidice  des  vins. 
Ce  fat  en  vain. 


1.  C  4327,  27  septembre  1764. 

2.  C  4327,  27  septembre  1764. 

3.  C  4327,  27  septembre   1764. 

4.  C  4327,  27  septembre  1764. 

5.  r.  4264,  29  septembre  1764. 

6.  C  4264,  29  septembre  1764. 


i4l8  RAPPORTS    DIÇ    LA    CHAMBRE    DE    COMMERCE    DE    BORDEAUX 

Alors  la  Chambre,  sans  cesse  humiliée  i,  adopta  une  autre  tac- 
tique. Elle  s'ingénia  à  obtenir  du  Parlement  par  les  prières  et  les 
flatteries  ce  qu'elle  ne  pouvait  lui  arracher  de  vive  force.  Le  Par- 
lement se  laissa  persuader  des  excellentes  intentions  de  la  Chambre 
à  son  égard,  elle  sut  le  flatter  dans  son  rôle  de  «  père  du  peuple  ». 
D'ailleurs  le  changement  de  premier  Président  lui  avait  épargné 
la  peine  de  se  contredire;  elle  pouvait  faire  sa  cour  à  Leberthon 
le  fils,  sans  avoir  peut-être  toujours  pensé  du  bien  de  Leberthon 
le  père. 

«  M.  le  Premier  Président,  lit-on  dans  ses  registres  de  délibérations, 

frappé  en  bon  père  du  peuple  du  désordre  qui  résultera, étant 

trop  bon  citoyen  pour  se  refuser  à  ce  que  la  Chambre  lui  faisait 
demander,  etc..  2»  Sur  ces  entrefaites,  le  Parlement  tombait,  et  un 
grand  vide  se  fit  dans  la  vie  bordelaise.  Il  y  avait  une  place  à  prendre; 
nous  verrons  qu'elle  revint  à  la  Chambre. 

Dès  1771,  on  peut  se  faire  une  idée  de  ce  que  cette  Chambre  va 
devenir.  Entre  l'arrivée  de  Choiseul  au  pouvoir  et  la  chute  des  Parle- 
ments elle  se  transforme,  et  c'est  un  renouveau.  Elle  est  à  un  tournant 
de  son  histoire.  L'intérêt  de  cette  période  ne  va  point  aux  événe- 
ments qui  la  remplissent;  ils  sont  le  plus  souvent  quelconques 
et  sans  portée,  mais  chacun  est  un  jour  par  où  l'on  peut  surprendre 
«l'Etre  qui  se  décide»,  comme  disait  Frédéric  II.  L'affaire  des 
espèces,  la  question  des  blés,  voire  même  celle  des  eaux-de-vie  et 
celle  des  vins  n'ont  rien  de  bien  particulier,  mais  elles  nous  mon- 
trent les  Directeurs  s'affranchissant  de  plus  en  plus  de  la  tutelle 
des  Intendants,  et  se  plaçant  peu  à  peu  sous  celle  du  commerce 
bordelais  qui  grandit  avec  tout  le  tiers  état.  D'autre  part,  dans  les 
relations  du  Parlement  et  des  Directeurs  entre  1757  et  1771,  on 
trouve  la  preuve  de  l'aisance  avec  laquelle  la  Chambre  modifie  sa 
politique  pour  l'adapter  aux  circonstances.  Elle  dispose  de  tous 
ses  moyens  et  elle  sait  en  user.  C'est  la  veille  de  son  apogée. 

(A  suivre.)  M.  LIIÉRITIER. 

1.  Cf.  la  question  du  droit  sur  le  blé  perçu  par  l'hôpital  d'après  un  arrêt  du  Parlement. 
G  4264,  C  4331,  C  4257. 

2.  C  4264,  10  mars  1765;  C  4257,  2  mirs   1770. 


MÉLANGES 


Une  mésaventure  conjugale  du  peintre  Lonsing. 

Au  début  de  la  Révolution,  le  citoyen  Péchade,  inpféuieur  arrlii- 
tecte,  adressa  aux  autorités  un  grand  nombre  de  mémoires  et  cir- 
culaires se  référant  à  des  plans  ou  projets  plus  ou  moins  réalisabjfs. 
Dans  un  de  ces  dossiers  le  hasard  nous  a  fait  découvrir  '  un  documrnl 
malencontreux  pour  le  peintre  Lonsing. 

Gomme  Jean-Jacc[ues,  le  citoyen  Péchade  a  écrit  sa  confession. 
Il  résulte  de  ce  fragment  autobiographique,  dont  certains  dél;iiis, 
pour  être  communiqués,  nécessiteraient  une  traduction  !;iline,  qu'il 
eut  des  relations  plus  qu'amicales  avec  la  femme  de  l'artiste  Lon- 
sing, neuf  mois  avant  la  naissance,  qui  eut  liiii  i-n  iii;ii>  17^'.*,  du 
deuxième  fils  du  peintre,  et  les  renseignements  donnés  par  Péchade 
concordent  avec  l'acte  de  baptême  de  cet  enfant  2. 

M.  Meaudre  de  Lapouyade,  auteur  du  beau  livre  sur  :  Le  pcinln' 
Lonsinff,  avait  fait  sans  succès  des  recherches  dans  plusieurs  villes 
d'Italie  pour  connaître  le  lieu  de  naissance  et  l'acte  de  mariage  de 
la  femme  de  l'artiste.  La  «confession»  <Ie  Péchade  mentionne 
(|u'Agathe  Ricci,  femme  Lonsing,  est  née  à  Milan,  où  l'acte  di* 
mariage,  également  recherché  ces  jours  derniers,  à  la  suite  de  notre 
petite  découverte,  par  M.  de  Lapouyade,  est  resté  introuvable. 

Cette  confession  permet  aussi  de  comprendre  peid-être  l'étrange 
façon  dont  est  représent i'  le  ménage  Lonsing  ilans  la  gravure  de 
X'illeneuve  représentant  V I nccndie  de  la  ailJièilrale  de  liordenus. 
estampe  rarissime,  dont  la  planche,  nudheureuseinent  mutilée,  a 
figuré  l'an  dernier  à  la  vente  Cliaigneau.  Cette  gravure  porte,  h 
la  suite  du  titre,  cette  mention  :  «  Hoc  triste  niomimenlum  mœrens 
mœrentibus,  dicat  Joannes-Baptista  Péchade,  arehileelus.  »  Péehaiie 
paraît  donc  être  l'inspirateur  de  l'estampe  reproduite  dans  l'ouvrage 
de  M.  Meaudre  de  Lapouyade  et  accompagnée  de  celte  description  : 
«  Lonsing,  dont  on  reconnaît  la  corpulence,  est  figuré  la  palette  sous 
le  bras,  recevant  —  allusion  à  sa  vie  besoigneuse  —  la  bourse  (pie 
lui  tend  un  passant,  tandis  qu'il  conduit  par  la  nuiin  un  pet  il  enfant , 

1.  Arch.  dép.,  série  G  2374. 

'2.  Cf.  cet  acte  dans  Meaudre  de  Lapouyade,  Le  peintre  Lonsing.  Paris,  1911,  in-l", 
p.  63. 


430  MÉLANGES 

son  fils  Louis,  sans  doute,  tenant  des  pinceaux.  Derrière  eux  une 
femme  dans  un  état  intéressant  porte  le  chevalet  du  peintre  et  une 
seringue,  elle  a  son  mouchoir  sur  les  yeux  et  semble  pleurer.  C'est 
Agathe  Ricci  enceinte,  en  efïet,  de  son  fils  François  en  1788-1789  : 
c'est-à-dire  entre  la  date  de  l'incendie  et  celle  de  la  gravure,  faite, 
par  Villeneuve  à  Bordeaux,  en  1790  ^» 

Que  signifie  cette  scène,  qui  rappelle  le  faire  d'Hogarth?  D'après 
la  déclaration  citée  plus  haut,  toutes  les  suppositions  peuvent  être 
imaginées.  Le  dessinateur  a-t-il  voulu  indiquer  l'acceptation  par 
Lonsing  de  certaines  situations  moyennant  finances?  La  représen- 
tation de  l'instrument  cher  à  Pourceaugnac  prouverait-elle  qu'il  a 
voulu  ridiculiser  Agathe  Ricci  pleurant  sa  faute,  de  même  qu'il  s'est 
plu  à  perpétuer  cette  faute,  postérieure  à  la  date  de  l'incendie  et 
antérieure  à  l'année  1790,  date  de  la  gravure?  Ne  serait-ce  pas 
plutôt  un  trait  de  malice  du  graveur  Villeneuve  à  l'adresse  de  son 
confrère  Lonsing?  On  peut,  en  tout  cas,  regretter  que  Péchade,  s'il 
n'a  pas  inspiré  cette  scène,  n'ait  pas  cru  devoir  la  faire  supprimer. 

