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Full text of "Revue philosophique de la France et de l'étranger"

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REVUE 

PHILOSOPHIQUE 

DE  LA  FRANCE  ET  DE  L'ÉTRANGER 


COULOMMIERS 
Imprimerie  Paul  Brodard. 


BEVUE 

PHILOSOPHIQUE 

DE  LA  FRANCE  ET  DE  L'ÉTRANGER 

PARAISSANT  TOUS  LES  MOIS 
DIRIGÂK   PAR 

TH.   RI  BOT 


VINGT-CINQUIÈME    ANNÉE 


(JUILLET  A  DÉCEMBRE  1900) 


-•--«aaCa.^^ 


PARIS 


ANCIENNE  LIBRAIRIE   GERMER    BAILLIERE  ET  C»« 
FÉLIX  ALCAN,  ÉDITEUR 

108,    BOULEVARD    S AINT-0 B R M A IN,    108 


1900 

h. 


LIBRARYOFTHE 
LELAND  STANFORD  JR.  UlilIVERSITY. 


LA 


PERCEPTION  DES  MOUVEMENTS 


PAH  LE  MOYEN  DES  SENSATIONS  TACTILES  DES  YEUX 


Supposons  un  objet  qui  se  meut  au  milieu  d'objets  immobiles; 
nous  pouvons  par  la  vue  percevoir  son  mouvement  de  deux  manières 
différentes  :  soit  sans  le  fixer  et  en  fixant  au  contraire  quelqu'un 
des  objets  immobiles,  soit,  Jorsqu'il  se  meut  assez  lentement,  en  le 
Hxant  lui-même.  Lorsque  nous  fixons  quelqu'un  des  objets  immo- 
biles^ Limage  de  l'objet  en  mouvement  se  meut  sur  la  rétine  et  la 
perception  est  par  conséquent  rétinienne.  Lorsque  nous  fixons 
Labjet  qui  se  meuL  son  imoge  ne  change  pas  de  position  sur  la 
rétine  ou  n*éprouve  que  de  très  légers  changements  de  position, 
résultant  de  la  diffiimllé  d'adiipter  exactement  la  vitesse  et  la  direc- 
tion du  mouvement  des  yeux  à  celles  de  lobjet;  les  images  des 
objeta  immobiles  se  dt^placent  au  contmre  sur  la  rétine;  mais 
supposons  le  ims  le  plus  simple,  celui  d*un  seul  objet  visible  :  alors 
ta  rétine,  si  Vœil  suit  exactement  l'objet,  ne  peut  pas  nous  rensei- 
gner sur  son  mouvement;  ainsi,  lorsque  nous  ne  cessons  de  fixer  un 
point  lumineux  qui  se  déplace  dans  robscurité,  il  est  clair  que, 
puisque  le  point  de  la  rétine  impressionné  reste  le  même,  ce  n'est 
pas  par  la  rétine  que  nous  percevons  le  mouvement;  nous  ne  pou- 
%'ons  fe  percevoir  que  par  le  moyen  des  organes  dont  les  sensations 
cliiingent,  cest-à-dire  par  le  moyen  des  appareils  de  sensibililù 
tactile  et  mu.^culaire.  C'est  ce  cas  que  je  considérerai  particulière* 
ment  dans  ce  quï  va  suivre, 

La  question  de  la  perception  du  mouvement  d*un  objet  fixé  a  été 
dV*ju  étudiée  expcrirnenlalement,  en  particulier  par  Aubert*.  Mais 
Auberl  ne  parait  même  pas  avoir  songé  h  expli^iuer  celte  perception 
par  les  sensations  tactdes  et  musculaires  des  yeux.  Certaines  de  ses 
recbercbes  se  rai  tachent  à  une  conj^tataliun  laite  d'abord  par 
V.  Fleiscbb  savoir  que  restimalion  de  la  vitesse  d'un  mouvement 


t.  U*  Aiil>çrt*  fiif  Bi*wfft}Un0Jt€mpfindung.  (Pyî%pK*  Aréfiii\  Bd-  ^%  ISSfl,  p.  31*- 
mu;  Bd.  irt,  tH87»  p.  4f5W  4S0), 

Tome  L,    —  Jt  ILLIT    iTO>.  l 


i  BCVL'C   raiLOSOTHlOCC 

dépend  du  fait  que  Ton  fixe  un  point  immobile  du  champ  risuel  ou 
que  l'on  suit  des  yeux  Tobjet  même  qui  se  meut  ^  Aubert  a  répété 
l'expérience  en  se  servant  de  deux  cylindres:  devant  chacun  d'eux 
était  disposée  une  ouverture  quadrangubire  de  -V»  millimètres  de 
large  et  2iJ  millimètres  de  haut;  l'observateur  se  tenait  à  SOO  milli- 
mètres des  cylindres  ;  ceux-ci  tournaient  avec  des  vitesses  diffé- 
rentes: devant  celui  de  gauche,  à  une  très  petite  distance,  était 
saspendue  à  un  fil  de  cocon,  dans  le  milieu  de  l'ouverture,  une 
petite  boule  de  cire  qui  servait  de  point  de  fixation.  L*obsen'dteur 
avait  à  dire  lequel  des  deux  cylindres  lui  paraissait  tourner  le  plus 
vite;  or  le  principal  résultat  des  observations  faites  a  été  la  confir- 
mation de  ce  qu'avait  trouvé  v.  FleischI  :  Aubert  a  en  effet  constaté 
que.  lorsqu'il  fixait  le  point,  le  mouvement  paraissait  environ  deux 
fois  ou  un  peu  plus  de  deux  fois  plus  rapide  que  lorsqu'il  suivait 
l'objet  du  regard. 

On  remarquera  que  dans  l'expérience  précédente  plus  d'un  objet 
était  visible;  l'interprétation  du  résultat  obtenu  présenterait  par 
conséquent  des  difficultés.  Aubert  a  lui-même  fait  d'autres  expé- 
riences oi'j  un  seul  objet  était  visible  ;  il  s'est  servi  dans  un  cas  d'un 
fil  de  pUtine  porté  électriquement  au  rouge  dans  Tobscurité;  il  a 
con^'taté  alors  que  la  perception  du  mouvement  devient  très  incer- 
taine, que  d'une  part  on  croit  parfois  constater  un  mouvement  alors 
qu'il  ne  s'en  produit  aucun  (sensations  autocinétiques),  que  d'autre 
part  on  ne  perçoit  pas  un  mouvement  réel  très  marqué.  II  croit 
devoir  conclure  de  ces  constatations  que  t  la  présence  d'objets  immo- 
biles et  en  général  d*objets  connus  est,  aussi  bien  pour  la  perception 
ou  la  ssensation  directe  du  mouvement  que  pour  notre  orientation 
dans  l'espace,  d'importance  fondamentale,  puisqu'une  ligne  brillante 
isolée  dans  l'espace  d'ailleurs  invisible  ne  sutfit  pas  pour  nous  ren- 
seigner sur  le  mouvement  et  sur  la  localisation  i  *. 

L'i  conclusion  précédente  est  crtainement  inexacte.  D'abord 
Aubert  ne  tient  plus  compte  en  la  formulant  de  la  différence  qui 
peut  exister  selon  qu'on  i\\e  ou  qu'on  ne  fixe  pas  l'objet;  or,  si 
on  ne  le  i'we  pas.  si  par  exemple  on  fait  tourner  dans  l'obscurité  un 
point  lumineux  a.ssez  rapidement  pour  que  l'œil  ne  puisse  le  suivre, 
non  seulement  le  mouvement  du  point  est  perçu,  mais  la  vitesse 
apparente  du  mouvement  diffère  peu,  si  même  elle  en  diffère,  de 
celle  que  présente  le  môme  point  lorsqu'on  le  fait  tourner  au  milieu 

!.  E.  V.  Kli;i«chl,  Physiologixch-Offtiinhe  Solizen.  (2.  Milltieilun«.)  Sitzungshe- 
rickto  ih-r  Wifiiier  Akad^mir,  »•!.  80.  Ifl,  Ablh.,  188J.  liefl  1,  S.  17,  V  cilé  par 
Aub'ïrr  cJanrt  son  r»econ<i  arlicle;. 

2.  Deuxiiima  artirli;,  p.  470. 


B.  BOURDON.    —   ÏA   PEnCEPTlO.^    DES   MOUVHSIËNTîi  3 

d*abjels  immobiles  visibles.  J'ai  véririé  ces  faits  de  deux  manières, 
d'une  part  en  faisant  tourner  un  disque  noir  percé  vers  la  périphérie 
d'une  oiiverture  de  quelques  millimètres  de  diamètre  devant  un 
dia^que  en  verre  dépoli  d'un  diamètre  moindre  faiblement  éclairé, 
d'autre  part  en  faisant  tourner  un  disque  en  buis  à  la  pén|»bérie 
duquel]  avais  fixé  un  dispositif  permettant  d'obtenir  un  point  lumi- 
neux discontinu  au  moyen  d'une  bobine  d'induction  '♦ 

l^  conclusion  d'Aubert  est  inexacte  également,  telle  qu*il  la 
formule,  même  si  on  suppose  que  les  yeux  suivent  l'objet  :  en  répé- 
tant rexpérience  on  se  convaincra  eu  elTet  qu  on  peut  percevoir  soit 
la  position  soit  le  mouvement  d'un  objet  isolé,  mt^me  lorsqu'on  le 
fixe;  maison  remarquera  que  le  mouvement,  par  exemple,  est  beau- 
coup moinïi  facile^nent  pergu,  et  qu  il  faut  pour  qu'il  devienne  per- 
ceptible une  vitesse  beaucoup  plus  grande  que  lorsque  l'objet  se  meut 
au  milieu  d'objets  immobiles  visibles. 

D'ailleurs  Aubert  lui  même,  dans  une  série  antérieure  de  recher- 
ches, avait  étudié,  entre  autres  questions,  celle  de  la  vitesse  minima 
qu'il  laut  donner  au  mouvement  d^un  objet  i^olé  pour  que  ce  mou- 
vement puisse  être  perçu-  Il  se  servait  d*un  cylindre  tournant  sur 
lequel  étaient  fixés  divers  objets  lune  échelle  en  millimètres  alter- 
nativement noirs  et  blancs,  une  échelle  millimétrique  ordinaire,  etc.) 
dont  il  s'agissait  d  observer  le  mouvement;  le  cylindre  était  éclairé 
par  la  lumière  diffuse  du  jour;  pour  cacher  tous  objets  immobiles, 
rubservateur  regardait  à  Iravers  une  boite  placée  tout  près  du 
visage,  noircie  à  lintérieur,  et  portant  une  fente  qui  ne  laissait 
apercevoir  que  lubjet  en  mouvement.  Dans  ces  conditions,  Aubert 
a  cunslaté  que  la  vitesse*  pour  qu'il  y  ait  sensation  de  mouvement, 
doit  être  environ  dix  fois  plus  grande  que  lorsque  l'objet  se  meut 
parmi  des  olifjêts  immobiles  visibles;  d  après  le  tableau  où  il  rap- 
porte les  résultats  qu'il  a  obtenus,  le  mouvement  est  perçu,  soit  dès 


I.  Li^  ilispositif  conshtiiît  esscnlietkMiienL  tm  ût\\%  pointe»  de  «suivre  très 
rapprtK^lïtîCi^,  leîlt^eîi  l'une  ta  l'axe  en  iTitHal  iiui  traversait  le  iliî^que.  l'aiilr^î  h  une 
couronne  de  cuivre  lixèc  sur  le  db*4ue  et  sur  laquelle  f  roi  lait  un  peltl  balai 
en  clinqnanl.  —  n&n:4  celle  d^îmièn:  esp^rierir^e  ,  ke  étincelles  électrî(|ues. 
en  raison  de  leur  peu  de  durée*  pi^uvent  lître  considérées  comme  ne  ^e  mou- 
runl  pîi!»  lor?tfui!  le  disipit^  u>urrie  et  comme  apparaii^^arit  îiimplemenL  l'une 
Afifè^  l'autre  dans  det*  posi lions  dilTéreulesiî  lié'iuitiûins  il  se  produit  uetlc- 
mcul  une  sensation  île  rarïuveii(**nl,  du  miûns  ta  ni  ijue  la  vilesse  tie  rota  lion 
rcsle  modtTi^e.  On  (irut  eoui parer  ec  t|uï  se  passe  dans  les  stootropes,  les  ciné- 
tïiatj»grfl[jli*?i!)  el  autres  inslrumeuls  analofruei.  —  LorîJfju'ou  observe  amsi  un 
pmnl  hMuineuï,  soil  conlinu,  ?oit  disnonlinu,  qui  se  meul  asse?,  rapidement 
û^nn  rf>bseurUé,  on  perçoit  souvent  ti'tuiê  façon  incorrcrle  la  forme  de  son 
mtiuvemefîl:  cela  lîeni  aux  mouvemcfnlîs  des  yeux;  pour  la  percevoir  correcle- 
itteni.  û  faut  s'appljijuer  a  lixer  imagmaîrenienlf  si  l'on  se  sert  d'tin  disque 
touritaui,  le  centra  du  disque. 


4  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

qu'on  regarde  l'objet,  soit  après  quelques  secondes  d'observation 
seulement,  lorsque  la  vitesse  atteint  environ  15'  ou  un  peu  plus  par 
seconde;  il  n'y  a  pas  de  différence  très  marquée  selon  les  objets 
employés. 

Aubert  propose  du  fait  précédent  l'explication  suivante  :  «  Si  nous 
nous  attachons  à  l'opinion  que,  pour  qu'il  y  ait  sensation  de  mou- 
vement, il  faut  qu'il  y  ait  comparaison  entre  quelque  chose  qui 
se  meut  et  quelque  chose  qui  est  immobile,  il  ne  reste  guère  que 
la  conclusion  suivante,  c*est  que  nous  avons  une  représentation 
de  Vespace  immobile  et  que  nous  comparons  cette  représen- 
tation et  le  mouvement  réel  de  l'espace.  Mach  exprime  le  fait 
ainsi  :  «  Il  semble  que  l'espace  visible  tourne  dans  un  second 
espace  que  Ton  considère  comme  immobile,  quoique  ce  dernier 
ne  soit  représenté  par  rien  de  visible  »  *.  Mais  la  vivacité  ou  la 
sûreté  de  la  représentation  sera  moindre  que  celle  d'une  impres- 
sion visuelle  réelle,  et  il  faudra  une  plus  grande  différence  entre  la 
représentation  et  la  réalité  pour  produire  une  sensation  de  mouve- 
ment qu'entre  deux  réalités.  —  Nous  constatons  souvent  des  diffé- 
rences analogues  dans  le  domaine  de  Touïe,  en  particulier  à  l'égard 
de  la  hauteur  des  sons  que  nous  percevons  simultanément  ou  en 
succession  rapide,  par  opposition  à  un  son  dont  il  nous  faut  déter- 
miner la  hauteur  d'après  une  représentation  de  la  mémoire. 

En  somme,  nous  trouvons  qu'il  se  produit  dans  la  sensation  de 
mouvement  une  comparaison  de  ce  qui  est  immobile  avec  ce  qui  se 
meut,  que,  plus  les  conditions  sont  favorables  pour  cette  compa- 
raison, plus  sont  petites  les  vitesses  angulaires  qui  suffisent  pour 
produire  une  sensation  de  mouvement,  que,  à  défaut  d'objets  immo- 
biles dans  l'espace  visuel,  il  se  fait  une  comparaison  entre  l'objet 
qui  se  meut  et  la  représentation  de  quelque  chose  d'immobile,  mais 
la  vilesso  angulaire  nécessaire  alors  pour  produire  la  sensation  de 
mouvement  doit  être  beaucoup  plus  grande  »  *. 

On  peut  faire  à  l'explication  précédente  plusieurs  objections. 
D'abord  le  principe  sur  lequel  elle  repose,  savoir  que  pour  qu'il  y 
ait  sensaîiou  de  mouvement,  il  faut  qu'on  puisse  comparer  quelque 
chose  de  fixe  à  ce  qui  se  meut,  est  contestable  et  est  rejeté  en  fait 
par  tous  ceux  qui  admettent  une  sensation  spécifique  de  mouvement; 
en  constatant  dans  1  obscurité  le  mouvement  d'un  point  lumineux 

1.  Mach,  Grundlinien  der  Lehre  von  den  Beicegungtempfindungen,  i875,  p.  26. 
-  Ce  passALH'  (!<•  Ma«*h  se  ra|>porle  à  une  illusion  qui  se  produisoil,  dans  cer- 
taines (1«^  ^>'s  e\|KM'i(M)(M;^,  aprf's  arrôl  de  Tappareil  dans  lequel  on  avait  fait 
tourner  rnhsrrvalciir  lui-niOiiio. 

ii.  Premier  article,  p.  3G2. 


B.   BOUHDOlf,    —   LA    MiRCEPTiOW   DKS   NQUVËMËNÎS  8 

que  je  fixais,  je  n'ai  jamais  eu  rimpression  de  comparer  ce  point  à 
quelque  chose  d'immobile.  D'ailleurs,  admettons  qu'on  compare  dans 
robscurUé  le  mouvement  d'un  objet  isolé  k  la  représentation  d'un 
espace  immobile,  il  reste  toujours  à  expliquer  par  le  moyen  de 
quelles  sensations  nous  percevons  le  mouvement  de  cet  objet; 
outre  lacté  de  comparaison  il  y  a  en  elTet  à  considérer  les  choses  qui 
sont  comparées;  Tobjetque  nous  fl)"£ons  et  dont  nous  percevons  le 
mouvement  produit  dans  nos  organes  quelque  modification  :  op 
cette  niodificalion,  si  nous  le  fixons  exactement,  ne  peut  pas  être 
rétinienne;  alors  en  quoi  consiste-t-eîle?  C'est  là  un  pointa  élucider 
avant  d'aborder  ia  question  de  la  comparaison  entre  la  sensation 
produite  par  le  mouvement  de  Tobjet  et  une  représentation  quel- 
conque de  Tespace.  Enfin  on  peut  objecter  k  Texplication  précé- 
dente le  fait  que  te  mouvement  d'un  objet  isolé  est  aussi  (ucile- 
ment  ou  à  peu  près  aussi  tacitement  perçu  dans  fobscunté 
complète  que  lorsque  des  objets  immobiles  sont  visibles,  pourvu 
seulement  qu'on  ne  le  suive  pas  du  regard,  c'est-à-dire  que  son 
image  se  meuve  sur  la  rétine  immobile* 

L'hypothèse  la  plus  naturelle  est  évidemment  que,  lorsque  noua 
ne  cessons  de  fixer  un  objet  qui  se  meut,  les  sensations  qui  nous 
permettent  alors  de  percevoir  sou  mouvement  sont  des  sensations 
îïûit  des  paupières,  puisque  les  yeux  se  meuvent  alors  sous  les  pau- 
pières et  eu  outre,  comme  on  le  verra,  les  entraînent  dans  leur 
mouvement  (je  suppose  que  la  tète  reste  immobile),  soit  des  mus- 
des  mêmes  des  yeux,  soit  de  ces  deux  organes  à  la  fois.  J'essaierai 
d'établir  que  vraisemblablement  les  sensations  tactiles  des  paupières 
jouent  ici  un  rôle  très  important* 

Je  vais  rapporter  d'abord  les  résultats  de  recherches  que  j'ai  faites 
sur  le  minimum  de  vitesse  nécessaire  pour  que  le  mou  veulent  d'un 
objet  isolé  fixé  soit  perceptible;  ces  recherches  ont  été  analogues  à 
celles  d'Aubert  et  \m  résultats  obtenus  concordent  également  d'une 
fayon  très  satisfaisante  avec  ceux  qu'a  trouvés  cet  expérimentateur, 

I^es  expériences  ont  eu  Heu  dans  Tobscurité,  J*ai  employé  princi- 
palement trois  objets  :  un  point  lumineux  de  i  millimètres  de  dia- 
mètre, un  cercle  lumineux  uniforme  de  4  centimètres  de  diamètre 
et  un  autre  cercle  de  même  grandeur,  mais  dont  la  surface,  au  lieu 
d*étre  uniformCj  était  percée  de  55  ouvertures  de  2  millimètres  de 
diamètre  chacune.  Ces  objets  lumineux  étaient  formés  par  des  cercles 
découpés  dans  du  papier  noir  placé  devant  du  papier  blanc  éclairé 
par  une  veilleuse.  Leur  déplacement  était  produit  par  le  moyen  du 
chariot  que  fournit  le  constructeur  Verdi n  et  qui  était  relié  à  un 
atipareil  d'horlogerie  h  poids-  Par  le  moyen  d'ailettes,  de  diiïérents 


6  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

poids,  de  plusieurs  poulies  et  de  deux  axes,  je  pouvais  modifier  entre 
des  limites  très  espacées,  et  chaque  fois  d*une  quantité  aussi  petite 
que  je  le  désirais,  la  vitesse  des  objets.  L*objet  se  déplaçait  en  ligne 
droite  parallèlement  au  visage  et  de  gauche  à  droite; au  milieu  de  sa 
course  il  se  trouvait  à  0  m.  50  des  yeux  et  dans  le  plan  médian  de  la 
tête  qui  était  immobilisée.  Gomme  j'attendais  toujours,  pour  observer, 
qu'il  se  fût  écoulé  un  certain  temps  depuis  le  commencement  du 
mouvement,  j'adopterai,  pour  le  calcul  des  vitesses  angulaires,  ce 
chiffre  de  0  m.  50. 

J'ai  constaté  peu  de  différence  dans  les  résultats  selon  que  j'em- 
ployais le  point,  le  cercle  unitorme  ou  le  cercle  à  points.  Pour  les 
deux  cercles  en  particulier,  l'impression  produite  était  à  peu  près 
exactement  la  même  (peut-être  cependant  le  mouvement  du  cercle 
à  points  était-il  un  peu  plus  difficile  à  percevoir  que  celui  du  cercle 
uniforme)  ;  on  peut  tirer  de  ce  fait  la  conclusion  que  la  facilité  avec 
laquelle  se  produit  la  perception  d'un  mouvement  à  la  lumière, 
lorsque  beaucoup  d'objets  sont  visibles,  ne  tient  pas  au  grand 
nombre  de  ces  objets. 

Le  mouvement  du  point  au  contraire  était  un  peu  plus  facilement 
perçu  que  celui  des  deux  cercles;  la  différence  toutefois  n'était  pas 
très  marquée.  Je  me  suis  appliqué  à  vérifier  que  la  différence  exis- 
tait réellement  et  je  l'ai  toujours  constatée.  Ce  résultat  peut  paraître 
en  contradiction  avec  un  fait  que  j'ai  eu  également  l'occasion  d'ob- 
server, c'est  que  le  mouvement  apparent  d'une  étoile  ay  milieu  des 
nuages  en  mouvement  est  plus  lent  que  celui  de  la  lune  ;  mais  dans 
ce  dernier  cas  la  différence  considérable  d'intensité  entre  l'étoile  et 
la  lune  est  probablement  la  cause  de  la  différence  apparente  de 
vitesse  ;  le  mouvement  apparent  de  la  lune  elle-même  est  en  effet, 
il  me  semble,  moins  rapide  lorsqu'on  l'entrevoit  derrière  les  nuages 
que  lorsqu'elle  apparaît  très  biillante  entre  eux;  d'une  manière 
générale,  la  tendance  à  attribuer  à  la  lune,  aux  étoiles,  aux  nuages, 
le  mouvement  lorsque  les  nuages  se  meuvent  avec  une  grande 
vitesse,  dépend,  au  moins  en  partie,  de  l'intensité  que  présentent 
les  uns  par  rapport  aux  autres  ces  divers  objets. 

Dans  les  expériences  actuelles,  les  différences  d'intensité  parais- 
sent n'exercer  aucune  influence.  J'ai  en  effet,  en  augmentant  le 
nombre  des  feuilles  de  papier  blanc  interposées  entre  la  veilleuse 
et  le  cercle  à  points,  réduit  l'intensité  de  ce  cercle  de  telle  sorte 
qu'il  n'apparaissait  plus  que  comme  une  lueur  et  que  les  points  y 
étaient  à  peine  discernables;  néanmoins,  dans  les  cas  où  le  cercle, 
avant  celte  réduction,  avait  un  mouvement  à  peine  perceptible,  le 
mouvement  ne  cessait  pas  d'être  perçu  après  la  réduction.  Ce  fait  se 


B.    BOUR0OW.    —    U    PERCEPTION    DES   HOCVBIJSHTS  7 

comprend  aîsémeot  &l  on  suppose  que  lemouvemeot  est  perçu.  lors- 
qu'on fixe  un  objet  isokK  par  le  ntoyen  des  Bensationv^  tactiles  des 
yeux;  les  changements  dans  rUilensité  des  sensations  rétiniennes 
ne  modifient  pas  en  efîùl  rinlengitê  de  ces  sensations  tacliles.  On 
comprend  également,  dans  la  même  hypothèse,  que  la  perception 
du  mouvemenlj  lorsqu'on  fixe  un  objet  isolt%  puisse  être  un  peu  plus 
facile  à  l  égard  d'un  point  de  2  millimètres  de  diamètre  qu*à  Tégard 
d'un  cercle  de  4  centimètres:  en  eftet,  la  fixation  doit  être  plus 
exacte  pour  le  point  que  pour  le  cercle;  lorsqu'on  a  devant  soi,  à 
0  m,  50»  un  cercle  de  cette  grandeur,  on  ne  fixe  pas  k  vrai  dire  le 
cercle*  on  fixe  à  un  moment  donné  quelque  partie  de  !a  circonférence 
ou  de  rinlérieur  du  cercle  et  on  est  exposé  h  fixer  à  un  autre  moment, 
même  malgré  soi,  qaelqu'autre  partie;  or  les  petits  mouvements 
des  yeux  qui  résuUenl  de  ces  changements  de  fixation  peuvent 
interférer  avec  le  mouvement  des  yeux  nécessaire  pour  suivre  celui 
de  1  objet  et  rendre  par  conséquent  confuses  les  sensations  tactiles. 

Le  mouvement,  lorqu'il  est  à  peine  perceptible,  n*est  pas  perçu 
pendatit  tout  le  temps  qu*on  fixe  Tobjet,  Il  est  alors  généralement 
mieux  perçu  au  li/'but  d'une  observation  (|ue  quelque  lemps  après 
que  la  fixation  a  commencé;  en  outre,  il  cesse  de  temps  en  temps 
d'èlre  perçu,  et  parfois  il  paraît  procéder  par  bonds  irréguiiers;  il 
semble  qu'il  y  ait  dans  la  marche  de  Tobjet  des  hésitations  et  des 
arrêts.  L'observation  de  ce  mouvement  h  peine  perceptible  se  com- 
plique d^aiileurs  souvent  de  phénomènes  autocinétiques,  surtout 
lorsque  Ton  a  alTaire  k  un  point;  la  dilTérence  quej'ai  constatée  entre 
la  perceptibilité  du  mouvement  du  point  lumineux  et  celle  du  mou- 
vement des  cercles  tient  même  peut-être  en  partie  à  des  phénomènes 
d*auiO€inêLîsme;  en  effet  j  ai  constaté  que  le  mou%'ement  du  point, 
dans  des  cas  où  il  était  à  peine  perceptible,  pouvait  paraître  conti- 
nuer, alors  que  le  point  élaîf  cependant  arrivé  à  reJtlrêmité  de  son 
parcours. 

Lorsque  les  mouvements  sont  înconteslablement  perceptibles,  ils 
apparaissant  néanmoins  ralentis  par  rapport  aux  sensations  de 
mouvement  qu*on  éprouverait  à  la  lumière,  au  milieu  d'objets  immo- 
biles* C'est  ce  qu'on  constate  facilement  en  éclairant  tout  d'un  coup 
la  salle  où  on  expérimente;  cette  expérience  démontre  d'une  façon 
très  intéressante  la  relativité  de  la  sensation  de  vitesse. 

Lorsqu'on  i\%e  un  point  imaginaire  à  cOtéde  l'objet,  le  mouvement 
n'est  paé  mieux  perçu;  au  contraire,  il  parait  être  encore  plus  mal 
perçu.  A  prhn  on  pourrait  cependant  supposer  que  dans  ce  cas  il 
devrait  être  plus  facilement  perçu  que  lorsqu'on  fixe  Tobjet,  puis- 
qu  alors  Timage  de  l'objet  doit  se  mouvoir  sur  la  rétine.  Mais  il  est 


8  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

douteux  que,  lorsqu'on  fixe  ainsi  un  point  imaginaire,  l'œil  reste  réel- 
lement immobile;  on  sait  en  effet  qu'il  est  presque  impossible  d'im- 
mobiliser les  yeux  dans  Tobscurité  et  que,  si  on  observe  alors  une 
image  consécutive,  elle  fuit  en  quelque  sorte  devant  le  regard,  tra- 
hissant ainsi  les  mouvements  des  yeux. 

Voici  quelques  chiffres  relatifs  aux  plus  petites  vitesses  percep- 
tibles; ces  chiffres  expriment  les  vitesses  en  millimètres  et  en 
minutes  par  seconde. 

Le  mouvemen*l  du  point  commence  à  être  perceptible  avec  une 
vitesse  d'environ  2  millimètres  (14');  la  sensation  de  mouvement  se 
produit  d'ailleurs  irrégulièrement.  Avec  cette  même  vitesse,  je  n'ai 
jamais  pu  avoir  de  sensation  de  mouvement  en  employant  les  cer- 
cles; je  n'ai  pu  constater,  avec  ces  derniers,  que  des  différences 
de  position  lorsque  le  déplacement  avait  atteint  une  grandeur  suffi- 
sante; d  ailleurs  la  sensation  de  mouvement,  à  Tégard  du  point,  est 
elle-même  souvent  douteuse  ;  il  faut  arriver  à  une  vitesse  environ 
double,  c'est-à-dire  de  4  millimètres  (28'),  pour  qu'il  ne  se  produise 
plus  de  doute  à  regard  de  l'existence  d'une  sensation  de  mouvement 
relativement  à  ce  point. 

Avec  cette  vîtessede4  millimètres  (28'),  et  même  avec  des  vitesses 
supérieures,  le  mouvement  des  cercles  est  à  peine  perçu  et  l'exis- 
tence d'une  sensation  de  mouvement  pendant  le  cours  de  l'observa- 
tion est  souvent  douteuse.  Dans  les  observations  que  j'ai  faites,  la 
sensation  de  mouvement  ne  commence  à  exister  régulièrement  avec 
certitude  à  l'égard  des  cercles  que  pour  une  vitesse  de  6  millimètres 
environ  (41').  Toutefois,  même  avec  cette  dernière  vitesse,  le  mou- 
vement parait  encore  hésitant  et  saccadé. 

J'ai  fait  encore  un  certain  nombre  de  déterminations  analogues 
aux  précédentes  avec  une  ligne  lumineuse  verticale  de  0  mm.  4  de 
large  et  5  millimètres  de  long.  Cette  ligne,  comme  les  objets  précé- 
dents, se  déplaçait  en  ligne  droite,  de  gauche  à  droite.  Les  résultats 
ont  été  à  peu  près  les  mêmes  que  pour  le  point.  La  sensation  de 
mouvement  commence  à  se  produire  avec  une  vitesse  d'environ 
3  millimètres  ^21');  elle  commence  à  devenir  nette  lorsque  la  vitesse 
atteint  de  4  à  5  millimètres  (28'  à  34').  En  me  servant  de  cette  ligne, 
laquelle  était,  comme  les  cercles,  à  50  centimètres  des  yeux,  j'ai  pu, 
la  vitesse  étant  de  1  millimètre,  fixer  la  ligne  pendant  qu'elle  se 
déplaçait  de  9  centimètres,  sans  percevoir  non  seulement  le  mouve- 
ment, mais  même  le  changement  de  position  de  la  ligne;  je  n'ai 
d'ailleurs  pas  prolongé  davantage  la  fixation. 

Les  résultats  précédents  ne  diffèrent  pas  sensiblement  de  ceux 
qu'a  trouvés  Aubert;  il  y  a  même  une  concordance  remarquable 


B.  BOURDON.   —  Lk  PERCEPTION   DES  MOUVEMENTS 


9 


I 


entre  ses  chilTres  et  ceux  que  j'âî  trouvés  en  me  servant  du  point 
ou  de  ia  ligne;  ou  a  vu  en  effet  que  pour  lui,  dans  les  meilleures 
coDditions  toutefois,  c^esl-à-dire  au  début  de  1  observation,  le  mou- 
vement devenait  perceptible  lorsque  Ja  vitesse  était  de  15' ou  un  peu 
plus;  or  j'ai  trouvt^  pour  le  point  -14'  et  pour  la  ligne  2V. 

J'ai  trouvé  également  à  peu  près  les  mêmes  chiffres  que  lui  pour 
la  vitesse  minima  nécessaire,  lorsque  des  objets  immobiles  sont  visi- 
bles en  même  temps  que  celui  qui  se  meut*  L*appareit  produisant 
ie  mouvement  était,  dans  ces  nouvelles  expét'iences,  le  même  que 
préeédemmenl^  la  distance  de  Tobjel  aux  yeux  était  également  la 
même;  mais  l'objet  dont  î!  s'agissait  de  constater  le  mouvement 
était  une  pointe  qui  se  déplaçait  devant  les  divisions  millimétriques 
d'une  règle  et  à  i  millimètre  environ  de  ces  divisions,  Dans  ces 
conditions,  la  production  d'une  sensation  de  mouvement  se  trouvait 
évidemment  facilitée  au  plus  haut  degré. 

J  ai  fait  deux  séries  d'observations.  Dans  Tune,  je  me  suis  servi 
d*un  éclairage  arliTiciel  :  une  lampe  à  gaz,  pourvue  d'un  réllecteur, 
éclairait  fortement  la  pointe  el  la  règle  et  en  même  temps  rendait 
Tîsiblês  les  objets  environnants;  j'observais  à  ta  lois  la  pointe  et 
l'ombre  qu'elle  projetait  sur  la  règle.  Dans  l'autre  j  ai  expérimenté 
à  la  lumière  du  jour;  aucune  ombre  dans  ce  dernier  cas  n'était 
visible;  je  me  bornais  donc  à  observer  la  pointe.  Les  résultats  des 
deux  séries  sont  d*ail leurs  sensiblement  les  mêmes. 

A  la  lumière  artilicielle,  avec  des  vitesses  comprises  entre 
U  mm,  08  et  0  mm.  13  par  seconde  (33''  et  54'')  Je  constate  que  toutes 
mes  observations  expriment  des  doutes  à  l'égard  de  Texistence 
d*une  sensation  de  mouvement,  La  première  observation  où  Texis- 
lence  d'une  sensution  se  constate  a  lieu  avec  une  vitesse  de 
0mm.  14  (58);  je  note  alors  que  le  mouvement  est  perçu  au  début 
de  l'observation  et  de  temps  en  temps.  On  retrouve  ici  en  effet  la 
mi>me  irrégularité  apparente  du  mouvement  lorsqu'il  est  à  peine 
perceptible j  que  lorsqu'on  observe  un  objet  isolé.  A  mesure  que  les 
vitesses  deviennent  supérieures  â  0  mm.  14»  la  sensation  de  mou- 
vement devient  plus  nette  et  se  constate  moins  ditticilement.  Elle 
ÊSi  assez  nette  lorsque  la  vitesse  atteint  0  mm.  tîD  (S:r). 

A  la  lumière  du  jour,  les  résultats  sont  les  mêmes;  Texistence 
probable  d'une  sensation  de  mouvement,  est  en  effet  énoncée,  en 
même  temps  que  le  plus  souvent  avec  doutes,  pour  des  vitesses 
comprises  entre  0  mm,  10  et  0  mm.  14  (41'  et  58^  ).  A  partir  de 
0  mm.  15  (B2"),  les  énonciations  ne  comportent  plus  de  doute  :  le 
mouvement  est  perceptible  ou  du  moins  un  peu  perceptible.  Toute- 
fois l  irrégularité  apparente  de  ce  mouvement  persiste  encore  long- 


10  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

temps;  avec  une  vitesse  de  0  mm.  67  (277"),  le  mouvement  finit 
encore  par  paraître  saccadé  quand  l'observation  se  prolonge  pen- 
dant un  temps  considérable.  —  Aubert  a  trouvé,  en  observant  dans 
des  conditions  analogues,  que  le  mouvement  doit  avoir  une  vitesse 
de  l' à  2'  pour  devenir  perceptible  *;  d'après  mes  observations,  il  est 
perceptible  pour  une  vitesse  d'environ  1'.  Âubert  estimait  que  la 
vitesse  nécessaire  pour  produire  une  sensation  de  mouvement 
devait  être  dix  fois  plus  grande  environ  lorsqu'on  suit  du  regard  un 
objet  isolé  que  lorsqu'on  observe  cet  objet  au  milieu  d  objets  immo- 
biles visibles;  ce  chiffre  est  plutôt  trop  faible  qu'exagéré. 

Il  s'agit  maintenant  de  rechercher  la  cause  de  cette  différence. 
On  peut  remarquer  d'abord  qu'une  différence  semblable  se  constate 
lorsqu'il  s'agit  simplement  de  la  perception  des  positions.  Nous 
pouvons  en  effet  percevoir  les  positions  elles-mêmes  soit  par  le 
moyen  de  la  rétine,  soit  sans  que  la  rétine  joue  directement  aucun 
rôle;  ainsi,  lorsque  nous  fixons  un  point,  nous  percevons  en  même 
temps  par  la  seule  action  de  la  rétine  que  tel  autre  point  est  à  droite 
par  exemple  du  premier;  la  précision  de  cette  distinction  est  égale 
à  Faculté  visuelle,  c'est-à-dire  que  nous  sommes  en  tnesure  de 
reconnaître  alors  qu'un  point  est  à  droite  d'un  autre  lorsque  la 
distance  qui  les  sépare  n'est  que  d'environ  60"  à  100".  Supposons 
maintenant  qu'un  seul  point  lumineux,  immobile,  soit  visible  dans 
Tobscurilé  et  que  nous  le  fixions  :  nous  nous  rendrons  compte  encore 
qu'il  se  trouve  à  droite,  à  gauche,  en  haut,  en  bas  par  rapporta  nous, 
et  cependant,  qu'il  soit  à  droite  ou  à  gauche  par  exemple,  il  sera 
toujours  perçu  avec  les  mêmes  éléments  rétiniens,  c'est-à-dire  que 
ce  ne  serçi  pas  alors  par  quelque  différence  rétinienne  que  nous 
pourrons  reconnaître  que  dans  un  cas  le  point  est  à  droite  et  dans 
un  autre  cas  à  gauche.  J'ai  déterminé  antérieurement  avec  quel 
degré  d'exactitude  nous  pouvons  dans  ces  conditions  percevoir  la 
position  d'un  point;  j'ai  trouvé  que,  pour  que  nous  puissions  être 
sûrs  qu'un  point  n'a  pas  dans  l'espace  la  même  position  qu'un  autre, 
il  faut  que  la  dislance  de  l'un  à  l'autre  atteigne  environ  1°  '.  J'ai  sup- 
posé en  outre  que  les  sensations  qui  nous  permettent  alors  de  recon- 
naître les  positions  senties  sensations  musculaires  des  yeux  (la  tête 
est  supposée  immobile);  aujourd'hui  j'incline  à  croire  que,  dans  les 
perceptions  en  question,  les  sensations  tactiles  des  paupières  ont 
une  part  importante  et  peut-être  prépondérante,  et  je  suppose  que 
ce  sont  également  ces  sensations,  associées  à  celles  des  muscles  des 

\.  Aubert,  Die  Bewegungsempfindung  {Pflûger's  Archiv,  Bd.  39,  1886,  p.  353). 
2.  Bourdon,  La  sensibililé  musculaire  des  yeux  (Rev.  philos. ,  octobre  1897,  p. 
415419.) 


B.  BOURDOW,    —   LA   l*ERCEPnON   i»ES   «OUVEME^iTS 


H 


yeQx,  qyi  nous  permetteût»  par  les  modifications  qu*el les  éprouvent, 
^lîe  percevoir,  mais  avec  moins  de  délicatesse  que  lorst|ifil  se  pro- 
luit  des  changements  rétiniens,  le  mouvement  d'un  objet  Isolé  que 
90US  suivons  du  regard. 

A  l'appui  de  rexplicalion  précédente,  je  vais  rapporter  les  résul- 
tats que  j*ai  obtenus  en  essayant  de  déternjiner  directement  avec 
Iquelte  délicatesse  l'œil,  considéré  comme  organe  de  sensibilité  lac- 
[tile  et  musculaire,  peut  percevoir  les  changements  de  position.  Pro- 
visoirement, je  ne  dislingue  pas  la  sensibilité  tactile  de  la  sensibilité 
tauscuiaire^  utlendu  que  dans  mes  expériences  j'etitmlnais  Tœil  en 
[•inéme  temps  que  les  paupières  et  par  conséquent  je  modifiais  a  la 
foiâ  les  deux  sensibilités;  il  est  d'ailleurs  très  dilficile,  à  cause  de  la 
mobilité  extrême  de  l'œil,  d'agir  sur  les  paupières  sans  produire 
en  même  temps  quelque  mouvement  de  l'œil;  si  on  fixe,  les  deuK 
yeux  ouverts,  un  point  noir  marqué  sur  une  feuille  de  papier  blanc 
et  si  on  appuie^  même  légèrement,  avec  la  pointe  d'un  crayon  sur 
Tuii  des  yeux,  on  verra  probablement  apparaître  deux  images  du 
point. 

Pour  mesurer  cette  sensibiîilé  tactile  et  musculaire  des  yeux,  je 
lUe  suis  servi  du  dispositif  suivant.  Au  grand  miroir  d*un  uctant  j  ai 
fixé  une  courte  lige  terminée  par  une  petite  cuvette  métallique  de 
deuTi  centimètres  de  diamètre;  cette  cuvette  était  recouverte  de  peau 
de  chamois  modérément  tendue  et  s'appliquait  contre  TceiL  L'octant 
a  été  fixé  a  un  tort  support  vertical  solidement  immobilisé.  La  tète 
de  lu  personne  sur  qui  1  expérience  était  faite  était  elle-même  tixée 
dans  une  position  telle  que  Tœil  droit  fermé  s'appuyât,  en  exerçant 
une  pression  modérée,  contre  la  cuvette;  pour  que  l  expérience  fût 
plus  sûre,  la  tête  élait  immobilisée  de  deux  façons,  d'une  part  par  un 
moule  en  cire  tenu  entre  les  dents,  d'autre  part  par  une  tige  qui 
venjiil  butter  contre  le  Iront.  La  cuvette  se  mouvait  horizontalement. 
Son  excursion  était  Umiiée  à  droite  et  à  ganche  par  deux  buloirâ 
fixés  sur  Tare  divisé  de  rinstrument  et  recouverts  eux-mêmes  de 
pe^u  de  chamois  pour  amortir  les  chocs.  Le  déplacement  de  la 
cuvette  sur  roeil  était  produit  par  Texpérimentateur  assez  brusque- 
Dieot;  mais  jai  souvent  constaté  que,  même  avec  une  vitesse 
modérée,  la  perception  de  la  direction  du  mouvement  pouvait  rester 
très  nette. 

Dans  une  série  d'expériences,  l'amplitude  du  déplacement  de  la 
cuvette,  et  par  conséquent  de  la  paupière  et  de  l'œil  entraînés  par 
elle»  a  été  de  0  mm.  5,  dans  une  autre  elie  a  été  de  0  mm.  375,  et 
djns  une  troisième  de  0  mm.  25;  la  diftérence  entre  l'un  de  ces 
cliitTres  et  le  suivant  est  de  i^^  de  millimètre;  la  réalisation  suffi- 


12  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

samment  exacte  d'une  aussi  petite  différence  était  possible  grâce  au; 
vernier  de  Toctant.  Dans  chaque  observation  il  s'agissait  de  dire,  le^ 
yeux  étant  fermés,  si  la  cuvette  s'était  déplacée  de  gauche  à  droite 
ou  de  droite  à  gauche.  Les  expériences  ont  été  faites  sur  M.  G., 
étudiant,  et  sur  moi.  Le  nombre  total  des  observations  pour  chaque 
amplitude  est  indiqué  ci-dessous  entre  parenthèses;  dans  une 
moitié  des  cas  le  mouvement  a  eu  lieu  de  droite  à  gauche  et  dans 
l'autre  moitié  de  gauche  à  droite.  Dans  le  tableau  suivant,  les 
chiffres  placés  sous  les  lettres  B,  M,  D,  indiquent  le  nombre  absolu 
d'estimations  bonnes,  mauvaises  et  douteuses. 


OBSERVATEUR  '. 

:  B. 

OBSERVATEIR 

:G. 

AMPLITUDE 

B 

M 

D 

TOTAL 

B 

M 

D 

TOTAL 

0— 

,250 

19 

4 

19 

(42) 

63 

13 

4 

(80) 

0— 

,373 

36 

1 

3 

(40) 

35 

5 

0 

(40) 

Qm« 

,500 

39 

2 

3 

(44) 

35 

4 

1 

(40) 

D'après  ces  résultats,  la  perception  de  la  direction  du  mouvement, 
déjà  pour  une  amplitude  deO  mm.  375,  peut  être  considérée  comme 
sûre;  pour  l'un  des  observateurs  elle  est  même  à  peu  près  sûre 
lorsque  l'amplitude  n'est  que  de  1/4  de  millimètre,  et  pour  l'autre, 
dans  le  même  cas,  le  nombre  des  estimations  justes  l'emporte  de 
beaucoup  sur  celui  des  fausses.  En  admettant  pour  l'œil  un  diamètre 
de  24  millimètres,  on  trouve  que  sur  un  cercle  de  ce  diamètre  un 
arc  de  0  mm.  25  de  longueur  vaut  (1°,19),  et  un  arc  de  0  mm.  375, 
(1°,79).  Par  conséquent  il  existe  à  la  surface  de  l'œil  une  sensibilité 
relativement  délicate  pour  les  mouvements.  On  peut  se  rendre 
compte  sans  appareils  de  Texistence  de  cettesensibilité  en  appuyant 
avec  le  doigt  sur  la  paupière  d'une  autre  personne  et  en  la  priant 
d'indiquer  dans  quel  sens  la  pression  aura  eu  lieu  chaque  fois  que 
Ton  aura  déplacé  le  doigt  à  la  surface  de  l'œil  dans  un  sens  ou  dans 
un  autre;  même  lorsqu'on  aura  déplacé  le  doigt  aussi  peu  que 
possible  dans  une  direction  quelconque,  la  personne  pourra  géné- 
ralement dire  sans  hésitation  quelle  a  été  cette  direction. 

Or,  lorsque  l'œil  se  meut  à  la  façon  ordinaire  soit  pour  fixer  un 
point  immobile,  soit  pour  suivre  le  mouvement  d'un  objet,  il  doit 
se  produire  dans  les  sensations  tactiles  et  musculaires  de  l'organe 
des  modifications  analogues  à  celles  que  causait,  dans  l'expérience 
qui  vient  d'être  citée,  le  mouvement  de  la  cuvette.  Non  seulement 
en  eflet,  quand  nous  modifions  la  direction  du  regard,  les  muscles 
de  nos  yeux  se  contractent  ou  se  distendent,  les  paupières  elles- 
mêmes  se  meuvent  et  sont  entraînées  par  le  mouvement  des  yeux. 
Le  fait  est  évident  dans  le  cas  où  le  regard  s  élève  ou  s'abaisse;  on 


B.  BOURDON.    —  LA   PEIïGEi*TIOS  DES  MOUVEMENTS 


13 


peut  également  le  constater  sans  grande  difficulté  dans  le  cas  ofi  le 
regard  va  de  gauche  à  drolLe  ou  de  droite  à  gauche*  Le  grapbic|ue 
ci-joint  démontre  J*eyislence  de  ce  mouvement  des  paupières 
lorsque  les  yeux  se  meuvent  horizontalement,  et  il  prouve  eu  outre 
que  ramptitude  du  mouvement  des  paupières  croit  avec  celle  du 
mouvement  des  yeux.  Jai  obtenu  ce  graphique  en  fixant  avec  un 
peu  de  cire  sur  le  bord  de  la  paupière  supérieure  de  mon  œil  gauche 
une  pailïe  très  légère  de  près  de  20  centimètres  de  long.  Dans  un 
cas  (tracé  inférieur),  j'ai  fixé  successivement  une  série  de  fois  deux 
points  situés  en  face  de  moi  à  ^i  centimètres  Tun  de  l'autre;  dans 


Treflé  l. 


on  autre  cas  (tracé  intermédiaire),  j'ai  fixé  de  la  même  manière 
deux  points  éloignés  Tun  de  l'autre  de  48  centimètres;  enfin,  dans 
un  troisième  cas  (tracé  supérieur)»  j'ai  parcouru  du  regard  assez 
Jontement  une  ligne  droite  de  48  centime  1res  de  longueur;  arrivé 
à  lextrémilé  de  ia  ligne,  je  revenais  rapidement  au  point  de 
départ.  La  dislance  de  la  ligne  aux  yeux,  comme  celle  de  la  ligne 
droite  qui  aurait  été  menée  par  les  points,  était  de  85  centimè- 
tres. 

On  peut  essayer  maintenant  d'aller  plus  loin  dans  Tanalyse  et  se 
ilemander  si  la  sensihilité  qui  se  constate  aiiïsi  autour  des  yeux 
vient  des  muscles,  de  la  cornée  ou  des  paupières.  On  doit  po.ser 
d*abord  que  tous  ces  organes  sont  sensibles;  la  question  en  consé- 
quence se  précise  ainsi  :  la  sensibilité  relativement  délicate  qui 
existe  incontestablement  autour  de  Toeil  vient-elle  de  1  un  de  ces 
trois  organes  en  particulier,  les  deux  autres  n'ayant  au  point  de  vue 
de  la  perception  des  positions  et  des  mouvements  qu'une  sensibilité 
f  obtuse'? 

Elle  ae  vient  pas  de  la  cornée  ou  du  moins  aile  n'en  vient  pas 


14  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

exclusivement.  C'est  ce  dont  je  me  suis  rendu  compte  en  faisant  sur 
moi-même  une  expérience  d*anesthésie  des  yeux  droit  au  moyen  de 
cocaïne.  La  cornée  ne  sentait  plus  aucunement  les  contacts,  même 
exercés  avec  force,  d'une  pointe  de  carton  peu  flexible;  la  paupière, 
au  moins  extérieurement,  eétait  au  contraire  restée  sensible.  Dans 
ces  conditions,  en  déplaçant  le  doigt  sur  la  paupière,  j'éprouvais  la 
même  sensation  dans  l'œil  qu'à  l'état  normal,  et,  en  faisant 
imprimer  à  mon  œil,  au  moyen  du  dispositif  qui  a  été  décrit  plus 
haut,  un  déplacement  soit  de  1  millimètre,  soit  de  0  mm.  5,  j'ai  pu 
indiquer  sans  aucune  faute  dans  quel  sens  le  mouvement  s'était 
produit.  ^.>^J^ 

En  se  basant  sur  la  faibîe  acuité  tactile  des  paupières,  on  pourrait 
croire  que  la  sensibilité  en  question  ne  peut  pas  venir  non  plus  des 
paupières.  Weber  a  mesuré  cette  acuité  et  a  trouvé  qu'il  ne  pouvait 
distinguer  les  deux  contacts  produits  par  les  deux  pointes  d'un 
compas  que  lorsque  la  distance  entre  ces  pointes  atteignait  5  lignes 
(il  mm.  3)'.  J'ai  fait  sur  moi-même  et  sur  une  autre  personne  la 
même  détermination  et  j'ai  trouvé  des  chiffres  voisins  du  précédent, 
quoique  légèrement  inférieurs.  Ainsi,  pour  20  observations  dans  les- 
quelles il  a  été  employé  deux  'pointes  écartées  de  10  millimètres  et 
une  seule  pointe,  la  personne  qui  m'aidait  dans  ces  déterminations 
a  eu  15  estimations  justes  et  j'en  ai  eu  moi-môme  19.  J'ai  essayé  de 
déterminer  aussi  1  acuité  tactile  des  paupières  en  appliquant  les 
deux  pointes  du  compas  non  plus  simultanément,  mais  successive- 
ment; les  résultats  ont  été  beaucoup  meilleurs  que  dans  le  cas  pré- 
cédent; mais  ils  doivent  être  considérés  comme  suspects;  en  effet, 
chaque  fois  qu'on  applique,  même  assez  légèrement,  une  pointe  sur 
la  paupière,  on  distend  un  peu  celle-ci  et  on  entraîne  l'œil,  comme 
on  pourra  encore  s'en  convaincre  en  observant  avec  les  deux  yeux 
un  point  noir  marqué  sur  une  feuille  de  papier  blanc.  Les  mouve- 
ments imprimés  à  la  paupière  et  à  Tœil  avec  deux  pressions  succes- 
sives de  ce  genre  peuvent  différer  alors  même  qu'on  applique  la 
môme  pointe  deux  fois  de  suite  au  même  endroit;  de  là  pro- 
bablement la  tendance  marquée  que  Ton  constate,  même  dans 
ce  cas,  à  croire  que  le  contact  a  eu  lieu  en  deux  endroits  diffé- 
rents. 

Je  me  suis  préoccupé  aussi  de  déterminer  la  sensibilité  superfi- 
cielle des  paupières  pour  les  mouvements,  en  déplaçant  rapidement 
sur  la  paupière  un  objet  assez  léger  pour  n'entraîner  ni  le  globe  de 
l'œil  ni  même  la  paupière;  pour  cela  j'ai  employé  comme  objet  une 

1.  K.  H.  Weber,  Die  Lehre  vont  Tastsinne  und  Gemeingefithle,  1851,  p.  "ÎS. 


B.   BOURDON.    —   U    1*ERCKPTI0!I    MS  MOUVEMENTS 


i5 


pointe  dô  papier  très  flexibïe.  La  sensatfon  que  produit  une  telle 
pointe  en  sed>*pla*;ant  sur  la  paupière  est  surtout  une  sensation  de 
chatouilli*mt^nl.  Je  rne  buis  proposé  non  pas  de  faire  une  mesure 
exacte,  mais  simplement  de  déterminer  d'une  l'açoji  cerlaîne  si  la 
sensibilité  des  paupières  pour  le  mouvement  considéré  est  délicate 
ou  ûbtuse.  Or  ni  la  personne  qui  m'aidait  ni  moi  n'avons  pu  nous 
rendre  rompte  avec  cerLilude  de  la  direction  d'un  mouvement  hori- 
zon r  al  d'environ  1  centimètre  de  longueur,  La  sensibilité  des  pau- 
pières, ainsi  étudiée,  n'est  donc  pas  plus  délicate  que  l'acuité  tactile 
mesurée  par  la  méthode  de  VVeber, 

Néanmoins,  de  bonnes  raisons  autorisent  a  supposer  que  la  sensi- 
biîilé  délicate  dont  nous  avons  constaté  Texistence  autour  des  yeux 
vient»  au  moins  pour  une  grande  part,  des  paupières-  En  effet  on 
peut  constater  que  la  seïiâalion  quVm  éprouve  lorsqu'on  déplace  un 
objet  sur  la  paupière  ou  en  appuyant  sur  Tœil  est  de  la  même 
nature  que  celle  qu^on  éprouveriiit  en  déplaçant  le  même  objet  sur 
une  autre  partie  quelconque  du  corps  résistant  aux  pressions,  par 
exemple  sur  la  parlie  dorsale  des  phu langes  des  doigts.  On  peut 
constater  aussi  qu'un  mouvement  même  faible,  imprimé  ainsi  à  la 
peau  soit  ûe^  paupièreSj  soit  des  doigts^  ïa  déplace  jusqu'en  des 
^points  très  éloignés  de  celui  oii  Ton  appuie;  en  pressant  njême 
légèrement  sur  le  bord  du  dos  d^jne  main,  près  du  pouce»  on  peut 
Toir  la  peau  se  mouvoir  sur  tout  le  dos  de  cette  main  et  même  sur 
le  bnis.  Enfin  cette  sensibilité  déhcate  pour  les  mouvements  qu'on 
leotislate  en  appuyant  sur  les  paupières  et  qui  paraît  en  contradiction 
avec  ta  faible   îicuité  tactile  de  cette  même  partie  du  corps,  se 
retrouve  également  dans  d autres  régions  du  corps  dont  lacuité 
I  tact  île  est  très  grossière,  et,  de  plus,  dans  des  régions  où  il  ne  peut 
'être  question  d'une  action  exercée  sur  les  muscles;  ainsii  qu'on 
a|)puia  la  partie  coupante  d'un  couleim  à  papier  sur  le  tibia  et  qu'orr 
limpriine  a  lobj^t,  en  continuant  de  presser  sur  le  libia^  un  faible 
^déplacement  dans  une  direction  détejininée,  la  personne  sur  qui  on 
lera   lexpérienee  reconnaîtra  facilement  dans  quelle  direction  le 
tiit>uvemeiit  a  eu  lieu.  Il  est  donc  probable,  si  nous  faisons  abstrac- 
'  lion  des  muscles  des  yeux,  que  la  perception  délicate  des  mouve- 
ments qui  se  constate  lorsqu'on  presse  sur  Tœil  est  due  à  la  disten- 
siufi  de  la   peau;  h  cause  de  celle  distf^nsîon,  un  grand  nombre 
d'éléments  nerveux  se  trouvent  simultanément  excités  et  produisent 
ane  i^nsation  résultante  asse^  nettement  définie. 

Toutefois  on  n'a  pas  le  droit  de  conclure  que  la  perception 
visuelle  nt^n  rétinienne  des  mouvements  résulte  de  la  seule  sensi- 
bilité des  paupières,  On  peut  simplement  aflirmer  que  celte  sensibl- 


16  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

lité  a  dans  la  perception  en  question  une  part  considérable.  Les 
muscle^  pourraient  également  posséder  une  sensibilité  délicate 
pour  les  mouvements,  qui  s'ajouterait  à  celle  des  paupières,  en  fai- 
sant en  quelque  sorte  double  emploi  avec  elle.  Pour  que  la  question 
de  la  sensibilité  des  muscles  eux-mêmes  pût  être  résolue,  il  faudrait 
pouvoir  anesthésier  la  cornée  et  les  paupières  et  voir  si  alors 
la  perception  du  mouvement  des  yeux  garderait  la  même  délica- 
tesse qu'auparavant.  L'expérience  n'est  peut-être  pas  impos- 
sible. 

En  somme,  ce  qui  peut  être  considéré  comme  certain,  c'est  qu'il 
existe  autour  des  yeux  une  sensibilité  relativement  délicate  pour  les 
différences  de  position  et  les  mouvements,  que  cette  sensibilité  est 
assez  délicate  pour  expliquer  la  perception  visuelle  des  positions  et 
des  mouvements  lorsque  la  rétine  ne  joue  aucun  rôle  direct  dans 
cette  perception,  enfin  qu'elle  vient,  pour  une  part  considérable, 
sinon  en  totalité,  des  paupières.  Contre  Texplication  de  la  perception 
du  mouvement  d'un  objet  fixé  et  isolé  par  cette  sensibilité,  on  pour- 
rait être  tenté  d'invoquer  un  fait  qui  a  été  signalé  par  Volkmann, 
savoir  que,  les  yeux  fermés,  nous  ne  nous  rendons  pas  bien  compte 
dans  quelle  position  ils  se  trouvent  et  sommes  incapables  de  dire 
avec  exactitude  quel  sera  l'objet  que  nous  regarderons  le  premier 
lorsque  nous  les  ouvrirons*.  En  effet,  ainsi  que  je  l'ai  constaté  gra- 
phiquement, il  continue  de  se  produire  des  mouvements  des  pau- 
pières lorsque  nous  mouvons  les  yeux  fermés  et  par  conséquent 
nous  devrions  pouvoir  percevoir  alors  les  changements  de  direction 
du  regard  aussi  bien  ou  à  peu  près  que  les  yeux  ouverts.  Mais  c'est 
un  fait  aujourd'hui  bien  établi  que,  lorsque  les  deux  yeux  ne  per- 
çoivent pas  au  même  moment,  de  manière  à  pouvoir  le  fixer,  un 
même  point,  ils  ne  convergent  pas  exactement;  il  est  donc  très 
probable  que,  fermés,  ils  prennent  des  positions  plus  ou  moins 
incohérentes,  d'où  il  résulte  que  la  perception  de  la  direction  du 
regard,  si  on  peut  encore  dans  ces  conditions  parler  de  regard,  doit 
devenir  alors  confuse.  D'autre  part,  il  est  très  difficile  pour  beau- 
coup de  personnes  de  mouvoir  volontairement  les  yeux  fermés  sans 
mouvoir  en  même  temps  les  paupières;  l'effort  qu'elles  feront  pour 
y  réussir  troublera  à  la  fois  le  mouvement  et  la  perception.  Enfin  la 
sensibilité  tactile  des  yeux,  comme  celle  du  reste  du  corps, 
s'émousse  vite,  et  c'est  là  sans  doute  la  raison  pour  laquelle  on  se 
fait  si  aisément  une  fausse  conscience  de  la  direction  du  regard, 


1.  Volkmann,  Pfiysiologische  Untersuchu7igen  im  Gebiele  der  Optik,  2.  Hcfl,  1864. 
p.  liO;  comparer  W.  James,  The  Principles  of  Psychologi/,  1890,  vol.  II,  p.  200, 


B.  BOURDON.  —  LA  PERCEPTION  DES  MOUVEMENTS  17 

quand  on  a  fixé. pendant  quelque  temps  un  point  lumineux  dans 
robscurité  et  qu'il  s'est  produit  des  mouvements  apparents  de  ce 
point.  Quand  on  se  borne  à  faire  un  seul  mouvement  des  yeux,  les 
paupières  closes,  et  à  observer  immédiatement  la  direction  du 
regard,  la  perception  de  cette  direction  est  assez  exacte.  L'expé- 
rience indiquée  par  Volkmann  est  d'ailleurs  complexe,  car  il  n'est 
pas  possible  d'observer  la  direction  du  regard,  les  yeux  fermés,  sans 
faire  intervenir  la  volonté  de  mouvoir  les  yeux,  c'est-à-dire  la  con- 
naissance préalable  de  la  direction  que  le  regard  va  prendre. 

B.  Bourdon. 


TOME   L.    —   1900. 


CRITIGISME   ET    MONADISME 


1    . 


I 

Je  ne  sais  quel  écrivain  félicitait  un  jour  Spinoza  d*être  mort  peu 
après  la  quarantaine.  Quand  on  ne  vit  point  davantage,  ajoutait-il, 
on  n*a  point  le  temps  de  changer  de  doctrine,  et  l'on  épargne  à  ses 
futurs  commentateurs  l'embarras  de  chercher  des  concordances  là 
oii  il  n'est  que  des  différences.  La  destinée  du  philosophe  dont  le 
nouvel  ouvrage  *  est  Toccasion  du  présent  article  a  permis  à  ce  phi- 
losophe d'atteindre  une  longueur  de  vie  égale  au  double  de  celle  de 
Spinoza.  Elle  lui  a  dès  lors  octroyé  tout  le  temps  nécessaire  pour 
refondre  sa  doctrine,  au  besoin,  même,  pour  la  remanier  du  tout  au 
tout.  Lol  Nouvelle  Monadologie  de  Ch.  Renouvieret  L.  Prat  serait-elle 
donc  une  entière  refonte  des  Essais  de  critique  générale!  Le  titre 
seul  du  livre  inclinerait  à  le  penser.  Et  c'est  quand  même  ce  que  Ton 
aurait  tort  de  croire.  Essayons-en  la  preuve. 

On  sait  assez  généralement,  en  France,  que  la  philosophie  dont 
Gh.  Renouvier  est  le  chef  —  et  dont  il  est  aussi  le  père  —  dérive  de 
sources  kantiennes.  Le  nom  de  criticisme  en  est  la  preuve.  On  en 
conclut  parfois  que  le  criticisme  n'est  pas  autre  chose  qu'un  kantisme 
réformé  ou  même  abrégé,  certains  diraient  amoindri  ou  même  déca- 
pité. Cette  conclusion,  pour  être  inexacte,  est  assez  conforme  aux 
apparences.  L'attitude  de  Gh.  Renouvier  vis-à-vis  de  Kant  a  été  celle 
d'un  niveleur,  occupé  à  ne  rien  laisser  subsister  des  trois  Gritiques 
que  les  thèses  exemptes  de  toute  contradiction  extrinsèque  ou 
intrinsèque.  Il  en  est  résulté  une  doctrine  grande  et  féconde,  grande 
puisqu'elle  s'est  étendue  à  tout,  féconde  car  le  nombre  des  idées 
nouvelles  ou  des  aperçus  nouveaux  entrés  dans  la  circulation  depuis 
que  la  philosophie  criticisle  a  commencé  d'être  est  assez  considé- 
rable pour  imposer  à  tous  ceux  qui  pensent  le  respect  d'une  des 
gloires  philosophiques  les  plus  décidément  incontestées  du  siècle. 
Le  kantisme  de  Ch.  Renouvier  n'en  est  pas  moins  hétérodoxe  au 
point  d'en  être  parfois  méconnaissable.  Que  reste-t-il  de  Kant  une 
fois  consommée  la  ruine  du  noumène?  Que  subsiste-t-il  de  la  doc- 

1.  Ch.  Renouvieret  L.  Prat.  La  Nouvelle  Monadologie,  i  vol.  gr.  in-8,  546  p. 
Paris,  Colin,  1899. 


L.  DADRtAG,    —   CilïTiCISME   ET   MONADISMK 


19 


trine  des  calégories»  quand,  au  lieu  de  s'acheminer  vers  leur  dédue- 
tion,  et  par  là  rnéme  d'aller  dans  la  direction  de  Kant,  plus  loin  que 
lui.  on  s'empresse  de  les  poser  et  de  les  distinguer  dans  Texpe^rience 
interne»  je  consens  à  le  reconnaître,  mais  enfin  dans  Texpérience? 
Remplacer  une  déduction  peut-être  impossible  par  une  constatation ^ 
c'était  assurément  le  parti  le  plus  sage,  C  elait  celui  d'un  kantien 
presque  repentant.  On  essaierait  vainement,  si  Ton  comparait  les 
catégories  du  rnailre  à  celles  du  disciple»  d'atténuer  les  infidélités  du 
disciple.  Ce  sont  bien  les  mots  dont  Kant  s'est  servi  :  phénomênr^s^ 
reprêsentalûm,  catégories,  voila  des  termes  qu'il  arrive  de  rencontrer 
presque  h  chaque  page,  dans  les  Esi^aL^  de  critique  générale^  et  ce  fit 
le  vocabulaire  kanLien  qui  les  a  fournis.  La  question  est  de  savoir 
Si  leur  émigration  ne  leur  a  pas  été  fiitale  et  s'ils  ont  gardé  en  pas- 
sant de  l'ancien  dans  le  nouveau  critidsme  le  meilleur  d'eux-mêmes, 
je  veux  dire  Tessenliel  de  leur  sens.  Il  y  aurait  donc  lieu  de  se 
demander  ce  qu'est,  par  rapport  à  la  philosophie  de  Kant,  la  philo- 
Sophie  de  Ch.  Benouvier,  Car  si  c'est  un  fait  qu'historiquement  la 
philosophie  des  Emah  iU  crilïqae  générale  procède  de  la  philosophie 
des  trois  Criiiqni*s  kantiennes,  il  se  pourrait  qu'il  n'y  eût  là  rien  de 
plus  qu'un  fait  historique.  Supposez  en  effet,  et  la  supposition  est  per- 
mise, que  Henouvier  s'écarte  de  Kant  sur  les  points  essentiels;  sa 
doclrine  pourra  bien  s  appeler  un  criticisme.  Le  droit  qu'elle  aurait 
de  s'appeler  un  néo-kantisme  serait  loin  d*étre  aussi  évident* 

Dès  lors,  tant  qu'on  mettra  les  deux  criticismes  en  présence,  celui 
de  Kant  et  celui  de  Henouvier,  on  sera  frappé  de  tout  ce  quil  faut  ôter 
au  kantisme  pour  le  rendre  philosophiquement  acceptable.  Une  fois 
les  suppressions  faites^  rexiguité  du  reste  déconcertera.  Plusieurs, 
parmi  les  bons  esprits,  s  en  prendront  non  pas  seulement  au  philo- 
)phe>  mais  au  caractère  de  sa  philosophie,  à  l'attitude  générale  que 
Hte  philosophie  suppose  et  qui  a  tout  Tair  d'être  délibérément  olïen- 
sive  à  regard  des  affirmations  fermes  en  matière  métaphysique.  La 
Critîqne  de  ia  raimn  pure  avait  donné  le  signal  d'attaifue*  L'auteur 
des  EséQîu  de  critii^m'  générale  se  sert  contre  Kant  des  armes  kan- 
tiennes «ît  achève  de  démolir  ce  que  Kant  a  oublié  de  ruiner.  Il  y  a 
plus  :  Kant  n  avait  écrit  son  premier  grand  ouvrage  que  pour  fonder 
en  raison  la  scienœ  expérimentale  de  la  nature.  Avec  Kant  l'idée  de 
vérité  scientilique  se  transforme^  mais  elle  demeure  Henouvier,  lui, 
chasse  «  l'évidence  »  pour  lui  substituer  «  la  croyance  y*.  Le  nouveau 
eritîcisme  rétrograde  vers  le  scepticisme  :  et  îsi  Ton  en  voulait  douter, 
les  sympathies  avouées  du  fondateur  de  Técole  pour  David  Hume 
attesteraient  que  chex  les  criticisles  les  scepti(]ues  sont  les  bien 
\eDus. 


20  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

On  devine  qu'en  ce  moment  nous  ne  faisons  que  prêter  l'oreille  à 
ce  qui  s'est  dit  et  se  dit  encore  en  de  certains  milieux,  pour  et  contre 
le  néo-criticisme.  Volontiers  on  se  fi^i^urerait  que  pour  y  adhérer,  il 
faut  préalablement  signer  un  acte  d'abjuration  spéculative  en  plu- 
sieurs articles  et  sans  accommodement  possible  :  les  criticistes  pas- 
sent pour  intransigeants.  C'est  qu'on  les  connaît  mal  ou  qu'on  les  lit 
trop  vile.  C'est  aussi  qu'on  ne  prend  point  garde  à  la  conversion  tou- 
jours possible  des  formules  négatives  en  négations  leurs  contraires  : 
bref,  c'est  que  l'on  ne  distingue  pas  toujours  assez  volontiers  le  fond 
d'une  doctrine  des  circonstances  qui  ont  entouré  sa  naissance  et  de 
l'attitude  qu'elles  ont  plus  ou  moins  imposée  à  ses  auteurs.  Quand 
on  expose  un  système  dialectiquement  en  voulant  se  frayer  passage 
'  coûte  que  coûte  à  travers  les  idées  des  autres,  on  renverse  de  ces 
idées  tout  ce  qui  s'oppose  à  notre  marche.  Or  le  bruit  des  chutes 
est  souvent  étourdissant  et  pendant  qu'on  y  a  l'oreille,  on  oublie  de 
mesurer  les  progrès  de  l'assaillant.  Tout  au  contraire,  si  l'on  quitte 
la  façon  d'exposer  dialectique  ou  plutôt  a  érislique  »  pour  la  manière 
didactique,  on  change  parfois  presque  du  tout  au  tout  l'aspect  des 
choses.  On  dirait  qu'une  doctrine  nouvelle  vient  de  se  produire,  que 
las  d'abattre,  l'auteur  s'est  mis  à  édifier,  qu'à  sa  philosophie  négative 
il  vient  d'adjoindre  une  philosophie  où  les  affirmations  s'alignent  et 
qu'en  fin  de  compte  sa  pensée  s'est  renouvelée. 

C'est  ce  qui  vient  précisément  d'arriver  au  chef  du  néo-crilicisme. 
Il  s'est  donné  tout  récemment  la  lâche  d*exposer  synthétiquement 
sa  doctrine  :  puis  une  fois  1  exposition  terminée  au  lieu  du  nom  de 
«  synthèse  criticiste  »,  que  l'on  aurait  pu  attendre  il  a  choisi  pour 
sa  doctrine  celui  de  «  Nouvelle  Monadologie  ».  Au  vrai  si  M.  Renou- 
vier  avait  voulu  frapper  un  coup  d'éclat,  surprendre  le  public  des 
philosophes  par  l'annonce  retentissante  d'un  changement  de  front 
dans  sa  méthode  de  philosopher,  il  ne  s'y  serait  guère  pris  autre- 
ment. L'apparition  de  la  Nouvelle  Monadologie  est  donc  un  événe- 
ment dans  l'histoire  du  criticisme?  On  inclinerait  à  le  croire  et  pour 
d'autres  raisons  que  la  principale.  Non  seulement  le  criticisme  s'an- 
nonce comme  une  doctrine  où  les  affirmations  prévalent.  Mais  encore 
dans  ce  livre  nouveau  les  a  critiques  »  sont  rares  :  à  chaque  mou- 
vement de  la  pensée  c'est  un  gain  qui  s'enregistre.  A  la  colonne  des 
profits  ne  s'oppose  point  celle  des  pertes.  Ajouterai-je  que  les  par- 
ties du  livre  où  il  est  question  de  la  croyance  ont  besoin,  pour  que 
toute  la  portée  en  apparaisse,  d'être  complétées  par  des  souvenirs 
puisés  à  d'autres  sources?  C'est  donc  une  chose  à  peu  près  jugée  : 
le  criticisme  des  Essais  de  critique  générale,  en  passant  par  la  Nou- 
velle Monadologie^  a,  tout  au  moins,  changé  d'allure.  . 


L.  DAURIAC.   —   CaniCiSlIE  ET  MONADBME 


SI 


II 


Est-il  resté  le  criUeîsme?  Mais  que  fauUil  au  juste  entendre  par 
ce  mot?  Une  doctrine  ou  une  inélhode?  A  moins  que  ce  ne  soil  une 
doctrine  où  les  thèses  résultent  de  remploi  rigoureux  de  la  méthode. 
Le  critrcîsme  n'a  jamais  prétendu  être  autre  chose,  et  si  Ton  objecte 
qu'en  cela  tous  les  autres  systèmes  lui  ressembls^nt^  on  oublie  pour- 
tant une  chose*  c'est  que  dans  les  doctrines  d'aspect  criliciste  la 
méthode  prévaudra  :  l'important  sera  moins  d'arriver  à  telle  ou  telle 
^vérité  que  de  prendre,  afin  d'y  parvenir,  telle  %^oie  ou  telle  autre.  On 
se  conçoit  pas  la  méthode  de  Spinoza  sans  le  spinozisme.  Or,  il  se 
peut  que  nous  fassions  erreur,  mais  il  ne  nous  paraîtrait  pas  impos- 
sible de  discerner  dans  la  philosophie  de  Ch.  Henouvier  ce  qui  est 
eriticiste  de  ce  qui  n'est  que  .,.renouviérisle.  Par  suite  il  ne  serait 
pas  non  plus  impossiUle  qu*un  philosophe  parti  de  Ch*  Uenouvier 
prît  à  son  égard  rutiîtude  quit  a  luî-mème  prise  à  Tégard  de  Kant 
et  trouvât  par  Tapplication  de  sa  méthode  des  raisons  de  rejeter 
Tune  ou  Tautre  de  ses  Ihèses  favorites.  Le  crilicisme  est  donc  avant 
tout  une  méthode  de  philosopher. 

Que  celte  méthode  ait  reçu  dans  la  Nouville  Monadohgie  tout 
le  détail  désirable,  nous  ne  le  pensons  pas.  Un  lecteur  ignorant  des 
premiers  écrits  du  maître  aurait  quelque  peine  à  en  soupçonner  ia 
iargeur,  I^  théorie  de  la  croyance,  sur  laquelle,  en  fin  de  compte, 
tout  le  criticisme  repose,  n'y  est  certes  pas  omise  et  ne  devait  point 
Têtre*  Elle  prolonge  et  achève  le  chapitre  sur  la  Vohntéy  l'un  des 
plus  beaux  du  livre  et  dont  it  fait  louer  le  captivant  début.  Mais  peut- 
^tre  ne  lui  est-il  pas  fait  assez  de  place  et  n'en  est- il  trop  souvent 
parlé  que  par  allusion.  îl  s'est  accumulé  tant  d'équivoques  autour 
du  mot  croyance  qu'un  peu  de  discussionj  ici,  eût  été  nécessaire.  On 
peut  croire»  en  effet,  comme  le  pape  d^Avignon  datJS  VEau  de  Jou- 
vence croyait  à  lame  immortelle  ;  il  C'est  comme  toutes  les  choses 
auxquelles  on  croit,  on  n'en  est  jamais  bien  sûr.  »  La  Pauline  de  Cor- 
neille ne  croyait  pas  ainsi.  Et  il  est  un  sens  du  mot  croire  qui,  le 
mpprochanl  du  mot  «  voir  »»  relève,  et  d'une  appréciable  hauieur,  au- 
dessuâ  du  mot  «  savoir  »,  A  son  degré  suprême  la  croyance,  ose- 
rions-nous dire,  est  la  t  plus  que  certitude  ».  L'occasion  était  peut- 
être  favoralïle  non  pas  seulement  do  dire,  mais  de  prouver  qu*il  ne 
s*dgiL  nullement,  ainsi  que  certains  l'ont  pensée  de  rendre  la  volonté 

jverainesnr  la*  matière  *  de  la  croyance,  M.  Fouillée ,  par  exemple, 
patient  qu'il  ne  suffît  pas  de  regarder  dans  un  télescope  et  de  vou- 
loir que  la  lune  se  montre  à  Tautre  bout  pour  qu'en  elTet  elle  s'y 


2â  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

montre.  M.  Renouvier  ne  le  contredira  jamais  sur  ce  point,  il  peut  en 
être  sûr.  Mais  ce  n  est  point  la  chose  à  croire  qui  constitue  la 
croyance,  c'est  le  coefficient  de  modalité  dont  Tesprit  marque  le 
jugement  où  elle  entre  à  titre  de  matière,  c'est  la  forme  même  de  ce 
jugement;  c'en  est  le  caractère,  ou  assertorique,  ou  problématique  ou 
apodictique;  c'est  encore  et  principalement  le  rôle  de  la  volonté 
pendant  l'impression  de  ce  caractère.  Il  y  avait  peut-être  là  des 
choses  à  redire,  des  éclaircissements  à  revouveler.  Un  chapitre 
entier  sur  la  Croyance  n'aurait  pas  sensiblement  augmenté  le  volume 
de  l'ouvrage  et  le  lecteur  mal  intentionné  qui,  lisant  la  Nouvelle 
Monadologiey  affecte  de  n'y  plus  retrouver  l'ancien  criticisme,  en  eût 
été  pour  ses  frais  de  mauvaise  intention. 

En  revanche,  ceux  qui  ont  quelque  habitude  de  la  philosophie 
criticiste  ne  manqueront  pas  à  s'apercevoir  que  jamais  elle  ne  s'est 
montrée  plus  digne  d'être  appelée  une  «  philosophie  de  la  croyance  *. 

Le  propre  d'une  philosophie  de  la  croyance  n'est-il  pas,  en  effet, 
d'adjoindre  aux  thèses  susceptibles  de  rigueur  démonstrative  d'au- 
tres affirmations  tout  aussi  fermes  que  les  précédentes,  mais  qu'il 
est  impossible  d'établir  déduclivement?  Aucun  fait  d'expérience 
humaine  ne  les  contredit.  Mais  apparemment  aucun  fait  d'expérience 
humaine,  non  plus,  ne  les  impose,  puisque,  devant  ces  affirmations, 
tant  de  penseurs  hésitent.  Quelques-uns  môme,  tout  disposés  qu'ils 
soient  à  les  déclarer  satisfaisantes,  refusent  d'y  adhérer.  Ces  affirma- 
tions ne  sont  autres  que  des  postulats.  Mais  si  jamais  les  postulats 
sont  appelés  à  jouer  un  nMe  en  philosophie,  nulle  part  ils  ne  seront 
mieux  à  leur  place  que  dans  une  philosophie  de  la  croyance. 

Le  nouveau  criticisme  aura  donc  ses  postulats  comme  l'ancien.  Ce 
seront  d'abord  les  célèbres  n.  postulats  de  la  raison  pratique  » 
auxquels  M.  Renouvier  résolument  en  adjoindra  un  autre  pour  expli- 
quer l'origine  du  mal  et  rejeter  l'optimisme  sans  accuser  Dieu. 

Ce  quatrième  postulat  nous  vaut,  dans  la  Soiivelle  Monadologie.un 
admirable  et  dernier  chapitre,  sur  la  Justice,  le  plus  incontestable- 
ment riche  de  tout  l'ouvrage.  Si  l'on  admet  que  l'homme  est  l'auteur 
du  mal,  il  devient  assez  naturel  de  ne  point  se  présenter  le  mal 
antérieur  à  la  création  du  monde.  Mais  qu'étaient,  que  pouvaient 
bien  être,  avant  la  production  du  mal,  avant  «  le  péché  »,  l'univers 
et  la  société  dos  créatures  vivantes\^  Ainsi  l'on  ne  se  contente  point 
de  nous  dire  que  le  péché  a  «  corrompu  »  l'univers,  que,  selon  la 
parole  de  l'Écriture,  «  le  monde  est  plongé  dans  le  mal  »;  on  fait 
plus  :  on  s'essaie  à  nous  montrer  l'homme  vivant,  heureux  et  puis- 
sant, ayant  à  sa  disposition  le  libre  usage  des  forces  cosmiques.  — 
Nous  entrons  alors  dans  le  domaine  de  la  fantaisie?  ^ —  ^    *  *' 


L.   DAURIAG.    —   CIUTICISME   ET  MONABlSME 


m 


maïs  d"une  fantaisie  réglée  par  le  respect  des  vraisemblances.  Il 
tf était  d'ailleurs,  en  un  sujet  pareil,  d'autre  mélhode  à  suivre,  puis- 
qu*BUSsi  bien  le  mythe  ou  ïa  fable  ne  sont  et  ne  peuvent  être  dénués 
de  tout  rapport  avec  ia  réalité.  Les  conjectures,  quiiiid  on  arrive  à 
les  agencer,  produisent  par  leur  agencemesit  même  quelque  diosa 
qui  les  vend  vraisemblables  et  les  rapproche  de  ce  que  Platon  appelle 
Vopinwn  vraie.  En  vérité  ce  n'était  pas  chose  facile  que  de  socialiser 
îe  paradis  terrestre  et  de  le  socialiser  en  le  laïcisant,  je  veux  dire  de 
substituer  au  couple  Âdam-ftve  une  société  humaine  au  moins  aussi 
nombreuse  que  la  société  présente  et  de  lui  donner  pour  lîeu  de 
séjour  le  monde  physique,  analogue  au  monde  que  nous  habitons, 
d'expliquer  comment  les  eflets  de  Tinjustice  ont  pu  s'étendre  à  la 
nature  tout  entière  ^  —  et  cela,  sans  miracle,  sans  aucun  coup  d*état 
de  la  Providence.  —  «  Les  grandes  forces  actuellement  productives 
de  vie  el  de  mort,  soustraites  en  leut^s  sources  et  en  leurs  cours 
principaux  à  la  puissance  de  Thomme,  étaient  alors  toutes  aménagées 
pour  son  œuvre  et  prédisposées  divinement  pour  ne  produire  que 
des  effets  favorables  et  pour  produire  tous  ceux  qui  pouvaient  être 
désirés  si  elles  étaient  conduites  avec  autant  de  justice  que  de  science 
et  de  pouvoir.  Mais  ces  forces  devaient  au  contraire^  si  elles  étaient 
aLTrancliies  et  déchaînées  par  la  perte  de  ce  pouvoir,  suite  eîle-mème 
de  ses  applications  injusteSj  n'obéir  plus  qu'aux  plus  générales  et 
lux  plus  abstraites  des  lois  de  leur  institution.  L'univers  devait 

isser  de  rétat  d'harmonie  créée  à  celui  de  la  matière  désorganisée» 
des  actions  sans  finalité,  de  la  guerre  des  espèces  à  mesure  de  leur 
réapparition  sous  Fempire  de  la  génération  et  de  la  mort.  ïï  Voilà 
certes  un  don  d  illustrer  un  postulat  philosophique  dont  il  ne  faut 
pûs^  g'étonner  que  lauteur  û'UcJironie  ait  si  curieusement  et  si 
librement  fait  usage.  M.  Renouvier,  comme  autrefois  Platon,  ferait- 
il  au  mythe  une  large  part  dans  rexplication  des  choses?  Si  l'on 
en  juge  par  l'exemple  quUI  donne^  il  le  faut  allirraen  D'ailleurs  il 

ïul  convenir  qu*un  postulat  réduit  à  la  seule  proposition  qui 
Pénonce  ressemble  presque  à  s'y  méprcTidre  h  une  affirmation  gra- 
tuite. On  ne  peut  le  démontrer  au  moyen  de  propositions  antécé- 
denlest  auquel  cas  il  se  cliangerait  en  théorème.  —  Du  moins  on 
pou  irait  le  tiémontrer  par  ses  conséquences?  —  En  mathémidiques, 

sul-ètre,  non  en  philosophie,  où  les  postulats  ne  sont  après  tout 

'^qoe  de  satisfaisantes,  mais  invérifiables  hypothèses.  Comment  s'y 

prendre  alors  pour  jusliller  son  droit  de  postuler?  La  seule  méthode 

ii*esl-i.'lle  pas  d'illustrer  ce  que  Ton  postule,  de  le  montrer  vraisem- 


^Mtowf/k  Monmhhnie,  |i.  485,  arL  CXXXIV. 


24  ftcvcE  MnuysomocE 

ht;feM^?  (^r  f^nfifi  comment  foire  admettre  ce  que  Toq  demande  à 
moiriA  d^;  r^p<^ter  à  .satiété  qa'on  le  demande,  ce  qui  fot  toujours  uo 
a^ft^^z  mauvais  moyen  d'exporter  ses  convictions?  L'unique  res- 
ft/iiirce  de  Maton  était  la  fable.  Et  certes  il  n'en  est  pas  d'autres. 

f>?  droit  qu'avait  Platon  de  recourir  à  la  fable  se  justifie  par  la 
valeur  qu  il  attribuait  k  l'opinion  dans  tous  les  casoii  il  était  impos- 
sible à  l'bomme  de  parvenir  à  la  science.  Or  on  ne  s'est  pas  assez 
rendu  compte  en  lisant  le  Deuxième  essai  de  critique  générale  qu'en 
r^int/Tgrant  la  croyance  dans  la  méthode  philosophique  et  en  lui 
subordonnant  l'évidenœ,  le  chef  du  néocriticisme  reconnaissait  à 
rimaKÎnation  le  droit  d'intervenir.  Ce  n'est  pas  tout  encore.  Dans 
une  philosophie  oh  les  noumènes  n'ont  point  de  place,  Timagination 
peut  si;  mouvoir  k  l'aise  dans  le  champ  qui  lui  a  été  ménagé.  Mais  ce 
nV'st  pas  îi  elle  de  choisir  sa  matière.  Elle  n'est  pas  libre  d'inventer 
au  hasard.  Elle  sait  que  l'inconnaissable  n*est  point  d'une  autre 
nature  rjue  le  connu,  qu'il  n'est  aucun  fond  des  choses  hétérogèns  à 
leur  surface  perceptible.  S'il  n'est  rien  en  dehors  de  la  représenta- 
tion, il  ne  saurait  y  avoir  û'altérité  absolue.  L'idée  de  Vautre  ne 
(»iMil  rlni  posée  (|u'en  regard  de  celle  du  même  et  nécessairement 
en  participe.  En  d'autres  termes  tout  ce  qui  sera  ou  fut,  doit  être 
parlirilriuent  homogène  à  ce  qui  est,  tout  jusques  et  y  compris  le 
paradis  [(îrrcstnî. 

Allons  pliis  loin  encore  et  poussons  la  hardiesse  jusqu'à  dire  «  tout 
juscpics  (»l  y  compris  Dieu  ».  Et  Ik  ne  sera  pas  la  moindre  originalité 
de  la  (loclriruî  (îriliciste.  Nous  supposons  connues  du  lecteur. les 
aflinilés  des  thèses  crilicistes  avec  les  thèses  principales  de  la  phi- 
losophie du  ehrislianisme.  Il  se  trouve  par  suite  dans  la  doctrine  de 
(îh.  Uenouvierdes  éléments  de  source  juive.  Mais  il  est  remarquable 
h  (piol  point  notre  philosophe  sait  aussi  faire  appel  à  des  éléments  de 
soun't*  hellénique  et  les  mélanger  au.\  premiers  sans  avoir  besoin 
connue  nii^uère,  dans  le  Timêc,  le  démiurge,  de  recourir  à  la  force 
pour  maintenir  ;\  l'êlat  d'union  les  ingrédients  du  mélange.  Que  le 
démiurK*'  î^oit  ou  ne  i^oit  pas  le  dieu  suprême  du  platonisme,  la  cri- 
tique iles  textes  peut  seule  éclairer  le  poitit.  Mais  que  ce  démiurge 
soit  un  être  humain  grandi  dans  toutes  ses  puissances,  c'est  bien  ce 
K\n\  résulte  îles  propres  paroles  de  Platon.  Et  le  dieu  du  néo-criti- 
eisme  lui  ressemble.  Tu  monjent  même  ce  dieu  s'est  multiplié, 
(hivre/.  le  deuAictue  t!ssai,  vers  les  dernières  pages  :  vous  vous 
tl^urt\'  entivvoir  un  nouvel  Olympe,  et  celte  restauration  un  peu 
brusque  du  polythéisme  hellénique  —  s;ms  *  illustration  »  celte  fois 
vous  causera  peul-èlre  quelque  nialaise.  Depuis,  M.  Renou\ier  — 
Ainsi  que  d  ailleurs  IVxige  la  fumeuse  loi  des  trois  états  —  est  sorti 


L.  DAUHIAG,   —   CftinClSME   ET  MOP*AI>lS«E 


25 


d©  €  l'état  théologîque  i.  Il  a  monarchisé  son  ciel,  tout  en  ne  cessant 
pas  «  d'humaniser  »  son  monarque.  —  Alors  si  le  Dieu  de  M.  Renou- 
vier  est  intelligent,  mais  d'une  intelligence  qui  ne  fait  que  sur- 
passer la  nôtre,  il  est,  en  qu**lque  manière,  soumis  aux  lois  de  la 
représentation,  aux  catégories  en  un  mot.  Or  que  penser  d'une 
telle  soumission  à  moins  qu'on  n'érige  les  catégories  en  vrais  prin- 
cipes des  choses?  Après  tout  la  ditïicullé  serait-elle  si  dîlTérente  de 
celle  que  le  platonisme  soulève  et  après  lui,  beaucoup  après,  !e 
leibnixianisme?  11  est  on  ne  peut  plus  malaisé,  en  effet,  d-assigner 
une  origine  k  Tentendement  divin.  Le  fait*on  sortir  de  la  volonté 
divine,  on  admet  Tin  intelligible.  Le  pose-t-on  sans  se  demander  cona- 
menl  il  peut  être,  un  explique  ainsi  ou  l'on  croit  expliquer  les  mani- 
feâtations  de  Tactlvité  de  Dieu  :  mais  on  subordonne  sa  volonté  à 
son  inteUigence,  Ainsi  fait  Pïaton  qui  dans  son  Thnée  parait  élever 
les  idées  au  dessus  du  Démiurge.  Ainsi  fait  Leibniz^  qui,  en  établis- 
sant le  primat  de  Tentendement  divin  soumet  aussi  à  sa  manière 
Dieu  aux  catégories  de  la  pensée.  Après  tout,  ce  Dieu  de  Leibniz, 
duquel  n'est  décidément  plus  très  loin  le  Dieu  de  Renouvier.  est  cent 
fois  moins  invraisemblable  que  ne  serait  le  Dieu  de  Kant,  si  Kant 
&*était  préoccupé  d* illustrer  son  second  postulat  de  la  raison  pratique 
car  il  eût  fallu,  j'imagine,  attribuera  ce  Dieu  la  connaissance  des 
choses  en  soi,  ce  qui  eût  été  contradicloire,  puisque  connaître,  c'est, 
en  dernière  analyse,  «  phénoménaliser  t.  Mais  comment  se  ligurer 
un  Dieu  créant  les  choses  et  ne  se  les  représentant  point  telles  qu'il 
les  crée?  11  est  donc  permis,  si  Ton  ose  s'aventurer  t  travers  ces 
ditûcuUés,  de  toutes  les  plus  inextricables,  d'opter  pour  le  Dieu  du 
Béo-criticisme  contre  le  Dieu  éventuel  du  criticisme  kantien,  d*avouer 
l'impossibilité  oii  Ton  ett  de  se  représenter  la  nalure  divine  autre- 
ment que  dans  son  rapport  avec  la  nOtre,  et  finalement,  de  recon- 
naître à  quel  point  les  matières  de  ce  genre  sont  affaires  d'opin ion- 
La  seule  chose  à  éviter  quand  on  y  tombe,  c'est  de  se  figurer  qu*en 
Dieu  toutes  les  oppositions  se  Tondent  et  toutes  les  contradictions 
s'eOacent- 

Si  tel  est  le  Dieu  du  criticisme»  reconnaissons  que  pour  lui  faire 
place  dans  sa  doctrine  M,  Renouvier  ira  rien  changé  ni  aux  pré- 
ceptes de  sa  méthode,  ni  aux  principes  de  sa  philosophie.  Il  est 
à  qualre-'^ingt-cinq  ans  ce  qu'il  était  aux  approches  de  la  quaran- 
taine :  criticiste  et  phénoméniste, 

m 

Touterois  il  semble  bien  que  les  précurseurs  avoués  du  nouveau 
criticisme  ont  été  Kant  et  David  Hume.  Or,  ou  le  titre  de  Nouvetle 


26  KEVUE   PHILOSOPHIQUE 

Monadologie  n'est  en  quelque  sorte  qu'un  titre-réclame,  ou  c'est  à 
l'abri  du  grand  nom  de  Leibniz  que  M.  Renouvier,  sur  le  point 
d'imprimer  à  sa  doctrine  son  caractère  définitif,  vient  de  lui  marquer 
sa  place.  Et  c'est  de  quoi  certains  philosophes  ont  été  surpris,  même 
fort  désagréablement.  Car,  nous  disent-ils,  remonter  de  Kant  à 
Leibniz  c'est  inévitablement  rétrograder.  Pourquoi  ce  recul?  Et 
surtout  pourquoi  cette  amende  honorable  d'un  phénoméniste  soi- 
disant  impénitent  à  Fun  des  plus  illustres  <!l  substintialistes  t^  qui 
aient  jamais  été? 

Mais  est-il  vrai  que  Gh.  Renouvier  ait  démoli  la  substance?  — 
A  peu  près  comme  Voltaire  a  «  écrasé  l'infâme  ».  C'est  qu'en  effet  il  y 
a  substance  et  substance.  D'une  part  les  anciens  se  sont  fait  de  la 
substance  une  conception  qui  n'est  pas  exactement  celle  des 
modernes.  De  l'autre,  parmi  les  modernes  il  s'est  formé  du  même 
concept  apparent  des  conceptions  assez  divergentes,  souvent  même 
incompatibles  :  la  substance  de  Spinoza  n'est  déjà  plus  celle  de 
Descaries,  et  l'analogie  des  définitions,  tant  de  fois  invoquée,  pourrait 
n'être  que  verbale.  La  substance  de  Leibniz,  elle,  ne  garde  ou  ne 
veut  rien  garder  de  spinoziste.  Et  puis  il  est  encore  d'autres  «  sub- 
stances ».  Kant  à  la  sienne.  Les  Écossais  ont  la  leur  :  ils  l'ont  cédée 
aux  éclectiques.'  C'est  celle  qui  régnait  et  gouvernait  en  France 
lorsque  Charles  Renouvier  lui  a  déclaré  la  guerre.  Commençons  donc 
par  cette  substance-là. 

Votre  intention  n'est  pas  de  «charger  »  une  doctrine  pour  en  faci- 
liter la  dérision.  Nous  ne  prêterons  point  à  Thomas  lleid  une  autre 
doctrine  que  la  sienne,  et  ce  ne  sera  point  notre  faute  si  on  lui 
reproche  son  excès  de  puérilité.  Thomas  Reid  admet  en  effet  des 
substances,  et  en  plus  de  ces  substances  des  qualités  :  parmi  ces 
dernières,  il  en  est  quelques-unes,  les  ce  premières  »,  dont  nous  avons 
une  connaissance  vraie,  que  nous  saisissons  dans  leur  «  être  »  et 
non  pas  seulement  dans  leur  «  paraître  ».  —  Il  faut  dire  alors  que 
ces  qualités  sont  les  qualités  d'une  substance  à  peu  près  comme  si 
l'on  disait  «  le  livre  de  Pierre,  liber  Pelri  ».  A  moins  qu'une  autre 
comparaison  ne  l'emporte  et  qu'on  ne  se  figure  la  substance  à  la 
manière  d'un  noyau.  C'est  bien  ainsi  que  Reid  se  la  figurait.  Seule- 
ment il  la  déclarait  imperceptible,  inconnaissable.  En  cela,  Reid  était 
bien  le  digne  maître  de  Royer-Collard,  qui,  lui,  devait  faire  consister 
la  philosophie  dans  l'art  de  dériver  notre  ignorance  de  sa  source  la 
plus  haute.  Mais  si  les  substances  nous  échappent,  et  si  nous  n'en 
pouvons  rien  savoir,  comment  nous  est-il  possible  d'affirmer  qu'elles 
existent?  N'est-il  pas  contradictoire  de  dire  d'une  chose  qu'elle  est 
et  de  ne  pouvoir  point  dire  ce  qu'elle  est?  Et  d'où  vient  à  Thomas 


L.  DAURIAC.    —  CliniCISME   ET   «(ÏP(AD1SME 


il 


Reid  le  droit  de  distinguer  les  substanceîs  corporel  les  des  substances 
spinluelles?  On  sait  son  échappatoire  :  cette  distinction  nous  est 
îittestée  par  le  sens  commun.  Voilà  bien  une  aftirmation  sans 
réplique»  comme  aussi  sans  preuve.  Si  par  hasanl  toutes  ces  sub- 
stanccî^  que  nous  ne  saiirrions  atteindre  n'en  étaient  qu'une  seule? 
L'effarement  de  lieid  serait  ù  son  comble,  mais  il  ne  suffirait  pas  à 
ruiner  la  supposilion. 

Chez  Kant,  la  théorie  de  la  substance  est  double.  D'abord,  quand, 
pour  jusliljer  par  la  science  positive  de  son  siècle  sa  doctrine  des 
catégories,  il  pose  en  principe,  dans  VÀnahjtiqne  tramcendwitaie^ 
la  pi^rmanence  quantitative  de  la  matière,  on  dirait  qu'il  subordonne 
Tune  des  deux  premières  catégories  à  l'antre  et  fait  de  la  qualité 
comme  la  surface  de  la  quantité.  D'où  une  conception  de  la  sub- 
stance, de  laquelle  résulte  une  conception  de  Tunivers  indiscutable- 
ment  monjste  el  panthéiste. 

Kant  passe  de  V Analytique  h  la  Dialectique  par  Tinlermédiaire  de 
Ja  célèbre  distinction  des  pliénoniènes  et  des  noumènes.  Inutile  de 
rappeler  qo'eo  distinguant  ces  deux  aspects  de  la  réalité  Kant  ne 
double  nullement  te  nombre  des  êtres  comme  certains  Tout  iiû  croire, 
et  que  le  noumène  n'est  autre  chose  qu'un  phénomène  réfracté.  Le 
phénomène,  en  effet,  si  nous  avons  bien  cunjpris  la  pensée  de  Kant, 
résulte  de  la  mise  en  présence  d  un  esprit,  d'une  part,  d*uue  chose 
en  soi,  de  Pautre.  Sans  la  double  forme  de  Tin tui lion  a  priori^  les 
choses  ne  pourraient  être  converties  en  phénomènes. 

Mais  il  n'est  point  que  les  choses  à  participer  d'une  telle  conver- 
sion* Et  c'est  une  question  de  savoir  si  l'opposition  entre  Tesprit  el 
las  choses,  envisagée  dans  T absolu,  ne  serait  point  contraire  à  la 
vraie  pensée  du  philosopha?.  Qii'esl*ce,  en  effet,  que  l'esprit,  une 
existence  différente  de  celle  qu'il  se  procure  en  s'appar^iissant  à  lui- 
mémeV  Lorsqu'il  prononce  le  «  je  pense  »  nous  est-il  dit  quelque 
part  qu'il  le  prononce  hors  du  temps?  Et  ?i  c'est  dans  le  lemps 
qiî*il  le  prononce,  voilà  TespriL  captif  de  la  durée.  Ce  n'est  pai^  lui 
qui  convertît  le  noumène  en  phénomène,  puisqu'au  moment  de  cette 
conversion  que  certains  lui  prèlent,  Tesprit,  s* il  est  l'esprit,  ne  sau- 
rait être  non  plus  qu'un  phcuoniène  ou  qu'une  synthi  se  de  phéno- 
mènes régis  par  la  loi  du  temps.  Nous  n'ignorons  point  que  ce  sont 
là  choses  dont  on  dispute,  et  que  les  thèses  principales  du  kantisme 
spéculatif,  n^éme  s* il  ne  s'agit  que  de  les  bien  interpréter,  sont  de 
pâture  à  embarrasser  les  esprits  les  plus  vigoureux  et  les  plus 
sagaces.  Il  nous  parait  toutefois  que  la  distinction  kantienne  des 
esprits  et  des  corps  s  applique  au  monde  des  phénomènes  :  et  c'est 
pourquoi  lesprit,  envisagé  dans  son  fond,  n'est  ni  plus  ni  moins  un 


38  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

noumène  que  ne  Test  dans  son  fond  cet  objet  auquel  il  donne  le  nom 
de  chose.  Alors  surgit  une  question  des  plus  graves.  Les  distinc- 
tions qu'il  nous  arrive  de  faire  entre  les  phénomènes  correspondent- 
elles  à  des  diversités  dans  la  sphère  des  noumènes?  Il  se  peut  qu'en 
cela  M.  Renouvier  eût  risqué  de  la  pensée  de  Kant  une  interpréta- 
tion discutable  —  d'autres  que  nous  en  décideront.  —  Mais  il  s'agit 
moins  ici  de  justifier  celte  interprétation  que  de  la  faire  connaître. 
Or  il  nous  est  arrivé,  plus  d'une  fois,  d'entendre  M.  Renouvier  nous 
dire  que  Kant  avait  beau  «  parler  »  des  noumènes  au  pluriel,  il  n'y 
.  pensait  jamais  qu'au  singulier.  Dès  lors  si  l'on  gratifiait  le  noumène 
du  nom  de  substance  ainsi  qu'on  le  faisait  tout  à  l'heure  de  l'indes- 
tructible qualité  de  la  matière  du  monde,  il  faudrait,  cette  fois  encore, 
orienter  la  doctrine  de  Kant  dans  la  direction  des  doctrines  monistes 
et  panthéistes.  Alors,  entre  le  noumène  de  Kant  et  la  substance  de 
Spinoza  l'écart  serait  insaisissable,  et  les  différences  entre  Tune  et 
l'autre  n'intéresseraient  que  les  historiens?  M.  Renouvier  n'a  jamais 
dit  autre  chose. 

Pour  ce  qui  est  de  Descartes,  il  est  aisé  de  discerner  dans  sa  philo- 
sophie de  la  substance  ou  de  Fêlre  deux  tendances,  Tune  orientée 
vers  Spinoza,  portée  qu'elle  est  par  la  fameuse  définition  du  traité 
des  Principes  de  la  Philosophie,  l'autre  assez  nettement  phénomé- 
niste.  Descartes  distingue,  en  eflet,  trois  sortes  de  substances.  Cha- 
cune d'elles  est  difl*érenciée  par  son  essence.  Il  est  de  l'essence  de 
la  substance  divine  d'être  infinie.  La  substance  spirituelle  a  pour 
essence  la  pensée,  et  la  matière  l'étendue.  Assurément  l'essence  n'est 
point  identique  à  la  substance,  puisqu'elle  aurait  droit  à  une  sorte 
d'existence  virtuelle  distincte  de  sa  réalisation  efl*ecti ve.  Mais,  que  l'on 
néglige  cette  première  façon  d'être  pour  ne  s'en  tenir  qu'à  l'essence 
réalisée,  et  l'on  ne  voit  décidément  pas  en  quoi  la  substance  en  diffère. 
Si  l'on  observe  que  selon  Descartes  ce  le  néant  ne  saurait  avoir  d'at- 
tributs »,  l'essence  parait  bien  l'emporter  sur  la  substance.  Attachez- 
vous  maintenant  à  l'essence,  et  vous  aurez  bientôt  constaté  que  rien 
n'entre  en  elle  dont  l'esprit  ne  soit  apte  à  s'offrir  une  claire  repré-* 
sen  talion. 

Il  serait  intéressant  de  remonter  le  cours  de  l'histoire  et  de  se 
demander  ce  que  les  grands  philosophes  de  l'antiquité  grecque  ont 
pensé  de  la  substance.  Mais  ce  n'est  point  de  notre  sujet  si  la  défi- 
nition de  la  substance  telle  que,  dans  son  dernier  ouvrage,  Gh.  Renou- 
vier l'établit,  dérive  des  sources  exclusivement  modernes. 

Notons  en  premier  lieu  que  dans  le  vocabulaire  de  la  Nouvelle 
Monadologie  figure  le  mot  substance.  Et  nous  avons  toutes  raisons 
de  croire  que  le  phénoménisme  des  Essais  de  CHtique  générale  est 


L,  DAURÎAG,    —  CRITICISME  ET  SI0^Aîll^»E  29 

resté  intact.  Nous  voici  donc  conduits  à  cette  double  assertion  tout 
irat)ord  assez  surprenante  :  1"  il  est  une  manière  phL^nornéniste 
de  concevoir  la  substance;  ^2"  cette  conception  phénoméniste  de 
la  substance  eut  Leibniz  pour  représenlant  principal,  sinon  pour 
premier  représentant*  Kst-ce  vraiV 

Voici  comment  la  Monudohgie  débute.  «  La  monade  dont  nous 
parlerons  ici,  écrit  Leibniz,  n'est  autre  chose  qu'une  substance 
simple  qui  entre  dans  les  composés;  simple,  c'est-à-dire  sans  par- 
ties, i 

Lisons  maintenant  les  premières  lignes  de  la  Nonnelle  Monado- 
logie  :  «  La  monade  est  la  substance  simple  dont  la  donnée  est 
impliquée  par  lexistence  des  sublances  composées, 

«  Une  substance  est  un  être  considéré  dans  sa  complexité  logique 
comme  le  sujet  de  ses  n  qualités  t». 

n  Déterminer  une  substance  comme  un  sujet  de  qualités,  c*est  ta 
définir  pu  or  la  pensée. 

«  Sans  définition,  sans  attribution  de  qualités,  sans  établissement 
de  relations  en  conséquence,  il  n*y  a  pas  de  connaissance  et  la  sub- 
stance demeure  un  terme  tout  abstrait*.  » 

Ainsi,  dénuée  de  toute  composition  quantitative»  la  monade  est 

essentiellement  un  <t  composé  qualificatif  li,  un  sujet  de  relations 

.Internes,  subjectives.  Deux  pages  plus  loin,  il  nous  sera  parlé  de  la 

/monade  coiume  d'une  «  force  suscitant  »  ses  propres  états,  Leibniz 

n'a  jamais  dit  autre  chose.  Nî  Ch,  Renouvier  non  plus. 

Car  au  temps  où  le  terme  substance  n'avait  point  de  place  dans  le 
dictionnaire  néo-criliciste,  M,  Henouvier  écrivait  :  «  1^  théorie  de 
la  nature  est  une  monadôlogie,  mais  qui  dilTère  de  la  doctrine  leib- 
ûii£ienne  par  l*éti  mi  nation  do  Tancien  problème  métaphysique, 

«  En  elTet  Tétre,  étant  une  représentation  pour  soi,  doit  se  déter- 
miner par  les  altribuls  généraux  de  la  leprèsentation.  On  peut  les 
nommer  tous  avec  Leibniz,  Force,  AppètH^  Perreption^  en  compre- 
ïiîint  ce  dernier  tej'me  des  fondions  qui  engendrent  respéiienceet 
celle  dont  les  lois  la  règlent  et  la  modèlent.  Mah  il  n'est  plus  pentiis 
de  prend i'ê  pour  un  être  la  monade  simple  et  inefendue.  *  î 

Arrt^lons-nous  de  transcrire.  Et  revenons  à  Leibniz,  A  Far- 
licle  Vin  de  la  Moiiadolui^ie,  Leibniz  nous  déclare  que  les  monades 
ckiivent  avoir  quelques  «  qualités.  Autrement  ce  ne  seraient  même 
pas  des  êtres  i». 

C'est  donc  que  Tauteur  des  Principes  de  la  urifure  s'était^  pdmi- 


I.  Ce  texte  eàt  dé  1SG4.  Nouî  l'avons  entrait  des  PHncipes  de  ta  nature  ou  du 
7rQi$tèm€  Eâtai  de  Critiqua  générak. 


30  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

tivement  un  peu  mépris  sur  les  caractères  de  ce  substantialisme 
leibnizien  auquel,  après  s'en  être  rapproché,  il  avait  cru  devoir, 
assez  injustemeut,  déclarer  la  guerre.  Car,  ou  ces  lignes  de  la 
Monadologie  n'ont  aucun  sens,  ou  elles  signifient  précisément  qu'à 
n'envisager  dans  la  monade  que  la  seule  simplicité  ou  absence 
d'étendue,  on  n'envisagerait  qu'une  possibilité  d*être,  non  un  être 
véritable.  Alors,  la  substance  détachée  de  ses  phénomènes  n'est  plus 
qu'un  nom  et  l'on  peut  parler  d'elle  en  un  sens  tout  phénoméniste. 
Ce  n'est  même  pas  assez  dire  :  il  faut  ajouter  que  la  seule  façon  par 
laquelle  il  devient  possible  de  faire  passer  la  substance  du  néant  à 
l'être  consiste  à  la  projeter  dans  le  champ  de  la  représentation. 

Mais  de  quelle  substance  parlons-nous  et  de  quelle  monade?  La 
nouvelle  aussi  bien  que  l'ancienne.  Car  si  l'on  insistait  sur  les  per- 
ceptions inconscientes  de  Leibniz  pour  accentuer  le  contraste  entre 
le  philosophe  du  dix-septième  siècle  et  son  illustre  disciple  du  dix- 
neuvième  il  serait,  croyons-nous,  aisé  de  répondre  qu'aux  yeux  de 
Leibniz  lui-môme  la  monade,  même  quand  elle  perçoit  inconsciem- 
ment, n'est  pas  dénuée  d'existence  subjective. 

Même  sous  cette  forme  toute  rudimentaire  d'existence  spirituelle, 
elle  ne  laisse  pas  d'être  a  un  centre  de  représentation  d,  elle  perçoit 
sans  le  savoir.  Dans  la  théorie  leibnizienne  de  la  perception,  passer 
de  l'inconscient  au  conscient  ce  n'est  point  passer  d'un  contraire  à 
un  autre,  c'est  aller  d'un  degré  inférieur  à  un  degré  supérieur 
d'existence  subjective.  Il  est  donc  une  conception  phénoméniste 
possible  de  l'existence  substantielle.  On  en  trouverait  le  germe  chez 
Descartes  et  plus  que  le  germe  chez  celui  qui  s'est  donné  pour  être 
le  réformateur  de  la  notion  cartésienne  de  substance. 

Mais  si  entre  les  deux  <(  monadologies  »,  la  différence  n'est  guère 
considérable,  du  moins  tant  qu'il  ne  s'agit  que  de  définir  la  monade 
sans  entrer  plus  avant  dans  sa  vie  spirituelle,  d'où  vient  que  le  chef 
du  criticisme  ait  mis  un  si  longtemps  à  s'en  apercevoir?  La  genèse 
historique  du  néo-criticisme  nous  le  montre  partant  de  Kant,  lon- 
geant le  kantisme  et  s'acheminant  insensiblement  vers  Hume,  mais 
sans  abjurer  ses  origines  premières.  La  substance  est  attaquée,  puis 
renversée.  Mais  cette  substance  qui  reçoit  les  premiers  coups  c'est 
le  noumène;  c'est  aussi,  par  contre-coup,  le  Dieu  de  VÉthique  spi- 
noziste  :  c'est  la  substance  dans  laquelle  toutes  les  distinctions  s'ob- 
servent; c'est  la  volonté  de  Schopenhauer,  encore  qu'en  ce  temps  là, 
de  Schopenhauer  Gh.  Henouvier  ne  sache  rien  de  plus  que  le  nom; 
c'est,  avant  l'apparition  des  First  Principles  d'Herbert  Spencer,  la 
force  inconnaissable  dont  l'évolution  de  l'univers  attestera  l'indé- 
fectible énergie.  Pour  qui  s'est  pénétré  de  l'esprit  du  néo-criticisme, 


L,   DAURIAC.    —   CRITICISNE    ET  3I0\ADISME 


31 


les  raisons  d'abattre  Tidole  de  la  substance  sont  tirées  des  raisons 
de  sauver  Tindividu  et  le  libre  arbitre.  Mais  pourquoi,  si  la  monade 
de  Leibniz:  sauve  Tan  et  garantit  l'autre,  la  subslance  lerbnîzienne 
Q^a-t^elle  point  trouvé  grâce,  du  moins^  avant  Télaborarion  des 
Principes  de  la  nalurc'f  D*abord  elle  portait  un  nom  qu*U  fallait 
relrancher  du  vocabulaire  philosophique,  ne  serait  ce  que  pour 
démontrer  la  possibilité  de  s'en  passer.  Ensuite,  a  la  laveur  de  ce 
nom  que  Leibniz  n'avait  point  su  répudier,  Tuniversel  prèdétermi- 
ntsme  s'était  glissé  dans  sa  doctrine,  d'oîi  il  résultait  que  le  mona- 
disme,  au  lieu  d'exprimer  la  réalité  des  choses^  n'expliquait  et  ne  gar- 
dait de  rindividualilé  et  de  la  pluralilé  des  êtres  que  l'apparence 
phénoménale.  Entre  le  monadisme  et  le  monisme,  il  fallait  choisir, 

El  cette  cuTiclusicm  en  amène  une  autre,  c>st  qu'en  opiant  pour  le 
monadisme  on  opte  pour  une  philosophie  tout  entière  confinée  dans 
la  représentalion.  Décidément  nous  avons  eu  tort  d'écrire  que 
M,  Benouvîer  avait  méconnu  ses  propres  tendances  monadistes.  Il 
s'en  est  dès  le  début  reudi»  compte.  Mais  il  n'a  pas  cru  tout  d'abejrd 
devoir  se  déclarer  monadiste,  par  la  simple  raison  qu'il  ne  voulait 
pas  cire  leibnizien  jusqu'au  bout. 

Aujourd'hui  pas  plus  que  jadis  il  ne  voudrait^  L'harmonie  des 
monades  lui  agrée,  à  la  condition,  toutefois,  que  ces  monades  soient 
ou  puissent  être,  en  partie,  causes  de  leurs  représentations.  Sub- 
stitue/ l'harmonie  h  la  causalité  tnnêîtive,  vous  débarrasserez  encore 
La  philosophie  d*une  idole.  Mais  que  cette  harmonie  n'ait  plus  Dieu 
pour  unique  auteur  :  autrement  il  ne  sera  véritablement  plus  de 
monades*  En  eiïel  si  Tordre  du  monde  est  prédéterminé,  le  mot  de 
création  n'a  plus  de  sens.  Les  actes  de  ta  créature  ne  sont  plus 
qu'une  émanation  de  la  nature  divine.  Le  monde,  loin  d'être  Pacte 
de  Dieu,  n*est  plus  que  son  rêve,  au  sens  littéral  du  terme.  En 
eflel  si  les  choses  se  sont  passées  ainsi  que  Ta  prétendu  Leibniz, 
Dieu  n  a  point  créé  les  monades.  îl  s'est  contenté  de  rêver  qu'il  les 
créait,  puii^qu  en  les  soumettant  au  joug  de  son  vouloir  il  ne  les  a 
réellement  pas  lait  sortir  de  sa  substance.  La  création  n'est  plus,  dès 
lors,  que  son  illusion. 

C'est  donc  une  chose  jugée.  La  Notwelle  ^fônadùlogie  est  bien  un 
monadisme  nouveau,  et  nullement,  comme  on  pourrait,  en  lisant 
trop  vite,  s  y  laisse  prendre,  une  reproduction  du  monadisme  clas- 
sique. Par  suite  on  ne  peut  reprocher  à  la  philosophie  de  M.  Renou- 
vier  d'être  une  philosophie  rétrograde*  Elle  n'a  ni  rétrograde  ni 
changé.  De  plus»  tout  porte  à  croire  que  ses  assises  sont  fermement 
entbncées  dans  le  sol. 

Pour  rédiger  son  dernier  livre,  M.  Renouvier  s'est  adjoint  un 


32  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

jeune  philosophe  que  nous  connaissons  assez  pour  ne  pas  mettre 
en  doute  sa  parfaite  indépendance  d'esprit.  Alors  qu'il  s'initiait  au 
criticisme,  M.  Louis  Prat  se  sentait  un  peu  mal  à  Taise  dans  cette 
philosophie  qui  lui  semblait  plus  faite  de  négations  que  d'affirma- 
tions. Plus  tard  il  s'aperçut  de  la  méprise  et  de  Taisance  avec 
laquelle  les  négations  criticistes  pourraient  être  converties.  Et  alors 
la  doctrine  lui  apparut  tout  autre.  Il  fut  frappé  de  la  richesse  de 
ses  acquisitions,  et  selon  toute  vraisemblance  il  exprima  le  désir 
que  M.  Renouvier  entreprit  de  les  aligner  de  nouveau  en  les  enchaî- 
nant pour  mettre  en  un  plus  saisissant  relief  l'unité  et  —  pourquoi 
ne  point  le  dire  —  la  majesté  du  système.  Nous  le  remercions 
d'avoir  exprimé  ce  désir  et  d*en  avoir  si  heureusement  facilité  la 
réalisation. 

Lionel  Dauriac. 


LES  CROYANCES  IMPLICITES 


Si  la  croyance  est  un  phénoniène  aussi  complexe  que  nous  le  pen- 
sons^ et  si,  à  des  degrés  dilîérerits  de  «  com^JosUion  »,  elle  se  trouve 
impliquée  h  tous  les  stades  de  notre  activité  mentale,  nous  sommes 
îâmenés  à  nous  demander  quelles  sont  les  limites  de  son  extension  et 
h  suutïçonrier  que  nous  croyons  bien  plus  de  elioses  que  nous  n'en 
savons  croire.  Nous,  allons  voir,  en  eiïet,  que  la  croyance  est 
coenteusive  de  noire  vie  psychique  et  que  nos  croyances  explicites 
«ont  peu  de  chose  auprès  de  nos  croyances  implicites. 

Kl  d^abord  il  ne  faut  pas  oublier  dans  cette  récapitulation  que  la 
nv'gntion  est  une  manière  de  croyance  tout  comme  rallirmation*  Ce 
sunt  les  deux  p<Mes  d'une  môme  sphère  %  car  le  contraire  logique 
de  la  croyance,  cVst  le  doute  et  non  la  négation.  Bacon  a  dit  qu'il 
laut  plus  de  crédulité  pour  être  athée  que  pour  croire  en  Dieu  : 
nous  n'irons  [jassi  loin,  mais  nous  pouvons  aflirmer,  sans  paradoxei 
qu'il  faut  souvent  une  plus  grande  force  de  croyance  pour  nier  que 
pour  aflirmer,  riniubitîon  étant  toujours  plus  difficile  que  Taction, 
Ces  esprits,  hardis  précurseurs  des  savants  modernes,  qui  furent 

ilés  âu  moyen  âge  comme  hérétiques^  dira-t*on  qu'ils  ne  croyaient 
Et  ne  fallait- il  pas  à  un  Michel  Serve t  plus  de  croyance 
pour  nier  ce  qu'alors  la  religion  imposait  à  la  foi  de  tous  —  que 
pour  partager  une  croyance  commune?  Ne  faut- il  pas  plus  de  force 
p^jur  remonter  un  courant  que  pour  le  suivre? 

L**s  grands  négateurs,  les  grands  destructeurs  de  la  foi  reçue 
>Dt  en  ce  sens  les  plus  grands  croyants^  :  ainsi  notre  croyance 

lend  non  seulement  â  tout  ce  que  nous  affirmons,  mais  à  tout  ce 
qott  nous  refusons  de  croire. 

Une  antf^e  cause  d'erreur  peut  induire  à  trop  restreindre  le  champ 
de  la  croyance»  c*est  que  d*orditiaïre  nous  ne  la  considérons  qu*où 
elle  est  explicite,  où  elle  s'énonce  par  des  ail ir mations,  par  des 
jugements  qui,  nous  le  savons,  sont  des  actes  volonlaues.  Mais  nous 


t.  i^M'^  o-i'd  tl  tiiftttit}ut  au  fond  tiç  fnffirmatti^n  ti  de  la  néf^alha^  si  et  nV«i 
ta  értf^mtcc?  Tourtic.  Loffiqm  MQcmie,) 

to«i  u  —  mou*  3 


34  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

oublions  que  cette  croyance  volontaire  nous  est  apparue  comme  le 
simple  couronnement  d'une  croyance  spontanée,  infiniment  plus 
étendue,  automatique  ou  implicite.  C'est  ce  que  Dugald  Stewart 
appelle  la  croyance  «  instinctive  »;  elle  fait  toutes  les  fonctions  de 
l'autre  et  porle  sur  un  champ  immense. 

Nous  n'en  avons  pas  conscience  à  l'état  normal,  cependant,  pas 
plus  que  nous  ne  sentons  notre  corps  à  l'état  de  santé  parfaite.  Et 
c'est  ici  surtout  que  la  pathologie  nous  est  d'un  précieux  secours  en 
nous  montrant  des  cas  où  ces  croyances  instinctives  se  dissolvent, 
en  nous  faisant  assister  à  leur  régression,  ce  qui  nous  permet  de 
comprendre  leur  importance  et  leur  étendue  à  l'état  normal.  Nous 
en  concluons  que  cette  étendue  est  celle  même  de  noire  vie 
psychique,  mais  que  nous  faisons  presque  toujours  «  de  la  prose 
sans  le  savoir  »,  c'est-à-dire  que  la  plus  grande  part  de  notre  croyance 
est  implicite. 

Nous  n'en  savons  pas  l'existence,  parce  que  rien  n'entre  en  lutte 
avec  elle  et  qu'il  lui  faudrait  s'opposer  à  quelque  chose  pour  qu'elle 
nous  devint  consciente;  mais,  informulée,  elle  n'en  est  pas  moins 
réelle  et  traduite  par  des  actes  :  il  en  est  d'elle  comme  de  la  station 
immobile,  qui  implique  un  grand  nombre  de  mouvements. 

Avant  d'examiner  sur  quoi  portent  ces  «  croyances  communes  », 
comme  les  appellent  les  Anglais,  remarquons  déjà  qu'elles  sont 
impliquées  par  suite  d'une  nécessité  vitale,  comme  la  condition 
indispensable  de  notre  activité  élémentaire.  Une  croyance  implicite 
est  attachée  à  nos  instincts  :  nous  avons  déjà  eu  occasion  de  la 
signaler  en  parlant  de  l'équivalence  entre  la  croyance  et  Faction. 

Une  tendance  nous  pousse  à  agir,  dont  Torigine  remonte  au  point 
de  départ  de  la  vie.  Au  commencement  n'était  pas  seulement  le  Verbe 
de  l'Évangile  :  «  Anfangswar die  That»,  déclare  le  Faust  de  Gœthe.  Or 
agir  implique  croire,  exprime  une  croyance.  Si  nous  attendions  de 
savoir  pour  agir,  qu'est-ce  qui  nous  prouverait  qu'il  est  en  notre 
pouvoir  de  le  faire?  «  On  ne  pourrait  pas  croire  à  la  suite  d'un 
choix ,  dit  M.  Fouillée  * ,  s'il  n'y  avait  pas  déjà  une  certaine 
croyance  spontanée  au  delà  de  laquelle  l'analyse  ne  peut  des- 
cendre. Aussi  ne  peut-on  que  résoudre  le  complexe  en  simple, 
montrer  une  conscience  primitive  d'agir,  de  tendre,  de  vouloir.  » 

Puisque  nous  ne  pouvons  ni  faire  un  mouvement,  ni  même 
manger  sans  croire,  force  nous  est  d'admettre  à  la  base  même  de 
notre  vie  une  a  croyance  de  provision  »  qui  serait  l'analogue  de  la 
morale  de  provision  de  Descartes.  Elle  est  implicite,  disons-nous, 

1.  Fouillée.  Tempérament  et  caractère. 


a  BOS.    ^   LES   CROYANCES    IMPLICITES 


m 


încoDSclentê,  mise  en  nous  myMérieuseinent  par  la  nature  giu 
veut  la  vie  et  dans  ce  but  «  soutient  noire  raison  impuissante  et 
l'empêche  de  douter  de  tout  »,  Nous  avons  vu  que  cette  croyance 
impHcîte,  postulat  de  ïa  vie,  était  ia  c  vraisemblance  »  des  scep- 
tiqueB,  C'est  encore  celle  contenue  dans  les  «  principes  de  pratique  t> 
que  Locke  oppose  aux  principes  de  connaissance;  c*est  la  m  raison 
expérimentale  î>  de  Hume,  c*est'à-dire  k  une  espèce  d'inslinct  dont 
les  principales  opérations  ne  sont  jamais  dirigées  par  ces  rapports 
ou  coinparalsons  d'idées  qui  sont  les  objets  propres  de  nos  Incultes 
intellectuelles  »,  C'est  enfin  la  «  croyance  réetle  j»  que  Newman 
DOU:s  [nonlre  toujours  mêlée,  soit  à  Faction  h  laquelle  les  objets 
nous  sollicitent,  soit  à  celle  qu'ils  exercent  sur  nous  *. 

En  dehors  de  cette  forme  d'activité  élémentairej  conséquence 
d*yne  sorte  dimpératif  vilal,  nous  trouvons  la  croyance  implicite 
comme  condition  de  chacun  des  phénomènes  psychiques  qui  nous 
ont  paru  nécessaires  ù  la  constitution  de  la  croyance  explicite. 

Cest  ainsi  que  nous  avons  déjà  reconnu  la  nécessité  d'une 
croyance  de  perception.  Nous  avons  constaté,  en  effet,  que  la  per- 
cepùon  sensible  impliquait  la  collaboration  active  du  moi.  C'est  par 
une  série  de  perceptions  que  se  constitue  Texpérience,  ce  puissant 
auxihaire  de  notre  croyance,  mais  Fexpérience  ne  tire  son  atitoriLé 
que  de  ce  que  toutes  les  perceptions  qui  la  composent  ont  été  crues. 
On  considérerait  comme  un  abus  de  langage  de  dire  qu'on  croit  que 
le  soleil  brille  et  pourtant,  dans  l'inlelligence  naissante,  tout  cela 
•  élé  croyance  au  début.  On  peut  même  dire  qu*il  n'y  a  rien  en 
nous  que  nous  n*ayons  lieu  de  croire,  car  rien  dans  le  monde  exté- 
rieur ne  ressemble  k  nos  perceptions.  Chacune  est  une  invention  de 
noire  esprit  qui  tire  parti  iJe  la  nature  extérieure  pour  construire 
deô  synthèses  selon  ses  propres  aptitudes  *,  C'est  en  ce  sens  que 
Secrétan  déclare  la  perception  du  monde  extérieur  une  allai re  de 
cmyiince. 

Dans  la  mémoire,  la  croyance  est  encore  impliquée.  Que  servi- 
litf  en  effet,  la  présence  du  souvenir  si  ce  souvenir  n'apportait  pas 
"ârec  îui  le  sentiment  du  réel?  Il  n'y  a  mémoire  que  quand  on  croit  à 

'  dont  on  se  souvient  —  or,  la  pathologie  nous  ïe  montrera,  il  y  a 
doutes  de  mémoire.  Il  n'y  a  pas  alors  d'amnésie,  les  faits  sont 
"eiaclament  et  minutieusement  remémorés,  mais  les  malades  ne 
«ont  pas  sûrs  que  ce  qu*ils  se  rappellent  soit  vrai* 

Tous  nos  sentiments,  enfin,  s'accompagnent  de  croyance  :  nous 


t»  O.  New  fit  un*  Grammar  ùf  Asst'uty 


36  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

avons  môme  vu  qu'ils  sont,  par  excellence,  les  faits  psychologiques 
auxquels  adhère  notre  croyance.  Nous  croyons  toujours  à  nos  émo- 
tions, dit  Descartes,  si  Ton  est  joyeux  il  faut  bien  croire  à  sa  propre 
joie.  C'est  ce  qui  permet  à  Wundt  de  rétablir  la  part  de  la  volonté 
jusque  dans  les  sentiments  :  «  Notre  perception  directe  des  senti- 
timents  (par  l'activité  interne  de  Taperception)  incline  à  attribuer  à 
ces  derniers  une  relation  avec  la  volonté  *  n. 

Enfin  nous  allons  voir  la  croyance  implicite  porter  sur  certaines 
notions  à  elle  propres  et,  sous  ces  aspects  nouveaux,  elle  sera 
encore  impliquée  dans  toute  croyance  explicite. 

Ces  croyances  communes  auront  pour  objet  :  1*"  la  réalité  du  moi 
(qu'elles  déborderont  sous  forme  de  croyance  à  Texistence  des 
autres  hommes  et  à  celle  du  monde  extérieur i;  î2^  la  réalité  du 
présent  (qu'elles  déborderont  sous  forme  de  croyance  au  passé  et 
au  futur). 

Nous  avons  ainsi  «  ces  croyances  inévitables  »,  dont  parle  Bal- 
four,  «  qui  nous  guident  tous,  enfants,  sauvages  et  philosophes  dans 
la  conduite  ordinaire  de  l'existence  journalière  et  qui,  étendues  et 
généralisées,  nous  fournissent  quelques-unes  des  présuppositions 
importantes  sur  lesquelles  l'édifice  tout  entier  de  la  science  paraît 
logiquement  basé  -  ». 

I 

Croyance  en  soi.  —  Si  la  réflexion  subjective  est  postérieure  aux 
spéculations  sur  le  monde  extérieur,  c'est  cependant  la  croyance 
implicite  que  nous  avons  en  notre  propre  existence  qui  s'impose 
tout  d'abord  h  notre  analyse,  parce  qu'elle  est  à  la  base,  non  seule- 
ment de  notre  vie  pratique,  mais  de  toute  connaissance  dans  l'ordre 
spéculatif.  Si  l'on  pousse,  en  effet,  le  relativisme  jusqu'à  l'idéalisme 
absolu,  on  se  refuse  la  possibilité  de  rien  connaître,  sinon  par 
rapport  à  ce  Moi,  seule  réalité  et  auteur  de  toute  connaissance. 

En  ce  qui  concerne  notre  vie  pratique,  il  est  assez  évident,  après 
ce  que  nous  avons  dit  de  l'activité,  que  nous  ne  saurions  faire  un 
mouvement,  satisfaire  un  besoin  sans  que  se  trouve  impliquée  la 
croyance  en  notre  possibilité  d'exécuter  ce  mouvement  —  ou  en 
l'existence  de  notre  corps  qui  a  éprouvé  ce  besoin. 

C'est  sur  ce  sentiment  de  l'existence  de  notre  corps  (c'est-à-dire 
sur  une  croyance  en  ce  qui  est  iiôtre)  que  repose,  sous  ses  formes 
les  plus  complexes,  la  croyance  en  soi. 

1.  Wiindl,  Phijsiolofjhche  Psychologie,  1,  3oG  (Irad.  franc.) 

2.  Bal  four,  Fondement  de  la  croyance. 


C.   BOS.    —   LEï^   CaOYANCES   IMPLICITES 


:i7 


D'où  nous  vient  ce  senlimenl  de  rexistence  de  notre  corps? 
UiioLioo  s'en  constitue  tout  d*abord  par  un  apport  constant  de 
Sensations  internes  qui,  jamais  interrompues,  forment  le  fond  du 
blileau  sur  lequel  celles  venues  du  deliors  paraissent  et  disparais- 
sent Regroupe  permanent  de  sensations  et  d'images  constitue  le 
sentiment  de  notre  corps  {cénesthésie),  ce  que  Conditlac  appelait 
le  «sentiment  fondamental  de  rexistence»  et  Btran,  le  sentiment 
f  de  rexistence. sensitive^  i*. 

I  C'est  par  lui  que  le  corps  apparaît  au  moi  comme  sku,  par 
lui  que  le  sujet  spirituel  se  sent  et  s'aperçoit  exister  en  quelque 
sorte  localement  dajis  détendue  limitée  de  l^organisme^  >j  La  cénes- 
Ihésiêj  cet  ensemble  de  sensations  viscérales,  musculaires^  articu* 
lairés,  met  donc  eu  nous  implicitement  la  croyance  que  nous  avons 
un  corps,  que  nous  existons.  Et  nous  nous  en  convaincrons  en 
voyant  des  malades,  chez  qui  la  cénesthésie  est  gravement  troublée, 
demander  s'ils  sont  morts  et  parler  d'eux-mêmes  comme  d'êtres 
apwt  cessé  de  vivre. 

Nous  voilà  donc  avertis  sans  cesse  de  l'existence  de  notre  corps; 
feomais  quand  une  sensation  nous  viendra  de  Textérieur,  elle 
BOUS  suggérera  à  la  foi  le  Moi  et  le  Non-Moi,  le  premier  se  consti- 
tuant I  par  suite  de  la  situation  privilégiée  que  vient  occuper  dans 
l'ensemble  des  images  ce  groupe  spécial  qui  constitue  mon  corps^  »* 
t*fmportance  de  notre  corps  et  des  sensations  qu'il  nous  fournil  est 
inm  mise  en  relief  par  rexpérience  de  Striimpell  sur  un  jeune 
J^CDti  qui,  totalement  aneslhésique,  ne  pouvait  avoir  de  sensations 
|fîe  par  un  ce  il  et  une  oreille  :  si  on  venait  à  fermer  son  ceil  et  à 
otîcher  son  oreille,  ce  jeune  homme  déclarait  :  ^  Je  ne  bhIs  plus  ». 
Vne  remarque  curieuse  de  M,  James  nous  montre  bien  à  quel 
ùml  notre  corps  est  rorigtne  de  toute  croyance  en  nous-mêmes, 
^'auteur  fait  observer  que  nous  nous  îde mitions  à  nos  vêtements 
ai  sont  en  contact  direct  avec  notre  corps,  si  bien  que  le  dicton 
li  ûiit  consister  la  personne  humaine  en  trois  éléments  :  une  Ame, 
I  corps  et  des  vêtements  — ne  serait  pas  dénué  de  Ibndement  ^ 
LNoo  seulement  la  croyance  en  notre  existence  en  général j  mais 
Iles  plus  précises  en  noire  Moi  pensant,  voulant  :  celles,  en  un 


L'itii|i«>rtaiice  dt^  «tes  acn^iionâ  itiierne!»  nous  appai'aiL  ij'aiitahi  (ittrsgrantlo 
fou  p«uL  ks  fairt*  renionler  à  in  vie  fniUiJe  el  admeUre,  dèîi  avant  la  nai^- 
Hct»  iiri  v«gij<'  spfilinient  du  moi  cL  du  non-iiit>i.  Catjanîs  est  ïû  rremier  ii  avoir 
rutttfntion  sur  les  9t:nttaUùris  iiilernes  et  à  avoir  morilrù  la  portée  psy* 
^ijiie  de  Ift  vie  FiBLuk. 
lu  nia.  SensatioHA  hUerneaf^  p.  53^ 
IrfTîon.  Miiit&re  r^  mémoire^  p«  M, 


38  REVUE   PIIILOSOPHIQCE 

mot,  qui  réunies  forment  la  croyance  en  notre  personne^  dérivent 
encore  de  notre  corps.  La  croyance  en  un  Moi  pensant  n'est  fondée 
que  sur  le  fait  d'avoir  un  corps,  «  et  au  lieu  de  dire  que  nous  nous 
souvenons  de  nous-mêmes,  il  serait  plus  exact  de  dire  que  nous  ne 
nous  souvenons  que  de  notre  corps...  Nous  avons  de  notre  pensée 
une  conscience  organique  (cérébrale)  autant  qu'intellectuelle  >. 

Il  est  même  à  remarquer  que  cette  «  conscience  organique  »  de 
notre  pensée  précède  tout  jugement  d'existence  et  c'est  encore  sur 
elle  que  repose  le  Cogito  de  Descartes.  Qu'est-ce  que  son  :  Je  pense, 
sinon  la  conscience  qu'il  a -d'être  pensant?  «  Car  nous  ne  pouvons 
pas  penser  sans  sentir  notre  Moi  corporel  comme  siège  de  la 
pensée.  »  Sur  ce  point,  Cabanis  se  révèle,  une  fois  de  plus,  grand 
psychologue,  en  proposant  de  transformer  la  formule  cartésienne 
suivant  la  direction  condillacienne  et  de  l'énoncer  ainsi  :  Je  sens, 
donc  je  suis*. 

M.  James,  comme  déjà  Hume,  nous  refuse  tout  sentiment  de 
force,  de  pouvoir  autonome  et  nous  ramène  à  des  processus  centri- 
pètes, rattachant  notre  croyance  en  nous-mêmes  à  c  un  ensemble 
de  mouvements  se  pa.ssant  entre  la  tête  et  la  gorge  ».  (Nous  ren- 
voyons, d'ailleurs,  à  son  intéressante  analyse  [I,  chap.  X  .)  Du  moins 
ces  mouvements  céphaliques  seraient-ils  les  éléments  d'activité 
interne  dont  nous  sommes  le  plus  conscients. 

Quant  à  la  notion  de  notre  personnalité,  elle  se  constitue  par  la 
synthèse  de  ces  éléments  que  nous  avons  vus  nécessaires  à  la 
constitution  de  la  croyance,  de  sorte  qu'on  peut  dire  que  la  person- 
nalité est  d'autant  plus  soHdement  constituée  que  l'individu  est 
susceptible  d'une  croyance  plus  fortement  synthétisée.  Ces  per- 
sonnes qui  doutent,  demandent  :  Est-ce  bien  moi  qui  ai  fait  ceci  ou 
cela?  Suis-je  le  même  qui  ai  commis  tel  acte?  sont  des  individus 
qui  ne  peuvent  synthétiser  en  une  même  croyance  personnelle  des 
éléments  trop  disparates,  lesquels  cependant  ont  dû  être  chacun 
l'objet  d'une  croyance  spontanée. 

La  difficulté,  on  le  conçoit,  va  croissant  avec  le  développement 
intellectuel  de  l'individu  :  plus  il  s'enrichit,  plus  se  forment  en  lui 
de  systèmes  différents  entre  lesquels  la  difficulté  sera  plus  grande 
de  mettre  de  l'unité.  Nous  avons  donc  plusieurs  Moi  qui  se  contre- 
disent et  nous  savons  les  conflits  qui  s'élèvent  entre  le  Moi  privé  et 
le  Moi  social,  le  chrétien  et  le  savant,  l'amoureux  et  l'ambitieux. 
Que  de  fois  nous  avons  assisté  en  nous-mêmes  à  de  pareilles  luttes, 
nous  demandant  où  était  notre  vrai  Moi  parmi  ces  combattants!  Au 

4.  1"  Mémoire  sur  les  rapports  du  physique  et  du  moral. 


C.  BOS.    —   LES  CnOYAKCgS    IMPLICITES  39 

moment  où  Tun  parvient  à  se  subordonner  les  autres^  il  devient 
€  le  moi  »  et  si  aucun  changement  ne  survenait,  les  mêmes  causes 
ramenant  toujours  la  vicloire  au  même  groupe  (c^est-à-dire  au  plus 
puissarU),  le  Moi  s'apparaîtrait  comme  une  unité.  Mais  en  réalité 
récîiii|uier  de  nos  tendances  se  modifie  continuellement  avec  nous- 
mêmes,  c'est  parce  que  le  changement  est  insensible  que  nous  ne  le 
remarquons  pas,  miiis  sll  se  fait  trop  brusque  ou  qu'il  aboutisse  à 
un  écart  trop  grand  entre  le  passé  et  le  présent»  le  moi  qui  passe  au 
premier  plan  nous  appurait  sans  lien  avec  le  précédent  et  les  doutes 
surgissent.  Il  y  a  élonnement,  la  reconnaissance  ne  se  fait  plus  du 
Mai  d*autreroîs  dans  celui  d^aujourd'hui,  ridentilîcation  semble 
impossible. 

De  mémej  toute  altération  de  la  mémoire  influe  sur  ridée  que 
nous  nous  faisons  de  notre  personne  :  rappelons  qu'à  raUernance 
des  mémoires  est  liée  le  dédoublement  de  la  personnalité- 

On  pourrait  maintenant  se  demander  si  nous  n'abusons  pas  des 
mots  et  s'il  y  a  lieu  de  parler  de  «  croyances  quand  il  s'agit  de  la 
connaissance  intuitive  que  nous  avons  de  nous-mêmes.  Nous  le 
pensons.  Et  d'abord  si,  comme  le  veut  James,  la  conscience  de  soi  a 
son  origine  dans  des  €  réactions  motrices  j»,  il  n'y  a  pas  d'expé- 
rience proprement  interne,  mais  toute  expérience  est  objective. 
€  L*exi-steûce  du  Moi  pensant  devient  un  postulat  logique  au  même 
titre  que  rexistence  de  la  matière.  »  Mais  en  outre,  une  intuition, 
une?  évidence  nous  dispenserait-elle  d'un  acte  de  foi?  Nullement  et 
c*eat  ce  que  M.  Ollé-Laprune  a  fort  bien  montre  :  a  Que  Ton  consi- 
dère, dil-ii,  notre  existence  personnelle.  Pour  chacun  de  nous  c'est 
une  vérin î  évidente  et  pourtant  cela  n'empêche  pas  que  cette  afflr- 
luatiun  n'exige  de  notre  pari  je  ne  sais  qnelle  conftance^  En  quoi? 
en  la  sùrelé  de  notre  propre  vue  intérieure  dontj  après  tout,  nous 
o*avons  pas  de  preuve,  en  la  sincérité  native  de  notre  propre  intel- 
ligence dont,  après  lout»  nous  n'avons  pas  de  garant.  Aussi  peut-on 
dire  indilTéremment  «  je  sais  que  j*existe  ï  ou  «  je  crois  k  ma  propre 
exislence»  Si  je  me  déliais  de  tout,  je  n'affirme  rais  rien,  pas  même 
itioQ  existt'nc^  personnelle'  y>* 

Nous  voudrions,  en  terminant,  nous  arrêter  un  instant  sur  une 
forme  intéressante  de  la  croyance  en  soi  :  la  fiance  en  soi. 

Nous  rencontrons  dans  le  monde  deux  catégories  de  gens  bien 
diiïérentd  :  les  uns  sont  les  timides,  les  autres  ne  doutent  de  rien. 
El  nous  sommes  parfois  étonnés  que  le  succès  vienne  donner  raison 
k  ceux  qui  ont  €  cru  en  leur  étoile  ».  SufOrait-it  donc  de  croire  en 


f ,  OJlé-l^prune'  La  cer^itiude  tntjralt^ 


40  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

la    victoire   pour   la   remporter?   Alors,    ce  serait    bien   simple. 
Malheureusement  cela  n'est  pas  aussi  simple  que  cela  le  parait. 
On  ne  croit  pas  sur  commande  à  son  succès,  il  y  a  là  un  mécanisme 
psychologique  intéressant  à  démonter. 

Un  homme  croit  qu'il  réussira  dans  son  entreprise  :  qu'est-ce  à 
dire?  Cet  homme  a  conscience  d'une  certaine  force  au  dedans  de 
lui,  il  sent  qu'il  peut  lutter  contre  les  obstacles  et  son  succès  final 
était  déjà  en  germe  dans  la  croyance  qu'il  avait  de  le  voir  se  réa- 
liser. «  Le  fort  ne  se  trompe  pas  en  affirmant  sa  force  ni  Je  clair- 
voyant en  affirmant  qu'il  voit  clair.  »  (Renan.)  Audaces  fortuna 
juvaty  dit-on,  mais  l'audace  c'est  une  forme  de  la  force  dont  la  for- 
tune n'est  que  le  triomphe.  Il  n'y  a  donc  là  qu'une  transformation 
de  la  force,  laquelle  s'est  extériorisée,  passant  de  la  forme  interne 
de  fiance  à  la  forme  extérieure  de  succès  et  nous  ne  devons  pas  plus 
nous  étonner  que  lorsque  nous  voyons  une  femme  enceinte  porter, 
à  quelque  temps  de  là,  un  enfant  dans  ses  bras. 

Il  faut  bien  d'ailleurs  qu'il  en  aille  ainsi  et  que  l'étoile  porte- 
chance  de  certains,  ils  la  possèdent  en  eux,  car  d'où  leur  vient  ce 
ton  d'assurance  qu>  nous  rend  parfois  ces  personnes  insupportables? 
De  ce  que  les  expériences  passées  leur  ont  donné  raison  :  si  ces 
individus  avaient  été  déçus,  leur  confiance  eût  faibli;  mais  précisé- 
ment elle  se  renforce  par  ces  victoires  antérieures.  Mais  alors  si  tout 
est  succès  pour  les  uns  tandis  que  tout  est  défaite  pour  les  autres, 
les  individus  ne  sont-ils  pas  un  peu  responsables  de  ces  différences, 
et  dans  le  môme  sens  où  La  Rochefoucauld  disait  que  «  le  bonheur 
d'un  homme  dépend  au  moins  autant  de  son  humeur  que  de  sa  for- 
tune ^,  ne  pouvons-nous  dire  que  le  succès  d'un  homme  dépend  au 
moins  autant  de  lui-même  que  des  événements? 

Cette  croyance  en  soi  est  suspendue,  selon  Fichte,  au  pouvoir  de 
produire  une  force,  elle  résulte  du  sentiment  que  nous  avons  de 
pouvoir  agir,  amener  un  fait  réel  (non  pas  de  produire  des  concepts). 
C'est-à-dire  qu'elle  repose  sur  nos  sensations  musculaires  et  cela 
est  juste,  mais  elle  nous  semble  plus  complexe  encore,  modelée 
par  notre  cénesthésie.  C'est  ce  que  parait  bien  confirmer  la  loi  qui 
gouverne  cette  fiance  et  la  fait  varier  incessamment  :  si  son  origine 
est  moins  rationnelle  que  viscérale,  on  comprend  que  le  baromètre 
de  cette  fiance  ait  mille  causes  journalières  de  changement.  Ne 
savons-nous  pas  qu'elle  est  plus  grande  quand  nous  sommes  en 
bonne  santé  et  s'affaiblit  dans  tous  les  états  de  dépression? 

Nous  avons  fait,  je  suppose,  telle  longue  marche  il  y  a  vingt  ans, 
mais  malgré  le  souvenir  de  notre  pouvoir  passé  et  bien  qu'aucune 
expérience  n'ait  été  tentée  dans  l'intervalle  qui  nous  ait  appris  à 


C.  BOS.    —  LES   CROYANCES   IMPLICITES  41 

douter,  aujourd'hui  nous  ne  croyons  plus  être  capable  de  faire  la 
même  marche.  Pourquoi?  c'est  que  nous  sommes  plus  vieux,  plus 
fatigués  et  ne  sentons  pas  en  nous  la  force  potentielle  qu'il  nous 
faudrait  faire  passer  à  l'acte  dans  l'épreuve  proposée. 

Nous  pouvons  même  aller  plus  loin  et  admettre  que  dans  certains 
cas  où  la  croyance  en  soi-même  ne  serait  pas  l'équivalent  adéquat 
du  succès,  elle  en  serait  encore  un  des  facteurs  essentiels.  C'est 
qu  en  effet,  il  est  faux  que  nous  soyons  passifs  à  l'égard  d'un 
Fatuniy  nous  collaborons  aux  événements  de  notre  vie,  de  sorte  que 
notre  foi  au  succès  devient  un  auxiliaire  de  ce  succès. 

«  Quand  le  succès  n'est  pas  garanti,  la  foi  que  nous  avons  par 
avance  est  bien  souvent  le  seule  chose  qui  fait  que  le  résultat  se 
vérifie.  Si,  lorsqu'il  s'agit  de  sauter  d'une  hauteur  prodigieuse, 
nous  avons  confiance,  nous  aurons  le  pied  ferme  et  nous  serons 
sauvés.  Si  nous  ne  croyons  pas  assez,  nous  tomberons,  nous  serons 
perdus*  ». 

L'analyse  de  la  croyance  sous  cette  forme  spéciale,  nous  la  montre 
très  proche  de  VEspérance,  que  l'on  peut  définir  «  une  tendance  à 
croire  que  ce  que  l'on  désire  arrivera  ». 

Au  fond,  les  deux  phénomènes  ne  diffèrent  pas  l'un  de  l'autre; 
espérer  implique  encore  une  force  que  tous  n'ont  pas  au  même 
degré,  et  le  fait  que  l'espoir  se  réalise  n'est  pas  plus  mystérieux  que 
l'évolution  de  la  puissance  à  l'acte. 

II 

A  côté  de  la  croyance  en  soi  qu'on  pourrait  appeler  a  croyance 
simple  »,  celle  en  l'existence  des  autres  êtres  constitue  ce  que 
M.  Sully  appelle  la  «  croyance  composée  ».  Elle  n'est  que  l'exten- 
sion de  la  première,  car  notre  Moi  social  est  encore  un  des  aspects 
de  notre  Moi.  Parmi  les  éléments  du  Moi  matériel,  en  effet,  il  faut 
tenir  compte  de  ce  Moi  social,  du  sentiment  que  nous  avons  de  faire 
partie  d'un  tout,  de  n'être  complet  que  par  les  autres,  unité  vivante 
au  milieu  d'unités  semblables. 

Une  tendance  aussi  profonde  que  celle  qui  nous  pousse  à  satis- 
faire les  besoins  de  notre  corps,  nous  pousse  à  rechercher  la  société, 
à  attirer  l'attention  d'autrui.  C'est  cette  tendance  de  Thomme,  Çwov 
itoXiTtxov  qui  nous  parait  l'origine  de  sa  croyance  en  l'existence  de 
ses  semblables.  Si  même  cette  croyance  est  plus  forte  que  celle  en 
la  réalité  du  monde  extérieur,  c'est  qu'elle  nous  est  plus  indispen- 

i.  W.  James,  The  uill  lo  ùelieve. 


42  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

sable  et  que  nous  sommes  trop  sociaux  pour  ne  pas  le  vouloir  de 
toutes  nos  forces. 

En  un  autre  sens  encore,  la  «  croyance  composée  »  nous  semble 
l'extension  de  la  «  croyance  simple  ».  Il  semble  que  le  Moi,  par  sa 
propre  force  d  extension,  tende  à  «  projeter  d'autres  Moi  pour  les 
rapprocher  de  soi  et  se  prolonge  en  eux  afin  d'avoir  ainsi  accès  dans 
une  synthèse  plus  large  ».  Notre  action  ne  paraît  s'achever  que 
dans  la  coaction  avec  autrui. 

(]les  vues  sont  justes,  elles  nous  montrent  la  croyance  qui  nous 
occupe,  d'autant  plus  vive  que  la  personnalité  est  plus  puissante, 
capable  d'une  plus  grande  expansion  :  notre  croyance  en  la  réalité 
des  autres  hommes  varie  d'intensité  suivant  notre  besoin.  L'homme 
de  génie,  le  créateur,  travaille  pour  l'humanité,  la  totalité  de  ses 
semblables  est  pour  lui  quelque  chose  d'aussi  réel  que  l'existence 
de  tel  de  ses  proches.  Au  contraire,  pour  les  individus  peu  déve- 
loppés ou  qui  n'ont  qu'une  faible  puissance  de  synthèse,  il  semble 
que  l'univers  se  rétrécisse  :  pour  ces  individus  il  n'y  a  de  bien 
réelles  que  les  personnes  liées  immédiatement  à  leur  vie,  à  la  satis- 
faction de  leurs  besoins  élémentaires.  L'existence  de  l'humanité 
reste  une  idée  vague  qui  n'éveille  rien  de  vivant,  ne  suscite  aucune 
action. 

Quant  à  sa  genèse,  cette  croyance  semble  le  résultat  d'une  induc- 
tion toute  naturelle,  presque  invincible.  Une  opération  si  familière 
que  nous  ne  le  remarquons  pas,  nous  fait  juger  des  autres  par  nous 
et  attribuer  des  effets  pareils  à  ceux  que  nous  produisons,  à  des 
causes  pareilles  à  nous  qui  les  produisons.  De  l'existence  d'autres 
personnes,  nous  ne  pouvons' cependant  jamais  avoir  de  certitude. 
Comment  saurions-nous,  par  exemple,  avec  évidence  que  nos  sem- 
blables pensent?  il  faudrait  pour  cela  que  leurs  pensées  appar- 
tinssent à  notre  conscience.  Il  y  a  donc  lieu  de  notre  part,  ici  encore, 
à  un  acte  de  foi.  «  Quand  nous  sommes  assurés  de  la  présence 
d'autrui,  nous  dit  l'auteur  déjà  cité,  la  croyance  se  môle  au  raison- 
nement et  à  la  perception  '.  »  Et  il  ajoute  que  ce  fait  remarquable 
est  trop  peu  remarqué.  Malebranche,  cependant,  avant  les  Écossais 
l'avait  déjà  souligné  et  il  proposait  d'appeler  «  conjecture  »  la  certi- 
tude que  nous  avons  de  l'existence  de  nos  semblables,  ayant  vu  que 
parmi  ses  éléments  il  y  a  un  raisonnement  et  une  croyance. 

Ayant  son  origine  dans  une  tendance  liée  à  un  besoin  d'autant 
plus  intense  que  la  personnalité  est  plus  fortement  organisée  et  ne 
pouvant  se  constituer  sans  que  nous  nous  y  prêtions,  la  croyance 

L  OUé-Laprune.  De  la  ceriilude  morale. 


C.   BOS.    —    LKS   CaOYAmiES   t3iPLIGlTES  43 

en  lexistence  des  autres  hommeâ  nous  o!Tre  donc  le  môme  carac- 
tère que  noui5  avons  partout  rencontré  au  cours  de  cette  étude,  et  il 
est  vrai  de  dire  avec  M*  Fouillée,  que  ^f  nous  passofis  h  l'affirmation 
d'autres  êtres,  en  vertu  d'un  déploiement  de  ractivité  volontaire  jp. 


III 

la  foi  en  .soi,  du  moins  en  un  Moi  corporel,  est  encore  la  condition 
préalable  de  It  croyance  en  la  réalite  du  monde  extérieur. 

La  réalité  du  monde  sensible  fera  le  sujet  d'éternelles  discussions 
théonques.  Mais  imagine-t-on  une  société  qui  donnerait  le  pas  à  la 
spéculation  sur  Taclion  et  s'amuserait  à  résoudre  les  dinicultès  méta- 
pby^iques  avant  d'ajouter  foi  aux  choses  malénelles?  Cette  hypo- 
Ihèse,  heureusement,  ne  menace  pas  de  se  réaliser  jamais  :  ce  serait 
la  mort. 

Informulée,  la  croyance  au  monde  extérieur  n'en  existe  pas  moins 
chez  tous  (malgré  les  mêmes  variations  individuelles  que  nous 
présentent  les  diverses  croyances  implicites)  :  elle  est  la  condition 
de  Tactivité  et  de  la  vie.  Si  nous  l'analysons,  sur  quoi  trouvons-nous 
qu  elle  repose^ 

Selon  Fichte,  se  rapprochant  en  cela  d'Hamilton,  elle  se  fonderait 
sur  celte  de  la  possibilité  des  sensations  que  nous  attendons  du 
monde  extérieur.  Les  premières  expériences  laisseraient  en  nous 
une  attitude  expeclante  avec  une  tendance  à  croire  en  la  venue  des 
SU]  vaut  es.  Gela  est  juste,  mais  ne  nous  parait  pas  suffisant  pour 
rendre  compte  du  caractère  indéracinable  de  notre  croyance. 

Spencer  explique  par  sa  distinction  des  états  forts  et  des  états 
faibles  notre  croyance  en  Texislence  du  monde  extérieur;  les  pre- 
miers s'accompagnent  du  sentiment  du  réel,  les  seconds  nous 
fournissent  nos  idées.  C'est  la  distinction  de  Hume  entre  rimpreuîùn 
(perception  sensorielle)  et  Fidée  ou  pensée  qu'a  Tûme  quand  elle  se 
replie  sur  ses  sensations. 

Dès  lors  ridéalisme  qui  doute  de  la  réalité  du  monde  extérieur 
résulterait  d'un  afTaiblissement  du  sentir,  d'une  impuissance  à 
éprouver  des  étals  forts.  Mais  psychologiquement,  le  réalisme  est 
indémontrable  et  Spencer  reconnaît  qu'on  n'échappe  h  ridéalisme 
absolu  que  d  par  un  acte  de  foi  ignorant  de  son  contenu  i». 

Et  do  fait,  c*est  bien  à  notre  Moi  qu1l  faul  demander  la  raison 
ultime  de  notre  croyance  au  monde  extérieur*  Le  vrai  motif  a  nous 
en  échappe,  il  doit  être  cherché  dans  les  postulats  de  notre  nature 
en  vertu  de  quoi  nous  croyons  à  ce  qui  les  satisfaite* 

Cette  croyance,  c'est  une  grande  partie  sur  des  tendances^  sur 


4i  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

des  besoins  pratiques  qu'on  doit  la  faire  reposer  :  c'est  la  faim  ou  la 
soif  qui  fondent  noire  croyance  en  la  réalité  du  pain  et  du  vin.  La 
qualité  de  réalité,  en  effet,  n'est  pas  comme  les  autres,  c'est  une 
relation  à  noire  vie  émotive  et  active.  Elle  signifie  que  nous 
adoptons  les  choses,  que  nous  nous  en  soucions.  Elle  est  en 
rapport  avec  notre  vie  active,  car  'nous  répondons  à  la  stimulation 
des  choses  par  des  mouvements,  par  des  actes  :  c'est  donc  aux 
mouvements  par  nous  accomplis  qu'il  faut  surtout  demander 
compte  de  la  croyance  en  la  réalité  du  monde  extérieur  et  de  la 
profondeur  avec  laquelle  elle  est  implantée  en  nous.  Nous  pouvons 
définir  le  sentiment  du  réel  :  «  La  conscience  que  nous  prenons 
des  mouvements  effectifs  par  lesquels  notre  organisme  répond  aux 
excitations.  » 

Les  impulsions  au  mouvement  ne  nous  fournissent  cependant 
qu'une  partie  de  l'explication,  car,  si  elles  ne  rencontraient  pas 
d'obstacle,  elles  n'engendreraient  pas  la  croyance  en  un  monde 
distinct  du  Moi  qui  éprouve  les  sollicitations.  Il  faut  encore  faire 
intervenir  la  résistance  à  notre  mouvement  pour  expliquer  notre 
croyance  en  la  réalité  du  monde  extérieur.  On  sait  que  Gondillac 
l'expliquait  toute  par  là.  Le  mot  objet  lui-même,  d'ailleurs  en 
allemand  Gegenstand  signifie  résistance  exercée  contre  nous  *. 
«  Quand  le  mouvement  volontaire  est  arrêté  par  un  obstacle,  la 
sensation  est  différente  de  lorsqu'elle  est  arrêtée  par  notre  seule 
volonté.  Il  y  a  une  marque  dans  la  conscience,  la  terminaison 
éprouvée  nous  surprend,  d'où  notre  croyance  <(  à  quelque  chose 
en  dehors  de  nous  qui  a  arrêté  le  mouvement  ». 

Ce  serait  donc  le  sens  de  la  résistance  *  qui  serait  le  principal 
agent  de  cette  croyance  et  avec  lui  le  sens  du  toucher,  ce  qui  n'est 
pas  pour  nous  surprendre  car  nous  avons  vu  que  les  sensations 
tactiles  étaient  celles  qui  imprimaient  en  nous  la  plus  forte  croyance 
perceplionnelle.  Gomme  elles  ont  l'avantage  d'être  moins  variables, 
elles  confèrent  plus  de  stabilité  que  les  autres  à  ce  monde  extérieur 
sur  lequel  elles  nous  renseignent,  les  autres  sens  n'étant  que  des 
«  anticipations  de  toucher.  x> 

A  l'appui  de  cette  assertion  que  les  sensations  de  tact  et  de 
résistance  sont  bien  Torigine  de  la  croyance  au  réel,  lloffding  fait 
remarquer  que  les  hallucinations  de  la  vue  et  de  rouie  n'impliquent 

1.  Hôffding.  Psychologie.  L'auteur  définit  le  réel  :  Ce  que  nous  ne  pouvons 
nous  empêcher  d'appréhender  comme  tel. 

2.  On  peut  faire  remonter  ces  sensations  de  résistance  à  la  vie  fœtale,  comme 
les  sensations  internes,  de  sorte  que  dès  lors  nous  aurions  le  «  sentiment  »  de 
Tezislence  du  monde  extérieur. 


G.  BOS.    —   LES   CROYANCES  IMPLICITES  45 

pas  celles  du  toucher  ni  du  sentiment  de  résistance,  tandis  que 
celles-ci  impliquent  les  autres  et  sont  par  suite  les  plus  désastreuses 
pour  notre  santé  intellectuelle. 

Mais  c'est  notre  mouvement,  c'est-à-dire  notre  activité  volontaire 
de  contact  et  de  résistance,  qui  nous  procurera  ces  sensations  et  par 
là  nous  sommes  ramenés  à  la  conclusion  où  partout  nous  avons  été 
conduits,  ne  faisant  pas  différer  la  croyance  de  la  volonté.  Nous 
verrons,  en  effet,  quand  le  mouvement  deviendra  impossible,  le 
sens  du  réel  s'affaiblir  ou  même  disparaître.  Et  de  même  la  croyance 
en  la  réalité  des  objets  étant  en  proportion  de  leur  efficacité  à  sti- 
muler la  volonté,   lorsque  celle-ci   viendra  à  s'affaiblir,  le  doute 
apparaîtra  :  nous  verrons,  en  effet,  à  l'aboulie  lié  le  curieux  délire 
du  doute.  De  sorte  que  la  raison  ultime  de  notre  croyance  en  la 
réalité  du  monde  extérieur,  que  M.  James  place  dans  des  postulats 
d'ordre  pratique,  peut  être  dite,  en  langage  plus  métaphysique  : 
notre  volonté  que  ce  monde  soit. 

IV 

Croyance  auj)a$sé  et  au  futur.  —  A  Télat  normal,  nous  ne  tenons 
l=^as  seulement  pour  réels  les  événements  présents  à  mesure  qu'ils 
^«  déroulent,  notre  croyance  porte  encore  sur  le  prolongement  du 
ï^  résent  :  en  arrière,  sur  le  passé  et,  devançant  les  événements,  sur 
i^  futur. 

La  mémoire,  qui  nous  conserve  les  faits,  les  enregistre  avec  le 
^^^^-3iractère  de  réalité  qu'ils  eurent  lors  de  leur  présentation  et  quand 
'*^^ous  nous  a  rappelons  y>   avoir  rencontré  hier  notre  ami,  nous 
^^^Toyons  bien  en  môme  temps  qu'il  en  fut  réellement  ainsi.  Faut-il 
^^es  preuves  de  cette  loi?  mais  notre  conduite  de  tous  les  instants 
^^ïous  en  fournit  :  presque  chacun   de   nos  actes   implique  notre 
^^^royance  à  des  faits  passés  et  trouve  dans  ceux-ci  sa  raison  suffi- 
sante. Pourquoi  faisons-nous  provision  de  chauffage  en  automne, 
^iinon  parce  que  nous  croyons  que  l'hiver,  comme  chaque  année,  va 
v^evenir?  Pourquoi  désirons-nous  retourner  en  certains  lieux  sinon 
l^arce  que  nous  croyons  que  nous  nous  y  plairons  comme  par  le 
V)assé?  .Mais  le  sentiment  de  réalité  rétrospective  peut  s  affaiblir  indé- 
l^endamment  du  souvenir,  le  doute  quant  à  la  réalité  du  passé  peut 
coexister  avec  une  mémoire  parfaite.  On  se  rappellera,  par  exemple, 
la  journée  précédente  dans  ses  moindres  détails,  mais  on  demandera  : 
<i  Est-ce  bien  vrai  que  cela  a  réellement  eu  lieu?  »  Gela  nous  mon- 
tre que  la  croyance  à  la  réalité  du  passé  implique  quelque  chose  de 
plus  que  la  conservation  des  images,  elle  dépend  d'un  effort  de  syn- 


i 


46  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

thèse  de  la  part  de  l'individu  que  celui-ci  pourra  n'ôtre  plus  capable 
d'ajouter,  comme  un  dernier  surcroît,  à  la  conservation  mécanique 
de  ses  souvenirs. 

Cette  croyance  au  passé  fait  rarement  défaut  et  de  fait,  elle  est  de 
nécessité  vitale,  puisqu'elle  conditionne  non  seulement  notre  con- 
duite à  venir  mais  encore  la  présente.  En  outre  et  réciproquement, 
elle  se  renforce  à  tout  instant  par  nos  actes  présents  desquels,  a 
postertoH^  nous  déduisons  la  croyance  implicite  au  passé. 

Cependant  plus  vive  encore  est  noire  croyance  en  la  réalité  du 
futur.  «  Elle  semble  plus  facile  et  naturelle  que  la  croyance  au 
passé  »,  dit  Sully,  «  car  dans  l'anticipation  notre  imagination  partant 
du  présent  se  meut  le  long  de  la  série  des  expériences  dans  leur 
ordre  réel  et  non  dans  l'ordre  inverse  ». 

Mais  la  vraie  raison  nous  semble  plutôt,  que  la  croyance  au  futur 
va  dans  le  sens  de  notre  désir;  ce  qui  fait  sa  force,  c'est  qu'elle  est 
une  forme  de  cette  espérance,  de  cette  attente  (|ue  nous  analysions 
plus  haut.  Dans  la  croyance  au  passé,  nous  no  sommes  encore  que 
passifs  vis-à-vis  de  nos  souvenirs,  ils  nous  reviennent  affectés  d  un 
caractère  de  réalité  rétrospective  fondé  sur  le  lait  que  cette  réalité 
fut  déjà  présente,  La  croyance  en  l'avenir  réclame  plus  de  nous, 
elle  implique  notre  activité,  notre  vouloir  que  les  choses  imaginées 
soient',  nous  sommes  ici  créateurs,  car  il  s'agit  de  choses  qui  jamais 
encore  ne  furent  et  qui  réclament  de  nous  un  effort  pour  être  tirées 
du  possible  et  amenées  à  la  réalité.  Croire  qu'hier  le  soleil  s'est  levé 
se  confond  pour  nous  avec  se  rappeler  le  fait  :  croire  que  le  soleil 
se  lèvera  demain,  bien  qu'une  tendance  créée  par  l'habitude  nous  y 
pousse,  cette  tendance  demeurera  vaine  si  nous  n'avons  pas  la  force 
de  suivre  sa  sollicitation. 

C'est  pourquoi  j'hésite  à  partager  l'opinion  de  Sully  et  à  tenir  la 
croyance  au  futur  pour  plus  forte  que  celle  en  la  réalité  du  passé. 
Cela  pourra  être  sans  doute,  dans  bien  des  cas,  mais  ce  sera  sur- 
tout à  cause  de  l'émotion  éveillée  en  nous  par  la  représentation 
du  futur.  Chez  une  jeune  fille,  par  exemple,  l'idée  de  son  premier 
bal  auquel  elle  ira  dans  huit  jours  amène  une  croyance  plus  vive 
que  celle  attachée  aux  faits  insignifiants  de  la  veille,  parce  que  ce 
bal  l'intéresse,  qu'à  côté  de  cette  image  tous  les  souvenirs  parais- 
sent ternes.  Mais,  en  règle  générale,  ce  qui  demande  un  effort 
étant  plus  difficile  que  l'activité  automatique,  notre  croyance  dans 
le  futur  est  moins  solide  que  celle  dans  le  passé.  Et  je  n'en  veux 
d'autre  preuve  que  Tordre  même  de  régression  de  nos  souvenii-s  : 
les  malades,  nous  le  verrons,  doutent  s'il  y  aura  un  lendemain  avant 
de  douter  si  le  jour  précédent  a  réellement  été.  C.  Bus. 


REVUE   GÉNÉRALE 


LE   MOUVEMENT   PÉDOLOGIQUE   ET   PÉDAGOGIQUE 


II 

Toutefois,  à  mesure  qu'aveo  la  néeessUé  «  de  connaître  tes  grandes 
lois  biologiques  relatives  au  développement  de  Tenfant  pour  pouvoir 
dèfînir  exactement  ce  qu'est  réducatioii  o,se  précise  le  rôle  de  Técole; 
oo  comprend  qu'elle  n'est  pas  seulement  le  milieu  où  Tenfant  normal 
doit  évoluer  sans  enlrave  «  sous  ruction  de  ses  propriétés  internci^  », 
Comme  rétablit  fort  bien  M.  le  D^  J.  Demoor,  médecin  en  chef  de 
rÉcole  d  Knseitrnement  Rpécia!  de  lîruxelles^  si  parmi  les  tendance« 
béredtlairt's  il  en  es(  de  nuisibles  ou  si^  dans  le  milieu  extra-scolaira 
leti  eoDdUions  de  vie  f^ont  défavorables»  elle  doit  créer  chez  les  étrei 
tionnj^iix  des  condtUoTii»  qui  annihilent  raction  néfaste  des  premières* 
Pour  k»s  êtres  atiortnaux,  elle  doit  constituer  un  milieu  dans  lequel 
Utni  est  préparé  pour  réagir  contre  les  facteurs  qui  ont  amené  [*ano- 
inalie.  et  ptiur  provinjMer,  autant  que  possible^  une  variation  organique 
et  révolution  ultérieure  normale  *<  u  Sans  admettre  avec  M,  Demoor  qui 
confond  parfois  l'cducatioa  et  Télevage^  que  l'éducateur  est  simple- 
loeut  un  hygiéniste,  nou»  devons  reconnaitre  que  les  problèmes  de 
pédologie  païholoL'ique  ont  été  jusqu*à  présent  en  France  g'ravement 
né^igés.  Memedajis  Tccole  expérimentale,  on  parait  ignorer  Texislence 
des  anormaux  et  l'ubliiralion  qui  incombe  à  la  société  de  leur  donner 
une  éducation  appropriée  à  leur  état. 

En  Allemagne,  l'excellente  revue  Dte  Kinder fehler  dont  il  a  été  plu- 
Bieura  fuiii  question  u-i  ^  prouve  par  les  travaux  de  ses  collaborateurs  et 
lc«  améliorations  quVile  a  lait  introduire  dans  Torganisation  ecolaire, 

I.  Voir  le  niimùrr)  prècètlciit» 

î,  J.  lk*ti>oor  l'écQle,  p,  i,  collection  Syiliibiïî?  de  rKxiension  de  PLfnîversité 
libre  de  firuietles.  Voir  auï^si,  du  aième  auteur  et  dans  la  même  eolleclion  si 
curieuse  1*1  si  oiile,  U  i^htfSfohffif  de  VespriL  Rappelons  encure  ïe^  vue!^  énoncées 
IMr  M.  Deiuoof  tlans  les*  Busses  sviettlifiques  de  réducaiioti^  sylJabus  analysé  dans 
t»  tdetue  ijhiiosuphti^tje  i  octobre  i%9^) . 

*.  Voir  Â  ce  propos  le  trèu  curieux  travail  de  MM*  Binet  et  Henri  sur  la  Sug' 
gêtiéifihti  des  enfanU  dans  V Année  p^ythatagiffue^  IIÏ99|  p^  iOO* 


48 


MEVUE   PHlUOSOFBiOUË 


combien  il  est  urgent  de  traiter  avec  tampleur  voulue  le  problème 
des  enfants  anormaux,  Indépendammï'nt  des  analyses  où  sont  appré- 
ciées les  prlricipales  pubïicalionâ,  notamment  la  brochure  de  BeriUon 
sur  rhypnotisme  et  la  pédagogie»  (Ufer]  et  le  livre  de  Milnsterber^ 
sur  !a  psychologie  et  la  pédagogie,  les  dernières  livraisons  contienneiit 
r observation  suivie  d'Hélène  Keller,  sourde  et  aveugle,  les  débats  dit 
neuvième  congrès  (18  septembre,  Dre&lau)  pour  Téducation  des  faibles 
d'esprit^  plusieurs  études  de  pédiatrie,  des  considérations  sur  une 
série  d'exercices  méthodiques  du  sens  musculaire  chez  les  arriérée 
(Kupfer  Schmid),  en  lin  d'intéressantes  considérations,  sur  la  patho- 
logie de  la  Limidité  enfantine.  Les  fonduleurs  de  ce  très  utile  recueil, 
qui  entre  dans  sa  cinquième  année ,  viennent  de  urèer  une  société 
d'istudes  pédologîques  et  d'étendre  a  toutes  les  recherches  relatives  à  j 
Teiifance,  leur  Fievue  consacr^^e  jusqu'alors  à  la  pédologie  patholo- 
*?ique  laqueile  reste  robjet  principal  de  leur  publication*  Espérons  que 
cette  reforme,  à  Tinstar  de  beaucoup  d'autres,  ne  fera  pas  perdre  au 
KiTufprfphîer  sa  véritable  originalité  et  quM  re-stera  surtout  un 
or^i-ane  de  pédologie  pathologique^»  au  moment  où  Ton  commeDce  enÛu 
à  s'émouvoir  de  la  situation  faite  aux  enfants  anormaux. 

Elle  ne  pouvait  échapper  à  la  perspicacité  d'un  podologue  de  la 
valeur  de  M.  Monroé.  Dès  t8'J4,  il  s'occupait  non  seuîenieot  des  sourds- 
muets,  mais  aussi  des  institutions  anglaises  relatives  à  Téducation  des 
faibles  d'esprit.  Dans  une  communication  faite  au  Congrès  de  méde- 
cine mentale  de  Fort  Vayne  (Indiana),  il  faisait  connaître  les  résultata 
d'une  enquête  entreprise  sous  sa  direction  en  Californie.  Sur  l0M2 
enfants  observés,  on  n'a  trouvé  que  6  imbéciles  et  idiots  :  selon  le  pré' 
jugé  courant  tous  les  autres  étaient  censément  normaux  et  leur  pré- 
sence dans  les  écoles  publique»  semblait  parraitemcnt  naturelle.  Eu 
réalité  si  on  laisse  de  côté  les  mutilés  (1>8),  les  délicats  ^754)^  les  ùpU 
leptiques  se  corn  plan!  par  centaines,  on  trouve  encore  1054  enfants  à 
resprît  lent  et  :ÎIJiS  présentant  une  incontestable  faiblesse  d'esprit.  Il 
est  évident  que  les  anormaux  devraient  être  placés  dans  des  institutions 
spéciales  et  que  cette  conclusion  s'imposera  de  plus  en  plus  au  pédo^ 
loguc  et  au  législateur*  «t  Une  longue  expérience  m'apprend,  conclut 
M.  Monrot%  que  dans  une  école  de  dO  élèves,  il  y  a  au  moins  un  enfant 
qui  serait  plus  économiquement  et  plus  utilement  placé  dans  un 
établissement  spéiîial  que  dans  une  école  publique.  Gardés  dans  les 
écoles  pi  ï maires  avec  des  maitres  qui  connaissent  peu  leur  élat  mental 
et  qui  ne  savent  pas  apprécier  leurs  besoins,  ils  laissent  ces  écoles 
pour  prendre  rang  parmi  les  pauvres«  les  déchets  sociaux,  les  ratés, 
les  criminels ^  » 

Il  est  urgent  de  compléter  rinstructioii  pédologique  des  maîtres,  en 
leur  fournissant  le  moyen  de  diagnostiquer  les  anomalies  présentées 

i.  Voir  riolajnnienL  iieirw*  phiioJtffphitfuet  1898. 

2.  D'ûprè»  la  IraitucLinn  (rançaiëe  de  tu  brochure  de  M.Monroè,  publiée  dtas 
le  ti-  1  fie  la  /î(et?u«  inlei^^HuHouale  de  pédû^Q^ie  comparative. 


REVUE  GÉNÉRALE.  ^  MOUVEMEMT  PÉDOLOGIQUE  ET  PÉDAGOGIQUE        49 

parles  enfoiots  et  de  dresser  la  statistique  des  anormaux  qui  doivent 
encombrer  nos  écoles,  pour  le  plus  grand  mal  des  mai  très  et  des  élèves. 
Ce  travail  vient  d'être  fait  en  Suisse  :  nous  avons  dit  ailleurs*  comment 
ce  recensement  a  été  opéré  sur  la  demande  même  des  insti tuteurs  et 
en  grande  partie  par  eux-raômes  diaprés  des  instructione  et  un  ques- 
tionnaire très  habilement  conçus^.  Les  résultats  sont  frappants  :  «  Les 
enfanta  faibles  d'esprit  a  un  degré  quelconque,  mais  susceptibles  de 
développement  intelleotueU  forment  un  total  de  7667  ou  de  16,5  par  IDOU 
sans  compter  les  îdiotsî,  les  crétins,   les  sourds-mueLs,  aveugles  et 

[«strûpiés  qui  donnent  un  total  de  41 '2 T.  Ainsi  les  anormaux  les  plus 
nombreux  sont  précisément  ceux  qu*on  traite  en  France  par  prctéri- 
lioD  et  dont  aucune  statistique  ne  fait  mûme  mentioiu  iSelon  TexceUeate 
remarque  du  U*  Hamon  du  Fougeray,  nous  sommes  k  peu  près  restés 
aujourd'hui  au  point  où  nous  étions  au  siècle  dernier.  Non  seulement 
rÊtat  ne  reconnaît  que  deux  catéj^ories  d'enfants  anormaux,  les  sourds- 
muets  et  les  aveugles,  et  néglige  presque  totalement  k's  idiuts  et  les 
bègues,  mais  il  ignore  les  estropiés  et  en  général  tous  les  faibles  d'es- 
prit auxquels  beaucoup  de  pays  étrangers  ont  depuis  longtemps  ouvert 
des  écoks  spéciales,  comme  on  peut  s*en  assurer  en  cousultaut  la  col- 
leotton  d'une  Hevue  nouvelle,  la  seule  que  nous  puissions  opposer  à 
Tétranger  dans  cet  ordre  d'idées  et  qui  est  appelée  à  rendre  les  plus 
grands  services,  la  Heime  hilernalionale  de  pédagogie  comparative; 
M.  Majlloux  et  le  D''Couêtoux  auront  le  grand  mérite  de  mettre  enûn 
à  Tordre  du  jour,  par  leurs  travaux  personnels  et  par  la  vulgarisation 
des  méthodes  employées  à  Tétranger^  ces  questions  de  pédologie  mor- 
bide qui  doivent  j  ter  une  lumière  profonde  sur  tous  les  problèmes  de 

^pédologie  normale* 

ïj'idiot  de  naissance  est  géneralemeiU  abandonné  aujourd'huii  : 
comme  le  note  M»  Demoor  dans  son  étude  sur  les  Enfants  anormaux 
ri  leur  édueatimiM  a  c'est  une  faute  grave  que  rien  n*excuâe  i».  II  faut 
le  rojvduiré  à  récôle,  mais  à  une  école  spéciale^  adaptée  à  son  indi- 
vidualUéf  qui  exige  des  exercices  variés  et  concrets.  L'éducation 
«ocialf^  par  la  gymnastique^  l'atelier^  le  jardin,  et  l'apprentissage  d'un 
métier  transformel  ont  bientôt  le  malheureux,  condamné  jusqu^ici  à  un 
injuste  isolement.  Il  y  a  deux  autres  classes  d'enfants,  les  simples 
d'esprit  et  les  imbéciles,  chez  lesquels  le  fond  psychique  est  défectueux. 
îiien  conduits,  ils  ne  grossiront  pîus  le  nombre  des  arriéres  et  mûme 
énérés.  Qu'on  leur  ouvre  des  classes  spéciales  dîtes  écoles 
i'"3  où  ils  pourront  s'instruire,  se  corriger,  éviter  la  pri^ou  qui 
les  altendf  On  devine  en  ciTet  rétroite  connexion  qui  unit  renfanee 


I.  Vnr  êt/ttiit(iffu^  nici^aiifitré^,   16  septembre  iHUft. 

â.  CoiMii»e  t'oditilÈmenl  iln  notre  èttidc  consat:réc  au  nî<ti;n!*ement  Miisse  et  h 

U  oc«'»*'*Hi**''  <!**  îrtire  en  France  une  stFitisli>|ue  coujpiêti^  des  nttormaux.  la  Hamf 

^inifrmtitim&ie  rtf  pédugogie  compftrfîtivr  (n*  du  ï5  février  lî>OÛ,)  a  publié  la  Ira- 

laet>«in  du  ipie^lioi maire  suisse  et  les  n-^t^yllaU  du  recens&ment  opéré.  Nous  lui 

pritnluns  les  chi  tires  qu»*  notis  cil  arts. 

TOiK  u—  lOUiU  4 


50  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

anormale  et  la  criminalité  précoce.  On  accuse  Técole  d'impuissance  et 
d'incapacité;  on  oublie  qu'entre  autres  causes  importantes  qui  ont 
paralysé  les  efîorts  du  maître,  il  faut  mentionner  Terreur  commise  par 
la  vieille  pédagogie.  Dans  son  ignorance  des  sciences  biologiques,  elle 
place  souvent  dans  la  môme  école  et  sous  le  même  enseignement 
sinon  les  idiots  au  moins  les  faibles  d'esprit  et  les  déséquilibrés.  Si 
on  avait  dépensé  pour  la  première  éducation  de  ces  enfants  la  dixième 
partie  des  fonds  gaspillés  en  frais  de  justice,  police  et  prison,  on  se 
serait  évité  bien  des  mécomptes.  Comme  le  prouve  encore  M.  Demoor 
dans  son  étude  sur  les  Enfants  anormaux  et  la  criminologie  y  plus  de 
40  p.  100  des  anormaux  ont  été  améliores  par  le  traitement. 

Quant  aux  dégénérés  qui  forment  le  groupe  des  individus  les  plus 
dangereux  pour  la  société,  celui  où  se  recrutent  les  meurtriers  de 
treize  ans,  les  voleurs  de  dix  ans,  etc.,  ils  ont  une  intellectualité  par- 
fois développée.  Il  est  évident  qu'il  faut  les  éliminer  du  milieu  scolaire 
habituel,  les  placer  dans  des  instituts  comme  celui  d*Elmirat  ou  les 
TraininQ'Sclwols  de  Londres.  Reste  eniin  parmi  les  dégénérés  la 
classe  des  passifs,  dupes  des  malins  et  de»  rusés,  petits  malheureux 
à  l'intelligence  obtuse  destinés  à  devenir  l'instrument  de  tous  les 
crimes.  Le  Scliool  Board  do  Londres  a  ouvert  à  ces  dégénérés  des  écoles 
où  un  travail  progressif  est  obtenu  à  force  de  patience  et  de  bonté. 
Sans  entrer  dans  le  détail  de  l'organisation  anglaise,  il  suffit  de  noter 
que  partout  on  s'occupe  de  créer  des  instituts  spéciaux  et  de  déterminer 
en  recourant  aux  caractères  psychologiques  (violence,  sournoisie» 
inattention,  obtusion  intellectuelle,  aboulie),  les  moyens  de  diagnos- 
tiquer Tanomalio  chez  l'enfant.  Peut-être  môme  M.  D.  a-t-il  découvert 
un  moyen  de  différencier  immédiatement  l'enfant  normal  de  tous  les 
autres  :  sur  380  enfants  de  six  à  quinze  ans  examinés  au  point  de  vue 
de  l'illusion  musculaire,  370  la  possèdent  et  10  au  contraire  n'en  sont 
pas  dupes,  et  il  se  trouve  que  ces  derniers  sont  tous  faibles  d'esprit. 
L'exploration  des  illusions  musculaires  pourra-t-elle  servir  au  dia- 
gnostic des  arriérés?  La  question  mérite  d'être  examinée  de  plus  près  : 
en  tous  cas,  l'idée  que  suggère  M.  D.  est  fort  intéressante. 

Quiconque  veut  déterminer  les  troubles  mentaux  chez  l'enfant  doit 
procéder  à  l'étude  des  prédispositions  héréditaires,  à  l'examen  exté- 
rieur, à  l'interrogatoire  et  enfin  à  l'examen  psychique  destiné  à  révéler 
avec  plus  ou  moins  de  précision  les  anomalies  émotionnelles,  intellec- 
tuelles ou  motrices.  On  trouvera  le  détail  de  cette  sémciologie  exposée 
avec  autant  de  clarté  que  de  méthode  dans  le  manuel  très  intéressant 
que  le  I)""  Manheimer  vient  d'écrire  sur  les  Troubles  mentaux  de  VEn- 
fance.  Ce  précis  de  psychiatrie  infantile  a  sa  place  marquée  dans  toutes 
les  bibliothèques  de  pédagogie  :  il  intéressera  encore  au  plus  haut  point 
le  médecin  des  enfants,  le  magistrat,  et  en  somme  le  père  de  famille. 

Ce  manuel  leur  présentera  en  môme  temps  qu'une  bibliographie 
complète,  une  vue  synthétique  et  précise  des  questions  de  nosologie, 
de   médecine   légale   et   de   thérapeutique    dans   l'état    actuel    de  la 


REVUE  GÉNÉRALE.    —  MOUVEMENT  PÊDOLOClQUE  ET  PÉÛArtOCraUE        M 

science  *.  Si  la  psychologie  du  D'^  M.  reste  parfoi*s  vague  ou  même 
confuse»  quand  îl  attribue  par  exemple  à  rimaginatiori  le  mie  de  la 
xnémoire.  saclasaillcation  très  rationnelïe  des  troubles  riientaux  infan* 
iilta  en  psychose  pure,  dégénérescence,  névrose,  état  de  régression  et 
diUlre  toxique,  à  l'exclusion  des  états  d*arrôt  (idiots,  imbéciles,  goi- 
treux), est  particulièrement  intéressante.  Elle  montre  neUement  com- 
bien on  a  fait  erreur  en  réduisant  à  Tidiotie  les  troubles  meutaux  de 
rcnfancc.  Mais  ii  ne  faudrait  point  par  un  excès  contraire  considérer 
rîdiot  comme  un  être  véritablement  extra-social  che^  lequel  on  ne 
saurait  guérir  les  troubles  mentaux  sous  prétexte  qu'il  ne  peut  y  avoir 
troubles  de  facultés  qui  n'existent  pas.  En  tout  état  de  cause  il  est  une 
foMde  plus  établi  que  Tenfant  peureux,  biziirre,  triste,  menteur,  est  uo 
arriéré  a  soiguer  et  non  à  punir;  que  le  dégénéré  délinquant,  le  vaga- 
bond, le  voleur,  Thomieide  peut  être  amendé  par  un  traitement  médical 
et  psychologique  convenable*  Il  y  a  une  logique  de  Tenfance  tout  à 
f.*il  distincte  de  celle  de  Tadulte,  et  la  table  des  valeurs  éthiques  doit 
être  complètement  transformée.  «  En  aucun  cas  l'enfant  n*est  assimi- 
lable à  l'adulte  en  ce  que  concerne  la  responsabilité  générale.  Et  ce 
a^eat  pas  seulement,  comme  on  pourrait  le  croire,  une  simple  diJTé* 
rence  d'infériorité  psychique  quantit.itive.  L^enfant  est,  en  réaîitc,  de 
par  ses  facultés  intellectuelles,  volontaires  et  affectives,  d'une  essence 
autre,  j»  Il  est  temps  que  la  pédagogie  pratique  tienne  compte  de  ces 
conclusions  pour  distribuer  renseignement  et  surtout  améliorer  le  sys- 
tème des  sanctions^  à  la  fois  en  ce  qui  concerne  les  enfants  normaux 
et  celte  multitude  de  déshérités  auxquels  il  convient  de  donner  désor- 
Biaîs,  dans  des  établissements  spéciaux,  une  éducation  rationnelle. 


m 

Pou  à  peu  Tesprit  pédo logique  commence  à  pénétrer  la  pédagogie 
traditionnelle  ;  on  le  reconnaît  à  de  petits  détails  qui  semblent 
tallmes  et  qui  révèlent  pourtant  a  Tobservateur  sur  tel  ou  tel  point 
les  prolUfi  immédiats  que  Fart  éducatif  commence  à  tirer  des  premiers 
essais  de  rénovation  pédolog-ique.  Bien  que  le  moment  des  applications 
géiicralos  soit  encore  fort  éloij^^né,  on  sent  que  l 'orientation  est  changée  : 
un  marche  sou  a  le  vent  et  maî^'ré  ïant  d'obstacles  qui  alouidissent  ou 
dclournent  le  mouvement^  on  fait  déjà  du  chemin  dans  la  bonne  voie. 
Voici  quelques  EssiàU  sur  le  Fonfhment  dt^  VÊducîition  publiés  par 
le  Révérend  J.  Godryez  :  au  milieu  des  judicieuses  et  snines  banalités 
qiïj  en  constituent  le  fond,  apparaît  la  constante  préoccupation  d*adapter 
réducatton  aux  exigences  de  la  science  contemporaine,  même  l'ina- 

1,  A  in  stNte  de  Téliologic*  de  In  séméiolofirie  et  de  la  *l(iscripUoa  noso- 
grajihtquc,  le  D'  M»  ciflmine  thins  un*î  (^uaUièmt^  parlie,  inlilube  Médecine 
1ég.\lc,  la  reipûtisnbiîilè  d**s  unfunla,  le*  eîTfaiits  coupables,  les  enranls  Lènioini, 
le  9ukid<}  dc?j  etiliiutsel.  daiia  ntm  cinquième^  Les  que^lioàs  de  prupUylaxie*  de 
iFtiMainent  médical,  pi^yclicilcigique  et  d'assistance- 


52  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

truction  religieuse,  de  fonder  révolution  morale  sur  la  nature  et  de 
donner  à  l'enseignement  historique  pour  objet  principal  la  recherche 
des  lois  qui  gouvernent  les  phénomènes  sociaux,  eux-mêmes  étroi- 
tement unis  aux  faits  cosmiques.  «  Le  manuel  ou  le  professeur, 
écrit  fort  bien  M.  G.,  devraient,  avant  de  décrire  les  divers  faits  histo- 
riques, donner  une  idée  générale  du  système  et  des  lois  de  TUnivers. 
Il  mettrait  en  lumière  celles  qui  sont  les  plus  générales  et  montrerait 
comment  les  lois  qui  gouvernent  l'ensemble  de  la  nature  dirigent 
aussi  les  faits  sociaux.  Le  professeur  aurait  ainsi  l'occasion  de  donner 
dès  le  début  quelque  idée  de  l'évolution  qui  a  présidé  au  développe- 
ment du  droit  écrit,  de  la  moralité,  des  idées  religieuses,  et  l'histoire 
fournirait  ainsi  le  moyen  de  retrouver  dans  les  faits  sociaux  une 
résultante  particulière  des  lois  naturelles.  » 

De  même  M.  G.  Marchesini  dans  ses  Éléments  de  pédagogie  insiste 
fort  heureusement  sur  la  distinction  entre  l'art  empirique,  la  doctrine 
ou  science  appliquée  et  la  science  pédagogique  ou  pédologie  qui  a 
pour  objet  l'homme  en  général  en  tant  qu'éducable.  Sans  doute  M.  M. 
est  contraint  de  s'en  tenir  sur  bien  des  points  à  une  doctrine  inspirée 
surtout  par  l'empirisme,  mais  il  n'a  pas  inutilement  entrevu  les  condi- 
tions que  devra  désormais  remplir  la  pédagogie.  Il  fonde  ses  théories 
pratiques  sur  les  données  de  la  psychologie  objective  :  il  ne  se  borne 
pas  à  faire  l'éloge  de  l'éducation  physique,  il  montre  qu'elle  est  le  fon- 
dement de  l'éducation  générale.  Il  insiste  sur  les  rapports  de  l'éduca- 
tion morale  et  du  tempérament.  Et  s'il  est  forcé  de  maintenir  dans  ses 
grandes  lignes  le  système  disciplinaire  actuel,  il  proscrit  l'emploi  de  la 
plupart  des  punitions.  Enfin  il  distinguo  avec  raison  le  développement 
psychologique  du  bambin  de  celui  de  l'enfant.  Et  le  très  intéressant 
chapitre  qu'il  consacre  à  l'éducation  infantile  montre  que  la  doctrine 
pédologique  peut  dès  maintenant  s'inspirer  fort  utilement  des  études 
pédagOL^nques. 

La  même  préoccupation  apparaît  dans  l'important  travail  où 
M.  P.  Romano  expose  aux  auteurs  contemporains  le  résultat  de  Trente 
années  d'études  pédagogiques^  en  un  livre  qui  nous  donne  une  his- 
toire magistrale  de  la  pédagogie  italienne  de  Sicilani;  un  chapitre 
est  consacré  aussi  à  la  pédagogie  anglaise  représentée  par  Spencer  et 
Bain  et  un  appendice  au  mouvement  pédagogique  dans  les  Univer- 
sités des  Etats-Unis.  Après  avoir  médité  en  compagnie  de  tant  de  pen- 
seurs distingués  le  problème  de  l'éducation,  M.  R.  conclut  que  la 
pédagogie  doit  fournir  désormais  un  tout  organique  et  systématique, 
que  partout  se  révèle  le  désir  d'une  pédagogie  scientifique  appelée  à 
établir  l'éducation  humaine  sur  les  méthodes  et  les  découvertes  éluci- 
dées par  les  sciences  biologiques  et  morales.  L'organisation  de  ren- 
seignement pédagogique  dans  les  Universités  américaines,  Thégémonie 
accordée  partout  aux  questions  d'éducation,  les  théories  à  la  fois  si 
complètes  et  si  positives  de  Parker,  Boone,  Johus,  Seeley,  Earl, 
Barnes,    Hinsdalc,    Ilalbrought,    Dewey,    Clark,  Harris,  directeur  du 


EETUE   GENERALE.    —   NOLVEMEf^T  PÉDOLOGIQL'E   ET   PÉDAGOGIQUE        S3 

célèbre  bureau  de  Washington,  lui  inspirent  une  profûnde  admiration 
qui  se  résume  dans  celte  pensée  trèa  juste  dont  chacun  doit  faire  eon 
proUt  :  ff  La  terre  classique  de  la  pédagogie  n*cst  plus  rAllemagne,  maïs 
bien  rAmérique  du  Nord.  » 

Par  contre  nos  auteurs  de  manuels  clasaiques  nous  paraissent 
encore  un  peu  timorés  :  sans  doute  la  prudence  en  même  temps  que 
la  simplicité  leur  sont  imposées.  On  peut  pourtant,  sans  faire  preuve 
d'exigeoce  révolutionnaire,  souhaiter  que  Teaprit  scientifique  anime 
pEus  profondément  nos  livres  élémentaires  tandis  qu*on  en  écarterait 
certaines  questions  métaphysiques:  on  gagnerait  ainsi  du  temps  et  de 
li  place  pour  faire  connaître  les  résultats  essentiels  des  enquêtes  et 
stîitistiques  pédologiques.  Sans  aller  jusque-la  NL  Camille  Hémon,  qui 
est  contraint  de  diriger  ses  éléments  de  psychologie  pédagogique 
conformément  à  un  programme  imposéj  a  compris  ces  considérations 
et  réduit  au  strict  minimum  ces  théories  ontologiques.  Il  a  très  bien 
fait  ce  qu*il  voulait  faire,  un  travail  de  vulgarisation  et  d'adaptation, 
pféaentant  sous  une  forme  familière  et  condensée  les  principales  lois 
de  la  vie  psychologique  avec  les  plus  intéressantes  appUcalions  qui 
a'ftn  déduisent*  Un  esprit  de  modération  fort  judicieuse  n'exclut  ni 
Tin  format  ion  seientiïique,  ni  sur  certains  points  fort  importants  des 
solutions  nouvelles  et  courageuses.  Signalons  notamment  le  chapitre 
OOn^^ré  à  la  discipline,  a  Ce  qui  importe,  ce  n*est  pas  la  punition  elle- 
même,  ce  sont  les  dispositions  morales  dans  lesquelles  le  coupable  la 
reçoit;  aussi  doit-on  proférer  à  toutes  les  autres  celle  qui  porte  sur  une 
id^e  plutôt  que  sur  un  fait*  De  la  compression,  quelquefois;  de  la  fer» 
meté  toujours;  de  la  dépression,  jamais.  La  meilleure  discipline  est 
celle  dont  on  parle  le  moins  *  :  elle  comprend  aussi  les  récompenses 
quit  toutes,  doivent  conserver  un  caractère  vraiment  moraL  * 

La  prudence  de  nos  manuels  reste  préférable  à  cet  excès  de  systé- 
matisation prématurée  ou  tombent  trop  souvent  les  raisonneurs  alle- 
aisnds,  M.  P.  Natorp  a  fait  un  effort  considérable  et  méritoire  en 
recherchaiit  dans  sa  Pédagogie  Sociale  les  rapports  réciproques  à  éta- 
blir entre  Téducation  et  la  collectivité,  tl  a  eu  rambition,  pour  les 
découvrir,  de  descendre  jusqu'aux  fondements  philosophiques  des  deux 
«cieiices.  11  a  dû  ensuite  déterminer  les  principes  de  Téthique  et  de  la 

cîologie  et  tracer  la  place  de  toute  une  organisation  sociale,  morale 
Il  pédagogique,  méthodiquement  constituée  pour  aboutir  àTéducatioa 
le  là  volonté,  il  devenait  alors  indispensable  de  procéder  par  déduction 
'systématique  et  d^accumuler  courageusement  maintes  hypothèses  : 
nous  ne  dirons  pas  sans  doute  qu'il  a  pris  beaucoup  de  peine  pour 
rien.  Mais  la  lecture  dailleurs  très  laborieuse  de  ce  grave  travail  doit 


!,  Voir  tncore  sur  cetlu  question  Dkciplma  ftcalmitcn  educaiîvfi^  par  G.  Fer* 

iri,  qui  ntjordp  avec  na  fioiii  minuUciix  et  décrit  avec  laet  toutes  les  qiieslîon* 

■uç  ht  itsmm  d'une  cïasse  peut  tain;  surKJr*  JJe  pareîtlea  lectures  devraient  être 

Ifnpfiftèett  o  lous  les  dèbutatUâ  ■  etttîs  les  feniient  atitemcnt  réfléchir  et  leur  èvi- 

If  raient  ûe  désagréables  surprises  el  de  lourd  esi  nmladressus. 


r*i  KEVLE   PHILOSOPHIQUE 

servir  de  leçon  à  quiconque  serait  tenté  d'édifier  sur  des  recherches  à 
peine  amorcées  un  syslèine  où  Ton  se  perd  dans  l'obscurité  qui  tombe 
d'une  s()ciolo«j^ie  nébuleuse  et  d'une  incertaine  pédologie. 

Pourtant  il  faut  dans  la  pratique  prendre  souvent  des  résolutions,  et 
la  commission  parlementaire  de  renseignement  a  dû  au  milieu  des 
thi\ses  les  plus  varices  et  môme  les  plus  contradictoires  choisir,  selon 
le  précepte  cartésien,  «  les  opinions  les  plus  modérées,  les  plus  éloi- 
gnées de  Texcés,  et  le  plus  communément  reçues  par  les  mieux  sensés 
de  ceux  a  qu'elle  a  libéralement  consultés  et  entendus.  La  tâche  était 
malaisée.  A  force  de  méthode  et  de  bonne  volonté,  en  recourant  à  une 
enquête  largement  comprise  et  à  des  discussions  complémentaires  des 
plus  importantes  dépositions  recueillies,  elle  a  constitué  le  plus  curieux 
musée  d'opinions  pédagogiques  et  de  controverses  qui  ait  jamais  été 
exposé  à  la  curiosité  du  public  français.  M.  Ribot,  qui  a  dirigé  toute 
l'enquête  avec  une  courtoisie  pleine  d'à  propos  et  une  compétence 
remarquable,  a  dégagé  les  résultats  et  vues  d'ensemble  en  un  lumineux 
et  suggestif  rapport  sur  lu  liènfnne  de  V Enseignement  Secondaire.  Il 
examine  successivement  le  régime  des  lycées,  renseignement  dans  ses 
origines,  son  avenir,  ses  subdivisions  (classiques  et  modernes),  ses  pro- 
grammes et  ses  sanctions.  Il  termine  en  comparant  l'enseignement 
public  et  renseignement  privé  :  suit  l'énumération  des  i)'2  propositions 
qui  énoncent  les  conclusions  adoptées  par  la  commission  de  l'ensei- 
gnement. Un  appendice   est   consacré  aux   dépositions  qui  forment 
comme  les  références  mêmes  du  rapport  et  qui  ont  exercé  sur  la  déci- 
sion des  commissaires  une  inlluenee  prépondérante  '.  M.  R.,  en  une 
langue  toujours  èlôganto  et  facile,  qui  fait  ressortir  la  forte  souplesse 
de  son  argumentation,  juslitie  les  résolutions  prises  par  la  commission 
qu'il  préside.  îSi  celle-ci  veut  relever  la  situation  et  l'autorité  du  pro- 
viseur c'est  que  «  dans  les  grands  lycées  le  proviseur  est  le  chef  d'une 
administration  beaucoup  plus  que  le  directeur  d'une  maison  d'éduca- 
tion p.  Si  elle  sépare  détisiitivoment  le  lycée  du  pen>ionnaî  et  crée  deux 
budgets  spéciaux  c'est  que  »  le  prix  de  la  pension  doit  être  l'équiva- 
lent aussi  exact  que  possible  de  ce  que  coûtent  la  nourriture,  l'entre- 
tien et  la  survedlance  des  pensionnaires...  Le  îuidget    du  pensionnat 
dev.uit  se   sufiîre  à   lui-même  peu;  être  reîr.is  à  i'r.uîiative  du  provi- 
seur ».  t>i  elle  vole  l'institution  à  titre  d'ess.ii  des  d.revteurs  d'études* 
pris  parmi  les  pr\>fesseurs.  c'est  que  rmierveïU.on    plus  fréquente    et 
familière  dos  professeurs  dans  la  vie  des  ê'.tvos  a.ira  des  avantages 
pour  tout  le  monde. 

•  Dans  les  lycéos  les  plus  considérables,  le  j^ reviseur  ne  peut  pas 
s*occuper  do  tous  les  élè\es;  on  a  Sv^:î.:e  à  lui  adjoindre  sous  le  nom 

I.  Dépouillons   >:v:raits  Jo   MM,   BerlhcM.  La>:s>f,    lV^;:;:v>,  R.    Poincarc, 
Léon  BMinKs\is^. 
â.  IV*  I.^St^  nous  *xoa*    i,\:\   rt^>>.^r;.r  \'  rOlo  ,;>    .-;'.<>f^r>  j:cr:ir.\ux  en 


REVUE  GÉNÉRALE.   —  MOUVEMENT  PÉDOLOGIQUE  ET  PÉDAGOGIQUE        55 

de  directeurs  d*études  des  professeurs  qui  continueraient  d'enseigner, 
mais  qui  suivraient  de  plus  près  un  certain  groupe  d'élèves  pendant 
un  certain  nombre  d'années...  Ce  ne  sont  pas  des  fonctionnaires 
nouveaux,  mais  une  fonction  nouvelle  qu'il  s'agit  dans  notre  pensée 
d'instituer.  »  Notons  que  l'auteur  ajoute  finement  :  «  L'idée  peut  être 
bonne.  Elle  a  besoin  d'être  mûrie  par  l'expérience.  »  Propose-t-on  de 
supprimer  l'enseignement  moderne  en  prétendant  que  la  civilisation 
française  est  exclusivement  latine?  c  Le  génie  français  n'est  pas  fait 
d'un  seul  élément...  Plus  d'un  défant  de  l'esprit  français  vient  de  la 
superstition  que  nous  avons  pour  le  droit  romain.  Nous  demandons 
qu'on  ne  répudie  aucun  des  éléments  qui  ont  formé  la  civilisation 
française.  »  Sans  doute  M.  R.  écrit  avec  le  sourire  indulgent  que  pro- 
voque chez  un  homme  d'esprit  un  préjugé  passé  au  rang  de  vérité 
admise,  que  «  le  sens  pédagogique  n'est  que  le  bon  sens  appliqué  à 
l'éducation  ».  Mais  il  déplore  «  cette  absence  de  toute  préparation 
pédagogique  des  professeurs  de  l'enseignement  secondaire,  qui  nous 
a  été  si  vivement  dénoncée  au  cours  de  l'enquête...  La  pédagogie  n'a 
jamais  été  plus  nécessaire...  L'agrégation  a  pris  un  caractère  de  moins 
en  moins  professionnel;  elle  tend  à  devenir  un  grade  des  études  supé- 
rieures, au  lieu  d'être  ce  qu'elle  devrait  être,  un  certificat  d'aptitude  à 
l'enseignement  secondaire.  Au  témoignage  d'un  déposant  les  profes- 
seurs savent  tout,  sauf  leur  métier  ».  M.  R.  signale  enfin  les  causes 
économiques  et  sociales  qui  ralentissent  le  recrutement  des  lycées. 
Toutefois  avec  une  finesse  de  touche  et  une  justesse  de  coup  d'œil 
dont  l'exactitude  ne  saurait  échapper,  il  note  les  causes  morales  qui 
déterminent  la  crise  actuelle,  «t  II  y  a  eu  dans  une  portion  de  la  bour- 
geoisie un  mouvement  de  recul;  confier  aux  maisons  ecclésiastiques 
l'éducation  de  ses  fils  cela  est  devenu  une  affaire  de  mode...  Il  se 
môle  d'ailleurs  à  ces  entraînements  mondains  quelques  calculs  inté- 
ressés... Le  patronage  des  congrégations  n'est  pas  inutile.  L'éloge 
si  souvent  répété  de  Téducation  donnée  dans  les  maisons  ecclésias- 
tiques a  produit  d'autant  plus  d'effet  que  «  Tinlluence  de  la  mère 
devient  de  plus  en  plus  grande  dans  tout  ce  qui  touche  à  féducation 
des  enfants  ».  Aussi  tout  en  déclarant  que  l'Etat  doit  respecter  la  liberté 
de  l'enseignement,  M.  R.  ajoute  qu'il  doit  veiller  tout  au  moins  à  ce 
que  l'éducation  donnée  dans  ses  établissements  «  ne  paraisse  pas 
assurer  aux  futurs  fonctionnaires  ou  aux  futurs  officiers  moins  d'avan- 
tages au  point  de  vue  de  leur  carrière  que  l'éducation  donnée  dans  les 
établissements  libres  ».  Il  importe  encore  qu'il  surveille  au  point  de 
vue  de  la  morale  et  de  l'obéissance  aux  lois  les  établissements  libres, 
qu'il  améliore  les  siens  en  transformant  le  régime  des  lycées  rendus 
plus  libres  et  mieux  adaptés  aux  diverses  régions,  qu'il  fasse  du  répé- 
titeur un  professeur  adjoint,  du  professeur  un  pédagogue  exercé  et 
dévoué  à  son  métier,  du  lycée  un  organisme  vivant  ayant  sa  person- 
nalité morale.  Alors  la  crise  actuelle  aura  eu  en  somme  des  effets 
salutaires.  «  L'Université  en  sortira  plus  forte  et  plus  maîtresse  d'elle- 


86  RRVL'E   PHILOSOPHIQUE 

môme.  C*est  une  évolution  qui  se  prépare  et  non  une  décadence  qui 
se  précipite  »,  conclut  M.  R.  qui  sans  doute  a  raison  d*ètre  optimiste. 
Mais  il  est  aussi  trop  bon  politique  pour  se  faire  plus  d'illusions  qu'il 
ne  convient  sur  les  difficultés  d'exécution  que  rencontrera  «  révo- 
lution »  qu  il  annonce  et  qui  pourra,  nous  le  croyons  en  effet,  avoir 
d*heureuses  conséquences  si  on  s'applique  à  en  faciliter  le  dévelop- 
pement. Quoi  qu'il  arrive  l'œuvre  entreprise  sous  Thabile  et  active 
direction  de  M.  R.  fera  date  dans  Thistoire  pédagogique  de  notre 
enseignement  secondaire. 

Notons  toutefois  une  lacune  :  la  commission  d'enseignement  a  déli- 
bérément exclu  de  son  enquête  la  question  de  L'Éducation  Moderne 
des  Jeunes  Filles  que  Mlle  Dugard  traite  à  un  point  de  vue  original. 
Un  fait  curieux  s*est  produit  à  mesure  que  Tétat  provoquait  par  la 
création  des  lycées  féminins  une  série  de  discussions  qui  réveillaient 
l'indifférence  séculaire  des  familles.  Les  mères  ont  repris  en  général 
la  direction  des  études  de  leurs  lilles  et  un  grave  conflit  s'est  élevé 
entre  l'éducation  familiale  et  l'éducation  scolaire.  Mlle  D.  en  étudie  les 
formes  et  les  conséquences  :  d'une  part  on  a  voulu  faire  pénétrer  dans 
renseignement  des  jeunes  lilles  Tesprit  scientitlque,  Tidée  d'une 
loi  morale  indépendante,  une  série  de  tendances  libérales  et  tolé- 
rantes. D  autre  part  le  milieu  et  la  coutume  s'attaquent  tour  à  tour 
à  tous  les  préceptes  de  Tôducation  libérale  pour  décider  qu'en  tous 
points  il  faut  se  conformer  à  Topinion  «  des  gens  distingués  ».  De 
cette  éducation  en  partie  double,  on  devine  les  résultats  :  plus 
soucieuse  de  tranquillité  que  de  vérité,  la  jeune  tille  se  marie  par 
besoin  d'aiTranchissement,  sans  avoir  rien  de  commun  avec  son 
iiancé...  si  oe  n'est  parfois  le  goût  du  sport.  Victime  d'une  surveil- 
lance inquiète  et  jalouse,  elle  ne  sait  ni  voir  ni  entendre  et,  pour  ne 
déplaire  à  personne*  évite  de  penser  ou  même  d'avoir  une  opinion. 
Et  par  cette  éducation  de  compromis,  les  classes  dirigeantes  croient 
proparer  leurs  tilles  à  toutes  les  éventualités,  aux  changements 
qu'elles  redoutent  et,  espèrent  que.  quoi  qu'il  advienne,  elles  garde- 
ront ainsi  leur  n'^le  supérieur.  »  A  ce  mal  très  réel.  Mlle  D.  ne  voit 
qu'un  remède  parce  qu'elle  n'a  trouvé  qu'ur.e  cause  :  rapprocher  lea 
maîtres  des  parents,  qui  les  connaissent  à  peine,  et  qui  apprendront 
ainsi  «  le  but  de  Téducation  moderne  qui  doit  préparer  le  triomphe 
du  juste  et  de  la  bonté  réparatrice  y.  L'ctioloçrie  et  la  ihérapeutique 
an  peu  simpliste  de  Mlle  D.  n'enlèvent  rien  à  la  valeur  et  à  l'intérêt  du 
diagnostic  qu'elle  a  posé.  Elle  a  constaté  en  termes  excellents  et  d'une 
cordiale  éloquence  un  mal  très  grave  qu'il  faut  en  e:Tet  guérir,  si  Toq 
Teul  préparer  vraiment  nos  jeunes  filles  au  rôle  qu'elles  auront  à 
remplir  dans  la  démocratie  laborieuse  et  agitée  que  verr.i  le  siècle 
produùn. 

Peat-ètre  le  mal  eut-il  été  bien  moindre  si  on  avait  mieux  adapté  le 
plan  d*êludes  au  milieu  social  et  scolaire,  et  c'est  une  idée  qui  parait 
beaucoiq»  moins  simple  qu  on  ne  le  croirait  d'abord  que  celle  d*une 


AIIVUE  GÉilÉRALi;.   —  MOUVEMENT  PÉDOLOCIQUE  ET  PÉMGOCIQliE        57 

Esquiêse  d'un  en&eupiemeni  bmé  sur  la  psychologie  de  VenfanU 
8elon  la  remarque  très  judicieuse  de  M.  Lncombe,  les  auteurs  de  sys- 
tèmes, pour  rédiger  leur  programme,  ont  consulté  surtout  leurs  déairs, 
f  Ils  ge  deniandèrent  avec  simplicité  :  t  Que  voulons* nous  que 
l'enfant  sriche  ?  ►*  et  ils  partirent  do  là  sans  song^er  Te  moins  du  monde 
à  se  poser  cette  autre  question  ;  Qu'est-ce  que  Tcnfant  est  apte  à 
apprendre'  f>  M.  h.  a  raison  de  préférer  h  renseignement  dogmatique 
partcint  de  notre  volonté  comme  si  on  n'avait  ici  qu'à  vouloir,  celui  qui  se 
fonde  sur  Tobservation  de  Tenfant.  Le  jour  où  des  enquêtes  objectives 
aiîront  déterminé  la  vraie  nature  du  sujet  éducable,  on  verra  éliminée 

•  la  première  dilTiculté  de  Tart  d'instruire  m.  Elle  vient,  comme  Técrit  fort 
justement  M.  L.,  n  de  ce  qu*oii  est,  au  moment  où  on  le  pratique,  un 
homme  fait  »,  Kn  attendant,  il  faut  se  contenter  d'entrevoir  les  mo- 
biles qu'on  peut  susciter  :  ta  crainte  éliminée^  reste  la  curiosité.  Pour 
réveiller  et  la  retenir^  e  il  faut  enseigner  le  milieu  immédiat,  actuel  » 
où  Fenfant  se  trouve  plongé,  lui  montrer  le  monde  coloré,  mouvant» 
a*itL%  qui  l'environne.  Qu'on  choisisse  un  maître  qui  suit  voir  et  faire 
voir,  it  va  susciter  chez  Te  n  faut  le  désir  de  regarder,  de  dessiuer,  do 
noter  et  en  lin  d'écrire;  a*ii  y  a  quelques  retardataires^  un  devancier, 

.  Jiabilement  mis  en  comparaison  avec  le  réfractaire,  lui  inspirera  bientôt 
une  admiration  qui  le  stimulera.  M.  L.  préconise  le  même  système 

*  quand  Tenfant  monte  des  petites  classes  aux  classes  moyennes  a  la 
iuite  d'une  promotion,  qui  ne  sera  pas  collective  mais  toujours  indivis 
duelle;  il  persiste  à  enseigner  toujours  un  peu  de  tout  et  à  procéder 
par  leçons  de  choses  :  on  sacrifiera  les  langues  anciennes  mais  pour 
développer  le  jugement  on  s'efforcera  d'enseigner  à  croire  ditTieilement, 
et  pour  bien  apprendre  la  langue  maternelle  on  donnera,  idée  fort 
ingénieuse,  du  français  à  traduire  en  français.  Toutefois  cette  exclu- 
sion de  toute  sanction  pénale,  renforcée  il  est  vrai  par  une  éducation  où 
une  morale  soicntinque  et  active  aura  une  large  place,  ce  recours 
pt<rpétuel  au  travail  a t trayante  cette  réduction  trop  simpliste  de  toutes 
les  inclînationa  enfantines  à  la  seule  curiosité,  aboutiraient»  si  l'on 
prenait  au  mot  M.  L.,  à  des  retards,  à  des  mécomptes  et  même  à  un 
abaissement  du  caractère  qu'un  esprit  aussi  aviso  que  le  sien  a  sans 
doute  prévu.  Quelle  autorité  morale  aurait  ce  maître  réduit  souvent  à 
sAv^amment  arranger  a  des  inconstances  qui  sollicitent  Tenfant  dans 
la  direction  souhaitée  ^,  à  «r  jouer  la  comédie  »s  à  «  Tamener  sournoise* 
meot  0  à  poser  telle  ou  telle  question?  Mais  M*  L.  a  voulu  surtout 
mettre  en  lumière  le  parti  qu*on  pouvait  tirer  d*un  mobile  systémati- 
quement négligé,  la  curiosité  enfantine ^  réclamer  en  faveur  d*un 
enseignement  fondé  sur  le  naturel  de  Tenfant  et  montrer  comment 
rinitialivê  individuelie,  en  dehors  des  professionnels  trop  souvent 
routiniers»  peut  contribuer  par  de  libres  et  originales  suggestions 
au  progrès  de  Téducàtion  publique  dans  notre  pays,  et  il  a  pleinement 
réuesi. 

M.  L.  fait  aux  sciences  une  large  place,  aux  dépens  des  langues 


S8  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

anciennes,  et  M.  R.  sacrifie  presque  complètement  le  grec  :  ne  pour- 
rait-on pas  maintenir  les  anciennes  humanités,  tout  en  donnant  à 
renseignement  scientifique  le  premier  rang?  A  cette  œuvre  de  conci- 
Mation,  M.  Bertrand  consacre  un  beau  livre  prestement  écrit,  forte- 
ment documenté,  un  livre  qui  fait  réfléchir  et  dont  rargûmentaticn 
habile  et  séduisante  appelle  l'attention  de  tous  ceux  qui  cherchent  ce 
que  doivent  être  les  Études  dans  la  démocratie,  «  Puisque  ce  sont  les 
langues  soit  anciennes,  soit  modernes,  autant  dire  les  mots,  qui  nous 
divisent,  fondons  notre  enseignement  sur  les  sciences,  qui  sont  à  la 
fois  très  anciennes  et  très  modernes.  Il  n'y  a  rien  de  plus  classique 
que  la  géométrie,  de  plus  moderne  que  la  sociologie  ».  On  déplore  la 
stérilité  d'un  enseignement  qui  ne  prépare  que  des  fonctionnaires, 
l'insuffisance  de  réformes  impuissantes  à  ramener  dans  les  études 
l'unité  de  vie  et  d'esprit,  la  division  des  jeunes  gens  en  anciens  et 
modernes,  la  valeur  dérisoire  du  baccalauréat,  délivré  pourtant  au 
nom  de  l'État.  Pour  résoudre  ces  quatre  difficultés,  il  suffit  de  créer 
un  enseignement  fondé,  non  sur  la  somme  théologique  du  moyen  âge, 
mais  sur  la  somme  scientifique  moderne. 

Dans  le  lycée  nouveau,  l'enseignement,  «  ayant  pour  principe 
essentiel  l'étude  théorique  des  sciences,  envisagées  dans  leur  filiation 
et  leur  interdépendance  »,  est  réparti  en  quatre  années;  première 
année,  mathématiques;  deuxième  année,  physique;  troisième  année, 
biologie;  quatrième  année,  sociologie.  Le  maître,  qui  ne  doit  pas  con- 
fondre un  enseignement  intégral  avec  un  enseignement  encyclopé- 
dique», rapporte  chaque  groupe  de  vérités  essentielles  a  son  milieu 
social,  chronologique  et  humain.  «  Les  sciences  deviennent  enfin  des 
humanités.  On  inculque  ainsi  h  relève,  avec  l'idée  de  développement 
ou  de  progression  scientifique,  le  sentiment  de  la  solidarité  humaine  et 
la  piété  du  passé.  »  On  dira  que  la  série  des  classes  ainsi  formée 
répond  à  la  classification  d'Auguste  Comte.  Mais  cette  dernière,  sans 
être  parfaite,  n'a-t-elle  pas  l'avantage  essentiel  ici  de  reproduire  fidè- 
lement la  marche  de  l'esprit  humain?  Si  on  demande  comment  les 
sciences  peuvent  devenir  des  humanités,  c'est  qu'on  ignore  que  la 
science  est  une  perpétuelle  école  d'idéalisme,  qu'on  la  pourrait  définir 
un  élargissement  de  l'âme.  Elle  a  une  vertu  éducative  admise  par  les 
plus  idéalistes  des  penseurs,  témoin  Malebranche  dont  M.  B.  cite  des 
textes  aussi  curieux  que  probants  :  elle  exige  enfin  chez  ceux  qui  la 
cultivent  ces  qualités  d'absolue  nécessité,  de  calme  et  do  désintéres- 
sement qui  font  de  l'éducation  scientifique  la  meilleure  école  d'affran- 
chissement et  de  moralité. 

Voilà  qui  est  fort  bien,  dira-t-on,  mais  que  deviennent  dans  le  lycée 
de  demain  les  humanités  littéraires?  Les  lettres  demeurent  un  élé- 
ment intégrant  et  inséparable  des  études,  car,  chose  originale  et  inat- 
tendue, ce  projet  révolutionnaire  n'ajoute  rien  et  ne  retranche  rien, 
sauf  le  grec,  aux  choses  enseignées  dans  les  collèges  actuels.  L'élève 
choisit  à  ses  risques  et  périls  le  latin  ou  une  seconde  langue  moderne  : 


REVUE  GÉNÉRALE.   —  MOUVEMENT  PÉDOLOGIQUE   ET  PÉDAGOGIQUE        59 

la  connaissance  approfondie  de  la  langue  et  de  la  littérature  française, 
jointe  à  celle  des  autres  littératures,   «  conditions  de  culture  et  de 
sociabilité,    instruments  de   relations   internationales,  véhicules   des 
sciences  >,  reste  le  fond  des  études  littéraires.  L'histoire  et  la  géo- 
graphie sont  enseignées  comme  études  préparatoires  à  renseignement 
sociologique,    pendant  les   quatre    années   des    cours    secondaires. 
L*horaire  des  classes  prouvera  qu'on  entend  bien  faire  à  la  culture 
littéraire  et  esthétique  la  plus  large  place.  «  Dans  le  tableau  dressé  par 
M.  B.,  les  études  littéraires  et  esthétiques  sont  représentées  en  pre- 
mière année  par  exemple  par  le  coefficient  17,  et  les  études  scientifi- 
ques par  le  coefficient  10.  »  Mais  alors  on  va  faire  à  M.  B.  une  nou- 
velle espèce  d'objections.  «  Puisque  vous  laissez  aux  études  littéraires 
leur  prééminence  et  que  d'ailleurs  vous  ne  prétendez  rien  bouleverser, 
ouest  donc  l'avantage  de  la  réforme  que  vous  préconisez?  u   D*abord 
le  lycée  de  demain  reconnaît  et  utilise  la  puissance  irrésistible,  souve- 
rainement vivante  et  agissante  de  la  science.  Au  lieu  de  la  subir,  il 
Taccepte,  l'organise  et  la  modère.  La  réforme  ne  se  réduit  pas  d'ail- 
leurs à  une  précaution  politique  :  elle  réduit  à  quatre  ans  le  stage 
scolaire  des  enfants  que  l'action  appelle,  fait  disparaître  la  solution  de 
continuité  entre  le  primaire  et  le  secondaire,  délivre  le  futur  lycée  de 
la  cohue  des  mauvais  élèves,  «  en  opérant  par  la  science  une  sélection 
qui  ne  sera  pas  un  fléau  mais  un  bienfait  ».  Enfin,  comme  il  suit  la 
nature,  ce  déplacement  remet  toutes  choses  à  leur  vraie  place,  tire 
meilleur  parti  du  talent  des  maîtres  et  du  travail  des  élèves,  réconcilie 
en   les  adaptant  Tune  à   l'autre  l'école  avec  la  vie,   sans   d'ailleurs 
effrayer  personne  :  «  Parents  et  élèves  se  douteront  à  peine  du  chan- 
gement, tant  il  sera,  non  pas  superficiel,  mais  profond  ».  Tel  est  le 
système  que  préconise  M.  B.,  tout  en  déclarant  modestement  qu'il 
n'en  est  pas  l'inventeur,  et  en  se  donnant  uniquement  pour  le  greffier 
de    nos   traditions  nationales.  On  lui  reprochera   sans    doute  d'être 
séduisant  et   très   beau...    sur   le   papier   qui    se    laisse   écrire   :    il 
n'explique  pas,  sauf  pour  les  mathématiques,  comment  sera  compris 
et  organisé    le  nouvel   enseignement   scientifique.  On  se  demande, 
encore  si  la  sociologie  est  une  science  suffisamment  consciente  de  sa 
méthode  et  assez  riche  en  lois  démontrées,  pour  fournir,  même  unie  et 
peut-être  confondue  avec  la  morale,  l'enseignement  principal  de  la 
quatrième  année.  On  hésite  surtout  à  croire  qu'on  pourra  en  quatre 
ans  développer  utilement  le  programme  intégral  qu'on  nous  présente, 
même  si  on  s'appuie  sur  une  solide  instruction  primaire  préparatoire. 
Mais  il   en    est  de  toutes  les  objections  comme   du  plan  même  de 
M.  B.  :  l'expérience    seule    pourrait  juger   la   question  en    dernier 
ressort,  étant  donnée  notre  actuelle  ignorance  pédologique.  En  tout  cas 
il  est  regrettable  que  dans  un  pays  comme  le  nôtre,  il  ne  se  trouve  pas 
quelques    hommes   d'initiative    pour   créer    un   collège   d'humanités 
scientifiques;   en    tout  état   de   cause,   les  enfants  n'auraient  rien  à 
louffrir  de  cet  essai  et  il  resterait  du  plan  élaboré  par  M.  B.  autre 


60  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

chose  que  le  livre  captivant  où  il  est  composé  et  défendu  avec  toutes 
les  ressources  qu*un  savoir  étendu,  une  dialectique  pressante  et  une 
vision  très  nette  des  difficultés  actuelles  peuvent  mettre  au  service 
d'une  conviction  généreuse  et  d'un  amour  éclairé  de  la  démocratie. 

En  attendant  que  les  réformateurs  aient  trouvé  un  terrain  d'entente 
pour  réédifier  notre  enseignement  secondaire,  il  est  urgent  de  pré- 
server l'enfance  et  ses  instituteurs  d'une  série  de  sophismes  d'autant 
plus  dangereux  qu'ils  sont  plus  répandus  et  plus  insinuants.  Voici  en 
effet  qu'autour  de  l'école  et  à  l'encontre  de  son  enseignement  moral 
traditionnel,  surgissent  une  série  de  systèmes  vivants  et  agressifs  qui 
prétendent  parler  au  nom  de  la  science  ou  de  l'art  et  dont  il  faut 
pourtant  mettre  en  lumière,  avec  la  part  de  vérité  et  d'importance  qu'il 
est  bon  de  leur  accorder,  l'influence  débilitante  comme  l'insuffisance 
théorique  et  pratique.  C'est  le  programme  que  se  trace,  dans  son  livre 
intitulé  Morale  et  éducation,  M.  F.  Thomas,  le  pénétrant  et  ingénieux 
auteur  de  l'éducation  des  sentiments.  Sur  les  rapports  de  la  science  et 
de  la  morale,  sur  les  systèmes  qui  rejettent  en  morale  la  liberté  ou 
l'obligation,  sur  les  différents  aspects  du  dilettantisme,  de  la  morale 
esthétique  ou  ascétique,  sur  le  solidarisme  et  l'individualisme,  M.  T. 
nous  donne  une  série  d*études  nettes  et  frappantes.  Il  procède  plutôt 
par  exposés  rapides  et  généraux,  mais  on  y  retrouve  toujours  les  points 
essentiels,  ceux  qu'il  fallait  avant  tout  dégager,  parce  qu'ils  intéres- 
sent l'éducateur.  S'agit-il  du  prétendu  conflit  de  la  science  et  de  la 
morale?  «  Il  n'existe  qu'entre  les  moralistes  et  les  savants,«par  con- 
séquent toute  réaction  contre  l'une  ou  contre  l'autre  ne  peut  être 
qu'une  réaction  contre  la  raison.  »  Le  déterminisme  a  sa  valeur  morale, 
mais  tout  en  l'enseignant  aux  enfants,  il  faut  préserver  en  eux  la  con- 
viction profonde  et  inébranlable  qu'ils  seront  un  jour  ce  qu'ils  se 
seront  faits.  Le  maître  et  l'élève  doivent  aimer  leur  travail  et  le  croire 
utile,  c'est  pourquoi  le  dilettantisme  des  Sous-Bergeret  est  un  jeu  dan- 
gereux, le  scepticisme  des  maîtres  étant  plus  périlleux  encore  que  leur 
ignorance.  La  morale  de  contemplation  esthétique  des  nouveaux  fakirs 
porterait  l'enfant,  s'il  la  comprenait,  à  préférer  la  forme  au  fond,  à 
négliger  l'action  et  à  prendre  la  vie  en  dégoût. 

Sans  doute  M.  T.,  par  une  très  sage  réaction  contre  Tascétismo  kan- 
tien, ne  veut  pas  faire  de  la  vertu  un  a  fantôme  à  étonner  les  gens  ».  Con- 
tradictoire et  impraticable  même  pour  l'élite,  inintelligible  et  dange- 
reuse pour  la  foule,  la  théorie  du  désintéressement  absolu  produit 
dans  l'éducation  le  pur  psittacisme.  «  La  vraie  méthode  à  suivre  est 
celle  qui  se  conforme  à  l'évolution  môme  de  l'esprit  de  l'enfant,  qui 
sait  monter  vers  le  bien  graduellement  ses  multiples  énergies,  qui 
sait  montrer  surtout  comment,  dans  la  notion  du  devoir,  se  concilient 
notre  intérêt  personnel  et  l'intérêt  de  nos  semblables,  i»  Pour  com- 
battre l'individualisme  avorté  des  snobs  ou  les  scrupules  dangereux 
de  ces  tolstoîsants  qui  se  croient  libéraux  quand  ils  ne  sont  qu'into- 
lérants et  paralysent  à  la  fois  l'activité  du  maître,  sous  prétexte  de 


REVUE  GÉNÉRALE-   —  MOJJVEMKM    PÉnOLOCJCJUR  ET  rÉDAGOGlQUE        61 

espêcler  sa  conscience,  et  le  développement  de  Teiifant  parce  que 
^rhomine  no  peut  savoir  ce  qu*il  faut  à  l'homme  \  il  suffit  de  porter 
[l'efTort  de  rédiication  sur  Thomme  hilerieur  sans  doute»  niais  sans 
oublier  que  «  Vhomme  intérieur  qu'il  s'agit  de  former  est  un  Fran«,'ais 
né  aux:  dernières  beures  du  XIX"^  siècle,  citoyen  d'une  démocratie  répu- 
blicaine ^  ».  En  unissant  ces  deux  termes  souvent  opposés,  moralité  et 
uliïile,  on  préparera  Tadaptation  de  Tenfant  au  milieu  où  il  doit  vivre. 
Ayant  pour  principe  la  dignité  de  la  personne  humaine  et  l'ohîtgaliou 
de  la  respecter  et  de  Taimer  et  pour  cadre  la  réalité  contemporaine, 
renseignement  moral  est  à  la  fois  clair  et  précis,  il  fera  voir  à  Tenfant 
les  liens  étroits  qui  Funissent  à  rhumanïté.  Loin  d*ôtre  imaginaire 
ou  dangereux»  il  apparaît  comme  facile  et  obligatoire  à  moins  qu*on 
ne  veuille,  en  invoquant  on  ne  sait  quelîe  vague  et  impersonnelle 
neutralité,  alian donner  Tenfant  à  toutes  les  suggestions  de  Tinexpé- 
rient'e  et  de  la  passion. 

Dans  le  même  ordre  d'idées  et  peut-être  avec  le  dessein  de  se 
montrer  encore  plus  conciliant  que  M.  1\  dont  la  doctrine  reste 
parfois  flottante^  M-  P.  Malapert  adresse  quelques  conseils  de  morale 
pratique  ^ujc  jeu  nés  gfens.  Quelques-uns  pourraient  les  trouver  incom- 
plets ou  môme  timorés.  Qu'il  s'agisse  du  futur  soldat  ou  du  futur 
citoyen,  de  Thomme  comme  être  moral  et  religieux  ou  entin  de  la 
conception  de  la  vie,  certains  prétendront  d'abord  regretter  que  M.  M. 
se  aoit  tenu  dans  ces  régions  moyennes  où  séjournent  les  amateurs  de 
judicieuses  généralités,  que  tout  le  monde  peut  admettre  à  condition 
que  personne  ne  soit  tenté  d'ouvrir  la  discussion.  Mais  il  faut  songer 
que?  ces  cinq  conférences  ont  été  faites  dans  un  milieu  spécial,  où 
0*était  déjà  une  hardiesse  sans  exemple  d'aborder  pareils  sujets,  et 
qu'on  y  traite  des  questions  que  le  professeur  a  généralement  dans 
nos  lycées  pour  premier  devoir  de  laisser  de  côté,  sans  doute  parce 
qu'elles  sont  essentielles.  L*essai  fait  par  M.  M,  était  donc  aussi  cou- 
rageux qu'original,  et  si  l'on  tient  compte  des  conditions  où  il  s'est 
produit,  on  doit  ajouter  qu'au  mérite  de  l'avoir  conçu,  il  a  su  joindre 
celui  beaucoup  plus  grand  de  le  mener  à  bien. 

Il  s'est  donc  trouvé  dans  notre  Université  un  professeur  pour 
rcuiiir  après  la  classe  un  groupe  d'élèves,  pour  leur  parler  sérieu- 
«emeat  et  utilement,  avec  toute*  la  diî^crétion,  mais  aussi  totîte  la  fer- 
meté voulue,  des  devoirs  qu'ils  auraient  a  remplir  dos  la  lin  de  l'année 
scolaire.  M.  I^ayot,  dans  un  très  beau  livre  dont  le  suct'és  n*est  pas 
épai&é,  avait  traité  en  partie  ces  questions  urgentes,  mais  il  écrivait. 
H.  M*  a  parlée  et  bravement,  il  s'est  garde  «  de  soua-enlendre  Tes- 
•CQliel   c.   Il   a  parlé   à  ses  élevés  comme  à   des  jeunes  gens  qu'ils 


L  V'oir  iur  celte   mû  me  question  ;  Un  cùh  de  ûonâcicuût'  pédagogique,    par 
G.  0i!loL 
f*  Léon  Uriurt^ois,  Discours  prononcé  au  Cûtieours  générd,  IS^S. 
5.  J.  (*;ijrot,  Lédticathn  di'  Ut  Volonté . 


62  lŒVUE   PHILOSOPHIQUE 

sont  OU  qu'ils  vont  être.  Au  futur  citoyen,  dans  ces  libres  et  péné- 
trantes causeries  qui  n'ont  rien  de  la  leçon  dogmatique  et  imperson- 
nelle subie  en  classe,  il  a  conseillé  le  libéralisme  qui  est  la  vérité  et  la 
justice.  Au  futur  soldat,  il  a  montré  que  «  le  patriotisme  est  une 
nécessite  au  moment  de  révolution  historique  de  l'hunianité  où  nous 
sommes  placés,  et  qu'aimer  sa  patrie  c'est  encore  le  meilleur  moyen 
d'arriver  à  aimer  l'humanité  ».  A  tous  ces  jeunes  gens  que  peut  séduire 
une  philosophie  d'antichambre,  «  bonne  pour  amuser  la  médiocrité  », 
ou  l'observation  inexacte  et  superficielle  des  prétendus  romans  psy- 
chologiques, il  a  montré  le  vérirable  prix  de  la  vie  et  prouvé  que 
l'idcul  n'est  ni  Tutopie  ni  la  chimère.  Kniin  il  s*est  trouvé  dans  l'Uni* 
versitc  un  professeur  de  morale  qui  a  pu,  sans  encourir  le  risque 
d'un  blâme  officiel,  traiter,  avec  un  tact  et  une  élévation  parfaite,  la 
question  de  la  passion  et  de  l'amour  devant  des  jeunes  gens  que  guet- 
teront dans  quelques  semaines  les  basses  séductions  d'une  licence 
excessive,  succédant  sans  transition  au  régime  déprimant  de  l'in- 
ternat. Il  a  osé.  les  inviter  à  sauver  en  eux-mêmes  l'honnête  homme 
par  le  dégoût  des  plaisirs  bas  où  se  corrompent  la  santé  physique  et 
la  santé  morale.  Il  a  rappelé  que  l'enfant  innocent  porte  la  peine  des 
excès  commis  par  le  père  et  qu'eniin  il  n'y  a  pas  lieu  de  se  poser  en 
conquérant  pour  avoir  perdu  la  vie  «  d'une  pauvre  Hlle  dont  on  obtient 
les  pronûores  faveurs  en  dupant  son  cœur  et  en  retour  de  promesses 
qu'on  sait  bien  ne  pas  devoir  tenir  ».  A  ces  fils  de  bourgeois  qui 
pensent  qu'il  faut  u  que  jeunesse  se  passe  »  et  qu'il  est  bon  que  les 
«  grisolles  »  aient  des  bâtards  pour  assurer  «  la  sécurité  des  familles  », 
il  a  .su  dire  qu'une  trahison  devient  une  lâcheté.  A  ces  futurs  lecteurs 
de  Labiche  qu  on  habitue  à  railler  «  lo  plus  heureux  des  trois  »,  il  a 
enseiïTnc  que  la  femme  des  autres  doit  toujours  nous  être  sacrée,  que 
compromettre  une  femme  est  une  vilenie,  que  rien  n'est  plus  mysté- 
rieux et  plus  délient  que  lo  cœur  d'une  jeune  tille  et  qu'on  peut  être 
gai.  joyeux  et  je.ino,  savoir  rire  et  plai>anier  sans  tomber  dans  la 
bassesse  et  la  ci>rruption.  —  La  belle  découverte,  dira  l'autre.  Et 
>L  Jourdain  lui-même,  qui  n'avait  rien  nppris.  savait  tout  cela.  Je 
ropoto  que  quatre-vingt-onze  ans  après  la  fvnulation  de  l'Université,  il 
s'est  trouvé  un  professeur  pour  tenir  ce  la:igage  à  ses  élèves,  et  le 
consigner  dans  un  petit  livre  à  rép.iiuire  p.r.îeiiî.  que  l'exemple  sera 
contagieux  et  que  pareille  initiative  morito  vrannonr  d'être  notée  et 
relevée. 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


ï.  —  Philosophie  générale 


Max  Stirnar.  L'Un!*juk  et  sa  phoi»hïkté.  —  Traduction  et  préface  de 
Htnn  Lasviçiioâ,  xxix47î  pages  lii-8«.  Parii.  Éditions  de  la  Revue 
Blùnche,  I9U0. 

Mîoc  Stinier*  mort  en  Î85r>,  a  îongtemps  attendu  ia  célébrité,  LVtten* 

Uon  il'uapubliL%  peut  élre  restreint  mais  enihouBiaste,  s'est  entîn  poinée 

sur  son  œuvrt»  et  sur  sa  personne.  Uni*  plaque  de  marbre  placée  à 

Berlin  sur  la  maison  où  ïi  est  mort  quali lie  de  «  livre  immortel  *  Tou- 

^vrmge  dont  on  noua  oITre  aujourd'hui  hi  traduction.  On  recherche  les 

notndres  ceuvrea  du  philosophe  oublié  et  Ton  travaille  à  reconstituer 

îilographie.  \L  J.  II*  Mackay,  malgré  de  louabks  eCToris,  u*y  parvient 

alinparfaUement, 

Nous  apprenons  pourtant,  dit  M.  Lasvigncs  d:ins  sa  préface,  que 

Htirner  est  né  à  Bayreuth,  en  180tl  Son  piire  meurt  bientôt,  sa  mère 

»e  remarie  et  habile  Berlîn;  lui,  reMe  dVibord  avec  son  parrain  dans  sa 

Lfitle  natale,  puis  il  suit  les  cours  de  Hegel  et  de  Schleiermacherà  TUni- 

reréilé  de  lie  ri  in,  et,  quoiqu'il  soit  vm  élève  *<  travailleur  et  appliqué  «>, 

il  jie  peut  parvenir  au  grade  de  docteur  et  s'établit  professeur  libre.  Il 

se  marie  deu\  t\tm  et  enseigne  dans  un  pensionnat  de  jeunes  Olles. 

Mais  un  peu  avant  Tapparîtion  de  m  TU  nique  t  il  quitte  ces  fond  tons 

•        ^  incompittihies  avec  la  liberté  de  ses  opinions,  Il  essaye  diverses 

-es  commerciales  qui  échouent^  se  voit  abandonné  de  sa  seconde 

femme»  et  meurt  h  cinquante  ans  d'une  piqûre  de  mouche  charbonneuse. 

Que  son  livre  soit  immorleU  il  serait  imprudent  de  rafilrmer  ailleurs 
qu«^  sur  une  plaque  commémorât ive,  mais  il  mérite  et  méritera  long- 
t4smpâ  d'i^tro  connu*  Les  défauts  li'y  manquent  pas,  il  est  beaucoup 
trop  loni^,  diffus,  trop  farci  de  bavard  a  l^'^c,  et  avec  cela,  il  est  întéres- 
aaiiil»  vigoureux,  clairet  il  nousâ*offre  surtout  ce  mérite,  auquel  j'avoue 
être  i*enmbîe,  de  nous  fournir  un  type  de  doctrine  trt'S  net  et  très 
pou^tt^*  C  est  une  systématisation  à  outrance  do  Tégoisme,  à  peine 
liépâkfée,  peut-clru,  par  quelques  légères  faiblesses,  diflicilement  évita- 
blen.  A  vrai  dire  la  d^ictrine  y  est  plutôt  afUrmée  que  démon trée* 
L'analyse  n*y  est  pas  assez  minutieuse,  ni  la  discussion  assez  pùné- 
traût«  et  assez  souple,  la  synthèse  y  e&t  trop  brusque,  mais  elle  a  une 
forme  nette  et  hardie,  et  il  est  précieux,  en  somme,  que  toutes  les  con- 
eeptiûDs  soient  poussées  à  bout,  portées  à  leur  maximum  d*intensité. 


64  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

«  Je  n'ai  mis  ma  cause  en  rien.  »  Tel  est  le  titre  du  chapitre  qui 
sert  d'introduction,  en  voici  la  conclusion  :  qui  résume  parfaitement 
Tesprit  du  livre,  et  où  Tauteur  se  défend  de  faire  sienne  la  cause  de 
rhumanité  ou  la  cause  de  Dieu  :  «  Dieu  et  Thumanité  n*ont  mis  leur 
cause  en  rien,  en  rien  autre  chose  qu'eux-mêmes.  Semblablement,  je 
mets  ma  Cause  en  moi-même,  moi  qui,  aussi  bien  que  Dieu,  suis  le 
néant  de  tout  autre,  moi  qui  suis  mon  tout,  moi  qui  suis  TUnique. 

«  tSi  Dieu  ou  Thumanitc,  comme  vous  l'assurez,  a  une  substance 
suffisante  pour  être  à  soi  tout  dans  tout,  je  trouve  que  cette  substance 
existe  bien  plus  efTectivement  en  moi  et  que  je  n'ai  aucunement  à  me 
plaindre  de  mon  «  vide  ».  Je  ne  suis  pas  le  Rien  dans  le  sens  du  vide, 
mais  le  Rien  créateur,  le  Rien  duquel  moi,  créateur,  je  tire  tout. 

«  Loin  d'ici  donc,  toute  cause  qui  n'est  pas  intégralement  ma  cause! 
Mais,  pensez-vous,  ma  Cause  du  moins  doit  être  «  la  bonne  Cause  » 
Qu'est-ce  qui  est  bon,  qu'est-ce  qui  est  mauvais?  Je  suis  moi-même  ma 
Cause,  et  je  ne  suis  ni  bon  ni  mauvais.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'ont  un  sens 
pour  moi. 

«  Le  divin  est  la  Cause  de  Dieu,  l'humain  est  la  Cause  de  l'homme. 
Ma  Cause  n'est  ni  le  divin,  ni  l'humain,  elle  n'est  pas  le  Vrai,  le  Bien 
le  Juste,  la  Liberté,  etc.,  elle  est  seulement  le  Mien,  elle  n'est  pas 
générale,  elle  est  Unique,  comme  je  suis  Unique. 

««  Pour  Moi,  il  n'y  a  rien  au-dessus  de  Moi.  a 

Et  Max  Slirner  attaque  avec  une  grande  vivacité  toutes  les  concep- 
tions supérieures  que  les  hommes  ont  pu  se  former,  il  montre  leurs 
luttes  contre  les  idoles  différentes  qu'ils  se  sont  faites  et  auxquelles 
ils  se  sont  subordonnés.  11  est  le  plus  irréductible  ennemi  de  tout  ce 
qui  tend  h  s'imposer  à  l'homme  comme  principe  directeur  de  la  con- 
duite, le  plus  impitoyable  adversaire  de  tous  les  sentiments  avec  les- 
quels les  hommes  ont  accepte  le  joug  :  le  sentiment  du  divin,  le  senti- 
ment du  sacré,  le  respect  :  «  Homme,  s'écrie-t-il,  ta  tête  est  hantée, 
tu  as  un  grain,  tu  t'imagines  de  grandes  choses,  tu  te  dépeins  tout  un 
monde  de  dieux  qui  existent  pour  toi,  un  royaume  des  esprits  où  tu 
es  appelé,  un  idéal  qui  te  fait  signe.  Tu  as  une  idée  fixe. 

«  Ne  crois  pas  que  je  raille  ou  que  je  parle  au  figuré,  quand  je  dis 
que  les  hommes  qui  se  raccrochent  à  quelque  chose  de  supérieur  sont 
des  fous  véritables,  des  fous  à  lier;  comme  pour  l'immense  majorité 
des  hommes,  il  en  est  ainsi,  l'humanité  entiore  m'apparait  comme  une 
maison  de  fous,  a  Qu'appelle-t-on  idée  lixe*/  »  une  idée  qui  s'est  assu- 
jetti f  homme.  Si  vous  reconnaissez  dans  cette  idée  fixe  une  folie,  vous 
enfermez  son  esclave  dans  une  maison  de  fous.  Or  la  vérité  de  la  foi 
dont  on  ne  doit  pas  douter,  la  majesté  du  peuple,  par  exemple,  à 
laquelle  on  ne  doit  pas  toucher.  —  celui  qui  le  fait  commet  le  crime  de 
lèse-majesté  ;  —  la  vertu,  contre  laquelle  la  censure  défend  le  moindre 
mot  afin  que  la  moralité  se  conserve  pure,  ne  voilà-t-il  pas  des  «  idées 
fixes  »?...  Moi,  je  ne  crains  pas  d'être  maudit  et  je  vis  :  mes  frères 
sont  fous  à  lier.  Qu'un  pauvre  fou  dans  une  maison  de  santé  soit  pos- 


ANALTSES.    —    MW  STIItNER.    Vunlque  et  SU  p/'opHété,  60 

sédë  dû  In  manie  de  se  croire  Dieu  le  Père,  Tempereurdu  Japon  ou  le 
Saint* l^sprit,  ou  qu'un  dtoyen  paisible  s'imagine  que  sa  destinée  est 
d'ôti  e  bon  ob rétien,  protestant  zélé,  oitoyen  ïoyal,  homme  vertueux,  etc., 
c*e8t  la  seule  et  même  idée  Qxe.  » 

h^  première  victoire  de  l'égoigme  avait  été  de  vaincre  le  monde,  les 
anciens  en  avuteni  tîni  avec  Uii^  mais  le  maître  du  monde  n'a  pas  su 
être  le  raailre  de  I  esprit;  Tesprit  est  ?acré  encore,  supérieur»  saint,  le 
ehrciien  qui  s'es^t  déhvré  du  monde  ne  peut  pas  se  délivrer  de  Dieu. 
«  Depuis  bientôt  deux  mille  ans  nous  trav  ullons  à  soumettre  le  Saint- 
Esprit,  nous  hn  avon<i  peu  à  peu  arraché  des  fragments  do  sainteté 
que  nous  ^vons  foulés  aux  pieds,  mais  le  gigantesque  adversaire  se 
redresï^e  toujours,  il  reparait  sous  des  formes  et  des  noms  différents,  m 
Comme  espHi  de  rhununiLê,  comme  -*  esprit  de  l'homme  j&,  il  nou?^  re^^te 
toujours  ëtrang-er  et  supérieur  au  lieu  de  devenir  notre  propriété.  Le 
8^nt> Esprit  est  devenu  à  travers  millti  transformations  ir  i*idée  absolue  a 
qut^  de  nouveau,  s* est  fragmentée  et  r<îSo!u6  entre  les  diverses  idées 
d'amour  de  Thumanité,  de  raison,  de  vertu  civique.  Et  tout  cela  cré© 
de  nouveaux  obstacles  à  la  satisfaction  de  nos  désirs  et  de  nos  besoins, 
«C  noua  vénérons  ces  obstacles.  Nous  ne  pouvons  vivre  qu'en  les  res- 
pectant^ nouH  ne  savons  rien  prendre  qui  ne  nous  soit  accordé,  rien 
penser  qui  ne  soit  conforme  à  l'ordre,  nous  ne  devons  concevoir  auuune 
kâm^  dire  aucune  parole,  commettre  aucune  acilon  qui  trouve  en  soi 
L  Sanction  unique  au  lieu  de  la  recevoir  de  la  morale,  de  la  raison  et 
de  rhumanite...  a  Autour  de  l'aulel  se  voûte  une  église  dont  les  murs 
ê^ecartentde  plus  en  plus.  Ce  qu*îls  enferment  est  sacré.  Tu  ne  peux 
plus  y  toucher*  Hurlant  de  faim^  tu  erres  autour  de  ces  murs  à  la 
rechercha  d'un   peu   de   profane   et  toujours  le  cercle  de  ta  course 
a>£*graiidtt.  Bientôt  cette  église  recouvre  toute  la  terre  et  te  voilà 
îl^fHïUssé  à  rextrêrae  bord;  encore  un  pas  et  le  monde  du  f«acré  a 
[vaincu  :  tu  disparais  dans  labime.  C*est  pourquoi^  prends  courage, 
|D*erre  paa  plus  longtemps  dans  te  profane  sur  lequel  la  faux  a  déjà 
Ppassé,  risque  le  saut^  rue  toi  sur  les  portes  et  précipite  toi  dans  le 
[«snotuaire.  Quand  tu  auras  dévoré  la  chose  sacrée,  lu  Tauras  faite 
[tienne.  Digère  Thostie  et  tu  en  seras  délivré!  n 

Donc  ne  gardons  rien  de^i  antiques  respects,  n'acceptons  plus  comme 

or  de  bon  aloi  la  fausse  monn^iie  de  convention  que  la  sot^iété  uoua 

impose,  et  ne  croyons  pas  davantage  aux  mots  dont  quelques-uns  s'en- 

chailtent  et  qui  ne  servent  qu*à  nous  duper.  La  liberté  politique,  par 

bttxemple»  cela  veut  dire  que  l'État  est  libre^  liberté  religieutse,  que  la 

l  religion  est  libre,  liberté  de  conscience,  que  la  conscience  est  libre 

•  et  pa^  du  tout  que  je  suis  libre  de  l'Etat,  de  la  religion,  de  la  cons- 

ei^nce»  que  j'en  suis  affranchie  l^Ille  ne  signifie  pas  ma  liberté,  mais  la 

liberté  d'une  puissance  qui  me  domine  et  me  contraint;  elle  signilie 

I  ^u'qh  de  nos  tyrans,  État^  religion,  conscience^  est  libre^  Eiat,  reli- 

LflOfli  conscience,  ces  despotes  me  font  leur  esclave  et  leur  liberté  est 

ma  nervitude.  »  Même  la  liberté  individuelle  n'implique  nuUemcnt  que  je 

TOME  L,  —  (900.  h 


66  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

prenne  une  détermination  personnelle  absolument  libre,  mais  seulement 
mon  indépendance  à  Tégard  des  personnes,  non  à  l'égard  de  la  loi. 

Bien  entendu  si  Max  Stirner  fait  entendre  des  revendications  vio- 
lentes, ce  n'est  pas  sur  un   «  droit  »  qu'il  s'appuie.  Il  n'a  pas  assez 
de  mépris  pour  en  accabler  cette  conception,  et  volontiers  on  le  sent 
prêt  à  prendre  le  parti  des  oppresseurs,  s'ils  sont  attaqués  au  nom 
d'un   droit  quelconque.  Ou,   si   Ion  préfère,  le    droit  pour  Stirner 
se  confond  avec  la  puissance,  avec  le  fait.  Les  principes  révolution- 
naircs,  communistes,  comme  les  principes  bourgeois,  reposent  sur  une 
conception  religieuse,  c'est-à-dire  fausse.  Voici  la  vérité  :  «  Je  tire  tout 
droit  et  toute  justification  de  moi.  J'ai  le  droit  de  faire  tout  ce  que  j*ai 
la  puissance  de  faire.  J'ai  le  droit  de  renverser  Zeus,  Jéhovah,  Dieu,  etc., 
si  je  le  puis;  si  je  ne  le  puis  pas,  ces  Dieux  subsisteront  en  droit  et 
en  puissance  à  rencontre  de  moi;  mais  moi  je  tremblerai  devant  leur 
droit  et  devant  leur  force,  anéanti  «  par  la  crainte  de  Dieu  »,  j'ob- 
serveriii  leurs  commandements  et  je  croirai  agir  suivant  le  droit  en 
agissant  suivant  leur  droit...  Les  seules  choses  que  je  n'ai  pas  le  droit 
do  faire  sont  celles  que  je  ne  fais  pas  d'un  esprit  libre,  c'est-à-dire  que 
je  n'ai  pas  droit  aux  choses  auxquelles  je  ne  me  donne  pas  droit.  Je 
décide  si  on  moi  c'est  le  droit;  hors  de  moi,  il  n'y  a  pas  de  droit.  Si  c*est 
juste  pour  moi,  c'est  juste.  Il  est  possible,  pour  cette  raison,  que  ce  ne 
soit  pas  juste  pour  les  autres;  c'est  leur  affaire  et  non  la  mienne,  qu'ils 
se  défendent.  Lit  si  quelque  chose  n'étant  pas  le  droit  pour  le  reste  du 
monde,  l'était  pour  moi,  c'est-à-dire  si  je  le  voulais  ainsi,  je  n'irais  pas 
interroger  le  monde.  Aiui^i  agit  quiconque  sait  s'estimer,  ainsi  agit 
chacun  dans  la  mesure  où  il  est  égoiste,  car  la  force  passe  avant  le 
droit  et  cela  do  plein  droit,  u  Aussi  est-il  vain  de  réclamer  des  droits 
naturels,  des  droits  innés,  des  droits  égaux  pour  tous.  Et  il  n'est  pas 
utile  d'ailleurs  de  réclamer  des  droits  acquis.  Celui  qui  a  la  force  a  le 
droit,  ou  celui  qui  sait  faire  reconnaître  son  droit  par  les  autres.  Si  on 
accorde  aux  nouveau-nés  le  droit  à  roxistence,  ils  ont  ce  droit,  si  on 
le  leur  refuse,  comme  faisaient  les  Spartiates,  ils  ne  Tout  pas  ». 

Avec  la  notion  du  droit  se  transforme  la  notion  du  crime.  Le  prêtre 
reproche  au  criminel  d'avoir  méconnu  l'injustii^e  consacrée  par  l'État, 
la  propriété.  Il  ferait  mieux  de  lui  ropivsonter  qu'il  s'est  souillé  en 
considérant  le  bien  d'autrui  comme  digne  d'être  volé,  a  Causez  avec 
celui  qu'on  appelle  u  un  criminel  »  comme  avec  un  égoïste  et  il  aura 
honte  non  pas  d'avoir  attenté  à  vos  lois,  à  vos  biens,  mais  d'avoir  tenu 
vos  lois  pour  dignes  d'être  tournées,  vos  biens  pour  dignes  d'être 
désirés*..  Mais  vous  ne  pourrez  parler  avec  lui  >ur  le  ton  égoïste,  car 
voua  n*ctes  pas  aussi  grands  qu'un  crimineK  vous  n'attentez  à  rien. 
Vous  ne  savez  pas  qu'un  moi  propre  ne  peut  être  autre  chose  que 
oriminel,  que  le  crime  est  sa  vie.  El  cependant  vou>  devriez  le  savoir 
car  vous  croyez  m  que  nous  sommes  tous  pécheurs  ■ .  Mais  vous  pensez 
voua  étourdir  sur  le  péché,  vous  ne  conoeve/  pas  —  car  vous  êtes 
peureux  ea  diable  —  que  la  faute  fait  la  valeur  de  l'homme.  O  si  vous 


ANALYSES.  —  M\x  STiRNER,  L'unique  ef  sa  prùpriéié.        67 

étîeaîooupablesl  Mais  voua  n'êtes  que  des  k  jasles  »-  Alors  contentez- 
V0119  Ûe  satisfaire  votre  maître,  t^ 

Ce  ù'esi  pas  non  plus  au  nom  de  la  nature  êBsentielle  de  Tliomme,  ou 
d*un  idoal  humain  que  Max  SLirner  prêchera  ia  révolte.  Personne  nest 
plus  ennemi  que  lui  des  abstractions  et  de  l'idéal.  «  Il  est  nécessaire 
que  je  ne  revendique  pïus  rien  comme  homme,  dit-il,  mais  que  je 
réclame  tout  en  quai î tu  de  Moi,  ce  Moi  que  voilà;  par  conséquent  je 
ne  dois  rien  reveudiquer  d'humain,  mais  seulement  ce  qui  est  mien. 
Je  ne  dois  pas  rechercher  ce  qui  me  revient  comme  homme,  mais  ce  que 
je  veux,  et  parce  que  je  le  veux,  »  Et  il  ne  s'ai^it  nullement  de  recher- 
cher ce  qu'est  essentiellement  rhumanité,  et  de  vouloir  la  développer 
oonformément  à  Tidéal  que  nous  nous  serions  ainsi  formô.  Ce  n'est 
pa^  l'homme  qu'il  (aut  considérer,  c'est  le  Moi»  et  il  ne  faut  pas  cher- 
cher  à  le  rendre  plus  humain^  maia  le  débarrasser  de  tout  ce  qui  gêne 
mon  expansion,  L*  a  homme  »  n'est  qu'un  idéal,  Tespèce  n'existe  que 
dans  ma  pensée.  Ma  tache  n^est  pas  de  réaliser  le  concept  général  de 
l'homme,  mais  de  me  sufiire  à  moi -môme.  C'est  moi  qui  suis  mon 
espèce,  je  n*aï  ni  norme,  ni  loi,  ni  modèle,  ni  autres  bornes  du  même 
genre.  Que  je  considère  rhumanité,  l'espèce,  comme  un  idéal  vers 
lequel  je  dois  tendre,  ou  que  je  fasse  le  même  effort  vers  Dieu  oa 
Christ»  cela  revient  au  même.  Tout  au  plus  peut-on  dire  que  Tan  des 
jdéals  est  plus  déformé  que  Tautre,  "  De  même  que  Tindividu  est  toute 
la  nature»  de  même  il  est  toute  Tespèce*  »  Ne  demandons  pas  à 
Thomme  de  devenir  plus  réellement  humain-  a  Je  suis  homme  absolu- 
meal  comme  la  lerre  est  une  étoile^  11  serait  aussi  ridicule  dlmposer  à 
la  larre  d'être  une  «  étoile  véritable  «  que  de  me  charger  de  la  mission 
cTètre  un  homme  véritable.  » 

tl  ne  saurait  même  être  question,  à  proprement  parler»  d'améliorer 
son  moi,  de  le  rendre  plus  conforme  à  n'importe  quel  principe,  a  Si  la 
religion  a  établi  ce  principe  que  nous  sommes  tous  pécheurs,  je  lui 
oppose  celui-ci  :  nous  sommes  tous  parfaits.  Car  nous  sommes  à  tout 
mstant  ce  que  nous  pouvons  être  et  nous  n'avons  jamais  besoin  d'être 
plus*  Comme  il  ny  a  aucune  lacune  en  nous,  le  péché  n'a  aucun  sens. 
Montrez-moi  encore  un  pécheur  au  monde  si  personne  n'a  plus  à 
ftAii#falre  à  un  être  supérieur.  Si  je  n*ài  qu*à  me  contenter  moi-même, 
ja  ne  suis  pas  pécheur  quand  je  ne  le  fais  pas»  car  je  ne  blesse  en  moi 
Keti  de  sacré-  *i  Donc  nous  sommes  tous  parfaits  et  il  n'y  a  point  de 
péebeur,  seulement  comme  il  y  a  des  fous  qui  croient  être  Dieu,  de 
oièfne  il  y  a  des  sots  qui  croient  être  pécheurs.  Mais,  dira-t^on,  leur 
(otiB  ou  leur  possession  est  du  moins  un  péché.  Leur  possession  n'est 
pas  autre  ebosij  que  ce  qu'ils  sont  parvenus  à  atteindre;  elle  est  le 
r«daltat  de  leur  développement,  comme  la  foi  de  Luther  en  la  Bible  fut 
précisément  tout  oe  qu'il  put  trouver,  ut 

lin  peut  se  demander  ce  que  deviennent  les  rapports  des  individus 
entre  eux,  Max  Sllrner  les  règle  assez  logiquement  en  conformité  avec 
U  principe  de  «  TU  ni  que  s.  Peut-être  se  débarrasse*t-il  un  peu  facile- 


revue:  PtllLÛSOPHlQtJË 

ment  de  ropposiUan,  «  1 /opposition  dernière  et  catégorique,  celle  d© 
rindividu  contre  Tiiidividu,  dépasée  au  fond  ce  qu'on  appelle  opposi- 
tion, mais  î^ane  retoîi)ber  dans  «^  J 'unité  »  et  l'hurmonie*  Comme  éire 
unique  tui  n*as  plog  rien  de  rommun  avec  un  autre,  plu-i  de  sépHraiioti 
€u  dhûstiliié...  L'opposition  disparaît  dans  la  séparation  absolue,  dans 
Tindividualité.  « 

A'^ssi  il  ne  faut  pas  aspirer  à  la  vie  commune  mate  à  U  vie  à  part. 

Ne  cherchons  pas  la  société  la  plus  vaste,  mais  «  ne  cherchons  en 
autrui  que  des  moyens  et  des  org-anes  dont  nous  usons  comme  de  noire 
propriété.  Dana  Tarbre  et  dans  la  béte  nous  ne  voyons  pas  nos  égaux, 
îl  en  est  de  même  de  nos  eemblablee.*.  Aucun  n'est  pour  moi  une 
per&onne  que  je  respecte*  pas  même  un  semblable,  il  est  absolument 
comme  tnus  les  autres  êtres  un  objet  pour  qui  j'ai  de  la  sympathie  ou 
non,  un  objet  intéressant  ou  inintéressant,  un  sujet  utilisable  ou  non*  * 
El  nous  voyons  ce  que  devient  l'association;  si  je  puis  utiliser  un  autre 
homme,  je  m'entends  avec  lui.  je  renforce  ainsi  ma  puissance»  Je  ferai 
plus  avec  lui  que  je  ne  puis  faire  sans  lui,  mais  «  dans  cette  action 
commune  je  ne  vois  absolumetit  pas  autre  chose  qu'une  multiplication 
de  ma  lurcetft  jene  la  maintiens  qu'autant  qu'elle  est  une  augmentation 
de  n>a  force  *.  1/amour,  rafîeclion  sont  naturellement  aussi  rattitchés  à 
réGoisme.  Hi  j*aime  les  hommes  «  je  les  aime  avec  la  conscience  de 
régoLsme,  je  les  aime  parce  qu'ai nrer  m'est  naturel,  me  plait.  Je  ne 
connais  pas  de  *  commandement  de  Tamour  a...  Tu  n'es  pour  moi  que 
mon  aliment,  bien  que  moi  au^si,  je  sois  usé  et  consomme  par  loi. 
Nfiua  n'avouî^Tun  pour  Tautre  qu'uti  rapport»  celui  d'utilité^  de  prolit. 
d'avantag*».  Nous  ne  nous  devons  rien  1  un  à  Fautre»  car  ce  que  je  parais 
te  devoir  c'est  tout  au  plus  si  je  le  dois  à  moi-môme.  » 

Ces  derniers  mois  peuvent  parai  ire  un  peu  compromettants  pour 
la  doctrine.  Reconnaître  des  devoirs  envers  ïe  Moi»  c'est,  sembie-t-il, 
retouibrr  dans  une  des  habitudes  que  fauteur  a  si  vivement  combat- 
tues. Main  il  revient  âur  la  question,  un  peu  brièvement  d'aitleurB,  et 
paraît  rentrer  dans  la  logique  du  système*  Je  n*ai  «  envers  moi  un 
d€%^gîr,  dit-il  ^par  exemple  celui  de  la  conservation  personnelle,  qui 
entndne  Tinterdiction  du  suicide)  que  tant  que  je  me  distingue  de  moi 
(que  je  sépare  mon  âme  immortelle  de  mon  être  terrestre,  etc.)  »- 

La  conclusion  générale  de  tout  cela  est  nette  et  franche  :  «  A  quoi 
tend  mon  conimerce  avec  le  monde?  Je  veux  jouir  du  monde  parce 
qu'il  est  ma  propriété^  et  c*est  pourquoi  je  veux  le  gagner.  Je  ne  veux 
pas  la  liberté,  régalité  des  hommes;  je  veux  seulement  avoir  mon 
pouvoir  sur  eux,  je  veux  en  faire  ma  propriété»  c'est-à-dire  je  veux  les 
faire  tels  que  je  puisse  en  jouir.  Et  si  la  chose  ne  me  réussit  pas  je 
m'atlrihue  alors  le  pouvoir  de  vie  et  de  mort  que  l'Église  et  TEiat  se 
réservaient,  je  le  nomme  mien.*.  Mon  commerce  avec  le  monde  con- 
siste a  en  jouir  et  à  en  tirer  parti  pour  masalisfacLion  personnelle.  Ce 
commerce  se  ramène  à  ma  jouissance  personnelle^  ^ 

L'ouvrage  de  Max  Stirner  se  recommande  surtout  à  notre  intérêt  par 


Tum^w  et  ita  pmprtété.        69 

routf«nce  de  rindivi dualisme,  de  Ti^goîsme  et  Voutrance  du  réalisme. 
Au  point  de  vue  phiio50phii:îae  son  livre  aurait  beaucoup  ^agné  à  être 
pîiia  serré*  plus  oonets»  et  plus  r.^îaonné,  mais  il  aurait  peut-être  moins 
de  vie  apparente*  Les  deux  tendances  qu'a  doveloppéea  et  syaiérajtLiHéea 
I  auteur  sont  exactement  opposne«  h  ceile>î  que  les  morales  Ont  Thabi- 
tude  de  recommander.  Si  Max  Slirner  ne  les  a  pas  rendues  plus  acoep- 
tables,  il  a  au  moins  tâché  de  les  montrer  dan»  toute  leur  force,  et  peut- 
être  a-t'd  sinon  prouvé,  du  moins  fait  sentir  quelles  puissances  elles 
constituent  et  quels  droite  elle;;  peuvent  acquérir  si  Tan  se  place  à  un 
même  point  de  vue  que  le  sien. 

S<*n  éçrofsme  n^est  pas  tout  à  fait  le  pe^idant  de  ridéalisme  subjectif 
métaphysique.  On  poorrait  fonder  un  égoîsme  moral  Pur  le  subjecti* 
vîsme  philosophique,  on  pourrait  aussi  exposer  un  individualisme  abâolti 
qui,  sans  découler  absolu  ruent  du  ^ubj(*etivisme  philosopht.j|ue,  en  serait 
exactement  Tanalogue.  On  montrerait,  par  exemple,  que  tous  no^^  actes 
étant  déterminés  par  nos  propres  tendances  se  rapportent  à  nous,  qae 
Oouls  ne  pouvons  pas  plus  sortir  de  nous  par  Tactionque  par  ta  pensée» 
que  toute  morale  comme  toute  métaphysique  laissent  en  somme  Tindi- 
vido^  le  moi,  en  Ternie  en  lui-même.  L'égoisme  de  Max  Burn  r,  quoique 
pouvant  admettre  cette  manière  de  voir,  est  plus  brutal,  moins  meta» 
physique  et  moins  subtih 

Mais  comme  Tégnisme  métaphysique,  li  consiste  peut-être  e*»sentielle' 
ment  à  po«er  le  problème  cornme  il  ne  faut  pas  le  poser,  à  ériger  le  moi  en 
absolu,  à  l'iibs traire  de  la  ré-ilité  concrète  dont  il  fait  partie,  et  que  nous 
connaissons  peut-être  (au  point  de  vue  méLtphysique)  aus^^i  directe- 
ment que  lui,  en  ce  sens  qne  nous  ne  connaissons  n  directement  j*  ni 
l'un  ni  r^utre.  C'est  sur  ta  légitimité  de  cette  opération  que  la  discussion 
peut  porter.  Car  s^il  est  prouvé  que  le  moi  n'a  pas  sa  raisfm  d'être  en 
lui-même»  ni  le  rondement  ni  peut  être  mt^me  lesnence  de  sa  réalité, 
♦  si  nous  considérons  Tensembiedes  choses  à  un  point  de  vue  objectif,  et 
^Ic  moi  dans  ses  rapports  avec  tout  ce  qui  Tentoure,  autres  individus, 
groupes  sociaux,  animaux  mêmes  et  monde  physique  en  i^éuéral,  Tindi- 
viduaiisme  n'est  plus   défendable  comme  théone  absolue,  lies  te  donc 
simplement  à  savoir  quel  est  le  point  de  vue  qui,  au  point  de  vue  des 
sciences  positives  et  de  la  science  morale^  se  justiHe  le  mieux,  Max 
Btirner  nàturellenient  ne  s'e-^t  pas  précisément  posé  cette  question.  Il 
ra  puriDut  atlirmé  son  moi.  Cela  rend  la  réfutation  plus  difficile,  mais 
o'est  «implement  parce  que  le  procédé  n'est  ni  scientillque  ni  philoso- 
phique* Tout  au  plus  peut-il  être  une  occasion  de  philo^^opher,  comme 
Isa   arguments   populaires  coutre  limmàttiTi^lisme,  avec  lesquels  il 
li*<eat  pas  sans  quelque  ressemblance,  quoique  dirigé,  en  somme,  dana 
lUti  sens  opposé.  Ces  arguments  ici  correspondraient  plus  rigoureuse* 
'  ment  à  l'mtervcntiou  des    geodarmes    que    la   société   charg^erart   de 
réfuter  une  théorie  égoïste  traduite  pnr  des  actes  maladroits  et  qui 
fie  prouverait  pas  plus  que   ces   actes   ou   les  affirmations  qui   les 
[.liispi rirent.  Mais  cette  allirmation  de  rindividu  et  de  ses  désirs  est 


70  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

intéressante  à  titre  de  fait  et  peut  suggérer  bien  des  réflexions  sur  la 
iséparation  essentielle  des  hommes,  sur  tout  ce  qu*il  y  a  d'artificiel  et 
de  contradictoire  pcut-ôtre  dans  leurs  associations,  et  aider,  par  sa 
netteté  même  et  sa  carrure,  à  mieux  poser  et  à  mieux  entendre  les 
problèmes  qu'elle  ne  résout  pas.  A  un  étage  de  généralisation  infé- 
rieur, Max  Stirner  peut  être  bon  aussi  pour  aider  à  combattre  ce  qu'il  y 
a  de  suranné  dans  notre  organisation  actuelle.  Mais  en  somme  ce  ne 
serait  là  pour  lui  qu'un  petit  côté  de  la  question. 

Son  réalisme,  il  a  taché  aussi  de  le  faire  aussi  absolu  que  possible. 
Mais  vraiment  il  lui  est  bien  difficile  de  maintenir  sa  position.  On  le 
voit  vaciller  et  faiblir  parfois.  Lorsqu'il  reproche  aux  hommes  de  ne 
pas  oser,  de  ne  pas  être  criminels,  lorsqu'il  les  exhorte  à  la  révolte  et 
à  Tégoîsme,  il  parait  bien  leur  indiquer  un  idéal  qu'il  considère  comme 
supérieur  et  qui  ne  s'accorde  pas  très  bien  avec  ses  affirmations  tran- 
chantes au  sujet  du  fait  et  du  droit,  au  sujet  de  l'homme  idéal  et  de 
Thomme  réel.  Je  suis  de  nature  un  «  homme  vrai  »,  dit-il.  «  L'homme 
vrai  n'est  pas  l'objet  d'une  aspiration,  ce  n'est  pas  dans  l'avenir  qu'il 
se  trouve,  mais  il  est  existant  et  il  réside  réellement  dans  le  présent. 
Qui  et  en  quelque  état  que  je  sois,  plein  de  joie  ou  de  douleur,  enfant 
ou  vieillard,  confiant  ou  incertain,  dormant  ou  éveillé,  je  le  suis,  je 
suis  l'homme  vrai.  »  Et  ceci  est  le  réel  opposé  à  l'idéal,  et  même  la 
suppression  de  l'idéal.  Mais  quelques  pages  plus  loin  on  lit  :  «  Tant  que 
je  ne  suis  pas  pour  moi  la  chose  principale,  peu  m'importe  l'objet  pour 
lequel  je  m'agite  et  c'est  seulement  le  crime  plus  ou  moins  grand  que 
je  commets  contre  lui  qui  est  dMmportance.  Le  degré  de  mon  attache* 
ment  et  de  mon  dévouement  donne  la  mesure  de  ma  servitude,  le  degré 
de  mon  péché  donne  la  mesure  de  mon  individualité.  »  Et  s'il  n'y  a  pas 
contradiction  formelle,  voici  bien  cependant  l'idéalisme  qui  reparaît,  car 
cette  individualité  opposée  ainsi  à  la  servitude,  c'est  une  réalité  sans 
doute  opposée  à  une  autre,  mais  c'est  aussi  une  réalité  préférée,  une 
réalité  dont  la  généralisation  se  propose  comme  un  idéal,  un  idéal,  si 
l'on  veut,  d'espèce  singulière,  mais  cette  singularité  importe  très  peu 
au  problème  général  qui  n'en  est  nullement  modifié. 

Aussi  bien  il  est  diticile  quand  on  regarde,  même  très  peu,  la  nature 
humaine,  de  parler  longtemps  de  la  perfection  de  l'homme  et  de  ne  pas 
voir  tout  ce  qu'il  renferme  de  contradictions,  de  désirs  qui  se  heurtent, 
de  tendances  qui  se  combattent  et  représentent  soit  sa  nature  propre, 
soit  dos  choses  supérieures  à  lui,  soit  des  réalités  inférieures.  Mais 
laissons  ces  considérations  qui  nous  entraîneraient  trop  loin.  La  lutte 
seule  suffit  à  montrer  notre  besoin  d'y  mettre  fin,  par  conséquent  l'uti- 
lité d'un  idéal  quelconque  (égoïste,  altruiste,  désintéressé,  philoso- 
phique, religieux.  etc.>  qui  nous  représente  l'issue  désirée  de  la  lutte  et 
doit  nous  servir  ;\  tâcher  d'y  mettre  lin.  Si  d'ailleurs  nous  désirions  la 
continuer  ce  serait  encore  pour  quelque  raison  qui  serait  aussi  un 
idéal.  Le  désir  même  est  déjà  un  rudiment  d'idéal,  une  tendance 
plus  ou  moins  grossière  âriiarmonie.  Kl  une  fois  l'idéal  admis  sous  ses 


AJIALTSES.  —  SCRIPTURE.  Studiûs  fwm  ike  Yahs  P&yckological  71 

formes  les  plus  inférieures  on  ne  voit  guère  de  raison  de  se  refuser  a 
econnaitre  les  autres.  Seule  une  vie  absolument  pr^rfaite  permettrait 

rdesupprtmerridéali  parce  qu*il  se  confondrait  avec  le  réeL  Maïs  ce  n'est 
là  qu*un  rêve  et  puis  le  réel  ne  lut  survivrait  peut-être  pas.  Mitx 
Êtirner  a  coaibattu  ridéal,  parce  qu'il  en  a  rencontré  des  théories  qui 
lai  ont  deplu^  et  qui  n'étaient  sans^  doute  pas  sans  reprocheî?.  Mais  il  n'a  paâ 
TU  clairement  ce  que  c'était  au  fond  que  Tidéal  et  il  n'a  pas  su  analyser 
convenablement  les  données  du  problème*  L'idéal  eât»  en  tant  que  ten- 
dance, une  partie  du  réel^  et  MaxStirner,  que  Ton  sent  d'ailîeurg  n'avoir 
pu  g  en  dcfaire  autant  que  sa  théorie  l'exigeait,  lui  aura  peut-être 
rendu  service  en  exaltant  le  réel  seul.  Et  sï  d'ailleurs  il  pouvait  rap- 
peler les  esprits  à  la  L-ompréhension  de  la  réalité  concrète  et  même  de 
la  réalité  grossière,  cela  ne  serait  pas  encore  un  mauvais  service  qu'il 

^aous  aurait  rendu  *. 

Fiu  Paulhan, 


H.  —  Psychologie  expérimentale. 

E  Scrlpture  :  Btudees  fhom  tue  Yale  Psîghologiiial  LaBOuatûry 
iTrm^iiux  fia  hborMoirt^  de  Psychotogie  (Je  Yak),  vol,  VI,  1898,  Yale 
University,  New-Haven,  Conn. 

.4  color  illusion  (G.Tr,  Ladd),  p,5,  —  îiesêarches  in  cross-education 
(W*  Davis),  p.  6-Ô0.  —  Hesearches  in  prnciice  and  habit  (S.  Johnson), 
p.  âf-lOIi. 

Ce  nouveau  volume  annuel  comprend  surtout  des  études  sur  les  mou 
vementHetsur  Téducation  musculaire*  Les  quelques  pages  consacrées 
par  M.  T,  Ladd  à  une  illusion  de  couleur*  ne  sont  qu'une  note 
appelant  d'autres  recherches  :  en  llxant  longLeraps  une  surface 
cùiorée  qui  porto  des  intervallea  blancs  ou  une  lettre  de  couleur 
dilTérenlej  pourquoi  voyoua-nous  peu  h  peu  disparaître  les  intervallea 
et  la  lettre  virer  au  ton  du  fond^  surtout  quand  c'est  du  rouge  sur  du 
vert,  etc. 'if  ^ —  C*est  une  illusion  qui  se  présente  certainement  dans  la 
vie  courante  :  reste  à  l'expliquer,  et  \L  T.  Ladd  en  présente  une 
hypothèse  (substitutions  du  pourpre  rétinien)  pour  laquelle  lui-môme 
demande  des  vériticattons  ultérieures*  La  question  est  donc  ouverte. 

M.  Davis  s'est  appliqué  à  élucider  la  question  de  1  éducation  alterne 
du  cftté  droit  par  l'exercice  du  côté  gauche  et  inversement*  Aprèrf 
â%'oir  indiqué,  au  début  et  à  la  Hn  de  son  travail,  les  recherches  analo- 
gues testées  depuis  Fecbner,  il  aborde  le  sujet,  et  Tétudie  très  métbo^ 
itiquement* 

I.  Ce  comple  rendu  était  écrit  lorsqu'il  noîis  est  arrivé  une  autre  traductioa 
ée  rrpuvre  ite  Max  Stiriief.  Celle-ci  est  faite  p»r  M.  R.  L.  Leclaire  et  publiée  en 
tjn  volume  in-t^  de  la  iiibtiothrque  focioloiflque^  chGZ  iK  V*  Stock.  Elle  est  pré- 
^r^ée  d*unc  prérace  inlL^rcisante  du  traducteur. 


72  URVIE    PHILOSOPHIQUE 

Un  premier  appareil  lui  a  servi  à  mesurer  par  des  séries  de  mouve- 
ments analogues  à  ceux  du  télégraphe,  Tinfluence  de  Texercice  sur  les  . 
mains  et  les  pieds  :  il  a  pu  noter  ainsi  comment  se  lâisait  le  travail 
d*édiicntion  et  quelles  phases  il  suivait,  combien  de  temps  il  persistait. 

Ceci  fait,  il  a  abordé  son  sujet  :  comment  Tactivité  d'un  côté  du 
corps  peut-elle  réagir  sur  le  développement  de  Tautre  (à  son  grand 
profit,  d  ailleurs,  sans  quoi  trop  de  gens  ne  seraient  développés  que 
d'un  côté). 

Dans  une  première  série,  Texercice  consistait  simplement  en  mouve- 
ments de  flexion  (p.  19),  parfois  avec  des  haltères.  On  a  mesuré  Taccrois- 
sement  en  volume  (tour  do  bras,  etc.),  en  résistance  à  la  fatigue  (taux 
des  mouvements  avant  et  après  la  fatigue),  en  force  (pression  du  dyna- 
momètre). En  tous  les  cas,  l'autre  côté  du  corps  a  bénéficié  largement 
des  progrès  accomplis  par  le  côté  exercé. 

Une  autre  série  a  été  consacrée  à  examiner  la  précision  des  efforts 
volontaires  :  Tappareil  consistait  en  une  sorte  de  cible  où  frapper  au 
centre,  les  écarts  mesurant  Terreur  (p.  30).  Là  encore  Texercice 
am<'liorait  non  seulement  la  main  exercée,  mais  encore  l'autre; 
amélioration  d'autant  plus  sensible  que  cette  main  était  plus  inape  : 
ainsi  les  tireurs  habitués  k  se  servir  de  la  main  gauche  progressaient 
moins  que  les  autres.  —  Cependant  Tamélioration  à  gauche  ne  dopasse 
jamais  certaines  limites  et  cette  main  semble  décidément  moins 
éducable  que  la  droite  (p.  33).  Souvent  les  points  où  atteint  le  tireur 
ont  une  tendance  à  former  des  groupes  très  distincts  :  cela  tiendrait, 
d'après  M.  Davis,  au  développement  particulier  de  certains  muscles 
qui  intluentsur  l'orientation  du  mouvement  vp    -H). 

Enlin,  pour  contrôler  les  expériences  ci-dessus,  M.  Davis  a  cherché 
quels  progrès  ferait  la  m^in  droite  s*exerçant  avec  Tautre  ou  avec  le 
pied,  ou  bien  s*exer*;ant  seule.  Oônôralement,  il  y  a  profit  à  l'exercer 
seule  :  mais  en  la  faisant  agir  avec  les  autres,  il  semble  que  son  habileté 
puisse  se  développer  encore  plus  que  quand  elle  agit  seule. 

Reste  1  interprétation  de  ces  faits  :  après  les  avoir  rapprochés  des 
faits  analogues  observés  dans  Tétudc  des  temps  psychiques,  dans 
l'examen  de  récriture,  en  pathologie,  etc..  sans  parler  des  ophtalmies 
8ympathi.|ues  et  d'autres  faits.  M.  Davis  conclut  qu'il  y  a  là  une 
inlluence  physiologique  et  une  intluence  mentale  :  le  progrès  résulte 
à  la  lois  du  développement  de  l'attention  et  de  l'organisation  plus 
jparfaite  des  centres  cérébraux. 

Quelle  intluence  exerce  la  pratique  sur  la  vitesse  et  la  régularité  de 
certains  mouvements?  M.  S.  Juhn&on  l'a  recherché  longuement  pour 
les  mouvements  de  la  main  :  c'est  un  autre  aspect  du  problème  étudié 
par  M.  Davis. 

Les  expériences  ont  consisté  à  faire  exécuter  de^  mouvements  trian- 
gulaires avec  arrêt  aux  trois  sommets  d'un  triangle  équilatéral  de 
20  centimètres  de  côté:  à  faire  tracer  des  cercles  selon  un  modèle 
donné;  à  faire  exécuter  des  mouvements  rythmés  au  commandement 


AU ALYSES.  —  scnjpTURB.  SluiUes  from  ihe  Yale  P^ychologïcal    73 

ou  à  volonté;  et  cette  dernière  expérience  incidemment  a  fourni  Toc- 
ciksîon  dVxamiEier  comment  lu  conscience  apprécie  le  tenips^  les 
intervalles.  *—  L'appareil  et  ïe  disposiLif  de  eea  recherches  sont  chaque 
fois  très  soigneusement  expoÈ^és  et  expliqués,  il  est  donc  farile  de 
se  représenter  exactement  Texpérience  et,  ati  besoin,  de  U  contrôler 
eu  ta  répétant,  ce  qui  est  la  meilleure  des  véritlcations. 

D&ns  les  expériences  de  mouvement  triangulaire,  on  a  employé 
suoceasivement  la  main  droite  et  la  main  g^auche^  en  s'arrètant,  d'ail- 
leurs, avant  l'apparilton  de  la  fatigue.  La  main  droite  s  adapte 
généra leni eut  plus  vite  que  la  gauclie,  mais  «es  progrès  cessent  aussi 
plus  vite.  Un  gagne  d'abord  en  vitesse  ;  plus  tard  vient  la  régularité; 
en  cela,  d'ailleurs,  comme  en  loules  ces  recherches,  il  faut  tenir 
compte  de  la  force  d'attention  du  sujet  (p.  64). 

Notons,  en  passartt^  que  les  gauchers  exécutent  leur  triangulation 
en  aeuâ  inverse,  à  rebours  dej*  aiguilles  d'une  montre  :  M.  Johnson  en 
infère  que  leuis  centres  diffèrent  de  ceux  des  droitiers,  sans  dire  sur 
quoi  il  appuie  son  hypothèse  (p  &3).  En  tout  cas,  voilà  encore  une  des 
caractéristiques  de  la  psychologie  du  gaucher,  si  intéressante  h  étu- 
dier et  encore  Fi  mal  connue. 

Danb  le  tracé  des  cercles»  on  a  cherché  comment  se  faisait  Fëduca- 
tîon  de  la  main  dans  eet  exercice,  et  quelle  intluence  exerce  sur  la 
tracé  la  vue  d  un  modèle. 

Le  n«>mt>re  des  cercles  à  tracer  était  limité  à  10,  ou  même  moins, 
de  favoo  a  n*avoir  pas  à  compter  avec  la  fatigue,  laquelle  apparaît 
vers  le  10*  cercle  pour  la  m;iin  droite  et  dès  le  1^  pour  la  giuiche 
(p.  65j.  La  régularité  dans  le  tracé  croit  de  Jour  en  jour  et  ce  perfection- 
nement est  pEu^  rapide  pour  la  main  droite,  plus  constant  pour  la  main 
gauche.  Les  exceptions  sont  à  lavantagc  du  la  main  gauche  (p.  bT); 
quant  aux  dimensions  den  cercles,  généralement  elles  tendent  à 
diminuer  de  plus  en  plus,  surtout  si  Ton  se  préoccupe  de  la  régula- 
riie  de^  contours  plus  que  de  reproduire  les  dimensions  mêmes  du. 
modèle  (p.  139k 

Resterait  à  expliquer  comment  s'est  faite  ladaptation,  et  à  suivre 
phase-  à  phase  le  progrès  :  M  Jt^hnson  en  a  essayé  l'analyse  après 
quelques  expériences  sur  Téducation  des  muscles  pas  encore  entrainés. 
M,  Uavis  s*oxerçait  à  faire  des  mouvements  du  gros  orteil,  qui  étaient 
enrt'gistrcs.  11  ne  semble  pas  que  cetre  analyse  ajoute  auit  conclusions 
précédentes.  Mais  du  moins  U*  John^ou  a  très  bien  mis  en  lumiore 
que  ces  courts  exercices  répétés  produisent  une  adaptation  plus  rapide 
et  meilleure  que  les  exercices  prolongés  où  la  fatigue  intervient 
presque  tout  le  temps.  La  conclusion  pèditgogiquc  est  facile  à  tirer  ttoL) 

En  lin  Tétude  den  mouvements  rythmés,  au  com mai i dénient  d'abord, 
M  la  volonté  du  sujet  ensuite^  a  révélé  d'intéressantes  puticularitea 
individuelles*  Au  commandement,  tous  les  sujets  auticipent  le  signal 
durant  les  trois  premiers  jours  de  rexpénence;  cependant  ils  adaptent 
de  mieux  en  mieux  leur  mouvement.  Le  perfectionnement  continue 


74  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

ensuite,  jusqu'à  la  lin  des  expériences  (7*"  jour),  même  chez  celui  qui 
continue  d'anticiper  (Uôj.  —  Quand  le  sujet  rythme  les  mouvements 
ù  sa  volonté,  il  les  accélère  de  plus  en  plus,  en  même  temps  qu'il  les 
régularise  :  peut-être  parce  qu'ils  lui  deviennent  plus  faciles. 

Les  expériences  sur  Tapprcciation  de  la  durée,  l'estimation  d'un 
intervalle,  sont  un  peu  en  dehors  de  cette  série.  C'est  un  sujet  qu'il 
importerait  d'étudier  à  fond,  étant  donnée  son  importance,  pour  appré- 
cier la  façon  dont  la  conscience  fournit  les  éléments  d'un  jugement 
très  simple,  immédiat  et  pour  ainsi  dire  sans  matière  :  et  cependant 
les  quelques  études  faites  sur  ce  point  sont  plutôt  des  ébauches  éparses 
que  des  recherches  méthodiques. 

M.  S.  Johnson  a  fait  apprécier  des  intervalles  de  82  ^,  100  S,  et 
i6i  1.  L'inscription  se  faisait  sur  cylindre  :  le  sujet  entendait,  dans 
une  pièce  séparée,  le  son  d'un  diapason,  électrique  donnant  100  vibra- 
tions, et  devait  apprécier  Tintervallo  entre  l'arrêt  de  ce  son  et  la 
reprise  du  signal.  Lorsque  ce  signal  avait  duré  aussi  longtemps  quo 
l'intervalle  précédent,  le  sujet  réagissait.  Il  serait  sans  doute  possible 
d'avoir  un  dispositif  moins  compliqué  et  où  la  comparaison  des  deux 
intervalles  ne  portât  pas  d'un  côté  sur  un  temps  vide,  et  de  l'autre 
sur  la  durée  d'un  son  :  oulre  que  le  son  peut  modifier  l'apparence  de 
la  durée,  etc.  Tel  quel,  ce  dispositif  a  seulement  montré  à  M.  Johnson 
que  les  variations  individuelles  sont  ici  considérables  :  les  uns  apprécient 
d'emblée  assez  juste  et  s'y  maintieiment;  d'autres  commencent  par  des 
chiiTres  à  peu  près  exacts,  mais  déclinent  au  lieu  d'améliorer  leur 
jugement;  quelques-uns  seulement  rectifient  un  peu  leurs  apprécia- 
tions et  gagnent  en  précision  à  mesure  que  l'expérience  se  prolonge; 
cela  tient  sans  doute  à  ce  qu'il  n'y  a  pas  de  point  de  départ  commun 
(p.  91)  Les  graphiques  (p.  87,  SS)  montrent  bien  ces  trois  catégories, 
et  l'interrogation  et  l'examen  des  sujets  font  conclure  que  l'estimation 
du  temps  dépend  d'abord  du  caractère  du  sujet,  ensuite  du  point 
auquel  se  fixe  l'attention  (sensorielle  ou  motrice)  et  cnlinde  son  pouvoir 
sur  soi-même  (p.  90)  :  trois  choses  qui  pourraient  bien,  en  réalité,  n'en 
faire  qu'une.  Ces  simples  conclusions  permettent  d*apprécier  l'impor- 
tance de  cette  question  qui  n'a  jamais  été  traitée  à  fond  et  mérite 
mieux  qu'une  étude  accessoire. 

D""  Jean  Philippe. 


J.  R.  Angell  :  Studies  From  The  PsvcHOLor.iCAL  Laboratory  of 
Chicago  {Travaux  du  Uboratoire  de  P^tychologie  do  C/iicago],  vol.  II, 
n»  2,  pp.  09  et  suppl.  Chicago,  University  Pre-s,  1809. 

Outre  un  certain  nombre  de  petits  travaux  publiés  dans  Psycholo- 
giçal  Review  (et  qui  ont  été  analysés  ici,  aux  Périodiques),  ce  fascicule 
contient  une  note  de  M.  Buck  sur  une  illusion  visw.*lle,  quelques  expé- 
riences de  M.  Mac  Millan  sur  Vliabitude  de  diri'ji^'  >lv  wouvementSf 


Il!*^l-YSES.  —  L  IL  ANGELL.  Btudieis  frum  ihe  Pmjchological     75 

el^u  assez  long  travaiî  de  MM.  AogeU  el  Thompson  sur  les  relations 
^^  qudf^ues  procesèiLiy  organiques  avec  hi  conscience, 

^^  UiUusion  qui  nous  fait  surestimer  les  lignea  verticales  comparées 
aux  lignes  horizontales,  est-elle  due  aux  mouvements  de  Vm\,  comme 
k  prétend  Mîinsierberg?  lî  ne  le  semble  pas,  car  cette  illusion  change 
telon  que  Ton  regarde  ces  li^^nes  assis  ou  debout,  et  même  lorsqu*àn 
se  tourne  légèrement  de  côté; 

:î*  Quels  changements  ferait  subir  aux  mouvements  adaptéf?  pour  bien 
viser  et  atteindre  le  centre  d*un  carton ,  la  perturbation  de  nos  données 
vlsueîles,  employant  par  exemple  des  verres  cylindriques? 

Deux  séries  d'expériences  ont  consisté  l'une  à  noter  ce  qut  né  pro- 
duit quand  on  déforme  l'image  toujours  dans  le  même  sens  en  opérant 
rapidement  ou  à  long  intervalle;  l'autre  à  diriger  l'attention  tantôt  sur 
lé  mouvement  h  exécuter,  tantôt  sur  la  perception  visuelle.  On  étudiait 
ainsi  cl*un  côté  la  formation  de  Thabilude  et  de  l'autre  Thabitude 
formée. 

Les  expériencea  faites  sur  11  sujets  ont  montré  qu'il  se  fait  très  vile 
une  réadaptation  des  anciens  mouvements  pour  se  plier  aux  oouvellea 
oonditions  :  les  progrès  de  cette  adaptation  sont  faciles  à  suivre  et  l*OD 
peut  les  évaluer  numériquement.  Le  stimulant  des  habitudes  pro- 

f  vie  lit  des  tendances  p'^ycho-phyaiologiques,  et  c'est  le  but  à  atteindre 
qui  détermine  le  contrôle  des  habitudes  en  formation. 
L'auteur  rîFpproche  avec  raison  ses  expériences  de  celles  de  Stratton 
il^sychoL  Rci\  voL  111,  p.  ftW)  sur  le  renversement  de  la  vision  directe. 
D»*  J.  Philippe. 


G.  V*  N.  Dearborn  :  Thk  Kmotion  of  Jot,  {Émotions  agréables)» 
P^ijchol.  Reu.  Suppl.  IX,  vol.  lï,  70  p,  1890,  New- York, 

L'iMiteur  s'est  proposé,  dans  cette  monographie,  de  décrire  la  joie 
80US  ses  deux  faces,  physique  et  morale. 

Analysant  ce  phénomène  (qui  n'est  qu'une  forme»  abstraite  par  le 
p«ycho-phy?5iologue,  du  courant  vital  d*un  organisme),  M.  Dearborn  y 
découvre  ;  1'^  Texcitation  physiologique,  -2^  des  sentiments  accompagnés 
d^  leur  cortège  physiologique,  ^°  une  conscience  plus  nette  de  Tobjet 
de  rémotîon  et  de  ses  rapports  avec  nous^  i*^  un  certain  état  agréable 
de  conscience,  h**  enfin  un  plus  grand  sentiment  de  soi-même,  p&r 
ii'quet  on  prend  conscience  de  soi  expérimeTitalemenZ  aumi  bien 
qu'inleUeclueUement  \p,  "li), 

C*eat  le  4*  qui  donne  à  rémotîon  sa  physionomie  propre. 

Pùiir  obtenir  expérimentalement  Fétat  émotionnel,  \L  Dearborn  a 
în^tilud  une  expérience  de  laboratoire  consistant  à  annoncer  successi- 
vement au  sujet,  d'une  fagon  aussi  frappante  que  possible,  qu'il  va 
recevoir  10*..,  luO...,  lOOQ...,  ItKMlUv..,  !00  000  dollars,  U  est  regrettable 
que  les  conditions  de  cette  expérience  ne  soient  pas  assez  précisées 


76  HEVLE   PHILOSOPHIQUE 

pour  que  le  lecteur  puisse  juger  si  vraiment  le  sujet  a  eu  nilusion 
qu'il  pouvait  toucher  ces  sommes. 

Ces  eNpériences  ont  contirmé  la  théorie  déjà  ancienne  qui  veut  que 
la  joie  se  traduise  pxr  de  Texpansion,  au  sens  le  plus  matériel  du  mot, 
de  rcxtension.  du  redressement  du  corps.  Une  émotion  nous  est 
agréable  dans  la  mesure  où  elle  nous  produit  cet  efTet.  M.  D.  ajoute  (et 
c'est  la  partie  la  plus  originale  du  travail)  que  Téducation,  le  milieu 
social  nous  conduisent  souvent  à  restreindre  ces  mouvements  par  des 
efforts  d'inhibition  :  ainsi  Tannonce  d'un  héritage  suscite  aussitôt  la 
conscience  des  devoirs  qu'imposera  cette  nouvelle  situation  sociale, 
une  réserve  digne,  etc.,  c'est  pour  cela,  dit  l'auteur,  que  dans  certains 
cas,  la  théorie  cinesthosique  semble  ne  pas  suffire  à  expliquer  les  émo- 
tions (p.  18  et  p.  TiO). 

Afin  d'étudier  ces  mouvements,  l'auteur  a  fait  des  recherches  sur  les 
réactions  motrices  involontaires  aux  excitations  agréables  et  désa- 
gréables :  elles  ont  confirmé  les  vues  ci-dessus  ;  même  résultat  pour 
les  mouvements  de  lavant-bras;  ceux  de  la  jambe  (extension  aux 
odeurs  agréables,  flexion  pour  les  odeurs  désagréables)  sont  moins 
nets.  L^ntin,  dans  la  joie,  la  circulation*,  explorée  à  la  carotide  (qui 
serait  l'endroit  de  choix)  s'accélère  :  la  respiration  aussi»  quoiqu'elle 
devienne  parfois  au  contraire  plus  profonde,  diaphragmatique*. 

D*^  J.  Philippe. 


Edw.  GraDt  Dezter.  -  Conduct  and  the  Weather  {Influence  du 
ii'mps  sur  le  airaclèri*\  PsychoL  /\#»w.  Suppl.  X,  pp.  !0i,  vol.  ii.  New- 
York. 

L'intluence  du  milieu,  du  temp:^  qu'il  fait, ""sur  notre  caractère  et  la 
marche  de  nos  idées,  est  aujourd'hui  une  vérité  banale  :  mais  tout  en 
admolt.'^nt  généralement  cette  intluence.  il  faut  avouer  qu'on  la  connaît 
encore  fort  peu,  parce  qu'on  n'a  pas  étudié  de  près  la  façon  dont  elle 
s'oxorce  dans  chaque  cas  en  particulier. 

11  faut  donc  savoir  gré  à  M.  E.  G.  Doxter  de  nous  donner  ici  la  pre- 
mière partie  d'une  étude  qu'il  complotera  à  bref  délai. 

Pour  se  documenter,  il  a  d'abonl  sollicité  par  questionnaire  les 
observations  dun  certain  nombre  de  directeurs  d'écoles  et  de  péniten- 
ciers :  puis  il  a  consulté  les  statistiques  d'arrestations,  de  suicides  de 
New-York,  les  carnets  d'erreurs  des  baïuiues.  et,  sur  tout  cela,  les  bul- 
letins météorologiques.  Il  aurait  voulu  éiudiL-r  au>si  cette  intluence 
sur  le  travail  manuel,  cela  n'a  pas  été  possible.  Ces  recherches  n'ont 
pas  toujours  contirmo  les  idées  courantes  :  ainsi  le  vent  est  générale- 

1.  Signalons  IVmploî  du  moteur  c'ootri.iuo  pour  le  o>lindre  employé  à  ces 
recherclies. 

2.  A  et  travail  osl  joinlo  une  biKiocraMiio  ;\sso.-  rv^mî^rl.',  M»,Al*rré  des  réfé- 
reaces  |^rfoi>  insuUi>ante>. 


ANALYSES.  —  r.tt.\î*îT  DEXTER*  Cotiduct  and  the   Wealhf 


77 


ment  considéré  comme  1res  défavorable  :  il  eit  probable  en  effet  qu'il 
nou^  enlève  de  la  chaleur,  que  le  Iravad  physiologique  est  obligé 
de  re fournir:  mats  il  ne  semble  pas  avoir  tes  effets  qu  un  lui  attribue 
ordinaiiement* 

Rn  génépiil,  M,  Dexter  a  constaté  que  la  question  est  beaucoup  plus 
complexe  qu'on  ne  croirait. 

Tuul  d'îibord,  il  faut  se  dire  que  rinfiuence  météorologique  n*est  pas 
imméitinte  ;  c'est  généralement  en  aj^àssant  sur  le  substrat  phy-ique 
de  notre  vie  émotionnelle  que  les  variations  du  temps  nous  attei|fnent 
par  contr«^*coup*  Kn  outre,  il  ne  faut  pas  oublier  que  d'autres  causes 
aufsi  peuvent  agir  :  et  dans  les  écoles,  par  exempte,  il  ne  faut  pas  attri- 
buer au  temps  ce  qui  peut-être  n'est  que  Le  reflet  de  Tétat  de  santé  ou 
d'humeur  du  maître,  etc. 

Ces  réserves  fuites,  et  après  avoir  aussi  exactement  que  pussîble  éli- 
miné les  causes  d  erreur*.  M.  Dexter  eroit  pouvoir  dire  que  plus  on  est 

^é»  plus  on  est  moralement  sensible  aux  variations  almosphériquesp 
et  que.  dès  l'enfance,  les  filles  les  épi  ouvent  plus  que  les  garçons. 

D'une  façon  srénérale,  les  climats  les  plus  favorables  au  développe- 
ment de  la  civilisation  sont  située  entre  hO"  à  70*»  F  :  un  peu  de  froid 
est  d  ailleurs  plus  que  le  chaud  favorable  au  travail,  et  le  temps  clair 
plus  que  le  temps  humide,  sans  doute  a  cause  de  son  inHuence  sur  les 
eour^'ints  éfectriques  qui  sillonnent  la  terre.  Ainsi  les  puniiions  sont 
au  minimum  au-dessous  de  45**  F;  elles  montent  au  contraire  au-dessus 
de  65**  F,  :  si  on  mci^ure  le  travail  à  la  régularité  des  présences  à  l'école^ 
ce  sont  les  mois  d  octobre  et  novembre,  de  mars  et  avril  qui  sont  lea 
plus  favonscfl. 

Le  vent  est  généralement  considéré  comme  énervant;  à  sa  grande 
surprise,  l'auteur  a  vu  qu'il  n'ei^t  pas  plus  énervant  que  les  jours  csdiues 
ne  8ont  sédatifs.  Les  appréciations,  en  ce  cas.  étaient  toutes  subjectives. 

parmi  les  autres  renseignenienls  rei^ueillis,  signalons  particulière* 
meni  ce  qui  concerne  les  erreurs  dans  les  banques  :  Texamen  de  leurs 


t.  Citori!»  en  particulier  la  suivante;  elle  vaut  ifètre  signal6&  &  e&ux  qui  s*ûc- 
t^upi^ut  de  ces  questions  : 

•  Le  |in«pliique  dc&  pimîtroni^  «rolaircs  nouâ  tivaît  montré  que  le  vendredi  enl 
le  jtjur  où  il  y  en  u  le  juoinâ  :  une  baîâ-^e  d^  5  p.  100.  Un  peu  surpris  de  voir  le 
vt^ndrciii  une  si  bonne  conduite,  J'exauiinai  les  doeumeitts  de  plus  près,  et 
d^cyiivris  quo  t.'ette  situation  privilégiée  était  due  k  rintlut-Tir^e  truiic  école  d'où 
proven»i(^nl  pn>s  ûc  JIO  p.  l(l(t  des  documents  reeueilliK^  nu  l'onLrairiiT  (Un^  le» 
troin  autres  rrojes  étudiées^  le  vendredi  élnil  la  pire  Journée,  l.a  façon  de  com- 
prittiûr^U*  Iravaii  tljin^  l'ci^ole  la  plus  noinUreu«e  avait  tout  sLintdeinent  retourné 
\e%  rè^ult^lâ  ûr.  reuquêtt;.  Je  questionnai  nloiiï  te  directeur  de  cette  éajln  sur  ta 
prûgrAmmc  du  vendredi;  peut- l'aire  tniuveraî-je  ainsi  la  j^olulion  du  m v stère* 
En  cJtrt,  ii*  tion  i>rdrc  dans  ccll»?  i^coU*  tenait  en  ^irnndc  partie  k  l'emiilaiion 
des  Hfcvci  patir  obtenir  le  vendredi,  eu  tin  du  semaine,  une  menlion  hono- 
rable,,, iiarceque  l**?*  notes  élaient  anétèi^^s  ec  jour- là.  On  espérait,  fiar  sa  bonne 
ct^ndutle  ifuranl  cetLe  journée,  elTacer  les  mauvaises  im|ire»sious  des  jourï»  pré- 
c^d**ulï  De  plus,  on  sortait  ce  jour-lii  un  jour  plus  tôt  que  d'hnbîtude.  Tout 
ce.U  iiifluaii  sur  in  t;ourbe...  »  {p,  13 K 


78  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

variations  est  d'autant  plus  intéressant  que  c'est  à  peu  près  notre  seul 
document  de  ce  côté  sur  Tintluence  du  temps.  Â  première  vue,  il 
semble  que  les  erreurs  devraient  être  d'autant  plus  fréquentes  que  Ton 
est  moins  maître  de  soi,  ce  qui  a  lieu  quand  la  baisse  du  baromètre 
rend  le  contrôle  plus  difficile.  Mais  il  arrive  que  moins  on  se  sent 
maître  de  soi,  plus  on  prend  garde  aux  erreurs  et  mieux  on  les  évite. 
Aussi  reste-t-il  moins  d'erreurs  quand  le  baromètre  est  entre  haut  et 
bas.  —  De  même  pour  l'humidité.  D'où  résulterait  que  l'équilibre  intel- 
lectuel souffre  moins  que  l'équilibre  émotionnel  des  variations  du 
potentiel  électrique. 

Ce  travail,  dont  les  résultats  nouveaux  et  intéressants  sont  encore 
trop  peu  précis  (l'auteur  annonce  pour  bientôt  des  documents  plus 
complets  et  des  conclusions  plus  nettes)  est  accompagné  d'une  série 
de  graphiques  illustrant  fort  heureusement  le  texte,  et  qui  sont  de 
lecture  facile. 


B.  B.  Breese  :  On  inhibition  (de  l'Inhibition).  Psychol.  Rew. 
Suppl.  XI,  pp.  65  (vol.  m),  New- York. 

Depuis  que  Weber  découvrit  que  l'excitation  nerveuse  peut  produire 
non  seulement  le  mouvement,  mais  aussi  l'arrêt,  les  théories  de  l'inhi- 
bition se  sont  succédées,  et  le  siège  des  ordres  d'inhibition  a  été  placé 
tantôt  dans  la  moelle,  tantôt  dans  le  cerveau,  parfois  dans  l'une  et  l'autre. 

Depuis  liippocrate  jusqu'aux  contemporains,  on  a  essayé  cinq  théo- 
ries différentes,  encore  en  présence  :  l'^  l'inhibition  résulte  de  l'action 
des  idées  les  unes  sur  les  autres;  2**  c'est  une  association  obstructive; 
3^  une  contradiction  logique;  ^°  une  forme  de  l'activité  de  la  volonté; 
5<>  un  phénomène  psycho-physique.  —  M.  Breese  croit  qu'il  ne  faut 
parler  d'inhibition  qu'à  propos  des  phénomènes  psycho-physiques,  et 
il  dénombre  cinq  cas  :  !<>  l'inhibition  d'une  sensation  par  une  autre; 
2'*  celle  d'un  mouvement  corporel  par  une  sensation;  3*  par  un  état 
d'esprit;  4^  par  une  émotion;  5<>  enfin  celle  d'un  mouvement  volontaire 
par  la  volonté.  Dans  tous  ces  cas  il  y  a  action  physiologique. 

Pour  la  résoudre,  M.  Breese  examine  la  question  sous  deux  aspects 
voisins  :  1"  inhibition  d'une  sensation  par  une  autre;  -2**  inhibition  d'un 
état  mental  par  suppression  de  ses  éléments  moteurs. 

C'est  rétudc  de  l'inhibition  visuelle  résultant  de  l'antagonisme  des 
deux  rétines  (stéréoscopie)  qui  lui  a  servi  de  sujet  de  recherches  pour 
la  première  partie.  Witasek  prétend  avoir  réui^si  à  éliminer  cet  anta- 
gonisme, à  l'aide  des  ligures  de  ZuUner  :  M.  Breese  avoue  n'y  avoir 
jamais  réussi,  et  il  le  considère  commo  radical.  Ce  serait  donc  un  cas 
typique  d'inhibition  naturelle  à  étudier  (p.  20). 

Un  carton  porte  deux  petits  carrés,  rayés  de  hachures  opposées  dans 
l'un  et  l'autre,  et  vertes  dans  l'un,  rouges  dans  l'autre,  afin  qu'on  puisse 
distinguer  les  carrés.  Ceux-ci  affectent  chacun  un  point  différent  de  la 
rétine  et  l'on  peut,  grâce  à  un  pendule,  rendre  mobile  un  des  champs 


ANALYSES.  —  B.-B.  BREESE.  On  Inhibition,  79 

visuels,  l'autre  restant  au  repos.  On  peut  aussi  noter  sur  cylindre,  par 
ua  dispositif  analogue  à  celui  des  tenrips  de  réaction*,  combien  dure 
le  temps  de  vision,  normale  ou  prolongée  par  la  volonté. 

L'œil  suit  instinctivement  Tobjet,  et  par  conséquent  en  prolonge  ins> 
tinctivement  la  vision  :  aussi  M.  Breese  a-t-il  étudié  ces  mouvements, 
en  présentant  à  la  vision  des  carrés  ou  cercles  portant  des  ornements 
capables  de  retenir  la  vue  par  leurs  linéaments  :  ces  mouvements  pro- 
long^ent  la  durée  de  fixation.  On  fait  alors  mouvoir  le  carton  en  lais- 
sant rœil  aussi  immobile  que  possible  :  puis,  pendant  qu'on  regarde, 
pour  contrarier  ses  mouvements  on  contracte  un  muscle  du  bras,  par 
exemple;  ce  qui  n'a  donné  que  des  résultats  indécis;  on  a  aussi  changé 
les  dimensions  des  cartons. 

De  toutes  ces  recherches  il  semble  résulter  que  cet  antagonisme 
n*est  pas  physiologique  (d*autant  qu'il  n'y  a  pas  de  connexion  entre 
les  rétines),  mais  d'origine  centrale  (p.  35). 

A  un  autre  point  de  vue,  on  constate  que  la  fatigue  et  l'exercice  ont 
peu  d'influence;  il  n'en  est  pas  de  mémo  de  l'éclairage  :  c'est  le  carré 
le  mieux  en  lumière  dont  la  vue  s'impose  le  plus  longtemps  à  la  con- 
science. Enfin  cet  antagonisme  persiste  entre  les  images  consécutives  : 
on  le  constate  pour  les  objets  de  même  couleur  et  ceux  de  couleurs 
difTérentes. 

On  ne  peut  donc  expliquer  cet  antagonisme  simplement  par  des  états 
psychiques  :  et  cependant  une  simple  explication  physiologique  ne 
suffirait  pas.  Il  faut  y  voir  l'antagonisme  de  deux  centres  de  réaction 
dont  l'activité  est  inséparablement  liée  aux  situations  sensorielles. 

La  deuxième  partie  de  ce  travail  étudie  l'influence  de  l'inhibition 
de  certains  muscles  sur  un  état  psychique  particulier  (certains  souve- 
nirs). L'auteur  a  employé,  comme  matière  de  ces  souvenirs,  des  combi- 
naisons de  doigt:s,  selon  un  dispositif  incomplètement  expliqué,  et  il  a 
étudié  quelle  influence  avait  le  fait  de  retenir  la  respiration,  de  s'em- 
pêcher de  prononcer  mentalement  des  noms  de  couleur,  etc.  Cette 
partie,  beaucoup  plus  brève  que  la  précédente,  est  aussi  moins 
précise. 

M.  Breese  conclut  que  l'inhibition  physiologique  retentit  sur  nos 
opérations  mentales,  et  que  c'est  là  un  procédé  constant  dans  l'inhibi» 
tion.  Or  ce  phénomène  étant  fondamental  dans  notre  vie  psychique, 
c'est  lui  que  les  partisans  de  la  théorie  kinesthésique  des  émotions 
devraient  étudier  au  lieu  de  se  borner  à  affirmer  leur  théorie.  Nulle 
excitation  interne  ou  externe  n'atteint  la  conscience,  sans  avoir  à  la 
base  une  réaction  motrice. 

Les  expériences  sur  lesquelles  s'appuie,  en  dernière  analyse,  cette 
conclusion,  paraissent  ingénieuses  et  serrent  la  question  de  très  près. 

1-  M.  Breese  n'examine  pas  si  celte  façon  de  mesurer  le  temps  ne  fait  pas 
lûlervenir  l'équation  personnelle. 


80  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

Cependant  il  nous  semble  que,  prises  isolément,  aucune  en  particulier 
n'est  concluante  :  elles  ont  seulement  l'avantage  d'être  assez  bien 
ordonnées. 


Sh.  Iv.  Franz  :  After-Images  {les  Images  consécutives)  PsychoL 
Rew.  Suppl.  12,  vol.  III,  p.  61,  New- York. 

C'est  une  étude,  très  méthodiquement  conduite  et  bien  fouillée,  des 
images  consécutives.  L'auteur  s'est  attaché  aux  images  visuelles  :  il  a 
voulu  déterminer  quelles  moditications  elles  peuvent  subir;  ses  expé- 
riences sont  claires  et  les  graphiques  faciles  à  lire. 

1-2-3.  —  Ce  n'est  pas  une  excitation  quelconque  qui  peut  produire 
une  image  consécutive  :  il  faut  tenir  compte  de  l'intensité,  des  dimen- 
sions et  de  la  durée.  Les  expériences  de  M.  Franz  lui  ont  montré  que 
l'intensité  d'excitation  augmente  les  chances  d'images  consécutives, 
ce  qui  prouve  bien  qu'elles  résultent  de  la  fatigue;  elles  sont  moins 
nombreuses  pour  les  petites  surfaces,  plus  difficiles  à  fixer;  entin  leur 
période  latente  (entre  l'excitation  et  l'apparition)  dépend  surtout  delà 
force  d'attention  (p.  18). 

Elles  persistent  d'autant  plus  longtemps  qu'elles  ont  été  plus  forte- 
ment imprimées,  c'est-à-dire  que  l'intensité  d'éclairage,  la  surface 
per(;ue  sont  plus  fortes.  La  qualité  lumineuse  influe  aussi;  les  images 
consécutives  en  vert  sont  les  plus  tenaces. 

'4-5-6.  —  Quelle  est  leur  relation  avec  le  type  mental?  Il  semble 
qu'elles  durent  plus  longtemps  chez  ceux  qui  ont  la  vue  meilleure  et 
surtout  qui  appartiennent  au  type  visuel.  Dailleurs  l'imagination 
semble,  en  ceci,  avoir  un  rôle  aussi  important  que  l'attention  (p.  34), 
c'est  ce  qui  explique  leurs  fluctuations  :  sous  des  causes  plutôt  men- 
tales que  physiologiques,  elles  disparaissent  et  reparaissent  plus  ou 
moins  de  fois.  Mais  le  changement  de  couleur  semble  dû  à  d'autres 
causes  :  pourquoi  la  même  excitation  ne  produit-elle  pas  toujours  chez 
la  même  personne  des  images  consécutives  identiques?  les  teintes 
sombres  sont  les  plus  fréquentes,  le  rouge  le  plus  rare.  Peut-être  cela 
tient-il,  comme  l'avait  cru  Fechner,  à  la  durée  de  l'excitation  :  cepen- 
dant les  recherches  de  M.  Franz  n'ont  pas  confirmé  cette  vue. 

7-S.  —  Ces  images  sont  projetées  dans  l'espace  :  la  troisième  dimen- 
sion ne  leur  fait  pas  complètement  défaut,  ce  qui  les  rapprocherait  des 
peiceptions  plus  que  des  sensations.  Il  convient  de  noter  qu'elles 
épousent  les  contours  des  objets  sur  lesquels  on  les  projette  (p.  43). 
Quant  au  transport  de  l'image  d'un  œil  à  l'autre,  question  qui  a  sou- 
levé tant  de  polémiques,  M.  Franz,  après  Delabarre,  le  juge  tout  appa- 
rent :  en  réalité,  nous  ne  distinguons  pas  le  champ  visuel  de  Tun  et 
l'autre  œil;  tout  se  réduit  donc  à  une  apparence  de  transfert.  En  tout 
cas,  l'image  ne  lui  paraît  pas  être  d'origine  centrale. 

L*étucle  se  termine  par  un  historique  de  la  question,  avec  indication 
des  questions  connexes,  et  une  bibliographie  assez  complète. 

D'  J.  Philippe. 


jkMALYSES.  —  vvfjoowoRTii-  Thê  uccuvaaj  of  vùluntarj/^  etc.     81 

B*  S,  'Woodworth.  —  The  agcuhagv  of  voluntahv  Movement 
i^VHabiieÎK'  mutrtce  i^olontaîre}.  PaychoL  Rew.  SuppL  XI It,  ii\  pp., 
"VoK  iif,  New- York. 

L'étude  des  iTioiïvementR  est  une  des  caractérisïîques  de  la  psycho- 
\oAe  conlemporaine  ;  elle  a  vu  qu'it  n*y  n  pua  que  letî  percepUt»ns  et 
l'intcUigenée,  mâlâ  encore  des  mouvement,  des  actions  et  réaçtimis. 
Xescducaieurs  sur  tout  comprennent  que  Téducation  de  U  volonté  et  du 
corps  A  un  rùle  capital.  —  ï2t  cependant  on  connaît  à  peine  les  niûii- 
ments.  lï  y  a  une  psydio-physique  des  sensaiions  :  Tanalogue  n'existe 
pas  pour  les  muuvemcnts*  C'est  it  p^^ine  si  Ton  commence  h.  les  étudier  : 
«t  le  peu  que  Ton  a  fait  se  rapporte  à  leur  perception  et  h  leur  no é moire 
Ikltftot  qu'à  leur  production,  à  leur  génération  i  comme  si  la  perception 
du  mouvement  Louchait  seule  la  conscience  :  et  sa  production,  sa  pré* 
parai  ion,  nous  cch.'^ppiifent. 

L*éiude  scieniilîqmî  du  mouvement  est  la  première  condition  d'une 
paycholoîi^ie  scienlitique  de  la  volonté. 

C'est  en  partant  de  ces  pointa  de  vue  que  M.  Woodworth  aborde 
Vélude  de»  mouvements  :  il  la  conduit  avec  la  précision  et  la  méthode 
rl'ijn  vérit-thle  expérimen<aLeur:  ses  procédés  sont  en  général  claire- 
ment  exposés,  ses  «^raphiqLies  et  ses  tahieaux  d*^  résultats  faciles  à 
lire  ;  et  si  parfois  quelques  hypoUièses  (particulièrement  en  ce  qui 
concerne  le  sens  musculaire)  paraissent  un  peu  hasardées,  elles  valent 
aé;(njnoins  qu*on  s'y  arrête  et  len  examine  avec  attention,  car  elles  ont 
le  rrtre  mérile  d*écLùrer  les  questions,  sinon  de  les  résoudre.  C'est  en 
cela  d'ailleurs  que  l'hypothèse  digne  de  ce  nom  diffère  d*uno  supposi- 
tion quelconque. 

1''  L'élude  de  M,  Woodworth  débute  par  une  brève  révision  des  tra- 
viiuA.  antérieure,  en  particulier  de  eeux  de  Goldscheider,  Hall  et 
Hartwell,  Loeb,  FuLerton  et  Catlell,  Delabarre.  Miinsterberg,  Bryan  : 
e****  irav**ux  ronoernent  soit  la  conscience  que  nous  pouvon^i  avoir  de 
iif'is  mouvements,  soit  rappfieatkin  à  ces  mouvements  de  la  loi  de 
Wi'ber,  SMil  le  développement  de  rhabrleté  motrice  comparée  à  celle 
ûtin  autres  sen%  et  du  corps  eu  général  (p.  10). 

*i*  Les  expériences  ont  été  faites  au  laboratoire  de  T Université  de 
Colombta  :  Tauteur  indique  la  méthoile  employée  pour  faire  tracer  un 
ni>mbre  dctnii  de  li^nies  dans  un  temps  dontié«  loupé  par  les  batte- 
ments du  métronome,  ©te,  —  pour  calculer  les  moyennes  {ce  dernier 
calcul  a  été  fait  en  indiquant  l'erreur  non  selon  rerrcur  probable, 
fitjiis  selon  IVrreur  de  la  moycnue  carrée,  qui  e^t  proportionnelle  et 
d'environ  IK  p^  tOQ  plus  gnnide,  ce  qui  fait  mieuTc  ressortir  les  rela- 
tions (p.  2b), 

2^   ii'eiiitinft  de  La  précision  à  la  vilessB.  —  Les  mouvements  sont 
ilBoin^  précis  quatid  on  force  leur  rapidité  :  mais  si  le  mouvemenï  e^t 
machinal,  il  devient  au  contraire  d'autant  plus  précis  qu'on  va  plus 
vltep  surtout  pour  la  main  droite  (p*  3U).  L'auteur  a  étudié  les  mouve- 
ments d<ï  ÏA  main  droite  et  de  la  gauche  avec  les  yeux  ouverts  et  le» 


82  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

yeux  fermés  pour  Tune  et  l'autre  :  c'est  avec  les  yeux  ouverts  que  les 
mouvements  présentent  le  moins  d'erreurs,  mais  ils  sont  plus  troublés 
par  l'accélération  de  la  vitesse  ^ 

Cette  diminution  de  la  précision,  à  mesure  que  s'accroît  la  vitesse, 
parait  due  à  la  difficulté  croissante  de  la  perception  et  de  .l'adaptation 
(p.  37).  Le  contrôle  exercé  sur  le  développement  du  mouvement  n'est 
d'ailleurs  pas  le  môme  à  ses  divers  moments  :  de  plus,  la  précision 
diminue  à  me^ure  que  croit  l'intervalle  entre  les  expériences.  Il  semble 
que  le  meilleur  intervalle,  pour  la  main  droite,  oscille  autour  de  0^5 
(p.  44). 

Dans  ces  expériences,  on  a  toujours  vu  le  contrôle  devenir  presque 
impossible  dès  que  le  nombre  de  mouvements  à  la  minute  dépassait  300. 

4®  Répartition  de  la  précision  au  début  et  dans  le  cours  du  mou- 
vement» —  Quand  on  veut  piquer  une  pointe  de  crayon  juste  sur  une 
lettre,  il  faut,  une  fois  le  crayon  déjà  orienté  vers  la  lettre,  tâtonner 
encore  un  peu  et  faire  quelques  petits  mouvements  pour  tomber  juste. 
Dans  ses  expériences,  M.  Woodworth  a  vu  que  la  précision,  lorsqu'elle 
doit  être  très  grande,  ne  s'obtient  pas  dès  le  début  :  elle  se  fait  peu  à 
peu  en  cours  de  route,  et  surtout  à  la  fin,  par  une  série  d'adapta- 
tions. 

b^  Vérification  de  la  loi  de  Weber.  —  Cette  loi  ne  s'applique  directe- 
ment qu'aux  sensations  :  mais  on  pourrait  conjecturer  qu'elle  s'étend 
aussi  aux  mouvements,  et  que  l'erreur  est  proportionnelle  à  la  longueur 
du  mouvement. 

Partant  d'une  assimilation,  peut-être  trop  étroite,  de  la  perception  au 
mouvement,  M.  Woodworth  estime  que,  dans  l'exécution  d'un  mouve- 
ment, nous  ne  sentons  que  les  points  de  repère  nécessaires  à  cette  exé- 
cution :  nous  glissons  sur  le  reste.  En  fait,  il  a  constaté  que  l'erreur  croît 
avec  l'étendue  du  mouvement,  mais  non  en  proportion  (p.  65)  :  en 
tout  cas,  elle  croit  moins  qu'on  ne  croirait. 

6<>  L'erreur  de  perception  et  l'erreur  de  mouvement.  —  Ce  sont 
deux  erreurs  différentes,  comme  le  montre  la  dissociation  qu'on  peut 
en  faire;  de  plus,  leur  somme  ne  rend  pas  compte  de  l'erreur  totale  : 
cherchons  donc  d'où  vient  le  résidu. 

7<»  Les  bases  sensorielles  du  contrôle  du  mouvement.  —  De  cette 
recherche  faite  par  une  série  d'expériences  minutieuses  et  qu'il  est 
impossible  de  résumer.  M.  W.  conclut  que  nous  possédons  le  senti- 
ment ou  sensation  de  l'étendue  du  mouvement,  laquelle  ne  peut  se 
ramener  à  une  sensation  d'intensité  ou  de  durée  ou  de  positions  initiale 
et  finale  (p.  80).  C'est  pourquoi,  dit-il,  les  lignes  sont  d*autant  plus 
difliciles  à  reproduire  qu'elles  sont  plus  longues  :  évidemment  cela  ne 


1.  11  n*est  pas  «lit  si  la  main  gauche  trace  de  droite  à  gauche  ou  de  gauche  à 
oite,  ce  qui  a  sou  importance.  En  ce  qui  concerne  l'analyse  de  la  vitesse  aux 


1. 

diverses  phases  du  mouvement*  Tauteur  aurait  tiré  grand  secours  de  remploi 
de  la  plume  électrique  Edison. 


ANALYSES.  —  wooDwoHTH,  The  accumcy  ùf  mliintary,  etc.    83 

serait  pas,  si  on  les  repérait  seulement  par  leur  début  et  leur  lin  :  il 
faut  supposer  aussi  des  repérajL'ea  intermédiaires  : 

évidemment  cela  ne  signifie  pas  que  ni  la  durée  ni  rinlensitâ  du 
mouvement  n'aident  à  Juger  :  mafs  rien  de  cela  n^est  primitif  eonime 
î:i  sensation  directe  de  l'étendue  du  mouvement  fp.  86)^  et  c'est  cette 
.^enï^5itK>n  des  mouvements  qui  en  contrôle  rétendue,  soit  dit  sans 
vouloir  diminuer  llmporiance  de  Tima^e  mentale  du  mouvement; 
maïs  nous  ne  pouvons,  selon  l'expression  de  James,  inférer  que  ce  qui 
DOus  ehi  déjà  plus  directement  connu  Ip.  HT). 

C*eBt  évidemment  là  Tidée  maîtresse  du  travail  de  M.  Woodworth  : 
tout  le  développement  dea  préc^îdentes  expcnenci.'s  tendiût  vers  eïle, 
et  le  fc^te  en  est  comme  une  conséquence  découverte  dans  les  faits. 
Ceux  qui  critiqueront  la  conclusion  proposée  (le  sujet  n*étant  pas  de 
ceux  qui  se  peuveat  résoudre  au  premier  efTort)  reconnaîtront  du 
moins  querexpérrmentateur  a  serré  de  très  près  la  difficulté  à  éclaircir, 

8"  Effets  de  Ut  fatigun  et  ik  rexercice,  —  La  fatigue  diminue  la  pré- 
cision» mais  beaucoup  moins  qu'on  ne  croirait,  surtout  quand  il  s'agit 
de  mouvementa  rapides.  Son  effet  se  fiiit  d'ailleurs  sentir  au  milieu  de 
la  fiêrie  plat*Vt  qu'à  la  tin^  d'après  une  loi  quon  peut  énoncer  ;  la 
fatigue  nccroU  Verrem\  mais  Ut  pratique  tend  k  Vèiiminer  Ip,  94). 
L'iitieotion  ii  est  donc  pas  seule  en  cause  :  cependant  il  faut  qu  elle  ne 

ibtlsse  pas  et  que  la  fatigue  n'intervienne  pas  pour  que  rexercîce 

néliore  le  mouvement,  asaea:  lentement  d  ailleurs. 

Quant  à  la  rapidité*  elle  agit  diversement  :  un  mouvement  très  rapide 
se  déforme;  trop  peu  rapide,  il  ne  progrease  pas,  11  faut  une  vitesse 
moyenne  :  la  main  droite  s'éduque  tant  que  le  nombre  des  mouvemejits 
ne  dépasse  pas  ItlO  par  minute;  la  gauche  faiblit  déjà  à  100. 

La  tin  de  cette  étude  est  consacrée  à  rexamen  des  divers  mouve- 
ments dont  se  compose  Técnture  cursive  :  leadoigts,  Je  bras  et  Tavant- 
briLs  y  ont  chacun  leur  rôle,  et  la  prédominance  de  l'un  de  ces  trois 
éléments  earactériae  récriture.  Il  semble  que  l'on  doive  développer 
iurlout  Jee  mouvemeniâ  de  Tavant^bras.  «^  Ils  sont  plus  libres^  plus 
iseiles,  et  moins  sujets  aox  crampes  que  ceux  des  doigts,  et  aussi  plus 
rapides,  ils  n'ont  pas  îa  même  tendance  que  les  autres  à  déprimer 
les  lettres  dans  récriture  rapide,  et  sont  plus  réguliers  en  ce  qui  con- 
cerne la  direction  du  coup  de  plume.  La  hauteur  et  Talignement  des 
lettres  aéraient  plus  réguliers,  et,  certainement,  Tensemble  serait  plus 
factk  à  lire,  v  Conclusions  qui  pourront  servir  aux  graphologues  et  aux 
calti graphes.  D'  Jean  Philippe. 


III.  —  Sociologie. 


B.   Benutein.   SocuusiiiB  théûaique  et  socialdêmocaatiiï  pha- 
HQCe;  voL  in-fd  de  XLLV-.fOâ  pages,  —  K.  Kaustkj.  Llc  m  vnxtSH^  et 


84  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

SON  CRiTigUE  Bkhxstein;  anti-critique;  vol.  in-18  de  XXXI  364-pages; 
Stock  éditeur.  Paris,  i900. 

Je  résume  ces  deux  volumes  en  un  seul  compte-rendu,  parce  que  le 
second  est  la  réponse  au  premier.  M.  Bernstein,  voyant  le  danger  que 
fait  courir  à  son  pays  le  culte  de  théories  surannées,  a  convié  les 
socialistes  à  reviser  leurs  formules  et  leur  a  soumis  de  très  instructives 
réflexions  dans  ce  but  :  son  livre  est  essentiellement  une  œuvre  de 
bonne  foi;  Tauteur,  nu  risque  de  beaucoup  d*ennuis,  cherche  la 
vérité.  L'effet  a  été  considérable;  on  a  déversé  des  bottées  d'injures 
sur  M.  B...  et  M.  Liebknecht  s'est,  tout  naturellement,  distingué  dans 
ce  concert;  mais  M.  Kauslky  veut  donner  des  raisons  et  il  estime  que 
le  doyen  de  la  socialdémocratie  ne  connaît  rien  à  ce  dont  il  parle 
(p.  XXX).  Le  livre  de  M.  K...  s'adresse  malheureusement  surtout  à  des 
orthodoxes,  qui  demandent  à  être  rassures;  il  est,  par  suite,  peu- 
nstrnotif,  comme  toutes  les  apologies  d'un  parti.  M.  B...  avait  émis 
des  doutes  sur  la  valeur  scientitique  des  formules;  il  fallait  lui 
répondre  en  précisant  le  sens  des  thèses;  c'est  malheureusement  ce 
que  n'a  pas  fait  M.  K... 

La  plus  irrando  partie  de  cette  discussion  porte  sur  les  crises  com- 
merciales, la  surproduction .  la  concentration  des  industries,  la  répar- 
tition dos  revenus,  raccroissement  de  la  misère;  ce  sont  des  questions 
otranirères  aux  cadres  de  cette  revue;  d'ailleurs  Marx  na  guère  fait, 
sur  ces  points,  que  rééditer  des  idées  qui  étaient  courantes  parmi  les. 
socialistes  il  y  a  cinquante  ans.  Il  est  à  regretter  que  les  travaux  de 
M.  Pareio  sur  les  revenus  et  de  M.  Juglar  sur  les  crises  soient  inconnus 
en  Allemairne.  M.  K...  emploie  de  singuliers  ariruments;  c'e^t  ainsi 
qu'il  trouve  une  preuve  de  l'aceroissement  de  la  misère  en  France 
dans  la  diminution  de  la  natalité  et  de  la  nuptialité';  les  questions 
économiques  lui  sont  étrangères. 

Je  vais  examiner  seulement  la  discussion  engagée  sur  ce  que  les 
soeiaUlémocrates  regardeniVonime  les  thèses  fondamentales. 

<).  M.  B...  estime  qu'on  attache  une  importance  exagérée  à  la  théorie 
de  la  valeur;  M.  K...  me  fournit  aucune  explication  scientitique  sur  les 
points  obscurs  de  celte  théorie,  que  les  sovialdémocrates  ne  semblent 
pas  dé'^ireux  de  voir  devenir  claire.  Marx  n'a  p  int  vraiment  donné 
de  théorie  de  la  valeur,  mais  une  théorie  de  l'équilibre  économique, 
qui  se  réalise  ila:is  un  pays  fermé,  soumis  à  un  régime  capitaliste  sin- 
gulièrement simple.  Les  écrivains  socialdomocr.aes  équivoqiient  sur 
le  mot  iriv\xU\  t.mivt  c'est  l'activité  de  t  mie  i:i  s*Hiel**  pourvue  de 
ses  instruments:  ia:Uot  c'est  l'activité  des  >e((v's  ot(  triera,  considérés 
en  faisant  abstraction  des  instruineais:  dans  le  premier  sens,  toute 
richesse  pr.»vieni  du  travail  e;  u:ïe  partie  do  ce  travail  e'^t  employée  à 
fournir  le  proiit  capitaliste,  tandis  qu'u:ie  autre  partie  correspond  au 
salaire    On  s  exprime   d-:    lîMnicre    \   laisser    entendre   ;.ux    ouvriers- 

I.  Dans  ri.iiii.^n  frdn\;ai'io    p   J-i|  .  il  p.  a  ovvi>orve  «jutf  cet  le  ileuxiême  cause  ^ 


ANALYSES.  —  E.  BERNSTEIN.  Socialisme  théorique.  8S 

qu^une  partie  de  leur  travail  (deuxième  sens)  est  détournée  indûment 
par  le  capitaliste  :  «  Le  capitaliste,  dit  M.  Jaurès,  retient  une  partie 
■du  travail  incorporé  par  le  salarié  à  la  marchandise  ».  {Mouvement 
socialiste^  I  *•  mars  1900,  p.  '260).  Le  profit  est  qualilié  de  tranail  impayé 
(M.  Guesde  dit  môme  volé);  ce  n*est  pas  là  une  vérité  scientifique; 
c*est  une  coupable  équivoque  sur  les  mots. 

6.  M.  B...  pense  qu'il  faut  corriger  les  rigides  formules  du  matéria- 
lisme historique,  en  tenant  compte  d'observations  d*Eiigels  publiées 
en  1895;  il  ne  veut  surtout  pas  que  l'on  croie  à  une  prédestination 
<p.  85);  il  veut  reconnaître  l'importance  de  l'activité  libre  de  la  volonté 
collective,  qui  se  traduit  par  la  légisUilion  et  par  les  changements 
■dans  les  mœur»*;  il  veut  qu'on  tienne  compte  de  Tinlluence  des  con- 
sidérations morales  sur  l'histoire  politique.  M.  Iv...  est  intraitable  sur 
ces  questions,  surtout  sur  la  dernière  (p.  44)  :  la  morale  est  le  cau- 
chemar de  la  social'iémocratie. 

iM.  K.  soutient  que  Marx  et  Engels  ont  «  fait  entrer  les  faits  histo- 
riques d&ns  le  domaine  des  faits  nécessaires  »  (p.  21)  et  qu'ils  ont  été 
toujours  d*Herministe.^  (p.  20).  Malheureusement  il  se  trouve  que  Marx 
•et  Engels  n'ont  pas  voulu  «  ensevelir  leurs  nouveaux  résultats  scienti- 
fiques dans  des  gros  livres  à  l'usage  exclusif  du  monde  savant  »  (p.  60) 
■et  qu'on  ne  possède  que  des  petits  textes  prodigieusement  obscurs. 
M.  K...  ne  parait  pas  se  douter  de  cette  obcurité;  dans  la  préface  à  la 
Critique  de  Véconomie  politique,  qui  est  pleine  de  réminiscences 
hégéliennes,  il  ne  cherche  pas  à  découvrir  le  sens  spécial  et  technique 
des  mots  bestimmen,  bedingen,  bewusstsein,  sein,  etc.,  que  les  com- 
mentateurs emploient  à  tort  et  à  travers.  Qu'est  cette  détermination 
historique?  Comment  peut-on  la  constater  et  comment  en  faire  usage? 
Il  nous  renvoie  aux  travaux  des  historiens  marxistes,  estimant  que  les 
discussions  d'éclaircissement  sont  purement  scolastiques  (p.  17).  Où 
sont  donc  ces  travaux?  Si  le  type  est  vraiment  la  brochure  de  Marx 
intitulée  XVIII  brumaire  (p.  23),  le  matérialisme  se  réduit  à  une 
étude  concrète  des  classes  sociales;  si  M.  K...  a  en  vue  la  compilation 
sur  l'histoire  du  socialisme  qu'il  dirige,  il  nous  donne  de  tristes 
modèles;  car  cette  compilation  renferme  pas  mal  de  parties  ridicules; 
—  se  moque-t-il  du  public  quand  il  prétend  que  les  marxistes  éclairent 
l'histoire  par  l'étude  de  la  préhistoire  (p.  28)?  On  sent  facilement 
-qu'il  n'est  jamais  arrivé  à  M.  K...  de  faire  des  recherches  historiques 
suivant  les  méthodes  modernes. 

c.  Il  est  fort  difficile  de  savoir  ce  que  Marx  et  Ençels  appelaient  leur 
méthode  dialectique  empruntée  à  Hegel;  je  crois  qu'ils  n'entendaient 
point  par  ce  mot  une  même  chose;  M.  K...  n'entre  pas  dans  le  cœur 
de  la  question;  il  défend  la  dialectique;  mais  il  trouve  moyen  de  ne 
pas  nous  apprendre  ce  qu'il  entend  pir  ce  terme.  M.  Jaurès  a,  lui 
aussi,  défendu  la  dialectique  :  d'après  lui  c'est  une  manière  de  mettre 
en  évid»*nce  des  contradictions  et  de  trouver  la  solution  nécessaire  :  le 
mode  de  production  collectif  s'oppose  à  l'appropriation  individuelle  et 


86  lŒVUE    PHILOSOPHIQUE 

la  solution  est  dans  le  communisme  qui  permet  do  posséder  en 
commun  ce  qui  est  produit  en  commun  (Mou\:ement  socialiste, 
p.  271).  Engels  appelait  dialectique  une  suite  d*états  revenant  à  un 
point  de  départ  amplifié  (la  graine  se  nie  en  germant,  la  plante  plus 
tard  se  nie  en  fructifiant). 

M.  B...  reproche  à  la  dialectique  de  subordonner  l'histoire  à  un 
auto -développement  de  l'idée  et  de  tomber  ainsi  dans  Tarbitraire 
(p.  37).  M.  K.  prétend  que  Marx  n  a  point  prévu  l'avenir  par  la  dialec- 
tique et  qu'il  s'en  est  servi  seulement  comme  procédé  d'exposition 
(p.  50).  J'avais  émis  la  même  opinion  il  y  a  quelques  années  {Devenir 
social,  octobre  1897,  p.  874).  J'ai  d'ailleurs  signalé,  plusieurs  fois,  que 
Marx  n'a  explicitement  employé  l'appareil  hégélien  que  dans  l'avant- 
dernier  chapitre  du  premier  volume  du  Capitnl  :  est-il  raisonnable 
d'attacher  tant  d'importance  à  une  chose  si  exceptionnelle; les  social- 
démocrates  feraient  sagement  de  renoncer  à  la  dialectique. 

Ils  y  tiennent  parce  qu'ils  tiennent  à  l'idée  de  fausse  évolution  dont 
Marx  et  Engels  ne  se  sont  jamais  débarrassés  i.  L'histoire  est  divisée 
en  tranches,  dont  la  durée  est  indéterminée,  qui  sont  caractérisées 
chacune  par  une  formule  qui  s'applique  seulement  h  un  état  moyen,  et 
qui  se  succèdent  d'après  une  loi  logique  que  l'on  prétend  découvrir. 
Pas  moyen,  avec  celte  méthode,  d'étudier  le  passage  d'une  région  à  une 
autre;  en  effet  les  qualités  caractéristiques  de  l'état  moyen  ne  con- 
viennent pas  aux  extrémités;  le  passage  est  un  accident  livré  au 
hasard  et  sur  le  quel  la  volonté  humaine  a  une  grande  action,  soit 
pour  l'accélérer,  soit  pour  en  .-«tténuer  les  misères.  L'appréciation  du 
chemin  à  parcourir  manque,  dit  M.  B...  (p.  4ij;  on  aboutit  à  accorder 
une  confiance  illimitée  à  la  dictature  révolutionnaire  et  à  ne  guère 
tenir  compte  de  l'évolution  morale  des  masses.  C*est  à  cause  de  ces 
conséquences  que  M.  B...  proteste  contre  la  dialectique. 

Le  livre  de  M.  B...  a  fait  scandale  en  Allemagne,  parce  qu'il  discute 
les  questions  d'une  manière  laïque,  parce  qu'il  étudie  l'œuvre  de 
Marx  et  d'Engels  comme  celle  de  tous  réformateurs  sociaux,  en  admet- 
tant que  leur  pensée  a  évolué.  On  était  h.ibitué  àuneejcé^ésec/ërtcaZe, 
qui  prend  l'œuvre  en  bloc  et  en  tire  des  textes.  M.  Bourdeau  a  signalé 
que  c'est  de  cette  manière  que  procède  M.  K...  (Musée  socinU  octobre 
1896,  p.  127).  A  mon  avis  il  faudrait  aller  plus  loin  et  séparer  résolu- 
ment Marx  d'Engels;  M.  AVoltmann  l'a  essayé,  et  cette  tentative 
indigne  M.  K.  A  mon  avis  Marx  a  seul  laissé  des  œuvres  ayant  une 
valeur  philosophique;  Engels  a  fait  de  la  grosse  vulgarisation,  à  la- 
quelle il  a  donné  une  forme  pcdantes!.[ue  et  métaphysique  pour 
plaire  au  goût  allemand;  mais  beaucoup  de  personnes  fort  compé- 
tentes estiment  que  l'hégélianisme  est  fort  innocent  des  thèses 
qu'Engels  a  prétendu  en  faire  dériver.  M.  K.  me  semble  avoir  sur  les 

1.  Cf.  ce  que  j'ai  dit  dans  la  lu-êfaci'  h  ..  Fontu's  et  essence  du  socialisme  •,  par 
S.  Merlino.  (p.  XLI). 


ANALYSES.  —  j,  touRBET*  Le  problème  des  seares,  81 

méthodes  hég^iiliennes  de  singulières  idées;   tuadia  que  M.  H.   relève 

(comme  avait  fait  M,  Sombart,  mats  plus  exactement)  le  dualisme  qui 

existe  cbez  Marx,  qui  tantôt  raiâonne  eei  philosophe  évûtutionDiste  et 

tantôt  parle  si  souvent  en  révolutioimaire  blanquiste»  M.  K,„  trouve 

ûue  ce  dualisme  ne  constitue  pas  une  «  erreur  *^  mais  «  le  grand  Uit 

'liisionque  du  socialisme  de  Marx    ;  la  réconciliaiion  du  socialisme 

tttopique  et  du  mouvement  ouvrier  primitif  en  une  unité  phts  haute  » 

(p,  68);  qu'il  essaie  de  le  prouver!  Ce  sont  là  des  mots,  rien  que  des 

ftnota,  destinés  ft  produire  de  l'efîet  sur  le  public  allemand  :  l'Allemand 

'  veut  des  raisona  inaccessibles  à  la  simple  logique  latine, 

G.   SOHEL. 


Jacques  Lourbet.  —  LE  PROBLÉaiE  des  Sexes,  —  (Y*  Giard  et 
E,  Hrière,  éditeurs.) 

Daua  ce  livre,  beaucoup  de  science  et  d'érudition  alliéea  aux  plus 
louablea  sentiments;  une  réfutation  très  solide  et  très  sérieuse  de  t^er- 
laina  dogmes  soi-disaut  acientiOquas  comme,  par  exemple,  le  prétendu 
rapport  entre  rintelllgence  et  le  poids  du  cerveau,  etc. 