11  y  a  lieu  de  croire  que  la  brouille  entre  Péchade  et  Lonsing  —  s'il 
y  eut  brouille  —  fut  de  courte  durée.  En  elïet,  en  cette  même  année 
1790,  Péchade  proposa  la  création  d'un  atelier  de  charité  sur  les 
glacis  du  Château-Trompette  et  il  imagina,  en  vue  de  subvenir  aux 
frais  d'établissement,  une  souscription  de  quarante  sols  par  adhérent 
pour  faire  graver  les  portraits  du  duc  de  Duras,  commandant  général, 
et  de  Courpon,  major  général  de  l'armée  patriotique  bordelaise.  Or, 
on  sait  que  Lonsing  est  l'auteur  du  portrait  du  duc  de  Duras,  lequel 
est  au  Musée  de  notre  ville.  Est-ce  d'après  ce  portrait  que  Péchade 
prétendait  faire  graver  cette  sorte  de  prime  à  ses  souscripteurs?  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que,  au  mois  d'octobre  1790,  le  duc  de  Duras 
faisait  distribuer  à  Bordeaux  une  gravure  «  où  était  gravée  sa  face 
bourgeonnée  ))2,  et  qui,  à  n'en  pas  douter,  était  celle  de  Péchade, 
Celui-ci  était  donc  arrivé  à  ses  fins. 

Fernand  Thomas, 

*  • 


Une  prophétie  de  Montesquieu  (1711). 

Il  n'est  peut-être  pas  hors  de  propos  de  rappeler  en  ce  moment, 
après  M.  H,  Barckhausen,  qui  l'a  déjà  signalée^,  une  curieuse  pré- 
vision de  Montesquieu. 

On  sait  que  la  première  édition  des  Lettres  persanes  remonte 
à  1721.  Or,  dans  l'une  de  ces  lettres,  datée  de  1711,  Usbek  expose 
à  son  ami  Rustan  l'état  économique,  social  et  politique  de  l'empire 

1.  Meaudre  de  Lapouyade,  op.  cit.,  p.  53,  n.  4. 

2.  Bernaidau,  Tablettes,  t.  VII,  p.  31^. 

3.  Montesquieu,  ses  idées  cl  ses  œuvres  d'après  les  papiers  de  La  Brède.  Paris,  1907, 
in-I6,  p.  144. 


MKi.  \>(;i:s  4tl 

des  Osinanlis,  sa  corruption,  sa  misère,  son  despotisme,  8on  igno- 
rance fies  choses  militaires,  et  il  termine  par  ces  mots  : 

Voilà,  cher  Ihislun,  une  jiisle  idée  de  cet  empire  ijtii,  nvanl  deux 
siècles,  sera  le  Ihêâlre  des  triomphes  de  fjiielque  cnnipiéninl  '. 

Les  événements  (jui  viennent  il»-  se  déronli-r  dans  l.i  presfprile 
des  Balkans  vérillent,  une  fois  de  phis,  l'étonnante  saçacité  de 
Montes(iuieu. 

M.  Barckliausen  a  remar(iué  aussi  (pu'  .MnuLes([uieu  >e  ravisa 
plus  tard,  et  qu'il  écrivit  dans  ses  Considérations  :  «  L'empire  des 
Turcs  est  à  présent  à  peu  près  dans  le  même  degré  de  faiblesse  où 
était  autrefois  celui  des  Grecs;  mais  il  subsistera  longtemps,  c;ir 
si  quelque  prince  que  ce  fût  mettait  cet  empire  en  pi'-ril  en  ])()ur- 
suivant  ses  conquêtes,  les  trois  puissances  commerçantes  d»;  l'Eu- 
rope connaissent  trop  leurs  affaires  pour  n'en  pas  prendre  la  défense 
sur-le-champ  2.  »  Si  les  trois  puissances  dnnl  juirlr  Montes(piieu 
sont  la  France,  l'Angleterre  et  la  Russie,  comme  il  semble  bien, 
ces  lignes  aussi  méritent  d'être  méditées  en  cette  orageuse  fin 
d'année  1012. 

A.  L. 

• 
*   • 

Encore  Goya. 

Décidément,  Goya  n'a  pas  de  chance  à  Bordeaux.  II  y  passa  ses 
dernières  années  et  elles  furent  misérables.  Quand  on  voulut  e.xhumer 
son  corps,  déposé  à  la  Chartreuse,  on  le  retrouva  sans  tête.  (Juand 
on  voulut  conserver  son  souvenir  parmi  nous  par  une  plaque  com- 
mémorative,  on  la  fixa  sur  une  maison  où  il  n'était  pas  mort^.  Pour 
rétablir  la  vérité  sur  ce  point,  j'ai  publié  dans  le  dernier  numéro 
de  la  Hevue  l'acte  de  décès  de  Goya,  collationné  sur  l'original.  Cet 
acte  avait  été  déjà  imprimé,  comme  je  l'ai  dit,  par  M.  Gustave 
Labat,  qui,  dans  sa  transcription,  avait  omis  une  ligne.  Par  une 
inadvertance  vraiment  fatale,  j'ai  fait  la  même  omission,  en  dépit 
de  ma  collation.  Le  début  de  l'acte  doit  être  lu  ainsi  :  «  Il  a  été 
déposé  au  Bureau  de  V FJnt-civil  un  procès-ver Ixil,  jail  pur  Ir  rmiunis- 
saire  aux  décès,  duquel  il  résulte,  etc.  » 

P.  C. 

1.   Lettres  persanes,  éd.  Barckliausen,  IS'J",  p.  J'J- lU,  lellre  ii"  19. 

•2.  Considérations,  23  (10).* 

3.  Des  démarches  sont  faites  en  ce  nionienl  par  la  \ille  pour  oldonir  du  propriétaire 
(lu  n»  57  du  cours  de  l'Inlendance  l'autorisation  de  llxcr  la  placjuu  sur  la  façade  de 
son  immeuble.  Kspérons  (pi'elles  ahoutiront,  san.s  quoi  il  ne  restera  plus  qu'à  enlever 
l'inscription  de  la  place  où  elle  a\uit  été  mise  et  où  elle  a  été  rétablie  par  erreur. 


CHRONIQUE 


Société  d'Histoire  de  Bordeaux.  —  Dans  sa  dernière  assemblée 
générale,  la  Société  d'Histoire  de  Bordeaux  a  décidé  de  consentir  aux 
instituteurs  et  institutrices  adhérents  au  Comité  départemental  d'études 
locales  des  abonnements  réduits  (6  francs  au  lieu  de  lo  francs  par  an)  à  la 
Revue  historique  de  Bordeaux. 

Le  deuxième  centenaire  de  l'Académie.  —  L'Académie  de  Bordeaux 
a  commémoré,  les  ii  et  la  novembre,  le  deuxième  centenaire  de  sa  fonda- 
lion.  Les  fêtes  organisées  à  cette  occasion  ont  eu,  grâce  à  l'appui  moral  et 
au  concours  financier  du  département  et  de  la  Ville,  un  exceptionnel  éclat. 
Elles  ont  débuté,  le  ii,  par  une  somptueuse  réception  à  l'Hôtel  de  Ville, 
offerte  par  la  municipalité  à  r.\cadémie  et  à  ses  invités.  Les  salons  de  Gabirol 
avaient  été  reliés  par  un  passage  couvert,  transformé  en  jardin  d'hiver,  à  la 
galerie  nord  du  ^Iusée  de  peinture,  éclairée  par  des  foyers  électriques  dispo- 
sés au-dessus  de  la  voûte  vitrée.  L'effet  était  prestigieux  ;  il  a  été  unanime- 
ment admiré. 