Maïs  on  ne  peut  s*empêcher  de  constater  que  le  problème  dci  sexes 
n'est  pas  abordé  de  front,  sur  son  véritable  terrain,  et  il  existe,  par 
conséquent,  entre  les  prémisses  et  les  conclusions  de  M.  Lourbet,  une 
certaine  disproportion  qui  déroute  le  lecteur. 

C^est  à  peine  si  Tauteur  parle  du  mariage;  cinquante  lignes  fiont 
èOfiBacrées  à  k  réhabilitatiO]i  des  filleB^inêres^  la  question  de  la  pros- 
lilution  est  à  peine  effleurée* 

Or,  ce  sont  là  précisément  les  points  délicats,  les  régions  encom- 
brées de  dlf acuités  et  d'obstacles,  peut-être  insurmontables,  en  tout 
eus  les  eûtes  véritablement  intéressants  du  problème  des  sexes. 

Quand  on  néglige,  en  effet,  dans  la  vie  de  l'homme  et  de  la  femme, 
tout  ce  qui  se  rapporte  à  Tœuvre  de  la  perpétuation  de  respècei  Téga- 
lilé  des  deux  sexes  devant  la  loi  s'impose,  même  si  Ton  admet,  a  tort 
OU  à  raison,  entre  Thomme  et  la  femme,  des  inégalités  d'ordre  essen- 
tiel^ constitutionnel  en  quelque  sorte. 

La  femme  est  un  Ôtre  humain,  au  morne  titre  que  Thomme:  en  tant 
qu*étre  humain,  en  tant  que  personne  humaine,  elle  doit  jouir  des 
mêmes  droits.  Qu  elle  soit,  en  moyenne  ^  plus  petite^  moins  forte  phy- 
siquement, moins  apte  aux  inventions  en  tout  genre,  qu'importe?  Il 
n'y  apoinitle  lois  spéciales  pour  les  hommes  grands  ou  petits,  forts 
ou  dêbile's,  intelligents  ou  sots,  et  il  ne  peut  y  en  avoir.  Car  la  loi,  qui 
dispose  d'une  façon  générale^  ne  peut  disposer  que  d'après  des  pré- 
somptions fondées  sur  les  moyen  ne  s  i  —  des  moyennes  aussi  bas?îcs 
i|ue  possible  -^  et  il  n'existe  aucune  relation  connue  entre  la  moralité. 


I.  Ne  pas  oublier  qu'une  moyenne  eit  le  seul  ehilTre  peu t-^ Ire  dont  on  pui*5se 
dire  r|a*ii  est  (certaine  m  cal  faux. 


8B 


REVLE    HIILaMJi*lllUUE 


raptitufie  â  teîle  profession,  Vini^Uv^ence,  le  génie  et  tel  ou  tel  caarao- 
tere  physique,  comme  la  taille,  \r  poidSi  ta  force. 

Pour  ce  qui  est  des  professirms^  J.  Btuart  MiU  a  complèlemeiit 
raisf>ri;  le  classement  se  fera,  là  comme  ailleurs,  par  la  libre  concur- 
rence et,  à  la  longue  tout  au  moins,  il  est  in  Uniment  probable  que  les 
femmes  usertnit  de  leur  liherfé  pour  se  dirîfjrer  dans  les  %'oieB  qui  con- 
viendront le  mieux  h  leurs  qualités  spét-iHles, 

H  serait  déraisonnable^  sous  prétexte  que  la  taille  moyenne  est  plus 
petite  pour  Ton  des  sexes  que  pour  l'autre,  d'obliger  les  femn*es  4 
entrer  dans  l'édifico  social  par  une  p<>rte  plus  petite  que  celle  réservée 
aux  hommes.  Il  est  bien  plus  naturel  et  plus  équitable  d'ouvrir  une 
seule  porte,  assez  haute  pour  que  tous  et  toutes  puissent  passer  des- 
sous «ans  se  courber.  Pas  de  donle  la-dessus. 

Mais  encore  une  fois»  ce  n'est  pa^  là  le  vrai  problème  des  se%es,  et  il 
faut  avoir  le  courage  de  FenvîsBger  en  face.  Dans  rœuvre  û^t  la  per- 
pétuation de  Tespèi^e,  le  rôle  de  la  femme  et  celui  de  Thomme  ne  sont 
nullement  égaux,  ni  même  L^quivalents, 

Je  ne  parle  pas  ici  de  la  conception,  dont  la  théorie  est  encore  trop 
obscure  et  mal  connue  pour  qu'il  f^oit  poss^^ible  d'en  tirer  une  conclu- 
sion quelconque.  Mais  la  gestation,  la  parturition»  rallaitenaeiit,  la 
première  éducation  de  reofant,  toute  cetle  tâche  si  laborieuse,  sî 
pénible,  si  douloureuse,  si  aî^SMJetttssanle,  dévolue  â  la  mère,  n'a  point 
son  équivalent  dans  les  attributions  du  père.  Et,  sous  ce  rapport,  la 
femme  a  été  traitée  par  la  nature  d'une  faç'm  si  cruelle,  sî  barbare, 
qu  un  s  est  évertué  à  en  forger  des  explii-ations  comme  la  fable  du 
fruit  défendu,  par  exemple. 

Il  a  fallu  surtout  trouver  une  compensation,  car  un  être  aussi  visi- 
blement opprimé  par  les  fatalités  naturelles  est  absolument  hors  d'état 
de  pourvoir,  à  lui  seul,  à  la  nourriture,  à  l'entretien^  à  la  défense  d# 
la  famille.  Celte  tâche  a  été  réservée  au  père. 

Mais  quelque  pénible  et  ardue  qu'elle  puisse  être  à  certains 
moments^  cette  lâche  elle-même  constitue  une  compensation  très 
in^^uflisante,  et  il  n^y  a  pas  un  homme  de  cœur,  animé  de  sentiments 
généreux  et  délicats  qui»  assistant  à  la  naissance  d^m  de  ses  enfants, 
ne  se  demande  avec  angoisse  comment  il  pourra  jamais,  à  force  de 
tenfJre6É?e.  de  soins,  de  dévouement,  faire  oublier  a  sa  compagne  de 
pareilles  soulïrances. 

Bi  cette  compensation  —  la  seule  que  puisse  donner  la  loi  —  est 
insu  f  lisante,  où  en  trouver  une  autre  Y  Four  ma  part  je  ne  vois  que 
le  respect,  la  considération,  la  déférence,  les  honneurs  en  un  mot 
dont  la  société  pourrait  et  devrait  entourer  la  mère.  On  honore  le 
soldat  qui,  dans  une  bataille,  risque  sa  vie  pour  sa  patrie,  A  chaque 
grossesse,  la  femme  aussi  risque  sa  vie  et  sa  santé  pour  la  perpétua- 
tion de  rhumanité. 

Mais  la  question  est  plus  eoinpliquée  encore.  L'affection  paternelle 
n'est  pas,  à  proprement  parler,  un   sentiment  naturel.   L'homme  ne 


ANALYSES.  —  J,   lOtJRïiET.  Le  problèittf  de«  nfureê. 


89 


s*attâcba  à  ses  enraiitfï,  ne  travaille  pour  eux  qu'à  lu  coaditîon  qu'il 
les  croi*^  bien  à  lui,  cten  riiison  même  des  soinsqu'iïleuradoimés.Or  la 
prtuve  matérielle  de  la  p.^ternitée'^l  impossible  à  fournir.  Ceaen iment 
procède  d'un  acte  de  foit  en  quelque  sorte,  de  la  conliance  absolue 
ditns  lii  fidélité  de  li  femme  à  Inqueïle  l'hurame  îi  donné  son  nom. 

De  lîi  ce  concept  pariiniHer  de  Thonnenr  féminin  qu'on  reirouve 
%hex,  tou«  les  peuples  sous  des  formes  diffère  nies;  de  là  cetle  sévérité 

ïur  U'ft  iniidélitts  de  la  femme,  cette  indulgence  relative  pour  celles 
de  riiomtne;  inégalité,  logiquement  choquante,  qui  ne  s*expïique  et 
ne  se  justifie  que  par  Fintérét  social,  .-ittaché  h  la  conservation  de  la 
fâmilî*\  au  maintien  et  an  développement  du  sentiment  de  lapateniïté, 

î)c  11  en  lin  cette  institiitîon  du  mariage  qui  est,  quai  qu'on  die,  la 
pierre  an  cru  la  ire  de  la  société  et  qui,  par  essence»  hors  certains  cas 
morbides  très  rares,  est  et  doit  être  indissoluble.  En  effet,  la  physio- 
lo*x^i2  nous  apprend  que  souvent  les  enfants  d  un  second  lit  ressemblent 
À  ceux  du  premier.  Pour  le  second  mari  d'une  veuve,  cette  ressem- 
blance n*ii  rien  U'inquiétunt.  Pour  le  mari  d'une  femme  divorcée,  il 
n'en  est  pas  de  même,  et  le  sentiment  paternel  diins  ce  dernier  eaa 
doit  être  singulièrement  affaibli  par  la  poi^sibilité  de  ce  doute*  La 
thèse  récemment  portée  au  théâtre  par  M.  llermani,  dans  rEiuprtMUte, 
est  auiisi  d^une  vérité  profonde,  et»  à  ces  titres  divers,  on  peut  dire 
que  le  rétabli ssenient  du  divorce  est  une  des  erreurs  les  plos  graves 
de  la  période  trentenaire  qui  vient  de  s'écouler* 

Qu^nl  à  «  Tunion  libre  «que  le  romantisme  et  ses  divers  succédanéa 
ont  portée  aux  nues^  il  est  à  peine  besoin  de  Teica miner.  La  société 
ne  peut  s'occuper  d*une  association  qu'on  ne  lui  fait  même  pas  con- 
naître ofiicielïement.  C  est,  du  reste,  une  des  plus  monstrueuses  exploi- 
tai lOtis  de  cette  inégalité  eonsiitutionnellc  des  deux  sexes.  L'homme 
qui  préfère  au  mariage  l'union  libre^  de  quelques  dehors  po*^Mques 
qu'il  essaye  de  parer  la  chosCt  est  tout  bonnement  un  monâicur  qui 
veut  se  réserver  les  moyens  de  planter  là,  quand  il  le  voudra*  la 
femme  qui  a  eu  la  sottise  de  Técouter,  et  de  laisser  h  sa  charge 
eEcîIusive  les  enfants  qui  seront  nés  de  cette  association  preCctire. 

Maïs  ici  surfit  une  question  d^une  épouvantable  gravité  et  dant  les 
dif  lieu  nés  semblent  insurmonrablcs.  Je  veux  parler  de  la  pro.Htitulion 
puhli  [ue^  tolérée,  patentée  par  TÉtat, 

Au  pomt  de  vue  social,  c'est-à-dire  au  point  de  vue  de  la  constitua 
tion  de  h\  famille  qui  est  la  vraie  molécule  sot^iale',  le  mariage  a  été 
fonrtv  >5Ur  les  banes  de  la  fidélité  réciproque  des  époux,  avec  une  lolé 
rance  particulière  pour  les  infidélités  de  Thomme. 

Ur  V'tici  que,  sur  un  point  essentiel,  l^  société  se  trouve  en  contra- 
dicti  iU  avec  liinature»  L*homme  est  ou  peut  être  pubère  a  partir  de  quinze 


I.  Un  ar  pcul  atlnhupr  ce  rôle  à  rindividti  dont  la  durée  n'est  pfls  compara- 
ble à  i"ellc  Jr-  la  ^iM^'W'if.^  dunt  ri-^siistoncr  même  ue  peut  sr  f'unc<3 voir  tin  Obbors 
eu  milieu  soctaL 


90  REVUE  PHILOSOPHIQUB 

OU  dix-huit  ans;  avant  vingt-quatre,  vingt-six  ans,  souvent  même  plu» 
tard,  surtout  dans  les  conditions  de  la  vie  moderne,  il  ne  lui  est  guère 
possible  de  songer  à  fonder  une  famille,  c'est-à-dire  à  se  marier. 

Que  faire,  comment  se  conduire  pendant  cette  période?  Théorique- 
ment, il  n*y  a  qu'une  seule  solution  acceptable,  c'est  la  solution 
adoptée  par  l'Eglise  catholique,  la  continence  absolue,  solution 
admise  d'ailleurs  et  généralement  pratiquée  pour  une  nombreuse 
catégorie  de  jeunes  filles.  Mais,  soit  que  l'éducation  plus  libre  donnée 
aux  jeunes  gens  surexcite  en  eux  des  appétits  irrésistibles,  soit  que 
les  exigences  du  tempérament  masculin  soient  plus  impérieuses,  cette 
continence  est  bien  difficile  à  observer.  Elle  peut  offrir  même  de  très 
graves  inconvénients  sur  lesquels  il  est  inutile  d'insister.  -En  tout  cas, 
il  existe  un  grand  nombre  des  célibataires  de  tout  âge  auxquels  il 
serait  impossible  de  l'imposer. 

C'est  alors  qu'intervietït  la  prostitution  publique,  cette  plaie  peut- 
être  incurable  des  sociétés  humaines,  et  par  laquelle  toute  une  caté- 
gorie de  femmes  est  vouée  au  plus  monstrueux  et  au  plus  révoltant 
esclavage  K  Et  ce  qu'il  y  a  de  plus  choquant,  c'est  que  ces  femmes, 
vouées  à  la  satisfaction  des  appétits  masculins,  sont  méprisées  de 
tous,  spécialement  de  ceux  qui  s'en  servent. 

Cette  prostitution  a  existé  dans  tous  les  pays,  dans  tous  les  temps, 
dans  tous  les  lieux  avec  le  régime  de  la  monogamie  comme  avec 
celui  de  la  polygamie.  Même  à  Rome,  sous  le  gouvernement  temporel 
d'un  prêtre  chrétien,  prêchant  une  morale  ascétique,  estimant  le 
mariage  lui-même  moralement  inférieur  au  célibat,  la  pro<«titution 
non  approbnbfitur  sed  tolernbatur  ad  cavenda  majora  mala. 

Tous  les  efforts  tentés  pour  guérir  ce  fléau  sont  restés  infructueux; 
les  plus  anciens  comme  les  plus  récents  n'ont  fait  plutôt  que  l'aggra- 
ver. L'avenir  sera-t-il  plus  heureux?  Cette  question  reste  la  plus 
grave  et  certainement  la  plus  difficile  à  résoudre  parmi  celles  qui 
composent  le  problème  des  sexes. 

L'œuvre  de  la  maternité  une  fois  terminée,  les  femmes  pourraient 
et  devraient  avoir  un  libre  accès  aux  fonctions  publiques,  administra- 
tives surtout.  Elles  y  apporteraient,  plus  que  les  hommes  souvent, 
au  moins  dans  le  détail,  des  aptitudes  naturelles  développées  et 
exercées  par  les  soins  antérieurement  donnés  au  ménage.  Les  com- 
munes, les  hospices,  les  bureaux  de  bienfaisance,  etc.,  gagneraient 
très  probablement,  et  beaucoup,  à  être  administrés  par  des  femmes. 

Il  y  a  trente  ans,  au  moment  du  siège  de  Paris,  de  nombreuses 
associations  se  formèrent  pour  donner  du  travail  et  des  secours  aux 
familles  nécessiteuses.  Les  associations  constituées  par  des  hommes 


1.  Dumas  en  a  donné  celte  délinition  féroce  autant  que  vraie:  «  pour  une 
somme  qui  varie  de  vingt  centimes  à  vingt  francs,  le  premier  goujat,  le  pre- 
mier ivrogne  venu  peut  posséder  une  femme  vivante  e»  assouvir  sur  elle  la  bru- 
talité de  ses  appétits.  - 


ANAi.YS£S.  —  L.  XOKL,  La  Conscience  du  libre  arbitre.       9i 

perdaient  des  jours  et  des  ficmaineâ  h  cliiborer  a  des  règlemenls  ■.  à 
nommer  des  présidents^  vîce-présideritSi  secrétaires,  etc*  Vin  quarjinte- 
huH  heures,  iiii  coritraireT  les  associations  constituées  par  des  femmes 
avaient  déjà  faîtieuvre  utile  et  sûcouru  de  nombreuses  misères.  Ce  qui 
faisait  dire  à  un  philosophe  contemporain  :  «  Ce  qu*il  y  a  décidément 
de  meilleur  duns  l'homnie  j-  c'est  la  femme. 
^^^■l  GËOaeiES  GUÎROCÏLT. 

r 

■  ei 


IV.  —  Morale. 


Léon  Noël,  —  ]j\  coNsciK-vci-;  ou  uune  arbitre,  i  voh  in.  i2  de 
vti'tî^^  pp.  Lûuvain,  Institut  supérieur  de  philosophie,  et  Paris, 
Lethîelleux.  mm. 

L'essai  de  M.  Noël,  ainsi  que  lui-même  nous  en  avertit  dès  Tavant- 
^mposr  se  rattache  à  la  doctrine  de  suhit  Thomas,  «  vieille  de  plusieurs 
siècles,  neuve  toujours  u  (p,  VI).  Cela  n'empêche  pas  Tauieur  d'être, 
en  ^éiiéral»  exactement  informé  en  ce  qui  concerne  les  doctrines 
ï%cluellt^fî,  et  de  les  présenter  sous  leur  vrai  jour»  ce  que  nv  font  pas 
iousle^  nco-acûlaâiiques.  —  Llmportance  du  problème  du  libre  arbitre 
Q'e»t  pas  exagérée  par  lui;  il  y  voit,  avec  quelque  raison»  le  point 
central  de  la  spéculation  contemporame,  et  il  note  justement  les  Mena 
«frotta  qui  unissent  ce  problème  à  celui  de  la  cimnaîssance  (p.  Vi.  Il 
n*ii  pas  voulu^  d'ailleurs,  épuiser  la  question  du  libre  arbitre.  11  s*est 
proposé  de  retracer  Tetat  actuel  de  cette  question,  et  de  rétablir  dans 
«es  droits  un  argument  trop  dédaigné,  celui  de  la  conscience  immé- 
diate. D'adleurs,  il  ne  pouvait  rendre  à  cet  argument  sa  place  légitime 
ns  remonter  à  des  considérations  métaphysiques  relatives  à  la  ftub- 
tance  et  à  la  cause.  De  là  la  division  de  Touvrage  en  cinq  chapitres  : 
1*  L*an/iïiomï<?,  telle  qu'elle  est  posée  par  Kant,  entre  le  déterminisme 
et  la  liberté,  c^est-à-dire  entre  la  science  et  îa  morale  ;  2"  L'explicaliori 
déterministe  de  la  morale  et  de  lu  liberté;  3**  Les  thèorien  indéfermi- 
niêlps^  qui  Tout  évanouir  la  science;  î*  La  question  de  f^if^  c'est-à-dire 
Tanalyse  de  la  conscience  et  la  découverte  indéniable  de  la  liberté  de 
chot3£;  5**  Ln  qttestion  de  droite  c'esi-u-dire  l'explication  de  la  liberté  de 
choix  par  la  finalité  de  l'acte  et  par  Taction  divine,  double  raison  du 
libre  arbitre. 

1°  M.  Noël  expose  brièvement  la  théorie  kantienno  de  la  connais* 
San  ce.  H  remarque,  avec  M.  Boutroux^  que  les  recherches  de  Kant 
portent,  non  pas  directement  sur  Tètre,  mais  sur  les  conditions  de  la 
srit^nce  et  de  la  morale.  De  la^  une  séparation  radicale  entre  les  deux 
domaines  :  la  science  n'atteint  que  lea  phénomènes,  et  ^lle  ne  fait 
iicune  place  a  la  liberté;  la  morale  a  pour  effet  la  volonté  raisonnable 
il  elle  postule  rautonomie  de  la  rnison,  e'est*à^dire  la  liberté.  Kant  no 
peut  admettre  la  conscience  du  libre  arbitre,  car  toute  conscience  est 
phénoménale  et  soumise  au  déterminisme,  mais  il  admet  la  conscience 
de  Is  reaponsabilité,  laquelle  exige  la  réalité  du  libre  arbitre*  —  Telle 


^i  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

est  r.antinomie  kantienne.  Kant  essaye  de  résoudre  Ténigme  par  sa 
théorie  de  la  chose  en  soi,  de  la  liberté  intelligible;  mais  M.  Noël  ne 
croit  pas  à  lefficacité  de  cette  solution.  Il  arrache  à  Kant  lui-même 
Taveu  que  cette  théorie  nous  assure  uniquement  une  responNabilité 
dans  l'ordre  idéal.  L'antinomie  est  insoluble,  parce  qu'il  y  a  une  con- 
tradictio.i  implicite  au  fond  du  kantisme.  Aussi  la  Bpéculation  post- 
kantienne a-t-elle  dû  renoncer  à  ce  dualisme.  Les  uns  ont  opté  ponr 
la  science  :  ce  sont  les  déterministes.  Les  autres  ont  cru  opter  pour  Li 
morale  et  la  liberté  :  ce  sont  les  indéterministos.  Kant  est  donc  le  pro- 
moteur de  tout  le  mouvement  contemporain. 

2"  Les  déterministes,  à  quelque  école  qu'ils  appartiennent,  voient 
dans  le  déterminisme  absolu  la  condition  essentielle  de  la  science. 
Cela  tient  à  leur  phénoménismc.  Si,  en  elTet,  toute  réalité  se  réduit  au 
phénomène,  le  seul  enchaînement  que  Ton  puisse  concevoir  entre  les 
choses  sera  la  transformation  d'un  phénomène  en  un  autre  phénomène, 
la  substitution  mécanique,  ou  plutôt  l'apparence  de  transformation  et 
Tidentité  foncière.  —  Ce  détermini^^me  phénoméniste  revêt  plusieurs 
formes,  monisme  mécaniciste  de  Spencer,  épiphénoménisme  des  psy- 
cho-physiologistes, théorie  des  idées-forces  de  M.  Fouillée.  Mais,  sous 
ees  diverses  formes,  il  doit  rendre  compte  du  sentiment  du  libre  arbitre 
et  du  sentiment  de  la  responsabilité.  —  L'explication  du  premier  de  ces 
sentiments  revient  toujours  à  l'admission  d'une  nécessité  qui  nous 
réi^irait  à  noire  insu,  suivant  la  théorie  de  Spinoza.  M.  Fouilh'e,  ainsi  que 
Wundt,  donne  à  cette  explication  une  forme  plus  savante,  en  recou- 
rant à  l'intervention  inaperçue  du  caractère  psychique.  Quant  au 
témoicrnage  que  rend  la  conscience  en  faveur  du  libre  arbitre,  Stuart 
Mill  l'écarté  en  observant  que  la  conscience  porte  uniquement  sur  ce 
qui  est  actuel.  M.  Fouillée  voit  le  défaut  de  cette  réponse;  la  conscience 
perçoit  les  tendances  inachevées  et  opposées,  elW  assiste  donc  à  l'équi- 
libre instable  entre  les  contraires.  Mais  cet  équilibre  instable  n'en  es* 
pas  moins  déterminé,  et  la  décision  linale  n'est  donc  pas  l'œuvre  d'une 
spontanéité  sans  motifs;  les  motifs  sont  actifs  et  non  inertes,  et  ils 
luttent  pour  la  victoire;  c'est  le  plus  fort  qui  l'emporte.  —  Quant  au 
sentiment  de  la  responsabilité,  lequel  implique  celui  du  bien  et  celui 
de  l'oblig.ition,  les  déterministes  prétendent  que  leur  docrine  en  rend 
compte  mieux  que  la  doctrine  opposée,  en  raison  du  lien  qu'elle  éta- 
blit entre  les  phénomènes  de  1  ame.  Ils  ajoutent,  avec  Stuart  Mill,  que 
nous  pouvons,  tout  déterminés  que  nous  sommes,  modifier  notre 
caractère,  et  que  là  réside  le  secret  du  sentiment  que  nous  avons  de 
la  liberté  morale. 

:]'  Pourtant  une  réaction  s'est  produite  contre  le  déterminisme,  et 
cela  au  nom  du  sentiment  moral,  lequel  implique  un  désintéressement 
incompatible  avec  la  détermination  absolue.  M.  Fouillée  cherche  à  con- 
cilier les  deux  points  de  v  ne  grâce  à  un  moyen  terme  qui  sera  l'fdée  de 
liberté.  L'image  de  la  liberté  se  trouve  ainsi  réalisée  dans  le  déteiimi- 
ni6mo.  D'autre  part,  la  possibilité  d'une  liberté  individuelle  dans  i'Incon- 


ANALYSES.  —  L.  NOËL.  La  conscience  du  libre  arbitî-e.        9$ 

naissable  viendra  lever  toutes  les  hésitations,  et  nous  pourrons  agir  et 
nous  attribuer  nos  actes.  —  M.  Bal  four  va  plus  loin.  Il  voit  dans  la 
liberté  un  objet  de  croyance,  et  il  met  la  morale  au-dessus  de  la  science 
— 'M.  ilenouvier,  qui  rejette  le  noumène  kantien,  veut  introduire  la 
liberté  dans  les  phénomènes.  La  liberté  est  l'objet  d'une  croyance 
nécessaire,  car  seule  elle  peut  fonder  la  certitude.  Le  déterminisme 
absolu  est  absurde,  car  il  implique  l'admission  du  nombre  infini;  il  n'a 
rien  de  scientilique,  et  il  n'y  faut  voir  qu'une  hypothèse  abusive.  La 
liberté  phénoménale  a  sa  place  naturelle  dans  la  délibération;  les 
motifs  sont  automotifs.  —  La  théorie  de  M.  Renouvier  prétendait  con- 
cilier le  déterminisme  scientiliquo  avec  Tindétorminisme  moral.  Les 
adeptes  du  mouvement  conlingentiste  vont  nier  le  détermisme  scienti- 
fique au  nom  de  l'indéterminisme  de  l'action.  C'est  ainsi  que  M.  Bou- 
troux  s'efforce  d'établir  la  contingence  des  lois  de  la  nature;  les  degrés 
de  rétre  sont  indépendants  les  uns  des  autres;  le  développement  de 
rètre  à  chaque  degré  n'est  pas  soumis  à  une  loi  nécessaire;  Tordre  de 
l'univers  est  assuré  par  la  finalité,  laquelle  réclame  la  contingence. 
Ainsi  les  sciences  statiques  perdent  leur  valeur  au  profit  des  sciences 
historiques.  —  Aux  idées  de  M.  Boutroux  se  rattachent  celles  de 
M.  Bergson.  La  distinction  entre  Vespcice  et  la  durée  va  permettre  de 
retrouver  la  liberté  au  sein  do  la  conscience.  En  éliminant  de  Cflle-ci 
tout  élément  spatial,  on  l'arrache  au  déterminisme,  on  lui  assure  une 
entière  spontanéité.  Mais  aussi  faut-il  se  garder  de  toute  définition,  de 
touie  fixation  de  cette  vie  fuyante  qui  est  la  vie  intérieure.  Le  moi' 
superficiel  et  habituel  est  seul  ^oumis  à  rintelligence  et  à  la  prévisi(in  ; 
le  moi  profond  est  irrationnel,  —  Ainsi  les  contingentisies  ont  choisi  à 
leur  tour  entre  les  deux  termes  de  l'antinomie  kantienne;  il  ont 
sacrifié  la  science  à  la  liberté.  Mais  la  liberté  n'est  plus  à  leurs  yeux  que 
la  pure  spontanéité;  elle  échappe  à  toute  loi,  et  elle  supprime  la  possi- 
bilité même  d'une  morale.  Cette  conséquence  est  mise  au  net  par 
M.AVeber,  lequel  proclame  tout  ensemble  l'amoralisme  et  la  suprématie 
du  fait,  —  Nous  relèverons  ici  une  erreur  où  e^t  tombé  M.  Noèl,  à 
Tordinaire  si  exact.  M.  Jean  Weber,  auteur  de  cette  élude  sur  l'acte, 
n'est  pas  l'auteur  d'une  autre  étude  publiée  également  par  la  Revne  de 
Métaphysique  et  intitulée  :  VIdéatisme  Ionique  \  celle-ci  est  due  à 
M.  Louis  Weber.  Il  est  également  inexact  de  présenter  les  écrivains 
de  la  Revue  de  Métaphysique  comme  constituant  une  école  contingen- 
tiste  qui  relèverait  de  M.  Bergson.  Cette  revue  est  ouverte  à  des  pen- 
seurs bien  différents  par  leurs  tendances;  et  il  serait  difficile  de  trans- 
former en  un  contingentiste  bergsonien  l'intellectualiste  M.  Bruns- 
chwicg  ou  le  rationaliste  M.  Dunan. 

4®  L'argument  de  fait  se  divise  en  deux  :  d'abord  Texpérience  que 
nous  avons  de  notre  responsabilité,  puis  l'expérience  directe  de  notre 
liberté.  —  Il  faut  reconnaître  que  le  déterminisme  laisse  subsister  une 
certaine  notion  du  bien,  que,  d'autre  p.«rt,  et  contrairement  à  ce  que 
croit  M.  Renouvier,  la  certitude  n'implique  pas  le  libre  arbitre.  Mais  le 


94  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

déterminisme.  8*il  explique  Tattrait  exercé  par  le  bien,  n'explique  pas 
la  force  dero6/i{;a^to7i;  il  n'explique  pas,  non  plus,  la  notion  du  mérite 
ou  celle  de  la   faute.  La  responsabilité  met  donc  le  déterminisme  en 
échec.  Vidée  force  de  liberté  ne  peut  remédier  à  cet  échec,  car  l'idée 
de  liberté  n'est  pas  la  liberté  et  elle  ne  saurait  rendre  compte  de  la 
croyance  à  la  responsabilité.  —  Mais  ce  lien  étroit  entre  la  liberté  et 
la  responsabilité  prouve  t-il  que  la  liberté  soit  réelle?  La  responsabilité 
ne  se  suffit  pas  à  elle-môme;  la  i-erlitude  objective  du  devoir'et  de  la 
responsabilité  dépend,  en  dernière  analyse,  de  Texistence  réelle  de  la 
liberté,  ainsi  que  l'a  bien  vu  xM.  Fonsegrive.  11  importe  donc  de  recher- 
cher si  la  liberté  esixinfait  d'expérience.  —  Il  ne  suffit  pas  de  recourir 
aux  données  prétendues  de  la  conscience  spontanée,  car  celles-ci  pour- 
raient se  réduire  à  une  inférence  illusoire.  Mais  il  semble  que  la  cons- 
cience réfléchie  nous  atteste  le  libre  arbitre  par  la  constance  môme  de 
notre  croyance  à  sa  réalité.  L'objection  de  Stuart  Mill  contre  la  cons- 
cience de  la  puissance  ne  porte  pas,  car  la  puissance  du  libre  arbitre 
est  déjà  un  acte  ébauché.  L'instance  de  M.  Fouillée  n*est  pas  valable 
non  plus,  car  elle  suppose  que  la  volonté  n'existe  pas  à  part  des  motifs, 
ce  qui  est  inexact.  L'observation  interne  et  la  science  nous  attestent 
l'existence  d'une  activité  propre,  capable  do  réa^^^ir  sur  les  motifs,  de 
leur  appliquer  ou  de  leur  refuser  l'attention,  de  leur  assurer  ainsi  la 
prédominance  finale.  La  décision  n'est  pas  déterminée  par  lattraitdu 
meilleur,  car  le  meilleur  n'est  tel  quo  par  l'activité  qui  le  préfère.  Les 
'  motitx  sont  mes  motifs;  ils  ne  sont  pas  créés  par  la  volonté,  mais  c*e8t 
elle  qui  leur  prêle  tel  ou  tel  aspect.  Par  là  môme,  la  décision  est 
l'œuvre  de   la   volonté,  qui    met  un  terme  à  l'indétermination  de  la 
pensée,  m  se  fiiisnnt  une  rnisoyi  c/'aj/ir,  et  qui  demeure  toujours  libre 
de  modifiier  sa  décision  ou  de  la  maintenir.  —  Telle  est  la  doctrine  de 
saint  Thomas,  lequel  voit  le  principe  du  libre  arbitre  dans  la  nature 
spirituelle   de  Thonmie,  dans  le  mouvement  qui  emporte  ia  volonté 
vers  le  bien  en  général,  et  dans  le  caractère  relatif  de  tous  les  biens 
qui  nous  sont  oflferts  par  Tintelligence.  Cette  doctrine  échappe  à  l'ob- 
jection  que   soulèvent   les  doctrines  contingentistes;   elle  n'est  pas 
inutionnelle.  —  Reste  une  objection.  La  conscience  de  ma  liberté  ne 
vient-elle  pas,  au  fond,  de  ce  que  je  n'ai  pas  conscience  de  ma  dépen- 
dance? Cotte  objection  est  insoutenable,  car  il  s'agit  des  actes  accom* 
plis  dans  la  pleine  lumière  de  la  rèllexion.  et  j'ai  pdsitivement  conscience 
dan^  ce  cas  de   nie  déterminer  moi-même  à  vouloir.  Toutefois  cette 
conscience  ne  porte  que  sur  les  actes  de  la  volonté,  non  sur  leur  cause, 
c'est-à-dire  sur  l.i  volonté  eile-m(>me.  Aussi  reste-t-il  à  compléter  le 
fuit  indubitable  par  la  recherche  du  principe  qui  l'explique. 

>  Le  libre  arbitre  est-il  en  contradiction,  ainsi  qu'on  Ta  prétendu, 
avec  la  loi  de  causalité  ou  de  raison  suftisante?|Observons  tout^d'abord, 
que  nous  n'attribuons  pas  à  ces  lois  une  valeur  formelle;  nous  rejetons 
ndéalisme.  et  iious  subordonnoi\s  par  suite  la  nécessité  des  lois  à  Texis- 
tence  réelle  des  termes  quelles  doivent  relier.  L>ès  lors,  cause  su/'/isanfe 


ANALYSES.  —  L.  NOËL.  La  conscience  du  libre  arbitre,        95 

et  cause  nécessitante  ne  sont  plus  termes  équivalents.  D'autre  part, 
nous  n*adniettons  pas  le  phénoménisme,  ni  par  suite  Tidentité  des  phé- 
nomènes qui  se  transformeraient  Tun  dans  Tautre.  La  solidarité  des 
phénomènes  leur  vient  de  leur  inhérence  commune  à  la  substance.  Dès 
lors,  la  raison  des  phénomènes  se  trouve  dans  la  nature  de  la  subs- 
tance, dans  la  finalité  qui  constitue  cette  nature.  La  détermination  pro- 
cède d*un  principe  interne,  et  les  causes  externes  ne  sont  plus  que 
des  adjuvants,  des  occasions  d*agir.  Par  là,  la  théorie  de  M.  Noël  se 
sépare,  ainsi  qu*il  le  remarque,  de  celle  de  M.  Boutroux;  contingence 
et  finalité  ne  sont  pas  termes  solidaires;  la  finalité  s'accommode  très 
bien  de  la  nécessité,  elle  en  est  même  la  condition.  •—  Cette  théorie  de 
la  substance  et  de  la  cause  finale  permet  d'expliquer  Tacte  libre.  L'être 
spirituel  aspire  naturellement  au  bien  universel;  mais,  capable  de 
réfléchir  sur  cette  volonté  primordiale  et  sur  lo  jugement  de  conve- 
nance à  regard  du  bien  particulier  que  lui  offre  Tintelligence,  il  peut 
donc  se  déterminer  lui-même  à  juger  et  à  vouloir.  Sa  liberté  procède 
ainsi  d'une  nécessité  première,  car  il  ne  dépend  pas  de  la  volonté  d'as 
pirer  ou  non  au  bien  universel.  Cette  nécesité  première  est  l'œuvré 
de  Dieu,  mais  M.  Noël  ne  veut  pas  rechercher  comment  cette  action 
divine  se  concilie  avec  la  liberté  elle-même.  La  conclusion  de  son 
étude,  c'est  que  la  liberté  de  Thomme  repose,  en  définitive,  sur  sa 
nature  intellectuelle ^  et  il  rappelle,  à  l'appui  de  cette  conclusion, 
l'autorité  de  Léon  XIII. 

Nous  avouerons  que  les  trois  premiers  chapitres,  les  chapitres  de 
critique,  nous  ont  paru  beaucoup  plus  intéressants  et  plus  forts  que 
les  deux  derniers,  consacrés  à  la  théorie.  Et  c'est  pour  nous  un  véri- 
table étonnement  que  de  voir  M.  Noël,  lui  qui  comprend  si  nettement 
et  expose  si  clairement  les  doctrines  des  penseurs  modernes,  adopter 
avec  une  docilité  aussi  exemplaire  les  solutions  du  thomisme.  Si  la 
critique  n'avait  pas  fait  son  œuvre,  on  pourrait  expliquer  le  libre  arbitre 
par  la  notion  de  substance;  mais  nous  avons  lu  Berkeley,  Hume 
et  Kant,  et  il  nous  est  diflicile  de  revenir  à  Vidolologie  du  passé.  Difli- 
cile  également  de  personnifier,  à  la  manière  de  saint  Thomas,  Tintelli- 
gence  et  la  volonté,  et  de  retracer  leurs  conflits.  M.  Noël  a  dû  lire,  à 
ce  propos,  une  jolie  page  de  Bailey.  Et  puis,  est-ce  bien  la  peine  de 
faireson  procès  au  contingentisme  irrafio/tîie/,  pour  afGrmer  ensuite  que 
la  volonté  se  fait  une  raison  d'agir  1  On  ne  résout  la  question  que  ver- 
balement en  s'exprimant  ainsi.  Ou  bien  la  volonté  est  guidée  par  la 
réflexion  dans  la  décision  qu'elle  prend,  et  elle  n'est  pas  libre;  ou  bien 
elle  n'est  pas  guidée  par  elle,  elle  est  aveugle,  et  ce  n'était  pas  la  peine 
de  délibérer.  —  Nous  sommes  de  l'avis  de  M.  Noël  :  «  Dans  les  pages 
du  docteur  scolastique,  les  problèmes  les  plus  ardus  de  l'heure  pré- 
sente sont  formulés  et  résolus  avec  une  sûreté  superbe  »  (p.  vi  et  vu). 

J.  Second. 


96  RBYUK   FHILÛSOPBratîB 

Henry  S.  Sait.  Les  droits  de  l'animal  conbidéhés  dans  lecjk  hap- 
FOUT  AVb:r-  LE  PiiOr.MÈs  social,  —  Traduit  de  Tanglaîâ  par  L-  Hoteliti. 
(28  p.  in- 16,  Paris,  H.  Weiter,  lîmo.  M 

Si  les  hommes  ont  des  droitii^,  dit  M,  Sait,  les  animaux  en  ont  aussi.  H 
Mais  les  bomiiies  ont-ils  des  droits'^  M,  Siilt  ne  H*engage  pas  dîina  une 
longue  discus-sion.  IL  admet  qu'il»  en  ont,  ou,  tout  aa  moînâ,  ^  la  per-  _ 
cepiion  nette  de  quelque  chose  qui  s'en  rapproche,  le  sentiment  de  ■ 
justice   qui  détermine   la  lirinie   où    peut  eee^er  l'ac-quieecenient  et 
commencer    la   résistance;    la  prétention  de  vivre  librement  suivant 
leurs  aptitudes^  à  la  condition  restrictive  de  respecter  la  même  liberté 
chej^  lea  autres  ».  Il  s*ngit  de  reconnaître  à  i  animal  des  droits  analo- 
gues et  M.  Sait  réclame  cette  assimilation.  Les  droits  que  nous  attri- 
buons à  ranimaL  comme  ceux  que  nous  attribuons  à  Thomme  «  sont 
la  manifeslation  d'un  seul  et  même  sentiment  de  justice  et  de  com- 
passion », 

Il  ne  faudrait  pas  objecter  que  la  vie  de  ranimai  ne  peut  se  corn- 
parer  à  celle  de  Thomme  p^rce  qu'elle  n'aurait  pas  de  q  but  moral  v,  ■ 
«  Vivre  sa  propre  vie^  réaliser  na  propre  personnalité,  tel  est  le  but  " 
moral  le  plus  élevé  de  rhomme  et  de  ranimai  ensemble;  et  il  est  diffi- 
cile de  mettre  en  doute  que  le^  aniuiaux  possèdent,  eux  aussi,  le  seo- 
tîment  de  leur  indivi<luaUté,  •  Nous  ne  sommes  nidlemeni  autorisés  k 
regarder  un  animal  comme  un  automate  insignifiant  destine  à  suppor- 
ter tous  nos  caprices  et  h  satii^faire  tous  nus  besoins,  n  Si  les  animaux 
ont  des  destinées  et  des  devoirs  qu'ils  accomplissent^  ils  ont  SiUssi  le 
droit  d'être  traités  avec  bienveillance  et  avec  éffard,  et  celui  qui  nie 
cette  oblig^ition,  quel  que  soit  son  savoir  ou  sa  position,  est,  dans  ce 
cas,  un  ignorant  et  un  sot,  dépourvu  de  cette  noble  culture  d*esprît 
que  rhomme  est  capable  d'acquérir,  » 

[1  ne  faut  pas  objeeier  non  plus  qu'on  peut  éprouver  de  la  pitié  pour 
les  animaux  et  rt*con naître  que  1  homme  a  des  devoirs  de  conduite  qui 
les  concernent  sans  aller  jusqu'il  tes  gratlller  de  droits  positifs.  Tout 
grand  mouvement  de  libération  commence  par  la  sympnlhie,  mais  il 
ne  peut  s* en  tenir  l^.  On  peut  compi^rer  la  situation  des  animaux 
domestiques  à  celle  qu'euretit  jadis  les  esclaves.  Four  ceux-là  comme 
pourceu?L-ci,  il  faudra  pousser  jusqu'au  bout  le  mouvement  de  libéra- 
tion. M  lis  il  est  vrai  que  n  dlminenttes  diriîcultés  retardent  l'affranchis^ 
sèment  de  ranimai.  Nos  relations  avec  les  animïiux  sont  faussées  et 
compliquées  par  maintes  habitudes  K'guêes  par  des  sîèdes  de  méfiance 
et  de  brutalité  ;  dans  certains  cas,  noun  ne  pouvons  pas  perdre  ces  habi* 
tude^  d^un  seul  coup  et  rendre  pleine  justice,  même  quand  nous  voyons 
olairenieiit  que  nous  y  Beroas  obliges.  Une  éthique  parfaite  de  la  charité 
est  doue  impossible  en  pratique,  sinon  en  coriception,  et  nos  efforts  se 
'  irnent  à  indiquer,  d'une  manière  g^ènérale,  le  principe  essentiel  des 

r<ints  de  Tanimal,  en  montrant  les  cas  de  violation  Ilagrante  et  eu 

ii{|uaiit  la  marche  à  suivre  pour  effectuer  une  réforme  durable  *. 

I  faut  t.onç  reconnaître  aux  animaux  des  droits  conaistant  dans  la 


ANALYSES.  —  HENiiY  S.  SALT.  Les  droits  de  l'animal.         \)1 

«  liberté  restreinte  »  de  vivre  une  vie  naturelle  —  c'est-ù-dirc  une  vie 
qui  favorise  le  développement  de  Tindividualité —  mais  dont  les  diffé- 
rents actes  restent  subordonnés  aux  besoins  et  aux  intérêts  permanents 
de  la  communauté.  Et  il  ne  faut  pas  voir  de  don  quichottisme  dans 
cette  proposition  qui  n*empôche  pas  de  se  soumettre  aux  plus  strictes 
lois  de  Texistence.  Si  nous  devons  tuer,  que  ce  soit  un  homme  ou  un 
animal,  tuons  et  finissons-en;  infligeons  la  souffrance  si  c'eut  inévi- 
table, mais  que  ce  soit  sans  hypocrisie,  sans  faux-fuyants,  sans  •  cant  ». 
Seulement  (et  c'est  là  le  point  important),  soyons  d'abord  convaincus 
de  la  nécesiiitè  du  mal;  ne  faisons  pas  légèrement  trafic  de  misères 
inutiles  et  n'essayons  pas  d'endormir  nos  consciences  par  des  excuses 
équivoque'^  qui  ne  supportent  pas  la  plus  légère  investigation. 

Ayant  ainsi  exposé  ses  principes  généraux.  M.  Sait  passe  à  l'examen 
de  quelques  cas  particuliers.  11  examine  d'abord  la  situation  des  ani- 
maux domestiques,  mais  sans  discuter  la  proposition  qui  refuserait  à 
l'homme  le  droit  moral  d'imposer  une  sujétion  quelconque  aux  ani- 
maux. Il  parait  favorable  à  cette  proposition,  mais  ne  désire  s'occuper 
que  de  Tétat  présent  et  pour  Tinstant,  c  à  tort  ou  à  raison,  les  services 
des  animaux  font  partie  ittégrante  de  notre  système  social;  il  nous 
serait  aussi  difticile  d*y  renoncer  immédiatement  qu'il  nous  serait 
impossible  de  suppléer  au  travail  humain  lui-môme  ».  En  tout  cas  «  il 
est  impossible,  à  moins  de  ne  tenir  aucun  compte  du  principe  même 
de  justice,  que  la  rémunération  de  ces  services  dépende  du  caprice 
individuel,  car  l'esclavage  est  toujours  haïssable  et  inique,  qu'il  soit 
imposé  à  l'homme   ou  à  l'animal   t>.   Les  animaux   domestiques  ont 
d'ailleurs,  outre  leurs  droits  généraux,  un  titre  spécial  à  la  bienveil- 
lance et  à  l'impartialité  de  l'homme,  en  tant  qu'associés  plus  directe- 
ment et  plus  intimement  à  sa  vie. 

Au  nom  du  principe  général  du  jus  unimalium^  il  faut  bien  recon- 
naître des  droits  aux  animaux  sauvages.  Et  M.  Sait  refuse  assez  logi- 
quement à  l'homme  le  droit  d'arracher  un  animal  sauva'^o  à  sa  liberté 
et  de  l'enfermer  pour  le  reste  de  ses  jours;  il  lui  permet  de  se  défendre 
et  de  c  se  protéger  contre  la  multiplication  exagérée  des  espèces  qui 
nienaceraient  notre  suprématie  établie  »  ;  mais  non  de  tuer  inutile- 
°^eat,  encore  moins  de  torturer  un  être  inoffcnsif,  quel  qu'il  soit.  Une 
<iuesti  )n  assez  embarrassante  est  celle  de  l'alimentation  animale. 
M.  Sait  est  porté  à  ne  pas  la  croire  indispensable,  il  espère  que  la 
"■^forme  du  régime  actuel  se  fera,  m  iis  lentement  sans  doute,  et  dans 
bien  des  cas  isolés,  avec  des  dif;iculté3  et  des  mécomptes.  Naturelle- 
ment la  ch/tsse,  la  «  boucherie  d'tmateur  »,  en  tant  que  «  sport  »  est 
condamnée  sans  indulgence,  ainsi  que  «  la  mode  meurtrière  >»,  qui 
■  sacca^o  encore  des  provinces  et  même  des  continents  sans  se  douter 
^^e  les  oiseaux  et  les  quadrupèdes,  dont  rexterniinatioii  marche  rapi- 
dement, ont  quelque  autre  but,  dans  la  nature,  que  celui  d'être  sacri- 
fiés à  la  vanité  humaine,  po  ir  que  messieurs  et  dames  se  parent, 
comme  dans  la  fable,  de  peaux  et  do  plumes  d'emprunt  ».  La  vivisec- 
TOMB  L.   —1900.  7 


98  HEVL'Ë  PniLOSOPUlQlK 

lion,  la  «  torture  expérimentale  n*est  pas  traitée  beaucoup  plus  favo 
rablement  u.  «t  La  torture  expérimentale,  dit  M.  Sait,  avec  quelque 
sévérité,  est  l'étude  des  gens  de  petit  savoir,  comme  le  sport  est  Tamu* 
sèment  des  gens  de  petit  esprit,  u  Cola  appellerait  bien  des  discussions. 
M.  Sait  pose  mieux  la  question  au  point  de  vue  philosophique  lorsqu*ii 
dit  :  «  Supposons  (supposition  complaisante  d*après  des  témoignages 
médicaux  de  grande  valeur}  que  les  progrès  de  la  chirurgie  soient  favo- 
rises par  les  expériences  du  vivisecteur.  Et  puis  après?  Au.  lieu  de  con- 
clure trop  vite  que  la  vivisection  se  trouve  justifiée  par  cette  considéra- 
tion, un  homme  sage  regardera  le  côté  moral  de  la  question,  Tinjustice 
odieuse  de  torturer  un  animal  innocent,  et  la  grave  injure  qu*on  fait 
ainsi   aux    sentiments   d'humanité    de    la   communauté.    Il    vaudrait 
mille  fois  mieux  renoncer  à  Tavantage  douteux  de  certaines  décou- 
vertes problématiques,  plutôt  que  d'outrager  la  conscience  publique  en 
lui  faisant  confondre  le  vrai  et  le  faux.  »  Il  me  semble  que  M.  Sait 
était  bien  plus  conciliant  pour  ce  qui  regarde  la  domestication  des 
animaux  et  même  l'alimentation  animale.   Cependant  on  ne  voit  pas 
que  les  mêmes  arguments  de  droit  ne  puissent  être  utilisés  ici  et  là.  Si 
nous  admettons  que  Thomme  peut  tuer  des  animaux  pour  se  nourrir, 
pourquoi  n'en  sacrifierait-il  pas  pour  s'instruire?  L'intransigeance  de 
M.  Sait  relativement  à  la  vivisection  me  semble  dépasser  ses  propres 
principes.  Il  reconnaît  bien   lui-même,  en  effet,   les  diflicultés  de  la 
situation  :  «  tout  ce  qu'on  pont. faire,  dit-il,  c'est  de  laisser  la  respon- 
sabilité de  décider  entre  ce  qui  est  néce*:saire  et  ce  qui  ne  l'est  pas» 
entre    les   besoins   personnels    factices    et   les    véritables    exigences 
sociales,  à  ceux  qui  sont  investis  du  pouvoir  de  requérir  le  service  ou 
le  sacrifice  demande.  L'appel  fait  et  la  question  posée,  on  peut  espérer 
que  la  conscience  individuelle  et  la  cunsiience  publique  de  la  nation, 
au'issant  réciproquement  l'une  sur  l'autre,  trouveraient  lentement  mais 
sûrement,  la  seule  solution  possible  de  ce  problème  complexe  et  diffi- 
cile. •  Et  je  ne  sais  trop  si  la  vivisection  ne  va  pas  être  justifiée  ainsi, 
dans  la  mesure  au  moins  qui  parait ra  légitime  aux  physiologistes. 

Quant  aux  moyens  d'arriver  à  la  diminution  ou  à  la  suppression  des 
injustices  actuelles,  M.  Sait  en  recommande  deux,  réduc«ition  et  la 
législation.  L'éducation  i  doit  rester  le  facteur  primordial  et  indispen- 
sable du  progrès  humanitaire  ».  Ht  la  législation  n'aura  pas  seulement 
pour  but  de  prévenir  la  cruauté  et  l'oppression,  mais,  en  constatant 
une  amélioraûon  du  sens  moral  de  la  communauté,  elle  lui  donne 
plus  de  force,  la  fixe  et  la  développe. 

Le  livre  de  M.  Sait  peut  intéresser  à  la  fois  le  grand  public  et  les 
philosophes.  L'esprit  général  m'en  paraît  bon  et  je  pense  que  la 
théorie  des  droits  des  animaux  est  parfaitement  soutenable,  quelques 
réserves  qu'on  puisse  faire  d'ailleurs  sur  les  conséquences  pratiques 
que  doit  entraîner  la  reconnaissance  de  ces  droits.  Même  quand 
M.  Sait,  prévoyant  qu'on  pourra  lui  dire,  en  manière  de  réduction  à 
l'absurde,  qu'il  faudra  s'occuper  aussi  des  droits  des  végétaux  et  des 


în^raux  répond  qu'il  en  sera  peut-être  en  eiîet  juns:,  je  iui  donne 
ncîore  raison  volontiers.  «Dn  peut  très  bien  croire  que  la  <î-:ninc,\t3oa 
va  mot  droit  peut  s'étendre  suiEsamment  pour  désirer  c>ertain5 
spects  de  la  meOleure  conduite  humaine  dans  ses  rapports  avec  n*:m- 
or  te  quoi.  Et  je  ne  sais  s'il  est  bien  légitime  d'ajouter  que,  puisque 
era  ne  nous  choque  encore  dans  les  rapports  de  l'homme  Avec  les  ani- 
lAïAX  et  les  minéraux,  il  n'y  a  point  lieu,  pour  le  moment,  de  s'occu]>er 
e  cette  question.  Un  mal  qui  ne  choque  pas  n'en  est  pas  moins  un 
:\nl  et  il  peut  y  avoir  intérêt  précisément  à  faire  remarquer  ce  qu'il  a 
le  ohoquaDt  sans  qu'on  s'en  doute,  puisque  c'est  le  premier  pas  vers 
*an^élioration.  Mais  j'accorderai  volontiers  qu'il  est  des  questions  plus 
i.r|2^entes. 

Je  pense  donc  qu'il  sera  bon  de  lire  et  cle  répandre,  malirré  certaines 
réserves  que  je  ferais  volontiers,  le  livre  de  M.  Sait.  Mais  si  je  le 
^uge  au  point  de  vue  philosophique,  je  suis  bien  obligé  d'y  trouver 
quelques  défauts  assez  graves.  M.  Sait  n'a  pas  suffisamment  analysé 
et  critiqué  les  fondements  de  sa  doctrine.  Il  n'a  pas  assez  examiné  ce 
que  c'est  qu'un  droit,  ni  montré  comment  les  ressemblances  entre 
Vanimal  et  l'homme  étaient  telles  qu'on  dût  attribuer  au  premier  des 
droits  analogues  à  ceux  du  second.  Eniin  il  n'a  pas  sutVisamment  pré- 
cisé  le  contlit  de  devoirs  et  de  droits  qu'il  soulève  forcément.  La  néces- 
sité est-elle  une  excuse,  comme  il  le  dit  parfois,  semble-t-il,   pour 
violer  un  droit?  Ou  bien,  si  par  exemple  l'homme  ne  peut  vivre  qu'en 
86  nourrissant  d'animaux,  doit-il  se  laisser  mourir  plutôt  que  de  violer 
le  droit  des  bêtes  à  vivre?  Cela  serait  d'une  belle  intransigeance,  mais 
le  philosophe  ne  doit  reculer,  à  priori,  devant  aucune  extrémité.  Ou 
bien  si  le  droit  des  animaux  doit  être  sacrifié  à  un  droit  que  nous 
jugerons  supérieur,  celui  des  hommes  à  la  vie,  ne  peut-il  être  sacrifié 
aussi  au  droit  des  hommes  au  bien-être,  au  droit  des  hommes  à  jouir 
^e  certains  plaisirs  qui  facilitent  leur  vie  ou  la  rendent  supportable? 
Où  peut-on  s'arrêter,  et  qu'est-ce.  au  juste,  que  la  «  nécessité  «  qui 
pourrait  nous  excuser,  en  supposant  qu'elle  le  pui'^^e?  Ce  qui  est  néces- 
saire àrhomme,  est-ce  seulement  la  vie?  Même  bans  résoudre  absolu- 
ment toutes  ces  questions,  ce  qu'il  serait  évidemment  abusif  d'exiijrer 
d'un  auteur,  il  aurait  été  bon  de  les  poser  et  de  les  traiter  avec  plus 
de  rigueur.  M.  Sait  a  bien  vu  les  diflicultés,  mais  je  trouve  qu'il  n*a 
pas  assez  indiqué  les  réponses  qu'on  pouvait  faire  aux  objections,  ni 
même  assez  établi  les  principes  secondaire,  d'après  lesquels  on  devait 
les  chercher.  Faute  de  cela,  son  livre  reste  surtout  un  livre  do  propa- 
gande et  de  vulgarisation  utile,  et  pour  le  philosophe,  au  point  de  vue 
duquel  il  faut  bien  que  je  me  place  ici,  surtout  une  matière  àréllexion 
«ta discussion.  Fr.  Pallhan. 


100 


REVUE   PHILOSÛPUIQUE 


V    —  Hlstaire  de  la  philosophie. 

H.  Delacroix.  —  Essai  kuh  le  MvsTîctsMESPtcrLATiFEN  ^llemagn? 
AU  XiV*  sJKOLE.  I  vol,  iii-8  de  iê^H  p.  i^ar-is,  Félix  Alcaa. 

L'hisLoire  du  Mysticisme  au  moyeu  a^'e  nous  f^ît  assister  à  un  long 
elTort  de  lespnt  individuel  pour  dt^fendre  la  propriété  de  ses  iu^pîra- 
tions  contre  le  Doj^''matisme  oniciel  qui  eusurrait  les  croyances  dans 
un  ayislème  de  lormules  que  la  Scolaslique,  seule,  pou vuu  préparer 
avec  une  aussi  implacable  exaciîlude.  Mais  ce  qui  nous  attacbe  plus 
vivement  à  ces  elTorts  de  liberté^  c'est  qu'ils  cbercheni  precîâément 
leur  appui  dans  Je  senimieut  religieux  au  nom  duquel  s'exerçaîeût 
contre  euK  les  piuhibitions  ecclésiaslique^  et  que  ces  a^iUiions  de  la 
conscience  *  laïque  »,  contrairement  à  celles  que  nous  avons  vues  de 
nos  jours,  s'amorçaient  (sauf  de  rares  exieptions)  dans  un  besoin 
immejise  de  picic  et  de  sincérité  religiettse,  —  l^'ouvrage  de  M.  D. 
offre  ct^lie  division  bien  appaicoie»  quoique  non  expressément  anrion- 
céd  :  1^  les  dUerscs  formes  dt^  My>licismeâpéculaiif  que  Ton  rencontre 
entre  Sool  Erigùne  et  maître  tlukart  (ch.  I-v);  2^  le  Mysticisme  de 
maitre  Kcbart,  en  qui  réside  le  prUiCipul  intérêt  du  livre  (ch.  Vj-3C|; 
;l^  une  discussion  purement  critiqui^î^  tendant  à  dég-ager  la  part  d'ori- 
ginaLilif  qui  revient  à  maître  Lickart,  parmi  les  contributions  dont  il 
fut  redevable  au  Néo- Platon lE^me  par  inclination  et  à  la  8colaf^tiqiie 
par  éduculion  (ch.  xt-xji  et  appendiue)* 

On  sait  que  la  fusion  de  l'Hellénisme,  des  mythes  orientaux  et  du 
Judaïsme  en  un  seul  corps  tki  doctrines»  la  Théologie  i'hréiiennt%  mit 
plusïieurs  bièeles  à  se  faire  et  ne  fui  detînitive  que  lorsque  la  îSco las- 
tique  (qui  Qi^i  plutôt  une  langue  qu'une  métliodc)  eut  dénaturé  tous 
ces  élémeuls  dans  Funité  puremciit  verbale  de  ses  détlnitions.  Or,  en 
attendait t  que  cette  œuvre  fût  achevée,  jes  idées  condamnées  h  se 
perdre  d<*ns  le  doirmatisme  ofliriel  dematidùrent.  souvent  avec  énergie» 
à  vivre  de  leur  vie  propre;  et,  en  p;irticulier^  n  rêquilibrc  Ihéologique 
fut  souvent  troublé  par  la  réappariiion  dans  toute  sa  pureté  du  Xéo- 
Platoni&nie,  qui  se  dégage  do  i* Église  et  veut  faire  oauvre  de  philoso- 
phie indépendante  »  (p-  ^0).  On  a  ainsi  la  L^lef  du  Mysticisme  spécu- 
latif au  iiioyen  âge,  qui  va  en  réalité  de  riotin  et  Proclus  à  maître 
Eekart,  eu  pass.int  pir  Denis  le  pseudo-art^opagite,  Scot  Erigène* 
Ainatiry  de  li  iit%  Urilii^b  di*  Strasljourg  et  ces  sectes  impersouneiles 
qu'un  no  ni  m  a  «  Frères  du  Ijibre-Esprit,  lîêghards  »ï,  etc.  —  Dm  s  cette 
nra»**'**^"  cîïi  lio  du  livrt*  de  M*  D,  ou  regrettera,  avtfC  lui-niénie,  que 
n'ait  h  s'appuyer  le  plus  souvent  que  sur  des  textes 
'  rinquisitioti,  ou  bien  aux  enquêtes  êpîscopales  qui  rem- 
te  môme  oflit^e.  L'auteur  s*eï§L  bien  consciencieu- 
i  iroi'hcr  de  plus  près  les  choses  qu*il  nous  veut 
m  your;  mais  TUrthodoxie  a  prt^  soin  qu'il  n'en  reste 
.racea  que  ces  témoignais^es  d^ori^ine  inquisitorlale.  — 


ANAI^YSES.  —  H.  DEUCHoix.  Essai  sur  le  mystichme  spéculatif.  101 

Tels  qu'on  nous  les  présL*nte^  ces  vestie^es  de  la  libre  coiiBcienoe  auic 
xi-Jtii*  siècles  ne  m^inquent  pas  d'intérêt.  Noua  y  remî»rquoris»  entre 
autres,  une  naïve  prétention  cîe  la  pensée  mystique  à  l'emporter  sur 
rautorilé  du  dojçrue,  à  titre  d*osotérismc  et  de  Révélation  plus  directe 
que  celte  des  Ecritures  canct niques-  riîcot  Erigène  en  end  bien  tra- 
verser d'une  libre  intuition  cet  appareil  de  rites  et  de  symboles  qui 
offre  au  vulgaire^  il  est  vrai,  une  exhibition  implicite  de  la  di unité, 
mais  dont  l'esprit  n'a  que  faire  une  fois  qu'il  a  compris  que  l'idéal  égale 
rôlre  et  que  le  Verbe  lui-même  n'est  rien  de  plus  divin  que  l'affirma- 
tion én»inenie  de  notre  propre  autonomie  (p.  '28).  Les  Amidnciens  à 
leur  tour  e  virent  clairement  qu'il  n  y  a  de  divin  en  ce  monde  que  la 
connaissance  de  Dieu  c*est-à-dire  la  coiinaiîjsfince  humaine  dana  -«a 
fùt^me  la  phi.*î  hmtle  »  (p.  40);  et  ptmr  donner  plus  de  force  à  cette 
conviction  e3?«entiellement  lalquef  ils  soutenaient  qu'une  troii^ièmë 
réi*ébiion  faprès  celle  du  Pore  dans  Tancien  Testament  et  celle  du 
Fils  dann  le  nouveau (  allait  ïirriver,  dérmiiive»  puisqu'elle  ferait  enfin 
compreudre  qne  rEsprit-Saint  nous  est  inné  et  puisqu'il  ne  saurait  y 
avoir  de  révélation  plus  intérieure  que  celle-là  {p.  Mi).  La  même  afllr- 
na^tion  se  retrouve  chez  tous  les  mystiques  du  moyen  âge,  plus  naïve 
en  sa  forme  mais  identique  au  fond  à  celle  que  nous  portons  nous- 
mêmes  dans  notre  moderne  conscience  de  rationalistes.  —  Dans  cette 
p<^emière  partie,  il  y  a  un  autre  trenre  d'inlérêt,  mais  non  moins  vif, 
à  suivre  les  perplexités  de  la  con^^cleoce  chrétienne  au  mojnejit  ou 
l'ortranisme  eceléf^iastiqne,  devenu  robuste  et  bo  ialeinent  viable, 
éprouve  comme  toute  socicté  le  besoin  d'argent  et  de  glaive  pour 
vivre  dans  les  conditions  inéluctables  de  Texistence  temporelle.  A  ce 
moment,  en  effet,  l'espril  de  T Évangile  érait  en  pleine  effervescence 
dariîî  les  ânïcs  :  or  il  y  eut  un  chot:  entre  ces  ferveurs  mystiques  et  les 
cscigenoes  ineïor.ibles  de  la  politique,  ou  même  ^i  m  pie  nient  de  la  vie 
positive,  a  l/nubli  de  la  vie  réelle  est  le  commencement  df  la  vie  mys- 
tique w,  dit  M.  D,  au  sujet  d'Eckart  (p.  l'j'i)  :  à  ce  compte  la  vie  mys» 
Itque  n'a  fart  que  diminuer  dans  TEglise  depuis  sa  fondation.  Il  faut 
lire  ces  pages  où  sont  très  fidèlement  exposés  tes  embarras  des  chefs 
du  clers^*>,  tant  séculier  qoe  ré^ullpr^  en  présence  du  double  danger, 
soit  d'étouffer  les  germes  sacrés  du  désintéressement  évangéliqne,  soit 
de  désorganiser  les  collectivités  dan^  lesquelles  ces  manifeslallons  de 
foi  devenaient  une  force  sociale.  «  La  vie  conventuelle  refoule  la  vie 
spirituelle;  une  politique  réHéchie  et  avisée  comprime  les  pieuses 
e:x3iUtttions  et  ieti  libres  écarts  de  la  conscience.  L*esquis<ie  surnatu- 
relte  aboutit  à  une  construction  très  humaine  »  (p.  l05).  D  un  coté  les 
textes  de  T Evangile  sur  la  pauvreté  sont  formels  ;  de  Vautre,  les  con- 
ditions matérielles  du  pouvoir  et  de  la  vie  sont  implacables  :  il  n*y 
avait  que  bi  Scolaî>tique  pour  accomplir  une  conciliatinu  entre  ces 
BU%  termes  et  aux  naïves  protestations  des  Praticelles  (ju  des  Béj^hards 
!  pape  Jcan  XX  11  répond  en  lin  par  la  Bulle  Qui  vir  reprobui^,  où  noua 
Hm>n^  < quatre  siècles  avant  Eaeobar),  *  que  le  Christ  en  disant  que 


iU^I  BEVUE    PHILOSOPHIQUIC 

son  roynume  n*est  pa^î  de  ce  monde,  a  voulu  affirmer  que  «a  royauté 
ri^nt,  non  fies  hommes^  ma /s  de  Dieu  »  (p.  I  13k  —  En  somme,  toute 
cette  première  partie  du  livre  ne  renferme  qu*ano  faible  p;irt  de  Mye- 
ticiîimo  spéculatif,  presque  toute  empruntée  au  De  dwisione  tïaiuraj 
de  ScQi  Erigène  :  maïs  en  revanche  nous  y  voyons  im  grand  mouve- 
ment demies  qui  se  pressent  en  foule  autour  de  quelque  Messie  d© 
deuxième  ordre  leur  promettant  une  intuition  quelconque  dé  la  divî- 
mU\  une  sorte  de  possession  directe  de  Tabsolu. 

Voïeî  maintenant  les  pages  où  réside  le  vif  intérêt  philosophique 
de  cet  ouvrage,  le  Mysticisme  de  maître  Eckarl,  —  L:i  conception 
trrnrtïiire  de  Dseu  ne  sufîlt  pas  à  la  conscience  mj^stique  :  au-dessus 
de  cvri  trois  termes  qui  résultent  de  l'analyse  de  rEntendement  elle 
chei'che  une  intuition  vraiment  première  où  elle  pu^se  se  suspeudre 
avec  toutes  choses;  et  c*est  ainsi  qu*Eckart  pose  par  devant  toute 
sorte  d'alïirmations  particulières  1*  «  Etre  i\  non  TÊtre  intelligible  des 
idéalistes,  mais  l'Etre  pur,  qui  n'est  encore  ni  pensé  ni  pensanu 
moins  déterminé  nn^me  que  Wn  de  Plotin.  v  Lanaly^^e  dcl'Elr©  fait 
évanouir  1  être  et  nous  laisse  en  préseaue  du  Rien»  Mais  ce  rien,  ce 
principe  amorphe*  est  riche  de  tout  Tétre  qu'il  absorbe  et  ses  profon- 
deura  f^ont  toujours  prèles  à  le  répandre  u  {p.  i74j.  Au-dessus  de  Dieu, 
c'est-a-dire  de  l'Acte  pur  en  troi§  Personnes^  il  y  a  l'Élre  encore  plus 
divin  que  Dieu,  la  Nature  inniiturée  :  or  le  processus  de  l'Être,  ce 
n'e&t  pas  tout  d'abord  1  Entendement,  par  lequel  il  se  dédouble  en 
*5bjet  et  sujet;  c*est  un  fait  plus  intérieur  encore^  qui  laisse  THtre 
dans  son  LInîtô  absolue.  »  La  Divinité  ne  sort  point  de  boi-mêmc  pour 
eng;endrer...  il  est  impossible  qu'elle  aille  hors  d*elle-mème...  Mais 
cette  contraction  intime,  ce  reploiement  sur  soi  fait  jaillir  d'elle  la 
lueur  qui  vu  lui  permettre  d'apparaître.  Soji  impuL^tiaiuv  à  s*exîério- 
nscr  fait  juAlriut'iii  qu\^tle  romani  sur  noi^  De  ce  qu'elle  est  con- 
trainte d'^*tre  en  soi-même  il  suit  immédiatement  qu'elle  devient  pour 
soi  »  (p*  176),  Les  mystiques,  on  le  voit,  metlerU  le  recueillemeiît,  la 
contraction  intime,  au-dessus  de  tout  :  c'est  par  cet  acte  qu'ils  espè- 
rt-nt  dépasser  la  Pensée  elle-même  et  saisir  VUn  simple  ou  leur  coo- 
science  aimerait  à  se  perdre  sans  mourir.  Pourtant  il  ne  faudrait  pa<î 
croire  que  le  Mysticisme  d'Eckart  soit,  comme  bien  d*autres,  une  doc- 
irine  d'cfracement  universel  au  protit  de  l'Etre  pur  et  ineiïable  :  son 
oriL'inalilê,  c'est  de  pcti>îer  que  VÈtre  ne  saurait  n'}<ter  en  soi"  qu*à  con- 
difion  dp  «'|/  rt'iuntdre  par  une  opération  qui  ne  mérite  le  nom,  ni 
irAele  pur^  ni  de  Création,  mais  celui  de  Vit*,  o  Tout  le  système  d'Eckart 
fiV«r  qu'un  effort  passionné  pour  me  lire  la  vie  dans  l'Etre  «  (p*  lîv'). 
-îessu*  trtni taire,  loin  d'avoir  rimporlance  qu'on  lui  donne 
jfme  chrétien,  n'est  qu'un  a  moment  n  de  la  vie  divine»  ni 
1$  nécessaire  que  les  autres  théophanies,  par  le^squelles 
TTie  dans  te  monde  sans  sortir  de  sot  :  car  nous  sommas 
un  îtiamenl  du  processus  divin  universel  et  l'ihre  Q*eât 
rsentiel  dans  ees  formes  que  dnns  sa  substance  premièfâ. 


ANALYSES,, —  II.  DKLACUOix,  Essui  sur  le  iuifsHchme  spéculatif,  iQ'è 

Il  n'y  a  pas  de  substance  seconde  (puérile  invention  scol  as  tique),  et 
tant  ce  qui  est»  est  Dieu,  «  Le  Dieu  de  la  Trinité  n'est  pas  encore  le 
Dieu   vi\ant  :  pour  vivre  vraiment  il   funt  qu'il  développe  les  idées 
qu'il  contient,  les  raisons  des  choses,  qu'il  déroule  la  vaste  multipli- 
viiè  de  ces  Ihéopbanies  :  mais  quel  frîssan  de  vie  en  ce  g^erme  dfviii!  » 
(p.  ISiîi,  —  Si  Ton  veut  baisir  runitê  de  ces  trois  grands  moments 
(l'Ktrts  pur  et  ktjpertj&^i'niivl,  le  processus  trinitaire  qui  introduit  en 
Dieu  rtlntcndement,  TeiTuâion  cosmique  de  rètre  dans  la  multiplîeUé 
indelinie],  il  faut  s'itttaoher  à  la  théorie  de  TA  me,  a  L'Ame  n'est  point 
d.iMs   Ia  sphère  de  l'Être  une  porlîon  isoïée.  Ba   nature  est  la  nature 
môme  de  Dieu  et  c'e&t  sa  vie  que  comprendre  cette  ideniité  tt  s  af- 
liinjerDîeu..,  I>ïeu  descendu  avec  l'Ame  jusqu'aux  ténèbres  du  monde 
revient  à  soi  et  se  replonge  en  sa  divinité.  Elle  accompagne  Bon  retour, 
comme  elle  l'aval  t  entraîné  en  son  devenir  »  (p.  195),  —  En  tin  maitra 
Ëckart  a  sa  doctrine  de  la  ^  vie  spirituelle  n^  ses  principes  do  direction 
pour  nous  aider  à  prendre  conscience  de  la  divinité  qui  est  ou  se  dût 
satLs  cesse  en  nous  :  le  tout  dans  cette  affaire  c'est  Tairirmation  <f  qu'on 
est  Dieu  dans  le  vrai  Dieu  **  tp,  1%),  aflîrmation  qui  n'arrivera  que 
dans  les  consciences  purifiées  par  le  renoncement  absolu  et  pour  les- 
quelles rien  n'  «  est  »  que  VEêiprif.  La  théorie  morale  d'Eckart  achevé 
de  se  préciser  par  la  di-tinctiou  qull  établît  entre  ces  deux  oflices  de 
lii  Vfjtonté,  "  le  désir  et  Tamour  $  (p.  :?00)>  S'il  plaît  à  Tâmei  dans  son 
éii>igjiement  de  î'Ivtrc  pur,  de  considérer  les  choses  sépardes  de  leur 
pniîcipc,  elle  est  prise  de   désir,  tendresse   maladive  qui  renferme 
toujours  «  quelque  chose  qui  eontrarie  et  comme  une  douleur  qui 
repousse  >'  (p.  iîUS*  ÏÛ9);  mais  au  fond  d'ellemcme,  plus  à  l'intérieur 
que  les  sens  et  rEntendemeot  [VfirsiaenthiiHs],  lu  Raison  {Verniinth-*- 
htnî^   Varniinfli  veilie  et  rattache  l'fime  à  TAbsolu  par  le  lien  d'une 
intuition  âouverdno  et  simple  qui  lui  laisse  une  disposition  dédiante, 
inadmissible.  Dans  râmu  purtHée  et  reGueilUe^  «  la  lluinon  annonce  au 
vouloir  ce  qu*il   aime  *   et*  refoulant  dans  roubli  toutes  les  choses 
reLitives,  x  anéantit   son    désir  en  son   nmour  >*  (p,  200),  La    Raison 
sclcvc  directement  a  THlrc;  «  elle  pnuil  h*  Fil>'  au  cœur  du  Pt)re  u 
(p*  301V,  c'cft-à^dirc  la  Pensée  avant  sa  se  parution  de  l'I^^tre,  [Esprit 
«upeneur  à  T Entendement.  Ainsi  s'accomplit  la  moralité  des  choses, 
qui  n'e«t  que  leur  enveloppement  dans  T identité  voulue  et  comprise 
ir  TA  me  avec  TÉtre, 

Ce  Mysticisme,  on  le  voit,  renferme  dans  une  forte  proportion  des 
élémeiilj  de  Néo-Platonisme,  L'auteur  nous  les  signale  exactement 
ich-  Xh  et  détache  avec  beaucoup  de  sens  critique  la  partie  du  système 
eckartten  qui  mérite  de  rester  dans  Thistoire  des  idées  comme  contri- 
bution originale  de  ce  génie.  Eckart  a  fait  on  effort  remarquable  pour 
rattAcher  Tétre  phénoménale  TAbsolu  par  un  lien  plus  fort,  non  seule- 
ment que  celui  d'une  création  arbitraire,  mais  encore  que  celui  de  la 
impie  mtelli^ibilité*  Selon  lui  l'Etre  ne  se  pose  que  par  devers  soi  et 
perd  rien  do  sa   pureté  <■  hyperessentielle  »,  soit  en  s'opposaat  à 


104 


RBVUE  MtLOSDPIItQtJE 


luî»nit^mc  oomina   im^^e,  soit  en   se   rppandnnt  ci^îê^Seopnâtm 
quVclidre,  non  î'entendetnerit.  mais  la  ^aï^on.  c'est-*'i-dire  une  intuition*"* 
très  simple  de  Hdenlité  de  l'élire.  Celle  inluition  par  laquelle  on  vou-^ — 
«Jï'ait  tout  contracter  clans  une   unité  pîus  pure  encore  que  TUn  de^ 
Ptulin»  vo»là  l'originalilé  philosophique  d^L'ckart.  —  En  suivant  IVxposê  -^ 
de  ce  rnysticïsinet  li  qui  pourrait-il  venir  à  l'esprit  d*en  fa  lie  une  Ihéo-   ^ 
logie  à  peu  près  conforme  à  la  doc  i  ri  ne  canonique   et  scolastique  de 
l*liglise?  Cette  pensée  est  venue  pourtant  an  U,  F.  DeniHe  qui,  ayant 
eu  le  mérité  de  découvrir  a5s**z  récemment  les  œuvres  latines  d*Ekïkart, 
aurait  «éprouvé  un  bonheur  sans  mélanye,  si  la   philosophie  de  son 
illustre  confrère  nVùt  porté  des  marques  d'hérésie  indélébiles.  M*  It. 
loue  avec  reconnaissance  le  P,  Déni  Ile  de  ses  découvertes  et  rétablit, 
dans  une  exacte  discussion  »  les  droits  de  la  vérité  (v.  ch.  XH  et  appen- 
dice). Dans  la  théologie  scolasiique,  le  passage,  si  décisif,  de  Tètre 
absolu  à  l'être  relatif  n*est  point  un  acte  de  procession  divine,  comme 
cheîE  Plotin;   encore  moins   une  synthèse  intérieure  de  TÉlre  et  des 
moments  de  TKtre,  comme  chez  Eckart,  L*édlQce  scola^tique  ne  doit  ?=a 
cohésion  qu'à  la  préoccupat>on,  d'ordre  exira-spécula'ifp  de  maintenir 
entre  Thomme  et  Dieu  la  nécessite  de  la  médiaiion  sacerdotale  :  il  a 
fallu  pour  cela  et   avant  tout  ne  jamais  se  départir  de   la  notion  de 
«  C'roation  arbitraire  »»  si  fortement  affirmée  par  saint  Augustin;  et, 
ce  point  nne  f(>i.^  tlxd^  il  est  lu^i  ni  leste  que  la  conâcience  humaine  ne 
pourra  jatnats  se  r*^plief  ver&  son   principe  divin  par  aucune  de  ses 
énergies  naturelles,  fut-ce  Pamour  et  le  désir  le  plus  pur.  Ainsi   la 
Grâce   iHomphe   et   il   suit  de   là    que  l'expansion   divine  se  dirige 
d'abord,  sans  que  nous  sachionsjamaîs  pourquoi  ni  comment,  vers  la  _ 
Kcule  eonscience  n  prophétique  »  i  si  quelque  exhibition  de  Dieu  plus  ■ 
commune  que  aelle-là  pouvait  avoir  lieu,  ce  ne  serait  que  dans  le 
demi  jour  des  symboles,  disons  même  k  travers  les  «  eii^pëoes  »  jncom* 
prises  du  mythe  et  des  sacrements*  Mais  le  Sacerdoce  a  pu  ainsi  suc* 
eéder  au  ProphétL^me:  et  puisqu'il  y  a  désormais  une  philosophie  pour 
expliquer  ce  srenre  factice  de  rapports  entre  Dieu  et  le  monde,  le  rôle 
de  la  Scolastique  est  achevé.  On  ne  dira  pas  du  moins  que  ce  rôle  ait  j 
rien  de  commun  avec  te  Mysticisme  ;  celui  d^Eckart  û'e&t  d*un  bout  kl 
Piiutre  tîue  nnive  hérésie  d'tui  esprit  passionné  de  voir  Dieu,  comoie] 
Moise,  Itîcie  mi  /aci>jii. 

Le  reprovhe  qu  on  peut  adresser  à  Touvrage  de  M.  D,,  plein  d'érudi- 
tion, exempt  de  leudanceîî.  ce^tqu■iî  n  embra^^se  pas  un  sujet  intégral  ■ 
et  n'orrre  q II  une  pièce  tmllée  avec  art  d*4ns  Thistoire  du  Mysticisme  an  f 
Il  ,  l,e  vohiun?  qui*  M.  ÎJ.  nous  annonce  à  plusieurs  reprises 

pi_  ,,  remédier  a  limperfection  organique  de  celui*ci/  Espérons* 

le.  *  Maifi  quVn  nous  permette  en  tinissant  d'exprimer  une  objectioafl 
qtr  '  '  "  '  ^  livre  et  vise  une  opiniïin,  à  notre  avis  erronée  et  beau*  ■ 
c_  ^  aie,  sur  le  Mysticism<^.  Kn  quoi  le  Mysticisme  spéculatif 

^e  dt'^Uiigut  t-ii  dt  la  recherche  nu't.iph\>iquedc*s  premiers  prti 
de  La  Philosophie  pure  *  La  mcthadr  r^*&te  l'Sa^entiellemeitl  La  même  desJ 


ANALYSES.  —  H.  DELACUOix.  Essai  siir  le  mijsliciame  apéculalif.   105 

deux  côtés,  et  (ron  peut  s*en  convaincre  par  la  lecture  de  maître  Eckart) 
ce  n'est  toujours  qu'un  effort  dialectique,  une  mise  en  œuvre  de  con- 
cepts par  où  Ton  espère  se  donner  quelque  aperception  de  l'Ktre  pur 
et  se  le  rendre  présent  immédiatement,  sans  représentation  et  par 
intuition.  Il  y  a  bien  chez  ces  philosophes  appelés  «  mystiques  »  une 
tendance  à  accorder  à  la  volonté  le  primat  sur  Tentendement,  comme 
nous  l'avons  vu  dans  la  distinction,  kantienne  avant  l'heure,  que  fait 
Ekskart  de  la  raison  (libératrice  de  Tâme  par  l'amour)  et  de  l'entende- 
ment; mais  celte  intervention  de  la  voloné  est  trop  timide  pour  amener 
des  effets  caractéristiques  d'une  méthode  nouvelle,  supérieure  à  la 
Dialectique.  Quand  on  voudra  connaître  le  Mysticisme  mystique,  c'est 
un  état  de  conscience  bien  différent  qu'il  faudra  s'assimiler  sérieuse- 
ment par  l'histoire  et  Texpérience  interne  :  chez  les  francs  mystiques 
l'activité  mentale,  loin  de  s'exercer  à  des  abstractions  savantes,  exploite 
toutes  ses  ressources  de  représentation  pour  donner  issue  à  l'absolu 
qui,  dans  la  conscience,  demande  à  se  réaliser  moralement  avant 
même  de  se  définir.  Les  mystiques  d'imagination  et  de  sentiment,  qu'on 
ne  l'oublie  pas,  ce  sont  Moï^e,  Jésus,  François  d'Assise  le  Stig  natisé, 
Jeanne  d'Arc,  Luther,  etc.;  et  j'espère  bien  quon  ne  voudra  pas  sim- 
plement reléguer  cet  état  d'âme  parmi  les  «  délires  des  imaginations 
faibles  et  déréglées  »,  dont  parle  M.  D.  dans  son  introduction  (p.  8). 
L'acte  mystique  n'est  pas  «  intuition  »  ;  il  est  vision.  Or  il  n'y  a  pas  de 
psychologie  plus  délicate  que  celle  qui  réussirait  à  saisir  dans  leur 
jaillissement  ces  apparitions  subjectives  pendant  lesquelles  l'homme  se 
déclare  suimaturela  lui-môme  et  justifie  assez  bien  cette  prétention 
par  ses  actes.  Le  Génie  mystique  est  une  force  supérieure  à  la  Philoso- 
phie; et  il  ne  faut  pas  le  confondre  davantage  avec  les  religions  qui, 
semblables  aux  frelons,  ne  font  qu'en  dévorer  les  fruits.  Ce  génie  gar- 
dera toujours  une  sorte  de  liberté  sauvage,  regardant  les  philosophes 
plutôt  comme  des  ennemis  :  à  moins  que  ceux-ci  ne  consentent,  eux 
aussi,  à  chercher  l'absolu  par  d'autres  voies  que  la  spéculation  simple- 
ment curieuse  et  jaUuse  de  conquérir  méthodiquement  l'Esprit,  qui 
n'est  que  Vie  et  Liberté. 

E.    RÉCÉJAC. 


REVUE  DES  PÉRIODIQUES  ÉTRANGERS 


The  American  Journal  of  Psychology. 

Vol.  X  —  N-  2,  3,  \.  January-July  ISUU. 

Fa.  BoLTOX.  —  Hydro-Psychoses  (Influence  mentale  de  Veau) 
(p.  1611-227). 

Ce  long  article  est  consacré  tout  entier  à  rechercher  quelle  fut  pri- 
mitivement l'influence  de  l'eau  sur  la  formation  de  notre  organisme 
physique  et  mental,  sur  les  idées  littéraires,  philosophiques  et  reli- 
gieuses; et  quelle  est  actuellement  Tidée  que  s'en  font  les  enfants  et 
le  peuple. 

D'après  M.  Bolton,  nous  trouvons  encore  aujourd'hui,  dans  les  pro- 
fondeurs de  notre  conscience,  la  preuve  directe  que  Thomme  primitif 
fut  aquatique  :  a  dans  le  sommeil,  dit-il,  lorsque  les  centres  supérieure 
abandonnent  leur  contnMe,  il  revient  à  la  conscience  tout  un  monde 
d'anciennes  expériences  dont  la  présence  nous  était  ignorée;  parmi 
elles,  les  plus  anciennes  nous  ramènent  aux  âges  lointains  de  la  pre- 
mière conscience  de  soi-même  i  (p.  183).  Cela  est  surtout  vrai  chez  la 
femme,  dont  la  nature  est  plus  primitive. 

La  un  de  larticlc  est  consacrée  aux  résultats  d'un  questionnaire 
sur  l'eau  :  M.  Holton  ne  communique  pas  ce  questionnaire  et  n'apprécie 
pas  la  valeur  des  800  réponses  qui  lui  ont  été  transmises.  Il  est  donc 
<liiricile  de  les  juger.  La  conclusion  est  que  l'enfant  témoigne  à  Pégard 
<le  l'eau  et  du  bain  une  affection  qu'expliquent  des  souvenirs  ances- 
traux  (à  quoi  l'on  pourrait  objecter  que  ce  n'est  généralement  pas  ce 
que  l'on  constate  au  premier  bain  de  l'enfant  après  la  naissance,  ni 
môme  aux  suivants). 

Kn  terminant,  M.  B.  demande  que  l'on  cultive  chez  l'enfant  cette 
<ronscioncc  préhistorique  de  nos  liens  avec  la  nature. 

CouvROVE.  —  Indivîdual  memories  {la  mémoire  individuelle)  p.!238- 
255. 

C'est  un  chapitre  d'un  travail  d'ensemble  sur  la  mémoire  :  les  docu- 
ments ont  été  fournis  par  un  ensemble  de  IG58  réponses  à  un  ques- 
tionnaire où  l'on  voit  relever  surtout  ce  qui  concerne  les  souvenirs 
d'enfance  et  les  souvenirs  en  vedette  ri  certaines  périodes  de  Texistence, 
ainsi  que  les  intervalles  où  tout  souvenir  a  disparu. 

Ce  qui  ressort  de  cette  étude,  c'est  que  notre  mémoire  passe  par 
des  phases  diverses  et  souvent  très  différentes  :  dans  la  première 
enfance,  les  garçons  se  rappellent  surtout  les  visages,  les  localités»  lea 


REVUE    DES   PÉUIODIQUES   ÉTRANGERS  '         107 

événements  fréquents  :  au  contraire,  les  fillettes  se  souviennent  plutôt 
iles  anniversaires,  des  Chrismas,  et,  naturellement,  de  leurs  poupées. 
A  partir  de  dix  ans,  la  mémoire  motrice  augmente  chez  les  garçons 
et  diminue  chez  les  filles  ('231). 

Chez  tous,  l'adolescence  est  riche  en  souvenirs  :  dans  la  période  qui 
suit,  et  surtout  de  vingt  à  trente  ans,  les  souvenirs  visuels  dominent 
chez  le  jeune  homme;  il  n'en  est  pas  de  même  chez  la  femme  (p.  233). 
Chez  celle-ci,  c'est  de  quarante  à  cinquante  ans  que  les  souvenirs 
moteurs  sont  les  plus  nombreux  :  le  môme  f;ût  se  retrouve  chez 
l*homme  après  cinquante  ans.  En  général,  d'ailleurs,  chaque  type  de 
souvenirs  prédomine  au  moment  où  les  organes  qui  nous  en  four- 
nissent les  images  sont  dans  toute  leur  force  (235).  Ces  distinctions  sont 
importantes  :  mais  elles  supposent  une  acuité  d'observation  qui  paraît 
manquer  aux  nègres,  car  leurs  réponses  ne  poussent  pas  aussi  loin 
l'analyse  de  la  mémoire, 

A  la  fin  de  son  étude,  M.  Colgrove  a  voulu  classer  les  souvenirs  en 
agréables  et  désagréables  :  ceux-ci  tiennent  d'ailleurs  beaucoup  moins 
de  place  que  les  autres  (sauf  chez  les  nègres  et  les  Indiens),  surtout 
aux  environs  de  la  vingtième  année  (p.  241). 

Cette  analyse  est  fine  et  bien  conduite;  le  classement  est  méthodique 
et  très  clair  :  les  documents  n'ont  cependant  d'autre  valeur  que  celle 
d'une  enquête  par  questionnaire.  Néanmoins,  ils  ont  permis  à  Tauteur 
de  dégager  ce  que  l'on  pourrait  appeler  les  périodes  de  croissance  et 
d'organisation  de  notre  mémoire.  Il  importe  beaucoup  de  moltro  en 
lumière  ces  transformations,  de  montrer  que  notre  type  mental  peut 
évoluer  au  cours  de  la  vie  psychique.  Ajoutons  que  cette  enquête 
montre  de  quels  souvenirs  chacun  de  nous  constitue  ce  qu'il  appelle 
son  passé  :  ce  qui  nous  reste  des  impressions  anciennes  n'est  pas  tou- 
jours le  plus  important  en  soi;  comment  s'est  donc  fait  le  triage? 
M.  Colgrove  a  laissé  dans  l'ombre  ces  deux  côtés  de  la  question,  avec 
l'intention,  nous  espérons,  d'y  revenir  plus  tard. 

Kline  :  i1ff>f/iorfs  in  Animal  Ffujchology  {Méthodes  en  Psychologie 
de  lanimal),  p.  25G-27λ. 

On  peut  étudier  l'animal  de  deux  façons  bien  différentes  :  en  obser- 
vant au  fur  et  à  mesure  ses  actes  ou  en  l'obligeant  à  agir  selon  cer- 
taines données  arrêtées  d  avance.  M.  Kline  a  appliqué  la  première 
méthode  à  l'observation  des  Vorticelles  ;  il  s'est  servi  de  la  seconde 
pour  étudier  l'odorat  chez  la  guêpe,  la  vue  et  l'ouie  chez  le  poussin, 
les  associations  selon  la  méthode  de  Thorndike  chez  la  souris  blanche. 
Travaux  du  laboratoire  de  Clark.  —  M.  Whipple  :  On  nonrly 
iiiinvltanetpus  Clicks  nnds  Flashos.  {liruits  t't  éclnirfi  réunis.)  (p.  280- 
280)  —  Les  études  faites  jusqu'à  présent,  de  divers  côtés,  sur  la  per- 
ception d'un  son  joint  à  une  étincelle,  ont  donné  des  résultats  contra- 
dicioics.  M.  N.  a  observé,  sur  six  sujets  exercés,  qu'il  est  plus  facile 
de  discerner  le  signal  étincelie-bruit  que  bruit-étincelle  :  la  raison 
semble  être  que  rétinccllc  prend  ratlcnlion  plus  que  le  bruit.  L'exer- 


108  REVUE   PHILOSOPHIQUE  ^ 

cice  permet  d'ailleurs  de  réduire  de  plus  en  plus  Tintervalle  néces- 
saire pour  que  les  deux  signaux  soient  perceptibles. 

COLEGROVK.  —  Tfic  time  roqnired  for  récognition  (?86-295)  (Temps 
nécessaire  pour  reconnaître).  Des  peintures  passent  sous  les  yeux 
pendant  un  temps  court;  le  sujet  indique,  par  sa  réaction,  s'il  les  a 
reconnues.  Il  faut  en  moyenne  500  secondes  pour  identifier  une  pein- 
ture bien  connue;  le  type  de  mémoire  semble  d'ailleurs  influer  sur 
cette  durée. 

COLEGROVE.  —  Notes  on  Mental  Standard  of  Length.  (292-295). 
Exposé  d*un  dispositif  pour  rechercher  si  les  repères  de  nos  mesures 
mentales  concordent  avec  les  longueurs  réelles. 

Flood.  —  Note  sur  les  rès^uUats  de  la  castration  chez  les  idiots  et 
les  criminpls,  avec  bibliographie.  —  Chamberlain,  Les  dirjers  sens  du 
mot  peur  dans  quelques  langues. 

E.MILY  Sharp,  Individual  Psychology  [l^sychologie  individuelle), 
p.  329-391. 

La  psychologie  individuelle  recherche  quelles  applications  particu- 
lières présentent  chez  un  individu  déterminé,  les  lois  générales  de 
nos  actes  psychiques.  Pour  cela,  elle  prend  Tobservation  mentale, 
aussi  complète  que  possible,  d*un  ou  plusieurs  individus.  C'est,  en 
somme,  une  monographie  psychique  *.  Hinet  et  Henri  furent  des  pre- 
miers à  en  demander  l'application  systématique  et  à  l'employer.  Ils 
proposèrent  d^étudicr  comment  les  actes  psychiques  varient  d*un  indi* 
vidu  à  l'autre;  --  '2^  quelles  relations  mutuelles  ont  entre  eux  ces  phé- 
nomènes, et  quel  est  celui  dont  le  rôle  est  prépondérant  (p.  332).  Ainsi 
exposée,  cette  méthode  fut  classée  à  côté  des  procédés  de  laboratoire 
des  Allemands  et  des  procédés  anthropologiques  des  Américains. 

Le  principe  est  que  les  faits  complexes  sont  plus  faciles  à  atteindre 
que  les  faits  simples  :  reste  à  savoir  comment  toucher  le  fait  complexe 
pour  obtenir  des  résultats  scientifiques  (p.  ;j34). 

Après  une  longue  discussion  des  procédés  proposés,  l'auteur  pré- 
sente les  résultats  obtenus  par  les  procédés  qu'il  applique  à  l'étude 
de  la  mémoire,  des  images,  de  Tattention,  du  jugement  et  du  goût  : 
c'est,  en  somme,  une  paraphrase  du  questionnaire  de  Reaunis. 

En  terminant,  l'auteur  nous  observe  que  cette  méthode  d'investiga- 
tion ne  saurait  remplacer  les  recherches  du  laboratoire  et  les  mesures 
précises  :  avec  raison,  car  il  faut  en  effet  éviter  que  cette  méthode 
ne  s'applique  à  nous  ramener  en  arrière,  vers  lancienne  psychologie 
descriptive  des  É:'ossais. 

AdaCahman  :  Pain  and  Sirength  measurements  in  school  children 
{Met^ure  de  la  douleur  v.t  de  la  force  chez  des  enfatits)  p.  392-398. 

De  ces  expériences  il  résulterait  que   la   sensibilité   à   la   douleur 


1.  Callcll.  dans  le  Mind  (18^)0)  et  IL  Beaunis  au  congrès  de  Londres,  daos  son 
(Juestionnauf  Psf/rfiolot/ii/iir  Individuel  (I8y2]  en  donnèrent  les  premiers  prin- 
cipes. (D' J. -P.) 


REVLE   DES   PÉRIODIQUES   ÉTRANGERS 


109 


ïcroit  avec  rài2:e,  —  qu*ello  est  plus  forte  chez  les  lilles  que  chez  lea 

garçons,  à  U  U*mpG  gauche  qu*à  ta  droite  (sauf  chez  les  enfants  nuls 

în  maihémaliquci'j*  Lea  élèves  qui  ont  le  teint  et  les  yeux  chiirs  sont 

fioins  sensibles  et  moins  fori^  que  ceux  dont  le  leint  et  les  yeux  sont 

foncés. 

KtiNE  :  Suggeslinnsi  towfird  a  Luboralonj  conrsi*  in  cnmpàTaiiue 
J^^ijchoiogy  {ïndicnlions  pour  des  recherches  de  Uboratoire  sur  ta 
^^sijchologie  animale),  p.  3'J9  4;ii), 

M.  Kl  me,  qui  a  déjA  public  des  recherches  de  Psychologie  animale 

4,Cf.  Am.  Jùurn.  of  Psych.^  X,227),  donne  ici  le  réi^umé  des  résullats 

4iibtenus  en  étudiant  quelques  reprcaenianta  typiques  de  la  série  ani- 

^ïQale.  des  amibes  à  ta  souria  bUiuche,  en    passant  par   les  vers  et  les 

poissons.  Il  suit  ainsi  le  développement  des  fonctions  mentales  depuis 

leurs  origines  les  pius  inlimes,   et   nous  indique,  chemin  faisant,  à 

<{uelles  sources  puiser  ces  renseignemenls.  L^ariicle  ee  termine  par 

«quelques  indications   d*expériences  à   Taire  sur  le  chat   :  Tauteur  y 

modifie   heureusement   le    procédé   employé   par   Thorndike   et  met 

rài>pàt  dans  la  cage  et  Ranimai  dehors  (p.  424).  D'ailteurs,  M.  Kline 

demande  que  Ion  évite  soijtj'neusement,  en  ces  recherches,  tout  ce  qui 

pèserait  comme   une   contrainte   sur   Faliure   naturelle   de  Tanimal 

éiudiè  ip,  :mn. 

H.  GunDART  i  The  etfecU  of  inind  on  bodij  as  euidenced  btj  faitk 
4:iim?i  i Influence  dti  Vasprit  sur  k  corps  démontrée  par  les  cures  psy^ 
chûiues}  p.  431-5U2. 

*  Il  n*est  peut-être  pas  de  question  dont  on  s'occupe  autant,  sur 
laque  lit?  on  suit  moins  rensei^'né,  et  dont  on  soufTre  plus^  que  cette 
qucHiîon  de  la  valeur  des  nouvelles  méthodes  de  Thérapeutique  défii- 
|,^Déed  sous  le  nom  génerîqu<i  de  cure  psychique  m. 

Le^  adeptes  les  plus  connus  de  cette  méthode  ont  reçu^  en  Amé- 

fiqu*!,  le  nom  de  b  Christian  scientists  »,  M.  Goddard  donne  quelques* 

ynt*s  de  leurs  réponses  au  questionnaire  qu^il  avait  répandu  pi>ur  réunir 

lei  éléments  de  son  travail  :  une  citulion  rapide  sullira  à  renseigner 

^le  lecteur  : 

IJ,  —  Quelle  était  votre  maladie?  —  IL  ïtien  de  précis  :  une  désor* 
^anisation  n'est  pis  quelque  chose  que  Ton  puisse  delinir. 

D.  —  Comment  vous  êtes- vous  aperyu  que  vous  étiez  malade?  Indi- 
quez bien  exactement  les  symptômes-  —  IL  J'avais  con science  d'une 
tifoltalRin,  d'un  rétrécissement. 

D.  *-  Comment  avez-vous  senti  que  vous  étiez  guéri?  —  R»  Far  l'cloi- 
^'nemenl  de  la  maladie  et  raugmentation  simultanée  de  la  santé  et  de 
b  force. 

i^eit  Scientistes  ne  eont  d'ailleurs  qu'une  secle  des  Thèrapeuîes 
iftentnux  fondés,  il  y  a  qm  ïque  cinquaule  aos,  par  P,  Quimby,  dont  la 
doctrine  s>*appuyait  sur  certaines»  théories  métaphysiques  (p,  437)* 
M.  (iodd?ird  areehen*hé,  d'uprès  les  réponses  à  son  questionnairt  et 
d'après  les  t:nquètes  faîtes  par  divers    médecins   américains,  quelles 


110  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

sont  les  maladies  qui  guérissent  aussi  le  plus  volontiers.  Ce  sont,  ^ 
naturellement,  les  maladies  nerveuses  :  les  ij;;uérisons  (si  le  diagnostic  - 
n*a  pas  faibli)  représenteraient  près  de  la  moitié  des  cas  recueillis  : 
main  il  faut  noter  que  la  guérison  consiste  souvent  à  déplacer  le  mal 
qui,  enlevé  ici,  reparait  bientôt  là  ou  ailleurs  (p.  453).  Il  faut  aussi 
compter  avec  certains  échecs,  parfois  tragiques;  comme  tout  ce  qui 
est  mal  connu  et  purement  empirique,  ces  remèdes  agissent  souvent 
à  tort  et  à  travers  (p.  501).  D  après  Uhenterghem,  les  cures  seraient 
d'autant  meilleures,  que  l'hypnose  est  plus  profonde  (p.  487)  :  mais  le 
môme  auteur  estime  que  la  thérapeutique  psychique  guérit  le  rhuma- 
tisme 13  fois  sur  16!  (p.  i73). 

Il  faudrait,  pour  mettre  un  peu  d'ordre  en  tout  cela,  arriver  à  décou- 
vrir où  siègi.'  la  maladie  nerveuse.  Hn  attendant  on  tâtonne,  et  la  con- 
clusion de  Turticle  peut  se  résumer  dans  Taphorisme  de  Hall  :  •  Si 
Tesprit  suilit  à  produire  certaines  maladies,  pourquoi  ne  sufiirait-il 
pas  à  les  guérir?  »  (p.  483).  —  Mais  la  question  est  précisément  de 
savoir  si  vraiment  Tesprit  crée  seul  les  maladies  qu'on  lui  demande  de 
guérir  seul. 

S.  Jennings  ;  The  psychology  of  a  Prolozoon  [la  Psychologie  du 
protozoaire)  p.  503-515. 

L'étude  des  diverses  manifestations  de  la  vie  d'un  organisme  uni- 
cellulaire,  la  paramécie,  amène  l'auteur  à  conclure  que  la  vie  de  cet 
organisme  est  assez  comparable  à  celle  d*une  cellule  musculaire  et 
que  les  manifestations  desquelles  on  a  voulu  construire  la  psychologie» 
se  réduisent  à  de  la  simple  irritabilité. 

Sta.nley  Hall  :  .1  Stiidy  of  Angf*r  Étude  de  la  colère),  p.  516-591. 

Cette  longue  étude,  toute  descriptive,  débute  par  Fénumération  des 
divers  synonymes  de  colère,  et  par  Tindication  rapide  des  travaux 
antérieurs.  Vient  ensuite  un  questionnaire,  assez  long,  auqnel  ont  été 
faites  *il8i  réponses.  L'analyse  de  ces  réponses  fait  le  fond  de  l'article. 

Après  une  description  générale  de  la  colère,  Stiinley  Hall  suit  depuis 
le  plus  intime  les  divers  stades  de  la  colère  à  mesure  qu'elle  s*éléve  : 
colère  spontanée  et  purement  réilexe  :  colère  fondée  sur  des  antipathies 
physiques  —  sur  des  incompatibilités  mentales  ou  morales. 

Quelles  formes  revêt  la  colère  chez  chaque  individu?  Quelles 
inlluences  la  font  naître?  Quelles  sont  ses  manifestations  physiques 
du  côté  de  la  circulation,  de  la  respiration,  des  sécrétions,  et  sur- 
tout des  mouvements  plus  ou  moins  impulsifs  (morsures,  coups  de 
griffes,  etc.).  C'est  la  partie  positive  de  cette  étude,  et  la  plus  intéres- 
sante avec  les  quelques  lignes  consacrées  à  montrer  quelles  physio- 
nomies diverses  revêt  la  colère  avec  différents  âges  (p.  569)  :  elle 
devient  de  moins  en  moins  impulsive  et  de  plus  en  plus  raisonnée, 
réfléchie,  pratique. 

Les  moyens  de  corriger  la  colère  se  réduisent  à  ceux  qu^indiquaient 
déjà  les  anciens  :  ne  pas  attaquer  do  front  la  passion,  mais  biaiser  et 
procéder  par  dérivatifs.  Souvent  aussi  on  se  trouvera  bien  d'adminis- 


RBVUR   DES   PÉRIODIQUES  ÉTRANGERS  ill 

trer  à  l'enfaDt  coléreux  «  la  potion  du  D""  Spankster  »  :  quelques 
bonnes  taloches  feront  merveille.  Cependant,  ajoute  Stanley  Hall,  cer- 
taines colères  ont  leur  bon  côté  :  un  mauvais  caractère  oblige  h 
apprendre  la  boxe,  laquelle  a  bien  son  utilité  (p.  538-39). 

Après  ces  réilexions  à  Taméricaine  sur  Tcducation,  Tarticle  se  ter- 
mine par  des  considérations  générales  sur  les  origines  anccstrales  de 
la  colère  :  elle  serait  un  héritage  du  temps  lointain  où  la  masse  céré- 
brale était  encore  disséminée  à  Tétat  de  ganglions  nerveux. 

D""  J.  Philippe 


CORRESPONDANCE 


Genève,  3  juin  i900. 
Cher  monsieur, 

I^ans  l'aimable  article  qu'il  vient  de  consacrer  à  mon  livre  Dps  Inde>i 
à  laplariHle  MnrSj  M.  Albert  de  liochas  affirme  —  à  propos  des  préten- 
dues signatures  d'un  curé  et  d'un  syndic  défunts,  fournies  en  trance 
par  le  médium,  —  qu'en  tous  cas  l'hypothèse  spirite  est  la  seule  qui, 
en  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  puisse  rendre  compte  de  ces  faits  ' . 
Comme  on  pourrait  croire  que  ce  passage  exprime  mon  opinion  aussi 
bien  que  celle  de  M.  Rochas,  j'ai  le  regret  de  devoir  dire  qu'il  n'en  est 
"en,  et  que  je  suis  sur  ce  point  d'un  avis  diamétralement  opposé  à 
celui  de  mon  honorable  et  savant  critique.  Pour  moi  la  cryptomnésie 
toute  pure,  la  supposition  de  clichés  visuels  enfouis  dans  la  mémoire 
latente  et  reparaissant  en  somnambulisme,  sans  aucune  intervention 
des  «  désincarnés  »,  suffit  parfaitement  dans  le  cas  donné  à  expliquer 
^9  curieuses  ressemblances  d'écriture.  Si  je  n'ai  pas  formellement 
exclu  l'hypothèse  spirite,  et  laisse  au  lecteur  le  soin  de  se  décidera  son 
Çr^  entre  elle  et  l'hypothèse  cryptomnésique,  c'est  par  égard  pour  la 
iberté  et  le  sentiment  d'autrui,  mais  non  que  j'eusse  moi-même  la 
ïnoindre  hésitation.  Il  me  semblait  d'ailleurs  que  mon  opinion  person- 
,  'e  ressortait  assez  clairement  entre  les  lignes  pour  que  l'on  ne  put 
*>  tromper.  Peut-être  me  suis-je  fait  illusion  et  aurais-je  dû  formuler 
ïna  Conclusion  d'une  manière  plus  explicite. 

*^n  vous  remerciant  d'avance  de  l'insertion  de  ces  lignes,  je  vous 
P"c,  cher  monsieur,  d'agréer  l'expression  de  mes  sentiments  dévoués. 

Théodore  Flouknoy. 

*•  Htvue  philosophique,  juin  1000,  p.  653.  (Comp.  Des  Indes,  etc.,  pp.  i06-411). 


LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE 

Bailly.  Le  son  dans  la  nature^  in-12,  Paris,  Librairie  de  Tart  indé- 
pendant. 

Annales  de  VInstitut  international  de  sociologie,  t.  VI,  in-8.  Paris, 
Giiird  et  Bricre. 

V.  Baader  (Franz).  Les  enseignements  secrets  de  Martinez  de 
P:^squally,  in-i2.  Paris,  Chacornac. 

D'^  Bonnier.  L'orientation,  in-8.  Paris,  Carré  et  Naud. 

A.  Baumann.  La  vie  sociale  de  notre  tejnps,  in-12.  Paris.  Perrin. 

l)»"  FoL'HNET.  Pensôps  philosophiques,  recueillies  par  J.  Gardair, 
in-8.  Paris,  LehicUeux. 

PiLLON.  L'année  philosophique,  10*^  année,  in-8.  Paris,  Alcan. 

C.  PiAT  (abbé).  Les  grands  philosophes  :  Socrate,  in-8.  Paris,  Alcan. 

Th.  Ruyssex.  Les  grands  philosophes  :  Kant,  in-8.  Paris,  Alcan. 

F.  Nietzsche.  La  généalogie  de  la  morale,  trad.  Albert,  in-12.  Paris, 
Société  du  •  Mercure  de  France  ». 

1)»^  G.  Dumas.  Ui  Trisft'sse  et  la  joie,  in-8.  Paris,  Alcan. 

Dur  K  H  El  M.  L\innoe  sociologiqne  (.>'  année),  in-8'*.  Paris,  Alcan. 

A.  CosTK.  L'expérience  des  peuples  et  les  précisions  qu'elle  auto- 
vise,  in-8".  Paris,  Alcan. 

F.  Thillv.  Introduction  to  Ethics,  in-12.  New-York,  6cribner. 

Fi.NK.  A  hrief  ïlistory  of  Mat  Hématies,  in- 12.  Chicairo,  «  Open 
Court  ». 

O.  LiEBMANN.  Zur  Analijsis  der  Wirklichkeit  :  Dritte  Ausg.,  in-8. 
Strassburg,  Triibner. 

MuLLER.  Naturwissenchaftliche  Seelenforschung,  in-8.  Leipzig, 
Strauch. 

PiKLER.  I)ns  Grundgesetz  ailes  neurop'^gchischen  LebenSy  in-8. 
Leipzijr,  Harlh. 

Mach.  A)iidiiso  th'r  Enipfinihinqeu  r^'"^  aulla»re).  in-8'\  lem.  Fischer. 

Croce.  Tesi  fo)idament:di  di  un'  estitica,  in-8.  Roma. 

Credaho.  La  pedagogia  di  llerhnrt,  in-8.  Roma. 

Tarantino.  Sagqio  suite  idée  morali  e  palitiche  di  llobbes,  in-8. 
Napoli.  Oiannini. 

Krasnosrlkii.  Miroro::rienii'  gumanisla  mv'hi'go  rremeni,  in-i2. 
Pêtorsbourg,  WolfT. 

Les  communications  insentes  pour  le  IV^'  Congrès  international  de 
psychologie  s'élèvent  actuellement  à  l08.  La  liste  complète  sera  publiée 
très  prochainement. 


/-f  fn'uprh'taiir-yemnl  :  FkLix  Aloan. 
Coulommiers.  —  linp.  P^L-L  BKODAKI)  . 


CAUSE  ET  ORIGINE  DU  MAL 


I.  —  Fausses  interprétations  et  indication 

DE  LA  cause   réelle  DU  MAL. 

1.  —  Il  n'y  a  guère  de  question  mieux  faite  pour  embarrasser  la 
raison  que  celle  de  l'origine  du  mal.  La  vie  étant  un  composé  de 
biens  et  de  maux,  la  même  explication  devrait  rendre  compte  des 
deux.  Mais,  tandis  que  notre  esprit  conçoit  le  bien  comme  Texpres- 
sion  d'un  ordre  idéal  et  voudrait  le  trouver  partout,  il  ne  peut  se 
représenter  le  mal  que  comme  un  désordre  dont  la  cause  lui  échappe, 
alors  que  ses  effets,  trop  faciles  ix  constater  en  tous  lieux  et  en  tous 
temps,  démentent  les  sentiments  de  justice  et  débouté  dont,semble- 
t-il,  aurait  dû  s'inspirer  la  puissance  régulatrice  de  Tunivers. 

Les  pessimistes  triomphent  aisément  quand  ils  s'appliquent  à 
décrire  les  formes  sans  nombre  sous  lesquelles  le  mal  sévit  dans  le 
monde  :  —  Mal  physique,  besoins  pénibles  à  supporter  ou  à  satis- 
faire, souffrances  de  toute  espèce,  maladies,  infirmités,  déclin  de  la 
vieillesse,  affres  de  la  mort...;  —  mal  affectif  :  immensité  de  nos 
désirs  attestant  1  étendue  de  notre  misère,  vaine  poursuite  d'un 
bonheur  qu'on  ne  peut  atteindre  ou  retenir,  prompte  satiété  au  sein 
de  la  jouissance,  inquiétude  du  cœur  que  troublent  sans  relâche  la 
peine,  l'ennui,  la  privation,  la  tristesse,  les  regrets...;  —  mal  esthé- 
tique :  dégoût  d'une  laideur  presque  partout  étalée,  opposition  du 
rêve  et  de  la  réalité,  désenchantement  de  l'admiration  qui  se  blase, 
perte  d'illusions  aussi  décevantes  que  chères...;  —  mal  intellectuel  : 
curiosité  toujours  inassouvie  de  connaître,  incertitude  de  la  vérité, 
tourment  du  doute,  égarement  de  Terreur,  contradictions  d'idées 
qui  mettent  la  raison  aux  prises  avec  elle-même...;  —  mal  moral  : 
indécision  et  faiblesse  de  la  volonté,  hésitations  et  scrupules  de  la 
conscience,  impuissance  de  nos  efforts  en  lutte  avec  la  force  irré- 
sistible des  choses,  faillibilité  des  meilleures  intentions,  fautes, 
crimes, vices,  remords...  ;  —  mal  social  :  discordeau  sein  des  familles, 
conflits  d'égoismes,  d'intérêts  et  de  vanités  dans  les  relations  pri- 
vées, antagonisme  de  partis  et  de  classes  dans  l'État,  troubles, 
dissensions,  révolutions,  écrasement  des  faibles  par  les  puissants  et 
les  forts...  ;  —  mal  dans  l'humanité  :  guerres,  conquêtes,  éviction  ou 
TOVB  L.  —  Aoinr  1900.  8 


114  REVï:K   PHILOSOPHIQIK 

oppression  de  peuples  et  de  races,  bouleversements  historiques*  per- 
sécutions religieu-^es,  progrès  toujours  acheté  au  prix  de  douleurs 
et  de  sacrifices...  ;  —  mal  dans  la  nature  :  lacunes  et  accidents  de  son 
ordre,  n«^;uix,  pestes,  famines,  orages,  dévastations,  inondations, 
sécheresses,  éruptions  de  volcans,  tremblements  de  terre,  rigueurs 
des  saisons  et  des  climats,  concurrence  vitale,  loi  du  struggle  for 
lif'e...  —  Enfin,  pour  tout  ce  qui  naît  dans  le  temps,  inexorable 
nécessité  de  peiner,  de  souffrir  et  de  cesser  d'être... 

Pour  peu  que  l'esprit  s'attarde  à  considérer  les  choses  sous  ce 
désolant  aspect,  et  se  plaise  î^i  «  broyer  du  noir  »,  cette  manière  de 
regarder  le  monde  par  ses  pins  méchants  côtés  plongerait  dans  le 
désespoir  et  empêcherait  tout  le  train  de  la  vie  d'aller.  Le  mal  parait 
alors  universel  et  permanent.  Les  penseurs  attristés  re  renvoient 
leurs  plaintes  à  travers  les  siècles  comme  un  lamentable  écho.  Job 
demande  pourquoi  le  jour  a  été  infligé  aux  misérables.  Les  poètes 
grecs  redisent  à  Tenvi  que  mourir  vaut  mieux  que  naître  et  que  le 
plus  heureux  est  celui  qui  n'a  pas  franchi  le  seuil  de  la  vie.  Le  boud- 
dhiste déclare  Texistence  mauvaise  et  aspire  à  en  être  délivré 
dans  l'inerte  quiétude  du  nirvana.  Le  christianisme  tient  ce  monde 
pour  une  vallée  de  misère  et  ajourne  à  une  autre  vie,  dans  un  ciel 
idéal,  un  rêve  de  félicité  future.  «  Toute  créature  gémit  »,  affirme 
saint  Paul;  et  Goethe,  à  qui  la  nature  apparaît  comme  un  vaste 
champ  de  carnage,  la  compare  à  un  monstre  occupant  son  éternité 
î\  se  dévorer  lui-même. 

•2.  —  Quelle  cause  assigner  à  l'existence  du  mal?  II  doit  y  en  avoir 
une  puissante,  étomiue  et  persistante,  puisque  ses  effets  se  mani- 
festent av(V  tant  d'intensité,  de  constance  et  de  généralité.  Mais 
ancvme  des  explications  qu'on  a  tenté  d'en  donner  ne  satisfait  la 
raison  Par  les  contradictions  et  les  antinomies  qu'il  soulève,  ce 
redoutable  problème  fait  tomber  toutes  les  théologies  en  confusion. 
<  D'où  vient  le  mal.  si  Dieu  existe?  demande  Boèce,  et,  s'il  n'existe 
pas,  d'où  vient  le  bien  '?  »  A  la  question  ainsi  posée,  il  est  difficile 
de  faire  une  réponse  topique.  Lorsqu'on  tientle  monde  pour  l'œuvre 
d'un  créateur  qui  Ta  tiré  du  néant  par  un  acte  de  sa  toute-puis- 
sance, ordonné  dans  sa  toute  sagesse  avec  une  parfaite  bonté,  et  qui 
continue  de  veiller  sur  lui  par  les  soins  d'une  Providence,  on  le  rend 
responsable  de  tout  ce  qu'il  y  a  mis  ou  laissé  se  produire  de  maux, 
fil  soit  possible  de  lui  découvrir  ni  même  de  lui  prêter  de 
raisons.  L'existence  du  mal  dans  sa  création  est  en  effet 
aJ)leavec  nos  attributs  d'omnipotence,  d'intelligence  suprême 

molatione  p h ilosoph ira . 


BOUBDBAU.   —  Q\mE  ET    t)RlGli^E    m    MAL 


118 


et  de  souveraine  bonté,  car  elle  dément  ïun  ou  Tatitre,  et  accule  l'au- 
leur  deTunivers  à  une  des  aïternutives  de  ce  irikmme  terrible  :  ou 
il  n*a  pas  pu,  ou  il  lia  pas  su,  ou  il  n*a  pas  voulu  éviter  le  mal  à  ses 
créatures,  et  n'est  conséquemment  qu/un  être  inipuîssaut,  ou  rnai- 
hablle,  ou  cruellement  tyraunique. 

On  se  réfugie  alurs  dans  le  mystère  de  ses  desseios  qu'on  ignore, 
Ktais  cela  n'explique  rien. 

On  a  vru  sortir  d'erol)arras  et  Ton  est  tombé  dans  un  autre,  en 
imaginant,  par  opposition  à  un  Dieu  bon»  voulant  et  (ai saut  le  bien, 
un  Dieu  ïiiécbanl  et  irervers,  qui  se  plaît  à  voir  soufîrir  et  lait  le  mal 
par  nalure,  avecdéleclaîiou.  l.es  religions  dualistiques  personnifiant 
ainsi  les  bons  et  les  mauvais  côtés  de  Thomme  et  des  choses,  ont 
mis  en  conflit,  dans  une  gueiTe  sans  trêve,  Osiris  et  Typbon, 
OrmuKd  et  Ahriman»  Jéhovah  et  Satan,  le  Ciel  et  rEnfert  avec  leurs 
légions  ncherses  d  anges  et  de  démons,  troupe  secourable  ou  nial- 
faisante,  qui  tient  une  si  grande  place  dans  les  croyances  humaines 
qu  elle  semble  ronslituer  le  fond  de  tuutes  les  religions.  Mais  cet 
âiiiagonîsme  puéril,  qui  lait  de  la  création  un  duel  de  divïnilés  lios* 
liles.  est  une  contradiction  logique  t  et,  par  la  li  mil  al  ion  réciproque 
de  puissances  qui  se  démentent  Fune  i  aidre,  conclut  â  la  déchéance 
des  deux. 

La  mythologie  grecque  faisait  infliger  les  maux  aux  mortels  par 
illes  dieux  qui  vengeaient  leurs  injures  personnell^^s,  ou  qui,  rivaux 

^jaloux  les  uns  des  autres,  poursuivaient  de  leur  haine  les  secta- 
teurs des  dieux  ennenns. 

D'après  le  dogme  de  la  métempsycose,  inspiré  par  Tidée  de  justice 
dislribulive,  les  maux  de  la  vie  présente  seraient  rexpiation  de 
fautes  commises  dans  des  existences  antérieures;  mais,  comme  nul 
n'en  conserve  le  souvenir,  on  ignore  le  délit,  alors  qu'on  subit  la 
peine,  et  son  équité  n'a  plus  rien  d'évident. 

Pour  le  judaïsme  et  ses  dérivés,  le  njal  est  la  conséquence  d'un 
péché  originel  dont  le  premier  couple  humain  se  serait  rendu  cnu- 
psMe  en  désobéissant  à  un  ordre,  d  ail  leurs  arbitraire,  de  son  créa- 
teur, explication  purement  mythique  el  dillicile  à  justifier  au  point 
lie  %^ue  de  la  raison,  puisqu  elle  fait  i^ujtporler  à  une  innocente  puslé- 
rite  la  peine  d'un  délit  qui  ne  lui  est  pas  imputable.  Il  convient  en 

lire  de  noter  que  tous  les  êtres  vivants  sont,  ainsi  que  Thomme^ 
ajets  à  soutTrir,  et  un  mal  ainsi  répandu  doit  avoir  une  cause  gêné- 
nUe  qull  faudrait  montrer. 

Suivant  la  doctrine  de  Jésus,  les  douleurs  de  la  vie  sont  une 
épreuve  qui,  subie  avec  résignation,  sera  compensée  par  d'amples 
rémunérations  dans  le  ciel,  et  il  promet  une  élernelle  béatitude  aux 


116  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

misérables,  pour  cela  seul  qu*ici-bas  ils  ont  souffert  et  pleuré^ 
Mais,  môme  avec  la  perspective  d*un  dédommagement  éventuel,  i  - 
semble  bien  rigoureux  de  faire  acheter  des  félicités  futures  au  pmm 
de  malheurs  présents,  tandis  qu'une  divinité  vraiment  bonne  devrar 
à  ses  créatures  un  bonheur  constant. 

Abordant  ù  leur   tour   le   problème    de   l'origine  du   mal,  le^ 
métaphysiciens   n'ont  pas  mieux  que   les  théologiens  réussi  à  1^ 
résoudre,  et  se  sont  bornés  à  répandre   quelques  obscurités  d^ 
plus.  Il  en  est  qui  regardent  le  mal  des  uns  comme  la  condition  dur 
mal  des  autres,  de  sorte  que,  par  une  balance  de  douleurs  compen- 
satrices, le  bien  général  serait  la  résultante  des  maux  particuliers, 
tandis  qu'il  devrait  plus  rationnellement  être  la  somme  du  bien  de 
tous.  Les  stoïciens  tenaient  que  le  mal  est  l'envers  du  bien  et  qu'ils 
se  conditionnent  l'un  l'autre,  sans  qu'on  les  puisse  séparer,  c  Le  bien, 
disait  Chrysippe,  est  le  contraire  du  mal  ;  il  est  nécessaire  qu*ils  exis- 
tent tous  les  deux,  opposés  l'un  à  Tautre  et  comme  appuyés  snr  leur 
mutuel  contraste-  ]>.  Mais  on  n'en  voit  pas  la  raison,  et  l'on  souhai- 
terait que  le  bien  piU  se  soutenir  tout  seul,  sans  avoir  besoin  d*un 
aussi  fâcheux  support.  Cette  alliance  du  bien  et  du  mal  n'a  d'ailleurs 
rien  d'absolu,  puisque  toute  l'activité  de  notre  vie  se  consacre  à  les 
disjoindre  et  à  faire  prévaloir  l'un  sur  l'autre.  Pour  Hegel,  le  mal 
est  la  forme  inférieure  du  bien,  le  bien  en  puissance,  à  Tétat  de 
devenir.  Mais  comme  le  bien  lui-même  serait  alors  une  forme  infé- 
rieure du  mieux,  un  mal  par  rapport  à  l'excellent,  il  s'ensuivrait  que 
le  bien  et  le  mal,  ne  ditTéraut  qu'en  degré,  non  en  nature,  sont  d'es- 
sence commune  et,  finalement,  s'identifient. 

Nombre  d'esprits,  renonçant  à  résoudre  un  problème  aussi  ardu, 
chargent  des  puissances  aveugles,  personnification  de  l'accident 
sans  règle  et  sans  but,  le  hasaini,  la  fortune  ou  le  destin,  de  répartir 
à  l'aventure,  entre  les  êtres  vivants,  des  lots  propices  ou  funestes, 
ce  qui  ramène  à  la  conception  homérique  d'un  Jupiter  qui,  puisant 
dans  deux  récipients  à  sa  portée,  à  droite  les  biens,  à  gauche  les 
maux,  les  distribue  selon  son  caprice  aux  mortels. 

On  voit  la  faiblesse  et  Tinsuftisance  de  ces  explications  imagi- 
naires. Aucune  d'elles  ne  résisterait  un  moment  à  la  discussion.  En 
place  de  fables  mythiques  et  d'hypothèses  sans  preuves,  la  science 
réclame  une  interprétation  qui.  mettant  de  coté  les  causes  surna- 
turelles et  les  conjectures  invérifiables,  ne  fasse  intervenir  que  des 
causes  naturelles,  accessibles  et  déterminables.  Ktant  donné  que  le 

1.  Saint  Mathieu^  V.  3. 

â.  Aulu-Gelle,  SuiU  aUi(fues,  VI.  1. 


BOUHDEAU.    —   CALSK   ET   ORIGINE   DU   MAL 


H1 


ia.1  est  une  Umitalion,  une  diminution  de  vie,  il  doit  résulter  des 
kndlîiions  mêmes  et  du  foiîclionn<^ment  de  la  vie.  Il  faut  que  sa 
tu  se,  non  plus  externe  >  mais  interne,  s*exp[ique  par  la  réaction 
B€?3  êtres  entre  eux  et  se  déduise  de  leurs  rapports  nécessaires,  qui 
►fil  des  lois.  On  verrait  alors  clairement  loriginc  réelle  du  mal, 
is  quelle  mesure  il  est  inévitable  et  s'impose,  dans  quelle  autre  sa 
[«î^mitigence  permet  d'en  éviter  Tatleinte  ou  d'en  corriger  les  elTets, 
^*  ^  La  loi  générale  des  êtres  finis  les  fait  se  constituer  en  verlu 
^'ub  double  principe  d'association  et  dindividuation.  Chacun  d'eux 
^^  compose  d'êtres  plus  simples  coordonnés  en  un  tout,  et  ce  tout 
Viii^ntème  tlgure  à  litre  de  paiiie  dans  des  iigrégals  complexes  d  am- 
l^^ilude  croissante.  Ainsi  Thomme  est  un  composé  d'organes»  un 
*^ïgane  de  tissus,  un  tissu  de  cellules,  la  cellule  d'éléments  molécu- 
laires, la  molécule  d'atomes,..  Et  de  même,  dans  les  modes  supé- 
rieurs de  groupement,  l'être  humain  fait  partie  d'une  famille,  la 
famille  d'une  nation,  la  nation  de  rhumanité,  T espèce  humaine  du 
régne  animal,  le  règne  animal  de  l'empire  organique,  l'empire  orga- 
nique du  monde  terrestre ^  et  h  progression  se  continue  parmi  les 
systèmes  de  monde  jusqu*à  Tunité  suprême  de  Tunivers  qui  com- 
prend tout.  D'une  extrémité  à  Taulrede  cette  hiérarchie  d'êtres,  de 
Tatome  au  cosmos,  la  vie  individualisée  se  développe  en  orbes  gran- 
dissaats  par  une  fédération  de  parties  constituant  à  chaque  degré  un 
toul-clos  unitaire.  De  là  découlent  deux  sortes  de  résoltnnles  qui 
assignent  à  la  vie  ses  couditions  et  ses  lois, 

LPar  celii  même  que  des  parties  disHnclcs  s'unissent  en  un  tout 
vivant,  elles  de vien tient  solidaires  les  unes  des  autres,  leurs  pou- 
voirs d'action  se  surajoutent,  leurs  fonctions  concourent  à  une  même 
fett^  desfacuUés  nouvelles  apparaissent,  et  le  résultat  de  cet  accord 
Bt  la  production,  par  voie  de  synthèse j  d*un  ensemble  ou  la  raulti- 
plicilé  des  éléments  se  résout  en  existence  unifiée. 
^B  Mais,  en  même  temps  qu'un  principe  de  concert  et  d'union,  l'as- 
"  sûcîation  introduit  dans  l'agrégat  un  principe  de  contradiction  et  de 
lutte,  parce  que  les  rapports  des  parties  entre  elles  et  avec  le  tout, 
loin  de  s'accorder  toujours,  ont  aussi  leur  discordance  et  sont  sou- 

kvenl  en  conilit*  Malgré  la  solidarité  qui  les  lie^  chaque  partie,  en 
effet,  a  son  individualité  spéciale  et  collabore  à  une  activité  commune 
sans  pcrilre  son  autonomie.  C'est  un  être  qui  vit  pour  son  propre 
j^  compte,  qui  a  ses  conditions  de  genèsci  ses  exigences  de  conser- 
^Ê  valion,  ses  tendances  évolutives,  son  mode  de  fonctionnement,  ses 
^Ê  besoins,  ses  satisfactions.  Formant  par  lui-même  un  petit  tout,  il  est 
V  porté  à  se  considérer  comme  un  tout  absolu,  et,  s'il  se  prèle  h  cer- 
taines relations,  il  ne  s'aliène  jamais  entièrement.  11  slntéresse  sur- 


118  liEVUE   PHILOSOPHIQUE 

tout  à  lui-même  et  oppose  son  égoisme  irréductible  aux  autres  êtres, 
qui  ont  aussi  leur  égoïsme,  car  c'est  là  pour  tous  une  nécessité  de 
vie.  Ils  se  trouvent  ainsi  en  compétition  et  en  lutte.  Il  leur  est  même 
difticile  de  voir  clairement  ce  qu'exigerait  rintérêt,  soit  des  êtres 
inférieurs  qui,  inclus  dans  leur  unité,  dépendent  d'eux,  soit  des 
êtres  supérieurs  qui  les  englobent  et  dont  ils  dépendent.  Si  en  effet 
chaque  être  a,  par  sa  conscience,  le  sentiment  très  vif  de  sa  person- 
nalité, il  n'a  qu'une  notion  confuse  et  de  moins  en  moins  distincte 
de  celle  des  êtres  qui,  plus  simples  ou  plus  complexes,  différent  de 
lui.  Le  moi  perçu  par  le  sens  intime  est  comme  un  foyer  de  lumière 
qui  brille  d'un  éclat  propre  et  éclaire  tout  le  reste,  mais  avec  une 
intensité  qui  décroit  suivant  la  distance  et  se  perd  assez  vite  dans 
une  profonde  obscurité. 

Ainsi  l'homme  a  une  conscience  très  nette  de  sa  personnalité 
totale;  il  sent,  pense  et  veut  au  grand  jour;  mais  il  n'entrevoit  que 
dans  la  pénombre  d'une  sous-conscience  ce  (|ui  se  passe  dans  ses 
centres  nerveux  inférieurs;  il  n'a  presque  aucune  lueur  du  méca- 
nisme autonome  de  la  réllexivité;  enfin  la  sensibilité  des  éléments 
cellulaires  lui  échappe  entièrement.  Il  en  résulte  que  le  moi,  ne 
connaissant  bien  que  lui-même  et  ses  besoins  particuliers,  vit  sur- 
tout pour  lui  même,  sans  beaucoup  se  préoccuper  des  êtres  partiels 
qui  le  constituent,  et  nuit  souvent  à  leurs  intérêts  qu'il  ignore,  tandis 
que  les  éléments  du  moi  poursuivent  chacun  à  part,  et  non  sans 
confusion,  leur  avantage,  mênje  aux  dépens  du  tout  dont  ils  ne 
soup<;onnent  pas  l'existence. 

Il  en  est  pareillement  des  rapports  de  l'être  humain  avec  les 
groupes  hiérarchiques  dont  il  partage  la  vie.  Il  entre  dans  ces  col- 
lectivités sans  se  confondre  avec  elles,  réservant  toujours  les  droits 
essentiels  de  sa  personnalité,  les  exigences  de  ses  besoins  et  les 
prétentions  de  son  égoïsme.  Plus  le  cadre  de  l'association  grandit, 
moins  il  se  fait  une  juste  idée  du  rôle  qu'il  remplit  dans  ces  collecti- 
vités et  des  obligations  qui  en  devraient  dériver.  Pour  ce  qui  conceiiie 
la  famille,  le  plus  restreint  de  ces  groupes,  les  fonctions  de  ses  divers 
membro-s  soni  indiquées  par  la  nature  avec  précision,  et  le  sacrifice 
des  intérêts  du  moi,  facilité  par  de  mutuelles  atTections,  est  consenti' 
sans  trop  de  peine,  quoique  les  causes  de  conflit  ne  manquent  pas; 
mais,  à  me.sure  que  lagn-gat  social  s'étend  et  se  complique,  la  con- 
science que  l'être  individuel  a  de  sa  vie  s'obscurcit,  et  le  désir  d'y 
contribuer  païaîl  moins  urgent,  car  chaque  éi];oïsme  voudrait  jouir 
des  avantages  d(»  la  collectivité  sans  en  supporter  les  charges.  Dans 
les  grands  Élats  modernes,  peu  de  vrais  patriotes  ont  le  sentiment 
exact  de  ce  qu'exigent  l'intérêt  public  et  une  mesure  d'abnégation  en 


BOUROEAU,    ^  CAUSK    El    OHIGINE    DU    !H\I. 


119 


"^s:»pport  avec  le  devoir  civique.  Moins  encore  sont  assez  éclairés  pour 

^CDfjiprendre  l'importance  de  îa  civilisation,  comme  résumant  la  vie 

_^^^  l  espèce  humaine,  et  pour  coticourit*  avec  un  zèle  désinléresso  à 

^^^g  progrès.  Enfin,  quelques-uns  à  peine  ont  une  vague  idée  de  notre 

^fc^srljcipalion  à  la  vie  des  séries  les  plus  générale;^  du  règne  animal, 

<1  lî  monde  terrestre,  et,  dans  une  transcendance  linale,  k  celle  de 

*  *élre  aaiversel 

La  même  cause  agissant  dans  ces  divers  groupes»  ils  ont  d'autant 
«"Kioîns  conscience  et  sQUci  des  intérêts  individuels  qu'ils  les  domi- 
ïr:aent  de  plus  haut.  C'est  dans  la  famille  que^  à  raison  d'un  contact 
i^mnaiédiat,  il  en  est  le  plus  tenu  compte.  Déjà  TÉtat,  bien  qu'institué 
Ipour  servir  la  miisse  des  intérêts  particuliers,  les  sacrifie  volon- 

t^&iersà  des  exigences  de  vie  nationale,  souvent  même  à  Tambition 
^z>u  aux  caprices  des  gouvernants.  Plus  indifférente  encore  au  sort 
^es  individus  et  des  peuples,  l'humanité  les  tient  pour  des  ouvriers 
^'un  jour  qu*elle  congédie  leur  tâche  laite,  et  récompense  d*ordinaire 
^MSi^GX  mal  ceux  qui  se  dévouent  avec  le  plus  d'ardeur  à  favancement 
«3e  la  civilisation.  La  nature  livre  les  espèces  vivantes  à  Timpi- 
^oyable  loi  de  la  concurrence  vitale,  sans  se  préoccuper  des  souf- 
Cratices  qu  tille  cause,  pourvu  que  l'é^^olution  de  la  vie  suive  son 
cours.  Le  globe  terrestre  s'acquitte  de  ses  fonctions  cosmiques  et 
xie  s'inquiète  guère  si  des  foules  d-êlres  sensibles,  nés  de  lui  et  qui 
font  partie  de  son  ordre,  aont  torturés  et  brayés  par  tes  convulsions 
de  sa  masse  interne  ou  par  l'agitation  désordunnée  de  ses  milieux 
iperticiels.  Enfin,  TÊlre  suprême,  planant  au-dessus  de  toutes  les 
jotitigences,  n'agit  sur  rensomble  des  êtres  que  par  des  lois  géné- 
rales, et  les  abandonne  aux  accidents  de  leurs  résultantes,  sans 
jamais  intervenir,  pour  en  corriger  les  effets,  par  des  décrets  par- 
ticuliers. 

Malgré  ses  rapports  de  série,  et  quoique  enserré  dans  les  mul- 
tiples liens  de  collectivités  hiérarcliîques,  chaque  être  sort  dune 
inalaiséinant  de  son  moi,  voit  tout  du  point  de  vue  de  son  égoïsuie 
et  consacre  â  ses  proprei^  intérêts  la  meilleure  part  de  son  activité, 
Lcachevclreaient  d'existences  ainsi  encliainées  les  uns  aux  autreSi 
mais  dont  chacune  à  sa  un  particulière,  ne  saurait  aller  sans  trouble. 
Bnire  ce^  individuaîités  à  la  fois  indépendantes  et  solidaires,  des 
auta^onfcsmes  et  des  conffits  sont  inévitables.  Partout  où  ces  inté- 
rêts exclusifs  se  heurtant  au  lieu  de  se  coocilier  doit  se  produire  un 
Sel  ci>niparable  à  celui  qui,  dans  un  mécanisme  complexe,  déter- 
line  entre  les  pièces  en  jeu  des  résistances,  des  frottements  et  des 
cliocs,  c*e3t-à  dire  une  perte  de  force  vive,  inséparable  de  la  trans- 
mission des  mouvements.  Seulement,   lorsqu^en  place  de   piècei 


1!20  REVLE  PHILOSOPHIQUE 

inertes,  il  s'agit  d'êtres  vivants,  les  frottements  et  les  chocs  se  t  ^tra- 
duisent en  maux  sentis. 

De  cette  double  loi  d'association  qui  unit  les  êtres  et  d^individ'a-.:^^- 
tion  qui  les  oppose,  résultent  tous  les  biens  et  tous  les  maux  d^^      ^ 
vie  :  les  biens  lorsque  Taccord  s'établit  entre  les  parties  et  le  to  "«-^^^ 
parce  que  ces  convergences  d'effets  procurent  un  accroissement       ^e 
vitalité;  et  les  maux  quand  se  produisent  soit  entre  les  parties  as^»  ^=>* 
ciées,  soit  entre  elles  et  le  tout,  des  antagonismes  et  des  conQits  c^  vi 
entraînent  des  désordres  et  des  diminutions  de  vie.   Dans  U^mjm.  * 
société  d'êtres,  par  suite  de  rapix)rts  non  moins  nécessaires  (j  «-^6 
faciles  à  troubler,  il  y  a  donc  des  conditions  de  concert  et  de  lut  "ft-^» 
d'ordre  et  de  perturbation,  de  paix  et  de  guerre.  La  vie  collecti  '^^^^ 
est  une  harmonie  qui  admet  beaucoup  de  dissonances.  Rerum  a^'^'^^'' 
cordia  discorsy  disait  la  sagesse  antique.  Nous  allons  essayer  rf^ 
montrer  que  tous  les  maux  dont  nous  souffrons,  qu'ils  soient  pb  > 
siques  ou  psychiques,  personnels  ou  sociaux,  naturels  ou  accidefs  — 
tels,  peuvent  s'expliquer  par  cette  cause. 

II.  —  Du  MAL  DANS  L  FriTRE  INDIVIDUEL. 

l.  —  Quoique  l'être  humain,  qui  a  très  clairement  conscience  de 
son  unité,  ne  paraisse  pas  susceptible  de  se  scinder,  puisqu'il  fait 
de  l'indivisibilité  de  son  moi  le  trait  caractéristique  de  Yindividua^ 
lité  (in-dlv\duu»\  ce  tout,  loin  d'être  simple,  est  un  agrégat  de 
parties  qui,  si  elles  s'accordent  pour  produire  une  résultante 
d'ensemble,  sont  en  désaccord  et  en  conflit  sur  nombre  de  points. 

Considérons  d^abord  Thomme  dans  la  dualité,  non  de  sa  nature, 
mais  de  ses  fonctions.  On  l'a  cru  longtemps  composé  de  deux  êtres 
accotés  et  distincts,  le  corps  et  l'àme,  si  dissemblables  que  le  lan- 
gage les  oppose  communément  l'un  à  l'autre  et  que  la  plupait  des 
systèmes  religieux  ou  métaphysiques  les  ont  supposés  d'essence 
contraire.  Malgré  leurs  corrélations  que  la  science,  qui  tend  à  les 
identifier,  met  toujours  mieux  en  lumière,  un  antagonisme  réel 
existe  entre  l'àme  et  le  corps,  ou,  pour  éviter  ces  personnifications 
trompeuses,  entre  les  fonctions  physiologiques  de  l'organisme  et  les 
fonctions  psycijiqnes  de  l'appareil  d'innervation.  Leur  accord  est 
indispensable  au  dcvelopponient  de  la  vie,  puisque,  d'une  part, 
Torgiinisme  contient,  prutrge,  nourrit  le  système  nerveux  et  lui 
fournit  les  forces  (|u'il  met  en  action,  et  que,  d'autre  part,  le  système 
nerveux  relie,  coordonne  et  harmonise  les  fonctions  des  organes, 
ce  qui  implique  entre  ces  deux  moitiés  de  l'être  une  si  étroite  soli- 
darité et   une   telle  réciprocité  de  services  qu'aucune  d'elles   ne 


BOURDEAU.  —  Cause  rr  origipce  du  mat. 


ôurrait  subsister  sans  raulre,   Néannioins,  elleâ  ont  aussi  leurs 

:^OT]ciitrûns  spéciales  d'activité,  des  intérêts  en  partie  contraires  et 

^es  tendances  divergentes,  tause  incessante  de  conflits.  Livré  à 

3ul-mémc  et  cédant  aux  exigences  de  ses  besoins,  Torganisme  ne 

iréclanie  que  des  satisfactions  d'ordre  purement  physiologique  dont 

Ta   lin  est  d  assumer  le  fonctionnement  normal  de  Tenserable,  sa 

j^èfeclion  trophique  et  sa  régénération.  Il  se  confine  dans  le  cercle 

étroit  de  ces  atlnbulions,  replié  sur  lui-même  et  sans  appétitions 

qui  le  dépassent.  L'esprit,  au  contraire,  mis  par  les  impressions  des 

sens  en  relation  avec  le  dehors,  aspire  à  répandre  son  activité  dans 

le  moDde  extérieur.  AflYanchi  par  le  corps  de  besoins  matériels  et 

sollicité  en  divers  sens  par  les  émotions  de  la  sensibilité,  les  appré- 

«riations  du  goût,   la  curiosité  de   rîntelligence,  Texercice  de  la 

^volonté,  il  ne  vise  et  ne  tendqu  a  des  satisfactions  idéales.  Ces  deux 

sortes  de  fonctions  dilTèrent  trop  pour  que  les  coassociés  chargés 

d'y  pourvoir  séparément  puissent  s'accorder  toujours,  et  il  en  résulte 

qu*ils  se  querellent  souvent. 

Voilà  donc  la  guerre  engagée  au  sein  de  ce  moi  que  1  Vime  et  le 

corps  déchirent  par  leuï-s  prétentions  rivales,  car  aucun  d*eux  ne 

peut  abusivement  prévaloir  qu'au  préjudice  de  Tautre,  Uorganisme 

opprime  Tesprit   par  ses  nécessités  impérieuses,  par  Thumiliant 

servage  qu'il  lui  impose  pour  y  subvenir,  par  ses  appétits  brutaux, 

ses  basses  jouissances^  ses  excès,  ses  tnaladies,  son  déclin,  toutes 

causes  de  contrainte  ou  de  faiblesse  pour  un  agent  qui  voudrait  ne 

relever  que  de  lui-même;  etj  de  son  côté,  l  esprit  qui  ne  se  croit 

libre  que  lorsqu'il  prédomine,  exploite  le  corps,  le  traite  en  esclave, 

le  surmène  et  Tépuise  en  ne  tenant  pas  assez  compte  de  ses  besoins. 

«  Démocrite  disait   que  si  le  corps  mellail  Tànie  i'xi  proeès  et 

rappelait  en  justice  en  matière  de  réparation  de  dommage,  jamais 

elle  ne  se  sauverait  qu'elle  ne  fût  condamnée  eu  laniende',  »  La 

conciliation >   dans  une  juste  mesure,  des  intérêts  contraires  de 

Tâme  et  du  corps  est  une  des  plus  grandes  difficultés  de  la  vie. 

*i.  —  Entrons  plus  avant  dans  le  détail.  Le  même  état  de  guerre, 
qui  oppose  l'un  à  l'autre  les  deux  principaux  ordres  de  fonctions,  se 
retrouve,  pour  chacun  d'euXj  entre  les  modes  spéciaux  de  leur 
àclivité. 

L  organisme  est  un  composé  d'appareils^  d'organes,  de  tissus  et 
de  plaslides^  dont  chacun  a  son  individualité,  sa  vie  particulière, 
45on  autonomie.  Ce  sont  de  petits  organismes  plus  simples,  reliés  et 
unis,  mais  non  confondus,  qui  ont  des  intérêts  communs  et  des 


4»  Plutarqye^  (JEurreg  momtcs;  féglestt  préceptes  dt  ifûnté. 


m  ukvlf:  PHiLosopiiiQi'ii: 

intérêts  contraires.  Lorsque  Kant  définit  l'organisme  :  n  Un  toul 
dont  dia(iuo  partie  est  à  la  fois  but  et  moyen*  »,  il  exprime  un  id^ad 
dont  la  réalité  s'écarte  sensiblement,  parce  que  si  chaque  partie 
contribue  à  la  vie  de  Tensemble,  elle  vit  aussi  pour  elle-mèma   et 
fait  souvent  passer  son  intérêt  propre  avant  celui  du  tout.  Il  arrive 
aussi  (]ue  le  tout  vit  à  sa  guise  sans  trop  se  soucier  'des  parties   ^ 
parfois  à  leur  détriment.  S'il  nous  était  donné  d'observer,  au  sein 
de  l'organisme,  les   conlîits  que  s'y  livrent  ses  éléments,  nous 
constaterions  avec  épouvante,   au   lieu  de  Tordre  intérieur  que 
Tunité  persistante  du  moi  porterait  à  conjecturer,  une  lutte  sourde, 
mais  acharnée  et  implacable  entre  des  adversaires  au>^  prises.  Leur 
compétition  pour  la  prépotence  lait  se  reproduire  ici  les  redoutables 
rivalités  de  la  concurrence  vitale.  Un  système  d'organes  ne  peut 
prévaloir,  par  ce  (]u'on  appelle  a  intra-sélection  »,  qu'en  se  faisant 
au.v  dépens  des  autres,  une  part  exagérée  qui  les  laisse  aflaiblis  et 
connue  vaincus.  Tout  surcroit  d'activité  dans  une  partie  de  Torga- 
nisme  impose  ailleurs  une  diminution  corrélative,  car  le  budget  de 
la  vie  est  fixe,  et  la  nature  ne  peut  se  montrer  prodigue  sur  un  point 
sans  être  forcée  d'économiser  sur  un  autre.  Geoffroy  Saint-IIilaire  a 
i'ornnilé  la  règle  de  ces  inégalités  compensatrices  par  sa  a  loi  du 
balaniiMuont  des  organes  >>,  où  le  gain  des  uns  implique  une  perte 
pour  d'autres.  La  distinction  usuelle  des  tempéraments  montre  que, 
d'ordinaire,  telle  ou  telle  liasse  d'organes  prédomine  dans  Torga- 
nisme.  et,  par  cela  même  son  équilibre  normal  est  rompu.  Entre  les 
élénuMits  cellulaires,  la  guerre  est  plus  générale  et  plus  implacable 
encore.   Comme  ils  vivent  tous  sur  le  même  fonds  de  substance 
protèique,  ils  s'en  disputent  avec  àpretê  la  jouissance,  se  partagent, 
d'après  la  K)i  du  plus  avide  et  du  plus  tort,  les  ressources  bornées 
que  le  smg.  imhtiiuiu  vHu\  met  à  leur  disposition,  et  ce  que  les  uns 
ont  en  plus,  les  autres  l'iMil  en  moins.  A  cette  armée  de  compétiteurs 
en  lutle.  aioute/.  les  légions  de  phagocytes,  exterminateurs  des  cel- 
lules dibililêes  ou  vieillies,  et  les  t>andes  de  microbes  étrangers  qui 
viennent  inoess;unment  assaillir  l'organisme  du  dehors,  vous  aurez 
l'idt'i'  viune  niellée  ardente  et  confuse,  d'où  Von  a  peine  à  concevoir 
qu'un  oiiitt^  qiieK*v'n;ue  puisse  >orlir. 

r.es  viis.uwM'vis  incMtaMes  entre  les  av*tiviiès  concurrentes  des 
orj:anes,  de  Knns  cle/.v  nts  et  de  TensemMe,  sufiiraient  à  expliquer 
la  pluiMii  des  niaii\  piixst.pies  dowl  n»»us  soulYrons.  Nos  états  de 
Ivsv^  .'..  de  m.daiso.  i.i  diver-iié  des  lualadies  et  linlensité  de  ladou- 
leui\   si^iia;enl   v\*s  perîarlviiu»iis   â   t.nis  les   degrés   de  gravité 


BOURDEAU.    —   C.VrSK   ET  ORIGINE   DU   MAL  li3 

qu'elles  comportent,  et  nous  pouvons  juger  par  là  de  leur  fréquence 
comme  de  leur  étendue.  La  santé  réelle,  le  complet  bienêire, 
expression  d*un  parfait  accord  entre  toutes  les  fonctions  de  Torga- 
nisme,  sans  qu'il  y  ait  nulle  part  excès  ou  manque,  est  un  idéal 
irréalisable  dans  ce  qu'il  a  d'absolu,  parce  que  la  multitude  et  la 
variabilité  des  agents  qui  concourent  rendent  leurs  rapports  tou- 
jours défectueux  et  précaires.  La  maladie  est  donc  l'état  naturel, 
non  pas  seulement  du  chrétien,  comme  l'afQrme  Pascal,  mais  de 
tout  être  vivant.  Aussi  longtemps  que  l'organisme  subsiste,  l'accord 
des  fonctions  l'emporte  sans  doute  sur  leur  désaccord,  et  la  vie  en 
exprime  la  résultante  ;  mais  cette  harmonie,  si  facile  à  troubler,  ne 
peut  durer  qu'un  temps,  et,  lorsque  le  désordre  dépasse  certaines 
limites,  la  conservation  de  l'ensemble  devenant  impossible,  l'être  est 
voué  à  la  destruction. 

3.  —  Notre  activité  psychique  s'exerce  dans  les  mêmes  conditions 
d  antagonisme  et  de  lutte.  Comme  les  appareils  et  les  organes  du 
corps,  les  facultés  spéciales  que  l'analyse  distingue  dans  l'unité  du 
moi  conscient,  la  sensibilité,  le  goût,  Tintelligence,  le  caractère,  le 
sens  moral,  ont,  quoique  liées  et  interdépendantes,  leur  particula- 
risme étroit,  leurs  aspirations  divergentes,  de  sorte  que  tantôt  elles 
s'entr'aident  et  se  développent  de  concert,  tantôt  des  contradictions 
éclatent  et  l'accord  se  change  en  guerre  civile. 

Chacune  de  ces  facultés,  ayant  des  besoins  et  des  exigences  de 
fonctionnement  à  elle  propres,  cherche  à  les  faire  prévaloir  dans 
l'activité  du  moi,  et,  comme  celui-ci  ne  peut  pas  céder  simultané- 
ment à  leurs  sollicitations  contraires,  cette  opposition  de  tendance 
met  forcément  en  conflit  la  passion,  qui  va  où  l'appelle  le  désir, 
impatiente  de  le  contenter  à  tout  prix,  le  goût  idéal,  qui  s'applique 
à  concevoir  et  à  réaliser  la  beauté  pure,  l'intelligence  qui  cherche  à 
connaître  la  vérité  quelle  qu'elle  soit,  le  caractère,  qui  à  force  de 
volonté  veut  triompher  de  la  résistance  des  choses,  et  la  conscience 
qui  prétend  imposer  à  l'être  moral  une  règle  désintéressée  du 
devoir.  Un  de  ces  modes  d'action  ne  peut  prévaloir,  par  circon- 
stance ou  par  habitude,  qu'à  condition  de  suspendre,  pour  lui 
laisser  libre  carrière,  toutes  les  fonctions  rivales.  Ainsi  tiré  en  divers 
sens  par  de  multiples  aptitudes,  obligé  néanmoins  de  choisir  entre 
elles  et  de  se  restreindre  pour  les  exercer  tour  à  tour,  le  moi,  pressé 
de  plus  de  besoins  qu'il  n'en  peut  satisfaire,  est  réduit  à  une  acti- 
vité toujours  pleine  de  lacunes  et  de  privations.  D'ordinaire,  une 
faculté  maîtresse  prédomine  en  lui  comme  une  sorte  de  tempéra- 
ment dans  l'organisme,  et  l'on  voit  les  alfectifs  attribuer  la  plus 
large  part  au  sentiment,  les  Imaginatifs  à  l'idéal,  les  intellectuels  à 


124  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Tétude,  les  volontaires  à  laction,  les  gens  de  bien  à  la  vertu.  Ma^ 
une  préférence  aussi  marquée  ne  va  pas  sans  dommage,  et  le 
facultés  négligées,  qui  seraient  non  moins  nécessaires,  restent,  pa:^^ 
insuffisance  de  développement,  dans  un  état  de  langueur  ou  d'atro-  ^ 
phie.  Nous  ne  jouissons  presque  jamais  d'une  vie  psychique  com^ — ■ 
plète,  harmonieuse,  où  toutes  nos  aptitudes,  normalement  exercées,i^ 
nous  feraient  goûter,  dans  une  juste  mesure,  les  jouissances  varicess^ 
auxquelles  notre  nature  nous  permettrait  d'aspirer. 

Les  mêmes  effets  de  concurrence  se  produisent  pour  chaque 
faculté  prise  à  part,  à  raison  de  la  multiplicité  des  manifestations 
que  son  activité  comporte.  Ainsi  nos  désirs  s  accordent  bien  en  cela 
qu'ils  tendent  tous  au  bonheur  et  se  prêtent  à  l'occasion  d'utiles 
secours;  mais  ils  ont  aussi  leur  antagonisme  parce  qu'ils  pour- 
suivent par  des  voies  distinctes  les  divers  biens  de  la  vie,  et  n'ont 
chance  d'en  atteindre  quelques-uns  qu'en  limitant  leur  effort.  Ils  se 
font  ainsi  obstacle  l'un  à  l'autre,  et  le  triomphe  d'un  seul  n'est 
obtenu  que  par  la  défaite  de  ses  compétiteurs.  Conséquemment  le 
bonheur,  qui  exigerait  la  satisfaction  simultanée  et  adéquate  de  tous 
les  désirs,  est  impossible,  puisque,  pour  un  désir  qui  prévaut 
momentanément,  la  multitude  des  autres  reste  en  souffrance.  Nous 
ne  pouvons  donc  obtenir  que  des  parcelles  de  bonheur,  et  notre 
félicité  sera  toujours  inachevée.  En  outre,  le  désir  qui,  victorieux 
de  ses  rivaux,  prédomine  et  devient  passion,  s'exagère  inévitable- 
ment la  valeur  du  bien  qu'il  poursuit,  la  croit  absolue  quand 
elle  ne  peut  être  que  relative,  et,  par  suite,  s'il  réussit  à  le  pos- 
séder, se  prépare  une  déception  lorsqu'il  en  reconnaîtra  l'insuffi- 
sance, ou  d'amers  regrets  s'il  vient  à  le  perdre  avant  que  la  satiété 
l'en  ait  détaché.  Ainsi  en  proie  à  d'innombrables  désirs  dont  la  plu- 
part ne  seront  jamais  satisfaits,  anxieux  durant  l'attente,  inquiet  ou 
déçu  dans  la  jouissance,  notre  cœur  est  continuellement  misérable 
et  tourmenté. 

L'imagination,  que  ne  sauraient  contenter  les  vulgarités  et  les  lai- 
deurs du  monde  réel,  se  plail  à  rêver  un  monde  idéal  qu'elle  dispose 
à  son  gré,  en  le  remplissant  de  belles  images  qui  se  forment,  se 
succèdent  et  se  dissipent  comme  des  nuages  dans  l'air,  sans  que  le 
goût  puisse  s'y  tenir  et  se  fixer.  Son  essence  e&l  de  choisir,  c'est-à- 
dire  de  préférer  et  d'exclure.  Des  arts  distincts  nous  montrent  les 
divers  aspects  de  la  beauté,  et  il  est  rare  que  le  sens  esthétique  soit 
assez  compréhensif  pour  les  tous  embrasser  d'une  même  étreinte. 
Pour  exceller  dans  un  art,  pour  jouir  pleinement  du  mérite  de  ses 
œuvres,  il  faut  se  spécialiser,  limiter  sa  culture  esthétique.  Les 
conceptions  les  plus  belles  ne  nous  charment  même  qu'un  moment 


BOURDE  AU.   -^  CAUSE   ET  ORIGINE   DU  MAL  125 

et  nous  lassent  après  nous  avoir  ravis.  Elles  doivent  se  renouveler 
sans  cesse  pour  raviver  nos  admirations  éphémères.  C'est  pourquoi 
les  goûts  changent  d'âge  en  âge,  d'école  en  école,  d'œuvre  en 
œuvre,  une  loi  de  variabilité  sans  fin  étant  imposée  à  l'évolution  des 
arts.  «  L'âme  de  l'homme,  a-t-on  pu  dire,  est  comme  la  fille  de 
Cérès,  qu'Ovide  nous  montre  les  mains  remplies  de  fleurs  qu'elle 
cueille  en  folâtrant  sur  le  penchant  des  monts  de  Sicile;  quand  de 
nouvelles  fleurs  l'attirent,  la  jeune  déesse  jette  le  bouquet  qu'elle  a 
dans  les  mains  ^  »  Nous  allons  ainsi  d'illusions  en  dégoûts, 
d'enthousiasmes  en  désenchantements,  sans  pouvoir  rencontrer, 
parmi  les  aspects  sans  nombre  du  beau,  des  jouissances  qui  durent. 
Toujours  le  nouveau  nous  séduit,  nous  plaît  et  nous  trompe. 

Notre  esprit  est  comme  le  champ  de  bataille  où,  soit  dans  la 
nuit  de  l'ignorance,  soit  dans  la  pénombre  d'un  demi-savoir,  se 
combattent  nos  idées,  le  plus  souvent  en  contradiction  et  en  guerre. 
Le  mal,  représenté  ici  par  l'erreur,  tient  au  désaccord  de  notions 
communément  dépourvues  d'évidence,  de  certitude  et  de  cohérence 
logique.  Avide  de  tout  connaître  et  ne  pouvant  se  résigner  aux  len- 
teurs d*une  recherche  méthodique,  la  curiosité  de  l'esprit  soulève  à 
la  fois  une  multitude  de  problèmes,  anticipe  sur  leur  solution,  tient 
le  faux  pour  douteux,  le  douteux  pour  vraisemblable,  le  vraisem- 
blable pour  vrai,  prenant  ainsi  des  lueurs  d'aube  pour  le  grand  jour, 
des  présomptions  pour  des  preuves  et  des  conjectures  pour  la 
vérité.  Une  lutte  sans  trêve,  dont  témoignent  assez  nos  discussions 
et  nos  doutes,  se  livre  entre  les  notions  imparfaites  auxquelles  notre 
créance  s'attache,  et  le  progrès  de  la  science  fait  à  grand'peine 
triompher  de  siècle  en  siècle  quelques  rares  vérités  sur  une  foule 
d'idées  fausses.  L'opinion,  a  cette  maîtresse  d'erreur  »,  mue  et  se 
transforme  avec  une  incurable  versatilité.  «  Il  ne  faut  pas,  dit  La 
Bruyère,  vingt  années  pour  voir  changer  les  hommes  d'opinion  sur 
les  choses  les  plus  sérieuses  comme  sur  celles  qui  ont  paru  les 
plus  sûres  et  les  mieux  prouvées.  »  Combien  de  nos  vérités  d'aujour- 
d'hui seront  des  erreurs  demain? 

Enfin,  notre  activité  morale  est  aussi  le  théâtre  de  continuels 
conflits,  d'abord  entre  les  divers  mobiles  qui  nous  incitent  à  l'action, 
que  la  délibération  met  en  balance  et  parmi  lesquels  la  détermina- 
tion arrête  son  choix,  puis,  une  fois  l'action  engagée,  entre  les 
difficultés  de  Texécution,  et  la  volonté  qui  s'efl'orce  d'en  surmonter 
les  obstacles.  Souvent  même  le  désaccord  se  produit,  au  sein  de  la 
conscience,  entre  les  devoirs  qui  réclament  en  sens  contraire,  alors 

1.  Dondan,  Des  Révolutions  du  goût. 


126  REVUE   PIIILOSOPHIQLK 

qu'il  est  malaisé  de  discerner  le  plus  strict,  et  impossible  des 
s'acquitter  d'une  obligation  sans  en  violer  plusieurs  autres.  Incer — 
taine  du  bien,  tourmentée  de  scrupules  et  vouée,  quoi  qu'elle  fasse, 
à  rester  toujours  imparfaite,  la  raison  pratique  va  de  l'embarras  de 
l'hésitation  au  regret  de  rêsfolutions  téméraires,  succombe  fréquem- 
ment aux  tentations  qui  l'assiègent  et  doit  ensuite  expier  ses  défail- 
lances par  des  remords.  La  volonté,  que  tout  empêche  ou  égare, 
n'arrive  que  par  exception  à  ses  fins.  Notre  vie  se  passe  h  projeter 
sans  décider,  à  résoudre  sans  exécuter,  et  à  entreprendre  sans 
aboutir.  Rarement  le  succès  nous  récompense  de  nos  peines,  et  les 
meilleures  intentions  sont  sujettes  à  mal  tourner. 

4.  —  La  lutte  est  donc  partout  au  dedans  de  nous,  entre  le  corps 
et  l'ûme,  entre  Torganisme,  ses  organes  tt  leurs  éléments,  entre  les 
facultés  de  l'esprit  et  leurs  modes  spéciaux  d'activité.  Un  principe 
général  et  permanent  de  discorde  les  met  on  opposition  et  aux  prises. 
Nos  besoins  physiologiques  et  nos  aspirations  rationnelles,  lintérèt 
et  le  devoir,  l'imagination  et  la  science,  cédant  à  leur  opposition 
naturelle  de  tendances,  se  font  une  guerre  incessante,  où  nous 
sommes  à  la  fois  le  vainqueur  et  le  vaincu.  Meurtri,  déchiré  par 
ces  divisions,  le  moi  peut  dire  avec  Job,  et  à  plus  juste  titre  que  lui  : 
«c  Ma  vie  est  un  combat  ». 

IIL    —   Du   MAL  DANS   LES    GROUPES  HUMAINS. 

1.  —  Un  antagonisme  plus  formel  encore  et  non  moins  fécond  en 
maux  se  produit  entre  les  êtres  numains  et  les  divers  groupes 
sociaux  nécessaires  à  leur  développement.  Chacun  de  ces  modes 
d'associations  procure  à  ses  membres  d'inappréciables  facilités  de 
vie,  mais  il  leur  impose  en  retour  des  restrictions  et  des  charges 
pénibles  à  supporter.  Or,  le  moi  est  égoïste  par  nature,  car  c'est  là 
pour  lui  une  condition  d'existence.  Quoique  lié  à  d'autres  êtres  par 
des  rapports  qu'il  ne  peut  rompre,  il  garde  toujours  très  vif  le  sen- 
timent de  sa  personnalité,  parce  qu'il  a  le  plus  clairement  conscience 
de  lui-môme,  de  ses  besoins  et  de  son  autonomie,  tandis  que  les 
liens  qui  rattachent  à  ces  collectivités  sont  plus  ou  moins  lâches, 
ta,  et  en  apparence  facultatifs.  Par  suite,  l'être  individuel  se 
ïte  comme  un  centre  absolu  d'activité,  rapporte  tout  à  lui- 
"i  répugne  au  sacrifice  de  ses  moindres  intérêts.  Mais,  d'autre 
icun  des  groupes  qui  l'enserrent  et  le  dominent  a  aussi  son 
Jitéy  ses  exigences  de  vie,  son  égoisme  non  moins  intrai- 
I  celui  des  êtres  particuliers,  car  il  ne  peut  se  constituer  et 
3Dir  qu'en  les  rangeant  aux  nécessités  de  son  ordre,  en 


BOURDE  AU.   —  CAUSE   ET  ORIGI^JE   DU   MAL  127 

^^^ï"  imposant  des  contraintes  et  des  assujettissements.  Sans  doute, 
^®s  résultantes  de  ces  rapports  se  résolvent  d'ordinaire,  à  Tavanlage 
^^niinun,  en  effets  d'accord  et  d'harmonie;  mais  souvent  aussi  les 
^^ndances  divergent,  les   intérêts  se   contredisent,  les  égoïsmes 
entrent  en  conflit,  et,  de  pacitlques,  les  relations  deviennent  belli- 
queuses. S*il  veut  éviter  cette  guerre  et  tous  les  maux  qu'elle 
^'^ draine,  l'être  individuel,  réduit  à  une  fôcheuse  alternative,  n  a  plus 
^^ele  choix  de  renoncer  au.x  bénéfices  de  l'association  s'il  refuse 
^'^n  payer  le  prix,  ou,  s'il  consent  à  l'acquitter,  de  se  résigner  à 
*^ien  des  servitudes  et  des  sacrifices.  Quelque  parti  qu'il  prenne,  il 
^  clés  maux  h  souffrir. 

^.  —  Quoique  la  famille,  où  l'être  humain  reçoit  et  transmet  le 
Principe  de  vitalité  qui  l'anime,  soit  de  tous  les  groupes  sociaux 
^elui  où,  par  suite  de  mutuelles  affections,  l'égoïsme  se  combine  le 
ïnieux  avec  l'altruisme,  elle  ne  laisse  pas  d'imposer  à  ses  divers 
niembres  une  part  notable  d'abnégation  parce  qu'elle  oblige  «'i 
vivre  ensemble  des  égoïsmes  qui,  même  solidaires,  ne  peuvent 
jamais  abdiquer  entièrement.  Une  part  irréductible  d'intérêt  per- 
sonnel se  môle  toujours  aux  relations  de  la  famille  et  met  en  péril 
Son  union.  La  plupart  des  querelles  et  des  divisions  qui  la  troublent 
t^iennent  à  des  conflits  d'égoismes.dont  les  prétentions  inconciliables 
^€  refusent  aux  concessions  qu'exige  le  bon  accord. 

Dès  le  début,  dans  l'union  conjugale  où  l'homme  et  la  femme,  se 
<^omplétant  Fun  l'autre,  semblent  n'être  que  les  moitiés  d'un  seul 
"^out,  liées  par  un  égoïsme  à  deux,  une  cause  d'antagonisme  les 
*^^pare  et  tend  à  les  opposer.  L'amour,  qui  rapproche  les  sexes,  les 
^Kiet  par  cela  môme  en  conflit,  parce    que   leurs  fonctions,  leurs 
instincts  et  leurs  aspirations  différent.  Pour  l'homme,  que  solli- 
Ciitent  des  tâches  viriles,  l'obligation  de  faire  vivre  les  siens  des 
fruits  de  son  travail,  d'avoir  au  dehors  des  reli tiens  étendues,  de 
Servir  et  de  défendre  son  pays,  de  contribuer  même,  .selon  son  pou- 
>foir,  aux  progrès  de  la  civilisation,  d'exercer  en  un  mot  les  hautes 
facultés  de  son  esprit,  Tamour  et  la  procréation  ne  sont  qu'un  inci- 
dent de  la  vie.  Pour  la  femme,  au  contraiie,  investie  de  fonctions 
conservatrices,   chargée  de  concevoir,  de   porter,  de   nourrir  et 
d'élever  les  enfants,  de   maintenir  l'ordre   et  l'harmonie  dans  la 
famille,  d'en  être  le  charme  et  le  bon  génie,  ces  soins,  qui  réclament 
tant  d'application  et  de  dévouement,  sont  le  principal  de  l'existence, 
la  vraie  vocation  naturelle.  Si  cette  disparité  d'attributions  nest  pas 
admise  des  deux  parts,  elle  amène  une  longue  suite  de  malentendus 
et  de  conflits.  Ce  qu'on  a  appelé  le  duel  des  sexes,  le  désaccord  dou- 
loureux et  parfois  tragique  qui  met  aux  prises  les  moitiés  désunies 


138  REVCE   PHILOSOPHIQUE 

d*un  couple  mai  assorti,  trouble  plus  ou  moins  la  plupart  des 
ménages  et  ne  peut  être  évité  qu'à  force  de  condescendance  mutuelle 
ou  de  constante  résignation.  Lorsqu'un  amour  sincère  y  dispose  les 
époux,  ce  devoir  se  confond  pour  eux  avec  le  bonheur;  mais  si,  en 
se  liant,  ils  ont  cédé  à  des  considérations  étrangères,  rintérèt  per- 
sonnel, toujours  prêt  à  revendiquer  ses  droits,  ne  tarde  pas  à  rendre 
ennemis  deux  égoïsmes  rivés  à  la  même  chaîne,  comme  les  anciens 
formats. 

Tous  les  rapports  de  la  famille  sont  compromis  ou  foussés  dès 
qu'un  individualisme  exclusif  prévaut  sur  raffection  réciproque  et 
que  le  moi  prédomine  sur  le  }wus.  Si,  par  exemple,  l'un  ou  l'autre 
des  époux  est,  par  passion  ou  par  caprice,  infidèle  à  la  foi  jurée;  si 
les  parents,  oublieux  de  leurs  devoirs  d'éducateurs,  vont  où  la  dis- 
sipation les  appelle  et  s'occupent  de  leurs  plaisirs  plus  que  de  leurs 
enfants;  si  ceux-ci,  par  ingratitude,  n acquittent  pas  les  bienfaits 
reçus  en  déférence  et  pitié  filiales;  si,  lorsqu'arrive  l'âge  de  leur 
émancipation,  les  parents  veulent  encore  exiger  d'eux  une  docilité 
({ui  dégénère  en  tyrannie,  tandis  que  les  enfants,  las  d'être  tenus 
en  tutelle,  revendiquent  le  droit  d'agir  librement,  à  leurs  risques 
et  périls;  si  enfin,  dans  les  questions  d'intérêt,  la  cupidité  l'emporte 
sur  Tallection,  ne  laissant  en  présence  que  des  convoitise  en  lutte 
et  des  plaideurs  en  procès,  le  lien  de  famille  n'est  plus  qu'une  entrave 
et  l'animadversion  remplace  Tamour. 

Aussi  longtemps  qu'une  affection  désintéressée  prédomine,  les 
sacrifices  qu'impose  l'esprit  de  famille  sont  consentis  avec  allé- 
gresse et  amplement  compensés  parce  que  celui  qui  fait  abnégation 
de  lui-même  retrouve,  par  l'accroissement  de  vie  procuré  à  ceux 
qu'il  aime,  un  gain  supérieur  à  la  diminution  de  son  moi;  mais, 
lorsqu'un  égoïsme  intransigeant  exige  des  concessions  de  ses 
proches  et  refuse  de  leur  en  faire,  la  discorde  succède  vite  à  l'har- 
monie. Une  balance  exacte  des  droits  et  des  devoirs  réciproques  est 
sans  doute  malaisée  à  établir,  parce  que  les  conditions  d'accord 
varient  suivant  les  caractères,  les  situations,  les  âges,  les  milieux  et 
les  ciroonslancos.  Toutefois,  l'union  durable  est  à  ce  prix,  et  tout 
ce  qui  s'ôcartt*  d'une  mesure  do  raison  tend  à  la  détruire. 

:V  —  Pans  leurs  relations  privées,  le^  ôtres  humains,  tous  fon- 
oiôrenuMit  ojioislcs,  >ont  surtout  mis  on  oonllit  y^r  Topposition  de 
leurs  inloivts  ol  los  prolonhons  do  leurs  amoure- propres.  Comme, 
lorsqu  il  s'ajiit  d'alYairos,  chacun  ohoivho  son  profit,  il  tâche  de 
l'obtenir  lo  plus  grand  possible,  au  préjudice  do  ceux  qui  traitent 
avec  lui.  Soulo  une  probito  sorupulouso  s'abslionl  de 4>oursuivre  un 
gain  illicito  au-dol;\  do  oo  qu'autonso  la  loi  d'oquité.   et  le   petit 


BOURDEAU.    —  CAUSE  ET  ORIGINE  DU  MAL  129 

nombre  d'honnêtes  gens  qui  pratiquent  cette  rigide  vertu  montre 
assez  combien  une  avidité  qui  ne  recule  pas  devant  l'injustice  et  la 
fraude  prévaut  dans  les  transactions  communes.   —   Quant  aux 
simples  rapports  de  société,  le  moi,  qui  s'exagère  si  volontiers  ses 
mérites,  voudrait  le  plus  souvent  imposer  aux  autres  la  bonne  opi- 
nion qu'il  a  de  lui-même,  sans  leur  témoigner  en  retour  une  bien- 
veillance égale,  et  de  là  proviennent  de  continuels  conflits  entre  des 
vanités  rivales,  également  susceptibles,  qui  se  heurtent  et  se  blessent 
dès  qu'elles  se  rencontrent.  D*habiles  ménagements  et  la  politesse 
la  plus  attentive  sont  nécessaires  pour  éviter  dans  le  monde  les  frois- 
sements et  les  brouilles,  sans  y  réussir  toujours,  tant  il  est  difficile 
de  faire  vivre  en  paix  des  amours-propres  naturellement  incompa- 
tibles, armés  en  guerre  et  prêts  d'en  venir  aux  mains. 

Si  Tètre  isolé  retire  des  facilités  de  vie  de  sa  participation  à  des 
groupes  corporatifs,  ce  mode  d'association  lui  impose  des  restric- 
tions et  des  charges,  parce  que  chaque  collectivité,  constituant  un 
petit  monde  fermé,  a  son  égoïsme exclusif,  ses  conventions,  ses  pré- 
jugés, leur  attribue  force  de  loi  et  ne  tolère  pas  qu'on  s'en  alTran- 
chisse.  Quelle  que  soit  leur  disparité  individuelle,  tousses  membres 
sont  astreints  à  une  règle  de  conformisme,  tenus  de  se  modeler  sur 
un  type  déterminé.   Pour  être  admis  et  bien  vu  dans  un  de  ces 
groupes,  il  faut  en  observer  les  usages,  et,  suivant  les  formules 
reçues,  €  être  comme  tout  le  monde  »,  «  faire  comme  les  autres  », 
*  hurler  même  avec  les  loups  »,  si  Ton  a  le  malheur  d'être  dans  la 
connpagnie  des  loups,  ne  pas  s'écarter  de  la  mode,  sous  peine  de 
paraître  ridicule,  alors  même  que  la  mode  est  le  plus  contraire  h  des 
convenances  personnelles  et  au  bon  goilt,  adopter  l'opinion  cou- 
'^'ïte,  feindre  de  croire  dans  un  monde  de  dévots,  ou  se  parer  de 
^"'c^s  bien  portés  dans  un  monde  de  viveurs.  Par  égard  pour  l'esprit 
"G  Corps,  on  doit  souvent  cacher  ce  qu'on  sent,  taire  ce  qu'on  pense, 
^oti^kpQQ  qu'on  réprouve,  se  mentir  ainsi  à  soi-même  et  s'abais.ser 
^^^  simulations  dont  s'indigne  la  généreuse  sincérité  d'un  Alceste. 
^^^i     subit    trop    servilement   l'influence   d'une   coterie   cesse   de 
^^l^partenir.  Il  sacrifie  à  chaque  instant  quelque  chose  de  ses  sen- 
^'^■^cnts  intimes,  de  son  idéal,  de  ses  convictions,  de  sa  moralité 
.    ^rne,  et  fait  par  imitation,  snobisme  ou  respect  humain,  ce  que  lui 
f^^^rdirait  sa  raison.  Or,  c'est  là  une  sujétion  véritable,  un  amoin- 
*"i^sement  réel  pour   qui  tient  à  sauvegarder  Tindépendance  du 
^^i  et  à  conserver  sa  propre  estime,  plus  précieuse  que  celle  des 

^n  outre,  chacun  de  ces  groupes  sociaux,  séparé  des  autres  par 
^'^  conditions  qui  le  particularisent,  oppose  à  ses  rivaux  un  esprit 

TOME  L.   —  JUILLET    1900.  9 


130  HEVLK    I»H1L0S01>HIQLK 

d'exclusivisme  prompt  à  dégénérer  en  formelle  hostilité.  On  .saiC 
quelle»  préventions,   parfois    même   quelle    animosité    combaLiv^ 
divisent  certaines  corporations,  les  castes  ou  classes  sociales,  les» 
partis  politiques,  les  sectes  religieuses...  On  ne  peut  appartenir  îl 
un  de  ces  mondes  sans  avoir  tous  les  autres  contre  soi,  et,  dès 
qu'on  sort  d'un  cercle  étroit  d'adhérents,  on  n'est  entouré  que 
d'ennemis. 

4.  —  Bi<*n  des  maux  découlent,  pour  les  membres  de  l'agrégat 
politique,  du  fait  d'être  liés  à  la  vie  dune  nation  et  d'avoir  à  subir 
la  dépendance  de  TÉtat.  L'individu  et  l'État  représentent  en  effet 
deux  tMres,  égoïstes  Tun  et  l'autre,  dont  les  intérêts  diffèrent,  et 
entre  lesquels,  en  même  temps  qu'une  solidarité  nécessaire,  il  y  a 
un  antagonisme  inévitable.  Quoique  ni  le  tout  ni  la  partie  ne 
puissent  se  passer  l'un  de  l'autre,  ils  sont  incapables  de  vivre  en 
parfait  accord.  Pour  peu  que  leurs  prétentions  respectives  s'exagè- 
rent au-delà  d'une  limite  difficile  à  établir,  la  tendance  à  l'oppression 
d'une  part  suscite  une  disposition  i\  la  révolte  de  l'autre,  et  forcément 
la  guerre  éclate  entre  l'intérêt  public  qui  s'impose  et  l'intérêt  per- 
sonnel qui  se  sent  lésé. 

Déjà,  pour  maintenir  quelque  ordre  parmi  des  activités  indépen- 
dantes et  empêcher  les  égoïsmes  individuels  d'empiéter  les  uns  sur 
les  autres,  l'État  doit  recourir  à  des  moyens  de  contrainte  qui  se 
traduisent  en  une  quantité  de  lois  et  de  règlements,  dont  la  gêne 
augmente  à  mesure  que  l'organisme  social  devient  plus  complexe. 
Édictées  pour  assurer  la  paix  publique,  ces  lois,  civiles  ou  pénales, 
sont  autant  d'entraves  à  la  liberté,  et  leur  poids  est  un  fardeau  sous 
lequel  peinent  les  peuples  trop  administrés.  On  serait  alors  tenté 
de  donner  raison  aux  partisans  de  Van-archie,  qui  protestent  contre 
la  tyrannie  des  lois,  si  une  suppression  complète  de  lois  n'était  pas 
un  mal  pire  encore  que  la  surabondance  des  lois. 

Ce  que  lintérêt  de  l'État  et  celui  des  citoyens  ont  de  contradictoire 
se  résout  en  sacrifices  imposés  d'une  part,  acceptés  ou  subis  de 
l'autre.  L'être  individuel,  dont  la  vie  est  courte  et  l'horizon  très 
borné,  n'a  guère  de  préoccupations  qui  les  dépassent;  l'État  qui,  au 
rebours,  représente  une  collectivité  étendue  et  durable,  a  charge  de 
ses  destinées  dans  le  présent  et  dans  l'avenir.  Il  doit  diriger  au 
mieux  un  vaste  ensemble  et  préparer  le  bien  des  générations  futures, 
en  sacrifiant  s'il  le  faut  une  part  des  intérêts  privés  aux  exigences 
de  l'intérêt  général.  En  vertu  du  contrat  social  tacitement  consenti, 
chaque  citoyen  est  tenu  de  concourir  pour  sa  quote-part  aux  charges 
publiques,  et  se  trouve  conséquemment  atteint  dans  ses  ressources 
par  l'impôt,  dans  sa  liberté  par  des  prescriptions  impératives  ou 


BOURDEAU.    —  CAUSE    ET  OIUGLNE   DU   MAL  131 

prohibitives,  dans  son  existence  même  par  le  service  militaire  qui 
Texpose  à  braver  la  mort  pour  défendre  sa  patrie.  L'égoïsme  indi- 
viduel, qui  voudrait  bien  jouir  des  avantages  sociaux,  mais  non  les 
payer  trop  chèrement,  cherche  par  tous  les  moyens  à  se  soustraire 
au  dur  égoïsme  de  l'État,  à  la  rapacité  du  fisc,  à  la  tyrannie  de 
l'administration,  à  la  servitude   du  militarisme.  Seuls,   les   vrais 
patriotes,  toujours  en  minime  exception,  s'acquittent  avec  zèle  du 
devoir  civique,  sans  marchander  leurs  sacrifices  et  subordonnent 
toute  considération  personnelle  à  l'intérêt  national. 

Entre  gouvernants  et  gouvernés,  la  guerre  est  constante  parce 
que  les  premiers,  avides  d'autorité,  visent  sans  cesse  à  étendre  leur 
pouvoir,  tandis  que  les  seconds,  désireux  de  sauvegarder  leur  indé- 
pendance, ne  songent  qu'à  le  restreindre.  Un  peuple  a  également 
besoin  d'ordre  et  de  liberté;  mais  jouir  des  deux  à  la  fois,  dans  une 
juste  mesure,  est  un  idéal  difficile  à  réaliser.  Par  une  sorte  de  com- 
promis instable  et  précaire,  les  institutions  politiques  s'appliquent 
à  prévenir,  d'une  part  le  despotisme  des  chefs,  de  lautrë  1  insubor- 
dination des  sujets;  mais  elles  penchent  toujours  et  versent  quel- 
quefois de  l'un  ou  l'autre  côté.  Aristote  pouvait  déjà  constater,  dans 
sa  Politique,  que  chaque  type  de  gouvernement,  monarchique,  aris- 
tocratique ou  populaire,  est  susceptible  d'avoir  deux  formes,  l'une  • 
bonne,  l'autre  corrompue,  suivant  que  ceux  qui  gouvernent  se 
règlent  sur  Tintérêt  général  ou  sur  leur  intérêt  particulier.  Or,  la 
seconde  est  de  beaucoup  la  plus  commune,  car  il   n'y  a  guère 
d'exemple  d'un  chef  d'État,  d'une  dynastie,  d'une  caste  dirigeante 
ou  d'un  parti  populaire  qui  aient  exercé  le  pouvoir  sans  en  abuser  à 
leur  avantage,  ce  qui  rend  inévitables  de  périodiques  révolutions. 
L'histoire  politique  des  peuples  est  le  long  récit  des  agitations  cau- 
*^  par  ces  luttes  d'influences  rivales  et  par  l'éternel  conflit  entre 
Je  principe  d'autorité  et  les  revendications  de  la  liberté. 

Parfois  aussi  les  crises  et  les  phases  de  la  vie  nationale  réagissent 
^e  la  manière  la  plus  fâcheuse  sur  les  destinées  individuelles.  Sou- 
niises,  comme  tout  organisme  vivant,  aux  lois  de  la  biologie  géné- 
î'aïe,  les  sociétés  ont  leurs  stades  d'évolution,  leurs  maladies  consti- 
tutionnelles ou  accidentelles,  leurs  âges  successifs  qui  les  font 
passer  d'une  débile  enfance  à  une  virilité  forte,  puis  au  déclin  de  la 
Vieillesse  pour  aboutir  à  la  mort  Pour  chaque  période  donnée,  les 
conditions  de  la  vie  nationale  dominent  celles  des  existences  parti- 
culières. Il  y  a  donc  des  générations  privilégiées,  appelées  à  vivre 
durant  des  époques  prospères  et  glorieuses,  tandis  que  d'autres, 
iDoins  favorisées,  venues  dans  des  temps  d'épreuves,  de  révolutions 
ou  de  décadence,  ont  cruellement  à  soufTrir  des  malheurs  publics. 


132  HËVtË   PHlLOSOIMIlOt'E 

Enfin,  dans  leurs  rapports  mutuels,  les  peuples,  personnalités 
puissantes,  sont  animés  d'un  formidable  égoïsme,  décoré  du  beau 
nom  de  patriotisme,  et  dont  ils  se  font  une  vertu  qui  autorise  et 
justifie  tout.  Pour  un  patriote  exalté,  aimer  son  pays,  c'est  haïr  les 
autres,  et  le  bien  servir,  c'est  beaucoup  leur  nuire.  Chaque  natioD, 
prenant  ainsi  ses  prétentions  pour  des  droits,  s  applique  avec  un  soin 
jaloux  à  faire  prévaloir  ses  intérêts,  justes  ou  non,  par  tous  les 
moyens,  sans  en  excepter  les  plus  mauvais,  la  ruse,  la  fraude  et  la 
violence.  De  là  ces  longues  rivalités,  ces  guerres,  duels  sauvages  de 
nations,  dont  le  récit  occupe  tant  de  place  dans  leurs  annales,  ces 
conquêtes  brutales,  ces  dévastations,  extorsions  et  pillages,  maux 
inhérents  à  la  constitution  des  États,  et  que  la  diplomatie  s'efforce 
assez  vainement  de  prévenir  ou  le  droit  des  gens  d'atténuer.  Quand 
éclate  un  de  ces  fléaux  déchaînés  par  l'ambition  de  gouvernements 
sans  scrupules,  des  susceptibilités  d'orgueil  national  ou  le  criminel 
amour  de  la  gloire,  la  masse  des  intérêts  particuliers  est  impitoya- 
blement broyée. 

5.  —  Une  compétition  de  même  ordre,  mais  plus  inexorable 
encore,  fait  s'opposer  et  se  combattre  les  différentes  races  humaines. 
Longtemps  séparées  et  comme  étrangères,  distinctes  par  leur  t>T)e 
d'organisation,  leurs  genres  de  vie,  leurs  mœurs,  leurs  aptitudes, 
leurs  traditions,  leurs  croyances,  leurs  institutions  et  leurs  lois, 
presque  incapables  de  se  comprendre,  de  s'unir  ou  même  de  se 
tolérer,  elles  oublient  qu'elles  sont  sœurs,  se  tiennent  pour  enne- 
mies et  ne  cherchent  qu'à  s'exproprier,  s'asservir  ou  se  détruire. 
On  sait  quelle  implacable  hostilité  a,  durant  tout  le  cours  de  l'his- 
toire, mis  aux  prises  les  Sémites  et  les  Aryens,  les  blancs  et  les 
noirs,  les  Européens  et  les  rouges  ou  les  jaunes.  La  race  la  plus 
énergique  et  la  mieux  douée  s'arroge  un  droit  de  suprématie  sur  les 
races  inférieures  qui,  si  elles  refusent  de  subir  cette  domination 
tyrannique,  sont  refoulées  ou  exterminées.  Par  combien  d'injustices, 
de  massacres,  de  spoliations,  de  réductions  en  servitude,  d'anéantis- 
sements de  populations  entières,  s'est  fondé  dans  le  monde  l'enipire 
exercé  par  les  races  supérieures!  On  s'elTraie  d'y  penser.  Durant  la 
longue  nuit  de  la  préhistoire,  nombre  de  races  ont  péri  dans  ces 
luttes  fratricides,  et  nous  voyons  actuellement  les  Peaux-Rouges  de 
TAmérique  du  Nord,  les  noirs  d'Australie,  les  Ilotlentots  du  Cap, 
les  Polynésiens,  etc.,  sur  le  point  de  disparaître,  victimes  de 
l'égoïsme  féroce  d'une  race  mieux  armée  pour  le  combat  delà  vie. 

6.  —  Quoique  la  civilisation,  qui  consiste  en  gains  accumulés  de  la 
raison,  paraisse  essentiellement  bienfaisante,  elle  n'est  telle  que 
pour  la  postérité  qui  en  recueille  le  profit  sans  les  charges.  Pour  les 


BOURDEAU.    —  CAUSK   KT   OHIGINK   DU    MAL  133 

générations  successives  qui  travaillent  à  son  avancement,  elle  est 
une  source  abondante  de  maux,  à  raison  du  désaccord  fatal  entre 
l'intérêt  de  l'espèce  humaine,  considérée  dans  son  ensemble,  et  l'in- 
térêt des  êtres  individuels  ou  collectifs  qui  la  composent.  L'huma- 
nité, qui  les  englobe  dans  son  unité  souveraine,  a  son  égoïsme 
propre  et  mène  sa  grande  vie  sans  tenir  compte  des  existences  qui 
lui  sont  subordonnées  et  dont  les  besoins  diffèrent  des  siens.  Pour 
l'espèce,  l'intérêt  suprême,  la  raison  d'être,  est  le  progrès  de  la 
civilisation  qui  doit  être  obtenu  n'importe  à  quel  prix.  L'intérêt 
plus  restreint  des  individus,  des  peuples  et  des  races  serait  de  sub- 
sister tels  quels,  dans  les  conditions  particulières  où  ils  se  trouvent 
placés.  Or,  ces  deux  sortes  d'intérêts,  loin  de  se  confondre  toujours, 
sont  souvent  en  contradiction.  Un  sacrifice  devient  alors  nécessaire, 
et,  comme  l'avantage  des  générations  futures  prime  incomparable- 
ment celui  de  chaque  génération  donnée,  le  progrès,  c'est-à-dire  le 
triomphe  d'un  droit  supérieur,  ne  peut  s'accomplir  que  par  la  juste 
immolation  du  droit  inférieur. 

Le  progrès,  qui  est  une  amélioration  graduelle,  implique   des 
changements  mesurés,  mais  continus.  Une  lutte  doit  donc  se  livrer 
en  permanence  entre  l'esprit  de  conservation  ou  de  routine  qui  ne 
vise  qu'à  se  perpétuer,  et  lesprit  de  réforme  ou  d'innovation  qui 
aspire  au  mieux.  Le  présent  est  comme  le  champ  clos  où  combat- 
tent, sans  paix  ni  trêve,  le  passé  qui  ne  se  résigne  pas  à  cesser  d'être, 
et  J  avenir,  impatient  de  se  produire  à  son  tour.  C'est  pourquoi  les 
pères  et  les  enfants,  la  génération  descendante  et  la  génération  mon- 
gole, s'entendent  d'ordinaire  assez  mal.  Non   moins  cruelle  que 
féconde,  la  dure  loi  du  progrès  exige,  dans  les  éléments  de  la  civi- 
lisation, le  renouvellement  de  tout  ce  qui  est  imparfait,  caduc,  tran- 
sitoire, et,  parmi  les  ouvriers  du  grand  œuvre,  l'élimination   des 
*^bles,  des  incapables,  des  arriérés.  Il  faut  que  les  générations  vieil- 
^^s,  désormais  impuissantes,  soient  successivement  fauchées  par  la 
^^ï^t  et  remplacées  par  des  générations  jeunes,  actives,  pleines  de 
*orc€  et  d'ardeur;  il  faut  que  des  peuples,  jadis  vaillants  et  glorieux, 
^^^^is  débilités  par  l'âge  et  humiliés  par  la  vie,  cèdent  l'empire  du 
^Onde  à  des  nations  en  croissance,  plus  énergiques  et  mieux  douées  ; 
*^  feut  enfin  que  les  races  stériles,  les  sauvages  et  les  barbares, 
y^colent  devant  les  civilisés,  missionnaires  armés  do  la  civilisation, 
^ï^vestis  du  soin  de  propager  sur  le  globe  de  meilleurs  conditions 
^®  vie.  Sans  épurations  de  ce  genre,  douloureuses,  mais  nécessaires, 
^^  verrait  des  peuples  en  déclin  perpétuer,  comme  le  Bas-Empire 
^^  la  Chine,  sans  profit  pour  l'espèce  ou  plutôt  à  son   détriment, 
wur  impérissable  caducité,  sinon  même  la  terre  entière  encore 
^^upée  par  la  première  race  d'anthropoïdes  qui  y  fit  son  apparition. 


134  REVUE  THILOSOPHIOLE 

Si  rigoureux  qu'il  puisse  être  en  ce  qui  concerne  les  vaincus,  ce 
concours  pour  la  prépotence  pouvait  seul  assigner  les  rangs  et  déter- 
miner Thégémonie  des  plus  dignes.  C'est  pourquoi  la  guerre,  malgré 
ses  horreurs,  a  jusqu'ici  rempli  dans  l'histoire  une  fonction  civilisa- 
trice, exprimé  par  la  victoire  le  droit  véritable,  et  son  rôl  e  conti- 
nuera d'être  utile  pour  l'espèce,  aussi  longtemps  que  le  progrès 
n'aura  pas  fait  prévaloir  au  sein  de  la  paix  un  meilleur  mode  de 
sélection. 

Ainsi  pour  le  plus  grand  avantage  de  l'humanité,  tous  les  intérêts 
particuliers  qui  feraient  obstacle  au  progrès  doivent  être  successi- 
vement immolés.  Ce  mal,  dont  sans  doute  auraient  à  se  plaindre  les 
victimes  qui  le  supportent,  a  sa  justification  au  point  de  vue  de 
l'ensemble,  puisque  le  préjudice  de  quelques-uns  se  change  en  gain 
pour  le  plus  grand  nombre  et  qu'un  bien  durable  est  acquis  au 
prix  de  souffrances  passagères.  On  entend  parfois  les  sacritiés  dire  • 
Peu  nous  importe  que  la  postérité  soit  plus  heureuse  si  nous  sommes 
malheureux  à  cause  d'elle  et  si  nous  souffrons  pour  un  avenir  dont 
nous  ne  jouirons  pas!  Ceux  dont  l'égoïsme  en  révolte  récrimine 
contre  cette  loi  du  sacrifice  ne  se  font  pas  une  juste  idée  de  la  soli- 
darité humaine.  Puisqu'ils  en  ont  recueilli  le  bénéfice  pour  tout  ce 
que  le  passé  leur  a  transmis  d'accroissements  de  vie  péniblement 
obtenus,  ils  doivent  se  résigner  à  une  abnégation  pareille  en  ce  qui 
regarde  la  postérité.  Considérons-nous  comme  des  membres  de 
l'humanité,  chargés  de  collaborer  à  ses  progrès;  en  y  contribuant 
par  nos  efforts  et  nos  sacrifices,  nous  pourrons  alors  jouir  par  avance 
du  bien  que  nos  épreuves  auront  préparé  à  nos  successeurs. 

IV.  —   Du  MAL  DANS  LA  NATURE. 

1 .  —  Le  milieu  cosmique  où  s'écoule  notre  vie  nous  met  en  rela- 
tion avec  des  séries  d'êtres  dont  les  uns  sont  utiles  à  nos  besoins,  les 
autres  nuisibles  à  nos  intérêts.  De  là  résultent  pour  nous  des  caté- 
gories  spéciales  de  maux,  parce  que  nos  exigences  sont  souvent  en 
désaccord  avec  ces  collectivités  dont  l'ordre  nous  domine  et  s'impose. 

2.  —  Considérons  d'abord  le  monde  des  êtres  vivants.  Chacune  des 
innombrables  espèces  qui  partagent  avec  nous  le  privilège  de  la  vie, 
a  ses  conditions  particulières  d'existence,  bien  que  toutes  ensemble 
se  confondent  dans  l'unité  de  la  création  organique,  et,  malgré  les 
corrélations  qui  les  lient,  par  cela  seul  qu'elles  coexistent  et  diffè- 
rent, elles  ont  des  intérêts  en  conflit. 

Trop  enclins  à  raisonner  des  choses  en  nous  plaçant,  pour  les 
apprécier,  au  point  de  vue  de  notre  égoïsme,  nous  appelons  bonnes 


BOURDEAU.   —  CAll^Ë   KT  ORIGLNE   tll    MAL  iM 

^     espèces  susceptibles  de  servir  à  ]a  satisfaction  de  nos  besoins j  et 

.^fc^^vaises  celles  qui  nous  nuisent,  les  fauves  qui  nous  menacent,  les 

^^>  tiles  dont  la  piqûre  est  morlellpjes  dépriMaleurs  qui  nous  pil- 

l^^rmtj  les  insectes  qui  nous  liarcèknt,  îes  plantes  vénéneuses  ou 

|-a:^^M-issées  de  piquanls,  le^^  herbes  stériles  qui  envahissent  dos  cul- 

tija  x^^s.  les  microbes  propagateurs  de  maladies  infectieuses,.*  Mais  la 

13  ^^1:  ure  ne  s*est  montrée  ni  favorable  à  dessein  en  créant  pour  notre 

^J  a.^%r.^Mîtage  des  espèces  utilisables,  ni  intentiojmelleraent  njal veillante 

^m  er-fc      nous  opposant  des  espèces  ennemies.  Son  seul  idéal,  dans  I  évo- 

l'^Jt.iori  du  monde  organique,  semble  avoir  été  de  produire,  partout 

^K  c»Ci       la  v(e  était  possible,  unç  grande  diversité  de  types  adaptés  aux 

^H  Cï<:>^icljlions  des  miïieux,  sous  les  lois  de  la  variation  spontanée,  de 

^P   l-a.  €3oncurrence  vitale  et  de  la  sélection  naturelle.  Si  elle  a  témoigné 

"     d^    c^uelque  prédilection  pour  Thonimc,  c'est  uniquement  lûrsqu'elle 

l^    c^^juîiit  d'une  intelligence  capable  d'exploiter  a  son  profit  les  trois 

^^^e'iies  d  êtres  vivants. 

l^«rdu  d*abord  dans  la  foule  des  espèces  animales  et  vivant  sur  le 

*"*>^t¥ie  fonds,  l*hûmme  a  dû  lutter  contre  elles,  afin  de  se  défendre  de 

l^ii  fsagressioDs  et  d'utiliser  leurs  ressources,  car  il  lui  fallait  détruire 

Poiar  subsister  et  vaincre  pour  n'être  ptis  vaincu.  AussiliH  que  sa 

''îMson  Tiaissante  s'éclaira  de  quelques  lueurs  d'ingéniosilé,  il  apprit 

^  ^€5  faire  des  armes  et  des  pièges,  en  vue  de  combattre  dans  des 

c^oritjiiions  moins  inégales  les  animaux,  comme  lui  sauvages,  et  la 

Ru^rre  éclata,  terrible,  innplacable,  entre  lui  seul  d'une  part  et  le 

îtif^nde  animal  de  Tau  Ire-  Celte  guerre  a  rempli  Timmense  durée  de 

'^     f>réhisloiret  c'est-à  dire  toute  la  période  quaternaire*  Après  tant 

*^<ï   sanglants  combats,  nous  assistons  sur  les  territoires  occupés  par 

'^  c:i  vilisalion,  au  triomplie  définiUf.  Les  espèces  les  plus  redoutables 

■^  Çî  rai ids  fauves  ont  étf^  refoulées  ou  exterminées,  et  partout  des 

^^pf^ces  amies,  réduites  àlelat  domestique^  sont  substituées  par  nos 

*<^ins  aux  espèces  hosliles  ou  faroncbes  du  premier  ûge. 

Le  même  empire  que  la  chasse,  la  pécbe  et  Télevage  nous  ont 

^^'^n  né  sur  les  animaux,  fagricullure  s'est  plus  tardivement  appliquée 

^  '*établir  sur  le  monde  végétaL  Là  aussi,  parmi  une  multitude  d'es- 

W?ceâ  de  peu  de  ressource,  notre  avidité  a  su  découvrir  une  élite 

Pï^cieuse  et  de  grand  profit.  Mais^  pour  propager  et  améliorer  les 

ï*«*riles  utiles,  limiter  faire  occupée  par  les  autres  et  les  empêcher 

^i'  la  reconquérir,  il  a  fallu  i*ngager  contre  la  puissance  désordonnée 

^  végétation  qui  cou\Tait  la  terre  une  lutte  sinon  aussi  dangereuse^ 

^^  fiioins  beaucoup  plus  pénible  que  celle  qui  avait  assuré  la  victoire 

*^^  le  monde  animal,  et  celte  lutte  incessante  nous  impose  toujours 

^'^iJîrnenses  labeurs. 


136  KKVLE   PHILOSOPHIQUE 

Enfin,  des  exigences  de  préservation  nous  obligent  maintenant  de 
combattre  et  d'assujettir  Je  monde,  si  longtemps  ignoré,  mais  dange- 
reux et  souvent  funeste  des  infiniment  petits.  Cette  création  confuse 
arme  en  effet  contre  nous  des  légions  d'ennemis  dont  il  importe  de 
neutraliser  le  pouvoir  de  nuire,  et,  par  contre,  nous  offre  des  auxi- 
liaires éventuels  dont  il  est  bon  d'utiliser  les  services.  La  science, 
seule  en  état  d'organiser  cette  nouvelle  conquête,  nous  procurera  le 
moyen  de  rendre  les  premiers  inoffensifs  et  les  seconds  secourables. 
Pasteur  aura  été  l'Hercule  de  cette  classe  de  monstres,  plus  difficiles 
à  vaincre  que  1  hydre  de  Lerne,  le  lion  de  Némée  ou  le  sanglier 
d'Eurymanthe. 

Ainsi,  par  leur  condition  naturelle  où  la  prédation  s  impose,  tous 
les  êtres  vivants,  en  état  continuel  d'antagonisme  et  de  guerre,  sont 
condamnés  à  subir  les  maux  qui  en  découlent.  Sans  doute,  Patroce 
loi  du  struggle  for  life^  de  l'entremangement  universel  (aX^r^Xo^xyia, 
disaient  les  Grecs  bien  avant  Darwin  ,  paraît,  quand  on  se  met  à  la 
place  des  mangés,  d'une  cruelle  rigueur,  et  l'on  est  alors  tenté  de 
dresser  contre  la  nature  sans  pitié  un  acte  de  véhémente  accusation. 
Mais,  quand  la  raison  s'élève  au  point  de  vue  de  l'ensemble,  tout 
change  et  l'on  reconnaît  alors  que,  loin  de  consacrer  le  triomphe  du 
mal.  la  loi  de  la  concurrence  vitale  amène  celui  du  bien,  puisqu'elle 
attribue  la  suprématie  aux  mieux  organisés,  aux  plus  forts  et  aux 
plus  intelligents,  i]ui,  à  tous  égards,  méritent  le  mieux  de  vivre.  Elle 
est  donc  un  principe  d'évolution  progressive,  et,  malgré  les  souf- 
frances qu'entraîne  son  application  dans  le  détail,  on  doit  la  déclarer 
juste  et  sage,  car  on  ne  voit  pas  par  quelle  loi  plus  douce  il  aurait 
été  possible  d'obtenir  les  mêmes  effets.  L'homme  surtout  est  moins 
fondé  à  son  plaindre  qu'aucun  être  vivant,  puisqu'il  est  celui  de 
tous  qui  en  retire  le  plus  d'avantages. 

H.  —  Vne  lutte  plus  laborieuse  encore  et  non  moins  pleine  de 
périls  a  dii  être  engagée  par  l'homme  contre  le  monde  des  corps 
bruts,  afin  d'en  exploiter  les  richesses  qui,  nulle  part,  ne  s'offraient 
gratuitement  à  ses  convoitises.  Quoique,  à  raison  de  sa  passivité,  la 
création  minonilo  n'opposAt  que  son  inertie  à  des  entreprises  d'usur- 
ixition.  un  immense  etïorl.  dont  le  débile  conquérant  avait  longtemps 
été  incapable,  pouvait  seule  surmonter  la  résistance  de  la  nature 
inorganique.  Pour  la  contraindre  à  nous  livrer  ses  trésors  et  les 
adapter  à  nos  besi»ins.  d».'mpter  des  torces  rebelles,  transformer  en 
esclaves  dociles  les  cours  d'eau,  les  vents,  la  vapeur,  les  explosifs, 
réleclricité  même,  mystérieuse  et  cachée:  pour  extraire,  épurer  et 
faijonnerles  métaux,  rompre  la  dureté  des  roches,  modeler  et  durcir 
la  plasticité  des  argiles,  arracher  la  houille  à  ses  gisements  pro- 


BOURDEAU.    — -   CAUSE   ET  OBIGINK   OU   MAL  137 

fonds,  surmonter  à  la  surface  du  globe  robslacle  de  la  pesanteur, 
établir  par  la  navigation  le  libre  parcours  des  eaux,  s'ouvrir  même 
un  chemin  invraisemblable  dans  les  airs,  il  fallait  organiser,  à  force 
de  travail  et  de  génie,  une  lutte  gigantesque  contre  la  condition 
générale  des  choses  et  la  vaincre  en  acquérant  le  pouvoir  de  la 
modifier  à  notre  gré.  Si  le  triomphe  remporté  par  la  civilisation  est 
aussi  lucratif  que  glorieux,  il  ne  doit  pas  faire  oublier  ce  qu'il  a 
coûté  et  coûte  encore  chaque  jour  de  dangers,  de  soins  et  de  peines, 
c'est-à-dire  de  maux  vaillamment  subis. 

3.  — -  Dans  ce  formidable  duel  où  l'homme,  armé  de  sa  seule  intel- 
ligence, a  contre  lui  la  totalité  des  êtres  bruts  ou  vivants  dont  se 
compose  son  milieu  cosmique,  la  nature  souffre  bien  d'être  vaincue 
et  dépossédée  en  détail;  mais  lorsqu'elle  oppose  ses  forces  unies  à  son 
chétif  adversaire,  elle  l'accable  par  sa  souveraine  puissance  que  nous 
jugeons  alors  oppressive  et  malfaisante.  Nombreux  sont  les  fléaux 
qui  résultent  pour  nous  des  fonctionsde  la  vie  du  globe  en  désaccord 
avec  nos  conditions  d'existence.  Nous  reprochons  avec  amertume  à 
la  nature  la  violence  de  ses  éléments  déchaînés,  les  orages,  tempêtes 
et  cyclones,  cause  de  tant  de  désastres,  les  irrégularités  de  la  météo- 
rologie, qui  font  se  succéder  des  sécheresses  prolongées  et  de  brus- 
ques inondations,  les  inégalités  des  saisons  et  des  climats  qui  nous 
exposent  à  des  froids  mortels  ou  à  des  ardeurs  dévorantes,  les  érup- 
tions des  volcans,  les  tremblements  de  terre,  les  pestes  et  épidémies 
qui  déciment  les  populations...,  et,  plus  que  tout,  la  suprême  indif- 
férence avec  laquelle  cette  maîtresse  de  nos  destinées  assiste, 
impassible  et  dédaigneuse,  souvent  même  avec  un  air  insultant  de 
fête,  à  nos  plus  cruelles  douleurs.  Elle  nous  paraît  alors  hostile  et 
méchante,  une  marûtre  et  non  plus  une  mère. 

Fondées  pour  nous,  ces  récriminations  n'atteignent  pas  la  nature. 
Dans  les  calamités  dont  nous  gémissons,  il  convient  de  voir  non 
l'œuvre  funeste  à  dessein  d'une  puissance  qui  déploie  contre  nous 
ses  fureurs,  mais  l'activité  normale  d'un  monde  qui  accomplit  ses 
fonctions  cosmiques,  sans  s'occuper  de  nos  intérêts  qu'il  ignore  et 
dont  il  nous  laisse  le  soin.  Ces  accidents,  qualifiés  par  nous  de 
désordre,  font  au  rebours  partie  de  son  ordre,  dont  les  exigences 
priment  tout,  et,  puisque  nous  bénéficions  de  cet  ordre  par  les  con- 
ditions propices  de  vie  qu'il  nous  fait,  nous  devons  en  supporter 
sans  plainte  les  effets  dommageables  par  inconstance.  Il  n'y  a  de 
trouble  que  partiellement  et  dans  le  détail.  L'harmonie  règne  dans 
Tensemble,  puisqu'il  évolue  avec  régularité,  offrant  aux  séries  d'êtres 
englobés  dans  son  unité  un  milieu  favorable  à  leur  développement. 
En  outre  l'homme  a  son  intelligence  pour  prévenir  ou  atténuer  les 


138  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

effet  de  ces  maux.  La  civilisation  tout  entière  est  une  adaptation 
réciproque  de  la  vie  humaine  et  de  la  vie  de  la  nature,  en  vue  d  ap- 
proprier ses  ressources  à  nos  besoins  et  de  neutraliser  ses  influences 
nuisibles  Opposons  notre  savoir,  notre  prudence  et  notre  activité  à 
la  malfaisance  des  choses,  nous  réussirons  de  mieux  en  mieux  à  la 
désarmer,  à  rendre  la  nature  plus  clémente  et  plus  douce,  à  sauve- 
garder et  à  faire  prévaloir  nos  intérêts.  Là  seulement  où  nulle  ingé- 
rence ne  peut  l'emporter  sur  elle,  il  faut  nous  résigner  à  Tindéfecti- 
bilité  de  ses  lois. 

4.  —  Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  poursuivre  au-delà  du 
globe  terrestre  Tétude  des  conflits  entre  Tordre  des  systèmes  inler- 
cosmiques  et  les  exigences,  bien  humbles  en  comparaison,  de  la  vie 
humaine.  Les  sociétés  d'astres  dont  notre  planète  dépend,  nous 
dominent  de  trop  haut  pour  qu'on  puisse  admettre  Tidée  de  rien 
changer  aux  conditions  d'existence  (lu'elles  nous  font,  et  la  soumis- 
sion s'impose.  Bornons  nous  à  dire  quelques  mots  des  rapports 
entre  les  êtres  humains  et  Tétre  univers»:!,  personnifié  diversement 
par  les  religions  dans  des  Dieux,  car  bien  des  maux  devaient  encore 
provenir  de  ces  conceptions  imaginaires. 

Par  cela  seul,  en  eflet,  qu'au  lieu  de  laisser  TUn-Toutdans  l'indé- 
termination de  son  infini  et  de  son  absolu  également  inaccessibles, 
on  se  le  représentait  à  la  ressemblance  de  l'homme,  doué  d'attributs 
pareils  avec  un  peu  plus  de  grandeur,  et  que,  au  lieu  de  le  faire  agir 
exclusivement  par  des  lois  générales  et  constantes,  on  lui  prêtait 
des  révélations  arbitraires,  des  volontés  révocables,  des  inler\en- 
tions  miraculeuses;  toutes  les  relations  entre  l'homme  et  le  principe 
d'activité  qui  anime  l'univers,  se  trouvaient  faussées.  Une  longue 
suite  de  méprises  et  de  conséquences  funestes  devaient  forcément 
découler  de  l'illusion  anthropomorphique,  parce  qu'elle  mettait  en 
présence,  en  opposition  et  aux  prises,  deux  égoïsmes  inconciliables  : 
d'une  part,  une  divinité  puissante  qui,  après  avoir  ordonné  le 
monde  pour  réaliser  de  mystérieux  desseins,  continue  de  le  gou- 
verner à  coups  de  décrets  particuliers,  mais  qui,  partageant  les  pas- 
sions et  les  faiblesses  de  l'homme,  est  ainsi  que  lui  orgueilleuse, 
intéressée,  avide  d'hommages,  jalouse,  colère,  vindicative,  qui  se 
fait  un  jeu  cruel  d'exposer  ses  créatures  à  de  périlleuses  épreuves, 
pour  les  rémunérer  s*il  y  a  lieu  ou  les  punir  par  une  éternité  de 
supplices...;  d'autre  part,  l'homme  misérable,  besogneux  et  tour- 
menté, qui,  ayant  conscience  de  sa  faiblesse  et  de  son  assujettisse- 
ment, s'ingénie  à  fléchir  son  puissant  dominateur,  Timplore  par  des 
prières,  le  flatte  par  des  hommages,  l'honore  par  des  cultes,  cherche 
à  capter  sa  faveur  par  des  promesses  ou  des  ofl'randes,  h  se  faire 


BOURDE  AU.    —   CAUSE    ET   OBIGTKE    PD  MAL 


139 


pardonQcr  ses  fautes  par  de  feintes  expialtons...  Ainsi  entendue,  la 
piété  n  esl  qu'une  sorte  de  marchandage,  intéres.sé  des  deux  parts, 
une  iulte  de  ruses  et  de  trumperies  oii  Thomnie  lâche  d  exploiter  et 
d'abuser  pàv  lous  les  moyens  les  maîtres  redoutés  dont  il  croit 
dépendre. 

Si  les  religions  ont  pu  être  nliles  comme  expression  d'un  idéal 

supérieur,  des  maux  sans  nombre  devaient  résulter  des  fictions 

Ihéologiques.  De  là  proviennent,  au  lieu  d'un  sentiment  pur,  con- 

liant  et  désintéressé  de  Têtre  suprême,  la  terreur  servile  inspirée 

par  des  Dieux  tyranniqaes  et  méchants  %  la  propension  de  leurs 

adorateurs  k  faire  le  mal  à  leur  exemple,  à  commettre,  en  croyant 

/es  ijonurer  ou  les  servir^  les  actes  les  plus  criminels.  En  outre, 

comme  les  religions,  fondées  sur  des  révélations  diverses  et  contra- 

^irloires,  se  démentent  Tune  l'autre,  elles  sont  en  état  permanent 

cf 'liOÊtililé,  d  autant  plus  intolérantes  qu'elles  se  présument  plus 

^^raies,  ce  qui  déchaîne  le  fanatisme,  les  persécutions,  les  guerres 

x-^ii^euses.  Elles  ne  s  accordent  que  pour  combattre  la  science, 

s^i^  le  capable  de  corriger  leurs  erreurs,  La  somme  des  mau%  impu- 

tâLl>Iesaux  religions  balancerait  donc  amplement,  dans  rbij^toire  de 

^^    c^hilisation,  le  bien  que  les  moins  mauvaises  ont  pu  faire,  et  le 

^'^  M*s  de  Lucrèce  leur  sera  toujours  applicable  : 


Tan  Lu  m  relligîo  potuU  suadere  malorum, 

*  ,  —  Une  dernière  cause  de  mal,  plus  diflïcile  h  supporter 
^^^*sàucuoe  autre,  parce  qu'elle  contredit  toutes  nos  convoitises  de 
"^^^^  est  rinéluetable  nécessité  de  mourir.  La  faculté  de  prévoir 
^^^  B  ^impossibilité  d  éviter  le  terme  fatal  assigné  à  notre  existence, 
^  <*llent  le  plus  fort  de  nos  instincts,  le  vouloir- vivre  avide  d'une 
^^^^*^e  sans  0n  et  de  développements  sans  mesure*  Notre  intérêt 
"sûunel  se  trouve  ici  en  conflit  avec  les  nécessités  absolues  de  la 
*^  générale,  et,  conséquemmenl  sacrifié  par  elle, 

^A»us  avons  essayé  de  montrer  ailleurs^  la  Ibnction  de  la  mort 

^^s Tordre  de  la  nature,  comme  la  condition  d'existence  de  lous 

^^    êtres  finis,  et,  pour  1  ensemble,  d^un  perpétuel  devenir.  Dans  un 

***ciBi1e  où  rien  ne  devrait  périr,  rien  ne  pourrait  naître,  évoluer  et 

^^^^gresser,  La  mort,  grande  rénovatrice,  libère  Téternelle  substance 

^   ses  apprupriations  passagères  et  ToiTre,  toujours  disponible,  aux 

^^*-i>orations  successi ves  de  la  vie.  C'est  elle  encore  qui,  dans  cette 

**^ile  de  genèses^  introduit  un  principe  de  perfectionnement  par 

J-^  FrimUê  in  orbe  dù«  fecit  iimor  (Pélronef  Sai.^ticonj  ÎM). 


140  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

l'élimination  des  êtres  vieillis,  des  types  inachevés  et  inférieurs, 
que  la  vie  remplace  à  mesure  en  leur  substiiuant  des  êtres  jeunes 
et  forts,  des  types  améliorés  et  supérieurs.  Le  renouvellement,  la 
transformation  des  êtres  et  de  leurs  séries,  leur  apparition  et  leur 
disparition  dans  le  temps,  sont  la  loi  fondamentale  de  l'universelle 
vie  et  de  son  incessante  activité. 

Il  faut  donc  que  ce  moi,  qui  nous  est  si  cher,  périsse  une  fois  son 
terme  venu  et  fasse  retour  au  tout;  il  faut  que  les  générations 
humaines  soient  supprimées  Tune  après  l'autre  et  cèdent  la  place  à 
des  générations  nouvelles,  où  se  produiront  les  effets  que  l'héré- 
dité comporte;  il  faut  que  les  peuples  et  les  races,  acteurs  du  drame 
historique,  occupent  tour  à  tour  la  scène  pour  y  jouer  leur  rôle  et 
s'en  aillent  bientôt  après;  et  de  môme,  il  faut  que  les  espèces 
vivantes,  les  mondes,  les  systèmes  de  mondes  disparaissent  l'un 
après  l'autre  et  cessent  d'être  par  impuissance  de  durer  toujours.  Il 
faut  que  tout  s'écoule  et  passe,  s'achemine  vers  un  terme,  y  arrive 
et  tombe  dans  l'abîme  de  l'éternité,  car,  sans  cette  loi  de  mortalité 
générale,  la  vie,  qui  est  une  rénovation  continue,  perdrait  sa  fécon- 
dité créatrice  et  se  confondrait  avec  le  néant. 

Ainsi  tout  ce  qui  vient  à  l'existence  dans  la  durée,  tout  ce  qui  est 
conditionné,  relatif  et  contingent,  c'est-à-dire  la  totahté  des  êtres 
finis,  est  condamné  à  finir  comme  ne  représentant  qu'un  aspect 
borné,  forcément  transitoire,  de  l'éternelle  réalité.  Seuls  la  substance 
primordiale  et  l'Un-Tout,  absolus  par  essence  et  infinis,  sont 
exempts  de  la  loi  de  mortalité;  mais  ils  ne  peuvent  communiquer 
qu'à  titre  précaire,  aux  êtres  périssables  inclus  dans  leur  unité,  une 
part  viagère  de  leur  inaliénable  indestructibilité.  Ce  qui  entre  dans 
le  temps  par  la  naissance  doit  en  sortir  par  la  mort.  L'éternité  d'un 
être  fini  serait  une  contradiction  logique  et,  pour  lui-même  le  plus 
funeste  des  dons,  car  la  vie,  prolongée  sans  terme  dans  une  condi- 
tion bornée,  deviendrait  à  la  longue  un  intolérable  supplice.  Nos 
rêves  d'immortalité,  qui  nous  font  désirer  Timpossible,  sont  une 
grande  illusion  et  un  absolu  non-sens.  Lorsque  tout  a  sa  fin,  depuis 
l'atome  juscju'aux  astres,  n'est-il  pas  déraisonnable  pour  l'homme  de 
prétendre  à  une  éternelle  durée? 

Sans  doute,  il  ressent  plus  cruellement  qu'aucun  être  l'angoisse 
et  l'épouvante  de  la  mort;  mais  la  même  raison  qui  le  dispose  à  la 
craindre  parce  que  seule  elle  est  capable  de  la  prévoir,  peut  aussi, 
mieux  éclairée,  l'incliner  à  la  résignation  en  lui  montrant  la  néces- 
sité, l'opportunité  d'une  fin.  Nous  devons  accepter  et  subir  la  mort, 
non  comme  un  mal  ou  une  peine,  ouvrant  des  perspectives  incon- 
nues et  redoutables,  mais  comme  la  dernière   fonction  de  la  vie. 


BOURDEAU.   —  CAL'SE  ET  ORIGINE   DU   MAL  141 

iltement  d'une  dette  et  le  suprême  devoir.  C'est  Taccomplisse- 
i'une  loi  commune  à  tous  les  êtres,  utile  pour  leur  ensemble 
Jtaire  à  nous-même.  Puisque  nos  prédécesseurs  sont  morts 
îous  faire  place,  nous  aussi  devons  mourir  pour  faire  place  à 
jccesseurs.  Nous  ne  sommes  pas  fondés  à  nous  plaindre  de 
'achever  notre  vie,  puisqu'il  nous  a  été  donné  d'en  goûter  les 
lans  la  mesure  de  notre  sagesse  et  de  notre  activité.  La  nature 
)te  d'ailleurs  le  goût  de  vivre  par  les  infirmités  croissantes  de 
liesse  et  nous  amène  à  considérer  la  mort  comme  une  déli- 
e  et  un  bienfait. 

Louis   BoURDEAU. 


RELIGION  ET  FOLIE 


Les  rapports  de  la  religion  et  de  la  tblie  n'ont,  jusque  maintenant^ 
été  étudiés  par  les  aliénisles  que  d*UDe  f^içon  insu  irisante  el»  en  ij 
quelque  sorte,  réservée  et  timide.  Sans  vouloir  en  rechercher  les  j 
raisons,  ne  pourrait-on  s'expliquer  la  chose  dans  une  certaine 
mesure,  si  Ton  se  rappelle  ce  conseil  donné  par  Victor  Cousin  : 
€  Vous  rencontrereE  assurément  sur  votre  route  un  personnage  très 
considérable  ;  c'est  le  chnsliantsme;  ùle^i-lui  respectueusement 
votre  c Impeau,  et  n'essayez  pas  d*efitrer  en  lutte  avec  lui.  Il  en  a 
encore  pour  deux  cents  ans  dans  le  ventre  i. 

Deux  cents  ans,  cela  nous  a  paru  un  peu  long  à  attendre  pour 
aborder  Tétude  d'une  question  intêressaule  et  que  nous  croyons 
nouvelle,  mais  que  nous  avons  draille urs  T intention  de  traiter  avec 
tout  le  rt;spect  désirable  et  sans  aucun  esprit  de  lutle  et  de  parti. 

Nous  avons  qualilié  la  question  de  nouvelle  ;  ce  n'est  pas  à  dire 
touietois  que  Jamais  on  n'ait  abordé  1  étude  des  rapports  de  la  religion 
et  de  la  iblie  :  nombreux,  en  elTet,  sont  les  travaux  des  aliénistes 
sur  ce  sujet,  et  l'en mnéral ion  serait  déjà  longue  des  ouvrages  qui 
traiti^nt  de  la  folie  religieuse,  de  la  fulie  myj^lique^  des  épidémies  de 
démonopathie,  etc,  ^  —  Dans  railicle  Délïrk  du  Diciionnaite  en€g~ 
dopêdlque  des  sciences  médicates^  MM.  Bail  et  Rîtti,  classant  les 
conceptions  délirantes  des  aliénés,  en  distinguent  Imit  catégories,  et 
dans  leur  énuinération  quelque  peu  bétérogène,  les  idées  reli- 
gieuses occupent  le  cinquième  rang,  entre  les  idées  hypochondria- 
ques  et  les  idées  erotiques-  Tous  les  jours  encore,  les  revues  et 
journaux  spéciaux  de  médecine  raeiilale  relatent  des  observations 
de  délire  religieux,  avec  ou  sans  balluciuationSj  et  \i  n'est  pas  de 
traité  consacré  yux  maladies  de  Tesprit  qui  ne  contienne  datis  son 
chapitre  *  éliologie  »  un  article  sur  la  religion  considérée  connme 
^••""^  de  folie.  Tout  cela  nou:^  prouve  qu'au  poiiit  de  vue  clinique  et 
tout  au  moins,  la  question  a  été  étudiée,  et  on  peut  même 
►Ue  est  résolue  autant  qu*elle  peut  Tètre  dans  Tétat  actuel 


^  atilre»  :  L,  l'.  Calnieil,  De  la  folie  vonsidérée  au  imint  dt  uue  paiho- 
♦jjAty«<*,  fniiorique  et  judiciaù^. 


SANTENOISE.    —   UELICION    ET   l'OLIE  143 

de   nos  connaissances.   Aussi   noire  but  n*esl-il  pas  de  revoir  la 
question  au  point  de  vue  médical  pur,  ne  voulant  pas  refaire  ce  qui 
est  lait  et  bien   fait.   Notre  ambition  serait  la  suivante  :  il  nous 
semble  que,  jusque  maintenant,  personne,  soit  parmi  les  aliénistes 
de  profession,  soit  parmi  les  psychologues  purs,  n'a  encore  envisagé 
la  religion  et  la  folie  dans  leurs  rapports  psychologiques  intimes. 
D'abord  aucun  psychologue  ',  du  moins  à  notre  connaissance,  ne  s*est 
spécialement  occupé  de  ce  sujet;  quant  aux  médecins,  ils  se  sont 
bornés/  comme  nous  Tavons  dit,  à  signaler,  en  passant,  l'influence 
de  la  religion  sur  l'éclosion  de  certains  délires  et  à  décrire  les  idées 
délirantes  mystiques  de  certains  aliénés,  mais  ils  n'ont  pas  su  ou 
n'ont  pas  voulu  faire  l'analyse  psychologique  approfondie  et  systé- 
matique des  liens  étroits  qui  rattachent  la  religion,  ou  mieux  les 
religions,  à  certains  états  dûine  qu'on  qualifie  de  folie.  —  D'abord 
ils  n^avaient  pas  à  le  faire,  et  puis,  il  faut  bien  le  dire,  et  nous  répé- 
tons ici  ce  que  nous  disions  en  commençant,  la  question  est,  encore 
de  nos  jours,  des  plus  délicates,  et  il  était  plus  prudent,  peut-être, 
de  s'abstenir  de  l'envisager  par  son  côté  véritable  et  essentiel.  C'est 
ainsi  que,  pour  préciser  davantage,  dans  leurs  descriptions  de  folie 
religieuse,  les  auteurs  font  implicitement  cette  pétition  de  principe  : 
^iy  aune  folie  religieuse,  c'est  vrai,  mais  cette  folie  religieuse,  ou, 
Par  inversion  de  termes,  cette  religion  folle  ou  morbide  doit  être 
Astinguée  de  la  vraie  religion,  qui,  elle,  est  normale  et  raisonnable, 
^r   cette  pétiiion  de  principe,  nous  nous  proposons  de  démontrer 
qu'elle  est  illégitime,  et  cela  justement  en  essayant  de  faire  cette 
analyse  psychologique  à  laquelle  nous  avons  faitallusion.  Autrement 
^^U   BOUS  voulons  prouver  que,  entre  la  religion  considérée  comme 
Dorimale  et  la  folie  religieuse,  il  n'y  a  pas  de  différence  de  nature, 
"^*^s3ulement  une  différence  de  degré.  Aussi  bien  cette  distinction 
"®  io.  folie  religieuse  et  de  la  religion  normale  est-elle  non  seulement 
^'"ï^  parable,  mais  encore  complètement  idenlique  à  la  distinction 
^^^  toDt  les  médecins  entre  la  physiologie  normale  et  la  physiologie 
P^^thologique,  distinction    qui,  au   point  de  vue  scientifique,   n'a 
aucivine  raison  d'être  :  la  science,  en  effet,  ignore  la  différence  du 
^Oï'rnal  et  du  pathologique.    «  L'organisme,   dit  Roger,  dans  un 
^^nr^arquable  article  du  Tmilé  de  patliologie  générale  de  Bouchard, 
^^  Uispose  pas  de  deux  sortes  de  modalités  réactionnelles,  de&tinées 
les  \ingg  j^yjj  èiaiis  physiologiques,  les  autres  aux  états  morbides.  La 

*•  A  Texception  toutefois  de  M.  llibot,  à  qui  rien  de  ce  qui  touche  à  la  psy- 
cbologie  n'est  resté  étranger,  et  qui  a  nettement  indiqué  le  problème  à  la  lin  du 
chapitre  sy|.  le  Sentiment  relit/ieux,  dans  son  ouvrage  :  La  psychologie  des  sen- 
*i''»en/*. 


144  REVLE    PHILOSOPHIQUE 

physiologie  est  une  et  la  physiologie  pathologique  ne  doit  être 
considérée  que  comme  un  corollaire  de  la  physiologie  normale.  »  — 
De  même  ne  peut-on  pas  dire  qu'il  n'y  a  pas  de  différence  essentielle 
entre  la  religion  dite  normale  et  la  religion  prétendue  patholo- 
gique? La  seconde  n'est-elle  pas  simplement  une  exagération, 
parfois  même,  nous  le  verrons,  une  perfection  de  la  première,  et  n'y 
a-t-il  pas  entre  les  deux  une  gradation  insensible,  et  non  pas  un  saut 
brusque,  comme  on  semble  généralement  l'admettre?  C'est  ce  que 
nous  allons  examiner;  aussi  bien  pensons-nous  qu'il  y  a  là  un  malen- 
tendu à  dissiper:  nous  en  faisons  une  question  de  conscience  logique. 

Avant  de  commencer  notre  démonstration,  nous  prenons  la  pré- 
caution de  prévenir  encore  le  lecteur  que,  dans  tout  ce  que  nous 
allons  dire,  nous  ne  nous  inspirerons  d'aucun  esprit  de  parti,  nous 
ne  serons  animé  d'aucune  hostilité  contre  aucune  opinion  quelle 
qu'elle  soit,  notre  seule  préoccupation  étant  de  nous  rendre  compte 
aussi  exactement  que  possible  des  conditions  de  production  de 
certains  phénomènes  psychiques,  au  môme  titre  que  le  physicien 
ou  le  naturaliste  étudiant  sans  parti  pris  un  objet  ou  un  phénomène 
quelconque.  Donc  nous  allons  exprimer  nos  idées,  et  nous  croyons 
pouvoir  y  réussir,  sans  haine  et  sans  crainte,  et  nous  espérons 
ne  froisser  les  susceptibilités  d'aucun  lecteur  de  bonne  foi.  Aussi 
bien,  dirons-nous  en  transposant  une  phrase  de  Taine  sur  la  Révolu- 
tion, cet  article  n'est  écrit  que  pour  les  amateurs  de  pathologie 
morale,  pour  les  naturalistes  de  Tesprit,  pour  les  chercheurs  de 
vérité,  pour  eux  seulement,  et  non  pour  le  public  qui  sur  la 
religion  a  son  parti  pris,  son  opinion  faite. 

Notre  but,  disions-nous,  est  d'étudier  les  rapports  de  la  religion  et 
de  la  folie.  A  cet  effet,  il  serait  indiqué  d'abord  de  définir  ces  deux 
termes,  religion  et  folie.  Mais  ces  deux  mots  expriment  des  choses 
tellement  complexes  que  nous  n'osons  entreprendre  cette  opération. 
Contentons-nous  de  dire  que,  dans  le  travail  qui  va  suivre,  nous 
allons  rechercher  si  quelques-uns  des  nombreux  éléments  qui  cons- 
tituent ce  qu'on  appelle  la  religion,  ne  pourraient  pas  être  placés, 
en  suivant  les  règles  d'une  logique  rigoureuse,  dans  le  cadre  noso- 
logique  de  la  patholuj4:ie  mentale;  en  (Pautres  termes,  nous  avons  à 
voir  si  plusieurs  des  phénomènes  psychiques  que  Ton  rencontre 
dans  la  religion  normale  ne  seraient  pas  des  phénomènes  psychiques 
morbides  identiques  à  quelques-uns  de  ceux  que  l'on  rencontre 
dans  les  maladies  mentales:  et,  pour  le  dire  tout  de  suite,  il  s'agit 
ici  uniquement  des  conceptions  délirantes,  avec  les  hallucinations 
qu'elles  peuvent  provoquer,  ainsi  que  certains  actes  anormaux  qui 
en  sont  la  conséquence. 


SANTENOISE.    —  RELIGION    ET   POLIE 


145 


L'élément  primordial,  Je  phénonièoe  psychique  fondamental  de 
toute  religion,  c'est  la  croyance^  et  c'est  sur  celle-ci  que  va  porter 

notre  examen.  Pour  nous  mettre  immédiatement  à  l*ajse,  nous 
alloris  nous  placer,  et  cela  est  bien  permis,  dans  Thypothèse  d  un 
philosophe  absolument  dégagé  de  toute  croyance  religieuse  posi- 
tive, les  croyances  métaphysiques  mises  à  part;  pour  lui,  Tensemble 
des  croyances  d'une  religion  positive  quelconque  conslilue  une 

•  erreur  ou    p!ut<')t  un  faisceau  d'erreurs  reliées  entre  elles  d'une 

ffaçon  plus  ou  muins  systématique.  Laissons  maintenant  ce  point  de 
vue  de  côté  {nous  le  reprendrons  en  temps  et  lieu),  et  reporlons- 
nous  à  la  définilion,  malheureusement  trop  vague,  que  donnent 
généralement  les  aliénistes,  de  la  conception  déïirante.  La  plus 
simple  est  la  suivante  :  «  Les  conceptions  délirantes  sont  des  idées 
fausses  n,  (CuUerre)  ',  Or  qui  dll  idée  fausse  dit  erreur;  «  Terreur, 
en  eftel,  est  Topposé  de  la  vérité  »,  disent  les  logiciens  (Babier)  ^. 
Mais  il  y  a  erreur  et  erreur,  et  il  est  bien  certain  que  la  conception 
délirante  n  est  pas  une  erreur  comme  une  autre,  mais  qu'elle  est 
d'un  genre  bien  spécial;  ou  mieux  nous  dirons,  pour  parler  le 
langage  de  Técole,  que  l'erreur  est  un  genre  dont  la  conception 
délirante  est  une  espèce,  H  nous  faut  maintenant,  suivant  les  règles 
d'une  bonne  définition,  chercher  le  ou  les  caraclères  qui  dilférencient 
cette  espèce,  conception  délirante,  du  genre  erreur  dont  elle  fait 
partie.  Or  nous  avons  vainement  demandé  une  réponse  à  cette 
question  aux  livrê-^  des  logiciens,  et  il  est  vraiment  regrettable 
qu'aucun  d'eux  n'ait  cherché  à  préciser  les  relations  qui  unissent 
Terreur  et  le  délire.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  croyons  avoir  trouvé 
une  solution  salislaisante  :  nous  la  donnons  pour  ce  qu'elle  vaut. 

LLes  erreurs,  nous  semble-t-il,  peuvent  être  classées,  au  point  de  vue 
qui  nous  occupe,  en  deux  catégories  :  1"  les  erreurs  purement 
intellectuelles  (en  général  les  erreurs  métaphysiques  et  scientinques, 
par  exemple I,  c  esi-à-dire  ne  touchant  en  rien  ii  la  sphère  atfective; 
2^  les  erreurs  qui  sont  à  la  lois  intellectuelles  et  affectives,  c'est-à- 
dire  qui  éveillent  dans  Tàme  des  sentiments  quelconques,  et  que 
nous  appellerons  pour  plus  de  simplicité  erreurs  affectities.  De  ce 
nombre  seraient  les  conceptions  délirantes;  nous  pensons  mérne. 
jusqu'à  preuve  du  contraire,  que  toutes  les  erreurs  de  ce  genre 
sont  des  conceptions  délirantes,  et  que  ces  deux  termes»  conception 
délirante  et  erreur  affective,  sont  absolument  roexlensifs.  Nous 
formulerons  notre  idée  par  cette  proposition  universelle  aflirmative  : 


1.  Traiié  des  malndieM  mfiUatet, 
TOME  L.  —  1900. 


!0 


146  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

Toutes  les  conceptions  délirantes  sont  toutes  les  erreurs  afTectives, 
proposition  qui  peut  évidemment  être  convertie  en  la  suivante  : 
toutes  les  erreurs  afTectives  sont  tontes  les  conceptions  délirantes. 

Quelques  exemples  feront  mieux  comprendre  notre  pensée  :  La 
CMe-d*Or  a  pour  chef-lieu  Dijon;  la  Côte-d'Or  a  pour  chef-lieu 
Auxerre  :  voilà  une  vérité  et  une  erreur  qui  peuvent  m'étre,  l'une  et 
Tautre,  absolument  indiiTérentes,  si  je  n*ai  rien  à  faire  avec  ce 
département,  ni  avec  ces  villes.  —  Un  mari  est  jaloux  de  sa  femme 
qui  le  trompe;  un  mari  est  jaloux  de  sa  femme  qui,  cependant,  ne 
le  trompe  pas  :  le  premier  cas  est  celui  d'une  vérité  affective,  le 
deuxième  celui  d'une  erreur  affective,  et  cette  dernière  est  bel  et 
bien  une  conception  délirante. 

Cela  posé,  on  conçoit  que  les  conceptions  délirantes  ou  erreurs 
affectives  peuvent  être  classées  de  deux  façons,  suivant  qu'on  se 
place  au  point  de  vue  intellectuel  ou  au  point  de  vue  sentimental. 
Au  point  de  vue  intellectuel,  nous  aurons  les  classifications  des  logi- 
ciens, qui  divisent  Terreur,  suivant  sa  matière,  en  erreurs  de 
termes  ou  en  erreurs  de  rapports,  et,  suivant  sa  nature,  en  erreurs 
par  défaut,  par  excès  où  par  substitution  (voir  Rabier);  ces  deux 
classifications  se  pénétrant  d'ailleurs  réciproquement.  Nous  n'y 
insistons  pas  *.  —  Quant  à  la  classification  que  nous  qualifierons  de 
sentimentale^  nous  n'en  trouvons  pas  trace  dans  les  traités  de 
logique,  ni  môme  de  psychologie;  mais  par  la  force  des  choses,  les 
aliénistes  ont  été  amenés  à  la  tenter  :  toutefois  ils  l'ont  fait  sans 
avoir  une  conscience  bien  nette  du  but  psychologique  qu'ils  avaient 
à  atteindre  :  c'est  ce  qui  nous  explique  que  leurs  classifications 
soient  si  peu  rigoureures,  si  peu  homogènes,  et  en  somme,  si  peu 
méthodiques.  Voyons  cependant  la  meilleure  de  celles  qu'ils  nous 
ont  données. 

C'est  ici  le  lieu  de  rappeler  la  classification  mentionnée  plus  haut 
et  qui  est  classique,  d'après  laquelle  MM.  Bail  et  Ritti  (art.  Délire 
du  Dict.  encyclop.  des  se,  mëd.)  admettent  que  toutes  les  concep- 
tions délirantes  susceptibles  d'être  observées  chez  les  aliénés^ 
peuvent  être  groupées  dans  les  huit  catégories  suivantes  : 

1"  Idées  de  satisfaction,  de  grandeur,  de  richesse; 

2"  Idées  d'humilité,  de  désespoir,  de  ruine; 

3'  Idées  de  persécution; 

4''  Idées  hypochondriaques  ; 

5**  Idées  religieuses; 


\.  Celle  opéralion  logique  appliquée  à  la  religion  en  conslilue  ce  qu'on  appelle 
la  crilique  doginalique  ;  nous  n'avons  pas  à  nous  en  occuper  ici. 


SÂNTEVrOtSE,    —  BELIGtOTt  ET  FOLIE 


U1 


^5-'  Idées  erotiques; 

^y*  Idées  de  transformation  corporelle,  se  rapportant  soit  à  l*aliéné 
1  m^M.  m —  même,  soit  à  son  entourage; 

^5**  Idées  délirantes  avec  conscience  (folie  avec  conscience,  ago- 
ir-^»-f>liobie,  topophobie,  claustropiiobie,  folie  du  doute  avec  délire  du 
t-^i^um^^her,  etc.). 

I>îous  éliminons  immédiatement  de  notre  discussion  les  idées  déli- 

r^^^^MTEtes  de  celle  dernière  catégorie,  lesquelles  ne  peuvent  rentrer 

dt^^rms  notre  définition  :  en  effet,  elles  ne  constituent  pas  des  erreurs 

p^^K^€:>prement  dites,  puisqu  elïes  s'accompagnent  de  conscience.  Nous 

rm<=>iJi.â  en  tiendrons  donc  aux  sept  premières  catégories.  Or  les 

si.%-mt.6urs  précités  font  observer  avec  raison  que  ces  catégories  sont 

loirk  d*étre  aussi  limitées  quelles  le  paraissent,  et  que  dans  la  réa- 

Im  M.&  elles  empiètent  souvent  les  unes  sur  les  autres.  Une  conception 

délirante,  disent-ils,  peut,  par  exemple,  suivant  le  cas,  être  rangée 

^     la.  fois  dans  les  idées  religieuses  et  les  idées  de  grandeur,  etc. 

■    Cl^stte  dernière  remarque  est  très  juste,  mais  elle  manque  de  préci* 

sion  ;  nous  allons  l'approfondir  davantage»  ce  qui  va  nous  ramènera 

l'^iJitijet  de  notre  étude.  Pour  cela,  revenons  à  notre  hypothèse  du 

E>tiïloâophe  incrédule,  pour  qui  la  plupart  des  croyances  religieuses 

aoot  des  erreurs,  et  voyons  si  quelques-unes  de  ces  erreurs  peu- 

v-eot  être  rangées  dans  le  groupe  des  erreurs  affectives,  autrement 

«iit  des  conceptions  délirantes.  Qu'on  ne  s*eiïarouche  pas  de  ce  rap- 

pi"Oohement  ;  nous  faisons  une  simple  étude  psychologique,  et  nous 

eroyuns  bon  de  le  répéter  encore,  nous  ne  poursuivons  qu'un  but 

pu  ruinent  scientifique* 

Il  e^t  incontestable,  a  priori^  que  les  croyances  religieuses  tou- 
rnent à  la  sphère  alTective  :  par  suite,  si  quelques  unes  d'entre  elles 
^nt  des  erreurs,  elles  ne  peuvent  être  que  des  erreurs  afTectives, 
^  ^st*à.dire  des  conceptions  délirantes. 

^^tle  démonstration  nous  parait  absolument  rigoureuse,  mais  elle 

^    ^a   défaut  d'être  un  peu  concise.  Nous  allons  la  développer  en 

^^herchant  précisément  si  quelques  idées  religieuses  ne  pourraient 

■*^^  être  assimilées  à  quelques-unes  des  conceptions  délirantes,  énu- 

»*i^r^g  précédemment.  Si  nous  éliminons,  pour  la  raison  indiquée 

P'Us  haut,  la  dernière  catégorie  de  la  série,  ainsi  que  la  cinquième, 

^^t  comprend  les  idées  religieuses  proprement  dites  et  qui  ferait 

^^"*Uble  emploi  dans  notre  discussion,  il  nous  reste  :  1"  les  idées  de 

^^*Bfaction  et  de  grandeur;  "2"  les  idées  d'humilité  et  de  désespoir; 

***  tes  idées  de  persécution;  4^  les  idées  hypochondriaques;  5"  les  idées 

^^^iques  et  B"  les  idées  de  transforma  Lion  corporelle.  Nous  allons 

encore  retrancher  ces  trois  dernières  catégories  d'idées  délirantes  : 


148 


REVUB   PBttOSOPHIQUE 


lei  idées  hypochondnaques  et  les  idées  de  transformation  corporelle, 
parce  qu'elles  ne  nous  semblent  avoir  aucun  rapport  direct  avec  la 

religion,  et  les  idées  erotiques,  parce  qu'elles  ne  doivent  pas  se 
rencontrer  dans  une  religion  dite  normale;  nous  ne  voulons  pas,  en 
elTet,  examiner  si  on  ne  retrouverait  pas  parfois  des  idées  délirantes 
éroliques  dans  les  extases  mystiques  d'hommes  religieux  adorant  la 
Vierge,  ou  de  femmes  religieuses  adorant  le  Christ;  de  même  qu'il 
est  bien  certain  que  rérolisme  est  un  élément  important  du  cortège 
symptomatique  de  la  démonopalhîe  (voir  les  incubes  et  les  suc^ 
cubes)-  Mais  ces  faits  sont  considérés  généralement  comme  des 
aberrations  du  sentiment  religieux  ;  aussi  les  passerons-nous  sous 
silence,  puisque  aussi  bien  nous  n  avons  en  vue  que  les  idées  reli- 
gieuses  dites  normales  ou  orthodoxes. 

Une  remarque  encore  avant  d  entrer  dans  le  cœur  même  du 
sujet  :  par  idées  religieuses,  nous  entendrons  surtout  les  idées  reli- 
gieuses chrétiennes,  et  particulièrement  les  idées  religieuses  catho- 
liques, et  cela  parce  que,  à  nos  yeux,  le  catholicisme  constitue  le  type 
de  religion  le  plus  riche  et  le  plus  complet,  {nous  ne  voulons  pas 
dire  le  plus  parfait,)  et  aussi  parce  que  c'est  celui  qui,  sans  conteste, 
nous  iiitéresse  le  plus  directement- 

Nous  avons  donc  à  rechercher  si  quelques-unes  des  idées  reli- 
gieuses, en  particulier  des  idées  religieuses  catholiques,  ne  consti- 
tueraient pas  des  erreurs  afrectives,  c'est-à-dire  des  conceptions 
délirantes,  rentrant  dans  les  trois  groupes  des  idées  de  grandeur,! 
des  idées  d'humilité  et  de  désespoir,  ou  des  idées  de  persécution.     | 

Pour  simplifier  le  problème,  nous  altons  encore  réduire  ces  trois 
groupes  de  conceptions  délirantes  a  deux  : 

V  Les  idées  qui  exaltent  la  personnalité,  idées  de  grandeur; 

2"  Les  idées  qui  dépriment  la  personnalité,  la  cause  de  cette 
dépression  étant  attribuée,  soitâ  la  personnalité  elle-même,  comme 
dans  les  idées  d*hu milité  et  d'indignité,  soit  à  des  éléments  étrangers' 
à  cette  personnalité,  comme  dans  les  idées  de  persécution. 

Avant  d'aller  plus  loin,  il  nous  semble  utile  d'ajouter  à  cette  séria 
une  catégorie  nouvelle,  qui  ne  ligure  pas  dans  la  classiOcation  da 
MM.  Biill  et  Ritti,  pas  plus  que  dans  aucune  autre  d'ailleurs,  la  caté-^ 

Hé  des  idées  délirantes  que  nous  appellerons  idées  de  protection 
>p position  aux  idées  de  persécution.  Cette  catégorie  nouvelle,^ 
Tin  Iro  d  u  i  !?o  n  s  sa  ns  doute  po  u  r  les  besoi  ns  de  1  a  cause  ;  ma  is- 
verrons  qu*elle  est  parfaitement  justifiée.  Aussi  bien,  si  nous! 
rouvons  pas  indiquée  formellement  par  les  auteurs  précités, 
u*ils  devaient  la  confondre  dans  le  groupe  générique  des  idé€ 
uses  de  leur  classification.  Ces  idées  de  protection  se  placent 


SAKTENOISE.    —   tlELIGION  ET  FÛUE 


149 


naturel lement  à  côté  des  idée^  de  grandeur,  dans  le  groupe  des 
idées  qui  exaltent  la  personnalitô.  Les  quatre  catégories  cjye  nous 
venons  ainsi  de  l'ormer  peuvent  se  disposer  de  la  fagon  symétrique 
suivante  : 


ntisofnïALriK   exaltée 

Wées  de  grandeur, 
liti'en  de  proteçtton. 


sMpposiiEit  à 
â^ôp posant  à 


1*ERS0?fN  ALITÉ     DÊPHIHÉE 

[déea  d'IiumilLLé. 
Idéas  de  perâécuUon. 


■  Cela  posé,  nous  allons  examiner  successivement  les  idées  reli- 
B  gieuses  de  grandeur,  de  protection,  d*humilité  et  de  persécution. 
H  Voyons  d'abord  les  idées  religieuses  de  grandeur  ;  ces  idées  fré- 
"  quentas  aux  époques  de  fondation  et  de  premier  développement  des 
religions  {élns,  envoyés  de  Dieu,  prophètes  et  fils  de  Dieu),  sont  assez 
rares  à  notre  époque  où  les  religions  sont  officiellement  organisées  et 
régulièrement  hiérarchisées.  Toutefois,  comment  un  psychologue 
indépendant  devra*l-il  qualifier  ce  passage  de  la  Manrèze  du  prêtre, 
cité  par  Taine  \  lequel  fait  en  quelque  sorte  partie  du  pain  quotidien 
spirituel  du  prêtre  de  nos  jours,  et  oii  l*on  exalte  si  haut  sa  dignité  : 
[  c  Qu'est-ce  que  le  prêtre?  —  G'e.^t,  entre  Dieu  qui  est  dans  le  ciel  et 
B  l'homme  qui  le  cherche  sur  la  terre,  un  être,  Dieu  et  homme^  qui  les 
^  rapproche  en  les  résumant.,-  Je  ne  vous  flatte  pas  par  de  pieuses 
hyperboles,  en  vous  appelant  des  dieux  ;  —  ceci  n'est  pas  un  men- 
songe de  rhétorique...  Vous  êtes  créateurs  comme  Marie  dans  sa 
coopération  à  l  incarnat  ion..,  Vous  êtes  créateurs  comme  Dieu  dans 
Téternité.  Notre  créatiou  à  nous,  notre  création  quotidienne  n*est 
rien  moins  que  le  Verbe  fait  chair  lui-même.,.  Dieu  peut  susciter 
d'autres  univers,  il  ne  peut  faire  qu'il  y  ait  sous  le  soleil  une  action 
plus  grande  que  votre  sacrifice;  car,  en  ce  moment,  il  remet  entre 
Tos  mains  tout  ce  qu'il  a  et  tout  ce  qu*il  est,..  Je  ne  suis  pas  un 
peu  au-dessous  [des  chérubins  et  des  séraphins  dans  le  gouverne- 
ment du  monde j  je  suis  bien  au-dessus  ;  car  ils  ne  sont  que  les  ser- 
viteurs de  Dieu,  et  nous  sommes  ses  coadjuteurs.-.  Les  anges,  qui 
voient  la  quantité  de  richesses  passant  chaque  jour  par  nos  mains, 
eont  effrayés  de  notre  prérogative..*  Je  remplis  trois  fonctions 
sublimes  par*rapport  au  Dieu  de  nos  autels  :  je  le  fais  descendre,  je 
l'administre,  je  veille  à  sa  garde,..  Jésus  habite  sous  votre  clé;  ses 
heures  d'audiences  sont  ouvertes  et  closes  par  vous;  il  ne  se  remue 
pas  sans  votre  permission,  il  ne  bénit  pas  sans  votre  concours,  il  ne 
donne  que  par  vos  mains,  et  sa  dépendance  lui  est  si  chère  que, 


1p  Taine,  le  Régime  moderne  :  tÉgtùe. 


150  REVUE   raiLOSOPOIQUE 

depuis  dix-huit  cents  ans»  îl  n'a  pas  échappé  un  seul  iDstanl 

pour  se  perdre  dans  la  gloire  de  son  Père,  jt  | 

Quel  doit  être,  nous  le  demandons,  Tétat  d'âme  d'un  prêtre  bieHî 
pénétré  et  bien  convaincu  de  ces  idées,  qui  font  de  lui  un  être  d^uDej 
espèce  et  d'une  essence  à  part,  infiniment  supérieur  au  vul^ire,  et| 
qui  lui  composent,  selon  rénergirpe  expression  de  Taine,  un  cordial' 
des  plus  puisâantSj  un  breuvage,  une  liqueur  forte^  d'une  saveupj 
excessive  et  d*une  crudité  si  âpre  qu'une  bouche  ordinaire  en  seraitj 
brûlée?  j 

Mais  si  Ton  peut  trouver  dans  la  reltg^ion  ch  rélien  ne  quelques 
idées  de  grandeur,  pour  les  appeler  par  leur  nom,  il  faut  bien  dire] 
aussi  qu'elles  sont  plutôt  une  rareté  et  une  exception.  Ces  idées  dej 
grandeur  sont  Fapanage,  pourrait-on  dire,  des  ministres  de  la  reli-| 
gion  auxquels  elles  sont  exclusivement  réservées;  quant  aux  simples 
fidèles,  ils  ne  peuvent  disposer  que  des  idées  de  protection,' 
Celles-ci  consistent  dans  la  croyance  à  rintervention  particulière  et 
bienfaisante  de  certains  êtres  invisibles  et  surnaturels  (Dieu,  Vierge, 
anges  gardiens,  saints  patrons] ^  qui  octroient  ou  font  octroyer  à! 
l'homme,  soit  des  biens  spirituels  comme  la  grâce,  soit  aussi  des 
biens  matériels  tels  que  que  la  santé,  la  fortune,  la  réussite  dans| 
les  entreprises,  etc.  La  donation  de  ces  biens  se  fait  même  en  dépiti 
et  à  rencontre  des  lois  naturelles  les  mieux  constatées,  en  vertu  del 
cette  opération  providentielle  qui  s'appelle  le  miracle  [guérîson  de! 
maladies  incurables,  production  du  beau  lemps  ou  de  la  pluie  selon 
les  besoins  de  la  récolte,  etc.).  —  Pour  obtenir  ces  résultats  feivora-, 
bles,  tant  physiques  que  psychiques,  le  croyant  doit  se  placer  dans| 
une  situation  mentale  toute  spéciale  et  qui  n'est  atitre  que  la  priêre,\ 
Or,  si  celle-ci  est  purement  verbale  dans  la  plupart  des  cas,  il  en  est 
d'autres,  et  ces  derniers  sont  l'idéal,  où  elle  envahit  Tétre  psychiquff 
tout  entier  et  produit  en  lui  une  transformation  complète  :  nou$ 
n'en  voulons  pour  preuve  que  Texemple  bien  connu  de  a  Tamu-?! 
lette  ^  de  Pascal,  dont  nous  citerons  seulement  les  passages  sui-I 
vants  :  j 

« Depuis  environ  dix  heures  et  demie  du  soir  jusques  envîroaj 

minuit  et  demi.  Feu.  Dieu  d'Abraham,  Dieu  d*Isaac,  Dieu  de  Jaeob^ 
non  des  philosophes  et  des  sa%^dnts.  Certitude.  Certitude.  Senti-^ 

»ent.  Joie,  Paix.  Dieu  de  Jésus-Christ...  Oubli  du  monde  et  di 
tt,  hormis  Dieu*.  Grandeur  de  TAme  humaine..*  Joie,  joie,  jolej 
rs  de  joie.  Je  m'en  suis  séparé...  Mon  Dieu,  me  quîlterez-vousl 
e  n'eu  sois  pas  séparé  éternellement..*  Renonciation  totale  e^ 
...  Éternellement  en  joie  pour   un  jour  d'exercice  sur 
I.  —  Nous  n'oserons  pas  dire,  aussi  irrévérencieusement  c 


^ 

^ 


SANTEHOISE.   —  RELIGION   RT  KUUE 


IM 


I 


le  D'  Regnard  *  que  cet  écril,  danssacoritexlîire  bizarre,  ressemble, 
de  lous  poîDls,  h  ceux  que  les  aliénés,  dans  les  ïisîles,  remellent  • 
journellement  aux  personnes  qui  les  visitent»  mais  pouvons-nous  ne 
pas  considérer  comme  morbide  Télnt  de  piété  mystique  si  ardem- 
ment exprimée  dans  cette  pièce  fameuse?  Ce  fait  L'clatant,  comme 
dirait  Bacon  {instantia  ostcnsiva}^  nous  dispensera  d'en  citer  d*au- 
Ires,  qui  u*en  pourraient  être  que  de  pâles  copies.  Rappelons  néan- 
moins, pour  mémoire»  parce  qu'il  est  d'un  intérêt  actuel»  le  cas  de 
ces  nombreux  niiilades  que  «  la  foi  guérit  »(Charcot),  et  qui  ne  con- 
stitue pas  le  phénomène  social  le  moins  étrange  de  notre  époque 
(pèlerinages  de  Lourdes). 

Nous  venons  de  voir  les  idées  religieuses  qui  exaltent  la  person- 
nalité; passons  maintenant  h  celles  qui  la  dépriment,  et  ces  dernières 
ne  sont  pas  les  moins  importantes.  Nous  avons  dit  que  les  idées 
religieuses  de  grandeur  étaient  plutôt  une  rareté  dans  le  christia- 
ntsnie.  Cette  religion,  en  elfet,  déprime  plutôt  qu'elle  n'exalte  la 
personnalité  de  ses  adeptes.  Si  elle  inspire  à  ses  ministres  une  haute 
idée  de  leur  rôle  social  et  même  universel,  elle  détourne  la  masse 
des  simples  fidèles  de  rorgneU^  qu'elle  considère  comme  le  premier 
des  péchés  capitaux,  et  elle  leur  prêche  f7naniiittî  comme  la  vertu 
fondamentale.  Cette  humilité  n'aurait  rien  que  de  très  légitime,  si 
etîe  n'était  que  le  résultat  et  Texpression  de  la  conscience  exacte  de 
la  place  de  Thomme  dans  Tunivers;  mais  J*humilité  religieuse  est 
pleine  d'anxiété  et  de  désespoir.  Pour  le  chrétien  digne  de  ce  nom, 
en  elTet,  la  vie,  qui  est  une  «  vallée  de  larmes  et  de  misère  9^  ne 
doit  être  qu'une  constante  préparation  à  la  mort,  et  la  mort,  selon  le 
loot  de  Pascal t  la  mort  qui  nous  menace  à  chaque  instant,  doit  infail- 
lible ment  nous  mettre  dans  peu  d*années  dans  l'horrible  risque 
d*étre  éternel lemt^nt  malheureux*  —  «  11  n*y  a  rien  de  plus  réel  que 
cela,  ni  de  plus  terrible  '-♦,  En  sortant  de  ce  monde^  Thomme  peut 
tomber  pour  jamais  dans  les  mains  d'un  Dieu  irrité..*  Rien  n'estai 
redoutable  à  Thomme  que  Téteinité...  Entre  nous  et  Tenfer  ou  le 
ciel,  il  n'y  a  que  la  vie  entre  deux,  qui  est  la  chose  du  monde  la  plus 
fragile.,.  Un  homme  dans  un  cachot,  ne  sachant  si  son  arrêt  est 
donné,  n'aytmt  plus  qu'une  heure  pour  1  apprendre,  cet  heure  suffi- 
sant, s'il  sait  qu'il  est  donné,  pour  le  l'aire  révoquer,  il  est  contre  la 
nature  qu'il  emploie  cette  heure- là  non  à  s'informer  si  larrêt  est 


i,  G^nie  ei  folie  i  réfuiatùm  ifu/i  paradare.  ^  Crîlique  bien  françaiie,  c'eal-i- 
dîrt^  mi^thrKltf|ue  et  i»|)îrjLiiene  à  Li  foH^  de  l'ouvrage  amu^ant^  mati  diffus  el 
san^  vênUble  valeur  scicntilique;,  de  Loinbroso  r  Lliomme  de  génie. 

2.  Extrail  dm  Ptn^éfs. 


donné,  mais  à  jouer  au  piquet  ï,  —  Qu'un  homme  d'une  nature 
intelligente  el  sensible,  comme  l  était  Pascal,  soit  bien  pénétré  de 
celle  pensée,  n*y  a-t-il  pas  lieu  de  craindre  que  celle-ci  dégénère  en 
idée  fixe,  en  obsession?  Et  cette  idée  fixe  sera  ici*  comme  le  fait 
remarquer  RegnardV,  beaucoup  moins  que  Taspiration  au  bonheur 
du  Paradis,  la  crainte  de  Tenter,  de  rhorrible  enfer  judéo-chrétien. 
Où  les  rebelles  et  les  incrédules  resteront  h  Pétat  de  •  cadavres  » 
sensibles,  que  les  vers  mangent  et  que  le  feu  dévore.  «  Et  leur  ver 
ne  mourra  point,  et  leur  feu  ne  sera  point  éteint»,  dit  rÉcriture, 

Et  pour  éviter  cette  éventualité  terrible,  que  faut-il  au  chrétien? 

Mourir  en  état  de  grave;  mais  cet  étal  de  grâce,  est-on  jamais 
cerlain  de  le  posséder?  Est-on  bien  sûr  de  n*avoir  plus  aucun  péché 
mortel  non  pardonné?  Qu'en  sera-t-il  si  Ton  admet,  comme  dans 
certaines  doctrines  [protestante  et  janséniste),  que  tout  homme 
est  dés  Porigine  prédestiné  au  salut  ou  à  la  damnation t  —  Quoi 
d'étonnant  à  ce  que  ces  préoccupatious  inquiètes  aboutissent^  chez 
un  individu  prédisposé,  à  cette  forme  de  vésanie  qu*on  a  décrite 
sous  le  nom  de  mélancolie  religieuse,  avec  ses  scrupules,  ses 
remorde,  ses  angoisses,  ses  idées  d'humilité,  d'indignité,  de  culpa- 
bilité et  de  damnation? 

invoquons  ici  le  témoignage  du  seul  aliéoiste  qui  ait  parlé  de 
ces  choses  d'une  façon  un  peu  précise  (Maudsley  :  Patholagie  de 
Ve^prii}.  <c  Au  chrétien,  dit-il,  la  mort  est  présentée  avec  toutes  les 
horreurs  imaginables,  comme  la  conséquence  et  la  punition  du 
péché,  la  grande  terreur,  le  dernier  ennemi,  l'occasion  pour  les 
démons  joyeux  de  saisir  leur  proie,  rentrée  possible  à  des  toar- 
ments  inexprimables  pendant  toute  leternité.  Il  me  semble  qu'il  est 
impossible  de  concevoir  les  heures  infinies  de  tourment»  l'intradui- 
sible agonie  de   l'esprit  que  cette  doctrine  doit  avoir  produites 
depuis  qu'elle  s'est  propagée  pour  la  première  fois.  Que  de  réflexion^ 
amères,  quelle  angoisse  aiguë  du  remords,  quelles  craintes  agoni— ^ 
santés,  quels  examens  de  conscience  torturants,  quelles  terreur^^J 
effrayantes  a  produites  dans  des  consciences  anxieuses  et  délicate 
une  doctrine  qui,  dépassant  beaucoup  en  barbarie  tout  ce  que  Is 
superstition  la  plus  grossière  des  sauvages  a  jamais  pu  concevoir^ 
est  encore  enseignée  du  haut  de  milliers  de  chaires  dans  tout  pays 
civilisé,   bien  qu'il  n'y  ait  pas  une  personne  d'un  entendemen'^ 
ouvert,  qui^  analysant  rigoureusement  ses  pensées  et  exaraioanl 
sérieusement  ce  que  cette  doctrine  signifie,  puisse  dire  au  fond  de 
son  cœur  qu'elle  y  croit,  i  Aussi  n'y  a-t-il  pas  lieu  d*étre  surpris 


i.  LocQ  diatô. 


SANTENOISE.   —  HEUGION  ET  FOUIE 


im 


<  s*il  arrive  de  temps  en  temps  qu'un  individu  d*un  tempérament 
anxieux  et  à  pressentimenls,  abîmé  dans  la  contemplation  de  ses 
péchés,  tombe  dans  une  sorte  d'horreur  spasmodique  de  Téventua- 
lité  terrible  de  la  damnation  éternelle,  devienne  atteint  de  folie 
mélancolique,  croyant  que  ses  péchés  sont  au-dessus  du  pardon  et 
qu'il  est  éteniellement  perdu.  » 

Ce  n'est  pas  tout.  Pour  le  chrétien,  nous  l'avons  vu,  le  but  unique 
et  exclusif  de  la  vie  est  d  assurer  son  salut  ;  mais,  pour  y  arriver,  il 
a  à  lutter  contre  une  foule  d'obstacles  pro%^oqués  non  seulement 
par  le  monde  extérieur,  mais  aussi  et  surtout  venant  d'enneniis 
invisible.^.  Ces  ennemis,  ou  mieux  cet  ennemi  invisible,  c'est  le 
démon,  que  T Écriture  représente  comme  un  lion  rugissant  sans 
cesse  en  quête  d'une  proie  à  dévorer  :  quœrens  quem  devoret.  Cet 
ennemi  est  un  persécuteur  acharné,  cherchant  à  perdre  Tàme  par 
toutes  sortes  de  tentations,  de  suggestions,  dirait-on  maintenant. 
Quelquefois  même  il  n'attend  pas  le  moment  de  la  mort  pour  saisir 
Vfkme  du  damné,  mais  il  en  prend  déjà  possession  pendant  la  vie.  Aussi 
la  préoccupation  constante  du  chrétien  doit -elle  être  de  se  défendre 
contre  «  les  embûches  »  du  démon,  et  c'est  chose  fort  difficile, 
assurent  les  théologiens.  Que  cette  crainte  et  cette  défiance  de 
Satan  dominent  un  esprit  suffisamment  impressionnyible,  il  s'en- 
syi\Tîi  un  véritable  délire  de  persécution,  nettement  caractérisé,  et 
à  lorme  démoniaque. 

Jusque  maintenant,  nous  n'avons  examiné  comme  phénomènes 
psychiques  morbides  dénature  religieuse  que  les  troubles  intellec- 
tuels pr'oprements  dits,  à  savoir  les  conceptions  délirantes;  mais 
celles-ci  ne  restent  pas  toujours  à  fétat  d'isolement,  et  s*accompa- 

^gnmi  parfois  de  nouveaux  troubles,  d'ordre  sensoriel  ceux-ci,  les 
Jïâliu ci  nations.  Sans  vouloir  prendre  parti  dans  le  débat  toujours 
ouvert  sur  la  palhogénie  de  l'hallucination,  nous  admettrons  ici  que 

I^^B  hallucinations  religieuses  peuvent  être  provoquées  par  les  con- 
*^®ptions  délirantes  de  même  nature.  Ces  haîtucinations  seront  agréa- 
«Je»  0y  pénibles  suivant  qu'elles  seront  provoquées  par  des  idées 

>ôxaJtant  ou  déprimant  la  personnalité, 
*^ ans  le  premier  cas,  nous  trouvons  des  hallucinations  visuelles, 
*'^^iti\^esj  psycho-motrices,  tactiles  et  de  la  sensibilité  générale, 
_^  «ïtit  toutes  pour  objet  des  personnages  divins  ;  c'est  Dieu,  c*est  la 
ï^rge,  ce  sont  les  anges  et  les  saints  qui  apparaissent  dans  des 
^*ons   miraculeuses,   donnent  des   conseils,   font  entendre  des 
P^ï'oles  d'encouragement  ou  de  consolation;  c'est  aussi  f Esprit  de 
*^U  qiij  pénètre  Tindividu,  fait  sentir  en  lui  sa  présence^  s'infuse 
L    'l  C]uelqu€  sorte  dans  son  organisme^  quelquefois  même  f  inspire 


184      *  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

et  parle  par  sa  bouche.  Les  exemples  de  ces  faits  surgissent  en 
foule  à  la  mémoire,  et  leur  simple  énumération  nous  entrainerait 
trop  loin.  Citons  seulement  ce  passage  de  Taine,  qui  n'est  rien 
moins  qu'un  exposé  vivant  et  saisissant  de  la  physiologie  patholo- 
gique de  rhallucination  religieuse  :  c  A.u  xni«  siècle*,  quand  le 
communiant  à  genoux  allait  recevoir  le  sacrement,  quelquefois  il 
cessait  de  voir  l'hostie  ;  elle  disparaissait  :  à  la  place,  il  apercevait 
un  petit  enfant  ou  le  visage  rayonnant  du  Sauveur,  et,  selon  les 
docteurs,  ce  n'était  pas  là  une  illusion,  mais  une  illumination  ;  le 
voile  s'était  levé;  Tûme  se  trouvait  face  à  face  avec  son  objet,  avec 
Jésus-Christ  présent  dans  TEucharistie  ;  elle  avait  la  seconde  vue, 
inGniment  supérieure  en  certitude  et  en  portée  à  la  première,  une 
vue  directe  et  pleine,  accordée  par  une  grâce  d'en  haut,  une  vue 
surnaturelle.  —  Par  cet  exemple  qui  est  un  cas  extrême,  on  peut 
comprendre  en  quoi  consiste  la  foi  :  c'est  une  faculté  extraordinaire, 
qui  opère  à  côté  et  parfois  à  rencontre  de  nos  facultés  naturelles;  à 
travers  et  par  delà  les  choses  telles  que  lobservation  les  présente, 
nous  découvre  un  au-delà,  un  monde  auguste  et  grandiose,  sleul 
véritablement  réel  et  dont  le  nôtre  n  est  que  le  voile  temporaire.  Au 
plus  profond  de  l'âme,  bien  au-dessous  de  la  couche  superficielle 
dont  nous  avons  conscience,  les  impressions  se  sont  accumulées, 
comme  des  eaux  souterraines;  là,  sous  la  poussée  et  la  chaleur  des 
instincts  immanents,  une  source  vive  s'est  formée,  grossit  et  bouil- 
lonne obscurément;  vienne  une  secousse,  une  fissure  et  soudaine- 
ment elle  monte,  elle  perce,  elle  jaillit  à  la  surface;  l'homme  qui  la 
contenait  et  en  qui  elle  déborde  est  surpris  de  cette  inondation,  il  ne 
se  reconnaît  plus  lui-même;  tout  le  champ  visible  de  sa  conscience 
est  bouleversé  et  renouvelé;  à  la  place  de  ses  anciennes  pensées 
vacillantes  et  fragmentaires,  il  trouve  une  croyance  irrésistible  et 
cohérente,  une  conception  précise,  une  représentation  intense,  une 
affirmation  passionnée,  quelquefois  même  des  perceptions  positives, 
d'une  espèce  à  part,  et  qui  lui  viennent,  non  du  dehors,  mais  du 
dedans,  non  seulement  des  suggestions  simplement  mentales,  comme 
les  dialogues  muets  de  Vlmitation  et  «  les  locutions  intellectuelles  > 
des  mystiques,  mais  encore  de  véritables  sensations  physiques, 
comme  les  visions  détaillées  de  sainte  Thérèse,  les  voix  articulées 
de  Jeanne  d'Arc  et  les  stigmates  corporels  de  saint  François  >  *. 

\.  Loco  citato, 

2.  Voir  dans  V Ancien  el  le  Xouveau  TestamFn(,  les  Prophètes,  rApocalypse  de 
sainl  Jean;  en  oulre  les  Vies  des  Sainls,  Thisloire  de  Jeanne  d'Arc  (qu'on  nous 
pardonne  ce  sacrilège  du  patriotisme,  mais  la  science  a  ses  exigences),  la 
biographie  de  Bernadette  de  Lourdes,  etc. 


SANTEHOISE.    —  ItEUGlO;^  ET  FiiLIË 


ItJ-U 


Le  second  groupe  d'hallucinations  religieuses»  celui  des  haUucl- 
nations  péDîbles,  a  pour  objet  les  éires  invisibles  malfaisants,  per- 
sonDifiés  dans  le  diable.  Nous  renconlrons  ici  les  hallucinations  des 

■  divers  sens  énumérés  plus  haut  (de  la  vue,  de  Touïe,  du  tact,  de  la 

■  sensibilité  générale»  psycho-raolrices),  et  en  outre  des  hallucina- 
tion&  du  goùt^  deTûdorat  et  de  la  sensibiJité  génifale.  Le  diable,  en 
effet,  ne  se  contente  pas  d'apparaître  à  ses  victimes  en  des  visions 
fantastiques  el  terrifiantes,  ou  de  leur  parler  pour  leur  adresser  des 
menaces'  ou  leur  donner  de  mauvais  conseils;  non  seulement  il  fait 
éprouver  par  diverses  sensations  internes  sa  présence  à  ceux  qui  en 
sont  possédés  [pincement,  arrachement,  piqûre,  fourmillement, 
déchirure,  distorsion ,  brûlure,  etc.)  ;  non  seulement  il  leur  fait  perdre 
la  notion  de  Téquilibre  et  les  transporte  au  loin  dans  les  airs;  non 
seulement  il  parle  par  leur  bouche  et  leur  fait  proférer,  malgré  eux, 
toutes  sortes  de  grossièretés  et  d'iropiétésT  mais  encore  il  leur  fait 
respirer  des  miasmes  empestés  ou  leur  fait  goûter  des  substances 
amèreâ  et  nauséabondes;  il  va  même  jusqu'à  pratiquer,  chez  les 
femmes  surtout,  des  attouchements  impudiques,  qui  vont  parfois 
jusqu'à  Taccouplement-. 

Toutes  ces  hallucinations  religieuses,  de  nature  agréable  ou 
pénible,  dont  nous  venons  de  tracer  la  rapide  esquisse,  sont  sponta- 
Bées,  en  ce  sens  qu'elles  sont  indépendantes  de  la  volonté  formelle 
du  sujet,  qui  les  subit  en  quelque  sorte  passivement;  mais  la  reli- 
gion fournit  en  outre  de  véritables  procédés  artificiels  pour  faire 
Mitre  r bal lucï nation.  Il  existe,  en  effet,  à  Tusage  des  prêtres  dans 
les  reirai  les  diocésaines,  une  sorte  de  manuel  pour  hallucinations 
religieuses  provoquées,   et  où  sont  décrites  les  li"ois  voies  par 
«quelles  rhomme  parvient  à  se  détacher  du  monde  :  <  la  purgative, 
IKnHUïitïh't'e  et  Funilive  ».  Ce  manuel  iiest  autre  que  ]es  Exercitiu 
lie  saint  Ignace^  qui  ont  pour  objectif  de  «  reconstituer  pour  Tàme 
le  monde  surnaturel...,  de  lui  en  rendre  la  sensation  positive,  le 
contact  et  ratlouchement  (Tainei.  A  cet  effet,  l'homme  s'enferme 
dans  un  lieu  approprié,  où  chacune  de  ses  heures  a  son  emploi 
aine  d'avance,  passif  ou  actif  :  assistance  à  la  chapelle  et  au 


t  MîfhelcL  —  •  En  l'an  11)00,...  le  moine  alleiidall,  dans  les  ahsllnencei  du 
doUrCp  dans  le6  tumultes  aoliiaire»  du  cœur,  au  milieu  des  lenlalitina  et  des 
ftitsU-s,  fies  remords  et  des  visions  étranges,  misérable  jouel  dir  diable  qui 
folàtpmi  cruellement  autour  de  îui,  cl  qui  le  soir,  tîranl  ^a  couvi!rlure,  lui 
diàftilgaiemenl  à  Toreille  î  ■  Tu  es  damné!  •  (d'a|ïrès  Raoul  Glaber). 

y  Voïr^  oulre  VAncien  el  Iç  Souv^au  Te^tamt^nl,  ainsi  que  les  Vies  dej  Saintii 
^'^àichi^  l^  Sorcière;  HL^toire  de  Frunct  (le  Sabt>al  el  U  Soreellerie);  —  fîijur- 
"«ville*  1^  giibhuî  dëË  sorçhrs^miy^i  que  loua  leii  ouvrages  de  la  inÔiue  i^ollcclton^ 
H  l^ibliothèque  diabolique. 


156 


REVUE   PHTLO^OPHIÛUE 


sermon,  chapelet^  lîtanies»  oraisons  des  lèvres^  oraison  du  cœur, 
examen  réitéré  de  soi-même,  confession  et  le  reste*  bref,  une  série 
îninlerrompue  de  pratiques  diversifiées  et  convergentes,  qui,  par 
degrés  calculés,  le  vident  de  préoccupations  terrestres  et  l'assiègent 
d'impressions  spirituelles;  autour  de  luit  des  impressions  sembla- 
bles, par  suite  Ja  contagion  de  Texemple»  réchaufTement  mutuel, 
Tattente  en  compagnie,  Témulation  involontaire  et  le  désir  surex- 
cité, jusqu'à  créer  son  objel;  d'autant  plus  sûrement  que  f  individu 
travaille  lui-même  sur  lui-même,  en  silence,  cinq  heures  par  jour, 
selon  les  prescriptions  d'une  psychologie  profonde,  pour  donner  de  la 
consistance  et  du  corps  à  son  idée  nue.  Quel  que  soit  le  sujet  de  sa 
méditation,  il  la  répète  deux  fois  dans  la  même  journée,  el  chaque 
fois  il  commence  par  «  construire  la  scène  »,  la  Nalivité  ou  la 
Passion^  le  Jugement  dernier  et  TEnfer;  il  convertit  l'histoire  indé- 
terminée et  lointaine^  le  dogme  abstrait  et  sec,  en  une  représenta- 
tion figurée  et  détaillée;  il  y  insiste,  il  évoque  tour  à  tour  les 
images  fourniei?  par  les  cinq  sens,  visuelles,  auditives,  tactilej, 
olfactives  el  même  gustativcs;  il  les  grrjupe,  et,  le  soir,  il  les  avive 
afin  de  les  retrouver  plus  intenses  au  matin.  Il  obtient  ainsi  le 
spectacle  complet,  précis,  presque  physique  auquel  il  aspire,  il  arrive 
à  Valibij  à  ia  transposition  mentale,  à  ce  renversement  des  points 
de  vue  où  Tordre  des  certitudes  se  renvei^se,  où  ce  sont  les  choses 
réelles  qui  semblent  de  vains  fantômes,  où  c*est  le  monde  mystique 
qui  semble  la  réalité  solide  ^. 

Tous  ces  phénomènes  que  nous  avons  étudiés,  conceptions  déli- 
rantes et  hallucinations,  sont  des  phénomènes  positifs;  nous  devons 
signaler  maintenant  les  phénomènes  psychiques  négatifs,  si  Tom 
peut  ainsi  parler,  que  la  religion  provoque.  Ces  phénomènes  sont 
de  deux  ordres,  d'ordre  sensoriel  et  d*ordre  sentimental  ou  affec- 
tif* Leur  pathogénie  s'explique  par  ce  fait  que  la  religion,  comm^ 
d'ailleurs  n'importe  quel  délire  systématisé,  faisant  converger  lout^ 
la  vie  psychique  dans  un  sens  et  vers  un  point  déterminés,  produiC- 
dans  la  conscience  une  sorte  de  polarisation,  qui  a  pour  effet  d 
Texagérer  d'un  coté  et  de  la  diminuer  de  Taulre  au  point  de  l'anéanti 
parfois.  «  Si  Ton  compare  dit  Ri  bot»  l'activité  psychique  normali 
à  un  capital  en  circulation,  sans  cesse  modifié  par  les  recette^^ 
et  les  dépenses,  on  peut  dire  qu'ici  le  capital  est  ramassé  en  ur^ 
bloc;  la  diffusion  devient  concentration,  i*exlensif  se  transforme  et^ 
intensifs*  11  n'y  a,  â  chaque  moment,  qu*un  certain  capital  nerveu»^ 
et  psychique  disponible;  sll  est  accaparé  par  une  fonction^  e*est  ai^-^ 
détriment  des  autres*  »  Ce  serait  ici  le  cas  de  rappeler  celte  meta 
phore  plus  récente  du  <l  rétrécissement  du  champ  de  la  conscience 


léta-j 


SAlfTEHOISE,    —   RELIGION   ET   FOLIE 


mi 


3*il      se  trouve  plus  éclairé  sur  certains  points,   le  reste  de  son 
et: ^r^ due  plonge  dans  1  obscurité, 

CZomme  phénomène  d  ordre  sensoriel,  nous  rencontrons  les  a  hallu- 

cli=&^t.îons  négatives  »*  des  mystiques*  réalisées  à  leur  maximum 

cI^^t:!^  Textase.   Il  en  a  déjà  été  incidemment  question  plus  haut 

lor'sc^e  nous  avons  décrit,  avec  Taîne,  le  manuel  opératoire  destiné  à 

ï*m-o<3uire  rhallucination  religieuse  :  «  Quand  cet  état  (d*extase)  est 

â^t.  M^€iï  nt,  dit  Ribot^j  qui  en  a  fait  une  magistrale  description  à  laquelle 

novis  renvoyons^  les  yeux,  même  ouverts,  ne  voient  pas;  les  sons 

s',»^issent  plus;  la  sensibilité  générale  est  éteinte;  nul  contact  n'est 

^^inti;  ni  piqûre,  ni  brûlure  n'éveillent  la  douleur,  n  Vis-à-vis  du 

iT^OTîde  extérieur,  les  extatiques  sont  comme  les  idoles  dont  parle  le 

I*:s^^liniste  :  €  Ocuh$  habent,  etc.  » 

X)£ins  l'ordre  de  la  sensibilité  morale,  nous  observons  la  dimi- 

ràijation  qui  va  parfois  jusqu'à  l'abolition  de  ce  qu'on  appelle  les 

sentiments  alTeclifs,  et  c*est  là,  on  le  sait,  un  des  symptômes  carac- 

ti^K-istiques  de  la  plupart  des  vésanies.  Nous  en  trouvons  même  la 

for*ri:iule  concise  dans  Tamulelte  de  Pascal  :  «  oubli  du  monde  et  de 

tout^  hormis  Dieu  »,  et  ce  chrétien  par  excellence,  en  qui  la  piété 

la.    plus  ardente  s'associait  au  génie  le  plus  profond,  Pascal  lui-même 

^'^^o    est-il  pas  un  exemple  frappant?   *   Il  était,   dit  Regnard% 

<i*^ pourvu  de  tout  sentiment  alTectif.  »   Apprenant  la  mort  de  sa 

sortir  Jacqueline,  la  personne  qu'il  aimait  le  plus  au  monde,  il  dit 

si  m  paiement  :   œ  Dieu  nous  fasse  la  grâce  d'aussi  bien  mourir  », 

^     G*est  ainsi  qu'il  faisait  voir,  ajoute  Mme  Périer,  son  autre  soeur, 

q  tii   ^  écrit  sa  vie,  qu'il  n*avaît  nulle  attache  pour  ceux  qu'il  aimait; 

Ca.1-    s'il  eût  été  capable  d'en  avoir,  c'eut  été  sans  doute  pour  ma 

s^»-*iar',  parce  que  c'était  assurément  la  personne  du  monde  qu*il 

^im£i,it  le  plus,  »  11  fut  admirablement  charitable,  mais  c'était  sur- 

^oiii,    par  devoir  religieux*  «  Il  disait,  Mme  Périer  nous  l'apprend 

encore,  que  c'était  la  vocation  générale  des  chrétiens^  et  que  c'est 

sur   c*ela  que  Jésus-Christ  jugera  le  monde,  et  que,  quand  on  consi- 

**©rc4lt  que  la  seule  omission  de  cette  vertu  (la  charité)  est  cause  de 


^-     Meoreuse  dénomi nation,  due  a  notre  tuaître  Bcrnhcîîm,  maîâ  «fui  a  été  crilî- 
^^^   Ijar  Binéi  et  Fém  dân,<  la  flptiw^  phitosophique, 

•  %*oir  l**^  Mtîlatiiês  dr  ta  volonté  ti  les  Malmlit»  th  kt  penfonnaîiliL  Uan3  le 
^*^'^ii<?r  ouvrage,  on  trouvera  un  intéressant  extrait  de  raiitD-hîogra|»Uie  de 
.  *^  ^o  Thérèse.  —  Voir  aussi  sainl  iiernard  dans  MicheUt.  -  Homme  de  vie 
^,,  *''îeure,  d'oraison  et  de  sacnlii.'ei  perjionne  au  milieu  du  bmii  ne  sut  mieux 
-  ^l«ïr.  Lc^  arns  oc  lui  dhaient  plus  rjen  du  mondeJl  niafcha,  dit  bon  ijingraphu 
Uii**^  un  jour  le  long  du  lac  de  LELusanne.,  et  le  soir  dcmiinda  oii  élail  le  lac.  Il 
^^'^îl  de  rimiJe  pour  de  Teau,  pf^rwiit  ùu  sang  cru  pour  du  ijeurre,  etc. 


.;;^  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

À  iaiiuiation,  cette  seule  pensée  était  capable  de  nous  dépouiller  de 
out.  51  nous  avions  de  la  foi.  »  Nous  avons  cité  cet  exemple  parce 
iu  (I  ost  bien  connu,  et  aussi  qu'il  est  typique  et  en  résume  une 
:oaloil*autres  :  c'est  ce  qui  nous  dispensera  d'insister'. 

i.:olto  suppression  des  sentiments  naturels  n'est-elle  môme  pas  for- 
:noUeinont  prescrite  dans  un  précepte  évangélique  :  c  Si  quelqu'un 
Mont  ^  moi,  dit  Jésus,  et  ne  hait  pas  son  père,  sa  mère,  sa  femme, 
'ii's  ontants,  ses  frères,  ses  sœurs  et  même  sa  propre  vie,  il  ne  peut 
otro  mon  disciple.  »  Dieu  lui-môme,  fait  remarquer  Lombroso,  fut 
dur  à  rè^jaiil  de  sa  propre  famille.  <c  En  vérité,  je  vous  déclare,  ajoute 
ouv'i»iv  Jésus,  (juiconque  aura  quitté  sa  maison,  sa  femme,  ses  frères, 
v.^'i  parents,  recevra  le  centuple  en  ce  monde,  et,  dans  le  monde  à 
>ouir,  la  vie  éternelle.  » 

Vprès  avoir  vu  les  différents  phénomènes  psychiques  morbides 
do  iKiluiv  ivliiîieuse  (conceptions  délirantes,  hallucinations  positives 
oi  iK'^alives,  perte  des  sentiments  affectifs,  passons  aux  actes  de 
v\«rav  lore  morbide  qui  en  sont  la  conséquence.  Pour  gagner  le  ciel, 
ri  v*^i  pivseril  au  ciirétien  non  seulement  de  fuir  les  jouissances  que 
iKHi.s  ».»:Viv  la  nature,  considérée  comme  mauvaise  et  diabolique, 
îiiai-»  oiuoiv  de  s'infliger  dans  la  plus  grande  mesure  possible, 
loiUv^"*  ^vules  do  privations  et  même  de  sensations  douloureuses.  De 
la  00-^  joignes,  ces  macérations  (cilice,  discipline)  et  toutes  ces  pra- 
iniuo.-.  di\oiNos,  parfois  grotesques*,  qui  ont  pour  résultat  la  dété- 
tu'iaiuMi  ph»^ressive  de  l'organisme.  Joignons-y  les  mutilations  en 
u..»«iie  chez,  certaines  sectes  (comme  les  skoptzy  russes),  bien 
^u  rlli'.i  soient  généralement  regardées  comme  des  anomalies,  et 
.  i^'iulahi  «  \\\\  nit)ment,  dit  Renan  %  en  parlant  de  la  continence 
*Aoin!»Kindée  aux  disciples,  le  maître  semble  approuver  ceux  qui 
.*•  mailleraient  en  vue  du  royaume  de  Dieu*.  11  était  en  cela  consé- 
|iuiii  «t\eo  sou  principe  :  ce  Si  la  main  ou  ton  pied  t'est  une  occasion 
â\'  iM  lie,  cv>upe-les,  et  jette- les  loin  de  toi;  car  il  vaut  mieux  que  tu 
.iiiv-..  boiteux  ou  manchot  dans  la  vie  éternelle,  que  d'être  jeté 
ovs  VA  deu\  pieds  et  tes  deux  mains  dans  la  géhenne.  Si  ton  œil 

. .    .;k^  iKvasion  de  péché,  arrache-le  et  jette-le  loin  de  toi  ;  car  il 

X  .  1,    :iiru\  cnlrer    borgne  dans  la  vie  éternelle  que  d'avoir  ses 

\.  \   \*ii\.  et  d'être  jeté  dans  la  géhenne  ».  La  cessation  de  la 


.1  Uvi  \kK*t  (/f'«  >V///i^y,  notamnienl  sainl  Alexis,  qui  quille  sa  femme 
u>  ^«ui  iiiariaKc;  sainl  Thomas  (J'Aquin  cl  saiiil  Fran^-ois  dWssise, 
i   sW  Uni"  fiunille,  malgré  celle-ci,  pour  aller  •  vivre  en  religion  ■. 

I  ■     .1   viiH<  Simt'OH  le  ntyiiie. 


SANTEHOISE, 


BELICIOX    ET   FOLIE 


159 


génération,  ajoute  rhîstoirten,   fut  souvent  coasidérée  comme  le 
signa  et  la  coadition  du  royaume  de  Dieu. 

Conceptions  délirantes»  hallucinations  positives  et  négatives,  per- 
version des  sentiments  affectifs,  artes  anormaux,  tels  sont  les  phéno- 
mènes psychiques  morbides  auxquels  la  religion  donne  naissance. 
Nous  croyons  les  avoir  énumérés  dans  leur  ordre  d  apparilion  patho- 
génîque,  et  nous  pensons  en  avoir  donné  une  classification  métho- 
dique. On  a  dû  voir  que  nous  sommes  constamment  resté  dans  la 
plus  stricte  orthodoxie,  et  que  nous  n'avons  décrit  que  des  cas  appar- 
tenant k  la  religion  dite  normale.  La  preuve,  c'est  d'abord  que  la 
plupart  des  personnages  que  Thistoire  nous  montre  comme  ayant 
présenté  ces  phénomènes  religieux  au  maximum  de  leur  intensité, 
ont  reçu,  pour  ainsi  dire,  restampille  offictelle  de  l'Église  :  ils  ont 
été  sanctifiés;  c*est  aussi  que  TÉglise  admijl^  dans  sa  doctrine,  la 
réalité  des  persccutîons  diaboliques  et  des  possessions  démoniaques, 
et  qu'elle  n'a  que  trop  souvent  usé  et  abusé^  pour  les  combattre, 
des  exorcismes  et  d'un  moyen  plus  radical  encore  »  la  suppression 
par  le  feu. 

Mais  aloi^s,  nous  dira-t-on,  si  vous  qualifiez  les  croyants  de  déli- 
rants, comment  se  fait-il  que  le  nombre  des  cas  de  folie  religieuse 
proprement  dite,  observés  et  traités  dans  les  asîtes,  soit,  en  somme, 
âsse^  restreint?  Icit  nous  devons  faire  une  remarque  :  c'est  que  le 
placement  dans  un  asile  d  aliénés,  qui  contitue  le  critérium  adminis- 
tratif du  délire,  n'a  pas  la  même  valeur  au  point  de  vue  psycho- 
lagique.  En  elTet,  quel  est  te  motif  déterminant  de  la  séquestration 
dans  ^n  asile**  C'est  le  danger  immédiat  que  constitue  la  présence 
<îu  malade  au  dehors,  soit  pour  lui-même*  soit  pour  les  autres, 
(langer  sans  lequel  on  doit  laisser  Tindividu  à  la  vie  libre  V  Or  qui 
*>©  sait  qu'il  existe  de  pir  le  monde  une  fouie  de  véritables  aliénés, 
f^^h  considérés  comme  inotîensifs?  Aussi  on  a  pu  dire,  sous  forme 
P^iradoiiale,  mais  avec  raison^  que  tous  les  fous  ne  sont  pas  dans  les 
asiieg.  et  le  psychologue  pur,  qui  n'a  pas  à  s'inquiéter  des  consé- 
*i**ences  sociales  d'un  état  de  conscience,  qualifiera  celui-ci  de  mor- 
bides'ily  trouveles  phénomènes  que  nous  avons  énumérés  plus  haut. 


-*  t|  faut  dire  au-^ii  ^uc  leâ  tumpâ  sorti  changés'^  [m  asiles  sont  d'iosLilulion 
. -*^nie,  el  la  religion  a  perJu  beaur-oiip  d«  son  inHueni^e,  ce  qm  fait  qun  ks 
^*  «le  fohe  rclif'ieuse  aonl  inoom].ambÏÊmenl  mrjîns  nombreux  aujourd'hui 
l^  autrefois,  yui  tlûuLe  cependant  que  L«î  saiat  de  jadi«^  (t^iméiîti  le  stjllte,  par 
jî^*^*Pltï)*  f|tie  tel  sorcier  ilu  moyen  jîge  ser^iienl  inLeniès  de  nos  jours,  au  lieu 
«être,  run  vénéré,  Tautre  brCilêï—  Ce  qui  était  possible  autrefois  ne  Test  plus 
^4ini(*nnnt  :  conçoït-on  Jeanne  d'Are  à  notre  épot|ucî  -  Dans  sa  course  vaga- 
îi^^i^tie,  (lil  Renaa.  on  ne  voit  nas  due  Jésus  ait  été  une  seule  fois  inquièlè  par 


^  Mice. 


pas  c|ue  < 


160 


mvm  PHlLOSOpBfQUE 


Est-ce  à  dire  toutefois  que  nous  considérions  tous  les  croyaQts 
comme  des  délirants?  Dieu  nous  garde  d  une  pareille  pensée,  et 
notre  raison  en  est  la  suivante  :  c'est  que  ta  plupart  des  croyants,  de 
nos  jours  surtout,  et  heureusement  pour  euxj  ne  sont  pas,  en  réa- 
lité, de  véritables  croyants;  c'est  que,  chez  eux,  Terreur  qui  cons- 
titue ce  qu'ils  appellenl  leur  croyance  est  une  erreur  purement 
intellectuelle,  et  ne  devient  jamais  au  presque  jamais  une  erreur 
affective,  c  est-à-dire   une  conception  délinmte  proprement  dite, 
pour  employer  la  terminologie  que  nous  avons  établie  en  commen- 
çant. Nous  pourrons  dire  encore,  avec  Taine^  que  pour  la  grande 
majorité  des  fidèles,  y  compris;  les  prêtres  eux-mêmes,  a  le  monde 
surnaturel,  à  Tordinaire,  sous  la  pression  du  monde  natureU  s  éva- 
pore, s*eïîace,  cesse  d'être  palpable;  ils  n'y  pensent  quavec  une 
attention  faible,  et  leur  conception  vague  Unit  par  devenir  une 
croyance  verbale  ^  i 

Nous  ajouterons  que,  même  s'ils  y  pensaient  avec  une  attention 
forte  et  soutenue,  cela  ne  suffirait  pas  encore  pour  faire  d'eux  des 
délirants  :  on  a  dû  le  remarquer,  en  elTet,  nous  avons,  dans  le  cours 
de  ce  travail,  employé  souvent  le  mol  prédisposé;  nous  voulions 
dire  que,  pour  produ ire  tous  ses  etîels,  Tidée  religieuse  doit  rencontrer 
un  cerveau  prédisposé,  prédestiné,  comme  diraîenl  les  théologiens, 
L*idée  est   un  germe,  qui  a  besoin  d'un  terrain  favorable  pour  se 
développer  et  donner  tous  ses  fruits  (nous  l'avons  appris  à  Técolêde 
notre  maitre  Bernheim).  Ce  terrain,  celte  prédisposition,  que  nous,    , 
médecins,  nous  faisons  dériver  de  la  constitution  organique,  dans  le 
cas  particulier,  c'est  ce  que  les  théologiens  appellent  la  grâce:  or  la 
grâce,  on  le  sait  de  reste,  ne  se  répand  pas  uniformément  et  indis-  j 
tinclement  sur  tous  les  hommes  :  en  un  mot,  ne  devient  pas  saint 
qui  veut,  de  même  qui  c'est  bien  malgré  soi  qu'on  devient  possédé 
du  diable*  i 

Ceci  nous  amène  à  préciser  les  rapports  de  causalité  de  la  religion 
et  de  la  folie.  D'abord  il  est  évident  que  la  religion  ne  constitue  ni 
une  cause  nécessaire,  ni  une  cause  suffisante  de  folie;  elle  ne  peut 
jouer  vis-à-vis  de  celle-ci  que  le  rôle  de  cause  adjuvante.  Au  point 
de  vue  de  son  mode  d'action,  elle  n*agit  que  par  Tintermédiaire  de 
l*idée,  et,  à  ce  titre,  elle  ne  peut  produire  que  celle  variété  de  folie 
que  les  aliéni^les  ont  nommée  «t  folie  communiquée-.  »  Elle  agit  donc 
par  suggestion,  et,  de  fait,  beaucoup  de  phénomènes  religieux  sont 
susceptibles  d'être  reproduits  par  la  suggesliun  expérimentale^ 
notamment  dans  le  domaine  de  la  sensibilité  (hallucinations  posiliveâ 

l,  LocQ  ciiato. 

2i  Woh  son  caraclèra  fféqut^mment  épidémique. 


SANTENOISE.   —  RELIGION  ET  FOLIE  IGl 

et  négatives,  guérison  d'apparence  miraculeuse,  extases  mystiques 
analogues  à  certains  états  hypnotiques,  etc.).  Mais  si  la  religion  agit 
par  l'intermédiaire  de  l'idée  et  si  l'idée  est  une  force  (la  foi  soulève 
les  montagnes),  comme  l'a  démontré  Fouillée,  force  dont  il  est  diffi- 
cile, il  est  vrai,  de  mesurer  l'effet,  il  faut  bien  dire  aussi,  ave  c 
Ribot  S  dont  nous  transposons  une  partie  de  phrase,  que  les  état  s 
de  conscience  qu'on  nomme  idées  ne  sont  qu'un  facteur  secondaire 
dans  la  production  du  délire.  L'idée  joue  son  rôle,  mais  il  n'est  pas 
prépondérant.  Le  délire  vient  le  plus  souvent  d'en  bas  (d'une  orga- 
nisation défectueuse),  et  non  d'en  haut,  dirons-nous  encore.  De  sorte 
que,  en  fin  de  compte,  le  rôle  de  la  religion  dans  la  folie  nous  paraît 
être  plutôt  celui  d'un  moule,  mais  d'un  moule  sigulièrement  bien 
adapté,  dans  lequel  viendraient  se  couler  les  prédispositions  orga- 
niques individuelles  de  nature  morbide.  Nous  devrons  même 
ajouter  que  la  religion  fournit  deux  moules  différents,  suivant  la 
tendance  individuelle  à  l'exaltation  ou  à  la  dépression,  a  On  a  dit 
justement,  écrit  Ribot  *,  que  le  sentiment  religieux  se  composait 
de  deux  gammes.  L'une,  dans  le  ton  de  la  peur,  se  compose  d'états 
pénibles,  dépressifs.  La  terreur,  l'effroi,  la  crainte,  la  vénération,  le 
respect,  telles  en  sont  les  principales  notes.  L'autre,  dans  le  ton  de 
l'émotion  tendre,  se  compose  d'états  agréables  et  expansifs  :  admi- 
ration, confiance,  amour,  extase  i>.  De  là  cette  variété  disparate  des 
idées  délirantes  religieuses  que  nous  avons  étudiées;  de  là  vient 
que  la  religion  s'adapte  si  bien  à  tous  les  délires;  mais,  nous  le 
répétons,  il  ne  s'agit  que  d'une  adaptation.  La  religion  ne  crée  pas 
de  toutes  pièces,  par  exemple,  le  délire  de  grandeur  ni  le  délire  de 
persécution'  :  elle  ne  fait  que  lui  donner  une  forme.  C'est  ce  qui 
nous  explique  que  les  cas  de  folie  religieuse  sont  moins  fréquents 
à  notre  époque*  d'incrédulité  et  de  scepticisme  qu'au  moyen  âge, 
où  la  foi  était  si  vive  et  si  profonde.  Il  est  de  remarque  banale,  en 
effet,  que  le  milieu  social,  les  mœurs,  les  idées  courantes  influent 
considérablement  sur  la  forme  délirante  :  si,  au  moyen  âge,  le 
délire  de  persécution,  par  exemple,  revêtait  la  forme  démonoma- 
niaque,  les  persécutés  d'aujourd'hui  se  croient  plutôt  victimes  des 
agents  physiques  et  naturels  (électricité,  magnétisme,  somnambu- 
lisme, et  môme  actuellement  rayons  X,  etc.  '). 

1.  Maladies  de  la  personnalité. 
2-  Psychologie  des  sentiments. 

3.  Aussi  la  folie  religieuse  n'est-elle  pas  une  entité  morbide  véritahie;  mais 
elle  peut  faire  partie  intégrante  des  diverses  entités  morbides  suivantes  :  mélan- 
colie, délire  chronique,  dégénérescence  mentale,  hystérie. 

4.  Nous  observons  surtout  des  cas  de  mélancolie  religieuse. 

5.  Nous  jugeons  inutile  de  nous  livrer,  après  d'autres,  à  ce  jeu  incerlain  des 

TOMB  L.    —1900.  Il 


162  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  a  lieu  de  se  demander  d*où  vient  cette 
singulière  affinité  que  la  religion  présente  à  l'égard  de  la  folie.  Ne 
pourrait-elle  s'expliquer  par  ce  fait  que  la  religion  aurait  en  partie 
son  origine  dans  une  mentalité  morbide,  et  que  plusieurs  de  ses 
racines  plongeraient  dans  le  même  fond  psychique  qui  donne  aussi 
naissance  à  la  folie?  Étudier  cette  question,  c'est  chercher  le  rôle  de 
la  folie  dans  la  religion,  problème  inverse,  mais  connexe,  de  celui 
que  nous  avons  examiné  jusqu'ici  :  le  rôle  de  la  religion  dans  la 
folie.  Pour  lui  donner  une  solution  complète,  il  nous  faudrait  remonter 
dans  le  lointain  des  âges,  jusqu'aux  origines  mêmes  de  rhumanité 
et  à  ses  premières  manifestations  religieuses.  Ne  voulant  pas  entre- 
prendre une  tâche  aussi  gigantesque,  qui  est,  du  reste,  bien  au  delà 
de  notre  portée,  nous  rappellerons  seulement  Texemple  illustre  du 
fondateur  du  christianisme,  puisqu*aussi  bien  nous  avons  surtout  en 
vue  cette  forme  religieuse  *. 

Nous  pourrions  multiplier  les  exemples  dans  cet  ordre  d'idées, 
et  étudier  entre  autres  la  psychologie  des  prophètes  et  des  saints 
qui  ont  contribué,  les  premiers  à  préparer,  les  seconds  à  déve- 
lopper la  religion  chrétienne,  mais  cela  nous  entraînerait  trop  loin. 
Contentons-nous  de  rappeler  ce  fait  significatif  que,  dans  la  Bible, 
le  même  mot  sert  à  désigner  le  fou  et  le  prophète  *. 

Après  tout  ce  que  nous  avons  dit,  nous  croyons  avoir  suffisam- 
ment établi  cette  thèse  que  la  religion  et  la  folie  ont  entre  elles  des 
rapports  étroits  de  causalité  réciproque.  Il  serait  injuste  toutefois  de 
ne  pas  signaler,  à  ce  sujet,  une  opinion  diamétralement  opposée  à 
la  nôtre.  c(  Les  médecins,  dit  le  D*"  Toulouse  '\  qui  écrivaient  sous  les 
régimes  monarchiques,  ont  souvent  accusé  Tathéisme,  le  manqu® 
d'esprit  religieux,  de  causer  l'aliénation  mentale  »  (c'était  même 
l'avis  d'Esquirol).  L'allemand  Heinroth  (1773-1843;,  entre  autres, 
«  ne  voulut  voir  dans  la  folie  que  le  résultat  de  la  perversité  et  d® 
l'immoralité,  l'erreur,  le  péchéy  une  maladie  de  l'âme  à  laquelle  ^^® 
organes  et  le  corps  sont  tout  à  fait  étrangers  ;  qui   ne  peut  ôtr« 

sfalislijjues  comparatives,  qui  ont  la  prôlenlion  d'évaluer  en  chifTres  Tinflu^*^^. 
plus  ou  moins  grande  de  telle  ou  telle  forme  religieuse  sur  le  développer!'* •^^ 
de  la  f(»lie. 

1.  On  ronnait  la   tlioorie    du  g(fnie-folie  de  Lombroso.  Cette  théorie,  fa^*^'* 
pour  les  génies  philosophiques  et  scientifiques,  vraie  dans  une  certaine  me^*^ 
pour  quelques  génies  artistiques,  semble  s'appliquer  avec  assez  de  justesse      *^ 
génies  religieux.  Quel   rapport  y   a-t-il,   par  exemple,    entre  l'accès  de  m  ^■- *^ 
aiguë  d'Auguste  Comte  et  sa  philosophie  positive?  Apparemment  aucun;  ta  *^  *" 
que  Lombroso  n'a  aucune  peine  à  démontrer  ridcntilé  complète  du  délire  ^^"^ 
tique  et  du  génie  religieux  chez  saint  François  d'Assise,  entre  autres.  Le  o  gf  ^^  "* 
du  christianisme  •  serait-il  donc  un  génie  morbide? 

2.  Les  causes  de  la  folie. 


SAWTElfOISE,   —  ftELlGÎOK  ET  FOLIE  163 

"^réditaire,  puisque  Tâme  ne  Test  pas,  et  dont  les  meilleurs  préser-* 
^*  atifs  sont  dans  la  crainte  de  Dieu  et  robservalion  des  préceptes  de 
^la  religion.  *  »  N'insistons  pas. 

^fe  S'il  est  vrai  que  la  religion  puisse  être  une  cause  adjuvante  de 
"folie^  cette  conséquence  pratique  s'impose,  à  savoir  qu'il  y  a  indica- 
tion à  poser  certaines  règles  d'hygiène  morale,  soit  individuelle, 
soit  sociale,  destinées  k  prévenir  l'action  morbide  de  la  religionÉ 
Cette  question,  pour  intéressante  qu*el!e  soit,  nous  la  laisserons  de 
c^^të,  parce  qu*elle  est  étrangère  à  noire  point  de  vue.  Nous  ne 
ferons  là-dessus  aucune  réflexion,  dirons-nous  aussi  avec  Jules 
Soury'j  «  pour  ne  point  contrisler  ceux  qui  puisent  dans  leur 
i"eiigion  un  motif  d'aimer  et  de  faire  le  bien,  la  paix  intérieure,  la 
résignation  à  la  douleur  de  vivre  ». 

Tout    ce   que    nous   avons   dit    jusqu'ici    peut   avoir    Fappa- 
irence    d'un    véritable    réquisitoire   contre    Hdée    religieuse  :  ce 

^^^111131  serait  cependant  bien  éloigné   de  noire  intention.  Aussi, 
pr-ès  avoir  montré  uniquement  le  revers  de  la  médaille,  devrons- 
lïoos,  et  ce  sera  justice,  en  faire  voir  également  la  face   :  nous 
voulons    parler   de    rinflucnce  morale   salutaire  qu'a  exercée  et 
qu'exerce  encore  incontestablement  la  religion,  et  la  religion  chré- 
tienne en  particulier ^  Pour  Texprimer,  nous  ne  saurions  mieux 
r^ire  que  de  citer  une  dernière  fois  Thistorien  philosophe  à  qui 
oor«s  avons  déjà  lait  de  si  fructueux  emprunts  :  «  Aujourd'hui,  dit 
Taioe*,  après  dix-huit  siècles^  sur   les   deux    continents,    depuis 
l'Oural  jusqu'aux  montagnes  Rocheuses,  dans  les  moujicks  russes 
^^^i   les  settlers  américains,  il  (le  christianisme)  op^re  comme  autre- 
^Vois  dans  les  artisans  de  la  Galilée,  ai  delà  même  façon,  de  façon 
^1^    Substituer  à  Tainour  de  soi  Taniour  des  autres;  ni  sa  substance 
**i   ?^ûn  emploi  nV>nl  changé;  sous  son  enveloppe  grecque,  calho- 
^^que  ou  protestante,  il  est  encore,  pour  quatre  cents  millions  de 
-t*i^^lures  humaines,  Torgane  apiriluelj  la  grande  paire  d'ailes  indis- 
^^Hîiables  pour  soulever  Thonmie  au-dessus  de  lui-tnème,  au-dessus 
sa  vie  rampante  et  de  ses  horizons  bornés,  pour  le  conduire,  à 
ivet^  la  patience,  la  résignation  et  Tespérance,  jusqu'à  la  sérénité, 
►cnjj.  remporter  par  delà  la  tempérance,  la  pureté  et  la  bonté, 
isc|uau  dévoûment  et  au  sacrifice.  Toujours  et  partout,  depuis 


^  •     Cul  terre  :  TruUé  de»  mafndieê  rue  nf  aies, 

^*    tue  rrretir  |iciit  donc  être  utile  et  salut&îrc  !  Pourquoi  p&sl  La  protjuction 
-    l'^rr^fur  *ahua(r*'  |mr  illusion  suggérée  n'est- t*Ue  pas  un  moyen  couramment 
''J^*'"^  «H  iisychotln^rapie  î 
*•    loca  eitaÎQ. 


164 


REVDE    PHILOSOPHIQUE 


i 


dix-huit  cents  ans,  sitôt  que  ces  ailes  défaillent  oti  qu'on  les  câ^^S 
les  mœurs  publigues  et  privées  se  dégradent,  Kn  Italie  pendant 
Renaissance,  en  Angleterre  sous  la  Restauration,  en  France  soiit 
Convention  et  le  Directoire,  on  a  vu  rhomme  se  faire  païen,  coin. 
ati    v  siècle;  du   même  coup,  il   se   retrouvait  tel  quau  lerr^ 
d'Auguste  ou  de  Tibère,  c*est- à-dire  voluptueux  et  dur  :  il  abus 
des  autres  et  de  lui-même;  Tégoïsme  brutal  ou  calculateur  av 
repris  rascendant;  la  cruauté  et  la  sensualité  s  étalaient,  la  socic^ti 
devenait  un  coupe-gorge  et  un  mauvais  lieu.  Quand  on  s'est  don«^ 
ce  speclacle,  et  de  près,  on  peut  évaluer  rapport  du  chistianis !"«:*£ 
dans  nos  sociétés  modernes,  ce  qu'il   y  introduit  de   pudeur,    «i^ 
douceur  et  d^humanité,  ce  qu'il  y  maintient  d'honnêteté,  de  borir^e 
foi  et  de  justice.  Ni  la  raison  philosophique»  ni  la  culture  artistique 
et  littéraire,  ni  même  l'honneur  féodal,  militaire  et  chevaleresq  tae, 
aucun  code,  aucune  administration,  aucun  gouvernement  ne  suffit 
à  le  suppléer  dans  ce  SîTvice.  Il  n'y  a  que  lui  pour  nous  retedi'' 
sur  notre  pente  natale^  pour  enrayer  le  glissement  insensible  par 
lequel  incessamment  et  de  tout  son  poids  originel,  notre  race  rétro- 
grade vers  ses  bas-fonds  ;  et  le  vieil  Évangile»  quelle  que  soit  son 
enveloppe  présente,  est  encore  aujourd'hui  le  meilleur  auxiliaire 
de  Tins  tin  et  sociaL  » 

Nous  nous  ferions  scrupule  de  rien  ajouter  à  cette  belle  page,  qui 
sera  ainsi  le  finale  de  notre  étude  *. 

D'  SaNtenoise. 


4.  Ceci  n'est  en  réiilité  qu'une  «.impie  esipiÎBae  suBcepliblc,  on  le  conçoit 
sana  pôlnâ«  de  se  prèier  à  de  longs  développements.  Nous  avons,  en  elTel^  pdf* 
failemcnt  coni^ciem^e  de  et*  que  notre  iravatl  a  d'incïomplet  cl  d'inachevé.  U 
BU  rail  lieu  nolammenU  d^une  pari,  au  point  de  vue  rdijîjeux,  de  passer  et 
ravue  d^aulre^  types  que  le  clirislidnisjnts  (soit  dans  le  pnJsenU  Molt  dn^ns 
pBBsé)4  lels  4|ue  rislamisme,  le  Judaïsme^  le  boudliisine,  \ùs  relîi^icïris  des  satt 
vages,  el  mi!ïme.  ilanâ  la  mesure  du  possible  les  pol y lhétsm<>s  antiques  :  d'au 
parlf  AU  point  de  vue  pathologique^  nprÈs  avoir  étudié  sèparéoienL  cotiinie  îitïi 
l'avoua  fait,  les  symptômes  morbides*  il  faudrfiît  eu  faire  les  synthèses  divi?rsç« 
correspondant  aut  difTérenteîj  Vririi^lt^sj  de  folies  l'cligieuses  qui  viennent 
griîiïer  sur  fond  d'hystérie,  de  d*>j^i*nèrescenee  mentale,  de  mélancolie,  de  déltPe 
ehronique^  elc,  (ï^ulvanl  la  cUssItîcation  actuellement  usitée  en  pathologie* 
menlale). 

Janvier  l^DO. 


l    V 

i 
'3 


^  Aristote  a  défini  rhomme  un  animal  politique;  on  pourrait  avec 
autant  de  vérité  le  définir  un  animal  menteur.  Le  mensonge  semble 
l'atuiosphère  naturelle  de  la  vie  sociale.  L'être  social  ment  à  autrui 
®l  se  menl  h  lui-même.  Il  meut  par  égoisme  individuel  et  par 
^^ofsme  collectif;  il  ment  comme  unité  et  comme  groupe.  Le  men- 

I Songe  que  nous  voulons  étudier  ici  est  le  mensonge  de  groupe, 
t^oys  entendons  par  là  uo  mensonge  commun  k  tout  un  groupe  social 
<  caste,  secte,  classe,  etc.),  un  mensonge  concerté  en  vue  d*un  intérêt 
«^Qllectif  et  érigé  en  dogme  obligatoire  pour  les  membres  du  groupe. 
Pour  ne  point  paraître  disserter  dans  le  vide,  nous  énumérerons 
Cïuelques  exemples  de  mensonges  collectifs. 

L'un  d'eux  est  le  mensonge  optimiste  ',  si  bien  décrit  par  Scho- 
peohauer.  Toute  société  a  besoin,  dans  Tintérêt  de  sa  conserva- 
tJon,  d'entretenir  chez  ses  membres  une  certaine  dose  d^oplimisme 
très  propre  à  les  inciter  à  agir  et  à  déployer  le  maximum  d  eflTort 
utile.  Il  importe  que  le  jeune  homme  débutant  dans  la  vie  soit 
persuadé  que  ce  monde  lui  offre  la  promesse  d'un  bonheur  qui 
n'échappe   qu^aux    maladroits   et   aux    faibles.   Comme  le   jeune 
homme  ne  se  range  jamais  dans  cette  catégorie,  il  s'élancera  vers 
Faction  avec  la  présomptueuse  confiance  dont  la  société  aime  à  le 
voir  animé  '.  t  La  difficulté  de  se  pénétrer  de  la  vérité  sur  le  monde, 
dit  Schopenhauer,  est  encore  augmentée  par  cette  hypocrisie  du 
ijBoode  dont  je  viens  de  parler  et  rien  ne  serait  utile  comme  de  la 
dévoiler  de  bonne  heure  à  la  jeunesse...  La  parade  sociale  et  les 
magnificences  dont  elle  s'entoure  sont  pour  la  plupart  de  pures 
pparencest  comme  des  décors  de  théâtre,  et  l'essence  de  la  chose 
manque...  Ainsi  des  vaisseaux  pavoises^  des  coups  de  canon,  des 
illumioatrons,  des  timbales   et   des  trompettes,  des  cris  d'allé- 


LE  MENSONGE  DE  GROUPE 


1,  î^ouij  n^enlendons  pas  dire  que  toute  philoâQphie  optimiste  est  nèces^ai* 
mneiit  un  mensonge.  —  H  ne  peut  Hvc  question  de  mettre  en  doulu  la  sincérité 
du  haut  Mfitîmisme  inteneetuatisLi^  d'un  Spinoza  pur  exempte.  Nous  voulons  parler 
dt-  i'H  ^ipllmî»me  dei'ommande  qui  est  une  des  tiabiletés  de  la  la^Utque  sociale 
ft  qui  resifraH  mensonger,  même  dans  Thypothèse  où  une  certaine  mèlaptiy- 
,  «i<tuc  opliintste  scrail  vraie, 

%*  Voir  sur  ce  fioint  Schopenhauer,  Aphorùtmes  sur  la  sagesse  dans  la  trt*,  p.  154, 


166  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

gresse,  etc.,  tout  cela  est  renseigne,  l'indication,  l'hiéroglyphe  de  la 
joie;  mais  le  plus  souvent  la  joie  n'y  est  pas;  elle  seule  s'est  excusée 
de  venir  à  la  fête  *.  »  —  Schopenhauer  appelle  philistin  l'homme 
qui  se  laisse  duper  par  ces  apparences  et  qui  prend  au  sérieux  la 
parade  sociale.  «  Je  voudrais  définir  les  philistins  en  disant  que  ce 
sont  des  gens  constamment  occupés  et  le  plus  sérieusement  du 
monde  d'une  réalité  qui  n'en  est  pas  une  '.  »  —  Ajoutons  que  le 
philistin  est  très  attaché  aux  illusions  dont  on  l'a  nourri.  S'il  ren- 
contre quelque  philosophe  ou  quelque  romancier  qui,  par  une  vision 
plus  aiguë  de  la  réalité,  met  à  jour  la  faiblesse  de  son  plat  optimisme, 
il  s'en  écarte  avec  horreur,  semblable  à  ce  philosophe  écossais  dont 
parle  Taine  et  qui  recula  épouvanté,  quand  il  vit  que  sa  famille  elle- 
même  allait  disparaître  dans  le  gouffre  du  nihilisme  de  David  Hume. 

Un  autre  mensonge  collectif  également  étudié  par  Schopenhauer 
est  le  respect  qu'on  affiche  pour  les  décisions  de  Topinion  publique, 
à  tel  point  que  celui  qui  ne  partage  pas  cette  vénération  est  regardé 
comme  un  esprit  mal  fait.  La  raison  en  est  claire.  Le  groupe  social 
a  intérêt  à  ce  que  ses  membres  ne  jugent  point  les  choses  par  eux- 
mêmes,  mais  s'en  rapportent  au  tribunal  de  l'opinion,  qui  ne  peut 
manquer  de  juger  d'après  les  conventions  admises.  C'est  ce  qui  fait 
que  tant  de  gens  placent,  comme  le  dit  Schopenhauer,  «  leur  bon- 
heur et  l'intérêt  de  leur  vie  entière  dans  la  tête  d'autrui.  i  On  se 
rappelle  qu'ILoen  en  a  également  fait  justice  dans  sa  pièce  Un  ennemi 
du  peuple^  de  ce  culte  fétichiste  de  la  <x.  majorité  compacte  >. 

Voici  un  autre  mensonge  de  groupe  qui  joue  également  un  rôle 
important  dans  la  tactique  sociale. 

La  société  n'a  aucun  intérêt  à  permettre  aux  individualités  supé- 
rieures par  leur  intelligence  et  leur  pénétration  de  se  faire  une 
place  prépondérante  qui  découragerait  la  médiocrité.  Elle  a  intérêt 
au  contraire  à  favoriser  la  médiocrité  que  le  manque  d'esprit  cri- 
tique rend  inofîensive  et  qui  ne  court  pas  le  risque  de  diminuer  le 
prestige  des  conventions  établies.  «  La  soi-disant  bonne  société,  dit 
Schopenhauer,  apprécie  les  mérites  de  toute  espèce,  sauf  les  mérites 
intellectuels.  Ceux-ci  y  sont  même  de  la  contrebande.  Elle  impose 
le  devoir  de  témoigner  une  patience  sans  bornes  pour  toute  sottise, 
pour  toute  folie,  pour  toute  absurdité.  Les  mérites  personnels  au 
contraire  sont  tenus  de  mendier  leur  pardon  et  de  se  cacher  :  car  la 
supériorité  intellectuelle,  sans  aucun  concours  de  la  volonté,  blesse 
par  sa  seule  existence  \  » 

1.  Schopenhauer,  Aphorismes,  p.  158. 

2.  Schopenhauer,  Aphot-ismes,  p.  49. 

3.  Schopenhauer,  Aphorismes^  p.  I7.S. 


PALANTE. 


LE   MENSONGS   D£  GROUPE 


167 


T^errainons  celte  liste  de  mensonges  —  qui  pourrait  être  fort 
l  longée  —  par  un  des  exemples  cités  par  M.  Max  Nord  au  :  le  men- 
^tige  politique*  Ce  mensonge  est  celui  qui  interdit  à  Tindividu  de 
^  faire  jour  dans  la  concurrence  politique  par  ses  mérites  person- 

»^^\s.  sans  Tappui  d'un  comité  élecloml.  «t  Ni  un  Rousseau,  ni  un 
^^nl,  ni  un  Gœlhe,  ni  un  Carlyle  n'eussent  jamais  obtenu  par  leurs 
^t^pres  ressources,  sans  lappui  d'un  comité  électoral,  un  mandat 
^^  député  dans  une  circonscription  rurale  ou  même  dans  une 
Grande  ville,  ^  Le  candidat  ne  se  trouve  jamais  en  face  de  rélecteur. 
-fentre  les  deux  se  trouve  un  comité  qui  ne  doit  ses  pouvoirs  qu'à  sa 

■  propre  audace  *  ». 
On  voit  assez  par  ce  qui  précède  qu'il  est  impossible  de  mécon- 
naitre  Timportance  sociale  des  mensonges  de  groupe.  Aussi  la 
_  sincérité,  loin  d'être  une  qualité,  est-elle  généralement  tenue  en 
^  Buspicion  dans  un  groupe,  dans  une  secte  ou  une  caste.  On  se  défie 
des  esprits  sincères,  parce  qu'on  sait  qu'ils  refuseront  de  rentrer 
dans  le  mensonge  général  ;  on  les  écarte  ou  on  les  exécute  en  les 
Irai  tant  de  naïfs  ou  d'utopistes. 

■       Quel  est  le  trait  commun  à  tous  ces  exemples  de  mensonges  que 
Gouâ  venons  de  citer?  Il  n'y  en  a  pas  d'autre  qu'une  contradiction 
întinie  dans  la  conscience  de  ceux  qui  adhèrent  à  ces  mensonges, 
ou  encore  une  contradiction  entre  leurs  pensées  et  leurs  paroles  ou 
leui*s  actes.  Par  exemple  ceux  qui  professent  TopUmisme  de  corn* 
trmnde,  qui  est  de  mise  dans  la  société^  ne  peuvent  s'empêcher  de 
ri^marqoer  à  certains  moments  le  démenti  que  donne  à  cet  opti- 
misme béat  le  spectacle  des  douleurs  individuelles  et  sociales.  Dans 
le  cas  du  mensonge  politique,  on  peut  remarquer  la  contradiction 
qui  existe  entre  la  théorie  de  gens  qui  affirment  bien  haut  la  sincé- 
rité du  suffrage  universel  et  leur  pratique  électorale  qui  consiste  à 
Kvicler  celte  sincérité  par  des  manœuvres  plus  ou  moins  gros- 
Hsières.  Ce  sont  de  telles  contradictions  qui,  suivant  la  remarque 
f^e  M.  Max  Nordau,  sont  la  cause  de  Tinquiétude  et  du  malaise  qui 
posent  sur  la  société  contemporaine. 

Une  société  où  Tindividu  est  asservi  aux  mensonges  de  groupe  et 
oCi  dominent  les  dogmes  formalistes  et  les  psittacismes  imposants 
tm^apparail  plus»  h  qui  l'envisage  de  près,  comme  une  réalité  solide, 
ïnais  comme  une  ombre  fantoraaticïue  faite,  suivant  Texpresion  de 
Shakespeare,  «  de  TétotTedont  sont  faits  les  songes  ». 

Il  importe  de  se  demander  ici  quelles  sont  les  causes  les  plus 
e^nérales  qui  engendrent  les  mensonges  de  groupe* 


!.  lUl  Nordau,  Les  mtnëonges  conueniionncU  de  ùotre  emlisaiion,  p.  171. 


168 


REVUE   PHiLÛ.SDl»BlQLEl 


1"  La  cause  la  plus  générale  ressort  déjà  suffisamment  de  ce  qw 
vient  d'être  dit.  <  Lliomme,  dit  le  D^  Tardieu,  est  un  animai  q»^ 
garde  son  fond  sauvage^  malgré  FelTort  des  pédagogies  prétentieuse^^^ 
la  civilisation  la  plus  parfaite  est  celle  qui  fabrique  le  plus  de  mu 
lières*  ».  C'est  de  ce  fond  individuel  qu  émergent  les  poussées 
spontanéité  et  d'indépendance  que  le  groupe,  entité  compressivi 
cherche  à  réprimer.  Mais  une  fiction  est  aussi  propre  qu'une  véri 
à  assurer  la  discipline  sociale,  M.  Tarde  en  fait  la  remarque,  c  Parj 
las  conditions  d'unification  nationale,  dit<il,  M.  Seeley  place  avj 
raison  la  communauté  de  race  on  plu  tôt  la  croyance  à  cette  commi 
nauté...  Dans  les  temps  les  plus  modernes  comme  dans  les  temps  1 
plus  antiques,  ce  qui  importe  cVsi  moins  la  amuangninité  réeU 
que  la  consangninUé  fwtive  ou  réjnttce  réelle^  >,  En  un  mol,  pe 
importe    pour  la  conservation  du  groupe  que  sou  conformism 
soit  fondé  sur  un  mensonge. 

2**  De  même  que  toute  société  en  général  tend  à  s'ériger  en  entit 
supérieure  aux  individus^  de  même  chacun  des  groupes  particulie 
qui  sont  comme  les  organes  diiTérenls  de  l'organisme  social»  tend 
attribuer  à  sa  fonction  spéciale  dont  Timportance  n'est  que  relativ 
une  valeur  absolue.  M*  Simmel  met  en  lumière  cette  tendance 
*  La  bureaucratie,  dit  il,  nous  oftre  de  cet  antagonisme  un  exempli 
relativement  inoiïensif,  mais  significatif.  Cet  organe  en  vîen 
souvent  à  oublier  son  rôle  d  organe  et  se  pose  comme  une  fin  e: 
soi.  On  pourrait  sur  ce  point  comparer  la  forme  bureaucratique  au 
formes  logiques  de  rentendement.  Celles-ci  sont  à  la  connaissan' 
du  réel  ce  que  celle-là  est  àradminisLration  de  TÉtat;  c'est  un  in. 
trument  destiné  à  organiser  les  données  de  l'expérience^  mais  q 
précisément  n'en  peut  être  séparé  sans  perdre  tout  sens  et  tout 
raison  d*^tre*  Quand  la  logique  perdant  le  contact  avec  la  matiè; 
des  faits  dont  elle  n  est  que  Texpression  schématique^  prétend  tir 
d'elle-même  une  science  qui  suffise»  le  monde  qu'elle  construit  et 
le  monde  réel  se  contredisent  nécessairement,..  Le  Droit  lui*mème 
n'échappe  pas  toujours  à  celte  tendance.  Qu'il  s'agisse  de  la  bureau- 
cratie ou  du  formalisme  Juridique,  cette  tranformation  d'un  moyen 
en  Un  est  d'autant  plus  dangereuse  que  le  moyen  est  d'après  les 
apparences  plus  utile  à  la  société*  »,  On  ne  peut  mieux  rendre 
compte  de  la  tendance  qu'ont  certains  groupes  sociaux  a  exagérer 
leur  influence  et  leur  prestige  social  au  moyen  de  vains  simulacres. 


i^W  Tard  le  u,  VEnnuL  {Rfwt  philG^ophiqut  ût  février  1900.) 

Z.  Tarde,  Lu  loh  de  rimitaiion,  p,  317, 

3.  Si  m  me  I.  Covtmtiii  tt^  fijrme*  «i#cla/e#  s€  maintifnnmt*  {Ànnéf  foCiQiogique, 


p 


PALATITE.    —  LE  SIËfiSONGB  DE  CnOUPE 


IF 


3*^  Cessons  de  considérer  un  groupe  dana  ses  relations  avec  les 

.^^roupes  rivaux  ou  anlagooistes,  —  Pris  en  tui-méme,  ce  groupe 

^^^^uliit  une  évolution  au  cours  de  laquelle  des  conllits  se  produisent 

^nécessairement  entre  le  passé  et  le  présent.  De  là  ces  duels  logiques 

^zîont  parle  M.  Tarde  et  dont  la  succession  constitue  riiistoire  d'une 

société.  Une  croyance,  une  discipline  sociale  conserve,  quoique 

^surannée,  des  défenseurs.  Il  y  a  dans  une  société  des  classes  eutières 

^'honimes  qui  se  vouent  à  la  défense  des  vérités  d*hier  devenues, 

suivant  le  mot  dMbsen,  des  men^^nges  d'aujourd*hui.  Ajoutons  que 

^aos  ces  duels  logiques,  aucune  des  deux  parties  en  présence  ne 

;peut  revendiquer  le  monopole  du  mensonge  organisé.  11  peut  se  faire 

^oe  les  novateurs  substituent  simplement  de  nouveaux  mensonges 

^ux  mensonges  anciens.  Les  sectes  révolutionnaires  ne  sont  pas  plus 

^ncères,  par  déllDilion,  que  les  sectes  conservatrices.  11  y  a  pourtant 

;]plus  de  chances  de  trouver  parmi  elles  des  esprits  sincères,  que 

;2iarinî  les  défenseurs  de  croyances  qui  ont  fait  leur  temps  et  dont 

l'expérience  a  dévoilé  Unsuflisance, 

Une  question  qui  se  pose  maintenant  est  celle  de  savoir  comment 

kUndividu  en  vienl  à  reconnaître  le  caractère  mensonger  des  illu- 
sions que  le  groupe  organise  autour  de  lui*  On  peut  répondre 
^ue  Tindividu  prend  conscience  de  ce  qu'est  le  monde  social,  de  la 
:xDème  manière  qu'il  arrive  à  se  rendr*^  compte  de  la  véritable  nature 
miu  monde  extérieur,  C*est  en  présence  des  erreurs  et  des  contra- 
^iclîons  des  sens  que  le  moi  renonce  au  dogmatisme  naïf  qui  lui 
faisait  admettre  tout  d  abord  lobjectivité  de  ses  perceptions.  Désor- 
:Knais  il  fera  un  tri  parmi  ces  dernières;  il  déclarer  vraies  et  réelles 
^el)es*là  seules  qui  ne  se  contrediront  pas  entre  elles.  11  rejettera 
les  autres  comme  irréelles  et  hallucinatoires.  De  même  ce  sont  les 
«contradictions  qui  se  manifestent  au  sein  de  l'organisation  sociale 
Cjut  font  sortir  Tindividu  du  dogmatisme  social  qui  est  sa  primitive 
attitude.  Ces  contradictions  le  déconcertent  et  font  naître  en  lui  le 
cjoute    libérateur.  Les    institutions  et  les  disciplines  sociales,  au 
lieu  de  lui  apparaître  comme  des  édifices  aux  murailles  solides  et 
înébranlablt^s   contre   lesquelles  vient  se  heurter  l'insensé  assez 
audacieux  pour  les  nier,  ne  sont  plus  pour  lui  que  des  ombres  molles 
et  opaques  qui,  comme  dans  les  ténèbres  de  la  nuit,  reculent  devant 
celui  qui  s'avance  vers  elles. 

Mais  quelle  est  dans  Tindividu  la  faculté  libératrice?  Comment 
riudividu  qui  n*est  après  (out  qu'un  tissu  d'influences  sociales 
ijiterférentes,  en  vient-il  à  poser  son  existence  indépendante  comme 
juge  et  mesure  de  l'être  et  du  non-être  social?  Il  semble  qu*on 
^urrait  peut-être  recourir  pour  résoudre  cette  question,  à  Tingé- 


170  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

nieuse  et  profonde  hypothèse  développée  par  M.  Bergson  dans  son 
livre  :  les  Données  immédiates  de  la  Conscience,  On  sait  comment 
ce  philosophe  oppose  au  moi  social,  moi  superficiel  et  illusoire,  un 
moi  intime  et  profond  dont  le  premier  n'est  que  Tinfidèle  symbole. 
La  philosophie  n'a  d'autre  but,  d'après  M.  Bergson,  que  de  retrouver 
ce  moi  vrai  sous  les  symboles  qui  les  recouvrent,  pour  le  saisir  «  dans 
sa  fuyante  originalité  »  *.  —  La  vie  sociale  répondrait  à  une  illusion^ 
rinévitabie  illusion  par  laquelle  la  conscience  humaine  a  déroulé  le 
temps  dans  l'espace  et  placé  la  succession  au  sein  même  de  la 
simultanéité.  «  Quand  je  mange  d'un  mets  réputé  exquis,  le  nom 
qu'il  porte,  gros  de  Tapprobation  qu'on  lui  donne,  s'interpose  entre 
ma  sensation  et  ma  conscience;  je  pourrai  croire  que  la  saveur  me 
plaît   alors  qu'un  léger  effort  d'attention  me  prouverait  le  con- 
traire. Bref,  le  mot  aux  contours  bien  arrêtés,  le  mot  brutal  qui 
emmagasine  ce  qu'il  y  a  de  stable,  de  commun  et  par  conséquent 
d'impersonnel  dans  les  impressions  de  l'humanité,  écrase  ou  tout  au 
moins   recouvre  les  impressions  délicates  et  fugitives  de  notre 
conscience  individuelle.  Nous  croyons  avoir  analysé  notre  senti- 
ment; nous  lui  avons  substitué  en  réalité  une  juxtaposition  d'états 
inertes,  traduisibles  en  mots  et  qui  constituent  l'élément  commun, 
le  résidu  impersonnel  des  impressions  ressenties  dans  un  cas  donné 
par  la  société  entière...  Que  si  maintenant  quelque  romancier  déchi- 
rant la  toile  habilement  tissée  de  notre  moi  conventionnel,  nous 
montre  sous  celte  logique  apparente  une  absurdité  fondamentale, 
sous  cette  juxtaposition  d'états  simples  une  pénétration  infinie  de 
mille  impressions  diverses  qui  ont  déjà  cessé  d'être  du  moment  si 
on  les  nomme,  nous  le  louons  de  nous  avoir  mieux  connus  que  nous 
ne  nous  connaissions  nous-mêmes...  Il  n'en  est  rien  cependant  et 
par  cela  môme  qu'il  déroule  notre  sentiment  dans  un  temps  homo- 
gène et  en  exprime  les  éléments  par  des  mots,  il  ne  nous  en  pré- 
sente qu'une  ombre  à  son  tour;  seulement  il  a  disposé  cette  ombre 
de  manière  à  nous  faire  soupçonner  la  nature  extraordinaire  et  illo- 
gique de  l'objet  qui  la  projette;  il  nous  a  invités  à  la  réflexion  en 
mettant  dans  l'expression  extérieure  quelque  chose  de  cette  contra- 
diction, de  cette  pénétration  mutuelle  qui  constitue  l'essence  même 
des  éléments  exprimés.  Encouragés  par  lui,  nous  avons  écarté  pour 
un  instant  le  voile  que  nous  interposions  entre  notre  conscience 
et  nous;  il  nous  a  remis  en  présence  de  nous-mêmes  »  *. 
Nous  n'avons  pas  à  discuter  ici  dans  son  ensemble  l'hypothèse  de 

1.  Bergson.  Matière  et  mémoire  (Avant-propos.) 

2.  Bergson.  Les  Données  immédiates  de  la  conscience,  p.  100. 


PALAWTE.    —   LE  SIElfSÔSCP.   DE  GROUPE  ITI 

fîergson.  Nous  ne  nous  demanderons  pas  s'il  faut  admettre  ou 
rejeter  ce  moi  intime  et  profond  qui  se  cacherait,  fuyant  et  mysté- 
rieux, sous  Tenveïoppe  des  verbalismes  auxquels  s'arrête  notre  moi 
socia].  Nous  nous  ileinanderous  seulement  si  ce  moi  intime,  à 
supposer  qu'il  existe,  peut  nous  servir  pour  résoudre  le  problème 
que  nous  avons  posé  plus  haut,  c'est-à-dire  comment  l'individu 
est-ïl  capable  de  percer  les  mensonges  sociaux  ? 

Ail  premier  abord,  Thypothèse  de  M,  Bergson  semble  très  propre 
h  remplir  un  pareil  office.  En  effet,  ne  nous  ferait-elle  pas  saisir  en 
nous-mêmes  un  principe  supérieur  au  monde  social  et  indépendant 
de  lui,  par  conséquent  très  propre  à  devenir  le  juge  et  la  mesure  de 
l*être  et  du  non-être  social?  Et  pourtant  à  y  regarder  de  plus  près, 
on  voit  qu'il  n  en  est  rien.  En  effet»  dans  Thypothèsede  M,  Bergson, 
tout,  dans  notre  représenlatïùn  du  monde  social j  est  également 
mensonger*  Il  n'y  a  plus  aucune  distinction  à  faire  entre  la  sincérité 
et  rinsincérité,  entre  la  vérité  et  le  simulacre.  Le  moi  cherchant  la 
vérité  sociale  ne  sait  plus  oîi  se  prendre;  il  s'anéantit  lui-même  dans 
le  rêve  dont  il  est  le  créateur*  La  conséquence  directe  de  la  con- 
ception de  M,  Dergson  est  un  illogisme  et  comme  un  nihilisme 
social  absolu.  En  elTet,  qui  dit  science  dit  distinction  de  genres  et 
d'espèces,  opposition  et  combinaison  de  catégories-  Or  la  psychologie 
de  M.  Bergson  est  la  négation  de  tout  genre,  de  toute  espèce,  de 
toute  catégorie.  Comment  ce  moi  mystérieux  et  fuyant  serait-il 
capable  de  découvrir  les  contradictions  qui  sont  les  indices  révéla- 
teurs des  mensonges  sociaux,  alors  qu'il  est  lui-même  la  négation 
de  toute  logique?  M*  Fouillée  semble  avoir  prévu  la  conception  de 
M.  Bergson  quand  il  dit  quelque  part  à  propos  du  moi  nouménal 
de  Kant  :  «  .rai  besoin  d'avoir  une  activité  personnelle  là  oîi  j'agis» 
là  ofi  je  connais  mon  action  et  son  milieu  «  Ik  où  je  me  connais  moi  - 
nîéme^  t 

Nous  ne  recourrons  donc  pas  au  moi  pur  de  M.  Bergson  pour 
exphquer  comment  Tindividu  peut  percer  les  ÎUogismes  et  les  men- 
songes sociaux.  Il  ne  reste  dès  lors  qu'une  réponse  possible  au 
problème.  Elïe  consiste  à  charger  de  cet  office  les  facultés  ordinaires 
de  la  conscience  empirique  :  comparaison,  jugement,  raisonnem  ent. 

Ajoutons  que  les  sociétés  évoluent  et  que  cette  évolution  introduit 
un  facteur  nouveau  dans  le  problème.  A  mesure  que  révolution 
sociale  se  poursuit,  la  conscience  individuelles  par  suite  de  la  com- 
plexité croissante  de  la  vie  sociale,  devient  elle-même  plus  com- 
plexe»  plus  délicate,  plus  consciente  d  elle-même  et  de  son  milieu. 

1 .  Fou  i  1 1*  e.  Vém  tu  t  ion  n  ism  e  rfe^  kléei  'fo  rces ,  Introduction. 


m 


HEVUE   PHlLOSOtamUË 


Elle  devient  par  suite  de  plus  en  plus  apte  à  découvrir  les  illogismes 
des  âyslèmes  sociaux  qu^elle  traverse.  Un  individu  qui  n^appartient 
qu'à  un  groupe  sera  fûrcément  dupe  des  mensonges  de  ce  groupe. 
Hais  sli  apparlient  à  la  t'ois  à  un  grand  nombre  de  cercles  sociaux 
différenls  et  variés^  il  sera  capable  de  faire  un  tri  parmi  ces 
influences  mulUlatérales  et  de  les  faire  cotnparaltre  devant  le  tri- 
bunal de  la  raison  individuelle*  C'est  un  des  mensonges  de  groupe 
les  plus  caractéristiques  que  celui  qui  consîsle  à  juger  de  la  valeur 
d'un  individu  d'après  son  étiquette  sociale.  M.  Bougie  remarque 
que  la  variabilité  croissante  des  modes  ôte  beaucoup  de  sa  force  à 
ce  mensonge,  t  I!  se  produit  un  changement  perpétuel  qui  nous 
fait  voir  les  mêmes  modes  portées  par  des  individus  très  diftérenls 
et  des  modes  très  différentes  par  un  même  individu,,.  L'esprit  qui 
a  vu  se  succéder  tant  d'assimilations  différentes  se  déshabitue  de 
juger  les  gens  sur  réliqueite  qu'ils  prennent  et  essaie  de  décou- 
vrir sous  Tuniforme  momentané  des  collectivités,  la  valeur  propre 
à  rindividu  '  ». 

Une  dernière  question  se  poserait  maintenant  :  celle  de  savoir 
quel  est  celui  des  deux  termes  antagonistes  —  la  vérité  ou  le  simu- 
lacre qui  aura  le  dernier  mot  dans  Thistoire  de  rhumanité. 

Sur  celte  question,  plusieurs  conceptions  ont  été  soutenues.  D  après 
Schopenbauer,  toute  société  est  essentiellement  «t  insidieuse  i».  Par 
sa  constitution  même,  elle  est  condamnée  à  duper  Tindividu  par  des 
simulacres  variés  qui  changent  au  cours  des  civilisations,  mais 
dont  Teffet  est  toujours  le  même  :  stimuler  le  vouloir-vivre  de  rindi- 
vidu et  le  faire  servir  aux  fins  sociales,  L'bistoire  se  répète  sans 
cesse.  €  11  faut  comprendre  que  rhisloirey  non  seulement  dans  sa 
forme,  mais  dans  sa  matière  même,  est  un  mensonge  ;  sous  préte^tte 
qu'elle  parle  de  simples  individus  et  de  faits  isolés^  elle  prétend 
nous  raconter  chaque  iois  autre  chose,  tandis  que  du  commence- 
ment à  la  fin,  c*est  la  répétition  du  même  drame  avec  d  autres  per- 
sonnages et  sous  des  costumes  difTérents  ^,  >  Les  sociétés  se  succè- 
dent, mais  leur  tactique  ne  change  pus;  elles  dupent  éternellement 
rindiviSu  au  moyen  des  mêmes  simulacres- 
Ibsen  est  un  de  ceux  qui  ont  été  le  plus  vivement  frappés  de 
Vintérèl  que  présente  le  problème  du  «  mensonge  de  groupe  «* 
On  sait  que  le  sujet  de  beaucoup  de  ses  drames  est  la  lutte  de  TindJ^ 
vtdu  contre  les  mensonges  sociaujt.  Et  Ton  peut  dire  qu'aucun  poêle 
ii*a  dramalisé  d*une  manière  plus  intense  ce  qu'un  personnage  de 


2*  Schopenliaucr,   Le  Mande  cowiine  vûdmté 


tt 


rtprésmtaiwm^  T,    UI, 


PALAlfTE.   —   LE  MENSONGE   DE  GROUPE  173 

son  théâtre  appelle  c  le  mensonge  vital  u.  On  sait  avec  quelle  énergie 
Ibsen  dresse  contre  les  hypocrisies  sociales  ce  qu'il  appelle  quelque 
part  «  la  revendication  de  Tldéal  ï>.  Certes,  dit  un  des  critiques 
d'Ibsen,  si  Kant  pouvait  revenir  à  la  vie,  comme  il  exulterait  de  voir 
si  admirablement  dramatisé  son  rigorisme  moral!  comme  il  rayon- 
nerait de  voir  son  impératif  catégorique  adapté  et  approprié  à  la 
scène!  »  Mais  on  ne  serait  peut-être  pas  fondé  à  conclure  de  là 
qu'Ibsen  ait  cru  au  triomphe  final  de  la  sincérité.  Il  semble  croire 
parfois  comme  Schopenhauer  qu'il  y  a  toujours  quelque  chose  de 
pourri  dans  notre  vérité  et  que  l'humanité  ne  fait  que  substituer  le 
mensonge  au  mensonge. 

La  conception  de  Carlyle  est  plus  nette.  D'après  lui  les  médiocres 
sont  caractérisés  par  «  l'intelligence  vulpine  »;  les  héros,  moteurs 
de  l'histoire,  par  l'absolue  sincérité.  La  sincérité  et  la  vérité  l'empor- 
teront un  jour,  car  l'évolution  humaine  est  dominée  par  une  idée 
divine  qui  se  réalise  progressivement  dans  les  grands  hommes. 

Ces  diverses  solutions  répondent  à  une  question  qui  dépasse 
manifestement  l'expérience  et  que  nous  ne  chercherons  pas  à 
résoudre  ici.  En  restant  sur  le  terrain  de  l'expérience,  tout  ce  qu'il 
nous  est  permis  de  dire,  c'est  que  l'individu  peut,  dans  un  ensemble 
donné  de  conditions  sociales,  arriver  à  reconnaître  les  mensonges 
de  groupe  et  à  se  prémunir  contre  eux. 

G.  Palante. 


.    v:>  ET  COMPTES  RENDUS 


PHilosophie  générale 

Cl-  i  ».'-.>NsnTLTiON  DU  MONDK.  {I.Ujnnmifiue  des 

/  l'.s-  r//»   phiUh^ophie  iiOitnrolh',   i    vol.  de 

-.-;.     V'  «îior  de  la  valeur  scientifique  de  l'œuvre  de 

aiit  d'abord  la  louer  d'avoir  osé  l'entreprendre 

-.«i»  ooura^e.  La  tranquillité  avec  laquelle  cette 

.  .u;;  aux  Français  le  très  grand  service  de  leur  tra- 
.1    i\e  explication  de  l'univers,  en  professant  une 

c"  vi.uis  la  science,  sa  méthode,  et  la  cerlitude  de 
■  1 .'.  sdos  préjutrés  traditionnels  comme  des  sottises 
•*ii  .i,.îo\os  de  nos  littérateurs  professionnels,  doivent 
.  .■  L  siirtnul  une  admiration  respectueuse  :  «  Il  n'y 
.  -.s^a-  la  raison  que  ce  qui  n'existe  pas.  11  n'y  a  rien 
(.  .;.;o  lo  contradictoire  qui  est  impossible...  Ce  que 
i  .1  iMis.  ce  sont  toutes  les  folles  visions  de  rima;;i- 
v-.v  î.r.it  à  >c  représenter  ce  ([u'ellc  ne  sait  pas  encore; 

•   i^f.qucs  (lu  sommeil  pris  durant  le  jour  pour  des 

v.o^  les  erreurs  enfantées  par  le  mcnsonL'e,  expbu- 
l!i  plus  loin  :  «  H  faut  le  reconnaître  et  le  «lire 

xamc  eampa.i^ne  entreprise  et  menée  sourdement, 
.  i  «.o.  pour  faire  croire  à  Tinlirmité  radicale  de  l'es- 
.    iv! Nuance  de  la  raison  pour  déccmvrir  la  vérité... 

i,«i;\.'lle  di-  la  vii'ilK'  ibeocralii*  pour  rr-^ssaisir  le 
.i,»ji.-.  N'ayant  plus  !«•  pouvoir  d'oblijri'r  personne  à 
v..^  .li.»i;in«'s  révL'lés.  i-lle  tiavaille  à  ruin«'r  la  foi  dans 
..     IN  basrs  dr  l'évidj'nc»',  à  ébranb-r  les  conditions 

.    .;'*»»iue  \)'u'\i   a    ét<''  lu  ^omme  drs  i^niurances  di' 

...fn:î'enl  diminué  (b*  tout  <•<•  (jurcclui-ei  aappris... 