Le  mardi  12,  dans  la  matinée,  eut  lieu  une  visite  des  deux  établissements 
scientifiques  dus  à  l'initiative  de  r.\cadémiedu  xvni'  siècle:  le  Musée  d'anti- 
quesetla  Bibliothèque  municipale.  M.  Charles  Gruet,  maire  de  Bordeaux,  tint 
à  présider  en  personne  à  cette  visite,  assisté  de  MM.  Boubès,  adjoint  aux 
Beaux-Arts,  et  de  La  Ville  de  Mirmont,  adjoint  à  l'Instruction  publique.  M.  de 
Mensignac,  conservateur  du  Musée  d'antiques,  fit  les  honneurs  de  ses  collec- 
tions et  signala  particulièrement  les  pierres  du  Musée  de  Dupré  de  Saint- 
Maur.  A  la  Bibliotlièque  de  la  Ville,  MM.  Gebelin,  conservateur,  et  de 
Maupassant,  bibliothécaire  adjoint,  avaient  organisé  une  très  intéressante 
exposition  de  documents,  livres,  portraits  et  souvenirs  rappelant  les  diverses 
époques  de  l'histoire  de  l'ancienne  Académie. 

A  midi,  eut  lieu  à  l'hôtel  de  Bayonne  un  déjeuner,  présidé  par  M.  Thamin, 
recteur  de  l'Université  de  Bordeaux,  délégué  du  ministre  de  l'Instruction 
publique,  et  auquel  assistaient,  outre  les  membres  de  l'Académie,  les  princi- 
pales notabilités  de  la  ville  et  du  département  et  les  nombreux  délégués  des 
Académies  provinciales  et  des  Sociétés  savantes  et  artistiques  de  Bordeaux  et 
du  Sud-Ouest.  Aux  places  d'honneur  étaient  les  délégués  de  l'Institut  de 
France:  M.  Marcel  Prévost,  délégué  de  l'Académie  française,  M.  le  comte 
Robert  de  Lasteyrie,  délégué  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
M.  Pascal,  délégué  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  M.Imbart  de  La  Tour,  délé- 
gué de  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques,  M.  Duhem,  délégué  de 
l'Académie  des  Sciences,  et  aussi  M.  Gariel,  président  et  délégué  de  l'Acadé- 
mie de  Médecine.  Au  dessert,  on  a  applaudi  un  toast  de  M.  Paul  Courteault, 
président  de  l'Académie,  un  discours  où  M.  Gruet,  maire  de  Bordeaux, 
a  rappelé  les  rapports  de  la  Jurade  et  de  l'Académie,  enfin  un  toast  exquis 
de  M.  le  recteur  Thamin. 

A  trois  heures  et  demie,  une  séance  publique  a  eu  lieu  dans  la  salle  des 
concerts  du  Grand  Théâtre.  Elle  a  débuté  par  un  discours  de  M.  Paul  Cour- 


cHuoMQUE  4a3 

teault  sur  l'œuvre  et  le  rôle  de  l'Acjdéiuie  de  Bordeaux  depuis  deux  siècles. 
Elle  a  coulitiué  par  des  leclurcs  de  quatre  uieuibres  de  l'Acadénue:  M.  Bcr- 
gonié  a  traité  de  la  part  prise  par  la  Compagnie  à  la  réforme  des  hôpitaux 
borilelais  à  la  fui  du  xvni"  siècle;  M.  Duregne,  de  celle  ([u'elle  prit  au  pro- 
bièuie  de  la  transfortnatiou  des  Landes;  M.  Bouvy,  du  portrait  de  Montes- 
quieu; M.  de  Bordes  de  Kortage  lut  ses  beaux  vers  sur  Lu  viiillesse  d'Ausone. 
M.  Marcel  Prévost,  de  l'Académie  rranç<Tisc,  parla  ensuite  au  nom  de  l'Ins- 
titut et  salua,  dans  un  discours  très  noble,  très  spirituel  cl  d'une  forme 
achevée,  l'Atadémie  de  .Moutes([uieu.  On  entendit  les  délégués,  (|ui  lurent 
les  adresses  envoyées  par  leurs  académies  et  sociétés  respectives,  au  nombre 
de  onze.  M.  Courteault  ériuuiéra  les  adresses,  au  nombre  de  dix-huit, 
envoyées  par  les  académies  étrangères  et  lut  celle  de  la  Société  Hoyale  de 
Londres,  particulièrement  cordiale.  Puis  il  proclama,  aux  applaudissements 
de  l'assistance,  les  noms  des  nouveaux  membres  associés  et  correspondants, 
élus  par  l'Académie  à  l'occasion  du  deuxième  cenlenaire.  Parmi  ces  noms,  il 
convient  de  citer,  après  ceux  des  délégués  de  l'Institut,  ceux  de  MM.  Charles 
Bémont,  Emile  Cartailhac,  F.  Sirowski,  F.  Daleau,  (i.  Millardet.  La  séance 
fut  terminée  i)ar  un  superbe  discours  de  M.  le  recteur  Thamin,  qui  clôtura 
dignement  cette  très  belle  fêle  iulellectuelle. 

Le  soir,  l'Académie  ollrait,  dans  la  salle  de  spectacle  du  Grand-Théâlrc, 
gracieusement  mise  à  sa  disposition  par  la  Ville,  une  représentation  de  gala. 
Elle  comprenait  trois  parties  :  une  partie  musicale,  rappelant  les  concerts 
de  l'Académie  du  \\m'  siècle,  où  l'on  applaudit  une  éniineule  cantatrice, 
M""'  Croiza,  du  théâtre  de  la  .Monnaie  de  Bruxelles,  et  l'orchestre  cl  les 
chœurs  delà  Société  de  Sainle-O'cile,  magistralement  conduits  par  M.  lUiené- 
Baloîi,  dans  des  Iragmenls  d'Orphée,  de  (jluck;  une  partie  dramati(iuc, 
consistant  en  une  comédie  en  un  acte  et  en  vers,  Sur  la  terrasse,  dans  laciuellc 
M.  Paul  Gautier,  membre  de  l'Académie,  évoqua,  en  des  vers  tour  à  tour 
très  souples  et  très  fermes,  un  épisode  du  légendaire  conflit  de  l'Académie 
avec  Tourny,  dans  un  décor  brossé  par  M\l.  Arlus  et  Lauriol  et  représentant 
le  panorama  de  la  rivière,  avec,  au  premier  plan,  le  Château-Trompette  et 
son  glacis  méridional,  les  allées  et  la  façade  du  r'.hapeau-Rouge,  vus  de 
l'hôtel  .Ican-Jacqucs  Bel,  et  qui  fut  interprétée  à  la  perfection  par  M.  .Mexan- 
dre  et  M"'°  Robinne,  de  la  Comédie-Française.  La  troisième  partie  de  la 
soirée  fut  remplie  par  des  danses  anciennes  et  le  spectacle  fut  terminé  par 
le  couronnement  du  buste  de  Monlesciuieu. 

Le  mercredi  12  novembre,  l'Académie  et  ses  invités  firent  une  très  agréa- 
ble excursion  à  Arcachon  :  on  visita,  sous  la  conduite  de  M.  le  D'  Hameau  et 
de  M.  Durègne,  le  Musée  de  la  Société  scientifique  e(  les  laboratoires  de  M.  le 
professeur  Jolyct;  un  déjeuner  fut  oHert  au  Casino  par  la  ville  d'.Vrcachon; 
on  fil  en  bateau  une  charmante  promenade  sur  le  bassin  et,  en  forêt,  une 
non  moins  charmante  excursion  en  voiture.  Celle  journée  clôtura  ces 
belles  fêles,  où  Bordeaux,  ville  de  négoce,  a  montré  d'une  façon  éclatante 
qu'elle  savait  être  aussi  la  ville  de  l'inlelligence,  de  l'esprit  et  du  bon  goût. 

A  l'Académie  des  Inscriptions.  —  Dans  la  .séance  du  aa  novembre. 
M.  Camille  Jullian  a  présenté  en  ces  termes  le  livre  de  notre  collaborateur 
M.  Jean  Barennes,  sur  «  La  viticulture  el  la  vinification  en  Bordelais  au 
Moyen-.Vge  ».  précédé  d'une  préface  de  notre  collaborateur  M.  Brulails: 
«.l'ai  plaisir  à  associer  les  deux  noms  de  M.  Barennes  el  de  M.  Brutails, 
qui  sont  celui  du  maître  el  celui  de  l'élève.  M.  Barennes  se  montre  digne 
dans  ce  travail  du  guide  qui  l'a  conduit;  l'ouvrage  renferme  quantité  de 
documents  nouveaux,  1res  sobrement  analysés,  très  sagement  commcnlcs. 


424  CHRONIQUE 

Pour  la  première  fois,  nous  possédons  une  étude  très  fine  sur  les  procédés 
de  viticulture  au  Moyen-Age.  Rien  n'est  oublié,  ni  l'examen  du  sol  (géogra- 
phie viticole),  ni  les  discussions  juridiques  (conditions  de  tenue  des  vigno- 
bles), ni  les  procédés  techniques  (culture,  vinification,  logement  des  vins). 
M.  Barennes  est  aujourd'hui  le  seul  érudit  capable  de  nous  donner  une 
étude  scientifique  sur  l'histoire  du  vin  de  France.  Quel  beau  sujet  de  thèse 
et  même  d'enseignement!  » 

A  la  Faculté  des  Lettres.  —  M.  P.  Courteault,  professeur  d'histoire 
de  Bordeaux  et  du  Sud-Ouest,  traitera  cette  année  les  deux  sujets  suivants  : 
1°  le  Port  de  Bordeaux  (conférence  publique)  ;  2°  la  Gascogne  de  i453  à  1789 
(cours  public).  La  leçon  d'ouverture  de  la  conférence  publique  sur  le  Port 
a  eu  lieu  le  mercredi  u  décembre.  M.  Charles  Gruet,  maire  de  Bordeaux, 
MM.  Daniel  Guestier  et  Paul  Maurel,  président  et  premier  vice-président  de 
la  Chambre  de  Commerce,  y  assistaient. 

Comité  girondin  d'études  locales.  —  Ce  Comité,  créé  pour  stimuler 
et  organiser  l'enseignement  de  l'histoire  locale  dans  les  écoles  primaires,  s'est 
réuni,  le  jeudi  21  novembre,  aux  Archives  départementales,  sous  la  prési- 
dence de  M,  Camena  d'Almeida.  11  a  arrêté  un  programme  d'action  pour 
l'année  scolaire  1912-1913.  Quatre  conférences  de  méthode  seront  faites  aux 
instituteurs  et  aux  institutrices  du  département  par  MM.  Camena  d'Almeida, 
Brutails  et  Courteault.  Elles  seront  imprimées  dans  le  bulletin  départe- 
mental de  l'enseignement  primaire.  Un  recueil  de  dictées  girondines  sera 
préparé.  Le  Comité  a  aussi  étudié  les  moyens  d'illustrer  les  couvertures  des 
cahiers  de  classe  à  l'aide  d'images  représentant  les  monuments  ou  les 
grands  personnages  de  la  Gironde. 

A  la  Bibliothèque  de  la  Ville.  —  M.  F.  Gebelin,  conservateur  de  la 
Bibliothèque,  a  achevé  le  classement  et  l'inventaire  des  papiers  de  Lamon- 
taigne,  sauvés  jadis  de  la  destruction  par  R.  Céleste,  ainsi  que  ceux  des 
dessins  de  Lacour.  —  Par  arrêté  ministériel  en  date  du  20  novembre  1912, 
le  Comité  d'achat  et  d'inspection  de  la  Bibliothèque  est  composé  comme 
suit  :  M.  le  Maire  de  Bordeaux,  président;  MM.  les  Doyens  des  Facultés  des 
Sciences,  des  Lettres,  de  Droit  et  de  Médecine  ;  MM.  Camena  d'Almeida  et 
Courteault,  professeurs  à  la  Faculté  des  Lettres;  Duhem,  professeur  à  la 
Faculté  des  Sciences;  Barckhausen  et  Duguit,  professeurs  à  la  Faculté  de 
Droit;  Costedoat,  professeur  au  Lycée;  de  Bordes  de  Fortage,  Baillet  et 
Sarreau,  membres  de  l'Académie;  Élie  de  Sèze,  conseiller  municipal.  La 
Commission  s'est  réunie  pour  la  première  fois  le  jeudi  19  décembre. 

Aux  Archives  municipales.  —  Par  arrêté  de  M.  le  Maire  de  Bordeaux 
en  date  du  4  novembre  19 12,  la  Commission  de  publication  des  archives 
municipales  est  composée  comme  suit  :  M.  de  La  Ville  de  Mirmont,  adjoint 
au  maire,  président;  MM.  Boubès,  Buhan,  de  Sèze,  conseillers  municipaux; 
de  Bordes  de  Fortage,  Bourciez,  Courteault,  Duguit,  F.  Habasque,  Alfred 
Leroux,  G.  Bouchon,  Gebelin  et  Ducaunnès-Duval. 

Un  musée  au  Grand-Théâtre.  —  Une  information  du  Figaro  a  annoncé 
qu'il  était  question  de  créer  dans  une  salle  du  Grand-Théâtre  un  musée  his- 
torique de  l'art  dramatique  bordelais.  Cette  information  a  été  démentie'. 

I.  Elle  a  été  reproduite  par  le  Neues  Wiener  Tagblatt  du  4  décembre.  L'erreur 
marche  plus  vite  que  la  vérité. 


CUHOMQLE  4^5 

Elle  était,  en  ellel,  d'allure  assez  l'anlaisiste.  I/idéc  eliciiu-inc  n'en  est  pas 
moins  dign(>  d'approbation.  Souliailons  (]u'(;lle  fasse  son  chmiin  et  <iu'à 
l'occasion  de  la  léomcilure  de  noire  salit;  de  spectacle,  à  la  suili:  dos 
réparations  qu'elle  va  prochainement  subir,  on  nous  donne  au  moins  une 
exposition  rétrospective  du  Grand-Théàlre'. 

Le  plafond  du  Grand-Théâtre.  —  Dans  sa  séance  du  vendredi  (j  dé- 
cembre, le  Comité  consultatif  des  beaux-arts,  réuni  à  l'Ilùtcl-de  Ville,  a 
proposé,  à  l'unanimité,  qu'à  1  occasion  de  la  réfection  du  plaibnd  du  (Jrand- 
Théàlre,  on  confiât  à  des  artistes  bordelais  le  soin  de  reproduire  exactement 
l'œuvre  de  Robin,  refaite  complètement  en  i85i  et  depuis  lamentablement 
détériorée  par  raiicien  lustre  à  gaz.  On  no  peut  (|u'applaudir  à  cette  i)roj)o- 
sitioii,  que  l'administration  municipale  est  toute  disposée  à  faire  sienne. 
—  Dans  sa  séance  du  vendi'edi  i3  décembre,  le  même  comité  a  exprimé  le 
vœu  que  l'on  s'appliquât  à  mettre  l'aménagement  intérieur  de  la  salle  en 
harmonie  complète  avec  le  chef-d'œuvre  de  Louis  et  qu'on  s'inspirât  autant 
que  possible  de  ce  qui  existait  à  ce  sujet  au  xvur"  siècle. 

Une  exposition  Monvoisin  à  Santiago  du  Chili.  —  Du  i<3  au  3o  sep- 
tembre dernier  a  eu  lieu  à  Santiag<i  du  Chili,  dans  les  salons  du  journal  El 
Mercario,  une  exposition,  organisée  par  le  Comité  France-Amérique,  d'une 
partie  de  l'œuvre  du  peintre  bordelais  Uavmoiid  Monvoisin.  Cette  exposition 
ne  comprenait  pas  moins  de  quatre-vingt-trois  toiles,  parmi  lesquelles  la 
Séance  du  Neuf  Thermidor,  le  Dernier  Repas  des  Girondins,  et  une  remar- 
quable série  de  portraits  peints  par  Monvoisin  pendant  les  quinze  années 
qu'il  passa  au  Chili  ' . 