.  .I..'.'..  ont  vécu  aux  dépms  (b-s  dii'ux...  s'eiïorci-nt 

...i'  V-  à   sou^trairi'    de   ci'<   dirux,    primitivmu'nt 

.    .  .  ;  "v "lier  le  ri'^île.  II-?  proelanh-nt  ce  reste  incon- 

.»\  ',:•  d'être  c«)nnu.  S'ils  accusent  la  science  de 

»   .'v-niue  ces  i'scroc.'>  qui  crit-nt  au  vob.'ur  pour 

.*»  .x; .   '* '.  ^;nes  la  franchise  d'attitude  de  l'auteur, 


ANALYSES.  —  c.  ROYER.  La  constitution  du  monde       175 

et  les  tendances  générales  de  Tœuvre  :  elle  sera  avant  tout  scienti- 
fique; mais  essaiera  de  suppléer  à  ce  que  nous  ignorons  encore,  car 
«  la  science  est  toute  jeune  »,  par  des  inductions  aussi  voisines  que 
possible  de  Texpérience,  et  des  résultats  généraux  auxquels  nous 
sommes  déjà  parvenus. 

II.  —  Mme  Clémence  Royer  passe  ensuite  au  développement  de  ces 
inductions  que  la  science  actuelle,  telle  qu'elle  la  conçoit,  permet 
et  dans  une  certaine  mesure  rend  nécessaires.  Elle  retrace  d*abord  à 
grands  traits  Thistoire  de  cette  science  depuis  ses  origines  mythiques; 
de  telle  façon  que  nous  puissions  nous  rendre  compte  de  la  direction 
qu'elle  a  suivie,  et  de  la  voie  dans  laquelle  elle  s'est  et  doit  rester 
engagée.  Les  conclusions  auxquelles  elle  peut  nous  amener  dans  les 
parties  où  elle  est  encore  loin  d'avoir  dit  son  dernier  mot  se  dégage- 
ront ainsi  plus  facilement.  Une  a  Introduction  »  de  80  pages  est  con- 
sacrée à  cet  historique.  Il  esl,  on  le  comprend,  trop  rapide  et  trop 
général  pour  qu'il  ne  s'y  soit  glissé  des  lacunes  et  quelques  méprises, 
notamment  en  ce  qui  concerne  la  philosophie  grecque  et  le  cartésia- 
nisme. Des  spécialistes  y  trouveraient  à  redire.  Mais  aussi  bien  Tauteur 
n'a-t-elle  pas  l'intention  de  faire  de  l'érudition  ;  elle  cherche  les  grands 
traits,  la  physionomie  générale,  une  tendance,  de  façon  à  fonder  ses 
hypothèses,  d'après  l'évolution  historique  de  l'idée  de  matière. 

Sa  conclusion  sur  ce  point,  c'est  que  les  idées  mécanistes  sont  insuf- 
fisantes. L'atomisme  cinétique,  qui  supprime  le  concept  de  force  et  le 
remplace  partout  par  celui  de  chaos  entre  masses  inertes,  ne  résiste 
pas  à  Texamen.  La  notion  de  masse  elle-même  est  confuse;  elle  ne  doit 
pas  être  considérée  comme  primordiale;  et  la  loi  de  l'inertie  à  laquelle 
elle  est  intimement  liée  par  les  théories  de  la  mécanique  doit,  elle  aussi, 
descendre  de  son  rang  de  principe.  Inertie  et  masse  ne  sont  que  des 
eorollaires  dérivés.  Qu'est-ce  donc  que  la  matière?  Quelles  sont  ces 
idées  primordiales  que  la  science  nous  invite  à  poser?  Il  faut  nous 
faire  de  la  matière  une  conception  dynamique  :  «  Les  éléments  pre- 
miers de  la  matière  cosmique  sont  des  volumes  fluides  impénétrables, 
mais  expansibles  et  élastiques,  dont  l'étendue  varie  en  raison  directe 
delà  quantité  de  force  substantielle  active  qui  les  constitue  et  en  rai- 
son inverse  des  pressions  qu'il  subissent.  Tous  tendent  à  réaliser 
des  sphères,  et,  en  vertu  de  leurs  pressions  mutuelles,  ne  réalisent  que 
des  polyèdres...  Les  éléments  cosmiquc^s,  constitués  parées  centres 
d'émission  d'une  substance  indéfiniment  expansive,  sont  actifs.  » 
X'univers  est  absolument  plein  sous  pression  moyenne  constante,  avec 
des  variations  de  pression,  locales  et  temporaires,  qui  sont  l'origine  de 
tout  mouvement. 

Il  résulte  do  là  que  la  fameuse  loi  de  l'attraction  universelle,  mot  que 
^'ewton  lui-même  a  déclaré  n'être  qu'un  mot  commode,  sans  aucun 
contenu  objectif,  sera  fausse,  si  l'on  pense  que  ses  effets  mathéma- 
tiquement exacts,  sont  réellement  dus  à  une  attraction,  «  Cette 
attraction  apparente  serait  donc  une  moindre  répulsion  réelle  et  le 


176  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

résultat  des  répulsions  supérieuros  des  atomes  de  Téther  impondéra 
entre  eux.  ^a  prétendue  force  d'attraction,  la  seule  que  les  métaph 
siciens  dualistes  consentent  à  laisser  à  la  matière,  serait  ainsi  uzz 
force  toute  négative,  une  force  en  moins,  une  réelle  diminution  de  sc: 
énergie  répulsive  propre.  » 

Ces  atomes  iluides  conçus  sur  le  type  de  la  matière   gazeuse  so^ 
ég<nlement  au  point  de  vue  interne  des  monades.  Ils  sont  moteurs 
centres  conscients  du  monde,  «t  Toute  la  substance  cosmique  est  doi 
vivante,  d'une  vie  virtuelle  élémentaire  ». 

III.  Cette  vue  générale  de  l'univers  posée,  Tauteur  essaye  d'en  déduir— — •'^^ 
les  multiples  apparences  du  réel,  et  de  retracer  Tordre  éternel  de-tfn*  ^^  ^ 
choses. 

Dans  une  première  partie,  elle  établit  les  faits  et  principes,  les  prc— ^^* 

miers  chaînons  que  Ton  peut  poser  en  partant  du  point  de  vue  précité^»*'  «■  ^^^ 
et  dont  se  déduira  l'explication  totale.  Nous  y  voyons  se  dégager  et  s€^^^^  ^ 
préciser  la  notion  d'être,  et  celle  de  loi  logique  et  de  loi  mathéma— —  -^  ^^ 
tique;  les  idées  d'espace,  de  temps  et  de  force  active,  ou  les  troi^-  ^î' 
entités  cosmiques,  les  trois  états  de  Tatome  éthéré,  matériel,  sure-  ^  ^ 
théré  ou  vitalifère.  En  ce  dernier  état  ils  donnent  naissance  aux  êtres  ^« 
vivants  proprement  dits.  Les  développements  successifs  de  ces  atomes  ^s-* 

sont  alors  considérés  :  variations  des  activités  psychiques  et  des  moda^      —  •^" 
lités  physiques,  forme,  densité  dynamique,  relation  métriques,  élasticitê- 
et  mouvement. 

La  deuxième  partie  nous  conduit  au  milieu  des  phénomènes  vibra^ 
toires  :  chaleur,  lumière,  son,  odeurs  et  saveurs;  la  troisième  est  con- 
sacrée à  l'étude  des  corps  solides  :  forme  géométrique  de  la  molécule, 
volume  moléculaire,  classification  des  corps  chimiques,  lois  physiques 
générales.  La  quatrième  partie  s'occupe  des  corps  liquides  et  gazeux  z 
théories  de  la  fusion  et  de  la  vaporisation;  constitution  des  gaz.  Ayei% 
la  cinquième  nous  atteignons  le  processus  vital;  la  cellule  organique 
nait  d'une  transformation  de  l'atome  éthéré  en  atome  vitalifère  et  ea 
atome  pesant.  Nous  passons  alors  à  des  considérations  plus  spéciales 
sur  la. pesanteur  qui  ne  saurait  être  une  attraction,  mais  qui  résulte 
d'une  pression  de  Téther.  Les  marées  ne  peuvent  plus  non  plus  être 
expliquées  par   l'attraction  lunaire;  d'où    une    nouvelle   théorie   des 
marées  qui  s'accorderait,  avec  les  faits,  d'après  l'auteur,  plus  aisément 
que  l'ancienne. 

Dans  une  huitième  et  dernière  partie,  nous  voyons  une  explication 
irênérale  de  .'évolution  des  mondes  basée  sur  ces  nouveaux  principes  : 
à  remarquer  di'«î  vues  ingénieuses  sur  l'oritrine  des  satellites  qui 
accompairiicnt  les  planètes  du  système  solaire.  On  conçoit  que  l'hypo- 
thèse de  Laplace  soit  forcément  exclue  d'un  tel  système  :  Planètes  et 
satellites  no  sont  donc  plus  l'etTet  de  la  force  centrifuge  dégagée  par 
la  rotation  solaire,  mais  sont  des  astres  venus  pour  ainsi  dire  par  acci- 
dent  dans  le  système  actuel  et  qui,  peu  à  peu,  tendront  à  rejoindre  le 
soleil  et  à  s'absorber  en  lui.  De  ce  fait  s'augmentera  son  énergie  caio- 


ANALYSES,  —  J.  COSTA NTix.  La  nature  tropicale  in 

T"^^^^^  et  par  suite  su  force  expansive^  jusqu'à  ce  que,  dans  une  explosion 
li  mrA£M.te\  il  passe  â  Fétat  de  nébulosité  amorphe  ft  se  refroidisse  lentement 
l^oia  r  donner  naissance  à  de  nouveaux  germes  de  monde* 

Clï^ïs  trois  dt^rnières  parties  sont  donc  en  somme  Inapplication  des 
tti «fortes  développées  dans  les  cinq  prennières,  et  une  sorte  d'épreuve 
d^sti^inée  à  montri-^r  qvfon  peut  tirer  de  celles-ci  une  valable  explication 
d«®     faits  dans  leur  généralité. 

l'V,  Le  livre  de  Mme  Clémence  Royer^  fertile  en  hypothèses,  il  ne 

^Ji^tat^   pa^s  le  difâslmuler,  un  peu  hasardeuBes^  défLe  par  sa  complexité 

^Ê^t.     m^  richesse  une  analyse  détaillée.  L'auteur,  comme  on  le  voit, 

^Ti.   ^voulu  beaucoup  embrasser.  A-t-elle  reuKsi  à  tout  étreindre.  c'est  ce 

qi-i'Oii  peut  difficilement  croire  dans  une  œuvre  aussi    formifîahie.  En 

tovi  t;  cas,  c'est  un  mérite  de  Tavoir  tentée^  et  c'est  un  plus  grand  mérite 

ënoore  de  Tavoir  abordée  avec  cette  sincéritëj  et  dans  cet  esprit.  Aux 

compétences  particulières  à  voir  ce  qu'il  y  a  à  garder  des  aperçus  ori- 

'  finaux  que  Ton  y  rencontre, 

A  BEL   ReT, 


II.  Philosophie  hîolo^iquê. 

J^  Costantîn,  La  nature  tiiopicale.  —  Un  vol.  de  la  Bibliothèque 
seioniiitquo  internationale.  Alcan,  lël»!^* 

!-•«  nouveau  îïvre  de  M.  Costantin  est  de  nature  a  intéresser  vivement 
I^B  philosophes;  non  seulement  il  fait  faire  une  charmante  excursion 
"*fia  les  régions  si  intéressantes  où  la  végétation  déploie  toute  sa 
*ï*lendeur,  mais,  en  ni^me  temps,  il  met  en  lumiLTC  un  grand  nombre 
^^  faits  d*une  importance  capitale  en  biologie  générale. 

T'ous  ces  faits,  exposés  avec  une  g^rande  simplicité  et  une  grande 
I  ^^^^r^tê*  sont  coordonnés  de  manière  à  fi^er  dans  IVsprit,  et  cela  sans 
*^eti|ie  peine j  les  lois  lama rckien nés  de  Tinfluence  directe  du  milieu 
^^^  1^3  êtres  vivants  et  de  l'hérédité  des  caractères  acquis,  sans  pré- 
judi^^  du  principe  de  la  sélection  naturelle  de  Darwin. 
I  ^  ***«iuprunie  à  M.  Costantin  un  seul  exemple  qui  suffira  à  donner  une 
JcJeo   (Je  J'esprit  de  son  livre. 

,  ^out  le  înonde  connaît  les  il  an  es  des  forêts  tropicaleB;  ceux  qui 

^  ^tit  pàa  voyagé  en  personne  ont  lu,  dans  les  récit»  des  explorateurs, 

^  'l^âcriptions  si  pitloresquesde  ce  fouillis  inextricable  pendant  aux 

^*^ches  des  grands  arbres  et  entourant  leurs  troncs  d'ueie  multiple 

^*^Veioppe;  mais  bien  peu  de  gens  ont  pensé  que  rextslence  des  liunes 

®^    leur   présence  constante  dans  les  forêts  vierges  consiituaient  un 

*ïid  enseignement  de  biologie. 

M,  CoitErjtin  nous  le  lait  voir  lumineusement  en  quelques  chapitres 
^itrèiTii'ment  Cïlairs  dont  je  vais  essayer  de  vous  donner  la  subs^tanco 
^^  quelques  lignes» 
Vous  savex  tous  quelle  inlluence  extraordinaire  la  lumière  exerce 
TOUîî  L.  —  1900.  1*2 


178 


REVUE   PHlLOSQPHiaUE 


sup  les  plantes  vertes  ;  ce  n'est  pas  qu*eHe  rende  leur  croiâsance  plu; 

rapide j  aiî  contraire^  mais  elle  ajoute  .lu  phénomène  tle  la  crûissfince 
même  de  ïa  plante^  un  autre  phénomène  connu  sous  le  nom  d^aciion 
chlorophyllienne  et  grâce  auquel  des  substances  empruntées  direc^ 
tement  à  ratmosphëre  viennent  se  Bxer  dans  les  tissus  de  la  plante. 
En  l'absenoe  de  cette  action  chlorophyllienne,  la  plante  ne  pourrait 
emprunter  ses  matériaux  de  construction  qu'au  sol  dans  lequel  eile 
est  fixée,  mais  elle  pouaserait  plus  vite,  par  là  même,  car  Faction 
chlorophyllienne  introduit  des  substance*;  nouvelles  {substances  amy* 
lacées)  dans  la  plante  aux  dépens  de  ratmosphère  (acide  carbonique], 
et  aux  dépens  aussi  de  la  substance  préexist^inte  de  la  plante»  donl 
raccroî^tsement  devient  ainsi  moins  rapide.  Seulement,  si  raceroiss^ 
ment  est  moins  rapide,  la  structure  est  plus  résistante.  Vous  avez  tous 
pu  vous  en  t^m vaincre  par  une  observation  courante  :  lorsque  dea 
pommes  de  terre  sont  abandonnées  dan>ï  une  cave  obscure,  humide  et 
tiède,  elles  germent  et  donnent  en  quelques  jours  de  longues  li^jôi 
blanches  et  mulles  qui  ont  quelquefois  plusieors  mètres  de  longueur; 
c'est  ce  qij*on  appelle  des  pLintes  étiolées.  i6i  la  cave  possède  un  sou- 
pirail par  lequel  tiltre  une  petite  quantité  de  lumière,  ces  longues  liges  ' 
blanches  rampent  vers  la  lumière  et,  à  mesure  quelles  s'eu  rappro- 
chent, leur  extrémité  se  dresse  et  verdit. 

Les  mêmes  pommes  de  terre  ^^ermant  à  ciel  ouvert,  en  pleine 
lumière,  auraient  donné  dans  le  même  temps  une  petite  tige  courte, 
mais  dressée,  robuste  et  verte. 

Cet  exemple  su Qit  à  faire  comprendre  Thistoiredes  lianes^ 

Supposons,  au  voisinage  d'une  forêt  tropicale,  c'est-à-dire  d'une 
forêt  dans  laquelle  rinteiisité  de  la  végétation  oau^e  une  obscurité 
presque  complète,  une  rég:ion  nue,  une  savane,  dans  laquelle  les  plantei 
vivent  librement  sous  le  eoleil  et  ont  l'allure  normale  des  plantes 
saines  bien  éclairées. 

Les  graines  de  ces  plantes  libres  se  disséminant  par  les  moyens 
nntureh  (vents,  oiseaux,  etc.),  quelques-unes  d'entre  elles  pourront 
ôtre  transportées  dans  la  forêt  et  germer  ^uv  l'abondant  bumu5  qui  en  . 
forme  le  sol,  exactement  comme  une  pomme  de  terre  germe  dans  mu 
cave  obscure  et  tiède,  c*est -à-dire  que  ces  graines  donneront  dei 
plantes  éliolées  qui  ramperont  sur  le  sul  ou  sur  les  souches  des  végi 
taux  voisins.  Beaucoup  de  ces  plantes  mourront  asins  avoir  pi 
aUeiJidre  la  lumière  vivi liante,  mais  il  faut  bien  se  dire  qne,  miil^ 
répaisseur  du  feuHlagi*  des  grands  arbres  placés  au-dessus,  Tobsci 
rite  n'etft  jamais  complète  au  niveau  du  sol  dcH  forets  viers^es;  il  y 
dans  le  plalond  verdoyant  de  ces  forêts,  un  grand  nombre  de  joui 
analogues  an  soupirail  de  notre  cave  de  tout  h  l'heure  et  vers  lesquel^^-^* 
en  vertu  du  phototropisme,  les  plantes  étiolées  se  dlrig<'runt  si  elle=3 
le  peuvent,  c'est-à-dire  si  elles  trouvent  des  supports  qui  les  y  condi^^i 
sent  mal^^ré  tour  slructute  peu  résistante*  Ain^i  se  formeront,  dans  1^^^ 
forets,  de  ces  longues  tiges  faibles  et  ilexibles  qui,  dépourvues  (^^^j 


AlfALTSES.  —  j.  nosTvNTîK.  La  nature  tropicale  179 

ïijLÎlles  ou^  du  moins,  pourvues  de  très  rares  feuilles  dans  la  région 
bscure,  pourront  s*épaiiouir  au  contraire  en  une  abondante  frondaison 
m  -une  vigoureuse  noraison,  en  présence  de  la  lumière. 
■X^otis  aurons  ubtenu  ainsi  une  plante  qui  a  déjà  Taspect  de  ce  qu*on 
fcpelle  ordinairement  une  linne.  Mais  cette  forme  de  liane  sera-t-elïe 
mmédiatement  tixée  et  héréditaire  1'  Evideraraent  non.  Les  fleurs  que 
!iotre  plante  aura  données  dans  sa  région  éclairée  donneront  des 
gratines  que  les  hîisards  de  la  dissémination  pourront  amener  sur  le 
■pi.  soit  dans  la  savane  voisine,  soit  dans  la  forêt, 
■  Celles  qui  seront  amenées  dans  la  savane  donneront  des  plantes  nor^ 
Balles,  comme  si  elles  ne  provenaient  pas  d'un  individu  transformé  en 
■atte;  cette  forme  de  liane  n'aura  été  qu'une  forme  accidentelle, 
B%»tenue  par  une  obéissance  actuelle  à  une  cause  actuelle;  la  causa 
Bllsparaîssant,  Teffet  aura  également  disparu. 

Mais  d'autres  graines  de  notre  plante  à  forme  de  liane  tomberont 
dam  la  forêt  et  donneront  de  nouvelles  plantes  étiolées  dont  quelquca- 
^ri€s  mourrontu  dont  quelques  autres  vivront  comme  la  précédente  en 
pï'^^nantla  forme  d'une  liane;  et  ainsi  de  suite,  pendant  une  série  de 
géfuirîUionSj  ils'efîectuera  une  sélection  entre  les  graines  qui  tombe- 
ront dans  la  foret,  les  plus  aptes  à  la  vie  sous  forme  de  liane  persistant 
*^ule3.  Et  ainsi,  petit  à  petit,  ce  caractcre  de  liane,  acquis  sous  l'în- 
^*Âcnce  de  conditions  de  milieu  toujours  les  mêmes,  se  fixera  dans 
1  hérédité  de  cette  série  de  plantes;  on  finira  par  avoir  des  plintes, 
^«loirablement  adaptées  à  la  vie  sous  bois,  et  qui  auront  une  hérédité 
^lleque*  même  transportées  en  dehors  du  bois,  leurs  graines  donne- 
^rit  naissance  à  des  individus  rampants  et  grimpantft.  On  connaît 
'fidcoup  d'exemples  de  ces  lianes^  définitivement  lianEs^  qui  repro- 
^ites  par  semis  dans  des  endroits  découverts,  y  conservent  leur 
kt^actere  de  liane. 

Oette  interprétation  de  U  genèse  des  lianes  fait  prévoir  que,  dans  des 
'^ions    voisines,  Tune   nue,    Tatitre   boisée,    il  pourra  exister  deux 
'iélés  de  la  même  plante.  Tune  arbuste  ou   arbre  normal,   l'autre 
^rie   rampante  et  grimpante.  Far  exemple ♦  il  existe  au   Brésil  une 
^F>«^ce de  Fuchsia  qui,  dans  les  régions  découvertes  et  éclairées^  forme 
'^  buissonsdeun  à  deux  mètres:  la  même  espèce  présente  une  variété 
"i  tu  pan  te  qui  vit  dans  les  forêts  et  a  une  hauteur  plus  considérable, 
•tume  les  autres  Fuchsias  du  Brésil  sont  des  arbustes,  il  est  très  vrai- 
Iblable  que  pour  l'espèce  dimorphe  dont  nous  venons  de  parler,  la 
^Atte  liane  ^st  tme  forme  dérivée  par  adaptation  à  la  vie  sous  bois. 
Oette  forme  Unnc,  adaptée  pendant  de  lons^'ues  générations  à  la  vie 
^ï'estière,  peut  conserver  son  type  ramp[int  quand  les  graines  qu'elle 
ï*^ijduit  se   trouvent  par   hasard  disséminées  en   rase  campagne,  de 

ti*^tte  qu'on  a  pu  croire  que  les  lii^nes  étaient  de  véritables  espèces, 
^^dis  que  ce  sont  seulement  des  variétés  adaptatives. 

Wrmi  les  caractères  qui  distinguent  les  lianes,  leur  allongement 
^Mcaord maire  n'est  pas  le  moins  curieux:  des  rofan^^  peuvent  avoir 


180  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

plus  de  300  mètres  de  long  et  vous  savez  que  leurs  entre-nœuds  sont 
quelquefois  assez  allongés  pour  qu'on  en  fasse  des  cannes  très  esti- 
mées, connues  sous  le  nom  de  joncs  de  Singapour. 

Un  autre  caractère  des  lianes  est  le  caractère  volubile^  la  tendance 
à  lenroulement  autour  des  supports;  or  ce  caractère  est  précisément 
un  caractère  des  plantes  étiolées  ainsi  que  Tavait  depuis  longtemps 
remarqué  Sachs;  KoU  Ta  démontré  expérimentalement  en  cultivants 
l'obscurité  des  plantes  dépourvues  de  torsion  et  en  constatant  que 
beaucoup  d'jsntre  elles  acquéraient  la  torsion  par  Tétiolement. 

Il  y  a  bien  d'autres  modifications  dans  la  structure  des  lianes,  modi- 
fications plus  profondes  et  que  M.  Costantin  montre  dériver  de  réclai- 
ment  particulier  et  des  autres  conditions  spéciales  réalisées  dans  les 
forêts  vierges.  Je  ne  peux  pas  le  suivre  dans  cette  étude  de  Faction      ' 
directe  du  milieu  sur  les  végétaux  et  de  la  transmission  héréditaire 
des  caractères  acquis  sous  Tinfluence  de  circonstances  nouvelles.  Les 
lignes  précédentes  sufTisent  à  donner  une  idée  de  l'intérêt  que  peut 
présenter  la  lecture  de  La   nature   tropicale.    Le  titre  même  de  la 
première  partie  de  ce  livre  suffit  à  donner  envie  de  le  lire;  je  dois  dire 
d'ailleurs  que  ce  titre  «  Origine  de  la  forêt  »  tient  bien  ce  qu'il  prom©* 
au  lecteur.  Ensuite,  après  avoir  longuement  étudié  les  caractères  et  1a 
formation  des  lianes,  l'auteur  passe  en  revue  les  autres  joyaux  de  l^ 
forêt  vierge,  les  plantes  épiphytes,  c'est-à-dire  celles  qui  poussent  su.^ 
les  arbres  en  leur  demandant  seulement  un  support  sans  leur  emprut»^' 
ter  de  substance;  vous  comprendrez  immédiatement  quel  intérêt  pr^' 
sente  ce  groupe  de  végétaux  quand  vous  saurez  qu'il  comprend  1^^ 
plus  admirables  des  Orchidées. 

Le  chapitre  des  parasites  nous  éloigne  un  peu  de  la  région  trop*' 
cale;  pour  nous  expliquer  le  rôle  du  parasitisme  dans  l'histoire  d^* 
végétaux,  M.  Costantin  prend  des  exemples  dans  notre  région  tet^*' 
pérée;  mais  ces  exemples  n'en  sont  pas  moins  intéressants  pourcel^' 
Nous  revenons  aux  tropiques  avec  l'étude  du  rôle  des  fourmis  dans  ^^ 
végétation  et  avec  celle  de  l'influence  de  la  mer  sur  la  mangrove  c^^ 
flore  des  palétuviers,  etc. 

Je  ne  puis  que  signaler  en  passant  toutes  ces  questions  si  instruC^ 
tives;  le  lecteur  qui  commence  à  suivre  M.  Costantin  dans  son  excur- 
sion le  suivra  jusqu'au  bout  sans  se  fatiguer  et,  tout  en  assistant  à  ud^ 
série  de  tableaux  qui  donnent  envie  d'aller  immédiatement  voir  si 
cest  vrai,  il  acquerra  un  grand  nombre  de  notions  de  biologie  générale 
solidement  étayées  sur  des  faits  nombreux  et  .soigneusement  décrits. 

FÉLIX  Le  Dantec. 


Denis  Courtade.  —  L'Irritabilité  dans  la  série  animale  (Collec- 
tion «  Scieniia  »  n»  7,  janvier  1900.  G.  Carré  et  C.  Naud.  éditeurs,  Paris, 
in-8  écu,  86  pages). 

Le  titre  est  assez  mal  choisi,  semble-t-il,  pour  un  ouvrage  où  il  est 


rALYSES.  —  cotJRTADE,  rirritahilUê  dans  la  série  animale  181 

Fi-a-ité  de  la  malière  vivante  (p,  12-2t),  des  corxditions  requises  pour  que 
la  vie  se  manireste  (p.  22-34),  des  irritabilités  nutritive  et  fouction- 
îie^lie  (p.  35-6*2),  enfin  des  pliénomènes  nerveux  dans  leura  rapports 
AVeo  rirritabitiié  (p.  6:^79]  et  de  la  nature  de  rirritabilité  (p.  80-86), 
P^iis  qu*à  aucun  moment  les  divers  degi  es  de  la  série  animale  soient 
parcourus.  Toutefois,  on  ne  saurait  méconnaître  Tutilité  de  ce  petit 
livre  où  un  grand  nombre  de  notloîis  diverses  sont  condensées  en 
(|uelques  paij^ea. 

Glîsson  (iC34-l(i7I)  avait  émis  Tidée  que  la  matière  vivante  est  irri- 
table par  elle-même;  Haller  (1708-1777)  démontra  l'irritabilité  du  muscle 
et  du  nerf;  Bichat  constata  que  touâ  les  tissus  sont  irritables;  Brgus- 
iais    considéra  rirritabilité  comme  la   propriété   essentielle  de  tout 
Krivant;  les  travaux  de  GLiude  Bernard  «  ont  rattaché  d*une  façon  délî- 
Hultive  les  phénoménea  vitaux  aux  lois  physico-chîmiquos  b,  de  aorte 
Bi|ue  rirritabilité  et  la  vie  ne  paraissent  plus  des  phénomènes  mysté^ 
rieax.  D'après  le^  travaux  récents  de  Kosselli  Zacharias,  Altmann,  les 
substances  formant  la  partie  réellement  vivante  de  la  cellule  ne  seraient 
q^ue  des  combinaisons  de  Wicide  rnwléique  (C'*H*^Az*Ph^O^^)  avec  des 
L  «ubBtftnees   proléiques   non    pbosphorëes.  Sans  doute    les   composés 
■  vivants  ont  une  complexité  beaucoup  plus  grande  que  les  composés 
n   î^ctudie  la  chimie,    inorganique  ou   organique;    mais   <t   depuis   le 
minéral  le  pïu<i  simple  jusqu'à  i'ivnimal  ïe  plus  compliqué  en  organl* 
«ation^  tout  n'est  qii'ussembLij^e,  dans  des  proportions  variées,  des  dif- 
1      férentf  corps  simples  connus,  et  les  phénomènes  qu'ils  présentent  sont 
H  >ouB  de  môme  ordre  et  obéissent  aux  mêmes  lois  n  (p,  8l>}.  La  nature  a 
p    •  uni*  manière  de  modifier  l'énergie  beaucoup  plus  perfectionnée  que 
^  nôtre  *;  elle  provoque  les  réactions  chez  l'être  vivant  au  moyen  de 
fermentiitions  (oxydases)  que  nous  ne  savons  pas  encore  produire r 
'U^is  il  y  a  de  frappantes  analogies  entre  les  manifestations  de  la  vie 
ï^rtoutdans  rirrît;ibilité  nutritive)  et  les  réactions  chimiques  produites 
par  certaines  substances  minérales  (ferments  minéraux  de  Duclaux, 
^iiociaste  de  manganèse  de  Bertrand)»  «   Si  nous  appliquions  à  un 
ïimpie  fuit  de  chimie  générale  les  idées  et  les  expressions  usîtéea  en 
pïlysiolog-ie,  nous  ne  manquerions  pas  de  dire  que   Tirritabilité  du 

I  Potassium  est  mise  en  action  par  le  contact  de  Teau  et  que  le  résultat 
^^  l'ôxcilâtion  est  une  production  lumineuse  j*  (p,  84). 
•  U  fonctionnement  de  l'animal  le  plus  compliqué  peut  être  ramené 
**tciivité  protopbsmique  d'un  être  unicellulaire  »  [p.  3â),  L'irrilabi* 
^Ué  nmj^ItlyQ  consi'^le  en  une  sorte  d'aptitude  aux  réactions  qui  ont 
P*ïur  moyens  des  ferments,  solubles  ou  figurés,  La  distinction  entre 
'^î'iïienti  solubles  et  ferments  Jigurés  a  d'ailleurs  perdu  son  importance 
P'*J*  iuilc  de  la  découverte  d'Ed,  Buchner,  qui  a  pu  retirer  de  là  cel- 
**l^  une  diastase  appelée  zijmase^  découverte  qui  «  permet  de  faire 
^ntffp  mi  phénomène  considéré  jusqu'ici  comme  exclusivement  vital 
"^^^U  le  domaine  des  faits  phystco*chimiques  *  (p.  :J9)*  L'irritabilité 
^^aetiofilielle  se  manifeste  par  des  phénomènes  :  1^  caloriques  (surtout 


182  REVUE  PIIILOSOPIIIQUR 

par  oxydation  déshydrates  de  carbone);  ?*  de  mouvement, e%plïc a t>Iftî 
par  le  chimiotactîsme,  le  galvànotactîsme,  le  thermotropisme,  le  Itiig^j 
motropianie^  etc.  j  3''  lumineux  (transformation  en  lumière  de  réiier^« 
chimique  résultant  de  la  vie  protoplasmique)  :  i"  nerveux  (le  noy^^  | 
dans  la  cellule  joue  le  rôle  du  système  nerveux  dans  les  corps  oe^^' 
nisés)  (p.  66),  u  Plus  on  avance  dans  l'étude  de  l'organisatioa  cft     ^ 
matière  vivante  et  plus  on  s'aperçoit  que  rautonomie  des  diverses  irri- 
ta bililés  locales  disparaît  pour  faire  place  aux  manifestations  de  rir**i' 
tabîiité  nerveuse,  néLessairement  difïérenles  suivant  les  organe»     * 
(p*  79).  Les  organes  sont  ordinairement  exciléw  par  voie  réîlexe;  par   ** 
même  voie  sont  inhibées  un  grand  nombre  de  réactions.  Mais  *     1^ 
système  nerveux  n'entre  en  jeu  que  pour  présider  à  rulilisation  d^* — 
réserves  accumulées  pendonL  le  fonctionnement  rcellement  vital  de  la  H 
cellule  S'  (p.  72),  Ce  quUl  importe  donc  de  connnitre  pour  compreol^* 
les  phénomènes  vitaux,  c'est  l'activité  cellulaire  que  les  travaui  d* 
nos  savants  nous  montrent  de  mieux  en  mieux  analogue  à  des  réactioCis 
physico-chimiques  très  complexes,  de  sorte  qu'il  est  de  plus  en  plu^ 
certain  que  dans  ta  nature  il  n'y  a  pas  d'hiatus  entre  les  substances 
dites  inertes  et  ks  êtres  dits  animés. 

G.  L.  MUFflATr 


A.  Her^en,  Causeries  PuvsiOLOtiiQUKS.  Faris,  Alcan,  1899. 

Dans  ce  volume  de  :^5(>  pages  environ  Herzen  fait,  à  Tusage  des 
personnes  qui  n'ont  point  étudié,  les  sciences  biologiques,  un  résumé 
assez  étendu  de  nos  connaisf^ances  uctnelles  en  physiologie.  La  lecture 
en  est  fort  attachante  et  plus  d'un  homme  de  science  pourra  y  relire 
des  données  intéressantes.  L  ouvrage  est  didié  aux  filles,  bellea-lillea 
et   nièces  de  Tauteur:  ceci  nous  explique   sans  doute  la  présence  de 
nombreuses  anecdotes  accueillies  ou  interprétées  sans  dëtiance;  elles 
faciiileni  ta  lecture  d'un  traité  que  ïn  manière  de  Fauteur  rendrait  par«  i 
ticulièrement  aride.  Je  lis  à  ta  page  iî42  que  leiî  élèvea  apprennent 
toujours  à  lire  en  lisant  à  haute  voix;  Hei  zen  ajoute  :  ^  Chacun  peut 
observer  qu'en  lisant  des  yeux,  on  entend  intérieurement  le  son  des 
paroles  que  l'on  voit-   u  C'est  à  mon  avis  inexact;  les  auditifs  et  cer- 
tains moteurs  seuls  font  ainsi. 

Une  partie  du  dernier  chapitre  est  consacrée  k  la  Volonté,  à  la  Liberté 
à  la  Moralité.  Je  ne  puis  Tapprécter  ne  Tayant  pas  comprise;  il  m'esll 
impossiblo  de  eomprendre  pourquoi,  d'après  les  définitions  de  rauteur,' 
une  action  morale  doit  nécessairement  être  libre  ;  Tidée  que  Ton  se  fait 
du  devoir»  souvent  la  façon  de  faire  le  devoir  étant  souvent  en  com- 
plète contradiction  avec  les  tendances  de  la  nature  intime  du  sujet,  ^ 
La  série  des  raisonnements  par  lesquels  passe  l'auteur  pour  pauvoifS 
stigmatiser  la  lâcheté  et  rtnd^^'nité  de  rhomme  qui  n  écoule  pas  la 
voiï  de  sa  conscience,  et  arriver  à  prnner  la  devise  a  Fais  co  que  dois, 
advienne  que  pourra  »  m'échappe  absolument. 


fe 


AKALTSES.  —  H.  THIILIÊ,  Le  Ûi^esnage  des  jeunes  dégénérés  183 

Ces  criUques  (dont  certaines  n  ont  sans  doute  que  la  valeur  d'appré- 
<3iatiûns  personnelles)  mises  ù  part^  on  peut  dire  que  cette  œuvre, 
écrite  par  un  maître  de  la  science  dans  un  but  de  YulgaHsation, 
**éprmd  entièremetit  au  defisein  que  se  propose  Tauteur  et  qu'elle  a  sa 
J>lace  indiquée  cîans  toutes  les  bonnea  bibliothèques. 


I 


m.  —  Psychologie  pathologique. 


B-"   H.   Thulié.   —   Le    ORESSAriK    des  jeunes    DÈGÉXÈlŒi^   Ot;  ORTHÛ- 

ï'HRKNOPEOiE.  i  vol.  iu-S,  G78  pages,  53  figures»  i9Û0.   Paris,  F.  Alctin 
et  bureaux  du  Pi^ogrès  mèdwaL 

Dans   son   récent  ouvrage    La   Fr^ince   au    itoinl   de    vue    momt^ 
>!*  Fouillée  a  rt^sumé  les  t nivaux  déjà  nombreux  qui  prouvent  Tac- 
croisï^tnient  eonslant  de  la  crinunaîUé  en  notre  paya.  Ce  qu'il  y  a  de 
plus  inquiétant  dans  cet  accroîsïsement^  c*esL  la  part  qu'y  prennent  les 
enfants  et  les  jeunes  gens.  Aussi  M.  F<millée  inaîste-il  ^ur  la  réforme 
urgente  de  réducaiioti  morale  et  religieuse»  sur  la  nécessité  de  pré- 
server l^enfnnce  et  la  jeunesse  d'une  «  contagion  morale  u,  que  îe  rôle 
udteu3t  joué  par  certaine  presse  rend  sans   cesse   plus   redoutable. 
M.  Thulîé,  en  médecin-sociologue,  est  venu  nous  donner  ce  qui  man- 
quait au  livre  de  >L  Fouillée  :  une  vue  profonde  sur  les  dègéfiéréë  et 
sur  Ipur  traitement  médico-psychologique.  C*est  en  efTet  raicroisse- 
ment  continu  du  nombre  des  dégénérés  qui  explique  le  mieux  Taccrois- 
sèment  continu  de  la  crinùnalité  en  France.  Quand  on  peut  visiter 
chaque  jour  un  asile  d'aliénés,  étudier  de  près  les  tendances»*  les  états 
(l'âme  des  jeunes  idiot»,  imbéciles,  faibles  d'esprit,  instabEes,  hystérî- 
queSj  épileptiques,  qui  y  restent  trop  souvent  sans  traitement  etlicace, 
qui  }*  grandis^srnt  sans  améHoration  mentale  et  morale,  et,  au  contraire, 
avec  une  exacerba tion  périodique  de  leurs  vils  appétits  ou  de  leurs 
inclinationi*  dépravées;  quand  on  peut  les  comparer  aux  jeunes  erimi- 
nelfl  des  deux  sexes  que  certains  parquets  soumettent  réirulièrement 
a  l'examen  des  aliénistes,  on  comprend,  on  sent,  on  voit  ïa  parenté 
étroite  de  ces  êtres  débiles  et  de  ces  malheureux  délinquants  :  on  est 
CM>nvaincu  que  la  lutte  contre  la  dégénérescence,  ses  causes  et  ses 
conséquences  mentales  et  morales,  est  la  lutte  môme  contre  la  crimi- 
nalité. On  apprécie  dès  lors  la  haute  portée  d*un  livre  qui,  c^'mme 
celui  de  M.  Thulié,  met  en  lumière  les  principes  de  l'éducation  phy- 
sique, intellectuelle  et  morale   des   dégénérés^  Indique   îa  méthode 
usitée  et  les  résuitata  obtenus  par   des   savants  philanthropes^  tels 
que  M.  Dourneville^  qui  a  employé  la  majeure  partie  de  son  existence 
à  transformer  de  misérables  enfanta,  gâteux,  insociables,  incapables 
d'attention  ou  de  moralité,  en  êtres  sinon  utiles  à  la  société,  du  moina 
susceptibles  de  se  procurer  des  moyens  de  subsistance  et  de  respecter 
les  lois. 


i84  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

MM.  Magnan  et  Legrain  ont  défini  la  dégénérescence  :  «  Tétatpaàfe  bio- 
logique de  Tètre  qui,  comparativement  à  ses  générateurs  les    f>lu5 
immédiats,  est  constitutionnellement   amoindri    dans    sa  résistarmce 
psycho-physique  et  ne  réalise  qu'incomplètement  les  conditions  biolo- 
giques de  la  lutte  héréditaire  pour  la  vie  ».  L'alcoolisme  est  une  cS^ 
principales   causes  de  dégénérescence;  il   va   sans   dire   que  si  Â^ 
parents  présentent  des  stigmates  de  dégénérescence,  les  enfants    ^^ 
présentent  aussi,  qui  ordinairement  sont  plus  graves,  et  en  géné^*-*; 
différents,  de  sorte  que  des  alcooliques  peuvent  donner  naissance       ^ 
des  cpileptiques  et  ceux-ci  à  des  idiots.  Il  y  a  donc  des  degrés  dans       ^ 
dégénérescence  :  au  niveau  inférieur,  se  trouvent  les  idiots,  plosC^^ 
moins  idiots;  puis  viennent  les  imbéciles;  ensuite  les  impulsifs,  in.    ^' 
tables,  pervertis,  invertis,  plus  ou  moins  aliénés;  au-dessus  apparai    -^' 
sent  les  «  dégénérés  supérieurs  »,  vagabonds,  délinquants,  criminer-^J* 
au  premier  degré,  et,  à  un  degré  plus  élevé,  intelligences  lucides  ma ^^^* 
consciences  débiles,  génies  partiels,  talentueux  abouliques,   espri^^^ 
brillants  mais  superficiels,  dont  l'évolution  présente  de  su^rprenan^^* 
hiatus,  d'incompréhensibles  défauts,  un  caractère  asystématique  assu:^' 
rément  maladif.  Une  aussi  vaste  classe  que  celle  des  dégénérés  ne  ^^  ^ 
prête  pas  à  une  classification  complète;  elle  constitue  une  hiérarchS-  ^ 
aux  multiples  degrés  dont  le  stigmate  commun  est  le  déséquilibre  d^^ 
fonctions  mentales  (Cf.  chap.  i  à  vi,  xiv  et  xv). 

L'instabilité  mentale  est  si  grande  chez  les  idiots  que  le  traitement 
de  ces  dégénérés  inférieurs  consiste  tout  d'abord  dans  Téveil  de  l'at- 
tention, par  la  répétition  de  mouvements,  passifs  au  début,  actifs  dans 
la  suite.  «  Il  est  nécessaire,  pour  établir  une  fonction,  de  faire  appa- 
raître d'abord  la  sensibilité  spéciale  sans  laquelle  le  réflexe  ne  peut 
exister.  »  Or  Séguin  ne  s'y  était  pas  trompé  :  «  il  considérait  comme 
le  facteur  principal  de  l'éducation  de  l'idiot  la  répétition  patiente  et 
incessante  des  mêmes  impressions.  »  Quand  l'imitation  «  qui  est  le 
premier  et  le  plus  sûr  facteur  de  l'éducation  de  l'enfant  normal  et  que 
Ton  retrouve  dans  les  sociétés  animales  »,  peut  venir  en  aide  à  la  répé- 
tition  machinale,  les   progrès  deviennent   rapides  (chap.   viii).  Pour 
«  faire  naître  les  différentes  sensibilités  chez  ceux  où  elles  sont  endor- 
mies, on  produit  des  impressions  multiples,  violentes  et  variées:  on 
projette  subitement  un  rayon  lumineux  dans  une  chambre  noire  où 
Ton  a  placé  Tidiot...,  on  agite  des  étoffes  aux  couleurs  éclatantes,  on 
fiiit  tinter  près  de  lui  une  cloche  aux  sons  vibrants...,  on  saisit  l'en- 
fant d*un  contact  vif,  etc.  Ces  impressions  répétées  à  des  moments 
différents  pour  éviter  l'accoutumance  rendent  chaque  sens  endormi 
plus  accessible  et  plus  apte  à  la  sensation  ».  Une  fois  Tattention  attirée, 
il  faut  0  que  l'éducateur  s'ingénie  à  trouver  les  moyens  de  la  main- 
tenir, moyens  qui  varient  avec  chaque  enfant  »  (chap.  x,  p.  130-132). 
D'après  Séguin,  f^  le  premier  sens  à  exercer  chez  l'enfant,  c'est  le  tou- 
cher P.  La  main,  ordinairement  dépour\'ue  chez  l'idiot  de  sensibilité 
aussi  bien  que  de  motricité  intentionnelle,  est  promenée  sur  des  sur- 


AifAt.TSE5,  —  TL  TiiULiÈ.  Lb  dr&ssagê  des  jeunes  dégénérés  185 

faces  plîiiies  ou  rugueuses,  ensuite  sur  des  corps  chauds  ou  froids, 
puis  sur  des  corps  dura  et  mous,  jusqu'à  ce  qu'elle  devienne  apte  k 
faire  distinguer  les  divers  de^çrés  des  qualités  sensibles  (chap*  Xï, 
p.  f4M43).  De  même  pour  l*éducation  des  sens  visuel  et  sonore  on  use 
de  la  répétition,  aussi  souvent  que  posMhle  imitaiive^  on  combine  lei 
données  des  sens  Jiïusculaii^e,  tactile  et  visueli  pour  faire  reconnaître 
les  diverses  formes  de  solides,  puis  les  diverses  formes  dessinées;  la 
musique,  qui  cause  toujours  un  vif  plaîsîr  aux  idiots  dont  les  sens 
sont  le  plus  obtus^  .1  est  un  des  excellenia  moyens  pour  les  faire 
sortir  de  leur  inertie  auditive  »  (p.  t5T).  L'uange  de  la  parole  exige 
comme  condition  prûaïable  «  la  possibilité  d*en tendre,  de  fixer  dans  la 
mémoire  et  de  reproduire  les  différentes  articulations  qui  constituent 
les  mots  tï  :  on  fait  en  conséquence  «  subir  une  gymnastique  passive 
à  tous  les  orj^anes  accessibles  de  rarticulation  des  sens..,  D  autre  part, 
afin  d'augmenter  la  puissance  du  souflle  qui  produira  le  son  glotiique, 
en  ejierce  l'enfant  à  éteindre  une  bougie  que  Ton  éloigne  griiduelle- 
menl  ».  On  adjuvant  précieux  est  TapLitude  démontrée  de  1,l  plupart 
des  idiots  à  retenir  facilement  îes  airs  de  musique  même  les  plus  difti- 
ciles  :  «  Tair  fera  retenir  la  chanson,  le  rythme  et  la  sonorité  musicale 
feront  répéter  le  mot  comme  un  son  quelconque  0  (p.  165), 

Il  va  sans  dire  que  Téducation  des  sens  et  de  la  parole  ne  peut  pas 
le  fiiire  sans  une  éducation  progreâijive  des  fonctions  motrices.  *  Pour 
prépartM*  les  membres  inférieurs  aux  exercices  destinés  à  enseigner  la 
marche^  on  les  soumet  à  des  frictions  stimulantes  et  à  un  léger  mas- 
sage des  muscles,  frictions  et  massages  qui  contribuent  à  donner  non 
seulement  une  plu«  grande  vitalité  aux  parties  appelées  à  fonéiionner, 
mais  encore  à  développer  la  sensibilité  Locale  absolument  néoc^saire 
pour  la  station  debout  comme  pour  la  marche  »  (ch.  ix,  p.  117),  La 
gymnastique  passive  donne  de  la  souplesse;  le  massage  des  articula- 
tions peut  être  complété  par  Texercice  du  «  fauteuJl-trejnpUn  «,  exer- 
cice qui  consiste  à  mettre  le  jeune  idiot  z^ur  une  sorte  de  fauteuil  se 
balançRnt  «>  de  telle  façon  que  la  plante  des  pieds  %'a  frapper  une  planche 
irerlicaJe  élastique  et  faisant  tremplin  n.  Ce  procédé  employé  par  le 
D'  Bourneville  et  inventé  par  Séguin  est  un  des  plus  caractéristiques 
parmi  tous  ceux  qui  servent  â  éveiller  et  développer  la  sensibilité  tac- 
tile et  musculaire,  condition  des  réllexes  qui  servent  à  la  station 
debout f  à  la  marche,  à  la  préhension,  à  Tascenston,  etc.  Les  barres 
parallèles,  les  chariots,  les  escabeaux  à  sauter,  tes  échelles  de 
corde,  etc*,  permettent  d'enseigner  a  Tenfant  Tusat^e  de  ses  divers 

ambres  :  »  les  mouvements  sont  forcés  de  se  régulariser  u  et  celte 

iucalLon  physique  contribue  a  la  fois  au  dévoloppement  intellectuel, 
en  facilitant  les  exercices  des  sens  et  de  Tiittention,  et  au  développe* 
ment  moral  en  habituant  à  robservation  d*une  règle,  à  une  discipline 
du  corps  et  de  Tes  prit  (cf*  chap*  ix  et  chap.  xx). 

Quand  par  des  exercices  appropriés  l'enfant  non  seulement  est 
devenu  propre,  mais  a  appris  à  se  servir  de  ses  mains  et  à  marcher, 


1&6 


BEVUE    NllLOSOPHIQlE 


sauter^  courîr,  ee  mouvoir  normûleiïient,  on  peut  poursuivre  Fédueip 
tiûiï  des  fonctions  ïutelleLHuell^a.  On  comnience  par  des  leçons  de 
choses,  qui  parlent  aux  sens  (p.  181);  puis   oit  habitue  r«»prit  aux 
ligures  géométriques,  par  exemple  comme  le  fait  M,  Ilo  urne  ville,  qui 
a  donné  dans  les  jardins  scolaires  «f  îa  reproduction  des  difforeîilei 
surracGs  par  des  petites  pelouses  taillées  en  triangle.^,  carrés,  lert'lÊa, 
ovales,  trapèzes,  ele*,.  ;  la  représeïilation  des  solides  :  ifs,  fu&aiikfi* 
tailîés  en  cubes,  sphères,  cônes,  pyramides,  etc*.*  9   Eu  même  Hmp 
on  s'adresse  à  la  mémoire,  do  façons  diverses  selon  le  type  des  ima^^çà 
prédominantes*  w  tl  est  essentiel  en  effet  pour  l'éducateur  de  coaaàftre 
cette  aptitude  spéciale  à  chacun  des  malades,  cette  dominante,  et  de 
la  développer  ■*  On  passe  des  objets  les  plus  intéressants  aux  sujets 
qui  exigent  un  plus  grand  désintéressoment,  c'est-à-dire  aus  absimC- 
tions  de  plus  en  plus  scientilîques.  tx  La  notion  des  nombres  ne  pénètr^ 
que  très  diflicilement,  il  est  v\a\^  dans  rintelligence  courte  de  v*-'  ^ 
infirmes  et  renseij^nement  du  Lalcul  demande  des  ^innées  d'exerdL^e?   * 
et  de  démonstrations  a  (p,  i'J9);  du  moins  peul^on  donner  tiux  espri*-  ^ 
débites  quelques  notions  utiles,  indispeni^ables  à  b  vie  de  tous  les  jou»"^^ 
et  qui  permettent  1  educatmn  prûfessionnelle.  La  section  des  cnfaa*-  ^ 
idiots  de  Bicêlre  comprend  huit  ateliers  :  imprimerie,  menuiserie,  sr^^^ 
rureHe,  couture,  cordonnerie,  brosserie^  i^annerie,  rempaillage*  «  U  ^-^^ 
certain  nombre  d*enfauts  qui  ont  passé  par  ce  service  ont  quitté  rbos 
pice  et  sont  placés;  c*est  là  un  résultat  merveilleux  que  des  petit  ^ 
malheureux  entrés  gâteux..*,  ne  sachant  se  servir  ni  de  la  cuillère,  m^  ^ 
de  la  fourchette*  ni  du  couteau,  etc.,  aient  pu  devenir  propres  et  as^e:^^ 
développés  intellectuellement  pour.*,  s'exprimer  clairement  et  gagne^^ 
leur  vie  »  (p.  2\2,  chap,  xu  et  obs.  pp,  596-67 1))* 

L^assÎBtanee  des  dégénérés  inférieurs  est  d'autant  plus  nccessair^^ 
que  les  idiots  sont  une  trop  lourde  charge  pour  les  faoïilles  pauvret 
quand  ils  sont  guteux  et  incurables,  que  «  les  idiots  qui  peuvent  vivr^ 
en  liberté  sont  capahles  de  commelire  tous  les  attentats  contre  le?^ 
propriétés  et  contre  ks  personnes  "  bien  qo*iis  niaient  pas  d'inientinm^iei 
criminelles,  que  les  imbéciles  agissent  souvent  dans  le  dessein  de^ 
nuire,  que  «  le  peu  d'intelligence  dont  ils  jouissent  est  entièremfnt^ 
employé  h  combiner  des  méchancetés  et  des  actes  de  vengeance  :  il 
en  est  qui  ré  vent  de  faire  écruulei'  une  maison  pour  le  refus  d*un  mor- 
ceau do  sucre  y  (p,  T22}',  qu'en fm  la  perversion  sexuelle  des  idiots  et 
des  imbéciles  est  extrême,  jointe  îe  plus  souvent  à  une  *  récondué 
menaçante  »*  Sans  doute  les  dégénérés  ne  se  reproduisent  guère  au 
delà  de  la  quatrième  génération^  comme  Morel  l'a  bien  indiqué;  mait 
chacune  des  générations  est   d'autant  plus  proli  tique  que  les  11  lies 
idioles  et  imbéciles  ne  le  cèdetvt  en  r^en  aux  garçons  en  appétit  st^xueL 
«    Le  Êcul  moyen  d  arrêter  la  Béleclion  en  sens  inverse,  révolution 
régressive  de  la  race  amenée  par  hi  reproduction  des  dégénérés  i, 
serait  la  castration  des  idiots  et  des  imbéciles:  mais  ce  moy^^n  de  pro- 
phylaxie sociale  paraît  d'une  application  impassible  ip.  1235),  Il  faut 


^^^riALTSES.  —  il,  TIIULIÉ.  Le  drûêêagë  des  jeunes  dégénérés  187 

^X^c^  multiplier  les  hospices  du  genre  de  celui  de  Bicëtre  et  organiiier 
une  loi  le  Iraiteaient  obligatoire  des  dé^^*'ênéres  iniéneurs  dans 
s  les  asiles  d'aliénés  où  doivent  être  établis  des  quartiers  d'adultes 
aisant  suite  h  l'école  de  redressement  «  et  munis  d'atelierB  pour 
«rîij  cation  professionnelle  (p,  îi? 'M6), 

jes  dégi^nérés  supérieurs  nlntéressent  le  médecin  qu'autant  quHIs 
1 1  devenus  délinquants  et  criminels.  L^intégrité  apparente  de  leurs 
<3t:îons  intellectueUes  les  fait  trop  souvent  classer  parmi  îes  indi- 
us  responsables  de  leurs  actes  et  nia.sque  un  déséquilibre  r^eL  un 
banque  de  sens  moral,  de  #  logique  pratique  »,  une  iucohéreiiee  toa- 
i^-ÊTG^  «  C'est  toujours  robjet  d'une  surprise  profonde  de  les  voir  d'un 
^*^  forinuler  les  théories  morale.'?  les  plus  élevées.,,  et  de  l'autre  com* 
tKïttre  des  actes  d'indélicatesse  ou  d'immoralité  *,  qu'on  ne  peut  k 
»a.\ieto  de  leur  fréquence  attribuer  à  une  erreur  ou  unt*  défaillanue 
fecidentelle  (ch,  XV,  p.  WO).  L'obsession,  l'impulsion,  les  phénomènes 
Tar-rêt  appelés  parfois  «  impulsions  négatives  u,  sont  les  principaust 
symptômes  de  la  folie  des  dégénéréSi  du  trouble  de  l'esprit  qui  peut  le 
*^^s  souvent  prendre  le  nom  de  «  folie  morale  »  (p.  *î03  sqq,). 

V.*ldéc  de  sanction  est- elle  applicable  aux  actes  délictueux  des  dégé- 
^^t"és  supérieurs  ?  Cette  idée  qui,  à  notre  avis,  est  une  conception 
'^tïiorale  lorsqu'il  s'agit  d'imposer  une  expiation  à  l'être  normal,  Test 
^  ^ortîori  quand  elle  entraîne  la  souffrance  physique,  la  peine»  au  sens 
l^i-idiqye  du  mot,  pour  le  malade  irresponsable.  Il  ne  saurait  ôtre 
HUeitjon  que  de  sauvegarde  sociale  et  de  réfection  morale  du  coupable 
^tiaud  on  u  devant  soi  un  dégénéré  (p.  317).  Tout  d'abord»  a  au  point 
^Z  vue  du  redreasement  moral  de  Tenfant  comme  au  point  de  vue  de 
*a  protection»  la  loi  sur  ia  correction  paternelle  doit  être  absolument 
lofait e  »  Ip-  335J.  Il  faut  ensuite  empêcher  le  vagabondage  en  appli- 
quant strictement  la  loi  sur  robligalion  de  fréquenter  les  écoles  pri- 
niaireSj  obligation  étendue  même  aux  enfants  nomades  (p.  3tiO).  Enfm 
il  faut  fonder  sur  le  modèle  de  certains  établissements  anii:lais  des 
t  i!CoIes  de  réforme  »  qui  ne  reasemblent  en  rien  aux  colonies  péniten- 
tiaires et  aux  maisons  de  correction  actuelles.  Autant  que  possible  il 
faut  introduire  dans  Técoîe  de  réforme  en  même  temps  que  l'et^prit  de 
discipline,  d*ordre,  d'économie»  avec  »  rinfluence  de  la  femme  •,  Tes' 
prit  de  famille  (ch,  xvin,  p.  385).  L'éducation  intellectuelle  doit  avoir 
pour  objet  de  iixer  Tattention,  d'augmenter  les  facultés  de  comprendre, 
déjuger,  de  raisonner  plutôt  que  la  faculté  de  se  souvenir;  l'éduca- 
tiiïn  physique  doit  tendre  à  créer  «  le  réHexe  de  Tobéissance  û,  et  à 
discipliner  bien  plus  qu'à  divertir.  L^enseignement  professionnel  doit 
comprendre  des  ^  tenons  d'initiative  >,  La  conscience  morale  doit  en  lin 
ne  former  par  la  théorie  et  par  la  prali([ue  :  chante  exprimunt  des  idées 
morales  fréquemment  répétés,  vie  régulière,  imitation  d'aitrs  charita^ 
bleSt  union  intime  du  précepte  et  de  l'exemple  surtout  en  matière  de 
jiiilice,  abstention  de  toute  punition  dégradât  nie,  culture  intensive  du 
lentrment  de  la  dignité  personnelle  (ch.  \%  u  %xm)^ 


188  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

Nous  avons  tenu  à  signaler  du  livre  de  M.  Thulié  les  passages 
plus  importants  :  il  faut  renoncer  à  indiquer  même  d*une  façon  goni  ^^ 
maire  des  aperçus  bien  intéressant®.  Le  livre  est  touffu,  le  plan  n'eC"^ 
est  pas  toujours  très  clair;  plus  de  systématisation  eût  été  indispeu-'-'^ 
sable  à  la  clarté  et  à  la  compréhension  totale  de  Touvrage.  Il  y  a  des^^ 
assertions  discutables;  mais,  en  général,  les  idées  exprimées  sont  de    ^^ 
la  plus  haute  importance.  La  bibliographie  est  incomplète  et  une  part     ^ 
plus  large  eût  dû  être  faite  aux  travaux  des  psychologues  contempo-       ^ 
rains  qui  ont  donné  un  aspect  si  nouveau  à  la  pathologie  mentale;         ^ 
Tœuvre,  pour  nôtre  pas  celle  d'un  Charcot  ou  d'un  Magnan,  n'en  est        - 
pas  moins  consciencieuse,  utile,  et  sera,  nous  Tespérons,  féconde  en 
heureux  résultats. 

G.    L.   DUPRAT. 


Ch.  Féré.  —  L'instinct  sexuel,  évolution  et  dissolution,  Paris, 
1899,  Alcan. 

Il  serait  grand  temps  de  faire  enfin  dans  l'éducation  une  place  à 
l'instinct  sexuel.  Cet  instinct  est  livré  à  lui-même  ou  plutôt  il  est  livré 
à  toutes  les  excitations,  à  toutes  les  provocations  les  plus  malsaines, 
tandis  que  l'hypocrisie  sociale  feint  de  l'ignorer  dans  ses  fondements 
physiologiques,  ne  consentant  à  le  reconnaître  qu'en  lui  appliquant 
des  lois  si  imparfaites  et  si  souvent  enfreintes,  précisément  grâce  à 
cette  ignorance  systématique  de  la  vraie  physiologie  et  j'ajouterai  de 
la  vraie  morale.  Il  faudrait  enfin  avoir  le  courage  de  parler  tranquille- 
ment, ouvertement  et  scientifiquement  des  fonctions  sexuelles  au  lieu 
de  se  borner  comme  plus  vertueux  à  méditer  des  romans  obscènes  et 
à  aller  voir  des  pièces  de  théâtre  licencieuses.  Cela  serait  peut  être 
plus  favorable  à  la  société  et  à  l'individu.  On  ne  trouverait  certes 
aucun  plaisir  malsain  à  lire  le  livre  de  M.  Havelock  Ellis  que  j'ai  ana- 
lysé dans  cette  Revue,  Et  véritablement  celui  qui  rencontrerait  dans 
le  livre  de  M.  Féré  un  sujet  d'excitation  erotique  ne  pourrait  être  lui- 
môme  qu'un  malade.  Aussi  ne  saurais-je  trop  recommander  la  lecture 
de  cet  ouvrage,  surtout  à  tous  ceux,  médecins  ou  professeurs  et  insti- 
tuteurs, qui  ont  à  donner  des  conseils  en  matière  d'éducation  do  la  jeu- 
nesse, et  qui  dans  l'immense  majorité  des  cas,  si  peu  et  si  mal  élevés 
eux-mêmes,  ou  sont  ignorants  de  cette  question  do  l'instinct  sexuel  dans 
ses  détails  scientifiques  ou,  ce  qui  est  pire,  partagent  en  outre  tous  les 
préjuges  des  hommes  sur  l'irrésistibilité  de  cet  instinct  et  se  contentent 
de  dire  qu'  «  il  faut  que  jeunesse  se  passe  ».  On  verra  très  clairement 
démontré  que  cette  nécessité  d'une  conduite  immorale  n'est  nullement 
prouvée,  et  que  si  l'éducation  était  bien  comprise,  si  les  mœurs  géné- 
rales étaient  vraiment  bonnes,  la  règle  de  la  continence  absolue  en 
dehors  du  mariage  ne  souffrirait  que  les  exceptions...  qui  confirment 
la  règle.  C'est  que  l'instinct  sexuel  n'est  qu'un  instinct,  et  que  la  civili- 
sation consiste  précisément  dans  la  subordination  des  instincts  à  des 


ANALYSES.  —  c.  FÉRÉ,  V instinct  nezuel 


1S9 


sentiments  supérieurs,  permettant  seub  par  leur  prédominance  la  vie 
en    tiociété.  C'eat  que  la  morale  commande  h  l*homme  aussi  bien  qu*à 
la  f^mme  (il  n*y  a  pus  deux  morales)  la  continence  ou  le  mariai^e,  et 
dans    le  mariage,  la  chasteté»  c'est-à-dire  la  modération  dans  les  rap- 
ports sexuels.  Et  quo  i  on  ne  vienne  pas  obJÊ-cter  la  nécessité  physio- 
]o^ic]U6  de  l'acte  sexael  :  cette  nécessité,  M.  Féré  le  montre,  n'existe 
pas*    >Iais  il  faut  que  réducation  sexuelle  soit  faite  de  bonne  heure. 
L*eii.ro.rit  n'est  pas  raduUei  mats  cependant  les  organes  existent  et  se 
développent^  une  éducation  soigneusement  Taite^dans  et  par  la  famille, 
préserverait  Tentant  de  bien  des  dangers  et  Tadolescent  de  bien  des 
erreurs  quM  paie  souvent  fort  cher.  Non  seulement  ce  sont  des  dan- 
gers   txioraux:,  mais  ce  sont  aussi  des  dangers  pathologiques,  des  mala- 
dies oontagieuses  entre  nu  très,  qui  réagissent  même  sur  la  descendance 
avec   cette  intensité  que  if.  Fournier  a  si  bien  mise  en  lumière,  Montrer 
à  renfîint  et  au  jeune  homme,  à  chacun  suivant  son  âge,  Timportanee 
à&    la.   fonction  sexuelle,  la  gravité  de  cet  aete  qui  peut  entraîner  des 
con£ïéc|uences  si  lointaines  pour  Tindividu  et  pour  autrui,  est  assurément 
tine  tâ.che  délicate,  dillicile,  mais  qui  incombe  â  ceux  qui  sont  responsa- 
bleis  des  enfants  qu^ils  ont  mis  an  monde.  Ainsi  donc  pour  les  individus 
oot-n:ia.ux,  éduciition  qui  entraîne  la  continence  et  la  chasteté,  victoire 
des    sentiments  sociaux  sur  rinstinct,  voilà  le  but  qu  il  faut  poursuivre 
et   atteindre.  L  individu  et  Tespôce  s'en  trouveront  bien.  Quant  aux 
^norniaux,  c*est  encore  pins  simple  et  plus  sur,  La  continence  doit  être 
absolue.  Les  invertis  sexuels,  s'ils  sont  traités,  ne  doivent  pas  être 
poiistàer  à  reprendre  un  exercice  normal  de  Tinstinct.  Ils  doivent  s'abs- 
J^oîi*     complètement.   On  a   attribué  à    Thypnotisme   des   guérîsons 
^um,bles  de  malades  de  ce  genre.  Il  serait  très  fâcheux   que  cette 
&Meriaon,  si  elle  est  bien  démontrée,  eût  pour  conséquence  la  procréa- 
■On  _     Uq  inverti  est  le  plus  souvent  un  anormal,  un  dégénéré,  qui 
,Ppsir tient  à  la  catégorie  des  gens  dont  il  ne  fait  pas  bon  descendre  : 
'  **    ^éré  donne  deux  observations  â  1  appui  de  cette  opinion.  Si  donc  il 
*   ^    ^tte  catégorie  de  ces  malades  qui  peuvent  être  inllucncés  par  le 
/"*^*  Peinent,  ce  traitement  ne  doit  jamais  tendre  au  rétablissement  d'un 
'^•-^tionnement  normal,  qui  d*ailleura,  en  général,  serait  «  bien  plutôt  la 
H     ''v^rsiQn  de  rinverti  que  la  guéri  son  de  lin  vers  ion  »,  p  Pousser  les 
,    **'^^rtis  congénitaux  au  mariage  ou  aux   rapports  extra  conjugaux. 
_^^-*^t.    sigir  à  la  fois  contre  la  loi  naturelle  de  rinstinct,   contre  la  loi 
»*^**^îe  de  Tutilité  et  contre  la  loi  philosophique  de  l'évolution  ».  Ce 
^^   C|ue  lorsque  les  perversions  sont  sy m ptoma tiques  que  M,  Féré  se 
^    *^r*tre  moine  rigoureux  :  n  Certaines  perversions  épisodiques,  dit-il, 
*"»i^.nîfe3tent  sous  rinlluence  de  conditions  physiques  déterminées  et 
t*^t-aîssent  avec   ces  eonditions.  Ces  perversions    Font   nettement 
'     "^  F* thématiques  et  indépendantes  d'une  anomalie  congénitale.   Leur 
*^*  lation  naturelle  éclaire  la  voie  à  suivre  dans  le  traitement  des  per» 
t  _    ^ion<>  en  général  :  chercher  â  rétablir  les  conditions  physiologiques. 
">«B»vaisea  tendances  ont  disparu,  soit  sous  Tinfluence  du 


190 


ItEVtïE  PHriOSOMUOUI 


traiLeiiJont  physique»  soit  sous  J*îunueiice  du  traitement  tnoral,  si 
instincts  sexuels  norjnau:^  reprennent  aans  provocation  leur  allure  nor — ^ 
maie*  quelles  que  soient  les  réserves  qu'on  puisse  faire  sur  les  risque 
d'une  génération  défectueuse,  ïl  ne  reste  qu'à  laisser  aller*  »> 

Tout  ce  côté  hygiénique  ei  moral,  d'ailleurs  prédominant,  de  cetB^ 
ouvraîic,   est  ctayé  par   une   accumulation    prodigieuse»   ordiDaire  km^ 

M,  Feré,  de  faits  et  de  citations  et  par  de  curieuses  observations  per ^ 

sonnelles.  On  y  trouvera  aussi  des  expériences  ingénieuses  sur  les  .^ 
insectes,  montrant  que  chez  eux  l'inversion  congénitale  n  existe  pas 
et  que  les  rapports  anormaux  sont  le  résultat  d'une  erreur.  Et  Ton  8> 
convaincra  en  le  lisant,  je  le  répète»  que  v  la  vérité  et  la  science  n 
sont  jamais  immorales  n,  comme  XL  Féré  le  proclanae  dans  sa  préface.^ 
par  la  bonne  raison  que  la  vérité  et  la  science  sont  les  bases  mêmes 
de  la  morale. 

Ph.  Chaslin. 


Victor  Ifodât.  —  Lm  agso-ûik^,  la  cftciTÈ  psychique  ek  partico- 

LIER.  Paris,  frt^l*,  F.  Atcan, 

Les  malades  atteints  de  cécité  p*?ychique  ont  sans  doute  en  grande 
partie  les  sensations  visuelles,  puisque  l'acuité  visuelle  est  ordinaire- 
ment conservée  :  on  peut  donc  dire  qu*ils  voient,  mais  ils  sont  inca- 
pables de  reconnaître  ce  quils  voient.  Us  ont  la  sensation^  ils  n*ont 
pas  la  perception;  rébranlement  visuel  produit  par  Tobjet  ne  réveille 
plus  Timmense  cortège  des  anciennes  sensations:  il  y  a  perte  de  la 
reconnaissance  ou  de  lideniilication,  comme  le  dit  M,  Nodet,  il  y  a 
agno'fCie.  Cette  reconnaissance  qui  se  passe  dans  la  sphère  visuelle 
n'est  pas  la  seule;  il  y  a  aussi  les  reconnaissances  auditives  et  tactiles; 
chez  l'homme  les  reconnaissances  fondées  sur  rolfaction  et  la  gustattoa 
n'ont  pas  de  place  bien  démontrée.  La  reconnaissance  visuelle  joue  le 
rôle  prt.'pondéranE;  elle  prend  par  l'éducaiion  la  place  du  tact  en  grande 
partie;  si  bien  que  si  Tas^noscie  vi'^uelle  est  très  intense»  variable, 
s'accompagne  surtout  d'agnoscit*  ticttle  localisée,  le  malade  présente 
Taspeet  d'un  dêmi-nt:  il  soulTrc  d'agnodcic  multiple  ou  a^ymbolie,  tout 
comme  s'il  n'avait  plus  de  cerveau  pour  iiiiisi  dire.  Mais  la  démence 
est  encore  un  pas  de  plus  vers  l'abolition  du  fonctionnement  supérieur 
de  Tespèee  et  il  y  a  tous  les  intermédiaires  entre  la  démence  vraie  et 
Tagnoscie  vraie. 

Cette  cécité  psychique  s'accompagne  très  fréquemment  d^hémia* 
nopste  ordinatrcmentdroiteet  d'une  achromatopsie  spéciale^  achroma- 
topsif*  agno^cique.  Ainsi,  par  exemple,  un  malade  de  M.  Nodet  qui 
était  inL^apabïe  de  reyonnaître  du  jaune  ou  du  rouge  sur  demande, 
pO'ivait  reironnaîtrc  dans  un  ensemble  de  carrés  de  couleurs  diverses 
les  carrés  de  même  teinte.  Des  malades  de  Lissauer  et  de  Millier  pou* 
vaient,  d,ins  les  mêmes  ci rcona tances,  échantillonner  avec  assez  de  déli- 
catesse des  écheveaiix  de  même  nuance.  Il  y  a  quelquefois  des  troubles 


AiffALTSES,  —  c.  BALLET.  Swedenborg  191 

clana  lalootlisatLOn  dans  l'espace.  La  perception  des  formes  est  altérée 
p a i-c^  qu'elle  t^st  devenue  surtout  visuelle  par  réducation,  l/onent:itioa 
est  assez  souvent  perdue  dan^  des  cas  inten-ies.  Et  dans  ces  cas 
ifitenses  le  fonctionnement  inti^llecturl  des  territoires  des  autres  sens 
est  extrémem'*nt  troublé^  vu  Timportance  considérable  de  Télément 
viaueJ  dans  toute  perception  quelconque.  Aussi  Tétat  mental  est-il  très 
^Itftteilc^  h  débrouiller  ;  d'autant  plus  qu'il  semble  dans  certains  cas 
survenir  des  hallucinations  visuelles  qui  viennent  pervertir  rintellî- 
gence  seulement  obscurrie  des  malades. 

M-  Nodel  élimine  du  cadre  des  agnascies^  les  phénomènes  agnosoi- 
ques  fréquents  dans  les  psychoses,  dans  les  névroses,  dans  la  vie  ordi* 
naîre.  Au  fond  ils  ne  diffèrent  des  aî^'noscies  que  parce  qu'ils  sont 
plutôt  fonctionnels,  tandis  que  celles-ci  reposent  sur  une  destruction 
organique  palpable,  i/agnoscie  visuelle  pourrait  peut-être  être  produite 
par  une  lésion  purement  corticale;  eUt^  est  sûrement  produite  par  une 
lésion  portant  exclusivement  sur  la  substance  blanche  ou  tout  à  la  fois 
sur  celle-ci  et  sur  l'éoorce;  chaque  fois  qu*il  y  a  asymbolie,  agnoscie 
générale,  il  y  a  toujours  ïésian  en  même  temps  de  la  sphère  visuelle. 
Très  souvent,  dans  la  cécité  psychique,  il  y  a  double  lésion  des  lobes 
occipitaux;  quelqui^fois  elle  est  unique,  unilatérale:  elle  siège  alors  à 
gauche  ;  ce  qui  prouve  que  T hémisphère  gauche  ne  préside  pas  seule- 
ment au  langage,  mais  encore  ii  presque  tout  le  fonctionnement  supe- 
netlr  de  Tinteltigenee,  C'est  ce  que  Tauteur  a  observé  lui-même  îiprès 
Lis^iauer  et  Hahn.  Son  observation,  qui  porte  le  n°  t  dans  la  liste  des 
observations  reproduites,  au  nombre  de  67,  est  très  déraillee  et  un  bon 
typc^  du  syndrome  décnt.  l/autopsie  tU  reconnaître  un  ramollissement 
du  cuiiéust  du  lobule  fusilorme,  du  précunéus  gauche  et  du  bourrelet 
dij  corps  calleux, 

P.  C. 


*^îlbert  Ballet.  —  ^weoknuouo,  Paris,  1899^  Masson, 

*  '   tiallet  n'est  pas  le  seul  que  Tétude  intéressante  de  Swedenborg 

^^nté.  M,  Wdliam  W.  Ireland,  d.ms  son  livre  «  Throug^h  thc  ivory 

I  *t  nous  avait  déjà  donné  une  bonne  description  de  l'état  mental 

^^k  homme  remarquable,  M.  Ballet  ne  paraît  pas  en  avoir  pris  con- 

^    ^^î^Tiec   avant  de   redÎL'er  son  Itvre^  car  il   aurait  trouvé  relevés 

^'*   Tauteur  anglais  quelques  détails  intéressants  sur  l'ctat  physique 

^Swedenborg.  Ainsi  ceïui  ci  aurait  eu  un  peu  de  bégaiement  et  il 

*      ,^^t  eu,  d'après  ses  propres  dire^',  un  peu  suspects  d'ailleurs  d'inter- 

^^     *^^lion  délirante,  la  respiration  extrêmement  superficielle  et  pour 

I       ^*  parler  in^^ensible.  Mais  l'étude  de  M»  Ballet  est  bien  plus  appro- 

'^ie  au  point  de  vue  de  la  psychologie  pathologique  que  celle  do 

I    /*  prédécesseur;  elle  est  écrite  avec  cette  élégance  et  cette  clarté  qui 

ç^  *  ^<ml  habituelles.  M,  Ballet  range  Taffection  que  présente  à  considérer 

*^denborg  dans  le  cadre  de  la  théoiiianic  raisonnante,  à  côté  de  la 

^  y  Chose  raisonnante  des  régicides^  si  bien  décrite  par  Régis.  IL  place 


193  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Swedenborg  à  côté  de  sainte  Thérèse;  ce  sont  là  deux  types  des  plat,^^^ 
complets  de  cette  affection  mentale  qui,  pour  M.  Ballet,  constitue  un».«-^ 
«  espèce  morbide  ».  Je  me  demande  s'il  est  bien  permis  en  matière  ^ 
d'aliénation  proprement  dite  de  parler  d'espèce.  C'est  là,  pour  le  dir^r  ^j 
en  passant,  une  grave  question  que  M.  Ballet  n'aborde  d'ailleurs  pa  -^r:^^ 
et  que  je  me  garderai  bien  aussi  d'envisager  ici.  Mais  cette  remarquas-  q^ 
m'est  suggérée  par  ce  fait,  sur  lequel  appuie  M.  Ballet,  qu*à  côté  d^    ^^s 
mystiques  type   Swedenborg  il  y  a  des   mystiques    persécutés  q^^ui 
n'ont  pas  d'hallucinations  visuelles  et  qui  n'ont  que  des  hallucinatio        Qg 
auditives.  Ce  sont  des  affections  évidemment  différentes.  Et  pourt^^^u]^ 
j'ai  eu  l'occasion  de  voir  un  malade  fort  intéressant  qui  avait  à  la  f^c=)i8 
les  deux  sortes  d'affections.  C'était  bien  un  persécuté  auditif,  ses  per^i^é- 
cutions  étaient  d'ordre  mystique  et  en  plus  c'était  un  mystique  à  haL    Ma- 
cinations  visuelles,  à  exta>es;  il  cumulait  les  deux  délires  qui  s'étai^sot 
fusionnés  pour  n'en  faire  qu'un.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  trouvera  Tort 
instructif  et  agréable  à  lire  ce  petit  volume  :  l'auteur  met  si  bien      en 
relief  toutes  les  particularités  morbides  de  l'intelligence  de  8wi<l«n- 
borg,  ses  hallucinations  visuelles,  ses  extases,  ses  hallucinations  dmtes 
psycho-motrices  et  psychiques,  qui  ont  tenu  dans  sa  vie  une  place 
plus  considér;ible  que  chez  tout  autre  homme  célèbre.  Bien  que  S'vi/'O- 
denborg  ait  eu  une  influence  limitée,  il  y  a  encore,  même  à  Paris,  des 
croyants  swedenborgiens;  leur  nombre  serait  de  cent  mille  pour  toii^ 
la  terre.  Ce  travail  montre  une  fois  de  plus  le  rôle  inouï  qu'a  jou^  «* 
joue  encore  Terreur  pathologique  dans  la  vie  de  l'humanité,  gràc©    * 
l'iirnorance  de  celle-ci.  Arriverons-nous  jamais  à  dissiper  assez  octtt 
ignorance  pour  empêcher  l'action  mauvaise  du  rêve  et  de  nilusior»  * 
N'importe,  il  faut  y  travailler. 

P.  C. 


J.  Grasset.  —  Conférence  sur  la  supériorité  intellectuelle  e^ 
LA  NbVHOSE,  Montpellier,  19U0,  Coulel  et  lils. 

Le  génie  est  une  névrose,  voilà  ce  qu'on  entend  soutenir  depuis 
Moreau  de  Tours  et  Lombroso;  c'est-à-dire  que  le  génie  est  une  affec- 
tion nerveuse,  comme  le  crime  d'ailleurs.  Est-ce  vrai?  En  fait,  et  on  le 
voit  bien  par  l'énumération   des  nous  illustres  contenus  dans  cette 
brochure,  chez  «  les  supérieurs  intellectuels  on  trouve  très  fréquem- 
ment (le  plus  souvent  même)  les  signe»  d'une  névrose  plus  ou  moins 
caractérisée,  des  tares  névropathiques,  plus  ou  moins  graves,  un  état 
anormal  du  système  nerveux  ».  Mais  quel  est  le  rapport  entre  le  génie 
et  ces  lares  névropathiques  ?«  La  supériorité  et  la  névrose  ne  sont  reliées 
chez  le  même  individu  que  par  la  branche  commune.  Ce  tronc  commun 
est  un  tempérament  et  non  une  maladie.  De  ce  tronc  commun  sortent  des 
branches  de  vigueur  et  d'aspect  bien  différents:  l'une  rabougrie  et  mala- 
dive (c'est  la  névrose),  l'autre  d'une  magnifique  et  vigoureuse  fron- 
daison (c'est  le  génie).  Comprise  et  formulée  de  cette  manière  simple 


«^i 


>»; 


jkiVALTSES,  —  ARisTorE.  Pi^ûM^^es  sur  V amour  phi^sique    193 

et    ^i^iêtUote,  la  question  des  rapports  entre  la  supériorité  intellectualte 

et   la  névrose  n'a  plus  rallure  paradoxaie,  scandalisante  et  tapageuse 
quo  lui  donnent  les  théories  de  Moreau  de  Tours  et  surtout  do  Lora- 
broso  •*  Telle  est  la  réponse  que  fait  M.  Griisset  à  celte  question  qa*a 
tant    agité   1p  public   savant  et  même  ignorant.  Que  cette   réponse 
dîfTère  de  celle  quedonrie  Lombro^o.certes»  puisque  pour  Lombroso  le 
^éfiie  est  vraiment  pathologique ^  presque  de  Téptlepsie;  mats  }e  ne 
pense  pas  qu'elle  dilTère  tant  que  cela  de  celle  de  Moreau  de  Toura, 
134JIOS  ss^  Psychologie  morbide,  œuvre  d'ailleurs  prolixe  et  mal  composée, 
cêlui-ci  dit  nettement  :  «  Le  Géniet  c'eat-à-dire  la  plus  haute  expansion,  le 
Tiec  pluê  ultra  de  Tactivité  intellectuelle  n'eat-il  qu'une.*  neurone? Pour- 
quoi non "f  On  peut  très  bien,  ce  nous  semble,  acc**pter  cette  définition 
en  n*Hattachant  pa^  au  mot  névrose  un  sens  aussi  absolu  quo  lorsqull 
»'agit  de  modalités  différentes  des  organes  nerveux,  en  en  faisant  sim- 
plement le  synonyme  d*exahation  (nous  ne  disons  pas  trouble,  pertur- 
l>^tion)  des  facultés  intellectuelles,..  Le  mot  névrose  indiquerait  alon 
^Tie  disposition    particulière  de  ces  facultés,  dispositions  participani 
toujoyra  de  Tétat  physiologique,  mais  en  dépassant  déjà  les  limites  cl 
touchant  à  rétat  opposé,  ce    qui  d'ailleurs  a'ejÊpïiquo  si  bien  par  la 
**^ture  morbide  de  son  origine  p  *.  Ht  en  outre  ne  voit-on  pas  à  la  fin 
**^    volume  d'où  ast  tirée  la  citation  précédente,  une   planche  repré- 
sentant un  arbre  dont  les  ranreaux  distincts  ront  les  folies,  les  crtmef 
*^H   névralgies,  les  névroses,  les  maladies  organiques  nerveuses,  les 
»i^tel[|ggncesi  exceptionnelles^  et  dont  la  racine  commune,  est  ^*  Tétat 
«Or Veux  héréditaire  idiosyncrasique  *  ?  N*cst-ce  pas  là  n  le  tempéra^ 
Vf  ^*^t  nerveux  #  de  M.  Grasset?  Mais  qu'importe,  puisque  M,  Grassel 
**    ^n  très  bons  termes  des  choses  qui  sont,  à  mon  avis,  très  justes, 
^J^^   h  génie  ne  doit  pas  être  «  soigné  u,  mais  seulement  la  ncvrosc 
ï'i  table  coexistante,  et  ce^  au  grand  profit  du  génie. 

Ph.  Chasux. 


I 


fr 


,  ^*^*istote.  —  pROBLfeMEâ  SDR  L*AUOUii  PHYâïQUE,  traduits  du  grec  en 
^*S;^is  et  enrichis  dïinc  préface  et  d'un  commentaire  par  Agriook 
^  t>  ef  f f  e  u  nd  ;  Py r gopo  lis,  1  'Î(H  1 . 
^fc  ^\*^ ^  ouvrage,  tiré   â  vingt-cinq  exemplaires  seulement   sur  papiei 
j  ^^tmann,  est  une  traduction  nouvelle  d'un  fragment  fort  intèressani 

^^  *_  <^uvres  d'Anstote,  des  écrits  m  hypomnématiques  »,  renfermant  le! 


^ux  préparatoires  ou  accessoires  qui  servaient  à  ébaucher  ou  cor 


^^     "^rer  les  théories  du  philosophe.  Si  nous  en  croyons  le  traducteur 

^^  traduction  nouvelle  était  utile,  car  la  seule  qui  existât  déjà  ei 

'^ais«  celle  de  Barthélemy-Saint-Hilaîre  et  qui  date  de  1801,  étai 

^t  à  fait  mauvaise  pour  ce  qui  concerne  les  problèmes iiiir  t'amow 

.^'    J,  UùTÉûu  (de  Tours) .  La  pttjchotogiê  morbide  dam  sti  rapports^  etc.  Pa 


194  REVUE   PHILOSOFIItaUE 

physique.  Le  savant  helléniste  y  a  commis  des  contre^sena  fréquents 
et  mémea  risibles.par  exemple  au  problème  V;  et,  en  outre,  pris  d'un 
scrupule  intempestif  et  désireux  à  rexcès   de  a  niéna*2rer   une  juste 
pudeur  »,  il  6*est  évidemment  complu  à  épaissir  les  ténèbres  autoarj 
des  points  les  plus  scabreiiît  «  ;   aussi  les  notes  mises  à  la  Un  du 
volume  visent-elles  sou%'ent  la  rectification  d*erreurs  de  Barthélémy- 
Saint-Hilaire.  On  comprend  qu'il  me  so«t  impossible,  faute  de  compé* 
tenoe,  d^apprécier  ta  valeur  de  la  traduction  de  M.  Agricola  Lîeher* 
freund.  Mais  en  la  lisant,  on  a  Timpression  qu  elle  doit  être  eiaete; 
car  une  fois  admises  les  théories  antiques  sur  le  roi©  de  là  chaleur,  du 
tempérament  humide*  etc,  les  questions  que  se  pose  Arislote  et  les 
réponses  qu'il  se  fait  paraissent  bien  logiquement  liées.  Une  hugue 
préface  nous  expose  cette  physiologie  d'Artslote  qui  est  la  base  des 
réponses  formulées  dans  ces  problèmes.  Et  il  est  instructif  au  point 
de  vue  de  rhîsîoire  des  idées  en  physiologie  de  comparer  les  questions 
et  les  réponses  à  celles  que  Ton  poserait  de  nos  jours;  c*eatcequ*a  fait 
M.  Lieberfreuod  dans  les  notes.  Je  citerai  seulement  un  point  où  Aria- 
tote  se  trouve  en  partie  cotitîrmé  par  les  recherches  les  plus  réceniea.  Oo 
sait  que  les  pratiques  dues  â  l'inversion  sexuelle  étaient  très  fréqyeot^s 
en  Grèce,  et  pourtant  Ari&tote  reconnaît  que  ceux  qui,  renonçant  à  leur 
sexe,  subissaient  ces  pratiques^   devaient  être  des  gens   anormaux^ 
lorsque  ees  leodane^s  étaient  congénitales,  ou  des  vicieux  k»rsquellt*s 
étaient  acquises  par  la  débauche.  Quant  à  ceux  qui  en  profitaient,  A  ri®' 
tote  leur  montre  une  aussi  grande  indulgence,  explicable  par    l«^ 
mœurs  alors  rî'pandues.  Cette  traduclion  intéressera  donc  à  la  fois    l^® 
médecins  carîeuît  d'histoire  et  les  hellénistes  ;   la  préface,  les  no^es 
et  une  table  analytique  fort  bien  faite  sont  d'un  grand  secours  pci*^* 
la  compréhension  des  problèmes  eux*mèmes. 

P.  0. 


H-  Charlton  Baatian.  A  thkatise  on  aphasja  and  other  âPE^ 
OKrECTs;  London,  1898,  H,  K,  Lewis. 

L*auîeur  nous  prévient  que  ce  livre  contient  en  grande  partie  la    ^ 
production  de  ses  legous,  «  Lumleian  lectures  i\  «  On  some  Probl^^*^^ 
in  connection  wUh  aphasia  and  olher  speech  defects  a,  déjà  publiée 


et 


que  j'ai  analysées  Tannée  dernière  dans  la  Reoue,  Cette  reproduct»*-^^ 
est  contenue  dans  les  chapitres  l,  11,  Vf,  VÏIl  et  IX.  Le  chapitre  ^^ 
a  déjà  été  publié  aussi  sous  forme  d*itne  leçon   clinique  dans   ^f^ 
LsinceL  Aua^si  me  bornerai-je  à  dire  quelques  mots  seulement  sur  ('^ 
volume,  qui  constitue  un  traite  très  complet  et  très  précieux  de  raphasi^  ' 
IL  contient  in  extenso  ou  en  résumé  124  observations  qui  servent  d^ 
type  et  de  nombreux  diagrammes  illustrant  les  hypothèses  que  lei 
auteurs   et  M.  Charlton   Bastian  émettent   pour  expliquer    les  diffé- 
rentes formes  d'aphasie  ainsi  que  leurs  modes  de  guérisou.  On  sait 
en  effet  que  Taccord  est  loin  d'être  fait  aur  la  mécanisme  du  langage 


ANALYSES.  —  c,  BASïiAN,  A  treathc  on  aphasia         195 

e4:    d^  ses  troublés  et  que,  si  les  faits  cliniques  sont  déjà  assez  difncileâ 
h   ^t Didier  en  eux- mêmes ^  des  théories  diverses  ne  sont  pas  encore  près 
d*^ol^ircir  les   obscuritéa   de  la   question.  Aussi    ne  s'étonnera-t-OD 
PÏX.S    de  voir  M.  Charlton  Bastian  avoir  sur  bien  des  poltits  une  opinion 
personnelle,  ce  qui  fait  que  son  livre  doit  absolument  être  lu  par  ceux 
qui  ^t.udientla>i  diriici  le  question  de  raphasie.  Je  rappelle  que]ques*u  nés 
des    idées  partie  ulièro  s  de  Tau  leur.  Ainsi  M.  Bastian  s*ulève  avec  force 
cotit  re  r hypothèse  d'un  «  centre  spécial  pour  les  concepts  w;  ni  paycho^ 
logic^uemeut  ni  clinîquement  Texlstence  d*un  pareil  centre  n'est  admis- 
Bible,  Le  processus  de  la  conception  dérive  par  gradations  iopensibles 
du.  processus  de  la  perreption;  il  est  donc  probable  que  le  centre  sen- 
soriel doit  être  complété  par  des  «  annexes  »,  Ce.s  annexes  constituent 
^^oe   que  Fïeehsïg  appelle  territoires  associatifs.  M*  Bastiim  rapporte  à 
H^roa  dbetit  le  mérite  d'avoir  le  premierf  U  y  a  plus  de  vingt  ans  (1872), 
^reeonnu  l'indépend^ince  de  ces  territoires  vis-à-vis  des  fibres  pédon- 
Ouliiires  et  de  celles  du  corps  calleux  et  leur  rôle  spéciaL  Mais  pour 
lui   ils  ne  sont  que  les  «  annexes  o  des  centres  sensoriels  :  a  II  est^ 
j^   crois,  dît- il,  parf:iitement  ît-gitime  de  supposer  que  les*  annexes  des 
centres  sensoriels,  dont  je  viens  de  parler,  ter;dent  à  se  dévt^lopper 
*iane  les  directions  données  par  Broadbent  et  Flechsig,  quoiqu'on  doive 
^«si«r  dans  fincertitude  sur  la  surface  qu'ils  occupent  elfecLi veulent 
«ur  les  zones  indiquées.  Il  parait  aussi  probable  qui!  n'y  a  pas  une  ligne 
^^  démarcalion  trà[ieh»:e  entre  ces  annexes  et  les  divers  centres  sen- 
soriels, et  que  ks  renhrs  sensoriels,  combinés  avec  les  àunexf^s,  fonc- 
'**>nTïenf  hahitucUement  pfus   ou   moins  sifnuitanément.  Ainsi  les 
processus  de  la  perception  et  de  la  formation  des  concepts,  joints  aux 
^^Présentations  des  symboles  linguistiques,  sont  probablement  aussi 
ia»eparables  dans  leurs  localisations  que  dans  leur  nature  et  leurs 
^■P^odes  d'occurrence,  et  leur  substralum  anatomlque  doit  occuper  très 
ippi^obablement  une  surface  très  considérable  de  TécorcedeH  deuxhëmi- 
^p hères,  *  Les  centres  du  langage,  an  nombre  de  quatre,  doivent  être  à 

»*^  lois  ^nr  les  confins  des  centres  seusoriels  et  sur  ceux  de-i  annexes, 
►  On  ^Joit  faire  cette  supposition  parce  que  certains  mots  {particuliere- 
y^^nt  Icîs  noms  des  choses,  personnes  et  endroits)  sont  dans  la  relaiion 
a  plu  g  étroite  avec  les  centres  sensoriels,  tandis  que  d^autrea  mots, 
l^^mme  les  verbes,  adjectifs,  prépositions  et  d'autres  encore  qui  consti- 
f '■Ueni  la  charpente  du  langage,  sont  en  relations  plus  étroites  avec  les 
pï'cjcestjus  des  concepts,  a 

'îe  viens  de  dire  que  1rs  centres  du   langivge  sont  au  nombre  de 

^^atre.  C'est  que  Taule ur  admet  un  centre  spécial  pour  recriluie.  On 

Clique  son  existence  est  très  discutée;  un  des  derniers  travaux  faits 

**Mi8  Vinspiration  de  Dêjerine,  la  thèse  de  Mirallié^  analysée  ici  môme, 

**!  eontebtc  formellement  ta  leptimité.  M,  Bastian  trouve  une  preuve 

^  !  p  à  roxistenee  de  ce  centre  dans  le   fait  suivant,  qu'il  a 

sa  juste  valeur  il  y  a  déjà  bien  longtemps  :  dans  les   cas  de 

^^nle  où  la  malade  peut  écrire  spontanément,  il  peut  arriver 


196  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

à  lire  ce  qu'il  a  écrit  en  suivant  la  forme  des  lettres  avec  le  dofft. 
Mais  c'est  tout  à  fait  une  autre  question  d'ailleurs  et  qui  n'est  ^^as 
encore  résolue,  que  de  savoir  si  ce  centre  graphique  est  à  part  ou  c^^^- 
fondu  avec  celui  des  mouvements  ordinaires  du  bras  et  de  la  m»-  ^^' 
Mais  en  somme,  jusqu'à  présent,  rien  n'est  venu  démontrer  que  ^ 
centre  soit  réellement  distinct. 

M.  Charlton  Bastian  donne,  dans  un  autre  chapitre,  des  observation  '^^ 
intéressantes  d'amnésie  verbale,   dont  il  tire  des  conclusions  sur       ^^ 
fonctionnement  et  l'action  réciproque  des  différents  centres  du  l^fc-n* 
gage.  Pour  lui  le  centre  auditif  joue  un  rôle  prépondérant,  primordi  ^'» 
dans  récriture  spontanée  et  sous    dictée,  en  agissant  sur  le  060"^  ^ 
visuel,  tandis  que  dans  la  lecture  à  haute  voix  il  agit  sur  le  centfi^Te 
glosso-kinesthétique,  après   avoir  reçu  l'excitation    du  centre  visux^el 
verbal,  a  II  s'ensuit  que  le  trouble  du  langage  connu  sous  le  nc^^ 
d'amnésie  verbale  est  causé  presque  uniquement  par  un  affaiblissem^  ^^ 
de  l'activité  fonctionnelle  du  centre  auditif  verbal  et  seulement  dav3S 
des  cas  extrêmement  rares  (lorsque  le  malade  est  un  visuel  très  tra-^*^- 
ché),  par  TafTaiblissement  seul  du  fonctionnement  du  centre  visus-^^ 
verbal.  »  Kn  dehors  de  ces  derniers  cas  et  de  quelques  autres,  ni^  "MX^ 
ne  savons  rien  de  Tinlluence  du  trouble  fonctionnel  du  centre  visi-*^^^ 
verbal.  Il  arrive  néanmoins  parfois  que  ce  centre  a  subi  un  arrêt     ^i* 
développement  et  alors  il  y  a  une  grande  difficulté  à  apprendre  à  li«:"^  ? 
cet  acte  reste  toujours  malaisé  et  il  y  a  un  contraste  curieux,  dans  i»  ^^^ 
observation  de  M.  Charlton  Bastian,  entre  cette  difficulté  de  la  1^^^' 
ture,  la  mémoire  visuelle  des  mots  et  la  mémoire  des  événements     ^>** 
des  mots  parlés,  qui  est  suffisamment  bonne. 

Je  noterai  encore  la  façon  dont  M.  Bastian  explique  la  cécité  verb^^^ 
pure.  Pour  Déjerine,  ce  trouble  du  langage  est  produit  par  l'isolem^*^ 
absolu  du  centre  visuel  verbal,  siégeant  à  gauche,  d'avec  les  centf^^ 
visuels  situés  dans  chaque  hémisphère.  Pour  noire  auteur,  la  lési^^ 
isolerait  le  centre  visuel  verbal  gauche  non  seulement  du  centre  visU^-» 
du  même  côté,  mais  encore  du  centre  visuel  verbal  droit,  dont  il  adnfl^^ 
l'existence. 

J'ai  mentionné  la  grande  importance  que  M.   Bastian  attribue  au 
centre  auditif  verbal  ;  elle  est  bien  mise  en  relief  par  le  passage  suivant 
qui    résume  son   opinion   :    a  Dans  les  chapitres  VI,  VIII  et  IX,  je 
me  suis  efforcé  de  montrer  que  l'importance  exagérée  attachée  par 
beaucoup  aux  fonctions  du  centre  de  Broca  nest  pas  justitiée  parles 
faits;  que  quelques-uns  ont  supposé  trop  d'incapacités  résultant  de  sa 
destruction,  et  que  le  pouvoir  d'activité  indépendante  à  lui  attribué 
par  d'autres  n'existe  pas.  J'ai  essayé  de  montrer  la  façon  dont  ces  vues 
ont  intlaencé  des  auteurs  pour  leur  faire  nier  l'existence  d'un  centre 
cheiro-kinœstliétique,  et  la  nature  erronée  de  beaucoup  d'arguments 
donnés  pour  soutenir  ces  vues.  De  plus,  en  fai^^ant  allusion  à  la  nature 
peu  satisfaisante  de  la  nomenclature  en  vogue  à  présent,  j'ai  essayé  de 
montrer  que  la  soi-disant   «  aphasie  sensorielle  »  de  Wernicke  n'a 


AHALTSBS,  —  ALLEN  FAY.  Mar*riag€8  of  the  deaf  in  America    197 

pai  de  droit  à  rexlstence  infîépendaate,  comme  it  le  supposait^  mais 

qu'elle  con Lient  en   réalité  un   très  grand"  nombre   d*états   diatincU, 

qu'il  faul  étudier  Béparément  et  en  détail.  La  grande  importance  du 

centre  auditif  %'erbal  a  été  relevée,  ainsi  que  la  variété  des  troubles 

produits   par   lea   altérations   fonctionneUeft  ou  organiques  de  cette 

région,  et  par  son  isolement.  Une  étude  de  ces  résultats,  menée  en 

pandiçle  avec  celle  de?  troubles  moins  vané,'!î  résultant  de  la  maladie 

Qîi  de  lieolement  du  centre  visuel  verbal,  nous  a  amené  à  quelques 

eoiiduaions  nouvelles*  Nous  avons  vu  confirmée  Topinion  a  laquelle 

H0Ï18  aviona  été  primitivement  amené  sur  ^impuissance  relative  du 

centre  do  Broc  a  seuU  nous  avons  trouvé  la  preuve  d'un  très  grand 

nombre  inattendu  de  substitutions  possibles  entre  les  centres  visuels 

rt  ayditifs  verbaux  pour  la  production  du  langage  et  de  récriture,  et 

même,  chose  plus  surprenante  encore,  nous  avons  trouvé  de  bonnes 

raisons  pour  croire  que  les  deux  centres  auditifs  verbaux  agisgent  en 

rè^le  sur  le  centre  de  Broca  pour  ta  production  du  langage;  —  de  bonnes 

fAmons  pour  admettre  que,  rnéme  dans  une  opération  comparativement 

^innplede  perception^  c  omme  dans  une  opération  intellectuelle»  ce  sont 

dea  territoires  très  étendus  dans  les  deux  hémispht'res  cérébraux  qui 

^titrent  simultanément  en  jeu.  » 

Ph.  Chasun. 


I 


Edward  Allen  Fay.  —  Marriages  of  the  deaf  in  AMBaiCA;  Was- 
feiriiiçl^^jj^  1898,  Gibson  Bros.,  Printers  and  Hookbinders, 

1^»  Bureau  Voila  de  New- York,  chargé  de  f étude  des  sourds- muets, 
*  Pa^ironné  et  subventionné  une  étiorme  entreprise  de  statistique  con- 
f^^nant  les  Eourds  des  États-Unis,  conliée  au  D*"  K.-A,  Fay,  en  corré- 
l^tion  avec  le  onzième  recensement  genéraL  CVst  le  résultat  de  ce 
^^v%ii  qui  se  trouve  consigné  dans  le  présent  volume,  dont  les  deux 
^^^r^  ^ont   constitués  par   des   tabtes  statistiques.   Il   aboutit  à  des 
^ïitluôiotis  fort  intéressintes,  tjuoiquc  cellt^s-ci  pussent  en   somme 

I^^^e  prévues  en   s'appujant  sur  les  lois  générales  de  rhérédîté.  En 
"entreprenant  cette  râcbe  on  avait  pour  but  de  trouver  des  réponses 
^Uï  qufislions  principales  suivantes  : 
1*  Les  mariages  de  personnes  sourdes  sont-ils,  plus  que  les  mariages 
ûrdinairêâ,  féconds  en  enfants  muets? 

13°  Les  mariages  où  tes  deux  conjoints  sont  sourds  SQnl*ils  plus  fré- 
quemment féconda  en  enfatjta  sourds  que  les  mariages  oii  l'un  des 
conjoints  seulement  est  sourd? 
3**  Cerlaiues  catégories  de  sourds,  quels  que  soient  leurs  mariages, 
sont-elles  plus  lécondes  en  enfanta  sourds  que  d*autres'?  Et,  s'il  en  est 
ainsi,  comment  sont  composées  ces  catégories^  et  quelles  sont  les 
conditions  qui  font  augnienter  ou  diminuer  cette  fécondité  spéciale? 
4"  f^n  mettant  h  part  cette  question  de  la  surdité  des  enfants,  les 
mariages  où  les   deux  conjoints  sont  sourds  ont-ils  plus  de  chance 


198 


ftBVUE  PHlL0SOϻH1QtJE 


■oser 


d'êtfê  heureux  que  ceux  où  l'un  des  conjolnla  est  sourd  et  r-^^^=*utre 
pas? 

En  fia  d^autres  quesUons  moins  importantes  pouvaient  aussi  se 
à  l'occa&ïon  de  cette  slatistique. 

Toutes  ces  questions,  comme  on  peut  ie  voir  par  Tindex^  biblic»^» 
phique  plâtré  à  la  fin  du  volume,  ont  été  fort  dHoutées  en  Eum^^^ 
en  Amérique,  ce  qui  prouve  qu*elles  ont  reçu  des  réponses  fort  <^^B 
retues.  Ceîa  tient  en  partie  h  Unexactitude  des  recherches  statistic^-:^ 
et  aussi  à  ce  fait  curieux  qu'en  Amérique  les  sourds-muets  se  mac-—' 
en  nombre  plus  considérable  qu^ailleurs,  ce  qui  fait  que  les  staS-^  m  su-  ^i 
ques  portent  sur  des  nombres  très  difTm'ents.  Cette  plus  grande  *^^'  ^M 

queuce  des  mariages  entre  sourds  amérieains  est  probablement  *^^^  ^^ 

en  partie  à  Tabsence  des  obstacles  nombreux  qu'opposent  au  mar  r:^^^ 
uombre  d'Etats  européens  et  en  partie  aussi  à  la  situation  plus  a^^^^'^"' 
tageuse  des  sourds  au  point  de  vue  de  la  facilité  de  l'extstenc^^^     ® 
Amériq<te,  Cette  dernière  oondition  est  la  conséquence  de  Faugn^^  ^^ 
tation  des  écoles  spéciales  répandant  une  instruction  et  une  éduca^^-*      . 
intlispensabîes  à  la  vie  en  société.  Ici  les  chiffres  sont  extrèmeiï»^    ^^3        1 
élevés,  comme  ou  peut  s*en  rendre  compte  en  examinant  les  tab     ■*      Ji^M 
puisque  le  nombre  total  des  m  triages  dans  lesquels  un  des  conjo#  I^H 

ou  les  deux  étaient  sourds,  relatés  dans  les  recensements  des  Étr^^  .^^^.tx 
Unis  et  du  Canada,  s'élève  depuis  1801  jusqu'à  la  fin  de  juin  189)         \^b 
chilTres   de  4  Vît,   Les  unions  illégitimes   n'entrent   point   dans   '^^^^.^^^ 
tables;  on  les  trouve  mentionnées  en  appendice  (appendice  C)  et     ^^|^^ 
très  petit  îiombre,  \t.  Il  est  ourii^ux  de  comparer  ce  chiiïre  si  faiE^  -^^^]]^|^^, 
avec  celui  donné  pour  (*Eurupe  dans  une  statistique  de  M.  Mygir»*^^^^^.^ 
pour  certaines  régions  de  rAlîeniagnc  et  du  Danemark,  et  qui  mon^*'    ^^^ 
à  iO'2,  c'est-à-dire  à  -25  p.  100  des  unions  légitimes.  I!  est  inflniniet)-       ^^^^ 
probable  que  ce  chiffre  de  It?  n*est  pas  un  chiffre  exact;  mais  M.  S,-^-^^^^ 
Fay  se  déclare  néanmoins  convaincu  qu'en  Amérique  le  pourcentage  ^^ 

comparatif  doit  être  exlrêmemeni  éloigné  de  celui  obtenu  en  Europe, 
D'ailleurs  il  y  a  quelqu'î  chr^se  d'évidemment  vioié  dans  les  bases  sta- 
tistiques de  ces  unions  illégitimes,  car  celles-ci  semblent  donner, 
d*après  les  chiffres  recueillis  aussi  bien  en  Amérique  qu'en  Europe^  ce 
résultat  singulier  d'être  bien  pins  fécondes  en  enfants  sourds  que  les 
mariages  légitimes.  Cela  tient  très  probablement  à  ce  fait  que  seules 
les  unions  illégitimes  sont  connues  lorsque  les  enfants  étant  sourds 
sont  envoyés  aux  écoles  epécialesi  tandis  qu'elles  passent  inaperçues  si 
les  enfants  étant  normaux  sont  confondus  avec  les  autres  dans  les 
écoles  ordinaires. 

Un  peut  remarquer  dans  les  chiffres  donnés  que  le  nombre  des  per- 
sonnes sourdes  qui  se  marient  entrt^  elles  est  bien  plus  considérable 
qtie  celui  des  personnes  sourdes  qui  épousent  un  individu  normal,  Lea 
mariages  entre  sourds  ou  entre  sourd  et  normal  sont  un  peu  naoîns 
féconds  que  les  mariages  ordinaires.  Quant  aux  réponses  aux  ques- 
tions que  Ton  s'était  posées  en  entreprenant  cette  énorme  statistique. 


M^Tm  .A.hYSBS.  —  ALLEN  VAY,  Man'îageB  ofthedeaf  m  America 

otx    1^3  trouvera  dans  les  cond usions  suivantes,  qui  résument  le  travail 
toia^ti  entier, 

H  I^^s  mariages  de  peraonnes  sourdes  (un  conjoint  ou  les  deux)  pris 
^n.  toïoc  sont  plus  féconds  en  enfants  sourds  que  les  mariages  ordî- 
na^ii*es.  9,7  p*  lOÛ  des  premiers  donnent  des  enfants  sonrds.  La  propor- 
tior%  de  ceux-ci  aux  enfants  normaux  est  de  ë,i>  p,  100.  Tandis  qu*il 
est.  probable  que  le  pourcentage  pour  les  mariages  normaux  est 
aaoîndre  de  1/10  p,  100. 

l[>*tin  autre  côté  les  mariages  de  sourds  sont  de  beaucoup  plus  fré- 
qixemment  féconds  en  enfants  entendants  qu*en  sourds,  la  proportion 
deM  entendants  étant  de  75  p.  100  contre  â,6  (sur  les  i0,2  p.  100  d'en- 
fa.nt.s  restants  on  n'a  pas  de  renseignements), 

»3>«>.tls  avoir  égard  â  la  nature  de  la  surdité,  en  prenant  celle-ci 
eomtne  une,  les  mariages  entre  deux  sourds  ne  sont  pas  plus  frêquem- 
tncînt  féconds  en  enfants  sourds  que  les  mariages  où  Tun  des  conjoints 
Beixl  est  sourd»  et  même  cette  fréquence  paraît  moindre.  Ce  résultat 
petit  paraitnt  à  première  vue  en  contradiL-tion  avec  les  lois  do  riiéro* 
clit4^  ;  mais  en  y  réJléchîssant,  on  s'apertjoit  bien  vite  que  ïa  surdité,  qui 
L     u*est  qu'un  symptôme,  ne  se  transmet  pa^  comme  surdité;  c'est  eeule- 

■  meot  ranomalie  ou  la  prédisposition  conditionnant  la  surdité  qui  est 
^  trmiismissible,  et  comme  ce  n*est  pas  la  même  chez  chaque  sourd,  il 

s'eoauît  que  le  mariage  d'un  sourd  avec  une  sourde  ne  double  pas  sur 
l*  tête  de  Tenfant  Théritage  d'un  même  genr*^  de  surdité^  puisque 
©elle^ji  peut  être  d'origine  différente  pour  chaque  parent.  Il  y  a  excep- 
tion là  où  le  mariage  est  consanguin,  assez  rare  heureusement,  puis* 
qu*U  y  a  seulement  31  unions  de  ce  genre  inscrites  dans  les  tables  star 
tifitiqyes.  45  p.  100  de  ces  31  unions  donnèrent  des  enfants  sourds  et  la 
proportion  des  enfants  sourds  est  de  30  p.  100»  Et  c'est  encore  la  con- 
®«aé ration  de  la  consanguinité  qui  explique  cctle  anomalie  apparente 

■  «lue    les  mariages  entre  sourds  sont   plus   fréquemment   féconds  en 
H  ^iifa,Qts  sourds  quand  un  des  conjoints  ne  l'cstpas,  que  quand  les  deux 

^ï^joitits  sont  sourds;  car  datjs  le  premier  cas   la   proportion  des 

triages  consanguins  (2  p,  loti)  est  plus  grande  que  pour  le  second 

^^  (où  il  n'est  qut?  de  0,37  p.  100).  Les  sourds  de  naissanc^e  donnent 

P  u^  fréquemment  des  enfants  sourds  que  les  sourds  par  aHection 

^^<\  iiïse. 

j,  ^^  présence  de  parents  sourds  dans  la  famille  accroît  le»  chances 

^voîrdes  enfanta  sourds.  «  Si  une  personne  sourde,  congénitale  ment 

^  Cîccasionnellement.  a  de»  parents  sourds,  eite  est,  quel  que  soit  son 

^**iage  (avec  une  autre  personne  sourde  ou  saine)  capable  d'avoir 

^  entants  sourds,  cette  capacité  étant  beaucoup  plus  grande  pour> 

**l  lursque  la  surdité  est  congénitale;  et  si  une  personne  sourde, 

^t"'  ou  sans  parents  sourds,  épouse  une  personne  sourde  ou  non, 

^ii  qui  a  dea  parents  sourds,  le  mariage  peut  produire  des  enfants 

.  ^rds;  lorsque  des  deux  cotés  il  y  a  des  ascendants  sourds  la  chance 

*^^oir  de»  enfants  sourds  augmente  considérablement,  n  Mais  les 


200  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

mariages  les  plus  féconds  en  sourds  sont  les  consanguins,  comme  il  a 

été  déjà  dit  plus  haut,  et  ce  que  ce  soit  entre  deux  personnes  sourdes^iMes 
ou  entre  un  sourd  et  une  personne  normale,  avec  ou  sans  parenflr  ^ts 
sourds,  et  quel  que  soit  le  degré  de  parenté  et  que  la  surdité  so^czDit 
acquise  ou  congénitale;  il  n'importe,  la  consanguinité  suffit,  pounii  ^\n 
qu*il  y  ait  un  sourd,  pour  que  ce  sourd  ait  une  puissance  de  transmis  ^Sa- 
sion  considérable. 

Tout  ceci  est  fort  intéressant  et  cadre  complètement  avec  les  lois  < 
rhérédité  telles  qu'on  peut  si  bien  les  établir  chez  les  animaux  dôme 
tiques  et  que  j'ai  résumées  ici  même  en  analysant  Texcellent  livre  ( 
A.  Sanson,  L'hérédité  normale  et  pathologique.  Une  deuxième  cona 
dération,  qu'on  ne  peut  envisager  à  propos  des  animaux,  termine 
statistiques  :  c'est  le  problème  du  a  bonheur  »  qui  la  fournit.  Et 
ff  bonheur  »  est  mesuré  par  la  proportion  des  divorces  et  séparatio 
qui  ont  lieu  dans  les  diverses  catégories  de  mariages.  Les  plus  heure 
sont  ceux  qui  ont  lieu  entre  deux  sourds,  puisque  la  rupture  du  li 
conjugal  n'arrive  alors  que  2,5  fois  sur  lOO  contre  6,4  fois  sur  iOOda 
le  cas  d'un  conjoint  seul  atteint  de  surdité. 

Ph.  Chaslin. 


Theodor  Lippe.  —  Suggestion  und  hypnose.  Eine  psychologisc^he 
Vutcrsuchung.  Aus  den  Sitzungsberichten  der  philos,,  philoL  ic-  "^rf 
histor.  Classo  der  K.  Bayer.  Akad.  der  Wiss.  1897,  Bd  II,  Heft  ■IH, 
Mûnohen.  189S. 

La  définition  préalable  de  la  suggestion  est,  pour  M.  Lipps,  la  9 'vi- 
vante :  c'est  l'évocation  d'une  influence  psychique  par  Téveil  d*i9-A® 
représentation,  évocation  qui,  à  l'état  normal,  n'a  pas  lieu  par  l'éveil      ^^ 
cette  représentation.  Comment  cela  peut-il  arriver?  Il  faut  examiner     ®® 
qui  se  passe  dans  le  cas  le  plus  simple,  la  suggestion  d'une  hallucinati^'^j 
Et  pour  comprendre  ce  cas,  il  faut  d'abord  voir  si  l'on  peut  répondra  * 
cette  autre  question  :  est-il  compréhensible  qu'une  représentation,  s^^^** 
plus,  se  change  en  une  sensation?  11  est  facile  de  répondre  oui.  La  t^^*^" 
danoe  naturelle  d'une  représentation  est  de  devenir  sensation.  D^^^^ 
l'état  habituel,  ce  qui  fait  que  nous  ne  sommes  pas  constamment^       _,^ 
proie  d'hallucinations,  c'est  que  l'ensemble  de  la  vie  psychique     ^^^^g 
oppose.  L'hallucination  est  la  représentation  complète;  elle  n'a  t^^^^,„^u 
lieu  parce  que  cotte  représentation  est  entraînée  dans  les  liens     ^"^^^-^ 
c  oui  plexus  d'autres  repré&entaticns  et  de  sensations,  ou,  plus  en  dét^^         f. 
parce  qu'elle  est  soumise  à  l'action  des  facteurs  suivants  :  conçue "^^^. 
rence  do  tous  les  contenus  psychiques  entre  eux  pour  la  force  P^3^^^ 
chique  limitée,  ia  tendanee  à  1  égalisation  et  à  l'écoulement,  et  opp^^^^'^g 
sition  do  nxnivemcnts  psvohiques  qui  solèvent  immédiatement.  Cet^^^^ 
représentation  peut  devenir  plus  intense,  dans  certaines  condîtioo^^ 
parmi  lesquelles  conditions  son;  rabsenco  des  facteurs  cités  plus  haut    — ' 
Pour  revenir  au  cas  do  rhallucir.ation  suggérée,  que  constate-t-on  psy- 


ATTALTSES.  —  l  GHHTTT.  li  îremotê  essmizîale  0rêditario      201 

cÎTologiquementfEn  quoi  consiste  psychologiquement  la  suggestibilité? 

I  Hlle  consiste»  répond  M*  Lipps,  dans  un  amoindrissement  de  Texcita- 

^ft      Milité  psychique,  avec  conservation  tout  au  moins  j'elative  de  la  force 

^M      psychique»  c*est-à*dire  que  les  processus  psychiques  sont  moins  étendus 

^m      ^o^^t  en  conservant  a  peu  près  la  même  intensité,  8î,  par  exemple,  on 

^r      P^m^ie  devant  moi  d'une  douleur  et  que  je  sois  euggestible^  je  resaen- 

I  ti»^^j  cette  douleur.  La  représentation  de  la  douleur,  au  lieu  d*évoquer 

**^  *-*t  le  reste  du  cortège,  est  restée  seule  pour  ainsi  dire  et  ainsi  gagne 

î^**^ 'Ur  elle  seule  une  partie  de  la  force  psychique  disponible;  elle  a 

*^*^^î  à  sa  tendance  naturelle  de  se  transformer  en  sensation. 

"^out  le  reste  de  la  suggestion  suit  de  là;  une  explication  fort  ana- 

**^^^ue  peut  être  donnée  pour  les  autres  genres  de  suggestions,  bien 

q  ^.^  «  plus  compliquées,  lorsqu'il  s'agit  de  jugements  ou  d*actes  volon- 

^^^  1  res  :  un  jugement  entendu  tend  naturellement  à  être  cru,  un  acte 

^-ac^cuté  devant  nos  yeux  à  être  exécute  par  nous,  Texpression  d'une 

^^""«:»  Ion  té  à  être  reproduite.  Ce  sont  les  autres  processus  întellectueU 

<ï  M^^  i  sy  opposent,  excepté  quand  nous  sommes  suggçstiblcs  et  nous  le 

^«:>xumes  tous.  La  suggestion  est  de  tous  les  instants  et  joue  son  rôle 

p^^7tout;  ses  conditions  sont  très  bien  étudiées  par  M.  Lîpps.  Il  remarque 

^"^^ec  justesse  que  la  première  condition  pour  suggestionner  les  autres 

^  ^%  de  se  suggestionner  soi-même,  c*est-â-dire  d'avoir  une  conliance 

i  1  A  mmitée  en  soi*  On  comprend  facilement  d'après  ce  que  je  viens  de 

«i  m  M— e  que,  pour  M,  Lipps,  la  suggestion  hypnotique  n'est  qu'un  cas  par- 

^i  *z-^  ^lier  de  la  suggestion  ;  n  Thypnose  est  un  état  de  sommeil  provoqué 

^>^».x*  suggestion^  qui  entraîne  on  lui  une  capacité  plus  grande  de  sug- 

^^^^^tîbihté  «^  et  rien  de  plus.  Pour  lui  la  suggestion  post-hypnotique 

^^^^iplique  par  le  renouvellement  de  Thypnose  au  moment  de  Thallu- 

^^  c::^  M  «talion  ou  de  l'acte  suggestionné.  Tout  cela  est  expliqué  avec  beau- 

^B^^<z>^:ip  de  détaib  et  rappelle  certaines  vues  de  Wuiidt  sur  le  même 

^M   ^m^MJtL  Ces  explications  sont  exclusivement  psychologiques;  ce  ne  sont 

^^  ^s^m:^     idéalité   qu'une  constatation  des  faits  psychologiques  eux*mômes 

^^*-*^i  intervention  aucune  des  interprétations  physiologiques  que  Ton 

F^*^  errait  donner*  11  serait  intéressant  de  faire  une  comparaison  entre 

^  ^  ^     deux  ordres  d^  «  explications  ». 

P.  C, 


I 


»»-» 
»=^. 


B.  Uglietti.  —  Il  themorp  esSënztale  EtiBOiTABiO  (tromofilia)» 

^'ôn/erTn;c  cliniche  Ualiane.  direlte  dal  prof.  Achille  de  Giovanni; 

^*'*ice«co  Vallardi  edit, 

^^l^^^oi  est  une  étude  clinique  sur  une  variété  de  tremblement,  trem- 

j^»     **^ent  héréditaire^  qui  a  des  caractères  spéciaux.  Après  avoir  montré 

^  j      *-*Ord  la  difFiculté  de  Tétude  approfondie  du  tremblement  en  général, 

^        ^«^ylté  qui  va  si  loin  que  la  délinitioa  exacte  de  ce  symptôme  est 

^•^re  à  trouver,  ^L  Ughetti,  rappelant  la  classification  des  tremble- 

^t«  et  en  citant  deux,  dont  Tune  fort  longue  de  Massalongo,  en  pro^ 


Tremblement  > 


20â  ftEVUE    PHILOSOPHIQUE 

pose  une  à  son  tour  pîus  simple,  ce  qui  a  pour  principal  avantage  de 
réunir  les  tremblements  physiologiques  aux  pathologiques  par  uaA 
gradation  insensible  : 

émotif  (amour,  colère,  peur,  eto,); 

par  tJéséquilibre  thermique   {froid   extérieur,   hyper- 
thermie; 

par  intoxication  (alcool,  café,  tabac,  etc,)î 
l  essentiel,  héréditaire  hu  tromophilie; 
I  paraffaiblisaementc-énéral (sénilité, convalescence, etê.) 

par  maladies  orgainqucs  des  centres  ou  des  nerfs; 

par  névroses  (hystérie,  mal.  de  Basedow,  etc.). 
A  roccasion  d'un  cas  étudié  par  lui,  l'auteur  a  inventé  un  nouv^el  appa- 
reil, par  transformation  d*une  espèce  de  dynanomèire  à  ressort  qui 
sert  a  peser  des  objets.  Ce  tremblement  héréditaire  a  ceci  de  curreiis 
qu*il  est  le  plus  souvent  sans  relation  avec  d'autres  phénomènes  tievro* 
pathiques  oti  psychopathi^ues  dans  les  familles  où  on  le  renconlre* 
Pourtant  duns  la   famille  qu'il  a   particulièrement   étudiée  dans    uQ 
mémoire  antérieur,  l'auteur  a  remarqué  une  seDsibillté  morale  exquise, 
et  un  peu  de  facilité  à  réagir  aux  impressions  (rougeur,  etc,j.  Il  repro- 
duit le  tableau   généalogique  de    plusieurs  familles  atteintes  de    ce 
tremblement  et  entre  autres  cinq  observations  personnelles.  Ce  Irein* 
blemcnt  héréditaire  a  certîiins  caractères  qui  lui  sont  peut-être  par^ 
tlculiers,  entre  autres  d'être  essentiellement  variables  sous  IHnllueucie 
d'une  foule  de  circonstances.  Je  ne  m'étends  pas  davantage  sur  cet 
intéressant  sujet  un  peu  spécial;  je  me  borne  à  signaler  ce  mémoire, 
qui  mérite  d'être  lu. 


IV.  —  Philosophie  de  l'histoire.  Sociologie. 


Schtiller.     Die     WlBTHSCHAFTSPOLtTIK    DER    HiSTOtUSCHBN    SCHOtE. 

Berlin,  lleyraann,  1899,  t  voL  in-8",  !3I  p. 

Sous  ce  titre,  l'auteur  nous  fait  lire  une  histoire,  sommaire  etcepen* 
dunt  explicite,  de  la  science  économique  en  Allemagne  depuis  Adam 
Smith.  L'histoire  des  doctrines  est  ici  expressément  subordonnée  à 
rélucidatîoadu  problème  de  la  méihode.  Dans  la  période  historique  ou 
la  liberté  économique  était  en  jeu  la  méthode  analytique  et  déductive 
a  seule  &u  interpréter  vraiment  les  besoins  de  la  Société  alors  que 
recule  historique  ne  savait  faire  autre  chose  que  chercher  un©  conei* 
liation  impossible  entre  les  thèses  oppo:»ées  de  Técote  libérale  et  de 
Tecole  féodale.  Donc,  dans  la  période  actuelle,  où  le  problème  de  la 
protection  due  au  travail  appelle  une  solution,  il  faut  savoir  écarter 
I*historisme  et  revenir  à  une  méthode  permettant  d'extraire  des  faits 
les  lois  générales  et  de  tirer  de  ces  lois  des  principes  dont  on  puisse 
déduire  la  solution  que  chaque  question  pratique  réclame. 


I 


AifALYSES.  —  scuCller.  Diê  WirthschafispolUik  â03 

L'hîstorîsiûe  n&  date  pas  de  la  célèbre  école  représentée  par  Roscher, 
Kciies  et  Hillebrand.  Ceux-ci,  qui  vinrent  h  un  moment  ou  Féconomie 
abstraite  ne  produisait  plus  que  des  pubUeîstes  et  où  ses  partisans,  les 
prince-Smith,  les  Max  Wirth,  les  Sciihllze-Delitach,  s'éeartaient  des 
doctrines  et  de  la  méthode  iraparti.de  de  Stnith  pour  verser,  comme 
l'école  de  Oastiat.dans  un  optimisme  suspect,  avaient  eu  de  nombreux 
M  laborieux  prtjcurseurâ  dans  la  période  qui  s'écoule  entre  le  joaéphi- 
■nisrne  et  rétablisâement  du  ZoUverein,  période  qui  vit  s'accomplir  les 
réformes  de  Stein  et  de  Hardenberg  et  celles,  plus  brutales  ot  plus 
radicales*  que  le  régime  napoléonien  imposa  à  T Allemagne  occiden- 
tale et  méridionale* 

Deux  écoles  radicalement  opposées  se  disputaient  alors  la  confiance 
de  lopinion  et  celle  du  pouvoir.  C'était  d'abord  Técole  d'Adam  Smith, 
reprc^âenlée  par  Kraus^  le  collègue  de  Kant  a  Kœnigsberg,  par  Jakob, 
par  Rau,  Lotz,  Ilufeland  et  Nebenius,  école  ouvertement  solidaire  des 
idées  morales  de  Kant  et  que  Steîn,  Humboldt  et  Hardenberg  avaient 
comme  installée  au  pouvoir  en  Prusse  après  léna:c  était  à  Textreme 
opposé  récole  féodale  que  défendait  Halîer  dans  TAi  le  magne  du  Nord, 
Adam  M  ii lier  en  Autriche,  et  que  les  hommes  d'État  de  la  Sainte-Alliance 
prirent  ouvertement  pour  guide.  A.  Millier  montrait  plus  d'habileté 
que  Kaller  dans  Tart  de  concilier  la  défense  du  régime  féodal  avec  les 
ménagements  dus  aux  idées  modernes.  Halle r  faisait  le  panégyrique 
du  moyen  âge;  Millier  voulait  conserver,  dans  rintérôt  de  TÉtat,  les 
conditions  économiques  d'une  «  saine  noblesse,  •  mais,  comme  Haller, 
il  voyait  dans  la  féodalité  une  merveillçuse  fusion  des  personnes  et 
des  choses.  Comme  lui  il  considérait  le  servage  de  laglèb^,  le  régime 
corporatif,  Texistencc  de  petits  territoires  économiques  indépendants 
de  rensemhle  comme  les  éléments  de  rÊtat  social  normal,  tandis  que 
le  libérait^ me  économique  n'était  à  ses  yeux  qu^ucie  hypothèse  assise 
en  Tair  et  une  utopie  sans  avenir. 

Que  Hrent  les  premiers  représentants  de  Thistorisme^  qu'il  faut 
d'alUeurs  rapprocher  de  l'école  juridique  dont  Savigny  a  été  le  chef 
liien  connu?  Ils  prétendirent  écîvrter  toute  discussion  des  principes,  la 
Vîe  sociale  ne  supportant  l'application  d'aucune  formule  générale.  Ile 
ftemandèrent  à  la  méthode  historique  de  les  aider  à  choisir  entre  les 
solutions  préconisées  par  les  deux  écoles,  l/un  d'eu3£^  Schmittheneri 
©e  reconnaît  que  deux  méthodes,  la  connaissance  par  concepts  inappli- 
j^able  à  la  matière  économique,  et  la  connaissance  historique*  Mais 
'pouvaient-îls  vr^'^iment  jouer  le  rôle  de  couciliateurs  qu'ils  s'attri- 
buaient? Non,  car  les  principes  de  Técole  féodale  n'avaient  pas  d'autre 
Ibndement  que  la  négation  des  principes  de  l'école  libérai e*  Les  parti- 
ivtns  de  l'historîsme  étaient  donc  conduits  4  faire  un  choix  arbitraire 
vntre  les  principes  des  deux  écoles  rivales,  un  choix  dicté,  non  par  la 
ioience,  maïs  par  les  allinités  particulières  auxquelles  chacun  d*enx 
obéts^^ait*  C'est  ainsi  que  Schùller  distingue  parmi  eux  deux  groupes, 
le  groape  des  agra riens  et  le  groupe  des  mercantllistes. 


.•-•:i::  Oarvc,  le  comte  de  So»  i'-'". 
...  .  r;  '     .-  -•■i.vont  conti-f  l'esprit  des      i*«- 
■   -    .1    .- :uiit:on   des  paysans  et  coi'-îi'" 
^    ■•    .-■  i:.';e>  là  où  elles  existent  enc^-*:''-- 
•. '..■   -  -■  v.   raies  et  ne  croient  qu'aux  tr;t  i»-*- 
::s    conditions   de    la     prodiu*  *  i  «^- ^^ 
:■      ■  .  <  seiimeuriaux  le  même  respect   i^i-i»? 
'■  cricté  ;  ils  nient  que  les  clasr^es  rum  1  ^  '=> 
•   ;r"f  pour  la  liberté   économique.     l'-f^ 
•    c'.'e  vie  la  liberté  commerciale,  car  ra^t*!- 
...   i"  ..i  classe  (les  LTands  propriétaires    *  '-"^t 
rotection  artilicielle  accordée  à  riiul  'i  =^' 
.-ri.:*  les  '^alaires  dans  les  villes  et,  le  .-^♦"--i*- 
■■■  :•>:  luraux. 

•  nri   LudiMi.  Schmitthener.  Piihtz.  Je.iii 
-  -'clanjent  une  contrainte  qui  suboidon  i  *<^ 
:  -  l'.ces  deFliarmonie  économique:  il>  rc[>3'<  '' 
..i:x  de  rt'duiie,  en  matière  éconouiiqu  c^-    ^  *-^ 
.-   -.rirement  ncL-atif  rt  de  n  avoir  aucuîu-   :iJ<--'^ 
...  .>  do  la  vie  sociale.  Ils  accordent  que  le  ré2i/'  ^  '■  ' 
■■'::•■  ià  où  il  est  devenu  opprt.'ssif.  nuii^  iN  p/"*  '" 
:  faire  table  rase.   Ils  veulent   que  la  natMX"'^' 
.  •  -c:i  acti\itcintcrieure  se<  besoins  élémeutairi--*  ^ 
,     ..■    u\e.  Ils  coU'-tatent  qu'un  peuple  con.niein'  *'" 
■V  tributaire  de  i'nidusîrie  ('tranj/cre.  mais  qu^^ 
, .  tiianciper  :\  :aul  à  son  industrie  naissante  ui  ^ 
.  .le  privilège. 
,■   ••stt)rique  -virt  Lrrandie  île  cette  critique,  iîeurou- 
■..•  exp0"^ition  Kiipa:  ::a^e  d-s  iaits. 

■  ■::   le   rei-roclic    li  ^iVMJr    t-iudié    !e>   phénoiaci.cs 
;cun  prii:c.j-i  ':   Sc:."..l'.r.  c;iî'.   le   iiii  adre-so,  cuii- 

-  T-écepte^  '^-rati^ui- a\  ec  !•  -  ••:'i;c«.'p'.  s  ;ieuri-t'aiu«> 

■  ou  à  rai-^.-'-   ]\^k'\k'   :.:>:<  i;[u<'  t'.Lidani:.c   hi   p:é- 
■•■•  11'  devr"-.':-  t'v  :..■!..:  r..-.  a  d'--*  I'i-l'Ic-  uriivcr.-r-ilcs. 

i  ;à  une  l!  ...  .;:■  ;  .v!i  li'  !.:i.o.  i:  nen  résulte  pa*-  ',ue 

^>e  pas  à  (K  <  ^  .  :.i  -  :  •-  li;:  i-.  :.■  :rs  iju.md  elle  pr^-cède 

-.i'i-:que;  c!"...'  o-t  ^.::  _    ».   :■;■.:■  deux  ".ili  us.  rui.  ».•  île  la 

îvnlsetl.u   -     .:' [  ■  y   :..  \;::-  .:••-:    rmo- de  l'ai-tiv  il':' 

.••.•ndam:  .      .\  :   .■  :;.   .        \.  ..  ■    .'.•  -   r..p;ûvts  e:.tre   '.; 

.  .a:res  et  ^  .  .  .    .;^  -  •  .:N -..■  -.  «   .. -:   -u.-'   !'cniai:cirtaîion 

.u>e  qr.t     .      .       -    •      •    .    >■     -    v  ,  :'.vi::.'<  l'-'i.d.tîi:.^ 

.  ^  inple  r...  V        ^^;  :      •  :  .;     ..    :  .        ^>-   ::  o:  .i>-  l-  cl  du 

.  .  uiatio;:    -.  >     -         .::..:  -:^a-  .i'Adani  >ini:ii 

^i-i,  c'est    q\.    .  'v    _    :.\-  :■  •  iv.-:-\  :.   a    vies  ai:r.:'ii- 

.^  r:ves,  a'i'V-  .•    .     .      ^  :    :  _     . .  ■:  :.:;:r.  :.:  i.:>-éde 

:    .0  summu:     ..;.    .    ^    ..    --.      .»•.  .    ^  e    C  "..:.  .  On    peur. 


ANALYSES.  SCHULLER.  Die  WirthschaftspoUtik,  205 

api-ês  examen,  juger  ces  idées  mal  fondées,  maison  ne  peut  équitable- 
ment  qualifier  d'empiriques  des  savants  qui  mettaient  en  œuvre  des 
hypothèses  sociologiques  de  cette  généralité.  Schûller  sMnflige  à  lui- 
même  un  démenti,  car  il  rapproche  Thistorisme  allemand  du  comtisme. 
Dr  on  peut  faire  à  Comte  tous  les  reproches  sauf  celui  d'avoir  été  un 
empirique  et  d*avoir  interdit  au  savant  Tusage  de  l'hypothèse. 

Bntre  les  féodaux  et  les  individualistes,  les  représentants  de  Thisto- 
risme  font  seuls  œuvre  de  savants.  Les  disciples  de  Smith  servent  les 
at;érêts  des  commerçants,  MùUer  et  Haller  les  intérêts  de  la  grande 
)ropriété  foncière  :  les  historiens  ne  servent  et  ne  cherchent  que  les 
ntéjréts  de  la  vérité. 

Scliuller  leur  reproche  d'avoir  contribué  à  retarder  des  réformes 
iir'jçv'entes  et  ralenti  l'initiative  de  gouvernements  qu'il  aurait  fallu  sti- 
na^iler.  Mais  n'est-ce  point  le  langage  d'un  homme  de  parti  impatient 
^u.  mieux,  indifférent  aux  crises  morales  qui  accompagnent  et  châtient 
les  progrès  hâtifs?  D'ailleurs  est-il  vrai  que  Téconomie  anglaise  ait  été 
^'^J^i^ique  source  du  libéralisme?  L'abolition  du  servage  de  la  glèbe 
est-elle  une  réforme  de  même  ordre  que  l'abolition  des  douanes  inté- 
f*^^ires  ou  la  conclusion  des  traités  de  commerce  ?  Le  principe  kantien 
*-t  -il  pour  corollaire  le  dérèglement  des  forces  économiques?  Ëmpèche- 
^^il  C]ue  par  un  sage  emploi  de  la  contrainte  on  réalise  approximative- 
ff^^tit  l'harmonie  des  intérêts?  Rossi  na-t-il  pas  reconnu  avant 
Providhon  l'opposition  des  exigences  de  la  justice  et  des  effets  de  la 
Ubr-e  concurrence? 

Schiiller  se  montre  sans  indulgence  pour  l'école  optimiste  allemande 
^®    I^rince-Smith,  Max  Wirth  et  Schùltze-Delitsch.  Il  porte  sur  elle  le 
^^tne  jugement  sévère  que  Cossa  sur  l'école  de  Bastiat.  Elle  a  aban- 
^<>nné  la  science  pour  la  politique  économique;  elle  a  oublié  la  méthode 
^^^  maîtres  et  outré  leurs  conclusions.  Mais  n'est-il  pas  surprenant 
^^e  dans  deux  pays  où  régnait  un  esprit  différent  l'école  d'Adam  Smith 
*it  subi  au  même  moment,  c'est-à-dire  après  1848,  la  même  déviation? 
Cette  école  couvait  en  effet   l'école  optimiste.  On  avait  promis  une 
répartition  équitable  des  richesses  et  on  avait,  sinon  avili  la  valeur  du 
travail,  au  moins  produit  l'instabilité  du  salaire.  Pour  ne  pas  mettre 
en  question  les  principes  pratiques,  il  fallait  donc  postuler  l'optimisme 
et  nier  simplement  la  question  ouvrière.  Adam  Smith  et  Ricardo  con- 
duisaient logiquement  à  la  nécessité  d'opter  entre  Bastiat  et  Proudhon, 
entre  la  thèse  des  Harmonies  économiques  et  celle  des  Contradictions 
économiques. 

Les  adeptes  de  l'historisme  n'avaient  donc  pas  tort  de  rappeler 
sans  cesse  la  continuité  et  la  connexité  sociales.  C'est  pourquoi  nous 
adopterions  volontiers  une  conclusion  diamétralement  opposée  à  celle 
de  l'auteur.  $i  la  méthode  déductive  de  l'économie  abstraite  a  donné 
pratiquement  des  résultats  contestables  à  l'âge  du  libéralisme,  où  il 
s'agissait  uniquement  de  trancher  les  liens  de  l'activité  humaine, 
combien  l'application  d'une  méthode  semblable  ne  serait-elle  pas  plus 


204 

Les  agraric] 
Bulow-Cume* 
formes  opér 
Tabolition  (' 
Ils  nient  !*• 
actions   cl 
locale;  i^ 
pour  toi 
de  YEv 
revanc 

CUitU' 

tout 
trie 
va- 


.  fiiie  direction  scientirî  <qîue 
.,,.tide  concilier  la  lit»  C3  rté 


.....ytf^'^ 


cerEUi? 


Witiiif-'-i  à  cette  critique   ^s^ns 
■■■■   '^.jiiiJjrrà  l'histoire  des  doctr- i  nés 
*i/rt  ff-'-"  ^"   lumière   beaucoup      de 

^  y„ pfL  i^^^céesy  mais  il  aura  dissipé 

IhHitie^  -'  r»*'^''"*'*^  ^"  socialisme  r €>  x-  o- 
""*"'    „^^i:c:ol0iriques  qui  en  affirmant     la 
»*•'  "/J'     ^  j  rc^  i  jrité  et  pour  la  restaurât  ion 
'"*'  /df.'^^  hauteur  les  décharge  de  eof  te 
'lit  .^  méthode  révolutionnaire     clu 


•^  ''     j  «as:  w.^^  ^ue  celle  de   l'économie    of  li 
Gaston  Richard. 


',,u^^^'' 


^,  /«NI"" 


tW* 


,-^  ^:^' 


p^ 


HISTORY,    AN    INTRODUCTION 


-r^ 


'^.-   -,-   »_:tics.  Ann  Arbor,  George    WafJ'*' 


'"''■  -r^/i:^    "    ■'*  '^'^  '**'''®  Q"^  ^«'"s  son  amplituJ*^^ 


^    '  nofihff      #*ciïfia<   *  -^''  -•*  foule  des  pensées  qu'il  évoqu*-^ 


/•A*/.»"'i 


,W'"  ' 


1'*'*'^     ' JL^.  ^1-:. •■' r.5  qu'il  englobe,   parait  presque  e'* 


rt  0?=^ 


/ifl»urt«fP  ^  7-  i  rA->ar*»c'^^'*'^^*  l'introduction  résumera  le  contenu 
fiuji''  Z""^^'^*^^  ^  j^.  .  X.9.  VAS  pouvoir  mieux  faire  que  de  le  citer  : 
ijf  JfB»"*^"  ^  ,  ^.,  ,v.  ..  vîo  Nuo  philosophique,  c'est  étudier  les 
r  Btu^^"  ■  '!'  _^.  .^..^  .:c  .  r  '»u»iro,  les  faits  et  les  principes  ffônéraux 


e\i:u  du  volume  que  vient  de  fair^ 
vrt  pourtant  de  se  laisser  aller  à  celte 
.•wi\rat:e  a  tenu  les  promesses  du  titre, 
ji  nionlré,  qu'avec  de  la  clarté,  do  la 
ivuvait  en  très  peu  de  pages  exprimer 
î   Ii\ro  tout  petit  pouvait  embrasser  un 


^*j.tf  -s^' 


•ï.x:o. 


s**:  trv>p  disposé  à  tenir  pour  posés,  et  c'est 
^'^^.ju  à  quoi  point  nous  pouvons  réellement 
.\»l\v't  do  notre  pensée.  Celui  qui  s'occupe 
V.  ovMunie  tout  philosophe,  doit  considérer 


»m  iw  J^ '^^  '  '^''*^'   "'  laqufllo  lui  et  ses  semblables  ont  eu, 


Il  lui  faut  être  capable  de  dire  de  This- 

K'v*  i,  c'est  nous,  et  ses  relations  et  ses 

o;  Ni  protondos,  il  ne  peut  arriver  au   but 

loviMîUo.  Le-*  faits  en  eux-mêmes  peuvent 


****  ^ ...  1»  Jî\o.»  .     :U  :\o  pouxont  l'ontrainer  que  lorsqu'il  les  a 


mic  c*>t  v|uv»  .  V 
'TL-,«^if  w»a  «?  Jî^v.»  ■     -^  :î^*  poux  ont  1 1 

^^  .j,^AiiCi»»*''*-  •  •'  ^*î«'»-*-  ^'1.  00  qui  revient  au  même,  lorsqu'ils 
*^**  ^^^,:  j^^  .i,\»,K\*  ^to  0-.  '.  .iiiiivîU  vi\  eux-mêmes.  Il  n'a  pas  seule- 
'^'^^totf»»  i»  jN***^*'**'  i»4;îv»a,»osor  l'iusioire  en  tant  que  série  devé- 


^Â^TiiJkUTBES*  —  A.  UïRiA*  La  consiUuzionê  economîca  odierna.     207 

i:ieiiients,  11  lui  faut  savoir  ayisi  ce  qu'ûst  rhistoire  eo  elle-même,  ce 
€5o.*elle  signifie  par  rapport  k  l'expérienae,  qitelle  est  sa  place  dans 
l'onivers.  L'historien»  par  exemple,  ne  se  mêle  pas  ordinairement 
d^'étudier  des  faits  comme  le  temps,  la  causalité,  rindividualilé^  le  pro- 
gi-^s  ;  maÎB  le  philosophe,  avide  de  comprendre  h  fond  rhistoire,  ae 
trouvera  rien  d'aussi  imporUut  ut  d'aussi  absorbant  ».  Voilà  donc  ce 
que  notre  auteur  va  étudier  :  les  données  preraièreSp  les  conditions 
de  F  histoire;  et  il  s'efforcera  en  mémo  temps  de  démontrer  les  relations 
qui  existent  entre  tous  Jes  temps  et  tous  les  faits,  la  solidarité  qui  nuit 
tous  les  hommes  du  passé,  du  présent  et  du  futur.  Pour  lui,  et  c  est  la 
conclusion  môme  de  ces  analyses  si  ingénieuses,  la  fonction  do  This- 
toire  est  *  d^universaliaer  tous  les  lieux  et  de  contemporanéiser  toutes 
les  époques  s. 

13 e  ces  données  premières  Tauteur  passe  à  Tétude  de  la  société  et 
de  son  évolution;  il  divise  cette  évolution  en  trois  périodes:  l**  période 
d'idetititL*  de  la  société  avec  elle-même;  2^  période  d'aliénation;  3^  pé- 
fio^le  de  restauration.  Je  n'ai  pas  à  le  suivre  dans  les  détails  de  son 
œuvre;  sinon  je  pourrais  peut-être  le  chicaner  un  peu  (oh!  si  peu)  sur 
l^s  exemples  qu'il  cite  et  sur  les  termes  qu'il  choisit.  Mais  j'aurais 
miAuvaise  grâce  à  le  faire^  puisqu*il  est  le  premier  à  proclamer  qu*il  est 
souvent  dangereux  d'illustrer  des  théories  par  des  exemples,  et  que  1© 
lang-âire  n'offre  pas  toujours  les  termes  justes  qu*on  voudrait  employer. 
J^  |>réfère  donc  m'ahstenir  de  toute  critique,  si  minime  fùt-elle,  et  ter- 
tt^iner  en  félicitant  M.  Lloyd  pour  son  oeuvre  si  solide,  si  élégante  et 
si   concise,  et  dont  le  style  piquant  et  clair  fait  une  lecture  que  je  ne 

I  **U.rait  trop  recommander. 

'  A,  B. 


-A^oMille  Lorîa,  La  Costituzione  econo«[ca  odiehna,  —  l  voL  grand 

m^S s^2  pages.  Turin,  Bocia.  181+9 

*-*^^s  idées  et  la  méthode  d'Achille  Lorîa  sont  bien  connues  en  France 

!:«:>  IIS  ceux  qu'intéressent  les  problèmes  sociologiques',  théoriques  et 

*l^^^*  ^^  particulièrement  l'étude  des  rnpporta  de  la  sociologie  gêné- 

^J^  ^vecrëconomie politique.  Lç% Âi-iHlisi detU'prQprietàcapitaiislR,  les 

j^  ''^^ ^^ ^  économiquei^  de  la  constitution  sociale,  les  études  publiées  par  la 

,^^^^  *-«e  de  sociologie  sur  les  phénomènes  sociaux  observés  dans  les  colo- 

-^^     européennes  nous  ont  familiarisés  avec  une  théorie  qui  juge  les 

jg    ^^>omènes  proprement  sociaux,  c'est-à-dire  morau?;,  religieux,  juri- 

^_  r^  ^-^'«a  et  politiques  entièrement  subordonnés  auK  phénomènes  êcono- 

j^  ^^^'^^es  et  qui  suppose  Tordre  de  succession  des  phénomènes  écono- 

j^-      ^^  ^ues  entièrement  réversible.  L'teuvre  que  Loria  présente  au  public 

^         ^  ^^utera,  croyons-nous,  rien  de  très  nouveau  à  ce  qu*il  avait  déjà 

„       ^  *  t,  mais  elle  mettra  la  thèse  mieux  en  lumière,  elle  fera  mieux  con- 

^^^  _,   ^  *^e  la  différence  profonde  qui  distingue  Tauteur  des  autres  adver- 

^**^s  de  la  propriété  capitaliste. 


208  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

On  sait  qu'il  y  a,  au  jugement  de  Loria,  deux  types  d*organisatioQ 
économique;  l'un  est  fondé  sur  la  terre  libre,  Tautre  sur  !&  propriété 
foncière  exclusive.  Le  régime  de  la  terre  libre,  s'il  est  combiné  avec  la 
division  du  travail,  conduit  à  la  constitution  de  Tassociation  mixte  du 
travailleur  et  du  producteur  de  capital;  le  régime  de  Tappropriation 
foncière  conduit  d'abord  à  l'économie  esclavagiste,  puis  à  réconomie 
capitaliste,  source  chacune  d'un  système  propre  d'institutions  morales, 
religieuses,  civiles  et  politiques.  Un  régime  économique  ne  peut  être 
ni  modifié  par  VÉlat  qui  en  est  un  organe  auxiliaire,  ni  détruit  par  uoe 
révolution. 

Il  se  désagrège  lui-môme  s'il  est  contraire  aux  exigences  de  la  "vie 
(Loria  entend  par  là  l'harmonie  des  intérêts  égoïstes). 

La  structure  économique  actuelle  est  fondée   sur   la  négation  ^^ 
droit  de  chacun  à  la  terre  :  aussi  assistons-nous  à  sa  dissolution  spC  ^' 
tanée  et  de  plus  en  plus  rapide.  Cette  dissolution  ne  résulte  pas,comr^^® 
le  pense  l'école  marxiste,   de  la  disparition  graduelle  des  petits  pf^' 
priétaires,  mais  tout  au  contraire  de  leur  accroissement  régulier.  L'é<^^^' 
nomie  capitaliste  n'a  pas  d'autre  fondement  ni  d'autre  origine  qu'uC^ 
scission  complète  entre  le  travail  et  la  propriété  du  sol;  cette  stra  ^^ 
ture  économique  est  donc    mise  en  péril  par  la  constitution  d'uc^^ 
classe  de  petits  propriétaires  cultivant  le  sol  de  leurs  propres  main-^^' 
Cette  petite  propriété  foncière  est  formée  par  l'épargne;  elle  proviec:^^ 
en  d'autres  termes  d'un  excès  du  salaire  sur  les  besoins  de  la  familL    ^ 
ouvrière  et  le  salaire  surpasse  les  besoins  à  mesure  que  diminue  l-^^ 
productivité  spontanée  du  sol.  Les  lois  mêmes    de  la  rente  foncièr^^ 
tendent  à  détruire  l'économie  capitaliste  que  l'emploi  d'artifices  poli'' 
tiques  et  législatifs  peut  seul  maintenir  provisoirement. 

L'état  de  crise  résulte  du  contlit  entre  l'inhibition  foncière,  c'est-à- 
dire  la  plus  value  artificiellement  donnée  à  la  terre  par  les  capitalistes 
afin  que  l'épacgne  ouvrière  ne  puisse  l'acquérir,  et  l'abaissement  tem- 
poraire de  la  valeur  qui  met  le  sol  à  la  portée  de  cette  épargne  durant 
des  crises  toujours  plus  longues  et  plus  fréquentes.  Chaque  crise  sous- 
trait un  certain  nombre  de  travailleurs  au  régime  capitaliste,  et  malgré 
les  procédés  d'extorsion  mis  en  œuvre  dès  que  la  crise  est  terminée, 
une  crise  nouvelle  plus  longue  et  plus  intense  est  rendue  inévitable 
dans  un  certain  délai. 

L'État  est  au  mains  des  capitalistes  en  raison  de  son  origine  et  de 
sa  nature;  il  n'y  a  donc  rien  à  lui  demander.  Néanmoins  la  science 
peut  légitimement  chercher  comment  on  pourrait  sortir  de  cet  état 
anormal  toujours  plus  onéreux  à  la  productivité  et  à  la  liberté  person- 
nelle. Le  collectivisme  n'est  pas  un  remède  ;  il  méconnaît  raspiration 
croissante  à  la  liberté.  Ceux  qui  affirment  qu'il  façonnerait  les  hommes 
de  telle  façon  que  la  solidarité  des  intérêts  rendrait  toute  contrainte 
inutile  oublient  que  pi)ur  amener  l'humanité  actuelle  à  une  pratique 
normale  du  collectivisme  une  contrainte  illimitée  serait  nécessaire. 

Le  remède   ne  peut  être  cherché  que  dans   l'institution  légale  du 


A.7r.^%.x,YSES.  —  A.  umix,  La  consiiUizwne  economica  odierna  209 

s^lâ'îrê  territorial,  le  paiement  de  l'ouvriep  agricole  enterre  (Chap»  31  o, 
p.    T^O  et  suivantes), 

î^i^ousavons  montré  ailleurs  la  place  qu'occupe  Lorla  dans  Thistoire 
dim      socialisme  scientifique.    II  est  à   Marx  ce   que   Marx   avait   été^ 
api*^s   LassaOe,   Rortbertus   et   Proiidhon,   à   Técole  de   Manchester. 
11    détruit   le  marxisme,  réfute   la  loi  d'accumulation  automatique  en 
pr-^nant  pour  point  d'appui  la.  critique  de  l'économie  capitaliste  et  la 
thièiso  du  déterminisme  économique.  Il  conclut  victorieusement  contre 
I  ridéo  de  proposer  au  prolétariat  la  conquête  des  pouvoirs  publics  et 
'    cotiitre  la  possibilité  d  une  organisation  vraiment  collectiviste.  Mais  il 
coriserve  les  idées  maîtresses  du  grand  communiste,  la  réduction  do  la 
sooiotë  humaine  à  la  combinaison  des  forces  productives,  le  matéria- 
listne  historique,  Téconomie  capitaliste  précédée  par  réconomie  escla- 
I    vai^-iste  et  conditionnée  par  la  propriété  foncière  exclusive. 
'  L-a  sociologie  doit  rester  impartiale  entre  Técole  qui  se  voue  à  Tapo- 

logîo  de  l'entreprise  capitaliste  et  celles  qui  y  voient  un  fait  patholo- 
Sic|ue  et  préconisent  comme  à  la  fois  salutaire^  possible  et  inévitable 
Utie  autre  organisation  de  la  production  et  de  la  répartition  des 
L  richesses.  Nous  n'élèverons  donc  aucune  objection  directe  à  la  thèse 
f  économique  qu'à  soutenue  Lona.  Mais  si  Ton  entend  par  régime  capi- 
taliste le  régime  de  l'entre  prise  contractuelle*  nous  ne  Je  croyons 
nullement  solidaire  du  régime  pré-ca pjtalïs te  caractériBé  par  le  domaine 
l'Urîil  et  la  grande  propriété  foncière. 

li  nous  semble  que  l'entreprise  fonctionne  en  France,  en  Suisse^  dans 

1  Allemagne  occidentalei  dans  Tltalie  du  nord,  pays  de  petite  propriété 

"^ocîère,  tout  comme  en  Angleterre,  en  Autriche,  dans  la  Prusse  orten- 

*^le^  pays  de  grande  propriété.  H  nous  semble  que,  dès  que  la  terre  est 

^^ns   ie  commercey  l'existence  de  la  classe  des  grands  propriétaires 

«'^^nciers  est  par  ]h  même  menacée  et  que  loin  de  trouver  on  sûr  appui 

^^fîs  les  institutions  poliliqucs,  cette  classe  est  plus  ou  moins  violem- 

*^^nt   dépossédée  du  pouvoir^  comme  le  fut  1  aristocratie  nobiliaire  et 

^croiésiastique  en  France  à  la  fin  du  xviiî*  siècle,  comme  Taristocratie 

^ng^Inaïse  depuis   1832   (t),  comme  laristocratte  polonaise  après  1863» 

*^*^ïrime  la  Hiiterf^chaft  prussienne  depuis  les  progros  économiques  de 

en>pi>g_  Néanmoins,  Tinstitution  du  salaire  territorial  est  peut-être 

^^   ^Jxjjérience  à  tenter  dans  les  états  dont  le  ré^nme  économique  a 

^bi    Un  arrât  de  dévelopement  ;  tels,  Tltalie  méridionale  et  certaines 

"^  -*eiori8  de  rEurope  orientale, 

t'evanchcon  peut  chercher  si  Tauteur  applique  une  méthode  socio- 


Efi 


îf  i<^  ijp  îicceptabie»  s'il  ne  fait  pas  subir  au.v  faits  historiques  ou  ethno- 
^r*H  ique^  une  véritable  torture  pour  les  contraindre  à  témoigner  dans 
Se  Us  d'une  thèse  préconçue.  Si  Ton  ne  peut  trop  affirmer  le  droit  du 
^^*Olçgyii  II  formuler  des  hypothèses^  comme  tout  autre  savant  expé- 

.  '    **Q  rjuesLiot^  jdanilatse  et  la  quesLîtin  tle  la  Citamhra  des  Jords  sont,  on  le 
.     \^ eu 3t  aspects  d'un  problème  unique,  le  privil(;ge  poliUque  de  la  propriété 

ToiiK  L,  ^  1900.  U 


210  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

rimental,  on  ne  saurait  trop  non  plus  lui  rappeler  qu'il  doit  être  à  lui- 
même  son  propre  critique. 

Retenons  à  ce  point  de  vue  deux  thèses  sociologiques  de  Tauteur. 
L'une  est  celle  de  Tidentité  de  la  communauté  de  village  et  de  Tasso- 
ciation  mixte,  Tautre  concerne  les  phénomènes  qui  ont  accooipagné  la 
disparition  de  l'économie  esclavagiste  dans  l'antiquité  classique  et  dans 
les  colonies  modernes. 

LfOria  fait  naître  la  communauté  de  village,  observée  en  Russie,  eo 
Perse,  dans  l'Inde  et  l'Indo-Chine,  à  Java,  en  Chine  et  môme  dans  l'Eu- 
rope occidentale,  d'un  contrat  entre  travailleurs  isolés  dont  certains 
voient  un  avantage,  à  exercer  d'autres  professions  que  l'agriculture  et 
à  combiner  leurs  travaux  en  cessant  de  revendiquer  un  droit  à  la  pos- 
session d'une  unité  foncière.  Il  fait  entièrement  abstraction  des  liens 
domestiques,  religieux  et  politiques,  de  tout  ce  qui  est  proprement 
social.  Bref,  il  construit  la  petite  société    primitive  en  prêtant  à  seB 
membres  les  calculs  de  l'homme  contemporain.  Mais  si  Loria  ne  mépri- 
sait pas  autant  l'étude  historique  du  droit  et  des  mœurs  ' ,  il  saurait  qu'uri.e 
telle  explication  est  inadmissible;  il  saurait  que  les  travaillenrs  isolés 
quMl  nous  peint  opérant  sur  une  unité  foncière  (Cap.  I,  §  2)  sont  d^s 
êtres  mythiques  dont  aucun  sociologue  quelque  peu  informé  ne  consen- 
tira à  discuter  seulement  l'existence. 

Aux  yeux  de  Loria,  l'économie  capitaliste  n'est  point,  comme  aux 
yeux  do  Marx  un  simple  prolongement  de  l'économie  esclavagiste.  L'é- 
conomie esclavagiste,  dut  disparaître  pour  que  le  capitalisme  trouvât 
place,  mais  Tune  et  l'autre  sont  deux  moments  successifs,  deux  formes 
du  régime  économique  fondé  sur  la  propriété  foncière  exclusive.  Elles 
succombent  à  des  causes  analogues  et  la  crise  finale  de  l'économie  ca- 
pitaliste présente  les  mêmes  symptômes  que  la  crise  à  laquelle  a  par 
deux  fois  succombé  l'économie  esclavagiste,  une  première  fois  dans  Tem- 
pire  romain,  une  seconde   fois  dans   les   colonies  modernes.    Or  le 
tableau  que  l'auteur  nous  fait  de  cette  crise  nous  parait  empreint  de 
fantaisie.  L'esclavage  n'a  pas  succombé  aux  mêmes  causes  dans  les 
colonies  modernes  et  dans  le  monde  antique  et  en  appliquant  à  l'his- 
toire économique  de  l'empire  romain,  des  observations  faites  sur  TUnion 
américaine  au  xix^  siècle,  l'auteur  viole  toutes  les  conditions  et  toutes 
les  règles  de  la  méthode  sociologique.  L'économie  esclavagiste  de  l'Amé- 
rique était  en  concurrence  avec  le  travail  libre  et  avec  l'économie  capi- 
taliste (Citons  un  exemple  bien  connu  :  la  production  sucrière)  :  aussi 
a-t-elle  brusquement  succombé  et  d'abord  dans  les  régions  où  le  travail 
libre  s'implantait  le  plus  facilement:  elle  a  péri  plus  tôt  dans  les  oolo- 
nies  anglaises  et  françaises  que  dans  les  colonies  espagnoles,  plus  tôt 
aux  Etats-Unis  qu'au  Brésil.  Dans  l'empire  romain,  l'économie  esclava- 
giste ne  s'est  pas  transformée  parce  qu'un  calcul  machiavélique  élevait 

1.  L'expression  hautaine  de  ce  mépris  se  rencontre  dans  la  préface  et  la  con- 
clusion des  Bases  économiquei  de  la  constitution  sociale . 


ANALYSES,  —  I*.  BOlGLÉ.  Pour  la  démocratie  fmnçawe  21! 

le  prix  des  esclaves  pour  les  empêcher  de  racheter  leur  liberté.  Ce  cal* 
cul  aurait  trop  déçu  ses  auteurs,  et  Ton  peut  faire  aux  jui'i  s  consultes 
romains  tous  les  reproches,  sauf  celui  d'avoir  péché  par  aottise.  Les 
propriétaires  avaient  tout  avantage  au  contraire  à  laisser  leurs  esclaves 
racheter  leur  liberté,  puisqu'ils  conservaient  des  droits  étendus  sur  la 
personne  et  les  biens  de  leurs  affranchis.  Le  système  desesdaces  ca^és, 
des  a^ervi  tnanëi^  a  remplace  sur  le  domaine  rural  celui  de  l'esclavage 

Cantique  parce  que  le  travail  de  co  serf  à  demi  libre  et  propruïtaire  en 
fait  sinon  en  droit  était  beaucoup  plus  productif  et  rémunérateur  que 
celui  de  lesclave.  Une  intelligence  confuse  de  la  réciprocité  des  inté- 
rêts a  fa%^onsé  cette  grande  transformation, 

S*il  n'y  avait  pas  eu,  après  les  événements  de  Saint-Domingue,  une 
guerre  d©  la  sécession  et  si  rémancipation  des  esclaves  brésiliens 
n*avait  pas  occasionné  la  chute  d'un  empire,  on  pourrait  peut-être  ex- 
pliquer la  transformation  de  l'esclavage  par  un  mécanisme  écono- 
mique. Mats  si  les  propriétaires  de  la  Virginie  et  de  la  Louisiane  ont 
tenté  de  détruire  violemment  Tétat  fondé  par  leur  pères  et  supporté 
une  guerre  inexpiable  sous  ta  seule  appréhension  des  mesures  légales 
d  émancipation,  c'est  que  Teaclavage  n'était  pas  devenu  aussi  onéreux 
que  M,  Loria  croit  le  prouver.  Ce  mécanisme  économique  que  Ton  s*i- 
magine  découvrir  partout  n'est  peut-être  nulle  part;  tout  au  moins 
Q^a-t-ît  nulle  part  une  action  prépondérante. 

Gasto»  Richard. 


G.  Bougie*  —  Pour  la  Dàe^ocEATtB  française.  Conférences  popu- 
laires.  Paria,  Cornély,  1000,  Î56  p*  in-î2. 

Les  conférences  réunies  dans  ce  petit  volume  traitent  de  sujets  asses 
variés  :  La  Tradition  ntiHonaîe^  In  Philosophie  de  rantisémiiismej 
l'Armée  et  h  clémocraiie,  InteUeclueis  et  mimuels^  Cimlisalion  et 
d^mocrah'e.  Ces  conférences  s'inspirent  d'une  idée  commune.  M,  Bougie 
y  inet  en  garde  Tiiidividu  contre  certaines  idées  qui,  soit  par  elles* 
mémes^  soit  par  les  f liasses  conséquenres  qu'on  en  peut  tirer,  sont 
susceptibles  de  devenir  oppressives  ou  limitatives  de  sa  personnalité 
morale.  Telles  sont  les  idées  de  nationalité,  de  race^  de  classe*  A 
propos  de  Tidée  de  nationalité.  M,  Bougie  s'efforce  de  définir  la  vraie 
tradition  française,  Individualiste  et  émancipatrice,  par  opposition  à  la 
eoDception  nationaliste. 

Il  critique  ensuite  la  philosophie  des  races  devenue  une  arme  entre 
les  mains  des  leaders  de  rantisémitisme* 

Il  montre  enfin  ce  qu'il  y  a  de  factice  dans  la  coiiception  de  classes 
sociales  tranchées.  Le  progrès  social  consiste  dans  le  développement 
den  idées  ùg^tlitaires  et  dans  le  rapprochement  des  deux  forces  sociales 
faites  pour  s'entendre  et  se  compléter  Tune  Tautre  :  les  Intellectuels 
et  les  Manuels. 

G.  FAIiANTE. 


21â 


BEVUE   PUlLQâOPHrQUE 


Otto  Ammon.  —  L*ORDRE  SOCIAD  ETSEsnASÊSNATUEBLLEa»  E&quiêiiC 

d'uïie  aiithroposociologie^  traduit  par  H,  MulTang,  Paris,  Fontemouig, 
1900»  51fi  p,  iti-S^ 

Le  livre  de  M.  Ammon  se  divise  en  deux  parties  :  Tune  où  l'auteur 
expose  la  théorie  de  l'ordre  social  d'après  les  sciences  naturel  les, 
l'autre  consacrée  aux  applications  de  sa  théorie. 

Le  fondement  théorique  du  ijvre  se  résume  daiifi  la  théorie  de  Gaîtori 
sur  l'inégale  répartition  des  aptitudes  humiiines  et  dans  le  mécanisme 
de  la  sélection  sociale  qui  n*est«  d'après  M.  Âmmon,  qu'un  prolongeco^nr 
de  la  sélection  naturelle. 

Les  conséqueace&  pratiquer  sont  des  plus  favorables  aux  eîasscï 
dirigeantes.  M,  Ammon  est  un  ad%'eraaire  résolu  du  suffrage  universel, 
de  la  sociale-démocratie  et  des  idées  éÉ^alitaires. 

Le  livre  est  précédé  d*une  très  intéressante  et  substantielle  préfaces 
de  M*  Muffang  consacrée  à  rhistoHque  et  au  rôle  politique  de  Tanthro- 
posociologie. 

M,  Ammon  est  un  esprit  très  éclairé  et  trèa  informé,  un  observate  vjiv] 
pénétrant  des  réalités  sociales.  Son  livre  marque  une  étape  dî^wi* 
l'évolution  des  théories  conaervatistes.  Avec  lui,  le  conservatisr^n«?. 
renonçant  à  la  méthode  théologique,  tradltionnaliste  ou  autorité  m  i^e 
d'un  Bossuet,  d'un  J.  de  Maistre  ou  d'un  Brunetière,  devient  fran&i^<* 
ment  darwinien.  Nulle  part,  pasmèrae  chez  H.  Spencer,  on  ne  trour  ^  »a 
une  conception  darwinienne  du  monde  social  plus  cohérente  et  p^  1  *»^ 
systématique,  M 

Voici  quelques  points  faibles  de  la  théorie  de  M.  Ammon.  E11&        ^V 
ûonipose  de  deux  parties  :  i"  Une  théorie  mathématique  des  coir»  *^'" 
oaisons  possibles  de  4  dés  dont  les  cotés  sont  marqués  de  I  à  Ti  pum  rv  ^^ 
et  dont  chacun  représente  une  série  d'aptitudes  humaines; '>  l'apl^''^* 
cation  de  ce  calcul  des  probaJîiUtés  au  mécanisme  de  rhércdîté  et  «^* 
la  fécondation  humaines. 

La  théorie  mathématique  de  M.  Ammon  est  irréprochable.  Mais  1^  ^^ 
peut  so  demander  si  ce  calcul  des  probabilités  est  la  représent  a  tl^rn 
exacte  des  phénomènes  qui  précèdent  et  accompagnent  la  fécondatioti- 
N'y  a-t-îl  pas  dans  ces  phénumènea   une   complexité   beaucoup   plut 
grande  que  celle  que  Ton  suppose  et  qui  déjoue  le  simplisme  rektif 
du  mathcmatisme  de  M.  Ammon?  Les  lois  de  rhérédilé  se  laissent 
malaisément  saisir.  N'y  a-t-il  pas,  à  côté  des  lignées  de  talents  hérédî* 
taires,  des  apparitions  soudaines  de  génies  que  rien  dans  leur  ascea- 
dance  ne  permettait  de  prévoir?  2'^  on  peut  se  demander  si  la  hiérar- 
chie sociale  existante  coïncide  avec  la  pyramide  idéale  de  Galton.  Il  y 
aurait  dans  une  telle  affirmation  une  dose  absolument  inacceptable 
d'optimisme. 

En  somme,  la  doctrine  de  M.  Ammon  est  moins  une  qu'elle  ne 
parait  au  premier  abord.  Klle  se  compose  de  deux  parties  superposées 
entre  lesquelles  on  n  aperçoit  pas  bien  le  point  de  jonction  :  une  théorie 
mathématique  des  probabilités  et  une  théorie  sociale  de  l'hérédité  et 


AHALYSES.  —  [E.  WAHLE.  Kurze  Erktâriing  der  Ethik     213 

de  la  eélection*  Nous  ne  Terans  h  roptimismc  de  M.  Ammon  qu*une 
objection  .  si  hi  supériorité  des  classes  dirigeantes  était  réelle,   ces 
classes  auraient-elles  besoin  d'organiser  ces  rnenaorifces  convenlionnela 
si  bien  decrila  pas  M.  Max  Nordau  eldont  on  retrouve  la  trace  à  chaque 
pas  dans  notre  organisation  sociale?  Le  but  et  Teffet  de  ces  mensouges 
aont  précisément  de  favoriser  la  médiocrité  et  d'éliminer  les  forts,  ies 
întelligents,  les  indépendants.  La  vraie  force  ignore  le  mensonge,  La 
supériorité  des  classes  dirigeantes  n'est  donc  qu'une  supériorité  appa- 
rente. G,  Palante. 


V.  —  Histoire  de  La  philosophie. 
D*  Bichârd  IVable.  —  Kuiize  Erk^aerung  ueh  ErniK  von  î^pînoza 

VSÎ)  D\Hi?THLLLNri    DER    UEFINITIVEN    r*JÏILOSOPUIE.   i    V.   in-S'^    de    Vllf- 

?I2  p.  —  Vienne  et  Leipzig,  Wilhelm  lîraumuUor,  180'J, 

Lies  deux  parties  qui  compostent  l'ouvrage  de  M*  Wahle  ont  entre 
©lien  un  lien  assez  lâche,  l/nuteur»  après  avoir  exposé  la  conception 
spiroziste  du  monde,  veut  lui  opposer  la  sienne»  qui  est  très  difFé rente 
et  presque  uniquement  négutîve.  C'est  Vi  ce  qu'il  appelle  la  phiiomphie 
d^flr\itim\  et  il  est  entièrement  convaincu  qu'il  a  découvert  tout  ce 
«îti'tl  est  possible  de  savoir  sur  le  fond  des  choses.  Il  exprime  cette 
conviction  à  diverses  reprises,  et  il  renvoie  souvent  le  lecteur  à  un 
gi*-t  nd  ouvrage  publié  par  lui  jadis  ;  Das  GnnzCfhr  Philosophie  und  ihr 
*^^^fîe.  Cette  conviction  est  si  entière  qu'elle  en  devient  assez  fatig-ante» 
L  ^tit^ioiit  quand  on  a  lu  la  tieuxième  partie  et  que  l'on  a  vu  ce  que  Tau- 
r  ^^ur  entend  par  le  vrai  systi^nie  des  choses.  —  De  môme  que  M,  Wahle 
*  ïi^ouvert  la  philosophie  dèftniîivej  il  a  découvert  aussi  la  véritable 
^^tçrprélation  de  Spinoza.  Tout  le  monde,  avant  lui»  s*y  est  trompé,  et 
^^n  âpre  le  à  Spinoza  des  idées  tout  à  fait  étrangères  h  sa  doctrine. 
^  ^st  ce  que  nous  apprend  Vlnlroduciioii.  Mais,  parmi  tous  les  com- 
mentateurs, le  plus  téméraire  etp  il  Hiut  le  dire,  le  pluâ  ignorant,  est  à 
^^U|)  sCu*  M-  Kuno  Fischer,  lequel  est  incapable  de  démêler  le  sens 
^^a  i'onecpts  spinozistes  (p.  5).  C*cst  que  M.  Kuno  Fischer  a  ou  lo  tort 
impanlonnable  do  traiter  avec  dédain  Tin  ter  prêtai  ion  de  M.  Wahle, 
^Ik  que  celui-ei  Tavait  exposée  ilans  trois  essais*  Il  u  même  blâmé  le 
Btjje  de  >L  Wahle  (p.  4|.  Aussi  M.  Wahîe  lui  renvoie  sa  critique  et  le 
(convainc  sur  une  phrase  de   ne   pas   savoir   l'allemand*  811   publie 
Aujourd'hui  cette  nouveîle  étude,  c*est  pour  détruire  Iq  fâcheux  effet 
que  peut  a%'oir  produit  sur  le  public  le  jug^emenl  de  M*  Kuno  Fischer, 
Après  cela»  il  s'engage  à  ne  pi  m  s  parler  de  Spinoza. 

Quel  est  donc  le  sens  de  l'I'Jthique,  sens  si  caché  que  ÎL  Wahle  est 
le  preraier  à  l'avoir  compris':^  U  est  très  simple*  La  doctrine  de  Spinoza 
est  le  pur  naturalisme,  un  positivisme  véritable,  Bpinozi  a  voulu 
expliquer  le  monde  sans  faire  appel  à  la  théologie  et  à  la  psychologie 
traditionnelles.  11  a  voulu  exclure  Fidéa  théologique  et  réduire  ren- 


214 


REVUE   PHILOSOPHIQUE 


leuje  livre  ua 

léologique  aj 
a  chrétien.  À 
lire  au  mystij 


semblo  des  choses  à  Tunivers.  Bref,  Il  n'esit  ni  ihëîste^  ni  panthéiste] 

mais  bien  Qfhëe:  et  ceux  qui  lui  ont  prêté  une  fl<jetnne  ficoaraique  M 

sont  entièrement  mépris  sur  sa  pensée.  La  grande  ditlkulto  du  spmo 

^isme  consiste   dans   Tempîoi  d*une   terminologie  consacrée  et  qu 

éveille  des  idées  absolument  difîérentes  de  celles  que  Spinoza  %'eut  lu 

faire  exprimen   Mais  le  remède  est  facile.  Spinoza  définit  tous  led 

termes  qu'il  emploie.  Il  suHit  de  se  reporter  à  ses  défînitions  pour  n^ 

paa  lui  prêter  une  doctrine  incohérente*  C'est  ce  qui  devient  sensibllj 

en  particulier  si  Ton  étudie  le  concept  spinoziste  de  Vamour^  L*amoud 

n'est  pour  Spinoza  que  la  joie  accompagnée  de  Tidée  de   sa  causal 

C'est  pourquoi  il  est  inadmissible  d'interpréter  le  cinquième  livre  d^ 

VÉthique  comme  s'il  s  agissait  d*un  retour  à  Tidée  théologique 

comme  bi  Vamour  intellectuel  de  Dieu  prenait  ici  un  sens 

Ainsi  il  n*y  a  dans  la  doctrine  spinoziste  aucune  part  à  fair 

cisme,   rien  de  surnaturel.   Les   attributs   expriment   exactement   II 

notion  de  la  substance  et  ils  n*ont  rien  de  transcendant  par  rapport  auJ 

modes,  La  preuve  a  priori  de  l'existence  de  Dieu  n'a  rien  de  commui 

au  fond  avec  Targument  ontologique  de  Descartes,  et  elle  axprJml 

simplement  cette  vérité  incontestable  que»   si  quelque  chose  exista 

Texistence  de  ce  quelque  chose  est  néc^Gaaire.  —  Spinoza  professe  uJ 

phénoménisme  absolu,  et  c'est  à  lui  qu'il  faut  faire  honneur,  et  non  paj 

à  Hume,  d'avoir  établi  Fabsurdité  de  l'hypothèse  àme.  Son  explicatiol 

des  rapports  entre  Tâme  et  le  corps,  toute  phénoméniate  égalemeni 

est  bien  proche  de  la  vérité.  Il  a  bien  vu  que  le  jugement  et  la  volonlj 

sont  des  entités  abstraites  et  que  tout,  dans  l'esprit,  se  ramène  à  dé 

représentations,  —  Au  point  de  vue  moral,  il  a  voulu  fonder  la  cod 

duîte  sur  la  seule  raison  et  enseigner  aux   hommes   le  chemin  â| 

bonheur  naturel,  qui  est  celui  de  la  connaissance  des  rapports  eote 

Vindividu  et  Tunivers,  Là  encore,  nous  trouvons  en  lui  un  naturalisa 

et  non  un  mystique.  11  ne  faut  pas  entendre  en  un  sens  théologique  I 

troisième  degré  de  la  connaissance  et  la  fameuse  formule  :  sud  spec 

$?teTuL  11  ne  faut  paa  non  plus  prêter  à  Spinoza  des  idées  sur  Timmc 

talîté  de  l'âme  contraires  à  son  point  de  vue. 

Telle  est  la  première  partie  de  Touvrage  de  M.  Wahle.  (Nous  laissai 
de  eôté  une  longue  section  qui  a  pour  objet  de  classer  les  doctrine 
morales,  en  manière  d'introduction  à  Texposé  de  la  morale  sptnoziati 
Peut-être  l'interprétation  de  M,  Wahle,  toute  rigoureuse  qu'elle  se 
ne  convaincra-telîe  pas  tout  le  monde;  et  l'on  peut  se  demander 
réduite  à  ces  termes,  la  doctrine  mériterait  T estime  qu'en  ont  faîte 
penseurs  tels  que  <.ïa<the  et  St-helling.  Les  îneohérences  apparentes  ac 
parfois  signe  de  richesse,  et  l'esprit  d'une  phi ïosophie  est  souvent  pU 
vrai  que  la  lettre.  A  ce  point  de  vue,  rinterprétation  de  M.  Delbos,  l 
cette  de  M.  Brunschwteg,  nous  semblent  plus  dignes  de  Spinoza  d 
celle  de  M.  VVahle,  ] 

Dans  le  deuxième  livre,  ainsi   que  nous  Tavons  dit  aa  déb^ 
M,  Wahle  expose  ses  idées  personnelles,  lesquelles  oonstituent  la  pi 


ANALYSES.  —  B.  WÂiiLE.  KurzB  Erklâning  âer  £thik    2)8 

I  o^€3^hi€  définitive.  Cet  le  philosophie  est  impitoyablement  critique; 

et,    st  elle  n  assure  rien  h  la  connaissam-e,  elïe  lui  retire  à  peu  près 

touf^*  Nous  pouvons  la  résumer  en  quelques  mots,  11  n'ex.iste  que  des 

pliérmomènes.  Les  qualités  des  corps  perçues  par  les  sens  se  ramènent  à 

des    i-epresetitatîons-  Il  en  est  de  même  pour  notre  corps.  Ainsi  on  ne 

petxC    prétendre  quf!  les  états  de   Tesprit  aient  pour  cause  les  étala 

externes,  car  il  y  aurait  absurdité  à  mettre  dans  une  représentation 

1&   force  productrice  d'une  autre  représentation.  La  matière  n^est  pour 

nous  qu'un  ensemble  de  sensations,  et  elle  ne  peut  être  le  support  des 

qiià.li  tés  sensibles.  L'espace  est  un  abstrait  et  non  une  existence.  Mai», 

d'autre  part,  rien  ne  nous  aiiCoriî^e  à  admettre  un  sujet  connaimant, 

un    TTiof.  La  catégorie  métaphysique  du  savoir  (Wissen)  est  vide  de 

sens*  Le  subjectivisme  de  Fichte  est  inacceptable.  Encore  une  fois,  il 

n'esciste  que  des  phénomènes   (Vorkommnisse),  et  il   faut   admettre 

r identité  de  la  représentation  et  de  la  chose  qu'elle  représente»  leur 

ur\£€Zitè.  —   Mais  les  phénomènest  qui  sont  les  produits  véritables f 

doi-vent  être  les  effets  de  causes  véritables.  Ces  causes  sont  inconnais- 

8al>lesdans  leur  nature,  et  elles  constituent  la  sphère  fondamentale 

iFutidamentalgebietJ,  laquelle  n'a  rien  de  transcendant.  Bien  quelles 

soiertt  étrangères  à  Tespace,   il    faut  admettre   leur   diversité»   sans 

la<^tjielïe  le  monde  des  phénomènes  serait  entièrement  immobile.  La 

eat^ggj^je  ^^  |a  causalité  s'applique  naturellement  à  elles,  avec  ses  con- 

diticuis  essentielles,  bien  que  nous  ne  sachions  absolument  rien  sur 

leui-     mode  dUnlluence  réciproque  ni  sur  leur  méthode  de  production 

des    phénomènes,  Eîïes  ne  sont  ni  exeluBivement  substances,  ni  exclu- 

^ïV^riQgjit  forces.  L'être  et  le  changement  se  concihent  en  elles  d'une 

*T^ani^fe  indénnmsable.  —  Ainsi  îa  philosophie  cléftnitive  constitue  un 

^^J^Glivisme  absolu,  qui  tient  à  son  caractère  rigoureusement  phéno- 

''^^i^iste.  C'est  la  marche  même  de  la  philosophie  que  d'aller  de  la 

*^«03^  représentée  à  la  représentation,  et  de  revenir  de  la  reprêsenta- 

'P^*    à  ce  qui  est  objectif  (p.  207-208).  Cette  doctrine,  qui  est  une 

^'^onstration  de  Tignorance  irrémédiable  oïinous  sommes^  a  une  utilité 

^^o^tivei  celle  de  nous  éviter  la  peine  de  construire  des  systèmes  méta- 

1%  *^siques.  C*est  a  peu  près,  avec  te  souci  moral  et  religieux  en  moins, 

^•-ilité  que  Ki^nt  attribuait  déjà  à  la  critique.  —  Nous  ne  croyons  pas 

"^^  ^^  Wahîo  aît  découvert,  ainsi  qu'il  le  pense,  la  philosophie  défi- 

_   ^*it>^.  ^t  ses  idées  sur  las^p/iére  fondamenÎAle  nous  paraissent  aussi 

1  ''^itraires  qu*obscures.  Quel  est  le  principe  qui  l'autorise  à  dépasser 

_     ^   ^liénomènes?  De  quoi  droit  app1ique*t-il  aux  ca^tses  véritables  la 

^^j^orie  du  nombre  et  celle  du  changement,  quin,  Tune  et  rautre,  aup- 

^^nt  celle  de  Tespace,  alors  qu'il  fait  de  l'espace  quelque  chose  de 

^.     **^Knent  phénoménal?  Qu*est-ce  que  ce  monde  des  existences  réelles, 

*>^>rà  une  projection  de  la  conscience  analogue  à  l'idée  de  la  matière? 

*ïi^elle  est,  dès  lors,  la  valeur  de  cette  projection?  Comment  s'expli- 

^Jjî^^rit  la  mémoire  et  la  connaissance,  si  Ton  refuse  d'admettre  avec 

'-ï^rk^  tea  lois  essentielles  du  sujet  connaiasant,  et  d'où  vient  dès  lors 


216 


REVUE   PHILOSOPHIQUE 


la  représentation  de  l'univers?  Voilà  des  questions  auxquelles  M.  Wah^ 
no  satisfait  pas.  Il  affirme  {p.  184)  qu'il  n'a  rien  à  apprendre  cheai  Kac 
en  ce  qui  oon cerne  T usage  des  catégories.  Nous  croyons  que,  comnz 
tout  le  monde,  il  fera  flagornent  de  se  remettre  â  Tétude  de  Kant,  fl 
apprend rfi  sans  doute  a  ne  pas  faire  de  raisonnements  tels  que  celui- 
(p.  197-iîJ8)  :  Il  n'y  a  rien  d'inadmissible  à  ce  quune  chose^  une  su 
i^lance  (Dîng)  puisse  tzhanger.  En  effet,  nous  iiaimns  pa^  le  moind 
mupçoji  de  ce  que  c'est  qu^une  chme  :  nous  ne  soupçonnons  pas  na 
plus  ce  que  peut  être  la  nature  de  son  aciwité  [Kvûftigkeit),  Nq~ 
pouvons  donc  admettTe  des  choses  susceptibles  de  changement. 

J*  Sëoond. 


Mme  Dr,  Dorothée  PastuâJÙk.  Alfred  Fouillées  psfchisck 
MomsMUS.  Bern,  Stu^^enegger,  1809. 

Mme  Dorothée  Pasmanik  a.  dans  une  petit  nombre  de  pages,  am: 
lysé  d'une    fagon   bien   claire    et  bien   conipliîte    la   philosophie 
M.  Fouillée  et  elle  a  su  conserver  à  la  doctrine  qu'elle  exposait  s 
aspect  attrayant  et  fiympathique.  Elle  s'est  attachée  d'abord  à  met. 
en  lumière  la  conception  métaphysique  générale  de  M,  Fouillée  ^        ^ 
indiquer  le  point  de  départ  de  sa  théorie  d'un  monisme  psyeiiic^  m^je 
immanent;  puis,  dans  une  analyse  détaillée  et  exacte  des  idées-forc  ^^^ '^'H 
elle  en  a  étudié  la  base  psychologique;  enfîn^  après  quelques  consirf  ^^^ 
rations  sur  les  tendances  morales  du  système,  et  sur  ta  position  qu'<?^^* 
cupe  l'auteur  parmi  les  philosophes  français   contemporains,  elle      -^ 
consacré   son   dernier  chapitre   à    faire   connaître   et  à  défendre    /^ 
méthode  dont  il  s*est  servi,  méthode  de  conciliation  qu^elîe  caractérise  - 
une  méthode  spéculative  de  synthèse  progressive,  par  opposition  ^ 
l'éclectismedontelle qualifie  laméthoded^historique-critique.  «  Fouillée, 
dit-elle  en  manière  de  conclusion^  n'est  point  un  éclectique;  il  appar- 
tient au  contraire  à  cette  catégorie  de  penseurs  qui,  tel  un  foyer  réu- 
nissant en  soit  des  rayons  divergents,  expriment  certaines  tendances  et 
certaines  idées  dominantes  de  leur  époque  avec  une  énergie  telle  et 
avec  l'aide  d'une  science  si  étendtïe,  que  les  idées  qu'ils  formulent  en 
re<;oivent   une  intensité  et  une  force  suirisanles  pour  devenir  elles- 
mêmes  le  point  de  départ  d'un  développement  ultérieur,  w 

ÂLFItED  BLAXCIIE. 


Dr,  Karl  Vorlander.  Immanuel  Kants  Kritik  der  reixbn  Ver- 
NUNFT,  1  voL  in-l2  de  A,-K.-XLVin-B39  p.  Halle,  Otto  Hendel  {Biblio^ 
thek  der  Gesamtlitteratur)^  i809. 

L'édition  que  nous  donne  M.  Vorlânder  a  plus  d'égard  au  fond  de  la 
Critique  qu'à  la  forme  du  texte.  Elle  débute  par  une  introduction  très 
instructive,  dans  laquelle  l'auteur  nous  retrace  le  développement  de 
la  pensée  de  Kant»  Tacoueil  fait  à  son  œuvre,  le  mouvem<?nt  philoso- 


A^TVi^X^TSES. — pAîmcK^  i^exius  Emptricus  and  greek  scepiictsm  217 

pHîc|;i^e  qui  en  est  issu^  le  déclin  de  son  înlluencc^  enfin  Ea  renaissance 
diî  Icantisme;  n*oublions  pas  les  explications  si  nettes  qui  nous  font 
ootn prendre  la  nature  générale  de  la  pensée  cHticiste^  ainsi  que  les 
inclio£itions  relatives  à  la  bibliographie  kantienne. 

Li^»    étudiants  trouveront  dans   ce    travail,  ainsi   que   s*en    flattô 

M  .    Vorlânder,  un  secours  précieux.  Mais  ce  qui  leur  sera  le  plus  utile, 

et  oe   qui  n'existait  pas  jusqu'à  présent,  o^est  le  double  index  qui  ter- 

raziioe  Touvrage,  index  des  noms  propres  et  index  des  matières.  Toutes 

l^s    re^sherches  que  Ton  entreprendra  désormais  sur  le  sens  de  la  Cri- 

iirjtAéf  devront  beaucoup  au  labeur  patient  de  M.  Vorlîinder.  L'index 

<ios     matières  lui  a  naturellement  donné  plus  de   mal  que  celui  des 

î^  viteurs.  Il  a  fallu  rechercher  patiemment  tous  les  termes  notables  de 

Is*.   l^ingue  philosophique  de  Kant,  et  Ton  sait  de  reste  que  la  termino- 

lc>3^ie  kantienne  n'est  pas  exempte  d'ambiguïtés,  —  Ajoutons  que,  malgré 

l*î*.ttention  apportée  au  fond,  le  texte  n'a  pas  été  négligé.  L'édition  de 

^I  -    Voriunder  reproduit  la  deuxième  édition  publiée  par  Kant^  mais 

a^x-ec  toutes  les  variantes  essentielles  qui  viennent  de  la  première  édi- 

tion    (c'est   la  méthode   inverse  de   celle   qu'a   suivie,  entre   autres, 

*v.elarbach).  Four  ce  qui  est  de  Torthographe,  de  la  ponctuation  et  des 

^^^ï'ixies   tombées  en   désuétude,  M.  'Vorlânder  n*a    pas    attaché  une 

**^t>ortance  extrême  à  tout  ceht,  évitant  avec  raison  tout  pédantisme, 

^^    *^'en  tenant  avant  tout  au  désir  de  Kant  lui-même  (Préiace  de  la 

^^  tiqua  de  U  Raison  pratique),  qui  demandait  seulement  à  se  faire 

*^^=*»TQpr6ndre. 


■%tfftry  Mills  Patrick.  Sextus   Empieicus  akd  greek  scepticîsm. 

,   ^^^  .  in- ri  de  vjii  -163  p*  —  Cambridge,  Deighton  Bell  and  Co;  London» 

'^^^rge  Bell  and  Sons,  1899. 

j^      ^^e  petit  volume  a  été  écrit  pour  servir  d'introduction  au  premier 

^  ^'e  des  HypotypQsea  pyrrhoniennes  de  Sextus  Empiricus,  imprimé  à 

X^r^       ^uitede  VEssai,  Il  a  servi  de  thèse  pour  le  ^^radc  de  docteur  en  phi- 

^^     ^*^}phie  devant  rUni^'ersité  de  Berne  en  novembre  1897.  Il  renferme 

_  1::^^^^^  série  de  discus^iions  relatives  à  Tinte rp relation    du  scepticisme 

B^^^    **"rhonîen  par  différents  auteurs  »  notamment  par  Zeller,  Pappenheim 

^^^^  3îrochard-  H  comprend  cinq  chapitres.  Dans  le  premier,  l'auteur 

^g.      ^-*^die  les  relations  historiques  de  Sextus  Empirîcus^  Il  discute  lon- 

c:^  ^-^-  ^^ment  Torigiae  de  ce  surnom  d'Empiricus^  et  recherche  s'il  convient 

^^^^^  rattacher  Sextus  à  la  secte  des  médecins  empiriques  ou  bien  à  la 

I  ^  ^^^^^  le  méthodique;  cette  question   en  enveloppe   une  autre,  celle  du 

c^  ^-^^„*^^*  *l^*  ^  P*^  exister   entre  le  scepticisme  et   Técole  des   médecins 

1  ^  ^_^~^  ^i tiques.   Le    lieu    de   renseignement    de    Sextus  est   également 

*~^et  d'une   longue   discussion,    dont  le   résultat   paraît    d'ailleurs 

^^^^  t  problématique.  Il  en  est  à  peu  près  de  même  en  ce  qui  concerne 

^S^^oque  de  cet  enseignement.  —  Le  chapitre  H  a  pour  objet  le  point 

'mue  et  le  but  du  scepticisme  pyrrkonien,  tels  que  les  déûnissent  les 


RgVDB   MILOSOPH1Q0E 

Srpotypose».  On^eut  y  noter  rinsistance  avec  laquelle Sexltis  rallaehe 
le  véritable  scepticisme  à  la  personne  de  Pyrrhon  et  défend  le  pyrrho- 
nisme  contre  tout  reproche  de  dogmatiâme.  —  Le  chapitre  lli  est  un 
exposé,  d'aprèa  i^extus  (et  parallèlement  d'après  les  autres  histoHpïis 
du  scepticisme  comme  Diogènej  des  dix  iropes  d'Éiicsidème,  des  cinq 
tropes  d'Açrippa,  des  deux  tropes  dont  on  ii^nore  Tauteur,  en  lin  des 
huit  tropes  dirigés  par  Énësidème  contre  la  noiion  de  causalité.  L*ati- 
teur  insiste  avec  raison  sur  l'opposition  entre  les  dix  Iropes  de  carac- 
tère empiriste  et  les  tropes  d'Agnppa,  dont  le  caractt-re  est  dialectique, 
—  Le  chapitre  IV  est  le  plus  intéressant.  L'auteur  y  étudie^  d'après 
un  passage  de  Sextus(Hypotyposes,  I,  tiO  et  sq,)  les  accoin^ajices  de  la 
philosophie  d'ï:lnèsidème  avec  celle d'HèrRclite,  Il  n\idmet  ni  Thypo- 
thèse  de  Pappenheim,  ni  celle  de  Zeller,  ni  celle  d*Hirzel  et  Natorp^ 
ni  celle  de  Saisset,  ni  celle  de  Brochard.  H  croit  à  une  sorte  de  dogma- 
tisme intooacient  che£  Énésidème,  dogmatisme  qui  serait  le  produit 
naturel  des  efforts  tentés  par  Énésidènie  pour  systématiser  le  pyrrho- 
nisme,  —  Le  chapitre  V  a  pour  objet  l'examen  critique  du  ptjrrhO" 
nisme~  L'auteur  rappelle  les  principaux  traits  de  la  vie  et  de  la  morale 
de  Pyrrhon  i  il  distingue  fortement  le  pyrrhonisme  indifTérent  du 
sceplicisiae  pro6abîiis/e  et  secrètement  idéaliste  de  TAcadémie;  eûfin 
il  marque  tout  ensemble  la  force  du  pyrrhonisme,  les  services  qu'il  a 
rendus  (et  surtout  ceux  qull  aurait  pu  rendre)  à  la  science,  à  la  philo- 
sophie, à  la  morale,  à  la  religion,  et  sa  faiblesse,  soti  caractère  pure- 
ment négatif,  son  point  de  vue  insoutenable  et  inexprimable*  son  indif- 
férence à  regard  du  vrai,  son  manque  absolu  de  vîtatité.  Alors  qull 
pouvait  stimuler  Tesprit  scienti tique  à  la  recherche  des  phénomènes, 
le  pyrrhonisme  supprime  la  recherche  des  causes.  Ènésidcme  pose  la 
question  de  la  causaîi té  avant  Kant;  mais,  tandis  que  Tidéaliste  Kanl  voit 
dans  te  caractcre  subjectif  de  la  causalité  la  preuve  décisive  de  sa  valeur, 
Eoésidème,  placé  à  un  point  de  vue  matérialistei  y  voit  la  preuve  du 
néant  de  la  notion  causale*  L'inconsistance  du  pyrrhonisme  et  sou 
opposition  à  tout  progrès  établissent  Timpossibilité  de  tout  scepticisme 
radlcaU  Le  pyrrhonisme,  dénué  de  tout  idéal,  en  contradiction  avec 
lui-même^  est  une  secte  de  décadence  philosophique. 

J.  Segond. 


I 


Bdmcmdo  Solmi.  Stluh  sulla  tiLosonA  NATtiHALE  ot  LBO^*AilDa  da 
Vinci,  Gxoseoloi^ïa  e  CosMOLoaiA  iModena,  Vincenzî,  1898). 

Ue  travail^  que  M.  Solmi  offre  aujourd'hui  au  public,  a  été  accueilli 
favorablement  par  T Académie  de  Modène,  et  ne  sera  pas  moins  bien 
reçu  de  tous  ses  lecteurs.  M.  Solmi  s'applique  à  discerner  les  principes 
qut  donnent  une  unité  aux  fragments  épars  des  manuscrits  de  Léo* 
nard,  dont  la  publication,  comme  on  sait,  est  loin  encore  d'être  ter- 
minée. C'est  faute,  dit-il,  d*âvoir  discerné  ces  principes  et  dégagé  la 
théorie  de  la  connaissance  qui  fut  vraiment  celle  de  Léonard,  que  cer- 


AlfALTSES.  —  E,  soï.Mi,  Studi  siitla  filosùfia  naturale     219 

t£&in&  criUquos,  et  par  exemple  M.  Séailles»  en  un  ouvrage  d'ailleure 
trh^    remarquable,  ae  sont  trompés  gravement  sur  quelques  points. 

La    théorie  de   Léonard,  telle  qu'elle  apparaît  clairement  dans  les 
ïioml>reuscfl  citations  mises  sous  nos  yeux,  peut  se  résumer  en  cca 
c|ei_i.:?ÊL    propositiona  :  Tune,  que  nous  conn*iissons  la  force  motrice  de 
l*Unîvers  en  ses  effets,  non  en  son  essence;  l'autre,  que  nous  connais- 
SOZ3  9   ces  effets  mêmes  par  le  seul  moyeu  des  sens,  et  qu^ainsi  l'e^iE pé- 
ri exmoe  est  mère  de  la  science*  C*est  déjà  Ja  position  de  Bacon  et  de 
Oâ^lilëe,  et  c*est  aussi  ie  positivisme.  La  vie  et  l'âme  sont  donc,  pour 
Léonard,   des  problèmes  transcendants;  Dieu  demeure  inaccesiible. 
Xi    l'essence  des  choses  ni  leur  lin  ne  soot  connnaissables,  H\  la  notion 
des    Ofialité  pouvait  se  découvrir  quelque  part,  ce  serait  dans  la  loi  du 
ixEoindre  efïort  et  dans  l'ajustement  de  Torgane  à  la  fonction.  M,  Charles 
L#e%'oqiie  s*est  ici  mépris  étrangement;  il  interprète  un  passage  où  Léo- 
nstt^ct   parle  de  la  dé.siVience  du  verbe  passif,  en  lui  faisant  dire  qu^îl 
fmi^t     toujours   considérer   k  fin  dans   Tétude  des  chosea  naturelles 
(note,  page  5*). 

M»  Séailles,  lui,  s'affligerait  que  le  Vinci  fût  perdu  pour  la  métaphy- 
«îcïue*  Il  voudiait  repousser  les  conséquences  de  ses  déclarations 
exLpresses  concernant  Texpénence  sensible.  Léonard,  certes,  laisse  à 
la  raison  la  charge  d'élaborer  les  données  fournies  par  les  sens;  il  lui 
attribue  une  structure  qui  précède  Texpérience  individuelle.  On  peut 
dire  encore  qu'il  demeure  indécia  sur  la  question  du  dualisme,  sur  le 
contenu  psychique  qui  serait  antérieur  h.  rexpérience.  Mais,  en  aucun 
cas^  il  ne  ramène  h  la  façon  de  Leibniz,  comme  le  prétend  M.  Séatlles  *» 
la  nécessité  mécanique  à  la  nécessité  morale*  Le  déterminisme  ne  lui 
•emble  souffrir  aucune  exception. 

^&  me  borne  à  ces  indications  rapides.  Qu^on  veuille  bien  lire  Tétude 
<Je  Ï^J:,  Solmi;  on  y  constatera  que  le  clair  génie  de  Léoniird  abordait 
avecs  franchise  beaucoup  de  problèmes  sur  lesquels  une  jeune  école  de 
philosophes  paraît  prendre  à  tâche  de  ramener  les  ténèbres. 

L.  Akhéat. 


I*     ^ï 'avais    prefisenti    ceUe    mépritte    d 
1,  fc^^aiiles,  lu  vue  phiiosophiguef  janvier 


dans    mon  compte  rendu   du  ïîvrc   de 
1B93. 


H 


REVUE  DES  PERIODIQUES  ETRANGERS 


^SL^I 


Kantâtudîeiii 

PkUosophiscke  ZmUchrifK  t.  IV,  2"  et  a«  faac,^  1889. 

H.  HrcKEnT,   V  a  Atheisinussîreii  it  de  Fichte  et  îsl  philosoph 
kantienne. 

Les  vexations  auxquelles  Fîchte  fut  en  butte,  voici  cent  ans,  i 
raison  de  ce  que  l'on  nommait  son  athéisme^  eurent  pour  occasion  i 
essai  qu*il  publia  dans  son  *  Philosophïaches  Journal  »  sous  ce  titn 
Du  fo7\dementde  notre  croyance  à  un  gotivernement  providentiel  i 
monde.  Cet  essai  était  une  réponse  à  un  article  de  Forberg,  paru  da 
le  même  recueil*  et  qui  avait  pour  objet  :  Le  développement  du  ce 
cept  de  religion.  —  M.  Riekert  cherche  h  rattacher  tout  ensemble  ! 
idées  de  Forberg  et  celles  de  Fîchte  à  la  philosophie  kantienne. 
montrer  la  supériorité  de  la  thèse  de  Fichte,  et  à  faire  voir  rinté: 
que  présente  cette  discussion  en  ce  qui  regarde  la  spéculation  de  no' 
époque.  Il  nous  apprend  à  connaître  un  Fichte  un  peu  différent 
celui  que  Ton  s*est  accoutumé  à  considérer,  un  véritable  positivi 
kantien»  éloiorné  de  toute  métaphysique^  fondant  la  réalité  de  faç 
eitclusive  sur  les  données  de  rexpérîence.  En  mémo  temps  il  dc 
explique  de  quelle  manière  originale  Fichte  rétablit  Tunité  dans 
pensée,  grâce  à  sa  doctrine  du  primat  de  Ir  raison  praiiqur^  en  r 
tachant  toute  certitude,  même  scientilique,  à  Ftdée  du  dev< 
M.  Riekert  oppose  nettement  cette  attitude  philosophique  à  celle 
M.  Paulsen  et  de  M*  William  James,  qui  admettent  une  inOuei 
inexplicable  de  la  volonté  sur  rintolligencep  en  vue  de  la  solution 
certains  problèmes  insolubles  aux  yeux  de  la  raison.  L'attitude 
Fichte  est  évidemment  plus  satisfaisante  pour  Fesprit,  et,  sî  on 
rejette,  il  ne  reste  qu'a  adopter  celle  de  Forberg,  la  séparation  ra 
oale  du  C4i^ur  et  de  la  tète,  Tim  possibilité  pour  le  coati  r  de  constru 
jamais  une  doctrine  rt.4i^neuse  acceptable  par  la  raison.  —  La  con 
queuce  de  la  Ihcsede  Fichte,  c'est  l  évidence  immédiate  de  la  religi 
supérieure  et  inaccessible  a  toute  démonstration  spéculative.  Mais  c't 
en  morne  temps,  rimpossibLlIté  de  donner  au  sentiment  religieux 
contenu  rèei^  de  dépasser  V ordre  moral  du  monde  pour  arriver  à 
Diou  personnel-  De  là,  Vnihèisme  de  Fichte*  Seulement,  n'oublions  f 
(et  c'est  là  un  point  dont  la  spéculation  actuelle  doit  faire  son  prc 
que  le  but  de  Fichte  est  uniquement  de  construire  une  p/itlosopi 


REVUE   DES    PilîlOtUQUBS    I^THÀ?îGErtS 


ââl 


de  in  religion f  c'est-à-dire  de  marquer  ia  place  de  la  religion  dans  le 
système  des  idées.  La  religion,  considérée  comme  chose  concrète,  est 
indépendante  de  cette  législation  foi^melle,  et  elle  peut  très  bien  rece- 
voir un  contenu  que  la  raison  philosophique  est  impuissante  à  déter- 
miner.  Ce  contenu  sera,  de  préférence,  hisloriqitef  individuel,  et  non 

F-  BTAumsTf  ER,  La  controverse  relative  à  la  chose  en  soi  et  sa  résur- 
F^^hecê ton  dans  te  camp  sociatiste* 

M,  Staudinger  prend  occasion  d'une  discussion  qui  s'est  élevée  entre 
<ieux  sucialîstes,  Plechanow  et  Konrad  Schmidt,  au  sujet  de  la  c/ia^e 
en  &oi  îtanlienne,  pour  éclaircir  ce  concept  et  arriver  à  une  théorie  de 
*a  connaissance  exemple  des  contradictions  que  renferme  la  doctrine 
^^    Kant,  ^  Il  esquisse  brièvement   rhistoire  du  problème  philoso- 
phique^  et  il  montre  que  c'est  à  Kant  que  Ton   doit  d'avoir  substi- 
tué  délinilivement  aux   recherches  sur  l'être,  les  recherches  sur  les 
itistrumenta  de  la  connaissance^  tandis  qu'avant  lui  les  penseurs  hésî- 
*^>*nt  entre  ces  deux  directions.  Kant  a  fait  voir  nettement  que  l'expé- 
rieriee  suppose  des  éléments  a  priori.  Mais  il  a  eu  le  tort  de  rapporter 
*ous  4;es  éléments  a  priori  à  une  même  origine^  au  sujet,  et  de  retirer 
P^**  là  à  la  connaissance  toute  valeur  objective.  De  là  les  contradio- 
t'on^  (jg  [â  thèse  relative  à  la  chose  en  soi,  Topposition  irréductible 
^ntt-^  (^  chose  en  soi   et  le  phénomène-  De  là  les  vains  efforts  d'un 
ï^^icbte  ou  d'un  Laas  pour  échapper  h  ces  contradictions.  C'est  qu*il 
tant  distinguer  les  éléments  a  priori  qui  expriment  seulement  notre 
attitude  à  regard  des  choses  (les  catégories  de  la  modalité)  et  qui 
dirent  du  sujet  leur  origine,  et  ceux  qui  expriment  la  nature  même  des 
^«Oses^  qui  sont  constitutifs,  et  qui  tirent  leur  origine  d'un  autre  que  le 
®Ujet*  Kant  lui*mÔme  nous  indique  où  est  cet  antre,  lorsqu'il  fait  de  la 
-^«însatiùn  la  marque  de  notre  passivité.  C'est  datïs  la  sensation  que 
^ont  renfermés  a  priori  tous  ces  éléments  constitutifs  (espace,  temps, 
•^^•isalité).  et  c'est  par  l'unalyse  que  nous  les  en  tirons  ensuite.  Voici 
*^^o  la  véritable  nature  de  la  chose  en  soi;  elle  est  donnée  dans  la 
^isation;  mais,  d(?s  lors,  elle  n'est  plus  cho^ie  eu  soi,  x  énigmatique, 
^^  il    faut  bannir  ce  fantôme  de  la  théorie  de  la  connaissance* 
^'  -    \V EN TSGHE II .  Ka ni  éin ii-it  pessim isle!  (Fin), 
*J^ti5  un  précédent  article  (Kantstudien,  U  IV,  1''''  fasc),  M.  Went- 
^liOf  a  rélabît  contre   Hartmann  la  véritrtble   théorie   kantienne  du 


^Cîraïn  bien.  Dans  ce  nouvel  article,  il  va  établir^  toujours  contre 

^i*t.ixjjino,  que  les  postulatï^  moraux  de  Icxistcnce  de  Dieu  et  de  Tim- 

'^•^taïité  de  Tàme  ne  sont  pas  en  contradiction  avec  les  principes  du 

"^^îsme.  L'être  moral  nV*taut  qu'une  partie  du  monde,  le  sentiment 

^  <*r^l  ^^^  jg  valeur  que  par  rapport  au  monde,  et  il  faut  que  le  monde 

^n  sens  au  point  de  vue  moral,  c'est-à-dire  qu'il  soit  Tceuvre  d*une 

~»^* licence.  D*autre  part,  cet  accord  entre  Tëtre  moral  et  le  mondai 

^j.      *^^tit  pas  complet  dans  cette  vie,  une  continuation  de  Texistence  au 

^  iie  cette  vie  devient  nécessaire.  Peu  imparte  que  Kant  ait  alflrmé 


REVUE  DES  PÉRIODIQUES  ÉTRANGERS 


Kantstudien. 

Philosophische  Zeitschrift,  t.  IV,  2«  et  3«  fasc,  1889, 

H.  RiCKERT.  V  «  Atheismusstreit  »  de  Fichte  et  la  philosophie 
kantienne,^ 

Les  vexations  auxquelles  Fichte  fut  en  butte,  voici  cent  ans,  en 
raison  de  ce  que  l'on  nommait  son  athéisme,  eurent  pour  occasion  u.n 
essai  qu*il  publia  dans  son  «  Fhilosophisches  Journal  »  sous  ce  titre  - 
Du  fondement  de  notre  croyance  à  un  gouvernement  providentiel  ^^ 
monde.  Cet  essai  était  une  réponse  à  un  article  de  Forberg,  paru  d^^^ 
le  môme  recueil,  et  qui  avait  pour  objet  :  Le  développement  du  c^^' 
cept  de  religion,  —  M.  Rickert  cherche  à  rattacher  tout  ensemble  1^. 
idées  do  Forberg  et  celles  de  Fichte  à  la  philosophie  kantienne^    ^ 
montrer  la  supériorité  de  la  thèse  de  Fichte,  et  à  faire  voir  Tinter^ 
que  présente  cette  discussion  en  ce  qui  regarde  la  spéculation  de  not^ 
époque.  Il  nous  apprend  à  connaître  un  Fichte  un  peu  différent  (> 
celui  que  Ton  8*est  accoutumé  à  considérer,  un  véritable  positivisC^ 
kantien,  ôloiîrné  de  toute  métaphysique,  fondant  la  réalité  de  façoX^ 
exclusive  sur  les  données  de  Tcxpérience.  En  môme  temps  il  nou^ 
explique  de  quelle  manière  originale  Fichte  rétablit  l'unité  dans  l^ 
pensée,  grâce  à  sa  doctrine  du  primat  de  la  raison  pratique^  en  rat' 
tachant    toute    certitude,    même    scientitique,   à    Tidée   du    devoir. 
M.  Rickert  oppose  nettement  cette  attitude  philosophique  à  celle  de 
M.  Paulsen  et  de  M.   William  James,  qui  admettent  une  influence 
inoxplioable  de  la  volonté  sur  Tintelligence.  en  vue  de  la  solution  de 
certains  problèmes  insolubles  aux  yeux  de  la  raison.  L'attitude  de 
Fiohte  est  évidemment  plus  satisfaisante  pour  l'esprit,  et.  si  on  la 
rejette,  il  ne  reste  qu'à  adopter  celle  de  Forberg,  la  séparation  radi- 
cale du  cœur  et  de  la  tète,  Timpossibilité  pour  le  cœur  de  construire 
jamais  une  doctrine  reliirieuse  acceptable  par  la  raison.  —  La  consé- 
quonoe  de  la  thèse  de  Fichte,  c'est  l  évidence  immédiate  de  la  religion, 
supérieure  et  inaccessible  à  toute  démonstration  spéculative.  Mais  c^est, 
en  même  temps,  Timpossibilito  de  donner  au  sentiment  religieux  an 
contenu  rtv/,  de  dépasser  l'oriire  iMora/  du  monde  pour  arriver  à  un 
Hiou  personnel.  De  là,  Witfuisinc  de  Fiohle.  Seulement,  n'oublions  pas 
»et  oesi  là  un  point  dont  la  spéculation  actuelle  doit  faire  son  profit) 
que  le  but  de  Fiohte  est  uniquement  de  construire  une  philosophie 


REVOB  nés  PÉRIODIQUES  ÉTHANCERS 


S33 


I 


toixâ    les  impératirâ  hypothétiques.   —  Maïs  Kant  délinit   TimpératiF 

coiazàtne  étant  rexpreagion  d'un  devoir  être  (soUen},  et  comme  étant, 
d'ï^tjitrû  part,  une  rètjh  rationnelle.  Le  premier  caractère  ne  saurait 
plu.^  appartenir  aux  impératifs  hypothétiques,  dès  l'instant  que  ceux-ci 
ont.  iine  valeur  purement  théorique*  Mais  dès  lors  l'impératif  calégo- 
riqt^e  possède-t-U  réellement  le  second  caractère,  est-il  une  règle  de  la 
fa.is<-in?  Kant  ne  rétablit  nulle  part;  il  se  borne  à  raffirmer,  grâce  à  sa 
d^£i  niiion  générale  de  Timpéralif  (définition  qui  enveloppe  la  confusion 
d^^ï4  «"ègles  théoriques  avec  les  impératifs,  ainsi  que  nous  venons  de  le 
VC3Ï  ir>.  Or  rêtude  des  véritables  impératifs  hypothétiques,  lesquels  sont 
''^^^cfaression  d'une  nécessité  particulière  et  d'un  Ci^tprice  individuel, 
èi-n  |>c'che  de  considérer  ceux-ci  comme  des  règles  ratîortnellee.  Reste- 
rait, donc  à  démontrer,  ce  que  Kant  n'a  pas  fait,  que  l'impératif  caNj^o- 
ric^i^t^  est  privilégié  à  cet  égard.  El  c'est  là  un  point  capilal,  si  Vou 
S4>rt^e  que  tout  le  système  de  Télhique  kantienne  est  fondé  sur  ce  pos- 
t«lmt. 

-A..  DOKKBH.  La  Critique  hanfienne  du  jugement  dans  se^  rapports 
a^t:?ecr  tes  deux  natres  Critiqnes  et  avec  tcsi  systèmes  post kantiens, 

ICa^nt  a  es^iayé,  dans  la  Critique  du  jitgementt  de  réconcilier  les  élé- 

lïieixts  opposés  que  les  deux  autres  critiques  avaient  séparés  de  façon 

r*^ciiuale,  sensibilité  et  entendement,  pençhantiî  naturels  et  loi  morale, 

i*^ï»oh  théorétique  et  raison  pratique,  causalité  mécanique  et  finalité. 

t2*o«5t  par  la  détermination  du  concept  de  la  finalité  qu'il  pouvait  arri- 

'^mr-    à  cette  conciliation.  Mais  il  n'a  pas  abouti  de  façon  entièrement 

Conséquente,  Sans  doute,  la  conception  finaliste  de  la  Nature  semble 

4c;l^^niiner  celle-ci  vers  la  moralité:  mais  le  point  de  vue  du  jugenriant 

i^'^st  pas  constitutif,  il  est  seulement  réflexif;  dès  lors,  le  caractère 

^ï>jectif  de  la  finalité  n'apparaît  pas  nettement.  Le  primat  de  la  raison 

I>t*ï^ tique  laisse  toujours  plar©  à  la  difliculté  qui  provient  de  ladilTé- 

''^rics^  de  valeur  entre  les  deux  raisons,  et  la  possibilité  d'une  action  de 

ï  iljerté  sur  le  monde  de  la  Nature  demeure  problémaiique,  La  théo^ 

ciu  sublime,   en  subordonnant  ta  sensibilité  à  la  raison,  ne  fait 

2J*  ^^centuer  leur  distinction.  Kant  indique  bien  une  hypothèse,  celle 

'^tte  intelligence   intuitive,  en  qui  mécanisme  et  finalité  se  confon- 

^  ^^^i«nl;  mais  il  na  pas  développé  cette  hypothèse,  —  11  faut  conclure 

^     tout  cela  que  Kunt,  de  même  que  Socrate,  a  été  llnitiateur  d'un 

j.  ^-'M.vement,  et  que  la  pensée  a  dû,  sous  son  impulsion,  prendre  des 

^**^ Plions  diverses.  De  là,  le  subjectivisme  de  Fichte,  le  point  de  vue 

^'[^^^^ê  tique  de  Hchelling  et  même  des  matérialistes  comme  Biichnerj  le 

ï^**^tde  vue  rntelleçtuaîjste  de  Hegel,  le  psycholngisme,  le  moralisme 


1 
ri 


P^i 


.  dernière  philosophie  de  Bchelling  (point  de  vue  auquel  M»  Dorner 


|-  ^     ^^ît  favorable)^  etc.  —  En  somme,  les  diflicultés  auxquelles  se  heurte 
•^r^fc  proviennent,  en  grande  partiei  de  ce  qu'il  a  gaidé  inconsoiem- 
^^^  *^  t  la  conception  leibnitîcienne  et  intellectualiste;  il  n'a  pas  maintenu, 
^^ndp  la  séparation  radicale  qu'il  avait  établie  entre  la  sensibilité  et 
'^t^odement;  il  a  vu  dans  la  sensation  l'action  d*un  principe  intelli' 


%u 


BBVUE  PHILOSaPHIQtlK 


gibie  de  la  Nature,  ou  d'une  choee  en  8oi  parente  de  renteademeot 
(puisqu'elle  est  Vobjet  d*un  concepl).  De  là  Thypothèse  de  V entende- 
ment intuitif, 

Ellen  Bliss  Talbot-  L^s  rapports  entre  la  conscience  humaine  et 
son  idéal  chez  Knnl  et  étiez  Fichte.  (Article  publié  en  anglais./ 

Dans  la  théorie  kantienne  de  la  connaissance,  la  matière  et  Ta  forme 
sont  entièrement  distinctes;  et,  alora  même  qu'elles  sont  iriBéparaliIes* 
leur  rapprochement  est  encore  extérieur  et  artificiel.  Cependant  Kant 
a  conçu  un  idéal  de  la  connaissance  où  cette  dualité  disparaîtrait.  Cet 
idéal  a  été  conçu  par  lui  de  deux  fayons.  Au  premier  det^ré,  Fentende- 
ment  intuitif  s'appliquerait  à  la  chose  en  sot  ;  la  dualité  subsiste  donc 
encore.  Au  second  degré,  la  conscience  se  prendrait  elle-même  pour 
objet»  la  dualité  a  donc  disparu.  —  Mais  c'est  la»  aux  yeux  de  Kant, 
un  idéal  inatrcessible,  Sotre  connaissance  ne  peut  consister  que  dans 
un  élargissement  sans  lin  de  rexpérience  sensible,  et  la  sensibi- 
lité difTère  de  Tentendement  de  façon  radicale-  —  La  Critique  de  k 
Raison  prutiquc  établit  à  nouveau  celte  dualité.  Le  désir  a'oppose  à  la 
loi  morale*  et  Tidëal  consiste  pour  Tôtre  raisonnable  à  supprimer  le 
désir  sensible;  si  la  vertu  et  le  bonheur  doivent  6tre  réconciliés,  cette 
réconciîîatioj>,  tout  extérieure,  réclame  l'interventian  de  Dieu.  La  Cri* 
tique  du  Jugement  n'arrive  pas  à  l'unité,  comme  on  le  dit  souvent.  La 
contemplation  esthétique  est  d'ordre  sensible.  Le  concept  de  tinalité 
n'a  qu*une  valeur  subjective.  Et  Kant  insiste  sur  le  caractère  supra* 
humain  de  l'intuition  intellectuelle,  ^  Fjchte  donne  au  problème  une 
autre  solution,  F*our  lui  é^'alement,  l'idéal  est  inaccessible,  et  la  dualité 
existe*  Mais,  d^ns  la  Wissenscfiaflsîehre^  cet  idéal  n'apparaît  pas 
comme  purement  négatif,  ainsi  qu'il  est  chez  Kant.  C'est  un  idéal  posi- 
tîf,  c'est-à-dire  qu'il  constitue  le  principe  interne  du  développement  de 
îiotre  connaissance.  La  matière  du  Moi  lui  \ientf  non  pas  du  dehors, 
mais  du  dedans»  —  Il  est  vrai  que,  dans  la  Siltentehre^  la  pensée  de 
Fichte^  et  cela  sous  Tintluence  de  la  morale  kantienne,  devient  hési- 
tante. Il  semble,  lui  aussi ^  vouloir  sacriUer  le  désir  à  la  moralité.  Mais 
on  peut  aflirmer  que  l'idéal  demeure  toujours  pour  lui  runité  orga- 
nique de  la  matière  et  de  la  forme.  M.  Andrew  Seth  n'a  dono  pas 
raison,  au  fond,  de  reprocher  â  Fichie  de  vouloir  faire  évanouir  la  vie 
consciente*  Si  J7dée  du  Moi  était  réalisée  entièrement,  ce  qui  dtspa- 
rai trait,  ce  n'est  pas  la  concience  réelle,  mais  seulement  cette  conscience 
imparfaite  qui  vise  à  l'unité  sans  pouvoir  sortir  du  dualisme.  En  résumé, 
Fiehie  entend  par  l'idée  du  A/oï  ce  que  Kant  entend  par  rtnfiititon 
iFU**ni'c!ut^f^*.  Mais  l'idéal  de  Fichte  est  positif,  et  rexpérience^  au  lieu 
d'être,  comme  chez  Kantp  hétérogène  à  l'idéal,  esl^  chez  Fichte,  de  ta 
même  nature  que  lut  J*  Segond* 


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4 


te  pt'opriétaifT-girtmi  :  F&Lix  AtCAx. 


C0iiltiraBiî«n,  ^  Imp.  f^AOL  BEOJMAD  « 


LE  PARI  DE  PASCAL 


Nous  ne  pouvons  savoir  si  Dieu  existe,  mais  aous  devons  croire 
qu*il  existe.  Telle  estla  thèse  qae  Pascal  s'elîbrce  d'établir  par  un 
raisonnement  célèbre,  connu  sous  le  nom  d'argutuent  du  pari. 

Cet  argument  a  été  i^objet  de  remarquables  critiques.  On  ne  peut 
dire  cependant  qu'il  Yfy  ait  plus  à  y  revenir  et  que  la  valeur  en  soit 
définitivement  fixée.  Il  a  généralement  paru  un  paradoxe  violent» 
une  iorfanterie  logique  »  mais  il  a  été  regardé  aussi  comme  le  résumé 
ou  le  point  de  départ  d'une  philosophie  profonde  (Renouvier)  *. 
Tantôt  on  Fa  quabfié  d^habile  (Droz),  tantôt  on  Ta  jugé  imprudent 
(Havet),  D'une  subtilité  qui  déconcerte  les  simples,  qui  égare 
tn^me  les  commentateurs,  il  peut  être  troublant,  mais  il  n'est  point 
persuasif,  et  Ton  ne  voit  pas  qu'en  fait  il  ait  ou  terrassé  les  incré- 
dules ou  édifié  les  croyants.  Écartant  ici  toutes  préoccupations 
métaphysiques  ou  religieuses,  noos  voulons  chercher  ce  qu'il  peut 
logiquement  valoir,  s'il  est  sérieux  ou  s'il  est  un  jeu,  s'il  est  fait 
pour  convaincre  ou  seulement  pour  frapper  et  éblouir  les  esprits, 
s'il  constitue  une  preuve,  ou  n'est  qu'un  argument,  au  sens  oratoire 
du  mot. 

[/idée  du  pari,  appliqué  à  Dieu  et  à  la  religion,  n'est  point  nou- 
velle. On  la  signale  chez  Arnobe  -,  chez  Raymond  Sebond  %  oti 
Pascal  a  pu  la  rencontrer.  Mats  il  importe  si  peu  qu'elle  soit  neuve, 
qu'au  contraire!  si  elle  est  juste  et  fondée,  elle  ne  doit  point  Tôtra. 
<  Rien  n'est  plus  commun  (en  efiet)  que  les  bonnes  choses..*  et  il 
est  certain  qu'elles  sont  toutes  naturelles  et  à  notre  portée,  et  même 
connues  de  tout  le  monde  *  »,  Tout  d'abord  il  n'échappe  à  personne 
que^  dans  Tordre  pratique,  un  moment  vient  toujours  où  il  faut  se 
résoudre  dans  rincerlituda,  c'est-à-dire  parier,  C  est  une  règle  fort 
juste  que,  lorsque  nous  sommes  dans  la  nécessité  d'agir  et  qu'  <  il 
n'est  pas  en  notre  pouvoir  de  discerner  les  plus  vraies  opinions, 


I.  Voir  DOtamtnânt  Philomphie  antdyîique  de  Vhistùire^  i.  i\\  p,  35  et  suiv. 
3.  Le  texi«  d^Ârnobe  csi  cilÉ  dans  le  DicUonnoIre  de  Bayle,  art.  Pascal. 
3*    Théologie  naîiù*tUf*^   lra<liiitc   par  Alontaigne.   V.  Droïî  :  Le  sccpiîciimt  de 
Pascal»  P'  71,  note. 

i«  I^ascal.  De  rEspîii  giamétrique, 

TONS   L*    —  SEPTEMBRE    1900.  1& 


2â(5  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

nous  devons,  comme  dit  Descartes,  suivre  les  plus  probables,  et 
même  qu'encore  que  nous  ne  remarquions  pas  plus  de  probahUité 
aux  unes  qu'aux  autres,  nous  devons  néanmoins  nous  déterminer 
à  quelques-unes,  et  les  considérer  après,  non  plus  comme  dou- 
teuses, en  tant  quelles  se  rapportent  à  la  pratique^  mais  comme 
très  vraies  et  très  certaines,  à  cause  que  la  raison  qui  nous  y  a  fait 
déterminer  se  trouve  telle  '.  >  Nous  trouvons  déjà  ici  rindication 
d'une  théorie  du  pari,  et  on  ne  saurait  dire  tout  à  fait  de  Descartes 
ce  que  Pascal  a  dit  de  saint  Augustin  :  c  Saint  Augustin  a  vu  qu*on 
travaille  pour  Tincerlain  sur  mer,  en  bataille,  etc.;  mais  il  n'a  pas 
vu  la  règle  des  partis  qui  démontre  qu'on  le  doit  *.  »  De  la  maxime 
de  Descartes  il  ressort  en  effet  que  le  pari  a  beau  être  en  soi  irra- 
tionnel et  aveugle,  quand  d'un  côté  il  y  a  pour  nous  intérêt  puissaot 
à  agir,  et  de  Tautre  impossibilité  de  connaître  par  la  raison  le  pax^ 
qu'il  faut  prendre,  il  devient  raisonnable  de  parier,  c'est-à-dire  ^^ 
choisir  le  parti  le  plus  conforme  à  notre  intérêt,  ce  choix  lui-mérr^® 
ayant  lieu  suivant  des  règles  posées  par  la  raison.  Ainsi  défini,      ^^ 
pari  est  le  contraire  d'une  démarche  hardie  de  la  pensée,  d'un  éi  ^^ 
de  rimagination  ;  li  ne  répond  pas  à  ce  goût  de  l'aventure  mé^::^' 
physique  qu'on  a  appelé  «  le  plaisir  du  risque  »  (Guyau);  il  est  u       ^® 
décision  sage,  calculée,  prudente;  il  est  la  conclusion  d'un  proc^^^^ 
méthodiquement  instruit,  la  solution  raisonnée  d'un  problème  p*-^' 
tique. 

Mais  Descartes  n'a  pas  appliqué  à  la  religion  la  théorie  du  pari,       ^^ 
d'autre  part  ceux  qui,  avant  Pascal  et  même  après  lui  (Locke  p^^^ 
exemple),  ont  fait  de  la  question  de  Texistence  de  Dieu,  ou  d  aulr^^ 
analogues,  l'objet  d'un  pari,  ne  l'ont  fait  ni  avec  la  même  rechercl^^ 
de  rigueur  logique,  ni  en  vertu  des  mêmes  principes  :  en  effet,  ils 
n'ont  pas  pris  soin  préalablement  d'établir  que  nous  sommes  : 
l""  incapables  de  connaître  par  la  raison  si  Dieu  existe  ou  non, 
^  intéressés  à  résoudre  cette  question,  et  capables  de  découvrir 
en  quel  sens  il  est  de  notre  intérêt  de  la  résoudre.  II  suit  de  là  que, 
comme  «  Descartes  est  le  véritable  auteur  du  cogita  »,  bien  qu'il  eu 
ait  pu  trouver  l'idée  première  dans  saint  Augustin ,  Pascal  est  le 
véritable  auteur  de  l'argument  du  pari  appliqué  à  Dieu,  et,  quoi 
qu'on  pense  de  cet  argument,  il  ne  faut  point  lui  disputer  l'honneur 
de  l'avoir  trouvé. 

Voyons  comment  il  le  prépare,  le  justifie  et  le  développe. 

1.  Descarlfîs.  Discours  de  la  MiUhode,  3«  partie. 

2.  Pensées,  art.  V,  9  tis,  cdit.  llavel. 


I 


L>  DUGAS  et  GH,   RiaOIER,    —   LE   |*Ani  DB   PASCAL 


227 


L*idée  de  parier  si  Dieu  existe  ne  peut  venir  qu*à  celui  qui  déses- 
père de  savoir  s'il  existe.  Parier,  c*est  trancher  par  un  acte  de 
volonté  une  question  qu'il  y  a  intérêt  à  ne  pas  laisser  pendante» 
m^iâ  que  la  raison  juge  néanmoins  insoluble;  c*est  renoncera  savoir, 
tt  se  résigner  à  agir  sans  savoir,  à  t  travailler  pour  Tincertain  p. 
Or  cette  résignation  n'est  permise  qu'à  celui  k  qui  il  serait  prouvé 
que  la  connaissance  est  interdite.  Pascal,  voûtant  montrer  que  nous 
sommes  dans  la  nécessité  de  parier  sur  Dieu,  commence  donc  par 
poser  que  nous  sommes  en  effet  incapables  de  le  connaîlre. 
Et  d'obord  qu'est-ce  que  connaitref 

Suivant  Pascal,  il  y  a  deux  voies  pour  aller  h  la  vérité,  la  «  raison  > 
^t  le  <[  sentiment  »,  partant  deux  sortes  de  connaissance  :  celle  qui 
procètle  du  c  coeur  i,  du  «  sentiment  p,  de  «  l'inâtînct  d  (tous  termes 
synonymes),  autrement  dit,  Tintuition  des  premiers  principes,  que 
ï^ascal  appelle  d'un  mot  la  t  foi  »;  —  et  la  connaissance  qui  vient 
^e  la  €  raison  ï>,  c'est-à-dire  du  raisannement,  la  vérité  démontrée 
ou  discursive,  qui  est  la  «  connaissance  »  proprement  dite  K 

I*our  quiconque  chercherait  à  se  maintenir  sur  le  terrain  de  la 

connaissance  discursi%^e,  le  c  véritable  ordre  o,  la  «  méthode  »  la 

P*us  <  éminenle  i  et  la  plus  «  accomplie  »  consisterait  à  «  tout 

prouver  »,  à  tout  connaître  t  par  raison  »;  mais  cela  est  radicale- 

^**^nt   impossible^  et  notre  connaissance,   ainsi  entendue,  a  des 

"ornes;  elle  s'arrête  aux  principes;  cest  justement  oii  la  «  foi  » 

*^ontnjence  '.  Tant  s'en  faut  d'ailleurs  que  la  connaissance  qui  relève 

^^    la  foi  soit  inférieure  à  celle  qui  procède  du  raisonnement.  Au 

*^^ti traire,  F  «  impuissance  [à  tout  connaître  par  preuves^  ne  doit 

"  '  '^  ^ir,  dit  Pascal,  qu*à  humilier  la  raison  qui  voudrait  juger  detoutj 

^''  'is  non  pas  à  combattre  notre  certitude,  comme  s'il  n*y  avait  que 

^  '"■aison  capable  de  nous  instruire.  Plût  à  Dieu  que  nous  n'eneus- 

*<Jna  au  contraire  jamais  besoin  et  que  nous  connussions  toutes 

<^iioses  par  instinct  et  par  sentiment!  Mais  la  nature  nous  a  refusé 

^  ^ien.  Elle  ne  nous  a  au  contraire  donné  que  très  peu  de  connais- 

*ïînee  de  celte  sorte  » '. 

*^'Uand  Pascal  dit  que  Dieu  ne  peut  être  connu,  entend-il  donc 

•^^eiiaent  qu'il  ne  peut  être  connu  «  par  raisonnement  »,  qu*il  ne 

^^t  ^tre  €  démontré  »,  et  qu*ainsi  il  ne  doit  pas  être  <  pris  pour 


»*  ^^  i'eiprli  fféùmétrique.  V  section* 


ââs 


BEVUE    pHtLOSOI>HI0ljE 


I 
I 


une  proposition  '  »,  mais  qu'il  serait  plutôt  un  axiome,  un  prino^'-P^ 
intuitivement  connu,  et  par  suite  d*autant  mieux  connu  qull  naiif^^ 
paâ  h  être  «  prouvé  »?  En  d*autres  termes,  quand  il  dit  :  «  C'est     ^  . 
cœur  qui  sent  Dieu  et  non  la  raison.  Voilîi  ce  que  c*est  que  la  fo*f^< 
Dieu  sensible  au  cceun  non  h  Ja  raison  d  %  ne  fait-il  que  transporl^^^t; 
dans  Tordre  théologique,  qu'appliquer  à  La  connaissance  de  Diel^^ 
la  distinction  platonicienne  de  la  vd^^tç  et  de  la  Stavoi^? 

Nous  ne  le  pensons  pas,  Pascal  ne  se  serait  pas  exprimé  avec  laut- 
de  force  et  d'insistance  au  sujet  de  Tïncog^noscibilité  de  Dieu,  s  il 
avait  entendu  simplement  par  là  une  ignorance  de  la  c  raison  i  et 
une  certitude  de  la  «  foi  b  :  il  semble  bien  que,  d'après  lui.  Dieu  ne 
puisse  être  aucunement  connu  par  les  lumières  naturelles,  par  le  sen- 
timent non  plus  que  par  la  raison^  qu'il  soit  inconcevable  aussi  bien 
qu'incompréhensible  et  que  nous  ne  puissions,  réduits  à  nos  pro- 
pres forces,  ni  prouver  son  e:xistence  ni  la  sentir.  Dieu,  dit-il  en  effet, 
«  n'a  nul  rapport  avec  nous  »*  Il  n'y  a  rien  de  commun  entre  sa 
nature  et  la  nôtre,  considérées  tant  au  point  de  vue  métaphysique 
qu'au  point  de  vue  moral,  et  par  exemple  entre  son  éternité  et  notre 
existence  mortelle,  entre  sa  justice  et  la  ntitre,  entre  sa  miséricorde 
et  la  nôtre.  Dieu  n  a  «  ni  étendue  ni  bornes  »  tandis  que  nous  sommes 
t  finis  et  étendus  ■*  Or  nous  ne  pouvons  connaître  que  ce  qui  est 
identique  ou  analogue  à  nous.  Aussi  ne  le  connaissons-nous  point 
du  tout;  nous  ignorons  sa  nature  et  jusqu'à  son  existence;  nous 
savons  a  ni  ce  qu'il  est  nî  s'il  est  i  ^. 

On  a  douté  que  cette  thèse  fût  de  Pascal;  Bayle  prétend  qm 
c  Pascal  ne  l'avoue  pas  »,  mais  <  veut  seulement  s'en  prévaloir 
pour  engager  les  athées  à  sortir  de  leur  état  >  *,  Rien  n'est  moins 
exact  :  quand  Pascal  pose  rincognoscibitité  de  Dieu,  il  ne  fait  pas 
une  concession  à  Fincrédule,  il  parle  en  son  propre  nom.  Toutefois 
il  n'entend  pas  dire  que  nous  ne  puissions  avoir  absolument  aucune 
connaissance  de  Dieu  ;  il  soutient  seulement  que  nous  a*en  avons 
pas  une  connaissance  natureUeou  innée.  L'homme,  puni  de  la  faute 
originelle  par  la  déchéance,  ne  peut  s'élever  de  lui-même  à  ridée 
de  Dieu;  il  ne  trouve  pas  cette  idée  empreinte  en  son  âme.  il  ne  la 
découvre  pas  par  la  réflexion  et  le  raisonnement;  mais  néannaoins 
il  peut,  si  Dieu  lui  en  fait  la  grâce,  recouvrer  à  quelque  de^ré  la 
connais&anee  siamaturells^  1  intuition  ou  te  sentiment  de  Dieu,  que 
le  péché  lui  a  ulés. 


1,  Pênté€s.  Art»  XXIV,  5, 

2,  Pensées f  art,  X,  1, 

3-  Feuséc*^  art,  XL  la  èw, 
i«  Dictionnaire,  art.  Pascal» 


L.  DtîGAS  et  CH,  RiaUÎER.   —  LE  PARI  DE  PASCAL 


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iCOl 

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cl 


A.însi  entendue,  la  thèse  de  rincognoscibilité  de  Dieu  peut  être 

d'autant  mieux  allribuée  à  Pascalj  qu'elle  rentre  dans  son  système 

pl-iilosophique.   Il  professe  en  eiïet   un   agnosticisme  scientifique 

aussi  bien  que  théologique  ^  et  les  premiers  principes,  soit  de  la 

coii naissance,  soil  de  Têtre^  Jui  apparaissent  enveloppés  de  mystère. 

ixiystère  est  à  la  base  de  la  science,  *  Notre  âme  est  jetée  dans  le 

f>s,  où  elle  trouve  nombre,  temps,  dimension.  Pille  raisonne  \k- 

do^sus,  et  appelle  cela  nature,  nécessité,  et  ne  peut  croire  autre 

chose  ^  »  Le  mystère  est  aussi  à  Torigine  et  dans  la  nature  des 

hfois^s  :  €  Incompréhensible  que  l'âme  soit  avec  le  corps,  que  nous 

*^i^yons  pas  d'ame;  que  le  monde  soit  créé,  qu*i[,  ne  le  soil  pas;  que 

I>i^ut  soit,  qu'il  ne  soit  pas,  etc  \.*  » 

Oombien  de  choses,  dit  la  Logique  de  Port- Royal  dans  un  passage, 

c|^:ii    reproduit  les  Idées  de  Pascal,  «  sont  incompréhensibles  dans 

loiii*  tnanière  et  sont  certaines  dans  leur  existence I  On  ne  peut  con- 

c^V'oîr  comment  elles  peuvent  être,  et  il  est   certain   néanmoins 

^I*-» 'elles  sont.  Qu'y  a-t-il  de  plus  incompréhensible  que  Téternité, 

^*    *3i-iY  a-t-il  en  même  temps  de  plus  certain  »^  de  plus  universelle- 

oa^nt  reconnu,   puisque  ceux-mémes  qui  refusent  d'admettre  un 

I>iieut  éternel  sont  obligés  d  accorder  réternité  à  la  matière?  ft  Quel 

looyen  de  comprendre  que  le  plus  petit  grain  de  matière  soit  divi- 

silalo  à  Finfini,  et  que  Ton  ne  puisse  jamais  arriver  h  une  partie  si 

petite,  que  non  seulement  elle  n'en  enferme  plusieurs  autres,  mais 

q^'olïe  n'en  enferme  une  infinité?  Toutes  ces  choses  sont  inconce- 

vatiles,  et  néanmoins  il  faut  nécessairement  qu'elles  soient,  puisque 

l'on   démontre  la  divisibilité  de  la  matière  à  rinflni,  et  que  la  géo- 

ltiétt*ie  en  fournit  des  preuves  aussi  claires  ijue  d'aucune  des  vérités 

qQ^lio  nous  découvre  i  ^.  Ainsi  nous  démontrons  plus  de  choses 

^ua   mous  n*en  pouvons  concevoir. 

C^omment  expliquer  un  pareil  succès?  Pascal  en  attribue  tout 

l'hDniteur  â  la  méthode  de  raisonnement  dite  par  Vabsurde^  qu'il 

pt^eonise,  et  dont  il  fait  ressortir  en  ces  termes  Toriginalité  et  la 

puissance  logique,  *  C*esl  une   maladie  naturelle  à  Thomme  de 

erti^re  qu'il  possède  la  vérité  directement;  et  de  là  vient  qu'il  est 

toujours  disposé  à  nier  tout  ce  qui  lui  est  incompréhensible^  au  lieu 

(|U*en  elîet  il  ne  connaît  naturellement  que  le  mensonge,  et  qu'il  oe 

joit  prendre  pour  véritables  que  les  choses  dont  le  contraire  lui 

parait  faux*  Et  c'est  pourquoi,  toutes  les  lois  qu'une  proposition  est 

j|]concevable,  il  faut  en  suspendre  le  jugement,  et  ne  pas  la  nier  à 

î,  Prmér^,  arl.  XXIV,  97. 

3.  !Mf]fiqm  df  t'afl'Rotjai.  i*  pnrtte  de  la  méthode,  cb,  L 


230  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

cette  marque,  mais  en  examiner  le  contraire;  et  si  on  le  trouve 
manifestement  faux,  on  peut  affirmer  la  première,  tout  incompré- 
hensible qu'elle  est  ^  » 

On  voit  quelle  disposition  d'esprit  toute  mystique  Pascal  apporte 
dans  l'interprétation  de  la  science.  Et  non  seulement  il  appelle 
inconcevable  ce  qui,  bien  que  démontré  à  ses  yeux  d'une  façon 
péremptoire  et  certaine,  confond  néanmoins  la  raison  (telle  la  divi- 
sibilité indéfinie  de  l'étendue),  mais  encore  ce  qui,  par  son  évidence 
même  échappe  à  la  démonstration  :  ainsi  toute  science  part  de  l'in- 
compréhensible, étant  hors  d'état  de  définir  c  aucune  des  choses 
qu'elle  a  pour  principaux  objets  »  ;  la  géométrie,  par  exemple,  c  ne 
peut  définir  ni  les  mouvements,  ni  les  nombres,  ni  l'espace  *  t.  L'in- 
concevable, qui  est  souvent  la  conclusion  du  raisonnement,  en  est 
donc  toujours  le  principe;  il  se  trouve  à  l'origine  et  au  terme  de  la 
science;  il  en  est  le  premier  et  le  dernier  mot.  Peu  importe  d'ail- 
leurs à  la  science  qui,  selon  Pascal,  n'a  pas  à  critiquer^  au  sens 
kantien  du  mot,  et  n'a  qu'à  recevoir  sans  examen  les  notions  incom- 
préhensibles sur  lesquelles  elle  s'appuie  ou  auxquelles  elle  arrive  *. 

1.  De  Vesprit  géométrique,  {*^  fragment.  Nous  exposons  les   idées  de  Pascal 
et  ne  les  discutons  pas  :  nous  ne  pouvons  nous  empocher  cependant  de  faire 
remarquer  combien,  dans  le  passage  que  nous  venons  de  citer,  elles  nous  pa- 
raissent sujettes  à  critique.  Que  penser  en  elTet  de  ce  principe  :  «  L'homme  ne 
connail  naturellement  que  le  mensonge,  et  ne  doit  prendre  pour  Térilabies  que 
les  choses  dont  le  contraire  lui  parait  faux  -?  Le  faux  existe-t-il  donc  en  lui- 
même?  Est-il  donc  un  absolu?  un  objet  d'intuition?  N'est-ce  pas  au  contraire 
le  vrai  qui  est  premier  en  soi  et  dans  la  pensée?  Et  le  raisonnement  peut-il  être 
autre  chose  qu'une  chaîne  d'intuitions  successives  du  vrai,  suppléant  à  une 
intuition  immédiate?  Sans  doute  le  raisonnement  nous  conduit  ainsi  à  admettre 
ce  que  nous  ignorions  d'abord;  mais  il  ne  saurait  avoir  pour  effet  d'imposer  à 
notre  esprit  des  conceptions  qui  le  dépassent;  il  n'opère  pas  de  miracle,  comme 
Pascal  tend  à  le  faire  croire  et  le  donnerait  à  penser. 

En  ce  qui  concerne, notamment,  la  divisibilité  indéfinie  delà  matière  (le  mot 
matière  étant  pris  ici  comme  synonyme  du  moi  étendue,  conformément  à  la  doc- 
trine de  Descartes),  elle  ne  doit  pas,  en  bonne  logique,  élre  considérée  comme 
la  conclusion  rigoureuse  d'un  raisonnement  par  l'absurde,  mais  simplement 
comme  une  hypothèse  adoptée  par  les  géomètres  grecs,  en  l'absence  de  toute 
théorie  sur  le  nombre,  pour  tourner  un  obstacle  logique.  Telle  est  du  moins  la 
thèse  soutenue  par  M.  Riquier  dans  un  article  rncore  inédit,  ayant  pour  litre  : 
De  la  distinction  entre  les  Sciences  déductives  et  les  Science»  expérimentales. 

2.  De  l'esprit  géométrique. 

3.  Sur  ce  qu'on  pourrait  appeler  le  positivisme  de  Pascal,  sur  la  condamnation 
qu'il  prononce  conlrc  la  métaphysique  en  général,  contre  la  critique  delà  con- 
naissance et  la  théologie  rationnelle  en  particulier,  voir  l'Esprit  gt^ométrique  et 
]&  Logique  dn  Porl-Hogal  (loc.  cit.).  «  f.e  plus  grand  abrègement  que  l'on  puisse 
trouver  dans  l'étude  drs  scieuces  est  de  ne  s'appliquer  jamais  h  la  recherche  de 
tout  ce  qui  est  au-dessus  de  nous  et  que  nous  ne  pouvons  espérer  raisonnable- 
ment de  pouvoir  comprendre.  De  ce  genre  sont  toutes  les  questions  qui  regar- 
dent la  puissance  de  Dieu,  qu'il  est  ridicule  de  vouloir  renfermer  dans  les  tioroes 
de  notre  esprit,  et  généralement,  tout  ce   qui  tient  de  l'infini;  car  notre  esprit 


L.  DOGAS  et  CH.  RIQUIER.   —  tE  PVHI  DE  PASCAL 


•31 


I 
I 


II 

Mais  riDCOgnoscibilit6.de  Dieu,  telle  que  Pascal  hi  définît,  dépasse 
celle  même  des  notions  scienlidqiies;  car,  suivant  lui,  nous  ne  pou- 
vons acquérir  par  nous-mêmes  la  moindre  conniiissance  de  Dieu, 
nous  ne  pouvons  humainement  savoir  non  seulement  ce  qu'il  est, 
mais  s'il  est,  et  Dieu  seul,  s  il  le  veut,  peut  nous  tirer  de  cet  état 
d'ignorance.  Ainsi  la  révelatioii  est  nécessaire;  c'est  h  elîe  qull 
appartient  de  présenter  à  Thomme^  comme  un  fait,  la  vérité  théolo- 
gique qu*iï  ne  saurait,  au  sens  rationnel  du  mot,  connaître  ni  com- 
prendre,  et  que^  par  conséquent  il  n*a  pas  le  pouvoir  de  poser. 

Telle  est  du  moins  la  thèse  qui  découle  des  principes  de  Pascal - 
Est-elle  bien  soulenable?  Est- il  même  vrai  que  Pascal  Tait  toujours 
rigoureusement  soutenue?  11  est  certain  que,  d'après  lui,  laconnois- 
eance  de  Dieu,  en  tant  que  fondée  et  véritable^  est  absolument 
refusée  à  Thorame.  «  Nous  no  connaissons  Dieu  que  par  Jésus- 
Christ...  Tous  ceux  qui  ont  prétendu  connaître  Dieu  et  le  prouver 
sans  Jésus-Christ  n'avaient  que  des  preuves  impuissantes ^  » 
N*avons-nous  cependant  par  les  lumières  naturelles  absolument 
aucune  notion  de  Dieu 7  N  y  a-t-il  à  la  question  religieuse  d^aulre 
solution  possible  que  le  christianisme  ou  Talhéisme']  C*est  ce  que 
Pascal  voudrait  soutenir,  mais  il  est  arrêté  par  la  vérité  historique. 
La  religion  naturelle  des  païens  est  un  fait  devant  lequel  il  est  torcé 
de  s'incliner-  Ne  pouvant  en  contester  rexistence,  il  en  conteste  la 
signilicatioo  et  la  portée;  ne  pouvant  le  nier,  il  ranrmle*  Il  met  sur 
le  même  rang  Tathéisme  et  le  déisme  :  Tun  relève  de  Tignorance, 
l'autre  de  la  liction.  Logiquement  ils  sont  également  en  deçà  de  la 
vraie  connaissance  de  Dieu;  moralement,  ils  sont  également,  pour 
le  chrétien,  un  objet  de  réprobation  et  d'horreur** 

Ainsi  F*ascal  rejette  entièrement  la  commune  conception  de  deux 
religions  dillérentes  se  complétant  et  se  confirmant  Tune  l'autre, 
l'une  fondée  sur  la  raison,  Tautre  sur  la  révélation.  Le  Dieu  quMl  a 
en  vue,  c'est  icomme  le  porte  cet  écrit  fameux  ^lu'on  retrouva, 
après  sa  mort,  cousu  dans  son  habit)  d  le  Diao  d'Abraham,  d'isaac 
elde  Jacob,  non  des  philosophes  et  des  païens  i,  le  Dieu  révélé^  et 


» 


élântlini,  îl  se  perd  et  s'ék»louJI  dans  rinfinLté,  &t  demeure  accablé  sous  U  mul- 
litude  d«s  pensées  contraires  qu'elle  fourniL  II  y  a  de  même  une  infinité  de 
C|iieâticin!«  métapliysiques  qui,  étant  trop  vaguei^,  tropabslraitesi't  trop  élaignées 
des  principes  clairs  et  connus»  ne  ae  résoudront  Jamais;  et  le  plus  ^ùr  est  da 
9*en  délivrer  le  plus  lût  qu'on  peut,  et^  après  avoir  appris  tégèrenient  que  l'oa 
tes  Torme,  se  résoudre  de  bon  coeur  à  leâ  ignorer.  «  Nescîre  qui^dam  magna 
fiers  ^aptenlite^* 
t.  Pensées,  XXÏl,©. 


232  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

non  l'auteur  supposé  <  des  vérités  géométriques  et  de  Tordre  ^dics 
éléments  *  ».  Par  un  scrupule  de  logicien  et  de  croyant,  il  reE"mjfie 
de  faire  servir  à  la  confirmation  de  la  religion  chrétienne  les  préL^c- 
dues  preuves  de  la  religion  naturelle.  Il  ne  parle  de  celle-ci  qu'a^^vec 
mépris  et  dédain;  il  la  juge  philosophiquement  mal  fondée,  et  d^siil- 
leurs  «  inutile  et  stérile  ».  Aller  dire  «  à  ces  personnes  deslitutées 
de  foi  et  de  grâce,  qui,  recherchant  de  toute  leur  lumière  tout  ce 
qui  peut  les  conduire  à  la  connaissance  (de  Dieu),  ne  trouèrent 
qu'obscurité  et  ténèbres  »,  aller  leur  dire  «t  qu'elles  n'ont  qu'à  ^oir 
la  moindre  des  choses  qui  les  environnent  et  qu'elles  verront  YD'm 
à  découvert,  et  leur  donner,  pour  preuve  de  ce  grand  et  impôt- mant 
sujet,  le  cours  de  la  lune  et  des  planètes,  c'est  leur  donner  suje  t  de 
croire  que  les  preuves  de  notre  religion  sont  bien  faibles;  et  je  ^rois, 
par  raison  et  par  expérience,  que  rien  n'est  plus  propre  à  leur  en 
faire  naître  le  mépris.  Ce  n*est  pas  de  cette  sorte  que  rÉcriture»  qui 
connaît  mieux  les  choses  qui  sont  de  Dieu,  en  parle.  Elle  di  t  au 
contraire  que  Dieu  est  un  Dieu  caché,  et  que,  depuis  la  corruption 
de  notre  nature,  il  les  a  laissées  dans  un  aveuglement  dont  elles  ne 
peuvent  sortir  que  par  Jésus-Christ,  hors  duquel  toute  communica- 
tion avec  Dieu  est  ôtée.  Nemo  novit  Patrem  nisi  Filius,  et  oui  Filius 
volait  revelare  *.  » 

Ainsi  «  la  foi  est  un  don  de  Dieu  »,  vérité  profonde  que  le  chris- 
tianisme est  seul  à  proclamer.  «  I^es  autres  religions  ne  disent  pas 
cela  de  leur  foi;  elles  ne  donnaient  que  le  raisonnement  pour  y 
arriver,  qui  n'y  mène  pas  néanmoins...  C'est  une  chose  admiral:^^® 
que  jamais  auteur  canonique  ne  s'est  servi  de  la  nature  pour  jarouK^^*" 
Dieu;  tous  tendent  à  le  faire  croire^.  » 

La  révélation  d'ailleurs  ne  nous  donne  elle-même  de  Dieu  qu'u  '^^ 
connaissance  imparfaite  et  bornée;  si  elle  nous  marque  clairem^^^^ 
son  existence,  elle  laisse  subsister  entière  l'incompréhensibilité       ^ 
sa  nature.  Dieu  ne  se  révèle  pleinement  à  ses  élus  que  dans 
«  gloire*  ».  Aussi  le  christianisme,  tout  rayonnant  qu'il  est  ^^ 
sublimes  clartés,  demeure-t-il  pour  nous,  en  cette  vie,  plein  d'ofc^^ 
curités  et  de  mystères;  il  est  une  religion  surnaturelle  et  se  don^^   . 
comme  telle;  jamais  les  chrétiens  ne  cherchent  à  prouver  leur  iC^-^* 
et  «  il  n'y  a  rien  de  si  conforme  à  la  raison  que  ce  désaveu  de 
raison  ».  Qui  les  blâmerait  en  effet  •  de  ne  pouvoir  rendre  raison c^^* 

1.  Pensf^es,  XXII,  3. 

2.  Pensées,  XXII,  2. 

3.  Pensées,  XXV,  40;  X,  6. 

4.  «  Par  la  foi  nous  connaissons  son  existence  ;  par  la  gloire  nous  connallpon^  '^ 
sa  nature.  »  X,  1. 


le 


1 


DUGA3  et  CH.  RiauiER.   -^  LE  PARI  DE  MSCAL 


^ 


letii-  créance»  eux  qui  professent  [que  leur  religion  est]  une  religion 
doint  ils  ne  peuvent  rendre  raison?  Ils  déclarenl,  en  l'exposant  au 
tnoode^  que  c'est  une  sottisej  stultitiam;  et  puis,  vous  vous  plaignez 
qu*îl3  ne  la  prouvent  pas!  S'ils  la  prouvaient,  ils  ne  tiendraient  pas 
parole;  c'est  eu  manquant  de  preuves  qu'ils  ne  manquent  pas  de 
seri&  *-  • 

Acceptons  donc  la  révélation  telle  qu'elle  est,  avec  ses  obscurités 
el  ses  lacunes  :  ta  révélation  étant  posée,  comment  la  foi  naUra-l-elle 
en    nous?  C*eât  là  une  question  qui  demande  à  être  éclaircie,  car» 
bleo  que  notre  espnt  soit,  par  hypothèse,  en  état  de  connaître  Dieu, 
pat-    révélcUion  (ex  auditu}^  cependant,  môme  après  la  révélation, 
il  ne  s*élèvepas  de  lui-même  à  Dieu,  c'est  Dieu  qui  descend  en  lui, 
et  •:|ui  seul  peut  lui  donner  la  foi.  Mais  d'autre  part  Dieu  ne  donne 
la   foi  qu*à  ceux  qui  se  tournent  déjà  vers  lui.  Comment^  de  notre 
part,  cette  conversion  est-elle  possible?  Au  point  de  vue  de  la  raison, 
la  question  deTexistence  de  Dieu,  étant  insoluble,  nous  laisse  indif- 
férents; mats  au  point  de  vue  de  notre  intérêt,  il  n'en  est  plus  de 
niéme  :  notre  vie  doit  changer  du  tout  au  tout,  suivant  que  Dieu  est 
oii  n'est  pas.  Notre  destinée  est  en  jeu;  une  alternative  se  pose, 
Ffi^ou  table  et  tragique  :  du  parti  que  nous  prendrons  dépend  notre 
^nheur  à  venir.  Il  s'agit  ici,  non  pas  proprement  de  foi,  mais  de 
^^ilui^  non  pas  de  vérité  métaphysique,  une  telïe  vérité  étant  inac- 
cessible, Oiais  d*utilité  pratique;  il  s'agit,  non  pas  d'adopter  une 
*^^oysi0çe  qui  réponde  aux  besoins  de  lame,  mais  de  se  tracer  une 
*''-'6le  de  vie  qui  assure  iles  chances  de  bonheur;  et  la  condition  à 
^^'iuelle  Dieu,  d'après  Pascal,  subordonne  expressément  le  don  de 
^  Krûce,  c*est  que  nous  commencions  par  comprendre  noire  véri* 
ablé  intérêt,  et  par  y  conformer  notre  conduite.  Cherchons  donc 
<ïiiel    ^st  le  parti  le  plus  avantageux  et  le  plus  sur,  jouons  serré, 
pyons  habiles  et  prudents  :  tel  est  le  sens  du  pari,  lequel  rentre 
^'^si   dans  la  doctrine  janséniste  du  itiliorisme^  que  Pascal  a  sou- 
^rju^  dans  les  Provinciales^  et  qu'il  continue  à  soutenir  dans  les 

•  l>ieu,  dit-il,  est  ou  n'est  pas.  De  quel  côté  pencherons-nous?  La 
i^on  n'y  peut  rien  déterminer.  Il  y  a  un  chaos  infini  qui  nous 
P^  fe.  Il  se  joue  un  jeu  à  rextrémité  de  cette  distance  infinie»  où  il 
*  *  ^^ra  croix  ou  pile.  Que  gagerez- vous?  Par  raison  vous  ne  pouvez 
"^1  **^^  ïii  l'un  ni  l'autre  ;  par  raison,  vous  ne  pouvez  défendre  nul  des 
^  ^  -  j  N 'accuser  donc  pas  d*eiTeur  ceux  qui  ont  fait  un  choix  (les 


]Ki!se  du  ttiHçrùmê  ile  Pascal^  voir  Jan^t 
ie  moral. 


ta  Morale^  lîv.  Itl,  cii*  m. 


2^4 


\\E\U\Ù    PlIlLOSUPtnQUË 


chrétiens),  car  vous  ne  savez  s'ils  se  trompent.  «  Non;  mais  je  les 
blâmerai  d*avolr  fait,  non  ce  choix,  mais  un  choix;  car  encore  que 
celui  qui  prend  croix  et  l'autre  ne  noient  pas  en  faute  Vun  pltts  que 
Vautré,  ils  sont  tous  deux  en  faute;  le  juste  est  de  ne  point  paner, 
—  Ouï,  mais  il  faut  parier  :  cela  n'est  pas  volontaire,  vous  êtes 
embarqué.  »  En  vain  vous  essayez  de  rester  neutre;  vous  ne  savex 
que  croire,  et  vous  voudriez  ne  rien  croire;  mais  ne  rien  croire 
équivaut  pratiquement  à  croire  que  Dieu  n'est  pas,  à  vivre  en  con- 
séquence, et  c'est  là  prendre  un  parti,  a  Lequel  prendrez- vous 
donc?*,.  Puisqu'il  faut  choisir,  voyons  ce  qui  vous  intéresse  le  moins 
(ce  qui  engage,  peut  léser  le  moins  vos  intérêts)*  Pesons  le  gain  et 
la  perte,  en  prenant  croix,  que  Dieu  est.  Estimons  ces  deux  cas  : 
si  vous  gagnez,  vous  gagnez  tout;  si  vous  perdei,  vous  ne  perdez 
rien.  Gagez  donc  qu*il  est»  sans  hésiter  \  »  N'est-ce  pas  c  admi- 
rable »?  Gonçûit*on  un  pari  plus  avantageux?  Cela  est  même  trop 
beau,  et  nous  n'osons  y  croire.  C'est  pourtant  ce  que  Pascal  prétend 
établir  par  uo  raiBonnement  mathématique. 

Par  malheur,  ce  raisonnement  est  indiqué,  non  développé;  la 
rédaction  en  est  incorrecte,  elliptique,  obscure;  il  est  d'ailleurs  en 
soi  compliqué  et  subtil;  pour  le  rendre  intelligible,  il  a  fallu  para- 
phraser le  texte ^  en  combler  les  lacunes,  rétablir  la  suite  des  idées. 
Nous  mettons  le  texte  de  Pascal  en  regard  de  notre  commentaire;  le 
lecteur  jugera  si  nous  l'avons  serré  de  près  et  traduit  ildèlemeot. 


111 


A,  Voyons*.  Puisqu'il  y  a  pareil 
hasard  de  gain  et  de  perle,  al 
vous  n*aviez  qu*à  gagner  deux 
vies  pûur  une,  vous  pourriez  en- 
core gager,  Mois  s*il  y  en  avait 
trois  à  gagner^  il  faudrait  jouer 
(puisque  vous  êtes  dans  la  néces- 
sité de  jouer),  et  voua  seriez  im- 
prudent^ lorsque  vous  êtes  forcé 
à  jouer.,  de  ne  pas  hasarder  votre 
vie  pour  en  u;agiier  trois  â  un  jeu 
où  il  y  a  pareil  hasard  de  perte  et 
de  gain.  Mais  il  y  a  un©  éternité 
de  vie  et  de  bonheur. 


Voyons.  Imaginez  que  Ton  vous 
force  à  jouer,  et  que  les  coadi- 
lioïis  soient  réglées  comme  il  suit  : 
S]  vous  prenez  pile  et  gagez  qye 
Dieu  n'est  pas,  vous  gardez  la  vie 
avec  ses  vains  plaisirs»  et  ivo  f^ik- 
guez  rien;  si  vous  prcnei£  croix  et 
gagez  que  Dieu  esi,  voua  vous 
abstenez  des  vains  plaisirs^  et  ris- 
quez également,  soit  de  ne  rien 
gagner,  soit  de  gagner  une  vie 
vraiment  heureuse  et  deux  fols 
plus  longue  :  puisque  vous  été»* 
forcé  de  prendre  plie  ou  croix,  et 


i,  Pemées,  art.  X,  1,  édit.  Havet. 
2,  Pensées^  art,  X,  1,  edlt»  Uavi^U 


L,  DUCA5  et  CH.  RIQUIER.   —  LE  PARI   DE   PVSCVL 


â35 


quHl  y  a,  dans  le  dernier  cas  de 
cette  alternative,  deux  viea  à  ga- 
gner contre  une  avec  dei  risques 
ép:aux  de  perte  et  de  gain,  vous 
agirez  aagemeut  en  prenant  croix. 
Imaginez  que  Ton  vous  force  à 
jouer  en  vous  imposant  les  mêmes 
conditions,  avec  cette  seule  diffé- 
rence quli  y  ait  maintenant  trois 
vies  à  gagner  contre  une  ;  ici 
encore,  et  à  plus  forte  raison, 
vous  devez  prendre  croirs.  Que 
dire  alors  du  cas  où,  le  jeu  étant 
obligatoire,  et  toutes  les  conditions 
restant  d'ailleurs  les  niâmes,  il  y 
a  à  gagner  contre  une  vie  toute 
une  éternité  de  vie  et  de  bonheurt 

Pascal,  après  avoir  formulé  sa  conelusionj  reprend  son  argumen- 
tation; mais  veut  la  rendre  plus  convaincante  encore,  en  partant  d*un 
cas  hypothétique  oit  le  joueur  qui  prend  croix  aurait,  en  regard 
d'une  chance  de  gain,  non  plus  une  chance  de  perte,  mais  une  infi- 
nité. 


B^  Et  cela  étant,  quand  il  y 
aurait  une  inilnité  de  hasarda  doiU 
un  seul  serait  pour  vous»  vous 
auriez  encore  raison  de  gager  un 
pour  avoir  deux»  et  vous  agiriez 
clo  mauvais  sens,  étant  obligé  à 
jouer,  de  refuser  de  jouer  une  vie 
contre  troi^  a  un  jeu  où  d'une  infi- 
ni lé  de  basardi*  il  y  en  a  un  pour 
voua,.„  s'il  y  avait  une  in  Uni  te  de 
■vie  infiniment  heureuse  à  gagner*. 
Mais  il  y  a  ici  une  infinité  de  vie 
iûlinîment  heureuse  à  gagner^  un 


Si,  sur  une  intjnîié  de  chances 
toutes  égales,  il  s*en  trouvait,  pour 
le  joueur  qui  prend  croix,  une 
seule  favorable,  vous  auriez  en- 
core raison  de  gager  un  pour 
avoir  deux;  it  plus  Forte  raison 
pour  avoir  trois,  quatre^  cinq;  à 
plus  forte  raison  pour  gagner  une 
infinité  de  vie  infiniment  heureuse. 
Or,  il  y  a  justement  ici,  contre  un 
risque  fin!,  une  infinité  de  vie 
infiniment  heureuse  à  gagner;  et, 
en  rej^ard  de  la  chance  favorable 


f.  Cette  |ihrase  est  inintenigîbïe,  comme  M.  îïavel  en  a  très  juslemenl  fuit  la 
rAin&rque  {Pensées,  i,  L  p.  I5li,  note  2).  Aussi  cslimons-nous  qu'il  y  a  une  laetjne 
dans  le  maritisi^rit  du  Hii.^caî,  et  qu'il  faut  tire  :  <*  à  plu^'  forte  raimn  sll  y  avait^ 
une  inlînitt*  de  vie  infiniment  heureuse  à  i^agner.  «  Par  la  simple  nddi'îûu  de 
r  CCS  motii  »  û  pltÂf  forte  raison  ^y  la  suite  logique  des  idées^  qu'il  était  im|voâftble 
d'aperceTOir,  nous  semble  rétablie  lie  la  fat, on  la  plus  naturelle.  C'est  pourquoi 
nous  avons  cru  devoir  adopte r^  dans  le  passage  ri-desâus,  la  ponctuation  siii- 
vial«  :  ft  pour  vquHj...  s'il  y  avait  -^  alors  que  la  pouclualioa  constamment 
uatifi»  eit  :  •  pour  v^ua^  m*U  y  avait  «. 


336 


REVilE  fBJLOSOPHIQLE 


hasard  de  gain  contre  un  nombre 
fini  de  hasards  de  perte,  et  ce  que 
vous  jouez  est  fini*  Cela  est  tout 
parti.  Partout  où  est  riiifiiii  et  où 
il  n'y  a  pas  infinité  de  hasards  de 
perte  coutre  celui  de  gain,  il  n'y 
ft  point  à  balancer,  il  faut  tout 
donner.  Et  ainâi,  quand  on  est 
lorcé  à  Jouer,  il  faut  renoncer  à  là 
raison  pour  garder  la  vie  plutôt 
que  de  b  hasarder  pour  le  gain 
in  Uni.  aussi  prût  à  arriver  que  ia 
perte  du  néant. 


procurant  un  gain  infini,  il  n> 
plus,  contrairement  à  ce  que  no- 
su  pposions,  qu*un  nombre  lini 
chances  de  perte.  Le  partage  ^s 
tout  fait  :  pouvant  gagner  TiiiK 
contre  le  lini,  et  n'ayant  pas,  ^ 
regard  de  la  chance  favorable,  u^ 
infinité    de    chances    contraire 
vous  n*avez  point  a  balancer, 
faut  tout  donner.  Et  ainsi,  quan 
on  est  forcé  à  jouer,  tl  est  dérm 
sonuable  de  se  décider,  en  prena::^ 
pile,  à  garder   la  vie,   qui   n*e 
qu'un  néant,  plutôt  que  de  couri. 
en  prenant  croix,  la  chance  d'L 
gain   infini^  tout   auï^si    probabi 
que  la  perte  de  ce  néant. 


Eûfia  Pascal  répond  aui  incrédules  qui  contestent  le  néant  de  ! 
Tïe, 


C,  Car  il  ne  sort  de  rien  de  dire 
qu'il  est  incertain  si  l'on  gagnera, 
et  qu'il  est  certain  qu'on  hasarde; 
et  que  l'infinie  distance  qui  est 
entre  la  cerLitudê  de  ce  qu'on 
s'expose,  et  V incertitude  de  ce 
qu*on  gagnera^  égale  le  bien  fini 
qu'on  expose  certainement  à  Tin- 
fini  qui  est  incertain.  Cela  n'est 
pas  1  aussi  tout  joueur  hasarde 
avec  certitude  pour  gagner  avec  in- 
certitude, et  néanmoins  il  hasarde 
certainement  le  fini  pour  gagner 
încertainement  le  fini,  sans  pécher 
contre  la  raison.  Il  n'y  a  pas  inli- 
nité  de  distance  entre  cette  certi- 
tude de  ce  qu'on  s^expose  et  l'in- 
certitude du  gain;  cela  est  faux. 
Il  y  a»  à  la  vérité,  infinité  entre  ta 
certitude  de  gagner  et  la  certi- 
tude de  perdre*  Mais  l'incertitude 
de  gagner  est  proportionnée  à  la 
certitude  de  ce  qu'on  hasarde, 
lelon  la  proportion  des  hasarda 
de  gain  et  de  perte,  et  de  là  vient 


Car  il  ne  sert  de  rien  de  dîr  " 
qu'il  est  incertain  si  l'on  gagnerai 
et  qu'il  est  certain  qu'on  ba&arde 
et  que  fin  finie  distance  qui  es 
entre  Li  certitude  qu'on  s'expose 
et  Vincerlitwie  sî  Ton  gagneriVpi 
rétablit  Tégafité  entre  le  bien  tini,^^ 
qu'on  expose  certainemetit,  et  Tin — \ 
fini;  qui  est  incertain.  Cela  n'est 
pas  :  ainsi ^  tout  joueur  hasarde 
avec  certitude  pour  gagner  avec 
incertitude,  et  néanmoins  il  ha- 
sarde certainement  le  fini  pour 
gagner  inccrttunement  le  Uni,  sans 
pécher  contre  la  raison.  Il  n'y  a 
pas  infinité  de  distance  entre  cette 
certitude  qu'on  s'expose  et  l'incer- 
titude du  gain  ;  cela  est  faux.  Il  y 
a,  à  la  vérité,  infinité  entre  la  cer- 
titude de  gagner  et  ia  certitude 
de  perdre.  Mais  la  proportion  entre 
l'incertitude  de  gagner  et  la  certi- 
tude qu'on  hasarde  est  la  môme 
qu'entre  le  nombre  des  hasards 
de  gain  et  celui  des  hasards  do 


L,   DUGAS   et  GH,   RiaUIER.    —   LE    PAni   DE   PASCAL 


237 


cfu^^  s'il  y  a  autant  de  hasards 
d'im  «^  cote  que  de  Tautre,  Je  parti 
est  iï  jouer  égal  contre  égal;  et 
aloT-s  U  certitude  de  ce  quon 
s'e^^i  pose  est  égale  à  Tmcertitude 
du  ^ain  :  tant  s'en  Taut  qu^elle  en 
soi  t-  inllmment  distante,  Kt  ainsi 
no*-we  proposition  est  dans  une 
foi-<:5«  inOnie,  quand  il  y  a  le  fini 
à  H  ^sarder  à  un  jeu  où  il  y  ii  pareils 
ha^^rds  de  gain  et  de  perle^  et 
Titm  t~ini  â  gajrner.  Cela  est  demona- 
tra-tif;  et  si  tes  hommes  sont  ca- 
pat>Iesde  quelques  ventés,  celle- 
là    l'^st. 


perte,  et  de  là  vient  que^  a'il  y  a 
autant  de  hasards  d'un  côté  que 
de  rautre^  le  parti  est  à  jouer  ég^al 
contre  égal;  et  alors  la  certitude 
qu'on  s'expose  est  égale  â  Tincer- 
titude  du  gain  :  tant  »'en  faut 
qu'elle  en  soit  infiniment  distanle. 
Et  ainsi  notre  proposition  est 
dans  une  force  infiuie,  quand,  à 
un  jeu  où  l'on  risque  également 
8ûit  de  gagner,  soit  de  perdre,  il 
n*y  a,  avec  Tinfini  à  gagner^  que 
le  fini  à  hasarder.  Cela  est  démons- 
tratif; et  si  les  hommes  sont  ca- 
pables de  quelques  vérités,  celle- 
là  Test. 


1^ 

^H     I—^  conclusion  où  Pascal  s'eiïorce  d'aboutir  est  la  suivante  :  t  Le 

^pau     ^tant  obligatoire,  vous  avez  tout  intérêt  à  prendre  croix,  et  il 

~  servît  déraisonnable  de  prendre   piïe,  t  Celte  conclusion   est-elle 

'«^ë'i  time?  Pour   en  juger,    nous  distinguerons  deux    hypothèses^ 

sui%^ajQt  qu'aux  yeux  du  joueur,  Tensemble  des  plaisirs  de  la  vie, 

^u^     pour  la  commodité  du  discours  nous  nommerons  désormais 

^*\^eu^  est  ou  non  de  quelque  valeur. 

*^ffiÊMiÈRE  HYPOTHÈSE.  —  L^cnjeu  est  de  quelque  valeur  aux  yeux 

^T^  Joueur. 

^P     î^^  raisonnement  de  Pascal  est  basé  sur  rarffirmation  suivante  : 

^*^  d*une  part,  en  prenant  pile  et  gardant  les  plaisirs^  vous  êtes 

c^^r-t^in  dfe!  ne  rien  gagner;  si,  d  autre  part,  en  prenant  croix  et 

^^Cknç^nt  aux  plaisirs,   vous  risquez   également  soit   de   ne  rien 

^^Kner,  soit  de  gagner  deux,  trois,  quatre  vies  contre  une  :  vous 

*eît*^2  sagement  en  prenant  croix.  »  Or,  dans  Thypothèse  actuelle, 

^Xi^    pareille  îjffirmalion  n*a  rien  d'évident  :   on  conçoit  en  effet, 

Vttisque  les  risques  sont  égaux,  que  le  joueur  hésite  à  sacrifier» 

ï*J\ir  un  gain  incertain,  les  biens  certains  de  la  vie  présente,  et  Ton 

Tiô  voit  pasj  s*il  se  décide  finalement  à  les  garder,  que  ce  choix  ait 

Tien  de  blessant  pour  la  raison.  Quant  au  cas  imaginé  ensuite  pour 

renforcer  le  raisonnement,  et  où  l'on  n*aurait,  en  prenant  croix, 

qu'une  seule  et  unique  chance  favorable  en  regard  d'une  inOnité  de 

chances  contraires,  il  ne  saurait  donner  lieu  à  la  moindre  hésitation, 

et  quiconque  se  déciderait  à  courir  cette  chance  unique  commettrait, 

t  n'en  pas  douter,  la  plus  grave  imprudence. 

Que  si  le  gain,  au  lieu  d'être  Oni^  est  inûni,  le  jeu  devient  assuré- 


Qt 


jîl 


iil 


2H8  REVUE  FHILOSOFBIQUE 

ment  plus  passionnant,  mais  il  n'en  est  pas  plus  sûr,  et  les  coe^ 

sions  précédente??  subsistent. 

Del'xïème  hypothï^;se,  —  L'enjeu  est  sans  valeur  aux  yeus 
joueur. 

Les  arguments  développés  dans  les  alinéas  A  et  B  établissent:- 
la  façon  ta  plus  convaincante  qu'une  semblable  hypothèse,  exclu  ^ 
tout  risque,  entraîne,  pour  le  joueur  qui  recherche  son  intéK- 
Tobligation  de  prendre  croix. 

Ainsi,  des  deux  hypothèses  successivement  examinées,  la  A 
nière  seule  aboutit  à  la  conclusion  voulue.  Le  texte  des  Pen^ 
nous  indique  d'ailleurs  clairement  qifaux  yeux  de  Pascal  Tenjeu 
en  elTel  sans  valeur,  et  que  telle  e^t  bien  F  hypothèse  dans  laqu^ 
il  entend  raisonner  :  car  les  alinéas  A  et  B,  dont  la  dialectique 
alors  d*une  force  invincible,  conlîenneat  a  cet  égagé  tes  rndicatî*^ 
les  plus  nettes,  <  Si  you»  perdfez,  vous  ne  perdez  tien  »,  dit  Taut^ 
au  début  da  mn  discours ^  Et  plus  loin*  :  ol  11  faut  renoucer  à 
FMon  pour  garder  la  vie  plul<!>t  que  de  la  hasarder  pour  le  g^ 
infini,  aussi  prêt  à  arriver  que  la  perte  du  néant  *, 

Pascal  toutefois,  ayant  en  vue  la  conversion  du  prochain,  ne  cr^ 
pouvoir  se  borner  à  une  argumentation  dont  le  principe  est  co  - 
testé  par  ceux-là  mêmes  qu'il  se  propose  de  convertir,  et,  avants 
g'adresser  à  leur  *  cœur  )>  comme  il  compte  le  faire  par  la  suite^ 
yeut  soumettre  leur  a  raison  »  et  lui  imposer,  par  la  force  de    /-^'^^ 
logique,  la  vérité  du  principe  :  tel  est  Tobjet  de  Talinéa  C.  Quelle  e 
peut  être  la  vertu  convaincante^  nous  le  devinons  dès  maintenant  *' 
car  il  n'est  d'autre  ressource,  si  ladversaire  se  refuse  à  concéder  là 
seconde  hypothèse,  que  d'en  admettre  provisoirement  la  ^ussetéi 
ç'est'à-dire  d'argumenter  à  nouveau  en  partant  de  la  première, 
incompatible,  ainsi  tjue  nous  ra%'ons  montré,  avec  les  conclusions 
de  la  seconde.  Mais  Pascal  ne  recule  pas  devant  une  discussion 
ainsi  posée,  et  il  entreprend  de  prouver  que  si  l'on  attribue  pour  un 
instant  une  valeur  réelle  à  Tenjeu,  on  aboutit  à  cette  contradiction 
que  l'enjeu  n'a  pas  de  valeur;  de  ce  point,  une  fois  établi,  résullem^ 
par  réduction  â  l'ab^^urde,  que  la  seconde  hypothèse  est  bieo  la 
Beule  qui  puisse  effectivement  se  présenter.  Examinons  sa  démons- 
tration . 

Tout  le  monde  sait  quelle  sorte  de  fascination  exerce  sur  Pascal 
Ja  pensée  de  rinfini,  avec  quelle  puissance  il  l'évoque,  et  aussi  avec 
quelle  variété  d'éloquence.  Tantôt  c'est  un  trait  rapide,  une  formule 


i.  Quelque®  lignes  avant  l'alitiéa  ^4* 
ii.  Fin  de  l'alrnéa  ih 


t.  ÛUGAS  et  CH,  RiaUÏER.   —  LE   PAHI   DE  PASCAL 


239 


5ve  et  saisissante  :  *  L'unité  jointe  à  l'infini  ne  raugmente  de  rien. 
Le  fîoi  s'anéantit  en  présence  de  l'infini,  et  devient  un  pur  néant  ",  » 
Tanti5t  c'est  une  suite  d'images  grandioses,  vivants  reflets  de  Tuoi- 
vers  matériel  :  «  Que  rhomme  contemple  donc  la  nature  entière 
datiB  sa  haute  et  pleine  majesté;  qu'il  éloigne  sa  vue  des  objets  bas 
qui  l'environnent;  qu'il  regarde  cette  éclatante  lumière  mise  comme 
ïine  lampe  éternelle  pour  éclairer  Tunivers  ;  que  la  terre  lui  paraisse 
coiTime  un  point,  au  prix  du  %'aste  tour  que  cet  astre  décrit,  et  qu'il 
s'étonne  de  ce  que  ce  vaste  tour  lui- même  n*eâtqu*une  pointe  trùs  déli- 
cate à  l'égard  de  celui  que  les  astres  qui  roulent  dans  le  lirmament 
etn tarassent...  Nous  avons  beau  enfler  nos  conceptions  au  delà  des 
^^Paces  imaginables,  nous  n'enfantons  que  des  atomes,  au  prix  de 


la 


*"^aljlé  des  choses.  C'est  une  sphère  infinie  dont  le  centre  est  par- 


loia^j^  circonférence  nulle  part.*.  Notre  imagination  se  perd  dans 
^^t-tc  pensée..*  Qu'est-ce  qu'un  homme  dans  rinfini-?  » 

^^r,  constatant  d'une  part  la  force  de  cette  impression  chex  Pascal, 

*^^*> sidérant  d'autre  part  le  texte  de  Talinéa  C,  nous  avons  acquis  la 

^^ï^Tiction  qu'au  moment  où  Pascal  l'écrivait  la  pensée  de  riïifmi  se 

^'^^^  sentait  à  lui  enveloppée  d'une  image  matérielle,  et  que  celte 

'^^*^^ge,  une  fois  retrouvée,  fournirait  une  sorte  de  clef  pour  Tinter- 

P^'^tatjon  du  passage. 

"V'oici  donc  lacfe/'que  nous  proposons  : 

-C*€  même  que  les  masses  prodigietises  des  astres,  perdues  dans  Ves-^ 

"^^^^^  à  dès  distances  prodigieuses,  nott9  apparaissent  corn  me  des 

^^^^m-its  lumineux^  tandifi  qtw,  si  elles  étalent  près  de  nous^  rien  ne 

^^•^^^élerait  plus  à  côté  d'elles  qiCïmpalpable  poussière  :  de  même  fin- 

^'^  *  ^  s^il  est  infiniment  distant^  est  comparable  au  fini^  viais^  s^il  est 

^^'^wie  distance  finie^  le  réduit  à  un  néant  par  aa  seule  présence. 
^  ^I^e  principe  étant  posé,  ou,  si  l'on  préfère,  cette  métaphore  étant 
ise  à  titre  de  principe,  on  aperçoit,  non  sans  surprise,  mais  avec 
entière  netteté,  le  singulier  mirage  dont  Pascal  semble  avoir 
la  dupe,  et  Ton  renoue  fort  aisément,  comme  il  suit,  la  chaîne 
Le  mystique  de  ses  déductions  : 

a  le  fini  et  Vinfini  sont  à  une  distance  finie  Tun  de  Tautre,  le 
est  un  pur  néant ^. 

j  :  1"  Fenjeu  que  vous  risquez  certainement  est  ftni;  2"  le  gain 

vous  en  retirez  incerlainemenl  est  in/îni;  3°  entre  ce  gain  infini, 

K  vous  êtes  incertain,  et  ce  risque  fini,  dont  vous  êtes  certain, 


J*ntiées^  étJiL  Uavel,  arL  X,   1  bis. 
J*enjiéts^  édiU  tlavel,  arL  1,  1. 

<iV$t,  prcijque  leitueUemenL,  )a  plirasedc  Pascul  clléc  plui  haut  i 
-  -anLilen  préêence  ûtVinfinû  et  devieul  un  pur  néanl.  » 


Le  fini 


S-IO  BEVUE   PHILOSOPIJÎQLE 

H  nY a  qu'une  distance  finie  :  car  rincerlilude  du  gain  el  la  cerlit»-^  <3e 
du  risque  sont  entre  elles  dans  la  même  proportion  que  le  nom  X^xe 
des  hasards  de  gain  el  celui  des  hasards  de  perte,  par  suite  égvm.  l«s 
entre  elles  comme  le  sont  ces  nombres,  par  suite  non  inlintiii  ^^nt 
distantes  Tune  de  Tau  Ire.  ^m 

Donc  t'enjeu  est  un  pur  néant*  ^ 

Donc  il  est  cootradicloire  de  lui  attribuer  une  valeur  réelle. 

Telle  est,  en  substance,  la  démonstration  de  Tillustre  mathémE^^t:  i- 
cîen.  Gomme  si  une  métaphore,  quelque  attrait  qu^elle  offre  à  rit":»^^' 
ginatlon,  pouvait  servir  de  base  à  un  raisùnnement!  Comme  si  ^^^ 
mots  certitude  du  risque^  incertitudf^  du  gain  pouvaient  ici  tradti 
autre  chose  que  des  impressions  purement  morales,  variant  d' 
homme  à  l'autre,  dun  moment  à  Tautre,  et  échappant,  dans  le< 
insaisissables  nuances^à  toute  évaluation  aritlimétîquc,  à  toute  fi^?'*^' 
ration  géométriqueî  Comme  si  Tabsence  de  défmilions  précis ^^^ 
Tambiguité  et  le  vague  dans  les  termes,  n*étaient  pas  la  négation  ^* 
toute  logique!  Comme  si  rattachement  aux  biens  delà  vie  (car  T-^^" 
tribution  d'une  valeur  réelle  à  Tenjeu  ne  signifie  pas  autre  cho^®) 
pouvait  impliquer  contradiction  *  I  ■ 

En  résumé,  la  nécessité  du  jeu  étant  posée,  Pascal,  ainsi  qu'il  *^ 
déclare  expressément,  raisonne  dans  Thypothêse  d'un  enjeu  s^  ^^ 
valeur;  il  établit  de  la  façon  la  plus  convaincante  qu'une  semlilal^^^*^ 
hypothèse,  excluant  tout  risque,  entraîne,  pour  le  joueur  tj.  **' 
recherche  son  intérêt,  Tobligation  de  prendre  croix;  puis»  s  att-^'' 
quant  à  l'hypothèse  contraire,  il  soutient,  mais  sans  succès,  qu'^  *  S 
implique  contradiction.  j| 

Le  pari  sans  risque,  il  le  discute  à  fond,  montre  nettement  où    ^^ 
l'avantagei  multiplie  les  arguments  et  les  preuves;  le  pari  a^*^ 
risque^  il  en  nie  la  possibilité,  et,  déçu  par  un  raisonnement  i'aux^ 
croit  fondé  à  dire  que  Tidée  même  en  est  absurde. 


IV 


Mais  rargumenlation  de  Pascal,  quelle  qu*en  soit  la  faibles; 
rencontrera  toujours  des  adhésions.  Supposons  que,  Tayaut  juj 
convaincante,  on  ait  parié  et  pris  croix.  Qu'en  résukera-l-il?  A  v 
dire,  peu  de  chose,  car,  ayant  parié,  on  n'aura  pas  la  foi, 

1,  Nous  appelons  l'atteniton   du  lecteur  sur  les  redites  de  Talinéa  C,  el 
relTort  Tisîble  qu'y  fait  Pascal  pour  suppléer  à  IHn«uriisanc!e  des  preuve*  — 
des  affirmations  rùpÉtt'eg  :  »  Il  ne  sert  de  jùhh  de  dire.  Cria  «V*/  pas^  Cela 
fau^-  Cela,  est  démonstfatif.  Si  les  hommes  soni  capables  de  quelques  vérï 
çelle-tà  Veut*  • 


DUGÀS  et  CH.  RIQUTER.   —   LE   PAni  DE  PASCAL 


341 


Suivant  Senancour,  Pascal  aurait  dit  celte  «  puérilité  »  :  Croyez 
^€Ad*ce  que  vous  ne  risquez  rien  de  croire  et  que  vous  risquez  beaucoup 
e  ?u  7%^  croyant  pm.  Ce  raisonnement,  ajoute-t-il,  c  est  décisif  quand  il 
s*a^it  de  la   condiute;  il  est  absurde,    quand  c'est  la  foi  qu'on 
demande'  »,  Senancour  commet  ici  une  méprise.  Pascal  a  reconnu 
lui-même  en  termes  exprès  que  Targument  du  pari  n'est  pas  édifiant 
au  3ens  propre^  nous  voulons  dire  n*est  pas  de  nature  à  édifier  la  foi. 
Il    prête  en  etfet  ces  paroles  h  un  interlocuteur  imaginaire  :  Je  me 
rends  à  vos  raisons,  «  mais  j'ai  les  mains  liées  et  la  bouche  muette, 
on  me  force  à  parier  et  je  ne  suis  pas  en  liberté;  on  ne  me  relâche 
pas^  et  je  suis  fait  de  telle  sorte  que  je  ne  puis  croire.  Que  voulez- 
vous  donc  que  je  fasse*?  t 

Si    cela  est  sans  réplique,  si,  de  Taveu  de  Pascal,  et  selon  la 
remarque  fort  juste  de  Senancour,  on  ne  croit  pas  par  cela  seul  qu'on 
est  ri^solo  à  croire,  qu'a  donc  pu  prétendre  et  qu'a  prétendu  en  efTet 
Pascal?  Simplement  combattre  les  préjugés  contraires  à  la  foi.  Son 
argumentation  est  négative,  réfutalive  Idestruem}^  non  démonstra- 
tive   ou  édifiante  [constrnens^  ii^dificam)^  pour  parler  comme  Bacon. 
Ï     Interprétée  ainsi,  elle  ne  laisse  pas  d'avoir  une  importance  capitale 
pour  qui  sait  comment  la  foi  s'établit  en  nous.  Les  vérités  divines^ 
dit  Pascal,  n.  ne  tombent  pas  sous  Tart  de  persuader j  car  elles  sont 
infini  ment  au-dessus  de  la  nature:  Dieu  seul  peut  les  mettre  dans 
l^âme^  et  par  la  manière  qu*il  lui  plalt  ^  >.  Que  la  raison ,  incapable  de 
connaître  ces  vérités,  mais  compreniint  Tintérêt  qu'il  y  a  à  les 
admettre,  nous  accorde  seulement  la  possibilité  ou  la  faculté  de 
croire,  et  laisse  opérer  la  grâce.  Qu'elle  se  juge  elle-même,  qu'elle 
avoa^  son  Œ  impuissance  »,  reconnaisse  ses  bornes,  et  qu'elle  laisse 
place  à  la  foi,  cet  état  supérieur,  semblable  à  l'enfance,  dont  il  repro- 
duit Tinnocence  et  la  candeur.  Nisi  efficiamur'  sicut  parvuli/ 

'ï'outefois  la  neutralité  bienveillante  de  la  raison  ne  suffit  pas  encore 
*  ^>*surer  le  triomphe  de  la  foi. 

^  Qu'il  y  a  loin  en  e(îet,  dit  Pascal,  de  la  connaissance  de  Dieu  à 

minier  M  »  La  foi  est  un  «  sentiment  *,  elle  s'adresse  au  g;  cœur  i 

ou  ^  la  «  volonté  ï>,  la  volonté^  telle  que  fente nd  Pascal,  étante  fen- 

--ïïîble  des  désirs  naturels  communs  à  tous  les  hommes,  comme  le 

^®*ï*  d'être  heureux  ».  Mais  depuis  le  péché,  la  «  volonté  »,  pas  plus 

^^^    1^  raison,  ne  conduit  naturellement  à  la  foi;  étant  corrompue, 

'^  f>€ut  9* éloigner  de  sa  fin,  et  se  porter  sur  des  objets  indignes, 


^     -     ...tï,  XXV,  21. 


S42  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

€  aussi  forts,  quoique  pernicieux  en  effet,  pour  la  faire  agir  que  s'ils 
faisaient  son  véritable  bonheur  »  *.  «  Tous  les  hommes  recherchent 
d'être  heureux*  »,  et  comme  jamais  personne  ne  l'a  été  sans  la  foi) 
qui  est  «  le  véritable  bien  »,  tous  devraient  tendre  à  Dieu;  la  plupart 
néanmoins  s'en  éloignent,  parce  que  leur  volonté  est  dérégléôi 
comme  leur  esprit  est  aveugle.  Il  faut  donc,  pour  rétablir  rhoni«^^ 
dans  la  dignité  de  sa  nature  première  et  le  ramener  à  Dieu,  purift^^ 
son  cœur,  le  guérir  de  ses  passions,  comme  il  a  fallu  critiquer    sa 
raison,  la  délivrer  de  ses  erreurs  et  de  ses  préjugés  dogmatiqii  ^^• 
L  analogie  va  plus  loin  encore  :  il  faut  que  Tesprit,  comme  le  cœ  •Jr» 
redevienne  humble,  candide.  Il  le  deviendra  en  se  soumettant  à  ^::^s 
pratiques  de  la  dévotion  dont  on  ne  comprend  pas  d'abord  le  s^^ns 
et  la  portée,  dont  on  ne  peut  prévoir,  sans  en  avoir  fait  Texpérien^^, 
les  effets  indirects  et  lointains.  «  Vous  voulez  aller  à  la  foi  et  vcjms 
n'en  savez  pas  le  chemin;  vous  voulez  vous  guérir  de  Tinfidélife' 
(manque  de  foi,  incrédulité),  et  vous  en  demandez  le  remède  ; 
apprenez  de  ceux  qui  ont  été  liés  comme  vous  et  qui  parient  mainte- 
nant tout  leur  bien  :  ce  sont  gens  qui  savent  ce  chemin  que  vous 
voudriez  suivre,  et  guéris  d'un  mal  dont  vous  voulez  guérir.  Suivez 
la  manière  par  où  ils  ont  commencé  :  c'est  en  faisant  tout  comine 
s'ils  croyaient,  en  prenant  de  l'eau  bénite,  en  faisant  dire  des 
messes,  etc.  Naturellement  même  cela  vous  fera  croire,  et  vous 
abêtira'.  >> 

En  résumé,  selon  Pascal,  rendre  à  l'esprit  son  innocence  et  au 
cœur  sa  pureté,  et  préparer  ainsi  le  terrain  à  la  grâce,  c'est  la  seule 
manière  d'édifier  la  foi.  Toute  la  démonstration  de  la  vérité  chré- 
tienne consiste  à  convaincre  l'esprit,  à  persuader  le  cœur  qu'il  ne 
faut  pas  résister  à  cette  vérité.  L'esprit  ne  risque  rien  à  croire  :  la 
foi  lui  révèle  un  ordre  de  vérités  qu'il  ignore,  et  ne  l'oblige  à  renon- 
cer à  aucune  de  celles  qu'il  peut  naturellement  connaître.  La  volonté 
ne  risque  rien  non  plus  à  embrasser  le  genre  de  vie  et  les  senti- 
ments chrétiens;  elle  ne  sacrifiera  rien  pour  cela  du  bonheur  pré- 
sent. <r  Quel  mal  vous  arrivera-t-il  en  prenant  ce  parti?  Vous  serez 
fidèle,  honnête,  humble,  reconnaissant,  bienfaisant,  ami  sin- 
cère, véritable.  A  la  vérité  vous  ne  serez  pas  dans  les  plaisirs 
empestés,  dans  la  gloire,  dans  les  délices.  Mais  n'en  aurez-vous 
point  d'autres*?  » 

Nous  voilà  rassurés,  et  même  convaincus,  persuadés,  mais  non 

1.  De  r Esprit  gëomélriifue. 

2.  Pensées,  Vllî,  2. 

3.  Pensées,  X,   1. 

4.  Pensées,  X,  1. 


L.  DUGAS  et  CH.  RiaUTEH.   —  ht  PART  HE  M5CAL 


I 


243 

encore  croyants.  —  Laisseiî  laire  Dieu  ;  vous  Mez  le  devenir!  Iji  foi 
est  un  don  de  Dieu,  nue  inspiration  de  la  grâce.  Vous  vous  êtes  rais 
en  état  de  la  recevoir;  vous  avez  ôté  les  a  obstacles  »;  vous  o'avez 
pu  vous  la  donner.  Mais  elle  se  donnera  elle-même  à  vous* 

Voici  comment,  a  lî  y  a  trois  moyens  de  croire  :  la  raison ^  la  cou* 

it^  >yje,  ]  inspiration.  »  Ou  s'achemine  vers  la  foi  par  la  et  raison  »,  en 

^    o^ivraut  son  esprit  aux  preuves  *;  on  «  s'y  confirme  par  la  cou^ 

'*^^*ie  ^;  mais  «  les  impirations  seules  peuvent  faire  le  vrai  et  salu- 

^^iir^efTet  »,  Remarquons  que  les  preuves  dont  il  s'agit  sont  higlo- 

t*»^^^^ç^  non  philosophiques;  c'est  «  récriture  et  le  reste  »,  que 

^^c^al  tient  a  priori  pour  valables  et  ne  songe  pas  à  soiimeltre  à  la 

*■,*"**  ique;  dans  le  pari,  cela  s'appelle  €  le  dessous  du  jeu  >,  La  foi 

''^^•^^ée  sur  les  témoignages  (fides  fix  atidilu]  est  d'ailleurs  impar- 

"^^^^^y  elle  reste  extérieure,  ne  s  adresse  qu'à  l'esprit.  Mais  par  la 

^^^otion,  rascélisme,  on  se  dégage  des  passions  humaines,  on  déve- 

<^i">^e  en  soi  les  sentiments  chrétiens,  on  ouvre  les  voies  à  la  grâce, 

^    ^'inspiration,  laquelle  seule  donne  la  foi  véritable,  celle  qui  oc  est 

^^^  s  le  cœur  ï>  *. 

^^  uand  la  foi  véritable  est  entrée  dans  Tâme,  qu'elle  a  pris  posses- 

®*c>:r^  ^Q  toutes  ses  facultés,  de  la  raison  et  du  cœur,  qu'elle  est  deve- 

^^^    une  «  certitude  »  et  une  a  joie  »,  alors  elle  oublie  son  point  de 

**^t>^rt,  les  angoisses,  les  doutes  dont  elle  s'est  affranchie,  elle  croit 

^'^^^i  r  toujours  joui  de  la  sécurité  et  de  la  paix  enfin  rencontrées.  «  Je 

^^^*^s  dis  que  vous  y  gagnerez  (à  parier)  en  cette  vie,  et  que,  a 

^f^-^^yuepm  que  vous  ferez  dans  cê  chemint  vous  verrez  tant  de  cer- 

•^  ^u  fie  d'un  côté  et  tant  de  néant  de  ce  que  vous  hasardez^  que  vous 

^■f^^^^Onnaîtrez  à  la  fin  que  vous  avez  parié  pour  une  chose  certaine^ 

^B**^/^»^i«j  pour  laquelle  vous  n  avez  rien  donné*,  n  En  d'autres  termes, 

^^   ^oi  n'est  pas  la  même  aux  difîêrents  degrés  de  son  développement, 

^^2^^  ^  ^^  ^'^^  cherche  sa  voie  et  croit  Tavoir  trouvée;  elle  avoue  d'abord 

^^^^  *^sllese  fonde  sur  un  pari  à  Tissue  douteuse,  puis  elle  se  prévaut 

^P    *^^    ïin  du  gain  réalisé  ou  de  la  certitude  obtenue. 

^"       T'^ïlle  est  bien  en  ellet  révolution  naturelle  de  la  croyance  :  quand 

,  ^*     ^   la  foi,  on  croit  tenir  la  preuve»  ou  plutôt  on  s'en  passe,  on  la 

■*     ^^^^   superflue. 

^*^i  ra-t-on  que  la  foi  est  alors  illogique?  Mais  le  mot  ne  convient 
-P^""^^  —     La  foi  est  t  un  don  de  Dieu  »,  non  a  un  don  de  raisonnement  ï>. 
mérités  de  la  foi  ne  relèvent  que  d'elles-mèmesj  elles  ne  sau- 
il  être  appuyées  sur  d'autres  vérités  ;  il  faut  les  recevoir  gra- 


fui  ^^ 


*nent,  c'est-à-dire  sans  preuves.  Bailleurs  Tordre  dans  lequel 


244 


BEVUE  PBlLOSOPniQCE 


00  s'élève  â  ces  vérités  est  «  tout  contraire  à  Tordre,*,  naturel  au 
hommes  dans  les  choses  naturelles  »,  La  dialectique  de  la  foi  estl^;;; 
renversement  de  la  logique  huiiiaiae.  Dieu  «  a  voulu  que  les  vérittv 
divines  entrent  du  cœur  dans  l'esprit  et  non  pas  de  l'esprit  dans  l 
cœur...  Au  lieu  qu*eii  parlant  des  choses  humaines  on  dit  qu'il  faut 
les  connaître  avant  de  les  aimer,  ce  qui  a  passé  en  proverbe,  les 
saints,  au  contraire,  disent»  en  parlant  des  choses  divines,  qu*il  faut 
les  connaître  pour  les  aimer,  et  qu'on  n^entre  dans  la  vérité  que  par 
la  charitéj  dont  ils  ont  fait  une  de  leurs  plus  utiles  maximes  '  »* 

Aulrement  dit,  la  loi  se  justifie  par  elle-même  et  par  ses  effets.  Il 
ne  s'agit  pas  de  la  prouver,  mais  de  1  éprouver,  d*en  faire  Vexpé- 
rienœ.  C'est  celle  expérience  qui  serait  décisive.  Mais  souvent  on 
refuse  de  la  tenter»  de  se  soumettre  aux  conditions  en  dehors  des- 
quelles elle  ne  saurait  se  produire.  €  J'aurais  bientôt  quitté  les  plai- 
sirs, disent'ilSj  si  favais  la  foi*  Et  moi  je  vous  dis  :  Vous  auriez 
bientôt  la  foi  si  vous  aviez  quitté  les  plaisirs.  Or  c'est  à  vous  à  com- 
mencer. Si  je  pouvais,  je  vous  donnerais  la  foi.  Je  ne  le  puis  faire,  ni 
parlant  éprouver  la  vérité  de  ce  que  vous  dites.  Mais  vous  pouvez 
bien  quitter  les  plaisirs,  et  éprouver  si  ce  que  je  dis  est  vrai  \  i 

Pascal  nous  conjure  donc  de  faire  Texpérience  de  la  foi,  et  il  nous 
répond  du  succès^  d'un  succès  qui  réalise  et  dépasse  toutes  les  espé^ 
rances.  11  va  jusqu'à  dire  :  «  Naturellement  même^  cela  vous  fera 
croire,  et  vùuh  abêtira  ;  »  et  il  ne  s'aperçoit  pas  que  ce  raol  «  naturel- 
lement 1  est  en  contradiction  flagrante  avec  la  théorie  janséniste, 
d'après  laquelle  la  foi  est  une  grâce,  une  faveur  particulière  de  Dieu; 
il  ne  voit  pas  non  plus  que  ce  mot  «  mm  abêtira  »  est  absolument  incon- 
ciliable avec  les  assurances  qu*il  nous  donne  que  l'esprit  ne  risque 
rien  k  croire,  ni  la  volonté  à  s'assujetlîr  aux  pratiques  de  rascétisrae* 
Et  maintenant,  que  penser  d\me  expérience  qui  se  présente  ainsi  : 
Pour  entrer  dans  Tétat  d'âme  du  croyant,  vous  dépouillerez  votre 
nature,  vous  ferez  table  rase  de  vos  instincts,  de  vos  senthuents,  de 
vos  conce plions  du  bonheur'?  A  ne  considérer  Je  pari  qu'au  point  de 
vue  logique,  le  refus  de  prendre  croix  n  aurait  rien,  avons-nous  dit, 
de  blessant  pour  la  raison.  Mais  si  nous  nous  mettons  en  face  des 
conditions  réelles  du  pari,  nous  devons  dire  qu'il  y  aurait  au  con- 
traire folie  à  prendre  croix.  Car  la  foi  n  est  pas  telle  que  Pascal  quel- 
quefois la  présente  :  elle  ne  se  superpose  pas  simplement  h  la  rai- 
son ;  elle  n'a  pas  pour  elTet  de  reculer  les  bornes  de  notre  esprit  sans 
entraver  son  développement  naturel,  et  de  lui  donner  ainsi  accès 
dans  un  monde  qui  lui  serait  naturellement  fermé.  En  réalité,  elle 


^::^ 


^^ 


H 


1 


L  De  t'e^t^it  g^^omé trique* 
3.  Pensées f  X,   3. 


L.  DUQAS  et  CH.   RIQUIER,   —   LE   PAftl   DE   PASCAL 


S4S 


»:?ci@e  l'abdication  de  ootre  raison,  riinmolation  de  nos  sentiments. 
^K  Gett.  anéantissement  de  notre  persotinalilé  n'esi-il  pas  le  plus  grand 
^m  d^n^er  que  nous  puissions  humainement  courir? 
^1  r*ascal  néanmoins  voit  ce  danger  d'un  œil  indifférent,  t  Qu'avez- 

"%roiJEs  h  perdre?  b  nous  dit-il.  Tout  rempli  de  ses  idées  théologiques» 
il  x:i 'entre  pas  dans  Tesprit  de  Ihomme  purement  homme^  et  son 
«  d  iscours  »  s'adresse  exclusivement  à  celui  qui  admet  déjà,  sinon 
1^  ïi^èché  originel  et  la  déchéance  de  l*homrae,  dui  moins  la  faiblesse 
d^  i  a  raison,  la  vanité  du  bonheur  terrestre,  et  toute  cette  philoso- 
phie i  ^  pessimiste  que  lui-même  a  tirée  du  dogme  chrétien.  Mais  tout 
^^Ç:^  ï^it  qm  n'a  que  la  raison  pour  guide,  et  qui  croit  à  la  dignité  natu- 
rel I  «  de  i  homme  et  à  la  possibilité  du  bonheur,  ne  peut  manquer  de 
*^ori  sidérer  Targumentation  du  pari  à.  ta  fois  comme  une  monstruosité 
^^Ic^^g-i  que  et  une  énormité  morale. 

^m        I^s  dureté  d'un  pareil  jugement  trouverait  au  besoin  sa  justifica- 

^^  tf  ox»  ou  5îon  excuse  dans  la  remarque  célèbre  de  Pasca!  sur  «  la  dilîé- 

**^Mric!e  entre  les  hommes  i  ou  roriginalité  des  esprits.  Pascal  est 

^^^^-même  Tesprit  le  plus  «  original  s»,  c*est-à-dire  le  plus  personnel, 

*^   ^lus  fermé  et  le  plus  haulain.  Il  heurte  de  front  1  opinion  de  ses 

^^'V'^êrsaires  et  le  sens  commun;  il  s'atlache  à  son  «  sens  propre  »; 

*•    ^^it  et  développe  ses  idées,  donnant  à  chacune  sa  valeur  particu- 

11^ t*^^  et  invoquant  pour  toutes  l'appui  du  système  général  qui  les 

**^,     Oo  ne  peut  entrer  en  discussioi\  avec  lui;  il  faut  accepter  ou 

''^J^t.er  en  bloc  sa  doctrine.  Avec  cela  il  est  si  passionné,  si  ardent 

^^nsssa  foi,  qull  a  recours,  pour  la  défendre,  aux  pires  sophismes,  et 

_^     forme  de  son  raisonnement  n'est  pas  moins  contestable  que  le 

'^rici  de  ses  idées.  Nul  ne  fait  mieux  comprendre  et  mesurer  labime 

^■i         *    e^tisle  entre  les  esprits,  particulièrement  celui  qui  sépare  le  phi- 

^P^  .  ^^^phe  et  le  croyant.  Mais  sa  sincérité  est  évidente,  sa  franchise 

.  T^^^:>lue;  et  quelles  que  soient  Timmoralité  de  ses  thèses  et  la  fai- 

^_       ^s^e  de  ses  raisonnements,  on  continue  à  respecter  son  caractère 

^E       ^  admirer  son  génie.  Il  ne  plaide  jamais,  il  expose  loyalement  sa 

^^F      ^^t^rine,  dans  toute  son  intransigeance  et  sa  raideur.  Il  apporte  son 

fl^^^^**it  de  précision,  c'est-à-dire  de  loyauté  encore,  jusque  dans  Ter- 

^  jj     ^-^^  ;  par  là  il  en  prépare  la  ré futation^  qu'il  rend  relativement  aiï^ée, 

■l^  -  ^    dénonce  en  renonçant.  Il  nous  fait  éprouver  à  la  fois  le  plus 

|^C^'^*^*>d  respect  pour  sa  personne  et  la  plus  grande  aversion  pour  ses 

.^^_^^'^3.  Mais  il  doit  être  permis  de  sentir  la  force  de  son  esprit  sans 

Q       _    ^  ^îbir  la  fascination,  et  partant,  de  le  juger,  ou  plutôt  déjuger  ses 

**  ions^  aussi  sévèrement  que  nous  l'avons  fait* 


L.  DuGAs  et  Ch*  Rîquisr. 


DE 


L'INDIVIDUALISME    RELIGIEU  1 


é^ 


Partout  dans  le  monde  social  il  y  a  lutte,  influence  réciproque»  ou 
accord  flnai  entre  deux  Corces  contraires  :  VindividttaU&ine  et  ce  qui 
n'a  pas  encore  reçu  de  nom  technique  et  ce  que  nous  proposons 
d'appeler  le  sociétarisme,  dont  Ja  limite  extrême  est  Je  collectivisme, 
de  même  que  la  limite  extrême  de  Tindividualisme  est  ranarchiBin© 
théorique*  Tandis  que  le  sociétarisme  à  ses  divers  degrés  consiste 
essentiellement  dans  une  adaptation  réciproque,  dans  une  cot^t'fi*- 
nation  des  hommes  entre  eux,  suivie  d'une  subordinalion,  d'iio^ 
hiérarchisation^  dételle  sorte  que  la  société  puisse  communiquer  ^^j 
force  et  ses  avantages  à  tous  moyennant  Tabandon  qu'elle  deinan^J^B 
à  chacun  formellement  d'une  partie  de  sa  liberté,  et  virtuelleinex^ 
d'une  partie  de  ses  atïections,  de  ses  idées;  l'individualisme  rejeta 
toute  espèce  de  joug  et  toute  union  forcée,  même  toute  union  volorP-J 
taire  si  elle  devient  indissoluble;  il  se  renferme  dans  le  moi,  tandj 
que  le  sociétarisme  s'absorbe  souvent  dans  le  non -moi.  Or  voïc^- 
que  ces  deux  principes  sont  situés  aux  antipodes  Fun  de  Tautre- 
Ce  qui  répugne  le  plus  à  l'individualisme,  c'est  moins  la  coordina- 
tion que  la  subordination;  il  est  essentiellement  anti-hiérarchique^ 
et  fiij  par  nécessité  sociale,  il  veut  bien  se  soumettre  quelquefois  à 
une  autorité  suprême,  celle  de  la  loi  qui  règne  comme  une  divinité 
lointaine,  il  ne  se  soucie  pas  de  subir  les  nombreux  intermédiaires 
qui  s'interposent  entre  la  loi  et  lui,  il  lui  semble  alors  porter  toute 
une  chaîne  de  servitude. 

Chacun  de  ces  deux  principes  a  sa  valeur  propre,  et  quoique  d'un 
camp  à  l'autre,  comme  toujours^  on  refuse  de  reconnaître  celle  de 
Tadversaire,  le  juge  impartial  n'hésite  pas  à  penser  que  rélimination 
deTun  d'eux  serait  un  malheur  certain  et  grave.  Sans  des  individua- 
lités préexistantes  la  société  n'aurait  pu  se  former,  puisqu'un  tout 
ne  peut  exister  sans  ses  parties;  mais  il  ny  a  là  qu'un  état  d'une 
durée  très  brève,  et  la  base  psychologique  n  a  été  qu'une  base,  car 
de  bonne  heure,  les  individus  se  sont  rencontrés,  choqués  d*ai>ord 
peut-être^  mais  ensuite  alliés  ou  soumis.  Ce  n'est  qu*âprès  cette 


DE  LA  GRASSERIC. 


L INDIVIDUÂUSIIE   HELIGIELX 


247 


rnis^  en  société  que  les  iadividualités  se  détachant  ont  apparu  de 

nouveau,  mais  avec  plus  de  consistance  et  d'iinporlance.  C'est  que 

i'i  iriclivîdu  recueille  beaucoup  de  la  Société  qui  le  renfermCj  de  même 

cfiwi'uin  corps,  de  tous  les  éléments  ambiants  et  de  tous  ceux  qu'il 

s'incorpore  par  intrasusception  ;  sans  ces  éléments  nouveaux^  il 

3«^i*o.it  soi-rnèmej  mais  n'aurait  que  la  valeur  d*un  soi,  sans  culture, 

so  tns  développement^  il  lui  faudrait  recommencer  toutes  les  sciences, 

tous  les  arts,  et  le  progrès  serait  impossible.  De  même,  à  son  tour 

^ans  rindividu  et  même  sans  Tindividu  ayant  une  individualité  très 

tï^^aï-quée,  la  société  verrait  ses  progrès  s'arrêter,  elle  reproduirait 

toujours  ceux  qui  sont  acquis  sans  y  ajouter,  ne  ferait  jamais  que 

^'  î  rriitiT  eîle-même^  continuant  le  mouvement  commencé,  mais  par 

la    seule  force  dlnertie.  C'est  à  son  tour  rindividualisme  qui,  par 

V*initiaiive,  la  spontanéité  qui  lui  est  propre,  lui  donnera  un  nouveau 

branle.  Tous  les  grands  progrès,  ceux  qui  ont  d*un  seul  coup  franchi 

plusieurs  étapes,  sont  Tœuvre  de  solitaires.  C'est  ainsi  qu^ndividu 

^^    société  peuvent  et  doivent  rivaliser  non  pour  s'éliminer,  mais 

pour  se  promouvoir. 

Les  caractères  des  individualistes  et  des  sociétarisles  sont  très 

aîflTièrents,  ainsi  que  Finfluence  que  leur  doctrine  et  leur  condition 

ont  sur  leur  vie.  Le  sociétariste  a  une  grande  tendance  à  radaptation, 

*  ^*iinitaUon  qui,  loin  de  le  gêner,  le  guident;  il  ne  s'écarte  point 

*^**   c^hemin  commun,  il  se  place  volontiers  à  son  rang  hiérardiique, 

^e  n'est  pas  seulement  sociologiquement^  mais  psychologiquement, 

qu'i  I  ^gji  ^îngi  li  accepte  et  s'assimile  facilement  les  idées  courantes, 

^     idées  moyennes.  Sans  doute,  s'il  se  place  aux  extrémités  du 

-.    ^*êtarisme  sur  les  bancs  du  collectivisme,  il  n'en  est  pas  ainsi,  car 

^  écarte  de  Top  in  ion  majoritaire.  Mais  même  alors  il  se  rattache 

^^^*le  école  dont  il  suit  exactement  les  leçons  sans  se  permettre  d'y 

iM      **^ger,  pour  avoir  quelquefois  sur  un  point  une  opinion  contraire; 

^^meure  seulement  sociétaire  d'une  autre  société  plus  associée. 

*  ^  «i^aractére  du  sociétariste  empêche  les  progrès  considérables, 

^^ne  ceux  de  Ta  venir,  mais  il  a  le  grand  avantage  de  conduire 

t^^ ,  ^«^ciété  sans  secousse»  de  laisser  fonctionner  très  régulièrement 

^^^^  ses  rouages  et  de  ne  point  compromettre  dans  de  graves  et 


En  outre,  cette  doctrine  est  favorable  à  ses 


A*  A^eiies   erreurs. 

^        '^^rents;  de  par  leur  esprit  hiérarchique,  tant  en  la  forme  qu'au 

^^  ^  ils  plaiseat  beaucoup,  leur  docilité  les  élève  sans  cesse.  La 

^■-^  ne,  les  honneurs,  le  pouvoir  sont  presque  conslammeut  aux 

^^  ^^'^  taris  tes,  surtout  aux  sociétaristes  moyens  ou  qui  le  devien- 

^  1^   par  la  formation  d'autres  partis  extrêmes. 

^^^s  individualisteSp  au  contraire,  ordinairement  en  petit  nombr^^ 


248  REVUB  PHILOSOPHIQUE 

ont  un  caractère  qui  s'adapte  difficilement  aux  conditions  et  ^v\x 
idées  sociales.  Ils  sont  impatients  du  joug,  réfractaires;  loin       de 
chercher  à  complaire  à  Topinion,  ils  la  heurtent  volontiers,  qim  -^Ue 
que  puisse  être  leur  ambition  personnelle,  car  ils  espèrent  parv^^Qjf 
par  d'autres  moyens.  Ils  s'isolent  dans  leurs  opinions,  comme  ^Êans 
leur  vie.  C'est  précisément  de  cette  contradiction  constante  que  jai/. 
lissent  des  vérités  qui  autrement  seraient  restées  inconnues.  Ils  ^oot 
ou  précurseurs  ou  novateurs,  leur  état  psychologique  les  isole  au  lao^ 
que  leurs  tendances  sociologiques.  Ils  ont  en  horreur  rimitatioo, 
cette  discipline  intérieure.  Leur  force  est  donc  très  grande,  et  les 
sociétaristes  eux-mêmes,  s'ils  veulent  se  retremper,  sont  obligés  de 
se  faire  transitoirement  solitaires  comme  les  premiers.  Mais  paria 
même  ils  restent  minorité;  leur  mission  n'a  pour  la  plupart  des 
hommes  aucun  attrait,  et  eux-mêmes  n'éveillent  pas  de  sympathie; 
leur  solitude  n'appelle  que  la  solitude.  Cette  doctrine  ne  leur  est 
personnellement  pas  favorable;  le  bien  qu'ils  peuvent  faire  retombe 
sur  eux  en  malheur.  La  fortune  et  les  honneurs  leur  échappent  et 
la  gloire  seule  leur  appartient,  mais  souvent  outre-tombe  et  sans 
aucune  de  ses  douceurs  accoutumées. 

Si  tous  étaient  individualistes,  la  Société  ne  pourrait  guère  se 
maintenir,  car  ils  imprimeraient  par  l'activité  de  leurs  idées  et  par 
la  divergence  de  leurs  directions  un  mouvement  incessant  ;  ils  doi- 
vent rester  minorité,  mais  s'ils  n'existaient  pas,  l'imitation  régnerait 
seule  dans  le  monde,  et  l'uniformité,  l'immobilité  définitive. 

Cependant,  malgré  la  différence  profonde  qui  existe  entre  eux, 
individualisme  et  sociétarisme  se  rapprochent  tout  à  coup  par  leurs 
points  extrêmes,  ce  qui  constitue  un  phénomène  très  curieux.  On 
peut  le  constater  dans  les  institutions  les  plus  différentes.  Eo 
matière  économique  et  politique,  les  anarchistes  et  les  collectivistes 
sont  situés  aux  antipodes  les  uns  des  autres;  tandis  que  les  premiers 
ne  veulent  de  gouvernement  d'aucune  sorte,  les  autres  voudraient 
gouverner  à  l'extrême,  jusqu'à  réglementer  tous  les  actes,  les  droits 
et  les  hommes.  Cependant  non  seulement  ils  se  rejoignent  dans 
l'opinion  publique,  dont  la  sensation  les  confond  presque,  mais  ils 
se  rapprochent  singulièrement  par  leur  genèse.  Presque  tous  les 
initiateurs  qui  ont  conduit  au  collectivisme  ont  été  des  isolés  dans 
leur  vie  et  des  anarchistes  au  sens  théorique  du  mot  dans  leur  con- 
duite publique  ;  il  le  fallait  bien  d'ailleurs,  ils  devaient  commencer 
par  détruire,  se  révolter,  être  anti-sociaux.  Lorsque  cette  première 
partie  de  leur  œuvre  fut  faite,  et  chacun  y  travaillait  séparément, 
sur  le  terrain  déblayé  ils  se  rencontrèrent,  s'unirent,  et  s'ils  venaient 
à  triompher,  ils  essayaient  une  société  nouvelle  dans  laquelle  ils 


DE  LA    GHASSERIE.    —    L'iNDlViniALISME   RELIGIEUX 


S49 


étaient  collectivistes.  Le  même  processus  peut  s  observer  en  matière 
do   relïgion*  Presque  toutes  les  religions  nouvelles  ont  pour  ionda- 
teu  rs  des  iêolés,  des  iniipirés^  en  rapport  direct  a%^ec  la  divinité, 
et     oïl  rébellion  contre  la  société  religieuse  alors  en  vigueur;  ils 
s'entourent  de  disciples,  sans  autre  domi nation  que  celle  de  leur 
doctrine,  mais  bientôt  ils  triomphent,  ils  fondent  une  société  reli- 
ai oose  nouvelle  et  cette  société  se  crée  un  culte,  une  discipline,  une 
hiérarchie,  tout  ce  qu'on  avait  blâmé  dans  laulre,  Ce  n'est  pas  tout, 
nou3  verrons,  dans  le  christianisme  surtout,  à  côté  du  clergé  sécu- 
lier   qui  forme  un  gouvernement  moyen,  se  développer  aux  deaîc 
p<^les  deux  institutions  dont  Tune  répond  à  Tanarchisme  et  à  l  état 
d'isolement^réréinitisme,  etTuutreau  collectivisme,  la  communauté 
ab&olue,  rultra-suciété,  le  monachisnie;  cependant  le  second  dérive 
do    premier,  nous  verrons  bientôt  comment,  tellement  est  vrai  le 
pro\-erbe  que  les  extrêmes  se  touchent. 

Le  phénomène  de  rîndivîdualisme»  opposé  au  sociétarîsrae  et  au 
collectivisme,  ne  règne  pas  seulement  dans  Tordre  d'idées  religieux 
où    nous  allons  Tétudier,  mais  dans  tout  le  domaine   social;  nous 
Venons  d*en  indiquer  Topposition  dans  le  monde  économique  et 
politique.  On  peut  citer  dans  le  même  ordre  d'idées  la  décentralisa- 
tion   opposée  à  la  fédération  et  surtout  à  l'État  unitaire;  ici  encore 
1  individualisme  territorial  est  fécond ^  pourvu  qu'il  ne  soit  pas  poussé 
^  *>utrance  jusqu'à  la  dislocation  de  l'État.  Mais  c'est  beaucoup  au 
^e!^    du   monde  social  et  même  humain  que  sétend  le  principe 
individualiste.  Dans  Tordre  physique,  il  produit  le  phénomène  de 
ta  i~a. réfaction  opposé  à  celui  de  la  condensation,  laquelle  se  résout 
^^     ta  ne  raréfaction   nouvelle,  en   un  isolement  hystérogène.  De 
^*^rne,  tandis  que  rattmetion  qui  fait  dévier  les  corps  dans  l'es* 
paco    hors  du  mouvement  imprimé  par  la  force  vive  indépendante 
^t     l»elTet  d'un  sociétarisme  mondial,  cette  force  vive  est  l'indi- 
'«Jia^isrne   matériel.   Il  en  est  de   même  des   dissociations   des 
^*^^cnts    chimiques    opposées  à   leurs  combinaisons;  c*est    par 
n^   alternance  continue  des  deux  sous  Tinfluence  des  forces  phy- 
'qvi^gqyg  la  matière  se  décompose  et  se  recompose.  Dans  l'ordre 
^^T^ique  métaphysique  au  point  de  vue  subjectif  le  monde  est  conçu 
1  ^   ^eux  manières  :  suivant  les  uns  Tesprit  et  la  matière  s'isolent, 
»,     t»**emier  constitue  la  divinité   personnelle  et  solitaire;  suivant 
^l^^tres  dont  la  doctrine  aboutit  au  monisme  opposé  au  mono- 
_       •^me,  esprit  et  nature  sont  confondus,  mens  agitai  molem^  la 
^,'^*-*-ire  et  la  divinité  ne  font  qu'un,  c*est  le  triomphe  du  coUecti" 


Vi^ 


*^o 


«Ti 


e  métaphysique.   Au  contraire,  le  polytliéisme  constitue  le 


V^n  terme  entre  le  monothéisme  et  le  monisme. 


250 


BEVUE   PHlLOSOPIilQlI& 


C'est  sur  le  terraia  religieux  que  la  lutte  entre  rmdividualisiiie  et  1 
priacipescoiitrairei^  s'est  élabli  depuis  le  plus  longtemps,  et  q\x^ 
peut  le  suivre  le  plus  sûrement  à  travers  les  siècles.  C*est  quo 
]ûug  retigîeus  est  le  plus  pesant,  de  même  que  la  relîgioD  a  agi  & 
Fesprit  et  la  société  de  la  manière  la  plus  puissante^  aussi  ti  ï 
pour  les  élever  que  pour  les  comprimer.  Or,  cette  action  si  ^' 
devait  amener  des  réactions,  le  lien  étroit  tendait  à  sedesserreir, 
mentalité  gravite  attirée   par  cette  force    intense,   mais  elle 
douée   aussi  de  force  vive  et  de   résistance,  et  la   liberté  û& 
pensée  n'est  pas  moins  énergique  que  la  foi.  D*ailleurs,  ce  q."^ 
point  à  une  révolte  contre  la  divinité  que  Tindividualisme  religi^ 
aboutit;  s'il  en  était  ainsi,  ce  serait  un  individualisme  mental^ 
manifestant  en  athéisme,  mais  ce  ne  serait  plus  Vindividuati^ 
reUfjieux,  celui  que   nous  étudions.  L'individualiste  de  cet  or* 
veut  prier  et  cmirej  il  désire  même  s'approcher  de  la  divinités 
plus  près  possible,   et  loin  d'être  un  impie,  il  est  plus  souvent 
ascète,  mais  il  veut  adorer  à  sa  manière,  en  son  temps,  en  son  li  ^ 
sans  qu'aucun  homme,  même  consacré,  s'interpose  entre  Dieu  et  t 
il  veut,  d'autre  part,  adorer  seul  dans  son  recueillement  intérim 
sans  qu'il  soit  besoin  pour  cela  de  se  réunir  en  société,  ce  qui 
serait  antipathique.  Il  fiait  par  isoler  son  Dieu  lui-même,  voulanr^ 
contempler,  lui  parler  en  dehors  de  î?a  société  divine^  aussi  bien  qu^ 
dehors  de  toute  société  humaine.  Parlant  il  faut  la  solitude  et  ce 
solitude  semble  devoir  être  stérile;  il  n'en  est  rien,  elle  lui  comt 
nique  une  force  singulière,  sa  mentalité  est  exaltée,  et  il  est  se 
capable  des  grandes  vérités  et  des  grandes  œuvres;  c'est  lui 
renouvelle  la  croyance  religieuse^  et  aui  temps  où  cette  croyance  < 
un  échafsiudage  social  indispensable,  par  elle  la  face  du  monde. 


le 
Bir 

la 
M 


le 


L'individualisme  religieux  se  réaliae  de  plusieurs  manières 
différentes  Tune  de  Taulre,  par  lesquelles  il  tranche  nettement  sur  1- 
sociétés  religieuses  dont  il  se  détache.  Il  prend,  en  effet,  plusieu- 
direclions. 

La  première,  c'est  une  direction  en  ligne  directe  aBcendanië 
descendante.  L'individualiste  ne  souffre  entre   lui  et  Dieu  auc 
sorte  d'intermédiaire,  ni  humain  ni  divin;  aussi  est41  ratii'<?rsai 
né  des  sa€erdoce$^  c'est  lui  qui  les  bat  en  brèche,  beaucoup  plus  qu 
ranticlérical  ou  le  libre- penseur,  d'abord  parce  que  pendanl  un 
longue  période  de  révolution,  ceux-ci  n'existent  pas  ou  en  si  peti 
nombre  qu'ils  n'ont  pas  d'action  sur  Topinion,  puis,  parce  que  ndè 


11 


lei 

fo 
il 


DE  LA  GRASSEHIE.   —   L^INOÏVIOUALISMB  RELIGIEUX 

^ative  D'ajainaisla  même  puissance  qu'une  idée  positive  contraire, 
ta^eut  adorer  Dieu  en  esprit  el  en  vérilé  en  dehors  du  temple,  du 
i  jrde  fête  et  du  prêtre,  et  souvent  pour  mieux  le  rencontrer,  il  se 
'«agie  dans  le  désert,  moins  encore  pour  fuir  les  hommes  que  pour 
^  Séries  intermédiaires  antipathiques:  ce  qui  le  prouve^  c'est  qu*il 
^  che  volontiers,  qui)  est  rempli  de  fraternité  et  qu'il  aime  ix  répandre 
fc  idées.  Mais  il  est  anti^hiérarchique^  il  veut  bien  obéir  à  Dieu, 
.ms  non  aux  hommes,  sa  fierté  se  révolterait  à  le  faire,  quand  même 
»    hommes  auraient  ou  prétendraient  mission.  Il  ne  nie  pas  d*uil- 

ms  qu*ils  aient  Ibnction  de  représenter  Dieu,  mais  il  trouve 
'  £Is  la  remplissent  mal,  qu'ils  l'exagèrent,  que  d'ailleurs  ifs  ne  le 

«:  que  pour  ceux  qui  n'ont  pas  la  force  de  s*élever  eux-mêmes,  et 
■"«jette  leur  aide.  D'ailleurs,  les  sacerdoces  bien  établis  ont  coû- 


^^^«^  Jé  beaucoup  de   routine  et  d'abus  de  toutes  sortes,  ils  se  sont 

^*^^^^ourdis,  et  il  est  visible  que  Tesprit  de  Dieu  s  est  retiré  d'eux*  Il 

^^  «-».«.  donc  recourir  directement  à  la  source.  Dieu  le  veut  bien  iui- 

Bk*^^  maie;  cequi  le  prouve,  c'est  que,  lorsqu'on  Tinvoque  ainsi,  il  répond 

^«-  <::^^^ux  qui  osent  Faborder  directement  en  forçant  la  consigne;  il  se 

ïï^c:* Mitre  généreux,  il  donne  aux  uns  là  faculté  de  vision,  aux  autres 

1^    «lion  de  miracle  ou  celui  de  prophétie  :  à  celui-ci,  it  imprime  ses 

^t.i  ^^Tiiates,  comme  une  livrée  divine,  à  celui-là  il  accorde  lextase»  ce 

pâ^KT^adis  antrcipé.  Ce  n'est  pas  tout»  il  inspire  réloquence,  au  sortir 

^^    la  vision,  de  Textase;  rindividualiste  est  doué  d'une  force  persua- 

si  vr^^  merveiUeuse,  il  raconte  ce  qu'il  a  vu,  ce  qu'il  a  entendu,  dit  ce 

^^^'^  it  faut  croire,  ce  qu'il  faut  faire,  et  lout  le  monde  lui  obéit  comme 

P^K^    eacliantement.  Aussi  n'a-t-il  aucun  remords»  aucune  crainte 

•^  ^^"voir  abandonné  la  grande  route  de  la  dévotion,  de  s'être  mis  en 

^^-^t,  de  rébellion  et  d*avoir  pris  le  chemin  direct,  car  il  se  sent 

^t^t^rouvé  de   Dieu  d'une  manière  éclatante.  Qu*est-il  besoin  des 

^^*^5les  minutieuses  de  la  morale  et  du  culte,  des  exégèses,  des 

^^*  ï^  troverses  subtiles  de  doctrine  lorsqu'on  peut  y  couper  court,  que 

l^    lettre  tue  ce  que  Tesprit  viviOeî  N  est-ce  pas  peut-être  de  leur 

P^'oiare  volonté  que  les  prêtres  se  sont  arrogé  un  tel  pouvoir?  Rien 

^^    ^e  fait  sans  leur  concours  incessant  ;  ils  ont  la  clef  des  sacrements, 

^^<^umulent  les  pratiques,  rendent  le  salut  plus  difficile,  inspirent  la 

t^M*r*cuf  religieuse,  si  contraire  à  Tamour  de  Dieu,  et  emprisonnent 

Ame  humaine*  £1  est  temps  de  la  délivrer.  Ils  devraient  être  les 

^u  xiliaires,  non  les  maîtres.  Ils  vont  jusqu^à  cacher  la  parole  de  Dieu, 

'l*-4  lia  ne  permettent  de  prononcer   que  dans  une  langue  sacrée 

fi^crori  j^yg  des  fidèles.  Aussi  les  prêtres  sont  antipathiques  aux  saints 

^^^f^endants.  aux  voyants,  aux  prophètes,  et  par  contre  ceux-ci, 

^^^^i^  que  soit  leur  sainteté,  sont  antipathiques  au  clergé  de  toutes 


2S2 


IIBVUE   ï»IliLOSQPHlQ€B 


les  rdigiûns,  au  moins,  pendant  leur  vie,  et  si  le  sacerdoce  juif  a  cru- 
cifié Jésus,  l'épîscopat  chrétien  a  mis  Jeanne  d'Arc  sur  le  bûcher. 
Il  est  exact  de  dire  que  si  le  sacerdoce  d'une  religion  n'aime  pas 
ceux  qui  nient  toute  divinité  etsont  les  ennemis  îrréconciliablesdes 
religions  étrangères,  ils  haïssent  encore  plus  ceux  qui,  dans  leur 
propre  religion,  sans  renier  leur  dieu,  au  conl  ruire,  en  aCTeclant  pour 
lui  plus  de  piété  qu'eux-mêmes,  veulent  ladorer  direclemenl  en 
s'instituant  leurs  propres  pontifes.  Aussi  ces  derniers  sont-ils  l'objet 
constant  des  excommunications  et  des  anathèmes. 

Est-ce  à  lort?  On  ne  saurait  le  prétendre.  Le  plus  grand  nombre 
a  besoin  d'être  guidé,  il  ne  peut  concevoir  la  divinité  qu*ù  trav^ers 
ses  représentants  visibles;  il  lui  faut  voir,  entendre,  des  yeux,  des 
oreilles  de  la  chair,  s'enloin'er  de  symboles  qu'on  puisse  prendre 
pour  des  réalités,  s  enivrer  de  chants  et  de  spectacles.  Si  on  Ten 
prive,   Dieu  devient  une  pure  idée,  il  nen  a  plus    la  sensation; 
c'est  un  Dieu  trop  haut,  abrupt,  auquel  il  renonce.  Mais  le  sacer- 
doce remplit  le  vide  de  l'espace  et  d'échelons  en  échelons  favorise 
l'ascension.  Le  peuple  n'a  plus  la  fatigue  de  comprendre;  ii  lui 
sulïltde  sentir  parcelle  sensation  spéciale  qui  est  la  croyance;  s'il 
veut  parler  à  Dieu,  il  sait  à  qui  s*adresser  et  est  certain  d'utie 
réponse,  sans  l'attendre  directe,  mais  incertaine.  Si  l'on  vaut  sup- 
primer les  intermédiaires  comme  inutiles,  le  personnel  de  la  reïîgîoQ 
court  les  plus  grands  dangers.  Pour  quelques  individualité?  pi 
seront  plus  parfaites,  la  foule  sera  plus  corrompue,  incrédule*  Elle  ira 
à  ridolâtrie  complète  ou  à  Tathéisme;  le  sacerdoce  satisfait  Tin^ 
tinct  idolàtrique  dans  une  mesure  qui  en  empêche  le  développa 
ment.  Sa  mission  est  donc  indispensable,  et  Tindividualiste  relîgieuî 
fait  sinon  œuvre  impie,  au  moins  oeuvre  délétère.  Dans  le  monde 
économique,  Tidéal  souvent  prétendu  a  été  d*établjr  des  rapports 
directs  entre  le  producteur. et  le  consommateur;  les  intermédiaires^ 
les  commerçants,  abusent  singulièrement  de  leur  situation;  ils  ven* 
dent  très  cher,  à  faux  poids  et  de  mau%'aise  qualité;  aussi  a-t-oït 
songé  k  s'en  passer,  et  le  consommateur  et  le  producteur  se  sont 
mis  en  relation  directe,  celui-ci  avec  d'autant  plus  d'empressement 
que  le  plus  clair  des  bénéfices  passe  à  rintermédîaire;  mais  la  ten- 
tative na  guère  eu  de  succès;  le  producteur  ne  peut  débiter  en 
délai],  il  ne  saurait  supprimer  les  distances,  il  craint  les  insolvabilités, 
il  ne  vend  pas  assez  pour  compenser  les  pertes  par  un  seul  gain,  et 
il  cherche  à  se  couvrir  en  fraudant  h  son  tour.  11  en  est  de  même 
dans  le  monde  religieux.  Dieu  est  trop  loin,  et  l'individu  trop  inflme, 
il  faut  un  mode  de  communication  plus  régulier  et  plus  pratique 
que  la  tension  continuelle  de  l'individu  vers  lui- 


DE  LA  GRAS&EHIË.    —   L'iNDIV1DL'\USMB   nRLiCfEUX 


253 


'XTî^îs  il  est  des  natures  iVélite  pour  lesquelles  cette  communicatîoo 
€Bt  possible,  ce  soot  de  puksante,iindh?ifîuaUiés  capables  de  s'élever 
^^it^^  secours  jusqu'à  la  divinitc*  Cependant  leur  allure  paraît  singu- 
Hèir^  et  le  sacerdoce  les  tient  en  défiance,  il  les  confond  volontiers 

»^%r^C%  les  impies. 
T^lîe  est  la  ligne  aBcendanfe  directe  dans  Tlndividualisme  religieux, 
g^  c*e  qui  concerne  les  intermèdmires  humain».  Mais  ce  ne  sont 
1^^  les  seuls  écartés j  on  élimine  ensuite  les  intermédiah'es  d'tvins. 
J>^a.n^^  le  christianisme,  ces  intermédiaires  se  composent  des  saints 
et  d^^sanges.  Les  saints  tiennent  le  milieu  entre  fange  et  Thomme; 
^.  C€5  ^cDnt  des  hommes  morts,  des  ancêtres,  toujours  illustres  par  leur 
^P"V^w*t.mj;  dans  le  paganisme,  les  demi-dieux  leurs  correspondent. 
^  ^^t:  par  eux  qu*on  s'adresse  sûrement  à  Dieu,  sans  exciter  sa  colère 
<^*^*^AlLTe  le  pécheur  qui  Tinvoque.  Des  individualistes  mêmes,  mais 
ir^c::*::^  «nplets,  répudient  l'Égf^L^^  t?tsi6/e composée  d'hommes  mortels  et 
irxi  t>,£arfaits,  conduits  peut-être  par  Tanibition,  et  admettent  VÈgliêe 
'^^^^m^^iblej  la  communion  des  saints,  devenus  parfails,  désintéressés 
el»  it^^ellement  supérieurs.  Plusieurs  ont  une  dévotion  particulière 
poii^-  Ig  Vierge j  leur  patron,  tel  autre  bienheureux;  ce  sont  eux 
*!*-»' mis  voient  en  extase  et  non  pas  la  divinité  trop  abstraite.  Mais 
lin.^ï  ividualiste  pur  rejette  le  culte  des  saints  et  avec  lui  celui  des 
iro^^gg^  les  temples,  les  cérémonies.  11  ne  veut  voir  sur  la  terre  que 
lu  1  ^  Jméme  et  au  ciel  que  Dieu  seul ,  sans  cour  céleste,  dans  sa  belle 
^t-  ciczimplète  solitude.  Les  anges,  à  leur  tour,  se  retirent  devant  cet 
ra^^j  nouveau;  ils  sont  plus  près  de  Dieu  que  les  saints,  ils  n*ont 
pas  ^tédes  hommes,  on  pourrait  donc  à  la  rigueur  les  retenir  sans 
^^nrÈ^  eltre  une  hiérarchie  humaine  d  aucune  sorte,  mais  la  hiérarchie 
iSiv£^^^  en  est  encore  une;  ce  sont  des  nuages  brillants  qui  cachent  le 
^^ï^if  et  qui  n'en  laissent  plus  passer  que  le  reflet, 

^  *y  a-t-il  pas  dans  cet  individualisme  religieux  ascendant  beau- 

^^p*  d'orgueil?  Sans  doute,  et  nous  ne  prétendons  pas  lui  donner 

*^^&    admiration  sans  réserve,  nous  constatons  seulement.  Ce  refus 

^^  t.cjut]uge,  de  toute  hiérarchie,  par  conséquent,  de  toute  société, 

^^    vin  égoisme  qui  a  ses  dangers  et  son  côté  peu  sympathique,  mais 

il  forme  un  trait  essentiel  «lu  caractère  de  tout  un  groupe,  et  d'ailleurs 

v\  *^C€use  des  qualités  spéciales,  la  dignité,  le  courage,  la  force, 

Seulement  rindividuahsme  ascendant  ne  s'arrête  pas  là,  son 
orgueil,  son  insubordination  s  accroît.  Lorsque  par  sa  communica- 
Ijon  directe  avec  Dieu,  le  mystique  s'est  rendu  semblable  à  Dieu 
lai-même,  il  tente  de  le  dépasser,  de  le  détrôner,  de  monter  à  sa 
place  et  de  gouverner  ensuite  le  monde.  Cette  lois  il  semble  qu'il  y 
gît  ingratitude  et  impiété  et  analogie  avec  la  situatioii  de  Tathée, 


254 


REVUE   {"HILOSOPRIQUE 


sauf  que  celui-ci  nie  la  divinité,  tandis  que  rindivldualisle  d'uncer^ 
tain  degré  la  reconnaît,  mais  la  combat.  Nous  examinerons  plus  loin 
ce  cas  très  curieux,  mais  qui  n'est  point  rare.  Notons  qu*il  n'y  à  pas 
là  d'impiété  véritable^  qu*tin  tel  mystique  ne  devient  pas  îrréligieuî; 
il  veut  devenir  dieu,  voilà  tout,  et  lorsqu'il  le  sera  devenu,  il  pourra 
légitimement  s'adorer  soi-même. 

Il  y  a  peut-être  dans  cet  individualisme  ascendant  un  degré  supè- 
rieur-  L'homme  de  bien  ne  peut  atteindre  à  Dieu  par  ses  eiïorts;  il 
n'a  pas  niême  pu  acquérir  la  certitude  qu'il  existe.  Bien  plus,  il  m 
pas  su  découvrir  dans  le  ciel  la  place,  vacante  ou  non,  de  !i 
divinité  et  s'y  mettre.  D'une  excellente  nature,  porté  vers  le  bien, 
mû  par  la  ferme  volonté  de  raccomplîr,  il  voit  ses  vertus  mal 
récompensées,  le  malheur  lenvahirde  toutes  parts;  cependant  il  est 
fier  de  sa  vertu,  ne  demande  pas  l'approbation  des  hommes^  se  con- 
tente de  son  propre  témoignage.  C*est  le  stoïque;  Vidée  religmu 
manque  peut-être,  mais  le  sentiment  retigiêux  est  bien  vivaril.  11 
est  ascendant,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  il  réalise  dans  sa  solitude 
avec  lui-môme  Tidéal  divin. 

En  redescendant  de  la  divinité  à  l'homme  se  réalise  Vindîmdualkm 
religîeujt^  descemImU.  L'individualiste  veut  monter  vers  Dieu  direc- 
temeût,sans  que  personne  s'interpose  ni  le  conduise,  mais  il  ne  veut 
pas  que  Dieu  descende  et  qu'il  vienne  se  confondre  avec  la  socu^lé 
humnine,  U  désire  qu'il  reste  à  sa  place  dans  sa  solitude  élevée,  et 
non  qu'il  se  mêle  à  la  foule^  car  il  tient  à  la  dignité  de  la  divinité 
comme  à  la  sienne  propre.  De  là  la  répugnance  de  !'individu.ilisfïie 
pour  Vanthropomoiyhisme,   non  seulement  ranthroporaorphisme 
grossier  qui  aboutit  à  ridolàtrle,  mais  cet  autre  plus  complet, 
quoique  [»lus  élevé,  qui  consiste  dans  une  inçamaiion,  D  aiileuPSf 
rincarnalion  fournit  encore  un  intermédiaire  eiitre  Dieu  et  l'homme 
et  il  qe  veut  pas  d'intermédiaire,  surtout  d'intermédiaire  constant. 
Sans  doute,  il  peut  bien  de  temps  en  temps  surgir  un  prophète  qui 
transmet  aux  hommes  quelque  ordre  important  de  Dieu,  puis  dis- 
paraît, et  lui-même  serait  volontiers  ce  prophète.  Mais  Bien  devenu 
homme,  riiomme  devenu  Dieu,  tirent  le  ciel  et  la  terre  de  leur  iso- 
lement respectif,  donnent  un  vain  orgueil  à  Thomme  et  diminuent 
la  divinité,  i}ui,  elle  aussi,  est  plus  forte  dans  sa  solitude. 

Tel  est  rindividuaîisme  religieux  direct;  c'est  le  plus  essentiel, 
celui  qu'ont  pratiqué  tous  les  fondateurs  de  religion  nouvelle,  tous 
les  mystiques,  tous  les  prophètes,  et  même  les  sorciei*s  des  temps 
primitifs. 

Contre  cet  individualisme  apparaît  le  sociétarisme  religieux  direct, 
Celui-ci  lut  oppose  une  foule  d'intermédiaires  humains  entre  DieUi 


DE  LA  GRÂ3SËRIE.   —  L  JNDIVIOUAUSME   IlELlGÎËUX  SSS 

et  rViomme  formant  le  sacerdoce  régulier,  une  foule  dlnlermédiaires 
divins  composés  des  sain  ts»  des  demi-dieu  x,  des  anges,  des  mélanges 
enl^e  la  divinité  et  riiunianilé  dans  des  incarnations,  la  défense  de 
se  rêTolter  contre  Dieu,  comme  les  mauvais  anges  pour  le  détrôner, 
même  par  nos  vertus,  en  un  mot,  la  nécessité  de  la  hiérarchie  et  de 
i'ol>^îssance* 

A.  oHé  de  Tindividualisme  religieux  direct  ascendant  ou  descendant 
apparaît,  en  se  réunissant  presque  toujours  au  premier,  Tindivi- 
duolisme  religieux  latéral.  Il  ne  s'agit  plus  de  se  séparer  des  supê- 
rieors,  mais  de  s'éloigner  des  égaux,  de  s'isoler  de  tous  les  autres 
hommes,  de  tous  ceux  mômes  qui  suivent  la  même  religion  et  de 
s 'o^l^B traire  de  la  société  religieuse  humaine.  Cet  abandon  n'est  pas 
toujours  complet  et  théorique;  Tisolé  reste  souvent  uni  aux  autres 
PB.1*  le  lien  de  la  foi  et  se  dit  membre  de  la  même  église,  mais  il  prie 
®t  ^dore  dans  sa  solitude. 