Un  milliardaire  bordelais  aux  États-Unis.  —  Dans  la  conférence 
qu'il  a  faite,  le  samedi  (^i  novembre,  à  la  Faculté  des  lettres,  sous  le  double 
patronage  de  l'Université  de  Bordeaux  et  du  Comité  régional  de  l'Alliance 
Française,  M.  James  llyde  a  évoqué  le  souvenir  de  Stéphen  Girard,  né  à 
Bordeaux  le  20  mai  i7<jo,  rue  Ramonet.  mort  à  Philadelphie  le  uti  décembre 
i83i,  après  y  avoir  fait  une  colossale  fortune  et  y  avoir  fondé  le  «  Girard 
Collège  »,  destiné  à  recevoir  des  orphelins  de  toutes  les  religions,  mais  à  la 
condition  qu'aucun  ministre  d'aucun  culte  ne  pût  y  pénétrer.  M.  James 
llyde  a  réuni  sur  cet  original  philanthrope  de  nombreux  renseignements. 
Il  serait  très  reconnaissant  aux  personnes  qui  pourraient,  à  Bordeaux,  lui 
permettre  de  les  compléter.  Prière  de  lui  écrire  à  Paris,  rue  Adolphc- 
Yvon,  18  (WP). 

Un  écusson  anglais  aux  armes  de  Bordeaux,  —  Sur  l'initiative  dt> 
notre  collaborateur  .M.  Meaudre  de  Lapou>ade,  et  par  les  soins  de  .M.  Bou- 
bès,  adjoint  aux  Beaux-Arts,  une  pierre  sculptée  du  xV  siècle,  portant  les 
armes  anglaises  de  Bordeaux  souteimes  par  trois  anges,  qui  était  depuis 
longtemps  encastrée  dans  une  maison  de  la  rue  Gratiolet.  ac(|uise  il  y  a  deux 
ans  par  la  \  ille  pour  y  installer  une  école,  va  être  transportée  au  Musée  lapi- 
daire, ainsi  ([U(;  les  deu\  pierres  trouvées  au  début  de  kjio  dans  le  chantier 
de  la  Faculté  de  Médecine  (cf.  Revue,  njio,  p.  ôy,.  et  restées  depuis  en  dcpùt 
au  secrétariat  de  cette  Faculté. 

I.  Voir  la  chronique  bordelaise  d'Argus  dans  la  Petite  Gironde  du  lundi  a  dûccm- 
bre  KJ12. 

3.  Cf.  l'aul  Courlcault,  L'œuvre  d'un  peintri:  bordelaii  au  Chili  (^Petite  Gironde  du 
3o  novembre  igia,  avec  un  portrait  de  Monvoisin). 

3o 


4  2  6  CHRONIQUE 

Académie  de  Bordeaux.  —  Dans  la  séance  du  ai  octobre  a  eu  lieu  la 
réception  de  notre  collaborateur,  M.  Saint-Jours.  Le  récipiendaire  et  le  pré- 
sident, M.  Paul  Courteault,  ont  fait  l'éloge  du  regretté  R.  Céleste.  —  L'Aca- 
démie a  mis  au  concours,  pour  le  Prix  de  la  Ville  de  Bordeaux,  en  19 1 3,  le 
sujet  suivant  :  «  Un  bourgeois  bordelais  devenu  grand  seigneur  :  Bernard 
Angevin  (?-i483?);  l'homme,  le  milieu,  l'époque.  » 

Dans  la  séance  du  21  novembre,  l'Académie  a  décidé  de  publier  un 
volume  commémoratif  dos  fêtes  de  son  deuxième  centenaire.  La  séance 
publique  de  1912  a  été  renvoyée  à  1918;  mais  le  palmarès  des  concours  sera 
publié,  comme  d'usage,  à  la  fin  de  la  présente  année. 

Dans  la  séance  du  5  décembre,  l'Académie  a  entendu  la  lecture  par 
M.  Gayon,  trésorier,  du  bilan  des  fêtes  du  deuxième  centenaire.  —  Elle  a  élu 
pour  1913  :  vice-président,  M.  Dolhassarry;  trésorier,  M.  Gayon;  archiviste, 
M.  llarlé  ;  secrétaires  adjoints,  MM.  Cirot  et  Saint- Jours;  membres  du 
conseil,  MM.  Courteault,  Paul  Gautier,  D"  Démons  et  Vèzes.  M.  le  D"^  Régis, 
vice-président  en  1912,  devient  président  pour  191 3.  —  L'Académie  a  entendu 
le  rapport  de  la  commission  de  linguistique  sur  le  concours  La  Grange.  — 
M.  le  Piésident  a  présenté  un  volume  de  M.  H.  Patry,  archiviste  aux  Archives 
nationales,  sur  Les  débals  de  la  réforme  prolestante  en  Guyenne  C1526-1559), 
important  recueil  d'arrêts  du  Parlement  de  Bordeaux,  précédé  d'une  pré- 
face de  M.  Camille  Jullian.  —  M.  Brutails  a  entretenu  la  Compagnie  d'une 
récente  étude  sur  l'origine  des  coupoles  du  Sud-Ouest,  et  signalé  dans  ce 
travail  un  certain  nombre  d'erreurs.  —  M.  Courteault  a  lu  une  note  de 
M.Gebelin,  bibliothécaire  de  la  Ville,  sur  l'élection  de  l'abbé  Venuti  comme 
associé  de  l'Académie  de  Bordeaux,  en  1789. 

Dans  la  séance  du  19  décembre,  l'Académie  a  décidé  d'envoyer  une  adresse 
à  l'Institut  Rice,  de  Houston  (Texas),  à  l'occasion  de  son  inauguration.  — 
Elle  a  entendu  le  rapport  sur  le  concours  du  Prix  de  la  Ville  de  Bordeaux 
en  191 2. 

Dans  la  séance  du  27  décembre,  l'Académie  a  entendu  le  lapport  sur  le 
concours  de  littérature  et  de  poésie.  Elle  a  ensuite  dressé  le  palmarès  de 
1912.  Notre  collaborateur,  M.  Jean  de  Maupassant,  obtient  le  Prix  de  la 
Ville  de  Bordeaux  pour  une  belle  étude  sur  Abraham  Gradis.  Notre  colla- 
borateur, M.  l'abbé  Gaillard,  est  lauréat  du  prix  Brives-Cazes  pour  l'en- 
semble de  ses  pubhcations  d'histoire  locale.  M.  Bertin-Roulleau  obtient  une 
médaille  de  bronze  pour  son  livre  sur  La  fin  des  Girondins,  et  M,  Maurice 
Ferrus  une  médaille  de  bronze  pour  son  Bordeaux  Pittoresque. 

Société  des  Archives  historiques.  —  Dans  la  séance  du  aS  octobre, 
M.  P.  Caraman  a  communiqué  un  document  sur  l'incendie  de  l'hôtel  du 
premier  président  Leberthon,  le  i"  avril  17^1;  M.  de  Roquette-Buisson, 
des  extraits  du  livre  de  raison  d'Élie  de  Bétoulaud,  jurât  de  Bordeaux 
(iGo3-i654);  M.  F.  Thomas,  un  document  sur  Le  Masson  du  Parc  et  les 
pêcheurs  du  captalal  de  Buch  (1727)  (cf.  Revue,  1912,  pp.  35 1 -353;; 
M.  R.  Brouillard,  des  documents  fort  curieux  sur  le  séjour  à  Ambès  des 
Girondins  proscrits;  M.  Alfred  Leroux,  deux  documents  nouveaux  sur  le 
quartier  de  Bacalan;  M.  Th.  Ricaud,  les  statuts  et  règlements  de  la  confrérie 
des  tailleurs  maîtrisés  de  la  sauvetat  Saint-André  (29  juillet  1771)  et  les 
règlements  de  la  confrérie  des  saints  Crespin  et  Crespinien  (i744)-  —  La 
Société  a  admis  comme  nouveau  membre  M"°  Cluzan. 

Dans  la  séance  du  22  novembre,  M.  P.  Carainan  a  communiqué  des 
plaintes  des  habitants  de  Castelmoron-d'Albret  contre  le  régent  latin  Véril- 
lac  et  contre  sa  femme  (18  octobre  1767);  M.  Th.  Ricaud,  un  traité  passé 


'.n- 


CIIRO.NIQIJE  'la 

entre  le  m»'docin  (irassi  et  les  abliés  .1.  cl  I'.  La  Pause  poui-  la  disliil)Mlion  et 
vento  (lu  kiua  superfin  pn'-paré  à  l'auKlaise  (17.S1);  M.  Alfn-fi  Leroux,  les 
statuts  (loiiiK's  à  la  (oniinunaulé  des  pn"'trcsdo  Sainl-Miclicl  de  Bordeaux  par 
François  de  Sourdis  f  lOi  1);  M.  R.  Brouillard,  l'iulerro^iatoiro  des  ofliciers  el 
de  l'équipage  du  brick  qui  transporta  les  Girondins  proscriLs  {septembre 
i7t).'{);  M.  V.  f'-uiirleaull,  au  nom  de  M  le  iicnliMianl  de  Cardenal.  une 
drlibrralioii  des  yens  des  trois  iilats  du  iN'-rigord,  pour  supplier  Hem  i  li  de 
supprimer  la  gabelle  en  Poitou,  Saintonge,  Anpoumois  el  Guyenne  (2a  sep- 
tembre i553);  M.  P.  Harlé,  une  lettre  de  Lamonlaiirne  à  l'intendant  Le 
Camus  de  Névillc  au  sujet  des  impositions  de  rAcad('mie  de  Bordeaux 
fi78(»);  M.  Rousselol,  une  ordonnance  des  trésoriers  de  France  relative  à 
l'entretien  de  la  chaussée  de  Bacalan  jusqu'au  passage  de  Lormonl  (1781), 
et  des  lettres  patentes  do  Louis  W  relatives  à  la  création  dun  débarcadi'-n' 
à  La  Bastide  (17  octobre  1737;.  —  La  Société  a  procédé  au  reiiou\ellomriil 
partiel  de  son  bureau  pour  igiS.  Elle  a  élu  président  M.  Sam  Maxwell; 
vice-président,  M.  Paul  Courleault;  trésorier,  M.  Tli.  Amtmann:  archiviste. 
M.  P.  Robert  de  Beauchamp;  secrétaire  adjoint,  M.  R.  lirouillard;  assesseur, 
M.  F.  Gebelin. 

Dans  la  séance  du  27  décembre.  M.  Th.  Amtmann,  trésorier,  a  fait 
connaître  la  situation  financière  de  la  Société  en  191  a.  —  M.  P.  Caraman 
a  lu  un  document,  du  i"  décembre  ifV'jG,  sur  la  rue  de  Londres; 
M.  A.  Leroux  une  requête  des  bénéficiers  de  Saint-Michel  à  l'archevêque, 
touchant  le  service  des  confréries  (1751):  M.  [brouillard,  de  nouveaux 
documents  sur  les  Girondins  proscrits. 

Société  Archéolog-ique  de  Bordeaux  —  Dans  la  séance  du 
i:?  juillet,  M.  le  D"  Imbert  a  doimi'  lecture  de  notes  sur  un  livre  de  raison 
du  \vii«  siècle  qui  contient  de  ciuieux  détails  sur  la  visite  que  fit  en  i~'i'<, 
à  Bordeaux,  la  dauphine  Marie-Thérèse  et  des  renseignements  sur  l'installa- 
tion delà  chaire  de  l'église  Saint-Michel.—  M.  Thomas  a  lucpieUpies  rcmar- 
qucssurl'attributiondedeux  gravures  à  .L-B.  Pailière. —  La  Société  a  notnmé 
une  commission  pour  aller  examiner  la  mosaïque  gallo-romaine  de  Hure. 

Dans  la  séance  du  11  octobre,  M.  Charroi,  secrétaire  génc'-ral,  a  rendu 
compte  de  la  visite  faite  à  Hure,  le  '1  août  dernier,  par  la  commission  dr  la 
Socii'té,  qui  a  constaté  que,  grâce  aux  mesures  prises  par  la  municipaliti-, 
les  mosaïques  gallo-romaines,  récemment  mises  à  jour  sur  le  cùlé'  ouest  de 
l'i'glise,  sont  di'-sormais  à  l'abri  de  toute  di'ti  rioralioii.  —  M.  Hi-chadc  a 
signalé  un  document  latin  écrit  avec  des  caractères  grecs.  —  M.  (i.  Bou- 
chon a  fait  part  de  la  découverte  récente  d'un  lot  de  monnaies  romaines  du 
n'  siècle,  à  l'endroit  du  banc  de  Queyries  où  s'élèvera  prochainement  l'une 
des  piles  du  pont  transbordeur.' 

Dans  la  séance  du  8  novembre,  M.  .\.  Bardii'  a  rendu  compte  de  l'inaugu- 
ration delà  troisième  salle  du  Musée  de  la  porte  du  fîailhau,  faite  en  présence 
de  la  municipalité.  -  :\I.  K.  de  FayoUe  a  pn'soiiti'  deux  plats  d'ofTrando,  du 
xvi"  siècle,  en  (Hain,  ayant  au  centre  un  godet  dissimule  par  une  statuette 
de  même  métal  représentant  l'une  saint  Michel,  l'autre  saint  IMerre,  qui 
peuvent  se  remplacer  à  volonté,  (^es  deux  objets,  oITerts  à  la  Ville  par 
M.  deFayolle,  iront  prochainement  prendre  place  dans  les  vitrines  du  .Musie 
de  Carrcire.  —  M.  Béchade  a  lu  un  mémoire  relatif  à  un  denier  de  Henri  11 
Plantagenct.  Sont  réélus  ou  élus  membres  du  Conseil,  pour  trois  ans, 
MM.  Brutails,  Bardié,  D'  Lalanne,  Coudol  et  Bontemps. 

La  Société  vient  de  distribuer  son  deuxième  fascicule  de  1910.  Il  contient  : 
une  note   de  M.   C.    de  Mensignac  sur  le  lot   de  faïences    bordelaises  du 


428  CHRONIQUE 

xviii"  siècle,  provenant  de  l'ancienne  pharmacie  du  couvent  des  sœurs  de 
Saint-Projet  et  acquis  parla  Ville  le  17  mars  1909,  avec  deux  belles  planches; 
un  article  de  M.  Charroi  sur  l'inscription  gallo-romaine  de  l'église  Sainte- 
Hélène,  par  lui  découverte  (cf.  Revue  des  Études  anciennes,  1910,  p.  418-419, 
et  ici,  1910,  p.  434).  avec  deux  très  belles  photographies;  une  très  conscien- 
cieuse et  très  intéressante  étude  de  M.  Th.  Ricaud  sur  les  deux  églises  de 
Sainte -Colombe,  d'après  les  procès -verbaux  de  visite  des  archevêques,  et 
autres  documents  de  la  série  G;  une  note  de  M.  A.  Bontemps  sur  un  curieux 
bas-relief  mérovingien  de  l'église  de  Guîtres  (planche)  ;  une  étude  de  M.  A. 
Gonil  sur  les  sépultures  franques  et  mérovingiennes  de  Saint-Nazaire-de- 
Loubèsetde  Cournol  (planches);  un  excellent  résumé,  par  M.  le  D"^  G.  Lalanne, 
des  résultats,  au  point  de  vue  stratigraphique,  industriel  et  artistique,  de  ses 
deux  années  de  fouilles  préhistoriques  à  Laussel  (1908-1910);  enfin  une  note 
sur  l'emplacement  probable  de  la  fameuse  source  purgative  de  la  Rousselle. 

La  publication  de  la  correspondance  de  Montesquieu.  —  Cette 
publication,  entreprise  par  R.  Céleste,  a  été  confiée  par  la  Société  des  Biblio- 
philes de  Guyenne  à  MM.  F.  Gebelin,  successeur  de  Céleste  à  la  Bibliothèque 
delà  Ville,  et  Morize,  ancien  élève  de  l'École  normale  supérieure,  agrégé  des 
lettres,  professeur  au  Lycée  de  Bordeaux. 