Seulement  la  solitude  ici  n*est  pas  toujours  complète  et  rindivi- 
du  illiste  qui  se  sépare  du  gros  des  fjdèlesne  reste  pas  toujours  seul; 
il  advient  souvent  qu'il  forme  avec  d'autres  un  petit  groupe  plus  ou 
ïï^oios  étendu.  Pour  bien  le  comprendre,  examinons  d^abord  le  sys- 
tème contraire  du  sociétarisme  religieux,  tel  qu'il  est  pratiqué  dans 
dîx'-erses  religions,  mais  surtout  dans  le  catholicisme. 

Non  seulement  le  catholicisme  est  fortement  hiérarchisé. ce  qui  con- 
cerne le  sociétarisme  ascendant,  mais  il  conduit  les  fidèles  à  Dieu  par 
d©s  d egrés  nombreux  :  au  bas,  le  fidèle  simplement  ba plisé  ;  au-dessus, 
le  prêtre,  Tévêque,  et  au  sommet  le  concile  et  le  pontife  souverain; 
*^  n^est  pas  tout;  la  hiérarchie  se  prolonge  bien  au  delà  si  Ton  se 
^n  s  porte  dans  la  sphère  divine.  Au-dessus  du  sacerdoce  apparais- 
sent les  bienheureux,  les  saints,  les  anges,  la  Vierge  et  le  Christ  lui- 
même  oon sidéré  comme  homme,  avant  de  Têtre  comme  Dieu.  Ces 
deux  hiérarchies  se  superposent  et  m<^  me  elles  ne  s'interrompent  point 
^^  Sommet,  Dans  sa  double  nature,  le  Christ  jette  un  pont  entre  les 
esprits  et  Dieu  lui-même,  de  sorte  que  la  hiérarchie  est  une  chaîne 
continye^  Mais  s*il  est  ainsi  constitué  en  haut^  sa  constitution  laté- 
rale   ïi*esl  pas  moins  ferme  et  droite.  Tous  les  fidèles  sont  unis,  à 
dUelqo^g  nations  dilTérenles  qu'ils  appartiennent  ;  d'ofi  le  catholi- 
QiEme  qui  est  rinternationalisme  religieux.  Le  besoin  de  société, 
d  'ifùcjn  se  projette  jusque  sur  la  société  civile,  que  la  société  rell- 
gp^use  cherche  à  dominer.  La  doctrine  est  parfaitement  unifiée, 
3.tieuae  dissidence  n*est  permise.  Le  culte  n'admet  que  des  diver- 
gences limitées.  Les  fidèles  ne  prient  pas  seulement  dans  le  silence 
d^ieitr  maison,  ils  se  réunissent  dans  ce  but,  ils  communient  entre 
eui  et  avec  Dieu. 


S56  '      REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Si  telle  est  la  situation  des  fidèles,  celle  du  clergé  réalise  yX^^ 
union  plus  parfaite  encore.  Une  discipline  étroite  lui  est  imposée.  ^ 
ne  doit  être  distrait  de  la  solidarité  chrétienne,  de  la  propagande  ^^ 
moyen  de  la  prédication  et  les  sacrements  à  laquelle  il  doit  selivr^^» 
par  aucune  affection  trop  particulariste.  De  là  lobligation  du  ceWC^^ 
imposée  par  beaucoup  de  religions,  à  un  certain  stade  de  leur  dév^"* 
loppement,  à  leur  clergé.  Le  célibat  semble  être  au  premier  abo  »'^ 
une  institution  de  rindividualisme,ce  serait  une  erreur  de  lecroii"^- 
S'il  isole  l'homme  d'une  famille  possible,  c'est  pour  le  fondre  d'à.  «-i*" 
tant  plus  complètement  dans  la  masse  collective.  Cet  individu  isol^ 
est  plus  facile  à  dissoudre  que  celui  renforcé  par  un  petit  groupe  ^^ 
reliant  à  lui  par  l'esprit  et  par  le  choix  et  formant  autant  de  peii  'C:^- 
mox. 

Il  n'y  a  dans  les  situations  que  nous  venons  d'esquisser  que  1^ 
réalisation  du  sociélarisme,  mais  celui-ci  va  se  resserrer  davantag^^ 
et  devenir  le  collectivisme  religieux,  si  l'on  passe  du  clergé  séa'«-»- 
lier  au  clergé  régulier.  Le  monachisme,  malgré  l'étymologie  de  scz>xi 
nom,  est  un  collectivisme  plus  complet  que  celui  qui  a  été  rêvé  ^3-^ 
nos  jours,  car  ce  dernier  ne  comprend  que  le  corps,  et  l'autre  vr^^^ 
le  corps  l'esprit  tout  entier.  La  société  est  étroite,  et  le  moine  ab»-"*^" 
donne  son  individualité  entièrement  pour  ne  plus  compter  q  «-»* 
comme  membre  d'une  société.  Non  seulement  il  aliène  toute  faml  H  ^ 
dans  l'avenir  par  son  vœu  de  célibat,  mais  il  perd  son  indépendacB  <^^ 
par  le  vœu  d'obéissance,  son  patrimoine  par  le  vœu  de  pauvreté  ^  ^ 
efface  jusqu'à  son  nom  qui  le  rattachait  à  sa  famille  ascendante  et  ^<^^' 
latérale.  Il  vit,  prie,  adore  en  commun. 

Il  est  plus  facile  maintenant  de^comprendre  en  quoi  consiste  T  î  ^c:"' 
dividualisme  religieux  latéral.  Il  s'opère  une  séparation  ea*-*^ 
l'Église  plus  ou  moins  étendue  d'une  part,  soit  seule,  soit  ay^"*^' 
absorbé  le  pouvoir  temporel,  et  d'autre  part  des  individualités  pl»^^ 
ou  moins  compréhensives. 

L'individualité  la  plus  étroite  c'est  celle  qui  se  compose  d'i:»*^^ 
seule  personne.  Les  fondateurs  d'une  religion,  au  lieu  de  se  réi»  «^^^ 
aux  autres  dans  les  temples  et  aux  heures  de  prière,  pour  ad(>^^^ 
ensemble,  entendre  la  prédication,  recevoir  la  communion  qui    ^^' 
le  signe  sensible  de  la  société  religieuse,  préfèrent  prier  seuls,    ^^ 
dehors  de  toute  cérémonie,  sans  employer  des  formules  consacr^^ 
pour  tous,  et  sans  être  troublés  dans  leur  recueillement,  même  p^^ 
le  recueillement  voisin.  Nous  observerons  dans  la  secte  des  Quak^ 
de  curieux  exemples  de  cette  idée,  d'autant  plus  curieux  que  te 
culte  individuel  a  lieu  souvent  pour  eux  dans  un  temple  à  des  heures 
de  prière,  mais  il  ne  s'établit  pas  toujours  de  communication  de  ta 


I 


DE  LA   GRASSERIE.    —   L  INDIVIDUALISME   HELlCrEUX 


257 


prîèi-e  de  l'un  à  la  prière  de  Tautre,  il  n'y  a  que  juxtaposition  d  élans 

vers      Bieu.  î/individualisme  n'en  ressort  que  davantage  dans  un 

t6l   milieu,  Lorsqu*il  est  complet^  il  conduit  à  Tabolîtion  du  culte; 

DîetE  est  adoré  en  esprit,  comme  le  veut  rÉvangile.  De  même,  chacun 

I    croit  ce  que  Dieu  a  dit,  mais  non  ce  qu'ont  ajouté  ou  autorisé  les 

I   homines.  L'Église  dont  on  tait  partie  n'a  plus  non  seulement  dans 

ses   chefs,  mais  dans  ses  membres,  dans  sa  collection,  d'autorité 

-    d*exégèse;  chacun  peut  interpréter  à  sa  guise, 

P        Une  individualité  déjà  plus  étendue  est  celle  de  la  famille,  elle 

peut  sisoler  des  autres;  collective  et  souvent  d'une  manière  très 

étroite  à  rintérieur,  elle  est  isolante  et  individualiste  à  Textérieur, 

p  A  certains  stades  de  l'évolution,  il  n'y  a  eu  d'autre  religion  que  la 

f'eligion  tamiliale.  Le  père  en  était  le  chef;  les  membres  en  étaient 

)e^  fidèles.  Il  régnait  entre  eux  la  solidarité  la  plus  étroite,  la  prière 

^^     faisait  en  commun,  ainsi  que  les  sacrifices  non  sanglants.  Une 

*^^^Tnbre  de  la  maison  était  consacrée  au  culte  divin^  surtout  à  celui 

^^^  ancêtres»  de  même  que  chess  nous  dans  toutes  les  famtlles  aîi^ées 

i;  ^€t  consacré  un  salon  au  culte  mondain;  il  en  est  ainsi  encore  en 

r'^  ÏTie,  où  les  aïeux  ont  un  boudoir  où  Ton  vient  de  temps  en  temps 

^*^r  parler,  les  consulter,  attendre  leur  réponse.  Cette  religion 

^*^*>rliale  va  s*effaçant  devant  les  autres»  mais  cependant  la  famille 

I  ^^'■^serve  des  vestiges  de  culte  propre.  De  nos  jours,  la  mère  initie 

^^    enfants  à  sa  religion. 

^tSous  avons  vu  que  lorsque  la  famille  est  religieusement  interdite, 
*^**^que  le  vœu  de  chasteté  est  institué,  Tindividualisme  religieux 
^*^Ocit  une  atteinte  profonde. 

r^euà  peuTindividualilé  religieuse  opposée  à  la  collectivité  devient 
^^*^s  exlensive.  Ce  groupe  ne  se  compose  plus  seulement  de  quel- 
^•-■^s  membres,  mais  d'une  petite,  quelquefois  d'une  grande  société. 
*^1  est  le  cas  des  communautés  religieuses.  A  rintérieur,  il  y  a  un 
*t*C5iélarisme  excessif  qui  devient  du  véritable  collectivisme,  mais  à 
^^^^clérieur  c'est  exactement  le  contraire,  la  petite  société  compacte 
^  ciétache  nettement  de  la  grande  Église,  non  par  rébellion,  mais 
pa.w  autonomie  mécanique.  Dans  le  christianisme,  par  exemple,  les 
fcligieux  de  Tun  et  de  Tautre  sexe  se  relient  au  clergé  séculier  par 
^T%  chef,  le  pontife  souverain,  mais  seulement  par  lui,  et  par  consé- 
É(^enl,  d'une  manière  nominale;  ils  sont  soustraits  h  la  juridiction  de 
l*OTdlnaîre|  c'est-à-dire  des  évèques  qui  ne  les  voient  pas  toujours 
^*iriataller  près  d'eux  avec  beaucoup  de  satisfaction;  ils  forment  une 
p€iïle  Église  distincte,  autonome,  jetant  partout  des  racines  parfois 
d'un  pays  à  l'autre.  Ce  phénomène  est  curieux,  collectivisme  sur  une 
Ûce,  individualisme  sur  l'autre*  LHndividualisme  ainsi  constitué  est 

TOIK  L,  —  19O0,  !7 


258 


RKVUE  PHlLOSOPBiaUE 


plus  fort  que  celui  de  rindividu,  il  est  ce  que  dans  Tordre  politique 
la  coïïiinuue  ou  la  province  est  vis-à-vis  de  l'Étal» 

Certaines  religions  sont  nationales;  d  autres,  qu'elles  aient  en  ce 
point  de  départ,  ou  qu'elles  se  soient  grelïées  sur  une  religion  tislio* 
Baie,  sont  devenues  internationales,  c*est-à-dire  quelles  compren- 
nent indilTéreuiment  des  membres  de  toutes  nationalités.  QtiûJtiue 
les  Juifs  aient  eu  des  prosélytes,  ils  ne  sont  guère  parvenm  A 
répandre  leur  religion  au  delà  de  leur  race  ;  il  en  est  de  m^ine  du 
brahmanisme.  Rome  eut  sa  religion  et  quoiqu'elle  fût  toléraule 
envers  presque  toutes  les  autres,  et  les  admit  dans  son  paalbéon. 
elle  garda  soigneusement  la  sienne  pour  elle,  sans  chercherais 
communiquer.  Au  contraire,  le  christianisme  a  envahi  toutes  les 
nations,  si  bien  qu  on  ne  peut  dire  qu'il  appartienne  de  i^réfe- 
rence  à  Tune  d'elles,  et  il  en  est  ainsi  aussi  bien  dans  la  brandie 
protestante  que  dans  la  branche  catholique,  sauf  une  nuance  impor- 
tante. De  même,  le  bouddhisme  a  visé  tout  d*abord  à  sortir  de* 
limites  nationales,  et  l'islamisme  la  fait  par  un  moyen  nomeaa, 
celui  des  armes.  Il  y  a  dans  un  cas  isolement^  individualisme,  et  dans 
Taulre  sociétarisme  très  large  et  mondial. 

Mais  le  phénomène  est  plus  visible  lorsqu'une  nation  se  détache 
de  Téglise  universelle  d'une  religion  pour  former  une  église  à  part, 
limitée  au  territoire  de  cette  nation,  en  prenant  pour  chef  le  chrf 
civil  ou  tout  autre  ne  reïevant  plus  du  chef  antérieur  ;  il  l*est  encore 
plus  lorsque  cette  scission  n'est  pas  accompagnée  dune  divergence 
introduite  dans  les  dogmes;  c'est  le  cas  du  schisme;  le  schisme  esl 
UD  individualisme  national.  L'orgueil  national  s'indigne  d^èlre  dirigé 
du  dehors,  même  au  for  intérieur,  et  rejette  raulorité  intemalional^ 
même  au  risque  d'ôtre  asservie  par  le  pouvoir  civiJ  à  eon  tour. 
Souvent  ce  nationalisme  ne  va  pas  jusqu'à  la  scission  complète,  ma^^ 
il  entraîne  de  nombreuses  différenciations,  par  exemple  entre  IVglise 
d'Orient  et  celle  d'Occident,  jusqu'à  leur  séparation;  de  nos  joûts 
raméricanisme  est  à  la  mode  en  Amérique,  comme  autrefois  le  g^^' 
licanisme  en  France;  ce  ne  sont  pas  des  schismes,  mais  des  i^^ 
dances  au  Bchiëme. 

Un  individualisme  analogue,  mais  qui  s'applique  à  la  doctrine  ^ 
non  plus  seulement  à  la  Société  de  l'Église,  consiste  à  créer  dans  ^^ 
doctrine  commune  des  dissidences.  Quand  celle  doctrine  commiJ*'* 
est  libre,  il  n'existe  que  de  simples  variétés,  mais  ces  variétés  int'^ 
vidualisent  déjà  en  créant  des  gît>upes  différents  reliés  seulem^'î* 
par  une  idée  générale  k  laquelle  tous  participent;  c'est  ce  qui  a  lieu 
antre  les  sectes  protestantes  non  excentriques;  par  exemple,  k 
luthérianisme  et  le  calvinisme  sont  dès  Torigine  et  restent  parallèles* 


nm  LA  QHASSERIE*   —   l'IXTIIVIOUAUSMK  RËUCIEOX 


1 


19 


Cependant  chacune  de  ceK  congrégations  est  indiviJualisle,  et  plus 
encore  le  sont  les  sectes  protestantes  excentriques,  si  bien  que  le 
protestantisme  peut  être  considéré  comme  le  type  de  l'individualisme 
religieux.  Mais  cet  individualisme  se  détache  encore  davantage  quand 
il  ge  réalise  au  moyen  d'une  rupture  violente  continuée  par  une  lutte, 
c^e  qui  a  eu  lieu  dans  les  hérésies  qui  se  sont  produites  au  sein  de 
l'église  catholique,  particulièrement  sociétariste,  de  siècle  en  siècle, 
Jîenuroup  d'hérésies  ont  eu  le  dogme  pour  prétexte  et  sont  nées 
f:ilutùt  d'un  besoin  dindépendance  de  pensée  contre  rorthodoxie. 
plus  le  nombre  des  adhérents  d'une  secte  a  été  petit,  plus  le  carac- 
C^re  individualiste  s'est  accusé,  car  la  révolte  et  la  volonté  de  s*isoier 
^.  été  plus  personnelle.  Au  point  de  vue  dogmatique,  Tindividualisme 
^st  au  comble  quand  chacun  peut  interpréter  comme  il  Tentend  les 
C^xtes  sacrés,  et  sur  celte  exégèse  fonder  une  croyance  propre,  qui 
j^'est  plus  reliée  à  celle  des  autres  que  par  un  lien  formel. 

Entre  religions  diiïérentes,  il  peut  exister  pour  chacune  un  indi- 
-%ridiialisme  étroit  qui  ait  pour  résultat  d'exclure  Taulre,  ainsi  que 
^^Utes  les  autres,  et  de  rendre  intolérant  envers  elle  par  cette  convie- 
^î<ni  quon  est  seul  en  possession  de  la  vérité  et  du  salut.  Au  con- 
c*"sire,  d'autres  religions,  tout  en  se  croyant  dans  le  vrai,  ne  nient 
f><as  qu'une  religion  dilTérente  puisse  y  être  aussi,  chacune  pouvant 
l>c>ssé!der  une  des  faces  de  la  vérité  ;  un  tel  esprit  s'accompagne  de 
i^eaucoup  de  tolérance,  mais  d'une  foi  moins  vive  et  s'engagerait 
l^cilement  dans  la  voie  du  concrétisme, 

Eohn  des  religions  s'associent  aisément  et  volontiers  au  pouvoir 

^yii    pour  le  dominer,  il  est  vrai,  ou  pour  être  dominées  par  lui,  mais 

âvec3  un  espoir  de  renverser  cette  situation.  D'autres,  au  contra  ire, 

'^^o  J^erchent  pas  h  empiéter,  mais  se  refusent  à  toutes  les  i  ni  mixtures* 

^%^^  sont,  dans  un  sens  nouveau,  individualistes*  Ce  point  est  en 

oe/i^^^  ^^  jjg  notre  étude* 

'^^^  lies  sont  les  espèces  diverses  et  nombreuses  de  rindividualisme 

'««"^^ssiî.  il  se  réunit  d'ordinaire  aux  individualismes  ascendant  et 

^^^^^^ndant,  parce  qu1î  est  le  produit  d'un  même  caractère.  Celui 

lui  ^^r-:m  c  veut  pas  d'intermédiaires  entre  Dieu  etluij  qui  se  refuse  éner* 

&^lM  ^^ment  à  la  subordination,  par  le  même  désir  d Isolement,  se 

refusas. ^i*gi  aussi  à  la  coordination;  cependant  avec  moins  d'énergie, 

paro^^^^  que  Torgueil  en  souffre  moins  et  que  le  besoin  social  est  très 

vif,  '^^'^-lême  pûLir  les  esprits  impatients  du  joug, 

1*     ^^xiste  une  dernière  sorte  d'individualisme  qui  ne  se  place  plus 
dô.î^^    rbommCj  mais  dans  la  divinité  elle-même.  Il  a  pour  but  et  pour 
^^fe«^      d'isoler  Dieu  tant  de  Thomme  que  des  esprits  supérieurs, 
y\\0^^ine,  anges,  héros  ou  dieux^  et  de  créer  en  lui-même  un  isole* 


REVUE   PHÏLOSOpaïQUE 

ment  intérieur*  Nous  avons  déjà  touché  les  deux  premiers  pattii 
L'individualiste  supprime  ces  inlermédiaires  divins,  îes  saints,  i^^ 
anges,  au    même   litre   qull    avait    supprimé    les  intermédiair'^^ 
humains;  mais  il  les  supprime  à  un  autre  litre  encore,  c'est  po^^ 
isoler  Dieu^  Je  tenir  en  dehors  de  tout  contact  dans  son  être  parfa:»-^'^ 
mais  abstrait.  Pour  le  même  motif,  il  répudie  les  ÎDcarnalions  ^  ^^\ 
font  à  Dieu  une  existence  mixte,  en  partie  seulement  divine.  M^^-  ^^J 
ce  qui  importe  surtout,  c'est  de  conserver  intacte  Tunité  de  Diec^— *  V 
les  individualistes  y  veillent  avec  un  soin  jaloux;  ils  se  renfermai 
dans  UD  impeccable  mônùthéisme;  aussi  pour  eux  n*y  a-t-il  pas 
dieu  au-dessous  de  Dieu.  Mais  ils  pensent  que  le  polythéisme  poor 
survivre  s'est  servi  de  subterfuges»  qu*il  s'est  placé  en  Dieu,  mêi 
après  avoir  été  vaincu  au  dehors,  et  que  les  hypostases  divines  soj 
un  polythéisme  déguisé  et  remontant.  Aussi  tes  sectes  individuab&t^ 
les  plus  importantes  voulant  rjndividualisme  de  Dieu  lui-même  on 
ils  combattu  vigoureusement  les  dogmes  trinitaires. 

Tels  sont  les  divers  individu  al  ismes  religieui.  Nous  allons  raaii 
tenant  les  étudier  séparément  d  une  manière  concrète  dans  Tévol 
tîon  historique.  Nous  chercherons  ensuite  quels  ont  été  les  rappor 
entre  Tindividualisme  et  le  sociétarisme  religieux,  soit  pour  influi 
Tun  sur  Tautre,  soit  pour  entrer  en  lutte»  soit  enfin,  résultat  pli 
étrange,  pour  se  convertir  en  religions  nouvelles  sociêtâristes 
leur  tour,  ou  en  sociétés  plus  étroites  et  plus  collectivistes  que  li 
institutions  religieuses  normales. 


Il 

L'individualisme  religieux  le  plus  caraclérislique  peut-être,  c« 
Vindividualisme  ascendant^  celui  qui  se  refuse  h  admettre  des  inim 
médiaires  entre  Tindividu  et  la  divinité.  L'individualiste  est  eesfe^ 
tiellement  antihiérarchiste,  il  ne  diffère  de  l'athée  que  par  Tadmissi  * 
de  Dieu  au  sommet,  car  il  est  de  nature  indépendante;  Il  est  ^ 
même  temps  mystique,  et  le  mysticisme  consiste  précisément  ém-^ 
cette  suppression;  ce  n'est  pas  à  Téglise  que  le  mystique  se  r^ 
contre,  ni  au  milieu  des  fidèles;  il  prie  dans  son  cœur,  y  trouvcai 
la  divinité  en  tout  temps,  sous  toute  latitude,  il  y  dresse  son  aia  ^  ^^ 
invisible  comme  Dieu  lui-mènrie,  il  écoute  sa  voix  et  croit  souv^^' ^^' 
Fentendre;  le  bruit  externe,  même  le  bruit  ecclésiastique,  efTar*^^*^"j 
obérait  cette  voix*  Cependant  un  tel  individualisme  a  ses  degr^^* 
quelquefois  il  repousse  les  intermédiaires  terrestres,  tout  en  adm^^' 
tant  les  intermédiaires  célestes;  mais  il  peut  devenir  lout  à  ojVp 
bsolu,  ne  vouloir  que  Dieu,  jusqu'à  s'oublier  lui-même,  jusqu*à  n^ 


•&l 


DE  LA  GRASSEHJE.    —  LIKDIVIDUAUSME  BELIGIEUK 


261 


plma^  désirer  son  propre  salut,  dépouillant  son  individualité  même, 
t^II  «ornent  que  rindividualisme  péril  par  excès  d'individualisme. 

Ci  '^est  rhisloire  à  la  main  qu'il  y  a  lieu  de  rechercher  tes  traces  de 
c^t    individualisme  religieux.  Il  a  eu  successivement  diverses  niani- 
.  t^atioûs  qui,  au  premier  abord,  semblent  ne  pas  se  relier  les  unes 
'  a.  1-1 3c:    autres,  et  qui  ont  cependant  entre  elles  un  lien  étroit. 

X^«s  premiers  individualistes  qui  apparaissent  sont  les  sorciers; 
il^    ï-irécèdenl  les  prêtres,  qui.  au  contraire,  sont  des  coHectivisles  ou 
toui^t;  au  moins  des  sociétaristes  religieux  très  hiérarchiques,  mais 
q%:ix     iï*apparaissent  que  plus  tard.  Les  sorciers  sont  des  iiommes  se 
Ai^^ïit  ou  se  croyant  privilégiés,  qui,  sans  former  de  corps  perma- 
,    imoE~Kt:ni  même  d*association  temporaire,  entrent  en  rapports  directs 
^   a.v^c:  la  divinité  ;  ils  sont  inspirés  par  elle  individuelle menl  ;  ils  ne  sa 
reownjtent  pas,  comme  le  prêtre,  par  un  mode  régulier  et  n'ont  point 
de    litre  olficieL  On  les  trouve  surtout  chez  les  nègres  d'Afrique  ou 
I    cliez  les  Tarbnres,  là  où  il  n'y  a  pas  encore  de  prêtres;  chez  le 
dernier  de  ces  peuples  il  s  agit  du  chamontsme.  Le  sorcier  est  le 
pfètre  de  Tarumisme,  il  évoque  les  esprits;  tantôt  d  ailleurs  il  est 
l»ien  faisant,  et  tantôt  il  est  malfaisant.  Cependant  il  ne  se  contente 
P^înt  de  la  contemplation  de  la  divinité,  mais  entre  ensuite  en  rela- 
tion avec  les  hommes  pour  les  dominer;  il  le  fait  surtout  par  Texor- 
î^ïstne,  qui  est  un  exercice  de  la  médecine  divine.  Le  sorcier  des 
^^quirnaiix,  Tangekok,  doit  d'aliord  se  retirer  dans  la  solitude;  c'est 
la  qu'il  acquiert  sa  force  au  moyen  de  sa  communication  incessante 
^vec  les  esprits  et  aussi  de  ses  austérités,  puis  il  la  répand  sur  les 
«ornmes  et  réunit  des  disciples.  Nous  verrons  plus  loin  cette  influence 
^u  Bcjljfairesur  la  société.  Le  métier  de  sorcier  est  libre,  quoiqu'il 
"^^ vienne  souvent  héréditaire,  comme  toute  qualité.  Les  moines 
'^'^aïbes,  appelés  priaches,  sont  aussi  médecins  et  magiciens  ;  ils  jeû- 
îi^nt  et  vivent  dans  les  solitudes,  formant  cependant  des  disciples. 
L-hex  les  Fidjiens  le  sorcier  entre  en  extase  en  fixant  un  objet,  comme 
^  *4ns    ta  provocation   à  Thypnotisme,   D  autres  fonctions  se  sont 
J^iQies  II  lu  fonction  primitive  du  sorcier  qui  consiste  à  être  inspiré 
^^  '^  divinité,  ce  sont  la  prévision  de  Taveniri  comme  chez  le  pro- 
.     *^*^t  et  ïa  guérisondes  maladies;  mais  ce  ne  sont  que  des  résultats 
directs  de  la  communication  divine,  La  sorcellerie  survit  à  rînsti- 
ciori  du  sacerdoce,  au  moins  dans  certains  pays  et  pendant  im  cer- 
•^*   temps;  c'est  ainsi  qu'au  Pérou  il  y  avait  très  distinctement  des 
im^L\^^^^  et  des  sorciers»  mais  alors  la  sorcellerie  descend  aux  classes 
'        t;jndis  que  le  sacerdoce  s'élève.  En  outre,  la  bonne 
!  -irait,  et  il  ne  reste  plus  que  la  mauvaise,  à  savoir  celle  où 
munication  avec  les  démons.  Voici  les  points  par 


S0:2  rf:vi:e  philosophique 


\ 


l(?s(|iiels  l<»  Horcior  difrôre  essentiellement  du  prêtre  et  marque  «^^ 
curacïtôro  individualiste  :  1"  aucune  sanction  officielle,  mais  seulem^'^\ 
traiisiniKsion  dos  secrets  du  maître  au  disciple;  2**  ni  temple,      ^^ 
autel,  ni  idoles,  ni  culte  en  commun;  3»  emploi  par  les  cla??^^^ 
pO])ulain*s;  i"  communication  avec  la  divinité  par  l'extase  provoqua  ^'j 
Ti"  nh'»d(»ein(î  mystique  et  surtout  G^  au  lieu  de  l'obéissance  à  ladi^^^'^" 
nitt^,  contrainte  asservie  sur  elle,  qui  fait  que  le  sorcier  devient  su{^   ^^^ 
ritMir  au  dieu.  Nous  retrouverons  plus  loin  ce  trait  extraordinai -^^"^ 
du»/,  d'autres  mystirpies. 

lit»  sacerdoce  est  diamétralement  contraire;  la  hiérarchisation  e-      ^^=^ 
de  son  essence,  c'est  en  commun  (|uo  les  prêtres  prient  et  sacrifien^B-    * 
en  connnun,  au  moins,  aviv  les  fidèles,  ils  n'ont  de  raison  d'être  qi — i:^  e 
comme  intermédiaires  et  sont  tout  à  fait  sociaux.  Ils  s'approchent  de       ^  a 
divinité  par  de|;:rés,  et  sans  jamais  l'apercevoir  en  face,  s'ils  neso-^  ""t 
pas  devenus  pontifes  souverains;  cette  vision  directe  serait  umet"»* 
sort"  de  ivbellion.  Dieu  ne  doit  leur  apparaître  qu'à  travers  leu  -^   ^ 
supérieurs.   Ils  se  créent  au-dessous  de  nombreux  intermédiair  ^~^s 
divins  t»t  nuelquefois  se  consacrent  exclusivement  à  l'un  d'eux.  Use  "«^  t 
une  fiû  commune,  un  cuite  commun,  ils  prient  suivant  les  fonnuL  ^S'S 
ctuisaiMves  et  n'oseraient  en  employer  d'autres.  Enfin  ï)Our  eux,  L  ^^s 
sorciers  sont  do  simples  prêcui*5ieui-s  ou  des  révoltés  qu'ils  ne  p&  ^J* 
vent  déscivouer  entièrement,  mais  dont  i!s  redoutent  la'concurrem.^^:^^ 
et  les  idées.  Cependant  ils  en  s<.>nt  historiquement  issus,  car  les  pr"^* 
mieiN  prétivs  sont  des  sorciei-s  qui  ont  acquis  une  profession  hét"^* 
ditaiiv,  qui  ont  formé  de  nombn»ux  disciples  et  se  sont  réunis  ent-**^ 
eux  en  collèjîes.  Il  y  a  eu  mission,  puis  parallélisme,  puis  anta^o* 
nisme.  Le  prC'tiv  tlnit  {Kxr  maudiiv  le  sorcier,  par  lui  imprimer  a:^*^ 
n'^putatiou  démoniaque.  LUuis  le  christianisme,  ce  dualisme  devi^*** 
de  plus  en  plus  mai\|ué.  findividualisme  se  trouve  ainsi  maudit     ^^ 
déclan*  coupable  par  les  s<.K*iétanstes  reliirieux  triomphants. 

Cependant  les  soa'iers  survivent  en  petit  nombre;  c'est  le  de^^-^ 
de  village,  celui  qui  ne  tVéquente  pas  les  églises  ou  les  réunio^*^ 
mondaines,  mais  s'isole  de  Irnis  les  autres,  menant  une  vie  austè*""^' 
ce  qui  ne  renipOche  pas  d'être  si«mvenl  regardé  comme  un  crimia.-^^    ' 
Conirtie  le  sorcier  antique,  il  pratique  la  môd»feine  empirique,  conik'^*'^^ 
la  \e?ui  des  simples,  pronouce  des  paroles  qu'il  croit  magiques  et  *=^  ^  _ 
quelque  peu  visionnauv.  Ou  ne  le  trouve  qu'au  tond  des  campagt^  ^^_ 
00  ileverce  m»u  siM;^u!ïer  sacenioce.  C'est  lui  qui,  à  certaines  époqu*^"^^* 
a  de  le  ifi'neof  J»'s  ^iccLes  in\stii;::«s. 

Ci'[»eM.i.«:iL  1.'  ^acerd.'ce  sorianL  »!■•  la  sorcellerie  en  a  parfois  cO  ^ 
;!ior\e  ceri  iirt>i  cit  «it-Mvs.  îe  pp'îp*  îi-'st  pas  toujours  le  simt-^ 
ser\iteur  do  mm!  Pi. -m    ti  eu  c^i   î\û  jV.'vVns  le  maître  en  employ^^ 


DE  LA  GRASSERIE,   —  L  IXOirmUÂLrSMÊ   HELIGÏECX 


Î63 


des  paroles  magiques.  Dans  le  christianisme  même  il  contraint  ce 
Dieu  à  apparaître  sur  raulel.  D'autre  part,  au  lieu  de  se  réunir  en 
corps^  chaque  prêtre  reste  parfois  isolé  des  autres,  ne  se  reliant 
qu'aux  fidèles;  c'est  ce  qui  avait  lieu  en  Grèce. 

L'individualisme  religieux  se  réalise  plus  tard  par  le  propbélisme* 
C'est  en  Judée  qu'on  peut  bien  étudier  ce  phénomène.  Ce  n'est  pas 
avant  le  clergé,  mais  après  lui  et  en  raison  de  ses  nombreux  abus, 
que  le  prophétîsme  apparaît,  nouvelle  sorcellerie,  mais  diiïéreote  de 
la  première  sur  beaucoup  de  points.  Il  faut  se  tenir  en  garde  contre 
rétymologie  de  ce  mol.  Sans  doute  le  prophète  prévoit  souvent 
lavenir  et  le  prédit,  mais  ce  n'est  pas  là  sa  fonclion  primitive*  Il 
cherche  surtout  h  se  mettre  en  rapport  avec  la  divinité  qui  lui  dit  ce 
qu'il  faut  faire  et  il  se  charge  de  le  redire  aux  autres  hommes,  sans 
employer  rinlermédiaire  ordinaire  et  obligatoire  du  prêtre.  Le  point 
de  départ  est  un  fait  individuel,  Textase  provoquée  par  le  jeûne  et 
les  austérités  qui  affinent  et  élèvent  Tesprit,  Le  prophète,  après  avoir 
reçu  les  ordres  de  Dieu,  les  divulguait,  il  devenait  prédicateur!  On 
ne  le  rencontre  guère  chez  certaines  races,  mais  il  est  nombreux 
chej&  les  sémites,  et  it  en  surgit  souvent  de  nos  jours  chez  les  Arabes, 
préchant  la  guerre  sainte.  Il  joue  un  rôle  à  la  fois  démocratique  et 
anli'Sacerdotal;  c'est  rauti-clérîcal  de  l'époque,  avec  cette  différence 
qu'il  est  en  même  temps  très  religieux,  (e  C'est  par  le  prophétîsme,  a 
dit  un  grand  écrivain,  qu'Israël  occupe  une  place  à  part  dans  This- 

lire  du  monde.  La  création  de  la  religion  pure  est  l'œuvre  non  pas 
pré  1res,  mais  des  livres  inspirés.  »  Le  prophétisme  fut,  en  effet, 
che^  les  Hébreux,  un  retour  à  l'état  de  pureté  primitive  de  la  reli- 
gion ;  au  dieu  sévère  et  national  Jahveh  succéda  l'ancien  Dieu  plus 
humaiu,  plus  cosmopolite,  celui  du  connaencemenl  Elohim.  Au  temps 
d'Achab  il  y  avait  quatre  cents  prophètes;  ils  se  formaient  en  corpo- 
râlions,  mais  on  les  trouvait  isolés  aussi;  il  y  avait  des  moines  appelés 
fiJs  lie  prophètes.  Ils  pouvaient  faire  des  miracles  pour  le  bien  et 
aussi  pour  le  mal,  appelaient  la  sécheresse  et  la  famine,  portant 
malheur  par  leur  présence,  tout  en  ressuscitant  les  morts.  Leurs 
tendances  sont  nettement  démocratiques,  ils  sont  insolents  envers 
les  rois,  les  croyants  et  les  prêtres.  Parmi  les  plus  actifs  on  peut 
citer  Éfie,  Elisée,  Amos,  Osée.  Tout  le  monde  peut  devenir  pro- 
phète, tandis  que  le  sacerdoce  est  fermé.  Le  Christ,  abstraction  faite 
de  !a  question  de  sa  divinité,  est  un  prophète  aussi;  il  en  présente 
tous  les  caractères,  il  censure  les  vices  des  grands,  se  met  en  lutte 
ouverte  contre  le  sacerdoce,  répudie  les  sacrifices,  prêche  une  reli- 
gion cosmopolite  et  non  plus  exclusivement  juive;  il  est  mis  k  mort 
à  rinstigation  du  sacerdoce;  ses  disciples  le  prennent  pour  Élie  rés- 


olu i 
Rês 


264  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

suscité,  il  emploie  l'inspiration  directe,  la  vision  divine,  le  miraciô 
et  la  prédication,  et  adore  Dieu  en  esprit  et  en  vérité.  Il  en  est    ^^ 
même  de  Mahomet  qui  se  déclare  lui-même  le  continuateur  de  Jé^**^ 
et  de.s  prophètes,  il  a  recours  surtout  à  Textase.  De  même,  BoudcJ  ^^ 
est  un  véritable  prophète  et  non  pas  seulement  un  ascète,  il  re^*-^ 
isolé,  il  prêche,  il  a  des  disciples,  mais  il  ne  veut  pas  fonder 'de  nrmo- 
nastères,  ni  de  sacerdoce.  Ailleurs,  le  prophétisme  existe  aussi,  m^is 
sporadiquement:  c'est  chez  les  Sémites  et  les  Aryens  de  l'Inde  qu*  on 
en  trouve  le  massif  principal  ;  de  là  le  progrès  religieux  se  répa^xici 
dans  le  monde  entier.  Ailleurs,  ce  progrès  est  figé  par  Tétablis^^^— 
ment  du  sacerdoce.  Le  lien  qui  réunit  la  divinité  et  l'homme     ^e 
trouve  arrêté  par  des  nœuds  intermédiaires  nombreux  où  le  coursicmt 
spirituel  rencontre  à  chaque  instant  un  nouvel  obstacle,  la  letLare 
étouffe   l'esprit,  les  cérémonies  du  culte   coupent  tout  élan;      la. 
divinité  prend  toutes  les  déformations  de  ceux  à  travers  lesqa^  Is 
son  rayon  doit  passer.  Des  pratiques  mécaniques,  minutieuseni^i.:it 
réglées,  empêchent  l'inspiration,  l'amour,  l'élévation  au-dessus    de 
soi-même.  Cet  appel  direct  à  Dieu  est  suspect,  c'es^t  une  rébellioi^ 
contre  la  société  religieuse,  un  acte  d'orgueil.  Le  prêtre  remplsicre 
Dieu  au  lieu  de  le  représenter. 

Ce  qui  est  très  curieux,  et  c'est  un  point  sur  lequel  nous  revien- 
drons, c'est  que  le  prophétisme  aboutit  très  souvent  à  la  fonda- 
tion d'une  religion  nouvelle,  au  sacerdoce,  à  un  sacerdoce  nouvea.u. 
Il  est  singulier  même  que  le  prophète  ait  prévu  et  craint  parfois 
cette  conversion  sans  pouvoir  l'empêcher.  Comment  le  Christ  pou- 
vait-il penser  dans  sa  lutte  contre  les  prêtres  juifs,  que  sa  religî*^^ 
fonderait  à  son  tour  un  sacerdoce  beaucoup  plus  puissant  et  plus 
intolérant,  et  que  ceux  qui  joueraient  alors  le  rù!e  de  prophètes  nou- 
veaux seraient  en  butte  aux  persécutions?  Il  existe  ainsi  une  véri- 
table aUertuuice  entre  le  prophétisme  individualiste  et  le  sacerdoce 
socirtuè^iite;  le  premier  est  appelé  en  réalité  plutôt  à  renouveler 
Taulre  tiu'à  le  détruire,  mais  tant  que  dure  la  lutte,  l'inimitié  entre 
eux  est  ardente. 

De  temps  en  temps,  même  dans  les  religions  supérieures,  on  v"oil 
se  renouveler  sporadiquement  le  propliêtisnie  dans  ce  qu'il  a  d'e^- 
iiontu'L  c'est-à-dire  la  vision  directe  de  Dieu  suivie  de  la  communi" 
cation  do  cotte  vision  aux  hommes,  et  même  dans  la  fonction  nO« 
essontiollo  de  prédiction  de  l'avenir,  enfin  et  surtout  dans  l'oppo* 
silioii  oonsianto  au  pouvoir  temporel  et  au  sacerdoce.  C'est  toujours 
le  my^tk•lsmo  suivi  de  prosôlyiisnio.  On  peut  citer  au  moyen  àgd 
l'exonjplo  on  Italie  do  Savonarole,  et  oo!ui  beaucoup  plus  remaf- 
quabio  ou  France  do  Jeanne  d'Arc.  Lo  premier  se  contente  de  com- 


DE  LA  GRASSERIE.    —  L'l?îmvmOAIJSME  BELÎGIEl'K 


965 


3jallre  le  clergé,  même  la  papauté,  mais  il  ne  jouit  pas  derinspirafion 
^:ljrecte.  L'héroïne  française  enlre  en  communicalion  personnelle 
ivec  le  ciel  par  rintermédiaire  de  saintes  de  son  choix  (sainte  Gathe- 
"îne  et  sainte  Marguerite),  dont  elle  entend  les  voix,  dont  elle  suit  les 
.^Drdres  qu  elle  exécute  ensuite  et  qa*elle  fait  exécuter  à  ses  compa- 
-^rtotes  vaincus;  le  sacerdoce  dont  elle  supprime  rintermédiaire*  loin 
^e  l'approuver^  la  condamne,  même  à  mort,  même  après  ses  victoires, 
ît  le  chef  du  pouvoir,  le  roi,  rabandoone.  Elle  n*est  cependant  pas 
me  révoltée,  ne  rejette  pas  l'Église  et  admet  son  autorité,  mais  en 
pUtvanl  son  inspiration  personnelle,  ce  qui  est  trop.  Son  individua- 
^  isrne  fait  ombrage.  Il  serait  curieux  de  suivre  pas  à  pas  son  histoire» 
,^^1  de  relever  tontes  les  traces  de  cet  antagonisme  qui  aboutit  ù  un 
^::»ouveau  calvaire  très  analogue  à  celui  du  Christ  oii  jusqu'aux  ins- 
^_^  J'iptions  ironiques  et  mensongères  écrites  par  la  haine  se  ressem- 
^;::»JeDt.  Ce  qui  rend  ce  cas  d'autant  plus  remarquable,  c'est  préci- 
^4$ment  Tabsence  de  toute  rébellion  de  la  part  de  Jeanne  d'Arc,  qui 
w^  'a  mèrae  pas  eu,  comme  le  Christ,  des  paroles  sévères  contre  le 
oler^é. 

J>e  nus  jours  des  visionnaires  ont  apparu  qui  ont  reproduit  l'esprit 

ft  JsL  mission  du  prophétisme^  et  qui  ont  voulu  en  montrer  le  signe 

î^»ro.ctéristique,  les  miracles;  ils  y  ont  joint  un  but  pratique  de  pro- 

"lytiisme,  ce  qui  les  distingue  des  simples  mystiques.  Ils  ont  surgi 

luf'tcïut  en  France  dans  la  seconde  moitié  du  siècle  et  ont  fondé  non 

pes^     religions  nouvelles,  mais  de  célèbres  pèlerinages.  C'est  surtout 

iiracle  qui  a  été  la  dominante;  mais  le  miracle  avait  un  but  et 

pi^o^que  toujours  la  Vierge,  en  apparaissant,  chargeait  rinspiréede 

q^^lciae  mission  spéciale.  Seulement  celle   inspirée  nVntrait  pas 

J^^    1  utte  avec  le  clergé,  celui-ci  était  d'abord  hostile,  car  la  commu- 

l^ci^^tion  directe  avec  Dieu  sans  son  intermédiaire  est  contraire  à  son 

>^0|:trç  principe  et  à  son  intéréî,  mais  après  réussite  du  pèlerinage 

*^  *^*  V  ralliait,  le  recommandait  et  une  prompte  fusion  s' opérait  entre 

^4^  ï'i ^û-propliétisme  et  le  sacerdoce  ordinaire. 

Tc*l  est  le  prophélisme  dans  ses  grandes  lignes.  Il  ressemble  fort  à 

\^  Sorcellerie  :  vision  directe  de  la  divinité,  choix  d'une  di%înité  per- 

t?^^nnelle  et  spéciale,  miracles,  mission,  but  thérapeutique  physique 

oM  înoral,  prosélytisme,  indépendance  du  sacerdoce,  suppression  de 

tous  intermédiaires  religieux. 


m 


L'individualisme  religieux  direct  ne  consiste  pas  seulement  dans 
la  suppression  des  intermédiaires  qui  s  élèvent  de  l'homme  à  la  divi- 


DE  LA  GRASSEHIE.   ^  L  mDiVintîAtîSKE  BRUClEtîX 


!«7 


totérieurj  incognoscible,  et  un  Dieu  extérieur  qui  pût  communiquer 
avec   nous,  ou  tout  au  njoins,  une  face  inlérieure  et  une  face  exté- 
rieure de  Dieu,  Le  premier  serait  Immobile,  inopérant,  le  second 
a^î ra.it.  La  philosophie  grecque  et  certaines  religions  dédoublèrent 
aïnei   la  personne  divine*  A  coté  du  Dieu  proprement  dit,  U  y  eut  le 
demi  orge,  celui  qui  pouvait  agir  et  créer,  le  Xé^ù^,  celui  qui  pouvait 
parler,  celui  qui  extériorisa  Dieu.  Est-ce  de  cette  philosophie  que  le 
Vertoe  a  passé  dans  le  christianisme?  On  le  prétend  généralejnent, 
en   tout  cas  le  Fils  y  joue  bien  le  même  rôle  à  côté  du  Père-  A 
ces    deux  hypostases  divines  s'en  joignit  bientôt  une  troisième  et  la 
Trinité  fut  ainsi  lormée^  La  doctrine  est  bien  exacte  en  affirmant 
qu'il  n'y  a  point  là  trois  dieux,  mais  seulement  trois  aspects.  Gepen- 
«iant  chaque  aspect  devient  bientôt  une  substance,  pense  et  agit 
séparément- 

Les  individualistes,  après  avoir  admis  un  moment  cette  sorte  de 
dèrneiTibrement  d'un  Dieu  unique  ayant  pour  but  de  le  rapprocher 
de  l^homme,  sentirent  bientôt  qu'il  s'était  créé  ainsi  entre  Dieu  pro- 
pre rrjent  dit  et  chatiue  iiomme  un  intermédiaire,  au  personnel  moins 
■  nombreux,  il  est  vrai,  que  celui  du  polythéisme,  mais  très  puissant, 
^t^s  indispensable,  ce  qui  était  contraire  à  leur  instinct;  ils  voulurent 
^tnener  à  runilë  divine  complète  et  combattirent  le  dogme  de  la 
Trinité;  il  le  (irent  encore  dans  un  autre  but  que  nous  expliquerons 

■  tout  ^  rheure.  De  là  dans  le  sein  du  christianisme  des  hérésies  fré- 
*îtieriies.  On  n'osa  pas  toujours  nier  entièrement  l'existence  de  p!u- 
ajetirs  hypostases  divines,  mais  on  combattit  au  moins  leur  égalité 

■  respective,  et  quant  au  Fils,  on  chercha  à  le  réduire  à  des  dimensions 
■hunaaities. 

H     ^'^rianisme  qui  a  occupé  une  si  grande  place  dans  l'histoire  du 

Hcti^i^tianisme  tendait  à  inférioriser  la  seconde  personne  de  la  Trinité* 

^  pès  auparavant,  les  Nazaréens,  les  Ébionites  avaient  battu  en  brèche 

ce  ^ogme.  Le  Fils,  suivant  cette  doctrine,  était  engendré  parle  Père, 

et  ^on  consubstantiel  au  Père;  le  Christ  avait  été  simplement  créé, 

piJ^B  était  devenu  Dieu  par  participation,  T intermédiaire  descendant 

iJeVenait  ainsi  un  intermédiaire  ascendant.  Cette  doctrine  anti-trini- 

x^it-Q  lutta  pendant  des  siècles.  A  l'autre  extrémité  de  l'évolution 

IL     tlU  christiaoisme,  chez  les  protestants,  ranli-lrinitarisme  éclata  de 

^1     fiouveau,  non  de  la  part  des  protestants  eux-mêmes  qui  admirent 

V     le  dogme  de  la  Trinité,  mais  de  celle  de  plusieurs  sectes  qui  ont 

H      pris  un  grand  développement  ;  celte  doctrine  fut  soulevée  dès  la  pre* 

■  ifiière  heure  par  le  célèbre  Michel  Servet,  le  rival  de  Calvin,  puis  par 
les  Sociniens,  qui,  par  voie  de  conséquence,  nient  le  rédempteur. 
plus  tard  et  de  nos  jours  les  Unitaristes  en  Angleterre  et  en  Amé- 


S68  REVUE    PHILOSOPHIQUE 

rique  rejettent  le  Saint-Esprit  et  infériorisent  le  Fils,  allant  mé*^^ 
jusqu'à  renier  sa  divinité.  Leur  secte  remonte  à  l'époque  de  Milton, 
de  Locke  et  Newton,  qu'elle  eut  comme  adhérents.  C'est  par  Tutimla- 
risme  que  le  protestantisme  se  rapproche  du  théisme  et  finit  par"  se 
confondre  avec  lui.  Ainsi  le  monothéisme  chrétien  se  trouve  ram^riè 
-  au  même  absolu  que  le  monothéisme  juif  ou  musulman. 

Le  sociétarisme  religieux  a  une  tendance  aussi  forte  à  jeter  un 
pont  entre  la  divinité  et  l'homme  en  y  plaçant  partout  des  intemn^î- 
diaires  divins  que  l'individualisme  à  le  supprimer.  Non  content  de 
créer  des  dieux  de  forces  différentes  allant  en  s'atténuant  jusi^u'â 
l'homme  et  de  démembrer  chaque  dieu,  il  voulut  fondre  Thumanité 
et  la  divinité  de  temps  à  autre  en  un  être  unique,  servant  de  lien  et 
au  besoin  d'intercesseur  beaucoup  plus  que  les  intermédiaires  orxi  î- 
naires;  de  là  les  avatars  et  les  incarnations. 

Chez  les  Indous  le  Dieu  suprême  comprend    trois  personnes     : 
Brahma,  qui  est  le  dieu  abstrait,  d'abord  neutre  ;  Vishnou,  qui  l'exté- 
riorise et  sert  de  démiurge;  enfin  Siva;  mais  la  seconde  personne^cie 
cette  Trinité  agit  incessamment,  elle  se  détache  et  va  s'incarner 
dans  le  corps  d'un  homme  ou  d'un  animal;  ainsi  se  réalise  une 
union  intense,  matérielle  entre  Dieu  et  Thomme,  union  non  point 
ascendante  et  mentale  comme  dans  l'extase  et  l'obtention  du  nirvana» 
mais  descendante  et  corporelle;  l'homme  ne  devient  plus  Dieu,raaJ^ 
Dieu  devient  l'homme,  le  résultat  n'en  est  que  plus  énergique.  L^^ 
incarnations  n'étaient  pas  étrangères  à  la  religion  grecque,  quoi' 
qu'elles  y  jouassent  un  rôle  moins  grand  :  c'étaient  les  métainor' 
phoscs.  Mais  c'est  un  des  dogmes  essentiels  du  christianisme.  L^ 
mystère  de  l'Incarnation  suit  celui  de  la  Trinité;  on  peut  même  dire 
que  pratiquement  ce  dernier  ne  fait  que  le  préparer.  La  seconde  per- 
sonne divine  est  devenue  homme,  et  si  elle  l'a  fait,  c'est  pour  pré- 
parer la  rédemption,  c'est-à-dire  pour  servir  d'intercesseur,  d'inter- 
médiaire au  profit  de  l'homme  ;  on  ne  s'adressera  plus  à  Dieu  que 
par  le  Christ,  et  c'est  précisément  parce  qu'il  est  à  la  fois  Dieu  et 
homme.  Par  cette  incarnation  la  divinité  est  rendue  plus  sensible, 
un  certain  intérêt  d'orgueil   est  satisfait  et  l'anthropomorphisme 
triomphe,  anthropomorphisme  bien  plus  complet  que  celui  qu*on 
désigne  ordinairement  de  ce  nom,  puisque  ce  dernier  ne  consiste 
que  dans  une  ressemblance  avec  l'homme,  tandis  qu'ici  la  ressem- 
blance va  jusqu'à  l'identité. 

C'est  précisément  cet  intermédiaire,  plus  puissant,  plus  complet, 
que  l'individualiste  religieux  répudie  énergiquemenl;  il  veut  Dieu 
pur,  Dieu  seul,  sans  aucun  mélange  humain,  et  l'Incarnation  ne  le 
choque  pas  moins  que  la  Trinité.  Du  reste,  ces  deux  dogmes  se 


DE   LA   GRASSERIE.   —   u'iNDlVlDlAUSIirE   ItEUGIHUX 


269 


muent  étroitement;  on  peut  mi^me  af/irmer  que  si  les  Ânti-trini- 

wes  ont  été  si  nombreux  et  si  tenaces,  ce  n'était  point  pour  Vidée 

peu  abstraite  de  rabattre  Tune  des  hypostases  divines,  mais 

KHsle  but  plus  pratique  de  supprimer  l'incarnation  de  la  divinité; 

■j^i  là  Tobjectif  évident  des  Unitanens,  si  chez  les  Ariens  il  était 

sr^ore  caché.  Aussi  par  la  négation  de  Tincarnation  parvient-on  vite 

^négation  de  la  révélation  elle-même,  qui  se  soutient  cependant 

^c  ridée  restreinte  que  le  Christ  était  un  prophète.  Aussi,  pour  ne 

BOUS  répéter,  nous  renvoyons  à  Pexposé  ci-dessus  de  révolution 

i*^i  m  gieuseanti-trinilaire.  Cependant  il  faut  signaler  les  sectes  oiij  pour 

•^<:=^*":»apper  à  la  difficulté,  on  a  visé  rejcistence  réelle  du  Christ;  telle 

^^^^  ^l  la  prétention  des  Manichéens,  des  Gnosliques,  des  Docètes,  qai 

F*^ï*^^  tendaient  que  sa  vie  n'avait  été  qu'une  apparence,  qu'il  n'avait 

F^i-ai        soutTrir  réellement.  Telle  était  aussi  la  doctrine  des  Cathares; 

®*^  *  "%'ant  eux,  Jésus  était  émané  de  Dieu,  mais  lui  était  inférieur  et 

^"•^^^^  it  dépourvu  d'humanité  réelle,  ainsi  que  Marie,  sa  mère;  sessouf- 

rm^^^-^çes  élaieni  fictives;  rincarnation  se  trouvait  visée  ainsi  plus 

^  *  •^^ctement.  De  même,  suivant  les  BauUciens,  Jésus  était  descendu 

*^  *-*-      «iel  avec  un  corps  incorruptible  qui  n'avait  fait  que  traverser 

*^     ^sein  de  Marie;  sa  mort  n'avait  été  qu'apparente, 

Jl— ^  sociélarisme  religieux  avait  jeté  d'une  autre  manière  encore 
'^^^        pûnt   entre  ta  divinité  et  Thomme  par  Tanthropomorphisrae 
^^^^^  prement  dit,  ou  plus  exactement  par  la  représentation  de  Dieu 
®*-**^  s  une  forme  visible;  la  statue  ne  fut  d  abord  qu'une  image,  un 
*^^^**^rait  de  Dieu,  mais,  pour  pouvoir  faire  Tobjet  d'un  portrait^  il  fal- 
_^i  't^    déjà  qu'il  ressemblât  à  l'homme  ou  à  quelque  autre  être  visible- 
^^^      Mie  fut  pas  tout  :  la  statue  devint  idole,  on  Tadora  bientôt  elle- 
^^^*T)e;  de  là  ridoîâtrie  qui  a  dominé  la  plupart  des  religions,  et 
^^^     tend  à  se  reproduire.  Le  christianisme»  si  monothéiste  et  si 
^^^  trait  qu'il  fût,  n'a  pas  su  toujours  résister  à  cet  instinct  naturel. 
^^^^^*^  s  doute,  l'image  ny  est  pas  prise  pour  la  divinité  elle-même, 
!  le  fait  que  Dieu  s'est  incamé  en  devenant  un  homme  a  favorisé 
^présentation  de  Dieu  sous  une  forme  humaine,  et  quelquefois 
_^     ^^  *^e  sous  l'empire  de  la  superstition ,  certaines  statues  de  saints 
jV^      ^e  la  Vierge  sont  devenues  lobjet  d'un  culte  pour  elles-mêmes, 
*  *^^dividuaîisme,   lorsquVil  s'est  réalisé,  notamment  dans  le  pro- 
t^nlisme,  a  combattu  cet  anthropomorphisme,  môme  en  admet- 
te dogme  de  Hncar nation ,  et  dans  ce  but  elle  a  proscrit  la  pein- 
et  la  statuaire  religieuses»  Les  Cathares  refusaient  tout  culte  à 
ùix  et  aux  images.  Les  Manichéens,  les  Iconoclastes  agissaient 


1 


*^éme.  C'est  une  des  difTérences  qui  frappent  le  plus  tout  d'abord 
^^t  ï-e  le  catholicisme  et  le  protestantisme  que  la  profusion  d'images, 


270  BBVtlE   PBlLOSOPHJtlUE 

de  peinture,  d'architecture  et  de  sculpture  dans  Tune  et  le 
absence  dans  Fautre,  ce  qui  donne  au  second  une  certaine  séche^ 
resse  et  1  empêche  de  répondre  auasï  bien  aux  besoins  eslhéliqués 
de  l'homme- 

D'ailleurs  le  dogme  de  îlncamaLion^  de  même,  que  les  avatars 
dans  la  religion  hindoue,  ont  puissamment  contribué  à  la  popularité 
de  ces  cultes,  et  réalisé  le  besoin  de  société  qui  est  en  ThotTime  de 
la  manière  la  plus  complète  qui  soit  possible,  puisque^  suivaDt 
Texpression  évangélique,  Dieu  est  ainsi  venu  habiter  parmi  nous. 


IV 

Tel  est  rindividualisme  religieux  divin,  soit  ascendant,  soit  de^ 
cendant;  il  consiste  es^senliellemenl  dans  la  suppression  des  inter- 
médiaires, soit  humains,  soit  divins,  qui  séparent  Dieu  de  rhomme 
et  prétendent  interposer  entre  les  deux  une  société  hiérarchisée* 

A  côté  existe  l'individualisme  religieux  latéral,  lequel  consiste  à 
isoler  rindividu  des  autres  hommes  qui  Tentourent  et  qui  cherchent 
k  adorer  la  divinité  en  commun  avec  luij  cette  réunion  religieuse 
constitue  une  Église.  Tous  s*y  solidarisent,  des  cérémonies  pério- 
diques sont  instituées,  des  lieux  de  réunion,  des  temples  sont  édiOés. 
Les  chants  réunissent  les  lidèles  par  un  lien  esthétique;  la  prédica- 
tion leur  donne  des  pensées  communicantes;  la  communion  a  Heu 
non  seulement  avec  Dieu,  mais  aussi  avec  les  autres  communiants. 
Lorsque  le  prêtre  a  commencé  une  prière,  tous  les  fidèles  continuent 
ou  répondent.  La  religion  forme  un  lien  extérieur  horiwntal^  aussi 
bien  qu'un  lien  extérieur  veHieaL 

C'est  précisément  ce  lien  considéré  comme  un  joug,  au  moins 
inutile,  que  rejettent  les  individualistes.  Ils  veulent  slsolerde  tous 
les  autres,  et  adorer  Dieu  en  cette  situation.  Il  entre  dans  cette 
détermination  beaucoup  de  misanthropie;  on  se  sépare  des  autres 
surtout  lorsqu'on  a  soulîert  de  leur  part;  mais  la  disposition  du 
caractère  sulTit.  Dans  cet  individuaUsme^  ^  1^  dilTérence  de  ce  qui 
a  lieu  dans  rindividualisme  direct,  il  n'y  a  plus  de  rébellion,  par 
conséquent  d'hérésie  ou  de  schisme;  on  peut  rester  soumis  àTorga- 
nisation  ordinaire,  seulement  on  s'isole. 

L'individualisme  latéral  est  donc  une  réaction  contre  la  socîétâ- 
risme  latéral  religieux  ;  nous  avons  vu  plus  haut  qu'il  est  à  diffé- 
rents degrés  et  que  rindividualiste  qui  se  sépare  de  Tensemble  des 
fidèles  ne  reste  pas  toujours  seul  et  qu'il  peut  y  avoir  individualisme 
de  tout  un  groupe  vis-à-vis  de  tous  les  autres.  D  où  individualisme 
religieux  de  la  part  ;   l""  d'un  individu,  ^^  d'une  famille,  3'^  d*une 


DE  LA  GRASSERIE.    —  t'iNOIVIDUAUSÎiE   HELIGIELX 


H 


famille  fictive  ou  conimunauté  religieuse.  4°  d'une  nation,  O**  d'une 
école  ou  secte,  ï>  d'une  religion  vis-à-vis  des  autres,  7"  d'une  église 
entière  vis-à-vis  du  pouvoir  civiK  L'espace  manque  ici  pour  les 
envisager  toutes;  nous  ne  retiendrons  que  les  principales. 

Le  cas  le  plus  remarquable  c'est  l'individualisme  absolu,  c*est-â- 

dire  celui  de  Vindividu  lui-mênie;  il  se  réalise  dans  Vérthnitume^ 

c'est-à-dire  dans  l'isolement  complet  avec  le  but  d'adorer  la  divinité. 

UérèmiLisme  u  est  pas  particulier  a  la  religion  chrétiennet  on  le 

rencontre  dans  beaucoup  il 'autres.  Il  est  d'usage  commun  dans  le 

brahmanisme.  Lorsque   le  brahmane  ou  Je  cshatrya  a  rempli  son 

devoir  ordinaire,  qui  est  d'avoir  un  lils  et  d*élever  sa  famille,  et  dès 

^ue  ce  lils  est  marié,  il  donne  une  partie  de  ses  biens  à  ses  enfants 

^t  lautre  aux  pauvres,  puis  Q  se  relire  au  fond  des  bois  ou  sur  le 

^iïimet  d*une  montage  pour  se  livrer  à  la  méditation  et  aux  austé- 

*V/t^et  parvenir  au  paradis  suprême,  le  Moksha;  il  jeûne,  observe 

'*^   «chasteté  et  médite  sur  la  divinité.  Il  peut  devenir  1  égal  des  dieux, 

'^«^  muB  leur  supérieurj  peut  créer  des  mondes  nouveaux.  Dans  l'In- 

''^«^fcisme  les  ermites  se  retrouvent,  il  portent  les  noms  de  Mounis, 

^^  Voghis  et  de  Sannyasis,  ce  qui  forme  trois  degrés  d  ascétisme  : 

^^    ^^iouûi  fait  vœu  de  pauvreté  et  de  mendicité,  il  est  sans  cesse  en 

ï^ti^fc.-^  aux  attaques  du  démon,  il  a  des  disciples.  Sakya  Mouni  était 

lui même  un  ermite»  mais  bientôt  Térémitisme  se  Iransjfotma  dans  sa 

tel  M  45ion  en  monachisme.  En  Chine,  dans  la  religion  taoïste,  on  trouve 

**^         nombreux  ermites,  i'érémitisme  y  dégénère  en  monachisme  ; 

^**^*-isde  même  que  Bouddha,  Lao^Tsé  défendit,  autant  qu'il  le  put, 

^61_^^  transformation.  Le  christianisme  a  donné  à  l'érémitisme  un 

^y^^  ^^  développement  jusqu'à  ce  qu'il  ait  disparu  dans  le  moïia- 

^  *  ^^me,  qui  est,  au  contraire,  un  collectivisme  extrême.  Après  la  ces- 

^^    ^  S  ^Q  tigg  persécutions  des  empereurs  romains  la  pureté  des  mœurs 

j^>^^^^^  ^éra  et  ceux  des  chrétiens  qui  voulaient  la  conserver  se  sépa- 

j         *^^^ni  de  la  masse  des  fidèles»  et  pratiquèrent  l'ascétisme,  dépassant 

^  ^^  _    ^^ertus  imposées  et  visant  à  la  perfection.  L  ascétisme  seul  con- 

■^-^âait  à  un  certain  isolement,   même  dans  le  monde,  puisqu'il 

lortait  le  célibat.  Le  premier  anachorète  fut  saint  Antoine  en 

(j^^^^^F^pte,  il  se  retira  dans  le  désert  et  fut  en  butte  à  des  tentations 

3^^^_      ^^eurées  célèbres;  il  eut  de  n:imbreuK  imitateurs.  Les  ascètes  de 

Q^^    *^5-e  n'avaient  pas  même  de  huttes,  ils  allaient  paître  l'herbe  et 

p»        '^^Kient  nu-tête  sous  le  soleil.  Parmi  eux,  les  stylites  passaient 

^^  ^^  ^^ieurs  années  sur  le  haut  d'une  colonne.  Saint  Siméon  demeura 

^^^^^^i  sept  années.  Saint  Martin  de  Tours  était  aussi  un  ermite, 

^  1  ressuscitait  les  morts.  Mais  cet  individualisme  absolu,  diffi- 

â  conserver  pratiquement,  disparut.  Des  personnes  consacrées 


^It  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

à  la  contemplation  pouvaient  difficilement:  se  procuper  les  moyerm^ 
matériels  de  subsistance.  Il  fallait  même,  pour  se  faire  ensevelir-, 
que  DteUj  par  «ne  sorte  de  miracle,  suscitât  rinlervenlion  d'imii 
autre  ermite.  Cependant  c'était  le  seul  moyen  de  s'assurer  un  ind  i- 
vidualisme  latéral  absolu.  La  vie  des  Pères  dans  le  désert  reste  cm 
des  phénomènes  psychologiques  et  sociologiques  les  plus  curieui  â' 
étudier. 

On  croirait  au  premier  abord  que  le  célibat  ecclésiastique  esliïU 
moyen  d'isolement,  une  manifestation  d'individualisme^  puisque  la 
famille  est  une  des  premières  sociétés.  Cela  nest  vrai,  en  réalité  - 
que  si  le  célibat  est  suivi  de  la  solitude  dans  le  désert  ou  si  tout  au 
moins  il  ne  se  relie  point  à  TaOîlialion  au  sacerdoce  d^una  Églis©  ; 
mais  dans  ce  dernier  cas,  c'est  un  moyen  de  sociétarisme  et  mêtn^ 
de  collectivisme  religieux.  En  effet,  TÉglise  conserve  une  maiwi 
beaucoup  plus  puissante  sur  un  individu  isolé  que  sur  celui  qui 
s'est  constitué  une  famille;  ce  dernier  lui  échappe  souvent  par  ut  n 
petit  intérêt  collectif  distiocl,  Tautre,  au  contrairet  se  fondenli^- 
rement  dans  la  grande  collectivité.  Aussi  une  église  est-elle  plus 
forte  dans  sa  centralisation  avec  un  clergé  non  marié;  c'est  ce  qui   ^ 
permis  la  concentration  du  catholicisme;  au  contraire,  toute  religion 
qui  voudra  affaiblir  son  clergé,  et  par  conséquent  laisser  plus  d'ao- 
tonomie  aux  tidèles,  permettra  le    mariage  des  prêtres,  C*est  ce 
qu'a  fait  le  protestantisme,  qui  est  une  religion  individualiste;  c'g&ï 
C6  qu*ont  fait  la  plupart  des  autres  sectes  nées  d*un  mouvemeol 
autonomiste.  Les  Vieux  Catholiques  ont  la  même  doctrine.  La  faimllô 
constitue  un  petit  agrégat  individualiste  vis-â-vis  de  T Église, 

Un  individualisme  plus  étendu,  mais  d'un  genre  particulier^ 
parce  qu'il  se  complique  de  coUectivisme,  est  celui  qui  résulte  dn 
cénùbhîi^ms.  11  s'est  développé  lentement  de  VéréniUisme  que  oou& 
avons  décrit  et  qui  ne  pouvait  avoir  qu'une  existence  instable,  U  a 
un  double  caractère^  suivant  qu'on  le  considère  du  dedans  m  àu 
dehors.  Du  dedans  c'est  une  institution  située  aux  antipodes  ie 
Térémitisme,  puisque,  bien  que  les  membres  soient  isolés  les  uns 
des  autres,  ils  forment  une  unité  compacte  dans  laquelle  chaque 
individu  disparaît  en  renonçant  à  toute  famille  par  le  vœu  de  chas- 
teté, b.  toute  propriété  par  celui  de  pauvreté,  et  à  toute  indép^fl* 
dance  par  celui  d'obéissance,  et  on  peut  s'étonner  de  ce  que  l'uû 
ait  précisément  conduit  à  Tautre;  c'est  un  phénomène  que  nous  exa- 
minerons plus  loin.  MaiSj  envisagé  à  Fextérieur,  le  cénobitisme  ou 
raonachisme  forme  une  unité  autonomique  très  forte  vis-à-vis  dô 
l'ensemble  de  rÉglise»  elle  en  est  à  bien  des  égards  presque  indé- 
pendante. C*est  que,  malgré  la  contradiction  apparente,  le 


le  moua-    À 


DE   LA  GRASSERIE.    —    L  JNT>1VIDCA|,ISME    ItElICIElUL 


373 


ch&t^nie  n'est  que  rérémitisrae  continu,  solidifié,  en  passant  par  le 
cémxobîlisme.  Les  ermites  ayant  besoin  de  secours  maténel  se  cons- 
tr"i_a  m  raient  des  huttes  rapprochées  les  unes  des  autres,  qui  formaient 
^  i  ^  r^tôt  des  villages  ;  chacun  y  vivait  à  sa  manière  et  indépendant  ;  puis 
il  ^  ^e  rapprochent  encore  davantage  et  ont  des  demeures  cojnmunes 
^*^>U:s  raulurité  d*un  supérieur*  Pacôme  fonda  délinitivement  le  céno- 
i^i^i^me  en  'MO;  trois  religieux  habitaient  une  cellule,  ils  man- 
S^^^^-ient  ensemble,  mais  en  siîence,  couverts  d'un  voile  qui  les 
^''*^f:»éehait  de  se  voir.  Le  silence  obligatoire  est  un  signe  de  J'éré- 
"^i^isme  primitif.  Vis-à-vis  du  clergé,  jusqu'au  v«  siècle,  il  y  eut 
iMti^p^Q^^^^.g  absolue;  d'ailleurs  les  moines  étaient  des  laïques  et 

fc'*^■^*-^^aïent  même  pas  d'églises  à  eux.  Bientôt  ils  s*en  construi- 
***^i!t,  et  furent  placés  sous  rautorité  des  évêques,  mais  sous 
'^'^^  «^apport  on  revint  ensuite  à  Tétat  ancien;  ils  furent  exempts  de 
^^^•^  te  juridiction.  Les  couvents  se  relièrent  entre  eux  et  formèrent 
^^^  ûï-dres  religieux  qui  constituaient  souvent  une  église  dans 
^  ^^.^5"  lise*  Le  cïergé  régulier  rivalisa  avec  le  clergé  séculier,  c'était  le 
eî^^*^^  individualiste  dans  Tensemble  de  chacun  de  ses  ordres  vis-à- 
vi^    «ju  cleiTgé  sociêtariste. 

^^l^  'individualisme  latéral  devient  plus  large  lorsqu'il  s'agit  d*opposer 
'^      1* universalité  de  TÉglise  Faulonomie  d'une  nation,  d'une  secle.  Le 
PK^^mier  de  ces  individualismes  se  réalise  par  un  schisme  ou  une 
dis^lilence  qui  touche  au  schisme.  11  résulte  de  Tinstinct  répulsif 
<^'iari  pays  contre  le  fait  d'être  gouverné  même  spirituellement  par 
des  étrangers.  En  France,  sous  Louis  XIV,  le  gallicanisme  fut  sur  le 
point  de  réussir.  L'anglicanisme  avait  le  même  caractère  lorsqu'il 
irionapha  sous  Henri  VHL  et  partout  une  des  causes  de  triomphe  du 
protestantisme  fut  la  nationalisation  de  TÉglise.  Ce  fut  aussi  ce  qui 
3^ pîura  définitivement  rÊglise  d'Orient  de  celle  d'Occident.  Le  natu- 
ralii»me  religieux  est  un  des  autonomismes  les  plus  énergiques,  il 
détorraine,  ce  qui  sans  cela  répugnerai  t^  à  se  jeter  dans  les  bras  du 
pou  v-oir  civil. 

Ce  qui  distingue  très  remarquablement  les  ^lises  protestantes 

de  régïise  catholique,  c*est  que,  tandis  que  la  deuxième  forme  un  tout 

mtli  visible  dont  toutes  les  parties  se  relient  entre  elles  étroitement 

par  une  hiérarchisation  autant  que  par  une  solidarisation,  les  églises 

proie^stantes  de  même  confession   sont  sans  lien  entre  elles  dans 

certaines  sectes;  n  y  a  encore  là  une  réaiisalion  de  Tindividualisme, 

sans  dotjte,  i7  ejj  ^^t  autrement  dans  Tanglicanisme,  mais  celui-ci 

p^^emtm  singn/j^.^^  ^ji^^i  jm  catholicisme  en  tout  ce  qui  n'est  pas 

Icdoiîiiîe*  A  p/fj^  fij£^te  raison  n'y  a-t-il  pas  de  lien,  même  de  doc- 

*^'  "'%fflfr'^^    Je  luthéranisme  et  le  calvinisniCj  encore  moins 


274  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

entre  les  sectes  dissidentes.  Celles-ci  cependant,  si  elles  se  sont  per- 
sécutées, se  supportent  aujourd'hui  réciproquement ,  tandis  que  le 
catholicisme  ne  peut  souffrir  aucune  hérésie  et  abolit  ainsi  les  auto- 
nomies individuelles . 

Tel  est  l'individualisme  religieux /attf'raL  Avant  de  terminer,  signa- 
lons un  stade  religieux  très  ancien,  intéressant  sous  ce  rapport 
comme  sous  beaucoup  d'autres.  Il  s'agit  du  fétichisme.  L'individua- 
lisme consiste  ordinairement  à  se  mettre  en  rapport  direct  avec 
Dieu,  en  dehors  de  tous  autres  et  sans  l'emploi  d'aucun  intermé- 
diaire, mais  le  Dieu  invoqué  est  commun  à  beaucoup  d'hommes, 
souvent  à  des  millions  de  coreligionnaires.  Il  existe  cependant  un 
individualisme  plus  intense;  c'est  lorsque  notre  Dieu  n appartient 
qu'à  nous,  que  nous  le  dominons,  que  nous  lui  commandons,  que 
nous  en  changeons  à  notre  guise.  Singulier  Dieu,  cela  est  vrai,  mais 
Dieu  pourtant!  Sujet  individuel,  objet  individuel.  Cela  ne  doit  d'ail- 
leurs pas  trop  nous  surprendre,  car  le  fétiche  est  contemporain  du 
sorcier,  son  prêtre,  le  premier  des  adorateurs  individualistes. 


Il  nous  reste  à  étudier  les  rapports  entre  l'individualisme  et  le 
sociétarisme  religieux,  rapports  incessants  qui  ont  pour  résultat, 
non  sans  de  terribles  chocs,  de  renouveler  Tun  par  l'autre,  surtout 
le  sociétarisme,  et  même  de  l'exalter  en  le  convertissant  en  collec- 
tivisme religieux. 

Les  rapports  de  ces  deux  éléments  contraires  que  nous  observe- 
rons sont  ceux  d'influence,  de  lutte  et  de  conversion  réciproques. 
Quant  à  l'influence  et  à  la  conversion,  elles  s'exercent  de  l'indivi- 
dualisme au  sociétarisme  et  ne  semblent  pas  réversibles. 

L'influencede  l'individualisme  religieux  sur  les  églises  et  plusgéné 
ralement  sur  les  autres  hommes  n'existe  pas  toujours.  A  cet  égard, 
il  faut  distinguer  entre  deux  sortes  d'individualistes.  Les  uns  se 
renferment  en  eux-mêmes,  se  confinent  dans  leur  mysticisme  qui 
reste  perpétuel  ;  ils  ne  cherchent  que  leur  salut,  ou  s'ils  prient  pour 
celui  des  autres,  c'est  en  silence  et  sans  rien  leur  communiquer;  ce 
sont  des  contemplatifs,  jamais  actifs.  Les  autres,  au  contraire,  ne 
veulent  pas  rester  toujours  enfermés  dans  leur  théorie,  quelquefois 
même  ce  sont  des  hommes  d'action  beaucoup  plus  que  de  médita- 
tion, mais  ils  savent  que  la  méditation  retrempe  singulièrement, 
qu'elle  crée  une  grande  force,  et  qu'il  faut  avoir  été  solitaire  pour 
dominer  la  foule,  car  autrement  on  devient  a  son  image  et  l'on  ne 
peut  plus  rien  contre  elle  ni  sur  elle.  Aussi  non  seulement  les  pen- 


OE  LA  GHÂSSERIE.    —  L'jXftlvmUAUSME  RELTCIEU^  275 

iiirs,  mais  les  homnies  sociaux,  ont  été  souvent  solitaires  d'abord, 
toujours  Lat^iLuruGs.  Mats  cet  isolemeût  n'était  pour  eux  qu'une 
transition*  Aussi,  dans  toutes  les  religîonSî  les  missionnaires, 
chargés  de  la  propagande  religieuse  et  qui  exposent  leur  vie,  sont- 
ils  sortis  des  ordres  religieux,  11  en  était  ainsi  déjà  des  missionnaires 
bouddhistes  qui  ont  converti  laChinef  llndo -Chine ,  le  Thibet,  le  Japon. 
De  même,  ce  furent  les  Jésuites  qui  lenlèrentj  au  profit  du  christia- 
nisme cette  fois,  la  conversion  de  la  Chine.  La  religion  en  vigueur 
est  propagée  d'ordinaire  par  des  solitaires»  les  individualistes. 

Mais  c'est  à  eux  qu*est  due  aussi  la  fondation  des  grandes 
religions.  Le  Christ  dut  jeûner  quarante  jours  dans  le  désert,  de 
même  Sakhya-Mouni,  avant  dVntrer  dans  la  vie  active;  Tun  et 
l'autre  renoncèrent  ensuite  à  la  solitude,  à  rascêtisme,  mais  après 
s*y  être  exercés.  De  mème^  le  protestantisme  eut  pour  fondateur  un 
moine,  Luther. 

De  grandes  missions  sociales,  autres  que  celles  exclusivement  reli- 
^iL'Uses,  furent  entreprises  par  des  individualistes,  des  mystiques, 
Ji?anne)  d'Arc  ne  sau%^a  la  France  et  ne  se  mit  à  la  tète  des  armées 
que  parce  qu'elle  avait  puisé  d'abord  dans  des  visions  renlhou- 
Biasme  nécessaire, 

Llnfluence  de  rindividualisme  religieux  a  donc  été  énorme;  soit 
pour  prêcher  les  rehgions,  soit  pour  les  fonder,  soit  pour  les 
détruire,  soit  pour  accomplir  de  grandes  œuvres  patriotiques  ou 
ïminanitaîres.  C'est  qu'il  retrempe  singulièrement  les  esprits,  leur 
cJonne  une  force  inouïe. 

Mais  cette  influence  ne  se  produit  pas  sans  une  lutte  très  vive^  H 
Cette  lutte,  quand  rindividualisme  succombe,  se  change  en  violente 
persécution.  Le  Christ,  dont  la  religion  était  encore  individualiste  en 
ce  moment,  est  mis  en  croix,  Jeanne  d*Arc  monte  sur  le  bûcher;  les 
Albigeois,  les  Vaudois,  les  Protestants  en  France  sont  persécutés 
j»ar  les  Catholiques;  les  sectes  dissidentes  le  sont  en  Allemagne  et 
en  Angleterre  par  les  Protestants,  Setvet,  plus  individualiste  que 
Luther,  est  mis  a  mort  à  son  instigation.  L'histoire  religieuse  est 
remplie  de  ces  révoltes,  de  ces  luttes,  et  du  triomphe  éclatant  ou  de 
la  persécution  de  quelques-uns  dé  ces  individualistes* 

En  lin,  ce  qnll  est  très  inlére^^sant  d'observer,  c'est  la  transition 
par  une  pente  naturelle  de  T individualisme  au  sociétarisme  et  quel- 
quefois même  au  collectivisme  religieux;  de  même  par  la  résurrec- 
lioo  d'un  individualisme  nouveau  à  la  suite  des  excès  ou  des  dépé- 
rissements du  sociétarisme  religieux. 

Le  sociétarisme  n'engendre  jamais  directement  rindividualisme, 
mais  seulement  par  voie  de  réaction  naturelle.  Quand  la  société 


276 


IIEVIB    PIIILOSOPKLQI^E 


religieuse  devient  corrorapue,  les  plus  sincères  religieux  s'éloignent 
d'elle,  et  comme  ils  oe  renoncent  pas  à  la  foi,  il  peut  ne  pas  en 
résulter  d'hérésre»  mais  alors  rérémitisme  est  né.  C'est  ce  qui  eut 
lieu  lors  de  la  vocation  des  premiers  ermites.  Plus  tard  la  corrup- 
tion de  l'Église  causa  par  réaction  la  confession  pmtestânte,  qui  élait 
un  individualisme  doctrinal. 

Au  contraire ,  Tindividualisme  engendre  înseasi blâment  un 
sociétarisme  nouveau.  Nous  avons  vu  que  la  plupart  des  fonda* 
teursde  religions  nouvelles  ont  été  des  solitaires,  des  individualistes 
qui  ont  combattu  les  sacerdoces  établis.  Tel  fut  le  cas  pour  le  Christ, 
pour  Sâkhya-Mouoi  et  plus  tard  pour  Luther.  Ils  étaient  même  loin 
de  s  attendre  à  ce  que  sur  leur  individualisme  il  fût  plus  tard  cons- 
truit une  société  religieuse  nouvelle;  le  Bouddha  s  opposait  formel- 
lement à  la  fondation  de  couvents  qui  pouvaient  produire  un  sacer- 
doce* Cependant  cette  conversion  eut  lieu,  elle  était  inéluctable. 
Toute  institution  passe  de  Tétat  fluide  âTétat  solide. 

La  conversion  de  rindividualisme  en  collectivisme  est  plus 
curieuse  encore,  mais  elle  s*exp!îque  très  naturellement;  nous  avons 
donné  cette  explication  déjà;  il  s'agit  de  Térémitisme  devenu 
monachisme.  Dans  ce  dernier,  le  religieux  perd  toute  autonomie 
par  ses  trois  vœux,  il  vit  en  communauté  étroite  avec  trautres, 
obéit  aveuglément  à  un  supérieur;  il  réalisa?  ce  que  demande  le  col- 
lectivisme social  moderne;  il  perd  jusqu'à  son  nom.  Cependant  il 
dérive  de  Termite;  les  couvents,  les  ordres  religieux,  ne  se  compo- 
sent en  réalité  que  d'une  juxtaposition  d'ermites,  de  solitaires.  Les 
extrêmes  se  touchent.  Ce  qui  est  remarquable,  c*est  que  ces  soli- 
taires constituent  les  sociétés  les  plus  puissantes,  à  moins  que  par 
des  pratiques  trop  régulières  et  mécaniques,  ils  n'effacent  sous  la 
routine  leur  caractère  premier. 

Tel  est  dans  ses  grands  traits  rindividualisme  religieux;  il  ne  joue 
pas  dans  les  sociétés  religieuses  un  moindre  rôle  que  rmdividualisme 
social  dans  les  sociétés  politiques,  il  y  a  souvent  coïncide nce  for- 
tuite ou  noUj  entre  ces  deux  individualismes  ;  c*est  ainsi  que  les 
Anglo -Américains,  individualistes  par  excellence  politiquement  et 
socialement,  sont  aussi  individualistes  religieux  par  leur  protestan- 
tisme et  surtout  par  la  variété  de  leurs  sectes  protestantes.  C'est 
ainsi  que  presque  toutes  les  confessions  dissidentes  aux  diverses 
périodes  de  rhistoire,  fondées  sur  un  élan  d'individualisme  religieux» 
ont  joint  à  leurs  doctrines  des  revendications  politiques  ou  sociales 
dans  le  même  sens;  on  doit  y  voir  un  des  effets  de  t'uûité  de 
chaque  mentalité  Immaine. 

Raoul  de  la  Grassehle. 


LES 


CAUSES  PSYCHOLOGIQUES  DE  L'ABOULIE 


Les  causes  physiologiques  de  Taboulie  sont  inconnues  et  l'on  en  est 
réduit  sur  ce  sujet  à  des  hypothèses  incertaines  et  values.  Mais  si 
nous  ignorons  les  localisations  anatomiques  des  phénomènes  qui  bq 
produisent  dans  cette  maladie  de  la  volonté,  nous  pouvons  du  moins 
essayer  de  saisir  son  mécanisme  psychologique. 


I 

L*atioulique  veut  accomplir  un  acte  et  il  s'aperçoit  qu'il  ne  Taccom- 
plit  pas.  DeUK  idées  sont  donc  nécessairement  présentes  a  son  esprit^ 
l'idée  de  Taete  h  accomplir  et  ridée  opposée  à  cet  acte.  Ici  un  problème 
se  pose.  Cette  idce  de  TtMat  contraire  à  facte,  à  laquelle  M,  IVmlhan  a 
déjà  consacré  un  savant  tnivail,  est-elle  la  cause  de  Taboulie  ou  n'en 
est-elle  qu'un  effet? 

Nous  essaierons  d'abord  de  résoudre  la  question  pour  ce  qui  con- 
cerne les  paralysies  psychiques.  En  procédant  a  cette  étude*  nous  ne 
croyons  pas  sortir  de  noire  sujet.  Qu'est-ce  en  effet  que  raboulie, 
sinon  Timpuissance  de  transformer  une  idée  en  acte  par  suite  de  la 
victoire  des  idées  antagonistes?  Or  ce  double  caractère  de  raboulie  se 
retrouve  dans  les  paralysies  psycJiiques,  du  moins  dans  celles  dofit  on 
a  pu  établir  la  pathogénie  et  qui  seules  nous  intéressent,  d'une  part  idée 
d'un  acte  qu'on  désire  accomplir  et  de  Tautre,  idées  causes  de  la  para- 
lysie s 'opposant  à  Tac  le. 

Ceci  posé,  nous  diviserons  les  paralysies  psychiques  en  deux  caté- 
^ries, 

1"  Certainei  paralysies  psychiques  ont  pour  causes  Tidée  d'un  arle 
dilférent  de  celui  que  le  sujet  a  l'îiiteniion  d'accomplir.  Ainsi,  pour 
citer  un  exemple  entre  bien  d'autres,  une  des  malades  que  M.  Pierre 
Janet  a  étudiées  sous  le  nom  de  Justine»  rêve  la  nuit  qu'elle  déménage 
toon  mobilier,  et  le  lendemain  elle  se  réveilïe  avec  les  bras  contractures, 
dans  ta  position  de  quelqu'un  qui  porte  un  paquet*  La  cause  de  cette 
paralysie  est  Tidée  du  déménagement,  qui^  persistant  sous  une  forme 
plus  ou  moins  consciente,  donne  à  ses  bras  une  attitude  expressive. 
On  voit  qu'ici  l'association  par  contraste  ne  joue  pas  le  rôle  prépondé- 
rant* L'idée  du  déménagement  est  différente  de  l'idée  qui  porte  la 
malade  à  faire  mouvoir  tes  bras,  elle  ne  lui  est  pas  contraire^  L'idée 


i278  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

contraire  est  celle  d'immobilité  pure  et  simple,  qui  est  présente  à  l'es- 
prit de  Justine,  puisque  celle-ci  sait  qu'elle  est  immobile,  mais  qui  n'a 
qu'une  importance  secondaire. 

2°  Il  existe  d'autres  paralysies  psychiques  où  le  malade  est  paralysé, 
parce  qu'il  craint  de  l'être.  Le  caissier  d'une  maison  de  commerce  venu 
en  consultation  à  la  Salpêtrière,  se  plaignait  de  ne  pouvoir  écrire  toutes 
les  fois  qu'il  se  trouvait  en  présence  d*un  client  ^  Dans  ce  cas,  le  rôle 
de  l'association  par  contraste  est  aisé  à  concevoir. 

La  crainte  de  ne  pas  écrire  donne  à  l'idée  opposée  à  l'acte,  c'est-à- 
dire  à  celle  de  ne  pas  écrire,  une  intensité  tellement  vive  que  cette 
idée  se  réalise  et  que  la  paralysie  en  résulte. 

Cette  deuxième  catégorie  de  paralysies  psychiques  nous  amène  à 
l'aboulie.  On  peut  en  effet  se  demander  si  tous  les  cas  d'aboulie  ne  lui 
sont  pas  réductibles.  L'aboulique  a  conscience  de  son  infirmité;  très 
souvent  il  se  la  reproche  comme  une  lâcheté  et  s'en  désole.  Mais  qui 
sait  si  précisément  cette  crainte,  ce  chagrin  qu'il  a  de  ne  pas  vouloit 
n*est  pas  la  seule  cause  pour  laquelle  il  ne  veut  pas?  La  crainte  de  Ti^ 
pas  vouloir,  donnerait  à  l'idée  opposée  à  l'acte  unes!  grande  force ci«® 
l'acte  ne  s'accomplirait  pas.  Il  n'y  aurait  avec  la  paralysie  psychici.'u^ 
qu'une  différence  de  degré  et  non  de  nature.  Dans  la  paralysie  p^ï' 
chique,  l'idée  opposée  à  l'acte  aurait  une  telle  intensité,  qu'elle  imrx^o- 
biliscrait  d'une  manière  absolu  les  organes  moteurs;  dans  l'aboL^li® 
proprement  dite  elle   les   rendrait  seulement  moins   actifs.  Ûan»    '^ 
paralysie  psychique  le  sentiment  d'impuissance  serait  tel  que  le  mal<£><^® 
dirait  :  je  ne  peux  pas;  dans  l'aboulie  il  serait  beaucoup  moins  vif,  ^^ 
telle  sorte  que  le  malade  conservant  encore  la  croyance  à  sa  libcî**^ 
dirait  seulement  :  je  ne  veux  pas. 

Nous  regardons  cette  interprétation  comme  plus  spécieuse  que  soiiàe. 
Sans  doute  dans  l'aboulie  il  y  a  toujours  association  par  contraste; 
l'aboulique,  comme  nous  le  disions  plus  haut,  s'apercevant  qu'il  oe 
peut  accomplir  un  acte,  a  nécessairement  deux  idées  présentes  à  son 
esprit,  l'idée  de  l'acte  à  accomplir  et  l'idée  opposée  à  cet  acte.  Sans 
doute  dans  Taboulie,  tout  aussi  bien  que  dans  la  paralysie  psychique, 
l'idée  opposée  à  l'acte  finit  par  triompher,  puisque  l'acte  ne  s'accomplit 
pas,  du  moins  d'une  manière  complète.  Tout  cela  est  incontestable, 
mais  la  question  est  de  savoir  si  l'association  par  contraste  est  primi- 
tive ou  secondaire,  si  Tidce  opposée  à  l'acte  est  à  elle  seule  une  cause 
suffisante  pour  empocher  l'acte  de  s'accomplir,  si  elle  n'a  pas  besoin 
d'être  accompagnée  soit  d'autres  idées  qui  la  renforcent,  soit  d'états 
affectifs  qui  augmentent  son  intensité. 

Dans  l'aboulie,  l'association  par  contraste  ne  nous  semble  pas  pri- 
mitive. Si  en  effet  la  crainte  d'ôtre  aboulique,  qui  se  réduit,  nous 
l'avons  démontré,  à  une  association  par  contraste,  est  antérieure  à  tout 
acte  d'aboulie,  il  devient  inexplicable  que  cette  crainte  ait  jamais  pu 


1.  Raymond  et  Janet,  Névroses  et  idées  fùres,  l.  II,  p.  397. 


MOUHRE.    —   LRS   CAUSES   PSYCHOLOGIQUES   DE   L*ABOULIË  279 

laîcre.  Comment  une  idée  ^lussî  aubtile  que  celle  d*ètrG  aboulique 
viendrait-eUe  à  resprit  des  malades  qu*on  soigne  à  la  Balpôtricre,  fort 
peu  cultivés  pour  la  plupart?  L*homme  porte  en  lui  la  croyance  pro- 
fonde à  sa  liberté  ;  on  est  déterministe  par  réflexion,  jamais  par  ins- 
|tinct.  Aux  yeux  de  la  masse  des  hommes,  perdre  sa  volonté  est  la 
ijnéme  choBeque  perdre  sa  liberté  et  l'idée  qu'on  peut  perdre  sa  liberté 
ne  naîtra  jamais  dans  un  cerveau  grossier. 

La  vérité  est  qu*un  premier  acte  de  paresse  a  lieu.  A  sa  suite  le  sujet 
eontracte  Tidée  qu*il  est  paresseux  et  cette  idée  rend  plus  difficile  une 
nouvelle  action  qu'il  tente  d  accomplir.  Â  mesure  que  les  itisuccês  se 
multiplient,  Tidée  devient  de  plus  en  plus  intense  et  peut  même  finir 
par  rendre  presque  impossible  tout  effort  volontaire. 

La  crainte  de  ne  pouvoir  agir  transforme  ainsi  peu  a  peu  la  paresse 
en  aboulie.  Elle  n'est  donc  pas  la  cause  de  l'aboulie  tout  entière,  mais 
seulement  de  la  diiïérence  quantitative  qui  existe  entre  la  paresse  et 
l'aboulie.  Or  dire  que  l'association  par  contraste  ou  en  d'autres  termes 
la  crainte  de  ne  pas  agir  n'est  cause  que  d'une  portion  de  l'aboulie^  c'est 
dire  qu'elle  n'est  pas  sa  cause  unique.  Nous  arrivons  de  la  sorte  à  la 
solution  du  problème  que  nous  nous  sommes  posé. 

On  objectera  peut-être  que  le  premier  acte  de  paresse  remonte  aux 
débuts  les  plus  lointains  de  f  enfance,  et  que  depuis,  Tidée  de  paresse 
6*68 1  renforcée  sans  cesse  par  tous  les  échecs  successifs  de  la  volonté, 
de  manière  à  être  dans  Taboulie  une  cause  tellement  prédominante 
que  toutes  les  autres  deviennent  négligeables.  —  Nous  répondrons  que 
chez  tous  les  individus  peu  malades  et  môme  chez  quelques  maladca 
gravement  atteint^^  les  périodes  d* aboulie  alternent  avec  les  périodes 
d'énergie.  L'idée  d'énergie  contractée  au  cours  de  ces  dernières  lut- 
tera contre  fidée  de  paresse,  l'entravera  dans  son  développement  et 
l'empêchera  déjouer  dans  l'aboulie  le  rôle  prépondérant* 


II 


Nous  avons  réduit  à  leur  juste  valeur  les  effets  de  rassociatîon  par 
contraste.  Noua  avons  trouvé  que^  constituant  Tessence  de  certaines 
paralysies  psychiques,  elle  n'avait  dans  Taboulie  proprement  dite 
qu*une  action  beaucoup  moindre  et  n*ctaît  pas  sa  cause  unique.  U 
nous  faut  maintenant  essayer  de  découvrir  les  autres  causes  psycholo- 
giques de  cette  dernière  maladie. 

Nous  commencerons  par  rappeler  une  observation  olinîque  de 
MM.  Raymond  et  Pierre  Janet. 

Un  homme  de  cinquante -trois  ans,  charron  de  son  métier  dans  un 
petit  village,  d'apparence  très  robuste,  vient  en  consultation  à  la  Sal- 
pê trière.  11  y  a  trois  ans  il  fut  atteint  d*une  fièvre  lyphoide  fort  grave. 
A  la  suite  de  cette  maladie,  cet  homme  se  plaignit  d'avoir  perdu  sa 
Tolontét  et  depuis  il  ne  Ta  pas  encore  recouvrée.  L'Intelligence  et  la 


â80 


REVUE  PHlLOSOPHiQUE 


mémoire  sont  pourtant  reatéesi  iataotea;  les  forces  physiques  sont 
complèteraent  revenues,  les  seaaibiîités  sont  normales.  L'appétit  est 
bon,  quoique  les  digestions  soient  un  peu  laborieuses  et  que  le  maïade 
soit  aHligé  d'une  constipation  opmîâtre.  Ccluî-cl  s'îndigoa  de  se 
trouver  si  paresseux.  «  Tu  vois  cette  planche,  se  dit-il  à  lui -même» 
eh  bien  tu  vas  en  scier  cinquante  centimètres  ou  sinon  tu  ne  dineraa 
pas.  »  Et  il  n'arrive  pas  à  en  scier  plus  de  dix  et  en  s'y  reprenant  k 
vingt  fois  K 

Remarquons  d*abord  qu'à  en   croire  le  langage  du  sujet  observé.  \i 
désir  d'agir  parait  intact.  Il  s'injurie,  il  ^q  dit  -  n  Tu  ne  dîneras  pm,  si 
tu  ne  scies  pas  cette  planche  »,  De  plua^  d'où  pourrait  venir  Fabsenee 
de  d*isir?  Quand  l'organisme  est  aîTaibli,  quand  les  réactions  s'y  accoci- 
plissent  miil,  les  désirs  sont  amoindris;  nous  parlerons  plus  tard  de 
cette  dépression  physique.  Dans  le  cas  présont  il  y  aurait  peut-être  lïew 
d'incriminer  les  troubles  digestifs,  mais  ces  troubles  paraissent  acce^g- 
soires.  On  pourrait  encore  soutenir  qu'il   peut  y   avoir  absence  c^ti 
désir»  sans  que  les  procédés  actuels  de  la  stîience  permettent  de  rr^-n- 
atater  aucun  trouble  apparent  dans  Torganisme,  mais  c'est  là  unebj  çdo 
thèse  bien  douteuse. 

L'absence  de  désirs  n'a  pas  non  plus  chez  notre  malade  de  eata.  ^^s 
psychiques.  On  verni  plus  loin  qu'un  grand  chagrin,  qu'une  émot  ioû 
vive  peut  éteindre  non  seulement  lea  désirs,  mais  aussi  tous  les  se  «Jii- 
ments  affeutifs.  Ici  ce  n*est  certainement  pas  le  cas^ 

La  climinulion  de  la  sensibilité  n*est  donc  pt  abablement  pas  chez  c& 
charron  la  cause  prépondérante  de  Tabou  lie  et  il  faut  chercher  mine 
autre  explication. 

Tout  le  monde  sait  que  la  volition  inïplique  un  effort  souvent  ton 
pénible,  quoique  la  fatigue  soit  d*une  autre  nature  que  dans  TefTort 
musculaire.  Nous  croyons  pour  notre  part  que  ce  sentiment  de  relfort 
volontaire  est  le  résultat  d'un  proceissus  physiologique  encore  inconnu. 
Or  ne  peut-on  pas  admettre  que  pur  suite  d'une  lésion  ou  d'un  troubk 
organique  quelconque  des  centres  qui  président  à  la  fonction  \cku- 
taire,  ce  processus  physiologique  s'accomplisse  avec  plus  de  diflîcuUé 
qu'auparavant,  et  soit  accompagné  d'une  fatigue  plus  intense,  rendant 
le  malade  peu  enclin  à  vouloir?  Ferrier  a  émis  Thypothèse  vraisem- 
blable que  dans  les  circonvolutions  frontales  se  trouvaient  des  cenlrci 
d'arrÊt  pour  les  opérations  intellectuelles;  il  doit  aussi  exister  dans  le  , 
cerveau  des  centres  de  coordination  des  idées  rendant  les  voUtions 
po.'ïsibles  et  eflicaces.  Qui  sait  si  dans  Texemple  choisi  ces  centre»  ne 
seraient   pas  atteints?    Et   ce  qui    rend   cette  supposition   plausible, 
c'est  que  la  perte  de  la  volonté  date  d'une  fièvre  typhoïde  qui  a  pu 
causer   des  lésions^  des  paralysies  ou  des  atrophies  plus  ou   moins 
durables* 

La  cause  psychologique  de  Taboulie  serait  donc  la  dilûculté  de  Tef- 

L  Raymond  et  Janet,  AViro^ej  et  idtfes  fijteM^  [.  11,  p,  29. 


MOURHE, 


LES    CAUSES  PSYCHOLOGLdUE^S  M   L'ABOCLÎE 


281 


fort  volontaire  et  la  causé  physiologique  un  Êrouble  organique  du  cer- 
veau dont  la  localisation  est  inconnue. 

Notons  que  chez  certains  abouliques,  rînten^Ué  du  désir  se  manifeste 
souvent  par  la  Bomme  d'énergie  considérable  qu'ils  déploient  pouf 
accomplir  un  acte  et  qu^on  peut  reconnaitre  h  la  fatigue  qirexprime 
leur  viaage*  Ainsi  le  malade  de  Billod  ayant  une  aîgniiture  à  donner 
exécute  dans  le  vide  les  mouvements  nécessaires  pour  le  paraphe  sans 
pouvoir  réussir  à  appliquer  sa  plume  sur  le  papier»  il  s'épuise  et  «  sue 
sang  et  eau  »».  Cette  fatigue  n*eat  pas  nécessairement  J 'indice  d*uii 
trouble  organique  rendant  l'effort  plus  dinicile;  il  faut  se  souvenir  que 
dans  la  paralysie  psychique,  comme  d'une  part  Tidée  opposée  à  Pacte 
est  toujours  très  forte,  comme  de  l'autre  le  désir  de  Taete  peut  être 
très  vif,  cette  lutte  entre  deux  états  contraires  donne  lieu  parfois  k 
un  effort  înfructueuTt,  mais  intense,  C'est  en  interrogeant  le  malade 
sur  ses  antécédents  psychologiques  et  physiologiques  que  le  médecin 
déterminera  t1!  se  trouve  en  face  d*un  trouble  fonctionnel  ou  d^une 
simple  paralysie  psychique. 

Toutefois,  El  les  altérations  de  la  sensibilité  ne  jouent  parfois  aucun 
ruie  dans  l'aboulie,  il  n'en  est  pas  toujours  ainsi.  Nous  allons  étudier 
l'aboulie  dans  ^es  rapports  avec  les  états  affectifs  et  pour  cela  nous 
distinguerons  deux  cas. 

Premîr*rca8,  — Souvent  on  ne  peut  accomplir  l'acte  qu'on  sent  utile, 
parce  que  la  jouissance  qu'on  trouve  dans  Tétat  présent  empêche  de 
sortir  de  cet  état.  Il  y  a  alors  lutte  entre  deux  idées  contraires;  Tidée 
d*un  acte  désiré  à  cause  de  l'utilité  qu'il  présente,  l'idée  opposée  à  Tacte^ 
renforcée  par  un  sentiment  affectif  agréable.  Si  une  lutte  semblable  se 
renouvelle  trop  fréquemment  chez  un  même  individu,  elle  alïecte,  parle 
furtmêrae,  un  caractère  morbide.  Les  gens  qui  causent  toute  la  journée 
et  ni^gligent  leurs  affaires  nous  offrent  un  type  de  ce  cas  :  quand  le 
goût  du  bavardage  s'exagure»  il  rentre  dans  le  domaine  de  la  paLho- 
logie.  Voici  encore  un  autre  exemple^  Une  personne  passe  un  temps 
très  Jong  avant  de  se  décider  à  sortir  du  Ht;  elle  se  lève  enfin»  mais 
s'aperçoit  qu'elle  a  fait  erreur  sur  T heure  el  qu'il  est  un  pou  plus  tut 
qu'elle  ne  pensait;  elle  sait  q*ic  sa  présence  hors  du  lit  est  utile,  mais, 
trouvant  qu'elle  peut  à  la  rigueur  y  rester,  elle  se  recouche.  On  voit 
d'une  part  qu'elle  éprouvait  du  plaisir  à  rester  couchée,  puisqu'elle  se 
recouche  et  on  peut  Induire  avec  vraisemblance  que  ce  plaisir  dç%'ait 
contribuer  beaucoup  k  l'empêcher  de  se  lever;  on  voit  d'autre  part  que 
cette  paresse  excessive  a  quelque  chose  de  pathologique. 

Deuxième  cas.  —  Supposons  au  contraire  que  cette  personne,  auUcu 
de  se  recoucher,  après  s'être  trompée  sur  l'heure,  reste  levée»  La  cause 
de  raboulie  n  est  évidemment  plus  le  plaisir  du  lit*  Elle  peut  être  ua« 
de  celles  que  nous  avons  signalées  plus  haut,  trouble  organique  du 
cerveau  ou  paralysie  psychique,  mais  elle  peut  être  aussi  la  niédioare 
iotensité  des  désirs  dont  M,  Ribot  a  fait  ressortir  toute  l'importance. 

«  Ce  qui  est  atteint  dans  l'aboulie,  dit  cet  auteur,  c'est  la  vie  affec- 


282  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

tive,  la  possibilité  d*ètre  émue.   Les  malades  ne  font  pas  les  actes, 
parce  qu'ils  ne  les  désirent  pas  sufïïsamment  »  ^ 

M.  Ribot  cite  à  Tappui  de  sa  thèse  le  témoignage  d*une  jeune  Ita- 
lienne soignée  par  Billod  et  celui  de  deux  malades  d'Esquirol  dont 
l'un  dit  que  ses  «  sensations  sont  trop  faibles  pour  exercer  une 
influence  sur  sa  volonté  »  et  Tautre  constate  que  dans  chacun  de  ses 
actes  «(  il  manque  quelque  chose,  à  savoir  la  sensation  qui  leur  est 
propre  et  la  joie  qui  leur  succède  »  '. 

Malheureusement  les  observations  cliniques  ne  sont  ni  assez  nom- 
breuses, ni  assez  nettes  pour  étayer  d'une  manière  inébranlable  la 
théorie  qui  voit  dans  la  faiblesse  des  désirs  une  des  causes  principales 
de  Taboulie.  Il  serait  peut-être  plus  sûr  de  recourir  à  Tobservatioa 
interne.  C'est  d'ailleurs  ce  qu'a  fait  Tauteur  précédemment  cité.  Chacun 
de  nous,  dit-il,  peut  se  représenter  Tétat  d'aboulie  :  «  car  il  n*est  per- 
sonne qui  n'ait  traversé  des  heures  d'affaissement,  où  toutes  les  inci- 
tations, extérieures  et  intérieures,  sensations  et  idées  restent  sans 
action,  nous  laissent  froids.  C'est  l'ébauche  de  Taboulie.  Il  n'y  a 
qu'une  différence  du  plus  au  moins  d'une  situation  passagère  à  un  état 
chronique  »  ^. 

Cette  théorie  a  en  outre  l'avantage  d'expliquer  certains  faits  qui 
demeurent  obscurs,  si  Ton  a  recours  à  une  autre  interprétation!  par 
exemple  celui  que  nous  allons  citer. 

M.  Pierre  .ianet  fait  la  suggestion  suivante  à  Marcelle  pendant  quelle 
est  endormie  :  «  Quand  je  frapperai  sur  la  table,  vous  prendrez  ce  cha- 
peau et  vous  irez  l'accrocher  à  une  patèro.  »  Cela  dit,  je  la  réveille 
bien  complètement;  quelque  temps  après,  je  l'interpelle  comme  pour 
lui   demander  un  petit  service  :  «  Mademoiselle,  vous  devriez  bi*^ 
enlever  ce  chapeau  qui  me  gêne  pour  écrire  et  le  mettre  sur  une 
patère.  —  Je  ne  demande  pas  mieux  »,  dit-elle.  Et  la  voici  qui  essaî^ 
de  se    lever,  se  secoue,  étend  les  bras,  a   des  mouvements  incoo^' 
donnés,  se  rassied,  recommence,  etc.  Je  la  laisse  travailler  ainsi  vinS^ 
minutes...  Puis  je  frappe  un  coup  sur  la  table.  Aussitôt,  elle  se  l^''® 
brusquement,  prend  le  chapeau,  l'accroche,  et  revient  s'asseoir,  Va»^^ 
est  fait  par  suggestion  en  un  instant,  il  n'avait  pu  être  fait  par  volol^^^ 
en  vingt  minutes  »  *. 

Comment  interpréter  ce  fait?  A  l'état  de  veille,  une  idée,  bien  qu'e^^^ 
ait  par  elle-même  une  tendance  à  s'exprimer  par  un  mouvement-»  t 
presque  toujours  besoin  pour  cela  d'être  accompagnée  d'un  état  affec^^ 
qui  la  renforce.  Aussi  chez  Marcelle,  les  désirs  étant  trop  faibles,  '^  ^ 
idées  ne  se  réalisent  pas.  Pendant  l'hypnose  au  contraire,  grâce  à 
concentration  de  l'attention,  les  idées  sont  non  seulement  assez  for  '^  * 
pour  passer  à  l'acte,  malgré  l'absence  d'états  affectifs,  mais  même  pC^  * 

1.  Ribot,  Maladies  delà  volonté,  1883,  p.  50. 
2,lbid.  id.,  1889,  p.  50. 

3.  Ribot,  Maladies  de  la  volonté,  p.  53. 

4.  P.  Janel,  Névroses  et  idées  fixes,  t.  I,  p.  11. 


MOURRE.   —   LES  CAUSES   PSyCHOLOGlQUËS   DE   L  ADUUUE 


383 


I 


COTia^i^^ver  leur  întensîté  après  le  réveiL  C'est  ce  qui  explique  pourquoi 
Maro®  lie  prend  le  chapeau,  quand  elle  exécute  cet  acte  par  sugu:eation. 
Si   ».  wa  contmire  on  regarde  seulement  l'aboulie  comme  un  aiïatblia- 
Kmerit;   du  pouvoir  de  synthèse,  sang  remontera  sa  cause  fondamen- 
tale,    l^^  faiblesse  des  désirs,  il  devient  fort  difficile  d'explîqu(*r  le  fait 
obserxrê  par  M.    Pierre  Janet,   Pourquoi  les   facultés   synthétiques  du 
malad^^  disparues  penrlantia  veille,  ne  retrouvent-elles  pendantl'hyp- 
noee?   ÉSelon  M.  Janel,  si  Marcelle  accomplit  si  facilement  les  actes  sug- 
gérés,   c'est  que  ces  actes  se  passent  dans  une  conscience  absolument 
rï^tréuie,  qu*ib  n'exigent  pas  la  synthèse  de  tous  les  détails   devenus 
inconscients  pour  la  plupart,  qu'ils  ne  se  rattachent  pas  eu  un  jnot  à  la 
personnalité  de  la  malade,  «  Marcelle  vient  de  prendre  un  coupe-pupicr 
par  suggestion  et  je  la  félicite  de  ses  mouvements  rapides.  —  Ce  n'est  pas 
°J<^t,  clît-elîe  d'un  air  boudeur,  w  A  notre  avis,  le  manque  de  personnalité 
fïest  pas  la  cause  qui  facilite  les  mouvements,  elle  prouve  seulement  que 
Je  s  ^«3  tes  suggérés  n'éveillent  pas  chez  le  malade  de  sentiments  affectifs. 
^^    d'ailleurs  il  en  était  toujours  ainsip  Tiriduence  de  la  auggeslion 
^"Cimentanément  asse^  active,  ne  tarderait  pas  à  disparaître.  Les  hyp- 
nt>t.is^squi  n'éprouvent  pour  leur  endormeur  ni  amour,  ni  crainte. 


éa^ 


■^ppent  facilement   à   son   empire.   C'est  là    une  découverte  dont 


ï^ierre  Janet  a  enrichi  la  science  psychologique  et  qui  confirme 
"  ^1*^  manière  de  voir.  Elle  montre  en  etïet  le  rôle  considérable  de  la 
^  ^*^il)ilité  dans  tous  les  phénomènes  volontaires, 

Itfe jîijifqQQns  d'ailleurs  que  la  théorie  qui  voit  dan^  la  faiblesse  des 

^^î^sune  des  causes  principale.s   de  TabouSie  est  d'une  appîiealian 

pi^iuis     fréquente  qu'on  ne  pourrait  le  croire  au  premier  :ibord*  M.  Ilibot 

fS^-tt   observer  que  les  abouliques  qui  affirment  leur  désir  intense  d*aL''ir, 

dCM\t    souvent  le  jouet  d'une  illusion^  que  Tintonsité  du  désir  est  chose 

^ôiit^  felative,  que  «  dans  cet  état  d* apathie  g-énérule,  telle  impulsion 

Ciui   l^ur  parait  vive  est  en  fait  au-dessous  de  l'intensité  moyenne,  d'où 

1  ^^a^tjîtîùn  »  '.  Cette  explication   rend  compte  d*un  grand  nombre  de 

*^^'    CJu  peut  encore  ajouter  que  les  abouliques  doivent  être  souvent 

oupc^as  non  seulement  de  leur  conscience,  mais  aussi  de  leurs  habi- 

lud^^  antérieures  de  sentir  et  de  s'exprimer.  Ainsi  une  perisonne  sHnte- 

rÊss^^  vivement  à  un  projet»  Une  fois  frappée  d*aboulie,  elle  sent  qu'elle 

I*  ^*y  intéresse  plus,  mais  ne  voulant  faire  cet  aveu  ni  à  elle-même, 

il  3*ia.x  autres,  elle  continue  à  dire  qu'elle  s*y  intéresse. 


in 


1^3  rapports  de  Taboulie  et  de  la  sensibilité  sont  maintenant  établis, 
i^iiis  quclïes  sont  les  causes  de  l'absence  de  désirs?  ^ —  Elles  peuvent 
^tr^^  tantôt  purement  organiques,  tantôt  purement  psychiques. 


1.  ftibot,  Maîadks  de  in  volonté,  p.  S3, 


284  REVUE   PUILOSOPHIQUE 

Des  causes  physiologiques  nous  n'avons  rien  à  en  dire;  elles  ne  nous 
sont  pas  connues  d'une  manière  précise.  Les  causes  psychiques  sont 
presque  toujours  des  contrariétés,  des  chagrins  qui  produisent  une 
profonde  dépression  morale  et  font  prendre  la  vie  en  dégoût. 

Mon  arc,  mes  javelots,  mon  char,  tout  m'importune, 
Je  ne  me.  sou  viens  plus  des  leçons  de  Neptune, 
Mes  seuls  gémissements  font  retentir  les  bois 
Et  mes  coursiers  oisifs  ont  oublié  ma  voix. 

Comment  ces  causes  psychiques  agissent-elles?  D*abord  le  malade 
découragé  a  l'idée  que  tout  ce  qu'il  entreprend  est  inutile.  A  quoi  bon 
agir?  A   quoi   bon  vivre?  Cette  idée  d*inu(i7i^é  est  plus  ou  moi  ri* 
avouée,   plus  ou  moins  consciente,  mais  elle  n'en  existe  pas  moiris. 
Peu  importe  d'ailleurs  son  degré  de  conscience.  C'est  un  fait  acquis  ^ 
la  psychologie  que  la  force  et  Tefficacité  d'une  idée  ne  tiennent  pas  * 
la  vivacité  avec  laquelle  elle  apparaît  dans  la  conscience. 

En  plus  de  cette  idée  d'inutilité  qui  s'attache  à  tous  ses  actes,      ^^ 
malade  éprouve  un  sentiment  de  tristesse  qui  agit  non  seulement    ^^ 
renforçant  l'idée  d'inutilité,  mais  aussi  en  activant  par  lui-même      ^® 
désagrégation  mentale.  Cette  intluence  dissolvante  de  l'émotion  n'^^* 
plus  une  hypothèse,  c'est  une  vérité  démontrée  que  M.  Pierre  Jane^   ^ 
fort  bien  mise  en  lumière  dans  son  beau  travail  sur  VAutomaih'^^''^^ 
psycliologique.  «  L'émotion,  dit-il,  rend  les  gens  distraits,  bien  pi  ^* 
elle  les  rend  quelquefois  anesthésiques  soit  passagèrement,  soit  d'ix^^ 
façon  permanente...  J'ai  constaté  que  chez  des  hystériques  en  voie    ^^ 
guérison,  toute  émotion  subite  ramène  des  anesthésies.  En  un  m^^ 
l'émotion  a  une  action  dissolvante  sur  l'esprit,  diminue  sa  synthèse  ^^ 
lo  rend  pour  un  moment  misérable  »  ^ 

Après  ce  que  nous  venons  de  dire,  on  peut  comprendre  comment 
chez  les  abouliques  la  faiblesse  des  désirs  peut  se  concilier  avec  une 
émotivité  excessive.  L'une  est  souvent  la  conséquence  de  Tautre.  Les 
nialudos  éprouvent  à  un  haut  degré  un  sentiment  quelconque  de  colère 
ou  do  chagrin  par  exemple  qui  accapare  toute  leur  énergie  affective  et 
leur  enlève  la  possibilité  d'être  émus  par  aucun  objet,  sinon  celui  de 
lour   préoccupation.    «    Il  me  semble,  dit    une   malade  observée   par 
MM.   Kuymond  et  Janet,  que  je  n'aime  plus  personne  :  mon  mari  et 
mou  garçon  me  sont  sortis  de  l'idée  et  je  n'éprouve  ni  plaisir  à  les  voir, 
ni  poino  à  les  quitter,  moi  qui  me  suis  tant  désolée  autrefois  quand  il 
m'a  fallu  vendre  ma  boutique  !  Tout  pourrait  bien  brûler  aujoud'hui, 
oolu  m'oMt  égal  »  '^. 

NoUM  avons  terminé  cette  étude  rapide  des  principaux  phénomènes 
do  l'ahoulie.  Il  n'est  qu'une  dernière  remarque  à  faire  :  c'est  que  les 


I.  IMorro  Juncl,  Automatisme  psychologique,  1889,  p.  457. 
U.  U«i>nioutl  «•!  Javrt,  Sévroses  cl  idées  fixes,  t.  II,p.  45. 


MOURRE.   —  LES  CAUSES  PSYCHOLOGIQUES  DE  l'aBOULIE  285 

ivisions  que  nous  avons  données  n^ont  rien  d^absolu.  On  peut  très  bien 
oncevoir  des  abouliques,  et  il  en  existe  certainement,  qui  sont  atteints 
la  fois  de  paralysie  psychique  plus  ou  moins  apparente,  d*un  trouble 
Dnctionnel  du  cerveau,  d*une  tendance  excessive  à  se  complaire  dans 
état  présent,  de  sensibilité  insuffisante,  résultant  soit  de  causes  orga- 
niques, soit  de  causes  psychiques.  Quant  aux  distinctions  que  nous 
ivons  faites,  elles  peuvent  paraître  trop  nombreuses  et  trop  subtiles, 
^ous  avons  du  moins  deux  excuses  :  c'est  d'abord  que  pour  analyser 
l  faut  diviser,  c'est  ensuite  que  toute  distinction  psychologique  cor- 
espond  à  une  distinction  physiologique. 

Baron  C.  Mourre. 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


I.  —  Philosophie  générale. 

M.  M.  Philippof.  Philosophia  dieistvitelnosti.  (La  philosophie 
de  la  réalité),  t.  II,  in-8,  il78  p.,  Saint-Pétersbourg. 

Nous  avons  déj«à  parlé  de  la  première  partie  de  emportant  travail  de 
M.  Philippof*.  L'auteur  vient  de  faire  paraître  le  second  volume  de  sa 
Philosophie   de   la  réalité.    Évolutionniste  convaincu,   M.  Philippof 
pense  que  Tontologie  même  est  le  produit  d'une  longue  évolution;  \\ 
trouve  aussi  que  la  métaphysique  du  moyen  âge  se  rapproche  beauca\ip 
plus  de  la  vie  réelle  de  cette  époque  qu'on  ne  le  croit  ordinairement. 
La  fameuse  controverse  entre  les  nominalistes  et  les  réalistes  du  moyen 
âge  n'est  autre  chose  que  la  lutte  de  la  libre  pensée  contre  l'autorm  té; 
c'est  l'individualisme  qui  commence  la  guerre  contre  la  hiérarchM.  îe  : 
voilà  le  vrai  sens  de  la  polémique  d'un  Roscellin  ou  d*un  Abél^^rd. 
Passant  des  controverses  scolastiques  aux  questions  plus  récem.  tes, 
l'auteur  trouve  que  l'individuel  n*est  pas  en  contradiction  avecri^ni- 
versel  ;  il  en  fait,  au  contraire,  le  fond.  L'espèce  n'est  que  la  somme  des 
variations  individuelles.    Il  n'existe  pas  d'archétypes  antérieurs  bux 
individus,  comme  le  croyait  le  célèbre  anatomiste  Owen  et  comme  In- 
firme encore  aujourd'hui  Max  Millier;  mais  les  variations  individueiies 
en  s'intégrant  deviennent  typiques.  Poursuivant  cette  idée,  l'auteur 
arrive  à  l'analyse  de  «  la  crise  de  la  métaphysique  »,  il  rejette  la  solu- 
tion de  Platon  et  aboutit  logiquement  à  l'idéalisme  critique  de  Kant. 
Pour  Kant,  la  raison  n'est  qu'un  principe  a  régulatif  »,  systématisant; 
quand  la  raison  devient  constructive,  quand  elle  commence  à  créer  des 
concepts  nouveaux  en  leur  imputant  l'objectivité,  elle  n'arrive  qu'à  la 
construction  des  mirages.  C'est  la  partie  critique  de  l'idéalisme  kan- 
tien; mais  il  en  a  aussi  du  dogmatisme.  Kant  rejette  le  principe  «  éco- 
nomique »  de  la  pensée  qu'il  avait  reconnu  avant  Mach  et  Avenarius. 
D'après  Kant,  la  classification  naturelle  est  basée  sur  le  principe  trans- 
cendental  à  prioriy  qui  n'est  pas  le  résultat  de  l'expérience,  puisqu'au 
contraire  c'est  lui  qui  rend  l'expérience  possible.  C'est  le  dogme  que 
réfute  M.  Philippof.  «   Le  principe  a  priori,  dit-il,  dont  parle  Kant, 
n'aurait  pas  de  sens  s'il  n'était  basé  sur  l'expérience.  Le  même  argu- 
ment est  appliqué  au  principe  de  la  spécification  et  troisième  principe 
transcendantal  de  Kant  celui  delà  continuité.  Pour  Kant  la  maxime 

i.  Revue  philosophique^  novembre  1896. 


ANALYSES.  —  M.  mn  LIPPU  F.  PhUosophîa  diehtvitêlnosti    287 

scolastique  Natura  non  facil  sMus  n'est  qu'une  idée  pure;  M.  Phiiippof 
considère  la  non-concordance  de  cette  idée  avec  les  faits  biologiques 
dont  parle  Kant.  comme  Teffet  du  principe  de  divergence,  élucidé  par 
Darwin.  M,  Phiiippof  n'est  pas  cependant  darwiniste  dans  le  sens 
strict  de  ce  mot;  il  est  plutôE  néo-lamaivklen.  Il  consaure  quelques 
chapitres  à  la  rériitation  dca  théories  de  Weîsmann  et  de  ses  disciples 
relativement  à  «  romnipotenco  de  la  sélection  naturelle,  u  L'auteur 
applique  le  mèmepoint  de  vue  lamarckien  à  révolution  psychologique, 
il  discute  avec  Valdéniar  Wagner,  Tauteur  de  la  Zoopsijcholotjie^ 
Wagner  considère  les  araignées  et  les  insectes  comme  des  nutornates. 

M.  Phïlippofp  se  basant  sur  la  philogénie  même  des  vertéhrés  ahial 
que  sur  jes  données  de  ranatomie  comparée^  soutient  la  thèse  de  la 
similitude  essentielle  des  instincts  dans  le  monde  animal  enUer, 
L'action  instinctive  est  déterminée  par  deux  conditions  :  eîle  est  auto- 
matique comme  voUlion,  mais  en  même  terapa  étroitement  liée  à  la 
perception  cont;ciente.  M.  Phiiippof  a  fait  des  expériences  eurrurai- 
^néeEpeim  dtadtnna,  et  il  a  constaté  que  e^  construction  est  automa" 
tique,  mais  cela  ne  la  prive  pas  d'une  certaine  initiative,  quand  elle  est 
obligée  de  travailler  dans  des  conditions  imprévues.  Quant  aux  four- 
mis et  abeilles^  M.  Phiiippof  se  base  sur  les  expériences  de  M.  Wagner^ 
qui  A  «  décapité  u  ces  insectes  pour  étudier  le  rùle  de  leur  centre  ner- 
veux principal,  analogue,  mais  non  homologue  au  cerveau  des  verte» 
brés.  L*auteur  eat  d^iccord  avec  rémjiieut  neuropathologue  russe, 
M*  Bechterev,  que  lorsque  le  système  nerveux:  central  se  ditïérencie 
el  en  même  temps  s'intègre,  les  fonctions  psychiques  appelées  con- 
scientes s'attachent  à  des  centres  spéciaux^  tandis  que  les  autres  con- 
scients, deviennent  sous-conscients  et  enfin  se  transformenten  centres 
des  actions  inconscientes  purement  réllexes.  C'est  pourquoi  une 
mouche  déçapilée  se  comporte  presque  comme  une  mouche  intègre; 
tandis  qu'une  fourmi  dont  le  «  cerveau  »  ou  le  ganglion  principal  est 
beaucoup  plus  dlfférenciép  devient,  décapitée,  presque  aussi  automate 
comme  un  oiseau  privé  des  hémisphères. 

L'évolution  biologique  et  pHvchologique  nous  amène  à  révolution 
des  sociétés  animales  et  k  celle  des  sociétés  himiaines.  M,  Phiiippof  ne 
dit  pas,  avec  Marx^  que  n  le  matérialiâmo  économique  explique  1  his- 
toire "N  mais  il  voit  pourtant  dans  le  principe  écoeoniique  le  facteur  le 
plus  important  de  i1jtF§toire  de  rhumanité  et  dont  le  rôle  croit  quand 
nous  arrivons  aux  temps  modernes. 

L*auteur  se  demande  si  les  lois  de  notre  vie  sociale  sont  de  vraies 
lois/  Cette  question  se  rattache  à  l'antinomie  cétôbre  du  libre  arbitre 
et  de  la  nécessité;  Kant  a  posé  la  question,  il  ne  Ta  pas  résolue. 
M,  Phiiippof  croît  que  non  seulement  le  libre  arbitre,  mais  aussi  la 
nécessité  absolve  n'est  qu*un  mirage.  Si  Ton  reste  dans  le  domaine  de 
la  science,  on  ne  trouve  qu'un  arbitre  relatif  et  uno  nécessité  relative, 
cela  veut  dire  déterminée  par  les  conditions  extérieures,  11  réfute  les 
théories  subjectivistes  du  progrès,  H  croit  que  c'est  la  contrainte,  la 


288 


RBVUB   PHIIUSOPBIQIÎE 


force  extérieure  qui  est  TopiiosUion  de  la  %'olonté  libre.  Le  fatal ïs ri** 
n'est  qu'un  fantôme,  La  théorie  juridique  de  la  société,  u'esl-â'di'*^ 
la  société  n'existant  que  grâce  aux  normes  législatives  ou  quasi- Jé^'^' 
latîves.,  n'a  pas  de  raison  d*être;  au  coutraire,  la  théorie  de  la  toi  iijf  ^** 
FC/7e  des  philosophes  duxviii'  Ê^îêcle»  la  dialectique  sociale  de  Roussel '^^ 
peut-être  unie  aux  nouveaux  principes  scienttiiquea  et  sociologiqu 


^« 


La  faute  de  Rousseau  est  de  chercher  T idéal  dans  la  vie  pnmitiV^ 
mais  les  traits  principaux  de  cet  idéal  peuvent  être  concilii^s  avec 
science  moderne.  Le   progrés    n'exclut  pas  riutêt^^Hté  de  rîmlivid*- 
M,  Philippof  trouve  que  n  le  progrès  industriel  de  notre  siècle  a  por  ^ 
ses  bons  fruits  m*  Nous  ne  pouvons  pas  être  itn  d'accord  avec  rhonorala  J 
auteur.  Où  danc  sont-ils,  ces  *  bons  fruits  o'?  Est-ce  le  paupérisme  di^ 
masses  qui  aus^menteà  mesure  que  grandit  n  le  progrès  industriel  ►- 
Le   fl  capitalisme,  poursuit   l'auteur,  est   démocratique,  malgré  luS 
même  iK  Cet  aphorisme  demande  à  être  démontré.  Nous  pensons  a 
contraire  que  le  capital  n'est  jamais  démocratique,  il  absorbe,  parRâc 
lyse  toutes  les  forces  libres  et  démocratiques,  il  tente  toujours  ver~ 
rexclusivisme,  vers  Tabsolutisme,  il  domine  le  travail;  le  capitales 
ie  meilleur  soutient  des  gouvernements  despotiques*  n  Dire  que  Tévc 
lution  industrielle  est   la  seule  base  de  la  réforme  sociale,  contini^ 
M,  Philippof,  ce  n*e8t  pas  prêcher  Tindifrérentisme  moral  »,  Nous  iv 
pouvons  pas  considérep  lYvolution  industrielle  comme  la  seule  ba^ 
de  la  régénération  soc  iule.  Le  premier  jalon  de  toute  rénovation,  ind 
viduelle  ou  sociale,  est  la  conmience  et  la  morale,  non  pas  la  mora 
conventionnelle,  mais  la  morale  intérieure.  Or,  le  capital  démoralii^ 
il  engendre  la  lutte  et  la  haine.  Le  capitalisme  et  l'amour  sont  iaeoi^ 
patibles*  Ce  n'est  pas  i'évoîution  industrielle,  c'est  la  conscience,  e"^ 
l'amour  qui  peuvent  aider  la  résolution  des  grands  problèmes  soclau,- 
que  Je  xix^  siècle  lègue  aux  générations  futures. 

Nous  regrettons  que  le  manque  de  place  ne  nous  permette  pas  d'ai^ 
lyser,  selon  son  mérite,  Touvr^ige  de  M.  Philippof*  Son  travail  co^ 
ficiencieux  enrichit  laphiio^ophiû  russe* 

OSSIP-LOURIÉ. 


»^ 


Ch,  Horion,—  RSSAI  DE  SVNTïïÈSI  KVOLOTIOKmSTE  00  WONALlSTi^. 

Scienct\  philosophie,   métaphysique,  religion.    476  p,    in-8,    Par   ^ 
F.  Alcan.  Bruxelles ,  H.  Lamertin,  1900. 

U*  Ch.  Horion^  mort  il  y  a  quelques  mois^  à  Tâge  de  soixante-ns^  ^ 
ans,  était  un  médecin  de  Liège,  docteur  en  sciences  naturellea. 
publia  de  nombreux  travaux  de  géologie^  de  chirurgie,  de  médecir^  ^ 
s'intéressa  dès  sa  jeunesse  aux  beaux-arts,  et  réunit  différentes  cc^^J 
kctionsqu^il  a  léguées  à  la  ville  de  Liège;  la  philosophie,  la  sociolo^* 
Toccupèrent  aussi  et  lui  ont  inspiré  plusieurs  ouvrages,  outre  celui  q  *^ 
parait  aujourd'hui,  après  sa  mort,  et  quil  appelle  :  Testament  phit^^ 
SùphiquCt  examen  de  conscience* 


Jï 


,A.NALYSES.  —  CH.  jiORïON,  Essat  de  synthèse  évalutionnisie  289 

J^«    Teêiament  pltilosophiquet  essai   de   synthèse   évoîtitioanUte  et 
C7Z~ia!tste,  témoigne  du  goût  de  Tauteur  pour  les  grandes  questions  de 
1^     p  liitosophie.  Il  prouve  de  vastes  lectures,  des  cor  naissances  étendues 
f^     -V".©.rîée3,  avec  le  souoi  de  Tunification  et  de  la  coordination.  II  n*est 
^      sans  indiquer  une  intelligence  intéressante,  a?isez  vigoureuse,  et 
IT<:>  «^     sans  pénétration,  ni  sans  valeur  personnelle.  Mais  n*ayant  peut-être 
p^i,^    ^u  assez  de  temps  à  consacrer  à  l'élaboration  de  ses  idées  philoso^ 
pln^  icônes.  Fauteur  n*a  pu  sans  doute  donner  entièrement  sa  mesure. 
ë>onL      livre  est  mal  composé,  tout  farci  de  citations  longues  et  nom- 
bre i^  ses  et  de  résumés  un  peu  encombrants.  De  plus  M.  Horion  se  con- 
ti^i-kt^  vraiment  trop  vite  et  trop  facilement  d'une  philosophie  d'aspect 
sc^  i  ^inliiique  maia  très  insuffisamment  digérée,  souvent   bien  superfi- 
ci  ^11^^  et  d'une  hardiesse  que  je  ne  songerais  pas  d'ailleurs  à  lui  repro- 
cl^^r-  s'il  paraissait  a  être  mieux  rendu  compte  des  difficultés  des  ques- 
^ior-^s    qu'il  tranche.  Ce  qui   concerne   la    morate,  par   exemple,  est 
'^ï'^iixipnt  trop  faible  malgré  quelques  bonnes  idées,  la  question  n*est 
p»a.^s     3crrée  de  près  et  analysée  avec  assez  de  précision.  Nous  lisons 
P^^»*   exemple  (p.  78)  :  «  La  conscience  d'où  dérive  la  moraJe  est  la  per- 
c^pition  et  l'applicatioti   des  irapressïons  reçues;  son  premier  degré  est 
clii.ï>s    le  choc  de  deux  corps  non  vivants;  toutes  les  molécules  éproii- 
"von  t   rimpression,  la  sentent  [conscience,  cuïïi  sentire,  sentir  ensemble) 
^tr     i*eagtssent  suivant  leur  nature.  Comme  les  impressions  se  conser^ 
^^'^t  dans  la  mémoire  inorganique».,,  il  en  résulte  que  la  conscience, 
**>tit    en  ayant  une  base  commune  résultant  de  la  constitution  même 
^^   l'être  qui  est  une  force  tendant  à  l'expansion,  se  modifiera  à  mesure 
o^!^    impressions  rei^ue*!  qui  en  changent  la  direction,  et  suivra  paral- 
lèlement les  lois  de  révolution.  C'est  pourquoi  la  conscience  de  Tanimal 
*itlTêre  de  celle  de  Thomme,,*,  etc.  b  II  y  a  là  bien  de  la  confusion,  et 
voiçi   ,jj^  passage  encore  pire.  Il  serait  difficile  do  prêter,  sans  paraître 
*®n  méfier,  à  plus  d'objections  graves:  a  La  morale^  enfin,  consiste  à 
'^specterles  lois  de  la  nature,  où  les  parties  concourent  solidairement 
former  un  tout  harmonique,  sans  que  l'une   d*ellcs  soit  annihilée^ 
SAoriti^e  à  Tensemble^   pas  plus   que,  dans  Tordre  social,   TindiVidu 
aoive  être  sacrifié  à  la  société,  comme  le  voudraient  les  collectivistes, 
's^  «ieux  termes  étant  solidaires,  mais  où  la  suprême  vertu  consiste  à 
fait-e   prédominer  l'hétéroîsme  (altruisme}  sur  Tégoîsme,  sans  même 
'^^pter  sur  îa  récompense  après  la  mort  *  (p.  2O0-'2OÏ),  On  approuvera 
an^Vatitnge  Fauteur  quand  il  vante  Timportance  morale  de  la  solida- 
***  ^*    mais  ses  théories   sociales   soulèveraient   encore   bien  des  cri- 
t*^u«ig^  M  nous  est  dit,  par  exemple,  que  le  remède  aux  maux  écono- 
fi^it^Ueg  (misère,   grùves,  eto)  ^  serait  dans  la  diminution  légale  delà 
||t*f5c*réatiun,  réduisant  celle-ci  au  niveau  des  subsistances*  L'extraction 
ii^a  Organes  procréateurs  çhe^t  les  enfants  de  parents  tuberculeux  ou 
Criminels,  ou  même  trop  miséMbles,  serait  un  immense  service  rendu  à 
V^mmanité;  la  liberté  de  ravortement  de  même»  »  Tout  cela  est  bien 
<itB  décidé.  Fh.  P, 

roiu  u  —  1900,  '  19 


390  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

II.  —  Anthropologie  criminelle. 

Rafaël  Salillas.  —  £l  delincuente  espanol.  —  Hampa.  (AnthropO' 
logia  picaresca.  l  vol.  in-8«>,  52G  pages.  Madrid,  V.  Suarez,  1898. 

On  sait  que  TEspagne  a,  en  Europe,  une  physionomie  criminelle 
propre,  très  analogue  cependant  à  celle  que  présentent  la  Sardai^e, 
Tancien  royaume  des  Deux-Siciles  et  les  anciens  États  de  l'Église.  Le 
caractère  distinctif  est  ici  le  rôle  joué  par  les  grandes  associations  de 
malfaiteurs.  On  conçoit  par  suite  Timportance  et  l'intérêt  d'une  mono- 
graphie du  criminel  espagnol.  Mais  un  Espagnol  peut  seul  la  faire 
utilement;  or,  si  TEspagne  a  fait  bon  accueil  à  la  méthode  sociolo- 
gique, comme  le  prouvent  les  travaux  de  Posada,  Sales  y  Ferré  et 
Giner,  la  sociologie  criminelle  qui  exige  le  concours  de  la  psychiatrie 
et  de  la  statistique  morale  n'y  avait  guère  été  réprésentée  jusqu'à  ces 
derniers  temps,  sauf  par  une  femme,  Dona  Conception  Ârenal.  Celle-ci, 
avec  une  grande  sûreté  de  vues,  avait  montré  dans  plusieurs  œuvres 
les  relations  du  crime  et  du  milieu  social  *.  M.  Rafaël  Salillas,  disciple 
très  indépendant  de  l'école  anthropologique  italienne,  a  entrepris  des 
études  plus  précises  sur  la  criminalité  de  son  pays.  Disciple  des 
anthropo-criminaiistes,  il  l'est  en  ce  sens  qu'il  étudie  seulement  le 
criminel  et  non  les  variations  numériques  de  la  criminalité;  mais  il  est 
plutôt  psychologue  que  biologiste  et  la  psychologie  telle  qu'il  la  con- 
çoit, no  sépare  point  Thomme  du  milieu  social  et  économique.  Il  en 
résulte  que,  si  M.  Salillas  néglige  à  l'excès  la  statistique  morale,  il 
s'éclaire  constamment  de  l'histoire  du  langage,  de  la  littérature  popu- 
laire et  des  institutions  fondamentales. 

.  C'est  sur  le  phénomène  bien  défini  de  l'association  criminelle  que 
son  attention  s'est  portée.  Le  signe  extérieur  de  la  vie  d'une  association 
durable  est  une  langue;  aussi  la  première  étude  qu'il  ait  publiée  sur 
le  délinquant  espagnol  a-t-elle  eu  pour  objet  les  grandes  formes  de 
l'argot  en  Espagne  {germayiia  et  ca/o  jergal)^.  La  seconde  est  consa- 
crée à  la  hampa,  c'est-à-dire  au  genre  de  vie  menée  par  ceux  qui 
parlent  une  des  deux  grandes  formes  de  l'argot  criminel,  la  germania. 
La  liampa  est  la  vie  d'une  association  répandue  partout,  mais  notam- 
ment en  Andalousie.  La  hampa  est  une  société  picaresque^  assez 
semblable  à  celle  des  Gitanos  et  organisée  pour  la  pratique  du  délit. 

L'objet  propre  de  Salillas  est  la  genèse  de  la  hampa  et,  par  suite, 
l'étude  des  liens  de  solidarité  qui  la  rattachent  au  milieu  social»  histo- 
rique et  économique. 

Ce  lien  n'est  autre  que  la  vie  picaresque,  c'est-à-dire  une  forme  du 

1.  (Hiuvres  complètes,  Madrid.  V.  Suarez,  El  delito  coleclivo  <dans  la  Coleccion 
de  lil)ro8  cscogi^loi^). 

2.  El  delincuenfe  fispanol  :  El  ienguaje^  Madrid.  Suarez,  1896  (ouvrage  analysé 
par  nous  dans  VAnitée  sociulor/ique,  ISU").  —  Auparavant  M.  Salillas  avait  publié 
1"  Dona  Concapciou  Arenal  en  la  ciencia  penilenciaria,  2**  La  antropologia  en  el 
derecho  pénal. 


ANALYSES.  —  RAFAËL  SALILUS.  El  delincuente  espanol    î291 

parasitisme  généralisée  toujours  davanta^^e  dans  les  mœurs  espa- 
gnoles et  qui,  d'ailleurs,  est  la  conséquence  de  la  persistance  de  la  vie 
nomade  dans  Tensemble  de  la  nation. 

L'intérêt  de  l'ouvrage  vient  donc  de  ce  qu'il  éclaire  les  rapports  que 
le  parasitisme  et  le  nomadisme  soutiennent  avec  la  formation  des 
associations  criminelles. 

Le  parasitisme,  dont  la  criminalité  violente  et  frauduleuse  est  une 
simple  exagération,  résulte  selon  Salillas  :  1°  de  la  vie  économique  de 
l'Espagne;  2^  des  rapports  séculaires  entre  les  classes;  3^  de  la  persis- 
tance du  caractère  national,  tel  qu'il  s'est  formé  pendant  les  luttes  du 
moyen  âge. 

L'habitude  du  parasitisme  commence  avec  la  tendance  à  vivre  des 
productions  spontanées  de  la  nature  en  demandant  le  moins  possible 
au  travail.  Or  l'exploitation  du  sol  est  pénible  en  Espagne,  tandis  que 
le  climat  stimule  peu  les  besoins,  surtout  dans  les  régions  méridio- 
nales. Il  en  résulte  que  le  peuple  espagnol  a  pris  l'habitude  de  préférer 
l'abstinence  au  travail.  Ce  n'est  point  qu'il  soit  indolent  et  inerte. 
L'auteur,  preuves  en  mains,  s'inscrit  contre  ce  préjugé  trop  facilement 
accepté  par  les  étrangers.  Le  peuple  espagnol,  tel  qu'il  nous  le  montre, 
n'est  pas  moins  actif  que  le  peuple  anglais  :  témoin  le  goût,  universel- 
lement répandus  des  jeux  athlétiques  et  des  danses  les  plus  expressives 
et  les  plus  fatigantes.  Maii?,  tandis  que  le  travail  absorbe  l'énergie  des 
Anglais,  le  peuple  espagnol  réserve  la  sienne  pour  les  fêtes  qui  tien- 
nent dans  sa  vie  une  place  plus  grande  que  dans  celle  d'aucune  autre 
nation  européenne. 

La  conséquence  est,  néanmoins,  que  le  peuple  espagnol,  individu  et 
collectivité,  souffre  d'une  insuffisance  générale  de  la  nutrition.  L'auteur 
fait,  à  ce  propos,  une  observation  assez  piquante  :  c'est  que  la  cuisine 
d*un  peuple  répond  aux  conditions  générales  de  son  existence.  A  cet 
égard,  rien  de  plus  pauvre  que  la  cuisine  espagnole,  rien  qui  contraste 
mieux  avec  le  régime  nutritif  de  l'Angleterre,  de  la  France  et  mémo  de 
riialie  du  nord.  Un  économiste  dirait  que  le  luxe,  le  bien-être,  l'épar- 
gne et  la  puissance  productive  se  correspondent. 

Les  rapports  des  classes  ont  transformé  ce  parasitisme  naturel  en 
un  parasitisme  social.  On  ne  saurait,  à  cet  égard,  trop  conseiller  la 
lecture  du  livre  de  Salillas  aux  théoriciens  de  la  lutte  des  classes. 
L*auteur  montre  que,  nulle  part,  il  n'y  a  moins  de  difTérence  entre  les 
moeurs,  les  croyances,  le  genre  de  vie  des  classes  élevées  et  ceux  des 
classes  pauvres;  nulle  part,  il  n'y  a  moins  d'antagonisme  et  une  ditïé- 
renciation  plus  faible.  La  cause  en  est  moins  la  tendance  des  pauvres 
à  imiter  les  riches  que  celle  des  grands  à  prendre  les  superstitions  et 
les  préjugés  du  peuple.  Or,  nulle  part,  il  n'y  a  plus  de  parasitisme  : 
d*un  côté,  une  noblesse  et  un  clergé  puissants  qui,  par  la  grande  pro- 
priété foncière  et  les  biens  de  main  morte,  tirent  à  eux  la  richesse  du 
pays  (ajoutons celle  des  colonies  quand  l'Espagne  en  avait),  de  l'autre^ 
une  classe  pauvre  qui  vit  de  l'aumône. 


293  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Est-il  besoin  de  dire  que  ce  parasitisme  social  favorise  l'étemell 
classification  des  professions  en  viles  (productives)  et  en  honorable 
(oisives  ou  contemplatives)?  La  tradition  espagnole  ne  jugeait  digne^^^es 
d'estime  que  trois  formes  d'activité  :  la  vie  universitaire,  la  vie  milr  Jii. 
taire  et  la  vie  monastique.  L'université  espagnole  resta  longtemps  u:'  .^n 
foyer  de  parasitisme,  vu  ralïluence  des  étudiants  pauvres  qui  vitcl  ^^t 
de  la  sportule  et  que  désigne  un  terme  pittoresque  Isopones^  quémacr^zai. 

deurs  de  soupe)  (p.  37,  38).  L'armée  attire  à  elle  les  aventuriers  c jt 

néanmoins,  les  contingents  en  sont  toujours  faibles,  en  rapport  ave j*o 

la  pauvreté  nationale.  Quant  au  rôle  du  monachisme  espagnol,  qua^^^sit 
aux  relations  de  la  main  morte  et  de  la  mendicité,  M.  Salillas  finnfim       ^j^ 
une  opinion  trop  bien  établie  pour  qu'il  soit  besoin  de  la  rappel^^j*. 
Notons  plutôt  la  transformation  du  caractère  national  que  le  para^^f* 
tisme  a  produite  :  le  parasitisme  hypertrophie  la  personnalité  chez  1    -^s 
uns  et  Tatrophie  chez  les  autres.  Chez  les  représentants  de  la  nobles»  «e 
et  de   la  théocratie,  c'est  l'ostentation,  la  parade  (alarde),  chez  l^^s 
autres,  c'est  l'art  de  solliciter  les  faveurs.  De  là,   une  constitutàoo 
sociale  bien  définie.  L'inférieur  cherche  un  supplément  de  personnalité 
et  tend  vicieusement  à  se  former  à  l'image  du  supérieur  (p.  369).  La 
pauvreté  générale  n'empêche  pas  la  société  de  se  constituer  sur  7e 
type  aristocratique  :  c'est  une  démocratie  à  préjugés  et  à  manières 
nobiliaires.  De  là,  la  ruine  des  petits  et  rares  foyers  industriels;  de 
là,  lautoritarisme  d'un  côté,  le  servilisme  de  l'autre.  Le  régime  parle- 
mentaire a  dû  s'adapter  à  cet  état  social  en  se  déformant.  La  vraie 
constitution  politique  de  l'Espagne  est  le  caciquisme,  c'est-à-dire  une 
accumulation   d'influences   politiques,  économiques,  administratives, 
entre  les  mains  de  quelques  électeurs  influents  dans  chaque  localité. 
Le  caciquisme  qui  paralyse  les  forces  salutaires  et  donne  l'essor  aux 
activités  nuisibles  est  manifesté  par  le  même  type  d'action  que  la 
hampa, 

A  côté  de  l'insuffisante  exploitation  du  sol  et  des  rapports  entre  les 
classes,  il  faut  se  garder  d'omettre  les  luttes  de  l'homme  contre 
l'homme.  De  l'antiquité  à  la  fin  du  moyen  âge.  l'Espagne  a  été  un 
gigantesque  théâtre  ouvert  à  la  lutte  des  races  et  des  religions.  Les 
races  germaniques  sont  venues  s'y  heurter  aux  peuples  nomades  de 
l'Arabie  et  du  Sahara. 

Ainsi  se  sont  formés  un  caractère  national  qui  met  au-dessus  de 
tout  la  valeur,  l'élégance  guerrière  [guapeza),  l'endurance  aux  tour- 
ments, le  déploiement  de  la  force  musculaire  et  une  conscience  popu- 
laire, prête  toujours  à  tout  pardonner  à  qui  possède  ces  qualités.  Ce 
qu'on  est  tente  d'appeler  dégénérescence  n'est  ainsi  que  la  persistance 
d'un  caractère  incapable  de  s'adapter  à  la  vie  laborieuse  de  la  société 
moderne.  Le  Cid  revit  dans  le  bandit  de  la  Sierra-Morena.  Ce  n'est 
point  là  un  paradoxe. 

M.  Salillas  montre  que  Thistoire  littéraire  peut  rattacher  au  JRoman- 
cero  la  littérature  populaire  de  l'Andalousie,  qui  est  tout  entière  à  la 


ANALYSES.  —  RAFAËL  SALiLLAS.  El  deliticuente  espahol    293 

gloire  du  bandit  {literatura  banderola).  Au  romancero  qui  exprime  les 
ientiments  normaux  du  moyen  âge  succèdent  les  romans  de  cheva- 
lerie, puis  le  roman  picaresque  dont  Cervantes  et  Mateo  Aleman  ont 
3té  les  maîtres;  enfin  vient  la  literutura  banderola,  Tépopée  du  bandi- 
tisme, collection  de  romances,  nouvelles,  histoires  et  drames  dont  les 
déros  sont  toujours  les  généreux  bandits  de  la  Sierra  Morena.  A 
mesure  que  Ton  s*éloigne  du  moyen  âge,  le  chevalier  fait  place  au 
bandit,  mais  sans  changer  vraiment  do  nature.  Bernard  del  Carpio, 
Francisco  Esteban  et  José  Maria  ont,  en  commun  avec  le  Cid,  cer- 
taines qualités,  celles  précisément  que  le  peuple  admire,  notamment 
une  intrépidité  théâtrale  dans  la  chapelle  et  en  face  de  la  garrote.  Bref, 
la  littérature  picaresque  est  une  épopée  invertie. 

En  revanche,  il  faut  renoncer  à  une  idée  fréquemment  exprimée 
dans  les  milieux  académiques  en  Espagne,  idée  d'après  laquelle  le 
banditisme  espagnol  serait  l'œuvre  des  gitanos  et  les  mœurs  picares- 
ques le  résultat  de  leur  influence.  I/Espagne  n'a  jamais  pris  contre  les 
Gitanos  les  mêmes  mesures  d'expulsion  que  contre  les  Juifs  et  les 
Morisques.  Si  les  rois  catholiques  ont  rendu  contre  eux  des  édits  de 
bannissement,  d'ailleurs  inexécutés,  ce  n'était  point  pour  débarrasser 
l'Espagne  d'une  nation  étrangère;  c'est  parce  qu'ils  voyaient  dans  les 
Gitanos  une  réunion  de  vagabonds,  de  voleurs  et  de  gens  sans  aveu  et 
que  la  pénalité  n'était  jamais  alors  qu'une  élimination  par  l'exil  ou  la 
mort.  La  société  espagnole  a  été  plutôt  hospitalière  au  Gitano.  C'est 
qu'entre  lui  et  l'Espagnol  il  y  a  une  analogie  morale  profonde.  Comme 
l'Espagnol,  le  Gitano  est  disposé  au  parasitisme,  à  la  vie  errante,  à  la 
recherche  des  émotions  esthétiques  élémentaires  que  procurent  la 
danse  et  une  musique  simple.  La  cause  est  la  même  pour  l'un  comme 
pour  l'autre;  c'est  le  nomadisme.  Originaire  de  l'Inde,  longtemps  errant 
dans  tout  l'Occident,  le  Gitano  d'Espagne,  comn^c  son  congénère  le 
Tsigane  de  Hongrie  ou  de  Valachie,  est  resté  un  nomade.  Mais  si  le 
nomade  est,  au  fond,  l'homme  que  l'intensité  du  travail  sédentaire  ne 
rattache  point  au  sol,  il  y  a  chez  tout  Espagnol  un  nomade  qui  som- 
meille. Du  nomadisme  seulement  proviennent  les  analogies  incontes- 
tables de  la  psychologie  picaresque  et  de  la  psychologie  gitanesque^. 
Les  Gitanos  ont  néanmoins  apporté  à  la  société  espagnole  un  ferment 
qui  a  sans  doute  activé  l'évolution  de  la  criminalité. 

Si  la  criminologie  est  Tétude  des  rapports  entre  la  criminalité  d'un 
peuple  et  les  crises  sociales,  M.  Salillas  a  fait  incontestablement  une 
œuvre  utile  et  même  lumineuse.  L'observation  a  fini  par  distinguer 
deux  types  de  criminalité,  Tun  propre  à  l'Europe  méridionale  et  orien- 
tale, l'autre  localisé  dans  l'Europe  nord-occidentale.  La  criminalité  du 
premier  type  est  caractérisée  par  la  fréquence  des  meurtres  imprémé- 
dités et  des  actes  de  vengeance,  par  la  fréquence  des  agressions  à 


i.  Noire  locution  •  vie  de  Bohème  •  n*exprime-t-elle  pas  ridentilé  de  l'une 
et  de  Taulre? 


\ 


294  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

main  armée  et  par  la  formation  des  grandes  associations  de  malfaiteu  ^^^" 
La  seconde  est  une  criminalité  individuelle,  plutôt  astucieuse  que  s^^*^' 
glante,  inspirée  par  la  rapacité  plutôt  que  par  l'inimitié,  multipliant  W    ^* 
petits  délits  plutôt  que  les  grands  crimes.  La  criminalité  méridion^^*^ 
et  orientale  attire  à  elle  les  caractères  énergiques,  aptes  à  Tentrepri     ^^  ^ 
et  capables  do  pratiquer  l'association,  la  criminalité  nord-occidentav^  ^  ^ 
est  la  profession  des  incapables  et  des  dégénérés  qui  craignent  ^r^  ^ 
recourir  au  suicide  et  à  qui  la  mendicité  n'offre  plus  un  moyen  suffisa  :^r"^^t 
d'existence. 

Or,  si  l'intensité  des  courants  criminels  répond  toujours  à  l'acui  '^^  ^ 
des  crises  économiques,  politiques,  religieuses  et  morales,  ces  dec-^z-  ^^^^ 
types  (criminels  qui  peuvent  coexister  en  certaines  régions  telles  q«-: 
l'Italie  centrale)  correspondant  inévitablement  à  des  crises  bics 
différentes. 

M.  Durkheim  a  émis  l'idée  que  l'accroissement  du  taux  social  d.  ^-3  £3i 
suicides  dans  rKuropc  centrale  et  occidentale  répond  à  une  crise  do  jtb  t: 
la  cause  est  un  progrès  rapide  et  incomplet, c'est-à-dire  l'inégale  rapidm  K^ 
du  progrès  industriel  et  intellectuel  et  du  progrès  moral  ainsi  que  d»     'Ë.st 
prépondérance  excessive  du  lien  contractuel  sur  la  vie  de  famille  et      Ist 
vie  professionnelle.  Cette  explication  peut  être  étendue  à  tous  les  fi^S^s 
criminels.  La  criminalité  nord-occidentale  est  due  à  l'intensité  et    «t-ti 
dérèglement  des   activités    civilisatrices.  Mais    puisque  le   crimix:»^! 
méridional  est  au  contraire  un  homme  qui  porte  dans  l'entreprise  C5 cri- 
minelle une  activité  qui  fait  défaut  à  la  puissance  productive  on  p^ut 
ôtre  certain  que  la  crise  dont  souffre  la  société  dont  il  est  membre    ^st 
tout  autre.  Kilo  est  duc  à  la  compression  séculaire  des  formes  d'ac^'tî' 
vite  qui  triomphent  dans  le  nord  de  l'Europe  et,  par  suite,  à  une  cr-î^ 
régressive.  L'œuvre  de  M.  Salillas  met  en  lumière  ce  point  qu'aval  ^  **' 
déjà  éclairé  le  travail  de  Ciraolo  Hamnett  sur  les  délits  des  ferarx^*^ 
napolitaines  et  ceux  de  Niceforo  sur  la  criminalité  sarde  et  sicîlienrm^    • 

De  môme  que  la  criminalité  astucieuse  et  individuelle  n'a  point  p-^*^' 
tout  la  même  intensité  et  est  beaucoup  moins  grave  en  AngleteK"**^» 
pays  de  civilisation  urbaine  cependant,  qu'en  France  et  en  Allemag'ïC»®^ 
nations  où  des  longues  crises  politiques  ont  compliqué  la  crise  moK"^^® 
et  économique,  de  même  la  criminalité  brutale  et  collective  est  l:>i^'* 
moins  intense  en  Russie  qu'en  Espagne  et  dans  l'Italie  méridion.^*'^* 
L'opposition  des  climats  ne  suffit  pas  à  l'expliquer.  La  raison  en    ^^^* 
semble-t-il,  que  si  la  Russie  a  eu  un  développement  tardif,  interrorOP** 
par  certaines  périodes  d'arrêt,  elle  n'a  pas,  depuis  la  fin  de  la  domî**^* 
tion  musulmane,  subi  une  véritable  régression.  Il  n'en  a  pas  été  aî**^' 
en  Espagne  ni  dans  ses  annexes  italiennes.  Le  parasitisme  colonial  ^^^ 
venu  compliquer  et  aggraver  les  dispositions  du  caractère  nation^ 
qu'avaient  forme  k's  luttes  du  moyen  âge. 

L  Niceforo.  Ln  (h;liiufuenza  in  Sarde(/na.  Criminalilà  e  condizione  economith^r 
in  Sicilia.  Analysées  dans  la  deuxième  Anîiee  socioluyique. 


r- 


^ 


E-^TSES.  —  FOLILLÉË.  La  Fraucù  au  point  de  eue  moral    295 

A^i:r>si  s'est  constitué  un  peuple  où  la  mendicité  est  réputée  plus 
horàoï-able  que  le  travail  et  où  le  chevalier  brigand  est  Tobjet  d*un 
hoTïi¥ïia^e  univeraeL  L'Allemagne  du  xy^  siècle  avait  aussi  ses  cheva- 
liers-t^rigands  immortalisés  par  les  noms  historiques  de  Gœtz  et  de 
V^rmnz  de  Hickingen.  Bien  qu^ils  eussent  une  autre  puissance  que  ceux 
d^  l3L  Sierra- Morena  ou  du  Nuoro  sarde,  bion  quo  rAîlcmagne  n'ait 
J£kTxia,i^  eu  un  pouvoir  fort  et  centralisé  comme  celui  de  TEspagne,  ils 
ont  de  bonne  heure  disparu  sans  laisser  de  traces.  C^cst  qu'ils  ne  ren- 
conti-£tient  pas  une  complicité  latente  dans  la  conscience  populaire,  et 
Is^  i^ £1,1  son  en  est  que  le  régime  moral,  mental  et  économique  du  peuple 
avait  été  changé  par  la  Réforme  et  par  révolution  dont  elle  a  été  le 
moment  décisif.  Au  contraire  le  régime  médiéval  a  été  violemment 
pei*pétué  en  Hspagne,  étourfant  tous  les  germes  de  progrés  moral  et 
DOn<j,€krnnant  les  populations  à  singer  en  quelque  sorte  un  passé  tout 
joiai^s  plus  éloigné  des  conditions  d'une  existence  normale.  De  là  la  lit- 
téra^tiire  picaresque  dont  Cervantes  est  le  représentant  le  plus  illustre; 
de  là  rassimilation  spontanée  des  Bspagnols  à  une  population  infé- 
r'iei.ire,  les  Gitanoa;  de  là  les  associations  de  malfaiteara  qui  sont 
presque  des  organes  de  la  constitution  politique,  comme  Tétait  la 
(^»morra  dans  Tancien  royaume  napolitain.  Ces  associations  dérivent 
en  effet  vers  le  banditisme  des  sources  d'énergie  que  le  pouvoir  spiri- 
tuel et  le  pouvoir  temporel  redoutent  avant  tout  de  voir  se  consacrer 
tau  «iéveloppement  de  la  culture  moderne*  le  banditisme  étant  Tunique 
forme  de  Tentreprise  dans  les  pays  soumis  au  régime  mental  et  moral 
qui  fut  longtemps  celui  de  TKspagne. 
Gaston  Richard 


III. 


Morale. 


^ 


^^-  F'ouillée.  —  I4A  France  au  point  de  vue  mou  al,  1  voL  in-S»  de 
^  ^ibUfjthèfiiie  de  philosophie  contemporaînej  vî-416  p,  ;  Paris. 
^;  ^Ican,  1900. 

*-*Ouvrage  de  M.  Fouillée  est  un  nouveau  symptôme  de  la  tendance 

^ttielie  des  philosopher,  et  en  général  des  «  intellectuels  u,  à  s'inté- 

^^^r  aux  alTaires  de  leur  tempe,  en  même  tempa  qu*il  est  une  appîi- 

_     *On  nouvelle  des  principes  généraux  de  Tauteur»  Au  reste  les  der- 

^^s  ouvrages  de  XL  Fouillôe  nous  montraient  déjEi  qu'il  n'était  nulle- 

Ij    ^^t  indifférent  aux  événements  qui  s  accompîissent  de  nos  jours,  et 

j^    ^^*y   a  pas  lieu  d*étre  surpris  qu'il  fasse  un  devoir  au  philosophe  de 

^  t*^s  se  borner  à  la  pure  spéculation  abstraite.  «  S'il  est,  dit-il  dans  sa 

.     ^'5ieé,  nécessaire  au  philosophe  de  rechercher  les  fondeinenls  théo- 

^  '^^â  de  la  morale,  il  ne  lui  est  pas  inutile  de  suivre  en  mt^mo  temps, 

*^  le  milieu  social  de  son  époque,  et  surtout  dans  son  propre  pays, 

*  ii.i*che  des  idt^es  et  des  sentiments.  Spéculation  et  pratique  se  sou- 

'*  vériftent  Tune  Tautre,  surtout  en  morale;  les  études  con- 

«ilbur  moyen  de  ne  pas  perdre  de  vue  la  réalite  pour 


\ 


296  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

l'abstraction.  On  a  dit  aux  poètes  :  «  Honte  à  qui  peut  chanter  tandis 
que  Rome  brûle  !  »  On  peut  dire  aussi  aux  philosophes  qu*il8  ne  ss^'^' 
raient  se  contenter  de  spéculer  quand  s'agitent  autour  d'eux  des  qu^a* 
tions  de  vie  ou  de  mort.  Tel  est  du  moins  ce  que  nous  éprouvons  no«^B, 
même,  et  ce  sentiment  nous  excite  à  passer  sans  cesse  de  Tidéal  au  ré  ^1- 
du  réel  à  Tidéal,  afin  de  mieux  comprendre  l'un  par  l'autre  et  d'évi'C^^r 
tout  ensemble  un  rationalisme  utopique  ou  un  empirisme  aveugle,  i^ 

M.  Fouillée  s'est  donc  proposé  d'étudier  l'état  moral  actuel  de      ^ 
France,  d'examiner  les  maux  dont  nous  souffrons,  d'en  rechercher  1  ^s 
remèdes  possibles  et  de  voir  si  nous  sommes  dans  un  état  de  décr^- 
dence  irrémédiable  ou  de  crise  peut-être  passagère.  Il  étudie  d'abord 
l'état  moral  de  la  France  et  son  état  religieux.  Ensuite  il  rechercl^e 
l'influence  de  la  presse  et  de  l'opinion,  puis  il  aborde  la  question  de     i^ 
criminalité  en  général  et  de  la  criminalité  juvénile,  et,  en  dernier  lie  «x-> 
les  problèmes  de  l'éducation  auxquels  est  consacrée  près  de  la  moLt^i^ 
du  livre. 

Il  n'y  a  rien  dans  le  caractère  français,  ni  dans  notre  race,  qui  no^^s 
condamne  à  une  moralité  inférieure.  Les  qualités  sociales  domina  r^^ 
chez  nous,  un  peu  aux  dépens  parfois  de  certaines  vertus  individuelles 
qui  réclament  Tcnergique  développement  de  la  personnalité  intérieax"^) 
plus  manifeste  chez  les  nations  devenues  protestantes.  Mais  en  soiilixïc 
la  morale  prend  de  plus  en  plus  la  forme  sociologique,  V humanité  &^^^ 
de  plus  en  plus,  le  but  de  notre  activité,  et  à  ce  point  de  vue  la  Frano« 
a  plutôt  devance  les  autres  nations.  La  France  contemporaine  est  svir- 
tout  0  humanitaire  ».  Cela  peut  avoir  certains  inconvénients  au  pc^ittt 
de  vue  politique,  mais  on  ne  saurait  contester  la  haute  valeur  mor&l^ 
de  cette  tendance.  Comment  faut-il  donc  expliquer  notre  apparente 
démoralisation  actuelle?  a  C'est  la  crise  de  la  morale»,  dit  M.  Fouillent 
qui  explique  en  grande  partie  la  crise  de  la  moralité.  La  philosophie 
a  failli  à  sa  tâche,  les  opinions  y  sont  devenues  plus  diverses  et  pl^^ 
individuelles,  moins  propres   par  suite  à  rassembler  et  à  diriger    1^* 
esprits.  Elle  a  perdu  une  grande  partie  de  son  hégémonie  qui  pa.s^^ 
d'un  côté  aux  littérateurs  et  aux  artistes,  de  l'autre  côté  aux  savants- 
Mais  ni  les  uns  ni  les  autres  n'étaient  capables  d'exercer  une  influent® 
heureuse  sur  le  progrès  moral.  «  Littérature  et  art,  abandonnés  à  cu^' 
mêmes,  ne  pouvaient  aboutir  qu'au  dilettantisme,  au  septicisme    ^^ 
finalement  à  1'  «  égotisme  »  de  notre  époque,  qui  est  le  contraire  ^^ 
toute  organisation.  »  D'autre  part  les  savants,  «  cantonnés  dans  letir 
spécialité  et  le  plus  souvent  étrangers  à  toute  culture  vraiment  p^i' 
losophiquc  »,  généralisèrent  les  notions  incomplètes,  transporter©^^ 
indûment  dans  le  monde  social  des  principes  valables  seulement  da^^ 
le  monde  animal,  et  présentèrent  comme  scientifiques  les  hypothèse 
d*une  métaphysique  aventureuse,  en  portant  «  dans  leurs  plus  grosses 
erreurs  le  sentiment  de  l'infaillibilité  scientifique  ».  Les  philosopb^^ 
n'ont  pas  su  réagir  avec  succès,  ils  sont  restés  impuissants  à  dégager 
le  sens  des  grandes  découvertes  modernes.  «  Tandis  que  l'école  d0 


j^T^.AL,YSES*  —  FOLiLLÈE,  La  Ffâncê  UH  point  de  vue  moral    2§7 

\r»     C_Jousin  demeuiaït  étrang^ère  au  mouvement  des  sciences  ^  et  même 

do    1^  haute  philosophie  depuis  Kaiit,  —  les  Reuan  et  les  Taine  subis- 

BSkl^^Mit  la  fascination  des  sciences  de  la  nature^  en  même  temps  que 

ceH«3  de  Thistoire^  de  la  littérature  et  de  lart  Le  tout  devait  aboutir  à 

mn     inaturalïsme  étroit,  voilé  chez  Tun  par  un  idéalisme  vague  et  déce- 

V£krx  r,  chez  fautre,  par  un  appareil  non   moins  trompeur  de  rigueur 

log^icque.  u  De  là  le  malaise  actuel.  On  a  voulu  le  rattacher  seulement 

à    d^s  causes  d'ordre  social,  plutôt  que  d'ordre  intelleetucl,  on  a  dit 

((ix^il    fallait  faire   une  moralité  avant  de  formuler  une  morale.   Mais 

fl    comment  la  faire,  répondrons-nous,  et  comment  la  réaliser,  si  nous 

UG    dégageons  pas,  dans  rédilice  même  de  nos  idées  théoriques  et  pra- 

ticjtji^st,  les  parties  solides  des  parties  en  ruine?  Et  n  est-ce  pas  là  œuvre 

d* intelligence,   œuvre  de  doctrine  philosophique  et  scientilique ?  Un 

ensemble  d'idées,  voila  ce  qu'il  faut  avant  tout  inculquer  à  la  société 

entière  t.  Au  reste  il  est  bien  vrai  que  n  la  crise  politique  et  la  crise 

sooiale  sont  venues  augmenter  encore  la  crise  morale  d, 

L.^.  crise  religieuse  aussi  a  son  influence,  et  elle  a  été  considérable. 
Ori      a^i^   combien    rinfluence  du  catholicisme  a  été  combattue  chez 
notas.  Bans  doute  une  lutte  violente  et  aveugle  a  pu  être  une  grande 
fmtiio  politique,  mais  on  ne  peut  compter  sur  un  retour  à  Tancienne 
conception  de  la  nature  et  de  l'homme.  Peut-être  espérerait-on  avec 
plus    de   fondement   un   élargissement,   une   nouvelle   adaptation  du 
**«*Riï3e,  la  souplesse  du  catholicisme  pourrait  rendre  Ja  chose  possible. 
î*eij.t-être  aussi  pourrait-on  trouver  quelque  chose  de  lldéal  chrétien 
Q^^ris  les  principes  qui  dominent  aujourd'hui,  a  Toujours  est -il  que  la 
®^Cïnlarîsation  de  la  morale  et  de  la  religion  et  leur  rétablissement  sur 
^^n   l^ases  sociologiques  demeure  la  mission  propre  et  la  tache  de  la 
«•rance.  SU  y  a^  selon  Texpression  de  Carlyle,  des  hommes  représen 
*^tiriijl  y  a  encore  mieux  des  nations  représentatives*  La  France,  en 
^^pit  de  ses  détracteurs  et  de  ses  envieux,  représente  les  grands  prin- 
cipes de  la  Révolution»  c'est-à-dire  l'idée  des  droits  é^aux  pour  les 
«Orti  rïîes  en  tant  qu'hommes  et  Tldée  de  la  solidarité  humaine,  C*est 
tir  oeg  principes  que  vit  la  France;  la  est  sa  force,  là  est  sa  grandeur. 
^^^    idées  directrices  de  la  France  sont  les  conditions  d'existence  de  la 
Pïï'ti'i^  française,  et  il  3e  trouve  que  ces  idées  sont  en  même  temps  les 
_^no€ptlons  essentielles  d'une  religion  morale  et  sociale»  par  cela  mâme 
^^^  reliï^ion  universelle,  o 

^-•^   presse   ne  contribue  pas  médiocrement,  d*après  M*  Fouilléei  à 

*^«*^  désarroi  moral.  Les  scandales,  les  diffamations,  la  propagatio" 

*^  débauche  et  du  crime,  voilà  ses  griefs  contre  elle.  Et  il  indiqt 


les 
liOi 


*^eaurea  à  prendre  pour  se  préserver  :  <f  Çoinplète  liberté  de  la  presse 
*^r^tit]que^  religieuse,  littéraire  et  politique,  mais  sous  la  condition 
*^^  complète  respon^ahiUlê  :  voilà,  selon  nous,  la  seule  solution 
r  ^^^  et  ie  seul  remède  à  tant  de  maux*  j>  Donc  pas  de  lois  préventives 
a2^^^^  la  presse,  elles    sont  injustes  et  dangereuses*  mais  des  lofs 


^€r^ 


nsives  et  répressives.  «En  somme^  clani  notre  société  si  complexe  i 


298  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

il  est  vain  d'espérer  que  les  choses  s*arrangeront  toutes  seules,  comi 
Teau  agitée  reprend  son  niveau.  C*est  une  vérité  élémentaire  de  socs-^c 
logie  que,  plus  le  domaine  des  libertés  s*étend,  plus  s'étend  aussfi.     1 
domaine  des  lois  et  des  sanctions,  qui  soumettent  les  rapports  de  cse 
libertés  à  une  règle  d*égalité  et  de  respect  mutuels.  Notre  législatioi 
de  la  presse  est  à  Tétat  informe  et  chaotique  :  Tintérêt  de  la  presse, 
comme  sa  dignité,  est  de  réclamer  elle-même  la  justice,  qui  ne  peut 
être  que  l'organisation  de  la  plus  grande  liberté  pour  tous,  et  d'une 
responsabilité  égale  en  étendue  à  la  liberté  elle-même.  »  Et  M.  Fouillée, 
entrant  dans  le  détail,  indique  une  abondante  quantité  de  mesures  à 
prendre.  Parmi  ces  mesures  peut-être  en  est-il  qui  paraîtrait  rentrer 
assez  difficilement  dans  le  rôle  que  leur  assigne  M.  Fouillée  lorsqu'il 
dit  qu'il  s'agit,  avec  elles  a  non  pas  d'enlever  préventivement  la  liberté, 
mais  d'assurer  la  responsabilité  ».  Je  cite  quelques  unes  de  ces  mesures  : 
réglementation  de  Tinterview,  réglementation  de  la  chronique  judiciaire, 
organisation  d'un   compte   rendu  judiciaire  ofliciel,   interdiction  de» 
comptes  rendus  d'exécutions  publiques  ou  compte  rendu  officiel  et  som- 
maire, juridiction  rapide  et  même  immédiate  pour  les  délits  de  presse, 
possibilité  de  poursuivre  le  propriétaire  et  le  directeur  du  journal,  sup- 
pression de  la  gérance  fictive,  fortes  amendes  et  forts  dommages-inté- 
rôts  attribués  partie  d'office,  partie  sur  la  demande  du  plaignant,  tri- 
bunal composé  d'un  magistrat,  de  quatre  ou  six  jurés  et  de  deux  expertst 
écrivains  eux-mêmes  ou  journalistes;  permission  plus  étendue  de  faire 
la  preuve  accordée  aux  journalistes  pour  les  faits  qui  ne  sont  pas  de  1^ 
vie  privée,  obligation  de  réhabiliter  et  de  rembourser  les  journalistes 
condamnés  pour  de  prétendues  diffamations,  justifiées  plus  tard  p^r 
des  preuves  nouvelles,  etc. 

Abordant  la  question  de  la  criminalité,  l'auteur,  tout  en  reconnaissait* 
que  «  la  criminologie  socialiste  met  bien  en  lumière  un  côté  des  choses 
sur  lequel  elle  attire  à  bon  droit  l'attention  »,  lui  reproche  denevoirq^^* 
ce  côté.  Les  conditions  économiques  ne  rendent  pas  compte  de  toi**- 
«  Moralité  et  immoralité  ont  des  causes  principalement  morales.  Cette 
loi  se  vérifie  de  plus  en  plus  à  mesure  que  la  civilisation  avance.  ' 
Actuellement  des  causes  en  partie  économiques,  en  partie  intellectuelle^» 
ont  vicié  le  milieu  moral  pour  les  enfants  et  produit  une  effroyabl^ 
montée  de  la  criminalité  juvénile.  Il  serait  injuste  de  s'en  prendre  • 
l'école,  il  est  faux  que  notre  enseignement  obligatoire  soit  responsab*-^ 
du  flot  montant  de  la  criminalité  juvénile.  «  Toutefois,  si  l'école  n'ap^^ 
créé  la  criminalité  croissante  de  l'enfance,  il  faut  concéder  qu'elle  ne  1  * 
pas  empêchée  autant  qu'on  l'aurait  attendu  et  qu'elle  aurait  pu  le  faire-  • 
C'est  que  l'enseignement  a  été  trop  intellectualiste,  et  insuffîsarameï** 
préoccupé  de  l'éducation  morale.  De  plus  on  n'a  pas  assez  cherché  d^^ 
fondements  nouveaux  à  cette  éducation  au  moment  où  Ton  émancip*-'' 
les  esprits  des  anciennes  croyances.  «  Le  scepticisme  moral  aété.cbe^ 
les  enfants  et  jeunes  gens,  le  trop  fréquent  résultat  du  scepticisiïï^ 
religieux.  » 


^•jrALYSES.  —  FOUILLÉE.  Lu  FtaftcB  uu  fùïnt  de  v%w  moral    299 

Dans  les  deux  derniers  livres  de  son  ouvrage,  ^ï.  Fouillée  s*oecupe 

(J^    l*instruction  et  de  réducatton.  Tout  en  acceptant  reneeig^nement 

u  rïi^'ûrsel,  intégral ,  comme  un  idéal  pour  Tavenir,  il  demande  que  cet 

ei:i saignement  se  fasse  aussi  de  plus  en  plus  spécial  pour  favoriser  les 

rocs^a-tions  individuelles  et  la  division  du  travail  social.  Surtout  il  devra 

êtM-^    éducatif  et  non  pas  seulement  instructif.  Il  devra  aboutir  ainsi  à 

lu.      I^ormation  d'individualités  distinctes  et  d^une  élite  naturelle.  Mais 

on     ^  trop  voulu  donner  à  tous  un  savoir  encyclopédique.  «  Donner  aux 

erx  f^i^uts  des  clartés  de  tout  est  bon,  sans  doute,  mais  importe  moins  que 

d^     l^^ur  fournir  des  notions  précises  sur  ce  qui  leur  servira  néceasaire- 

id^sKït  dans  la  conduite  g^énérale  de  leur  vie  et  dans  leur  profession  par- 

ti^^milîère.  Or  pour  la  conduite  générale»  qu'est-ce  qui  importe?  C'est 

Vort  i-atle  de  la  morale,  surtout  civique.  Et  pour  la  profession  particulière» 

le    "technique  ne  pouvant  être  admis  dans  Técole  priraairei  que  faut-il 

donner  aux  élèves?  L'instrument  scientifique  général.  L'instrument 

«c^i^mifique  c*e3t  une  bonne  connaissance  des  mathématiques  et  des 

gra.r^<ltr3  lois  de  la  physique.  Le  reste  est  accessoire...  En  faisant  à  la 

inofale  une  large  place,  on  donnerait  »  renseignement   primaire   le 

leial     caractère   universel  qu'iï  puisse  acquérir.  L'enseignement  de  la 

iaoi*sfcle,  surtout  sociale^  danî*  Técole  et  dans  les  cours  complémentaires 

à^    l*ccole,  est...  le  vrai  moyen  d*unifier  et  d*intéf^rer  tout  l'ensemble 

âe®   oonnaissances,  d'aboutir  à  l'instruction  par  Téducation.  » 

ï*iisîsantà  l'instruction  secondaire,  M.  Fouillée,  après  avoir  exposé  son 
Opit^ion  sur  la  nécessité  de  donner  aux  diverses  éducations,  classique  et 
laoclorne»  une  sanction  et  combattu  réqui valence  des  diplômes»  se  pro- 

»noiioe  contre  le  monopale  universitaire.  Il  ne  veut  même  pas  que  l'Etat 
puîs££e  exiger  a  Ventrée  des  (onctions  publiques  un  certificat  d'études 
ttnix^eraitaifes;il  demande  seulement  que  l'enseignement  de  TÊltat  soit 
'^^ïii  is  à  des  conditions  de  recrutement  sévères,  non  seulement  au  point 
oe  Vile  intelîectueî,  mais  au  point  de  vue  moral  et  sonîal.  Enlin  il  insiste 
^^^    l'éducation  morale»  et  sur  la  nécessité  des  idées  et  des  doctrines 
P*uloaophiques  dans  renseignement.  Les  sciences  positives  ne  peuvent 
loufriir  le  fond   de  Veducation  morale  et  sociale;  l'enseignement  des 
_^ttrcîg  a  une  valeur  êducatrice  et  moralisatrice,  mais  tl  ne  saurait  suf- 
5^"  *r  l^u  moment  où  la  France,  devançant  les  autres  nations  à  ses 
"^qUés  et  périls,  renonce  par  la  force  même  des  choses,  à  l'organisa- 
^^  religieuse  de  l'enseignement,  elle  doit  avoir  recours  a  rorganisation. 
"**llosôphique  et  sociologique.  »  La  philosophie  prend  ainsi,  dans  Teti- 
*^nement,  une  place  d'honneur,  et  «  ce  qui  importe,  c'est  le  côté 
^ rai  et  social  de  ïa  philosophie,  comme  aussi  ses  grandes  conclusions 
^IrinaieSj   dans  ce  qu'elles  ont  de  plus   propre  à  réconcilier   les 

R^>  croyons  pas  que  les  points  où  les  doctrines  se  rapprochent  soient 
^   plus  superficiels;  ce  sont  au  contraire  les  plus  profonds  :  plus  on 
**^   au  centre  des  choses,  plus  on  entrevolt  leur  unité.  Aussi  serait-il 
^1  important  d'enseigner  avant  tout  aux  professeurs  eux-mêmes  les 


300  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

sciences  philosophiques,  morales  et  sociales.  «  Tous  les  maîtres  doir^nt 
être  avant  tout  des  moralistes,  et,  pour  cela,  avoir  reçu  euz-môcxies 
la  vraie  instruction  morale,  o 

C*est  surtout  dans  renseignement  supérieur,  dont  M.  Fouillée  dit 
quelques  mots  en  terminant,  quUl  importerait  de  donner  Tessor  aux 
études  morales  et  sociales.  L*organisation  actuelle  est  bien  insuffisante 
à  cet  égard. 

Dans  sa  conclusion,  M.  Fouillée. se  demande  si  les  tendances  de  1& 
génération  actuelle   indiquent  vraiment  une  décadence  morale.  Ils 
pense  que  nos  maux  actuels  ne  justifient  point  un  diagnostic  pessi- 
miste,  et  il  n'est  pas  sans  espoir  pour  le  siècle  qui  va  commeocer- 
«  Après  le  xviir  siècle,  qui  fut  révolutionnaire  et  français,  après  le 
xix^  siècle    qui    fut  réactionnaire   et   anti-français,   apparaîtra  Baii.0 
doute  un  siècle  plus  proprement  humain.  Déjà,  sur  le  déclin  de  nos 
temps  troublés  nous  avons  vu  l'impérialisme  russe,  après  des  progrès 
intérieurs  successifs,  revenir  vers  la  France  de  Tabbé  de  Saint-Pierre 
et  rêver  d'arbitrage  universel.  Les  idées  incomplètement  formulées  ^t 
mal  pratiquées  par  la  France  prendront  leur  revanche  dans  la  second^ 
moitié  du  xx<'  siècle  qui,  selon  toute  apparence,  sera  un  siècle  d'inspî" 
ration    sociale  et  de  réformes  sociales...  Tout  ce  que  nous  aperce-" 
vons  aujourd'hui  à  l'état  inorganique  et  anarchique,  —  science  moral-^ 
et  sociologie,  liberté  politique  et  suffrage  universel,  production  cidi  ^"^ 
tribution  industrielles,  associations  de  toutes  sortes  au  seindeladém^'' 
c  ratie  qui  se  cherche  elle-même,  relations  de  droit  international,  — to*-»»* 
cela  recevra  enlin,  espérons-le,  un  commencement  d'organisation  r^^"^ 
tionnelle...  Mieux  vaut  pour  nous,  Français,  préparer  cet  avenir  q"»-*-* 
veut  naître  que  de  songer  au  siècle  achevé  qui  ne  peut  que  mourir»    ^^ 

On  retrouvera  dans  le  nouveau  volume  de  M.  Fouillée  les  qualit^^^ 
habituelles  do  l'auteur,  le  sérieux  et  l'élévation  de  la  pensée,  la  péa  ^^^ 
tration  et  la  souplesse,  avec  une  grande  abondance  d'idées  et  de  i 
seignements.  Ses  opinions  ne  sont  jamais  négligeables  et  Ton  peut  i 
pas  les  partager  toujours  mais  il  en  faut  au  moins  tenir  compte.  lia' 
mérite  qui  devrait  être  commun  et  qui  ne  l'est  certes  point,  de  mail 
tenir  avec  force  les  droits  de  l'idéalisme  et  ceux  du  naturalisme,  1^ 
droits  do  l'idéal  et  ceux  de  la  réalité.  Si  ses  préférences  vont  vers  l'idé^ 
et  s'il  voit  surtout  dans  l'étude  des  faits  un  moyen  de  le  mieux  co*^  -^^| 
cevoir  et  d'en  mieux  préparer  la  réalisation,  je  ne  pense  pas  qu'il  y  ^^^^  ^ 
là  matière  à  critique,  au  contraire.  Je  suis  heureux  encore  de  le  v(^ 
défendre  l'intellectualisme  si  mal  compris  et  si  singulièrement  mépri^^^^ 
depuis  quelques  années,  même  par  des  critiques  qui  ne  s'en  font  pa^  '^^ 
semble-t-il,  une  idée  bien  nette  et  qui  ne  l'ont  vraiment  pas  approct^^^^^^ 
d'assez  près.  Du  reste,  je  ne  veux  pas  afiîrmer  que  M.  Fouillée  n'ait  pa-  ^^TV 
je  ne  dirai  pas  exagère  le  rôle  et  la  portée  de  l'intelligence,  mais  plut^^-^ 
un  peu  méconnu  le  rôle  et  la  portée  de  la  pratique  et  de  la  pensée  n<^   ^ 
réiléchie  dans  la  formation  de  l'idéal  moral,  bien  qu'il  ait  hautemcr^^ 
reconnu  l'importance  du  sentiment.  En  fait  l'intelligence  réfléchie  dp-  ^ 


AlTJklL.TSES.  —  FOUILLÉE.  La  France  au  point  de  vue  moral    301 

peut    guère  s'exercer  que  sur  les  données  de  la  pratique,  du  sentiment, 
de   \sL    conception  spontanée,  de  Tidée  brute  si  je  puis  dire.  C'est  pour* 
quoi    il  est  bien  juste  de  dire  que  pour  formuler  une  morale  il  faut 
d'abord  que  cette  morale  existe  dans  une  certaine  mesure,  et  souvent 
elle  se  crée,  ou  plutôt  elle  s'ébauche  peu  à  peu,  en  dehors,  semble-t-il, 
de   préoccupations  proprement  morales,  par  les  réactions  spontanées, 
par  le  jeu  de  tendances  diverses,  égoïstes  ou  non,  par  la  formation  et 
la    cordination  de  groupes  sociaux,  de  relations  sociales  nouvelles. 
De  xnéme  que  la  théorie  scientifique  peut  sortir  d'observations  d'abord 
confuses  et  faites  un  peu  au  hasard,  de  même  la  théorie  morale  sort 
d'une  pratique  spontanée  ou  imposée  par  diverses  circonstances  sans 
préoecupations  morales  bien  nettes.  Peu  à  peu  un  sentiment  d'obliga  - 
tion  ou  de  devoir  correspondant  aux  pratiques  nouvelles  se  dégage  et 
se  précise.  L'intelligence  intervient  pour  lapprécier,  le  critiquer,  en 
reconnaître  les  éléments,  en  éliminer  ou  en  signaler  les  impuretés,  le 
mettre  en  harmonie  avec  un  ensemble  d'idées  et  de  préceptes  adoptés, 
lui  donner  la  forme  achevée  et  correcte  qui  se  généralisera  ou  qui 
tendra  à  se  généraliser.  La  formation  de  syndicats  ouvriers  ou  de 
'^Hîiétés  coopératives  fondés  dans  un  simple  but  de  défense  ou  d'éco- 
nomie peut  ainsi  faire  naître  peu  à  peu  tout  un  ensemble  de  senti- 
*û®nts  spéciaux  qui  deviendront  le  corps  d'une  morale  restreinte  d'abord 
^  professionnelle,  qui  s'étendra  et  se  généralisera  par  la  suite,  s'har- 
n^onisera  avec  les  données  morales  'obtenues  par  d'autres  voies.  Cela 
n  empêche  pas  que,  en  certains  cas,  l'intelligence  précède  la  pratique, 
conaxjQg^  en  science,  la  théorie  précède  parfois  l'expérience  et  la  pré- 
P»J:*e,  Ily  a  là  un  enchevêtrement  d'actions  et  de  réactions  très  variables 
®^  très  diverses.  M.  Fouillée  sait  bien  tout  cela  sans  doute  et  peut-être 
''^exïlera-t-il  dit.  Il  m'a  paru,  en  certains  endroits  de  son  livre  au  moins, 
^^  il  ne  tenait  pas  assez  de  compte  de  la  part*  considérable  de  l'intelli- 
fiTQUce  spontanée  et  de  la  pratique  directe,  des  réactions  presque  auto- 
^^^iques  suggérées  par  les  nécessités  de  l'existence  chez  l'être  vivant, 
■^i*tout  chez  l'être  social. 

*^^ ut-être,  pour  une  raison  analogue,  donne-t-il  trop  d'importance 

^^  lois  écrites.  Il  va  jusqu'à  retourner  un  adage  connu  et  à  demander 

^,'^^cl   mores  sine  legibus?  Il  demande  beaucoup  de  règlements  et 

.   ^^t*ichissements  du  code;  je  ne  voudrais  pas  nier  l'utilité  des  lois,  je 

^^fendrais  même  au  besoin.  Formuler  et  prescrire  officiellement 

'^^   Yègle  de  conduite  c'est  créer  une  tendance  à  la  faire  observer, 

"^^ia  la  tendance  ainsi  produite  peut  rester  bien  faible.  Encore  faut-il 

*^oir  si  les  lois  seront  appliquées  et  par  qui  elles  le  seront.  Or  lors- 

"^  ^lles  sont  en  désaccord  avec  des  sentiments  puissants,  souvent  elles 

^   aoDt  pas  appliquées.  Et  lorsqu'elles  sont  appliquées,  il  n'est  pas 

^^^e   qu'on  s'aperçoive  à   l'usage  qu'elles  ne  donnent  nullement  les 

^*U.ltat8  espérés,  quand  elles  ne  vont  pas  directement  contre  le  but 

rOUi»  lequel  on  les  fit.  Je  sais  bien  que  M.  Fouillée  se  plaint,  non  sans 

*^Uon,  de  la  façon  dont  nous  avons  été  gouvernés.  Seulement  le  gou- 


302  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

vernement  est  bien,  dans  une  large  mesure,  le  résultat  fatal  de  l'esprit 
public  et  de  la  manière  dont  il  se  manifeste.  Je  n*irai  pas  jusqu'à  sou- 
tenir contre  M.  Fouillée  les  adages  connus  :  un  peuple  a  le  gouverne- 
ment qu'il  mérite,  la  presse  qu'il  mérite,  etc.  Ils  sont  vrais  dans  une 
certaine  mesure,  ils  ne  le  sont  pas  complètement.  Ils  le  sont  assez  pour 
qu'un   simple  changement  de  constitution,   à  Theure  actuelle,  ne 
paraisse  pas  devoir  donner  des  résultats  très  heureux,  au  moins  d'une 
manière  durable.  Changer  la  manière  dont  la  volonté  populaire  se 
manireste  ne  serait  ni  très  facile,  si  la  modification  devait  être  coDsi- 
dérable,  ni  sans  doute  très  longtemps  efficace.  Resterait  donc  à  chan- 
ger cette  volonté  même,  à  développer  l'esprit  public  qui  la  dirige  et  U 
détermine.  C  est  une  grande  et  difficile  affaire  pour  laquelle  il  n'est 
pas  superflu  d'employer  tous  les  moyens  depuis  la  constitution  et 
l'organisation  d'œuvres  diverses,  de  groupes  sociaux  infiniment  variés. 
jusqu'à  la  discussion  et  à  la  méditation  philosophique.'  L'œuvre  même 
de  M.  Fouillée  n'y  sera  pas  inutile,  je  Tespère,  et  si  elle  l'était  ce  x^e 
serait  pas  par  la  faute  de  l'auteur.  Mais  la  tâche  est  immense,  et  sinon 
impossible,  tout  au  moins  extrêmement  longue  et  ardue.  Peut-ôtre 
M.  Fouillée,  qui  m'a  paru  ne  pas  toujours  reconnaître  toute  l'impor- 
tance de  la  pratique,  a-t-il  un  peu  trop  négligé,  dans  ses  considéra- 
tions sur  ce  sujet,  les  facteurs  économiques  et  certains  autres  facteurs 
sociaux.  Il  ne  les  a  pas  méconnus  absolument,  mais  il  n'a  examiné  xjlu 
peu  longuement  que  les  conditions  intellectuelles  de  la  moralité,    1* 
presse,  l'éducation,  etc.  Sans  verser  dans  le  marxisme,  il  eût  mieiv 
valu,  à  mon  sens,  étendre  son  étude,  et  préciser  davantage  l'influence 
des  conditions  sociales  en  général  sur  la  mentalité  d'un  peuple,  ^^ 
si  Ton  veut,  Tinfluence  de  l'organisme  social  sur  Tâme  sociale. 

Il  est  encore  quelques  points  sur  lesquels  je  discuterais  volontiers. 
M.  Fouillée,  que  je  trouve  plutôt  un  peu  pessimiste  à  propos  de  i' 
presse  (non  que  ses  critiques  ne  me  semblent  exactes,  mais  elles  o^ 
me  paraissent  pas  suflisamment  équilibrées  par  la  considcratioa  de 
l'utilité  de  la  presse  et  des  services  qu'elle  rend,  bien  que  M.  Fouillée 
reconnaisse  ces  services  et  cette  utilité),  M.  Fouillée,  dis-je,  me  paraît 
un  peu  optimiste  en  certains  cas.  Il  y  a,  je  le  crains,  quelques  illusions 
sous  ces  mots  :  c  Nous  avons  encore,  dans  notre  pays,  trois  choses 
fortement  organisés  :  la  Justice,  l'Armée,  l'Université.  Au  moment 
même  où  nous  écrivons  ces  lignes,  la  justice  et  l'armée  sont,  toutes 
deux  à  la  fois,  battues  en  brèche  injustement  par  des  passions  cou- 
pables... »  Et  je  crains  qu'il  n  y  en  ait  aussi  dans  son  appréciation  de 
l'affaire  Dreyfus  :  «  Au  point  de  vue  moral,  dit-il,  nous  ne  saurions  voir 
un  symptôme  fâcheux  dans  le  grand  mouvement  d'opinion  qui  s'est 
produit  récemment  chez  nous  à  propos  d'une  question  de  justice,  les 
uns  craignant  que  Ton  n'eût  condamné  un  innocent,  les  autres  crai- 
gnant que  l'on  ne  répandît  une  injuste  déconsidération  sur  des  juges 
innocents  et,  par  contagion,  sur  l'armée  chargée  de  défendre  la  patrie  ». 
Certes  je  ne  suis  pas,  pas  plus  que  M.  Fouillée,  de  ceux  qui  feraient 


ANALYSES.  —  ËfiNS?  HAHCUS.  Die  ùmacte  Aufdeckung      303 

«  un  crim€  à  la  France  de  s'cire  passionnée  pour  une  question  de  vérité 
«t  d  équité  qui  dans  tous  les  autres  pays,  eût  été  immédiatement  étouf- 
lL*e  par  l'autorité,  surtout  à  cause  de  son  caractère  international,  »  Au 
coîitraire,  je  lui  reprocherais  plutôt  de  ne  pas  s'être  assez  passionnée. 
Et  surtout  le  symptôme  f;icheux  qui  me  parait  ressortir  des  derniers 
événements,  c'est  qu'une  grande  partie  de  ceux  qui  ont  pour  fonction 
sociale  d^iostruîre  et  de  diriger  les  esprits  aient  mis  sî  peu  de  clair- 
voyance, ou  si  peu  de  bonne  foi,  à  se  faire  une  opinion.  Que  la  foule  soît 
restée  indécise,  se  eoit  Irompée^  cela  serait  moins  grave,  encore  aurait- 
elle  dû  savoir  choisir  ses  guides.  Mais  il  est  très  inquiétant  pour  un 
pajsde  voir  que  TéLite  même  possède  si  peu  les  qualités  qui  Lui  seraient 
nécessaires.  (>   Depuia  la  situation  où  nous  a  rais  la  guerre  de  l  87(1» 
beaucoup  d'autres   nations   auraieut-eUes    osé    faire  plus  que   nous 
n'avons  fait?  »  se  demande  M,  Fouillée.  Peut-être  bien  que  non,  en 
eHTet,  mais  cela  eiit  été  fâcheux  pour  elles.  Mettons  que  ceïa  nous  soît 
de  quelque  consolation,  Sans  doute,  il  faut  penser  un  peu  aux  étran- 
gers pour  n'être  pas  trop  sévère  envers  les  siens,  comme  il  est  bon  de 
relire  rhistoire  lorsqu*on  est  porté  à  juger  durement  l'époque  présente, 
J'ajouterai  que  M.  Fouillée  me  paraît  pouvoir  rendre  un  véritable 
service  en  maintenant  et  en  développant  comme  il  le  fait  à  plusieurs 
reprises  un  certain  esprit  de  hiérarchie,  de  distinction  entre  ce  qui 
Vaut  plus  et  ce  qui  vaut  moins  qui  s'affaiblit  et  surtout  qui  s'altère  en 
^^^  lemps-ci  d'une  manière  dangereuse,  par  suite  d'une  fausse  manière 
d'entendre  ce  qu'il  y  a  de  boa  et  devrai  dans  les  tendances  égalitaires. 
Mai  a  le  livre  de  M.  Fouillée  serait  une  inépuisable  source  de  commen- 
^^ir©g  et  de  discuasious.  soit  que  Ton  partage  ses  opinions,  comme  je 
l^^use  que  cela  arrivera  souvent  à  hcs  lecteurs^  sott  qu'on  s^eu  écarte 
^^las  ou  moins* 

Fr.  Faulïian. 

JEmst  Marcm.  Dib  bkacte  AuFnEcitUNtJ  ues  Fundaments  der  Sitt- 
^ïl^HKEir    liND    EELIOIOM   UKD  OIE    KONSTRUCTiOX    DER  WeLT    a  OS    OEN 
KlEMEXTEN    DE»  Kant.  4   v.   gr.  ÏB  &*  en  deux   parties  de  xix  1-240 
*t  tGl  p,  Leipzig,  llerraann  Haacke,  189ÎK 
L      Le  titre  de  Touvrage  de  M.  Marc  us  renverse  Tordre  des  deux  par- 
B  tJii  qui  constituent  cet  ouvrage;  maî^  ce  renversement  môme  exprime 
^  «vec  exactitude  Tidée  fondamentale  de  l'auteur.  Comme  celui-ci  nous 
riïidique  dans  les  premières  pages  de  sa  préface  i^ur  Otieniierung 
deê  Lesersj.  le  but  qu'il  a  poursuivi   est  tout  moral  et  social;  et,  en 
ceci  tout  au  moins,  il  s'est  montré  le  fidèle  disciple  de  Kant*  Son  livre 
est  une  œuvre  de  polémique  contre  les  faux  savants  qui  empoisonnent 
tiés  esprits  de  leurs  hypothèses  mensongères,   ?ichopenhauer,  Hart- 
IIDann,  Nietzsche,  les  matérialistes^  les  évolutionuistcs,  tels  i^ont  les 

i.  Niceforo.  Lti  dHinf^ueriza  in  Snrdt'ffaat  cUap,  n  et  lU. 


304  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

principaux  adversaires  dont  il  veut  combattre  l'influence.  Mais  on  ne 
peut  les  combattre  que  du  point  de  vue  exact  de  la  sienne.  C'est 
pourquoi  M.  Marcus  veut  élever  la  doctrine  kantienne  à  la  dignité  de 
science  exacte,  ainsi  qu'en  témoigne   le  sous-titre  de  son  ouvrage  : 
Élévation  de  la  Critique  de  la  raison  pure  et  pratique  au  rang  de 
science  de  la  nature.  Il  sait  bien  que  la  théorie  n'agira  pas  immédia- 
tement sur  la  conduite;  mais  il  pense  qu'elle  modifiera  peu  à  peu  la 
conscience  publique ,  laquelle  ne  peut  manquer  enfin  d'agir  sur  la 
conscience  individuelle.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  M.  Marcus  ait  fait  un 
simple  décalque  de  l'œuvre  critique  de  Kant.  Lui-même  nous  raconte 
comment  il  est  parvenu  à   ses  conclusions.  Il  a  repris  le  problème 
général  dans  les  termes  où  Hume  l'avait  posé  et  Kant  rétabli;  et,  par 
la  méditation  personnelle,  il  s'est  trouvé  en  accord  foncier  avec  Kant. 
Cette  rencontre  lui  paraît  un  signe  de  la  vérité  de  la  doctrine.  Autre 
signe,  intrinsèque  celui-ci  :  l'hypothèse  kantienne  est  en  accord  entier 
avec  tous  les  faits  de  l'univers.  Voilà  qui  l'établit-  solidement.  Les 
autres  hypothèses  se  trouvent  toutes  contredites  par  des  faits  indubi- 
tables. Parmi  ces  faits,  ceux  de  la  conscience  morale  sont  en  première 
ligne.  Et  M.  Marcus  consacre  une  bonne  partie  de  sa  préface  à  mon- 
trer  combien  est  vainc  la  prétention  d'expliquer  la  conscience  morale 
par  l'hypothèse  de  l'évolution.  Le  seul  fait  de  rechercher  la  vérité  est 
déjà  une  preuve  de  la  loi  morale.  De  plus,  le  seul  fait  d'un  contrat» 
quel  qu'il  soit,  institué  entre  les  hommes,  démontre  que  lescontrao- 
tants  ont  l'idée  de  la  moralité  et  de  l'obligation.  De  tout  ce  qui  pro- 
cède, on  conclut'  aisément  que  M.  Marcus  n'a  pas  détaché  de  ï'œuvir^ 
critique  de    Kant   un   morceau   isolé;  il  a  repris    cette  œuvre  to«*r 
entière,  et  il  fait  précéder  son  enquête  sur  les  fondements  de  l'éthiq^^® 
d'une  autre  enquête  sur  la  constitution  de  l'esprit  et  du  monde.  Ceirte 
première  partie  n'est  à  ses  yeux  qu'une  esquisse;  il  se  propose  d® 
publier  plus  tard  un  <j:rand  ouvrage  sur  les  fondements  de  la  connais- 
sance. L'esquisse   qu'il   nous  offre  aujourd'hui    nous   fait  juger  à^ 
maintenant  que  l'œuvre  annoncée  offrira  un  intérêt  très  grand.  C'est 
chose  rare,  et  presque  paradoxale,  que  de  voir  un  penseur  allemaO" 
abandonner  de  nos  jours  le  point  de  vue  empirique  et  évolutionnis^c 
pour  revenir  au  point  de  vue  do  Kant.  Tandis  que  l'Angleterre,  quai*' 
fiée  de  positiviste,  revient  à  la  spéculation  métaphysique,  rAllemagn^» 
qualifiée  do  métaphysique,  s'est  donnée  tout  entière  au  positivisme   ^' 
au  darwinisme.   M.  Marcus   s'élève  à  bon  droit  contre  cet  oubli  ^f 
rà-priori,  qui  est  à  ses  yeux  un  oubli  de  la  logique.  Il  pense  avo*^ 
démontre  de  façon  irréfutable  les  principales  thèses  du  kantisme     ^^ 
avoir  interprété  celui-ci  de  la  manière  la  plus  fidèle,  contrairement 
ceux  qu'il  appelle  les  Kpigones  de  Kant,  et  parmi  lesquels  il  f**^ 
comprendra  l'ichte  et  Hcîgcl,  aussi  bien  que  Schopenhauer  et  Ha*"*' 
mann. 

La  deuxième   partie   de  louvrage   de  M.  Marcus  reproduit  ass^ 
exactement  les  divisions  de  la  Critique  de  la   raison  pratique;  ^^' 


ÂICALYSES.  —  EftssT  SJARCUS,  Die  e3:a€t€  Ânfdeckung      305 

ni  se  flatte  d'avoir  complété  Kant,  notamment  en  ce  qui  concerne 
rappUcation  de  la  loi  morale  au  monde  sensible,  ainsi  que  le  primat 
le  la  raison  pratique  sur  la  raison  théorique,  il  ne  modifie  pas  grave- 
iient  ta  doctrine  de  son  mailre.  Il  serait  1res  utile  de  se  servir  de  cette 
iiterprétatîon  pour  lire,  en  raccompagnant  d'un  commentaire  sérieux» 
•œuvre  même  de  Kant  C'est  dans  la  première  partie  que  M.  Marcus 
lous  paraît  avoir  faît  subir  à  la  pensée  kantienne  d'importantes 
léviatjons  (peut-ctre,  ainsi  que  lui-même  Testime,  d'heureuses  correc- 
lonsO  n  donne  comme  sous-titre  à  cette  partie  :  Passage  de  la  cri* 
lique  de  la  raison  pure  à  la  critique  de  la  raison  pratique;  et  il  a^eat 
ifTorcé,  en  effet,  de  trouver  un  lieu  étroit  entre  la  théorie  et  Taction. 
Coût  le  chapitre  IV  {Organisation  pragmatique)  est  consacré  à  cette 
^©clicrche;  et  c*est  là  qu'il  développe  tout  ensemble  sa  théorie  de  la 
^uaaljté  et  sa  théorie  corrélative  de  la  liberté.  Il  admet  la  liberté 
|ans  un  sens  beaucoup  plus  large  que  Kant,  et  il  ta  considère  comme 
tine  condition  de  toute  connaissance  et  de  toute  pratique;  néanmoins, 
1  rejette  le  libre  arbitre,  et  il  parait  réduire  cette  liberté  à  une  spon- 
Bnéité  de  la  conscience.  —  Un  autre  point  sur  lequel  M,  Marcus 
léveloppe  une  doctrine  originale,  c'est  le  problème  de  la  nature  do 
*a  priori.  Il  semble  qu'il  considère  Va  priori  comme  un  contenu  pri- 
piîtjf  de  la  conscience»  dont  Texpérience  constituerait  les  modifica- 
ions*  Il  fonde  cette  manière  de  voir  sur  ce  qu'il  appelle  la  loi  de  la 
mbsiitutiùn  homogène^  en  vertu  de  laquelle  un  mode  de  la  conscience 
\m  peut  succéder  qu'à  un  autre  mode  relevant  du  même  genre.  Cette 
aanièrc  d'entendre  l'existence  de  l'a  priori  rappelle  celle  de  Hartmann^ 
tvec  cette  dilTérence  capitale  que  Hartmann  fait  appel  à  rinconscient, 
lundis  que  \L  Marcus  n'admet  pas  la  possibilité  de  rineconscient-  Nous 
Otitons  que  cette  interprétation  soit  conforme  à  la  pensée  de  Kant. 
Cftfsque  Kant  dit  que  la  connaissancs  commence  av^ec  rexpérience^  il 
^  semble  pas  qu'il  veuille  opposer  à  la  connaissance  une  conscience 
rii^ineïle  qui  serait  antérieure  à  rejtpérience.  La  table  des  catégories 
B  M.  Marcus  diffère  notablement  de  la  table  kantienne.  Surtout  il 
pt  loin  d'attribuer  aux  catégories  ta  même  importance  que  Kant,  et  il 
te  voit  en  elles  que  tes  applications  de  ta  règle  a  priori,  qui  permet 
ranticiper  sur  rexpérieace.  Mais  la  nature  et  la  valeur  de  cette  règle 
t  priori  semblent  insudisamment  établies.  11  semble  que  Kant  ait 
rouvé  un  fondement  plus  solide  dans  l'unité  synthétique  de  l'aper- 
eption.  —  Il  est  nécessaire  de  dire  quelques  mota  de  ta  théorie  de 
i.  Marcus  relative  à  ta  chose  en  soi.  L'existence  de  la  chose  en  soi 
Ht  paratt  iodubitable.  Mais  il  ne  croit  pas  que  ta  chose  en  soi  dépasse 
es  limites  de  la  pensée^  car  elle  serait  alors  un  non-sens.  Voilà  qui 
condamne  la  théorie  métaphysique  de  Sohopenhauer.  La  cliose  en  soi 
iépaase  seulement  les  limites  de  rexpérience  sensible  »  et  répond  uni- 
^n^meot  à  l'idée  de  la  raison.  Pour  déterminer  la  nature  de  ta  chose 
n  soi,  il  faut  recourir  à  la  critique  de  la  raison  pratique,  qui  Tiden- 
Mêra  avec  la  volonté  rationnelle*  C'est,  samble-t^il,  à  la  chose  en  soi 

I  TO«K  t,  —  1900.  20 


306  BKVLE   t*«lLO^t>PIÏ!Qi;K 

qu'il  faut  rapporter  les  data  irrédtietibles  et  inexplicables  de  la  ^^ 
naissance.  La  doctrine  kantienne  de  la  chose  en  soi  adonné  lieu  à  fc 
d'interprétations  diverses,  que  nous  ne  saurions  décider  si  cell^ 
M.  Marcus  est  exacte.  Nous  ne  Voyons,  quant  à  nous,  aucun   ir». 
d'admettre  cette  hypostase  mystérieuse;  el  il  nous  sembJe  que  F 
de  la  raison  ne  réclame  pas  ce  complément  indétermînable. 

En  somme,  Tessai  de  M.  Marcus  eat  un  des  plus  remarquables 
nous  connaissions  parmi  les  tetitativea  récentes  de  philosophie  ^^ 
raie.  Espérons  qu'il  nous  donnera  bientôt  le  grand  ouvrage  qu  il  a  * 
promet. 


Théodor   Elsenliaos.   —   BErTU.EGE  zun    Lehhe    vo^ï    Gewis^ 
(Extrait  des  Tht'ohgischf^  Studien.   W  fascicule.   —  Brochure  ïtl.  ^ 
àù  pages;  Gotha^  Perthes,  1900. 

M.   Elsenhans,  auteur   d'une  étude  connue  sur  VEsmnce  et  t'c^ 
gine  de  la  conscienco  (1^94),  s^altache  ici  à  définir  avec  une  précis    ^ 
plus  grande,  robjet  d'une  psycholopfie  de  l'Éthique,  La  morale  c^^ 
ûesser  d'être  une  simple  technique  pour  devenir  une  science,  C^^ 
science  a  un  objet  défini  :  c'est  la  psychologie  de  la  conscience  morj?^ 
Certains  voudraient  rattacher  la  théorie  de  la  conscience  à  la  théo^ 
économique  de  la  vaïeur.  Mais  une  telle  recherche  n'est  scientifii^^ 
qu'en  apparence^  car  elle  ne  fait  aucune  place  à  Tétude  des  variatic::* 
de  la  conscience  et  par  suite  à  Tétude  de  ea  genèse.  Il  n'est  pas  v  ^ 
d'ailleurs  que  la  conscience  morale  échappe  à  l'analyse  en  raison 
sa  nature  plus  sentimentale  qu'intellectuelle,  —  On  peut  faire  ce    ^ 
analyse  à  trois  points  de  vue.  On  peut  d'abord  distinguer  les  dif:^ 
rentes  directions  dans  lesquelles  les  éléments  affectifs  de  la  consciei»- 
se  déploient;  on  peut  les  distinguer  des  autres  sentiments  moraux:     '^ 
peut  en  chercher  la  connexion  avec  la  vie  totale  de  Tesprit*  L'auto 
reste  fidèle  à  ce  plan.  Il  distingue  soigneusement  la  conscience  morsr^ 
du  sentiment  religieux,  les  éléments  objectifs  de  la  conscience,  ^- 
sentiments  moraux  auxquels  n'est  pas   unie  l'idée  du  moi;  enfin 
s'efforce  de  montrer  que  la  conscience  morale  est  à  l'humanité  entier 
ce    que    la   cœnesthésie  (Gemeingefûhl)  est    à    Torganiame    indl^^ 
duel. 

Notons  surtout  l'étude  très  fine  des  rapports  que  la  consoien^ 
morale  soutient  avec  le  sentiment  religieux.  L'auteur  est  pasteur;  r^ 
d'étonnant  si,  après  avoir  bien  distingué  les  sentiments  moraux  c^ff 

sentiments  reliofieux,  il  s'attache  à  montrer  le  concours  que  ceux 

peuvent  apporter  aux  premiers.  Quand  la  conscience  morale  e«t  re  ^ 
gieusement  déterminée  par  les  idées  de  la  justice  et  de  la  grm^^* 
divines,  il  se  fait  une  combinai^^on  des  sentiments  moraux  et  des  se 
timents  religieux.  L'effet  en  est  de  modifier  la  quftlllé  et  Tinten^^ 
des  premiers.  Chez  l'homme  religieux  les  i 


iS 


.^%.LTS£S,  —  K,  éLËUTHÊuoPûCLOS*  DûS  Reckt  dm  Starkeren    3U7 


coloration  tout  autre  que  ohez  le  pur  rationaliste;  cette  modification 
qi^î^l  itative,  à  vrai  titre,  ne  se  laisse  guère  définir  et,  pour  la  concevoir, 
il    f  î.^  mi  ravoir  vécue.  L'intensité  des  sentiments  moraux  est  générale- 
ino  WTM.  l  accrue  par  leur  fusion  avec  des  sentiments  dont  TexciUlion  est 
d'os*  ci  inaire  beaucoup  plus  forLe.  L^auteur  reconnait  que  les  erreurs 
reli^'ieuses  pénètrent  alors  avec  facilité  dans  la  conscience  et  peuvent 
icof^i^inier  une  déviation  aux  sentiments  moraux.  Peut-être  aurait-il  pu 
ètro    conduit  par  là  à  chercher  ni  toutes  les  formes  du  sentiment  moral 
eool:   compatibles  avec  le  sentiment  religieux  même  le  plus  pur  et  si 
Ta!  I  i  ance  de  la  religion,  après  avoir  fortifié  la  conscience  morale  durant 
ses    premières  phases,  ne  lui  fait  pas  inhibition  plus  tard- 
Cet  opuscule  est  To&uvre  d'un  esprit  familier  avec  les  travaux  les 
plu»   récents  sur  la  psychologie  des  sentiments.  Aussi  aurait-on  sou- 
limité  avoir  son  avis  sur  la  question  si  controversée  des  limites  de  la 
psychologie  et  de  la  sociologie,  queîition  qui  intéresse  si  directement 
toute  riithique,  —  Elsenhans  estime  à  la  fois  que  la  racine  de  la  con- 
st.*îençe  est  dans  U  vie  affective  et  que  les  sentîments  de  la  conscience 
(Oewissensg'efiihle;  sont  distingués  des  autres  sentiments  moraux  en 
ce    qu'ils  sont  liés  a  un  jugement  réîléoht  que  le  moi  porte  sur  lui- 

Maïs  ces  sentiments  moraux  étrangers  à  la  conscience  morale  déllnie» 
«lue  peuvent-ils  être  sinon  des  sentiments  collectifs?  Dès  lors,  quelle 
Isolation  la  conscience  morale  réfléchie  soutient-elle  avec  la  conscience 
«ilte  collective?  Procède-t-elle  d'une  évolution  ou  d*une  dissolution  de 
ct?t!e-ci?  Cette  question  se  laisse  ramener  à  une  autre  pîua  générale. 
l^ft  psychologie  de  TEthique  ne  devra  t-elle  pas  être  une  branche  de 
^^  Psychologie  sociale,  j'entends  une  psychologie  consacrée  à  l'étude 
^^^  liens  qui  unissent  le  Moi  au  «  Nous  »  ou  à  ce  que  l*on  nomme, 
t*^*tJt-ètre  très  improprement,  la  conscience  collective? 

Gaston  RiGHAADt 


^^     ^br.  Éleuthéropoulos .    Das    Reçut    des   Stahkeren*    Die 

.^^^^il'LrCÎHKISIT     OCiEïl     ElN     PÛLITISGH-nECHTLiUHEll    TRACTAT.     1     VOl, 

*a-^  de  \M  pages-  Zurich,  Caesar  Bchmfdt,   1897, 

Ce  livre  nous  présente  une  conception  toute  matérialiste  du  Droit. 

*pf  68  Tauteur,  la  force  est  le  seul  facteur  à  considérer  dans  U  for* 

^^lioi^  et  dans  l'c^volution  du  droit  et  de  TÉtat,  Droit  idéal,  État  idéal, 

^ '^reH    chimères ^  nées  de    la  cervelle  des  métaphysiciens.  Le  désir 

^fit^l^  regardé  par  certains  sociologues  tlnalistes  comme  le  moteur 

^  *  histoire  n*a  pas  davantage  de  réalité.  Tout  au  plus  pourrait-on  le 

.  Cartier  comme  un  épiphénomène  subjectif  du  jeu  mécanique  des 

extérieur  es  qui  seules  engendrent  le  Droit  et  rËtat. 

'       'm   explicite   à  cet  ég.ird  que   le   passage  suivant,  où 

.ifjulos   oppose  sa  théorie  de  la   g'enèse  de  l'Etat  à  la 

*     "*  de  Jhering,  tt  Ainsi  naît  TEtat  (de  la  horde  et  de  la 


3ûâ 


HËVUE   PHlLOSOPRiaUE 


geiu  par  un  processus  tout  mécanique^  il  est  le  prolongement  de  la 
société  primitive;  il  est  détermiQé  extérieurement  par  la  lutte  directe 
(contre   le  dehors)   pour   rexistence    et  se    présente  intérieurenieut 
comme  l'organisation  de  la  gens  devenue  organisation  politique.  Le 
rapport  d'individu  à  individu  n*eat  pas  changé,  mais  le   rapport  de 
l'individu  BU  tout,  —  H  me  sembla  que  c*est  une  conclusion  erronée 
(celle  de  Jheritig}  que  celle  qui  consiste  à  tout  rapporter  à  raftirmation 
égoïste  (die  egoisliche  Selb&ibehauptung)  des  moï  indlvidueU  et  à 
conclure  que  c'est  un  but  individuel  (individuelle  Zvcco/0  qui  a  con- 
duit du  Droit  à  TEtat  K  Xon  seulement  TËtat  n'est  pas  le  produit  du 
Droit,  ce  qu'affirme  cette  théorie,  mais  il  n'est  en  aucun  sens  le  pro- 
duit d'un  but  individuel.  Dans  le  premier  caa,  le  droit  est  regardé 
comme  quelque  chose  qui  existe  de  tout  temps,  en  soi  et  par  soi;  ce 
qui  comme  nous   le  montrons  plus  loin  est  faux;  dans  le  second  cms 
(quand  on  suppose  que  le  droit  résulte  des  égoïsmes  individuels),  on  m 
aboutit  à  une  conception  qui  contredit  radicalement  Teicplicalion  de  ^ 
rÉtat  comme  organisation  politique  issue  de  la  gen^  et  de  lu  horde. 
—  Ce  n*est  pas  un  désir  individuel,  mais  la  pression  (cfiR  Nôtigung] 
de  la  lutte  directe  pour  rexistence;  c'est  donc  la  conservation  de  Tes-  ■ 
pèce  qui  a  réuni  les  hordes.  Et  c'est  là,  comme  je  l'ai  montré,  Torî- 
gîne  de  l'Etat.  Il  ne  peut  être  question  d'un  biit^  qu*il  s^agisse   d'un 
but  général  ou  d'un  but  déterminé,  parce  que  naturellement  la  vie  ne 
se  définit  pas  par  une  fin  quelconque.  Ajoutons  que  le  sauvage  ne  fait 
jamais  quelque  chose  iî  pour  faire  quelque  chose  v»;  il  ne  vît  ^m 
«  pour  vivre   u;  cette  dernière  manière  de  vivre  est  le  privilège  de 
l'homme  moderne.  Naturellement,  on  vit  parce  qu'on  fit  et  la  hûrde 
ainsi  que  TÉtat  naissent  non  pour  réaliser  un  but  conscient  ou  incon- 
scîent,   mais  sous  Tunique  pression  de  la  lutte  directe  pour  resis-     i 
tence  »  (pp,  133  et  134).  M 

Telle  est  rexplication  antifinaliste  de  M,  Eleuthéropoulos  et  sa  réfa-™ 
tation  de  Jhering.  Outre  que  M.  E^  noua  paraît  commettre  une  sorte  de 
cercle  vicieux  en  rejetant  li\  théorie  de  Jhering  sous  le  seul  préteiEte^ 
qu'elle  est  en  contradiction  avec  sa  propre  explication,  il  est  permis V 
de  se  demander  si  le  mécanisme  simpliste  de  Tauteur  rend  véritable- 
ment compte  du  droit  et  de  TEtat.  M,  É.  ramène  tout  à  des  rapports 
mécaniques  de  causalité;  mais  dans  le  monde  moral  et  sooial,  les 
rapports  de  causalité  se  transforment  en  rapports  de  HnaUté,  et  c'est^ 
quoi  qu  on  fasse,  sous  cette  dernière  forme  qu'ils  apparaissent  à  la 
conscience.  On  ne  peut  éliminer  le  désir,  le  but,  règoïsroe  et  le  fina- 
lîsme  individuel,  —  Même  dans  la  contrainte,  la  volonté  reste  un  ho  ^ 
teur  présent  et  nécessaire  :  coacti  lumen  volunt*  H 

A  Tappui  de  ses  théories,  M,  É.  fait  une  revue  critique  assez  com-»    * 
p!ète  des  théoriciens  de  la  force  dans  le  droit  On  pourrait  y  sigualef 
pourtant  certaines  lacunes.  Par  exemple  il  n'y  est  pas  fait  mention  dol 


1,  Jhering,  Der  Zweck  im  Hecfii€i  S*  7f  j  81,  etc. 


AifALYSES.  —  UFARGUK.  Beckerckes  BUT  V origine  de  Vidée  309 

la  théorie  du  comte  de  Gobineau  sur  rinégalité  des  racée  humaines  » 
théorie  *  qui  peut  être  regardée  comme  un  des  moments  împortûiitfl 
dans  révolution  de  cette  doctrine. 

P  Poursuivant  le  tléveloppement  de  sa  théorie,  M.  É,  rapplique  aujc 
^uestîon^  de  lu  politique  contemporaine.  Voici  un  passage  qui  donne 
une  idée  de  son  attitude  à  ce  sujet  :  i  L'histoire  ne  nous  donne  jamais 
€]U*une  réponse  :  le  droit  est  la  force  et  celui  qui  n'a  pas  la  force  n'a 
pas  le  droit-  Parmi  ceux  qui  ont  la  force,  c'est  le  plus  fort  qui  délient 
le  droit.  La  voix  de  la  politique  internationale,  le  droit  des  gens  jus- 
tifie ces  faits  historiques  en  proclamant  expressément  un  droit  des 
nations  à  se  maintenir  {Selbslerhaltungrechi)  par  la  force.  Pour  citer 
«quelques  exemples,  c*est  ce  droit  qui  autorise  la  Turquie  à  opprimer 
les  nations  (plus  faibles)  qui  veulent  sinsurger  contre  elle  et  à  vou- 
loir en  faire  ses  sujets.  Et  il  en  est  de  même  pour  toutes  les  nationa 
actuelles.  En  ce  qui  concerne  TÂlsace  et  la  Lorraine,  on  doit  dire 
qu'elles  ne  sont  ni  allemandes  ni  françaises,  mais  qu'elles  sont  au  plus 
fort;  le  plus  fort  est  aujourd'hui  TAllemagne  »  (p.  47). 

On  voit  que  la  thèse  de  M*  È.  n'eut  pas  nouvelle^  et  ^  vrai  dire  noua 
WTke  voyons  pas  qull  apporte  pour  la  défendre  aucun  argument  nou- 
^%^eau.  Ce  réalisme  brutal^ce  darwinisme  simpliste,  développé  en  un  style 
i^HDUvent  vague  et  diffus  ne  fera  pas  faire  un  grand  pas,  selon  nous^ 
^i.ux  questions  posées  par  Tauteur. 

G.  Palante, 


P.  LafargUQ.  —  HECHEnCMES  sur  t'ORiaiNE  de   L*IDéË  DE  JUSTICE  ET 

X^£  l'idèf.  du  bien;  brooh.  in-8  de  T5  pages;  Qlard  et  Brière,  éditeurs; 
^  ï*ari8,  i90û. 

^P      Cette  brochure  a  d'abord  paru  dans  le  .Yeue  Zeit  (organe  officiel  de  la 

«social-démocratie  allemande)  et  ensuite  dans  la  Revue  Bocialiste  :  elle  n'a 

&ubi  que  peu  de  corrections;  il  y  en  a  cependant  une  intéressante  à  ta 

^ge  7^;  d'après  le  texte   primitif,  Sccrate  aurait   été  le  disciple  de 

j^_    Pl&ton  et  le  familier  des  tyrans  siciliens*  —  L*auteur  annonce  dam 

^B  îikvant-propos  qu'il  va  aborder  des  questions  restées  insolubles  aux 

^^    t  cénacles  d'impotents'  u   ou   <<   vaticinent   les  sociologues  untversi- 

ta^ires  ■  et  appliquer  la  méthode  matérialiste  de  Marx  à  Tongine  des 

I         Idééâ  abstraites  u;  en  fait  il  se  borne  à  répéter,  apri^s  tout  le  monde 

que  les  mots  ont  eu  d'abord  un  sens  concret  et  il  n'indique  comme 

application  directe  des  idées  de  Marx  que  ce  fait  que  le  mot  bien  a 

d'abord  signifié  des  richesses,  en  sorte  que  a  la  morale  bourgeoise 

réllèie  Sa  vulgaire  réalité  »  (p.  75),  ^  Il  se  livre  à  une  débauche  d'éty- 

iQOlogies  par  à  peu  près;  on  pourrait  par  sa  méthode  ramener  à  un 

léme  radical  oreille,  horticulture,  orthopédie  et  borïoge*  —  11  croit 

f ,  De  Gobiniiay.  Eââai  sjtr  rinégaîilé  dei  t^cej  humamei.  « 


310  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

que    la   philosophie   moderne    ignore  l'évolution   des    idées   et  des  ^      ^ 

sentiments;  mais  s'il  avait  été  au  courant  des  travaux  des  sociologues  ^^  ^^ 

universitaires,  il  n'aurait  pas  trouvé  que  la  vengeance,  le  talion  et  le  ^-K^ 

tabous  soient  choses  aussi  simples  qu'il  le  pense;  il  aurait  su  que  les  ^^^ 

explications  utilitaires  sont  surannées.  —  Cette  brochure  est  à  lire  pour  "km.j 

savoir   quelle   espèce   de    science  MM.  Bantszy   et   Kebel   comptent  ^mtm. 
imposer  de  force  au  monde. 

G.    SOREL. 


H.  Lagrésille.  —  Vues  contemporaines  sur  la  sociologie  et  sur  ^^  lU 

LA  morale;  vol.  in-8  de  iii-268  pages;  Giard  et  Brière,  éditeurs;  ^  ^' 
Paris,  1890. 

L'auteur  est  très  ingénieux,  mais  ses  raisonnements  subtils  sur  les  ^^ 

idées  n'aboutissent  à  rien  ou  à  des  résultats  donnés  déjà  par  le  sens  ^  ^^ 

commun.  On  aura  une  notion  assez  claire  de  sa  théorie  par  la  définition  .cm<: 

suivante  :  «  La  société  est  un  concert  d'idées  vivantes^  lesquelles,  après  ^s 

avoir  moulé  le  cerveau  de  chaque  individu,  moulent  toutes  les  choses  ^^^ 
humaines  pour  ainsi  dire  par  leurs  vibrations  »  (p.  22). 

G.  SORKL. 


Jules  Bovon.  Morale  chrétienne,  2  v.  in-16,  437  et  460  p.,  Lau- 
sanne, Bridel,  1898. 

J'ai  pris  un  puissant  intérêt  à  la  lecture  de  ces  deux  gros  volumes, 
tout  en  n'admettant  pas  toujours  les  idées  qui  y  sont  émises.  L'auteur 
attribue  à  Jésus  de  très  beaux  préceptes,  mais  il  oublie  qu'aucune 
église  régnante  n'a  rien  de  commun  avec  aucune  parole  du  Prêcheur 
de  Nazareth.  La  divergence  des  lois  morales  des  Eglises  prouve  qu'au- 
cune no  possède  la  véritable.  M.  Bovon,  professeur  de  théologie  à 
rUnivcrsité  Évangélique  de  Lausanne,  exalte  la  supériorité  de  la 
morale  protestante.  Certes,  elle  est  supérieure  à  celle  des  jésuites,  qui 
enseignent,  d'après  Pascal,  entre  autres  points,  que  «  quand  celui 
qui  nous  décrie  devant  des  gens  d'honneur  continue,  après  l'avoir 
averti  de  cesser,  il  nous  est  permis  de  le  tuer,  non  pas  véritable- 
ment en  public,  de  peur  de  scandale,  mais  en  cachette,  sed  clam  », 
mais  la  morale  des  prophètes  hébreux  n'est  pas  inférieure  à  celle  de 
Calvin  ou  de  Luther;  nous  ne  pouvons  pas  non  plus  dédaigner  la 
morale  de  Mahomet  ni  celle  de  Bouddha.  Qu'est-ce  que  la  morale 
chrétienne?  II  n'y  a  que  la  morale  humaine.  La  force  morale  n'est  pas 
le  fruit  du  syllogisme.  Il  ne  faut  pas  faire  dépendre  la  morale  d'aucune 
doctrine.  «  Quel  est  le  ressort  principal  de  la  moralité?  Est-ce  la  doc- 
trine/ Oui.  sans  doute;  mais  avant  tout,  c'est  l'homme  *.  »  Il  faut  faire 

1.  Kinile  Uoiitruux.  Inlroiluction  à  la  Morale  sociale,  p.  ii. 


—  J 


i  J 


ANALYSES.  —  EUCiiME  t^uioiT.  Die  Théorie  des  Milieu     311 


^' 


TM.* 


bien  sans  ^'inquiéiersi  personne  le  saura*  Le  vrai,  le  beau,  le  bien 

^.t  par  euîE-mêmee  assez  d'attrait  pour  n'avoir  pas  besoin  d'une  auto- 

^  é  qui  ïes  commande»  ni  d*une  récompense  qui  y  soit  attachée, 

^7^aime  mieux  la  partie  psychologique  du  travail  de  M.  Bovon.  Il  con- 

C3re  une  page  excellente  â  la  psychologie  du  mensonge.  Le  mensonge 

^^pose  un  desordre  profond  dans  notre  vie.  Si  nous  étions  ce  que 

^«js  devrions  être,  nous  n'éprouverions  nul  besoin  de  dissimuler  ce 

m  est  Mais  nous  subissons,  à  cet  égard,  deux  inlTuenccs  contraires» 

Ljxn  côté  notre  nature  est  mauvaise,  ce  dont  nous  sommes  bien  obU^ 

^:^^^  i^»  de  convenir.  Et  d'autre  parti  nous  sentons  ce  qu*il  y  a  là  d'anormal  : 

i^i^^i:^  ^pables   donc   de    nous   changer,   nous    vouions   du  moins   noua 

^^^^^uiser;  n^ayant  qu'imparfaitement  le  fond»  nous  recherchons  avec 

^*-"v*  m  ^ité  l'appai^ence.  «  Cette  impulsion  instinctive  est  certes  digne  de 

t^arque,  puisqu'elle  nous  révèle»  avec  notre  déchéance,  la  honte  que 

t^B  en  éprouvons  ».  C'est  un  penchant  gros  de  péril,  qu'il  faut  com- 

*^^^-*:re.   Le  mensonge   est   un   dissolvant  social  toujours  à  l'œuvre  : 

*   ^«=:»]nme  change  l'activité  collective   en  une  lutte  sourde  où  chacun 

J"^"*^^  *^p*^  à    Tenvi  le   prochain*   Tel  étant   le    danger    à    éviter,    pour 

^  "vaincre  d'autant  mieux   il  importe    de  le  discerner  et  de  préciser 

*^    ^^  i^ord  le  sens  des  termes.  Boit  le  mensonge,  soit  Terreur  sont  contre 

^^     "^i^érité  :  seulement  l'erreur  Test  inconsciemment,  tandis  que  le  men- 

^^^m-^  ^e  est  un  acte  voulu,  le  menteur  sait  ce  qu'il   fait  quand  il  abuse 

^^         autres.  On  peut  nuire  à  la  vérité  sans  mentir,  lorsqu'on  ignore 

»  t^  exactitude  qu*ûn  commet;  on  peut  dire  une  chose  vraie  en  mentant, 

^^*^-^<lue.  la  croyant  fausse,  on  cherche  à  égarer  le  prochain  par  caprice 

*^^^       ^ans  un  but  égoïste.  L'intention  positive  de  tromper  est  donc  le 

^'^î^m^  caractéristique  du  mensonge*  Le  poète  ou  le  romancier  ne  men- 

^^'^t   pas,  par  exemple,  en  enveloppant  leurs  fictions,  que  nul  n'a  l'idée 

t^rejidre  pour  des  réalités.  On  ne  ment  pas  daviintat^'e  enplaisiintanl, 

a-ifi^^^g  (|y^  Tironie  est  évidente.  Mentir,  c'est  abuser  les   hommes  le 

^^^^ant  et  le  voulant,  qu*on  le  fasse  en  actes  ou  en  paroles,  par   le 

^^^ï^ce  ou  par  d'insidieux  discours.  Ce  mensonge  consiste  à  affirmer, 

^-^^^1  le  but  de  tromper,  ou  ce  qui  n'est  pas,  ou  ce  qu'on  ne  croit  pas» 

l#    '^^''^es  qui,  dittinctes  en  certains  cas,  en  viennent  souvent  à  se  con- 

*^^ro.  Notre  conduite  envers  autrui  dépend  de  notre  vie  personnelle, 

-,     ^^'^st  dans  ce  sanctuaire  intime  que  nous  devons  chercher  en  premier 

^^^      robligalion  qui  nous  incombe  de  poursuivre  en  toutes  choses  la 

OSStP-LOURIÉ. 


t%^r 


IV.  —  Esthétique, 
^^xgénie  Dutoit  —  Dje  Théorie  des  MtuEa  (Bern»  Bturzenegger 


€^ 


Mi 


le  Eugénie  Dutoit^  de  Berne,  a  choisi  pour  sa  thèse  de  philosophie 


^Ijjet  des  plus  intéressants,  qu'elle  a  traité  avec  soin.  Son  travail 


312  REVtlE  PHILÛSOPHIÛUE 

se  divise  en  trois  p&rties.  Dans  la  première,  elle  critique  la  théorie  d^    ^ 

milieu,  telle  que  Taine  Ta  comprise;  dans  la  deuxième,  elle  en  eipo^^j 
les  origines  historiqued»  en  marquant  tes  traits  qui  la  distinguent  cbes^^ 
les  ditïérenla  auteurs,  Hippocrate,  Aristote^  Bodin,  Montesquieu  ;  dans  '^ 
la  troisième,  elle  la  considère  en  elie-môme.  alln  d'en  découvrir  la 
véritable  signification  et  la  portée, 

La  théorie  du  milieu  n*eat  qu'une  expression  nouvelle  du  problème 
qui  se  pose  à  Fesprit  humain,  lorsque,  voulant  ramener  à  Tunité  Vex- 
plication  des  choses,  on  s'elTorce  de  transporter  du  monde  physique 
au  monde  moral  les  lois  de  la  causalité.  Comment  est-il  possible 
d  admettre  à  la  fois  la  nécessité  de  tous  les  phénomènes  et  de  sauver 
la  liberté  de  la  réaction  psychique^  de  concilier  le  déterminisme  scien* 
tiltque  avec  la  responsabilité  morale?  Telle  est,  au  fond,  la  question 
philosophique  impliquée  dans  le  débat,  et  dont  Mlle  Dutoit  se  préoc- 
cupe, 

A  l'égard  deTaine,  elle  oonctut  que  ses  erreurs  et  ses  contradictioiiSt 
vraiment  manifestes,  peuvent  se  réduire  à  ces  deux  points  :  l'un,  qu'il 
part  de  ridentîté  des  problèmes  psychologique  et  biologique,  et  suppose 
ainsi  ce  qu'il  fallait  d'abord  démontrep;  Tautre,  qu'il  entend  traiter 
comme  des  quantités  constantes  des  qualités  morales  qui  sont  essea- 
tiellement  variables,  et  qui  ne  sont  pas^  d'ailleurs,  à  ce  point  délep* 
minées  par  la  race,  le  temps  et  le  milieu,  —  c'est-à-dire  indifférentes, 
qu'un  Marat  ou  un  Robespierre  ne  lui  inspirent  delahaîne, du  dégoût 
ou  du  mépris* 

A  regard  des  penseurs  qui  le  précédèrent,  elle  conclut  que,  avant 
Taine,  la  théorie  du  milieu  était  susceptible  de  recevoir  des  développe» 
ments,  mats  qu'elle  n'en  peut  plus  recevoir  après  lui,  à  la  fois  parce 
qu'il  lui  a  imposé  l'empreinte  de  sa  propre  personnalité^  et  parce  qu'il 
Va  systématisée  conformément  à  IVsprit  de  son  temps,  qui  était  de 
simplifier  tous  les  problèmos  en  éliminant  les  éléments  sur-empîri* 
ques. 

Quant  à  la  théorie  en  elle-même,  Mlle  Dutoit  estime  que  Tobjet  de 
ces  deux  disciplinas,  les  sciences  de  la  nature  et  celles  de  resprit» 
n'étant  pas  identique,  ni  la  méthode  mathématique  ne  peut  convenir^ 
toutes  les  deux^  ni  la  loi  de  causalité  n'y  pourrait  avoir  le  même 
sens.  Cette  loi  nous  apparaît,  dît-elle^  sous  les  trois  formes  de  la  néces- 
sité physique,  de  la  nécessité  logique  et  de  la  nécessité  téléoto^que  : 
la  théorie  du  milieu  n'a  affaire  qu'avec  cette  dernière  forme.  Les 
phénomènes  psychiques,  r e marque -t-el le  enQn,  réagissent  à  leur  tour 
sur  les  phénomènes  phy^siques;  Tiniluence  du  milieu,  d'abord  toute 
puissante,  s'affaiblit  à  mesure  que  la  conscience  humaine  s'enrichit.  Le 
moyen  d* échapper  au /af  «m,  c'est  donc  de  travailler  sans  cesse  au  déve- 
loppement de  l'individu,  de  la  personne;  c'est  de  prendre  claire  cons- 
cience de  la  fin  suprême  de  nos  actions,  qui  est  révolution  harmonieuse 
de  tous  les  êtres» 

Bref,  la  liberté  s'augmenterait  —  ainsi  Lîttré  donnait  à  la  question 


I 


I 


ANALTSES.  —  EUGÉNIE  DUTOiT.  Die  Théorie  des  Milieu     313 

o^  ^our  ingénieux  —  aveo  la  richesse  des  motifs  qui  se  trouvent  mis  à 
Isk  disposition  de Thomme.  Cependant  la  seule  complexité  du  fait  social 
e^  psychologique  ferait-elle  jamais  que  la  théorie  du  milieu  perde  sa 
vfikl^v^r?  Assurément  non,  et  c^est  une  considération  qui  n'a  pu  échapper 
&  :iW'dle  Dutoit.  Si  elle  proteste  justement  contre  la  simplification  exces- 
si-%r^  du  problème,  comme  Taine  l'a  traité,  elle  ne  saurait  empêcher 
cjuK^  l'idée  des  influences  objectives  ait  provoqué  dans  l'histoire  de 
l'^jn^9  par  exemple,  des  recherches  plus  intéressantes  que  n'eût  fait 
i*id^^  d'une  évolution  dirigée  par  l'accident  du  génie. 

<D^  qui  est  contraire,  en  somme,  à  l'esprit  scientifique,  c'est  de  sim- 
plifi^T  arbitrairement  des  événements  complexes  en  les  ramenant  à 
qi2^1c]ue  fait  principal  qu'on  suppose  être  explicatif,  sans  l'avoir  môme 
trè^  exactement  analysé.  La  méthode  constante  des  sciences  est  de 
clm^xToher  l'explication  dans  une  comparaison  attentive  portant  sur  les 
cii'v-^iTses  séries  de  faits  qui  varient  ensemble,  en  ayant  garde  d'attri- 
but x*  à  aucune  un  caractère  dominateur,  sinon  pour  la  commodité  'de 
l'étuicîe  et  par  hypothèse  provisoire.  Ce  dernier  procédé  est  plus  labo- 
^^^  ij.:3c ,  sans  doute  ;  il  ne  donne  pas  de  ces  résultats  brillants  qui  (rap- 
P^i^ti  les  yeux  et  assurent  le  succès  immédiat  :  mais  il  est  plus  sûr  et 
laisse  moins  à  l'imagination. 

L.  Arréat. 


NOTICES  BIBLIOGRAPHIQUES 


Ernst  Homeffer.  —  Nietzsghes  Lehre  von  der  ewigen  Wieder- 
KUNFT  UND  DEREN  RiSHERiGB  VerOffentlichung.  (Leipzig,  Naumano, 
1900.) 

M.  HornefTer  8*est  proposé,  dans  ce  petit  écrit,  de  recueillir  les  idées* 
de  Nietzsche  relatives  à  rêternel  retour  ou  recommencement  des 
choses,  et  de  critiquer  la  publication  qui  a  été  faite  sous  ce  titre.  La 
critique  frappe  Tcditeur  des  tomes  XI  et  XII  des  œuvres  complètes,  le 
D*"  F.  Koegel;ces  tomes  ont  été,  depuis,  retirés  du  commerce.  M.  Hor- 
neffer  montre  à  quel  point  le  travail  de  Koegel  est  infidèle  et  peu  sûr, 
dans  le  texte  môme  aussi  bien  que  dans  l'ordonnance;  il  établit  que 
Nietzsche  ne  donna  jamais  à  sa  théorie  des  retours  un  développement 
suffisant  pour  qu'il  soit  permis  aujourd'hui  de  la  juger  et  do  la  pré- 
senter au  public  avec  Tapparence  d'une  doctrine  complète. 

Il  est  vrai  que  Nietzsche  a  dû  abandonner  sans  le  terminer  rouvrage 
principal  qui  eût  été  le  résumé  de  sa  philosophie.  Quelques  parties 
de  sa  philosophie  nous  sont  bien  connues;  mais  sa  pensée  du  recom- 
mencement des  choses,  à  laquelle  il  attribuait  la  plus  grande  impor- 
tance et  qui  devait  former  la  pierre  angulaire  du  système,  nous  la 
connaissons  par  quelques  indications  à  peine.  M.  Ilorneffer  s*applique 
à  les  rassembler;  il  le  fait  d'une  manière  intéressante,  et  il  réussit  a 
révéler  un  aspect  de  la  pensée  de  Nietzsche  qu'on  n*avait  pas  aussi 
bien  mis  en  lumière.  On  constatera  ici  encore,  si  je  ne  me  trompe,  que 
le  procédé  de  cet  illustre  et  infortuné  penseur  consistait  toujours  à 
pousser  une  idée  juste  à  un  degré  de  grossissement  qui  la  déforme,  à 
accorder  à  quelque  fait  simple  une  valeur  d'explication  universelle. 
Mais  je  n'ai  point  maintenant  à  parler  de  Nietzsche  lui-même,  et  je 
me  borne  à  recommander  le  travail  de  M.  HornefTer,  qui  est  d'un  cri- 
tique scrupuleux  et  judicieux. 

L.  Arréat. 


Robert  Schellwien.   —   Wille    und    Erkenntmss.    (Hambourg, 

A.  Jiinssen,  180'.».) 

M.  Schellwien  publie  neuï Essais  philosophiques  sous  les  titres  sui- 
vants :  1.  La  volonti^  et  ^fa.\•  Stirner;  II.  La  volonté  comme  principe 
d^ètbication:  \l\,  La  r:olont(}  de  connaîtro.  IV.  La  volonté  d'agir  et 
irdiique:  V.  Conclusions  pèdafjofjiques',  VI.  La  connaissance  et  la 
vobnitc  dans  Sclioptinhauer;  VII.  La   volonté  humaine  et  l'idée  de 


ANALYSES.  —  A.  ORASSËUR*  La  Quest'wH  sociala 


mn 


Dieu[YllL  La,  vokmi*}  dans  la  philosophie  critique;  IX,  La  volonté  et 
ia  connaissance  pour  le  sens  cujnmun. 

Les  lecteurs  curieux  de  connaitre  la  doctrine  de  M.  BoheUwien  — 
îl  en  a  été  plusieurs  fois  parlé  ici  —  la  trouveront  clairement  exposée 
dans  cesE^saiii,  qui  forment  f?nsemble  un  petit  volume  de  12?  pagea, 
et  qui  sont  d'une  lecture  facile,  IJ  ne  rae  parait  pas  utile  d  en  donner 
un  rësumé.  Je  rappellerai  seulement  que  M.  Schellwlen  n'entend  point 
la  volonté  au  sensdeBchopenhauer  ou  de  NictisGhe,c>st-à-dire  comme 
une  chose  métaphysique,  tout  «  arrosée  de  sauce  darwinienne  j)  qu'elle 
est  dans  ce  dernier.  Il  entend  parler  de  la  volonté  que  je  connais,  de 
ma  propre  volonté;  mais  cette  liberté  lui  apparaît  comme  un  acte  delà 
volonté  divine,  limitée  en  Thorame  en  tant  qu'il  est  ^  individu  », 
L'éternel  problème  qui  sUmpose  à  nous  est  de  poursuivre,  scientilique- 
ment  et  pratiquement,  c'est-à-dire  dans  l'ordre  de  la  science  et  de  la 
morale.  Téquation,  l'harmonie  du  fini  et  de  l'abaolu,  du  fini  que  nous 
sommes  et  de  l'absolu  auquel  nous  participons.  L'idée  de  Dieu,  dans 
«ette  doctrine,  est  donc  nécessaire  à  ridée  même  du  moi.  Elle  est 
nécessairement  panthéistîque. 

L,  Au  RÉ  AT. 


Auguste  Brasseur.  —  La  Question  sociiLE,  Éludes  &ur  les  bases 
du  collecticisme^  î  vol.  in-8"  de  464  pages.  ParÎB,  F.  Âlcan,  t^ÛO, 

L'auteur  —  qui  est  Belge,  et  inj^énieur  honoraire  des  mines,  —  a 
voulu  *i  démontrer  que  les  bases  du  collectivisme  sont  factices;  qu'elles 
heurtent  à  la  fois  l'homme  statique  et  Fhomme  dynamique;  en  un  mot, 
qu'elles  sont  en  opposition  avec  les  lois  physiologiques  et  psychologi- 
ques qui  forment  le  soutènement  de  la  molécule  humaine;  »  mais  la 
plupart  des  griefs  que  soulevé  le  collectivisme  et  des  maux  qu'il 
signale  s  sont^  dît-il^  l'expresfîîon  douloureuse  de  la  réalité,  La  société 
ne  peut  donc  se  contenter  de  rejeter  la  synthèse  collectiviste;  mais 
elle  doit  s'efforcer  de  donner  satisfaction  aux  plaintes  qui  lui  sont 
«dressées  en  répandant  plue  de  justice  et  plus  de  simplicité  dans  le 
eorps  social  6»  L'auteur  est  positiviste,  anticlérical  et  philanthrope;  il 
I  est,  en  somme,  très  favorable  aux  socialistes;  pour  lui,  toute  la  morale 
est  résumée  dans  ces  deux  maximes  :  <i  l'oisiveté  est  une  honte,  le  tnxe 
est  une  honte,  ^  Mais  il  distingue  le  «c  soci^Uisme  positiviste  )>  du  collec- 
tivisme, doctrine  qu*il  juge  erronée  et  dangereuse,  bien  qu'il  soit  plein 
de  déférence  pour  Marx  et  Lassai  le.  Son  livre  est  un  document 
curieux  pour  qui  voudrait  étudier  comment  peu  à  peu  les  idées  socia* 
listes  slmposent  à  l'attention  des  gens  honnêtes  et  réfléchis,  par  quels 
cotés  elles  pénètrent  facilement^  par  quels  autres  elles  se  heurtent  à 
des  résistances. 

Mais  le  livre  n*est  intéressant  que  de  ce  point  de  vue.  Car  l'auteur, 
qui  reproche  avec  emphase  à  Marx  d'avoir  mal  connu  les  mathémati- 
ques, était  manifestement  peu  préparé  aux  études  sociologiques   et 


316  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

politiques.  Il  n*y  a  rien  à  tirer  des  pages  où  il  retrace  révolution 
générale  de  la  famille  et  de  la  propriété  (p.  77  à  152),  où  il  expose  et 
critique  les  doctrines  de  Marx  (p.  154-225)  et  de  Lassalle  (p.  226-239)  ;  la 
longue  analyse  critique  des  idées  de  Benoît  Malon  (p.  240-368}  est  faite 
d'après  le  texte  môme,  par  conséquent  plus  fidèle  et  plus  intéressante. 
Le  reste  du  volume  est  consacré  à  la  critique  du  collectivisme  par 
l'auteur. 

P.  F. 


A.  Naquet.  Temps  futurs.  Socialissce.  anarchie,  vol.  in-18  de 
XIV,  352  pages;  Stock,  éditeur;  Paris,  1900. 

La  partie  la  plus  intéressante  de  ce  livre  est  consacrée  à  la  for- 
mation du  parti  antisémitique  durant  l'agitation  boulangiste.  L'auteur, 
qui  en  1890  avait  écrit  une  brochure  contre  le  socialisme^  se  rallie 
aujourd'hui  au  parti  socialiste,  parce  qu'il  considère  ce  parti  comme 
étant  seul  capable  de  lutter  contre  le  grand  mouvement  réactionnaire 
actuel.  Il  croit  que  dans  un  avenir  prochain,  les  pays  neufs  étant  suc- 
cessivement entrés  dans  le  mouvement  industriel,  le  progrès  du 
machinisme  produira  de  tels  chômages  que  Ion  aboutira  &  réglementer 
les  productions  par  des  trusts  et  enfin  qu'on  passera  au  collectivisme. 

L'auteur  estime  que  le  socialisme  est  indépendant  des  deux  thèses 
sur  lesquelles  on  l'a  fondé  longtemps,  de  la  théorie  marxiste  de  la 
valeur  et  de  la  loi  des  salaires.  Il  est  regrettable  qu'il  n'ait  pas  connu 
le  livre  de  M.  Bernstein,  qui  soutient  une  opinion  analogue.  A  la  fin 
de  son  ouvrage  il  présente  des  observations  sur  les  ouvrages  de 
MM.  Faguet  et  Qarofalo. 

O.  Sorel. 


Moncalm.  L'origine  de  la  pensée  et  de  la  parole  ;  Paris,  Alcan» 
1900;  310  p. 

Dans  cet  ouvrage  il  est  traité,  sans  méthode,  non  seulement  de 
l'origine  de  la  pensée  et  de  la  parole,  mais  un  peu  de  toutes  les  ques- 
tions qui  peuvent  intéresser  les  métaphysiciens.  Quant  à  l'origine  de 
la  pensée  et  de  la  parole,  l'auteur  s'en  tient  à  la  doctrine  de  Max  Mûller, 
qu'il  considère  d'ailleurs  «  comme  le  premier  philologue  de  notre 
époque  ».  Il  n'y  a  pas  un  seul  renvoi  bibliographique  dans  tout  le 
cours  du  livre;  l'auteur  se  borne  à  indiquer  au  début  les  ouvrages  dont 
il  s'est  servi  et  qui  sont  :  neuf  ouvrages  de  Max  Millier,  deux  de  Darwin 
et  deux  de  Noire. 

B.  Bourdon. 


A.  Sauvé.  L'orthographe  française  considérée  surtout  au  point 

DE  VUE  DE  LA  MÉMOIRE  DES  MOTS  ET  DE  L'aCTION  DU  SENS  INTIME  SUR  LA 

prononciation;  Cherbourg,  Le  Maout,  1890,  234  p. 
Cet  ouvrage  débute  par  des  considérations  historiques  sur  l'ortho- 


AWALTSES.  —  L.  MrcQELANCELO  BILUA,  La  Umnnîâê       31? 

raphe  française  et  des  discussions  relatives  à  un  certain  nombre  de 
3iots;  l'auteur  se  place  généralement  au  point  de  vue  de  la  logique  et 
-^131  uâ  encore  à  celui  du  sentiment;  ain^î,  le  remplacement  de  Vh  aspirée 
^^^;3'IIenrr  par  un  h  ordinaire  «  a  du  être  surtout  une  question  de  logique 
■^F=^t  de  sentiment.  En  effeti  à  celte  époque  où  la  lecture  de  la  Hcnriade 
.^z^t  la  comparaison  entre  le  règne  de  Louis  XV  et  celui  d*tienri  ÎV 
,^^ftvaient  tant  Fait  chérir  la  mémoire  de  ce  dernier,  n'a-t-il  pas  du  sem- 
Jfe:3ler  naturel  aux  Français  d*employer  les  sons  les  plus  doux  possible 
^^::^uand  iïs  prononçaient  le  nom  de  ce  grand  roi,  si  justement  aimé.  &  Cet 
^^M^utre  exempie,  emprunté  k  la  quatrième  partie  du  livrCj  achèvera  de 
^ri^aractériser  la  manière  de  Tauteur  :  «  Quant  à  polygogney  pourquoi  la 
-^::»Vupart  des  canon nrers  préféraient-ils,  autrefois,  cette  prononciation  à 
^  ^1  vraie,  plus  facile  cependant  et  qu'ils  ne  pouvaient  ij^norer?  C'est  que 
^  ^  son  go  ne  (yMvta)  leur  semblait  beaucoup  trop  doux  pour  convenir  à 
-«_mn  champ  de  tir,  dans  lequel  on  entend  fréquemment  des  projectiles 
j^^apper  (j'allais  dire  :  qui  cognent)  la  butte  »», 

Lia  seconde  partie  du  livre  est  consacrée  à  la  mimique  de  la  parole 
.^^atis  le  cas  des  vocables  employés  pour  les  aJlirmations  catégoriques, 
^•^lles  que  les  commandements  militaires  et  maritimes;  la  troisième,  au 
^^cila  des  diverses  espèces  dUmages  mentales  dans  la  mémoire  des  mots; 
^^t,  enfin  la  quatrième,  à  l'orthographe  actuelle  et  à  sa  réforme, 

B,  Bourdon. 


L.  Michelangelo  BUlia.  La  TfRANNiDE  del  lunahîO,  24  p,  ^  Turin, 

Vibreria  éditrice  Renzo  Streglio,  1900. 

Cette  éloquente  leçon  fut  professée  par  Fauteur  à  rUniversité  de 
Turin  le  24  novembre  1898*  Le  titre  :  La  tyrannie  de  VaimaLuach  est 
un  peu  énigmatique.  M.  Billia  entend  désigner  par  là  cette  disposition 
de  beaucoup  d'esprits  qui  leur  fait  estimer  les  choses  en  raison  de 
leur  actualitét  et  cette  fausse  idée  du  progrès,  qui  fait  décréter  a  priori 
que  telle  pensée  n'a  pu  venir  h  telle  date,  étant  donné  que  ce  n*en 
était  pas  encore  l'heure.  Cette  tyrannie  résulte  de  ce  que  Ton  a  mal 
entendu  la  théorie  de  révolution,  —  L'idée  de  l'évolution  est  la  carac- 
téristique de  notre  époque;  remploi  de  la  méthode  évolutionniste  est 
son  princip<il  titre  de  gloire.  L'application  de  cette  méthode  aux  sciences, 
aux  arts,  à  l'histoire  de  Thumanité,  à  renouvelé  la  connaissance;  en 
particulier»  les  recherches  de  la  philologie  comparée  ont  enrichi 
Incomparablement  Tbistoire  de  la  civilisation;  désormais  toute  expli- 
cation des  choses  devra  scruter  leurs  origines.  Et  l'importance  de 
cette  idée  n'est  pas  moindre  dans  la  pratique  ;  la  violence  des  partis 
diminue  grâce  à  elle,  et  ils  demandent  le  triomphe  de  leurs  théories  à 
TactioE  lente  du  temps.  —  Mais  il  importe  de  séparer  Tidée  de  Tévo- 
lulion  des  conceptions  fausses  et  étroites  que  le  pédantisme  des  faux 
^avfints  a  confondues  avec  e!le.  On  en  e^t  arrivé  à  voir  dans  le  temps 
un  f&ûteur  véritable,  au  lieu  d*y  voir  le  produit  de  l'évolution  elle* 


318  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

même.  On  a  établi  en  histoire  des  périodes  et  décidé  que  dans  cbacixiQe 
d'elles  on  a  dû  penser  et  faire  ceci  ou  cela.  Si  les  faits  démentent  \a 
loi  posée,  on  accuse  ceux  qui  recueillent  ces  faits  de  n'avoir  pas  le  s^^ns 
historique.  Et  Ton  en   vient   à   dire  avec  M.  Brunetière  que  Pla  ^ton 
raisonne  comme  un  enfant  :  «  Oh  1  le  magnifîque  progrès!  s'écri  ^  à 
ce  propos  M.  Billia;  il  fut  un  temps  où  les  enfants  raisonnaient  coim^  me 
Platon,  aujourd'hui  les  sages  parlent  comme  M.  Brunetière  »  (p.     ^3). 
(S'il  nous  en  souvient  bien,  la  phrase  de  M.  Brunetière  est  un  peu  ^cdif- 
férente  :  «  Platon,  dit-il  à  peu  près,  pense  comme  un  enfant  et  ^c-ai- 
sonne  comme  un  sophiste,  tandis  qu'Aristote  pense  comme  un  hoins^me 
et  raisonne  comme  un  savant.  »)  —  Ceux  qui  travestissent  ains  i  la 
théorie  cvolutionniste   méconnaissent   la   part   d'universel   que      l'on 
trouve  en  toutes  choses  et  qui  est  le  fondement  immuable  de  la  beamjité; 
ils  méconnaissent  encore  les  renaissaiices  que  nous  atteste  Thistoire, 
les  risorgimenti,  ou  du  moins  ils  les  ramènent  au  rythme  illusoire  de 
rhcgélianisme  ;  ils  prétendent  à  tort  que  chaque  période  est  en  Of^po- 
sition  ouverte  avec  la  précédente;  enfin  ils  confondent  Tordre  deia 
science,  laquelle  est  personnelle  et  se  forme  sur  l'objet,  avec  Tordre 
supérieur  de  l'histoire  de  la  science,  laquelle  est  évidemment  fîiledu 
temps,  œuvre  des  générations  successives,  et  ils  en  arrivent  à  substi- 
tuer l'histoire  de  la  philosophie  à  la  philosophie  elle-même,  c'est-à-dire 
à  supprimer  la  chose  dont  il  font  l'histoire.  Ces  quatre  erreurs,  on 
n'est  plus  dupe  de  leur  vanité  dans  le  domaine  de  l'art;  il  importe  de 
les  chasser  aussi  du  domaine  de  la  science.  —  L'évolution  ne  se  fait  pas 
à  l'aveugle;  elle  obéit  à  une  raison  ontologique;  elle  est  un  dévelop- 
pement de  l'idée.  C'est  pourquoi  on  ne  saurait  expliquer  par  des  rai- 
sons extérieures  la  succession   des  pensées  et  des  actes.  La  beauté 
morale  est  de  tous  les  temps,  parce  qu'elle  répond  à  cet  idéalisme 
intérieur  qui  n'a  jamais  disparu,  bien  qu'on  célèbre  aujourd'hui  sa 
renaissance. 

.T.  Segond. 


REVUE  DES  PÉIUODIÛUËS  ÉTRANGERS 


F&ychological  Review 

XùL  VL  —  Juîy-Seplember-November  18U9, 

"V^.  Bryan  et  M-  Harter  :  Studies  on  tke  TelegrRphic  language^ 
i/ê^BT  ndquisition  of  a  hierarchu  of  habiU*  {Etudes  sur  le  lang,ige  télé* 
cfT-^^Mj^hique  :  Va.cqiiisUiQn  de  hiérarchies  d*habitudes),  p*  (3'iu-3T5). 

Cl^omuie  suite  à  la  série  d'expériences  publiées  en  1897  {Psydi.  !lev., 
ÏV^,  p.  ia,i  et  analysées  ici  {Hev.  Phiî.,  WM),  MM,  Bryan  et  Harter 
pi:- ^sentent  Tobservation  d\in  jeune  télégraphiste  étudié  chaque 
aoTx^aiive,  pendant  huit  mois,  en  suivant  la  méthode  des  premières 
e:^  ç^^riences.  Les  auteurs  (dont  Tun  a  été  télégraphiste)  ont  complété 
l«u.*-s  observiUions  par  des  flétails  d'intro^ection. 

Ils  ont  cherché  surtout,  a  lin  d'expliquer  !a  façon  dont  se  dévelop- 
paient leurs  courbes  précédentes^  comment  croit  la  rapidité  à  enre- 
g^ï&ti'er  les  lettres  séparées,  les  mots   isolés   et  les  phrases.  Us  ont 
|c:onBtaté  que  Tattention  se  porte  d'abord  sur  les  mots,  et  seulement 
eta.auite  sur  les  phrases  :  les  choses  ae  passent  donc  comme  pour  ta 
leetijre  ordinaire.  Quant  à  la  façon  de  saisir  tes  mots  au  courant  de  la 
transmission,  la  meilleure  semble  t^tre  de  les  lire  après  coup,  connue 
lorsc^u'on  compte  qu'elle  heure  vient  de  sonner  a  rhorloge  après  en 
*voi  r  entendu  le,g  coups  sans  y  faire  attention, 

i-'oducation   du  télégraphiste  consiste   à   acquérir   une   hiérarchie 
d*ha.ljitudeâ  psycho-physiques  :  elles  se  développent  toutes  ensemble, 
inff^r-leures  et  supérieures  :  mais  celles-ci  ne  prennent  vraiment  leur 
esiic>r  qu^aprèa  que  les  autres  sont  délinitivement  acquises,  c'est-à-dire 
tfjtvt   automatiques  et  laissent  Tattention  libre  de  ses  mouvements»  Les 
P^i&nux  des  courbes  indiquent  la  lutte  de  l'attention  pour  se  dégager 
yoT>,  D'ailleurs  il  en  est  ici  comme  dans  le  langage»  où  les  habitudes 
uifèrieures  tendent  à  so  fondre  dans  les  supérieures  dont  elles  sont 
V«l^itient  :  et  le  langage  télégraphique,  qui  est  un  véritable  idiome  à 
^Ç|i rendre,  est  aussi  personnel  que  tout  autre  langage,  par  la  lon- 
gueur, le  rythme  et  la  construction  des  phrases  affectionnés  de  chacua 
0l  tépétés  par  lui  parce  que  tout  cela  exprime  les  tendances  de  sou 
prg^tttsme  (36ti). 

ùe^i  cet  automatisme  des  habitudes  inférieures  qui  nous  laisse 
0^tre  liberté  d'allure  pour  les  choses  plus  élevées.  Les  auteurs  tirent 
^0  lÀ  diverses  conclusions  pédagogiques^  et  terminent  en  eiaminant 


320  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

si  la  rapidité  du  mouvement  de  réaction  peut  servir  à  déterminer 
la  facilité  d'adaptation. 

Le  mélange,  à  cette  étude  très  spéciale,  de  considérations  fort  géné- 
rales, a  nui  sans  doute  à  la  bonne  ordonnance  des  constatations 
recueillies  :  elles  sont  en  elles-mêmes  intéressantes  et  instructives  : 
mais  la  disposition  adoptée  empêche  d*en  suivre  facilement  le  dévelop- 
pement. 

Travaux  du  laboratoire  de  Harvard.  —  L.  Solomons  :  Automatic 
reactions  (Réactions  automatiques)  (p.  376-394). 

C'est  un  élément  du  travail  publié  avec  miss  Stein  {Psych,  Rei\, 
sep.  18116,  cf.  Rev.  Phil.)  pour  étudier  si  chaque  état  d'automatisme  se 
caractérise  par  une  réaction  particulière  —  montrer,  si  possible,  que 
le  sentiment  d'action  personnelle  dans  nos  mouvements  est  dû  à  l'ac- 
tion des  centres  moteurs  du  cerveau  —  et  étudier  des  réactions  où 
l'attention  n'eut  aucune  part.  La  méthode  de  distraction  (lecture 
absorbant  de  plus  en  plus  Tattention);  le  dispositif  pour  les  réactions, 
sont  les  mêmes  que  précédemment;  les  calculs  de  moyennes  ont  été 
faits  selon  une  méthode  de  groupement  analogue  à  celle  de  H.  Beaunis. 
Enfin  on  a  soigneusement  interrogé  les  sujets. 

Les  chiffres  vont  de  150c  à  350c,  autour  de  300c,  il  y  a  plus  de  volonté; 
vers  250;,  l'attention,  occupée  ailleurs,  revient  pour  réagir;  vers  200;, 
le  sujet  a  conscience  en  même  temps  d'entendre  le  son  et  de  faire  le 
mouvement  :  il  se  sent  presser  la  clef  en  même  temps  qu'invité  à 
réagir  :  c'est  ce  que  l'auteur  appelle  réaction  simultanée  (389). 

L'auteur  appelle  réactions  impersonnelles  celles  qui  sont  au-dessous 
de  180;  :  elles  sont  particulières  à  certains  sujets,  qui  déclarent 
entendre  le  signal  tantôt  avant,  tantôt  après  la  réaction  (390). 

Les  conclusions  sont  relatives  à  la  théorie  de  l'action  des  centres 
corticaux  que  Tauteur  voulait  vérifier  :  il  se  propose  d'ailleurs  de  les 
appuyer  par  d'autres  expériences. 

V.  Dearborn  :  Récognition  under  objective  reversai  {la  ReconmiB- 
sance  d'objets  renversés)  (p.  .S95-408). 

Les  séries  de  taches  d'encre  signalées  dans  la  Psych.  Rev.  de 
mai  1897  et  employées  pour  une  étude  sur  l'imagination  dans  le 
Americ,  Journal  of  Psycliol,  (janvier  1898,  Rev.  Philos,),  ont  été  uti- 
lisées à  nouveau  pour  examiner  jusqu'à  quel  point  la  situation  des 
diverses  parties  d'un  objet  nous  aide  à  le  reconnaître.  On  demandait 
à  chaque  sujet  de  dire  s'il  avait  déjà  vu  la  tache  présentée  :  quelques* 
uns  reconnaissaient  une  fois  sur  deux  des  objets  qu'ils  n'avaient 
jamais  vus;  tous  en  reconnaissaient  ainsi  un  sur  cinq  (p.  401). 

La  reconnaissance  est  ordinairement  liée  à  de  petits  détails  :  un 
point,  une  forme  bizarre,  etc.;  le  temps  nécessaire  est  très  variable; 
par  contre,  le  caractère  semble  avoir  une  certaine  influence.  Les  objets 
les  plus  faciles  à  reconnaître  sont  ceux  qui  sont  simplement  renversés. 

M.  Dearborn  se  propose  de  poursuivre  ces  expériences. 


AEVUE   DES   rÉftlODlQUBS    ËTRAE^GEttS 


321 


Nùtes  et  diacasaions.  —  Expérience  de  cours  sur  les  hallucinations 
(suggestion  d'odeur  à  un  auditoire)  (Stosson).  Réponsa  à  la  note  de 
M,  Ihfslop  sur  le  mysticisme  \M ànsterherg),  La  psychologie  et  b  \i% 
iCh.  lUiss}.  Réponse  à  l\irtlcîe  de  Wesley-Mîlïs  sur  la  manière  d'étu- 
dier riiitelligence  animale  {Thonidike}.  Localîsatton  des  images  con- 
sécutives (chaque  teil  ayant  son  image  propre)  iGiliette). 

P.  Montagne  ;  .4  Pka  for  &aul  substance  {Plaidoyer  pour  VAme 
êxïbfitBnce)  (p.  \bl-\U  et  B00-G:IH). 

Après  avoir  énuméré  et  caractérisé  les  diverses  solutions  proposées 
pour  le  problème  de  la  matière  et  de  Tesprit,  ou  de  l'âme  et  du  corps 
^idéalisme  et  téléologie^  matérialisme  et  mécanisme»  occasionnlisrne  et 
miracle,  parallélisme  paycho-physiologiqtie,  théorie  de  l  uïiion  intime 
de  Tame  et  du  corps  qui  sont  deux  attributs  d'une  même  substance)» 
Fauteur  conclut  à  un  ter  lin  m  qnid^  déjà  connu,  et  qui  fait  l'uni  on. 

Dans  un  second  article  l'auteur  caractériae  cette  substance  :  il  s'agit 
d'expliquer  l'action  réciproque  de  deux  séries  opposées  do  phéno- 
mènes :  d'un  côté  Tesprit  et  les  lois  toléologiques  ;  de  l'autre,  la 
matière  et  les  lois  mécaniques.  Pour  ne  pas  tomber  dans  la  ooncep* 
tîon  de  substance  à  laquelle  on  répu^ne^  on  a  imaginé  cinq  solutions 
différentes  :  i'^  téléoïogie  absolue;  2"  matérialisme;  3^  occasionaliame  ; 
l<»  parallélisme:  5^  spiritualisme.  Après  les  avoir  réfutées»  surtout  le 
parallélisme,  Tauteur  prouve  Texistence  de  Tâmo  substance  indirec- 
kmenl  par  T impossibilité  des  autres  solutions,  et  directement  par 
l'aïtiome  :  U  D*y  a  pas  d'action  à  distance  (ce  qui  est  une  autre 
forme  de  l'argument  précédent).  Il  expose  ensuite  quelle  est  la  nature, 
quels  sont  les  attributs  de  cette  àme^  qui  est  Thomme  même,  ce 
quelque  chose  que  nous  connaissons  fort  mal,  mais  qui  est  capable  de 
prendre  conscience  de  soi,  de  réunir  ensemble  deux  choses  aussi  irré- 
jnédiablement  inconciliables  que  Tesprît  et  la  matière,  une  idée  et  une 
<;ellule  cérébrale. 

H,  DODfjtî  ;  The  réaction  time  of  the  eye  [Temps  de  réaction  de 
rœiif  ip.  477-S83). 

M.  Dodge,  qui  vient  de  publier  une  étude  sur  la  lecture,  a  voulu 
mesurer  quel  temps  est  nécessaire  à  IVeil  pour  répondre  à  une  exci- 
tation lumineuse  connue,  ou  pour  en  preiïdre  connaissance.  Partant 
dé  ce  fait  que  l'œil  ne  voit  pas  durant  son  mouvement  pour  reporter 
ailleurs  son  regard,  il  fait  disparaître  une  raie  vue,  et  mesure  com- 
bien de  temps  il  faut  pour  qu'une  autre  apparaisse  à  la  place  oii  Tceil 
qui  essayait  de  suivre  la  précédente,  revient  la  chercher.  Les  mesures 
prises  âur  deux  observateurs  ont  donné  environ  irr>;. 

G*  Albeiit  Coe  :  A  &tndy  in  the  dynanjiCfi  of  personal  religion 
(Examen  des  forces  de  |.i  religion  pcrsonnelie\^  (p,  ^iHi'-nD5)* 

Quel  est  le  mécanisme  psychologique  d'une  conversion  '^  Une  enquête 
m  été  faite  sur  ce  sujet,  déjà  traité  par  Leuba,  etc.,  sur  fiO  hommes  et 
f4  femmes;  on  a  d'abord  séparé  ceux  chez  qui  la  conversion  produisait 
rétal  d'àme  attendu  de  ceux  qui  n'éprouvaient  pas  ce  changement 

TOMl  u  ~  1900,  U 


S22 


REVUE   PiflLOSOPfllQUE 


niais  qui  n'en  conformaient  pas  moins  leur  vîe  à  la  religion  adoptée. 
Puis  on  a  examiné  le  tempérament  de  chacun ,  en  posant  cette  quci^ 
tion  détournée  :  »Si  vous  avtez  un  jour  entier  d'absolue  liberté,  avec 
pleine  latitude  de  faire  ce  qu'rl  vous  plairait,  que  préfèreriez-vouif 
En  outre,  on  donnait  un  questionnaire  à  remplir  ;  des  Interpogalions 
personnelles  le  complétaient- 

Les  plus  faciles  à  atteindre  sont  les  sanguins  sensitifs  :  ce  sont  ausii 
ceux  ehés^  qui  les  liîdlucinations  et  l'automatisme  sont  le  plus  fré- 
quents :  au  contraire  les  colériques,  les  intellectuels  éprouvent  plus 
rarement  la  Iransformatioa  attendue  (194),  Et  si  Ton  examine  la  sug- 
geatibililé,  on  voit  que  chez  ceux  qui  présentent  de  rautomatisme,  b 
su^rgestion  vient  du  dehors  :  les  autres  sont  plus  spontanés,  font  de 
rauto-suggestïon* 

En  résumé,  trois  éléments  concourent  au  résultat  assez  compleic  : 
le  tempérament,  Tattente  d  une  transformattont  la  suggestion  spon- 
tanée ou  passive. 

L'abondance  des  observations  et  des  analyses  prises  sur  le  vif  lûnt 
de  cette  étude  une  excellente  contribution  a  la  science  du  carac- 
tère* 

Notes  ei  discusmùns^  —  Mary  Whiton  Calkins  examine  et  critique  li 
vieille  théorie  des  attributs  de  la  sensation  ;  quantité,  qualité,  éteûdue 
et  durée  :  un  élément  de  conscience  ne  peut  avoir  ces  attribuls.  i^tie 
sont  donc  ces  qualités?  en  tout  cas  la  psycholog-ie  analytique  na  psa 
de  place  pour  elles.  —  La  mémoire  d'un  bruit  uniforme  (M.  MeycH. 

J.  Lëuda  :  07%  ihf*  validiiy  of  the  Griesbach  methoii  af  tfetermminfi 
fatigiip  (57^  51*8). 

G.  Germaxn  :  On  ihe  inraiidily  ofthe  ssêthesioniêtric  niethod  its^ 
mea^ure  of  mental  fatigue  (591I-605K 

Ces  deux  articles  conduisent,  en  somme,  h  des  conclusions  sn^' 
logues  sur  la  valeur  des  expériences  de  Griesbach.  qui  avait  cru  décnon- 
trer  que  plus  une  personne  est  fatiguée»  plus  augmente  la  dietanw 
des  points  dont  elle  peut  discerner  la  dualité  au  compas  de  Web^^ 
M.  Leuba  critique  la  technique  de  Griesbach,  qui  a  opéré  trop  rapîdf^ 
ment  et  sans  éliminer  assez  les  causes  d'erreur  :  surtout  il  ne  pe^J^ 
s'expliquer  comment  tous  les  résultais  de  Griesbach  confirment  puff^ 
ment  et  simplement  sa  théorie.  Pour  lui,  la  question  lui  semble  bt?au- 
coup  plus  complexe  r  il  y  a  différentes  fatigues,  qui  toutes  retentissent 
sur  la  perception  des  pointes  du  compas,  au  même  titre,  sinon  p'^^* 
que  la  fatigue  mentale;  ajoutez  à  cela  des  causes  physiologiques,  des 
perturbations  nombreuses,  et  Ton  s'expliquera  que  les  graphiques  de 
M.  L.  accusent  dans  la  fatigue,  tantôt  un  rapprochement  des  peinl^^^ 
tantôt  leur  éloignemont. 

M.  Germann  est  encore  plus  aflirmatif  et  déclare  que  les  dt-pres* 
sions  attribuées  par  Griesbach  à  la  fatigue  mentale  »  ne  soat  que 
Texpression  des  fluctuations  normales  de  Tattention* 

Notes,  —  Formation  du  contrôle  volontaire  (//.  Davies].  La  psjtiio* 


REvuii  nés  pi^uiodiquiih  éthangehs 

«D^ie  éthologique  {TU.  Bailey).  La  sensation  et  ses  attributs  (G.  Dôar- 
morti).  Images  coasecutives  {Marg.  Washburn). 

D'  J.  Philippe* 


I 


Przeglad  âlozoSczny. 

Betue  philosofitnque  potùmimf  IV,  IBÎlO. 

Z.   LïALïCKI,  Sur  les  b^sês  sociologiques  de  rutiiîlé  K  Aprèâ  avoir 

S  labli  que  le  oaractôre  avantageux  ou  désavantageux  des  phéiiomèues 

e  dépend  pas  de  leur  essence,  mais  qu'iî  est  absolument  relatif  et 

Léierminé  par  les  conditions  sociales,  Tauteur  pose  la  question  eî  un 

riiérium  objectif  de  ce  qui  est  utile  ou  nuisible  à  la  société  est  pos- 

tbie.  L*analyse  le  mène  à  la  conclusion  que  chaque  pbéuomène  qui 

e%^oc|ue  des  sentiments  positifs  ou  comprime  les  sensations  négatives 

^&t  utile  et  vice  vtrrsa.  Il  rejette  la  nùtion  d'  <  utilité-limite  »  introduite 

p^r    certains  auteurs,  La  solidarité  émotionnelle  du  groupe  social  fait 

^  ^*il  fi^lTorcL^  de  retenir  et  de  fixer  collectivement  tout  ce  qui  produit 

de 9    sentiments  positifs  et   de  rejeter    les    sources    des   sentiments 

xmêgatifs.  Cette  réaction  collective  et  émotionnelle  sert  de  base  aux 

i^ceâ  morales  du  groupe^  ainsi  qu  a  son  appréciation  de  rutilité  ou  de 

Vincooimodité  de  relations  qui  y  ont  lieu. 

ê3t«  Grabskk  tntroduclion  à  la  méthoiiolo<jie  dé  Véconomie  poli- 
iiquB  ^  C'est  un  essai  d'appliquer  la   théorie  de  la  connaissance  an 
phénomène  économique  et  de  donner  ainsi  des  fondements  méthodolo- 
giq^uÊs  solides  à  la  science  économique.  Les  phénomènes  économiques 
«ont  des  faits  sociaux.  L'auteur  commence  donc  par  délinrr  la  société 
oomme  un  syatème  de  relations  typiques  et  fixes  des  individus  et  des 
groupes  humains  entreeux.  Les  phénomènes  économiques  sont  délinis 
eomme  relations   typiques  des  individus  et  des  groupes  dirigés  a  la 
satisfaction  des  nécessités  matérielles.  Ce  qui  est  caractéristiq^ie  pour 
chaque  phénomène  social,  c'est  que  son  sujet  en  est  e|i  même  temps 
lobjet.  Chaque  phénomène  social  est  un  phénomène  psychique.  Mais 
dans  la  perception  de  ce  phénomène   il  y  a  un   élément  de   valeur 
objective.  Ce  que  l'objet  qui  est  opposé  au  ^  moi  »  (comme  le  remarque 
Onken)  c'est  n  nous  a.  Chaque  individu  peut  se  considérer  soi-même 
■oit  comme  sujet  de  ses  états  de  conseience,  soit  comme  membre  d'un 
groupe  homogène.  Cela  amène  fauteur  a  substituer  à  la  définition  de 
Mengcr  (le  phénomène  social  est  la  résultante  des  facteurs  individuel- 
lement téléologiques)  cette  formule  nouvelle  :  le  phénomène  social  est 
lu  forme  indispensable  psychique  des  relations  objectivement  téléolo* 
igiques  des  individus  et  des  groupes.  Ce  point  de  vue  donne  le  moyen 
'^e  résoudre  rantinomie  du  phénomène  social  comme  produit  subjectif 


t.  {jm  commeacemeal  de  eet  arlÎLie  se  trouve  d&ns  la  livraison  IIK 
l'WTJéme  année. 

2.  Commencé  daos  la  livraisca  III  de  ta  même  année. 


de   la 


324  RBVUE  PHILOSOPHIQUE 

et  comme  fait  objectif  en  dehors  de  noup,  ainsi  que  cet  autre  :  de 
Tindividu  comme  facteur  des  phénomènes  sociaux  et  comme  produit 
des  conditions  sociales.  En  spécifiant  cette  définition  du  phénomène 
social  dans  sa  généralité,  pour  Tadapter  aux  phénomènes  économiques, 
on  arrive  à  la  formule  impliquant  que  ces  derniers  sont  des  formes 
indispensables  des  relations  des  individus  ou  des  groupes,  dérivant 
de  leurs  jugements  objectifs  et  téléologiques  sur  la  capacité  des  choses 
et  de  services  de  satisfaire  aux  nécessités  matérielles. 

Nous  percevons  chaque  phénomène  social  soit  comme  une  propriété 
des  choses,  soit  comme  un  résultat  de  notre  activité,  soit  enfin  comme 
une  loi  qui  nous  est  imposée.  Ce  sont  les  trois  catégories  des  phéno- 
mènes sociaux.  Les  éléments  scientifiques,  qui  leur  correspondent, 
sont  :  io  les  concepts  économiques  objectifs; '2<>  les  faits  économiques; 
3^  les  institutions  économiques. 

L'économie  classique  les  considérait  sous  le  point  de  vue  du  réalisme 
naif  :  le  monde  des  phénomènes  économiques  était  pour  elle  ce  qu*il 
paraissait.  La  valeur,  le  capital,  la  rente,  le  revenu  étaient  considérés 
comme  propriétés  immanentes  des  certains  genres  des  biens.  Le  travail 
humain  était  ce  qui  les  mettait  en  corrélation.  L'homme  était  considéré 
comme  un  être  matériel,  dont  Tactivité  se  réduisait  au  travail  et  à  la 
consommation.  L*ccole  historique  fut  une  réaction  contre  Técole  clas- 
sique; mais  elle  se  borna  à  revoir  les  faits  et  à  critiquer  les  idées  de 
celle-ci.  Ce  n'est  que  Técole  stricte  (Mcngcr  et  l'école  de  Vienne)  qai 
rompit  avec  le  réalisme  naïf  de  l'école  classique  et  l'agnosticisme  de 
l'école  historique.  L'essence  des  phénomènes  sociaux,  elle  la  voit  dans 
l'état  psychique  des  individus.  Mais  elle  ne  peut  pas  donner  d'expli- 
cation des  phénomènes  généraux.  L'explication  complète  n'est  possible 
que  sur  les  bases  de  la  théorie  de  la  connaissance  de  ces  phénomènes 
qui  détermine  le  caractère  double  de  l'individu  comme  sujet  et  objet 
de  l'activité  économique. 

W.  M.  KozLOWsKi.  Les  sources  psychologiques  de  certaines  lovi 
fondamentales  de  la  naiure  (suite  et  fin  :  ch.  m.  L'aspect  triple  de 
retendue).  L'analyse  psychologique  de  ce  contenu  empirique  de  notre 
conscience  que  nous  appelions  monde  extérieur  aboutit  à  la  même 
opposition  des  notions  du  plein  et  du  vide  qui  a  été  signalée  comme 
fait  dominant  dans  le  cours  du  développement  historique  des  idées 
scientifiques  K  Après  avoir  parcouru  les  diverses  théories  concernant 
la  genèse  de  l'espace  (Condiilac,  Baine,  Mill,  Herbart,  Weber,  Lotie, 
Helmholtz,  Wundt,  Stumpf,  Gôring,  Delarive,  Dunan),  l'auteur  s'ap- 
plique à  déterminer  la  participation  des  diverses  sphères  sensorielles 
dans  la  formation  de  l'idée  de  l'étendue.  Cette  analyse  appuyée  parles 
observations  sur  les  aveugles-nés  opérés  ainsi  que  sur  les  enfant'» 
l'amène  aux  conclusions  suivantes  :  1°  La  notion  de  la  masse  ou  du 
plein  est  Tunique  qui  soit  donnée  par  le  toucher.  Il  l'appelle  étendue 

1.  Voir  les  périodiques  dans  la  Revue  philosophique  de  février  1900. 


REVUE    DES   PÊRIOIViaUES   ÉTHANGEEIS  325 

tactile  ou  physique,  2**  Le  sens  musculaire  est  la  source  de  la  notion 
du  vide  ou  de  la  dislanco^  autant  que  notre  mouvement  a  un  caractère 
d'iiivesligiUion  (lâtonnementii  mats  lorsqu'il  est  dirigé  à  produire  un 
changement  dans  le  monde  extérieur  (caractère  pratique),  la  sensa- 
tion de  résistance  des  masses  développe  deux  idées  corréktivesi  :  celles 
de  la  force  et  de  Tinertie.  Ce  genre  d'étendue  produit  par  le  mouve- 
binent  est  appelle  uiotoriqu^  ou  m*^canique. 

L*analyse  scientifique  qui  décomposait  le  mouvement  en  oea  deux 

iélémenlB  —  Tun  actifs  l'autre  passif  —  exigeait  un  complément  —  la 
troisième  loi  de  Newton  j égalité  de  Taction  et  de  la  réaction),  qui  n'est 
que  l'expression  de  ce  fait  psychologique,  que  la  sensation  de  pression, 
perçue  pendant  lefTort  de  mouvoir  un  corps,  croit  dans  la  même  pro- 
portion que  rinnervation  musculaire  qui  produit  cet  eiïort.  La  force 
est  défmie  en  mécanique  comme  la  relit  Lion  de  la  masse  à  la  vitesse 

produite  (F  =^ —);  d'autre  part  la  vitesse  n'est  que  la  relation-limite 

fis 
de  Tespace  parcouru  au  temps  (-rj  ^  v).  Ces  deux  équations  établis- 
sent les  relations  entre  les  trois  éléments  de  l'étendue  mo torique 
(passive —  distance;  active  —  force)  et  lat^tile  (masse)  d*un  coté  et  le 
temps,  qui  est  Ja  forme  générale  de  perception  des  états  internes, 
d'autre  part. 

Le  postulat  fondamental  de  la  physique  moderne,  établissant  que 
Abaque  changement  dans  la  nature  ne  peut  être  autre  qu'un  mouve- 
■iint  *f  découle  de  ce  fait  psychologique,  que  runtque  moyen  d*applî* 
rqoer  noïre  volonté  au  monde  extérieur  est  Teffort  musculaire*  C'est  le 
fondement  psychologique  de  la  loi  de  l'unité  des  forces  physiques. 
C'est  en  m^'-me  temps  la  clef  de  l'éternelle  dispute  du  réalisme  et  de 
ridéalisme,  La  réalité  du  monde  sensible  ne  peut  pas  être  prouvée 
Ibéoriquementf  son  existence  n'est  établie  indubitablement  que  par 
Tacte  volontaire, 

3"^'  En  passant  à  l'étendue  visuelle  ou  gêométriquet  rauteur  établît 
que  la  qualité  de  Tim pression  visuelle  étant  la  couleur,  qui  ne  peut 
être  imaginée  sans  extension,  Télément  de  surface  doit  y  être  pri- 
mîtif*  La  même  cause  objective  (chose  en  soi)  qui  détermine  la  qua> 
Il  té  de  la  couleur  en  lixe  l'exiension,  La  tache  colorée  avec  son  con* 
tour  forment  donc  rélément  primitif  qui  ne  peut  ôlre  élimmé  par 
ranalyse.  L'homogénéité  trop  évidente  de  notre  espace  visuel  a 
induit  les  psychologues  contemporains  soit  à  attribuer  à  rœil  la  per- 
ception immédiate  des  trois  dimensions,  soit  à  nier  absolument  la 
perception  de  Tespace  par  l'œiL  L'nrgument  de  Berkeley  contre  la  per- 
ception immédiate  de  la  troisième  dimension  (la  projection  d'une 
droite  correspondante  avec  la  direction  de  la  vision  est  toujours  un 
point)  reste  pourtant  invincible.  D'autre  part  les  expériences  récentes 
(eelles  de  llelmholtz  surtout)  ne  laiedent  aucun  doute  sur  ce  que  la 

L  AsscrlioD  faite  ûéià  par  Parménide, 


3â6 


REVUE   PUtLQSDPHJQUB 


vision  est  un  acte  complexe,  impliquajit  comparaison*  jugement,  ra_ 
Bonnement,  etc.  Tous  ces  actes  n*ont  pas  la  forme  discursive  des  ope 
rations  Jogiques;  ce  sont  les  représentations  concrètes  qui  y  preDoen 
part  au  lieu  des  concepts»  ce  qui  fait  que  leur  résultat  apparaît  comm 
parfaitement  homog^êne  et  spontané. 

C'est  donc  toujours  le  plein  (qualité,  couleur)  qui  est  perçu  par  Vœi  m 
immédiatement,  tandis  que  le  vide  (distance,  profondeur)  est  le  ^éâuka^.^ 
dea  efforts  musculaires. 

La  qualité  de  l'étendue  visuelle  (couleur)  s^associe  avec  celle  du  tou—  j 
cher  (masse)  pour  produire  la  notion  dea  corps,  tandis  que  les  mouve-  ^_ 
ments  de  TcBil  (sens  musculaire)  transforment  la  diversité  motrice  ec» 
espace  g^éométrique  à  trois  dimensions. 

En  refaisant  dans  la  direction  opposée,  au  moyen  de  Tanatyse  acien.«r 

tiûque»  la  roule  parcourue  inconsciemment  par  la  synthèse  de  la  per 

ception,  nous  obtenons  les  notions  de  forme  et  de  volume^  opposées  s, 
la  substance  du  corps  (en  éliminant  cette  substance  dans  noir»  - 
pensée,  c'est-à-dire  en  séparant  les  éléments  tactiles-visuels  des  éléments:  ^ 
motoriques  de  l'étendue  concrète).  Le  résultat  de  l'analyse  ultérieur»  - 
eat  ropposition  de  Télément  tactile  —  malû^re  en  général  —  aux  qua^Ei: 
lités  des  substances  concrètes,  c  est-a-dire  à  1  élément  visuel»  puisque  j 
la  couleur  est  la  base  la  plus  frappante  et  la  plus  primitive  des  dis^^ 
tinoiions  qualitatives.  L^unité  qualitative  (la  non-difTérenciation)  de  li^  M 
sensation  tactile,  devient  source  d'un  nouveau  postulat  —  celui  d^  M 
Tunité  de  la  matiùre  —  postulat  qui  jusqu*à  présent,  malgré  tous  ies^^ 
efforts,  n'a  pas  pu  être  mis  en  concordance  avtc  la  diversité  empiriquL»-  J 
des  éléments  chimiques.  La  notion  do  volum*.^  est  formée  en  étendanr  mt^ 
le  contour  (élément  visuel  primordial)  par  la  troisième  dimension  (élc-'^ 

ment  visuel  m o torique).  Comme  la  derisiÉé  =      j        .  on  voit  qu  ellc^» 

sert  de  coelTicicnt  pour  passer  de  retendue  tactile  à  rétendue  visuelle;  * 
la  vitesse  joue   le  même   rôle  envers   retendue   tactile  el  Tétendutr^- 

Tîiasse 


Bii 


motorique»  comme  l'on  voit  d'après  la  formule  :  vitesse  ^^ 


force 


La 


loi  d'imperméabilité  de  la  matière  est  le  résultat  de  ce  fait  psycLique, 
que  chaque  corps  produit  son  espace  propre.  Deux  corps  ne  peuveut 
doue  jamais  se  trouver  dans  un  môme  lieu. 

W,  M*   KOZLOWSKL 


J.  f  Ue 


,M^^'' 


mû 


'^^^S  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE 

'•    La  question  agraire,  trad.  de  Tall.   par  E.   Milhaud  et 

in-8«.  Paris,  Giard  et  Brière. 

^Ud.  Les  philosophes-géomètres  de  la  Grèce  :  Platon  et  ses 
^rs,  in-8\  Paris,  Alcan. 

^ï^EEF.  Problèmes  de  philosophie  positive  :  renseignement 
inconnaissable,  in-1?.  Paris,  Schleicher. 
K.  La  musique  des  cou/eurs,  in-i2.  Paris,  Schleicher. 
*•  Cours  de  psychologie  expérimentale,  trsid.  de  Tanglais  par 

în-8*.  Paris,  Schleicher. 

ase  d*ADHÉMAR.  La  femme  catholique  et  la  démocratie  /ran- 
%  Paris,  Perrin. 

A.RRAN  DE  Vaux.  A  ficemie,  in•8^  Paris,  Âlcan. 
ROUX.  Pascaly  in-12.  Paris,  Hachette. 

ILESCO.  Le  problème  juridique  de  la  personnalité  morale, 
s,  Rousseau. 

:-.  Le  crime  et  le  suicide  passionnels,  in-8°.  Paris,  Âlcan. 
EAUMONT.  Parole  d'un  vivant,  in-8^  Paris,  Âlcan. 
\t.  Les  formes  littéraires  de  la  pensée  grecque,  in-S*».  Paris, 

lRd.  La  méthode  scientifique  de  Vhistoire  littéraire,  in-8<». 

an. 

'reycinet.  Essais  sur  la  philosophie  des  sciences,  2«  éd. 

s,  Gauthier-Villars. 

MÛ,  La  Philosophie  sociale  dans  le  théâtre  d'Ibsen,  in-12. 

an. 

OUTiER.  La  vie  ouvrière  en  France,  in-8°.  Paris,  Schleicher. 

lE.  L'organisation  de  la  Scieïice,  in-12.  Paris,  Schleicher. 

)  (Mlle).  Eésistance  des  centres  nerveux  à  la  fatigue,  in-8®. 

,  Lamertin. 

A  (Mlle).  Contribution  à  Vétude  de  la  perception  stéréognos- 

3.  Genève,  Eggimann. 

E.  The  Conception ofimmortality  (Ingersolt  Lecture),  in-i2 

[oughton. 

:nslet.  Joseph  Glanvill,  in- 12.  New- York,  Macmillan. 

lUDBELL.  Horace  Mann  in  Ohio,  in-8«.  New- York,  Macmillan. 

TOR  RoBiNS.  Some  Problems  ofLotze's  Theory  of  Knowledge, 

'-York,  Macmillan. 

Newton  Deahl.  Imitation  in  Education;  ils  Nature,  Scope 

ficance,  in-S^.  New-York,  Mœmillan. 

ER.  Slavery  as  an  industrial  System  :  ethnological  resear^- 

'.  Hague,  Nijhoff. 


328  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

D*^  E.  Reicu.  Criminalitât  und  AltruismuSj  2  Bd  in-8s  Becker,  Arns- 
berg  i.  W. 

GiESSLER.  Die  Gemûthsbewegungen  und  ihre  Beherrschung ,  in-ii. 
Leipzig,  Barth. 

Th.  Ziehkn.  Leitfaden  der  physiologischen  Psychologie^  5*«  Aufl. 
in-8^  léna,  Fischer. 

E.  Grosse.  Kunsl-wisserifichaftliche  Studien^  in-8<*.  Tiibingcn,  Mohr. 

H.  Sf  HWARZ.  Psychologie  des  Willens  zur  Grundlegung  der  Ethik, 
in-8^  Leipzig,  Engelmann. 

Philosophischc  Abhandlungen  :  Ch.  S/gwari  :  zu  seinem  sieb- 
zigsten  Geburtslage,  in-8''.  Tubingen,  Mohr. 

IL  ScHOELER.  Problème  :  Kritische  SliuUen  ûber  den  MonisniuSy 
iD-8°  Leipzig,  Engelmann. 

R.  V.  Feldbgg.  Deilrâge  zur  Philosophie  der  Gefùhle^  in-f2. 
Leipzig,  Barth. 

A.  Pfaender.  Phœnomenologie  der  Wollcns,  in-8*.  Leipzig,  Barth. 

W.  Stern.  Ueber  Psychologie  der  individuellen  Differenzen,  iii-8". 
Leipzig,  Barth. 

H.  Spitta.  Mein  Recht  auf  Leben,  in-8«.  Tûbingen,  Mohr. 

H.  IIuGHER.  Die  Mimik  des  Menschens  auf  Grand  voluntarîscher 
Psychologie,  in-8».  Tiibingen,  Mohr. 

Ottolenghi.  La  Suggestione  e  la  facultk  psichiche  occulte,  in-8*. 
Torino,  Bour. 

Fbagapane.  Obbietto  ed  i  limiti  délia  filosofla  deldiritto^.  in-8*.  2  vol. 
Roma,  Lœscher. 

Ranzou.  La  religione  et  la  filosofîa  di  Virgilio,  in-8'\  Torino, 
Lœscher. 


NECROLOGIE 

Au  moment  de  mettre  sous  presse,  nous  apprenons  la  mort  de 
F.  Nietzsche,  décédé  à  Weimar,  à  Tâge  do  cinquante-six  ans,  à  la 
suite  d'une  attaque  d'apoplexie. 


Le  proprié laire-géranl  :  FiiLix  Alcan. 


Goulommiers.  —  Imp.  Paol  BRODARD  « 


MORALE  ET  PSYCHOLOGIE' 


La  question  des  rapports  de  la  sociologie  avec  la  psychologie 
aboutît,  en  fia  de  compte,  à  cette  autre  question  qui  la  résume  et  !a 
coiiticat,  poar  ainsi  dire,  tout  entière  :  qu'est-ce  que  le  phéno- 
mèoe  socud? 

Si,  comme  semble  le  croire  Técole  qui  fait  de  Tâme  collective  le 
propre  objet  des  études  sociologiques,  le  phénomène  social  se  con- 
fond avec  ie  phénomène  mental,  il  nous  faudra  rayer  du  diction- 
naire scientifique  le  terme  de  sociologie,  il  nous  faudra  considérer 
Feffortdece  siècle  pour  fonder  la  nouvelle  science  comme  un  cha- 
pitre curieux  dans  Thistoire  du  développement  de  la  psychologie. 

Mais  si,  au  Heo  d'identifier  le  phénomène  social  avec  le  phéno- 
mène mental,  nous  envisageons  le  premier  comme  la  cause  ou  une 
des  causes  déterminantes  et  productrices  du  second ,  nous  pourrons 
conserver  le  terme  de  sociologie  à  côté  de  celui  de  psychologie. 
Nous  assignerons  à  chacune  de  ces  deux  sciences  une  matière  dif- 
férente. Nous  pourrons  défmir  le  phénomène  social  par  un  ensemble 
de  caractères  constants  quiledilTérencieront  du  phénomène  mental* 

Dégageons  ces  traits  essentiels.  Nous  estimons  que  le  phénomène 
social  précède  le  phénomène  mental.  En  ce  sens,  il  lui  est  extériBur. 
€  Antériorité  »  et  «  extériorité  »,  ces  deux  caractères  sont  fondamen- 
taux- Ils  tracent  en  Ire  le  fait  social  et  le  lait  psychique  une  ligne 
ferme  de  démarcation.  Une  chose  à  la  fois  antérieure  et  extérieure 
à  une  autre  se  confondra  difficilement  avec  celle-ci.  Voila  pourquoi 
ceux  qui,  réagissant  contre  le  courant  psychologique,  ont  voulu 
donner  à  la  sociologie  une  base  positive  ou  objective,  se  mirent 
résolument  à  la  recherche  du  fait  antérieur  et  extérieur  aux  mani- 
feÀlalionï^  de  l'esprit. 

Un  tel  fait,  ce  n*est  pas  Tesprit  lui-môme,  noumène  qu'il  serait 
puéril  d'opposer  au  phénomène  qui  lui  sert  d'expression  intégrale. 
Serait-ce  donc  la  viel  Une  école  naguère  encore  puissante  et  qui 
se  réclame  de  Comte,  de  Darwin,  de  Spencer  et  du  matérialisme 


f,  >'ou3  f>oblîons  9011$  <!e  lilre  une  des  kçons  du  cours  sur  U  ConsliUiLign 
lie  rérhT«)uei  drtnnù  pir  M.  de  Robcrly  a  TCniversilé  nouvelle  dd  Bruxelles  et  ù 
rt^:ole  dtî  ma  raie  de  Paris  (2"  aemesire  de  celte  anuée). 

TOMI    L.    —  OCTOBnE    1900,  22 


330  REVUE    PHILOSOPHIQUE 

scientifique,  a  énergiquement  soutenu  cette  thèse.  On  s'aperçut 
toutefois  bientôt  qu'en  identifiant  le  phénomène  social  avec  le  phé- 
nomène vital,  on  escomptait  peut-être  un  avenir  lointain,  on  ne 
,  réalisait  sûrement  pas  la  sociologie  de  l'époque  présente.  On  aban- 
donna, par  suite,  peu  à  peu,  ces  simples  exercices  métaphoriques. 
On  chercha  le  «  fait  antérieur  et  extérieur  au  fait  mental  >  dans  la 
sphère,  très  large  selon  les  uns,  très  étroite  selon  les  autres  —  et 
d'ailleurs  foncièrement  hypothétique  —  qui  sépare  la  biologie  de  la 
psychologie.  On  mit  en  avant  les  phénomènes  de  pécorisme  ou  de 
grégarisme,  l'association  rudimentaire,  l'évolution  historique,  la 
tradition,  l'organisme  contractuel,  le  finalisme  collectif,  le  polygé- 
nisme  des  races,  la  conscience  de  l'espèce,  le  déterminisme  écono- 
mique ou  matérialiste,  la  répétition  universelle  et  ses  fornaes 
sociales,  l'imitation  et  la  suggestion,  enfin  même  le  nombre,  la 
masse,  la  population. 

Mais  ces  diverses  théories  présentent  ce  trait  commun,  que  toutes 
finissent  par  tomber  du  côté  où  elles  penchent,  les  unes  nous  ranne- 
nant  h  l'explication  biologique  et  les  autres  à  l'explication  psycho- 
logique des  phénomènes  sociaux.  La  zone  neutre  qu'on  désirait 
établir  entre  la  biologie  et  la  psychologie,  pour  y  élever  l'édifice  d* 
la  sociologie,  s'évanouit  de  la  sorte  chaque  fois  qu'on  tente  de  l'ex- 
plorer. La  terre  promise  et  inconnue,  la  «  terre  sociale  d  ne  serait- 
elle  donc  qu'un  mythe? 

N'abandonnons  pas  à  la  légère  tout  espoir  de  construire  un* 
sociologie  autonome.  Cherchons  et  luttons  encore.  Pour  ma  par^» 
je  crois  que  le  phénomène  antérieur  et  extérieur  au  fait  mental  C^^ 
postérieur  et  extérieur  au  fait  vital)  existe  réellement. 

La  transmutation  de  la  multiplicité  organique  ou  biologi<I^^^ 
(espèce,  race)  en  une  unité  surorganique  ou  sociale  (communai:^*-^ 
société),  et  la  métamorphose  de  l'unité  organique  (égoïsme,  isol*=*' 
ment,  lutte  pour  la  vie)  en  une  multiplicité  surorganique  (altruisn"*^^» 
coopération,  moralité),  telle  est,  à  mes  yeux,  la'doubleface  du  p*^^" 
nomène  social  et  son  contenu  spécifique,  tel  est  le  fondements  ^^ 
point  de  départ  de  la  sociologie. 

L'altruisme,   le  sens  moral  est  une  complication  nouvelle,  i^^® 
floraison   de  la  vie.   L'altruisme  s'observe  à  tous  les  degrés      ^^ 
l'échelle  biologique  (symbiose,  parasitisme,  commensalisme,donr>^^" 
ticalion,  mutualisme,  vie  par  autrui  et  pour  autrui).   Mais  c^^*^ 
modalité  de  la  force  universelle  s'affirme  avec  éclat,  elle  atteint  ^^^ 
point  culminant  dans  une  seule  espèce  zoologique;  et  elle  y  dét^^' 
mine,  selon  la  belle  parole  de  Gournot,   «  l'évolution  de  ce  gra^^ 
phénomène  qu'on  appelle  l'humanité  ». 


/ 


E,  DE  ROBERTY. 


HOBALE  ET  PSÎCHOtOGfE 


W 


1€ 


crois  que  le  jour  est  proche  ou  ridentité  de  Téthique  et  île  la 
^^clologie  sera  universellement  reconnue  comme  une  vérité  évi- 
^Jte,  La  science  sociale  aura  fait  alors  un  pas  considérable  en 
avant. 

L'objet  des  recherches  du  moraliste  ne  difTcre  en  rien  de  celui  à 
/'*?*! rde  duquel  le  sociologue  consacre  le  plus  pur  de  son  efîort. 
Z)ésJj^*nons  cet  objet  par  ses  appellations  les  plus  habituelles.  S  agit-il 
de  catiditife?  Mais  les  séries  de  conduite  remplissent  le  domaine  tolal 
de  /'histoire qui  est  la  base  de  la  sociologie.  S'agit-ii  d'icfdex  qui  se 
réalisent,  qui  se  transforment  en  acle»'}  Mais  la  sociologie  n  est-elle 
pas    le  grand  portique  de  Tidéologie,  et  qu'est-ce  que  la  société, 
sioo  n ,  à  la  fois,  le  creuset  où  s  élaborent  nos  idées,  et  le  vaste  champ 
où  celles  s'appliquent?  S'agit-il  ôe  caractère'}  Mais  le  caractère  est-il 
auti*o  chose  qu'un  simple  aspect  de  la  conduite,  Taspect  qui  la  relie 
aux  conditions  mentales  dont  nos  actes  ne  Forment  que  les  consé- 
quences? La  matière  intime  de  tout  drame  — ^et  Thistoire  sociale  de 
'tiun:ianiti^.  est  le  drame  par  excellence  —  ûê  se  confond- elle  pas 
vec  ce  que  nous  appelons  le  caractère?  S*agit'il  enfin  de  jugements 
^>ioî*aii,r,  de  jugements  portés  sur  la  valeur  des  idées  et  des  actions 
l^^ornuines?  Mais   le  titre  à'amoîogie  sociale  ne  convient-il  pas  à 
■aer veuille  aux  études  du  sociologue? 

La  inorale  a  souvent  été  définie  comme  le  plan^  la  méthode,  la 

^eîe  qui  gouverne  la  vie  de  Thomme  au  miHeu  de  ses  semblables. 

ï"*  une  minute  de  réflexion  suffit  pour  comprendre  qu'une  lelle 

l^'^Kle  ne  peut  avoir  de  valeur  que  si  elle  exprime,  au  moins  d*une 

ï^COn  lointaine  ou  approximative,  les  lois  essentielles  qui  dirigent 

*  aetiviié  sociale  de  Thomme  et  qui  forment  Tobjet  propre  de  la 

^GjojQgie_  Toujours  et  parlout,  la  transition  du  moral  au  social 

^••f firme  comme  un  passage  du  môme  au  même.  La  morale  est, 

*^^ns  l'ordre  des  idées,  le  corrélalif  exact  des  mœurs,  des  coutumes, 

^^^  droits  et,  en  général,  des  rapports  sociaux ^  dans  Tordre  des 

faits. 

Quant  à  Targument  tiré  de  Tan ti thèse  qui  oppose  Vindiviitu  à  la 
socitif^  et  vice  verset^  il  nous  enferme,  comme  j*ai  eu  maintes  fois 
l  Occasion  de  le  constater,  en  un  cercle  vicieux;  il  nous  conduit  à 
e^  j^u  de  mots  puéril  qui  consiste  à  voir  dans  la  sociologie  une  sorte 
d^  »tiora(e  du  groupe^  et  dans  la  morale  une  sorte  de  i^ociologie  de 
V'^ndiiidu. 

Mlruisme,  morale,  droit,  justice,  —  voilà  autant  de  points  de  vue 
fiuccessifg  auxfjueîs  nous  nous  plaidons  pour  analyser  un  seul  et 
ïii<'tTie  phénomène,  la  socialilé*  La  sociologie  est  aussi  bien  la 
xmmQ  de  la  morale  que  celle  du  droit.  £tle  est  également  la  science 


333  RËVUK   PHILOSOPHIQUE 

économique,  car  les  rapports  de  cette  sorte  rentrent  tous  dans  l'ordre 
juridique  et,  par  suite,  dans  Tordre  moral.  Et  lorsque  de  la  théorie 
on  passe  à  l'application,  la  sociologie  devient  une  technique  sociale, 
une  politique  se  subdivisant  en  une  foule  de  chapitres  distincts. 
Enfin  Thisloire  est  nécessairement  morale,  juridique,  économiqueet 
politique.  C'est  le  fond  commun  où  puisent  toutes  les  hranchesde 
la  sociologie.  Les  faits  de  l'histoire  s'offrent  comme  un  immense 
champ  d'expériences  morales,  et  le  récit  de  l'historien  n'est  que  lo 
description,  plus  ou  moins  détaillée  ou   succincte,  de  pareilles 
expériences  qui  toujours  se  montrent  intimement  liées  ensemble 
et  découlent  les  unes  des  autres  (pragmatiquement,  comme  on  lit 
dans  l'école  allemande,  ou  encore  en  vertu  des  lois  logiques  de 
l'esprit  appliquées  aux  choses). 

L'éthique  telle  que  nous  l'entendons,  la  morale  devenue  une 
sociologie  abstraite,  c'est  la  science  de  l'univers  transcendant  rapa- 
triée, ramenée  dans  le  monde  de  l'expérience;  c'est  le  rêve  de  Kant 
réalisé,  la  nature  intelligible  émergeant  du  brouillard  métaphysique 
qui  nous  cachait  sa  véritable  essence. 

Le  monde  des  idées  possède  deux  sources  distinctes  :  1"  les  lois 
ou  les  conditions  de  la  vie  organique;  et  2®  les  lois  ou  les  condilioDS 
de  l'existence  sociale.  La  biologie  est  la  science  des  premières,  la 
sociologie  ou  morale  la  science  des  secondes.  Sur  la  double  base 
offerte  par  ces  deux  disciplines  également  abstraites  et  inductive^ 
s'élève  l'édifice  du  savoir  concret  et  déductif  désigné  par  le  nom  de 
psychologie. 

Confondre  ce  savoir  concret  avec  la  biologie  ou  avec  la  sociologie 
est  une  faute  grave.  Elle  fut  pourtant  commise,  soit  par  Comte  et 
l'école  positiviste  incorporant  la  psychologie  dans  la  physiologîîe 
cérébrale,  soit  par  Spencer  et  l'école  cvolutionniste  concevant 
l'éthique  comme  une  partie  de  l'idéologie,  le  chapitre  qui  traite  des 
notions  morales,  qui  déroule  la  longue  chaîne  des  syllogismes  imp^ 
ratifs  réglant  la  conduite  de  l'individu  pour  son  plus  grand  bien. 

L'altruisme,  sous  le  nom  populaire  d'amour  du  prochain,  lasocia- 
lité  sous  la  dénomination  non  moins  répandue  de  moralité,  ces  phé- 
nomènes furent,  de  temps  immémorial,  familiers  aux  hommes,  tf^*^ 
ceux-ci  ne  connurent-ils  pas,   de   tout  temps,  certaines  grandes 
classes  de  faits  chimiques,  la  combustion,  la  putréfaction,  la  fer- 
menlallon  par  exemple?  Néanmoins,  la  chimie  s'offre  comme uDC 
discipline  de  date  récente,  et  la  sociologie  en  est  encore  à  ambi- 
tionner le  titre  de  science.  Pourquoi?  Parmi  les  causes  qui  e^f^' 
quent  la  persistance  de  l'empirisme  vulgaire  et  les  retards  subis  pf 
l'éclosion  du  savoir  théorique,  il  en  est  une  qu'on  ne  signale  presque 


E.  DE  ROBERTT     —   MOBALE  ET  PSTCHOLOGTE 

ÎSrnSTs,  Je  veux  parler  du  ran^î  secondaire,  accessoire,  dépendant 
que  la  raison  est  naturellement  portée  à  assigner  aux  phénomènes 
qu'elie  connaît  mal^  d'une  façon  vague  et  imparfaite. 

Sans  se  rendre  un  compte  exact  de  îa  dîfTérence  qui  existe  entre 
la  dérinïtion  d'une  chose  par  r/t?s  mois  et  sa  définition  par  des  fait$y 
on  son  étude  expérimentale,  Tcsprit  recourt,  dans  les  deux  cas»  à  la 
même  méthode ,  il  tente  la  réduction  de  ce  qull  ne  connaît  pas  à  ce 
qu'il  croit  connaître.  Il  assimilei  sans  plus,  les  phénomènes  chtmi- 
quesaux  phénomènes  physiques,  et  il  range  volontiers  les  faits  sociaux 
parmi  les  faits  vitaux.  Au  lieu  de  considérer,  jiîsqu'à  nouvel  ordre, 
ksocialité  (OU  laîtruisme,  le  psychisme  collectif)  ainsi  qu'un  mode 
spécifique  de  Ténergie  universelle,  il  est  enclin  à  n'y  voir  qu'un 
simple  fait  biologique,  le  compagnonnage  commun  à  tous  les  ani- 
maux* 

Non  pas  qu'une  telle  vue  soit  fausse  en  elle-même,  ou  qu'elle 
pèche  par  son  étroilesse.  Elle  me  semble,  au  contraire,  eu  égard  au 
savoir  infime  que  nous  possédons  en  ces  matières,  trop  générale, 
trop  vague,  trop  fluenle.  C'est  Thabit  d'un  colosse  mis  sur  le  dos 
d'un  enfant  et  qui  ne  peut  qu'entraver  ses  gestes,  embarrasser  sa 
marche.  C'est  peut-être  Tavenir,  saisi  et  deviné  par  hasard,  sinon 
en  vertu  des  tendances  monistes  du  philosophe;  ce  n'est  sCirement 
pas  le  présent,  avec  ses  besoins  précis  et  ses  limitations  néces- 
saires. 

Admettons  toutefois,  avec  certains  écrivains  récents,  la  social! té 
pour  un  instinct  profond  de  la  nature  vivante.  Ce  mot  %^ague  d*ins- 
tioct  ne  nous  apprend  pas  grand'chose.  Il  nous  enseigne  seulement 
qu'un  lien,  comparable  a  une  racine,  ex.iste  entre  la  vie  organique 
ou  Ion  digère  et  se  meut,  et  la  vie  surorganique  oii  Ton  pense  et 
agit.  On  a  très  justement  dit  de  Tinstinct  qu*il  naissait  «  de  la  répé- 
tition soutenue  des  mêmes  actes  »  et  on  l'a  1res  véridiquement 
décrit  comme  une  mémoire  héréditaire  «  qui  se  décolore  et  finit  par 

ivanouir  quand  Texercice  ne  lentretîent  pas  ».  La  socialité  subit 
'Scessai rement  la  loi  générale.  Bépélition  soutenue  des  mêmes 
actes,  éducation  prolongée  du  genre  humain,  l'histoire  exalte  ou 
atrophie  tels  ou  tels  groupes  de  penchants  qui,  par  suite^  seront 
considérés  à  une  époque  comme  moraux,  et  ù  une  autre  comme 
immoraux.  Et  Thistoire,  en  outre»  fait  surgir  des  penchants  neufs 
et  inédits,  en  employant  a  cette  lin  les  innombrables  données  de  la 
vie  psychique  eoncrète,  de  la  bio-sociaUtê  qui  forme  la  trame  même 
des  événements  historiques.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'une  partie 
des  idées  et  des  théories  socialistes  passera  sans  nul  doute  dans  le 
sang,  imprégnera  les  cerveaux  des  générations  futures.  Le  temps 


334  IlEVUË   PHILOSOPHIQL'K 

est  un  grand  magicien.  Que  n'a-t-il  déjà  changé,  dans  le  domaine 
politique,  dans  celui  de  la  sexualité,  dans  nos  rapports  écoDO- 
miques!  Combien  de  vieux  instincts  sociaux  éteints,  combien  de 
mourants,  combien  de  nouveau-nés  aussi  !  Quand  les  circonstances 
s'y  prêtent,  un  très  petit  nombre  de  générations  suffit  pour  opérer 
les  plus  étonnantes  métamorphoses. 

On  n'^pête  volontiers  avec  Darwin,  qui  fut  un  grand  naturaliste, 
mais  un  philosophe  plutôt  médiocre,  que  «  l'instinct  social  n  émané 
des  profondeurs  de  l'organisme,  gi'oupa  les  hommes  en  sociétés. 
Et  on  ne  nous  cMe  pas  que  cet  instinct,  qui  joue  en  sociologie  le 
rôle  d'un  deus  ex  machina,  se  comporte  d'une  façon  bizarre  el 
capricieuse.  Après  avoir  touché  de  sa  grâce  quelques  espèces 
placées  très  bas  dans  l'échelle  zoologique,  il  saute  brusquement 
jusqu'au  faîte  de  la  série.  Brusquement,  sans  transition  apparente, 
mais,  non,  certes,  sans  cause  réelle.  Or,  quelle  est  cette  cause? 

Je  m'imagine  qut;  la  rencontre,  le  choc  des  forces  psychophysiques 
rudimentaires  produit,  à  tous  les  degrés  de  l'échelle  animale,  une 
réaction  originairement  semblable.  Mais  celle-ci  ne  doit-elle  pas  se 
dilTérencier  peu  à  peu  et  amener  des  conséquences  fort  diverses, 
suivant  la  diversité  des  matériaux  sur  lesquels  opère  la  socialité, 
suivant  la  classe  de  cerveaux  où  sç  manifeste  le  phénomène  social 
et  (jui  sont  doués  de  pouvoirs  psychiques  très  dissemblables?  Chez 
les  animaux  inférieurs,  et  peut-être,  d'une  façon  passagère,  dans  les 
premières  hordes  humaines,  la  réaction  collective  donne  naissance 
au  seul  «  instinct  social  »;  et  chez  les  êtres  exceptionnellerai^nl 
favorisés    sous  le    rapport  psychophysique,  tel  l'homme  sorti  de 
l'état  sauvage,  elle  fait  surgir  un  phénomène  nouveau,  a  la  cods- 
cience  sociale  »,  qui  participe  de  la  nature  supérieure  de  ces  orga- 
nismes perfectionnés.  Le  a  pur  instinct  »  et  la  «  pure  conscience  * 
auraient  ainsi  une  origine  commune  ;  et  une  lin  analogue,  puisque 
la  raison  elle-même  se  transforme  avec  le  temps  en  fonction  auto- 
matique. 

Certes,  ni  l'inlelligence,  ni  la  socialité  ne  font  entièrement  défaut 
à  aucune   espèce   animale.   Une   sociable  restreinte  aux   rapport^ 
sexuels  ou  à  l'amour  de  la  progéniture  est  parfois  étrangement 
dévtMoppée  chez  des  êtres  absolument  réfractaires  aux  formes  plu^ 
hautes  de  Taltruisme.  Certaines  autres  espèces,  les  abeilles  et  1^^ 
fourmis,  par  oxenn)le,  ces  primates  des  invertébrés,  manifestent 
déjà,  à  un  degré  très  apparent,  ce  i^i'on  pourrait  appeler laltruisin^ 
de  la  cité.  Cette  monile  peut  nous  surprendre  par  ses  nombreus^=» 
ressemblances  avec  la  morale  humaine  ;  il  n'en  est  pas  moins  pr^' 
bable  ipie  la  première  ditïère  de  la  seconde  dans  la  mesure  exacte 


dans  laquelle  la  cérébralité.  les  aptitudes  psychophysiques  des 
êtres  quelle  joint  ensemble^  restent  iaféneures  à  la  cérébralité,  aux 
aptitudes  psychophysiques  de  rhonime.  Car  la  morale  ou  la  socia- 
ili^  n'est  pas  autre  chose  que  la  mise  de  telles  aptitudes  en  pré- 
sein!e,  en  contact  permanent,  chez  les  individus  biologiques  qui 

Prinenl  l'espèce .  Une  partie  des  lorces  psychophysiques  se 
ansmue  alors  en  forces  sociales  ou  raorales. 
Chez  rhomme,  révolution  une  ibis  commencée  ne  s  arrête  point. 
La  cérébraiité  humaine,  devenue  collective  (d'individuelle  qu  elle 
■fait  au  sens  biologique  du  mot),  entre  avec  la  mentatilé  première  en 
in  rapport  régulier  de  coopération.  Les  aptitudes  collectives  alfiées 
^ux  aptitudes  psychophysiques  se  transmuent,  à  leur  tour,  en  une 
louvelle  série  d'aptitudes  qu'on  pourrait  appeler  idéologiques,  qui 
Lnt  essentiellement  instables  (une  condition  de  progrès)  et  qui 
pm placent  partout  la  pure  causalité  par  le  fînalisme  conscient  (ou, 
ijelon  le  jargon  philosophique  encore  en  usage,  la  nécessité  par  la 
eilé). 

Dans  le  cas  zoologiqoe^  nous  avons  une  série  évolutive  composée 
deux  termes    :    cérébraUté,    socialilé*    Et   la    morale  animale 
meure  stationnai re,  elle  se  lègue  héréditairement  avec  la  môme 
lié  et  la  même  rigueur  que  les  instincts  organiques  et  fonction- 
lels.  Uans  le  cas  humain,  par  contre,  nous  sommes  en  présence 
Tune  série  évolutive  composée  de  trois  termes  :  cérébralité,  sociaUlé, 
éalitét  dont  le  premier  seul  rentre  dans  Tordre  biologique,  tandis 
tie  les  deux  autres  appartiennent  à  l'ordre  sururganique.  La  socia- 
le humaine  est  consciente  comme  son  ellét  ou  son  produit  i  m  mê- 
lât, rîdéalité  humaine.  Elle  est,  par  suite,  foncièrement  progrès- 
(ive,  et  sa  transmission  héréditaire  n'est  rien  moins  que  fixe  ou 
igoureuse.  Elle  se  rapproclie  visiblement,  sous  ce  rapport,  de  Thé- 
ité  si  intermittente  et  si  fugace  des  hautes  aptitudes  intellec- 
elles  {auxquelles  les  physiologistes  eux-mêmes  n'accordent  tout 
U  plus  qu'une  transmissibilité  de  quelques  générations). 
Une    terminologie    particulière,   alors    môme    qu'elle    est   très 
éfectueuse  (rexemple  de  Kant  Ta  su  If  i  s  am  ment  prouvé  pour  les 
soncepts  universels),  rend  des  services  inestimables  aux  esprits  qui 
entent  le  passage  de  la  vague  connvaissance  empirique  à  un  savoir 
llus  exacl  et  plus  sûr.  Le  plus  mauvais  néologisme  scienti tique 
possède  sur  le  meilleur  des  termes  de  la  langue  usuelle  ou  cou- 
nte  cet  avantage  que,  tant  qu*il  n'est  pas  usé,  il  ressemble  à  ces 
fases  neufs  qui  ne  laissent  pas  couler  leur  contenu.  Le  lecteur 
)rdinaire  et  le  critique  qui  défend  ses  intérêts,  poussent  de  grands 
iria  h  la  vue  de  certains  barbarismes;  mais  n'est-il  pas  juste  de 


33G  REVLE   PHILOSOPHIQUE 

répondre,  à  l'un,  qu'il  n'est,  en  somme,  que  le  lecteur  ordinaire^  et 
à  l'autre,  que  les  intérêts  par  lui  pris  en  mains,  pour  respectables 
qu'ils  soient,  doivent  céder  devant  l'intérêt  supérieur  qui  s  attache 
à  la  découverte  d'une  vérité  nouvelle. 

Ne  craignons  pas  d'employer  ce  mot  barbare,  le  psychisme  col- 
lectif, DU  remplaçons-le,  pendant  qu'il  est  temps  encore,  par  un 
néologisme  plus  suggestif,  mais  équivalent.  Et  pour  en  revenir  au 
problème  posé  dans  les  pages  précédentes,  constatons  que  le  phé- 
nomène social  ou  moral  surgit  partout  où  il  y  a  collectivité,  com- 
munion psychique,  indépendamment  de  la  nature  du  psychisme 
dont  le  simple  équilibre  biologique  est  partiellement  rompu  ao 
profit  d'un  équilibre  plus  complexe  et,  par  là,  supérieur.  Ce  psy- 
chisme apparaît  soit  chez  l'animal  proprement  dit,  soit  chez  l'homme 
zoologique.  On  pourrait  par  suite  diviser  la  science  sociale  descrip- 
tive —  l'unité  de  la  science  abstraite  étant  hors  de  cause  —  en 
deux  parties  distinctes  :  la  socioiOiiie  ou  la  morale  animale,  et  la 
sociologie  ou  la  morale  humaine.  Toutes  deux  contribuent  par  leurs 
données  et  leurs  expériences  au  développement  de  la  sociologie 
générale.  Mais,  très  précieux  au  point  de  vue  de  la  théorie  pure, 
l'apport  de  la  première  parait,  à  tous  les  autres  égards,  étrangement 
inférieur  à  celui  de  la  seconde.  Ce  n'est  pas,  certes,  de  la  sociologie 
ou  de  la  morale  absente,  comme  on  la  dit,  mais  c'est  presque  de 
la  stKiologie  latente  et,  au  mieux,  une  manière  de  pi'ésociologiem 
de  />iYi)»i»r.ï?*\ 

Partout  dans  la  nature,  le  fait  altruiste  la  présence  d'aufruî,  du 
iwéiïit»  à  la  fois  nutltipliê  et  [jradu»:  annonce  l'existence  d'une 
réserve  de  psychisme  collectif.  Pleinement  utilisée,  cette  réserve 
fera  éclater  la  si«cialiîé  et  lui  permettra  d'atteindre  un  développe- 
mont  puiss;mî;  .|ue  si.  au  contraire,  comme  cela  a  lieu  dans  la 
plujwrt  des  espèces  animales  et  dans  toutes  les  espèces  végétales, 
cette  réserve  reste  inactivo,  la  socialité  ne  s'éveillera  pas  de  son 
lourvl  so:umeil.  elle  dem-  uroni  :\  T'  ::it  de  simple  tendance. 

Quand  îe  psychisme  c^«î[ec:if.  de  potentiel  qu'il  étiit.  devient 
actu;!.  i*  rovjt  la  f^Tme  d'i::  e   •<-::•  l'ion,  d'une  ifociété  d*indi\idus 
ou  j  "'-*  -  vlWmes,  d'esprits  s^r\!>  î  ar  leurs  organes.  Une  sobriété 
est  i:::  CimiPjZcr.ier.t.  uitC  cc:n:s:',  on  i^t^rnuinente  et  n'iturrlle  àA 
t,^i;>  U  >      /     lassOs,  i  n^  sonis  et  Uîiirs   avec  tous  les  <]i#(rii(  éga- 
ler, c:.:  cv.\<v'^;s  si^r  s; '•.•:*  .ttc  -  ;■  ::•■>  ,  d.ius  un  milieu  physique  à 
la  :V  i>  ^  :c:c".:^î:;.e  et  g; o^ir  r:::  |\::-    d.itrniiné-  l'n  milieu  c.>u5«ri<Til 
et  h:<::--'-  .•  •  .s!  ,v:;>.  .  ivc  -îià  sc^  ;  "t.r.d  intimement  avec  le  milieu 
sulv .  :*>c  cr.t    v.  r.\i:-r  :'.  Ijx^  trj..:  :  •:::  »  •  u  îa  *.  tîliation  »  de  Ijllrê, 
4   r;:*',.::M'::-::v.e:\:  ♦  eu     î"  ir.iMtio::  »  «ie  Oournot  et  de  M.  Tarde,  la 


E.  DE  ROBERTY.   —  MOIULE   ET  PSYCHOLOGIE  337 

<c  suggestion  »  du  docteur  Nordau,  etc.,  sont  des  indices  conco- 
mitants du  phénomène  associatif,  indices  toujours  subordonnés  au 
fait  altruiste  primordial. 

Il  reste  à  s'enquérir  des  circonstances  qui  favorisent  Téclosion  du 
phénomène  associatif.  Une  haute  cérébralité  s'offrira,  à  ce  point  de 
vue,  comme  un  avantage  considérable.  Mais  l'exemple  des  sociétés 
constituées  par  certains  hyménoptères,  où  le  fait  altruiste  revêt  les 
formes  précises  qu'il  possède  dans  les  sociétés  humaines  les  moins 
avancées,  prouve,  semble-t-il,  qu'il  faut  chercher  ailleurs  la  clef  du 
problème.  Hasardons  une  modeste  hypothèse. 

Ne  voyons-nous  pas,  dans  toutes  les  sociétés  dignes  de  ce  nom, 
dans  celles  des  animaux  mentalement  très  inférieurs  comme  dans 
celles  des  êtres  exceptionnellement  doués  sous  le  rapport-de  Tintel- 
ligence,  se  produire  un  fait  caractéristique,  la  différenciation  ou  la 
spécialisation  des  fondions  sociales?  La  fonction  organique  a  été 
définie  :  une  coordination  de  mouvements  inconscients,  mais  indis- 
pensables à  la  conservation  de  la  vie,  qui  s'inscrivent  d'une  manière 
plus  ou  moins  profonde  dans  les  centres  nerveux  (quand  ces  mouve- 
ments se  rapportent  au  genre  d'existence  de  l'animal  et  lui  dictent 
une  conduite  invariable,  la  fonction  organique  change  de  nom,  elle 
s'appelle  instinct).  A  son  tour,  la  fonction  sociale  se  pourrait  définir  : 
une  coordination  d'éléments  psychiques  (représentations,  émotions, 
désirs  ou  besoins  primordiaux)  qui,  s'imprimant  dans  les  cerveaux 
des  individus  groupés  ensemble,  sont  indispensables  au  maintien  de 
la  vie  commune.  Se  rapprochant  ainsi  de  la  fonction  organique,  la 
fonction  sociale  se  rapproche  encore  plus  de  Tinstinct  biologique  : 
car  elle  se  rapporte  toujours  au  genre  d'existence  des  êtres  vivants 
qui  la  manifestent  et  elle  leur  dicte,  d'une  façon  impérative,  leur 
conduite.  Mais,  grâce  à  la  nature  psychique  (et  non  plus  physiolo- 
gique) des  éléments  qu'elle  coordonne,  elle  diffère  de  la  fonction 
vitale  et  de  l'instinct  parla  qu'elle  peut  faire  passer  ces  éléments  et 
passer  elle-même  de  l'état  subconscient  à  l'état  de  pleine  conscience. 
Elle  n'accomplit  pas  toujours  ce  pas  décisif  (les  sociétés  animales, 
les  tribus  humaines  primitives  et  tout  ce  qui,  dans  nos  sociétés 
modernes,  représente  ataviquement  ce  lointain  passé,  nous  en  four- 
nissent la  preuve  indubitable);  mais  elle  semble  y  tendre  d'une 
façon  constante. 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'ailleurs,  le  «  phénomène  associatif»  s'accom- 
pagne régulièrement  d'une  spécialisation  plus  on  moins  parfaite  des 
principales  fonctions  de  la  vie  psychique  collective.  Or  une  telle 
séparation  ne  serait  guère  possible  si  elle  n'avait  pour  base  et  pour 
source  la  différenciation  plus  essentielle  et  plus  profonde  des  apti- 


338  KEVUE   PHILOSOPHIQUE 

ludes  psychophysiologiques  et,  plus  tard,  celle  des  aptitudes  bio- 
sociales. Je  suppose  donc  que  la  différenciation  psychique  des  êtres 
placés  en  face  les  uns  des  autres,  constitue  la  première  condilioi^ 
assurant  la  force,  la  stabilité,  la  durée  des  liens  qui  les  unissent.  - 
Cette  condition  me  paraît  plus  indispensable  et  plus  efficace  qu*UD  ^ 
haute  cérébralité.  Je  n'affirme  pas,  bien  entendu,  que  Tunité  social  ^ 
croit  en  raison  directe  de  la  différenciation  psychique;  je  suis  plulO  ^ 
enclin  à  penser  qu'un  degré  relativement  peu  élevé  de  difTérencialioxm. 
suffit  pour  mener  à  bonne  fin  Tœuvre  unificatrice. 

Ce  trait  renforce  encore  les  nombreuses  analogies  qui  existerm.  t 
entre  la  science  des  phénomènes  d'association  et  la  science  dfe  ^s 
phénomènes  d'affinité,  entre  la  sociologie  et  la  chimie,  séparée  ^s> 
l'une  de  l'autre  par  la  vaste  région  des  phénomènes  vitaux.  Les  re^  — 
semblaiices  en  question  sont  si  frappantes  qu'elles  nous  pousserM.  '^ 
involontairement  à  comparer  la  sociologie  à  une  chimie  de  l'esprit  ^  *- 
la  chimie  à  une  sociologie  de  la  matière. 

En  effet,  l'altruisme  inorganique,  s'il  est  permis  d'ajouter  celL  ^^ 
comparaison  aux  autres,  —  reste  stérile,  demeure  inaclif,  et  aucu  mrm. 
phénomène  d'aflinité  ne  se  produit  en  présence  d'une  matière  pâriisL  m— 
tement  homogène.  C'est  l'hétérogénéité,  la  différenciation  matériell.  ^^ 
qui  forme  le  point  de  départ  et  la  condition  fondamentale  du  phénc^— 
mène  chimique,  comme  c'est  l'hétérogénéité,  la  différenciation^ 
psychique  qui  forme  le  point  de  départ  et  la  condition  essentielE  ^ 
du  phénomène  social. 

L'étude  des  foules,  des  grandes  réunions  d'hommes  et  mémedi^ 
la  plupart  des  corps  constitués  (tribunaux,  jurys,  collèges  électorau:^^  » 
parlements,  etc.;  conduisit  certains  observateurs  à  cette  conclusio^^ 
qui,  au  premier  abord,  parait  choquante,  à  savoir,  que  le  simple  fsa-»*- 
de  prendre  contact,  de  se  tasser,. de  s'agglomérer  tend  à  abaissa** 
aussi  bien  le  niveau  intellectuel  que  l'étiage  moral  des  unités  com- 
posant le  nouveau  groupe,  qu'il  soit  accidentel  ou  permanent.  1^^ 
sociologue  italien  Seipio  Sighele  nous  donne  une  brève  formule  d^ 
ce  curieux  phénomène  :  Unirsi,  net  mondo  umano^  écrit-il.  v^^^ 
dire  jH'ggiorarsi  iContro  il  parlamentarismo,  1895). 

M.  Sighele  nous  semble  avoir  raison.  Mais  loin  d'aller  à  Tencontr^ 
de  nos  vues  sur  le  psychisme  collectif,  ou  de  saper  par  sa  basenotr^ 
théorie  des  formations  bio-sociales,  sa  formule  vient  h  l'appui  denos 
thèses,  conlinne  nos  suppositions,  sert  à  contrôler  leur  justesse. 

En  elTet,  si  l'individu  tel  qu'il  fleurit  sur  notre  terrain  social,  ^^^ 
le  produit  de  deux  forces  ou  de  deux  facteurs  coopérant  ensemble 
(le  facteur  psychophysique  et  le  facteur  proprement  social),  il  ^^ 
manifeste  que  chaque  agent  ou  facteur  plus  simple,  pris  à  part, 


E,  DE  ROBERTY.  —  MOflAtE  8T  PSTOIOI.OCIE 

ïuera,  dans  Févûluttun  totaJe,  un  degré  inrérieiir,  un  pas  en 
arrière.  On  rétro^jrade  en  quelque  sorte  quand  on  va  de  Findividuel, 
du  psychologique,  à  ses  parties  composantes,  soll  àrindividuel  bio- 
logique, soit  au  coîlectif.  Or,  dans  les  foules,  chaque  fois  qu'elles 
agissent  en  véritables  toutes,  il  y  a  toujours,  pour  ainsi  dire,  reprise 
de  réiénient  prituordinl  (du  coliectîf)  et  prédominance  de  ce  facteur 
sur  le  produit  combiné  (findividu  social).  On  s'en  aperçoit  très  vite 
par  des  symptômes  caractéristiques,  tels  que  le  jeu  plus  libre  des 
instincts  sociaux,  des  passions  cotlectives.  et  surtout  par  Tabseace 
de  responsabilité.  H  en  va  de  même  h  regard  des  corps  constitués 
qui  remplacent  reflicace  respunsabilité  personnelle  par  rillusoire 
x'esponsabilïté  collective  ou  qui  échappent,  d'une  manière  ou  d*une 
ciutre,  au  cunlrùle  du  savoir  et  de  la  raison.  Et  là  se  trouve  aussi 

k^eut-étre  le  secret  de  la  supériorité  finale  des  vagues  aspirations 
^iiiarchiquGS  (ou  plutôt  autarchiques)  sur  les  vagues  aspirations 
^ziollectivistes. 
La  question  des  rapports  de  la  morale  avec  la  sociologie  d'un  côté, 
.^mvec  la  psychologie  de  Tautre,  a  été  Tobjet  de  Iréquentes  contro- 
^^rerses,  surtout  en  ces  derniers  temps.  Mais  la  plupart  des  auteurs 
«^ua  ce  sujet  préoccupa  l'envisagent  à  un  point  de  vue  tellement 
^5î ranger  a  celui  qui  domine  dans  le  présent  travail,  que  la  discussion 
^de  leurs  thèses  ne  pourrait  ollrir  ici  qu*u!ie  utilité  restreinte  et 
^^resque  négative.  Une  exception  toutefois  sera  faite  en  faveur  de 
^^ertaines  vues  sur  le  problème  de  la  con^itulion  de  Téthique, 
X7écemment  émises  en  Allemagne  par  un  esprit  des  plus  distingués^ 
^SI.  Simmel,  qui  enseigne  la  sociologie  à  TUniversité  de  Berlin.  Ces 
^'ues  —  tantôt  justes,  et  tantôt  consacrant,  ce  nous  semble,  de  graves 
Cïrreurs  —  méritent  de  fixer  un  instant  notre  attention. 

M.  Simmel  a.  certes,  mille  fois  raison  lorsque,  dans  un  éloquent 
apfïcl  aux  moralistes  contemporains,  il  les  adjure  de  renoncer  aux 
vieux  «  impératifs  n  et  aux  abstractions  ontologiques  en  usage,  pour 
édifier  la  science  morale  sur  ranaljrse  historique,  sur  les  observa- 
tions du  psychologue,  de  rettmologiste,  du  sociologue.  Kt  M.  Sim- 
mel se  montre  à  la  fois  subtil  et  judicieux  dans  ses  recherches  de 
ilélail  sur  la  nature  de  nos  concepts  moraux*  Mais  il  ii^abdique  pas 
la  vieille  erreur  qui  consiste  à  voir  dans  les  formes  sticiales  tantôt  la 
cause,  et  tantôt  Fetlét  des  fat^cea  morales,  U  estime,  par  suite,  que 
réthiqne  n*est  pas  une  science  abstraite  et  ne  pourra  jamais  le  deve- 
nir* Le  sens  des  idées  morales  lut  parait  indélinissable  et  ces  idées 
sont,  pour  lui,  l'oîuvre  de  ce  qu*jl  appelle  le  <r  platonisme  de  l'es- 
prit »  (du  mirage  qui  attribue  la  vie  réelle  h  l'abstraction  vide  et 
souvent  même  contradictoire).  Mais  la  méthode  qu*il  nous  recom- 


340  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

mande  pour  combattre  cette  illusion,  renouvelle  le  vieux  jeu  de 
dialectique  hégélienne. 

Elle  détruit,  à  grand  renfort  de  preuves,  des  suppositions  qu'elli 
môme  édifia  dans  le  but  apparent  de  les  jeter  par  terre  à  la  premièi 
occasion.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'on  nous  assure  que  les  nolioi 
morales  les  plus  usuelles,  le  devoir,  le  sacrifice,  le  bonheur, 
liberté,  etc.,  ne  sont  ni  des  unités,  ni  des  forces  vivantes  capab! 
de  servir  de  point  de  départ  et  de  base  à  l'éthique. 

Dénoncer  Tontologie  morale  après  Tontologie  métaphysique,     ^* 
besogne  semble  déjà  vaine  aujourd'hui.  Et  elle  devient  presque  pi^  ** 
rile  lorsqu'on  cherche  à  prouver  que  le  Devoir  comme  TÊtre  so*^^ 
vécus  et  sentis  avant  de  fournir  des  sujets  de  méditation  au  pbi^  ^^ 
sophe.  La  logique,  dit  avec  raison  M.  Simmel,  ne  crée  pas  des  ét^^ 
d'esprit,  elle  les  suppose.  Aussi  la  recherche  du  bonheur  univers^^  ' 
la  culture  du  moi  et  toutes  les  autres  lins  morales  que  nous  po*-^' 
vons  nous  proposer,  restent-elles  des  postulats  éthiques  tant  qii'^^-^ 
ne  les  dessaisit  pas  de  ce  nMe.  .. 

Simmel  estime  que  ce  n'est  pas  notre  science,  mais  bien  plii  *- 
notre  ignorance  de  tout  ce  qui  est  caché  dans  nos  devoirs  et  so»-^*" 
entendu  par  eux,  qui  les  investit  de  la  force  morale  que  nous  1^  "^^ 
attribuons.  Nous  transformons  à  notre  insu  en  obligations  inélijr  ^^ 
tables  et  permanentes  toutes  les  nécessités  relatives  nées  au  coii     --^^ 
de  l'histoire.  Pourtant,  et  à  supposer  que  notre  ignorance  des  faî 
historiques  soit  remplacée  par  leur  connaissance  exacte,  la  sanctic 
qui  s'attache  à  nos  devoirs  en  sera-t-elie  amoindrie?  Je  pense,  pot 
ma  part,  que,  si  elle  s'eflace  en  ce  qui  concerne   certaines  cat< 
gories  d'obligations,  elle  verra  sa  force  se  décupler  par  rapport 
d'autres.  Loin  donc  de  m'apparaître  comme  une  maladie  incurable 
le  scepticisme  moral,  qui  est  la  plus  vieille  et  la  plus  éminente  carac 
térislique  de  l'élile  humaine,  me  frappe  comme  un  appétit  constan' 
de  santé  psychique. 

Aux  théories  courantes  sur  l'égoïsme,  Simmel  oppose  des  vue^ 
fort  judiiMCuses  sur  la  vraie  nature  des  motifs  «  altruistes  »>.  H 
prouve  avec  beaucoup  de  finesse  que  l'altruisme  est  un  principe  detf 
conduite  aussi  général,  aussi  simple,  aussi  primitif  que  Tégoïsme. 
Il  n'est  même  pas  éloigné  de  croire  que  l'altruisme  se  développe 
dans  les  sociétés  humaines  avant  Tégoïsme.  Mais  il  retombe  en  môme 
temps  dans  Terreur  vulgaire  qui  consiste  à  voir  dans  l'un  de  ces 
concepts  l;i  négation  de  l'autre.  Au  reste,  si,  comme  nous  le  pen- 
sons, la  poussée  égoïste  ne  forme  que  le  degré  inférieur  du  phéno- 
mène social,  riiisloire  et  la  logique  sont  d'accord  pour  nous  montrer 
le  règne  de  régoisme  précédant  et  préparant  celui  de  l'altruisme. 


St 


I 
I 


le 


E.  DE  ROBERTY.    —   MOîtALB  ET  PSTCHOiOCIE 

Un  dernier  Irait  caractérise  la  théorie  morale  de  Si  m  met  :  c'est 
riiiipûrt-ince  extraordinaire  qu'il  attache  à  la  vieille  notion  d'un 
€onHît  irréductible  entre  nos  dillérents  devoirs.  Cette  lutte,  selon 
Jui,  ne  ces^e  jamais  et  constitue  l'essence  du  sentiment  tragique  qui 
voile  d'une  ombre  douloureuse  la  jjIus  brillante  destinée  humaine. 
La  contrariété  ibrme  à  ses  yeux  la  loi  suprême  de  la  morale^  la  con- 
dition qui  Tait  surgir  les  dilTérents  groupes  et  qui  règle  la  succession 
des  divers  *Hats  sociaux.  Ceux-ci  naissent  te  plus  souvent  non  pas 
l'un  de  lautre,  mais,  pour  ainsi  dire,  Tun  contre  Tautre.  Aussi  Sim* 
mal  s*élève-t-il  avec  force  contrôla  recherche  de  Funilé  en  morale, 
contre  le  monisme  éthique,  contre  toute  tentative  ayant  pour  bul  de 
réduire  à  un  seul  principe  les  mobiles  variés  de  notre  conduite.  Il 
semble  ne  pas  vouloir  admettre  que  la  tendance  h  rimilé  est  une 
xiécessilé  logique  h  laquelle  nulle  science  abstraite  ne  saurait  se 
souii^lraire  sans  briser  le  ressort  intime  qui  la  fait  vivre,  sans  s'immo- 
biliser, pour  y  croupir  indéliniment,  dans  sa  phase  inchoative  et 
empirique.  Le  médecin  ignorant  les  lois  de  la  pathologie,  le  mécani- 
cien étranger  à  la  théorie  de  son  art,  peuvent  facilement  devenir  la 
;çroie  de  perplexités,  d'angoisses  au  mejins  aussi  pénibles  que  celles 
«jui  tourmentent  le  moraliste.  Mais  cela  les  autorise-t-il  k  déclarer 
^ue  la  mécanique  et  la  biologie  sont  basées  sur  un  conilit,  une  lutte 
éternelle   de  forces   dont  jamais    nous    ne   pénétrerons    lobscur 

Avant  de  terminer  cette  leçon,  il  nous  faut  dire  quelques  mots  du 
roblème  des  rapporlii  nécessaires  qui  relient  le  progrès  moral  au 
ï^rpgrcs  întellectueL 

Une  dispute  restée  célèbre  s  engagea  h  ce  propos  entre  les  histo- 
riens de  la  civili^tion.  Les  uns  admettaient  la  haute  valeur  des 
progrès  moraux,  les  autres  contestaient  leur  inîluence  et  attribuaient 
^^nx  seuls  progrès  intellectuels  la  paternité  de  Tœuvre  civilisatrice. 
^es  derniers,  à  Tappui  de  leur  thèses  invoquaient  surtout  la  marche 
^ente  de  la  morale  et  révolution  rapide  du  savoir. 

Mais,  dans  cette  discussion,  ne  devenons-nous  pas,  malgré  nous, 
^^ictimes  d'une  erreur  mentale  semblable  à  fillusion  physique  qui 
immobilise  à  nos  yeux  la  terre  et  déplace  les  astres,  ou  qui  arrête 
A  e  train  en  marche  et  met  en  mouvement  les  raiîs,  les  poteaux,  les 
sarbres  de  la  route?  La  morale  n  est-elle  pas  le  sol  ferme  qui  porte 
ft  ^humanité  h  travers  l'histoire,  et  le  propre  véhicule  de  toute  civili- 
^aalion?  Et  la  lenteur  des  progrès  dits  moraux,  quand  on  la  compare 
Mm  h  rapidité  des  progrès  dits  intellectuelSj  ne  signifle-t-elle  pas  sim- 
"^lement  que  nous  ne  nous  rendons  pas  bien  compte  des  premiers, 
c^ui  ne  font  qu'un  avec  notre  être  social  intime^  tandis  que  les 


342  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

seconds,  plus  extérieurs  et  plus  apparents,  nous  étonnent  et  attirent 
nos  regards? 

On  n'a  jamais  clairement  défini  la  valeur  de  ces  deux  vocables  : 
le  a  moral  »  et  a  Tiiitellecluel  ».  Ce  que  nous  appelons  le  c  progrès 
moral  »  peut  signifier  beaucoup  de  choses  qu'il  serait  profondément 
irrationnel  de  ne  pas  distinguer. 

S'agit-il  du  progrès  de  la  «  connaissance  »  morale?  Nous  rentrons 
alors  dans  la  définition  du  premier  des  progrès  intellectuels,  le  pro- 
grès scientifique,  qui  est  la  base  et  le  point  de  départ  du  progrès 
philosophique,  du  progrès  esthétique  et  du  progrès  technique.  La 
marche  en  avant  de  la  connaissance  morale  s'affirmera  comme  le 
résultat  d'une  marche  analogue  déjà  accomplie  par  toutes  les  autres 
sciences  :  ce  progrès  se  manifestera,  par  suite,  en  dernier  lieu.  Mais 
comment  pourrait-il  retarder  beaucoup  sur  le  progrès  philoso- 
phique, esthétique  ou  technique  dont  il  est  une  des  conditions 
nécessaires? 

S'agit-il  d'autre  chose  que  de  connaissance?  Ce  mot  de  «  morale  ^ 
est,  en  effet,  si  vague  qu'il  désigne  à  la  fois  le  psychisme  collectifj 
l'une  (les  deux  sources  fondamentales  de  toute  science  et  de  tout* 
culture  intellectuelle,  et  les  idées,  les  concepts  éthiques  qui  forment 
le  contenu  et  le  produit  de  l'expérience  sociale  proprement  dite.  Dans 
sa  première  signification,  la  morale  apparaît  à  nos  yeux  coracne 
quelque  chose  d'infiniment  plus  stable  que  la  culture  intellectuel !<■ 
Nous  devenons  la  proie  de  l'illusion  bien  connue  qui,  séparant  1^ 
effets  multiples  de  la  cause  unique,  conçoit  celle-ci  comme  immuable» 
et  ceux-là  comme  soumis  à  une  variation,  à  un  changement  perp^" 
tuel.  L'id('^e  de  progrès,  dès  lors,  déserte  l'idée  de  cause  pour  s'atta- 
cher étroitement  à  l'idée  des  effets  que  cette  cause  détermine.  No«Js 
oublions  que  ces  derniers  ne  sont,  en  réalité,  qu'une  série  déchar- 
gements subis  par  la  première.  Nous  parlons  des  progrès  rapides  de 
la  culture  intellectuelle  sans  nous  apercevoir  que  nous  affirmons p^r 
là  l'évolution  —  tout  aussi  rapide,  sans  nul  doute  —  du  psychisriïe 
collectif  qui  produit  cette  culture.  Que  si,  d'autre  part,  nous  app'^" 
quons  le  terme  de  morale  aux  seuls  concepts  éthiques  qui,  à  une 
époque  donnée,  meublent  nos  cerveaux,  il  est  clair  que  le  dévelop- 
pement des  idées  de  cette  sorte  ne  pourra  pas  devancer  celui  des 
concepts  dus  à  Texpérience  biologique,  physico-chimique  ou  méca- 
nique; et  nous  ne  nous  tromperons  pas  beaucoup  en  constatant  '* 
lenteur  dos  progrès  de  la  technique  sociale  comparativement  aux 
progrès  de  la  technique  de  toutes  les  autres  branches  du  savoir. 

Peut-on,  de  l'état  intellectuel  d'un  peuple,  conclure  avec  sûreté  à 
son  état  social?  Quand  ils  ne  s'identifient  pas  l'un  avec  l'autre,  ces 


E.   DE  ROBERTY,   —   MORALK    KT   PSYCÎlOLOCtli 


34H 


^^  mj»  3t  états  restent  étroitement  connexes  entre  eux.  Certains  paral- 
^  M  ^^  s  historiques  et  contemporains  tendent,  il  est  vrai,  à  prouver  le 
^i^m;-:»  traire.  Mais  Texcessive  complexité  des  pliénomènes  sociaux 
izs^^is^  «jmule  et  explique  les  erreurs  qui  se  commettent  journellement 
irm  *n;etle  sorte  de  comparaisons.  On  perd  de  vue»  par  exemple^  que 
^  s^r^ientaltté  d'une  élite  restreinte  ne  représente  jamais  la  mentalité 
B^  M  ^  nation  enti^^re  :  les  semailles,  soumi-ses  à  Taléa  des  change - 
^^^^■rmts  atmosphériques,  ne  sont  pas  encore  la  récolte.  La  barbarie 
f  m  w^m^  téneuvù  aussi  bien  que  rextérîeiire;  supporte  pendant  de  longs 
»  ^^«iz^  les,  sans  se  laisser  entamer^  le  contact  de  la  civilisation.  On  a 
*t»^l-jitude  de  déplorer  en  pareil  cas  l'échec  piteux  de  la  science, 
r^«i  mj«ite,  dit-on,  à  s'incliner  devant  Fempirisme  des  praticiens 
socz^m^^yx.  On  oublie  la  plus  belle  conquête  de  celte  même  spience, 
la  lo  i  de  continuité,  selon  iaquelle  jamais  et  nulle  part  dans  la  nature 
te^    cJegrés  ne  se  sautent 

^N'os  idées  —  scientîliques,  pbiiosopiiiques,  esthétiques   et  pra- 

liciUcBS  —  sont  des  forces  qui,  comme  telles,  rayonnent  de  tous  côtés, 

agissent  ou  réagissent  sur  le  monde  des  phénomènes.  Cependant, 

pltic^^êe  en  dehors  de  certaines  conditions  biologiques  intimement  unies 

^  oc?  i^taim*s  conditions  sociales,  l^idée  ne  se  manifeste  point;  j'entends 

rîcl^^  complexe,  Fahstraction  fille  du  langage,  de  la  tradition,  de 

^'en^^ignement,  des  divers  modes  de  communication  entre  les  cer- 

^^^ai^x  individuels.  Sans  socialité,  pas  d'idéologie;  sans  morale,  pas 

^B^  3S<::ience,  Mais  le  contraire  ne  semble-t-il  pas  également  vrai,  et 

^V^  l>CïUvons-nous  pas  dire  :  sans  idéologie,  pas  de  socialité;  sans 

^^^vciïi'^  pas  de  morale?  Dans  la  réalité  concrète^  Teffet  est  insépa- 

^Vabi^  de  sa  cause.  Là  société  la  plus  sauvage  possède  déjà  une  idéo- 

/*ei^  rudimentaire.  Le  développement  des  liens  sociaux  augmente 

^  Nombre  et  la  valeur  des  idées  qui  s'échangent  entre  les  hommes 

qui  constituent  le  véritable  fonds  sur  lequel  vivent  les  sociétés* 

*^^*H    Je  développement  idéologique  s  olîre  à  son  tour  comme  un 

'Bne  auquel  se  doit  reconnaître   [en  dépit  d'apparences  parfois 

reposées)  une  socialité  accrue,  une  morale  virtuellement  plus  haute. 

tï-^ne  observation  a  été  faite  des  milliers  de  Ibis  :  cette  remarque 
*^*>^'itnment,  que  le  progrès  intellectuel  et  le  progrès  moral  ne  s© 
*iSii^iit  constater  qu'à  la  suite  d'un   progrés  économique j  d'une 
,        "^^^iiyi^ation  des  bases  matérielles  de  Texistence.  Les  idées  prati- 
^**es  auraient-elles  donc  le  pas  devant  les  idées  scientifiques  et  phi- 
^*->|jhique3?  Voilà  une  illusion  assez  semblable  à  celle  qui  tire  la 
^rale  de  Tidéotogie,  ou  qui  donne  poiu*  origine  au  fait  social  élé- 
^^  *^ni*iii*e  une  suite  de  raisonnements  compliqués.  Et  cette  illusion 
^^plique  delà  même  manière. 


344  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

Dans  les  deux  cas,  ce  que  nous  apercevons  avec  netteté,  c'est  le 
phénomène  consécutif,  soit  Tépanouissement  idéologique,  soit  Je 
progrès  matériel.  Et  ce  phénomène  nous  frappe  d'autant  plus  qu'il 
forme  la  matière  propre  de  notre  activité  sociale,  qu'il  nous  pousse 
à  agir  d'une  certaine  faron,  qu'il  guide,  à  notre  insu,  par  la  force 
inhérente  au  finalisme  latent  de  l'esprit,  nos  désirs  et  dirige  nos 
volontés.  J 

Une  finalité  plus  consciente  nous  eût  sans  doute  aidé  à  corriger 
l'erreur  subjective  qui  nous  fait  voir  dans  le  progrès  matériel  l'an- 
técédent ou  la  condition  nécessaire  de  progrès  intellectuel.  Car 
poser  consciemment  la  première  espèce  du  progrès  comme  une  fin, 
un  but  à  atteindre,  n'est-ce  pas  reconnaître  à  la  fois  :  1'*  que  cette 
fin  devient  pour  nous  un  mo^y  d'action,  une  cause  subjective  déter- 
min.mt  un  certain  efl'et  (dans  notre  exemple,  le  progrès  intellec- 
tuel; ;  et  2"  que  l'effet  en  question  constitue  la  vraie  cause  objeclm 
du  phénomène  transformé  par  notre  raison  en  motif  ou  mobile? 

D'ailleurs,  le  progrès  intellectuel  est  une  cause  qui,  comme  toutes 
les  causes  naturelles,  renaît  sans  cesse,  à  mesure  qu'il  produit  son 
effet,  le  progrès  matériel.  D'où  cette  formule  qui  suffit  aux  besoins, 
qui  répond  aux  exigences  étroites  de  la  pratique  :  sans  progrès 
matériel,  pas  de  progrès  intellectuel.  Mais  la  théorie,  la  science 
pure  fait  cesser  l'équivoque.  Elle  remet  chaque  chose  à  sa  véritable 
place,  la  cause  avant  Teflet  qui  la  manifeste,  le  progrès  du  savoir, 
cette  richesse  latente  de  l'homme,  avant  le  progrès  de  la  richesse, 
ce  savoir  incorporé  dans  les  objets  qui  nous  entourent. 

Dans  les  petits  détails  de  la  vie  active,  nous  pouvons  impunément 
oublier  les  liens  de  dépendance  qui  unissent  la  pratique  à  la  théorie. 
Mais  nous  nous  exposerions  aux  plus  graves  mécomptes  en  basant 
sur  la  même  règle  notre  conduite  générale.  Sur  ce  point,  les  meil- 
leurs esprits  sont  d'accord  depuis  des  siècles. 

a  La  question  de  l'avenir  de  l'humanité,  dit,  par  exemple,  un  des 
plus  fins  moralistes  de  l'époque,  est  tout  entière  une  question  de 
doctrine  et  de  croyance;  la  philosophie  seule,  c'est-à-dire  la 
recherche  rationnelle,  est  compétente  pour  la  résoudre.  La  révolu- 
tion réellement  efficace,  celle  qui  donnera  la  forme  à  l'avenir,  ne 
sera  pas  une  révolution  politique,  ce  sera  une  révolution  religieuse 

et  morale J'imagine  donc  que  ceux  qui  nous  rendront  la 

grande  originalité,  ne  seront  pas  des  politiques,  mais  des  penseurs. 
Ils  grandiront  en  dehors  du  monde  officiel,  ne  songeant  même  pas  à 
lui  faire  opposition,  le  laissant  mourir  dans  son  cercle  épuisé.  » 
Montaigne,  au  xvr  siècle,  était  déjà  de  l'avis  de  Renan  :  «  Aucuns, 
lit-on  dans  le  premier  livre  des  Essais^  voyant  la  place  du  gouver- 


E.  DE  ROBERTY.   —  MOMALE   ET  PSYCHOLOGIE  345 

nement  politique  saisie  par  des  hommes  incapables,  s'en  sont 
reculés.  Et  celui  qui  demanda  à  Cratès  jusques  à  quand  il  faudrait 
philosopher,  en  reçut  cette  réponse  :  Jusques  à  tant  que  ce  ne 
soient  plus  des  asnlers  qui  conduisent  nos  armées,  d 

Les  <(  asniers  y>  de  Montaigne,  les  empiriques  et  les  praticiens 
encombrent  les  avenues  qui  de  l'expérience  sociale  conduisent  à  la 
théorie  sociologique.  Et  la  suprématie  de  Taction  sur  la  pensée 
trouve  un  écho  complaisant  jusque  chez  les  serviteurs  de  la  science 
qui  volontiers  confondent  le  point  de  vue  qui  convient  au  journaliste 
ou  au  poUtique  avec  celui  auquel  se  doit  placer  le  savant. 

Parmi  ces  serviteurs,  les  uns  déplorent  l'état  arriéré  de  la 
psychologie,  le  mystère  qui  enveloppe  la  vie  de  l'âme  et  qui  ne 
permet  pas  au  sociologue  de  prévoir  la  conduite  des  individus  et 
des  peuples.  Ceux-là  enferment  la  science  sociale  dans  un  cercle 
sans  issue.  Us  font  dépendre  Tavenir  du  savoir  abstrait  du  sort  de 
la  connaissance  concrète  correspondante.  Ils  semblent  ne  pas  se 
douter  que  les  lois  psychologiques  se  déduisent  simultanément  des 
lois  générales  de  la  biologie  et  des  lois  générales  de  la  sociologie. 

D'autres  vont  plqs  loin  encore.  Ils  dénient  à  la  connaissance 
sociale  toute  capacité  de  prévision.  La  sociologie,  à  leur  gré,  ne 
sera  jamais  une  science  véritable,  mais  seulement  une  description 
analytique,  une  simple  histoire  naturelle  des  sociétés.  Il  faut,  assu- 
rent-ils, <!C  nous  borner  à  savoir  que  le  monde  moral  est,  lui  aussi, 
soumis  à  des  lois  :»,  et  nous  résigner  en  même  temps  «  à  ne  jamais 
connaître  les  conséquences  futures  (c'est-à-dire  le  propre  contenu) 
de  ces  lois». 

Cette  thèse  pessimiste  affirme,  d'une  façon  formelle,  l'existence 
d'un  inconnaissable  moral.  Nous  ne  relèverons  pas  son  caractère 
profondément  illusoire;  mais  nous  nous  permettrons  de  faire 
observer  que  la  vieille  théorie  de  l'indétermination  des  phénomènes 
moraux  était  à  la  fois  plus  franche  et  plus  logique. 

Eugène  de  Roberty. 


TOME  L.  —  1900.  23 


LES  LOIS  DU  MOUVEMENT 

ET   LA 

PHILOSOPHIE   DE   LEIBNIZ 


Quand  on  lit  les  œuvres  philosophiques  de  Leibniz  on  est  frappé 
de  Timporlance  qu'il  donne  à  ses  propres  recherches  surlesloisda 
mouvement.  On  voit  sans  peine  qu  a  ses  yeux  Tintérôt  de  ses  décou- 
vertes dans  cette  (jnestion  dépasse  de  beaucoup  les  bornes  de  la 
science  de  la  nature  et  touche  aux  problèmes  les  plus  essentielsde 
la  nuHaphysique.  Mais  c'est  par  une  série  d'allusions  plus  quepir 
un  exposi»  complet  présenté  une  fois  pour  toutes  que  Leibniz  donne 
cette  impression.  Il  en  résulte  quelque  obscurité  dans  l'esprit  do 
lecteur;  celui-ci  n'aperçoit  pas  toujours  avec  clarté  dans  quel  rap- 
port se  trouve  la  philosophie  leibnizienne  avec  l'énoncé  dequel»|U€S 
lois  <le  dynamique.  Peut-être  les  réllexions  suivantes  qui  précisé- 
ment veulent  jeter  sur  ce  point  quelque  lumière  ne  seront-elles  p» 
tout  à  fait  inutiles. 

I 

(l'est  avant  tout  contre  le  principe  cartésien  de  la  conservation  de 
la  quantité  do  mouvement  que  Leibniz  a  dirigé  ses  elîorts.  La  quan- 
tité (ic  mouvement  dun  corps,  c'est  le  produit  de  sa  masse  prsa 
vitesise.  Afiirmer  la  conservation  de  la  quantité  de  mouvement  dans 
l'univers,  c'est  afiirmer  l'invariabilité  de  la  somme  des  quantités  de 
mouvement  de  tous  les  éléments  de  matière.  Comment  Descartes 
démontrait-il  celle  grande  loi?  Il  prétendait  la  faire  dériver  defiffl" 
mutabilité  de  Dieu,  qui  <^  doit  conserver  en  l'Univers,  par  son  con- 
cours ordinaire,  autant  de  mouvement  et  de  repos  qu'il  y  en  amis 
en  le  créant  •  )>.  A  quel  point  cette  argumentation  est  fragile,  il  est  à 
peine  utile  de  le  faire  remarquer.  S'il  doit  y  avoir  un  lien  élroil 
entre  Tinmiutabilité  divine  et  la  constance  d'une  somme,  pourquoi 

1.  Principes,  2'  partie. 


a.  MILHAUD. 


LKS    LOJS   DU    aiOLrV£>IE?ir 


3'J 


ir  la  somme  de  la  quantité  de  raoiivement  de  préférence  à 
LUtre?  C'est  à  peu  près  ce  que  dit  Leibniz  :  d  Quie  hic  ratio 
MV  a  CDOStantia  Dei  quam  deljîiis  sit,  nemo  non  videt»  quoniam 
oostaiitia  Dei  îsummu  sit,  nec  quicquam  ab  eo  nisî  secundurn 
3riptiB  dudum  seriei  leges  mutetur,  id  tamen  quctrilur,  quid- 
Donservare  in  série  decreverit  ^  ». 

is  Leibniz  connaît  les  tendances  de  Tesprit  de  Descaries  :  il 
[ue  si  par  tenipérameot  il  ne  voit  toute  la  vérité  d'une  proposi- 
qu'à  la  lumière  de  quelque  principe  d*oLi  elle  se  déduise,  ce 
ordinairement  pas  le  chemin  naturel  qu'a  suivi  sa  pensée  pour 
venir.  A  propos  de  la  réfraction,  par  exemple,  Leibniz  —  pas 
que  Fermât  —  n'a  pris  au  sérieux  Tétrange  démonstration  de 
irtes,  et  il  a  refusé  de  croire  qu'il  lui  dût  vraiment  la  connats- 
3  de  la  loi  des  sinus,  «t  Lorsque  les  rayons  observent  dans  les 
es  milieux  la  même  proportion  des  sinus,  qui  est  aussi  celle 
résistances  des  milieux,  il  se  trouve  que  c'est  la  voie  la  plus 
ou  du  moins  la  plus  détei^minêe  pour  passer  d'un  point  donné 
un  milieu  à  un  point  donné  dans  un  autre.  Et  il  s'en  faut  beau- 
que  la  démonstration  de  ce  même  théorème  que  M.  Descartes 
Lilu  donner  par  la  voie  des  efficientes,  soit  aussi  bonne.  Au 
B  y  a-t-il  lieu  de  soupçonner  qu*il  ne  l'aurait  jamais  trouvée 
ùj  s  il  n'avait  rien  appris  tu  Hollande  de  la  découverte  de  Snel- 
.  »  Leibniz  a  tort  de  ne  pas  songer  à  la  possibilité  que  Descartes 
ouvé  sa  loi  par  Texperience,  en  bon  pltysicien  quUl  sut  être  à 
Sures  ;  mais  sa  remarque  reste  vraie  en  tout  cas,  si  elle  exprime 
ment  la  défiance  avec  laquelle  nous  devons  accueillir  les  nu- 
que Descartes  nous  donne  de  ses  convictions.  S'il  s'agit  de  la 
-ance  de  la  quantité  de  mouvement,  Leibniz,  n'a  pas  de  peine  à 
ouver  unejustiljcalion  raisonnable,  ou  tout  au  moins  qui  mérite 
len,  dans  1  élude  des  cinq  machines  connues,  le  levier,  la  vis,  la 
e,  le  coin,  le  tour,  *  Gompiures  matbematici  cum  videant  in 
lue  machinis  vulgaribus  celerilatein,  et  molem  inter  se  com* 
4ri,  generatiter  vim  motricem  a'Stîmant  a  quant itate  motus, 
producto  ex  mult(i>licatione  corporis  in  celerilatem  suani  ^  j»  Et 
it^  nous  savons  bien  que  l'attention  de  Descartes  a  été  tout  par- 
èreraenl  attirée  sur  les  conditions  d'équilibre  de  ces  cinq 
ineS|  puisque  nous  avons  les  considérations  fort  courtes,  mais 
substantielles  qu'il  a  écrites  pour  a  l'explication  des  machines 
gins  par  l'aide  desquels  on  peut  avec  une  petite  force  lever  un 

J.  Gerhard t,  L  IV,  p,  370, 
sirhartn,  L  ÏV,  p.  418. 


348  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

fardeau  fort  pesant  ».  Ce  qui  ressort  clairement  de  ces  quelques 
pages,  c'est  qu'en  effet,  comme  le  dit  Leibniz,  les  masses  qui  doi- 
vent s'équilibrer  Tune  l'autre  sont  en  raison  inverse  des  vitesses 
des  points  où  elles  sont  appliquées.  Car  si  nous  considérons  un 
levier  AB,  par  exemple,  dont  le  point  fixe  soit  en  0,  refîort  exercé 
en  A,  pour  vaincre  une  résistance  qui  se  trouve  en  B,  doitéireà 
cette  résistance  comme  sont  entre  elles  les  longueurs  OB  et  OA, 
c'est-à-dire  comme  sont  entre  eux  les  arcs  décrits  par  les  extré- 
mités B  et  A,  dans  l'instant  où  l'engin  produit  son  eflet.  Ces  résul- 
tats ne  sont  pas  contestables,  mais  il  reste  à  se  demander  si  de 
l'égalité  des  produits  de  la  masse  par  la  vitesse  qui  se  trouve  ainsi 
postulée  comme  condition  d'équilibre  dans  un  cas  tout  particulier, 
on  a  le  droit  de  tirer  la  loi  de  Dcscarles.  Pour  démontrer  l'erreur 
qui  se  cache  dans  celte  généralisation  hâtive,  Leibniz  formulera 
deux  sortes  d'arguments.  D'une  part  il  fera  voir  directement  que  ce 
n'est  pas  le  produit  mw,  mais  bien  î/îv-qui  se  conserve;  d'autre 
part  il  montrera  que  de  la  loi  cartésienne  découleraient  des  consé- 
quences contraires  au  sens  commun  et  à  une  expérience  cons- 
tante. 

1°  Pour  sa  réfutation  directe  de  la  loi,  il  invoque  un  principe  que 
ses  adversaires  ne  sauraient  songer  à  contester;  c'est  celui  même 
que  Descartes  a  énoncé  au  début  de  son  étude  sur  les  machines: 
a  L'invention  de  tous  ces  engins,  disait-il,  n'est  fondée  que  sur  un 
seul  principe,  qui  est  que  la  même  force  qui  peut  lever  un  poids, 
par  exemple  de  100  livres,  à  la  hauteur  de  deux  pieds,  en  peulaussi 
lever  un  de  !200  livres  à  la  hauteur  d'un  pied,  ou  un  de  400  à  la  hau- 
teur d'un  demi-pied,  et  ainsi  des  autres,  si  tant  est  qu'elle  lui  soit 
appliquée.  Et  ce  principe  ne  peut  manquer  d'être  reçu,  si  on  consi- 
dère que  relïet  doit  être  toujours  proportionné  à  l'action  qui  est  néces- 
saire pour  le  produire  :  de  façon  que  s'il  est  nécessaire  d'employer 
l'action,  par  laquelle  on  peut  lever  un  poids  de  100  livres  à  la  hauteur 
de  2  pieds,  pour  en  lever  un  à  la  hauteur  d'un  pied,  celui-ci  doit  peser 
200  livres  :  car  c'est  le  même  de  lever  100  livres  à  la  hauteur  d'un  pied 
et  derechef  encore  100  à  la  hauteur  d'un  pied,  que  d'en  lever  1200  à  la 
hauteur  d'un  pied,  et  le  même  aussi  que  d'en  lever  lOOàla  hauteur  de 
2  pieds.  >'  Leibniz  s'arme  purement  et  simplement  de  ce  principe^ 
et,  après  avoir  rappelé  qu'un  corps  tombant  d'une  certaine  hauteur 
acquiert  précisément  la  vitesse  qu'il  lui  faudrait  pour  remonter 
aussi  haut,  il  présente  ainsi  sa  démonstration  :  «  Je  suppose  q"^^ 
faut  autant  de  force  pour  élever  un  corps  A  d'une  livre  à  la  hauteur 
CD  de  quatre  toises,  que  d'élever  un  corps  B  de  quatre  livres  à  la 
hauteur  EF  d'une  toise.  Il  est  donc  manifeste  que  le  corps  A  éia^t 


G.   MILHAUD,    —    LKS   LOIS    I>P    MOUVEMENT 


349 


mbé  de  la  hauteur  GD  a  acquis  autant  de  force  précisément  que  le 
rps  B  tombé  de  la  hauteur  EF;  c:ir  le  corps  B  étant  parvenu  en  F 
t  y  ayant  la  force  de  renionler  jusqu^en  E,  a  par  conséquent  la 
jrca  de  porter  un  corps  de  quatre  livres,  c'est-à-dire  son  propre 
orpe?,  à  la  hauteur  EF  d'une  toise,  et  de  même  le  corps  A  étant  par- 
tenu  en  D  et  y  ayant  la  lorce  de  remonter  jusqu'en  C,  a  la  force  de 
0rter  un  corps  d  une  livre  »  c'est-à-dire  son  propre  corps,  à  la  hau- 
»iir  CD  de  quatre  toises.  Donc  la  force  de  ces  deux  corps  est  égale* 
toyons  maintenant  si  la  quantité  de  mouvement  est  la  même  de 
art  et  d'autre.  Mais  c'est  là  où  on  sera  surpris  de  trouver  une  dîlTé- 
Bnce  graniHssime.  Car  il  a  été  démontré  par  Galilée  que  la  vitesse 
cquise  par  la  chute  CD  est  douhle  de  la  vitesse  acquise  par  la 
lute  EF,  quoique  la  hauteur  soit  quadruple.  Multiplions  donc  le 
orps  A  r|uî  est  comme  1  pur  sa  vitesse  qui  est  comme  i,  le  produit 
lu  la  quantité  de  mouvement  sera  comme  2;  et  d'autre  pari  niulti- 
flîons  le  corps  D  qui  est  comme  4  par  sa  vitesse  qui  est  comme  i  ; 
|È  produit  ou  la  quantité  de  mouvement  sera  comme  4  :  donc  la 
|uantité  de  mouvement  du  coj'ps  A  au  point  D  est  la  moitié  de  la 
quantité  de  mouvement  du  corps  B  au  point  F;  et  cependant  !eurs 
brces  sont  égales.  Donc  il  y  a  bien  de  la  dilîérence  entre  la  quantité 
le  mouvement  et  la  iorce,  ce  qu'il  fallait  montrer  ^  »  Ainsi  s'exprime 
teibni/.  dans  ie  discours  de  uiéta^ihysique,  répétant  erj  suhsti^ince  la 
bmeuse  démonstration  parue  dans  les  Acia  Efud'iiOiHitit  de  1086  *,  Il 
le  se  borne  pas  par  là  à  montrer  la  fausseté  de  la  loi  cartésienne,  il 
ait  voir  comment  doit  se  mesurer  la  force,  car  il  résulte  de  son  rai- 
lonnement  que  si  ce  n'est  pas  le  produit  do  la  masse  parla  vitesse 
ui  se  retrouve  de  part  et  d*autre  le  môme  dans  son  eîtempie,  c'est 
e  produit  de  la  masse  par  la  hauteur  à  hiqueîle  elle  s  élèvera,  c'est- 
HJire  aussi,  d'après  les  lois  de  Giiliïéej  le  produit  de  la  masse  par  le 
iarrê  de  la  vitesse. 
2*  La  loi  cartésienne  conduit  à  admettre,  prétend  Leibniz,  que  la 
arce  se  crée  ou  se  perd,  ou  si  Ion  veut,  que  certains  eiïets  naissent 
6  rien 5  tandis  que  d'autres  ne  reproduisent  pas  raciiun  tout  entière 
e  la  cause*  Kn  particulier^  la  production  d  elTet  sans  cause  équiva- 
ente  aurait  pour  conséquence  le  mouvement  perpéiueî  dont  Texpé- 
ience  démontre  suffisamment  rimpossibiîité.  «  Si  on  suppose  que 
ioute  la  force  d*un  corps  de  4  livres  dont  la  vitesse  est  d'un  degré 
oit  être  donnée  à  un  corps  d*une  livre,  celui-ci  recevra  non  pas 
ma  vitesse  de  4  degrés  suivant  le   principe  cartésien,   mais  de 


ik  Oiitcottrê  lie  mèlaphrfuiffut*,  XVI  t. 

3»  Uneri*  ilêmonstrado  em^rh  memorabilw.  Dutcos^  t*  UL 


350  HEVL'E   PHILOSOPHIQUK 

2  degrés  seulement,  parce  qu'aussi  les  corps  ou  poids  seront  en 
raison  réciproque  des  hauteurs  auxquelles  ils  peuvent  monter  en 
vertu  des  vitesses  qu'ils  ont;  or  ces  hauteurs  sont  comme  les  carrés 
des  vitesses.  Mais  si  le  corps  d'une  livre  devait  recevoir  4  degrés  de 
vitesse,  suivant  Descartos,  il  pourrait  monter  à  la  hauteur  de 
10  pieds,  ce  qui  est  impossible,  car  reflet  est  quadruple  :  ainsi  on 
aurait  gagné  et  tiré  de  rien  le  triple  de  la  force  qu'il  y  avait  aupara- 
vant. C'est  pourquoi  je  crois  qu'au  lieu  du  principe  cartésien  on 
pourrait  établir  une  autre  loi  de  la  nature  que  je  tiens  la  plus  uni- 
verselle  et  la  plus  inviolable,  savoir  :  qu'il  y  a  toujours  une  parfaite 
équation  entre  la  cause  pleine  et  l'elTet  entier.  Elle  ne  dit  pas  seule- 
ment que  les  effets  sont  proportionnels  aux  causes,  mais  de  plus 
que  chaque  effet  entier  est  équivalent  à  sa  cause  *.  »  Dans  une  note 
publiée  trois  ans  plus  tard,  il  reprend  le  même  raisonnement,  et 
montre  que  d'une  semblable  création  d'effet  supérieur  à  sa  cause 
naîtrait  le  mouvement  perpétuel. 

Dans  d'autres  cas,  c'est  le  contraire  qui  se  produirait  par  suite  de 
la  loi  cartésienne,  (c  Considérons,  dit  Leibniz  dans  sa  réplique  à 
l'abLé  de  Conti,  la  troisième  règle  du  mouvement  pour  servir 
d'exemple,  et  supposons  que  deux  corps  B  et  C,  chacun  d'une  livre, 
aillent  l'un  contre  l'autre,  B  avec  une  vitesse  de  100  degrés,  et  C 
avec  une  vitesse  d'un  degré.  Toute  leur  quantité  de  mouvement 
sera  101.  Mais  si  C  avec  sa  vitesse  peut  monter  à  un  pouce  de  hau- 
teur, B  pourra  monter  avec  la  sienne  à  10000  pouces,  ainsi  la  force 
de  tous  les  deux  sera  d'élever  une  livre  àlO(K)l  pouces.  Or,  suivant 
cette  troisième  règle  cartésienne,  après  le  choc  ils  iront  encore  de 
compagnie  avec  une  vitesse  comme  ."VO  et  demi,  afin  qu'en  la  multi- 
pliant par  ^2  (nombre  des  livres  qui  vont  ensemble  après  le  choC)  il 
revienne  la  première  quantité  de  mouvement  101.  Mais  ainsi  ces 
deux  livres  ne  se  pourront  élever  ensemble  qu'à  une  hauteur  de 
t>  5."30  pouces  et  un  ifuart  qui  est  le  carré  de  50  et  demi),  ce  qui  vaut 
autant  que  s'ils  avaient  la  force  d'élever  une  livre  à  5 100  et  demi» 
au  lieu  (ju'avant  le  choc  il  y  avait  la  force  d'élever  une  livre  à 
10001  pouces.  Ainsi  presque  la  moitié  de  la  force  sera  perdue  en 
vertu  de  cette  règle  sans  aucune  raison  et  sans  être  employée  à 
rien.  Ce  qui  est  aussi  peu  possible  que  ce  que  nous  avons  montré 
auparavant  dans  un  autre  cas,  où  en  vertu  du  même  principe  carté- 
sien général,  on  pourrait  gagner  le  triple  de  la  force  sans  aucune 
raison-.  » 


i.  lU'pliqup  à  Vabhé  de  Conti^  Dutens,  III,  p.  197. 
H.  Idem, 


G.  MILHAUD.   —   LES   LOIS   DU   MOUVEMENT  3S1 

Cette  discussion  avec  l'abbé  de  Conti  nous  fait  passer  de  la  cri- 
tique de  la  loi  cartésienne  elle-même  à  celle  des  règles  qui  avaient 
Blé  formulées  pour  les  différents  cas  du  choc  de  deux  corps,  et  qui 
36  trouvaient  être  aux  yeux  de  Descartes  de  simples  applications  de 
;ette  loi.  Elles  sont  assez  souvent  dans  les  écrits  de  Leibniz  Tobjet 
ie  vives  attaques.  Outre  qu'elles  rappellent  constamment  un  prin- 
cipe dont  la  fausseté  a  été  démontrée,  et  encourent  par  conséquent 
ies  reproches  analogues  aux  précédents,  il  est  un  argument  que 
Leibniz  invoque  fréquemment  contre  elles,  c'est  qu'elles  impli- 
:]uent  une  discontinuité  flagrante  dans  la  suite  des  phénomènes. 
Exemple  :  si  deux  corps  B  et  C  vont  l'un  vers  l'autre  avec  des 
vitesses  égales,  B  étant  plus  grand  que  G,  Descartes  veut  que  C  se 
réfléchisse  en  gardant  sa  vitesse,  sans  que  rien  soit  changé  au  mou- 
vement de  B;  tandis  que  si  B  et  C  étaient  égaux,  ils  se  réfléchiraient 
tous  deux  d'après  Descartes  (comme  aussi  d'ailleurs  d'après  Leibniz) 
dans  des  directions  opposées  à  celles  qu'ils  avaient  d'abord.  Dès 
lors  imaginons  que  dans  le  cas  où  B  et  G  sont  inégaux,  nous  fassions 
décroître  peu  à  peu  leur  différence  de  telle  façon  qu'elle  tende  vers 
zéro  :  il  arrivera  que  le  choc  ne  change  rien  au  mouvement  de  B 
jus(|u'au  moment  extrême  où  H  se  réfléchira  brusquement  lui  aussi; 
la  vitesse  de  B  aura  gardé  sa  valeur  et  sa  direction  constantes  jusqu'à 
ce  que  tout  à  coup,  conservant  sa  valeur  absolue,  elle  change  de 
direction.il  est  difficile  d'imaginer  une  rupture  plus  choquante  dans 
la  suite  des  effets  pour  une  variation  continue  des  causes. 

De  toutes  les  règles  relatives  au  choc  de  deux  corps, .Leibniz  ne 
retient  que  celle  du  premier  cas  envisagé  par  Descartes  (égalité  des 
masses  et  des  vitesses).  Il  corrige  toutes  les  autres  en  substituant  la 
permanence  de  mv-  à  celle  de  mu,  en  rétablissant  ainsi  Tadéquation 
complète  de  l'effet  à  la  cause,  du  moins  au  sens  où  il  l'entendait, 
et  modiflant  après  le  choc  les  vitesses  respectives  de  façon  qu'on 
puisse  passer  par  continuité  d'un  cas  au  suivant  *. 

Enfin  Leibniz  fait  souvent  allusion  à  une  loi  fort  importante  qu'il 
dit  avoir  trouvée,  et  qui  postule  la  conservation  non  pas  de  la  quan- 
tité absolue  de  mouvement,  mais  de  la  quantité  relative  à  une  même 
direction.  Étant  donné  un  système  de  points  matériels,  considérons 
non  les  vitesses  d'un  point,  mais  les  composantes  qu'elles  fournissent 
dans  une  certaine  direction,  d'ailleurs  quelconque,  la  somme  des 
produits  des  masses  par  ces  composantes  garde  une  valeur  cons- 
tante. Ce  principe  semble  avoir  été  déduit  par  Leibniz  de  la  conser- 

i.  Anhnadversiones  in  partem  f/eneralem  Principiorum  Carfesianorum  {Pars 
tecunda).  Ed.  Gerhard,  t.  IV. 


332  REVUE    PHILOSOPHIQUE 

vation  de  »n'-.'  C'était  en  tout  cas  quelque  chose  de  tout  à  fait  noo- 
veau  par  rapport  à  la  mécanique  cartésienne,  en  ce  sens  que  la 
direction  et  non  plus  seulement  la  valeur  absolue  de  la  vitesse  ioter- 
venait  clans  IVnoncé  de  la  loi.  I-a  direction  d'un  corps  pris  dans  uo 
ensemble  pouvait  changer  pour  Descartes  sans  que  la  somme  de  U 
quantité  de  mouvement  iïit  altérée.  Au  contraire,  la  polenlia  direc- 
tiva.  comme  dit  Leibniz,  ou  encore  la  quantités  progressas,  bref  U 
quantité  de  mouvement  dans  une  direction  donnée  quelconque  èlail 
altérée  par  le  moindre  changement  de  direction  d'une  molécule. 

Telles  sont  les  moditications  essentielles  que  Leibniz  a  le  senti- 
ment d*avuir  apportées  aux  lois  cartésiennes  du  mouvement.  E^ 
maintenant  demandons -nous  pourquoi  et  comment  la  substitut  ioD 
des  règles  nouvelles  aux  anciennes  a  pu  lui  paraître  si  si^uventjusti- 
lier  ses  doctrines  métaphysiques. 


H 

Tuut  d'abord  nous  n'in-isîerons  pas  sur  ce  que  la  règle  de  la  qiï^"* 
XiW  de  pr^vrès.  que  nous  av-ms  mentionnée  en  dernier  lieu,  s'opl* 
s;ul  aux  yeux  de  Leibniz  à  une  action  dire-.'te  de  i'ime  sur  le  c-j^p- 
Nous  n'alarmerons  pas  comme  lui  qu-?  si  Descarles  l'eût  connut?- ^ 
t'ùt  vetui  tout  droit  au  sy^t^•!lle  de  Ihannonie  préécaLlie;  mais  tout 
le  morivie  c-'iiiprenJ.  comme  cela  a  été  expÎLqî.ir;  très  cbireraent  ^^ 
par î  i ^  u  !  ! e r  [av  M .  P.  •  ;  r. oa r  >  - .  •  ]  ue  De scartes  n*e û t  pu  -"ontinuer  ^^ 
tout  cas   ':  e\pii.iuer  latio:i  d?  [  Xrn-y  sur  le  corps  pir  ua  simp** 
clian^ierr.-;:!-  de  direcùon.i::i:r.:iié  ajx  :u :lvcv.îr>s  nijitêr.elies.  [uiî- 
qu'an  pare.!  clia:iç:r:îw:.t  r.i:  :•:.  aussi  irn^-jssiL-lr  qu  uae  jli-iratiM 
de  v,:es<e  a",  s.  ".Lie.   Vv:i..:,s-e::   s^i-is  v.trder  à  ce  qu:  aojs  parut 
mj:::s  ».'..l;:-  s:it  «.i.ez  Lv.l::-..:.  s:::  ci'.ej  ses  comîueaiatrrurs.  c■e^t■à: 
dire  au  /:::    ^;::  rA::a:::o  la  :::  :.;:i.\si4ue  de  ;a  ^ubstaii-je  aux  lois 

L'::L:-.  :  :c;  :e  sa:.?  :-fss:  -.jv/rr.  s.:isîL:uar.t  »?îv-  ir^rdansle 
jt::..:^.-  :.  ::  :.L:i:i:::al  i!  a::;>{;ar  :t1â  :!;:;:::e  en  èv:  len  recette  v^riîê 
.;,;'  '.  )  .•  .:■.■..>  '..■  :::.r.:.r£-  .■i:::e  ::■.  sr  :Jr  ;ie  lèîeriJue  et  du  mouve- 
!::^:;:.  ;  ."  :  ;  ..  a.:ss:  .ifs  i.r/vs.  C:n;-r:::  :iu:-Li  IVatendre"? 

A.:  .  V  ■■  ->:■:=;  .:.:-;  \-,  \.  s:::  ::  :  .-.r  s-:::  éQon.v  uivnie  reUlifâ^ 
..:.;.i:  ;:  "ij-v^i-t:::.  ui.;  ::.■.:. s  ^^r  :"À::ir:uati:^a  Je  certains  fiits, 

c:  :..r  >    ;  ...VjIAj^t;  o:;  ;c    :-.  ::-:". r  à  1â  ni-rcaniîue.  Descartes  ne 


a    MILHAUD,    —   LES   LOIS    UU    MOUVEMENT  ^^53 

^Diiduit  pas  toat  naturelle  ment  lui-même  à  reconnaître  la  force? 
Leibniz  ingisle  plusieurs  fois  sur  ce  que  celle-ci  est  déjà  prouvée 
3ar  le  simple  lait  de  rimmobihté  persistante  d^une  grande  masse 
;hoquée  par  un  petil  corp;?  (tait  qu'acceptait  Descartes  sans  hésitep 
lUBsi  bien  d'ailieufi^^que  Leibnisi',  «  S*il  n'y  avait  dans  les  corps  que 
'étendue  ou  Ja  situutionj  c  est-à-dire  que  ce  que  les  géomètres  y 
ïonnaissent,  joint  à  la  seule  notion  du  changement,  cette  étendue 
ïeniit  entièrement  îndifTërente  à  Tégard  de  ce  changernenlj  et  les 
ésultats  du  concours  des  corps  s  expliqueraient  par  ia  .seule  compo- 
lîtion  géométrique  des  mouvements,..  Celui  qui  est  en  mouvement 
importerait  avec  lui  celui  qui  est  en  repos,  sans  ret'e%'oir  aucune 
limiiiution  de  sa  vitesse,  et  sans  qu  en  tout  ceci  la  grandeur,  égalité 
m  ÎDégalité  des  deux  corps  puisse  en  rien  changer,  ce  qui  est  entiè- 
■emenl  irréconcialiabîe  avec  !es  expériences*,  )»  De  plus  est-ce  que 
a  notion  de  force  ferait  défaut  dans  la  langue  de  Descaries?  On  sait 
)ien  le  contraire  puisque  le  principe  qui  sert  k  la  démonstration 
eîbnîîîïenne  de  la  nouvelle  loi  de  la  nature,  <ic  la  même  force  qui  peut 
ever  un  poids  de  KK)  livres  à  la  hauteur  de  deux  pieds  en  peut 
ever  un  de  i^M\  livres  à  la  hnuteur  d'un  pied  »,  est  emprunté  h 
Descartes  lui-même;  et  le  petit  traité  sur  les  machines  a  pour  seul 
>ut  d*expliquer  comment  avec  une  petite  force  on  peut  vaincre  de 
grandes  résistances,  Leibniz  loi-même  d'ailleurs  reconnaît  chez  les 
îïirtésieiis  la  notion  de  force  motrice;  il  pense  même  qu'ils  ont 
mulu  affirmer  dans  le  monde  la  constance  de  cette  force,  et  il  leur 
'eproche  seulement  de  Ta  voir  mesurée  par  la  quantité  de  mouve- 
nent.  a  Vires  duorum  corporum  in  motum  concitatorurn,  ac  sua 
noie  pariter,  ac  motu  agentium,  esse  dicunt  in  ratione  composita 
îorporum,  seu  malium^  et  earum  quas  habent  velocilatum.  Itaque 
ïum  rationi  consentaneum  sit,  eamdem  niotricis  potentire  summam 
n  natura  conservari  ;  et  ueque  imminui,  quoniam  videmus  nullam 
fim  ab  uno  corpore  amitti,  quin  in  alïud  transferatur;  nequt?  au{jeri, 
luia  vel  ideo  motus  perpetuus  mechanicus  nuspiara  succedit,  quod 
Milla  machina,  ac  proinde  ne  integer  quidam  mundus  suam  vîm 
Q  tend  ère  potest  sine  novo  ex  le  m  o  i  m  pal  su;  in  de  factum  est,  ut 
[lartesius,  qui  vim  motricem,  et  quant itatem  miitus  pro  re  aequiva- 
eote  habebat,  pronunciaverit  eamdem  quantitatem  motus  a  Deo  in 
nundo  conservari**  »  Ainsi  ce  que  Leibniz  apporte  de  proprement 
louveau,  ce  n'est  pas  la  constance  de  la  force  motricet  c*est  la  vcri- 
able  estimation  de  cette  force  ;  Descarte 5  la  mesure  par  le  produit 


l.  I^d.  Gerhard  l,  L  IV»  p.  46 L 
%  DutensJiJ,  ItîO 


354  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

de  la  masse  et  de  la  vitesse,  elle  doit  être  mesurée  par  le  produit  de 
la  masse  et  du  carré  de  la  vitesse. 

Y  aurait-il  dans  l'expression  mathématique  elle-même,  mu'  au  lieu 
de  mx\  quelque  chose  de  significatif,  de  quoi  donner  mieux  le  senti- 
ment de  rénerj^ie,  ou  de  quoi  éloigner  davantage  de  vues  exclusives 
d'étendue  et  de  mouvement?  On  pourrait  peut-ôtre  soutenir  jusqu'à 
un  certain  point  que  la  première  dimension  de  la  vitesse,  offrant  à 
l'imagination  une  étendue  rectiligne,  une  longueur,  n'éveille  pas 
d'autre  idée  de  variation  que  celle  qui  se  présente  à  l'intuitioa  géo- 
métrique la  plus  simple,  tandis  qu'une  puissance  de  la  vitesse  se 
prête  mieux,  à  une  vue  synthétique  et  dynamique.  Mais,  outre  que 
ce  serait  subtil,  on  remarquera  que  dans  les  passages  les  plus  impor- 
tants où  Leibniz  établit  sa  loi,  comme  dans  cette  page  du  Discours 
de  métaphysique  que  nous  avons  citée,  il  n'appelle  môme  pas  Tatlen- 
tion  sur  la  formule  nouvelle  qu'il  convient  d  adopter  pour  la  mesure 
de  la  force.  Il  faut  chercher  ailleurs. 

Tous  ceux  ([ui  ont  la  moindre  teinte  de  sciences  mécaniques  el 
physiques  diront  que  Leibniz  avait  vu  dans  ce  qu'il  nommait  la  fom 
ré(  lui  valent  dynamique  de  ce  qui  se  nomme  aujourd'hui  le  iraraily 
par  exemple,  la  capacité  d'élever  une  certaine  masse  à  une  certaine 
hauteur.  Et  en  vérité  ils  ne  se  tromperont  pas,  car  si  Ton  se  reporte 
à  sa  démonstration  de  la  loi  nouvelle,  on  voit  clairement  qu'il  veut 
mesurer  la  force  par  l'efl'et  qu'elle  produit  en  faisant  monter  un 
corps  à  telle  ou  telle  hauteur.  Mais  il  convient  de  faire  ici  une  re- 
marque. Descartes,  ne  fût-ce  qu'à  propos  des  machines,  soit  dans 
le  principe  qu'il  avait  invoqut\  soit  dans  les  règles  qu'il  en  avait 
tirées,  ne  se  préoccupait-il  pas  précisément  du  déplacement  en 
hauteur  des  points  d'application  des  forces  et  de  leur  travail? Leibniz 
est  bien  obligé  de  le  reconnaître.  En  réponse  à  Arnauld  qui  lui  en  a 
fait  la  remarque,  il  appelle  mortes  les  puissances  que  Descaries  se 
trouve  conduit  à  mesurer.  «  A  l'égard  des  puissances  que  j'appelle 
mortes,  comme  lorsqu'un  corps  fait  son  premier  effort  pour  des- 
cendre sans  avoir  encore  acquis  aucune  impétuosité  par  la  conti- 
nuation du  mouvement,  item  lorsque  deux  corps  sont  en  balance,  il 
se  rencontre  que  les  vélocités  sont  comme  les  espaces*,  i  Ainsi  ce 
sont  iùen  des  puissances,  des  forces  que  Descartes  a  voulu  estimer, 
à  Toccasion  des  machines,  par  l'effet  qu'elles  produisent,  par  les 
espaces  qu'elles  font  franchir,  par  un  travail;  mais  les  circonstances 
sont  telles  alors  que  Leibniz  n'y  voit  que  des  forces  mortes.  Har 
opposition,   il  reconnaît  la  force  vive^   quand  les  corps  ont  acquis 

1.  Leilre  à  Armiulii,  1C8G,  Kd.  Cierhanil,  t.  11. 


G.  MILHAUD.   —   LES   LOIS   DU   MOUVEMENT  385 

quelque  impétuosité,  et  sont  devenus  capables  par  là  de  s'élever  à 
une  certaine  hauteur,  c'est-à-dire  de  manifester  certain  effet  qu'il 
suffira  de  mesurer,  pour  apprécier  la  force  elle-même.  Et  ce  cas  qui 
seul  intéresse  vraiment  aux  yeux  de  Leibniz  les  lois  du  mouvement 
est  celui  qu'il  a  pris  comme  exemple  général  pour  établir  sa  formule 
nouvelle.  Ce  qui  le  distingue  essentiellement  de  ceux  dont  le  type 
était  fourni  par  le  maniement  des  machines,  où  la  puissance  pro- 
duisait instantanément  son  effet,  où  elle  ne  persistait  pas  sans 
impulsion  extérieure,  où  elle  ne  durait  pas  par  elle-même,  où  elle 
s'écoulait  tout  entière  au  moment  où  on  la  réalisait  par  un  méca- 
nisme convenable,  et  où  l'effet  durait  juste  autant  que  l'effort  exté- 
rieur par  lequel  on  la  produisait,  c'est  d'abord  que  la  force  acquise 
par  la  chute  d'un  corps  manifeste  sa  réalité  par  la  possibilité  de  pro- 
duire ultérieurement  son  effet.  La  force  vive  telle  que  la  voit  Leibniz, 
et  telle  que  ne  l'avait  pas  vue  Descartes,  c'est  avant  tout  la  puissance 
capable  d'un  effet  futur.  La  réalité  vivante  et  substantielle  est  mar- 
quée par  la  distinction  possible  de  la  production  de  la  force  et  de 
son  effet  consécutif.  «  J'ajouterai  une  remarque  de  conséquence 
pour  la  métaphysique,  écrit  Leibniz  à  l'abbé  de  Gonti,  après  avoir 
exposé  une  série  de  considérations  scientifiques  sur  sa  loi  nouvelle. 
J'ai  montré  que  la  force  ne  se  doit  pas  estimer  par  la  composition 
de  la  vitesse  et  de  la  grandeur,  mais  par  ïeffet  futur.  Cependant  il 
semble  que  la  force  ou  puissance  est  quelque  chose  de  réel  dès  à 
présent,  et  l'effet  futur  ne  l'est  pas.  D'où  il  s'ensuit  qu'il  faudra 
admettre  dans  les  corps  quelque  chose  de  différent  de  la  grandeur  et 
de  la  vitesse,  à  moins  qu'on  ne  veuille  refuser  aux  corps  toute  la 
puissance  d'agir.  »  Dans  le  cas  où  Descartes  semble  avoir  deviné 
aussi  l'importance  de  la  notion  du  travail,  de  l'effet  produit,  toute  la 
puissance  s'écoulant  à  mesure  qu'elle  est  posée,  elle  ne  subsiste  pas, 
elle  n'est  pas  saisissable  dans  sa  réalité  :  tout  peut  se  passer  comme 
s'il  y  avait  transmission  mécanique  du  mouvement.  Leibniz  sent  le 
besoin  de  parler  de  puissance  vivante  lorsqu'il  a  vu  dans  le  corps 
une  virtualité,  une  sorte  de  pouvoir  emmagasiné  et  prêt  à  réaliser 
son  action  future.  La  force  substance  lui  est  apparue  dès  que,  sépa- 
rant dans  les  phénomènes  de  mouvement  qu'il  a  examinés  l'acquisi- 
tion du  pouvoir  et  la  manifestation  de  son  effet,  il  a  pu  appeler  la 
force  «  une  cause  prochaine*  ».  Cette  séparation  des  deux  moments, 
celui  où  l'on  note  la  force  et  celui  où  se  produira  son  effet,  —  a  sur 
l'esprit  une  influence  de  même  ordre  que  la  séparation  dans  l'espace 
du  corps  qui  agit  et  de  celui  qui  reçoit  l'action  :  l'action  à  distance 

1.  Discours  de  métaphysique,  XVlll. 


:^or>  nEVCE   PilILOSOPHlQUE 

entraîne  nispment  Tidée  d'une  force  vive,  d'une  virtualité  réelle, - 
tandis  que  Taction  par  contact  n'éveille  que  Tidée  d'une  transmission 
niécanir|ue. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  La  force  telle  que  Leibniz  l'envisage  dans  le 
mouvement  des  corps  dilTnre  encore  et  surtout  de  celle  de  Descartes 
en  ce  qu'elle  va  d'elle-même  produire  son  elTet,  pourvu  que  rien  ne 
rempê<'lie.  11  ne  sera  pas  nécessaire  d'exercer  de  dehors  une  pres- 
sion, ou  une  impulsion,  ou  une  traction,  comme  dans  les  machioes, 
pour  que  le  travail  attendu  se  réalise.  Si,  par  exemple,  le  corps  qui 
se  meut  est  disposé  à  la  faron  d'un  pendule,  sa  chute  sera  tout  natu- 
rellement suivie  de  Tascension;  l'élévation  du  corps  se  produira  sous 
la  simple  incilalion  de  celte  force  interne  qui  est  liée  à  la  vitesse 
ac(iuise  pendant  la  chute,  et  qui  se  mesurera  par  son  effet  spontané, 
c'est-à-dire  par  la  hauteur  où  le  corps  s'élèvera,  pourvu  seulement 
,  qu'un  obstacle  ne  vienne  pas  larrêter.  C'est  là  le  caractère  de  la 
forre  aujjuel  Leibniz  donnera  le  plus  d'importance,  celui  qui  justiGera 
le  mieux  son  nom  de  force  vive,  ([ui  en  fera  vraiment  une  substance. 
«  Je  trouve  que  dans  la  nature,  dit-il  dans  le  Système  Nouveau,  outre 
la  notion  do  l'étendue,  il  laut  employer  celle  de  la  force  qui  rend  la 
matière  (\q)able  d'agir  et  de  résister;  et  par  la  Force  ou  Puissance  je 
n'c^ntonds  pas  le  pouvoir  ou  la  simple  laculté  qui  n'est  qu'une  possi- 
bilité prochaine  pour  agir,  et  qui  étant  comme  morte  même  ne  pro- 
duit jamais  une  action  sans  être  excitée  par  dehoi-s,  mais  j'entends 
un  milieu  (Milre  le  pouvoir  et  l'action,  qui  enveloppe  un  effort,  un 
acte,  imo  entélécbie.  car  la  force  passe  d'elle-même  à  l'action  en 
tant  »|ue  v'wu  ne  rempéche.  C'est  pourquoi  je  la  considère  comme  le 
constilulif  de  la  substance,  étant  le  principe  de  l'action  qui  en  est  le 
caractère.  .Ainsi  je  trouve  (jue  la  cause  cfliciente  des  actions  physiques 
est  du  n^ssorl  de  la  métaphysique  *...  )^ 

Les  lois  du  mouvement  ont  donc  fourni  à  Leibniz  l'occasion  d'af- 
firmer clans  la  matière  des  éléments  de  vie  et  d'ajction.  Ces  éléments 
sont  des  caHs*'.<  vis-iVvis  des  effets  qu'ils  produisent  :  quel  rapport 
faut-il  admettre  entre  de  pareilles  causeset  leurs  effets?  — Descanes 
admettait  qu'il  faut  une  proportion  entre  la  cause  et  reffel-;  mais 
les  lois  naturelles  avaient  aux  yeux  de  Leibniz  le  défaut  de  se  prêter 
à  une  dépt  rditipn  ou  à  une  «Mvation  ex  nihilode  certaine  quantitéde 
force,  vv  C'est  pourqui»i,  <lil  Leibniz,  je  crois  qu'au  lieu  du  principe 
cartésien  «in  pourrait  établir  une  autre  loi  de  nature  que  je  liens  la 
plus  universelle  et  la  plus  inviolable,  savoir  qu'il  y  a  toujours  um 


!.  K»i.  ('..riiarvll.  t.  IV.  p. 
2.  V.  oi-di'<Mi>,  p.  ;»i<. 


*  !.. 


G,  MILHÂUD^    —   Li:S   LOIS   DU   MOUVEMKNT 


as7 


parfaite  équxttion  entre  la  cause  pleine  et  F  effet  entivr.  Elle  ne  dît 
pas  seulement  que  les  etlets  sanl  iiroportiorinels  aux  causes,  mais 
de  plus  que  chaque  eiïel  entier  est  équivaleiU  a  sa  €ause^  »  Par  la 
façon  mt^me  dont  il  critique  les  lois  carlésiennes  du  mouvement,  il 
est  donc  visible  que  Leibniz  a  le  sentiment  de  satisfaire  mieux  avec 
les  siennes  au  principe  d'équivalence  de  la  cause  et  de  TelTet.  On 
peut  dire  alors  qu'inversement  les  lois  de  la  nature  telles  qu'il  les 
énonce  apportent  pour  lui  une  rectification  de  ce  principe  et  contri- 
buent à  le  mettre  au  premier  plan  dans  sa  philosophie.  La  fort-e  qui  se 
retrouve  tout  entière  dans  la  série  de  ses  effets  k  venir  va  donner 
ainsi  le  type  le  plus  naturel  de  cette  vie  de  la  substance  dont  il  est 
permis  de  dire  quelle  exprime  des  à  présent  tous  ses  états  futurs- 

En  même  temps  et  de  la  même  tiicon  la  réfutai  ion  des  règles  car- 
tésiennes qui  s'accommodaienî.  d'une  discontinuité  si  maniteste  dans 
les  phénomènes  de  la  nature,  autorisait  Leibniz  à  voir  dans  ses 
recherches  sur  les  lois  du  mouvement  une  victoire  décisive  du  prin- 
cipe de  continuilé.  Sans  doute  les  cartésiens  eussent  pu  corriger  les 
lois  du  choc  de  façon  ii  rendre  continue  la  série  des  résultats  et  sans 
se  croire  obligés  de  renoncer  pour  cela  à  leur  mécanisme  géomé- 
trique :  c  est  ce  qu'essaya  de  l'aire  MaîebrancUe  pour  quelques-unes 
de  ces  lois,  ainsi  qu^en  témoigne  sa  correspondance  avec  I^eibniz» 
Mais  il  semble  naturel  que  cehii-ci  ait  réuni  dans  sa  pensée  les 
griefs  qull  avait  fornmlés  contre  tes  règles  cartésiennes  du  mouve- 
ment, el  qu'à  ses  yeux  les  principes  qui  les  lui  avaient  suggérés 
aient  été  tuus  solidaires  de  la  vérité  nouvelle.  Ainsi,  comme  Téqui- 
valence  de  la  cause  et  de  relFel,  le  principe  de  continuité  qui  contri- 
buait à  faire  condamner  la  physique  de  Descartes  et  s'accordait  au  con- 
traire avec  les  vues  dynamiques  de  Leibniz  se  dégageait  dcsorniais 
comme  mieux  établi,  comme  plus  manitestement  réel,  et  tout  prêt 
pour  jouer  le  rôle  que  l'on  sait  dans  la  métaphysique  de  la  Monade. 

Virtualité  qui  tient  en  puissance  son  action  future,  sponlanéité  de 
cette  action,  permanence,  subsistance  de  la  cause  entière  dans 
Ta  suite  des  elîets,  continuité  de  la  trame  de  ces  effets,  par  lesquels 
se  manitcste  toute  la  vitalité  interne,  —  tels  sont  donc  les  traits 
essentiels  que  par  Télude  des  lois  du  mouvement  Leibniz  a  rencon- 
trés comme  caractérisant  Télé  ment  nouveau  qu'il  a  du  introduire,  la 
force  vive.  Ne  sutlîsaient-ils  pas  à  réaliser  le  type  le  plus  exact  des 
formes  substantielles  que  désormais  il  faudra  ressusciter?  On  dirait 
parfois  que  pour  mieux  éelaircir  ce  qu*il  entend  par  ces  formes  sub- 
stantielles, il  tient  à  emprunter  des  exemples  à  la  géométrie  :  c'est 

!.  liépliqttif  à  Vaà^  de  Cofiti,  janvier  1681. 


1%^ 


358  KEVUE   PHILOSOPHIQUE 

ainsi  (ju'ii  aime  à  invoquer  la  notion  d'une  courbe  comme  contenar^^ 
en  elle-même  la  suite  infinie  des  propriétés  qui  pouri*ont  jamais  ^  t\ 
être  formulées  ^  Mais  no  nous  y  trompons  pas,  la  comparaison  res^Mi^ 
alors  tout  extérieure  et  toute  superficielle.  L'unité  véritable  n —  le 
saurait  être  atteinte  là  où,  en  dépit  des  efforts  logiques  de  Tespri  jSt, 
l'être  que  l'on  considère  est  finalement  un  composé  de  propriét^i^s 
d'espace.  Ce  qui  est  mathcmatic[ue  et  se  traduit  uniquement  en  él 
ments  de  nombre  et  d^étendue  est  insuffisant  comme  l'étendue  elli 
même,  qui  n'est  jamais  qu'a^iglomération  de  parties,  que  multiplicité  '^^' 
«  L'étendue  ne  signifie  qu'une  répétition  ou  multiplicité  continué 
de  ce  qui  est  répandu,  une  pluralité,  continuité  et  coexistence  de  -^ 
parties.  »  -  Seule  la  puissance  qui  se  retrouve  la  même  à  travers  lou-  * 
ses  effets  offre  limage  de  la  réalité  vivante,  subsistante,  que  postulent" 
Leibniz.  A  propos  de  TEucharistie,  il  écrit  à  Pelisson:  «Jeremarqu^^ 
que  dans  la  nature  du  corps,  outre  le  changement  et  la  grandeur  d 
la  situation,  c'est-à-dire  outre  les  notions  de  la  pure  géométrie,  il^  ^ 
faut  mettre  une  notion  supérieure  comme  celle  de  la  force  par 
laquelle  les  corps  peuvent  agir  et  résister.  La  notion  de  la  force  est 
aussi  claire  que  celle  de  Taclion  et  de  la  passion.  Car  c'est  ce  dont  ^ 
l'action  s'ensuit,  lorsque  rien  ne  Tempêche;  l'effort,  conatiis  :  et  au 
lieu  que  le  mouvement  est  une  chose  successive,  laquelle  par  con- 
séquenl  n'existe  jamais,  non  plus  que  le  temps,  parce  que  toutes  les 
parties  n'existent  jamais  ensemble;  au  lieu  de  cela,  dis-je,  la  force 
ou  l'effort  existe  tout  entier  à  chaque  moment,  il  doit  être  quelque 
chose  de  véritable  et  de  réel  "  ». 

Enfin,  en  portant  son  attention  sur  la  nature  môme  des  démons- 
trations qui  l'ont  fait  atteindre  les  réalités  métaphysiques  et  vivantes 
sous  les  apparences  de  l'étendue  et  du  mouvement,  Leibniz  est 
frappé  (le  ce  qu'il  n'a  pas  procédé  comme  les  mathématiciens  par 
des  raisonnements  d'une  nécessité  rigoureuse.  En  transformant  la 
Physique  cartésienne  et  la  vivifiant  par  un  souffie  nouveau,  il  avait 
le  sentiment  qu'il  invoquait  autre  chose  que  le  principe  de  contra- 
diction. Les  principes  sur  lesquels  il  s'appuyait  ne  sont  pas  sero. 
blables  aux  axiomes  de  la  géométrie,  dont  Leibniz  pensait  qu'on 
pouvait  rendre  complètement  raison  en  se  ramenant  à  des  identités. 
Nous  les  énouf/ons  sans  croire  qu'il  y  ait  nécessité  absolue  à  ce  qu'ils 
soient  ainsi;  ils  auraient  pu  être  différents;  et  en  ce  sens  ils  sont 
contingents.  Mais  en  môme  temps  ils  s'imposent  à  notre  esprit  par 
un  caractère  complexe  d'opportunité  et  de  simplicité,  qui  écarte 

1.  Cf.,  par  exemple.  Discours  de  vitUaphi/sique^  Xllf. 

2.  Gerliardl,  t.  IV,  p.  i6". 

3.  Diilens,  III,  p.  718. 


G.  MILHAUD.  —  LK8  LOTS  DU  SfOnvEMEST 


tm 


^ 


ûéCHÏémenl  toute  apparence  arbttmire.  «  Il  nie  paraît»  dit  Leibniz, 
que  la  raison  qui  fait  croire  à  plusieurs  que  les  lois  du  niouvement 
sont  arbitraires,  vient  de  ce  que  peu  de  ^ens  les  ont  bien  exami- 
nées. L'on  sait  bien  à  présent  que  M,  Descartes  s'est  fort  trompé  en 
les  établissant.,.  J'ai  découvert  i|ue  les  lois  du  mouveruenl  qui  se 
trouvent  elTectivement  dans  la  nature  ne  sont  pas  en  vérité  absolu- 
ment démontrables,  comme  serait  une  proposition  géométrique^^. 
Je  puis  démontrer  c*es  lois  de  plusieurs  manières,  mais  il  i'aut  lou- 
_/€>tJrs  supposer  quelque  chose  qui  n'est  pas  d'une  nécessité  absolu- 
m^iiX  géométrique*.- 

«  J>i  trouvé  qu'on  en  peut  rendre  raison  en  supposant  que  TefTet 

^•^  e-  toujours  égal  en  force  â  sa  cause,  ou»  ce  qui  est  la  même  chose, 

c/t_m^  la  môme  force  se  conserve  toujours...  J'ai  encore  fait  voir  qu'il 

s* 3^^    observe  cette  belle  loi  de  la  continuité,  que  j'ai  peut-être  mise  le 

pï^^^mier  en  avanL..  En  vertu  de  cette  loi  il  faut  qu'on  puisse  consi- 

cJc^  mr-f^r  le  repos  comme  un  mouvement  sYnanouissant  après  avoir  été 

<^ï<^  «raîinuellement  diminué; et  de  même  l'égalité  comme  une  inégalité 

*^  *-^*^  i-  s  évanouit  aussi,  etc.  Ces  considérations  font  très  bien  voir  que 

1^^^^^     lois  de  la  nature  qui  règlent  les  mouvements  ne  sont  ni  tout  à 

*^«^  sl   -^^  nécessaires,  ni  entièrement  arbitraires.  Le  milieu  qu'il  y  a  à 

^-^*~  '^^^adre  est  qu'elles  sont  un  choix  de  la  plus  parfaite  sagesse.  Et  ce 

^^^^'^^^^^nd  exemple  des  lois  du  mouvement  fait  voir  le  plus  clairement 

*-^        monde,  combien  il  y  a  différence  entre  ces  trois  cas»  savoir,  pre- 

^^^^  *  ^Srement  une  nécessité  absolue,  métaphysique  ou  géométrique, 

"  on  peut  appeler  aveugle,  et  qui  ne  dépend  que  des  causes  efli- 

:K3tes;  en  second  lieu,  une  nécessité  qui  vient  du  choix  libre  de  la 

esse  par  rapport  aux  causes  linale^^;  et  enfin,  en  troisième  lieu, 

Slque  chose  d\^rbitraire  absolLiment,  dépendant  d'une  indiiïérence 

^uilibre  qu'on  se  ligure,  mais  qui  ne  saurait  exister  où  il  n  y  a 

"^^^  ^^^^^uue  raison   sufiisante  ni  dans   la  cause  efficiente  ni  dans  la 

insi,  guidés   par  Leibniz  lui-même,  nous  pourrons  apprécier 

lie  put  être  sur  sa  philosophie  tout  entière  l'intluence  de  ses  tra- 

».  X  sur  les  lois  du  mouvement.  Co  ne  sont  pas  seulement  les  grandes 

^jfies  de  lasubstanceet  de  rharmonie  pï'éétabîie,  c'est  même  cette 

Lmction  capitale  dans  la  métapliysique  leibni tienne  des  idées  de 

-«ssité  et  de  contingence^  de  nécessité  absolue  et  de  nécessité 

*:^ale,  des  principes  dldentité  et  de  raison  sufiisante,  —  de  Tinfî- 

des  possibles  et  des  conditions  de  linalitéj  d  opportunité,  de 

plicitéd'où  dépend  le  réel,  —  c'est,  semble-t-iJ,  tout  le  fond  de 


ici 


A- 
fi 


300  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

ia  pensée  leibnizienne  qui  a  gardé  du  contact  de  la  Physique  nou- 
velle des  traces  inelTacables  et  en  offre  à  quelque  degré  un  écho 
significatif. 

Dirons  nous  d'ailleurs  que  l'étude  des  lois  du  mouvement  a  con- 
duit Leibniz  à  sa  métaphysique,  comme  il  l'indique  parfois  lui-même? 
Nous  nous  en  garderons  bien.  S'il  fallait  se  prononcer  sur  ranlério- 
ritédans  son  esprit  de  certaines  idées  sur  le  mouvement  des  corps  ou 
de  certaines  tendances  métaphysiques,  nous  n'hésiterions  pas  àopteï 
pour  ces  dernières.  Mais  la  question  n'est  pas  là.  Nous  avons  vouV>x 
montrer  combien  est  étroit  lelien  qui  rattache  la  philosophie  prest'iuc 
entière  de  Leibniz  à  ses  recherches  sur  les  lois  du  mouvement,  eX^ 
nous  bornant  ici  à  cette  parcelle  de  son  o:iuvre  scientifique,  coml>i^^ 
il  serait  artificiel  de  séparer  chez  lui  le  métaphysicien  et  le  savflt^nl- 

G.  MiLHÂUD. 


LES 


CASTES  ET  LA  SOCIOLOGIE  BIOLOGIQUE 


fa  Rnme  philùsophiqitê s.  pubVié  dans  son  numéro  d'avril  un  article 
M.  C.  Bouclé  sur  la  Sociolof/ie  biologiffue  et  le  n^gime  des  castes. 
niteiii"  y  soulève  la  question  de  rorf^anicisme.  €  Les  sociétés  sont- 
Bs  des  organismes,  se  demande-l-ilt  et  les  lois  qui  régissent  ceux-ci 
ppliquent- elles  à  celles-là?  »  M.  Bougie  dit  que  les  arguments  de 
"dre  général,  donnés  par  les  partisans  et  les  adversaires  de  cette 
orie,  Q*ont  pas  pu  trancher  le  débat.  Il  propose  de  recourir  h  une 
jfe^méthode  pour  vérifier  la  Ihêorie  organique.  Au  lieu  de  compa- 
Snérales,  il  lui  semble  préférable  de  recourir  à  quelque 
llîe  particulier-  <t  Les  théories  se  justifient  par  leur  fécondité, 
à  tel  problème  sociologique  défini,  rorganicisme  doit  nous 
►orter  nne  réponse  précise,  il  a  raison  contre  ses  adversaires.  S*il 
*épond  à  la  question  posée  que  par  des  formules  vagues,  incapa- 
s  de  s'appliquer  aux  faits  sociaux  sans  portera  faux,  Torganicisme 
^rt  et  sa  place  est  marquée  au  musée  de  Thistoire  des  sciences, 
te  les  hypothèses  inutiles  et  les  métaphores  dangereuses  » 

^r  voici  le  mur  au  pied  duquel  \f,  Ronglê  pose  rorganicisme.  Vous 
rmez,  dit-il^  que  les  sociétés  étrini  des  organismes,  les  lois  de  la 
togie  doivent  s'appliquer  à  la  sociologie.  Alors  expliquez-nous 
iment  révolution  sociale  se  fait  h  T inverse  de  révolution  biolo- 
Ue.  Les  organismes  intérieurs  sont  composés  de  parties  qui  peu- 
t  mener  une  existence  indépendante  les  unes  des  autres,  qui 
nent  des  êtres  pour  ainsi  dire  complets.  Puis,  à  mesure  que  les 
Ëtnîsmes  se  perfectionnent,  leurs  parties  constituantes  se  soudent 
Unes  aux  autres  et  arrivent  à  perdre  toute  indépendance.  Elles 
t  conlinées  dans  un  organe  dont  elles  ne  peuvent  plus  se  déta- 
r*  Elles  se  subordonnent  hiérarchiquement  les  unes  aux  autres 
Hissent  par  tomber  sous  l'autorité  despotique  du  cerveau.  Ainsi 
olution  biologique  va  d'une  grande  somme  de  liberté  et  d*égalité 
le  moindre  somme,  L*évolulion  sociale  va  en  sens  inverse,  a  C'est 
^  les  sociétés  primitives  et  rudimentaires  que  l'individu  est  étroi- 

TOIE  L.  —    1900.  ÎA 


362  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

tement  soucié  au  groupe,  comme  la  cellule  à  Torgane;  c'est  dans  les 
sociétés  développées,  plus  volumineuses  et  plus  compliquées,  qu'il 
se  libère  peu  à  peu  et  gagne  en  autonomie.  De  même,  n'est-ce  pas 
à  ces  sociétés  qu'il  est  réservé  de  voir  leurs  unités  s'assimiler  petit 
à  petit  et  se  poser  les  unes  en  face  des  autres  comme  égales?  N'est-ce 
pas  chez  elles  encore  que  le  gouvernement,  loin  de  devenir  le  mono- 
pole d*unc  aristocratie,  tend  à  être  de  plus  en  plus  la  propriété  de 
tous?  Le  régime  des  castes  enfin,  s*il  est  le  point  dont  vos  orga- 
nismes semblaient  s'approcher,  n'est- il  pas  en  même  temps  cetai 
dont  nos  sociétés  semblent  s'éloigner?  De  quel  droit  conclurez-voos 
donc  des  formes  organiques  aux  formes  sociales,  s'il  est  vrai  que 
révolution  sociale  est  exactement  inverse  de  l'évolution  organique?! 
(P.  ;U'2.)  Si  la  théorie  organique  était  vraie,  dit  en  substance 
M.  Bougie,  la  loi  de  la  différenciation  des  fonctions  devrait  avoir poar 
résultat  a  de  diviser  la  société  en  sections  hétérogènes,  chacune  se 
distinguant  radicalement  des  autres  et  formant  des  corporations  fer- 
mées »  ^p.  3i;}}.  En  se  plaçant  au  point  de  vue  organique  t  la  meil- 
leure organisation  serait  le  régime  des  castes  »  (p.  347)  et  la  société 
la  [)lus  [)arfaite  serait  celle  où  il  y  aurait  le  moins  de  liberté  et  d'éga- 
lité. Or,  comme  c'est  précisément  le  contraire,  la  théorie  organique 
est  fausse. 

Il  est  tiU'ilo  de  triompher  de  ses  adversaires  quand  on  leur  prête 
dos  onvurs  qu'ils  n'ont  jamais  soutenues.  Où  et  quand  iesorgani- 
cistos  ont-ils  attirnié  que  le  régime  des  castes  constituait  la  marque 
distinctivo  lie  la  perlertion  sociale?  Les  organicistes  ont  affirnoé  tou- 
jours qu'un  iMre  est  d'autant  plus  parfait  que  ses  fonctions  sont  plut 
dilft^rencicrs.  Los  organicistes  ont  atlirmé  encore  que  cette  propo- 
sition s'appliquo  littéralement  aux  sociétés  comme  aux  individus 
hiulogiquos.  Mais,  s'il  plaît  à  M.  Bougie  de  confondre  la  fonctm 
avoo  la  ivis/eî,  o"ost  son  alTaire  ot  non  celle  des  organicistes. 

Doux  raisons  lo  poussonl  à  commettre  cette  erreur  :  celle  de  l'es- 
paoo  ot  oollo  lio  rhôréJitô. 

i^Miaml  muis  parlons  des  organismes  biologiques,  étant  plus  grands 
quo  lours  parlios  constituantes  les  cellules  sont  invisibles  à  l'œil 
nu  ,  nous  los  voyons  par  le  dthors,  par  la  totalisation  de  leurs 
olVots.  Ouand  nous  |-arlons  dos  sociétés,  étant  plus  petits  que  leur 
onsouiblo  \on  no  j  oui  embrasser  d'un  regard  des  yeux  matériels 
los  ;îS  millions  iriiHinnios  qui  forment  la  nation  française),  nous  les 
oonNJdoiMiis  au  point  lio  vuo  do  leur  élément  constituant  :  ImdiviJu 
humain.  Nous  pordons  do  \uo  les  fonctions  générales. 

C'ost  l'cnvur  lîav.s  la  iiiolle  tombe  M.  Bougie.  Quand  les oi^ani- 
oistos  atiirmont  qu'une  ^ooiotô  est  d  autant  plus  parfaite  que  la  diffê- 


NOVIGOW.   —  LES  CASTES  ET  LA  SOCIOLOGIE  BIOLOGIQUE         363 

renciation  des  fonctions  y  est  poussée  plus  loin,  ils  ont  en  vue  la 
fonction  et  non  les  individus.  Mais  M.  Bougie  ne  considère  que  Tin- 
dividu  et  il  confond  la  division  par  castes  avec  la  différenciation  des 
fonctions. 

Il  est  facile  de  démontrer  que  la  division  par  castes  est  diamétra- 
lement opposée  à  la  différenciation  des  fonctions.  En  effet,  qu'est-ce 
qui  résulte  de  Texistence  des  castes?  G*est  que  si  le  père  de  Jean 
a  été  prêtre,  Jean  doit  le  devenir  aussi.  Mais  Jean  peut  n'avoir 
aucune  vocation  et  aucune  aptitude  pour  la  prêtrise;  il  peut  avoir, 
au  contraire,  de  grandes  aptitudes  et  une  vocation  impérieuse  pour 
l'industrie.  Dans  une  société  où  règne  le  régime  des  castes,  Jean 
devra  tout  de  même  devenir  prêtre  et,  naturellement,  il  sera  très  mal 
adapté  à  cette  fonction.  Dans  une  société  sans  castes,  Jean  deviendra 
industriel,  et,  naturellement,  sera  bien  adapté  à  cette  fonction.  Dans 
une  société  sans  castes,  les  fonctions  seront  donc  accomplies  par 
•des  individus  aptes  à  bien  les  remplir;  dans  une  société  à  castes, 
cela  ne  sera  pas  le  cas.  En  d'autres  termes,  l'organe  sera  mieux 
adapté  à  sa  fonction  dans  la  société  sans  castes,  ce  qui  revient  à 
dire  que  la  différenciation  de  fonctions  y  sera  poussée  plus  loin. 

Loin  donc  que  le  régime  des  castes  contribue  à  établir  la  différen- 
•ciation  des  fonctions  sociales,  il  contribue  à  l'empêcher. 

Nous  le  demandons  à  M.  Bougie,  où  et  quand  les  organicistes 
•onl-ils  jamais  déclaré  que  toutes  les  aptitudes  physiques  et  mentales 
«ont  héréditaires?  Quand  ont-ils  soutenu  que  le  fils  ou  la  fille  de 
Victor  Hugo  devaient  avoir  nécessairement  le  génie  poétique  et  le 
fils  ou  la  fille  d'Edison  nécessairement  le  génie  de  l'invention  *.  Les 
organicistes,  qui  se  tiennent  aussi  près  que  possible  de  la  biologie, 
savent  que  la  question  de  l'hérédité  est  des  plus  complexes  et  des 
plus  obscures,  qu'elle  est  pour  ainsi  dire  insoluble  dans  l'état  actuel 
de  nos  connaissances.  Il  est  impossible  de  dire  dans  quelles  limites 
les  caractères  des  parents  se  transmettent  aux  enfants.  Par  cela  seul 
l'affirmation  qu'un  fils  peut  accomplir,  d'une  faron  satisfaisante,  la 
fonction  exercée  par  son  père  parait  absolument  insoutenable  aux 
organicistes. 

Et  puis  comment  M.  Bougie  ne  voit-il  pas  que  la  différenciation 
■des  fonctions  sociales  n'a  rien  de  commun  avec  les  castes?  Môme 
«iDx  Indes,  où  le  régime  des  castes  est  pousse  jusqu'à  l'absurde,  les 
■occupations  des  hommes  (donc  leur  fonction  sociale)  ne  correspon- 

i.  Nous  insistons  surlcslilles,  parce  que  les  socioloKues  des  anciennes  écoles, 
l>tr  une  ètourderi<;  vraiment  extraordi nains  quand  ils  parlent  d'hérédité,  ne 
^90DgeDt  qu'aux  descendants  mâles,  comme  si  les  femmes  n'éUient  pas  des  êtres 
Immains  et  comme  si  les  lois  de  Thérédité  ne  s'appliquaient  pas  à  elles. 


364  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

dent  pas  toujours  à  leur  caste.  Il  y  a  des  brahmanes  qui  sont  cuiâ- 
nierSy  mendiants  Juges,  publicistes  ou  négociants.  Des  individus  de 
la  même  caste  font  des  métiers  difTérents  ;  la  même  fonction  sociale 
est  accomplie  par  des  individus  de  castes  différentes;  il  n'y  a  donc 
aucune  synonymie  entre  la  caste  et  la  fonction  sociale. 

M.  Bougie  n'aperroit  pas  non  plus  que  la  liberté  n'est  autre  cbose, 
au  fond,  que  la  différenciation  des  fonctions.  Que  signifie,  en  effet,  i& 
liberté  de  conscience?  Mais  simplement  que  Torgane,  chargé  delà 
défense  de  la  personne  et  des  biens  (le  gouvernement),  ne  s'occupe 
pas  des  croyances  des  citoyens.  Que  signifie  la  liberté  de  renseigne* 
ment?  Que  TÉtal  s'en  désintéresse  et  Tabandonne  à  l'initiative  privée, 
tant  au  point  de  vue  du  personnel  que  des  programmes  et  des 
méthodes.  Que  signifie  la  liberté  du  commerce?  Que  le  gouverne- 
ment ne  se  mêle  pas  de  ce  qu'achètent  et  vendent  les  citoyens  et 
qu'il  lui  est  absolument  indifférent  s'ils  s'approvisionnent  chezleuis 
compatriotes  ou  chez  les  étrangère.  Toutes  les  libertés  qui  viennent 
d'être  énuniérées  se  ramènent  à  une  différenciation  complète  de 
fonctions  entre  l'organe  régulateur  et  les  organes  économiques  et 
intellectuelles.  C'est  ce  que  nous  voyons  se  produire,  sur  une  échelle 
plus  vaste,  dans  les  organismes  biologiques  tels  que  Thomme  dont 
le  cerveau  ne  peut  pas  respirer  et  le  poumon  penser.  La  différencia- 
tion parfaite  consiste  dans  l'absolue  impossibilité  pour  un  organe 
d'accomplir  la  lonction  d'un  autre. 

La  liberté  signifie  aussi  la  garantie  des  droits  de  Tindividu;», 
cela  s<>  ramène  ôgalenient  à  l'adaptation  à  la  fonction.  Le  gouverne- 
n)ent  est  l'organe  qui  doit  procurer  la  protection  des  personnes  et 
des  biens  (en  d'autres  termes  garantir  les  droits),  mais  cela,  non 
seulement  au  point  de  vue  des  citoyens  les  uns  vis-à-vis  des  autres 
(droit  civil,  mais  encore  des  citoyens  vis-à-vis  des  fonctionnaires 
de  l'Ktat  \droit  politique  .  Or.  quand  la  liberté  du  citoyen  est  violée, 
quand  il  y  a  despotisme,  qu'est-ce  que  cela  signifie?  Mais  simple- 
ment tpie  l'Ktat  accomplit  mal  sa  fonction,  donc  qu'il  n'y  est  pas 
adapté.  M.  Honglé  ne  voit  pas  que  les  citoyens  veulent  possédera 
(pi'on  appelle  la  liberté  politique  (donc  prendre  part  au  gouvene- 
lutnt  do  leurs  pays)  justement  parce  que  l'État  accomplit  mal  sa 
lonction.  Supposons  qu'un  jour  les  gouvernements  exécutent  leur 
fonction  dune  façon  s;Uislai santé.  xVlors  ils  ne  commettront  lia* 
d  injnsiiivs;  la  liberté  deviendra  complète,  puisque  les  droits  de 
tou?>  seront  scrupuleusement  respectés  par  les  autorités  poiiti- 
qm»s.  Si  le<  citoyens  avaient  la  certitude  absolue  que  les  bomm^ 
au  pon\oir  accompliront  toujours  leur  fonction  d'une  façon  [«iitùte* 
let«  citoyens  se  dosintérossei-aient  complètement  du  gonveniem^^ 


NOVIGOW.    —   LES   CASTES    ET   LA    SOOCVLMIK   BIOLOGIQUE  365 

'iJe  leur  pays.  Personne  ne  voudrait  plus  perdre  son  temps  à  être 
député»  personne  ne  s'inquiéterait  de  ce  que  font  les  ioinistre&. 
La  fonction  gouvernementaie,  étant  devenue  parfaite,  deviendrait 
in  consciente.  C'est  exactement  ce  qui  arrive  dans  les  corps  biolo- 
giques. Sitôt  qu'une  fonction  s*y  exerce  d'une  manière  régulière  et 
'Satisfaisante,  elle  cesse  d'affecter  la  conscience. 

M*  Bougie  a  donc  lort  d'affirmer  que  si  la  théorie  organique  est 

vraie,  la  liberté  humaine  est  impossible.  C'est  juste  le  contraire. 

Quand  la  théorie  organique  sera  universellement  admise,  on  sera 

convaincu  de  la  nécessité  de  réduire  le  gouvernement  h  une  seule 

Ibnction  (la  justice),  et  alors  la  liberté  humaine  arrivera  au  point  cul- 

inant.  aux  dernières  limites  du  possible.  Si  on  avait  compris  déjà, 

que  les  organicistes  ne  cessent  de  répéter  sur  tous  lestons,  que 

'être  le  plus  parfait  est  celui  dont  les  fonctions  sont  lefci  plus  difTé- 

enciées^  l'État  ne  s'occuperait  ni  de  la  religion,  ni  de  rinstruction, 

I  de  la  production  économique.  Alors  il  n'y  aurait  donc  plus  ni 

ntolérance,  ni  étatisme,  ni  protectionnisme,  ni  socialisme.  Bref  il  y 

-aurait  une  somme  de  liberté  infiniment  supérieure  à  celle  qui  existe 

aujourdliui* 

M.  Bougie  aftirme  encore  qu'avec  rorganicisme  on  arrive  à  trois 
i}U  quatre  couleurs  tranchées  i[\.  344),  Quand  est-ce  que  les  organi- 
■cistes  ont-ils  affirmé  que  la  société  doit  se  figer  dans  trois  ou  quatre 
pgfandes  fonctions? 

Au  contraire,  les  organicistes  montrent  que  les  organes  se  comp- 
tent par  dizaines,  que  les  appareils  sont  d*une  variété  de  structure 
énorme,  que  Têtre  vivant  est  éminemment  changeant  et  instable,  que 
Jes  sociétés,  formées  d'un  élément  aussi  complexe  que  Thonime,  doi- 
;Vent  présenter  une  complexité  élevée  à  la  deuxième  puissance.  Aussi 
les  associations  les  plus  diverses  s'y  forment  et  s'y  déforment  à 
ehaque  instant.  Les  organicistes  soutiennent  que  la  perfection  d'une 
^•société  est  en  raison  directe  de  rinlensité  des  mouvements  qui  s*y 
^produisent.  Et,  en  faisant  celte  affirmatlonT  les  organicistes  sont 
absolument  conséquents»  parce  que  le  même  fait  s'observe  dans  les 
organismes  biologiques.  Les  plus  imparfaits  ont  des  mouvements 
lents,  les  plus  parfaits  des  mouvements  rapides.  L'homme  médiocre 
fïiet  des  heures  à  comprendre  ce  que  T homme  de  génie  saisit  avec 
4a  rapidité  de  réclair. 

Si  nous  passons  de  la  liberté  h  l'égalité,  nous  voyons  que  ^f .  Bougie 
ti'en  a  pas,  non  plus,  analysé  Tessence  asses:  profondémenL  11  con- 
fond régâlilé  pohtique  avec  l'égalité  sociale.  L'égalité  politique  n'est 
autre  chose  que  la  liberté  considérée  à  un  point  de  vue  dilîérent.  Elle 


366  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

est  un  état  social  où  toutindividu,  possédant  des  aptitudes  pour  exercer 
une  fonction  quelconque,  n'est  empêché  de  l'exercer  par  aucun  obs- 
tacle. Mais  cela  revient  à  dire  que  les  droits  de  cet  individu  ne  sont 
limités  dans  aucune  mesure,  ou,  en  d'autres  termes,  qu'il  jouit  d*uDe 
liberté  entière.  Imaginons  un  pays  où  il  n'y  a  pas  de  suffrage  uni- 
versel. Il  peut  y  arriver  que  Jean,  un  profond  génie  politique,  n'ait 
pas  de  droits  électoraux,  tandis  que  Pierre,  une  médiocrité  com- 
plète, en  ait.  Dans  ce  cas  Jean  ne  pourra  pas  devenir  premier  ministre 
(ce  pour  quoi  il  a  les  plus  grandes  aptitudes),  tandis  que  Pierre 
pourra  le  devenir.  C'est  une  injustice;  or,  dans  une  société  bien 
organisée,  il  ne  peut  pas  y  avoir  d'injustices,  ou,  en  s'exprimant 
autrement,  l'égalité  doit  y  être  complète;  mais,  cela  s'entend,  l'éga- 
lité politique.  Au  contraire,  il  est  facile  de  démontrer  que  plus  la 
société  sera  parfaite,  plus  grande  y  sera  Tinégalité  sociale.  Soit  une 
bande  de  sauvages;  elle  abat  une  grosse  pièce  de  gibier.  Les  chas- 
seurs se  partageront  le  butin  en  parts  d  autant  plus  égales  qu'il  y 
aura  moins  de  distinctions  entre  eux,  ou,  en  d'autres  termes,  que  leur 
organisation  sociale  sera  plus  rudimentaire.  S'il  y  a  une  hiérarchie 
entre  les  chasseurs,  le  chef  aura  une  part  plus  grande.  L'égalité  sera 
amoindrie.  Considérez,  d'autre  part,  quelque  grand  centre  de  ci\ili- 
sation  comme  Paris.  Une  cantatrice  extraordinaire  vient  y  donner 
un  concert.  La  recelte  qu'elle  pourra  faire  (en  négligeant  pour  le 
moment  toute  autre  circonstance)  sera  en  raison  directe  du  raffi- 
nement de  ses  auditeurs.  Plus  leur  sentiment  musical  sera  élevé, 
plus  haut  sera  le  prix  qu'ils  consentiront  à  payer  pour  leurs  places. 
Dans  une  société   grossière,  notre  cantatrice,  avec  autant  d'art, 
obtiendra  des  bénéfices  modestes;  dans  une  société  raffinée,  des 
bénéfices  énormes.  Aussi,  dans  le  premier  cas,  elle  restera  confondue 
dans  la  foule;  dans  le  second,  elle  pourra  accumuler  des  richesses 
qui  lui  permettraient  de  vivre  avec  un  faste  accessible  à  un  bien 
petit  nombre  de  citoyens.  Ainsi  l'inégalité  sociale  sera  accrue.  Il  en 
est  des  autres  manifestations  intellectuelles,  comme  du  chant  de 
notre  cantatrice.  Chez  des  sauvages,  un  Edison  n'aurait  guère  plus 
de  bien-être  que  ses  voisins.  Dans  une  société  très  civilisée,  un 
Edison,   en   apportant  seulement  un  petit  perfectionnement  aui 
lampes    électriques,   pourra   réaliser   des  millions.   Et  il  en  est 
de  finégalité  morale  comme  de    l'inégalité  financière.  Plus  une 
société  est  civilisée,  plus  elle  honore  ses  grands  hommes,  plus 
elle  leur  prodigue  les  marques  de  respect,  l'admiration,  les  sym- 
pathies, plus  elle  leur  accorde  de   distinctions  pendant  la  vie  et 
plus  elle  leur  dresse  de  hautes  statues  après  la  mort.  Les  hommes 
qui  ont  vécu  à  fûge  de  la  pierre  polie  sont  tous  égaux  devant  la 


ItOVlCOW,    —  LES  CASTES  ET   U   SOCIOLOGIE  BIOLOGIQUE  367 

pogtériLé  ;  les  hommes  qui  ont  vécu  au  xviii*  siècle  ne  le  sont  pas. 

On  n*est  donc  pas  en  droit  d  anirmer  que,  si  la  théorie  organique 
est  vraie,  l'évolution  sociale  doit  alJer  d'une  plus  grande  somma  de 
liberté  et  d'égalité  à  une  plus  potite  somme.  C'est  le  contraire  qui 
mi  vrai.  Avecl'organicismeon  arrive  immédialement  h  la  conclusion 
diamétralement  opposée  :  à  savoir  que  la  dilTereuciation  des  fonctions 
est  le  bien  suprême.  Lldcal,  indiqué  par  la  théorie  organique,  est 
la  îîon  intervention  de  TKtat  dans  la  sphère  économique^  religieuse 
et  intellectuelle,  donc  le  ininimutn  d'oppiession  ou,  en  d'autres 
termes,  le  maximum  de  liberté  et  d'égalité  politique  accompagnée 
d'inégalité  sociale*. 

M.  liouglé  dit  que  la  démocratie  n'est  pas  un  cas  pathologique. 
Nous  sommes  complètement  de  son  avis.  Mais  que  signifie  la  démo- 
cratie, selon  M.  Bougie?  Ce  n'est  pas,  ^t  coup  sur,  le  droit  pour  tout 
bottier  de  diriger  des  navires  en  pleine  mer  et  de  les  iaire  échouer 
ur  des  écueils,  La  démocratie  est  le  droit  d'exercer,  sans  aucune 
entrave,  un  métier  pour  lequel  on  a  des  aptitudes  et  des  connais- 
sances spéciales.  Ce  n'est  certainement  pas  l'organicisme  qui  s'op- 
P>ose  à  un  pareil  droit.  Au  contraire,  c  est  le  régime  des  castes.  Et 
!*est  précisément  pour  cel^ji  que  le  régime  des  castes  est  un  cas  de 
mthalogie  sociale,  car  il  est  basé  sur  une  erreur  absolue  :  la  pré- 
lômption  que  le  fils  d'un  individu  aura  les  mêmes  aptitudes  que  son 
ïùre.  Il  faut  dire  d'abord  que,  dans  la  question  de  l'hérédité,  on 
^mmet  une  erreur  capitale.  On  considère  seulement  un  seul  des 
acteurs  :  le  père,  ou  fait  abtraction  compîcle  de  la  mère.  C'est 
bsurde.  L*enfaiit  est  une  résultante  produite  par  le  mélange  des 
eux  progéniteurs.  Le  fils  d'un  blanc  et  d'une  négresse  sera  un 
ïluUVtre,  non  un  hïanc  ou  un  nègre.  Si  donc  le  méhuïge  est  évident 
K)ur  les  traits  physiques,  il  doit  Têtre  aussi  pour  les  traits  moraux. 
fous  n'avons  aucun  droit  d'affirmer  que  l'enfant,  lïien  que  prenant 
es  traits  physiques  de  la  jnère.  ne  prend  jamais  ses  traits  moraux. 
>r  œlle  circonstance  seule  suffit  à  saper  par  la  base  la  présomption 
ue  le  fils  aura  les  aptitudes  du  père.  L'hérédité  palernelle  des 
saractéres  psychiques  (qui  ont  seuls  de  Timportance  dans  une 
Inmense  partie  des  fonctions  sociales)  n'étant  pas  une  réalité,  le 
fégime  de^^  castes  ne  soutient  pas  un  seul  instant  la  critique. 

M-  Beuglé  commet  encore  d'autres  erreurs  en  partant  de  la  théorie 

t.  Et  il  n*Y  a  pos  la  moindre  conlradictton  dans  cea  deux  faUs,  car  Vt^galitt*  H 
jutitce  peuirenlêtre  deux  termes  oppoiiég  et  contrai  re«4.  SI  J^an  ira  vaille  bien 
Paul  mal,  tea  obliger  à  recevoir  un  salaire  égal  e^i  eomrneUre  une  injusUci; 
lag^f/inU.  La  devbe  de  la  justice  est  :  Â  chacun  selon  sm  œuvras* 


3G8  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

organique.  Les  organicistes  affirment  que  les  loîe  générales  de  la 
biologie  s'appliquent  à  la  sociologie,  mais  il  ne  s'ensuit,  en  aucune 
façon,  que  les  organicistes  confondent  les  phénomènes  physiolo- 
giques avec  les  phénomènes  sociaux.  C*est  M.  Bougie  qui  leor 
attribue  cette  confusion.  En  sociologie,  il  n'y  a  pas  d'hérédité,  mais 
de  la  successivité  (s'il  est  permis  de  forger  ce  mot  nouveau).  An 
point  de  vue  du  bon  fonctionnement  des  organes  sociaux,  il  faut 
qu'à  un  homme,  apte  ù  exercer  une  profession,  succède  un  autre 
homme  apte  à  l'exercer  également,  mais  il  ne  faut  nullement  que  le 
fils  succède  au  père.  Une  preuve  péremptoire  peut  en  être  donnée. 
Il  y  a  des  institutions  sociales  (fËglise  catholique  par  exemple)  dont 
les  membres  doivent  être  célibataires.  L'hérédité  physiologique  ne 
peut  donc  pas  s'y  exercer,  mais  la  successivité  y  atteint  parfois  une 
force  extrême.  C'est  dans  quelques-uns  des  corps  recrutés  ïJar 
cooptation  (comme  Tordre  des  Jésuites)  que  l'esprit  traditionaliste 
et  la  fidélité  aux  principes  se  sont  aOirmés  avec  l'intensité  la  plus 
extraordinaire. 

Dans  les  organismes  biologiques,  dit  M.  Bougie,  les  cellules 
restent  attachées  constamment  à  l'organe  dont  elles  font  partie  et  les 
cellules  liiles  remplacent  les  cellules  mères  sans  changer  de  place. 
Si  donc  les  sociétés  sont  des  organismes,  il  doit  y  être  de  môme. 
Or  comme  il  n'en  est  pas  ainsi,  les  sociétés  ne  sont  pas  des  orga* 
nismes. 

Singulière  argumentation  en  vérité!  Autant  vaudrait  dire  :  dans 
les  végétaux  phanérogames  la  transmission  de  la  vie  se  fait  parla 
fécondation  des  étamines.  Comme  il  n'en  est  pas  ainsi  chez  les 
animaux,  les  animaux  ne  sont  pas  des  organismes. 

La  grande  erreur  consiste  ici  à  identifier  le  terme  organisme  avec 
une  tonne  quelconque.  Les  organicistes  ne  se  placent  jamais  à  un 
point  de  vue  aussi  étroit  et  aussi  anti-scientifique.  Les  organicistes 
ne  sont  ni  aveugles  ni  fous.  Jamais  ils  n*ont  affirmé  qu'il  y  a  des 
similitudes  de  structure  entre  les  organismes  sociaux  et  les  plantes 
ou  les  animaux.  Ils  ont  affirmé  qu'il  y  a  des  similitudes  biologiques^ 
ce  qui  tvt  tout  différent.  Les  formes  vivantes  sont  infinies  dans  la 
nature.  On  ne  peut  pas  appeler  organisme  ce  qui  ressemble  à  un 
champignon,  à  un  peuplier,  à  une  baleine  ou  à  un  éléphant.  On  ne 
peut  pas  même  dire  qu'un  organisme  est  un  être  qui  a  quatre  pattes, 
une  tête  et  une  queue  ou  un  tronc  avec  des  branches  rayonnant 
dans  dilTêrentes  directions.  Un  organisme  doit  être  défini  w» 
ensemble  </(•  parties  vivantes  entre  lesquelles  $*éiablit  une  inJterdé^ 
pcndancc  des  fonctions.  Justement  Terreur  de  M.  Beuglé  consisteà 


WOVICOW.   —   LES  CASTES   ET   LA  SOCIOLOGIE   BIOLOGIQUE  369 

se  faire  une  image  purement  personnelle  d'un  organisme  (il  pense  à 
l'homme  fort  probablement)  et  alors  il  vient  dire  aux  organicistes  : 
Voyez,  la  société  n'a  aucune  ressemblance  externe  et  morphologique 
avec  un  être  de  ce  genre,  donc  la  société  n'est  pas  un  organisme. 
M.  Bougie  aurait  eu  raison  si  les  organicistes  avaient  affirmé  que  la 
société  est  un  homme  amplifié.  Mais  jamais,  au  grand  jamais,  ils  n'ont 
soutenu  une  pareille  absurdité. 

Dans  certains  organismes  animaux  l'amplitude  de  mouvement 
des  cellules  est  limitée;  elles  ne  quittent  plus  les  organes  dans 
lesquels  elles  se  sont  une  fois  établies.  Si  la  caractéiislique  de  l'orga- 
nisme était  la  limitation  du  mouvement,  alors  M.  Bougie  aurait 
raison.  Comme  le  mouvement  dans  les  sociétés  est  beaucoup  plus 
étendu  que  dans  les  corps  animaux,  on  aurait  pu  en  conclure,  à  la 
rigueur,  que  les  sociétés  ne  sont  pas  des  organismes.  Mais  la  carac- 
téristique de  l'organisme  est  l'interdépendance  des  fonctions  entre 
les  parties  associées.  Pour  cette  raison,  les  êtres  où  cette  interdépen- 
dance existe,  mais  où  la  limitation  des  mouvements  n'existe  pas,  sont 
cependant  des  organismes*. 

De  même  M.  Bougie  se  trompe  en  prenant  l'adhérence  comme 
une  caractéristique  de  l'organisme.  L'adhérence  est  un  fait  accidentel 
sans  importance.  Si  deux  cellules  se  touchent,  mais  n'ont  entre  elles 
aucune  communication,  ces  deux  cellules  forment  des  organismes 
différents.  La  caractéristique  de  l'organisme  n'est  pas  le  voisinage 
ou  même  l'adhérence  des  parties,  mai»  leur  interdépendance  fonc- 
tionnelle. Par  conséquent,  que  l'interdépendance  s'opère  à  grande 
ou  à  faible  distance,  par  des  procédés  physiologiques  ou  psychiques, 
peu  importe;  dès  que  l'interdépendance  existe,  on  est  en  présence 
d'un  organisme.  Voilà  pourquoi  la  France  et  l'Angleterre  sont  des 
organismes.  Il  existe,  en  effet,  une  interdépendance  mutuelle  com- 
plète entre  les  individus  qui  forment  ces  deux  grandes  nations. 

Un  autre  fait  pourra  faire  saisir  nettement  combien  la  distance 
matérielle  est  peu  de  chose.  Soient  deux  individus  qui,  dans  une 
foule,  se  touchent  du  coude.  Ces  individus  peuvent  être  complè- 

1.  Bien  entendu,  tous  ces  termes  sont  relatifs.  La  limitation  des  mouvements 
n'est  pas  absolue  dans  les  corps  biologiques.  Il  y  a  d'abord  la  période  embryon- 
naire, où  chaque  cellule  doit  se  rendre  à  l'organe  qu'elle  forme.  Ensuite,  même 
dans  la  période  adulte,  comme  l'ont  démontré  les  recherches  de  M.  Metchnikof, 
il  y  a  dans  les  corps  animaux  des  cellules  errantes  qui  se  transportent  d'un 
organe  dans  un  autre.  Dans  les  sociétés,  d'autre  part,  le  mouvement  n'est  pas 
absolu.  Le  peuple  français,  dans  son  ensemble,  n'erre  pas  aux  quatre  coins  du 
^lobe,  mais  occupe  son  territoire  d'une  façon  permanente.  Des  millions  d'hommes 
ne  quittent  presque  jamais  le  village  où  ils  sont  nés,  ou  le  quittent  pour  une 
période  assez  courte  de  leur  vie.  Dès  qu'on  parle  de  la  matière  vivante,  il  faut 
renoncer  aux  déûnitions  précises  de  la  géométrie. 


STO  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

tement  étrangers  Tun  à  Tautre  et  ne  pas  s^apercevoir,  pour  ainsi 
dire,  de  leur  existence.  D  autre  part,  deux  autres  hommes,  plaça 
aux  extrémités  opposées  de  la  terre,  peuvent  se  causer  des  impres- 
sions capables  de  modifier  du  tout  au  tout  et  leurs  pensées  et  leur 
conduite. 

Mais  revenons  à  la  caste.  C'est  sur  ce  terrain  précisément  qu'il  est 
facile  de  démontrer  que  Torganicisme  est  absolument  vrai.  Selon 
cette  théorie,  la  perfection  de  Têlre  est  en  raison  directe  de  la  diffé- 
renciation des  fonctions.  Imaginez  un  instant  que  le  fils  d'un  grand 
homme  d'État  eût  nécessairement  et  toujours  des  aptitudes  hors 
ligne  pour  la  politique.  Les  fonctions  sociales  s'accompliraient 
immédiatement  d'une  façon  beaucoup  plus  facile  et  plus  rapide, 
partant  d'une  façon  plus  parfaite.  Plus  rapide,  parce  qu'il  ne  serait 
pas  nécessaire  de  chercher  le  remplaçant  d'un  ministre;  ce  serait 
son  fils.  Et  si  le  fils  du  ministre  était  l'homme  le  mieux  qualifié  pour 
remplir  lu  charge  de  son  père,  cela  reviendrait  à  dire  que  les 
hommes  seraient,  dès  leur  naissance  (donc  physiologiquementi, 
adaptés  h  leur  fonction  sociale. 

Mais  aussi  longtemps  que  le  fils  ne  sera  pas  adapté  à  la  fonction 
du  père  (et  cela  ne  sera  jamais,  parce  que  les  hommes  ne  se  repro- 
duisent pas  par  prolifération  parthénogénique  et  qu'il  y  aura  tou- 
jours lés  déviations  héréditaires  provenant  de  la  dualité  des  parents), 
la  fusion  de  l'hérédité  physiologique  avec  la  successivilé  fonction- 
nelle sera  impossible  dans  la  société. 

Les  organismes  biologiques,  étant  beaucoup  plus  anciens,  sont 
infiniment  plus  perfectionnés  et  oflrent  un  idéal  que  les  sociétés 
sont  encore  fort  loin  d'atteindre  et  que  peut-être  elles  n'atteindront 
jamais.  Ainsi  une  association  comme  le 'corps  de  l'homme  est  une 
véritable  merveille.  La  division  du  travail  y  est  poussée  jusqu'à  une 
limite  extrême,  l'adaptation  des  organes  h  la  fonction  y  est  com- 
plète, la  pondération  entre  le  pouvoir  central  et  les  parties  y  semble 
atteindre  la  perfection. 

Si  jamais  dans  les  sociétés  on  parvenait  à  imiter  ce  modèle,  la 
somme  du  bonheur  humain  décuplerait  immédiatement.  Tandis 
que  les  hommes  versent  des  flots  de  sang  pour  obtenir  une  justice 
boiteuse,  la  justice  est  devenue  une  fonction  automatique  et  incon- 
sciente au  sein  des  organismes  animaux.  On  sait  que  le  cerveau  dis- 
tribue à  chaque  organe  justement  la  quantité  de  sang  qui  lui  est 
nécessaire  pour  accomplir  son  travail.  II  remplit  sa  fonction  régu- 
latrice avec  une  équité  complète.  C'est  un  juge  parfait,  inaccessible 
à  la  corruption.  Dans  les  corps  animaux  le  principe  fondamental 
de  la  justice  :  à  chacun  selon  ses  œuvres,  est  appliqué  avec  une 


IfOVÎCOW.    —   LES   CASTES   ET   LA    SOCIOLOGIE   BIOLOGIQUE  371 

plénitude  qui  est  malheureusement  bien  loin  d'être  atteinte  dans 
les  sociétés, 

[    «   Tandis  que,  dans  un   organisme    complexe,   dit  M,   Bougie 
jp.    343),  la  cellule  appartient  à  un  seul  organe»  dans  une  société 

>niplexe,  Thomme  participe  à  plusieurs  groupements^  l'un  d  ordre 
conornique,  l'autre  d*ordre  politique  ou  religieux,  Tun  permanent, 
^autre  éphémère,  Vun  local,  lautre  inlernationnaL  Leur  mulliplit^ité 
lême  augmente,  vis-à-vis  de  chacun  d*eux,  Undépendunce  de  Im- 
ividii>  Posté  au  point  d'entre-croisement  de  tant  de  cereles,  il  ne  se 
lisse  plus  englober  par  aucun.  El  c'est  ainsi  que  ce  même  progrès 
la  différenciation  qui  est  asservissement  pour  la  cellule,  peut 

re  libération  pour  Thomme.  » 

On  voit  nettement  par  ce  passage  où  M,  Bougie  veut  en  venir.  Il 
ïfend  la  liberté  individuelle.  Il  désire  que  chacun  puisse  aller  et 
et  s'occuper  de  ce  que  bon  lui  semble.  Nous  avons  exacte- 

ïnt  les  mêmes  désirs.  Il  ne  s'agit  en  aucune  façon  de  limiter  la 
berté  humaine.  Aucun  organiciste  n*a  jamais  proposé  de  con- 
Mnner  chaque  citoyen  à  un  seul  métier  comme  les  serfs  de  la 
lèbe.  Mais  comment  M.  Bougie  ne  voll-il  pas  que  ce  qu'il  prend 
Dur  un  avantage  est,  en  réalité,  une  imperfection,  au  point  de  vue 
Cïcial?  11  est  évident  que,  si  un  individu  fait  de  Tindustrie  pendant 
hois  heures  de  sa  journée,  de  la  peinture  pendant  trois  autres  et  de 
I  polilique  pendant  les  trois  suivantes,  il  sera  un  mauvais  indus- 
*iel»  un  mauvais  peintre  et  un  mauvais  homme  d'Étal.  Les  organi- 
istes  apprécient  le  charme  de  la  liberté  autant  que  les  autres 
tonrinies.  Ils  soutiennent  seulement  quej  dans  une  société  où  chaque 
idividu,  de  plein  gré,  se  vouera  de  préférence  à  une  seule  occupa- 
on,  la  prospérité  sera  plus  grande,  En  riussie^  au  temps  de  Pierre 
g  Giand,  le  célèbre  Lomonossof  a  été  physicien,  minéralogiste  et  en 
Dême  temps  il  écrivait  des  grammaires  et  des  manuels  dlustojre. 
Ictuellement  ces  difTérentes  spécialités  sont  partagées  entre  des 
individus  différents.  Cela  prouve  que  la  science  russe  est  plus 
ivancée  de  nos  jours  qu'elle  ne  Tétait  au  commencement  du 
^vtii*  siècle. 

Si  la  théorie  organique  était  vraie,  «  toutes  les  protestations  de  la 
idémocratie  contre  ce  qui  rappelle  les  castes,  soutient  M.  Bouclé, 
seraient  autant  de  résistances  étourdies  à  ce  que  prescrit  la  nature* 
^e  sociologue  instruit  par  la  biologie  ne  verra  pas  sans  frayeur 
rabaissement  des  barrières  qui  divisent  les  classes  :  car  il  ne  peut 
ftttendre  rien  de  bon  de  cette  irruption  de  la  panmtj.'ie,  de  ce 
itrîomphe  de  «  Terreur  amorphiste  i  (p.  3-47), 
I    Ce  passage  montre  de  la  façon  la  plus  nette  Terreur  de  M^  Bougie* 


373  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

La  caste  est  un  phénomène  de  l'ordre  social.  Il  ne  faut  pas  con- 
fondre des  choses  différentes.  Une  société  peut  être  des  plus  aristo- 
cratiques, voire  même  des  plus  oligarchiques,  sans  posséder  la 
moindre  caste.  La  loi  peut  établir  que  seuls  les  individus  possédant 
une  certaine  étendue  de  terre,  une  certaine  fortune  mobilière,  ou 
certaines  connaissances  spéciales,  peuvent  prendre  part  au  gouver- 
nement du  pays.  Plus  haut  sera  le  cens,  plus  oligarchique  sera  la 
société.  Mais  cela  n'empêche  nullement  que  tout  individu,  ayant  le 
cens  requis,  quelle  que  soit  sa  naissance,  puisse  faire  paitie  de  la 
classe  gouvernementale.  Il  pourra  arriver  certes  que  le  fils  d'un 
homme,  possédant  le  cens  politique,  le  possède  également.  Hais 
cela  ne  sera  pas  par  suite  de  sa  filiation,  mais  par  suite  de  sa  situation 
sociale.  La  délimitation  rationnelle  des  classes  est  Tidéal  vers  lequel 
doivent  tendre  les  sociétés.  La  hiérarchie  des  fonctions  est  la  pre- 
mière condition  pour  la  prospérité  sociale.  Rien  ne  le  démontre 
mieux  que  les  armées  modernes.  Là  chaque  grade  se  distingue  des 
autres  non  seulement  par  les  droits  et  les  avantages,  mais  même 
par  le  costume.  Les  membres  des  grades  inférieurs  sont  obligés, 
sous  peine  de  punition,  de  donner  constamment  des  marques  de 
respect  aux  grades  supérieurs.  On  le  voit,  c'est  la  plus  grande  iné- 
galité possible.  Que  dirait-on  si  un  comte  était  obligé  de  se  lever 
chaque  fois  en  présence  d'un  duc  ou  d'un  prince?  Cependant  l'iné- 
galité dans  l'armée  ne  choque  personne  et  ne  porte  aucune  atteinte 
à  la  liberté  des  citoyens.  Pourquoi?  Mais  par  la  raison  toute  simple 
qu'il  ne  s'y  mêle  aucune  question  d'hérédité  physiologique.  Tout 
lieutenant  peut  devenir,  à  son  tour,  colonel  et  général  et  jouir  des 
droits  attachés  à  ces  grades.  De  plus,  un  colonel  ou  un  p^énéral  ont 
des  droits  supérieurs  à  ceux  du  lieutenant  et  du  capitaine  parce 
qu'ils  doivent  avoir  aussi  des  connaissances  et  des  capacités  supé- 
rieures. 11  y  a  donc  dans  l'armée  la  plus  grande  dose  d'inégalité 
hiérarchique  accompagnée  de  la  plus  grande  dose  de  justice. 

Et  c'est  précisément,  grâce  à  la  combinaison  de  ces  deux  fac- 
teurs, que  l'organisation  des  armées  modernes  est  la  plus  parfaite 
qui  existe  ici -bas.  L'organisation  savante,  bien  pondérée,  bien 
agencée,  voilà  Tidéal  des  organicistes,  et  M.  Fk)uglé  devra  bien 
reconnaître,  par  l'exemple  si  typique  de  l'armée,  que  cet  idéal  ne 
diminue  en  rien  la  liberté  et  l'égalité  juridique  des  citoyens. 

Nous  ne  voulons  pas  suivre  M.  Bougie  dans  ses  considérations 
sur  les  races  et  les  sélections  sociales.  Sur  ce  terrain  encore 
M.  Bougie  arrive  à  des  conclusions  fausses  par  rapport  à  Torgani- 
cisme.  Cela  serait  facile  à  démontrer.  Mais  cela  nous  entraînerait 


WOVICOW.   —  LES  CASTES   ET   LA  SOCIOLOGIE  BIOLOGÎQL^  373 

à  des  considérations  trop  longues,  parce  que  les  questions  sociales 
sont  proligieusement  complexes.  Si  on  veut  les  exposer  d'une  façon 
trop  succincte,  on  ne  peut  pas  les  rendre  assez  claires.  C'est  l'occa- 
sion ou  jamais  de  dire  avec  Horace  :  Brevis  esse  laboro^  ohscurus  fio. 
Pour  cette  fois  et  pour  ne  pas  fatiguer  les  lecteurs  de  la  Revue 
phUosophiquBj  nous  préférons  nous  en  tenir  à  la  seule  question  des 
castes. 

Cependant  nous  ne  pouvons  pas  nous  empêcher  de  faire  une  petite 
remarque  en  terminant. 

Comme  presque  tous  les  adversaires  de  l'organicisrae,  M.  Bougie 
reconnaît  implicitement  la  vérité  de  cette  théorie,  tout  en  la  com- 
battant. Il  dit  par  exemple  :  «  Les  sociétés,  comme  les  organismes, 
divisent  les  travaux  entre  leurs  membres,  car  elles  sont  des  êtres 
collectifs,  et  la  division  du  travail  est  une  condition  générale  du 
perfectionnement  de  ces  êtres,  de  quelque  nature  qu'ils  soient  » 
(p.  346). 

Nous  n'en  demandons  pas  plus  long.  Et,  quoi  qu'il  en  dise,  cette 
seule  phrase  suffît  à  classer  M.  Bougie  parmi  ces  organicistes  qu'il 
combat  avec  tant  d'ardeur,  parce  que  les  termes  être  vivant  et  orga- 
nistne  sont  complètement  synonymes.  Les  organicistes  n'ont  jamais 
afOrmé  que  les  sociétés  sont  des  plantes  ou  des  animaux  quelcon- 
ques, ils  ont  affirmé  qu'elles  sont  des  êtres  vivants  d'une  nature 
particulière,  mais  obéissant  cependant  aux  lois  générales  de  la  vie 
étudiées  par  la  science  appelée  biologie. 

J.   Novicow. 
Odessa. 


LES 

SCIENCES  NATURELLES  ET  L'HISTOIRE 


Le  xiK*'  siècle  sur  lequel  nous  pouvons,  maintenant  que  nous 
Pavons  dépassé,  jeter  un  coup  dœil  rétrospectif,  a  été  incontesU- 
blement  une  époque  de  grands  et  légitimes  triomphes  pour  Fhistoire. 
Non  seulement  son  élude  a  été  renouvelée  et  placée  sur  des  bases 
solides  et  inébranlables,  mais  son  esprit  a  pénétré  partout  dans  les 
autres  sciences.  Presque  toutes  ont  fait  jaillir  de  nouvelles  vérités 
de  leurs  faits,  traités  au  point  de  vue  du  développement,  et  Tidéc 
si  féconde  de  révolution,  qui  n  est  au  fond  que  le  principe  de  l'his- 
toire appliqué  à  toutes  les  connaissances  humaines,  est  venue  ren- 
forcer et  vivifier  les  conclusions  de  la  science. 

IJn  rôle  aussi  important  joué  par  l'histoire  ne  pouvait  manquer 
d'attirer  Tattention  sur  la  nature  et  sur  les  procédés  de  ce  mode 
d'investigation.  Aussi  le  siècle  écoulé  compte-t-il  de  nombreux 
essais  qui  ont  pour  objet,  d'une  façon  plus  ou  moins  complète,  la 
théorie  de  l'histoire. 

Ces  idées  sur  la  mclhode  à  appliquer  en  histoire,  se  développant 
au  sein  d'un  esprit  dominé  et  même  subjugué  par  les  sciences  de  la 
nature,  il  était  très  naturel  que  les  premiers  essais  de  constitution 
de  la  logiijue  de  l'histoire  tendissent  à  la  subordonner  à  celles  des 
autres  sriences.  Pour  élever  aussi  Thistoire  au  rang  de  science,  il 
fallait  lui  appliquer  également  la  méthode  usitée  dans  les  sciences 
appelées  naturelles.  Cette  idée  fut  soutenue,  non  seulement  par  des 
naturalistes,  chez  lesijuels  elle  n'avait  rien  de  paradoxal,  mais  aussi 
par  des  historiens  (]ui,  éblouis  par  les  splendides  résultats  auxquels 
avaient  abouti  les  sciences  de  la  nature,  pensaient  élever  peut-être 
leur  discipline  au  même  niveau,  si  elle  était  traitée  d'après  la  même 
mrtliode.  Ce  furent  surtout  les  sociologues  qui  revendiquèrent 
rijoiineur  de  pla(!er,  par  la  sociologie,  l'Iiistoire  sur  ses  véritables 
bases  scientiiiciues  et  de  la  transformer  ainsi,  d'une  exposition 
esthéti(|ue,  en  une  exposition  vraie  de  la  réalité  passée. 

Peu  à  peu  pourtant  une  réaction  commença  à  se  faire  jour  dans 
les  théories  relatives  à  la  nature  de  l'histoire.  On  finit  par  s'aperce- 


iwOPOL,    —  LES   SCtEÎÎCKS  WATCnBUES  ET  L^HTSTOTRË 

STr  que  Thistoire  poursuivait  un  autre  but  que  les  sciences  natu- 
relles, et  que,  le  but  étant  difTérent^  le  moyen»  c'est-à-dire  la 
méthode,  devait  Têtre  aussi.  En  dehors  des  remarques  occasion- 
nelles» consignées  dans  les  ouvrages  les  plus  divers,  quelques  Ira- 
vaux  d'ensemble  parurent  sur  cette  question  si  importante,  parmi 
'  lesquels  nous  rappelons  le  nôtre,  intitulé  Pnncipes  fondamentaux 
de  fhïsloirey  181)9^  qui  a  été  Tobjet  d'une  critique,  par  M*  Lucien 
Arréat,  insérée  dans  cette  revue  même  '. 

Trois  ans  avant  l'apparition  de  mon  ouvrage^  M,  Henri  Rickert, 
professeur  a  FUniveraité  de  Fribourg  en  BrisgaUj  avait  publié  la  pre- 
mière partie  d'une  Introduclion  logique  aux  scifmcf's  hUtoriquem  '. 
Je  n'en  avais  point  connaissance,  malgré  toutes  les  peines  que  je  me 
suis  donné  pour  n'omettre  aucune  publîcalion  importante  qui  eût 
trait  à  la  question  dont  je  m'occupais.  Je  ne  le  regrette  cependant 
pas;  car  le  fait  que  M.  Rickert  et  moi,  nous  sommes  arrivés  presque 
Qux  mêmes  résultats,  quoique  partis  de  points  de  vue  complètement 
<3ifTtH*ents,  ne  laisse  pas  d'être  un  gage  que  la  solution  de  ce  difficile 
problême  se  trouve  dans  Ja  bonne  voie. 

Le  livre  de  M*  lUckert,  que  nous  avons  spécialement  en  vue  dans 
oette  étude,  est  un  traité  logique  très  complet  et  rempli  d'intéres- 
sants détails,  auqnels  malheureusement  nous  ne  pouvons  nous 
^rrùter.  Pour  k  matière  que  nous  voulons  traiter,  il  stra  suftisant 
câ*examiner  les  principes  généraux  sur  tesqnels  il  repose. 

La  thèse  que  M,  U,  se  propose  de  démontrer  est  que^  la  tendance 
&  appliquer  la  méthode  des  sciences  naturelles  à  Thistoire  repose 
^ur  une  confusion  qui  a  son  origine  dans  le  manque  de  distinction 
^Drrcise  entre  Tobjet  de  ces  deux  disciplines  de  Tesprit  humain  ;  que» 
^traiter  Tinvestigation  îiistorique comme  une  science  naturelle  est  un 
^Droblème  impossible  à  résoudre,  une  véritable  contradiction  logique 
p.  21).  Pour  arriver  à  démontrer  cette  vérité,  fauteur  Vache  de 
léterminer,  dans  cetle  première  partie  de  son  élude  (la  deuxième 
r^^â.  pas  encore  paru),  quelles  sont  les  limites  assignées  par  la 
ogique  aux  connaissances  procurées  par  les  sciences  ainsi  appelées 
r^alurelles.  Au  delà  de  ces  limites,  lesprit  conçoit  un  autre  mode  de 
;:>énétrer  dans  l'essence  des  choses,  mode  qui  constitue  l'histoire* 

L  auteur  commence  par  démontrer  que,  sans  f  aide  des  notions, 
vautre  aspritne  pourrait  prendre  possession  de  la  variété  iuliniede 
.  '*univers,  tant  extensive  comnie  quantité  qu'intensive  comme  qua- 


1.  Février  1900. 

m^m  tlie  htAioriicheti  Wiëffen^chitfé*in,  von  Iv  Ht?înrkch  UickerL,  Freitiiirg  i  B,  KnU^ 
-M^UUf  Freibufg,  Uïp^ig,  inn,  i  voL  de  lin;  p. 


376  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

lité;  que  la  notion  a  pour  but  de  détruire  le  plus  possible  la  per- 
ception réelle  des  choses  et  de  réduire  ces  dernières  à  de  simples 
éléments  rationnels;  que  pour  y  arriver,  elle  substitue  toujours  plus 
complètement,  à  la  conception  des  choses,  celle  des  relations  entre 
les  éléments  qui  les  composent;  que  ces  relations  sont  données  par 
des  jugements  de  forme  générale  et  nécessaire,  donc  par  des  lois; 
que  la  tendance  générale  de  toutes  les  sciences  qui  concernent  les 
corps  matériels,  est  de  réduire  tous  ces  derniers  à  des  mouvements, 
donc  à  des  relations  d  atomes.  L'atome  serait  la  chose  dernière  qui 
ne  pourrait  être  réduite  à  aucune  autre  notion  de  relation;  mais 
cette  notion  de  chose  —  dernière  —  est  elle-même  si  abstraite» 
qu'elle  équivaut  à  une  notion  de  la  relation. 

Les  phénomènes  intellectuels  ne  sauraient  être  traités  différem- 
ment par  la  logique.  Pour  les  saisir,  il  est  aussi  besoin  de  notions 
générales;  il  faut  aussi  réduire  les  notions  de  choses  à  des  notions 
de  relations.  Quoique  la  psychologie  ne  soit  pas  aussi  avancée  que 
les  sciences  des  corps,  il  existe  une  tendance   très  justifiée,  à 
réduire  les  pht'^nomônes  psychologiques  à  des  mouvements,  à  des 
relations  de  phénomènes  primitifs,  de  sensations.  Les  phénomènes 
intellectuels  ne  se  distinguent  donc  en  rien,  sous  le  rapport  logique» 
des  corps  matériels  et  des  phénomènes  que  ces  derniers  présentent. 
Le  terme  de  nature  doit  dune  s  étendre  aussi  à  eux.  Une  distinction 
entre  les  sciences  de  la  matière  (les  sciences  appelées  naturelles)  et 
les  sciences  de   Tosprit  est  arbitraire  et  sans  aucun  fondenaent 
logique.  ^  Li  psychologie,  nous  dit  M.  R.,est  donc  aussi  une  science 
naturelle,  car  elle  est  la  science  de  la  nature  de  Tesprit,  c'est-à-dire 
la  science  de  l'esprit  conçue,  non  par  opposition  au  monde  corporel, 
mais  bien  par  opposition  î\  l'art,  ;\  la  culture,  aux  mœurs,  à  l'his- 
toire, c'est-à-dire  comme  une  continuité  existante  par  elle-mèmeel 
régie  par  des  lois  immanentes,  qui  tûche  de  concevoir  la  vie  de  l'es- 
prit  comme  un   tout,  eu  égard  aux  généralités  qu'elle  présente» 
vp.  ^21:2). 

Celte  conception  des  sciences  de  la  nature,  qui  comprend  aussi  1* 
psychologie,  lorsqu'elle  est  traitée  au  point  de  vue  générait  des 
notions  ahstraîios.  annihile  complètement  Tancienne  opposition  entre 
les  sciences  de  la  nature  et  celles  de  l'esprit,  et  laisse  le  champ 
libre  pour  une  autre  distinction  logique,  les  sciences  qui  s'occupent 
du  général  ou  les  sciences  de  la  nature  et  les  sciences  qui  s'occn- 
pent  du  concret  on  de  Tindividuel,  les  sciences  historiques; cari" 
n'y  a  que  ces  dcii\  ia<;ons  de  considérer  les  choses,  au  point  de  vue 
du  général  et  à  cAni  du  particulier;  un  troisième  point  de  vue  est 
impossible  -^    i.  :^*i*«. 


ZÊIfOPOL.   —  LES   SCIENCES   NATDRELLES  ET  l'mSTOmE  377 

Les   sciences  naturelles,  dans  celte  extension  que  leur  donne 

'M*  lUckert,  ne  peuvent  s'occuper,  selon  lui,  que  des  relations  géné- 

Tales  et  abstraites  entre  les  phénomènes,  tant  physiques  que  psy- 

^îjques.  Elles  ne  peuvent  jamais  étudier  la  réalité  elîe-niénie  et  a  la 

1  imite  de  la  formation  des  notions  datns  les  sciences  naturelles,  limite 

€joe  ces  sciences  ne  peuvent  jamais  dépasser,  est  donnée  précisé- 

iTîent  par  cette  réalité  empirique  elle-même  ^  (p.  239). 

Au  contraire,  rhistoire  a  pour  but  de  concevoir  et  de  saisir  celte 
^r^iMJîié  dans  sa  forme  vivante  et  mdividuelle. 

L^e  fondement  logique  de  cette  distinction  se  trouve  dans  le  prin- 

c^ip^  rapporté  plus  haut,  que  Tesprit  ne  peut  prendre  connaissance 

d^^    choses  que  de  deux  façons  :  au  moyen  des  notions  générales  ou 

L^ia     BTiûyen  des  perceptions  individuelles,  La  première  de  ces  deux 

pfa.C*ons  donne  naissance  aux  sciences  de  lois  (f^cîences  naturelles 

^SLwrm  =3  le  sens  étendu  rapporté  plus  hauti^  et  le  second  aux  sciences 

h î s. t: conques.  Pour  bien  rendre  la  pensée  de  Tauteur,  reproduisons 

ic3cDre  quelques  passages  :  i  La  réalité,  nous  dit-il,  devient  nature 

loi:-^c:ju^on  la  considère  au  point  de  vue  général;  elle  devient  histoire 

lr>¥'^ qu'on  la  considère  au  point  de  vue  individuel  »  (p,  254],  h  Toute 

T^^al  î  té  est  donc  histoire  »  (p.  257 1.  a  Sous  le  terme  d'histoire,  nous 

*conni  prenons  toute  formation  individuelle,  et  non  seulement  ce  que 

Vort      dèsigue  communément  sous  ce  terme  »  (p.  286)*  a  L'entière 

rêo.1  i  té  empirique  dans  laquelle  nous  vivons  doit  être  considérée 

*^*^>^nt  rue  un  procédé  historique,  qui  change  continuellement  n  (p.  27ti'i. 

(So  1^  la  dernière  phrase  :  «  qui  change  continuellement  >»  nous  ferons 

les  o  bservations  nécessaires  un  peu  plus  bas), 

^oite  faron  de  comprendre  Thisloire  nous  semble  un  peu  forcée. 
**^H^  étend  celte  notion  bien  au  delà  de  ce  qu*elîe  doit  comprendre 
'^•^  i*^alité;  car  elle  laisse  de  côté  l'élément  caractéristique  de  Tbis- 
«^oit-(^^  son  développement  dans  le  temps,  pour  n'appuyer  que  sur  la 

I^'^^l-Ure  individuelle  de  ses  phénomènes  qui  n'est  pourtant  qu'une 
*^*^ ri  séquence  précisément  de  leur  transformation  dans  le  courant  du 
^  ^tais  M,  R.  devait  arriver  h  cette  solution,  aussitôt  quMl  part 


*-•  n  critérium  logique,  pour  établir  la  distinction  qui  existe  en  eftet 
'*^^re  les  deux  grands  modes  de  conception  du  monde.  Le  cntérium 
'"^^'îque  étant  subjectif,  il  ne  peut  servir  de  base  h  une  distinction 
^  ■*tre  les  phénomènes  extérieurs,  objectifs,  que  la  nature  présente 
r>çj|j,ç  perception.  Le  critérium  doit  être  aussi  objectif,  cherché 
/^i~i3  la  nature  dilTérente  des  phénomènes  étudiés  et  non  dans  les 


II 


*^ception3  que  ces  pht^nomènes  éveillent  dans  notre  entendement, 
^sî  vrai  que  la  science  est  une  opération  de  notre  esprit;  mais  ce 

TOME  L.   —  19U0,  i^à 


378  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

dernier  n'étant  que  le  reflet  de  la  raison  des  choses  dans  notre 
propre  raison,  ce  sont  toujours  les  choses  qui  doivent  déterminer  la 
façon  dont  l'esprit  prend  connaissance  de  la  réalité  extérieure.  Ce 
71^681  pas  Vesprit  qui  introduit  Vidée  du  général  dans  les  phénomène$ 
quil  étudie;  cet  élément  existe,  et  Vesprit  ne  fait  que  le  constater.  Ce 
n'est  pas  non  plus  Vesprit  qui  conçoit  Vindividuel;  Vindividud  lui 
est  aussi  imposé  par  les  formations  de  la  réalité. 

Si  nous  considérons  donc  les  phénomènes,  qu'elle  est  la  dilTéreoce 
qui  nous  frappe  tout  d'abord?  c'est  que  certains  d'entre  eux  ne  sont 
pas  modiflés  par  l'intervention  du  temps,  et  se  répètent  sans  chan- 
gement dans  le  courant  des  âges;  tandis  que  d'autres  se  modifient 
continuellement,  étant  toujours  difl*érents  aujourd'hui  de  ce  qu'ils 
étaient  hier.  Les  premiers,  se  répétant  sans  cesse,  constituent  en 
définitive,  pour  chaque  phénomène,  un  seul  et  même  type  qui  peut 
être  reproduit  par  une  seule  expression  de  la  pensée  —la  même 
pour  tous  —  par  une  loi.  Au  contraire,  les  phénomènes  qui  chan- 
gent par  suite  de  l'intervention  du  temps,  sont  tous  distincts  les  uns 
des  autres;  ils  ont  une  forme  individuelle  qui  ne  se  laisse  plus 
emprisonner  dans  la  formule  des  lois.  Ce  qui  donne  naissance  à 
l'histoire  c'est  l'intervention  du  temps,  comme  élément  modilica- 
teur.  Sans  cette  intervention  l'histoire  ne  saurait  être  pensée.  Ce 
nest  donc  pas  la  connaissance  de  lindividuel  par  lui  seul  qui  déttr- 
mine  la  conjiaisHance  histoHque,  mais  bien  celle  des  trnnsfornK^' 
tions  que  le  temps  impose  aux  phénomènes  de  la  réalité.  Il  ne  sau- 
rait y  avoir  de  conception  historique  sans  intervention  du  teï^^V^" 
C'est  cette   intervention   qui    individualise   les    phénomènes,     ^' 
comme  ils  ne  se  produisent  qu'une  seule  fois  dans  le  cours  des    ^^ 
et  ne  se  reproduisent  plus  jamais,  il  est  évident  que   nous  a'*^'^ 
affaire  à  des  formations  uniques,    individuelles.  L'individuel  *-    ^,  *, 
dans  la  conception  historique,  est  une  conséquence  de  l'inter"""^  ^ 
tion  motlifiealrice  du  temps.  Mais  l'individuel  peut  provenir  en^^\ 
d'autres  sources.  Par  exemple  dans  l'art,  il  est  le  produit  de  Vot""^'"^ 
nalité  de  l'artiste;  dans  les  éléments  géographiques — les  cx^^ 
d'e«iu,  les  villes  —  il  est  une  conséquence  de  leur  constitution  pa    -^ 
culièro.   I/hisloire   ne  s'occupe  point  de  ces  différents  genres 
Ijhénomrnes  individuels;  elle  n  étudie  que  Vindividuel  produit  i'^^ 
les  Inutsfonnations  du  temps. 

D'ailleurs  M.  1{.  lui-même  ne  peut  faire  autrement  que  d'aba. 
donncu'  son  principe  trop  absolu  et  concéder  au  temps  le  rôle  qui  1 
incombe  d.ins  l;i  production  do  l'histoire.  Nous  ne  voulons  citer  ^^ 
son  ouvrage  (jue  quelcfues  passages,  où  l'intervention  du  temps  dan^ 
l'histoire  est  admise  explicitement  ou  implicitement  :  «  La  matière 


EWOPOL.    —   IKS   SCIENCES   NATURELLES   ET  L'HISTOmE 


379 


dérable  lorsqu'on  considère  les  masses  d'atomes  comme  des 
lensalion.s  de  l*éther,  comparée  à  Féther  lui-même  ri  est  quun 
tédé  historique  qui  éventuellement  ponsède  un  commmcêment  et 
fin  comme  toute  chose  particulière  dont  il  pourrait  exister  une 
nre  (p.  '275),  L'entière  réalité  dans  laquelle  nous  vivons  doit  être 
îidérée  coimne  un  procédé  îmlùrique  qui  change  coulinueUement 
276).  Des  motifs  que  nous  supposons  connus,  éveiïient  le  pro- 
ae  de  la  constance  des  espèces  et  par  là  un  point  de  vite  hisfù- 
lt«e  jpf)S0,  notamment  la  question  de  roriginedes  espèces  dans  la 
^e.  Il  n*était  que  Ires  naturel  que  Ton  réfîéchit  au  caractère 
crique  de  la  matière  vivante,  et  en  effet,  il  est  aujourd'hui  très 
imun  de  considérer  le  monde  vivant  comme  un  procédé  hislo- 
le  qui  a  dû  avmr  un  commencement  et  probablement  aura  aussi 

fin  (p.  281).  On  pourrait  penser  que  des  représentations  des  voli- 
B  OU  des  sentiments  n'ont  pas  toujoun  existé  et  que  Ton  s'enquiert 
eur  histoire  {p,  !28H).  <i  L'exposition  des  recherches  de  cette  nature 

posséder  la  forme  d*une  recherche  historique,  c'est-à-dire  qu^elte 
mie  ce  qui  est  aniré  dans  (es  temps  antérieurs  (p,  277),  Enfin 
roduisons  le  passage  le  plus  caractéristique  qui  montre  qu'évi- 
imenl,  dans  la  pensée  de  M.  R-^  le  temps  joue  un  rOle  dans  This- 

te  Une  science  qui  ne  s'occupe  pas  de  ce  qui  est  attaché  à  un 
I  ou  5  un  temps  quelconque,  mais  rien  que  de  ce  qui  a  une  valeur 
r  tout  espace  et  pour  tout  temps,  malgré  sahauleimporlance,  ne 
rait  é[juiser  notre  besoin  de  savoir.  Car  enfin  nous  désirons  cou- 
re aussi  ce  qui  se  passe  en  réalité,  ici  ou  là^  maintenant  ou  alors 
f  qui  s* est  passé  précéd^mt  ment  dans  le  monde  ;  comment  étaient  leg 
ïê$  et  comment  elles  wnt  devenues  ce  qu^ elles  soni?  Une  réponse 
I  pareilles  questions  no  peut  être  donnée  que  par  une  science 
iplèlement  dilVé renie  de  l'autre  [p.  '25Cï)  ». 

lais  si  M.  R,  admet  le  temps  comme  un  élément  essentiel  de 
îloire,  alors  son  point  de  vue  loffiriue,  qui  considère  Thistoire 
ime  la  connaissance  de  T individuel,  est  ébranlé.  Car  enfin,  comme 
cédé  de  connaissancei  de  prise  de  possession  des  phénomènes  par 
prit  dans  les  deux  seules  formes  de  perception  que  ce  dernier 
5se  employer  pour  y  arriv^er,  le  temps  est  un  élément  absolument 
ifTérent;  on  peut  parfailement  percevoir  rindivtduel  indépen- 
ament  du  temps,  et  voilà  pourquoi  aussi  M.  R,  nous  dit  que  toute 

Kl,  toute  formation  individuelle  est  de  rhistoire.  Sî  findividuel 
tue  fhistoirej  quel  besoin  a  celle-ci  du  temps  pour  exister,  et 
amant  expliquer  alors  le  rôle  que  M.  R.  accorde  tout  de  même  à 
élément  dans  la  constitution  de  rhistoire? 
liais  il  n'y  a  rien  de  plus  convaincant  pour  rexistence  d^une 


380 


REVUE   PHILOSOPHlûLe 


vérité  que  la  contradiction  dans  laquelle  tombent  les  plus  puissarîts 
espritSj  aussitôt  qu'ils  passent  à  côté,  et  celte  contradiction  de  Vém- 
nenl  logicien  prouve,  mieux  que  tout  autre  argument,  le  bien  îmë 
de  notre  théorie. 

M,  rUckert  se  trompe  encore,  croyons-nous,  Iorsqu*il  pense  que 
ni  le  temps  ni  Tespace  ne  sont  nécessaires  à  la  perception  des  lois 
générales.  Ainsi  il  dît  que  nos  notions  générales  (les  lois)  dm  van  V 
être  formées  de  telle  sorle  qu'elles  puissent  s'appliquer  à  toute  îo^— 
mation  de  Tunivers;  elles  doivent  donc  être  indépenddnti's  d^  Tâf^^  — 
ment  de  l\>spact\  et  il  en  est  exactement  de  même  de  celui  du  temp^^^-- 
Le  contenu  d*une  notion  qui  doit  servir  à  concevoir  la  totalité  m:^^  ^ 
Tunivers,  ne  doit  rien  contenir  qui  puisse  s*attîicher  au  temps  (p.  ^  ^) 
Les  lois  en  elTet  ne  peuvent  exister  si  elles  n'ont  pas  une  vaiew^:^  r 
éternelle,  c'est-à-dire  si  elles  ne  sont  pas  indépendantes  de  l'ëL^ 
ment  du  temps.  Quant  à  l'espace  il  ne  peut  être  exclu  de  la  conce;] 
tion;eur  tout  phénomène  ne  peut  avoir  lieu  que  sur  un  esp^ice 
cela  même  pour  les  phénomènes  intellectuels  qui  ont  pour  sit^ 
le  cerveau  de  Thomme.  Faire  abstraction  du  temps  est  une  ctio^^^ 
possible,  attendu  que  cet  élément  n'est  pas  essentiel  pour  les  phén  > 
mènes  qui  se  répètent,  mais  faire  abstraction  de  l'espace  ei?t  absol  mja— 
ment  impossible  soit  pour  les  phénomènes  de  répétition  soit  poi 
ceux  de  changement.  Nature,  dans  le  sens  étendu  du  terme,  et  lii^^ — \ 
toire  donnent  naissance  à  leurs  phénomènes  toujours  sur  un  espac-< 
mais  pour  rhistoire,  le  temps  joue  un  rùïe  transformateur  et  par  coi 
séqucnt  essentiel;  pour  la  nature,  le  temps  ne  donne  que  la  p05&  «  "  I 
bilité  de  la  perception.  Le  temps  est  donc  pour  Thistoire  un  éléme*^* 
dont  on  ne  peut  faire  abstraction,  tandis  que  pour  formuler  lésiez  ^^ 
naturelles,  cette  abstraction  s'impose.  Ceci  ne  veut  pas  dire  que  ^^ 
temps  n*est  pas  un  élément  tout  aussi  nécessaire  à  la  production  d^^ 
phénomènes  naturels;  mais  cet  élément  n'exerçant  aucune  inllaen^^ 
modificatrice  sur  les  phénomènes  qui  se  répètent,  on  peut  en  fa**"^ 
abstraction,  lorsqu'il  s'agit  de  formuler  des  lois.  Ainsi  la  révoluti^^ 
de  la  terre  autour  du  soleil  et  sa  rotation  autour  de  son  axe  *>^ 
besoin  de  certains  intervalles  de  temps  pour  pouvoir  s'accomp*^  ' 
mais  pour  formuler  les  lois  qui  régissent  ces  deux  mouvements  *" 
notre  planète,  le  temps  n'a  pas  besoin  d'être  pris  en  considérali^^ 

Des  deux  grandes  formes  sous  lesquelles  apparaissent  les  phér^ 
mènes  de  funivers,  Tespace  ne  saurait  jamais  être  éliminé  de  noi—  ^^ 
pensée,  puisque  tout  phénomène  s'accomplit  dans  un  espace  -,  Tespii^^^^^ 
est  la  base  inébranlable  de  tout  ce  qui  existe,  il  est  le  fondement  ^| 
tout  Tu  ni  vers.  ^^ 

Le  temps  joue  un  rôle  un  peu  moins  compréhensif.  C'est  un  cou 


^ 

n 


1 


XENOPOL.    —    LE^    SCTEISCES    XVTtJKEULES   ET    I.  IIISTOIKE 


381 


Êàu  qui  roiiîo  ses  oiules  dans  îo  sein  de  l'espace,  et  transporte  tous 
s  phénomènes,  mais  qui  n'en  dissout  qu'une  partie,  ceux  qui 
mslituent  riiistoire.  Nous  admettons  donc  la  théorie  de  M,  FU  qui 
stingue  les  sciences  naturelles,  dan.s  le  sens  étendu,  rapporté  plus 
tut,  comprenant  aussi  les  sciences  de  resprit,  ou  du  général^  et  les 
lences  historiques,  ou  de  rindividuel;  mais  nous  caractériserons 
trcmentces  deux  modes  de  conception  de  l'univers.  Les  sciences 
tarelles  sont,  pour  nous,  celles  qui  s  occupent  des  phé  no  mènes 
*'épéiiHon  qui  ne  dépendent  par  de  VMément  du  temps  et  devîen- 
It  par  là  éternels  et  donc  généraux;  Jes  sciences  historiques 
^cupentdes  phénomènes  qui  st' ii*ans forme  $ous  Vactton  du  temps 
jmji  par  ta  deviennent  individuels, 

im  rô!e  que  le  temps  joue  à  Végard  des  phénomènes  leur  donne 
t  le  caractère  général  ou  individuel  *  Il  est  indifférent  par 
m  pie  îH>ur  la  conception  des  lois,  si  les  phénomènes  sont  géné- 
fe  ou  individuels  quant  à  l'espace;  il  suOU  qu'ils  soient,  dans  Tun  et 
m  l'autre  cas^  éternels.  Par  exemple  1  inclinaison  différente  des 
k  des  planètes  sur  le  plan  de  leur  orbiîe  —pour  lu  terre  de  23  de- 
^,  pour  Jupiter  presque  verticale  et  presque  horizontale  pour 
lus  ^  sont  des  phénomènes  absulutnent  individuels  quant  ;t  l'es- 
e,  puisqu'ils  ne  s'y  rencontrent  chacun  qu'une  seule  fois.  Pour- 
t  en  parle,  et  à  bon  droit,  de  la  loi  des  saisons  sur  chacunede  ces 
aètes,  parce  que  cette  inclinaison  élatil  constante  elle  donne  lieu 
He  répétition  éternelle  des  phénomènes,  répétition  formulée  par 

il  dehors  de  ces  deux  grandes  questions  relatives  Tune  au 
lc|ue  de  fondement  de  la  division  des  sciences^  en  sciences  de  la 
îère  inaturelles  dans  le  sens  restreint,  ancien  de  ce  terme),  et  en 
tiçesde  Tesprit,  et  l'autre  à  la  conception  de  Thistoire  comme 
ïes  deux  grands  modes  de  conception  du  monde-  M.  R.  était 
ftié  à  toucher  aussi  aux  rapports  de  la  sociologie  avec  Thistoire* 
jE^uteur  considère  la  sociologie  comme  une  science  naturelle 
^<fnsu^  dont  Tobjet  est  la  recherche  des  lois  qui  régissent  les 
pomènes  sociaux,  donc  une  science  qui  tûche  de  percevoir  Télé- 
^t  général  dans  les  phénomènes  que  présente  la  société  humaine, 
tociologie  ne  saurait  être  une  science  de  Tindividuel,  elle  ne 
N.U  donc  jamais  être  confondue  avec  lliistoire.  M.  R.  exprime 
P  beaucoup  d'énergie»  sa  conviction  h.  ce  sujet.  Il  dit  que 
koique  la  société  soit  un  élément  historique  d'un  degré  supé- 

ptous  employons  ce  tertïnî  h  ta  place  de  ceîut  de  phénomêfies  coejistanls  qui 
H^Uve  dans  nos  Ihincipes  fondnmenfatu:,  et  qui  a  SOU ïeTé  quelque lï  criUque», 
^,  Eon  extension  surte^  pliénamènes    te  ïon;^  du  temps. 


382  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

rieur,  la  vie  sociale  qui  intéresse  Thistoire  saurait  d'autant  moins 
èlre  confondue  dans  la  notion  de  sociologie,  que  cette  division  est 
devenue  davantage  science  naturelle,  c'est-à-dire  que  ses  notions 
ont  acquis  une  valeur  plus  générale.  Il  faut  donc  faire  une  distinc- 
tion entre  une  exposition  scientifique  naturelle  et  une  exposition 
historique  de  la  société  humaine,  tout  aussi  bien  qu'il  faut  en  faire 
une  entre  la  biologie  comme  science  naturelle  et  la  biologie  his- 
torique. Si  nous  ne  pouvons  rien  objecter  contre  une  socio- 
logie traitée  comme  science  naturelle,  nous  soutenons  avec  force 
rimpossibililé  d'une  histoire  conçue  dans  le  même  esprit,  c'est- 
à-dire  que  la  sociologie  ne  peut  jamais  remplacer  l'histoire.  La 
sociologie  doit  donc  être  combattue  de  la  façon  la  plus  décidée, 
aussitôt  qu'elle  élève  la  prétention  d'être  la  seule  science  de  la 
vie  sociale  de  l'homme  et  surtout  d'être  une  science  historique  > 
(p.  294). 

Nous  avons  soutenu  la  même  idée  à  notre  point  de  vue,  différent 
comme  on  l'a  vu  de  celui  de  M.  R.  Nous  avons  aussi  admis  que  tant 
qu'il  n  est  question  que  de  faits  coexistants,  c'est-à-dire  de  faits  derépé- 
tition,  la  sociologie  peut  parfaitement  formuler  des  lois.  Mais  aus- 
sitôt qu'il  s'agit  de  faits  sociaux  successifs  et  donc  individuels,  les 
lois  sociologiques  portent  à  faux.  Les  lois  de  succession  formulées 
par  les  sociologues  ont  un  caractère  tout  à  fait  insolite  :  ce  sont  des 
généralisations,  des  modes  de  succession,  des  séries  d'événements 
analogues,  le  produit  d'abstractions  recueillies  sur  ces  séries.  Le 
théoricien  de  cette  façon  de  procéder  des  sociologues  pour  établir 
leurs  lois,  M.  Lamprecht,  formule  le  principe  suivant  :  «  L'on  peut 
réduire  les  séries  de  faits  parallèles,  par  l'isolement  de  leurs  élé- 
ments, à  un  contenu   identique  et  considérer  ce  contenu  comme 
l'essence  de  ces  séries.  C'est  absolument  le  même  procédé  de  la 
pensée  scientifique  que  celui  qu'elle  applique  aussi  dans  les  sciences 
naturelles.  »  Nous  avons  critiqué  cette  façon  de  voir,  en  observant  que 
par  la  généralisation  des  séries,  on  eiTace  précisément  leur  caractère 
historique,  particulier,  individuel  pour  chacune  d'elles,  et  que  plus 
cette  généralisation  est  étendue,  d'autant  moins  elle  ressemble  aux 
séries  dont  elle  a  été  abstraite.  La  raison  pour  laquelle  la  généralisa- 
tion peut  arriver  à  formuler  des  lois  vraies  sur  les  faits  qui  se  répè- 
tent est  que  ces  faits  sont  semblables^  ou  pour  mieux  dire  identiques, 
tandis  que  les  séries  historiques  étant  toutes  dissemblables  et  que 
leur  diiïérence  constituant  précisément  leur  partie  essentielle,  ia 

i.   Was  ht  Kullurgeschichley   dans  la  Zeitschnft  fur  GeschichiswûfensckafU 

18%-in,  p.  84. 


XÉNOPOL.    —   LES   SCIENCES   ffATCnËUElS   ET   L'itlSTtïlItK 


â83 


négligence  de  cet  élément  difTérenciel,  dans  le  fait  de  généralisation, 
enlève  aux  séries  leur  caractère  spêciiîque,  et  les  lois  obtenues  parce 
procédé  ne  sont  plus  que  des  f laïus  vociii. 

M,  Lucien  Arréat,  dans  la  critique  de  mon  ouvragei  admet  en  au 
sens  la  justesse  de  cette  remarque,  et  reconnaît  que  Thistorien  se 
trouve  dans  la  nécessité  de  localiser  et  d'individualiiser  Jes  actions 
humaines  qui  sont  la  matière  de  Thistoire;  mais  il  prétend  que 
j'exagère  la  portée  de  celte  observaiiou;  que  s'il  est  juste  de  con- 
damner Jes  essais  des  sociologues,  lorsqu'ils  clierclienL  un  fait 
dominant  en  fonction  duquel  tous  les  autres  doivent  varier,  tachant 
ainsi  de  trouver  un  fait  ([ui  domine  toute  riiistoire,  il  n'est  pas 
déraisonnable  de  s'appliquer  u  dégager  des  évolutions  partielles, 
des  séries  sociologiques;  il  se  pourra  que  les  moments  principaux 
d  une  série  sociologique  se  trouvent  réalisés  dans  des  séries  bislo- 
riques  dilTérentes.  11  se  pourra  aussi  qu'une  série  historique  déter- 
mioée  présente  en  un  plus  haut  relief  quelque  aspect  partiel ieru 
d'évolution  dans  Tordre  intelïectoel,  économique,  juridique,  etc. 
Pourquoi  serait-il  interdit  au  sociologue  de  marquer  ces  évolutions 
et  ces  moments  à  travers  la  suite  de  l'histoire?  C'est  de  vérités  de 
cette  nature  —  il  nlmporte  guère  qu'on  les  nomme  faits  ou  ials  — 
que  la  sociologie  est  faite  en  dernière  analyse  ou  doit  être  faite  K 

i\L  Arréat  semble  croire  qu'entre  la  sociologie  et  Thisloire  il  ne 
s'agit  que  de  plus  ou  de  moins.  Nous  ne  croyons  pas  que  ses  con- 
cessions satisfassent  les  sociologues,  La  prétention  de  ces  derniers 
est  bien  plus  grande*  La  sociologie  veut  être  une  science  et  c'est  au 
aom  de  la  science  qu'elle  combat  les  procédés  usités  jusqu'ici  par 
les  historiens,  pour  établir  la  vérité  sur  les  faits  passés.  Elle  prétend 
que  rhistoire  doit  absolument  être  basée  sur  des  lois  de  développe- 
ment, car  il  ne  saurait  y  avoir  de  sciences  sans  lois,  et  elle  veut 
Ifouver  ces  lois  dans  la  généralisation  des  séries  historiques.  C'est 
une  question  de  principe,  une  question  fondamentale  qu'il  s'agit  de 
trancher,  et  non  de  concéder  à  la  sociologie  le  droit  de  spéculer, 
quand  elle  le  trouverait  bon,  sur  les  données  de  Thistoire  par  des 
remarques  de  earaclère  plus  général.  L'histoire  est-elle  ou  n'esl-elle 
pas  une  science,  malgré  son  incapacité  à  formuler  des  lois,  et  doit- 
elle  attendre  que  le  caractère  scientifique  lui  soit  octroyé  par  la 
sociologie^  au  moyen  des  séries  sociologiques,  recueillies  par  labs- 
traction  sur  les  séries  historiques?  Voilà  le  véritable  fond  du  débat 
que  nous  avons  engagé  dans  notre  livre.  Nous  avons  raison  ou  nous 
ne  lavons  pas.  Dans  cette  question,  très  clairement  posée,  il  ne 


m 


Ci-iJ«aaua,  p,  1*J0, 


384  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

saurait  y  avoir  lieu  à  des  réserves  ni  à  des  concessions.  Tout  ou 
rien  :  voilà  la  seule  solution. 

Or  nous  soutenons  avoir  démontré,  non  seulement  en  principe 
l'impossibilité  de  la  généralisation  des  séries  historiques,  mais 
encore,  par  une  analyse  minutieuse  de  toutes  les  lois  sociologiques 
formulées  jusqu'à  présent»  que  toutes  —  mais  absolument  toutes  — 
ne  sont  que  des  généralisations  arbitraires.  Tant  que  ma  démons- 
tration qui  repose  sur  des  faits ^  ne  sera  pas  renversée  ou  ne  pourra 
point  parler  de  séries  sociologiques  ni  de  lois  de  développement  sur 
lesquelles  il  faudrait  constituer  Thistoire-science.  M.  Arréat  confond 
les  cho^5es  lorsqu'il  soutient  que  «  Thislorien  se  verrait  aussi  con- 
traint, pour  établir  ses  séries,   de  négliger  certaines  différences 
qu'il  juge  secondaires  »,  et  lorsqu'il  montre  que  moi-même  t  j*ai 
recommandé  de  trier  les  faits  qui  méritent  seuls  d'être  pris  en  con- 
sidération, dans  la  masse  de  ceux  qui  constituent  le  passé  humain  i. 
Trier  les  faits,  cela  veut  dire  choisir,  entre  les  faits  innombrables- 
que  le  passé  présente,  ceux-là  seuls  qui  ont  une  importance  histo- 
rique; mais  ces  faits   sont  pris  dans  leur  entier,  ils  ne  sont  pas 
dépouillés  de  leurs   parties  caractéristiques,   pour    pouvoir  être 
résumés,  par  l'opération  de  la  généralisation,  dans  les  lois  du  déve- 
loppement. 

L'individuel  qui  est  l'élément  essentiel  de  l'histoire  s'oppose  à  li 
généralisation.  11  ne  saurait  s'y  soumettre  que  sous  peine  de  perdre 
son  caractère,  et  de  ne  plus  être  de  l'histoire.  M.  Rickert  dit  aussi 
que  ((  l'histoire  au  contraire  ne  peut  jamais  chercher  à  ranger  son 
matériel  dans  un  système  de  notions  générales  qui  est  d'autant  plus 
parfait  qu'il  contient  moins  d'éléments  de  la  réalité  elle-même  i 
(p.  25:)). 

n  est  même  d'avis  a  que  même  en  sociologie,  c'est  une  questiou 
très  discutable  s'il  est  possible  d'arriver  jusqu'aux  notions  de  lois, 
auxquelles  on  pourrait  reconnaitre  une  valeur  supérieure  à  l'empi- 
rique; car  en  général,  le  procédé  des  sciences  naturelles  aura  d'au- 
tant plus  de  chances  de  réussir,  que  la  notion  sous  laquelle  se 
place  le  matériel  est  étendue,  et  il  sera  d'autant  plus  difficile  d'ar- 
river à  des  notions  de  lois,  que  l'historique  (l'individuel)  que  l'on 
veut  traiter  d'après  le  principe  des  sciences  naturelles,  sera  plus 
haut  placé  f>  (p.  '288). 

Et  pourtant  il  y  a  des  lois  en  histoire!  On  peut  formuler  des  prin- 
cipes généraux,  indépendants  du  temps  —  caractère  essentiel  pour 
l'existence  d'une  loi  —  dont  dépend  la  production  des  séries  histo- 
riques qui  se  développent  dans  le  temps.  «  De  pareilles  généralités 
doivent  exister  en  histoire,  attendu  que  toutes  les  forces  de  la 


XÉNOPOL.    —  LES   SCIENCES   NATURELLES   ET  l'hISTOUŒ  385 

nature,  tant  celles  qui  soutiennent  la  coexistence  (qui  produisent  les 
faits  répétés)  que  celles  qui  déterminent  le  développement,  mani- 
festent leur  action  par  des  régularités  qui  ne  sont  pas  soumises  à 
l'action  du  temps  et  qui  ne  souffrent  aucune  exception,  donc  par 
des  lois.  Ces  régularités  éternelles  constituent  les  lois  abstraites, 
tant  celles  de  la  répétition  que  celles  de  la  succession.  Mais  ces 
lois,  manifestation  des  forces,  pour  donner  naissance  aux  phéno- 
mènes, doivent  s'incorporer  dans  des  circonstances,  car  les  faits  de 
répétition  ainsi  que  les  faits  successifs  ne  sont  que  le  produit  des 
forces  et  par  conséquent  de  leur  mode  de  manifestation,  des  lois,  à 
travers  les  circonstances  de  l'existence.  Lorsque  ces  circonstances 
sont  permanentes  et  ne  changent  pas  avec  le  temps,  l'action  des  forces, 
formulée  par  les  lois  abstraites,  donne  naissance  aux  lois  concrètes 
qui  régissent  les  faits  ;  quand  les  lois  abstraites  s'incorporent  dans  des 
circonstances  qui  changent  par  l'intervention  du  temps,  on  n'obtient 
plus  des  lois,  mais  bien  des  séries  historiques  uniques  et  particu- 
lières *  ».  Comme  exemple  d'une  pareille  loi  de  développement 
citons  la  suivante  : 

ToKt  développement  s'accomplit  par  le  haut,  c'est-à-dire  par  les 
éléments  supérieurs  de  l'existence.  Pour  les  sociétés  humaines, 
cette  loi  prend  la  forme  : 

Tout  développement  s'accomplit  par  le  haut  et  de  haut  en  ha^. 
C'est  une  loi  absolument  générale  qui  se  retrouve  chez  tous  les  peu- 
ples et  à  toutes  les  époques  de  l'histoire;  mais  cette  loi  ne  donne 
pas  naissance  à  des  lois  concrètes  de  production  des  faits  histori- 
ques; mais  bien  seulement  à  des  séries  différentes  de  faits,  aux 
diverses  époques  et  chez  les  différents  peuples  de  la  terre.  Voilà  le 
seul  domaine  où  la  sociologie  peut  toucher  à  l'histoire.  Pour  le 
reste,  la  sociologie  doit  se  borner  à  l'étude  des  lois  dès  faits  sociaux 
de  répétition. 

Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  apporter  à  l'appui  de  nos  idées 
celles  du  savant  professeur  de  Fribourg.  M.  Rickert  dit  aussi  que 
«  nous  devons  nous  rendre  bien  compte  du  fait  que  la  construction 
logique  d'une  exposition  qui  nous  dit  que  les  premiers  êtres  vivants 
furent  les  amibes,  qui  furent  suivies  par  les  moréades,  puis  parles 
blasléades,  etc.,  se  distingue  en  principe  de  la  construction  logique 
d'idées  qui  disent  que,  dans  l'immense  quantité  des  êtres,  ceux-là 
seuls  peuvent  se  conserver  qui  s'adaptent  le  mieux  au  milieu,  cir- 
constance qui  explique  la  finalité  des  organismes.  Les  lois  de  déve- 
loppement ne  nous  disent  rien  sur  le  développement  lui-même.  On 

1.  Les  Principes  fondamentaux  de  l'histoire,  par  A.-D.  Xénopol,  p.  192. 


386  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

devrait  penser  que  la  biologie,  comme  science  naturelle,  nous  fiait 
connaître  toutes  les  lois  qui  régissent  la  vie  des  organismes,  et  que 
pourtant  nous  ne  savons  que  très  peu  de  choses  sur  l'histoire  de 
ces  organismes.  Et  par  contre,  on  pourrait  connaître  riiistoire  de  h 
vie  sur  la  terre,  sans  connaître  les  lois  biologiques.  Au  point  de  vue 
logique,  il  faut  distinguer  entre  la  biologie  comme  science  naturelle 
et  la  biologie  historique  »  (p.  291).  Uhistoire  se  trouve  exactement 
dans  le  même  rapport  vis-à-vis  de  la  sociologie.  Cette  dernière  ne 
peut  formuler  que  les  lois  abstraites  du  développement,  analogues 
aux  lois  biologiques;  jamais  des  lois  de  manifestation  des  faits  his- 
toriques eux-mêmes.  Mais  bien  entendu  que,  de  môme  que  la  bio- 
logie pour  établir  ses  lois  de  développement,  a  besoin  de  spéculer 
sur  le  développement  des  êtres,  la  sociologie,  pour  formuler  les  lois 
de  développement  des  sociétés  humaines,  se  trouve  dans  la  néces- 
sité de  spéculer  sur  le  développement  de  l'humanité.  11  nous  semble 
que  par  ces  considérations  les  domaines  de  la  sociologie  et  de  l'his- 
toire sont  délimités  d'une  façon  précise. 

Finalement,  montrons  encore  un  point  sur  lequel  nous  tombons 
d'accord  avec  M.  llickert,  dans  les  Principes  fondamentaujc^  en  trai- 
tant de  la  méthode   appliquée  en  histoire.  Nous  avons  cherché  à 
démontrer  que  ni  1  induction   ni  la  déduction  ne  sont  applicables 
pour  rétablissement  de  ses  vérités;  que  l'histoire  doit  user  d'un 
procédé  différent,  et  remplacer  la  conclusion  du  général  au  particu- 
lier ou  du  particulier  au  général,  par  la  conclusion  du  particulier  au 
particulier,  méthode  qui  n'a  jamais  été  prise  en  sérieuse  considéra- 
tion par  les  logiciens.  Nous  n'avons  pas  osé  exprimer  un  deside- 
ratum qui  se  pressait  sous  notre  plume,  notamment  que  la  logique, 
telle  qu'elle  a  été  traitée  jusqu'à  présent,  comme  logique  déductive 
(Aristote),  et  logique  inductive  (Hacon  et  Mill),  n'épuise  pas  tout  le 
champ  des  spéculations   logiques  et   qu'il  faudrait  ajouter,  à  la 
logique  du  général,  la  logique  de  l'individuel.. M.  II.,  avec  son  auto- 
rité de  logicien,  complète  notre  pensée.  11  dit,  sans  ambages,  que 
«  la  logique  n'a  considéré  jusqu'à  présent  que  les  sciences  qui  pour- 
suivent une  exposition  du  général  et  n'a  pas  remarqué  ce  qui  doit 
être  perdu  dans  une  pareille  exposition.  Gomme  la  logique,  à  peu 
d'exceptions  près,  n'a  considéré  jusqu'à  présent  que   le  procédé 
scientifique  qui  absorbe  le  particulier  dans  le  général,  elle  devait 
fatalement  se  développer  d'une  façon  unilatérale  comme  logique 
des  sciences  naturelles.  Dans  quel  sens  faut-il  chercher  le  complé- 
ment de  cette  unilatéralité  <t  ce  sera  l'objet  de  nos  considérations 
postérieures  »  (p.  '2-48). 

L'analyse  du  livre  de  M.  Rickertet  les  réflexions  qu'il  nous  a  sug- 


2CÉNOPOL.  —  LES  SCIENCES  NATURELLES  ET  L'HISTOIRE  387 

gérées  ont  servi  à  établir  les  vérités  suivantes,  d'une  importance 
capitale,  pour  élucider  le  caractère  et  la  nature  de  l'histoire. 

1**  Les  sciences  ne  se  distinguent  pas  en  sciences  des  corps  maté- 
riels et  sciences  de  Tesprit,  mais  bien  en  sciences  naturelles,  y 
compris  celles  de  Tesprit  qui  traitent  des  phénomènes  de  répétition, 
et  en  sciences  historiques,  y  compris  celles  des  corps  matériels, 
qui  traitent  des  faits  qui  changent. 

12"  Les  premières  sont  seules  aptes  à  formuler  des  lois  de  produc- 
tion des  phénomènes;  les  secondes  ne  peuvent  enregistrer  que  des 
lois  abstraites  de  Faction  des  forces  naturelles  qui,  incorporées  dans 
les  faits  réels,  donnant  naissance  aux  séries  historiques,  uniques  et 
particulières. 

S""  La  sociologie,  comme  science  naturelle  s'occupant  des  faits 
sociaux  de  répétition,  peut  formuler  les  lois  de  production  de  ces 
&its.  Pour  les  laits  changeants,  elle  ne  peut  formuler  que  les  lois 
abstraites  de  l'action  des  forces  historiques  naturelles,  et  laisser 
l'exposition  des  séries  historiques  des  faits  successifs,  changeants  et 
individuels,  à  l'histoire. 

4*"  Dans  l'étude  des  faits  historiques,  individuels,  on  ne  saurait 
appliquer  ni  la  méthode  de  la  déduction  ni  celle  de  Tinduction, 
mais  bien  une  méthode  nouvelle  qui  n'a  pas  été  encore  clairement 
exposée  par  la  logique,  et  qui  doit  compléter  cette  science. 

A.  D.  XÉNOPOL. 
Jassy. 


NOTES  ET  DISCUSSIONS 


LA  DROITE  TRANSFINIE 


Monsieur  et  cher  Directeur, 

Voici  deux  fois,  en  deux  ans,  que  la  discussion  des  antinomies 
mathématiques  amène,  dans  votre  Revue,  la  citation  d'un  article  que 
j'ai  publié  ailleurs  en  1804  *;  mais,  chaque  fois,  ceux  qui  m'ont  fait 
cet  honneur  ont  exprimé  ma  pensée  sous  une  forme  dont  je  ne  vou- 
drais pas  endosser  complètement  la  responsabilité  : 

«  Si  l'on  traduit  géométriquement  une  telle  conception  (celle  du 
nombre  transfini  de  G.  Cantor),  comme  Ta  fait  d*ailleurs  M.  Paul  T*n- 
nery,  on  arrive  à  affirmer  qu'une  droite  AB,  d'extrémités  fixes,  peut 
ôtre  telle  qu'en  portant  l'unité  de  longueur  sur  cette  droite  à  partir 
d'une  extrémité,  ou  n'arrivera  jamais  à  l'autre  ».  (Reu.  p/u/;,  nov.  1898» 
p.  476  :  MM.  Evellin  et  Z.) 

a  Traduit  en  termes  géométriques,  cela  (la  conception  du  nombre 
transfini)  signifie,  comme  Ta  dit  nettement  M.  Paul  Tannery,  qu'une 
droite  AB,  etc.  o  (Rev.  pliiL,  avril  1900  :  M.  Dunan.)  j 

Ce  que  je  tiens  à  faire  remarquer,  c'est  que  le  concept  d'une  telle 
droite  est  très  antérieur  aux  spéculations  de  G.  Cantor,  et  que  si,  pour 
le  désigner,  j'ai  emprunté  un  teriiio  au  vocabulaire  du  mathématicien 
de  Halle,  je  n'ai  voulu  marquer  ainsi  qu'une  analogie,  non  point  une 
identité  logique. 

Dans  mon  article  de  1804  en  efTet,  je  me  suis  attaché  à  prouver 
l'existence  chez  Aristotc  {Pliys.,  III  i06  R)  et  chez  Simpliciua  de  ce 
concept  de  la  droite  transfinie,  comme  je  l'ai  appelée.  J'aurais  pu, tout 
aussi  bien,  poursuivre  l'histoire  de  ce  concept  pendant  le  moyen  âge. 
et  reprendre,  au  lieu  du  mot  tran^ifini,  le  terme  scolastique  d*intini 
cathèLique  ^  ou  cato(jorêmatiquc.  Mais  je  mo  proposais  surtout  de  faire 
ressortir  que  la  négation  du  concept  en  question  correspond  à  une 
afTirmation    que    Knnt   aurait   appelée   un  jugement   synthétique  a 
priori,  que  les  mathématiciens  qualifieront  plutôt  aujourd'hui  de  pos- 
tulat, mais  qui,  en  tous  cas,  me  parait  absolument  indémontrable. 

J'ai  bien  dit,  à  la  vérité,  que,  in  concreto,  le  concept  d'une  droite 
transfinie  équivalait  à  celui  du  nombre  translini,  tel  que  G.  Cantor 

i.  Revue  de  mritiph}i.sifjue  et  de  morale,  juillet  1894,  p.  465-412. 
2.  Thomas  de  Brodwardin. 


p.  TAHNERY.   —   IK  1>R01TE  TKAÎÇSFIKIE 


a  eofistruit  abstraitement;  mais  si  lanalôg^îe  de  ces  deux  concepts 
suflit  a  montrer  que  ce  n'est  point  tout  à  fait  a  juste  titre  qu'on  qua- 
lifie le  tran&ftni  d'infini  nouveau  \je  n'irais  point  pour  mon  compte, 
jusqu'à  parler  de  traduction  géométrique.  Je  serais,  on  effet,  assez 
embarrassé  pour  prouver  que  la  traduction  est  fidèle:  d'un  autre  côté, 
la  construction  abstraite  de  G.  Cantor  f^arde  sa  valeur  propre,  même 
pour  qui  admet,  ainsi  que  je  le  fais  d'aïUeurs  sans  réserves,  le  postuïat 
niant  la  droite  transfinie. 

Et  inversement,  j'estime  qu'on  pourrait,  sans  commettre  aucune 
faute  logique,  rejeter  le  dit  postulat  et,  tout  en  même  temps,  la  cons- 
truction du  nombre  transfini.  Si  connexes  que  soient  les  deux  ques^ 
tions,  elles  n'en  demeurent  pas  moins  indépendantes  Tune  de  Tautre, 
en  tant  que  h-  concret  est  et  sera  toujours  indépendant  de  fabstrait  et 
réciproquement. 

Si  jHnsiste  à  cet  égard,  c'est  que  MM.  Evellin  et  Z.  ont  cru  trouver, 
dans  le  concept  d'une  droite  transfinie»  une  contradiction  dont  ils  ont 
argué  contre  celui  du  nombre  transfini,  La  contradiction  existerait-elle, 
Hs  n'auraient,  à  mon  sens,  rien  irjigné  contre  G.  Cantor;  la  thèse  que 
j'ai  soutenue,  bonne  ou  mauvaise,  ne  peut  ni  confirmer  ni  compro- 
mettre la  sienne. 

Quant  aux  argunienis,  d'apparence  mathématique,  qui  ont  été  mis 
en  avant  pour  faire  n'ssortir  la  contradiction  prétendue,  j'aurais  pré- 
féré les  passer  sous  silence,  car  je  n'y  puis  voir  qu'une  ignoratio 
elenchi;  maiis,  puisque  j'ai  été  amené  à  les  mentionner,  j'aurais  peut- 
être  mauvaise  grâce  i\  me  dérober  devant  eux. 

Que   l'hypothèse   des  droites  transfinies   oblige   à  refaire  toute   la 

théorie  des  triangles  semblables  (établie  pour  des  droites  finies),  c'est 

ce  que  Je  ne  puis  voir;  il  est  bien  clair,  par  contre,  que,  puisqu'il  n'y 

a  point  de  rapport  fini  entre  une  droite  transfinie  et  une  droite  finie, 

il  y  aurait  lieu  de  refondre  cette  théorie  pour  les  triangles  à  côtés 

-transfinis;  plus  généralement,  il  faudrait  même  constituer  la  géométrie 

<la  transfini.  Mais  je  n'ai  pas  à  me  charger  d©  celte  tâche,  dans  laquelle 

je  ne  vois,  pour  mon  compte,  pas  plus  d'intérât  que  de  difijculté  réelle; 

J'ai  le  droit  d'attendre  que  l'on  me  prouve  Timpossibifité  de  conatituer 

-<ett6  géométrie  sans  contradiction  logique. 

Quê^  dans  un  triangle  ayant  deux  côtés  transfinis  et  un  côté  fini,  les 
relations  numériques  valables  entre  côtés  finis  n'existent  plus,  ce  n'est 
-certainement  pas  là  qu'on  peut  trouver  un  tel  exemple  de  contradic- 
tion* Kst-ce  que  les  mèmei^  relations  subsistent  dans  un  triangle  ayant 
"^eux  cotés  finis  et  le  troisième  infiniment  petit? 

V  a-t-il  davantage  contradiction  à  considérer  l'angle  compris  entre 
<«ieu3t  côtés  tranafinis  et  opposé   à  ^un  côté  finif  Cet  angle,  disent 
Evellin  et  Z.,  ne  sera  pas  nul,  et  cependant  il  n'aura  aucune  tan- 


i»  Georg  Canlof  a  èiè^  au  n-ste,  le  premier  à  fain^  remarquer  que  ses  coaç«p- 
^Ifiçti  concordaient  avec  la  iJocirinQ  Bcolaâtii]ue  de  T infini. 


31K)  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

gentc  trigonométriquc.  Il  est  bien  aisé  de  répondre  que  cet  angle  e( 
sa  tangente  seront  des  quantités  transfîniment  petites. 

Ceci  dit  pro  domo  mea^  permettez-moi,  Monsieur  et  cher  Directeur, 
d'ajouter  encore  quelques  mots  au  sujet  de  la  polémique  dont  les  idées 
de  G.  Gantor  viennent  d'ôtrc  l'objet  dans  la  Revue,  quinze  ans  aprèi 
que  j'ai  essayé,  le  premier,  de  les  faire  connaître  à  vos  lecteurs.  Peut- 
être  cette  polémique,  pour  ce  qui  concerne  le  transfîni,  est-elle  encore 
prématurée.  En  fait,  G.  Gantor  essaie  (car  il  poursuit  toujours  ses  tra- 
vaux) de  constituer  un  algorithme  nouveau  sans  paraître  se  préoixuper 
des  applications  qu'il  peut  recevoir,  applications  dont  le  domaine  mathé- 
matique est,  je  crois,  bien  reconnaissable  d'avance  pour  les  initiés,  cl 
comporte    une    démarcation    spéciale.    S'il    parvient   à   abréger  des 
démonstrations  de  vérités  connues  et  à  faciliter  l'invention  de  nooTelIef 
vérités  (sur  les  relations  entre  quantités  finies),  le  transfini  s'introduin 
en  mathématique,  comme  l'infiniment  petit  s'y  est  introduit,  sans  qa'il 
ait  besoin   d'une  justilication  logique.  Gelle-ci  viendra  après  coup,  et 
résultera  do  la  concordance  entre  la  nouvelle  méthode  et  les  anciennes. 
Si,  au  contraire,  les  travaux  de  G.  Gantor  n'aboutissent  point  à  des 
applications  utiles,  sa  doctrine  du  transfmi  sera  condamnée  à  l'oubli, 
comme  tant  d*autres  essais,  non  moins  ingénieux»  d'ouvrir  de  noa- 
vcllos  voies  en  mathématiques. 

H  est,  au  eontrairc,  une  théorie  géométrique  moderne  qui  a  déjà 
complètement  fait  ses  preuves,  mais  dont  Timportancc  au  point  de  vue 
philosophique  n'a  point,  jusqu'à  ce  jour,  attiré  toute  l'attention  qu'elle 
me  semble  mériter.  G'est  la  théorie  qui  sert  de  base  à  la  géométrie 
projeetivi'  >  et  dans  laquelle  le  zéro  et  Tinfini  ne  sont  que  desTalenrs 
numériques  particulières,  dont  l'attribution  à  tel  ou  tel  point  de  l'es- 
pace est  absolument  arbitraire.  IVaprès  cela,  Tinfini  spatial  appirait 
eonime  uni'  eoneeption  purement  subjective,  et  l'existence  du  nombre 
intlui  aetuel  nV>t  ni  plus  ni  moins  discutable  que  celle  de  tout  nombre 
tiiii.  NVst-ee  point  la  peine  d'éprouver  sérieusement  la  légitimité  de 
pareilles  eonel usions? 


Veuillez,  etc. 


Paul  Tanxery. 


L'HYPNOTISME   ET   LA   PSYCHOLOGIE   MUSICALE 


M.  A 11  en  lie  Ki\  î;.ïs  \  :ent  de  rendre  un  véritable  service  à  la  psycho- 
loi:ie  m  piiMun;  '.e  iv^iv-j^to  renvîu  dexpêriences  très  curieuses  qu'il* 
eu  la  liiMi.u-  :\'rM:.e  /.e  :a;re  ?.ur  un  de  ses  ♦  sujets  •.  Une  partie  de  cei 

!    N.-::-     -V  :    >  "^,  paiîes  438-439. 


L.  DAURIAC.   —  l'hypnotisme  ET  LA  PSYCHOLOGIE  MUSICVLE     391 

expériences  iuléressera  ceux  qui  prennent  ou  se  laissent  donner  le 
nom  d'occultistes.  On  sait  assez  d'ailleurs  que  M.  de  Rochas  s*est 
depuis  longtemps  résigné  à  laisser  sourire  les  incrédules. 

Nous  n'en  sommes  que  plus  à  Taise  pour  dire  tout  l'intérêt  dont  est 
digne  la  partie  «  psychologique  »  de  son  livre  et  tout  le  progrès  que 
peut  en  attendre  la  psychologie  musicale,  le  jour  où  ses  expériences, 
reprises  par  d'autres,  et  sur  d'autres  sujets,  auront  amené  des  résultats 
semblables. 

Ce  qu'est  la  psychologie  musicale,  chacun  le  sait  ou  le  devine.  Un 
peu  de  réflexion,  d'autre  part,  suffit  à  convaincre  que  tout  art,  s'il  est 
une  source  de  plaisir,  a  une  autre  destination  que  de  plaire.  Si  le  rôle 
80cial  de  la  musique  est  de  délasser  ou  de  divertir,  il  est  un  genre  d'ac- 
tion social  auquel  ia  musique  a  le  droit  de  prétendre.  L'expérience 
prouve,  qu'en  de  certaines  conjonctures,  la  musique  est  un  moyen  de 
faire  vibrer  les  cœurs  à  l'unisson.  Je  rappelle  la  «  métaphore  »  et  que 
le  nom  de  métaphore  lui  est  on  ne  peut  plus  indûment  appliqué. 

La  musique  est  quelque  chose  de  plus  que  «  l'art  de  greffer  des  suc- 
cessions sonores  cohérentes  sur  des  suites  de  simultanéités  sonores 
concordantes  »  ainsi  qu'il  nous  est  arrivé  de  l'écrire  ailleurs.  Qu'est- 
elle?  Un  art  d'exprimer  des  états  d'âme  du  type  affectif,  ou  émo- 
'  tionnel. 

Voilà  ce  que  nous  aflirmons.  Voudra-t-on  nous  faire  crédit  de  la 
preuve?  D'autres,  aussi  bien,  l'ont  donnée  avant  nous.  Voudra-t-on, 
maintenant,  se  ressouvenir  que,  chez  l'enfant,  toute  émotion  aboutit  à 
un  mouvement.  L'enfant  chez  lequel  un  état  affectif  ne  se  traduit  par 
aucun  geste  est,  ou  médiocrement  ému,  ou  trop  bien  élevé  pour  laisser 
paraître  ce  qu'il  éprouve.  L'éducateur,  que  l'on  y  songe,  est  un  maître 
de  modération,  de  concentration,  de  retenue.  Avoir  de  bonnes  manières, 
c'est  se  montrer  sobre  de  gestes.  C'est  quand  on  parle  se  tenir  dans  le 
médium,  à  égale  distance,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  des  sons  aigus  et  des 
sons  graves.  C'est  encore,  éviter  les  termes  trop  violents  ou  trop  bru- 
talement significatifs.  Si  l'on  est  ému  et  si  l'on  est  de  bonne  compa- 
gnie on  laissera  l'émotion  s'écouler  goutte  à  goutte,  on  trouvera,  pour 
l'exprimer,  des  termes  bien  choisis,  mais  soi-même,  on  restera  impas- 
sible. 

On  sait  1(îs  effets  de  la  bonne  éducation.  A  force  de  comprimer  elle 
supprime,  ce  qui  souvent,  d'ailleurs,  est  un  bien.  Mais,  à  force  de  sup- 
primer, elle  dénature.  Elle  effiioe  ces  textes  primitifs  dont  la  lecture 
s'apprend  sans  maître  et  qu'il  suffisait  de  lire  pour  pénétrer  dans  une 
&me  d'homme.  Il  est,  dès  lors,  un  degré  d'hypocrisie  dont  il  faut,  bon 
gré  mal  gré,  que  toute  bonne  éducation  se  résigne  à  rester  inséparable. 

A  cette  conclusion,  une  autre  s'ajoute.  C'est  que  la  psychologie  musi- 
cale a  de  grandes  chances  de  rester  longtemps  «  introspective  ».  Un 
«  vieux  psychologue  »,  seul,  la  pourra  commencer.  En  effet  —  et  c'est 
ce  qui  a  plaisamment  centriste  certain  rédacteur  de  V Année  Psycholo- 
gique —  nos  études  sur  les  fonctions  musicales,  publiées  ici  même^ 


393  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

notre  Psychologie  dans  VOpéra,  tous  ou  presque  tous  nos  articles  de 
critique,  sont  d'un  «  vieux  psychologue  ». 

Ne  nous  attardons  pas,  des  lors,  à  démontrer,  ce  qui  est  révidence 
même  :  1°  que  la  psychologie  subjective  doit  toujours  précéder,  2*  que 
la  psychologie  expérimentale  objective  ne  peut  pas  toujours  suivre. 
Aussi  avons-nous  longtemps  pensé  que  nos  recherches  de  psychologie 
musicale  exciteraient,  même  chez  plus  d*un  bienveillant,  ce  genre  d'in- 
térêt bien  connu  que  tout  sceptique  éprouve,  quand  il  sait  être  à  la  fois 
curieux  et  indulgent.  Nous  souhaitions,  mais  n'osions  espérer  davan- 
tage. H  nous  arrivait  parfois  de  regretter  cette  nécessité  de  recours  aa 
verbe  à  laquelle  tant  de  gens  se  trouvent  réduits,  lorsque,  se  sentant 
émus,  ils  veulent  le  faire  savoir  aux  autres.  On  nous  avait  conté  que 
les  pratiquants  de  l'hypnotisme  excellaient  à  opérer  de  ces  vivisections 
mentales  dont  TcfTet  le  plus  ordinaire  et  le  plus  inofTensif  est  d*aboIir 
—  momentanément  — les  résultats  de  la  civilisation,  de  donner  conjé 
aux  bonnes  habitudes,  de  métamorphoser  un  sage  en  libertin,  bref  de 
rendre  aux  émotions  toute  leur  éloquence  physique.  Il  suffisait  donc 
dVndormir  un  sujet,  de  lui  faire  entendre  de  la  musique  et  d*observer 
ses  attitudes.  Supposez  ces  attitudes  assez  précises  pour  être  notées, 
supposez-les  en  outre,  dans  leur  précision,  assez  changeantes  pour 
correspondre  aux  variations  de   la  phrase  musicale;  —  ce  n'est  pu 
tout  encore,  —  supposez  toute  musique,  non  seulement  la  mufl'qne 
d'opéra,  mais  ce  qu'en  Allemagne  on  appelle  la  a  musique  pure».b 
musique  sans  parole,  en  état  de  produire  des  altérations  ou  dans  h 
physionomie  ou  dans  les  poses  ou  dans  les  mouvements  des  membrai, 
vous  n'êtes  pas  loin,  j'imagine  d'avoir  démontré  ce  dont,  pour  notre 
compte,  nous  sommes  depuis  longtemps  convaincu,  que  l'art  masic»! 
a  pour  effet  de  susciter  des  émotions.  La  psychologie  musicale  n'est 
décidément  pas  une  science  imaginaire.  Nous  en  attestons  les  expé- 
riences faites  par  nous  sur  le  sujet  mis  en  état  d'hypnose  par  M.  de 
Rochas.  Nous  n'avons  pas  à  les  décrire,  M.  de  Rochas  s'en  étant  charç** 
Disons  seulement  quelles  sont  les  expériences  auxquelles  nous  avoos 
pris  part,  les  soûles  dont  les  conclusions  engagent  notre  responsabilité 
Ces  expériences  ont  toutes  le  même  caractère.  Elles  consistent,  ptf 
exemple,  à  provoquer  une  attitude  de  prière,  puis  à  la  faire  suivre 
d'une  attitude  belliqueuse,  par  le  simple  passage  de  la  prière  de  U 
Muette  à  la  Marseillaise. 

Ce  sont  là  des  morceaux  connus.  Le  sujet  était-il  assez  «  endormi | 
pour  ne  s'en  point  souvenir?  N'y  avait-il  pas  simulation?  Pour  parer* 
cette  objection,  que  nous  n'avions  point  manqué  de  nous  faire,  nooi 
avons  souvent  improvisé  au  piano  des  phrases  musicales  et  détennin^ 
les  attitudes  jugées  préalablement  par  nous  conformes  à  ces  gestes. 

Une  phrase  musicale  se  compose  d'une  suite  de  notes;  d'une  »ui^ 
de  rythmes;  elle  a  son  mouvement;  elle  a  son  timbre  ;  elle  a  sa  mesure. 
iSans  varier  la  succession  mélodique,  faites  varier,  ou  le  timbre,  oa  1» 
mesure,  ou  le  mouvement,  ou  le  rythme,  obtiendrez- vous  des  variatioot 


dans  les  attitudes?  L'hypothèse  n'a  rien  d'invraisemblable,  L*hypothèse 
s'est  réaliaée  sous  nos  yeux.  N'est-il  pas  naturel,  en  effet,  que  Texpres- 
sion  d'une  phrase  musïcak*  prenne  sasource  dans  le  caractère  expressif 
propre  à  chacun  de  ses  éléments? 

Toutes  ces  choses j  par  nous  abrégées,  ^I ,  de  Hochas  les  a  dites.  Même 
ril  les  a  tt  montrées  m  puisque  son  livre  contient  un  nombre  assez 
considérable  de  photographies.  En  supposant  même  quu  le  cas  de  son 
«  sujet  »  fût  un  cas  tout  a  fait  unique,  son  *  unité  a  suflirait  à  justifier 
le  succès  du  livre. 

Or,  conveuons-en,  le  «  sujet  o  eu  question  n*a  point  son  pareil.  Nul 
ne  l'égale  pour  la  beauté  des  gestes,  pour  la  soudaineté  des  attitudes, 
^pour  rextrôme  mobilité  de  la  physionomie,  pour  l'harmonie  entre  les 
inouV(  ments  du  corps  etceuxdu  visage.  Toulefais,  si  d'autres  sujets  se 
J'en  contraient  capables  âv  répondre  aux  excitations  musicales  par  des 
réactions  motrices  appropriét'S,  quand  bien  même  les  réponses  seraient 
hésitantes  ou  gauches^  elles  resteraient  instructives.  Le  «  sujet  »  de 
M,  de  Rochas  est  précieux  pour  les  psychologues  et  pour  les  artistes, 
eintres,  sculpteurs,  comédiens.  Nous  connaissons  d'autres  sujets, 
lus  le  m  s  à  se  mouvoir,  et  dans  leurs  mouvements  d'une  grâce  dou- 
etise,  il  n*rmporte.  La  question  n'est  pas  de  savoir  si  Ton  parle  avec 
éloquence.  Elle  est  de  savoir  si  Ton  parle  avec  exactitude.  Qu'un  sujet, 

Sendant  qu*on  lui  joue  la  Oerceuse  de  Reber,  joigne  ses  bras,  les  arron- 
jBse,  et  les  balance  en  mesure  et  avec  précaution ^  ainsi,  dans  le  Pardon 
mde  /^/oerme/,  la  pauvn-  folle  Dinarah  quand  elle  se  figure  bercer  sa 
phèvre,  c'est  là  l*essentiel  '.  Que  le  même  sujet,  questionné  sur  ce  qu'il 
m  voit  •  pendant  qu*on  exécute  un  morceau,  se  représeute  une  scène  en 
b>apport.  avec  celles  dont  b  musique  du  morceau  peut  évoquer  ï'image, 
É 'expérience  a  de  quoi  satisfaire.  Voici  par  exemple  Lina  ^  c'est  le 
^ujet  dv  M.  de  rioebas  :  —  nous  jouons  la  marche  funèbre  de  la  Juive* 

t)n  Tinterrogc,  n  Que  voyeî-voU8?  —  Une  procession,  —  Une  proces' 
loa  gaie  ou  triste?  u  Elle  ne  répond  pas  din^ctemeut  a  ce  qu'on  lui 
demande,  mais  elle  nous  dit  qu'elle  voit  s'avancer  des  femmes  vêtues 
Qe  blanc  formant  cortège.  Au  milieu  du  cortège,  n  Tune  d'elles  est 
lElcfidue  ]>,  Ainsi,  c'est  bien  une  procession  funèbre  que  voit  le  sujet,  bien 
^aHl  soit  incapable  de  la  déJinir,  Uy  a  là,  entre  parenthèses,  un  curieux 
l^xemple  de  dissociation  mentale,  d'imagination  opérant  sans  le  con- 
urs  de  rintelligencc. 

Lié  présent  escemple  met  en  évidence  le  pouvoir  de  la  musique  sur 
iuiagi nation  visuelle^  11  peut  advenir  en  effet  que  les  réactions 
olriees  fassent  défaut  et  qu*au  lieu  d*un  «  acteur  w  nous  soyons  en 
résenee  d'un  *f  spectateur  a.  Gela  dépend  des  sujets,  de  leur  degré 
ititelHgence,  de  culture»  de  leur  caractère  normal»  Un  sujet  dont  la 
É^lse  en  état  d'hypnose  abolirait  toute  mémoire  serait  incapable  de 
réagir,  «tant,  par  cela  même,  incapable  de  percevoir  et  de  comprendre, 

t.  Nous  ne  citons  h  litre  d*exemple,  que  des  f&il^  par  noua  constates. 
TOMi  L,  —  1900.  26 


394  REVUE    PHILOSOPHIQUE 

Les  sujets  soumis  à  nos  expériences  ont-ils  tous  réagi  de  la  même 
manière  sous  Tinfluence  d'une  même  excitation  musicale?  A  cela  nous 
avons  presque  déjà  fait  réponse.  Et  la  réponse  est  négative.  N'en 
soyons  point  surpris.  La  musique  n*a  jamais  passé  pour  un  art  d*imi- 
tation.  Or  du  moment  où,  n'imitant  point,  elle  évoque  ou  suggère,  il 
est  à  prévoir  que  la  nature  des  images  ou  des  mouvements  sera  ea 
raison  composée  de  la  nature  de  l'excitant  et  de  celle  du  sujet.  De 
plus,  et  c'est  un  point  digne  de  toute  l'attention  des  psychologues,  les 
phénomènes  de  conscience  échappent  à  la  loi  d'impénétrabilité,  les 
états  affectifs  peuvent  se  mêler  les  uns  aux  autres,  non  pas  indifférem- 
ment, mais  selon  certaines  lois.  La  célèbre  distinction  de  Tappétit  iras^ 
cible  et  de  l'appétit  concupiscible,  toute  vieille  et  môme  vieillie  qu'elle 
soit,  n'est  pas  entièrement  à  rejeter,  tant  s'en  faut.  Mais  que  ces  deux 
appétits  se  réveillent  simultanément  sans  se  contrarier  l'un  l'autre,  il 
n'est  nullement  impossible,  et  l'expérience  est  loin  d'y  contredire. 
L'amour  et  la  haine  tour  à  tour  s'apaisent  ou  s'irritent.  Cela  revient! 
reconnaître,  en  d'autres  termes,  qu'une  passion,  sans  changer  d'objet 
ou  plutôt  de  nature,  peut  changer  de  rythme.  Et  puisque  le  mot 
ff  rythme  »  vient  de  se  rencontrer  sous  notre  plume,  demandons-nous 
en  passant  si  ces  mots  italiens,  familiers  à  tous  les  musiciens  prati- 
quant tels  q\i*ai)diiiUe.  adugio,  ayitato,  largo  ne  s'appliqueraient  pas 
aussi  bien  à  la  langue  des  «  mouvements  de  l'âme  »  qu'à  celle  d'oo 
mouvement  mélodique.  Cette  remarque  faite,  il  est  aisé  d'établir  pv 
l'analyse  musicale  que  d'une  même  phrase  peut  se  dégager  une  double 
impression,  une  impression  d'amour  ou  de  haine,  d'une  haine  ou  d'un 
amour  qui,  selon  les  cas.  s'abandonnent  ou  se  compriment.  Par  exemple 
dans  lii  célèbre  phrase  de  Gounod  : 

Laisse-moi  contempler  ton  visage...,  etc., 

il  entre  de  l'amour,  de  l'imploration,  de  l'impatience.  Or  un  sujet  en 
état  d'hypnose  sera  plus  sensible  à  l'un  de  ces  éléments  qu'à  l'autre, 
la  détachera  et  le  mimera  exclusivement.  Ainsi  s'expliquerait  selon 
nous  la  diversité  des  réactions  motrices,  à  la  condition  bien  entendu 
que  cette  diversité  n'allât  point  jusqu'à  la  contradiction.  Un  même 
texte  musical  comporte  plusieurs  interprétations  différentes  :  roaisces 
interprétations  ne  sauraient  être  incompatibles.  Il  en  est  des  états 
affectifs  de  l'âme  humaine  comme  des  idées  de  Platon  :  elles  sont  sou- 
mises à  des  lois  d'attraction  et  de  répulsion  dont  la  connaissance  est 
l'objet  même  de  la  dialectique.  Il  est  une  autre  dialectique  que  celle 
des  idées.  Celle  des  états  affectifs  reste  à  faire.  Elle  aurait  pour  objet 
l'étude  comparée  des  phénomènes  du  type  irascible  et  des  états  du 
genre  concupiscible.  Elle  se  proposerait  de  rechercher  quelles  espèces 
de  chaque  genre  peuvent  aller  de  pair,  quelles  autres  se  repoussent. 
L'analyse  des  textes  musicaux  viendrait  peut-être  utilement  en  aide  au 
psychologue.  Plus  encore  que  de  cette  analyse,  le  psychologue  profite- 


L,   DAUHIAC-   —   t 'hypnotisme   ET   LX   tRYCHOLaGÏK   MUSICALE        395 

TSiit  des  expérîenfïes  d'hypnotisme  et  de  la  diversité  des  attitudes  pm- 
Toquêes  par  la  phrase  musicale. 

Mais  ne  nous  enchantons  point  d'un  eapoir  dont,  selon  toute  vrai- 
semblance, la  réalisation  tardera,  et  sachons  manquer  de  la  témérité 
'qu*il  faudrait  avoir  pour  annoncer  Tentrée  de  la  psychologie  musicale 
dans  sa  période  objective.  Ce  jour  n'est  pas  encore  près  de  venir.  Four 
qu'il  vtennot  il  nous  paraît  indispensable  :  1*  que  la  psychnlogie  de 
(1*  hypnotisme  soit  avancée  au  point  de  ne  plus  laisser  de  doute  sur  letat 
de  sommeil  des  patients.  Où  est  le  critère  de  ce  sommeil?  Il  en  est 
plusieurs  que  Ton  invoque,  mais  on  nL*  s^entend  pas  sur  leur  valeur; 
Ç^  que  la  valeur  psychologique  des  attitudes  corporelhïs  soit  fi^ée  de 
manière  à  diminuer  les  diverg^t'ocos  dlnterprétalion,  encore  trop  fré- 
quentes h  Theure  actuelle  et  souvent  irrcductibles  :  3"  que  le  nombre 
des  expériences  dont  nous  avons  esquissé  la  description  se  soit  accru 
et  en  même  temps  le  nombre  des  observateurs,  de  telle  sorte  qu'ayant 
été  soumise  h  une  critique  préalable,  ta  signîiicatiou  de  ces  expériences 
ne  puisse  plus  raisonnablement  être  révoquée  en  doute, 

La  psychologie  musit:ale  est  donc  une  science  dont  le  progrès  ne 

peut  se  faire  que  par  le  progrès  d*autres  sciences  et  celles-ci  nous  seni- 

^►blent  encore  assez  incertaines,  sinon  dans  leur  objet  du  moins  dans  leur 

'  méthode.  Kt  c'est  pourquoi  M.  de  Rochas  a  eu  raison  de  ne  pas  attendre 

pour  publier  son  livre,  que  des  temps  meilleurs  fussent  arri^^tfs.  Plus 

courageux  que  nous,  il  a  rompu  un  silence  que  noua  avions,  par  excès 

^d©  scrupule,  ju^-é  prudent  de  garder.  Grâces  lui  en  soient  rendues.  Il 

f  ne  serait  pas  bon  que  l'adage  du  droit  romain  U^siis  /mus  lestis  nallus 

f  fut  toujouFi^  pris  au  près  de  ta  lettre.  Le  champ  de  nos  ignorances  s'en 

trouverait  démesurément  a<?randi  :  après  tout  les  u  choses  vues  ^  étant 

Je  plus  souvent  choiiies  qui,  avant  de  se  faire  voir,  se  sont  donné  la 

jkeine  d^ètre,  ont  toujours  quelque  droit  à  être  constatées. 

Lionel  DAuniAC, 


REVUE   CRITIQUE 


LA  PHILOSOPHIE  D'AUGUSTE   COMTE' 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  M.  Lévy  Bruhl  s'occupe  du  Posi- 
tivisme et  de  son  fondateur;  déjà,  en  1806,  il  avait  fait  à  rKcole  Nor- 
male un  cours  sur  le  Comtisme  dont  le  souvenir  ne  s^est  pas  efTacé 
dans  Tesprit  des  auditeurs;  plus  tard,  en  janvier  98,  au  moment  où  les 
fidèles  de  la  rue  Monsieur-lc-Princc  célébraient  le  centième  anniver- 
saire de  la  naissance  du  maître,  il  lui  avait  consacré,  dans  la  Revue 
des  deux  Mondes,  un  magistral  article,  et,  plus  récemment  encoret 
après  avoir  retrouvé  parmi  les  papiers  de  Comte  les  lettres  de  Sluart 
Mill,  il  a  publié,  avec  une  introduction,  la  correspondance  complète 
des  deux  philosophes.  C'est  assez  dire  qu'il  est  familier  depuis  long- 
temps avec  la  philosophie  positive  qu'il  nous  expose  anjourd'hui  dans 
un  ouvrage  d'ensemble. 

Pour  traiter  le  Comtisme,  il  avait  le  choix  entre  deux  méthodes  qu'il 
a  lui-même  appréciées  et  comparées.  <t  II  est  dit-il,  deux  façons  diffé- 
rentes de  concevoir  l'histoire  d'une  doctrine.  L'historien  peut  non 
seulement  se  replacer  exactement  comme  il  le  doit,  dans  lattitude 
mentale  du  philosophe  qu'il  étudie,  et  repenser  après  lui  ses  idées 
directrices,  mais  juger. encore  comme  lui  de  l'importance  respective 
des  problèmes,  sans  se  permettre  de  distinguer  autrement  que  lui  ce 
qui  est  secondaire  de  ce  qui  est  essentiel.  L'<euvre  historique  prend 
alors  la  forme  d'une  «  monou'raphie  »  ou  d'une  «  biographie  intellec- 
tuelle ».  —  Ou  bien,  tout  en  essayant  de  pénétrer  au  cœur  du  système, 
afin  de  le  saisir  dans  ses  principes,  l'historien  peut  néanmoins  se 
placer  en  dehors  et  au-dessus  de  lui,  et  tâcher  de  le  situer  dans  l'évo- 
lution générale  de  la  philosophie.  » 

Appliquée  ici,  la  première  méthode  conduirait  à  considérer  le  Cout« 
de  philosophie  positive  comme  simplement  préparatoire  au  système  de 
politique  et  à  la  religion  de   Thumunité.  Comte  pensait  en  effet,  avec 
do  Miiistrc.  Cousin,   Chateaubriand  et   tous  les  philosophes  de  son 
temps,  que  le  grand  problème  posé  par  la  Révolution  était  celui  delà 
réorganisation  sociale,  mais  tandis  que  ses  comtemporains  abordaient 
le  problème  de  front  et  voulaient  lui  apporter  des  solutions  immédiates, 
il  se  distinguait  d'eux  par  ce  trait,  qu'il  voulait  réorganiser  les  opi- 
nions et  les  idéos  avant  de  réorganiser  les  institutions  qui,  à  son  avis, 

I.  L.  Lévy  Bruhl.  La  Philosophie  d'Auyuste  Comte  (Paris,  F.  Alcan,  !900). 


REVUE  GRITiaUE.   —   LA  l^Ilir.OSOrmE  D*AUGÏÏSTE  COMTE        397 

en  dépendent.  —  De  là  s^s  six  volumes  de  philosophie  des  sciancea, 
son  Cours  de  philosophie  positive,  t  préambule  indispensable  »  sans 
doute,  mais  en  Un  ^  préambule  »  de  son  ceuvre  totale  et  quUl  convien- 
drait de  n'étudier  que  comme  teL 

M.  Lévy  Bruhl  a  préféré  la  seconde  méthorîe.  et  c'était  son  droît 
strict  d'historien  philosophe;  il  a  donc  exposé  et  apprécié  le  Com- 
tismc  objectivement,  dans  ce  qu1l  a  de  plus  général  et  de  plus  durable, 
et  la  conséquence  logique  de  ce  point  de  vue  a  été  que  la  partie  poli- 
tique, celle  que  Tàutenr  jugeait  capitale,  a  été  négligée  ou  laissée  au 
second  plan^  puisque,  de  l'aveu  de  tous,  elle  constitue  aujourd'hui  la 
partie  la  moins  féconde  et  la  plus  caduque  du  sj^stêrae,  —  Au  coti traire 
ce  qui  a  été  étudié  c'est  la  partie  préliminaire^  le  «  préambule  indis- 
pensable d,  cette  philosophie  des  sciences  que  Comte  estimait  itiacces^ 
soire  et  qui  constitue  cependant  le  meilleur  de  sa  doctrine, 

n  peut  sembler,  au  premier  nbord,  qu'une  étude  executive  d'après  la 
première  méthode  aurait  des  chances  d'être  plus  vraie  et  plus  vivante» 
mais  la  vérité  et  la  vie  qu'on  obtient  ainsi  sont  individuelles,  subjec- 
tives^ plus  intéressantes  à  coup  sûr  pour  le  psychologue  que  pour  le 
philosophe,  et  l'on  peut  en  concevoir  des  formes  plus  générales  et  plus 
philosophiques;  c'est  ce  que  fait  >L  Lévy  Bruhl  lorsqu'il  étudie  la 
vérité  et  la  vie  impersonnelles  des  idées  positives,  leur  rapport  avec 
Ja  philosophie  qui  les  précèfJe  ou  qui  les  suit,  et  qu'il  imalyse  le  Gora- 
tisnie  non  en  lui  même  mais  sous  son  aspect  objectif. 

Dans  ces  conditions,  Comte,  avec  ea  personnalité  si  bizarre,  ses 
rêves  de  mysticisme  et  de  conquête  sociale,  sa  politique  de  mégalo- 
lîaane  systématique^  va  disparaître  ici^  et  c'est  le  philosophe  seul  qui 
apparaîtra. 


L*idée  centrale  du  système,  celle  qui  permet  de  transposer  et  de 
résoudre  d'une  façon  positive  la  plupart  des  problèmes  insolubles 
posés  par  la  métaphysique  et  la  théologie  c*est,  d'après  M.  Lévy  Bruhl, 
l'idée  d'humanité. 

Dans  ce  monde  ou  tout  est  relatif,  il  existe  cependant  pense  Comte, 
une  réalité  suprême  dont  l'idée  est  le  principe  d'une  conception 
ratiounelle  du  monde;  cette  réalité  c*est  Thumanité. 

Dans  Tordre  théorique  et  objectif  l'humanité  est  plus  réelle  que 
l'homme,  puisque  l'individu  eonsidéré  isolémeut,  indépendamment  de 
la  société  qui  réalise  ses  aptitudes  et  développe  toutes  les  fonctions  de 
son  espriti  n'est  qu'une  abstraction  vide»  une  virtualité  sans  contenu. 
Dans  Tordre  pratique  et  social,  elle  est  un  idéal  auquel  nous  devons 
surbordonner  la  vie  végétative  et  la  vie  animale;  de  aorte  que  nous  ne 
sommes  vraiment  hommes  que  par  notre  participation  naturelle  ou 
volontaire  à  Thumanité. 
Cette  •  immense  et  éternelle  unité  sociale  n  a  pour  attributs  easen- 


.V.5»  KEVIE   PBlLOxJPfllvlE 

:.f:!=ï  .i  -tol.daritf;  dans  le  présent,  et  la  coL.!::i-^:ê  '«-  g  jr  -*n.iî  ic 
Mr-i.*:::.';:.:  >s  in^Iividus  et  les  peuples  dur.  :i=rz:f  ZzZLZ't  =■;•::  â...^- 
Ci&.rer.  :j*ai5  les  L'^/nérâtions  successives  ccr.::-:^:.:  l  'lzk  Hthzr. 
«y.xiwh  c:.;itu:ie  a  sa  participation  déterminée  dar,?  La  t-.*  -t:  .*  pr  -rrr* 
le  i':^p':Cf:  hurfiainc;  «-n  fait,  nous  vivons  tous  ei.  tl-i.  pir  rLi.  s 
notre  cuiTure  morale  doit  nous  a:i;ener  a  vivre  p   -r  -ê-Lt 

Ces  pririrjpes  posé.':,  nous  allons  voir  se  dêro.->T.  :.-:r:  ^^t  piri:* 
cJart'.'.  j'-t  philosopliic  positive  de  Comte,  et  to=;i«rr  c-:::.:ir*  it^^ 
/rj'-mes  bien  des  objections  qui  lui  sont  f  .ites  couranii.t'rLi. 

Kt  tout  daboid.  le  problême  pratique  que  Ir  pirs-irrî-zz*  ::;: 
résoiidnî  est  1-:  problZ-me  humain  par  excellence;  :1  -i^t.  ri.  re-i-r^j- 
lii^iint  i«:.s  oroyiinres,  de  donner  à  toute  l'huma:. i:ê  «.':-C-i'r::i*^r  ',zz.\v 
llK'ori'jiie,  l'accord  d«js  intelliîrences,  source  de  i"ur;::t:  e:  de  !&  <'^'^:.t 
KOI -1  aie. 

l/îinarchie  mentale  où  nous  vivons  «  la  maladie  CK!Lid*Li:iIe  •  '^t 
pourrait,  sans  être  mortelle,  passer  à  l'état  chronique  ;  &  ;oc:  pr*i. 
nou"-:  rjfîvons  sortir  de  <f  la  grande  crise  »>  et  sauver  la  ^oc.tit  i^ 
d'-.Hordre  moral. 

Or  le  reiiirdc  consiste  dans  l'extension  de  la  méthode  positive  â  i.us 
\*r.  phirnoniùnes  de  ce  monde. 

C«:  ffiii  fait  la  division  dos  esprits  en  général,  et  l'incùbrrerice  de 
chaqui;  esprit  en  particulier,  c'est  que  l'homme  qui  traite  avec  a 
fiM-ihode  seienlifique  les  faits  du  monde  physique  traite  encore  arer 
la  ifiétiiodfi  iiiétapliysiquc  les  faits  du  monde  moral:  tandis  qu'il  £« 
conJenle  là  dVtablir  des  lois  de  successions  entre  les  phenomcne*.  ii 
Hpéeii!<'  u'\  sur  Viwnv  humaine,  sur  la  lin  que  la  société  don  se  pr- 
po  *r,  y.wv  le  meilleur  î^ouvomement  possible. 

lintre  res  deux  modes  de  penser,  la  conciliation  L*st  impossible. fl 
d  ailleurs  h'  second,  le  mode  métaphysique,  est  définitivement  eo:j- 
diiiniié;  il  faut  donc  universaliser  le  mode  positif,  fonder  ■  la  physique 
;j(M-i:ile  »»  enleviT  ainsi  tonte  raison  d'être  à  la  théologie  et  ii  la  meta- 
pliyiKjiie,  j't  réaliser  par  là  mémo,  l'unité  de  rentcndoment. 

Or  la  loi  (l(*  (Ivnannciue  sociale,  la  célèbre  loi  des  trois  états,  qu« 
('ointe  parait  avoir  découverte  dès  18*2*2,  va  lui  permettre  en  mêsie 
temps  et  de  fonder  la  sociologie  et  d'universaliser  la  méthode  p3?i- 

(  «Ile  loi  est  la  formule  générale  du  progrès  de  l'intelligence  humaioe. 
(|iii  i'\|»lh|in»  d'abord  les  faits  par  des  volontés  divines,  puis  par  de* 
raii;4e:.  ou  divs  puissances  métaphysiques,  et  enfin  par  des  faits  aotê- 
iHMin  fiu  par  îles  lois;  et  croinnie  l'évolution  intellectuelle  est  pour 
(  oiiih',  la  cause  de  toutes  les  autres,  on  conçoit  que  la  loi  des  trois 
ri  al  1  Moii  a  ^^»n  avis  la  «lynaniique  sociale  tout  entière. 

il  II  \i»lutiou  était  j)arfaite  dans  tous  les  ordres  de  phénomènes,  si 
11-  jia-  :ia-^e  d«'  re\plicati«)n  tliéologiquc  à  l'explication  positive  séiaii 
op«'ré  pour  toutes  le-- sciences,  le  mode  de  penser  positif  serait  universel 
et  runiii*  iiitiMlcctuelle  serait  faite,  mais  l'évolution  n'est  pas  faite,  ou 


REVUE  CRITIQUE.   —  I.\   PBIL0S0PB1E  D  \IIGIISTÏ  COMTR 


399 


I 


du  moins  tîlle  Test  h  des  degrés  divers,  et  il  convient  par  conséquent 
de  faire  la  revue  critique  du  savoir  positif^  de  classer  les  sciences 
d'après  leur  complexité  croissante  et  leur  généralité  décroissante,  pour 
dresser  le  bilan  de  ce  qui,  en  chacune  d'elles,  est  encore  métaphysique 
ou  théologique. 

D'où  lîi  classification  des  Bcieuces,  préface  nécessaire  du  Cours  de 
phitth^ophk':  eïle  va  permettre  à  Comte  d'exposer  une  théorie  poai- 
tiYe  des  six  sciences  fondamentales,  de  créer  une  sociologie,  et  de 
fonder  ainîîi  l'unité  du  savoir  humain. 

MM.  Reiiouvier  et  Max  Mùller  ont  reproché  à  Comte  d'avoir  philo- 
sophé sur  les  sciences,  et  fixé  la  méthode  et  la  portile  de  chacune 
d'elk'S^  sans  avoir  procédé  à  une  critique  préalable  de  la  raison 
humaine,  et  M.  Max  Millier  dît  expressément  qu'il  n'y  a  pas  à  tenir 
compte  d'une  doctrine  philosophique  qui  procède  comme  si  la  Critique 
de  la  Raison  pure  n'avait  pas  été  écrite.  Mais  ces  critiques  portent  à 
faux  et  M,  Lévy  Bruhi  le  montre  fort  bien. 

La  critique  de  la  connaissance  humaine,  elle  est  Justement  dans  la 
hiérarchie  des  sciences  et  dans  la  loi  des  trois  états.  Comte  ne  pou- 
vait pas  la  faire  par  l'analyse  de  resprlt  réfléchissant  sur  lui-même, 
par  ce  qu'il  conâiderait  cette  analyse  comme  impossible;  il  croyait 
que  s'abstraire  du  monde  et  de  la  vie  sociale  pour  se  regarder  penser 
c'était  faire  une  tentative  vame  et  quelque  peu  ridicule;  il  pensait  que 
les  lois  les  plus  générales  de  la  raison  devaient  être  découvertes  comme 
toutes  les  autres  par  Tobservalion  des  faits,  et  les  faits  ce  sont  ici  les 
sciences,  résultats  sociaux  et  humains  de  notre  activité  rationnelle. 

La  critique  de  la  connaissance  que  réclament  MM.  Uenouvîer  et 
Max  Miiller  ne  manque  donc  pas  dans  son  système;  elle  y  est  imma- 
nente, ou  plutôt  elle  est  faite  non  pas  chez  l'individu,  mais  dans  Thuma- 
:nité. 

t  FÀh'  étudie,  elle  aussi,  dit  M.  Lévy  Bruhl,  le  «  sujet  universel  » 
^ont  Kant  a  voulu  déterminer  les  formes,  les  catégories  et  les  prm- 
^pes  a  priori.  Mais  ce  sujet  universel,  ce  n'est  plus  la  raison  se  saisis- 
<9tant  elle-même  en  dehors  et  au-dessus,  pour  ainsi  dire,  des  conditions 
^u  temps  et  de  l'expérience;  c'est  l'esprit  humain  prenant  conscience 
^és  lois  de  son  activité  par  Tétude  de  son  propre  passé'-  » 

Au  lieu  de  la  raison  impersonnelle,  la  philosophie  positive  analyse 
A*histoire  de  rhumanitéf  et^  transposant  le  problème,  elle  substitue 
•.'étude  historique  et  positive  de  la  pensée  humaine  à  l'étude  méta- 
hysique  d'un  moi  absolu. 

H  en  résulte  une  conception  sociale  et  humaine  de  la  relativité  de  !a 

onnaissance  qui  pourrait  paraître  sceptique  a  des  métaphysiciens  et 

ui  est  cependant  aussi  dogmatique   qu'elle   peut  Tétre,  puisque   la 

ociété,  l'humanité,  représentent  la  réaliti'  suprême  parmi  les  réalités 

ï*elalives. 


1.  Page  toà. 


400  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

Comte  ne  déduit  pas  la  relativité  d'une  critique  de  notre  faculté  de 
connaître,  il  la  constate  d'abord,  comme  un  fait,  et,  par  la  loi  sociale 
des  trois  états,  il  montre  que  Thomme  a  commencé  par  chercher  Tabsolo 
pour  en  abandonner  ensuite  la  poursuite,  d*abord  sous  la  forme  théo- 
lo)?ique,  ensuite  sous  la  forme  métaphysique. 

Puis  à  la  science  positive  qui  succède  à  la  métaphysique,  Comte  se 
garde  bien  d'attribuer  une  valeur  définitive  et  immuable. 

Sans  doute  la  vérité  dépend  de  notre  constitution  mentale  qui  se 
développe,  sans  se  transformer  dans  ses  lig-nes  essentielles,  et,  parla, 
il  semble  bien  que  la  relativité  de  la  connaissance  admette  au  moins 
un  point  fixe  comme  centre,  mais  nos  conceptions  positives,  notre 
science,  dépendent  aussi  de  notre  «  situation  »  c'est-à-dire  du  point 
mobile  que  nous  occupons  dans  l'évolution  intellectuelle  de  Thumanité; 
nous  ne  pouvons  s.ivoir  dans  un  ordre  donné  de  faits  que  ce  qui  est 
compatible  avec  la  philosophie  généralement  admise  comme  avec  les 
connaissances  antérieures;  il  ne  peut  donc  y  avoir,  même  dans  les 
sciences  les  plus  exactes,  cette  fixité  que  les  métaphysiciens  ont  sup* 
posée. 

Il  n'y  a  pas  de  vérité  immuable;  toutes  les  vérités  sont  provisoires, 
ou  plutôt  elles  sont  relatives  au  reste  des  vérités  admises  aujourd'hui; 
ce  qu'on  appelle  vérité,  c'est  à  chaque  époque  o  la  parfaite  cohérence  i 
logique,  ou  l'accord  de  nos  conceptions  avec  nos  observations. 

Ainsi  conçut»,  la  science  relative,  est-elle  susceptible  d'unité n*eut- 
elle  expliquer  l'Univers  par  un  même  principe,  réduire  toutes  les  lois  à 
une  même  loi?  Comte  no  le  pense  pas, 

Il  tient  les  diverst^s  catégories  de  phénomènes,  mathématiques, 
physiques,  chimiques,  biologiques,  comme  irréductibles  les  unes  aux 
autres;  il  admet  leur  profonde  hétérogénéité. 

Et  ce  qui  est  vrai  des  phénomènes  lui  parait  aussi  vrai  des  lois; 
chaque  ordre  de  phénomènes  a,  d'après  lui,  ses  lois  spéciales  outre 
celles  qui  résultent  de  ses  connexions  avec  les  phénomènes  inférieurs 
et  moins  compliqués. 

La  philosophie  positive  renoncera  donc  à  toute  synthèse  objective 
de  l'Univers,  elle  se  bornera,  dans  ses  plus  hautes  généralisations  à 
établir  des  lois  encyclopédiques,  c'est-à-dire  des  lois  comme  1»  loi 
d'inertie,  ou  la  loi  de  l'action  et  de  la  réaction  qui,  se  retrouvant  dans 
les  divers  ordres  de  faits,  nous  montrent  que  ces  faits  irréductibles 
sont  néanmoins  harmoniques  entre  eux. 

La  véritable  synthèse,  la  seule  que  l'homme  puisse  établir,  c'est 
une  synthèse  sociale  des  connaissances,  une  organisation  des  sciences 
dont  la  sociologie  fournira  les  principes  et  le  but,  et  cette  synthèse  ce 
sera  la  philosophie  des  sciences  spéciales  telle  qu'Auguste  Comte  1'» 
exposée  dans  son  Cours. 


REVUE  GRITiaUE.   —   LA  PHILOSOPHIE   d'aUGUSTE  COMTE        401 


Je  ne  puis  songer,  dans  les  limites  de  ce  simple  compte  rendu,  à 
suivre  M.  Lévy  Bruhl  dans  les  différents  chapitres  qu'il  consacre  à  la 
philosophie  des  mathématiques,  de  Tastronomie,  de  la  physique  et  de 
la  chimie.  Ce  sont  là  des  questions  qu'il  traite  avec  son  ordinaire 
pénétration,  mais  que  je  ne  pourrais  aborder  sans  entrer  dans  des 
détails  un  peu  longs  et  des  considérations  un  peu  spéciales. 

Je  me  bornerai  donc  à  parler  de  la  philosophie  générale  des  sciences 
et  de  la  philosophie  spéciale  des  deux  sciences  les  plus  complexes  de 
de  la  série  positive,  celles-là  justement  sur  lesquelles  Comte  a  parti- 
culièrement insisté,  la  biologie  et  la  sociologie. 

Comte,  ayant  exclu  la  métaphysique  de  la  connaissance  humaine, 
ne  pouvait  en  aucune  façon  disserter,  dans  sa  philosophie  des  sciences, 
sur  les  questions  comme  le  temps,  le  mouvement,  la  matière,  l'es- 
pace,  etc.,  que  les  savants  spécialisés  n'examinent  pas.  Il  ne  pouvait 
concevoir  qu'une  philosophie  relative  comme  les  sciences,  homogène 
avec  elles,  et  c'est  bien  là  ce  qu'il  a  fait.  S'il  y  a  philosophie  et  non 
plus  science,  proprement  dite,  ce  n'est  pas  que  l'objet  ait  changé, 
c*est  tout  simplement  que  le  point  de  vue  du  détail,  et  que  l'esprit 
positif,  de  spécial  qu'il  était,  devient  universel. 

Encore  ce  caractère  d'universalité  ne  doit-il  pas  être  pris  au  sens  ou 
le  prenait  Kant  qui  y  voyait  le  signe  distinctif  de  Va  priori;  Comte 
appelle  universelle  toute  connaissance  qui,  restant  relative,  conditionne 
les  autres  dans  l'ordre  de  la  généralité.  Des  lors,  la  philosophie  des 
sciences  peut  s'établir  «  par  une  vue  à  la  fois  synthétique  et  une  de 
toutes  les  sciences  où  se  coordonnent  les  objets  qu'elles  étudient,  les  lois 
qu*elle  découvrent,  les  méthodes  qu'elles  emploient  et  les  fins  qu'elles 
doivent  poursuivre.  » 

Or  cette  vue  synthétique  et  une,  la  sociologie,  la  science  de  l'humanité 
peut  seule  nous  la  donner,  parce  que  seule  elle  nous  permet  de  sub- 
stituer la  conception  de  l'ensemble  à  celle  du  détail. 
"  Tout  d'abord,  dans  l'ordre  statique,  et  par  ce  seul  fait  qu'elle  est 
créée  comme  science  positive,  elle  manifeste  l'unité  de  la  méthode 
positive,  rhomojLîénéité  du  savoir  humain. 

Puis  le  sociologue,  considérant  les  sciences  comme  de  grands  faits 
sociaux,  embrasse  la  hiérarchie  des  sciences  fondamentales  écarte,  ce 
qui  reste  encore  de  métaphysique  ou  de  théologique  dans  les  plus 
complexes  d'entre  elles,  voit  la  communauté  de  leurs  méthodes  fon- 
damentales, étend  à  chacune  d'elles  les  artifices  logiques  qui  n'étaient 
primitivement  propres  qu'à  Tune  ou  à  l'autre,  et  c'est  ainsi  qu'il 
représente  réellement  l'esprit  d'ensemble  qui,  dans  #la  langue  de 
Comte,  est  synonyme  de  gouvernement. 

Dans  l'ordre  dynamique,  c'est  encore  la  sociologie  qui  la  synthétise 
puisque  c'est  vers  elle  que  convergent  les  sciences  plus  simples.  — 
c  La  mathématique,  écrit  M.  Lévy  Bruhl,  et  les  autres  sciences  fonda- 


403  REVUK   PHILOSOPHIQUE 

mentales,  excepté  la  sociologie,  sont  préliminaires.  Celle-ci  est  finale. 
Chacune  des  sciences  préliminaires  doit  ôtre  cultivée  seulement  dans 
la  mesure  nécessaire  pour  que  la  suivante  puisse  à  son  tour  prendre 
la  forme  positive  '  ». 

Au  point  de  vue  statique  comme  au  point  de  vue  dynamique,  c'est 
donc  la  science  de  l'humanité  qui  synthétise,  totalise  et  organisée 
savoir  humain,  en  faisant  prédominer  sans  cesse  les  conceptions  uni- 
verselles sur  les  conceptions  de  détail,  et  c'est  pourquoi,  même  en 
faisant  abstraction  coifimo  M.  Lévy  Bruhl,  de  la  politique  et  de  la  reli- 
gion d'Auguste  Comte,  on  peut  considérer  déjà  Tidée  d'humanité 
comme  le  centre  de  sa  philosophie  théorique. 

Mais  deux  sciences  surtout,  parmi  les  six  sciences  fondamentales, 
sont  ou  renouvelées  ou  complètement  créées,  de  ce  point  de  vue  social 
et  humain,  c'est  la  biologie  dans  sa  partie  psychologique,  et  la  socio- 
logie. 


C'est  une  opinion  très  répandue  qu'Auguste  Comte  n'a  pas  fait  de 
psychologie,  et  qu'il  a  môme  contesté,  comme  illusoire,  la  premièredei 
méthodes  psychologiques,  l'observation  interne.  D'où  beaucoup  de 
protestations  et  de  critiques  parmi  les  contemporains  contre  cette  phi- 
losophie incomplète  qui  néglige  tout  le  monde  de  la  pensée  BubjectJre 
et  nie,  contre  toute  évidence,  que  l'esprit  humain  puisse  se  connaître 
par  introspection. 

M.  Lévy  Hrulil,  après  avoir  rapporté  cette  interprétation  courante 
de  la  pensée  de  Comte,  montre  ce  qu'elle  contient  d'erroné.  Sans  doute 
Comte  ne  fait  pas  de  psychologie,  si  l'on  entend  par  ce  mot  la  science 
de  l'âme,  mais  il  en  fait  au  contraire,  et  avec  beaucoup  d'oriiriualiiP' 
si  on  entend  par  psycholoiric  «  la  science  qui  cherche  les  lois  des 
phénomènes  sensibles,  intellectuels  et  moraux  chez  l'homme  et  chex 
l'animal  ». 

D'autre  part  il  ne  nie  pas  que  nous  soj'otis  informés  par  la  ^' 
science  de  l'existence  des  phénomènes  psychiques,  —  qui  pourrait  oi^ 
cela?—  Ce  qu'il  regarde  comme  impossible,  c'est  d'étudier  l'activitéde 
la  pensée  par  le  moyen  do  la  réilexion,  c'est  de  découvrir  les  loisdel» 
pensée  losrique,  les  méthodes  scicnti tiques,  par  Tobservation  interne. 

Si  au  lieu  de  rechercher  les  méthodes  scientifîques,  on  veut  étudiff 
les  phénomènes  psychiques  on  général,  l'observation  interne  devient 
possible,  mais,  même  alors,  elle  ne  saisit  qu'un  être  irréel,  abstrait, 
métapliysique,  l'individu  humain,  sans  pouvoir  démêler  en  luiceq** 
est  vraiment  universel  et  humain. 

De  là  résulte,  pour  Comte,  la  nécessité  de  substituer  à  la  méthow 
subjective  dos  psychologues  une  méthode  objective  où  le  psycholog^^ 
étudiera  les  lois  de  la  pensée  et  du  sentiment  dans  rhistoire  scienli* 

I.  Kvo  2ii0. 


I 


HEVUE  CHITiaUE.   —  U  riIlLOSOPHlE  d'âcgcste  gûmte        403 

fîquè  et  sooiat@  de  l'humunlté;  c'est  ainsi  qu'il  marquera  b  courbe  qui 
â  Tait  passer  l^esprit  ïiumain  de  rexplication  thcologique  à  l'explica* 
tiôn  positive,  le  progrès  croissant  de  l'altruisme,  et  c*est  également 
amsi  qu'il  ooanaîtra,  par  leurs  manifestations  sociales,  les  dilTérenles 

•  fonctiotis  intellectuelles  et  affectives  de  Thomme, 
Et  qu*on  ne  dise  pas  que  cest  là  restaurer,  sous  le  nom  nouveau 
d'observation  sociale,  Tanciemie  observation  externe  telle  que  les  phi- 
losophes lont  toujours  pratiquée.  —  Non;  celle-ci  s'en  distinirue  pro- 
fondtVment,  par^e  qu'au  lieu  d'étudier  les  fonlions  Ijumaines,  dans  leurs 
_  manifestations  actuelles,  ce  qui  conduirait  torcênient  à  des  conclusions 
■  absolues,  elles  les  étudie  dans  Thistoire,  elle  en  décrit  les  transforma- 
ÙOns  passées,  comme  elle  en  prévoit  les  transformations  futures*  ce 
*îui  amène  le  psychologue  à  des  conclusions  excessivement  positives, 
parce  que  relatives* 

Sur  la  Un  de  sa  vie  Comte  employé  même,  pour  caractériser  cotte 
éthode,  un  mot  qui,  bien  compris,  Téclaire  singulièrement.  Il  l'appela 
jubjeetive  a  et  par  là  il  n'entendait  nullement  qu'elle  Gondnût  à  la 
ode,  si  souvent  condamnée  par  lui,  de  V*  Cousin  ou  de  Jouffroy; 
-voulait  simplement  dire  que  c'était  la  méthode  que  rhumanité 
eji3;ployait  pour  se  regarder  penser  et  évoluer;  objectivo  par  rapport 
k  1.*  individu,  cette  méthode  redevenait  subjective  par  rapport  à  la  réa* 
ît^  suprême  dont  l'individu  n'est  qu'un  élément;  l'histoire  n'était, 
ÏA^^acecas,  que  l'introspection  de  rHumanité, 

CH^  n  comprend,  sans  peine»  après  cette  conception  sociale  de  la 
^3^«^*hologie  et  des  sciences  en  générai,  que  la  sociologie  ait  été  la  clef 
^  "^^oùte  du  système  et,  pour  employer  Texpression  de  Comte,  la  science 
a<3  w*ée.  C'est  en  effet  la  science  même  de  l'humanité, 

^^^tte  science  ne  se  déduit  pas,  comme  Cabanis  et  Gall  ont  pu  le 
^^  1.  re,  de  la  biologie, 

^^*  d  n'existait  que  des  sociétés  animales,  cette  déduction  serait  peut- 

*"*"^2^  possible,  puisque  la  vie  sociale  rudimentaire  que  nous  constatons 

'^  les  animaux  est  sous  la  dépendance  stricte  de  leurs  fonctions, 

*  ^  la  société  humaine  exclut  toute  tentative  de  ce  genre;  c'est  en 

—  %  la  vie  sociale,  la  participation  à  Thumanité,  qui  a  développé  d'une 

n  si  extraordinaire  nos  facultés  intellectuelles  et  morales,  et  ce 

jloppement,  la  biologie  ne  sufdt  plus  à  l'atteindre, 

^^     doit  donc  y  avoir  une  sociologie,  comme  il  y  a  une  biologie,  une 

^^^liématique,  et  celte  sociologie  emploiera,  en  même  tomp«  que  les 

^^  arides  communes  à  toutes    les   sciences,  observation,  comparai- 

*-^  «.  etc.,  une  méthode  qui  lui  sera  propre,  la  méthode  historique,  ou 

ï>erchc  des  lois  qui   régissent  le  développement  social  de   notre 

ce. 

^is  si,  par  la  méthode  bistoriqut\  on  veut  marquer  l*encbâînc<ment 
phénomènes  sociaux,  comme  toutes  les  classes  de  ces  phénomènes 
«veloppent  en  même  temps  et  réagissent  les  unes  sur  les  autres, 
«ciologue  ne  devra  aborder  aucune  d'elles  «  sans  avoir  d'abord 


404  lŒVUE   PHILOSOPHIQUE 

conçu  d'une  manière  générale  la  progression  de  rensemble  ».  Il  devra 
donc  se  proposer  avant  tout  «  de  concevoir,  dans  sa  plus  grande  géné- 
ralité, le  développement  de  Tespèce  humaine,  c'est-à-dire  d'observer  et 
d'enchaîner  entre  eux  les  progrès  les  plus  importants  quelle  a  faits 
successivement  dans  les  principales  directions  différentes  ». 

«  Ces  principales  directions  différentes,  écrit  M.  Lévy  Bruhl,  corres- 
pondant à  C(>  que  Comte  a  appelé  plus  tard  a  les  séries  sociales.  iH 
désigne  par  là  les  groupes  de  phénomènes  sociaux  disposés  pour  une 
étude  seicntitiquc.  Une  fois  ces  groupes  formés,  la  sociologie  cherche 
à  déterminer,  d'après  l'ensemble  des  faits  historiques,  l'accroissement 
continu  de  chaque  disposition  ou  faculté  ph^'sique,  morale,  intelle^ 
tuelle  ou  politique,  combiné  avec  le  décroissement  indélini  de  la  dis- 
position ou  faculté  opposée,  par  exemple  la  tendance  de  la  société 
humaine  à  passer  de  la  forme  guerrière  à  la  forme  industrielle,  de  U 
.religion  révélée  à  la  religion  démontrée,  etc.  » 

Ajoutons,  pour  en  iinir  avec  ces  généralités,  que  cette  science  de 
riiumanitc  doit  être  contrôlée  sans  cesse  par  une  théorie  positive  et 
biologique  de  la  nature  humaine,  que  l'évolution  sociale  peut  déve- 
lopper ou  restreindre  certaines  fonctions,  mais  non  les  créer  ex  nihilo 
ou  les  anéantir,  et  que  toutes  les  dispositions  humaines  que  rhistoire 
révélera  devront  se  trouver  en  germe  dans  le  type  humain  tel  que  1» 
biologie  le  construit  et  le  définit. 

Dans  la  sociologie  ainsi  conçue  Comte  distinguer  une  statique  et  une 
dynamique  sociales. 

On  comprend  niai  d'ordinaire  ces  deux  termes,  parce  qu'on  perd  de 
vue  l'idée  d'une  humanité  unique,  et  qu'on  veut  les  appliquer  à  telles 
et  telles  sociétés  spéciales. 

Sans  doute,  en  biologie,  la  statique  étudie  les  organes  et  la  dyna- 
mique la  vie;  c'est  à  peu  de  chose  près  ce  que  nous  appelons  aujour- 
d'hui l'anatomie  et  la  physiologit»  animales,  mais  si  nous  \ouIons  trans- 
poser ces  idées  en  sociologie,  nous  ne  devons  pas  nous  borner  à  dire 
que  la  statique  étudit»  la  structure  d'une  société  particulière  et  la  dyna- 
mique sa  vie.  En  réalité,  c'est  de  l'humanité  toute  entière  qu'il  s'agit, 
et  la  statique;  étudie  les  conditions  d'existence,  les  éléments  nécessaires 
de  l'organisme  humain,  comme  la  dynamique  étudie  les  lois  de  son 
évolution  à  travers  h's  âges. 

C'est  ainsi  que  sous  hr  nom  de  statique,  Comte  étudiera  la  faTnill«î, 
élément  social  ultime,  le  mariage,  la  coopération  sociale,  le  rôledn 
gouvernement,  et  qu'il  marquera  plus  étroitement,  peut-être,  quedans 
la  siati(iue  bioloLrique  Tidée  dominante  d'un  consensus  des  éléments, 
et  c'est  encore  ain.si  que,  sous  le  nom  de  dynamique,  il  étudiera  le 
mouvement  nécessaire  et  continu  dt;  Thumanité  ou,  si  Ton  préfère,  le 
progrès.  Mais  l'idée  du  proirrès  n'est  pas  chez  lui,  comme  chez  les  évo- 
lutionnistes,  l'idée  d'une  transformation  infinie  ou  indéfinie.  Il  en  revient 
encore  ici,  à  son  principe  favori  que  la  nature  humaine  est  invariable 
dans  son  fond,  et  que  h;  progrès  ne  peut  ni  le  développer  indéfiniment 


REVUE  CRITiaUE.   —  IK  FHÎtOSlîï^HIE  B'AtîCUSTE  COMTE        403 


ni  le  changer;  cosi  ainsi,  pour  citer  un  exemple,  que  la  prépondérance 

tdes  instincts  égoïstes  sur  les  instincts  altruistes  est  essentielle  à  notre 
nature,  et»  que  si  le  progrès  favorise  le  ^  développement  des  senti- 
ments altmistefl,  il  ne  peut  cependant  renverser  réquilibre  naturel  de 
nos  inclinaljona  »,  G'i^st  donc  un  progrès  qui  se  meut  entre  deux 
limites  llxes^  quelque  chose  d'analogue  non  à  l'évolution  de  Spencer 
,      mats  au  mouvement  d'Aristote  qui  fait   passer  la  puissance  a  Tacte 

PdaDs  chaque  hiérarchie  de  matière  et  de  forme.  Comte  la  détinit  très 
bien  «  une  marche  sociale  vers  un  terme  défini,  quoique  jamais  atteint^ 
par  une  série  d'étapes  nécessairement  déterminùes  ^k 

La  loi  d<33  trois  états  étant  la  loi  de  la  dynamique  sociale  est  par  là 
môme  li  loi  fondaraentile  du  progrès^  et  c'est  olle  qui  introduit  quel- 
qu'unité  dans  Tincohérenco  de  l'histoire;  elle  exprime  elle-même  non 
une  transformation  de  Tintelligenfe  humaine,  de  Eiotre  faculté  de  con* 
H  naître,  qui  ne  change  pas  plus  dans  sa  nature  que  nos  instincts,  mais 
^  les  différentes  étapes  par  lesquelles  cette  intellig^ence  est  passée  dans 
son  interprétation  du  monde;  et  comme,  daprca  Auguste  Comte,  l'évo- 

■  lution  des  idées  est  la  cause  de  toutes  les  autres  évolutions,  on  com- 
H  prend,  sans  peine,  qu'il  ait  pris  l'évolution  de  llntelligence,  e>st-à-dire 
H   des  sciences  et  des  philosophies,  comme  tt  fil  conducteur  **  de  sa  philo- 

■  sophie  de  Thistoire, 

H  Enfin  à  ces  vues  théoriques  sur  les  si_\  sciences  fondamentales 
\       M,  Lévy  Bruhl  ajoute  un  exposé  de  la  morale  de  Comte  qu*iî  est  obligé 

Ide  construire,  Comte  n'ayant  pas  consacré  de  chapitre  spécial  à  ce 
genre  d'études. 
Cette  morale  est  plutôt  un  art  qu'une  science;  elle  revient  à  se 
demander  :  les  lois  des  phénomènes  moraux,  tels  que  Tégoisme^  Tal- 
truisme,  les  passions  de  toute  nature,  étant  supposées  connues,  quel 
serait  le  meilleur  emploi  du  pouvoir  que  Vhomme  a  de  modifier  ces 
phénomènes? 

kEt  la  réponse»  on  peut  la  prévoir  d'après  tout  ce  que  nous  connais- 
sons déjà  des  théories  de  Comte  sur  Thumanité.  L'homme  devra  faire, 
^utaitÈ  que  possible^  prévaloir  les  instincts  sympathique^  sur  les 
Impulsions  égoïstes  a  la  sociabilité  sur  lu  personnalité  *  rîiumanité 
6ur  l'individu. 

Mais  quelles  raisons  le  détermineront  à  faire  ainsi  prévaloir  Tat- 
truisme  sur  l'égoisme,  et  en  dérinilive  à  sacrifier  ci  la  personnalité  à  la 

tvoeiabilité  d  If 
Ces  raisons,  Comte  ne  les  donne  pas  expressément  h  propos  de 
tnorale,  mais  il  les  exprime  cependant  à  propos  de  sociologie,  de  psy- 
«^hologie^  et  toutes  les  fois  qu'il  expose  sa  conception  de  l'humanité. 
ï^our  lui,  nous  le  savons  déjà,  rindividu,  être  irréel  et  vain,  ne  devient 
«-éellement  lui-même,  ne  réalise  pleinement  sa  nature  que  par  sa  par- 
ticipation de  plus  en  plus  complète  à  rhumaiiité. 

0*esl  de  rhumanité  passée,  c'est-à-dire  de  la  vie  sociale  qui  a  pré- 
^lédé  le  notre^  que  nous  tenons  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon,  de  précieux 


406  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

et  d'humain  en  nous.  C'est  en  Thumanité  présente  que  nous  dévelop- 
pons toutes  les  fonctions  de  notre  esprit  et  toutes  les  facultés  de  notre 
cœur,  et  c*est  enfin  rhumanité  qui,  en  perpétuant  notre  mémoire  cm 
en  oubliant  notre  nom,  nous  donnera  la  seule  sanction  positive  dont 
elle  dispose. 

LMdée  d*humanité  est  donc  le  principe  de  la  morale  de  Comte,  et 
elle  y  introduit  lo  même  relativisme  que  dans  la  philosophie  des 
sciences  et  la  conception  de  la  véritu.  L*espècc  humaine  n*a  pas  tou- 
jours eu,  en  effet,  une  égale  aptitude  à  comprendre  une  loi  morale; 
tout  au  plus  peut-on  dire  qu'avec  le  temps  cette  aptitude  devient  plus 
grande. 

Puis  nous  dépendons,  comme  espèce,  d'un  très  grand  nombre  de 
conditions  naturelles,  astronomiques,  physiques,  biologiques,  sociolo- 
giques; si  ces  conditions  étaient  modifiées,  la  morale  pourrait  Tétre 
aussi.  Le  bien  est  donc  relatif,  comme  le  vrai,  et  à  notre  situation  dans 
le  temps,  et  à  notre  organisation. 

C'est  toujours,  dans  l'ordre  pratique,  comme  dans  l'ordre  théoriqae, 
la  même  synthèse  qui  s'opère  autour  de  la  réalité  la  plus  géncnle, 
cette  humanité  que  Comte  devait  plus  tard  appeler  le  Grand  Être  eC 
prendre  pour  objet  de  son  culte  religieux.  «  C'est  donc  en  l'idée  d'hu- 
manité, comme  en  leur  centre,  écrit  M.  Lévy  Bruhl,  que  convergentles 
idées  scicntiliques,  sociales  et  religieuses  d'Auguste  Comte.  Si  cette 
convergence  est  parfaite,  son  œuvre  est  accomplie.  L'anarchie  mentale 
et  morale  est  dès  à  présent  guérie,  l'anarchie  politique  et  religieuse  w 
disparaître.  L'unité  sera  rétablie  partout.  » 


Telle  est,  dans  ses  grandes  lignes,  la  philosophie  objective  de  Comte, 
interprétée  par  M.  Lévy  Bruhl,  et  je  me  hâte  d'ajouter  que  je  ne  con- 
nais pas,  dans  toute  la  littérature  positiviste,  une  interprétation  do 
Comtismc  aussi  exacte  et  aussi  profonde  que  la  sienne. 

On  est  habitué,  chez  nous,  à  juger  de  loin  le  Comtisme,  qu'on  ne 
connaît  guère  d'ailleurs  qu'à  travers  le  livre  inintelligent  et  malhon- 
nête de  Littré. 

La  plus  grande  partie  du  public,  ne  prenant  dans  la  doctrine  qw 
ce  qu'elle  a  de  négatif,  y  voit  seulement  la  négation  de  l'absolu  divin 
ou  métaphysique,  et  cette  opinion  est  si  répandue  qu'il  suffit  à  bien 
des  gens  de  ne  pas  croire  en  Dieu  et  d'être  ignorants  de  toute  philo- 
sophie, pour  se  déclarer  positivistes. 

Parmi  les  professionnels  de  la  philosophie,  on  entre  davantage  dans 
le  Comtisrne,  et  on  en  connaît  au  moins  la  loi  des  trois  états;  maison 
lui  reproche  d'être  incomplet,  de  ne  pas  avoir  de  psychologie,  de 
théorie  de  la  connaissance,  et  on  le  dédaigne  en  somme  sous  le  pré- 
texte qu'il  a  passé  sans  les  résoudre  ou  sans  les  voir  à  côté  des  difli- 
cultes  théoriques  que  nul  philosophe  n'a  le  droit  d'ignorer. 


REVUE  CHITiaUE,    —   r.A    PHlLOSOpiliK    DAUCCSTE   COMTE 


407 


Après  le  livre  de  M.  Lévy  Bruhl,  nous  seriona  désormais  sans 
eiECuses  si  noiis  continuions  à  proTesser  sur  la  philasophle  de  Comle 
une  opinion  aussi  injuste. 

En  réalité  le  Positivisme,  tel  que  son  fondateur  l'a  conçu,  est  un 
système  difficile  et  complexe  qui  n'igore  pas  les  questions  essentiellea 
de  toute  philosophie,  mais  qui  les  transpose  et  qui  les  résout  d'un 
point  de  vue  social  et  humain;  il  contient  une  psychologie;  une 
logique,  une  morale;  pour  les  comprendre  et  même  pour  les  trouver^ 
on  doit  seulement  se  dire  que  Comte  n'étudie  pas  Thomme  par  analyse 
«ubjeetîve  impossible  à  ses  yeux,  mais  qu'il  procède  au  contraire 
Objc^ctivement  par  l'analyse  historique  de  Thumanité,  du  Grand  ICtre, 
plus  réel,  à  son  avis,  que  l'individu. 

On  ptîut  ïividemment  contester  îe  principe,  mais  il  importe  d'abord 
de  le  bien  voir,  pour  comprendre  le  caractère  de  la  transposition 
opérée. 

Ainsi  congu,  on  ne  peut  plus  dire  que  Comte  réfute  la  théologie  ou 
la  niêtaphysique;  et  on  peut  encore  moins  soutenir  qu'il  les  incorpore  à 
son  système;  il  procède  simplement  d*un  autre  principe^  et  traduit  en 
langage  positif  et  sociologique  les  problèmes  philosophiques  ot  leurs 
solutions. 

Pour  lui»  l'idée  de  T Univers  devient  Tidée  du  monde;  Tidée  d*une 
providence  devient  Tidée  d'une  sociologie  pratique  et  tutélaire,  lldée 
de  theu  devient  Tidée  du  (irand  Être,  l' immortalité  devient  la  &urvi- 
van  ce  dans  la  mémofre  de  Thumanité* 

Elt  c'est  ainsi  que  toutes  les  questions  métaphysiques  ou  théoto- 
l^iques,  aussi  bien  que  les  questions  de  haute  logique,  se  retrouvent 
febejî  Comte,  mais  transposées,  exprimées  en  termes  nouveaux. 

Que  sous  la  forme  nouvelle  qu'il  leur  donne  les  solutions  de  Comte 
soient  inattaquables,  M.  Lévy  Bruhl  ne  songe  nullement  à  le  prétendre» 
mais  il  se  contente  de  les  expliquer,  de  les  mettre  à  leur  place  dans 
le  progrès  des  idées,  sans  les  discuter  ou  tes  réfuter. 

Il  a  voulu  en  effet  faire  seulement  œuvre  d'historien,  et  U  sVst 
acquitté  de  sa  tache  avec  une  pénétration,  une  originalité,  une  clarté 
dont  je  n'espère  pas  avoir  donné  une  idée  par  ces  quelques  pages. 

Par  son  ceuvre.  Comte  apparaîtra  dorénavant  comme  le  trtis  grand 
philosophe  qull  a  été,  c'est-à-dire  comme  un  penseur  compréhensif 
et  complexe  qui  n'a  ni  Ignoré  ni  éludé  les  problèmes  inhérents  à  toute 
philosophie,  mais  qui  les  a  au  contraire  nettement  posés  et  nettement 
résolus  du  point  de  vue  si  personnel  et  si  profond  où  il  se  plaçait»  celui 
la  soctologie  et  de  Thumanité. 

G.  Dumas- 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


I.  —  Biologie. 


Paul  Busquet.  —  Les   êthes  vivants;  onGANiSATiox-ÉvoLLTïOs. 
Paris,  Carré  et  Naud,  iSOU. 

Cet  ouvrage  est  Texposé  d'une  théorie,  destinée  à  combattre  les  par- 
tisans de  la  théorie  cellulaire  et  à  développer  des  arguments  en  faveur 
d'une  doctrine  qui,  reconnaissant  pour  origines  plus  ou  moins  vagues 
et  lointaines  la  théorie  des  molécules  organiques  de  DuCTon  (1749-18U4). 
celle  des  unités  physiologiques  de  Spencer  (186i),  celle  des  cremmuiefl 
de  Darwin  (Ch.)  (1868),  celle  des  plastidules  de  Maggi  (1874),  Erhberg 
(1874),  Hœckel  (1870),  celle  des  microzymas  de  Bcchamp  (1875),  se 
réclame  des  idées  de  Kiinstler  (I88i)  sur  la  structure  sphèrulaire;]» 
sphérules  sont  constituées  par  une  portion  périphérique  (protoplas- 
mique)  plus  réfringente  qui  entoure  du  protoplasme  central  plus  riche 
en  eaux  et  souvent  granuleux;  elles  sont  accolées  et  ont  une  auto- 
nomie plus  ou  moins  nette.  Morphologiquement  parlant  la  sphênile 
est  l'élément  primitif  distinct.  La  cellule  au  point  de  vue  morpholo- 
gique ne  répond,  selon  M.  Husquet,  à  rien  de  précis.  Il  le  proclame 
pour  la  raison  qu'aucune  des  parties  de  la  cellule  ne  lui  donne  une 
valeur  individuelle,  ne  la  caractérise;  la  conception  cellulaire,  selon 
les  idées  de  Tauteur,  n'est  fondée  que  sur  un  fait  secondaire,  la  struc- 
ture de  la  membrane  d  enveloppe  que  le  protoplasme  secrète,  mais 
cette  membrane  d'enveloppe  est  une  production  consécutive  destinée 
au  soutènement  des  parties,  essentiellement  variable  selon  le  rôle 
qu'elle  a  à  remplir;  les  )inijaux  dont  théoriquement  il  doit  n'exister 
qu'un  seul  par  cellule,  se  trouvent  parfois  en  plus  grand  nombre  dans 
une  même  cellule,  ils  varient  selon  l'état  des  organes  et  peuvent 
môme  disparaître  (dans  les  hématies  par  exemple).  Le  protoplasme  est 
constitué  par  des  séries  de  petits  éléments  plus  ou  moins  globuleux 
qui  sont  tantôt  accoles  par  leurs  parois  (protoplasme  consistant),  tantôt 
séparés  les  uns  des  autres  et  circulent  dans  un  liquide  particulier  pins 
ou  moins  visqueux  et  dû  peut-être  à  leurs  sécrétions  (protoplasme 
fluide);  il  ne  s'agit  pas  d'un  phénomùne  de  dégénérescence  ou  de  séni- 
lité :  ces  corpuscules  visibles  dans  les  tissus  bien  vivants  sont  suscep- 
tibles de  s'accroitre  et  de  se  reproduire.  La  cellule  ne  constitue  pas 
forcément  une  unité  morphologique  parce  qu'elle  correspond  à  une 
unité  physiologique  (le  noyau  présiderait  aux  fonctions  de  la  vie  végé- 
tative, à  la  reproduction,  le  protoplasme  tiendrait  sous  sa  dépendance 


ANALYSES.  —  P.  BUSQUET.  Les  êtres  vivants,  409 

immédiate  celles  de  relation,  de  sensibilité,  de  mouvement  :  énergide 
de  Sachs). 

Ces  considérations  ont  pour  résultat  d'amener  l'auteur  à  rejeter  la 
théorie  coloniale  de  la  constitution  dos  êtres  vivants.  Les  êtres  vivants 
ne  sont  point  (sauf  exceptions  constatées  parmi  les  Tuniciers,  les 
Cœlentérés)  des  colonies  ou  agrégats  de  cellules;  ils  constituent  en 
dépit  de  leur  aspect  des  individualités  réelles.  Si  l'on  veut  qu'un  être 
vivant  soit  une  colonie  d'individus,  ces  individus  sont  en  voie  de 
genèse,  non  de  régression  organique  :  les  êtres  vont  en  se  compliquant 
régulièrement  ainsi  que  les  organes;  au  principe  de  concentration 
centripète  des  organismes  dans  un  tout  nouveau,  où  ils  perdent  leur 
individualité  propre,  Tauteur  substitue  celui  de  la  dilatation  ou  disso- 
ciation centrifuge;  l'individualité  n'est  pas  pour  lui  une  propriété  pri- 
mitive, mais  au  contraire  acquise  ou  consécutive  ;  les  fonctions  rudi- 
roentaires  tendent  à  se  servir  plus  spécialement  de  certaines  parties 
qui  leur  sont  pour  des  raisons  diverses  et  d'abord  peu  accentuées  plus 
favorables;  cette  sorte  d'indication  du  travail  aboutit  à  la  spécialisa- 
tion des  organes  (ainsi  chez  les  êtres  à  axe  longitudinal  le  rôle  que 
joue  la  partie  antérieure  amène  une  spécialisation  de  cette  partie  '). 
Par  une  sorte  de  souvenir  évolutif,  par  des  propriétés  héréditaires 
communes  les  nouvelles  formations;  organes,  éléments  ou  êtres  auto- 
nomes, tendent  à  reproduire  les  principaux  traits  de  l'organisation  des 
êtres  souches  sans  y  parvenir.  La  descendance  des  êtres  est  ou  directe 
(c'est  la  progression  lente,  le  perfectionnement  des  groupes  existants 
et  limités  ou  des  types  pris  séparément),  ou  bien  c'est  Tindividualisa- 
tion  de  parties  ou  de  régions  d'êtres  préexistants.  Ou  c'est  la  trans- 
formation directe  d'une  forme  en  une  autre  plus  perfectionnée  ou 
c'est  la  métamorphose  partielle  d'une  partie  considérable.  C'est  la 
notion  de  leur  origine  qui  permettra  de  rapprocher  les  êtres  non  pas 
celle  de  leur  équivalence  morphologique. 

La  métamérie  n'est  que  l'expression  d'une  tendance  universelle  à  la 
répétition,  les  métamères  étant  primitivement  de  simples  régions  d'un 
corps  divisé,  sont  des  parties  primitivement  dissemblables  qui  se  sont 
régularisées  plus  tard. 

Partout  unité  morphologique  de  l'être;  tendance  puissante  à  la  répé- 
tition des  parties  ou  des  organes  en  même  temps  quindividualisation 
consécutive  et  secondaire  des  parties  ainsi  répétées.  Tous  les  animaux 
tendent  à  se  fragmenter  plus  ou  moins  et  à  développer  ensuite  cer- 
taines des  parties  aux  dépens  des  autrei^  qui  restent  ce  qu'elles  étaient 
ou  bien  régressent  et  s'atrophient. 

Entre  les  êtres  cellulaires  à  plusieurs  noyaux  et  les  êtres  muUicellu- 

1.  En  résumé  nous  constaterons  dans  Télude  du  processus  des  chanf/emptils 
(Taxes  variés,  des  mutations  constantes  d'or(/anes,  phénomènes  rappelant  des 
espèces  de  déplacement  de  vitalité  d'une  région  vers  une  autre,  des  sortes 
(Vepigenèses  ou  acquisitions  nouvelles  d'organes  nécessaires  à  une  vie  autonome 
et  corrélativement  des  éliminations  successives,  V.  Busquet,  p.  85  et  suivantes.) 

TOMB  L.—  1900.  27 


410  HKVUE   PHILOSOPHIQUE 

laires  il  n  y  a  qu*unc  complication  due  au  développement  de  cloisons 
plus  ou  moins  complètes  délimitant  des  segments  à  un  seul  noyau. 

L'auteur  passe  en  revue  la  série  animale  et  présente  des  arguments 
destinés  à  étayer  sa  théorie.  J'In  ce  qui  concerne  les  vertébrés,  il  con- 
clut en  disant  que  les  prévertébrés  ont  les  mémos  organes  fondamen- 
taux que  les  vertébrés,  que  les  ancêtres  des  vertébrés  n'étaient  pas 
segmentés,  que  leur  segmentation  n'est  pas  de  même  nature  que  celle 
des  annclides.  M.  liusquet  consacre  quelques  pages  à  démontrer  que 
r étude  de  l'œuf,  de  son  évolution,  de  sa  segmentation,  rinvaginalion. 
la  production  de  feuillets  blastodermiques,  témoignent  en  faveur  de 
Tunité  organique  et  non  do  la  conception  coloniale  ou  polyzoique  des 
êtres.  Il  rejette,  bien  entendu,  la  doctrine  de  la  spécificité  cellulaire 
au  sujet  de  laquelle  il  analyse  particulièrement  les  idées  de  Bard. 

Pour  M.  Busquet  les  groupes  réellement  distincts  ne  proviennent 
pas  les  uns  des  autres,  comme  le  veut  le  transformisme.  Il  signale  la 
rareté  des  formes  de  transition  fournis  par  la  paléontologie.  C'est  dans 
les  groupes  inférieurs  non  dans  les  groupes  différenciés  qui  sont  des 
types  terniinns,  que  résident  les  liens  de  parenté  entre  les  divers 
embranchements.  Ce  ne  sont  pas  toujours  les  êtres  que  leur  structure 
semble  le  plus  rapprocher  qui  sont  les  plus  voisins;  il  n'y  a  souvent 
que  des  résultantes  d'arrangements  en  série  qui  ne  fournissent  qu'une 
parenté  fausse  et  toute  apparente  '.  D'ailleurs  dit  l'auteur,  ni  la  sélec- 
tion, ni  l'adaptation  se  peuvent  expliquer  les  particularités  de  struc- 
ture des  êtres  qui  sont  dus  à  des  productions  spontanées.  Parmi  les 
êtres  inférieurs  d'une  organisation  également  développée,  ce  sont ceui 
qui  présentent  des  portions  dilïéronciées  qui  forment  souche;  ces 
types  n()U\eaux  soumis  aux  influences  du  milieu  peuvent  varitt 
(sélection,  adaptation)  mais  leur  puissance  de  transformation  n'est  pas 
illimitée;  ils  l'orment  des  êtres  nouveaux  par  des  procédés  analogues 
à  C('ux  qui  les  ont  produits;  sans  cela  les  variations  atteignent  unlt-rnif 
ultime,  puis  survient  l'arrêt,  suivi  de  la  décadence  ou  non.  Les  typ»^ 
bien  défini.'*  qui  constituent  le  règne  animal  sont  à  pou  près  tousdi*? 
groupes  toinn}i.n..<,  ineapablrs  de  st'  transformer  ultérieuremoni  l'n 
qui'liiue  chns»'  de  bien  distinct. 

Va\  résumé  sous  l'inlluenei»  d'un  processus  dû  à  di-s  forces  inconnues 
(d'ordr»'  vraisemblabh-nicnt  physico-ehimiquej,  tendance  générale  cl 
univi'isclle  dt»  la  matière  vivante  à  la  prolifération  ou  répétition  des 
parties  semblables,  puis  fragmentations  de  plus  en  plus  abondantes 
(les  partii's  ainsi  constituées.   Les    parties   d'ètro  ou    d'organes  pro- 

I.  Il  IIP  p:\rnil  i».is  impo^siblod'at.liueltreqirune  forme,  actiiellcmenl  cnpri'grès. 
ait  ou  lin  am-i'-lrv  iiniikMliat  i]iii  ait  présenté  une  période  de  régression...  U  e»l 
(lifliciliî  irailuptr-r  Ti^lée  de  rexisliMicc  d'une  .«érie  prog^ressivement  ascendante 
ou  \t\ox\  lie  comparer  U)  rèj^^ne  auiuial  ù  un  arbre  dont  les  extrémités  terminales 
seraient  cuu^titures  i)ar  les  forints  les  plus  pcrfeclionnôes...  Ce  sont  les  formes 
les  moins  diirércncifes  <pii  sont  le  point  de  d «'part  des  groupes  zoolo^*iques.  el 
non  N's  form«.'s  d'une  orKani^ation  élevée  <.|ui  sont  des  Formes  terminus  iBusquel. 
p.  iTO-lIT). 


ANALYSES.  —  P.  BALLiox.  La  mort  chez  les  animaux.     411 

duites  n'ont  jamais  au  début  de  valeur  primordiale  fixe  et  constante; 
elles  prennent  peu  à  peu  des  caractères  propres  et  se  difTérencient  soit 
BOUS  Tiniluence  d'agents  extérieurs,  soit  par  le  fait  de  causes  internes 
ou  propriétés  ataviques  d'évolution  qui  leur  font  récupérer  plus  ou 
moins  complètement  les  particularités  de  structure  caractérisant  Tètre 
souche.  L'individualité  d'une  partie  peut  amener  la  disparition  ou 
régression  du  reste  du  corps.  Les  animaux  supérieurs  ne  sont  que  des 
portions  d'êtres  plus  inférieurs,  portions  agrandies  ou  mdividualisées 
par  une  sorte  d'épigénoscî,  puis  séparées,  et  ceci  avec  le  mémo  axe  ou 
avec  un  axe  différent.  Il  arrive  que  chez  les  êtres  les  plus  élevés  Tindi- 
vidualisation  d'une  partie  *  ne  s'accomplisse  qu'après  que  cotte  partie 
est  adaptée  à  son  rôle  nouveau  et  qu'elle  a  acquis  des  organes  en  rap- 
port avec  les  propriétés  ataviques. 

Je  regrette  de  ne   pouvoir   citer  entièrement  les   conclusions   de 
M.  Husquel;  elles  ne  peuvent  que  susciter  d'utiles  controverses. 

D""  Laupts. 


D*"  P.  Ballion.  —  La  mort  chez  les  anlmaux.  Imprimerie  Constant; 
Bazas,  1900,  un  vol.  in-8**,  79  pages. 

En  189'*»,  M.  le  D*^  Ballion  a  donné  une  seconde  édition  de  son  travail 
sur  L'instinct  de  la  Propreté  chez  /<?«  ca7îtmaux(1891j,dont  M.  Espinas 
disait  :  a  II  renferme  des  faits  nombreux,  puises  «à  de  bonnes  sources, 
heureusement  interprétés  presque  toujours  et  rattachés  sans  elïort  à 
une  loi  )?énérale  ».  Pouri«uivant  ses  études  de  psychologie  animale,  le 
môme  auteur  a  entrepris  de  faire  connaître  «  Tétat  mental  des  ani- 
maux en  face  de  la  mort  »,  soit  de  la  mort  imminente  pour  eux,  soit 
de  la  mort  survenue  chez  un  de  leurs  pareils  ou  chez  un  être  d'une 
autre  espèce. 

Gondillac,  Bichat,  Charles  Bell,  estimaient  que  l'animal  ne  saurait 
avoir  le  sentiment  de  la  mort.  Schopenhauer  affirme  que  l'animal 
«  éprouve  la  crainte  de  la  mort  sans  pourtant  la  connaitre  ».  M.  Féré 
prétend  qu'à  moins  de  tares  nerveuses  «  la  notion  de  la  mort  manque 
même  chez  les  enfants  jusqu'à  un  âge  assez  avancé  ».  M.  le  Dr  Ballion 
constate  d'abord  que  les  bétes  distinguent  la  proie  vivante  de  la  proie 
morte  ou  mourante;  puis  il  donne  certaines  manifestations  des  oiseaux, 
en  particulier  des  corneilles,  celles  des  bourdons,  des  fourmis,  en  pré- 
sence d'un  des  leurs  ayant  succombé,  comme  des  preuves  d'un  senti- 
ment particulier  provoqué  par  la  mort.  On  sait  que  les  chiens  semblent 
très  affectés  delà  disparition  de  leur  maitre  et  parfois  ne  lui  survivent 
pas.  a  Les  animaux  expriment  de  mille  façons  la  crainte  qu'ils  ont  de 
la  mort  violente...  Le  bruit  du  tonnerre  fait  trembler  la  plupart  des 

1.  Les  parties  dilTérenciées  se  constituent  de  manières  fort  diverses  :  ici  par 
division,  là  par  bourRconnement  ou  encore  par  différenciation  pure  et  simple, 
mais  malgré  cette  nécessité  apparente  le  processus  est  général,  Busquel,  p.  180. 


412  HEVUE    PHILOSOPIIIQUE 

bêtes...  Les  rats  abandonnent,  dit-on,  les  maisons  qui  menacent  ruine... 
Les  animaux  les  plus  hardis  tremblent  à  rapproche  du  lion  ».  (p.  tf6-38^ 
«  Exposés  à  une  mort  imminente,  les  animaux  souvent  par  leurattitude 
et  le  jeu  de  leur  physionomie  semblent  demander  grâce  »;  les  rumi- 
nants surtout  ont  un  regard  tout  à  fait  expressif  quand  ils  sont 
menacés  de  mort  ;  le  cerf  aux  abois  pleure  et  Tours  aussi,  parait-il. 
Sentant  leur  lin  venir,  beaucoup  d'animaux  se  retirent  à  Técart. 

Dans  la  mort  naturelle,  les  bétes  montrent  comme  de  la  résignation. 
L'auteur  incline  à  admettre  chez  Tanimal  une  sorte  d'  «  euthanasie  > 
(p.  G 1-00),  comparable  «à  celle  de  Thomme  sage;  il  croit  à  «  des  senti* 
ments  affectueux,  susceptibles  d'inspirer  aux  botes  le  mépris  de  la  mort 
et  de  les  disposer  à  tous  les  pacri lices  »  (p.  73),  comme  il  admet  chez 
les  animaux,  et  en  particulier  chez  les  abeilles  (p.  25),  un  meurtre 
volontaire,*  revêtant  les  caractères  d'une  exécution  judiciaire  d,  une 
«  mise  à  mort  réiléchie,  légale,  pour  ainsi  dire  ». 

La  question  intéressante  au  point  de  vue  psychologique  ne  nous 
paraît  pas  bien  mise  en  lumière.  Ce  qu'il  nous  importerait  de  savoir, 
c'est  s'il  existe  chez  les  animaux  des  manifestations  plus  ou  moins 
nettes  d'une  notion  abstraite  de  la  mort.  La  bête  distingue  le  mort  do 
vivant;  en  présence  du  mort  il  se  conduit  tout  autrement;  mais  c'est 
que  les  données  de  ses  sens  sont  tout  autres:  tantôt  l'immobilité,  tantôt 
l'odeur  produisent  en  lui  des  émotions  désagréables.  Quand  il  donne 
la  mort,  il  imagine  sans  doute  l'état  dans  lequel  il  va  mettre  son 
adversaire,  son  ennemi  ;  mais  a-t-il  une  image  générique  des  êtres 
morts?  Dire  qu'il  a  peur  du  tonnerre  n'est  pas  prouver  qu'il  a  l'idccde 
la  destruction  par  la  foudre. 

Nous  eussions  donc  désiré  que  M.  le  D»"  Hallion  apportât,  arec 
l'érudition  dont  il  fait  preuve,  des  indications  plus  nettes  sur  le  point 
qui  est  le  plus  controversé  :  dans  quelle  mesure  et  de  quelle  manière 
l'animal  conçoit-il  la  mort,  ce  phénomène  dont  l'imagination  des 
hommes  a  fait  souvent  un  objet  d'épouvante?  tS*il  a  une  image  géné- 
rique de  la  mort,  il  doit  manifester  une  émotion  à  pou  près  identique, 
une  émotion  générique  pour  ainsi  dire,  en  présence  des  ditTérents  cas 
de  mort  :  cette  émotion  eût  dû  être  recherchée. 

G.  L.  DUPRAT. 


II.  —  Psychologie  normale. 

Julius  Pikler.  —  Das GnuNDdESETz  allés  neuro-psvchischen  Lebens 
(Leipzig,  Harth,  1000.  1  vol.  in-S'^,  "25 4  pages.  Prix  :  8  marks). 

Cette  étude  est  l'œuvre  d'un  sociologue  qui  a  cherché  a  donner 
pour  base  psycho-physiologique  au  «  déterminisme  économique  »  des 
faits  sociaux  (><  matérialisme  historique  »),  le  déterminisme  des  faits 
psychiques  par  la  «  vie  végétative  ». 


ANALYSES.  —  J.  PiKLEiL  Das  GrundgesetZy  etc.  413 

«  L'essence  des  phénomènes  neuro-psychiques,  dit-il,  ne  consiste 
pas  dans  la  transmission  du  mouvement  d'une  portion  à  une  autre 
portion  de  la  substance  nerveuse,  bien  que  ce  soit  là  qu'on  recherche 
d'habitude  :  elle  est  dans  l'enchaînement  ou  l'opposition  des  mouve- 
ments divers,  et  dans  leur  résultante,  au  sein  de  la  môme  portion  du 
système  nerveux.  Tous  les  états  de  conscience....  sont  pour  ainsi  dire 
la  perception  immédiate  de  mouvements  moléculaires.  » 

Mais  qu'est-ce  qui  détermine  la  direction  de  ces  mouvements?  Il  n'y 
a  pas  de  relation  directe,  anatomique,  entre  les  nerfs  sensitifs  et  les 
nerfs  moteurs  qui  fournissent  les  réponses  appropriées  à  certaines 
excitations.  Tant  que  l'on  ignorera  comment  et  pourquoi  tels  muscles 
réagissent  à  telles  sensations  ou  impressions,  on  ne  pourra  faire  de 
progrès  sérieux  en  psychologie.  Les  associations  fonctionnelles  de 
certaines  parties  du  système  moteur  et  de  certaines  parties  du  sys- 
tème sensitif  ne  sont  pas  dues  à  l'exercice  et  à  l'habitude,  comme  on  le 
dit  généralement  :  il  y  a  des  le  premier  moment  sélection  entre  plu- 
sieurs réponses  possibles.  Cette  sélection  ne  peut  s'expliquer  que  si 
l'on  tient  compte  du  a  travail  de  réaction  »,  de  la  résistance  rencontrée 
par  un  centre  nerveux,  qui  ne  meut  tel  muscle  ou  groupe  do  muscles 
que  parce  qu'il  se  trouve  précisément  présenter  la  moindre  résistance. 
C'est  donc  le  principe  mécanique  de  la  moindre  résistance  qui  est  à  la 
base  de  l'explication  cherchée  (p.  3-42). 

il  faut  ajouter  que  tous  les  mouvements  de  l'être  vivant  ont  pour 
objet  d'écarter  tout  obstacle  aux  processus  vitaux,  il  y  a  lieu  de  dis- 
tinguer les  mouvements  constjants  de  la  vie  végétative,  qui  ont  une 
finalité  originelle,  des  mouvements  passagers  de  la  vie  de  relation  et 
de  la  vie  mentale,  réponses  à  des  excitations  externes.  Parmi  ceux-ci 
sont  seuls  conservés  et  développés  ceux  qui  favorisent  les  premiers 
ou  s'accordent  avec  eux  (p.  42-117). 

Toutes  les  fonctions  mentales  se  rattachent  donc  à  la  vie  végétative. 
L'expérience  n'est  que  la  prise  de  consci(;nce  des  modifications  intro- 
duites d'une  façon  continue  dans  le  cours  ininterrompu  des  processus 
nerveux  qui  est  à  la  base  de  la  vie  végétative  (p.  1G7). 

«  L'activité  de  l'esprit  et  la  vie  végétative  ne  sont  qu'un  seul  et 
même  processus...  Le  même  mouvement  nerveux  fondamental  engendre 
la  circulation,  la  respiration,  la  pensée  et  l'action  volontaire  »  (p.  105- 
100).  La  volonté,  qui  est  d'une  explication  si  difficile  pour  la  psycho- 
logie associationniste,  «  est  cette  force  primitive,  prémentale...;  et 
comme  le  plaisir  et  la  douleur,  l'attention  et  la  pensée,  elle  n'est  qu'une 
résultante  du  mouvement  constant  de  la  vie  végétative  »  (p.  109). 

La  psychologie  a  donc  eu  tort  jusqu'à  ce  jour  de  ne  pas  assigner  à 
cette  vie  inférieure  le  rôle  qui  lui  convient  (p.  142).  Quant  à  la  nature 
foncière  du  mouvement  nerveux  qui  constitue  la  base  de  tant  de  phé- 
nomènes, M.  Pikler  la  rapproche  de  celle'  d'un  dégagement  d'énergie 
résultant  d'une  décomposition  chimique;  et  il  signale  en  terminant  les 
analogies  de  l'activité  neuro-psychique  et  de  l'induction  galvanique. 


414  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

s  II  est  impossible,  dit-il,  de  ne  pas  voir  entre  ces  deux  ordres  de  faite 
une  communauté  de  nature.  » 

G.  L.  DUPRAT. 


J.  Uschakoff.  —  Das  Localisationsgesetz.  Eine  psychophysiolo- 
fjischp  rntcrsuchu7}g  (Leipzig,  Otto  llarrassowitz,  1900,  l  vol.  in-8". 
X'O.")  pages). 

L'auleur  s'est  proposé  a  d'étudier  les  rapports  les  plus  généraux  des 
localisât  ions  cérébrales  avec  les  faits  psychiques  et  les  mouvemcnte 
chez  rhonimo  »  (p.  ;i'J).  Mais  il  a  réservé  pour  une  prochaine  publica- 
tion Totude  des  localisations  cérébrales  chez  les  animaux  supérieurs, 
dc«  rapports  que  ces  localisations,  corticales  ou  sous-corticales, 'ont 
outre  elles  et  avec  les  diverses  sortes  de  faits  psychiques,  d'intensité 
et  de  qualité  différentes  ip.  iîr)).  Les  trois  chapitres  qui  constituent  la 
présente  publication  répondent  simplement  à  celte  question  :  «  Peut- 
on  établir  des  localisations  cérébrales  distinctes,  en  partie  ou  totale 
ment,  correspondant  aux  fonctions  ou  groupes  de  fonctions  mentales 
en  partie  ou  totalement  dissemblables?  »  (p.  52).  Toutefois  M.  Uschakoff 
formuie  dès  maintenant  sa  «  loi  de  localisation  »  en  ces  termes  un  peu 
abrégés  : 

A,  Les  psyo homes  *  sensoriels  ou  les  mouvements  volontaires,  plus 
ou  moins  qualitativement  dilTérents,  qui  se  produisent  à  différeote 
moments  chez  le  même  individu,  dépendent  de  lacti  vite  de  groupes  de 
neurones  pins  ou  moins  distincts,  les  psychomes  tout  à  fait  disparates 
reposant  sur  l'activité  de  com plexus  corticaux  tout  à  fait  distincts. 

B.  Les  perceptions  ou  idées  et  les  mouvements  volontaires  qualita- 
tivement semblables  correspondent  à  l'activité  du  même  groupe  de 
neurones  corticaux  ou  du  moins  de  neurones  pour  la  plupart  identi- 
ques p.  ;j'.»-iO . 

l..\  partie  la  plus  intéressante  du  travail  est  assurément  le  deuxième 
chapitre  dans  lequel  sont  exposées,  avec  une  louable  érudition,  les  résul- 
tats lies  ie«.'herches  ps>cho-physiologiques  et  anatomo-patbologiques 
ou  V.isti'lOiTijues  de  ces  cinquante  dernières  années  (p.  -iSUl"). 

M;:nk  et  FlochsiiT  afiirment  l'existence  de  régions  corticales  dii- 
li-uto-î  pour  les  di:Té:e:.îes  classes  de  sensations:  mais  la  plupart  des 
.\u::v>  .iv.ieur-  tendent  à  les  réunir  en  une  seule  AVundt,  Huffding. 
J,»!v.os.  JvhH.  KM>;n,-!:aus,  Sachs  .  En  ce  qui  concerne  la  distinction 
tv  iH^-...yV...;:ie  de>  7ones  :::o:r:ce?  et  des  zones  sensorielles,  m^m* 
..'.vc.  i.tLivie.  James,  Tlechs  j,  K^binirhaus.  Tigerstaedt  unissent  étroite- 
:v.c-.-.:  ':e  vU^:r.a:"c  des  se::sa::orîs  or-:.in:ques  et  celui  des  fonctions 
y.\:r:io>.  :r.a:>  V".ev:-.>  ^r  es::r.:e  que  '.es  innei^~ations  motrices  partent 
a;;s<.  :  uv.  .^.:e  v'.i'  !a  jo.-.e  r.:o:r:oe  de  tous  îes  autres  poînis  de  l'écorce 

î:  les  auteurs  admettent  que  les  pa^ 


cf  ;-e:. 


-:<  ;â.-.s  »it  cozscieace  de  tout**  sorlei. 


ANALYSES.  —  J.  usciiAKOFF.  Das  Localisationsgesetz.      418 

ties  corticales  correspondant  à  la  même  classe  de  fonctions  forment  un 
tout  fonctionnel,  ont  une  unité  synthétique  »  (p.  56). 

Les  physiologistes  et  les  médecins  ont  cherché  à  localiser  non  seule- 
ment les  principales  fonctions  psychiques  prises  dans  leur  ensemble, 
<  mais  encore  des  fonctions  particulières  ou  des  groupes  restreints  de 
fonctions  psychiques  pris  dans  une  classe  déterminée  ».  Parfois  ils 
ont  admis  (Munk  chez  les  singes  et  les  chiens,  Wernicke,  Charcot  et 
Wilbrand  chez  Thomme)  une  «  projection  »,  dans  la  région  visuelle 
corticale,  des  deux  champs  rétiniens.  James  reconnaît  a  qu'il  y  a  une 
correspondance  entre  certaines  régions  du  cerveau  et  certaines  parties 
du  corps,  bien  que  les  divers  éléments  d'une  partie  du  corps  ne  soient 
représentés  dans  le  cerveau  que  tous  pris  ensemble  ».  De  nombreux 
aut#urs  semblent  de  plus  en  plus  disposés  à  admettre  des  localisations 
distinctes  pour  les  sensations,  les  perceptions,  les  souvenirs  et  même 
les  concepts. 

Wilbrand  suppose  deux  centres  cérébraux  distincts  pour  les  opéra- 
tions visuelles,  l'un  pour  les  perceptions,  Tautre  pour  les  souvenirs 
optiques.  J.  Ward  les  conçoit  comme  appartenant  à  la  même  circonvo- 
lution, maisfonctionnellement  distincts.  Si  Wernicke,  Richet,  Stricker, 
Lissauer,  Sachs,  Hlrth,  Charcot  ont  prétendu  que  les  centres  senso- 
riels et  les  centres  des  souvenirs  ne  sont  pas  différents,  Broadbent, 
Kussmaul,  Charcot,  Ballet  et  Grasset  admettent  un  centre  idéationnel 
séparé.  Exner,  Charcot,  Pitres,  Wundt  et  Bastian  ont  parlé  d'un 
centre  graphique  et  de  divers  centres  du  langage  articulé.  L'avis 
général  est  donc  qu'il  y  a  des  groupes  distincts  de  neurones  corres- 
pondant à  certaines  fonctions  ou  à  certains  groupes  de  fonctions 
psychiques  (p.  75). 

Mais  ne  faut-il  pas  aller  plus  loin  et  reconnaître  à  chaque  fibre  ner- 
veuse ou  à  chaque  nerf  sinon  une  «  énergie  spécifique  »,  du  moins 
une  aptitude  fonctionnelle  spéciale,  acquise,  correspondant  à  un  élé- 
ment psychique  déterminé  ?  Spencer  a  prétendu  «  qu'en  quelque  région 
que  ce  soit  du  cerveau,  chaque  fibre  peut  être  regardée  comme  ayant 
un  office  particulier  »  ;  et  d'après  Exner  «  deux  sensations  sont  sembla- 
bles quand  au  moins  une  partie  des  éléments  cérébraux  excités  dans 
les  deux  cas  est  la  même  ».  Wundt,  Flechsig,  Ross,  W.  James  n'ad- 
mettent pas  que  le  même  neurone  soit  sensitif  et  moteur.  Il  semble 
conforme  à  la  majorité  des  opinions  scientifiques  de  supposer  que 
chaque  neurone  engagé  dans  un  processus  psycho-physiologique  con- 
court pour  une  part  déterminée  à  la  production  d'un  élément  psychique 
fixe,  et  que  son  concours  est  nécessaire  à  la  production  du  a  psychome  » 
qui  comprend  cet  élément. 

Toutefois,  M.  UschakofT  sent  bien  que  les  travaux  des  physiologistes 
et  des  médecins  n'apportent  pas  une  confirmation  suffisante  à  sa 
théorie.  «  En  ce  qui  concerne  la  communauté  ou  la  distinction  des 
neurones  aucune  donnée  sûre  ne  résulte  des  investigations  scientifi- 
ques jusqu'à  ce  jour...  On  n'a  aucune  indication  positive  de  l'identité 


416  KEVUE   PHILOSOPHIQUE 

du   neurone  agissant  dans  le  cas  de  deux  psychomes  semblables  >• 
(p.  118-110). 

Ce  que  la  science  ne  lui  fournit  pas,  l'auteur  le  demande  au  raison- 
nement. Par  exemple,  c'est  h  des  considérations  sur  les  phénomènes 
de  la  mémoire  et  de  Thabitude  qu'il  doit  «  l'argument  le  plus  fort  en 
faveur  d'une  localisation  corticale  distincte  pour  des  fonctions  senso- 
rielles et  motrices  qualitativement  différentes  »  (p.  113).  Nous  ne  con- 
testons pas  à  M.  Uschakoff  le  droit  de  recourir  à  des  c  arguments 
théoriques  »  et  nous  reconnaissons  que  ses  raisonnements  semblent 
judicieux;  mais  ne  vaudrait-il  pas  mieux  quelques  bonnes  observa- 
tions anatomo-pathologiques,  quelques  faits  histologiques  bien  établis 
pour  donner  à  la  «  loi  de  localisation  »  une  certitude  qui  lui  manque 
encore,  malgré  son  apparente  valeur  scientifique?  Du  reste*  il  nous 
faut  attendre  la  publication  de  la  quatrième  partie  de  ce  travail  pour 
juger  de  l'importance  des  preuves  apportées  par  M.  Uschakoff. 

G.  L.  DUPRAT. 


Rudolf  Mûller.  —  Naturwissenschaftliche  Sbelenforschuxc. 
lll""  Hand.  Will,  Hypnose,  Zweck;  Leipzig,  Arwcd  Strauch.  —1  vol. 
in  S",  p.  :ie:)-60«. 

La  conception  d'une  «  énergie  psjxhique  »,  d'ailleurs  indéfmissabje, 
domine  l'étude  de  M.  Rudolf  Millier.  Dans  un  premier  volume,  il  a 
traité  les  principales  questions  de  la  psychologie  générale  :  questions 
de  méthodologie,  loi  du  devenir  conscient  au  point  de  vue  de  la  cau- 
salité et  de  la  finalité.  Dans  le  deuxième,  il  a  étudié  la  conscience  nor- 
male, la  perception  et  le  sentiment.  Dans  le  troisième  il  a  intercalé 
entre  des  divsçussions  et  assertions  plutôt  d'ordre  métaphysique  que^ 
ques  vues  sur  les  notions  d'espace  et  de  temps,  le  jugement,  la  raison, 
la  volonté,  la  liberté,  le  sommeil,  le  rêve,  la  suggestion  et  l'hypnose. 

Il  termine  par  l'esquisse  d'une  «  morale  naturaliste  »  dont  nousdcvoas 
tout  d'abord  donner  le  principe  afin  de  renseigner  le  lecteur  sur 
Torientation  philosophique  de  l'auteur  :  «  Du  moment  où  la  cause  pre- 
mière de  toute  existence  subjective  est  reconnue  être  Vénergiep^t 
chiqun,  comme  l'a  montré  notre  étude  scientifique  (?)  de  l'âme..., 'outl« 
devenir  cosmique  nous  apparaît  comme  un  immense  processus  de 
transformation  des  aspects  de  la  force  objective  en  formes  del'énerg» 
psychique...  Ce  but  de  l'évolution  universelle  nousindique  celui  de  notre 
vie...  L'homme  doit  donc  hâter  la  réalisation  de  la  fin  proposée  ai 
monde...  et  c'est  pourquoi  il  doit  diriger  sa  volonté  consciente  dans  le 
sens  d'un  altruisme  progressif»,  ou  d'un  «  égoïsme  humanitaire.  »nH)tir 
de  tous  les  peuples  de  la  terre  »,  succédant  à  «  régoîsme  familial ■<!'*'' 
grâce  à  Tinstinct  do  reproduction,  a  chassé  Tégoîsme  individuel.- 
[Cf.  pp.  58i-5'.lU.J 

L'éiierL'ie  psychique  joue  le  même  rôle  d'un  bout  à  l'autre  duli^" 
dos  qu'une  difliculté  se  présente,  elle  est  résolue  par  un  appel*''* 


ANALYSES.  —  R.  MiiLLER.  Natiirwissenschaftliche  Seelenf.     417 

cause  fondamentale  de  toute  vie  consciente  et  inconsciente,  essence 
impérissable,  indépendante  de  l'espace  et  du  temps  »,  (qui  sont  les 
«  conditions  »  de  tous  les  phénomènes,  non  des  formes,  mais  des  con- 
ceptions à  priori  se  rattachant  à  «  rcnchaînement  causai  des  énergies 
naturelles  données  à  notre  conscience  comme  faits  en  rapport  avec 
nous-mème  »  (p.  35"2-371).  Il  y  a  des  connexions  de  toutes  sortes  entre 
la  nature  physique  et  la  nature  psycholoj^ique,  et  des  connexions  de 
ces  connexions,  qui  constituent  «  la  causalité  de  notre  monde  de  phé- 
nomènes »  (p.  371-395). 

Rien  d'intéressant  sur  le  concept,  l'entendement,  le  jugement  et  le 
raisonnement  (p.  400-408).  Sur  l'acte  volontaire  un  exposé  fort  confus 
du  rôle  de  la  sensibilité  et  des  excitations  externes  dans  la  production 
des  actions  musculaires.  «  La  formation  des  idées  volontaires  est  con- 
ditionnée par  la  direction  que  prend  le  courant  d'énergie  psychique  en 
voie  de  développement  »  (p.  412).  «  L'acte  volontaire  dépend  de  la 
préparation  des  appareils  sensoriels  à  la  réception  des  excitations, 
préparation  elle-même  consécutive  à  l'attention,  qui  est  déterminée 
par  la  direction  de  l'énergie  psychique  (p.  415).  «  L'exercice  volontaire 
des  muscles  a  deux  fondements  :  l'un  subjectif  ou  émotionnel  et  l'autre 
objectif  ou  intellectuel,  le  premier  dépendant  des  processus  vitaux,  le 
second  des  excitations  dont  les  processus  d'énergies  externes  sont  les 
causes  »  (p.  416). 

Transportant  la  question  de  la  liberté  sur  le  terrain  de  l'imputabilité, 
l'auteur  considère  comme  «  responsable  celui  qui  est  capable  de  pré- 
voir les  conséquences  objectives  et  subjectives  de  ses  actes  et  dont  le 
cerveau  fonctionne  normalement  »  (p.  47 î). 

Le  sommeil  est  l'effet  d'une  diminution  d'activité  subjective  (p.  479). 
Le  rêve  est  l'activité  consciente   sans  action  musculaire   volontaire 
fp«  485).  Comme  il  est  impossible  sans  le  fonctionnement  du  cerveau, 
8on  étude  fait  partie  de  celle  de  la  conscience  normale  (p.  496).  Mais 
on  ne  connaît  pas  bien  sa  nature  intime,  puisqu'on  ignore  celle  de 
i'énergie  psychique  (p.  '^'Ib).  De  même  on  ignore  les  causes  de  l'hypnose 
^t  de  la  suggestion  et  on  n'en  donne  que  des  définitions  bien  impar- 
faites tant  qu'on  méconnaît  les  principes  de  la  causalité  consciente 
^P-  511).  Les  théories  de  Liébeault,  Bernheim,  Benedikt,  Schundikunz, 
J*net,  Forel,  Moll,  Freud,  Lehmann,  Wundt,  Lipps,  Hirsch,  Vogt,  etc., 
^^ï*  la  suggestion,  sont  rapidement  passées  en  revue.  Les  explications 
^u  Ont  données  de  l'hypnose  les  médecins  de  1*  «  PJcole  de  Nancy  »  et 
®®^Xde  r  «  Ecole  de  Paris  »  sont  opposées  comme  étant  les  unes  de 
ï^ature  plutôt  psychologique,  les  autres  de  nature  plutôt  physiologique  : 
®*les  sont  conciliées  par  celte  considération  que  les  deux  ordres  de 
P*^énomènes  ont  même  cause  :  Ténergie  psychique  (p.  529).  Toutefois 
*^ypnose  est  tenue  pour  autre  chose  que  le  sommeil  normal  (p.  531). 
*-*ea  états   d'hypnose   plus   ou  moins    profonde    sont  bien  décrits  et 
^^nienés  à  :   1°  la  léthargie,  2"  la  catalepsie,   3*^  le  somnambulisme, 
***  «  rHypnotisohen-lIcUsehen  »  qui  «  se  distingue  par  une  aptitude 


418  REVUE    PHlLOSUPIilQLE 

à  avoir  des  représentations  de  choses  dont  à  Vétat  de  veille  on  ne 
reçoit  pas  d'excitations  sensorielles  »  (p.  519-p.  580). 

On  peut  demander  au  livre  de  M.  Rudolf  Millier  d^utiles  renseigne- 
ments, mais  il  n'y  faut  point  chercher  une  théorie  nouvelle  vraiment 
intéressante. 

G.  L.  DUPRAT. 


Sydney  Alrutz.  —  Studien  aufdem  Gebiete  der  Temperatursinne. 
II.  Die  HiTZEEMPFiNDUNG  («  ^kandin.  Archiv  f.  physiol.  »,  vol.  X,  p.  340- 
35-2.  Veit.  Leipzig,  1900). 

Dans  cette  courte  étude  l'auteur  expose  les  résultats  d'expériences 
faites  au  laboratoire  de  physiologie  de  Tuniversité  d*Upsala  sur  les 
points  ou  aires  du  sens  thermique,  en  vue  d'établir  une  distinction 
entre  la  sensation  de  chaleur  (Warmecmpfindung)  et  la  sensation 
d'ardeur  brûlante  (Ilitzeempfindung).  Celle-ci  n'est  pas  douloureuse 
par  elle-même,  elle  ne  présente  pas  des  degrés  variables  comme 
celle-là;  a  elle  n'est  en  aucune  façon  une  sensation  de  chaleur  portée 
à  un  très  haut  degré  »  (p.  iVi'));  mais  elle  est  le  résultat  de  la  fusion 
intime  d'une  impression  de  froid  et  d'une  impression  de  chaud  pro- 
duites presque  simultanément  en  un  même  point  de  la  peau  fp.  349/. 

Les  travaux  de  Lehmann  et  de  v.  Frey  ont  établi  l'existence  de  cer- 
tains points  de  la  peau  où  des  objets,  portés  à  une  température  même 
très  élevée  H-  40  à  i5°  C.  d'après  v.  Frey,  +  70  à  100»  C.  d'après  Alruti;, 
produisent  une  sensation  de  froid  dite  «  paradoxale  ».  Cette  sensation 
est  sans  doute  celle  qui  s'unit  à  l'impression  normale  de  chaleur  pour 
engendrer  une  sensation  d'un  nouvel  ordre. 

G.  L.  DUPRAT. 


Miss  Washburn  Shinn  :  Notes  on  thb  Development  of  a  child. 
(Part  I,  1893;  Part  H,  l^îi'i  :  Part  III,  1890),  pp.  U\,  Published  by  the 
University  of  California,  Berkeley. 

Le;  livre  de  Preyer  reste  le  type  des  monographies  consacrées  au 
développement  d'un  nouveau-né  :  à  quelques  écarts  près,  c'est  son 
plan  que  Miss  Shinn  a  suivi  pour  nous  faire  l'histoire  de  sa  nièce  durant 
SCS  trois  premières  années.  Deux  premiers  fascicules  sont  consacrés  à 
l'étude  dos  sensations;  le  troisième  et  dernier,  à  lui  seul  plus  long  que 
les  doux  précédents  réunis,  étudie  l'organisation  et  l'éducation  des 
niouvomonts  :  c'est  la  meilleure  partie  de  ce  travail  de  patiente  et 
minutieuse  observation. 

La  lecture  de  Preyer  et  Tiedemann  nous  porte  tout  naturellement 
à  considérer  l'histoire  de  leurs  fils  comme  le  type  du  développement 
de  l'enfant  :  mais  lîaldwin  avait  déjà  rappelé  efTcctivement  que  ses 
observations  ne  concordent  pas  toujours  avec  celles  de  ses  devanciers: 
Miss  .Shinn  le  démontre  à  nouveau  en  rapportant  mainte  observation 


ANALYSES.  —  w.  SHINN.  Notes  011  the  development  ofachild.    419 

qui  contredit  celles  de  ses  prédécesseurs  ou  plutôt  établit  que  le  déve- 
loppement n'est  pas  le  même  chez  tous  les  enfants.  Ainsi  elle  n'a  pas 
constaté  chez  sa  nièce  l'asymétrie  visuelle  que  Freyer  note  aux  pre- 
miers jours;  le  développement  du  sens  des  couleurs  s'est  aussi  montré 
diflérent  ;  enfin  il  ne  semble  pas  que  l'enfant  ait  pris  conscience  de  la 
distance  en  se  rendant  compte  de  ce  qui  se  passe  en  lui-même,  en  éten- 
dant le  bras  :  Miss  Shinn  croit  au  contraire  que  l'idée  de  l'espace  se 
forme  d'abord  grâce  à  des  sensations  visuelles  :  cette  idée  apparut  en 
effet  peu  après  que  l'enfant  s'était  montrée  particulièrement  attentive 
à  suivre  les  changements  de  forme  et  de  dimensions  des  objets  qu'on 
lui  éloignait  ou  rapprochait. 

Les  pages  qui  suivent  traitent  de  l'évolution  de  l'audition,  et  de  son 
rôle  dans  la  formation  du  langage,  où  interviennent  d'abord  la  simple 
imitation,  puis  la  spontanéité  inventive  qui  se  fait  soi- môme  des  chants 
et  du  verbe  avant  de  se  plier  au  langage  de  son  entourage  :  sur  tous 
ces  points  l'auteur  diffère  peu  de  ses  prédécesseurs. 

Mais  en  ce  qui  concerne  les  sens  inférieurs,  les  observations  de  M.  S. 
l'ont  conduite  «à  des  conclusions  assez  opposées  à  l'opinion  courante 
pour  qu'on  y  insiste.  Loin  de  se  développer  les  premiers,  à  la  base,  le 
goût,  l'odorat,  etc.,  n'apparaîtraient  au  contraire  qu'après  les  sens 
supérieurs  de  la  vue  et  de  l'ouïe.  Cette  conclusion  s'appuie  sur  l'époque 
des  premières  sensations  olfactives,  etc.,  apparition  fort  tardive, 
d*après  les  observations  de  Miss  Shinn.  Cependant  il  est  d'observation 
courante  que  le  nouveau-né  paraît  vite  sensible  aux  odeurs,  et  recon- 
nait  assez  celles  de  sa  mère  ou  sa  nourrice  :  quant  à  la  sensibilité  à 
la  douleur,  elle  se  manifeste  dès  la  vie  utérine,  à  toute  impression 
désagréable,  fut-elle  passagère  :  et  dans  les  expulsions  avant  terme, 
nombre  de  mouvements  adaptés  se  manifestent  dès  le  quatrième  ou 
cinquième  mois  de  la  vie  utérine. 

D'ailleurs  Miss  S.  a  bien  noté  que  la  première  apparition  d'une  sensa. 
tion  peut  se  produire  plusieurs  jours  avant  l'établissement  définitif  et 
régulier  de  cette  sensation  :  cette  sorte  d'anticipation,  qu'elle  a  plusieurs 
fois  observée,  reste  encore  inexpliquée. 

L'apparition  des  mouvements,  et  sans  doute  aussi  l'exercice  du  sens 
musculaire,  étant  ainsi  antérieurs  à  la  naissance,  on  n'en  peut  donc 
saisir  l'origine  réelle.  Mais  les  observations  de  Miss  S.  montrent  bien 
comment  dès  la  naissance,  les  mouvements  volontaires  et  coordonnés 
s'installent  à  mesure  que  les  mouvements  incoordonnés  leur  cèdent  la 
place.  Dès  la  deuxième  semaine  commence  l'inhibition  des  mouve- 
ments grimaçants  du  visage  et  des  yeux  :  et  les  mouvements  volon- 
taires de  la  tête  datent  du  moment  où  l'enfant  parvient  à  fixer  son 
regard.  Dès  la  fin  du  premier  mois,  les  mouvements  coordonnés  appa- 
raissent aux  jambes  :  aux  bras  dès  le  milieu  du  second  :  et  l'enfant, 
cependant,  s'intéresse  de  plus  en  plus  à  éprouver  ses  sensations. 

Les  sensations  organiques  et  les  efforts  qu'elles  provoquent  pour  une 
adaptation  de  plus  en  plus  intelligente  ont  été  très  attentivement  et 


4:20  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

très  finement  notées  :  il  en  faut  dire  autant  des  observations  sur  le 
sommeil  de  l'enfant  et  des  lambeaux  de  phrases  qui  manifestaient  avec 
évidence  qu'il  rêvait  au  début  de  la  troisième  année  et  sans  doute 
depuis  quelque  temps.  Knfln  il  faut  attentivement  lire  et  comparer  aux 
pages  de  Baldwin  toute  la  suite  des  observations  sur  racquisition,  par 
Tenfant,  de  la  station  assise,  puis  debout,  et  eniin  de  la  marche,  de  la 
montée  et  de  la  descente  des  escaliers,  du  saut,  etc.,  li  y  a  là,  de  la 
pan  du  jeune  enfant,  toute  une  série  d'acquisitions  obtenues  par  de 
patients  ciTorts,  par  une  adaptation  méthodique,  lente  et  bien  conduite: 
rien  de  meilleur  pour  nous  renseigner  sur  leducation  musculaire: 
psychologues  et  médecins  auraient  grand  profit  à  revenir  constam- 
ment aux  études  de  ce  genre,  lorqu'ils  abordent  la  question  de  ce  seos 
dont  Maine  de  Biran,  en  suivant  Cabanis,  avait  bien  vu  le  rôle  capital. 
Le  livre  de  Miss  Shinn  (à  qui  Ton  pourrait  seulement  reprocher  de 
trop  peu  rapprocher  des  siennes  les  observations  de  ses  prédéces- 
seurs) est  donc  une  importante  contribution  non  seulement  à  la 
psychologie  de  l'enfant,  mais  aussi  à  la  psychologie,  laquelle,  eu  de^ 
nière  analyse,  lui  emprunte  peut-être  plus  qu'elle  ne  lui  donne.  Ea 
effet,  les  facultés  de  Tenfant  n'apparaissent  plus  aujourd'hui  comme 
une  simple  réduction  de  celles  de  l'adulte;  mais,  en  réalité,  comme 
une  préparation  :  d'où  la  nécessité  de  les  étudier  directement  pour 
bien  voir  comme  elles  se  forment, 

D*"  Jean  Philippe. 


G.  Dwelshauvers.  Nouvelles  notes  de  Psychologie  expérimentale 
(Extrait  de  la  Revue  de  Tuniversité  de  Bruxelles,  t.  IV,  18'JU,  p.  ^'J.) 

M.  1).  s'est  proposé  ce  que  déjà  plusieurs  psychologues  ont  tenté: 
faire  la  monographie  d'une  ou  plusieurs  personnes  en  leur  appliquant 
quelques-uns  des  procédés  actuels  d'anthropométrie  mentale. 

!:?on  idée  directrice  est  que  chaque  sujet  donne  sa  note  personnelle: 
d'où  résulte  qu'il  ne  faut  pas  tirer  les  moyennes  d^expériences  psycho- 
logiques comme  ferait  un  physicien  opérant  sur  des  données  abstraites 
ou  sur  des  éléments  triés  d'avance.  Nos  chiffres  traduisent  des  faits 
complexes  et  vivants,  et  le  simple  temps  de  réaction  lui-même  a  son 
individualité  :  il  est  réel  et  vivant,  non  abstrait.  On  s'est  trop  hâté  de 
traiter  la  psychologie  comme  une  mathématique. 

Ces  vues  sont  à  peine  indiquées,  et  nous  le  regrettons  d*autant  plus 
que  nous  avons  aussi  constaté  souvent  et  signalé  les  inconvénients  de 
la  méthode  critiquée. 

Ceci  posé,  M.  D.  étudie  les  temps  de  réaction,  Tattention  et  la  mémoire; 
cherchant  toujours  la  caractéristique  individuelle  de  ses  sujets.  C'est, 
en  effet,  à  quoi  devrait  aboutir  la  psychologie  individuelle  pour  ébau- 
cher une  classiiication  des  personnes  dont  l'étude  fait  Tobjet  delà 
psychologie.  Mais  pourquoi  n'avoir  pas  poussé  la  méthode  jusqu'au 
bout,  en  nous  montrant,  par  exemple,  ce  qui  caractérise  l'attention 


ANALYSES.  —  L.  Dt'PRAT.  Les  causes  sociales  de  la  folie.    421 

ou  la  mémoire  d'un  sujet  dont  les  réactions  appartiennent  au  type 
moteur. 

D"^  Jean  Philippe. 


III.  —  Psychologie  pathologique. 

G.-Li.  Duprat.  —  Les  causes  sociales  de,  la  folie,  in-12,  202  p.; 
Alcan,  1900. 

Plein  d'aperçus  intéressants,  agréable  et  facile  à  lire,  ce  livre  appelle 
Tattention  sur  beaucoup  de  points  qu'on  ne  saurait  trop  méditer.  On 
ne  doit  pas  s'attendre  à  trouver,  en  si  peu  d'espace,  une  étude  appro- 
fondie d'une  question  aussi  vaste  et  aussi  difficile. 

L'auteur  signale  les  problèmes  plutôt  qu'il  ne  les  discute.  Il  réussit 
a  convaincre  son  lecteur  que  le  milieu  social  peut  bien  avoir  quelque 
influence  sur  la  folie,  mais  sans  déterminer  en  quoi  consiste  cette 
influence,  comment  et  dans  quelles  limites  elle  s'exerce.  La  folie  peut 
être  le  résultat  de  la  dégénérescence,  c'est-à-dire  de  l'hérédité;  or  le 
mariage^  phénomène  social,  a  une  influence  sur  l'hérédité  et  par  suite 
sur  la  folie.  Les  excès  de  toute  sorte,  alcoolisme,  surmenage  intellec- 
tuel, surmenage  professionnel,  etc.,  peuvent  engendrer  la  folie  chez 
les  sujets  sains,  la  développer  chez  les  prédisposés;  or  ces  excès  ont 
des  causes  sociales,  notamment  l'àpreté  de  la  lutte  pour  la  vie  dans 
les  sociétés  les  plus  civilisées;  ce  sont  donc  là  des  causes  sociales  de 
la  folie. 

On  pourrait  observer  que,  dans  ces  exemples,  la  cause  prochaine  de 
la  folie  est  organique;  les  causes  sociales  ne  sont  ici  que  des  causes 
éloignées.  Il  était  peut-être  d'unie  bonne  méthode  de  considérer  une  à 
une  ces  causes  sociales,  et  les  effets  organiques  qu'elles  produisent  ; 
aux  aliénistes  d'expliquer  à  leur  tour  comment  les  altérations  orga- 
niques produisent  la  folie.  Le  choix  d'un  époux  ou  d'une  épouse  est 
déterminé  beaucoup  trop  par  des  convenances  mondaines  et  des  inté- 
rêts matériels,  pas  assez  par  l'examen  de  la  santé  physiologique  et 
morale.  Le  mariage  donne  à  l'homme  deux  choses  :  un  intérieur  et 
une  situation  sociale.  Comment  se  fait-il  que  la  préoccupation  de  la 
seconde  soit  si  forte,  et  celle  du  premier  si  faible?  Comment  l'homme 
en  arrive-t-il  à  se  soucier  si  peu  de  trouver  dans  sa  femme  de  la  santé, 
de  la  beauté,  de  l'intelligence  et  du  cœur?  Quel  est  donc  le  mystère 
de  cette  étrange  séduction  de  l'alcool,  séduction  qui  continue  à 
s'exercer  malgré  la  connaissance  du  danger,  séduction  qui  paraît  même 
indépendante  de  la  saveur  des  boissons,  séduction  dont  les  causes  sont 
sociales  en  efl'ct,  mais  bien  mal  connues?  Comment  le  désir  de  par- 
venir, de  s'enrichir  et  de  s'élever,  en  se  privant  pour  cela  de  toute 
jouissance  et  de  tout  repos,  peut-il  être  si  puissant  qu'il  fasse  échec  à 
rinstinct  de  conservation?  Voilà  d'intéressants  problèmes  de  psycho- 
logie sociale.  Les  aliénistes  détermineront  ensuite  dans  quelle  mesure' 
et  comment  la  dégénérescence,  l'alcoolisme  et  le  surmenage  mènent 


42 â  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

à  la  folie.  Il  faut,  dit  Descartes,  «  diviser  les  difficultés  ».  J'ai  déjà  eu 
Toccasion  de  faire  remarquer  que  la  méthode  sociologique,  telle  qu'on 
la  pratique  souvent,  consiste  à  considérer  les  phénomènes  en  gros,  et 
à  s'abstenir  de  les  analyser,  de  peur  de  leur  faire  perdre  leur  caractère 
de  faits  sociaux. 

Il  me  semble  aussi  que  M.  D.  rapproche  du  délire  des  aliénés  des 
aberrations  de  lesprit  et  des  écarts  de  conduite  que  les  alicnistes  en 
distinguent  soigneusement.  Les  causes  sociales  dont  il  parle  n'ont 
souvent  d'autre  effet  que  de  déterminer  la  matière  de  l'idée  délirante: 
cette  idée  délirante  se  rattache  presque  toujours,  en  effet,  à  quelque 
circonstance  de  la  vie  du  malade,  mais  ce  n'est  pas  cette  circonstance 
qui  fait  qu'il  y  a  une  idée  délirante.  Cette  critique  s'adresse  à  tout  ce 
que  dit  l'auteur  des  mégalomaniaques  et  des  persécutés,  de  la  folie 
religieuse  et  de  la  folie  morale.  Son  chapitre  sur  les  rapports  des  reli- 
gions et  de  la  folie  religieuse  est  un  des  mieux  documentés;  mais 
comparez-le  à  l'étude  de  M.  Durkheim  sur  les  rapports  des  religions  et 
de  suicide.  M.  Durkheim  avait  démontré  par  des  faits,  des  chiffres,  des 
statistiques  scrupuleusement  analysées,  que  le  catholicisme  est,  contre 
le  suicide,  un  préservatif  plus  efficace  que  le  protestantisme,  moins 
elHcace  que  le  judaïsme.  M.  Duprat  ne  nous  apprend  pas  si  certaines 
religions  agissent  plus  puissamment  que  les  autres,  soit  pour  déter- 
miner la  folie  religieuse,  soit  pour  donner  au  délire  des  aliénés  un 
caractère  religieux.  Il  se  borne  à  montrer  clans  la  religiosité  humaine 
un  danger. 

Le  livre  se  termine  par  un  chapitre  de  conclusions  pratiques.  II  con- 
seille «  une  organisation  rationnelle  de  l'éducation  populaire  en  vue 
de  préserver  les  nations  des  troubles  sociaux  et  les  individus  des 
troubles  do  l'esprit  ». 

E.   GOBLOT. 


A.  Pitres.  L'aphasie  amnk.<ique  et  ses  variétés  cliniques.  Leçons 
faites  à  l'hôpital  .Saint-André  de  Bordeaux.  Paris,  18U8,  au  Progrès 
médicnl  et  chez  F.  Alcan. 

«  L'aphasie  amnésique  »  était  décrite  par  Bouillaud,  par  Trousseau, 
par  de  nombreux  médecins  anglais,  et  elle  subsista  même  concur- 
remmeiil  avec  l'aphasie  de  Hroca  jusqu'au  jour  où  les  travaux  de 
Wernicko,  de  Charcot  l'englobèrent  dans  leurs  nouvelles  formes 
d'aphasies  sensorielles,  si  bien  qu'à  l'heure  actuelle  elle  n'existe  plus» 
passcW'  sous  silence  ou  niée  formellement.  Et  pourtant  elle  existe  bel 
et  bien,  et  c'est  à  rétablir  son  existence  que  M.  Pitres  a  destiné  ses 
le(;ons.  On  peut  penser,  je  crois,  qu'il  y  a  réussi,  car  il  fournit  après 
les  vieux  auteurs,  des  observations  absolument  démonstratives.  Après 
avoir  rapp('lé  brièvement  les  notions  bien  acquises  depuis  M.  Ribot 
sur  la  physiologie  de  la  mémoire,  il  en  fait  l'application  à  sa  patho- 
génie en  classant  d'abord  les  amnésies  ainsi  : 


AffALYS£3.  —  A*  PITRES.  L,"aphmie  amnésifpie. 


423 


ÀitiEièsks  de  fixation 


Amnësids  de  rêcoUeclioti 


par  défaut  de  pènélriilion. 
par  de  faut  de  pélention, 
par  déraul  d'évocalion, 
par  dêraul  de  rèvi  viscencé 
par  défaut  de  recon naissance. 


Et  alors  râtnnésie  des  mots  ee  pourraft  classer  ainsi  qu'il  suit  : 


1°  de  fixation 


Amnésie  v^r- 
baie.  —  l'çrliir- 
IjaUons     en 

111  liens  ou  s'Up- 
pn-.î-âûin  totale  J 
dt!  Iti  tonelion  / 
innésiffueappti' 
qoée  à  U  U%n- 
lion  el  à  la  pe- 
c-olleclion  des 
images     des 


Ir, 


C.  Par  défaut  de 
reeonnaisîiariire. 


/  Peu  étudJéti  jnîifju*à  présent.  Ne  correspond 
i  d'aiJ^curs  pas  à  une  fonne  âpétn^ile  il'nphaste 
<  muia  s^obHcrve  st>uvent  à  litre  dv  svmplèmea 
/  iicfessoires  chejt  beaucoup  d'apliasiqucs  de 
\  loutes  \es  varît'tés. 

SCaractèriîïée  par  l'onbli  d'é  vo- 
cation des  mois  avee  eonser- 
v.ition  de  la  rèviviscenee  et 
d'ê vocation.         )  de     Ifi    reeonnaiaifaiire    des 
ruage^     verbalea  .     Prtiduit 
aphasie  amnésique. 

lié  s  ni  te  de  la  dealmclion  or- 
igan in  u<î  ou  de  Tincrtie  fonc- 
Itonnelle  des  ceiitres  corli- 

âl  rà^lvlnrsnTp  {  ^'""  ^^  langage,  ^e  confond 

CIL  rtTi^jiLçnLÇ  1  ,;|jniqi,ej„enlaveek.*;randi*s 

2r  de  reeolïee-  /  formes èlémi?nt«ures derapli a- 

lion  \  me,    notamment    Ka    surdité 

vi  céeité  verbales. 

i  Caractérisée  par  la  perte  ou 
'  ia  perversion  de  (a  reconnais- 
snnre,  coïn4!(dant  avec  la  con- 
tt*fvalion  de  Té  voirai  ion  vi  de 
La  reviviscence  des  iniagt'â 
verl>ales*  E^Jtpliqne  les  îtyai- 
ptiimtîs  d'aphasie  générale- 
ment confondus  avec  ceux 
de  rapïinsie  sensorielle.  S'oli- 
servr  peut -être  aussi  dans 
quelques  cas  de  parnpbasie. 

C'est  à  Tamnésie  verbale  par  defAUt  d'évocation  seule  que  M.  Pitres 
conserve  le  nom  impropre  iVriplut^ir  Rmné&îqut'  que  Ton  devrait, 
dïl-iK  remplaci^r  par  celui  plua  précis  d*aphaaic  dysmnésique  d'évoca* 
tïon.  Cotte  aphasie  amiiéslque  doit  être  distinguée  des  aphasies  sen- 
sorielle et  motrice.  Ces  dernières  sont  des  symptauies  de  la  perte  de 
IVxcitabnite  or!:^^ nique  ou  sensorielle  des  centres  des  images  senso- 
rtellea  ou  motrices  de^  mots;  la  première  est  le  signe  du  défaut  d*inté- 
grité  de  eommunfcatiou  entre  les  centres  psychiques  intacts  et  les 
centres  inaltérés  des  images  verbales. 

Celte  aphasie  amnésic^ue  n  a  une  symptomatologte  très  précise.  Les 
malades  qui  en  sont  atteints  ne  Bont  t. as  absolument  privés  de  la 
|iarole*  Souvent  même  ils  parlent  beancoup.  ils  peuvent  lire  mentate- 
gnent  et  a  haute  voix.  Ils  comprennent  ce  qu'on  leur  dit.  Ils  répondent 
judicieusement  au^t  questions  qu'on  leur  pose»  Mais  de  temps  en 
temps,  les  mots  qu'ils  voulaient  employer  pour  exprimer  leurs  pen- 
sées leur  échappe ntp  et  ils  aont  obligés  de  s'arrêter  ou  d'avoir  recours 


42i  KRVIË   PHILOSOPIlfQlE 

à  des  périphrases.  »  11  est  facile  de  s'en  assurer,  en  priant  les  aphasiques 
amnésiques  de  nommer  un  certain  nombre  d'objets  qu'on  désigne  à 
leur  attention;  ils  reconnaissent  ces  objets,  mais  ne  peuvent  les 
nommer  tant  qu'on  ne  leur  a  pas  soufilé  le  nom  exact.  Les  troubles  de 
récriture  sont  analogues  à  ceux  de  la  parole;  sous  la  dictée  les 
malades  écrivent  tout.  Comn)e  variétés  cliniques,  on  peut  distîQirucr 
l'autonomasie  ou  prédominance  de  la  difficulté  d*é vocation  de  subs- 
tantifs, Tagrammatisme  ou  acataphasie,  impossibilité  de  construire 
des  phrases,  Taphasic  systématique  des  polyglottes. 

Cette  aphasie  amnésique  n*a  pas  nécessairement  une  significatioii 
topographique,  c'est-à-dire  ({u'elle  peut  ôtre  un  simple  trouble  fonc- 
tionnel, mais  les  lésions,  quand  il  en  existe,  «  siègent  habituellemeat 
au  voisinage  immédiat  des  centres  psycho-sensoriels  du  langage,  el 
plus  fréquemment  que  que  partout  ailleur;*;,  dans  la  région  du  lobule 
pariétal  inférieur  ». 

Le  diagnostic  de  cette  aphasie  amnésique  lorsqu'elle  est  pure,  est 
très  simple,  mais  cela  devient  plus  difficile  quand  elle  s'accompagne 
d'autres  formes  d'aphasie;  aussi  a-t-on  négligé  dans  ces  dernières  de 
faire  la  part  à  Tamnésie,  ce  ([ui  a  donné  à  certains  signes  une  impo^ 
tance  exagérée.  La  conclusion  générale  à  laquelle  arrive  M.  Pitres  ert 
qu'il  no  faut  pas  abuser  de  ce  jeu  des  petits  schémas,  autrement  dit 
que  la  clini(|ue  réelle  des  aphasies  n'est  pas  si  simple  que  les  théories 
qu'on  en  a  données. 

Pu.  Chaslin. 


William  Ireland.  The  mental  affections  of  childuen,  iDiocr, 
iMiiECiLiTY  AND  INSANITV,  Londres  et  Edimbourg,  I8D8. 

Ce  livre  se  prête  mal  à  une  analyse  détaillée,  étant  surtout  une 
description  d'ensemble  du  sujet  au  point  de  vue  clinique  et  patholo- 
gique. M.  William  Ireland  y  a  condense  le  fruit  de  nombreuses  lec- 
tures et  de  nombreuses  observations  personnelles  faites  depuis  son 
premier  livre  «  On  Idiocy  and  Imbecility  u,  de  telle  sorte  que  le  pn^ 
sent  ouvrage  pamil  plutôt  une  œuvre  nouvelle  qu'une  deuxième  édi- 
tion de  l'ancienne.  A  propos  dos  causes  de  l'idiotie,  dont  «  rbcrédite» 
est  une  des  principales,  M.  Ireland  fait  remarquer  que  fréquemment  il 
est  diflicile  d'établir  une  étiologie  certaine.  Le  plus  souvent,  dît-il 
les  idiois  naissent  dans  des  familles  nombreuses  et  qui  ne  sont  nulle- 
mont  on  décadence.  «  On  peut  comparer  ces  familles  à  un  trooc 
d'arbre  dont  quelques  branches  meurent  et  tombent  graduellement, 
tandis  qu'il  y  en  a  d'autres  qui  restent  vertes  et  vigoureuses.  »  ^' 
dans  bien  dos  cas  on  ne  peut  remonter  jusqu'à  la  cause,  dans  d'autres 
celle-ci  est  bien  connue  :  c'est  l'existenoe  dans  des  conditions  sociales 
mauvaises  en  haut  comme  en  bas.  Mais  qu'y  faire*^  «  Après  tuul, 
personne,  dit  judicieusement  l'auteur,  ne  fait  du  maintien  dobpl**^ 
grande  vigueur  physique  possible  chez  lui-même  ou  ses  descendants 


AlTAT^TSES.  —  A*  WRESCHNKR.  Elnc  experimmitdle  Studlc,    458 

le  but  primordial  de  la  vie.  Il  est  fort  à  croire  que  ai  vous  prenez  dans 
une  salle  de  conférences  un  millier  d'hommes  rirhea,  pouvant  vivre 
où  et  quand  il  leur  plaît,  vous  pourrez  bien  convaincre  chacun  d'eux 
que  leurs  chances  de  survie  seraient  de  quinze  années  plus  longues, 
s*ils  allaient  8*ctablir  dans  une  des  Hébrides  ou  quelque  trou  des 
llighlands,  qu*eux  et  leurs  femmes  seraient  mieux  portants  et  quMa 
auraient  moins  do  chance  de  perdre  d'enfants;  ils  pourraient  en  être 
complètement  convaincus,  et  pourtant  vraisemblablement  personne 
crentre  eux  ne  voudra  partir  pour  cet  endroit  salubre.  »  Cette  remarque 
me  parait  importante  au  point  de  vue  de  la  prophylaxie  en  général  de 
la  folie  aussi  bien  que  de  l'idiotie;  il  y  a  non  seulement  Talcoolisme  à 
enrayer,  mais  il  y  a  encore  à  combattre  le  genre  de  vie^  dans  son 
ensemble,  des  classes  riches  ou  moyennes,  si  Ton  veut  arriver  à  un 
i-*^sultat.  îl  semble  que  pas  plus  chez  nous  qu'en  Angleterre  on  ne 
comprenne  rimportancâ  d*une  exiâtence  moins  artîncielle  et  plus 
.s^me. 

Quand  à  la  classilication  de  Tidiolie,  M.  W,  Iretand  la  considère 

cdoime  devant  être  avant  tout  pathologique,  et  il  donne  de  grands 

développements  à  lanatomie   pathologique.   Il  termine  son  livre  par 

un   Cïhapitre  sur  le  traitement  et  nu  autre  sur  la  législation  sur  les  idiots 

If  i^i,    comme  l'on  sait,  sont  Tobjet  de  ïa  sollicitude  des  pouvoirs  publics 

en     ^Xngleterre  et  surtout  en  Amérique*  Cest  un  traité  clinique  très 

^ul^^j  w^,  un  excellent  guide  en  matière  d'idiotie.  Mais  me  sera-t-il  permis 

^Rc£     *:  ï*ouver  que    le  chapitre   sur   la   folie   proprement  dite  chez   les 

^nrEf-^nts  est  un  peu  court  et  ne  nous  donne  pas  des  renseignements 

^»i«a^^  précia  sur  la  différence  qu*il  y  a  entre  la  folie  do  rcnfance  et 

C^^l^    de  Tadulte?  Il  y  aurait  aussi  à  réunir  ce  qu'on  a  publié  sur  les 

iroiabjes  mentaux  de  Tenfance^  en  dehors  de  la  lolie  proprement  dite» 

é^ï*      les   rêves   pathologiques,   les   écarts  d*ima  un  nation,  lea   halluci- 

05fclîons,  etc.  J'espère  qu'à  la  prochaine  édition,  M.  Ireland  nous  don- 

^^r^  tout  cela  traité  et  mis  au  ptïint  avec  le  sens  clinique  et  psycholo- 

i&Hue  qu  il  apporte  à  ses  travaux. 


Â,  Wreschner.  —  EiXE  expeuimentelle  Studib  ûber  oie  AîsSOcea- 
TJOî*  ïs  EiNEM  Falle  von  Iolotie  (Publication  de  VAlîgem*  ZeitschTift 
far  Psychiatrie,  Bd,  57,  p.  2.il-339,  in-K^  (>.  Reimer,  Berlin.  1900}. 

L'élude  de  rassociatîon  mentale  chez  lt*s  aliénés  nous  semble  sur- 
tout appelée  à  mettre  en  lumière  la  fréquence  des  associations  ver- 
bales, et  leur  importance,  non  seulement  pour  la  production  et  le 
développement  des  délires  dans  les  esprits  anormaux,  mais  encore 
pour  renchaînement  des  pensées  chez  les  êtres  normaux.  Toutefois» 
quelques  recherches  préparatoires  sont  indispensables.  M,  Wreschner 
a.  observé  une  maîade  que  nous  n'appellerions  pas  sania  doute  une 
îdiote»  étant  donné  le  degré  do  développement  de  son  langage,  mais 
<|ui  est  une  faible  d'esprit,  une  dégénérée,  incapable  de  r|ùsonnemcnt» 
TOiK  L.  —  1900,  2Ô 


426  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

de  jugement  sain  et  d'attention  soutenue.  Née  en  iB75,  elle  a  apprU  i 
lire,  écrire  et  faire  les  travaux  du  ménage  dans  un  établissement  tpé- 
oial;  revenue  à  dix-huit  ans  auprès  de  son  père,  elle  n'a  pu  rester 
dans  la  maison  »  où  elle  souillait  et  détériorait  tout.  Entrée  le  U  no- 
vembre 1895  à  la  clinique  psychiatrique  de  Giessen,  elle  se  montre 
pourvue  de  quelques  souvenirs  bibliques,  poétiques,  historiqnes  et 
géographiques;  mais  elle  dit  que  le  jour  a  1  heure,  la  semaine  3  jours, 
que  10  pf.  sont  plus  qu'un  mark,  etc.  Elle  est  soumise  du  G  décembre 
1897  au  23  février  1898  à  1040  expériences  dans  lesquelles,  un  mot  étant 
prononcé,  elle  doit  répondre  immédiatement  par  le  mot  suggéré.  Le 
môme  mot  est  répété  à  plusieurs  jours  d'intervalle  (Wiedcrholungs- 
mcîthode). 

Les  mots  prononcés  (Reizworte)  sont  empruntés  aux  trois  tables  de 
Sommer  :  la  i*^  comprend  'iG  termes  désignant  des  qualités  sensibles 
(répartis  en  10  groupes  selon  les  divers  ordres  de  sensations  :  lumière 
et  couleur,  étendue  et  forme,  mouvement,  toucher,  température,  ouïe, 
odorat,  goût,  plaisir  et  douleur,  sentiments  esthétiques);  la  2*  et  la 3* 
comprennent  chacune  48  substantifs,  abstraits  ou  concrets,  ou  inter* 
jections  de  plaisir,  de  douleur,  d'admiration,  etc. 

L(\s  résultats  ont  été  examinés  au  point  de  vue  de  la  qualité  des 
associations  (ass.  verbales  ou  par  contenu  représentatif),  de  leurdurrt, 
de  leur  répétition,  de  Vinfluence  et  de  Voxercice.  Nous  ne  pouvons 
indiquer  ici  que  les  données  les  plus  générales  :  il  faut  se  reporter  aui 
nombreuses  tables  d'observation  et  notamment  aux  tableaux  récapi* 
tulatifs  des  pages  2S;i,  :i09,  330,  pour  des  détails  qui  n'auront  d'ailieur* 
d'intérêt  que  par  une  comparaison  (que  nous  espérons  faire  procha^" 
nement)  avec  les  résultats  d'expériences  analogues  :  i«  sur  des  aliéo^* 
de  différentifs  catégories;  "2^'  sur  des  sujrts  normaux. 

On  trouve  dans  les  expériences  faites  avec  les  mots  de  la  1"  tat>*® 
(adjectifs  ou  lunriH  de  (lunlitès  sensibles),  '283  associations  par  contenu 
représentatif  contre  74  associations  verbales;  —  avec  ceux  de  ** 
2*'  table  (noms  des  différentes  parties  du  corps,  des  choses  de  la  famil  *^ 
ou  d»'  la  cité,  de  plantes  ou  d'êtres  vivants),  l.'^7  associations  parco*^* 
tenu  représentatif  contre  lur»  associations  verbales;  —  avec  ceux  de  ** 
ii*"  table  (interjections  et  termes  abstraits),  r»7  associations  par  conteï">^*| 
contre  ^Mi  associations  verbales.  Donc  «  plus  est  élevée  la  quali  *^ 
du  mot  prononcé,  moindre  est  chez  la  malade  la  qualité  de  laré»-^' 
tion  ».  Sur  ^>\'^  associations  par  contenu  représentatif-,  on  troii.^'* 
comme  réponses  :)27  adjectifs,  119  substantifs  et  69  verbes  :  «  ** 
malade  sciiihle  donc  disposer  d'un  plus  grand  nombre  de  teric»-^' 
qualilicatifs  que  de  termes  désiiTuatifs  ou  abstraits.  » 

Les  associations  verbales  sont  celles  qui  ont  demandé  le  moins    *** 
temps   :  elles  se  sont  laites   par  llexion,  ou  par  réminiscence,  ou  P* 
hoinophonie   partielle.  Klles  ont   pris  de  2,2  sec.  à  3,5,  tandis  qu^ 
afeb()ci.uii>ns  par  contenu  reprcsenlatif  ont  pris  de  2,5   sec.  à  4,6    ^ 
Moins  le  moi  pront)ncé  est  familier,  plus  i^rande  est  la  durée,  mais  f^ 


ILTSES*  —  DUBOIS.  Spencer  et  le  principe  de  la  morale.    427 

tlde  aussi  peut  être  l'inHuence  de  Texercice  pour  abréger  la  durée  du 

cêBâu«.  L'exercice  en  outre  améliore  la  qualité  de  rassociation^ 
tout  dans  la  l''»  série,  od  rabréviatîon  est  de  0,7  sec.  pour  les  asso- 
ioui  Vïi'rbales  (tandis  qu'elle  est  de  0,8  et  de  1,1  dans  la  î*  at  la 
lérid);  0,2  §ec.  pour  les  aasocjatioDS  et  de  contenu  représentatif, 
tdis  qu't^tle  est  de  i,3  et  de  0|9  dans  la  î^  et  îa  3^  aéne).  On  véritle 
Heurs  que  rexerçice  entraîne  diminution  du  nombre  d'associatlont 
baies  et  augmentation  du  nombre  d'associations  par  contenu  repré- 
tatif,  Enfin  le  retour  de  U  même  réaction  n'a  pas  grande  împor- 
&e,  a  Plus  élevée  est  la  qualité  de  Tassociation,  plus  rare  est  la  fixa- 
I  du  processus,  «  Il  faut  toutefois  éviter  la  répétition  à  trop  court 
îrvalle  des  mômes  excitations,  surtout  chez  les  faibles  d*esprit,  car 
fixation  des  processus,  par  paresse  psychique,  y  est  plus  aisée 
?  chez  les  sujets  normaux. 

G.-L.  DOPRAT, 


u 


IV.  —  Morale. 


'ttles  Dubois.  —  Sî'ENCER  et  le  frin'Ctpe  de  l\  morale.  Paris, 
ehbaoher,  18^1,  in-8"»  329  pages. 

tprès  les  nombreux  travaux  provoqués  en  France  et  à  Têtranger 
■  la  philosophie  de  Spencer,  le  ïivrc  de  M.  Dubois  ne  sera  pas  inu* 
^,  car  il  envisage  la  question  à  un  point  de  vue  particulier,  L'auleur 

se  met  pas   seulement  en  face  d'un  problème   philosophique   et 
rai,  mais  aussi  d*un  problême  religieux. 

I.  Dubois  constate  que,  parmi  les  idées  modernes,  la  théorie  de 
folution  occupe  une  place  importante,  que  même  révolution  est 
B  vérité  :  il  re^^te  à  savoir  &i  Ton  a  le  droit,  avec  les  évûlutionnisteSp 
n  fair«  la  véniê.  Mais  Tauteur  restreint  la  portée  de  son  travail, 

son  ambition  n'est  pas  de  jug'er  dans  son  ensemble  la  oonstruc- 
1  philosophique  de  Spencer:  comme,  d*aprês  lui*  la  tendance  évo- 
onniate  présente  un  danger  sérieux  paur  Tindividu  et  pour  la 
lété,  ce  qu'il  est  surtout  intéressant  d'étudier  dans  l'œuvre  du  phi- 
>|>he  anglais  c'est  sa  morale.  A-t^ii  donné  une  solution  satisfai- 
te à  ce  problème  :  (^uel  est  le  principe  rie  fa  Tnor^ie'i  tel  est  le 
et  du  livre  de  M.  Dubois,  qui  comprend  deux  parties  :  une  partie 
tpoâition  du  sy^^léme  de  Spencer,  et  une  partie  de  critique, 
,wk  première  partie  du  livre  de  M.  Dubois  est  un  excellent  résumé 
Ka  philosophie  de  Spencer,  pour  lequel  il  suit  fréquemment,  comme 
dit  lui-même,  l'ouvrai^'e  de  H.  Gollins.  Comme  Tidéal  social  que 
19  avons  est  en  avance  sur  notre  époque,  û  faut  faciliter  l  action 
i  forces  qui  lendent  à  produire  le  progrès;  «  il  faut  toujours  faire 
façon  à  ce  qu'elles  ne  prennent  pas  une  fausse  direction.  »  Cela 
ni  lie  qu'il  faut  aroir  une  conduit  e  conforme  aux  lois  de  révolution. 
it  ainsi  que  tious  entrons  dans  la   partie  morale  de  Vceuvre  de 


e 


428  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

Spencer,  dont  la  tâche  est  «  de  trouver  une  base  scientifique  pour  les 
principes  du  bien  et  du  mal  dans  la  conduite  en  général.  »  Nous  ne 
suivrons  pas  l'auteur  dans  son  exposé  de  Vutilitarisme  rationnel  de 
Spencer,  des  transformations  de  la  conduite,  et  de  rapplication  des 
principes  de  la  morale  à  Tindividu  et  à  la  société;  nous  préférons  nous 
borner  à  une  analyse  de  la  seconde  partie  de  son  ouvrage,  et  qui  est 
la  critique  de  la  morale  évolutionniste. 

Au  point  de  vue  philosophique,  c'est  la  théorie  de  la  connaissance 
qui  fait  Tobjet  de  la  critique  de  M.  Dubois.  Il  pense  que  les  preuves 
données  par  Spencer  en  faveur  de  la  réalité  extérieure  convaincront 
seulement  ceux  qui  sont  déjà  convaincus. 

Au  point  de  vue  moral,  Tévolutionnisme  est  la  négation  pure  et 
simple  de  l'élément  moral  dans  le  monde  de  la  conscience.  La  conduite 
et  la  morale  ne  sont  considérées  que  du  point  de  vue  objectif,  comme 
toutes  les  autres  sciences;  aussi  la  morale  de  Spencer  est-elle  pure- 
ment descriptive,  une  histoire  du  passé  plutôt  qu'une  anticipation  de 
Tavenir. 

Cette  morale  ne  peut  avoir  pour  méthode  que  la  méthode  expérimen- 
tale et  inductivc;  aussi,  la  loi  de  la  conduite  scra<t-elle  simplement  le 
désir  du  bonheur,  manifestation  de  la  persistance  dans  Tètre,  de  li 
permanence  de  la  force. 

C*est  encore  aux  sciences  que  Spencer  emprunte  la  loi  suprême  qui 
doit  diriger  riionime,  c  cst-à-dire  la  loi  d'adaptation,  quMl  transporte 
de  la  biologie  en  morale.  Mais  l'adaptation  ne  peut  être  synonyme  de 
bien,  au  moins  dans  le  cas  fréquent  des  périodes  de  recul,  pour  les- 
quelles ff  le  principal  ne  peut  pas  être  d'être  adapté  à  son  milieu  ».  Et 
si  Ton  veut  parler  d'une  adaptation  à  la  société  idéale  de  l'avenir,  il  ne 
saurait  être  question  de  nous  donner  comme  règle  morale  de  nous 
adapter  à  ce  rôve  lointain  et  vague  d'une  humanité  transformée. 

Autre  critique  :  la  morale  utilitaire  de  l'évolutionnisme  repose  sur 
une  conception  optimiste  du  monde,  puisque  tout  est  dominé  par  l'idée 
d'un  progrès  nécessaire;  mais  il  reste  à  savoir  si  Spencer  a  le  droit 
d'assimiler  l'évolution  ou  simple  loi  de  transformation  avec  la  loi  do 
progrès,  —  une  loi  purement  scientifîquc  et  naturelle  avec  une  loi 
impliquant  notions  et  jugements  moraux.  Et  ce  progrès,  ce  bonheur 
qui  ne  sera,  en  somme,  que  pour  l'humanité,  sorte  d'être  abstrait, 
l'homme  n'aurait-il  pas  le  droit  de  le  réclamer  pour  lui,  au  lieu  de  se 
contenter  d'une  satisfaction  toute  idéale?  En  tant  qu'être  moral, 
comme  ayant  une  valeur  spécifique,  sans  souci  d'utilité,  Thomme  peut 
rcclamcr  sa  part  de  bonheur  ici-bas;  et  la  société  future  que  Spencer 
prétend  bâtir  sur  les  données  de  la  science  semble  bien,  chez  lui,  un 
résultat  de  l'imagination. 

Dans  un  dernier  chapitre,  M.  Dubois  étudie  d'une  façon  très  minu- 
tieuse l'idée  de  la  religion  dans  la  philosophie  évolutionniste.  Pour 
Spencer,  la  religion  n'est  pas  du  tout  ce  qu'on  entend  généralement 
par  ce  mot;  il  prétend,  on  le  sait,  la  réconcilier  avec  la  science.  Ces 


AITÂLTSES.  —  F,  TILLV*  Jntrodtictwn  to  £thics. 


429 


deux  puîssânceiï  ont  toujours  lutté  dans  V histoire,  parce  qu^eUes  ont 
voulu  empiéter  sur  leurs  domaines  respectifs;  ainsi,  la  religion  pré- 
tend connaître  le  mystère,  et  alors,  elle  devient  irréligieuse.  Qu'elle 
reste  ngnoslieiame,  et  il  n'y  aura  plus  lutte  entre  la  religion  et  la  science. 
Mais  qui  ne  s'aperçoit  pas  que  cette  relî^fion  est  une  religion  sans 
Dieu^  Dans  ce  cas^  la  réconciliation  avec  la  science  ne  coûte  pas  grand 
effort.  Ce  n'est  plus  de  la  réconciliation  ;  o*est  la  suppressioQ  même  de 
là  religion.  L'auteur  complète  eon  idée  en  montrant  que  la  loi  morale 
noua  conduit  au  deià  d'elle-même;  et  ce  n'est  que  par  un  acte  religieux 
qu'on  saisit,  en  l'homme,  lo  principe  de  la  morale. 

Dans  les  derniûres  pa^es  de  sou  livre^  M.  Dubois  noua  dit  que,  pour 
comprendre  la  vie,  il  faut  aller  plus  loin  que  ne  Ta  fait  Bpencer,  car  il 
faut  donner  à  cette  vie  une  valeur  absolue;  c'est  en  Dieu,  vt  dans  le 
Dieu  du  christianisme  que  nous  trouvons  la  source  de  cette  vie,  et 
aussi  sa  réalisation.  Telle  est  la  conclusion  de  cette  étude  de  philoao* 
phie  morale  et  religieuse. 

JULBS  DëLVAILLE. 

1  Frank  Tilly.  ÎHTRonucTiON  to  Ethics.  New  York»  Charles  Sorib- 
sr^s  Son-s  mOU;  1  vo!.  in-1?,  3i6  p. 

M*  F.  Tilly  avaît  hwduit  le  Siii^tèmp  do  morale  du  professeur  Friedrich 
Paulsen.  11  lui  dédie,  comme  à  son  maître,  le  îivre  que  voici,  oii  il 
noua  donne,  en  manière  d'introduction  à  une  morale  pratique  qui 
paraîtra  sans  doute  bientôt,  un  exposé  de  la  morale  théorique* 

Cet  exposé  consiste  essentiellement  en  une  critique  des  syslèmes. 
Il  a  au  motus  le  mérite  de  nous  fournir  des  indications  bibliographi- 
ques très  nombreuses  et  très  variées.  Elles  ne  sont  cependant  pas 
encore  complètes.  Parmi  nos  contemporains ^  par  exemple,  on  est  sur- 
pris de  ne  pas  rencontrer  le  nom  de  M.  flenouvier  à  côté  des  noms 
de  MM.  Janet,  Fouillée,  Guyau,  ete.  Elles  ne  semblent  pas  non  plus 
toujours  exactes»  Je  ne  suis  pas  sûr  que  La  Bruyère  doive  être  rangé 
ip*  ^62 1,  avec  La  Rochefoucauld,  parmi  les  moralistes  qui  regardent 
ramour- propre  comme  le  seul  motif  de  nos  actions.  Ailleurs»  on  est 
surpris  de  voir  mettre  sur  la  même  lîgne  des  philosophes  d'un  mérite 
fort  inégal.  Telles  qu'elles  sont,  elles  dénotent  cependant  une  grande 
richesse  d'informations  et  constituent  un  précieux  répertoire  de  ren- 
ieignements  qui  manque  souvent  à  nof?  livres  français  et  dont  un 
index  rend  l'usage  très  facile. 

Les  deux  chapitres  par  lesquels  Touvrage  se  termine  —  OpHmisme 
contre  pessuntsme,  Caruct&re  et  liberté  —  forment,  malgré  leur  rapport 
manifeste  avec  le  sujet,  une  sorte  de  hors  d'œuvre.  C'est  assez  facile  à 
comprendre  pour  le  premier;  le  ficcond  revient  sur  l'examen  d'un  pro- 
blème qui  a  déjà  été  étudié  dans  des  chapitres  précédents  à  diiïérents 
points  de  vue.  Ce  qui  fait  îe  fond  du  livre,  c'est  le  résumé  et  la  dise  us* 
sion  des  opinions  nnciennes  et  modernes  sur  toutes  les  questions  de 


—  J 


430  REVUE   PHILOSOPHIQUE  ^ 

morale.  T/auteur  déclare,  p.  20,  qu'il  ne  fera  pas  de  métaphysiqu^- 
Encore  lui  faut-il,  pour  discuter  les  opinions  des  moralistes,  recourir 
à  quelques  principes.  S'il  ne  fait  pas  de  métaphysique,  c'est  donc  qu*  **- 
appartient  à  Tccole  évolutionniste  ou,  plus  simplement,  à  celles  A  *^ 
progrès  historique,  et  qu'il  en  adopte  les  principes.  II. rejette,  en  eff^"^'^^ 
la  doctrine  d'après  laquelle  le  devoir  nous  serait  immédiatement  révé^-    ^^ 
par  la  conscience,  ou  celle  qui  le  fait  dépendre  d'une  révélation  de  K 
volonté  divine.  La  distinction  du  bien  et  du  mal  résulte  pour  lui 
l'expérience.  C'est  elle  qui,  peu  à  peu,  nous  a  appris  quelles  sont  le 
fins  que  nous  devons  ab^olnmont  nous  proposer,  quelles  sont  celles 
que  nous  devons  absohtme/if  éviter.  Cette  origine  empirique  n*ôterail 
donc  rien  au  caractère  obligatoire  de  la  loi  morale. 'Nous  somme! 
obligés  de  rechercher  le  plus  grand  bien,  c'est-à-dire  le  terme  où  aspi- 
rent en  réalité  tous  les  hommes  et  qui  a  pour  eux  une  valeur  absolue. 
Aucun  idéaliste  n'a  parlé  avec  plus  de  force  que  M.  Tilly  de  l'obliga- 
tion morale,  de  sa  sainteté;  il  ne  doute  pas  qu'elle  ne  soit  conforme  à 
la  volonté  de  Dieu;  il  prétend  seulement  que  c'est  à  nous  de  découvrir 
par  degrés  en  quoi  consiste  le  ^xinnmuTfi  bonum  obligatoire;  il  recon- 
naît, par  suite,  qu'il  n'est  pas  possible  d'en  donner  déjà  une  définition 
détaillée  et  de  rentermcr  dans  une  formule  générale  un  idéal  qui  varie 
nécessairement  d'un  peuple  à  l'autre.  L'essentiel  est  de  bien  com- 
prendre que  la  vraie  doctrine  en  morale  est  non  pas  la  doctrine  utili- 
taire, qui  considère  une  seule  espèce  de  fins,  les  plaisirs  — et  Fauteur  ** 
fait  une  critique  approfondie,  pages  20r)-iî4y,  de  l'hédonisme,  -=-  mais,  ** 
pour   employer    le   mot  de    Paulsen,   la   doctrine    tèléologique^  qui            'J 
embrasse,  dans  leur  harmonie,  toutes  les  fins  de  l'activité  humaine.           •  t 
Cette  doctrine  seule  «  nous  rend  capables  d'examiner  les  différents           ^. 
codes  moraux  et  de  les  critiquer.  Nous  pouvons  maintenant  juger         '^'- 
d'une  manière  plus  rationnelle  la  conduite  morale  des  peuples,  et  dire        ^«i 
si  telle  ou  telle  race  réalise  sa  fin,  son  plus  grand  bien.  Nous  pouvons       .^,^- 
dire  aussi  quels  modes  de  conduite  sont  nécessaires  à  la  réalisation  de    ^^  ^ 
l'idéal,  et  alïirmer  qu'ils  doivent  être  appliqués.  Mais  cette  partie  de  jt^  ^^__ 
notre  problème  appartient  à  la  morale  pratique  »,  p.  284. 

On  ne  trouvera  peut-être  pas  très  original,  d'après  cette  analyse  tro| 
sommaire,  le  contenu  de  ce  livre.  Il  l'est  plutôt  par  les  détails  et  dai 
la  forme.  C'est  l'œuvre  d'un  philosophe  optimiste,  qui  se  contente 
bon  marche  et  à  qui  Va  peu  pi'ès  paraît  suffisant.  Il  dit  quelque  pa 
p.  2GS,  que  la  moralité  est  née  du  conflit  des  intérêts.  C'est  qu'il  c^ 
fond  le  droit  et  la  morale.  Il  convient  ailleurs,  p.  280,  que  la  vie  et  e 
idéal  sont  plus  larges  que  la  moralité  et  la  débordent.  C'est  qu'il  p 
siste  dans  celte  confusion,  et  en  même  temps  il  fait  lui-même,  si  je 
me  trompe,  la  crititiue  la  plus  profonde  de  sa  propre  doctrine;  car  e 
ne  peut  nous  proposer  qu'un  mieux  relatif,  tout  en  nous  entretenî 
du  bien  absolu  dont  nous  avons  tous  le  sentiment,  et  qui  nous  appai^ 
clairement  dès  que  nous  prenons  conscience  de  notre  vraie  natu 
Mais  nous  devons  lui  accorder  que  cette  conscience  est  encore  t 


ANALYSES.  —  L.  CREDAiio.  La  Pedagogia  di  G.  F,  Herbart.     431 

peu  répandue.  Et  puis  si  sa  théorie,  dans  l'ensemble,  est  peu  exacte, 

elle  est  présentée  d'une  manière  intéressante,  et,  tout  bien  considéré, 

cette  inexactitude  même  ne  risque  peut-être  pas  de  causer  beaucoup 

de  mal  :  «  Je  ne  crois  pas  (dit-il  lui-même,  p.  lU)  que  les  avocats  de 

la  théorie  historique,  des  hommes  comme  les  Mill,  comme  Darwin, 

Spencer,  Wundt,  Hofîding  et  Paulsen,  soient  moins  moraux  que  Kant 

et  Martineau  ». 

A.  Penjon. 


liuigi  Credaro.  —  La  Pedagogia  di  G.  F.  IIerdart  (Homa,  11*00, 
1  vol.  in-8°,  XI-32T  pages). 

La  pédagogie  de  Herbart,  après  avoir  conquis  progressivement  une 
influence  prépondérante  dans  les  pays  de  langue  germanique,  grâce 
aux  persévérants  elTorts  de  toute  une  phalange  d'hommes  distingués, 
commence  depuis  quelques  années  à  devenir  à  l'étranger  Tobjet  d'une 
sérieuse  attention.  Vjïï  Amérique  particulièrement,  elle  excite  actuelle- 
ment un  très  vif  intérêt  :  d'importants  articles  lui  ont  été  consacrés 
dans  VEducational  /ît»i;/ew  de  New- York,  des  cours  spéciaux  dans  les 
Universités;  la  traduction  anglaise  de  la  Pédagogie  générale  et  de 
V Exposition  esthétique  du  monde,  reproduite  avec  une  préface  de 
M.  O.  Brownig  a  obtenu  en  deux  ans  (1805-1897)  deux  éditions  succes- 
sives. Notre  pays  a  aussi  depuis  1894  sa  traduction  des  principales 
œuvres  pédagogiques  de  Herbart,  due  à  M.  Pinloche,  et  cette  année 
même  les  théories  du  grand  pédagogue  allemand  ont  été  exposées 
aux  étudiants  et  au  public  dans  les  Universités  de  Lyon  et  de  Poitiers. 
Le  présent  livre  de  M.  Credaro  est  Un  nouvel  hommage  rendu  à  Tœuvre 
magistrale  du  pliilosophe  de  Gcettingue,  après  les  articles  que  M.  For- 
nelli  et  M.  Credaro  lui-môme  lui  ont  déjà  consacrés  à  diverses  reprises 
dans  la  Rivista  italiana  di  /i/oso/îa. 

M.  Credaro  a  vécu  plusieurs  années  à  Leipzig,  ce  centre  d'action  de 
l'école  herbartienne;  il  a  fréquenté  le  Pàdagogiuin  prakticuni,  assisté 
aux  séances  de  VAssociation  de  pédagogie  acieiiti/îque,  et  acquis  une 
connaissance  approfondie  do  l'œuvre  qu'il  expose.  iSans  entrer  dans 
une  discussion  détaillée,  il  a  voulu,  comme  il  nous  lapprend  lui- 
même,  donner  à  ses  concitoyens  une  idée  claire  et  fidèle  des  doctrines 
de  Herbart,  et  il  semble  qu'il  y  ait  en  grande  partie  réussi.  Son  expo- 
sition est  assurément  d'une  incontestable  fidélilé,  au  point  qu'il  s'est 
contenté  de  traduire  littéralement  aussi  souvent  qu'il  l'a  pu.  Toutefois 
cette  fidélité  même  ne  va  pas  toujours  sans  inconvénients  au  point  de 
vue  (le  la  clarté.  L'exposé  de  M.  Credaro  a  un  peu  le  défaut,  à  nos 
yeux,  de  l'œuvre  môme  de  Herbart  :  il  est  un  peu  compact,  un  peu 
toufTu,  surtout  dans  la  seconde  partie,  et  ne  présente  pas,  du  moins  à 
un  degré  suffisant,  ces  qualités  d'ordre  et  de  méthode  dont  les  Alle- 
mands se  passent  facilement,  mafs  auxquelles  nous  sommes  malheu- 
reusement habitués  :  dans  la  multiplicité  des  détails,  intéressants  à 


432  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

coup  sûr,  le  lecteur  perd  un  peu  le  fil  des  idées  essentielles.  L'auteur 
Ta  bien  compris,  et,  comme  Herbart  lui-même,  il  recommande  de  ne 
point  s'en  tenir  à  une  première  lecture  :  «  Herbart,  dit-il,  très  juste- 
ment d'ailleurs,  ne  se  lit  pas;  il  s'étudie.  » 

L'ouvrage   comprend   trois    livres.   Le  premier  est  oonsacré  tout 
entier  à  une  biographie  très  complète  et  très  intéressante  du  philo- 
sophe allemand.  Le  second  livre,  le  plus  considérable  comme  aussi  le 
plus  important,  est  un  exposé  détaillé  de  la  pédagogie  générale  :  après 
un  chapitre  d'introduction,  un  peu  bref  peut-être,  destiné  à  donner 
une  idée  générale  du  système  philosophique  de  l'auteur  dans  son  rap- 
port avec  la  pédagogie,  M.  Credaro  détermine  la  méthode,  la  néceisité 
et  la  possibilité  de  cette  science  diaprés  Herbart,  et  étudie  successive- 
ment les  trois  grandes  fonctions  de  l'éducation,  le  gouvernement  des 
enfanta,  Yenseignement  et  la  culture  momie,  en  mettant  en  lumière 
le   rôle  prépondérant   assigné  à  l'enseignement  entendu   comme  il 
convient,  à  un  euApignement  vraiment  éducatif,  dominé  tout  entier 
par  l'intention  de  former  moralement  le  caractère  de  Tindividu,  ce  qui 
est  le  but  essentiel  de  l'éducation.  Le  troisième  livre  est  consacré  à 
l'étude  de  diverses  questions  particulières  qui  constituent  ce  que  He^ 
bart  appelle  la  ptidagogie  spéciale  :  éducation  aux  différents  âges, 
méthode  à  suivre  dans  l'enseignement  des  diverses  matières,  correction 
de  certains  défauts,  avantages  respectifs  de  l'éducation  publique  et  de 
l'éducation  privée,  rôle  de  la  famille  et  de  l'Etat.  Dans  un  dernier  cha- 
pitre Fauteur  examine  brièvement  les  rapports  de  Herbart  en  tant  que 
pédagogue  avec  ses  principaux  devanciers  ou  contemporains  :  Kant  et 
Fichtc,  Rousseau  et  Basedow,  Niemeyer  et  Pestalozzi.  Il  conclut  en 
montrant  dans  Herbart  le  véritable  fondateur  de  la  pédagogie  scienti- 
iique,  dans  son  œuvre  une  mine  d'indications  précieuses,  particuliè- 
rement pour  les  maîtres   de  l'enseignement  secondaire;  et  cela  le 
ramène  à  son  intéressante  préface  où  il  critique,  comme  médiocrement 
éducatif,  renseignement  secondaire  tel  qu'il  existe  actuellement  en 
Italie.  Il  est  fâcheux,  déclarc-t-il  en  substance,  que  les  professeurs 
des  lycées  n'aient  pas  en  même  temps  que  le  zèle  et  le  savoir  une 
solide  culture  pédagogique,  qu'ils  se  préoccupent  de  la  quantité  de 
choses  à  enseigner  plutôt  que  de  la  manière  même  de  les  enseigner, 
qu*ils  se  proposent  presque  exclusivement  d'instruire  sans  se  soucier 
de  former.  M.  Credaro  n*a  sans  doute  pas  entièrement  tort,  et  quelques- 
unes  de  ses  critiques  pourraient  peut-être  s'appliquer  à  notre  propre 
enseignement  secoiulairc  :  de  bons  esprits  ne  réclament-ils  pas  comme 
lui  une  culture  pédagogique  sérieuse  des  professeurs  de  nos  lycées? 
Kn  somme  M.  Credaro  a  rendu  un  véritable  service  à  la  pédagogie 
italienne  en  faisant  connaître  des  théories  qui  présentent  un  incon- 
testable intérêt.  Ajoutons  que  nous  aurons  bientôt  dans  notre  langue 
l'équivalent  do  son  livre. 

Marcel  Mauxion. 


AllALTSES.  —  G.  MAZZARELLA.  La  condizxone  giuridica,    433 


V.  —  Sociologie. 

G.  Mazzarella.  La  condizione  giuridica  del  marito  nella  famiglia 
MATRi^TRCALE.  1  vol.  in-8%  1  i:>  p.  Catane,  typographie  Coco,  1899. 

Les  travaux  sur  les  origines  de  la  famille  et  du  mariage  ne  font  pas 
défaut;  néanmoins  la  question  reste  ouverte  :  c'est  que  malgré  Tat- 
tention  croissante  apportée  à  la  critique  des  sources,  il  s'en  faut  de 
beaucoup  que  la  lumière  ait  été  faite  sur  tous  les  problèmes  relatifs  à 
la  filiation  des  types  domestiques.  Une  étude  précise  d*un  point  du 
droit  domestique,  la  condition  juridique  du  mari  dans  la  famille  mater- 
nelle, est  donc  d'un  haut  intérêt  quand  elle  est  entreprise  avec  Tesprit 
critique  qui  distingue  celle  dont  nous  allons  rendre  compte. 

Mazzarella  rappelle  au  début  que  la  méthode  de  la  jurisprudence 
ethnologique,  formulée  par  Post,  ne  ressemble  en  rien  à  cette  prétendue 
méthode  ethnographique  dont  nous  connaissons  trop  les  fruits;  elle 
exclut  sévèrement  les  analogies  biologiques;  elle  se  garde  dMnduire 
des  mythes  aux  coutumes,  elle  fonde  ses  inductions  exclusivement 
sur  l'observation  des  coutumes  et  des  lois.  C'est  à  cette  condition  seu- 
lement que  l'on  peut  introduire  quelque  précision  dans  l'étude  géné- 
tique et  évolutive  de  la  phase  tributive  et  «  gentilice  »  des  sociétés 
humaines  (p.  3  à  7). 

Or  il  est  un  problème  laissé  jusqu'ici  sans  solution.  Les  ethnologistes 
ont  démontré  l'existence  d'un  mariage  sine  nianUy  dans  la  période 
matriarcale  de  la  famille.  Mais  savons-nous  pour  cela  quelle  est  la 
condition  juridique  de  cet  époux  dépourvu  de  la  puissance  maritale, 
relativement  à  la  famille  de  sa  femme?  L'auteur  se  défend  de  recher- 
cher quelle  est  la  position  du  mari  au  point  de  vue  patrimonial,  vu 
l'insuffisance  des  documents  ethnologiques.  II  examine  seulement  sa 
position  juridique  personnelle,  car  l'ethnographie  a  réuni  un  matériel 
de  faits  qui  permet  de  donner  une  solution  approximative  du  problème. 

«  Si  Ton  considère  dans  leur  complexité  toutes  les  sociétés  humaines, 
les  systèmes  fondamentaux  relatifs  à  la  position  juridique  du  mari 
peuvent  être  ramenés  à  quatre.  Dans  le  premier  cas  le  mari  entre 
dans  la  famille  de  la  femme;  dans  le  second  chacun  des  époux  reste 
élément  composant  de  sa  famille  propre;  dans  le  troisième  le  mari 
seul  continue  d'appartenir  à  sa  famille  d'origine;  dans  le  quatrième, 
les  deux  époux,  se  détachant  de  leurs  familles  respectives,  constituent 
une  famille  nouvelle  et  autonome.  » 

0  Or  il  est  clair  que  celui  qui  se  propose  de  déterminer  la  position 
juridique  du  mari  dans  le  pur  matriarcat,  doit  prendre  comme  points 
de  départ  de  sa  recherche  ceux-Ti  seulement  de  ces  quatre  types  qui 
sont  compatibles  avec  les  principes  sur  lesquels  se  fonde  la  société 
matriarcale.  Les  deux  premiers  types  ont  seuls  ce  caractère,  car  ils 
nous  présentent  le  mari  destitué  de  puissance  paternelle  et  maritale. 


434  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Les  deux  derniers  supposent  au  contraire  que  le  mari  a  acquis  un 
pouvoir  de  tutelle  sur  sa  femme  et  sur  sa  postérité  d  (p.  9). 

Do  ces  deux  premiers  types,  le  second  ne  s*ofTre  pas  dans  toute  sa 
pureté  ailleurs  que  chez  les  Menangkabao  du  centre  de  Sumatra  et 
chez  quelques  tribus  indiennes  de  TÂmérique  du  Nord;  les  survi^'ïDces 
qu'il  a  laissées  sont  sporadiques  et  n*ont  qu'une  faible  étendue.  Le 
premier  a  une  aire  de  diffusion  très  étendue  et  a  laissé  des  survivances 
chez  beaucoup  de  peuples  parvenus  à  la  phase  patriarcale.  Le  pro- 
blème consiste  donc  à  déterminer  Tantériorité  do  l'un  par  rapporta 
l'autre.  L'hypothèse  de  Mazzarella  est  que  le  premier  est  la  forme  pn- 
mitive  dont  l'autre  n'est  qu'une  simple  transformation  (p.  9,  10). 

Le  point  de  départ  de  l'auteur  est  l'étude  des  populations  malaiseï         | 
de  l'Insulinde  ;  il  cite  comme  autorité  principale  les  travaux  de  l'ethno- 
logiste  hollandais  Wilkens;  il  le  cite  textuellement,  sans  le  traduire, 
ce  qui  ne  rend  pas  aisée  la  tâche  des  lecteurs  qui,  comme  moi,  igno- 
rent la  langue  hollandaise.  Mazzarella  a  eu  néanmoins  les  raisons  les 
plus  sérieuses  de  choisir  comme  sujet  d*étude  la  race  malaise;  c'est 
que  les  populations  de  l'Insulinde  qui  y  appartiennent  ne  sont  pas 
toutes  sorties  de  la  phase  matriarcale,  comme  les  autres  rameaux  civi- 
lisés des  races  jaunes,  et  que  cependant  les  sociétés  domestiques  for' 
mées  par  les  hommes  de  cette  race  n'appartiennent  pas  en  très  granA* 
majorité  au  type  maternel.  L'ethnologie  observe  donc  ici  une  rat^* 
relativement  civilisée  eu  voie  d'évolution;  elle  peut  donc   réponde"* 
aux  objections  et  aux  doutes  qu'avait  soulevés  la  méthode,  plus  hardi  ^ 
en  apparence,  adoptée  par  Lewis-Morgan  et  son  école. 

Les  Menangkabao  de  .Sumatra,  les  Dayaks  de  Bornéo  sont  encore  ^ 
la  phase  gentilice  do  l'organisation  domestique;  les  Battaks  d- * 
Sumatra,  les  Bedjangs,  les  Lampoc^s,  les  Pasemahs  de  la  même  île.l^  ^ 
Galela  et  les  Tobaloresi  des  Moluques  sont  déjà  arrivés  au  staA  * 
patriarcal  et  à  la  parenté  agnatique,  mais  on  rencontre  parmi  euxl^^ 
vestiges  authentiques  de  la  phase  gentilice.  Par  suite  la  Malaisie  offt** 
à  l'induction  ethnologique  un  champ  d'observation  très  étendu.  L*^ 
sociologue  peut  y  chercher  la  solution  du  problème  relatif  à  l'antéri*^* 
rite  d'une  des  deux  formes  du  mariage  précité  sur  l'autre. 

Kn   langue  malaise,  dans  le  dialecte  suniatrien  tout  au  moins,   ^^*\ 
nomme  ainbil  iniak  cette  forme  du  mariage  sine  manu  qui  introd-*^ 
l'époux  dans  la  famille  de  sa  femme  comme  un  membre  inférieur,  viva.^^. 
quel<iue  temps  au  moins,  sous  l'autorité  du  chef  de  la  famille,  c'est- ^^ 
dire  du  plus  âgé  des  oncles  maternels;  on  nomme  semundô  au  ccr  ^^ 
traiie  le  mariage  qui  laisse  chacun  des  deux  époux  sous  l'autorité  C^^^^-^^^ 
chef  (le  sa  famille  d'origine.  L'auteur  s'approprie  ce  vocabulaire 
cherche  si  k*  niariaire  seniundien  n'est  pas  une  transformation  et  m" 
survivance  du  mariage  lunlnlirn.  L'enquête  le  conduit  à  une  répons 
affirmative.  ^ 

La  partie  la  plus  intéressanle  de  l'étude  est  celle  que  Mazzarell 
consacre  aux  survivances  que  ces  deux  types  de  l'union  conjugale  on  ^^ 


ANALYSES.  —  G.  NAZZARELLA.  La  condiziofie  giutidica.     435 

laissées  parmi  les  populations  sorties  de  la  phase  gentilice  et  arrivées 
à  la  phase  patriarcale.  I/auttur,  préoccupé  de  vérifier  sa  thèse,  dis- 
tingue entre  les  survivances  directes  laissées  par  le  mariage  ambilien 
«t  les  survivances  indirectes  qui  expliquent  d*anciennes  formes  de 
passage.  A  notre  avis  cette  distinction  a  une  valeur  universelle  et 
l'usage  devrait  en  être  généralisé  dans  toutes  les  recherches  de  ce 
genre. 

Ces  survivances  s'observent  chez  cent  trente  peuples  appartenant  à 
toutes  les  races.  La  race  aryenne  est  représentée  par  les  letto-slaves 
(Monténégrins,  Herzegoviniens,  anciens  Prussiens),  par  les  Zingari  et 
les  anciens  Hindous,  par  les  Iraniens  (Tadjiks,  Afghans,  Jussufzais), 
par  les  Basques,  par  les  anciens  Hellènes,  par  les  Arméniens,  les  Mir- 
dites  et  les  Albanais  du  nord;  la  race  sémitique  l'est  parles  Bédouins, 
les  anciens  Arabes,  les  anciens  Hébreux,  par  les  Tédas  du  Sahara,  etc. 
•Inutile  d  enumérer  les  races  dont  l'évolution  sociale  est  à  tous  les 
points  de  vue  moins  complète. 

Les  survivances  directes  du  mariage  ambilien  pur  sont  beaucoup 
plus  rares.  On  ne  les  observe  que  chez  trente-six  peuples  appartenant 
aux  races  malayo-polynésienne,  dravidienne,  mongolique,  indo-amé- 
ricaine, arctique,  sémitique,  nègre  et  congolaise.  Les  survivances 
indirectes  sont  beaucoup  plus  fréquentes  et  se  rencontrent  chez  des 
races  plus  élevées  :  le  mariage  ambilien  à  temps,  en  d'autres  termes, 
•la  subordination  temporaire  de  l'époux  à  la  famille  de  1  épouse,  chez 
dix  peuples  et  cinq  races;  le  service  de  l'époux  (ou  l'usage  d'exiger- 
-pendant  quelque  temps  un  travail  dont  profite  seule  la  famille  de  la 
femme),  chez  dix-huit  peuples  et  six  races  parmi  lesquelles  sont  des 
rameaux  de  la  race  aryenne  et  de  la  race  sémitique;  la  continuation 
de  lu  famille  de  la  femme  par  le  mari  est  constatée  chez  quatorze  peu- 
ples et  quatre  races,  dont  la  race  aryenne  ;  l'institution  si  connue  des 
filles  épiclères  (continuation  juridique  de  la  famille  de  la  femme  par 
ses  fils),  chez  six  peuples  et  deux  races  parmi  lesquelles  l'ancienne 
-race  grecque;  le  mariage  semundieii,  chez  trois  peuples  et  deux  races 
(race  malaise,  race  américaine);  la  séparation  temporaire  des  époux, 
chez  dix-neuf  peuples  et  dix  races;  la  coutume  de  retarder  la  consom- 
mation du  mariage  chez  vingt-quatre  peuples  et  huit  races;  le  retour 
temporaire  de  la  femme  dans  sa  propre  famille,  chez  trente  peuples  et 
neuf  races;  le  lévirat  ambilien,  chez  quatre  peuples  et  trois  races;  la 
juridiction  domestique  de  la  famille  de  la  femme  sur  le  mari,  chez 
cinq  peuples  et  cinq  races;  le  droit  de  la  famille  de  la  femme  à  pro- 
noncer la  dissolution  du  mariage  est  enfin  observé  chez  deux  peuples 
et  deux  races. 

Ces  survivances  sont  constatées  chez  des  peuples  parvenus  au 
stade  patriarcal.  Ce  sont  des  coutumes  qui  ne  sont  pas  en  harmonie 
avec  l'institution  prédominante  et  qui,  par  suite,  ne  peuvent  en  dériver. 
Elles  attestent  donc  la  persistance  de  souvenirs  et  d'habitudes  issues 
d'institutions  domestiques  différentes  que  l'on  retrouve  intactes  dans 


436  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

des  populations  moins  avancées.  Tel  est,  provisoirement,  le  meilleur 
critère  qui  nous  permette  de  discerner  les  survivances.  (Il  convient 
en  passant  de  remarquer  que  la  survivance  ainsi  entendue  ne  peut 
être  confondue  avec  un  développement  dévié  ou  avec  la  régression 
vers  un  type  primitif;  encore  moins  peut-elle  être  identifiée  avec  Fata- 
visme.) 

Mazzarella  a  donc  isolé  un  problème  important  d*une  foule  d*autres 
que  Ton  avait  l'habitude  de  traiter  toujours  simultanément;  il  Ta 
clairement  déiini;  il  a  fait  la  critique  des  documents  ethnographiques 
mis  en  œuvre  par  lui  ;  il  a  enfm  dressé  deux  tableaux  ethnographiques 
où  les  éléments  de  la  solution  sont  mis  sous  les  yeux  du  lecteur. 

Nous  ne  voudrions  pas  terminer  cette  analyse  sans  avoir  montré 
quel  service  une  recherche  de  ce  genre  peut  rendre  à  Thistorien  du 
droit. 

Les  historiens  du  droit  hellénique,  M.  Rodolphe  Dareste  notamment, 
ont  appelé  souvent  notre  attention  sur  une  institution  singulière  qui 
est  restée  étrangère  au  droit  romain,  celle  des  filles  épiclèreSy  cest- 
à-dire  des  héritières  dont  les  époux  n'avaient  qu'une  position  subo^ 
donnée  car  leurs  enfants  continuaient  non  leur  famille  mais  la  famille 
de  leur  mère.  L'importance  de  cette  institution  avait  échappé  aux 
sociologues  les  plus  soucieux  de  découvrir  chez  les  Grecs  quelques 
vestiges  de  la  famille  maternelle.  Engels  et  Letourneau  notamment 
n'y  avaient  vu  qu'une  preuve  de  l'action  dissolvante  que  l'héritage, 
l'argent,  peut  exercer  sur  la  société  domestique.  Au  contraire  l'en- 
quête  de  Mazzarella  projette  une  lumière  éolatcinte  sur  cette  institu- 
tion qui,  chez  les  Grecs,  semble  avoir  joué  le  mêmeVôle  que  l'adoption 
dans  le  droit  romain.  Beaucoup  mieux  que  les  chœurs  de  VOre^tif^ 
l'institution  des  filles  cpiclères  (qui  à  Athènes  était  de  droit  publie) 
permet  de  rattacher  les  institutions  domestiques  des  Grecs  à  une 
phase  plus  ancienne  dont  les  Lyciens,  leurs  frères,  n'étaient  pas  encore 
sortis,  si  l'on  en  croit  Hérodote.  On  a  donc  une  preuve  de  plus  que  le 
droit  grec  est  beaucoup  plus  archaïque  que  le  droit  romain  et  comme 
tel  a  une  importance  éirale,  sinon  supérieure. 

L'auteur  constate  au  début  de  son  livre  la  répugnance  des  historien» 
du  droit  à  accueillir  les  méthodes  et  les  résultats  de  la  jurisprudence 
ethnologique.  Des  recherches  telles  que  la  sienne  feront  beaucoup, 
croyons-nous,  pour  vaincre  cette  répugnance  là  où  elle  n'est  pas  l'effet 
des  préjugés  sociaux.  On  ne  postule  plus  ici  la  promiscuité  originelle 
et  la  subordination  nécessaire  de  la  famille  à  révolution  économique. 
L'application  de  la  méthode  génétique  élimine  peu  à  peu  de  la  socio- 
logie les  explications  aventureuses  et  l'on  comprend  aisément  l'avff- 
sion  qu'elle  inspire  à  ces  hommes  d'imagination  vive  qui  veulent  être 
crus  sur  parole  et  imposer  leur  vision  des  sociétés  primitives. 

Gaston  Richard. 


REVUE  DES  PÉRIODIQUES  ÉTRANGERS 


Mind. 

Jftiiu.iry-Âpnl  1900, 

Stout.  Li  perception  du  ch<ingement  et  de  la.  durée.  —  Quand  nous 
percevons  un  processya  temporel  comme  tel,  en  quelle  mesure  et 
dans  quel  sens  est-il  néccssairt^  que  les  représentations  de  la  première 
partie  de  la  série  soient  présentées  à  notre  conscience  quand  nous 
percevuiis  les  parties  suivantes?  Cette  question,  d'après  Stout,  n*eï^t 
pas  seulement  un  prohlème  spécial  de  psychologie,  mais  a  une  grande 
importance  métaphysique.  Il  examine  sur  ce  point  les  deux  théories 
récentes  de  Schumann  et  de  Meinong.  Schumann  n'admet  pas  b 
nécessité  de  l'existence  dans  la  conscience  des  premiers  termes^  pour 
Se  ter  miner  soit  un  processus  temporel,  soit  une  différence  de  qualité 
^t>u  d'intensité  (par  exemple  entre  deu:c  sons).  En  comparant  deux 
notes  séparées  par  un  intervalle  de  deux  ou  trois  secondes,  il  faut  que 
la  première  laisse  un  effet  consécutif^  mais  qui  n*eat  pas  nécessaire* 
ment  une  Ima^^e  mémorielie;  il  suffit  de  supposer  une  disposition 
physiologique  ou  psychique,  Schumann  nie  que  Tiiitrospection  lui 
donna  la  persistance  de  la  première  note  s'ëtendant  jui^qu'à  Tapparîtion 
de  la  deuxième.  —  Meinong  lui  aussi  nie  cette  persistance  en  fait 
Exemple  :  percevoir  une  mélodie  ou  le  mouvement  d'un  corps  de  A  à  B; 
à  la  dernière  note  de  la  mélodie,  nous  n'avons  pas  toutes  les  autres  pré* 
sentes;  mais  il  soutient  que  cela  doit  être,  parce  qu'i/  /awique  cela 
©oit,  —  Stout  se  range  à  lavis  de  Schumam,  tout  en  paraissant  admettre 
des  présentations  subconscienteSni 

H*  ^iDGwrcK.  Critères  de  Ib,  vérité  et  de  Verreur.  —  Article  critique 
tout  négatif  qui  sera  suivi  d*un  autre  positif.  U  est  principalement 
consacré  à  discuter  le  critérium  de  Descartes  et  le  pofîlulat  universel 
de  Spencer  a  qui  ne  peut  garantir  même  la  donnée  primordiale  de  sa 
propre  philosophie  et  qui»  s  il  peut  être  utile  dans  certains  cas,  ne 
peut  suffire  k  tous  et  servir  de  rempart  contre  le  Scepticisme  ». 

BiuuLEV.  Défense  du  phénoménismeen  p^^ychologi^^^  L*auteur dis- 
cute une  série  d^objectious  :  que  dans  cette  hypothèse,  Tâme  qui  est 
réellement  une  n^a  plus  d'unité;  qu'on  ne  sentirait  à  chaque  moment 
que  ce  qui  est  éprouvé  en  ce  moment  ;  datis  ce  qu'on  éprouve»  il  y  a  plus 
que  des  événements,  mais  des  idées  et  jugements  sur  îes  objets;  que, 
dans  tout  événement  psychique,  il  y  a  un  élément  itianalysable  qui  n'est 
pas  un  événement;  que  la  psychologie  ne  peut  être  une  science  séparée. 


•i38  REVCE   PHILOSOPHIQUE 

parce  qu'il  n'y  a  rien  ((ui  soit  en  dehors  de  l'esprit.  L'auteur  examine 
ensuite  séparément  deux  autres  objections  :  1°  que  de  purs  phénomènes 
siont  nécessairement  séparés  et  manquent  de  toute  continuité  ;  î*  qu'en 
tout  cas,  ce  sont  de  pures  perceptions  simplement  données  au  moi. 

V.  TOnnîes.  Tornn'noinjie  philo^Oit/iique.  —  L'auteur  terminé  1» 
publication  de  son  mémoire  couronné  :  la  plus  prrande  partie  est  comi- 
crée  à  indiquer  à  des  remèdes. 

V.  Kno\.  S«//.t  rt'*futntinn  de  VempirismeparGreen,  étudiée  d'après 
les  deux  premiers  chapitres  de  ses  a  Prolegomena  to  Ethics  »  et  des» 
Hiéoric  de  la  c.»nscience  éternelle,  en  dehors  du  temps,  dont  l'orga- 
nisme animal,  ddunant  naissance  à  la  conscience  individuelle,  n'est 
que  le  véhicule.  —  Cotte  doctrine  que  la    pensée   n*est  pas  dans  le 
temps,  et  qui  prétend  ainsi  détruire  l'empirisme,  »  rend  la  psychologie 
inipnssiMe,  rend  notre  connaissance  de  la  nature  impossible  et  comme 
elle  laisse  le  mot  «  ct»n<cience  «  sans  vestige  de  signification,  rend  la 
philosophie  impossible.  » 
n.  Mai:  Coll.  L»*  raison nrment  symbolique  ;3*  article.; 
l.K  MAr.rnANT  DousE.  ^'«/•  q\i*^l'}ue$  petit**^  interfèr'inces  psycholo- 
[li'iue<.  Kaide  taile  daprès  les  examens  de  certains  candidats  aux  Uni- 
versités si:r  l'-s  erreurs  d'appellations  :  telle  sont  la  pi'»Uep'<i6,  la  méti- 
pf\l'<'\  la  mol.illaj'e.  \\»pi.<:fiviuim»^sii^,  la  contamination. 
M  \i:  TA.iiîAKi"  ;  //t\;-';  'f  /i^s  •-  ^'■;  trie<  Je  ri:lê'\ 
\\K>rKr.v'\:iOK  :  /i-'7'i  r  i:it<.<urlesp>\'d-r:ttii  d**i:j\sjemeii:s  moraux. 
lis  son:  :;r.aîeî:;e:;:  l-asos  sur  les  émotions  soit  duidi^nalion  §oJld'»p- 
c"e>;  un  :"a;t  que  les  moralistes  inielleoiUvilistes  ont  vaine- 
:;:   es-^iwi-  -le  mer.  e:;  d'autres  ter::. es.  sM   n  y  avait  pas  dételles 
:•..■::>.  ..:.  v  auiar.   .\:...i.s  eu  de  preiio^ts  moraux.  Ces  prédicaU 
'.:q.;.:::  los  i:j:ie:M"..-.r.î..:.s   ie  i:u':;.»:r.é:ies  e::îo:io:i '.e"s.  faites  par 
iiîiv.e  .\.uoi::-s  ôj  :e::::  s.  i.\i.i:ei;r.  ;  oi;r  éîaL''..rla  'oase  cii.oliou.icl.e 
".il  -'   ■>  .:  .:.-o  :".  raie.  i\A*:.::;e  les  ràiport>  ^.ies  diverse?  ircdicaîs 
■.;;\  .ivos.*  le-î    c:.:.:    :.s  d  :.;  i:i::i.k::.»'i  e:   dai-p'*oba:i:':i.  La  :.«'t;oa 
.;o\    ..       :   :  o-i*.   e  ^e-  ::o  d:  '.:%  :.:  ra.e   r/.-i-rriie  nés:  ias  u'.:in.e 
:..i-...».y^,."  .r' .   ^-.■■;  ^;^'    i>    .::  c^.   ..i\\..:rcs  é'.J;r.er.:s   :    vi'abri  ceiu: 
•■  :  :    :..<>:;  j.i-a;:.::»  :::;^erA::f  : -:a.s  j.:;  i.'ess  pa?  :.cCtàsa:e«: 


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REVUE   DES   PÉRIODIQUES   ÉTRANGERS  439 

qu*appartient  l'ouvrage  récemment  publié  par  Miinsterberg:  Psj/c/io- 
logy  and  Life^  soutenant  que  «  dans  la  vie  réelle,  nous  sommes  des 
sujets  voulants  dont  la  réalité  est  donnée  dans  nos  attitudes  volon- 
taires, dans  nos  sympathies  et  antipathies,  amours  et  haines,  affirma- 
tions et  négations,  «t  comme  ces  attitudes  se  recouvrent  et  s'associent 
réciproquement,  notre  personnalité  volitionnelle  a  une  unité  »,  L'au- 
teur entre  ensuite  dans  quelques  détails  sur  cet  ouvrage  dont  on  trou- 
vera l'analyse  (Revue  philos.,  1899,  tome  II  p.  428.) 

Myers.  Le  Vitalisme:  revue  historique  et  crih'qfue.  (U' article.)  L'au- 
teur expose  rapidement  les  doctrines  de  l'antiquité,  les  suit  chez  les 
Pères  de  l'Église,  à  la  Renaissance  ;  puis  vient  la  réaction  du  mécanisme 
de  Descartes  qui  suscite  l'animisme  de  Glisson  et  surtout  de  Stahl; 
modifications  amenées  par  la  théorie  cellulaire  ;  opposition  de  Cl.  Ber- 
nard au  vitalisme  qui  trouve  quelques  nouveaux  adhérents  en  Alle- 
magne mais  ne  s'affirme  réellement  qu'avec  Bunge  et  Rindfleisch, 
1887-1888. 


La  Revue  philosophique  publiera  dans  son  prochain  numéro  un 
compte  rendu  détaillé  des  Congrès  internationaux  de  philosophie,  de 
psychologie  et  d'histoire  générale  des  sciences. 

Le  congrès  international  de  psychologie,  dans  sa  dernière  séance 
(20  août)  a  décidé  que  sa  5*  session  aura  lieu  à  Rome  en  1904,  à  une 
date  qui  sera  fixée  ultérieurement  par  le  Comité  directeur  :  Président  : 
M.  LuciANi,  Recteur  de  l'Université  de  Rome;  vice-président,  M.  Sergi, 
professeur  à  la  môme  Université;  secrétaire  général,  le  prof.  Tambu- 
RINI  (à  Reggio-Emilia). 


LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE 

Durand  (de  Gros).  Variétés  philosophiques,  2*  éd.,  in-S®,  Paris, 
Âlcan. 

C.  Stumpf.  Tafeln  zur  Geschichte  der  Philosophie,  în-4'^,  Berlin, 
Speyer  und  Poters. 

M.  AscHER.  Renouvier  and  der  franzôsische  Neu-Kriticismus,  in-8o, 
Bern,  Stiirzenegger. 

Aars.  Zur  psychologischen  Analyse  der  Welt  :  Projectionsphiloso- 
phie,  in-8%  Leipzig,  Barth. 

E.  Haeckel.  Die  Weltrâthsel,  in-S*»,  Bonn,  Strauss. 

L'Institut  catholique  de  Paris  annonce  la  publication  d^une  Revue  de 
philosophie  qui  paraitra  tous  les  deux  mois,  à  partir  du  l*^**  novembre 
prochain,  sous  la  direction  du  R.  P.  Peillaube.  Nous  donnons  un 
extrait  de  son  programme  : 

«  On  se  propose,  en  fondant  cette  revue,  d'offrir  un  organe  spécial  à 
tous  les  philosophes  qui,  s'inspirant,  au  sens  large  du  mot,  de  Platon 
et  d'Aristote,  de  saint  Augustin  et  de  saint  Thomas,  poursuivent  une 
synthèse  vivante  et  progressive,  toujours  ouverte  aux  progrès  de  la 
pensée  et  capable,  au  milieu  du  désarroi  intellectuel,  d'unir  tout  ce 
qu  il  y  a  d'éléments  sains  dans  la  raison  humaine. 

Bien  qu'il  existe  actuellement  en  France  des  revues  très  appréciées 
qui  leur  font  bon  accueil,  un  certain  nombre  de  nos  collègues  nous 
ont  demandé  de  créer,  dans  ce  but,  un  organe  autonome,  orienté  avec 
précision  et  exclusivement  philosophique  :  c'est  à  eux  que  la  Revue 
doit  son  apparition. 

LdkRpvucdi*  philosophio  sera  soutenue  par  tous  les  catholiques  qui 
ont  compris  la  portée  de  THncyclique  de  Léon  XIII  sur  la  philosophie. 

La  philosophie  proprement  dite  et  l'histoire  de  la  philosophie  au 
premier  plan.  Comme  la  philosophie  se  superpose,  à  titre  de  science 
générale,  aux  sciences  particulières,  on  trouvera,  au  second  plan  de 
la  revue,  des  questions  qui  intéressent  le  philosophe,  tirées  des 
mathématiques,  de  la  p/i?/sir]ue,  de  la  chimie,  de  la  biologie,  du  droit 
naturel  et  de  la  sociologie.  —  On  se  propose  aussi  de  faire  une  part 
aux  rapports  de  la  philosophie  avec  Vesthétique  et  la.  vie  spirituelle. 
D'un  côté,  il  y  a  dans  les  œuvres  d'art  et  surtout  dans  la  vie  des  saints 
une  psycholot^ie  profonde  qu'il  convient  de  dégager;  de  l'autre,  la 
science  du  beau  et  la  théologie  ascétique  et  mystique  ont  beaucoup  à 
attendre  des  études  psychologiques.  » 

Chaque  numéro  de  la  Revue  contiendra  sur  ces  questions  : 

1.  Des  nrticles  origiiiaux: 

V.  Des  anali/st's  et  des  comptes  rendus; 

.'{.  La  reciut  des  })ériodi(iU('s  français  et  étrangers; 

I.  Le  IhUlf'tin  de  renseignement  philosophique. 


Le  propriétaire-gérant  :  Fklix  âlcax. 


Coulommior».  —  Imp.  Paul  BUODARl)  . 


DE  Lk  VOLONTÉ 


A.  Conflit  des  tendances.  —  1"  Sensatïoos  comparées  à  sensations. 
S»^  Sensations  comparées  aux  simulacres  et  aux  idées.  3^^  Simulacres 
comparés  entre  eux,  selon  leur  degré  d'abatraction,  et  au»  idées 
abstraites,  i^  (dées  abstraites  purea  comparées  aux  idées  abstraites 
transformées  en  métaphores.  5°  Connaissance  d'un  fait  présent  com- 
parée à  un  souvenir  ou  à  une  provision.  Les  souvenirs  comparés 
entre  eux,  et  les  prévisions  entre  elles.  Le  souvenir  comparé  à  la 
prévision.  6""  Connaissance  d'un  fait  comme  plus  ou  moins  probable 
ou  possible^  comparée  à  la  connaissance  du  même  fait  comme  réel 
et  certain.  7°  La  même  connaissance  plus  ou  moins  précise,  8^  La 
même  connaissance  plus  ou  moins  attentive.  9^  La  même  connais-- 
sanee  abstraite,  selon  qu'elle  est  plus  ou  moins  voisine  des  faits  par- 
tie ulierî",  —  ID**  Résumé, 

B.  La  tkndakcë  nxÉË.  —  I*  Fixée  sans  aucun  conflit*  2^  Fixée  aprèi 
conflit,  ayant  pour  objet  une  action  immédiate  et  présente,  3'  Fixée 
après  conlHt^  ayant  pour  objet  une  action  plus  ou  moins  éloignée. 
4^  Fixée  après  conflit,  ayant  pour  objet  une  action  plus  ou  moins 
générale.  5<*  Règle  de  prépondérance,  La  tendance  la  plus  forte 
d'après  les  lois  donnée*»,  est  la  défuiitive. 

a,  induction  psychologique,  b,  induction  historique,  c^  preuve  à  pnori. 
d,  réfutations*  e,  force  de  la  tendance  fixée. 

C.  Influence  de  la  tendance  fixée.  —  t"  Sur  les  mouvements.  Pour- 
quoi? 2**  Sur  les  connaissances.  Pourquoi?  H^  Sur  les  sensations, 
plaisirs,  peines,  tendances.  Pourquoi?  —  Résumé. 


i»  Les  pa^es  qu'on  va  Hre  sont  un  fragment  d'un  irailé  de  psychologie  écrit 
[>&f  M.  Tâîne  de  1B53  à  iâ55.  La  première  partie  du  travail  portait  comme  mna- 
titre  Fonçliom  Théoriquéê \  eWû  a  élî'  reprisse  et  développée  dansi  les  volumes  sur 
riniéiligence,  — La  seconde  parliez  intilulêe  :  Fouû lions  praiîquest  se  subdivi- 
sait en  trois  livres  :  --  l.  Des  Passions.  —  II.  De  la  Volonté,  —  III,  Des  mouve- 
menlîî.  C'est  Je  second  livre  que  nous  publions  aujourd'hui.  —  M.  Taine  devait 
donner  comme  suite  au  traité  de  Vlnteltif^énee^  un  ouvrage  sur  La  l^otonté.  Ses 
travaux  hisloriques  ont  suspendu  ce  projet  ffull  n'a  jamais  pu  exécuter.  Noua 
avon^  cru  qu'il  serait  întérest^anl  pour  leis  amis  de  sa  pensée  de  connaître  celte 
premiËre  esquisse*  ^  Noutf  publieroniî  également  ici  de  courtes  notes  et  ei$sais 
de  plans  pour  la  Volonté,  postérieurs  k  VlnielHgence  et  écrits  probablement 
ûmnn  l'hiver  de  1870*  (Note  des  éditeurs.) 

TQSIK  U  ^  KOVÊH&nE   1900.  29 


443  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Nous  prions  le  lecteur  de  faire  abstraction  du  mot  Volonté,  que 
nous  mettons  en  tête  de  ce  chapitre.  Ce  mot  pourrait  réveiller  en  lui 
des  préjugés,  et  Tempècher  de  bien  voir  les  faits,  surtout  s'il  a  lu 
des  ouvrages  de  philosophie.  Nous  allons  simplement  décrire  ces 
faits  et,  plus  tard,  nous  leur  donnerons  leurs  noms,  vulgaires  ou 
philosophiques. 


A.  Conflit  des  tendances. 

Nous  avons  vu  les  diverses  tendances  isolées  ;  nous  allons  les  voir 
agissant  ensemble.  Quand  nous  disons  qu'elles  sont  en  conflit,  ou 
contraires,  nous  voulons  dire  que  les  actions  auxquelles  chacune 
d'elles  aboutirait  s'excluent  et  sont  contradictoires  :  par  exemple, 
rester  à  un  endroit,  et  le  quitter  ;  penser  à  un  objet,  et  n'y  pas  penser. 
—  Ce  n'est  pas  tout  pour  une  tendance  d'exister,  il  faut  qu'elle  soit 
fixée,  maîtresse  et  définitive.  C'est  le  second  pas  dans  l'histoire  do 
passage  de  Tidée  à  Faction,  de  la  théorie  à  la  pratique,  de  la  modifi- 
cation que  Textcrieur  détermine  en  nous  à  la  modification  que  nous 
déterminons  dans  l'extérieur. 

On  a  montré  que  ces  tendances  sont  d'inégale  force,  et  pourquoi. 
Cherchons  les  lois  de  cette  inégalité,  en  parcourant  successivement 
les  diverses  classes  de  tendances. 

l*'  Sensations  comparées  à  des  sensations. 

Nous  avons  vu  deux  classes  de  sensations  parfaitement  distinctes, 
les  unes  cognitives,  les  autres  impulsives,  la  plupart  des  sensations 
cognitiveSj  et  peut-être  toutes,  ayant  un  siège,  c'est-à-dire  desnerls 
distincts  des  nerfs  impulsifs.  Nous  avons  vu  aussi  que  le  plaisir  et 
la  peine,  et  en  général  la  puissance  impulsive,  est  très  faible  et  diffi- 
cile à  prouver  dans  les  sensations  cognitives,  tandis  qu'au  contraire 
elle  est  presque  l'unique  propriété  des  sensations  impulsives,  et  y 
acquiert  une  intensité  excessive.  Enfin  nous  avons  prouvé  par  l'eu- 
men  des  organes,  et  la  correspondance  des  sensations  impulsives 
aux  besoins  de  Torganisme,  que  cette  propriété  des  nerfs  impulsif 
est  le  but  de  la  nature. 

Il  reste  à  l'expliquer.  La  douleur  étant  une  diminution  d'être,  ï 
suit  de  là  que  la  douleur  de  ces  nerfs  est  une  diminution  d'être;  ^1^ 
ce  qu'ils  sont  seuls  susceptibles  d'éprouver  de  la  douleur,  et  eoloot 
cas  qu'ils  sont  infiniment  plus  susceptibles  que  toutes  les  autres 
parties,  nerveuses  ou  autres,  d'éprouver  de  la  douleur,  il  suit  (p 
tout  l'être  de  l'individu  organique  s'est  concentré  en  eux.  Le  s}*»- 
tème  des  nerfs  impulsifs  doit  donc  être  considéré  comme  le  repré- 


H.  TÂlIfE*    —   DE    LA    VOLONTÉ 


443 


sentant  et  le  substitut  de  tout  Torganisme,  de  même  que  le  cerveau 
est  la  représentant  des  nerfs  impulsifs,  Cette  concentration  et  cette 
substitution  sont  des  phénomènes  dont  nous  avons  vu  plusieurs 
I  exemples.  Les  mots  se  sont  substitués  aux  idées,  les  simulacres  aux 
BObjets,  les  images  aux  sensations.  Les  actions  répandues  dans  tout 
wle  système  nerveux  se  répèlent  et  se  concentrent  dans  le  cerveau. 
W  Ainsi,  nous  n'avons  îâ  qu'un  fiiit  ordinaire. 

Quelle  est  la  cause  de  cette  substitution?  Car  elle  en  a  une  comme 
'ouïe  autre  substitution.  Ce  qui  dislingue  Tanimal  de  la  plantCt  c'est 
yue  Tt^tre  organiiiue  qui  est  en  lui  comme  dans  la  plante  se  trouve 
jùàwnt^  la  conscience,  qui  est  un  (léveloppement  supérieur;  par  cou- 
se ^3  ueal,  il  doit  être  aperçu  par  la  conscience,  et  rairecter  de  douleur 
H  ^le  plaisir.  Mais  celte  union,  qui  consiste  dans  la  propriété  d'être 
[^^^  rgu  et  de  faire  soufTrir  ou  jouir,  est  un  point  de  vue  spécial,  une 
Di^  c::lion  particulière;  et  c'est  une  loi  physiologique  (Milne  Edwards), 
[a^.&  mesure  qu'on  s'élève  dans  la  série  animale,  des  appareils  de 
il\-m^  en  plus  distincts  sont  affectés  à  des  fonctions  distinctes,  ce 
[u^^nïti  peut  voir  par  rhistoire  de  la  digestion,  de  la  circulation,  de  la 
®s  ^uiraiion,  des  sécrétionsj  de  la  génération,  du  mouvement,  etc., 
^  I>arlant  des  zoophytes  pour  arriver  jusqu  a  Thomme,  D'où  il  suit 
L^cs  Torganisme  tout  entier,  en  tant  que  devant  être  uni  à  la  con- 
^"»<^ïîce,  doit  se  trouver  concentré  dans  un  appareil  distinct»  qui  se 
^t>siitue  à  luit  et  qui,  étant  seul  en  rapport  avec  la  conscience^ 
J^^G  le  même  eiïel  sur  elle,  et  un  eiTet  aussi  énergique  que  le  ferait 
*-^^^ântsme  entier*  Les  zoophytes,  sauf  un  très  petit  nombre,  n*ont 
*^s  cle  système  nerveux  distinct,  et  cependant  ils  sont  sensibles.  A 
^^Sure  qu*on  s'élève  dans  la  série^  le  système  nerveux  se  montre 
^^vis  nettement,  les  dépendances  réciproques  de  ses  parties  devien- 
*^nt  plus  élroiteSt  il  acquiert  un  centre,  et  arrive  dans  Thomme  à 
^tat  où  nous  le  voyons. 

Ouant  aux  nerfs  cognitifs,  ils  ne  sont  point  du  tout  les  représen- 
•^^^  ts  de  rorganisme,  mais  seulement  le  premier  degré  de  la  fonction 
t*^**  laquelle  les  objets  extérieurs  se  reproduisent  dans  le  moi,  pour 
aevetiir  images  dans  le  cerveau»  puis  simulacres  et  mots  abstraits. 
On  voit  par  celte  analyse  la  diiïérence  complète  des  deux  classes 


de 


tierfë;  les  uns,  représentants  de  Torganisme  dans  ses  rapports 


^^"^c  la  conscience, moyens  d'union; les  autres,  éléments  de  la  lonc- 
uoii  théorique,  ayant  rapport  non  avec  l'organisme,  mais  avec  les 
^^ets  extérieurs;  les  premiers,  à  titre  de  représentants  de  Torga- 
itksrrie,  éprouvant  des  douleurs  et  des  joies  dont  T intensité  est  pro- 
^^'Uonnée  à  Fimpor tance  des  fonctions  accomplies  et  â  la  dignité 
l'organisme  détruit;  les  seconds,  à  titre  d  éléments  de  la  fonc* 


444 


BEVUE   PHILOSOPHtOUB 


tion  théorique,  n*éproQvanl  de  douleurs  et  de  joies  que  suivant  q^i 
leur  action  est  entravée  ou  facilitée;  d'autant  plus  faibles^  que  celle 
action,  quelle  qu'elle  soit^  sert  à  la  connaissance,  et  qu'en  toat  cai 
elle  a*en  est  que  l'occasion. 

Maintenant;  ces  sensations  impulsives  sont  susceptibles  d' acquérir 
une  intensité  illimitée,  ou  de  diminuer  et  d'arriver  à  zéro,  sousTiû- 
fluence  de  circonstances  physiologiques  et  physiques  :  inflamroaiioQ, 
maladies  nerveuses,  jeûnes  prolongés,  rut,  narcotique,  éthénsation 
locale^  etc.  Et  leur  énergie  varie  selon  les  tempéraments.  Mais 
cette  question  paraît  plutôt  appartenir  à  la  physiologie.  En  psTcbo- 
logie,  on  voit  d^abord  quelle  domination  cet  accroissement  d'ém 
peut  donner  aux  sensations  impulsives  sur  les  autres,  et  c'est  là 
ce  qu'on  y  peut  regarder. 

2"  Se7isaiîùn&  comparées  aux  simulacres  et  idées  absîraiîef. 
Un  homme  affamé,  quoiqu'on  lui  dise  et  qu'il  sache  que,  s  il 
mange  vite  et  beaucoup,  il  mourra  inrailliblement  dans  des  douleun 
atroces,  se  met  à  manger  vite  et  beaucoup.  Voyez  toutes  les  rela- 
tions de  tàmines  et  de  naufragés  secourus.  Il  faut  un  caractère  Iras 
énergique  pour  résister. 

Beccaria  développe  tout  au  longrhîstoire  d*un  magistrat  florentia 
qui,  pendant  la  peste,  accusé  d'avoir  empoisonné  les  sources,  je croif, 
fut  torturé,  résista  longtemps,  et  quoique  innocent  finit  par  s'avouer 
coupable.  Ce  fait  est  fréquent,  quoique  le  patient  sache  que,  s*il 
avoue,  il  sera  brûlé,  écartelé,  etc. 

Xénophon  rapporte  qu'en  Arménie  les  soldais  grecs  se  laissaiéol 
tomber  dans  la  neige,  de  fatigue,  et  refusaient  d'avancer,  quoiqu'ils 
sussent  que  les  ennemis  arrivaient  pour  les  tuer*  De  même  dans  la 
retraite  de  Russie,  les  soldats  se  couchaient  et  s*endormaient»  lôîit 
en  sachant  que  le  sommeil  était  mortel,  etc. 

Et  en  général,  l'efTel  d'une  sensation  excessive  est  de  faire  feif» 
des  actions  déraisonnables  ;  ce  qui  signifie  que  la  sensation,  eu  coo- 
ilit  avec  l'idée  d'un  plus  grand  bien  qu  elle-même,  remporte;  ce 
qui  paraît  absurde  au  premier  coup  d'œil,  et  contraire  à  la  tliéoric 
Au  second  coupd*ceil,  si  je  me  rappelle  des  actions  de  ce  geûit 
produites  par  moi-même,  je  découvre  Texplication,  La  sensation 
intense  absorbe  tellement  raltention,  qu'au  bout  de  quelques  instants 
on  ne  songe  plus  qu'à  elle,  et  le  reste  disparaît  des  yeux.  On  tot 
par  agir  mécaniquement,  instinctivement;  on  ne  sait  plus  cequoo 
fait;  on  est  possédé  par  une  idée  fixe,  si  intensp  qu'elle  exclut  loutas 
les  autres;  on  est  comme  sourd  et  aveugle  aux  autres  impressions. 
c'est  une  monomanie  momentanée.  Le  torturé,  au  moment  où  hàûH- 
leur  monte  à  une  certaine  hauteur,  crie  :  «  C'est  raoil  J'avoue!  i  ni 


^Éi 


H,   TAtlfE.    —    DR   LA   VOLONTÉ 


445 


ûui»lié  tout  le  reste,  il  ne  voit  plus  la  roue,  les  fagots,  il  ne  sent  plus 

d'imagination  les  pointes  de  la  flamme  qui  le  brûlera  s'il  avoue.  On 

Je  relâche  un  instant;  aussitôt,  Tidée  du  dernier  supplice  reparait, 

et  il  se  rétracte.  —  L'affamé,  pendant  trois  ou  quatre  jours  qu1l  n'a 

pas  mangé,  a  été  obsédé  par  Tidée  de  la  nourriture;  en  la  voyant 

leous  ses  yeux,  en  la  respirant,  en  la  sentant  d'imagination  sur  sa 

1  langue,  en  subissant  la  contraction  furieuse  et  les  déchirements  de 

son  estomac,  il  devient  presque  fou,  il  ne  comprend  pas  vos  repré- 

^  sentalions.  Il  n'y  a  donc  ici  qu'un  phénomène  d'attention. 

Quel  est  ce  phénomène,  et  pourquoi  rattention  se  trouve-t-elle 

[portée  avec  cette  intensité  sur  la  sensation  actuelle?  En  premier 

lieu,  la  douleur  est  ancienne  déjà,  Tidée  de  la  délivrance  incessam* 

ment  suscitée  et  avec  une  force  croissante,  et  suscitée  seule,  a 

acquis,  d'après  les  lois  de  la  reproduction  des  idées,  une  énergie 

[excessive,  proportionnelle  k  son  ancienneté,  à  sa  durée,  au  carac- 

Itère  exclusif  de  sa  domination  préalable.  —  En  second  lieu,  nulle 

jîmage^  nul  simulacre  n  est  aussi  complet,  détailléj  que  la  situation  ou 

Isensalion  qu'il  représente  :  ainsi  Timage  du  supplice  ne  renferme 

[pas  tous  les  élancements  de  douleur,  etc.,  que  produira  le  supplice 

[lui-même;  et  d'ailleurs  1  énergie  de  la  sensation  empêche  cette 

rimage  de  se  compléter,  de  s'animer,  de  se  colorer,  comme  eile  le 

Ifeit  par  exemple  dans  te  cerveau  d'un  poète,  lorsqu'il  s'occupe  tout 

[entier  à  se  la  figurer.  D'où  i!  suit  que  l'énergie  de  l'image  est 

[moindre,  —  En  troisième  lieu,  la  sensation  ne  peut  pa.s  être  chas- 

tsée,  car  elle  dépend  uniquement  d'une  cause  extérieure,  tandis  que 

[rimage  peut  être  chassée  comme  toute  image-  —  Ainsi  la  sensation 

[ayant  acquis  par  diverses  causes  une  énergie  extrême  et  ne  pouvant 

[être  chassée,  et  l'image  ayant  par  diverses  causes  une  énergie  dimi- 

mée,  et  pouvant  être  chassée,  il  suit  que  l'image  sera  chassée,  et 

lue  la  douleur  agira  seule  et  en  maîtresse,  ainsi  qu'on  Ta  vu< 

Les  moyens  d*y  résister  sont  différents,  i*"  On  peut  renforcer 
f  image  contraire  par  une  longue  iiabitude  préalable.  Ainsi  les  sau- 
l^ages  résistent  au  cadre  de  feu  et  à  la  torture,  parce  qu'ils  se  sont 
[habitués  à  considérer  un  signe  de  faiblesse  comme  une  action 
linfàme,  2^  On  peut  empêcher  cette  image  de  disparaître.  Ainsi  cet 
[Italien  qui  ne  fit  aucun  aveu  à  la  torture,  parce  qu'il  eut  soin  à 
tchaque  élan  de  douleur  de  se  représenter  le  gibet.  S'^  Le  simulacre 
[arrive  presque  à  contrebalancer  la  sensation  présente,  à  mesure 
tqu'il  se  complète*  Si  TafiTymé  qui  veut  manger  voyait  son  voisin  qui 
la  mangé,  tomber  bleui,  hurlant,  se  tordre»  et  mourir  sous  ses  yeux, 
lit  hésiterait  probablement,  parce  qu'il  arriverait  à  imaginer  avec 
lassez  de  précision  l'intensité  de  la  douleur  qu'il  affronte,  et  qu'il  ne 


444  REVPE  PHrLOSQFHIQUB 

tion  théorique,  D'éprouvant  de  douJeurs  et  de  joies  que  suivant  que 
leur  action  est  entravée  ou  facilitée;  d'autant  plus  faibles,  que  cette 
action,  quelle  qu'elle  soit,  sert  h  la  connaissance»  et  qu'en  tout  cas 
elle  n'en  est  que  Toceasion. 

Maintenant,  ces  sensations  impulsi%'essoDt  susceptibles  d'acquérfr 
une  intensité  illimitée,  ou  de  diminuer  et  d'arriver  à  zéro,  sous  Tia- 
lluence  de  circonstances  physiologiques  et  physiques  :  inllammatioa» 
maladies  nerveuses,  jeûnes  prolongés,  rut,  narcotique,  éthérisation 
locale^  etc.  Et  leur  énergie  varie  selon  les  tempéraments-  Mais 
,  cette  question  paraît  plutôt  appartenir  à  la  physiologie.  En  psycho- 
logie, on  voit  d*abord  quelle  domination  cet  accroissement  d'énergie 
peut  donner  aux  sensations  impulsives  sur  les  autres,  et  c'est  là  iml 
ce  qu'on  y  peut  regarder. 

2*  Seiuations  comparées  aux  simulueres  et  idées  ahstraites. 

Un  homme  affamé,  quoiqu'on  lui  dise  et  qu'il  sache  que,  â»! 
mange  vite  et  beaucoup,  il  mourra  infailliblement  dans  des  douleui^ 
atroces,  se  met  à  manger  vite  et  beaucoup.  Voyez  toutes  les  res- 
tions de  lamines  et  de  naufragés  secourus.  Il  faut  un  caractère  très 
énergique  pour  résister» 

Beccaria  développe  tout  au  longrhistoire  d*un  magistrat  ttorenti*^ 
quij  pendant  la  peste,  accusé  d'avoir  empoisonné  les  sources,  je  croi^^ 
fut  torturé,  résista  longtemps,  et  quoique  innocent  finit  par  s*avoi*^^ 
coupable.  Ce  fait  est  fréquent,  quoique  le  patient  sache  que,  ^'*^« 
avoue,  il  sera  brûlé,  écartelé,  etc.  ^B 

Xénophon  rapporte  qu'en  Arménie  les  soldats  grecs  se  laîssaie**^ 
tomber  dans  la  neige,  de  fatigue,  et  refusaient  d'avancer,  quoiqu'i-*^ 
sussent  que  les  ennemis  arrivaient  pour  les  tuer.  De  même  dans  -i^ 
retraite  de  Russie,  les  soldats  se  couchaient  et  s'endormaient,  tci«>^ 
en  sachant  que  le  sommeil  était  mortel,  etc. 

Et  en  général,  TeffeL  d'une  sensation  excessive  est  de  faire  fkir"^ 
des  actions  déraisonnables  ;  ce  qui  signifie  que  la  sensation,  en  oû«^^ 
fiit  avec  Tidée  d'un  plus  grand  bien  qu'elle-même,  remporte;  c^*^ 
qui  parait  absurde  au  premier  coup  d'mil,  et  contraire  à  la  théori  ^' 

Au  second  coup  d'œil,  si  je  me  rappelle  des  actions  de  ce  ijen  «"^ 
produites  par  moi-même,  je  découvre  l'explication.  La  sensati^:>i^ 
intense  absorbe  tellement  Taltention,  qu'au  bout  de  quelques  insiai 
on  ne  songe  plus  qu'à  elle,  et  le  reste  disparaît  des  yeuît.  On  ili 
par  agir  mécaniquement,  instinctivement;  on  ne  sait  plus  ce^jn^' 
fait;  on  est  possédé  par  une  idée  fixe,  si  intense  qu'elle  e^' 
les  autres;  on  est  comme  sourd  et  aveugle  aux  autn^s  : 
c'est  une  nionomanie  momentanée.  Le  torturé,  au  moi  m  i 
leur  monte  à  une  certaine  hauteur,  crie  :  y  ( 


it 


H.   TAINE. 


PE    LA   VOLONTÉ 


443 


oublié  tout  le  réfute,  il  ne  voit  plus  la  roue,  les  fagots,  il  ne  sent  plus 
d'imagination  les  pointes  de  la  flamme  qui  le  brûlera  s'il  avoue.  On 
le  reldche  un  instant;  aussitôt,  Tidée  du  dernier  supplice  reparaît, 
et  it  se  rétracte.  —  Uaiïamé,  pendant  trois  ou  quatre  jours  qu'il  n*a 
pas  mangéy  a  été  obsédé  par  l'idée  de  la  nourriture;  en  la  voyant 
sous  ses  yeux,  en  la  respirant,  en  la  sentant  d'imagination  sur  sa 
langue,  en  subissant  la  contraction  furieuse  et  les  déchirements  de 
son  estomac j  il  devient  presque  fou»  il  ne  comprend  pas  vos  repré- 
i    sentations.  Il  n  y  a  donc  ici  qu'un  phénomène  d'attention. 

■  Quel  est  ce  phénomène,  et  pourquoi  l'attention  se  trouve- t-elïe 
wportée  avec  cette  intensité  sur  la  sensation  actuelle?  En  premier 
W  iieu,  la  douleur  est  ancienne  déjà,  l'idée  de  la  délivrance  incessam- 
ment suscitée  et  avec  une  force  croissante,  et  suscitée  seule,  a 
acquis,  d'après  les  lois  de  la  reproduclion  des  idées,  une  énergie 
excessive,  proportionnelle  à  son  ancienneté j  à  sa  durée,  au  carac- 

^  tére  exclusif  de  sa  domination  préalable.  —  En  second  lieu,  nulle 

■  Image,  nul  simulacre  n  est  aussi  complet,  détaillé,  que  la  situation  ou 
sensation  qu'il  représente  :  ainsi  Timage  du  supplice  ne  renferme 
pas  tous  les  élancements  de  douleur,  etc.,  que  produira  le  supplice 
luj-xuéme;  et  d*ailleurs  Ténergie  de  la  sensation  empêche  cette 
ima^é  de  se  compléter,  de  s'animer,  de  se  colorer»  comme  elle  le 
ûit  par  exemple  dans  te  cerveau  d'un  poète,  lorsqu'il  s'occupe  tout 
entier  à  se  la  figurer.  D'où  il  suit  que  l'énergie  de  l'image  est 
moindre,  —  En  troisième  lieu,  la  sensation  ne  peut  pas  être  chas- 
sée,   car  elle  dépend  uniquement  d'une  cause  extérieure,  tandis  que 
lim^i^^  peut  être  chassée  comme  toute  image.  —  Ainsi  la  sensation 
ayant,  acquis  par  diverses  causes  une  énergie  extrême  et  ne  pouvant 
^^^    c^hassée,  et  l'image  ayant  par  diverses  causes  une  énergie  dimi- 
nuée,  fit  pouvant  être  chassée,  il  suit  que  l'image  sera  chassée,  et 
îiie  Mgl  douleur  agira  seule  et  en  maîtresse,  ainsi  qu'on  Ta  vu* 

,.  ^^  f^Qygjig  ^*y  résister  sont  différents.  1*"  On  peut  renforcer 
^^^e  contraire  par  une  longue  habitude  préalable.  Ainsi  les  sau- 
^S^^^^  résistent  au  cadre  de  feu  et  à  la  torture,  parce  qu'ils  se  sont 
'*hit.m_iés  à  considérer  un  signe  de  faiblesse  comme  une  action 
7^^«.  2'  On  peut  empêcher  cette  image  de  disparaître.  Ainsi  cet 
^^^Wi  qui  ne  fit  aucun  aveu  à  la  torturei  parce  qu'il  eut  soin  à 
waqaa  e  élaji  de  douleur  de  se  représenter  le  gibet.  3*  Le  simulacre 
iV^  presque  à  contrebalancer  la  sensation  présente,  à  mesure 
Qi  i'affijmé  qui  veut  manger  voyait  son  voisin  qui 
li,  hurlant,  se  tordre,  et  mourir  sous  ses  yeux, 
*r-*  "^î^rce  qu'il  arriverait  à  imaginer  avec 
a  douleur  qu'il  alîronte,  et  qu'il  ne 


^6 


RKVUE  nnLosownQUE 


pourrait  pas  chasser  celle  image^  laquelle  serait  iovoloulaire,  cûimne 
suscitée  par  un  spectacle  extérieur,  4"  Certaines  idées  agrêaMes 
peuvent  être  associées  h  la  douleur  de  telle  façon,  que  le  \Mm 
qu*elles  procurent  croit  avec  TiiUensilé  de  la  douleur.  Par  exemple. 
le  sauvage  sent  sa  force  d'âme  d'autant  plus  grande  el  plus  glo- 
rieuse,  qu'il  souffre  davantage.  Il  sait  ses  ennemis  d  autant  plus 
irrités  et  bravés  que  leurs  elTorts  sont  plus  impuissants.  It  la 
insulte,  il  leur  dit  de  faire  plus,  quMls  ne  savent  pas  tourmenter»  etc. 
—  Le  chrétien  se  réjouit  d'autant  plus  qu'il  souffre  plus  poursun 
Dieu*  De  15  les  pénitences  sanglantes  des  moines,  et  principalemeat 
des  religieuses  qui  ont  de  l'imagination,  elc, 

G**  SlmHl.wres  comparés  entre  eu jc  et  aux  idées  ahi^lrailes^ 

Stendhal,  Rouge  et  Noir^  p,  420.  Julien  condamné  à  mort  esl 
brave  quand  il  pense  h  la  mort,  prise  abstrailenient.  Le  vieux  curé, 
son  ami,  qui  vient  le  voir,  est  tout  ctiangé,  décrépit,  l'œil  morue, 
vitreux,  machine  déjà  morte  à  demi.  Julien  «  voit  la  mort  dans  touie 
sa  laideur  »  et  tombe  dans  uae  atfreuse  Instess^e. 

Voyez,  dans  le  paragrapiie  i)récédent,  U  dillrrence  d'émûtion  outre 
ridée  de  la  mort  causée  par  gloulonnene,  et  la  vue  d'un  hommf 
mort  par  gloutonnerie. 

Nous-mêmes,  chaque  jour,  nous  lisons  le  récit  d'une  opéralion, 
d*un  accident,  d*une  mort,  etc.,  avec  une  émotion  médiocre.  Aliei 
voir  une  opération  elTective  à  TÊcole  pratique.  L  émotion  croîtra 
énormément, 

La  différence  d'émotion  lorsqu'on  imagine  est  proportionnelle  à 
la  netteté  avec  laquelle  on  imagine,  à  l'abondance  dt's  détails.  Il  y  a 
une  échelle,  depuis  rimLige'hallucination,  dont  TelTet  est  le  même 
que  celui  de  la  perception  réelle.  Jusqu'à  l'idée  abstraite,  en  pas- 
sant par  une  série  de  simulacres  de  moins  en  moins  coraplelset 
précis. 

ÏAt  Chartreuse  àr  Parmr  ^  qui  est  Thisloire  d'un  Italien,  liomro^ 
d'imagination,  est  pleine  d'applications  de  celte  loi*  Fabrice,  qui  ^^^ 
dans  un  clocher,  aperçoit  les  gendarmes  :  «  Tout  le  monde  mecoï^' 
naît  ici;  si  Ton  me  voit,  je  ne  fais  qu'un  saut  au  Spielberg,  oti  T^* 
m'attachera  à  cliaque  jambe  une  chaîne  pesant  cent  dix  livres: 
quelle  douleur  pour  la  duchesse!  » 

«  Fabrice  eut  besoin  de  deux  ou  trois  minutes  pour  se  rappeler  q 
d'abord  il  était  placé  a  pluis  de  80  pieds  d'élévation,  que  le  lieu  oit- 
se  trouvait  élait  comparativement  obscur,  que  les  yeux  des  gens  q  " 
pourraient  fe  regarder  étaient  frappés  par  un  soleil  éelâlant,  -'" 

t.StendhtiL 


H.  TAINE;    —    UE   LA    VOLONTÉ 


447 


qu'enfin  ils  se  promenaient  les  yeux  grands  ouveils  dans  les  rues 
donl  iDutes  les  maisons  venaient  d'ôlrc  blanchies  au  lait  de  chaux, 
enllionneur  de  la  fêle  de  Saint-Giovita.  Malgré  dea  raisonnements 
si  clairs,  Tâme  italienne  de  Fabrice  eût  été  désormais  hors  d'état  de 
goûter  aucun  plaisir,  sMl  n'eût  interposé  entre  lui  et  les  gendarmes 
un  lambeau  de  vieille  toile,  qu'il  cloua  contre  la  fenêtre^  et  auquel 
il  fit  deux  trous  pour  les  yeux*  » 

Fabrice*  a  pris  pour  se  sauver,  mais  sans  violence,  le  cheval 
anglais  que  promenait  sur  la  route  un  valet  de  chambre,  m  Au  retour 
U  se  disait  :  Aurai^î-je  dû  tirer  un  coup  de  pistolet  au  valet  de 
chambre  qui  tenait  par  la  bride  un  cheval  maigre?  Sa  raison  disait 
oui,  mais  son  cœur  ne  pouvait  s'accoutumer  à  l'image  sanglante  du 
beau  jeune  homme  tombant  de  cheval,  défiguré*  i 

Cherchons  les  causes  de  cette  ioi.  1°  U  est  visible  que  le  simulacre 
ou  image  enferme  beaucoup  plus  de  causes  d'émotion  que  le  mot 
abstrait.  Car  comparez  la  phrase  :  tL  Ce  valet  de  chambre  meurt  », 
avec  ce  qui  est  contenu  dans  Tirnage  :  premièrement,  le  passage 
brusque  de  la  beauté  et  de  la  jeunesse  h  la  mort;  secondement,  le 
sang  sur  le  visage,  la  cervelle  à  nu,  les  yeux  emportés^  la  convul- 
sion des  muscles,  les  derniers  soubresauts  du  corps  gisant,  le  râle 
rauque  et  douloureux;  troisièmement,  la  chute  subite,  puis  rinertie, 
qui  contraste  avec  le  mouvement  de  la  vie*  —  Cette  analyse  touche  le 
lecteur,  qu'il  juge  de  Timpression  qu*il  aumit  s'd  voyait  la  chose! 
Carlanalyse  donnée  ne  renferme  qu*une  partie  des  causes  d'émo- 
tion. Donc  une  des  raisons  de  la  loi  est  que  Timage  ou  simulacre 
renferme  beaucoup  plus  de  causes  d'émotion  ou  faits  touchants  que 
le  mot  abstrait.  Cela  tait  comprendre  pourquoi  plus  le  simulacre  est 
complet  et  se  rapproche  d'une  perception  actuelle,  plus  il  est  puis- 
sant et  touchant,  —  Nous  voyons  aussi  par  îà  ce  que  c*est  qu'un  mot 
abstrait,  comme  mort,  doulmir,  tortm^e^  joie,  salut ^  etc.  Ce  mot 
abstrait  ne  tient  pas  la  place  et  par  conséquent  n'a  pas  refTet  de  la 
série  de  détails  que  renferme  une  mort,  une  douleur  particulière. 
Le  mot  mort  signifie  simplement  la  suppression  de  la  vie,  et  le  mot 
vie  signifie  simplement  ce  qu'il  y  a  de  commun  dans  les  fonctions 
organiques,  animales  et  humaines.  Mais  le  mot  vie  ne  remplace  pas 
toutes  ces  fonctions,  ni  le  mot  mort  tous  les  phénomènes  de  Textinc- 
tîon  de  ces  fonctions.  Au  contraire  sa  nature  consiste  à  représenter 
les  choses,  comme  si  les  détails  n'existaient  pas.  De  VX  une  difîé- 
rence  énorme  de  puissance,  2^  Si  une  idée  abstraite  se  présente,  si 
une  phrase  abstraite  est  prononcée  dans  un  moment  pareil,  lorsque 


L  iifid,,  p.  \m. 


448 


hevue  philosophique 


rjmagijiatioii  est  occupée  par  une  îmoge  ou  une  séria  d'images, 
ordinairement  elle  n'est  pas  comprise,  elle  n>nlre  pas  dans  Tespril,^ 
les  sons  irappent  l'oreille»  mais  rien  de  plus.  En  effel,  comprendr 
une  phrase  abstraite,  c*est,  comme  on  Ta  vu^  éprouver  une  tendaDcaJ 
pour  joindre  radjeclif  au  substantif»  l'afTmité  entre  ces  deux  naoïs 
étant  élablie  par  l'habitude.  Or,  cette  affinité  est  une  force  assez 
faible,  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  voyant  la  médiocre  con- 
trariélé  qu'on  éprouve,  lorsqu'elle  est  contrariée  par  une  phrase 
fausse  ou  absurde.  L'énergie  des  images  étant  au  contraire  très 
grande,  comme  on  peut  s'en  assurer  par  expérience,  raffinité  entre 
le  substantif  el  l'adjecLîf  ne  peut  s  exercer ,  et  Ton  prononce  ou 
entend  les  mots  sans  en  sentir  raflinité,  c/est-à-direle  sens.  —  D'autre 
part  ta  phrase  est  très  aisément  chassée  par  T image,  qui  dès  lors 
subsiste  seule.  Car,  en  vertu  de  la  raison  précédente»  Timage  étant 
plus  complète  renferme  plus  de  causes  pour  subsister- 

Contre-épreuve  :  Les  moyens  de  résisier  aux  images  sont  les  suî* 
vanls  :  i^  Développer  la  force  de  comprendre  telle  idée  abstraite, 
ou  rafrinité  de  tels  mots  abstraits  entre  eux,  par  la  fréquente  con- 
sidération de  ces  mots*  Ainsi  l'idée  de  l'honneur,  du  devoir.  Oa 
comprend  la  phrase,  même  au  milieu  des  images  contraires  les  plus 
puissantes.  Par  exemple  des  soldats  au  milieu  du  feu^  pleins  des 
images  de  la  mort  et  des  blessures,  à  qui  l'on  crie  :  «  Et  votre  hon- 
neur 1  »  —  En  même  temps  et  par  la  même  raison  d'habitude,  la  phrase 
tend  k  subsister,  et  n'est  plus  chassée  facilement.  2^  Susciter  Tintiage 
'  contraire,  en  s'appesantissant  sur  le  mot  ;  par  exemple  pour  peu 
que  le  mot  honneur  persiste,  Timaginalion  aperçoit  les  paroles  et 
expressions  de  mépris  du  public  en  cas  de  lâcheté,  les  paroles  et 
altitudes  contraires  en  cas  de  courage,  etc.  Ce  qui  contrebalance 
rimpression  opposée. 

4"  Idées  abstrait t;s  purc$^  comparées  aux  idées  abstraites  transfof 
filées  en  métaphores. 

œ  Erra  bas  ^  Verres,  et  vehementer  errabas»  quum  te  maculas  fur- 
torum  et  flagiliorum  tuorumjsocioruminnocentium  sanguine  eluere 
arbitrabare*  »  ' 

On  le  voit  qui,  comme  Lady  Macbeth,  essaie  d'effacer  des  taches 
de  sang.  Cela  est  beaucoup  plus  tort,  que  si  Cicéron  disait  simple- 
ment ;  Tu  te  trompais  en  croyant  éviter  par  des  meurtres  Faccusa- 
tion  de  vol. 

Platon  (de  VÉtat^  IX)  compare  les  désirs  oisifs  et  prodigues  à  un 
grand  frelon  allé,  «  Lorsque  les  autres  désirs,  couronnés  de  fleurs. 


1.  In  Verrem^  H,  livre  V,  ch«p.  46, 


H,  TAXIIE:   —  DE   LA  VOL0?^TÉ 


4i9 


parfumés  de  senteors,  enivrés  de  vins  et  accompagnés  des  plaisirs 
effrénés,  viennent  bourdonner  autour  de  ce  frelon,  Je  nourrissent, 
rélèvent,  et  Tarment  enfin  de  1  aiguillon  de  rambition,  alors  ce  tyran 
de  rame»  escorté  de  la  démence,  extermine  ou  chasse  loin  de  lui 
tous  les  senlimenls  honnêtes  et  tous  les  désirs  vertueux,  %  (Traduc- 
tion.) 

Le  lecteur  est  beaucoup  plus  ému  que  si  on  lui  disait  simplement; 
L'ambition  et  les  mauvais  désirs  finissent  par  chasser  tous  les  bons 
sentiments. 

Et  en  général,  la  métaphore  est  un  moyen  très  puissant  pour 
exciter  la  passion. 

Ce  fait  a  plusieurs  c3auses. 

(a.)  La  première»  qui  est  visible»  est  rapplicatlon  de  la  loi  pi*écé- 
dente,  en  vertu  de  laquelle  les  images,  et  parlant  les  images  contenues 
dans  la  métaphore,  sont  plus  puissantes  que  les  idées  abstraites, 

(6,)  Mais  cette  cause  n'est  pas  Ja  seule,  comme  on  peut  s'en  con- 
vaincre en  remarquant  qu'une  métaphore  est  plus  puissante  qu'une 
comparaison,  quoique  dans  toutes  les  deux  il  y  ait  la  même  image 
enfermée. 

Prenez»  parexemple»  la  métaphore  de  Platon  qui  vient  d'être  citée, 
et  mettez  à  la  place  ceci  :  «  Semblable  à  un  frelon  que  d'autres 
insectes  pernicieux  viennent  en  bourdonnant  nourrir  et  armer,  etc.  »  ; 
vous  aurez  la  preuve  du  fait  en  question.  11  y  a  une  certaine  folie 
dans  la  métaphore*  Nous  confondons  en  une  seule  chose  deux 
choses  semblables  en  un  point,  mais  difTérenles  dans  tout  le  reste  : 
un  frelon  avec  l'ambition,  Tassant  d'une  ville  et  la  destruction  d'une 
population  avec  une  substitution  de  passions  dont  l'une  succède  à 
l'autre,  etc.  Aussi  le  propre  de  la  poésie  et  du  style  lyrique,  lesquels 
se  composent  presque  uniquement  de  métaphores,  c'est  l'emporte- 
ment et  la  puissance  excessive  de  Timagination* 

Voyez  par  exemple  ces  vers  : 


ReKi"t:tie?.-vou«  le  temps  ou  d'un  siècle  barbare 

Naquît  un  siËcle  û'or,  plus  forlile  et  plus  beau? 

Où  le  vieil  univer:^  fenillt  avec  Lazare 

De  son  front  rajeuni  la  pierre  du  tombeau? 

Regfette^'VOuiï  le  temps  où  nos  vieilles  romances 

Ouvraient  leurs  aile^  d*or  veri  leur  monde  enchanlé? 

Où  tous  nos  mon  u  m  en  1  s  et  louiez  nos  croyances 

Portaient  le  manleau  blanc  de  leur  virginité? 

Où  sous  la  main  dn  Christ*  tout  venait  de  renallre? 

Où  le  palais  du  prinre  et  la  miiison  du  prêtre. 

Portant  la  même  rroiï  sur  leur  front  radieux, 

âortaient  de  la  montagne  en  regardant  le:^  cieux? 

Où  Cologne  et  Strasbourg,  Notre-Dame  et  Samt>Pîerrei 

S'agenoulllantau  loin  dans  leurs  robes  de  pierre, 


BEVUE  paiLDSOffilQUE 

Sur  rop;zue  universel  des  peuple^*  prosternés, 

EutofiTiaieiiL  riiosauua  iJe^  fïèeJes  nouvetiitiE-nês  ! 

Le  It^mps  ùii  se'tarsnit  loul  ce  f|u'a  dit  l'histoire? 

Oit  sur  lei  ïsainta  uutels  Jea  Crucifijt  d'ivoire 

Ouvraienl  des  bras  bûïia  Lâche,  el  blancs  comme  du  laîlî 

Où  la  vie  èlail  jeune,  —  oii  Ea  uiort  espërail? 


Il  Y  a  évidemment  dans  tout  ce  passage  une  sorte  d'ballucina 
admirable,  toutes  les  abstracUons  se  transformuat  en  forraes  x^nm^ 
et  grandioses.  Delà  une  puissante  cause  d*émolion.  Car  Ja  puissance 
émouvante  d*une  idée  ou  ima^je  est,  comme  on  Ta  vu,  en  raison  non 
seulement  de  la  grandeur  de  Tobjet  qu'elle  représente»  mais  de  Tîn- 
tensité  avec  laquelle  elle  se  produit,  et  de  la  force  de  ratteotîoo 
qu'elle  excite* 

Maintenant  pourquoi  la  métaphore  est-elle  toujours  accompagnée 
de  cette  sorte  de  folie  impétueuse?  C'est  qu'elle  est  elle-mênie  cetie 
folie.  Quand  on  dit  :  «  cet  homme  est  un  lion  »,  on  fait  une  proposition . 
absurde  en  soi.  L'attraction  entre  le  substantif  homme,  ou  le  simu-J 
lacre  intérieur  produit*  et  la  qualité  de  courageux  comprise  dans  le 
mot  lioih  est  si  puis.sanle,  que  le  lion  tout  entier,  et  non  plus  seu- 
lement son  courage,  se  trouve  réuni  en  un  seul  objet  avec  le  sujet  i 
de  la  phrase.  Cette  énergie  de  FaltracUon  produit  précisément  cetta] 
force  de  l'attention  et  cette  cause  d^émotion  dont  nous  avons  parlé.  ] 

5^  Connaissance  cCun  objet  ou  d*un  fait  jirè&ent  comparé  à  un  iOu~ 
venir  ou  à  une  prévinon. 

Un  homme  qui  se  noie  s*accroche  à  celui  qui  veut  le  sauver  avec 
une  obstination  frénétique,  tout  en  sachant  qu'il  le  gênera,  le  noiera 
peut-être,  el  lui-même  en  même  temps. 

Les  enfants  particulièrement,  et  les  sauvages^  donnent  des  exem- 
ples de  cette  loi.  Un  Caraïbe  vend  sa  couverture  le  matin,  et  vient  la 
redemander  le  soir  en  pleurant,  parce  qu'il  a  froid. 

Un  autre  exemple  est  celui  des  condamnés  à  mort  qui  prient,  sup- 
plient pour  un  sursis.  La  mort  présente,  actuelle,  leur  parait  plus 
terrible  que  la  mort  demain. 

Un  dernier  exemple  encore  plus  frappant  est  celui  des  enfants  à, 
qui  on  promet  un  plaisir  pour  demain,  par  exemple  une  friandiâe,i 
un  jouet,  une  promenade;  ils  disent  :  Oh!  non,  tout  de  suite,  tout 
de  suite.  —  Nous  faisons  comme  eux  dans  tout  désir  ardent;  nous 
ne  pouvons  pas  attendre;  nous  sommes  impatients,  nous  voudrions 
supprimer  le  temps  qui  nous  sépare  de  la  situation  désirée- 
Bref,  généralement,  l'idée  d*un  fait  présent  produit  plus  d'impres-! 
fiion,  c  est-à-dire  plus  de  plaisir  ou  de  peine,  que  ridée  du  même  fait 
à  venir. 


H.   TAINE.    —    DE   LA   VOLÛÎ^TK 


VM 


Nfafs  un  fait  à  venir  peut  ôlre  moins  éloigné  qu'un  autre,  et  par- 
tant dans  la  même  situation  qu'un  fait  présent  par  rapport  h  lui- 
nièmc;  d'oti  l'on  conclut  d'avance  que  l'idée  d'un  fait  à  venir  frappe 
d*autant  moins  qu'il  est  conçu  comme  plus  éloigné.  En  effet,  reculer 
une  jouissance  est  une  contrariété.  Plus  le  surfis  est  long,  plus  le 
condamné  est  content.  Lorsque  la  distance  est  très  grande,  dix, 
vingt,  trente  ans,  Tldée  perd  presque  toute  sa  force.  Par  exemple, 
considérez  que  votre  père  a  soixante  ans,  et  que  certainement  d'ici 
à  quarante  ans,  il  mourra,  —  Ealm  quand  reloignemenl  est  indéter- 
minét  ridée  s*a(Tait>lit  encore.  Nous  savons  que  nous  mourrons,  et 
cependant  cette  pensée  nous  laisse  fort  tmnquillGS,  quand  nous 
sommes  en  santé. 

Ainsi  en  général  l'éloîgnement  du  fait  représenté  atténue  Timpres- 
sîon  de  plaisir  ou  de  douleur. 

Je  vois  plusieurs  causes  de  cette  loi.  (a)  L'une  principale,  qui  est 
tirée  de  Télat  naturel  des  images  ou  simulacres,  ou  idées.  Un  objet, 
comnje  on  Ta  vu,  e^^t  naturellement  représenté  comme  actuel  et  pré- 
sent. Par  conséquent,  le  représenter  cumnie  futur,  c'est  contrarier  la 
tendance  naturelle  de  la  rcprésenlalton.  C*esl  donc  diminuer  sa 
furce  d'existence,  et  partant  la  quantité  d'aUention  qui  lui  est  prêtée^ 
Pattention  étant  proportionnelle  a  lenergie  de  Faction  cérébrale  qui 
est  son  objet.  Or  avec  la  quantité  d*attention  prêtée  diminue  la  quan- 
tité de  puissance  impressionnante,  et  parlant  la  grandeur  de  la  peine 
et  du  plaisir.  —  On  comprend  par  là  que,  lorsque  la  position  du  fait 
futur  paraît  indéterminée^  et  qu  a  mesure  qu*on  essaie  de  la  placer 
quelque  part  il  en  est  exclu  par  le  doute,  sa  capacité  d^émouvoir 
diminue  subitement  d'une  manière  plus  considérable  encore.  Car  sa 
force  d  existence  est  attaquée  par  la  totalité  des  exclusions*  \b)  La 
cause  secondaire  est  que  le  fait  prévu  n*est  jamais  représenté  aussi 
complètement,  avec  des  détails  aussi  nets  et  aussi  particuliers,  que 
le  fait  actuellement  vu.  Ainsi  le  noyé  qui  s'accroche  ne  sô  figure  pas 
la  mort  de  son  sauveur  et  les  suites  de  sa  frénésie  aussi  nettement 
qu'il  sent  rétoutlement  et  la  congestion  cérébrale  qui  commence. 
Une  autre  cause  secondaire,  c'est  que  le  fait  à  venir  paraît  toujours 
un  peu  douteux,  parce  qu  on  imagine  toujours  des  obstacles  pos- 
sibles. 

Mêmes  faits  et  môme  explication  pour  ce  qui  est  des  souvenirs. 
Gepejïdant  il  faut  noter  qu'ici  le  fait  représenté  est  d'autant  moins 
distinct  et  moins  détaillé  qu'il  est  plus  ancien,  parce  que  Ténergie 
reproductrice  du  cerveau  a  contracté  d'autres  habitudes.  On  Ta 
oublié  partiellement. 

Comparons  maintenant  Pi  m  pression  d'un  souvenir  à  celle  d'une 


m 


REVUE    PHILOSOPHIQLTE 


prévision.  Par  exemple,  un  hoîniïie  qui  a  subi  une  opération  et  à  qui  j 
on  annonce  qu'il  faudra  la  recommencer.  On  vous  a  arraché  une 
dent,  et  vous  reconnaisses  qu'on  devra  vous  en  arracher  une  aulie 
bientôt.  Vous  avez  gagné  hier  une  somme  d'argent,  et  vous  pré- 
voyez que  demain  vous  gagnerez  une  somme  pareille.  —  Dans  ces 
cas  et  dans  tous  les  autres^  un  fait  à  Tétat  de  souvenir  nous  touchel 
moins  qu*un  fait  à  Tétai  de  prévision. 

Pour  expliquer  cette  loi,  il  faut  remarquer  que  le  présent  par 
rapport  auquel  on  considère  le  fait  à  venir  ou  passé,  o'apparait  pas 
comme  un  point  fixe,  mais  comme  un  point  en  mouvement,  et  i 
mouvant  vers  l'avenir.  Le  moi  que  j'aperçois  se  dirige  vers  le  fait' 
futur,  il  va  y  loucher,  et  par  contre,  il  s'éloigne  du  fait  passé.  Ma 
pensée  est  emportée  par  le  mouvement  de  son  objets  et  ainsi  se 
trouve  inclinée  à  considérer  le  futur  plutôt  que  le  présent*  CeltÊ 
inclination  détermine  en  faveur  du  fait  à  venir  une  intensité  d^alteo- 
tion  plus  grande,  et  partant  lui  communique  une  plus  grande  puis- 
sance  pour  faire  impression. 

Cela  explique  pourquoi  la  pensée  des  hommes  est  plus  ordinaire- 
ment loumée  vers  l'avenir  que  vers  le  passé. 

Enfin  il  faut  noter  que  le  futur  et  le  passé,  surtout  très  éloigniis, 
paraissent  pius  beaux  que  le  présent. 

Foraan  et  bsec  rïiemLfiLSseJtiTabit» 


On  sait  les  châteaux  en  Espagne  que  nous  faisons  et  les  charmâmes 
apparences  que  prend  notre  espérance,  etc. 

En  effet,  quand  nous  imaginons  un  fait  futur,  n  étant  pas  gênés 
par  la  connaissance  présente  des  conditions  de  son  accomplisse- 
ment, nous  rimaginons  en  artistes,  et  nous  l'arrangeons  d'une  Cac<iQ 
aussi  intéressante  que  possible,  uniquement  selon  les  convenances 
de  notre  imagination,  et  selon  les  attractions  de  nos  idées.  Tandis 
que  lorsqu'il  est  présent,  il  suit  sa  loi  propre,  nous  sommes  obligés 
d'accommoder  notre  imagination  à  sa  nature  réelle,  ce  qui  gt^-ne  les 
attractions  de  nos  idées.  Par  exemple,  voir  la  mer,  après  ravoir  imi- 
ginée.  Avoir  un  prix,  après  ravoir  espéré.  Le  présent  est  plat, 
ravenir  poétique,  ce  qui  signiGe  :  dans  un  cas,  notre  irûaginâliofl 
subit  un  mouvement,  dans  Tautre,  elle  suit  le  sien. 

Et  quand  nous  nous  représentons  un  f^it  passée  nous  éprouvons 
du  plaisir  par  deux  raisons.  Premièrement,  nous  sommes  Imoy 
portés  tout  d'un  coup  dans  nn  autre  monde,  surtout  lorsque  nous 
nous  rappelons  des  faits  anciens,  notre  enfancei  elc,  ce  qui  excite 
Pattention  par  contraste-  Secondement,  notre  esprit  reçoit  un  mou- 


H*  TAraS*  —  DE  LA  VOLOPÏTÈ 


SSS 


vement  facile,  et  parlant  agréable.  Ce  qui  signifie  que  nos  idées  et 
images  s'attirent  aisément  et  rationnellement ^  sans  TetTort  de  Tin- 
ventiôD,  avec  la  vivacité  et  la  logique  de  rinventlon  poétique,  et 
avec  une  certitude  qui  manque  dans  Finvention  poélique. 

Ajoutons  enfin  que  lorsque  nous  nous  représentons  le  passé  ou 
Tâvenir,  nous  n'apercevons  que  les  grands  faits  intéressants,  que 
les  petits  détails  ennuyeux  disparaissent,  et  qu'ainsi  nous  opérons 
involontairement  comme  les  artistes.  Par  exemple,  je  songe  à  ma 
vie  de  telle  époque,  çtc.  De  sorte  que  le  présent  doit  nous  paraître 
toujours  plus  laid  que  le  passé  et  Tavenir,  et  que  nécessairement 
nous  regrettons  et  nous  désirons,  sans  jamais  jouir.  Il  y  a  là  un 
phénomène  d'optique  morale,  fort  triste,  mais  qui  est  un  puissant 
ressort  d'action ,  et  qui  nous  pousse  soit  à  innover,  soit  à  restaurer, 
et  nous  défend  de  rester  tranquilles. 

6''  Cminaiasmice  eFun  fait  coinme  pluB  ou  moiiis  probable  et  pos- 
$ibte^  camparée  à  la  connaissance  dti  même  fait  comme  réel  et 
certain^ 

Soit  une  loterie,  selon  qu'on  a  plus  ou  moins  de  billets  et  qu'il  y 
a  plus  ou  moins  de  numéros,  Tidée  d'un  lot  gagné  nous  touche  plus 
ou  moins.  On  se  représente  comme  gagnant.  Mais  au  même  instant, 
on  se  représente  comme  ne  gagnant  pas,  et  Ténergie  de  la  contra- 
diction est  proportionnelle  au  nombre  de  numéros  distribués,  et  au 
nombre  de  billets  qu'on  n'a  pas. 

Lorsque  le  nombre  des  chances  contraires  ou  favorables  devient 
si  grand  qu'on  ne  peut  pas  le  déterminer,  les  autres  chances  dispa- 
fuissent,  et  la  probabilité  fait  la  même  impression  que  la  certitude. 
Par  exemple*  je  sors;  il  est  possible  que  je  sois  écrasé  par  une  voi* 
ture,  ou  tué  par  un  moellon;  d'après  les  statistiques  j  ai  environ  une 
chance  de  danger  contre  500.000  de  sûreté.  Cependant  le  1  ne  me 
touche  pas  plus  que  0  parce  que  je  n'y  fais  pas  attention.  L  expli- 
cation est  Ja  même  que  pour  la  prévision.  L'image  ou  idée  parait 
3iaturellement  objet  réel,  certain  ou  présent.  Les  contradictions  en 
question  diminuent  sa  force  d'existence,  en  gênant  sa  tendance 
:»aturelle.  Ainsi  contredite  et  partiellement  détruite,  elle  attire  moins 
l'attention,  ce  qui  fait  qu'elfe  touche  moins. 

7"  CQnîiais$ance  moins  piécise  comparée  à  une  connaissance  plus 
'précise. 

S'il  s'agit  d*une  image  ou  d*un  simulacre,  comparez  l'image  très 
«3bscure,  vacillante,  sans  limites  bien  précises»  d'un  chêne,  avec 
^i^tte  même  image  précise,  distincte,  obtenue  par  réflexion ^  ou 
^i3ans  un  moment  d'inspiration. 

Comparez  l'idée  plus  ou  moins  vague  de  TÉtat  que  peut  avoir  un 


4Si  ^  REVUE  PUILOSOPBIQOE 

paysan,  avec  cette  même  idée  nettemeot  marquée  et  définie  dans 
la  tète  d*uQ  pubîicîste  ou  philosophe* 

Dans  le  second  cas,  Tidée  ou  image  est  toujours  plus  puissanle; 
en  d*autres  termes,  cause  plus  de  joie  ou  de  douleur. 

En  elTet,  dire  qu'une  connaissance  est  précise  et  disliriiile,  c'est 
dire  qu'elle  se  détache  nellenaent  et  fortement  sur  les  autres*  qu  eliâ 
fait  contraste  avec  elles,  que  partant,  selon  les  lois  iloonées,  elle 
excite  plus  d'atlênlion, 

8"  Connah$unc€  plus  ou  moins  attentive* 

On  a  vu  que  plusieurs  des  cas  précédents  renlrent  dans  celui-ci. 
Plusieurs  autres  y  sont  compris*  Tel  homme  fait  plus  d'attenlioui 
un  objet  d'art,  à  une  idée  scientifique,  à  une  espérance  d'ambitiorï, 
d'avarice,  à  un  objet  de  vanité,  au  bonheur  de  son  ami,  de  son  Ui, 
de  sa  maîtresse,  etc*  ;  tel  autre  moins,  tout  cela  d'après  les  lois  des 
passions*  Mais  on  a  expliqué  comment  il  se  fait  que  ratteiition, 
accroissement  de  Tact  ion  intellectuelle,  détermine  un  degrr  île 
douleur  de  plus  dans  la  douleur,  puisque  la  douleur  est  la  diminu- 
tion de  Taction  intellectuelle* 

9"*  Coanamance  d\m  mat  comparée  à  la  connaissance  dit  ï}wm 
mot. 

Dans  tout  ce  qui  précède  nous  avons  comparé  un  mode  de  repré- 
sentation h  un  mode  de  représentation.  De  môme  çncore  dans* 
article*  Les  sensations,  les  images,  les  simulacres  à  tous  leur 
degrés  de  netteté,  les  mots  abstraits,  les  métaphores  ne  sont  que 
des  substituts  ou  représentants  dli  fait  ou  objet  qu'il  s  agit  de  ct*n* 
naître.  Nos  comparaisons  n'ont  pour  but  que  de  marquer  les  degré? 
d*énergie  impulsive  proportionnelle  possédés  par  ces  diverses  sorles 
de  représentations. 

Or  un  mol  ou  une  phrase  étant  donnée,  elle  peut  naître  avec  àe 
énergies  impulsives  très  inégales*  Comparez  une  phrase  à  Tétai  da 
banalité,  de  lieu  commun  général,  telle  que  vous  la  lise^  souvent 
dans  les  livres,  et  cette  même  phrase  suscitée  en  vous  par  rinipres- 
sion  d'un  ou  plusieurs  faits  particuliers*  Par  exemple  :  «  L'amour  de 
la  patrie  est  un  noble  senlimenl  ï^*  Celle  phrase  ainsi  présentée  me 
laisse  à  peu  près  indifférent*  Mais  supposez  que  Je  la  produise  el 
que  je  rinvenle,  que  je  lise  la  vie  de  lïùche,  de  1^  Tour  d'AuvergTJ(\ 
de  Caniot,  de  Cambon,  que  je  cûmpare  ces  vies  à  celles  de  Louis  XV 
ou  du  savetier  du  coin,  celte  phrase  ainsi  suscitée  aura  une  puis- 
sance  énorme*  Je  Taffirmerai  avec  une  certitude  extrême,  je  ïa 
comprendrai  à  fond;  les  mots  :  «  amour  de  la  patrie,  sentîmenl noble ^ 
Jailliront  ressuscites  comme  par  une  commotion  éïeclni|ue,  et  se 
joindront  avec  une  affinité  très  puissante*  Telle  est  la  puissaiace  des 


H.  TAINE.   —  DE  LA  VOLONTÉ  4SS 

faits  particuliers  substitués  à  deè  idées  générales.  La  force  d'exis- 
tence et  Taffînité  des  idées  s'en  trouvent  accrues  et  partant  leur 
capacité  impulsive.  (Julien  '  :  Une  idée  le  saisit  avec  toute  la  puis- 
sance de  la,  première  idée  qu'on  croit  avoir  inventée,  et  faillit  le 
rendre  fou,  etc.) —  On  comprend  par  là  qu'il  y  a  une  échelle  dans  la 
capacité  impulsive  d'une  phrase,  depuis  l'état  où  elle  est  suscitée  par 
des  faits  particuliers,  jusqu'à  celui  où  elle  n*est  plus  qu'une  pure 
banalité,  sans  aucune  puissance  impulsive,  réduite  à  l'état  de 
formule,  et  bonne  tout  au  plus  pour  figurer  dans  une  science. 

Maintenant,  -si  l'on  considère  plusieurs  connaissances,  on  verra 
que  Pierre  a  la  capacité  d'avoir  plus  d'idées  et  des  idées  mieux  clas- 
sées que  Paul,  dans  un  espace  de  temps  donné;  ce  qui  donne  une 
plus  grande  force  impulsive  aux  idées  de  l'un  qu'aux  idées  de 
l'autre,  etc. 

RÉSUMÉ. 

En  considérant  l'échelle  des  modes  de  représentation,  on  trouve 
ainsi  une  échelle  d'énergie  impulsive  :  voici  l'ordre, 
a.  Sensation  impulsive  pure.  . 
6.  Sensations  cognitives  avec  simulacres. 

c.  Images  avec  simulacres  à  différents  états  de  netteté,  selon  que 
Tillusion  affirmative  et  l'apparence  présente  sont  plus  ou  moins 
contredites,  selon  que  l'intensité  de  la  production  est  plus  ou  moins 
grande. 

d.  Phrases  abstraites,  selon  que  les  affinités  de  leurs  éléments 
sont  plus  ou  moins  énergiques. 

Cet  ordre  exprime  les  principaux  degrés  de  décroissance  de 
Ténergie  impulsive.  On  voit  par  le  tableau  que  plus  le  substitut 
s'éloigne  du  fait  représenté  et  met  d'intermédiaires  entre  lui  et  ce 
fait,  et  plus  sa  tendance  à  exister  est  faible,  plus  son  énergie 
impulsive  diminue. 


B.  La.  tendance  fixée. 

Le  chapitre  précédent  a  exposé  les  lois  générales  de  Tinégalïté 
des  tendances.  Outre  ces  lois,  qui  sont  les  plus  générales  possible, 
il  y  en  a  de  plus  particulières  qu'on  trouvera  dans  la  théorie  des 
passions.  Par  exemple,  l'idée  d'un  bien  plus  grand  a  plus  de  force 
impulsive  que  celle  d'un  bien  moindre.  L'idée  de  telle  sorte  de  bien 

\,  Rouge. et  Aôir,  :''.'' 


456 


REVUE   PfllLOSOPaîQUK 


est  pîiJ3  puissante  sur  celui  qui  a  tel  genre  de  passion  dominante, 

ou  qui  se  trouve  dans  telle  situation,  elc. 

Des  tendances  contraires  d'inégale  force,  se  trouvant  en  présence, 
il  est  clair  que  lune  sera  plus  forte.  Cela  suit  de  la  définition  même 
de  rinégalité.  Celle-ci  est  donc  délinitive,  c*est-à-dîre  qu'elle 
annule  l'autre  et  subsiste  seule-  En  d^autres  termes,  elle  est  fixée. 
Voyons  les  diverses  espèces  de  la  tendance  fixée,  et  les  eircoiis- 
lances  qui  accompagnent  cette  fixation. 

L  La  tendance  peut  se  trouver  fixée  sans  aucun  conflit,  immédia^ 
tement,  nulle  tendance  contraire  ne  s  étant  présentée. 

Par  exemple,  à  la  vue  d'un  coup,  on  lève  le  bras  ;  au  moment  de 
tomber  dans  un  fossé»  on  rejette  le  corps  en  arrière.  En  voyant 
arriver  une  voiture,  on  fait  un  saut  pour  ne  pas  être  écrasé,  etc. 
Dans  tous  ces  cas,  il  y  [a]  idée  subite  d*un  danger,  tendance  à 
l'éviter,  et  point  d'antre  idée,  ni  point  d'autre  tendance. 

Doit-on  appeler  cela  résolution,  acte  de  volonté?  Peu  împortep 
Voilà  le  fait  constaté^  sa  nature  déterminée,  le  nom  est  rafTaire  des 
grammairiens.  —  Ce  cas  est  le  plus  simple,  —  Nous  allons  voir 
l'histoire  de  la  tendance  fixée  se  compliquer. 

IL  La  tendance  peut  se  trouver  définitive  et  nxée,  après  conflit. 
Taction  à  laquelle  elle  aboutit  étant  immédiate  et  présente. 

Soitj  par  exemple*  la  tendance  à  prendre  ce  livre  pour  le  lire,  et  en 
même  temps,  la  tendance  h  me  renverser  sur  mon  fauteuil  pour 
dormir.  Voici  la  description  du  phénomène.  Il  y  a  d'abord  l'idée  du 
livre  ouvert,  idée  agréable  (le  livre  est  un  volume  de  Stendhal), 
laquelle  par  conséquent  tend  à  persister;  ce  qui  amène  Tidée  de 
rouvrir,  idée  agréable,  et  partant  la  tendance  à  rouvrir.  Jusqu'ici 
le  fait  est  exactement  semblable  à  celui  de  l'article  précédent.  Mais 
en  même  temps  survient  Tidée  du  bon  sommeil  que  j'aurais,  ren- 
versé sur  mon  fauteuil  ;  en  môme  temps j  il  y  a  fatigue,  tendance 
physique  à  ne  pas  agir.  Les  deux  constituent  une  tendance  contraire 
à  la  première.  L'idée  du  livre  ouvert»  écartée  ou  obscurcie  un 
instant,  revient  avec  plus  de  clarté  et  d'énergie;  désormais  elle 
subsiste  seule;  l'autre  n'apparaît  plus.  La  tendance  définitive  et 
fixée  est  maintenant  la  tendance  à  lire. 

A  chaque  quart  d'heure,  il  se  passe  en  nous  vingt  faits  sembla- 
bles. Notons  seulement  que  dans  les  deux  ou  trois  apparitions  suc- 
cessives des  deux  idées  et  tendances  contraires,  ces  idées  et  ten- 
dances changent  de  caractère  et  d'intensité;  la  sensation  de  fatigue 
a  cru  ou  diminué;  l'idée  agréable  de  la  lecture  est  devenue  plus  ou 
moins  agréable,  par  Fadjonction  d'une  idée  auxiliaire  ou  complé- 
mentaire, par  ridée  quHl  ne  faut  pas  être  paresseux,  que  celte 


I 


H.   TAlEfE.    —   m    LA    VOLONTÉ 


457 


Jectare  m*est  utile,  que  je  n'aurai  pas  le  temps  de  la  faire  à  un 
autre  moment,  etc. 

Tout  ce  que  je  puis  remarquer  de  général,  le  voici  :  Des  idées  ou 
sensations  agréables  ou  désagréables,  (Voix  naissent  des  tendances 
contraires,  existent  ensemble,  avec  des  intensités  changeanles»  pré- 
dominant tour  à  tour,  jusqu'à  ce  qu'enfin  l'une  d'elles  soit  déilniti- 
vemenl  et  d'une  manière  fixe  ta  plus  intense  :  ce  qui  arrive  ordinai- 
rement par  l'extinction  de  Tidée  contraire,  et  par  conséquent  de  la 
tendance  contraire.  Dans  ce  cas,  on  en  revient  au  phénomène  simple 
décrit  dans  l'article  1. 

IIL  La  tendance  peut  être  fixée  après  conflit,  et  avoir  pour  objet 
une  action  plus  ou  moins  éloignée. 

Notez  que  dans  le  cas  précédent,  il  s'agissait  déjà  d'une  action  un 
peu  éloignée.  Ouvrir  le  livre  n'était  [pas]  Tobjet  immédiat  du  désir, 
ridée  vraiment  agréable;  ce  n'était  qu'un  moyen.  L*idée  agréable  et 
le  véritable  but  était  Taction  de  lire.  —  Cette  fois  nous  allons  consi- 
dérer  un  but  très  éloigné,  exigeant  une  grande  série  d'actions 
intermédiaires.  ÎSous  aurons  ainsi  étudié  les  deux  extrêmes. 

Par  exemple,  F  idée  d'aller  à  Orléans  pour  aiïaîre.  L'idée  des 
moyens  naît  d*après  les  lois  de  Tassaciation  des  idées»  En  pensant 
à  Orléans,  je  pense  au  chemin  de  fer  qui  y  aboutit.  En  pensant  au 
[Chemin  dater,  je  pense  à  Tembarcadère,  à  l'argent  de  la  place,  au 
fiacre  qui  m'y  conduira,  à  ma  malle  que  je  mettrai  sur  le  fiacre,  à 
l'escalier  que  je  dois  d*abord  descendre,  etc.  Rien  que  de  connu 
jusqu'à  présent. 

Ce  qui  est  remarquable,  c^est  la  transmission  de  la  tendance  d'un 
bout  à  l'autre  de  la  série  des  moyens.  L'idée  de  ma  présence  à 
Orléans  étant  agréable,  Tidée  de  mon  voyage  en  chemin  de  fer  qui 
s'y  trouve  unie  est  agréable  aussi  d'après  une  loi  indiquée.  Voyant 
comme  une  seule  et  même  chose  ma  présence  à  Orléans  et  mon 
voyage  en  chemin  de  fer,  il  est  clair  que  pendant  cette  union  ce 
voyage  doit  me  paraître  un  fait  agréable.  Mais  ce  qui  est  frappant, 
c*est  que  ridée  de  ma  présence  à  Orléans  étant  passée,  Tidée  du 
voyage^  demeurée  seule,  persiste  à  être  agréable;  que  par  le  même 
procédé,  Fidée  de  la  course  en  fiacre,  puis  celle  de  la  malle  à  faire^ 
deviennent  agréables,  etc*  En  ce  moment,  je  fais  ma  malle,  je  ne 
pense  pas  plus  à  Orléans  qu'à  la  Chine;  et  cependant  j'éprouve  une 
tendance  k  la  faire,  à  plier  les  babils,  etc.  Il  y  a  là  comme  une  aiman- 
tation et  un  transport  de  vertu  attractive,  iaquelle  subsiste  après 
que  ridée  qui  la  cause  s'est  retirée. 

Cela  est  encore  bien  plus  visible  dans  les  longues  suites  d'actions. 
Un  homme  veut  faire  fortune,  pour  vivre  à  Taise  et  s*amuser.  Au 
TOME  L.  —  lîiOO.  30 


458 


HEVIIE   PHlL050f>HiaUË 


bout  d'un  certain  temps,  it  oublie  son  but,  il  Mt  comme  but  ce  qu'il 
faisait  comme  moyen,  I!  gagne  de  Fargent  pour  gagner  de  rargênt. 

C'est  uniquement  grâce  à  ce  procédé,  à  cet  oubli  du  bot,  à  ce 
changement  du  moyen  en  but,  qu*on  peut  accomplir  les  grandes 
entreprises.  Par  exemple,  uti  homme  qui  fait  un  livre,  un  roi  qui 
fait  une  guerre,  etc.  On  pose  d'abord  qu  il  faut  atteindre  tel  but;  on 
en  conclut  qu'il  iaul  d*abord  produire  telle  action.  Peu  à  peu,  oo 
finit  par  apercevoir  Taclion  comme  devant  être  faite,  sans  plus 
apercevoir  qu'elle  n'est  qu'un  intermédiaire*  Une  partie  de  l'idée  jm- 
mitive  s'etîace,  il  n  en  reste  qu'une  partie.  Au  Heu  de  se  dire  :  il  but 
faire  Taction  A  pour  parvenir  à  faire  Taclion  B;  on  dit,  en  suppri- 
mant la  deuxième  moitié  de  la  phrase  :  il  faut  faire  raction  A.  Plus 
cette  action  est  difficile,  et  exige  d'attention  intense,  plus  on  con- 
centre son  esprit  sur  elle,  abstraction  faite  de  l'action  B*  Od  finit 
par  la  vouloir  avec  fureur, 

Considères^  par  exemple  un  siège,  la  défense  d'un  poste;  Ja  gar- 
nison s*y  attache  avec  une  opiniâtreté  désespérée,  non  pas  parce 
qu'elle  considère  que  cela  est  utile  à  la  conduite  de  la  guerre,  mais 
en  vertu  du  mécanisme  indiqué.  De  même  le  savant  qui  se  dit  : 
THisloire  des  mathématiques  chez  tes  Arabes  serait  une  chose  atile 
à  la  science.  L'énergie  avec  laquelle  il  s'y  met,  apprenant  le  Cùké 
diiTé rentier  le  persan,  Tarabe,  n'est  pas  proportionnelle  au  degré 
d  utilité  qu'il  y  aperçoit.  Nous  finissons  par  vouloir  mécaDiqnemeot 
ce  que  nous  voulons. 

11  y  a  donc  là  un  phénomène  curieux,  dont  voici  le  résunsé*  U 
moyen  G  étant  aperçu  comme  uni  au  but  D,  son  idée  ou  iiDUge 
devient  agréable  comme  celle  de  D.  De  là  cette  phrase  abstraite  :>  il 
faut  taire  G  puisqu'il  faut  obtenir  D  ».  Cette  phrase  abstraite  peiJ^ 
peu  se  mutile,  il  n'en  reste  que  la  première  partie  :  «  il  faut  faut 
G  >,  phrase  qui  renferme  une  tendance >  puisqu'elle  renferme  ïlnà* 
cation  d*un  but.  Getle  tendance  peut  se  fortifier  jusqu'à  ua  dep^ 
illimité,  si  les  circonstances  développent  l'attention  portée  surC 

IV.  la  tendance  peut  être  fixée  après  contlit  et  avoir  pourobj«l 
une  action  ou  un  étal  plus  ou  moins  général. 

Par  exemple,  se  décider  à  apprendre  telle  science,  à  embnspfif 
tel  état.  Ces  buts  sont  beaucoup  plus  généraux  que  raction  de  UfC 
tel  livre,  de  se  trouver  dans  telle  ville,  etc.  Ils  compreonent  non 
seulement  une  action  éloignée*  mais  encore  une  action  ou  un  ^^ 
complexe,  c'est-à-dire  une  collection  d  actions  ou  d'états. 

C'est  dans  ce  cas  que  se  rencontrent  les  délibérations  l(ïs  P^^^ 
complexes,  les  plus  agitées.  L'idée  de  chaque  parti  comprend  "^^ 
multitude  d'idées  outre  celles  des  moyens  et  conséquences,  coosc' 


H.  TAIHE,   —  HE   LA  VOLONTÉ 


459 


[queïîces  des  moyens,  possibilité  d^atteindre  le  but,  etc.  On  flotte 

[cent  lois  de  Vnn  à  Tautre;  souvent  on  dit  ;  «  Tant  pis,  à  Taventurel  ï» 

'  —  D'autres  fois,  on  suit  sa  passion  secrète,  elle  se  fait  sophiste,  ne 

laisse  voir  que  le  bien,  écarle  les  idées  contraires.  Le  seul  moyen  de 

fixer  sagement  sa  tendance,  est  de  classer  méthodiquement  les  rai* 

tsons  pour  et  contre. 
—  Je  dis  maintenant  que  la  tendance  fixée  et  définitive  dans  tous  les 
cas  indiqués  est  ce  qu'on  appelle  une  vohlion,  ou  résolution.  Le  lec- 
teur peut  s*en  assurer  en  observant  ce  qu'il  appelle  une  résolution, 
par  exemple  la  résolution  de  lire  un  livre,  d^allerse  promener,  d'en- 

»lreprendre  telle  spéculation.  Il  verra  qu'il  appelle  résolution  relTort 
ou  tendance  intérieure  arrêtée  et  définitive  à  la  suite  de  laquelle 
naît  raclion;  que  cet  état  s  oppose  à  la  fluctuation  qui  a  précédé,  et 
qui  comprenait  une  succession  de  tendances  commencées,  contraires, 
oui  s'entre-délruisaïent;  que  cette  tendance  est  une  force,  ou  néces- 
^tfté  intérieure  d'action,  comme  la  résolution  dont  il  s'agît;  qu'enfin 
^lle  a  toutes  les  propriétés  de  la  résolution,  et  que  la  résolution  a 
^>{j^  les  caractères  qu'elle-même  possède.  Que,  par  conséquent,  elle 
tt  ce  qu'on  nomme  résolution. 

X-e  langage  ordinaire  et  les  étymologies  confirment  cette  analyse. 
r^  uere  signifie  rendre  stable  et  fixa.  Décider^  trancher,  signifient 
Lf^er  lobstacle  qui  empêchait  la  tendance  de  se  fixer.  Résoudre  a 
tème  sens.  —  Se  déterminer  indique  qu'on  trace  une  limite,  qu'on 
if>éche  fesprit  et  le  désir  d'aller  à  droite  et  à  gauche,  qu'on  les 
c^^    dans  un  espace  borné.  Je  m  arrête,  je  me  fixe  à  ce  partie  signi- 
Lt.  encore  la  même  chose*  En  allemand,  en  grec,  les  sens  sont 
LicDgues.  Résolutiùn  signifie  partout  direction  de  la  force  humaine, 
lo,  tendance  intérieure  dans  un  sens  précis  et  limité,  succédant  à 
ï^fésence  simultanée  de  deux  directions  et  de  deux  tendances 
ilfaires  qui  se  détruisaient. 

Sciant  au  mot  volonté,  pris  au  sens  ordinaire,  voyons  ce  qu'il 
Lille*  On  dit  :  <  cet  homme  a  une  grande  force  de  volonlé^  ou  une 
t>lcinté  faible  ».  Ce  qui  signifie  qu'une  fois  sa  tendance  fixée  dans  un 
^^^s,  j[  Il  en  dévie  pas,  quelque  grandes  que  soient  les  tendances 
^•ïlt-aires  que  les  circonstances  développent  en  lui,  ou  dans  le  cas 
'Pposé,  qu'il  en  dévie  au  moindre  obstacle*  Le  mot  volonté,  au  sens 
>rtli  naire,  signifie  donc  simpiement  rénergie  plus  ou  muins  grande 
•ô  1^1  tendance  définitive  et  fixée.  —  Quanl  à  ce  mot,  pris  au  sens  des 
Piïilosophes  chrétiens  ou  contemporains,  et  signifiant  la  faculté  pure 
^ft^pi*c}duire  des  résolutions,  nous  n'en  avons  que  faire;  il  n'a  servi 
V^  ^  produire  la  doctrine  absurde  de  la  liberté,  que  nous  réfuterons 
Pï^oohiainement. 


460  REVUE   PH1L0S0PH1QLE 

Considérons  maintanaDt  un  exemple  délaillé  de  délibérations  et 
de  résolutions.  Je  remprunte  au  plus  exact  de  tous  les  analystes,  k\ 

Stendhal  ^  : 

«  Le  comte  passa  la  soirée  sans  lumière,  à  se  promener  ati 
hasard,  comme  un  homme  hors  de  lui.  Plonge  dans  des  angoisses 
c]ui  eussent  fait  pitié  à  son  plus  cruel  ennemi^  il  se  disait  :  Hiomme^ 
que  j'abhorre,  loge  che^  la  duchesse,  passe  tous  ses  moments  avec^ 
elle»  Dois-je  tenter  de  l'aire  parler  une  de  ses  femmes?  Elle  est  sa 
bonne,  elle  les  paie  bien.  Elle  en  est  adorée!  Et  de  qui,  grand  Dieu, 
n*est-elle  pas  adorée!  Voici  la  question,  reprenait-il  avec    rage*  »j 
(Admirable,  II  enfilait  involontairement  1  enuniération  des  ménles 
de  sa  inaitresse*  Il  se  retient,  il  veut  dOlibérer,  c'est-à-dire  l'idée  de 
la  délibération  comme  nécessaire  surgit  de  nouveau  el  prêdointne, 
H  prononce  la  dernière  phrase  furieusement,  par  un  reste  d'impul 
sion,  quoiqu'elle  soit  tranquille,  comme  le  Joueur  qui  dit  avec  rage  *  : 
Non,  il  élail  de  Rome!)  ■ 

û  Faut-il  laisser  deviner  la  jalousie  qui  me  dévore,  ou  ne  pas  eu 
parler?  Si  je  me  tais,  on  ne  se  cachera  pas  de  moi.  Je  connais  Gina* 
c*est  une  femme  tout  de  premier  mouvement.  Sa  conduite  est 
imprévue^  même  pour  elle;  si  elle  veut  se  tracer  un  rôle  à  Tavânce, 
elle  s'embrouille;  toujours,  au  moment  de  Taclion,  il  lui  vient  une 
nouvelle  idée  qu'elle  suit  avec  transport  comme  étant  tout  ce  qu'il 
y  a  de  mieux  au  monde,  et  qui  gûte  tout,  » 

[Les  mots  allongent.  Tout  cela  est  vu  d  un  clin  d'œil. , 

(i  Ne  disant  mot  de  mon  martyre,  on  ne  se  cache  point  de  mni  et 
je  vois  tout  ce  qui  peut  se  passer, 

«  Oui,  mais  en  parlant,  je  lais  naître  d'autres  circonstances;  je  fâjs 
faire  d'autres  réllexions;  je  préviens  beaucoup  de  ces  choses  kor* 
ribles  qui  peuvent  arriver,,.  Peut-<^Lre  on  Féloigne.  (Le  comte  res- 
pira,) »  (Sublime.  L'hypothèse  est  un  plaisir  extrême,  parce  qu'elle esl 
ici  une  affirmation.)  «  Alors  j'ai  presque  partie  gagnée  ;  quand  même 
on  aurait  un  peu  d  humeur  dans  le  moment,  je  la  calmerai,.,  EtcaUe 
humeur,  quoi  de  plus  naturel!..   Elle  l'aime  comme  un  fils  depuis 
quinze  ans.  Là  gît  tout  mon  espoir.  Comme  un  fils...  mais  eùâ  ^ 
cessé  de  le  voir  depuis  la  fuite  de  Waterloo;  mais  en  reven^iaU^ 
Naples,  surtout  pour  elle,  c'est  un  autre  homme.  Un  autre  hommtl 
répéta- t'il  avec  rage*  ^  (Sentez-vous  les  allées  et  venues  d'un  part 
à  lautre?)  «  Et  cet  homme  est  charmant,  il  a  surtout  cet  air  nalE  el 
tendre  el  cet  œil  souriant  qui  promettent  tant  de  bonheur!  Et  ms 


1 


I 


i 


1,  Chartreuie  de  t'armi'^  p.  127, 

2.  Uegrttird  i  Le  Joueur^  acte  ÏV,  se,  XIU. 


H.   TAINE*    —   DE    LA   VOLONTI^ 


461 


yeu3£-là,  la  duchesse  ne  doit  pas  être  accoutumée  h  les  trouver  â 
notre  courf...  Ils  y  sont  remplacés  par  le  regard  morne  et  sardo- 
nique*  n  ill  voit  les  formes»  les  couleurs,  les  expressions,  le  phy- 
sique.  De  là  la  violence  de  sa  passion  »  etc.) 

œ  Comment  rapporter  tous  les  raisonnements,  toutes  les  façons  de 
voir  ce  qui  lui  arrivait,  qui,  durant  trois  moilelles  heure^s,  mirent  à 
la  torture  cet  homme  passionne»?  Enlln  le  parti  de  la  prudence  rem- 
porta, uniquement  par  suite  de  cette  réflexion  :  je  suis  fou,  probable- 
ment; en  croyant  raisonner,  je  ne  raisonne  pas,  je  me  retourne 
seulement  pour  chercher  une  position  moins  cruelle»  je  passe  sans  la 
voir  à  côté  de  quelque  raison  décisive.  Puisque  je  suis  aveuglé  par 
Texcesstve  douleur,  suivons  celte  règle,  approuvée  de  tous  les  gens 
sages,  qu*on  appelle  prudence.  » 

(Son  attention  s'arrête  sur  la  lettre  anonyme.  En  vertu  de  ses 
habitudes  de  diplomate,  il  cherche  à  en  deviner  fauteur,  il  découvre 
que  c*est  le  prince.)  «  Ce  problème  résolu,  la  petite  joie  causée  par  le 
plaisir  de  deviner  »  (voilà  le  vrai  et  les  interruptions  de  passion), 
«  fut  bientôt  eflacée  par  la  cruelle  apparUioit  des  grâces  charmantes 
de  Fabrice»  qui  revint  de  nouveau.  Ce  fut  comme  un  poids  énorme 
qui  retomba  sur  le  cœur  du  malheureux.  Qu'importe  de  qui  soit  la 
lettre  anonyme  !  9'écria*t*il  avec  fureur,  le  fait  qu'elle  me  dénonce  en 
existe-il  moins?  Ce  caprice  peut  changer  ma  vie,  dit-îL  comme  pour 
s  excuser  d*êlre  tellement  fou.  i>  (Que  de  reploiemenls!  Voilà  le  contlit 
des  passions  modernes;  nos  tètes  sont  remplies  d*idées,  et  nous 
nous  analysons  partoutl,  —  etc* 

V.  Étant  données  ces  diverses  sortes  de  tendances  fixées»  il  faut 
chercher  suivant  quelle  loi  la  tendance  devient  lixêe  et  délinitive. 

Une  tendance  est  une  force,  laquelle  se  mesure  à  la  quantité  de 
douleur  que  sa  contradiction  développarait,  ou  en  d'autres  termes,  à 
la  quantité  d'existence  positive  qui  se  trouve  attaquée,  et  en  train 
d'être  détruite.  (V.  plus  haut.  )  Les  di%*erses  tendances  peuvent  donc 
être  inégales,  ainsi  qu*on  Ta  vu  par  expérience.  Or,  nous  avons 
observé  que  la  définitive  est  la  plus  forte.  Nous  n'a%^ons  donc  besoin 
de  rien  pour  expliquer  cette  force  plus  grande-  L'expïication  est 
donnée  par  la  nature  même  de  la  tendance,  laquelle  comporte  des 
inégalités  de  force.  Quant  aux  règles  de  cette  inégalité,  voyez  le 
ch.  A. 

Montrons  maintenant  que  cette  cause  de  fixation  est  la  seule  agis- 
sante, qu'il  n'intervient  point  d'autre  force  distincte  : 

a.  Expérimentalement,  soit  le  cas  suivant  :  j'hésite  et  je  délibère 
entre  ces  deux  partis,  aller  me  promener  parce  qu'il  fait  beau,  ou 
rester  ici  occupé  h  lire  un  livre  amusant.  Tout  à  coup  se  présente 


462  nsvuE  philosophique 

une  raison  que  j'oubliais;  je  dois  rester  ici  parce  que  j'y  attends 
aujourd'hui  quelqu'un  qui  viendra  me  parler  d'une  affaire  impor- 
tante. Immédiatement  je  prends  le  parti  de  rester. 

Dans  cette  occasion,  on  aperçoit  la  raison  nouvelle  comme  un  gros 
Ilot  qui  arrive  et  qui  vous  emporte.  On  voit  la  différence  d'intensité 
impulsive  qui  existe  entre  elle,  et  sa  contraire;  et  on  sent  qu'on 
n'aurait  pu  lui  résister,  tout  restant  de  même,  et  nulle  autre  raison 
ne  venant  s'adjoindre  à  l'idée  du  parti  contraire.  —  Ceux  qui  répéte- 
ront cette  expérience  verront  manifestement  que  la  seule  cause  de  la 
détermination  ou  fixation  de  tendance  est  la  grandeur  démesurée  du 
désir  survenu,  bref,  que  la  résolution  qui  est  la  tendance  ou  désir 
lixé,  n'est  fixée  que  par  son  énergie  intrinsèque,  c'est-à-dire  parla 
force  du  désir. 

On  peut  donc  poser  cette  règle  :  nos  déterminations  sont  réglées 
d'après  l'inégalité  d'énergie  de  nos  désirs.  L'homme  est  une  méca- 
nique où  sont  des  ressorts  contraires,  et  sa  conduite  est  hiée 
mathématiquement  selon  les  différences  d'énergie  de  ces  ressorts. 

h.  Preuves  inductives. 

Je  prie  le  lecteur  de  prendre  une  personne,  de  sa  famille  par 
exemple,  dont  il  connaisse  très  bien  le  caractère,  c'est-à-dire  les 
passions  habituelles,  par  exemple  un  enfant  doué  d'amour-propre, 
une  jeune  fille  qui  aime  le  monde,  un  homme  doué  d'une  grande 
ambition.  Considérez  ces  personnes  dans  une  longue  série  d'actions, 
pendant  tout  un  an,  par  exemple.  Il  est  certain  que  l'enfant  aura 
pris  un  nombre  énorme  de  résolutions  et  fait  un  nombre  énorme 
d'actions  pour  être  le  premier,  la  jeune  fille  pour  aller  au  bal, 
l'homme  pour  monter  d'un  rang.  Il  est  certain  en  outre  que  plus 
cette  passion  sera  vive  en  chacun  d'eux,  plus  chacun  d'eux  aurafeil 
souvent  et  énergiquement  le  genre  d'action  indiqué.  Il  est  certain 
encore  que  plus  les  passions  et  causes  de  désirs  contraires  seront 
faibles  et  rares  en  chacun  d'eux,  plus  il  aura  fait  souvent  et  énergi- 
quement  le  genre  d'action  indiqué.  Donc  la  cause  suffisante  et 
unique  des  déterminations  est  le  désir  ou  passion. 

Nous  demandons  que  dans  ce  cas  on  considère  une  longue  série 
d'actions,  parce  que  lorsqu'on  considère  une  action  isolée,  la  loi  se 
montre  moins  sûrement,  parce  que  les  circonstances  extérieures  et 
intérieures  peuvent  s'accumuler  de  manière  à  empêcher  la  passion 
dominante  de  dominer.  Au  contraire,  dans  une  grande  série  de  cas, 
la  cause  maîtresse  agissant  chaque  fois,  et  les  autres  causes  n'agis- 
sant que  rarement,  elle  finit  par  se  montrer  à  découvert. 

Cela  est  encore  plus  évident,  si  l'on  prend  un  caractère  de  peuple, 
par  exemple  celui  des  anciens  Romains  :  étant  donné  ce  désir  prin- 


H     TAINE,    —   m    U   V0U*?8TÉ 


46a 


ci  pal,  à  savoir  la  passion  d*acquénr  et  de  dominer,  la  plupart  de  leurs 
actions  sui veut- 
Bref  >  dans  l'expérience  de  la  vie  et  en  histoire,  les  résolutions  et 
actions  sont  déterminées  d  après  T inégalité  des  tendances  ou  pas- 
sions, et  elles  sont  uniquement  déterminées  ainsi.  Nous  n'avons 
donc  que  faire  de  la  force  que  nos  philosophes  appellent  volonté  et 
liberté- 

c.  Preuves  à  priori. 

Elles  sont  déterminées  d'une  manière  nécessaire  comme  en 
mécanique;  de  sorte  qu*une  résolution  s  étant  produite,  il  serait 
contradictoire  que  l'autre  se  fût  produite,  tout  restant  de  même. 

En  elfet,  soit  une  résolution  A  produite.  Les  faits  circon voisins 
étant  donnés,  elle  a  suivi.  Supposons  qu'elle  ait  pu  également  ne 
pas  suivre.  Alors  il  n^y  a  pas  eu  de  raison  pour  qu  elle  ait  suivi,  ce 
qui  est  absurde. 

Par  raison,  on  entend  la  présence  d'un  fait  ou  qualité  quelconque^ 
laquelle  étant  donnée,  révénement  en  question  suit.  Et  il  y  a  tou- 
jours une  raison  (Leibnitz). 

Appliquant  la  loi  au  cas  en  question,  on  voit  qu'il  est  impossible 
qu'une  tendance  étant  plus  forte,  en  d  autres  termes  qu'une  force 
étant  plu5  grande,  ne  détruise  pas  la  tendance  contraire. 

Au  reste,  la  démonstration  n'est  qu'un  cas  d'une  démonstration 
plus  générale,  de  laquelle  il  suit  qu'une  chose  ou  fait  étant  donné,  son 
contraire  n'est  jamais  possible  en  soi,  et  ne  1  est  qu'au  regard  de  notre 
esprit.  Car,  soit  un  objet  ayant  la  qualité  B,  c'est-à-dire  étant  B;  et 
supposons  qu*il  puisse  être  non-B,  S'il  peut  être  non-B,  c'est  que 
cala  n'esit  pas  contradictoire,  le  possible  étant  ce  qui  n  est  pas  con- 
tradictoire. Mais  d'autre  part,  puisqall  est  B,  tl  n'est  pas  contradic- 
toire (|u'j1  soit  B.  Donc  il  n'y  a  ni  nécessité,  ni  empêchement  pour 
qu'il  soit  B,  ou  non-B-  Les  deux  hypothèses  sont  donc  absolument 
égales.  B,  et  non-O  conviennent  également  à  Tobjet;  si  l'une  des 
deux  hypothèses  est  vraie,  l'autre  Test  au  même  titre,  et  par  la 

Sme  raison.  Donc  si  lobjet  est  B,  il  sera  non-B,  et  s'il  est  non-B, 

sera  B,  ce  qui  est  absurde.  —  Le  principe  de  raison  suffisante  se 
réduit  donc  au  principe  de  conlradiction.  Si  la  proposition  posée 
et  la  proposition  contraire  ont  une  égale  tendance  à  être  affirmées, 
si  elles  sont  identiques  pur  rapport  à  1  alTirmation^  la  deuxième  sera 
affirmée  avec  la  première,  et  il  y  aura  contradiction. 

d.  r..}futalîon, 

I.  On  oppose  â  cette  doctrine  de  la  volition  nécessaire  et  de  la 
tendance  prépondérante  une  prétendue  observation  de  conscience  : 
quand  j'ai  pris  une  résolution,  dît-on,  je  sais  que  j'aurais  pu  prendre 


46i  liE\UE    PHtLOSOI^HIQUK 

la  cootraire.  Quand  je  k  prends,  je  sais  que  je  potirrais  prendre  la 

contraire. 

Je  répotids  que  dans  ce  cas  la  conscience  fait  abstraction  dé  la 
force  inégale  des  tendances.  Par  exemple,  je  suis  à  mafenèlre,  je 
prends  la  réi^olution  de  ne  me  point  jeter  dans  la  rue.  Je  sais^ditHXj, 
que  je  pourrais  prendre  la  résolution  contraire.  Oui,  mais  en  faisant 
abstraction  de  rinêgalité  énorme  de  force  qui  existe  entre  le  désir 
de  faire  le  saut  pour  m*amuser,  et  le  désir  de  ne  pas  me  casser  le 
cou.  Oui,  en  supposant  des  motifs  très  puissants ^  Thonneur  mis  en 
question,  un  pistolet  mis  sur  la  gorge,  etc.  Mais  en  conservant  tes 
deux  tendances  dans  leur  état  d'inégalité  actuelle,  non. 

Comprenons  bien  le  mécanisme  :  je  me  suppose  voulant  faire 
telle  ou  telle  action.  Cette  supposition  est  toujours  possible,  surtout 
lorsqu'on  ne  considère  pas  Tinégalité  des  motifs.  On  peut  toujours 
se  dire  :  supposons  que  je  veuille  me  jeter  par  la  fenêtre,  me  désho- 
norer, me  couper  un  bras,  comme  on  peut  toujours  dire  :  supposons 
que  cet  arbre  casse  tout  d'un  coup,  que  le  sol  se  soulève,  quua 
orage  se  déclare,  elc.  Et  dans  ces  deux  genres  de  supposition,  oo 
peut  toujours  faire  abàlraction  des  conditions  nécessaires  qu*aa 
ignore  la  plupart  du  temps,  par  exemple  de  Tintensité  actuelle  da 
désir  de  se  conserver,  ou  de  la  cohé  sion  actuelle  des  fibres  ligneuses* 
Alors,  la  résolution,  comme  révéoement  supposé,  paraissant  ne  ren- 
fermer aucune  impossibilité,  on  les  déclare  possibles. 

De  ce  qu'on  a  cessé  de  voir  les  empêchements*  on  conclut  qu'ïl 
n'y  en  a  pas* 

La  preuve  inductive  de  cela,  c'est  que  moins  llnégaiité  des  ten- 
dances est  visible,  plus  on  affirme  avec  confiance  que  la  voîitian 
contraire  était  possible.  Ainsi  je  sais  qu'il  me  serait  impossible  de 
vouloir  monter  dans  la  lune^  j'afïîrme  avec  une  certitude  prest^ue 
égale  que  je  ne  pourrais  vouloir  tuer  ma  mère,  avec  une  certitude 
très  grande  encore  que  je  ne  pourrais  me  décider  à  voler,  etc.  Au 
contraire,  j'affirme  que  je  pourrais  indifféremment  en  ce  raomeDl 
me  décider  à  lire  ou  bien  à  jouer  du  piano,  à  rester  dans  mon  fau- 
teuil ou  à  me  lever,  etc.  Dans  la  première  série  d^xeroples,  je  ne 
pouvais  détacher  la  résolution  supposée  de  Fénornie  tendance 
qu  elle  excite,  ni  apercevoir  de  tendance  contraire  assez  grande 
pour  la  détruire,  de  sorte  que  cette  résolution  me  paraissait  impos- 
sible, ou  presque  impossible.  Dans  la  deuxième  série,  au  conirairef 
la  résolution  supposée  n'excitait  qu'une  tendance  très  faible,  que 
je  remarquais  à  peine,  et  vingt  motifs  que  j'apercevais  me  sem* 
blaient  suffisants  pour  la  renverser.  —  Il  suit  de  là  que  ce  qui  fait 
paraître  une  résolution  possible,  c'est  la  faiblesse,  ou  la  non-appari- 


H.  TAniE.    —  DR   LA   VOLOJÏTÉ 


46S 


tion  de  la  tendance  qa*elle  excite,  et  en  même  temps  Tapparition 

I&LcWe  de  motifs  plus  t'orls. 
I  Nous  ne  nions  donc  pas  le  témoignage  de  la  conscience.  Au  con- 
traire, nous  le  revendiquons  en  notre  faveur.  L'observation  qu'in- 
voquent nos  advet'saires  est  incomplète,  et  ne  porte  que  sur  une 
partie  des  faits, 
L  On  voit  maintenant  comment  i[s  sont  arrivés  k  construire  ce  qu'ils 
appellent  volonté.  Ayant  rassemblé  les  résolutions  en  un  monceau 
distinct  des  autres  faits,  ils  ont  appelé  volonté  le  pouvoir  de  les  pro- 

Ïuire,  mot  qui  n'exprime  qu*uue  qualité  générale  comme  tous  les 
oms  de  facultés. 
Faute  d'avoir  analysé  la  voUtion,  ils  n  ont  pas  vu  qu'elle  n 'était 
que  le  désir  à  l'état  définitif,  et  ainsi  ils  ont  séparé  leur  nouvelle 
faculté  des  autres.  Maîntenanl,  n'ayant  pas  vu  que  rinégalité  des 
■endances  est  la  cause  de  la  fixation  de  la  tendance  définitive,  et 
ayant  besoin  d*une  cause,  ils  Tont  mise  dans  cette  faculté,  qui  ainsi 
est  devenue  quelque  chose  de  réel,  une  force.  Ils  lui  ont  donc 
insi  attribué  une  existence  distincte,  et  une  existence  réelle,  quand 
lie  n*a  en  réalité  ni  Tune,  ni  Tautre. 

Ce  n'est  pas^  je  crois,  la  peine  de  répondre  aux  objections  niaises 
u  genre  de  celle-ci  :  puisque  ma  résolution  est  nécessaire,  je  suis 
fmc  forcé,  ce  n*est  pas  moi  qui  agis.  —  Qu'on  observe  seulement  que 
mot  eantmint  indique  l'obligation  d'agir  contre  sa  tendance  domi- 
lante,  obligation  imposée  par  une  force  extérieure,  et  que  dans  la 
rolilion,  c'est  ma  tendance  qui  l'emporte,  c'est  mon  idée  qui  sus- 
Hte  ma  tendance,  c'est  mol  qui  me  gouverne  et  détermine.  Ainsi 
uoique  ma  résolution  soit  nécessaire,  je  ne  suis  pas  contraint,  et 
fest  moi  qui  agis*  Notre  doctrine  n'est  donc  pas  fataliste.  Car  le 
ol  fatalité  (^Turcs,  Œdipe),  indique  une  force  étrangère  et  extérieure 
aquelle  contraint  ma  résolution  naturelle  et  ma  tendance  domi- 
lante*  Ainsi  il  y  a  fatalité  quand  une  hallucination  produite  par 
'opium,  ou  l'ascendant  magnétique,  me  détermine  à  une  résolution 
"que  mes  tendances  à  Tétat  naturel  et  ordinaire  n  auraient  point  pro- 
duite, par  exemple  quand  un  dérangement  des  menstrues  frappe  une 
kière  de  monomanie  homicide.  On  voit  par  là  ce  que  la  loi  punit  et 
ce  que  l'opinion  condamne.  G*est  la  résolution  lorsqu'elle  provient 
du  conflit  des  tendances  naturelles  ordinaires,  sans  rintervention  de 
uelque  cause  anormale* 

Bossuet  et  Reid  objectent  encore  les  résolutions  qu'on  prend  sans 
iolif^  par  caprice  pur  :  par  exemple,  prendre  telle  pièce  d  argent 
[ans  la  bourse  afin  de  payer,  plutiît  que  telle  autre  semblable^  partir 
u  pied  droit  plutôt  que  du  gauche,  etc»  Leibnitz  a  fort  bien  réfuté 


466  UEVUE   PHILOSOPIIIQUB 

cet  argument  en  montrant  qa*il  y  a  des  motifs  dont  on  n'a  pas  cons- 
cience, perceptions  et  inclinations  insensibles.  Cette  pièce  était  plas 
commode  à  prendre,  plus  près  de  ma  main,  la  première  vue,  etc.  Ce 
pied  était  plus  dispos,  le  corps  reposait  plus  sur  l'autre,  j'avais  l'ha- 
bitude de  le  mouvoir  le  premier.  —  On  remarquera  d'ailleurs,  que  la 
volition  devient  invisible  avec  le  motif.  J'ose  à  peine  affirmer  que 
j  ai  voulu  et  décidé  de  prendre  cette  pièce  plutôt  que  cette  aulre.  Je 
n'ai  pas  plus  conscience  de  ma  volition  que  de  mon  motif;  j*ai  voulu 
seulement  prendre  une  pièce,  mais  non  pas  celle -là  plus  que  l'autre. 
Je  ne  m'attribue  pas  cette  volition.  Et  la  raison  en  est  claire  :  le 
motif,  c'est  la  tendance  motrice  ou  impulsive;  la  volition,  c'est  celte 
tendance  fixée.  Donc  si  je  n'aperçois  pas  le  motif,  je  n'apercevrai 
pas  la  volition. 

II.  Responsabilité. 

Voici  une  série  de  faits  qui  en  indiquent  la  loi,  c'est-à-dire  qui 
indiquent  d'après  quelle  règle  nous  jugeons  une  action  plus  ou 
moins  laide  et  repoussante. 

Soit  un  bomme  qui  fait  un  faux  témoignage  pour  gagner  vingt 
francs  ;  soit  le  même  faisant  la  même  action  pour  gagner  un  mil- 
lion, un  luxe  immense,  éblouissant,  le  respect  de  tous,  etc.  Le  pre- 
mier parait  plus  vil  et  plus  odieux. 

Soit  ce  même  homme  à  la  torture,  d'abord  résistant,  puis  les 
membres  à  demi  brisés,  linissant  par  faire  le  même  faux  témoi- 
gnage, nous  l'excusons  presque. 

Soit  un  homme  intelligent,  bien  élevé,  commettant  un  meurtre 
pour  \oler;  soit  le  même  meurtre,  commis  par  un  homme  grossier, 
ignorant,  élevé  parmi  des  assassins.  Nous  avons  plus  d'indulgence 
pour  le  deuxième. 

Soient  deux  hommes  ayant  chacun  commis  un  meurtre,  après 
provocation,  après  un  soufflet,  par  exemple  :  Tun  calme,  grave,  rai- 
sonnable, âgé  de  quarante  ans;  l'autre  à  vingt  ans,  fougucui, 
singuin,  de  passions  irascibles  et  impétueuses.  Nous  trouvons  le 
deuxième  moins  coupable. 

On  voit  par  ces  exemples  que  plus  nous  considérons  le  motif 
contraire  comme  puissant,  plus  nous  excusons  la  volonté  coupable. 
Ce  qui  est  aisé  à  expliquer.  Nous  nous  mettons  à  la  place  de 
riionitue,  et  nous  reproduisons  plus  ou  moins  inexactement  en 
nous-mêmes  le  conflit  de  ses  tendances.  Nous  éprouvons  une  répul- 
sion pour  ractioii  mauvaise,  plus  ou  moins  énergique  selon  la  nature 
de  l'action,  et  selon  notre  caractère  propre.  En  môme  temps,  l'idée 
des  motils  contraires  détermine  en  nous  une  attraction  vers  elle, 
très  faible  ou  très  forte  selon  le  nombre  et  la  qualité  des  molife 


H.   TAIRE.    —   DE    LA   VOLONTÉ 


461 


représentés.  Plus  celte  atiraction  est  forte,  plus  elle  détruit  la 
répulsion  indiquée.  Si  eHe  finit  par  être  considérée  comme  irrésis- 
tible, elle  ladélruit  entièrement.  De  sorte  que  si  la  résolution  prise 
■  seule  et  abstraction  faite  des  motifs  contraires  oous  parait  laide, 
cette  même  résolution  considérée  avec  radjonction  des  motifs  pré- 
pondérants doit  cesser  de  nous  paraître  telle-  Ce  qui  arrive  dans 
plusieurs  des  cas  cités. 

Gela  est  encore  plus  visible  si  Ton  cODSidère  la  nymphomanie,  la 
monomanie  incendiaire  ou  homicide,  etc*  Dans  ce  cas,  il  s'agit  de 
résolutions  très  laides  et  odieuses,  lesquelles  cependant  cessent  de 
paraître  telles,  parce  que  Ton  sait  qu'uoe  force  invincible  a  lixé  la 
tendance.  Dans  les  cas  précédents  on  n'excusait  q\ï(\  peu  près  la 
voUtion  criminelle,  parce  qu'on  ne  considérait  pas  la  tendance  coii> 
trairet  comme  rigoureusement  irrésistible;  on  se  disait  :  *  s  il  avait 
pris  rhabilude  de  résister  à  ses  mauvais  penchants,  etc*,  il  aurait  pu 
dans  cette  occasion  ne  pas  commettre  le  crime  ».  De  plus  eu  consi- 
déranl  Ta  version  contre  le  crime  en  général,  ou  l'imaginait  comme 
pouvant  monter  à  un  degré  illimité,  et  partant,  capable  de  vaincre 
tous  les  obstacles.  Ici  point;  donc  excuse  entière. 

Tel  est  le  mécanisme  de  la  conscience  morale. 

Concluons  de  là  que  le  psychologue,  tout  en  considérant  les 
crimes  en  eux-mêmes  comme  très  laids  et  odieux»  doit  cependantj 
s'il  considère  non  plus  le  crime  en  général,  mais  tel  criminel  déter- 
injoé,  excuser  son  crime  en  le  regardant  comme  nécessaire,  et  dune 
nécessité  aussi  absolue  qu'un  meurtre  commis  par  monomanic 
homicide*  C'est  ne  qui  arrive,  du  reste,  dans  les  biographies  et 
éludes  de  caractères.  Les  vices,  vertus,  crimes  et  actes  d'héroïsme 
apparaissent  bientôt  comme  des  conséquences  nécessaires  de  la 
nature  de  l'imagination,  du  tempérament,  de  leducalion,  du  milieu 
physique  et  morah  Mais  ce  point  de  vue  scientifique  n  a  rien  à  faire 
avec  la  vie  pratique,  où  joue  le  mécanisme  ci-dessus  explfqué. 


J.liDtTïON.  —  Autres  objections  des  pahtïsans  de  la  iîbêrtè* 


1 


Ils  opposent  la  volition  au  désir  :  et  nous  aussi.  Car  le  désir 
simple  el  seuldifleredu  désir  Joint  préalablement  au  désir  coritraire, 
puis  tjxé. 

Reidj  aë'i.  —  1"  On  dit  :  j'ai  le  désir  d'un  aliment.  On  ne  dit  pas  : 
5 'ai  la  volonté  d'un  aliment. 

Ilépon&e  :  C'est  une  affaire  de  construction,  il  y  a  ellipse;  mettez 
à  la  place  :  «  j'ai  la  volonté  d  avoir  cet  aliment  i%  et  d'autre  part,  «  j'ai 


408  BBVUE   PHILOSOPHIQUE 

le  désir  d'avoir  cet  aliment  *.  Les  deux  constructions  sont  exacte- 
ment semblables,  el  signifieDt  la  même  chose  que  celles  de  Reid* 

*2"  Un  homme  désire  que  ses  enfants  soient  heureux«  Il  ne  peut 
pas  dire  :  je  veux  qu'ils  soient  heureux. 

Répense  :  En  efîet,  pour  vouloir^  il  faut  avoir  délibéré,  avoir  vu  si  la 
chose  est  possible,  impossible,  dépendant  de  nous  ou  non.  Dans  ce 
désir,  point;  il  ne  présuppose  pas  cette  connaissance.  Or  il  ne 
dépend  pas  de  moi  que  mes  enfants  soient  heureux.  De  sorte  qu'en 
délibérant  je  regarde  cela  comme  incertain,  et  je  ne  puis  former  que 
la  résolution  suivante  :  je  veux  que  mes  enfants  soient  heureux,  en 
tant  quîl  dépendra  de  moi.  L'idée  de  Timpossible  survenant  détruit 
la  tendance  fixée^  et  l'empêche  de  se  fixer. 

Celte  objection  prouve  seulement  ce  qui  a  été  dit,  à  savoir  que  le 
désir  est  la  tendance,  abstraction  faite  des  idées  contraires,  et  que 
la  volition  est  la  tendance  Vixée^  après  rapparition  des  idées  con- 
traires. L'objection  prouve  donc  qull  y  a  délibération,  et  rien  de 
plus, 

3°  On  peut  vouloir  ce  qu'on  ne  désire  pas,  et  ce  pourquoi  on  â 
une  grande  aversion,  par  exemple  boire  pour  sa  santé  une  potion 
amère. 

Képome  :  Le  désir  de  la  santé  qui  devient  définitif,  est  un  dé^ir. 

4"*  Nous  pourrions  désirer  de  faire  une  visite  dans  la  planète  de 
Jupiter,  Mais  nous  ne  pouvons  le  vouloir. 

Réponse  :  Même  réponse  qu'au  2*.  La  délibération  présente  cette 
ascension  comme  impossible,  et  détruit  la  volition.  —  Et  de  nnéme  un 
désir  accompagné  de  Tidée  absolument  évidente  de  labsolue  impus- 
sibilité  de  son  accomplissement  périt.  Il  ne  renaît  qu'à  mesure  que 
cette  idée  s'écarte.  Exemple  :  désirer  voler  dans  lair.  L'idée  de  !â 
pesanteur  victorieuse  présente  le  vol  comme  absurde^  et  suppririie 
le  désir. 

5^  L'objet  immédiat  de  là  volition,  est  une  action  qui  nous  est 
propre.  Celui  du  désir  peut  être  raclion  d'un  autre,  ou  un  état  quel- 
conque. Ainsi  je  puis  désirer  que  la  mer  soit  une  limonade, 

lîépoïise  :  Les  mêmes  qu'au  ^  et  au  4"*  Les  actions  qui  me  saut 
propres,  et  que  je  conçois  comme  devant  naître  sitôt  que  ma  tem- 
dance  sera  fixée,  sont  les  seules  qui,  après  délibération^  m'apparais* 
sent  comme  uniquement  dépendantes  de  moi,  et   ne  présent^*^^ 
aucune  chance  d'impossibilité.  Ce  sont  donc  les  seules  que  je  veui^^^ 
absolument.  Je  ne  veux  les  autres  que  conditionne Uement,  sc^^^ 
celte  condition  que  rien  d'extérieur  ne  m'empochera  de  les  acca'^' 
plir.  L'objection  prouve  donc  uniquement  qu'il   y  a  dêlibéraLi^^ 
avant  la  résolution, 


I 


H.   TAIHE,    —    Ï>E   LA    VOLONTÉ  468 

Cependant  cette  loi  de  Ueid  n>st  pas  rigoureuse.  Quand  je  n'aper- 
çois et  n'imagine  aucune  chance  d'impossibilité,  je  veux  l'action 
d'un  autre  :  je  veux  que  mon  chien  que  j  appelle  viennent  moi,  un 
général  veut  que  ses  soldats  tassent  lexercice.  Je  veux  rarn%'ée  de 
mon  chien  directement  et  d'abord,  comme  je  veux  arriver  là-bas  à 
ce  but  moi-même.  Il  est  vrai  qu'en  ré  fléchissant  je  me  souviendrai 
peut-être  que  mon  chien  pourra  ne  pas  m*obéir,  et  que  ma  jambe 
pûurm  se  trouver  paralysée  en  chemin.  Dans  ce  cas,  je  n'aurai 
plus  de  volition  proprement  dite^  mais  seulement  une  volition  con- 
ditionnelle. 

6*^  €  La  volition,  dit  Reid,  est  la  détermination  de  faire  ou  de  oe 
pas  faire  une  chose  que  nou5  concevons  être  en  notre  pouvoir  », 

Accordé.  Car  détermination  signifie  tendance  fixée  ou  déter- 
minée. La  deuxième  partie  de  la  dérmition  indique  une  condition  de 
la  fixation.  La  définition  de  la  chose  prise  pure  est  donc  la  même  que 
la  mienne. 

T*'  Garnier,  1,  3'28.  Nous  promettons  de  payer  telle  somme  dans 
un  an.  Nous  savons  donc  certainement  que  nous  voudyons  la  payer, 
«  Puisque  nous  faisons  des  promesses,  il  faut  que  nous  soyons  et 
que  nous  nous  sentions  maîtres  de  notre  volonté,  » 

Ce  raisonnement  est  un  des  plus  plaisants  qu'on  puisse  voir,  H 
démontre  précisément  le  contraire  de  ce  qu*il  veut  démontrer. 
Puisque  nous  taisons  des  promesses,  il  faut  que  nous  apercevions 
une  tendance  suffisamment  forte  et  fondée,  pour  durer  encore  Tan 
prochain;  telle  que  celle  que  produit  l'honneur  engagé.  Il  y  a  donc 
en  nous  certaines  tendances  si  énergiques,  que  nous  pouvons 
aflîrmer  avec  certitude  qu'elles  prédomineront,  et  que  la  volition 
contraire  ne  se  produira  pas. 

8*"  Si  notre  résolution  est  nécessaire,  et  la  contraire  impossible, 
notre  action  n'est  ni  laide,  ni  belle,  nous  ne  sommes  dignes  ni  de 
châtiment  ni  de  récompense^  etc. 

(Voir  plus  haut.)  Soit,  en  spéculation.  Mais  dans  Tordinaire,  on 
n  aperçoit  pas  la  nécessité.  —  Enfin  la  peine  est  absurde  comme  puni- 
lion  ou  expiation;  elle  n*est  bonne  que  comme  exemple,  ou  moyen 
de  rendre  le  coupable  inolTensifà  l'avenir. 


€.  Force  de  la  résolution. 

Cette  force,  comme  toute  force,  se  mesure  aux  elFels  produits, 
c'est-à-dire  à  la  quantité  delà  résistance  vaincue.  Elle  se  mesure  par 
exemple  à  la  grandeur  des  désirs  %'aincus,  à  Ténergie  des  mouve- 


470 


HEVUE  PHILOSOPHlQtTE 


ments  produits,  à  sa  durée,  à  sa  persistance  dans  les  maladies  qot 

affaiblissent  la  pensée,  etc. 

Une  résolution  est  un  désir  définitif  Un  désir  est  constitué  par 
une  idée  agréable  ou  pénible.  Donc  la  force  de  la  résolution  dépendra 
de  l'énergie  des  causes  qui  suscitent  et  maintiennent  Tidéet  de  l'at- 
tention qui  se  porte  sur  Tidée,  des  idées  auxiliaires  qui  naissent, 
des  images  sensibies  en  qui  elles  se  transforment,  etc*  (Voir  ch.  A*) 

La  plus  notable  entre  ces  causes  est  la  confiance  en  soi,  c'est-à* 
dire  la  croyance  que  Taction  voulue  ne  dépend  que  de  nous,  en 
d'autres  termes,  ne  renferme  aucune  chance  d'impossibilité-  Ptus,  att 
contraire,  nous  imaginons  qu'elle  est  douteuse,  nous  la  représentons 
comme  impossible  à  faire,  nous  lui  attachons  des  négations  et  des 
causes  de  destruction,  plus  la  volition  est  faible.  Lldée  motrice 
attaquée  dans  son  être  perd  toute  énergie  impulsive. 

On  peut  attribuer  à  cefle  exaltation  de  la  volonté  une  part  dans 
certains  phénomènes  singuliers,  A  la  prise  de  Port-Mahon  :  *  C'était, 
dît  Voltaire,  un  roc  uni;  c  étaient  des  fossés  profonds  de  vingt  pieds, 
et  en  quelques  endroits  de  trente,  taillés  dans  le  roc-  — On  descendit 
dans  les  fossés  malgré  le  feu  de  rartillerie  anglaise,  on  planta  des 
échelles  hautes  de  treize  pieds;  les  officiers  et  les  soldats,  parvenus 
au  dernier  échelon,  s  élançaient  sur  le  roc  en  montant  sur  les  épaules 
les  uns  des  autres.  C'est  par  cette  audace  difficiïe  à  comprendre 
qu'ils  se  rendirent  maîtres  de  tous  les  ouvrages  extérieurs,, >  Les 
Anglais  ne  pouvaient  comprendre  comment  les  soldats  franç-ais 
avaient  escaladé  les  Ibssés,  dans  lesquels  il  n'était  guère  possible  à 
un  homme  de  sang-froid  de  descendre*  » 

Mu  lier,  note.  II,  57'2.  c  Pour  susciter  une  force  extraordinaire 
dans  un  groupe  de  muscles  par  un  procédé  menlal,  il  suffit  de  sug- 
gérer Taction  et  d'assurer  au  somnambule  tiu'il  peut  la  Étire  avec  ta 
plus  grande  facilité  s'il  le  veut.  Ainsi  noue  avons  vu  un  des  sujets 
hypnotisés  de  M-  Braid,  un  homme  remarquable  parla  pauvreté  de 
son  développement  musculaire,  soulever  un  poids  de  14  kilogrammes 
sur  son  petit  doigt  tout  seul,  et  la  faire  tourner  autour  de  sa  tète  sur 
la  seule  assurance  qu*it  était  aussi  lé^er  qu'une  plume*  Nous  avons 
toute  raison  de  croire  que  le  caractère  de  cette  personne  la  plai;ait 
au-dessus  du  soupçon  de  fraude,  et  il  est  clair  que,  s'il  avait  eu  la 
pratique  d*un  tel  tour  de  force,  tour  que  même  les  hommes  les  plus 
forts  ne  pourraient  exécuter  sans  exercice,  cela  aurait  été  visible 
dans  le  développement  de  son  système  musculaire*  » 

On  voit  dans  ces  deux  cas  la  force  de  la  volition  e3tagén5e,  soit  par 
l'intensité  de  la  passion^  soît  par  la  plénitude  de  la  croyance. 


I 


H,   TAINE.    —    IIH    LA    V0L05TÉ 


471 


C.  Influence  de  la  tendance  fixi^ie. 

1*  Soit  ridée  d'un  danger,  par  exemple  que  cette  voilure  qui 
accourt  va  m'écroser;  Tidée  que  je  vais  être  écrasé  h  cette  place  est 
douloureuse,  l'affirmalion  que  je  suis  k  cette  place  tend  donc  à  être 
détruite*  Le  seul  moyen  est  mon  changement  de  place  ;  mes  muscles 
se  tendeot,  mes  jambes  se  meuvent,  et  je  change  de  place. 

De  même  si  j*ai  mis  ma  main  trop  près  du  teu;  je  me  brûle;  Hdée 
de  cette  position  est  douloureuse,  tend  à  être  détruite^  et  ne  peut 
Ferre  que  par  le  déplacement  de  la  main.  La  main  se  déplace. 

Je  veux  prendre  ce  livre  sur  ma  table,  c'est-à-dire  Fidée  de  ce 
livre  dans  ma  main  est  agréable,  t*idée  ultérieure  qu'il  n'y  est  pas 
est  désagréable;  cette  alTirmi^lion  qu'il  n'y  est  pas  tend  donc  à  être 
détruite,  Lldée  de  mon  bras  porté  jusqu'à  lui  devient  agréable;  la 
remarque  que  mon  bras  n*y  est  pas  actuellement  porté  est  désa- 
gréable. Cette  affirmation  que  mon  bras  n*est  pas  en  mouvement 
vers  ce  livre  tend  donc  h  être  détruite.  Le  mouvement  du  bras  suit. 

Dans  tous  les  cas,  une  affirmation  désagréable  tend  à  être  détruite, 
et  le  mouvement  capable  de  la  détruire  suit.  Celte  tendance  peut 
n'être  pas  toujours  suivie  du  mouvement,  par  exemple  dans  la  para- 
lysie; mais  elle  Test  habituellement,  d'oti  il  suit  que  dans  la  vie  ordi« 
naire  nous  la  considéron?^  comme  la  cause  unique  et  suffisante  du 
mouvement,  disant^  par  exemple,  que  quand  nous  voudrons  faire  ce 
mouvement,  il  se  fera. 

Par  quelle  série  d'intermédiaires  ridée-tendance  détermine-t-elle 

contraction  musculaire?  Nous  verrons  au  chapitre  du  mouvement 
ce  qu'on  en  peut  découvrir.  Mais  il  est  visible  que  les  intermé- 
diaires ne  sont  que  des  moyens,  de  même  que  le  suc  gastrique  n'est 
qu'un  moyen  par  rapport  à  la  nutrition.  (V.  plus  loin.)  Par  consé- 
quent, ce  qu'il  faut  examiner  c'est  la  relation  entre  la  tendance  et  le 
mouvement,  et  pourquoi  le  second  doit  suivre  la  première*  Cette 
appropriation  du  second  à  la  première,  marque  la  dépendance  des 
diverses  fonctions,  partant  leur  indivisibilité.  De  là  suit  que  leur 
ensemble  constitue  un  seul  être,  un  individu,  le  moL  On  peut  donc, 
en  retournant  l'analyse,  dire  que  cette  appropriation  dérive  de  l'unité 
Ûu  moi,  de  même  que  Tappropriation  réciproque  des  muscles  pha- 
ryngiens et  de  la  poche  stomacale  dérive  de  runiléde  la  vie  orga- 
nique. 

Donc,  en  règle  habituelle,  Tldée-tendance  ou  volition  délerminele 
mouvement.  Son  influence  dépend  de  plusieurs  conditions  :  i"  De 
son  énergie  propre  (Voir  §  précédent)»  2"*  De  l'irritabilité  nerveuse 


47â  REWE   PHJLOSOPHIQUE 

(paroxysme  de  la  fièvre,  du  délire,  de  la  colère),  3^  De  la  masse  des 
muscles  (comparez  un  hercule  de  foire,  un  forgeron  et  une  femme),  ■ 
4*  De  la  disposition  plus  ou  moins  parfaite  des  os,  leodons,  etc.  La  " 
force  du  mouvement  dépend  de  toutes  ces  conditions,  et  lenergie 
de  la  volonté  n'y  contribue  i|ue  pour  une  part, 

2°  Soit  ridée  que  la  découverte  de  tel  théorème  sera  agréable,  que 
la  connaissance  de  tels  et  tels  moyens  de  persuasion  ou  d'action 
est  utile,  etc» 

Par  exemple,  si  c*esl  un  théorème  sur  le  triangle  et  la  somme  de 
ses  angles,  Fidée  du  triangle,  puis  celle  de  ses  angles  est  maintenue 
présente  longtemps,  revient  un  grand  nombre  de  fois,  il  se  présenta 
une  foule  d'idées  et  constructions  qui  y  ont  rapport,  elles  persistêot 
d*autant  plus  longtemps  et  plus  fot  temenl,  qu'elles  paraissent  devoir 
conduire  à  la  connaissance  cherchée.  Bref,  s'il  y  a  tendance  a  ccn* 
naître  quelque  chose  d'un  objets  Tidée  de  cet  objet  tend  à  persisfer^ 
et  les  idées  environnâmes  tendent  à  naître  et  h  persister. 

Mêmes  phénomènes,  si  je  veux  me  rappeler  les  actions  qm  j'âï 
faites  avant-liiei\  par  exemple.  Je  persiste  à  considérer  ce  moLlûiid), 
puis  ridée  que  Je  lisais  tel  livre  le  soir»  puis  Tidée  que  j'ai  dow 
telle  leçon  le  matin,  puis  Tidée  que  j'ai  attendu  telle  personne»  etc^ 

J'imagine  une  rose.  Si  je  veux  l'imaginer  mieux,  je  persiste  dans 
la  considération  du  vague  disque  rose  que  j*aï  aperçu  d'abord,  îes 
feuilles  se  reforment,  je  vois  les  dentelures  de  la  couronne  de 
pétales,  le  paquet  d*élamines  jaunes  irose  sauvage),  la  tige  mince, 
verte,  luisante,  etc. 

L'eflet  de  la  tendance  est  donc  de  faire  persister  Tidée  et  renaître 
les  environnantes. 

Rien  de  plus  facile  à  comprendre.  L'idée  que  telle  iàè%  ^^^ 
agréable,  c'est  cette  idée  elle-même  paraissant  agréable.  c*est  par 
exemple  ici,  l'image  de  la  rose  devenant  agréîible»  Elle  tend  à  p*t" 
sisler  comme  toute  idée  agréable.  C'est  dire  qu'elle  a  en  soi  uneforc^ 
d'existence  plus  grande,  et  que  parlant  elle  persistera.  Mais  piusellts 
persiste,  plus  les  idées  quelle  suscite  ordinairement  ont  chance  d<? 
renaître.  Celles-ci,  devenant  agréables  par  la  même  raison,  teuW 
aussi  à  persister,  et  font  renaître  leurs  voisines  et  ainsi  de  ^"^1^^ 
Par  la  même  raison,  celles  qui  renaissent  et  sont  inutiles  au  ^^^ 
proposé,  par  exemple  l'image  de  la  terre  au-dessous  de  l'églanti^'*' 
n'étant  pas  agréables,  et  étant  même  désagréables,  puisqn'^l^^* 
gênent  les  autres  et  les  empêchent  de  renaître,  n'ont  quW 
médiocre  force  d'existence  et  s  elTacent  vite* 

Remarquons  que  cette  influence  de  la  volition  sur  les  idéôâ  ®^^ 
limitée  et  incertaine.  Elle  se  produit  seulement  à  Fétat  normal.  Mâis 


H.  TAIIfE. 


DE   LA   VOLOMTÈ 


473 


il  se  peut  que  Tidée,  quoique  agréable,  oe  puisse  persister,  par 
exemple  après  un  grand  travail  de  tête,  dans  l'extrénie  fatigue.  Il  se 
peut  que  des  idées  et  images  très  énergiques  et  contraires  au  but 
vainquent  la  tendance  à  considérer  telle  série  d'idées;  par  exemple 
dans  la  distraction,  dans  la  folie,  il  se  peut  que  certaines  images  ou 
idées  aient  totalement  perdu  leur  Ibrce  de  renaissance,  et  que  nul 
effort  ne  puisse  les  rappeler,  comme  il  arrive  pour  les  souvenirs  de 
faits  très  éloignésj  et  dans  les  maladies  oU  Ton  perd  la  mémoire 
d'une  langue,  de  telle  classe  de  mots,  etc, 

^0n  voit  par  là  que  rinfluence  de  la  volition  sur  les  connaissances 
lltpend  de  plusieurs  conditions  :  1''  De  la  force  de  la  volition  elle- 
liême.  2'^  De  Tabsence  de  tendances  plus  fortes  et  contraires,  les- 
quelles peuvent  être  déterminées  par  une  passion,  par  un  narcotique, 
etc.  3°  De  Taptitude  à  renaître  des  idées  circonvoisines.  La  force  de 
Tattention  et  les  chances  de  renaissance  dépendent  de  toutes  ces 

■  circonstances;  et  non  pas  seulement  de  Ténergie  de  la  volition. 

F  Nous  avons  expliqué  tout  à  Theure  pourquoi  une  idée  influe  sur 
un  mouvement.  Il  s'agit  d'expliquer  ici  pourquoi  une  idée  influe  sur 
K  une  idée  :  la  deuxième  paraissant  moyen  de  la  première  et  unie  à 
'  elle,  paraît  ne  faire  qu  un  avec  elle,  et  ainsi  en  emprunter  les  pro- 
priétés (V.  Théorie  des  moyens»  et  lois  générales  des  passions).  La 
I  connaissance  de  tout  avant-hier  m'est  représentée  comme  agréable, 
donc  la  représentation  de  ma  lecture  du  soir,  qui  en  fait  partie,  m*est 
agréable,  etc. 

>d>''  Soit  ta  volonté  de  ne  pas  désirer  une  chose  qu'on  se  représente 
comme  agréable,  de  ne  pas  éprouver  du  plaisir  en  concevant  un 
objet  agréable,  de  ne  pas  éprouver  de  plaisir  en  buvant  frais  quand 
on  a  soif,  de  ne  pas  sentir  de  douleur  quand  on  vous  blesse  avec  un 
canif.  —  Impuissance.  Le  deuxième  phénomène  n*est  aucunement 

■  modifié^ 

En  effet  (voir  plus  haut)  le  désir  est  constitué  uniquement  par  Tidée 
agi^éable,  Tidée  agréable  par  la  nature  agréable  de  l'objet  représenté, 
la  sensation  douce  ou  pénible  par  l'espèce  de  mouvement  du  nerf, 
de  sorte  que  ces  conditions  données,  les  phénomènes  suivent  néces- 
sairement et  tout  entiers,  de  même  quêtant  donné  le  cercle,  suit 
nécessairement  et  sans  restriction  possible  Fégalité  des  rayons.  Il 
ii*en  était  pas  ainsi  pour  Tidce  ou  ïe  mouvement,  lesquels  peuvent 
être  directement  modifiés  par  la  volition. 

IDonc  la  volonté  n'a  pas  d'influence  directe  sur  le  plaisir,  la  peine, 
la  sensation,  le  désir. 
Mais  elle  a  sur  eux  une  inlluence  indirecte  très  grande  :  en  écar- 
tant ou  en  rapprochant  les  conditions  extérieures  physiques  de  sen- 
TOiti  Lp  —  1900.  ai 


4T4 


HËVUE   PHlLÛSÛPBtÛUi 


sation^  en  abolissant  sa  sensibilité  par  des  narcotiques^  en  exaltant  la 
douleur  par  Fatlention  qa*on  lui  donne,  en  recherchant  ou  fuyant 
les  idées  agréables  ou  désagréables,  etc.  Elle  agit  sur  les  phénomèûes 
qui  échappent  à  ses  prises  en  agissant  sur  leurs  causes. 


RÉsuaiÉ. 


La  tendance  peut  être  accompagnée  d'une  ou  plusieurs  tendances 
contraires,  de  force  inégale.  Les  conditions  de  cette  inégalité  sonl 
les  suivantes  :  les  sensations  impulsives  sont  les  plus  éQergiques» 
leurs  nerfs  étant  les  représentants  de  tout  rorganisme-  Dans  les  sen- 
sations et  opérations  cognitives,  la  puissance  impulsive  est  d*aulant 
plus  grande  :  1*  que  le  mode  de  représentation  est  plus  semblable  k 
lobjet  et  séparé  de  lui  par  moins  d'intermédiaires;  2*^  que  Ténergie 
active  de  la  représentation  est  plus  grande  (condition  objective  et 
condition  subjective)»  —  La  tendance  fixée  et  définitive,  ordinaire- 
ment  après  conflit,  est  ce  qu'on  nomme  volîtion  ou  résolution.  Son 
objet  peut  être  une  action  immédiate,  une  action  plus  ou  moins  éloi- 
gnée dans  le  futur,  une  action  pins  ou  moins  générale.  Ces  deux  der* 
niers  cas,  plus  complexes,  se  ramènent  au  premier.  —  La  tendance 
fixée  est  celle  qui  est  la  plus  forte.  Les  lois  citées  de  prépondérance 
déterminent  la  plus  forte.  L'observation  directe  des  cas  où  les  ten- 
dances iiont  très  inégales,  les  inductions  et  prévisions  fondées  sur 
les  caractères  d'individus  et  de  peuples,  le  principe  de  raison  suffi- 
sante, établissent  que  la  plus  forte  tendance  devient  nécessairement 
définitive  ou  volition;  les  objections  des  adversaires  reposent  sur  une 
observation  incomplète  de  conscience;  quant  aux  volitions  morales, 
elles  perdent  leur  caractère  moral  de  beauté  ou  de  laideur,  d'autaot 
plus  qu'on  voit  mieux  leur  nécessité.  Enfin  les  objections  de  Reid 
prouvent  seulement  que  la  volition  implique  délibération,  et  une 
tendance  fixée  après  conflit,  au  rebours  du  désir  qui  est  la  simple 
tendance.  —  L'énergie  de  la  volition  est  proportionnelle  aux  causes 
de  l'idée  qui  la  fonde,  et  du  désir  qui  la  constitue,  et  particulièrement 
à  h  croyance  que  son  but  peut  être  atteint,  —  Elle  détermine  les 
mouvements  et  modifie  ou  suscite  les  connaissances  concurremment 
avec  d'autres  causes.  Elle  influe  sur  les  mouvements  en  raison  de 
Tunité  du  moi,  sur  les  idées  parce  que  l'idée  modifiée  se  trouve  unie 
à  ridée  tendance  impulsive,  —  Elle  n'a  pas  d'influence  sur  les  plai- 
sirs, peines,  sensations  cognitives,  désirs,  du  moins  directemenL 
Mais  elle  a  mt  eux  une  influence  indirecte  en  modifiant  leurs  causes. 


H.  TAÏNE.   —  DE  L4  VOLONTÉ 


475 


—  La  connaissance  en  tant  qu'impulsive  se  divise  donc  ici  :  d'une 
part  elle  agit  sur  elle-même,  c'est-à-dire  sur  la  connaissance  et  sur 
l'impulsion;  d'autre  part  elle  agit  sur  les  mouveraenls.  Ce  dernier 
point  de  vue  est  Je  plus  iropoi  tant,  Les  objets  et  qualités  exlérieurs, 
ayant  été  par  les  fonctions  théoriques  transportés  dans  le  moi  et 
perfectionnés,  repassent  du  moi  dans  le  monde  extérieur  par  les 
fonctions  pratiques,  el  le  moyen  par  lequel  elles  y  arrivent  est  le 
mouvement.  L'influence  de  la  volonté  sur  les  connaissances^  rentre 
dans  les  fonctions  théoriques;  son  influence  indirecte  sur  les  ten- 
dances, rentre  dans  les  fonctions  pratiques.  Dans  ces  deux  cas,  il  y 
a  détour.  La  vraie  direction  est  celle  que  Ton  aperçoit  en  regardant 
rinfluence  de  la  volition  sur  le  mouvement.  On  la  voit  manifeste 
dans  les  animaux  inférieurs,  qui  n*ont  point  de  cerveau,  peut-être 
point  de  conscience,  point  de  nerfs  spéciaux,  quelquefois  point  de 
nerfs,  partant  tout  au  plus  des  sensations  vagues  à  la  fois  impulsives 
et  cognitives,  et  le  mouvement.  Ici  la  faculté  cognitive  se  réduit  a 
une  modification  ou  impression  locale  pure,  avec  tendance  à  réagir, 
et  mouvement  de  réaction  (Polypes,  Méduses). 

H-  Taine, 


DE    LA    VOLONTÉ^ 

NOTES  ET  ESSAIS  DE  PLANS 


I.  —   Lès  ÉLéMENTS  DE  LA  VOUTÎOK. 

Soit  une  tendance  définitive  fixée ^  quelconque  (id  plusieurs 
exemples),  —  J'ai  perdu  un  billet  de  cent  francs  qui  était  dans  mon 
porte- monnaie.  —  Les  cléments  sont  :  peine,  tendance  dans  tel 
sens.  Et,  en  général,  cinq  minutes  de  passion  découpées  dans  la  vie 
d'un  homme  se  réduisent  à  une  série  d'émotions  (idées  ea  tant 
qu'agréables  ou  désagréables,  avec  contre-coup  de  sensations  phy- 
siques locales)  et  tendances. 

Même  fait  dans  les  sensations  directement  motrices  et  dans  les 
actions  réflexes  centrifuges, 

1^  Théorie  de  la  tendance  en  général  et  de  rémotion,  la  peiue  et 
le  plaisir  étant  déânis  la  tendance  contrariée  ou  satisfaite.  —  Appli- 
cation aux  sensations  locales  et  aux  actions  réflexes  centrifuges  des 
données  acquises  par  Tanalyse  des  sentiments  (idées  avec  leur  face 
affective  et  motrice). 

Le  point  fondamental  est  la  définition  de  la  tendance.  Nous  voyons 
lace  qu'elle  est,  Il  suffit  de  se  reporter  à  la  théorie  des  images  et 
idées  latentes;  leur  groupement  successif  ou  simultané  selon  telle 
ou  telle  direction  constitue  la  tendance.  Ellej*  sont  les  éléments  de 
la  tendance. 

2^^  La  génération  des  tendances  (désirs,  passions,  besoins,  incli- 
nationSj  penchants,  appétits,  goûts), 

S^'  Le  conflit  des  tendances. 

Deux  ordres  de  faits  très  instructifs  : 

1"  Les  perversions  subites  et  énergiques  d'inclinations  données* 

Nymphomanie. 

Folie  homicide  oo  incendiaire.  Récits  de  mères  qui  se  sauvent, 
sentant  qu'elles  vont  tuer  leurs  enfants  (Moreau  de  Tours,  Bail- 
larger,  Brierre  de  Boismont). 

1.  Écrit  vera  1170,  -^  Voir  la  note  de  Tartide  précédeni* 


H.  TAIFTE.   —  DE  LA   VOLONTÉ.    NOTES   ET  ESSAIS  DE   PLAPfS        477 

Appétits  et  envies  étranges  et  subites  dans  la  grossesse. 

Démoralisât  ion  dans  le  rêve.  On  a  tué  ou  violé  et  on  trouve  la 
chose  toute  naturelle*  L'horreur  ordinaire  manque.  C*est  la  perte 
des  associations  ordinaires  ou  révocation  d'associations  nouvelles. 
Ce  qui  est  dissocié  ou  associé  ici,  ce  n  est  pas  une  idée,  mais  une 
émotion.  Ceci  nous  conduit  à  la  théorie  des  émotions  associées  aux 
idées,  et  en  général  à  la  théorie  de  Fémolion  considérée  comme  un 
ordre  et  une  direction  des  mouvements  moléculaires  cérébraux. 

2°  La  formation  de  l'idéal  et  la  génération  des  tendances, 

Stendhal,  histoire  du  lieutenant  Louant  {Correspondance.  II,  81), 
Horreur  chez  Gautier  et  Saint- Victor  de  manger  gras  le  Vendredi 
Saint;  horreur  du  bouillon  chez  le  brahmane,  du  porc  chez  le  juif- 
—  Amour  de  l'argent  inutile  chez  l'avare, 

Scbopenhauer,  métaphysique  de  lamour  et  de  la  mort. 

ÂUTHES    IDÉES   SUR  LES    ÉMOTIONS   ET  TENDANCES. 

Comme  dit  Bain,  toute  émotion  est  une  vague,  un  courant,  et  le 
sens  en  est  déterminé  par  le  geste  d'action  auquel  elle  ahoutit*  Elle 
aboutit  à  la  mise  enjeu  de  tel  ou  tel  système  de  nerfs  moteurs  (joie, 
douleur,  colère,  admiration). 

Les  émotions  sont  plus  ou  moins  semblables,  selon  qu'elles  met- 
tent en  jeu  tel  ou  tel  groupe  de  nerfs  moteurs. 

Entre  une  idée  et  une  action  nerveuse  centrifuge,  il  y  a  un  inter- 
médiaire qui  est  la  série  des  courants  nerveux  par  lesquels  F  idée 
met  en  jeu  le  nerf  moteur* 

Toute  idée,  vive  ou  non,  aboutit  spontanément  à  un  geste,  à  une 
attitude,  à  une  expression  physique  qui  est  raction  correspondante, 
commençant  {¥,  Gratiolet). 


Plan* 


1'  Quels  sont  les  éléments  d'une  passion?  Exemples  :  Jalousie  de 
Mosca*  (Chartreuse  de  Parrtie.) 

Le  lieutenant  Louant,  etc< 

Des  sensations,  images,  idées,  plus  ou  moins  simples  ou  com- 
plexes, accompagnées  d'émotion,  avec  contre-coup  physique,  et  des 
tendances  (joie,  douleur,  tendances).  (Le  geste  et  Tatlitude  expres- 
sive* —  Principe  de  la  suggestion*) 

2^>  Nature  de  ces  éléments» 

Se  reporter  à  la  théorie  de  l'encéphale  et  des  états  élémentaires* 
^  C'est  le  passage  de  Fidée  à  l'action  ou  expression. 


478  BEVUE  PHILQSQPHiaCE 

DoïiC  intermédiaire  cérébral   entre  Fidée  et  rorigine  des  nerfs 

expressifs,  actifs,  moteurs. 

3"  Conditions  de  naissance  de  ces  éléments. 

a.  Conditions  générales  organiques. 

Moment  du  sexe.  —  Mémoires  sur  la  castration.  —  Moment  delâ"^ 
grossesse*  —  Diverses  perversions  de  la  folie» 

6.  Conditions  cérébrales  spéciales  ;  effet  de  Tattenlion,  de  la  répé-  , 
tition.  —  Mêmes  lois  que  pour  la  renaissance  et  refTacement  ém 
images. 

De  la  substitution  (type  :  l'avare). 

4^  Des  composés;  montrer,  d'après   ces  lois,  la  formatton  des 
diverses  passions, 

5°  Du  conflit  des  passions»  ou  de  la  volonté. 


Plan, 

Dbh  émotions  et  de  la  volonié^  —  La  méthode  doit  être  la  même 
que  dans  rinlelligence. 

Première  partie  ;  Ramener  les  complexes  les  plus  usités  à  de  plus 
simples»  (Par  exemple,  tout  a  été  ramené  aux  sensations,)  Puis  ces 
plus  simples  aux  simples  infinitésimaux.  Par  exemple»  les  diverses 
sensations  inlinitési maies  de  même  type,  et  celles-ci  (qualité}  à  des 
mouvements  (quantité). 

Ce  que  j*enlrevois  en  suivant  cette  méthode,  ce  sont  les  points 
suivants  : 

a.  Ce  qui  constitue  une  émotion,  c'est  une  série  dUdées  plus  ou 
moins  agréables  ou  désagréables,  avec  leur  contre-coup  local  sur  les 
organes  (mouvements  rétlexeSj  ou  communication  directe  des  états 
sensitîfs  cérébraux).  Partant»  il  n*y  a  rien  d'inexpliqué  dans  cette 
série  que  la  propriété  qu'ont  des  éléments  d'être  agréables  ou  péni- 
bles, le  trait  caractéristique  de  ces  deux  états  étant  que  Tagréable 
provoque  une  série  d'actions  ayant  pour  effet  de  le  conserver,  et  le 
pénible  une  série  d  actions  ayant  pour  effet  de  le  supprimer. 

Ce  qu'il  y  a  donc  à  chercher,  c'est  Tessence  de  Tagréable  ou  du 
pénible. 

b.  Pour  trouver  cette  essence  »  il  fautTétudier  dans  les  complexes, 
dont  nous  avons  les  éléments,  c'est-à-dire  dans  les  groupes  d'images 
et  d'idées,  pour  de  là  conjecturer,  par  analogie,  ce  qu'elle  peut  étï© 
dans  les  simples  dont  nous  ignorons  plus  ou  moins  les  éléments, 
c'est-à-dire  dans  les  sensations.  (On  voit  en  partie  cette  essence 
dans  les  sensations  de  Touïe  et  de  la  vue;  mais  non  dans  les  autres. | 


H.  TAIHE.   —  IIK   U   VOLOr^Tft*   NOTES  ET  KSSAIS  M   PLANS        479 

0.  La  propriété  d'être  agréable  ou  pénible  est  dérivée  (et  non  pri- 
mitive)  dans  un  graod  nombre  de  complexes.  Ainsi  toute  image  de 
sëDsâtion  agréabîe  est  agréable  parce  que  l'image  n'est  que  la  sen- 
sation reviviscente,  et  d autant  plus  quelle  reproduit  plus  exacte- 
ment la  sensation-  —  Ainsi  toute  négation  portant  sur  une  image 
agréable  est  pénible.  —  Ainsi,  plus  une  image  agréable  est  intense 
et  prédominante  par  attention  exclusive,  plus  elle  est  agréable, 
l'agréable,  ainsi  que  toutes  ses  propriétéf?,  s'exagérant. 

d.  Mais,  dans  plusieurs  CiJSj  lapropriélé  d'être  agréable  est  primi- 
tive. Ainsi,  dans  le  cbagrlUf  il  est  pénible  d*étre  dérangé  de  la  série 
d*idées  pénibles.  Ici,  il  est  clair  que  c*est  la  tendance  à  tel  ordre 
d'idées  qui  est  contrariée.  Cette  tendance  est  la  prédisposition,  Tef- 
fort  pour  être.  On  peut  considérer  (comme  on  Ta  vu)  chaque  image 
ou  idée,  comme  tendant  h  s  achever^  à  se  compléter ^  h  arriver  au 
premier  plan.  —  Et  c'est  là  le  type  de  Texistence  (comme  on  Ta  vuj. 
fitant  donné  un  groupe  d*événements,  de  cela  seul  qu'ils  existent 
un  autre  groupe  les  remplacera,  doit  les  remplacer,  ou,  en  langage 
métaphysique,  fait  elTort  pour  les  remplacer.  C'est  là  l'idée  de  la 
force  :  succéder  sans  autres  conditioiis.  —  En  général,  la  nature  con- 
siste en  séries  simullanées  d^événements  ;  tel  événement  naît  spon- 
tanément à  la  suite  de  tel  autre,  dans  telle  série,  et  nous  appelons 
force,  vertu  efticace  et  productive,  la  propriété  qu'a  le  groupe  pré- 
cédent d^être  (par  lui  seul)  suivi  du  suivant. 

De  sorte  qu'il  semble  que,  dans  ce  cas  au  moins,  lessence  de 
Vagréable  consiste  dans  la  propriété  de  naître  spontanément  du 
seul  état  précédent  et  Tessence  du  pénible  dans  cette  particularité 
que  celte  naissance  est  empêchée. 

;jo  i  Partant  de  ce  fait  bien  analysé,  il  faudra  voir  si  les  autres  cas 
de  Tagréable  et  du  pénible  ne  peuvent  pas  s^expliquer  mieux*  —  En 
ce  cas,  notamment  pour  nos  sensations  qui  sont  la  base  du  reste, 
Texplication  serait  celle-ci  :  leurs  composants,  à  savoir  les  petites 
sensations  élémentaires,  auraient  entre  elles  des  affinités  et  des  répu- 
gnances. En  d*aulres  termes,  tel  groupe  de  sensations  élémentaires 
donné  aurait  pour  conséquent  naturel  tel  autre,  ou  son  conséquent 
naturel  serait  plus  ou  moins  remplacé  par  son  contraire.  Comme 
exemple  sensible,  voye^  les  accords  et  dissonances  en  musique,  en 
couleurs,  en  cuisine.  En  musique  et  en  couleurs,  on  sait  la  loi.  Phy- 
siologiquement  on  peut  se  représenter  la  chose  ainsi  :  tel  système 
de  fibres  cérébrales  ayant  telle  vibration,  telle  autre  vibration  con- 
sécutive ou  simultanée  est  mathématiquement  en  rapport,  naturel 


!»  Les  diTisîOELS  i"  cl  ^*  ne  sont  pas  indiquée!  do-QS  Le  munus^Ht. 


480  KEVTE  PBKlOSOPHlOfîE 

OU  non,  avec  la  vibratian  donnée,  à  peu  près  comme  dans  les  cordes 
tendues  d'un  piano. 

4''  Des  indices  et  confirmations  très  fortes  se  trouvent  dans  les 
faits  anormaux  si  nombreux  (sommeiK  maladies  mentales^  hystérie» 
grossesse,  naissance  d'instincts  à  la  puberté,  instincts  en  général). 
Ils  consistent  essentiellement  en  ceci  :  des  idées^  ou  images,  oy 
sensations,  qui  à  Fétat  normal  sont  agréables,  ou  pénibles,  ou 
neutres,  cessent  de  Télre^  et  prennent  la  qualilé  inverse»  —  Instincts 
d*homicîde  dans  une  mère  sur  son  enfant.  —  Dans  la  grossesse, 
manger  des  pommes  pourries.  —  Horreur  des  aliments  dans  T hys- 
térie. —  Appétit  du  sexe,  ou  désir  de  faire  son  nid,  à  tel  moment 
de  la  vie  et  de  Tannée,  —  Meurtres,  viols,  etc.,  commis  en  songe 
et  n'excilant  aucune  répugnance,  —  Maniaques  qui  embrassent  un 
poêle  ardent.  —  Dans  la  même  catégorie  rentrent  toutes  les  dévia- 
tions du  caractère;  tel  ordre  de  sensations  et  d'idées  est  pjus  ou 
moins  répugnant  ou  attirant,  suivant  Tindividu  et  la  race. 

5°  Autres  indices  dans  la  différence  et  le  renversement  de 
Tagréable  et  du  pénible,  après  que  le  nerf  a  élé  en  fonction  un  cer- 
tain temps.  Il  y  a  émoussemenl  ou  ren%^ersement  de  la  sensation.  — 
Ainsi  pour  Fœil,  pour  Touïe,  pour  le  goût. 

Conclusion- 

Par  des  recherches  de  ce  genre,  on  ramène  la  qualité  de  pénible 
et  d'agréable  à  la  particularité  de  succéder  spontanément,  physiolo- 
giquemenl  à  des  vibrations  de  fibres  concordantes  ou  discordantes, 
mécaniquement  au  mouvement  spontanément  continuant.  Ici  fini! 
la  partie  analytique. 

Deuxième  partie.  —  Les  émotions  et  la  volonté.  Deux  points  i^ 
noter  :  certaines  émotions,  par  suite  tendances,  sont  communes  4 
tous  les  hommes  (amour,  avarice,  ambition,  curiosité^  sympathie, 
colère).  (Là-dessus  voyeiî  les  classifications  en  tendances  égoïstes, 
sympathiques,  abstraites.)  De  plus,  chacune  de  ces  tendances  est 
plus  ou  moins  forte  selon  Tindividu. 

De  là  deux  ordres  de  recherches  i 

i^  Expliquer  d*après  la  définition  du  pénible  et  de  l'agréable, 
pourquoi,  dans  tout  homme,  telle  idée  est  pénible  ou  agréable 
(V.  Spinoza,  3"  et  4"  parties.) 

S''  Chercher  à  quelles  conditions  la  même  idée  est  plus  pénible 
ou  agréable  chez  tel  homme  que  chez  tel  autre.  (Ceci  est  le  plus 
fructueux  et  donne  les  principes  de  Thistoire.) 


LE    CONGRÈS    INTERNATIONAL 


DE  PHILOSOPHIE 


Si  Von  a'en  tenait  à  Tidée  de  la  philosophie  qui  a  dominé  pendant 
longtemps^  et  qui  aujourd'hui  encore  ne  manque  pas  d'adeptes,  ce 
devrait  être  une  chose  bien  étrange  qu'un  congrès  de  philosophes. 
On  ne  pourrait  guère  se  le  représenter  que  comme  un  concert  où 
chacun  viendrait  à  tour  de  rôle  exécuter  un  morceau  de  bravoure,  à 
moins  qu'on  ne  l'imaginât  comme  un  champ  clos  ou  les  théories  ne 
succomberaient  que  pour  renaître,  à  la  Façon  des  guerriers  du  Walhaîla* 
On  ajouterait  encore  à  cette  présomption  si  Ton  disait  que  les  orga- 
nisateurB  de  cette  réunion,  principalement  métaphysiciens»  avaient  dû 
laisser  à  des  congrès  spéciaux  les  parties  de  la  philosophie  qui  reven- 
diquent déjà  le  nom  de  sciences  positives,  comme  la  psychologie  et  la 
sociologie,  et  qulls  s'en  sont  tenus  à  quatre  sections  :  métaphysique 
et  philosophie  générale;  logique  et  philosophie  des  sciences;  morale; 
histoire  de  la  philosophie ^  —Or,  on  n'a  riea  vu  de  semblable.  Les 
communications  ont  été  écoutées,  non  pas  avec  une  curiosité  artis- 
tique, mais  avec  un  désir  très  général^  et  che^:  quelques-uns  très  vif, 
d'en  peser  la  vérité  ou  Terreur;  tes  discussions  ont  été  suffisamment 
actives,  mais  plutôt  réservées  qu'exubérantes;  et  il  a  été  visible  que  la 
spécialisation  du  travail  a  fait^  même  dans  notre  domaine^  assez  de 
progrès  pour  que,  sur  la  plupart  des  points,  nous  ayons  plus  d*intérèt 
à  apprendre  qu'à  rétorquer. 

ILes  séances  ont  eu  lieu  du  1*'"  au  5  août,  au  lycée  Louis-le-Grand. 
Il  faut  louer  le  secrétaire  général,  M.  Xavier  Léon,  cheville  ouvrière 
du  congrès,  et  ses  dévoués  auxiliaires  MM*  Couturat  et  Hatévy,  qui 
ont  fort  habilement  organisé  le  travail,  et  mârae  ménagé  Tintérèt. 
Tous  les  matins^  las  quatre  sections  fonctionnaient  simultanément; 
toutes  les  aprèR-midi  avait  lieu  une  séance  générale  dont  Tattribution 
avait  été  ainsi  faite  :  1*>  discours  d  ouverture  et  séance  commune  aux 
deux  congrès  d'enseignement  supérieur  et  de  philosophie,  2''  logique, 
^philosophie  scientifique  et  histoire  des  sciences;  3*^  histoire  de  la 
philosophie;  i"  métaphysique  et  philosophie  générale;  en  lin  5"  morale 
^    et  questions  sociales.  11  m'est  impossible  de  donner  ici  le  résumé  de 


l<  L'esthétique,  qui  aurait  dû  Ihéonquement  constituer  une  section  de  plus, 
mais  qui  n'étaîL  représentée  que  par  un  seul  mémoire^  a  Été  rattaclièe  à  It 
philosophie  générale. 


483  ^  iibvuë  philosophiqub 

tous  IcB  travaux  qui  ont  été  présentés  et  discutés  dans  les  sé^nc 

particulières;  je  ne  pourrais   consacrer   que   trop    peu    de    li^ines 
chacun,  et  nous  aurons  d'ailleurs  roccasion  d'en  reparler  au  mome 
de  leur  publication.  Je  me  bornerai  donc  au  compte  rendu  des  séances 
générales^  et  à  l'analyse  des  mémoires  qui  y  ont  été  lus^  eji posés  i 
résumés  ^ 


1 


>sés  ou 


La  séance  d*ou  ver  turc  îi  d*abord  été  consacrée  aux  prés  eu  talion^ 
individuelles.  C^eFst  un  des  grands  avantages  d'une  pareille  réunion^ 
et  dont   nous  nous   sommes   tous  félicités  à  maintes  reprisef,  qm 
d'entrer  en  relations  personnelles  avec  des  hommes  que  nous  coa- 
naissions  déjà  par  leurs  ouvraj^es  ou  leurs  lettres.  Cela  facilite  tas- 
jours,  et  quelquefois  reclilie  l'idée  que  nous  nous  faisons  de  lettf 
pensée.  Je  Tai  constaté,  et  je  Vai  entendu  coastater  autour  de  moi. 
Un  grand  nombre  d*ét rangers  avaient  répondu  à  l'appel  du  codite, 
surtout  parmi  les  savants.   Les  philosophes  sans  doute  ne  faisaient 
pas  défaut  :  MM.  J,-J.  Gourd,  Uarth»  Ivanovski,  Geijer,  Remacle  (WiÉ 
pris   part  activement   à   cette   réunion  ;   M*   Chatterji,  professeur  au 
collège  hindou  do   Bénarès,  a    fait  deux  communications  d'un  tiiut 
intérêt;  mais  les  mathématiciens    dominaient  par   leur  nombre  :  il 
sulîit  de  citer  les  noms  de  MM.   Moritï  Cantor,  Schroder,  RuBjelIi 
Vaiîati,  Peano,  Padoa,  Kozlovski,  Vassilief.  Ils  y  ont  rencontré  dAil- 
leurs»  parmi  les  congressistes  français,  non  moins  de  s.tvants  propre- 
ment dits,  mathématicien*?  ou  physiciens  :  MM.  Jules  et  Paul  Tanocrj'* 
Foincaré,  Painïevé,  Hadamard.  pour  n'en  citer  que  quelques-uns.  ^ï*^^ 
ou   ne    rendrait  pas  Taspect  du   congrès  si  Ton  ouliliaît  l'élépent 
féminin  qui  en  constituait  une  fraction  noiabie  —  il  s'est  élevé  c^rtâîM 
jours  à  près  d*un  tiers  de  l'auditoire,  —  et  qui  a  participé  irèsefîesf* 
tivement  au  travail,  puisque   les  deux   secrétaires  de  la  section  ^^ 
morale  étaient  Mlles  Baertscbi  et  [larlu.  Si  ré^allsatiou  des  hoJlLtitei 
et  des  femmes  doit  trouver  quelque  part  un  terrain  favorable,  il  eit 
naturel  que  ce  soit  avant  tout  dans  une  science  ausâi  rationaliste  <^ 
aussi  peu  conservatrice   que  la  philosophie,  Ëufin  un  assez  ^t%d 

I.Je  mentionnerai  seuîement,  en  attendant,  les  mémoire!!*  suivaals  :  M.  Buii.îon. 
Sur  tu  sanviion  murale;  M.  Darlu,  Httpporl  de  la  uiofnh  H  d^  ta  ryli^njn.  ■' 
M*  Siiuniel  fabsenî^  mais  lu  par  M,  lîalévy^,  Théorie  de  lu  i'iimuJixjfHfiCf  ^'Hf 
i^!eu.ie;  M,  Parodi,  Sur  ie  proffr-èx;  M.  Eveil i n,  ,*îMr  Itn^nî;  M.  Chdllerj»*  £^ 
méthodt'^  fîénéraies  de  la  philomphitr  hindoue  \  M*  Paul  Tanaery,  Sur  tes  prmtijxf 
lie  ia  nuture  ches  AnstQle:.  M-  Del  ho  S,  Sut'  ta  critiffue  kantienne  et  la  p^rj^cA*- 
tof/îei  M.  Halévy,  La  méthode  en  pHijvholoffie;  >L  Brunsclivtc^,  t^^idéak*^ 
^contemporain;  M,  ScbrOder,  Sur  la  lùf^iqne  atgont/imiffuei  M^  Vail^ti*  HatDiFf 
de  ta  ctiiisi/ieation  des  sciences 't  JL  P«!ino,  Les  déjinitions  mfithrmidiq*iti\ 
M*  Miiliaud^  Les  origines  du  entent  infinitéaipial;  M.  Le  Roy^  Sur  ta  nuiurt  i^ 
vét*ité$  scieriti/iques^  Je  r«^fretle  de  ne  pouvoir  matèrielleaient  en  ctlerdaviu* 
tai^e,  car  cette  lîsle  est  loin  de  contenir  tou(  ce  qui  a  éié  prwluit  dMatéftswii^ 
dans  rus  réunions  spécial  es ,  <]ui  puisaient  un  allrait  particulier  dans  te  noiiil^i*^ 
relativemeat  restreint  des  auditeurs. 


LALANDE.    —  CONÇUES   L^TËIlXVTlftNAL   DE   PHiLOSOPHfE 


4S3 


nûn>bre  d'ecclésiastiques  ont  apporté  des  communie atiûns  et  prie 
pnrt  ai IX  discussion '^^  :  le  R.  P.  Bulîiot,  professeur  à  l'Institut  catho- 
lique; M*  ralïbé  Ackermaian.  professeur  de  philosophie  au  collège 
St»inifllas;  le  R.  P.  Schlinkcr,  des  Frères  prêcheurs. 

La  séant;e  proprement  dite  B*est  ouverte  sous  la  présidence  de 
XL  BOUTHOUx,  président  général  du  Congrès»  qui  a  pris  la  parole 
pour  en  exposer  le  but,  souhaiter  la  bienvenue  aux  adhérents  étran- 
gers,  et  les  remercier  de  leurs  concours,  U  rappelle  qu'en  \Sb't,  lors 
de  la  première  Expositiou  uîuver-ïelle,  Renan  exprimait  la  crainte 
que  ïa  construction  du  palais  de  Tlndustrie  ne  fût  un  symptôme  de 
déchéance  intellectuelle,  et  la  fête  de  la  matière  aux  dépens  de 
Pesprit,  Il  eût  été  heureusement  surpris  s'il  avait  pu  voir  la  cinquième 
de  ces  Expositions  provoquer  un  congrès  philosophique  International, 
et  s*il  avait  pu  constater  le  triomphe  que  Favenir  réHervait  au  culte 
de  l'idée  dans  de^*  sociétés  en  apparence  tout  occupées  d'intérêts 
matériels. 

t  Après  ychellinjçr  et  Hegel,  un  divorce  profond  avait  eu  lieu  entre  la 
science  et  la  philosophie,  jusqu'alors  nâsociées.  La  philosophie  mépri- 
sait la  science,  et  la  science  prétendait  à  se  passer  de  la  philosophie* 
Il  n'aurait  pu  être  question  de  travail  collectif  alors  que  chaque  phi- 
losophe croyait  posséder  dans  sa  conscience  individuelle  la  totalité 
des  conditions  de  sa  recherche.  Mais  aujaurd'hui,  cette  situation  est 
bien  chauffée  :  d'une  part,  la  philosophie  s'est  rapprochée  des  sciences 
cji  les  voyant  atteindre  et  résoudre  les  problèmes  réels  et  vivants  dont 
elle  ne  peutse  désintéresser  ;  et  réciproquement  les  savants  ont  éprouvé 
le  besoin»  après  l'enthousiasme  que  la  science  pour  la  scienca  avait 
d'abord  provoqué*  de  compléter  leur  oîuvre  et  de  lui  donner  un  sens 
général  par  une  synthèse  philosophique  des  conclusions  fragmentaires 
qu'ils  avaient  déjà  établies. 

La  phiioaophiCp  dans  cette  association,  n'a  pas  perdu  son  caractère 
pour  devenir  un  simple  prolongement  de  chaque  science  positive.  Elle 
les  dirige  autant  qu'elle  les  continue,  C*est  ainsi  que  la  psychologie 
s'est  renouvelée  en  se  rattachant  à  la  science  biologique:  mais  elle 
n*en  a  pas  moins  gardé  sa  méthode  propre,  et  loin  de  chercher  seu- 
lement, comme  la  physiologie  ou  l'anatomie,  a  trouver  dans  le  simple 
la  raison  du  composé,  elle  est  au  contraire  orientée  plus  que  jamais 
clans  le  sens  linaliste,  qui  explique  les  éléments  eux-mêmes  par  leur 
synthèse.  Il  en  a  été  de  même  de  la  théorie  de  la  connaissance  :  elle 
prend  pour  matière  de  ses  études  les  sciences  telles  qu'elles  existent 
et  les  concepts  qui  les  constituent,  mais  elle  tente  de  rendre  compte 
de  ces  concepts  en  les  considérant  comme  des  compromis  entre  les 
dannéas  matérielles  de  la  connaissance  et  les  lois  pures  de  la  Raison. 
La  politique,  devenue  positive  et  philosophique  sous  le  nom  de  socio- 

^ie»  emprunte  aux  sciences  de  la  matière  toutes  les  informations 

l*eUes  peuvent  fourni r^  et  néanmoins  ne  se  perd  pas  en  elles»  parce 
qu'elle  garde  pour  caractère   propre  de  chercher  non  comment  les 


484 


REVUE   PHILOSOPHtQDB 


parties  déterminent  le  tout,  mais  comment  le  tout  détermine  les  par- 
ties. Enfin  la  morale,  la  logique,  la  métaphysique,  rhisloire  de  b 
philosophie  ont  suivi  la  même  marche  en  se  rapprochant  des  faits  el 
en  fl'en  nourrissant. 

Un  congrès,  dès  lors,  devenait  opportun.  Bans  sHdentiGer  mi 
savants,  les  philosophes  ont  acquis  du  moins  quelques-uns  de  leurs 
caractères  :  comme  eux  ils  cherchent  désormais  une  vérité  humaine, 
et  non  pas  une  satisfaction  individuelle.  Ils  doivent  donc  aussi  comme 
eux  procéder  à  un  travail  collectif,  bénéficier  de  la  division  des 
recherches  et  faire  converger  leurs  efforts.  Sans  doute,  chaque  partie 
de  la  philosophie  tend  à  se  poser  comme  un  tout,  à  se  conaidéfer 
comme  le  centre  de  la  pensée;  en  ce  moment  même  la  psychologie, 
la  sociologie  sont  constituées  en  congrès  spéciaux.  Mais  cette  sëpa* 
ration  n'est  poafible  que  matériellement;  intellectuellement^  elk 
serait  une  anarchie.  Il  n'y  a  de  vérité  philosophique  que  si  louslei 
éléments  qui  peuvent  y  concourir  sont  compris  et  accordés,  de  telle 
iorte  qu'on  y  perçoive  une  harmonie  et  qu*un©  unité  s*en  dég-a^. 

Il  n'a  pas  disparu  de  Tàme  humaine,  ce  besoin  de  voir  les  choses 
au  point  de  vue  universel  qui  animait  les  grands  philosophes  d'sutre- 
fois<  Nous  aspirons,  nous  aussi ^  à  juger  au  point  de  vue  du  tout.  Une 
telle  philosophie  peut-elle  se  constituer?  Pour  y  aboutir  il  faudrait 
tout  savoir,  et  qu'un  seul  homme  put  faire,  comme  le  voulait  Des- 
cartes, la  synthèse  de  cette  multiplicité.  Toute  la  science  dani  ufl 
seul  esprit j  tel  est  le  postulat  de  la  philosophie.  N'est- il  pas  contradic- 
toire avec  la  limitation  de  nos  forces  individuelles  et  le  développe^ 
ment  presque  infini  de  la  matière  qu'elleâ  devraient  embrasser! 

Mais  ce  rêve,  qui  semble  absurde^  une  association  d'^hommes  peut 
le  réaliser.  Les  réunions  matérielles  rapprochent  aussi  les  iotelii- 
genees;  les  âmes  communiquent  presque  directement  quand  elles 
peuvent  le  faire  par  la  parole  vivante.  L'enveloppe  du  moi  s'amiaoïtt 
tend  a  s'évanouir.  Eîn  ces  consciences  distinctes  se  forme  un  esprit 
commun»  Nos  devanciers  ont  créé  la  conscience  de  la  famille,  data 
trihu,  de  la  cité  :  il  nous  appartient  de  créer  la  conscience  humaine. 

C'est  elle  qui  formera,  avec  la  masse  des  connaissances  positiveir 
la  synthèse  philosophique  de  l'avenir.  En  préparant  son  avènementi 
nous  ne  travaillons  pas  seulement  pour  l'intelligence  pure«  Aristolc 
opposait  avec  profondeur  la  véritable  amitié,  fondée  sur  une  peniél 
commune,  à  Talliance  égoïste ,  fondée  sur  la  solidarité  des  intérêts. 
Lorsque  des  hommes  pensent  vraiment  en  commun»  leurs  volonl*^* 
se  mêlent,  et  deviennent  une  même  volonté.  Organisé  pour  Taviii' 
cernent  des  sciences  philosophiques,  notre  congrès  servira  non  pi^ 
seulement  à  cette  fin,  mais  encore  à  constituer  entre  nous  une  famille» 
image  et  foyer  de  cette  amitié  vraie  que  nous  devons  souhaiter  de  voif 
se  propager  parmi  les  hommes,  n 

Il  est  à  peina  nécessaire  de  dire  combien  ces  hautes  pensées,  qui 
répondaient  au  sentiment  presque  unanime  des  auditeurs,  otit  ^* 


LALAffDE.    —   dONGRÈS  I^TERKAÎIQNAL   DËl  PHILOSOPHIE 


485 


It 


chaleureusement  accueillies*  M.  GEJtEit,  profêBseur  à  T Université 
d*Up8al,  8* est  fait  l'interprète  des  élranç^ers  en  remerciant  le  président 
et  le  Comité  d^organisatioii.  Il  a  soulevé  à  son  tour  de  vifs  applaudis- 
sements en  ee  félicitant  de  cette  organisation  nouvelle  qui  tendait  à 
Me  constituer  au-dessus  de  toutes  les  différences  nationales^  «t  et  même 
kle  tous  les  préjugés  nationaux  ■. 

"     Bous  la  présidence  de  M.  J.-J.  Gourd,  professeur  à  TUniversité  de 
Genève,  îuretit  ensuite  abordées  les  questions  d'enseignement. 

M.  EvËLLiN  lit  d'abord  un  mémoire  sur  Féducation  morale  et  son 
but.  Les  traits  dominante,  en  ce  qui  concerne  renseignement  de  la 
philosophie,  sont  Ifis  suivants  :  réserver  exclusivement  les  études  de 
théorie  pure  aux  Unîversitési  comme  on  le  fait  d'ailleurs  dans  la  plu- 
part des  pays  d'Europe*  Au  lycée,  commencer  de  bonne  heure  lacul- 
turc  morale  de  Tenfant  par  des  procédés  pratiques^  l'entretenir  par 
une  discipline  pédagogique,  consistant  à  subordonner  toujours  forte- 
ment la  curiosité  intelk-ctuelle  et  même  le  sentiment  du  beau  à  la 
valeur  morale  des  choses  enseignées.  Traiter  enfin  dana  la  classe  de 
nhito&ophie   les  problèmes    éthiques   méihodiquement  et   systémati- 
■quement  :  cette  étude  sera  féconde  si  la  préparation  qu'a  subie  Télève 
dans  tout  îe  cours  de  ses  études  lui  permet  de  répondre  à  des  senti- 
ments actifs  et  d'éveiller  dans  Tâme  des  échos  profonds.  Miiis  même 
en  philosophie  —  et  c'est  là  le  point  le  plus  original  de  la  thèse  sou- 
tenue par  M*  Evellin  -^  il  conviendrait  de   aupprîmer  toute  théorie 
-pure,  de  laisser  au   second  plan  les  longues  spéculations  qui  sont 
Kujoard'hui  en  usage  sur  la  nature  du  Bien,  et  qui   ne  servent  qu'à 
entamer  la  foi  morale  des  enfants.  Au  lycée,  les  principes  doivent 
demeurer  hors  de  discussion.  Ce  qui  doit  former  le  corps  de  IVusei- 
gnement,  c'est  avant  tout  Tanalysc  des  devoirs»  tiréa  des  quelques 
principes  que  tout  le  monde  accorde  et,  ce  qui  serait  le  plus  utile 
>ur  la  formation  du  jugement,  l'analyse  et  la  solution  des  conJlits 
|ui  s'élèvent  entre  plusieurs  sortes  de  devoirs. 

M.  DaRlu  répond  à  cette  communication  et  défend  les  idées  con- 
raires*  Il  faut  raisonner,  dit-il,  non  pas  à  priori,  car  les  possibilités 
>fit  en  nombre  inlini,  mais  à  posteriori.  Ë)t  si  Ton  part  ainsi  des  faits, 
aboutira  à  d'autres  conclusions  :  1^  Sane  doute  la  classe  de  philo- 
sophie française,  avec  son  caractère  d'enseignement  supérieur^  est 
une  exception  parmi  tes  systèmes  pédagogiques  européens*  Mais  une 
Dhose  est  certaine,  c'est  que  cette  classe,  dans  la  plupart  des  lycées, 
st  ilurissante;  Il  s'y  manifeste  une  vie  spontanée  qu'il  serait  mauvais 
le  détruire.  La  classe  dirigeante,  qui  s'y  forme,  a  besoin  de  réllét^hir, 
;  comme  elle  ne  fréquente  pas  l'Université,  elle  ne  rénéchiratt  jamais 
ms  cela,  —  2^  Leâ  principes  seuls  peuvent  être  enseignés  :  on  excite 
yp  les  passions  en  discutant  les  applications.  D'autre  part^  les  jeunes 


486 


REVUE  FBfLOSOPBlQtJE 


gens  de  cet  âge  ont  précisément  une  tournure  d'esprit  métaphysrq 
à  laquelle  il  est  utile  et  éducatif  de  fournir  un  aliment  approprié. 
d^  Enfin,  il   faut  alléger   les   pro^ammes;  si  Ton    tient   compte 
nombre  de  cours  que  peut  faire  matériel  le  meut  un  professeur,  et  doi 
plusieurs  doivent  nécessairement  se  faire  suite  pour  développer  co 
plètement  une  question  et  permettre  aux  élèves  d'en  assimiJer  J 
éléments^  on  verra  que  le  plan   d'études  actuel  est  d«ux  lois  troj 
étendu.  Il  y  aurait  donc  lieu  de  conserver  seulement  d'mie  part» 
théorie  de  la  connaissance,  comprenant  la  philosophie  des  soîeace' 
et  de  Tautre  la  philosophie  morate,  comprenant  la  psychologie  qui  s 
rattache*  On   supprimerait  ainsi  îa  logique  formellep  la  psycholosrie 
c:cpérifnentalei  re&théiique,  Thistoire  de    la  philosophie   et  la  mèu^ 
physique  en  tant  qu'étude  séparée. 

L'histoire  est  attaquée  plus  fortement  encore  par  M.  Brukschvjcg, 
car  on  ne  peut  renseigner  que  très  superficiellement,  et  dans  ces  mti- 
ditions,  elle  n'excite  que  le  scepticisme.  Elle  est  défendue  )âar  M.  Padoàf 
qui  rappelle  qu'en  Italie  la  classe  de  philosophie  existe  comme  en 
France,  et  qui  craint  de  trop  dogmatiser  les  élèves  par  un  enseigne- 
ment ofUciel  :  rhistoire  u  toujours  été  le  grand  facteur  de  l'esprit  cri* 
tique.  M.  Boutroux  pense  aussi  qu'on  doit  la  maintenir,  quoique  pour 
des  misons  un  peu  difTèrentes  et  dont  il  trouve  un  bon  résumé  ûêU 
ces  lignes  do  M.  Vailati  :  <t  II  ne  faut  pas  croire  que  raccumukticn  des 
connaissances  de  génération  en  génération  soit  un  motif  sufUsant  é& 
nous  juger  intellectuellement  supérieurs  a  tous  nos  devanciers,  de  penser 
que  les  grands  esprits  du  passé  n'ont  par[é  et  écrit  que  pour  leurs  coD- 
temporai na,  et  que  nous  n'avons  plus  rien  à  apprendre  en  les  étudiant.  • 

Le  R.  P*  Bull  tôt  voudrait  alléger  les  programmes  en  réduisant  tous  les 
systèmes  à  un  petit  nombre  de  types  qui  donneraient  aipc  élèves  une 
idée  suftîsante  de  la  diversité  des  esprits.  ^  \L  Ivanovski  rappelle  qtie 
dans  ces  gymnases  russes ^  la  classe  supérieure  ne  comporte  actuelîa- 
ment  qu'une  heure  de  logique,  mais  que  la  classe  de  philosophie  à  I* 
française  y  a  e^tisté  autrefois,  qu'on  en  demande  le  rétablissemênul 
que  pour  sa  part  il  le  jugerait  souhaitable,  surtout  en  ce  qui  coucerni 
renseignement  de  la  morale.  —  Enfin  M.  Leclere  a  fait  observer  qu'il 
n*y  avait  peut-être  pas  lieu  de  réformer  le  programme,  puisque  en  réa- 
lité les  professeurs  n'en  faisaient  jamais  que  ce  qu'ils  voulaient.  ^1 
qu'il  leur  permettait  fort  aisément  d'enseigner  suivant  leur  individua- 
lité, —  Le  fait  est  assez  vrai;  mais  n'est-ce  pas  précisément  une  de* 
situations  les  plus  malsaines,  au  point  de  vue  de  cette  éducation  morale 
dont  parlait  un  peu  auparavant  M.  Evellin,  que  d'avoir  des  règlemefll* 
et  de  ne  pas  les  appliquer?  Qu'on  les  supprime  ou  qu'on  les  suive. fi^'^ 
ne  force  à  multiplier  les  lois;  mais  il  n'y  a  pas  d'esprit  social  saosl^ 
respect  de  celles  qui  existent* 

M,  CoUTun AT  parle  ensuite.  «  On  veut  faire,  dit-il,  deshomraesetdw 
eitoyeuB*  Pour  cela,  deux  sciences  pratiques  sont  easentieUes:  l» 
logique  et  la  morale.  Sacrifîona  leur   résolument  le  reste«   Histoim 


LALAHDE,   —  CONGRIvS  INTERNAtlONAL  DE   rKII.0SOl»H)E 


487 


■ 


I 


psyehoïogîe,  métaphysique  sont  sans  doute  intéressantes;  mais  puisque 
nous  sommes  tous  d'accord  quMl  faut  alléguer  le  programme,  nous  ne 
pouvons  pas  espérer  n'en  retrancher  que  des  non-va!eurs.  Dans  la 
logiqueeiie-mème,  il  faut  simpiitîer  les  choses,  abandonner  ]a  logique 
formelle,  qui  n*a  point  de  valeur  pratique,  ne  conserver  qu'une  logique 
des  sciences  aboutissant  à  la  théorie  générale  de  la  connaissance  et  à 
la  cosmologie.  Dans  la  morale,  môme  méthode  :  o[i  retiendra  surtout 
la  morale  appliquée,  la  morale  sociale  et  la  philosophie  du  droit.  C'est 
une  partie  de  l'enseignement  qu'on  ne  doit  pas  négliger  et  quon  ne 
négligerait  pas  sans  péril  dans  le  pays  qui  a  proclamé  les  droite  de 
rhomme*  Ainsi  les  jeunes  gens  sortiraient  do  la  classe  de  philosophie 
pourvus  d'un  viatique  solide:  Tesprit  critique,  fruit  de  la  logique;  les 
principes  de  la  conduite,  formulés  par  la  morale.  Un  pareil  système 
repondrait  à  tous  les  adversaires  avoués  ou  cachés  de  notre  enseigne- 
ment, justilierait  le  maintien  de  la  classe  de  philosophie  au  faite  des 
études  classiques,  et  serait  â  Fabri  du  reproche  de  former  des  scepti- 
ques ou  des  songes-creux,  w 

J*ai  résumé  avec  quelque  détail  cette  nette  et  solide  exposition,  qui 
a  paru  faire  impression  sur  le  congrès,  et  à  laquelle  je  ne  puis  que 
m'assoeier.  Tai  fait  toutefois  remarquera  M,  Couturat  que  les  notions 
d'esthétique,  qui  llgtiraient  à  l'ancien  programme^  ne  devraient  pas 
être  exclues  de  celui-ci.  En  premier  lieu,  Festhétique  est  par  sa  nature 
même  tout  â  fait  analogue  k  la  loLique  et  à  la  morale,  et  forme  avec 
elles  un  groupe  complet,  qu'il  semit  regrettable  de  démembrer  pour 
économiser  quatre  ou  cinq  leçons.  Mais  cette  raison  de  symétrie  serait 
encore  peu  de  chose  :  il  faut  peser  aussi ^  au  point  de  vue  même  qu'in- 
diquait M.  Couturat,  la  valeur  éducative  de  quelques  principes  solides 
sur  la  véritable  beauté,  pour  des  jeunes  gens  assaillis  dès  l'école  par 
tant  de  productions  lucratives  dont  les  auleurs  ou  les  interprètes  récla- 
ment  le  respect  au  nom  de  «  l'Art  »,  et  qui  sont  un  des  facteurs  les 
plus  actifs  de  l'aveulissement  moral  contemporain* 

M.  Farodi  Ut  un  mémoire  de  M*  le  sénateur  CaKTONî,  professeur  à 
rUniversité  de  Pavie,  qui  propose  de  supprimer  l'histoire  de  la  philo- 
sophie dans  l'enseignement  f=econdaire  et  d'établir  dans  toutes  les 
Universités  cinq  chaires  fondamentales:  Psychologie  générale,  Logique, 
Morale,  Pédagogie.  Histoire  de  la  philosophie,  qui  s'accompagneraient 
de  chaires  accessoires,  créées  momentanément  pour  les  hommes  qui 
auraient  quelque  compétence  spéciale. 

Enfui  le  H*  P.  Bclliot.  s' appuyant  sur  cette  idée  reconnue  par  tous 
que  la  science  est  le  point  de  départ  commun  de  toute  philosophie, 
a  défendu  fortement  les  droits  de  la  culture  scientifique.  Il  cite 
r exemple  très  instructif  de  rinstîtut  catholique  de  philosophie  de  IjOU- 
vain^  comprenant  trois  années  d'études,  et  où  les  étudiants  sont  divisés 
en  deux  catégories  :  ceux  qui  n'ont  point  de  goût  pour  les  sciences 
entrent  dans  la  branche  pratique  comprenant  des  cours  accessoires 
détaillés  d'histoire  et  de  sociologie;  ceux  qui  ont  l'esprit  scientifique 


488 


REVtJB  PHILOSOPHIQUE 


forment  la  branche  spéculative  :  pendant  trois  ans,  Us  reçoivent  un 
enseignement  mathématique,  phytique  et  naturel  très  complet: lisant 
des  laboratoires^  dea  Balles  de  maotpulatîonâ  et  de  dissection  qa'jk 
sont  astreints  à  fréquenter,  et  ils  finisBcnt  ainsi  par  acquérir  des 
connaissances  techniques  comparables  à  celles  de  nos  étiidiâaU  es 
sciences. 


in 


La  séance  générale  de  Logique,  a  été  fort  intéressante*  raaia  très 
hétérogène  dans  ks  communications  et  non  moins  décousue  dans  les 
discuasions^  qui  chevauchaient  l'une  sur  Tautre,  dégéDéraîent  par 
moments  en  conversations  particulières  des  orateurs,  et  tlnisaaieEit 
d'une  façon  plus  brusque  que  satisfaisante*  Les  raéthodologistes  min- 
quent  un  peu  de  respect  pour  la  méthode;  mais  c*est  toujours  l'effet  de 
la  familiarité, 

BfL  le  pi-ofesseur  Moritz  Cantoh  Occupe  d'abord  le  fauteuil,  et  doant 
lecture  d'une  conférence  sur  les  origines  du  calcul  inlinitésimal  depuis 
l'antiquité  jusqu'à  l'époque  de  sa  constitution  définitive*  M,  Oantor 
écrit  et  parle  parfaitement  le  français,  et  dans  un  style  qui  cWpis 
dépourvu  d'oiégance.  «  Le  calcul  inliniti^siraal,  dit-il,  comprend  deui 
parties,  le  calcul  intégral  et  le  calcul  différentiel.  L'intégral  est  de 
beaucoup  rainé,  mais  son  cadet  Ta  si  bien  dépassé  qu'il  aura  miinte- 
nant  fort  à  faire  pour  défendre  son  droit  d'ainesse  et  se  remettre  sur 
le  même  pied  que  lui. 

On  sait  que  les  anciens  connaissaient  la  méthode  des  limites  et  «e 
faisaient  par  conséquent  une  idée  nette  de  la  cotitinuité.  Euclideen^ 
donné  une  excellente  déiinition,  Archimède  a  trouvé  le  moyen  de 
mesurer  le  volume  d'un  ellipsoïde  par  la  limite  commune  de  deux  sys^ 
tèmes  de  cylindres  inscrite  et  circonscrits,  et  il  lui  arrive  fréqui^nî* 
ment,  par  exemple  en  calculant  l'aire  d'un  segment  de  parabole,  à'fi^* 
fectuer  des  calculs  destinés  à  trouver  la  somme  d'une  série  convergente 
prolong^ëe  à  l'infini. 

Mais  il  faut  arriver  à  une  époque  beaucoup  plus  moderne  pouf  lui 
véritables  origines  de  ce  calcul.  Au  xni'  siècle  on  trouve  Texpressiû'^ 
de  fluide  appliquée  à  la  continuité.  Thomas  de  Bradwardin  a  composé 
un  traité  du  continu  permanent  et  du  continu  variable,  où  est  exposée 
la  distinction  classique  de  Tinlini  et  de  Tindéfini^ 

Le   véritable    initiateur  des   nouvelles  conceptions   fut  cependant 
Nicolas  Ûresme.  On  employait  déjà,  à  son  époque,  dans  les  uûiversitéii 
une  sorte  de  géométrie  des  coordonnées  dont  on  pourrait  faire  remonttî 
l'origine  première  à  Apollonius,  et  qui  consistait  à  étudier  les  rapports 
de  la  longilude  (abscisse)  et  de  la  latitude  [ordonnée)  pour  les  difîê~ 
rents  points  d*une  courbe  rapportée  à  deux  axes  rectangulaires,  et 
notamment  d'un  quart  de  cercle^  Oresme  étendit  même  cette  analyse 


LALAHOE.    —  CONGAÊS   IRTfiHNATIOnAL   »£   PillLO!;0)>HIC 


48fl 


I 


» 


I 


à  la  parnbole  et  aperçut  le  principe  si  fécond  de  la  variation  impercep- 
tible de  l'ordoiinée  aux  environs  des  maxttnn  et  rainima, 

Viète  a  dé  Uni  la  circonforenee  comme  un  poly^^^one  d'un  nombre 
infini  de  côtés  avec  Fun  desquels  se  confond  la.  tanj^ente.  Kepler  étendit 
cette  inâme  idée  à  hi  sphère  et  à  ses  pîanâ  tangi?nts,  puis»  dans  sa  Notm 
Stereometria  doliorum,  à  tous  les  corps  de  révolution.  Il  précisa  à 
propos  des  mêmes  prûblcnies  la  n-marque  d'Opeime,  et  peut  être  con- 
sidéré comme  le  vrai  fondateur  de  Tanalyse  des  maxtma  et  mini  ma. 

Cavalier!  publia  en  16:17  sa  géométrie  des  indivisibles,  qui  mérite- 
rait, dît  M.  Cantor,  le  prix  d'obscurité,  Fluero  y  est  encore  employé 
pour  marquer  la  variation  continue, 

Deacartes  précise  le  problème  des  tangentes  qui  devait  din'enîp  le 
point  d'attache  du  calcul  différentiel  et  lui  donne  par  sa  méthode  la 
forme  algébrique  qu'il  a  gardée.  Fermât  va  beaucoup  plus  loin  et  pousse 
si  loin  la  théorie  des  niaximaqu*on  peut  déjà  trouver  dans  ses  œuvres, 
à  condition  de  traduire  ses  formules  en  langage  moderne,  le  principe 
de  Tannulation  de  la  dérivée-  Uoberval,  par  une  idée  plus  ingénieuse 
que  pratique,  considère  le  mouvement  par  lequel  un  point  décrit  une 
iïourbe  comme  la  résultante  de  deux  mouvements  tels  qu'en  construi- 
mant  le  parallélogramme  des  vitesses,  la  tangente  en  soit  la  diagonale* 
Pascal  compléta  et  perfectionna  la  méthode  de  Cavalieri,  mais  aussi 
l'analyse  des  tangentes  de  Descartes,  et  par  là  doit  être  considéré 
eomme  ayant  apporté  une  contribution  très  effective  à  la  préparation 
du  calcul  infmitésimal;  une  de  ses  constructions  a  directement  inspiré 
Leibniz. 

Wallis  publie  en  lG6r>  ^on  arithmétique  des  infinis.  Barrow,  maître  de 
Newton,  suit  les  traces  de  Fermât;  M*  Cantor  lui  restitue  detinitive- 
mentH*  par  une  petite  discussion  de  teiLtes  assez  convaincante^  la  pro- 
priété de  la  célèbre  leçon  qu*an  a  voulu  lui  disputer  pour  en  faire  hon- 
neur à  Newton.  II  ajoute  qu'arrivant  à  Tépoque  même  de  la  création  du 
ealcuï  inrinitésimal  sous  sa  forme  moderne,  il  n  ira  pas  plus  loin  et  ne 
discutera  pas  les  mérites  relatifs  des  deux  inventeurs,  Sansdoute  Leibniz 
aurait  quelque  avantage,  d'abord  parce  qu'il  a  montré  plus  elairement 
la  réprocité  du  calcul  intégral  et  du  calcul  différentiel;  ensuite  parce 
que  3on  esprit  hautement  philosophique  rattache  les  principes  de  son 
analyse  h  toute  une  conception  du  monde.  De  là  vient  qu'il  les  a  saisis 
d*uii  seul  coup,  tandis  que  Newton  a  tâtonné.  Mais  entin  il  faut  recon- 
Qailre  h  que  chacun  de  son  côté,  ils  sont  entrés  dans  la  terre  promise  "* 

Cette  instructive  conférence,  bien  qu'elle  présentât  moins  un  carac- 
tère de  controverse  que  de  vulgarisation,  n'est  pas  sans  soulever  quel' 
ques  objections  ^  M,  Milhaud,  qui  a  fait  aussi  dans  une  des  séances  de 
i4fCtion  une  étude  sur  les  origines  du  calcul  infinitésimal,  relève  lapre- 
léffrace  que  M.  Uantor  donne  à  Fermât  sur  Descartes,  et  montre  que 


f.  Je  let  rétablis  ici  à  leur  ordre»  bien  qu'une  partie  s*en  soît  trouvée  rejelée 
Ipffes  la  communication  de  M^  Poincaréf 

TOMI  L.  —1900.  32 


l^lk 


490 


REVUE   PflILOSOPÏIIQDE 


les  raisons  de  gétiêralité  et  de  méthode  qui  rende ot  Fermât  supérieur 
il  Eoberval,  comme  Ta  reconnu  Torateur,  peuvent  aussi  s'appliquera 
ta  aupériorité  dti  Descartos  sur  FermaL  —  M,  Cantor  réplique  en  con- 
testant vivement  k  Descarles  la  création  de  la  géométrie  analytique,  il 
n'a  développé,  âolon  lui,  que  l'algèbre;  mais  il  n'a  môme  pas  coium 
l'équation  de  la  ligntî  droite,  tandis  que  Fermât  a  créé  Tidée  easen- 
tiôUe»  l'équation  des  courbes;  et  :si  Ton  veut  appeler  analyse re  qii a 
créé  Desearti^â^  on  dinraît  divv  alors  ri  qu'elle  se  trouve  déjà  partout* 
et  notamment  chez  Viète*  Cette  supériorité  de  Fermât,  sur  Descartea 
était  d'ailleurs,  dit-il,  l'opinion  de  Gauss,  —  M.  l'abbé  Ackermina 
proteste  contri'  cet  enlèvement  a  Descartes  de  la  géométrie  analytique. 

—  M.  Paul  Tannery  apporte  quelques  documents  nouveaux  par  la  lee- 
turtî  d'une  lettre  du  commentateur  de  Descartes,  Florimond  de  Beaune* 

—  Et  finalement  M*  Milhaud,  tout  en  déclarant  qu'il  n'a  pas  «  té  ton- 
vaincu  parles  arguments  de  M,  Cantor,  renonce  à  prolonger  ladiicui^ 
sion> 

M,  Heori  PoiNCARÉa  pris  pour  sujet  de  sa  communication  ilespnn- 
ctpes  ai'  in  méainiqne^  Les  Anglais,  dit-iU  ont  riiabitude  de  les  canai- 
dérer  empiriquement,  et  de  ranger  imtierenit^nt  la  mécanique  parmi  1«« 
sciences  expérimentales.  Sur  le  continent  Tusagi;  contraire  prévaut. Ni 
l'un  ni  l'autre  iVest  entièrement  justifiable.  Considérons  en  effet  quel- 
ques*uns  de  ces  principes,  celui  de  f  inertie  par  exemple.  Tout  (îorps 
sur  lequel  n'agit  aucune  force  persiste  indéfiniment  dans  son  état  de 
mouvement  ou  de  repos.  Est-ce  une  vérité  a  priorVi  On  ne  peut  i'atî^ 
mettre,  car^  en  ce  cas,  comment  les  Grocs,  qui  ont  ai  profondémeai  ani 
lysé  les  axiomes  géométriqueSp  auraient-il  pu  méconnaître  celui -là  ^^Û^' 
plus  nous  pouvons  constater  sur  nous-mêmes  que  la  proposition  n'est 
pas  nécessaire.  Nous  concevrions  aisément  nn  monde  tout  aussi  intel- 
ligible que  le  notre  et  dont  la  loi  serait  que  tout  corps,  aussitôt  nbufl- 
donné  â  lui-même,  conserve   indétiniment  la  position  où  il  se  troui^e. 

—  Dirons-nous  que  ce  principe  est  expérimental?  Mais  l'expénencc 
n'est  pas  possible  :  car  il  n'y  a  pas  de  moyen  de  s'assurer  que  le  eor|^$ 
sur  lequel  on  expérimente  n'est  soumis  à  aucune  force.  En  fait,  toii& 
les  corps  sur  lesquels  nous  expérimentons  sont  au  moins  soumis  &1* 
gravitation»  Parlera-t-on  d'éliminer  l'eiïet  de  ces  forces?  Mais  oîi  ne 
peut-être  sur  de  félîminer  tant  qu'il  n'est  pas  défini,  et  il  ne  peut  l'être 
tant  que  le  principe  de  l'inertie  demeure  en  suspens.  Quand  ûQ^^ 
voyons  un  corps  lancé  qui  continue  h  rouler,  rien  ne  peut  donc  nOïi* 
dire  dans  rexpériences'il  est  ou  s'il  n^est  pas  soumis  à  une  force,  puistjU@ 
nous  ne  jugeons  des  forces  que  par  leurs  effets.  L'expérience  ne  pe"^^ 
donc  ni  confirmer  ni  contredire  la  loi  d'inertie. 

Il  en  est  de  même  de  la  lai  /"=:  mg,  qui  n'est  que  la  définition  de  W 
force.  On  ne  peut  essayer  de  la  rendre  synthétique  en  assimilant  t* 
force  à  l'effort  musculaire,  car  il  s'agit  ici  de  sa  mesure,  et  la  seiîftatii>ti 
ne  donne  qu'en  apparence  des  degrés  dUntensité  mesurables*  On  n^ 
peut  non  plus,  comme  M.  Andrada,  la  ramener  â  la  notion  de  la  ino- 


LALANDE.   —  COr«GRÈS   INTERNATIONAL  DE  PHILOSOPHIE  491 

tion  par  un  fil,  qui  ne  coïncide  que  très  imparfaitement  avec  Tusage 
que  nous  faisons  de  la  notion  de  force  en  mécanique. 

Il  en  est  encore  de  môme  du  principe  de  Tégalitc  de  l'action  et  de  la 
réaction.  Il  ne  peut  ôtre  a  priori,  puisque  le  contraire  est  concevable; 
il  ne  peut  être  expérimental,  puisque  pour  le  prouver  ainsi,  on  serait 
obligé  de  réaliser  des  systèmes  isolés,  condition  matériellement  impos- 
sible. Il  reste  que  ces  principes  ne  soient  autre  chose  que  les  conventions 
les  plus  commodes,  mais  non  nécessaires,  dont  nous  pouvons  nous  servir 
pour  organiser  les  sensations.  <i  La  question  de  la  vérité  absolue  des 
principes  de  la  mécanique  n'a  donc  aucun  sens  ».  C'est  un  système  de 
notions  solidaires  les  unes  des  autres  et  au  moyen  desquelles  nous 
réduisons  au  minimum  les  corrections  toujours  réelles  qui  séparent 
les  mouvements  que  nous  percevons  dans  la  nature  de  la  prévision 
que  nous  pouvons  avoir  de  ces  mouvements. 

M.  Painlevé,  au  lieu  de  lire  son  mémoire,  qui  portait  sur  un  sujet 
analogue,  demande  à  présenter  quelques  objections  à  Si.  Poincaré  :  si 
plusieurs  systèmes  de  principes  sont  également  admissibles,  pourquoi 
adoptons-nous  celui-ci  plutôt  qu'un  autre?  Pourquoi  pas  celui  par 
exemple  qui  donnerait  pour  formule  à  l'attraction  la  raison  inverse  du 
cube  des  distances?  Parce  que  la  formule  mm'  :  d^  donne  des  correc- 
tions beaucoup  plus  simples,  de  même  que  le  schéma  de  Copernic 
donne  des  corrections  beaucoup  plus  simples  que  celui  de  Ptolémée.  Il 
y  a  donc,  indépendamment  de  nos  conventions,  un  ensemble  de  faits 
réels  avec  lesquels  elles  cadrent  plus  ou  moins  parfaitement,  qui  par 
conséquent  leur  communiquent  une  raison  d  être  indépendante  de 
notre  arbitraire,  et  qu  on  peut  appeler  leur  vérité. 

M.  Hadamard  rappelle  que  les  mêmes  vues  ont  été  soutenues  par 
Kirchoff  et  par  M.  Duhem,  et  conclut  avec  eux  qu'on  ne  peut  sans 
doute  vérifier  isolément  aucune  des  hypothèses,  mais  qu'on  n'en  peut 
dire  autant  du  système  total  des  hypothèses.  —  M.  Padoa  pense  qu'on 
pourrait,  par  une  critique  analoï^ue  à  colle  de  Kant,  distinguer  ce  qu'il 
y  a  dans  ces  principes  de  purement  logique,  qui  subsisterait  même  si 
la  matière  de  notre  connaissance  était  changée,  et  ce  qui,  directement 
ou  c-onventionellement,  n'exprime  que  la  nature  de  cette  matière.  — 
M.  RiBERT  enfin  essaie  de  porter  la  discussion  sur  un  nouveau  terrain 
en  se  plaçant  au  point  de  vue  du  réalisme  scientifique,  qui  prend 
comme  point  de  départ  l'idée  que  l'homme  est  nouveau,  et  que  la 
nature,  telle  qu'il  se  la  représente,  lui  a  préexiste.  Mais  M.  Poincaré 
n'accepte  pas  ce  nouveau  débat,  et  clôt  la  discussion  en  le  renvoyant  à 
la  section  de  métaphysique. 

Une  question  corrélative  sur  bien  des  points  est  attaquée  par 
M.  RussELL,  fellow  of  Trinity  Collège  (Cambridge)  :  Y  a-t-iî  dans  le 
temps  et  dans  l'espace  des  positions  absolues?  Dans  le  temps,  on  est 
obligé  de  l'admettre,  si  l'on  veut,  comme  l'expérience  paraitnooff  con- 
traindre, qu'un  même  événement  puisse  se  produire  deux  foif,  et  en 
fait  on  est  d'ordinaire  porté  à  le  reconnaître.  Dans  l'espace  on  pcBfle  aa 


49S  KEVU£  pnlLOS(»PHI(ÏU£ 

contraire  généralement,  avec  Leibniz  et  Lotze  qu'il  ne  saurait  y  avoir 
que  relativité,  c*est-à-clire  que  la  position  d'un  corps  n'est  qua  Vm- 
semble  de  ses  distances  aux  autres  corps.  Cette  théorie,  suitanl 
M.  Ruâsel,  est  inacceptable  :  un  angle,  par  exemple,  est  une  délenni- 
nation  absolue  ;  la  droite  elle-même  doit  être  considérée  comme  absolue 
pour  fixer  les  distances  qui  roiU  les  éléments  constitutirs  de  U 
théorie  relativiste  :  il  s'ensuivrait  donc  que  toutes  les  propoaitioni 
géométriques  prendraient  un  caractère  hypothétique. 

M,  CouTUBAT  prend  la  parole  pour  faire  ressortir  le  caractère  trca 
paradoxal  de  cette  opinion.  Il  rappelle  que  cependant  elle  a  pour  elle 
des  considérations  de  valeur  et  que  notamment  en  mécanique  ou  eit 
obli^^ë  d'admettre  des  axes  fixes  dans  U  théorie  des  corps  tournants. 
Quelques  obi^ervations  sont  présentées  par  MM.  Taudb  (sur  la  nature 
différente  de  respaceetdu  temps),  PoiNCAhE  (dans  le  temps  lui-même, 
la  position  n'est-elle  pas  uniquement  définie  par  le  rapport  à  eertaîofi 
antécédents  et  conséquents  déterminés?),  Akhé,  qui  demande  si  celte 
question  ne  se  confond  pas  avec  celle  de  robjectivité  et  de  la  subj^- 
tivilé.  Mais  M.  lîussell  ne  le  pense  pas,  et  répond  que  Kant  laî'mciïie 
a  admis  qu'il  y  avait  des  positions  absolues  dans  TcspaGe.  C'est  one 
question  d'analyse  indépendante  de  la  réalité. 

La  séance  s'est  terminée  par  une  eiposition  de  M*  Mac  COLLsyruû 
système  de  logique  symbolique  et  son  application  à  rexpresaion  dei 
probabilités.  Je  ne  crois  pas  utile  d'en  reproduire  les  notations,  cif 
cette  reproduction  serait  nécessairement  incomplète;  et  d'autre  pad 
elles  ne  peuvent  avoir  leur  valeur  et  leur  intérêt  que  si  Ton  étudie 
l'ensemble  du  système  et  les  opérations  qu'il  peut  servir  k  eiïectue^ 


IV 

Histoire  de  U  phliosophie.  M.  DouTflbDX  en  définit  robjet  et  U 
méthode.  La  variété  des  points  de  vue»  dit-il,  profite  à  ravanceiflfîQt 
de  la  science;  il  ne  faut  donc  pas  imposer  à  tous  les  travailleurs  une 
même  règle.  Le  seul  principe  inviolable  est  qu'il  existe  une  véritfl 
devant  laquelle  Tesprit  doit  faire  abnégation  de  ses  goûts  ou  desei 
opinions  :  le  respect  des  faits  et  de  la  logique  sont  les  seules  loi^ 
strictes  de  Thistorien, 

On  peut  cliercber  cependant  quelles  conceptions  sont  préférables «t 
répondent  le  mieux,  en  ^'énériil,  au  but  qu'on  se  propose.  L*hiBloire€iî 
objective,  et  pourtant  elle  est  un  choix^  car  on  ne  peut  ni  tontdiretD* 
tout  reproduire  simultanément  dans  Ja  multiplicité  de  ses  rapporiJ. 

Une  première  méthode  consisterait  à  chercher  en  tous  les  auteurs  c* 
par  quoi  ils  se  rapprochent  de  nos  idées  actuelles-  On  montrera'^ 
ainsi  comment  s*eat  formé  peu  à  peu  Ten semble  des  vérités  que  oûu* 
recevons.  —  Mais  cela  suppose  que  la  philosophie  est  une  scîefHî^ 
faite»  destinée  à  î^^accroitre  sans  grands  changements,  au  moins  i9>^ 
révolutions,   Or,  il  semble,  au  contraire^  qu'elle  soit  plus  que  io^^ 


LALÀNDE.    —  CONGHËS   INTERNATIONAL   DE   PUlLOSÛt^BtE 


493 


autre  sujette  à  des  corsi  e  ricomi  (Vico),  qui  la  renouveUerit  en  en 
reprenant  les  principea  de  fond  en  comble.  Telle  fut  la  révolution  kan- 
tienne, après  laquelle,  pur  exemple»  il  n'était  plus  possible  de  juger 
Locke  du  point  de  vue  qui  avait  été  celui  du  xviii*  siècle.  —  Et  pïus 
récemment  encore,  ta  devise  que  recommandait  /Seller  aux  nouvelles 
générations  n'étaitelle  pas  :  Rûchgnng  auf  Kant? 

Une  seconde  méthode  plus  sûre  est  donc  de  Juger  le  passé  en  lui- 
même,  de  traiter  de  chaque  écrivain^  en  se  plaçant  au  point  de  vue  de 
Fauteur  et  de  Tépoque,  De  cette  façon  on  peut  pénétrer  plus  avant 
dans  le  fait  étudié,  qui  est  la  succession  des  pensées  et  l'inilufince 
qu'elles  ont  exercées  Tune  sur  l'autre.  En  même  temps  aussi  on  rend 
plus  de  justice  aux  hommes  :  ic  Expliquer  un  écrivain  par  lui*môme  et 
pour  lui-même,  disait  Herder,  c'est  ce  qu'un  honnête  homme  doit  à 
tout  honnête  homme,  u 

A  cette  exposition  très  applaudie,  et  si  magistralement  illustrée  par 
les  applications  qu'en  a  faites  fauteur,  succède  une  communication 
lue  par  M,  J.-J.  GouRfj,  professeur  à  TUniversité  de  Genève,  et  qui  a  été 
une  des  maîtresses  pièces  du  Congrès.  Elle  a  pour  titre  :  a  Le  progrès 
dans  l'histoire  de  la  philosophie,  a 

«  Il  faut  sans  doute  iccon naître,  dit  M.  (lourd,  le  rôle  de  la  philoso- 
phie en  tant  qu'art  et  q«e  e^ymnastique  activant  les  fonctions  de 
Fesprit,  construisant  les  formules  du  monde  et  de  la  vie  les  mieux 
appropriées  à  notre  individualité,  et  nous  donnant  pour  nous-mêmes, 
sans  prétendre  à  runiversalité,  des  satisfactions  subjectives  dont  on  ne 
peut  contester  l'intérêt.  Il  y  a  cependant  en  elle  quelque  chose  de 
plus  ;  elle  contient,  sans  s*y  réduire,  une  part  considérable  de  pro- 
blèmes ohjectifs,  pour  lesquels  la  question  de  Terreur  et  de  la  vérité 
ae  pose  dans  les  mêmes  termes  et  avec  le  môme  sens  que  pour  la 
science*  C'est  le  progrès  de  cette  vérité  scientifique  que  je  veux  démon- 
trer. Ce  progrès  enveloppe  les  doctrines  dans  des  doctrines  plus  com- 
B^hensives  sans  en  supprimer  la  valeur  individuelle.  Il  est  lent, 
«Mieste,  il  a  des  (lux  et  des  reilux;  il  n'est  pas  frappunt  comme  celui 
de  la  physique,  mais  il  est  réel  cependant  :  nous  en  savons  plus 
qu*Aristûte,  même  en  philosophie,  sans  pour  cela  lui  être  supérieurs 
en  génie. 

Ce  progrès  peut  se  diviser  en  deux  ordres  de  faits  :  progrès  de  la 
philosophie,  1**  vers  la  science,  '2'^  dan^  la  science* 

Vers  la  science  :  caria  philosophie  est  de  moins  en  moins  mystique 
et  intuitive,  malgré  quelques  mouvements  de  recul  partiels,  et  tend 
au  contraire  de  plus  en  plus  à  une  forme  rationnelle,  donc  objective 
et  communicable^  Comme  la  science,  elle  sacrifie  toujours  davantage 
la  connaissance  <t  spontanée  ï>  à  la  connaissance  rélléchte;  nous  ne 
devons  pas  nnus  laisser  émouvoir  par  le  dédain  des  artistes  en  philo* 
■ophie  pour  les  doctrines  a  plates  u  :  elles  ont  du  moins  l'avantage  de 
pas  mettre  artificiellement  un  double  fond  à  la  réalité.  Comme  la 

iîence,  dont  la  loi  générale  est  la  coordination  par  similarité,  la  phi- 


494  REVUE   PHILQSÛpnmilB 

losophie  veut  aboutir  a  l'universel  et  au  nécessaire  :  le  concept^  inalra- 
ment  de  cette  assimilation/y  joue  un  tùle  croissant.  D'abord  mythique. 
poétique,  individuelle,  elle  devient  toujours  plus  démonstrative  et 
pîtis  raisonnante.  En  même  temps,  elle  se  soustrait  â  rautorité.  Res^ 
tant  indépendante  des  sciences  particulières^  elle  les  systématisPjiDais 
avec  leurs  procédés  et  dans  leur  esprit  :  pour  efTectuer  ce  travail  ûii 
Ton  a  apporté  tant  de  mystère,  H  n'est  besoin  d'autrea  concepts  tjue 
ceux  qui  se  dégagent  de  k  science  phénoménale  :  preuve  pour  Tidée 
de  Ja  Cause,  du  Tout,  du  RéeL  En  procédant  avec  celte  réserve  sévère 
et  méthodique-,  on  ne  laisse  en  dehors  de  ses  prises  que  de  pseudû- 
pro blêmes,  faits  de  ternies  équivoques  ou  de  questions  mal  posées  i.A 
philosophie,  en  délinitive,  devenue  la  science  des  processus  généram 
de  Tesprit  humain,  a  donc  progressé  verâ  la  scieni^-e  sans  rien  pfdre 
de  sa  grandeur,  ni  même  de  ses  ambitions  d*autrefois. 

Dans  la  science  :  car  ce  qui  était  d'abord  h  Tétat  de  problème  reçoit 
une  réponse  et  passe  à  l'état  d'échelon  pour  alîer  plus  loin.  On  dit  que 
la  philosophie  traite  toujours  les  mêmes  questions;  c'est  ineiacl  ;  elles 
se  transforment  et  se  précisent.  Exemple  de  la  manière.  De  nouvelles 
questions  se  posent  en  dépassant  les  anciennes  r  celle  de  l'o/j/e^  et  du 
sujet t  que  seuls  en  Grèce  les  sceptiques  ont  aperçue,  et  dont  ils  a'oat 
fait  qu*un  usage  oblique;  la  distinclîoo  de  l'ordre  théorique  et  ^* 
Tordre  pratique;  la  philosophie  de  la  religion,  qui  met  hors  la  loi  l'Ab- 
solu et  ses  dépendances,  —  On  dit  que  ce  sont  toujours  les  mêmes 
solutions  et  que  les  doctrines  reviennent  en  cercle.  C'est  encore 
inexact;  car  sous  ces  mêmes  noms  s'abritent  des  choses  nouvellÊ$<  1^ 
panthéisme  moderne  comprend  et  dépasse  le  panthéisme  grec.  Us 
doctrines  se  rectifient,  se  rapprochent  de  leur  type^  éliminent  îes  élé- 
ments qui  nuisaient  a  leur  pureté  ;  quel  progrès  par  exemple,  dans 
les  questions  du  déterminisme  et  de  la  liberté,  depuis  le  vague  et  b 
confusion  des  idées  anciennes  jusqu'aux  distinctions  précises  étsblÉÊt 
de  nos  jours!  —  On  dit  enfin  qu'il  y  a  toujours  autant  de  contradic- 
tions; mais  d'une  part  elles  ne  portent  plus  sur  les  mêmes  objets  et 
marquent  seulement  la  région  où  se  fait  le  travail  philosoptiiîi^ 
aetuel;  et  d  autre  part  elles  ne  sont  pas  inconciliables,  si  on  réfl^h'^ 
qu'une  doctrine  n'est  qu'une  vue  déterminée  prise  sur  k s  choses  et 
leur  transcription  d,ans  un  certain  langage. 

Pour  voir  se  concilier  ces  oppositions,  il  suflit  de  se  débarrasser  de 
la  grande  idole  :  Tidentité  de  l'objet  intelligible,  scienti tique*  avec  1^ 
réalité  même,  La  science  et   la  philosophie  s'éloignent  de  la  mattt*f^ 
qui  leur  sert  de  donnée;  elles  construisent  leur  vérité  comme  unescric 
de  cartes  à  di[lérentes  é(;.hellea.  On  peut  donc   disposer  suivant  uî3^ 
hiérarchie  les  vérités  qui  semblent  d'abord  contradictoires  et  qui  réel" 
lement  s'enveloppent  :  Tempirisme  est  au  premier  étage  ;  le  rationahsîï^* 
lui  succède  et  l'explique  :  ils  ne  peuvent  se  passer  l'un  de  Tautre;  ** 
rationalisme  lui-même  est  destiné  à  être  compris  et  absorbé  par  u^^ 
idéalisme  phénoméniste  qui  le  justifiera  en  le  dépassant.  Il  eu  est  d^ 


LALANDE.    —   CQISGHBS   1?«TEHN\TI0ÎÏAL   DE   l'HtlOSOPHtE 


495 


mèine  de  la  science,  de  la  morale,  de  la  religion.  Matérialisme  et  spiri- 
tualisme, liberté  et  déterminisme  ont  une  vt^rité  fixe  et  objective,  mais 
qu'on  ne  peut  reconnaître  qu'en  définissant  et  en  subordonnant  lea 
problèmes  auxquelles  ces  solutions  prétendent  répondre, 

Lfe  progrès  philosophique  concilie  donc  les  doctrines^  non  en  les  sup- 
primant, mais  en  leur  marquant  leur  place.  A  la  science,  la  détei^mi- 
nation*  A  la  religion,  tout  le  déchet  d'indétermination  non  moins  rcel 
qui  accompagne  cette  détermination.  A  la  morale,  la  vue  spintualiste 
de  Tùme  et  de  la  personne  morale  qui  n^empêche  pas  Je  matérialisme 
d'être  la  vraie  méthode  directrice  des  recherches  physiqties  ou  bio- 
logiques. A  chacun  iinaiement  de  choisir  sa  doctrine,  plus  ou  moins 
compréhensive  de  point  de  vue  inférieurs^»  en  choisissant  la  pLice 
qa*il  veut  prendre  dans  Tensemble  du  travail  humain.  ^* 

Personne,  je  crois,  ne  me  reprochera  d'avoir  analysé  avec  trop  de 
détail  ce  beau  discours,  dont  les  idées  rappellent  la  puissante  méthode 
de  conciliation  leibnizienne,  et  qui  n'a  cessé  d*ètre  accompagné  par 
une  chaude  sympathie  de  l  auditoire.  Bur  la  demande  de  M.  BauNsan- 
WIC&,  qui  le  prie  dé  préciser  sa  théorie  de  la  religion»  catégorie  de 
Jinconditionné  et  de  rindétermino,  si  opposée  à  l'idée  courante  de  la 
relit^ion.  dernier  mot  de  t 'intelligibilité  et  communication  avec  Tabsolu, 
M.  GOURO  résume  les  originales  conceptions  qu'il  a  exposées  dans  ses 
Trùîs  dialectiques^  et  que  je  ne  voudrais  pas  aUaiblir  en  les  réduisant 
ici  à  quelques  formules.  Elles  soulèvent  une  réclamation  courtoise 
du  R.  l\  OuLLiOTrft  Mais  que  faites-vous alurs  delà  cause  première l:*  s 
Et  M,  Gourd  ayant  expliqué  pour  quelles  raisons  la  philosophie,  qui 
ne  cherche  que  l'unilication,  peut  se  passer  de  ce  concept,  la  discussion 
tBe  va  pas  ^us  loin. 

Tout  le  reste  de  la  séance  a  été  consacré  à  Platon. 

M.  Bhochard,  qui  n'avait  pu  assister  au  Congres  a  envoyé  un  mémoire 
lur  «  le  Devenir  dans  la  philosophie  de  Platon  * .  M.  Halévy  en  donne 

abord  Tanalyse  :  il  comprend  cinq  parties  :  le  Démiurge,  Tàme  uni- 
jrerselle,  l'àme  humaine,  lamatière^  le  monde  physique.  Leur  ensemble 

rme  le  devenir»  qui  ne  laisse  en  dehors  de  lui  que  le  monde  des 
[dées.  —  Dans  cet  ensemble  assez  considérable,  M.  Halévy  choisit 
jKïur  en  donner  lecture  ce  qui  concerne  le  Démiurge  et  ce  qui  con* 
Berne  la  matière.  Sur  le  premier  point  M.  lîrochard  établit  que  Platon» 
[ont  la  sincérité  relig"ieuse  est  entière,  ne  considère  aucunement  son 
Oieu  comme  un  absolu  :  il  est  dilTérent  de  Tidée  du  bien,  ce  Dieu  du 
tftonde  intelligible;  il  n*eat  pas  d*avantage  le  lieu  des  idées;  il  est 
ïomme  tous  les  êtres  de  ce  monde  un  mélange  didées»  p^iUt  di^v  ; 
t'est  donc  un  être  relativement  inférieur,  comme  les  dieux  du  poîy- 
béisme  grec.  —  8ur  le  second  point,  il  réfute  Topinion  qui  rapproche 
latoQ  du  mécanisme  cartésien  et  qui  identifie  la  matière  avec  Vespace 
2eller)  ;  x^psi  EiSpot.  tùnoz  ne  sont  pas  Tespace  ;  ce  concept»  les  Grecs 
Savaient  sans  doute»  mais  le  désignaient  toujours  par  itÈvov.  La  matière 

donc    une    réahté    intrinsèque    :    elle    s'agite,    elle    résiste  à    sa 


Am 


BEVUE  PHILOSOPHIQUE 


formation  par  les  idées;  elle  en  est  comme  le  siège  ou  la  pkm  Rian 
de  plus.  Elle  c^at  formée  p-ir  la  combinaison  des  contraires,  ee  qtii  la 
met  dans  une  perpétuel  le  instabilîté.  Elle  est  donc  l'âîteritô  pure, 
r^iUre  analysé  danîi  le  Sophiste  comme  condition  du  même,  et  c'est 
parla  qu*elle  participe  aussi  aux  idées. 

Malgré  son  caractère  technique,  cette  communication  a  été  très  cha* 
leureusement  accueillie.  Lea  applaudissements  ne  s'adressaient  pM 
seulement  à.  la  forte  démon strat ion  qu'on  venait  d'entendre,  mais  aiî&si 
à  la  personne  de  réminent  professeur  dont  l'absence  invot  on  taire  était 
universellement  regrettée,  —  Lecture  fut  ensuite  donnée  d*un  mémoire 
de  M.  RiTCHiE,  professeur  à  T université  de  Saint  Andrews,  qui  d*accûr<J 
avec  Lutoslavski,  fixe  la  date  du  Farménide  peu  après  3*3"*  et  peatf 
qu*il  fut  écrit  pour  répondre  à  des  objections  d'Aristote,  —  M,  Coi^* 
TtJRAT  expose  ff  rÉvolution  historique  du  système  de  Pluton  i. 
Ce  mémoire,  qu'on  ne  pourra  se  dispenser  de  consulter  pour  9i 
mettre  au  courant  de  l'état  actuel  di^  cette  question,  résuma  tûuB 
les  travaux  les  plus  récents  et  en  particulier  ceux  de  Lulostavskif  U 
grand  vulgarisiiti^ur^  sinon  Pinventeur,  de  la  méthode  de  stati&tifïap 
verbah*  et  grammaticale*  M,  Couturat  fait  connaître  les  résultats  aut 
quels  ont  abouti  ces  travaux  :  la  négation  de  la  soi-disani  périmie 
éléatico-mégarique  de  la  pensée  platonicienne»  admise  courammeot 
sur  l'autorité  de  Zeljer  et  d'Ueberweg.  Trois  groupes  restent  alors 
bien  déOnis*  entre  lesquels  Tauteur  indique  la  répartition  df  s  dialoj^Qef 
et  dont  îl  définit  le  caractère  en  disant  que  Platon  a  passé  parle  pro- 
grès de  sa  pensée  n  du  dualisme  au  monisme^  de  Jldéahsmt*  au 
réalisme f  des  concepts  aux  nombres,  de  lu  dialectique  aux  matliéma- 
tiquca.  « 


La  séance  consacrée  à  la  métaphysique  et  à  la  philosophie  génémlr 
a  débuté  par  une  communtcation  de  M.  le  D'  IJOXNIEB  qui  avait  pour 
titre  :  «  Rapport  de  Fintuition  spatiale  avec  les  représentations  inl#l- 
lectuelles  >k  Ce  travail,  dont  le  titre  ne  donnerait  pas  une  idée  tant  • 
fait  exacte,  part  de  ce  principe  que  les  phénomènes  psychologiqutîi  nt 
sont  pas  autre  chose  que  des  mouvements  de  la  substance  cérébrale: 
que  rintelligence^  comme  dit  Tauteur^  ^  est  une  matière  de  eon^is^ 
tante  molle^  dont  la  température  se  maintient  aux  environs  de  liB^  » 
et  qu*en  conséquence  toute  pensée,  occupant  une  région  déterminée 
de  cette  matière,  a  nécessairement  un  caractère  spatial, 

M.  Hergson  a  parle  ensuite  «  Hur  Torigine  psychologique  de  noirt 
croyance  à  la  loi  de  causalité*  »  Problème  délaissé  de  nos  Jours,  dit  il 
après  avoir  été  fort  activement  débattu,  La  théorie  de  la  conuaîS9iui<ï* 
discute  plutôt  actuellement  la  sigaîlication  des  principes  qtie  l<Mir 
origine  dans  le  temps.  Cet  abandon  est  regrettable,  car  le  problème 
est  susceptible  de  solution. 


LALAIfDE.    —   CÛ?«ORJ^.S   INTERKATIOXAL   HE   PHILOSOPHIE 


497 


La  première  hypothèse  consiste  à  faire  créer  l'habitude  de  la  causîi- 
lité  par  U  régularité  des  successions  dans  les  objets  qui  nous  impres- 
sionnent; les  relations  internes  se  modèleraient  sur  les  relations  extor- 
ni^s,  N^iiisistons  pas  sur  les  objections  théoriques  qui  sont  reproduites 
partout,  mais  examinons  une  question  de  fait.  Notrt*  expérience  visuelle 
assiste-t-elle  à  des  Buccessions  régulières  de  phénomènes?  On  cite  tou- 
jours Texemple  de  ta  bille  qui  choque  la  bille  et  la  met  en  mouvement, 
0*est  qu'en  effet  il  ne  serait  pas  facile  d"en  citer  d'autres.  Le  nombre  des 
cas  où  nous  "voyons  des  phénomènes  se  succéder  réj^ulièrement  est  très 
restreint;  presque  toujours  rexpérience  donnée  présente^  au  contraire, 
des  lacunes.  Le  rapport  de  causalité,  tel  que  nous  le  concevons  aujour- 
d'hui, va  dans  Timmense  majorité  des  cas  d'un  phénomène  ru  a  un 
phénomène  suppo&é  ;  et  dans  bien  des  circonstances  ce  phénomène 
lui-même  n'est  pas  représenté  comme  antérieur,  maïs  comme  concomi- 
tant à  son  effet-  La  causalité  dépasse  donc  de  beaucoup  la  succession. 

Une  seconde  théorie  cherche  Torij^ine  de  cette  croyance  dans  la  con- 
science de  la  vie  intérieure.  C'est  par  exemple  le  cas  de  Maine  de  liiran. 
Mais  cette  conception  est  obscure  ;  elle  n'explique  pas  le  passage  de 
la  notion  à  la  loi  qui  afUrme  Tuniverselle  application  de  concept,  Dô 
plus,  comment  accorder  le  caractère  déterminé  et  nècessitîiire  du 
principe  de  causalité,  s*il  vient  de  la  con^sciencei  avec  la  croyance  si 
forte  que  nous  avons  d'autre  part  et  non  moins  spontanément  dans  la 
réalité  de  notre  libre  arbitre? 

Une  lroiHïèmelïypothè*?e  (*st  celle  de  Kant»  qui  met  Foriglne  de  la  loi 
de  causalité  dans  la  constitution  même  de  Tentendement,  condition  de 
TeApérience*  Mais  ce  n'est  pas  répondre  au  problème  que  nous  consi- 
dérons actuellement;  il  s'ag^it  de  l'origine  psychologique  de  notre 
croyance,  La  formule  kantienne  explique  la  acience,  non  la  représen- 
tation commune^  car  elle  ne  rend  pas  compte  de  ces  formes  naturelles 
de  ridée  causale,  que  la  science  au  contraire  nous  force  plus  tard  à 
abandonner, 

Cette  idée  comprend  donc  un  mélange  de  succession  et  de  concomi- 
tance, de  nécessité  et  de  contingence,  de  donnée  expérimentale  et  de 
forme  à  priori.  On  peut  cependant  sortir  de  ces  contradictions.  Bous 
sa  forme  primitive,  l'idée  de  causalité  est  anthropomorphique  :  elle  se 
constitue  parce  que  tïous  nous  interposons  entre  la  cause  et  TefTet.  On 
peut  résumer  cette  explication  dans  la  formule  suivante  .  «  L'acquisi- 
tion de  notre  croyance  à  la  loi  de  causalité  ne  fait  qu'un  avec  la  coor* 
dination  graduelle  de  nos  impressions  tactiles  avec  nos  impressions^ 
Tisuelles.  » 

En  efTét^  les  phénomènes  que  nous  associons  suivant  la  causalité 
ne  sont  pas  d'abord  des  phénomènes  auxquels  nous  restons  étrangers, 
comme  à  deux  couleurs  juxtaposées  dans  le  champ  de  îa  vision,  mais 
ceux  ou  notre  activité  intervient  :  par  exemple  Teffort  que  nous  faisons 
pour  suivre  des  contours  ou  pour  vaincre  une  résistance.  De  là  vient 
d'une  part  la  ressenibbnce  primitive  de  la  cause  avec  notre  volonté  ; 


498  REVDK   PHILOSOPHIQUE 

de  là  vient  aussi  cet  aspect  contraire  de  nécessité,  qui  résulté  de  [i 
construction  de  nos  habitudes  motrices.  Par  elles,  nous  devinoas  en 
voyant  une  forme  visuelle  les  mouvements  qu'il  nous  faudrait  accom- 
plir pour  en  réaliser  musculairement  le  poids  ou  les  cotitours,  Cei 
habitudes  sont  fortes,  car  elles  font  partie  de  notre  vie,  k  kquelk  lout 
le  corps  slntéresse.  Limpression  visuelle  étant  érigée  en  cause,  et 
Fimpression  tactile  en  effet,  la  détermination  de  Tun  par  Tautre  ni 
sentie  et  vécue  avant  même  d*être  pensée.  Nous  passons  ensuilede 
là,  par  analogie,  au  contact  de  cette  forme  visuelle  avec  un  corps  qui 
ne  sera  plus  le  notre*  Ainsi  s'expliquent  tous  les  caractères  apparents 
et  contraires  de  la  causalité  extérieure. 

Deux  remarques  peuvent  enfin  être  ajoutées  a  cette  analvie  :  h 
première  est  que  toute  éducation  d'un  sens,  eu  coordonnant  un  m- 
tème  d'impres!îïon3  déterminées  avec  un  Bj'stême  de  mécanismes 
moteurs  correspondants,  implantera  en  nous  la  croyance  â  la  causa- 
lité; la  seconde  est  que  la  série  de  ces  opérations  nous  étant  commune 
avec  les  animaux»  ils  doivent  avoir  cette  même  croyance.  L'homme 
seul  rélléchit,  forme  la  reprêsEntation  de  la  eau  salîtes  c'est-à-dire  h 
vide  de  ses  éléments  dynamiques,  et  la  rapproche  du  rapport  de  prin- 
cipe à  conséquence,  ou  mieux  de  fonction  à  variable*  Ainsi  Ton  pasgé 
de  la  nécessité  d'habitude,  vécue  par  le  corps,  à  la  nécessité  nkn' 
tifique  et  logique^  conçue  par  Tes  prit;  de  là  l'impuissance  de  rem- 
pifisme  qui  n'est  pas  encore  de  Ja  science  et  qui  n'est  déjà  plus  àe 
la  vie. 

La  discussion  s'engage  ensuite,  d  abord  par  quelques  remarques  de 
M.  Christian  Aaiis,  de  Christiania,  puis  par  une  attaque  plus  vive  àt 
de  M.  ChaBTIEH  :  évoquant  le  iaouvenir  de  Lagneau  et  le  gr;*nd  pHn- 
cipe  auquel  il  aimait  à  revenir^  M,  Chartier  demande  d*où  vient  Tideii- 
titication  de  Tobjet  (image  visuelle]  avec  l'objet  (image  tâctde]  ^Iwn 
de  ridée  préconçue  et  pour  .ainsi  dira  miraculeuse  de  T Unité  du  Taut? 
—  «  Si  Ton  trouve  le  principe  de  causalité  dans  la  vie,  répond  M.  Berg- 
son, c'est  évidemment  qu'il  y  était  h  l'état  virtuel,  quoique  le  principe 
de  rUiîité  du  Tout  soit  un  peu  trop  vague  pour  en  donner  l'cxplicatioû* 
Mais  surtout  il  convient  de  sérier  k's  questions  :  autre  chose  est  '* 
processus  psychologique,  autre  chose  l'hypothèse  métaphysique  der- 
nière par  laquelle  on  rendra  compte  de  la  possibilité  de  ce  processus- 
Quant  à  la  question  de  reconnaître  pour  identiques  un  objet  visuel** 
un  objet  tactile,  cela  se  fait  par  concordance  des  vanatiooH,  sans  qu'l 
soit  nécessaire  de  sortir  des  phétioménes  et  de  leurs  relations,  »  -^ 
La  discussion  se  particularise  alors  sur  un  exemple  de  lenteur  et  à& 
rapidité;  M.  Gai  veau  y  ajoute  quelques  observations  très  judicieuses 
dans  le  sens  de  M.  Bergson,  M.  Barth  revient  à  une  vue  plus  gêné' 
raie  et  analogue  à  celle  de  M,  Chartier  en  réclamant  les  droits  d* 
r  uni  té  de  la  conscience  pour  cette  aperception  de  rapports.  H  cile  1^ 
théorie  de  M^  Hiehl  quMl  assimile  à  celle  de  M.  Bergson.  Mais  celui-oi 
ne  croit  pas  cette  analogie  très  réelle  :  il  distingue  la  ratio  essendi 


LALAÎIDE.    —  CONGRf:S   ISTER NATIONAL    DE   MlILOSOrHlË: 


490 


it  ce  dont  parlait  tout  à  l'heure  M.  Chartier,  et  ce  que  M*  Rîehl 
semble  avoir  aussi  viséi  de  la  raiio  cognoscendi  que  lui  même  a  voulu 
^mettre  en  lumière  *,  La  construction  psychologique  présuppose  peut- 
être  ridentité  métaphysique  de  la  conscience,  mais  noû  Vidée  de  son 
iiiîité.  Et  Tiaverae  serait  plutôt  vrai, 

M.  Louis  Wbbeh  :  «  De  l'idée  dévolution  dans  ses  rapports  avec  le 

problème  de  la  certitude  m.  Les  idées  évoluiionniates  (et  par  ce  mof 

M.  Weber  entend  toute  philosophie  du  devenir)  se  sont  universalisées 

au  point  de  dominer  aujourd'hui  toute  la  psychologie,  la  sociologiei  la 

^orale.  Ne  doivent-eHes  pas  altérer  de  la  même  laçon  U  logique?  Dans 

rhypothèse  de  ce  changement  iinîverseK  la  question  de  îa  certitude 

[Change  de  face.  On  ne  peut  plus  posséder  la  vérité.  Plus  d  attitude 

stable  de  Tesprit  en  face  d'une  réalité  stable.  Qu'est-ce  qu'une  vérito 

[là  se  fait,  qui  devient  sans  cesse,  qui  n'est  pas  sure  de  n'être  jamais 

tredifcV  II  semble  douteux  quelle  mérite  encore  le  nom  de  vérité 

fet  sa  connaissance  celui  de  certitude.  En    fait  toutes  les  doctrines 

modernes,  parmi  lesquelles  Tauteur  cite  celles  de  MM.  Boutroux  et 

lergson,  sont  affectées  de  cette  sorte  de  défiance  demi-sceptique  à 

regard  d'un  vrai  immuable;  et  le  critîcisme  même  de  Kant  parait  un 

dogmatisme    intransigeant  à   côté    de   cette    fuite   héraclitéentie    des 

choses  qui  s'étend  par  degré  à  tout  le  champ  de  la  connaissance,  A 

tte  difficulté^  M.  Weber  ne  veut  pas  se  Hatter  d'apporter  une  solu- 

;ion  :  il  croit  qu'en  considérant  l'évûlutionlsme  comme  intérieur,  on 

eut  essayer  de  retrouver  une  immutabilité  et  par  conséquent  une 

lîrérité  dans  la  nature  de  Tesprit  qui  se  manifeste,  et  dans  les  principes 

}î*ationnelH  qui  dominent  ce  devenir  en  le  constituant  à  l'élat  de  con- 

aissance  et  de  pensée.  Cependant,  on  peut  douter  si  ces  lois  de  la 

ensée,  à  leur  tour,  ne  sont  pas  mobiles,  et  si  nous  n'aboutissons  pas 

insi  à  un  cercle  vicieux  qui  ne  laisse  subsister  que   ta  réalité  pure 

'un  esprit  ofi  rien  n'est  lixe  qu'une  liberté  absolue  et  indéfinie, 

La  discussion   qu*a  provoquée  cette  lecture  a  été  fort  intéressante* 

.  BfiRCfSOK  a  contesté  fortement,  en  ce  qui  concerne  la  doctrine  de 

Boutroux  et  la  sienne  propre,  qu'ails  fussent  cvolutionnistes.  Son 

lia  de  la  discontinuité  fondamentale  des  choses  s'oppose  au  dévelop- 

ment  continu  et  non  créateur  qui  caractérise  révolution  non  seule- 

ent  chez  ses  fondateurs»  miiis  jusque  dans  sesapplicalionîît.'Ouri>nteB. 

^C'est  même  cette  conlinuiié  qui  a  été  Tun  de  ses  grands  éléments  de 

uccès.  en  divisant  à  l'inllni  des  dillicultés  qu'on  a  dès  lors  naivemcjit 

ubliées).  M.  Bergson  proteste  aussi  contre  la  qualification  de  scepti- 

ame,  et  montre  comment  la  métaphysique  progresse  en  élargissant 

lOn  point  de  vue,  ce  qui,  loin  d'exclure  une  vérité  fsxe,  en  suppose  au 

ontraire  l'existenct.'-  —  Ce  que  la  modestie  de  M.  Bergson  ne  lui  a  pas 

rmis  d'ajouter^  c'est  que  la  grande  popularité  philosophique  de  ses 


1.  C«  ne  tant  pas  les  tËrniés  employés  par  Bl.  Bergson^  mais  je  crois  pouvetr 
D^eD  servir  pour  résumer  sa  pensée.  i 


soo 


REVUE  PHriOSOPRlQUE 


idées  les  a  quelque  peu  déformées,  comme  il  arrive  toujours,  et  que 
beaucoup  de  ceux  qui  ae  présentent  comme  ses  disciples  en  usent 
activement  au  profit  du  scepticisme*  S*il  les  renie,  on  ne  saurait  ïen 
rendre  responsable. 

L'ordre  du  jour  appelle  ensuite  un  projet  que  j'av^iig  demand^'i  « 
soumettre  au  Congrès:  «  Hur  ramélioration  et  la  fixation  duiansrAg^e 
philosophique  ».  J'ai  brièvement  exposé  les  inconvénients  qui  résulttot 
deR  équivoques  de  notre  vocabulaire  et  dont  les  discussions  précé- 
dentés  ne  fournissaient  que  trop  d*exemples;  j*ai  essayé  de  monim 
comment  celte  absence  de  langage  bien  déterminé  paralyse  partieik- 
ment  Tactioii  sociale  de  la  philosophie  et  Tempéche  de  remplir  detix 
fonctions  qui  seraient  essentielles  ;  Tune,  d'être  entre  les  sciences  ua 
organe  de  communication  et  de  coordination;  Tautre,  de  donnera 
réducation  morale  les  bases  d'une  conduite  rationnelle.  Ce  n'est  pm 
là,  comme  se  plaisent  à  le  dire  ses  adversaires,  une  in  capacité  de 
nature;  c'est  une  faiblesse  accidentelle  à  laquelle  on  peut  remédier 
par  Tentente  et  le  travail  collectif*  Les  philosophes  n*ont  qu'à  remar- 
quer et  à  formuler  davantage  les  points  sur  lesquels  ils  sont  d*accord,aii 
lieu  de  se  complaire  exclusivement,  par  une  sorte  d'êgoismo  aristocra 
tiquCt  dans  la  discussion  des*  problèmes  controversés,  J*ai  montré  par 
quelques  exemples  comment  cette  entente  était  possible,  et  j'ai  conclu 
en  propoisant  la  fondation  d'une  socitité  française  de  philosophie,  ayant 
pour  objet  principal  de  perfectionner  en  ce  sens  le  langage  philo«c^ 
pbique  et  de  se  tenir  en  relations,  en  vue  d'une  unification  uliérieute 
et  plus  générale,  avec  les  sociétés  analogues  dont  j'invitais  nos  coti- 
frèreg  étrangers  à  provoquer  la  constitution,  slls  pensaient  de  m^me. 

M.  IVANQVSKi,  professeur  à  T  Université  de  Moscou,  avait  précisé  m  ervt 
composé  un  mémoire  dans  un  sens  analogue*  Il  a  donné  lecture  de* 
thèses  qui  te  résumaient  :  il  y  montre  historiquement  qu'elles  sont  les 
sources  du  langage  philosophique^  comment  il  en  est  venu  à  l'obscu- 
rité et  à  la  confusion  actuelles  p;ir  îa  quadruple  action  diversitiante^es 
idiomes,  des  époques,  des  écoles  et  des  penseurs,  qu'aucun  principe 
d'assimilatiori  ne  venait  jusqulci  compenser.  Il  indique  comment  tm 
pourrait  sortir  de  cet  état  par  Tétude  comparatives  des  mots  les  plM 
analogues  dans  les  langues  russe,  allemande,  française,  angUise, 
italienne,  et  construire  des  vocabulaires  comparés  qui  pré  pare  raJeal 
une  simplification  ultérieure.  Il  termine  en  exprimant  Tespoir  que  î* 
Société  psychologique  de  Moscou  entreprendra  celte  tâche. 

M.  Hémo?<  critique  également  Tobscurité  et  rindétermiuationdu  lan* 
gage  philosophique.  Il  développe  surtout  les  inconvénients  pédagogi* 
ques  de  cette  indermiaation,  les  avantages  qu'elle  donne  a»  savol^ 
faire  dans  les  discussions  verbales-  Il  a  souvent  constaté  oombieii  cet 
étal  de  choses  rendrait  la  masse  des  élèves  impénétrable  à  de  solides 
notions  philosophiques;  il  serait  disposé  à  y  porter  remèdiïpar  Tadop' 
tion  d'un  double  langage,  très  technique  pour  les  ouvrEges  et  les  dt*- 
cuasions  entre  savants^  et  ne  différant  en  rien,  au  contraire,  du  îaisff»gt 


LALANDE.    —   COI^GRÉIS   ÏNÎERNATIÔNAL   m   PHtLOSnPIÎlE  dO! 

courant  pour  la  vulgririsrition  et  pour  renseignement  élemeutaire.  Il 
s'associe  au  projet  de  loiidalion  d'une  société  pour  la  lixation  de  ce 
langage. 

M.  CouTUHAT  juge  le  travail  proposé  insuflisaut^  et  pense  que  Vuni- 
fication  du  langage  doit  se  faire  d*en  haut  par  radoptioti  d'une  langue 
scientifique  universelle  qui  ne  s'imposerait  pas^  bien  entendu,  à  la 
philosophie  en  Irain  de  se  faire  fnous  sommes  tous  d'accord  là-dessus), 
mais  qui  servirait  à  marquer  Jea  positions  acquises  et  à  répondre  aux 
desiderata  pédagogiques*  Il  rappelle  que  les  Académies  de  foute  l'Eu- 
rope viennent  do  former  eniîn  îa  fédération  jadis  rè\é&  pnr  Leihniz,  et 
qu'on  peut  attendre  d'elles  la  propc^îtion  d'une  langue  universelle, 

MM.  IvanovskI,  Ht: mon  et  moi  lui  avons  répondu  chacun  en  ce  qui 
aous  concernait.  Il  n'y  a  rien  de  contradictoire  entre  les  deux  projets  : 
on  peut  seulement  craindre  que  Taction  des  corps  oniciels,  sur  ce 
point»  ne  soit  bien  lente.  Aussi,  comme  il  s*oryanîse  en  te  moment  un 
comité  formé  des  délégués  des  congrès  en  vue  d'étudier  cette  ques* 
tion  et  ne  pas  la  laisser  oublier  des  autorités  Je  propose  au  Congrès  de 
s*y  faire  représenter  par  M,  Couturat  Ces  propositions  sont  mises  aux 
-voix,  et  Ton  décide  à  Tunan imite,  d'une  part  d'approuver  la  fondation 
d'une  société  philosophique  ut  supra  ■  de  rautre,  de  déléguer  M*  Cou- 
turat  au  comité  de  la  langue  universelle- 

VI 

Tout  le  monde  a  été  d\'iccord  que  la  séance  générale  de  moral© 
par  laquelle  s'est  clos  le  congrès,  en  avait  été  la  plus  intéressante. 

M"*^  Baertschi^  secrétaire,  a  lu  d*abord  un  mémoire  de  M.  Bargy 
qui  résumait  le  mouvement  des  sociétés  éthiques  en  Amérique^  et 
qui  donnait  en  partculier  des  détails  typiques  et  pittoresques  sur 
la  Socitny  for  Eihic^'il  Culture  fondée  par  M.  Adler  à  New- York. 
n  Notre  seule  croyance  fonda  mentale*  dit  M.  Bargy,  est  la  foi  au 
bien.  Ce  credo,  on  l*alîirme  en  le  réalisant»  Nous  ne  développons 
qu^une  chose  :  la  volonté  commune  de  pratiquer  ce  que  tout  le  monde 
professe*  Nous  tentons  de  concentrer  sur  la  vie  morale  Tenthousiasme 
et  le  caractère  rituel  qui  étaient  autrefois  propres  à  la  religion.  Des 
réunions  régulières  comme  des  oûices  ont  lieu  le  diîn:incbe.  Les 
tleurs,  la  musique,  en  font  par  degrés  un  besoin  des  sens.  La  Société 
de  New- York  a  même  obtenu  le  droit  de  marier.  Quant  aux  œuvres 
matérielles,  elles  ont  toujours  le  double  caraclèrc  d'actualité  [loge- 
ments ouvriers,  action  politique  et  s^ociale,  îniervcntion  même  dans 
les  grèves)  et  de  personnalité  (culture  des  qualités  individuelles, 
développement  de  Tidée  de  beauté  et  du  travail  créateur  chez  les 
enfants), 

M.  Pauu  Desjaïidjns  raconte  brièvement  Thistoire  de  V Union  pour 
Vaciion  viorate.  Fondée  en  1891  par  quelques  arais^  parmi  lesquels 
Lagneau,  elle  s*est  aussitôt  trouvée  d'accord  avec  des  Initiatives  qu'elle 


802  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

ne  soupçonnait  pas.  Sa  première  action  a  été  la  fondation  d*un  bulle- 
tin, d'abord  simple  communication  de  pièces  et  de  documents,  mais 
qui  s'est  élargi  spontanément,  sans  plan  préconçu,  par  une  croissance 
vivante.  La  Société,  qui  a  débuté  par  quinze  adhérents,  en  compte 
aujourd'hui  près  de  iriOO,  dont  la  plupart  dans  renseignement  pri- 
maire. 

On  est  parti  du  principe  que  la  réforme  morale  no  se  fait  pas  en 
remaniant  les  lois,  mais  par  le  travail  de  l'esprit  sur  lui-même.  Le 
Bulletin  et  la  Société  sont  des  points  d'appui  pour  les  velléités  de  con- 
version que  peuvent  éprouver  des  âmes  isolées.  Beaucoup  de  forces 
se  perdent  s'il  n'y  a  pas  une  Eglise  :  la  morale  a  besoin  d'une  orga- 
nisation simple,  minime,  mais  pratique.  Pas  de  symbole  ni  de  credo; 
seulement  une  disposition  commune,  dont  la  «  liberté  d'esprit  •  sera 
le  trait  essentiel.  Cela  semble  peu,  mais  ceux  qui  savent  quelle  diffi- 
culté sociale  présente  sa  réalisation  comprendront  que  c'est  là  un 
programme  immense.  Rapeller  des  principes  dont  le  manque  s'est 
fait  cruellement  sentir  ;  créer  des  habitudes  d'esprit  critique,  réagir 
contre  l'esprit  de  parti,  les  afiirmations  aveugles,  le  règne  des  mots; 
ne  pas  tracer  de  voies  nouvelles,  mais  frayer  les  bons  sentiers,  telle 
est  l'œuvre  que  s'est  proposée  l'Union. 

M.  Bui^>sON  prend  la  parole  sur  les  deux  communications  précé- 
dentes. L'entreprise  de  M.  Adler  n'est  pas  isolée.  C*e8t  une  centième 
secte  de  protestantisme  à  côté  de  quatre-vingt-dix-neuf  autres.  Toutes 
ses  caractéristiques,  culte  rationaliste,  actualité,  personnalité,  appar 
tiennent  à  toutes  les  sociétés  américaines  :  on  peut  le  voir  en  visitant 
l'exposition  scolaire  des  États-Unis.  —  Cependant,  objecte  M.  Darlu, 
qui  préside,  n'est  ce  pas  le  contraire  d*une  religion,  puisqu'au  contraire 
elle  veut  se  substituer  à  l'idée  religieuse  en  donnant  toutes  ses  formes 
et  ses  effets  à  l'idée  morale?  —  Sans  doute,  répond  M.  Buisson;  nuis 
une  foule  de  religions  en  arrivent  là  en  Amérique.  Ce  n'en  est  que  la 
forme  la  plus  émancipée.  En  Europe,  le  mouvement  est  beaucoup  plus 
intéressant  à  cause  de  l'opposition  nette  qui  se  produit  :  les  sociétés 
éthiques  ayant  en  face  d'elles,  non  une  multiplicité  de  religions  indé- 
iiniment  et  graduellement  libéralisées,  mais  des  Églises  conserva- 
trices, à  principes  très  arrêtés,  elles  sont  obligées  de  prendre  à  leur 
égard  une  attitude  militante,  anti-théologique,  rationaliste,  et  de 
constituer  une  morale  la'ique.  Serait-il  possible,  serait-il  souhaitable 
de  grouper  tous  ces  efforts  en  une  fédération  générale,  une  sorte 
d'Église  morale  universelle?  La  question  est  soumise  au  congrès. 

M.  l'abbé  Clamadieu  proteste  contre  cette  opposition  de  la  morale 
et  de  la  religion.  Les  croyances  religieuses  ne  divisent  pas  les 
hommes.  Il  n'y  a  qu'une  seule  morale,  celle  du  bien,  et  la  religion 
n'est  essentiellement  rien  d'autre  que  cette  morale. 

Je  crois  à  la  morale  en  dehors  de  toute  religion,  dit  M.  Rauh;  mais 
il  faut  préciser.  Qu'est-ce  que  cette  vertu,  ce  bien,  ce  devoir?  Il  serait 
oiseux  d'essayer  d'unir  les  hommes  sur  de  vagues  croyances.  Quels 


LAI.AIIDE,    —  CONGRÈS   ISTKRKATiOJiAL   DE   PHILOSOPHIK 


503 


sont  nos  devoirs  dans  la  société?  nos  opinmiis  sur  Forganisation  ju.'^te 
du  travail,  de  la  propriété?  On  ne  peut  a'tmir  et  travailler  eneemble 
qae  si  Von  a  la  méaie  pensée  sur  oes  questions  vitales.  —  On  ne  peut 
aborder  le  peuple  qu'avec  dea  questions  matén elles  :  le  travail,  le 
pain,  la  liberté.  Il  ne  e'agit  pas  de  lui  faire  des  discours  et  des  exhor^ 
lations  sur  le  progrès  moral.  Ld  peuple  se  détle  que  noua  le  leurrions, 
que  nous  ne  cliGrchiouâ  à  Tenlever  au  ciel  pour  lui  faire  oublier  les 
misères  de  la  terre-  11  est  trisle  d'entendre  parïer  du  bien  et  de  !a 
vertu  comme  si  nous  n'avions  pîug  de  questions  brutales  à  résoudre. 

»Si  Ton  veut  être  franc,  on  se  séparera  sans  doute,  on  sera  mains  nom- 
breuse, on  ne  fondera  pas  d*Église  morale  universelle,  mais  on  exer- 
cera une  action  réelle.  Nous  vivons  dnuH  Tétat  de  guerre  :  il  faut 
l'adoucir;  m  ai  3  c'est  l'aggraver  que  de  le  cacher. 

■      S'il  eat  posfeiibîô  de  constituer  une  église  nouvelle,  conclut  M.  Darlu. 
e*eet  une  question  de  fait,  et  que  nous  devons  étudier*  La  question 
est  à  réserver  et  à  inscrire  au  programme  d'un  nouveau  congrès. 
^      Mlle  Baertsghi  expose  la  nature  et  le  fonctionnement  des  Univerêités 
B  pôpu/.itr^s,  auxquelles  elleii  pris  une  grande  part,  car  elle  a  participé 
à  Torganisation  et  aux  conférences  de  huit  groupements  dans  Paris 
et  de  trois  dans  la  banlieue.  Les  fondateurs  ont  trouvé  dans  le  peuple 
B  un  ardent  désir  de  sinstruire  et  de  se  d*^veîopper:  on  ne  peut  dire 
"  encore  qu  on  ait  obtenu  des  résultats,  IL  n'y  a  pas  à  8*en  décourager, 
puisque  presque  toutes  ces  institutions  datent  à  peine  d'un  an;  on 
peut  seulement  marquer  les  ccuells  et  les  points  difUeiles. 

Obtîent*on  un  rapprochement  de  classes,  ce  qui  était  un  des  buts 
eî3seniièîs?  Mal   11  y    a   beaucoup   de    défiance  dans   le   peuple   et 

»M.  Rauli  a  raison  dans  s6s  critiques.  On  nous  accuse  d'être  venus  là 
pour  nous  amuser.  On  se  déile  des  politiciens  qui  préparent  leur 
élection.  (Les  femmes  sont  mieux  accueillies  pour  cette  raison  j  1  II 
y  a  tout  de  même  de  bons  bourgeois,  a  Voilà  à  peu  près  le  maximum 

»de  TefTet  obtenu. 
J^'action  sociale  est  faible,  mais  en  progrès.  Elle  gagne  surtout 
quand  l'Université  populaire  peut  s'associer  avec  des  sociétés  coo- 
^pératives,  comme  à  Grenelle,  Clioisy,  Billancourt. 
H  Les  conférences  se  font  trop  au  hasard.  Ni  adaptation  au  milieu,  ni 
H  continuité*  Les  conférenciers  ne  se  connaissent  ni  ne  s'entendent. 
H  Chacun,  sollicité  par  les  organisateurs,  vient  parler  de  n'importe  quoi. 
Or,  la  simple  contradiction  des  idées  émises  par  eux  ne  sufiit  pas  à 

I  éveiller  Tesprit  critique  *.  En  fait,  cela  ne  crée  que  confusion  et  même 
mépris.  Les  auditeurs  se  rejettent  alors  sur  les  doctrines  toutes  faites, 
au  aboutissent  à  dire  entre  eux  :  a  C'est  joli  d  entendre  parler,  mais 
tout  ça,  au  fond,  c'est  de  la  blague^  ^ 
Entin  raction  morale  est  nulle,  au  moins  dans  Paris.  Les  ouvriers 
L  Hemarquat)le  analogie  avec  les  eonsidèrations  qui  ont  été  émises  à  ta  pre- 
mière séance  sur  L^nie  igné  ment  de  rhisloire  des  systÊme^^ 


604 


REVUE   PHILOSOPHIQUE 


lilieu  d'un  public  d'ailleurs  panaché;  \h 


y  viennent,  i 

ressent  pas  de  cœur  et  ne  font  pas  corps.  îéeuls,  quelques  groupe- 
ments de  banlieue  ont  acquis  cette  homogénéité,  parce  que  les  ouvriers 
y  ont  toute  î'initiatîve. 

J'ai  Tatr  très  pessimiste^  conclut  Mlle  Baertschif  je  croîâ  pourtant 
qu'on  peut  améliorer  cet  état  de  choses.  Ce  qui  manque  à  ces  Bociétég, 
c'est  un  eêpril  individuel.  Feu  importe  comment  il  se  constituera 
dans  chacune  d'elles;  il  peut  être  varié»  pourvu  qu'il  se  forme.  Il 
existe  déjà  un  peu  à  Nan terre»  beaucoup  à  Montreuil^  dont  le  -groupe 
a  été  fondé  et  dirigé  exclusivement  par  des  ouvriers.  Donc»  pomi  de 
grandes  entreprises»  point  de  palais  du  Peuple;  mais  elTacement  de 
llntellectuel  devant  l'ouvrier  qui  doit  choisir  pour  lui-même  se«  con- 
férences, et  diriger  son  éducalion  suivant  ses  besoins. 

Nous  passons  à  un  autre  ordre  d'idées  avec  le  spirituel  petit  dis- 
cours de  Mrs  Russell,  sur  léducatlon  des  jeunes  lilles»  qu*elle  lit  en 
anglais  et  que  traduit  à  mesure  M.  Halévy.  A  vrai  dire^  je  crolaque 
ses  observations  sont  moins  applicables  en  France  qu^en  Anglelerre* 
La  famiUe  n^est  gucre  ici,  comme  le  di^  Mrs  liussell  et  comme  k 
peignent  en  eïTet  si  souvent  les  romanciers  anglais,  qu'  «  un  instrument 
à  écraser  toutes  les  individualités,  sauf  celle  du  père  de  famille  ■.  Il 
est  certain  pourtant  que  noua  souffrons  aussi  de  Téducation  qui  t*oa- 
siste  a  former  des  femmes  d'agrément,  et  non  des  caractères  et  de& 
intelligences,  capables  de  comprendre  leur  rôle  dans  la  société  tot^lei 
et  de  le  jouer*  —  Les  femmes  de  condition  moyenne,  drt  justement 
Mrs  RusselU  ont  moins  de  travail  qu'autrefois  dans  leur  maison;  tlki 
ne  font  plus  le  pain,  elles  ne  filent  ni  ne  tissent  :  autant  de  liberf^ 
qu'elles  peuvent  employer  à  un  développement  moral  el  à  Véducatioû 
de  leur  personnalité. 

La  scène  changée  encore  après  les  vifs  applaudissements  qui  suivent 
cette  communication.  C'est  M»  G.  Moch^  ancien  ofticier  d'artillerie  et 
Tun  des  promoteurs  de  la  Paix  par  Iv  clroiU  qui  vient  proposer lu 
Congrès  une  résolution  pouvant  contribuer  «  à  éteindre  le  feu  qui 
couve  en  Europe,  «  On  ne  peut  rêver  d*un  désarmement  collectif  n*ïi^ 
qu'on  n*aura  pas  modiUc  Tesprit  pubiic^  diminué  les  cramtes  ^^^ 
â*inBpirent  les  nations,  créé  la  conliance*  Pour  cela  trois  moyeiii 
peuvent  être  mis  en  oeuvre.  Les  deux  premiers  sont  lents  :  ceîïontî* 
progai^'ande  par  la  presse  et  la  réforme  de  renseignement,  ou  l^^û 
apprend  actuellement  Thistoire  de  la  façon  la  plus  propre  à  aUir«T 
les  haines.  Le  troisième  est  rapide  :  c'est  Tarbitrage  intemationil' 
Contrairement  aux  préjugés  et  aux  plaisanteries  faciles  contr*  1* 
conférence  de  La  Haye,  M,  Mocu  (ait  voir  par  des  chiffres  et  de»  té^ 
quels  progrès  a  réalisés  depuis  vingt  ans  le  système  arbitrai,  tlit^^* 
résultats  considérables  il  a  déjà  donnés,  et  comment  le  tribunal  institua 
à  La  Haye  est  encombré  d'affaires  qu'il  résoudra  juridiquemeat,  «^ 
lieu  de  les  laisser  traîner  et  peut-être  s  envenimer.  U  propoae  «a 
terminant  d'adopter  un  vœu  par  lequel  le  Congrès,  considérant  (Jù^ 


LALATÎDE.    —  CONGRÈS   lNTERNJiTlO:SAL    Dli    niiLOSOPHJE 


505 


le  matntiea  de  la  paix  générale  et  la  réduction  des  armements  est 
IMdéal  auquel  doivent  tendre  les  rapports  internationaux,  Bouhaiterait 
que  lea  nations  non  représentées  â  la  conférence  de  la  Haye  fussent 
invitées  à  y  adhérer,  que  toutes  les  puissances  civilisées  établissent 
entre  elles  des  traités  d'arbitrage  permanent»  et  qu'on  s'appliquât, 
dans  les  écoles  de  tous  degrés  et  de  tous  pays  «  a  affranchir  les  enfanta 
des  préjugés  historiques  qui  peuvent  développer  en  eux  un  esprit  de 

'  chauvinisme  aggressiL  p 

M.  DiftLU  déclare  approuver  complètement,  en  son  nom  personnel, 
les  idées  de  M*  Moch*  Mais  il  ne  croît  pas  qu'il  soit  dans  le  caractère 
du  Congrès  de  mettre  aux  voix  un  vœu  ayant  un  caractère  bÏ  pratique 
et  si  politique*  M.  BaoTiioux  appuie  eelte  manière  de  voir.  M,  Vassilief, 
tout  en  s'y  associant,  estime  és^alement  qu'à  cette  œuvre,  nous  devons 
plutôt  travailler  ludirectement  par  nos  relations  personnelles  avec  les 
étrangers  et  par  celles  de  nos  sociétés  savantes.  —  M.  Padoa  pense  au 
contraire  que  puisqu'on  nous  accuse  si  souvent  de  vivre  en  dehors 
du  mf>nde  réel,  nous  devons  prouver  la  valeur  de  la  philosophie  en 
aboutissant  à  des  résultats  :  l'adoption  de  ce  vote  en  serait  un. 
M,  Gaston  Moch  parle  de  nouveau  dans  le  môme  sens,  et  rauditoire 
parait  asseiî  disposé  à  entrer  dans  ses  vue^.  Mais  M,  Boutroux  clùt  la 
discussion  en  s'opposant  expressément ,  en  qualité  de  président 
général  du  Congrès,  a  ce  que  la  proposition  soit  mise  aux  voix. 

M.  Jagadïsha  Chatterji,  professeur  au  collège  hindou  de  Bénaros, 
nous  ramène  à  des  sujets  tnoina  brûlants.  Debout  dans  son  costume 
original  de  soie  blanche,  il  parle  en  anglais,  rapidement,  souvent 
avec  une  nuance  dlnspiratîon,  et  M.  ïialévy  lui  sert  aussi  d'inter- 
prète. Il  a  déjà  fait  à  la  section  d'histoire  une  conférence  très  curieuse 

I  iur  les  idées  difectrices  générales  de  la  philosopliie  hindoue.  Son 
sujet  actuel  est  œ  Moral  training  in  Indian  philosophy  ^k  La  philoso- 
phie  hindoue,  a  dit  Max  Millier,  est  de  la  morale  au  commencement» 
de  la  morale  au  milieu,  de  ta  morale  à  la  lin.  Elever  3'homme  au  plus 
haut  degré  de  sa  nature,  dépasser  la  souîTrance,  qui  esl  la  donnée 
première  de  la  philosophie,  par  la  connaissance,  qui  en  est  la  Un, 
telle  est  la  voie.  EUo  est  donc  essentiellement  un  entraînement  moral, 
dont  voici  les  principes  : 

Le  monde  est  constitué  par  une  série  de  phénomènes  réunis  en  un 
tout  par  la  causalité.  Il  est  la  chose  qui  change  et  qui  se  meut.  Nous 
sommes  tous  de  petits  tourbillons  dans  ce  11  ux  immente,  dont  la  loi 
est  le  Karma, 

I  Tous  ces  phénomènes  sont  liés  extérieurement  par  la  causalité 
parce  qu'ils  sont  au  fond  la  manifestation  d'un  principe  unique,  que 
les  uns  appellent  Urahma  et  les  autres  Nirvana. 

Le  développement  de  cet  être  se  fait  par  une  série  d'Incarnations 
cycliques.  Le  monde  actuel  a  eu  un   commencement,  il  aura  une  lin; 
mais  il  n'y  a  ni  création  ni  anéantissements 
Le  principe  d'individuation  eat  l'oubli  de  soi-même  par  TEtre.  C'est 

TOUS  L.  —  i9ô0.  33 


506 


REVUE   PHILOSOPHIQUE 


la  création  du  phénomène.  Aussitôt  produit»  Tindivida  tend  à  revenir 
k  cet  Etre  en  recouvrant  la  mémoire. 

Le  but  de  la  vie  morale  est  de  se  dépouiller  un  à  un  des  voiles  qui 
conâtituent  T individualité.  I^  progrès  est  rJUumjnatîon  de  plus  en 
plus  complète  en  noua  du  principe  premier.  Un  jour  viendra  pour 
chacun  où  il  recouvrera  cette  identité. 

Connaissant  les  lois  de  ce  développement»  nous  pouvons  raccélérer 
en  noua,  comme  on  accélère  par  la  culture  le  développement  d'une 
plante  qui  croitrait  d'ailleurs  sans  cela. 

Est  bonne  toute  action  qui  développe  cette  lumière  interne;  mau- 
vais, tout  ce  qui  Tobscurcit.  Il  n'y  a  rien  dans  la  morale  qui  soit 
agréable  ou  désagréable  à  des  dieux* 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'indiquer  le  détail  de  ces  exercîcta,  ajoule 
Voraieur.  Quand  on  est  au  bout  on  peut  dire  :  Je  suis  ce/a.  C'est  le 
mot  du  Vedanta  et  le  résumé  do  toute  notre  philosophie  morale.  Celte 
réalisation  de  TÉtre  en  soi  dépaase  la  connaissance  logique  :  elle  est 
rintuition  directe  de  ce  qui  est. 

Cette  exposition,  attentivement  écoutée,  vivement  applaudie,  ter- 
mine la  série  des  communications.  M.  Boutroux^  qui  prend  la  prési- 
dence, donne  lecture  de  la  liste  des  membres  du  comité,  divisés  par 
langues,  qui  seront  charj^és  de  Torganigation  du  prochain  Congrès. 
Un  décide  de  s*en  rapporter  à  ce  comité  pour  la  fixation  de  la  date 
et  du  lieu  de  cette  réunion  :  ritalio  parait  cependant  obtenir  une  cer- 
taine préférence.  M*  PaulTANNERY,  appuyé  par  M.  Vassiuek,  propose 
de  scinder  la  troisième  section^  un  peu  trop  composite,  et  de  la  diviser 
en  Théorie  de  la  connaissance  scieniifique^  et  en  Histoire  phitoso-- 
phique  des  sciences.  Cette  mesure  permettrait  peut-être  de  rattacher 
au  Congrès  de  philosophie  celui  d'histoire  des  sciences,  qu'une  orga- 
nisation défectueuse  avait  subordonné  cette  année  à  celui  d'histoire 
comparée. 

M.  Goufîn  remercie  le  comité  d'organisation  et  rappelle  que  la  sym- 
pathie développée  dans  une  telle  réunion,  les  relations  uUérieures 
que  nous  en  conserverons,  tout  cela  peut  être  et  sera  sûre  ment  un 
contrepoids  aux  luttes  malheureuses  qui  vivent  encore  tntre  UnLiiions* 
—  Des  remerciements  unanimes  et  chaleureux  sont  également  \o tés 
à  M*  Xavier  Léon^  le  créateur  et  le  dévoué  secrétaire  géoéral  du 
Congrès,  à  MM.  Couturat  et  Halévy,  qui  se  sont  si  activement  consa- 
crés à  sa  réussite. 

M.  BOUTBOUX  prend  enfin  la  parole  pour  une  dernière  allocution.  îl 
marque  d'abord  les  parties  les  plus  vivantes  de  la  philosophie  :  la 
morale  dune  part;  de  l'autre,  la  logique  des  sciences»  le  puissant 
effort  de  critique  actuellement  dirige  sur  leurs  principes.  Il  s'est 
manifesté  parmi  nous  certaines  divergences  d'opinion;  nous  ne  devons 
pas  nous  en  émouvoir  :  ou  ta  philosophie  n'est  rien,  ou  elle  est  avant 
tout  Texpression  de  la  liberté  pleine  et  entière  de  l'intelligence.  SU 


LALANDE,   —  CÛXfiRÊS  II^TËRMATIONAL  DE  rHILOSOPlllE  507 

est  une  recherche  qui  ne  viae  aucune  fm,  aucun  but  fixé  d'avance, 
sinon  la  vérité,  c'est  la  philosophie.  La  conlradîcHon  e?t  nécessaire 
à  son  progrès  :  t^lie  constitue  un  appel  â  la  réilexion,  elle  nous  avertit 
que  notre  pensée  est  imparfaite,  elle  nous  force  à  agrandir  notre 
conscience  ju9qu*à  ce  qu'elle  s'accorde  avec  la  conscience  de  Thuma- 
nilè.  IL  y  a  plus  :  sous  ces  divergences,  une  certaine  unité  de  vues 
s'est  déjà  manifestée,  plus  grande  f(Q-on  ne  le  croit.  C'est  d'abord 
Fuiiion  aussi  intime  que  possible  de  la  philosophie  avec  la  science. 
Quel  est  celui  d'entre  nous  qui  n'tidmelte  pas  pour  règle  fondamentale 
de  partir  de  la  vérité  d'expérience  et  de  ne  la  traiter  que  d'après  les 
priucipes  de  la  raison?  De  plus,  nous  eomraes  d'accord  que  la  philo- 
sophie ne  s'épuise  pas  dans  la  science,  mais  qu'elle  la  complète.  Le 
caracti?re  do  certitude  et  d'universalité  des  sciences  doit  se  réfléchir 
dans  la  philosophie,  mats  pour  s'étendre  h  de  nouveaux  objets.  Nous 
pouvons  encore  être  unanimes  sur  cette  vérité  que  si  la  connaissance 
scientiîique  est  une  forme  de  la  réalité^  la  vie,  la  volonté,  la  religion 
en  sont  une  autre.  Une  philosophie  de  l'action,  encore  indécise,  est 
du  moins  reconnue  pour  légitime  et  nécessaire,  feSur  les  conclusions 
qu'elle  formulera,  nous  ne  pouvons  rien  aftirmer;  sinon  que  le  rap- 
port de  la  philosophie  de  la  science  à  la  philosophie  de  l'action  ne 
restera  pas  une  énigme  insoluble  :  pour  le  moment  il  faut  dire  encore 
igiioramiis^  et  laisser  par  conséquent  libre  jeu  à  toutes  les  opinions  ; 
mais  comme  le  disait  récemment  un  philosophe,  il  serait  coupable  do 
di r e  Lj  î i o m  bin i us . 

Cette  enti^nte  actuelle  est  le  gage  d^une  entente  toujours  plus 
grande  par  le  commetce  des  intelligences  et  des  cœurs.  Far  \k  se 
réalisera  un  accord  qui  ne  sera  pas  refïacement  des  personnalités, 
comme  si  Ki  philosophie  devait  se  réduire  à  la  connaissance  lo^^ique 
[des  principes  premiers  des  sciences,  mais  »  une  harmonie  riche  et 
pleine,  où  l'esprit  se  développera  dans  la  vie  et  la  liberté,  » 

Les  lecteurs  do  ce  compte  rendu  déjà  si  long  me  permettront- ils  ûSf 

I  ajouter  une  impression  que  je  n'ai  pas  été  le  seul  à  éprouver?  Les 
accords  philosophiques  cités  par  M.  Boutroux,  et  qui  ont  été  sou- 
lignés par  des  applaudissements  unanimes,  sont  les  plus  intéres- 
sants pour  des  philosophes,  parce  qu'ils  répondent  à  des  questions 
où  récemment  encore  la  discussion  était  active  :  il  en  est  d'autres^ 
bien  plus  nombreux^  qu'il  n^a  pas  cru  nécessaire  de  relever,  parce 
qu*il3  sont  déjà  plus  anciens  et  qu'ils  forment  précisément  les 
assises  profondes  sur  lesquelles  nous  venons  de  construire  un  étage 
de  plus*  —  Et  maljLçré  cela,  nous  ne  pouvons  pas  nous  dissimuler  qu'il 
se  produit  simultanément  un  courant  de  scepticisme  dont  la  force 

►  n'est  pas  négligeable*  Il  a  des  sources  multiples;  non  pas  des  sources, 
vrai  dire,  car   ce  scepticisme  préexiste  plutôt,  à  la  manière  d'une 

tâjspoaition  desprit  qui  va  chercher  des  aliments  où  elle  en  trouve. 

lEUe  puise  donc  en  partie  dans  la  doctrine  anglaise  de  rinconnais- 


508  flBVCfi  l'MlLOSOPHîatJfi 

sable,  dans  celle  du  devenir  infini  et  universel,  comme  le  montrait 
M.  Weber,  dans  les  idées  de  qualité  pure  et  de  libre  arbitre  absolu 
dont  elle  mélange  intimement  le  caractère  extra-logique  au  système 
des  connaissanoea  scientifiques;  et  comme  pour  cela  il  faut  renoncer 
à  l'œuvre  bacoïiienne»  leibnixienne,  kantienne,  qu*  a  eu  précisément 
pouroaractère  de  séparer  rintellîgible  et  de  le  constituer  à  part,  gràca 
à  des  conventions  appropriées,  les  sceptiques  insi estent  fortement  sur 
le  caractère  artificiel  de  ce  départ,  et  s'efforcent  de  le  présenter  comme 
une  sorte  de  faiblesse  et  d'erreur,  La  critique  si  forte  que  leg  s  rivants 
exercent  eux-mêmes  sur  les  principes  de  leur  science  est  utilisée  par 
eux  dans  toute  retendue  de  ses  négations,  et  sans  tenir  compte  de  ce 
fait,  clair  pour  les  initiateurs,  oublié  par  les  disciples,  que  cette  cri- 
tique n*a  pour  raison  d'être  dernière  qu'une  reconstruction  pluf 
consciente,  plus  solide  et  plus  épurée  de  la  science  elle-même.  Sou* 
prétexte  de  ramener  la  pensée  à  ia  r*iaiité  —  comme  si  la  pensée  k  cet 
égard  n'en  était  pas  justement  Tin  verse!  —  ils  la  ruinent  en  la  refou- 
lant dans  l'indivision  première  de  son  objets  et  dès  lors  ils  peuvent 
établir  aisément,  dans  respacR  laissé  vide^  les  fondements  d'ufîe 
croyance  iidéiste  qui  se  soutient  par  un  acte  de  bon  plaisir  contre 
lequel  rien  ne  saurait  valoir.  —  En  rapprochant  ce  scepticiaioe,  et 
le  grand  travail  de  logique  et  d*épisiémologte  sur  lequel  il  Ê*mi 
gretTé,  du  développement  si  vivace  que  prennent  aujourd*hiïi  N 
doctrines  morales;  en  constataol  d'autre  part  combien  la  raétApliy' 
sique  proprement  dite  est  délai?^sée  (car  sauf  Texposé  matérialiste  da 
M,  Bonnier,  il  n*a  été  question  que  de  psychologie  pure  et  de  logiqu^p 
à  la  soi-disant  séance  «-énérale  de  métaphysique)»  ne  semble^t-il  p^^ 
qu'il  y  ait  une  ressemblance  frappante  entre  notre  époque  et  celle  qw 
a  précédé  le  christianisme?  Encore  n*avQns-nous  pas  eu  dans  noire 
congrès  Técho  du  mouvement  occultiste  et  surnaturaliste,  qui  c^^- 
pîète  cette  ressemblance,  et  qui  s'est  fait  sentir  à  celui  d'histoire  des 
sciences  et  à  celui  de  psychologie.  C'est  la  fin  d'une  période  et  k 
puissant  fAîY[i=t  qui  prépare  l'eclosîon  d*une  idée  nouvelle.  Le  rôleda 
rationaliste,  en  pareil  cas,  semble  être  de  maintenir  rermement  lea 
positions  acquises,  et  d*apporter  ainsi  à  cette  idée,  sans  qu'd  soit 
besoin  d'un  moyen  âge,  Théritago  intégral  de  la  vérité  déjà  construite 
par  les  hommes.  Le  christianisme  n'aboutit  qu  après  quinze  sièe^^^ 
à  la  réforme,  qui  était  pour  lui  cette  synthèse,  et  qui,  si  tardive^  a  été 
incomplète.  Je  crois  que  lactivité  des  communications  intelleclueU«« 
et  Tesprit  de  stabilité  progressante  qui  s*est  marqué  dans  ce  congrès 
peuvent  nous  faire  espérer  de  moindres  retlux  dans  l'avenir. 

Anûrè  Lalakoe. 


LE 


IV'  CONGRÈS  INTERNATIONAL  DE  PSYCHOLOGIE 


Le  quatrième  Congrès  international  de  psychologie  s*est  ouvert  le 
20  août  à  Paris,  au  palais  des  Congres,  sous  la  présidence  de  M.  le 
professeur  Ribot,  assi  sté  de  M.  Cb.  Richet  vice-président,  et  de 
M.  Pierre  Janet,  secrétaire  généraL 

M.  iiibot  a  prononcé  le  discours  d'ouverture  *.  Après  avoir  fait  un 
rapide  historique  de  trois  premiers  Congrès,  il  a  exposé  les  quelques 
modifications  qui  ont  été  faites  par  la  Comité  à  l'organisation  des  tra- 
vaux. Le  Congrès  a  été  divisé  en  sept  sections  r  (l.  Psychologie  dana 
ses  mjyports  avec  Panatomie  et  la  physiologie.  Il,  Psychologie  iiiiro- 
^peclive  dans  i^es  rapports  at^ec  la  philomphie.  II 1,  Psychologie  expè- 
Timeniule  et  psycho-physique.  IV^  Psychologie  pathologique  et  psy- 
chiatrie. V,  Psychologie  de  l" hypnotisme ,  de  la  suggei^tion  et  ques- 
tions connexes.  VI,  Psychologie  sociale  et  criminelle^  VU,  Psycho- 
logie animale  et  comparée,  anthropologie,  ethnologie);  h  Munich,  il 
n'y  en  avait  que  quatre.  Puis  il  a  paru  utile  d'instituer  des  prési- 
dents de  section  *,  En  confiant  à  des  hommes  d'une  compctonoe  reconnue 
le  soin  d organiser  la  partie  du  Congrès  qui  répondait  lé  mieux  à 
leurs  goijts  et  à  leurs  travaux  habiluels,  on  était  fondé  à  espérer  que 
les  communications  seraient  plus  nombreuses  et  les  discussions 
cependant  mieux  réglées  que  si  le  bureau  avait  dû  à  lui  seul  assumer 
toute  la  charge  de  ta  direction  Bcientiûquo  du  Congrès. 

>L  Ri  bût  a  esquissé  alors  à  grands  traits  un  tableau  d*  ensemble  du 
travail  psychologique  accompli  depuis  i8yf>.  Ce  qui  frappe  tout  d'abord 
c'est  Tabondance  extrême  des  travaux  en  certaines  provinces  de  la 
psychologie  et  leur  pénurie  relative  en  quelques  autres.  Le  h  rechcr- 
chea  sur  Tanatomte  et  la  physiologie  du  système  nerveux  se  sont  mul- 
tipliées et  quelques-uns  des  travaux  qui  ont  été  publiés  en  ce  domaine 
ont  une  haute  importance,  mais  si  ces  disciplines  sont  les  indiâpen- 
sables  auxiliaires  des  sciences  psychologiques,  elles  demeurent  cepen- 


î.  Il  a  èlé  publié  dans  la  Hevue  m^nii/tque^  n*  du  32  septembre  ^900,  4'  sé- 
rie, t.  XIV,  p.  1)51-356.  Les  séances  générales  ont  élé  présidées  par  MM-  ËbbïQ- 
ghitus,  FJournoy»  Miinsterberg,  Myers,  Sergî,  le  prinoe  Tarchanor,  T,  Ladd. 

t*    MM.   MATHtAti  De  VAL,  Sèaillës,  B[>£t,  Magxax«  tiEitMiEM,  Tasde  et  Y,  Dk-^ 


510 


HEVtlE  PHJLOSOPBIQUB 


dant  dea  auxiliairêa,  «  Taat  que  les  phénomène^i  nerveux  li'ont  pas 
été  traduîÊs  en  terme»  de  conscience,  il  n'y  a  pas  de  psychologie  »*Les 
psychologues  cependant  ne  se  sont  pas  soustraits  à  la  lâche  qui  leur 
incomba U  de   construire  diaprés  les  conceptions   nouvelIcB  sur  Im 

neurones  le  mécaniame  psycho-physiologique*  Les  études  sur  les  sen- 
sations et  surtout  sur  tel  ou  tel  groupe  particulier  de  sensations  sont 
de  beaucoup  les  mieux  partagées;  les  recherches  qui  s'y  rapportent  et 
celles  qui  ont  pour  objet  les  mouvements  tendent  d'ailleurs  de  plus 
en  plus  à  former  sous  le  nom  de  psychophysique  une  province  distincte, 
caractë risée  par  sa  matière,  ses  méthodes,  remploi  de  reïpéhmettt*- 
tion  et  de  la  mesure.  Pour  la  mémoire  et  rassuciation  des  idées»  on 
n'a  guère  fait  que  marcher  dans  la  voie  précédemment  ouverle.  Les 
travaux  sur  rattenlion  se  sont  multipliés  et  ont  pris  chaque  jour  une 
importance  plus  grande.  L'étude  expérimentale  des  émotions  et  les 
enquêtes  par  questionnaire  sur  leâ  diverses  formes  de  la  vie  affecîive 
ont  gi^gnc  la  faveur  d'un  nombre  toujours  croissant  de  psychologues. 

Mais  au  nombre  des  questions  délaissées  se  placent  au  premier 
rang  celles  qui  ont  trait  au  jugement,  au  raisonnement^  à  l'imagina- 
tion créatrice;  la  raison  principale  en  est  peut-être  que  ces  phéno- 
mènes psychiques  sont,  jusqu'ici,  inacessibles  à  rexpérimcntaticui- 
L'anthropologie,  l'ethnographie,  la  linguiRtique,  Thistoire  fourtiissenl 
cependant  des  instrumunts  de  haute  valeur  pour  les  éludior  objecti- 
vement. 11  importe  de  signaler  par  contre  l'extension  toujours  plus 
grande  des  recherches  sur  le  caractère  et  ses  variétés,  sur  Iîi  0- 
choloîiie  do  Tcufant,  qui  vise  de  plus  en  plus  à  devenir  une  éiiKJe 
embryologique  et  génétique  de  TiispHt  humain»  sur  la  psychologie 
individuelle. 

Les  travaux  se  sont  également  multipliés  dans  le  domaine  de  1^ 
psycholoi>ie  morbide,  où  il  faut  relever  spécialement  les  reehercÎJis 
sur  les  aphasici^,  les  aboulies,  les  amnémes  et  paramnésies,  etc.,  et  dans 
celui  de  la  psychologie  du  sommeil  et  de  rhypnotisme.  La  tendnflt^^ 
est  à  noter  de  faire  la  part  toujours  plus  grande  à  Tétude  de  cesph^ 
nomenes  supra  normaux  qui  constitue  la  partie  aventureuse,  mai'' 
non  la  moins  séduisante^  de  la  psychologie  expérimentaîe.  Il  fai^* 
remarquer  entin  rimportance  croissante  que  preimentles  travuui  reîâ- 
tifs  à  la  psychologie  sociale  (l'interpsyehologie,  comme  l'appelt^ 
M,  Tarde), 

M,  Ri  bot,  en  terminant,  &  attiré  l'attention  des  membres  du  Coagr^ 
sur  11»  nombre  qui  s^accroît  sans  rcfise  des  publications  qui  se  TApP**"^ 
tent  aux  divers  départements  de  la  psychologie.  La  quantité  ni^*^^ 
des  travaux  devient  presque  un  obstacle  au  progrès  des  études i  " 
est  devenu  impossible  de  se  tenir  au  courant.  Le  seul  remède  a  cette 
situation  serait  la  confection  de  monographies  fréquentes,  tioï"' 
breusL's,  soigneusement  étudiées.  Ces  synthèses  partielles  feralei^* 
équilibre  à  la  dispersion  des  analyses. 

La  parole  a  alors  été   donnée  à  M.  le  professeur  Ebbinghaiis  (de 


MARILLIER.    —  COWCKÈS   lÇSTKH>'AT|OP(iiL  0E   PSÏCHt»LOClE         511 


■    Brealau),  qui  a  tracé   un  paratlèLe   entre  Vét^t  de  la  psychologie  à 

V heure  présente  et  son  état  ii  y  a  cent  ans.  Il  a  fait  poner  tout  d'abord 

sa  comparaison  sur  les  organes^  si  ]'o9e  dire,  dont  disposait  alors  et 

dont  dispose   aujourd'hui   la   psychologie,   livres^  revues,   journaux, 

L    sociétés.  Fuis  il  a  comparé  les  çouceptiona  du  siècle  passé  et  celles  de 

I   cette  Vm  de  siècle  sur  quelques  points  essentiels  où  les  progrès  de  la 

r    science   psycholo^'îque    semblent  les   plus    marqués   et   plus  surs   : 

I  méthodes,  qui  admettent  maintenant  rexpérimentation  et  le  calcul, 
rapports  du  cerveau  et  de  ractivité  mentale,  étude  analytique  et  phy- 
siolog'tque  des  sensatiousi  déterminations  des  lois  psychologiques.  Il  a 
définit  enVin  les  caractères  généraux  qui  marquent  la  psychologie 
moderne  :  subordonnée  jadis  à  des  intérêts  pratiques  ou  réduite  à  Tétat 
de  discipline  auxiliaire  d'autres  scitmcos  (théorie  de  la  connaissance. 
mopale,  politique,  métaphysique  générale^  etc.)i  ^ll*^  est  devenue  auto^ 
aome.  Elle  a  cessé  de  se  laisser  guider  par  des  analogies  mécaniques 
ou  physico-chimiques  (ti'lles  que  Tinortie,  Tattraction,  la  synthèse  chi- 
mique) qui  semblaient  fort  naturelles  en  un  t4»mps  où  la  science  de  la 
vie  naissait  à  peine,  et  ne  cherche  plus  que  dans  le  domaine  biolo- 
gique des  parallèles  aux  lois  qui  régissent  les  laits  de  conscience. 
Enlin  elle  est  devenue  internationale  :  les  psychologues  de  tous  les 
pays  collaborent  à  une  œuvre  oommane  et  dont  les  Congrès  sont  la 
vivante  expression.  Il  a  conclu  par  le  mot  de  Galilée  :  De  subjectù 
vetustissîmo  }iovis£imam  proiiiovemus  scientiRm. 

Le  Congrès  comptait  Î7G  membres,  il  a  été  annoncé  156  communica- 
tions, dont  environ  110  ont  été  faîtes.  Le  Congrès  a  siégé  jusqu'au 
samedi  Îô  août;  les  après  midi  ont  été  consacrés  à  des  séances  g'éné- 
raies,  les  matinées  à  des  séances  de  section^ 

Nous  avons  adopté  pour  la  cl assifi cation  des  communications  Tordre 
que  nous  avons  suivi  dans  le  comptts-rendu  du  Congrus  de  Munich» 
de  fa^on  à  permettre  une  comparaison  plus  facile  entre  les  travaux 
des  deux  Congrès;  nous  avons  mentionné  ici  celles  qui  nous  ont  paru 
les  plus  importantes  et  les  plus  caractcristiques;  on  voudra  bien 
excuser  nos  omissions,  dont  quelques-unes  à  coup  sûr  sont  involon- 
K   taires  ou  injUBtlOées. 


/.  ANATOMIE   et  physiologie   CÉnÊBRAtES  ET  NÊEIVËUSË3 

DANS  LEURS   IlAPPOUTS  AVEC  LA  PSYCHOLOGIE. 


l<*  Prof.  p.  Hegeh  et  D""  J,  Dhmoor.  —  Contribution  à  U  physiologie 
de  Vécorce  cérébrale^ 

Les  expériences  de  Heger  et  de  Denioor  leur  ont  permis  d'établir 
que  les  neurones,  et  en  particulier  les  neurones  corticaux,  ne  sont  pas 
leetège  de  mouvements  ami boldes,  mais  qu'ils  réagissent  aux  excitations 
par  une  contraction  de  leur  substance  fondamentale.  Les  prolongements 
dendrî tiques  et  cylindraxiles  de  ces  neurones  portent  des  appendices 
de  forme  variable  qui  interviennent  dans  T association  des  éléments 


Blâ 


BEVtË   PUiLOSOPIIlQlE 


nerveux.  A  Tétat  de  repos,  iIb ne  revètenr. jamab  laspcct  moDiliforme; 
ils  afTectent  au  contrairo  celte  apparence  sous  Taction  de  la  morphme, 
de  Vhydrate  de  chloral,  de  Téther  ou  duohloroforme;  le  mém^  phéno- 
mène s'observe  chez  les  animaux  fatîf^ués  ou  soumis  à  uae  excita- 
tion électrique  trop  prolongée,  dans  les  cas  d*inanîtion  et  d'empoi- 
sonnement^ chez  les  animaux  hibernante  pendant  leur  sommeil  d'hiver, 
chez  des  animaux  eniln  en  proie  à  TefTarement  et  à  la  terreur  àu 
moment  où  on  les  a  aacrinés*  L'état  moniH forme,  qui  d'ailleurs  w'esl 
que  transitoire  {lorsque  rirritation  a  cessé  d'agir,  la  neurone  récupère 
sa  forme  normale)  révèle  que  la  cellule  a  été  soumise  à  utie  ejcciimioa 
intense  et  qu'elle  y  a  répondu  comme  toute  cellule  par  une  contraction 
protoplasmique.  Lorsque  Texcitation  est  Taible  et  réjcrulièrement  pro- 
gressive, Tétat  moniliforme  ne  se  produit  pas.  Cette  plasticité  de  la 
cellule  nerveuse  rend  compte  de  diverses  expériences  faites  sur  k 
cerveau,  qui  viennent  d*ai Heurs  en  apporter  des  preuves  nouvelles; 
elle  expUque  notamment  que  la  rapidité  de  la  myélinisation  dépende 
de  la  mise  en  Jeu  de  ractivîté  des  cellules,  que  Tactivité  des  neuroûei 
Boit  indispensable  au  complet  développement  de  leurs  arborisations^ 
que  les  phases  d'activité  ou  de  repos  de  la  cellule  soient  caractériiëei 
par  la  consommation  ou  1  accumulation  de  la  substance  ehrotnatîque. 
La  conséquence,  de  haute  importance  au  point  de  vue  psychique, 
quM  faut  tirer  de  cetto  plasticité  et  ûn'  cette  variabilité  du  ncurofii'i 
c'est  que  dans  sa  structure  ot  fe^on  fonctionnement  il  n'est  pas  exclu- 
sivement dominé  par  rhérédtté,  mais  qu'il  dépend  dans  une  large 
mesure,  h  ce  double  point  de  vue,  de  la  nature,  de  rintensité  et  de 
la  forme  des  excitations  auxquelles  il  est  soumis.  11  est  vrais embla^il^ 
que  pendant  l'état  moniliforme  le  neuponi;  est  insensible,  comme  ie 
protoplasma  pendant  la  durée  de  la  phase  de  contraction.  On  ceiD* 
prend  que  cette  insensibiliLé  temporaire  de  ïa  cellule,  jointe  aux  chai* 
gements  morphologiques  qui  résultent  de  sa  plasticité,  modifie  saBS 
cesse  les  conditions  de  perméabilité  de  Fécorce  cérébrale  aux  excita- 
tions périphériques.  La  complexité  des  phénomènes  psychiques  et  l& 
variété  des  combinaisons  mentales  deviennent  ainsi  plus  aisée  à  com- 
prendre- Heger  et  Demooor  assimilent  à  un  phénomène  ré  il  exe  It'â 
réactions  de  Técorce  cérébrale;  tous  les  territoires  sensitifs  ou  sefisû* 
riels  sont  en  môme  temps  moteurs,  La  réaction  de  ces  centres  seftsi- 
tivo-moteurs  aux  irritants  a  pour  corrélatifs  psychiques  les  sensati^i^^ 
et  les  images  particulières;  les  idées  complexes  et  générales  supposent 
rentrée  en  jeu  des  centres  d^association,  centres  réflexes,  eux  aussit 
dont  le  fonctionnement  a  son  point  de  départ  dans  Texcitatton  des 
centres  ^sensitivo-moteurs.  Par  des  expériences  faites  sur  le  ehi^^* 
Demoor  pense  avoir  nettement  mis  en  lumière  le  rôle  de  ces  centre^ 
d'association;  ses  conclusions  corroborent  dans  les  grandes  ligoes 
celles  de  Flechsig  *. 

1,  La  communication  a  été  faite  par  M,  Oemeor  en  une  séance  génèrtîet** 
cours  d'une  vénUible  conférence  sur  les  fonctiens  de  récorcei  coofé  rente  i]^% 


MARILLIER,   —   COXÛRÉS   IXTEUÎUTIONAL  HZ  PSYCHOLOGlfi        313 

2®  Mlle  StefaKOWSKa  a  démontré  que  les  appendices  piriformes  qui 
recouvrent  toute  la  Burface  des  dendrites  demeurent  étalés  chez  les 
Animaux  qui  sont  plongés  soît  dans  le  sommeil  naturel,  soit  dans  le 
pommeil  anesthëstque  iuoffensif  comme  chez  ïes  animaux  éveillés.  Ces 
!»ppendiceâ  ne  disparaissent  que  chez  les  atiimaux  soumis  à  une  éthé- 
risatiou  violente  et  prolongée.  Il  semble  donc  que  dans  les  coaditioni* 
physiologiques  normales,  ils  persiâtent  sur  les  dendrites.  Il  n'est  pa& 
Impossible  cependant  do  supposer  que  même  dans  ces  conditions  ils 
Soient  doués  d'une  certaine  mobilité  et  que  par  des  oscillations  imper- 
ceptibles ils  fassent  varier  les  contacts  entre  les  neurones  et  exercent 
pkinsi  une  inlluence  sur  le  passage  de  rinHux  nerveux.  Mais  les 
preuves  expérimentales  manquent-  Mlle  St  considère  les  perles  ou 
►varlcosités  qu'on  observe  souvent  sur  les  prolongements  des  cellules 
lierveuses  comme  des  formations  pathologiques;  leur  existence  ne 
saurait  dune  constituer  une  preuve  de  ramiboïsme  de  ces  cellules; 
plÏB  GU  attribue  roriglne  à  des  troubles  de  nutrition^  ces  varicosités 
apparaissent  dans  rintoxication  par  Téther  chez  les  animaux  qui  ont 
succombé  à  Tasphyxie,  à  la  décapitation  et  à  la  strangulation,  et  aussi 
flans  le  cerveau  électrîsé  directement,  Mlle  St,  n*a  observé  aucune 
pspèce  de  rétraction  des  dendrites  chargés  de  perles  j  leur  parcours 
peste  invariable  malgré  cette  altération. 

3**  M*  Le  EK  0.  Vogt  a  cherché  à  montrer  que  les  conceptions  ana- 
omiquos  de  Flechsig  étnient  sujettes  à  de  nombreuses  critiques  et  à 
établir  qu'en  conséquence  les  théories  psychologiques  quMl  a  édi liées 
lur  cette  base  reposent  sur  un  fondement  trcs  fragile  et  presque  rui* 
leux.  Il  estime  d'ailleurs  que  la  notion  des  centres  spéciaux  d'associa- 
tton,  fût  elle  de  tous  points  escactc,  nous  n'en  serions  pa$;  mieux  rensei- 
gnés sur  te  fonctionnement  de  Tesprit.  Dans  T  état  actuel  de  la  science, 
A  connaîssancL»  de  la  topoj^raphie  cérébrale  ne  peut  jeter  sur  les  phé- 
Kiomènes  psychologiques  ou  les  lois  de  leur  groupement  aucune 
lumière.  Un  jour  peu-ètre  viendra  où  la  connaissance  de  Tanatomie 
du  système  nerveux  pourra  rendre  à  la  psychologie  des  services  ana- 
logues à  ceux  qu'elle  rend  déjà  au  neuropathologîsteou  au  psychiatre^ 
tuais  ce  jour  n'est  pas  venu  encorL'  ;  nous  n'avons  d'autres  ressources 
pour  connaître  les  fonctions  physiologiques  du  cerveau  que  dt.-  les 
déterminer  expérimentalement,  nous  n^avons  pas  d'autre  moyen  pour 
connaître  les  fonctions  psychiques  que  l'observation  directe  ou  iutro- 
Rpective  ou  l'étude  des  manifestations  somatiques  (actes,  gestes, 
paroles,  etc-)  par  lesquels  les  états  de  conscience  se  traduisent  au 
liehors,  —  A  ïa  suite  de  cette  communication  s'est  engai^ée  une  inté- 
ressante discussion  :  M,  Uemoor,  d*accord  en  cela  avec  M.  Delagc,  a 
ioutenu  que  la  connaissance  de  Tanatomie  macroscopique  du  cerveau 
et  du  système  nerveux  avaient  déjà  rendu  d'éminents  services  à  la 

ft  illustrée  de  ni>mbreuses  projectioûi  de  préparations  bîs toi ogiquee,  faites  dans 
les  laboratoires  de  Flnstitut  Solvav» 


mWE  PBILOSOP]ifat)E 

»  efequ  ea  particulier  la  dêtermiaaUoEi  des  localî  sdtioiu  céré* 
AYmtl  iiemiis  de  pousser  ptua  avant  Tanalyse  de  IVspnt:  il 
rfue  U.  eonaaiâBaoee  plus  approfondie  de  Thiâtologie,  de  lacyto> 
f  riitstoph^pMiolo^e  jt.Tttera  sur  tous  les  problèmes  encore  mal 
rde  la  soieac^^  de  Tesprit  unu  abondante  lumière*  11  conteste 
i^  el  en  se  fondant  sur  de  multiples  exemples,  que  la  mor^bo. 
liçiie  «Tttci  élément  anatomique  ne  puisse  nous  éclairer  sur  ses  fûQC- 
ttnan  Sur  ee  dernier  point,  sa  thèse  est  combattue  asse^  vivement,  en 
i#^vi  OQûceme  les  ronctions  physiologiques  elles-mêmes,  par  le  pro- 
ttmmmt  Riohet,  qui  se  range  à  Topinion  de  M.  Vogt,  a  laquelle  eepcn- 
Éiat  tl  apporte  quelque  lempérament.  Il  admet  d'aîUeurf  que  la  physio* 
U0m  p«ut  aous  fournir  sur  le  fonctionnement  mental  de  très  préci€tms 
Imiicâtiofis.  oelles-là  même  que  Tanatomie  est  inhabile  à  nous  pro- 
«Mper. 

I*  Mlle  JoTSYKO  a  présenta  deux  notes  relatives  à  la  fatigtie.  D^nû 
to  première,  elle  a  cherché  à  établir  que  les  centres  psycho-mo leurs 
«Mit  beaucoup  plus  résistants  à  la  fatigue  que  les  appareils  termiu»ux* 
Kllv  y  i^si  parvenue  l'O  ûludiant  les  variations  de  quolienl  de  fati^w 
MUa  rniÛuence  de  la  fatigue  elle-nièm'ï.  (Le  quotient  de  fatigue  esïle 
t«|»p«ïrt  numérique  qui  existe  dans  une  courbe  ergographiquct  entre U 
luiutdur  lotale  des  soulèvements  et  le  nombre  des  soulèvomeoU).  Les 
ill^ts  k  chaque  expérience  épuisent  totalement  leur  force  à  Tergo- 
grapheet  lo  temps  de  repos  entre  les  expériences  successives  est  iiisuf- 
llaajnl  pour  faire  disparai tre  toute  trace  de  fatigue  antérieure-  A 
tfliaque  expérience,  la  quantité  du  travail  mécanique  est  diminuée* 
Or  c<»Ue  diminution  se  fait  surtout  aux  dépens  de  la  hauteur,  de  ieUt^ 
ttorti.^  qu'à  chaque  nouvelle  courbe  la  valeur  du  quotient  de  fatigua 

(  7  )  diminue,  et  Ton  sait  depuis  les  travaux  de  Hoch  et  de  Kraepeliû 

que  la  hauteur  totale  est  en  relation  avec  le  travail  musculaire^  ^^ 
tiombro  des  soulèvements  avec  celui  deâ  centres  cérébraux.  Mlle  Joteylio 
avait  pu  d  ailleurs  établir  antérieurement  que  les  centres  réllexe^  ^^ 
lanKH'lle  se  fatiguent  moins  vite  que  les  muscles.  Par  cette  fatigue  du 
mu^eUs  \\  convient  d'entendre  répuisement  des  terminaisons  nerveuse» 
Uitra-museubires, 

Uatii  aa  eeooade  note,  Mlle  Joteyko  a  insisté  sur  la  fonction  bioW' 
tfiqiio  do  la  fatigue,  qu'elle  considère  comme  un  moyen  de  défenseur 
roi^atlNmu.  Elle  le  soustrait  momentanément  à  l'action  des  excttatioûs 
trop  intenses  ou  trop  prolongées  et  elle  est  engendrée  par  ces  excita- 
Uon«  mêmes.  Cette  protection  est  d'autant  mieux  assurée  que  l^ 
orgftnes  terminaux  s'épuisent  les  premiers.  Si  cependant  une  irritation 
piut  Intense  est  portée  sur  des  organes  périphériques  devenus  ine^^^^' 
tabk^K  pour  un  excitant  d'une  intensité  donnée,  ils  peuvent  fonctionne' 
«noort\  mais  alors  apparaît  la  sensation  de  fatigue»  sensation  d'origine 
coiUralo  ot  qui  est  comme  un  second  avertissement  qui  se  f»*^ 
enii^ndrt»  lorsque  le  premier  (la  nécessite  de  relfort)  n'a  pas  été  écoute* 


MARILLÏEH.    —   CONGRÈS   ISTEttXATIOnAL   BB    PSYCHÛLOCTE         515 

itain^i  défense  immédiate  par  la  paralysie  périphérique,  défense 
préventive  par  la  sensation  qiiV>ngendre  ie  mouvement  accompli  en 
dépit  de  cette  parésie  momentanée- 


JI,  Psychologie  et  phtsiolooib  des  obganes  des  sens, 

PSYCHOPItVSIQOE- 

i*'  Kfi*  B.  —  R.  ÂAAS«  Sur  quelques  conditions  de  la  rivalité  des 
images  rétiniennes. 

M.  Âars  cherche  à  établir  que  la  fusion,  raUernatice  ou  la  juxtaposi- 
tion des  images  rétiniennes  est  sous  rinfluence  non  pas  seulement  de 
conditions  physiques  déterminées  depuis  îongtemps,  mais  aussi  de  con- 
ditions d*oj  igine  centrale ^  telles  que  la  volonté  ou  l*attente  11  a  eona- 
taté  que  ai,  au  moyen  de  lentilles  placées  devant  les  yeux,  on  rend 
l'accommodation  plus  difficile  pour  l'un  ou  Tautre  œil,  on  fait  dispa- 
raître Timage  correspondante.  L'intensité  de  la  sensation  a  une  grande 
inDuence  sur  sa  perception,  mais  le  rôle  des  relations  de  contraste  et 
de  U  netteté  des  contours  est  plus  important  encore.  Cette  netteté  ne 
dépend  pas  d'un  accroissement  d'intensité  de  Texcitant,  mais  doit  être 
rapportée  aux  conditions  centrales  de  la  perception^ 

2*  M.  S.  Alhutz  a  fait  une  communication  sur  le  sensation  do  cha- 
leur ardente  (Hitzeemprtnduwj),  qu'il  dîlTérencie  de  la  sensation  de 
froid  et  de  la  sensation  ordinaire  de  chaud  et  qu'il  rapporte  à  Texcita- 
tion  simultanée  de  points  chauds  et  froids  de  la  peau*  Il  étudie  les 
gensations  «  para-  doxalcs  »  de  froîd  et  de  chaud  (la  sensntion  da 
froid  par  exemple  produite  par  l'excitation  avec  une  pointe  chaude  d'un 
organe  terminal  de  perception  du  froid  )et  expose  la  technique  à 
employer  pour  la  dissociation  des  diverses  sensations  thermiques  et 
des  sensations  douloureuses. 

Cette  communication  a  été  suivie  d*iine  démonstration  expérimentale 
au  laboratoire  de  M.  Binet. 


Z''  E)'"  F,  KauEGER*  Sur  la  consonance  et  In  diêsonance. 

BrL  Krucger  s'est  attaché  à  démontrer  expérimentalement  l'inexactî- 
tude  de  la  théorie  de  Helmholtz  qui  rattache  la  consonance  à  la  coïnci- 
dence des  harmoniques  et  la  dissonance  à  leur  non*coincidence.  Il  a 
établi  que  le  caractère  psychologique  de  consonance  et  de  dissonanûô 
appartient  à  des  sons  qui  ne  possèdent  que  très  peu  d'harmoniques  ou 
n'en  possèdent  pas  du  tout.  Il  le  rattache  comme  à  ses  facteurs  prin- 
cipaux aux  sons  de  différence,  â  leurs  propriétés,  à  leur  relations,,  ^^ 
leur  succession.  Tous  les  accords  consonants  possèdent  un  nombre 
limité  et  bien  déterminé  de  anns  de  différence,  qui  sont  simples  et 
pareils  les  uns  aux  autres;  les  dissonances  ont  leur  cause  en  une  plu- 
ralité confuse  de  sons  dtfTérentiels,  voisins  les  uns  des  autres^  qui 
possède  les  propriétés  d'une  pHme  discordante. 


516 


REVDE  UUILOSOPUIQUE 


4«  Prof.  O,  KuBLPE,  Sur  lu  relation  des  dîlférences  h  peine  percep- 
tibleê  anx  dilfêvences  nettement  perceptibles^ 

La  question  de  la  grandeur  des  différences  à  peine  perceptibles  ne 
peut  être  résolue  par  des  considérations  purement  théoriques,  et  les 
recherches  de  Merkel  {PhiL  Stud.  IV,  Y,  X)  ne  Tout  pas  résolue  d'une 
façon  satisfaisante.  De  nouvelles  expériences  faites  dans  le  domaine 
des  intensités  lumineuses  et  sonores  par  un  procédé  direct  et  m\  pro- 
cède indirect  ont  établi  d'une  manière  indubitable  que  Tapprëciatiûii 
des  intervalles  entre  des  sensations  séparées  par  des  difîé renées  nette- 
ment perceptibles  donne  des  résultats  tout  autres  que  cerni  aujquds 
aurait  conduit  rhypothèse  que  toutes  les  difTérences  à  peine  percepti- 
bles dans  une  mcme  série  d'excitations  sont  des  différences  égAlw 
entre  elles.  De  ces  expériemt;s  it  faut  conclure  que  cette  hypclhësoest 
fausse,  si  on  la  prend  dans  toute  sa  généralité,  et  qu'on  doit  bien  plutôt 
admettre  que  ces  diflérences  de  aensations,  que  nous  appelons  à  peine 
perceptiblea  (ebenmerfdich),  dans  les  limites  des  séries  d*exdtaiiotis 
qui  ont  é(é  étudiées,  croissent  avec  Tintensîté  absolue  des  sensatians. 

De  ces  don  nées  ^  on  peut  tout  d'abord  déduire  que  la  loi  de  W^ber 
aura  une  signification  tout  à  fait  différente  suivant  qu*elle  s'appliquera 
aux  différences  a  peine  perceptibles  ou  aux  différences  nettement  per- 
ceptibles. 11  convient,  semble-t-il,  de  réserver,  conformément  a  la  tra- 
dition, le  nom  illustre  de  cette  loi  à  celle  qui  s  applique  à  la  détermi- 
nation du  seuil.  On  doit  de  plus  préférer  dans  ce  cas  Thypothùsede  b 
relation  et  donner  à  la  loi  une  signiticatton  psychologique»  Eïilio  1* 
conséquence  découle  nécessairement  de  là  qu'il  y  a  des  différeueesii^ 
sensations  inconscientes  ou  non  perceptibles,  et  iî  devient  très  vrai- 
semblable qu'en  ce  qui  concerne  les  excitations  à  peine  percepHhles 
dans  leur  rapport  avec  les  sensations,  il  y  a  lieu  d*essayer  la  ïï^^^^ 
interprétation.  Il  faudrait  se  garder  de  trop  généraliser  la  valeur  du 
rapport  dccouvcit.  Il  est  probable  qu*îl  se  vérifie  toujours  et  ptulout 
en  ce  qui  concerne  les  intensités.  En  revanche,  en  ce  qui  se  rapport* 
aux  qualités,  aux  déterminations  spatiales  et  chronologiques,  ilexis** 
pour  les  différences  à  peine  perceptibles  une  autre  formule  des  rel** 
tions  de  grandeur,  beaucoup  plus  variable  et  changeante. 

5^  Prof,  Alf,  Lehmaî^n.  Sur  téquivahnt  mécanique  des  étaU  p^ 
chiques. 

C'est  chose  connue  que  la  relation  entre  Texcitation  et  la  sensa^^^^ 
qu'exprime  la  loi  de  Weber  est  susceptible  de  plusieurs  înterprétatii>*^** 
II  est  aussi  généralement  admis  que  la  loi  ne  peut  prétendre  à  auc^^ 
rigueur.  S'il  était  possible  de  déterminer  une  formule  exacte  et  *^ 
eorreaporidît  aux  faits,  de  la  relation  entre  Icxcitation  et  la  sensati^  * 
il  est  de  toute  probabilité  que  la  question  de  la  signîrication  de  la 
se  trouverait  par  là  même  résolue.  Lehmann  a  réussi  à  détermir^ 
empiriquement  pour  les  sensations  visuelles  une  formule  de  ce  gen^ 
d'ailleurs  très  compliquée,  par  la  mensuration  de  la  période  critique 


M  ARILLIER.    —   CONGRÈS   IWTÊ  II  NATION  AL  DE   PSYCHOLOGIE        517 

disque.%  en  rotation .  On  ne  peut  Taire  comprendra  que  de  in  Taçoti  sui- 
vante îa  signtïicatîon  de  cette  formule.  Si  on  exprime  la  grandeur  de 
Faction  photochimique  produite  par  une  excitation  donnée  Bur  la  rétine, 
en  tenant  compte  de  l'intluence  des  échangea  nutritifs  et  de  celle  du 
contraste,  qui  s*exerce  suivant  des  lois  connues,  on  arrivera  à  une  for- 
mule qui  est  précisément  la  formule  empirique  trouvée.  On  peut 
exprimer  les  relations  des  sensations  auditives  à  leurs  excitants  d'une 
manière  analogue.  De  plus  on  peut  établir  au  moyen  des  mesures 
ergo_-^raphiques  que  cette  même  formuie  exprime  la  dépendance  où  se 
trouve  le  travail  musculaire  à  Tégard  de  Tinnervation  centrale.  On 
rpeut  à  peine  douter  qu'elle  ait  une  signification  exclusivement  physio- 
«logique.  C'est  donc  l'tiypothèse  la  plus  vraisemblable  que  les  sensa- 
'tiens  sont  proportionnelles  aux  irritations  centrales.  Si  Ton  accepte 
cca  suppositions  comme  exactes»  on  pourra  par  les  met li odes  ergogra- 
phiques  mesurer  Féquivalent  mécanique  des  divers  états  de  cunscience- 
•  6*  MM.  L.  M^tULLiEU  et  J.  Philippe  ont  présenté  une  note  préliminaire 
BUr  une  série  de  recherches  esthésioméîrîques  qu'ils  poursuivent 
depuis  plusieurs  années.  Les  mensurations  de  Weber  n'ont  guère  porté 
que  sur  un  seul  sujet  :  les  détails  précis  nous  manquent  sur  Tétat  de 
6a  peau,  les  modalités  de  sa  sensibilité  tactile  et  ses  dispositions 
psychologiques.  Depuis  Weber  on  n'a  pas  publié  de  travail  d'ensemble 
sur  la  topographie  des  sensations  tactiles;  tout  s'est  borné  à  des 
recherches  partielles.  Il  a  paru  utile  aux  deux  auteurs  de  fournir  au 
psychologue  et  au  médecin  une  carte  générale  de  l'état  de  la  sensibî- 
lité  tactile  dans  les  diverses  rc^nons  du  corps,  d'après  des  niensu ra- 
tions faites  sur  plusieurs  sujets»  C'est  ce  qu'ils  ont  tenté  de  réaliser 
ati  moyen  de  mesures  prises  méthodiquement  et  en  séries  complètes 
BUr  quatres  modèles  d'atelier  et  de  mesures  de  contrôle  prises  sur  plu- 
Bîeurs  autres  personnes.  Ils  n'ont  pas  tardé  à  constater  que  si,  dans  ses 
grandes  liÉ^nes,  cette  topographie  était  invariable,  des  modifications 
de  détail  d'une  haute  importance  se  produisaient  à  quelques  mois  de 
distance  et  parfois,  mais  plus  rarement,  d'une  séance  à  l'autre^  et 
^que  la  finesse  do  la  sensibilité  différentielle  était  sous  la  dépendance 
étroite  de  conditions  psychologiques  et  de  modirications  physlologi* 
^uea  instables.  —  Des  détails  complets  sur  le  dispositif  adopté  et  les 
précautions  prises  seront  donnés  dans  le  mémoire,  où  seront  indiqués 
^ea  résultats  de  ces  recherches,  ainsi  que  Les  tableaux  numériques.  Les 
ineeures  ont  été  prises  pour  la  plupart  en  séries  longitudinales 
continues.  Au  cours  de  ces  recherches,  et  c'est  peut-être  leur  plus  réel 
intérêt  au  point  de  vue  de  la  psychologie  physiologique,  Mari  Hier  et 
hilîppe  ont  constaté  qu'aune  distance  où  deuxpointesde  forme  iden' 
ttique  ne  donneraient  qu'une  seule  sensation  et  étaient  rapportées  en 
n  même  lieu,  deux  pointes  de  forme  difîérente  étaient  toujours  per- 
ues  comme  distinctes.  Il  fallait  les  rapprocher  notablement  pour  que 
m  deux  sensations  se  confondissent,  et  encore  laut-il  ajouter  qu'elles 
ntinuaient  fréquemment  à  être  distinguées  qualitativement  alors 


518 


REVLE  PHILOSOPHIQUE 


qu'elles  ne  Tétaient  plus  localement.  L*exercice  leur  a 
encore  Técart  entre  les  seuils  de  ces  deux  modalités 
tactile. 

7°  N.  Vaschide.  Recherches  expérimentales  sur  le 
sensibilité  tactile  et  de  la  sensibilité  musculaire. 

V.  a  cherché  à  établir,  en  reprenant  les  cxpérienci 
et  en  les  corroborant  par  des  expériences  nouvelles,  1 
la  sensibilité  tactile  et  de  la  sensibilité  musculaire.  L 
culaire  serait  essentiellement  une  sensibilité  kinesth 
tude  à  percevoir  les  mouvements  dont  le  muscle 
elle  serait  en  tout  comparable  aux  autres  sensibilités 
pas  ramener  à  un  sentiment  d*innervation  centrale 
unes  des  preuves  invoquées  par  V.  à  Tappui  de  son 
tion  des  nerfs  cutanés,  Tablation  ou  Tanesthésie  de 
blent  pas  Texécution  des  mouvements,  même  des  mou 
L'anesthésie  de  la  muqueuse  des  cordes  vocables  n*e3 
appréciable  sur  la  justesse  de  la  voix.  Les  faits  cl 
qu'il  peut  exister  une  dissociation  fonctionnelle  des 
sensibilité  étudiées  dans  ce  mémoire.  La  sensibilité  i 
pour  organes  les  corpuscules  de  Golgi,  et  cette  exist 
spécial  est  un  indice  de  haute  valeur  de  Texistence 
la  fonction.  Il  existe  une  sensibilité  électro-musculai 
sion  s'accroît  dans  les  cas  d*ivresse  alcoolique  ou  < 
Topium,  et  une  fatigue  musculaire  d'une  nature  spéc 
spécifique  de  la  sensibilité  de  mouvement  s'accuse  s< 
protoxyde  d'azote,  du  haschisch,  du  chloroforme, 
Falcool,  etc.  Il  existe  cependant  des  relation  s  entre  h 
culaire  et  la  sensibilité  tactile;  elles  apparaissent  «  dt 
de  contact  (la  pression  n'est  qu'un  contact  plus  inti 
et  dans  la  «  sensibilité  stéréognostique  tactile  sta 
des  images  musculaires  consécutives  aux  sensations 
conscience  musculaire  est  dans  une  étroite  dépendaii 
ment  et  de  l'éducation  des  mouvements  actifs. 

8°  Le  Prof.  Gœtz  Martius  a  présenté  au  Congrèi 
permet  l'interruption  à  peu  près  instantanée  d'une 
neuse  ou  d'une  série  d'excitations  lumineuses  qui  s 
un  intervalle  obscur.  Il  est  construit  pour  qu'on  y  pu 
deux  yeux,  et  disposé  de  manière  à  ce  que  l'on 
quence  comparer  une  impression  d'une  durée  dé 
suite  d'impressions  de  cette  espèce  avec  la  sensation  p 
accommodé  à  une  impression  constante.  C'est  une  tra; 
plète  de  l'appareil  construit  par  Helmholtz,  avec  le< 
ses  recherches  bien  connues  sur  le  temps  nécessaire 
visuelle.  Les  résultats  obtenus  à  l'aide  de  ce  neuve 
tuent  à  plusieurs  égards  une  importante  contributioi 


MAEILLIER.    —   CONÇUES  ÏKTKHÎNATlOPtAL  DE  PSTCHOLOCJB        Sî9 

sance  des  processua  de  la  perceplion  lumineuse  et  à  la  théorie  de  la 
durée  des  sensations.  Ils  ne  sont  pas  sans  intérêt  non  plus  au  point  de 
vue  physiologique  :  ils  confirment  le  plus  souvent  les  résultais  auxquels 
était  arrivé  Charpentier  par  une  tout  autre  méthode. 

9'  M.  P,  Menti  a  fait  une  communication  sur  les  degrés  de  saturation 
des  diverses  régions  du  spectre  et  leur  mesure.  Il  estime  de  peu  de 
valeur  les  chiffres  obtenus  par  les  mesures  immédiates  de  la  sensibilité 
différentielle.  La  méthode  la  plus  satisfaisante  pour  la  mesure  de  la 
saturation  lui  semble  être  celle  des  distances  psychologiques  égales  ou 
mieux  encore  celle  de  la  moyenne  des  quatre  proportiounelles,  en 
prenant  pour  point  de  départ  une  différence  à  peine  supérieure  au 
seuil  au  milieu  de  la  série  des  saturations.  Les  courbes  ainsi  obtenues 
expriment  des  résultats  qui  coïncident  avec  ceux  que  fournit  l'examen 
direct  du  spectre  entier  et  leur  sont  supérieurs  par  la  quantité  des  sen- 
Bâtions  difïérentielles,  sans  que  le  contraste  des  trois  facteurs  paraisse 
exercer  beaucoup  dUnfluence.  Les  positions  des  maxima  do  saturation 
coïncident  avec  celles  des  couleurs  pures,  dès  longtemps  connues.  Le 
nombre  de  ces  maxima  de  saturation  est  ù  un  point  de  vue  théorique 
d'une  décisive  importance.  Mais  il  y  a  cependant  ici  des  éléments 
d'erreur  qui  proviennent  1^  des  suggestions  exercées  par  l'éclat  et  la 
teinte,  2<*  de  la  difficulté  de  déterminer  le  sens  de  la  difïêrence^  le  cas 
des  différences  1res  petites;  H"*  de  Tinlluence  exercée  par  le  contraste 
sur  les  facteurs  qui  ne  sont  pas  immédiatement  soumis  à  la  mesure, 
La  détermination  de  ces  courbes  de  saturation  potir  les  couleurs 
douteuses  dans  les  cas  d'achromatopsie  n'est  point  seulement  à  recom- 
mander en  raison  de  la  précision  qu'elle  permet  d  atteindre,  mais 
aussi  à  cause  des  données  que  fourniront  ces  courbes  pour  la  solulion 
de  la  qut'stion  du  nombre  des  couleurs  et  de  celle  de  réquivaience 
entre  des  couleurs  voisines  ou  autres, 

U>  M,  E,  W*ScRiPTOHE  a  présenté  un  nouvel  appareil  pour  rexamen 
du  sens  des  couleurs  qui  offre  le  très  grand  avantage  d'ét.r<3  aisément 
transportable  et  d'un  mftniement  facile.  11  répond  en  même  temps  aux 
exigences  pratiques  auxquelles  ne  répondent  ni  Tcpreuve  de  Téchantil* 
lonnage  des  laines  ni  la  comparaison  des  verres  colorés.  Il  faut  en  effet 
que  les  diverses  couleurs  sur  lesquelles  la  sujet  aura  à  se  prononcer 
lui  soient  présentées  en  des  conditions  aussi  voisines  que  possible  de 
celles  qui  se  trouveront  réalisées  dans  la  pratique  {le  colov-lester  de 
Scripture  a  été  construit  spécialement  pour  Texamen  des  yeux  des 
mécaniciens  de  bateau  et  de  chemin  de  fer.)  Il  faut  donc  que  Tappareil 
permette  de  produire  artiiicielletnent  Taffaiblissement  des  colorations 
que  détermine  le  brouillard  ou  la  distance,  que  le  sujet  ait  à  nommer 
la  teinte  qui  est  soumise  ïi  son  examen  et  que  ce  soit  sur  des  lumières 
colorées  présentées  simultanément  à  sa  vue  qu'il  ait  à  se  prononcer, 
sans  qu'il  lui  faille  émettre  un  jugement  de  ressemblance  ou  de  dis- 
«emblance.  Le  color-tesifT  de  M.  Scripture  répond  à  ces  divers  deside- 
Il  a  Taspect  d'un  ophtalmoscope;  d*un  coté  il  porte  de  petites 


520 


REVUE   PH[LOSOI»flIQtJE 


fenétrêi,  garnies  Tune  d'un  verre  complètement  transparent.  r,tutfë~ 
d'un  verre  légèrement  teinté  de  noir,  la  troisième  d'un  verre  beaucoup 
plus  foncé.  L*autre  face  de  l'appareil  est  formée  par  un  disque  tournant 
qui  porte  douze  morceaux  de  verre  coloré  de  différentes  teinter  d« 
vert,  de  rouge  et  de  gris.  On  peut  ainsi  produire  toutes  les  combinai- 
sont  les  plus  propres  à  déceler  rachromatopsie.  L*opérfiteur  n'-i  qu'a 
inscrire  sur  des  tableaux  tout  préparés,  en  regard  de  lettres  qui  repro* 
duisent  celles  qui  désignent  sur  le  disque  leâ  diverses  couleurs*  les 
réponses  du  sujet.  L'examen  est  ainsi  fait  automatiqu émeut  et  tans 
que  Topératenr  ait  à  intervenir.  Une  bande  métallique  qui  porte  dei 
ouvertures  de  1  a  8  mlïi mètres  permet  de  faire  Texamen  quantitalif  de 
la  sensibilité  aux  couleurs.  En  se  servant  d*une  source  lumîaeusi 
dlntenailé  choisie  une  fois  pour  toutes  et  en  plaçant  le  sujet  à  une 
distance  donnée  »  ropérateur  cherclie  à  déterminer  quelle  est  la  plua 
petite  ouverture  pour  laquelle  peut  être  distinguée  une  couleur,  le 
rouge  par  exemplo.  On  peut  aussi  se  servir  d'une  ouverture  degrandear 
donnée  et  faire  varier  la  distance  à  laquelle  est  placé  le  sujet  II  existe 
des  cas  nombreux  d'achromatopsie  limitée  à  la  partie  centrale  d«  Il 
rétine.  Ils  ont  leur  cause  dans  labus  combiné  du  tabac  et  de  Talcool 
On  les  décèle  en  faisant  passer  rapidement  les  diverses  couleurs  ijue 
porte  le  disque  mobiîe  derrière  la  fenêtre  garnie  d'un  verre  incolore, 
au-devant  de  laquelle  on  a  placé  la  plus  petite  ouverture.  La  ripide 
succession  des  eouleurs  oblige  le  sujet  a  laisser  se  former  Tima^e  atif 
la  partie  centrai  le  de  la  rétine. 

11"  Le  l'rof.  J.  Malcolm  Stratton  a  communiqué  au  Congrès  uoe 
nouvelle  méthode  pour  déterminer  la  plus  petite  distance  latérale 
perceptible.  Dans  rancienne  méthode,  on  se  servait,  pour  la  détenni- 
nation  du  seuiL  de  deux  lignei^^  parallèles  que  Ion  rapprochait  jusqu'il 
ce  qu'elles  so  confondissent;  le  chiffre  qu'on  obtenait  ainsi  était  d^ 
50  à  60".  La  méthode  nouvelle*  qui  consiste  a  placer  ces  deux  li,^aeseî! 
prolongement  et  à  déplacer  l'une  dVlles  en  lui  conservant  sa  direetioa 
jusqu'à  ce  qu*elle  ne  paraisse  plus  en  prolongement  de  Tautre,  a  p(*rniis 
d'éliminer  laction  de  la  dilTusion  rétinienne  et  de  déterminer  comml 
minimuin  visibile  la  distance  de  7* (mesure angulaire).  On  était  ohii^ 
jusqu'ici  d'expliquer  la  perception  de  la  profondeur  stéréoscopiqîîe 
comme  le  résultat  d'une  activité  inconsetente,  parce  que  la  plus  pente 
distance  latérale  qui  produit  un  effet  stéri^osco pique  est  beaucoup 
moindre  que  la  plus  petite  distance  latérale  qui  pouvait  être  perçut 
avec  Tancienne  méthode*  —  Mais  cette  inégalité  des  deux  distance! 
est  si  fort  atténuée  par  remploi  de  la  nouvelle  méthode  que  la  con- 
clusion tombe- —  On  ne  peut  lier  la  perception  de  cette  petite di s fanoe 
à  celle  d'un  mouvement  de  rotation  de  Tceil^  le  diamètre  de  ta  /oeea 
eniriilis  étant  égal  a  300  fois  cette  distance.  Le  minimum  vtsihile  est 
d'ailleurs  plus  petit  que  le  diamètre  d'un  seul  cône  de  la  fot?eâ  an" 
tralis  :  il  fiiut  donc  admettre  que  les  cônes  ne  sont  pas  les  élùmeots 
ultimes  de  Torgane  de  la  vision ^  ou  bien  que  le  signe  local  élémen* 


MARILLIER. 


taire  ïiécessite  l'entrée  en  jeu  de  plusieurs  éléments  rélinien??.  Les 
recherches  de  S,  permettent  de  s'expliquer  pourquoi  la  lïmite  de  la 
profondeur  binoculaire  que  Tobservation  directe  avec  le  pseudoscopc 
ûxe  à  580  mètres,  a  été  placée  par  Bourdon  kT2Q  mètres ^ cela  vient  du 
fait  que  le  seuil  Rpatial  avait  été  déterminé  d'abord  par  l'ancienne 
méthode  des  lignes  parallèles. 

12*  M,  le  D'' Toulouse  a  attiré  lattention  du  Congrès  sur  fa  néces- 
îté  d'unilier  â  la  fois  b  terminologie  psychologique,  les  méthodes  des 
xuesure  et  la  technique  expérimentale  en  matière  psychologique* 

in.  Émotions.  Phiînomf:nE8  moteurs. 
Mouvements  u'kxpression. 

lu  Le  professeur  W*  Tschlsch  a  essuyé  d'établir  que  seules  les  exci- 
tations qui  transforment  un  tissu  vivant  en  tissu  mort  engendrent  de 
la  douleur-  L*inteneitê  de  la  douleur,  toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
dépend  de  la  qualité  du  tissu  vivant  transformé  en  tissu  mort.  La 
douleur  est  une  réaction  unii^erselle,  parce  que  les  excilalions  qui  la 
déterminent  chez  Thomme  détruisent  les  tissus  vivants  dans  tous  les 
organismes*  Les  excitations  qui  ne  détruisent  pas  les  tissus  vivants 
flont  utiles  k  certains  animaux,  nuisibles  â  d'autres;  aussi  produisent- 
elles  des  sensations  agréables  chez  tes  premiers,  des  sensations  désa- 
^gréabîes  chei  les  seconds.  Les  excitations  qui^  soit  par  leur  intensité, 
fcoll  pBT  leur  action  chimique^  sont  désavantageuses  à  l'organisme  et 
rpeuvent  même  entraîner  la  mort  de  rindividu  qui  y  est  soumis,  mais 
I  n'amènent  pas  la  destruction  des  tissus  vivants,  provoquent  des  seiina- 
!  tions  dèmgréaUes^  mais  non  de  la  douleur;  dans  ce  groupe  se  vien- 
nent ranger  les  sensations  liées  aux  excitations  sensorielles  intensives 
et  celles  qui  résultent  d'une  intoxication,  telle  que  rintoiication  mor- 
phlnique. 

Une  discussion  e'est  élevée  sur  cette  communication  :  le  professeur 
Richet  a  maintenu  son  affirmation  qae  la  douleur  est  liée  à  toutes  les 
excitations  très  fortes  et  que  nulle  limite  nette  ne  sépare  les  sensa* 
tions  douloureuses  des  sensations  désagréables. 

2*^  M.  Tisser  AND  a  fait  un  examen  critique  des  théories  qu'ont  données 
du  plaiiir  les  Herbartiens  d'une  part,  Lehmann,  Dumonlt  Bain, 
Bpeneer,  Ri  bot,  de  Tautre*  Il  admet  pour  sa  part,  dans  les  plaisirs  phy- 
siques comme  dans  les  plaisirs  moraux,  l'intervention  d'un  élément 
Jorfuel,  la  tendance, qui  est  irréductible  au  mouvement;  elle  est  iden- 
tique à  Lètre,  inséparable  de  la  spontanéité  et  de  la  vie,  et  nous  avons 
d'elle  un  sentiment  immédiat,  qui  ne  se  peut  ramener  à  une  repré- 
aenta'Jon  sensible. 

3*  Le  D'*  P.  lUnTENBEnG,  Psychologie  de  la  limidiU\ 
M.  Hartenberg  considère  la  timidité  comme  une  tendance  h  une  réac- 
tion émotionnelle  spéciale,  l'accès  d'intimidation,  qui  se  produit  en  des 
eondi tions  déterminées;  Tune  de  ces  conditions  est  très  nette,  c^est  la 

TOUi   L*—   1Ô00.  di 


i 


822 


REVUE  PHILOSOPHIQUE 


présence  d'une  personne  humaine  ou  Tidée  de  cette  personne*  L'accèa- 
d'iiitimidation  résulte  de  la  cumbinaisQU  de  deux  émotions  plus  sim* 
plei  :  Ifi  peur  et  la  honte.  Les  accès,  en  se  multipliant,  engendrent,  par 
les  traceâ  qu'ils  laissent  dans  la  mémoire  intellectuelle  et  affective,  par 
le  ressouvenir  aussi  des  conséquences  fâcheuses  quils  ont  entraméés 
pour  le  sujet,  un  état  mental  inter-paroxystique  qui  devient  la  carac- 
téristique  essenttellu   du   timide.   U  faut  néanmoins   remarquer  que 
parmi  les  traits  du  caractère  des  timides  (il  en  est  bon  nombre  qui 
sont  sous  ia  dépendance  non  pas  du  ressouvenir  des  accès  d'imiaiida- 
tion,  mais  de  Thyperesthésie  générale  qui  est  la  cause  profonde  de  ces 
accès  eux-mêmes.  La  timidité  peut  révéler  une  forme  pathologique, 
tantôt  par  rintensité  excessive  de  ses  crises  ëmotionneUes,  tantôt  en 
donnant  naissance  à  des  phobiei^^  et  à  deso^sf^^^îoii^,  parmi  lesquelles 
sont  su  premier  ran?  celles  de  la  rougeur. 

4*  M.  F.  UA  Costa  Guimahaens  a  cherché  à  établir  que  l'attraît  du 
sport  consiste  excluaivement  dans  Texcitition  qu'il  produit  et  qui 
n'est  que  la  résultante  d'un  surcroît  d'activité  des  fonctions  vitales. 
Ce  surcroît  d^actîvité  n*c3t  du  qu'à  une  oxygénation  plus  aoUve; 
Pattrait  des  sports  se  ramènerait  donc  en  dernière  analyse  à  l*f>ioita- 
tion  produite  par  l'oxygène. 

M.  L.  Marîllîer  a  fait  observer  que  Tat trait  du  sport  résulte  en  partît 
de  ce  qu'en  même  temps  qu'une  excitation»  il  est  un  repos  et  que 
ce  repos  est  la  conséquence  d'une  systématisation  motrice  et  mentale 
très  complète,  qui  oblige  à  une  complète  inactivité  toutes  les  fcnctions 
psychiques  inutilisahles  pour  la  lin  actuellement  poursuivie.  Cett* 
unification  de  Tesprit  est  beaucoup  plus  complète  souh  l'influence  d*ufté 
émotion  forte;  aussi  les  sports  dangereux  sont-ils  les  plus  attrayants^ 
Nulle  distraction  n'est  plus  complète  et  pour  Thomme  civilisé  Bul 
repos  plus  parfait»  puisque  les  fonctions  mentales  qui  sont  utilisées 
dans  les  sports  sont  très  diJTérentes  de  celles  qui  interviennent  dans 
son  activité  journalière. 

5"  Professeur  Jaubs  Sully.  Psychologie  du  chatouillement. 

Les  deux  formes  de  réaction  au  chatouille  ment,  les  mouvemeots 
défensifs  et  le  rire,  appartiennent  à  des  stades  différents  de  l  evoliiti<>H 
psychique,  et  Tapparition  de  Tun  ou  Tautre  de  ces  modes  de  réaction 
implique  un  état  mental  dilTérent;  le  ton  affectif  des   sensations  de 
chatoutllement  est  à  son  tour  modifié  par  les  émotions  engendrées  pu 
les  réactions  motrices.  11  n'est  d'ailleurs  pas  constant  pour  une  mèmi^ 
région  cutanée,  mais  varie   avec   les  conditions^  avec  la  durée,  par 
exemple,  de  l'excitation.   Le  rire   n'est  pas  Hé  à  un  mode  particulier 
d^excitatioui  mais  l'excitation  de  certaines  régions  particulières  de  la 
peau  en  détermine  plus  aisément  l'apparition,  sans  cependant  lentraîner 
nécessairement  en  tous  les  cas.  Lorsqu*au  contraire  les  conditions 
sont  favorables,  le  rire  apparaît  à  la  suiti;  du  chatouiltemeot  de  n*im- 
porte  quel  point  de  la  peau  :  au  nombre  de  ces  conditions  sont  un  état 


MARÏLLIEH.    —  COXGRI^S   ISTRBNATlOEtAL   DE   PSYCHOLOGIE         523 

de  sattsfacUori  et  de  bonne  humeur  et  une  disposition  à  prendre  i^n 
jouant  îa  sensation*  Lotat  complex^^  qni  aboutit  au  rire  implique  une 
certaine  iij(;ertitude  sur  ce  qui  va  arriver  et  une  complète  ^assurance 
que  li.^s  attoui  heinetïts  dont  on  est  l'objet  ont  un  caractère  inoITensif  et 
constituent  un  jeu;  eVst  le  rapide  passage  de  cette  sorte  de  malaise 
produit  par  l'incertitude  â  Tacceptaiion  du  jeu  qui  détermine  le 
rire.  L'existence  du  rire  choi  Tentant  dès  li'  deuxicme  mois  et  che^ 
les  anthropoïdes  tend  à  faire  conclure  à  son  origine  hérétlitaire. 
M*  Sully  écarte  l'hypothèse  qui  fait  jouer  un  rôle  essentiel  dam  les 
réactions  produites  par  le  ehatoutllement  aui  réflexes  provoqués  par 
la  présence  de  parasites  sur  la  peau  de  nos  lointains  ancêtres.  La 
théorie  plus  acceptable  de  L.  Robinsani  qui  rattache  le  chatouillement 
à  un  type  de  jeu  fréquent  chez  les  jeunes  animaux  (le  combat  simulé| 
et  estime  qu'il  s'est  conservé  en  ralyon  de  son  utilité,  n'explique  pas 
Fori^ine  des  mouvements  du  rire  eux-mêmes  Ils  se  sont  préalablement 
introduits  comme  un  élément  essentiel  en  ces  combats  simulés,  parce 
qu'ils  constituent  le  signe  le  plus  aisément  intelligible  que  Tattaque 
est  bien  prise  comme  elle  le  doit^  c^eat-à-dire  comme  un  jeu.  Le  rire 
provoqué  parle  chatouillement  n*est  pas  du  reste,  autant  qu'il  semble, 
la  forme  primitive  du  rire  :  c'est  tout  d'abord  une  rcaetii*n  générale 
qui  exprime  un  accroissement  brusque  du  ton  affectif  agréable 
du  contenu  de  la  conscience;  elle  ne  s'est  ainsi  spécialisée  qu'à  un 
stade  ultérieur  de  révolution  de  la  race  et  aussi  de  l'évolution  indi- 
viduelle, 

6*^  M.  Tabbé  A,  thiéRV  a  décrit  un  procédé  qu'il  a  imaginé  pour  la 
bolation  pratique  dt;  la  hauteur  et  de  la  mélodie  de  la  parole  parlée,  et 
il  a  indiqué  en  grand  détail  la  technique  à  suivre. 

7*^  Le  D^  J,  KoooiKOViTGH  a  étudié  les  variations  du  diaraètro  pupil* 
laire  qui  sont  en  rapport  avec  l'effort  întellectueh  Pour  les  mettre  en 
évidence,  il  faut  fixer  les  pupilles  dans  des  conditions  d'éclairage  et 
d'accommodation  constante;  on  voit  alors  la  raydrîase  se  produire 
lorsqu'on  pose  au  sujet  une  question  qui  l'oblige  à  faire  un  effort  de 
réllexion  ou  de  mémoire  (trouver  une  date,  un  nom,  résoudre  menta- 
lement un  petit  problème  d'arithmétique)*  Le  moment  de  production 
de  la  mydriase  et  sa  durée  (tantôt  elle  apparaît  au  moment  où  Ton  com- 
mande de  poser  la  question;  tantôt  elle  apparaît  alors  seulement 
qu'on  a  achevé  de  la  poser  et  persiste  jusqu'à  ce  que  la  solution  soit 
trouvée)  constituent  des  données  utiles  pour  l'anayse  du  travail  intel- 
lectuel et  de  TeiTort  mentaL 

8"  M*  le  D''  CasarI>îi  a  présenté  au  nom  du  professeur  PAtai^ZI  une 
note  sur  un  ergographe  crural  quiapermisde  prendre  au  laboratoire  de 
rUniversîté  de  Modcne  de  très  intéressantes  courbes  de  la  fatigue 
produite  par  des  mouvements  volontaires  ou  involontaires, 

0**  M  A.Casariki  a  fait  en  commun  avec  le  professeur  Patrizzi  une  com- 
munication sur  les  relations  des  drfTérents  types  de  réactions  vaso- 
motrices  avec  les  types  de  mémoire  et  l'équation  personnelle^  Certains 


524  REVUE   PHILOSOPDIQCE 

individus  réag-îssent  plus  rapidement  et  plus  fortement  par  des  modi* 
fication^  vasculaires  à  certaines  excitations  sensori relies  qu'à  certaines 
autres;  ib  appartiennent  donc  à  un  type  vaso-moteur  délerminé,  Cei^ 
t^pes  vaso-moteurs  sont   en  corrélation  la  plupart  du  temps  avec  11] 
forme  de  ta  ménjoirer  les  visuelâ  réagissent  mieux  auit  excitatiûm-i 
OplîqueSp  les  auditifs  aux  excitations  acoustiques.  Il  existe  cL'^ûlemint 
une  relation  entre  la  durée  des  temps  de  réaction,  durée  qui  diffère 
d'un  individu  à  l'autre,  et  la  rapidité  des  réactions  vaso-motriees  :  le* 
deux  phénomènes  varient  de  fa  même  manière,  le  tempi  des  réactions 
est  court  chez  les  individus  chez,  lesquels  la  réaction  vaso-motric*  e«t 
rapide^  et  inversement^  Les  sujels  chez  lesquels  les  oscillation^^  dins 
la  mesure  de  Téquation  personnelle  sont  les  plus  nombreuses  ci  lea 
plus  marquées  sont  ceux  aussi  qui  présentent  les  moditîcations  vaâcn* 
1  aires  spontanées  les  plus  marquées,  et  inversement* 

10*  Le  prof,  Rob,  Nommer  a  présenté  deux  appareils  destinés  k  enre- 
gistrer graphiquement  les  mouvements  volontaires  et  involootiàres 
des  membres  selon  les  trois  dimensions  de  l'espace  simultanément 
L'un  d'entre  eux  est  destiné  a  l'analyse  des  mouvements  desdoij:tÉ*e( 
en  particulier  de  toutes  les  espècea  de  tremblements  et  des  mouvejnent* 
délicats  et  peu  marqués  d'expression*  Tautre  à  celle  des  mouvenjentî 
de  la  jambe.  Il  a  présenté  aussi  un  appareil  destiné  à  la  mensuration 
des  variations  de  diamètre  d©  la  pupille  qui  peut  être  de  grande  uîîlîï* 
pour  Tétude  des  réactions  organiques  dues  à  Tattention^  à  la  dou« 
leur,  elc,  et  un  appareil  pour  la  détermination  exacte  du  commencé' 
ment  d'une  excitation  lumineuse. 

11"  Le  D^  VoGT  a  fait  une  communication  sur  les  modiftcaliona  que 
subissent  les  courbes  respiratoires  sous  l'influence  des  émotions*  \M 
courbes  obtenues  sont  différentes  de  celles  que  Ton  obtient  sousHn- 
lluence  du  travail  intellectueL 

IV.  —  PsvcHotor.iE  DE  l'intelligence 

ET  DES  FONCTIONS  ÏNTELLHCTUBLLEH, 

1*^  M.  Ed.  Clapabèpe  a  exposé  la  nécessité  de  donner  une  définitic»u 
précise  de  la  perception  qui  permette  de  régler  remploi  de  ce  terme  ft 
de  l'appliquer  soit  exclusivement  à  rappréhenalon  des  complexus  psy- 
chiques qui  impliquent  un  élément  spatial  actuel ,  soit  d'une  manière 
générale  à  celle  de  tous  les  groupements  d'éléments  mentaux,  qui  sont 
représentés  dans  la  conscience  comme  ne  faisant  pa^^t  partie  du  moi- 
Il  serait  désirable  qu*à  la  suite  d  une  entente  entre  les  p^ijchologues 
des  divers  pays  une  série  d'équivalences  fut  établie  entre  les  terpes 
qui  désignent  cette  fonction  mentale  dans  les  dilTérentes  langues;  il 
serait  d^aillcurs  à  souhaiter  que  toutes  les  expériences  psychologiques 
pussent  ainsi  être  identifiées^  M.  Goblot  s'associe  à  ce  voou,  ^ous  b 
réserve  que  cette  terminologie  ne  serait  point  une  terminologie  imposé 
et  fixerait  seulement  le  sens  habituel  et  le  bon  usage  des  mots. 


MARILLIEH.   —  CÛNGRÈS  OTEHYATIONAL  M  PSYCHOLOGIE        528 

,  2**  M.  Ahït  inBisle  sur  l'utilité  de  réintégrer  à  In  baie  de  la  perception 
la  notion  d'ef^paco^  parce  que  seule  sa  position  dans  respace  peut  iridî- 
ifiduiiHser  une  reprësentation  et  permettre  d^oppoaer  nettement^  comme 
ils  le  sont  dans  les  faïta»  le  percept  de  l'individu  au  concept  du  genre 
lEt  d'établir  rantériorité  logique  et  réelle  du  premier»  îl  voit  dans  les 
tentatives  de  réduction  de  Tespace  au  temps  une  survivance  des 
«  préjugés  associaiionistes  ».  Pas  plus  raclion  que  la  sensation  ne  peut 
nous  donner  Tespace,  elle  n'eat  qu'un  moyen  de  le  mesurer.  L*idée 
spatiale  n'est  pas  un  réaultat  du  processus  perceptif,  elle  en  est  le 
tond  même.  On  ne  peut  donc  réduire  la  perception  à  un  acte  d'organi- 
sation de  notre  présent  avec  notre  passé,  c*est-à-dire,  au  fond,  à  une 
opération  de  classincation  autom^itique,  ni  dire  que  Tesprit  commence 
par  une  manière  de  penser  qui  n'est  ni  gonérale,  ni  particulière,  mais 
générique  et  dont  naissent  comme  d'un  tronc  commun  la  perception 
réfléchie  des  individus  et  la  conception  réflochie  des  genres. 

3^  M,  J.  Ph[lipre  indique  les  modifications  que  Tétude  objective  des 
phénomènes  psychiques  et  en  pîirticuUer  des  phénomènes  intellectuels 
oblige  a  apporter  dans  la  notion  de  la  conscience;  cette  étude  met  en 
«fîet  en  évidence  ses  erreurs  sur  la  durée  des  événements  mentaux  et 
leurs  modalités.  Son  domaine»  déjà  réduit  par  la  critique  kantienne» 
iemble  encore  se  limiter,  lï  semble  nécessaire  de  refaire,  maintenant 
que  nous  connaissons  mieux  le  contenu  de  Tesprit  et  ses  lois,  cette 
classification  hiérarchique  des  fonctions  mentales  qu'avaient  arrêtée,  en 
se  fondant  sur  des  données  incomplètes,  les  philosophes  écossais.  Ils 
levaient  attribué  à  la  conscience  une  sorte  de  prépondérance  que  peut<> 
être  elle  ne  possède  pas, 

1*>  M.  KiiEtBiG  a  établi  par  une  analyse  minutieuse  du  concept  d'er- 
reurs des  sens  {Sinne$taûschung}  que  toutes  les  erreurs  do  perception 
étaient  réductibles  à  des  erreurs  de  justement;  ce  jugement  perceptif  est 
d'ailleurs,  en  la  majorité  des  cas,  un  jugement  implicite  et  inconscient. 
L'erreur  résulte  des  conditions  inaccoutumées  (t/ngêwd/tn^c/i^etr)  ou 
i^est  produite  la  perception. 

5*^  M.  Tabbé  Denis  a  présenté  une  communication  sur  la  croyance  et 
pur  la  place  qui  lui  revient  à  côté  de  la  raison  réfléchie  et  de  Tt^xpé- 
rience  scientifique  dans  lensemble  de  nos  moyens  de  connaître.  Il 
nsiste  sur  Timportance  que  lui  confère  la  notion  de  la  relativité  de  la 
connaissance  rationnelle  et  sur  la  valeur  éducative  qu'elle  possède. 
Elle  se  distingue  de  la  logique  en  ce  qu'elle  ne  passe  pas  par  la  pro* 
pression  du  jugement;  c'est  un  acte  qui  engage  tout  Tètre  et  qui  se 
trouve  à  la  base  de  la  pensée  scientifique  comme  «  des  croyances  » 
tïjorales  et  religieuses. 

6*  Le  Prof.  H.  BEHasON  dans  une  note  sur  la  conscience  de  Veffort 
tnteUeclnel  a  cherché  à  mettre  en  lumière  les  trois  points  suivants  : 
1°  tout  travail  intellectuel,  consiste  à  aller  d'un  schéma  à  une  image 
ï*  dans  tout  efTort  intellectuel,  il  y  a  une  lutte  ou  une  composition  entre 
des  images  multiples  et  analogues  qui  essayent  de  s'insérer  dans  un 


826  KEVUE  PHILOSOPHIQUE  - 

seul  et  même  schéma,  les  unes  no  le  remplissant  pas  tout  à  fait,  lei 
autres  le  dépassant  jusqu'à  ce  qu'enfin  la  coïncidence  de  Timage  avec 
le  schéma  soit  obtenue;  3^  ce  moucement  tout  spécial  d*images  nous 
donne  une  impression  sut  generis  qui  doit  entrer  pour  une  large  part 
dans  la  conscience  que  nous  avons  de  TefTort  intellectuel. 

1^  M.  E.  Anastay  a  communiqué  trois  curieuses  observations  prises 
sur  lui-même,  sur  Tassociation  subconsciente  des  images,  des  mots 
et  des  actes,  dans  le  rêve  et  à  Tétat  de  veille. 

8<>  M.  II.  Pii^RON  a  tenté  un  essai  d'explication  de  cette  extraordinaire 
rapidité  dans  révocation  des  images  qui  apparaît  dans  diverses  con- 
ditions mentales  (les  visions  panoramiques  des  mourants,  les  illusions 
et  les  rêveries  des  haschichés,  et  certains  rêves).  Il  intervient,  d'après 
lui,  en  ces  cas,  l'illusion  d'une  rapidité  plus  grande  encore  que 
la  rapidité  qu'affecte  on  réalité  la  succession  des  images;  elle  résulte 
de  la  construction  ultérieure  en  un  tableau  continu  d'une  série  de 
tableaux  successifs.  Quant  à  la  rapidité  elle-même  de  révocation  des 
images,  elle  s'explique  psychologiquement  par  une  orientation  de 
toute  la  conscience  vers  un  point  unique  où  sont  attirées  toutes  les 
images  susceptibles  de  former  avec  l'image  centrale  un  8}'8tème 
psychique  cohérent.  Cette  «  polarisation  »  de  la  conscience  a  pour 
cause  l'envahissement  de  tout  son  champ  par  une  image  unique  dont 
aucune  image  réductrice  ne  vient  entraver  l'action. 

9^  M.  le  Prof.  B.  Bourdon  estime  qu'il  y  a  lieu  de  faire  une  place 
à  côté  des  associations  verbales  phonétiques  et  des  associations  Te^ 
baies  significatives  à  un  troisième  groupe,  les  associations  verbales 
grammaticales^  où  les  mots  sont  évoqués  soit  par  leur  identité  de  fon^ 
tion  (association  par  ressemblance),  soit  par  la  juxtaposition  habituelle 
de  mots  analogues  (association  par  contiguïté);  c'est  ainsi  qu'un  sub- 
stantif appelle  un  adjectif,  un  verbe  un  complément  direct,  etc.  Cftto 
dernière  forme  est  la  plus  intéressante  :  elle  se  rattache  à  ce  fait  que 
dans  chaque  langue  il  existe  des  tendances  à  attribuer  aux  divers 
mots  de  la  phrase,  selon  leur  nature  de  substantifs,  d'adjtHîtifs,  de 
verbes  etc.,  des  positions  déterminées  dans  la  phrase.  Les  trois  ten- 
dances notées  par  Bourdon,  qui  n'a  expérimenté  que  sur  des  Français 
et  avec  des  mots  français,  sont  les  tendances  :  substantif  —  adjectif, 
verbe-objet  direct,  et  verbe-adverbe.  Chez  certains  individus  cette 
forme  grammaticale  de  l'association  verbale  est  beaucoup  plus  marquée 
que  chez  les  autres,  et  on  peut  même  constater  l'existence  d'une  ten- 
dance spéciale  chez  diverses  personnes  aux  associations  grammaticales 
par  contiguïté. 

40°  Professeur  P.  Sokolov.  L'inclividuation  colorée.  M.  Sokolova 
observé  deux  cas  où  des  personnes,  par  un  processus  analogue  à  celui 
de  Vauclitioyi  colorée^  traduisent  en  langue  chromatique  les  indivi- 
dualités humaines,  les  caractères,  les  qualités  intellectuelles  et 
morales.  C'est  ainsi  que  l'un  des  sujets  observés  éprouve  lorsqu'il 
pense  à  une  personne  de  haute  valeur  intellectuelle  et  morale  l'impres- 


MARILLIER,   —  CONGRÈS   INTERXATIOWAL   HE  PSYCtlÛLOGlE        S27 

sion  de  la  couleur  bleu  foncé,  et  lorsqu'il  pense  à  une  personne 
médiocre  celle  de  ta  couleur  jaune.  Ces  images  chromatiques  ront 
objectivées  bous  la  forme  de  nuages  colorés.  Chez  Fautre  sujets  elles 
demeurent  purement  înlernes.  Leâ  couleurs  sont  d'ailleurs  partielle- 
ment différentes  dans  les  deux  cas.  Cette  personne  se  représente  aussi 
chromatiquemen  t  cerb  inea  idées  gêné  raies ,  comme  la  loi  et  la  force ,  L'au- 
teuf  a  constaté  aussi  des  cas  de  représentation  chromatique  de  Vindi- 
vidualité  littéraire  de  tel  ou  tel  écrivain  ou  du  sentiment  qui  domine 
dans  Tune  ou  Tautre  de  ses  œuvres.  1!  fait  jouer  dans  la  g'enèse  de 
ces  phénomènes  le  rôle  essentiel  aux  associations  émotionnelles,  mais 
il  estime  que  la  cause  véritable  de  leur  persistance  el  de  leur  déve- 
loppement réside  dans  ce  fait  que  les  images  chromatiques  servent 
aux  sujets  comme  moyen  d'aperception  symbolique  et  leur  permettent 
de  se  représenter  sous  la  forme  concrète  ou  saisissante  d*une  couleur 
une  idée  abstraite,  telle  que  celle  d*unc  individualité  humaine.  Elles 
sont  pour  ainsi  dire  des  métaphores  réalisées.  Il  pense  que  la  même 
explication  ou  une  explication  analogue  pourrait  s'étendre  aux  phéno- 
mènes d^audition  colorée, 

U^  Le  professeur  Ch.  Ri  eu  et  a  présenté  au  Congrès  un  enfant  de 
trois  ans  et  demi  dont  la  précocité  au  point  de  vue  musical  dépasse 
celle  de  tous  les  sujets  dont  Tobservation  a  été  rapportée  jusqu'ici.  0 
a  appris  seul  à  jouer  du  piano  en  écoutant  sa  mère  en  jouer  elle-même 
et  en  la  regardant  jouer;  il  sait  un  grand  nombre  d'airs  et  de  mor- 
ceaux, cherche  et  trouve  sur  le  clavier  des  accords  diffnL'tles  ci  com- 
pliqués, et  improvise  en  combinant  d*uiie  façon  parfois  originale  des 
thèmes  connus;  il  a  composé  plusieurs  petits  morceaux,  et  entre  autres 
une  marche  militaire. 

1^^*  Lo  professeur  L.  Bryak  a  exposé  le  résultat  des  recherches  qu'il 
a  faites  en  commun  avec  le  professeur  Lindley  sur  un  jeune  homme 
doué  de  facultés  arithmétiques  extrôment  développées  et  qui  se  sont 
manifestées  de  Vàg(^  de  trois  ans;  c*est  le  Ris  de  très  pauvres  ouvriers  i 
il  est  sujet  à  des  attaques  épileptiques  de  peu  de  gravité,  mais  tous  les 
autres  membres  de  sa  famille  sont  normaux.  L'étendue  et  la  ténacité 
de  sa  mémoire  sont  grandes;  sa  rapidité  est  surtout  remarquable  dans 
la  multiplication,  elle  est  moins  frappante  dans  Taddition.  11  sait  mer- 
veillement  mettre  à  profit  ce  quil  sait  pour  la  solution  de  nouveaux 
problèmes.  Ce  qu'il  y  a  chez  lui  de  plus  remarquable,  c'est  la  découverte 
d'un  grand  nombre  de  méthodes  de  simplication.  H  peut  les  décrire  et 
dire  quand  il  les  a  découvertes.  Elles  se  distribuent  par  groupes  et  on 
peut  suivre  son  progrès  depuis  les  règles  les  plus  simples  jusqu'à  des 
règles  très  complexefl^  telle  que  la  règle  pour  (1000—7)"  et  d'autres 
règles  qui  se  ramènent  à  certaines  formes  du  théorème  du  binôme.  Il 
ne  sait  pas  d^alg'èbre  et  ne  peut  ou  ne  veut  pas  l'apprendre.  Lee 
auteurs  ont  déterminé  les  conditions  où  il  présente  et  celles  où  il  ne 
présente  pas  cette  mémoire  extraordinaire  et  cette  extraordinaire  rapi* 
dite  dans  les  opérations*  11  semble  que  son  extrême  aisance  à  calculer 


528 


HEVUR    PnaOSOPfllQUË 


provient  ûe  ce  qu'il  a  à  sa  disposition  toute  une  hiérarohîe  de  méct* 
oismea  autojnatiques*. 

13^  M.  W,  MoNRfJE  a  fait  une  communication  sur  les  imagei  oUae- 

tives  dans  le  rève«  qui  fait  suite  à  un  travail  analogue  sur  les  images 
gustativea  publié  antérieurement, 

14^  MileMAiiiîî  BfiEUF  (Camille  Bo^),  Contribution  à  la  théorie  psîf 
chohgiqite  du  tempty, 

Mlle  Bœuf  s'efforce  d'établir  Texistence  d'un  sens  propre  du  tempa, 
qui  aurait  sa  base  physiologique  dans  un  rythme  nerveux,  qui  nom 
fournit  un  sentiment  de  notre  propre  corps,  une  cénesthé^te  réiiu* 
Il  ère  ment  discontinue.  Cette  sensation  de  rythme  qui  existe  chei 
tous  le«î  animaux  sera  d'autant  plua  parfaite  chez  L'homme  qu'il  sf 
rappj'ochera  davantage  de  ranimai,  c*  est- à -dire  que  sera  plus  com- 
plètement écartée  l'activité  supérieure  de  l'esprit,  perturbatrice  des 
opérations  automatiques.  Cette  activité  supérieure»  c'est  esseniielle^ 
ment  rattention^  dont  le  degré  de  puissance  vteut  en  dernière 
analyse  déterminer  le  rythme  de  Tondulation  de  la  cellule  ntt- 
veuae.  L*unité  de  temps  serait  ainsi  une  unité  d'aperception  ou  de 
synthèse.  Dire  que  le  rythme  de  roscillation  nerveuse  se  ralentît  ou 
B'accélère»  c'est  dire  que  le  contenu  de  l'unité  de  temps  est  plus  ou 
moins  dense  ou  raréfié*  Ce  rythme  varie  d'ailleurs  chez  Tindividu  sou» 
rinlluence  des  émotions,  des  intoxications^  des  troubles  nerveux.  II 
varie  sans  doute  d'une  espèce  à  l'autre,  il  a  peut-être  été  s'accéléraût 
au  cours  de  l'histoire.  C'est  par  rapport  a  cette  sensation  immédiate  de 
rythme  que  tout  événement  interne  se  colore  d*un  certatu  degré  de 
présence.  Les  divers  événements  de  notre  vie,  chacun  affecté  d'un  'ton 
temporel  k  particulier,  s'ordonnent  par  rapport  à  cette  qualité^  et  *ïaii 
se  constitue  le  temps  psychologique  qui  se  traduit  symboliquement  et 
pour  les  besoins  de  la  science  par  le  temps  linéaire  projection  dtnf 
Tespace  de  la  série  de  nos  sensatioas  internes.  Les  erreurs  de  locali- 
sation dans  le  temps  s'expliquent  par  la  discordance  qui  se  produit 
entre  le  temps  psychologique  et  le  temps  linéaire,  lorsque  le  seiiti* 
ment  de  présence,  caractéristique  normale  du  fait  actuel,  s'attache  à 
un  fait  passé  ou  a  venir,  ou  que  s^afTaiblit  le  sentiment  de  présenoé 
lié  à  ce  fait  actuel.  Dans  le  eus  du  temps  linéaire,  la  localisation  se  f»tt 
à  Taide  de  points  de  repère  pris  hors  du  moi,  dans  celui  du  tcmpi 
psychologique  au  moyen  des  qualités  des  états  de  eonscieuee;  les  diïui 
atlas  coïncident  d'ordinaire ^  mais  non  pas  nécessairement. 

ib^  Le  prof.  A.  Marty  a  fait  une  communication  sur  le  double  seni 
du  mol  semblable  ;  tantôt  il  indique  la  capacité  de  deux  objets  ou  de 
deux  concepts  à  s'évoquer  l'on  Tautre^  tantôt  leur  eapacité  à  se  substi- 
tuer Tun  à  l'autre.  Dans  la  langue  des  géomètrca^  c  est  le  premier  §eii£ 
qu'il  faut  attribuer  à  IV'xpression;  deux  figures  semblables  ne  peuveal 
se  substituer  Tune  à  l'autre^  mais  le  caractère  commun  qui  leur  sert 
de  lien  a  une  précision  et  une  netteté  parfaiteB  :  il  n'est  pas  à  peu  prèi 
identique  dans  les  deux  cas,  mais  vraiment  identique.  On  en  vieat  à 


I 
I 


I 


I 


I 


k    tein 


MARILLIER.    —  CONGHÉS   IXTERSATIONAt   DE   PSYCHOLOGIE         529 

cette  oQticlusion  qu'il  y  a  deux.  e«âpeœs  de  similitude:  Tuoe  qui  est  une 
identité  partielle,  Fautre  qui  esit  conâtituée  seulement  par  deâ  finalogies 
pareilles  à  celtes  qui  unissent  les  espèces  d'un  même  genre,  U  con- 
vient de  rémarquer  que  Ton  aaisil  la  ressemblance  de  deux  objets  avant 
de  pouvoir  préciser  de  quelle  espèce  de  ressemblance  il  s*agit. 

16^  Le  prof.  E,  F,  Buchner  a  insist<è  sur  le  rôle  essentiel  que  doivent 
jouer  les  hypothèses  dans  la  psychologie,  ai  elle  aspire  à  devenir  une 
science  qui  expUqueet  non  plus  seulement  unescienGe  qui  constate  et 
qui  amasse  des  faits.  Toute  explication  scientifique  est  une  hypothèse 
vérifiée, 

17"  Le  prof.  Ch».  von  Ehrenfels  a  montré  que  le  positivisme  n'est 
plus  tant  aujourd'hui  une  théorie  de  la  connaissance,  comme  dans  le 
système  de  Comte,  qu'une  opinion  ou  une  tendance  scientifique,  qui  est 
cependant  avec  cette  théorie  de  la  connaissance  en  une  étroite  relation. 
Cette  tendance  entraine  les  savants  a  ne  s'intéresser  qu'à  l'analyse 
de  leurs  représentations  et  à  la  détermination  des  uniformités  de  suc- 
cession qui  existent  entre  elles.  Ils  ne  considèrent  les  théories  scienti- 
fiques que  comme  des  moyens  pratiques  de  mettre  dans  les  faits  le 
plus  d'ordre  possible  et  le  plus  aisément  :  ils  ne  les  jugent  qu'à  ce 
point  de  vue.  L'aspiration  métaphysique  à  la  vérité  absolue  n'a  cepen- 
dant pas  disparu^  mais  Ton  peut  se  demander  si  la  tendance  positiviste 
ne  réussira  pas  à  en  triompher  pleinement.  E.  estime  qu'elle  y  par- 
viendra probablement,  parce  qu'une  fonction  persiste  et:  se  développe 
en  raison  surtout  do  son  utilité  biologique.  Il  n'en  va  pas  autrement  à 
ce  point  de  vue  des  tendances  à  connaître  que  des  autres  instincts,  des 
fonctions  purement  physiologiques  ou  de  Isurs  organes.  Or  il  estcertain 
que  la  fonction  biologique  essentielle  de  notre  désir  de  connaître  est 
de  réduire  en  systèmes  dirigés  verii  des  tins  l'ensemble  de  nos  mou* 
vements  et  que  cette  systématisation  a  une  valeur  pratique  de  premier 
ordre.  Mais  les  tendances  positives  sont  beaucoup  mieuic  adaptées 
à  ce  rôle  que  les  tendances  métaphysiques,  dont  Faction  dans  ce 
domaine  ne  saurait  être  qu'une  action  indirecte.  Il  ne  faudrait  pas 
conclure  de  là  cependant  à  la  prompte  destruction  des  instincts  méta- 
physiques, d'une  part  parce  qu'ils  ont  eux  aussi  une  fonction  biologique 
(ils  constituent  une  protection  contre  l'ébranlement  destructeur  des 
pa*ï3ions  c*t  fournissent  à  de  larges  groupes  d'hommes  le  moyen  de 
communier  en  des  sentiments  durables)  et  parce  que  d'autre  part 
la  fin  même  que  se  propose  la  philosophie  positive,  la  découverte 
d'uniformités  de  succession  entre  les  représentations  humaines,  pos- 
tulant Texistence  d'hommes,  membres  d'une  même  humanité,  l'en- 
irainû  néctissairement  à  se  poser  le  problème  métiiphysique  du  monde 
extérieur.  Mais  st  même  les  aspirations  métaphysiques  disparaissaient, 
il  en  faudrait  conclure  que  biologique  ment  elles  sont  mal  adaptées 
aux  fins  de  rhumanité  et  non  pas  que  Thomme  est  incapable  d'at- 
teindre la  vérité  dans  le  domaine  métaphysique  et   que  la   théorie 

Itiviste  de  la  connaissance  est  vraie. 


S30  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

\9^  Le  prof.  E.  von  Schmidt  a  fait  un  examen  parallèle  des  trois 
grands  systèmes  philosophiques  auxquels  se  peuvent  ramener  diaprés 
lui  toutes  les  explications  de  TUnivers.  Ces  trois  systèmes  sont  le  maté- 
rialisme, le  rationalisme  ou  spiritualisme  et  le  spiritisme.  Le  matéria- 
lisme est  un  système  vraiment  scientifique,  parce  que  les  explications 
qu'il  propose  ont  un  caractère  d'universalité  et  de  nécessité,  mais 
il  n'est  pas  satisfaisant  philosophiquement,  parce  qu'il  ne  repose  pas 
sur  un  principe  qui  se  suffise  à  lui-même  et  soit  Vraiment  premier.  Le 
spiritisme  a  bien  un  caractère  philosophique,  puisqu'il  explique  les 
phénomènes  par  un  principe  qui  se  suffit  à  lui-môme,  TEsprit,  mais  il 
n'a  pas  en  tant  que  système  de  valeur  ni  d'autorité  scientifiques,  puis- 
qu'il se  fonde  sur  les  expériences  particulières  et  encore  contestées  de 
certaines  personnes  qui  se  prétendent  en  relation  avec  les  âmes  des 
morts.  Seul  le  rationalisme  constitue  une  explication  du  monde  scien- 
tifique et  philosophique  à  la  foif<.  La  Raison  diffuse  à  travers  la  Nature 
entière  arrive  dans  l'homme  à  la  conscience,  à  la  connaissance  ration- 
nelle de  soi-même,  ce  qui  établit  une  différence,  non  seulement  quan- 
titative, mais  qualitative  entre  les  animaux  et  lui. 

20°  D»"  Kr.  B.-R.  Aars.  Sieben  R&thsel  der  Psyché.  Dans  ce  mémoire 
M.  Aars  cherche  à  déterminer  quelles  sont  les  questions  essentielles 
qu'oblige  à  se  poser  la  dualité  du  moi  et  du  non-moi,  et  à  fixer  si  j'ose 
ainsi  parler,  les  frontières  du  moi,  qui  se  ne  confondent  pas  avec  les 
limites  du  psychique,  ni  avec  celles  de  l'interne  par  opposition  à 
l'externe.  Il  étudie  les  différentes  formes  de  projection  du  moi  dans  le 
temps  et  l'espace,  projection  qui  fait  plus  flottantes  les  limites  de  l'âme 
individuelle. 

210  Mlle  M.  Patrick  a  trouvé  dans  l'histoire  même  du  scepticisme 
antique  la  démonstration  de  l'impossibilité  psychologique  de  s'en 
tenir  au  point  de  vue  du  scepticisme  et  de  ne  pas  glisser  des  affirma- 
tions dogmatiques  dans  un  système,  ce  système  fùt-il  celui  de  Pyrrbon. 

V,  L'individualité  et  la  personnalité. 
La  volonté  et  le  caractère. 

1°  Le  R.  P.  Bulliot  a  esquissé  une  classification  des  caractères. 
Il  a  déterminé  huit  types  principaux  coordonnés  et  non  pas  subor- 
donnés les  uns  aux  autres  et  qui  sont  constitués  par  un  ensemble  de 
particularités  structurales  et  fonctionnelles,  à  la  fois  physiologiques 
et  psychologiques,  qui  se  présentent  dans  la  grande  majorité  des  cas 
liées  les  unes  aux  autres.  Les  traits  psychologiques  essentiels  du  carac- 
tère inné  sont  toujours  dans  la  dépendance  étroite  du  tempérament  et 
de  \3i  structure  osseuse  et  musculaire  de  l'individu.  Psychologiquement, 
ce  qui  constitue  un  type,  c'est  la  prédominance  marquée  et  parfois 
exclusive  d'une  fonction  ou  d'une  faculté  simple  sur  toutes  les  autres. 
Les  huit  types  admis  par  le  R.  P.  Bulliot  sont  les  suivants  :  ïhomme 
primitif  ou  homme  de  labeur,  caractérisé  par  la  prédominance  des 


MARILLTEH^   —  CONGRES   ÏWTERWATIONAL  DE   PSYCHOLOGIE         S31 

instincts  pfimiUfs  et  avant  tout  par  la  prédominance  de  la  conservation 
individueUe  au  moyen  du  travail  quotidien;  2^  Vimii{iinalif  à  iniagi- 
rtalion  pùëilive  et  rèiH^Ui^e,  3"  WifYeviif,  4"  Vnetif,  le  combatif,  5"  Vin- 
iuilif*  C"*  L'intellectuel  rèpèchi  et  rni sonneur^  le  théoricien^  le  stjêlé* 
m^iiquef  le  grandi  volontaire^  1"  Vhomme  de  sens  pratique.  Ihomme 
tocial  complet  et  pondéré,  8**  le  TELtjonnanl^  le  tjrmid  entraîneur 
d*/iommcjs.  A  ces  types  psycholo^nquca  correspondent  des  types 
physionomiqueB  dont  Tauteur  à  présenté  au  Congrès  d'intéresâants 
échantillons. 

2**  M.  Bernard  Lehov  a  fait  une  communication  sur  l'illusion  de  déper- 
gonnnlisation,  11  rapporte  un  cas  où  l'illusion  durait  depuis  pluî^ieura 
mois  et  ne  s'accompagnait  d'aucun  trouble  de  la  sensiLHlité,  de  Tatten- 
tion^  ni  de  la  volonté*  L.  rejette  toutes  les  explications  qui  ont  été 
proposées  jusqu*iui  du  phéuomcnc,  mais  il  n*cn  offre  pas  d'interprétation 
nouvelle, 

3»  M.  WjLHtXM  Stebn  à  donné  un  dêUuition  nouvelle  de  la  liberté*  Il 
estime  qu'il  faut  maintenir  la  notion  du  libre  arbitre,  qui  est  nécessaire 
à  la  constitution  d'une  morale  scientifique  et  positive,  mais  il  rejette  à 
la  fois  la  conception  de  la  liberté  d'indifférence  et  la  conception  kan- 
tienne de  la  liberté  noumênale.  11  considère  sa  notion  de  la  liberté 
comme  apparentée  à  celles  que  s'en  sont  formées  Herbart  et  Benekc, 
mais  il  estime^aveo  raison ^  qu'elle  s'en  distingue  nettement.  Pour  lui, 
la  liberté,  c'est  la  prédominance  conquise  par  les  forces  psycliiques» 
stables  et  générales,  d'origine  liéréditaire,  sur  les  incitations  momen- 
taoées  du  dehors.  Ces  forces  peuvent  appartenir  aux  sphères  de  la 
pensée  et  du  sentiment  comme  à  celle  de  la  volonté  :  le  type  en  est 
rînstinct,  6Î  elles  triomphent  d'excitations  actuelles  qui  peuvent  être 
plus  intenses,  c'est  parce  que  les  voies  nerveuses  sont  plus  perméables 
aux  irritations  physiologiques  qui  leur  sont  corrélatives.  Si  Tanimal, 
qui  n'en  est  pas  d'ailleurs  totalement  dépourvu,  a  cependant  en  partage 
une  moindre  liberté  que  l'homme,  c'est  qu'une  ciasse  importante  de 
ces  forces,  les  forces  rationne  lies  »  est  chez  lui  à  peine  représentée. 
Mais  il  ne  faut  pas  méconnai>re  que  dans  Thomme  même  les  instincts 
constituent  un  élément  essentiel  de  la  volonté  libre. 

4'^  Lk  P.  Pëili^aube,  dans  .une  coutmunication  sur  lo  péri  pâté  tlsme 
et  la  psychologie  expérimentale,  montre  que  la  raison  de  la  sympathie 
intellectuelle  qui  rapproche  les  uns  des  autres  les  savants  qui  appar- 
tiennent à  ces  deux  écoles  provient  du  choix  commun  qu'ils  ont  fait  de 
méthodes  de  recherche  qui  présentent  un  caractère  objectif. 

5**  M,  K  CAftUS  expose  qu'il  faut  rechercher  Tidentité  du  moi  et  sa 
continuité  dnns  la  persistance  de  sa  forme.  C'est  cette  forme  qui  cons* 
tituc  la  personnalité;  peu  importe  que  Tindividu  périsse;  son  moi  n'en 
persiste  pas  moins  en  sa  forme  dans  ce  grand  tout  qu'est  l'humanité. 
Sa  personne  dure  après  sa  mort,  comme  elle  durait  au  milieu  deti 
changements  matériels  constants  que  subissent  pendant  la  vie  les  élé- 
ments matériels   qui   constituent  son  corps.  L'immortalité  de  notre 


53i  RBVUE  PHILOSOPHIQUE 

personne  est  réelle  de  la  même  manière  que  Test  notre  Identité  tu 
cours  de  notre  vie  individuelle. 

6"  JL  Durand  (l>b  Gros)  îi  tenté  de  mettre  en  lumière  le  caractère 
arliûciel  de  la  limite  qu'on  veut  tracer  entre  la  payçholagie  et  la  meta- 
phy Bique.  11  estime  que  la  psychologie  expôrimeîitaîe,  ea  affirmant  k 
caractère  original  des  phénomènes  psychiques,  est  déjà  mctai>h\*siqtie 
quelque  peu  et  soutient  qu'il  n'y  a  nulle  raison  de  s  arrêter  n\â  point 
où  elle  a  cru  bon  de  fixer  à  ses  recherches  des  bornes  qu'elle  s*inierdit 
de  franchir.  Il  a  monlrêpar  des  exemples  comment  en  partant  des  faits 
biologiques  et  psychologiques  acquis  à  la  science,  on  peut  tenter  de 
construire  une  métaphysiqne  de  l'esprit  et  il  a  exposé  à  cette  occasioo 
une  fois  de  plus  les  idées,  développées  déjà  en  plusieurs  de  ses  ouvra- 
ges, sur  la  structure  monado logique  de  runivers  et  sur  le  polyzoiamt? 
et  le  poly psychisme  animal  et  humain* 

VL   PsYtHOLOûïE   DE   L*ENFAKT  ET  PÉDAGOGIE. 

!*  M.  le  D'  J.  Philippe  a  communiqué  une  observation  qu'il  avait 
eu  roccasiou  de  prendre  sur  les  mouvements  d'un  fœtus  de  22  semaiaei 
qui  a  vécu  à  peu  près  un  quart  d'heure  après  son  expulsion  du  corps dt 
la  mère,  lï  avait  été  placé  dans  un  bain  d'eau  tiède.  Les  mouvementî 
constatés  sont  des  mouvements  d* extension  et  de  flexion  des  jaïnî>e«, 
des  mouvements  des  bras,  des  mouvements  des  mains,  qui  faisaient  l« 
geste  d'  »t  ae:ripper  n.  Il  réagissait  par  de  vagues  mouvements  de 
défense  aux  contacts  un  peu  rudes.  D'ailleurs  rcpui&ement  venait  trèt 
vite  et  il  fallait  un  repos  d'une  demi-minute  pour  obtenir  par  TeKCi- 
tation  d'une  même  région  une  nouvelle  réaction.  Le  temps  dVxcitation 
était  benucoup  plus  considérable  que  cheï  le  nouveau-né  normaU  On 
a  pu  constater  une  prédominance  très  marquée  des  mouvements  de 
préhension  de  la  main  droite» 

2^  M.  N.  VASCHinE  a  apporté  au  Congrès  le  résultat  des  rechêrcbei 
qu'il  a  entreprises  sur  11  magi nation  créatrice  chez  les  enfants.  Soa 
développement,  n'est  pas,  d'après  lui,  corrélatif  du  développement  de 
la  mémoire;  elle  n'est  pas  imitative  ni  conscieinment  constructive. 
Elle  est  apparentée  de  très  prè^î  au  rêve,  et  ses  créations  apparaiss^^at 
aussi  réelles  a  la  conscience  de  Tentant  que  les  événements  même  dont 
il  est  témoin,  ^on  fonctionnement  très  actif  précède  le  développement 
du  langage  et  elle  est  tout  d*abord  incoordonnée  et  à  demi  déUraote; 
rindéci^ion  de  la  perception  et  la  conTusion  des  images  sont  au  nombre 
des  facteurs  essentiels  de  sa  genèse,  mais  elle  a  sa  cause  dans  un  besom 
de  créer  qui  semble  une  impulsion  héréditaire*  M.  Vasehide  a  insisté 
sur  les  relations  qui  unissent  le  mensonge  à  rimagination  créatrice^- 

3*^  >L  C,  SUHLTYTEx,  en  mesurant  au  dynanomètre  la  force  musculaire 
des  élèves  des  écoles  d'Anvers  [filles  et  garçons)  durant  une  anuéei  a 
pu  constater  que  cette  force^  oomme  la  capacité  d'attention^  était  sujette 
à  des  variations  saisonnières  qui  se   présentent  avec  la  régulariti 


MARILLIER,    —   COXGBÉS   INTERNATlorc.VL   DE   PSYCHOLOGIE         533 

d'une  loi.  Les  enfanta  sur  lesquels  il  opérait  étaient  âgés  d'une  dizaine 
d'années. 

4"  M.  A.  Netchaeff  à  fait  une  comnaunîeation  sur  le  développement 
de  la  mémoire  che^  lea  écoliers.  Les  recherches  expérimentales  aux- 
quelles \i  s'est  livré  dans  les  écoles  de  Moscou  lui  ont  permis  d'arriver 
aux  résultats  suivants  :  t'  Lea  diverses  formes  de  mémoire  sur  Jes- 
quelles  ont  porté  ses  expériences  se  développent  à  mesure  que  Tenfant 
grandit.  Cet  accroissement  subit  une  sorte  d'arrêt  à  Tâge  de  la  puberté* 
2^  La  signiti cation  des  mots  exerce  une  très  grande  influence  sur  leur 
rétention*  :i>'  Il  existe  une  remarquable  analogie  entre  le  développe- 
ment de  la  mémoire  des  mots  abstniits  et  de  celle  des  chiffres,  i''  La 
mémoire  la  plus  développée  est  îa  mémoire  des  objets  et  celle  des 
mots  qui  désignent  des  sentiments  i  la  mémoire  la  moins  développée 
est  ta  mémoire  des  chiffres,  ti®  Les  garçons  ont^  relativement  aux  lilies^ 
une  plus  forte  mémoire  des  impressions  sensorielles  directes  (objets 
et  sons  ou  bruits)^  les  filles  une  mtnileure  mémoire  des  chilfres  et  des 
mots,  C*est  entre  onze  et  quatorze  ans  que  ditTèrent  le  plus  Tune  de 
Fautre  la  mémoire  des  filles  et  celle  des  garçons. 

Les  diverses  sortes  de  mémoire  subissent  avec  Tâge  des  chang^e- 
ments  :  les  écoliers  de  neuf  à  onze  ans,  par  exemple,  retiennent  malai- 
sément les  mots  qui  expriment  des  sentiments;  leur  mémoire  pour  les 
mots  de  ce  Lie  catégorie  est  plus  faible  que  pour  les  chiffres  môme.  Au 
moment  delà  puberté,  il  se  fait  à  cet  égard  une  profonde  modilication  ; 
cette  mémoire  spéciale  subit  un  rapide  accroissement,  chez  les  filles 
surtout,  où  elle  se  développe  plus  vile  que  celle  des  mots  abstraits* 
Au  même  moment  la  mémoire  des  représentations  tactiles  et  muscu- 
laires prend  (surtout  chex  les  illles)  un  très  rapide  développement* 
Chez  les  lilles  le  développement  de  la  mémoire  des  chiffres  précède 
Hcelui  de  la  mémoire  des  objets  et  des  sons  inarticulés.  Mais  il  faut 
remarquer  que  dans  ces  deux  derniers  cas  la  difficulté  de  retenir 
rimpression  visuelle  ou  auditive  se  complique  de  celle  de  trouver  un 
nom  au  son  ou  à  l'objet,  M.  Neschaeff  a  constaté  que  les  élèves  qui 
présentaient  la  plus  grande  cap.icilé  pulmonaire  et  la  plus  grande 
force  dynamométrique  étaient  aussi  ceux  qui  avaient  la  meilleure 
jjnémoire, 

5"  M,  Je  D*"  Chaillous  s'est  attaché  h  déterminer  la  piirt  qui  revient 
à  rhérédité  et  celle  qui  revient  à  la  cnnti»gîon  dans  îa  constitution  des 
perversions  morales  de  Tenfanl.  11  fait  une  place  impor  taule  à  ce  qu'il 
appelle  <t  l  auto<ontagion  >».  «  Le  vicié  répète  et  varie  à  rinlini  dans 
9on  imaginalion  Tirnage  de  l'acte  vicieux,  et  la  multiple  série  de  ces 
images  produit  sur  ses  aptitudes  mauvaises  un  véritable  entraîne- 
:xnent.  b  L*éducatton,  qui  doit  guérir  ou  améliorer  ces  enfants,  devra 
consister  à  substituer  à  Timage  de  Tacte  vicieux  l'image  de  Tacte  moral 
et  à  constituer  des  habitudes  qui  puissent  inhiber  les  tendances  aux 
actes  coupables.  De  là  la  nécessité  d*é)oigner  des  enfanlîi  toute  occa^ 
«ion  de  contagion  et  de  donner  à  l'exemple  et  aux   récits  concrets  ta 


S34 


nKYUH   Î^HaoâOPIlIQUE 


place  essentielle  dans  leur  éducatton,  qui  se  rapprochera  autant  qut; 
possible  dans  les  premiers  temps  d*iine  sorte  de  dressage,  d'entrtinc- 
Daeut.  M,  Chaillous  tire  de  ces  prémiBses  psychologiques  des  codcIu- 
sioes  pratiques  pour  rorgantsation  descolooies  péniten  tiaires  d^eofants. 


VIL  —  PSTCaOLOGIE  SOCIALE   ET  CBIMIPTELLE* 

M.  G.  Tarde,  présîdeni  de  la  saotion,  a  défini  daos  une  allocuLiOQ 
Tobjet  de  la  psychologie  sociale  ou  interpsychologie  et  esqutgsc  sa 
méthode. 

i"  Fr,  EuLENBURti*  —  Le  problème  de  l^  psychologie  mciale. 

Par  psycholog'ie  sociale,  il  faut  entendre  Tétude  de  ces  phénonsènes 
psychiques  qui  ne  prennent  naissance  que  dans  le  contact  da  plti* 
sieurs  individus  réunis  en  un  groupe  plus  ou  moins  sUîtle.  La 
Vôlherpsychologie  a  été  une  prcmii?re  tentative  pour  conslituer  cett^ 
science  nouvelle,  mais  elle  a  arbitrairement  limité  son  domaine  i 
Tétude  du  langage,  des  coutumes  et  des  mythes,  et  s>st  spécialemeai 
attachée  aux  formes  les  plus  basses  et  les  plus  simples  du  dévetop- 
pement  de  rhumanitè  :  elle  n'atteint  d'ailleurs  jamais  directement  lei 
processus  psychiques  eux- mêmes,  mais  seulement  lea  phénomènes 
extérieurs  où  Ils  s*obj activent.  La  psychologie  asociale  ne  se  conrond 
pas  non  plus  avec  la  psychologie  des  foules,  qui  étudie  la  répétition 
d^uo  même  phénomène  chez  des  individus  différents  en  raison  de  lear 
juxtaposition  et  non  Ici  création  de  sentiments  et  de  pensées  vraimeûl 
nouveaux,  création  qui  implique  l'organisation  du  groupe.  Toute  h 
vie  sociale  s'offre  ici  comme  champ  d'observation  avec  les  groupenn*nts 
divers  qu'elle  entraine  :  familiaux,  nationaux^  professionnels,  etc.  On 
aura  à  déterminer  quelle  intluence  est  exercée  par  1  étendue  dti 
groupe ^  par  sa  nature,  par  sa  stabilité,  par  la  fréquence  des  relaiioâi 
entre  ses  membres»  sur  les  idées  et  les  sentiments  collectifs,  las  modi- 
fications qu^amènent  dans  les  états  internes  les  changements  des 
conditions  externes  et  la  réaction  exercée  par  les  transformations  dea 
senti ments  conoctifs  sur  la  structure  du  groupe  et  ses  relatiani 
avec  d'autres  groupes.  Les  lois  de  la  psychologie  individuelle  se 
vérîlient  dans  le  domaine  de  la  psychologie  sociale  :  elles  doivent  subir 
seulement  une  transposition;  les  lois  d'association,  et  de  contraste,  U 
loi  de  Fechner,  les  variations  du  champ  de  la  conscience,  les  phéEtt)- 
mènes  de  fatigue,  etc»  ont  leurs  parallèles  dans  les  processus  p»ycbi* 
ques  dea  groupes  sociaux. 

2**  Le  Vmf.  A.  UtiOPPALÏT  fait  de  la  psychologie  collective  ou 
psychologie  des  foule»  un  rameau  détaché  de  la  psychologie  sociale, 
qui  est  constituée  essentiellement  par  la  VOlkerpsychologie  uu  fùlkhre 
d'une  part  et  d'autre  part  par  Tétude  de  la  genèse  des  senlinient^ 
et  des  idées  qui  se  produisent  aux  sein  des  groupes  orgnaîôés 
par  Taction  et  la  réaction  des  individus  les  uns  sur  les  autres  et 
Texamen  de  rinlluence  exercée  par  ces  phénomènes  sociàUl  sur  lef 


MAHILLIER^    —   IlortGRËlS  mTERÎIATlo:ïAL   DK   PSTCFIOLOCtB 

esprits  indîvjdaels.   Il  cûnaidère  ces  diversea   sciônoes  comme  des 

disciplines  auxiliairca  de  la  sociologie.  Il  considère  que  rerreur  dû 
méthode  commise  en  ce  domaine  a  été  l'application  directe  à  des 
phénomènes  d'un  autre  ordre  des  lois  de  la  psychologie  individuelle  ; 
il  blâme  aussi  la  création  de  ces  entités,  telloa  que  Tàme  des  peuples 
Faspect  de  la  race,  etc.  qui  no  laissent  pas  réduire  aux  actions  et 
réacUons  des  éléments  constitutife  des  groupes,  mais  auxquels  on 
Bembtc  attribuer  une  sorte  d'existence  transcendante  par  rapport  aux 
consciences  individuelles. 

3^  M,  Cn.  KuNTE  estime  qu'il  y  a  Heu  de  constituer  sous  le  nom 
d*ergologiê  une  science  spéciale  qoi  traiterait  de  Faction  de  Thomme 
sur  son  milieu  et  des  transformations  psychiques  que  cette  action 
même,  qu'il  exerce  intentionnel  le  ment  sur  les  choses  et  les  êires  qui 
Tentaurent,  amènent  en  lui, 

i°  M.  ToMTO  Takkbé  a  présenté  une  classification  des  tendances  qui 
constituent  les  facteurs  essentiels  dos  phénomènes  sociaux.  L'action 
des  causes  extra-humaines  est  pour  lui  secondaire  et  indirecte.  Il  fait 
àoôté  des  tendances  une  place  aux  intentions  et  aux  diverses  formes 
d*idéal.  Les  tendances  sont  divisées  en  individuelles  et  sociales;  les 
tendances  f^ociales  sont  divisées  à  leur  tour  en  tendances  naturelles 
ou  a  priori  et  tendances  artilicielies  ou  a  posteriori. 

5°  M.  le  prof,  F.  Schultzk  expose  le  plan  très  complet  d^une  étude 
psychologique  des  non  civilisés.  C'est  la  tabïe  des  matières  d'un  livre 
qu*il  vient  de  publier  ',  En  voici  les  principales  divisions  :  L  l.^iiUelli- 
gencedu  sauvage.  IL  La  uolonté  du  saunage.  îll,  Histoire  naturelle  de 
Corigine  de  l^  religion.  IV,  Évolution  de  la  morale. 

6*  M*  A.  Maetbès  assigne  pour  origine  à  la  justice  pénale  la  ven- 
geance, privée  d'abord,  puis  publique.  Il  retrouve  dans  le  duel 
les  traces  de  rancienne  justice  privée.  L'idée  de  vengeance  a  fait 
place  à  celles  de  Texpiation  et  de  la  dette  du  coupable  envers  la  société, 
mais  elles  sont  périmées  à  leur  tour,  La  peine  ne  doit  plus  être 
qu'éducative  pour  le  coupable  et  protectrice  pour  la  société;  toute 
idée  de  vengeance  ou  même  de  réparation  doit  disparaître  de  la 
iustice  pénale. 

1"*  M,  Ed.  Reich  attribue  comme  cause  essentielle  à  la  criminalité  et 
au  vice  rorganisatïon  de  ta  eociéti^^  qui  repose  sur  la  libre  concur- 
rence et  l'appropriation  individuelle,  11  estime  que  la  constitution 
d^un  système  de  mutualité  altruiste  les  ferait  disparaître. 

Ô"  M.  N*  de  tîEELAND,  s  appuyant  sur  les  données  fournies  par  la 
statistique  criminelle  de  ta  Russie  d'I^urope  durant  une  période  de 
cinq  années  f  l8H9-t)3)^  est  amené  â  conclure  que  la  plus  faible  crimina- 
lité de  la  femme  n  est  pas  attribuable  à  des  causes  accidentelles  ou 

i^  Pxychoïoffie  der  f^aiat'vëlkt^T.  Entit'i^^^iungpxt^eholijQisch^  Charakiet^islik  fier 
NaiiH'tïtitmchen  in  inleliei^tuellei*,  ^sthetiticht;i\  eihincher  und  reliffidset  Bêziehun*j . 
EtAc  natUfîîche  SchÔpfuiifjiie3i:hichie  memchUchen  VQrsieiUtiSj  Wollens  und 
Glauhens.  Leipzig,  Ydt.  tOÙO. 


536 


REVUi   rflILOSOPHIQUE 


socmksi  mais  à  sa  moratlté  sapérteure,  à  sa  sobriélé,  à  sa  patienc 
pluâ  îj^randes,  à  sa  plus  grande  assiduité  au  travail,  à  sa  plus  g^randfi 
capacité   d'aimer,  au    développement  eniin   qu*a    chez  elle    1  espri^ 

religîeujE. 


vni.  —  Esthétique, 

I"  Mlles  V.  Pagbt  (Vervon  Lee)  et  C.  Anstruthbr  Thomsoî*  ont 
fait  une  communication  sur  le  rôle  joué  par  le**!  sensations  musculairef 
et  viscérales  dans  la  perception  esthétique  visuelle.  Leur  thèse,  qui 
te  pose  s  u  r  d  es  ex  péri  en  ce  s  i  nt  ro  s  pect  i  ves  t  rès  nom  b  r e  uses,  c  o  n^îste  à 
soutenir  que  le  plaisir  ou  le  déplaisir  esthétique  qui  se  rattache  h  la 
perception  visuelle  complote  (c'est-à-dire  beaucoup  plus  compîeîte  tt 
plus  profonde  que  le  simple  acte  dldentification)  d*un  objet  quelconqïiii, 
dépend,  non  pas  seulement  de  l'activirê  de  Tor^ane  visuel  et  dei  pro- 
cessus musculaires  qui  lui  sont  associés,  mais  de  la  partie ipaiion  h  ta 
perception  de  quelques-unes  de^  fonctiotjs  les  plus  importantes  de  toul 
rorganiame  :  la  respiration,  la  circulation,  Téqui libre,  les  adaptations 
motriceiï  du  corps  entier,  fonctiotis  dans  lesquelles  il  se  prodm't  des 
changements  favorables  ou  défavorables  selon  la  nature  des  synthèses 
visuelles  et  des  éléments  qui  les  composent.  Cet  état  particulier  des 
sensations  internes   et  musculaires  n'est  point  un  effet  de  rémotloo 
esthétique  agréable  ou  désagréable,  mais  sa  cause  et  son  explication, 
et  peut-être  même  un  élément  de  cette  émotion  même.  Ces  éîémenU 
moteurs  interviennent  dans  la  vision  pour  nous  donner  la  perception 
des  rapports  de  direction   entre  les  lignes,  des  rapportai  spatiaux  et 
dimensionnels  et  des  qualités  pour  ainsi  dire  rythmiques  des  olsjets. 
Cette  parlicipation  se  révèle  par  Tétude  de  sensations  de  différeote 
nature  (des  sensations  mi  métriques  entre  autres)  plus  ou  moins  loca- 
lisées, synthétiques  ou   rudtmentaires   dont  quelques-unes  semblent 
accusées   par   le  langage  métaphorique   généralement  appliqué  àUi 
objets  visibles,  tandis  que  beaucoup  d'autres  ne  peuvent  être  démêlées 
qu'expérimentalement  des  impressions  esthétiques  complexes  où  ellei 
se  trouvent   engagées*    Un   questionnaire  détaillé    est   annexé  à  ce 
mémoire*  Son  but  est  de   soumettre  au  contrôle  d'un  examen  plw* 
large  et  plus  rigoureux  à  la  fois  les  faits  sur  lesquels  se  fonde  cetl« 
thèse,  de  s'assurer  si  les  phénomènes  observés  n'appartiendraient  pi'« 
à   la  catégorie  des  idîosyncrasies  exceptionnelles  (comme  les  phént?- 
mènes,  par  exemple,  d'audition  colorée),  et  si,  d*autre  part^  ils  ne  sool 
pas  restreints  aux  sujets  appartenant  d'une  manière  presque  exclusivS 
au  type  moteur»  et  de  déterminer  enfin  quelles  relations  existent  entr* 
la  capacité  de  ressentir  rémotion  esthétique  et  le  fait  d'appartenir  ïi  C@ 
type, 

'*  M,  Cb.  Rot,LAND  indique  les  quatre  principaux  points  où  se  devrait 
Iquer,  d'après  lui,  ki  psychologie  expérimentale  pour  fournir  à  1^ 
jue  esthétique  des  éléments  pour  la  solution  des  divers  problèmes 


HAHILLIER,   —   CONCHÏ^S   IM'ERWATÏONAL   DE   rSYCBOLOGlK         537 

qui  sout  de  son  domaine.  Ce  sont  1*  l'étude  des  variations  de  la  sen- 
sibilité avec  les  clîmals  et  les  races^  2^^  Tétude  du  sens  eBtbétique 
lui-même  (détermination  de  la  part  de  chaque  ordre  de  sensatioas 
dans  la  formation  de  la  sensibiitté  esthétique,  variations  qu'il  subit 
sous  rinlluence  des  émutioriB  qui  les  accompagnent,  examen  de  ees 
modalités  diverses  chez  l'artiste  créateur,  le  public,  la  critique,  Tin- 
terprète  (acteur,  musicien  ou  danseur),  3"  l'étude  des  relations  de 
Finstinct  sexuel  et  du  sentiment  esthétique,  4"  Tétude  du  rôle  de  L'an- 
thropomorphisme  et  du  sentiment  de  la  nature  dans  la  genèse  du  sen- 
II      timent  de  Tart  et  des  a*uvres  qu'il  inspire. 

^ft  3*  Le  Prof.  V.  Basgh  réduit  à  trois  catégories  principales  les  multi- 
|^"ples  éléments  qui  entrent  dans  la  composition  du  jugement  esthé-* 
tique  :  les  facteurs  sensibles  directs,  les  facteurs  formels  et  les  fac- 
teurs associés.  Les  facteurs  sensibles  directs  sont  la  qualité  émotion- 
nelle de  la  sensation,  qui  est  d'autant  pluîs  agréable  qu'elle  procure  un 
maximum  do  stimulation  avec  un  minioium  de  fatigue;  les  facteurs 
formels  sont  représentés  par  le  plaisir  intellectuel  que  cause  la  per- 
ception de  la  liaison  du  divers  ou  de  Tunité  dans  la  multiplicité;  les 
facteurs  associés  sont  les  sentiments  de  plaisir  que  nous  associons 
directement  ou  indirectement  à  la  contemplation  d'un  objet  de  la 
nature  ou  de  Fart.  Le  caractère  commun  de  ces  divers  facteurs,  c'est 
que  ce  sont  des  sentiments  de  sympathie  symbolique  qui  nous  font 
participera  la  vie  d êtres  infiniment  éloignés  de  nous  par  le  temps  et 
respaceT  et  conférer  la  vie  qui  est  en  nous  à  des  objets  inanimés* 
i  Envisagea  ce  point  de  vue^  le  sentiment  sensible  direct  résulte  d'une 
sympathie  entre  notre  système  nerveux  et  les  excitationâ  extérieures, 
le  sentiment  formel  d'une  sympathie  entre  la  loi  primordiale  de  notre 
entendement  et  les  formes  des  êtres  et  des  choses,  et  enfin  le  senii- 
ment  associé  dune  sympathie  entre  les  événements  propres  de  notre 
Yiô  et  Ses  objets  actuels  de  notre  contemplation  )k  De  ces  sentiments^ 
unis  dans  le  justement  et  le  plaisir  esthétiques  en  un  faisceau,  seuls 
les  sentiments  sensibles  directs  et  les  sentiments  formels  peuvent 
prétendre  à  être  universellement  partagés.  Les  sentiments  associés, 
au  contraire,  sont  essentiellement  instables  et  leur  «i  communicabilité  » 
dépend  d*uu  acte  de  sympathie  reconstructive  qui  exige  des  connals- 
satiees  et  une  plasticité  de  l'Imagination  dont  la  moyenne  est  inca* 
pable  et  qui  sont  limitées,  même  chez  l'élite,  à  des  époques  et  à  des 
formes  d  art  déterminées^  Ainsi  se  résout  rantinomie  qui  existe  entre 

fis  prétentions  du  jugement  esthétique  à  l'universalité  et  les  varia- 
ons  auxquelles  en  fait  il  est  soumis. 


IX.  —  Psychologie  morbide  et  patholoi^ie  mentale. 


1**  Le  Prof,  A.  Tambuiuni  insiste  sur  le  rôle  considérable  joué  par 
les  troubles  des  sensations  et  des  images  viscérales  dans  les  aberra^ 
tions  de  U  conscience  de  soi  et  les  aberrations  de  la  personnalité;  oea 
TOME  u  --  1900.  35 


S38 


1I6TCE  pHiLosonmotE 


troubles  ont  parfoîs  une  origine  loeale  dans  les  viseères  même; 
d  autres  cm  elles  ont  une  origine  purement  cérébrale.  Les  centres 
la  conscience  viscérale  sont  situés  dans  Técorce  cérébrale  aux  poiu! 
qui  sont  en  rapport  avec  les  appareils  et  les  fonctions  de  la  vie 
nique,  c*est-à-dire  dans  la  zone  sensori^motrice  et  les  territoires 
sinants;  ces  centres  ont  des  fonctions  à  la  fois  motrices  et  sensitlves, 
Les  hallucinations  viscérales  ont  leur  origine  dans  la  reviTÎscenee  ci 
Tejiagération  morbide,  par  «n  processus  irritatif  siégeant  daoa  cette 
partie  de  Tencéphale,  des  images  qui  s'y  sont  emmagasinées  incoD- 
sciemtnont,  alors  que  Tétat  du  sujet  était  normal.  Elles  provoquent  à 
leur  tour  des  sensations  illusoires. 

ï'  M.  le  D'  J.  Sl^GLAS  a  exposé  que,  sous  le  nom  d'hallucinations  psjf- 
chiques,  on  décrit  depuis  Baillarger  des  phénomènes  disparates  entre 
eux  et  qn*ll  importe  de  distinguer;  ce  sont  1*  des  phénomènes  Inter- 
médiaires à  ridée  et  à  rhallucination  vraie  (visions,  bruits,  odeurs^ 
goûts  spirituels  des  mystiques),  des  représentations  mentales  vives  et 
précises,  mats  non  esctérLorisées^  des  pseudo^hallucinations  en  un  moi; 
2*>  des  hallucinattons^motrtces  verbales,  qui  peuvent  ou  non  s'acooffl* 
pagner    d^halluoi nations   ou    de    pseudo -hallucinations    sensorieUet; 
3*»  des  pseudo-hall ucinationa  verbales,  le  plus  souvent  motrices,  mais 
parfois  visuelles  ou  auditives.  Les  discussions  qui  se  sont  élevées  lur 
la  question  des  hallucinations  psychiques  tiennent  en  grande  partial 
la  complexité  et  à  rhétérogénéité  des  phénomènes  compris  sous  tB 
vocable  et  dont  beaucoup  ne  sont  pas  des  hallucinations.  M*  Scglis 
estime  qu'en  conséquence  c'est  un  terme  qui  devrait  disparaître  de  l» 
nomencïatu  re  psycb  iatriq  ue . 

3'i  Le  D*^  Gustave  d*Olah  cherche  à  établir  dans  son  mémoire  fBar- 
tielle  Bewu&sUùsigkeit  mit  toiaier  Amnesia)  que  la  perte  du  souvenir 
d'un  acte  n'implique  pus  que  cet  acte  ait  été  commis  iueonseiemmeBteC 
sans  que  la  personnalité  de  l'individu  y  ait  eu  la  moindre  part.  Le  oiS 
des  images  des  rêves  si  vives  au  réveil  et  qui  s*efTacent  si  complètemeot 
en  peu  d'instants  lui  parait  constituer  à  l'appui  de  son  opinion  «^ 
argument  démonstratif.  Il  faut  ajouter  que  les  actes  qui  sont  coidip^ 
dans  ces  états  prétendus  inconscients  ne  sont  jamais  étrangff^, 
encore  bien  moins  opposés»  à  la  nature  psychique  de  Tagent;  en  mn 
s'expriment  des  instincts,  des  tendances,  des  désirs  inhibé»  à  l'ètaï 
normal  par  des  forces  antagoniques.  C'est  ce  qui  se  passe  par  esenipic 
dans  Tintoxication  alcoolique  :  la  condition  où  se  trouve  placé  le  déli- 
rant alcoolique  rappelle  de  très  près  celle  de  Tenfant  dont  la  conscieacô 
est  encore  pauvre  en  images  antagoniques  et  qui  est  livrée  aujc  ^^' 
pulsions  de  ses  instincts*  La  conscience  intervient  dans  la  plupiirt  (J^s 
actes  réputés  automatiques  et  qui  sont  beaucoup  trop  compliqijés  *' 
trop  nettement  dirigés  vers  une  tin  pour  qu'on  puisse  les  consitîtîra^ 
comme  une  série  de  réflexes.  Ijà  où  la  conscience  fait  défaut,  aîasi  qt^^ 
tout  élément  représentatif,  il  n'y  a  plus  place  que  pour  des  çuotr*^ 
tiens  musculaires  in  coordonnées,  M.  d'Olah  n'admet  même  p^is  que  "*** 


MARILLIER.   —  CONGRÈS   INTERNATIONAL  DE   PSYCHOLOGIE        539 

répilepsic  larvée  et  le  délire  épileptïque  il  y  &it  mconicience  ci  qu'il 
y  ait  en  ces  cas  perte  complète  du  souvenir.  Et  de  même  qu*il  y  a  con- 
servation du  moins  partielle  de  la  conscience,  il  y  a  conservation  aussi 
sinon  du  caractère  même  de  l^indïvidu,  du  moins  de  certains  éléments 
de  ce  caractère,  qui  à  Tétat  normal  demeuraient»  et  pour  lui  comme  pour 
les  autres,  dans  la  pénombre*  Un  être  ne  peut  réagir  que  conformément 
à  ce  qull  est,  M.  d'Olah  va  si  loia  en  ce  sens  qu*il  tient  pour  impossible 
qu'un  sujet  hypnotisé  accepte  des  suggestions  en  tout  opposées  à  ses 
sentiments  et  à  ses  désirs, 

4°  M.  le  C"  Truelle  a  communiqué  Tobservation  de  deux  cas 
d'amnésie  continue,  consécutifs  lun  à  une  attaque  épilepti forme, 
Tautre  à  une  intoxication  par  Toxyde  de  carbone.  Aucun  des  deux 
malades  ne  présentait  de  stigmates  hj^stèriques, 

5*  M*  le  professeur  Pierre  Janet  a  communiqué  Tobservation  d'un 
cas  de  respiration  du  type  de  Cheyne-Stokes  chez  une  hystérique.  Il  a 
constaté  que  le  réveil  de  Tac ti vite  cérébrale  chez  cette  malade  et  le 
rétabli^^sement  de  sa  capacité  d'attention  modifiaient  son  rythme  respi- 
ratoire et  le  rapprochaient  du  rythme  normal. 

tî"  D^  J.  P.  n.\RTENBERci,  Sur  la,  névrose  d'angois&e  (Angstneurose), 
Freud  la  considère  comme  le  terrain  propice  sur  lequel  se  développent 
les  obsessions  et  tes  phobies.  Or  il  est  à  remarquer  que  les  symptômes 
par  lesquels  elle  se  manifeste  consistent  en  désordres  vasculaircs  et 
nerveux  qui  sont  placés  sous  la  dépendance  du  système  nerveuit  sym- 
pathique. Elle  apparaît  donc  comme  une  névrose  du  sympathique,  et 
étant  donné  le  rôle  que  joue  le  sympathique  dans  la  vie  affective,  on 
serait  amené  à  la  regarder  psychologiquement  comme  une  névrose 
émotionnelle  spécifique.  On  ne  saurait  dêâ  tors  s'étonner  qu'elle  soit  à 
la  base  des  obsessions  et  des  phobies.  On  retourne  ainsi  uixx  concep* 
lions  de  Moreh  II  y  a  là  un  argument  clinique  en  faveur  de  la  doctrine 
qui  accorde  ta  priorité  à  la  vie  aiïective  et  assigne  aux  émotions  un 
caractère  organique.  L'angoisse  est  ici  le  phénomène  primordial  et  elle 
n'est  que  la  traduction  dans  la  conscience  des  désordres  vasculaires 
et  viscéraux  conditionnés  par  la  névrose  du  sympathique.  Les  phobies 
ont  un  caractère  dérivé  ;  elles  ne  sont  que  les  formes  intellectuelles  et 
Imaginatives  que  révèlent  ces  état  affectifs.  Aussi  la  suggestion  n*a* 
t>elle  pas  de  prise  sur  elles. 

7"  M.  le  D^  P,  Tesdorff,  a  montré  de  quelle  importance  était  pour 
le  psychiatre,  au  triple  point  de  vue  du  diagnostic,  du  pronostic  et  du 
traitement,  la  connaissance  du  caractère  du  malade  qu'il  a  à  soigner 
Le  caractère  du  patient  imprime  à  la  maladie  une  phyc^ionomie  spéciale 
el  qui  pourrait  tromper  sur  sa  nature  et  ^a  gravité,  si  Ton  ne  savait 
quelles  sont  la  constitution  psychique  et  les  réactions  habituelles  de 
celui  qui  en  est  atteint.  Mais  pour  étudier  scieûtiliquement  un  carac- 
tère particulier  Jl  faut  être  en  possession  d'une  bonne  classi  il  cation  des 
eftractères,  et  pour  pouvoir  apprécier  tes  désordres  que  la  maladie  a 
«•tés  dans  Tétai  mental  et  moral  d'un  homme,  il  faut  avoir  nette- 


540  REVCE   PHILOSOPHIQUE 

ment  dêterfniné  quels  sont  les  traits  qui  appartlenneEii  3lux  types  nor- 
maux et  quels  sont  eeux  qui  sont  signiiîcatifs,  en  dehors  de  toute  psy- 
chose définie,  d  une  condition  psychique  anormale  ou  qui  constituent  du 
moins  une  prédisposition  à  une  affection  cérébrale  ou  nerveuse.  î/atteû- 
tion  doit  porter  dans  une  classification  de  cette  espèce,  sur  les  élénaenti 
du  caractère,  leur  nature»  leur  mode  de  groupement,  la  prédomioanee 
de  certains  d'entre  eux,  leur  accord  ou  îeur  désaccord,  leur  aifiance  à 
être  modiïiés  par  les  influences  du  dehors  ou  leur  résistance  au  con- 
traire à  toutes  les  aetions  extérieures. 

8**  M,  le  D*"  MOHTON  PniNCE  a  présenté  une  communication  sur  un  qm 
de  triple  personnalité.  Les  trois  personnalités  podsèdent  une  complète 
indépendance  :  l'une  d'elles  est  une  transformation  de  lasub^conscieDce 
{sublimi7iat  coîisciousness)  du  sujet;  elle  existe  depuis  son  eafanceà 
l'état  de  8ub*conscîence  et  ses  souvenirs  sont  continus  depuis  oetle 
date»  Elle  n'a  acquis  qu'à  une  époque  récente  une  totale  indépendance. 
Elle  a  écrit  une  autobiographie  où  est  racontée  sa  vie  en  parallèle 
avec  celle  de  la  conscience  primaire.  Elle  a  pu  donner  de  nombreuji  ren- 
seignements sur  les  autres  personnalités,  qui  sont,  elles,  des  fragtûeiita 
du  moi  normal.  Cette  fragmentation  du  moi  s'est  faite  par  désintégra- 
tion. Elles  n'existent  pas  simultanément,  mais  successivement  elsorit 
amnésiques  pour  toutes  les  périodes  où  elles  n'existent  pas  comme  per- 
sonnalités distinctes. 

D"  M.  le  professeur  de  Tahchanoff  a  fait  une  communication  sur  ki 
hallucinations  ique  révèlent  leurs  attitudes),  les  illusions,  les  pertur- 
bations de  caractère  et  les  impuisiona  déterminées  eliez  certainfis 
espèces  de  grenouilles  par  T intoxication  chloroforraique.  Ces  phéno- 
mènes apparaissent  au  réveil. 

X.  --  Les  états  hypnotiques  et  les  phénomènes  de  télépatîîik* 

I**  Le  D"*  Falk  Schupp,  après  avoir  indiqué  les  contributions  qnfi 
fournit  h  la  connaissance  des  modalités  de  la  conscience^  à  la  Itiéoffce 
de  la  personnalité  et  à  celle  de  la  volonté  et  de  l'instinct  l'étude  ^u 
somnambulisme,  exprime  Topioion  que  la  seule  voie  qui  nous  soit  Uf- 
gement  ouverte  pour  accroître  notre  connaissance  des  phénomènes  oc 
cet  ordre  est  rexpêrimentalion  sur  des  sujets  qui  appartiennent  à  des 
races  où  les  pratiques  hypnotiques  et  somnambuliques  font  partie  du 
culte.  L'observation  des  cas  spontanés  de  somnambulisme  est  en  elï^l 
mal  commode  et  on  no  peut  maintenir  les  sujets  européens,  quûB 
a  plongés  artitîciellement  dans  le  sommeil,  endormis  pendant  àt^ 
périodes  assez  longues  pour  permettre  de  mener  à  bien  certaines  eïp 
riences  de  haute  importance.  Mais  pour  réussir  en  une  telle  entreprise» 
tDù  les  données  fournies  par  la  Vf'ifker psychologie  et  ranlhropolog'* 
serviront  de  guides^  une  organisation  înternationaïe  est  nécessAÎre. 

î^  U,  le  prof-  Liégeois  a  fait  une  communication  sur  ies  hallucî- 
nations  négutives.  Le  trait  essentiel  de  ses  conclusions,  c*est  que  Ic^ 


MARILLIER,    —   COPiCRÉS   INTERNATIONAL  0E   PSYCHOLOGIE         o4i 

sujets  qui  semblent  ne  pas  vDîr,  t)oienU  ne  pas  entendre,  Entendent^ 
nsaïs  qu*ïls  voient  et  entendent  inconiciemment, 

3'^  Le  proL  Bernheim  a  traité  de  l'anesthésie  hyeténque,  qu*il 
ramène  presque  complètement  ti  un  ensemble  d'auto-auggestions  et 
qu'il  considère  comme  curable  par  su^^gestion  ou  par  persuasion. 

4<»  Le  D'  Reeung  Baouwsn  présente  robservatioa  d'une  hystérique 
dont  il  a  suivi  pendant  plusieurs  années  la  maladie,  ïl  arrive  à  la  con- 
clusion que  la  caractéristique  essentielle  de  l'hystérie  c'est  Tauto-sug- 
gestlbilitë  pathologique.  Le  mode  de  traitement  le  plus  efficace,  c'est 
la  psycho-thérapie  suggestive,  mais  elle  réusait  plutôt  à  rempiacer  par 
d'autres  moitis  gênants  les  phénomènes  morbides  dus  à  des  auto-sug- 
gestions qu'à  faire  disparaître  la  tendance  à  rauto-suggestîbilité. 

5*»  Le  D"'  G--C*  Feurari  a  fait  une  communication  sur  la  divination 
ou  lecture  de  la  pensée. 

i't^  M,  J,-C.  Uhatterji  a  exposé  la  méthode  suivie  dans  IMnde  pour 
Tctude  expérimentale  de  la  psychologie,  étude  où  les  procédés  appa- 
rentés à  ceux  des  hypnotiseurs  tiennent  une  grande  place.  Il  insiste 
sur  le  caractère  naturel  des  phénomènes  supra^normaux  que  IMnde 
ofTre  dL!  si  multiples  occasions  d'observer. 

7^  M.  îeD''  IJxnAUSSE  a  lu  un  mémoire  sur  le  transfert  hypnotique. 
n  a  indiqué  quelles  sont  les  principales  afïections  nerveuses  suscep* 
tibles  d'être  améliorées  par  ce  procédé  thérapeutique  et  discute  la 
question  de  savoir  sHl  agit  simplement  par  suggestion. 

S^  M.  le  prof-  Flournoï'  indique  la  nécessité  qu'il  y  a  pour  les  psy- 
chologues de  profession  de  s'occuper  de  a  phénomènes  dits  occultes, 
supra-normaux,  spirilîques»  etc.,  qu*ilg  ont  trop  négligés  jusquici.  Il 
faut  les  examiner  avec  une  complète  absence  de  parti*pris,  mais  en 
les  soumettant  à  une  critique  rigoureuse.  Il  signale  la  tendance  des 
processus  subconscients  de  mémoire  et  d'imagination  à  simuler  des 
communications  supra-iiormales  et  la  difficulté  qu'il  y  à  assigner  des 
limites  à  Tétendue  de  leur  action, 

9*^  M,  FaÉn.  W*  IL  M  vers  décrit,  aous  le  nom  devenu  classique  de 
Trance,  Tétat  de  sommeil  apparent  dans  lequel  le  sujet  peut  exprimer 
par  la  parole  ou  récriture  des  idées  qui  sont  étrangères  à  sa  peraon* 
nalité  normale  et  faire  connaître  des  faits  qu'elle  ignore.  Il  arrive 
qu'en  cet  état  d'automatisme  il  n'y  ait  pas  seulement  modification  de 
la  personnalité  normale,  mais  substitution  d'une  personnalité  à  une 
autre,  La  Trance  peut  survenir  dans  le  somnambulisme  spontané;  elle 
apparaît  dans  Fliystérie  comme  Tun  de  ses  syndromes  ;  elle  peut  être 
engendrée  artiliciellement  par  les  pratiques  hypnotiques  et  la  sug- 
gestion. Ces  phénomènes  sont  parfois  simulés  et  les  révélations  faites 
pendant  le  pseudo*sommeil  sont  h^  fruit  d'informations  adroitement 
prises  ;  c*est  le  cas  de  la  plupart  des  cl^iri:oyantes  professionnelles; 
on  peut  aussi  se  trouver  en  présence  de  manifestations  morbides,  ce 
sont  eclles  qui  ont  été  étudiées  par  P.  Janet,  Binet,  Freud,  Breuer,  etc, 
mais  l'état  de  Trunce  est  compatible  avec  la  parfaite  santé.  Tantôt  en 


S42 


HËVOE   Î^HtLOSOPKlÛi'Ë 


ce  cas  les  révélations  da  sujet,  bien  qu'elles  eontleûnent  des  combi- 
naisons de  penâées  et  dUroages  qu'il  eût  été  hors  d'état  de  réalisef 
pendant  la  veille,  ne  renfernnent  aucun  élément  qui  n'ail  pu  venir  k 
sa  coiinaisb^nce  par  les  voies  ordinaires  :  tes  faits  s'expliquent  alon 
par  raulomAlisme  des  mémoirea  sub-conscieiites  et  sont  analog^uei  i 
ceux  qui  constituent  l'inspiration  du  génie;  tantôt  ces  révélations 
contiennent  la  mention  cott  de  faits  ignorés  du  sujet,  mais  connui 
d'autres  personnes  présentes,  et  qui  peuvent  ainsi  atteindre  le  sujet 
par  léiépalhie,  soit  existant  actuellement  en  un  autre  lieu  et  qui  peu- 
vent être  appréhendés  par  lui  par  lèiesté&ie',  tantôt  eonn  les  révéla- 
tions contiennent  la  mention  de  faits  passés  ignorés  du  sujet  et  des 
personnes  présentes,  mais  vériliables,  et  qui  pourraient  s'être  con- 
servés dan«  la  mémoire  de  certaincî?  personnes  déterminées,  mortes  à  ee 
moment  et  à  la  personnalité  desquelles  le  sujet  les  rattacha  en  fait.  Il 
y  aurait  en  ce  cas  une  substitution  temporaire  de  personnalité. 
C*est  à  ce  dernier  type  que  se  rattachaient  les  cas  connus  du  Rev. 
W.  Btainton  Moses  et  de  M.  Piper,  c'eit  à  lui  que  se  rattache  le 
nouveau  cas,  que  décrit  M,  Myers,  de  Mrs.  Thompson.  M*  Myen 
explique  cette  dernière  catégorie  de  phénomènes  par  Ja  substitution  de 
Tes  prit  d'un  mort  à  celui  du  sujet. 

10'^  Mme  W;  Vehjuli.  et  M.  le  D^  van  Eeoe>î  ont  présenté  une  noie 
détaillée  sur  le  cas  de  Mrs.  Thompson.  Mme  V,  estime  que  la  cryplû- 
mnésie  ne  joue  qu'un  rôle  très  secondaire  dans  les  phénomènes  dont 
elle  est  le  sujet.  Mrs*  Thompson  est  peu  suggestible  à  T état  de  vidk 
Mme  Verrall  et  M.  V.  Ceeden  ont  assisté  personnellement  aux  séao^seï 
où  se  sont  produits  les  phénomènes  qu'ils  décrivent. 

11'*  M.  le  D""  Kncausse  a  présenté  une  note  sur  une  série  d'appif^il* 
cliniques  enregistreurs  destinés  à  Tétude  des  sujets  hypnotisés  el  des 
médiums  et  permettant  de  contrôler  Tauthencité  des  phénomeoei 
obtenus» 

12*^  M.  le  D""  Paul  Joiïie  a  indiqué  d'autre  part  !a  place  que  doivent 
prendre  dans  rensemble  des  recherches  psychologiques  les  étiidef  si'î 
la  télépathie,  la  suggestion  mentale,  rexténorisatlon  de  la  sensibilité 
et  de  la  force.  Les  faits  lui  semblent  constants»  Il  faut  travoiUern^'î* 
pas  à  rechercher  la  cause  et  la  nature  de  ces  phénomènes,  mais  i 
déterminer  avec  précision  les  conditions  où  ils  se  produisent. 

{3"  M*  le  D^  Th.  Pascal  a  présenté  une  note  sur  la  dualité  des  véh^' 
cuîes  de  cùnscience.  Il  estime  que  la  présence  dans  Têtre  humain  d*ti^^ 
conscience  anormale  plus  étendue  que  la  conscience  normale  et  sup^' 
rieure  h  elle  établit  la  réalité  de  Texistence  d'un  substratum  de  ee*-^ 
conscience  difTérent  du  cerveau  et  du  sysième  nerveux,  U  trouve  d^**^^ 
Tanalyse  des  phénomènes  du  rôve,  du  délire  fébrile  ou  toxique*  der 
foliCf  de  la  possession  et  du  dédoublement  de  la  personnalité^  la  preu^ 
de  celte  dualité  de  conscience.  Il  fait  une  large  place  aux  phénomène 

!  i*  M.  G.  Delanne  expose  la  nécessité  d*étudier  scientifiquement  l^^ 
apparitions  qui  ne  peuvent  s'expliquer  par  la  télépathie  et  posséder^ 


MAHILLIER.    —   CONGRES  lXTER?SATIOÎtAL  DK   rSYCROLOGlC         S43 

in  caractère  objectif  (perception  simultanée  du  mÉme  fantôme  visuel 
par  plusieurs  personnes ,  effets  physiques  produits  par  Tapparition, 
perception  des  visions  parles  animaux  domestiques,  etc.). 

î^^  M.  L*  Denis  en  un  mémoire^  où  il  fait  riiistorique  et  expose 

rélat  actuel  des  recherches  sur  les  phénomènes  d'extériorisation  et  de 

lédoublement  de  Tesprit,  aboutit  à  la  conclusion  que  les  hommes  de 

Gience  ne  peuvent  se  dérober  à  Tobligation  d'étudier  méthodique- 

[leat  cet  ordre  de  faiti* 

iS^  M.  le  D^  Bahaduc  a  fait  une  communication  sur  les  vibrations  de 

vitalité  /lumaine. 


L  OnOAKIâATlON   ou  TRAVAIL  PSYCHOLOGIQUE, 


1"  Mlle  JoTEVKO  a   présenté   une  note  sur  le  laboratoire  Kasimir 

Ohûlogie  expérimenlale)  de  T Université  libre  de  Bruxelles. 

Le  professeur  Tomébi  Tanimoto  a  communiqué,  au  Coiigrès  une 

otice  historique   sur  l'évolution  des  études  psychologiques  au  Japon. 

:i«  M,  le  ï}'  OcHOnowicz  a  exposé  les  raisons  qui  avaient  déterminé 

la  création  d^un  institut  psychique  iaternationaL  T!  a  esquissé  le  plan 

et  indiqué  le  mode  de  fonctionnement  de  cette  institution  nouvelle. 

r 

Cette  longue  analyse  des  travaux  du  Congrès  en  reproduit  lîdè- 

ement  la  physionomie*  Le  nombre  des  oommunicationa  d'un  caractère 
ares  général  a  diminué,  sauf  peut*ètre  dans  le  domaine  de  la  psy- 
chologie sociale,  ta  plupart  des  travaux  portant  sur  des  points  prêcia 
bl  bien  dé  Ij  mi  lés. 

I  Deux  remarques  s'imposent  en  terminant  :  c'est  d'une  part  le  très 
letit  nombre  des  travaux  relatifs  à  la  VCdherpsychologie  et  Tabsence 
lomplcLe  de  communications  âur  la  psychologie  animale,  d*autre  part 
place  toujours  plus  grande  faite  aux  recherches  sur  les  phénomènes 
apra-Dormaux. 
Le  Comité  international  et  permanent  a  décidé  que  le  prochain 
ngrès  ee  tiendrait  à  Home  en  1904.  La  présidence  en  a  été  contîée 
M,  Luciani»  recteur  de  T  Université  de  Rome,  qui  sera  assisté  de 
M.  Sergt,  vice-président  et  Tamburini,  secrétaire  général. 


L.  Mabilliba. 


CONGRÈS  D'HISTOIRE  DES  SCIENCES 


Le  Congrès  d'hîstoiro  des  sciences  s*étant  trouvé  ofLîciellemeTit  i 
taché,  en  qualité  de  cinquièinc  aectiOQ.  au  Congrès  mterualional  d'hi^ 
toire  comparée,  s'est  ouvert  par  une  séance  commune  à  toutes  les  se 
tions  de  ce  congi'ès.  Le  discoure  le  plus  important  de  cette  réunion! 
été  celui  de  M,  Boissier,  président  général,  qui  a  développé  le  rôkiî 
riniluence  de  rhistoire  sur  la  littérature  et  la  science  comparées,  lia 
montré  que  si  rhistoire,  par  un  certain  coté,  avivait  le  setîtimeiit 
national,  elle  n'en  tendait  pas  moins,  par  son  caraclùre  scîentilique,  h 
réaliser  la.  paix  et  la  fraternité  intellectuelle  entre  les  peuples. —  A  la 
suite  de  cette  réunion  générale,  la  section  d*histoire  des  sciences  s'es^ 
constituée  séparément*  Bile  a  tenu  six  séances  au  Collège  de  FranceJ 
du  lundi  ^3  au  samedi  28  juillet  1900.  Le  bureau  déllnitif  a  été  compos»^ 
des  membres  du  comité  d  organisation  :  M,  Paul  Tannery^  présideni. 
M.  le  docteur  Bureau  et  M,  AnihéLu-landej  vice-présidentâ;  M,  ledM- 
teur  Sicafd  de  Ptauzoles,  secrétaire. 

On  peut  diviser  les  travaui:  du  Congres  en  trois  groupes  :  l"  lescoifl-^ 
raunieations  et  discussions  (d'ailleurs  nécessairement  très  restrôliît* 
en  ce  cas)  qui  portent  sur  des  points  de  détail  de  rhistoire  des  scitmt 
et  qui  en  sont  pour  ainçi  dire  les  matériaux  ,  2°  celles  qui  ont  pouf 
objet  une  question  d*ordre  généra!,  présentant  un  caractère  philûsi 
phique,  ou  directement  liées  à  des  questions  d'histoire  de  la  phîlosi 
phie;  3^  les  veaux  et  les  résolutions  pratiques  adoptés  par  le  Congrès. 
Nous  indiquerons  brièvement,  en  raison  du  caractère  de  cette  Revue» 
les  mémoires  appartenant  à  la  première  catégorie  ^  nous  analyserons 
avec  plus  de  détail  ce  qui  concerne  les  deuv  autres. 

L  Com//iunîc.ihons  puremenf  historiques,  —  M,  Heibehg  :  Anâtt>' 
lias  sur  les  nombres,  AnatoHus  est  un  écrivain  chrétien  du  in*  siè 
qui  d'après  Eusèbe,  aurait  enseigné  la  philosophie  aristotéliciimn^l 
Alexandrie.  Il  a  écrit  une  compilation  sur  les  mathématiques 
M.  Ueibcrg  a  découvert  un  fragment  nouveau,  contenant  des  s^péetS^ 
tiODS  sur  le  symbolisme  des  nombres   et  lour^  vertus,  des  listes    ^ 
triades  et  de  tétrades,  et  eniin  une  citation  inédite  d'Heraclite,  d'^ 
leurs  peu  intelligible^  sur  le  rapport  du    nombre  7   et  de  la  lune. 
M.  de  LoNGHAiVE  présente  à  ce  propos  quelques  observations  sur  4*^ 
tribu  tion  des  planètes  aux  jours  de  la  semaine,  probablement  d'origi 
égyptienne^  mais  qui  ne  st^  trouve  pas  en  tout  cas  dans  rantiquitu  cl^^ 
aique,  antérieurement  au  premier  siècle  avant  J.-C.  —  M*  BouaNC^ 
de  l'Université  de  Kiew  :  Sur  les  origines  de  labacus  de  Gerbert.  -^^ 
M.  Maiimiukn  CtJATZE  i  Bur  l'enseignement  de  la  Géométrie  au  moy^ 


LALAI4DE.   —  CONGRÈS  BinsTOlRE  ïïES  SCJENCESÏ 


S45 


L 


\ 


âgé.  M.  Paul  TAKNEHTy  en  présentant  et  en  analysant  ce  mémoire, 
dont  Fauteur  est  absent,  y  ajoute  le  résultat  de  ses  recherches  person- 
nelles, et  fait  ressortir  le  caractère  exclusivement  pratique  qu'a  long- 
temps revêtu  cet  enseignement  :  on  transmettait  surtout  des  formules 
d'arpentage  et  de  jaugeage^  te  plus  souvent  sans  démonstration,  et 
les  divisions  usueUeâ  de  la  géométne  étaient  TaltimétrieT  ou  mesure 
des  hauteurs  verticales;  la  planimélrie,  ou  mesure  des  longueurs  hori- 
zontales, enfin  laçosmométrie,  on  mesure  tic  s  données  coamographiques* 
—  M.  SiAVËOBA,  président  du  con.seil  des  ponts  et  chaussées  à  Madrid  : 
É?ur  l'histoire  de  la  numération  et  la  première  formule  de  résolution 
des  équations  cubiques.  Comment  Tartaglia  est-il  arrivé  à  la  décou- 
verte de  la  célèbre  formule  qu  il  a  exprimée  en  vers  italiens?  M,  Saa- 
vedra  pense  qu'il  est  parti  des  travaux  des  Arabes^  qui  étaient  parvenu» 
déjà,  comme  Ta  montré  M,  Zeuthen,  a  discuter  d'une  façon  générale, 
par  ka  géométrie  pure,  le  cas  délini  par  lexpreasion  moderne  j:^  -f  p.x  ^  q . 
M.  TA^fNERV,  toutefois,  fait  remarquer  que  ces  reconstitutions  de  décou- 
vertes sont  assez  illusoires.  Les  choses,  en  général,  n^ontpas  été  trou- 
vées de  la  manière  la  plus  simple,  ni  même  la  plus  vraisemblable.  De 
plus,  il  nous  est  très  difficile  de  nous  rendre  compte  de  ce  qui  parais* 
sait  simple  à  un  mathématicien  déterminé  :  cette  simplicité  dépend 
avant  tout  d'habitudes  personnelles,  de  la  tournure  d'esprit,  et  iictuel* 
lement  encore  nous  voyons  des  savante  dllTérer  complètement,  à  ce 
pfïint  de  vue,  dans  le  jugement  qu'ils  portent  sur  une  méthode.  Enfin, 
il  est  diflicile,  étant  donné  Tusage  alors  universel  du  secret  et  du  mys- 
tique, de  savoir  exactement  quelles  étaient  les  connaissances  réelles 
d'un  géomètre.  Aussi  une  autre  hypothèse  reste-t-elle  possible,  et 
même  plau.^ible  :  c'est  qu'au  lieu  de  se  rattacher  aux  solutions  arabes, 
dont  on  ne  trouve  guère  de  trace  au  moyen  âge,  la  formule  de  Tarta- 
glia dérive  des  écrits  de  Diophante,  qui  Siwait  déjà  trouver  deux  nom- 
bres en  connaissant  leur  somme  et  la  somme  de  leurs  cubes. 

M.  4Si£CtMUND  GuNTHBR  :  Les  systèmes  astronomiques  de  compromis 
atut  xvi\  xvir  et  xviu*'  siècles.  L'auteur  entend  parla  les  systèmes  qui 
ont  taché  de  concilier  rimmobilité  de  la  terre  avec  le  mouvement  des 
planètes  autour  du  soleil^  et  dont  le  plus  célèbre  est  celui  de  Tycho 
Brahé.  M  fait  connaître  celui  d'Alarus  Orsus,  un  peu  différent,  et  admet- 
tant le  mouvement  diurne  de  la  terre;  mais  quoique  ce  système  ait  été 
publié  avant  celui  de  T.  Brahé»  ce  dernier  a  réclamé  la  priorité  et  a 
accusé  Alarus  Uraus  d'avoir  eu  connaissance  de  ses  idéesÉ  II  est  a 
remarquer,  à  propos  de  ces  systèmes,  d'une  part,  que  datilée, dans  ses 
célèbres  dialogues,  ne  mentionne  jamais  les  systèmes  de  compromis, 
peut-être  pour  se  réserver,  en  cas  d'attaque  trop  vlve^  le  droit  de  dire 
qu^l  était  tycho  nien;  et  d'autre  part,  que  le  système  fut  adopté  et 
enseigné  par  les  jésuites  jusqu'au  xviu*  siècle,  époque  où  le  prog^rès 
des  idées  newtoniennes  le  ruina  déUnitivement.  ^  M,  Antonio  Favaro» 
professeur  à  rUniversité  de  Padoue  ;  Le  a  mètre  a  proposé  comme 
imité  de  mesure  en  167^.  —  M.  Tannery  dotme  communioatioo  d'une 


54G 


REVUE  PHltOSOPÎUQOB 


lettre  où  Tillustre  éditeur  de  Oaliiée  s'excuse^  en  raison  de  sa  saaté, 
ÛB  ne  pouvoir  asBÎeter  au  Conc^rès^  et  liL  ensuite  le  mémûirc  de 
M.  Favaro,  Le  a  mètre  #  proposé  en  1675,  soub  ce  nom,  par  un  astro- 
nome italien,  Tito  Lï?io  Buratini,  avait  pour  m^ure  U  longueur  tlu 
pendule  qui  bat  la  seconde^  Les  divisions  usuelles  devaient  éire  la 
iDOitLé,  le  quart,  le  huitième  et  le  sei;î;ième  du  mètre.  Le  cube  de  eetk 
dernière  division  aurait  donné  le  volume  d'eau  servant  d'unité  de  pmdf^ 
Enfin  Buratini  a  donné  des  indications  précises  et  curieuses  sur  b 
fabrication  technique  des  étalons,  \L  de  Lokgraïve  fait  remarquer  que 
Christophe  Wren  avait  eu  Tidëe  de  se  servir  de  la  longueur  du  fjeii* 
dule  comme  unité  de  mesure^  mais  toutes  ces  tentatives  sont  tombées 
dans  loubli  quand  on  eut  découvert  que  cette  longueur  était  variable 
suivant  les  latitudes.  —  M,  ^loRiTJî  Cantoïi  :  Contribution  à  rhistoire  de 
Gauss.  Le  célèbre  historien  de  mathématiques  y  étudie  et  y  compîete 
la  correspondance  de  Gauss.  notamment  avec  WoHgung  Bolyai^  fèn 
du  géomètre,  et  avec  Guillaume  Olbers*  11  cite  en  particulier  uee 
lettre  fort  curieuse  de  Gauss,  répondnnt  à  Thypothèse  d*Qlheri,  et 
s*indl^naut  de  ce  qu'on  puisse  considérer  les  petites  planètes  dceou- 
vertes  par  lui  comme  les  débris  d'une  grande  planète  brisée  (ixïrirûm- 
mert)  et  dont  la  place  aurait  satisfait  à  la  loi  de  Bode.  Peut-être  s*jigit- 
il  là  simplement  d'une  ironie  à  regard  des  astronomes  qui  gardaieût 
encore  la  croyance  traditionnelle  à  l'incorruptibilité  des  corps  céleste? 
—  M.  Paul  Tanmeby:  Sur  un  manuel  d'astronomie  cambodgiemie.  Oo 
en  avait  déjà  un,  rapporté  par  Laloubère  et  étudié  par  GassinL  Cehii 
qu'a  eu  entre  les  mains  M*  Tannery  ropète  le  précédent  sur  quelques 
points  et  sur  d'autres  vient  en  combler  les  lacunes,  U  présente  ua 
caractère  astrologique  autant  qu'astronomique.  On  y  trouve  des  règles 
pratiques  pour  calculer  la  longitude  du  soleil  et  de  la  lune  au  mûmeat 
de  Ja  naissance;  les  astrologues  cambodgiens  paraissent,  d*ailleursi 
avoir  tenu  compte  seulement  du  jour  de  la  naissance  et  non  de  1  heure 
comme  les  astrologues  occidentaux.  La  seconde  partie  est  consacrée  aaï 
éclipses.  On  peut  y  relever  un  usage  singulier  qui  consiste  à  comp'^^'' 
les  années  de  Tère  comme  l'âge  d'un  homme,  dont  on  dit  qu'il  a  trente 
ans  après  les  trente  années  rét^o/ueN.  Cela  équivaut  donc  à  comp^^^ 
une  année  zéro  au  débutde  Tère,  que  les  cambodgiens  font  commen<^^ 
pour  des  raisons  d«  conjonction  astronomique  au  H  mars  638, 

M.  MEuniOT  :  Sur  la  géographie  de  Dicéarque.  Etude  du  «  àf 
phragma  i*^  sorte  de  méridien  central  passant  sur  les  côtes  de  TAi 
Mineure  et  que  les  Grecs  considéraient  commedivisant  en  deux  parti 
égales  le  monde  habité.  —  Le  prince  Nicolas  Galjtzine  :  Les  premi 
expériences  de  MontgolOer.  L'auteur  donne  lecture  d*une  série  de 
très  écrites  en  1783  par  Tambassadeur  de  iiussie  à  Paris,  et  qui  n 
te  ni  avec  un  grand  détail  les  expériences  faites.  Ces  lettres  ont 
retrouvées  aux  archives  du  ministère  des  affaires  étrangères, 
Moscou*  Elles  sont  ancompagnées  de  quatre  aquarelles  représentani 
les  ascensions  des  montgolfières  avec  beaucoup  de  précision,  et  don 


LALANDE.    —  CÛXOHÈS    D^HISTOIRE  DES   SCIENCES 


547 


e  prince  Galitrine  a  fait  circuler  des  fac-siroilés  parmi  les  auditeurs. 

Mlle  MÈLANtB  LiPiNSKA^  docteur  en  médecine  :  Les  femmes  médecins 
lans  rautiquité.  L*auteur  a  relevé,  avec  une  érudition  très  remarquable, 
|ou8  les  noms  de  femme  ayant  exercé  la  profession  médicale,  qui  sont 
jeilés  par  les  auteurs  grecs  ou  la  Lins  ^  en  y  joignant  des  détails  sur  un 
teertain  nombre  d*entre  elles.  Il  en  résulte  que  cet  exercice  de  la  méde- 
cine par  les  femmes  est  de  tradition  constante  et  ne  constitue  pas  une 
nouveauté.  —  A  la  suite  de  cette  communicalion,  plusieurs  observa- 
^ons  sont  faites;  d'abord  ^ur  des  questions  historiques  de  détail. 
M*  Paul  Tannery  examine  la  question  de  sa^'Oir  si  l'écoîe  de  médecine 
Site  pythagoricienne  se  rattache  réellement  à  Pythagore;  M.  André 
Lalande  fait  remarquer  la  dirTérence  qui  existe,  quant  aux  opinions 
pur  les  femmes,  leur  nature  et  leur  rùle,  entre  la  doctrine  de  Platon, 
deale,  rationnelle,  utopiste  même»  favorable  par  conséquent  à  Tégalité, 
Il  eelle  d*Ariâtote,  historique,  expérimentale  et  par  conséquent  défa- 
vorable à  rassimilation  de  Thomme  et  de  la  femme.  Enfin,  en  se  pla- 
Knt  à  un  point  de  vue  plus  général^  M,  lo  D""  Bureau  fait  ressortir 
Hginalité  et  la  lorce  démonstrative  de  ce  travail;  it  y  ajoute  que  les 
préjugés  seuls  ont  fait  croire  à  Textatence  de  diâpositiona  législatives 
ou  même  d*usage  établi  interdisant  à  la  femme  Taccès  de  la  carrière 
toédicale.  Chargé  en  18IjÛ  d'une  mission  ayant  pour  objet  d'étudier 
^ette  question  dans  les  difTérents  pays  d'Europe,  il  a  été  amené  à 
l^onclure  que  rien  chez  aucun  d*eux  ne  s*opposait  à  ce  que  les  femmes 
fussent  médecins, 

M.  le  D*^  Capitan  :  Résumé  de  rhistoire  du  préhistorique  de  la  Un 
i]u  XVI"  au  commencement  du  xiï*  siècle.  Ce  mémoire,  très  intéressant, 
yéaume  la  marche  des  idées  depuis  Agricola  de  Biile,  qui  émit  le  pre- 
pïier  des  doutes  en  154G  sur  ta  nature  des  haches  en  silex,  appelées 
Mers  Cèraunies  ou  pierres  de  foudre»  jusqu'aux  travaux  d'Antoine  de 
lussieu»  qui  en  reconnut  définitivement  la  parenté  avec  certaines 
armes  sauvages.  Il  donne  les  noms  et  les  dates  des  principaux 
ouvrages  sur  cette  question,  marquant  tantôt  un  progrès,  tantôt  au 
eontraïre  un  recuî  des  idées*  11  indique  éi^'alement  les  principaux 
documents  de  l'histoire  des  monuments  mégalithiques,  et  des  dépôts 
paléolithiques»  dont  Tétude  beaucoup  plus  récente  peut  être  datée  des 
découvertes  faites  dans  Londres  même  en  ni.V. 

IL  Comtnunicûîiùns  préëentai\t  un  caractère  philosophique*  —  Tj» 
plus  ancienne,  en  suivant  Tordre  des  sujets  traités^  est  celle  de  M»  ANDaé 
Lalande,  qui  a  pour  titre  ;  tt  Le  F,i/crius  T^rmums  et  VinterprètSLtion 
^e  lanature  selon  Francis  Bacon  w.  M.  Lalande  a  tu  en  partie  et  en 
|»artiê  résumé  cette  étude,  dont  voici  les  principales  idées. 

Dans  les  ouvrage^)  de  Bacon,  depuis  les  plus  anciens  jusqu'aux 
derniers,  revient  sans  cesse  la  formule  inferyretatio  naturœ^  qui  Û  gure 
en  aoua-titre  du  Novum  Organum  et,  qui  parait  avoir  répondu  à  la 
pensée  directrice  de  l*œuvre  baconienne»  Qu'est-ce-que  cette  interpré- 


548 


mvm  PHILOSOPHIQUE 


tation?Xon  seulement  Bacon  ne  la  définit  jamais  expressément,  mais 
encore^  dans  un  certain  nombre  de  passages,  il  déciare  qu'il  ne  veut 
pas  le  faire  et  que  pour  diverses  raisons  qui  nous  paraissent  aujotl^ 
d'hui  un  peu  légères,  mats  qui  avaient  p£?ut-ètre  plus  de  force  dani 
Tétatde  la  Hcrenca  au  XVF  siècle,  il  veut  tenir  cette  formule  quasi  secrète, 
ff  intr.i  légitima  et  optata  ingénia  clausa  ».  Il  croit  suivre  en  cehi  b 
tradition  de  touâ  les  anciens  savants.  Un  de  ses  ouvrages  cependant, 
contient  des  éclaircissements  plus  explicites.  C'est  celui  qui  s'intitule: 
<ï  ValeriuB  Terminus  of  Lhe  interprétation  of  Nature,  witb  the  mno- 
lalioQs  of  Hermès  t^lella  j>.  Il  est  ditliciîe  d'eu  déterminer  la  date, 
M.  Lalande  a  montré  en  passant  que  la  formule  énigmatique  ins- 
crite sur  la  couverture,  et  dans  laquelle  on  avait  lu  jusque  là  lôf)3t 
est  une  recette  médicale  en  abréviations  alchimiques,  où  il  faut  Itfie 
eau  diêtiilée  16  oz,  c'est-à-dire  Uî  onces.  Cet  ouvrage  et  probable- 
ment composé  de  fragments  assez  anciens,  réunis  en  un  cahier  dans 
la  dernière  période  de  la  vie  de  Bacon.  LlnterpréLîiïion  de  la  nature t 
est  présentée  sous  la  forme  d'une  série  de  «  directions  j»  ou  rectilles 
pour  produire  un  efTet  déterminé,  par  exemple  (a  couleur  blaache. 
Ces  recettes  sont  graduées  en  partant  des  plus  grossières  et  des  plut 
extérieures  jusqu'à  la  plus  générale  et  la  plu^  philosophique^,  qui 
repose,  non  plus  sur  des  constatations  empiriques,  mais  sur  b 
connaissance  de  la  nature  réelle  des  choses  :  cette  nature  serait  une 
certaine  disposition  géométrique  des  particules  des  corps,  entière- 
ment  mécanique  en  soi  et  qui  ne  se  traduit  que  pour  nos  sens,  et  en 
raison  de  leur  imperfection,  par  la  perception  d'une  qualité  sensible. 
Cette  idée  est  celle  de  Descartes  :  on  ia  trouve  exprimée  en  termes 
presque  identiques  dans  le  Va  fe  ri  us  Terminus  et  dans  les  RrgulsB  àâ 
directionem  ingenii;  et  Tanalogie  est  si  frappante  dans  le  détiil 
qu'elle  rend  très  vraisemblable  Thypothèse  d'un  emprunt,  11  n*yaaraît 
pas  lieu  d'ailleurs  d'en  faire  un  crime  à  Descartes,  pour  qui  c'était 
une  méthode  de  ne  considérer  les  idées  qu'en  elles  mêmes,  et  qui  en 
a  usé  de  la  même  manière  avec  saint  Augustin,  saint  Anselme^  Nepeff 
et  probablement  Snellius*.  —  Ce  ne  serait  pas^  selon  M,  Lalande,  1& 
seul  point  où  Descartes  se  serait  directement  inspiré  de  Bacon  ■  il 
cite  pour  le  prouver  une  assez  longue  liste  de  passages  du  DiscouTî^^ 
la  méthode  qui  correspondent  chacun  k  un  passage  duiVociim  Or^anw"* 
ou  du  De  Augmentis  et  qui  en  répètent  quelquefois  textuel tementl^^ 
comparaisons  ou  les  expressions. 

Il  y  a  toutefois  une  dilTérence,  autant  qu*on  en  peut  juger  malg^*^ 
ces  obscurités  voulues  de  part  et  d'autre,  entre  la  pensée  de  Bacon 
celle  de  Descartiîs.  Bacon  a  été,  dans  le  milieu  de  sa  vie,  mécani^ 
et  radical  à  la  manière  de  Descartes  ;  c'est  à-dire  qu'il  considéra  | 
alors  les  mathématiques,  comme  Pythagore  ou  Démocrite  quM  aim-»-^ 
à  louer,  comme  fonuant  lessenoe  métaphysique  des  choses.  Il  semi^^^ 
qu'à  nitisure  qu'il  avançait  dans  ses  rétlexions,  une  certaine  déliau^^ 
se  soit  fait  jour  dans  son  esprit  au  sujet  de  rintelligibilité  absolue  d^^ 


el 


LALÂlfDE,   —  CONGRÈS   DIllSTOinE   DES   SCJËNCES 


S49 


ehôses,  et  qu'il  ait  fini  par  adopter  une  vue  analogite  à  celle  du  positi- 
visme (le  mot  d'ailleurs  vient  de  lui),  qui  réserverait  dans  la  nature^ 
non  pas  des  réalités  qualitatives  comme  celles  dea  âcolaî^tiquea^  tnaia 
tine  sorte  d'inconnaiEtsable  limitant  les  connaissances  humaines^  ce  qui 
réduirait  le  mécanisme  à  n'être  qu'une  méthode?  au  Heu  d'une  méta- 
physique. 

•  M.  G.  MïLHAUD  :  «  Sur  un  point  de  la  philosophie  scientifique  d*Au- 
guste  Comte  >,  Un  des  traits  les  plus  frappants  do  Tauteur  du  Cours 
m*  philosophie  positive  est  la  simplicité  systématique  de  son  esprit 
flui  fait  que  toute  sa  philosophie  forme  un  bloc,  et  peut  pour  ainsi  dire 
le  reconstruire  en  partant  de  n'ifnporte  laquelle  de  ses  idées,  lï  y  a*  quoi 
jqu'on  en  ait  dit  autrefois,  une  très  grande  continuité  de  pensée  dans 
Ten semble  de  sa  doctrine,  même  en  la  prenant  depuis  ses  premiers 
Jusqu*a  ses  derniers  écrits.  Et  parmi  les  opinions  fondamentales  qui 
animent  et  dirigent  ainsi  toutes  ses  conceptions^  il  en  est  une  qu'il  est 
particulièrement  intéressant  de  relever  :  elle  cotïsiste  dans  sa  défiance 
relative  à  Tégard  du  progrès  et  sa  tendance  k  limiter  toujours  étroite- 
inent  d'avance  le  domaine  des  connaissancea  futures. 

Dans  les  deux  premiers  volumes  du  Coun^  de  philosophie  positive 
H  revient  fréquemment  sur  la  faiblesse  de  nos  méthodes  et  de  notre 
BJiâlligenee.  A  chaque  instant  il  marque  des  bornes  :  il  insiste  sur  le 
fôlt  qu'on  ne  peut  compter  décou%Tir  de  nouvelles  fonctions  mathé- 
inatiques;  il  ne  croit  pas  qu'on  puisse  améliorer  l:i  solution  des 
équations  ni  créer  des  méthodes  générales  pour  les  problèmes  qui 
dépassent  le  4*  degré.  Dès  lors,  bien  qu'en  droit  il  considère  volontiers 
^es  mathématiques  comme  applicables  à  la  réalité  tout  entière,  en  fait 
il  est  convaincu  que  dès  la  chimie,  et  même  dès  les  partie^i  les  plus 
hautes  de  la  physique  générale,  il  faut  renoncer  à  traitor  les  problèmes 
par  lansilyse*  On  peut  délînir  l'esprit  général  de  toutes  ces  réserves 
comme  consistant  à  considérer  d'une  part  les  problèmes,  de  fautre  les 
ressources  scientifiques  actuellement  à  notre  disposition,  et  à  montrer 
que  les  secondes  sont  insuîlisantes  pour  résoudre  les  premiers  dans 
leur  généralité,  w  Quant  à  songer  que  les  procédés  eux-mêmes  peuvent 
ichang^er,  que  les  conceptions  peuvent  succéder  aux  conceptions  de 
ielîe  sorte  qu'un  but  inaccessible  aujourd'hui  puisse  cesser  de  l'être 
demain,  c'est  là  une  idée  qui  resta  loin  de  son  esprit,  o 

Cette  tendance  statique  et  limitative  n'a  rien  d*accîdentel.  On  peut 
montrer  aux  contraire  par  quels  liens  logiques  elle  se  rattache  néoessai- 
inent  à  Ten semble  de  sa  philosophie.  Dès  ses  premiers  écrits.  Comte 
ie  pose  en  réorganisateur  de  la  société,  ennemi  surtout  de  Fesprît 
erttique,  désireux  de  tendre  la  matu  aux  catholiques,  nég^ociant  des 
entrevues  avec  M.  de  Vil  le  le,  se  considérant  comme  n  le  vrai  succès- 
Beur  des  grands  hommes  du  moyen  âge  »,  fortement  ennemi  de  Tidée 
révolutionnaire  et  purement  négative  qui  lui  sembîc  avoir  seule 
âominé  en  tVance  la  marche  des  événements  et  des  pensées  depuis 
p  grande  secousse  de  1789.  Or,  pour  que  la  science  puisse  se  substi- 


■ 


tuer  Ainsi  au  pouvoir  théologique»  et  organiser  La  sonété  en  tertu 
d'une  autorité  analogue  à  celle  de  la  religion,  il  faut  que  la  science  snît 
achevée^  ou  du  moins  près  de  l'être,  à  la  fois  dans  ies  méthodes  dont 
elle  use  et  dans  les  vérités  qu*eUe  énonce.  Tout  le  passé  a  été  prépa- 
ratoire :  il  a  constitué  des  idées  qui  se  rapprochaient  de  plus  en  jiLus^ 
par  une  sorte  d'asymptote,  de  la  vérité  absolue.  Des  transforinatiooi 
radicales  ne  sont  plus  à  prévoir;  les  notions  fondamentales  sont  défi- 
nitivement fixées.  Il  faut  donc  renoncer  à  la  chimère  d'un  progrès 
indéfini  qui  seraît  lanarchie  et  riostabilité  perpétuelles. 

*  Auguste  Comte,  conclut  M,  Milhaud,  aurait  pria  une  autre  attitude 
s  il  avait  compris  que  le  rôle  d'une  idée  n*est  pas  dû  tout  entier  à  h 
part  de  réalité  qu'elle  enferme,  qu'il  s^expltque  aussi  par  une  ad^pti- 
tion  harmonieuse  de  l'idée  à  Fensemble  des  notions  théoriques  quelle 
continue,  de  façon  à  prolonger  le  langage  rationnel  par  lequel  notre 
pensée  essaie  do  traduire  Tunivers,  Sa  confiance  dans  les  ressoufcei 
de  Tintelligence  humaine  aurait  grandi  s'il  avait  renoncé  à  voir  un 
lien  trop  étroit,  trop  rigoureusement  déterminé  et  nécessaire  entre  Im 
conceptions  théoriques  et  les  faits  qu'elles  esc  priment,  éUl  n^'avait  pal 
exigé  une  pénétration  aussi  directe  des  uns  dans  les  autres,  bref,  s'il 
avait  rendu  à  Tes  prit  une  part  de  liberté  créatrice  dans  les  notiom 
les  plus  fondamentales  de  la  science  positive.  » 

M.  le  D»^  Glev,  secrétaire  général  de  ta  Société  de  biologie  :  •  L'in- 
fluence du  positivisme  sur  le  développement  des  sciences  bîolo'^iqtiei 
en  France  ».  La  Socfé(é  de  biologie  a  été  fondée  et  organisée  par  dw 
hommes  profondément  imbus  des  idées  de  Comte,  Charles  Robin, 
Segond,  dont  les  discours  et  les  mémoires  sont  des  documents  frap- 
pants de  cette  intluence;  elle  s*est  fait  sentir  même  chez  Claude  Ber- 
nard|  dont  Tesprit  fut  si  longtemps  prépondérant  dans  la  Société  et 
qui  dans  un  article  de  ISCi'ï  sur  le  progrès  des  sciences  physiologiques^ 
adoptait  expressément  la  loi  des  trois  états.  La  Société  de  biologie  a 
d  ailleurs  subi  les  inconvénients  comme  les  avantagea  de  celte  direc- 
tion primordiale  :  c'est  ainsi  qu*elle  est  restée  longtemps  réfracliire 
aux  idées  transformistes,  auxquelles  Comte  avait  été  très  hostile. 

M.  Paul  Tanehy  relève  cette  remarque,  et  fait  observer  que  1* 
portée  en  est  générale  :  les  inlluences  d'abord  les  plus  favorables  la 
progrès  deviennent  souvent  à  la  longue  des  entraves  qu'il  est  Décet- 
saire  de  briser.  I/hiâtoire  de  la  philosophie  et  des  sciences  présente 
nombre  de  cas  analogues. 

M-  Stanislas  Meuxier  :  «  De  l'évolution  des  idées  en  géologie 
générale,  i  La  marche  des  hypothèses  géologiques  s'est  faite  avec  une 
grande  régularité,  Les  plus  anciennes  sortent  des  doctrines  religieuse» 
et  finalistes,  qui  ne  voyaient  dans  Thistoire  du  c^jobe  qu'une  succession 
de  phénomènes  rapides  préparant  Tétat  actuel.  Puis  on  s'est  heurté  i 
la  diiHculté  que  créait  le  nombre  des  révolutions  ou  des  cataclysiii6> 
qu'on  était  obligé  d  admettre  dans  cette  hypothèse  pour  expliquer  k^ 
faits  constatés.  Quelques-uns  ont  voulu  s'en  tirer  en  réduisant  le  tottt 


LALANDE.    —  CONGRÈS  I^'HISTOIRE   DES  SCIENCES 

  cinq  grandes  révolutiotis  :  mam  c'dtaîfc  însufTisant  De  là  sortit  Tidée 
de  Lyeïl  sur  les  transformations  lentes,  C'eat  Técole  de  racrua/i^^me 
ou  uniformitarisme,  qui  domine  encore  actuellement.  —  Mais  nous 
allons  plus  loin  encore;  non  seulement  on  doit  croire  qu'aux  différentes 
époques  se  sont  produits  les  mêmes  phénomènes,  mais  encore  qu'aucun 
terrain  n'est  achevé,  n*est  mort,  et  qu'au  contraire  des  phénomènes 
plus  ou  moins  lents,  quelques-uns  pérrodiques,  continuent  à  s'y  pro- 
duire, tout  à  fait  €omme  dans  les  tiâsus  d'un  corps  vivant.  Une 
énergie  jamais  lassée  anime  la  masse  de  b  terre  :  c*e8t  ce  qu'on  peut 
appeler  recelé  de  l'aciioi^me  et  la  conséquence  logique  de  cette  évo- 
lution des  idées. 

Sur  quelques  questions  qui  lui  sont  adressées  par  M,  Paul  Tannehit 
et  M.  ANuaiï  Lalande,  M.  Stanislas  Meunier  explique  de  plus  que  la 
vie  géologique  n'est  pas  seulement  la  continuité  des  transformations, 
mais  leur  caractère  cyclique  :  évolutif,  puis  décroissant.  La  période 
de  vitalité  parait  être  celle  où  tes  corps  célestes  absorbent  leurs  gaz; 
les  météorites  peuvent  être  considérés  comme  des  produits  de  décom- 
posittou  po^t  morlûrn. 

M,  de  Hochas,  administrateur  de  TEcole  polytechnique,  «  La  phy- 
sique  de  la  magie,  o  Les  phénomènes  soi  disant  magiques,  dit- il,  ont 
été  fréquemment  de  simples  supercheries  ;  mais  ils  ont  consisté  encore 
plus  souvent  dans  Tapplication  de  lois  physiques  inconnues  à  cens 
qui  les  contemplaient  et  quelquefois  mt^me  à  ceux  qut  les  produisaient 
empiriquement,  Jean  de  Pêne,  professeur  au  Collège  de  France,  dans 
sa  leçon  d'ouverture  d'un  cours  sur  Top  tique  et  la  catoptrique  d'Ku- 
clidci  exposait  déjà  comment  rapparition  des  fantômes  pouvait  être 
produite  artificiellement  par  remploi  de  miroirs  cylindriques  (f)  devant 
des  spectateurs  dont  11  magi nation  avait  été  préalablement  excitée  par 
le  jeûne,  les  formules  magiques,  les  accessoires  imposants  de  !a  mise 
en  scène. 

S'il  en  a  été  ainsi  dans  Tantiquité  et  au  moyen  âge*  ne  devons-nous 
pas  raisonner  de  môme  pour  les  forces  physiques  que  les  modernes  ont 
encore  Incomplètement  analysées,  et  dont  l'existence  même  peut  être 
mise  en  doute?  Il  est  déjà  bien  certain  que  les  faits  d'apparence  surna- 
turelle rapportés  par  Mesmer,  et  attribués  par  lui  à  ce  qu'il  appelait  le 
magnétisme  animât,  correspondent  a  des  e0ets  physiques  réels;  et 
nous  ne  devons  pas  rejeter  a  priori  des  faits  tels  que  la  fascinattou, 
rhallucinatton,  la  télépathie  ou  même  renvoûtement,  parce  que  nous 
ne  savons  pas  encore  expliquer  le  mécanisme  de  ces  effets  surpre- 
nants* Le  baron  Karl  du  Prel,  occultiste  allemand  bien  connu,  ami  de 
Fauteur,  et  qui  q  aurait  sans  doute  assisté  à  ce  Congrès  si  la  mort 
n'était  venue  le  surprendre  v^  a  développé  fortement  cette  idée  dans 
•on  dernier  ouvrage;  Die  Magie  al  s  NaturwiiysenschafU  publié  à  léna 
en  18U9.  Il  y  faisait  remarquer  notamment  que  les  exemples  de  lévita* 
lioû  sont  tellement  nombreux  et  pour  quelques-uns  si  fortement  éta* 
blls^  qu'il  y  a  Heu  d'en  chercher  la  cause  par  une  méthode  oxpérimeo' 


mi 


REVUE    PHlLOSaï>lllQi:£ 


taie   plutôt  que  de  les  nier.  11  faut  en  efTet  ne  jamais  coneidérer  U 
science  comme  finie  et  fermée,  mais  au  contraire  attendre  plus  encore 
de  tranrormationa  et  de  découvertes  dans  Tavenir  que  dans  le  passé, 
d  Le  eoté  bnilant  de  la  civilisation,  dlsaït  dn  Prel,  est  Thïstoirft  des 
sciences...  Mais  cette  histoire  elle-même  a  son  c^'jté  misémbîe  :  ï& 
représentants  scientifiques  des  idées  régnantes  n'ont  jamais  manqué 
de  dénoncer  comme  s'éoartant  de    la  science  tout  ce   qui  s'écartait 
d^eux.  Voilà  une  histoire  qui  n'a  pas  encore  été  écrite,  et  qui  contri- 
buerait singulièrement  à  rabaisser  l'orgueil  des  hommes,..  Aucune 
opinion  ne  doit  donc  être  rejetée  seulement  à  cause  du  faible  nombre 
de  ses  représentants,  mais  a\i  contraire  elle  doit  être  examinée  sans 
préjugé  aucun,  car  ïe  paradoxe  est  le  précurseur  de  toute  vérité  nou- 
velle. D'autre  part,  le  développement  régulier  des  sciences  ne  se  fait 
qu^à  la  condition  d'y  laisser  un  élément  conservateur-  Il  faut  donc  que 
toute  vérité  nouvelle  ne  soit  d  abord  envisagée  que  comme  une  simple 
hypothèse  :  ceux  qui  la  découvrent  doivent  se  dire  qu'ils  ne  sont  que 
des  pionniers  auxquels  les  colons  succéderont  peu  à  peu.  >» 

Cette  exposition  très  modérée  des  rapports  de  la  science  et  des  phé- 
nomènes soi-disant  surnaturels  n'a  pour  ainsi  dire  provoqué  aucuiKt 
discussion  ;  elle  a  eu  l'utilité  accessoire  de  fixer  le  nom  de  Jean  de  Pm, 
différemment  écrit  par  les  historiens,  et  que  M.  de  Rochas  se  ïrouvc 
connaître  exactement  par  les  archives  même  de  sa  famille.  Mais  elle* 
eu  pour  résultat  d^occasionner  le  lendemain  une  communication  de 
M,  Fabius  de  Champville  :  a  Sur  les  découvertes  modernes  quipeuvefiï 
expliquer  certains  faits  réputés  prodiges  dans  l'antiquité,  d  Le  jnémoii^ 
de  M.  de  ChampviUe  repose  au  point  de  vue  historique,  sur  lldéequil 
sufîit  d'enlever  aux  légendes  leur  caractère  miraculeux  pour  î 
retrouver  le  fond  réel  qui  a  été  défiguré;  au  point  de  vue  âcientitiqui» 
sur  ridée  qu'il  existe  un  agent  physique,  \v  magnétisme  (au  sens  mes- 
mérien),  qui  est  au]ourd*hui  reconnu  et  qui  a  produit  ces  apparences 
de  surnaturel,  ïl  a  été  connu,  pense  l'auteur,  de  toute  antiquité,  mJii^ 
seulement  par  quelques  initiés  qui  en  connaissaient  les  secrets,  so  l^^ 
transmettaient  d*une  manière  occulte,  et  exploitaient  paria  la  crédulité 
religieuse  do  leurs  contemporains,  —  Cette  communication  a  été  vive- 
ment discutée,  notamment  par  M.  Tani^erv^  qui  n'admet  pa%  i|ue  Tâxi^' 
tence  du  magné  Lis  me  soit  chose  prouvée  en  tant  qu^agent  physique 
distinct,  et  par  \L  MiLHAUO.qui,  en  se  plagant  au  point  de  vue  historiqi*^ 
fait  remarquer  qu'il  ne  sutllt  pas  d'enlever  à  un©  légende  son  car^ct^''^ 
merveilleux  pour  que  tout  le  reste  soit  vrai  ;  il  peut  y  avoir  un  s^n^ntî 
nombre  de  faits  possibles,  et  même  vraisemblables,  qui  sont  égalem^ï^t 
con trouvés,  M.  Sicahd  oe  Plauzoles  admet  une  partie  des  idée5  de 
M.  de  ChampviUe,  qui  s'est  lui-même  retranché,  quant  à  rauihenticite 
des  faits  matériels  auxquels  il  avait  fait  allusion,  derrière  Icii  ténioi^ 
gnages  qu'il  a  relevés  et  pour  lesquels  il  reuvoie  à  des  ouvrages  d# 
publiés. 


LALAHDË,    —  COSGRfcS    O'HlSTQUtE    ïiES   SCIENCES 


1-    **KJ 


HL  Propositions  pr&tîqucs  concernant  ie  progrèii  de  l'histoire  des 

M.  Danid  Berthelot  :  «  Sur  rutilîtc  de  lliisioire  en  physique.  »  ïi  y 
aurait  grand  intérêt,  pense  Tauteur,  à  introduipe  davantage  dans 
renseignement  do  la  science  celui  de  riiîstoire  de  la  science.  Actuel- 
lement, rien  ne  se  fait  en  ce  sens  parce  que  les  savants  manquent  de 
connaîssanoes  historiques  et  d*esprit  critique;  les  historiens  ou  les 
philosophes^  des  notions  techniques  qui  seraient  nécessaires.  Les 
meilleurs  traités  sont  insuFfisants  sur  ce  point,  souvent  même  erronés. 
Il  en  résulte  que  les  étudiants  croient  la  science  faite,  finie  et  fermée  : 
l*auleur  cite  Tcxemple  d'un  ingénieur  qui  considérait  la  physique 
comme  aussi  achevée  et  définitive  que  la  géométrie  élémentaire*  On 
dissimule  les  lacunes,  on  élimine  les  phénomènes  qui  ne  peuvent  pas 
rentrer  dans  une  belle  ordonnance  classique  et  mathématique  :  ainai, 
pendant  longtemps,  la  phosphorescence. 

On  devrait  dans  les  classes  mettre  davantage  les  élèves  au  contact 
des  ouvrages  anciens  de  science,  comme  on  le  fait  pour  la  littérature, 
lire  Newton  ou  Ampère  comme  Corneilîe  ou  Lamartine,  On  pourrait 
ainsi  les  amener  à  trouver  eux-mêmes  les  solutions,  à  comprendre 
quelle  en  est  la  valeur.  Par  là  aussi  on  resterait  sans  cesse  en  rapport 
avec  les  tdces  semées  par  les  inventeurs^  et  dont  quelques-unes  né 
germent  que  plus  tard.  Ainsi  largon  de  Ilamsay  aurait  été  trouvé 
plus  lot  si  Ton  avait  lu  les  mémoires  de  Cavendîsh  au  lieu  de  proclamer 
de  seconde  main  que  Tanalyse  de  l'air  était  chose  faite  et  épuisée.  Il  on 
eût  été  de  même  pour  les  rayons  de  Uontgen  si  l'on  n'eût  pas  négligé 
et  fini  par  oublier  les  vieilles  expériences  de  Cauchy,  Nobili,  Melloni, 
qu*on  trouve  encore  dans  Pouillet  et  qu'on  avait  fait  disparaître  des 
traités  récents  comme  trop  indécises.  De  même  les  moteurs  explosifs, 
soi-disant  nouveaux,  ont  été  la  plus  ancienne  forme  des  moteurs  ther- 
miques, Entin,  au  point  de  vue  de  Tesprit  général  de  la  philosophie 
qui  doit  animer  la  science,  il  y  aurait  tout  avantage  à  les  cultiver  :  si 
nous  justifions  mieux  nos  vues,  nous  ne  pensons  pas  plus  pro fonde- 
ment qu'eux. 

U  reste  encore  che:&  ces  auteurs  biimdes  choses  qui  nous  paraissent 
étranges  et  dont  nous  retirerons  peut-être  un  jour  quelque  idée  de 
valeur  :  le  nombre  de  Plalon,  les  révcs  d*^  Kepler,  les  originalités  de 
Faraday  qui  croyait  percevoir  les  lignes  de  forces  à  travers  respace. 
Peut-être  la  physique  pénétrera-t-elle  un  jour  assez  profondément 
dans  Têtu  de  des  phénomènes  moraux  pour  que  nous  trouvions  un 
sens  à  cette  célèbre  et  mystérieuse  affirmation  que  le  rapport  du  juste 
à  Ti ajuste  est  T29. 

M.  Tannery  approuve  viventent  les  conclusions  de  Torateur  et  ajoute 
qut*lques  autres  exemples.  >L  Leau,  pour  introduire  Ihistoire  dans 
renseignement^  voudrait  iiu'on  y  réduisit  ce  qui  n*est  que  recueil  do 
faits  au  minimum  ;  quelques  exemples  des  lois  fondamentales  pour  la 
chimie. 

TOME  L.   —    4900.  m 


554  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Cette  discussion,  commencée  à  la  séance  du  mercredi,  a  été  reprise 
et  développée  le  samedi.  Sur  la  proposition  de  M.  Sicard  de  Plad- 
ZOLES,  un  vœu  est  adopté  pour  l'introduction  de  l'histoire  des  sciences 
dans  renseignement.  M.  Tannehy  fait  connaître  que  sur  la  demande 
du  ministère,  il  en  avait  rédigé  un  programme  quand  on  a  fondé  l'ensei- 
gnement moderne,  mais  qu'il  n'a  pas  été  utilisé.  11  fait  remarquer  en 
outre  que  si  Ton  veut  avoir  des  professeurs  capables  d'enseigner  cette 
histoire,  il  faut  d'abord  la*  leur  apprendre,  ce  qui  n'a  pas  lieu  actuel- 
lement. L*ignorancc  des  étudiants  en  science  est  très  grande  sur  ce 
point.  (M.  le  D''  Sicard  de  Flauzoles  ajoute  qu'il  en  est  de  même  dans 
la  médecine.)  En  Belgique,  cet  enseignement  existe  et  comporte  une 
sanction  aux  examens.  —  La  môme  chose  a  lieu,  fait  observer  M.  le 
l)"^   DuREAU,   dans   plusieurs    universités   d'Allemagne.    —   M.  André 
Lalande  pense  qu'en  France,  où  il  existe  une  École  normale  qui  est  un 
séminaire  spécial  de  professeurs,  il  serait  facile  d'établir  un  cours 
d'histoire  des  sciences  dont  l'influence  se  ferait  rapidement  sentir  sur 
renseignement.    Les  études  dite  P.  C.  N.  seraient    aussi   un  terrain 
favorable  pour  l'établir.  —  M.  Tannery  souhaiterait  qu'il  en  fût  de 
même  à  l'Ecole  polytechnique,  où  les  jeunes  gens  ont  besoin  d'un 
contrepoids  philosophique  et  critique  aux  études  de  mathématiques 
pures.  L'histoire  et  la  philosophie  des  sciences  ne  devraient  pas  être 
négligées  dans  l'école  ou  se  sont  formés  Auguste  Comte  et  Renouvier. 
A  la  suite  de  diverses  observations  présentés  par  M.  Berthelot,  Milhaud, 
le  B^  Dureau,  la  résolution  suivante  est  adopté  à  l'unanimité  : 

«  Le  Congrès  d'histoire  des  sciences  émet  le  vœu  :  !<>  que  l'histoire 
élémentaire  des  sciences,  donnée  par  les  professeurs  de  sciences  eui- 
mémes,  soit  développée  dans  l'enseignement  secondaire  et  reçoive  une 
sanction  au  baccalauréat;  —  2"  que  des  cours  spéciaux  d'histoire 
générale  des  sciences  soient  créés  à  la  Sorbonne,  à  l'Ecole  polytech- 
nique, à  l'Ecole  normale  et  dans  les  principales  Universités.  Le 
Congrès  adresse  ce  vœu  non  seulement  à  l'autorité  universitaire, 
mais  encore  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  des  sciences,  en 
leur  rappelant  que  la  loi  du  1890  autorise  les  Universités  à  recevoir  les 
dons  des  particuliers  destinés  à  la  fondation  de  cours  spéciaux.  " 
•>  Que  les  Universités  soient  autorisées  à  créer  un  diplôme  d'études 
de  l'histoire  des  sciences.  » 

M.  ExESTUoMde  Stockholm,  directeur  de  la  BibUoth(*ca  mathemati^ 
et  M.  le  D''  Pevpehs,  rédacteur  en  chef  du  Janus,  ont  entrete'nu  l^ 
Conixros  de  TorL^anisation  internationale  d'une  bibliographie  scient»" 
fiquo.  M.  Peypers  a  de  plus  fait  part  de  la  fondation  d'une  société 
internationali;  dhistuire  de  la  médecine  dont  le  Janus  sera  l'orgaoe* 
Tout  en  félicitant  M.  Feypcrs  au  nom  du  Congrès,  M.  le  président 
exprime  le  vœu  qu'une  société  plus  générale  se  constitue  ayant  pour 
objet  toute  riii.^toire  des  sciences;  ce  qui  est  approuvé  à  l'unanimité.-' 
Il  donne  ensuite  la  parole  à  M.  Heru,  en  le  priant  de  faire  connaître 
l'couvro  analogue  qu'il  a  entreprise.  Elle  consiste,  dit  l'auteur,  dans 


LALANDE.    —  COXGHl^lS   d'hISTÔTRË   DES   SGlEKCE** 


S5S 


la  fondation  d'une  Revue  de  synthèse  historique,  comprenant  deux 
sortes  crarticlei  :  1"  des  articles  de  fond,  consacrés  à  des  questions 
historiques  d'un  caractère  général  et  philosophique;  2''  dûa  revues 
génuraîea,  établissant  1  état  d'une  branche  déterminée  d  études.  Dans 
Tune  et  l'autre  série  une  place  importante  sera  faite  à  Thistoire  des 
sciences,  et  l'esprit  général  de  cette  publication  combattra  le  morcel- 
lement des  recherches  individuelles. 

>L  Lhau  expose  qu^un  Comité  formé  des  délégués  de  tous  les  Gon- 
gros  est  i!n  voie  de  constitution  pour  ctudifr  Tr^doption  d'unt.^  langue 
soienti Pique  universcllu.  I!  en  fait  ressortir  rutilito,  et  rappelle  que 
dilTérents  idiomes  artificiels  existent  déjà  qui  présentent  les  qualités 
nécessaires.  —  Ce  projet-  est  approuvé  par  M.  Lalande,  qui  donne 
quelques  détails  sur  Tactif  mouvement  d'unification  terminologique 
qui  s'est  produit  depuis  quelques  années.  (Travaux  de  MM.  Eucken  ot 
Tiinnies,  prix  Welby,  vocabulaires  techniques  en  plusieurs  langues, 
unilication  des  mesures  physiques,  déjà  faite»  <-4  de  l*hcure»  en  vole  de 
réalisation).  MM.  Dlreaq  et  Delpeugh  seraient  favorables  à  la  réadop- 
tion du  latin  scientifique.  —  M.  Tannes  y  expose  les  difficultés  que 
présentera  le  choix  et  l'imposition  de  cette  langue.  A  la  suite  de 
quelques  autres  observations^  le  Congres  décide  :  V'  D'adopter  un  vœu 
en  faveur  de  rétablissement  d'une  langue  scientifique  universelle.  — 
2^  De  nommer  M,  André  Lalande  délégué  éventuel  à  la  fédération  des 
délégués  des  Congres  qui  pourra  être  constituée  dans  ce  but.  s 

Kufin  il  est  décide  que  le  bureau,  formé  de  MM.  Paul  Tannery, 
D*'  Dureau,  André  I^alande,  D*"  bicard  de  Fiauzoles,  sera  constitué  en 
commission  permanente  :  i^^  pour  s'occupper  de  la  publication  dea  tra- 
vaux du  Congrès;  2"  Pour  étudier  la  constitution  d*uue  société 
d*hiBtoire  des  sciences,  la  fondation  d  une  Revue  et  la  réunion  d'un 
futur  Congrès*  A.  L, 


GORRESPOiNDANGE 


A  PROPOS  DE  LA  DROITE  TRANSFINIE 


Monsieur  le  Directeur, 
J'avais  cité  dans  mon  article  du  1^'  avril  dernier  un  passage  d'un 
article  de  M.  P*  Tannery  (A'er.  ih  Mélaphysifiwci  de  mora/e,  juillet  IKlH) 
dans  lequel  il  est  dit  que,  traduite  en  termes  géométriques,  laconcep* 
tion  de  G,  Cantor  sur  le  nombre  transfini  signifie  que  «  une  droite 
A  B  d'extrémité  Oxe  peut  être  telle  qu'en  portant  Tunitê  de  longueur 
sur  cette  droite  à  partir  d  une  extrémité,  on  n'arrivera  jamais  à  l'autre,  y 
Aujourd'huii  dans  le  dernier  numéro  de  la  RsDitc  ]ihilùmphîquf;, 
M.  Tannery  abandonne  nettement  cette  conception  de  la  droite  trans- 
finie^  puisqu'il  déclare  u  admettre  sans  réserves  le  postulat  niant  la 


556  HEVUE   PHILOSOPHIQUE 

droite  transfinie  ».  Du  reste,  il  proteste  que  cet  abandon  ne  compromet 
en  rien  la  doctrine  de  Cantor,  laquelle  garde  sa  valeur  propre,  qu'il 
soit  légitime  ou  non  d'en  transporter  Tapplication  de  la  théorie  géné- 
rale du  nombre  à  la  géométrie,  ou  même  au  dénombrement  efTectif 
des  objets  concrets. 

Sur  co  dernier  point  je  serais  tout  à  fait  de  Tavis  de  M.  Tannery. 
Les  théories  de  Cantor  ont  expressément  rapport  aux  nombres,  et  il 
n'y  a  pas  lieu  d'en  chercher  dos  applications  dans  un  domaine  diffé- 
rent. Donc  Cantor  peut  avoir  raison,  mAme  si  la  droite  transOnie  est 
une  conception  à  rejeter.  Mais,  en  créant  cette  conception   lorsqu'il 
écrivit  son  article  de  181)4,  M.  Tannery  avait  un  but,  la  justification  de 
Tinfinitc   actuelle   de  Tunivcr!^.    Et,  de  fait,  il  est  clair  que  rinfyiité 
actuelle  de  l'univers  et  la  droite  transfinie  sont  deux  thèses  connexes; 
car  admettre  Finfinité  acturllc  de  Tunivers  c'est  supposer  que  la  ligne 
idéale,  ou  môme  qu*une  ligne  réelle,  allant  d'ici  aux  extrémités  de 
l'univers,  est  telle  qu'en  portant  l'unité  de  longueur  sur  cette  droite  à 
partir  du  point  initial  on  n'arrivera  jamais  à  l'autre  extrémité:  c'est-à- 
dire  que  cette  lif^ne  est  une  droite  transfinie.  M.  Tannery  était  donc 
alors  parfaitement  dans  le  vrai  à  son  point  de  vue.  S'il  veut  rester 
déiinitivcment  d'accord  avec  lui-môme,  il  me  semble  qu'il  faut  qu'il 
fasse  un  pas  do  plus,  et  qu'il  abandonne  l'iniinité  actuelle  de  l'univers 
comme  il  a  abandonné  la  droite  transfinie.  Tous  ceux  qui  rejettent 
celte  infinité,  soit  parce  qu'ils  admettent  le  fini,  soit  parce  qu'à  leur 
avis  le  monde  comme  totalité  appartient  non  plus  à  la  catégorie  de  la 
quantité  mais  à  celle  de  la  qualité,  seront  charmés  de  voir  entrer  dans 
leurs  rangs  une  recrue  si  considérable. 

Veuillez  agréer,  etc.  Charles  Dunan. 


NECHOLOGIE 


M.  Henry  vSnxiwiCK,  professeur  de  philosophie  morale  à  fUnivcrsité 
do  Cam])ridgc  et  l'iiii  des  directeurs  du  Miiid,  est  mort  le  '2S  août  der- 
nier, à  l'â^e  de  soixante-deux  an?.  Avec  lui  disparaît  un  des  représen- 
tants les  plus  considérables  de  la  philosophie  anglaise.  Ses  publications 
sur  la  morale  et  les  problèmes  connexes  de  la  politique  et  de  réconomie 
soeialc  sont  nombreuses.  Ses  deux  livres  OnUines  of  the  Historijof 
l'Uhics  et  Thr.  Metliods  of  Ethics  étaient  devenus,  le  dernier  surtout, 
elasNi([ues  dans  son  pays  et  ont  fourni  ailleurs  matière  à  de  longues 
discussions.  Ilappelons  que  M.  Sidgw  ick,  en  1892,  présida  avec  beau- 
e()up  d'amabilité  le  deuxième  C-ougrès  international  de  Psychologie. 

\'ladiniir  Soi.oviow,  philosophe  russe,  vient  de  mourir  à  Saint-l*éters- 
boui'u;,  à  l'a^^'e  de  ({uarante-scpt  ans.  Ses  principaux  travaux  sont  : 
Lliistttuc  cl  r.iroiir  da  la  Tluhflu'iir ;  Lu  justi/îcation  du  bien;  Le 
<ln)it  ri  /,'/  uuu;di'\  Lu  l^iLssir  e/  /;/  loUtjion  universcUc ,  etc.  Nous 
a\  uns  plusieurs  fois  rendu  compte  des  ouvrai^es  de  Vladimir  Soloviow. 


REVUE  DES  PÉRIODIQUES  ÉTRANGERS 


VoproBsî  âlosofn  ipsichologuïï. 

JanTÎer-avril  ïWO. 

P.-J.  GiTETSKY.  Humboldt  d^ns  Vhisioire  de  la  tinguUiique.  —  La 
question  de  l'origine  et  du  développement  du  langage  qui  passionna 
les  esprits  au  moyen  iige  n'est  paa  encore  résolue  à  l'heure  actuelle. 
La  philosophie  chrétienne  disait  ;  «  La  parole  est  d'origine  divine. 
Jamais  Thomme  n'eût  pu  trouver  le  moyen  d'exprimer  ses  désirs  et  ses 
idées.  *  La  science  a  réduit  au  néant  les  illusions  humaines  sur  les  puis- 
sances divines,  —  elle  est  encore  loin  de  découvrir  rorigine  du  lan- 
gage. Linguistes  et  psycholoijucs  n'exposent  que  des  hypothèses  et 
s'iibstiennent  de  toutes  considérations  défini tivôs.  Le  langage,  consi- 
déré au  moyen  âge  comme  don  de  Dieu,  est  devenu  plus  tard  phéno- 
mène physiologique  pour  les  uns»  produit  de  la  volonté  pour  les 
autres.  Où  est  la  vérité?  La  parole  est-elle  issue  des  sons  arrachés 
aux  êtres  vivants  sous  rinlluence  de  leurs  émotions;  est-elle  l'acte  de 
Timitation  des  bruits  de  la  natorci  ou  est-elle  le  produit  de  notre  intel- 
ligence? H  Autant  chercher  les  origines  des  rochers  sauvages  »,  répond 
M.Monealm*,  M,  Giteïsky  ne  se  pose  d'ailleurs  pas  ces  questions;  il 
cherche  à  déterminer  le  rôle  de  Humboldt  (l7lS9-lfi35)  dans  Thistoire  de 
la  linguistique  et  il  trouve  que  ce  rôle  est  immense.  Étant  encore 
jeune  (ÎWl-W^},  Humboldt  écrivait  à  Schiller  que  la  linguistique  et 
rorigine  du  langage  le  passionnaient  et  qu*il  voudrait  trouver  le  moyen 
d^unîr  les  particularités  de  toutes  les  langues,  (jette  pensée  l'absorba 
toute  sa  vie,  elle  est  Tidée  muitresse  de  toute^^  ses  œuvres,  elle  se 
manifeste  surtout  dans  tsou  livre  Uvber  die  Verschiedenheit  de^ 
ïiieftschlichen  Sprackhaucs  und  ihrcn  Einfluss  auf  die  fjei.<tigp  Ent- 
\^^îckelun(J  des  Men^^chengeschlcchts,  Humboldt  trouve  que  la  parole  est 
Uïl  a  don  naturel  ■  et  que  «  la  langue  d'un  peuple  est  la  force  dépen- 
dante de  son  esprit  ».  «  1/homme,  dit-il,  est  un  animal  chantant,  avec 
la  seule  diRtinctlon  qu'il  unit  les  sons  et  la  pensée,  i» 

Ç.  Baltalon.  —  Observations  et  expériences  relatives  à  refilkHique 
dê&  perceptions  insuelles.  Premier  article  d*uno  étude  qui  promet 
d'être  intéressante.  L'auteur  constate  que  depuis  la  fondation  par 
Wundt  (IHTë)  du  premier  laboratoire  de  psychologie  expérimentale, 


L  L-ori^inê  de  la  pensée  et  dt  la  pavale^  Paris,  L^^OO  (Alenn). 


S5ë 


HEVLE   FHIIOSOPIIIQOE 


celle-ci  fait  des  progrès  énormes  et  se  développe  actueUenient  indé- 
pendamment de  la  métaphysique*  M.  Baltalon  expose  et  analyse 
ensuite  Ja  méthode  de  Feehuer,  «  le  véritable  fondateur  de  resthétiqtie 
experimentaîe  en  Allemagne  «,  Tautour  de  Vorgchule  der  Açilhetik 
et  Zur  experîmenliHif^n  Aesthelik  K 

Ivanuvsky^  Viclûtav,  Aîchenvuldt  et  Sokolov  consacre nt  quutr* 
articles  a  iV,  Grotc  dont  ils  étudient  et  analysent  la  vie  et  les  idées. 
M.  P.  Bokolov  voit  trois  périodes  dans  le  développement  philosophique 
de  Grote  :  période  du  posilii^iwic^  période  de  Vidéaîume  méiapAy* 
siqiic  et  période  de  rèœmiliatiQn  du  positivisme  et  de  Vidèalkme, 
dans  Tesprit  de  la  philosophie  scientifique  contemporaine* 

B.-N*  TscHiTSCiiEniNE,  —  La  philosophie  du  drolL  La  dernièif 
partie  du  travail  de  M»  Tsebitscherine  est  consacrée  aux  Unions 
humaines  :  famille,  société,  Eglise,  État,  relations  internationales, 
I,  Le  droit  familial  représente  la  transition  du  droit  individuel  au  droit 
social,  La  famille  est  une  union  où  le  tout  ne  forme  pas  une  organisa- 
tion indépendante,  il  n'existe  que  pour  et  par  ses  membres.  La  diver- 
sité des  se.xes  est  la  loi  fondamentale  du  monde  physique  et  du  monde 
moral,  d  où  la  divergence  do  leurs  miisions  sociales.  Leur  prétendti* 
égalité  n'est  qu'une  chimère.  Dans  l'antiquité  elle  fut  le  fruit  de  la 
sophistique,  elle  est  aujourd'hui  le  produit  d'un  réalisme  e\agtfré,  H  ne 
faut  pas  conclure  cependant  que  la  femme  doit  être  privée  de  tous 
droits  et  qu'elle  doit  obéir  en  tout  à  l'homme.  La  femme  a  sea  droits 
propres^  l'homme  possède  les  siens.  L'homme  se  doit  à  la  sociék^à 
ri^tatj  la  femme  ae  doit  exclusivement  à  la  famille.  La  Base  de  la 
famille  n^est  pas  l'autorité,  mais  Tamour»  et  c'est  à  là  femme  que  l'auteur 
assigne  la  première  place  dans  la  formation  de  la  famille.  La  loi  j^ri^ 
dique  est  la  régulatrice  de  la  famille.  Les  éléments  divers  dti  U 
famille  —  l'homme  et  la  femme  —  gardent  leur  caractère  propre,  toais 
leur  but  est  te  même  :  les  enfants.  Le  devoir  des  parents  consiste  dans 
la  préparation  de  leurs  enfants  à  la  vie  Indépendante.  L*auteur  arrive 
à  la  question  de  Téducation-  D'après  lui^  les  priticipe^  de  1  i'ducalirjn 
sont  rautorlté  et  l'amour,  —  IL  La  Société  civile  est  composée  de  p<îf* 
sonnes  et  d'unions  privées  ae  soumettant  slux  mêmes  loie>  11  faut  ài^ 
tlnguer  la  Société,  qui  est  une  conception  civique,  et  V Était  qui  esMinfi 
conception  juridique.  Ces  deux  notions  sont  souvent  confondues  par 
les  juristes.  En  Allemagne^  le  mot  Gesellschafti  la  Société,  se  distirigue 
du  mot  ,s7aa(,  Tl^tat.  Après  avoir  analysé  les  phénomènes  économique» 
de  la  société^  la  division  du  travail^  etc,  l'auteur  arrive  à  la  conclusion 
que  la  loi  morale  et  la  loi  économique  sont  indépendantes  1  une  de  l'au- 
tre, n  trouve  également  naturelle  et  presque  nécessaire  la  divistoîj  ^''^ 
classes  sociales,  w  Les  riches  et  h^s  pauvres,  dit-il,  ont  t^xisté  et  existe- 
ront toujours  ïu  Le  rôle  de  TÉtat  c'est  de  régulariser  les  relations  éci> 


L  L.  Vioimer  a  publié  dans  Phiioftoph.  Studien  (1893,  IX)  des  fragm^aïs  àt^ 
travaux  inachevés  dç  Fechner* 


HEVOE  DES  PÉftlOmOUES  ËTRANGEBS 


5b!t 


b 


k 


nomiques  des  classos.  La  régularisation  morale  appartient  à  l'Egliee.  — 
n(*  L^auteurcfoit  que  toutnslea  sociétiîs  humaines  ont  besoin  d*un«  reli- 
gion, La  raison  humaine  cherche  Tabsolu,  sans  lequel  le  relatif  est 
impossible.  Ce  besoin  embrasie  non  seulement  la  raison,  raais  le  sen- 
timent et  la  volonté  do  Tbomme.  Or^  TabsoUi  implique  Texistence  d'an 
Être  supérieur»  etc.  L'Église  est  Tunion  des  croyants;  son  rùle  cepen- 
dant n'est  pas  exclusivement  r^'ligieux,  mais  aussi  social.  L'Eglise  uni 
nécessaire  non  seulement  à  l'accomplissement  du  a  service  divin  u,  mais 
aussi  à  l'ordre  moral  de  la  société,  et  à  ce  point  de  vue  TEgliac  doit 
également  être  considérée  comme  une  corporation  sociale^  mais  elle  ne 
doit,  sous  aucune  forme,  être  en  dépendance  de  la  Société.  Elle  doit 
olre  libre  et  se  gouverner  elle  même.  —  IV.  Tous  les  élémenta  divers 
de  la  société,  les  unîtes  civilesi  TÉglise,  tout  se  confond  dans  Tunité 
juridique  ;  VÉiat.  L*État  est  lo  point  suprême  du  développement  de  la 
société  humaine,  d'où  la  nécessité  pour  lui  d'une  autorité  suprême. 
«  L  autorité  de  l'Etat  est  une  notion  purement  métaphysique;  ceux  qui 
ne  comprennent  rien  à  la  métaphysique,  ne  comprennent  rien  à 
l'État  ».  L'auteur  cherche  à  démontrer  la  nécessité  pour  TÉtat  d'une 
4  aristocratie  politique  »,  Elle  est  la  force  vivante  de  TÉtat;  «^  on  ne  la 
crée  pas,  elle  est  le  produit  de  Thistoire  u.  L'aristocratie  politique  n*est 
qu'une  partie  executive  d'une  autorité  supérieure^  laquelle  appartient 
au  souverain.  Lui  seul,  se  trouvant  en  dehors  des  partis  (?)  peut  régu- 
lariser leurs  relations.  Lui  aussi»  étant  la  personnification  de  l'Etat,  est 
appelé  à  prendre  part  dans  les  relations  extérieures*  L'État  est  Tunion 
suprême  des  hommes,  mais  il  y  a  beaucoup  d'Etats  sur  ta  terre.  Com> 
ment  établir  des  rapports  entre  eux?  Généralement,  ces  relations 
^'établissent  et  se  maintiennent  par  la  force^  par  la  guerre.  Cet  ordre 
des  choses  est-il  naturel?  —  Oui,  répond  l'auteur  avec  une  sérénité 
remarquabie.  Certes,  ÎVÉ^lise  aurait  pu  se  charger  des  ralations  inter- 
nationales, mais  elle  ne  dispose  pas  de  force  contrainlet  laquelle  est 
indispensable  dans  les  relations  extérieures.  Le  contrat  est  aussi  un 
moyen  naturel  et  normal  dans  l'établissement  des  rapports  internatio- 
naux, mais  contrairement  aux  contrats  individuels,  une  force  con* 
trainte  doit  planer  au-dessus  des  contrats  interjiationatjx,  La  morale 
n©  rejette  pas  la  force  conîrainte,  la  guorrCi  mais  elle  ne  Tadinet  qu'au 
nom  des  principes  supérieurs;  elle  demande  aussi  un  peu  d'adoucisse- 
ment pour  les  misères  qui  en  résultent.  M.  Tacbitscherine  ne  dit  pas 
quels  sont  les  «  principes  supérieurs  «  qui  admettent  la  guerre.  Son 
travail  met  en  relief  des  observations  parfois  asso^  Justes,  mais 
l'auteur  semble  ignorer,  volontairement  à  coup  sur»  le  développement 
évolutif  des  sociétés  humaines^  en  général,  at  rorganisation  politique 
et  sociale  des  sociétés  démocratiques  contemporaines  en  particulier. 
I,'L  IVANOV.  —  Les  recherche&  iVune  concfjpdon  de  lUnwers^ 
Introduction  d*un  livre  que  Fauteur  prépare  sur  les  OriginvA  des 
idées  pQiyitivcs  et  mciates  au  XîX'"  siècle  en  France;  Saint-iSimon  et 
le  êâint-sirnonisme.  Premier  article.  Nous  y  reviendrons. 


560  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

G.-I.  TscHELPANOv.  —  Les  doctrines  contemporaines  sur  Vàme. 
L'auteur  étudie  principalement  le  moriismo  psyohophysique. 

La  Revue  publie  un  compte  rendu  détaillé  des  travaux  de  la  Société 
de  philosophie  de  VUniversilé  impériale  de  Saint-Pétersbourg.  Nous 
y  trouvons  les  communications  très  intéressantes  de  M.  Lapschine  : 
La  crainte  dans  le  penser;  de  M.  Pogodine  :  Les  particularités  natiù- 
nales;  de  M.  Schtrouppe  :  L'Art^  etc. 

OSSIP-LOURIÉ. 


LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  REVUE 

Novicow.  La  Fédération  de  VExirope,  in-12,  Paris,  Alcan. 

Walras  (Léon).  Éléments  d'économie  politique  pure,  4«  édit.,  Paris, 
Pichon. 

Hachkt-Souplet.  Examen  p.^njchologique  dos  animaux,  in-i2,  Paris, 
Schleicher, 

A.  La  Beaucie.  Lea  grands  horizons  de  la  vie,  in-l*2,  Paris,  Leymarie. 

ToBOLOWSKA.  Élude  sur  les  illusions  du  temps  dans  les  rêves  du 
sommeil  normal,  in-8",  Paris,  Carré  et  Naud. 

D  Surbled.  La  vie  affective^  in-i2,  Lyon,  Vitte. 

P.  Janbt.  Œuvres  philosophiques  de  Leibniz,  2**  édit.  ;  2  vol.  in-8», 
Paris,  Alcan. 

Questions  de  morale  :  Leçons  professées  au  Collège  libre  des  sciences 
sociales,  in-S»^,  Paris,  Alcan. 

P.  DupuY.  Les  fondements  de  la  morale,  ses  limites,  ses  auxiliaires, 
in-8°,  Paris,  Alcan. 

W.  WOOD.  A  nev^  Method  in  Brain  study,  in-\'2,  New-York, 
Appleton. 

IIastié.  KanVs  Cosmogowj,  in-i2,  Glascow,  MacLehose. 

A  MENT.  Ueber  das  Verhàltniss  der  ebenmerklichen  zu  den  ùlier- 
merklichen  U ntcrschieden  bei  Licht  and  Se hallintensi talon,  in-8*, 
Leipzig,  Engelmann. 

ReininCiER.  KanCs  Lehro  i:om  inneron  Sinn  und  seine  Théorie  der 
Krfnhrung,  in-S®,  Wien,  Braumiiller. 

Kant's  Gesamniclte  Schriften,  Bd.,  XI,  in-8°,  Berlin,  Roiraer. 

K.  Radim.  Die  Hystérie  hei  den  Schwachsinnigen,  in-S**,  Berlin, 
Gunther. 

E.  Platziioff.  E.Ficnan,  oin  Lcbensbild,  in-12,  Dresden,  Meissner. 

L.  M.  A.  BiLLiA.  L'Ess'jro  o  l:i  conoscenza,  in-8",  Torino  (brochure). 

(Jesca.  Principii  di  podujogia  générale,  in-12,  Torino,  Paravia. 

Ingegnieros.  Dos  paginas  de  psiquiatria  criminal,  in-S**,  Buenos- 
Ayres,  Bredahl. 

Yakhnina.  Sila  voli,  in-12,  Moscou. 


Le  propriétaire-gérant  :  Félix  Alcan. 


CoulummioFi).  —  Imp.  Paul  BHOOARD. 


LE  FANATISME   RELIGIEUX 

ÉTUDE    PSYCHOLOGIQLE 


La  distinction  da  sentiment  religieux  individuel  et  du  sentiment 
religieux  social  parait  mieux  fondée  et  plus  importante  que  Toppo- 
Bilion  ordinaire  de  la  vie  contemplative  et  de  la  vie  active*  La  psy- 
chologie du  mysticisme  nous  a  fait  connaître  la  forme  individuelle  '. 
La  psychologie  du  lunalisme  nous  dévoile ra^  au  moins  en  partie,  la 
Ibrme.  sociale. 

En  vérité,  la  question  est  loin  d'être  épuisée,  surtout  en  ce  qui 
Concerne  le  fanatisme  religieux,  objet  spécial  de  cette  recherche. 
Chez  la  plupart  des  auteurs  qui  Font  abordée,  historiens,  moralistes, 
pi*léinisles,  il  n'y  aurait  guère  à  prendre  que  des  exemples,  et 
incore  importerait-il,  si  Ton  y  avait  recours,  d'en  user  avec  raille 
précautions.  Les  seuls  savants  qui  aient  contribué  à  élucider  quelque 
peu  le  problème  psychologique  se  trouvent  parmi  les  sociologues  et 
les  aliénistes* 

^  Des  écrivains  tels  que  Taine,  Tarde,  Sighele,  Le  Bon,  fondateurs 
le  la  psychologie  des  foules  et  des  sectes,  apportent  des  faits  inté- 
reasanls,  parfois  nouveaux,  des  interprétations  ingénieuses,  plausi- 
bles, quoique  peut-être  insuffisantes.  Leurs  portraits  du  ^  meneur  * 
<Bt  du  chef  de  secte  paraissent  fort  ressemblants.  Mais  outre  que  des 
descriptions  même  exactes  ne  sauraient  tenir  lieu  d'explication 
même  partielle  et  provisoire,  le  meneur  et  le  chef  politiques  se  dis- 
tinguent  à  certains  égards  du  fanatique  religieux  et  ce  dernier  qui 
nous  intéresse  tout  particulièrement  n*a  été,  que  je  sache,  le  sujet 
iâ  aucune  étude  spéciale,  minutieuse  et  quelque  peu  explicative. 

Du  côté  des  aliénistes,  autre  lacune.  On  distingue,  en  générai, 
lieux  phases  dans  la  folie  religieuse,  Tune  de  dépression,  l'autre 
ld*exallatîon,  Tune  de  réceptivité,  l'autre  d'activité,  A  la  première 
correspondent  des  crises  d'angoisse,  de  doute,  de  déraonomanie;  k 
a  seconde,  les  hallucinations  réconfortantes,  les  conflits  avec  le 
inonde  réel,  la  théonmnie,  le  prophétisme,  le  fanatisme.  Malheu- 

1.  Voir  Rfvite  philosophif/ue.  nov»  et  dèc.  1S98.  FaisftQl  ânusion  à  ce  IraTsiK 
h  plusieurs  repriaes^  jH'  rçavoie  une  tùh  {\ù\iY  toulei, 

TOÏIK   L,    —   DÉCÊMURE    1900.  37 


o6â  nEVUE   PHILOSOPHIQUE 

reusement,  les  observations  des  aliénistes  ne  portent  guère  sur  le 
détail  des  phénomènes  psychiques  et  encore  moins  sur  les  phéno- 
mènes proprement  religieux.  M.  Magnan  confond  la  folie  religieuse 
avec  les  autres  délires  chroniques,  et  si  celte  identification  a  peut- 
être  sa  raison  d*être,  ainsi  qu'on  Ta  remarqué*,  au  point  de  vue 
clinique,  elle  ne  se  justifie  ni  au  point  de  vue  psychologique  ni  au 
point  de  vue  sociologique.  Certains  physiologistes  se  bornent  à 
remarquer  qu'une  personne  ambitieuse  se  croira  prophète  inspiré, 
Jésus-Christ  ou  Dieu  le  Père,  si  ses  pensées  ont  toujours  été  dirigées 
sur  les  matières  religieuses,  de  même  qu'elle  se  croira  Victor  Hugo 
ou  Byron,  si  elle  a  toujours  eu  d'excessives  prétentions  poétiques 
(Maudsley).  On  verra  que,  pour  acceptable  qu'elle  soit,  cette  expli- 
cation est  trop  sommaire. 

KrafU-F^bing  classe  ces  malades,  y  compris  les  fanatiques,  dans 
la  catégorie  des  «  dégénérés  »,  des  esprits  faibles,  incapables  de 
s'approprier  l'élément  moral  de  la  religion.  Il  a  observé  chez  eux 
des  symptômes  morbides  au  moment  de  la  puberté,  et,  par  la  suite, 
divers  désordres  physiques  et  psychiques,  un  attachement  exagéré 
à  queUjue  l'orme  extérieure  du  culte  ou  à  quelque  précepte  absurde, 
et  surtout  une  perversion  plus  ou  moins  grave  des  sentiments 
sociaux.  Ces  caractères  se  retrouvent  en  effet  dans  le  fanatisme  et 
dans  les  dilTérentes  maladies  religieuses.  Mais  quelque  exacte  que 
soit  la  description,  l'interprétation  ne  varie  guère  :  la  dégénéres- 
cence, la  dépression,  lexaltation,  l'éducation  >au  sens  large)  lui 
semblent  expliquer  suffisamment  la  forme  religieuse  de  la  folie. 

Reprendre  la  question  pour  l'envisager  à  un  point  de  vue  plus 
strictement  psychologique,  en  tenant  compte  de  certains  cas  moins 
fit  avancés  »  que  ceux  dont  se  sont  occupés  les  aliénistes,  mais  peut- 
être  plus  significatifs,  tel  sera,  semble-t-il,  le  meilleur  moyen  de 
l'élucider  davantage. 


La  «  VIE  ACTIVE  y>  kt  l'adaptation. 

Les  moralistes  religieux,  qui  opposent  couramment  la  vie  active 
à  la  vie  contemplative,  n'ont  pas  suffisamment  observé  les  hommes 
pour  découvrir  les  raisons  profondes  de  leur  prédilection  marquée 
pour  l'un  ou  l'autre  de  ces  genres  de  vie.  Préoccupés  surtout  de  ce 

I.  G.-L.  Diipral,  Les  causes  sociales  de  la  folie,  et  V.  Magnan,  Leçons  cliniqfif* 
sur  les  maladies  mentales. 


MURISIEH<    —   LE   FA^-ATL^AiK   lîELIGIEïJX  S63 

qui  doit  être,  ils  ne  prêtent  en  général  h  o,e  qui  est  fiu^une  atLention 
faible  et  intermiilenLe.  Et  comme,  d'un  autre  côté,  les  savants,  les 
intfn*])rètes  de  ïa  réalité,  ont  jusqu'ici  négligé  Tétude  des  fails  reli- 
gieux, il  se  trouve  quen  cea  matières,  le  point  de  vue  de  l'observa- 
tion vulgaire  n'a  paa  encore  été  beaucoup  dépassé. 

Une  étude  complète  de  la  4  vie  active  »  ne  rentrerait  nullement 
dans  le  plan  de  ce  IravaiL  II  importe  seulement  d'envisager  ici 
<|uelques  phénomènes  frappants  recueillis,  pour  la  plupart,  par  des 
évangéli5:tes  et  des  pasteurs,  négligés  pir  les  théoriciens,  et  qui 
jouent  un  vùle  capital  dans  la  genèse  du  fanatisme.  Ces  phénomènes 
offrent  d'autant  plus  d'intérêt  et  méritent  d^autant  mieux  d'être 
introduits  dans  les  cadres  de  la  psychologie,  qu'ils  pourraient  servir, 
en  même  temps  qu'à  la  pathologie  rt?ligieuse,  li  la  science  du  carac- 
tère. 

En  effet,  la  vie  contemplative  et  la  vie  active  correspondent  évi- 
demment à  deux  des  grandes  classes  de  tempéraments  et  do  carac- 
tères que  s'accordent  à  reconnaître,  depuis  HippoiTale,  les  pï^ycho- 
logues  comme  les  physiologistes  ^  les  sensitits  et  les  at^tits.  Mais, 
tandis  qu'Hippocrate  ramenait  les  quatre  tempéraments  aux  quatre 
jg  humeurs  »  par  lui  admises;  tandis  que  les  modernes  physiolo- 
gistes essayent  de  les  rattacher  soit  au  iun  plus  ou  moins  élevé  du 
système  nerveux ^  soit  aux  modifications  constructibles  et  destruc- 
tives de  rorganisme,  les  psychologues  acceptent  en  général  pure- 
ment et  simplement  ces  données  fondamentales  et  se  bornent  h 
superposer/à  ces  grandes  classes,  des  espèces  et  des  variétés  déter- 
minées par  l'intervention  du  facteur  mental.  Je  crois  que  quelque 
secondaire  que  soit  le  rùle  de  rinlelligence  dans  la  Ibrrjiation  du 
caractère,  la  psychologie  peut  aider  à  en  poser  les  comiitions  les 
plus  générales  et  il  me  semble  que,  sans  rien  exagérer»  les  faits  sui- 
vants et  les  considérations  qui  les  accompagnent,  fourniront  une 
petite  contribution  utile  k  réthologîe;  que  Texamen  des  mobiles  qui 
poussent,  parfois  contre  leur  propre  pré,  vers  la  ^  vie  active  »  cer- 
tains hommes  religieux,  permettra  d'aller  un  peu  plus  avant  dans 
la  connaissance  de  la  classe  entière  des  actifs, 

Le  mystique,  le  contemplatif  tend  à  vivre  d'une  vie  purement 
intérieure»  excluant  sans  doute  Tactivité,  mais  surtout  les  relations 
sociales*  Je  crois  avoir  suffisamment  montré  que  le  développement 
exagéré  de  celle  tendance  tient  en  grande  parlie  aux  conséquence»! 
désastreuses  qu'entraîne  pour  le  moi  individuel  du  malade  chaque 
tentative  avortée  d'adaptation  à  un  milieu  social  quelconque.  Si  le 
mystique  perd  peu  k  peu  les  sentiments  de  famille,  etc.,  c* est  que 


56î 


KKVIÎE    PIlILOSOPfllQUi- 


risolement  devient  pour  lui  Tunique  remède  efficace  au3t  troubte 
organiques,  airectil's,  mlellecluels  et  aux  maux  de  toutes  sortes  qui 
résultent  de  Tincapacité  synthétique  de  son  esprit.  Faute  de  pouvoir 
même  avec  le  secours  d'une  puissance  surhumaine,  coordonner  ses 
tendances  et  systématiser  ses  sensations,  il  les  détruit,  il  les  éli- 
mine, sous  rintluence  de  l'id^je  religieuse,  et  trouve  ainsi  la  paii 
dans  r unité,  par  le  renoncement  ascétique.  Mais,  le  même  remède 
ne  saurait  convenir  à  tous  les  cm  ni  à  tous  les  caractères,  et  mm 
allons  voir  plusieurs  malades,  à  beaucoup  d'égards  semblables  aux 
précédents,  se  isoumeltre  instinctivement  h  un  régime  Iré^  différent 
et  même  opposé*  Chose  curieuse,  quelques-uns  d'entre  eux  com- 
menceront par  essayer  du  remède  de  l'isolement  et  de  V  «t  oisiveté  i 
et  ce  ne  sera  qu'après  des  échecs  réitérés  qu^ils  auront  recours  à 
un  autre  mode  de  traitement,  qu'ils  s'unifieront  par  l'action  et  par 
Tiidaptation  à  un  miîieu  social  déterminé*  C'est  donc  le  phénomène 
inverse  de  celui  qui  se  maniteste  aux  dilTérenls  degrés  de  Textase, 
particulièrement  aux  degrés  «  supérieurs  ». 

Un  premier  exemple  vraiment  caractéristique  m'est  fourni  par  m 
pasteur  presbytérien  d'Amérique,  qui  observait  fort  bien  ses  parois- 
siens et  notait  ses  remarques  dans  des  mémoires  non  rédigés  en  me 
de  la  publication  ^  Je  néglige,  bien  entendu,  les  commentaires 
Ihéologiques  et  les  exhortations  morales;  Tobservation  seule  nous 
intéresse*  ^  J'ai  connu,  dit-il,  un  jeune  homme,  commis  dans  une 
maison  de  commerce,  qui  voulut  quitter  ses  occupations  pour 
donner  tout  son  temps  et  toutes  ses  pensées  à  la  religion.  Il  disait 
que  son  esprit  éiait  distrait  par  le  travail  journarier,  que  s*il  n'avait 
rien  d'autre  ci  faire  qu'à  chercher  Dieu^  à  lire  et  a  prier,  il  trouverait 
bientôt  le  salut.  Il  quitta  le  travail,  prit  une  chambre  particulière 
dans  une  maison  retirée  "et  s'y  enferma  seul  avec  lui-même,  ^Vu  bout 
d'une  semaine,  il  lui  sembla  qu'il  n  avait  pas  fait  de  progrès  dans  la 
vie  religieuse,  11  résolut  alors  d'être  plus  soigneux  dans  la  lecture 
de  la  Bible,  plus  fervent  dans  ses  prières,  plus  déterminé  à  sou- 
mettre son  cœur  obstiné*..  Au  bout  de  trois  semaines,  il  trouva  ses 
impressions  religieuses  presque  entièrement  etTacées,  .\lors,  il 
abandonna  sa  retraite  et  revint  à  son  ouvrage.  «  J'ai  trouvé,  dit-il* 
que  mon  cœur  était  la  pire  société  que  je  pusse  avoir...  Si  je  fusse 
resté  un  peu  plus  longtemps  là-bas,  j'aurais  fini  par  ne  plus  me  sou- 
cier du  tout  de  la  religion.  »  Un  mois  après  avoir  repris  son  travail, 
il  redevint  un  chrétien  plein  de  décision  et  de  paix  et  il  s'unit  i 
l'Église.  ^ 


1,  Us  onl  élé  putiUèa  dans  les  Récits  amérkains  de  L.  firUleU 


MDRISIER,    —    LE   FANATISME   HEUGieUX 


ses 


I 


On  souhaiterait  assurément  une  deFcription  un  peu  plus  minu- 
tieuse de  rétat  mental  de  ce  jeune  homme  pendant  ces  trois  semaines 
d*isolement  et  d'exercices  spirituels.  Le  fait  que  des  troul>les  se  pro- 
duisent et  qne  des  impressions  religieuses  disparaissent  dans  cette 
retraite,  est  déjà  significatif*  Le  retour  à  runîté  de  conscience,  à  la 
paix  et  Ci  la  foi,  succédant  à  la  reprise  des  occupations  habituel  les  j 
est  un  phénomène  tout  opposé  à  ceux  qui  se  produisent  chez  les 
mystiques. 

Comme  le  cas  n'est  pas  aussi  rare  qulon  pourrait  être  tenté 
de  le  supposer,  il  sera  facile  de  vérifier  et  de  compléter,  h  l'aide  d'au- 
tres exemples  analogues,  les  indications  qu*il  Iburnit  sur  Je  carac* 
tère  actif  et  sur  le  sentiment  religieux  dans  la  œ  vie  active  »* 

Le  fait  suivant  pris  à  une  autre  époque  et  dans  un  autre  mih'eu 
confirme  la  première  observation  et  la  connpJète.  Pogatski  disait  que 
Dieu  ne  s'était  jamais  manifesté  à  lui  dans  la  contemplât ion^  mais 
seulement  le  diable.  Car  il  avait  été  tenté  toutes  les  fois  qu'il  était 
resté  inoccupé*  Dès  qu'il  avait  à  vaincre  des  ob^^tacles,  il  ressentait 
une  joie  qui]  ne  pouvait  jamais  atteindre  par  la  contemplation  ^  Les 
troubles  organiques  et  psychiques  (tentalions)  apparaissent  et  dis- 
paraissent dans  le^  mêmes  conditions  que  chez  le  petit  employé 
américain  et  le  sentiment  religieux  passe  par  les  mêmes  phases 
d*exallalion  et  de  dépression* 

Avant  de  passer  à  de  nouvelles  observations,  plus  importantes 
encore,  remarquons  que  ces  deux  cas,  qui  représentent  deux  degrés 
peut-être  inégalement  morbides  d'un  même  état  de  conscience, 
sont,  malgré  leur  complexité,  relativement  simples,  comparés  à 
Fétat  ordinaire  et  normaL 

L'homme  religieux  vit  en  général  d'une  double  vie,  intérieure  et 
extérieure,  il  sent  et  il  agit,  il  contemple  ou  adore,  et  il  exerce  une 
profession,  il  prie  et  prêche  ou  fait  des  alTaires,  sans  éprouver  la 
moindre  dïtllcuité  a  concilier  ces  choses  diverses.  Il  passe  aisément 
de  l*une  à  lautre  ou  même  les  combine  et  les  identifie*  L'idée  reli- 
gieuse rétablit  perpétuellement  Tunilé  de  la  conscience,  l'équilibre 
des  tendances  et  des  états  psychiques.  Parfois,  au  contraire,  f  indi- 
vidu se  trouve  «  partagé  î,  désagrégé,  et  partant  malheureux,  11  se 
voit  alors  contraint  de  choisir  (s'il  peut  être  ici  question  d'un  choix) 
entre  cette  alternative  :  Ou  bien  a  de  renoncer  au  monde  i>  pour 
trouver  Tunité  avec  Dieu  dans  son  for  intérieur,  comme  fait  le  mys- 
tique ou  bien  de  renoncer  ù  lui-même  pour  trouver  l'unité  avec 
Dieu  dans  une  activité  extérieure  quelconque^  comme  nos  actifs* 

i.  Rilflchl,  GçëchiçlUt  des  Phiismm. 


566  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

religieux  ou  comme  d'autres,  plus  enclins  encore  au  fanatisme,  dans 
une  action  spéciale  et  sacrée. 

Ce  qui  apparaît  déjà  clairement,  c'est  l'impossibilité  absolue  pour 
certains  individus  de  satisfaire  leur  besoin  religieux  par  les  pro- 
cédés et  les  exercices  des  extatiques.  Ils  arrivent  au  même  résultat 
à  la  condition  d'être  orientés  en  sens  inverse.  Là  où  sainte  Thérèse, 
par  exemple,  ne  voit  que  de  la  diversité,  des  tentations,  du  mal,  dos 
piétistes  trouvent  la  paix  et  la  délivrance;  et  ils  s'exposent  aux  ten- 
tations dès  qu'ils  essayent  de  suivre  l'exemple  de  la  sainte  et  de  ses 
pareils.  Dans  la  situation  et  dans  Tattitude  même  où  celle-ci  se  sent  le 
plus  portée  à  la  dévotion,  ils  paraissent  ne  plus  se  soucier  de  reli- 
gion et,  tandis  qu'elle  jouit  d'une  vision  de  Dieu,  de  Jésus-Christ  ou 
de  la  Sainte  Vierge,  ils  en  sont  réduits  à  une  apparition  du  diable. 
On  ne  saurait  imaginer  un  contraste  plus  frappant. 

Il  nous  reste  à  envisager  maintenant  d'autres  cas  du  môme  genre 
que  les  précédents,  mais  qui  nous  intéressent  encore  davantage, 
parce  que  les  sujets  ont  besoin,  dans  l'intérêt  de  leur  propre  con- 
servation et  de  leur  unification  personnelle,  de  se  vouer  à  une  œuvre 
essentiellement  religieuse.  Finney'  rapporte  qu'il  a  connu  dans  un 
ii  réveil  »  un  homme  qui  s'enfer4na  pendant  dix-sept  jours,  priant 
Dieu  continuellement  comme  s'il  eût  voulu  forcer  Dieu  d'en  venir  à 
ses  fins;  mais,  cela  sans  aucun  succès.  Cet  homme  sortit  alors  pour 
«  travailler  au  règne  de  Dieu  »,  et  immédiatement  il  sentit  l'esprit 
de  Dieu  dans  son  ame  et  il  éprouva  un  bonheur  sans  mélange.  Veut- 
on  maintenant  une  deïîCription  plus  complète  de  cet  état  curieux, 
d'un  individu  qui  se  sent  tour  à  tour  damné  ou  sauvé,  abandonné  de 
Dieu  ou  rempli  de  son  esprit,  troublé  ou  pacifié,  selon  qu'il  reste 
enfermé  dans  sa  chambre  ou  qu'il  se  met  à  l'œuvre?  Je  la  trouve 
dans  uiio  lettre  adressée  par  un  pasteur  américain  à  l'un  de  ses 
collègues  presbytériens,  pour  lui  faire  la  confession  de  ses  fautes 
et  surtout  de  ses  misères. 

«  .rai  soulTert,  écrit-il,  toutes  les  horreurs  d'une  profonde  mélan- 
colie. Des  pensées  de  blasphème  qu'il  ne  m'est  pas  même  permis 
do  répéter,  des  tentations  que  je  n'ose  pas  nommer...  me  traver- 
saient l'esprit  sans  (jue  je  le  voulusse,  sans  qu'il  me  fût  possible  de 
les  repousser.  Ma  pauvre  âme  impuissante  contre  elles  était  leur 
joufl.  Souvent,  il  me  semblait  entendre  Satan  me  parler,  se  rire  de 
moi  et  triompher  en  me  disant  :  Où  est  ton  Dieu  maintenant?  Ces 
idées  se  présentaient  à  moi  si  soudainement,  avec  tant  de  force  et  de 
réalité,  (ju'il  m'était  impossible  de  croire  qu'elles  fussent  nées  dans 

1.  Discours  nui'  fes  rrvci/if. 


BflURISIEH.   —  LE   FAWATISMK  RELIGIEUX 


567 


mon  esprit;  sans  doute»  Satan  avait  reçu  !e  pouvoir  de  me  souf- 
ileter.  Dans  mon  angoisse,  je  me  roulais  souvent  sur  le  plancher  de 
mon  cabinet  d'études^  je  passais  là  des  heures  dans  le  désespoir.  Si 
cela  m'eût  été  possible,  j^aurais  certainement  renoncé  au  ministère. 
Mais,  j'étais  ubligé  de  prêcher^  et  au  dernier  moment»  je  me  met* 
tais  à  préparer  ma  prédication  avec  le  sentiment  que,  de  ce  côté-ci 
de  renier,  il  n'était  pas  possible  d*étre  plus  indigne  et  plus  mal- 
heureux que  moi.  Une  fois  que  je  lavais  commencé»  mon  sermon 
m'intéressait;  je  m*oubliais  d*ordinaire  en  le  préparant.  Le  dimanche 
je  prêchais  comme  un  ap6lre,  et  je  revenais  chez  moi  la  mort  dans 
^âme^  3ï  VoLtà  un  prédicateur  qui  n'eut  guère  pu  s'approprier  ni 
probablement  comprendre  la  pensée  de  Pascal  selon  laquelle  tout  le 
malheur  des  hommes  vient  de  ne  savoir  pas  se  tenir  dans  une 
chambre. 

Il  devient  donc  de  plus  en  plus  évident  que  la  vie  religieuse 
intérieure,  les  joies  de  Textase  restent  inaccessibles  a  une  certaine 
catégorie  d'individus.  Ces  individus  sont  les  actifs^  dit-on  généra- 
lement. Sans  doule^  et  Ton  peut  maintenant  saisir  Tune  dos  princi- 
pales raisons  psychologiques  de  cette  orientation  totale  ou  du 
moins  nécessaire  vers  ractivité  extérieure.  La  même  cause  qui 
détermine  à^  loisiveté  n  au  moins  apparente  et  à  la  contemplation, 
un  individu  dont  les  éléments  psychiques  mal  coordonnés  se  dis- 
socient au  moindre  contact  avec  la  rt^alilé  sensible,  produit  néces- 
sairement leffel  contraire  chez  un  individu  pour  lequel  cette  grave 
dissociation  et  les  sentiments  pénibles  qui  i^iccompagnent^  résultent 
de  l'absence  même  de  ce  contact.  A  l'origine  de  la  a  vie  active  » 
comme  de  la  vie  contemplative  se  trouve  dojic  îe  besoin  d  unité  et 
de  stabilité,  réductible,  on  Ta  vu,  à  Tinstinct  de  la  conservation 
individuelle.  Chez  ces  esprits  faibles,  privés  du  pouvoir  de  la 
synthèse  mentale,  l'unité  et  Tidenlité  ne  se  maintiennent  qu'au  prix 
de  sacrifices  décisil's  et  de  sérieuses  mutilations-  De  même  que  le 
mystique  sacrifiait  laclion,  le  fanatique  sacrifiera  la  réflexion.  Quant 
à  nos  malades,  ils  ont  déjà  avec  le  fanatique  ce  caractère  commun, 
de  n'arriver  à  l'unité,  c'est-à-dire  à  la  satisfiiction  d*un  inslincl  fon- 
damental^ que  par  Toubli  d'eux-mêmes,  par  labsorption  totale  de 
leur  moi  dans  une  occupation  favorite  imposée  à  leur  activité*  Dès 
qu'ils  restent  quelque  temps  inoccupés,  ils  retombent  dans  leur 
état  d'incohérence,  d'anarchie  intérieure  et  dans  leurs  angoisses* 
Entre  les  quatre  sujets  ici  mentionnés,  il  n  y  a  à  relever  qu'une 
dilTérence  notable  :  les  uns  s  attachent  à  une  besogne  quelconque; 


i ,  0  u  >'  r .  c  i  té ,  Mémoires  if  n  n  pasîtur  prtsbt/t  érim , 


568 


REVDB  PniLOSOPlilOtJE 


H  leur  suffit  de  se  livrer  à  un  travail  de  bureau»   de  surraonlêr" 

«  quelque  obstacle  i».  Les  autres  se  consacrent  à  une  œuvre  exclusi- 
vement religieuse. 

Mais,  ainsi  que  je  l'ai  laissé  entendre  dès  le  début,  cette  explica- 
tion des  phénomènes  constatés  ne  peut  être  tenue  pour  suffisante. 
L'unité  et  la  stabilité  psychiques  ne  sauraient  dépendre  simplement, 
chez  ces  malades,  de  la  dépense  quotidienne  et  régulière  d'une 
certaine  i|uantité  d'énergie  disponible  qui,  faute  d^emplot,  détermi- 
nerait les  troubles  physiologiques  et  psychologiques  dont  ils  se 
plaignent.  La  théorie  de  Bain,  concernant  la  nécessité  des  dépenses 
de  luxe,  sans  objet  et  sans  utilité,  s'applique  peut-être  à  quelques 
actii's,  «  solides  machines,  toujours  en  mouvement  »,  auxqueb  une 
bonne  nutrition  fournit  sans  cesse  de  nouvelles  réserves  d'énergie 
vitale;  elle  ne  saurait  rendre  entièrement  cotnpte  des  phénomènes 
beaucoup  moins  simples  que  fournit  en  général  la  réalité  même  la 
plus  vulgaire  ou  la  plus  morbide. 

Tout  bien  examiné,  ropposition  très  réelle  de  la  vie  cooterapklive 
et  de  la  vie  aeti%'e  se  subordonne,  en  particulier  chez  les  piétistes 
qui  nous  ont  servi  d'exemple^  h  une  opposition  plus  profonde,  celle 
de  la  vie  individuelle  et  de  la  vie  collective.  Le  petit  employé 
laborieux  qui  abandonnait  son  bureau  pour  se  vouer  à  la ^méditaliuo 
religieuse,  ne  soutînt  pas  tant  de  son  inaction^  d'ailleurs  1res  te\^' 
tive  puisqu'il  employait  son  temps  à  lire  et  à  méditer  la  Bible,  qiie 
de  risolement.  Il  le  déclare  expressément  :  ce  qui  le  troubla  et 
faillit  le  perdre,  ce  fut  de  se  trouver  «c  seul  avec  lui-même  »,  A  la 
véritét  le  pasteur  presbytérien  atteint  de  mélancolie  voyait  régu- 
lièrement cesser  ses  inquiétudes,  ses  doutes  et  ses  tentation?,  à 
partir  du  moment  ou  il  se  mettait  à  préparer  son  sermon,  Maiscda 
ne  signille  nullement  que  cette  activé  intellectuelle  ait  pu  rétablirai 
elle  seule,  entre  ses  élals  de  conscience,  un  équilibre  momentané. 
D'abord,  «  il  s  oubliait  lui-même  »  en  s'intéressanl  à  son  Iravatlt^l 
cet  aveu  est  déjà  capitaL  En  outre,  pour  prêcher  le  dimancbe 
«  comme  un  apôtre  Ut  il  importe,  je  suppose,  de  s* y  préparer  surtout 
en  songeant  à  ses  auditeurs  habituels  et  en  prenant,  pour  ainsi 
dirCj  d'avance  contact  avec  eux;  ce  n*élait  donc  pas  au  moment  ûù 
il  montait  en  chaire  que  le  prédicateur  sortait  de  son  isolementî 
c'était  au  moment  où  il  se  demandait  ce  qu'il  allait  dire  à  ses  paroiS" 
siens.  Ainsi,  le  cas  se  complique.  11  n'y  a  pas  seulement,  comme  on 
pourrait  le  croire  au  premier  abord,  passage  de  Totsiveté  à  raclivité: 
il  y  a  de  plus  et  surtout  adaptation  de  l'individu  à  un  milieu  àè\£^' 
miné  et  substitution  d'un  moi  social  au  moi  individuel.  Quoi  trétofl- 
nant  si  à  une  modification  aussi  profonde  de  la  personnaUlé  corra* 


k 


MURISIER,    —   LE  FANATlî^MÊ    RELIGIEUX  569 

pond  un  changement  non  molDs  profond  dans  les  dispositions 
morales  du  sujet,  dans  ses  émotions  et  jusque  dans  ses  jugements 
et  ses  croyances? 

Celte  influence  de  l'adaptation  sur  Tunité  et  la  stabilitti  mentales 
peut  se  constater  en  tout  Heu  et  en  tout  temps.  Les  cas  pathologiques 
ne  font  ici  comme  toujours,  qu*éclairer  et  illustrer  les  autres.  Ceux 
qui  ont  connu  des  étudiants  en  théologie  auront  remarqué  la  prodi- 
gieuse facilité  avec  laquelle  certains  étudiants  à  I  esprit  inquiet,  à 
Vùme  tourmentée,  se  transforment,  peu  après  leur  entrée  en  fonc- 
tiOD,  en  simples  représentants  et  en  champions  d*une  doctrine 
arrêtée,  consacrée  et  traditionnelle.  D'ordinaire  ce  changement 
s'accomplit  une  fois  pour  toutes,  parce  que  ladapialion  est  défini- 
tive. Plus  rarement,  le  prédicateur  passe,  comme  on  vient  de  le  voir, 
par  des  alternatives  d'angoisse  et  de  paix,  de  doute  et  de  certitude, 
suivant  les  circonstances  sociales  où  il  se  trouve  placé.  Un  évangé-^' 
liste  suisse  plein  de  zêle^  d  ardeur  et  ordinairement  de  conviction, 
promoteur  même  de  €  réveils  »,  avoue  que  dans  Tintervalle  des 
réunions  qull  présidait,  il  se  demandait  avec  angoisse  :  <*  Tout  cela 
est- il  bien  vrai?  Et,  si  cela  est  vrai,  suis-je  moi  un  vrai  chrétien?  i> 
Et  pourtant,  ajoutail-il,  pendant  toute  la  durée  de  ces  doutes,  je 
n'ai  jamais  manqué  de  sincérité  en  préchant  Tévangile.  Notre  foi,  a 
dit  \\\  James,  n*est  souvent  qu'une  foi  dans  la  foi  des  autres.  Rien 
de  plus  juste.  Mais  on  n*a  pas  encore  assez  remarqué  que  la  foi  du 
meneur  religieux  dépend  elle-même,  dans  quelques  cas  au  moins, 
de  Inaction  qu*it  exerce  sur  le  milieu  oii  s'impose  son  autorité,  qu'elle 
s'aflermit  en  se  communiquant. 

Pour  couper  court  à  toute  équivoque  et  mettre  encore  mieux  en 
lumière  le  nMe  etTimportance  deTadaptation  *  dans  cesphénomènes^ 
une  dernière  observation  vaut  la  peine  d*étre  retenue  et  citée.  On 
Y  voit  les  mêmes  modifications  de  conscience  produites  non  plus 
par  rintervention  de  Tagent  dans  un  milieu  donné,  mais  par  Tunique 
pression  de  ce  milieu  sur  Tindividu  qui  la  subit  passivement,  a  J*ai 
connu  un  homme  qui  avait  résolu  de  ne  jamais  aller  prier  dans  un 
certain  bosquet  où*plusieurs  personnes  se  rendaient  à  l'époque  d'un 
réveil  pour  y  prier,  y  méditer  et  s*y  consacrer  à  Dieu.  C'était  un 
avocat,  et  Tun  de  ses  clercs  avait  été  converti  en  cet  endroit. 
L'avocat  lui-même  était  «  réveillé  »,  mais  il  lui  prit  lldée  de  ne 
jamais  aller  dans  ce  bosquet.  Il  marcha  pendant  plusieurs  semaines 
sans  trouver  la  pai?c.  Une  fois,  il  passa  une  nuit  entière  à  prier  dans 


l.  M.  MUiîoucJ,  dani  un  tr&vail  encore  inachevé,  met  ea  lumière  ceUc  loi  psy^ 
chologique. 


570  ItEYUE   PHILOSOPHIQUE 

sa  chambre,  mais  il  ne  voulait  pas  se  rendre  au  bosquet.  Sa  détresse 
devint  si  grande  qu'il  étail  tenté  de  sV)ter  la  vie,  et  qu'un  jour  il 
jeta  loin  de  lui  son  couteau,  de  peur  de  s'en  servir  pour  se  couper 
la  gorge.  Finalement,  il  céda  et  se  rendit  dans  le  bosquet,  où  il  fut 
immédiatement  converti  et  rempli  de  joie  en  son  Dieu  *.  » 

Bien  que  le  cas  ne  soit  pas  encore  aussi  simple  qu'on  le  souhai- 
terait (l'attention  expectante  y  joue  un  rôle  important),  il  me  paraît 
assez  significatif.  Comment  faire  rentrer  ce  caractère  dans  la  classe 
des  actifs?  Et  comment  dans  celle  des  contemplatifs?  En  réalité  il 
se  rapproche  beaucoup  de  ceux  qui  viennent  d'être  examinés,  avec 
cette  diftërence  remarquable  que  le  sujet  n'exerce  aucune  activité 
particulière,  profane  ou  religieuse.  Le  fait  constant  et  capital  dans 
toutes  ces  manifestations  psychiques,  qui  appartiennent  évidem- 
ment à  un  même  groupe,  c'est  donc  l'adaptation  de  l'individu  à  un 
milieu  bien  défini,  excluant  d'une  part  les  tendances  individuelles, 
d'autre  part  toute  forme  différente  de  vie  sociale,  et  réalisant  par 
là  même  l'unité  de  conscience  et  la  paix  morale. 

Ainsi,  la  vie  active  consiste  essentiellement  dans  TabsorptioD  de 
l'individu  par  une  (lîuvre,  mais  par  une  œuvre  sociale,  ayant  pour 
effet  principal  d'anéantir  les  sentiments  individuels.  De  même,  la 
vie  contemplative  anéantit,  comme  on  l'a  vu,  les  sentiments  sociaux. 
En  considérant,  comme  nous  le  faisons  ici,  des  cas  extrêmes,  nous 
trouvons  donc  que  le  sentiment  religieux  se  développe  dans  deux 
directions  opposées.  Il  apparaît  et  acquiert  toute  son  intensité  chez 
les  uns,  dans  les  conditions  précises  où  il  s'efface  chez  les  autres. 
Il  se  manifeste  comme  besoin,  pour  toute  une  catégorie  d'êtres 
humains,  dans  certaines  circonstances  déterminées  où  les  repré- 
sentants d'une  autre  catégorie  trouvent  la  satisfaction  même  de  ce 
besoin.  Et  cette  opposition  se  réduit  à  une  différence  de  nature  entre 
les  causes  qui,  en  l'absence  d'un  réel  pouvoir  de  coordination, 
maintiennent  en  un  équilibre  souvent  bien  instable,  les  éléments 
psychiques. 

Lorsque  la  qualité  et  l'orientation  des  tendances  prédominantes 
poussent  l'individu  à  s'isoler,  à  se  replier  sur  lui-même,  à  chercher 
loin  de  ses  semblables  le  point  d'appui  dont  il  a  besoin,  l'image  d'un 
être  surhumain,  idée-force  si  jamais  il  en  fut,  remplit  l'office  d'élé- 
ment unificateur.  La  religion  apparaît  alors  comme  une  forme  de 
systématisation  excessive  et  anormale,  procédant  trop  exclusive- 
ment par  élimination.  N'importe,  le  résultat  est  atteint  du  moment 
où  une  certaine  unité  de  conscience  succède  à  l'incohérence  primi- 

i.  Finney,  ouv.  cité. 


IMIUHISIER.    —    LE    FANATJSME    RELIGIEUX 


571 


tive.  Résultat  peu  assuré  et  peu  durable,  cf ailleurs,  que  3e  moindre 
.  accident  suffit  à  compromettre.  Or  Taccident  le  plus  grave  se  pro* 
duit  d'u  tic  manières  peu  près  constante  et  inévitable,  au  moment 
d'une  adaptation  nouvelle.  Que  le  mystique  entre  réellement  en 
contact  avec  le  «  monde  »  îles  dilTérents  groupes  sociaux,  y  compdï* 
la  l^unille  et  les  églisesi  et  retjuilibre  se  perd.  La  systématisation 
cède  au  premier  choc,  occasionné  par  une  velléité  quelconque 
d'adaptation. 

Lorsque  la  qualité  des  tendances  et  leur  orientation  inverse  pous- 
sent l'individu  dans  Je  sens  contraire,  hors  de  lui-même,  le  point 
d'appui  indispensable  change.  L'idée  religieuse  remplit  toujours,  a 
la  vériléj  un  office  analogue.  Seulement  elle  n'est  plus  perçue  dans 
les  mêmes  conditions,  ou  si  elle  Test  en  quelque  manière,  elle 
manque  d'efficacité,  elle  reste  lettre  morte.  Klle  ne  se  développe» 
elle  ne  se  fortifie  et  n*ètablit  sa  suprématie  que  dans  la  mesure  où 
Tindividu  se  trouve  placé  dans  un  milieu  favorable.  La  religion 
devient  alors  à  la  fois  cause  et  eflet  de  Tadaplalion.  Et  comme  Téquî- 
libre  ainsi  obtenu  reste  éminemment  fragile  et  instable,  il  suffit 
encore  du  plus  léger  accident  pour  le  détruire,  11  suftitque  l'individu 
sorte  de  son  mdîeuj  qu'il  en  sorte  seulement  par  Ja  pensée  pour 
essayer  de  se  vouer  à  la  contemplation  intérieure  de  Tètre  divin* 
L'heureux  elïel  de  l'adaptation  disparaît  souvent  dés  les  premières 
tentatives  de  systémalisationj  même  religieuse. 


II 


FOaME    SOCIALE   DE   L'iDÉE  RELIGIEUSE. 

L'influence  de  l'adaptation  sur  la  stabilité  mentale  a  été  jusqu'ici 
trop  peu  remarquée  par  les  psychologues*  Quelques  traités  récents, 
quelques  articles  signalent  pour  tant  cette  lacune,  fournissent  des 
indications  utiles,  et  même  des  données  qui  contribueront  à  la  com- 
bler, M.  Baidwin  *  ne  sépare  jamais  rorganisation  psychologique 
de  rorganisation  sociale,  et  il  s  en  faut  de  peu  qu*il  reconnaisse  le 
vrai  rôle  de  Fadap talion.  M,  G,  L,  DupratS  étudiant  les  causes 
sociales  de  la  Iblie,  trouve  que  la  plnijarl  des  troubles  moraux  qui 
alTectent  les  individus,  correspondent  h  des  troubles  sociaux  et  en 
dérivent,  11  va  même  jusqu*à  formuler  avec  précision  cette  idée,  sur 
laquelle  il  eût  fallu  seulement  insister  davantage»  que  les  malades 


1.  Inierprétatwn  if octale  et  morale  du  dêveioppement  meniûL 
t.  Les  came»  jocmles  de  ta  folk. 


572  KEVUE    PHILOSOPHIQUE 

enfermés  dans  les  asiïesj  soignés  dans  les  hôpitaux»  ont  souvent 
perdu  la  raison,  pour  n*avolr  pas  su  s'adapter  à  de  nouvelles  condj- 
tions  d  existence.  M>  Flournoy^  remarque  que  sou  sujet,  Mlïe  Smith, 
héréditairement  prédisposé  aux  hallucinations,  a  souffert,  pendant 
sa  jeunesse,  de  se  sentir  trop  différente  de  son  entourage,  inœm- 
prjse  et  entièrement  isolée.  Et  M,  Millioud',  interprétant  ces  ob^r- 
vations,  voit  avec  raison  dans  le  défaut  d  adaptation  au  milieu,  t'iiDe 
des  causes  les  plus  fréquentes  de  la  désagrégation  mentale.  Toutes 
ces  données  et  ces  considérations  générales  viennent  à  Tappui  de? 
observations  recueillies  dans  les  milieux  religieux  et  coaûrmeot 
notre  interprétation. 

Les  faits  que  nous  allons  maintenant  passer  en  revue  différent 
quelque  peu  des  précédents,  mais*  se  rangent  naturellement  sons  la 
même  loi  qu'ils  vérifient.  Certains  malades  également  faibles,  iita- 
paLles  de  systématisation  interne  et  d'adaptations  nouvelles,  dont 
Tunité  et  la  stabilité  dépendent  aussi  de  la  pression  morale  exercée 
par  le  mUieu,  ne  retombent  pas  iiu  môme  degré  que  les  premier^ 
dans  les  troubles  organiques  et  psychologiques  et  dans  te  doute 
chaque  fois  qu*ils  se  trouvent  isolés.  Séparés  de  leur  groupe,  quel 
qu'il  soit,  de  leur  église  ou  de  Jeur  secte,  retirés  dans  quelque  îjoli- 
tude,  enfermés  dans  quelque  asde»  ils  restent  en  général  adâplésà 
leur  milieu  réel  ou  imaginaire»  partant  unifiés,  stables,  calmes, 
pleins  de  foi,  souvent  de  joie»  C'est  que  chez  eux,  Tidée  religieuse 
s'est  développée,  fortifiée,  maintenue,  lîxée.  Mais  cette  idée  llxa 
n'apparaît  plus,  dans  ce  cas,  tout  à  fait  telle  qu'elle  se  manifestait 
dans  lextase. 

Sans  doute,  la  plupart  des  phénomènes  que  nous  altons  consister 
chez  les  fanatiques*  nous  les  avons  déjà  i:enconlrés  chez  les  mysti- 
ques :  la  perversion  des  sentiments  moraux  et  socîaui,  rascéhsroe, 
le  besoin  de  direction,  les  visions,  Texlasse  même,  au  sens  courant 
du  mol,  se  retrouvent  dans  ]e  fanatisme,  mais  sous  un  aspecl  diïTé- 
rentde  celui  qui  nous  est  déjà  connu,  avec  un  caractère  nouveau. 
Afin  d'éviter  les  répétitions,  je  me  bornerai  à  relever  ce  seul  >  - 
tère,  a  envisager  en  ces  divers  états  de  conscience,  la  forme  - 
qui  leur  est  commune. 

Et  d'abord,  j  ascétisme  joue  un  rôle  considérable  dans  l  existeace' 
des  <t  saints  »  de  ce  genre.  Les  biographies  de  saint  Dominique,  de 
saint  Bernard,  même,  fournissent  en  abondance  des  exemples  de 
mortifications  qui  ne  le  cèdent  en  rien  à  ceux  que  Ton  sait*  Les 


i*  De  tfnde  à  la  planète  Afars, 

2.  Gazette  de  Lausanne ^  février  îMQ. 


MURISIER.    —    LE    FANATISME   RELIOIELX 


§73 


mêmes  exercices  spirituels  sont  souvent  et  en  grande  partie  prati- 
qués par  les  représentants  des  deux  groupes  de  malades.  Quelle 
qu'ait  été  leur  destination  primitive,  les  «  exercices  »  de  Loyola 
favorisent  chez  les  uns  le  développement  du  mysticisme,  chez  les 
autres  le  développement  du  fanatisme.  Les  prédicateurs  eKaltés,  les 
prophètes  inspires,  les  meneurs  de  foules,  les  chefs  de  sectes  cru- 
cifient leur  chair,  amortissent  leurs  sens,  apprennent  à  «  voir  sans 
voir  i>,  à  •  entendre  sans  entendre  t»,  h  «  manger  sans  goûter  »,  à  tel 
point  qu'il  arrive  à  Tun  de  boire  de  l'huile  pour  de  Teau,  sans  s'en 
apercevoir^  ou  à  un  autre,  d'ignorer  au  bout  d*un  an  de  noviciat  la 
configuration  de  Toratoire  où  il  prie  tous  les  jours.  Inutile  de  mul- 
tiplier ces  exemples  historiques. 

k  Ici  encore,  Tascétisme  est  à  la  fois  un  indice  et  une  cause  de  la 
transformation  du  sentiment  religieux  en  idée  et  en  émotion  fixes. 
Dieu  lui-même  ordonne  à  Tindividu  partagé  entre  des  sentiments 
îivers  et  contraires,  de  renoncer  k  toute  cmolion,  à  toute  image 

"^profanes.  En  d*aulres  termes,  fidée  religieuse  exclut  elle-même  de 
la  conscience  ce  qui  la  gêne  et  la  contrarie.  Et  sa  puissance  s*eû 
trouve  accrue  d*autant. 

I     L*êvangéliste  déjà  mentionné  ne  pouvait  vivre  en  paix  pendant 

pies  années  ou  tout  en  aspirant  à  la  sainteté  chrétienne,  il  prenait 
plaisir^  lire  ïSchiller,  Goethe  et  Wieland.  Un  de  ses  amis  lui  ayant 
fait  cade^^u  des  tdifUe^  de  Gessneri  il  les  lut  et  les  relut  avec  avidité. 
Un  jour,  il  prit  le  volume,  s'assit  près  d'une  haie  et  après  avoir  une 
dernière  fois  goûté  ïes  émotions  poétiques,  il  jeta  loin  le  petit  livre. 
Dès  lors,  il  eut  moins  à  soutTrir  du  chaos  de  ses  sentiments. 

Chez  un  pasteur,  mort  récemment,  ce  développement  de  plus  en 
plus  exclusif  de  fidée  religieuse  pouvait  fort  bien  se  constater  et  se 
suivre.  R,  renonça  tout  d'abord  à  s'occuper  de  ses  abeilles,  durant  les 

lloisirs  que  lui  laissait  le  soin  de  sa  paroisse.  Puis,  il  se  sentit  mal  à 
Taise  à  la  pensée  a  que  Tacte  de  fumer  était  incompatible  avec  Tordre 
divin  de  faire  toutes  choses  pour  la  gloire  de  Dieu  »,  et  dès  lors,  il 

I  ne  regretta  jamais  son  «  dernier  cigare  i>.  Puis  il  abandonna  la  lec- 
ture du  Journal  de  Genève,  puis  la  culture  des  fleurs  qui  ornaient 
son  presbytère,  finalement  son  presbytère  lui-même  et  son  modeste 
traitement.  Toutes  ces  choses  et  bien  d^auires  auxquelles  il  tenait 
beaucoup  lui  furent  successivement,  comme  il  disait»  «  réclamées 
par  le  Seigneur  »,  On  ne  saurait  mieux  caractériser  le  pouvoir 
tyrannique  de  l'idée  qui  sinstalle  et  se  maintient  par  rélimination 
graduelle,  mais  totale,  des  états  rivaux  et  des  tendances  antagonistes. 
Chez  R-,  ce  développement  aboutit  à  la  fondation  d'une  secte  dont  il 
I  resta  jusqu'à  sa  mort  le  chef* 


514  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

Parmi  les  éléments  ainsi  éliminés,  les  senUmenls  de  famille  mén* 
tenl  une  mention  spéciale.  Les  savants  qui  établissent  un  niit^go* 

nisnie  eotre  la  vie  domestique  et  la  solidarité  sociale  trouveraient  de 
bons  exemples  chez  les  fanatiques*  Les  prophètes  et  les  réforma- 
teurs anciens  ou  modernes  tuient  la  maison  paternelle,  résiiïtetit 
inflexiblement  à  leurs  parents,  lorsque   ceux-ci   essayent  de  It^s 
reprendre,  quittent  leurs  femmes  et  leurs  enfants  pour  se  mettre 
entièrement  à  la  disposition  de  Dieu.  EL  cela  toujours  par  ordre 
drvin.  D'ailleurs,  les  actes,  les  fugues,  la  négligence  des  devoirs 
domestiques,  ne  font  que  manilesler  le  véritable  état  affectif  de 
i*agent.  La  réalité  affective  correspond  exactement  aux  apparences, 
la  ruine  de  la  famille  a  pour  cause  unique  la  destruction  opérée  par 
une  divinité  jalouse   des   affections  de  famille-    R*    n'abandonna 
jamais  les  sienSi  mais  il  faut,  disait-il,  que  «  nous  quittions  dans  le 
cœur —  et  en  réalité  si  le  Seigneur  le  demande  —  père^  mère,  frères, 
sœurs,  maison  et  que  nous  haïssions  notre  propre  vie  pour  être  ses 
disciples  t.  Dans  un  passade  de  son  traité  contre  les  hérétiques, 
Calvin  fait  h.  ce  sujet  une  déclaration  vraiment  effrayante  qui  a  la 
valeur  d'un  document  psychologique.  S  adressant  aux  «  miséricor- 
dieux TV  qui  veulent  laisser  les  hérésies  impunies,  il  leur  aflirnie  que 
telle  n'est  pas  la  volonté  de  Dieu.  «  Ce  n'est  point  sans  cause  qu'il 
abat  toutes  affections  humaines  dont    les  cœurs  ont  accoutumé 
d'être  amollis.  Ce  n'est  point  sans  cause  qu*îl  chasse  loin  Tamour  dtj 
père  envers  ses  enfants  et  tout  ce  qu1l  y  a  d'amitié  entre  les  fràres 
et  prochains^  qu'il  retire  les  maris  de  toute.s  îes  tlalteries  dont  ils 
pourraient  être  amadoués  par  leurs  femmes;  bref,  qu'il  dépouiile 
quasi  les  hommes  de  leur  nature  afin  que  rien  ne  refroidisse  leur 
zèle.  Pourquoi  requiert-il  une  si  extrême  rigueur  et  qui  ne  Jléchisâe 
point,  sinon  pour  montrer  qu'on  ne  hu  fait  point  riionneur  qu'on 
lui  doit,  si  on  ne  préfère  son  service  à  tout  regard  humain  pour 
n'épargner  ni  parentage,  ni  sang,  ni  vie  qui  soit  et  qu'on  mette  en 
oubïi  toute  humanité  quand  il  est  question  de  cnmhattre  pour  sa 
gloire ^  »  Si  ce  n'est  pas  là  une  description  complète  du  fanatisme, 
il  faut  y  voir  au  moins  une  confirmation  éclatante  de  notre  remarque 
sur  la  marche  de  la  maladie,  et  sur  la  puissance  éliminatrice  de 
l'idée  religieuse.  Les  affections  naturelles  les  plus  profondes  cèdent 
comme  les  autres  aux  chocs  réitérés  d'une  force  croissante.  Les 
malades  les  plus  dangereux  pensent  alors  et  agissent  en  consé- 
quence. Les  plus   inoffensifâ  ressemblent  simplement  au   fameux 
pèlerin  de  Bunyan  qui,  fuyant  sa  ville  et  sa  maison,  avant  qu'elles 


i.  Tntili'  contre  ks  héréiiqjies^  cité  par  F.  Buisson  daos  S>  CùêUtUon. 


MUHISIER.    —   J,E    lAWATTS^K    HEUCIHUX  575 

fussent  embrasées  par  le  feu  du  ciel,  se  bouchait  de  ses  doigts  les 
oreilles  pour  ne  pas  entendre  Fappe!  de  ses  enfants  et  répondait  au 
<t  sage  mondain  »  curieux  de  savoir  slî  était  marié  :  «  Oui,  mais  il 
-     me  semble  que  j  Vi  une  femme  comme  si  je  n'en  avais  point  ^  ». 

LMâis,  si  complète  que  soit  rélimination,  elle  ne  va  jamais,  cbez  le 
fanatique^  jusqu'à  détruire  l<mle  e^pi^oe  de  sociabilité.  Bien  au  con- 
traire. Lîi  tendance  sociale  ne  contrarie  plus  ici  Fidéa  religieuse  et 
ne  constitue  plus  un  obstacle  à  écarter,  mais  elle  lui  est  unie,  elle 
se  combine  avec  celle-ci  comme  un  élément  essentiel  entre  dans  le 
composé  dont  il  fait  partie  intégrante.  Chercher  par  tous  les  moyens 
Il  plus  grande  gloire  de  Dieu,  combattre  rhérésîe  sans  épargner 
_  jTii  sang  ni  vie  ».  réformer  rfiglise»  fonder  une  société  nouvelle  et 
parfaite,  vivre  pour  son  ordre  ou  pour  sa  secte,  prophétiser  la  des- 
truction d'un  monde  mauvais,  ou  le  sauver  une  fois  de  plus,  ce  n'est 
pas  seulement,  pour  ces  personnes  éminemment  sociables,  accum* 
plir  un  devoir  envers  autrui  ni  même,  au  sens  ordinaire,  un  devoir 
envers  Dieu,  c'est  être  tout  simplement  religieuses.  La  religion 
devient  un  pliénomène  social  par  cela  seul  que  la  personne  humaine 
est  relative  li  une  collectivité,  membre  d  un  groupe,  et  que  par 
suite,  elle  sent,  pense,  agit  sous  l'idée  dominante  de  ce  groupe, 
lequel  s'intègre  réellement  avec  le  tout  qui  la  constitue- 
On  pourrait  montrer  comment  le  sectaire,  par  exemple»  quel  que 
soit  son  njle,  supérieur  ou  subalterne,  reporte  sur  la  secte  les  affec- 
tions qui  se  détournent  des  autres  groupes  sociaux,  comment  il  en 
arrive  k  ne  pouvoir  s'unir  li  Dieu  qu'en  s  nuissant  ù  ceux  qu'il 
appelle  ses  frères.  11  me  paraît  préférable,  pour  être  moins  long,  de 
consi  dérer  quelques  phénomènes  psy ch  iques  par ti  cuHèrement  im  por- 
tants. 

Le  fait  essentiel,  on  Ta  vu  par  notre  analyse  de  Textase,  c'est  le 
besoin  de  direction.  Ce  besoin  existenaturellement  chezle  fanatique. 
Mats  il  se  satisfait  autrement  que  chez  le  mystique,  d*une  manière 
plus  conforme  îi  la  réalité  courante,  car  si  le  mystique  peut  paraître 
au  premier  abord  échapper  â  toute  direction,  le  fanatique  parait  à 
première  vue  n*en  subir  d'autre  que  celle  d'une  ou  de  plusieurs  per- 
sonnes de  son  entourage,  et  il  iaut  y  regarder  d'uu  peu  plus  près  pour 
s'apercevoir  qu'il  se  soumet  lui  aussi  à  une  autorité  surhumaine. 
Nous  avons  donc  aiïaire  maintement  h  un  phénomène  plus  complexe, 
à  une  double  relation  de  dépendance,  h  la  fois  sociale  et  supra-sociale- 
Distinguons,  pour  procéder  avec  quelque  précision,  entre  le  meneur 
elle  mené,  Ceîui-ci  éprouve»  à  n*en  pas  douter,  le  besoin  de  se  sou- 

t.  Vot/affe  du  chréiieti. 


576  RBVUE   PHILOSOPHIQUE 

mettre  à  une  autorité  étrangère,  à  une  discipline  extérieure.  Inca- 
pable de  vivre  pour  son  propre  compte,  il  aspire  à  vivre  de  la  vie 
d'une  certaine  collectivité.  Il  ressemble  à  s'y  méprendre  à  ces  malades 
étudiés  par  les  docteurs  Raymond  et  Pierre  Janet  qui  souffrent  de 
tous  les  troubles  de  l'aboulie,  de  l'impuissance  et  du  désespoir  parce 
qu'on  les  a  sortis  de  leur  petit  milieu  familial  ou  provincial,  et  qui 
présentent  toutes  les  apparences  de  la  guérison  dès  qu'on  peut  les  y 
réintégrer*.  Et  pourtant,  l'analogie  n'est  que  partielle.  Outre  la  dif- 
férence de  milieu,  il  y  a  celle  du  principe  directeur.  La  pression 
morale  exercée  sur  Tindividu  par  son  entourage  ne  le  réconforte  et 
ne  le  satisfait  qu'en  réalisant  certaines  conditions  qui  permettent  à 
ridée  religieuse  de  dominer  sur  les  tendances  diverses.  L'avocat 
américain'^  qui  resta  en  proie  au  désespoir  et  aux  .idées  de  suicide, 
tant  qu'il  refusa  de  se  joindre  aux  personnes  pieuses  qui  se  réunis- 
saient sous  un  certain  bosquet,  fut  délivré  de  ses  maux,  non  par  ia 
simple  action  de  ces  personnes,  mais  par  Taction  divine  devenue 
irrésistible  sous  leur  influence.  Toutefois,  dans  les   deux  cas,  le 
besoin  de  direction  se  fait  sentir  tant  que  l'individu  ne  s'adapte  pas 
au  milieu  ou  s'isole  moralement;  il  se  satisfait  par  l'adaptation  et 
c'est  là  ce  qui  dispense  le  malade  de  recourir  périodiquement  au 
médecin  ou  à  l'hypnotiseur. 

Les  grands  fanatiques,  meneurs  de  foule,  chefs  de  secte  paraissent 
destinés  au  commandement  bien  plutôt  qu'à  l'obéissance.  Mais  cela 
n'est  vrai  qu'en  apparence  ou  en  une  mesure  très  faible.  On  l'a 
déjà  noté  :  le  meneur  est  d'abord  hypnotisé  par  l'idée  dont  il  se  fait 
l'apôtre,  autrement  dit  le  meneur  n'est  qu'un  mené.  S'il  en  est  ainsi 
du  chef  politique,  hypnotisé,  comme  Robespierre,  par  une  idée 
abstraite,  à  plus  Ibrte  raison  en  est-il  de  même  du  chef  religieux 
qui  se  croit  dirigé  et,  selon  une  expression  un  peu  ancienne,  se  sent 
(tfji  par  une  personne  omnisciente  et  omnipotente,  «c  Dieu  m'a  dit  \ 
ik  le  Saint-Ksprit  nfa  fait  dire  »  ou  «  il  m'a  employé  à  ce  travaih, 
ou  «c  il  m'a  fait  jeûner  »,  ou  encore,  «  il  m'a  fait  prendre  une  certaine 
attitude  »,  il  m'a  ordonné  de  métendre  à  terre,  de  tourner  sur  moi- 
même  jus(]u'au  vertige,  etc.,  telles  sont  quelques-unes  des  formules 
les  plus  fréquemment  employées  par  les  prophètes  et  les  fanatiques 
de  toutes  sortes.  L'un  des  plus  récents,  parmi  les  plus  gravement 
atteints,  Guillaume  Monod,  qui  se  crut  prophète,  puis  fils  de  Dieu  et 
réussit  à  convaincre  un  assez  grand  nombre  de  personnes  en  France 
et  en  Suisse  on  rencontre  encore  quelques  monodistes),  décrit  ainsi 


1.  Sévrose<  et  idées  fi  tes,  l.  IL  fiassim. 

2.  Voir;*.  I. 


MURISIER.    —    LE    IMNATJSMK   IlELlfilEUX 

ses  rapports  avec  le  Saint-Esprit  :  «  Pour  donnor  quelque  idée  de  la 
manière  dont  il  me  dirigeait,  je  puis  dire  que  je  penlis  ma  liberté 
depuis  le  moment  ou  je  re^us  le  Saint-Esprit.  Tétais  lié  par  lui,*,  je 
le  tlis  dans  un  sens  littéraL  Saint  Paul  était  lié  par  un  ordre;  moi, 
j'étais  lié  par  une  puissance  qui  agissait  sur  mes  membres,  autant 
que  par  îa  parole  qui  ra^était  adressée,  et  je  Tétais  i-onstatoïnent.  Je 
puis  me  comparer  à  Exéchiel  qui  dit  :  l'Esprit  entra  en  moi  et  me  mit 
sur  mes  pieds  et  m'enterma  dans  ma  maison,  etc'.  »  C'est  là  un 
équivalent  des  témoîgjiages  mysliques,  une  affirmation  du  besoin  de 
direction  et  de  fabsolue  dépendance.  Mais,  dans  ce  cas,  ces  senti- 
ments cessent  d'être  individuels  pour  revêtir  dès  Tabord  et  garder 
ensuite  une  forme  nettement  sociale.  Guillaume  Monod,  séparé 
malfe'ré  lui  de  ses  disciples  (il  resta  longtemps  entermé  dans  un 
asile  d  aliénés I,  n'en  était  pas  moins  occupée  une  œuvre  sociale  : 
en  elTel,  respril  dîvin^  il  en  était  convaincu,  opérait  en  lui  la  régéné- 
ration de  rhumanité  tout  entière. 

De  même,  le  chef  de  secte  moins  éloigné^  d'ordinaire,  de  l'étal 
normal,  ne  se  sent  réellement  dépendant  de  lu  puissance  person- 
nelle dont  il  devient  l'organe  que  lorsqu'il  se  trouve  a  la  tête  de  son 
troupeau,  en  communion  morale  avec  lui.  Dans  Tintervalle  des 
réunions,  il  ue  cesse  presque  jamais  d'y  être  adnpté.  R.,  qui  fonda 
une  secte,  comme  on  la  vu,  après  avoir  quitté  TÉglise,  considérait 
comme  dangereuse  et  diabolique  la  tendance  k  risulcmenL  S'isoler 
sous  prétexte  de  jouir  du  Seigneur,  c'est  selon  lui  tomber  dans  un 
piège  préparé  par  le  diable.  Les  corps  peuvent  ôlre  séparés  momen* 
tanément  à  la  condition  que  les  âmes  restent  unies  par  le  Saint- 
Esprit.  Autrement  Dieu  cesse  de  se  communiquer.  Le  iiesoin  de 
direction  chez,  le  meneur  religieux  est  donc  relatif  h  une  collectivité 
qui  peut  embrasser  l'humanité  dans  son  ensemble,  mais  qui  reste  le 
plus  souvent  limitée  à  un  petit  groupe  dUndividus  animés  d'un 
esprit  identique.  Selon  que  le  raui  social  se  rétrécit  ou  s'élargit^  le 
sentiment  religieux  s  étend  de  la  secte  à  1  Église,  k  la  nation,  à 
l'univers. 

Ce  caractère  social  se  relrouve  dans  toutes  les  manifeslalions 
psycïiîques  du  fanatisme  et  particulièrement  dans  les  plus  exagérées 
et  les  plus  aisément  observables.  On  sait  que  Tidèe  fixe  arrivée  a  son 
plein  développement  donne  naissance  soit  *i  des  hallucinations,  soit 
à  des  mouvements  et  à  des  actions.  Le  mécanisme  de  ces  phéno* 
mènes  est  aujourd'hui  assex  bien  connu.  Ce  (fu*il  importe  mainte- 
nant de  considérer  c'est  la  Ibrme  particulière  que  revêtent,  ches  les 

1.  Mémoire*  (Ctin  homme  enfermé  €<mime  aliéné. 


578  KEVUK   PlIlLOSOPltlQUK 

îïîalades  dont  il  s'agit,  les  hallucinations  et  les   acUoos  auiomali* 
ques. 

Tandis  que  Textatique  jouit  égoMement  d'une  vision  du  Christ  ou 
joue  plus  ou  moins  consciemment  la  scène  de  la  cruciGxioo,  le  Um- 
tique  n  des  visions  d  un  autre  genr^  et  ne  manque  presque  jamais 
de  donner  à  ses  actes  les  plus  bi/.arres,  à  se^  gestes  les  plus  ariji- 
traires  en  apparence,  une  inlerpretation  sociale. 

Considérons,  en  premier  lien,  les  hallucinations.  Dans  l>nib;irras 
dQ  choix,  i  emprunte  à  ThisLuire  ecclésiastique  deux  exemples  que 
deuK  observations  permettront  ûe  contrôler-  Catherine  de  Sierinct 
après  une  période  de  mysticisme,  renonça  u  la  vie  solitaire.  Aioi^ 
elle  eut  une  vision  décisive  :  les  fondateurs  des  grands  ordres  monas- 
tiques lui  apparurent;  elle  laissa  s'éloigner  ceux  qui  imposèrent  mx 
nonnes  une  claustration  trop  absolue  et  l'outil  i  du  inonde,  Viitt  euîtu 
saint  Dominique,  qui  jet  a  sur  ses  épaules  le  manteiiu  des  sœurs  hospi- 
talières de  la  pénitence,  alfi liées  aux  frères  préclieurs.  Peu  après,  elfe 
lut  admise  dans  cet  ordre  militant  '.  A  une  autre  époque  et  dans  un 
milieu  très  dilTérent,  G*  Fox»  le  fondateur  de  la  société  des  Quakers, 
vit  *c  des  peuples  aussi  épais  que  les  atomes,  dans  le  soleil  »  anieoés 
en  la  bergerie  du  Seigneur.  Son  œil  tourné  «  vers  le  septentrion  t 
contempla  un  grand  peuple  qui  laccueillit  bien  et  s'apprêta  à  récoa  ter. 
Aussitùt,  des  [ihénomènes  moteurs  succédant  à  riinllucination,  il  se 
mit  à  prêcher  sur  la  montagne  ou  il  se  trouvait  seul,  comme  s'il  eût 
été  en  présence  d*un  nombreux  auditoire  *,  De  nos  jours,  Guillaume 
Monod  eut  plusieurs  visions  du  même  genre ♦  A  la  prière  de  Jésus- 
Christ,  Dieu  son  Père  descetidait.  «Je  ne  voyais  rien,  maisj>nteadais 
une  voix  comme  venant  d'en  haut,  Jésus-Christ  m'avertissait  de  me 
mettre  h  terre  quand  Dieu  venait.  J'étais  etTrayé,  le  visage  contre 
terre,  pendant  que  Dieu  lui-même  parlait,  et  pourtant  je  me  réjouis^ 
sais  d'entendre  sa  voix.  11  me  parlait  de  ses  plans  pour  la  conversion 
du  monde''».  Enfui,  J.,  ancien  alcoolique  converti,  aujoui'd'hui  soldat 
de  Tarmée  du  Salut,  eut  naguère  des  hallucinations  auditives  suivies 
d*une  série  d'actes.  En  voici  un  exemple  :  Au  moment  de  sa  conver- 
sion j  il  éprouva  un  désir  ardent  de  «  faire  quelque  chose  pour  le 
Seigneur  ?>.  Pendant  une  réunion,  il  entendit  tout  à  coup  une  voix 
disant  :  «  Je  suis  prêt  pour  le  ciel,  t'ètes-vous?  i  U  fit  broder  ces  mots 
sur  une  grande  écharpe  qu*il  mit  en  sautoir  pour  parcourir  les  rues 
de  la  ville.  Puis  il  se  rendit  dans  le  même  accoutrement  à  Paris  et  à 


i.  Gébh&rd»  f'iude  ^ut'  OïihejiTie  de  Sienne. 
S.  G.  Feno  (âon  confidctiL).  Ihi^i.  des  Quakerft 
3.  Mémùifci  d*tin  ftùtnnie  enfermé  comme  aliénée 


I 


I 


Londres.  Il  fallut  une  nouvelle  intervention  céleste  pour  mettre  un 
terme  à  cette  sorte  de  fugue. 

Avec  deux  de  ces  exemples,  nous  touchons  aux  actions  automa- 
tiques, puisque  les  hallucinations  délenninent  des  actes  combinés 
en  vue  du  saUil  de  l' humanité.  Mais  je  trouve  cliez  CruiNaume  Monod 
des  phénomènes  mottnn's  qui  cojistituenl,  en  quelque  sorte^  une 
forme  psycho-sociale  de  Textase  motrice:  une  série  de  mouvements 
automatiques  représentant  non  plus  un  événement  individuel,  nne 
scène  de  la  vie  du  Christ,  mais  une  situation  collective,  Tétat  de  là 
chrétienté.  Sans  doute,  le  symbole  n*est  pas  très  clair  pour  rohser- 
vateur  étranger;  mais  îe  sujet  Tinterprète  à  sa  manière  et  si  cette 
interprétation  constitue  à  quelques  égards  une  différence  importante 
entre  les  deux  cas,  il  n'y  a  pas  ici  à  en  tenir  compte.  Donc,  le  Saint- 
Esprit  descendit  sur  le  malade  et  lui  fit  prendre  et  Tapparence  d'un 
insensé  n.  Tantôt  il  tournait  sur  lui-même»  tantôt  il  courait  en 
arrière  et  tombait  h  la  renverse,  tantôt  il  se  dépouillait  de  ses  vête- 
ments, etc.  Un  jour  même.  Dieu  renouvela  en  lui,  <i  par  une  opération 
qui  eût  pu  lui  coûter  la  vie  si  lui-même  n*eût  conduit  sa  main,  le 
signe  sanglant  qu'il  donna  à  Abraham  pour  accuser  la  race  humaine 
de  péché  »*  Dieu  voulait  ainsi  »  représenter  en  moi  ce  que  vous 
êtes  vous-m<5mes  à  ses  yeux,..  Toute  ma  folie,  j'adopte  le  terme  que 
le  Saint-Esprit  a  employé,  était  destinée  à  figurer  Télat  de  la  chré- 
tienté depuis  le  commencement  du  papisme'.  »  Peu  importe  que 
le  sens  de  ces  symboles  reste  plus  ou  moins  obscur  pour  celui  qui 
assisterait  simplement  à  la  scène  san.s  lire  le  commentaire.  Un 
fait  devient  évident  :  considérée  sous  son  aspect  mental  ou  sous  son 
côté  moteur»  l'idée  religieuse  apparaît  toujours  la  même  chez  le 
fanatique;  elle  s'associe  d*une  manière  étroite  et  indissoluble  k  un 
petit  groupe  de  tendances^  d*émotions,  d'images  qu'elle  régit,  mais 
qui  en  font  une  force  éminemment  sociale,  un  principe  énergique 
{inadaptation  de  TÔtre  à  son  milieu, 

m 

La  stabilité  du  mil.I£u. 

Nous  touchons  ici  à  un  point  fort  obscur,  que  la  méthode  patholo- 
gique nous  permet  d'élucider  :  les  rapports  du  psychique  et  du 
social  apparaîtront  toujours  mieux  à  mesure  que  nous  pousserons 
avant  nott'e  recherche.  Les  manifestations  extérieures  et  bien 

Onnues  du  fanatisme  ont  leur  principale  raison  d'être  dans  l'état 
psychologique  décrit  plus  haut,  dans  ce  besoin  d'unité  et  d'identité 


580  KBVUE    1411UÏS0PHÏQUE 

mentales  que  satisfait  seule,  chez  ceinains  malades,  radaptalion  à  un 
milieu  non  pas  quelconque,  cerles,  mais  réalisant  au  moins  1  uoe 
des  conditjonsfondamentalesde  tout  milieu  favorable  et  bienfaîsaiit, 
savoir  Ja  stabilité,  la  permanence. 

Cette  condition  s  impose  déjà  dans  radaplation  organique.  On  ^ti 
que  d'après  la  théorie  ordîfiairement  admise,  Torganisme  retieol 
entre  une  multitude  de  mouvements  exécutée  d  abord  au  hasard,  cent 
qui  par  un  accident  heureux  assurent  une  adaplatiun   nouvelle  et 
sont  accompagnés  pour  cela  même  de  plaisir.  Le  plaigiir  s  associe  dé^ 
lors  au  mouvement,  si  bien  que  le  souvenir  du  plaisir  suffira  à  pro- 
voquer à  nouveau  le  mouvement  utile  et,  par  la  répétition,  à  reodre 
Tacquisition  permanente.  La  première  réaction  «adaptante  ^  procure 
te  plaisir  qui,  devenant  cause  à  son  tour,  engendre  les  réactions 
«adaptées  ».  Il  faut  donc  que  le  souvenir  du  plaisir  puisse  revîvfe, 
à  maintes  reprises,  et  cette  reviviscence  suppose  elle-mérae  une 
reproduction  fréquente  des  excitations  agréables  et,  en  détinitive,  là 
permanence  du  milieu  où  se  rencontrent  ces  excitations. 

Une  autre  théorie  réduit,  il  est  vrai,  en  une  mesure  assez  consi- 
dérable, la  part  du  hasard  dans  les  réactions  primitives  et  celle  du 
milieu  dans  les  réactions  répétées,  autrement  dit  dans  lalTermis^ 
sèment  de  ladaptation.  L'organisme  coopérerait  lui-même,  d'uoe 
manière  fort  efficace,  a  la  sélection  des  mouvements.  S1l  préfère  et 
exécute  tel  mouvement,  ce  n'est  pas  tant  le  mouvement  agréable 
qu'il  recherche,  c'est  bien  plutôt  le  stimulus  favorable,  et  une  fois 
qu'il  Ta  rencontré,  il  se  maintient  en  contact  avec  lui,  en  %'erlu  d'une 
tendance  naturelle.  Ainsi  Fadaptation  dépendrait  moins  absolumenl 
de  la  constance  du  milieu.  Toutes  choses  restant  égales  le  milieu 
pourrait  varier  dans  la  mesure  où  l'organisnie  serait  capable  d*at- 
teindre  et  de  fixer  le  stimulus  nécessaire  ou,  comme  on  Ta  dit,  de 
créer  lui-même  à  son  propre  usage  cette  stabilité  que  le  milieu  ne 
lui  garantit  point. 

Quoi  qull  en  soit  de  ces  hypothèses  biologiques,  on  peut  afflriuer 
hardiment,  d'une  manière  générale,  que  ladaptation  de  Tindivida 
exige  dans  tous  les  cas  une  certaine  stabilité  de  son  entourage,  qu* 
plus  l'individu  est  actif,  doué  de  conscience,  d'énergie  et  de  volonté, 
plus  aussi  le  milieu  peut,  sans  inconvénient  pour  lui,  être  variable  et 
divers.  MaiSi  il  y  a  une  dilTérence  importante  h  signaler  eotraïe 
milieu  physique  et  le  milieu  sociaL 

Le  cas  d'un  organisme  s'adaptant  au  monde  physique  est  le  pl«s 
simple.  Les  biologistes  peuvent  discuter  beaucoup  pour  savoir  si  Je 
vivant  se  borne  à  reproduire  le  mouvement  ogréable  et  à  enter  te 
mouvement  pénible,  ou  s'il  tend  à  se  rapprocher  du  slimulps  bieiî- 


MUmSlEH.    —   I.R   n?SATIS«e   RtlLâCliitJX  S81 

it  et  à  s'éloigner  du  stimulus  malfaisant.  Dans  les  deux  hypo- 
thèses, quoiqu'à  un  moindre  de^vé  dans  la  seconde  que  dans  la 
première,  on  admet  â  priori  la  persistance  des  mêmes  conditions 
extérieures  d'existence.  La  stal>ilité  du  milieu  physique  est  une  sorte 
de  postulat  indispensable  a  la  biologie. 

Le  niiUeu  social  dépend  au  contraire,  en  une  mesure  très  large, 
de  causes  psychologiques  en  partie  assignables.  L'individu  humain 
qui  s'adapte  à  son  entourage  agit  sur  celui-ci  aprés^ avoir  réagi  sous 
son  influence.  Les  suggestions  qu*il  reçoit  se  ressentent,  en  délinitive, 
des  suggestions  qu'il  produit^  et  bien  plus  encore  des  actes  qu'il 
exécute,  Tout  ce  que  peut  faire  un  protozoaire  sur  lequel  tombe  un 
rayon  de  soleil,  c'est  un  mouvement  propre  ii  augmenter  ou  à  pro- 
longer Taction  du  rayon  bienlàisant.  L'être  social  peut  da\*aritage, 
11  tend  lui  aussi  k  demeurer  en  contact  avec  îes  stimulus  nécessaires, 
et  il  réussit  d  autant  mieux  dans  cette  tentative  que  le  milieu  où 
prennent  naissance  les  excitations  est  en  bonne  partie  son  ouvrage. 
Uadaptation  morale  implique  ainsi,  outre  la  tendance  vers  certaines 
suggestions  favorables,  la  création  et  le  maintien  d'une  société 
ainsi  faite  que  les  suggestions  de  ce  genre  y  abondent  et  sV  renou- 
vellent sans  cesse,  et  que  les  suggestions  contraires  en  soient  si 
possible  rigoureusement  exclues. 

Sans  doute,  l'homme  civilisé,  sain  et  actif,  s'accommode  sans  trop 
de  dillîculté  d'un  monde  extrêmement  varié  et  toujours  changeant. 
Il  s'y  trouve  d'autant  plus  h  l'aise  que  ce  monde  par  sa  diversité 
même  et  sa  variabilité  lui  fournit  à  chaque  instant  des  occasions  de 
s'essayer  à  de  nouveaux  ajustements,  de  se  modifier  lui-môme  et  de 
progresser  sans  renoncer  à  ses  habitudes.  Mais,  le  dégénéré,  le 
faible  d'esprit,  l'instable^  ne  saurait  y  subsister.  L'isolement  lui  est 
pénible,  il  a  besoin  de  vivre  en  société  pour  éviter  les  troubles,  les 
crises  qui  proviennent  du  défaut  de  systématisation.  Mais,  le  mal  n*est 
jamais  conjuré  qu'en  apparence  et  il  se  manifeste  à  nouveau,  non 
seulement  lorsque  le  malade  se  retrouve  «  seul  avec  lui-même  », 
mais  aussi  toutes  les  fois  que  surgit  la  difficulté  d'une  adaptation 
nouvelle.  Dans  ces  conditions,  l'individu  ne  trouvera  le  calme,  la 
paix  et  le  bien-être  que  dans  un  milieu  social  où  les  mêmes  sugges- 
tions  toujours  répétées  ie  soutiendront  continuellement,  c'est-à-dire 
dans  une  société  grande  ou  petite,  mais  absolument  uniforme  et 
stable.  Or  lidée  religieuse  réalisera  justement,  mieux  que  toute 
autre  force,  cette  uniformité  et  cette  permanence  du  milieu,  indis- 
pensables à  l'adaptation. 

Je  mentionne  d'abord  quelques  déclarations,  significatives  à  cet 
égard,  des  détenseurs  autorisés  de  l'Église  ou  des  Églises.  Les  saint 


58i> 


REVUE   PHILOSOPIIIÛUE 


Dominique,  les  saint  Bernard ,  les  Bossuet,  célèbrent  T Unité  en 
ler/nes  presque  identiques  à  ceux  qu'employaient  les  solitaires  H 
les  (îxtaliques*  Seulement,  avec  eux,  ce  n*est  plus  de  Funîte  de  coo- 
8cience  qu'il  s'agit:  ii'est  bien  plutiH  de  l'unité  ecclésiastique,  poli- 
tique même,  de  Tunité  extérieure  des  sentiments  et  des  volontés. 
Notez  f|ue  sur  ce  point,  les  subtils  docteurs  de  TÉglise  i^^isissent 
mal  le  sens  et  la  portée  de  leurs  propres  paroles p  de  leurs  propres 
actes.  L*Unité  qu'ils  exaltent  et  qu'ils  maintiennent  reste  pour  euï 
un  mystère.  Ils  Ja  justifient  parfois  au  moyen  de  singuliers  argu- 
raenls.  Il  nV  a  qu'une  foi,  qu'un  baptême,  qu'un  Seigneur,  qu'une 
Église,  diront-ils  par  exemple,  de  même  qalï  n'y  eut  qu'une  *irche 
au  temps  du  déluge'.  Bossuet  parait  entrevoir  au  moins  la  vérité, 
dans  un  passage  célèbre  :  c  Qu'elle  est  f^randeTÉgli^se  romaine,  sol^ 
tenant  toutes  les  Églises,  portant  le  fardeau  de  tous  ceux  qui  souf- 
ïreni^eïiired'nani  VUnitê...  Sainte  ftglise  romaine,  mère  des  Kglises 
et  de  tous  les  Mdèles,  Église  choisie  de  Dieu  pour  unir  ses  enfaitls 
dans  la  même  foi  et  dans  la  même  charité,  nous  tiendrtms  toujours 
à  ton  unité  par  le  fond  de  nos  entrailles.  »  Paroles  remarquables, 
qui  dépassent  assurément  la  pensée  de  rorateur.  A  travers  la  phra- 
séologie théologique,  on  peut  discerner  le  fait  capital,  pour  la 
psychologie  sociale,  de  Tadaptation  religieuse.  La  religion  réaïise 
une  condition  fondamentale  de  Tadaptatiôn,  par  «  rentretien  >  tlê 
lu  ni  té  et  de  Fidentité  des  croyances,  des  volontés,  des  étnotionsi,  en 
un  mot  par  la  stabilité  du  milieu  social. 

Mais,  il  y  a  mieux  à  faire  rju'une  transposition  de  la  pensée  chré- 
tienne dans  le  langage  de  la  science  contemporaine.  L  examen  des 
faits  justifiera  plus  sûrement  les  considérations  précédentes.  Ceux 
qui  constituent  le  fanatisme  et  qui  présentent  tout  à  la  fois  une  sira- 
pïilication  et  une  forte  exagémtion  de  la  réalité  ordinaire^  se  répar- 
tissent naturellement  en  trois  groupes.  La  religion  remplit  soo 
oftice  psycho-social  en  unifiant  ou  pour  mieux  dire  en  unitormisaat  ' 
h  les  croyances;  2^  les  actes  et  la  conduite;  3"*  les  sentiments ^t 
les  dispositions  intimes  des  membres  de  la  communauté. 

Ces  distinctions  —  est- il  besoin  de  le  dire?  ~  n'ont  rien  d'absolu. 
Tout  au  plus  correspondent-elles  à  la  remarque  banale,  fondée  satis 
doute,  mais  issue  aussi  d'une  théorie  surannée  des  facultés,  qu'il  y 
a  une  religion  de  rtnteltigencej  consistant  essentiellement  daesuu 
ensemble  d'opinions  et  de  dogmes,  ime  religion  de  la  volonté  con- 
sistant suit  en  pratiques  rituelles,  soit  en  œuvres  de  bienfaisance, fil 
une  religion  du  sentiment  consistant  en  émutitms  et  en  jouissances 


i.  Saint  Bernard  i  Sur  h  schisme. 


MURISIER.    —   LE   FANATISME   RELIGIEUX  583 

plus  OU  moins  spirituelles.  C'est  là  une  manière  commode  de 
grouper  les  faits,  rien  de  plus. 

La  tendance  à  l'uniformité  agit  puissamment  sur  les  croyances 
générales.  Sa  manifestation  la  plus  connue  est  la  lutte  contre 
Thérésie.  Celle-ci  constitue  aux  yeux  du  fanatique  une  véritable 
maladie  sociale.  «  C'est  une  gangrène  qui  gagne  toujours*.  »  D'où 
Ton  ne  manquera  pas  de  conclure  que  l'unique  remède  doit  être 
l'extirpation  du  membre  gâté.  Le  terme  de  novateur  sert  à  exprimer 
le  plus  profond  mépris.  La  raison  qui/ en  affranchissant  l'individu  de 
la  foi  collective  et  traditionnelle  engendre  la  diversité  sociale,  paraît 
plus  que  suspecte  :  on  la  juge  impie.  Le  vrai  motif  de  la  condamna- 
tion d'Abelard  fut  que,  «  non  content  d'avoir  Dieu  pour  garant  de  sa 
créance,  il  voulut  que  sa  raison  en  fût  l'arbitre  »  et  que  par  là  il 
corrompit  les  fidèles  et,  «  avec  son  esprit  contagieux,^  égara  les 
âmes  simples  ^  t>  Le  protestantisme  qui  admet,  en  principe,  le  libre 
examen,  aboutit  pratiquement,  dans  un  grand  nombre  de  cas,  à 
l'intolérance.  Cela  tient  précisément  à  ce  qu'il  est  lui  aussi  une  reli- 
gion et  non  pas  une  philosophie.  D'ailleurs,  entre  les  cas  simples  et 
extrêmes,  où  qu'on  les  prenne,  il  n'y  a  aucune  différence  notable. 
Et  notre  thèse  s'en  trouve  encore  confirmée.  Le  protestantisme  vise 
comme  le  catholicisme,  comme  toute  religion  positive,  à  maintenir 
la  stabilité  relative  et  normale  ou  absolue  et  anormale  d'une  société 
déterminée  et  il  y  réussit  tantôt  par  les  mêmes  moyens,  tantôt  par 
d'autres  qui  lui  sont  propres. 

Le  besoin  d'uniformité  intellectuelle  excluant  toute  distinction 
entre  les  vérités  essentielles  et  les  vérités  accessoires,  l'hérésie, 
l'innovation  sera  combattue  avec  une  énergie  égale,  quel  que  soit  le 
point  litigieux.  Le  fanatique  fera  la  guerre  aux  opinions  particulières, 
même  les  moins  dangereuses  en  apparence,  simplement  parce 
qu'elles  sont  particulières  et  qu'elles  introduisent  la  diversité  dans 
son  miheu.  C'est  un  crime  à  ses  yeux  d'abandonner  la  foi  de  l'Église, 
dans  son  ensemble,  mais  c'est  aussi  un  crime  de  rejeter  ou  de 
modifier  certains  détails,  de  penser  que  Jésus-Christ  n'est  pas 
dans  le  sacrement  de  l'autel,  que  tous  les  hommes  seront  sauvés, 
que  si  une  hostie  consacrée  tombe  dans  la  boue,  le  corps  de 
Jésus-Christ  cesse  d'y  être'.  De  mémo,  c'est  un  crime  de  nier  la 
Trinité  ou  de  reconnaître  que  la  loi  de  Moïse  n'interdit  pas  absolu- 
ment la  polygamie*.  Pour  empêcher  la  diffusion  do  l'erreur,  défense 

1.  Registres  de  Vlnquisiiion,  c'iU'i  pnr  I^mnllio-Lttnjoon, 

2.  Saiîit  Bernard,  par  Nean^Icr. 

3.  Registres  de  V Inquisition^  ouv.  rlli^. 

4.  S.  Castellion,  par  F.  Buisson. 


584  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

est  faite  de  recevoir  ou  écouter  les  prédicateurs  étrangers,  incoDDUs, 
non  recommandés  par  1  autorité  ecclésiastique  K  Pour  prévenir  le 
mal  et  établir  en  tous  lieux  Tunité  d'enseignement,  des  sectaires 
modernes  sont  allés  jusqu'à  faire  sténographier  les  discours  pro- 
noncés par  quelque  prédicateur  autorisé  et  à  les  expédier  dans  les 
localités  éloignées  où  ils  devaient  être  répétés  textuellement*.  Et 
cette  uniformisation  des  croyances  se  présente  bien  d'ordinaire 
comme  une  œuvre  essentiellement  religieuse.  Le  persécuteur  se 
considère  comme  un  instrument  divin.  C'est  ce  qui  lui  permet  d'agir 
si  souvent  sans  colère  et  sans  haine;  c'est  aussi  ce  qui  le  rend  impi- 
toyable dans  ses  actes  et  dans  ses  jugements. 

Si  le  fanatique  ancien  frappait  lui-même  le  novateur  ou  le  dissi- 
dent, le  fanatique  moderne,  placé  dans  d'autres  conditions,  aban- 
donne bon  gré  mal  gré  ce  soin  à  Dieu  et  cela  le  conduit  à  voir  des 
chàliments  divins  dans  tous  les  accidents  dont  les  hérétiques  peu- 
vent être  victimes.  D'ailleurs,  actes  et  jugements  fanatiques  se  retrou- 
vent à  toutes  les  époques.  L'Italien  Ochino,  expulsé  de  Suisse  pour 
avoir  mis  en  doute  le  dogme  de  la  Trinité,  perdit,  peu  de  jours 
avant  son  procès,  sa  femme  qui  se  brisa  la  tète  en  tombant  d'un 
escalier.  Théodore  de  Bèze  écrivit  à  ce  propos  de  la  meilleure  foi 
du  monde  :  a  C'était  un  jugement  de  Dieu  qui  frappait  dans  sa 
maison  ce  vieillard  impie  avant  même  que  son  crime  eût  éclaté  au 
dehors^.  »  J'ai  pu  constater  moi-même,  récemment,  ce  phénomène. 
Un  pasteur  d'une  piété  éprouvée,  mais  suspect  pour  ses  vues  par- 
ticulières sur  la  divinité  de  Jésus-Christ,  fut  atteint  de  paralysie, 
avec  trouble  des  fonctions  du  langage.  Le  peintre  D.,  orthodoxe 
farouche,  soutint  avec  une  conviction  profonde  qu'il  fallait  voir  dans 
cet  accident  une  manifestation  évidente  de  la  justice  divine.  Comme 
je  lui  adressais  (juelques  objections  :  «  Ce  sont  là,  répondit-il,  des 
choses  qu'il  faut  dire  avec  beaucoup  de  douceur,  mais  je  ne  puis 
nrempèclier  de  croire  à  un  châtiment  divin.  »  La  raison  de  cette 
douce  férocité  nous  est  maintenant  connue.  L'introduction  d'une 
idée  nouvelle  ou  étrangère  dans  un  milieu  donné,  c'est  ou  ce  peut 
être,  pour  des  personnes  faibles  qui  s'y  trouvent  exactement  adap- 
tées, la  désorganisation  partielle  ou  totale  de  la  vie  psychique. 
Le  danger  est  assez  grand  pour  que  ces  personnes  ou  celles  qui 
les  dirigent  comptent  alors  sur  une  intervention  spéciale  de  la 
divinité. 

Le  fanatisme  requiert  en  outre  et  a  entretient  »  chez  tous  les 

1.  Lritrt^s  dt'  saint  Uernard. 

2.  Les  Inrimjv'fis. 

3.  F.  Buisson,  ouv.  cilé. 


) 


MOHISIEH.    —    LE   FAVATISME    RKUCIEL'X  r>85 

membres  de  la  communauté  une  conduite  uniforme.  Entendez  par 
là,  avec  runanimitê  dans  raccomplisseiaent  des  pratiques  religieuses, 
une  identité  parfaite  dans  la  manière  de  vivre,  de  se  comporter,  de 
Iravailier,  de  se  distraire,  dese  vêtir,  d'écrire,  de  parler,  etc.  L'Ëgîise 
a  souvent  exclu  de  soîi  sein  des  croyants  attachés  au  dogme,  mais 
détachés  des  cérémonies.  alTranchis  des  formes  extérieures  du 
culte  ^  D'autre  part,  elle  s^est  contentée  non  moins  souvent  d'une 
ad  liés  ion  purement  formelle,  parfois  d'une  attitude,  d'un  simple 
geste.  Les  missionnaires  chargés  de  convertir  les  protestants  aux 
galères,  voulaient  les  forcer  à  se  mettre  h  genoux  pendant  Ja  messe. 
«  Chiens,  disait  un  major  général,  qui  leur  faisait  donner  la  baston- 
nade, mettez- vous  à  genoux  et  dans  celte  posture,  si  vous  ne  voulez 
pas  prier  Dieu,  prte;^  le  diable.  Que  nous  importe'  »?  Mais,  d  autres 
fois,  le  lanatisïne  prétend  régler  et  uniformiser  Ja  conduite  entière* 
A  Geuèvej  au  temps  de  Calvin,  la  force  publique  était  requise  non 
•seulement  pour  assurer  la  fréquentation  du  culte,  mais  encore  pour 
empêcher  les  fêtes,  les  jeux^  les  danses»  les  lectures  frivoles,  les 
propos  légers.  S'écarter  des  coutumes  établies  ou  de  la  pure  doc- 
trine, c'est  toujours  se  révolter  contre  la  société  et  contre  Dieu. 

Le  lecteur  s'étonnera  peut-être  que  Ton  s'arrête  ici  h  une  question 
de  toilette.  Mais,  lorsqu'il  s'agit  du  fanatisme,  les  |.lus  petites  ques- 
tions prennent  une  importance  extrême^  et  Tuniformité  du  costume 
s'impose  au  même  titre  que  Forthodoxie.  Une  mise  personnelle, 
rechercliée  surtout,  n*est-elle  pas  en  elfet  une  sorte  d'hérésie?  N'in- 
troduit-elle pas  dans  le  groupe  social  de  la  diversité  et  par  consé- 
quent du  mal?  Je  pourraii^  citer  ici  plusieurs  exemples,  entre  autres 
celui  de  B*,  qui  fait  du  port  de  la  barbe  une  question  vitale  et  qui  a 
même  coiîiposé  un  traité  sur  Aa  bavbe  an  point  de  vue  chrétien.  Mais, 
je  ne  connais  rien  de  significatif  à  cet  égard,  comme  Tincident 
survenu  jadis  h  Mon  tau  ban  entre  le  consistoire  de  la  ville  et 
Mme  Buplessis-Mornay,  au  sujet  de  sa  coiffure.  A  Montaukm,  Tau- 
torité  ecclésiastique  avait  interdit  de  vl  porter  che%^eux  ou  lit  d  arî- 
chal  dedans  »  et  elle  relranchait  impitoyablement  de  la  cène,  outre 
les  délinquantes,  les  femmes  et  les  jeunes  filles  qui  refusaient  de 
faire  le  serment  de  se  coilTer  suivant  les  règles.  Mme  Duplassis, 
sortant  de  chez  elle,  deux  membres  du  consistoire  labordent  et  lui 
déclarent  avoir  reçu  mission  de  ^  l'admonester  d'oster  ses  cheveux  ». 
Elle  les  [jde  poliment  de  s  adressera  M.  Duplessis,  chef  de  la  famille, 
seul  juge  autorisé  en  la  matière.  Sur  leur  rapport,  une  assemblée 


1,  Par  exemple  Arnayd  h  Tépoque  de  Saint  Bernard* 

2,  Mémoirei  d'un  protestant...  Rolterdani.  173  U 


586  HfiVUB   PHILÛSÛPUIQIJE 

se  réunit  pour  étudier  et  régler  la  question.  L'assemblée  décide 
qu'aucun  changement  ne  sei-a  requis  dans  la  coilTure  de  Mme  Du- 
ptessis,  vu  qu'elle  n  habite  pas  en  temps  ordinaire  la  localité.  Mais, 
Je  pasteur  liérault  conlesle  la  validité  de  cette  décision  et  prétetid 
qu'à  la  cène,  •  on  serait  empêché,  si  Ton  recevait  Mme  Duplessis 
avec  ses  cheveux  i>.  On  convoque  alors  une  nouvelle  asîtemblée, 
composée  des  consistoires  de  la  ville  et  des  localités  avoi^inante^, 
qui  résout  la  difficulté  dans  le  même  sens  que  la  première.  Ui-dessus, 
M.  Duplessis  part  en  voyage,  laissant  sa  femme  malade  et  ses 
enfeuts  alité.'?.  Toutelois,  nonobstant  son  aRliction  tant  pour  l'absence 
de  M.  Duplessis  que  pour  la  maladie  d'elle  et  de  ses  enfants,  «  pas  un 
des  ministres  de  Montauban  ne  ta  sont  venus  visiter,  ny  consoler» 
encore  qu'elle  s* en  sok  plainte  exprès  afm  qu*il  leur  fust  dist  »* 
Bien  plus.  M*  BérauU  sa  rend  un  jour  cliez  lliùte  des  Duplessis  poar 
faire  le  catéchisme  accoutumé.  «  Je  me  levay  du  lit  où  j*élais  et 
m'en  allay  au  lieu  où  Ton  faisait  le  catéchisme  avec  notre  famille,  ce 
que  je  lis  :  l"  pour  protester  que  nous  étions  du  corps  de  Téglisedu 
Christ;  2>  pour  apprendre  et  être  instruits;  3*  pour  édifier  moyea* 
nant  l'aide  de  Dieu  les  assistants.  Cependant  je  ne  sais  pourquoi, 
j'eusle  malheur  que  toute  notre  larnille  fut  séquestrée  par  M.  îîérauU 
qui,  par  crainte  de  la  recevoir  en  la  communion  de  cette  église, 
rompit  son  ordre  accoutumé*.  »  Dans  ce  cas^  vraiment  typique, 
toutes  les  conditîoiïs  d'adaptation  au  milieu  se  trouvent  rempli^ï, 
sauf  une.  La  piété  d'une  personne  est  sincère  et  notoire.  Son  ortho- 
doxie se  trouve  attestée  par  une  confession  de  foi  rédigée  pour  la 
circonstance.  Elle  ne  s€  distingue  des  autres  membres  de  la  commu- 
nauté religieuse  que  par  un  menu  détail  de  toilette.  Il  n'en  faut  pas 
davantage  pour  qu'on  la  condamne  et  qu  on  Texclue, 

Uuuiformité  des  sentiments  se  trot^ve  en  quelque  sorte  înnpliquée 
dans  les  données  précédentes.  LHdentilé  des  pensées  et  des  nctess 
doit  recouvrir  ridentité  plus  profonde  des  tendances,  des  volontés 
et  des  émotions.  Mais,  cette  unité  affective  peut  elle  se  constater 
directement,  comme  l'unité  intellectuelle  ou  comme  Tunité  exté- 
rieuœ  des  pratiques,  des  coutumes,  des  modes  de  conduite.^  Évi- 
demment, la  constatation  sera  cette  fois  plus  malaisée  et  plus  déli* 
cate,  à  supposer  qu'elle  soit  possible.  Remarquons  toutefois  que  h 
difhculté  est  exactement  la  même  en  pratique  qu'en  théorie.  Ce  qui 
échappe  aux  investigations  du  psychologue  échappe  aussi  à  fjnqiu- 
sition  du  fanatique  et  runilbrinîté  sociale  i^eut  être  considérée 
comme  établie^  la  permanence  du  milieu  comme  a^ssurée,  dès  que 


i*  Mémûiï^es  tie  M"'*  Duplnm^Mernaij. 


MURISIBR.    —   LE   FAXATISME   HEUGII^UX 


587 


I 


toute  dissemblance  et  toute  divergence  cessent  de  se  manifester  au 
dehors.  C*est  pourquoi  le  fanatisme  s'attache  presque  toujours  à  ce 
qui  est  visible,  larîgible,  superficiel  et  s  en  lient  d'arLlinalre  à  la 
réglementation  de  là  conduite  et  du  dogme-  Les  dispositions  intimes 
împnitent  peu,  pours'u  qu'elles  i-estent  cachées.  Elles  ne  modifient 
le  milieu  et  ne  îroublent  les  faibles  qu'en  s^exlériorisant. 

Gela  ne  signifie  pas  que  le  fanatique  se  désintéresse  toujours  âe 
la  question  ajfeclive.  On  trouve  au  contraire  chez  certains  a:  sensi- 
tifs-acUls  »,  comme  dirait  un  éthologiste,  un  besoin  marqué  et  sou- 
vent exagéré  de  rencontrer  chez  autrui  non  seulement  de  la  piété, 
mais  une  piété  et  des  émotions  identiques  à  celles  qii*ils  ressentent 
eux*rrjt^mes.  Qu'est-ce  par  exemple  que  la^  communion  des  saints  », 
sinon  une  manière  de  sentir  en  commun,  impliquant  1  exclusion  de 
ceux  qui  pensent  peut-être  et  agissent  comme  les  membres  du 
groupe,  mais  s  en  séparent  par  un  simple  dissentiment?  Ce  dissen- 
timent peut  exister  pendant  une  période  même  asse;^  longue,  sans 
provoquer  aucun  contlit  ni  aucun  trouble;  il  subsiste  néanmoins  k 
rétat  latent,  puis  un  beau  jour,  il  éclate  h  propos  de  quelf|ue  afTaire 
insignifiante.  Alors,  il  apparaît  aussi  redoutable  qu'une  hérésie, 
aussi  iotûlérable  qu'une  violation  de  la  discipline  ecciésîastique.  Une 
petite  discussion  sur  remploi  de  certaines  collectes  avait  causé 
quelque  refroidissement  entre  révangcHsle  Bost  et  ses  collègues  ^ 
Peu  après,  il  écrivait  :  «t  II  n'existe  plus  de  brouille;  mais  le  coup 
d*œil  que  j'ai  donné  sur  la  faiblesse  des  dispositions  de  mes  frères 
quant  au  renoncemenl  complet,  m'a  laissé  une  forte  impression 
d'éloignement.  J  ai  ouvert  les  yeux  sur  un  ami.*,  et  je  compte  partir 
(de  Genève)  dans  quelques  jours  ».  R.,  dont  il  a  été  déjà  parlé  plus 
haut,  s^exprimaitsur  rUnité  en  termes  moins  éloquents  que  Bossuet, 
mais  non  moins  passionnés;  et  il  avait  en  vue  Tunité  des  «  cœurs  i 
bien  plutôt  que  celle  des  croyances  et  des  actes.  Les  cœurs,  .selon 
lui,  devaient  être  purs  de  toute  conformité  avec  le  monde  et  ce  n*est 
qu*en  proportion  qu'ils  se  séparent  du  monde  que  les  chrétiens 
s'unissent  entre  eux.  Ijh  société  religieuse  ne  subsiste  que  par  rac- 
cord de  tous  ses  membres  dans  le  détachement  de  la  société  pro- 
fane. 

Cette  uniformité  des  sentiments  ne  saurait  certes  durer  dans  une 
église  multitudinîstc  ni  dans  une  foule  quelconque.  En  revanche, 
elle  se  maintient  dans  la  secte  et  môme,  pour  un  temps,  dans  les 
foules  extrêmement  homogènes  des  tt  réveils  »,  Finney,  dont  chacun 
reconnaîtra  la  compétence  en  ces  matières*  a  longuement  e?taminé 


L  À*  HQ3t,  Mémoirei. 


588  UEVUE   PaiLOSOPHIQUE 

les  conditions  indispensables  à  la  production  et  à  l'entretien  de  ces 
mouvements  religieux  extraordinaires.  Après   avoir  recommandé 
l'union  entre  ceux-là  seuls  qui  professent  des  opinions  identiques 
sur  tous  les  points,  même  secondaires,  il  insiste  bien  davantage  sur 
la  nécessité  d'une  identification  complète  des  sentiments  et  des  dis- 
positions intimes  chez  les  fidèles.  Pour  prier,  les  chrétiens  doivent 
s'accorder  dans  leurs  demandes  et  surtout  dans  leurs  désirs.  Ils 
doivent  s'accorder  aussi  dans  les  motifs  qui  les  poussent  à  désirer 
et  à  demander  tel  objet,  dans  la  foi  absolue  à  l'exaucement  final, 
dans  la  fixation  même  du  moment  où  leur  désir  se  réalisera,  c  Si 
deux  ou  plusieurs  personnes  s'accordent  à  demander  une  bénédic- 
tion particulière  et  que  l'une  d'elles  la  désire  immédiatement,  tandis 
que  les  autres  ne  sont  pas  encore  disposées  à  la  recevoir,  elles  ne 
s'accordent  pas*  ».  Bref,  il  suffit  du  plus  léger  désaccord  sur  une 
chose  de  la  plus  médiocre  importance  pour  ruiner  l'œuvre  com- 
mencée. Nous  constatons  ainsi  chez  certains  prédicateurs,  prorho- 
teurs  de  réveils,  chefs  de  sectes,  etc.,  une  résistance  à  Tin troduclion 
du  moindre  dissentimont  dans  le  groupe  social,  pour  le  moins  égale 
à  celle  qu'ils  opposent  à  l'introduction  d'une  idée  nouvelle,  d'une 
opinion  étrangère,  d'une  manière  d'agir  inattendue.  Si  la  lutte  contre 
l'hérésie  proprement  dite  paraît  parfois  occuper  à  elle  seule  le  fana- 
tique, cela  tient  en  grande  partie  à  ce  qu'une  fausse  doctrine  se 
découvre  plus  aisément  qu'une  fausse  note  dans  le  concert  presque 
imperceptible  des  désirs  et  des  émotions.  En  réalité,  il  s'agit  tou- 
jours, je  le  répète,  d'empocher  la  diversité,  le  changement,  quels 
qu'ils  soient,  de  troubler  les  sociétés  humaines  et  par  suite,  pour 
emprunter  à  Finney  lui-même  ses  expressions,  «  de  jeter  dans  une 
grande  perplexité  les  ûmes  timorées  ». 

Kn  somme,  l'idée  religieuse  devient  une  force  sociale  parce  que 
l'individu  éprouve  le  besoin  de  rester  adapté  au  milieu  où  il  se 
trouve  placé  et  où  toutes  les  suggestions  qu'il  subit  semblent  favo- 
rables et  bienfaisantes.  Une  puissance  surhumaine  garantit,  à  ses 
yeux,  la  régularité  et  la  permanence  de  ce  milieu  naturellement 
changeant,  c'est-à-dire,  en  définitive,  la  tranquillité  et  le  bonheur  de 
l'être  faible  ou  moyen,  assuré  désormais  de  ses  adaptations  anciennes 
et  dispensé  de  toute  adaptation  nouvelle.  Voilà  ce  que  nous  apprend 
d'essentiel  le  fanatisme,  sur  le  rôle  social  de  la  religion. 

i.  Finney,  ouv.  cit. 


MURISIEH.    —    LE    FANATISME    RELIGIEUX 


o89 


IV 

Avantage  de  cette  interprétation- 

Ces  vues  se  rattachent  à  celles  gu'ont  émises  dans  ces  dernières 
années  les  psychologues  et  les  sociologues,  elles  les  rapprochent  et 
peut*être  les  complèlenL 

Le  besoin  d'une  unité  sociale  poussée  jusqu'à  runiformité  a  été 
assez  bien  constaté,  principalcnjent  dans  la  sphère  politique  et  même 
dans  les  sphères  économiques  et  juridiques.  On  ne  peut  pus  dire  ton- 
tefoisque  ses  manifestations  religieuses  aient  jusqu'ici  suflisamment 
attiré  Tattention  des  chercheurs*  El  pourtant  elles  occupent  le  pre- 
mier rang,  peut-être  en  date,  san.^contreiiil  en  importance*  Les  meil- 
leures preuves  en  sont  t'ournies^  incidemment,  par  les  sociologues 
eux-mêmes.  Une  de  leurs  remarques  fréquentes  est  que  partout  oii 
Finfluence  de  la  religion  iaihlit  ou  fait  défaut,  il  se  produit  une  discor- 
dance des  consciences  et  des  volontés,  une  véritable  désagrégation 
sociale.  Une  autre  observation  non  moins  exacte  est  à  rapprocher 
de  celle-là  :  les  convictions  collectives  revêtent  presque  toujours  une 
forme  religieuse,  quand  bien  même  elles  n*ont  pour  objet  aucune 
personnalité  divine.  Les  jacobins  ressemhlent  à  s'y  méprendre  aux 
anciens  inquisiteurs,  et  Tathéisme  même  peut  devenir,  chez  les 
foules,  foncièrement  reNgieux,  Cela  ne  signiiie-t-il  pas  que  runifica- 
tion  extérieure  des  désirs  et  des  volontés  a  dépendu  et  dépend  encore 
de  la  religion,  aussi  bien  que  l'unification  intérieure  des  états  et  des 
tendances?  l'œuvre  religieuse  par  excellence  ne  consisterait-elle 
pas  alors  à  intégrer  à  la  fois  les  états  de  conscience  et  les  actions 
individuelles,  les  éléments  psychiques  et  les  éléments  sociaux  et  à 
réaliser  ainsi,  avec  l'harmonie  du  milieu,  l'unité  du  moi  qui  la  suppose? 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  pour  en  rester  à  la  pathologie,  le  simple  lait 
que  le  fanatisme  politique  se  ramène  aisément  au  fanatisme  reh- 
gieux,  montre  assez  Tinfluence  primordiale  de  celui-ci  sur  funifor- 
misalion  des  idées  et  des  mœurs.  S'en  tenir  aux  sphères  politiques 
et  juridiques  c'est  donc  préférer  la  copie  à  l'original,  choisir  entre 
des  cas  d*inégale  valeur,  les  moins  significatifs.  Les  descriptions  des 
sociologues  mettent  trop  peu  en  évidence  les  cas  typiques  où  Funi- 
formité  des  croyances,  des  actes  et  des  sentiments  se  produit  sous 
la  pression  irrésistible  de  l'idée  religieuse.  Peut-être  les  observa- 
tions utilisées  au  cours  de  celle  étude  conlribuerûnt-elles  à  bien 
marquer  sinon  à  combler  cette  lacune. 

Si  Ton  considère  maintenant  les  théories  auxquelles  les  laits  con- 
statés servent  de  preuve,  on  ne  manquera  pas  de  les  trouver  peu 


KEVCË   MIELOSOrHiaUË 

explicatives  et  Ton  sera  tenté  ~  trop  fortement  ptmt-étre  —  de 
donner  raison  aux  esprits  prudents  qui  voucJrnient  vuîr  les  cher- 
cheurs s'en  ienir  pendant  longtemps  encore  h  des  descriptions  pré- 
cises et  miouUeuses. 

Lîi  théorie  biologique  a  été  soumise  ù  une  critique  rigoureuse 
dont  il  est  peu  probable  qu'elle  se  relève  jamais.  Ce  n'est  pas  une 
raison  pour  nier  les  analogies,  très  réelles,  qui  existent  entre  les 
sociétés  et  les  organismes.  A  noire  poiDl  de  vue  spécial,  l'analùgïe 
biologique  simpose  et  ceux  qui  Tonl  notée  mériteat  quelque  êioiie. 
Uidentilè  des  individus  dans  une  société  animale  ou  humJiiTïe  èqm' 
vaut  h  l'idcMitilé  des  cellules  dans  un  organisme.  Chez,  les  organismes 
inférieurs,  il  y  a  peu  de  difTérence  entre  les  cellules,  presque  poinl 
de  hiérarchie.  L'évolution  progressive  des  individualités  physiolo- 
giques s*est  opérée  par  une  lente   dilTérenciation  des  éléments 
accompagnée  d'une  division  croissante  du  travail,  et  [jar  l'établisse* 
ment  simultané  d'une  coordination  et  d'une  solidarité  plus  parfaites. 
Considéré  dès  le  début  de  sou  développement  embryoïmaife,  IVtre 
vivant  le  plus  complexe  se  compose  de  cellules  d*;ibord  identitjues 
qui  peu  a  peu  se  ditTérencienl  suivant  des  directions  délerminéeët 
mais  gardent  toujours  et  multiplient  de  plus  en  plus  leurs  rdatioas 
mutuelles.    Les  mêmes  lois  président  à  révolution   des  sociétés 
humaines.  Les  formes  inférieures  de  rorganisalion  sociale  corres- 
pondent aux  formes  inférieures  de  la  vie.  Un  agrégat  de  cellules  mn 
diiîérenciées  oftVe  bien  des  analogies  avec  une  tribu  sauvage  où  la 
division  du  travail  n'exisle  qu  entre  les  sexes.  A  l'autre  extrême, 
une  société  supérieure  avec  ses  individus  spécialisés,  avec  ^es 
families,  ses  associations,  ses  classes  superposées  les   unes  aui 
autres,  constitue  une  vivante  hiérarchie  comparable  aux  plus  jiaf- 
fails  des  organismes.  Tout  cela  a  été  si  souvent  répélé  depuis  Spen* 
cer,  qu'il  seniil  inutile  d'insîyter. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  le  fanatisme  puUtique  ou  reli- 
gieux, Tuniformité  des  idées,  des  coutumes,  des  désirs  qu'il  exig« 
toujours,  engendre  souvent  et  maintient  par  les  pires  moyens^ 
ramène  la  nation,  Téglise,  la  secle^  à  Tétai  des  sociétés  pï'imitivc& 
et  barbares*  La  diversité  qu*il  supprime  sous  toutes  ses  formes,  li 
cohésion  et  la  solidarité  qu'il  détruit  aveuglémerjt,  étant  le^  cûiï- 
dilïons  principales  ou,  si  Ton  préfère,  les  medleurs  indices  eu 
progrès  social  comme  du  progrès  organique,  on  peut  aftirraer  que 
son  ap  pari  lion  j  ses  survivances,  ses  recrudescences  marquent  ou 
bien  un  degré  inférieur  et  un  arrêt  de  développement,  ou  bien  une 
régression  et  un  étal  pathologique  pour  la  société  comme  pour  les 
autres  organismes  de  la  nature. 


i 


MURISIER. 


Π  l-AiX.VnSiVJK    HEUGlKlfX 


591 


Exacte  et,  quoi  qu'on  om  dise,  a  inslruclîve  i&,  cette  analogie  n'élu- 
cide pourtant  pas  beaucoup  la  question.  On  Ta  remarqué,  la  matière 
sociale  est  surtout  psychologique  de  sa  nature;  elle  consiste  en 
penséesi  désirs,  émolinns,etc,  El  quant  à  Torganisation  sociale,  elle 
reproduit  Forganisalion  psycliologique  plus  encore  quelle  ne  rap- 
pelle l'évolution  biologique.  1^  suite  de  celte  étude  nous  en  four- 
nira la  meilleure  preuve.  Le  rapprochement  établi  entre  une  secle, 
par  exemple,  et  un  organisme  à  cellules  identiques  assemblées 
autour  d'un  seul  centre  commun,  ne  nous  apprend  presque  rien  sui' 
ce  quil  nous  importe  surtout  de  connaitre^  c'est-à-dire  sur  la  genèse 
de  la  secLej  sur  les  satisfactions  qu'y  trouvent  les  afflliés,  sur  le 
genre  de  service  qu'elle  leur  rend,  sur  ce  qui  lait,  au  fond,  sa  raison 
d*étre.  Le  fanatisme,  maladie  sociale  analogue,  si  Ton  veut^  h  une 
dégénérescence  organique,  dérive  d'un  état  mental  particulier,  et 
c'est  à  celte  source  quHl  est  nécessaire  de  remonter. 

Les  sociologues  qui  prétendent  substituer  Tinterprétation  psycho- 
logique à  rinlerprétation  biologique  des  lails  sociaux  ne  donnent 
pas  non  plus  une  explication  salistaisante  du  fanatisme.  Entre  tous 
les  auteurs,  M.  Oaldwin  est  peut-être  celui  qui  fournit  les  données 
les  plus  utiles  h  Tintelligence  d*on  phénomène  qu'il  n'a  d'ailleurs  ni 
décrit  ni  interprété  d'une  manière  directe.  Il  y  a  profit  à  rappeler 
ici  ses  vues  sur  l'esprit  foncièrement  conservateur  de  a  l'homme 
moyen  t  et  sur  Tinfluence  conservatrice  du  sentiment  religieux. 

«  L'homme  moyen  »  est  celui  qui  simple  imitateur  dautrui, 
acquiert  par  absorption  de  modèles  sociaux,  les  jugements  et  les 
sentiments  qui  font  de  lui  un  représentant  convenable  de  son 
épot^ue,  un  appui  solide  des  institutions  de  son  pays,  un  t  porte- 
drapeau  9  de  la  société.  Sa  mission  consiste,  pour  l  essentiel,  à 
conserver  les  traditions,  ces  habitudes  sociales  indispensables  au 
progrès  de  la  race.  Mais,  s'il  contribue  ainsi  au  progrès,  c'est  sans  le 
savoir,  sans  le  vouloir,  contre  son  propre  gré,  «  Réduit  à  l'horizon 
borné  dans  lequel  son  éducation  et  sa  docilité  Tont  confiné..*  il 
déteste  Torig inalité  des  vues  et  plus  encore  celle  des  actions.  Loin 
de  trouver  pénible  de  se  conformer  aux  exigences  sociales,  il  est 
tourmenté,  au  contraires  d'avoir  à  y  manquer.  »  Bref,  il  représente 
cet  esprit  conservateur  ijui  fait  €  de  la  stupidité  une  vertu,  de  l'in- 
vention un  vice  «  et  qui  n'est,  en  délinilive,  qu'un  des  aspects  mul- 
tiples de  la  tendance  générale  à  l'inertie* 

Or,  les  religions  positives  favorisent  Tesprit  conservateur  beau- 
coup plus  que  loutes  les  autres  institutions  sociales,  «  L*individu 
'  assez  exceptionnel  dans  son  devenir  personnel  pour  s'élever  à  une 
conception  de  l'idéal  religieux  ditïérente,  quant  à  sa  forme,  de  celle 


rm 


iiKVLt:  riiiLasDriiiQUE 


explicatives  ut  l'on  sera  tentù  —  trop  lortenietil  peut-être  —  de 
donner  raison  aux  esprils  (irudeuts  qui  voutlraient  voir  les  cher- 
cheurs s'en  tenir  pendant  langtenips  encore  à  des  descri plions  pré- 
cises elminuLieuses. 

La  théorie  biologique  a  été  soutoise  à  une  crilique  rigoureuse 
dont  il  est  peu  probabie  qu'elle  se  relève  janiais.  Ce  n'est  pan  utje 
raison  pour  nier  les  analogies,  très  réelles*  qui  existent  entre  les 
sociélés  et  les  organismes.  A  notre  point  de  vue  spécial,  ranalagie 
biologique  s'impose  et  ceux  qui  l'ont  notée  méritent  quelque  é%e. 
Uidenlité  des  individus  dans  une  société  animale  ou  humaine  é*]ui' 
vaut  à  rideiititù  des  cellules  dans  un  organisme.  Chez  lesorganj.smes 
inférieurs,  il  y  a  peu  de  dilTérence  entre  les  cellules,  presque  point 
de  hiérarchie.  L'évolution  progressive  des  individualités  physiolo- 
giques sest  opérée  par  une  lente  ditTérencialion  des  elérneDîa 
accornjiagnée  d*une  division  croissante  du  travail,  et  par  rétablisse- 
ment  siniullané  d*une  coordination  et  d'une  solidarité  plus  part.iiiteîr. 
Considéré  dès  le  début  de  son  développement  embryonnaire,  Tétre 
vivant  le  plus  complexe  se  compose  de  crltules  d'abord  ideûtique^ 
qui  peu  a  peu  se  dîlTérencient  suivant  des  directions  déterminées, 
mais  gardent  toujours  et  multiplient  de  plus  en  plus  leurs  rebaj(Hi.4 
mutuelles.  Les  mêmes  lois  président  à  révolution  des  sociétés 
humaines.  Les  formes  inférieures  de  Vorganisatton  sociale  corres- 
pondent aux  formes  inférieures  de  la  vie.  Un  agrégat  de  cellules  non 
diiïérenciées  oiïre  bien  des  imalogies  avec  une  tribu  sauvage  on  la 
division  du  travail  n'existe  qu  entre  les  sexes.  A  Tautre  extrême, 
une  société  supérieure  avec  ses  individus  spécialisés,  avec  ses 
familles,  ses  associations,  ses  classes  superposées  les  unes  am 
autres,  constitue  une  vivante  hiérarchie  comparable  aux  plus  par- 
faits des  organismes.  Tout  cela  a  été  si  souvent  répété  depuis  Spen- 
cer, qu'il  serait  inutile  d'insister. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  le  fanatisme  poUtique  ou  reli- 
gieux, Funiformité  des  idées,  des  coutumes,  des  désirs  qull  exige 
toujours,  engendre  souvent  et  maintient  par  les  pires  nioyeûSi 
ramène  la  nation,  Téglise,  la  secte,  à  Tétat  des  sociétés  primitives 
et  barbares,  La  diversité  qu*il  supprime  sous  toutes  ses  formes*  La 
cohésion  et  la  solidarité  qu'il  détruit  aveuglémenl,  étant  les  con* 
ditions  principales  ou,  si  Ton  préfère^  les  meilleurs  indices  du 
progrès  social  comme  du  progrès  organique,  on  peut  anirmer  ffue 
son  apparition,  ses  survivances,  ses  recrudescences  marquent  m 
bien  un  degré  intérieur  et  un  arrêt  de  développement,  ou  bien  nm 
régression  et  un  état  pathologique  pour  la  société  comme  pour  les 
autres  organismes  de  la  nature. 


i 


MORISIER^    —  LE    }'*aNATES^TE    BEUGIEUX 


891 


Exacte  et,  quoi  qu'on  en  dise,  œ  instrucUve  »,  celte  analogie  n'élu- 
eide  pourtant  pas  beaucoup  la  question.  On  Va  reniurquc,  Ja  matière 
sociale  est  surtout  psychologique  de  sa  nature;  elle  consiste  en 
pensées»  désirs,  émotions,  etc.  Et  quant  h  l'organisation  sociale^  elle 
reproduit  rorganisation  psychologique  plus  encore  qu  elle  ne  rap- 
pelle révolution  biologique.  La  suite  de  cette  étude  nous  en  four- 
nira  la  naeiileure  preuve.  Le  rapprochement  établi  entre  une  secte, 
par  exemple,  et  un  organisme  à  cellules  identiques  assemblées 
autour  d*un  seul  centre  commun,  ne  nous  apprend  presque  rien  sur 
ce  qu*il  nous  importe  surtout  de  connaître,  c'est-à-dire  sur  la  genèse 
de  la  secte,  sur  tes  satisfactions  qu'y  trouvent  les  affdiés,  sur  le 
genre  de  service  qu'elle  leur  rend,  sur  ce  qui  lait,  au  fond,  sa  raison 
d'être.  Le  fanatisme,  maladie  socitile  analogue,  si  Ton  veut,  h  une 
dégénérescence  organique,  dérive  d'un  état  mental  particulier,  et 
c'est  à  cette  source  qu'il  est  nécessaire  de  remonter. 

Les  sociologues  qui  prétendent  sul>stiluer  T interprétation  psycho- 
logique à  rinterprétation  biologique  des  laits  sociaux  ne  donnent 
pas  non  plus  une  explication  satisfaisante  du  fanatisme.  Entre  tous 
les  auteurs,  M.  Baïdvvin  est  peut-être  celui  qui  fournit  les  données 
les  plus  utiles  h  Fintelligence  d*un  phénomène  qu^il  n'a  d'ailleurs  ni 
décrit  ni  interprété  d'une  manière  directe*  Il  y  a  profit  à  rappeler 
ici  ses  vues  sur  l'esprit  foncièrement  conservateur  de  «  Thomme 
moyen  i&  et  sur  l'influence  conservatrice  du  sentiment  religieux. 

«  L'homme  moyen  »  est  celui  qui  simple  imitateur  d  autrui, 
acquiert  par  absorption  de  modèles  sociaux,  les  jugements  et  les 
sentiments  qui  font  de  lui  un  représentant  convenable  de  son 
époc^iie,  un  appui  solide  des  institutions  de  son  pays,  un  «  porte- 
drapeau  j)  de  la  société.  Sa  mission  consiste,  pour  l'essentiel,  à 
conserver  les  traditions,  ces  habitudes  sociales  indispensables  au 
progrès  de  la  race.  Mais,  s*il  contribue  ainsi  au  progrès,  c'est  sans  le 
saN'oir,  sans  le  vouloir ^  contre  son  propre  gré.  <  liéduit  à  T  horizon 
borné  dans  lequel  son  éducation  et  sa  docilité  font  conflué...  il 
déteste  l'originalité  des  vues  et  plus  encore  celle  des  actions.  Loin 
de  trouver  pénible  de  se  conformer  aux  exigences  sûciales,  il  est 
tourmenté,  au  contraire,  d  avoir  à  y  manquer.  »  Bref,  il  représente 
cet  esprit  conservateur  qui  fait  «  de  la  stupidité  une  vertu ^  de  l'in- 
vention un  vice  A  et  qui  n'est,  en  déiinitive,  qu'un  des  aspects  mul- 
tiples de  la  tendance  générale  à  l'inertie. 

Or^  les  religions  positives  favorisent  Tesprit  conservateur  beau- 
coup plus  que  toutes  les  autres  institutions  sociales.  «  L*individu 
assez  exceptionnel  dans  son  devenir  personnel  pour  s'élever  à  une 
conception  de  l'idéal  religieux  diilérente,  quant  à  sa  forme,  de  celle 


580  HEvug  ni  iLosoriiiQtJE 

explicatives  et  Ton  sera  tenlt^  —  Irop  ibrtetnent  peul-étre  —  de 
donner  raison  ayx  esprits  prudents  qui  vondrnient  vuîr  les  cher- 
cheurs s'en  tenir  pendant  longtemps  encore  â  des  descripUons  prr- 
cises  et  miontieuses, 

La  théorie  biologique  a  été  soumise  ù  une  critique  ri|^oureuse 
dont  il  est  peu  probable  qu'elle  se  relève  jamais.  Ce  n'est  pas  uoe 
raison  pour  nier  les  analogies,  très  réelles,  qui  exislenl  entre  les 
sociétés  et  les  organismes.  A  noire  point  de  vue  spécial,  l'analogie 
biologique  s'impose  et  ceux  qui  Font  notée  méritent  quelque  élo^e. 
L'idenîile  des  individus  dans  une  société  animale  ou  humaine  équi- 
vaut h  l'identitt^  des  cellules  dans  un  organisme.  Chez:  les  organismes 
inférieurs,  il  y  a  peu  de  différence  entre  les  cellules,  presque  point 
de  hiérarchie.  L'évolution  progressive  des  individualités  physiok*- 
giques  s'est  opérée  par   une   lente    ditrérenciation   de^  éléméDî^s 
accompagnée  d'une  division  croissante  du  travail,  et  par  rétablisse- 
ment simultané  d\me  coordination  et  d'une  solidarité  plus  parfaites. 
Considéré  des  le  début  de  son  développement  embryonnaire,  Tétre 
vivant  le  plus  complexe  se  compose  de  cellules  d^abord  idenliqyes 
qui  peu  à  peu  se  différencient  suivant  des  directions  déterniinéess, 
mais  gardent  toujours  et  multiplient  de  plus  en  plus  leurs  reîaliofis 
mutuelles*   Les  mêmes  lois  prèsidenl  à  révolution   des  sociétés 
humaines*  Les  formes  inférieures  de  Torganisation  sociale  corres^- 
pondent  aux  formes  inférieures  de  la  vie.  Un  agrégat  de  cellules  aon 
dilTérenciêes  oITre  bien  des  analogies  avec  une  tribu  sauvage  où  la 
division  du  travail  n'existe  qu'entre  les  sexes.  A  Fûutre  extrêinct 
une  société  supérieure  avec  ses  individus  spécialisés,  avec  ses 
familîes,  ses  associations,  ses  classes  superposées  les  unc^  ans 
autres,  constitue  une  vivante  hiérarchie  comparable  aux  plus  par- 
faits des  orgarîismes.  Tout  cela  a  été  si  souvent  répété  depuis  Sp*!ii- 
eer,  qu'il  serait  inutile  d'insister. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  le  fanatisme  politique  ou  reli- 
gieuXi  l'uniformité  des  Idées,  des  coutumes,  des  désirs  qu'il  exigé 
toujours j  engendre  souvent  et  maintient  par  les  pires  moyeos, 
ramène  la  nation,  Féglise,  la  secte,  à  létal  des  société-s  priïoitivt^ 
et  barbares.  La  diversité  qu'il  supprime  sous  toutes  ses  formes  ^ 
cohésion  et  la  solidarité  qu'il  détruit  aveuglément,  étant  ]m  cm* 
dilions  principales  ou,  si  Ton  préfère,  les  meilleurs  indjces  do 
progrès  social  comme  du  progrès  organique,  on  peut  aOirmer  que 
son  apparition j  ses  survivances,  ses  recrudescences  marquent  ou 
bien  un  degré  inférieur  et  on  arrêt  de  développement,  ou  bien  uae 
régression  et  un  état  pathologique  pour  la  société  couïme  pour  îei 
autres  organismes  de  la  nature* 


MUHISIER,    —   LE    KAfiATISMK    RELICIKUX 


591 


Kxacte  et,  quoi  qu*on  en  flise,  «  iiiî^tructive  ï>,  celte  analogie  n'élu- 
cide pour  tant  pas  beaucoup  la  qyesiîon.  On  Fa  remarqué,  la  matière 
sociale  est  surtout  psychologique  de  sa  nature;  elle  consiste  en 
pensées,  désirs,  êmoliutis,  etc*  Et  quant  à  rorganisation  sociale,  elle 
reproduit  Torganisalion  psychologique  plus  encore  qu'elle  ne  rap- 
pelle révolution  biologique,  La  suite  de  celte  étude  nous  en  four- 
nira la  meilleure  preuve.  Le  rapprochement  établi  entre  une  secle, 
par  exemple,  et  un  organisme  ti  cellules  idenliques  assenîblées 
autour  d'un  seul  centre  commun,  ne  nous  apprend  presque  rien  sur 
ce  qu'il  nous  importe  surtout  de  connaître,  c'est-iï-diresur  la  genèse 
de  la  secte»  sur  les  satisfactions  qu'y  trouvent  les  airiliêSj  sur  le 
genre  de  service  qu*elle  leur  rend,  sur  ce  qui  faitj  au  fond,  sa  raison 
d'être.  Le  fanatisme,  maladie  sociale  analogue,  si  Ton  veut,  h  une 
dégénérescence  organique,  dérive  d'un  état  mental  particulier,  et 
e*est  à  celte  source  qu*il  est  nécessaire  de  remonter. 

Les  sociologues  tiui  prétendent  substituer  rinterprélalion  psycho- 
logique h  Finlerprétation  biologique  des  laits  sociaux  ne  donnent 
pas  non  plus  une  explication  aalistaisante  du  fanattsnie*  Entre  tous 
les  auteurs,  M.  Baldwin  est  peut-Olre  celui  qui  fournil  les  données 
les  plus  utiles  à  rinlelligence  d'un  phénomène  qu'il  n'a  d'ailleurs  ni 
décrit  ni  interprété  d'une  manière  directe.  Il  y  a  profit  à  rappeler 
ici  ses  vues  sur  Tesprit  foncièrement  conservateur  de  a  l'homme 
moyen  »  et  sur  rinfluence  conservatrice  du  sentiment  religieux. 

€  L*homme  moyen  »  est  celui  qui  simple  imitateur  d  autrui, 
acquiert  par  absorption  de  modèles  sociaux,  les  jugements  et  les 
sentiments  qui  font  de  lui  un-  représentant  convenable  de  son 
époipie,  un  appui  solide  des  institutions  de  son  pays,  un  «  porte- 
drapeau  *)  de  la  société.  Sa  mission  consiste,  pour  ressentîel,  h 
conserver  les  traditions,  ces  habitudes  sociales  indispensables  au 
progrès  de  la  race.  Mais,  s'il  contribue  ainsi  au  progrès,  c'est  sans  le 
savoir,  sans  le  vouloir,  contre  son  propre  gré.  «  lléduit  à  l'horizon 
borné  dans  lequel  son  éducation  et  sa  docilité  l'ont  conliné...  il 
déteste  Torigin alité  des  vues  et  plus  encore  celle  des  actions.  Loin 
de  trouver  pénihle  de  se  conformer  aux  exigences  sociales,  U  est 
tourmenté,  au  contraire,  d'avoir  à  y  manquer.  »  Bref,  il  représente 
cet  esprit  conservateur  qui  fait  ^  de  la  stupidité  une  vertu,  de  Tin- 
vention  un  vice  ^  et  qui  n*est,  en  délinitive,  qu'un  des  aspects  mul* 
tiples  de  la  tendance  générale  à  Tinertie* 

Or,  les  religions  positives  favorisent  Tesprit  conservateur  beau- 
coup plus  que  toutes  les  autres  institutions  sociales.  «  L'individu 
assez  exceptionnel  dans  son  devenir  personnel  pour  s'élever  à  une 
conception  de  Tidéal  religieux  différente,  quant  à  sa  forme,  de  celle 


590 


REVUE   rillLOîiaPIliatJE 


e^^plicalives  et  Ton  sera  lenlé  —  trop  rortcineiit  pf*ul-être  —  de 
donner  misoa  aux  esprits  prudents  qui  voudrûieQt  vuir  le&  cher- 
cheurs s'en  tenir  pendant  longtemps  encore  h  des  descriptions  pré- 
cises et  minutieuses. 

La  théorie  biologique  a  été  soumise  k  une  critique  ri^oyreuse 
dont  il  est  peu  probable  qu'elle  se  relève  jamais.  Ce  n'est  pas  uoe 
raison  pour  nier  les  analogies,  très  réelles»  qui  existent  entre  les 
sociétés  et  les  organismes.  A  notre  point  de  vue  spécial,  l'analûgie 
biologique  s'impose  et  ceux  qui  Tonl  notée  méritent  quelque  éloge* 
L'identité  des  individus  dans  une  société  animale  ou  humaine  équi- 
vaut k  rîdeutilédes  ceUuîes  dans  un  organisme.  Chez  les  oruanismes 
inférieurs»  il  y  a  peu  de  dîtrérence  eûtre  les  cellules^  presque  poiul 
de  hiérarchie*  L^ëvolution  progressive  des  individualités  physiolo- 
giques  s*est   opérée   par   une   lente   difTérencialion   des  éléments 
accompagnée  d'une  divisiofi  croissante  du  lra%^ail,  et  par  rétablisse- 
ment simuïlaiié  d'une  coordination  et  d*une  solidarité  plus  parfaites. 
Considéré  dès  le  début  de  son  développement  embryonnaire,  l'être 
vivant  le  plus  complexe  se  compose  de  cellules  d*abord  idenliques 
qui  peu  à  peu  se  diilérencient  suivant  des  directions  détermiiiée*. 
mais  gardent  toujours  et  multiplient  de  plus  en  plus  leurs  reiatioris 
mutuelles.    Les  mêmes  lois  président  à  révolution    des  sociétés 
humaines.  Les  formes  inférieures  de  rorganisation  sociale  corres- 
pondent aux  formes  inférieures  de  la  vie-  Un  agrégat  de  cellules  «un 
difîérenciées  ofîre  bien  des  analogies  avec  une  tribu  sauvage  oii  la 
division  du  travail  n'existe  qu  entre  les  sexes*  A  l*autre  exlréine, 
une  société  supérieure  avec  sas  individus  spécialisés,  avec  ses 
familles,  ses  associations,  ses  classes  superposées  les   unes  m% 
autres,  constitue  une  vivante  hiérarchie  cotnparable  aux  plus  par- 
faits des  organismes.  Tout  cela  a  été  si  souvent  répété  depuis  Spen- 
cer, qu'il  serait  inutile  d'insister. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  le  fanatisme  politique  ou  reli- 
gieux, l'uniformité  des  idées,  des  coutumes,  des  désirs  qu'il  exige 
toujours,  engendre  souvent  et  maintient  par  les  pires  moyeas, 
ramène  la  nation,  Téglise^  ta  secle,  à  Tétat  des  sociélès  primitives 
et  barbares,  La  diversité  qu'il  supprime  sous  toutes  ses  formes,  la 
cohésion  et  la  solidarité  qu1l  détruit  aveuglément,  étant  le^s  coo* 
ditions  principales  ou,  si  Ton  préfère,  les  meilleurs  indices  du 
progrès  social  comme  du  progrès  organique,  on  peut  afïîrmer  que 
son  apparition,  ses  survivances,  ses  recrudescences  marquent  on 
bien  un  degré  inférieur  et  un  arrêt  de  développement,  ou  bien  une 
régression  et  un  état  patliofogique  pour  la  société  comme  pour  las 
autres  organismes  de  la  nature. 


MURÎ5IER, 


LK    i'ANATlSME    ilËLlGIËtfX 


591 


Exacte  et,  quoi  qu^on  en  Oise,  «  înslructive  ?»,  celte  analogie  n'élu- 
citle  pourtant  pas  beaucoup  la  question.  On  Va  remarqué,  h  matière 
sociale  est  surtout  psychologique  de  sa  nature;  elle  consiste  en 
penséesr  désirs,  éniutldris,  etc.  Et  quant  h  Torganisation  sociale,  elle 
reproduit  i'orgauiéalion  psychologique  plus  encore  qu  elle  ne  rap- 
pelle révolution  biologique.  La  suite  de  celle  étude  nous  en  four- 
nira la  meilleure  preuve.  Le  rapprochement  établi  entre  une  secte, 
par  exemple,  et  un  organisme  à  cellules  identiques  assemblées 
autour  d*un  seul  centre  commun^  ne  nous  apprend  presque  rien  sur 
ce  (lu'il  nons  importe  surtout  de  connaître,  c'est-à-dire  sur  la  genèse 
de  la  secte,  sur  les  satisfactions  qu'y  trouvent  les  affiliés,  sur  le 
genre  de  service  qu'elle  leur  rend,  sur  ce  qui  Tait,  au  fond,  sa  raison 
d'être.  Le  ianatisme,  maladie  sociale  analogue,  si  Ton  veut,  à  une 
dégénérescence  organique,  dérive  d'un  état  mental  particulier,  et 
c'est  à  cette  source  qu*il  est  nécessaire  de  remonter. 

Les  sociologues  qui  prétendent  substituer  rinterprétation  psycho- 
logique à  rinterprétalion  biologique  des  faits  sociaux  ne  donnent 
pas  non  plus  une  explication  snlistaisante  du  fanatisme.  Entre  tous 
les  auteurs,  M.  lialdwin  est  peut-être  celui  qui  fournit  les  données 
les  plus  utiles  à  rintellîgence  d'un  phénomène  qu'il  n'a  d'ailleurs  ni 
décrit  ni  interprété  d'une  manière  directe.  Il  y  a  prollt  à  rappeler 
ici  ses  vues  sur  l'esprit  foncièrement  conservateur  de  «  Thomme 
moyen  »  et  sur  rinfluence  conservatrice  du  sentiment  religieux. 

<i  L'hojnme  moyen  ^  est  celui  qui  simple  imitateur  d  autrui, 
acquiert  par  absorption  de  modèles  sociaux,  les  jugements  et  les 
sentiments  qui  font  de  lui  un  représentant  convenable  de  son 
.^poi-jue,  un  appui  solide  des  institutions  de  son  pays,  un  «  porte- 
drapeau  »  de  la  société.  Sa  mission  consiste,  pour  Tessentiel,  à 
conserver  les  traditions,  ces  habitudes  sociales  indispensables  au 
progrès  de  la  race.  Mais,  s'il  contribue  ainsi  au  progrès,  c'est  sans  le 
sa%'oir,  sans  le  vouloir^  contre  son  propre  gré-  «  Uéduit  à  rhorizon 
borné  dans  lequel  son  éducation  et  sa  docilité  l'ont  confiné...  il 
déteste  roriginalité  des  vues  et  plus  encore  celle  des  actions.  Loin 
de  trouver  pénible  de  se  conformer  aux  exigences  sociales,  il  est 
tourmenté,  au  contraire,  d  avoir  à  y  manquer,  it  Bref,  il  représente 
cet  esprit  conservateur  qui  fait  i  de  la  stupidité  une  vertu,  de  l'in- 
vention un  vice  »  et  qui  n'est,  en  définitive,  qu'un  des  aspects  mul- 
tiples de  la  tendance  générale  à  l'inertie. 

Or,  les  religions  positives  favorisent  Tespril  conservateur  beau- 
coup plus  que  toutes  les  autres  institutions  sociales,  t  L'individu 
assez  exceptionnel  dans  son  devenir  personnel  pour  s'élever  à  une 
conception  de  Tidéal  religieux  différente,  quant  à  sa  forme,  de  celle 


îiËsm  mttùsmHmvE 

explicatives  et  Ton  sera  lento  —  Irop  rortement  peut-^^tre  —  de 
donner  raison  aux  esprits  prudents^  qui  voudraient  voir  les  cher- 
cheurs s*en  tenir  pendant  longtenips  encare  h  des  descriptions  pré- 
cises et  mi  ou  lieuses* 

Ux  théorie  biologique  a  été  soumise  à  une  critique  rigoureuse 
dont  il  est  peu  probable  qu'elle  se  relève  jamais.  Ce  o'esl  pas  une 
raison  pour  nier  les  analogies,  très  réelles,  qui  existent  entre  le^ 
sociétés  et  les  organismes,  A  noire  point  de  vue  spécial,  l'analùgie 
biologique  sUmpose  et  ceux  qui  root  notée  méritant  quelque  élo*îe. 
L'idenlité  des  individus  dans  une  société  animale  ou  huit  lu* 

vaut  h  ridentilê  des  cellules  dans  un  organisme.  Che?.  les  *  'K  i.i 

inférieurs^  il  y  a  peu  de  difTérence  entre  les  cellules,  presque  point 
de  hiérarchie.  L'évolution  progressive  des  individualités  physiolo- 
giques s'est  opérée  par  une  lente  différenciai  ion  des  élén*eiiïâ 
accnnifiagnée  d*une  division  croissante  du  Iravail,  et  par  rélablisse- 
ment  simultané  d'une  coordination  et  d*une  solidarité  plus  parfaite^- 
Considéré  dès  le  début  de  son  développement  erabryonnait e,  Félre 
vivant  le  plus  complexe  se  compose  de  cellules  d'abord  idenliijiieâ 
qui  peu  h  peu  se  différencient  suivant  des  directions  déterminées 
mais  gardent  toujours  et  multiplient  de  plus  en  plus  leui-s  relatiofis 
mutuelles.  Les  mêmes  loiï^s  préaidenl  à  révolution  des  sociétés 
humaines.  Les  formes  inférieures  de  Torganisation  sociale  corres- 
pondent aux  formes  inférieures  de  la  vie.  Un  agrégat  de  cellules  non 
diirérenciées  offre  bien  des  analogies  avec  une  tribu  sauvage  où  h 
division  du  travail  n'existe  qu'entre  les  sexes.  A  Tautre  exlréme» 
une  société  supérieure  avec  ses  individus  spécialisés,  avec  se& 
familles,  ses  associations,  ses  classes  superposées  les  imes  mi 
autres,  constitue  une  vivante  hiérarchie  comparable  aux  plus  par- 
faits  des  organismes.  Tout  cela  a  été  si  souvent  répété  depuis  Spen- 
cer, quMl  serait  inutile  d'insister. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  le  fanatisme  politique  ou  reli- 
gieux,  l'uniformité  des  idées ^  des  coutumes,  des  désirs  qu'il  Qxigt 
toujours,  engendre  souvent  et  maintient  par  les  pires  nitjiens, 
ramène  la  nation,  réglise,  la  secLe,  à  l'étal  des  sociétés  primitives 
et  barbares.  La  diversité  qull  supprime  sous  toutes  ses  formes^  La 
cohésion  et  la  solidarité  qull  détruit  aveuglément,  étant  les  con* 
dï lions  principales  ou,  si  Ton  préfère^  les  meilleurs  indices  lîu 
progrès  social  comme  du  progrès  orgauifjuei  on  peut  aflb^raer  que 
son  apparition,  ses  survivances,  ses  recrudescences  marquent  ou 
Lien  un  degré  inférieur  et  un  arrêt  de  développement,  ou  bien  une 
régression  et  un  état  pathologique  pour  la  société  comme  pour  le* 
autres  organismes  de  la  nature* 


MUH13IER.    —   LH   KASATISMK   HELieîEtJX 


mi 


Exacte  et,  quoi  qu  on  en  dise,  ol  iiislruclive  )>,  cette  analogie  n*élQ- 
cide  pourtant  pas  beaucoup  la  question.  On  l'a  remarque,  la  niatière 
sociale  est  surloul  pâychoJogique  de  sa  nature;  elle  consiste  en 
pensées,  désirs^  émolinns,  etc.  Et  quant  h  rorganisatign  sociale,  eïle 
reproduit  l'organisation  psycliologique  plus  encore  qu'elle  ne  rap- 
pelle l'évolution  biologique.  La  suite  de  cette  étude  nous  en  four- 
nira la  meilleure  preuve.  Le  rapprochement  établi  entre  une  secte, 
par  exemple,  et  un  organisme  à  cellules  identiques  assemblées 
autour  d'un  seul  centre  commun,  ne  nous  apprend  presque  rien  sur 
ce  qu'il  nous  importe  surtout  de  connaître,  cest-ù-dircsur  la  genèse 
de  la  secle,  sur  les  satisfactions  qu'y  trouvent  les  ariilios,  sur  le 
genre  de  service  qu'elle  leur  rend,  sur  ce  qui  failj  au  fond»  sa  raison 
d/étre.  Le  fanatisme,  maladie  sociale  analogue,  si  Ton  veut,  à  une 
dégénérescence  organique,  dérive  d'un  étal  mental  particulier,  et 
eest  à  cette  source  qu'il  est  nécessaire  de  remonter. 

Les  sociologues  qui  prétendent  substituer  T interprétation  psycho- 
logique h  rinterprélalion  biologique  des  faits  sociaux  ne  donnent 
pas  non  plus  une  explication  sali  s  lai  santé  du  fanatisme.  Entre  tous 
les  auteurs,  M.  Baldwiu  est  peut-être  celui  qui  fournit  les  données 
les  plus  utiles  à  rinteîligence  d'un  phénomène  qu*il  n*a  d'ailleurs  ni 
décrit  ni  interprété  d*une  manière  directe.  Il  y  a  profit  îi  rappeler 
ici  ses  vues  sur  lespril  Ibncièrement  conservateur  de  «  lliomme 
moyen  »  et  sur  rinfluence  conservatrice  du  sentiment  religieux* 

<t  L'homme  moyen  »  est  celui  qui  simple  imitateur  d  autrui, 
acquiert  par  absorption  de  modèles  sociaux,  les  jugemenls  et  les 
sentiments  qui  font  de  lui  un  représentant  convenable  de  son 
époque,  un  appui  s^ûlîde  des  institutions  de  son  pays,  un  a  porte- 
drapeau  B  de  la  société.  Sa  mission  consiste,  pour  Tessentiel,  à 
conserver  les  traditions,  ces  habitudes  sociales  indispensables  au 
progrès  de  la  race.  Mais,  s'il  contribue  ainsi  au  progrès,  c'est  sans  le 
savoir,  sans  le  vuuloir,  contre  son  propre  gré*  «  Réduit  à  T horizon 
horné  dans  lequel  son  éducation  et  sa  docilité  Tont  confiné,.,  il 
déteste  roriginaîité  des  vues  et  plus  encore  celle  des  actions.  Loin 
de  trouver  pénible  de  se  conformer  aux  exigences  sociales,  il  est 
tourmenté,  au  contraire,  d  avoir  à  y  manquer,  s  Bref,  il  représente 
cet  esprit  conservateur  qui  fait  «  de  la  stupidité  une  vertu,  de  Tin- 
vention  un  vice  »  et  qui  n*csl,  en  déïmitive,  qu'un  des  aspects  mul- 
tiples de  la  tendance  générale  à  l'inertie- 

Or,  les  religions  positives  favorisent  Tesprit  conservateur  beau- 
coup plus  que  toutes  les  autres  institutions  sociales,  œ  L'individu 
assez  exceptionnel  dans  son  devenir  personnel  pour  s'élever  à  une 
conception  de  ridéal  religieux  différente,  quant  a  sa  forme,  de  celle 


590 


IlEVL'g   rtltLOSOl'UlQU^ 


explicatives  et  Ton  sera  tenté  —  Irop  fortement  peut-être  —  de 
donner  raison  aux  esprits  prudents  qui  voudrnif^ut  voir  Jes  cher- 
cheurs s'en  tenir  pendant  loii^'lenips  encore  k  des  description!?  [pré- 
cises et  minutieu^s, 

Uï  théorie  biologique  a  été  soumise  a  une  critique  rigoureuse 
dont  il  est  peu  probable  qu'elle  se  relève  jamais.  Ce  n'est  pas  une 
raison  pour  nier  les  analogies,  très  réelles,  qui  existent  entre  les 
sociétés  et  les  organismes.  A  notre  point  de  vue  spécial,  l'analogie 
biologique  s'impose  et  ceux  qui  Tont  notée  nnéritent  quelque  éloge. 
L'identité  des  individus  dans  une  société  animale  ou  humaine  équi- 
vaut à  ridentité  des  cellules  dans  un  organisme.  Chez  les  organismes 
inférieurs,  il  y  a  peu  de  difTérence  entre  les  cellules^  presque  point 
de  hiérarchie.  L'évolution  progressive  des  individualités  physiolo- 
giques s*esl  opérée  par  une  lente  différenciation  des  élémenls 
accompagnée  d*une  division  croissante  du  travail,  et  par  rétablisse- 
ment  simultané  d'une  coordination  et  d'une  solidarité  plus  parfaites. 
Considéré  dès  le  début  de  son  développement  embryonnaire,  Tétre 
vivant  le  plus  complexe  se  compose  de  cellules  d'abord  identiques 
qui  peu  h  peu  se  diiïérencient  suivant  des  directions  déterminées» 
mais  gardent  toujours  et  multiplient  de  plus  en  plus  leurs  relations 
mutuelles.  Les  mêmes  lois  président  à  révolution  des  sociétés 
humaines.  Les  formes  inférieures  de  l'organisa! ion  sociale  corres- 
pondent aux  formes  inférieures  de  la  vie.  Un  agrégat  de  cellules  non 
dilTérenciêes  olïre  bien  des  analogies  avec  une  tribu  sauvage  où  la 
division  du  travail  n  existe  qu'entre  les  sexes.  A  Tautre  exlréme, 
une  société  supérieure  avec  ses  individus  spécialisés,  avec  ses 
lamilles,  ses  associations,  ses  classes  superposées  les  unes  aui 
autres,  constitue  une  vivante  hiérarchie  comparable  aux  plus  par- 
faits des  organismes.  Tout  cela  a  été  si  souvent  répété  depuis  Spen- 
cer, quMl  serait  inutile  d*insïster. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  le  fanatisme  politique  ou  reli- 
gieux, runiformité  des  idées,  des  coutumes,  des  désirs  qifil  exige 
toujours,  engendre  souvent  et  maintient  par  les  pires  moyens, 
ramène  la  nation,  Téglise,  la  secte,  à  l'état  des  sociétés  primitives 
et  barbares.  Ijx  diversité  qu'il  supprime  sous  toutes  ses  formes,  la 
cohésion  et  la  solidarité  qu*il  détruit  aveuglément,  étant  le^  con- 
ditions principales  ou,  si  Ton  préfêre,  les  meilleurs  indices  du 
progrès  social  comme  du  progrés  organique,  on  peut  affirmer  que 
son  apparition,  ses  survivances,  ses  recrudescences  marquent  m 
bien  un  degré  intérieur  et  un  arrêt  de  développement,  ou  bien  une 
régression  et  un  état  pathologique  pour  la  société  comme  pour  les 
*utrês  organismes  de  la  nature* 


MURISIER.    —   Î.K    FAΫiAnS^IK    HEIllQIEUX 


m 


Exacte  et,  quoi  qu^ûn  en  dise,  «  instruclive  »,  celle  analogie  n'élu* 
cide  pourtant  pas  beaucoup  la  question.  On  Ta  remarquL^,  h  matière 
sociale  est  surtout  psychologique  de  sa  nature;  elle  consisie  en 
pensées,  désirs,  émotions,  etc.  Et  quant  h  l'organisation  sociale,  elle 
reproduit  rorganisaLion  psycliologique  plus  encore  qu  elle  ne  rap- 
pelle  révolution  biologique.  La  suite  de  cette  étude  nous  en  four- 
nira la  meilleure  preuve.  Le  rapprochement  établi  enlre  une  secte, 
par  exemple,  et  un  organisme  à  ceJlules  identiques  assemblées 
autour  d'un  seul  ce n Ire  commun,  ne  nous  apprend  presque  rien  sur 
ce  qu'il  nous  importe  aurtouldecùnnaUre,  c'est-ù-diresur  la  genèse 
de  la  secte,  sur  les  satislactions  qu'y  trouvent  les  affiliés,  sur  le 
genre  de  service  qu'elle  leur  rend,  sur  ce  qui  fait,  au  fond,  sa  raison 
d*étre.  Le  fanatisme,  maladie  sociale  analogue,  si  Ion  veut,  à  une 
dégénérescence  organique,  dérive  d'un  élut  mental  particulier,  et 
c'est  à  cette  source  qu*il  est  nécessaire  de  remonter. 

Les  sociologues  qui  prétendent  substituer  Tin  ter  pré talion  psycho- 
logique à  rinterprétation  biologique  des  faits  sociaux  ne  donnent 
pas  non  plus  une  explication  satisfaisante  du  fanatisme.  Entre  tous 
les  auteurs,  M.  Baldwin  est  peut-être  celui  qui  fournit  les  données 
les  plus  utiles  à  Tîntelligence  d'un  phénomène  qu'il  n'a  d'ailleurs  ni 
décrit  ni  interprété  d'une  manière  directe.  Il  y  a  profit  à  rappeler 
ici  ses  vues  sur  lesprit  foncièrement  conservateur  de  <t  Thomme 
moyen  *  et  sur  rintluence  conservatrice  du  senti rnenl  religieux. 

tt  L*homme  moyen  »  est  celui  qui  simple  imitateur  d'autrui, 
acquiert  par  absorption  de  modèles  sociaux,  les  jugements  et  les 
sentiments  qui  font  de  lui  un  représentant  convenable  de  son 
époque,  un  appui  .solide  des  institutions  de  son  pays,  un  «  porte- 
tlrapeau  w  de  la  société.  Sa  mission  consiste,  pour  lessentiel,  à 
conserver  les  traditions,  ces  habitudes  sociales  indispensables  au 
progrès  de  la  race.  Mais,  s'il  contribue  ainsi  au  progrès,  c*esl  sans  le 
savoir,  sans  le  voulons  contre  son  propre  gré.  «  Jléduit  à  l'horizon 
borné  dans  lequel  son  éducation  et  sa  docilité  Tout  confiné*, .  il 
déteste  foriginalité  des  vues  et  plus  encore  celle  des  actions.  Loin 
de  trouver  pénible  de  se  conformer  aux  exigences  sociales^  il  est 
tourmenté,  au  contraire,  d  avoir  à  y  manquer.  %  Bref,  il  représente 
cet  esprit  conservateur  qui  fait  «  de  la  stupidité  une  vertu,  de  Tin- 
ventîon  un  vice  »  et  qui  n*esi,  en  définitive,  qu*un  des  aspects  mul- 
tlples  de  la  tendance  générale  à  Finertie- 

Or,  les  religions  positives  favorisent  Tesprit  conservateur  beau- 
coup plus  que  toutes  les  autres  insti talions  sociales.  «  L'individu 
assez  exceptionnel  dans  son  devenir  personnel  pour  s*élever  à  une 
conception  de  Tidéal  religieux  dillérente,  quant  à  sa  forme,  de  celte 


B»3  REVUE   PHILOSOPHiQDE 

qui  est  «  divinement  sanctionnée  »,  est  un  rebelle  â  1  égard  de  k 
société  et  de  son  Dieu...  II  n'y  a  qu'un  pas  â  faire  pour  que  h 
société  conclue  dans  ce  cas  à  la  suppression  de  Tindividu.  L'iiistoire 
en  témoigne*,  la 

Bien  que  M.  Baldwin  ne  nous  donna  pas  sur  ce  sujet  les  péûé* 
irantes  et  précises  observations  dont  il  a  coutume  d*étnyer  ses 
conceptions  générales  et  que  même  l*êtude  du  sentiment  religit'iii 
chez  TenFant,  si  conforme  à  sa  méthode  firéférée,  reste  ù  faire»  les 
considérations  précédentes  ont  leur  prix-  Elles  confirment  d  uns 
manière  remarquable  la  conclusion  où  nous  a  conduit  l'examen  des 
faits.  Sans  doute,  «  rhomme  moyen  »  n'est  pas  précisément  celui 
dont  nous  nous  occupons  ici  et  les  individus  que  nous  avons  en  vue 
sont  à  bien  des  égards  au-dessous  de  la  moyenne.  Mai:?,  outre  que 
le  fanalisme  se  développe  parfois  che&  des  individus  relativemeol 
sains  et  normaux,  les  esprits  faibles  nous  olTrent  une  forte  exagé- 
ration des  phénomènes  constatés  par  M,  Baldwiu  sur  les  repréiien- 
tants  ordinaires  des  traditions  et  des  habitudes  sociales.  En  même 
temps,  ces  dégénérés  nous  permettent,  en  eîcagéranl  les  dêfaulii 
communs,  d'interpréter  avec  plus  de  précision  les  données  *Je 
Tobservalion,  de  mieux  saisir  dans  Unextricable  enchevêtrernetït 
psycho-social,  les  laits  qui  commandent  les  au  1res, 

Le  premier  lait  mis  en  t^vidence  (et  digne  d'attirer  rattention  des 
sociologues  enclins  à  attribuer  quelque  importance  k  la  loi  de 
radaptation),  c  est  le  trouble  profond  et  général,  organique,  alTectif, 
intellectuel,  qui  se  manireste  chex  certaines  personnes  rsoiéevs  et 
qui  prend  fin  dès  que  ces  personnes  sortent  de  leur  isolement  pour 
obéir  aux  suggestions  de  leur  entourage»  Incapables  de  réaliser, 
même  à  la  manière  mystique,  la  systématisation  de  leurs  étals  de 
conscience,  elîes  arrivent  cependant  à  Tunité  et  recouvrent  la 
tranquillité  en  sadaptant  à  un  groupe  large  ou  restreint,  dilTérant 
de  la  famille  et  des  autres  agrégats  sociaux  en  ce  qu'un  même 
stimulus  y  agit  d'une  manière  à  peu  près  exclusive  et  conslantef  y 
renouvelant  sans  cesse  le  même  état  de  bien-être  et  de  béatitude. 
Mais  refticacité  durable  de  cette  sorte  de  traitement  psychologique 
dépend  de  deux  conditions  principales  :  il  importe,  en  premier  lieu^ 
que  le  malade  s'identifie  avec  le  groupe,  au  point  de  n'avoir  pluB 
d'autre  moi  qu*un  moi  soeiati  relatif  au  groupe  unique,  quel  qull 
soit,  nation,  êgÎ!  L^cte;  il  importe,  en  second  lieu,  tjue  le 

groiM^^^   ^"*'^**^  *'^'  'lentiqne  k  lui-même,  puisque  le  moindre 

Lcbai  1  la  plus  légère,  crée  de  nouvelles  coodi- 


i  ilc  du  tlécetoppeméni  mentaL 


MURISIEH.    —   LE   FAVATrSMR    REUCIEtfX 


593 


lions  d'existence  et  nécessite  des  adaptations  nouveUes,  toujours 
troublantes.  Nous  avons  vu  comment  le  fanatique  se  rapproche  de 

»cet  «  idéal  ï,  comment  il  détruit  en  lui  «  toule  humanilé  »,  c'est- 
à-dire  tout  ce  qui  reste  étranger  a  son  moi  ecclésiastique  ou  sec- 
taire*, et  comment  il  éprouve  le  besoin  de  maintenir»  envers  et 
contre  tous,  la  stabilité  absolue  de  son  milieu* 

■  Cette  stabilité  sociale  qui  assure  et  garantit  la  stabilité  mentale 
des  faibles  et  des  abouliques,  paraît  être  Fœuvre  propre  du  fana- 
tisme politique  ou  religieux.  Le  premier  dispose,  pour  la  réaliser, 
de  certaines  idées  simples  et  fortes,  surtout  de  certaines  formules 

I revêtues  d  une  puissance  mystérieuse,  de  formules  magiques*  Le 
second  fait  appel  à  une  pen^onnc  omnisciente,  omnipotente,  dispen- 
satrice du  bonheur  terrestre  et  éternel;  c'est  cette  personne  divine 
qui,  soit  par  des  interventions  directes,  soit  par  Tintermédiaire  de 
ses  agents  humains  fait  régner  dans  les  sociétés  l'uniformité  des 
croyances,  des  mœurs,  des  tendances  et  des  désirs.  Lextraordi- 
Oâire  pouvoir  de  Tidée  religieuse  explique  les  extraordinaires  effets 
du  fanatisme  religieux. 
Reste  à  savoir  comment  se  réalise  cette  uniformité  sociale  et  à 
expliquer,  en  les  rattachant  à  notre  interprétation  générale,  les 
principales  formes  du  fanatisme.  J'espère  montrer  prochainement, 
ici*même  ou  ailleurs,  que  toutes  les  manières  d'agir  des  fanaliques 
se  ramènent  à  deux  modes  fondamentaux  :  Texciusivisme  et  le  pro- 
sélytisme, lesquels  reproduisent  dans  la  société  les  procédés  néga- 
tifs et  positifs  d'unification  ou  de  simplification  psychologique;  —et 
que  les  manifestations  si  variées  du  fanatisme  tiennent  à  des  diffé- 

■  renées  de  milieux  et  de  moments,  sous  lesquelles  se  retrouvent 
toujours  des  besoins  et  des  états  émotionnels  identiques. 

E.    MURISIER. 


i.sii^ 


TOlie  L,  —  Î900. 


CO.NTHJBUTION 


A   LV 


THÉORIE  PSYCHOLOGIQUE  DU  TEMPS' 


La  théorie  kantienne  de  raprioritê  du  temps  et  de  l'espace  a  été 
l'objet  de  nombreuses  critiques  et  le  point  de  départ  de  rechercbes 
qui,  toutes,  tendent  à  îa  réfuter*. 

Laissant  de  côté  tout  problème  métaphysique,  nous  voudrions 
nous  demander,  du  point  de  vue  de  Tobservation  psychologique,^! 
Vaprloritë  peut  se  soutenir  et  en  quel  sens;  si,  à  cet  égard,  Fespace 
et  Je  temps  se  comportent  de  même;  —  puis,  quelles  conséquences 
en  résultent  en  ce  qui  concerne  le  temp^;  enfin  I  étude  de  quelques 
troubles  de  localisation  viendra  illustrer  les  conclusions  où  noifô 
aurons  été  amenés.  Posant  le  problème  tout  autrement  que  Kant, 
nous  serons  conduits  û  des  conclusions  tout  autres  que  celles  m  û 
tendait  :  il  cherchait  une  forme  universelle,  voulait  fonder  la  possiM- 
lité  d'une  expérience,  la  même  pour  tous  ;  —  presque  à  Tin  verse  nous 
monirerons  que  la  priorité  du  temps  consiste  dans  la  donnée  }>hj* 
Biologique  d'un  rythme  organique,  donnée  essentiellement  relative, 
variant,  non  seulement  avec  les  individus,  mais  sous  mille  influences 
au  cours  d'une  même  vie  individuelle. 

C'est  par  rapport  à  cette  sensation  immédiate  que  tout  fait  se  colore 

1.  CommunScation  lue  «tu  Congres  de  psychologie  (lUOD). 

2,  Pour  Vespact,  Herbarl  refuse  tle  le  t^nir  comme  tlor^né»  le  regarde  eomms 
un  foncée  pi  fabriqué  par  l'espril  ;  ]es  empiristoiî  (Baîu.  Spencer)  m  on  trenl  l'ac- 
quisition de  cette  notion  h  l'aide  du  mouvemetiL;  Les  naliviBles  (Mtdli^r,  Slumpt) 
ûUmellent  une  repréi^cntaUon  spatiale.  Knfm  les  deux  doclrinefi  sont  coneittt^ 
par  Ia  théorie  de  M.  Ûunan,  posant  *  un  mouvaiTK'nt  sur  place  par  quoi  rorgir^^ 
réagi  rail  contre  \g^  i  ni  pression  s  visuelles  venues  du  dehors  -.  Cet  ntUetif 
démontre  t»ien  rinndmii^i^ibilité  û&  l'espace  a  priori  et  Ja  dépendance  écctik 
forme  dln  lui  lion  par  rapport  è.  l'organe  percevant  ;  noua  comtruhûm  ûmf^ 
menl  l'espace. 

Pour  le  temps  q\ï\  n'a  pas  Été  rûbjcl  d'éludés  aussi  nombreu^e^,  vatr  surtout 
la  -  lîeiifcse  de  Tidée  de  temps  *■  de  Guyau^  l'éLude  sur  ta  ■*  Perception  du 
temps  îp  de  W.  Jame*  [Pst/f'holof/i/j  l*  I,  eh.  xy)»  en  lin  la  thèse  tîc  M.  Bt-rgâon  ; 
n  Essai  !iur  les  données  immédiates  de  la  eonseience  -,  doni  nous  noussommt^^ 
beaucoup  inspirés,  ainsi  qu'on  le  verra. 


C.  BOS. 


THÈOftlE   PSYCHOLOGIQUE   W  TtOlPS 


r,9S 


tl  un  certîiin  dvfjré  de  préiH^îia^.  Les  événements  d*UDe  vie  indivi- 
duellCj  cliacun  ainsi  atTeclê  d'un  exposant  de  temps  .qualilé  propre 
fournie  par  une  équation  personnelle)  s'ordonnent  pnr  rapport  ù  cet 
exposant  et  ainsi  se  constitue  le  iempi^  pstjchologiipie^  qu'on  pour- 
rait définir  un  «  ordre  de  relations  h  valeur  assenlielïeinent  subjec- 
tive >K 

Mais  noua  distinguerons  de  celte  ordonnance  suivant  le  temps 
psychologique,  ou  degré  de  présence,  la  traduction  que  nous  en  fai- 
sons^ d'ordinaire  dans  le  temps  linéaire,  suivant  lavant  et  l'après  — 
traduction  analogique  du  temps  —  qualité  en  un  langage  spatial  qui 
lui  correspond  très  grossièrement* 

L'ordre  du  temps  prend  celui  de  Tespace  pour  symbole,  mais  leurs 
cours  ne  restent  approximativement  parallèles  qu'au Lanl  que  la  sur- 
face seule  du  moi  est  efileurée  :  qu'un  événement  %ienne  à  s'en- 
foncer  trop  avant  dans  ie  temps  psychologique  (à  atteindre  un  degré 
de  présence  Iropinlease),  il  en  résulte  un  bouleversement,  très  sug- 
gestif et  trop  peu  remarqué,  dans  la  localisation  sui%^ant  le  temps 
linéaire.  Celle-ci,  opération  tardive  et  compliquée,  pourra  se  trouver 
en  conflit  avec  rordonnance  vraie  suivant  le  temps  psycUologique, 
tel  que  nous  avons  essayé  de  le  définir. 

En  un  mot,  décomposant  Tintuition  pure  a  priori  de  Kant»  nous 
distinguons,  d'une  part,  une  intuition  i^msible  (s^ensaliun  organique 
de  rytbme  vilal],  a  priori  en  ce  sens  que  la  sensation  de  temps 
préexiste  à  toute  expérience  externe;  —  d  autre  part,  une  ordon- 
nance dans  le  temps  linéaire,  opération  intellectuelle,  localisation 
par  analogie  dont  les  résultats  ont  sans  cesse  besoin  d'être  confrontés 
avec  ceux  de  l'ordonnance  subjective,  suivant  le  temps  psycholo- 
gique. 


I 


Constatons  d  abord  que  le  rapprochement  entre  le  temps  et  Tes- 
pace,  contre  lequel  de  nos  jours  M.  de  Hartmann  s'est  nettement 
élevé,  est  une  vue  toute  moderne,  dont  on  ne  rencontre  pas  la 
moindre  indication  dans  la  philosophie  toute  qualitative  des  anciens, 
Ou  trouverait,  cliez  ceux-ci,  l*ébauche  d'une  théorie  du  temps  :  c'est 
ainsi  que  le  rapport  étroit  du  tetnps  à  l'ùme  est  souvent  indiqué. 
Déju  chex  l*lalon,  où  la  création  de  filme  est  suivie  de  celle  du 
temps,  celui-ci  étnit  une  conséquence  de  lapparition  du  mouvement, 
avant  quoi  il  n'y  avait  que  l'éternité.  Chez  Plotin  encore,  pour  qui 
le  temps  est  créé  par  r;\me,  la  vie  de  1  ame  produisant  le  temps 
(Ennéade  III,  7),  Mais  si  Ton  ne  trouve  pas  la  moindre  ébauche 


396 


BEVUE    PUILOSÛPHIÛUË 


d'une  théorie  die  Vespace^  la  raison  eu  est  simplement  que  îe  pm- 
blème  ne  pouvait  pas  se  poser  pour  raritifiuité.  Les  Grecs,  en  effet, 
sont  restés  réalistes  :  notre  conception  rektivisle  d'un  espace, 
eonsiruction  mathématique,  ne  pouvait  pas  trouver  uccès  près  d'eux  et» 
de  fait,  ils  n'ont  pas  de  terme  qui  corresponde  à  notre  terme  d* espace. 
Le  lieu  (topos)  détermine  encore  une  manière  d'*>tre,  se  rapporte 
par  conséquent,  comme  le  temps,  à  une  qualité.  Ainsi,  chez  les 
Grecs,  il  ne  pouvait  être  question  de  rapprocher  l'un  de  Taulre,  de 
transposer  Tun  en  Taulrele  temps  et  l'espace*  C'est  le  cartési^iisniç, 
avec  sa  conception  toute  nouvelle  qui  a  fait  qu'après  lui  les  recher- 
ches modernes  ont  porté  beaucoup  plus  sur  Tes |>ace  que  sur  le  temps. 
Pour  ce  dernier,  le  problème  n  a  pas  été  abordé  de  front  comme 
rélait  celui  de  la  perception  de  Tespace,  on  s'est  plutôt  posé  àsOD 
sujet  des  questions  annexes  (mensuration  d*intervàlles  de  temps; 
étude  de  Tidée  du  temps^  non  de  sa  perception;  enlin  réductioû du 
temps  mathématique  en  espace).  Il  semble  qu  on  ait  implicitemetit 
reconnu  pour  le  temps  une  quasi-Jégitimitt'  de  rapHorisme,  qiioa 
ait  senti  à  sa  base  quelque  chose  d'irréductible,  une  donnée  vérita- 
bleraent  innée. 

tii  ces  apparences  étaient  fondées,  si  le  temps  participait  plus  de 
notre  moi  que  Tespace,  une  conséquence  en  résu itérait,  qui  seinWe 
bien,  d'ailleurs,  réalisée. 

Démasquer^  comtue  on  Ta  fait,  les  postulats  sur  lesquels  rept>5é 
la  géométrie  euclidienne,  constater  un  choix  fait  par  Tesprit  d'après 
des  motifs  de  «  convenance  ï,  cela,  sans  doute,  ébranle  h  iixité 
immuable  des  mathématiques,  mais  cela  ne  compromet  pas  la  valeur 
objective  de  Tespaee.  Tel  que  l'esprit  humain  a  pt^éférè  de  le  con^ 
truire,  iï  vaut  ce  que  valent  nos  œuvres,  ce  que  vaut,  par  exemple, 
le  langage,  conveiitionnel  lui  aussi,  mais  qui  nous  permet  cepen- 
dant de  nous  entendre.  S'il  en  était  autrement  du  (e^nps,  s'il  è\di 
plus  ïYièiè  de  subjectivité^  sa  valeur  objective  serait  compromi&e,  il 
serait  inacceptable  comme  înstruuîent  d'échange  car  par  lui  nous 
tendrions  à  la  confusion  d'une  Babel.  C'est  pour  éviter  cela  que 
nous  transposons  un  Nît  psychologique  en  langage  spatial.  Ce  n*e^l 
pas  un  autre  motif  qui  nous  porte  à  prendre  pour  le  temps  un  sym* 
bole,  c'est  là  Torigine  de  notre  tendance  à  projeter  llnétendu  ito 
rétendue,  à  convertir  le  qualitatif  en  quantitatif.  C'est  encore  poor 
une  raison  de  même  ordre  que,  malgré  ce  que  nous  savons  et  bien 
que  nous  repoussions  théoriquement  la  conception  cartésieno^i 
nous  en  revenons  toujours  à  ridentiricalion  de  la  matière  et  de  Te*- 
pace:  c'est  qu'en  attendant  d'avoir  délini  la  matière,  il  faut  bieji  itoo^ 
entendre  quand  nous  parlons  d'elle! 


C     BOS,    —  Ttll^ORiE   PSVOIOLCiaiaUE   m  TKMPS  597 

En  quoi  diiïèrent  donc  les  données  à  Faîde  desquelles  nous  cons- 
truisons Fespace  de  celles  qui  nous  servent  à  élaborer  le  temps?  Ces 
-    données  sont  inéduKes  dans  Je  premier  cas,  elles  sont  hnmédiatesi 
f  dans  le  second.  Pour  construire  Fespace,  il  noua  faut  combiner  rap- 
port de  plusieurs  sens  :  qu'on  accorde  la  prédominance  au  tact, 
_    comme  Berkeley,  ou  à  la  vue,  comme  Dunau,  les  deux  sens  inier- 

■  Tiennent  et  exigent,  en  oulre,  Fessentiel  apport  du  mouvement.  De 
cette  complexité  il  s'ensuit  :  P  Qu'un  sens  peut  corriger  Tautreet 

»que,  dans  le  cas  de  Fespace,  un  contrôle  est  possible,  que  nous  ver- 
rons manquer  pour  le  temps;  y^  Qu'une  interprétation  devient  néces- 
saire de  notre  part;  Finluilion  manquant,  il  fiiut  que  Fesprît  t travaille 
les  données  diverses  qui  lui  sont  fou  mies  et  ce  travail  tend  à  éli- 
p  miner  les  erreurs  d'équalton  personnelle;  3"  Ces  données  nous  vien- 
nent^ en  grande  partie,  par  des  sens  extérieurs,  les  plus  intellec- 
tuels, les  plus  susceptibles  d'éducation;  elles  sont  de  plus  médiates, 

■  exigeant  une  interprétation  selon  les  lois  de  Factivité  de  l'esprit,  les- 

■  quelles  valent  objectivement.  Doi:i  il  résulte  que  nous  avons  â  peu 
près  tous  la  même  perception  de  Fespace,  que  les  erreurs  de  locali- 
sation valent  à  peu  près  pour  tous,  — ce  qui  permet  de  les  prévenir. 

Au  contraire,  nous  croyons  qu'il  existe  pour  le  temps  une  sensa- 
tion simplOj  immédiate,  faurnie  exclusivement  parle  sens  interne.  Et 
c'est  elle  que  nous  voudrions  d  abord  étudier. 


I£ 


r 


La  dépendance  plus  étroite  du  temps  que  de  Fespace  par  rap- 
port à  nous  est  depuis  longtemps  consacrée  par  le  langage  qui  a 

ithropomorpliisé  le  temps,  ce  qu'il  n'a  pas  fait  pour  Fespace  : 
Chronos  est  un  homme  comme  nous.  C'est  que  le  temps,  en  efîet, 
est  un  mode  de  notre  vie,  tandis  que  Fespace  n'est  qu'un  mode  de 
notre  pensée  :  nous  vivons  avec  le  temps,  nous  pensons  avec  Fes- 
pace, «  Ce  sont  les  états  de  conscience  eux-mêmes,  dit  Hulïding, 
qui  se  succèdent  dans  le  temps,  tandis  que  ce  n'est  pas  la  con- 
science elle-même,  mais  les  objets  qui  apparaissent  sous  forme  d*es- 
pace.  Ce  qui  i mimique  que  le  temps  est  une  forme  plus  originale, 
psychologiquement,  que  Fespace.  »  L'auteur  pense  même  que  Fes- 
pace n'est  pas  une  forme  indispensable  h  la  conscience,  il  y  aurait  eu 
un  stade  de  son  développement  où  sensations  et  idées  n*auraient  eu 
que  certaine  qualité. 

Cela  s'accorde  avec  les  vues  de  Spencer  qui  pense  que  si  nous  tra- 
duisons le  temps  en  espace,  nous  avons  commencé  par  exprimer 
Fespace  en  temps,  {Pstjdwîogiêy  t.  Il), 


598 


BEVL'Ë   PKtLOSOf'IftOtJË 


De  quelle  nalure  est  celle  sensation  initiale  doù  nous  dérivons  le 

temps?  Elle  ne  nous  est  pas  fournie  par  les  sens  extérieurs,  avons- 
nous  dit;  il  faut  abandonner  l'in-pothu^e  que  <i  les  représent,^Liûns 
auditives  constituent  l'auxiliaire  essentiel  de  Tintuition  de  temps  ■ 
(Wiindt,  Sully  . 

Lobser  vallon  des  sourds -muets  a  sulfisamment  prouvé  que  le 
sens  du  rythme  peut  exister  indépendamment  de  toute  sensatioti 
auditive  :  Laura  Hridgman  divisait  Je  temps  très  exactemenL 

C* est  donc  vers  les  sensations  internes  que  nous  nous  tournerons. 
On  a  depuis  longtemps  signalé  Timportance,  pour  la  mensurattoii  du 
temps,  des  mouvements  respiratoires,  des  sensations  kinesth«^si- 
ques,  des  pulsations;  nous  pensons  qu  on  peut  aller  plus  loin  et 
rechercher  si  ces  données  mêmes  ne  nous  sont  pas  fournies  sùî^'ïint 
un  rythme  :  si  îa  eon^ctence  du  corps  n'nst  pas  régnliêremeitt  fiucon- 
(biHv*.  Car  si,  de  tous  ces  mouvements  ijui  se  passent  dans  notre 
corps,  nous  n'avions  aucune  conscience,  ils  ne  nous  serviraient  en 
rien;  mais  nous  avons  une  «  FuhlsphHre  »,  une  sphèm  de  c  senti- 
ment du  corps  nj  qui  constitue  le  «  retlet  psychii(ue  d'états  physi- 
ques *)  et  dont,  comme  tetle,  M,  Flechsig,  au  précédent  congrès, 
soulignait  déjà  l'imporlance  pour  la  psychiatrie'.  ÎI  restait  à  se 
denmnder  comment  fonctionnait  la  celïule  psychique,  quelle  était  sa 
forme  d'activité;  et  les  récentes  études  de  M.  Richet  sur  V  «  oscil- 
lation de  la  cellule  nerveuse  )>  elV  ^  unité  psychologique  du  temps  », 
nous  ontj fourni  sur  ce  point  de  précieux  apergus** 

Analysons  la /brmt' de  toute  sensation  en  général,  indépetidam- 
raent  de  son  contemî  :  nous  la  voyons  consister  dans  ractivilé  de  la 
cellule  nerveuse.  Mais  cette  activité  est  t'discrète  >.  M.  Bîchet  a 
montré  qu'il  y  a  une  l'orme  et  une  durée  de  la  vibration  nerveuse, 
—  que  celte  forme  était  l*ondulatoire,  celle  du  balancement  d*urt 
pendule,  avec  une  phase  d'addition  et  une  phase  rélraclaire,  que 
cette  durée  était  1/10  de  seconde,  minimum  requis  pour  tout  pi'O- 
ceâsus  psychique^- 


î.  Conm'H  de  Munich  ^ISOG)  reproduit  in  Êtude.^  sur  le  tFiTean^  Irad.  L^^i* 
2,  Cf.  ihfv.  p/*i/r>s.,  IHÎIS,  el  Dictionn.de  phf/:fîùiGgie,  L  ïli.  V  fasr. 
;j,  .  ijfff  de  iteçonde  est  la  duri^e  minimum  d'une  apéraU'on  inlelJecUie]k^i!>' 
sotïièe,  la  durée  tniniuium  d'une  ]>Êrception  sensible;  dissociera  la  thiree  îitîfU' 
luiim  d*tiii  mouvement  volonLaîre  discontinu  •  (Jîiscours  prononcé  au  Conifr»?* 
de  rAssoi  iation  brilannique,  iHïlli),  "  La  durée  iGlale  de  rptte  onduLiliou  H  k 
retour  du  àyàLênn?  nerveus  à  requîîihre  mei^urent  te  lemp:^  nécessaire  à  la  tli^ 
conlinuilè  il'un  pliènomène  cértahml  tiueleonque.  "  {DiH.  de  phy^mhfpf*  p-  ^ 
Ci^s  ûludes  prennent  encore  unt*  nouvelle  fraporlance  par  l'appu»  qu'elles 
trouvent  dans  le  phénomène  dé  la  mémoire^  Car  uti«  vibrîillon  nerveusti  cérv- 
hmle  D*e&t  jamais  èleitile  compltîleuîenl,  d'après  les  eoncîusion:^  de  M,  lîîdifU 
et  il  est  aln^i  inU^ressatit  de  Toîr  que  ta  tliéorie  lUiilliemaiieo-physiologîtia* 


G.  BOS. 


THÉORIE    PSYCIïaLOGIQUE   DU   TEMPS 


i99 


Ces  afrirmations  delà  psychologie  expériracniale  ne  soot  pas  pour 
nous  surprendre.  Nous  sentions  bien  qu  au  fond,  les  systèraes  phi- 
losophiquess  affirmant  une  harmonie,  une  cadence  rythmée  dans 
l'univers,  disaient  vrai  et  le  monisme  nous  permettait  de  supposer 
que  cette  loi  valait  partout.  Seulement  jusqu'ici  nouïn*avionstHudié 

»qoe  le  rythme  des  astres,  des  corps  extérieurs  au  notre  et  c'est  cela 
qui  nous  foumiî»sait  des  étalons  pour  mesurer  le  temps;  c'est  cela 
aussi  qui  nous  induisait  en  erreur,  noua  faisait  fatalement  introduire 
rétendue  dans  le  temps,  nous  laisait  croire  à  un  temps  indépendant 
de  nous,  absolument  uniforme  et,  partant,  mathématiquement  mesu- 
rable. Tel  ne  pouvait  être  le  temps  psychologique.  Quand  il  s'agit  de 
nos  événements  psychiques^  le  temps  dans  lequel  ils  s'ordonnent 
doit  s'exprimer  en  termes  psi/thiques  :  son  unité  doit  être  une 
unité  parjchique  et  telle  est  bien  celle  constituée  par  une  vibration 
nerveuse  complète. 

Car,  nous  le  verrons,  ce  n'est  encore  qu'au  moyen  d'une  Iraduc- 
tioH  symbolique  qu*on  peut  exprimer  Tunité  de  temps-psycholo- 
gique en  temps-spatial  et  parler  d*l/10de  seconde  :  de  fait,  cette 
ft  unité  n'a  rien  d'étendu,  elle  ne  le  devient  que  quand  nous  Texpri- 
'  mons,  mais  telle  que  nous  la  percevons  immédiatement  elle  est  une 
manière  d'être  et  toute  qualitative. 
La  haute  portée  de  ce^^  observations,  on  Tentrevoil  de  suite. 
Et  d'abord  ie  temps  reste  bien,  comme  le  voulait  Kanî,  la  forme  de 
nos  phénomènes  internes  (et  Ton  voit  quelle  précision  physiologique 
prend  ici  le  mot  interne);  l'orme  a  pr'torf^  car  la  sensation  initiale  de 

I  rythme  vital  n*est  conditionnée  que  par  rexistence  d'un  système  ner- 
veux et  préexiste  à  toute  expérience  du  monde  extérieur.  Mais  Tin- 
tuitîon  pure  a  fait  place  h  une  intuition  sensible  et  le  temps  continu 
cesse  d'être  «c  un  scandale  pour  la  pensée  m  car  il  a  fait  place  au 
temps  discontinu. 

Quant  à  la  nécessUé  inhérente,  à  la  forme  du  temps,  s'il  faut 
accorder  h  Guyau  qu'elle  ne  s'impose  pas  en  ce  sens  que  la  représen- 
tation de  temps  n'est  nullement  donnée  dans  chaque  représentation, 
nous  verrons  cependant  qu'à  sa  place  nous  est  donné  un  sentime^H 
de  temps,  accompagnement  nécessaire  de  tout  phénomène  psychique. 

Mais  quand  Guyau,  à  l'encontre  de  Técole  anglaise,  nous  dit  que 
le  sens  de  l'espace  est  développé  avant  celui  du  temps,  nous  ne  pou- 
vons le  lui  accorder.  Son  erreur  vient  toujours  de  ce  qu'il  n'envisage 

d'^nc  viUralior»  nervcuâc  iodé  H  ni  m  eut  ^rnorlie,  concorde  av^jc  Je  grand  fait  de 
k  mémoîre  {ttL). 

1.  Hartniatm  {Ds  l-incorvicieni^  p,  333)  déltisisâiiit  déiià  le  lempa  •  une  per- 
cepUon  rêâuUant  directement  des  Tibralioas  ^^érébfales  «. 


A 


600  HEVtll  mtLOSOPHiaOB 

que  Vidée  du  temps  ce  qui  lui  fait  déclarer  qu'on  ne  peut  se  repré- 
senter le  temps j  qu*avec  des  espaces  :  se  représenter,  oui,  —  mais 
seutir,  non,  et  un  sentiment  du  temps  en  précède  la  représeDlattou. 
Quant  k  la  question  de  V universalité^  elle  ouvre  la  voie  à  des  consi- 
déralions  intr*ressantes. 

Il  résulte,  en  elTet,  de  la  nature  organique  de  la  sensation  de 
rythme  que  nous  le  trouvons  déjà  chez  TanîmaK  Bien  plus,  c'esi 
chez  lui  {et  chez  les  idiots  qui  se  rapprochenl  le  plus  de  lui)  que 
nous  trouvons  la  plus  parfaite  mensuration  du  temps.  Nous  le  cam- 
p rendrons  sans  peine-  Pour  que  le  rythme  vital  demeure  régulier  II 
faut  que  rien  n'inïlue  sur  lui,  il  faut  écarter  ces  causes  perturbatrice* 
que  constituent  les  émotions,  Tattention.  ractivité  supérieure  de 
l'esprit  qui  a  toujours  une  résonnance  sonmlitjue  et  dont  ranimil 
est  exempt  «  par  bénéfice  de  nature  »,  En  outre,  toute  opémtiôû 
intellectuelle  vient  détourner  le  moi  de  sbn  aulo-observation,  i-^veo 
diquer  rattention  qui,  sous  sa  forme  rudîmenlaire,  n'est  tournée  qtie 
vei^s  le  dedans  :  Tindividu  cesse,  pour  ainsi  dire,  d  entendrejes  bat- 
tements de  son  rythme. 

C  est  ainsi  que  Taninial  qui  contracte  une  habitude  refait  cliaque 
jour  la  même  chose  à  la  même  heure,  avec  une  minutieu&e  esacti- 
tude.  G  est  ainsi  que  le  détenu  acquiert  une  remarquable  acuitédans 
la  mensuration  du  temps  et  sait^  k  quelques  minutes  près,  qumé 
l'heure  de  ses  repas  est  venue. 

On  ne  s'étonnera  pas  que  les  hypochondriaque^  qui,  comme  cm 
Ta  dit  spiriluellenieni,  ^  entendent  les  harmoniques  »,  pervoivenï 
distinctement  le  rythme  du  temps. 

Un  fait  intéressant  à  noter  c*est  la  perfection  de  la  mensurattûDdn 
temps  che?.  les  aveugles  ^  :  on  dirai!  que  le  monde  exlèneur  ne 
venant  pas  les  distraire,  leur  sensibilité  sWfine  pour  les  phéiiO' 
mènes  du  monde  intérieur.  Leur  attention,  qui  ne  se  disperse  pis 
dans  respace,  leur  révèle  un  plus  riche  univers  dans  le  temps* 

La  mensuration  du  lemps  —  et  c*est  une  conséquence  de  ce  qtifi 
nous  venons  de  dire  —  ira  se  perfectionnant  dans  les  états  où  riéo 
ne  disirait  lattenlion.  Dans  le  èommeiî,  d'abord, nous  avons  à  pciw 
besoin  de  rappeler  que  beaucoup  de  gens  peuvent  s*éveiller  exacte- 
ment à  Theure  où  ils  le  veulenL  Mais  c*est  surtout  daas  Vhî^pno»e 
que  le  fait  a  été  signalé'.  On  peut  suggérer  à  un  sujet  de  dormir 
douze  minutes  :  il  s  éveille  exactement  au  bout  de  douze  minotes- 

1^  Cf.  Dunaji,  Ht'u*  philos.  La  remarque  avail  déjà  éle  fitile  par  ï*bklnct  V^^^- 
Aphonsm.)  •  Jn  reâlih^  lu  Lhe  bIJnd  lime  serves  int»lt<ad  cif  çpiii'c  -, 

â.  :§utnnambttii»m€  pt'Qvofftié  de  Beaunis  el  idem  D^lbofiif^  voir  âU5^  IkU^tMi'i 
CoDgr^!!  de  11S02. 


C.   BOS,    —  THfiOHIE    rSVUlOLOCHHlK    DU   TEMPS 


601 


Encore  plus  remarquable  est  celle  appréciation  du  temps  dans  les 
suggestions  à  longue  échéance.  M.  Beaunis  *  suggère  à  un  hypnotisé 
que  dans  dix  jours,  à  cinq  heures,  il  ouvrira  tel  livre  à  lelîe  page  : 
l'acte  e:§t  réalise  exactement  au  jour  el  à  l'heure  indiqués.  L'auteur  a 
même  été  témoin  d'un  cas  à  cent  soixante- douze  jours  d'inlervalle- 
Quelle  patiente  et  juste  mensuration  du  temps  cela  suppose  I 

Elle  ne  s^explique  que  par  un  rélrécis?ement  du  champ  de  Tat- 
lention  chex  le  sujet,  amenant  un  mono-idéisme,  une  concentration 
de  Tattention  sur  le  seut  rhyUne  vitaL 

Ceci  nous  amène  à  nous  poser  une  grande  question  qui  va  éclairer 
d'un  jour  nouveau  le  problème  de  runilê  de  temps  :  Qu*e.st*ce  donc 
que  raltenlion  vient  réaliser?  Gomment  la  devons-nous  concevoir 
pour  nous  expliquer  par  elle  les  altérations  dans  Tappréciation  de  la 
durée? 

Elle  est  une  activité,  lactivité  psychique  par  excellence,  celle  dont 
les  divers  degrés  de  perfection  mesurent  exactement  ceux  du  per- 
fectionnement dans  le  mécanisme  cérébral.  Aussi  est*ce  à  la  méca- 
nique que  nous  emprunterons  des  termes  pour  essayer  de  la  définir, 
assimilant  l'attention  à  la  force  de  ten&îùn. 

C'est  cette  attention  qui,  sous  sa  forme  volontaire,  accélérant  le 
rythme  nerveux,  explique  toutes  ces  erreurs  dans  l'appréciation  de 
la  durée,  —  sur  lesquelles  nous  n'insisterons  pas,  parce  qu'elles  ont 
été  l'objet  de  nombreuses  et  encellenles  éludes  :  c  est  Tattenlion 
expectante  qui  abrège  les  temps  de  réaction,  c'est  elle,  qui  explique 
même  les  temps  de  réaction  à  valeur  négative. 

Mais  cette  a  force  de  tension  î>  susceptible  de  varier  légèrement 
sous  Finfiuence  d'un  effort  volontaire,  n'est-elle  pas  donnée  déjà  à 
chacun  de  nous  à  un  degré  très  diiïérenl?  ne  venons-nous  pas  de  la 
définir  la  forme  même  de  ractivité  psychique,  de  sorte  qu  en  dernière 
analyse,  c'est  îe  degré  de  puusamw  de  V attention  qui  vient  déter- 
miner le  rythme  d'ondulation  de  ta  cclhtle  nerveuse.  Le  temps 
psychologique  se  construirait  ainsi  avec  des  di/namos. 

L'unité  de  temps,  c'est  donc  une  unité  de  cùncent ration,  tmité 
d^aperception  ou  de  siftithèse^ 

Il  y  a  une  période  réfractai re  parce  que  notre  puissance  de  syn- 
thèse a  des  limites. 

Ainsi,  partis  pour  définir  runité  de  durée  de  rexpressi<m  spatiale 
1/10  de  seconde,  nous  sommes  arrivés  à  une  expression  qHalitalivej 
à  concevoir  que  chaque  temps  de  présence,  chaque  battement  de 
conscience,  qui  plus  tard  sera  projeté  dans  retendue,  n'est  prirai- 


t.  Senmiiom  inlernes^  [i.  166. 


602  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

tivement  qu'un  sentimenty  celui  d'une  plus  ou  moins  grande  force 
de  tension. 

Ce  qui  nous  a  induits  en  erreur,  c'est  encore  le  mouvement,  que 
M.  Bergson  accusait  déjà*. 

On  devine  l'importance  de  ces  vues  pour  la  localisation  dans  le 
temps  si  nous  disons,  par  anticipation,  que  ce  c  sentiment  >  four- 
nira le  «  degré  de  présence  ». 

Désormais,  quand  nous  dirons  que  le  rythme  de  Toscillation  ner- 
veuse «  s  accélère  »  ou  «  se  ralentit»,  il  faudra  nous  entendre  et 
comprendre  par  là,  non  pas  que  l'unité  de  temps  est  plus  ou  moins 
longue  (comme  pourraient  le  faire  croire  les  expressions  de  temps 
spécieux,  temps  en  dos  d'une  des  auteurs),  mais  que  son  contenu 
est  plus  ou  moins  denae  ou  dilué. 

Si  l'on  voulait  tenter  une  traduction  en  langage  physiologique,  on 
pourrait  essayer  de  dire  que  notre  unité  de  temps  varie  selon  que 
rintensité  de  l'oscillation  nerveuse  aura  permis  aux  neurones,  arti- 
culés entre  eux,  de  contracter  plus  ou  moins  d'associations. 

De  cette  conception  de  l'unité  de  temps,  des  conséquences  du 
plus  haut  intérêt  spéculatif  résultent. 

On  conçoit  que  cette  force  d'attention  (ou  de  tension  nerveuse) 
qui  détermine  le  rythme  vital  et  fournit  l'étalon  de  durée  psychique, 
seraessenlillement  variable. 

Elle  le  sera  beaucoup  d'une  espèce  à  l'autre.  W.  James  nous  feil 
entrevoir,  d'après  les  calculs  de  Von  Baer,  combien  différente  nous 
apparaîtrait  la  vie  si  notre  rythme  nerveux  devenait  mille  fois  plus 
accéléré  :  «  Avec  le  même  nombre  d'impressions,  écrit-il,  notre 
existence  pourrait  être  mille  fois  plus  courte,  nous  vivrions  moins 
d'un  mois  et  ne  connaitrions  rien  du  changement  des  saisons.  Nés 
en  hiver,  il  nous  faudrait  croire  en  l'existence  de  l'été  comme  nous 
croyons  en  celle  d'une  période  houillère.  » 

James  tient  pour  très  probable  que  les  autres  planètes  sont  habi- 
tées par  des  êtres  dont  le  rythme  vital  est  tout  dilîérent  du  nôtre  et 
pour  lesquels,  par  suite,  la  fantasmagorie  de  l'univers  est  toute  diffé- 
rente. 

Mais  au  sein  même  de  notre  espèce,  ne  peut-on  parler  d'une  évo- 
lution dans  le  rythme  de  la  vibration  nerveuse,  ne  peut-on  penser 
que  le  temps  va  toujours  s'accélérant? 

Lotzte,  du  moins,  l'affirme.  <c  Le  rythme  de  la  pensée,  de  la  vie 
intérieure  s'est  modifié  chez  les  différents  peuples;  et  au  cours  du 
développement  d'un  môme  peuple,  il  est  de  plus  en  plus  rapide  à 

1.  Essai  sur  les  données  immédiates  de  la  conscience ^  p.  94. 


C.   BOS,    —   THÉOUrK   l»SYCIlOLOCtQUE   DU  TEUI^  603 

mesure  que  le  degré  de  cuUure  est  plus  haut.  Les  langues  en  font 
preuve,  ayant  évolué  des  formes  amples  du  vieux  gothique  h  celles 
étroites  de  l'anglais  actueh  Malgré  son  charmCj  nous  ne  pouvons 
plus  lïre  Boccace  a  cause  de  Tarn  pleur  de  son  style,  déshabitués  que 
nous  souimes  de  cette  manière  de  penser  ^  » 

Le  rythme  vital  est  probciblement  plus  accéléré  à  Paris  qu'en  pro- 
vince :  les  Goncourt  ont  bien  écrit  que  Texistence  parisienne 
«  hâtait  Tovulution  »  ! 

Mais  chez  uu  môme  individu  ne  prévoit-on  pas  que  Tondulation 
nerveuse,  étalon  de  la  durée  psychique,  pourra  sous  mille  iniluences 
s  accélérer  ou  se  ralentir? 

Elle  varieni  d'abord  dans  une  même  journée  avec  la  tension  élec- 
trique, toujours  plus  forte  le  soir.  L'accélération  se  réalise,  en  outre, 
dans  tous  les  états  d'excitation  et  elle  a  surtout  été  observée  dans 
des  cas  d'intoxication,  où  les  phénomènes  ont  lavantage  d être 
grossis. 

On  trouverait  des  exemples  d'amplification  du  temps  chez  de 
Quincey  (Confessiom^  d'un  mangeur  loplum),  chez  Moreau  de 
Tours   Le  hasckich),  chez  Eiaudelaire  (Par^adia  artifici^h). 

A  l  état  de  veille,  Tillusion  est  presque  toujours  rectifiée  car  nous 
avons  des  moyens  de  contrôle,  des  redresseurs  de  cette  illusion. 
Mais  dans  le  sommeil,  alors  que  manquent  les  points  de  repère  et 
que  sont  suspendues  les  opérations  ïtitellectuelle;^  supérieures,  la 
durée  est  évaluée  en  fonction  du  nombre  d*images  et  il  nous  senjbie 
avoir  vécu  un  rêve  de  vingt  ans,  tant  fut  riche  le  défdé  des  visions. 
Le  mécanisme  de  t  Tillusion  de  la  durée  dans  le  rêve  »  tient  dans  ce 
vers  de  Baudelaire- 

J'ai  plus  de  souvenirs  qu^  si  j'avais  mille  ans.,^ 

«  Mille  ans  »  est  choisi  volontairement  par  le  sujet  éveillé  qui 
juge  et  qui  compare  avec  ses  expériences  passées  t  quil  s'endorme 
et  que  ïcs  mêmes  nombreux  souvenirs  défilent  devant  ses  yeux,  le 
sujet  endormi  ne  rectifiera  plus  son  impression' de  durée,  ceux-là 
mesureront  celle-ci  :  il  mtra  vécu  mille  ans. 

Si  nous  voulons  prendre  garde  à  la  langue  linéaire  dont  nous 
usons,  nous  comprendrons  que  le  sujet  traduise  cette  plus  grande 
richesse  duc  temps  de  présence  »  par  un  accroissement  de  longueur 
du  temps  spatiuL  il  la  iradnU  ainsi,  mais  ce  n'est  pas  ainsi  qu'il  la 
perçoit.  Que  se  passe-t*il,  en  elTet,  en  lui? 


K  Lo  i  z  l0 ,  h(e  a  te  Fraffen  { Z  e  U  u  nd  We  iJ  e)* 
2,  Cf.  Chérie. 


604  ABV16  fUlLOSÛPRîOUE 

Il  a  conscience  d'un  nombre  si  grand  de  phénomènes  psychiques, 
quHl  conclut  à  un  espace  de  temps  assez  vaste  pour  les  contenir;  il 
fient  !es  événements  inlérieurs  plus  abondanis  qu'à  l'ordinaire  pour 
une  même  longueur  de  temps  spatial  :  le  changement  perçu  est  pro- 
jeté du  contenu  dans  le  contenant  et  par  une  illusion  d*optique  tem- 
porelle, il  distend  la  durée*  Tant  est  forte  la  tendance  à  traduire  le 
complexe  en  exlensif  î  Un  exemple  classique  et  bien  instructif  tle 
celte  illusion  d  optique  est  le  cas  de  llousseau^  attribuant  au  séjour 
qu'il  fit  aux  CharmetleSj  oîi  il  avait  passé  des  jours  si  pleins  d*émo- 
tionsj  une  durée  de  deux  ans  trop  longue* 

L'intensité  du  t  temps  psychologique  *,  à  mesure  qu^elle  crolt^  se 
distend  dans  le  temps  linéaire. 

Nota.  Il  est  curieux  de  %^ojr  qu'une  tendance  inverse  .se  produit 
lorsqu'au  lieu  du  langage,  mode  de  l'étendue,  nous  exprimons  nos 
sentiments  dans  la  musique,  traduction  immédiate  du  qualitatif 
c'est-à-dire  du  temps  psychologique.  La  musique  redresse  pour  ainsi 
dire,  l'image  renversée  par  le  langage,  en  ce  sens  que  fintensif  s*y 
traduit  en  condensation  dans  le  temps-éiendue.  Tous  les  musicieos 
savent  que,  quand  une  phrase  est  écrite  crescendo,  nous  la  jouons 
involontairement  dans  un  mouvement  accéléré  :  à  notre  insu,  nous 
avons  traduit  Tintensilé  croissante  par  le  surcroît  de  tension  qui  lui 
correspond,  ^ous  avons  une  peine  extrême  à  jouer  un  morceau  de 
musique  à  la  fois  dans  un  mouvement  très  rapide  et  très  léiano  :  ce 
qui  est  faible  est  par  nous  distendu  dans  le  temps. 

L'accélération  du  rythme  nerveux ^  nous  l'avons  tous  éprouvée 
dans  les  cas  d'émotion  violente. 

Devant  un  malheur  foudroyant,  nous  avons  tous  «  vécu  plusieurs 
vies  en  Tespace  d^une  heure  »,  —  et  peut-être  faut-il  chercher  là  Tex- 
plieation  d'un  phénomène  souvent  signalé',  qui  ferait  que  les  noyé^ 
au  moment  de  l'asphyxie,  verraient  défiler  devant  leurs  yeux  toule 
leur  vie  en  quelques  secondes^. 

Il  ne  sagit  pas  d'une  simple  e.valtation  de  la  mémoire,  car  on  peut 
admettre  le  cas  où  le  sujet  n'aurait  oublié  aucun  des  faits  qui  ïui 
sont  actuellement  prt'sents^  mais  alors  il  eût  dû  les  égrener^  les 
épeler  successivement  tandis  quHl  les  condense  et  les  lit  comme  ua 
moL  N'est-il  pas  plus  probable  que  rapproche  de  la  mort  amène  une 


t.  Cf.  Ritter,  SouveUei  recfiprches  sur  les  Confef^iûns^  1880* 

2.  Cf.  BarrfÇ,  L'ennemi  de^^  loi<i,  p.  226  ei  Bergson,  op.  ciL 

3*  Suiïaijucs  pnr  Teaii,  des  êtres  ont  vu  ii'alluni(.'r  dans  leur  cerveau  toul  k 
lliéâlre  de  Jcur  vie  passée  :  qtielqueïi  secomJes  ont  suffi  à  conlenir  une  »iiiftn- 
liti>  «je  senUmenis  et  d'images  (J:qujvalerite  à  des  années  ^Baudulake.  Putodi» 
artificiHs,  p.  mn. 


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G.   BOS.    —   TltKOFÎIB    t^SVCllaLOGlQUE   tïU    TEMPS  605 

exciUtiOD  qui  agit  comme  multiplicateur  pour  centupler  la  force 
d'appréhension  et  permetlre  la  synthèse  d*un  grand  nombre  de  faits 
en  un  tout? 

Baudelaire  semble  avoir  bien  compris  la  nature  du  phénomène, 
cette  condensation  d'une  multiplicité  en  une  uniié,  car  il  ajoute  : 
«  Ce  qu'il  y  a  de  singulier  c'est  la  simultanéité  de  tant  d  éléments 
qui  furent  successifs,.,,  dans  les  excitations  intenses,  tout  le  com- 
pliqué palimpseste  de  la  mémoire  se  déroule  d'un  coup  avec  ses 
couches  superposées  &. 

Des  émotions  aux  états  pathologiques  il  n*y  a  qu'un  pas.  Nous  ne 
serons  donc  pas  surpris  de  trouver  dans  les  troubles  graves  du  sys- 
tème nerveux  un  bouleversement  du  sentiment  de  la  durée.  En  ce 
qui  concerne  Fépilepsie  je  relève  une  observation  —  qui  fut,  comme 
on  sait,  une  auto-observation  — de  Dostoïevsky,  si  remarquable  que 
je  ne  puis  résister  à  Tenvie  de  la  rapporter  (le  cas  est  d'ailleurs  d'au- 
tant plus  intéressant  que  le  sujet  n'essaie  pas  de  traduire  en  durée- 
étendue  ce  qu'il  éprouve,  mais  nous  livre  un  sentiment  immé- 
diat) : 

...  «  Toutes  ses  forces  vitales  atteignaient  subitement  un  degré 
prodigieux  d'intensité,  La  sensalion  de  la  vie,  de  Texistence  con- 
sciente était  presque  tiécuplàe  tians  cea  insianti^  rapides  comme 
réclair...  Quand  plus  lard,  revenu  à  la  Banté>  le  prince  réfléchissait 
là-dessus,  il  se  disait  souvent  :  Ces  instants  fugitifs  où  se  manifeste 
la  plus  haute  conscience  de  soi-même  et  par  conséquent  la  vie  la 
plus  haule,  ne  sont  dus  qu'à  la  maladie,  h  la  rupture  des  conditions 
normales  et»  s'il  en  est  ainsi,  il  n*y  a  pas  là  de  vie  supérieure  mais, 
iu  contraire^  une  vie  de  l'ordre  le  plus  bas.  Qu'importe  que  ce  soit 
une  maladie,  une  ienaion  anormale  si  dans  cette  minute  j'ai  une 
sensation  inouïe,  insoup<;onnée  jusqu'alors  de  plénitude  avec 
la  plm  hauie  stjnthèsc  de  la  vie?,*.  Dana  ce  moment»  disait-il,  il 
me  semble  que  je  comprends  le  mot  extraordinaire  de  Tapôtre  :  il 
n'y  aura  plnn  iitî  temps.  C'est  sans  doute  à  cette  même  seconde  que 
faisait  allusion  Tépileptiiiue  Mahomet  quond  il  disait  quit  visitait 
toutes  les  demeures  d'Allah  en  moins  de  tempa  ipiHt  ne  fallait  a  sa 
cruche  d'eau  pour  se  vider  m  Dostuïe%'sky  \U Idiot). 

Que  l'organisai  ion  ne  puisse  supporter  longtemps  une  pareille  ten- 
sion, le  sujet  le  sent  lui-même  :  «  il  voyait  trop  bien  que  la  consé- 
quence évidente  de  ces  minutes  supérieures,  c'était  Thébétude, 
l'idiotisme  »* 

Bien  qu'au  premier  abord  cela  paraisse  contradictoire,  c'est  encore 
par  un  allongement  de  îa  durée  que  nous  traduisons  le  phénomène 
inverse,  le  ralenlissement  du  rythme  vital,  cette  raréfaction  des  faits 


606  REVUE  PïiiLOsorniûL'E 

psychiques  inclus  dans  le  temps  de  présence  et  qui  constitue  Ten- 

nui^ 
La  contradiction  n'est  qu'apparente  :  précédemment,  quand  il  y 

avait  surexcitation,  c'était  sur  le  mnienu  du  temps  que  portait  noire 
attention,  la  complexité  n'était  traduite  eu  allongement  qu'après 
coup;  dans  Tennui^  les  événements  extérieurs  ne  sollicilent  plus 
notre  attention,  c*est  sur  la  forme  même  du  temps,  sur  le  nthme  %'jtil 
que  porte  notre  attention.  Le  temps  nous  semble  plus  long  cotnrae 
un  appartement  vide  nous  semble  plus  grand, 

La  recti  il  cation^  d'aiïleurs,  se  fera  plus  tard,  quand  au  lieu  de 
ëeniit  nous  jugerons  :  nous  estimerons  alors,  va  le  peu  d'images  Im- 
crites  dans  notre  mémoire,  qu'un  «  espace  de  temps  très  court  la  ûù 
suffire  à  nous  les  apporter.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  que  Vàme  perçoit 
immédiatement  ce  n  est  pas  une  durée  allongée  ou  écourtée,  c  est, 
ici  encore,  un  sentiment  :  celui  du  vide. 

L'importance  de  cette  infinie  variabilité  dans  le  rhytme  -vilal,  en 
ce  qui  concerne  les  problèmes  métaphysiques  les  plus  élevés,  s  en- 
treverra mieux  encore  si  nous  ajoutons  que  non  seulement  Téqua- 
tiou  personnelle  de  Tunite  de  durée  varie  sous  raille  influences  mais 
encore  qu'elle  nous  est  imposée,  dès  la  conception,  avec  la  fafalité 
de  notre  constitution.  Car  «  le  mouvement  vital  individuel  qui  don- 
nera réquation  personnelle  de  Tu  ni  té  de  durée  i  commence  dès  le 
moment  oii  Tovute  est  fécondé  par  le  spermatozoïde;  des  lors,  U 
forme  du  mouvement  vital  est  déterminée  aussi  bien  par  là  constitu- 
tion spéciDque  deTœuf  que  par  celle  du  spermato^toide^jo. 

Et  la  portée  de  cette  spécificité  est  incalculable,  car  «  les  diffé- 
rences individuelles  sont  plus  grandes  là  que  pnr'out  ailleurs  :  les 
phénomènes  psycho-physiologiqucs  sont  probablement  les  plus  dif- 
férenciés  des  organismes  vivants  î  ^.  t  Vraisemblablement*  disait 
déjà  Condillac,  il  n'y  a  pas  deux  hommes  qui,  dans  un  temps  dorme, 
comptent  un  nombre  égal  d'instants  *. 

De  ces  diO*érences  il  s'ensuit  d'autres  dans  nos  idées  abi^traites 
de  temps  et  de  durée,  dans  ra.spect  que  prendra  la  vie  pour  chacun 
de  nous.  Si  bien  que  c'est  peut  être  ici  Tasile  inexpugnable  du  siib- 
jeetivisme. 

Si  Ton  réfléchit  en  outre  que  a  la  plus  ou  moins  grande  tension 
de  la  durée  chez  les  différents  êtres,  qui  exprime  (m  fond  leur  plus 


\.  Four  confirmer  ce  que  nous  avons  du  ptéwlemmi^ni^  ritmennTït  î^amplî- 
tude  du  temps  du  pfé^encc  è  lu  force  de  l'ai  ton  bon,  raîn^Mf^n^  que  ceUe-d  e^t 
très  diminuî'e  dans  tous  les  dULs  aslhéniijucs  où  apparaît  l'eanuL 

2.  UiieckeL  Geschîchie  der  NtJiiirsthtipfttHf/,  p,  i  7!l, 

3.  niiheU  Diclimimthe  de  phystoiof/ie^  l.  Ul,  f*  1,  p.  î>. 


I 


C.   BOS.    —    TJitaRIE    PSVGHOLOCJÛLE    DU   ÎE»?^  flfT 

ôD  Tnoins  grande  intensité  de  vie,  détermine  ainsi  et  la  force  de  con- 
centration de  leur  perception  et  le  degré  de  leur  liberté  *  ^^  on  com- 
prendra qu  a  cette  différence  dans  la  qualité  de  la  vibi'ation  ner- 
veuse (ou  dans  la  tension  de  durée)  se  ramène  llrréductibilitc  de 
deux  personnalités. 

Enïhi  ce  rythme  vital,  qui  nous  est  imposé  avec  rexistence,  ne 
pèse  sur  nous  que  d*une  nécessité  de  fait.  Il  est  le  propre  de 
l'homme  même,  mais  en  dehors  de  nous  rien  ne  fonde  sa  nécessité 
métaphysique.  Nous  avons  vu  la  tension  de  durée  varier  sous  mille 
influences,  nous  avons  même  vu,  dans  les  étals  anormaux^  une  con- 
traction telle  que  de  grands  fragmenls  de  vie  tenaient  dans  un  ins- 
tant présent.  Rien  ne  nous  empêche  donc  de  concevoir  un  fttre  pour 
qui  la  tension  de  durée  serait  illimitée  (ou  plutôt  pour  qui  ce  mot 
n'aurait  pa.^  de  sens),  un  Être  qui  serait  aJTranchi  de  notre  forme 
successive  de  perception,  parce  que  chez  ce  Dieu-Tout,  T unité  de 
temps  serait  assez  ample  (la  tension  de  durée  assez  intense)  pour 
enfermer  Je  touL 

Pour  ce  Dieu,  le  processus  entier  du  monde  serait  présent  parce 
que,  pour  parler  notre  langue  spatiale,  tout  entrerait  dans  son  pré- 
sent. Ce  Dieu  serait  le  Dieu  de  Plotin,  affranclû  du  devenir,  celui 
qu'allaient  retrouver  Ses  ©liîiGooot  pour  entrer  avec  lui  dans  une 
éternité  qui  était  un  <t  éternel  maintenant  i>.  La  plus  ou  tnoins 
grande  force  de  tension  mesurant,  en  somme,  le  pouvoir  d'unifica- 
tion, ce  Dieu  nous  ramènerait  (dans  le  sens  même  de  l'évolution 
pythagoricienne  du  platonisme)  au  Dieu-Un  de  Parménide. 

Il  s'ensuivrait  une  conception  plus  juste  de  réternité.  Conçue 
d'ordinaire  comme  une  longueur  prolongée  à  rinfmi,  comme  le 
déroulement  indéfini  du  successif  dans  la  durée  <  étendue,  l'éter- 
nité dépouillerait  ce  masque  spatial,  pour  apparaître  avec  sa  vraie 
nature  qui  est  ijualîUiiive,  celle  d'une  manière  d'élre  de  Talisolu,  et 
elle  deviendrait  susceptible  d'être  appréhcDdëe  dans  une  unité  de 
présence. 

Qu'il  en  puisse  être  ainsi,  ne  le  sentons-nous  pas  tous  quand  nous 
cherchons  Téternité  dans  une  intensité  sans  durée? 

V  Le  plaisir  éternel,  déclare  Renan  par  la  bouche  de  la  belle  Bru- 
nissende -»  c*est  celui  tiui  a  eu,  à  un  moment  donnée  toute  Tinten- 
sîté  dont  il  est  susceptible.  » 


1.  Bergson*  Matinée*  et  mémoire,  p*  23S. 

2.  Eau  de  Jouvence^  j>-  Ï2. 

"Soin.  —  C*eUe  lîonceplion  de  réternité  comme  n*ayant  rien  de  i:ommun  avec 
le  lemps,  qu*on  pourrait  suivre  ii  travers  rUistoire  de  la  pïiîlo*^opbie,  depuis  les 
Idét^  de  Platon  nux  Noumi'ntfi  de  Ktmt  en  paysan i  par  le  Loyos  fie  Piotin,  e&L 


ms 


REVOE   PHILOSOPUJQUE 


Ainsi  le  temps  n*(?xisterait  pas  pour  Dieu  :  après  un  long  dtMour 
nous  rejoindrions  le  kantisme,  et  notre  Ihéorie  qui  fournît  un  point 
d'appui  au  subjectivisme,  à  la  conception  de  la  personnalité,  servirait 
encore  k  fonder  le  relativisme.  Nous  voudrions  en  terniinant  mon- 
trer comment  elle  explique  certaines  erreurs  curieuses  de  la  locali- 
sation dans  le  passé. 

Ne  pouvant  appréhender  tout  le  processus  de  l'Univers  dans  une 
uniliV,  nous  en  localisons  les  épisodes  dans  un  temps  linéaire,  cons- 
truction arbitraire,  ainsi  que  nons  Tavons  vu.  Noire  point  lixe  esl 
alors  le  présent  :  par  rapport  à  lui  les  événements  s^ordonnent  en 
série  et  seloignent  plus  ou  moins  dans  le  passé. 

Comment  va  se  faire  cette  ordonnance? 

Nous  avons  vu  que,  pour  des  raisons  de  convenance,  TesprU  Irado" 
sait  les  diverses  tensions  de  durée  en  longueurs  de  temps  mesurables: 
mais  c'est  lU  une  interprétalion  a  posicnori^  ce  n'est  pas  la  donnée 
immédiate  de  notre  conscience.  Pour  celle-ci  rien  ne  s'inscrit  en  Inn- 
guêur  (espace)  mais  bien  sous  forme  de  qualité  (temps  psycholo- 
gique). 

Ce  que  la  conscience  perçoit  immédiatement,  c'est  la  sensaUon 
de  rythme,  de  vibration  discontinue  dont  nous  avons  parlé;  chaque 
événement  lui  esl  donné*  avec  un  mode  de  temps  spc^cial  et  c'est  uo 
^miilmnU  qnï  fournit  à  chaque  fait  psychologique  son  limbre^  fournit 
à  chacun  un  si^jne  temporel',  qualité  due  à  son  accompagneïîïeal 
somatique. 

C'est  pourquoi,  nous  Tavons  déjà  dit,  nous  ne  pouvons  souscrire 
aux  conclusions  de  Guyau  :  nous  admettons  avec  lui  qu*on  puisse 
avoir  une  représentation  sans  <f  représentation  de  temps  »,  mais  non 
pas  sans  un  «  senliment  de  temps  »*  Ne  le  reconnaît-il  pas  d'atlIeuFB 
quand  il  nous  dit  que  «  dans  tout  état  de  conscience  il  y  a  im 
caractère  dlnlensilé  qui  est  irréductible  »?  Ce  caractère  c'est  pour 
nous  le  degré  de  présence;  qu'il  en  aille  bien  réellement  ainsi,  que  le 
temps  se  traduise  a  notre  conscience  por  un  Benllment^  cela  a  dêjA 
été  reconnu  par  maints  auteurs.  PYies  *  ramène  le  temps  et  Tespace 


d^aJLleurâ  iiËLtcmenL  formulée  par  Spinoita  :  «  L^ëlernUé  ne  peut  %e  me«iifff 
par  le  tciiip:»  ni  avoir  avec  le  lempâ  aucune  reialion...f  rexiïitrncâ  ètern^lJe  n< 
peut  se  mesurer  par  le  temps  ni  s*è tendre  ilanii  Iti  durée  *  {Schûl  %te  la  $*tv}*f>*" 
23,  partio  IV)* 

La  cornue pti on  <ie  rùlernitt'ï  comme  *Vnne  manitTe  dVtre,  d'un  nnxl^  *!' 
rabsulu,  ressort  Q^sQt  des  exemple,^  de  vert  lés  t5i**rri  elles  ijiic  doiruc  J^ptfiwf* 
dans  Ja  R^formt'  de  tEntendémeni  i  ^>  La  Ghîinere  n'existe  pas  •;  voili*»  "•^'l"" 
lui»  un  type  de  ^érilt:  élornelle  *  îi  s^at^it  bien  la  d'ime  manière  iPêlre  iiualdattu 
aftna  rapport  avec  une  durfe-èttsudut** 

i.  Ward,  James*  Lipps,  Gtiyau. 

a,  M^uc  KtiHk  der  Veruttu/L  L  I»  p*  tSL 


G.   BOS,    —   THÉORIE   PSYOIOLOCIÛIE    DU   TEMPS 


609 


de  Kantj  non  à  des  ioluitions  pures,  mais  à  des  Grundhesiimmungen 

des  Gemiilhes.  Lolze  est  convaincu  que  les  divers  mots  sigrniftant 
temps  ont  leur  racine  dans  des  radicaux  exprimant  des  sentiments 
el  il  appuie  sa  théorie  sur  des  arguments  pînloïogiques.  Ce  senti- 
ment de  temps,  c  e^^t  la  ■£  Weile  »,  à  valeur  toute  subjecli%'e  et  dont 
Lolxe  dislingue  le  «  Zeit  n,  mesure  du  temps  à  valeur  objective. 

Plus  récemment,  Volkmann  étudie  ces  a  Zeitgeluhle  if»  qui  consti- 
tuent le  ne-plus  et  le  pas-encore,  tandis  que  Ward  tient  le  sentiment 
de  temps  pour  comparable  à  ceux  de  plaisir  et  de  peine. 

Puisque  c'est  le  présent  qui  nous  sert  de  point  fixe,  nous  admet- 
trons un  sentiment  inilial  de  présence,  susceptible  de  variations.  Ce 
qui  nous  afteclera  du  sentiment  de  «  ne  plus  présent  »  sera  qualifié 
passé,  et  suivant  que  ce  passé  sera  plus  ou  moins  dilTérent  du  iiré- 
senl,  nous  l'en  situerons  à  une  dislance  plus  ou  moins  grande. 

Mais  comment  défrnu'ons-nous  le  présent? 

Il  se  définit  par  rapport  au  sujet  :  «  I^  présent,  dit  M.  Bergson,  est 
avant  tout  Téiat  de  noire  corps;  un  état  devient  présent  quand  il  atteint 
ce  plan  dans  le  champ  de  la  conscience  ou  se  dessine  notre  corps  d. 
Le  pvé»ent^  dirons^nou.s  à  notre  tour,  c'est  ve  rpù  oecupe  la  «  Utdte 
jaune  »  de  raHenilon^  ce  qui  prend  le  premier  plan  dans  lechamp  de 
la  conscience,  de  sorte  que  la  suite  temporelle  de  ses  présents  cons- 
titue la  vie  de  chacun  i»  i  Volkmann).  Mais  après  ce  qui  a  été  dit,  ne 
pouvons-nous  traduire  cela  en  disant,  qu'un  événement  nous  esl  pré- 
sent quand  il  nous  est  donné  avec  la  tension  de  durée  maximum 
dont  notre  cellule  nerveuse  est  susceptible? 

Ainsi  ce  sont  des  (cnsions  afîectant  pour  la  conscience  la  forme  de 
sentiments  difTérents  qui  vont  fournir  les  degrés  de  présence  et 
Fordonnance  primordiale,  immédiate.  Le  rapport  que  se  Fera  la  con- 
science à  elle-même  se  guidera  sur  des  données  toutes  qualitatives, 
aura  une  valeur  toute  subjective-  <  L'éloignement  d*un  événement 
dans  le  temps  dépend  de  Tinlensîté  et  de  ia  clarté  de  riraûge  mnémo- 
nique, l'n  événement  passé  donne  à  celui-ci  une  faiblesse  qui  la 
recule  dans  le  temps.  C'est  ce  qui  fait  qu'un  événement  amenant  un 
choc  considérable,  suscitant  beaucoup  de  pensées,  peut  paraître 
vieux  :  une  mort  subite  nous  parait  lointaine  au  bout  d'une  heure.  » 
(,J:  Sully. I 

Ainsi  dans  la  localisation  psychologique  les  points  de  repère 
s'imposent  û  nous  :  ce  sont  des  états  de  conscience  plus  intenses. 

Au  contraire,  la  localisation  dans  le  temps  linéaire  dont  nous 
usons  par  convention  se  fait  au  moyen  de  points  de  repère  pfir  un 
procédé  qu*à  étudié  Taine*  Ces  points  de  repère  sont  indépendants 
du  moi,  car  ils  doivent  valoir  pour  tous.  On  entrevoit  donc  de  suite 

TOHE  L,  —  1900.  40 


(ÎIO 


HEVUE   PHlLO:?0Pt1]QlJE 


que  les  deux  allas,  pour  parler  comme  notre  auteur,  ne  se  recouMi- 
ronl  pas  exactemeiil  et  que  le  conflit  éclaLera  précisément  dans  Iês 
cas  de  «  présence  i»  intense  où  le  moi  sera  plus  intir'-ressé. 

Remarquons  d'abord  que  le  travail  de  localisation  est  bien  Uirdif 
et  artillciellenieat  Kurajouté,  que  dans  tous  les  eas  de  précoce 
intense  il  n'est  par  elTeclu<'^  '.C'est  le  sentiment  de  *  hors  du  temps» 
qui  accompa^me  les  émotions  violentes  et  dont  la  littérature  nous 
fournit  de  si  nombreux  exemples.  <t  LV vocation  lut  prrcise,  brève, 
hor&  du  temps  comme  dans  certains  songes  —  ^^crît  M,  Prévost,  — eu 
une  minute  a  tenu  tout  le  pass*^  n  {Jardin  set' tel).  Sur  la  poitrine 
d'une  femme  aimée,  G.  KeJler  déclare  expressément  •  Ich  frililte 
mieh  aûsser  der  Zeit  *  {/^f^r  fjrûm'  ffeinnch). 

Un  autre  phénomène  qu*il  serait  curieux  dV'tudter  longuement, 
c'est  celui  grâce  h  quoi  nous  ne  prenons  conscience  de  certains 
«  présents  »  que  quand  ils  sont  entrés  dans  le  passé,  Volkmaon 
ravait  déjà  noté.  «  Il  va  des  hommes,  écrit-iï»  dont  le  présent  est 
dans  le  passt\  c'est-à-dire  dont  le  présent  est  surtout  déterminé  par 
des  souvenirs;  il  se  peut  même  que  ce  passé  n'ait  jamais  été  un 
vrai  présent,  il  y  a  des  «  Luftreisen  qui  font  pendant  aux  Lufl- 
schlôsser  »* 

Tâchons  d'abord  de  nous  expliquer  le  premier  point  :  que  doit-il  se 
produire  chez  les  sujets  dont  on  nous  parle?  Leur  force  de  synthèse 
mentale  doit  être  très  faible,  ils  doivent  vivre  dans  une  sorte  de  tor- 
peur ou  rien  ne  les  alTecte  d'un  sentiment  de  complète  réalité  — 
c'est-à-dire  où  jamais  la  perception  actuelle  n'est  tout  à  fait  présente* 
Cependant  celle-ci  laisse  un  souvenir,  qui,  s'il  est  souvent  remé- 
moré, va  s'ajouter  à  la  perception  initiale  et  il  se  produira  une  sorte 
de  soinmation  par  suite  de  quoi  T image  de  l'événement  pa^sé  rempor- 
tera en  intensité  sur  celle  de  Tévénement  actuel,  auquel  manque  le 
renfort  des  souvenirs  duplicata. 

On  peut  dire  de  ces  personnes  que  leur  présent  retarde  toujours, 
et  le  phénomène  s'observe  dans  les  états  de  dépression  ;  c'est  un  pre- 
mier pas  vers  le  curieux  délire  du  doute. 

Quant  à  la  remarque  ajoutée  par  Volkmann,  elle  me  semble  bien 
digne  d'attention.  Selon  l'auteur,  ainsi  qu*on  fait  des  châteaux  en 
Espagne,  anticipant  sur  le  futur  dont  la  représentation  saccompa^e 
du  sentiment  de  présence^  ainsi,  k  Tinverse,  on  pourrait  éprouver  ce 
même  sentiment  à  propos  de  pseudo^souvenirs.  Ce  sentiment  de 


1.  Voir  reiitretien  du  prophète  ^vùû  Scjde,  rapporté  pjir  Uartmatin  :  •  hc 
jour  etla  nuit  ^vaienl  Ji^i^ini  <  «intine  rt'tl.iir:  l'einhra^saU  rinlinjlé  du  pâs^é 
et  de  Taiffnîr  vi  dans  mm   il   i  i  o  n^  '         ,i1t?«  on  une  Iil*ui^  èlak'nt  poof  tn<)i 


C.  BOS.   —  TMtoniE   PSYGHOLOCigrîK  ftU  TES  PS  61 

«  réellement  vécu  u  serait  une  forme  de  paramnésie,  voisine  de  celle 
étudiée  sous  le  nom  de  «  fausse  reconnaissance  »  par  M.  Bernard 
Leruy  \  et  au  même  litre  intéressante  parce  qu'elle  nous  montrerait, 
cumme  Tillusion  de  *<  déjà  vu  »,  un  cas  de  ces  «  senlimentii  inteUectuels 
dont  la  brusque  apparition  reste  un  problème  >. 

La  règle  pour  la  localisation  psychologique  peut  donc  s'énoncer 
ainsi  :  Sera  localisé  dans  le  présent  tout  ce  qui  nous  alTectera  du 
sentiment  de  présence. 

Nouij  avons  vu  le  cas  où  Factuel  n*y  parvient  pas,  où  il  nous  est 
donné  avec  une  tension  (sentiment)  trop  faible,  où  un  surcroît  est 
nécessaire.  Mais  les  cas  les  plus  fréquents  seront  ceux  où  le  possé 
aura  Tinlensité  d*un  présent*.  Nous  avons  coutume  de  dire  de 
certains  événements,  «  qu'ils  nous  sont  toujoui*3  présents  à  la 
mémoire  n  ;  —  cela  est  en  partie  exact* 

Tel  fait  qui  a  bouleversé  notre  vie  peut  avoir  pris  à  jamais  dans 
le  champ  de  la  conscience  cette  place  que  nous  avons  appelée  sa 
tache  jaune  ou  son  présent.  L  attention,  comme  magnétisée^  pourra 
rester  immobilisée  longtemps  en  un  point  qui,  malgré  les  années, 
demeurera  Je  présent  :  le  cours  de  la  vie  se  sera  arrêté  là.  De  pareils 
événementSj  quand  ils  n'empêchent  pas  les  faits  postérieurs  de 
s'enregistrer  dans  la  mémoire*  les  rejettent  cependant  derrière  eux 
de  sorte  que  l'après  devient  Vuvant;  la  faible  intensité  comparative 
est  traduite  par  Téloignemeut  dans  le  temps  linéaire,  en  vertu  du 
procédé  habituel  qui,  dans  ces  cas,  amène  ce  que  nous  avons  appelé 
une  erreur  d'optique  temporelle, 

L  extrême  dans  le  genre  se  trouve  réalisé  lorsqu  après  une  vio- 
lente émotion  passée  on  se  retrouve  exactement  dans  les  conditions 
oh  elle  a  été  éprouvée.  Le  souvenir  qui  déjà  nous  restait  présent 
est  intensifié  par  Tassociation  :  on  s*attend  à  voir  réapparaître  ce 
passé  qui,  non  seulement  est  présent,  mais  devient  pfws  prment  que 
le  présent. 

A  ce  propos,  j  emprunterai  quelques  lignes  caractéristiques  à  un 
journal  intime  dont  je  me  suis  déjà  servi  : 

•  ..,  Le  cauchemar  devient  affolant...  c'en  arrive  à  la  sensation 
d'identité  entre  le  passé  et  le  présent..*  ils  sont  simultanés,  je  ne 


2.  »  La  (ii^tiu<!tiûrt  tlu  passé  et  du  prè^enU  écrivait  déjà  Guyau^  est  tellemenl 
retfitîvt*  f(ije  Lanti;  ititago  loinlaine  donnée  par  la  méniotre,  torsqu^on  la  Ûxe  par 
PattL^nUtin,  no  tarde  pas  à  se  rapprocher,  n  prendre  sa  place  ilans  le  présent  * 
[Op,  tiL^  p.  44ï*  Kt,  h  Tappiii  de  la  tbéoric  *^ue  nous  avons  proposée  |M>ur  estpli- 
t(uer  le  temps  (>syctîQlogiq*ie  :  *  Quand  rallenlion  rend  un  souvenir  présent, 
ne  j>t'ui'On  expliquer  le  phénoniètit'  (lar  la  rapidité  et  la  force  plus  ou  moins 
grande  des  vibralions  de  nos  ccUulc:^^  •  (Op.  cii.r  P*  5S). 


612 


REVtJE  PBILÛSOFBÎQUB 


distingue  plus  d'ordre  de  succession  \  l'élaiemenl  dans  le  teraps  se 
condense,  j*ai  le  sentiment  de  mon  moi  dédoublé  en  deux  exem- 
plaires contemporains  et  identiques* 

«  ...  Les  deux  séries  se  mt^eiit  exactement  et  les  faits  passés  iHant 
aiïectus  du  même  sentiment  de  réalité  que  les  faits  présents,  i^mlùi 
c'est  un  fait  d'une  série  qui  m'apparaît  tantôt  un  de  l'autre,  sans 
que  je  puisse  distinguer.  Passé  et  présent  sont  simultanés  comme 
Tobjet  et  son  image  dans  un  miroir...  j* 

La  conclusion  ou  nous  revenons  aboutir^  à  savoir  que  le  terajfê 
n'étant  qu'une  qualité,  le  rapport  du  passé  au  présent  est  infmimem 
élastique  et  déterminé  seulement  par  la  nature  de  Tétat  de  cens- 
cience  actuel,  ressort  déjà  d'une  remarque  de  Spinoza  :  «  Quand 
j'ai  dit  que  l'image  d'une  chose  passée  nous  affectait  de  la  même 
manière  que  si  celle  chose  était  préseiUe,  je  n*ai  point  nié  que  celte 
image  ne  devint  plus  faible  quand  nous  venons  k  contempler  des 
choses  présentes  qui  excluent  Texistencedela  chose  passé  »  (SehoL 
de  la  pr.^  y,  partie  JV). 

Mais  c'est  surtout  Lotsté  qui  a  bien  mis  la  chose  en  lumière. 

Cet  auteur  fait  observer  que  lorsqu'on  attribue  au  temps  le  pou- 
voir d'adoucir  les  plus  grandes  douleurs,  ce  n'est  pas  en  vertu  ûûn 
simple  tt  recul  s*  sur  une  ligne  de  temps-étendue,  mais  bien  h  cause 
des  événements  psychiques  nouveaux  qui  sont  venus  affecter  Tàrae 
et  qui,  par  les  rapports  contractés  avec  le  phénomèoe  initial  (la 
grande  douleur),  en  modifieront,  pour  l'atténuer,  le  degré  de  pré- 
sence. C'est  le  mécanisme  grossièrement  traduit  par  le  terme  de 
t  distraction  ï».  Si  l'on  pouvait,  dit  Lotze,  aussitôt  après  I  événe- 
ment douloureux,  boucher  hermétiquement  Tâiue  à  ia  cire,  les 
années  auraient  beau  passer  :  lorsqu'au  bout  de  dix  ans  on  rouvri- 
rait Tâme»  la  douleur  ne  serait  en  rien  diminuée  (Op,  ciL,  Zeit  und 
WeU€), 

Faisons  un  pas  de  plus  :  le  passé  pourra  paraître  non  seulement 
présent  mais  avenir.  Placé  dans  les  mêmes  circonstances  qui  pré- 
cédèrent immédiatement  les  événements  de  Tannée  précédente,  le 
sujet  auquel  nous  avons  déjà  emprunté  quelques  lignes  écrit  : 

«  C'est  le  même  train,  le  même  jour,  la  même  heure  que  l'an 
dernier...   Quand  je  regarde  dans  Tavenir,  c'est  le  passé  qui  s'f 


1.  Noie  duJùurnat.  —Pourtant  ce  caraclère  d'intervalle  comblé  entre  le  passe 
«l  le  présent  n'a  rien  d^amnésigue.  Je  me  riippelle  parFaitement  lous  Ws  évé- 
netnents  f|ui  eonstilucnt  cet  intervalle,  cela  au  moment  mêmti  oii  il  m>âl 
impossit>U*  do  le  réaliser  comme  plein  d'événements  i'étendant  dans  le  tempâ 
entre  le  passe  et  le  présent,  Tous  les  éléments  sont  conservés,  mais  péle-mék» 
plus  en  ligne  mais  groupéa  autour  un  pas^é-pi'^^eni  comme  centre. 


C.   BOS.    —  THÉORIE   PSYCHOLOGIQUE  »U   TESIPS  613 

reflète;    il  me   semble  que  je  vais  au-devant   de   mon  passé.  » 

On  ne  peut  pas  trouver  une  illustration  plus  frappante  du  mode 
qualitatif  de  localisation  dans  le  temps  psychologique. 

Ainsij  partis  d'une  donnée  physiologique,  le  rythme  de  Tondu- 
lation  nerveuse,  nous  avons  retrouve  partout  la  traduction  conven- 
tionnelle d'une  qualiié  {force  de  tension),  fournie  parce  temps  vital, 
en  étctidnB  (longueur  dans  le  temps  linéaire).  Nous  avons  vu  à 
quelles  erreurs  cela  nous  entraînait  :  elles  sont  InévitableSj  cepen- 
dant, parce  que  dès  (|ue  nous  voulons  exprimer  des  états  de 
conscience,  il  nous  faut  recourir  au  langage,  mode  de  [^étendue* 

Qu'il  y  ait  hétérogénéité  absolue  entre  les  deux  ordres,  nous  le 
savions  déjà  ;  déjà  Locke  nous  avait  dit  : 

«  Ce  qui  a  le  plus  contribué  h  nous  empêcher  de  bien  conduire 
nos  idées  et  de  découvrir  leurs  rapports,  ç*a  été  à  mon  avis,  le  mau- 
vais usage  des  mots.  Il  est  impossible  que  les  hommes  puissent 
jamais  découvrir  exactement  la  convenance  ou  iJisconvenance  des 
idées  tandis  que  leurs  pensées  ne  roulent  et  ne  voltigent  que  sur  des 
sons  d'une  signification  douteuse  et  incertaine.  i& 

Mais  Tétude  que  nous  avons  faite  de  la  sensation  de  temps,  des 
lois  qui  président  k  l'ordonnance  des  faits  psychologiques,  nous 
permet  d^entrevoir  la  raison  de  bien  des  confusions,  de  bien  des 
impuissances  où  nous  nous  heurtons,  quand  nous  oublions  que, 
selon  le  mot  de  %Vundt,  ^  si  l'espace  est  la  condition  de  Texpérience, 
le  temps  est  Thomme  même  »• 

C.  Bos. 


LE  DILETTANTISME  SOCIAL 

ET  LA  PHILOSOPHIE  DU  «  SUHHOMxVIE  .. 


Le  problème  capital  dô  U  morale  sooîale  est  celui  des  rapports  de 
rindividû  et  de  la  société.  —  Aux  diffère titcs  manières  de  résoudre 
ce  problème  répondent  diverses  attitudes  de  Tindividu  via-a*Tis  de  k 
société. 

Parmi  cen  attitudes,  il  en  est  deux  qui  nous  semblent  particuliè- 
rement intéressantes,  Boit  par  elles-mêmes,  soît  par  T tn 11 uen ce  qu'elles 
tendent  à  prendre  de  plus  en  plus  sur  les  esprits  cultivés.  L'une  ett 
celle  que  nous  appellerons  lUIetlantisme  social;  Tautre  a  été  exposée 
par  Nietzsche  sous  le  nom  de  luor.^le  du  <»  Surliomrae  *. 

Noua  voulons  nous  demander  à  quelle  conception  générale  de  la  ri' 
et  de  la  société  se  rattachent  le  Dilettantisme  social  et  la  philosopfaîi 
du  Surhomme*  Nous  rechercherons  ensuite  quel  est  le  lien  qui  unit 
ces  deux  conceptions  ainsi   que  le  rôle  moral  qu^elles  sont  appelées 
à  remplir. 

La  question  dont  nous  devons  partir  est  celte-ei  :  Quelle  est  au 
fond  la  xiature  et  la  valeur  de  la  société?  —  La  société  est-elle  bonne 
ou  mauvaise^  a-t-elle,  oui  ou  non,  un  droit  à  rexîstence  aDlériêurût 
supérieur  au  droit  des  individus? 

Or,  si  nous  examinons  les  diverses  réponses  qui  ont  été  faites  à 
cette  question,  nous  voyons  que  ces  solutions,  si  nombreuses  qu'elles 
soient,  peuvent  être  ramenées  à  deux  types  ;  Tun  que  nous  désigne- 
rons sous  le  nom  de  Dog^matisme  social^  lautre  sous  celui  de  Nihi- 
lisme social. 

J'appelle  du  nom  général  de  Dogmatisme  social  les  doctrines  qui 
attribuent  à  la  société,  en  tant  que  telle,  une  existence  antérieure  et 
supérieure  aux  individus,  une  valeur  morale  objective  et  absolue* 
Telle  est  par  exemple  la  phlloâophte  sociale  platonicienne  qui  subor- 
donne absolument  l'individu  à  la  cité. 

Ce  dûL'matisme  est  en  même  temps  un  réalisme  sociaL  J'entends 
par  là  que  les  Dogmatiques  érigent  la  société  en  entité  distincte  des 
individus  et  supérieure  à  eux.  —  Dans  cette  conception  la  société  â 
ses  lois  propres,  distinctes  de  celles  qui  régissent  les  existences  îndi' 
viduelles;  elle  a  aussi  ses  fms  propres  aux^quelles  doivent  être  sacri- 
fiées sans  hésitation  les  iins  éphémères  de  Tlndividu.  Elle  plane  au- 
dessus  des  existences  individuelles  comme  une  puissance  mystérieuse 


FALANTE.    —    LE    DlLErTANTIâHË    SOCIAL 


61 S 


et  fiitaie,  comme  une  sorte  de  Divinité.  C'est  ce  que  Sinamel  met  en 

pleine  lumière  quand  il  nous  montre  par  une  comparaison  ingénieuse 
quelle  est,  aux  yeux  de  certains  sociologues^  la  nature  des  rapporta 
qui  unissent  rindividu  à  la  communauté*  «  Simmel,  dît  M.  Bougie ^ 
compare  la  Société  à  Dieu  et  montre  que  le  développement  des 
sciences  de  la  société  nous  fait  apercevoir  dans  toute  idée  religieuse 
le  symbole  d'une  réalité  sociale,  —  Il  déduit  toutes  les  repr^^sentations 
qui  vont  se  rencontrer  dans  l'idée  de  Dieu  comme  dans  un  foyer  ima- 
ginaire, des  rapports  réels  que  la  Société  soutient  avec  Tlndividu,  ^ 
Elle  est  la  puissance  universelle  dont  il  dépend,  à  la  fois  différent 
d'elle  et  identique  à  elle.  Par  les  générations  passées  et  les  généra- 
tions présentes,  elle  est  à  la  fois  en  lui  et  hors  de  lui.  La  multiplicité 
de  ses  volontés  inexpliquées  contient  le  principe  de  toutes  lés  luttes 
des  êtres,  et  cependant  elle  est  une  unité.  Elle  donne  à  l'individu 
ses  iorccs  en  même  temps  que  ses  devoirs  :  elle  le  détermine  et  elle 
le  veut  responsable.  Tous  les  sentimenta  en  un  mot,  toutes  les  idées, 
toutes  les  obligrations  que  la  théologie  explique  par  le  rapport  de 
Tindividu  à  Dieu,  ia  sociologie  les  explique  par  le  rapport  de  l'Indi- 
vidu à  la  société.  Celle-ci  tient,  dans  la  science  de  la  morale ^  le  rôle 
de  ta  divinité  ^  » 

Ce  réalisme  social  est  en  même  temps  un  optimisme  social.  —  Divi- 
niser la  société^  n'est-ce  pasafiTirnier  sa  bonté  transcendante?  N*eflt-ce 
pas  croire  à  des  harmonies  sociales  providentielles  cachées  sous  les 
antagonismes  de  la  surface?^  Le  Dogmatistc  social  dira  avec  Leibniz 
qu'il  ne  faut  pas  facilement  être  du  nombre  des  mécontents  dans 
la  République  où  l'on  est.  Il  ordonnera  à  rindividu  de  s'incliner 
devant  l'autorité  sociale ,  quoi  qu'elîeNQisse,  quoi  qu'elle  commande» 
parce  que  les  grandes  œuvres  sociales  ^^t  Je  symbole  d'une  Idée 
morale  supérieure  devant  laquelle  doivent  disparaître  les  intérêts, 
les  douleurs  et  les  plaintes  de  Tindividu. 

En  face  de  cette  conception  sociale  dogmatique^  réaliste  et  optî- 
miste^ou  rencontre  une  conception  diamétralement  opposée,  que  nous 
pouvons  désigner  par  antithèse  sous  le  nom  de  Nihilisme  soc  ta  L 

Dans  cette  conception  nouvelle,  rexistence  et  le  droit  de  la  société 
ne  sont  plus  afiirmes  comme  supérieurs  à  Texistence  et  au  droit  des 
individus.  Au  contraire,  cette  existence  et  ce  droit  de  la  société  sont 
ici  mis  en  doute  ou  mémo  positivement  niés. 

On  pourrait  encore  designer  cette  attitude  d'esprit  sous  le  nom  de 
Scepticisme  social,  —  Le  principe  de  ce  scepticisme  social  est  le 
même  au  fond  que  celui  du  scepticisme  métaphysique  dont  il  n'est 
qu'un  aspect.  Ce  principe  consiste  en  ce  que  le  Moi  individuel  con- 
serve toujours  le  droit  de  douter  de  ce  qui  n*est  pas  lui.  Du  point  de 
vue  du  cogiio  ergo  sum^  mot  seul  suis  une  réalité;  mes  semblables, 
la  société  qui  m'entoure  peuvent  être  regardés  par  moi  comme  une 


L  Bûuglé,  Les  Sciences  stKtaks  fn  AlUmagne^  p*  61* 


61*5 


nEVLE   PdlLOSOPHIQLlB 


pure  ilïusïon  ou  tout  au  moins  comme  n'ayant  qu'une  e\iâtence  pure* 

ment  hypotlietîque.  De  ce  point  de  vue*  rien  ne  m'empêche  de  rester 
sceplir|ue  en  ce  qui  concerne  J 'existence  de  la  société  et  de  sun  pré* 
tendu  droit  sur  moi.  Telle  semble  d'ailleurs  avoir  été  J'attitude  de 
Descarte^*  Dans  su  morale  provisoire»  il  est  irai,  il  recommande  au 
sage  de  se  conformer  aux  lois  et  aux  coutumes  de  8on  pays.  —  Mab 
il  est  aisé  de  se  rendre  compte  que  Descartes  n'attribue  pas  à  ce 
précepte  une  valeur  objective  et  dogmatique.  C'est  un  simple  conseil 
de  prudence  pratique  qui  consiste*  pour  éviter  des  ennuis,  à  fi*accom- 
moder^  sans  y  croire  d'ailleurs  plus  qu'il  ne  convient,  à  la  discipline 
sociale  ambiante. 

Ce  sceptrcisme  social  est  en  même  temps  un  nominaïismr  social. 
Tandis  que  tout  h  Theure,  dans  le  dogmalisnie  social,  on  regardait  b 
société  comme  une  entité  réelle,  on  la  regarde  ici  comme  une  abstrac- 
tion.  —  La  Société  n'existe  pas;  les  individua  seuls  existent^  Au  lîeu 
de  cette  mythologie  sociale  qui  divinisait  la  société,  nous  noua  trou- 
vons ici  en  présence  d'une  conception  sociale  monadlque  qui  ne  voit 
plus  que  des  individus  évoluant  suivant  la  loi  de  leur  égotsme  per- 
sonnel. —  Ce  qu'on  appelle  société  n'est  rien  de  plus  que  renserable 
des  rapports  créés  par  le  contact,  le  heurt  ou  la  combinaison  des 
diverses  tndividnalitéfs. 

Enlin  ce  nominalisme  social  est  aussi  un  Pessimisme  sociaK  — 
Qu'on  examine  l'histoire!  Que  d  attentats  commis  contre  l'individy 
au  nom  de  cette  entité  tyrannique  :  la  Société!  Les  rapports  s^ociatix 
sont  oppressifs  et  destructifs  de  11  ndivi dualité.  La  société  ne  doit 
pas  apparaître  comme  une  puissance  bienfaisante,  un  génie  lutélaîre 
auquel  Tindividn  peut  contier  sa  destinée,  mais  comme  un  géme 
malfaisant  et  cruel,  sorte  de  Minotaure  dévorateur  des  faibles  et  des 
souffrants.  ^  Que  de  superstitions,  de  conventions  et  de  mensonges 
entretenus  sciemment  dans  le  corps  social  pour  duper  Tindividu 
et  le  faire  servir  ans.  lins  de  la  collectivité!  ^  N'est-on  pas  en  droit 
d©  dire  avec  J,-J,  Ho  usa  eau  que  l'Ktat  de  société  est  un  état  anti- 
naturel et  antîmoral,  et  Tolstoï  nVt-il  pas  raison  également  de  nous 
crier  :  Fuyez  les  villes,  renoncez  à  la  religion  du  monde,  échappei- 
vous  du  biigne  social!  —  Schopenhauer  semble  avoir  eu  raison  aussi 
de  regarder  la  vie  sociale  comme  le  suprême  épanouissement  de  la 
méchanceté  et  de  la  douleur  humaines.  N'e<t*ce  pa^  là  que  fîo  donnent 
carrière  toutes  les  passitjns,  toutes  les  trahisons,  toutes  les  lâchetés 
et  les  sottises  dont  est  susceptible  la  nature  humaine/  Dès  lors,  quelle 
sera  la  ligne  de  conduite  de  l'individu,  sinon  de  ae  replier  sur  lui- 
même  et  de  diriger  toute  son  industrie  vers  ce  but  ;  échapper  à  la  vie 
sociale,  A  ses  exigences  obsédantes,  à  .les  prescriptions  tyranniques 
ou  grotesques?  —  Tel  semble  en  effet  le  dernier  mot  de  la  philosophie 
morale  enseignée  par  Schopenhauer  dans  les  Aphorismcs  sur  (a 
SaQf*ssû  dans  la  i^ie. 

C'est  ainsi  que  s'affirme  rantinomie  des  deux  tendances  que  nous 


PALAWTE,    —   LR   rULETTAÎUTlSMÊ   StMlUL 


617 


avons  nommées  Tune,  Dogmalisme  social,  et  rautre  Nihilisme  social. 
Celle  dernière  tendance  est  la  racine  commune  du  UileUautisme 
social  et  de  la  philosophie  nietzschéenne  du  «  Surhomme  ^y.  Que  sont 
en  effet  le  Dilettantisme  social  et  la  philosophie  du  Surhomme  sinon 
une  protestation  contre  les  dogmatismos  et  les  optimismes  sociaux  de 
toute  espèce  ;*  La  principale  différence  entre  ces  deux  concep lions 
nous  semble  consister  en  ce  que  le  Dilettantisme  social  est  surtout 
une  protestation  antisociale  au  nom  de  Tlnstinct  de  la  Heauté,  tandis 
que  la  philosophie  du  Surhomme  est  une  protestation  antisociale  au 
nom  de  ce  que  Nietzsche  appelle  l'Instinct  de  Grandeur.  Par  suite,  si 
l'on  veut  se  l'aire  une  idée  précise  du  Dilettimtisme  social ^  on  pourra 
le  définir  par  la  négation  de  tout  ce  qui,  dans  îe  Dogmatisme  social, 
froisse  rinstinct  de  Beauté;  on  pourra  de  même  déQnir  Tlndividua- 
lisme  nietzschéen  par  la  négation  de  tout  ce  qui^  dans  ce  dogmatisme^ 
froisse  T Instinct  de  Grandeur, 

Si  ion  idem î lie,  comme  il  semble  quVm  doive  le  fiiire.  le  sentiment 
de  la  Beauté  et  le  sentiment  de  la  Vie,  on  sera  frappé  de  ce  qu'il  y  a 
d*inesthëUque  dans  ces  dogmatismos  ^iOciaux  issus  de  cet  Esprit 
logique  que  Nietzsche  appelle  T Esprit  de  n  lourdeur  *>,  dans  ces  délVni- 
tions  dogmatiques  de  ce  qu'est  et  doit  ôtrc  une  société ,  dans  ces 
morales,  ces  pédagogies  pédantes  et  étriquées.  Vu  exemple  actuel  de 
cet  esprit  de  pédantisme  est  cette  doctritie  du  Biologiame  social  qui 
prétend  trou%'er  dans  de  pauvres  métaphores  développées  jusqu'à  la 
nausée  une  explication  intégrale  du  monde  social  et  moral.  Tous  ces 
dogmatismes  méconnaissent  ce  qui  foit  Tessence  même  de  la  Vie;  jô 
veux  dire  :  la  spontanéité  des  énergies  vitales  dont  la  fonction  n'est 
pas  seulement  de  s'adapter  à  un  milieu  donné,  mais  d'être  des  forces 
autonomes,  de  créer  par  elles-mêmes  la  vie  et  Taction.  —  Le  Dilet- 
tantisme social  est  une  légitime  réaction  contre  cette  incompréhension 
de  la  Vie.  —  11  cherche  à  retrouver  sous  les  formalismes  pédants  la 
spontanéité  et  la  mouvance  de  la  vie. 

Un  autre  caractère  du  Dogmatisme  social  est  son  plat  réalisme.  Le 
dogmatiste  social  veut  croire  k  la  société;  il  la  pose  comme  une  réa- 
lité solide  et  respectable  et  il  regarde  comme  un  blasphème  et  un 
sacrilège  de  nier  ou  de  mettre  en  doute  cette  divinité  souveraine 
devant  laquelle  chacun  doit  s'incliner.  Le  dogmatiste  social  réalise 
ainsi  la  définition  que  Schopenhauer  donne  du  parfait  philistin.  *■  Je 
voudrais  définir  les  philistins  en  disant  que  ce  sont  des  gens  constam* 
ment  occupés  et  le  plus  sérieusement  du  monde  d*une  réalité  qu^ 
n*en  est  pas  une  ^  o  —  Par  opposition  à  ce  phllistînisme,  le  Dilettante 
a  le  sentiment  intense  du  ^lensonge  socîaL  II  voit  dans  le  monde 
social  un  monde  de  rêve  et  d'illusion,  une  parade  et  une  mascarade. 
Des  lors,  il  jouit  de  cette  apparence  sans  y  attacher  plus  d'importance 
qu'elle  ne  mérite^  Il  se  laisse  bercer  doucement  par  son  rêve  et^  aux. 


K  Schopenhauer,  Aphormnêi  sur  ta  iagesse  tianê  lit  viêj  Alcan»  p»  49, 


6f8 


RKVUE   rHILOSOPHiCîLÎE 


heures  où  ce  rêve  devient  douloureux  et  se  transforme  en  cauebema^t. 
il  garde  Tobsciir  sentiment  que  ce  n*est  pourtant  qu'un  rêve,  —  Gcstii^ 
a  admirablement  exprimé  le  néant  de  ta  vie  sociale  et  des  sentiments 
qu*elle  suggère  au  dilettante.  «  Je  t*accorderai  veloti tiers  que  ceux-là 
sont  les  phia  heureuse,  qui  vivent  au  jour  îe  jour  comme  les  enfanta J 
promènent  leur  poupée,  rhabillent  et  la  déshabillent,  tournent  avec] 
un  grand  respect  autour  de  l'armoire  où  la  maman  a  serré  les  bon» 
bons,  et,  sUls  tiiiissent  par  attraper  la  friandise  convoitée,  la  croquent 
à  belles  dents  et  crient  ;  t  Encore  ».  —  Ce  sont  là  d'heureuses  créa* 
tures...  —  Ils  sont  heureux  aussi  ceux  qui  donnent  à  leurs  occupa- 
tions frivoles  ou  même  à  leurs  passions  des  noms  magnillquea,  et  les 
portent  en  compte  au  genre  humain  comme  des  œuvres  de  géants 
entreprises  pour  son  aalut  et  son  bonheur,  —  Heureux  qui  peut  vivre 
de  la  sorte!  Mais  celui  qui  reconnaît  daû'*!  son  humilité  où  toutes  ces  , 
choses  aboutissent,  celui  qui  voit  avec  quelle  ardeur  le  malheureux  J 
poursuit  sa  route,  haletant  sous   le   fardeau,  celui-là  est  tranquille  et 
se  fait  aussi  un  monde,  qu'il  tire  de  lui-même,  et  il  est  heureux  aussi 
parce  qu'il  est  homme.  Et  si  étroite  que  soït  sa  iphère,  il  porte  toujouri 
dans  le  cœur  le  doux  sentiment  de  la  liberté  K  » 

Un  troisième  caractère  du  Dogmatisme  social  est  rimplaoabk 
sérieux,  i'alïure  pontifiante  qu*il  exige  des  acteurs  de  la  comédie 
sociale.  Itien  ne  déconcerte,  rien  nïndigne  plus  le  dogmatiste  social 
que  r irrévérencieuse  ironie  à  Tég^ard  de  ce  qui  est  socialement  res- 
pectable. Par  contre,  le  Dilettante  social  est  un  ironiste,  un  «  rieur  », 
suivant  le  vœu  de  Nietzsche.  Un  récent  roman  allemand  ■  met  en  scène 
un  dilettante  social,  disciple  de  Nietzsche^  qui  décrit  un  état  social  de 
l'avenir  où  rct^neraient  des  hommes  vraiment  supérieurs  qui  dédai- 
gneraient de  recourir  aux  mensonges  par  lesquels  on  dupe  le  troupeau 
humain.  «  Je  rêve,  dit- il,  un  rot  qui  répudierait  toute  crainte^  qui 
aurait  le  courage  d'ôtre  Tesprit  le  plus  libre  de  son  royaume  et  pour 
lequel  ce  serait  u:i  divin  plaisir  d'écLater  de  rire  au  nez  de  son  parle* 
ment,  de  ses  ministres,  de  ses  évêques  et  de  ses  généraux  *.  »  Le 
dilettante  social  s'amuse  surtout  de  la  pose  et  de  la  morgue^  de  TafTee-J 
tation  de  respectabilité  et  d'honorabilité  qui  ^ont  la  forme  hourgeoisti 
du  dogmatisme  social. 

Si  nous  réunissons  les  traits  divers  du  dilettantisme  social,  nous 
voyons  que  cet  état  d*esprit  est,  comme  nous  l'iivons  dit  plufî  haut, 
une  protestation  contre  ce  que  renferme  de  grimaçant  et  de  men- 
songer la  mascarade  sociale.  C'est  par  instinct  esthétique  que  le 
Dilettante  social  dit  adieu  à  la  cité  humaine.  U  dit  avec  Âriel  :  «  h 
ferai  mon  deuil  de  ne  plus  participer  à  la  vie  des  hommes,..  Cette  vii 
est  forte,  mais  impure.  Je  serai  Tazur  de  la  mer^  la  vie  de  la  plante,  l«J 


1.  Goethe^  Werther. 

2,  Bas  drille  Geschlecht,  von  B.  von  Woizogetij  Berlin,  1899, 
4.  Ddjf  drUie  Gç^dtlechij  p*  02. 


PALANTE.   —  LF.  lllLETTANTlSNË  SOCUU 


619 


I 


I 


I 


parfum  de  la  fleur,  la  neige  bleue  des  glaciers  K  »  Gœthe  a  bien  coni- 
pria  le  caractère  essentiellement  artistique  d'une  telle  disposition 
d'esprit  quand  il  a  dît  :  it  La  cause  finale  des  luttes  du  monde  et  des 
hommes,  c'est  l'œuvre  dramatique.  Car  autrement  ces  choses  ne 
pourraient  absolument  servir  à  rien  -.  » 

La  constitution  psychologique  qui  prédispose  au  dilettantisme 
social  peut,  âemble<t*îl,  se  rets u mer  dans  tes  traits  suivants  ;  une 
sensibilité  Une,  vite  froLs»L<e  au  contact  des  laideurs  sociales,  une 
îmagî nation  encline  au  rêve:  enfin  une  certaine  indolence  de  tempé- 
rament, à  ta  Housseau^qui  détourne  de  l'action  et  fait  qu'on  n  éprouve 
aucun  plaisir  à  faire  du  mal  aux  autres.  On  peut  appliquer  au  Dilet- 
tante social  ce  que  Rousseau  dit  de  lui-même  :  »  Je  me  trou^-^e  nalu- 
reliement  soumts  à  ce  grand  précepte  de  morale,  mais  destructif  de 
tout  Tordre  social,  de  ne  jamais  me  mettre  en  siluntion  à  pouvoir 
trouvermoji  avantage  rlajis  le  mal  ctautrui.  Celui  qui  veut  suivre  ce 
précepte  à  la  rigueur  n*ft  point  d'autre  moyen  pour  cela  que  de  se 
retirer  tout  à  fait  de  la  société,  et  celui  qui  en  vit  séparé  suit  par  cela 
seul  ce  précepte  sans  a%^oir  besoin  d*y  songer  -K  i» 
^  Quelle  est,  dans  la  vie  pratique,  la  situation  d*un  pareil  homme? 
Évidemment  celle  d*un  déraciné  ou  plutôt  d'un  homme  qui  n'a  janiaia 
pris  et  ne  prendra  jamais  racine  dans  aucun  des  compartiments  soi* 
gneusement  tirés  au  cordeau  dont  se  compose  la  société,  —  C^est  un 
peu  la  situation  de  Pierre  âchlëmyl,  l'homme  qui  a  perdu  son  ombre. 
—  Car  tout  homme  a  dans  la  vio  un  fantôme  qui  le  suit  partout  et 
qui  n'est  autre  que  la  projection  sociale  de  sa  personiialité.  Cette 
projection  sociale,  qu'on  appelle  réputation,  estime  d'autrui,  etc.^  est 
Tombre  qui  accompagne  partout  les  pas  du  voyacreur.  bit  s'il  vient 
à  la  perdre,  il  «ubit  le  rire  des  valets.  La  plupart  des  hommes  vivent 
et  meurent  pour  cette  ombre.  Car,  comme  lo  dit  Nietzsche,  «  ils  ne  font 
rien»  leur  vie  durant,  pour  leur  ego,  mais  seulement  pour  le  fan  tome 
de  leur  ego  qui  s'est  formé  sur  eux  dans  le  cerveau  de  leur  entou- 
Ifsge  *  w.  irai  Heurs  le  Dilettante  social  est  hai.  Il  commet  le  crime 
irrémissible  de  ne  pas  rentrer  dans  le  mensonge  général,  de  ne  pas 
se  grégariser.  Il  est  Tobjet  d'une  de  ces  haines  violentes  au  delà  du 
croyable  qui  assaillent  «  le  type  qui  est  rantithèse  de  Vembrigadc,  du 
bourgeois  conlit  dans  son  sacerdoce,  nous  entendons  nommer  le  spé- 
culatif, esprit  serein  qui  se  joue  de  la  mascarade  sociale  ^  >*. 


Le  Dilettantisme  social  est  une  attitude  provisoire,  L'Instinct  de  la 
Beauté  est  incomplet  sans  Tlnstinct  de  grandeur.  C'est  à  la  grandeur 


L  Renan,  Caiiban* 

2.  GfcLhe,  vÀiè  par  Mel^tsche  (Cotisidéralicns  iuacttiellca). 

a.  Beusi^eau,  Biatof/uçs^  Dialogue  IL 

4»  Nietzsche,  Awore. 

ÎS*  Tiirïiieij,  VEwtuî  {Revue  philosophique^  février  lOÛO), 


tjâu  heyue  philosophïquk 

plus  encore  qu'à  la  Beauté  que  s'attacbe  TAmour,  «  Soie  graûJ,  dil 
M.  ïiavaisson,  et  l  amour  te  suivra  *  «.  —  L'Instinct  de  grandeur  est, 
plus  encore  que  rinstinct  de  beauté,  révélateur  suprême  da  secret  de 
la  Vîe.  C*est  pourquoi  le  Dilettantisme  social  semble  condamné  a 
céder  la  place  à  une  philosophie  plus  puissante,  a  une  philosophie  dt 
la  forcer  Ciipable  d'étreindrc  et  de  dompter  la  réalité.  —  C*est  pour- 
quoi aussi,  dans  To^uvre  de  Nietziche^  TesprU  apollinîen^  adorateur 
des  formes  de  la  vie  ou  se  joue  le  rêve,  laisse  le  derutâf  mot  au  pw- 
phète  de  TEsprit  de  grandeur,  à  Zarathoustra, 

Cetle  philosophie  de  TEsprit  de  grandeur  sVappelle,  dans  Tceuvrï 
de  Nietijsche,  la  philosophie  du  n  Surhumain  ».  C'est,  comme  on  sait, 
un  EgoUsme  outrancier,  une  glorification  de  la  force  humaine  prise 
à  sa  source  véritable  :  Le  Moi  libre  et  s'élançant  avec  une  ûnèrgi^ 
que  rien  n'arrête  vers  des  horizons  lllimitùs  de  vie,  de  puissance  et 
de  bonheur, 

NietKsche  a  lui-même  marqué  la  difîérence  qui  sépare  cette  attitude 
nouvelle  de  Taltitude  que  nous  avons  appelée  le  Dileltaniisme  social, 
11  parle  quelque  part  de  «  la  grande  jpâvS.'^ion  de  celui  qui  vit  «aas 
cesse  dans  les  nuées  orageuses  des  plus  hauts  problèmes  et  de*  plu* 
dures  responsabilités, qui  est  forcé  d'y  vivre  (qui  n'est  donc  tmllement 
contemplatif,  en  dehors,  sur,  objectif)  ^  ».  Et  ailleurs  :  «  Autre  cbase 
est,  dit  il,  si  un  penseur  prend  personnellement  position  eu  face  dt 
ces  problèmes,  de  telle  sorte  qu'il  trouve  en  eux  sa  destinée,  sa  peine 
et  aussi  son  plus  grand  bonheur,  ou  s'il  s'approche  de  ces  prnblèmes 
d'une  fayon  n  impersonnelle  »,  c'est-à-dire  s'il  n'y  louche  et  ne  les 
saisit  qu*avec  des  pensées  de  froide  curiosité.  —  Dans  ce  dernier  ca.*. 
il  n'en  résultera  rien,  car  les  grands  problèmes,  en  admettant  mèmt 
qu'ils  se  laissent  saisir,  ne  se  laissent  point  tjardPT  par  les  êtres  au 
sang  de  grenouille  et  par  les  débiles*  Telle  fut  leur  fantaisie  de  toute 
éternité  ;  —  une  fantaisie  quHs  partagent  d'ailleurs  avec  toutes  les 
braves  petites  femmes  ^  ».  Non,  l'attitude  dilettante,  olympienne, 
impassible  d'un  Gœthe  n'est  p^is  le  véritable  idéal  humain.  —  ?mx 
vivre,  il  ne  faut  pas  s'absorber  dans  la  contemplation  du  moade;  il 
faut  dépasser  ce  monde  et  se  dépasser  soi-même,  il  faut  s  élancer  verî 
la  vie  aveo  un  subjectivîsme  exalté  qui  ne  nie  pas  seulement  Taui- 
biance  par  Tironie  et  le  dilettantisme,  mais  qui  la  brise  —  en  fait  — 
comme  une  chose  désormais  morte. 

L'Instinct  de  grandeur,  générateur  d'une  telle  philosophie  est, 
comme  nous  Tavons  dit,  en  réaction  fondamentale  contre  les  dogflU- 
tismes  sociaux  régnants.  —  Il  l'est  sur  deux  points.  D'abord  tout  dô|* 
mattsme  social  est  une  consécration  de  l'esprit  grégaire.  Il  vise  direc" 
tement  ou  indirectement  à  Tasservissemcnt  de  rindividu  au  groupe.— 
C'est   contre   cet    aveulissement    grégaire    que   protesta    d'abord  It 

î,  Ravaisson,  Happorl  sur  la  philomphie  en  France^  sub*  finem. 
2*  Nietzsciie*  Le  if  aï  sfami\ 
3é  Nietzsche:,  Le  ffui  jtavûir* 


PALARTB.  —  LE  UILETTAXTISME  SOCIAL 


6âl 


I 


philosophie  du  n  Surhomme  ».  Le  Surhomme  doit  se  dépasser  tuî- 
môme:  mais  il  doit  avant  tout  pour  cela  dépasser  IVmie  grégaire  qui 
est  en  lui,  cette  ame  par  laquelle  «  on  est  peuple^  public,  troupeau, 
femme,  pharisien,  voisin  ^  u. 

Les  dogmatîsmes  sociaux  choquent  encore  d*une  autre  façon  Tins- 
tinct  de  grandeur,  —  Ces  dogmatisme^  envisagent  tous  la  vie  socinle 
du  point  de  vue  i^ilalique.  lis  représentent  tous  Tidéal  social  comme 
une  chose  immobile  et  immuable-  Une  telle  philosophie  sociale  est 
une  philosophie  auît  horizons  étroits,  une  philosophie  de  passivité 
et  d'inertie.  Car  ici,  idéal  est  synonj'me  de  contrainte  et  d'entrave, 
La  loi  suprême  de  l'individu  est  de  s^adapter  à  Tidéal,  jamais  de  le 
dominer,  de  le  créer.  A  cette  conception  statique  de  l'idéal  ht  théorie 
du  41  Surhomme  »  substitue  une  conceplion  dynamique  d'après 
laquelle  Tidéal  est  en  perpétuel  devenir.  L'Individu  doit  perpétuelle- 
ment se  surmonter  lui-même:  s'élever  sans  trêve  vers  les  cimes,  en 
brisant  sans  cesse  ses  idêala  pour  en  créer  de  nouveaux,  «  Pour  bâtir 
un  sanctuaire,  dit  Nietzsche,  il  faut  détruire  un  sanctuaire,  »  Et  Ibsen 
exprime  aussi  ïa  même  pensée.  «  On  a  dit  que  je  suis  pessimiste, 
dit- il»  et  je  le  suis  en  effet  en  ce  sens  que  je  nie  la  périinnilé  des 
idéals  humains;  mais  d*autre  part  je  suis  optimiste  en  ce  que  je  crois 
à  la  puissance  indéfinie  de  développement  des  idéals  s  m.  —  On  voit 
assez;  par  quelle  voie  l'înstinct  de  grandeur  conduit  Nietzsche  h  Tamo- 
ralisme.  «  Mieux  vaut,  dit4î,  faire  mal  que  penser  petitement  ^,  » 

L'analyse  qui  précède  nous  fait  assez  voir  que  la  philosophie  du 
«  Surhomme  »,  comme  le  dilettantisme  social^  n'est  qu'une  forme  de 
cette  philosophie  que  nous  avons  appelée  Nihilisme  socLit  par  oppo- 
sition au  Dogmatisme  sociaL  *-  Le  dilettantisme  est  en  quelque  sorte 
la  face  passive,  la  philosophie  du  «  Surhomme  >*  la  fat^e  active  de  Tln- 
dividualîsme.  Le  dilettantisme  se  convertit  k  la  fin,  par  un  procès 
nécessaire,  en  glorilieation  de  la  vie,  de  la  hbre  et  puissante  indivi- 
dualité. 

Cette  philosophie  qui  présente  comme  deux  stades  successifs  d*une 
même  pensée  peut-elle  être  approuvée  sous  réserve? 

Si  Ton  examine  le  dilettantisme  sacial  et  Eâ  théorie  du  «  Surhomme», 
on  'voit  que  ces  deux  philosophies  ont  pour  caractère  commun  de  se 
présenter  comme  une  protestation  de  Flastinct  contre  la  Logique. C'est 
la  révolte  de  l'Instinct,  —  Instinct  de  beauté  et  Instinct  de  grandeur  — 
contre  i'Esprit  socratique,  ainsi  que  Tappelle  Nietzsche,  TEsprit  de 
lourdeur  symbolisé  dans  les  dogmatismes  sociaux  et  moraux  de  toute 
espèce.  —  Nous  retrouvons  donc  ici  Tantique  et  toujours  renaissante 
antinomie  entre  ia  philosophie  intellectualiste  et  la  philosophie  de 
rinstinct.  L'antinomie  se  pose  ici  entre   les  morales  rationalistes  — 


i,  Melïsclic,  Le  fjai  suvoir. 

â.  IbseUi  Discours  prononcé  à  SlocNbolm  en  1S®T^ 

3.  Ni£t£fl4:he,  Aiasi  parlait  Zaralhoustra, 


622 


fteVUK   PHILDSOPHIQUE 


celle  d'un  Kant  par  exemple—  et  les  morales  de  rinatinct  et  de  la  vie, 
celles  d'an  Guyau,  d'un  Nietxsehe,  d*un  Ibsen. 

Les  morales  dogmatiques  subordonnent  révolution  sociale  et 
maral©  à  une  finalité  intelligible  t  —  qu*elles  ont  la  prëteûtioci  de 
définir.  Les  morales  individualistes  et  instinctivisles  soutiennent  que 
révolution  n*a  pas  de  but  ou  plutôt  qu'elle  est  son  but  et  sa  Joie  à 
elle-même*  —  Pour  Niotst^che  comme  pour  Guyau,  ce  que  les  morales 
dogmatiques  appellent  fjfeuoir  n'est  qu'une  manifestation  de  rtnsttnet 
irrésistible  de  vie  qui  est  en  nous*  «  C*est  notre  tierléi  dit  Nietzsche, 
qui  nous  ordonne  de  faire  notre  devoir*  Noua  voulons  rétablir  notre 
autonomie  en  opposant  à  ce  que  d*autres  firent  pour  nous  quelque 
chose  que  nous  faisons  pour  eux.  Car  îes  autres  ont  empiété  dans  U 
sphère  de  notre  pouvoir  et  y  laisseraient  la  main  d'une  façon  durable 
si  par  ««  le  devoir  h  nous  n'u fiions  de  représailles^  c'eat*à-dtre  sî  nous 
n'empiétions  sur  leur  pouvoir  à  eux  '.  n 

Les  Guyau,  les  Nietzsche,  les  Ibsen  ont-ils  eu  raison  d'opposer  leur 
morale  de  l'Instinct  aux  anciennes  morales  dogmatiques? 

Oui;  en  un  certain  sens;  car  en  morale  comme  ailleurs,  il  étaî 
nécessaire  de  substituer  h  Fidée  de  VEsae  IHdée  du  Fieri.  II  tHait| 
nécessaire  de  briser  les  cudres  immobiles  et  de  se  remettre  en  tace 
de  la  féconde  mouvance  de  la  vie.  Mais  Hntelligence  conserve,  à  côt« 
de  Tinstinct  et  de  la  vie  cUe-mt-mc,  ses  droits  imprescriptibles. 

D'abord  les  partisans  de  la  philosophie  de  Tinstinct  ne  sont-ils  pas 
tombés  dans  une  contradiction?  —  Le  point  de  départ  d'une  pbïloso* 
phie  de  Tinstinct  est,  semble- t-il,  un  acte  de  désespoir  dans  la  puis- 
sance et  Tefficaeité  morale  de  rintelligence»  un  acle  de  renoricemeiit 
absolu  à  la  pensée;  attitude  pessimiste  s'il  en  fut;  car  la  pensée  n*est 
après  tout  qu'une  forme  de  la  vie.  —  Comment  se  fait- il  que  do  ces 
prémisses  découragées,  ces  philosophes  tirent  un  optimisme  final,  une 
échelle  nouvelle  des  valeurs,  un  hymne  à  la  gloire  de  la  vie?  ^  Scho* 
penhauer  est  plus  logique,  semble-t-ii,  quand  il  aboutit  â  la  négation 
de  la  vie  et  de  la  société*  Liant  donné  le  point  de  départ  commun  de 
Schopenhaucr  et  de  Nietzsche,  on  comprendra  plus  aisément  l'éciieïle 
pessimiste  des  valeurs  qui,  chez  Schopenhaucr,  fait  de  la  faiblesse,  de 
la  souffrance  et  du  renoncement  la  mesure  du  bien,  que  Téchelle 
optimiste  de  Nietaische  qui  mesure  le  bien  à  la  force,  à  la  vie  et  an 
bonheur. 

Cette  échelle  des  valeurs  que  Nietzsche  veut  établir  ne  suppose-t-elle 
pas  d'ailleurs  TintervenCion  de  rîntelligence,  d'abord  pour  reconnaître 
la  nécessité  de  cette  échelle  même,  ensuite  pour  en  fixer  les  degrésl' 
—  par  le  fait  même  qu'il  essaie  d'inaugurer  une  hiérarchie  des  valeurs 
morales  et  sociales,  Nietzsche  revient,  ce  sembïe*  par  un  détour,  à 
rinlellectualisme.  Il  sort  malgré  lui  et  à  son  insu  de  latlitude  du  pur 
amorphismc  moral.  Car  sérier  les  instincts,  c'est  les  intellectualiser* 


I 


L  Nietzsche,  Aurore* 


PALAMTE.    —    Ut    DILETTANTISME   SOCIAL 


6â3 


èfins  doute  les  degrés  de  cette  hiérarchie  n'ont  rien  do  fixe.  Cette 
échelle  est  une  ét;heUe  mobile^  modîliée  à  chaque  instant  par  les 
Tarïations  de  Findividu  et  de  ses  rapports  avec  son  milieu i  mnh  la 
fonction  de  rintelUgence  n'en  est  que  plus  délicate.  C'est  à  elle  de 
comparer  sans  cesse  ces  conditions  changeantes,  d'en  noter  les  varia- 
tions et  d'en  tirer  la  ligne  de  conduite  la  plus  appropriée* — Nietzsche 
ne  nous  dit-il  pas  que  la  sagesse  ne  sera  pas  uniforme,  mais  qu*elle 
consistera  tantôt  à  lutter  contre  soi-même,  tantôt  a  Intter  contre 
autrui?  tantôt  à  exciter  en  soi  la  pitié  (si  Ton  est  dur),  tantôt  h  y 
exciter  la  dureté  (si  Ton  est  pitoyable)?  Qui  fera  ce  départ,  qui  saisira 
ces  nuances,  sinon  rintelUgence? 

Nietzsche  reconnait  lui-même  cette  intervention  de  l'intelligence 
dans  la  morale.  «  L'homme  équitable,  dit^il,  a  besoin  sans  cesse  du 
toucher  subtil  d'une  balance  pour  évaluer  les  degrés  de  pouvoir  et  de 
droit  qui,  avec  la  vanité  des  choses  humaines,  ne  resteront  en  équi- 
libre que  très  peu  de  tenjps  et  ne  feront  que  descendre  ou  monter; 
cet  équilibre  est  donc  très  difficile  et  exige  beaucoup  d'expérience,  de 
la  bonne  volonté  et  énormément  d'esprît  *.  n 

Cette  intelligence  ne  sera  pas,  il  est  vrai,  cette  intelligence  figée  et 
comme  immobilisée,  invoquée  trop  souvent  par  les  moralistes  dog- 
matiques. Ce  ne  sera  pas  Tintelligence  scolasttque,  sèche,  abstraite 
et  étrangère  ù  la  vie.  Ce  sera  une  inteiligence  souple  et  harmonieuse 
comme  la  vie  elle-même;  ce  sera  Tesprit  de  linesse  de  Pascal,  cet 
esprit  auquel  il  faut  toujours  en  revenir  quand  on  cherche  à  pénétrer 
un  peu  avant  dans  les  choses  morales  et  sociales. 

Cet  esprit  de  Unesije  a  peut-être  manqué  plus  d'une  fois  à  Nietzsche 
et  on  peut  se  demander  s'il  n'a  pas  lui-même  sacrifié  à  l'esprit  scolas- 
tique  quand  il  a  établi  une  distinction  si  absolue  entre  les  forts  et  les 
faibles^  entre  les  maîtres  et  les  esclaves? 

L*aristocrfltismc  de  Niet/.sche,  opposé  à  ce  qu'il  appelle  »<  le  misar- 
chisnie  moderne  »,  ressemble  beaucoup  à  Tun  de  ces  dogmatismes 
moraux  et  sociaux  contre  lesquels  il  s'élève*  Nietzsche  semble  oublier 
ici  son  principe  favori  de  la  relativité  et  de  la  mouvance  des  choses. 
—  Il  oublie  que  commander  et  obéir  sont  des  attitudes  qui  n'ont  rien 
d'absolu  —  en  droit  —  ni  même  en  fait.  Aussi  opposerons-nous  à  son 
idéal  d'arlstocratisme  absolu  Tidéal  plus  vrai  exprimé  par  un  person- 
nage de  Gœthe  :  «  Celui-là  seul  est  heureux  et  grand,  qui  n'a  besoin 
ni  d*obéir  ni  de  commander  pour  être  quelque  chose'*'   ■* 

Au  fond,  le  contlit  de  la  morale  inteUectualiste  et  de  la  morale  de 
l'instinct  repose  peut>ctre  sur  un  malentendu.  Prises  à  la  rigueur, 
ces  deux  philosophies  aboutiraient  à  une  abâurdité.  La  philosophie  de 
Tinstinct  serait  destructive  de  toute  pensée,  de  toute  réllexion  et 
même  de  toute  conscience;  elle  aboutirait  â  un  mécanisme  mors^l  et 


1.  Niet£sche,  Aurore. 

S.  Goethe,  ihei^  von  BeHîchingen,  acte  U 


624  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

social  dans  lequel  le  désir  et  l'idée  ne  seraient  que  de  vains  épiphé- 
nomènes.  —  L'intellectualisme  absolu,  de  son  côté,  aboutirait  à  la 
méconnaissance  de  ce  qu'il  y  a  de  spontané  dans  le  libre  mouvement 
de  la  vie. 

Ainsi  posé,  le  problème  serait  insoluble.  C'est  qu'au  fond  il  ne  peut 
y  avoir  radicale  et  délînitive  antinomie  entre  ces  deux  forces  qui 
constituent  l'individualité  humaine  :  l'instinct  et  Tintelligence.  Leur 
double  évolution  est  parallèle  et  harmonique.  Par  exemple  lorsque 
Nietzischc  pose  ce  précepte  moral  de  lutter  contre  soi-même,  de 
triompher  d'un  instinct  qui  prend  trop  de  force  par  la  culture  de 
l'instinct  opposé,. ce  précepte  est-il  autre  chose  qu'une  transposition 
dans  Tordre  intellectuel  et  conscient  de  ce  qu'est  dans  le  domaine 
instinctif  la  loi  du  rythme  des  passions. 

Nous  arrivons  à  cette  conclusion  qu'il  y  a  un  grave  danger  dans 
Texcès  d'abstraction  intellectualiste  qui  engendre  les  dogmatismes 
sociaux  et  moraux  et  qu'une  grande  part  de  vérité  est  contenue  dans 
le  nihilisme  moral  et  social  qui  met  à  néant  ces  dogmatismes  destruc- 
teurs de  la  vie  et  de  l'individualité.  Pour  rendre  entièrement  vraie 
cette  philosophie  individualiste,  il  faut  renoncer  seulement  à  la  faire 
reposer  exclusivement  sur  l'instinct.  —  L'intelligence  a  ses  droits 
imprescriptibles  qu'elle  ne  peut  abdiquer,  surtout  quand  il  s'agit  de 
fonder  l'individualisme.  Car  il  ne  peut  y  avoir  d'individualisme  sans 
la  conscience  claire  que  IMndividu  prend  do  lui-même  et  de  son  milieu 
social. 

Georges  Palante. 


REVUE  GÉNÉRALE 


I 


TBAVAUX  RÉCENTS  SUR  LES  SENSATIONS  INTERNES 

Oppenheimer.  Physîoiogie  des  Gefûhls  (Karl  Wïnterfi  flniversitatS' 
bucbhandluniu%  Heid^^lberg,  1899^  —  Kêrschner,  Zur  Théorie  der 
Imiervaiionfigefûhte  (XXITL  Jahrgang  tler  lie  rie  h  te  des  naturw.  med. 
Vereins  in  Innspràck).  —  Johanny  lloux.  ta  ^ensahon  douloureuse. 
(Paul  Legendre  et  O^,  Lyon,  1897);  La  faim  (Alexandre  Rey,  LyoUi 
1897);  Psychohfiie  de  Vinstinct  sexuel  fJ.-B.  BailUêre  et  fila,  Paria, 
1899).—  Kurella,  Zum  biologi^chen  Verstànfhnss  der  somatischen  u- 
pjsychisc/ien  liueximlitât  {Cenlralbt  fur  Nerverheilhiinde  u.  Psychia- 
trie ^  mai  !89<i).  —  Giessler.  Die  Atmung  im  Diensle  der  vorsteïîenden 
Thàtigheit  (E.  M.  Pfeffer,  Leipzig,  189-^).^  Mazurkiewtcz.  Ueber  die 
Stôrungen  der  Geberdenspraoke  {Jâhrbûcher  fur  Psychiatrie  und 
Neurologie,  Wien,  !9D0). 

Si  nous  arona  une  physiologie  assez  préciae  de  la  motilité^  nous 
devons  convenir  que  nos  connaissances  sur  la  sensibilité  sont  encore 
bien  vagues.  Cela  tient  sans  doute  h  ce  que  les  fonctions  sensibles 
sont  infiniment  plus  complexes  et  plus  %'ariées  que  les  fonctions  motnoes, 
et  à  ce  qu'elles  se  prêtent  moins  bien  que  ces  dernières  à  remploi  de 
nos  méthodes  ordinaires  d'investigation,  à  rexpérimentation  sur  les 
animau?^  par  exemple.  Cependant,  malgré  les  difficultés  du  sujet,  les 
travaux  se  multiplient  et  nous  recueillons  chaque  jour  des  matériaux 
précieux  que  nous  apportent  les  diverses  branches  de  la  biologie  i 
découvertes  anatomiques  (Flechsig,  Kulliker,  v.  Monakow),  études  de 
la  sensibilité  dans  les  maladies  nerveuses,  telles  que  le  tabès,  la  syrin- 
gomyélie,  recherches  expérimentales  pratiquées  soit  sur  des  individus 
normaux  soit,  ainsi  que  \L  Dumas  la  fait  récemment,  sur  des  aliénés. 
81  nous  sommeH  encore  loin  de  posséder  une  théorie  complète  de  la 
sensibilité,  nous  avons  du  moins  la  satisfaction  de  travailler  sur  un 
terrain  solide.  Les  publications  de  ces  dernières  années  présentent 
pour  la  plupart  un  caractère  remarquable  d'objectivité.  Psycholog^ues 
et  physiologistes  s'efforcent  en  toute  occasion  de  a  penser  anatomique* 
ment  u.  L*un  deux,  M.  Kerschner»  a  construit  une  théorie  très  sédui- 
sante sur  le  sentiment  de  l'innervation  en  se  fondant  uniquement  sur 
la  morphologie.  Nous  n'insisterons  pas  plus  longtemps  sur  cette  heu- 
reuse tendance.  Le  lecteur  l'appréciera  lui-même  par  les  analyses  qui 
Tont  suivre* 

TOÏK  L.—  1900.  4i 


ism 


nËVUS  PHILUSOPKJQUE 


Le  sentiment,  nous  dit  dans  sa  préface.  M*  Oppenhéimer,  le  savant 
professeur  de  lîeidelberg,  est  une  manifestaUon  de  la  vie  au  même  titre 
que  les  autres  fonctions  du  corps  humain  et  doit  être  étudié  par  les 
mémefl  méthodes.  Nous  avons  donc  à  rechercher  les  conditions  d«tn> 
lesquelles  il  se  produit,  à  suivre  les  manifestations  qui  se  rattachent 
immédiatement  à  sa  cause  première  et,  autant  quti  possible,  à  déter- 
miner dans  le  cerveau  le  poiot  où  il  devient  manifestation  conscîeme. 
La  philosophie  kantienne  a  déjà  distitiguê  dVne  façon  radicale  h 
sensatiou  du  sentiment.  Cette  distinelion  est  parfaitement  hT^ltune, 
selon  M,  Oppenheimer,  et  trouve  un  nouveau  point  d^appui  dans  ce  fait 
bien  mis  en  lumière  par  la  psychologie  moderne  que  sensation  et  gea- 
timent  ne  se  comportent  pas  de  même  façon  relativement  à  la  mémoire* 
Nous  pouvons  évoquer  le  souvenir  d*une  sensation,  non  celui  d'un 
sentiment.  Quand  nous  croyons  nous  rappeler  un  sentiment  éprouve 
dans  le  passé,  nous  nous  rappelons  en  réalité  les  circonstances  au 
milieu  desquelles  il  s'est  produit,  mais  non  le  sentiment  lui-même.  Ce 
fait  nous  autorise  donc  a  penser  que  sensations  et  sentiments  sont 
localisés  dans  des  cellules  cérébrales  différeïites.  Bien  plus,  les  impres- 
sions périphériques  qui  leur  donnent  naissance  parviendraient  au  cer* 
veau,  d'après  M.  Oppenheimcr,  par  deux  voies  complètement  indépeû- 
dantes  Tune  de  l'autre.  Voici  quelle  serait  la  voie  suivie  par  les 
impressions  qui  sont  la  source  du  sentiment. 

Elles  résultent  de  lexcitation  déterminée  par  certains  produits  de 
désassimilation  cellulaire  sur  des  lerminaîsons  nerveuses  spéciales 
que  Fauteur  désigne  sous  le  nom  de  nerfs  des  tissus  (Gevvêbsnerve») 
et  qui  sont  absolument  indépendantes  des  terminaisons  nerveuses  sen- 
sorielles. L'impression  produite  ainsi  sur  un  de  ces  Gewe^^iieriTen  se 
propagé  à  un  nerf  vaso-moteur  dont  elle  inhibe  le  courant  ct^ntrifuge 
habituel  et  qu'elle  parcourt  sous  forme  de  courant  rétrograde  centri- 
pète. Elle  gagne  ainsi  un  ganglion  sympathique,  puis  une  racine 
rachidienne  postérieure  et  arrive  à  la  moelle.  Suivant  alors  une  voie 
constituée  dan.^  la  moelle  par  la  c<)rne  postérieure^  le  reste  des  cor- 
dons latéraux  et  les  cellules  des  cordons,  dans  le  bulbe  et  dans  le  eer- 
veau  moyen  par  la  formation  réticulaire^  elle  arrive  à  la  couche  optique. 
Dépasae-t-elle  la  couche  optique  ou  s'y  arréte-t-elle  deCnitivemeïit? 
M.  Oppenheimer  accepte  la  deuxième  hypothèse. 

Les  expériences  de  Gollz  sur  les  chiens  éoérébrés  et  la  psychologie 
des  anencéphales  montrent  en  effet  que  le  sentiment  existe  malgré 
Tabsence  d'écorce  cérébrale» 

Son  siège  m?  saurait  être  ainsi  que  le  point  terminal  de  la  voie  que 
nous  venons  d'étudier,  c'est-à-dire  la  couche  optique. 

M.  Oppenheimer  va  plus  loin  et  croit  pouvoir  conclure  de  certains 
faits  physiologiques  et  pathologiques  que  le  centre  du  sentiment  occupe 
plus  spécialement  la  substîtnce  grise  centrale  du  troisîèmo  ventriculo 
et  la  face  interne  de  la  couche  optique.  Des  faisceaux  de  iibres  relient 
le  noyau  antéro-externe  de  la  couche  optique  à  ces  régions  et  consit- 


I 


I 

I 


nXVUE  GÊffÉRALE.  —TRAVAUX  MÊCKPÏTS  SUR  LES  SEXSATIONS  l^tTEIlNËS  627 

tuent  une  voie  conductrice  pour  les  impressions  apportées  par  la  for* 
mation  rétîculatre. 

^fais  la  coucha  optique  est  en  retation  par  un  nombre  considérable 
de  fibres  avec  la  totalité  du  manteau  cortioal.  Donc  tout  senti metit  se 
produisant  dans  la  couche  optique  a  un  retentissement  sur  les  cellules 
de  l'ccorce.  Quand  le  sentiment  est  intense,  il  donne  lieu  à  Vèmotion 
(AETokt^  qui  se  traduit  par  deux  phénomènes  : 

1"  Un  arrêt,  une  inhibition  plus  ou  moin»  marquée  des  fonctions  psy- 
chiques et  des  fonctions  motrices  volontaires; 

2**  Comme  conséquence  de  cet  arrêt  une  exa<|ération  des  mouvements 
automatiques  dont  le  point  de  départ  est  situé  dans  les  centres  soua- 
corticaux. 

Mais  un  sentiment  d'intensité  moyenne  ou  minime^  bien  qu'insufB- 
sant  pour  donner  lieu  à  une  émotion,  n*en  exerce  pas  moins  une  action 
sur  récorce  et  cette  action  est  partie ul le retnent  importante  datis  Vai- 
tention^  M.  Oppenheimer  expose  à  ce  sujet  toute  une  théorie  ingénieuse 
de  ce  phénomène  qu*il  assimile  à  Témotion* 

n  Les  deux  phénomènes  (attention  etémolionj  ne  sont  que  des  degrés 
différents  d'un  même  processus  u. 

Non  moins  Intéressante  est  l'explication  que  Tauteur  nous  donne  du 
plaisir  et  de  la  doideur. 

On  considère  habituellement  ces  phénomènes  comme  des  modalités 
du  sentiment*  Ce  serait  là  une  erreur.  Us  n*en  seraient  que  la  consé- 
quence et  voici  par  quel  mécanisme  ils  se  produiraient. 

Les  impressions  périphériques  que  nous  avons  vu  gagner  la  couche 
optique  rencontrent  au  niveau  du  bulbe  un  centre  spécial^  le  centre 
vaso-moteurt  sur  lequel  elles  exercent  une  action  dont  le  résultat  est 
une  modilication  dans  Tin  nervation  vaso-motrice  de  l'organisme.  De 
cette  action  résulte  le  •  plaisir  »  ou  la  «  douleur  ^^  suivant  le  cas, 
une  circulation  active  donnant  lieu  au  plaisir,  une  circulation  ralentie 
au  contraire  donnant  lieu  a  la  douleur.  Mais  plaisir  et  douleur  sont 
seulement  associés  au  sentiment,  ils  n'en  font  pas  partie  intégrante. 
Ils  sont  le  résultat  d'une  réflexion  laite  par  Tesprit  sur  Tétat  d'irriga- 
tion plus  ou  moins  favorable  des  tissus. 

Tout  ce  qu'on  vient  de  lire  ne  s'applique  qu'au  sentiment  d*origine 
périphérique.  Le  sentiment  d'origine  centralcj  intellectuel,  c'est-à-dire 
lié  aux  processus  psychiques,  s'explique,  d'après  M.  Oppenheimer, 
d^une  façon  parfaitement  analogue.  Comme  le  précédent  il  est  causé 
par  Tactiou  des  produit^^  de  désassimilation^  résultant  du  fonctionne- 
ment des  cellules  c'est-à-dire,  dans  le  cas  particulier,  des  cellules 
cérébrales. 

Existe-t'il  dans  l'écorcedes  organes  analogues  aux  terminaisons  ner- 
veuses étudiées  plus  haut  sous  le  nom  do  t  nerfs  des  tissus  v  (Gewebs- 
nerven),  c'est-à-dire  susceptibles  d'être  impcessionnési  par  ces  pro- 
duits de  désassimilation?  M.  Oppenheimer  se  sent  porté  à  faire  jouer 
ce  rôle  à  la  névroglie»  3i  hardie  que  soit  cette  hypothèse^  elle  a  du 


628  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

molna  pour  excuse  Tîgnorance  complète  ou  nous  soiniiies  encore  de 
la  valeur  fonctionnelle  de  cette  substance.  L'împressiori  reçue  par  lea 
fibres  neurogZiques  serait  transmise  £lu  centre  du  sentiment,  c*êst*à- 
dire  à  la  couche  optique,  par  une  voie  vaso-motrice  spéciale. 

Le  sentiment  a  donc  une  double  origine  :  périphérique  ou  organique 
et  centrale  ou  intellectuelle. 

Mais  quelle  que  aoit  l'origine  du  aentiment,  il  est  toujours  identique 
de  nature.  Il  peut  varier  d'intensité  mais  non  de  qualité.  ^  L'on  a 
nommé  différentes  qualitésdu  sentiment  des  associations  de  représeo- 
tations  ou  de  sensations  avec  un  sentiment  dlntensité  variable.  » 

Nous  ne  ferons  qu'indiquer  en  passant  quelques  pages  intéressantes 
sur  la  satiété^  la  faim,  la  soif  et  d'autres  phénomènes  considéréfi  à 
tort,  selon  M.  Oppenhelmer,  comme  des  sentiments  simples,  et  noui 
passerons  directement  àTimportant  chapitre  sur  l'humeur ^  qui  termiDe 
le  mémoire. 

L'humeur  peut,  daprès  notre  auteur,  se  définir  *  un  état  qui,  seult 
tient  sous  sa  dépendance  l'intensité  de  Teffet  produit  par  utie  excita- 
tion, p 

On  peut  disline^uer  deux  sortes  d*humeur  :  une  humeur  spinale  et 
une  humeur  cérébrale,  les  deux  se  fusionnant  et  constituant  Thumeur 
proprement  dite. 

Les  fibres  conductrices  des  impressions  source  du  sentiment  devien- 
nent de  moins  en  moins  nombreuses  à  mesure  que  Ton  approche  de 
l'encéphale  :  de  îà  un  accroissement  dans  ta  chargée  d'excitation  stip- 
portée  par  chaque  fibre  en  particulier.  Si  les  impressions  aftluent  en 
foule  de  la  périphérie»  Tétat  d'excitation  peut  devenir  «  si  grand  que 
le  moindre  accroissement  suffit  à  dépasser  le  seuil  de  la  douleur  •■* 
Il  y  a  hypéresthésie.  autrement  dit,  <i  l*huraeur  spinale  »  est  irritable. 

L'htimeur  cérébrale,  qui  joue  le  rôle  prépondérant,  se  produit  vrai- 
semblablement par  un  mécanisme  analogue.  Les  impressions  perçues 
par  les  fibres  neurogliques,  qui  sont  dis^séminées  dans  récorce,  sont 
transmises  à  la  couche  optique  par  une  voie  vaso-motrice  dont  le  rôle 
est  identique  à  celui  de  la  voie  spinale  suivie  par  les  impressions  péri' 
phériques  étudiées  plus  haut.  Comme  la  voie  spinale,  la  voie  va<o- 
motrice  cérébrale  est  parcourue  par  un  courant  nerveux  constant, 
L*humeur  cérébrale  est  la  résultante  de  ce  courant  et  varie  avec  son 
intensité. 

L  auteur  montre  en  terminant  comment  sa  conception  s* applique  par- 
faitement aux  di  [Té  rente  s  sortes  d'humeur  (différences  suivant  Vkgé,  le 
sexe,  les  états  patholog-iques]. 

Telle  est,  rapidement  résumée,  la  théorie  nouvelle  sur  le  sentiment 
dont  M.  Oppenheimer  vient  de  doter  la  science.  Elle  contient  sans  doute 
bien  des  hypothèses,  mais  il  faut  reconnaître  que  ces  hypothèses  sont 
eu  général  très  séduisantes. 


Le  travail  de  M.  Kerschner,  avons-nous  dit^  s'appuie  exclusîvemeat 


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REVUE  GÉNÉRALE,  — THAVAtiX  RÉCENTS  StTR  LES  SENSATiaWS  INTERNES  629 

sur  la  morphologie.  L'auteur  nous  en  avertît  dès  les  premières  lignes. 
Il  a  uoe  entière  confiance  aux  donnéea  anatomiques*  Seules,  d'après 
lui,  elles  pourront  apporter  des  arguments  peut-être  assez  décisifs 
pour  nous  permettre  de  résoudre  les  questions  encore  discutées  de  la 
physiologie  et  de  la  psychologie. 

Dans  un  résumé  rapide,  Tauteur  commence  par  rappeler  les  défini- 
tions données  au  s  sentiment  de  l'innervation  u  depuis  J,  Mtiller,  jus- 
qu'aux auteurs  les  plus  modernes  (Helmhoitz»  Meynert,  Munk,  LiOtze, 
Wandt,  etc.). 

Il  constate  qu*elles  ne  présentent  pas  un  seul  caractère  commun, 
pas  même  celui  de  considérer  le  «  sentiment  de  l'innervation  i  comme 
un  état  de  conscience»  car  Bastian  fait  entrer  dans  la  sienne  des 
ff  impressions  kinesthétiques  inconscientes  a. 

Toutes  ces  délinitions  peuvent  être  réparties  en  deux  grandes  classes, 
les  unes  assignant  au  sentiment  de  Tinnervation  une  origine  centrale, 
les  autres  une  origine  périphérique. 

D  après  les  premières  le  «  sens  de  Tlnnervation  »  est  constitué  par 
une  «r  sensation  d^activité  cellulaire  »  (Wernïckej  Gowers). 

Le  même  processus  de  nature  inconnue  qui,  parti  d*une  cellule 
motrice,  met  par  Tintermédiaire  d'un  prolongement  cellulaire  une 
fibre  musculaire  en  action,  pourrait  se  transmettre  par  un  autre  pro- 
longement à  une  cellule  ganglionnaire  sensîblej  et  donner  lieu  ainsi 
au  sentiment  de  Tinnervalion* 

Une  telle  façon  de  voir  ne  saurait  être  acceptée.  En  effet,  il  n'existe 
aucun  substratum  anatomique  connu  sur  lequel  elle  puisse  s'appuyer, 
et,  pour  qu'elle  fut  nécessaire,  il  faudrait  démontrer  que  le  sentiment 
de  Tin  nervation  ne  repose  pas,  comme  toute  autre  perception,  sur 
Texcitation  d'un  neurone  sensible  périphérique. 

Or  cette  démonstration  n'est  pas  faite, 

Bchlff  a  bien  montré  que  le  n  sentiment  de  rinnervatioo  »  ne  saurait 
résulter  des  sensations  de  contraction,  de  pression  et  de  tension  qui 
se  produisent  dans  le  muscle  et  les  parties  voisines  lors  du  phénomène 
de  la  contraction  musculaire,  car  dans  ccrtaius  cas  il  leur  préexiste. 
Mais  ce  n'est  pas  là  une  raison  EulTisante  pour  nier  Tesistence  d'un 
sentiment  de  Tinnervation  périphérique,  car  la  contraction,  la  tension 
et  leurs  conséquences  ne  sont  pas  les  seules  causes  par  lesquelles  les 
nerfs  sensibles  musculaires  puissent  être  excités. 

Pour  être  en  droit  d'admettre  ce  sentiment  de  l'innervation  d'origine 
périphérique  il  faut  prouver  :  i*^  qu'il  existe  dans  le  muscle  des  termi- 
naisons de  neurones  sensibles,  susceptibles  d'être  excitées  par  les  termi- 
naisons des  nerfs  moteurs;  2"  que  Texcitation  peut  être  transmise  au 
cerveau. 

La  première  proposition  est  facile  à  démontrer.  Le  muscle  contient  en 
effet  des  terminaisons  nerveuses  sensibles  entre  autres  les  fuseuux 
musculaircB  qui,  dans  le  cas  présent,  semblent  jouer  un  rôle  prépon^ 
dérant. 


630 


REVUE  PHII.0S0PHIQ1JE 


ï/excitatjon  qui  agit  sur  le  neurona  aenaible  est  probableiûenl  une 
onde  électrique*  Tonde  d'osci Dation  négative  qui  se  produit  dan*  It 
muscle  au  moment  où  Texcitation  lui  parvient,  U  est  en  effet  âémoutré 
que  cette  onde  d'oscillation  négative  peut  agir  sur  le  nerl  t Biedermaan, 
Kùhne  et  plus  anciennement  Matteuci). 

La  question  se  réduit  donc  h  savoir  s'il  existe  quelque  dispositioii 
spéciale  pouvant  empêcher  la  irangmiasion  de  ronde  électrique  négi- 
tive  au  fuseau  muaculaire. 

Or,  il  n'existe  rien  de  semblable.  Dana  le  fuseau  rau scolaire  ootam* 
ment,  dont  M,  Kerschner  a  fait  une  étude  particulièrement  détaillée,  le» 
dispositions  r^Scipmques  dea  libres  de  Weissmann  et  des  fibres  ner- 
veuses sensibles  rendent  au  contraire  ractioîi  de  la  libre  musculaire 
sur  la  fibre  nerveuse  extrémemctnl  probabie. 

La  deuxième  condition  nécessaire  pour  admettre  l'existence  d'un 
«  sentiment  de  l'innervation  »  d'origine  périphérique  est,  comme  nous 
l'avons  vu,  rexistence  de  votes  permettant  aux  impressions  de  la  péri* 
phérie  de  gagner  les  centres  cérébraux. 

On  pourrait  déjà  conclure  qu'il  existe  une  relation  entre  les  termi- 
naisons sensibles  musculaires  et  les  centres  nerveux  supérieurs  de  ©« 
fait  que  les  fuseaux  musculaires  sont  d'autant  plus  nombreux  que 
l'animal  occupe  un  ran^^  plus  élevé  dans  Téchelle  zoologique  et  quf 
par  conséquent  son  cerveau  est  plus  développé. 

Chez  rUomme  on  les  trouve  en  très  grand  nombre  dans  les  muscles 
de  la  main.,  ce  qui  porte  à  croire  qu'ils  exercent  une  fonction  dans  le 
sens  du  toucher* 

Mais  d'autres  raisons  militent  encore  en  faveur  de  cette  opinion.  Il 
existe  en  effet  une  sorte  de  parallélisme  entre  le  développement  des 
fuseaux  musculaires  et  celui  de  certaines  voies  centrales  de  la  sensi^ 
bilité.  Les  libres  de  Weissmann  et  leurs  nerfs  ae  dé%^elappent  de  très 
bonne  heure  chez  le  fcetus  r  le  fait  a  été  démontré  par  Tauteur  lui- 
même  ainsi  que  par  Welss  et  DutiL  Or,  vers  la  même  époque  on  voit 
se  développer  certains  faisceaux  nerveux  qui  se  terminent  dans  Técorce 
et  qui  jouent  un  rôle  dans  la  transmission  des  impressions  museulaires^ 

Nous  sommes  donc  en  droit  dVidmcttre  l'existence  d*uo  sentiment  de 
Tinnervation  dont  le  point  de  départ  est  situé  dans  les  terminaisoDi 
nerveuses  sensibles  du  muscle  et  qui  peuvent  être  transmises  à  récoroe* 

M*  Kerschner  compare  ensuite  sa  théorie  à  celles  de  ses  prédéces* 
eeurs  et  examine  si  elle  répond  à  toutes  les  exigences  qu'on  est  en 
droit  de  formuler*  Et  d'abord ^  permet-elle  d'expliquer  comment  le  sen- 
timent de  Tinnervation  peut  précéder  les  impressions  kin esthétiques? 

L*appareil  constitué  par  le  fuseau  musculaire  et  le  nerf  dont  il 
dépend  peut  se  comparer  à  un  rhéoscope  physiologique  v  dont  le  nerf 
est  représenté  par  le  nerf  sensible  du  fuseau  et  repose  sur  une  libre 
musculaire  riche  en  sarcoplasma  représentant  le  muscle  primaire  ». 

Dans  ce  rhéoscope  physiologique  naturel  comme  dans  celui  dei 
laboratoires,  Tonde  d'excitation  précède  Tonde  de  contraction  et 


I 


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REVUE  GÉNÉRALE.  —TRAVAUX  Kf.€£?«TS  SUR  LES  âE:lSATJOXS  0TERNES  631 

sur  le  nerf  avant  que  la  contraction  ne  soit  produite*  Ainsi  s'explique 
que  le  *<  acntiment  de  rinncrvation  »  puisse  précéder  la  sensation  pro- 
voquée par  la  contraction  musculaire,  à  la  condition  toutefois  qu'il 
puisse  conserver  Tavance  ainsi  acquise. 

Nous  avons  à  considérer  à  ce  point  de  vue  deux  facteurs  :  la  Jon- 
gueur  des  voies  à  parcourir  et  leur  résistance,  La  lon.irueur  des  voies 
paraît  notablement  abrégée,  de  ce  fait  qu'un  grand  nombre  des  fuseaux 
musculaires  sont  placés  au  voisinag-e  de  Tentrée  du  nerf  dans  le 
muscle,  et  que  les  fibres  de  Weissmann,  intercalées  entre  la  plaque 
motrice  et  le  fuseau  musculaire  présentent  une  étendue  minime. 

Quant  à  la  résistance  de  ces  mâmes  voies,  elle  est  certainement 
peu  considérable,  étant  donné  le  diamètre  relativement  énorme  des 
fibres  nerveuses  propres  aux  fuseaux  musculaires. 

Enfin  la  nature  de  Texcitation,  grâce  à  la  rapidité  avec  laquelle  se 
propage  Tonde  électrique,  contribue  encore  à  assurer  à  la  sensation 
d'Innervation  l'avance  qu'elle  avait  acquise  sur  la  sensation  de  con- 
traction. 

Donc  nous  pouvons  admettre  que,  grâce  h  des  voies  plus  courtes  et 
plus  faciles  et  grâce  à  la  nature  spéciale  de  rexcilation  dont  il  est  la 
conséquence,  le  sentiment  de  Tinnervation  conserve  Tavance  acquise 
par  lui  dès  son  origine.  Les  choses  sont  un  peu  plus  compliquées  si, 
au  lieu  de  considérer  le  sentiment  de  Tinnervation  se  produisant  iso- 
lément, nous  le  considérons  associé  ^  en  quelque  sorte  comme  signe 
local  »  à  d'autres  impressions. 

L'excitation  de  tout  neurone  sensible  périphérique  se  transmet  par 
une  collatérale  à  une  cellule  motrice  et  entraîne  dans  celle-ci  une 
réaction  qui,  transmise  à  son  tour  au  muscle,  et  en  particulier  au 
fuseau  musculaire,  donne  lieu  à  t  une  sensation  secondaire  »,  Que 
devient  cette  sensation  secondaire?  Peut-elle  prendre  sur  la  sensation 
primaire  périphérique  qut  lui  a  donné  naissance  par  voie  ré  11  exe  une 
avance  telle  que  les  deux  sensations  arrivent  en  môme  temps  à  Técorce 
et  se  fusionnent  dans  un  même  état  de  conscience? 

La  chose  n'est  pas  impossible  et  la  voie  directe  constituée  d'après 
Flechzig  par  une  partie  du  ruban  du  lîeil  a  peut-être  pour  but  de  per- 
mettre au  sentiment  de  l'innervation  de  gagner  du  temps  sur  la  sensa- 
tion périphérique  primaire  qui  suivrait  une  voie  interrompue  par  des 
relais. 

Ce  problème  se  rattache  â  une  question  plus  ^'^énérale*  Toutes  les 
sensations  ne  se  propagent  pas  en  efTet  avec  une  égale  rapidité.  Exner 
a  montré  que  «  si  un  objet  extérieur  agit  en  mtîme  temps  sur  la  vue 
et  sur  rouie,  l'impression  auditive  sera  perçue  plus  vite  que  l'impres- 
sion  visuelle  n. 

Le  sentiment  de  l'innervation  peut-il  dans  certaines  conditions  se 
propager  plus  rapidement  que  les  autres  sensations? 

Des  faits  tendant  à  le  prouver  ont  été  constatés  par  Bxner  dans  ses 
expériences  sur  la  vision  et  les  impressions  associées  provenant  des 


633  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

muscles  de  Toeil.  Le  sens  du  tact  nous  fournit  un  autre  exemple.  L'in- 
tensité d*une  impression  tactile  est  beaucoup  plus  lentement  perçue 
que  sa  localisation.  Or,  ce  dernier  phénomène  est,  comme  nous  le  ver- 
rons bientôt,  fonction  du  sentiment  de  l'innervation. 

Tous  ces  faits  montrent  bien  que,  au  point  de  vue  du  temps,  la 
théorie  du  sentiment  de  Tinncrvation  ainsi  comprise  répond  tout  aussi 
bien  que  les  théories  centrales  à  tous  les  desiderata  qu*on  est  en  droit 
de  formuler. 

Les  phénomènes  dans  Texplication  desquels  on  a  fait  intervenir  le 
sentiment  de  Tinnervation  sont  multiples. 

Il  entre  dans  l'explication  du  «  sentiment  de  l'impulsion  »  (Mûller, 
Helmholtz)  des  différentes  sensations  dues  au  sens  musculaire,  p.  e. 
dans  la  sensation  du  mouvement  actif  (Gowers)  de  la  représentation 
du  mouvement  (Meynert),  de  l'incitation  motrice  (Harless,  H.  Munck) 
de  la  localisation,  etc. 

M.  Kerschner  montre  comment  sa  théorie  peut  servir  à  Texplication 
de  ces  différents  phénomènes.  La  localisation  des  sensations  cutanées, 
par  exemple,  «  consiste  essentiellement  en  la  fusion  d'une  sensation 
secondaire  avec  une  sensation  primaire  ». 

0  Le  processus  d'où  résulte  ce  phénomène  complexe  serait  un  réflexe 
rudimentaire  dans  lequel  l'excitation  mécanique  serait  annihilée  et 
l'effet  sensible  se  manifesterait  seul.  »  Cette  manière  de  voir  ne  con- 
tredit en  rien  les  théories  modernes  de  Lotze,  de  Wundt.  Bien  plus, 
elle  leur  donne  une  base  plus  solide,  en  faisant  cesser,  par  exemple,  la 
contradiction  apparente  qui  existe  dans  le  s^'stème  de  Lotze,  quand  cet 
auteur,  après  avoir  nié  l'existence  des  sensations  centrales  d'innerva- 
tion, aflirme  que  «  les  signes  locaux  consistent  dans  le  réveil  (Erwe- 
ckung)  de  tendances  motrices  ». 

Elle  est  également  d'accord  avec  la  théorie  de  Hering  sur  le  sens  de 
l'espace. 

Elle  ne  contredit  en  rien  non  plus  les  faits  nouveaux  apportés  par 
Bethe,  Munk,  Wernicke  et  d'autres  auteurs. 

Si  Ton  admet,  et  il  n'y  a  aucune  raison  pour  repousser  cette  hypo- 
thèse, que  le  neurone  sensible  musculaire  périphérique  se  comporte 
comme  tout  neurone  périphérique,  c'est-à-dire  qu'il  émet  dans  la 
moelle  des  collatérales  et  que  celles-ci  se  mettent  en  rapport  avec  les 
cellules  motrices,  on  peut  expliquer  plusieurs  phénomènes  physiologi- 
ques importants. 

Toile  est  la  contraction  tétanique,  dans  laquelle  une  seule  excitation 
périphérique  suflit  à  produire  un  état  de  contraction  prolongé.  La  cel- 
lule motrice  est  alors  maintenue  en  action  par  les  sensations  muscu- 
laires que  lui  apportent  les  collatérales  du  neurone  sensible  musculaire 
périphérique. 

On  peut  expliquer  d'une  façon  analogue  l'innervation  antagoniste, 
le  tétanos  vital,  etc. 

L'action  des  collatérales  se  manifeste  aussi  probablement  dans  ce 


REVUE  GÉNÉRALE.  —TRAVAUX  RÉCEÎSTS  SUR  LES  SENSATIONS  INTERNES  633 

que  Ducheniie  a  appelé  «  la  conscience  musculaire  »  et  PdQger  «  Inme 
médullaire  *,  dans  La  «  prcformation  du  mécanisme  des  mouvements  »* 
(Schrôder  van  der  Kolk,  etc.) 

La  théorie  de  M.  Kerschner  permet  encore  d'expliquer  le  «  sentiment 
de  rim pulsion  "  qui  d'après  la  délmition  de  J.  Mûller  nous  permet  de 
nous  représenter  et  de  prévoir  la  mesure  de  Taction  cérébrale  néces- 
saire pour  produire  un  certain  degré  de  mouvement.  Elle  permet  éga- 
lement de  comprendre  t  l'union  nécessaire  qui  existe  entre  les  sphères 
sensibles  et  motrices  ^. 

On  conçoit  en  eiîet  que,  étant  donné  le  rôle  important  des  aenaations 
musc u lai resj  une  contraction  ne  puisse  avoir  lieu  quand  oelles-cî  ne 
parviennent  pas  aux  centres  nerveux. 

En  résumé  le  sçntiment  de  rinnervation  tel  qu^il  est  compris  par 
>L  Kerschner  permet  tout  aussi  bien  que  les  théories  antérieures 
d'expliquer  les  différents  phénomènes  où  nous  sommes  habitués  à  le 
faire  intervenir* 

C'est  bien  là  une  théorie  nouvelle  du  sentiment  de  l'innervation  * 
théorie  claire,  ingénieuse,  reposant  sur  la  base  la  plus  solide  de  la 
biologie,  à  savoir  sur  Tanatomie. 

Dans  ces  dernières  années  M.  Roux  nous  a  donné  trois  monographies. 
Dans  chacune,  il  étudie  un  territoire  bien  délimité  de  la  sensibilité.  Il 
rétudie  en  physiologiste,  c'est-à-dire  qu'il  s*aliaehe  à  donner  des  phé- 
nomènes une  explication  exclusivement  mécanique* 

Dans  son  premier  travail,  il  traite  de  îa  douleur  a  non  de  la  douleur 
enlité  métaphysique,  mais  de  la  sensation  douloureuseï  phénomène 
accessible  à  robservation  et  a  rexpérimentation  w. 

Un  premier  chapitre  est  consacre  auK  voles  conductrices  doulou- 
reuses. Après  avoir  résumé  et  rapidement  discuté  les  opinion^s  des 
physiologistes  modernes  sur  cette  question  et  rappelé  notamment  les 
expériences  de  Nichols  et  de  Frey  qui  conduisirent  ces  savants  à 
admettre  l'existence  de  ^  points  de  douleur  »,  à  côté  des  pointa  de  con- 
tact, des  points  de  chaleur  et  des  points  de  froid,  Tauteur  conclut  que 
si,  dans  la  moelle,  les  sensations  tactiles  et  douloureuses  passent  cer- 
tainement par  des  voies  différentes,  rien  ne  prouve  qu'il  en  soit  de 
même  à  la  périphérie. 

Ceci  posé,  M.  Roux  aborde  d'emblée  le  point  capital  de  la  question  : 
quelle  est  la  nature  de  la  douleur"/  Est-elle  tout  simplement  une  sen- 
sation  quelconque  d'une  intensité  anormale^  ou  constitue-t-elle  au  con- 
traire une  sensation  spéciale? 

Four  Wundt  et  pour  Uichet  surtout,  n  toute  sensation  peut  devenir 
douloureuse  en  augmentant  d'intensité  ».  On  peut  soulever  contre 
43ette  théorie  bien  des  objections*  Quand  îa  douleur  succède  à  une 
sensation  tactile^  la  transition  n'est  pas  proî^'^ressiveH^  «  Tarrivée  de  la 
douleur  à  la  conscience  est  brusque  »*  La  douleur  peut  être  abolie  sur 
un  territoire  cutané  alors  que  les  sensations  tactiles  sont  conservées 


6S4 


BEVUE  PHILOSOPniQDl 


{syniigômyélie,  anesthésie  par  la  cocainct  etc.).  Eafin  la  senstation 
douloureuse  est  toujours  qualitativement  identique  à  elle-m^mc, 
qu'elle  succède  au  chaud,  au  fr£>îd  ou  au  contact, 

Exuminons  Bt  nous  ne  pouvons  pas  assig^ner  à  la  douleur  une  autre 
origine* 

«  Nos  sensations,  nous  dit  M.  Roux,  peuvent  être  divisées  en  deux 
groupes  M-*  iensatîons  externes;  2«*  sensations  internes  ou  céneslhé- 
siques  a. 

Les  premières  (visuelles,  auditives,  tactiles,  etc<j  nous  renseignent 
sur  le  monde  e^c teneur  mais  ne  nous  sont  d'aucune  utilité  pour  savoir 
ce  qui  se  passe  en  nous-mème.  Elles  peuvent  être  désagréable^^  Elles 
ne  sauraient  être  doittoureuses.  Supposons  par  exemple  une  mauvaise 
ûdour.  Elle  peut  devenir  de  plus  en  plus  nauséabonde»  horrible  même. 
I>îra-t*on  jamais  qu^elle  est  douloureuse?  Evidemment  non.  Doue  la 
conclusion  suivante  parait  s'imposer.  «  Les  sensations  externes  peu* 
vent  susciter  dans  la  conscience  des  émotions  pénibles  et  désagréables, 
mais  celles-ci  n*ont  pas  les  caractères  qu'on  est  convenu  d'attribuer  à 
la  douleur  «, 

Le  ràlo  des  sensations  du  deuxième  groupe,  internes  ou  cénesthé- 
siques,  est  de  nous  renseigner  sur  Tétat  de  notre  organisme.  Opposées 
aux  sensations  du  premier  groupe,  elles  nous  permettent  de  distinguer 
notre  propre  corps  du  monde  extérieur.  A  l'état  normiil  elles  ne  sont 
perçues  que  comme  total  et  non  comme  sensaiions  localisées.  Mais 
qu'une  modiiieation  pathologique  survienne  sur  un  point  quelconque 
de  Torganisme.  Le  premier  résultat  sera  un  réflexe  de  défense  incous- 
eient,  parce  qu'il  est  parfaiteun-nt adapté.  Si  tout  rentre  aussitôt  dans 
l'ordre,  la  conscience  pourra  ignorer  toujours  la  modilication  sur- 
vetme  dans  rorganisme.  Si  au  contraire  le  réilexe  est  impuissant  à 
lutter  contre  la  cause  perturbatrice,  »  Tim pression  s*é lèvera  vers  les 
cc^ntres  supérieurs  pour  provoquer  un  réilexe  de  défense  plus  com- 
pliqué, non  automatique  et  par  conséquent  conscient  »  c^'est-â-dire  ua 
phénomène  intellectuel  complexe  dont  Tune  des  lacos  est  précisément 
la  douleur. 

Si  nous  noua  demandons  a  pourquoi  ce  phénomène  de  conscience  a 
revêtu  le  caractère  pénible  spécial  à  la  douleur  j»,  nous  trouvons  la 
réponse  à  notre  question  dans  cette  grande  loi,  que  «  toute  sensation 
est  agréable  lorsque  son  excitant  est  favorable  à  la  conservation  de 
Tindividu^  et  qu'elle  est  désagréable  dans  le  cas  contraire  v. 

La  douleur  n'est  donc  en  délinitive,  ainsi  que  Ta  bien  montré 
M.  Ri  bot,  que  le  «  symptôme  »  d'un  état  fâcheux  de  rorganisme. 


I 


Dans  sou  deuxième  mémoire,  M-  Houx  étudie  la  faim. 

'      Comme  toute  sensation,  la  faim  n*est  pour  lui  qu'un  réilexe  ou  plutûf 

une  série  de  réllexes  échelonnés  le  long  de  l'axe  cérébro-spinal  et 

dont  le  plus  élevé,  le  réilexe  cortical,  est  accompagné  de  conscience. 

Il  y  a  donc  lieu  d'étudier  :  f^  le  point   de   départ   commun   de  ces 


REVUE  GÉIÏÈRALE.  — TRAVAUX  RÉCENTS  SUR  LES  SEXSATIf)?fS  INTERPÎËS  633 

réflexes,  c'est-à-dire  le  point  d'origine  de  la  faim  ;  2^  les  réflexes  d^ordre 
inférieur  ( ganglionnaires,  médullaires,  bulbaires),  dont  l'ensemble 
constitue  les  manifeslations  inconscientes  de  ce  phénomène;  3'Me 
réflexe  cortical  au  cours  duquel  apparaît  la  conscience. 

L'origine  de  la  sensation  de  faim  est  le  sujet  d'un  des  plus  intéres- 
sants chapitres  du  travail.  L'auteur  commence  par  rappeler  les  tra- 
vaux de  ses  devanciers,  notamment  ceux  de  Kchiff  qui  ruinèrent, 
d'une  façon  défmitivejes  anciennes  théories  stomacales  de  la  faim. 
L'observation  et  l'expérimentation  nous  montrent,  en  effet,  que  la 
faim  peut  exister  malgré  la  réplétîon  de  Testomao  ou  après  Tanes- 
thésie  do  cet  organe  (section  dea  nerfs  de  Testomac).  Mais  si  M.  Roux 
est  parfaitement  d*accord  avec  SchifT  pour  rejeter  la  théorie  stomacale 
de  la  faim,  il  refuse  de  voir  dans  cette  sensation,  comme  le  veut  le 
célèbre  physiologiste,  le  résultat  d*une  action  du  sang  appauvri  en 
matière  nutritive  sur  les  centres  nerveux.  Pour  lui,  a  les  centres  ner- 
veux ne  fonctionnent  jamais  spontanément  u ,  à  l'état  normal  du 
moins.  Etant  donaé  que,  ni  Testomnc  ni  les  centres  nerveux  ne  peuvent 
être  le  point  de  départ  de  la  sensation  de  faim^  il  ne  nous  reste  plus 
qu*à  le  chercher  à  la  périphérie.  C'est  là,  en  effet,  que  nous  le  trou- 
vons. (I  La  sensation  de  faim  prend  naissance  dfins  les  innombrables 
cellules  de  notre  corps.  C'est  le  crî  de  notre  organisme  réclamant  des 
matériaux  nutritifs,  o  L'estomac  est  simplement  le  siège  d'une  sen* 
sation  spéciale  qui,  le  plus  souvent,  accompagne  la  faim  et  peut  même 
la  devancer. 

Cette  sensation  spéciale  «  éveille  en  notre  esprit  Tidée  de  manger,  le 
souvenir  de  mets  agréables,  la  perspective  d'un  repas  savoureux  », 
C'est  là  ce  que  nous  appelons  Vappèiit.  La  faim  et  l'appétit  sont  donc 
deux  manifestations  essentiellement:  distinctes  Tune  de  l'autre  :  Tune 
est  «  un  désir  suggéré  par  un  ensemble  de  souvenirs  qui  sont  eux- 
mcmes  éveillés  par  une  sensation  stomacale  spéciale  »;  l'autre  est  une 
sen.^ation  résultant  d'un  besoin  général  de  l'organisme  appauvri  en 
matériaux  nutritifs. 

L'impression  née  d'un  point  de  la  périphérie  où  la  nutrition  est 
insulllsante,  est  transmise  par  les  nerfs  périphériques  à  la  moelle 
et  donne  lieu  à  un  réflexe.  Si  Tinanition  est  localisée  à  un  territoire 
bien  délimité,  la  vaso-dilatation  intervient  sur  ce  mV^ime  territoire  et 
remet  les  choses  en  état.  Il  s'agit  d'une  faim  locale.  Peut-être  se  pro- 
duit-il des  phénomènes  de  cet  ordre  dans  les  innombrables  troubles 
trophiques,  dits  réflexes,  que  Ton  observe  en  médecine.  Il  s'agirait 
alors  d'un  trouble  apporté  dans  le  fonctionnement  du  réflexe  occa- 
sionné par  la  «  faim  locale  j»,  les  usures  n'étant  pas  suiFisamment 
compensées,  ou  dans  quelques  cas  rares,  l'apport  nutritif  dépassant 
l'usure  (lipomatosea  localisées). 

Mais  la  faim  n'est  pas  un  phénomène  local.  C'est  un  phénomène 
général.  Le  sang  pauvre  en  éléments  nutritifs  ne  nourrît  plus  les 
tissus  d'une  manière  suTAsante.  Ceux-ci  soulTrent  et  irritent  tes  extré- 


636  BEVUE   PHILOSOPHIQUE 

mités  nerveuses.  Ces  impressions,  parties  de  tout  rorgaoîsme,  s'élèvent 
vers  lea  centres  et  provoquent  un  réflexe  dont  le  résultat  est  d'utiliser 
nos  réserves  alimentaires,  graisse  et  sucre,  et  de  rendre  au  sang  dans 
une  certaine  mesure  et  pour  un  certain  temps  sa  composition  normale. 
Tous  ces  phénomènes  se  passent  d'une  manière  absolument  incon- 
sciente. L'auteur  va  nous  dire  pourquoi, 

La  conscience  n'apparait  que  dans  le  rélkxe  le  plus  élevé  de  la 
série,  celui  que  NL  Roux  appelle  «  le  réflexe  nutritif  cortical  *. 
Tandis  que  les  réflexes  précédents  ne  pouvaient  s'étudier  que  par 
robservatioii  externe,  celui-ci  devient  accessible  à  •  robservalion 
interne  subjective  v.  C'est  en  effet  une  loi  constante  que^plua  un  réflexe 
s'acoomplit  d*une  façon  parfaite»  autrement  dit,  plus  il  est  adapté» 
moins  il  est  conscient  En  d*iiutres  termes,  les  réflexes  inconsctenU 
sont  des  réflexes  parfailement  adaptés,  fonctionnant  d*une  manière 
automatique.  Les  actes  conscients,  au  contraire*  *  sont  des  réflexes 
en  voie  de  perfectionnement,  d'adaptation  ».  Le  réflexe  nutritif  corij- 
eal  appartient  à  cette  dernière  catégorie.  "  U  n'est  pas  complètement 
adapté  à  son  but;  it  est  extrêmement  variable  suivant  les  arçons  tan  ces 
extérieures  et  les  impressions  concomitantes.  »  L'adaptation  incom- 
plète d'un  réflexe^  telle  est  sinon  la  seule,  au  moins  l'une  des  condi- 
tions les  plus  importantes  de  l'apparition  de  la  conscience. 

Quels  sont  ^*  les  phénomènes  de  conscience  suscités  par  la  sen- 
sation de  la  faim  »?  Ce  sont  :  1*  une  sensation  spécitique,  impossible 
à  définir,  mais  pénible,  celle  que  chacun  éprouve  quand  il  a  faimî 
^"  un  certain  nombre  de  souvenirs  et  d'associations  d'idées  se  ratta- 
chant tous  à  l'acte  de  manger.  La  sensation  de  faim  est  éminemment 
exclusive.  *  Toute  notre  cérébration  est  orientée  vers  un  seul  but  e, 
celui  de  manger.  Toutes  les  autres  manifestations  psychologiques  au 
contraire  s'affaiblissent  peu  à  peu  et  peuvent  même  s'effacer  complè- 
tement, La  faim  les  inhibe. 

Voyons  maintenant  quelles  sont  les  manifestations  périphériques 
auxquelles  donne  lieu  la  faim.  En  d'autres  termes  étudions  les  mani- 
festations centrifuges  du  réflexe.  Noua  avons  en  premier  lieu  des  mani- 
fes talions  vaso-motrices  et  sécrctoires  :  modifications  de  la  tension 
sanguine r  du  pouls ^  de  la  sécrétion  salivai re,  rénale,  etc. 

Tous  ces  phénomènes  ont  été  mal  étudiés,  au  moins  che2  Tbomme. 
Il  en  est  de  même  de  la  nutrition  générale,  de  la  température* 

Une  des  plus  g'rosses  diflicultés  qui  se  présentent»  c*est  Timpossi- 
bilité  où  nous  sommes  de  faire  la  part  de  ce  qui  revient  à  la  faim  et 
de  ce  qui  revient  kVinanilioa.  Nous  pouvons  essayer  de  vaincre  cette 
difficulté  par  une  voie  détournée. 

Dans  le  phénomène  connu  en  pathologie  sous  le  nom  d'anorexie 
hystérique  on  peut  observer  les  effets  de  rinanition,  indépendamment 
de  la  faim  qui  est  absente-  Le  fait  principal,  dans  ces  cas  pathologiques, 
c'est  l'action  d'épargne  évidente  qui  se  traduit  dans  le  poids ,  dans  la 
composition  des  urines,  dans  la  respiration,  dans  la  température  et 


REVUE  GÉNÉRALE,  —TRAVAUX  RÉCENTS  SUR  LES  SESSATlOffS  IKTER?fËS  537 

dans  Fètat  psychique  dea  malades.  Le  parallèle  entre  les  indîYidus 
normaux  en  inanition  et  les  individus  atteinte  d'anorexie  hyaténquc 
nous  apprend  :  1"  que  Faction  d'épargne  paraît  beaucoup  plus  consf* 
dèrable  chez  les  hystériques  que  cheE  les  individus  normaux  en  ina- 
nition; 2^  que  chez,  les  hystériques,  cette  action  d'épargne  paraît  porter 
surtout  sur  les  aibuminoïdes,  permettant  ainsi  à  i*org^anisme  do  con- 
iervor  sa  constitution  et  de  consommer  toutes  ses  réserves  nutritives 
avant  de  mourir;  3°  que  chez  les  individus  normaux  et  les  animaux  en 
inanition,  Faction  d'épargne  parait  porter  moins  sur  les  aibuminoïdes 
que  sur  les  réserves  graisseuses  et  hydrocarbonées.  Il  en  résulte  que 
la  constitution  des  éléments  anatomiques  s'altère  rapidement  et  que 
l'individu  meurt  avant  d'avoir  épuisé  sa  provision  d'énergte. 

Pourquoi  cette  différence?  Parce  que  Findividu  normal  et  Ffiystë- 
rique  se  conduisent  vis-à-vis  de  l'inanition  de  deux  façons  absolument 
opposées.  Llndividu  normal  conserve  un  certain  degré  d'activité 
employée  à  lutter  contre  le  danger  dont  il  est  menacé,  c'est-à-dire  à 
chercher  des  aliments,  11  résiste  d'une  façon  active.  L'hystérique  au 
contraire  résiste  d*une  fa^^on  passive.  H  réduit  ses  dépenses  au  mini- 
mum en  supprimant  toute  espèce  d'activité.  Le  premier  par  conséquent 
épuisera  pïus  rapidement  ses  réserves  nutritives.  Mais  peut-être  grâce 
à  la  lutte  qu'il  soutient  arrivera-t-il  à  se  sortir  d'afTaire,  c'est-à-dire  à 
trouver  des  aliments.  Le  second  au  contraire  économise  ses  réserves, 
mais  là  se  borne  sa  défense,  de  sorte  que  chez  lui  Finanition  mar* 
chera  plus  lentement  que  chess  le  premier,  mais  aussi  plus  siireinentj 
puisque  de  lui-même  il  renonce  à  la  lutte. 

Les  éléments  qui  se  détruisent  le  plus  rapidement  dans  l'inanition 
sont  les  albumines,  et  chez  Findividu  normal*  c'est  la  destruction  des 
albumines  qui  Hmène  la  mort,  de  sorte  qull  meurt  non  d'inanition 
totale  mais  d'inanition  albuminoide.  L'hystérique  au  contraire  utilise 
égalemement  tous  ses  éléments,  les  graisses  comme  les  albumines, 
Cela  nous  explique  pourquoi  Fhystérique  peut  perdre  50  p,  ttlO  de  son 
poids  sans  mourir,  tandis  que  Findividu  normal  ou  Fanimal  meurent 
quand  ils  ont  perdu  ^0  p.  100  de  leur  poids  seulement. 

Cette  théorie  s'accorde  parfaitement  avec  celle  de  Belmondo,  pour 
qui  rt  le  cerveau  exerce  une  action  trophique  sur  les  échanges  de 
l'organisme  et  en  particulier  parait  accélérer  la  décomposition  de  la 
molécule  d'albumine  >*,  Pour  Bernheim  également  Fhonime  sain  soumis 
à  un  jeûne  prolongé  meurt  de  faim,  et  non  d*irianih"on* 

C'est  par  le  même  mécanisme  que  peuvent  s'expliquer  les  jeunes 
célèbres*  «  Succi  ne  meurt  pas  de  faim,  parce  qu'il  n'a  pan  faim^  et  ne 
subit  que  les  effets  de  Finanition,  qui,  à  elle  seule,  ne  tue  pas  en 
trente  jours,  n  (Oernheim). 

La  sensation  de  la  faim  étant  celle  qui  se  manifeste  la  première , 
avec  la  sensation  de  douleur,  chez  Fenfant,  c'est  dans  les  fibres  ner- 
veuses les  plus  anciennement  aptes  a  fonctionner,  c'est-à-dire  les  plus 
anciennement  recouvertes  de  myéline  que  nous  devons  rechercher  las 


638 


IIEVUJS   PHILOSOPUIQUE 


eonductêurs  de  la  seusatîon  périphérique  qui  donne  lieu  à  la  faim. 
Elles  appartiennent  donc  au  premier  système  de  Flechzig.  Or  nous 
vuyona  que  les  ii lires  de  ce  système  aboutissent  pour  la  plus  grande 
partie  à  récorce  de  la  région  rolandique.  C'est  donc  au  niveau  de 
cette  région  que  se  trouve  la  7:one  de  projection  de  la  faim. 

Un  chapitre  est  consacré  à  la  pathologie  de  la  faim,  bouUaiie  vt  ano- 
rexie. L'auteur  y  discute  en  détail  l'inléressante  théorie  de  Sallier  sur 
Tanorexie  hystérique.  Pour  ce  dernier  auteur  en  etTet  la  faim  est  une 
sensation  d'origine  stomacale  et  ranoffîxie  hystérique  est  une  consé* 
qucnce  de  Tanesthésie  de  la  ni  aqueuse  stomacale.  Sans  contester  les 
faits  sur  lesquels  s'appuie  4SQllier,  lauteur  fait  remarquer  que  l'anes- 
thésîe  de  restomac  peut  causer  Tanorexie  sans  que  pour  cela  ia  serisi- 
bilité  de  la  muqueuse  stomacale  puisse  être  considérée  comme  la  seule 
cause  de  la  faim.  El  se  passerait  alors  chez  les  malades  une  sorte  de 
raisonnemt^nt  inconscient  :  ils  ne  sentent  plus  leur  estomac  donc  ils 
n'en  ont  plus,  donc  il  est  inutile  de  manger.  Ces  œalades  refusent  de 
manger  par  suite  d'une  logique  inconsciente. 

Comment  calmer  la  faim?  En  ingérant  des  aliments  bien  entendu* 
Mais  ce  moyen  n'est  pas  le  seul.  Des  substances  inutiles  introduites 
dans  l'estomac  (de  Targile  par  exemple)  suppriment  parfaitement  la 
faim,  C'f^stque  ^  la  sensation  de  plénitude  stomacale  fait  cesser  ta  sen- 
sation de  faim  par  un  phénomène  d'inhibition**. 

*  De  ce  phénomène  d  icihibition,  nous  voyons  clairement  la  raison 
d*étre.  Sans  lui  la  faim  nous  conduirait  fatalement  a  des  abus  de  nour* 
riture  et  à  des  désordres  graves  :  nous  mangerions  jusqu'au  moment 
où  Tappauvrissement  du  milieu  nutritif  aurait  disparu^  c'est-â-dirc 
beaucoup  trop  longtemps  et  beaucoup  trop.  » 

Nous  connaissons  depuis  longtemps  eertaities  substances,  qui,  bien 
que  ne  constituant  pas  de  véritables  aliments,  n'en  ont  pas  moins  le 
pouvoir  de  calmer  la  faim.  Ces  substances  (café,  thé,  kola,  coca)  ont 
reçu  le  nom  d'aliments  d^épargne  (Schullzj.  Ce  nom  est  absolument 
impropre.  Loin  d'épargner,  comme  on  pourrait  le  croire,  nos  réserves 
nutritives^  ces  substances  en  activent  la  combustion  et  c'est  par  Ce 
procédé  qu'elles  peuvent  retarder  l' apparition  de  la  faim.  Nous  n'éprou- 
vons pas  le  besoin  de  prendre  des  aliments,  parce  que  nous  dépen- 
sons nos  propres  réserves. 


I/instinct  sexuel,  qui  fait  l'objet  du  troisième  travail  de  M,  Roux, 
est,  d'après  cet  auteur,  comparable  à  la  faim  à  plusieurs  points  de  vue. 

Comme  pour  la  faim  la  première  question  que  nous  devons  nous 
poser  est  celle-ci*  Où  le  besoin  sexuel  prend*il  son  origine?  A  la  péri- 
phérie sans  aucun  doute,  ear  nous  ne  saurions  admettre  pour  les  cen- 
tres nerveux  un  fonctionnement  automatique  et  indépendant  des  exci- 
tations périphériques.  Mais  en  quel  point  de  la  périphérie?  La  plupart 
des  auteurs  indiquent  les  organes  génitaux.  De  ce  nombre  sont 
Krafft-Ebing,  Beaunis»  Tarchanofj  Spallan^ani-  u.  Formulées  en  termes 


I 


I 


REVUE  GÉNÉRALE.— TRAVAUX  RÉCENTS  SUR  LES  SENSATIONS  IXTERÎ^ ES  639 

physiologiques  précis,  ces  difféi'entes  théories  peuvent  se  résumer  de 
la  façon  suivï^nte  :  lorsque  les  organes  g^nttaux  ont  acquis  leur  pleiti 
développeraeat,  sont  aptt3s  à  fonctionner  pour  la  reproduction  de  les- 
pèce,  ils  deviennent  le  point  de  départ  d'une  impression  nerveuse 
centripète.  Celle-ci  H*élève  vers  les  centres,  fait  éclore  dans  la  cons- 
cience le  besoin  sexuel,  est  le  prbnum  movens  de  tous  les  actes  se 
rattachant  à  la  vie  génitale.  »  Mais  «  si  Tinstinct  sexuel  n'a  pour  base 
qu'un  besoin  de  fonctionnement  des  organes  génitaux,  il  ne  doit 
jamais  apparaître  lorsque  ceux-ci  ne  sont  jamais  aptes  à  fonctionner 
(castration  a%*^ant  la  puberté);  il  doit  disparaître  lorsque  les  organes 
génitaux  sont  supprimais  organiqueuient  ou  fonctionnellement  (castra- 
tion, ménopause,  maladies,  etck  En  lin  le  besoin  sexuel  doit  dispa- 
raître entièrement  lorsqu'il  est  organiquement  satisfait  par  îe  coït*  ■» 

L'auteur  examine  successivement  chacun  de  ces  points  en  s'appuyant 
sur  des  faits  empruntés  à  Texpêrimentation,  à  la  clinique»  à  l'histoire 
même,  et  montre  que  le  développement  complet,  l'aptitude  fonctionnelle 
des  glandes  génitales  ne  sau^ait^ot  suffire  a  expliquer  l'apparition  du 
besoin  sexueL  II  y  a  là  «  autre  chose  qu'un  organe  qui  demande  â 
fonctionner^  que  des  vésicules  séminales  qui  demandent  h  être  vidées  ». 
Le  besoin  sexuel  est  un  besoin  de  tout  rorganisnie.  M.  Houx  îe  com- 
pare très  ingénieusement  à  la  faim*  De  même  qu'il  y  a  lieu,  nous  dit-il, 
de  distinguer  Tappétit,  qui  est  éveillé  par  une  sensation  stomacale 
spéciale,  de  la  faim  qui  est  un  besoin  général,  »  le  cri  de  notre  orga* 
nisme  réclamant  des  matériaux  nutritifs  w,  de  môme  il  y  a  lieu  de  ne 
pas  confondre  le  besoin  génital»  ce  besoin  vague,  sans  localiaalion  pré* 
cisOi  avec  le  désir  de  la  satisfaction  génitale  qui^  lui,  a  son  siège  bien 
déterminé  dans  les  organes  génitaux  comme  Tappétît  a  Je  sien  dans 
[*estomac.  En  un  mot,  h  le  besoin  génital,  la  faim  sexuelle  est  une  sen* 
sation  spécifique  qui,  à  ce  titre,  ne  peut  être  décrite,  ne  peut  être 
définie.  Comme  la  faim  véritable,  elle  a  son  origine  dans  tout  notre 
organisme.  L'appétit  sexuel  n'est  pas  autre  chose  que  le  désir  de  la 
satisfaction  génitale;  c'est  simplement  un  organe  qui  demande  à  fonc- 
tionner; son  origine  est  dans  les  sensations  parties  des  or^^anes 
génitiiux,  » 

Maupas  a  montré  que  chez  certains  in  fusai  res  la  tendance  à  Taccou* 
plement  se  montre  quelque  temps  avant  que  la  colotïie  soit  menacée 
d  extinction  séiiile.  Les  choses  se  passent  d'une  façon  très  analogue 
ohez  les  êtres  pluri-cellulaires,  Touteç  les  cellules  éprouvent  à  la  fois 
ie  besoin  de  se  perpétuer  en  donnant  naissance  à  un  être  nouveau. 
Beulement,  au  lieu  de  participer  toutes  à  cette  régénération,  elles 
choisissent  un  certain  nombre  d'entre  olles  spécialement  adaptées  à 
ce  but  :  le  spermatozoïde  chez  le  mâle,  et  l'ovule  chez  la  femelle. 

Ce  besoin  a  vraisemblabiement  pour  base  un  changement  physico- 
chimique survenu  dans  les  éléments  cellulaires.  Nous  ignorons  exac- 
tement lequel.  Les  expériences  de  *\ïaupas  semblent  indiquer  cepen- 
dant quHI  s  agit  d'une  diminution  dans  les  propriétés  assimilatrlces  de 


640 


REVUE    PHJLOSOPHtÛCE 


ïa  cellule,  de  sorte  que  le  beaoin  sexuel  ne  serait  en  définitive  «  qu'une 
des  faciDs,  une  modalité  du  besoin  nutritif  o, 

M.  Roux  passe  rapidement  sur  le  rr*le  des  séeréttons  internes. 
Celui-ci  ne  lui  parait  pas  suffisamment  démontré,  qu'il  s'agisse  comme 
le  voulait  Brown*Sequard  d'un  produit  versé  par  les  glandes  génitales 
dans  tout  Torg^anisme,  ou  au  contraire,  suivant  la  théorie  de  Keiffer, 
d'un  produit  sécrété  par  Torganisme  et  éliminé  par  les  glandes  génital ei. 

Le  trajet  suivi  par  l'excitation  périphérique  que  nous  trouvons  a  ta 
base  du  besoin  génital  est  vraisemblablement  ie  même  que  cel«î  des 
sensations  relevant  de  la  sensibilité  générale.  Comme  ces  dernières, 
elle  doit  aboutir  aux  circonvolutions  circum-rolandiques^  Là,  elle  se 
transforme  en  impression  consciente,  engendrant  d'abord,,  ainsi  que 
Ta  montré  \L  Ribot^  un  étal  adectif  particulier,  puis  secondairement  un 
état  représentatif  correspondant.  * 

Alors  seulement  interviennent  les  sensations  parties  des  organes 
génitaux  en  venant  s^associer  aux  sensations  provoquées  parle  besoin 
sexueK  Ce  point  est  très  important.  Grâce  â  cette  association,  î' instinct 
sexuel  prendra  sa  direction  normale  qui  est  racoompUssement  de  Tacte 
sexueL  Le  besoin  sexuel  ne  doit  donc  pas  faire  son  apparition  avant 
que  les  glandes  génitales  aient  atteint  leur  maturité.  «  Voilà  pourquoi 
dans  toutes  les  observations  de  psychopathiea  sexuelles  nous  trouvons 
un  besoin  sexuel  extrêmement  précoce.  Celui-ci  apparaissant  bieii 
avant  les  organes  génitaux,  les  associations  normales  ne  peuvent  se 
produire,  il  se  fait  des  associations  anormales,  n 

Cependant,  mt^me  à  l'état  normal,  les  sensations  génitales  ne  sont 
pas  les  seules  qui  s'associent  au  besoin  sexuel.  Celui-ci  a  également 
des  affinités  étroites  pour  les  sensations  olfactives  :  rôle  des  parfuttis 
comme  excitants  sexuels^  observation  de  Féré  dans  laquelle  un  jeune 
homme  éternuait  chaque  fois  qu'il  avait  une  pensée  erotique.  Enfin  il 
s'associe  encore  à  toutes  les  autres  sensations  :  vue,  ouie,  toucber  et 
probablement  môme  aux  sensations  du  ^oùt. 

Le  besoin  sexuel  ainsi  devenu  conscient  et  ayant  éveillé  diverses 
associations  d'idées  se  traduit  au  dehors  par  deux  ordres  de  phéno* 
mènes  :  le  choix  et  Taete  sexuel.  L'auteur  n'étudie  pas  ce  dernier,  qui 
est  du  ressort  de  la  physiologie  proprement  dite.  Le  choix  intéresse  au 
contraïre  le  psychologue.  Aussi  M.  Roux  insiste-t-il  longuement  sur 
ce  point.  Prenant  le  choix  tout  d'abord  chez  les  êtres  inférieurs»  et  le 
poursuivant  jusque  chez  l'homme^  il  le  montre  résultant  d'affinités 
spéciales  soumises  â  des  lois»  excluant  toute  espèce  de  liberté.  ^  Chez 
rborame,  comme  chez  les  Infusoires,  le  choix  dans  la  vie  sexuelle  est 
absolument  fonction  de  la  conformation  physico-chimiquê  des  indi- 
vidus en  présence.  » 

a  Mais  qu'est-ce  qui  produit  chez  Thomme  une  conformation  phy- 
sico-chimique telle  que  chez  lui  le  besoin  sexuel  soit  excité  par  telle 
impression  plutôt  que  par  telle  autre?  Ici  encore  nous  devons  faire 
intervenir  les  lois  de  révolution.  » 


REVUE  GÉNÉRALE.  — TRAVAUX  RÉCENTS  SUR  LES  SEXSATIÛNS  INTERNES  641 

i 

Le  choix  est  en  effet  uniquement  déterminé  par  rintérét  de  l'espèce. 
Les  aflmités  n  ont  d'autre  but  que  d'unir  deux  êtres  susceptibles  de 
donner  ensemble  Je  produit  le  plus  utile  au  perfectionnement  de 
rKspêce.  De  telle  sorte  qu'un  individu  d'un  sexe  donne  recherchera 
non  le  type  parfait  du  sexe  opposé,  mais  celui  dont  les  qualîtés  s'har- 
moniseront le  mieux  avec  les  siennes  et  pourront  le  plus  efficacement 
attêouer  ou  effacer  ses  propres  défauts* 

Cette  théorie  se  rapproche  beaucoup,  ainsi  que  ïe  fait  remarquer 
Tauteur  lui-même,  de  ïa  théorie  évolutive  de  Schopenhc*)uer.  IvUe  s*en 
distingue  en  ce  qu*elle  rejette  complètement  la  doctrine  des  causes 
finales.  Ce  n'est  que  par  métaphore  que  M.  Houx  parle  a  du  but  de 
TEspèce  »,  En  réalité  l'Espèce  n'a  pas  de  but.  Certaines  qualités,  cer- 
taines tendances  se  développent  et  se  lixent  non  parce  que  l'Espèce  le 
veut  ainsi,  mais  parce  que  les  individus  qui  les  présentent  sont  dans 
les  meilleures  conditions  pour  vivre  et  se  perpétuer. 

Cette  manière  de  voir  est  encore  avec  quelques  légères  variantes 
celle  de  Hartmann  et  de  Delbœuf. 

En  résuméj  nous  voyons  que  là  comme  partout  Tindividu  est  sacrifié 
à  TEspèce.  a  L'attrait  physique,  dit  excellemment  Hugues  le  Eoux,  est 
un  piège  que  TEspèce  tend  à  l'individu  avec  la  volonté  de  le  conduire 
à  ses  iinn  sans  qu'il  s'en  doute,  b 

Il  Ji  est  pas  jusqu'à  la  chasteté  qui,  dans  une  certaine  mesure,  ne 
puisse  s'expliquer  par  cette  grande  loi.  Le  chaste  sert  rintérét  de  FEs- 
pèce  par  son  travail  intellectuel*  Il  est  «  capable  d'efforts  extraordi* 
naires  »,  qui  ne  sauraient  se  rencontrer  chez  l'individu  à  vie  sexuelle 
intense  ou  même  simplement  normale* 

C'est  également  rintorët  de  l'Espèce  qui  nous  explique  le  suicide 
par  amour  et  le  sacrifice  volontaire  de  l'homme  à  la  femme,  la  conser- 
vation de  cette  dernière  important  surtout  a  l'Espèce, 

Etudions  maintenant  quels  sont  les  phénomènes  intellectuels,  d'ordre 
plus  élevé,  qui  s'associent  à  l'amour.  Spencer  a  indiqué  en  premier 
lieu  ïaffectioji.  L*auteur  ne  part  aire  pas  cette  opinion  et  pour  lui 
raffection  est  absolument  indépendante  do  Tamour, 

!1  est  au  contraire  parfaitement  d'accord  avec  le  philosophe  anglais 
en  ce  qui  concertie  V^idmiration^  Ce  sentiment  est  très  fréquent  dans 
Tamour,  qu'il  porte  sur  les  qualités  physiques  ou  sur  les  qualités 
morales  et  inteltectuelles.  Nous  avons  encore  comme  sentiments  asso- 
ciés à  Tamour  :  l'estime  de  soi,  Tamour  de  rapprobation,  le  plaisir  de 
la  conquête  et  enlln  la  pudeur.  L'auteur  insiste  longuement  sur  ce 
dernier.  La  pudeur,  selon  lui,  se  présente  sous  deux  formes^  la  pudeur 
du  vêtement  et  la  pudeur  des  actes.  La  première,  «  en  dissimulant  les 
charmes  corporels,  permet  aux  qualités  supérieures,  intellectuelles  ou 
morales  d'exercer  leur  séduction  :  elle  favorise  donc  la  sélection  intel- 
lectuelle aux  dépens  de  la  sélection  physique  u.  Le  vêtement  fait 
encore  naitre  un  sentiment  nouveau  :  la  curiosité.  Il  contribue  enfin 
à  exalter  en  nous  a  le  désir  de  la  conquête  v. 

TOMl  L.   —   1900,  42 


642 


REVUE   PHILOSOPHIQUE 


La  pudeur  des  actes  paraît  avoir  une  autre  origine.  Eo  diminuant 

rexcîtation»  elle  refrénerait  rinstincl  de  reproduction  et  permet* 
trait  ainsi  de  parvenir  pi  un  faciiement  à  un  développement  intel- 
lectuel avancé. 

L*amour,  né  du  besoin  sexuel,  associé  à  une  foule  d'autres  sensa- 
tion® et  en  tout  premier  lieu  aux  seosations  sexuelles,  ayant  fait  choix 
d'un  objet,  tend  à  se  lixer  de  plus  en  pluB,  à  se  systématiser  sur  cet 
objet.  De  cette  systématisation  résulte  la  ^  fidélité  »,  L'infidèle  est  celai 
cliez  lequel  la  systématisation  n'était  pas  suffisamment  étroite  dès  rori- 
gine,  ou  chez  lequel  «  le  système  «  s'est  peu  à  peu  désa^rrégc. 

Le  mémoire  se  termine  par  un  schéma  au  moyen  duquel  l*auteur 
montre  que,  conforioément  à  son  principe,  il  a  étudié  rinslioct  sexud 
comme  tout  phénomène  psychologique  doit  être  étudié,  cest-à-dire 
comme  un  phénomène  de  conscience  venant  compliquer  un  rétlexe. 
Noua  avons  vu  que  oc  réllexo  avait,  en  effet,  son  point  de  départ  pért- 
phériquo»  ion  centre  de  réflexion  et  aes  voies  d'extériorisation. 


Nop  moins  intéressantes  que  rinstinct  sexuel  lui-même  sont  les 
anomalies  qu'il  peut  présenter.  L'une  des  plus  curieuses,  rinversioa 
sexuelle,  la  «  bisexualité  psychique  »,  faitTobjet  du  mémoire  que  nous 
allons  analyser. 

Après  avoir  rappelé  les  travaux  récents  d'Havelock  Ellis^  de  Lau- 
rent et  insisté  tout  particulièrement  sur  les  articles  de  Meige  publiés 
dans  la  Nouvelle  Iconographie  de  In  Saipi^lrirre  (deux  cas  d'herma- 
phrodisme ancien,  1893,  n*'  1),  M.  Kurella  décrit  l'évolution  des  carac- 
tères sexuels  qui,  pour  lui,  se  divisent  en  primaires,  secondaireis  et 
tertiaires. 

Le  caractère  primaire  est  constitué  par  rexistence  de  la  glande 
génitale,  testicule  ou  ovaire.  Au  début  du  développement  les  deux 
coexistent;  mais  bientôt  Tun  s'atrophie,  l*autre  persiste  seul  et  donac 
à  Tindividu  un  sexe  déterminé.  Le  sens  de  révolution  sexuelle  est  dès 
maintenant  Pixé  et  nous  voyons  apparaître  presque  aussitôt, les  carac- 
tères secondaires  constitués,  au  sens  strict  du  mot^  par  les  organes 
génitaux  externes*  Enfin  plus  tard,  au  moment  de  la  puberté,  les 
caractères  tertiaires  se  développent.  Voici ^  d  après  M.  Kurella,  par  quel 
mécanisme* 

Tout  individu  est  en  principe  un  hermaphrodite  latent.  Les  carac- 
tères propres  à  un  st^xe  ne  peuvent  se  montrer  que  si  les  caractères 
propres  à  l'autre  sexe  s'etTacent,  Le  germe  du  testicule  ne  se  déve- 
loppc  que  si  celui  de  l'ovaire  s*atrophte  et  réciproquement.  Mais  le 
germe  des  caractères  secondaires  et  tertiaires  demeure  toujours  latent 
et  le  rôle  de  la  glande  génitale,  à  qui  incombe  de  diriger  révolutioa 
sexuelle,  consiste  non  pas  à  développer  les  caractères  secondaires  et 
tertiaires  du  sexe  homologue*  mais  à  empêcher  le  développement  de 
ceux  du  sexe  opposé. 

Che^  l'homme,  au  moment  de  la  puberté  par  exemple,  un  principe 


I 


I 


REVUE  GÉNÉRALE,— 'TRAVAUX  RîSciiPiTS  SUR  LES  SEKSATlOPfS  STERNES  643 

actiff  de  nature  inconnue,  part  du  testicule  et  amène  Tatrophie  des 
organes  féminins  existant  eous  forme  rudimeataire.  Cette  alrophïo 
s'accompagne  souvent  de  certains  phénomènes  inllammatoires  au 
niveau  des  seins  notamment  (mastite  de  la  puberté).  Il  ne  faut  donc 
pas  considérer  le  développement  des  maiiielîes  chez  la  femme 
comme  produit  par  une  excitation  venue  des  ovaires,  mais  au  con- 
traire comme  un  phénomène,  pour  ainsi  dire  négatif,  rosuUant  de  Tab- 
aence  des  testicules,  qui  permet  h  ce  caractère  tertiaire  jusque-là 
latent  de  se  développer  librement. 

Des  phénomènes  d'inhibition  se  manifestent  aussi  quoique  moins 
intenses,  chez  la  femme  à  ïa  puberté.  La  présence  des  ovaires  empêche 
les  tendances  masculines  latentes  de  se  manifester. 

Entin^  au  moment  do  la  ménopause  et  de  la  période  dUnvolution  qui 
lui  correspond  chez  Thommc,  l'alrophie  des  glandes  génitales  permet 
aux  caractères  tertiaires,  toujours  latents,  du  sexe  contraire  de  se 
manifester.  C'est  I  âge  «  où  les  femmes  commencent  à  avoir  de  la 
barbe  et  à  faire  de  la  politique  »* 

Telle  est  révolution  normale.  Mais  à  tous  les  degrés,  des  anomalies 
peuvent  sur^rir. 

Tout  au  début  les  deux  ordres  de  glandes,  mâles  et  femelles,  peu- 
Tent  persister  et  donner  lieu  à  un  hermaphrodisme  véritable. 

Si,  au  moment  de  Tapparîtion  des  caractères  secondaires,  Tinlluence 
inhibitrice  de  îa  glande  ne  se  fait  pas  sentir,  les  organes  génitaux 
externes  du  sexe  contraire  se  développeront  et  l'individu  deviendra 
un  pseudo-hermaphrodite. 

Enfin,  si  à  Tépoque  de  la  puberté  le  testicule  ou  1  ovaire  nest  plus 
là  pour  diriger  révolution  sexuelle,  les  caractères  tertiaires  du  sexe 
opposé  se  montrL'ront  librement  et  créeront  che?.  Thorarae  Tinfanti- 
lisme  ou  le  féminisme  et  le  masculisme  chez  la  femme. 

Les  caractères  sexuels  psychiques  appartiennent  au  groupe  des 
caractùres  tertiaires.  Les  anomalies  qu'ils  présentent  doivent  donc 
être  considérées,  à  l'égal  des  anomalies  somaliques,  comme  résultant 
d'une  insuftisance  dans  Taction  inhibitrtce  exercée  par  la  glande  géni' 
taie. 

Entre  les  hermaphrodites  vrais  ou  faux  et  les  invertis  sexuels  il  n'y 
a  qu^ine  différence  de  degré,  et  le  mécanisme  qui  produit  ces  deux 
anomalies  est  absolum<.*nt  identique. 

Que  Ton  se  ligurtf  tous  les  Individus  d'un  même  sexe  rangés  sur  une 
même  ligne.  Cette  ligne  commencera  à  l'individu  dont  le  développe- 
ment sexuel  est  complet  pour  se  terminer  à  riiermaphrtjdite.  Entre 
ces  deux  extrêmes  se  rencontreront  tons  les  intermédiaires,  et  c'est 
parmi  ces  intermédiaires  que  nous  devrons  chercher  les  invertis 
aexuels,  comme  les  pst^udo-hermaphrodites. 

C'est  encore  parmi  ces  intermédiaires,  au  voisinage  des  invertis*  que 
nous  rencontrerons  les  prostituées,  r  La  prostitution  se  présenterait 
en  effet  comme  une  inversion  sexuelEe  complète  de  la  femme,  a  II 


(m 


REVUE  PHILOSOPUEQIJË 


suflira  pour  comprendre  le  bien  fondé  de  celte  propositioOi  en  «ppa^ 

rence  paradoxale,  de  se  rappeler  certains  caractères  propres  aux  pros- 
tituées :  absence  de  pudeur  féminine;  indifTérence  plus  ou  moini  mar- 
quée pour  les  rapports  sexuels  normaux.  A  noter  aussi  le  parasitisme 
social  de  la  prostituée,  qui  s'explique  par  ce  fait  que  rénergie  sociale 
de  ]*ètre  humain  w  prend,  pour  une  t^-raiide  part,  sa  source  dans  h 
vie  sexuelle  ». 

Nous  voyons»  en  résumé,  que  «  les  difTérences  psychiques  entre 
homme  et  femme  dépendent  directement  des  caractères  sexuels  j»  et 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'établir  de  séparation  entre  les  individus  porteur» 
d'anomalies  sexuelles  somatiques  et  les  individus  porteurs  d'anomalie* 
sexuelles  psychiques.  Hermaphrodites  et  invertis  occupent  des  de^réa 
différents  d'une  même  échelle. 

M,  Kurella  termine  en  exprimant  ses  inquiétudes  au  sujet  des  teiï- 
dances  présentées  par  le  mouvement  féministe  actuel.  Il  résulte  de  et 
mouvement  une  sorte  d'aversion  pour  Thomme  qui  porte  la  îtiumt  a 
chercher  la  satisfaction  de  ses  ^appétits  sexuels  avec  des  individus  de 
son  sexe,  et  qui  constitue  un  vrai  danger  social.  Ces  eramtcs  sont 
peut-être  un  peu  exagérées.  Les  chefs  du  mouvement  féministe  cunî- 
prendront  vraisemblablement  que,  si  dans  beaucoup  de  circonstances, 
la  femme  peut  suppléer  rhomme^  il  en  est  cep€;ndaiit  où  la  présenié 
et  la  coopération  de  ce  dernier  sont  nécessaiff^s* 

Le  travail  précédemment  analysé  de  M.  Oppenheimer  nous  a  mmité 
que,  pour  cet  auteur,  Fattention  est  un  phénomène  se  rattachani  étrcii- 
tement  à  la  sensibilité  puisqu'il  constitue  un  degré  iiiféneurileréaiO' 
tion  et  ne  s'en  distingue  que  par  rintensité.  L'attention  et  tom  lu 
phénomènes  dans  la  production  desquels  elle  intervient,  tels  qm  ii 
représentation  t  sont  ainsi  dépendants  de  la  sensibilité  et  par  lltitemè- 
dialre  de  celle-ci  de  nos  fonctions  organiques.  11  serait  donc  intère*- 
sant  d'étudier  en  détail  les  rapports  de  la  représentation  et  des  graadei 
fonctions  vitales.  M.  Giessîei"  a  cherché  à  résoudre  une  partie  du  pra* 
blcme  dans  un  travail  où  d  étudie  raction  de  Tacte  respiratoire  sur  li 
représentation, 

La  respiration  exerce,  nous  dit-il,  sur  Torganisme  une  action  indi- 
recte par  Hntcrmédiaire  de  la  circulation;  celle-eî  est  d'autre  (»;irt 
étroitement  liée  à  Factivité  des  fonctions  oérébralas.  Il  o  :  '  a' 
logique  d'étudier  rintluence  exercée  sur  les  fonctions  tn.  -« 

par  Vactivité  psychique  et  réciproquement.  L'auteur  se  prupyse  dtr 
traiter  une  partie  du  problème  en  examinant  les  rapports  existart: 
entre  le  «  mouvement  représentatif  «  (Vorsteîlungsbewegung)  et  U 
fonction  respiratoire. 

Son  travail  peut  être  divisé  en  deux  parties  :  la  première  eat  ron- 
saorée  à  l'étude  de  quelques  points  de  psychologie  et  constitue  un* 
sorte  d'introduction  à  la  seconde,  qui  comprend  Texposé  des  résultais 
expérimentaux  et  leur  interprétation. 


REVUE  GÉNÉRALE >—ÎH4VAUX  RÉCENTS  SUR  LES  SENSATIO?*S  1:TTERNES  645 

Tout  mouvement  représentatif  nécessite  la  mise  en  jou  de  deux 

activités  :  l"  Vactivité  objectivante;  2^  lactivité  organisatrice,  La  pre- 
mière donne  au  s:  perceptions  qui  Kont  h  la  base  du  mouvement  repré- 
sentatif le  deg^ré  d^objeetivité  voulu.  La  seconde  clierche  à  établir  un 
certain  degré  d'harmonie  entre  ïes  propriétés  perçues,  qu'elles  le  soient 
directement  par  les  sens  ou  qu^elles  soient  évoquées  par  Teaprit* 

A  l'état  normal,  «  racttvité  objectivante  est  dirigée  par  raotivlté 
organisatrice,  la  première  est  subordonnée  à  la  seconde  », 

Quand  elles  atteignent  leur  maiimum,  ces  deux  activités  sont  dési- 
gnées sous  les  noms  û'atlejUion  et  d'aperceplion. 

On  peut  donc  définir  Tattention  :  l'elTort  vers  la  plus  grande  objecli* 
vation  possible  d'un  mouvement  représentatif,  et  Taperception  ; 
Torganisation  d'un  mouvement  représentatif  résultant  de  Tassociation 
des  dilTérenles  propriétés  entre  elles  et  de  révocation  du  plus  grand 
nombre  possible  de  représentations  voisines  et  semblables  appartenant 
à  un  même  groupe. 

L'évolution  d'une  représentation  se  divise  en  deux  périodes  :  Tune 
sensorielle,  l'autre  représentîUive. 

l/aperception  produit,  concurremment  avec  l'attention,  pendant  ta 
première  période,  une  augmentation  de  clarté,  pendant  la  seconde 
une  au^^mentation  de  ne/k*£é;ces  deux  mots  étant  pris  dans  le  sens 
que  leur  donnait  Wundt  :  la  clarté  se  rapporte  à  la  représentation  elle- 
même,  la  netteté  a  trait  à  ses  rapports  avec  les  autres  représentations. 

Si  Ton  désigne,  toujours  avec  Wundt,  sous  le  nom  d'excitatîon- 
signal  (sîgnalreiz)  Texcitation  qui  met  en  jeu  Tattention,  on  voit  que 
l'on  peut  distinguer,  suivant  l'unité  ou  la  multipticité  de  l'excitation^ 
deux  sortes  d'attention  :  l'attention  concentrée  et  Tattention  divisée. 

Nous  avons  affaire  à  la  seconde,  si  pendant  que  notre  conscience 
est  occupée  par  un  événement  venu  du  monde  extérieur  ou  emprunté 
à  nos  souvenirs  (pri maires  Aufmerksarakeitssignal),  une  nouvelle  exci- 
tation l*envahit  (Sekundares  A.  s-).  U  va  de  soi  que  le  mode  de  répar- 
tition de  rénergie  psychique  varie,  suivant  que  Ton  a  affaire  à  ratten^ 
tion  concentrée  ou  à  Tattention  divisée. 

Ces  dotmées  une  fois  établies,  M,  Giessler  aborde  le  sujet  mi^mc  de 
son  étude,  à  savoir  «  rinfluence  de  la  respiration  sur  l'activité  repré- 
sentative u,  c'est-à-dire,  d'après  ce  que  nous  venons  de  voir,  t  Tin- 
tluence  de  la  respiration  sur  l'attention  et  sur  Ta  perception  ». 

Dans  une  série  d*expériences  faites  sur  lui-même  et  contrôlées  sur 
un  certain  nombre  de  sujets,  Lehmann  a  établi  la  manière  dont  se 
comporte  l'attention  aux  différentes  phases  de  Facte  respiratoire.  Dans 
toutes  ses  expériences  Tobjet  sur  lequel  Tattention  est  tixée  est 
unique  et  constitué  par  une  excitation  sensorielle,  soit  optique^  soit 
acoustique,  soit  tactile.  Comme  excitation  optiquCj  Lelimann  emploie 
un  carré  blanc  placé  sur  fond  noir  et  soumis  à  un  éclairage  constant; 
comme  excitation  acoustique,  le  siftlement  produit  par  un  brûleur 
Bunsen  auquel   la    gaz  arrive  avec  une  pression  constante;  comme 


646 


BEVUE  PHILOSOPHIQUE 


excitalion  tactile  en  fia  les  vibrations  produites  par  une  machine  d'iu- 
duction  dont  Tinterrupteur  vibre  avec  une  rapidité  Etiffisaate  pour 
produire  une  sensation  d'un  caractère  presque  continu. 

Deux  appareils  inscripieurs  de  Marey  sont  placés  sur  la  même  ligne 
verticale,  le  long  du  cylindre  tournant  d'un  kyinographion,  ^itué  lui- 
même  dans  une  pièce  sutrisatnmenE  éloignée  de  celle  où  se  fait  Texpe* 
rience.  pour  que  le  bruit  de  rinstrument  ne  vienne  pas  distraire  le 
sujet.  Ces  deux  appareils  inscripteurs  sont  reliés  Tun  à  un  pneumo- 
graphe  appliqué  sur  la  poitrine  du  sujet»  lautre  à  une  poire  en  caout- 
chouc que  le  sujet  tient  dans  sa  main  et  sur  laquelle  il  exerce  une 
pression  plus  ou  moins  forte,  suivant  le  plus  ou  moins  d'intensité  que 
prend  la  perception.  Il  est  facile  de  comprendre  que  le  cylindre  étant 
rais  en  marche  les  mouvements  respiratoires  et  la  marche  de  l'attemion 
sHnscnront  sous  forme  de  deux  lignes,  qu*il  sulFira  de  comparer  entre 
elles  pour  voir  les  rapports  existant  entre  les  deux  phénomènes. 

Far  ce  procédé  Lehman n  a  pu  établir  que  pendant  une  période  res- 
piratoire, Tattention  présente  deux  maxima  d'intensité  ;  Tun  pendant 
rinspiration  à  une  petite  distance  du  point  culminant  de  la  courbe 
respiratoire;  l'autre  pendant  l'expiration,  plus  éloigné  que  le  premier 
du  point  culminant.  Le  sommet  même  de  la  courbe  correspond  à 
un  jyunimum. 

Les  T?^a;vuïîa  sont  situés  au  voisinage  du  sommet  de  la  courbe,  parce 
que,  à  ce  moment,  la  pression  sanguine  est  plus  élevée  et  tavonse  le 
travail  psychique.  Au  sommet  lui-même  correspond  un  minimum 
parce  que  llnnen'ation  des  muscles  respiratoires  absorbe  alors  la 
presque  totalité  de  Ténergie  nerveuse. 

Apres  avo^r  ainsi  résumé  les  travaux  de  Lebmann»  M«  Giesiter 
expose  ses  propres  travaux  et  les  résultats  auxquels  il  a  été  conduit 
Au  lieu  d*employer  comme  Lehmunn  pour  lixer  Tattention  unique* 
ment  des  perceptions  simples,  il  a  utilisé  des  perceptions  telles  qu'on 
les  rencontre  dans  la  vie  couiante*  c'est-à-dire  tantôt  simples,  tanl^H 
complexes.  Il  renonce  à  Temploi  d'  »  appareils  psychométriques  n  et 
se  contente  de  Tauto-observation  pratiquée  soit  chez  lui-même,  bûïI 
chez  d'autres  sujets,  qu'il  a  spécialement  exercés  dans  ce  but. 

Nous  devons  reconnaître  que  ce  n'est  pas  là  un  progrès,  car  les 
résukats  fournis  par  rauto-observation  ne  sont  jamais  comparabïe§, 
comme  précision,  h  ceux  que  noua  donnent  les  appareils  inscripteurs. 

Voici  les  résultats  obtenus  par  cette  méthode  ; 

\^  Au  seuil  de  l'attenlion,  il  se  produit  une  inhibition  de  raclivité 
respiratoire; 

t^  L'attention  concentrée  est  liée  à  une  respiration  profonde  el 
lente;  rattention  divisée  au  contraire  à  urie  respiration  superticielle 
et  accélérée; 

3**  L'inspiration  produit  de  préférence  une  augmentation  de  clarté» 
Texpi ration  une  augmentatioîi  de  netteté  de  la  représentation. 

Tels  sont  les  faits;  voyons  maintenant  comment  on  peut  les  expli- 


I 


REVUE  GÉNÉRALE,  — TRAVAUX  ttl^XENTS  SLR  LRS  SENSATIONS  INTER?IES  647 

quer.  L'acte  de  l'attention  ayant  comme  coiiâéquence,  ainsi  que  Wundt 
Ta  montré  pour  tout  phénomène  neura-dyuarnique,  un  accroissement 
de  Taftlux  sansruiu  vers  les  centres  cérébraux,  il  en  résulte  une  aug- 
mentation de  [a.  pression  sanguiîie  qui  pourrait  devenir  un  danger  et 
contre  laquelle  lorganiame  doit  lutter.  Or,  d'après  Français  Frau^k,  le 
spasme  des  vaisseaux  pulmonaires  constitue  une  condition  favorable 
pour  combattre  cet  excès  do  pression. 

Donc  TarrôL  de  la  respiration  agit  comme  antagoniste  de  Tafllux 
eangaiii  qui  se  produit  vers  le  cerveau  au  début  de  ^attention,  it  Les 
conséquences  psychologiques  de  ces  processus  physiologiques  (aUlux 
sanguin,  arrôt  de  la  respiration)  sont,  suivapt  les  eircons tances,  an 
degré  plus  ou  moins  marqué  de  trouble  passager  (Veruirrung)  de  la 
conscience,  joint  à  un  degré  correspondant  d'excitation  atTective...  » 
L'acte  de  l'attention  proprement  dite  commence  seulement  quand  ce 
trouble  momentané  s'est  dissipé. 

Dans  l'attention  diviséei  les  phéDomènes  se  produisent  avec  une 
intensité  moindre. 

Puis,  sous  rinfluence  de  la  volonté,  TinhiLition  cesse,  la  respiration 
se  régularise  et  racte  de  l'attention  proprement  dite  commence.  Le 
début  coïncide  an  général  avec  le  début  d'une  inspiration.  Dn  effet, 
celle-ci  est  liée  à  une  innervation  énergique  et  conHcionte  des  muscles 
respiratoires,  ce  qui  favorise  l'acte  de  rattention. 

La  physiologie  nous  apprend  d  autre  part  : 

i"  Qu'au  moment  de  llnspiration.  la  contraction  cardiaque  chasse 
plus  de  sang-  dans  les  artères  qu^au  moment  de  respiration; 

2**  Que  la  pression  sanguine,  dont  le  minimum  coïncide  avec  le  com- 
mencement de  rinspiration,  va  en  augmentant  et  atteint  son  maximum 
au  commencement  de  Texpiratian; 

3**  Que  llnspiration  est  liée  h  un©  vaso-ûonstriotion,  Texpiration  â 
une  vaso-dilataLion  ^Binet  et  t^ollier). 

Nous  devons  dojic  conclure,  d'après  M»  Giossler,  que  pendant  toute  la 
durée  de  l'inspiration,  Tirrigation  des  territoires  cérébraux  en  activité 
augmente  progressivement  d'intensité.  D'autre  part,  la  vaso-constric- 
tion  q u î  existe  pendant  Tinspiration  empêche  la  dissémi nati on  du  cou rant 
sanguin  dans  le  cerveau,  de  sorte  que  des  représentations  nouvelles 
ne  sauraient  surgir.  Il  en  résulte  une  augmentation  dans  la  clarté  de 
la  représentation.  C'est  là  le  premier  maximum  de  Lehmann»  Avec  la 
vaso-dilatation  Tenvahissement  de  la  conscience  commence  à  se  manî* 
fester.  Comme  11  existe  au  début  de  Te xpi ration  un  moment  où  la 
vaso-dilatation  est  déjà  assez  marquée  ot  où  la  pression  est  elicore 
élevée,  de  ces  deux  conditions  favorables  résulte  un  second  maximum 
d^intensité  correspondant  au  deuxième  maximum  de  Lehmann. 

Mais  tandis  que  le  premier  était  un  maximum  de  clarté,  le  deuxième 
ûik  à  la  foule  des  représentations  associées  est  un  maximum  de  netteté* 

L'auteur  considère  également  comme  un  facteur  de  haute  importance 
pour  l'obtention  de  la  netteté  m^xima  dans  une  représentation,  le 


648  nEVUE  PHILOSOPHIQUE 

déploiement  de  force  musculaire  qui  est  la  conséquence  de  la  respi- 
ration forcée. 

Les  sensations  de  tension  musculaire  plus  grande  augmentent  l'in- 
tensité du  phénomène  psychique. 

l'^nfin  étant  donnée  Timportance  qui  d'après  Bernhardt  s  attache  aux 
mouvements  respiratoires  dans  la  formation  du  moi,  il  y  a  lieu  de 
penser  qu'une  respiration  plus  profonde,  produisant  des  sensations 
respiratoires  plus  intenses,  sert  à  produire  un  certain  degré  de  concen- 
tration  psychique  et  une  adhérence  plus  grande  de  la  représentation 
au  oomplexus  qui  constitue  le  moi. 

Nous  avons  vu  que,  en  général,  la  partie  active  du  processus  de  l'at- 
tention coïncide  avec  le  début  d'une  inspiration.  Il  peut  quelquefois  se 
montrer  au  cours  de  la  période  respiratoire.  Dans  ce  cas«  nous  nous 
bi^rnons  à  ralentir  notre  respiration,  que  nous  soyons  en  inspiration 
ou  on  oxpiration. 

Tandis  que  dans  l'attention  concentrée  la  respiration  est  profonde  et 
ralentie,  elle  est  superficielle  dans  l'attention  divisée.  La  vaso-constric- 
tion  et  Taftlux  sanguin  qui  auraient  pour  conséquence  l'irrigation  plus 
active  ifun  territoire  cérébral  à  l'exclusion  d'autres  sont  ainsi  évites, 
de  sorte  que  deux  perceptions  peuvent  occuper  en  même  temps  la 
eonsoienoe.  Quaiit  à  raccêlêration  qui  se  manifeste  dans  Tattention 
divisée,  elle  résulte  d*un  état  affectif  particulier.  Celui-ci  est  lui-même 
la  conséquence  de  l'effort  nécessaire  pour  maintenir  au  même  degré 
d'iut ensilé  les  deux  perceptions  sur  lesquelles  porte  en  même  temps 
l'attention. 

v^uelques  fans  qu'il  est  facile  d'observer  dans  la  vie  courante  viennent 
oorrv^bort*r  les  r^^suhats  ob:enus  par  ces  expériences. 

Auîsi  lorsque  nous  av.^ns  besoin  de  clarté,  par  exemple  pour  évoquer 
un  souvetv.r  ^vnius.  r.ous  accer.iuons  l'inspiration.  Si  au  contraire  il 
nous  ùus  u:ie  .\s;?ooiA:;or.  ciiee*  actives,  par  exemple  pendant  Taudition 
Kî*'.;:;  d.>oo;;rs.  r.ous  lAiscr^s  TexpirAtioa  plus  longue  et  plus  complète. 

l.ch:va:::î  :a::  or.vvre  re=: arquer  que  les  enfants  respirant  par  la 
lvu>*he  ".Ixe:-.:  i.:r.o.'.e:cer.;  leur  aitention.  C'est  que  l'acte  de  la  respi- 
rAî:o*.  îrv^:"  v^-r.^rU'.  Ar^:r">f  i  lui  seul  une  trop  grande  quantité 
à 'c  r.  e  r ^  : e  :*.  e  r v  e  use 

',\i:*.s  u"  au:>î  orvire  ù  liées.  M.  MxrTirkie'w-icz  nous  apporte  un  tra- 
\.i'.  îrvs  o.-.vrle:  ?:  :S:s  d.vur:er.:e  sur  le  langage  des  gestes.  Bien 
v;,:,*  xv;^r  c.uie  s;fui.:;  s  -cjirtcr  u-  peu  de  =o:re  sujet,  elle  s  y  rat- 
î .; .'  ^  .*  K- 0  .V :*.  .•.a:*.  :  ;:  :r: .  : :r — ? .-. :  par  c^r rcx: is  o  : ;ê*.  La  sensibilité  inter- 
\.,*.;  .•:*.  ;r.Tc;  ûius  .1?:;^  f. 'uie  ùî  lonixre,  noiamaien:  la  sensibilité 

'.  s' s  s*l  :*..-f:*s  i,v  7- •.?-.:  se  us  !•£  u:ci  i*  «  anisaie  •  tous  les  troubles 
ïv  :'.A  -:  sur  .■*  jL-r^i^'  i^:?  ç-^i^  ruU  5a^:*se  de  l'expression  tûIod- 
tA  T\*  .-.os  .i;s:>  A»  •_•:.>-.-.  i.  r: : ut^zi^^i:*,  :u  qu*;!  s'jLpsse  au  coniraire 
^i,'    V.  uxvr/.'ii    .-^^  ,-v  "i\*:?  -.-w^-crk.?-*  suisis;*^:  une  êr&otion.  SeidO 


I 


REVUE  GÉNÉRALE.— TRAVAUX  RÉCENTS  SUR  LES  SENSATlOfîS  INTERNES  649 

M.  Mazurkiewicz,  cette  con fusion  est  regrettable,  car  les  mouvements 
réiîexes  et  les  gestes  volontaires,  s*iÎ3  ont  une  commune  orij^itie,  sont 
aujourd'hui  tellement  différenciés»  quUl  est  impossible  de  les  com- 
prendre dans  une  même  description. 

Chez  certains  aphasiquest  étudiés  au  moyen  d'une  méthode  très 
ingénieuse,  que  nous  ref^rettons  de  no  pouvoir  reproduire  ici,  lauteur 
a  noté  une  impossibilité  plus  ou  moins  marquée  d^exprimer  les  idées 
par  gestes  {Geberdùnapkasie}.  Il  n'existait  chez  ces  malades  aucun 
trouble  des  expressions  réflexes  des  sentiments.  Ces  derniers  ne  se 
rencontrent  qu'associés  à  des  troubles  de  tous  les  mouvements  auto- 
niatiquL'S  (lésions  des  couches  optiques). 

Le  laoï^age  des  gestes  doit  être  considéré  comme  une  des  formes 
primitives  du  langage,  il  est  l'équivalent  de  la  parole  onomatopoiétique 
et  de  récriture  en  tableaux.  C«tte  forme  de  langage,  qui  n'est  qu'un 
accessoire  chez  un  homme  normal,  conserve  chez  un  sourd-muet  une 
place  de  première  impor lance.  On  conçoit,  en  effet,  que  chez  le  sourd- 
muet  illettré,  Timage  motrice  ou  optique  représentant  le  geste,  soit  la 
seule  forme  de  pensée  possible.  Un  individu  à  la  fois  sourd-muet  et 
aveugle,  comme  Laura  Bridgman,  ne  pourra  même  penser  qu'à  Taide 
d'images  motrices. 

Chez  rhomme  normal,  le  centre  cortical  du  langages  des  gestes 
paraît  être  plus  ou  moins  fusionné  avec  le  centre  du  langage  articulé. 
Il  est,  par  conséquent,  unilatéral,  et  une  lésion  d'un  seul  hémisphère 
(de  l'hémiaphère  gauche  daos  rimmense  majorité  des  cas)  suflira  à 
déterminer  une  aphasie  bilatérale  en  quelque  sorte,  c>st-à-dire  que  le 
malade  ne  pourra  s'exprimer  par  gestes  ni  avec  le  bras  droitt  ni  avec 
le  bras  gauche.  C'est  d'ailleurs  ce  que  démontre  Tobservation  clinique. 

Ce  centre  est  au  contraire  bilatéral  chez  le  sourd-muet.  Il  résulte 
en  effet  d'une  observation  de  Grasset,  qu'un  sourd^mueti  présentant 
un  certain  degré  de  parésie  droite,  mai*{  capable  cependant  d'exécuter 
avec  la  main  droite  la  plupart  des  mouvements  commandés  et  spon- 
tanés, était  dans  rimpossibilité  de  »  parler  »  avec  cette  main^  tandis 
qu'il  y  parvenait  parfaiLement  avec  la  main  gauche.  La  rareté  des 
observations  de  ce  genre  s'explique  par  ce  fait,  que  la  paralysie  motrice 
véritable  masque  le  plus  souvent  Taphasie  des  gestes  du  côté  paralysé. 

Ce  travail  présente  encore  plusieurs  eûtes  intéressants,  notamment 
au  sujet  de  la  valeur  clinique  de  l'aphasie  des  gestes;  neus  noua  bor- 
nerons à  les  mentionner  ici  faute  de  place  et  à  conseiUer  la  lecture  di^ 
mémoire  in  extenso. 

J.  D£  FuasAG, 


i 


NOTES  ET  DOCUMENTS 


A  PROPOS  DU  PARI  DE  PASCAL 


Dans  un  des  derniers  numéros  de  la  Revue  philosophique  *,  nous 
avons,  M.  Dugas  et  moi,  publié  en  collaboration  un  article  sur  <  le 
pari  de  Pascal  d,  et  notre  étude  nous  a  conduits  à  cette  conclusion, 
que,  si  l'on  admet  la  possibilité  du  bonheur  terrestre,  le  célèbre 
argument  est  dépourvu  de  toute  valeur  logique.  Quelques  lecteurs, 
tout  en  faisant  à  notre  réfutation  l'honneur  d'une  appréciation  bien- 
veillante, nous  ont  exprimé  leur  étonnement  que  nous  n'ayons  pas 
cru  devoir  mentionner  celle  de  Laplace.  Comme  ma  part  de  collabo- 
ration à  l'article  récemment  publié  consiste  dans  le  paragraphe  III, 
qui  contient  le  commentaire  littéral  et  la  critique  logique  du  c  pan  i, 
ce  reproche  me  touche  directement,  et  je  vais  essayer  d'y  répondre. 

Dans  son  Essai  philosophique  sur  les  probabilités^  Laplace,  après 
avoir  examiné  d'une  manière  générale  la  Probabilité  des  témoigvages, 
aborde  la  question  soulevée  par  Pascal,  et  la  traite  comme  une  appli- 
cation de  la  précédente.  «  Ici  se  présente  naturellement,  dit-il,  U 
discussion  d'un  argument  fameux  de  Pascal...  Des  témoins  attestent 
qu'ils  tiennent  de  la  Divinité  même,  qu'en  se  conformant  à  telle 
chose,  on  jouira,  non  pas  d'une  ou  de  deux,  mais  d'une  infioité  de 
vies  heureuses.  Quelque  faible  que  soit  la  probabilité  des  témoi- 
gnages, pourvu  qu'elle  ne  soit  pas  infiniment  petite,  il  est  clair  que 
•l'avantage  de  ceux  qui  se  conforment  à  la  chose  prescrite  estinûni, 
puisqu'il  est  le  produit  de  cette  probabilité  par  un  bien  infini  -;  on 
ne  doit  donc  point  balancer  à  se  procurer  cet  avantage.  >  Tout 
dépend,  on  le  voit,  suivant  Laplace,  de  la  valeur  qu'il  convient  d'at- 
tribuer à  la  probabilité  des  témoignages,  et  c'est  par  là  qu'il  s'efforce 
de  réfuter  le  paradoxe  ;  il  observe  à  cet  effet  que  c  si  les  témoins 
trompent,  ils  ont  le  plus  grand  intérêt,  pour  accréditer  leur  men- 
songe, à  promettre  une  éternité  de  bonheur  »,  et  il  en  déduit,  par 

{.  Septembre  iOOO. 

2.  Dans  la  théorie  des  probabilités,  on  nomme  avantage  ou  espérancf  malhi- 
matique  le  produit  du  gain  espéré  par  la  probabilité  de  l'obtenir. 


HiauiER.  —  A  moms  ou  pari  de  pascal  63i 

des  considérations  Urées  de  Panai yse  des  probabilités^  que  la  valeur 
en  question  est  infiniment  petite;  «  en  la  multipliant  par  le  nombre 
infini  de  vies  heureuses  promises»  T infini  disparaît  du  produit  qui 
exprime  Tavantage  résultant  de  cette  promesse,  ce  qui  détruit  TargU" 
ment  de  Pascal  ». 

Ainsi,  Laplace,  bien  qu'il  rejette  les  conclusions  de  Pascal,  se  croit 
obligé,  pour  les  réfuter,  d'établir  qoe  la  probabilité  des  témoignages 
est  nulle;  mais,  si  cette  probabilité  n*6tait  pas  infiniment  petite,  sij 

par  exemple,  elle  avait  pour  valeur;^,  ou,  ce  qui  revient  au  même, 

si,  comme  le  suppose  Pascal,  le  joueur  qui  «  prend  croix  »  courait 
des  risques  égaux  de  gain  et  de  perte,  Laplace,  à  en  juger  par  le 
texte  cité  plus  haut,  serait  porté  à  considérer  l'argument  comme 
valable.  Telle  n'est  pas  ma  manière  de  voir,  et,  dans  le  para- 
graphe m  de  notre  étude,  auquel  je  prie  le  lecteur  de  vouloir  bien 
se  reporter,  je  me  suis  précisément  elîorcé  d'élablir  qu'en  adop- 

tant,  comme  Pascal,  la  valeur  ^  pour  la  probabilité  du  gain  ou  des 

témoignages,  le  raisonnement  institué  par  Tauteur  des  Pensées 
û^aboutit  légitimement  à  la  conclusion  formulée  que  dans  le  cas  où 
le  joueur  est  absolument  détaché  des  biens  de  la  vie.  Dans  le  cas 
contraire,  on  aura  beau  faire  valoir  que  Vespérance  mathématique  du 
joueur  est  infinie,  comme  égale  au  produit  d'un  gain  infini  par  la 

i 

probabilité  ^^  il  me  parait  inadmissible  qu'à  propos  d*uae  décision 

où  la  vie  entière  se  trouve  engagée,  cette  considération  tout  artifi- 
cielle de  produit  infini  impose  à  celui  qui  recherche  son  intérêt  un 
choix  déterminé  :  je  ne  puis  voir  dans  un  semblable  argument» 
appliqué  à  une  semblable  question,  qu'une  jonglerie  vide  et  stérile. 

Gh.    RlQUIER, 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 


I.  —  Philosophie  générale 

Léon  BrunschTicg.  —  Introduction  a  la  vie  de  l'esprit,  1  vol. 
in-i8  de  la  Bibliothèque  de  philosophie  contemporaine ^  176  pages. 
Paris,  F.  Alcan,  1900. 

Dans  un  avertissement  placé  en  tète  du  volume,  M.  Bninschvicg 
nous  indique  une  conception  de  la  philosophie  dont  il  s*e8t  inspiré 
pour  récrire.  «  La  philosophie,  dit-il,  n*a  plus  la  prétention  de  dépasser 
ou  de  supplanter  la  science;  elle  refuse  de  s*égarer  volontairemeDt 
dans  l'imagination  de  Tinconnaissable;  elle  est  la  réflexion  méthodique 
de  l'esprit  sur  lui-môme.  La  vérification  en  est  indépendante  de  rini- 
tialion  dialectique  ou  de  l'érudition  historique;  elle  ne  réclame  que  le 
témoignage  intérieur  de  Tètre  pensant,  et,  au  besoin,  elle  crée  elle- 
même  ce  témoignage  en  donnant  à  l'être  conscience  de  sa  vie  spiri- 
tuelle. La  philosophie  ainsi  conçue,  est  accessible  à  toute  personne 
qui  y  apporte  une  attention  libre  de  préjugés...  »  Partant  de  là,  lauteur 
étudie  successivement  la  vie  consciente  en  général,  puis  la  vie  scien- 
tifique, la  vie  esthétique,  la  vie  morale  et  la  vie  religieuse. 

Je  ne  puis  guère  étudier  ni  même  exposer  avec  détails,  ici,. toutes 
les  idées  émises  par  M.  Brunschvicg,  il  me  faut  indiquer  seulement 
quelques-unes  d'entre  elles.  Voici  par  exemple  l'opposition  de  la  science 
et  de  la  philosophie,  de  l'analyse  de  la  conscience.  Le  monde  nous 
apparaît  au  premier  coup  d'œil  comme  un  ensemble  de  mouvements. 
Mais  parmi  les  actions  et  réactions  innombrables  qui  se  produisent 
dans  l'univers,  il  en  est  qui  se  dérobent  à  la  science;  ce  sont  les  actions 
et  réactions  compliquées  qui  se  produisent  chez  les  êtres  vivants. 
Si  j'adresse  une  question  à  mon  voisin,  qui  me  répond,  on  suit  bien  lei> 
vibrations  qui  arrivent  à  ses  oreilles  et  celles  qui  partent  de  ses 
organes  vocaux.  Mais  «  entre  ces  deux  mouvements  la  science  devine 
qu'il  y  a  des  intermédiaires;  elle  sait  même  où  il  convient  de  les  cher- 
(îlinr,  elle  connaît  l'existence  du  cerveau;  elle  la  divisé  en  régions; 
récemment  elle  a  saisi  les  éléments  des  tissus  qui  le  composent.  Mais 
la  science  s'arrête  là;  elle  ignore  tout  à  fait  le  mode  du  transport  qui 
«loit  80  faire  de  cellule  à  cellule,  de  région  à  région;  elle  nest  pas 
capable  de  distinguer  la  modification  centrale  qui  correspond  à  li 
réponHO  positive  et  celle  qui  correspond  à  la  réponse  négative.  L'acti- 
vité propre  du  cerveau  est  pour  elle  —  dans  son  étal  actuel  —  un 
mystère  absolu. 


ANALYSES,  —  BRU?fscflVïnc.  Introduction  à  la  vie  de  V esprit   6S3 

«  Mais  voici  un  fait  remarquable  :  de  cette  activité  qui  échappe  à  la 
science,  nous  sommes  immédiatement  avertis  par  un  procédé  différent 
du  procédé  scientifique.**  ce  qui  dans  Tordre  de  la  science  est  le  pîus 
loin  de  nous,  ce  qui  apparaît  aujourd'hui  comme  devant  longtemps 
encore  demeurer  inaccessible,  est  en  même  temps,  si  on  Taborde  par 
un  autre  biais,  ce  qu'il  y  a  de  plus  rapproché^  ce  qui  mi  à  chaque 
instant  mis  en  notre  possession.  Dans  la  vie  normale,  toutes  nos 
actions  sont  accompagnées  d'un  sentiment  intérieur  qui  nous  en  fait 
connaître  les  circonstances,  les  raisons  et  les  moyens;  ce  sentiment 
intérieur  parle  là  où  la  science  se  tait.  Et  ainsi,  du  sein  de  la  science 
positive,  et  justifié  par  elle,  surj^àt  l'appel  au  sentiment  intérieur,  à  qui 
il  appartient  de  révéler  et  d'éclairer  certains  modes  d'action  et  de  réac- 
tion différents  des  actions  et  des  réactions  d'ordre  physique,  et  qui 
établit  comme  une  réalité  incontestable  la  vie  de  T esprit,  j» 

A  ce  point  de  vue,  la  vie  spirituelle  est  un  fragment  de  la  vie  uni- 
verselle. Mais  ce  point  de  vue  n'est  pas  délinitif.  En  efTet  si  nous  nous 
connaissons  comme  esprit,  nous  savons  que  Faflirmation  de  Texistence 
est  un  acte  spirituel,  et  que  nous  ne  pouvons  nous  prononcer  sur 
Funivers  qu'autant  qu'il  est  la  représentation  de  l'esprit.  L'univers  ne 
nous  est  donné  que  sous  forme  d'états  internes,  sensations  ou  images, 
qui  constituent  une  partie  des  idées  qui  sont  dans  l'esprit.  Mats  alors 
c'est  Tesprit  lui-même  qui  représente  la  totalité  des  choses;  et  c'est 
Tunivers  qui  n'est  plus,  à  son  tour,  qu'un  fragment  détaché  dans  l'en 
semble  de  la  représentation.  Il  n'y  a  en  somme  qu'un  monde,  le  monde 
de  la  conscience. 

On  voit  alors  quel  est  le  but  de  ta  science  et  vers  quoi  tendent  les 
efforts  des  savants*  Il  ne  s'agit  pas  pour  eux  d'arriver  à  une  connais 
sance  plus  profonde  de  l'univers,  d'atteindre  Tessence  des  choses 
D'où  !e  savant  pourrait-iï  tirer  une  telle  connaissance?  i<  Tout  ce  que 
les  choses  nous  livrent  d'elles-mêmes,  tout  ce  qui  peut  servir  à  connaître 
le  dehors,  tout  cela  nous  est  donné  dans  le  chaos  des  sensations  pri- 
mitives. Dès  lors  tout  Feffort  que  fait  l'esprit  pour  organiser  ce  chaos 
ne  peut  rien  ajouter  ni  en  étendue,  ni  en  profondeur  à  Tensemble  des 
données  sensibles.  » 

Je  ne  sais  trop  si  avec  de  pareilles  idées  M.  Brun&ohvicg  reste  tout 
à  fait  fidèle  à  ce  qu'il  nous  dit,  dans  son  avertissement,  de  la  philoso* 
phie  qui  «  n'a  plus  la  prétention  de  dépasser  ou  de  supplanter  la 
science.  »  11  me  semble  bien  que  la  philosophie  ainsi  conçue  dépasse  et 
supplante  à  la  fois  la  science.  Sans  doute  on  peut  concevoir  que  la 
philosophie  et  la  science  ont  ainsi  leur  domaine  distinct  et  que,  en  ce 
sens^  chacune  reste  chez  elle;  seulement  il  n'est  pas  douteux  que,  à  ce 
point  de  vue,  la  philosophie  ne  dépasse  la  science  et  même  ne  la  sup- 
plante en  tant  que  moyen  d'explication  et  de  représentation  du  monde, 
,  puisque  le  monde  se  ramène  à  l'esprit  qui  est  t'objet  de  la  philosophie» 

qu'il  n'en  est  qu'une  partie,  puisque  tandis  que  la  science  n'étudie, 

,  somme,  qu'une  partie  des  données  de  l'esprit  dont  elle  ne  pénètre 


y 


684  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

pas  Tessence,  la  philosophie  contemple  les  sortes  de  choses  en  soi,  des 
états  intérieurs  qui  sont  t  immédiatement  donnés  dans  la  conscience  >. 

Il  y  aurait  à  discuter  longuement  du  reste,  en  dehors  de  cette  ques- 
tion, sur  la  distinction  établie  par  lauteur  entre  la  philosophie  et  la 
science.  On  ne  voit  pas  bien  tout  d*abord  pourquoi  la  science  et  la 
philosophie  s'opposent  si  nettement,  pourquoi  par  exemple  les  phéno- 
mènes qui  nous  sont  connus  par  le  sens  intime  et  qui  correspondent  à 
des  phénomènes  de  mouvement  que  la  physiologie  ne  peut  connaître, 
ou  n*a  pu  découvrir  encore  sans  qu'il  y  ait  raison  de  croire  à  une 
impossibilité  absolue,  on  ne  voit  pas,  dis-je,  pourquoi  ces  phénomènes 
ne  pourraient  pas  aussi  faire  Tobjet  d'une  science,  pourquoi  le  sens 
intime  ne  serait  pas,  lui  aussi,  un  instrument  scientifique.  Qu'arrive- 
rait-il  donc  si  la  science  arrivait  à  découvrir  les  vibrations  qui  corres- 
pondent aux  faits  de  conscience?  Aurions-nous  un  ensemble  de  phé- 
nomènes qui  rentreraient  ou  sortiraient  de  leur  domaine,  avec  leurs 
lois,  selon  l'instrument  avec  lequel  nous  les  serions  observés? 

Et  d  autre  part,  rien  ne  nous  démontre  non  plus  que  la  certitude 
acquise  au  moyen  du  sens  intime  soit  supérieure  aux  autres.  Il  se 
pourrait  fort  bien  que  les  données  du  sens  intime,  pas  plus  que  les 
autres  sensations  ne  nous  fassent  connaître  Tessence  des  choses  et  que 
la  raison  en  travaillant  sur  ces  données  n^arrivc  qu^à  construire  un 
système  régulier  d'apparences  absolument  analogue,  à  tous  les  points 
de  vue.  à  celui  qu'elle  construit  avec  les  senâations  visuelles  ou  tactiles. 
M.  Brunschvicg,  du  moins,  ne  me  paraît  nullement  avoir  démontré 
qu'il  ne  puisse  en  être  ainsi  :  il  a  exposé  ses  idées  sans  prévoir  explici- 
tement les  objections.  Evidemment  l'exposition  en  est  plus  rapide, 
elle  en  est  plus  airrôahle  sans  doute,  et  elle  serait  sans  inconvénients  si 
lo  système  répondait  implicitement  aux  objections,  mais  c'est  ce  qui,  à 
mon  avis,  ne  s'est  pas  produit. 

v^n  pourrait  donc  prendre  les  thèses  opposées  à  celles  de  M.  Brunsch- 
vioir.  et  arriver  logiquement  à  une  conception  systématique  toute 
dilTèronte  des  rapports  de  la  science  et  de  la  philosophie.  La  philo- 
sophie apparaîtrait  alors  comme  une  sorte  de  science  de  la  science, 
une  explication  du  monde  à  laide  de  lois  générales  abstraites  emprun- 
tées à  tous  ies  ordres  de  faits.  ^  ette  philosophie,  qui  ressemblerait  à 
oert,^ins  êirards  à  ce  que  l'on  a  appelé,  de  notre  temps,  la  philosophie 
soiontitïque.  en  diiYêrorait  à  mon  avis  à  plusieurs  égards  et  d'une 
mair.èro  assez  irniHirunte.  Le  raisonnement  pur,  Tanalyse  abstraite, 
y  îîo:uira:o!ît  une  pl,u*e  bien  plus  consîdérabic  que  celle  qu'on  leur  a 
\oulu  i:ôncralenîe:it  aoov^rder.  Mais  je  ne  puis  songer  ici  à  rendre  vrai* 
souibu^bîo,  n:  r.^^n^e  à  exposer  cette  conception. 

.\u  r\^s:o,  ces;  le  crand  défaut  du  livre  de  M.  Brunschvicg,  à  mon 
AVIS»  d'afùrmer  beaucoup  plus  qu'il  ne  prouTe.  Des  assertions  J 
alvr.dont  qui  paraissea:  sinculiè rement  has;ardees  et  qui  auraient 
boso*.:\  vie  preuves,  e:  parfois  aussi  d'éclaircissements.  Je  vois,  par 
exor.u'Io.  que  «  o'e;^t  r<ar  hasjkrd.  ou  du  moins  sans  qu'il  y  ait  à  cela 


ANALYSES.  —  liHUNSCBViCG.  /ntroduiiiîon  â  la  vie  de  f esprit  6^d 

aucune  nécesaité,  que  Ja  circulation  spontanée  dea  images  permet  cet 
équilibre  de  l'esprit  avec  les  choses  du  dehors,  »  Il  y  a  là  des  aJTirma- 
tiona  de  philosophie  psychologique  très  contestables  et  qui  ne  sont 
même  pas  suffisamment  mises  en  lumière.  On  peut  Irus  bien  soutenir, 
à  l'invLTse  de  lauteur,  que  les  lois  générales  de  rorganisation,  l'évo- 
lution, rintluence  des  milieux  sociaux  ou  autres,  la  sclection  naturelle 
des  êtres  et  des  éléments  des  èlres  {spécialement  des  images  et  des 
idées)  ont  dû  au  contraire  tendre  à  établir  un  rapport  étroit  entre  la 
combinaison  des  images  et  les  nécessités  de  la  vie.  D'autres  raisons 
expliquent  que  cet  équilibre  ne  soit  point  parfait  et  montrent  comment 
la  pensée  réfléchie  peut  aider  à  rétablir  sans  s'opposer  —  au  point  de 
vue  de  la  psychoîoifie  générale  —  à  la  pensée  spontanée.  Mais  je  ne 
vois  pas  ce  qui  noua  donne  le  droit  dépenser  qu'il  n'y  a  naturellenient 
aucune  harmonie  probable  entre  la  circulation  spontanée  des  images 
et  l'équilibre  de  l'esprit  et  de  son  milieu- 

Je  vois  de  même  plus  loin  :  «  La  vérité  n*eat  point  par  rapport  à  Tes- 
prit  comme  une  chose  immuable  par  rapport  à  une  autre  chose 
immuable.  Elle  est  une  vie,  la  vie  même  de  l'esprit.  Ainsi,  en  même 
lemps  que  la  vérité  nuit  et  croit,  l'esprit  par  qui  elle  nait  et  elle  i^roît 
se  développe  et  se  fortifie;  car  Teaprit  n*est  pas,  lui  non  plus;  quelque 
chose  d'achevé,  dHmmuable  et  de  fixe*  »  Je  pense  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  ici  la  vérité  avec  la  réalité  concrète,  il  serait  trop  simple  de 
dire  que  la  réalité  change*  Il  faut  sans  doute  entendre  que  la  vérité 
est  un  rapport  de  TespHt  et  de  la  réalité,  et  que  la  réalité  étant  esprit, 
c'est  donc  l'esprit  qui  fait  la  vérité.  El  ici  bien  des  difficultés  se  pré- 
sentent, car  il  se  pourrait  bien  que  la  vérité,  môme  en  ce  cas,  sans 
exister  en  dehors  de  toute»  activité  mentale^  si  nous  supposons  qu^il 
n'y  a,  au  fond^  dans  le  monde,  que  de  Tactivité  mentale,  soit,  pour 
une  bonne  part,  indépendante  de  fesprit  de  chacun  de  nous,  pris 
individuellement,  et  même  indépendante  des  croyances  de  tous  les 
esprits,  car  û  se  pourrait  que  tous  les  esprits  se  trompassent  sur  leur 
nature  et  sur  leurs  propres  opérations*  Il  ne  serait  peut^ôtre  pas  juste 
alors  de  dire  que  la  vérité  naît  et  croît  par  fesprit,  ou  du  moins  cela 
demanderait  des  explications  assena  minutieuses,  et  le  sens  de  fidéa- 
lisme  en  serait  peut-être  transformé,  J*aurais  beaucoup  de  remarques 
analogues  a  fairet  à  propos  par  exemple  »  du  jugement  et  de  la  percep- 
tion (p.  57),  de  rémotion  esthétique  et  de  fart  {p.  21  et  lO'^ilO),  de  la 
liberté  (p.  i23  et  144)  et  de  la  religion  (p.  150-157  et  p.  174.) 

Toutes  mes  ré*?erves,  mes  doutes  ou  mes  critiques  ne  m'empêchent 
pas  d'être  d'accord  avec  M*  Brunschvicg  sur  plusieurs  points,  même 
importants,  ni  surtout  de  reconnaître  le  talent  dont  il  a  fait  preuve. 
Il  manie  bien  les  idées  abstraites  et  11  a  écrit  une  série  d'études  inté- 
ressantes. Peut-être  ai -je  cherché  dans  son  livre  ce  qu'il  n'a  pas  été 
dans  son  intention  d'y  mettre.  li  a  moins  exposé  un  système  qu'il  n'a 
écrit  une  série  dé  «  méditations  »  àTusago  des  gens  qui  aiment  à  réflé- 
chir et  à  jouer  »vec  les  idées.  S'il  ne  doit  pas  toujours  convaincre,  U 


m»  REVOE    PiULQSOPHtQUK 

peut  toujours  intéresser  et  exciter  h  la  réflexion,  et  Ton  a  protit  à  lire 
un  livre  qui  fait  penser  et  qui  est  écrit  dans  un  style  bien  approprié 
au  sujet,  généralement  clair  et  simple,  et  souvent  ingénieux, 

Fr,  Paulman* 


A.  Despaux,— Genèse  de  la  matikrk  et  he  L*ÈNBBG]B.Iti-8«  Paris, 

Alcan. 

Le  livre  de  M.  Despaux  présente  un  réel  intérêt;  c'est  plus  qu'un 
résumé  des  théories  actuellement  admises  sur  la  constitution  de  b 
matière,  de  Ténergie^  de  Tu  ni  vers.  M.  Despaux  a  essayé  de  donner  de 
la  gravitation,  de  la  cohésion,  de  Tanin ité,  bref  de  toutes  les  forces 
qui  ne  se  rattachent  pas  directement  à  des  mouvements  vibratoires, 
une  explication  qui  semble  nouvelle,  et  qui  rend  compte  des  phéno- 
mènes autant  qu*une  théorie  peut  en  rendre  compte,  c  est-à-dire  qu'elle 
établit  entre  eux  un  lien  loî4ique  aaisissable  pour  l'imagination. 

Cette  explication  elle-même  repose  presque  entièrement  par  voie 
d'analogte,  sur  la  théorie  cinétique  des  gaz.  Uien  que  s'attaquant  à 
des  problèmes  d'apparence  insoluble  et  invéritiable,  comme  la  cons- 
titution des  molécules  et  des  atomes,  la  théorie  cinétique  des  gaz 
est  une  des  mieux  établies,  une  de  celles  qui  s'étayent  sur  le  plus 
de  véritications  expérimentales.  Elle  consiste^  comme  on  sait,  àsup* 
poser  que  les  molécules  gazeuses  sont  animées  de  vitesse  très  con* 
sidérables  {de  500  à  1  BOO  mètres  par  seconde  à  0^  pour  Tair  et  Thy* 
drogène).  Imaginer  un  essaim  de  mouches  ou  d'abeilles  enfermées 
dans  une  boite,  et  allant  sans  cesse  se  heurter  aux  parois  de  leur 
prison.  De  cette  série  de  chocs  successifs  résulte  la  pression  ou  ten- 
sion du  gaz,  pression  mesurable  au  manomètre.  La  force  vive  de  cette 
masse  de  moléculei  en  mouvement  donne  la  délinitton  de  la  tempéra- 
ture, définition  si  incomplète  et  si  gauche  dans  les  autres  S3^slème5. 
Les  lois  de  Mariette,  de  Charles,  d*Avogadro,  sur  les  relations  entre 
la  pression,  h\  température»  le  volume  des  gtit  soumis  a  raction  de 
la  chaleur,  s-expliquent  aussi  le  plus  simplement  du  monde.  C'est  en 
s'appuyant  sur  cette  théorie  que  Crookes  s  eu  l'idée  de  sa  «  matière 
radiante  w,  et  des  tubes  d'où  sont  sortis  les  rayons  Hœntgen  entre 
autres.  Pour  achever  Fexposé  de  la  théorie  cinétique  des  gaz,  nous 
ajouterons  que,  dans  leur  course,  qu'on  a  pu  calculer  exactement,  les 
molécules  non  seulement  se  heurtent  aux  parois  mais  se  ch<»quent 
entre  elles,  ou  du  moins  sont  rapprochées  les  unes  des  autres  jusqu*au 
point  où  la  répulsion  mutuelle  les  arrête.  De  ces  rencontres  naissent 
des  mouvements  de  rotation  dont  il  a  été  possible  de  déterminer  k 
vitesse  et  la  force  vive.  Les  déductions  théoriques  ont  été  confirmées 
par  les  expériences  sur  la  chaleur  spécifique  des  gaz. 

Bref,  et  pour  la  résumer  en  quelques  mots,  la  théorie  cinétique  des 

gaz  parfaits  (éloignés  de  leur  point  de  liquéfaction)  consiste  à  admettre 

"ue  ces  corps  sont  composés  de  molécules  animées  d'un  double  mou- 

ment  de  translation  et  de  rotation  sur  elles-mêmes,  mouvementi 


¥ 


^ 


(1 

W 


ANALYSES.  —  MSUAUX-  Gemse  de  la  matière  et  de  Véner^ie  657 

îiîont   la    force  vive  fournit  une  explication  mécanique  satiafaisantc 
pour  un  grand  nombre  de  phénomènes. 

M.  Despaux  attribue  aux  molécules  de  rhypothétique  éther  ces 
proptiëtéa  à  peu  prhn  démontrées  des  molécules  des  gaz  parfaits,  et  il 
en  déduit»  par  exemple,  la  théorie  de  rattraclion  de  la  manière  sui- 
vante* 

Supposons  une  molt^cule  d'éther  tournant  sur  elle-même,  et  présen- 
tant sur  son  pourtour  des  aspérités.  Si  ces  aspi^rités  sont  planes, 
perpendiculaires  à  Taxe  de  rotation,  elles  tourneront  dans  l'cther 
comme  une  roue  à  palette  entièrement  plongée  dans  Feau,  e^est- à-dire 
quelles  ne  pourront  ni  faire  avancer,  ni  faire  reculer  la  molécule, 
tout  au  plus  Iri  fuire  vibrer.  Si  elles  sont  gauches,  ou  inclinées  sur 
Taxe  de  rotation,  elles  agiront  h  la  façon  d'une  hélice,  et.  dans  de  rer- 
tiines  eonditions,  pourront  déterminer  cîi-s  attraclions  ou  des  répul- 
sions, la  cohésion,  ralUnité,  ete.  Il  ne  peut  entrer  dana  le  plan  du 
présent  compte  rendu  d'analyser  dans  leurs  détails  les  théories  de 
JLDespaux,  mais  puisque  nous  écrivons  dans  la  îti^mte  philonophlqrte^ 
il  ne  sera  peut-être  pas  hors  de  propos  de  les  étudier  du  poinl  de  vue 
philosophique^  et  iiiême  horreaco  refereiisl  métaphysique. 

Que  tous  les  corps,  suivant  les  idi-es  de  îlelmholtjt  et  de  lord 
Kelvin,  soient  constitués  par  des  tourbillons  d*éther,  se  mouvant  dans 
de  Téther  à  l'état  libre,  c'est  une  hypothèse  grandiose  que  la  phdoso 
phie  et  la  métaphysique  peuvent,  je  dirai  même,  doivent  accepter.  Étant 
donné,  en  effet,  que  les  corps  se  combinent  entre  eux,  la  métaphy- 
sique nous  dira  que  ce?^  combinaisons  no  peuvent  avoir  Heu  que  si  les 
corps,  formés  par  une  même  .sti6s/aïice,  ne  diiïèrent  entre  eu.v  que 
par  des  îiccldents  lesquels  peuvent  très  bien  être  des  mouvements, 
es  vitesses,  des  forces  vives*  Ainsi,  en  musique», par  exemple,  les  sons 
formé  =^  par  des  vibrations  de  Tair  diffèrent  entre  eux  par  la  rapidité 
de  ces  vibrations,  et  peuvent  former  des  combinaisons  variées  ou 
accords* 

Mais  la  théorie  elle-même  de  Téther  en  général  soulève  des  dilTicultés, 
«^ur  lesqui^Ls  les  savants,  d'ordinaire,  passent  trop  lég^èrement. 

,\u  fond  réther  a  été  imaginé  par  analogie  avec  Tair,  I/air  a  été 

ugé  inr pondérable  jusqu'au  moment  où  TorrieelH  a  pu  faire  le  vide  et 

mesurer  le  poids  de  1  atmosphère,  Lair  est  élastique»  ses  molécules 

peuvent  fie  rapprocher  ou  s'éloigner,  donc  le  fluide  ne  forme  pas  un 

ont  continu*  Gomment  expliquer  ces  actions  tidistunce^  ce^  attractions 

ou    répulsions  incontestées  entre   les  molécules  gazeuses?  Et  ici  la 

phîIoHophie,  la  métaphysique  interviennent  encore*  Comment  un  corps 

petit  ou  s_'"randagirail-il  à  dî<;la7ice,  c'est  à-dire  où  il  nestpïis'î  (??ecchi.) 

Un  i>en  est  tiré  en  recourant  à  Téther;  mais  si  Télher  est  lui-même 

un  lluide  élastique,  la  diniculté  n'est  que  reculée,  il  faut  imaginer  des 

thers  de  différents  ordres  tout  aussi  élastiques  que  le  premier, 

Lo  plus  simple  —  et  peut-être  le  plus  sage  —  serait  d'avouer  qu'on 

*y  comprend  rien,  et  que  Thypothêse  de  Tcther  et  do  ses  vibrations 

TOME  L.  —  1900.  43 


658  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

propres  a  le  grand  mérite  —  dont  il  faut  se  contenter  —  de  figurer  les 
phénomènes  à  notre  imagination,  de  façon  qu'elle  en  puisse  suivre  la 
marche. 

Il  y  a  peut-être  aussi  à  faire  un  nouvel  effort  que  nous  nous  borne- 
rons à  indiquer  ici. 

Comment  un  corps  peut-il  acrir  là  où  il  n^est  pas?  A  cela  l'on  peut 
répondre,  est-il  bien  sûr  quUl  n'y  liioit  pas? 

Supposons  une  pierre  jetée  dans  un  bassin,  et  déterminant  dans  Teau 
des  ondes  dont  Tamplitude  varie  en  raison  inverse  du  carré  des  dis- 
tances. A  une  certaine  distance  du  point  où  la  pierre  a  été  jetée,  nous 
ne  voyons  plus  rien,  et  nous  sommes  tentés  de  croire  que  les  ondes 
s'arrêtent  là.  Mais  il  suffit  de  munir  nos  yeux  d'appareils  grossissants 
ou  d'employer  des  instruments  très  délicats,  pour  nous  assurer  qu'à  la 
distance  considérée,  l'amplitude  de  Tonde  est  simplement  descendue 
au-dessous  de  ce  que  peuvent  percevoir  nos  sens.  Les  savants,  phy- 
siciens ou  astronomes,  oublient  trop  que,  dans  ce  qu'on  appelle  les 
propriétés  d'un  corps,  il  y  a  deux  termes,  le  corps  extérieur  à  nous, 
et  la  réaction  qu'il  produit  sur  notre  organisme.  A  vrai  dire  nous  ne 
connaissons  que  cette  réaction,  que  ce  rapport.  Quand  nous  compa- 
rons ces  différentes  réactions  nous  pouvons  conclure  à  des  rapports 
existants  entre  fes  corps  eux-mêmes,  mais  notre  organisme,  nos  sen- 
sations, interviennent  en  dénominateur  *. 

Pour  en  revenir  à  l'exemple  cité  plus  haut,  les  ondes  que  nous  ne 
voyons  plus,  et  même  qui  échapperaient  aux  appareils  les  plus  per- 
fectionnés pourraient  très  bien  donner  naissance  à  des  effets  méca- 
niques. 

En  suivant  cette  idée,  on  pourrait  peut-être  donner  des  atomes  et 
des  molécules  un  concept  plus  satisfaisant  que  celui  qui  consiste  à 
imaginer,  physiquement  insécables,  des  étendues  géométriquement 
divisibles. 

Appelons  atome^  par  exemple,  un  centre  de  vibrations  simples  dans 
l'éther.  La  notion  d'atomicité  résulte  ici  de  ce  qu'il  y  a  ou  il  n'y  a  pas 
de  vil)rations;  il  n'y  a  pas  d'intermédiaire  possible  entre  ces  deux 
états. 

Ces  vibrations  sinusoïdales  se  propagent  indéfiniment,  mais  nos 
oriranes  cessent  de  les  percevoir  à  une  certaine  distance.  Supposez 
qu'à  ce  moment  l'amplitude  dos  vibrations  soit  augmentée  ou,  si  l'on 
veut,  qu'on  itjoute  île  la  chaleur.  Nous  percevrons  ces  vibrations  à 
Tendroit  où,  précédemment,  nous  ne  les  percevions  pas.  Supposons 

\.  Pour  (lonrKT  une  forme  inallu;mati(iue  à  notre  pensée,  soit  A,  B.  C.  des 
corj»^  exlériours  el  a,  b.  c  nos  sensations  correspondantes.  Des  rapports  -.,  -,  elc- 

A    C 

nous  pouvons  conrlure  à  des  rapports  y-,  ^,  que  l'expérience  peut  vérifier,  et 

'|ue  nous  apixïlleruns  les  projit'iéfrs  de  A,  H,  C,  mais  il  ne  faut  jamais  oublier 
«lue  ces  propriétés  sont  aussi  fondions  de  a,  b,  c. 


I 


ANALYSES.  —  sACic,  Moîiislîsche  Goites  und  Weltanschauung  ÔTîS 

deux  centres  de  vibrations  aimpleâ,  deux  af ornes?  Si  les  vibrattons  ont 

des  périodes  concordantes  elles  ee  combineront  de  fat;on  h  former  des 
niaxîma  et  minima,  centres  de  vibrations  composées  que  nous  appel- 
lerons molécules,  perceptibles  à  nos  sens  en  des  régions  de  l*espacc 
invariables  tant  que  les  atomes  ne  changent  point  de  place.  Nous  en 
conclurons  à  l'existence  d*nn  corps*  Si  Ion  ajoute  de  la  chaleur,  si 
Ton  fait  croître  VampUlude  des  vibrations  combinées,  nous  percevrons 
le  corps  là  où  noua  ne  1©  percevions  pas  et  nous  dirons  qu*il  se  dilate. 

Dans  ce  système  sur  lequel  nous  reviendrons  peut-être  quelque 
jour,  chaque  nlome  est  caractérisé  par  le  nombre  de  ses  vihraÉions 
simples;  il  n'y  peut  y  avoir  de  molécule  stable  qu*à  la  condition  que 
les  nombres  de  vibrations  des  atomes  composants  soient  dans  un  rap- 
port simple  et  que  la  différence  de  phase  ne  soit  pas  nulle.  Si  cette 
dernière  condition  n'est  pas  remplie,  iï  y  a  évolution  dans  un  type 
donné,  comme  dans  les  figures  optiques  de  Lissajous. 

Pour  en  revenir  à  Touvrage  de  M.  Despaux,  nous  croyons  contes- 
table son  hypothèse  sur  la  gravitation,  d'abord  parce  que  la  masse  d'un 
corps  cesserait  d'être  une  quantité  constante,  parce  que,  si  Ton  pour- 
suit l'analogie  avec  Tair,  les  mou%ements  de  rotation  variant  avec  la 
ta  température,  la  gravitation  varierait  aussi  avec  cet  élément.  C*est  à 
rigueur  possible,  mais  cela  rk mande  démonstration. 

Quant  à  la  dernière  partie  du  livre  de  M.  Despaux,  Formationet  fin 
d'un  monde,  au  milieu  d' hypothèses  ingénieuses  nous  avons  éprouvé 
une  certaine  surprise  de  ne  pas  rencontrer  celle  de  Clausius  qu'on  peut 
résumer  ainsi.  Tout  travail  suppose  entre  différents  corps  une  diffé- 
rence de  température  qu'il  tend  à  faire  dïï^paraître  définitivement. 
Quand  la  température  sera  partout  la  même  dans  un  système  plané* 
taire  ou  stellaire,  la  vie  et  le  mouvement  auront  complètement  disparu, 
sauf  le  cas  où  un  choc  du  dehors  viendrait  rompre  cet  équilibre  dans 
la  mort. 

Le  livre  de  M.  Despaux,  dans  son  ensemble,  intéressera  les  penseurs 
et  les  hommes  de  science* 

Georges  Guéroult. 


J,  Sack.  —  MoNisTisCHE  Gottes  und  Weltanschauukg,  veusuch 

ElflEn  JQEALISTISCJÏEN  BeGRUNDUNG    DES   MONISMUS  AUr  UEM  BoDKN  OEn 

WiRKLii:HEn\   —   Leipzig,  Verlag   von   Wilheîm   Engelmann»    181^9» 

,  in-8^ 

<t  Ce  que  noue  cherchons  ici,  dit  M.  Sack  dans  son  introduction,  c^est 

[de  rendre  possible  une  conception  achevée  du  monisme,  motivée  au 
point  de  vue  logique,  et  aisément  compréhensible,  ce  qui  semble  être 
un  besoin  de  notre  temps*  >  Cette  tiiche  qu'il  expose  et  délimite  ainsi, 
Tauteur  Ta  remplie  on  peut  dire  à  la  perfection,  car  il  serait  difficile 
de  trouver  une  théorie  monistique  de  l'univers  exposée  avec  plus  de 

I clarté,  d'unité  et  d'ampleur p  en  même  temps  que  sous  une  forme  plus 


660 


RKVUE  philosophique; 


aUr»yante  et  plus  facile.  Mais  il  y  a  plus  encore  dans  Touvrage  d<* 

M,  Sack  :  c'est  toutes  ces  hypothèses  inîrénîeuses  à  Taide  desqueliei  U 
nous  fait  pour  ainsi  dire  assister  à  la  genèse  tout  entière  du  Coëieos, 
depuis  la  celîuïe  jusqu'aux  mondes  que  nous  contemplons,  depnU  le 
premier  frémissement  de  la  vie  jusqu*à  la  conscience  de  rhooinie  civi- 
lisé, jusqu'aux  sentiments  les  plus  élevés  qui  raniment  et  qu^oo  peut 
ranger  sous  les  rubriques  de  reslhétique,  de  la  morale  et  de  la  religion* 
Surtout  dans  Tétude  de  ces  trois  groupes  de  faits  psychiques»  dont  il 
présent*?  avec  beaucoup  d'élégancfi  tout  le  développement,  M*  Sack  fait 
preuve  du  sens  cntique  le  plus  aîlîné,  et  d'une  ti^génlosîté  qui  sur- 
monte  toutes  les  dîlîlcultés  sans  jamais  faire  violence  au%  faits  de 
rexpérience  ni  aux  lois  de  la  logique.  Il  faut  lire  ces  différents  cha- 
pitres; leur  valeur  est  dans  les  détails  et  les  fines  observations;  quant 
à  la  théorie  même  de  M.  Sack,  elle  n  offre  point  de  complications,  et 
]*aura[  vite  fait  de  la  résumer. 

C'est  ta  conscience  de  l'homme  qui  en  forme  le  point  de  départ,  avec 
ses  trois  éléments  principaux  de  la  représentation,  du  sentiment  et  de 
la  volonté.  La  conscience  qui  existe  chez  Thomme  a  des  degrés  diffé- 
rents, existe  aussi  chez  les  animaux;  elle  existe  de  même  chex  tes 
plantes,  comme  semblent  riudiquer  un  certain  nombre  de  phénomènes: 
le  fait,  par  exemple»  qu  rlles  tournent  leurs  branches  vers  le  jour  et 
vers  le  soleil,  les  contractions  que  présentt^nt  certaines  d'entre  elles 
quand  on  les  touche;  les  minéraux  même  ne  sont  pas  dépourvus  d'uae 
certaineconsciLince,  quoiqu*ils  n'en  donnent  aucun  signe  exténeur;  mais 
leur  structure  interne,  k*s  tundances  qa*ont  les  molécules  à  se  rassem- 
bler, à  si>  cristalliser  suivant  certaines  formes  bien  déterminées,  tout 
cela  semble  indiquer  qu*k  la  réalisation  de  ces  formes  doit  être  attaché 
un  certain  sentiment  de  bien-être  qui  suppose  chez  le  mîDéral  un 
rudiment  de  conscience.  De  nié  mu  que  la  conscience  se  retrouve  à  tra- 
vers toute  réch L'Ile  des  êtres,  de  mémo  elle  existe  également  dans  les 
organes  particuliers^  mais  elle  y  est  atténuée  et  éloufTée  par  la  con- 
science du  système  central  qui  la  recouvre  pour  ainsi  dire  et  risole, 
w  Ou  il  y  a  mouvement,  il  y  a  vie  et  conscience,  o 

C'est  donc  de  la  conscience  dv  Thomme,  la  .seule  que  nous  connais- 
sions, qu  l'auteur  va  partir  pour  étudier,  par  voie  d'analogie,  la  con- 
science universelle,  pour  essayer  de  pénétrer  dans  la  conscience  du 
Cosmos,  et  sur  cette  voie  il  va  s'avauccr  progressivement,  logique- 
ment, en  évitant  toute  intrusion  de  Ti  maori  nation  et  du  mysticisme.  H 
n'admet  qu'une  pensée  mystique,  et  dès  le  début  il  le  note  :  c*est  â*i 
donner  le  monde  spirituel  comme  fundemi^nt  au  monde  sensible. 

La  méthode  d'analogie  qu*ii  a  choisie  lui  fait  poser  maintenant  les 
deux  principes  suivants  :  l'^  Comme  lorganisme  humain,  rorganisme 
du  Cosmos  est  Tunîté  du  divers,  et  son  unité  spirituelle.  C'est  rÈtre- 
Tout,  la  substance  universelle  qui  se  difTérencie  dan;^  les  êtres  indivi- 
duels; ^1'^  Comme  ces  derniers»  Tètre  universel  a  la  conscience 
réfle%ive,  c'est-à-dîre  la  conscience  de  sot,  et  de  ce  qui,  par  1  interoié- 


I ANALYSES.  —  SACK-  Monistuche  Gottes  nnd  Welianschauung  661 
diaire  des  êtres  individuels,  se  passe  en  lui,  il  a  donc  aussi  la  con- 
science téléo logique,  c'esE-à-dîre  la  conscience  du  but  que  son  activité 
poursuit  en  eux. 
Les  êtres  individuels  sont  ainsi  des  émanations,  des  parties  mêmes 
de  rètre  universel,  de  Dieu,  et,  comme  lui,  de  nature  spirituelle;  mais 
Vis-à-vis  Tun  de  Vautre,  ils  s'apparaissent  sous  une  forme  concrète 
qui  leur  est  propre,  sous  la  forme  sensible.  Voici  que  noua  allons  alors 
eonaîdérer  la  construction  du  monde  tel  que  nous  le  percevons,  et  les 
conditions  auxquelles  nous  nous  trouvons  soumis  par  notre  nature 
même  d'êtres  individuels  :  c'est  le  temps,  Pespace^  la  causalité  qui 
sont,  il  est  vrai,  des  formes  à  priori  de  notre  perception  et  de  notre 
connaissance,  mais  suscitées  cependant,  évoquées  par  Texpérience. 
5Ï.  Sack  leur  retire  par  là  cette  apparence  surnaturelle,  cette  sorte  de 
vernis  mystique  qu'elles  ont  chez  le  grand  philosophe  de  la  critique 
i      de  la  raison  pure, 

^P  Dieu  donc  est  le  sujet  du  mouvement  et  de  ractivité  que  nous  voyons 
^^se  réaliser  sans  cesse  à  la  surface  du  monde  :  il  est  la  force  originaire, 
la  source  de  tout.  De  tous  ses  attributs  nous  ne  lui  en  connaissons 
qu'un  seul:  la  conscience  et,  comme  la  n6tre,  la  conscience  de  Tôtre 
universel  se  compose  des  trois  éléments,  représentation,  sentiment, 
volonté.  La  représentation  pour  lui,  c'est  l'intuition  quil  a  de  tous  les 
phénomènes  qui  se  passent  dans  les  êtres  individuels  et  qui  ne  sont 
eu%-mémes  que  Tex pression  de  sa  volontc.  Quant  à  la  partie  affective 
de  la  conscience  divine,  ce  qui  correspondrait  ^à  nos  sentiments,  ulle 
serait  réalisée  par  les  forces  de  la  nature  :  par  là  Tauteur  entend 
toutes  les  forces,  toutes  les  énergies  naturelles  qui  donnent  aux  choses 
mouvement,  forme,  qualité  en  général:  aussi  hien  les  forces  physiques 
que  les  affinités  chimiques,  que  cette  force  particulière,  cette  cohésion 
qui  maintient  entre  elles  les  différentes  parties  don  môme  organisme* 
En  efîet  tandis  que  les  lois  sont  éternellos,  immuables,  les  forces  de 
la  nature  se  transforment,  s'unissent  les  unes  aux  autres,  portent 
^enfin  en  elles  ces  caractères  de  la  mobilité^  de  Ea  sympathie  et  de  Tan- 
lipatbie  qui  les  rendent  si  semblables  à  ce  que  sont  nos  émotions  et 
lOâ  sentiments. 
Un  a  vu  que  le  principe  essentiel  de  l'être,  de  la  conscience  cosmo- 
|ique  réside  dans  cette  antinomio  ;  «  Unité,  Diversité*  »  De  cette 
mtinomie  essentielle,  fondement  de  Dieu  et  du  monde  en  découlent 
rois  autres  qui  vont  former  les  principes  de  la  conception  montstique  : 
fl^  Individualité^  Communauté;  2^  Immobilité.  Mouvement;  3*»  Attrac- 
ion,  Uépulâion.  Dans  ces  trois  antinomies  est  contenu  tout  le  déve- 
loppement de  la  nature  dont  le  côté  positif  est  «  le  mouvement  au 
loyen  de  Tattraction  pour  arrivor  à  la  communauté  »,  et  le  coté 
négatif  fl  rimmobilité  par  la  répulsion  pour  conserver  Tindivi  dualité  t* 
Foilk  les  deux  buts  qu'avec  nos  Intelligences  limitées  d'êtres  indivi- 
luels  nous  pouvons  dégager  de  Tétudcdes  phénomènes  de  la  nature  : 
pommunauté  et  individualité.  Et  c'est  en  ce  développement  à  double 


663 


HBVUE  PHILOSOPIIIQCE 


fâce,  en  cô  para  11  élis  me  de  deujc  forces  dont  Tune  est  toute  de  pmgrès, 

Tautre  toute  de  résistariee,  que  consiste  la  seule   notion  que  noiît 
puissions  avoir  de  TÈtre  universel^  de  sa  cen science  et  de  ses  tins. 

Si  i*oii  demande  maintenant  comment  on  paut  comprendre  ce  déve- 
loppement de  la  nature,  qui  n'est  concevable  que  dans  les  relations 
de  temps,  d'espace  et  de  causalité,  et  qui  a  pour  point  de  dépari  des 
êtres  individuels  identiques  avec  Dieu,  d'essence  spirituelle  comme 
lui  et,  par  conséquent,  en  dehors  de  ces  relations.  Tauteur  nous  dira 
que  notre  nature  même  ne  nous  permet  pas  de  répondre  à  une  ques- 
tion de  ce  genre,  mais  que,  puisqu'il  nous  faut  ainsi  renoncer  à  la  con- 
naissance du  monde  des  choses  en  soi,  nous  devons  porter  ailteurit 
nos  regards  et  notre  attention ,  et^  considérer  comme  le  seul  réel  le 
monde  que  nous  voyons,  le  monde  des  phénomènes.  Aussi  bien  c'est 
en  lui  seul  que  Dieu  et  le  divin  se  manifestent  à  nous,  et  à  mesure  que 
nous  Tétudierons  selon  les  voies  de  la  science,  que  nous  arriverons 
à  dégager  et  à  connaître  ses  rapports  organiques^  ses  lois  et  sa  fina- 
lité, nous  pénétrerons  plus  profondément  dans  la  conscience  univer- 
selle,  et  nous  nous  rapprocherons  davanlage  de  la  substance  înOnie 
dont  nous  sommes  à  la  fois  1  cmanation,  l'instrument  et  le  but 

Alfued  Blanche. 


Kurd  LasswitE.  —  WmKuruKEiTEN,  Beitba¥GE  zum  Weltvbbs- 
TAENDNIS  (Berlin,  E.  Felber,  i\m)^ 

M.  LassvvitK  publie  sous  ce  titre,  Réalités,  une  âuite  d'études  remar- 
quables, qui  sont  attachées  ensemble  par  le  lien  d'une  doctrine  pré- 
cise. Les  trois  premières  forment  une  aorte  d'introduction  historique 
générale*  M.  Lasswitz  y  constate  la  première  grande  acquisition  d& 
Texperience  naive,  qui  fut  de  chercher  la  réalité  dans  la  loi  des 
nombres;  il  y  montre  l'accord  de  notre  logique  avec  les  choses» 
ii-prittri  nécessaire  sur  lequel  se  fonde  tout  le  savoir;  il  signale  la 
confusion  d'abord  commise  pnir  rintroduction  des  tins  propres  k 
rhomme  dans  le  déterminisme  de  la  nature,  considérée  cette  fois  dans 
ses  changements,  jusqu'à  Theure  décisive  où  la  science  n*accepta  pîus 
en  lin  que  des  données  physiques  dans  ses  hypothèses;  il  s^efTorce 
ensuite  à  marquer  nettement  la  distinction  du  mécanisme^  qui  est  va 
réalité  de  la  nature,  et  de  la  liberté,  qui  est  celle  de  Thomme  intérieur- 
Comment  les  concilier  toutes  les  deux?  Par  quels  moyens  un  mou- 
veulent  physique  devient-il  une  représentation  psychique'^  C'e^t  îê 
grand  problème  qu'il  appartient  désormais  a  la  philosophie  de  résoudre- 
La  solution  de  M.  Lasswitz  est  conforme  à  la  doctrine  kantienni^i 
dont  ce  penseur  distingué  reste  un  des  plus  fermes  représentant*. 
L*objectif  et  le  subjectif,  enseigne<t-ilj  sont  deux  ■  systèmes  m  diverse- 
ment déterminés,  mais  non  pas  contraires  :  la  lune  représentée  est 
située  dans  Tespace,  aussi  bien  que  la  lune  t^ue  ;  elle  forme  un  système 


ANALYSES.  —  LASSWiiz,    WirHichhetfen 


663 


tmc  mon  corps,  voilà  toute  la  différence.  Il  a'extste  que  des  systèmes 
rapports  déterminés,  auxquels  nos  corps  appfirtiennent  comme  le 
(reste.  Ces  systèmes  sont  objet  et  sujet  à  la  fois;  les  lois  de  lu  nature 
et  les?  lois  de  la  consciejice  sont  identiques;  le  subjectif  et  l'objeetif  ne 
se  distinguent  que  dans  Taete  et  par  Tactc  de  connaître.  Il  ne  faut 
done  pas  dire  que  les  choses  se  résoudraient,  dans  la  doctrine  kan- 
tienne, en  processus  psychologiques.  L'existence  objective  s*impo&e^ 
puisqu'elle  détermine  les  processus  subjectifs,  lAûrdre  des  choses 
signille  les  conditvms  qui  font  que  les  consciences  individuelles  s'ac- 
cordent ensemble.  Le  matériel  de  la  sensation,  d'un  coté,  le  sentiment 
spécillque  de  Tautre,  sont  en  somme  un  unique  fait  de  conscience  : 
mais  la  connaissance  leg  sépare  en  deux  parties,  dont  l'une  apparaît 
sous  Tftspect  de  la  «  loi  »,  et  partant  objective,  Fautre  comme  «t  vécue  », 
contenu  subjectif  d'une  conscience  individuelle* 

Le  cerveau  de  T homme  n*est  qu'un  appareil  ou  le  mouvement  des 
molécules,  c*e3t-â-dire  Tcnergie  physique,  se  transforme  en  impres- 
sion et  en  sentiment  :  cela  résulte  du  fait  même  que  cette  cnergie,  en 
tant  que  telle,  ne  se  dissipe  point,  mais  qu'elle  persiste  dans  les  chan- 
gement.'^ physiologiques  de  rorganisme*  Le  fait  de  conscience  est  un 
phénomt-'ne  concomitant.  Il  n'importe  guère  que  le  contenu  de  la 
■  loi  tf  Koit  Ttivênement  objectif  ou  le  sentiment  de  cet  événement  dans 
un  individu.  Il  n^y  a  pas,  à  vrai  dire,  parallélisme.  Il  convient  au 
moins  de  iie  pas  tomber  dans  le  malentendu  où  ce  mot  peut  conduire  : 
ainsi  rhylozoisme,  qui  place  la  conscience  dans  les  dernières  particules 
de  la  matière,  ou  dans  les  cellules;  ainsi  le  monisme  de  ?^pin02a,  ima* 
ginant  une  substance  dont  retendue  et  la  pensée  seraient  les  attributs. 

Dans  quel  rapport  se  trouve  le  phénomène  subjectif  avec  le  phéno- 
mène objectif?  Importante  question,  qui  ghï  celle  mâmc  de  la  «  con- 
naissance ^,  Le  contenu  de  la  conscience  personnelle  n'est  jamais  le 
contenu  du  monde;  il  n'en  est  qu*un  fragment.  La  toi  tlu  seuil  est 
Fexpres^ion  ficientiltquc  de  ce  fait,  que  nous  sommes  des  esprits 
limités.  La  différence  entre  la  nature  et  nous  est  une  différence 
de  contenu. 

M.  Lasswitz»  nous  Tavons  vu^  réserve  avec  soin  ce  qu'il  appelle  la 
réalité  intérieure  de  l'homme.  Plusieurs  chapitres  de  son  ouvrage  sont 
employés,  je  ne  dirai  pas  à  assurer  la  liberté,  ta  personnalité,  puisque 
le  sentiment  de  la  liberté  est  invincible  et  que  l'homme  se  comporte» 
pratiquement,  comme  s'il  était  libre,  mais  à  lever  la  contradiction  qui 
apparaît  à  première  vue  entre  la  liberté  de  Thomme  et  le  mécanisme 
de  la  nature.  Il  n'y  a  point  de  nécessité,  fait- il  remarquer,  à  ce  qu'il 
existe  quelque  chose  comme  la  raison  ou  la  civilisation,  le  bien  et  le 
mal,  etc,  Ces  événements  révèlent  une  détermination  supérieure,  qui 
seule  I435  lait  être,  et  dont  nous  avons  en  noui^-m^mes  le  sentiment.  81 
d'ailleurs  Ton  veut  comprendre  comment  un  même  événement  naturel 
peut  servir  de  moyen  pour  un  but  moral  etj  à  la  fois,  être  nécessaire, 
force  est  d*accepter  que  nos  idées  correspondent  à  une  détermination 


kk 


684 


HE  VUE  fHlLQ^OFMiaUi^ 


qui  dépasse  b  temps  et  l'espace,  cktermi nation  en  faveur  de  laquelle 
les  lois  de  respace  et  du  temps  ont  èiù  réglées  par  une  souveraine 
Intelligence. 

Nous  voici  conduits  h  la  religion  et  à  la  morale, 

M*  Lasswîtz  maintient  que  la  morale  est  indi''pendaoto  de  la  reli- 
gion, quoique  pourtant  elïe  prenne  vigueur  dans  une  conception  reli- 
gieuse et  s'affaibliîsse  dans  le  scepticisme.  Que  ÛieUp  dit-il,  ordonne  la 
loi  Diorale,  je  le  cwisi  mais  ce  que  la  règle  des  mœurs  commande,  }e 
le  sais.  Or,  je  ne  peux  imposer  la  foi.  De  là.  la  valeur  de  la  philosophie. 
Il  faut  donc  fonder  la  morale  en  soi,  et  justitîer  la  force  du  ■  devoir  t* 
Il  s'en  tient  à  la  solution  de  Kant.  je  veujt  dire  à  la  maîtime  de  Iratler 
nos  semblables  comme  des  <*  iins  w. 

Si  pourtant  la  religion  n'est  pas  absolument  nécessaire  au  maintien 
de  la  morale,  quelle  sera  sa  raison  d* exister/  L*humanité  se  passer 
t-elle  jamais  de  religion?  M*  Lasswitz  répond  très  fermement  par] 
négative*  La  religion,  selon  lui^  a  pour  fond  essentiel  un  sentiment  i 
conliance  en  une  puissance  infinie,  sentiment  qui  enferme  Tidéal  la 
plus  élevé  de  Thomnie*  L'existence  de  Dieu  ne  saurait  ûtre  prouvée 
par  la  voie  théorique;  mais  elle  est  attestée  par  notre  sentiment  pro- 
fond d*une  rèatité  qut^  la  nature  objective  n*épuise  point, 

La  religion,  poursuit  M.  Lasswitx,  est  bien  un  sentiment;  il  est 
diflicile,  toutefois,  que  ne  s'associent  point  au  sentiment  certaines 
représentations  du  rapport  de  notre  moi  à  Tunivers.  On  peut  choisir 
entre  une  religion  ann,^  dogmes  et  une  confession  de  foi  dont  les 
articles  portent  le  pur  caractère  religieui.  L'un  et  l'autre  parti  a  ses 
avantages.  Une  reli^rion  peut  se  passer  de  la  croyance  en  Timmortalité 
et  même  de  la  croyance  en  Dieu,  car  cette  dernière  a  des  substituts 
possibles.  Mais  il  n'est  pas  licite  d'accepter  comme  objet  de  foi  quoi 
que, ce  soît  qui  porterait  atteinte  à  Tessence  de  la  personne  morale- 
Les  objets  de  la  science  et  de  la  foi  sont  distincts.  «  On  ne  peut 
croire,  disent  quelques-uns,  qu'à  ce  que  l'on  sait,  La  foi  se  réfère  àde^ 
raisons  subjectives^  la  science  à  des  raisons  objectives!  it  Le  subjectif, 
cependant,  est  le  moyen  de  toute  réalité.  Impossible  d'écbapper  a  ce 
dualisme  :  nous  sommes  à  la  fois  des  objets  de  Ja  nature  et  des  per- 
sonnes^ des  êtres  connaissants  et  des  être»  voulants  et  sentants.  On  ne 
saurait  écarter  la  contradiction  du  monde  moral  et  de  la  nature  que 
par  la  ferme  assurance  qu'il  existe  un  ordre  moral  du  monde. 

Comment  Terreur  est-elle  possible?  M*  Lasswitz  est  amené  à  traiter 
ce  curieux  problème*  Sa  conclusion  est  que  la  vérité  est  naturelle^ 
Terreur  acquise»  contrairement  à  l'opinion  de  bien  des  gens.  L'erreur 
ne  provient  pas  du  raisonnement,  puisqu'il  obéit  <à  des  lois  invariables; 
elle  provient  des  matériaux  avec  lesquels  travaille  notre  raison»  car 
ces  matériaux  ne  sont  pas  constants,  ils  sont  incomplets  par  oubli  de 
mémoire^  par  altérations  accidentelles,  par  déformations  dues  au  carac- 
tère individuel,  etc. 

Suivent  des  études  discursives  sur  Ir  droite  et  ia  Courbet  sur  Kunt 


ANALYSES.  —  BEHCSON.  Lu  rim  6155 

r  e(  Schiller,  sur  les  rôoes,  enfin  sur  le  mysticisme  et  nos  songes d'Sint^mr. 
M.  Lass%%'îtz  dénie  au  rôve  la  signification  métaphysique  que  les  mys- 
tiques lui  doïincut.  Il  y  a,  dit-i).  un  domaine  de  l'incoimu,  de  rinexploré» 
mais  non  un  domaine  du  mystique.  Le  mysticisme  ne  trouve  sa  place 

(que  dans  le  libre  jeti  de  Timagination. 
Je  passe  vite  sur  ces  derniers  chapitres,  qui  mériteraient  pourtant 
de   nous  arrêter.  On  les  lira  avec  plaisir   et  profit,  comme  tous  les 
aulreB.  M.   Lasswitz  n'est  pas  seulement  philosophe  distinguéi  mais 
écrivain  de  marque;  il  sait  toujours  ôtre  clair  et  intéressant. 
Lucien  Abbéat. 


II,  —  Psychologie 


Heori  Bergson.  Le  iiifiE.  Essai  t^ur  ta  signîfîcalion  du  Coinique. 
Paris,  Félix  AlcaDi  inHÛ.  un  vol  in*12  de  la  Bibliothèque  de  Philûso^ 
p h ie  Gonlc mp oraine  { "2 IJ 'i  p . ) . 

Il  est  d'expérience  qu'une  personne  dont  les  gestes  et  les  attitudes 
n'ont  rien  de  risible,  peut,  par  ces  attitudes  et  ces  gestes  prêter  a  rire 
dès  qu'elle  les  reproduit  machinalement  dans  Tordre  où  ils  se  sont 
précédemment  succédé.  Il  est  également  d'expérience  que  la  comédie» 
entendons  la  haute  comédie,  parait  se  proposer  de  corriger  les  travers 

pu  les  défauts  des  hommes  en  provoquant  le  rire  par  leur  représen- 

I  tation. 

Supposez  maintenant  qu'on  demande  à  un  psychologue  de  construire 

tfiur  celte  double  donnée  une  théorie  générale  du  rire  et  qu'il  ne  recule 

1  pas  devant  cette  difticuUé,  d'apparenoe  insurmontable,  comment  va>t  il 
s'y  prendre  V 

Tout  d'abord  tl  cherchera  d*où  vient  le  ridicule  auquel  s'expose  une 
personne  dont  les  gestes  se  succèdent»  automatiquement  dans  un 
ordre  invariable,  et  il  essaiera  d  en  déduire  le  ridicule  de  cette  invaria- 
bilité même.  Pour  y  parvenir  il  se  demandera  ce  que  devient  sous 
rinlluencc  de  l'habitude  une  créature  humaine  docile  à  cette  influence. 

lEt  il  se  souviendra  des  deuK  vers  de  Sully  Prud'homme 

HomniBS  par  la  ligure^ 
ChoseiS  par  le  mouvement. 

Il  se  dira  qu'une  des  sources  du  ridicule  pourrait  bien  être  dans  la 

[métamorphose  apparente  d'une  personne  en  chose^  et  comme  dans  sa 

«  mécanisation  imaginaire  i*.  U  ira  plus  loin^  il  s*élèvera  de  Tespéce  au 

gcnrc.^  comme  si  la  formule  s'appliquait  à  toutes  les  espèces  comprises 

dans   le  genre.  Et  c'est  ainsi  que  la  première  donnée  du  problème 

[prendra  rang  de  cause  efriciente. 

Passant  maintenant  au  Custigat  ridendo  mores,  qui  est  l'autre 
donnée  du  problème,  notre  psychologue,  opérera  comme  sur  la  précé- 
dente. 11  érigera  la  formule  en  loi  générale.  Cequ*Élsaitou  croît  savoir 


666 


ftgVUe  PUILOl^aPHIQUE 


être  le  propre  de  la  comédie»  ne  serai t-il  pa?  le  propre  de  tous  les  ( 
du  rire'f  Alors  on  se  dira  que  le  rire  est  m\  châtiment,  une  correctionr 
Qu'au ra-t-on  gaî^né  à  cette  généralisation  supposée  d^ailleurs  coti forme 
à  la  réalité  des  choses?  Un  rapprochement  de  Vnvi  et  dv  la  vie.  On  aura, 
par  suite,  rattaché  le  rire  au  comique,  solidarise,  en  quelque  manière, 
la  théoriti  du  rire  et  celle  de  la  comcdie.  C'est  ce  que  n*a  point  manque 
de  faire  M.  Bergson  ^  D'où  le  sous-titre  de  son  lîï^re  :  E^^at  sur  là 
signification  du  comique^  A  ce  premier  gain  s*en  ajoute  un  autre*  Eo 
effet,  ce  o  châtiment  des  mœurs  u,  une  fois  généralisé,  devient  aussitôt 
comme  la  cause  Iniale  du  rire,  Et  voila  le  rire  promu  à  la  digaité  de 
phénomène,  ou  plutôt  de  a  t^e^te  social  v  *. 

11  s'agit  maintenant  de  rattacher  la  cause  finale  du  rire  à  sa  cause 
efficiente.  M.  Bergson  a  déjà  trop  bien  réussi  pour  hésiter  devant  ce 
nouveau  travail.  îî  a  le  vent  en  poupe,  il  est  donc  sûr  de  toucher  au 
port*  Le  port,  d'ailleurs,  avec  de  bons  yeux,  est-il  impossible  de 
rapercevoir?Nous  savons  ou  nous  sommes  censés  savoir  que  L\  causa- 
lité du  rire  git  dans  la  perception  d'une  métamorphose  réelle  ou  itEa- 
ginaire^  celle  d'un  vivant  en  machine,  d'une  personne  en  chose.  Par- 
tons de  là.  Constatons  d  abord  qu*une  machine  est  raerveilleusemeat 
apte  à  faire  ce  qui  est  conforme  à  sa  destination  propre,  mais  non  moias 
parfaitement  inapte  à  toute  destination  différente.  Attachons -nous  è 
cette  notion  d'inaptitude.  Nous  en  verrons  sortir,  tout  d'abord.  —  par 
un  changement  presque  insignifiant  de  suffixe  et  l'insertion  d^iin 
prérixe  —  l'idée  d'inadaptation.  Développons  cette  dernière;  nout 
obtiendrons  par  pléonasme  colle  ■  d  inaptitude  à  se  plier  aux  circun- 
stances,  aux  lois  de  la  vie  ».  Voilà  qui  est  fait  :  la  cause  efficiente  du 
rire  est  venue  rejoindre  sa  cause  finale.  Désormais  nous  pouvons  dire 
que  l'homme  rit  toutes  les  fois  qu'il  se  trouve  en  présence  d*un  de 
ses  semblables,  ou  timide,  ou  maladroit»  ou  Importun,  «  bridant  à 
gauche  »,  selon  Texpression  familière  »  bref  toutes  les  fois  qu'il  est  en 
présence  d'un  «  distrait  de  la  vie  ».  La  formule  est  des  plus  heureuses 
et  M,  Bergson  devait  immanquablement  la  rencontrer  sous  sa  plume. 

Par  quel  intermédiaire  s'est  opérée  la  jonction  des  deux  causes?  par 
*i  ridée  d'inaptitude  i»^  avone-nous  dit.  Attachons-nous  de  nouveau  à 
cette  idée  mais  pour  la  suivre  dans  une  direction  nouvelle.  Néglîgeoni 


I 


i.  Le  livre  est  ainsi  diâlrihué  :  1°  Le  cotiuquo  des  rurines  et  des  mouvements; 
2"  Le  comique  de  situation  et  le  f^omir|ue  de  mota;  3"  Le  comique  dt*  Cîiraclère* 
—  A  citer  dans  le  chapitre  u  les  pages  mi  fauteur  étudie  k$  trois  tjrocMéi 
comiques  de  rt^éiUion  (Molli! re  dans  TartiiJîe  i  •  !«  pauvriî  homme!  •)*  d-invrr* 
jfion  (le  Voleur  xoié)^  tVint^tfértînt^e  de  xériejf.  A  ee  dernier  guiire  appartiennent, 
dans  les  comédies,  le^  rencontres  imprévues  et  gênéralemenl  invraisemblable^f 
dues  à  une  intersection  pré mùd liée  dVvmiîmenls  qui,  dans  la  vie  ordinaire,  se 
forment  des  séries  parahèluâ,  -^  Les  événemenls  ont  dès  lors  l'air  d'élre  pré- 
parés tout  t^Kprèn»  d'avoii"  été  markmês,  El  comme  la  maiière  de  ces  événe- 
menti»  est  empruntée  k  la  vie  quotidienne,  rauleur  comique  nous  fait  assistera 
une  véritable  mécankalion  de  la  vie*  (Cf.  p*  W1-1D5.) 

2,  P.  20. 


ANALYSES,    —   BERCSO?f.   Lc  Hrc 


667 


les  idées  dont  elle  se  rapproche  pour  no  nous  occuper  que  des  images 
excitées  ou  suggérées  par  elle.  L'une  de  ces  ima32:es  sera  celle  de  nti- 
deut\  La  théorie  du  rire  que,  tout  en  commençant,  nous  tenions  pour 
une  gageure  se  eeni  donc  laissée  insensiblement  construire.  Il  ne  l'Ui 
restera  plue  qu'à  faire  ses  preuves.  Comment? 

Par  des  exemples,  et  en  hq  plaçant,  ix  propos  de  chaque  exomple^,  au 
double  point  de  vue  do  la  cause  efïioiente  et  de  la  cause  finale.  En 
démontrant  :  1^^  que  tout  ridicule  est  de  près  ou  de  loin  un  cas  de  patho* 
log^ie  sociale;  '3^^  qu'il  nait  d'une  impression. .,  dirons-nous  de  «  raideur»'/ 
ou  de  w  mécanisme  m?  Ni  l'un  ni  l'autre  :  il  faudra  que  ce  soit  de  ^t  rai* 
deur  mécanique  »* 

Si  Fauteur  du  présent  livre  a  démontré  —  dans  la  mesure  où,  en  de 
teb  problèmes,  la  démonstration  peut  trouver  place  —  la  b  socialité  » 
du  rire,  il  a  légitimé,  du  même  coup,  la  composition  de  son  travail  et 
juatilié,  par  de  nouvelles  raisons,  la  solidité  du  lien  qui  unit  entre  elles 
Testhétique  et  la  psychologie.  Or  il  nous  paraît  que  sur  ce  point  les 
observations  de  M.  Bergson  et  la  dialectique  qui  les  anime  ne  sont  pas 
très  loin  d'être  victorieuses.  En  tout  cas  la  tentative  qu'il  a  osée  nous  a 
valu  quelques  justes  et  belles  pages.  C'est  vers  la  fin  du  livre  qu'elles 
se  pressent  et  nous  regrettons  profondément  de  ne  les  pouvoir  trans- 
crire; car,  faute  de  place,  nous  sommes  réduits  à  les  mentionner. 
Diions  seulement  qu'elles  sont  dignes  des  leuvrea  précédentes  du 
jeune  maître.  Hn  effet  îa  où  il  parvient  à  distinguer  les  qualités  du 
poète  tragique  de  colles  qui  font  le  véritable  auteur  comique,  il  nous 
représente  celui-ci  voué,  par  état,  à  l'observation  des  autreR,  celui-là» 
au  contraire,  destiné,  par  nécessité  de  génie,  à  vivre  seul  avec  lut-mÔme 
et  à  ne  regarder  nulle  part  ailleurs  qu*en  lui  K  Quoi  donc!  Shakes- 
peare aurai t-îl  été  Macbeth,  Othello,  Richard  lEI,  Ooriolan,  Ilamlet? 
Il  rnurnit  été,  ne  craint  pas  d'affirmer  notre  auteur,  si  les  ci rcon tances 
en  avaient  décidé  autrement^  sî  les  nécessités  sociaks  n^avaient  pas 
autrement  fagonné  son  a  moi  superlicieï  m.  !^tais,  dans  soo  k  moi 
profond  u,  il  découvrait  les  virtualités  dont  le  passage  à  lacté  eût 
fait  éventuellement  de  Shakespeare  Tun  ou  l'autre  de  ces  héros  ou 
de  ces  monstres.  Je  ne  sais  st  M,  Bergson  a  raison,  mais  je  sais  gré 
à  rhauteur  du  fifre  de  nous  avoir  rappelé  celui  des  Données  élémen- 
taires d(*  la  con^cwnctr.  Aussi  bien  tout  à  coté  du  passage  visé  par 
nous,  il  n'est  pas  difficile  de  retrouver  l'auteur  de  Matière  et  Mémoire, 
Que  nous  disait-il  en  effet  dans  son  avant-dernier  ouvrage?  Il  nous 

I disait  que  nous  ne  percevons  les  choses  que  dans  la  mesure  où  elles 
nous  sont  utileg;  il  excellait  à  mettre  en  relief  le  caractère,  en  quelque 
sorte,  biologique,  de  la  perception  extérieure.  Mais  il  est  des  hommes 
taj 
Ih 
ra 
(CJ 
! 


i.  N*oubllona  pas  d'e^ci^pitcnte^  pages  sur  Jlronîe  et  l'humour,  riponie  consis- 
tant à  énoncer  ce  qui  UcvraiL  èirc  en  fLÛgnant  de  croire  que  c'est  ce  qui  est, 
rhumour  ctrint  son  contraire  ci  consÎBlant,  d'une  part,  à  voir  ce  qui  cnU  de 
rautrû,  h  faire  semblant  de  croire  ce  qui  a&i  confornifj  â  ee  qui  devrait  être. 
(Cf.  p.  i3Û-i3L) 


668 


BKVCË   PHILOSOPHIQUE 


privilëgiés  chez  qui  la  nature  a  oublié  d*Mtacher  la  perception  an 
besoin  :  ce  sont  los  artistos^  attachés,  eux,  h  la  \'iv  intérieure  des  cboses, 
chez  qui  la  percuption  sV-xercL^  à  Tetat  dt*  pureté,  rompt  avec  îa  con- 
vi.^nlion  utile,  et  pt-rmet  ainâi  d'expliquer  le  genre  de  vanité  propre  à 
l'artïsto.  Au   [ond.  nous  dirait    M,  Brr^'son.  celte  vanité  n  est  qu'ap- 
parente. Car   Tartiste   vit  d'une  vie  plus  profonde  que  nous^  et  aussi 
plus  vrairoent  immatérielle.  En  cela  il  nous  surpasse,  et  c'est  préciae- 
ment,  ajouterons-nous,  parce  qu*il  s'attache  à  Tessentiel  des  choses t 
que  mettant  toute  sa  sincérité  à  les  bien  voir  et  à  les  bien  décrire, , 
il    s'étonno  naïvement  ûrs    imnioralitéâ  que  les  phiiistins   lui    repro*^ 
chent.  On  sait  que  Charles  Baudelaire  s'obstinait  à  nier  l'immoralité 
mÊme  éventuelle,  de  toute  œuvre  d'art,  quelle  que  fût  cette  œuvre. 
M,  Bergson  n'est  pas  très  loin  d*avoir  jualifié  cette  attitude  paradoxale ^ 
et  d'avoir  exempté  l'artiste  sinon  du  fait,  à  tout  le  moins  du  reproche 
d'immoralité. 

Donc  M.  Bergson  a  presque  excellé  dans  Tune  des  parties  de  sa 
tuche  :  nous  avons  dit  laquelle.  Ubser%'ons  toutefois  que  la  théorie 
a  du  rire  considéré  comme  geste  social  v  —  théorie  que  J.  M,  Guyau, 
s'il  vivait  encore,  aurait  enviée  à  notre  auteur —  laisse  subsistera  peu 
près  intactes  les  anciennes  explications  proposées  par  le^  philosophes. 
Car  si  le  rire  est  une  correction  à  Tusage  des  distraits  de  la  vie,  —  chose 
aBscK  aisément  et  assez  fréquemment  vériiiable  pour  mériter  d'être 
généralement  vraie  —  c'est  qu'en  effet  Tindividu  risible  agira  contrai^  i 
rement  k  noire  attente.  Et  le  rire  naîtra  comme  on  Ta  souvent  dii^  d^un 
contraste  entre  un  groupe  de  perccptiona  et  un  groupe  d'images-  On 
voit  ce  qui  est,  on  imagine  ce  qui  devrait  être  et  cela  fait  rire.  Kt  le 
rire  qui  éclate  rappelle  au  distrait  la  règle  sociale  qu  il  s'est  laissée 
enfreindre.  —  Dès  lors  en  supposant  qu'il  y  eût  des  parties  fragiles 
dans  la  dernière  teuvre  de  M.  Bergson,  il  ne  serait  pas  inutile  de  faire 
voir  que  Tune  de  aes  deux  thèmes  fondamentales  n'est  en  rien  contre- 
dite par  les  théories  préexistantes.  Un  pourrait  même  aller  jusqu'à  û\Tt 
qu'elle  les  confirme,  et  ceci  est  tout  à  reloge  de  iK  Bergson.  —  J'en* 
tende  répliquer  que^  dans  beaucoup  de  ses  exemples,  on  n*aperçoît  pas 
du  premier  regard  ce  qu'il  entre  de  «  social  **  dans  le  risible.  Mais  que 
Ton  y  song'C.  Cette  correction  très  légère  par  laquelle  la  société  se  venge 
des  maladroits  ou  des  extravagants  est,  nous  Tavons  déjà  dit,  la  cause 
finale  du  ridicule.  Or  il  est  de  ressence  d'une  cause  finale  d'agir  in  vi- 
siblement. Four  que  le  rire,  envisagé  du  point  de  vue  de  la  llnalité, 
soit  ce  que  M,  Bergson  nous  assure,  il  n'est  pas  nécessaire  que  tous 
ses  exemptes  en  soient,  au  môme  degré,  une  démonstration  vivante. 

Mais  si  Ton  change  de  point  de  vue,  et  que  l'on  s'interroge  sur  la 
n  causalité  »  proprement  dite  du  rire,  il  semble  que  de  deux  choses 
l'une  :  ou  l'on  doit  reculer  devant  la  tâche  impossible,  ou  Ton  s'obligea 
payer  comptant.  J'entends  qu'il  faut  que  chaque  exemple  prouve  et  quM 
prouve  tout  ce  qui  est  eu  question.  Or,  ici,  ce  qui  est  en  question,  c'est 
le  fait  de  la  raideur  mécanique  provocatrice  du  rire,  et  de  tout  rire,^  S*U 


ANALYSES.   —  BERGSON,   Le  rire 


609 


y  a  ImpreaBion  de  raideur  dans  un  cas»  impreiaion  de  mécanisme  dans 
un  autre,  on  ne  se  tiendra  donc  pas  pour  satisfiiit?  —  Peut-être  n'eus- 
sions-noiis  point  fait  les  diiûctles,  nouâ  qui  ne  croyons  guère  à  la 
possibilité  de  résoudre  le  problème  et  de  ramener  à  l'unité  la  diversité 
des  causes  probables  de  rire*  Mais  M.  Bergson  est  d'un  autre  a%'rs  : 
c'est  lui  qui  nous  impose  notre  exigence  et  c'est  pour  lui  obéir  que 
nous  le  mettons  en  demeure  de  la  satisfaire*  Or  là  ou  il  avait  promis 
de  se  libérer,  il  ne  donne  que  des  acomptes*  Ici  o^est  la  «  mécanisa- 
tion »  qui  apparaît.  Là,  beaucoup  plus  rarement,  c*est  la  raideur.  Plus 
rarement  encore,  et  tout  à  fait  exceptionnellement,  c*est  la  raideur 
mécanique.  —  On  ne  saurait  mettre  à  tous  les  coups  dans  le  milîe^  i>  — 
J'entends;  et  pour  applaudir  M.  Bergson,  il  me  suffit  que  ses  coups 
portent  quelquefois.  Mais,  je  le  répète,  c'est  M.  Bergson  lui-même 
qui,  non  content  de  faire  le  point,  s'est  mis  dans  la  nécessité  de  faire 
toujours  la  vole.  Et  il  a  tellement  conscience  de  cette  nécessite  qu*à 
Pchaque  exemple  il  s'efforce  de  mettre  l'accent  sur  la  raideur-  L'accent 
•saute  aux  yeux,  mais  non  la  chose  ou  la  propriété  que  raccent  était 
destiné  à  faire  saillir. 

Peut-être  prenons-nous  mal  la  thèse  de  M,  Bergson.  Peut-être  sufll- 
rait-il  de  constater  Timpressioa  de  mécanisme  pour  en  conclure  la 
raideur.  Peut-être  serait-ce  assez  que  V]déG  de  raideur  accompaç^nât 
Timprcssion  de  mécanisme.  Et  telle  est  peut-ûtre  la  vraie  pt-nsée  de 
l'auteur.  Ne  lisons-nous  pas  en  efTet  :  *  Raideur,  automatisme^  distrac- 
tion, insocîabilité,  tout  cela  se  pénètre,  et  c'est  de  tout  cela  qu'est  fait  le 
comique  de  caractère  m  '♦  Or  le  comique  de  caractère  prenant  sa  source 
L>daQs  le  comique  d'attitudes  et  de  gestes,  d'une  part,  et,  de  Tautre  le 
•comique  étant  partout  de  même  nature,  au  théâtre  et  hors  du  tliéâlre, 
nous  devons  admettre  que  la  raideur  est  impliquée  dans  Tautoma- 
tisme.  Reste  à  se  demander  par  quelles  raisons  îl  nous  le  faut  admettre^ 
A  dire  vrai,  ces  raisons  me  paraissent  tout  ce  qu*il  y  a  de  plus  étran- 
gères à  la  raison,  même  à  la  raison  discursive*  Il  n'y  ^  point  d'opération 
logique  en  cause.  Il  ne  s'agit  que  de  vérifier  si  dans  tous  les  cas  où  fe 
rire  s*empare  de  nous,  il  nous  arrive  d'éprouver  la  double  impression 
de  raideur  et  de  mécanisme*  M.  Bergson  nous  l'affirme.  C'est  qu'il  a 
d'autres  yeux  que  nous.  Et  ceci  dit,  je  crains  qu'il  n'y  ait  plus  à  y 
revenir  :  car  où  l'impression ,  c'est-à^dtre,  après  toutt  la  sensation,  est 
seule  jugCi  la  démonstration  perd  ses  droits. 

Il  y  aurait  encore  bien  des  choses  à  dire  sur  ce  livre,  bien  d'autres 
réserves  à  exprimer  et  à  motiver.  On  pourrait  se  demander,  par  exemple, 
si  la  tbêorie  du  rire  peut  être  faite  sans  qu'il  y  soit  touché  au  sou- 
rire. Or  le  rire  est  souvent  une  exagération  du  sourire.  Et  le  sourire 
est  si  peu  le  signe  d'une  impression  de  ridicule  qu'il  nous  paraît  être,  en 
mainte  i-oujoncture,  le  signe  d'une  impression  contraire.  Autre  ques- 
tion. Le  rire  n'est  pas  un  phénomène  d'ordre  psychique.  Or  n'est-il 


h  P,  IS2. 


Vm  METTE 

p»M  UtàprùhÊÈÊÊà  «1^*110  pbéaomèiie  d'ordre  pkfÊàqmm  a'irtweHi'i  qaTi 
seul  attléeédeot  ps^poldciiie,  et  toujottra  de  mône  eapèee?  Car»  pour  i 
adotbabletisefit  réglées  que  âoicnt  lea  rdatioiu  ds  «  «otps  «C  de  r^iD^  •, 
celles  du  rire  et  de  ses  cDnoonittfïtt  9pirj£wi<  ne  Êmatmàmnt  être  1  effel 
d'une  hurmijoie  préétablie.  FeaMlre  0  £»udrmil  ooaqifer  mvec  les  Icy» 
de  Tévoliitioti  et  même  de  réi*oltitMm  de  lltidiviÉii«  mm  de  Tei^ieoe*.. 
Enfin  f]  est  mue  d^nière  qnartiOD  que  IL  Bmrgaaa  doll  avoir  rte^iie 
par  I^A^irmaUve,  aittremeDt  le  livre  du  FHre  s*eèl  jmmÊim  pmru^  Elle 
porte  ftur  la  validité  scïenUfiqae  des  lodactîoiïs  pi^clioki^qoos.  Que 
vaieiit  ces  induetlcms?  Nous  est-il  pemie,  o«ti  ou  bob.  d*ea  eiteadte 
des   fois   véritables?   Mais   eommeût  espérer  déeooTrir  1»  TérîCable 
législation  d'an  phénomène  dont  il  est  impossûile  de  jirtiiyteer  les 
ajitécédeolBf  Qui  sait  même  si  la  famease  tbèsesiLr  ]xm  Oomnae^  éii- 
mentnires  de  Im  conscience  n'm  p*a  été  laite  po«ir  d^oœr  an  lill 
espoir?  Mats  comiDcnt  isoler  ce  qui  échappe  à  toute  joLStapositioaf  i 
El  Û*j  éehapper  ne  serait-ce  poini  le  propre  des  faits  ptsTehùiocsT 
Dè4   lors  »*il  se  trouvait  en  ootje  prochain  xi*  siècle  un 
sceptique,  sceptique  se  Ion  la  définition  de  Rover-Coilard,  ne  loi  arri- 1 
Terait^tl  pas  de  soutenir  qu'en  psychologie^  la  recherche  des  causes  j 
etlîcientes  nest  jamais  ellicaee?  Le  livre  du  Ktre  en  maio^   il  jitMl»] 
lierai t  sa  sentence*  Il  insisterait   sur  les  rares  aiéfitas  de  rauieon 
sur  l'étonnante  richesse  de  ses  détails,  snr  l'art  iâeomparable  du  pen- 
seur à  trouver  sen  exemples^  à  les  grouper,  sur  raboodaiioe  de  see 
trouvailles.  Il  «insisterait  siir  la  raideur  très  réfléchie^  donc  très  peu 
mécanique,  avec  laquelle  rauteurmanîe  rexempterebelle^ct  le 
dana  son  cadre.  Mais  le  cadre  noe  fois  franchi,  comme  la   majn 
guide  se  fait  souple  et  avec  quelle  douceur  ne  eonduit-elle  pas 
captif  à  Fendroit  même  du  ^^adre  qu'il  doit  occuper  désormais  !   Tran-^ 
chant  lorsqu*il  s'agit  de  eonvaincrep   nul   n'est  pins  insinuant  que 
M*  Bergson  quand  il  s'agît  de  persuader.  Bref,  notre  sceptique  dési- 
gnerait le  Rire  à  FattenUon  de  la  oritiqne  littéraire  comme  un  de  ces 
livres  où,  si  tout  n'est  pas  à  garder,  presque  tout  est  à  cueillir. 

LlÛXEl.  DA0R1AC. 


DfaTdia  Marlcora  (Mlle).  Gontribotiûn  a  Cètvq&ùkul  P£ACEmo^| 
&TÉRÉO(;so»THii;E  :  in-t.  Genève,  Eggimann.  83  pp. 

Cette  étude  a  été  faîte  au  laboratoire  de  Genève,  sous  la  direction 
de  M.  Flourmoy»  Depuis  Hoffmann  1 1383)  on  désigne,  sous  le  nom  de 
lit  je  la  perce  pi  ion  des  formes  par  le  toucher.  Elle  a  donné  lieu, 

cî'  <leniiêres  aniiiesjà  un  certain  nombre  de  travaux.  Celui-ci 

r.  iJient  les  précédents  et  y  ajoute  quelque  chose. 

cxudic  d*abord  le  rôle  de*  conditions  sensortelles  ou  péri- 
p  :  %">  le  rôle  du  mouvement  actif,  quî,  d  après  HofTmann  et 

*i'*  -urfait;  le  défaut  de  mouvemenl affaiblit,  maisj 

n  steréognostique;  2"  le  rôle  de  la  sensibilité! 


AffALYSES.  —  >iAKKOVA.  Étude  de  la  percéptiùn  671 

cutanée  qui  auftït,  siuon  pourracquisition,  au  moins  pour  la  reconnais- 
sance des  formes  simples;  3^  le  rôle  du  sens  musculaire  qu'on  ne  peut 
fixer  exactement,  quant  à  la  reconnaissance  ées  formes,  parce  que  la 

•  sensibilité  cutanée  peut  le  suppléer  dans  certains  cas,  Suivent  des 
recherches  expérimentales  sur  divers  objets  func  niaisonnette  en  bois^ 
un  éperon,  une  croix,  un  coupe-papier^  etc*j  avec  ta  main  immobile» 
en  mouvement»  nue^  couverte  d'un  gant;  d^oii  il  résulte  «  que  nos 
sensations  tactilo-musculaîres  se  traduisent  immédiatement  en  images 
visuelles  ». 

Une  seconde   partie  est   consacr^fe  aux  conditions  centrales  de  la 

■  perception  des  formes.  La  percepllon  simple  correspond  à  rassociatiou 
in  tra- corticale  d'éléments  du  me  me  sens;  la  perception  compliquée,  ou 
mieux  la  compréhension,  la  reconnaissance  vraie,  a  des  associations 

»tranS'CortJcalei5p  entre  les  éléments  de  sens  différent.  La  stéréo  agnosie 
(perte  des  souvenirs  tactiles)  ou,  comme  l'appelle  Wernicke,  *^  la  perte 
de  la  faculté  de  reconnaître  les  objets  par  la  palpation,  quoique  les 
troubles  de  la  sensibilité  manquent  on  soient  insuflisants  pour  expli- 
quer Tctat  morbide  »  doit,  d'après  divers  anatomistes,  être  rapporttje 
à  une  lésion  du  tiers  moyen  et  inférieur  de  la  circonvolution  pariétale 
ascendante.  Notre  auteur  ne  considère  pas  les  observations  à  Tappui 

•  comme  absolument  probantes  et  il  n*est  pas  sur  que  le  trouble  de 
l'association  seul  soit  la  cause  de  la  stéréo-agnoj^îe  :  il  est  plus  pro- 
bable que  la  lésion  porte  à  la  fols  sur  les  éléments  eux-mêmes  et  sur 
leurs  voies  d'association. 

Après  une  distinction  qui  ne  paraît  pas  bien  claire  entre  Tasymbolie 
tactile  et  la  stérëo-ag^nosie,  l'auteur  se  pose  cette  question   intéres- 
sante  :    L'asymbolie  est-elle  due  à  un  défaut  d'association  entre  le 
centre  de  la  mémoire  tactile  et  les  autres  parties  de  récorce  ou  est-elle 
est  causée  simplement  par  une  rupture   entre  le  centre  |actile  et  le 
centre  visuel'^  En  d'autres  termes,  possédons-nous  une  mémoire  tac- 
tile autonome;  pouvons-nous  penser  tactile  ment?  ou  bien  devons-nous 
traduire  préalablement  nos  images  tactiles  en  images  visuelles  pour 
K qu'elles  deviennent  Tobjet  d^une    représentation    consciente  (p.   71/? 
B^Quoique  cette  question  ne  puisse  guère  être  étudiée  que  par  les  cas 
^nltoiques,  Tauteur  a  institué  quelques  expériences   sur  les    rapports 
"^ntre  les  images  tactiles  et  visuelles.  De   petites  cubes  et  parai lélipi- 
pèdes  sont  disposées  en  série  d'après  leurs  dimensions  :  Le  sujet,  les 

•  yeux  fermés,  en  palpe  un  d'une  série  de  trois;  puis,  à  la  vue»  il  est  prié 
de  reconnaître  celui  qu'il  a  touché;  il  ferme  les  yeux  de  nouveau  et 
doit,  en  palpant  les  trois,  reconnattrt!  le  premier  quHl  a  touché.  Sur 

•  150  réponses,  les  solides  sont  reconnus  à  la  pa^pation  seule  20  fois;  à  la 
vue  seule  39  fois:  ne  sont  reconnus  nî  à  la  vue  ni  âlapalpation  M\  fois. 
En  résumé,  le  pourcentage  donne  en  réponses  justes  et  fausses:  pour 
la  vue,  justes  b'i  U/0,  fausses  'Uî  tl/(J;  pour  la  palpation,  justes  45,  3  O/U 
fau*^ses5î,  TO/ll^  Les  expériences  révèlent  d'ailleurs  beaucoup  de  diffé- 
rences individuelles. 


REVUE  DES  PÉRIODIQUES  ÉTRANGERS 


Philosophische  Studien, 

Vol.  XV.  fasc.  ;:  Vol.  XVI,  fasc.  1  et  2. 

FniEDRiCH  Werneh,  contrifni lions  h  In  ihi^orie  dos  mf>.sî/ïv.s  ro/Ze»- 
tivcs.  —  La  loi  des  erreurs  de  Gauss  a  été  prise  par  plusieurs  savants 
comme  base  pour  l'expression  mathématique  des  mesures  collectives. 
Mais  les  courbes  de  variation  n'ont  pas  coutume  de  répondre  ex.icte- 
raent  à  la  formule  simple  de  G.vuss.  Après  Ludwig,  Fechner  (Collée- 
tivmàsslehre)  et  Hruns  {Phil,  Stnd.  XIV),  Werneh  étudie  la  concor- 
dance entre  les  formules  mathématiques  et  les  mesures  empiriques.  Il 
a  employé  des  mesures  empiriques  nouvelles,  notamment  les  nombres 
de  fois  que  se  présente  une  lettre  déterminée  (e,  n,  r,  s,  t)  dans 
1000  lignes  d'un  ouvrage  de  Kant.  La  principale  conclusion  est  que  le 
mode  de  calcul  recommandé  par  Bruns  réalise  un  progrès  notable  en 
ce  qui  concerne  la  mesure  des  écarts,  symétriques  et  asymétriques. 

EiiNST  DuRR,  sur  les  phénomènes  slroboscopiques.  —  l'étude  expé- 
rimentales sur  différents  points  relatifs  à  la  fusion  des  perceptions  pro- 
voquées par  des  excitations  successives  provenant  d'un  m«âme  objet. 
L'auteur,  à  la  suite  de  Marhi:,  rattache  les  lois  de  ces  phénomènes  à 
celles  des  excitations  intermittentes.  Aux  faits  déjà  connus  ses  expé- 
riences ajoutent  notamment  celui-ci  :  toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
la  fusion  se  fait  moins  bien  quand  il  y  a  un  plus  grand  nombre  d'exci- 
tations différentes;  par  exemple  elle  se  fait  moins  bien  si  Ton  emploie 
sur  les  disques  rotatifs  des  >ecteurs  blancs,  gris  et  noirs,  que  si  l'on 
emploie  uniquement  des  secteurs  blancs  et  noirs. 

W'iLLV  Helpach,  la  percept ion  des  anileurs  dans  la  rision  indirecte. 
—  Nouvelles  mesures  du  champ  visuel  pour  les  couleurs.  Les  couleurs 
sur  lesiiuelles  on  a  opéré  sont  les  couleurs  spectrales  pures.  Expé- 
riences dans  la  chambre  noire  avec  adaptation  de  la  rétine  (dix à  douze 
minutes  d'attente).  Les  nicfsures  ont  été  faites  suivant  un  très  grand 
nombre  ûv  niéridicMis.  Les  résultats  varient  beaucoup  avec  les  différents 
observateurs  :  cependant  le  champ  visuel  est  toujours  remarquable- 
mont  étroit  pour  le  violet,  très  étendu  pourTorange.  A  signaler  ce  fait 
([ue  la  rétincî  se  divise  généralement  en  quatre  zones  :  la  zone  exté- 
rieure est  (le  la  couleur  complémentaire  de  la  couleur  sur  laquelle  on 
e.\;)éiiineiite;  puis  vient  une  zone  blanche,  puis  une  zone  ('qui  manque 
pour  l'orange,  le  bleu  et  le  pourpre)  dont  la  couleur  est  voisine  de  la 


Revus  DES  nÉRtODIQUËS    KTIlANClins 


673 


■?: 


couleur  sur  laquelle  on  expérimente  (orang-e  poitr  le  rouge,  bleu  pour 
le  violet  elc.);  vient  ontln  la  zona  dans  laquelle  on  perçoit  exactement 
la  vraie  couleur;  ces  deux  dernières  zoiiea  se  limitent  assez  nettement. 
Un  fait  curieux  est  que,  pour  les  difîêrents  observateurs»  le  jaune 
'existe  pas  dans  la  vision  indirecte  :  il  y  est  toujours  peri^u  comme 
orange^  c'est-à-dire  que  la  i"  zone  se  fond  dans  la  troisième. 

WUNOT,  .sur  la.  technique  du  pendule  à  complication.  —  Discussion 
vec  un  rédacteur  du  Mind  au  sujet  du  pendule  employé  par  Pflauiî 
et  décrit  dans  le  I"  faca.  du  vol.  XV  des  F  hit.  Siud. 

NicoLAUS  Alelghsieff,  i*?s  temps  de  réaction  dan^  VobservHtion  des 
pasmgci^.  —  Expériences  faites  au  moyen  d'une  étoile  artiticielle  (un 
point  rouge  passant  devant  uu  télescope).  Des  expériences  préalables 
sur  les  temps  de  réaction  aux  excitations  lumineuses  dans  les  condi- 
tions  ordinaires  couHrment  la  distinction  de&  réactions  musculaires  et 
des  réactions  sensorielles  :  Fauteur  y  ajoute  un  troisième  genre  de 
réaction,  la  réaction  naturelle,  dans  laquelle  le  sujet  partagerait  son 
attention  selon  ses  dispositions  naturelles  entre  l'impression  senso- 
rielle et  le  mouvement  à  exécuter  :  la  réaction  sensorielle  et  la  réac- 
tion musculaire  seraient  les  formes  extrêmes  en  germe  Tune  et  l'autre 
dans  la  réaction  naturelle.  —  Des  expériences  sur  le  temps  nécessaire 
pour  percevoir  et  signaler  le  passage  de  l'étoile  artillciello,  il 
résulte  que  ce  temps  a  la  plus  grande  constance  lorsque  l'attention 
est  concentrée  aussi  complètement  que  possible  sur  Timpression  sen- 
Rorielle,  ce  qui  exig'e  beaucoup  d*exercice.  Les  mouvements  des  yeux 
troublent  la  réaction  :  par  suite,  il  faut  iixer  le  fil  devant  lequel  doit 
avoir  lieu  le  passage,  et  attendre  que  l'étoile  pa^se  de  la  visîpn  indi- 
recte à  la  vision  directe. 

WuNDT,  sur  la  Clinique  des  expériences  tanhistoêcopiques.  —  Conti- 
nuation d'une  polémique  au  sujet  du  livre  de  B,  IIiidmas  et  Douge, 
lUnter&uchttntienUber  das  lesen  au  f  expert  mente  lier  Grundlage^  1898), 
Une  criïique  de  ce  travail  a  paru  dans  PhîL  Stud.  |t*  XV*  p.  t61).  Les 
auteurs  y  ont  répondu  dans  la  Z*  f.  Ps.  u.  Ph,  cL  B^  (tome  2?,  p,  241). 
WuNDT  discute  maintenant  leur  réponse» 

MAnGAHET  KeiVEit  Smèth,  rythme  et  IraraiL  —  Etude  expérimentale 
étendue,  faite  au  laboratoire  de  Meumann,  à  Zurich <  en  vue  de  déter- 
miner rinHuence  du  rythme  sur  le  travail  corporel  et  spirituel.  Commo 
travaux  presque  exclusivement  corponds,  on  a  choisit  le  travail  crgo- 
graphique  et  la  reproduction  par  récriture  d'un  signe  graphique  déter- 
miné. Comme  travaux  presque  exclusivement  spirituels,  on  a  choisi  le 
discernement  des  poids  soulevés  (reproduction  des  expériences  de 
Fechner  par  la  mélhode  des  cas  vrais  et  faux)  et  les  exercices  de 
mémoire  (apprendre  par  cœur  des  séries  de  syllabes  dépourvues  de 
sens,  suivant  le  procédé  employé  par  EnBiNGHAUS  et  par  G.  E.  MuLLEn 
et  ScHUMANN),  Le  projet  de  Tauteur  était  de  comparer  ces  divers 
genres  de  travail  avec  et  sans  rythme.  —  Les  expériences  ergogra^ 
phiques  n'ont  donné  aucun  résultat,  car  les  sujets,  non  habitués  pour- 


TOME  L.  —   19iM). 


41 


■■0 


674  REVUE   PHILOSOPHIQUE 

tant  à  Tergographe,  ont  tout  de  suite  fait  les  mouvements  suivant  m 
rhythme  spontané,  ce  qui  rendait  toute  comparaison  impossible.  Â&e 
vrai,  il  en  est  presque  de  même  dans  les  autres  expériences  :  tantôt !a 
mouvements  sont  réglés  par  les  battements  d'un  métronome,  tantôt  iiz 
sont  libres.  Mais,  dans  le  second  cas,  on  observe  que  les  sujets  suiveol 
un  rythme  spontanément  choisi.  Par  suite,  les  expériences  permetîwt 
de  voir  seulement  si  le  rhytme  imposé  par  le  métronome  est  plus  favo* 
rable  au  travail  que  le  rhytme  naturel.  Les  différences  des  résultais 
obtenus  dans  les  deux  cas  ne  sont  pas  toujours  assez  fortes,  ni  assez 
régulières,  pour  fonder  des  conclusions  solides.  Cependant  il  apparut 
que  Tusage  du  métronome  est  généralement  favorable  lorsque  le 
battements  correspondent  à  certains  intervalles  déterminés  :  par  exem- 
ple les  poids  sont  mieux  discernés  quand  le  métronome  donne  de^[r 
à  100  battements  par  minutes.  Lorsque  les  battements  sont  pla> 
rapides  (160),  ou  surtout  lorsqu'ils  sont  plus  lents  (40),  le  discernement 
des  poids  est  troublé,  et  d'une  manière  générale  le  travail  devient  plus 
diflicile,  plus  pénible  et  moins  sûr.  Les  expériences  sur  la  mémoire 
montrent  en  outre  que  les  sujets  rhythment  spontanément  les  syllabes, 
les  associent  de  façon  à  constituer  un  rhythme  poétique  :  les  ucs 
préfèrent  Tiambe,  d'autres  le  trochée,  d'autres  les  mètres  trisylb- 
biques.  Chacun  a  ainsi  son  ryhthme  favori,  et,  quand  il  l'emploie,  il 
réussit  mieux  à  apprendre  les  séries  de  syllabes  que  lorsqu'il  est  con- 
traint de  suivre  un  rhythme  différent. 

WiLHELM  Amext,  SUT  le  rapport  des  différences  juste  perceplV'la 
aux  difTcrenceti  surperceptibles  dans  les  intensités  Itimineuses  *i 
sonores,  —  Reproduction  d'une  thèse  de  doctorat,  qui  a  été  aussi 
publiée  en  brochure  et  dont  il  sera  rendu  compte  prochainement. 

Foucault. 


NECROLOGIE 


Notre  collaborateur,  M.  Durand  (de  Gros)  est  décédé  le  16  de  ce  mois. 
à  l'âge  de  soixante-quatorze  ans,  en  son  domaine  d'Arsac,  près  Rodez, 
où  il  s'était  retiré  depuis  de  longues  années.  Rien  n'annonçait  une  fla 
si  prochaine  et  son  âge  n*avait  pas  affaibli  sa  vigueur  intellectueîle, 
comme  nos  lecteurs  ont  pu  le  voir  d'après  ses  récents  ouvrages,  notanv 
ment  sa  Classiftcalion  des  sciences,  Durand  (de  Gros)  était  un  espnt 
très  original  qui  n'a  obtenu  du  public  qu'une  justice  tardive.  Ses  théo- 
ries de  philosophie  biologique  sur  le  polyzoïsme,  sur  la  sugsreslioj 
hypnotique,  etc.,  ont  été  longtemps  ignorées  ou  méconnues.  Un  tra- 
vail d'ensemble  sur  son  œuvre,  par  M.  Parodi,  a  été  publié  dans  b 
Revue  philosopliique^  n^^  de  février  et  mars  1897. 


LIVRES  DÉPOSÉS  AU  BUREAU  DE  LA  BEVUE 


H,  MarïON*  Psychologie  de  tu  femme,  in- 12.  Paris,  Colin. 

BouîiNE VILLE.  Recherches  cliniques  et  thérapeutiques  sur  tépi- 
lepsie^  rhystérie  el  l'idiotie^  in-S,  Paris,  Progrès  mêdicaL 

BAniELOTTr.  La  philù&ophie  de  IL  Tame,  trad.  fratig.,  in-8.  Paris, 
Alcan. 

BoLLARD.  Le  CoUectivwme  intégral  :  philosophie  et  pratique,  in-8, 
Paris,  SoGiété  d'éditions  sciéntiliques» 

J.  DuPHOix.  Ch.Secrétan  et  la  philosophie  hantiennet  in-S.  Paria, 
Fischbacher, 

L.  DïMîBîù  Prolégomènes  à  i'esthétique.tn^it^FimB^Colm {brochure). 

A.  PniNS.  L^èdncatîoïï  générale  et  la  formation  de  Vesprit  moderne, 
in-8.  UruxGlles,  Lamertîn. 

D''  Nina  Rodrigue^.  L'animisme  fétichiste  des  nègres  de  Bukia, 
in-12.  Bahïa. 

A»  May  Elu  Essai  sur  la  soif,  in-8,  Paris,  Alcâû, 

H,  BLfïNDiiL,  Lm  approximations  de  la  vérité,  m-\2,  Paris,  AJcan, 

G,  Lécha UTJER.  David  Hume  :  moraliste  et  sociologue»  în-8,  Paris, 
Aîcan. 

L.  Arrkat.  Dix  années  de  philosophie  :  études  critiques^  in-12- 
Parla,  Alcan. 

Jv  G  LE  Y.  Essais  de  philosophie  et  d'histoire  de  la  Biologie,  m-i2. 
Paria,  Masson. 

Pau  LU  an:  Psijcltologle  de  Vinventionr  in-12.  Paris^  Alcan. 

Ebeiui HA R.  Striula  et  la  décadence^  in- 18,  Paria, 

A.  FOGAZZARO,  Les  asct}7isions  humaines  :  éuotutiQnisnfie  et  catho- 
licisme, trad.  de  Pitalien,  iii*P2*  Paria,  Perrin, 

E.  nE  RoHERTV.  La  Consiitulion  de  VÉihtque.  ÎV^  Essai,  in-i2. 
PiU'is,  Alcan, 

ScRit»TURE,  Studies  from  the  Y  aie  psychological  Laboratory,  Y  II, 
in-r2,  New-Haven. 

B.  Russe LL.  A  critical  Exposition  of  the  Philosophy  of  Leibniz^ 
in -12*  Cambridgei  University  Press, 

J.  Grote.  Exploratio  phitosophica  :  2  vol.  m-8,  Canibridge^  Uni- 
VLTsity  l'resB. 

Tkitaro  Suzuki.  Açuagho&a*s  Discourse  on  the  av^'akening  of  Fait  h 
in  ifiQ  Mahûyanà^  in-VL  Chicago,  Opeu-Court. 

HuDS0N<  The  Soûl  of  a  Christian  :  a  Study  in  the  religions  Expé- 
rience, in-12.  London,  Methuen. 

H.  MuNSTERBEHG»  Grundzûge  der  Psychologie,  Bd  l,  Leipzig^  Barlh. 

MuBîOî?.  Ueber  Enlartung,  m-S*  Wiesbaden,  Bergraann, 

L<iWENt'fîLDp  Soînnambulisînus  und  Spirllismus,  in-8,  Wiesbaden, 
Bergmann, 

ïScuLuTER»  Schopenhauefs  PhiloBùphie  in  seinen  Briefen^  in-Ç- 
Leipzig,  Bar  th. 


{U{\  llKVlli:   nilLOSUPHIQL'K 

lîi:iu;rM  \\\.  So:i:\lo  P.-ii/.ij/oj/ifc,  iu-*^.  liofniann.  I-ina. 
llrNjiKi..  rhoin;i<  Curîy!f\  in-jS.  Slutttrart.  F'romrr.ar.c    Hiu.T 
r\UKKNnKU«;.  Ht'nnann  I.otze,  in-s.  Stultirart.  FrocirLu:.:.. 
l.iUKiiTJN!.  //^IJ^l:u»Flt'  /iW/o  »i;i/af/i»?  ine>ifah".  N.*p>":.  •  t? 
Ki:m/i\.  Sti't'ÎA  tî''i'.';i  /•.*i"i).'":iV»Fîe,  iii-S.  Milar.  >.  H:p:., 
ruMiiM.  >!  .'   p'nu'.'i'î»'  •■«•.7a  •;.»/.' i*»/.i»'/i;^--.    o-:-. '.      ;. :  •.  .1-, 

l.iMi'.A.  :  /  I  .Swr.'  \r.'.  :  il  s^i  >  C'.n\yi*o.  etc..  :r.-*.î.r  r.  ..r-  " 
r    m:  Siii'.iV  Sv    •:    ■:  •'/."<  ^':i  .'•.•;•;:••»•. p..  •.-•..  1.  :  ^-    -     . 
::  :  \î.  r.\^-.  Kom.i.  l..i>chrr. 


TABLE  DES  MATIÈRES  DU  TOME  L 


Bourdeau  jL.),  —  Cause  et  origine  du  mal...  ,-,. , 113 

Bourdon.  —  La  perception  des  mouvements  par  le  moyen  des 

sensations  tactiles  des  yeux . . . , , . , , , t 

Bofl  (Camille).  —  Les  croyances  implicites . .  _ , . ,  33 

Boa  (Camille).  —  Contribution  à  la  théorie   psychologique  du 

temps , , . , . , .'. 594 

Daurîac.  —  Criticisme  et  monadisme , , 18 

Dugas  et  Riquier.  —  Le  pari  de  Pascal , 225 

Grass§ri6  (de La),  —  L'individualisme  religieux 246 

Milhaud  iij^}.  —  Les  lois  du  mouvement  et   la  philosophie  de 

Leibniz  _  . , , . , . 346 

Mûurre  (Baron).  —  Les  causes  psychologiques  de  Taboulie 277 

Murisier.  —  Le  fanatisme  religieux  :  Étude  psychologique.,.,,  561 

Novjcow.  —  Les  castes  et  la  sociologie^  biologique, , , 361 

Palante.  —  Le  mensonge  de  groupe  i  Étude  socîolosriqne, ,,,...  165 
Palante.  —  Le  dilettantisme  social  et  la  philosophie  du  «  sur- 

houi  m  e  w .  ♦ , 614 

Rob6rt3r  (K,  de),  —  Morale  et  psychologie, , 3-29 

Sântenoiae  fD^).  —  Reli^non  et  folie _ , , , U2 

Taioê  (H.),  —  La  volonté  :  Fragments  inédits . ,,,,......  441 

XénopoL  —  Les  sciences  naturelles  et  Thistoirc 374 

Congrès  international  d'histoire  des  sciences  (A,  L.). , ,  544 

Congrès  international  de  philosophie  (A,  Lalande),, 4SI 

IV^'  Congrès  international  de  psychologie  (Marillierj. bOd 

NOTES  ET  DOCUMENTS 

Daurîac,  —  L'hypnotisme  et  la  psychologie  raasicale. , , ,  31ÏÛ 

Rîquier.  —  Le  pari  de  Pascal ..,,,..___ _ tî^ii 

Tannery  (P.).  —  La  droite  transHnie. .  _ . , , _ 388 

REVU EH   GÉNÉRALES 

Blum.  —  Le  mouvement  pédologique  et  pédagogique, , , , , ,  47 

Funao  {de).  —  Travaux  récetits  sur  b&  sensations  internes, ....  650 


678 


TABLK    DES    MATIÊRKS 


ANALYSES  ET  COMPTES  RENDUS 

Allen  Fay*  —  Marriûgeg  of  the  dmf  in  America.  .,,,*.... VSl 

AItmÎz.  —  6*i  udipn  auf  T*nyîpernhirsitui ,..,»..,.,,,,,,  H  H 

Ammon,  —  L'ordre  social  et  ses  bases  naturelles, ............. .  2it 

An^elL  —  Studies  from  ihe  psychoL  Laboratory  of  Chicago, ,  *  74 

Ballet.  —  Swedenborg _  , .  _ ,  _  _ 19! 

Ballion.  —  La  mort  che^  les  animaux ..,., ,  Mi 

Bergson.  —  Le  rire ,..,.. , ..*... riG5 

Bernstem.  ^  Sociali^^me  théorique,  ctc,  .,..,.,....**♦, * , .  83 

Billia,  —  La  tirannide  del  lunario, ..*..,...,,. , .  317 

Bougie.  —  Pour  la  démocratie  française/ .....,,.,.,..  2H 

Bovon.  —  La  morale  chrétienne SU 

Brasseur*  —  La  question  sociale %\h 

Breese.  —  On  Inhihition , . .  IS 

BruBschwjcg.  —  Introduction  â  la  vie  de  Tesprit ...  O.V^ 

Busquet.  —  Les  êtres  vivants  :  organisation-évolution 408 

Gharlton-Bastiaa.  —  On  aphasia  and  olher  Speech  defecis 194 

Costantîn.  —  La  nature  tropicale . . , . , , , , 177 

CourUde.  —  L*irritabilité  dans  la  série  animale .*,....  180 

Credaro.  —  La  pedngogia  di  Ilerbart.. , ,..._..  43t 

Dearborn.  <—  The  Emotion  of  Joy * .  75 

Delacroix.  —  Essai  sur  le  mysticisme  spéotilatîf  en  Altemagne 

au  XI V"  siècle. 100 

Despeauii.  —  Genèse  de  la  matière  et  de  l'énergie l>^G 

Be^ter.  —  Conduct  and  Wh*'iithei' 7Ô 

Dubois.  ^|Spencer  et  le  principe  de  la  morale V21 

Duprat.  —  Les  causes  i^ociales  de  la  folie. K2\ 

Dutoît,  —  Die  Théorie  dPH  Milieu , . , .......... ...  311 

Dwelahauvers.  —  Nouvelles  notes  de  psychologie  expérimen- 
tale  ,...,. V20 

Eleuthéropoulos.  —  Das  Rectit  des  Siarkeren. »>07 

Elaenhans.  —  Beiîràge  zur  Lehre  vom  Gev^îssen.. 306 

Féré-  —  L'instinct  sexuel  :  évolution  et  dissolution 188 

Fouillée.  "  La  France  au  point  de  vue  moral 295 

Franz.  —  After images . . , .........,...*   - . .  80 

Oiessler.  —  Die  Athmung  in  Dienste  der  vorstellenden  ThUL- 

i iijheil . \M\ 

Gragaet.  —  La  supériorité  intellectuelle  et  la  névrose. ,  19-2 

Herzeu.  —  Causeries  physiologiques - , . .  i8î 

Horion.  —  Essai  de  synthèse  cvolutionniste. .,..-... -S^ 

Horne£rer.  —  Nietzi^che's  Lehre. ,  — 314 

Ireland.  —  The  menUd  affection  of  Chitdren 124 

Kerschner.  —  Théorie  der  înneroaiioniigefûhle * 629 

KureUa.  —  Biologischûr  VerslândnÎBS  der  Bisêexn^Utàt, ......  000 


309 


TAI*LK    UES    IMATIÈRES  679 

Lafargue.  —  Recherches  sur  l^origine  des  idées  de  justice  et  de 

bien ,.*•.* , , . . . ......... 

^Lagrésille.  —  Vues  contemporaines  sur  la  sociologie  et  la 
morale. ,...,... , 

Lasâwits.   —  WirkUchheiten, . , , .,,,..,... 

Lévf-Bruhl.  —  La  philosophie  dVVuguste  Comte. , . 

Lieberfrôuiid.  —  Problème  sur  Tamour  physique , . 

Lipps.  —  SugffestiQn  und  Hypnose 

Uoyd,  —  PhiiosQphy  of  HlMonj , 

Loria,—  La  Costiluzione  pconomica  odiet-na, . ,..,.. , 

Lourbet.  —  Le  problème  de  sexes ...,,. 

Markova  (Glavdia)*  —  La  perception  stéréognostique. , 

MdLVCus^^Die  exavle  Aufdeekung  d^r  Fundarnenis  des  Sitilick- 


heit 


Ma^areUa.  —  La  condiiinne  giuridicn  det  marito^  etc 

Mazurkîe^cz.  —  Dur  SiÙr^angen  der  Geherdensprache 

Mills  Patrick.  ^  Sexius  Empirtcus  and  ihe  greûk  sceplictsm.. 

Honcalm.  —  L'origine  de  la  pensée  et  de  la  parole _ 

Mtlller.  "  Ni\lur\KH^senschiiftUche  Seeknforschiing , 

Naquet.  —  Temps  futurs  :  socialisme,  anarchie 

Noël,  —  La  conscience  du  libre  arbitre ,  _ 

Nodet.  —  Les  agnosciêis , . , . 

oppeinlieiiiier.  —  Phtjsiolotjw  des  GefÛhles . 

Fasmanik.  —  Fouillée' s  pstjsrjiicher  Monismus, , , . , , 

Philippe V  —  Philosophia  dielslvelnosii , , 

Pickler*  —  Dn^^  Grundgesetz  uHes  neuTôpsyschichen  Lûbens. . . . 

Pitres.  —  I/aphaaie  amnésique 

Royer.  j  Clémenee).  — La  Constitution  du  monde 

Roux  (Johanny).  —  La  sensation  douloureuse , 

Boux  iJohan ti}').  —  La  faim 

Sack.  —  Monisiicke  Goites  und  Welt -Rnschauung 

Sallilas.  —  El  detincuenie  espanol, . , 

Sait.  —  Les  droits  de  l'animal ..,..,. 

Sauvé.  —  L'orthographe  française  et  la  mémoire  des  mots..».,. 

Schellwîen.  —  WiUe  und  Erkenn tniss. 

Schûller.  —  D/e   W irlhschaftT^poUiik  dev  historicken  Schûle... 

Scripture.  —  Sludles  from  the  Y  aie  psych.  Laboratory, , 

Sbinn.  —  Noies  of  the  det:elopment  of  a  Chilfl _  . 

Soimî.  —  FiloEofta  naluraie  di  L.  da  Vinci. .,.....,, 

Stirner.  —  L'unique  et  sa  propriété. ..,,., 

■  Thulié.  —  Le  dressage  des  jeunes  dégénérés. .......... 

Tilly.  —  înU'odMction  to  EUiics 

kUghettî.  —  //  iremore  vred  iiario 
UschakofT.  —  Das  Locuiisationsgesetz , .  * . , 
Walile.  —  Kant\s  Kriiih  der  reinen  Vt*rnmift^ , . . 
lZII 


680  REVUE  PHILOSOPHIQUE 

Woodworth.  —  TheAccuracy  of  voluntary  Mouement St 

Wreschner.  —  Experimentelle  Studien  uber  die  Association  . . .     \1h 


REVUE  DES  PERIODIQUES 

A  merican  Journal  of  Psychology lOO 

KanC s  Studien 220 

Mind i37 

Philosophische  Studien «72 

Przglad  Filozopcny 323 

Psychological  Review 319 

Voprosi  filosofii  i  psicholoyii h'û 

CORRESPONDANCE 

Dunan.  —  A  propos  de  la  droite  transfinie 555 

Floumoy.  —  Réponse  à  M.  de  Rochas H 1 

NÉCROLOGIE 

Nietzsche,  328.  —  H.  Sidgwick,  556.  —  W.  Soloviow,  550.  — 

DuiiANO  (de  Gros) 07  i 


Le  propriétaire-gérant  :  Fklix  âlca.n. 


Coulommierfl.  —  Imp.  Paul  BHODAHD. 


Il 


(DB  «««*»**