Conférence  de  M.  E.  Oartailhac.  —  Sous  les  auspices  de  la  Société 
Linnéenne,  M.  ÉmileCartailhac,  correspondant  de  l'Institut,  chargé  de  cours 
à  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Toulouse,  a  fait  le  mercredi 
1 1  décembre,  à  l'Athénée,  devant  un  amphithéâtre  comble,  une  très  belle 
conférence  sur  les  récentes  découvertes  d'œuvres  d'art  préhistorique  dans 
nos  pays.  11  y  a  mis  en  relief  tout  ce  que  la  science  préhistorique  doit,  dans 
cet  ordre  d'idées,  à  MM.  F.  Daleau  et  le  D'  G.  Lalanne. 

Les  conférences  populaires  d'histoire  locale.  —  Ces  conférences, 
organisées  l'an  dernier  avec  un  grand  succès  sous  le  patronage  de  la  Société 
Philomathique,  seront  reprises  en  janvier  1918.  Elles  continueront  d'avoir 
pour  objet  les  quartiers  de  Bordeaux.  M.  Léonard-Chalagnac,  professeur 
au  Lycée,  fera  la  première  sur  le  quartier  Saint-Bruno. 

Autour  des  «  Essais  »  de  Montaigne.  —  La  Société  des  Amis  de  Mon- 
taigne constituée  en  mai  dernier  (cf.  Revue,  1912,  p.  21 4)  s'est  réunie,  sous 
la  présidence  de  MM.  Anatole  France  et  Henry  Roujon.  M.  le  D'  Armaingaud 
y  a  présenté  les  deux  premiers  volumes  de  l'édition  municipale  des  Essais, 
et  il  a  félicité  la  Ville  de  Bordeaux  de  sa  libérale  initiative.  M.  E.  Courbet 
a  présenté  à  son  tour  les  bonnes  feuilles  du  premier  volume  de  l'édition  de 
l'imprimene  Nationale,  qui  donne  le  fac-similé  lypofjvaphique  de  l'exem- 
plaire de  Bordeaux  et  qui  sera  livré  dans  quelques  mois  à  la  publicité.  Il 
convient  d'ajouter  que  la  maison  Hachette  a  déjà  fait  paraître,  en  trois  vo- 
lumes, une  reproduction  p/io/oj/rap/ug»?  du  même  exemplaire,  exécutée  sous 
la  direction  de  M.  F.  Strowski  et  préfacée  par  lui.  Qui  se  plaindrait  à  Bor- 
deaux de  cette  émulation  féconde  dont  Montaigne  est  présentement  l'objet? 

Le  concours  littéraire  sur  Bordeaux.  —  Dans  son  numéro  du 
20  décembre,  la  Revue  des  Français  donne  les  résultats  du  concours  ouvert 
par  elle  sur  la  meilleure  définition  de  Bordeaux  (cf.  Revue,  1913,  p.  357). 
Voici,  à  titre  de  document,   les  quatre  premières  réponses  couronnées  : 

1"  Bordeaux,  la  Corne  d'or  française  (M.  Henri  Laville  de  Lacombe); 

3°  Une  grappe  de  raisin  dans  un  verre  d'eau  (M.  Ferdinand  Aublin); 

3"  Le  rubis  d'Aquitaine  (M.  Guy  Aigoin  du  Rey); 

4°  Le  Cellier  de  la  France  (M.  Adhémar  Presle  de  Sainte-Marie). 


BIBUOGRAlMIIi: 


Harlé  (Pierre).    Mlle  de  Bordeaux.  Registre  du  Clerc  de  ville,  wr  siè- 
cle, public  par  Pierre  llarlc...  Bordeaux,  (jounouillioii,  kjij,  in-'j 
de   XLi-SSg  pages,  avec  un  fac-similé.  (Tirage  à  pari  public  aux 
frais  de  la  Ville  de  Bordeaux.) 

On  conserve  aux  Archives  municipales  de  Bordeaux  un  registre  écrit  en 
majeure  partie  de  la  main  de  l'avocat  Richard  de  Pichon,  qui  fut  clerc  de 
ville  de  i55i  à  i6o3.  C'est  une  sorte  de  mémento  à  l'usage  particulier  de 
Pichon,  où  il  prenait  note  des  «  arestz  de  la  Cour  |de  Parlement  de  Bordeaux] 
consernant  les  afTayres  de  la  ville.  »  Ces  mentions,  souvent  très  sommaires, 
toujours  très  précises,  offrent  le  plus  grand  intérêt  et  sont  un  f.nil(l('  jiré- 
cieux  à  celui  qui  veut  faire  des  recherches  dans  le  fonds  du  Parlrmeiit  ;iu\ 
Archives  delà  Gironde.  Elles  sont  entremêlées  de  notes  de  toutes  sortes: 
listes  de  jurais,  de  memhres  du  Parlement,  de  prud'hommes,  états  de 
l'armement  des  navires  de  guerre  (p.  72),  de  l'artillerie  de  la  ville  (p.  i/jg;, 
des  taverniers  de  Bordeaux  f^pp.  iSg  et  ao3),  notes  sur  les  événements  du 
temps,  sur  la  famille  de  Pichon,  etc.  Le  tout  —  arrêts  et  notes  diverses  — 
inscrit  au  hasard  sur  le  registre  et  sans  aucun  ordre  apparent. 

Nous  devons  une  grande  reconnaissance  à  M.  Marié,  qui  nous  rend  acces- 
sible cette  pn-cieusc  mine  de  renseignonicnls  divers,  dont  il  donne  une 
excellente  édition,  d'un  très  grand  mérite  paléographlipu-,  munie  d'un 
index  fait  avec  soin  et  précédée  d'une  fort  intéressante  introduction. 

Le  registre  du  clerc  de  ville  contient  une  autre  partie,  tpu  n'est  plus  l'iru- 
vre  de  Bichard  de  Pichon,  d'un  caractère  assez  dilVérent  de  la  précédente. 
Ce  n'est  pas  un  recueil  d'arrêts.  Plusieurs  personnes  y  ont  simplement 
inscrit,  les  uns  à  la  suite  des  autres,  des  renseignements  divers  con 
cernant  la  ville  de  Bordeaux  :  un  extrait  des  registres  de  la  Juradc  de 
ir)2o  à  1Ô37,  <lcs  ordonnances  de  police,  des  comptes,  etc.  Kmile  Lninnnc  cl 
plus  récenunent  M.  Paul  Courteault  en  ont  tiré  les  éléments  d'intéressantes 
publirations,  parues  dans  les  tomes  XII  et  \\\\  des,lrr/in'<'s/(i."î/<ir(«///<'S  </<•  la 
Gironde.  M.  Ilarlé  (dont  le  travail  a  paru  d'abord  dans  le  même  recueil  1  a 
pensé  qu'il  était  inutile  de  donner  à  nouveau  les  passages  édités  déjà.  C'est 
là  peut-être  chose  regrettable,  car  il  nous  eût  été  plus  commode  de  posséder 
en  un  seul  volume  une  édition  intégrale  du  registre  du  clerc  de  ville. 

F.  (i. 


Zi3o  BIBLIOGRAPHIE 

H.  Patry.  Les  débuis  de  la  Réforme  proleslanle  en  Guyenne  (1523- 
i559),  arrêts  du  Parlement  publiés  avec  une  préface  de  M.  Camille 
Jullian.  —  Bordeaux,  Feret  et  fils,  1912,  in-^"  de  xliii-3oo  pages. 

Dans  le  tome  1,  le  seul  paru,  de  son  Histoire  de  la  Réforme  à  Bordeaux  et 
dans  le  ressort  du  Parlemeni  de  Guienne,  Gaullieur  avait  signalé  et  utilisé  de 
nombreux  arrêts  du  Parlement,  extraits  des  registres  et  des  liasses  de  la 
série  B  de  nos  archives  départementales.  Mais  son  dépouillement  était 
insufTisant  et  imparfait.  M.  Patry  nous  rend  un  grand  service  en  publiant, 
pour  la  plupart  in  extenso,  tous  les  arrêts  par  lui  retrouvés  dans  ce  fonds. 
Cette  publication  sera  très  précieuse  pour  l'histoire,  encore  mal  connue,  des 
débuts  de  la  Réforme  à  Bordeaux  et  en  Guienne.  Car  je  ne  suis  pas  tout  à 
fait  de  l'avis  de  l'éditeur  :  j'estime  que,  même  après  Gaullieur,  il  était 
possible  et  souhaitable  d'écrire  cette  histoire,  fût-ce  avec  ces  arrêts 
seulement;  et  je  regrette  un  peu  que  M.  Patry  ne  l'ait  pas  fait.  11  y  a  là  — 
M.  Patry  les  signale  d'ailleurs —  des  confirmations  décisives  de  certains 
Jugements  de  Montluc  et  de  Florimond  de  Raymond,  par  exemple,  sur  les 
progrès  étonnants  de  la  Réforme  parmi  les  officiers  royaux  et  municipaux, 
sur  le  nombre  considérable  des  adhérents  dans  les  classes  populaires. 
Certaines  questions  très  délicates  ont  été  abordées  et  résolues  par  Gaullieur 
d'une  façon  plutôt  sommaire  :  par  exemple,  dans  quelle  mesure  les  régents 
et  les  écoliers  du  Collège  de  Guienne  furent  contaminés  par  l'hérésie  nais- 
sante. L'article  donné  par  M.  Patry  à  la  Revue  tiistorique  et  reproduit  ici, 
dans  l'introduction,  ne  me  satisfait  pas  complètement.  Aussi  je  fais  le  vœu 
qu'il  nous  donne  la  synthèse  de  ces  documents,  qu'il  a  recherchés  avec  tant 
de  patience,  transcrits  avec  un  soin  si  minutieux,  publiés  d'après  les 
meilleures  méthodes.  11  nous  la  doit,  et  il  est  très  qualifié  pour  la  faire. 
L'introduction  reproduit  aussi  l'article  sur  Thomas  lUyricus  —  encore  un 
bien  beau  sujet!  —  et  l'analyse  avec  commentaire  de  la  curieuse  enquête 
de  i538  sur  les  débuts  de  l'hérésie  à  Agen,  transcrite  par  M.  O.  Fallières  et 
par  lui  communiquée  à  M.  Patry.  Le  volume  est  précédé  d'une  préface  de 
M.  Camille  Jullian,  qui  est  à  lire. 

Paul  COURTEAULT. 


TABLE  DES  MAIIEUKS 


!• 


Barennes   (Jean).     —    Viticulliiie    et    vinificaliuii    en    liordelais    au 

Moyen  Age /17,  10, 

—  Montesquieu  et  le  braconnage  à  La  Brède ifiS 

BROUiLt.AUD  (R.).  —  Baisers  paliioliques fia 

—  La  baronnic  de  Sainl-Magne,  d'après  des  documents  inrdils,  avec 

la  collaboration  de  M.  le  baron  Ein.  OberkatnpIÏ  de  Dabnni. 

\hhù  WhL'il  CtAiLLA.Ki)  (BihlioijrapliieJ l'ia 

—  Ln  notaire  qui  n'aime  pas  les  tyrans uuti 

—  In  ballet  original j-- 

—  Nouvelles  recherches  sur  les  Girondins  proscrits  (i  793-1 7iJ'4)3o8,  371» 

Brutails  (J.-A.).  —  Portails  d'églises  girondines •j.Sij 

Caramak  (P.).  —  Recherches  sur  l'ancienne  église  Notre-Dame  de  la 

Place,  à  Bordeaux,  et  sur  ses  diverses  appellalions -.(17 

Chinauu  (Gilbert).  —  Un   romancier   bordelais  inconnu  :  Antoint'  Du 

Périer,  sieur  de  Salargues .{(ii 

GouRTEAULT  (Paul).  —  Qucstious  et  réponses 6/i,  ao(t 

—  Une  Académie  des  sciences  à  Bordeaux  au  xviM' siècle 1 '|."> 

—  A  propos  d'un  portrait  de  Victor  Louis r3ii,  jiA'i 

—  L'exotisme  américain  dans  la  littérature  franc^aise  au  \vi'  siècle. 

d'après    Rabelais,  Ronsard,  Montaigne,  etc.  —  (iiiberl  Gm- 

NARD  (Biblioyraphie) aS'i 

—  Montesquieu  e  Machiavelli.  — E.  Levi-Mai.vanu  (Bibliographie).  aSfi 

—  Les  idées  financières  do  Montesquieu.  —  ToiRNYor.   dl    ('los 

{Bibliographie) ui<7 

—  La  maison  mortuaire  de  Goya 34>S 

—  Encore  Goya f\x\ 

—  Les  débuts  de  la  Réforme  protestante  en  (îuyenne  (i.')a3-i5.u)). 

—  II.  Patuy  {Bibliotjraphie) .'i3o 

—  Chroniques 05,   137,   uo8,   ji<o,  355,  .'ia3 

DuRiEtx  (Josephj.  —  L'Étal-major  du  Chaleau-Trompettc  en  1773  .    .  ^78 

Etchart(E.).  —  Questions  et  réponses 3â'i 

Gaillard  (Abbé  Albert).  —  .\  travers  le  schisme  conslilulionnol  m 

Gironde. 18,  ion 

—  Les  Messieurs  Lalapy  (Histoire  de  trois  prêtres  — »»i»nt«rt»»»»»'-^ 

—  Vlarie-Thérèse-Gharlottc  de  Lamourous.  fond; 

corde  de  Bordeaux  (  175.'!- 1 830).  —  Auguste 

graphie) ^•"'7 


432  TABLE    DES   MATIERES 

Gebelin  (F.).  —  Histoire  de  Gastillon-sur-Dordogne  (l'une  des  filleules 
de  Bordeaux)  et  de  la  région  castillonntiise,  depuis  les  origines 

jusqu'à  1870. — Vernand  GviGîiA.Rj)  (Bibliographie) i43 

—  Ville  de  Bordeaux.  Registre  du  Clerc  de  ville  xvi*  siècle.  — 

Pierre  Harlé  (Bibliographie) .  429 

Harlé  (Pierre).  —  L'horloge  de  la  Grosse  Cloche ôg 

—  Notes  sur  la  Basoche  et  ses  «  farces  »  au  xvi'  siècle 349 

Léonard-Ghalagnac  (J.).  —  Questions  et  réponses 64 

L[eroux]  (A..).  —  Une  prophétie  de  Montesquieu •   .    .  420 

Lhéritier  (M.).  —  Histoire  des  rapports  de  la  Chambre  de  Commerce 

de  Bordeaux  avec  les  Intendants,  le  Parlement  et  les  Jurais 

de  1705  à  1781 •73,   192,  256,  338,  4oo 

Maupassant  (Jean  de).  —  La  prise  du   corsaire  de  Jersey   la   Molly 

(6  avril  1767) 42 

—  Index  bibliographique 69,  21 3,  358 

Meaudre  de  Lapouyade.  —  La  statue  de  Clément  V  à  la  cathédrale 

Saint-André 5 

—  Mésaventure  d'un  musicien  du  Grand-Théâtre nj5 

—  Voyage  d'un  Allemand  à  Bordeaux  en  1801 i64,  22^9 

Raby  (L.)  .  —  Correspondance 346x. 

R[ousselot]  (E.). —  Le  lieu  de  décès  du  comte  Lynch 61    "^ 

S[aint-Jours].  —  Méteuil,  ancienne  capitale  du  Médoc.  Son  principal 

héritier  Saint-Germain  d'Es(mé)teuil. —  Louis  B.KBY{Biblio- 

graphie) i4i 

—  Histoire  de  Lesparre.  —  Clary  et  Bodin  {Bibliographie)].    .    .    .  283 
Thomas  (Fernand).  —  Un  prince  royal  d'Angleterre  à  Bordeaux    ...  63 

—  Le  Masson  du  Parc  et  les  pêcheurs  du  captalat  de  Buch   ....  35 1 

—  Une  mésaventure  conjugale  du  peintre  Lonsing 419 

VovARD  (André).  —  Un  caporal  girondin  décoré  de  la  Légion  d'hon- 
neur, en  1807 • '^^ 


-^ç»^- 


Le  Gérant:  G.  DucaUxNnès-Duval. 


Bordeaux.  —  Imprimeries  Gounouilhou. —  G.  Chapon,  directeur. 
9-11,  rue  Guiraude,  9-11. 


DC 


Revue  historique  de  Bordeaux 
301  et  du  département  de  la 

B71IU  Gironde 

t. 5 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 


UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY