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REVUE
PHILOSOPHIQUE
DE LA FRANCE ET DE L'ÉTRANGER
COULOMMIERS
Imprimerie Paul Brodard.
BEVUE
PHILOSOPHIQUE
DE LA FRANCE ET DE L'ÉTRANGER
PARAISSANT TOUS LES MOIS
DIRIGÂK PAR
TH. RI BOT
VINGT-CINQUIÈME ANNÉE
(JUILLET A DÉCEMBRE 1900)
-•--«aaCa.^^
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIERE ET C»«
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
108, BOULEVARD S AINT-0 B R M A IN, 108
1900
h.
LIBRARYOFTHE
LELAND STANFORD JR. UlilIVERSITY.
LA
PERCEPTION DES MOUVEMENTS
PAH LE MOYEN DES SENSATIONS TACTILES DES YEUX
Supposons un objet qui se meut au milieu d'objets immobiles;
nous pouvons par la vue percevoir son mouvement de deux manières
différentes : soit sans le fixer et en fixant au contraire quelqu'un
des objets immobiles, soit, Jorsqu'il se meut assez lentement, en le
Hxant lui-même. Lorsque nous fixons quelqu'un des objets immo-
biles^ Limage de l'objet en mouvement se meut sur la rétine et la
perception est par conséquent rétinienne. Lorsque nous fixons
Labjet qui se meuL son imoge ne change pas de position sur la
rétine ou n*éprouve que de très légers changements de position,
résultant de la diffiimllé d'adiipter exactement la vitesse et la direc-
tion du mouvement des yeux à celles de lobjet; les images des
objeta immobiles se dt^placent au contmre sur la rétine; mais
supposons le ims le plus simple, celui d*un seul objet visible : alors
ta rétine, si Vœil suit exactement l'objet, ne peut pas nous rensei-
gner sur son mouvement; ainsi, lorsque nous ne cessons de fixer un
point lumineux qui se déplace dans robscurité, il est clair que,
puisque le point de la rétine impressionné reste le même, ce n'est
pas par la rétine que nous percevons le mouvement; nous ne pou-
%'ons fe percevoir que par le moyen des organes dont les sensations
cliiingent, cest-à-dire par le moyen des appareils de sensibililù
tactile et mu.^culaire. C'est ce cas que je considérerai particulière*
ment dans ce quï va suivre,
La question de la perception du mouvement d*un objet fixé a été
dV*ju étudiée expcrirnenlalement, en particulier par Aubert*. Mais
Auberl ne parait même pas avoir songé h expli^iuer celte perception
par les sensations tactdes et musculaires des yeux. Certaines de ses
recbercbes se rai tachent à une conj^tataliun laite d'abord par
V. Fleiscbb savoir que restimalion de la vitesse d'un mouvement
t. U* Aiil>çrt* fiif Bi*wfft}Un0Jt€mpfindung. (Pyî%pK* Aréfiii\ Bd- ^% ISSfl, p. 31*-
mu; Bd. irt, tH87» p. 4f5W 4S0),
Tome L, — Jt ILLIT iTO>. l
i BCVL'C raiLOSOTHlOCC
dépend du fait que Ton fixe un point immobile du champ risuel ou
que l'on suit des yeux Tobjet même qui se meut ^ Aubert a répété
l'expérience en se servant de deux cylindres: devant chacun d'eux
était disposée une ouverture quadrangubire de -V» millimètres de
large et 2iJ millimètres de haut; l'observateur se tenait à SOO milli-
mètres des cylindres ; ceux-ci tournaient avec des vitesses diffé-
rentes: devant celui de gauche, à une très petite distance, était
saspendue à un fil de cocon, dans le milieu de l'ouverture, une
petite boule de cire qui servait de point de fixation. L*obsen'dteur
avait à dire lequel des deux cylindres lui paraissait tourner le plus
vite; or le principal résultat des observations faites a été la confir-
mation de ce qu'avait trouvé v. FleischI : Aubert a en effet constaté
que. lorsqu'il fixait le point, le mouvement paraissait environ deux
fois ou un peu plus de deux fois plus rapide que lorsqu'il suivait
l'objet du regard.
On remarquera que dans l'expérience précédente plus d'un objet
était visible; l'interprétation du résultat obtenu présenterait par
conséquent des difficultés. Aubert a lui-même fait d'autres expé-
riences oi'j un seul objet était visible ; il s'est servi dans un cas d'un
fil de pUtine porté électriquement au rouge dans Tobscurité; il a
con^'taté alors que la perception du mouvement devient très incer-
taine, que d'une part on croit parfois constater un mouvement alors
qu'il ne s'en produit aucun (sensations autocinétiques), que d'autre
part on ne perçoit pas un mouvement réel très marqué. II croit
devoir conclure de ces constatations que t la présence d'objets immo-
biles et en général d*objets connus est, aussi bien pour la perception
ou la ssensation directe du mouvement que pour notre orientation
dans l'espace, d'importance fondamentale, puisqu'une ligne brillante
isolée dans l'espace d'ailleurs invisible ne sutfit pas pour nous ren-
seigner sur le mouvement et sur la localisation i *.
L'i conclusion précédente est crtainement inexacte. D'abord
Aubert ne tient plus compte en la formulant de la différence qui
peut exister selon qu'on i\\e ou qu'on ne fixe pas l'objet; or, si
on ne le i'we pas. si par exemple on fait tourner dans l'obscurité un
point lumineux a.ssez rapidement pour que l'œil ne puisse le suivre,
non seulement le mouvement du point est perçu, mais la vitesse
apparente du mouvement diffère peu, si même elle en diffère, de
celle que présente le môme point lorsqu'on le fait tourner au milieu
!. E. V. Kli;i«chl, Physiologixch-Offtiinhe Solizen. (2. Milltieilun«.) Sitzungshe-
rickto ih-r Wifiiier Akad^mir, »•!. 80. Ifl, Ablh., 188J. liefl 1, S. 17, V cilé par
Aub'ïrr cJanrt son r»econ<i arlicle;.
2. Deuxiiima artirli;, p. 470.
B. BOURDON. — ÏA PEnCEPTlO.^ DES MOUVHSIËNTîi 3
d*abjels immobiles visibles. J'ai véririé ces faits de deux manières,
d'une part en faisant tourner un disque noir percé vers la périphérie
d'une oiiverture de quelques millimètres de diamètre devant un
dia^que en verre dépoli d'un diamètre moindre faiblement éclairé,
d'autre part en faisant tourner un disque en buis à la pén|»bérie
duquel] avais fixé un dispositif permettant d'obtenir un point lumi-
neux discontinu au moyen d'une bobine d'induction '♦
l^ conclusion d'Aubert est inexacte également, telle qu*il la
formule, même si on suppose que les yeux suivent l'objet : en répé-
tant rexpérience on se convaincra eu elTet qu on peut percevoir soit
la position soit le mouvement d'un objet isolé, mt^me lorsqu'on le
fixe; maison remarquera que le mouvement, par exemple, est beau-
coup moinïi facile^nent pergu, et qu il faut pour qu'il devienne per-
ceptible une vitesse beaucoup plus grande que lorsque l'objet se meut
au milieu d'objets immobiles visibles.
D'ailleurs Aubert lui même, dans une série antérieure de recher-
ches, avait étudié, entre autres questions, celle de la vitesse minima
qu'il laut donner au mouvement d^un objet i^olé pour que ce mou-
vement puisse être perçu- Il se servait d*un cylindre tournant sur
lequel étaient fixés divers objets lune échelle en millimètres alter-
nativement noirs et blancs, une échelle millimétrique ordinaire, etc.)
dont il s'agissait d observer le mouvement; le cylindre était éclairé
par la lumière diffuse du jour; pour cacher tous objets immobiles,
rubservateur regardait à Iravers une boite placée tout près du
visage, noircie à lintérieur, et portant une fente qui ne laissait
apercevoir que lubjet en mouvement. Dans ces conditions, Aubert
a cunslaté que la vitesse* pour qu'il y ait sensation de mouvement,
doit être environ dix fois plus grande que lorsque l'objet se meut
parmi des olifjêts immobiles visibles; d après le tableau où il rap-
porte les résultats qu'il a obtenus, le mouvement est perçu, soit dès
I. Li^ ilispositif conshtiiît esscnlietkMiienL tm ût\\% pointe» de «suivre très
rapprtK^lïtîCi^, leîlt^eîi l'une ta l'axe en iTitHal iiui traversait le iliî^que. l'aiilr^î h une
couronne de cuivre lixèc sur le db*4ue et sur laquelle f roi lait un peltl balai
en clinqnanl. — n&n:4 celle d^îmièn: esp^rierir^e , ke étincelles électrî(|ues.
en raison de leur peu de durée* pi^uvent lître considérées comme ne ^e mou-
runl pîi!» lor?tfui! le disipit^ u>urrie et comme apparaii^^arit îiimplemenL l'une
Afifè^ l'autre dans det* posi lions dilTéreulesiî lié'iuitiûins il se produit uetlc-
mcul une sensation île rarïuveii(**nl, du miûns ta ni ijue la vilesse tie rota lion
rcsle modtTi^e. On (irut eoui parer ec t|uï se passe dans les stootropes, les ciné-
tïiatj»grfl[jli*?i!) el autres inslrumeuls analofruei. — LorîJfju'ou observe amsi un
pmnl hMuineuï, soil conlinu, ?oit disnonlinu, qui se meul asse?, rapidement
û^nn rf>bseurUé, on perçoit souvent ti'tuiê façon incorrcrle la forme de son
mtiuvemefîl: cela lîeni aux mouvemcfnlîs des yeux; pour la percevoir correcle-
itteni. û faut s'appljijuer a lixer imagmaîrenienlf si l'on se sert d'tin disque
touritaui, le centra du disque.
4 REVUE PHILOSOPHIQUE
qu'on regarde l'objet, soit après quelques secondes d'observation
seulement, lorsque la vitesse atteint environ 15' ou un peu plus par
seconde; il n'y a pas de différence très marquée selon les objets
employés.
Aubert propose du fait précédent l'explication suivante : « Si nous
nous attachons à l'opinion que, pour qu'il y ait sensation de mou-
vement, il faut qu'il y ait comparaison entre quelque chose qui
se meut et quelque chose qui est immobile, il ne reste guère que
la conclusion suivante, c*est que nous avons une représentation
de Vespace immobile et que nous comparons cette représen-
tation et le mouvement réel de l'espace. Mach exprime le fait
ainsi : « Il semble que l'espace visible tourne dans un second
espace que Ton considère comme immobile, quoique ce dernier
ne soit représenté par rien de visible » *. Mais la vivacité ou la
sûreté de la représentation sera moindre que celle d'une impres-
sion visuelle réelle, et il faudra une plus grande différence entre la
représentation et la réalité pour produire une sensation de mouve-
ment qu'entre deux réalités. — Nous constatons souvent des diffé-
rences analogues dans le domaine de Touïe, en particulier à l'égard
de la hauteur des sons que nous percevons simultanément ou en
succession rapide, par opposition à un son dont il nous faut déter-
miner la hauteur d'après une représentation de la mémoire.
En somme, nous trouvons qu'il se produit dans la sensation de
mouvement une comparaison de ce qui est immobile avec ce qui se
meut, que, plus les conditions sont favorables pour cette compa-
raison, plus sont petites les vitesses angulaires qui suffisent pour
produire une sensation de mouvement, que, à défaut d'objets immo-
biles dans l'espace visuel, il se fait une comparaison entre l'objet
qui se meut et la représentation de quelque chose d'immobile, mais
la vilesso angulaire nécessaire alors pour produire la sensation de
mouvement doit être beaucoup plus grande » *.
On peut faire à l'explication précédente plusieurs objections.
D'abord le principe sur lequel elle repose, savoir que pour qu'il y
ait sensaîiou de mouvement, il faut qu'on puisse comparer quelque
chose de fixe à ce qui se meut, est contestable et est rejeté en fait
par tous ceux qui admettent une sensation spécifique de mouvement;
en constatant dans 1 obscurité le mouvement d'un point lumineux
1. Mach, Grundlinien der Lehre von den Beicegungtempfindungen, i875, p. 26.
- Ce passALH' (!<• Ma«*h se ra|>porle à une illusion qui se produisoil, dans cer-
taines (1«^ ^>'s e\|KM'i(M)(M;^, aprf's arrôl de Tappareil dans lequel on avait fait
tourner rnhsrrvalciir lui-niOiiio.
ii. Premier article, p. 3G2.
B. BOUHDOlf, — LA MiRCEPTiOW DKS NQUVËMËNÎS 8
que je fixais, je n'ai jamais eu rimpression de comparer ce point à
quelque chose d'immobile. D'ailleurs, admettons qu'on compare dans
robscurUé le mouvement d'un objet isolé k la représentation d'un
espace immobile, il reste toujours à expliquer par le moyen de
quelles sensations nous percevons le mouvement de cet objet;
outre lacté de comparaison il y a en elTet à considérer les choses qui
sont comparées; Tobjetque nous fl)"£ons et dont nous percevons le
mouvement produit dans nos organes quelque modification : op
cette niodificalion, si nous le fixons exactement, ne peut pas être
rétinienne; alors en quoi consiste-t-eîle? C'est là un pointa élucider
avant d'aborder ia question de la comparaison entre la sensation
produite par le mouvement de Tobjet et une représentation quel-
conque de Tespace. Enfin on peut objecter k Texplication précé-
dente le fait que te mouvement d'un objet isolé est aussi (ucile-
ment ou à peu près aussi tacitement perçu dans fobscunté
complète que lorsque des objets immobiles sont visibles, pourvu
seulement qu'on ne le suive pas du regard, c'est-à-dire que son
image se meuve sur la rétine immobile*
L'hypothèse la plus naturelle est évidemment que, lorsque noua
ne cessons de fixer un objet qui se meut, les sensations qui nous
permettent alors de percevoir sou mouvement sont des sensations
îïûit des paupières, puisque les yeux se meuvent alors sous les pau-
pières et eu outre, comme on le verra, les entraînent dans leur
mouvement (je suppose que la tète reste immobile), soit des mus-
des mêmes des yeux, soit de ces deux organes à la fois. J'essaierai
d'établir que vraisemblablement les sensations tactiles des paupières
jouent ici un rôle très important*
Je vais rapporter d'abord les résultats de recherches que j'ai faites
sur le minimum de vitesse nécessaire pour que le mou veulent d'un
objet isolé fixé soit perceptible; ces recherches ont été analogues à
celles d'Aubert et \m résultats obtenus concordent également d'une
fayon très satisfaisante avec ceux qu'a trouvés cet expérimentateur,
I^es expériences ont eu Heu dans Tobscurité, J*ai employé princi-
palement trois objets : un point lumineux de i millimètres de dia-
mètre, un cercle lumineux uniforme de 4 centimètres de diamètre
et un autre cercle de même grandeur, mais dont la surface, au lieu
d*étre uniformCj était percée de 55 ouvertures de 2 millimètres de
diamètre chacune. Ces objets lumineux étaient formés par des cercles
découpés dans du papier noir placé devant du papier blanc éclairé
par une veilleuse. Leur déplacement était produit par le moyen du
chariot que fournit le constructeur Verdi n et qui était relié à un
atipareil d'horlogerie h poids- Par le moyen d'ailettes, de diiïérents
6 REVUE PHILOSOPHIQUE
poids, de plusieurs poulies et de deux axes, je pouvais modifier entre
des limites très espacées, et chaque fois d*une quantité aussi petite
que je le désirais, la vitesse des objets. L*objet se déplaçait en ligne
droite parallèlement au visage et de gauche à droite; au milieu de sa
course il se trouvait à 0 m. 50 des yeux et dans le plan médian de la
tête qui était immobilisée. Gomme j'attendais toujours, pour observer,
qu'il se fût écoulé un certain temps depuis le commencement du
mouvement, j'adopterai, pour le calcul des vitesses angulaires, ce
chiffre de 0 m. 50.
J'ai constaté peu de différence dans les résultats selon que j'em-
ployais le point, le cercle unitorme ou le cercle à points. Pour les
deux cercles en particulier, l'impression produite était à peu près
exactement la même (peut-être cependant le mouvement du cercle
à points était-il un peu plus difficile à percevoir que celui du cercle
uniforme) ; on peut tirer de ce fait la conclusion que la facilité avec
laquelle se produit la perception d'un mouvement à la lumière,
lorsque beaucoup d'objets sont visibles, ne tient pas au grand
nombre de ces objets.
Le mouvement du point au contraire était un peu plus facilement
perçu que celui des deux cercles; la différence toutefois n'était pas
très marquée. Je me suis appliqué à vérifier que la différence exis-
tait réellement et je l'ai toujours constatée. Ce résultat peut paraître
en contradiction avec un fait que j'ai eu également l'occasion d'ob-
server, c'est que le mouvement apparent d'une étoile ay milieu des
nuages en mouvement est plus lent que celui de la lune ; mais dans
ce dernier cas la différence considérable d'intensité entre l'étoile et
la lune est probablement la cause de la différence apparente de
vitesse ; le mouvement apparent de la lune elle-même est en effet,
il me semble, moins rapide lorsqu'on l'entrevoit derrière les nuages
que lorsqu'elle apparaît très biillante entre eux; d'une manière
générale, la tendance à attribuer à la lune, aux étoiles, aux nuages,
le mouvement lorsque les nuages se meuvent avec une grande
vitesse, dépend, au moins en partie, de l'intensité que présentent
les uns par rapport aux autres ces divers objets.
Dans les expériences actuelles, les différences d'intensité parais-
sent n'exercer aucune influence. J'ai en effet, en augmentant le
nombre des feuilles de papier blanc interposées entre la veilleuse
et le cercle à points, réduit l'intensité de ce cercle de telle sorte
qu'il n'apparaissait plus que comme une lueur et que les points y
étaient à peine discernables; néanmoins, dans les cas où le cercle,
avant celte réduction, avait un mouvement à peine perceptible, le
mouvement ne cessait pas d'être perçu après la réduction. Ce fait se
B. BOUR0OW. — U PERCEPTION DES HOCVBIJSHTS 7
comprend aîsémeot &l on suppose que lemouvemeot est perçu. lors-
qu'on fixe un objet isokK par le ntoyen des Bensationv^ tactiles des
yeux; les changements dans rUilensité des sensations rétiniennes
ne modifient pas en efîùl rinlengitê de ces sensations tacliles. On
comprend également, dans la même hypothèse, que la perception
du mouvemenlj lorsqu'on fixe un objet isolt% puisse être un peu plus
facile à l égard d'un point de 2 millimètres de diamètre qu*à Tégard
d'un cercle de 4 centimètres: en eftet, la fixation doit être plus
exacte pour le point que pour le cercle; lorsqu'on a devant soi, à
0 m, 50» un cercle de cette grandeur, on ne fixe pas k vrai dire le
cercle* on fixe à un moment donné quelque partie de !a circonférence
ou de rinlérieur du cercle et on est exposé h fixer à un autre moment,
même malgré soi, qaelqu'autre partie; or les petits mouvements
des yeux qui résuUenl de ces changements de fixation peuvent
interférer avec le mouvement des yeux nécessaire pour suivre celui
de 1 objet et rendre par conséquent confuses les sensations tactiles.
Le mouvement, lorqu'il est à peine perceptible, n*est pas perçu
pendatit tout le temps qu*on fixe Tobjet, Il est alors généralement
mieux perçu au li/'but d'une observation (|ue quelque lemps après
que la fixation a commencé; en outre, il cesse de temps en temps
d'èlre perçu, et parfois il paraît procéder par bonds irréguiiers; il
semble qu'il y ait dans la marche de Tobjet des hésitations et des
arrêts. L'observation de ce mouvement h peine perceptible se com-
plique d^aiileurs souvent de phénomènes autocinétiques, surtout
lorsque Ton a alTaire k un point; la dilTérence quej'ai constatée entre
la perceptibilité du mouvement du point lumineux et celle du mou-
vement des cercles tient même peut-être en partie à des phénomènes
d*auiO€inêLîsme; en effet j ai constaté que le mou%'ement du point,
dans des cas où il était à peine perceptible, pouvait paraître conti-
nuer, alors que le point élaîf cependant arrivé à reJtlrêmité de son
parcours.
Lorsque les mouvements sont înconteslablement perceptibles, ils
apparaissant néanmoins ralentis par rapport aux sensations de
mouvement qu*on éprouverait à la lumière, au milieu d'objets immo-
biles* C'est ce qu'on constate facilement en éclairant tout d'un coup
la salle où on expérimente; cette expérience démontre d'une façon
très intéressante la relativité de la sensation de vitesse.
Lorsqu'on i\%e un point imaginaire à cOtéde l'objet, le mouvement
n'est paé mieux perçu; au contraire, il parait être encore plus mal
perçu. A prhn on pourrait cependant supposer que dans ce cas il
devrait être plus facilement perçu que lorsqu'on fixe Tobjet, puis-
qu alors Timage de l'objet doit se mouvoir sur la rétine. Mais il est
8 REVUE PHILOSOPHIQUE
douteux que, lorsqu'on fixe ainsi un point imaginaire, l'œil reste réel-
lement immobile; on sait en effet qu'il est presque impossible d'im-
mobiliser les yeux dans Tobscurité et que, si on observe alors une
image consécutive, elle fuit en quelque sorte devant le regard, tra-
hissant ainsi les mouvements des yeux.
Voici quelques chiffres relatifs aux plus petites vitesses percep-
tibles; ces chiffres expriment les vitesses en millimètres et en
minutes par seconde.
Le mouvemen*l du point commence à être perceptible avec une
vitesse d'environ 2 millimètres (14'); la sensation de mouvement se
produit d'ailleurs irrégulièrement. Avec cette même vitesse, je n'ai
jamais pu avoir de sensation de mouvement en employant les cer-
cles; je n'ai pu constater, avec ces derniers, que des différences
de position lorsque le déplacement avait atteint une grandeur suffi-
sante; d ailleurs la sensation de mouvement, à Tégard du point, est
elle-même souvent douteuse ; il faut arriver à une vitesse environ
double, c'est-à-dire de 4 millimètres (28'), pour qu'il ne se produise
plus de doute à regard de l'existence d'une sensation de mouvement
relativement à ce point.
Avec cette vîtessede4 millimètres (28'), et même avec des vitesses
supérieures, le mouvement des cercles est à peine perçu et l'exis-
tence d'une sensation de mouvement pendant le cours de l'observa-
tion est souvent douteuse. Dans les observations que j'ai faites, la
sensation de mouvement ne commence à exister régulièrement avec
certitude à l'égard des cercles que pour une vitesse de 6 millimètres
environ (41'). Toutefois, même avec cette dernière vitesse, le mou-
vement parait encore hésitant et saccadé.
J'ai fait encore un certain nombre de déterminations analogues
aux précédentes avec une ligne lumineuse verticale de 0 mm. 4 de
large et 5 millimètres de long. Cette ligne, comme les objets précé-
dents, se déplaçait en ligne droite, de gauche à droite. Les résultats
ont été à peu près les mêmes que pour le point. La sensation de
mouvement commence à se produire avec une vitesse d'environ
3 millimètres ^21'); elle commence à devenir nette lorsque la vitesse
atteint de 4 à 5 millimètres (28' à 34'). En me servant de cette ligne,
laquelle était, comme les cercles, à 50 centimètres des yeux, j'ai pu,
la vitesse étant de 1 millimètre, fixer la ligne pendant qu'elle se
déplaçait de 9 centimètres, sans percevoir non seulement le mouve-
ment, mais même le changement de position de la ligne; je n'ai
d'ailleurs pas prolongé davantage la fixation.
Les résultats précédents ne diffèrent pas sensiblement de ceux
qu'a trouvés Aubert; il y a même une concordance remarquable
B. BOURDON. — Lk PERCEPTION DES MOUVEMENTS
9
I
entre ses chilTres et ceux que j'âî trouvés en me servant du point
ou de ia ligne; ou a vu en effet que pour lui, dans les meilleures
coDditions toutefois, c^esl-à-dire au début de 1 observation, le mou-
vement devenait perceptible lorsque Ja vitesse était de 15' ou un peu
plus; or j'ai trouvt^ pour le point -14' et pour la ligne 2V.
J'ai trouvé également à peu près les mêmes chiffres que lui pour
la vitesse minima nécessaire, lorsque des objets immobiles sont visi-
bles en même temps que celui qui se meut* L*appareit produisant
ie mouvement était, dans ces nouvelles expét'iences, le même que
préeédemmenl^ la distance de Tobjel aux yeux était également la
même; mais l'objet dont î! s'agissait de constater le mouvement
était une pointe qui se déplaçait devant les divisions millimétriques
d'une règle et à i millimètre environ de ces divisions, Dans ces
conditions, la production d'une sensation de mouvement se trouvait
évidemment facilitée au plus haut degré.
J ai fait deux séries d'observations. Dans Tune, je me suis servi
d*un éclairage arliTiciel : une lampe à gaz, pourvue d'un réllecteur,
éclairait fortement la pointe el la règle et en même temps rendait
Tîsiblês les objets environnants; j'observais à ta lois la pointe et
l'ombre qu'elle projetait sur la règle. Dans l'autre j ai expérimenté
à la lumière du jour; aucune ombre dans ce dernier cas n'était
visible; je me bornais donc à observer la pointe. Les résultats des
deux séries sont d*ail leurs sensiblement les mêmes.
A la lumière artilicielle, avec des vitesses comprises entre
U mm, 08 et 0 mm. 13 par seconde (33'' et 54'') Je constate que toutes
mes observations expriment des doutes à l'égard de Texistence
d*une sensation de mouvement, La première observation où Texis-
lence d'une sensution se constate a lieu avec une vitesse de
0mm. 14 (58); je note alors que le mouvement est perçu au début
de l'observation et de temps en temps. On retrouve ici en effet la
mi>me irrégularité apparente du mouvement lorsqu'il est à peine
perceptible j que lorsqu'on observe un objet isolé. A mesure que les
vitesses deviennent supérieures â 0 mm. 14» la sensation de mou-
vement devient plus nette et se constate moins ditticilement. Elle
ÊSi assez nette lorsque la vitesse atteint 0 mm. tîD (S:r).
A la lumière du jour, les résultats sont les mêmes; Texistence
probable d'une sensation de mouvement, est en effet énoncée, en
même temps que le plus souvent avec doutes, pour des vitesses
comprises entre 0 mm, 10 et 0 mm. 14 (41' et 58^ ). A partir de
0 mm. 15 (B2"), les énonciations ne comportent plus de doute : le
mouvement est perceptible ou du moins un peu perceptible. Toute-
fois l irrégularité apparente de ce mouvement persiste encore long-
10 REVUE PHILOSOPHIQUE
temps; avec une vitesse de 0 mm. 67 (277"), le mouvement finit
encore par paraître saccadé quand l'observation se prolonge pen-
dant un temps considérable. — Aubert a trouvé, en observant dans
des conditions analogues, que le mouvement doit avoir une vitesse
de l' à 2' pour devenir perceptible *; d'après mes observations, il est
perceptible pour une vitesse d'environ 1'. Âubert estimait que la
vitesse nécessaire pour produire une sensation de mouvement
devait être dix fois plus grande environ lorsqu'on suit du regard un
objet isolé que lorsqu'on observe cet objet au milieu d objets immo-
biles visibles; ce chiffre est plutôt trop faible qu'exagéré.
Il s'agit maintenant de rechercher la cause de cette différence.
On peut remarquer d'abord qu'une différence semblable se constate
lorsqu'il s'agit simplement de la perception des positions. Nous
pouvons en effet percevoir les positions elles-mêmes soit par le
moyen de la rétine, soit sans que la rétine joue directement aucun
rôle; ainsi, lorsque nous fixons un point, nous percevons en même
temps par la seule action de la rétine que tel autre point est à droite
par exemple du premier; la précision de cette distinction est égale
à Faculté visuelle, c'est-à-dire que nous sommes en tnesure de
reconnaître alors qu'un point est à droite d'un autre lorsque la
distance qui les sépare n'est que d'environ 60" à 100". Supposons
maintenant qu'un seul point lumineux, immobile, soit visible dans
Tobscurilé et que nous le fixions : nous nous rendrons compte encore
qu'il se trouve à droite, à gauche, en haut, en bas par rapporta nous,
et cependant, qu'il soit à droite ou à gauche par exemple, il sera
toujours perçu avec les mêmes éléments rétiniens, c'est-à-dire que
ce ne serçi pas alors par quelque différence rétinienne que nous
pourrons reconnaître que dans un cas le point est à droite et dans
un autre cas à gauche. J'ai déterminé antérieurement avec quel
degré d'exactitude nous pouvons dans ces conditions percevoir la
position d'un point; j'ai trouvé que, pour que nous puissions être
sûrs qu'un point n'a pas dans l'espace la même position qu'un autre,
il faut que la dislance de l'un à l'autre atteigne environ 1° '. J'ai sup-
posé en outre que les sensations qui nous permettent alors de recon-
naître les positions senties sensations musculaires des yeux (la tête
est supposée immobile); aujourd'hui j'incline à croire que, dans les
perceptions en question, les sensations tactiles des paupières ont
une part importante et peut-être prépondérante, et je suppose que
ce sont également ces sensations, associées à celles des muscles des
\. Aubert, Die Bewegungsempfindung {Pflûger's Archiv, Bd. 39, 1886, p. 353).
2. Bourdon, La sensibililé musculaire des yeux (Rev. philos. , octobre 1897, p.
415419.)
B. BOURDOW, — LA l*ERCEPnON i»ES «OUVEME^iTS
H
yeQx, qyi nous permetteût» par les modifications qu*el les éprouvent,
^lîe percevoir, mais avec moins de délicatesse que lorst|ifil se pro-
luit des changements rétiniens, le mouvement d'un objet Isolé que
90US suivons du regard.
A l'appui de rexplicalion précédente, je vais rapporter les résul-
tats que j*ai obtenus en essayant de déternjiner directement avec
Iquelte délicatesse l'œil, considéré comme organe de sensibilité lac-
[tile et musculaire, peut percevoir les changements de position. Pro-
visoirement, je ne dislingue pas la sensibilité tactile de la sensibilité
tauscuiaire^ utlendu que dans mes expériences j'etitmlnais Tœil en
[•inéme temps que les paupières et par conséquent je modifiais a la
foiâ les deux sensibilités; il est d'ailleurs très dilficile, à cause de la
mobilité extrême de l'œil, d'agir sur les paupières sans produire
en même temps quelque mouvement de l'œil; si on fixe, les deuK
yeux ouverts, un point noir marqué sur une feuille de papier blanc
et si on appuie^ même légèrement, avec la pointe d'un crayon sur
Tuii des yeux, on verra probablement apparaître deux images du
point.
Pour mesurer cette sensibiîilé tactile et musculaire des yeux, je
lUe suis servi du dispositif suivant. Au grand miroir d*un uctant j ai
fixé une courte lige terminée par une petite cuvette métallique de
deuTi centimètres de diamètre; cette cuvette était recouverte de peau
de chamois modérément tendue et s'appliquait contre TceiL L'octant
a été fixé a un tort support vertical solidement immobilisé. La tète
de lu personne sur qui 1 expérience était faite était elle-même tixée
dans une position telle que Tœil droit fermé s'appuyât, en exerçant
une pression modérée, contre la cuvette; pour que l expérience fût
plus sûre, la tête élait immobilisée de deux façons, d'une part par un
moule en cire tenu entre les dents, d'autre part par une tige qui
venjiil butter contre le Iront. La cuvette se mouvait horizontalement.
Son excursion était Umiiée à droite et à ganche par deux buloirâ
fixés sur Tare divisé de rinstrument et recouverts eux-mêmes de
pe^u de chamois pour amortir les chocs. Le déplacement de la
cuvette sur roeil était produit par Texpérimentateur assez brusque-
Dieot; mais jai souvent constaté que, même avec une vitesse
modérée, la perception de la direction du mouvement pouvait rester
très nette.
Dans une série d'expériences, l'amplitude du déplacement de la
cuvette, et par conséquent de la paupière et de l'œil entraînés par
elle» a été de 0 mm. 5, dans une autre elie a été de 0 mm. 375, et
djns une troisième de 0 mm. 25; la diftérence entre l'un de ces
cliitTres et le suivant est de i^^ de millimètre; la réalisation suffi-
12 REVUE PHILOSOPHIQUE
samment exacte d'une aussi petite différence était possible grâce au;
vernier de Toctant. Dans chaque observation il s'agissait de dire, le^
yeux étant fermés, si la cuvette s'était déplacée de gauche à droite
ou de droite à gauche. Les expériences ont été faites sur M. G.,
étudiant, et sur moi. Le nombre total des observations pour chaque
amplitude est indiqué ci-dessous entre parenthèses; dans une
moitié des cas le mouvement a eu lieu de droite à gauche et dans
l'autre moitié de gauche à droite. Dans le tableau suivant, les
chiffres placés sous les lettres B, M, D, indiquent le nombre absolu
d'estimations bonnes, mauvaises et douteuses.
OBSERVATEUR '.
: B.
OBSERVATEIR
:G.
AMPLITUDE
B
M
D
TOTAL
B
M
D
TOTAL
0—
,250
19
4
19
(42)
63
13
4
(80)
0—
,373
36
1
3
(40)
35
5
0
(40)
Qm«
,500
39
2
3
(44)
35
4
1
(40)
D'après ces résultats, la perception de la direction du mouvement,
déjà pour une amplitude deO mm. 375, peut être considérée comme
sûre; pour l'un des observateurs elle est même à peu près sûre
lorsque l'amplitude n'est que de 1/4 de millimètre, et pour l'autre,
dans le même cas, le nombre des estimations justes l'emporte de
beaucoup sur celui des fausses. En admettant pour l'œil un diamètre
de 24 millimètres, on trouve que sur un cercle de ce diamètre un
arc de 0 mm. 25 de longueur vaut (1°,19), et un arc de 0 mm. 375,
(1°,79). Par conséquent il existe à la surface de l'œil une sensibilité
relativement délicate pour les mouvements. On peut se rendre
compte sans appareils de Texistence de cettesensibilité en appuyant
avec le doigt sur la paupière d'une autre personne et en la priant
d'indiquer dans quel sens la pression aura eu lieu chaque fois que
Ton aura déplacé le doigt à la surface de l'œil dans un sens ou dans
un autre; même lorsqu'on aura déplacé le doigt aussi peu que
possible dans une direction quelconque, la personne pourra géné-
ralement dire sans hésitation quelle a été cette direction.
Or, lorsque l'œil se meut à la façon ordinaire soit pour fixer un
point immobile, soit pour suivre le mouvement d'un objet, il doit
se produire dans les sensations tactiles et musculaires de l'organe
des modifications analogues à celles que causait, dans l'expérience
qui vient d'être citée, le mouvement de la cuvette. Non seulement
en eflet, quand nous modifions la direction du regard, les muscles
de nos yeux se contractent ou se distendent, les paupières elles-
mêmes se meuvent et sont entraînées par le mouvement des yeux.
Le fait est évident dans le cas où le regard s élève ou s'abaisse; on
B. BOURDON. — LA PEIïGEi*TIOS DES MOUVEMENTS
13
peut également le constater sans grande difficulté dans le cas ofi le
regard va de gauche à drolLe ou de droite à gauche* Le grapbic|ue
ci-joint démontre J*eyislence de ce mouvement des paupières
lorsque les yeux se meuvent horizontalement, et il prouve eu outre
que ramptitude du mouvement des paupières croit avec celle du
mouvement des yeux. Jai obtenu ce graphique en fixant avec un
peu de cire sur le bord de la paupière supérieure de mon œil gauche
une pailïe très légère de près de 20 centimètres de long. Dans un
cas (tracé inférieur), j'ai fixé successivement une série de fois deux
points situés en face de moi à ^i centimètres Tun de l'autre; dans
Treflé l.
on autre cas (tracé intermédiaire), j'ai fixé de la même manière
deux points éloignés Tun de l'autre de 48 centimètres; enfin, dans
un troisième cas (tracé supérieur)» j'ai parcouru du regard assez
Jontement une ligne droite de 48 centime 1res de longueur; arrivé
à lextrémilé de ia ligne, je revenais rapidement au point de
départ. La dislance de la ligne aux yeux, comme celle de la ligne
droite qui aurait été menée par les points, était de 85 centimè-
tres.
On peut essayer maintenant d'aller plus loin dans Tanalyse et se
ilemander si la sensihilité qui se constate aiiïsi autour des yeux
vient des muscles, de la cornée ou des paupières. On doit po.ser
d*abord que tous ces organes sont sensibles; la question en consé-
quence se précise ainsi : la sensibilité relativement délicate qui
existe incontestablement autour de Toeil vient-elle de 1 un de ces
trois organes en particulier, les deux autres n'ayant au point de vue
de la perception des positions et des mouvements qu'une sensibilité
f obtuse'?
Elle ae vient pas de la cornée ou du moins aile n'en vient pas
14 REVUE PHILOSOPHIQUE
exclusivement. C'est ce dont je me suis rendu compte en faisant sur
moi-même une expérience d*anesthésie des yeux droit au moyen de
cocaïne. La cornée ne sentait plus aucunement les contacts, même
exercés avec force, d'une pointe de carton peu flexible; la paupière,
au moins extérieurement, eétait au contraire restée sensible. Dans
ces conditions, en déplaçant le doigt sur la paupière, j'éprouvais la
même sensation dans l'œil qu'à l'état normal, et, en faisant
imprimer à mon œil, au moyen du dispositif qui a été décrit plus
haut, un déplacement soit de 1 millimètre, soit de 0 mm. 5, j'ai pu
indiquer sans aucune faute dans quel sens le mouvement s'était
produit. ^.>^J^
En se basant sur la faibîe acuité tactile des paupières, on pourrait
croire que la sensibilité en question ne peut pas venir non plus des
paupières. Weber a mesuré cette acuité et a trouvé qu'il ne pouvait
distinguer les deux contacts produits par les deux pointes d'un
compas que lorsque la distance entre ces pointes atteignait 5 lignes
(il mm. 3)'. J'ai fait sur moi-même et sur une autre personne la
même détermination et j'ai trouvé des chiffres voisins du précédent,
quoique légèrement inférieurs. Ainsi, pour 20 observations dans les-
quelles il a été employé deux 'pointes écartées de 10 millimètres et
une seule pointe, la personne qui m'aidait dans ces déterminations
a eu 15 estimations justes et j'en ai eu moi-môme 19. J'ai essayé de
déterminer aussi 1 acuité tactile des paupières en appliquant les
deux pointes du compas non plus simultanément, mais successive-
ment; les résultats ont été beaucoup meilleurs que dans le cas pré-
cédent; mais ils doivent être considérés comme suspects; en effet,
chaque fois qu'on applique, même assez légèrement, une pointe sur
la paupière, on distend un peu celle-ci et on entraîne l'œil, comme
on pourra encore s'en convaincre en observant avec les deux yeux
un point noir marqué sur une feuille de papier blanc. Les mouve-
ments imprimés à la paupière et à Tœil avec deux pressions succes-
sives de ce genre peuvent différer alors même qu'on applique la
môme pointe deux fois de suite au même endroit; de là pro-
bablement la tendance marquée que Ton constate, même dans
ce cas, à croire que le contact a eu lieu en deux endroits diffé-
rents.
Je me suis préoccupé aussi de déterminer la sensibilité superfi-
cielle des paupières pour les mouvements, en déplaçant rapidement
sur la paupière un objet assez léger pour n'entraîner ni le globe de
l'œil ni même la paupière; pour cela j'ai employé comme objet une
1. K. H. Weber, Die Lehre vont Tastsinne und Gemeingefithle, 1851, p. "ÎS.
B. BOURDON. — U 1*ERCKPTI0!I MS MOUVEMENTS
i5
pointe dô papier très flexibïe. La sensatfon que produit une telle
pointe en sed>*pla*;ant sur la paupière est surtout une sensation de
chatouilli*mt^nl. Je rne buis proposé non pas de faire une mesure
exacte, mais simplement de déterminer d'une l'açoji cerlaîne si la
sensibilité des paupières pour le mouvement considéré est délicate
ou ûbtuse. Or ni la personne qui m'aidait ni moi n'avons pu nous
rendre rompte avec cerLilude de la direction d'un mouvement hori-
zon r al d'environ 1 centimètre de longueur, La sensibilité des pau-
pières, ainsi étudiée, n'est donc pas plus délicate que l'acuité tactile
mesurée par la méthode de VVeber,
Néanmoins, de bonnes raisons autorisent a supposer que la sensi-
biîilé délicate dont nous avons constaté Texistence autour des yeux
vient» au moins pour une grande part, des paupières- En effet on
peut constater que la seïiâalion quVm éprouve lorsqu'on déplace un
objet sur la paupière ou en appuyant sur Tœil est de la même
nature que celle qu^on éprouveriiit en déplaçant le même objet sur
une autre partie quelconque du corps résistant aux pressions, par
exemple sur la parlie dorsale des phu langes des doigts. On peut
constater aussi qu'un mouvement même faible, imprimé ainsi à la
peau soit ûe^ paupièreSj soit des doigts^ ïa déplace jusqu'en des
^points très éloignés de celui oii Ton appuie; en pressant njême
légèrement sur le bord du dos d^jne main, près du pouce» on peut
Toir la peau se mouvoir sur tout le dos de cette main et même sur
le bnis. Enfin cette sensibilité déhcate pour les mouvements qu'on
leotislate en appuyant sur les paupières et qui paraît en contradiction
avec ta faible îicuité tactile de cette même partie du corps, se
retrouve également dans d autres régions du corps dont lacuité
I tact île est très grossière, et, de plus, dans des régions où il ne peut
'être question d'une action exercée sur les muscles; ainsii qu'on
a|)puia la partie coupante d'un couleim à papier sur le tibia et qu'orr
limpriine a lobj^t, en continuant de presser sur le libia^ un faible
^déplacement dans une direction détejininée, la personne sur qui on
lera lexpérienee reconnaîtra facilement dans quelle direction le
tiit>uvemeiit a eu lieu. Il est donc probable, si nous faisons abstrac-
' lion des muscles des yeux, que la perception délicate des mouve-
ments qui se constate lorsqu'on presse sur Tœil est due à la disten-
siufi de la peau; h cause de celle distf^nsîon, un grand nombre
d'éléments nerveux se trouvent simultanément excités et produisent
ane i^nsation résultante asse^ nettement définie.
Toutefois on n'a pas le droit de conclure que la perception
visuelle nt^n rétinienne des mouvements résulte de la seule sensi-
bilité des paupières, On peut simplement aflirmer que celte sensibl-
16 REVUE PHILOSOPHIQUE
lité a dans la perception en question une part considérable. Les
muscle^ pourraient également posséder une sensibilité délicate
pour les mouvements, qui s'ajouterait à celle des paupières, en fai-
sant en quelque sorte double emploi avec elle. Pour que la question
de la sensibilité des muscles eux-mêmes pût être résolue, il faudrait
pouvoir anesthésier la cornée et les paupières et voir si alors
la perception du mouvement des yeux garderait la même délica-
tesse qu'auparavant. L'expérience n'est peut-être pas impos-
sible.
En somme, ce qui peut être considéré comme certain, c'est qu'il
existe autour des yeux une sensibilité relativement délicate pour les
différences de position et les mouvements, que cette sensibilité est
assez délicate pour expliquer la perception visuelle des positions et
des mouvements lorsque la rétine ne joue aucun rôle direct dans
cette perception, enfin qu'elle vient, pour une part considérable,
sinon en totalité, des paupières. Contre Texplication de la perception
du mouvement d'un objet fixé et isolé par cette sensibilité, on pour-
rait être tenté d'invoquer un fait qui a été signalé par Volkmann,
savoir que, les yeux fermés, nous ne nous rendons pas bien compte
dans quelle position ils se trouvent et sommes incapables de dire
avec exactitude quel sera l'objet que nous regarderons le premier
lorsque nous les ouvrirons*. En effet, ainsi que je l'ai constaté gra-
phiquement, il continue de se produire des mouvements des pau-
pières lorsque nous mouvons les yeux fermés et par conséquent
nous devrions pouvoir percevoir alors les changements de direction
du regard aussi bien ou à peu près que les yeux ouverts. Mais c'est
un fait aujourd'hui bien établi que, lorsque les deux yeux ne per-
çoivent pas au même moment, de manière à pouvoir le fixer, un
même point, ils ne convergent pas exactement; il est donc très
probable que, fermés, ils prennent des positions plus ou moins
incohérentes, d'où il résulte que la perception de la direction du
regard, si on peut encore dans ces conditions parler de regard, doit
devenir alors confuse. D'autre part, il est très difficile pour beau-
coup de personnes de mouvoir volontairement les yeux fermés sans
mouvoir en même temps les paupières; l'effort qu'elles feront pour
y réussir troublera à la fois le mouvement et la perception. Enfin la
sensibilité tactile des yeux, comme celle du reste du corps,
s'émousse vite, et c'est là sans doute la raison pour laquelle on se
fait si aisément une fausse conscience de la direction du regard,
1. Volkmann, Pfiysiologische Untersuchu7igen im Gebiele der Optik, 2. Hcfl, 1864.
p. liO; comparer W. James, The Principles of Psychologi/, 1890, vol. II, p. 200,
B. BOURDON. — LA PERCEPTION DES MOUVEMENTS 17
quand on a fixé. pendant quelque temps un point lumineux dans
robscurité et qu'il s'est produit des mouvements apparents de ce
point. Quand on se borne à faire un seul mouvement des yeux, les
paupières closes, et à observer immédiatement la direction du
regard, la perception de cette direction est assez exacte. L'expé-
rience indiquée par Volkmann est d'ailleurs complexe, car il n'est
pas possible d'observer la direction du regard, les yeux fermés, sans
faire intervenir la volonté de mouvoir les yeux, c'est-à-dire la con-
naissance préalable de la direction que le regard va prendre.
B. Bourdon.
TOME L. — 1900.
CRITIGISME ET MONADISME
1 .
I
Je ne sais quel écrivain félicitait un jour Spinoza d*être mort peu
après la quarantaine. Quand on ne vit point davantage, ajoutait-il,
on n*a point le temps de changer de doctrine, et l'on épargne à ses
futurs commentateurs l'embarras de chercher des concordances là
oii il n'est que des différences. La destinée du philosophe dont le
nouvel ouvrage * est Toccasion du présent article a permis à ce phi-
losophe d'atteindre une longueur de vie égale au double de celle de
Spinoza. Elle lui a dès lors octroyé tout le temps nécessaire pour
refondre sa doctrine, au besoin, même, pour la remanier du tout au
tout. Lol Nouvelle Monadologie de Ch. Renouvieret L. Prat serait-elle
donc une entière refonte des Essais de critique générale! Le titre
seul du livre inclinerait à le penser. Et c'est quand même ce que Ton
aurait tort de croire. Essayons-en la preuve.
On sait assez généralement, en France, que la philosophie dont
Gh. Renouvier est le chef — et dont il est aussi le père — dérive de
sources kantiennes. Le nom de criticisme en est la preuve. On en
conclut parfois que le criticisme n'est pas autre chose qu'un kantisme
réformé ou même abrégé, certains diraient amoindri ou même déca-
pité. Cette conclusion, pour être inexacte, est assez conforme aux
apparences. L'attitude de Gh. Renouvier vis-à-vis de Kant a été celle
d'un niveleur, occupé à ne rien laisser subsister des trois Gritiques
que les thèses exemptes de toute contradiction extrinsèque ou
intrinsèque. Il en est résulté une doctrine grande et féconde, grande
puisqu'elle s'est étendue à tout, féconde car le nombre des idées
nouvelles ou des aperçus nouveaux entrés dans la circulation depuis
que la philosophie criticisle a commencé d'être est assez considé-
rable pour imposer à tous ceux qui pensent le respect d'une des
gloires philosophiques les plus décidément incontestées du siècle.
Le kantisme de Ch. Renouvier n'en est pas moins hétérodoxe au
point d'en être parfois méconnaissable. Que reste-t-il de Kant une
fois consommée la ruine du noumène? Que subsiste-t-il de la doc-
1. Ch. Renouvieret L. Prat. La Nouvelle Monadologie, i vol. gr. in-8, 546 p.
Paris, Colin, 1899.
L. DADRtAG, — CilïTiCISME ET MONADISMK
19
trine des calégories» quand, au lieu de s'acheminer vers leur dédue-
tion, et par là rnéme d'aller dans la direction de Kant, plus loin que
lui. on s'empresse de les poser et de les distinguer dans Texpe^rience
interne» je consens à le reconnaître, mais enfin dans Texpérience?
Remplacer une déduction peut-être impossible par une constatation ^
c'était assurément le parti le plus sage, C elait celui d'un kantien
presque repentant. On essaierait vainement, si Ton comparait les
catégories du rnailre à celles du disciple» d'atténuer les infidélités du
disciple. Ce sont bien les mots dont Kant s'est servi : phénomênr^s^
reprêsentalûm, catégories, voila des termes qu'il arrive de rencontrer
presque h chaque page, dans les Esi^aL^ de critique générale^ et ce fit
le vocabulaire kanLien qui les a fournis. La question est de savoir
Si leur émigration ne leur a pas été fiitale et s'ils ont gardé en pas-
sant de l'ancien dans le nouveau critidsme le meilleur d'eux-mêmes,
je veux dire Tessenliel de leur sens. Il y aurait donc lieu de se
demander ce qu'est, par rapport à la philosophie de Kant, la philo-
Sophie de Ch. Benouvier, Car si c'est un fait qu'historiquement la
philosophie des Emah iU crilïqae générale procède de la philosophie
des trois Criiiqni*s kantiennes, il se pourrait qu'il n'y eût là rien de
plus qu'un fait historique. Supposez en effet, et la supposition est per-
mise, que Henouvier s'écarte de Kant sur les points essentiels; sa
doclrine pourra bien s appeler un criticisme. Le droit qu'elle aurait
de s'appeler un néo-kantisme serait loin d*étre aussi évident*
Dès lors, tant qu'on mettra les deux criticismes en présence, celui
de Kant et celui de Henouvier, on sera frappé de tout ce quil faut ôter
au kantisme pour le rendre philosophiquement acceptable. Une fois
les suppressions faites^ rexiguité du reste déconcertera. Plusieurs,
parmi les bons esprits, s en prendront non pas seulement au philo-
)phe> mais au caractère de sa philosophie, à l'attitude générale que
Hte philosophie suppose et qui a tout Tair d'être délibérément olïen-
sive à regard des affirmations fermes en matière métaphysique. La
Critîqne de ia raimn pure avait donné le signal d'attaifue* L'auteur
des EséQîu de critii^m' générale se sert contre Kant des armes kan-
tiennes «ît achève de démolir ce que Kant a oublié de ruiner. Il y a
plus : Kant n avait écrit son premier grand ouvrage que pour fonder
en raison la scienœ expérimentale de la nature. Avec Kant l'idée de
vérité scientilique se transforme^ mais elle demeure Henouvier, lui,
chasse « l'évidence » pour lui substituer « la croyance y*. Le nouveau
eritîcisme rétrograde vers le scepticisme : et îsi Ton en voulait douter,
les sympathies avouées du fondateur de Técole pour David Hume
attesteraient que chex les criticisles les scepti(]ues sont les bien
\eDus.
20 REVUE PHILOSOPHIQUE
On devine qu'en ce moment nous ne faisons que prêter l'oreille à
ce qui s'est dit et se dit encore en de certains milieux, pour et contre
le néo-criticisme. Volontiers on se fi^i^urerait que pour y adhérer, il
faut préalablement signer un acte d'abjuration spéculative en plu-
sieurs articles et sans accommodement possible : les criticistes pas-
sent pour intransigeants. C'est qu'on les connaît mal ou qu'on les lit
trop vile. C'est aussi qu'on ne prend point garde à la conversion tou-
jours possible des formules négatives en négations leurs contraires :
bref, c'est que l'on ne distingue pas toujours assez volontiers le fond
d'une doctrine des circonstances qui ont entouré sa naissance et de
l'attitude qu'elles ont plus ou moins imposée à ses auteurs. Quand
on expose un système dialectiquement en voulant se frayer passage
' coûte que coûte à travers les idées des autres, on renverse de ces
idées tout ce qui s'oppose à notre marche. Or le bruit des chutes
est souvent étourdissant et pendant qu'on y a l'oreille, on oublie de
mesurer les progrès de l'assaillant. Tout au contraire, si l'on quitte
la façon d'exposer dialectique ou plutôt a érislique » pour la manière
didactique, on change parfois presque du tout au tout l'aspect des
choses. On dirait qu'une doctrine nouvelle vient de se produire, que
las d'abattre, l'auteur s'est mis à édifier, qu'à sa philosophie négative
il vient d'adjoindre une philosophie où les affirmations s'alignent et
qu'en fin de compte sa pensée s'est renouvelée.
C'est ce qui vient précisément d'arriver au chef du néo-crilicisme.
Il s'est donné tout récemment la lâche d*exposer synthétiquement
sa doctrine : puis une fois 1 exposition terminée au lieu du nom de
« synthèse criticiste », que l'on aurait pu attendre il a choisi pour
sa doctrine celui de « Nouvelle Monadologie ». Au vrai si M. Renou-
vier avait voulu frapper un coup d'éclat, surprendre le public des
philosophes par l'annonce retentissante d'un changement de front
dans sa méthode de philosopher, il ne s'y serait guère pris autre-
ment. L'apparition de la Nouvelle Monadologie est donc un événe-
ment dans l'histoire du criticisme? On inclinerait à le croire et pour
d'autres raisons que la principale. Non seulement le criticisme s'an-
nonce comme une doctrine où les affirmations prévalent. Mais encore
dans ce livre nouveau les a critiques » sont rares : à chaque mou-
vement de la pensée c'est un gain qui s'enregistre. A la colonne des
profits ne s'oppose point celle des pertes. Ajouterai-je que les par-
ties du livre où il est question de la croyance ont besoin, pour que
toute la portée en apparaisse, d'être complétées par des souvenirs
puisés à d'autres sources? C'est donc une chose à peu près jugée :
le criticisme des Essais de critique générale, en passant par la Nou-
velle Monadologie^ a, tout au moins, changé d'allure. .
L. DAURIAC. — CaniCiSlIE ET MONADBME
SI
II
Est-il resté le criUeîsme? Mais que fauUil au juste entendre par
ce mot? Une doctrine ou une inélhode? A moins que ce ne soil une
doctrine où les thèses résultent de remploi rigoureux de la méthode.
Le critrcîsme n'a jamais prétendu être autre chose, et si Ton objecte
qu'en cela tous les autres systèmes lui ressembls^nt^ on oublie pour-
tant une chose* c'est que dans les doctrines d'aspect criliciste la
méthode prévaudra : l'important sera moins d'arriver à telle ou telle
^vérité que de prendre, afin d'y parvenir, telle %^oie ou telle autre. On
se conçoit pas la méthode de Spinoza sans le spinozisme. Or, il se
peut que nous fassions erreur, mais il ne nous paraîtrait pas impos-
sible de discerner dans la philosophie de Ch. Henouvier ce qui est
eriticiste de ce qui n'est que .,.renouviérisle. Par suite il ne serait
pas non plus impossiUle qu*un philosophe parti de Ch* Uenouvier
prît à son égard rutiîtude quit a luî-mème prise à Tégard de Kant
et trouvât par Tapplication de sa méthode des raisons de rejeter
Tune ou Tautre de ses Ihèses favorites. Le crilicisme est donc avant
tout une méthode de philosopher.
Que celte méthode ait reçu dans la Nouville Monadohgie tout
le détail désirable, nous ne le pensons pas. Un lecteur ignorant des
premiers écrits du maître aurait quelque peine à en soupçonner ia
iargeur, I^ théorie de la croyance, sur laquelle, en fin de compte,
tout le criticisme repose, n'y est certes pas omise et ne devait point
Têtre* Elle prolonge et achève le chapitre sur la Vohntéy l'un des
plus beaux du livre et dont it fait louer le captivant début. Mais peut-
^tre ne lui est-il pas fait assez de place et n'en est- il trop souvent
parlé que par allusion. îl s'est accumulé tant d'équivoques autour
du mot croyance qu'un peu de discussionj ici, eût été nécessaire. On
peut croire» en effet, comme le pape d^Avignon datJS VEau de Jou-
vence croyait à lame immortelle ; il C'est comme toutes les choses
auxquelles on croit, on n'en est jamais bien sûr. » La Pauline de Cor-
neille ne croyait pas ainsi. Et il est un sens du mot croire qui, le
mpprochanl du mot « voir »» relève, et d'une appréciable hauieur, au-
dessuâ du mot « savoir », A son degré suprême la croyance, ose-
rions-nous dire, est la t plus que certitude ». L'occasion était peut-
être favoralïle non pas seulement do dire, mais de prouver qu*il ne
s*dgiL nullement, ainsi que certains l'ont pensée de rendre la volonté
jverainesnr la* matière * de la croyance, M. Fouillée , par exemple,
patient qu'il ne suffît pas de regarder dans un télescope et de vou-
loir que la lune se montre à Tautre bout pour qu'en elTet elle s'y
2â REVUE PHILOSOPHIQUE
montre. M. Renouvier ne le contredira jamais sur ce point, il peut en
être sûr. Mais ce n est point la chose à croire qui constitue la
croyance, c'est le coefficient de modalité dont Tesprit marque le
jugement où elle entre à titre de matière, c'est la forme même de ce
jugement; c'en est le caractère, ou assertorique, ou problématique ou
apodictique; c'est encore et principalement le rôle de la volonté
pendant l'impression de ce caractère. Il y avait peut-être là des
choses à redire, des éclaircissements à revouveler. Un chapitre
entier sur la Croyance n'aurait pas sensiblement augmenté le volume
de l'ouvrage et le lecteur mal intentionné qui, lisant la Nouvelle
Monadologiey affecte de n'y plus retrouver l'ancien criticisme, en eût
été pour ses frais de mauvaise intention.
En revanche, ceux qui ont quelque habitude de la philosophie
criticiste ne manqueront pas à s'apercevoir que jamais elle ne s'est
montrée plus digne d'être appelée une « philosophie de la croyance *.
Le propre d'une philosophie de la croyance n'est-il pas, en effet,
d'adjoindre aux thèses susceptibles de rigueur démonstrative d'au-
tres affirmations tout aussi fermes que les précédentes, mais qu'il
est impossible d'établir déduclivement? Aucun fait d'expérience
humaine ne les contredit. Mais apparemment aucun fait d'expérience
humaine, non plus, ne les impose, puisque, devant ces affirmations,
tant de penseurs hésitent. Quelques-uns môme, tout disposés qu'ils
soient à les déclarer satisfaisantes, refusent d'y adhérer. Ces affirma-
tions ne sont autres que des postulats. Mais si jamais les postulats
sont appelés à jouer un nMe en philosophie, nulle part ils ne seront
mieux à leur place que dans une philosophie de la croyance.
Le nouveau criticisme aura donc ses postulats comme l'ancien. Ce
seront d'abord les célèbres n. postulats de la raison pratique »
auxquels M. Renouvier résolument en adjoindra un autre pour expli-
quer l'origine du mal et rejeter l'optimisme sans accuser Dieu.
Ce quatrième postulat nous vaut, dans la Soiivelle Monadologie.un
admirable et dernier chapitre, sur la Justice, le plus incontestable-
ment riche de tout l'ouvrage. Si l'on admet que l'homme est l'auteur
du mal, il devient assez naturel de ne point se présenter le mal
antérieur à la création du monde. Mais qu'étaient, que pouvaient
bien être, avant la production du mal, avant « le péché », l'univers
et la société dos créatures vivantes\^ Ainsi l'on ne se contente point
de nous dire que le péché a « corrompu » l'univers, que, selon la
parole de l'Écriture, « le monde est plongé dans le mal »; on fait
plus : on s'essaie à nous montrer l'homme vivant, heureux et puis-
sant, ayant à sa disposition le libre usage des forces cosmiques. —
Nous entrons alors dans le domaine de la fantaisie? ^ — ^ * *'
L. DAURIAG. — CIUTICISME ET MONABlSME
m
maïs d"une fantaisie réglée par le respect des vraisemblances. Il
tf était d'ailleurs, en un sujet pareil, d'autre mélhode à suivre, puis-
qu*BUSsi bien le mythe ou ïa fable ne sont et ne peuvent être dénués
de tout rapport avec ia réalité. Les conjectures, quiiiid on arrive à
les agencer, produisent par leur agencemesit même quelque diosa
qui les vend vraisemblables et les rapproche de ce que Platon appelle
Vopinwn vraie. En vérité ce n'était pas chose facile que de socialiser
îe paradis terrestre et de le socialiser en le laïcisant, je veux dire de
substituer au couple Âdam-ftve une société humaine au moins aussi
nombreuse que la société présente et de lui donner pour lîeu de
séjour le monde physique, analogue au monde que nous habitons,
d'expliquer comment les eflets de Tinjustice ont pu s'étendre à la
nature tout entière ^ — et cela, sans miracle, sans aucun coup d*état
de la Providence. — « Les grandes forces actuellement productives
de vie el de mort, soustraites en leut^s sources et en leurs cours
principaux à la puissance de Thomme, étaient alors toutes aménagées
pour son œuvre et prédisposées divinement pour ne produire que
des effets favorables et pour produire tous ceux qui pouvaient être
désirés si elles étaient conduites avec autant de justice que de science
et de pouvoir. Mais ces forces devaient au contraire^ si elles étaient
aLTrancliies et déchaînées par la perte de ce pouvoir, suite eîle-mème
de ses applications injusteSj n'obéir plus qu'aux plus générales et
lux plus abstraites des lois de leur institution. L'univers devait
isser de rétat d'harmonie créée à celui de la matière désorganisée»
des actions sans finalité, de la guerre des espèces à mesure de leur
réapparition sous Fempire de la génération et de la mort. ïï Voilà
certes un don d illustrer un postulat philosophique dont il ne faut
pûs^ g'étonner que lauteur û'UcJironie ait si curieusement et si
librement fait usage. M. Renouvier, comme autrefois Platon, ferait-
il au mythe une large part dans rexplication des choses? Si l'on
en juge par l'exemple quUI donne^ il le faut allirraen D'ailleurs il
ïul convenir qu*un postulat réduit à la seule proposition qui
Pénonce ressemble presque à s'y méprcTidre h une affirmation gra-
tuite. On ne peut le démontrer au moyen de propositions antécé-
denlest auquel cas il se cliangerait en théorème. — Du moins on
pou irait le tiémontrer par ses conséquences? — En mathémidiques,
sul-ètre, non en philosophie, où les postulats ne sont après tout
'^qoe de satisfaisantes, mais invérifiables hypothèses. Comment s'y
prendre alors pour jusliller son droit de postuler? La seule méthode
ii*esl-i.'lle pas d'illustrer ce que Ton postule, de le montrer vraisem-
^Mtowf/k Monmhhnie, |i. 485, arL CXXXIV.
24 ftcvcE MnuysomocE
ht;feM^? (^r f^nfifi comment foire admettre ce que Toq demande à
moiriA d^; r^p<^ter à .satiété qa'on le demande, ce qui fot toujours uo
a^ft^^z mauvais moyen d'exporter ses convictions? L'unique res-
ft/iiirce de Maton était la fable. Et certes il n'en est pas d'autres.
f>? droit qu'avait Platon de recourir à la fable se justifie par la
valeur qu il attribuait k l'opinion dans tous les casoii il était impos-
sible à l'bomme de parvenir à la science. Or on ne s'est pas assez
rendu compte en lisant le Deuxième essai de critique générale qu'en
r^int/Tgrant la croyance dans la méthode philosophique et en lui
subordonnant l'évidenœ, le chef du néocriticisme reconnaissait à
rimaKÎnation le droit d'intervenir. Ce n'est pas tout encore. Dans
une philosophie oh les noumènes n'ont point de place, Timagination
peut si; mouvoir k l'aise dans le champ qui lui a été ménagé. Mais ce
nV'st pas îi elle de choisir sa matière. Elle n'est pas libre d'inventer
au hasard. Elle sait que l'inconnaissable n*est point d'une autre
nature rjue le connu, qu'il n'est aucun fond des choses hétérogèns à
leur surface perceptible. S'il n'est rien en dehors de la représenta-
tion, il ne saurait y avoir û'altérité absolue. L'idée de Vautre ne
(»iMil rlni posée (|u'en regard de celle du même et nécessairement
en participe. En d'autres termes tout ce qui sera ou fut, doit être
parlirilriuent homogène à ce qui est, tout jusques et y compris le
paradis [(îrrcstnî.
Allons pliis loin encore et poussons la hardiesse jusqu'à dire « tout
juscpics (»l y compris Dieu ». Et Ik ne sera pas la moindre originalité
de la (loclriruî (îriliciste. Nous supposons connues du lecteur. les
aflinilés des thèses crilicistes avec les thèses principales de la phi-
losophie du ehrislianisme. Il se trouve par suite dans la doctrine de
(îh. Uenouvierdes éléments de source juive. Mais il est remarquable
h (piol point notre philosophe sait aussi faire appel à des éléments de
soun't* hellénique et les mélanger au.\ premiers sans avoir besoin
connue nii^uère, dans le Timêc, le démiurge, de recourir à la force
pour maintenir ;\ l'êlat d'union les ingrédients du mélange. Que le
démiurK*' î^oit ou ne i^oit pas le dieu suprême du platonisme, la cri-
tique iles textes peut seule éclairer le poitit. Mais que ce démiurge
soit un être humain grandi dans toutes ses puissances, c'est bien ce
K\n\ résulte îles propres paroles de Platon. Et le dieu du néo-criti-
eisme lui ressemble. Tu monjent même ce dieu s'est multiplié,
(hivre/. le deuAictue t!ssai, vers les dernières pages : vous vous
tl^urt\' entivvoir un nouvel Olympe, et celte restauration un peu
brusque du polythéisme hellénique — s;ms * illustration » celte fois
vous causera peul-èlre quelque nialaise. Depuis, M. Renou\ier —
Ainsi que d ailleurs IVxige la fumeuse loi des trois états — est sorti
L. DAUHIAG, — CftinClSME ET MOP*AI>lS«E
25
d© € l'état théologîque i. Il a monarchisé son ciel, tout en ne cessant
pas « d'humaniser » son monarque. — Alors si le Dieu de M. Renou-
vier est intelligent, mais d'une intelligence qui ne fait que sur-
passer la nôtre, il est, en qu**lque manière, soumis aux lois de la
représentation, aux catégories en un mot. Or que penser d'une
telle soumission à moins qu'on n'érige les catégories en vrais prin-
cipes des choses? Après tout la ditïicullé serait-elle si dîlTérente de
celle que le platonisme soulève et après lui, beaucoup après, !e
leibnixianisme? 11 est on ne peut plus malaisé, en effet, d-assigner
une origine k Tentendement divin. Le fait*on sortir de la volonté
divine, on admet Tin intelligible. Le pose-t-on sans se demander cona-
menl il peut être, un explique ainsi ou l'on croit expliquer les mani-
feâtations de Tactlvité de Dieu : mais on subordonne sa volonté à
son inteUigence, Ainsi fait Pïaton qui dans son Thnée parait élever
les idées au dessus du Démiurge. Ainsi fait Leibniz^ qui, en établis-
sant le primat de Tentendement divin soumet aussi à sa manière
Dieu aux catégories de la pensée. Après tout, ce Dieu de Leibniz,
duquel n'est décidément plus très loin le Dieu de Renouvier. est cent
fois moins invraisemblable que ne serait le Dieu de Kant, si Kant
&*était préoccupé d* illustrer son second postulat de la raison pratique
car il eût fallu, j'imagine, attribuera ce Dieu la connaissance des
choses en soi, ce qui eût été contradicloire, puisque connaître, c'est,
en dernière analyse, « phénoménaliser t. Mais comment se ligurer
un Dieu créant les choses et ne se les représentant point telles qu'il
les crée? 11 est donc permis, si Ton ose s'aventurer t travers ces
ditûcuUés, de toutes les plus inextricables, d'opter pour le Dieu du
Béo-criticisme contre le Dieu éventuel du criticisme kantien, d*avouer
l'impossibilité oii Ton ett de se représenter la nalure divine autre-
ment que dans son rapport avec la nOtre, et finalement, de recon-
naître à quel point les matières de ce genre sont affaires d'opin ion-
La seule chose à éviter quand on y tombe, c'est de se figurer qu*en
Dieu toutes les oppositions se Tondent et toutes les contradictions
s'eOacent-
Si tel est le Dieu du criticisme» reconnaissons que pour lui faire
place dans sa doctrine M, Renouvier ira rien changé ni aux pré-
ceptes de sa méthode, ni aux principes de sa philosophie. Il est
à qualre-'^ingt-cinq ans ce qu'il était aux approches de la quaran-
taine : criticiste et phénoméniste,
m
Touterois il semble bien que les précurseurs avoués du nouveau
criticisme ont été Kant et David Hume. Or, ou le titre de Nouvetle
26 KEVUE PHILOSOPHIQUE
Monadologie n'est en quelque sorte qu'un titre-réclame, ou c'est à
l'abri du grand nom de Leibniz que M. Renouvier, sur le point
d'imprimer à sa doctrine son caractère définitif, vient de lui marquer
sa place. Et c'est de quoi certains philosophes ont été surpris, même
fort désagréablement. Car, nous disent-ils, remonter de Kant à
Leibniz c'est inévitablement rétrograder. Pourquoi ce recul? Et
surtout pourquoi cette amende honorable d'un phénoméniste soi-
disant impénitent à Fun des plus illustres <!l substintialistes t^ qui
aient jamais été?
Mais est-il vrai que Gh. Renouvier ait démoli la substance? —
A peu près comme Voltaire a « écrasé l'infâme ». C'est qu'en effet il y
a substance et substance. D'une part les anciens se sont fait de la
substance une conception qui n'est pas exactement celle des
modernes. De l'autre, parmi les modernes il s'est formé du même
concept apparent des conceptions assez divergentes, souvent même
incompatibles : la substance de Spinoza n'est déjà plus celle de
Descaries, et l'analogie des définitions, tant de fois invoquée, pourrait
n'être que verbale. La substance de Leibniz, elle, ne garde ou ne
veut rien garder de spinoziste. Et puis il est encore d'autres « sub-
stances ». Kant à la sienne. Les Écossais ont la leur : ils l'ont cédée
aux éclectiques.' C'est celle qui régnait et gouvernait en France
lorsque Charles Renouvier lui a déclaré la guerre. Commençons donc
par cette substance-là.
Votre intention n'est pas de «charger » une doctrine pour en faci-
liter la dérision. Nous ne prêterons point à Thomas lleid une autre
doctrine que la sienne, et ce ne sera point notre faute si on lui
reproche son excès de puérilité. Thomas Reid admet en effet des
substances, et en plus de ces substances des qualités : parmi ces
dernières, il en est quelques-unes, les ce premières », dont nous avons
une connaissance vraie, que nous saisissons dans leur « être » et
non pas seulement dans leur « paraître ». — Il faut dire alors que
ces qualités sont les qualités d'une substance à peu près comme si
l'on disait « le livre de Pierre, liber Pelri ». A moins qu'une autre
comparaison ne l'emporte et qu'on ne se figure la substance à la
manière d'un noyau. C'est bien ainsi que Reid se la figurait. Seule-
ment il la déclarait imperceptible, inconnaissable. En cela, Reid était
bien le digne maître de Royer-Collard, qui, lui, devait faire consister
la philosophie dans l'art de dériver notre ignorance de sa source la
plus haute. Mais si les substances nous échappent, et si nous n'en
pouvons rien savoir, comment nous est-il possible d'affirmer qu'elles
existent? N'est-il pas contradictoire de dire d'une chose qu'elle est
et de ne pouvoir point dire ce qu'elle est? Et d'où vient à Thomas
L. DAURIAC. — CliniCISME ET «(ÏP(AD1SME
il
Reid le droit de distinguer les substanceîs corporel les des substances
spinluelles? On sait son échappatoire : cette distinction nous est
îittestée par le sens commun. Voilà bien une aftirmation sans
réplique» comme aussi sans preuve. Si par hasanl toutes ces sub-
stanccî^ que nous ne saiirrions atteindre n'en étaient qu'une seule?
L'effarement de lieid serait ù son comble, mais il ne suffirait pas à
ruiner la supposilion.
Chez Kant, la théorie de la substance est double. D'abord, quand,
pour jusliljer par la science positive de son siècle sa doctrine des
catégories, il pose en principe, dans VÀnahjtiqne tramcendwitaie^
la pi^rmanence quantitative de la matière, on dirait qu'il subordonne
Tune des deux premières catégories à l'antre et fait de la qualité
comme la surface de la quantité. D'où une conception de la sub-
stance, de laquelle résulte une conception de Tunivers indiscutable-
ment monjste el panthéiste.
Kant passe de V Analytique h la Dialectique par Tinlermédiaire de
Ja célèbre distinction des pliénoniènes et des noumènes. Inutile de
rappeler qo'eo distinguant ces deux aspects de la réalité Kant ne
double nullement te nombre des êtres comme certains Tout iiû croire,
et que le noumène n'est autre chose qu'un phénomène réfracté. Le
phénomène, en effet, si nous avons bien cunjpris la pensée de Kant,
résulte de la mise en présence d un esprit, d'une part, d*uue chose
en soi, de Pautre. Sans la double forme de Tin tui lion a priori^ les
choses ne pourraient être converties en phénomènes.
Mais il n'est point que les choses à participer d'une telle conver-
sion* Et c'est une question de savoir si l'opposition entre Tesprit el
las choses, envisagée dans T absolu, ne serait point contraire à la
vraie pensée du philosopha?. Qii'esl*ce, en effet, que l'esprit, une
existence différente de celle qu'il se procure en s'appar^iissant à lui-
mémeV Lorsqu'il prononce le « je pense » nous est-il dit quelque
part qu'il le prononce hors du temps? Et ?i c'est dans le lemps
qiî*il le prononce, voilà TespriL captif de la durée. Ce n'est pai^ lui
qui convertît le noumène en phénomène, puisqu'au moment de cette
conversion que certains lui prèlent, Tesprit, s* il est l'esprit, ne sau-
rait être non plus qu'un phcuoniène ou qu'une synthi se de phéno-
mènes régis par la loi du temps. Nous n'ignorons point que ce sont
là choses dont on dispute, et que les thèses principales du kantisme
spéculatif, n^éme s* il ne s'agit que de les bien interpréter, sont de
pâture à embarrasser les esprits les plus vigoureux et les plus
sagaces. Il nous parait toutefois que la distinction kantienne des
esprits et des corps s applique au monde des phénomènes : et c'est
pourquoi lesprit, envisagé dans son fond, n'est ni plus ni moins un
38 REVUE PHILOSOPHIQUE
noumène que ne Test dans son fond cet objet auquel il donne le nom
de chose. Alors surgit une question des plus graves. Les distinc-
tions qu'il nous arrive de faire entre les phénomènes correspondent-
elles à des diversités dans la sphère des noumènes? Il se peut qu'en
cela M. Renouvier eût risqué de la pensée de Kant une interpréta-
tion discutable — d'autres que nous en décideront. — Mais il s'agit
moins ici de justifier celte interprétation que de la faire connaître.
Or il nous est arrivé, plus d'une fois, d'entendre M. Renouvier nous
dire que Kant avait beau « parler » des noumènes au pluriel, il n'y
. pensait jamais qu'au singulier. Dès lors si l'on gratifiait le noumène
du nom de substance ainsi qu'on le faisait tout à l'heure de l'indes-
tructible qualité de la matière du monde, il faudrait, cette fois encore,
orienter la doctrine de Kant dans la direction des doctrines monistes
et panthéistes. Alors, entre le noumène de Kant et la substance de
Spinoza l'écart serait insaisissable, et les différences entre Tune et
l'autre n'intéresseraient que les historiens? M. Renouvier n'a jamais
dit autre chose.
Pour ce qui est de Descartes, il est aisé de discerner dans sa philo-
sophie de la substance ou de Fêlre deux tendances, Tune orientée
vers Spinoza, portée qu'elle est par la fameuse définition du traité
des Principes de la Philosophie, l'autre assez nettement phénomé-
niste. Descartes distingue, en eflet, trois sortes de substances. Cha-
cune d'elles est difl*érenciée par son essence. Il est de l'essence de
la substance divine d'être infinie. La substance spirituelle a pour
essence la pensée, et la matière l'étendue. Assurément l'essence n'est
point identique à la substance, puisqu'elle aurait droit à une sorte
d'existence virtuelle distincte de sa réalisation efl*ecti ve. Mais, que l'on
néglige cette première façon d'être pour ne s'en tenir qu'à l'essence
réalisée, et l'on ne voit décidément pas en quoi la substance en diffère.
Si l'on observe que selon Descartes ce le néant ne saurait avoir d'at-
tributs », l'essence parait bien l'emporter sur la substance. Attachez-
vous maintenant à l'essence, et vous aurez bientôt constaté que rien
n'entre en elle dont l'esprit ne soit apte à s'offrir une claire repré-*
sen talion.
Il serait intéressant de remonter le cours de l'histoire et de se
demander ce que les grands philosophes de l'antiquité grecque ont
pensé de la substance. Mais ce n'est point de notre sujet si la défi-
nition de la substance telle que, dans son dernier ouvrage, Gh. Renou-
vier l'établit, dérive des sources exclusivement modernes.
Notons en premier lieu que dans le vocabulaire de la Nouvelle
Monadologie figure le mot substance. Et nous avons toutes raisons
de croire que le phénoménisme des Essais de CHtique générale est
L, DAURÎAG, — CRITICISME ET SI0^Aîll^»E 29
resté intact. Nous voici donc conduits à cette double assertion tout
irat)ord assez surprenante : 1" il est une manière phL^nornéniste
de concevoir la substance; ^2" cette conception phénoméniste de
la substance eut Leibniz pour représenlant principal, sinon pour
premier représentant* Kst-ce vraiV
Voici comment la Monudohgie débute. « La monade dont nous
parlerons ici, écrit Leibniz, n'est autre chose qu'une substance
simple qui entre dans les composés; simple, c'est-à-dire sans par-
ties, i
Lisons maintenant les premières lignes de la Nonnelle Monado-
logie : « La monade est la substance simple dont la donnée est
impliquée par lexistence des sublances composées,
« Une substance est un être considéré dans sa complexité logique
comme le sujet de ses n qualités t».
n Déterminer une substance comme un sujet de qualités, c*est ta
définir pu or la pensée.
« Sans définition, sans attribution de qualités, sans établissement
de relations en conséquence, il n*y a pas de connaissance et la sub-
stance demeure un terme tout abstrait*. »
Ainsi, dénuée de toute composition quantitative» la monade est
essentiellement un <t composé qualificatif li, un sujet de relations
.Internes, subjectives. Deux pages plus loin, il nous sera parlé de la
/monade coiume d'une « force suscitant » ses propres états, Leibniz
n'a jamais dit autre chose. Nî Ch, Renouvier non plus.
Car au temps où le terme substance n'avait point de place dans le
dictionnaire néo-criliciste, M, Henouvier écrivait : « 1^ théorie de
la nature est une monadôlogie, mais qui dilTère de la doctrine leib-
ûii£ienne par l*éti mi nation do Tancien problème métaphysique,
« En elTet Tétre, étant une représentation pour soi, doit se déter-
miner par les altribuls généraux de la leprèsentation. On peut les
nommer tous avec Leibniz, Force, AppètH^ Perreption^ en compre-
ïiîint ce dernier tej'me des fondions qui engendrent respéiienceet
celle dont les lois la règlent et la modèlent. Mah il n'est plus pentiis
de prend i'ê pour un être la monade simple et inefendue. * î
Arrt^lons-nous de transcrire. Et revenons à Leibniz, A Far-
licle Vin de la Moiiadolui^ie, Leibniz nous déclare que les monades
ckiivent avoir quelques « qualités. Autrement ce ne seraient même
pas des êtres i».
C'est donc que Tauteur des Principes de la urifure s'était^ pdmi-
I. Ce texte eàt dé 1SG4. Nouî l'avons entrait des PHncipes de ta nature ou du
7rQi$tèm€ Eâtai de Critiqua générak.
30 REVUE PHILOSOPHIQUE
tivement un peu mépris sur les caractères de ce substantialisme
leibnizien auquel, après s'en être rapproché, il avait cru devoir,
assez injustemeut, déclarer la guerre. Car, ou ces lignes de la
Monadologie n'ont aucun sens, ou elles signifient précisément qu'à
n'envisager dans la monade que la seule simplicité ou absence
d'étendue, on n'envisagerait qu'une possibilité d*être, non un être
véritable. Alors, la substance détachée de ses phénomènes n'est plus
qu'un nom et l'on peut parler d'elle en un sens tout phénoméniste.
Ce n'est même pas assez dire : il faut ajouter que la seule façon par
laquelle il devient possible de faire passer la substance du néant à
l'être consiste à la projeter dans le champ de la représentation.
Mais de quelle substance parlons-nous et de quelle monade? La
nouvelle aussi bien que l'ancienne. Car si l'on insistait sur les per-
ceptions inconscientes de Leibniz pour accentuer le contraste entre
le philosophe du dix-septième siècle et son illustre disciple du dix-
neuvième il serait, croyons-nous, aisé de répondre qu'aux yeux de
Leibniz lui-môme la monade, même quand elle perçoit inconsciem-
ment, n'est pas dénuée d'existence subjective.
Même sous cette forme toute rudimentaire d'existence spirituelle,
elle ne laisse pas d'être a un centre de représentation d, elle perçoit
sans le savoir. Dans la théorie leibnizienne de la perception, passer
de l'inconscient au conscient ce n'est point passer d'un contraire à
un autre, c'est aller d'un degré inférieur à un degré supérieur
d'existence subjective. Il est donc une conception phénoméniste
possible de l'existence substantielle. On en trouverait le germe chez
Descartes et plus que le germe chez celui qui s'est donné pour être
le réformateur de la notion cartésienne de substance.
Mais si entre les deux <( monadologies », la différence n'est guère
considérable, du moins tant qu'il ne s'agit que de définir la monade
sans entrer plus avant dans sa vie spirituelle, d'où vient que le chef
du criticisme ait mis un si longtemps à s'en apercevoir? La genèse
historique du néo-criticisme nous le montre partant de Kant, lon-
geant le kantisme et s'acheminant insensiblement vers Hume, mais
sans abjurer ses origines premières. La substance est attaquée, puis
renversée. Mais cette substance qui reçoit les premiers coups c'est
le noumène; c'est aussi, par contre-coup, le Dieu de VÉthique spi-
noziste : c'est la substance dans laquelle toutes les distinctions s'ob-
servent; c'est la volonté de Schopenhauer, encore qu'en ce temps là,
de Schopenhauer Gh. Henouvier ne sache rien de plus que le nom;
c'est, avant l'apparition des First Principles d'Herbert Spencer, la
force inconnaissable dont l'évolution de l'univers attestera l'indé-
fectible énergie. Pour qui s'est pénétré de l'esprit du néo-criticisme,
L, DAURIAC. — CRITICISNE ET 3I0\ADISME
31
les raisons d'abattre Tidole de la substance sont tirées des raisons
de sauver Tindividu et le libre arbitre. Mais pourquoi, si la monade
de Leibniz: sauve Tan et garantit l'autre, la subslance lerbnîzienne
Q^a-t^elle point trouvé grâce, du moins^ avant Télaborarion des
Principes de la nalurc'f D*abord elle portait un nom qu*U fallait
relrancher du vocabulaire philosophique, ne serait ce que pour
démontrer la possibilité de s'en passer. Ensuite, a la laveur de ce
nom que Leibniz n'avait point su répudier, Tuniversel prèdétermi-
ntsme s'était glissé dans sa doctrine, d'oîi il résultait que le mona-
disme, au lieu d'exprimer la réalité des choses^ n'expliquait et ne gar-
dait de rindividualilé et de la pluralilé des êtres que l'apparence
phénoménale. Entre le monadisme et le monisme, il fallait choisir,
El cette cuTiclusicm en amène une autre, c>st qu'en opiant pour le
monadisme on opte pour une philosophie tout entière confinée dans
la représentalion. Décidément nous avons eu tort d'écrire que
M, Benouvîer avait méconnu ses propres tendances monadistes. Il
s'en est dès le début reudi» compte. Mais il n'a pas cru tout d'abejrd
devoir se déclarer monadiste, par la simple raison qu'il ne voulait
pas cire leibnizien jusqu'au bout.
Aujourd'hui pas plus que jadis il ne voudrait^ L'harmonie des
monades lui agrée, à la condition, toutefois, que ces monades soient
ou puissent être, en partie, causes de leurs représentations. Sub-
stitue/ l'harmonie h la causalité tnnêîtive, vous débarrasserez encore
La philosophie d*une idole. Mais que cette harmonie n'ait plus Dieu
pour unique auteur : autrement il ne sera véritablement plus de
monades* En eiïel si Tordre du monde est prédéterminé, le mot de
création n'a plus de sens. Les actes de ta créature ne sont plus
qu'une émanation de la nature divine. Le monde, loin d'être Pacte
de Dieu, n*est plus que son rêve, au sens littéral du terme. En
eflel si les choses se sont passées ainsi que Ta prétendu Leibniz,
Dieu n a point créé les monades. îl s'est contenté de rêver qu'il les
créait, puii^qu en les soumettant au joug de son vouloir il ne les a
réellement pas lait sortir de sa substance. La création n'est plus, dès
lors, que son illusion.
C'est donc une chose jugée. La Notwelle ^fônadùlogie est bien un
monadisme nouveau, et nullement, comme on pourrait, en lisant
trop vite, s y laisse prendre, une reproduction du monadisme clas-
sique. Par suite on ne peut reprocher à la philosophie de M. Renou-
vier d'être une philosophie rétrograde* Elle n'a ni rétrograde ni
changé. De plus» tout porte à croire que ses assises sont fermement
entbncées dans le sol.
Pour rédiger son dernier livre, M. Renouvier s'est adjoint un
32 REVUE PHILOSOPHIQUE
jeune philosophe que nous connaissons assez pour ne pas mettre
en doute sa parfaite indépendance d'esprit. Alors qu'il s'initiait au
criticisme, M. Louis Prat se sentait un peu mal à Taise dans cette
philosophie qui lui semblait plus faite de négations que d'affirma-
tions. Plus tard il s'aperçut de la méprise et de Taisance avec
laquelle les négations criticistes pourraient être converties. Et alors
la doctrine lui apparut tout autre. Il fut frappé de la richesse de
ses acquisitions, et selon toute vraisemblance il exprima le désir
que M. Renouvier entreprit de les aligner de nouveau en les enchaî-
nant pour mettre en un plus saisissant relief l'unité et — pourquoi
ne point le dire — la majesté du système. Nous le remercions
d'avoir exprimé ce désir et d*en avoir si heureusement facilité la
réalisation.
Lionel Dauriac.
LES CROYANCES IMPLICITES
Si la croyance est un phénoniène aussi complexe que nous le pen-
sons^ et si, à des degrés dilîérerits de « com^JosUion », elle se trouve
impliquée h tous les stades de notre activité mentale, nous sommes
îâmenés à nous demander quelles sont les limites de son extension et
h suutïçonrier que nous croyons bien plus de elioses que nous n'en
savons croire. Nous, allons voir, en eiïet, que la croyance est
coenteusive de noire vie psychique et que nos croyances explicites
«ont peu de chose auprès de nos croyances implicites.
Kl d^abord il ne faut pas oublier dans cette récapitulation que la
nv'gntion est une manière de croyance tout comme rallirmation* Ce
sunt les deux p<Mes d'une môme sphère % car le contraire logique
de la croyance, cVst le doute et non la négation. Bacon a dit qu'il
laut plus de crédulité pour être athée que pour croire en Dieu :
nous n'irons [jassi loin, mais nous pouvons aflirmer, sans paradoxei
qu'il faut souvent une plus grande force de croyance pour nier que
pour aflirmer, riniubitîon étant toujours plus difficile que Taction,
Ces esprits, hardis précurseurs des savants modernes, qui furent
ilés âu moyen âge comme hérétiques^ dira-t*on qu'ils ne croyaient
Et ne fallait- il pas à un Michel Serve t plus de croyance
pour nier ce qu'alors la religion imposait à la foi de tous — que
pour partager une croyance commune? Ne faut- il pas plus de force
p^jur remonter un courant que pour le suivre?
L**s grands négateurs, les grands destructeurs de la foi reçue
>Dt en ce sens les plus grands croyants^ : ainsi notre croyance
lend non seulement â tout ce que nous affirmons, mais à tout ce
qott nous refusons de croire.
Une antf^e cause d'erreur peut induire à trop restreindre le champ
de la croyance» c*est que d*orditiaïre nous ne la considérons qu*où
elle est explicite, où elle s'énonce par des ail ir mations, par des
jugements qui, nous le savons, sont des actes volonlaues. Mais nous
t. i^M'^ o-i'd tl tiiftttit}ut au fond tiç fnffirmatti^n ti de la néf^alha^ si et nV«i
ta értf^mtcc? Tourtic. Loffiqm MQcmie,)
to«i u — mou* 3
34 REVUE PHILOSOPHIQUE
oublions que cette croyance volontaire nous est apparue comme le
simple couronnement d'une croyance spontanée, infiniment plus
étendue, automatique ou implicite. C'est ce que Dugald Stewart
appelle la croyance « instinctive »; elle fait toutes les fonctions de
l'autre et porle sur un champ immense.
Nous n'en avons pas conscience à l'état normal, cependant, pas
plus que nous ne sentons notre corps à l'état de santé parfaite. Et
c'est ici surtout que la pathologie nous est d'un précieux secours en
nous montrant des cas où ces croyances instinctives se dissolvent,
en nous faisant assister à leur régression, ce qui nous permet de
comprendre leur importance et leur étendue à l'état normal. Nous
en concluons que cette étendue est celle même de noire vie
psychique, mais que nous faisons presque toujours « de la prose
sans le savoir », c'est-à-dire que la plus grande part de notre croyance
est implicite.
Nous n'en savons pas l'existence, parce que rien n'entre en lutte
avec elle et qu'il lui faudrait s'opposer à quelque chose pour qu'elle
nous devint consciente; mais, informulée, elle n'en est pas moins
réelle et traduite par des actes : il en est d'elle comme de la station
immobile, qui implique un grand nombre de mouvements.
Avant d'examiner sur quoi portent ces « croyances communes »,
comme les appellent les Anglais, remarquons déjà qu'elles sont
impliquées par suite d'une nécessité vitale, comme la condition
indispensable de notre activité élémentaire. Une croyance implicite
est attachée à nos instincts : nous avons déjà eu occasion de la
signaler en parlant de l'équivalence entre la croyance et Faction.
Une tendance nous pousse à agir, dont Torigine remonte au point
de départ de la vie. Au commencement n'était pas seulement le Verbe
de l'Évangile : « Anfangswar die That», déclare le Faust de Gœthe. Or
agir implique croire, exprime une croyance. Si nous attendions de
savoir pour agir, qu'est-ce qui nous prouverait qu'il est en notre
pouvoir de le faire? « On ne pourrait pas croire à la suite d'un
choix , dit M. Fouillée * , s'il n'y avait pas déjà une certaine
croyance spontanée au delà de laquelle l'analyse ne peut des-
cendre. Aussi ne peut-on que résoudre le complexe en simple,
montrer une conscience primitive d'agir, de tendre, de vouloir. »
Puisque nous ne pouvons ni faire un mouvement, ni même
manger sans croire, force nous est d'admettre à la base même de
notre vie une a croyance de provision » qui serait l'analogue de la
morale de provision de Descartes. Elle est implicite, disons-nous,
1. Fouillée. Tempérament et caractère.
a BOS. ^ LES CROYANCES IMPLICITES
m
încoDSclentê, mise en nous myMérieuseinent par la nature giu
veut la vie et dans ce but « soutient noire raison impuissante et
l'empêche de douter de tout », Nous avons vu que cette croyance
impHcîte, postulat de ïa vie, était ia c vraisemblance » des scep-
tiqueB, C'est encore celle contenue dans les « principes de pratique t>
que Locke oppose aux principes de connaissance; c*est la m raison
expérimentale î> de Hume, c*est'à-dire k une espèce d'inslinct dont
les principales opérations ne sont jamais dirigées par ces rapports
ou coinparalsons d'idées qui sont les objets propres de nos Incultes
intellectuelles », C'est enfin la « croyance réetle j» que Newman
DOU:s [nonlre toujours mêlée, soit à Faction h laquelle les objets
nous sollicitent, soit à celle qu'ils exercent sur nous *.
En dehors de cette forme d'activité élémentairej conséquence
d*yne sorte dimpératif vilal, nous trouvons la croyance implicite
comme condition de chacun des phénomènes psychiques qui nous
ont paru nécessaires ù la constitution de la croyance explicite.
Cest ainsi que nous avons déjà reconnu la nécessité d'une
croyance de perception. Nous avons constaté, en effet, que la per-
cepùon sensible impliquait la collaboration active du moi. C'est par
une série de perceptions que se constitue Texpérience, ce puissant
auxihaire de notre croyance, mais Fexpérience ne tire son atitoriLé
que de ce que toutes les perceptions qui la composent ont été crues.
On considérerait comme un abus de langage de dire qu'on croit que
le soleil brille et pourtant, dans l'inlelligence naissante, tout cela
• élé croyance au début. On peut même dire qu*il n'y a rien en
nous que nous n*ayons lieu de croire, car rien dans le monde exté-
rieur ne ressemble k nos perceptions. Chacune est une invention de
noire esprit qui tire parti iJe la nature extérieure pour construire
deô synthèses selon ses propres aptitudes *, C'est en ce sens que
Secrétan déclare la perception du monde extérieur une allai re de
cmyiince.
Dans la mémoire, la croyance est encore impliquée. Que servi-
litf en effet, la présence du souvenir si ce souvenir n'apportait pas
"ârec îui le sentiment du réel? Il n'y a mémoire que quand on croit à
' dont on se souvient — or, la pathologie nous ïe montrera, il y a
doutes de mémoire. Il n'y a pas alors d'amnésie, les faits sont
"eiaclament et minutieusement remémorés, mais les malades ne
«ont pas sûrs que ce qu*ils se rappellent soit vrai*
Tous nos sentiments, enfin, s'accompagnent de croyance : nous
t» O. New fit un* Grammar ùf Asst'uty
36 REVUE PHILOSOPHIQUE
avons môme vu qu'ils sont, par excellence, les faits psychologiques
auxquels adhère notre croyance. Nous croyons toujours à nos émo-
tions, dit Descartes, si Ton est joyeux il faut bien croire à sa propre
joie. C'est ce qui permet à Wundt de rétablir la part de la volonté
jusque dans les sentiments : « Notre perception directe des senti-
timents (par l'activité interne de Taperception) incline à attribuer à
ces derniers une relation avec la volonté * n.
Enfin nous allons voir la croyance implicite porter sur certaines
notions à elle propres et, sous ces aspects nouveaux, elle sera
encore impliquée dans toute croyance explicite.
Ces croyances communes auront pour objet : 1*" la réalité du moi
(qu'elles déborderont sous forme de croyance à Texistence des
autres hommes et à celle du monde extérieur i; î2^ la réalité du
présent (qu'elles déborderont sous forme de croyance au passé et
au futur).
Nous avons ainsi « ces croyances inévitables », dont parle Bal-
four, « qui nous guident tous, enfants, sauvages et philosophes dans
la conduite ordinaire de l'existence journalière et qui, étendues et
généralisées, nous fournissent quelques-unes des présuppositions
importantes sur lesquelles l'édifice tout entier de la science paraît
logiquement basé - ».
I
Croyance en soi. — Si la réflexion subjective est postérieure aux
spéculations sur le monde extérieur, c'est cependant la croyance
implicite que nous avons en notre propre existence qui s'impose
tout d'abord h notre analyse, parce qu'elle est à la base, non seule-
ment de notre vie pratique, mais de toute connaissance dans l'ordre
spéculatif. Si l'on pousse, en effet, le relativisme jusqu'à l'idéalisme
absolu, on se refuse la possibilité de rien connaître, sinon par
rapport à ce Moi, seule réalité et auteur de toute connaissance.
En ce qui concerne notre vie pratique, il est assez évident, après
ce que nous avons dit de l'activité, que nous ne saurions faire un
mouvement, satisfaire un besoin sans que se trouve impliquée la
croyance en notre possibilité d'exécuter ce mouvement — ou en
l'existence de notre corps qui a éprouvé ce besoin.
C'est sur ce sentiment de l'existence de notre corps (c'est-à-dire
sur une croyance en ce qui est iiôtre) que repose, sous ses formes
les plus complexes, la croyance en soi.
1. Wiindl, Phijsiolofjhche Psychologie, 1, 3oG (Irad. franc.)
2. Bal four, Fondement de la croyance.
C. BOS. — LEï^ CaOYANCES IMPLICITES
:i7
D'où nous vient ce senlimenl de rexistence de notre corps?
UiioLioo s'en constitue tout d*abord par un apport constant de
Sensations internes qui, jamais interrompues, forment le fond du
blileau sur lequel celles venues du deliors paraissent et disparais-
sent Regroupe permanent de sensations et d'images constitue le
sentiment de notre corps {cénesthésie), ce que Conditlac appelait
le «sentiment fondamental de rexistence» et Btran, le sentiment
f de rexistence. sensitive^ i*.
I C'est par lui que le corps apparaît au moi comme sku, par
lui que le sujet spirituel se sent et s'aperçoit exister en quelque
sorte localement dajis détendue limitée de l^organisme^ >j La cénes-
Ihésiêj cet ensemble de sensations viscérales, musculaires^ articu*
lairés, met donc eu nous implicitement la croyance que nous avons
un corps, que nous existons. Et nous nous en convaincrons en
voyant des malades, chez qui la cénesthésie est gravement troublée,
demander s'ils sont morts et parler d'eux-mêmes comme d'êtres
apwt cessé de vivre.
Nous voilà donc avertis sans cesse de l'existence de notre corps;
feomais quand une sensation nous viendra de Textérieur, elle
BOUS suggérera à la foi le Moi et le Non-Moi, le premier se consti-
tuant I par suite de la situation privilégiée que vient occuper dans
l'ensemble des images ce groupe spécial qui constitue mon corps^ »*
t*fmportance de notre corps et des sensations qu'il nous fournil est
inm mise en relief par rexpérience de Striimpell sur un jeune
J^CDti qui, totalement aneslhésique, ne pouvait avoir de sensations
|fîe par un ce il et une oreille : si on venait à fermer son ceil et à
otîcher son oreille, ce jeune homme déclarait : ^ Je ne bhIs plus ».
Vne remarque curieuse de M, James nous montre bien à quel
ùml notre corps est rorigtne de toute croyance en nous-mêmes,
^'auteur fait observer que nous nous îde mitions à nos vêtements
ai sont en contact direct avec notre corps, si bien que le dicton
li ûiit consister la personne humaine en trois éléments : une Ame,
I corps et des vêtements — ne serait pas dénué de Ibndement ^
LNoo seulement la croyance en notre existence en général j mais
Iles plus précises en noire Moi pensant, voulant : celles, en un
L'itii|i«>rtaiice dt^ «tes acn^iionâ itiierne!» nous appai'aiL ij'aiitahi (ittrsgrantlo
fou p«uL ks fairt* renionler à in vie fniUiJe el admeUre, dèîi avant la nai^-
Hct» iiri v«gij<' spfilinient du moi cL du non-iiit>i. Catjanîs est ïû rremier ii avoir
rutttfntion sur les 9t:nttaUùris iiilernes et à avoir morilrù la portée psy*
^ijiie de Ift vie FiBLuk.
lu nia. SensatioHA hUerneaf^ p. 53^
IrfTîon. Miiit&re r^ mémoire^ p« M,
38 REVUE PIIILOSOPHIQCE
mot, qui réunies forment la croyance en notre personne^ dérivent
encore de notre corps. La croyance en un Moi pensant n'est fondée
que sur le fait d'avoir un corps, « et au lieu de dire que nous nous
souvenons de nous-mêmes, il serait plus exact de dire que nous ne
nous souvenons que de notre corps... Nous avons de notre pensée
une conscience organique (cérébrale) autant qu'intellectuelle >.
Il est même à remarquer que cette « conscience organique » de
notre pensée précède tout jugement d'existence et c'est encore sur
elle que repose le Cogito de Descartes. Qu'est-ce que son : Je pense,
sinon la conscience qu'il a -d'être pensant? « Car nous ne pouvons
pas penser sans sentir notre Moi corporel comme siège de la
pensée. » Sur ce point, Cabanis se révèle, une fois de plus, grand
psychologue, en proposant de transformer la formule cartésienne
suivant la direction condillacienne et de l'énoncer ainsi : Je sens,
donc je suis*.
M. James, comme déjà Hume, nous refuse tout sentiment de
force, de pouvoir autonome et nous ramène à des processus centri-
pètes, rattachant notre croyance en nous-mêmes à c un ensemble
de mouvements se pa.ssant entre la tête et la gorge ». (Nous ren-
voyons, d'ailleurs, à son intéressante analyse [I, chap. X .) Du moins
ces mouvements céphaliques seraient-ils les éléments d'activité
interne dont nous sommes le plus conscients.
Quant à la notion de notre personnalité, elle se constitue par la
synthèse de ces éléments que nous avons vus nécessaires à la
constitution de la croyance, de sorte qu'on peut dire que la person-
nalité est d'autant plus soHdement constituée que l'individu est
susceptible d'une croyance plus fortement synthétisée. Ces per-
sonnes qui doutent, demandent : Est-ce bien moi qui ai fait ceci ou
cela? Suis-je le même qui ai commis tel acte? sont des individus
qui ne peuvent synthétiser en une même croyance personnelle des
éléments trop disparates, lesquels cependant ont dû être chacun
l'objet d'une croyance spontanée.
La difficulté, on le conçoit, va croissant avec le développement
intellectuel de l'individu : plus il s'enrichit, plus se forment en lui
de systèmes différents entre lesquels la difficulté sera plus grande
de mettre de l'unité. Nous avons donc plusieurs Moi qui se contre-
disent et nous savons les conflits qui s'élèvent entre le Moi privé et
le Moi social, le chrétien et le savant, l'amoureux et l'ambitieux.
Que de fois nous avons assisté en nous-mêmes à de pareilles luttes,
nous demandant où était notre vrai Moi parmi ces combattants! Au
4. 1" Mémoire sur les rapports du physique et du moral.
C. BOS. — LES CnOYAKCgS IMPLICITES 39
moment où Tun parvient à se subordonner les autres^ il devient
€ le moi » et si aucun changement ne survenait, les mêmes causes
ramenant toujours la vicloire au même groupe (c^est-à-dire au plus
puissarU), le Moi s'apparaîtrait comme une unité. Mais en réalité
récîiii|uier de nos tendances se modifie continuellement avec nous-
mêmes, c'est parce que le changement est insensible que nous ne le
remarquons pas, miiis sll se fait trop brusque ou qu'il aboutisse à
un écart trop grand entre le passé et le présent» le moi qui passe au
premier plan nous appurait sans lien avec le précédent et les doutes
surgissent. Il y a élonnement, la reconnaissance ne se fait plus du
Mai d*autreroîs dans celui d^aujourd'hui, ridentilîcation semble
impossible.
De mémej toute altération de la mémoire influe sur ridée que
nous nous faisons de notre personne : rappelons qu'à raUernance
des mémoires est liée le dédoublement de la personnalité-
On pourrait maintenant se demander si nous n'abusons pas des
mots et s'il y a lieu de parler de « croyances quand il s'agit de la
connaissance intuitive que nous avons de nous-mêmes. Nous le
pensons. Et d'abord si, comme le veut James, la conscience de soi a
son origine dans des € réactions motrices j», il n'y a pas d'expé-
rience proprement interne, mais toute expérience est objective.
€ L*exi-steûce du Moi pensant devient un postulat logique au même
titre que rexistence de la matière. » Mais en outre, une intuition,
une? évidence nous dispenserait-elle d'un acte de foi? Nullement et
c*eat ce que M. Ollé-Laprune a fort bien montre : a Que Ton consi-
dère, dil-ii, notre existence personnelle. Pour chacun de nous c'est
une vérin î évidente et pourtant cela n'empêche pas que cette afflr-
luatiun n'exige de notre pari je ne sais qnelle conftance^ En quoi?
en la sùrelé de notre propre vue intérieure dontj après tout, nous
o*avons pas de preuve, en la sincérité native de notre propre intel-
ligence dont, après lout» nous n'avons pas de garant. Aussi peut-on
dire indilTéremment « je sais que j*existe ï ou « je crois k ma propre
exislence» Si je me déliais de tout, je n'affirme rais rien, pas même
itioQ existt'nc^ personnelle' y>*
Nous voudrions, en terminant, nous arrêter un instant sur une
forme intéressante de la croyance en soi : la fiance en soi.
Nous rencontrons dans le monde deux catégories de gens bien
diiïérentd : les uns sont les timides, les autres ne doutent de rien.
El nous sommes parfois étonnés que le succès vienne donner raison
k ceux qui ont € cru en leur étoile ». SufOrait-it donc de croire en
f , OJlé-l^prune' La cer^itiude tntjralt^
40 REVUE PHILOSOPHIQUE
la victoire pour la remporter? Alors, ce serait bien simple.
Malheureusement cela n'est pas aussi simple que cela le parait.
On ne croit pas sur commande à son succès, il y a là un mécanisme
psychologique intéressant à démonter.
Un homme croit qu'il réussira dans son entreprise : qu'est-ce à
dire? Cet homme a conscience d'une certaine force au dedans de
lui, il sent qu'il peut lutter contre les obstacles et son succès final
était déjà en germe dans la croyance qu'il avait de le voir se réa-
liser. « Le fort ne se trompe pas en affirmant sa force ni Je clair-
voyant en affirmant qu'il voit clair. » (Renan.) Audaces fortuna
juvaty dit-on, mais l'audace c'est une forme de la force dont la for-
tune n'est que le triomphe. Il n'y a donc là qu'une transformation
de la force, laquelle s'est extériorisée, passant de la forme interne
de fiance à la forme extérieure de succès et nous ne devons pas plus
nous étonner que lorsque nous voyons une femme enceinte porter,
à quelque temps de là, un enfant dans ses bras.
Il faut bien d'ailleurs qu'il en aille ainsi et que l'étoile porte-
chance de certains, ils la possèdent en eux, car d'où leur vient ce
ton d'assurance qu> nous rend parfois ces personnes insupportables?
De ce que les expériences passées leur ont donné raison : si ces
individus avaient été déçus, leur confiance eût faibli; mais précisé-
ment elle se renforce par ces victoires antérieures. Mais alors si tout
est succès pour les uns tandis que tout est défaite pour les autres,
les individus ne sont-ils pas un peu responsables de ces différences,
et dans le môme sens où La Rochefoucauld disait que « le bonheur
d'un homme dépend au moins autant de son humeur que de sa for-
tune ^, ne pouvons-nous dire que le succès d'un homme dépend au
moins autant de lui-même que des événements?
Cette croyance en soi est suspendue, selon Fichte, au pouvoir de
produire une force, elle résulte du sentiment que nous avons de
pouvoir agir, amener un fait réel (non pas de produire des concepts).
C'est-à-dire qu'elle repose sur nos sensations musculaires et cela
est juste, mais elle nous semble plus complexe encore, modelée
par notre cénesthésie. C'est ce que parait bien confirmer la loi qui
gouverne cette fiance et la fait varier incessamment : si son origine
est moins rationnelle que viscérale, on comprend que le baromètre
de cette fiance ait mille causes journalières de changement. Ne
savons-nous pas qu'elle est plus grande quand nous sommes en
bonne santé et s'affaiblit dans tous les états de dépression?
Nous avons fait, je suppose, telle longue marche il y a vingt ans,
mais malgré le souvenir de notre pouvoir passé et bien qu'aucune
expérience n'ait été tentée dans l'intervalle qui nous ait appris à
C. BOS. — LES CROYANCES IMPLICITES 41
douter, aujourd'hui nous ne croyons plus être capable de faire la
même marche. Pourquoi? c'est que nous sommes plus vieux, plus
fatigués et ne sentons pas en nous la force potentielle qu'il nous
faudrait faire passer à l'acte dans l'épreuve proposée.
Nous pouvons même aller plus loin et admettre que dans certains
cas où la croyance en soi-même ne serait pas l'équivalent adéquat
du succès, elle en serait encore un des facteurs essentiels. C'est
qu en effet, il est faux que nous soyons passifs à l'égard d'un
Fatuniy nous collaborons aux événements de notre vie, de sorte que
notre foi au succès devient un auxiliaire de ce succès.
« Quand le succès n'est pas garanti, la foi que nous avons par
avance est bien souvent le seule chose qui fait que le résultat se
vérifie. Si, lorsqu'il s'agit de sauter d'une hauteur prodigieuse,
nous avons confiance, nous aurons le pied ferme et nous serons
sauvés. Si nous ne croyons pas assez, nous tomberons, nous serons
perdus* ».
L'analyse de la croyance sous cette forme spéciale, nous la montre
très proche de VEspérance, que l'on peut définir « une tendance à
croire que ce que l'on désire arrivera ».
Au fond, les deux phénomènes ne diffèrent pas l'un de l'autre;
espérer implique encore une force que tous n'ont pas au même
degré, et le fait que l'espoir se réalise n'est pas plus mystérieux que
l'évolution de la puissance à l'acte.
II
A côté de la croyance en soi qu'on pourrait appeler a croyance
simple », celle en l'existence des autres êtres constitue ce que
M. Sully appelle la « croyance composée ». Elle n'est que l'exten-
sion de la première, car notre Moi social est encore un des aspects
de notre Moi. Parmi les éléments du Moi matériel, en effet, il faut
tenir compte de ce Moi social, du sentiment que nous avons de faire
partie d'un tout, de n'être complet que par les autres, unité vivante
au milieu d'unités semblables.
Une tendance aussi profonde que celle qui nous pousse à satis-
faire les besoins de notre corps, nous pousse à rechercher la société,
à attirer l'attention d'autrui. C'est cette tendance de Thomme, Çwov
itoXiTtxov qui nous parait l'origine de sa croyance en l'existence de
ses semblables. Si même cette croyance est plus forte que celle en
la réalité du monde extérieur, c'est qu'elle nous est plus indispen-
i. W. James, The uill lo ùelieve.
42 REVUE PHILOSOPHIQUE
sable et que nous sommes trop sociaux pour ne pas le vouloir de
toutes nos forces.
En un autre sens encore, la « croyance composée » nous semble
l'extension de la « croyance simple ». Il semble que le Moi, par sa
propre force d extension, tende à « projeter d'autres Moi pour les
rapprocher de soi et se prolonge en eux afin d'avoir ainsi accès dans
une synthèse plus large ». Notre action ne paraît s'achever que
dans la coaction avec autrui.
(]les vues sont justes, elles nous montrent la croyance qui nous
occupe, d'autant plus vive que la personnalité est plus puissante,
capable d'une plus grande expansion : notre croyance en la réalité
des autres hommes varie d'intensité suivant notre besoin. L'homme
de génie, le créateur, travaille pour l'humanité, la totalité de ses
semblables est pour lui quelque chose d'aussi réel que l'existence
de tel de ses proches. Au contraire, pour les individus peu déve-
loppés ou qui n'ont qu'une faible puissance de synthèse, il semble
que l'univers se rétrécisse : pour ces individus il n'y a de bien
réelles que les personnes liées immédiatement à leur vie, à la satis-
faction de leurs besoins élémentaires. L'existence de l'humanité
reste une idée vague qui n'éveille rien de vivant, ne suscite aucune
action.
Quant à sa genèse, cette croyance semble le résultat d'une induc-
tion toute naturelle, presque invincible. Une opération si familière
que nous ne le remarquons pas, nous fait juger des autres par nous
et attribuer des effets pareils à ceux que nous produisons, à des
causes pareilles à nous qui les produisons. De l'existence d'autres
personnes, nous ne pouvons' cependant jamais avoir de certitude.
Comment saurions-nous, par exemple, avec évidence que nos sem-
blables pensent? il faudrait pour cela que leurs pensées appar-
tinssent à notre conscience. Il y a donc lieu de notre part, ici encore,
à un acte de foi. « Quand nous sommes assurés de la présence
d'autrui, nous dit l'auteur déjà cité, la croyance se môle au raison-
nement et à la perception '. » Et il ajoute que ce fait remarquable
est trop peu remarqué. Malebranche, cependant, avant les Écossais
l'avait déjà souligné et il proposait d'appeler « conjecture » la certi-
tude que nous avons de l'existence de nos semblables, ayant vu que
parmi ses éléments il y a un raisonnement et une croyance.
Ayant son origine dans une tendance liée à un besoin d'autant
plus intense que la personnalité est plus fortement organisée et ne
pouvant se constituer sans que nous nous y prêtions, la croyance
L OUé-Laprune. De la ceriilude morale.
C. BOS. — LKS CaOYAmiES t3iPLIGlTES 43
en lexistence des autres hommeâ nous o!Tre donc le môme carac-
tère que noui5 avons partout rencontré au cours de cette étude, et il
est vrai de dire avec M* Fouillée, que ^f nous passofis h l'affirmation
d'autres êtres, en vertu d'un déploiement de ractivité volontaire jp.
III
la foi en .soi, du moins en un Moi corporel, est encore la condition
préalable de It croyance en la réalite du monde extérieur.
La réalité du monde sensible fera le sujet d'éternelles discussions
théonques. Mais imagine-t-on une société qui donnerait le pas à la
spéculation sur Taclion et s'amuserait à résoudre les dinicultès méta-
pby^iques avant d'ajouter foi aux choses malénelles? Cette hypo-
Ihèse, heureusement, ne menace pas de se réaliser jamais : ce serait
la mort.
Informulée, la croyance au monde extérieur n'en existe pas moins
chez tous (malgré les mêmes variations individuelles que nous
présentent les diverses croyances implicites) : elle est la condition
de Tactivité et de la vie. Si nous l'analysons, sur quoi trouvons-nous
qu elle repose^
Selon Fichte, se rapprochant en cela d'Hamilton, elle se fonderait
sur celte de la possibilité des sensations que nous attendons du
monde extérieur. Les premières expériences laisseraient en nous
une attitude expeclante avec une tendance à croire en la venue des
SU] vaut es. Gela est juste, mais ne nous parait pas suffisant pour
rendre compte du caractère indéracinable de notre croyance.
Spencer explique par sa distinction des états forts et des états
faibles notre croyance en Texislence du monde extérieur; les pre-
miers s'accompagnent du sentiment du réel, les seconds nous
fournissent nos idées. C'est la distinction de Hume entre rimpreuîùn
(perception sensorielle) et Fidée ou pensée qu'a Tûme quand elle se
replie sur ses sensations.
Dès lors ridéalisme qui doute de la réalité du monde extérieur
résulterait d'un afTaiblissement du sentir, d'une impuissance à
éprouver des étals forts. Mais psychologiquement, le réalisme est
indémontrable et Spencer reconnaît qu'on n'échappe h ridéalisme
absolu que d par un acte de foi ignorant de son contenu i».
Et do fait, c*est bien à notre Moi qu1l faul demander la raison
ultime de notre croyance au monde extérieur* Le vrai motif a nous
en échappe, il doit être cherché dans les postulats de notre nature
en vertu de quoi nous croyons à ce qui les satisfaite*
Cette croyance, c'est une grande partie sur des tendances^ sur
4i REVUE PHILOSOPHIQUE
des besoins pratiques qu'on doit la faire reposer : c'est la faim ou la
soif qui fondent noire croyance en la réalité du pain et du vin. La
qualité de réalité, en effet, n'est pas comme les autres, c'est une
relation à noire vie émotive et active. Elle signifie que nous
adoptons les choses, que nous nous en soucions. Elle est en
rapport avec notre vie active, car 'nous répondons à la stimulation
des choses par des mouvements, par des actes : c'est donc aux
mouvements par nous accomplis qu'il faut surtout demander
compte de la croyance en la réalité du monde extérieur et de la
profondeur avec laquelle elle est implantée en nous. Nous pouvons
définir le sentiment du réel : « La conscience que nous prenons
des mouvements effectifs par lesquels notre organisme répond aux
excitations. »
Les impulsions au mouvement ne nous fournissent cependant
qu'une partie de l'explication, car, si elles ne rencontraient pas
d'obstacle, elles n'engendreraient pas la croyance en un monde
distinct du Moi qui éprouve les sollicitations. Il faut encore faire
intervenir la résistance à notre mouvement pour expliquer notre
croyance en la réalité du monde extérieur. On sait que Gondillac
l'expliquait toute par là. Le mot objet lui-même, d'ailleurs en
allemand Gegenstand signifie résistance exercée contre nous *.
« Quand le mouvement volontaire est arrêté par un obstacle, la
sensation est différente de lorsqu'elle est arrêtée par notre seule
volonté. Il y a une marque dans la conscience, la terminaison
éprouvée nous surprend, d'où notre croyance <( à quelque chose
en dehors de nous qui a arrêté le mouvement ».
Ce serait donc le sens de la résistance * qui serait le principal
agent de cette croyance et avec lui le sens du toucher, ce qui n'est
pas pour nous surprendre car nous avons vu que les sensations
tactiles étaient celles qui imprimaient en nous la plus forte croyance
perceplionnelle. Gomme elles ont l'avantage d'être moins variables,
elles confèrent plus de stabilité que les autres à ce monde extérieur
sur lequel elles nous renseignent, les autres sens n'étant que des
« anticipations de toucher. x>
A l'appui de cette assertion que les sensations de tact et de
résistance sont bien Torigine de la croyance au réel, lloffding fait
remarquer que les hallucinations de la vue et de rouie n'impliquent
1. Hôffding. Psychologie. L'auteur définit le réel : Ce que nous ne pouvons
nous empêcher d'appréhender comme tel.
2. On peut faire remonter ces sensations de résistance à la vie fœtale, comme
les sensations internes, de sorte que dès lors nous aurions le « sentiment » de
Tezislence du monde extérieur.
G. BOS. — LES CROYANCES IMPLICITES 45
pas celles du toucher ni du sentiment de résistance, tandis que
celles-ci impliquent les autres et sont par suite les plus désastreuses
pour notre santé intellectuelle.
Mais c'est notre mouvement, c'est-à-dire notre activité volontaire
de contact et de résistance, qui nous procurera ces sensations et par
là nous sommes ramenés à la conclusion où partout nous avons été
conduits, ne faisant pas différer la croyance de la volonté. Nous
verrons, en effet, quand le mouvement deviendra impossible, le
sens du réel s'affaiblir ou même disparaître. Et de même la croyance
en la réalité des objets étant en proportion de leur efficacité à sti-
muler la volonté, lorsque celle-ci viendra à s'affaiblir, le doute
apparaîtra : nous verrons, en effet, à l'aboulie lié le curieux délire
du doute. De sorte que la raison ultime de notre croyance en la
réalité du monde extérieur, que M. James place dans des postulats
d'ordre pratique, peut être dite, en langage plus métaphysique :
notre volonté que ce monde soit.
IV
Croyance auj)a$sé et au futur. — A Télat normal, nous ne tenons
l=^as seulement pour réels les événements présents à mesure qu'ils
^« déroulent, notre croyance porte encore sur le prolongement du
ï^ résent : en arrière, sur le passé et, devançant les événements, sur
i^ futur.
La mémoire, qui nous conserve les faits, les enregistre avec le
^^^^-3iractère de réalité qu'ils eurent lors de leur présentation et quand
'*^^ous nous a rappelons y> avoir rencontré hier notre ami, nous
^^^Toyons bien en môme temps qu'il en fut réellement ainsi. Faut-il
^^es preuves de cette loi? mais notre conduite de tous les instants
^^ïous en fournit : presque chacun de nos actes implique notre
^^^royance à des faits passés et trouve dans ceux-ci sa raison suffi-
sante. Pourquoi faisons-nous provision de chauffage en automne,
^iinon parce que nous croyons que l'hiver, comme chaque année, va
v^evenir? Pourquoi désirons-nous retourner en certains lieux sinon
l^arce que nous croyons que nous nous y plairons comme par le
V)assé? .Mais le sentiment de réalité rétrospective peut s affaiblir indé-
l^endamment du souvenir, le doute quant à la réalité du passé peut
coexister avec une mémoire parfaite. On se rappellera, par exemple,
la journée précédente dans ses moindres détails, mais on demandera :
<i Est-ce bien vrai que cela a réellement eu lieu? » Gela nous mon-
tre que la croyance à la réalité du passé implique quelque chose de
plus que la conservation des images, elle dépend d'un effort de syn-
i
46 REVUE PHILOSOPHIQUE
thèse de la part de l'individu que celui-ci pourra n'ôtre plus capable
d'ajouter, comme un dernier surcroît, à la conservation mécanique
de ses souvenirs.
Cette croyance au passé fait rarement défaut et de fait, elle est de
nécessité vitale, puisqu'elle conditionne non seulement notre con-
duite à venir mais encore la présente. En outre et réciproquement,
elle se renforce à tout instant par nos actes présents desquels, a
postertoH^ nous déduisons la croyance implicite au passé.
Cependant plus vive encore est noire croyance en la réalité du
futur. « Elle semble plus facile et naturelle que la croyance au
passé », dit Sully, « car dans l'anticipation notre imagination partant
du présent se meut le long de la série des expériences dans leur
ordre réel et non dans l'ordre inverse ».
Mais la vraie raison nous semble plutôt, que la croyance au futur
va dans le sens de notre désir; ce qui fait sa force, c'est qu'elle est
une forme de cette espérance, de cette attente (|ue nous analysions
plus haut. Dans la croyance au passé, nous no sommes encore que
passifs vis-à-vis de nos souvenirs, ils nous reviennent affectés d un
caractère de réalité rétrospective fondé sur le lait que cette réalité
fut déjà présente, La croyance en l'avenir réclame plus de nous,
elle implique notre activité, notre vouloir que les choses imaginées
soient', nous sommes ici créateurs, car il s'agit de choses qui jamais
encore ne furent et qui réclament de nous un effort pour être tirées
du possible et amenées à la réalité. Croire qu'hier le soleil s'est levé
se confond pour nous avec se rappeler le fait : croire que le soleil
se lèvera demain, bien qu'une tendance créée par l'habitude nous y
pousse, cette tendance demeurera vaine si nous n'avons pas la force
de suivre sa sollicitation.
C'est pourquoi j'hésite à partager l'opinion de Sully et à tenir la
croyance au futur pour plus forte que celle en la réalité du passé.
Cela pourra être sans doute, dans bien des cas, mais ce sera sur-
tout à cause de l'émotion éveillée en nous par la représentation
du futur. Chez une jeune fille, par exemple, l'idée de son premier
bal auquel elle ira dans huit jours amène une croyance plus vive
que celle attachée aux faits insignifiants de la veille, parce que ce
bal l'intéresse, qu'à côté de cette image tous les souvenirs parais-
sent ternes. Mais, en règle générale, ce qui demande un effort
étant plus difficile que l'activité automatique, notre croyance dans
le futur est moins solide que celle dans le passé. Et je n'en veux
d'autre preuve que Tordre même de régression de nos souvenii-s :
les malades, nous le verrons, doutent s'il y aura un lendemain avant
de douter si le jour précédent a réellement été. C. Bus.
REVUE GÉNÉRALE
LE MOUVEMENT PÉDOLOGIQUE ET PÉDAGOGIQUE
II
Toutefois, à mesure qu'aveo la néeessUé « de connaître tes grandes
lois biologiques relatives au développement de Tenfant pour pouvoir
dèfînir exactement ce qu'est réducatioii o,se précise le rôle de Técole;
oo comprend qu'elle n'est pas seulement le milieu où Tenfant normal
doit évoluer sans enlrave « sous ruction de ses propriétés internci^ »,
Comme rétablit fort bien M. le D^ J. Demoor, médecin en chef de
rÉcole d Knseitrnement Rpécia! de lîruxelles^ si parmi les tendance«
béredtlairt's il en es( de nuisibles ou si^ dans le milieu extra-scolaira
leti eoDdUions de vie f^ont défavorables» elle doit créer chez les étrei
tionnj^iix des condtUoTii» qui annihilent raction néfaste des premières*
Pour k»s êtres atiortnaux, elle doit constituer un milieu dans lequel
Utni est préparé pour réagir contre les facteurs qui ont amené [*ano-
inalie. et ptiur provinjMer, autant que possible^ une variation organique
et révolution ultérieure normale *< u Sans admettre avec M, Demoor qui
confond parfois l'cducatioa et Télevage^ que l'éducateur est simple-
loeut un hygiéniste, nou» devons reconnaitre que les problèmes de
pédologie païholoL'ique ont été jusqu*à présent en France g'ravement
né^igés. Memedajis Tccole expérimentale, on parait ignorer Texislence
des anormaux et l'ubliiralion qui incombe à la société de leur donner
une éducation appropriée à leur état.
En Allemagne, l'excellente revue Dte Kinder fehler dont il a été plu-
Bieura fuiii question u-i ^ prouve par les travaux de ses collaborateurs et
lc« améliorations quVile a lait introduire dans Torganisation ecolaire,
I. Voir le niimùrr) prècètlciit»
î, J. lk*ti>oor l'écQle, p, i, collection Syiliibiïî? de rKxiension de PLfnîversité
libre de firuietles. Voir auï^si, du aième auteur et dans la même eolleclion si
curieuse 1*1 si oiile, U i^htfSfohffif de VespriL Rappelons encure ïe^ vue!^ énoncées
IMr M. Deiuoof tlans les* Busses sviettlifiques de réducaiioti^ sylJabus analysé dans
t» tdetue ijhiiosuphti^tje i octobre i%9^) .
*. Voir  ce propos le trèu curieux travail de MM* Binet et Henri sur la Sug'
gêtiéifihti des enfanU dans V Année p^ythatagiffue^ IIÏ99| p^ iOO*
48
MEVUE PHlUOSOFBiOUË
combien il est urgent de traiter avec tampleur voulue le problème
des enfants anormaux, Indépendammï'nt des analyses où sont appré-
ciées les prlricipales pubïicalionâ, notamment la brochure de BeriUon
sur rhypnotisme et la pédagogie» (Ufer] et le livre de Milnsterber^
sur !a psychologie et la pédagogie, les dernières livraisons contienneiit
r observation suivie d'Hélène Keller, sourde et aveugle, les débats dit
neuvième congrès (18 septembre, Dre&lau) pour Téducation des faibles
d'esprit^ plusieurs études de pédiatrie, des considérations sur une
série d'exercices méthodiques du sens musculaire chez les arriérée
(Kupfer Schmid), en lin d'intéressantes considérations, sur la patho-
logie de la Limidité enfantine. Les fonduleurs de ce très utile recueil,
qui entre dans sa cinquième année , viennent de urèer une société
d'istudes pédologîques et d'étendre a toutes les recherches relatives à j
Teiifance, leur Fievue consacr^^e jusqu'alors à la pédologie patholo-
*?ique laqueile reste robjet principal de leur publication* Espérons que
cette reforme, à Tinstar de beaucoup d'autres, ne fera pas perdre au
KiTufprfphîer sa véritable originalité et quM re-stera surtout un
or^i-ane de pédologie pathologique^» au moment où Ton commeDce enÛu
à s'émouvoir de la situation faite aux enfants anormaux.
Elle ne pouvait échapper à la perspicacité d'un podologue de la
valeur de M. Monroé. Dès t8'J4, il s'occupait non seuîenieot des sourds-
muets, mais aussi des institutions anglaises relatives à Téducation des
faibles d'esprit. Dans une communication faite au Congrès de méde-
cine mentale de Fort Vayne (Indiana), il faisait connaître les résultata
d'une enquête entreprise sous sa direction en Californie. Sur l0M2
enfants observés, on n'a trouvé que 6 imbéciles et idiots : selon le pré'
jugé courant tous les autres étaient censément normaux et leur pré-
sence dans les écoles publique» semblait parraitemcnt naturelle. Eu
réalité si on laisse de côté les mutilés (1>8), les délicats ^754)^ les ùpU
leptiques se corn plan! par centaines, on trouve encore 1054 enfants à
resprît lent et :ÎIJiS présentant une incontestable faiblesse d'esprit. Il
est évident que les anormaux devraient être placés dans des institutions
spéciales et que cette conclusion s'imposera de plus en plus au pédo^
loguc et au législateur* «t Une longue expérience m'apprend, conclut
M. Monrot% que dans une école de dO élèves, il y a au moins un enfant
qui serait plus économiquement et plus utilement placé dans un
établissement spéiîial que dans une école publique. Gardés dans les
écoles pi ï maires avec des maitres qui connaissent peu leur élat mental
et qui ne savent pas apprécier leurs besoins, ils laissent ces écoles
pour prendre rang parmi les pauvres« les déchets sociaux, les ratés,
les criminels ^ »
Il est urgent de compléter rinstructioii pédologique des maîtres, en
leur fournissant le moyen de diagnostiquer les anomalies présentées
i. Voir riolajnnienL iieirw* phiioJtffphitfuet 1898.
2. D'ûprè» la IraitucLinn (rançaiëe de tu brochure de M.Monroè, publiée dtas
le ti- 1 fie la /î(et?u« inlei^^HuHouale de pédû^Q^ie comparative.
REVUE GÉNÉRALE. ^ MOUVEMEMT PÉDOLOGIQUE ET PÉDAGOGIQUE 49
parles enfoiots et de dresser la statistique des anormaux qui doivent
encombrer nos écoles, pour le plus grand mal des mai très et des élèves.
Ce travail vient d'être fait en Suisse : nous avons dit ailleurs* comment
ce recensement a été opéré sur la demande même des insti tuteurs et
en grande partie par eux-raômes diaprés des instructione et un ques-
tionnaire très habilement conçus^. Les résultats sont frappants : « Les
enfanta faibles d'esprit a un degré quelconque, mais susceptibles de
développement intelleotueU forment un total de 7667 ou de 16,5 par IDOU
sans compter les îdiotsî, les crétins, les sourds-mueLs, aveugles et
[«strûpiés qui donnent un total de 41 '2 T. Ainsi les anormaux les plus
nombreux sont précisément ceux qu*on traite en France par prctéri-
lioD et dont aucune statistique ne fait mûme mentioiu iSelon TexceUeate
remarque du U* Hamon du Fougeray, nous sommes k peu près restés
aujourd'hui au point où nous étions au siècle dernier. Non seulement
rÊtat ne reconnaît que deux catéj^ories d'enfants anormaux, les sourds-
muets et les aveugles, et néglige presque totalement k's idiuts et les
bègues, mais il ignore les estropiés et en général tous les faibles d'es-
prit auxquels beaucoup de pays étrangers ont depuis longtemps ouvert
des écoks spéciales, comme on peut s*en assurer en cousultaut la col-
leotton d'une Hevue nouvelle, la seule que nous puissions opposer à
Tétranger dans cet ordre d'idées et qui est appelée à rendre les plus
grands services, la Heime hilernalionale de pédagogie comparative;
M. Majlloux et le D''Couêtoux auront le grand mérite de mettre enûn
à Tordre du jour, par leurs travaux personnels et par la vulgarisation
des méthodes employées à Tétranger^ ces questions de pédologie mor-
bide qui doivent j ter une lumière profonde sur tous les problèmes de
^pédologie normale*
ïj'idiot de naissance est géneralemeiU abandonné aujourd'huii :
comme le note M» Demoor dans son étude sur les Enfants anormaux
ri leur édueatimiM a c'est une faute grave que rien n*excuâe i». II faut
le rojvduiré à récôle, mais à une école spéciale^ adaptée à son indi-
vidualUéf qui exige des exercices variés et concrets. L'éducation
«ocialf^ par la gymnastique^ l'atelier^ le jardin, et l'apprentissage d'un
métier transformel ont bientôt le malheureux, condamné jusqu^ici à un
injuste isolement. Il y a deux autres classes d'enfants, les simples
d'esprit et les imbéciles, chez lesquels le fond psychique est défectueux.
îiien conduits, ils ne grossiront pîus le nombre des arriéres et mûme
énérés. Qu'on leur ouvre des classes spéciales dîtes écoles
i'"3 où ils pourront s'instruire, se corriger, éviter la pri^ou qui
les altendf On devine en ciTet rétroite connexion qui unit renfanee
I. Vnr êt/ttiit(iffu^ nici^aiifitré^, 16 septembre iHUft.
â. CoiMii»e t'oditilÈmenl iln notre èttidc consat:réc au nî<ti;n!*ement Miisse et h
U oc«'»*'*Hi**'' <!** îrtire en France une stFitisli>|ue coujpiêti^ des nttormaux. la Hamf
^inifrmtitim&ie rtf pédugogie compftrfîtivr (n* du ï5 février lî>OÛ,) a publié la Ira-
laet>«in du ipie^lioi maire suisse et les n-^t^yllaU du recens&ment opéré. Nous lui
pritnluns les chi tires qu»* notis cil arts.
TOiK u— lOUiU 4
50 REVUE PHILOSOPHIQUE
anormale et la criminalité précoce. On accuse Técole d'impuissance et
d'incapacité; on oublie qu'entre autres causes importantes qui ont
paralysé les efîorts du maître, il faut mentionner Terreur commise par
la vieille pédagogie. Dans son ignorance des sciences biologiques, elle
place souvent dans la môme école et sous le même enseignement
sinon les idiots au moins les faibles d'esprit et les déséquilibrés. Si
on avait dépensé pour la première éducation de ces enfants la dixième
partie des fonds gaspillés en frais de justice, police et prison, on se
serait évité bien des mécomptes. Comme le prouve encore M. Demoor
dans son étude sur les Enfants anormaux et la criminologie y plus de
40 p. 100 des anormaux ont été améliores par le traitement.
Quant aux dégénérés qui forment le groupe des individus les plus
dangereux pour la société, celui où se recrutent les meurtriers de
treize ans, les voleurs de dix ans, etc., ils ont une intellectualité par-
fois développée. Il est évident qu'il faut les éliminer du milieu scolaire
habituel, les placer dans des instituts comme celui d*Elmirat ou les
TraininQ'Sclwols de Londres. Reste eniin parmi les dégénérés la
classe des passifs, dupes des malins et de» rusés, petits malheureux
à l'intelligence obtuse destinés à devenir l'instrument de tous les
crimes. Le Scliool Board do Londres a ouvert à ces dégénérés des écoles
où un travail progressif est obtenu à force de patience et de bonté.
Sans entrer dans le détail de l'organisation anglaise, il suffit de noter
que partout on s'occupe de créer des instituts spéciaux et de déterminer
en recourant aux caractères psychologiques (violence, sournoisie»
inattention, obtusion intellectuelle, aboulie), les moyens de diagnos-
tiquer Tanomalio chez l'enfant. Peut-être môme M. D. a-t-il découvert
un moyen de différencier immédiatement l'enfant normal de tous les
autres : sur 380 enfants de six à quinze ans examinés au point de vue
de l'illusion musculaire, 370 la possèdent et 10 au contraire n'en sont
pas dupes, et il se trouve que ces derniers sont tous faibles d'esprit.
L'exploration des illusions musculaires pourra-t-elle servir au dia-
gnostic des arriérés? La question mérite d'être examinée de plus près :
en tous cas, l'idée que suggère M. D. est fort intéressante.
Quiconque veut déterminer les troubles mentaux chez l'enfant doit
procéder à l'étude des prédispositions héréditaires, à l'examen exté-
rieur, à l'interrogatoire et enfin à l'examen psychique destiné à révéler
avec plus ou moins de précision les anomalies émotionnelles, intellec-
tuelles ou motrices. On trouvera le détail de cette sémciologie exposée
avec autant de clarté que de méthode dans le manuel très intéressant
que le I)"" Manheimer vient d'écrire sur les Troubles mentaux de VEn-
fance. Ce précis de psychiatrie infantile a sa place marquée dans toutes
les bibliothèques de pédagogie : il intéressera encore au plus haut point
le médecin des enfants, le magistrat, et en somme le père de famille.
Ce manuel leur présentera en môme temps qu'une bibliographie
complète, une vue synthétique et précise des questions de nosologie,
de médecine légale et de thérapeutique dans l'état actuel de la
REVUE GÉNÉRALE. — MOUVEMENT PÊDOLOClQUE ET PÉÛArtOCraUE M
science *. Si la psychologie du D'^ M. reste parfoi*s vague ou même
confuse» quand îl attribue par exemple à rimaginatiori le mie de la
xnémoire. saclasaillcation très rationnelïe des troubles riientaux infan*
iilta en psychose pure, dégénérescence, névrose, état de régression et
diUlre toxique, à l'exclusion des états d*arrôt (idiots, imbéciles, goi-
treux), est particulièrement intéressante. Elle montre neUement com-
bien on a fait erreur en réduisant à Tidiotie les troubles meutaux de
rcnfancc. Mais ii ne faudrait point par un excès contraire considérer
rîdiot comme un être véritablement extra-social che^ lequel on ne
saurait guérir les troubles mentaux sous prétexte qu'il ne peut y avoir
troubles de facultés qui n'existent pas. En tout état de cause il est une
foMde plus établi que Tenfant peureux, biziirre, triste, menteur, est uo
arriéré a soiguer et non à punir; que le dégénéré délinquant, le vaga-
bond, le voleur, Thomieide peut être amendé par un traitement médical
et psychologique convenable* Il y a une logique de Tenfance tout à
f.*il distincte de celle de Tadulte, et la table des valeurs éthiques doit
être complètement transformée. « En aucun cas l'enfant n*est assimi-
lable à l'adulte en ce que concerne la responsabilité générale. Et ce
a^eat pas seulement, comme on pourrait le croire, une simple diJTé*
rence d'infériorité psychique quantit.itive. L^enfant est, en réaîitc, de
par ses facultés intellectuelles, volontaires et affectives, d'une essence
autre, j» Il est temps que la pédagogie pratique tienne compte de ces
conclusions pour distribuer renseignement et surtout améliorer le sys-
tème des sanctions^ à la fois en ce qui concerne les enfants normaux
et celte multitude de déshérités auxquels il convient de donner désor-
Biaîs, dans des établissements spéciaux, une éducation rationnelle.
m
Pou à peu Tesprit pédo logique commence à pénétrer la pédagogie
traditionnelle ; on le reconnaît à de petits détails qui semblent
tallmes et qui révèlent pourtant a Tobservateur sur tel ou tel point
les prolUfi immédiats que Fart éducatif commence à tirer des premiers
essais de rénovation pédolog-ique. Bien que le moment des applications
géiicralos soit encore fort éloij^^né, on sent que l 'orientation est changée :
un marche sou a le vent et maî^'ré ïant d'obstacles qui alouidissent ou
dclournent le mouvement^ on fait déjà du chemin dans la bonne voie.
Voici quelques EssiàU sur le Fonfhment dt^ VÊducîition publiés par
le Révérend J. Godryez : au milieu des judicieuses et snines banalités
qiïj en constituent le fond, apparaît la constante préoccupation d*adapter
réducatton aux exigences de la science contemporaine, même l'ina-
1, A in stNte de Téliologic* de In séméiolofirie et de la *l(iscripUoa noso-
grajihtquc, le D' M» ciflmine thins un*î (^uaUièmt^ parlie, inlilube Médecine
1ég.\lc, la reipûtisnbiîilè d**s unfunla, le* eîTfaiits coupables, les enranls Lènioini,
le 9ukid<} dc?j etiliiutsel. daiia ntm cinquième^ Les que^lioàs de prupUylaxie* de
iFtiMainent médical, pi^yclicilcigique et d'assistance-
52 REVUE PHILOSOPHIQUE
truction religieuse, de fonder révolution morale sur la nature et de
donner à l'enseignement historique pour objet principal la recherche
des lois qui gouvernent les phénomènes sociaux, eux-mêmes étroi-
tement unis aux faits cosmiques. « Le manuel ou le professeur,
écrit fort bien M. G., devraient, avant de décrire les divers faits histo-
riques, donner une idée générale du système et des lois de TUnivers.
Il mettrait en lumière celles qui sont les plus générales et montrerait
comment les lois qui gouvernent l'ensemble de la nature dirigent
aussi les faits sociaux. Le professeur aurait ainsi l'occasion de donner
dès le début quelque idée de l'évolution qui a présidé au développe-
ment du droit écrit, de la moralité, des idées religieuses, et l'histoire
fournirait ainsi le moyen de retrouver dans les faits sociaux une
résultante particulière des lois naturelles. »
De même M. G. Marchesini dans ses Éléments de pédagogie insiste
fort heureusement sur la distinction entre l'art empirique, la doctrine
ou science appliquée et la science pédagogique ou pédologie qui a
pour objet l'homme en général en tant qu'éducable. Sans doute M. M.
est contraint de s'en tenir sur bien des points à une doctrine inspirée
surtout par l'empirisme, mais il n'a pas inutilement entrevu les condi-
tions que devra désormais remplir la pédagogie. Il fonde ses théories
pratiques sur les données de la psychologie objective : il ne se borne
pas à faire l'éloge de l'éducation physique, il montre qu'elle est le fon-
dement de l'éducation générale. Il insiste sur les rapports de l'éduca-
tion morale et du tempérament. Et s'il est forcé de maintenir dans ses
grandes lignes le système disciplinaire actuel, il proscrit l'emploi de la
plupart des punitions. Enfin il distinguo avec raison le développement
psychologique du bambin de celui de l'enfant. Et le très intéressant
chapitre qu'il consacre à l'éducation infantile montre que la doctrine
pédologique peut dès maintenant s'inspirer fort utilement des études
pédagOL^nques.
La même préoccupation apparaît dans l'important travail où
M. P. Romano expose aux auteurs contemporains le résultat de Trente
années d'études pédagogiques^ en un livre qui nous donne une his-
toire magistrale de la pédagogie italienne de Sicilani; un chapitre
est consacré aussi à la pédagogie anglaise représentée par Spencer et
Bain et un appendice au mouvement pédagogique dans les Univer-
sités des Etats-Unis. Après avoir médité en compagnie de tant de pen-
seurs distingués le problème de l'éducation, M. R. conclut que la
pédagogie doit fournir désormais un tout organique et systématique,
que partout se révèle le désir d'une pédagogie scientifique appelée à
établir l'éducation humaine sur les méthodes et les découvertes éluci-
dées par les sciences biologiques et morales. L'organisation de ren-
seignement pédagogique dans les Universités américaines, Thégémonie
accordée partout aux questions d'éducation, les théories à la fois si
complètes et si positives de Parker, Boone, Johus, Seeley, Earl,
Barnes, Hinsdalc, Ilalbrought, Dewey, Clark, Harris, directeur du
EETUE GENERALE. — NOLVEMEf^T PÉDOLOGIQL'E ET PÉDAGOGIQUE S3
célèbre bureau de Washington, lui inspirent une profûnde admiration
qui se résume dans celte pensée trèa juste dont chacun doit faire eon
proUt : ff La terre classique de la pédagogie n*cst plus rAllemagne, maïs
bien rAmérique du Nord. »
Par contre nos auteurs de manuels clasaiques nous paraissent
encore un peu timorés : sans doute la prudence en même temps que
la simplicité leur sont imposées. On peut pourtant, sans faire preuve
d'exigeoce révolutionnaire, souhaiter que Teaprit scientifique anime
pEus profondément nos livres élémentaires tandis qu*on en écarterait
certaines questions métaphysiques: on gagnerait ainsi du temps et de
li place pour faire connaître les résultats essentiels des enquêtes et
stîitistiques pédologiques. Sans aller jusque-la NL Camille Hémon, qui
est contraint de diriger ses éléments de psychologie pédagogique
conformément à un programme imposéj a compris ces considérations
et réduit au strict minimum ces théories ontologiques. Il a très bien
fait ce qu*il voulait faire, un travail de vulgarisation et d'adaptation,
pféaentant sous une forme familière et condensée les principales lois
de la vie psychologique avec les plus intéressantes appUcalions qui
a'ftn déduisent* Un esprit de modération fort judicieuse n'exclut ni
Tin format ion seientiïique, ni sur certains points fort importants des
solutions nouvelles et courageuses. Signalons notamment le chapitre
OOn^^ré à la discipline, a Ce qui importe, ce n*est pas la punition elle-
même, ce sont les dispositions morales dans lesquelles le coupable la
reçoit; aussi doit-on proférer à toutes les autres celle qui porte sur une
id^e plutôt que sur un fait* De la compression, quelquefois; de la fer»
meté toujours; de la dépression, jamais. La meilleure discipline est
celle dont on parle le moins * : elle comprend aussi les récompenses
quit toutes, doivent conserver un caractère vraiment moraL *
La prudence de nos manuels reste préférable à cet excès de systé-
matisation prématurée ou tombent trop souvent les raisonneurs alle-
aisnds, M. P. Natorp a fait un effort considérable et méritoire en
recherchaiit dans sa Pédagogie Sociale les rapports réciproques à éta-
blir entre Téducation et la collectivité, tl a eu rambition, pour les
découvrir, de descendre jusqu'aux fondements philosophiques des deux
«cieiices. 11 a dû ensuite déterminer les principes de Téthique et de la
cîologie et tracer la place de toute une organisation sociale, morale
Il pédagogique, méthodiquement constituée pour aboutir àTéducatioa
le là volonté, il devenait alors indispensable de procéder par déduction
'systématique et d^accumuler courageusement maintes hypothèses :
nous ne dirons pas sans doute qu'il a pris beaucoup de peine pour
rien. Mais la lecture dailleurs très laborieuse de ce grave travail doit
!, Voir tncore sur cetlu question Dkciplma ftcalmitcn educaiîvfi^ par G. Fer*
iri, qui ntjordp avec na fioiii minuUciix et décrit avec laet toutes les qiieslîon*
■uç ht itsmm d'une cïasse peut tain; surKJr* JJe pareîtlea lectures devraient être
Ifnpfiftèett o lous les dèbutatUâ ■ etttîs les feniient atitemcnt réfléchir et leur èvi-
If raient ûe désagréables surprises el de lourd esi nmladressus.
r*i KEVLE PHILOSOPHIQUE
servir de leçon à quiconque serait tenté d'édifier sur des recherches à
peine amorcées un syslèine où Ton se perd dans l'obscurité qui tombe
d'une s()ciolo«j^ie nébuleuse et d'une incertaine pédologie.
Pourtant il faut dans la pratique prendre souvent des résolutions, et
la commission parlementaire de renseignement a dû au milieu des
thi\ses les plus varices et môme les plus contradictoires choisir, selon
le précepte cartésien, « les opinions les plus modérées, les plus éloi-
gnées de Texcés, et le plus communément reçues par les mieux sensés
de ceux a qu'elle a libéralement consultés et entendus. La tâche était
malaisée. A force de méthode et de bonne volonté, en recourant à une
enquête largement comprise et à des discussions complémentaires des
plus importantes dépositions recueillies, elle a constitué le plus curieux
musée d'opinions pédagogiques et de controverses qui ait jamais été
exposé à la curiosité du public français. M. Ribot, qui a dirigé toute
l'enquête avec une courtoisie pleine d'à propos et une compétence
remarquable, a dégagé les résultats et vues d'ensemble en un lumineux
et suggestif rapport sur lu liènfnne de V Enseignement Secondaire. Il
examine successivement le régime des lycées, renseignement dans ses
origines, son avenir, ses subdivisions (classiques et modernes), ses pro-
grammes et ses sanctions. Il termine en comparant l'enseignement
public et renseignement privé : suit l'énumération des i)'2 propositions
qui énoncent les conclusions adoptées par la commission de l'ensei-
gnement. Un appendice est consacré aux dépositions qui forment
comme les références mêmes du rapport et qui ont exercé sur la déci-
sion des commissaires une inlluenee prépondérante '. M. R., en une
langue toujours èlôganto et facile, qui fait ressortir la forte souplesse
de son argumentation, juslitie les résolutions prises par la commission
qu'il préside. îSi celle-ci veut relever la situation et l'autorité du pro-
viseur c'est que « dans les grands lycées le proviseur est le chef d'une
administration beaucoup plus que le directeur d'une maison d'éduca-
tion p. Si elle sépare détisiitivoment le lycée du pen>ionnaî et crée deux
budgets spéciaux c'est que » le prix de la pension doit être l'équiva-
lent aussi exact que possible de ce que coûtent la nourriture, l'entre-
tien et la survedlance des pensionnaires... Le îuidget du pensionnat
dev.uit se sufiîre à lui-même peu; être reîr.is à i'r.uîiative du provi-
seur ». t>i elle vole l'institution à titre d'ess.ii des d.revteurs d'études*
pris parmi les pr\>fesseurs. c'est que rmierveïU.on plus fréquente et
familière dos professeurs dans la vie des ê'.tvos a.ira des avantages
pour tout le monde.
• Dans les lycéos les plus considérables, le j^ reviseur ne peut pas
s*occuper do tous les élè\es; on a Sv^:î.:e à lui adjoindre sous le nom
I. Dépouillons >:v:raits Jo MM, BerlhcM. La>:s>f, lV^;:;:v>, R. Poincarc,
Léon BMinKs\is^.
â. IV* I.^St^ nous *xoa* i,\:\ rt^>>.^r;.r \' rOlo ,;> .-;'.<>f^r> j:cr:ir.\ux en
REVUE GÉNÉRALE. — MOUVEMENT PÉDOLOGIQUE ET PÉDAGOGIQUE 55
de directeurs d*études des professeurs qui continueraient d'enseigner,
mais qui suivraient de plus près un certain groupe d'élèves pendant
un certain nombre d'années... Ce ne sont pas des fonctionnaires
nouveaux, mais une fonction nouvelle qu'il s'agit dans notre pensée
d'instituer. » Notons que l'auteur ajoute finement : « L'idée peut être
bonne. Elle a besoin d'être mûrie par l'expérience. » Propose-t-on de
supprimer l'enseignement moderne en prétendant que la civilisation
française est exclusivement latine? c Le génie français n'est pas fait
d'un seul élément... Plus d'un défant de l'esprit français vient de la
superstition que nous avons pour le droit romain. Nous demandons
qu'on ne répudie aucun des éléments qui ont formé la civilisation
française. » Sans doute M. R. écrit avec le sourire indulgent que pro-
voque chez un homme d'esprit un préjugé passé au rang de vérité
admise, que « le sens pédagogique n'est que le bon sens appliqué à
l'éducation ». Mais il déplore « cette absence de toute préparation
pédagogique des professeurs de l'enseignement secondaire, qui nous
a été si vivement dénoncée au cours de l'enquête... La pédagogie n'a
jamais été plus nécessaire... L'agrégation a pris un caractère de moins
en moins professionnel; elle tend à devenir un grade des études supé-
rieures, au lieu d'être ce qu'elle devrait être, un certificat d'aptitude à
l'enseignement secondaire. Au témoignage d'un déposant les profes-
seurs savent tout, sauf leur métier ». M. R. signale enfin les causes
économiques et sociales qui ralentissent le recrutement des lycées.
Toutefois avec une finesse de touche et une justesse de coup d'œil
dont l'exactitude ne saurait échapper, il note les causes morales qui
déterminent la crise actuelle, «t II y a eu dans une portion de la bour-
geoisie un mouvement de recul; confier aux maisons ecclésiastiques
l'éducation de ses fils cela est devenu une affaire de mode... Il se
môle d'ailleurs à ces entraînements mondains quelques calculs inté-
ressés... Le patronage des congrégations n'est pas inutile. L'éloge
si souvent répété de Téducation donnée dans les maisons ecclésias-
tiques a produit d'autant plus d'effet que « Tinlluence de la mère
devient de plus en plus grande dans tout ce qui touche à féducation
des enfants ». Aussi tout en déclarant que l'Etat doit respecter la liberté
de l'enseignement, M. R. ajoute qu'il doit veiller tout au moins à ce
que l'éducation donnée dans ses établissements « ne paraisse pas
assurer aux futurs fonctionnaires ou aux futurs officiers moins d'avan-
tages au point de vue de leur carrière que l'éducation donnée dans les
établissements libres ». Il importe encore qu'il surveille au point de
vue de la morale et de l'obéissance aux lois les établissements libres,
qu'il améliore les siens en transformant le régime des lycées rendus
plus libres et mieux adaptés aux diverses régions, qu'il fasse du répé-
titeur un professeur adjoint, du professeur un pédagogue exercé et
dévoué à son métier, du lycée un organisme vivant ayant sa person-
nalité morale. Alors la crise actuelle aura eu en somme des effets
salutaires. « L'Université en sortira plus forte et plus maîtresse d'elle-
86 RRVL'E PHILOSOPHIQUE
môme. C*est une évolution qui se prépare et non une décadence qui
se précipite », conclut M. R. qui sans doute a raison d*ètre optimiste.
Mais il est aussi trop bon politique pour se faire plus d'illusions qu'il
ne convient sur les difficultés d'exécution que rencontrera « révo-
lution » qu il annonce et qui pourra, nous le croyons en effet, avoir
d*heureuses conséquences si on s'applique à en faciliter le dévelop-
pement. Quoi qu'il arrive l'œuvre entreprise sous Thabile et active
direction de M. R. fera date dans Thistoire pédagogique de notre
enseignement secondaire.
Notons toutefois une lacune : la commission d'enseignement a déli-
bérément exclu de son enquête la question de L'Éducation Moderne
des Jeunes Filles que Mlle Dugard traite à un point de vue original.
Un fait curieux s*est produit à mesure que Tétat provoquait par la
création des lycées féminins une série de discussions qui réveillaient
l'indifférence séculaire des familles. Les mères ont repris en général
la direction des études de leurs lilles et un grave conflit s'est élevé
entre l'éducation familiale et l'éducation scolaire. Mlle D. en étudie les
formes et les conséquences : d'une part on a voulu faire pénétrer dans
renseignement des jeunes lilles Tesprit scientitlque, Tidée d'une
loi morale indépendante, une série de tendances libérales et tolé-
rantes. D autre part le milieu et la coutume s'attaquent tour à tour
à tous les préceptes de Tôducation libérale pour décider qu'en tous
points il faut se conformer à Topinion « des gens distingués ». De
cette éducation en partie double, on devine les résultats : plus
soucieuse de tranquillité que de vérité, la jeune tille se marie par
besoin d'aiTranchissement, sans avoir rien de commun avec son
iiancé... si oe n'est parfois le goût du sport. Victime d'une surveil-
lance inquiète et jalouse, elle ne sait ni voir ni entendre et, pour ne
déplaire à personne* évite de penser ou même d'avoir une opinion.
Et par cette éducation de compromis, les classes dirigeantes croient
proparer leurs tilles à toutes les éventualités, aux changements
qu'elles redoutent et, espèrent que. quoi qu'il advienne, elles garde-
ront ainsi leur n'^le supérieur. » A ce mal très réel. Mlle D. ne voit
qu'un remède parce qu'elle n'a trouvé qu'ur.e cause : rapprocher lea
maîtres des parents, qui les connaissent à peine, et qui apprendront
ainsi « le but de Téducation moderne qui doit préparer le triomphe
du juste et de la bonté réparatrice y. L'ctioloçrie et la ihérapeutique
an peu simpliste de Mlle D. n'enlèvent rien à la valeur et à l'intérêt du
diagnostic qu'elle a posé. Elle a constaté en termes excellents et d'une
cordiale éloquence un mal très grave qu'il faut en e:Tet guérir, si Toq
Teul préparer vraiment nos jeunes filles au rôle qu'elles auront à
remplir dans la démocratie laborieuse et agitée que verr.i le siècle
produùn.
Peat-ètre le mal eut-il été bien moindre si on avait mieux adapté le
plan d*êludes au milieu social et scolaire, et c'est une idée qui parait
beaucoiq» moins simple qu on ne le croirait d'abord que celle d*une
AIIVUE GÉilÉRALi;. — MOUVEMENT PÉDOLOCIQUE ET PÉMGOCIQliE 57
Esquiêse d'un en&eupiemeni bmé sur la psychologie de VenfanU
8elon la remarque très judicieuse de M. Lncombe, les auteurs de sys-
tèmes, pour rédiger leur programme, ont consulté surtout leurs déairs,
f Ils ge deniandèrent avec simplicité : t Que voulons* nous que
l'enfant sriche ? ►* et ils partirent do là sans song^er Te moins du monde
à se poser cette autre question ; Qu'est-ce que Tcnfant est apte à
apprendre' f> M. h. a raison de préférer h renseignement dogmatique
partcint de notre volonté comme si on n'avait ici qu'à vouloir, celui qui se
fonde sur Tobservation de Tenfant. Le jour où des enquêtes objectives
aiîront déterminé la vraie nature du sujet éducable, on verra éliminée
• la première dilTiculté de Tart d'instruire m. Elle vient, comme Técrit fort
justement M. L., n de ce qu*oii est, au moment où on le pratique, un
homme fait », Kn attendant, il faut se contenter d'entrevoir les mo-
biles qu'on peut susciter : ta crainte éliminée^ reste la curiosité. Pour
réveiller et la retenir^ e il faut enseigner le milieu immédiat, actuel »
où Fenfant se trouve plongé, lui montrer le monde coloré, mouvant»
a*itL% qui l'environne. Qu'on choisisse un maître qui suit voir et faire
voir, it va susciter chez Te n faut le désir de regarder, de dessiuer, do
noter et en lin d'écrire; a*ii y a quelques retardataires^ un devancier,
. Jiabilement mis en comparaison avec le réfractaire, lui inspirera bientôt
une admiration qui le stimulera. M. L. préconise le même système
* quand Tenfant monte des petites classes aux classes moyennes a la
iuite d'une promotion, qui ne sera pas collective mais toujours indivis
duelle; il persiste à enseigner toujours un peu de tout et à procéder
par leçons de choses : on sacrifiera les langues anciennes mais pour
développer le jugement on s'efforcera d'enseigner à croire ditTieilement,
et pour bien apprendre la langue maternelle on donnera, idée fort
ingénieuse, du français à traduire en français. Toutefois cette exclu-
sion de toute sanction pénale, renforcée il est vrai par une éducation où
une morale soicntinque et active aura une large place, ce recours
pt<rpétuel au travail a t trayante cette réduction trop simpliste de toutes
les inclînationa enfantines à la seule curiosité, aboutiraient» si l'on
prenait au mot M. L., à des retards, à des mécomptes et même à un
abaissement du caractère qu'un esprit aussi aviso que le sien a sans
doute prévu. Quelle autorité morale aurait ce maître réduit souvent à
sAv^amment arranger a des inconstances qui sollicitent Tenfant dans
la direction souhaitée ^, à «r jouer la comédie »s à « Tamener sournoise*
meot 0 à poser telle ou telle question? Mais M* L. a voulu surtout
mettre en lumière le parti qu*on pouvait tirer d*un mobile systémati-
quement négligé, la curiosité enfantine ^ réclamer en faveur d*un
enseignement fondé sur le naturel de Tenfant et montrer comment
rinitialivê individuelie, en dehors des professionnels trop souvent
routiniers» peut contribuer par de libres et originales suggestions
au progrès de Téducàtion publique dans notre pays, et il a pleinement
réuesi.
M. L. fait aux sciences une large place, aux dépens des langues
S8 REVUE PHILOSOPHIQUE
anciennes, et M. R. sacrifie presque complètement le grec : ne pour-
rait-on pas maintenir les anciennes humanités, tout en donnant à
renseignement scientifique le premier rang? A cette œuvre de conci-
Mation, M. Bertrand consacre un beau livre prestement écrit, forte-
ment documenté, un livre qui fait réfléchir et dont rargûmentaticn
habile et séduisante appelle l'attention de tous ceux qui cherchent ce
que doivent être les Études dans la démocratie, « Puisque ce sont les
langues soit anciennes, soit modernes, autant dire les mots, qui nous
divisent, fondons notre enseignement sur les sciences, qui sont à la
fois très anciennes et très modernes. Il n'y a rien de plus classique
que la géométrie, de plus moderne que la sociologie ». On déplore la
stérilité d'un enseignement qui ne prépare que des fonctionnaires,
l'insuffisance de réformes impuissantes à ramener dans les études
l'unité de vie et d'esprit, la division des jeunes gens en anciens et
modernes, la valeur dérisoire du baccalauréat, délivré pourtant au
nom de l'État. Pour résoudre ces quatre difficultés, il suffit de créer
un enseignement fondé, non sur la somme théologique du moyen âge,
mais sur la somme scientifique moderne.
Dans le lycée nouveau, l'enseignement, « ayant pour principe
essentiel l'étude théorique des sciences, envisagées dans leur filiation
et leur interdépendance », est réparti en quatre années; première
année, mathématiques; deuxième année, physique; troisième année,
biologie; quatrième année, sociologie. Le maître, qui ne doit pas con-
fondre un enseignement intégral avec un enseignement encyclopé-
dique», rapporte chaque groupe de vérités essentielles a son milieu
social, chronologique et humain. « Les sciences deviennent enfin des
humanités. On inculque ainsi h relève, avec l'idée de développement
ou de progression scientifique, le sentiment de la solidarité humaine et
la piété du passé. » On dira que la série des classes ainsi formée
répond à la classification d'Auguste Comte. Mais cette dernière, sans
être parfaite, n'a-t-elle pas l'avantage essentiel ici de reproduire fidè-
lement la marche de l'esprit humain? Si on demande comment les
sciences peuvent devenir des humanités, c'est qu'on ignore que la
science est une perpétuelle école d'idéalisme, qu'on la pourrait définir
un élargissement de l'âme. Elle a une vertu éducative admise par les
plus idéalistes des penseurs, témoin Malebranche dont M. B. cite des
textes aussi curieux que probants : elle exige enfin chez ceux qui la
cultivent ces qualités d'absolue nécessité, de calme et do désintéres-
sement qui font de l'éducation scientifique la meilleure école d'affran-
chissement et de moralité.
Voilà qui est fort bien, dira-t-on, mais que deviennent dans le lycée
de demain les humanités littéraires? Les lettres demeurent un élé-
ment intégrant et inséparable des études, car, chose originale et inat-
tendue, ce projet révolutionnaire n'ajoute rien et ne retranche rien,
sauf le grec, aux choses enseignées dans les collèges actuels. L'élève
choisit à ses risques et périls le latin ou une seconde langue moderne :
REVUE GÉNÉRALE. — MOUVEMENT PÉDOLOGIQUE ET PÉDAGOGIQUE 59
la connaissance approfondie de la langue et de la littérature française,
jointe à celle des autres littératures, « conditions de culture et de
sociabilité, instruments de relations internationales, véhicules des
sciences >, reste le fond des études littéraires. L'histoire et la géo-
graphie sont enseignées comme études préparatoires à renseignement
sociologique, pendant les quatre années des cours secondaires.
L*horaire des classes prouvera qu'on entend bien faire à la culture
littéraire et esthétique la plus large place. « Dans le tableau dressé par
M. B., les études littéraires et esthétiques sont représentées en pre-
mière année par exemple par le coefficient 17, et les études scientifi-
ques par le coefficient 10. » Mais alors on va faire à M. B. une nou-
velle espèce d'objections. « Puisque vous laissez aux études littéraires
leur prééminence et que d'ailleurs vous ne prétendez rien bouleverser,
ouest donc l'avantage de la réforme que vous préconisez? u D*abord
le lycée de demain reconnaît et utilise la puissance irrésistible, souve-
rainement vivante et agissante de la science. Au lieu de la subir, il
Taccepte, l'organise et la modère. La réforme ne se réduit pas d'ail-
leurs à une précaution politique : elle réduit à quatre ans le stage
scolaire des enfants que l'action appelle, fait disparaître la solution de
continuité entre le primaire et le secondaire, délivre le futur lycée de
la cohue des mauvais élèves, « en opérant par la science une sélection
qui ne sera pas un fléau mais un bienfait ». Enfin, comme il suit la
nature, ce déplacement remet toutes choses à leur vraie place, tire
meilleur parti du talent des maîtres et du travail des élèves, réconcilie
en les adaptant Tune à l'autre l'école avec la vie, sans d'ailleurs
effrayer personne : « Parents et élèves se douteront à peine du chan-
gement, tant il sera, non pas superficiel, mais profond ». Tel est le
système que préconise M. B., tout en déclarant modestement qu'il
n'en est pas l'inventeur, et en se donnant uniquement pour le greffier
de nos traditions nationales. On lui reprochera sans doute d'être
séduisant et très beau... sur le papier qui se laisse écrire : il
n'explique pas, sauf pour les mathématiques, comment sera compris
et organisé le nouvel enseignement scientifique. On se demande,
encore si la sociologie est une science suffisamment consciente de sa
méthode et assez riche en lois démontrées, pour fournir, même unie et
peut-être confondue avec la morale, l'enseignement principal de la
quatrième année. On hésite surtout à croire qu'on pourra en quatre
ans développer utilement le programme intégral qu'on nous présente,
même si on s'appuie sur une solide instruction primaire préparatoire.
Mais il en est de toutes les objections comme du plan même de
M. B. : l'expérience seule pourrait juger la question en dernier
ressort, étant donnée notre actuelle ignorance pédologique. En tout cas
il est regrettable que dans un pays comme le nôtre, il ne se trouve pas
quelques hommes d'initiative pour créer un collège d'humanités
scientifiques; en tout état de cause, les enfants n'auraient rien à
louffrir de cet essai et il resterait du plan élaboré par M. B. autre
60 REVUE PHILOSOPHIQUE
chose que le livre captivant où il est composé et défendu avec toutes
les ressources qu*un savoir étendu, une dialectique pressante et une
vision très nette des difficultés actuelles peuvent mettre au service
d'une conviction généreuse et d'un amour éclairé de la démocratie.
En attendant que les réformateurs aient trouvé un terrain d'entente
pour réédifier notre enseignement secondaire, il est urgent de pré-
server l'enfance et ses instituteurs d'une série de sophismes d'autant
plus dangereux qu'ils sont plus répandus et plus insinuants. Voici en
effet qu'autour de l'école et à l'encontre de son enseignement moral
traditionnel, surgissent une série de systèmes vivants et agressifs qui
prétendent parler au nom de la science ou de l'art et dont il faut
pourtant mettre en lumière, avec la part de vérité et d'importance qu'il
est bon de leur accorder, l'influence débilitante comme l'insuffisance
théorique et pratique. C'est le programme que se trace, dans son livre
intitulé Morale et éducation, M. F. Thomas, le pénétrant et ingénieux
auteur de l'éducation des sentiments. Sur les rapports de la science et
de la morale, sur les systèmes qui rejettent en morale la liberté ou
l'obligation, sur les différents aspects du dilettantisme, de la morale
esthétique ou ascétique, sur le solidarisme et l'individualisme, M. T.
nous donne une série d*études nettes et frappantes. Il procède plutôt
par exposés rapides et généraux, mais on y retrouve toujours les points
essentiels, ceux qu'il fallait avant tout dégager, parce qu'ils intéres-
sent l'éducateur. S'agit-il du prétendu conflit de la science et de la
morale? « Il n'existe qu'entre les moralistes et les savants,«par con-
séquent toute réaction contre l'une ou contre l'autre ne peut être
qu'une réaction contre la raison. » Le déterminisme a sa valeur morale,
mais tout en l'enseignant aux enfants, il faut préserver en eux la con-
viction profonde et inébranlable qu'ils seront un jour ce qu'ils se
seront faits. Le maître et l'élève doivent aimer leur travail et le croire
utile, c'est pourquoi le dilettantisme des Sous-Bergeret est un jeu dan-
gereux, le scepticisme des maîtres étant plus périlleux encore que leur
ignorance. La morale de contemplation esthétique des nouveaux fakirs
porterait l'enfant, s'il la comprenait, à préférer la forme au fond, à
négliger l'action et à prendre la vie en dégoût.
Sans doute M. T., par une très sage réaction contre Tascétismo kan-
tien, ne veut pas faire de la vertu un a fantôme à étonner les gens ». Con-
tradictoire et impraticable même pour l'élite, inintelligible et dange-
reuse pour la foule, la théorie du désintéressement absolu produit
dans l'éducation le pur psittacisme. « La vraie méthode à suivre est
celle qui se conforme à l'évolution môme de l'esprit de l'enfant, qui
sait monter vers le bien graduellement ses multiples énergies, qui
sait montrer surtout comment, dans la notion du devoir, se concilient
notre intérêt personnel et l'intérêt de nos semblables, i» Pour com-
battre l'individualisme avorté des snobs ou les scrupules dangereux
de ces tolstoîsants qui se croient libéraux quand ils ne sont qu'into-
lérants et paralysent à la fois l'activité du maître, sous prétexte de
REVUE GÉNÉRALE- — MOJJVEMKM PÉnOLOCJCJUR ET rÉDAGOGlQUE 61
espêcler sa conscience, et le développement de Teiifant parce que
^rhomine no peut savoir ce qu*il faut à l'homme \ il suffit de porter
[l'efTort de rédiication sur Thomme hilerieur sans doute» niais sans
oublier que « Vhomme intérieur qu'il s'agit de former est un Fran«,'ais
né aux: dernières beures du XIX"^ siècle, citoyen d'une démocratie répu-
blicaine ^ ». En unissant ces deux termes souvent opposés, moralité et
uliïile, on préparera Tadaptation de Tenfant au milieu où il doit vivre.
Ayant pour principe la dignité de la personne humaine et l'ohîtgaliou
de la respecter et de Taimer et pour cadre la réalité contemporaine,
renseignement moral est à la fois clair et précis, il fera voir à Tenfant
les liens étroits qui Funissent à rhumanïté. Loin d*ôtre imaginaire
ou dangereux» il apparaît comme facile et obligatoire à moins qu*on
ne veuille, en invoquant on ne sait quelîe vague et impersonnelle
neutralité, alian donner Tenfant à toutes les suggestions de Tinexpé-
rient'e et de la passion.
Dans le même ordre d'idées et peut-être avec le dessein de se
montrer encore plus conciliant que M. 1\ dont la doctrine reste
parfois flottante^ M- P. Malapert adresse quelques conseils de morale
pratique ^ujc jeu nés gfens. Quelques-uns pourraient les trouver incom-
plets ou môme timorés. Qu'il s'agisse du futur soldat ou du futur
citoyen, de Thomme comme être moral et religieux ou entin de la
conception de la vie, certains prétendront d'abord regretter que M. M.
se aoit tenu dans ces régions moyennes où séjournent les amateurs de
judicieuses généralités, que tout le monde peut admettre à condition
que personne ne soit tenté d'ouvrir la discussion. Mais il faut songer
que? ces cinq conférences ont été faites dans un milieu spécial, où
0*était déjà une hardiesse sans exemple d'aborder pareils sujets, et
qu'on y traite des questions que le professeur a généralement dans
nos lycées pour premier devoir de laisser de côté, sans doute parce
qu'elles sont essentielles. L*essai fait par M. M, était donc aussi cou-
rageux qu'original, et si l'on tient compte des conditions où il s'est
produit, on doit ajouter qu'au mérite de l'avoir conçu, il a su joindre
celui beaucoup plus grand de le mener à bien.
Il s'est donc trouvé dans notre Université un professeur pour
rcuiiir après la classe un groupe d'élèves, pour leur parler sérieu-
«emeat et utilement, avec toute* la diî^crétion, mais aussi totîte la fer-
meté voulue, des devoirs qu'ils auraient a remplir dos la lin de l'année
scolaire. M. I^ayot, dans un très beau livre dont le suct'és n*est pas
épai&é, avait traité en partie ces questions urgentes, mais il écrivait.
H. M* a parlée et bravement, il s'est garde « de soua-enlendre Tes-
•CQliel c. Il a parlé à ses élevés comme à des jeunes gens qu'ils
L V'oir iur celte mû me question ; Un cùh de ûonâcicuût' pédagogique, par
G. 0i!loL
f* Léon Uriurt^ois, Discours prononcé au Cûtieours générd, IS^S.
5. J. (*;ijrot, Lédticathn di' Ut Volonté .
62 lŒVUE PHILOSOPHIQUE
sont OU qu'ils vont être. Au futur citoyen, dans ces libres et péné-
trantes causeries qui n'ont rien de la leçon dogmatique et imperson-
nelle subie en classe, il a conseillé le libéralisme qui est la vérité et la
justice. Au futur soldat, il a montré que « le patriotisme est une
nécessite au moment de révolution historique de l'hunianité où nous
sommes placés, et qu'aimer sa patrie c'est encore le meilleur moyen
d'arriver à aimer l'humanité ». A tous ces jeunes gens que peut séduire
une philosophie d'antichambre, « bonne pour amuser la médiocrité »,
ou l'observation inexacte et superficielle des prétendus romans psy-
chologiques, il a montré le vérirable prix de la vie et prouvé que
l'idcul n'est ni Tutopie ni la chimère. Kniin il s*est trouvé dans l'Uni*
versitc un professeur de morale qui a pu, sans encourir le risque
d'un blâme officiel, traiter, avec un tact et une élévation parfaite, la
question de la passion et de l'amour devant des jeunes gens que guet-
teront dans quelques semaines les basses séductions d'une licence
excessive, succédant sans transition au régime déprimant de l'in-
ternat. Il a osé. les inviter à sauver en eux-mêmes l'honnête homme
par le dégoût des plaisirs bas où se corrompent la santé physique et
la santé morale. Il a rappelé que l'enfant innocent porte la peine des
excès commis par le père et qu'eniin il n'y a pas lieu de se poser en
conquérant pour avoir perdu la vie « d'une pauvre Hlle dont on obtient
les pronûores faveurs en dupant son cœur et en retour de promesses
qu'on sait bien ne pas devoir tenir ». A ces fils de bourgeois qui
pensent qu'il faut u que jeunesse se passe » et qu'il est bon que les
« grisolles » aient des bâtards pour assurer « la sécurité des familles »,
il a .su dire qu'une trahison devient une lâcheté. A ces futurs lecteurs
de Labiche qu on habitue à railler « lo plus heureux des trois », il a
enseiïTnc que la femme des autres doit toujours nous être sacrée, que
compromettre une femme est une vilenie, que rien n'est plus mysté-
rieux et plus délient que lo cœur d'une jeune tille et qu'on peut être
gai. joyeux et je.ino, savoir rire et plai>anier sans tomber dans la
bassesse et la ci>rruption. — La belle découverte, dira l'autre. Et
>L Jourdain lui-même, qui n'avait rien nppris. savait tout cela. Je
ropoto que quatre-vingt-onze ans après la fvnulation de l'Université, il
s'est trouvé un professeur pour tenir ce la:igage à ses élèves, et le
consigner dans un petit livre à rép.iiuire p.r.îeiiî. que l'exemple sera
contagieux et que pareille initiative morito vrannonr d'être notée et
relevée.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
ï. — Philosophie générale
Max Stirnar. L'Un!*juk et sa phoi»hïkté. — Traduction et préface de
Htnn Lasviçiioâ, xxix47î pages lii-8«. Parii. Éditions de la Revue
Blùnche, I9U0.
Mîoc Stinier* mort en Î85r>, a îongtemps attendu ia célébrité, LVtten*
Uon il'uapubliL% peut élre restreint mais enihouBiaste, s'est entîn poinée
sur son œuvrt» et sur sa personne. Uni* plaque de marbre placée à
Berlin sur la maison où ïi est mort quali lie de « livre immortel * Tou-
^vrmge dont on noua oITre aujourd'hui hi traduction. On recherche les
notndres ceuvrea du philosophe oublié et Ton travaille à reconstituer
îilographie. \L J. II* Mackay, malgré de louabks eCToris, u*y parvient
alinparfaUement,
Nous apprenons pourtant, dit M. Lasvigncs d:ins sa préface, que
Htirner est né à Bayreuth, en 180tl Son piire meurt bientôt, sa mère
»e remarie et habile Berlîn; lui, reMe dVibord avec son parrain dans sa
Lfitle natale, puis il suit les cours de Hegel et de Schleiermacherà TUni-
reréilé de lie ri in, et, quoiqu'il soit vm élève *< travailleur et appliqué «>,
il jie peut parvenir au grade de docteur et s'établit professeur libre. Il
se marie deu\ t\tm et enseigne dans un pensionnat de jeunes Olles.
Mais un peu avant Tapparîtion de m TU nique t il quitte ces fond tons
• ^ incompittihies avec la liberté de ses opinions, Il essaye diverses
-es commerciales qui échouent^ se voit abandonné de sa seconde
femme» et meurt h cinquante ans d'une piqûre de mouche charbonneuse.
Que son livre soit immorleU il serait imprudent de rafilrmer ailleurs
qu«^ sur une plaque commémorât ive, mais il mérite et méritera long-
t4smpâ d'i^tro connu* Les défauts li'y manquent pas, il est beaucoup
trop loni^, diffus, trop farci de bavard a l^'^c, et avec cela, il est întéres-
aaiiil» vigoureux, clairet il nousâ*offre surtout ce mérite, auquel j'avoue
être i*enmbîe, de nous fournir un type de doctrine trt'S net et très
pou^tt^* C est une systématisation à outrance do Tégoisme, à peine
liépâkfée, peut-clru, par quelques légères faiblesses, diflicilement évita-
blen. A vrai dire la d^ictrine y est plutôt afUrmée que démon trée*
L'analyse n*y est pas assez minutieuse, ni la discussion assez pùné-
traût« et assez souple, la synthèse y e&t trop brusque, mais elle a une
forme nette et hardie, et il est précieux, en somme, que toutes les con-
eeptiûDs soient poussées à bout, portées à leur maximum d*intensité.
64 REVUE PHILOSOPHIQUE
« Je n'ai mis ma cause en rien. » Tel est le titre du chapitre qui
sert d'introduction, en voici la conclusion : qui résume parfaitement
Tesprit du livre, et où Tauteur se défend de faire sienne la cause de
rhumanité ou la cause de Dieu : « Dieu et Thumanité n*ont mis leur
cause en rien, en rien autre chose qu'eux-mêmes. Semblablement, je
mets ma Cause en moi-même, moi qui, aussi bien que Dieu, suis le
néant de tout autre, moi qui suis mon tout, moi qui suis TUnique.
« tSi Dieu ou Thumanitc, comme vous l'assurez, a une substance
suffisante pour être à soi tout dans tout, je trouve que cette substance
existe bien plus efTectivement en moi et que je n'ai aucunement à me
plaindre de mon « vide ». Je ne suis pas le Rien dans le sens du vide,
mais le Rien créateur, le Rien duquel moi, créateur, je tire tout.
« Loin d'ici donc, toute cause qui n'est pas intégralement ma cause!
Mais, pensez-vous, ma Cause du moins doit être « la bonne Cause »
Qu'est-ce qui est bon, qu'est-ce qui est mauvais? Je suis moi-même ma
Cause, et je ne suis ni bon ni mauvais. Ni l'un ni l'autre n'ont un sens
pour moi.
« Le divin est la Cause de Dieu, l'humain est la Cause de l'homme.
Ma Cause n'est ni le divin, ni l'humain, elle n'est pas le Vrai, le Bien
le Juste, la Liberté, etc., elle est seulement le Mien, elle n'est pas
générale, elle est Unique, comme je suis Unique.
«« Pour Moi, il n'y a rien au-dessus de Moi. a
Et Max Slirner attaque avec une grande vivacité toutes les concep-
tions supérieures que les hommes ont pu se former, il montre leurs
luttes contre les idoles différentes qu'ils se sont faites et auxquelles
ils se sont subordonnés. 11 est le plus irréductible ennemi de tout ce
qui tend h s'imposer à l'homme comme principe directeur de la con-
duite, le plus impitoyable adversaire de tous les sentiments avec les-
quels les hommes ont accepte le joug : le sentiment du divin, le senti-
ment du sacré, le respect : « Homme, s'écrie-t-il, ta tête est hantée,
tu as un grain, tu t'imagines de grandes choses, tu te dépeins tout un
monde de dieux qui existent pour toi, un royaume des esprits où tu
es appelé, un idéal qui te fait signe. Tu as une idée fixe.
« Ne crois pas que je raille ou que je parle au figuré, quand je dis
que les hommes qui se raccrochent à quelque chose de supérieur sont
des fous véritables, des fous à lier; comme pour l'immense majorité
des hommes, il en est ainsi, l'humanité entiore m'apparait comme une
maison de fous, a Qu'appelle-t-on idée lixe*/ » une idée qui s'est assu-
jetti f homme. Si vous reconnaissez dans cette idée fixe une folie, vous
enfermez son esclave dans une maison de fous. Or la vérité de la foi
dont on ne doit pas douter, la majesté du peuple, par exemple, à
laquelle on ne doit pas toucher. — celui qui le fait commet le crime de
lèse-majesté ; — la vertu, contre laquelle la censure défend le moindre
mot afin que la moralité se conserve pure, ne voilà-t-il pas des « idées
fixes »?... Moi, je ne crains pas d'être maudit et je vis : mes frères
sont fous à lier. Qu'un pauvre fou dans une maison de santé soit pos-
ANALTSES. — MW STIItNER. Vunlque et SU p/'opHété, 60
sédë dû In manie de se croire Dieu le Père, Tempereurdu Japon ou le
Saint* l^sprit, ou qu'un dtoyen paisible s'imagine que sa destinée est
d'ôti e bon ob rétien, protestant zélé, oitoyen ïoyal, homme vertueux, etc.,
c*e8t la seule et même idée Qxe. »
h^ première victoire de l'égoigme avait été de vaincre le monde, les
anciens en avuteni tîni avec Uii^ mais le maître du monde n'a pas su
être le raailre de I esprit; Tesprit est ?acré encore, supérieur» saint, le
ehrciien qui s'es^t déhvré du monde ne peut pas se délivrer de Dieu.
« Depuis bientôt deux mille ans nous trav ullons à soumettre le Saint-
Esprit, nous hn avon<i peu à peu arraché des fragments do sainteté
que nous ^vons foulés aux pieds, mais le gigantesque adversaire se
redresï^e toujours, il reparait sous des formes et des noms différents, m
Comme espHi de rhununiLê, comme -* esprit de l'homme j&, il nou?^ re^^te
toujours ëtrang-er et supérieur au lieu de devenir notre propriété. Le
8^nt> Esprit est devenu à travers millti transformations ir i*idée absolue a
qut^ de nouveau, s* est fragmentée et r<îSo!u6 entre les diverses idées
d'amour de Thumanité, de raison, de vertu civique. Et tout cela cré©
de nouveaux obstacles à la satisfaction de nos désirs et de nos besoins,
«C noua vénérons ces obstacles. Nous ne pouvons vivre qu'en les res-
pectant^ nouH ne savons rien prendre qui ne nous soit accordé, rien
penser qui ne soit conforme à l'ordre, nous ne devons concevoir auuune
kâm^ dire aucune parole, commettre aucune acilon qui trouve en soi
L Sanction unique au lieu de la recevoir de la morale, de la raison et
de rhumanite... a Autour de l'aulel se voûte une église dont les murs
ê^ecartentde plus en plus. Ce qu*îls enferment est sacré. Tu ne peux
plus y toucher* Hurlant de faim^ tu erres autour de ces murs à la
rechercha d'un peu de profane et toujours le cercle de ta course
a>£*graiidtt. Bientôt cette église recouvre toute la terre et te voilà
îl^fHïUssé à rextrêrae bord; encore un pas et le monde du f«acré a
[vaincu : tu disparais dans labime. C*est pourquoi^ prends courage,
|D*erre paa plus longtemps dans te profane sur lequel la faux a déjà
Ppassé, risque le saut^ rue toi sur les portes et précipite toi dans le
[«snotuaire. Quand tu auras dévoré la chose sacrée, lu Tauras faite
[tienne. Digère Thostie et tu en seras délivré! n
Donc ne gardons rien de^i antiques respects, n'acceptons plus comme
or de bon aloi la fausse monn^iie de convention que la sot^iété uoua
impose, et ne croyons pas davantage aux mots dont quelques-uns s'en-
chailtent et qui ne servent qu*à nous duper. La liberté politique, par
bttxemple» cela veut dire que l'État est libre^ liberté religieutse, que la
l religion est libre, liberté de conscience, que la conscience est libre
• et pa^ du tout que je suis libre de l'Etat, de la religion, de la cons-
ei^nce» que j'en suis affranchie l^Ille ne signifie pas ma liberté, mais la
liberté d'une puissance qui me domine et me contraint; elle signilie
I ^u'qh de nos tyrans, État^ religion, conscience^ est libre^ Eiat, reli-
LflOfli conscience, ces despotes me font leur esclave et leur liberté est
ma nervitude. » Même la liberté individuelle n'implique nuUemcnt que je
TOME L, — (900. h
66 REVUE PHILOSOPHIQUE
prenne une détermination personnelle absolument libre, mais seulement
mon indépendance à Tégard des personnes, non à l'égard de la loi.
Bien entendu si Max Stirner fait entendre des revendications vio-
lentes, ce n'est pas sur un « droit » qu'il s'appuie. Il n'a pas assez
de mépris pour en accabler cette conception, et volontiers on le sent
prêt à prendre le parti des oppresseurs, s'ils sont attaqués au nom
d'un droit quelconque. Ou, si Ion préfère, le droit pour Stirner
se confond avec la puissance, avec le fait. Les principes révolution-
naircs, communistes, comme les principes bourgeois, reposent sur une
conception religieuse, c'est-à-dire fausse. Voici la vérité : « Je tire tout
droit et toute justification de moi. J'ai le droit de faire tout ce que j*ai
la puissance de faire. J'ai le droit de renverser Zeus, Jéhovah, Dieu, etc.,
si je le puis; si je ne le puis pas, ces Dieux subsisteront en droit et
en puissance à rencontre de moi; mais moi je tremblerai devant leur
droit et devant leur force, anéanti « par la crainte de Dieu », j'ob-
serveriii leurs commandements et je croirai agir suivant le droit en
agissant suivant leur droit... Les seules choses que je n'ai pas le droit
do faire sont celles que je ne fais pas d'un esprit libre, c'est-à-dire que
je n'ai pas droit aux choses auxquelles je ne me donne pas droit. Je
décide si on moi c'est le droit; hors de moi, il n'y a pas de droit. Si c*est
juste pour moi, c'est juste. Il est possible, pour cette raison, que ce ne
soit pas juste pour les autres; c'est leur affaire et non la mienne, qu'ils
se défendent. Lit si quelque chose n'étant pas le droit pour le reste du
monde, l'était pour moi, c'est-à-dire si je le voulais ainsi, je n'irais pas
interroger le monde. Aiui^i agit quiconque sait s'estimer, ainsi agit
chacun dans la mesure où il est égoiste, car la force passe avant le
droit et cela do plein droit, u Aussi est-il vain de réclamer des droits
naturels, des droits innés, des droits égaux pour tous. Et il n'est pas
utile d'ailleurs de réclamer des droits acquis. Celui qui a la force a le
droit, ou celui qui sait faire reconnaître son droit par les autres. Si on
accorde aux nouveau-nés le droit à roxistence, ils ont ce droit, si on
le leur refuse, comme faisaient les Spartiates, ils ne Tout pas ».
Avec la notion du droit se transforme la notion du crime. Le prêtre
reproche au criminel d'avoir méconnu l'injustii^e consacrée par l'État,
la propriété. Il ferait mieux de lui ropivsonter qu'il s'est souillé en
considérant le bien d'autrui comme digne d'être volé, a Causez avec
celui qu'on appelle u un criminel » comme avec un égoïste et il aura
honte non pas d'avoir attenté à vos lois, à vos biens, mais d'avoir tenu
vos lois pour dignes d'être tournées, vos biens pour dignes d'être
désirés*.. Mais vous ne pourrez parler avec lui >ur le ton égoïste, car
voua n*ctes pas aussi grands qu'un crimineK vous n'attentez à rien.
Vous ne savez pas qu'un moi propre ne peut être autre chose que
oriminel, que le crime est sa vie. El cependant vou> devriez le savoir
car vous croyez m que nous sommes tous pécheurs ■ . Mais vous pensez
voua étourdir sur le péché, vous ne conoeve/ pas — car vous êtes
peureux ea diable — que la faute fait la valeur de l'homme. O si vous
ANALYSES. — M\x STiRNER, L'unique ef sa prùpriéié. 67
étîeaîooupablesl Mais voua n'êtes que des k jasles »- Alors contentez-
V0119 Ûe satisfaire votre maître, t^
Ce ù'esi pas non plus au nom de la nature êBsentielle de Tliomme, ou
d*un idoal humain que Max SLirner prêchera ia révolte. Personne nest
plus ennemi que lui des abstractions et de l'idéal. « Il est nécessaire
que je ne revendique pïus rien comme homme, dit-il, mais que je
réclame tout en quai î tu de Moi, ce Moi que voilà; par conséquent je
ne dois rien reveudiquer d'humain, mais seulement ce qui est mien.
Je ne dois pas rechercher ce qui me revient comme homme, mais ce que
je veux, et parce que je le veux, » Et il ne s'ai^it nullement de recher-
cher ce qu'est essentiellement rhumanité, et de vouloir la développer
oonformément à Tidéal que nous nous serions ainsi formô. Ce n'est
pa^ l'homme qu'il (aut considérer, c'est le Moi» et il ne faut pas cher-
cher à le rendre plus humain^ maia le débarrasser de tout ce qui gêne
mon expansion, L* a homme » n'est qu'un idéal, Tespèce n'existe que
dans ma pensée. Ma tache n^est pas de réaliser le concept général de
l'homme, mais de me sufiire à moi -môme. C'est moi qui suis mon
espèce, je n*aï ni norme, ni loi, ni modèle, ni autres bornes du même
genre. Que je considère rhumanité, l'espèce, comme un idéal vers
lequel je dois tendre, ou que je fasse le même effort vers Dieu oa
Christ» cela revient au même. Tout au plus peut-on dire que Tan des
jdéals est plus déformé que Tautre, " De même que Tindividu est toute
la nature» de même il est toute Tespèce* » Ne demandons pas à
Thomme de devenir plus réellement humain- a Je suis homme absolu-
meal comme la lerre est une étoile^ 11 serait aussi ridicule dlmposer à
la larre d'être une « étoile véritable « que de me charger de la mission
cTètre un homme véritable. »
tl ne saurait même être question, à proprement parler» d'améliorer
son moi, de le rendre plus conforme à n'importe quel principe, a Si la
religion a établi ce principe que nous sommes tous pécheurs, je lui
oppose celui-ci : nous sommes tous parfaits. Car nous sommes à tout
mstant ce que nous pouvons être et nous n'avons jamais besoin d'être
plus* Comme il ny a aucune lacune en nous, le péché n'a aucun sens.
Montrez-moi encore un pécheur au monde si personne n'a plus à
ftAii#falre à un être supérieur. Si je n*ài qu*à me contenter moi-même,
ja ne suis pas pécheur quand je ne le fais pas» car je ne blesse en moi
Keti de sacré- *i Donc nous sommes tous parfaits et il n'y a point de
péebeur, seulement comme il y a des fous qui croient être Dieu, de
oièfne il y a des sots qui croient être pécheurs. Mais, dira-t^on, leur
(otiB ou leur possession est du moins un péché. Leur possession n'est
pas autre ebosij que ce qu'ils sont parvenus à atteindre; elle est le
r«daltat de leur développement, comme la foi de Luther en la Bible fut
précisément tout oe qu'il put trouver, ut
lin peut se demander ce que deviennent les rapports des individus
entre eux, Max Sllrner les règle assez logiquement en conformité avec
U principe de « TU ni que s. Peut-être se débarrasse*t-il un peu facile-
revue: PtllLÛSOPHlQtJË
ment de ropposiUan, « 1 /opposition dernière et catégorique, celle d©
rindividu contre Tiiidividu, dépasée au fond ce qu'on appelle opposi-
tion, mais î^ane retoîi)ber dans «^ J 'unité » et l'hurmonie* Comme éire
unique tui n*as plog rien de rommun avec un autre, plu-i de sépHraiioti
€u dhûstiliié... L'opposition disparaît dans la séparation absolue, dans
Tindividualité. «
A'^ssi il ne faut pas aspirer à la vie commune mate à U vie à part.
Ne cherchons pas la société la plus vaste, mais « ne cherchons en
autrui que des moyens et des org-anes dont nous usons comme de noire
propriété. Dana Tarbre et dans la béte nous ne voyons pas nos égaux,
îl en est de même de nos eemblablee.*. Aucun n'est pour moi une
per&onne que je respecte* pas même un semblable, il est absolument
comme tnus les autres êtres un objet pour qui j'ai de la sympathie ou
non, un objet intéressant ou inintéressant, un sujet utilisable ou non* *
El nous voyons ce que devient l'association; si je puis utiliser un autre
homme, je m'entends avec lui. je renforce ainsi ma puissance» Je ferai
plus avec lui que je ne puis faire sans lui, mais « dans cette action
commune je ne vois absolumetit pas autre chose qu'une multiplication
de ma lurcetft jene la maintiens qu'autant qu'elle est une augmentation
de n>a force *. 1/amour, rafîeclion sont naturellement aussi rattitchés à
réGoisme. Hi j*aime les hommes « je les aime avec la conscience de
régoLsme, je les aime parce qu'ai nrer m'est naturel, me plait. Je ne
connais pas de * commandement de Tamour a... Tu n'es pour moi que
mon aliment, bien que moi au^si, je sois usé et consomme par loi.
Nfiua n'avouî^Tun pour Tautre qu'uti rapport» celui d'utilité^ de prolit.
d'avantag*». Nous ne nous devons rien 1 un à Fautre» car ce que je parais
te devoir c'est tout au plus si je le dois à moi-môme. »
Ces derniers mois peuvent parai ire un peu compromettants pour
la doctrine. Reconnaître des devoirs envers ïe Moi» c'est, sembie-t-il,
retouibrr dans une des habitudes que fauteur a si vivement combat-
tues. Main il revient âur la question, un peu brièvement d'aitleurB, et
paraît rentrer dans la logique du système* Je n*ai « envers moi un
d€%^gîr, dit-il ^par exemple celui de la conservation personnelle, qui
entndne Tinterdiction du suicide) que tant que je me distingue de moi
(que je sépare mon âme immortelle de mon être terrestre, etc.) »-
La conclusion générale de tout cela est nette et franche : « A quoi
tend mon conimerce avec le monde? Je veux jouir du monde parce
qu'il est ma propriété^ et c*est pourquoi je veux le gagner. Je ne veux
pas la liberté, régalité des hommes; je veux seulement avoir mon
pouvoir sur eux, je veux en faire ma propriété» c'est-à-dire je veux les
faire tels que je puisse en jouir. Et si la chose ne me réussit pas je
m'atlrihue alors le pouvoir de vie et de mort que l'Église et TEiat se
réservaient, je le nomme mien.*. Mon commerce avec le monde con-
siste a en jouir et à en tirer parti pour masalisfacLion personnelle. Ce
commerce se ramène à ma jouissance personnelle^ ^
L'ouvrage de Max Stirner se recommande surtout à notre intérêt par
Tum^w et ita pmprtété. 69
routf«nce de rindivi dualisme, de Ti^goîsme et Voutrance du réalisme.
Au point de vue phiio50phii:îae son livre aurait beaucoup ^agné à être
pîiia serré* plus oonets» et plus r.^îaonné, mais il aurait peut-être moins
de vie apparente* Les deux tendances qu'a doveloppéea et syaiérajtLiHéea
I auteur sont exactement opposne« h ceile>î que les morales Ont Thabi-
tude de recommander. Si Max Slirner ne les a pas rendues plus acoep-
tables, il a au moins tâché de les montrer dan» toute leur force, et peut-
être a-t'd sinon prouvé, du moins fait sentir quelles puissances elles
constituent et quels droite elle;; peuvent acquérir si Tan se place à un
même point de vue que le sien.
S<*n éçrofsme n^est pas tout à fait le pe^idant de ridéalisme subjectif
métaphysique. On poorrait fonder un égoîsme moral Pur le subjecti*
vîsme philosophique, on pourrait aussi exposer un individualisme abâolti
qui, sans découler absolu ruent du ^ubj(*etivisme philosopht.j|ue, en serait
exactement Tanalogue. On montrerait, par exemple, que tous no^^ actes
étant déterminés par nos propres tendances se rapportent à nous, qae
Oouls ne pouvons pas plus sortir de nous par Tactionque par ta pensée»
que toute morale comme toute métaphysique laissent en somme Tindi-
vido^ le moi, en Ternie en lui-même. L'égoisme de Max Burn r, quoique
pouvant admettre cette manière de voir, est plus brutal, moins meta»
physique et moins subtih
Mais comme Tégnisme métaphysique, li consiste peut-être e*»sentielle'
ment à po«er le problème cornme il ne faut pas le poser, à ériger le moi en
absolu, à l'iibs traire de la ré-ilité concrète dont il fait partie, et que nous
connaissons peut-être (au point de vue méLtphysique) aus^^i directe-
ment que lui, en ce sens qne nous ne connaissons n directement j* ni
l'un ni r^utre. C'est sur ta légitimité de cette opération que la discussion
peut porter. Car s^il est prouvé que le moi n'a pas sa raisfm d'être en
lui-même» ni le rondement ni peut être mt^me lesnence de sa réalité,
♦ si nous considérons Tensembiedes choses à un point de vue objectif, et
^Ic moi dans ses rapports avec tout ce qui Tentoure, autres individus,
groupes sociaux, animaux mêmes et monde physique en i^éuéral, Tindi-
viduaiisme n'est plus défendable comme théone absolue, lies te donc
simplement à savoir quel est le point de vue qui, au point de vue des
sciences positives et de la science morale^ se justiHe le mieux, Max
Btirner nàturellenient ne s'e-^t pas précisément posé cette question. Il
ra puriDut atlirmé son moi. Cela rend la réfutation plus difficile, mais
o'est «implement parce que le procédé n'est ni scientillque ni philoso-
phique* Tout au plus peut-il être une occasion de philo^^opher, comme
Isa arguments populaires coutre limmàttiTi^lisme, avec lesquels il
li*<eat pas sans quelque ressemblance, quoique dirigé, en somme, dana
lUti sens opposé. Ces arguments ici correspondraient plus rigoureuse*
' ment à l'mtervcntiou des geodarmes que la société charg^erart de
réfuter une théorie égoïste traduite pnr des actes maladroits et qui
fie prouverait pas plus que ces actes ou les affirmations qui les
[.liispi rirent. Mais cette allirmation de rindividu et de ses désirs est
70 REVUE PHILOSOPHIQUE
intéressante à titre de fait et peut suggérer bien des réflexions sur la
iséparation essentielle des hommes, sur tout ce qu*il y a d'artificiel et
de contradictoire pcut-ôtre dans leurs associations, et aider, par sa
netteté même et sa carrure, à mieux poser et à mieux entendre les
problèmes qu'elle ne résout pas. A un étage de généralisation infé-
rieur, Max Stirner peut être bon aussi pour aider à combattre ce qu'il y
a de suranné dans notre organisation actuelle. Mais en somme ce ne
serait là pour lui qu'un petit côté de la question.
Son réalisme, il a taché aussi de le faire aussi absolu que possible.
Mais vraiment il lui est bien difficile de maintenir sa position. On le
voit vaciller et faiblir parfois. Lorsqu'il reproche aux hommes de ne
pas oser, de ne pas être criminels, lorsqu'il les exhorte à la révolte et
à Tégoîsme, il parait bien leur indiquer un idéal qu'il considère comme
supérieur et qui ne s'accorde pas très bien avec ses affirmations tran-
chantes au sujet du fait et du droit, au sujet de l'homme idéal et de
Thomme réel. Je suis de nature un « homme vrai », dit-il. « L'homme
vrai n'est pas l'objet d'une aspiration, ce n'est pas dans l'avenir qu'il
se trouve, mais il est existant et il réside réellement dans le présent.
Qui et en quelque état que je sois, plein de joie ou de douleur, enfant
ou vieillard, confiant ou incertain, dormant ou éveillé, je le suis, je
suis l'homme vrai. » Et ceci est le réel opposé à l'idéal, et même la
suppression de l'idéal. Mais quelques pages plus loin on lit : « Tant que
je ne suis pas pour moi la chose principale, peu m'importe l'objet pour
lequel je m'agite et c'est seulement le crime plus ou moins grand que
je commets contre lui qui est dMmportance. Le degré de mon attache*
ment et de mon dévouement donne la mesure de ma servitude, le degré
de mon péché donne la mesure de mon individualité. » Et s'il n'y a pas
contradiction formelle, voici bien cependant l'idéalisme qui reparaît, car
cette individualité opposée ainsi à la servitude, c'est une réalité sans
doute opposée à une autre, mais c'est aussi une réalité préférée, une
réalité dont la généralisation se propose comme un idéal, un idéal, si
l'on veut, d'espèce singulière, mais cette singularité importe très peu
au problème général qui n'en est nullement modifié.
Aussi bien il est diticile quand on regarde, même très peu, la nature
humaine, de parler longtemps de la perfection de l'homme et de ne pas
voir tout ce qu'il renferme de contradictions, de désirs qui se heurtent,
de tendances qui se combattent et représentent soit sa nature propre,
soit dos choses supérieures à lui, soit des réalités inférieures. Mais
laissons ces considérations qui nous entraîneraient trop loin. La lutte
seule suffit à montrer notre besoin d'y mettre fin, par conséquent l'uti-
lité d'un idéal quelconque (égoïste, altruiste, désintéressé, philoso-
phique, religieux. etc.> qui nous représente l'issue désirée de la lutte et
doit nous servir ;\ tâcher d'y mettre lin. Si d'ailleurs nous désirions la
continuer ce serait encore pour quelque raison qui serait aussi un
idéal. Le désir même est déjà un rudiment d'idéal, une tendance
plus ou moins grossière âriiarmonie. Kl une fois l'idéal admis sous ses
AJIALTSES. — SCRIPTURE. Studiûs fwm ike Yahs P&yckological 71
formes les plus inférieures on ne voit guère de raison de se refuser a
econnaitre les autres. Seule une vie absolument pr^rfaite permettrait
rdesupprtmerridéali parce qu*il se confondrait avec le réeL Maïs ce n'est
là qu*un rêve et puis le réel ne lut survivrait peut-être pas. Mitx
Êtirner a coaibattu ridéal, parce qu'il en a rencontré des théories qui
lai ont deplu^ et qui n'étaient sans^ doute pas sans reprocheî?. Mais il n'a paâ
TU clairement ce que c'était au fond que Tidéal et il n'a pas su analyser
convenablement les données du problème* L'idéal eât» en tant que ten-
dance, une partie du réel^ et MaxStirner, que Ton sent d'ailîeurg n'avoir
pu g en dcfaire autant que sa théorie l'exigeait, lui aura peut-être
rendu service en exaltant le réel seul. Et sï d'ailleurs il pouvait rap-
peler les esprits à la L-ompréhension de la réalité concrète et même de
la réalité grossière, cela ne serait pas encore un mauvais service qu'il
^aous aurait rendu *.
Fiu Paulhan,
H. — Psychologie expérimentale.
E Scrlpture : Btudees fhom tue Yale Psîghologiiial LaBOuatûry
iTrm^iiux fia hborMoirt^ de Psychotogie (Je Yak), vol, VI, 1898, Yale
University, New-Haven, Conn.
.4 color illusion (G.Tr, Ladd), p,5, — îiesêarches in cross-education
(W* Davis), p. 6-Ô0. — Hesearches in prnciice and habit (S. Johnson),
p. âf-lOIi.
Ce nouveau volume annuel comprend surtout des études sur les mou
vementHetsur Téducation musculaire* Les quelques pages consacrées
par M. T, Ladd à une illusion de couleur* ne sont qu'une note
appelant d'autres recherches : en llxant longLeraps une surface
cùiorée qui porto des intervallea blancs ou une lettre de couleur
dilTérenlej pourquoi voyoua-nous peu h peu disparaître les intervallea
et la lettre virer au ton du fond^ surtout quand c'est du rouge sur du
vert, etc. 'if ^ — C*est une illusion qui se présente certainement dans la
vie courante : reste à l'expliquer, et \L T. Ladd en présente une
hypothèse (substitutions du pourpre rétinien) pour laquelle lui-môme
demande des vériticattons ultérieures* La question est donc ouverte.
M. Davis s'est appliqué à élucider la question de 1 éducation alterne
du cftté droit par l'exercice du côté gauche et inversement* Aprèrf
â%'oir indiqué, au début et à la Hn de son travail, les recherches analo-
gues testées depuis Fecbner, il aborde le sujet, et Tétudie très métbo^
itiquement*
I. Ce comple rendu était écrit lorsqu'il noîis est arrivé une autre traductioa
ée rrpuvre ite Max Stiriief. Celle-ci est faite p»r M. R. L. Leclaire et publiée en
tjn volume in-t^ de la iiibtiothrque focioloiflque^ chGZ iK V* Stock. Elle est pré-
^r^ée d*unc prérace inlL^rcisante du traducteur.
72 URVIE PHILOSOPHIQUE
Un premier appareil lui a servi à mesurer par des séries de mouve-
ments analogues à ceux du télégraphe, Tinfluence de Texercice sur les .
mains et les pieds : il a pu noter ainsi comment se lâisait le travail
d*édiicntion et quelles phases il suivait, combien de temps il persistait.
Ceci fait, il a abordé son sujet : comment Tactivité d'un côté du
corps peut-elle réagir sur le développement de Tautre (à son grand
profit, d ailleurs, sans quoi trop de gens ne seraient développés que
d'un côté).
Dans une première série, Texercice consistait simplement en mouve-
ments de flexion (p. 19), parfois avec des haltères. On a mesuré Taccrois-
sement en volume (tour do bras, etc.), en résistance à la fatigue (taux
des mouvements avant et après la fatigue), en force (pression du dyna-
momètre). En tous les cas, l'autre côté du corps a bénéficié largement
des progrès accomplis par le côté exercé.
Une autre série a été consacrée à examiner la précision des efforts
volontaires : Tappareil consistait en une sorte de cible où frapper au
centre, les écarts mesurant Terreur (p. 30). Là encore Texercice
am<'liorait non seulement la main exercée, mais encore l'autre;
amélioration d'autant plus sensible que cette main était plus inape :
ainsi les tireurs habitués k se servir de la main gauche progressaient
moins que les autres. — Cependant Tamélioration à gauche ne dopasse
jamais certaines limites et cette main semble décidément moins
éducable que la droite (p. 33). Souvent les points où atteint le tireur
ont une tendance à former des groupes très distincts : cela tiendrait,
d'après M. Davis, au développement particulier de certains muscles
qui intluentsur l'orientation du mouvement vp -H).
Enlin, pour contrôler les expériences ci-dessus, M. Davis a cherché
quels progrès ferait la m^in droite s*exerçant avec Tautre ou avec le
pied, ou bien s*exer*;ant seule. Oônôralement, il y a profit à l'exercer
seule : mais en la faisant agir avec les autres, il semble que son habileté
puisse se développer encore plus que quand elle agit seule.
Reste 1 interprétation de ces faits : après les avoir rapprochés des
faits analogues observés dans Tétudc des temps psychiques, dans
l'examen de récriture, en pathologie, etc.. sans parler des ophtalmies
8ympathi.|ues et d'autres faits. M. Davis conclut qu'il y a là une
inlluence physiologique et une intluence mentale : le progrès résulte
à la lois du développement de l'attention et de l'organisation plus
jparfaite des centres cérébraux.
Quelle intluence exerce la pratique sur la vitesse et la régularité de
certains mouvements? M. S. Juhn&on l'a recherché longuement pour
les mouvements de la main : c'est un autre aspect du problème étudié
par M. Davis.
Les expériences ont consisté à faire exécuter de^ mouvements trian-
gulaires avec arrêt aux trois sommets d'un triangle équilatéral de
20 centimètres de côté: à faire tracer des cercles selon un modèle
donné; à faire exécuter des mouvements rythmés au commandement
AU ALYSES. — scnjpTURB. SluiUes from ihe Yale P^ychologïcal 73
ou à volonté; et cette dernière expérience incidemment a fourni Toc-
ciksîon dVxamiEier comment lu conscience apprécie le tenips^ les
intervalles. *— L'appareil et ïe disposiLif de eea recherches sont chaque
fois très soigneusement expoÈ^és et expliqués, il est donc farile de
se représenter exactement Texpérience et, ati besoin, de U contrôler
eu ta répétant, ce qui est la meilleure des véritlcations.
D&ns les expériences de mouvement triangulaire, on a employé
suoceasivement la main droite et la main g^auche^ en s'arrètant, d'ail-
leurs, avant l'apparilton de la fatigue. La main droite s adapte
généra leni eut plus vite que la gauclie, mais «es progrès cessent aussi
plus vite. Un gagne d'abord en vitesse ; plus tard vient la régularité;
en cela, d'ailleurs, comme en loules ces recherches, il faut tenir
compte de la force d'attention du sujet (p. 64).
Notons, en passartt^ que les gauchers exécutent leur triangulation
en aeuâ inverse, à rebours dej* aiguilles d'une montre : M. Johnson en
infère que leuis centres diffèrent de ceux des droitiers, sans dire sur
quoi il appuie son hypothèse (p &3). En tout cas, voilà encore une des
caractéristiques de la psychologie du gaucher, si intéressante h étu-
dier et encore Fi mal connue.
Danb le tracé des cercles» on a cherché comment se faisait Fëduca-
tîon de la main dans eet exercice, et quelle intluence exerce sur la
tracé la vue d un modèle.
Le n«>mt>re des cercles à tracer était limité à 10, ou même moins,
de favoo a n*avoir pas à compter avec la fatigue, laquelle apparaît
vers le 10* cercle pour la m;iin droite et dès le 1^ pour la giuiche
(p. 65j. La régularité dans le tracé croit de Jour en jour et ce perfection-
nement est pEu^ rapide pour la main droite, plus constant pour la main
gauche. Les exceptions sont à lavantagc du la main gauche (p. bT);
quant aux dimensions den cercles, généralement elles tendent à
diminuer de plus en plus, surtout si Ton se préoccupe de la régula-
riie de^ contours plus que de reproduire les dimensions mêmes du.
modèle (p. 139k
Resterait à expliquer comment s'est faite ladaptation, et à suivre
phase- à phase le progrès : M Jt^hnson en a essayé l'analyse après
quelques expériences sur Téducation des muscles pas encore entrainés.
M, Uavis s*oxerçait à faire des mouvements du gros orteil, qui étaient
enrt'gistrcs. 11 ne semble pas que cetre analyse ajoute auit conclusions
précédentes. Mais du moins U* John^ou a très bien mis en lumiore
que ces courts exercices répétés produisent une adaptation plus rapide
et meilleure que les exercices prolongés où la fatigue intervient
presque tout le temps. La conclusion pèditgogiquc est facile à tirer ttoL)
En lin Tétude den mouvements rythmés, au com mai i dénient d'abord,
M la volonté du sujet ensuite^ a révélé d'intéressantes puticularitea
individuelles* Au commandement, tous les sujets auticipent le signal
durant les trois premiers jours de rexpénence; cependant ils adaptent
de mieux en mieux leur mouvement. Le perfectionnement continue
74 REVUE PHILOSOPHIQUE
ensuite, jusqu'à la lin des expériences (7*" jour), même chez celui qui
continue d'anticiper (Uôj. — Quand le sujet rythme les mouvements
ù sa volonté, il les accélère de plus en plus, en même temps qu'il les
régularise : peut-être parce qu'ils lui deviennent plus faciles.
Les expériences sur Tapprcciation de la durée, l'estimation d'un
intervalle, sont un peu en dehors de cette série. C'est un sujet qu'il
importerait d'étudier à fond, étant donnée son importance, pour appré-
cier la façon dont la conscience fournit les éléments d'un jugement
très simple, immédiat et pour ainsi dire sans matière : et cependant
les quelques études faites sur ce point sont plutôt des ébauches éparses
que des recherches méthodiques.
M. S. Johnson a fait apprécier des intervalles de 82 ^, 100 S, et
i6i 1. L'inscription se faisait sur cylindre : le sujet entendait, dans
une pièce séparée, le son d'un diapason, électrique donnant 100 vibra-
tions, et devait apprécier Tintervallo entre l'arrêt de ce son et la
reprise du signal. Lorsque ce signal avait duré aussi longtemps quo
l'intervalle précédent, le sujet réagissait. Il serait sans doute possible
d'avoir un dispositif moins compliqué et où la comparaison des deux
intervalles ne portât pas d'un côté sur un temps vide, et de l'autre
sur la durée d'un son : oulre que le son peut modifier l'apparence de
la durée, etc. Tel quel, ce dispositif a seulement montré à M. Johnson
que les variations individuelles sont ici considérables : les uns apprécient
d'emblée assez juste et s'y maintieiment; d'autres commencent par des
chiiTres à peu près exacts, mais déclinent au lieu d'améliorer leur
jugement; quelques-uns seulement rectifient un peu leurs apprécia-
tions et gagnent en précision à mesure que l'expérience se prolonge;
cela tient sans doute à ce qu'il n'y a pas de point de départ commun
(p. 91) Les graphiques (p. 87, SS) montrent bien ces trois catégories,
et l'interrogation et l'examen des sujets font conclure que l'estimation
du temps dépend d'abord du caractère du sujet, ensuite du point
auquel se fixe l'attention (sensorielle ou motrice) et cnlinde son pouvoir
sur soi-même (p. 90) : trois choses qui pourraient bien, en réalité, n'en
faire qu'une. Ces simples conclusions permettent d*apprécier l'impor-
tance de cette question qui n'a jamais été traitée à fond et mérite
mieux qu'une étude accessoire.
D"" Jean Philippe.
J. R. Angell : Studies From The PsvcHOLor.iCAL Laboratory of
Chicago {Travaux du Uboratoire de P^tychologie do C/iicago], vol. II,
n» 2, pp. 09 et suppl. Chicago, University Pre-s, 1809.
Outre un certain nombre de petits travaux publiés dans Psycholo-
giçal Review (et qui ont été analysés ici, aux Périodiques), ce fascicule
contient une note de M. Buck sur une illusion visw.*lle, quelques expé-
riences de M. Mac Millan sur Vliabitude de diri'ji^' >lv wouvementSf
Il!*^l-YSES. — L IL ANGELL. Btudieis frum ihe Pmjchological 75
el^u assez long travaiî de MM. AogeU el Thompson sur les relations
^^ qudf^ues procesèiLiy organiques avec hi conscience,
^^ UiUusion qui nous fait surestimer les lignea verticales comparées
aux lignes horizontales, est-elle due aux mouvements de Vm\, comme
k prétend Mîinsierberg? lî ne le semble pas, car cette illusion change
telon que Ton regarde ces li^^nes assis ou debout, et même lorsqu*àn
se tourne légèrement de côté;
:î* Quels changements ferait subir aux mouvements adaptéf? pour bien
viser et atteindre le centre d*un carton , la perturbation de nos données
vlsueîles, employant par exemple des verres cylindriques?
Deux séries d'expériences ont consisté l'une à noter ce qut né pro-
duit quand on déforme l'image toujours dans le même sens en opérant
rapidement ou à long intervalle; l'autre à diriger l'attention tantôt sur
lé mouvement h exécuter, tantôt sur la perception visuelle. On étudiait
ainsi cl*un côté la formation de Thabilude et de l'autre Thabitude
formée.
Les expériencea faites sur 11 sujets ont montré qu'il se fait très vile
une réadaptation des anciens mouvements pour se plier aux oouvellea
oonditions : les progrès de cette adaptation sont faciles à suivre et l*OD
peut les évaluer numériquement. Le stimulant des habitudes pro-
f vie lit des tendances p'^ycho-phyaiologiques, et c'est le but à atteindre
qui détermine le contrôle des habitudes en formation.
L'auteur rîFpproche avec raison ses expériences de celles de Stratton
il^sychoL Rci\ voL 111, p. ftW) sur le renversement de la vision directe.
D»* J. Philippe.
G. V* N. Dearborn : Thk Kmotion of Jot, {Émotions agréables)»
P^ijchol. Reu. Suppl. IX, vol. lï, 70 p, 1890, New- York,
L'iMiteur s'est proposé, dans cette monographie, de décrire la joie
80US ses deux faces, physique et morale.
Analysant ce phénomène (qui n'est qu'une forme» abstraite par le
p«ycho-phy?5iologue, du courant vital d*un organisme), M. Dearborn y
découvre ; 1'^ Texcitation physiologique, -2^ des sentiments accompagnés
d^ leur cortège physiologique, ^° une conscience plus nette de Tobjet
de rémotîon et de ses rapports avec nous^ i*^ un certain état agréable
de conscience, h** enfin un plus grand sentiment de soi-même, p&r
ii'quet on prend conscience de soi expérimeTitalemenZ aumi bien
qu'inleUeclueUement \p, "li),
C*eat le 4* qui donne à rémotîon sa physionomie propre.
Pùiir obtenir expérimentalement Fétat émotionnel, \L Dearborn a
în^tilud une expérience de laboratoire consistant à annoncer successi-
vement au sujet, d'une fagon aussi frappante que possible, qu'il va
recevoir 10*.., luO..., lOOQ..., ItKMlUv.., !00 000 dollars, U est regrettable
que les conditions de cette expérience ne soient pas assez précisées
76 HEVLE PHILOSOPHIQUE
pour que le lecteur puisse juger si vraiment le sujet a eu nilusion
qu'il pouvait toucher ces sommes.
Ces eNpériences ont contirmé la théorie déjà ancienne qui veut que
la joie se traduise pxr de Texpansion, au sens le plus matériel du mot,
de rcxtension. du redressement du corps. Une émotion nous est
agréable dans la mesure où elle nous produit cet efTet. M. D. ajoute (et
c'est la partie la plus originale du travail) que Téducation, le milieu
social nous conduisent souvent à restreindre ces mouvements par des
efforts d'inhibition : ainsi Tannonce d'un héritage suscite aussitôt la
conscience des devoirs qu'imposera cette nouvelle situation sociale,
une réserve digne, etc., c'est pour cela, dit l'auteur, que dans certains
cas, la théorie cinesthosique semble ne pas suffire à expliquer les émo-
tions (p. 18 et p. TiO).
Afin d'étudier ces mouvements, l'auteur a fait des recherches sur les
réactions motrices involontaires aux excitations agréables et désa-
gréables : elles ont confirmé les vues ci-dessus ; même résultat pour
les mouvements de lavant-bras; ceux de la jambe (extension aux
odeurs agréables, flexion pour les odeurs désagréables) sont moins
nets. L^ntin, dans la joie, la circulation*, explorée à la carotide (qui
serait l'endroit de choix) s'accélère : la respiration aussi» quoiqu'elle
devienne parfois au contraire plus profonde, diaphragmatique*.
D*^ J. Philippe.
Edw. GraDt Dezter. - Conduct and the Weather {Influence du
ii'mps sur le airaclèri*\ PsychoL /\#»w. Suppl. X, pp. !0i, vol. ii. New-
York.
L'intluence du milieu, du temp:^ qu'il fait, ""sur notre caractère et la
marche de nos idées, est aujourd'hui une vérité banale : mais tout en
admolt.'^nt généralement cette intluence. il faut avouer qu'on la connaît
encore fort peu, parce qu'on n'a pas étudié de près la façon dont elle
s'oxorce dans chaque cas en particulier.
11 faut donc savoir gré à M. E. G. Doxter de nous donner ici la pre-
mière partie d'une étude qu'il complotera à bref délai.
Pour se documenter, il a d'abonl sollicité par questionnaire les
observations dun certain nombre de directeurs d'écoles et de péniten-
ciers : puis il a consulté les statistiques d'arrestations, de suicides de
New-York, les carnets d'erreurs des baïuiues. et, sur tout cela, les bul-
letins météorologiques. Il aurait voulu éiudiL-r au>si cette intluence
sur le travail manuel, cela n'a pas été possible. Ces recherches n'ont
pas toujours contirmo les idées courantes : ainsi le vent est générale-
1. Signalons IVmploî du moteur c'ootri.iuo pour le o>lindre employé à ces
recherclies.
2. A et travail osl joinlo une biKiocraMiio ;\sso.- rv^mî^rl.', M»,Al*rré des réfé-
reaces |^rfoi> insuUi>ante>.
ANALYSES. — r.tt.\î*îT DEXTER* Cotiduct and the Wealhf
77
ment considéré comme 1res défavorable : il eit probable en effet qu'il
nou^ enlève de la chaleur, que le Iravad physiologique est obligé
de re fournir: mats il ne semble pas avoir tes effets qu un lui attribue
ordinaiiement*
Rn génépiil, M, Dexter a constaté que la question est beaucoup plus
complexe qu'on ne croirait.
Tuul d'îibord, il faut se dire que rinfiuence météorologique n*est pas
imméitinte ; c'est généralement en aj^àssant sur le substrat phy-ique
de notre vie émotionnelle que les variations du temps nous attei|fnent
par contr«^*coup* Kn outre, il ne faut pas oublier que d'autres causes
aufsi peuvent agir : et dans les écoles, par exempte, il ne faut pas attri-
buer au temps ce qui peut-être n'est que Le reflet de Tétat de santé ou
d'humeur du maître, etc.
Ces réserves fuites, et après avoir aussi exactement que pussîble éli-
miné les causes d erreur*. M. Dexter eroit pouvoir dire que plus on est
^é» plus on est moralement sensible aux variations almosphériquesp
et que. dès l'enfance, les filles les épi ouvent plus que les garçons.
D'une façon srénérale, les climats les plus favorables au développe-
ment de la civilisation sont située entre hO" à 70*» F : un peu de froid
est d ailleurs plus que le chaud favorable au travail, et le temps clair
plus que le temps humide, sans doute a cause de son inHuence sur les
eour^'ints éfectriques qui sillonnent la terre. Ainsi les puniiions sont
au minimum au-dessous de 45** F; elles montent au contraire au-dessus
de 65** F, : si on mci^ure le travail à la régularité des présences à l'école^
ce sont les mois d octobre et novembre, de mars et avril qui sont lea
plus favonscfl.
Le vent est généralement considéré comme énervant; à sa grande
surprise, l'auteur a vu qu'il n'ei^t pas plus énervant que les jours csdiues
ne 8ont sédatifs. Les appréciations, en ce cas. étaient toutes subjectives.
parmi les autres renseignenienls rei^ueillis, signalons particulière*
meni ce qui concerne les erreurs dans les banques : Texamen de leurs
t. Citori!» en particulier la suivante; elle vaut ifètre signal6& & e&ux qui s*ûc-
t^upi^ut de ces questions :
• Le |in«pliique dc& pimîtroni^ «rolaircs nouâ tivaît montré que le vendredi enl
le jtjur où il y en u le juoinâ : une baîâ-^e d^ 5 p. 100. Un peu surpris de voir le
vt^ndrciii une si bonne conduite, J'exauiinai les doeumeitts de plus près, et
d^cyiivris quo t.'ette situation privilégiée était due k rintlut-Tir^e truiic école d'où
proven»i(^nl pn>s ûc JIO p. l(l(t des documents reeueilliK^ nu l'onLrairiiT (Un^ le»
troin autres rrojes étudiées^ le vendredi élnil la pire Journée, l.a façon de com-
prittiûr^U* Iravaii tljin^ l'ci^ole la plus noinUreu«e avait tout sLintdeinent retourné
\e% rè^ult^lâ ûr. reuquêtt;. Je questionnai nloiiï te directeur de cette éajln sur ta
prûgrAmmc du vendredi; peut- l'aire tniuveraî-je ainsi la j^olulion du m v stère*
En cJtrt, ii* tion i>rdrc dans ccll»? i^coU* tenait en ^irnndc partie k l'emiilaiion
des Hfcvci patir obtenir le vendredi, eu tin du semaine, une menlion hono-
rable,,, iiarceque l**?* notes élaient anétèi^^s ec jour- là. On espérait, fiar sa bonne
ct^ndutle ifuranl cetLe journée, elTacer les mauvaises im|ire»sious des jourï» pré-
c^d**ulï De plus, on sortait ce jour-lii un jour plus tôt que d'hnbîtude. Tout
ce.U iiifluaii sur in t;ourbe... » {p, 13 K
78 REVUE PHILOSOPHIQUE
variations est d'autant plus intéressant que c'est à peu près notre seul
document de ce côté sur Tintluence du temps. Â première vue, il
semble que les erreurs devraient être d'autant plus fréquentes que Ton
est moins maître de soi, ce qui a lieu quand la baisse du baromètre
rend le contrôle plus difficile. Mais il arrive que moins on se sent
maître de soi, plus on prend garde aux erreurs et mieux on les évite.
Aussi reste-t-il moins d'erreurs quand le baromètre est entre haut et
bas. — De même pour l'humidité. D'où résulterait que l'équilibre intel-
lectuel souffre moins que l'équilibre émotionnel des variations du
potentiel électrique.
Ce travail, dont les résultats nouveaux et intéressants sont encore
trop peu précis (l'auteur annonce pour bientôt des documents plus
complets et des conclusions plus nettes) est accompagné d'une série
de graphiques illustrant fort heureusement le texte, et qui sont de
lecture facile.
B. B. Breese : On inhibition (de l'Inhibition). Psychol. Rew.
Suppl. XI, pp. 65 (vol. m), New- York.
Depuis que Weber découvrit que l'excitation nerveuse peut produire
non seulement le mouvement, mais aussi l'arrêt, les théories de l'inhi-
bition se sont succédées, et le siège des ordres d'inhibition a été placé
tantôt dans la moelle, tantôt dans le cerveau, parfois dans l'une et l'autre.
Depuis liippocrate jusqu'aux contemporains, on a essayé cinq théo-
ries différentes, encore en présence : l'^ l'inhibition résulte de l'action
des idées les unes sur les autres; 2** c'est une association obstructive;
3^ une contradiction logique; ^° une forme de l'activité de la volonté;
5<> un phénomène psycho-physique. — M. Breese croit qu'il ne faut
parler d'inhibition qu'à propos des phénomènes psycho-physiques, et
il dénombre cinq cas : !<> l'inhibition d'une sensation par une autre;
2'* celle d'un mouvement corporel par une sensation; 3* par un état
d'esprit; 4^ par une émotion; 5<> enfin celle d'un mouvement volontaire
par la volonté. Dans tous ces cas il y a action physiologique.
Pour la résoudre, M. Breese examine la question sous deux aspects
voisins : 1" inhibition d'une sensation par une autre; -2** inhibition d'un
état mental par suppression de ses éléments moteurs.
C'est rétudc de l'inhibition visuelle résultant de l'antagonisme des
deux rétines (stéréoscopie) qui lui a servi de sujet de recherches pour
la première partie. Witasek prétend avoir réui^si à éliminer cet anta-
gonisme, à l'aide des ligures de ZuUner : M. Breese avoue n'y avoir
jamais réussi, et il le considère commo radical. Ce serait donc un cas
typique d'inhibition naturelle à étudier (p. 20).
Un carton porte deux petits carrés, rayés de hachures opposées dans
l'un et l'autre, et vertes dans l'un, rouges dans l'autre, afin qu'on puisse
distinguer les carrés. Ceux-ci affectent chacun un point différent de la
rétine et l'on peut, grâce à un pendule, rendre mobile un des champs
ANALYSES. — B.-B. BREESE. On Inhibition, 79
visuels, l'autre restant au repos. On peut aussi noter sur cylindre, par
ua dispositif analogue à celui des tenrips de réaction*, combien dure
le temps de vision, normale ou prolongée par la volonté.
L'œil suit instinctivement Tobjet, et par conséquent en prolonge ins>
tinctivement la vision : aussi M. Breese a-t-il étudié ces mouvements,
en présentant à la vision des carrés ou cercles portant des ornements
capables de retenir la vue par leurs linéaments : ces mouvements pro-
long^ent la durée de fixation. On fait alors mouvoir le carton en lais-
sant rœil aussi immobile que possible : puis, pendant qu'on regarde,
pour contrarier ses mouvements on contracte un muscle du bras, par
exemple; ce qui n'a donné que des résultats indécis; on a aussi changé
les dimensions des cartons.
De toutes ces recherches il semble résulter que cet antagonisme
n*est pas physiologique (d*autant qu'il n'y a pas de connexion entre
les rétines), mais d'origine centrale (p. 35).
A un autre point de vue, on constate que la fatigue et l'exercice ont
peu d'influence; il n'en est pas de mémo de l'éclairage : c'est le carré
le mieux en lumière dont la vue s'impose le plus longtemps à la con-
science. Enfin cet antagonisme persiste entre les images consécutives :
on le constate pour les objets de même couleur et ceux de couleurs
difTérentes.
On ne peut donc expliquer cet antagonisme simplement par des états
psychiques : et cependant une simple explication physiologique ne
suffirait pas. Il faut y voir l'antagonisme de deux centres de réaction
dont l'activité est inséparablement liée aux situations sensorielles.
La deuxième partie de ce travail étudie l'influence de l'inhibition
de certains muscles sur un état psychique particulier (certains souve-
nirs). L'auteur a employé, comme matière de ces souvenirs, des combi-
naisons de doigt:s, selon un dispositif incomplètement expliqué, et il a
étudié quelle influence avait le fait de retenir la respiration, de s'em-
pêcher de prononcer mentalement des noms de couleur, etc. Cette
partie, beaucoup plus brève que la précédente, est aussi moins
précise.
M. Breese conclut que l'inhibition physiologique retentit sur nos
opérations mentales, et que c'est là un procédé constant dans l'inhibi»
tion. Or ce phénomène étant fondamental dans notre vie psychique,
c'est lui que les partisans de la théorie kinesthésique des émotions
devraient étudier au lieu de se borner à affirmer leur théorie. Nulle
excitation interne ou externe n'atteint la conscience, sans avoir à la
base une réaction motrice.
Les expériences sur lesquelles s'appuie, en dernière analyse, cette
conclusion, paraissent ingénieuses et serrent la question de très près.
1- M. Breese n'examine pas si celte façon de mesurer le temps ne fait pas
lûlervenir l'équation personnelle.
80 REVUE PHILOSOPHIQUE
Cependant il nous semble que, prises isolément, aucune en particulier
n'est concluante : elles ont seulement l'avantage d'être assez bien
ordonnées.
Sh. Iv. Franz : After-Images {les Images consécutives) PsychoL
Rew. Suppl. 12, vol. III, p. 61, New- York.
C'est une étude, très méthodiquement conduite et bien fouillée, des
images consécutives. L'auteur s'est attaché aux images visuelles : il a
voulu déterminer quelles moditications elles peuvent subir; ses expé-
riences sont claires et les graphiques faciles à lire.
1-2-3. — Ce n'est pas une excitation quelconque qui peut produire
une image consécutive : il faut tenir compte de l'intensité, des dimen-
sions et de la durée. Les expériences de M. Franz lui ont montré que
l'intensité d'excitation augmente les chances d'images consécutives,
ce qui prouve bien qu'elles résultent de la fatigue; elles sont moins
nombreuses pour les petites surfaces, plus difficiles à fixer; entin leur
période latente (entre l'excitation et l'apparition) dépend surtout delà
force d'attention (p. 18).
Elles persistent d'autant plus longtemps qu'elles ont été plus forte-
ment imprimées, c'est-à-dire que l'intensité d'éclairage, la surface
per(;ue sont plus fortes. La qualité lumineuse influe aussi; les images
consécutives en vert sont les plus tenaces.
'4-5-6. — Quelle est leur relation avec le type mental? Il semble
qu'elles durent plus longtemps chez ceux qui ont la vue meilleure et
surtout qui appartiennent au type visuel. Dailleurs l'imagination
semble, en ceci, avoir un rôle aussi important que l'attention (p. 34),
c'est ce qui explique leurs fluctuations : sous des causes plutôt men-
tales que physiologiques, elles disparaissent et reparaissent plus ou
moins de fois. Mais le changement de couleur semble dû à d'autres
causes : pourquoi la même excitation ne produit-elle pas toujours chez
la même personne des images consécutives identiques? les teintes
sombres sont les plus fréquentes, le rouge le plus rare. Peut-être cela
tient-il, comme l'avait cru Fechner, à la durée de l'excitation : cepen-
dant les recherches de M. Franz n'ont pas confirmé cette vue.
7-S. — Ces images sont projetées dans l'espace : la troisième dimen-
sion ne leur fait pas complètement défaut, ce qui les rapprocherait des
peiceptions plus que des sensations. Il convient de noter qu'elles
épousent les contours des objets sur lesquels on les projette (p. 43).
Quant au transport de l'image d'un œil à l'autre, question qui a sou-
levé tant de polémiques, M. Franz, après Delabarre, le juge tout appa-
rent : en réalité, nous ne distinguons pas le champ visuel de Tun et
l'autre œil; tout se réduit donc à une apparence de transfert. En tout
cas, l'image ne lui paraît pas être d'origine centrale.
L*étucle se termine par un historique de la question, avec indication
des questions connexes, et une bibliographie assez complète.
D' J. Philippe.
jkMALYSES. — vvfjoowoRTii- Thê uccuvaaj of vùluntarj/^ etc. 81
B* S, 'Woodworth. — The agcuhagv of voluntahv Movement
i^VHabiieÎK' mutrtce i^olontaîre}. PaychoL Rew. SuppL XI It, ii\ pp.,
"VoK iif, New- York.
L'étude des iTioiïvementR est une des caractérisïîques de la psycho-
\oAe conlemporaine ; elle a vu qu'it n*y n pua que letî percepUt»ns et
l'intcUigenée, mâlâ encore des mouvement, des actions et réaçtimis.
Xescducaieurs sur tout comprennent que Téducation de U volonté et du
corps A un rùle capital. — ï2t cependant on connaît à peine les niûii-
ments. lï y a une psydio-physique des sensaiions : Tanalogue n'existe
pas pour les muuvemcnts* C'est it p^^ine si Ton commence h. les étudier :
«t le peu que Ton a fait se rapporte à leur perception et h leur no é moire
Ikltftot qu'à leur production, à leur génération i comme si la perception
du mouvement Louchait seule la conscience : et sa production, sa pré*
parai ion, nous cch.'^ppiifent.
L*éiude scieniilîqmî du mouvement est la première condition d'une
paycholoîi^ie scienlitique de la volonté.
C'est en partant de ces pointa de vue que M. Woodworth aborde
Vélude de» mouvements : il la conduit avec la précision et la méthode
rl'ijn vérit-thle expérimen<aLeur: ses procédés sont en général claire-
ment exposés, ses «^raphiqLies et ses tahieaux d*^ résultats faciles à
lire ; et si parfois quelques hypoUièses (particulièrement en ce qui
concerne le sens musculaire) paraissent un peu hasardées, elles valent
aé;(njnoins qu*on s'y arrête et len examine avec attention, car elles ont
le rrtre mérile d*écLùrer les questions, sinon de les résoudre. C'est en
cela d'ailleurs que l'hypothèse digne de ce nom diffère d*uno supposi-
tion quelconque.
1'' L'élude de M, Woodworth débute par une brève révision des tra-
viiuA. antérieure, en particulier de eeux de Goldscheider, Hall et
Hartwell, Loeb, FuLerton et Catlell, Delabarre. Miinsterberg, Bryan :
e**** irav**ux ronoernent soit la conscience que nous pouvon^i avoir de
iif'is mouvements, soit rappfieatkin à ces mouvements de la loi de
Wi'ber, SMil le développement de rhabrleté motrice comparée à celle
ûtin autres sen% et du corps eu général (p. 10).
*i* Les expériences ont été faites au laboratoire de T Université de
Colombta : Tauteur indique la méthoile employée pour faire tracer un
ni>mbre dctnii de li^nies dans un temps dontié« loupé par les batte-
ments du métronome, ©te, — pour calculer les moyennes {ce dernier
calcul a été fait en indiquant l'erreur non selon rerrcur probable,
fitjiis selon IVrreur de la moycnue carrée, qui e^t proportionnelle et
d'environ IK p^ tOQ plus gnnide, ce qui fait mieuTc ressortir les rela-
tions (p. 2b),
2^ ii'eiiitinft de La précision à la vilessB. — Les mouvements sont
ilBoin^ précis quatid on force leur rapidité : mais si le mouvemenï e^t
machinal, il devient au contraire d'autant plus précis qu'on va plus
vltep surtout pour la main droite (p* 3U). L'auteur a étudié les mouve-
ments d<ï ÏA main droite et de la gauche avec les yeux ouverts et le»
82 REVUE PHILOSOPHIQUE
yeux fermés pour Tune et l'autre : c'est avec les yeux ouverts que les
mouvements présentent le moins d'erreurs, mais ils sont plus troublés
par l'accélération de la vitesse ^
Cette diminution de la précision, à mesure que s'accroît la vitesse,
parait due à la difficulté croissante de la perception et de .l'adaptation
(p. 37). Le contrôle exercé sur le développement du mouvement n'est
d'ailleurs pas le môme à ses divers moments : de plus, la précision
diminue à me^ure que croit l'intervalle entre les expériences. Il semble
que le meilleur intervalle, pour la main droite, oscille autour de 0^5
(p. 44).
Dans ces expériences, on a toujours vu le contrôle devenir presque
impossible dès que le nombre de mouvements à la minute dépassait 300.
4® Répartition de la précision au début et dans le cours du mou-
vement» — Quand on veut piquer une pointe de crayon juste sur une
lettre, il faut, une fois le crayon déjà orienté vers la lettre, tâtonner
encore un peu et faire quelques petits mouvements pour tomber juste.
Dans ses expériences, M. Woodworth a vu que la précision, lorsqu'elle
doit être très grande, ne s'obtient pas dès le début : elle se fait peu à
peu en cours de route, et surtout à la fin, par une série d'adapta-
tions.
b^ Vérification de la loi de Weber. — Cette loi ne s'applique directe-
ment qu'aux sensations : mais on pourrait conjecturer qu'elle s'étend
aussi aux mouvements, et que l'erreur est proportionnelle à la longueur
du mouvement.
Partant d'une assimilation, peut-être trop étroite, de la perception au
mouvement, M. Woodworth estime que, dans l'exécution d'un mouve-
ment, nous ne sentons que les points de repère nécessaires à cette exé-
cution : nous glissons sur le reste. En fait, il a constaté que l'erreur croît
avec l'étendue du mouvement, mais non en proportion (p. 65) : en
tout cas, elle croit moins qu'on ne croirait.
6<> L'erreur de perception et l'erreur de mouvement. — Ce sont
deux erreurs différentes, comme le montre la dissociation qu'on peut
en faire; de plus, leur somme ne rend pas compte de l'erreur totale :
cherchons donc d'où vient le résidu.
7<» Les bases sensorielles du contrôle du mouvement. — De cette
recherche faite par une série d'expériences minutieuses et qu'il est
impossible de résumer. M. W. conclut que nous possédons le senti-
ment ou sensation de l'étendue du mouvement, laquelle ne peut se
ramener à une sensation d'intensité ou de durée ou de positions initiale
et finale (p. 80). C'est pourquoi, dit-il, les lignes sont d*autant plus
difliciles à reproduire qu'elles sont plus longues : évidemment cela ne
1. 11 n*est pas «lit si la main gauche trace de droite à gauche ou de gauche à
oite, ce qui a sou importance. En ce qui concerne l'analyse de la vitesse aux
1.
diverses phases du mouvement* Tauteur aurait tiré grand secours de remploi
de la plume électrique Edison.
ANALYSES. — wooDwoHTH, The accumcy ùf mliintary, etc. 83
serait pas, si on les repérait seulement par leur début et leur lin : il
faut supposer aussi des repérajL'ea intermédiaires :
évidemment cela ne signifie pas que ni la durée ni rinlensitâ du
mouvement n'aident à Juger : mafs rien de cela n^est primitif eonime
î:i sensation directe de l'étendue du mouvement fp. 86)^ et c'est cette
.^enï^5itK>n des mouvements qui en contrôle rétendue, soit dit sans
vouloir diminuer llmporiance de Tima^e mentale du mouvement;
maïs nous ne pouvons, selon l'expression de James, inférer que ce qui
DOus ehi déjà plus directement connu Ip. HT).
C*eBt évidemment là Tidée maîtresse du travail de M. Woodworth :
tout le développement dea préc^îdentes expcnenci.'s tendiût vers eïle,
et le fc^te en est comme une conséquence découverte dans les faits.
Ceux qui critiqueront la conclusion proposée (le sujet n*étant pas de
ceux qui se peuveat résoudre au premier efTort) reconnaîtront du
moins querexpérrmentateur a serré de très près la difficulté à éclaircir,
8" Effets de Ut fatigun et ik rexercice, — La fatigue diminue la pré-
cision» mais beaucoup moins qu'on ne croirait, surtout quand il s'agit
de mouvementa rapides. Son effet se fiiit d'ailleurs sentir au milieu de
la fiêrie plat*Vt qu'à la tin^ d'après une loi quon peut énoncer ; la
fatigue nccroU Verrem\ mais Ut pratique tend k Vèiiminer Ip, 94).
L'iitieotion ii est donc pas seule en cause : cependant il faut qu elle ne
ibtlsse pas et que la fatigue n'intervienne pas pour que rexercîce
néliore le mouvement, asaea: lentement d ailleurs.
Quant à la rapidité* elle agit diversement : un mouvement très rapide
se déforme; trop peu rapide, il ne progrease pas, 11 faut une vitesse
moyenne : la main droite s'éduque tant que le nombre des mouvemejits
ne dépasse pas ItlO par minute; la gauche faiblit déjà à 100.
La tin de cette étude est consacrée à rexamen des divers mouve-
ments dont se compose Técnture cursive : leadoigts, Je bras et Tavant-
briLs y ont chacun leur rôle, et la prédominance de l'un de ces trois
éléments earactériae récriture. Il semble que l'on doive développer
iurlout Jee mouvemeniâ de Tavant^bras. «^ Ils sont plus libres^ plus
iseiles, et moins sujets aox crampes que ceux des doigts, et aussi plus
rapides, ils n'ont pas îa même tendance que les autres à déprimer
les lettres dans récriture rapide, et sont plus réguliers en ce qui con-
cerne la direction du coup de plume. La hauteur et Talignement des
lettres aéraient plus réguliers, et, certainement, Tensemble serait plus
factk à lire, v Conclusions qui pourront servir aux graphologues et aux
calti graphes. D' Jean Philippe.
III. — Sociologie.
B. Benutein. SocuusiiiB théûaique et socialdêmocaatiiï pha-
HQCe; voL in-fd de XLLV-.fOâ pages, — K. Kaustkj. Llc m vnxtSH^ et
84 REVUE PHILOSOPHIQUE
SON CRiTigUE Bkhxstein; anti-critique; vol. in-18 de XXXI 364-pages;
Stock éditeur. Paris, i900.
Je résume ces deux volumes en un seul compte-rendu, parce que le
second est la réponse au premier. M. Bernstein, voyant le danger que
fait courir à son pays le culte de théories surannées, a convié les
socialistes à reviser leurs formules et leur a soumis de très instructives
réflexions dans ce but : son livre est essentiellement une œuvre de
bonne foi; Tauteur, nu risque de beaucoup d*ennuis, cherche la
vérité. L'effet a été considérable; on a déversé des bottées d'injures
sur M. B... et M. Liebknecht s'est, tout naturellement, distingué dans
ce concert; mais M. Kauslky veut donner des raisons et il estime que
le doyen de la socialdémocratie ne connaît rien à ce dont il parle
(p. XXX). Le livre de M. K... s'adresse malheureusement surtout à des
orthodoxes, qui demandent à être rassures; il est, par suite, peu-
nstrnotif, comme toutes les apologies d'un parti. M. B... avait émis
des doutes sur la valeur scientitique des formules; il fallait lui
répondre en précisant le sens des thèses; c'est malheureusement ce
que n'a pas fait M. K...
La plus irrando partie de cette discussion porte sur les crises com-
merciales, la surproduction . la concentration des industries, la répar-
tition dos revenus, raccroissement de la misère; ce sont des questions
otranirères aux cadres de cette revue; d'ailleurs Marx na guère fait,
sur ces points, que rééditer des idées qui étaient courantes parmi les.
socialistes il y a cinquante ans. Il est à regretter que les travaux de
M. Pareio sur les revenus et de M. Juglar sur les crises soient inconnus
en Allemairne. M. K... emploie de singuliers ariruments; c'e^t ainsi
qu'il trouve une preuve de l'aceroissement de la misère en France
dans la diminution de la natalité et de la nuptialité'; les questions
économiques lui sont étrangères.
Je vais examiner seulement la discussion engagée sur ce que les
soeiaUlémocrates regardeniVonime les thèses fondamentales.
<). M. B... estime qu'on attache une importance exagérée à la théorie
de la valeur; M. K... me fournit aucune explication scientitique sur les
points obscurs de celte théorie, que les sovialdémocrates ne semblent
pas dé'^ireux de voir devenir claire. Marx n'a p int vraiment donné
de théorie de la valeur, mais une théorie de l'équilibre économique,
qui se réalise ila:is un pays fermé, soumis à un régime capitaliste sin-
gulièrement simple. Les écrivains socialdomocr.aes équivoqiient sur
le mot iriv\xU\ t.mivt c'est l'activité de t mie i:i s*Hiel** pourvue de
ses instruments: ia:Uot c'est l'activité des >e((v's ot( triera, considérés
en faisant abstraction des instruineais: dans le premier sens, toute
richesse pr.»vieni du travail e; u:ïe partie do ce travail e'^t employée à
fournir le proiit capitaliste, tandis qu'u:ie autre partie correspond au
salaire On s exprime d-: lîMnicre \ laisser entendre ;.ux ouvriers-
I. Dans ri.iiii.^n frdn\;ai'io p J-i| . il p. a ovvi>orve «jutf cet le ileuxiême cause ^
ANALYSES. — E. BERNSTEIN. Socialisme théorique. 8S
qu^une partie de leur travail (deuxième sens) est détournée indûment
par le capitaliste : « Le capitaliste, dit M. Jaurès, retient une partie
■du travail incorporé par le salarié à la marchandise ». {Mouvement
socialiste^ I *• mars 1900, p. '260). Le profit est qualilié de tranail impayé
(M. Guesde dit môme volé); ce n*est pas là une vérité scientifique;
c*est une coupable équivoque sur les mots.
6. M. B... pense qu'il faut corriger les rigides formules du matéria-
lisme historique, en tenant compte d'observations d*Eiigels publiées
en 1895; il ne veut surtout pas que l'on croie à une prédestination
<p. 85); il veut reconnaître l'importance de l'activité libre de la volonté
collective, qui se traduit par la légisUilion et par les changements
■dans les mœur»*; il veut qu'on tienne compte de Tinlluence des con-
sidérations morales sur l'histoire politique. M. Iv... est intraitable sur
ces questions, surtout sur la dernière (p. 44) : la morale est le cau-
chemar de la social'iémocratie.
iM. K. soutient que Marx et Engels ont « fait entrer les faits histo-
riques d&ns le domaine des faits nécessaires » (p. 21) et qu'ils ont été
toujours d*Herministe.^ (p. 20). Malheureusement il se trouve que Marx
•et Engels n'ont pas voulu « ensevelir leurs nouveaux résultats scienti-
fiques dans des gros livres à l'usage exclusif du monde savant » (p. 60)
■et qu'on ne possède que des petits textes prodigieusement obscurs.
M. K... ne parait pas se douter de cette obcurité; dans la préface à la
Critique de Véconomie politique, qui est pleine de réminiscences
hégéliennes, il ne cherche pas à découvrir le sens spécial et technique
des mots bestimmen, bedingen, bewusstsein, sein, etc., que les com-
mentateurs emploient à tort et à travers. Qu'est cette détermination
historique? Comment peut-on la constater et comment en faire usage?
Il nous renvoie aux travaux des historiens marxistes, estimant que les
discussions d'éclaircissement sont purement scolastiques (p. 17). Où
sont donc ces travaux? Si le type est vraiment la brochure de Marx
intitulée XVIII brumaire (p. 23), le matérialisme se réduit à une
étude concrète des classes sociales; si M. K... a en vue la compilation
sur l'histoire du socialisme qu'il dirige, il nous donne de tristes
modèles; car cette compilation renferme pas mal de parties ridicules;
— se moque-t-il du public quand il prétend que les marxistes éclairent
l'histoire par l'étude de la préhistoire (p. 28)? On sent facilement
-qu'il n'est jamais arrivé à M. K... de faire des recherches historiques
suivant les méthodes modernes.
c. Il est fort difficile de savoir ce que Marx et Ençels appelaient leur
méthode dialectique empruntée à Hegel; je crois qu'ils n'entendaient
point par ce mot une même chose; M. K... n'entre pas dans le cœur
de la question; il défend la dialectique; mais il trouve moyen de ne
pas nous apprendre ce qu'il entend pir ce terme. M. Jaurès a, lui
aussi, défendu la dialectique : d'après lui c'est une manière de mettre
en évid»*nce des contradictions et de trouver la solution nécessaire : le
mode de production collectif s'oppose à l'appropriation individuelle et
86 lŒVUE PHILOSOPHIQUE
la solution est dans le communisme qui permet do posséder en
commun ce qui est produit en commun (Mou\:ement socialiste,
p. 271). Engels appelait dialectique une suite d*états revenant à un
point de départ amplifié (la graine se nie en germant, la plante plus
tard se nie en fructifiant).
M. B... reproche à la dialectique de subordonner l'histoire à un
auto -développement de l'idée et de tomber ainsi dans Tarbitraire
(p. 37). M. K. prétend que Marx n a point prévu l'avenir par la dialec-
tique et qu'il s'en est servi seulement comme procédé d'exposition
(p. 50). J'avais émis la même opinion il y a quelques années {Devenir
social, octobre 1897, p. 874). J'ai d'ailleurs signalé, plusieurs fois, que
Marx n'a explicitement employé l'appareil hégélien que dans l'avant-
dernier chapitre du premier volume du Capitnl : est-il raisonnable
d'attacher tant d'importance à une chose si exceptionnelle; les social-
démocrates feraient sagement de renoncer à la dialectique.
Ils y tiennent parce qu'ils tiennent à l'idée de fausse évolution dont
Marx et Engels ne se sont jamais débarrassés i. L'histoire est divisée
en tranches, dont la durée est indéterminée, qui sont caractérisées
chacune par une formule qui s'applique seulement h un état moyen, et
qui se succèdent d'après une loi logique que l'on prétend découvrir.
Pas moyen, avec celte méthode, d'étudier le passage d'une région à une
autre; en effet les qualités caractéristiques de l'état moyen ne con-
viennent pas aux extrémités; le passage est un accident livré au
hasard et sur le quel la volonté humaine a une grande action, soit
pour l'accélérer, soit pour en .-«tténuer les misères. L'appréciation du
chemin à parcourir manque, dit M. B... (p. 4ij; on aboutit à accorder
une confiance illimitée à la dictature révolutionnaire et à ne guère
tenir compte de l'évolution morale des masses. C*est à cause de ces
conséquences que M. B... proteste contre la dialectique.
Le livre de M. B... a fait scandale en Allemagne, parce qu'il discute
les questions d'une manière laïque, parce qu'il étudie l'œuvre de
Marx et d'Engels comme celle de tous réformateurs sociaux, en admet-
tant que leur pensée a évolué. On était h.ibitué àuneejcé^ésec/ërtcaZe,
qui prend l'œuvre en bloc et en tire des textes. M. Bourdeau a signalé
que c'est de cette manière que procède M. K... (Musée socinU octobre
1896, p. 127). A mon avis il faudrait aller plus loin et séparer résolu-
ment Marx d'Engels; M. AVoltmann l'a essayé, et cette tentative
indigne M. K. A mon avis Marx a seul laissé des œuvres ayant une
valeur philosophique; Engels a fait de la grosse vulgarisation, à la-
quelle il a donné une forme pcdantes!.[ue et métaphysique pour
plaire au goût allemand; mais beaucoup de personnes fort compé-
tentes estiment que l'hégélianisme est fort innocent des thèses
qu'Engels a prétendu en faire dériver. M. K. me semble avoir sur les
1. Cf. ce que j'ai dit dans la lu-êfaci' h .. Fontu's et essence du socialisme •, par
S. Merlino. (p. XLI).
ANALYSES. — j, touRBET* Le problème des seares, 81
méthodes hég^iiliennes de singulières idées; tuadia que M. H. relève
(comme avait fait M, Sombart, mats plus exactement) le dualisme qui
existe cbez Marx, qui tantôt raiâonne eei philosophe évûtutionDiste et
tantôt parle si souvent en révolutioimaire blanquiste» M. K,„ trouve
ûue ce dualisme ne constitue pas une « erreur *^ mais « le grand Uit
'liisionque du socialisme de Marx ; la réconciliaiion du socialisme
tttopique et du mouvement ouvrier primitif en une unité phts haute »
(p, 68); qu'il essaie de le prouver! Ce sont là des mots, rien que des
ftnota, destinés ft produire de l'efîet sur le public allemand : l'Allemand
' veut des raisona inaccessibles à la simple logique latine,
G. SOHEL.
Jacques Lourbet. — LE PROBLÉaiE des Sexes, — (Y* Giard et
E, Hrière, éditeurs.)
Daua ce livre, beaucoup de science et d'érudition alliéea aux plus
louablea sentiments; une réfutation très solide et très sérieuse de t^er-
laina dogmes soi-disaut acientiOquas comme, par exemple, le prétendu
rapport entre rintelllgence et le poids du cerveau, etc.
Maïs on ne peut s*empêcher de constater que le problème dci sexes
n'est pas abordé de front, sur son véritable terrain, et il existe, par
conséquent, entre les prémisses et les conclusions de M. Lourbet, une
certaine disproportion qui déroute le lecteur.
C^est à peine si Tauteur parle du mariage; cinquante lignes fiont
èOfiBacrées à k réhabilitatiO]i des filleB^inêres^ la question de la pros-
lilution est à peine effleurée*
Or, ce sont là précisément les points délicats, les régions encom-
brées de dlf acuités et d'obstacles, peut-être insurmontables, en tout
eus les eûtes véritablement intéressants du problème des sexes.
Quand on néglige, en effet, dans la vie de l'homme et de la femme,
tout ce qui se rapporte à Tœuvre de la perpétuation de respècei Téga-
lilé des deux sexes devant la loi s'impose, même si Ton admet, a tort
OU à raison, entre Thomme et la femme, des inégalités d'ordre essen-
tiel^ constitutionnel en quelque sorte.
La femme est un Ôtre humain, au morne titre que Thomme: en tant
qu*étre humain, en tant que personne humaine, elle doit jouir des
mêmes droits. Qu elle soit, en moyenne ^ plus petite^ moins forte phy-
siquement, moins apte aux inventions en tout genre, qu'importe? Il
n'y apoinitle lois spéciales pour les hommes grands ou petits, forts
ou dêbile's, intelligents ou sots, et il ne peut y en avoir. Car la loi, qui
dispose d'une façon générale^ ne peut disposer que d'après des pré-
somptions fondées sur les moyen ne s i — des moyennes aussi bas?îcs
i|ue possible -^ et il n'existe aucune relation connue entre la moralité.
I. Ne pas oublier qu'une moyenne eit le seul ehilTre peu t-^ Ire dont on pui*5se
dire r|a*ii est (certaine m cal faux.
8B
REVLE HIILaMJi*lllUUE
raptitufie â teîle profession, Vini^Uv^ence, le génie et tel ou tel caarao-
tere physique, comme la taille, \r poidSi ta force.
Pour ce qui est des professirms^ J. Btuart MiU a complèlemeiit
raisf>ri; le classement se fera, là comme ailleurs, par la libre concur-
rence et, à la longue tout au moins, il est in Uniment probable que les
femmes usertnit de leur liherfé pour se dirîfjrer dans les %'oieB qui con-
viendront le mieux h leurs qualités spét-iHles,
H serait déraisonnable^ sous prétexte que la taille moyenne est plus
petite pour Ton des sexes que pour l'autre, d'obliger les femn*es 4
entrer dans l'édifico social par une p<>rte plus petite que celle réservée
aux hommes. Il est bien plus naturel et plus équitable d'ouvrir une
seule porte, assez haute pour que tous et toutes puissent passer des-
sous «ans se courber. Pas de donle la-dessus.
Mais encore une fois» ce n'est pa^ là le vrai problème des se%es, et il
faut avoir le courage de FenvîsBger en face. Dans rœuvre û^t la per-
pétuation de Tespèi^e, le rôle de la femme et celui de Thomme ne sont
nullement égaux, ni même L^quivalents,
Je ne parle pas ici de la conception, dont la théorie est encore trop
obscure et mal connue pour qu'il f^oit poss^^ible d'en tirer une conclu-
sion quelconque. Mais la gestation, la parturition» rallaitenaeiit, la
première éducation de reofant, toute cetle tâche si laborieuse, sî
pénible, si douloureuse, si aî^SMJetttssanle, dévolue â la mère, n'a point
son équivalent dans les attributions du père. Et, sous ce rapport, la
femme a été traitée par la nature d'une faç'm si cruelle, sî barbare,
qu un s est évertué à en forger des explii-ations comme la fable du
fruit défendu, par exemple.
Il a fallu surtout trouver une compensation, car un être aussi visi-
blement opprimé par les fatalités naturelles est absolument hors d'état
de pourvoir, à lui seul, à la nourriture, à l'entretien^ à la défense d#
la famille. Celte tâche a été réservée au père.
Mais quelque pénible et ardue qu'elle puisse être à certains
moments^ cette lâche elle-même constitue une compensation très
in^^uflisante, et il n^y a pas un homme de cœur, animé de sentiments
généreux et délicats qui» assistant à la naissance d^m de ses enfants,
ne se demande avec angoisse comment il pourra jamais, à force de
tenfJre6É?e. de soins, de dévouement, faire oublier a sa compagne de
pareilles soulïrances.
Bi cette compensation — la seule que puisse donner la loi — est
insu f lisante, où en trouver une autre Y Four ma part je ne vois que
le respect, la considération, la déférence, les honneurs en un mot
dont la société pourrait et devrait entourer la mère. On honore le
soldat qui, dans une bataille, risque sa vie pour sa patrie, A chaque
grossesse, la femme aussi risque sa vie et sa santé pour la perpétua-
tion de rhumanité.
Mais la question est plus eoinpliquée encore. L'affection paternelle
n'est pas, à proprement parler, un sentiment naturel. L'homme ne
ANALYSES. — J, lOtJRïiET. Le problèittf de« nfureê.
89
s*attâcba à ses enraiitfï, ne travaille pour eux qu'à lu coaditîon qu'il
les croi*^ bien à lui, cten riiison même des soinsqu'iïleuradoimés.Or la
prtuve matérielle de la p.^ternitée'^l impossible à fournir. Ceaen iment
procède d'un acte de foit en quelque sorte, de la conliance absolue
ditns lii fidélité de li femme à Inqueïle l'hurame îi donné son nom.
De lîi ce concept pariiniHer de Thonnenr féminin qu'on reirouve
%hex, tou« les peuples sous des formes diffère nies; de là cetle sévérité
ïur U'ft iniidélitts de la femme, cette indulgence relative pour celles
de riiomtne; inégalité, logiquement choquante, qui ne s*expïique et
ne se justifie que par Fintérét social, .-ittaché h la conservation de la
fâmilî*\ au maintien et an développement du sentiment de lapateniïté,
î)c 11 en lin cette institiitîon du mariage qui est, quai qu'on die, la
pierre an cru la ire de la société et qui, par essence» hors certains cas
morbides très rares, est et doit être indissoluble. En effet, la physio-
lo*x^i2 nous apprend que souvent les enfants d un second lit ressemblent
À ceux du premier. Pour le second mari d'une veuve, cette ressem-
blance n*ii rien U'inquiétunt. Pour le mari d'une femme divorcée, il
n'en est pas de même, et le sentiment paternel diins ce dernier eaa
doit être singulièrement affaibli par la poi^sibilité de ce doute* La
thèse récemment portée au théâtre par M. llermani, dans rEiuprtMUte,
est auiisi d^une vérité profonde, et» à ces titres divers, on peut dire
que le rétabli ssenient du divorce est une des erreurs les plos graves
de la période trentenaire qui vient de s'écouler*
Qu^nl à « Tunion libre «que le romantisme et ses divers succédanéa
ont portée aux nues^ il est à peine besoin de Teica miner. La société
ne peut s'occuper d*une association qu'on ne lui fait même pas con-
naître ofiicielïement. C est, du reste, une des plus monstrueuses exploi-
tai lOtis de cette inégalité eonsiitutionnellc des deux sexes. L'homme
qui préfère au mariage l'union libre^ de quelques dehors po*^Mques
qu'il essaye de parer la chosCt est tout bonnement un monâicur qui
veut se réserver les moyens de planter là, quand il le voudra* la
femme qui a eu la sottise de Técouter, et de laisser h sa charge
eEcîIusive les enfants qui seront nés de cette association preCctire.
Maïs ici surfit une question d^une épouvantable gravité et dant les
dif lieu nés semblent insurmonrablcs. Je veux parler de la pro.Htitulion
puhli [ue^ tolérée, patentée par TÉtat,
Au pomt de vue social, c'est-à-dire au point de vue de la constitua
tion de h\ famille qui est la vraie molécule sot^iale', le mariage a été
fonrtv >5Ur les banes de la fidélité réciproque des époux, avec une lolé
rance particulière pour les infidélités de Thomme.
Ur V'tici que, sur un point essentiel, l^ société se trouve en contra-
dicti iU avec liinature» L*homme est ou peut être pubère a partir de quinze
I. Un ar pcul atlnhupr ce rôle à rindividti dont la durée n'est pfls compara-
ble à i"ellc Jr- la ^iM^'W'if.^ dunt ri-^siistoncr même ue peut sr f'unc<3 voir tin Obbors
eu milieu soctaL
90 REVUE PHILOSOPHIQUB
OU dix-huit ans; avant vingt-quatre, vingt-six ans, souvent même plu»
tard, surtout dans les conditions de la vie moderne, il ne lui est guère
possible de songer à fonder une famille, c'est-à-dire à se marier.
Que faire, comment se conduire pendant cette période? Théorique-
ment, il n*y a qu'une seule solution acceptable, c'est la solution
adoptée par l'Eglise catholique, la continence absolue, solution
admise d'ailleurs et généralement pratiquée pour une nombreuse
catégorie de jeunes filles. Mais, soit que l'éducation plus libre donnée
aux jeunes gens surexcite en eux des appétits irrésistibles, soit que
les exigences du tempérament masculin soient plus impérieuses, cette
continence est bien difficile à observer. Elle peut offrir même de très
graves inconvénients sur lesquels il est inutile d'insister. -En tout cas,
il existe un grand nombre des célibataires de tout âge auxquels il
serait impossible de l'imposer.
C'est alors qu'intervietït la prostitution publique, cette plaie peut-
être incurable des sociétés humaines, et par laquelle toute une caté-
gorie de femmes est vouée au plus monstrueux et au plus révoltant
esclavage K Et ce qu'il y a de plus choquant, c'est que ces femmes,
vouées à la satisfaction des appétits masculins, sont méprisées de
tous, spécialement de ceux qui s'en servent.
Cette prostitution a existé dans tous les pays, dans tous les temps,
dans tous les lieux avec le régime de la monogamie comme avec
celui de la polygamie. Même à Rome, sous le gouvernement temporel
d'un prêtre chrétien, prêchant une morale ascétique, estimant le
mariage lui-même moralement inférieur au célibat, la pro<«titution
non approbnbfitur sed tolernbatur ad cavenda majora mala.
Tous les efforts tentés pour guérir ce fléau sont restés infructueux;
les plus anciens comme les plus récents n'ont fait plutôt que l'aggra-
ver. L'avenir sera-t-il plus heureux? Cette question reste la plus
grave et certainement la plus difficile à résoudre parmi celles qui
composent le problème des sexes.
L'œuvre de la maternité une fois terminée, les femmes pourraient
et devraient avoir un libre accès aux fonctions publiques, administra-
tives surtout. Elles y apporteraient, plus que les hommes souvent,
au moins dans le détail, des aptitudes naturelles développées et
exercées par les soins antérieurement donnés au ménage. Les com-
munes, les hospices, les bureaux de bienfaisance, etc., gagneraient
très probablement, et beaucoup, à être administrés par des femmes.
Il y a trente ans, au moment du siège de Paris, de nombreuses
associations se formèrent pour donner du travail et des secours aux
familles nécessiteuses. Les associations constituées par des hommes
1. Dumas en a donné celte délinition féroce autant que vraie: « pour une
somme qui varie de vingt centimes à vingt francs, le premier goujat, le pre-
mier ivrogne venu peut posséder une femme vivante e» assouvir sur elle la bru-
talité de ses appétits. -
ANAi.YS£S. — L. XOKL, La Conscience du libre arbitre. 9i
perdaient des jours et des ficmaineâ h cliiborer a des règlemenls ■. à
nommer des présidents^ vîce-présideritSi secrétaires, etc* Vin quarjinte-
huH heures, iiii coritraireT les associations constituées par des femmes
avaient déjà faîtieuvre utile et sûcouru de nombreuses misères. Ce qui
faisait dire à un philosophe contemporain : « Ce qu*il y a décidément
de meilleur duns l'homnie j- c'est la femme.
^^^■l GËOaeiES GUÎROCÏLT.
r
■ ei
IV. — Morale.
Léon Noël, — ]j\ coNsciK-vci-; ou uune arbitre, i voh in. i2 de
vti'tî^^ pp. Lûuvain, Institut supérieur de philosophie, et Paris,
Lethîelleux. mm.
L'essai de M. Noël, ainsi que lui-même nous en avertit dès Tavant-
^mposr se rattache à la doctrine de suhit Thomas, « vieille de plusieurs
siècles, neuve toujours u (p, VI). Cela n'empêche pas Tauieur d'être,
en ^éiiéral» exactement informé en ce qui concerne les doctrines
ï%cluellt^fî, et de les présenter sous leur vrai jour» ce que nv font pas
iousle^ nco-acûlaâiiques. — Llmportance du problème du libre arbitre
Q'e»t pas exagérée par lui; il y voit, avec quelque raison» le point
central de la spéculation contemporame, et il note justement les Mena
«frotta qui unissent ce problème à celui de la cimnaîssance (p. Vi. Il
n*ii pas voulu^ d'ailleurs, épuiser la question du libre arbitre. 11 s*est
proposé de retracer Tetat actuel de cette question, et de rétablir dans
«es droits un argument trop dédaigné, celui de la conscience immé-
diate. D'adleurs, il ne pouvait rendre à cet argument sa place légitime
ns remonter à des considérations métaphysiques relatives à la ftub-
tance et à la cause. De là la division de Touvrage en cinq chapitres :
1* L*an/iïiomï<?, telle qu'elle est posée par Kant, entre le déterminisme
et la liberté, c^est-à-dire entre la science et îa morale ; 2" L'explicaliori
déterministe de la morale et de lu liberté; 3** Les thèorien indéfermi-
niêlps^ qui Tout évanouir la science; î* La question de f^if^ c'est-à-dire
Tanalyse de la conscience et la découverte indéniable de la liberté de
chot3£; 5** Ln qttestion de droite c'esi-u-dire l'explication de la liberté de
choix par la finalité de l'acte et par Taction divine, double raison du
libre arbitre.
1° M. Noël expose brièvement la théorie kantienno de la connais*
San ce. H remarque, avec M. Boutroux^ que les recherches de Kant
portent, non pas directement sur Tètre, mais sur les conditions de la
srit^nce et de la morale. De la^ une séparation radicale entre les deux
domaines : la science n'atteint que lea phénomènes, et ^lle ne fait
iicune place a la liberté; la morale a pour effet la volonté raisonnable
il elle postule rautonomie de la rnison, e'est*à^dire la liberté. Kant no
peut admettre la conscience du libre arbitre, car toute conscience est
phénoménale et soumise au déterminisme, mais il admet la conscience
de Is reaponsabilité, laquelle exige la réalité du libre arbitre* — Telle
^i REVUE PHILOSOPHIQUE
est r.antinomie kantienne. Kant essaye de résoudre Ténigme par sa
théorie de la chose en soi, de la liberté intelligible; mais M. Noël ne
croit pas à lefficacité de cette solution. Il arrache à Kant lui-même
Taveu que cette théorie nous assure uniquement une responNabilité
dans l'ordre idéal. L'antinomie est insoluble, parce qu'il y a une con-
tradictio.i implicite au fond du kantisme. Aussi la Bpéculation post-
kantienne a-t-elle dû renoncer à ce dualisme. Les uns ont opté ponr
la science : ce sont les déterministes. Les autres ont cru opter pour Li
morale et la liberté : ce sont les indéterministos. Kant est donc le pro-
moteur de tout le mouvement contemporain.
2" Les déterministes, à quelque école qu'ils appartiennent, voient
dans le déterminisme absolu la condition essentielle de la science.
Cela tient à leur phénoménismc. Si, en elTet, toute réalité se réduit au
phénomène, le seul enchaînement que Ton puisse concevoir entre les
choses sera la transformation d'un phénomène en un autre phénomène,
la substitution mécanique, ou plutôt l'apparence de transformation et
Tidentité foncière. — Ce détermini^^me phénoméniste revêt plusieurs
formes, monisme mécaniciste de Spencer, épiphénoménisme des psy-
cho-physiologistes, théorie des idées-forces de M. Fouillée. Mais, sous
ees diverses formes, il doit rendre compte du sentiment du libre arbitre
et du sentiment de la responsabilité. — L'explication du premier de ces
sentiments revient toujours à l'admission d'une nécessité qui nous
réi^irait à noire insu, suivant la théorie de Spinoza. M. Fouilh'e, ainsi que
Wundt, donne à cette explication une forme plus savante, en recou-
rant à l'intervention inaperçue du caractère psychique. Quant au
témoicrnage que rend la conscience en faveur du libre arbitre, Stuart
Mill l'écarté en observant que la conscience porte uniquement sur ce
qui est actuel. M. Fouillée voit le défaut de cette réponse; la conscience
perçoit les tendances inachevées et opposées, elW assiste donc à l'équi-
libre instable entre les contraires. Mais cet équilibre instable n'en es*
pas moins déterminé, et la décision linale n'est donc pas l'œuvre d'une
spontanéité sans motifs; les motifs sont actifs et non inertes, et ils
luttent pour la victoire; c'est le plus fort qui l'emporte. — Quant au
sentiment de la responsabilité, lequel implique celui du bien et celui
de l'oblig.ition, les déterministes prétendent que leur docrine en rend
compte mieux que la doctrine opposée, en raison du lien qu'elle éta-
blit entre les phénomènes de 1 ame. Ils ajoutent, avec Stuart Mill, que
nous pouvons, tout déterminés que nous sommes, modifier notre
caractère, et que là réside le secret du sentiment que nous avons de
la liberté morale.
:]' Pourtant une réaction s'est produite contre le déterminisme, et
cela au nom du sentiment moral, lequel implique un désintéressement
incompatible avec la détermination absolue. M. Fouillée cherche à con-
cilier les deux points de v ne grâce à un moyen terme qui sera l'fdée de
liberté. L'image de la liberté se trouve ainsi réalisée dans le déteiimi-
ni6mo. D'autre part, la possibilité d'une liberté individuelle dans i'Incon-
ANALYSES. — L. NOËL. La conscience du libre arbitî-e. 9$
naissable viendra lever toutes les hésitations, et nous pourrons agir et
nous attribuer nos actes. — M. Bal four va plus loin. Il voit dans la
liberté un objet de croyance, et il met la morale au-dessus de la science
— 'M. ilenouvier, qui rejette le noumène kantien, veut introduire la
liberté dans les phénomènes. La liberté est l'objet d'une croyance
nécessaire, car seule elle peut fonder la certitude. Le déterminisme
absolu est absurde, car il implique l'admission du nombre infini; il n'a
rien de scientilique, et il n'y faut voir qu'une hypothèse abusive. La
liberté phénoménale a sa place naturelle dans la délibération; les
motifs sont automotifs. — La théorie de M. Renouvier prétendait con-
cilier le déterminisme scientiliquo avec Tindétorminisme moral. Les
adeptes du mouvement conlingentiste vont nier le détermisme scienti-
fique au nom de l'indéterminisme de l'action. C'est ainsi que M. Bou-
troux s'efforce d'établir la contingence des lois de la nature; les degrés
de rétre sont indépendants les uns des autres; le développement de
rètre à chaque degré n'est pas soumis à une loi nécessaire; Tordre de
l'univers est assuré par la finalité, laquelle réclame la contingence.
Ainsi les sciences statiques perdent leur valeur au profit des sciences
historiques. — Aux idées de M. Boutroux se rattachent celles de
M. Bergson. La distinction entre Vespcice et la durée va permettre de
retrouver la liberté au sein do la conscience. En éliminant de Cflle-ci
tout élément spatial, on l'arrache au déterminisme, on lui assure une
entière spontanéité. Mais aussi faut-il se garder de toute définition, de
touie fixation de cette vie fuyante qui est la vie intérieure. Le moi'
superficiel et habituel est seul ^oumis à rintelligence et à la prévisi(in ;
le moi profond est irrationnel, — Ainsi les contingentisies ont choisi à
leur tour entre les deux termes de l'antinomie kantienne; il ont
sacrifié la science à la liberté. Mais la liberté n'est plus à leurs yeux que
la pure spontanéité; elle échappe à toute loi, et elle supprime la possi-
bilité même d'une morale. Cette conséquence est mise au net par
M.AVeber, lequel proclame tout ensemble l'amoralisme et la suprématie
du fait, — Nous relèverons ici une erreur où e^t tombé M. Noèl, à
Tordinaire si exact. M. Jean Weber, auteur de cette élude sur l'acte,
n'est pas l'auteur d'une autre étude publiée également par la Revne de
Métaphysique et intitulée : VIdéatisme Ionique \ celle-ci est due à
M. Louis Weber. Il est également inexact de présenter les écrivains
de la Revue de Métaphysique comme constituant une école contingen-
tiste qui relèverait de M. Bergson. Cette revue est ouverte à des pen-
seurs bien différents par leurs tendances; et il serait difficile de trans-
former en un contingentiste bergsonien l'intellectualiste M. Bruns-
chwicg ou le rationaliste M. Dunan.
4® L'argument de fait se divise en deux : d'abord Texpérience que
nous avons de notre responsabilité, puis l'expérience directe de notre
liberté. — Il faut reconnaître que le déterminisme laisse subsister une
certaine notion du bien, que, d'autre p.«rt, et contrairement à ce que
croit M. Renouvier, la certitude n'implique pas le libre arbitre. Mais le
94 REVUE PHILOSOPHIQUE
déterminisme. 8*il explique Tattrait exercé par le bien, n'explique pas
la force dero6/i{;a^to7i; il n'explique pas, non plus, la notion du mérite
ou celle de la faute. La responsabilité met donc le déterminisme en
échec. Vidée force de liberté ne peut remédier à cet échec, car l'idée
de liberté n'est pas la liberté et elle ne saurait rendre compte de la
croyance à la responsabilité. — Mais ce lien étroit entre la liberté et
la responsabilité prouve t-il que la liberté soit réelle? La responsabilité
ne se suffit pas à elle-môme; la i-erlitude objective du devoir'et de la
responsabilité dépend, en dernière analyse, de Texistence réelle de la
liberté, ainsi que l'a bien vu xM. Fonsegrive. 11 importe donc de recher-
cher si la liberté esixinfait d'expérience. — Il ne suffit pas de recourir
aux données prétendues de la conscience spontanée, car celles-ci pour-
raient se réduire à une inférence illusoire. Mais il semble que la cons-
cience réfléchie nous atteste le libre arbitre par la constance môme de
notre croyance à sa réalité. L'objection de Stuart Mill contre la cons-
cience de la puissance ne porte pas, car la puissance du libre arbitre
est déjà un acte ébauché. L'instance de M. Fouillée n*est pas valable
non plus, car elle suppose que la volonté n'existe pas à part des motifs,
ce qui est inexact. L'observation interne et la science nous attestent
l'existence d'une activité propre, capable do réa^^^ir sur les motifs, de
leur appliquer ou de leur refuser l'attention, de leur assurer ainsi la
prédominance finale. La décision n'est pas déterminée par lattraitdu
meilleur, car le meilleur n'est tel quo par l'activité qui le préfère. Les
' motitx sont mes motifs; ils ne sont pas créés par la volonté, mais c*e8t
elle qui leur prêle tel ou tel aspect. Par là môme, la décision est
l'œuvre de la volonté, qui met un terme à l'indétermination de la
pensée, m se fiiisnnt une rnisoyi c/'aj/ir, et qui demeure toujours libre
de modifiier sa décision ou de la maintenir. — Telle est la doctrine de
saint Thomas, lequel voit le principe du libre arbitre dans la nature
spirituelle de Thonmie, dans le mouvement qui emporte ia volonté
vers le bien en général, et dans le caractère relatif de tous les biens
qui nous sont oflferts par Tintelligence. Cette doctrine échappe à l'ob-
jection que soulèvent les doctrines contingentistes; elle n'est pas
inutionnelle. — Reste une objection. La conscience de ma liberté ne
vient-elle pas, au fond, de ce que je n'ai pas conscience de ma dépen-
dance? Cotte objection est insoutenable, car il s'agit des actes accom*
plis dans la pleine lumière de la rèllexion. et j'ai pdsitivement conscience
dan^ ce cas de nie déterminer moi-même à vouloir. Toutefois cette
conscience ne porte que sur les actes de la volonté, non sur leur cause,
c'est-à-dire sur l.i volonté eile-m(>me. Aussi reste-t-il à compléter le
fuit indubitable par la recherche du principe qui l'explique.
> Le libre arbitre est-il en contradiction, ainsi qu'on Ta prétendu,
avec la loi de causalité ou de raison suftisante?|Observons tout^d'abord,
que nous n'attribuons pas à ces lois une valeur formelle; nous rejetons
ndéalisme. et iious subordonnoi\s par suite la nécessité des lois à Texis-
tence réelle des termes quelles doivent relier. L>ès lors, cause su/'/isanfe
ANALYSES. — L. NOËL. La conscience du libre arbitre, 95
et cause nécessitante ne sont plus termes équivalents. D'autre part,
nous n*adniettons pas le phénoménisme, ni par suite Tidentité des phé-
nomènes qui se transformeraient Tun dans Tautre. La solidarité des
phénomènes leur vient de leur inhérence commune à la substance. Dès
lors, la raison des phénomènes se trouve dans la nature de la subs-
tance, dans la finalité qui constitue cette nature. La détermination pro-
cède d*un principe interne, et les causes externes ne sont plus que
des adjuvants, des occasions d*agir. Par là, la théorie de M. Noël se
sépare, ainsi qu*il le remarque, de celle de M. Boutroux; contingence
et finalité ne sont pas termes solidaires; la finalité s'accommode très
bien de la nécessité, elle en est même la condition. •— Cette théorie de
la substance et de la cause finale permet d'expliquer Tacte libre. L'être
spirituel aspire naturellement au bien universel; mais, capable de
réfléchir sur cette volonté primordiale et sur lo jugement de conve-
nance à regard du bien particulier que lui offre Tintelligence, il peut
donc se déterminer lui-même à juger et à vouloir. Sa liberté procède
ainsi d'une nécessité première, car il ne dépend pas de la volonté d'as
pirer ou non au bien universel. Cette nécesité première est l'œuvré
de Dieu, mais M. Noël ne veut pas rechercher comment cette action
divine se concilie avec la liberté elle-même. La conclusion de son
étude, c'est que la liberté de Thomme repose, en définitive, sur sa
nature intellectuelle ^ et il rappelle, à l'appui de cette conclusion,
l'autorité de Léon XIII.
Nous avouerons que les trois premiers chapitres, les chapitres de
critique, nous ont paru beaucoup plus intéressants et plus forts que
les deux derniers, consacrés à la théorie. Et c'est pour nous un véri-
table étonnement que de voir M. Noël, lui qui comprend si nettement
et expose si clairement les doctrines des penseurs modernes, adopter
avec une docilité aussi exemplaire les solutions du thomisme. Si la
critique n'avait pas fait son œuvre, on pourrait expliquer le libre arbitre
par la notion de substance; mais nous avons lu Berkeley, Hume
et Kant, et il nous est diflicile de revenir à Vidolologie du passé. Difli-
cile également de personnifier, à la manière de saint Thomas, Tintelli-
gence et la volonté, et de retracer leurs conflits. M. Noël a dû lire, à
ce propos, une jolie page de Bailey. Et puis, est-ce bien la peine de
faireson procès au contingentisme irrafio/tîie/, pour afGrmer ensuite que
la volonté se fait une raison d'agir 1 On ne résout la question que ver-
balement en s'exprimant ainsi. Ou bien la volonté est guidée par la
réflexion dans la décision qu'elle prend, et elle n'est pas libre; ou bien
elle n'est pas guidée par elle, elle est aveugle, et ce n'était pas la peine
de délibérer. — Nous sommes de l'avis de M. Noël : « Dans les pages
du docteur scolastique, les problèmes les plus ardus de l'heure pré-
sente sont formulés et résolus avec une sûreté superbe » (p. vi et vu).
J. Second.
96 RBYUK FHILÛSOPBratîB
Henry S. Sait. Les droits de l'animal conbidéhés dans lecjk hap-
FOUT AVb:r- LE PiiOr.MÈs social, — Traduit de Tanglaîâ par L- Hoteliti.
(28 p. in- 16, Paris, H. Weiter, lîmo. M
Si les hommes ont des droitii^, dit M, Sait, les animaux en ont aussi. H
Mais les bomiiies ont-ils des droits'^ M, Siilt ne H*engage pas dîina une
longue discus-sion. IL admet qu'il» en ont, ou, tout aa moînâ, ^ la per- _
cepiion nette de quelque chose qui s'en rapproche, le sentiment de ■
justice qui détermine la lirinie où peut eee^er l'ac-quieecenient et
commencer la résistance; la prétention de vivre librement suivant
leurs aptitudes^ à la condition restrictive de respecter la même liberté
chej^ lea autres ». Il s*ngit de reconnaître à i animal des droits analo-
gues et M. Sait réclame cette assimilation. Les droits que nous attri-
buons à ranimaL comme ceux que nous attribuons à Thomme « sont
la manifeslation d'un seul et même sentiment de justice et de com-
passion »,
Il ne faudrait pas objecter que la vie de ranimai ne peut se corn-
parer à celle de Thomme p^rce qu'elle n'aurait pas de q but moral v, ■
« Vivre sa propre vie^ réaliser na propre personnalité, tel est le but "
moral le plus élevé de rhomme et de ranimai ensemble; et il est diffi-
cile de mettre en doute que le^ aniuiaux possèdent, eux aussi, le seo-
tîment de leur indivi<luaUté, • Nous ne sommes nidlemeni autorisés k
regarder un animal comme un automate insignifiant destine à suppor-
ter tous nos caprices et h satii^faire tous nus besoins, n Si les animaux
ont des destinées et des devoirs qu'ils accomplissent^ ils ont SiUssi le
droit d'être traités avec bienveillance et avec éffard, et celui qui nie
cette oblig^ition, quel que soit son savoir ou sa position, est, dans ce
cas, un ignorant et un sot, dépourvu de cette noble culture d*esprît
que rhomme est capable d'acquérir, »
[1 ne faut pas objeeier non plus qu'on peut éprouver de la pitié pour
les animaux et rt*con naître que 1 homme a des devoirs de conduite qui
les concernent sans aller jusqu'il tes gratlller de droits positifs. Tout
grand mouvement de libération commence par la sympnlhie, mais il
ne peut s* en tenir l^. On peut compi^rer la situation des animaux
domestiques à celle qu'euretit jadis les esclaves. Four ceux-là comme
pourceu?L-ci, il faudra pousser jusqu'au bout le mouvement de libéra-
tion. M lis il est vrai que n dlminenttes diriîcultés retardent l'affranchis^
sèment de ranimai. Nos relations avec les animïiux sont faussées et
compliquées par maintes habitudes K'guêes par des sîèdes de méfiance
et de brutalité ; dans certains cas, noun ne pouvons pas perdre ces habi*
tude^ d^un seul coup et rendre pleine justice, même quand nous voyons
olairenieiit que nous y Beroas obliges. Une éthique parfaite de la charité
est doue impossible en pratique, sinon en coriception, et nos efforts se
' irnent à indiquer, d'une manière g^ènérale, le principe essentiel des
r<ints de Tanimal, en montrant les cas de violation Ilagrante et eu
ii{|uaiit la marche à suivre pour effectuer une réforme durable *.
I faut t.onç reconnaître aux animaux des droits conaistant dans la
ANALYSES. — HENiiY S. SALT. Les droits de l'animal. \)1
« liberté restreinte » de vivre une vie naturelle — c'est-ù-dirc une vie
qui favorise le développement de Tindividualité — mais dont les diffé-
rents actes restent subordonnés aux besoins et aux intérêts permanents
de la communauté. Et il ne faut pas voir de don quichottisme dans
cette proposition qui n*empôche pas de se soumettre aux plus strictes
lois de Texistence. Si nous devons tuer, que ce soit un homme ou un
animal, tuons et finissons-en; infligeons la souffrance si c'eut inévi-
table, mais que ce soit sans hypocrisie, sans faux-fuyants, sans • cant ».
Seulement (et c'est là le point important), soyons d'abord convaincus
de la nécesiiitè du mal; ne faisons pas légèrement trafic de misères
inutiles et n'essayons pas d'endormir nos consciences par des excuses
équivoque'^ qui ne supportent pas la plus légère investigation.
Ayant ainsi exposé ses principes généraux. M. Sait passe à l'examen
de quelques cas particuliers. 11 examine d'abord la situation des ani-
maux domestiques, mais sans discuter la proposition qui refuserait à
l'homme le droit moral d'imposer une sujétion quelconque aux ani-
maux. Il parait favorable à cette proposition, mais ne désire s'occuper
que de Tétat présent et pour Tinstant, c à tort ou à raison, les services
des animaux font partie ittégrante de notre système social; il nous
serait aussi difticile d*y renoncer immédiatement qu'il nous serait
impossible de suppléer au travail humain lui-môme ». En tout cas « il
est impossible, à moins de ne tenir aucun compte du principe même
de justice, que la rémunération de ces services dépende du caprice
individuel, car l'esclavage est toujours haïssable et inique, qu'il soit
imposé à l'homme ou à l'animal t>. Les animaux domestiques ont
d'ailleurs, outre leurs droits généraux, un titre spécial à la bienveil-
lance et à l'impartialité de l'homme, en tant qu'associés plus directe-
ment et plus intimement à sa vie.
Au nom du principe général du jus unimalium^ il faut bien recon-
naître des droits aux animaux sauvages. Et M. Sait refuse assez logi-
quement à l'homme le droit d'arracher un animal sauva'^o à sa liberté
et de l'enfermer pour le reste de ses jours; il lui permet de se défendre
et de c se protéger contre la multiplication exagérée des espèces qui
nienaceraient notre suprématie établie » ; mais non de tuer inutile-
°^eat, encore moins de torturer un être inoffcnsif, quel qu'il soit. Une
<iuesti )n assez embarrassante est celle de l'alimentation animale.
M. Sait est porté à ne pas la croire indispensable, il espère que la
"■^forme du régime actuel se fera, m iis lentement sans doute, et dans
bien des cas isolés, avec des dif;iculté3 et des mécomptes. Naturelle-
ment la ch/tsse, la « boucherie d'tmateur », en tant que « sport » est
condamnée sans indulgence, ainsi que « la mode meurtrière >», qui
■ sacca^o encore des provinces et même des continents sans se douter
^^e les oiseaux et les quadrupèdes, dont rexterniinatioii marche rapi-
dement, ont quelque autre but, dans la nature, que celui d'être sacri-
fiés à la vanité humaine, po ir que messieurs et dames se parent,
comme dans la fable, de peaux et do plumes d'emprunt ». La vivisec-
TOMB L. —1900. 7
98 HEVL'Ë PniLOSOPUlQlK
lion, la « torture expérimentale n*est pas traitée beaucoup plus favo
rablement u. «t La torture expérimentale, dit M. Sait, avec quelque
sévérité, est l'étude des gens de petit savoir, comme le sport est Tamu*
sèment des gens de petit esprit, u Cola appellerait bien des discussions.
M. Sait pose mieux la question au point de vue philosophique lorsqu*ii
dit : « Supposons (supposition complaisante d*après des témoignages
médicaux de grande valeur} que les progrès de la chirurgie soient favo-
rises par les expériences du vivisecteur. Et puis après? Au. lieu de con-
clure trop vite que la vivisection se trouve justifiée par cette considéra-
tion, un homme sage regardera le côté moral de la question, Tinjustice
odieuse de torturer un animal innocent, et la grave injure qu*on fait
ainsi aux sentiments d'humanité de la communauté. Il vaudrait
mille fois mieux renoncer à Tavantage douteux de certaines décou-
vertes problématiques, plutôt que d'outrager la conscience publique en
lui faisant confondre le vrai et le faux. » Il me semble que M. Sait
était bien plus conciliant pour ce qui regarde la domestication des
animaux et même l'alimentation animale. Cependant on ne voit pas
que les mêmes arguments de droit ne puissent être utilisés ici et là. Si
nous admettons que Thomme peut tuer des animaux pour se nourrir,
pourquoi n'en sacrifierait-il pas pour s'instruire? L'intransigeance de
M. Sait relativement à la vivisection me semble dépasser ses propres
principes. Il reconnaît bien lui-même, en effet, les diflicultés de la
situation : « tout ce qu'on pont. faire, dit-il, c'est de laisser la respon-
sabilité de décider entre ce qui est néce*:saire et ce qui ne l'est pas»
entre les besoins personnels factices et les véritables exigences
sociales, à ceux qui sont investis du pouvoir de requérir le service ou
le sacrifice demande. L'appel fait et la question posée, on peut espérer
que la conscience individuelle et la cunsiience publique de la nation,
au'issant réciproquement l'une sur l'autre, trouveraient lentement mais
sûrement, la seule solution possible de ce problème complexe et diffi-
cile. • Et je ne sais trop si la vivisection ne va pas être justifiée ainsi,
dans la mesure au moins qui parait ra légitime aux physiologistes.
Quant aux moyens d'arriver à la diminution ou à la suppression des
injustices actuelles, M. Sait en recommande deux, réduc«ition et la
législation. L'éducation i doit rester le facteur primordial et indispen-
sable du progrès humanitaire ». Ht la législation n'aura pas seulement
pour but de prévenir la cruauté et l'oppression, mais, en constatant
une amélioraûon du sens moral de la communauté, elle lui donne
plus de force, la fixe et la développe.
Le livre de M. Sait peut intéresser à la fois le grand public et les
philosophes. L'esprit général m'en paraît bon et je pense que la
théorie des droits des animaux est parfaitement soutenable, quelques
réserves qu'on puisse faire d'ailleurs sur les conséquences pratiques
que doit entraîner la reconnaissance de ces droits. Même quand
M. Sait, prévoyant qu'on pourra lui dire, en manière de réduction à
l'absurde, qu'il faudra s'occuper aussi des droits des végétaux et des
în^raux répond qu'il en sera peut-être en eiîet juns:, je iui donne
ncîore raison volontiers. «Dn peut très bien croire que la <î-:ninc,\t3oa
va mot droit peut s'étendre suiEsamment pour désirer c>ertain5
spects de la meOleure conduite humaine dans ses rapports avec n*:m-
or te quoi. Et je ne sais s'il est bien légitime d'ajouter que, puisque
era ne nous choque encore dans les rapports de l'homme Avec les ani-
lAïAX et les minéraux, il n'y a point lieu, pour le moment, de s'occu]>er
e cette question. Un mal qui ne choque pas n'en est pas moins un
:\nl et il peut y avoir intérêt précisément à faire remarquer ce qu'il a
le ohoquaDt sans qu'on s'en doute, puisque c'est le premier pas vers
*an^élioration. Mais j'accorderai volontiers qu'il est des questions plus
i.r|2^entes.
Je pense donc qu'il sera bon de lire et cle répandre, malirré certaines
réserves que je ferais volontiers, le livre de M. Sait. Mais si je le
^uge au point de vue philosophique, je suis bien obligé d'y trouver
quelques défauts assez graves. M. Sait n'a pas suffisamment analysé
et critiqué les fondements de sa doctrine. Il n'a pas assez examiné ce
que c'est qu'un droit, ni montré comment les ressemblances entre
Vanimal et l'homme étaient telles qu'on dût attribuer au premier des
droits analogues à ceux du second. Eniin il n'a pas sutVisamment pré-
cisé le contlit de devoirs et de droits qu'il soulève forcément. La néces-
sité est-elle une excuse, comme il le dit parfois, semble-t-il, pour
violer un droit? Ou bien, si par exemple l'homme ne peut vivre qu'en
86 nourrissant d'animaux, doit-il se laisser mourir plutôt que de violer
le droit des bêtes à vivre? Cela serait d'une belle intransigeance, mais
le philosophe ne doit reculer, à priori, devant aucune extrémité. Ou
bien si le droit des animaux doit être sacrifié à un droit que nous
jugerons supérieur, celui des hommes à la vie, ne peut-il être sacrifié
aussi au droit des hommes au bien-être, au droit des hommes à jouir
^e certains plaisirs qui facilitent leur vie ou la rendent supportable?
Où peut-on s'arrêter, et qu'est-ce. au juste, que la « nécessité « qui
pourrait nous excuser, en supposant qu'elle le pui'^^e? Ce qui est néces-
saire àrhomme, est-ce seulement la vie? Même bans résoudre absolu-
ment toutes ces questions, ce qu'il serait évidemment abusif d'exiijrer
d'un auteur, il aurait été bon de les poser et de les traiter avec plus
de rigueur. M. Sait a bien vu les diflicultés, mais je trouve qu'il n*a
pas assez indiqué les réponses qu'on pouvait faire aux objections, ni
même assez établi les principes secondaire, d'après lesquels on devait
les chercher. Faute de cela, son livre reste surtout un livre do propa-
gande et de vulgarisation utile, et pour le philosophe, au point de vue
duquel il faut bien que je me place ici, surtout une matière àréllexion
«ta discussion. Fr. Pallhan.
100
REVUE PHILOSÛPUIQUE
V — Hlstaire de la philosophie.
H. Delacroix. — Essai kuh le MvsTîctsMESPtcrLATiFEN ^llemagn?
AU XiV* sJKOLE. I vol, iii-8 de iê^H p. i^ar-is, Félix Alcaa.
L'hisLoire du Mysticisme au moyeu a^'e nous f^ît assister à un long
elTort de lespnt individuel pour dt^fendre la propriété de ses iu^pîra-
tions contre le Doj^''matisme oniciel qui eusurrait les croyances dans
un ayislème de lormules que la Scolaslique, seule, pou vuu préparer
avec une aussi implacable exaciîlude. Mais ce qui nous attacbe plus
vivement à ces elTorts de liberté^ c'est qu'ils cbercheni precîâément
leur appui dans Je senimieut religieux au nom duquel s'exerçaîeût
contre euK les piuhibitions ecclésiaslique^ et que ces a^iUiions de la
conscience * laïque », contrairement à celles que nous avons vues de
nos jours, s'amorçaient (sauf de rares exieptions) dans un besoin
immejise de picic et de sincérité religiettse, — l^'ouvrage de M. D.
offre ct^lie division bien appaicoie» quoique non expressément anrion-
céd : 1^ les dUerscs formes dt^ My>licismeâpéculaiif que Ton rencontre
entre Sool Erigùne et maître tlukart (ch. I-v); 2^ le Mysticisme de
maitre Kcbart, en qui réside le prUiCipul intérêt du livre (ch. Vj-3C|;
;l^ une discussion purement critiqui^î^ tendant à dég-ager la part d'ori-
ginaLilif qui revient à maître Lickart, parmi les contributions dont il
fut redevable au Néo- Platon lE^me par inclination et à la 8colaf^tiqiie
par éduculion (ch. xt-xji et appendiue)*
On sait que la fusion de l'Hellénisme, des mythes orientaux et du
Judaïsme en un seul corps tki doctrines» la Théologie i'hréiiennt% mit
plusïieurs bièeles à se faire et ne fui detînitive que lorsque la îSco las-
tique (qui Qi^i plutôt une langue qu'une métliodc) eut dénaturé tous
ces élémeuls dans Funité puremciit verbale de ses détlnitions. Or, en
attendait t que cette œuvre fût achevée, jes idées condamnées h se
perdre d<*ns le doirmatisme ofliriel dematidùrent. souvent avec énergie»
à vivre de leur vie propre; et, en p;irticulier^ n rêquilibrc Ihéologique
fut souvent troublé par la réappariiion dans toute sa pureté du Xéo-
Platoni&nie, qui se dégage do i* Église et veut faire oauvre de philoso-
phie indépendante » (p- ^0). On a ainsi la L^lef du Mysticisme spécu-
latif au iiioyen âge, qui va en réalité de riotin et Proclus à maître
Eekart, eu pass.int pir Denis le pseudo-art^opagite, Scot Erigène*
Ainatiry de li iit% Urilii^b di* Strasljourg et ces sectes impersouneiles
qu'un no ni m a « Frères du Ijibre-Esprit, lîêghards »ï, etc. — Dm s cette
nra»**'**^" cîïi lio du livrt* de M* D, ou regrettera, avtfC lui-niénie, que
n'ait h s'appuyer le plus souvent que sur des textes
' rinquisitioti, ou bien aux enquêtes êpîscopales qui rem-
te môme oflit^e. L'auteur s*eï§L bien consciencieu-
i iroi'hcr de plus près les choses qu*il nous veut
m your; mais TUrthodoxie a prt^ soin qu'il n'en reste
.racea que ces témoignais^es d^ori^ine inquisitorlale. —
ANAI^YSES. — H. DEUCHoix. Essai sur le mystichme spéculatif. 101
Tels qu'on nous les présL*nte^ ces vestie^es de la libre coiiBcienoe auic
xi-Jtii* siècles ne m^inquent pas d'intérêt. Noua y remî»rquoris» entre
autres, une naïve prétention cîe la pensée mystique à l'emporter sur
rautorilé du dojçrue, à titre d*osotérismc et de Révélation plus directe
que celte des Ecritures canct niques- riîcot Erigène en end bien tra-
verser d'une libre intuition cet appareil de rites et de symboles qui
offre au vulgaire^ il est vrai, une exhibition implicite de la di unité,
mais dont l'esprit n'a que faire une fois qu'il a compris que l'idéal égale
rôlre et que le Verbe lui-même n'est rien de plus divin que l'affirma-
tion én»inenie de notre propre autonomie (p. '28). Les Amidnciens à
leur tour e virent clairement qu'il n y a de divin en ce monde que la
connaissance de Dieu c*est-à-dire la coiinaiîjsfince humaine dana -«a
fùt^me la phi.*î hmtle » (p. 40); et ptmr donner plus de force à cette
conviction e3?«entiellement lalquef ils soutenaient qu'une troii^ièmë
réi*ébiion faprès celle du Pore dans Tancien Testament et celle du
Fils dann le nouveau ( allait ïirriver, dérmiiive» puisqu'elle ferait enfin
compreudre qne rEsprit-Saint nous est inné et puisqu'il ne saurait y
avoir de révélation plus intérieure que celle-là {p. Mi). La même afllr-
na^tion se retrouve chez tous les mystiques du moyen âge, plus naïve
en sa forme mais identique au fond à celle que nous portons nous-
mêmes dans notre moderne conscience de rationalistes. — Dans cette
p<^emière partie, il y a un autre trenre d'inlérêt, mais non moins vif,
à suivre les perplexités de la con^^cleoce chrétienne au mojnejit ou
l'ortranisme eceléf^iastiqne, devenu robuste et bo ialeinent viable,
éprouve comme toute socicté le besoin d'argent et de glaive pour
vivre dans les conditions inéluctables de Texistence temporelle. A ce
moment, en effet, l'espril de T Évangile érait en pleine effervescence
dariîî les ânïcs : or il y eut un chot: entre ces ferveurs mystiques et les
cscigenoes ineïor.ibles de la politique, ou même ^i m pie nient de la vie
positive, a l/nubli de la vie réelle est le commencement df la vie mys-
tique w, dit M. D, au sujet d'Eckart (p. l'j'i) : à ce compte la vie mys»
Itque n'a fart que diminuer dans TEglise depuis sa fondation. Il faut
lire ces pages où sont très fidèlement exposés tes embarras des chefs
du clers^*>, tant séculier qoe ré^ullpr^ en présence du double danger,
soit d'étouffer les germes sacrés du désintéressement évangéliqne, soit
de désorganiser les collectivités dan^ lesquelles ces manifeslallons de
foi devenaient une force sociale. « La vie conventuelle refoule la vie
spirituelle; une politique réHéchie et avisée comprime les pieuses
e:x3iUtttions et ieti libres écarts de la conscience. L*esquis<ie surnatu-
relte aboutit à une construction très humaine » (p. l05). D un coté les
textes de T Evangile sur la pauvreté sont formels ; de Vautre, les con-
ditions matérielles du pouvoir et de la vie sont implacables : il n*y
avait que bi Scolaî>tique pour accomplir une conciliatinu entre ces
BU% termes et aux naïves protestations des Praticelles (ju des Béj^hards
! pape Jcan XX 11 répond en lin par la Bulle Qui vir reprobui^, où noua
Hm>n^ < quatre siècles avant Eaeobar), * que le Christ en disant que
iU^I BEVUE PHILOSOPHIQUIC
son roynume n*est pa^î de ce monde, a voulu affirmer que «a royauté
ri^nt, non fies hommes^ ma /s de Dieu » (p. I 13k — En somme, toute
cette première partie du livre ne renferme qu*ano faible p;irt de Mye-
ticiîimo spéculatif, presque toute empruntée au De dwisione tïaiuraj
de ScQi Erigène : maïs en revanche nous y voyons im grand mouve-
ment demies qui se pressent en foule autour de quelque Messie d©
deuxième ordre leur promettant une intuition quelconque dé la divî-
mU\ une sorte de possession directe de Tabsolu.
Voïeî maintenant les pages où réside le vif intérêt philosophique
de cet ouvrage, le Mysticisme de maître Eckarl, — L:i conception
trrnrtïiire de Dseu ne sufîlt pas à la conscience mj^stique : au-dessus
de cvri trois termes qui résultent de l'analyse de rEntendement elle
chei'che une intuition vraiment première où elle pu^se se suspeudre
avec toutes choses; et c*est ainsi qu*Eckart pose par devant toute
sorte d'alïirmations particulières 1* « Etre i\ non TÊtre intelligible des
idéalistes, mais l'Etre pur, qui n'est encore ni pensé ni pensanu
moins déterminé nn^me que Wn de Plotin. v Lanaly^^e dcl'Elr© fait
évanouir 1 être et nous laisse en préseaue du Rien» Mais ce rien, ce
principe amorphe* est riche de tout Tétre qu'il absorbe et ses profon-
deura f^ont toujours prèles à le répandre u {p. i74j. Au-dessus de Dieu,
c'est-a-dire de l'Acte pur en troi§ Personnes^ il y a l'Élre encore plus
divin que Dieu, la Nature inniiturée : or le processus de l'Être, ce
n'e&t pas tout d'abord 1 Entendement, par lequel il se dédouble en
*5bjet et sujet; c*est un fait plus intérieur encore^ qui laisse THtre
dans son LInîtô absolue. » La Divinité ne sort point de boi-mêmc pour
eng;endrer... il est impossible qu'elle aille hors d*elle-mème... Mais
cette contraction intime, ce reploiement sur soi fait jaillir d'elle la
lueur qui vu lui permettre d'apparaître. Soji impuL^tiaiuv à s*exîério-
nscr fait juAlriut'iii qu\^tle romani sur noi^ De ce qu'elle est con-
trainte d'^*tre en soi-même il suit immédiatement qu'elle devient pour
soi » (p* 176), Les mystiques, on le voit, metlerU le recueillemeiît, la
contraction intime, au-dessus de tout : c'est par cet acte qu'ils espè-
rt-nt dépasser la Pensée elle-même et saisir VUn simple ou leur coo-
science aimerait à se perdre sans mourir. Pourtant il ne faudrait pa<î
croire que le Mysticisme d'Eckart soit, comme bien d*autres, une doc-
irine d'cfracement universel au protit de l'Etre pur et ineiïable : son
oriL'inalilê, c'est de pcti>îer que VÈtre ne saurait n'}<ter en soi" qu*à con-
difion dp «'|/ rt'iuntdre par une opération qui ne mérite le nom, ni
irAele pur^ ni de Création, mais celui de Vit*, o Tout le système d'Eckart
fiV«r qu'un effort passionné pour me lire la vie dans l'Etre « (p* lîv').
-îessu* trtni taire, loin d'avoir rimporlance qu'on lui donne
jfme chrétien, n'est qu'un a moment n de la vie divine» ni
1$ nécessaire que les autres théophanies, par le^squelles
TTie dans te monde sans sortir de sot : car nous sommas
un îtiamenl du processus divin universel et l'ihre Q*eât
rsentiel dans ees formes que dnns sa substance premièfâ.
ANALYSES,, — II. DKLACUOix, Essui sur le iuifsHchme spéculatif, iQ'è
Il n'y a pas de substance seconde (puérile invention scol as tique), et
tant ce qui est» est Dieu, « Le Dieu de la Trinité n'est pas encore le
Dieu vi\ant : pour vivre vraiment il funt qu'il développe les idées
qu'il contient, les raisons des choses, qu'il déroule la vaste multipli-
viiè de ces Ihéopbanies : mais quel frîssan de vie en ce g^erme dfviii! »
(p. ISiîi, — Si Ton veut baisir runitê de ces trois grands moments
(l'Ktrts pur et ktjpertj&^i'niivl, le processus trinitaire qui introduit en
Dieu rtlntcndement, TeiTuâion cosmique de rètre dans la multiplîeUé
indelinie], il faut s'itttaoher à la théorie de TA me, a L'Ame n'est point
d.iMs Ia sphère de l'Être une porlîon isoïée. Ba nature est la nature
môme de Dieu et c'e&t sa vie que comprendre cette ideniité tt s af-
liinjerDîeu.., I>ïeu descendu avec l'Ame jusqu'aux ténèbres du monde
revient à soi et se replonge en sa divinité. Elle accompagne Bon retour,
comme elle l'aval t entraîné en son devenir » (p. 195), — En tin maitra
Ëckart a sa doctrine de la ^ vie spirituelle n^ ses principes do direction
pour nous aider à prendre conscience de la divinité qui est ou se dût
satLs cesse en nous : le tout dans cette affaire c'est Tairirmation <f qu'on
est Dieu dans le vrai Dieu ** tp, 1%), aflîrmation qui n'arrivera que
dans les consciences purifiées par le renoncement absolu et pour les-
quelles rien n' « est » que VEêiprif. La théorie morale d'Eckart achevé
de se préciser par la di-tinctiou qull établît entre ces deux oflices de
lii Vfjtonté, " le désir et Tamour $ (p. :?00)> S'il plaît à Tâmei dans son
éii>igjiement de î'Ivtrc pur, de considérer les choses sépardes de leur
pniîcipc, elle est prise de désir, tendresse maladive qui renferme
toujours « quelque chose qui eontrarie et comme une douleur qui
repousse >' (p. iîUS* ÏÛ9); mais au fond d'ellemcme, plus à l'intérieur
que les sens et rEntendemeot [VfirsiaenthiiHs], lu Raison {Verniinth-*-
htnî^ Varniinfli veilie et rattache l'fime à TAbsolu par le lien d'une
intuition âouverdno et simple qui lui laisse une disposition dédiante,
inadmissible. Dans râmu purtHée et reGueilUe^ « la lluinon annonce au
vouloir ce qu*il aime * et* refoulant dans roubli toutes les choses
reLitives, x anéantit son désir en son nmour >* (p, 200), La Raison
sclcvc directement a THlrc; « elle pnuil h* Fil>' au cœur du Pt)re u
(p* 301V, c'cft-à^dirc la Pensée avant sa se parution de l'I^^tre, [Esprit
«upeneur à T Entendement. Ainsi s'accomplit la moralité des choses,
qui n'e«t que leur enveloppement dans T identité voulue et comprise
ir TA me avec TÉtre,
Ce Mysticisme, on le voit, renferme dans une forte proportion des
élémeiilj de Néo-Platonisme, L'auteur nous les signale exactement
ich- Xh et détache avec beaucoup de sens critique la partie du système
eckartten qui mérite de rester dans Thistoire des idées comme contri-
bution originale de ce génie. Eckart a fait on effort remarquable pour
rattAcher Tétre phénoménale TAbsolu par un lien plus fort, non seule-
ment que celui d'une création arbitraire, mais encore que celui de la
impie mtelli^ibilité* Selon lui l'Etre ne se pose que par devers soi et
perd rien do sa pureté <■ hyperessentielle », soit en s'opposaat à
104
RBVUE MtLOSDPIItQtJE
luî»nit^mc oomina im^^e, soit en se rppandnnt ci^îê^Seopnâtm
quVclidre, non î'entendetnerit. mais la ^aï^on. c'est-*'i-dire une intuition*"*
très simple de Hdenlité de l'élire. Celle inluition par laquelle on vou-^ —
«Jï'ait tout contracter clans une unité pîus pure encore que TUn de^
Ptulin» vo»là l'originalilé philosophique d^L'ckart. — En suivant IVxposê -^
de ce rnysticïsinet li qui pourrait-il venir à l'esprit d*en fa lie une Ihéo- ^
logie à peu près conforme à la doc i ri ne canonique et scolastique de
l*liglise? Cette pensée est venue pourtant an U, F. DeniHe qui, ayant
eu le mérité de découvrir a5s**z récemment les œuvres latines d*Ekïkart,
aurait «éprouvé un bonheur sans mélanye, si la philosophie de son
illustre confrère nVùt porté des marques d'hérésie indélébiles. M* It.
loue avec reconnaissance le P, Déni Ile de ses découvertes et rétablit,
dans une exacte discussion » les droits de la vérité (v. ch. XH et appen-
dice). Dans la théologie scolasiique, le passage, si décisif, de Tètre
absolu à l'être relatif n*est point un acte de procession divine, comme
cheîE Plotin; encore moins une synthèse intérieure de TÉlre et des
moments de TKtre, comme chez Eckart, L*édlQce scola^tique ne doit ?=a
cohésion qu'à la préoccupat>on, d'ordre exira-spécula'ifp de maintenir
entre Thomme et Dieu la nécessite de la médiaiion sacerdotale : il a
fallu pour cela et avant tout ne jamais se départir de la notion de
« C'roation arbitraire »» si fortement affirmée par saint Augustin; et,
ce point nne f(>i.^ tlxd^ il est lu^i ni leste que la conâcience humaine ne
pourra jatnats se r*^plief ver& son principe divin par aucune de ses
énergies naturelles, fut-ce Pamour et le désir le plus pur. Ainsi la
Grâce iHomphe et il suit de là que l'expansion divine se dirige
d'abord, sans que nous sachionsjamaîs pourquoi ni comment, vers la _
Kcule eonscience n prophétique » i si quelque exhibition de Dieu plus ■
commune que aelle-là pouvait avoir lieu, ce ne serait que dans le
demi jour des symboles, disons même k travers les « eii^pëoes » jncom*
prises du mythe et des sacrements* Mais le Sacerdoce a pu ainsi suc*
eéder au ProphétL^me: et puisqu'il y a désormais une philosophie pour
expliquer ce srenre factice de rapports entre Dieu et le monde, le rôle
de la Scolastique est achevé. On ne dira pas du moins que ce rôle ait j
rien de commun avec te Mysticisme ; celui d^Eckart û'e&t d*un bout kl
Piiutre tîue nnive hérésie d'tui esprit passionné de voir Dieu, comoie]
Moise, Itîcie mi /aci>jii.
Le reprovhe qu on peut adresser à Touvrage de M. D,, plein d'érudi-
tion, exempt de leudanceîî. ce^tqu■iî n embra^^se pas un sujet intégral ■
et n'orrre q II une pièce tmllée avec art d*4ns Thistoire du Mysticisme an f
Il , l,e vohiun? qui* M. ÎJ. nous annonce à plusieurs reprises
pi_ ,, remédier a limperfection organique de celui*ci/ Espérons*
le. * Maifi quVn nous permette en tinissant d'exprimer une objectioafl
qtr ' ' " ' ^ livre et vise une opiniïin, à notre avis erronée et beau* ■
c_ ^ aie, sur le Mysticism<^. Kn quoi le Mysticisme spéculatif
^e dt'^Uiigut t-ii dt la recherche nu't.iph\>iquedc*s premiers prti
de La Philosophie pure * La mcthadr r^*&te l'Sa^entiellemeitl La même desJ
ANALYSES. — H. DELACUOix. Essai siir le mijsliciame apéculalif. 105
deux côtés, et (ron peut s*en convaincre par la lecture de maître Eckart)
ce n'est toujours qu'un effort dialectique, une mise en œuvre de con-
cepts par où Ton espère se donner quelque aperception de l'Ktre pur
et se le rendre présent immédiatement, sans représentation et par
intuition. Il y a bien chez ces philosophes appelés « mystiques » une
tendance à accorder à la volonté le primat sur Tentendement, comme
nous l'avons vu dans la distinction, kantienne avant l'heure, que fait
Ekskart de la raison (libératrice de Tâme par l'amour) et de l'entende-
ment; mais celte intervention de la voloné est trop timide pour amener
des effets caractéristiques d'une méthode nouvelle, supérieure à la
Dialectique. Quand on voudra connaître le Mysticisme mystique, c'est
un état de conscience bien différent qu'il faudra s'assimiler sérieuse-
ment par l'histoire et Texpérience interne : chez les francs mystiques
l'activité mentale, loin de s'exercer à des abstractions savantes, exploite
toutes ses ressources de représentation pour donner issue à l'absolu
qui, dans la conscience, demande à se réaliser moralement avant
même de se définir. Les mystiques d'imagination et de sentiment, qu'on
ne l'oublie pas, ce sont Moï^e, Jésus, François d'Assise le Stig natisé,
Jeanne d'Arc, Luther, etc.; et j'espère bien quon ne voudra pas sim-
plement reléguer cet état d'âme parmi les « délires des imaginations
faibles et déréglées », dont parle M. D. dans son introduction (p. 8).
L'acte mystique n'est pas « intuition » ; il est vision. Or il n'y a pas de
psychologie plus délicate que celle qui réussirait à saisir dans leur
jaillissement ces apparitions subjectives pendant lesquelles l'homme se
déclare suimaturela lui-môme et justifie assez bien cette prétention
par ses actes. Le Génie mystique est une force supérieure à la Philoso-
phie; et il ne faut pas le confondre davantage avec les religions qui,
semblables aux frelons, ne font qu'en dévorer les fruits. Ce génie gar-
dera toujours une sorte de liberté sauvage, regardant les philosophes
plutôt comme des ennemis : à moins que ceux-ci ne consentent, eux
aussi, à chercher l'absolu par d'autres voies que la spéculation simple-
ment curieuse et jaUuse de conquérir méthodiquement l'Esprit, qui
n'est que Vie et Liberté.
E. RÉCÉJAC.
REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS
The American Journal of Psychology.
Vol. X — N- 2, 3, \. January-July ISUU.
Fa. BoLTOX. — Hydro-Psychoses (Influence mentale de Veau)
(p. 1611-227).
Ce long article est consacré tout entier à rechercher quelle fut pri-
mitivement l'influence de l'eau sur la formation de notre organisme
physique et mental, sur les idées littéraires, philosophiques et reli-
gieuses; et quelle est actuellement Tidée que s'en font les enfants et
le peuple.
D'après M. Bolton, nous trouvons encore aujourd'hui, dans les pro-
fondeurs de notre conscience, la preuve directe que Thomme primitif
fut aquatique : a dans le sommeil, dit-il, lorsque les centres supérieure
abandonnent leur contnMe, il revient à la conscience tout un monde
d'anciennes expériences dont la présence nous était ignorée; parmi
elles, les plus anciennes nous ramènent aux âges lointains de la pre-
mière conscience de soi-même i (p. 183). Cela est surtout vrai chez la
femme, dont la nature est plus primitive.
La un de larticlc est consacrée aux résultats d'un questionnaire
sur l'eau : M. Holton ne communique pas ce questionnaire et n'apprécie
pas la valeur des 800 réponses qui lui ont été transmises. Il est donc
<liiricile de les juger. La conclusion est que l'enfant témoigne à Pégard
<le l'eau et du bain une affection qu'expliquent des souvenirs ances-
traux (à quoi l'on pourrait objecter que ce n'est généralement pas ce
que l'on constate au premier bain de l'enfant après la naissance, ni
môme aux suivants).
Kn terminant, M. B. demande que l'on cultive chez l'enfant cette
<ronscioncc préhistorique de nos liens avec la nature.
CouvROVE. — Indivîdual memories {la mémoire individuelle) p.!238-
255.
C'est un chapitre d'un travail d'ensemble sur la mémoire : les docu-
ments ont été fournis par un ensemble de IG58 réponses à un ques-
tionnaire où l'on voit relever surtout ce qui concerne les souvenirs
d'enfance et les souvenirs en vedette ri certaines périodes de Texistence,
ainsi que les intervalles où tout souvenir a disparu.
Ce qui ressort de cette étude, c'est que notre mémoire passe par
des phases diverses et souvent très différentes : dans la première
enfance, les garçons se rappellent surtout les visages, les localités» lea
REVUE DES PÉUIODIQUES ÉTRANGERS ' 107
événements fréquents : au contraire, les fillettes se souviennent plutôt
iles anniversaires, des Chrismas, et, naturellement, de leurs poupées.
A partir de dix ans, la mémoire motrice augmente chez les garçons
et diminue chez les filles ('231).
Chez tous, l'adolescence est riche en souvenirs : dans la période qui
suit, et surtout de vingt à trente ans, les souvenirs visuels dominent
chez le jeune homme; il n'en est pas de même chez la femme (p. 233).
Chez celle-ci, c'est de quarante à cinquante ans que les souvenirs
moteurs sont les plus nombreux : le môme f;ût se retrouve chez
l*homme après cinquante ans. En général, d'ailleurs, chaque type de
souvenirs prédomine au moment où les organes qui nous en four-
nissent les images sont dans toute leur force (235). Ces distinctions sont
importantes : mais elles supposent une acuité d'observation qui paraît
manquer aux nègres, car leurs réponses ne poussent pas aussi loin
l'analyse de la mémoire,
A la fin de son étude, M. Colgrove a voulu classer les souvenirs en
agréables et désagréables : ceux-ci tiennent d'ailleurs beaucoup moins
de place que les autres (sauf chez les nègres et les Indiens), surtout
aux environs de la vingtième année (p. 241).
Cette analyse est fine et bien conduite; le classement est méthodique
et très clair : les documents n'ont cependant d'autre valeur que celle
d'une enquête par questionnaire. Néanmoins, ils ont permis à Tauteur
de dégager ce que l'on pourrait appeler les périodes de croissance et
d'organisation de notre mémoire. Il importe beaucoup de moltro en
lumière ces transformations, de montrer que notre type mental peut
évoluer au cours de la vie psychique. Ajoutons que cette enquête
montre de quels souvenirs chacun de nous constitue ce qu'il appelle
son passé : ce qui nous reste des impressions anciennes n'est pas tou-
jours le plus important en soi; comment s'est donc fait le triage?
M. Colgrove a laissé dans l'ombre ces deux côtés de la question, avec
l'intention, nous espérons, d'y revenir plus tard.
Kline : i1ff>f/iorfs in Animal Ffujchology {Méthodes en Psychologie
de lanimal), p. 25G-27λ.
On peut étudier l'animal de deux façons bien différentes : en obser-
vant au fur et à mesure ses actes ou en l'obligeant à agir selon cer-
taines données arrêtées d avance. M. Kline a appliqué la première
méthode à l'observation des Vorticelles ; il s'est servi de la seconde
pour étudier l'odorat chez la guêpe, la vue et l'ouie chez le poussin,
les associations selon la méthode de Thorndike chez la souris blanche.
Travaux du laboratoire de Clark. — M. Whipple : On nonrly
iiiinvltanetpus Clicks nnds Flashos. {liruits t't éclnirfi réunis.) (p. 280-
280) — Les études faites jusqu'à présent, de divers côtés, sur la per-
ception d'un son joint à une étincelle, ont donné des résultats contra-
dicioics. M. N. a observé, sur six sujets exercés, qu'il est plus facile
de discerner le signal étincelie-bruit que bruit-étincelle : la raison
semble être que rétinccllc prend ratlcnlion plus que le bruit. L'exer-
108 REVUE PHILOSOPHIQUE ^
cice permet d'ailleurs de réduire de plus en plus Tintervalle néces-
saire pour que les deux signaux soient perceptibles.
COLEGROVK. — Tfic time roqnired for récognition (?86-295) (Temps
nécessaire pour reconnaître). Des peintures passent sous les yeux
pendant un temps court; le sujet indique, par sa réaction, s'il les a
reconnues. Il faut en moyenne 500 secondes pour identifier une pein-
ture bien connue; le type de mémoire semble d'ailleurs influer sur
cette durée.
COLEGROVE. — Notes on Mental Standard of Length. (292-295).
Exposé d*un dispositif pour rechercher si les repères de nos mesures
mentales concordent avec les longueurs réelles.
Flood. — Note sur les rès^uUats de la castration chez les idiots et
les criminpls, avec bibliographie. — Chamberlain, Les dirjers sens du
mot peur dans quelques langues.
E.MILY Sharp, Individual Psychology [l^sychologie individuelle),
p. 329-391.
La psychologie individuelle recherche quelles applications particu-
lières présentent chez un individu déterminé, les lois générales de
nos actes psychiques. Pour cela, elle prend Tobservation mentale,
aussi complète que possible, d*un ou plusieurs individus. C'est, en
somme, une monographie psychique *. Hinet et Henri furent des pre-
miers à en demander l'application systématique et à l'employer. Ils
proposèrent d^étudicr comment les actes psychiques varient d*un indi*
vidu à l'autre; -- '2^ quelles relations mutuelles ont entre eux ces phé-
nomènes, et quel est celui dont le rôle est prépondérant (p. 332). Ainsi
exposée, cette méthode fut classée à côté des procédés de laboratoire
des Allemands et des procédés anthropologiques des Américains.
Le principe est que les faits complexes sont plus faciles à atteindre
que les faits simples : reste à savoir comment toucher le fait complexe
pour obtenir des résultats scientifiques (p. ;j34).
Après une longue discussion des procédés proposés, l'auteur pré-
sente les résultats obtenus par les procédés qu'il applique à l'étude
de la mémoire, des images, de Tattention, du jugement et du goût :
c'est, en somme, une paraphrase du questionnaire de Reaunis.
En terminant, l'auteur nous observe que cette méthode d'investiga-
tion ne saurait remplacer les recherches du laboratoire et les mesures
précises : avec raison, car il faut en effet éviter que cette méthode
ne s'applique à nous ramener en arrière, vers lancienne psychologie
descriptive des É:'ossais.
AdaCahman : Pain and Sirength measurements in school children
{Met^ure de la douleur v.t de la force chez des enfatits) p. 392-398.
De ces expériences il résulterait que la sensibilité à la douleur
1. Callcll. dans le Mind (18^)0) et IL Beaunis au congrès de Londres, daos son
(Juestionnauf Psf/rfiolot/ii/iir Individuel (I8y2] en donnèrent les premiers prin-
cipes. (D' J. -P.)
REVLE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS
109
ïcroit avec rài2:e, — qu*ello est plus forte chez les lilles que chez lea
garçons, à U U*mpG gauche qu*à ta droite (sauf chez les enfants nuls
în maihémaliquci'j* Lea élèves qui ont le teint et les yeux chiirs sont
fioins sensibles et moins fori^ que ceux dont le leint et les yeux sont
foncés.
KtiNE : Suggeslinnsi towfird a Luboralonj conrsi* in cnmpàTaiiue
J^^ijchoiogy {ïndicnlions pour des recherches de Uboratoire sur ta
^^sijchologie animale), p. 3'J9 4;ii),
M. Kl me, qui a déjA public des recherches de Psychologie animale
4,Cf. Am. Jùurn. of Psych.^ X,227), donne ici le réi^umé des résullats
4iibtenus en étudiant quelques reprcaenianta typiques de la série ani-
^ïQale. des amibes à ta souria bUiuche, en passant par les vers et les
poissons. Il suit ainsi le développement des fonctions mentales depuis
leurs origines les pius inlimes, et nous indique, chemin faisant, à
<{uelles sources puiser ces renseignemenls. L^ariicle ee termine par
«quelques indications d*expériences à Taire sur le chat : Tauteur y
modifie heureusement le procédé employé par Thorndike et met
rài>pàt dans la cage et Ranimai dehors (p. 424). D'ailteurs, M. Kline
demande que Ion évite soijtj'neusement, en ces recherches, tout ce qui
pèserait comme une contrainte sur Faliure naturelle de Tanimal
éiudiè ip, :mn.
H. GunDART i The etfecU of inind on bodij as euidenced btj faitk
4:iim?i i Influence dti Vasprit sur k corps démontrée par les cures psy^
chûiues} p. 431-5U2.
* Il n*est peut-être pas de question dont on s'occupe autant, sur
laque lit? on suit moins rensei^'né, et dont on soufTre plus^ que cette
qucHiîon de la valeur des nouvelles méthodes de Thérapeutique défii-
|,^Déed sous le nom génerîqu<i de cure psychique m.
Le^ adeptes les plus connus de cette méthode ont reçu^ en Amé-
fiqu*!, le nom de b Christian scientists », M. Goddard donne quelques*
ynt*s de leurs réponses au questionnaire qu^il avait répandu pi>ur réunir
lei éléments de son travail : une citulion rapide sullira à renseigner
^le lecteur :
IJ, — Quelle était votre maladie? — IL ïtien de précis : une désor*
^anisation n'est pis quelque chose que Ton puisse delinir.
D. — Comment vous êtes- vous aperyu que vous étiez malade? Indi-
quez bien exactement les symptômes- — IL J'avais con science d'une
tifoltalRin, d'un rétrécissement.
D. *- Comment avez-vous senti que vous étiez guéri? — R» Far l'cloi-
^'nemenl de la maladie et raugmentation simultanée de la santé et de
b force.
i^eit Scientistes ne eont d'ailleurs qu'une secle des Thèrapeuîes
iftentnux fondés, il y a qm ïque cinquaule aos, par P, Quimby, dont la
doctrine s>*appuyait sur certaines» théories métaphysiques (p, 437)*
M. (iodd?ird areehen*hé, d'uprès les réponses à son questionnairt et
d'après les t:nquètes faîtes par divers médecins américains, quelles
110 REVUE PHILOSOPHIQUE
sont les maladies qui guérissent aussi le plus volontiers. Ce sont, ^
naturellement, les maladies nerveuses : les ij;;uérisons (si le diagnostic -
n*a pas faibli) représenteraient près de la moitié des cas recueillis :
main il faut noter que la guérison consiste souvent à déplacer le mal
qui, enlevé ici, reparait bientôt là ou ailleurs (p. 453). Il faut aussi
compter avec certains échecs, parfois tragiques; comme tout ce qui
est mal connu et purement empirique, ces remèdes agissent souvent
à tort et à travers (p. 501). D après Uhenterghem, les cures seraient
d'autant meilleures, que l'hypnose est plus profonde (p. 487) : mais le
môme auteur estime que la thérapeutique psychique guérit le rhuma-
tisme 13 fois sur 16! (p. i73).
Il faudrait, pour mettre un peu d'ordre en tout cela, arriver à décou-
vrir où siègi.' la maladie nerveuse. Hn attendant on tâtonne, et la con-
clusion de Turticle peut se résumer dans Taphorisme de Hall : • Si
Tesprit suilit à produire certaines maladies, pourquoi ne sufiirait-il
pas à les guérir? » (p. 483). — Mais la question est précisément de
savoir si vraiment Tesprit crée seul les maladies qu'on lui demande de
guérir seul.
S. Jennings ; The psychology of a Prolozoon [la Psychologie du
protozoaire) p. 503-515.
L'étude des diverses manifestations de la vie d'un organisme uni-
cellulaire, la paramécie, amène l'auteur à conclure que la vie de cet
organisme est assez comparable à celle d*une cellule musculaire et
que les manifestations desquelles on a voulu construire la psychologie»
se réduisent à de la simple irritabilité.
Sta.nley Hall : .1 Stiidy of Angf*r Étude de la colère), p. 516-591.
Cette longue étude, toute descriptive, débute par Fénumération des
divers synonymes de colère, et par Tindication rapide des travaux
antérieurs. Vient ensuite un questionnaire, assez long, auqnel ont été
faites *il8i réponses. L'analyse de ces réponses fait le fond de l'article.
Après une description générale de la colère, Stiinley Hall suit depuis
le plus intime les divers stades de la colère à mesure qu'elle s*éléve :
colère spontanée et purement réilexe : colère fondée sur des antipathies
physiques — sur des incompatibilités mentales ou morales.
Quelles formes revêt la colère chez chaque individu? Quelles
inlluences la font naître? Quelles sont ses manifestations physiques
du côté de la circulation, de la respiration, des sécrétions, et sur-
tout des mouvements plus ou moins impulsifs (morsures, coups de
griffes, etc.). C'est la partie positive de cette étude, et la plus intéres-
sante avec les quelques lignes consacrées à montrer quelles physio-
nomies diverses revêt la colère avec différents âges (p. 569) : elle
devient de moins en moins impulsive et de plus en plus raisonnée,
réfléchie, pratique.
Les moyens de corriger la colère se réduisent à ceux qu^indiquaient
déjà les anciens : ne pas attaquer do front la passion, mais biaiser et
procéder par dérivatifs. Souvent aussi on se trouvera bien d'adminis-
RBVUR DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS ill
trer à l'enfaDt coléreux « la potion du D"" Spankster » : quelques
bonnes taloches feront merveille. Cependant, ajoute Stanley Hall, cer-
taines colères ont leur bon côté : un mauvais caractère oblige h
apprendre la boxe, laquelle a bien son utilité (p. 538-39).
Après ces réilexions à Taméricaine sur Tcducation, Tarticle se ter-
mine par des considérations générales sur les origines anccstrales de
la colère : elle serait un héritage du temps lointain où la masse céré-
brale était encore disséminée à Tétat de ganglions nerveux.
D"" J. Philippe
CORRESPONDANCE
Genève, 3 juin i900.
Cher monsieur,
I^ans l'aimable article qu'il vient de consacrer à mon livre Dps Inde>i
à laplariHle MnrSj M. Albert de liochas affirme — à propos des préten-
dues signatures d'un curé et d'un syndic défunts, fournies en trance
par le médium, — qu'en tous cas l'hypothèse spirite est la seule qui,
en l'état actuel de nos connaissances, puisse rendre compte de ces faits ' .
Comme on pourrait croire que ce passage exprime mon opinion aussi
bien que celle de M. Rochas, j'ai le regret de devoir dire qu'il n'en est
"en, et que je suis sur ce point d'un avis diamétralement opposé à
celui de mon honorable et savant critique. Pour moi la cryptomnésie
toute pure, la supposition de clichés visuels enfouis dans la mémoire
latente et reparaissant en somnambulisme, sans aucune intervention
des « désincarnés », suffit parfaitement dans le cas donné à expliquer
^9 curieuses ressemblances d'écriture. Si je n'ai pas formellement
exclu l'hypothèse spirite, et laisse au lecteur le soin de se décidera son
Çr^ entre elle et l'hypothèse cryptomnésique, c'est par égard pour la
iberté et le sentiment d'autrui, mais non que j'eusse moi-même la
ïnoindre hésitation. Il me semblait d'ailleurs que mon opinion person-
, 'e ressortait assez clairement entre les lignes pour que l'on ne put
*> tromper. Peut-être me suis-je fait illusion et aurais-je dû formuler
ïna Conclusion d'une manière plus explicite.
*^n vous remerciant d'avance de l'insertion de ces lignes, je vous
P"c, cher monsieur, d'agréer l'expression de mes sentiments dévoués.
Théodore Flouknoy.
*• Htvue philosophique, juin 1000, p. 653. (Comp. Des Indes, etc., pp. i06-411).
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE
Bailly. Le son dans la nature^ in-12, Paris, Librairie de Tart indé-
pendant.
Annales de VInstitut international de sociologie, t. VI, in-8. Paris,
Giiird et Bricre.
V. Baader (Franz). Les enseignements secrets de Martinez de
P:^squally, in-i2. Paris, Chacornac.
D'^ Bonnier. L'orientation, in-8. Paris, Carré et Naud.
A. Baumann. La vie sociale de notre tejnps, in-12. Paris. Perrin.
l)»" FoL'HNET. Pensôps philosophiques, recueillies par J. Gardair,
in-8. Paris, LehicUeux.
PiLLON. L'année philosophique, 10*^ année, in-8. Paris, Alcan.
C. PiAT (abbé). Les grands philosophes : Socrate, in-8. Paris, Alcan.
Th. Ruyssex. Les grands philosophes : Kant, in-8. Paris, Alcan.
F. Nietzsche. La généalogie de la morale, trad. Albert, in-12. Paris,
Société du • Mercure de France ».
1)»^ G. Dumas. Ui Trisft'sse et la joie, in-8. Paris, Alcan.
Dur K H El M. L\innoe sociologiqne (.>' année), in-8'*. Paris, Alcan.
A. CosTK. L'expérience des peuples et les précisions qu'elle auto-
vise, in-8". Paris, Alcan.
F. Thillv. Introduction to Ethics, in-12. New-York, 6cribner.
Fi.NK. A hrief ïlistory of Mat Hématies, in- 12. Chicairo, « Open
Court ».
O. LiEBMANN. Zur Analijsis der Wirklichkeit : Dritte Ausg., in-8.
Strassburg, Triibner.
MuLLER. Naturwissenchaftliche Seelenforschung, in-8. Leipzig,
Strauch.
PiKLER. I)ns Grundgesetz ailes neurop'^gchischen LebenSy in-8.
Leipzijr, Harlh.
Mach. A)iidiiso th'r Enipfinihinqeu r^'"^ aulla»re). in-8'\ lem. Fischer.
Croce. Tesi fo)idament:di di un' estitica, in-8. Roma.
Credaho. La pedagogia di llerhnrt, in-8. Roma.
Tarantino. Sagqio suite idée morali e palitiche di llobbes, in-8.
Napoli. Oiannini.
Krasnosrlkii. Miroro::rienii' gumanisla mv'hi'go rremeni, in-i2.
Pêtorsbourg, WolfT.
Les communications insentes pour le IV^' Congrès international de
psychologie s'élèvent actuellement à l08. La liste complète sera publiée
très prochainement.
/-f fn'uprh'taiir-yemnl : FkLix Aloan.
Coulommiers. — linp. P^L-L BKODAKI) .
CAUSE ET ORIGINE DU MAL
I. — Fausses interprétations et indication
DE LA cause réelle DU MAL.
1. — Il n'y a guère de question mieux faite pour embarrasser la
raison que celle de l'origine du mal. La vie étant un composé de
biens et de maux, la même explication devrait rendre compte des
deux. Mais, tandis que notre esprit conçoit le bien comme Texpres-
sion d'un ordre idéal et voudrait le trouver partout, il ne peut se
représenter le mal que comme un désordre dont la cause lui échappe,
alors que ses effets, trop faciles ix constater en tous lieux et en tous
temps, démentent les sentiments de justice et débouté dont,semble-
t-il, aurait dû s'inspirer la puissance régulatrice de Tunivers.
Les pessimistes triomphent aisément quand ils s'appliquent à
décrire les formes sans nombre sous lesquelles le mal sévit dans le
monde : — Mal physique, besoins pénibles à supporter ou à satis-
faire, souffrances de toute espèce, maladies, infirmités, déclin de la
vieillesse, affres de la mort...; — mal affectif : immensité de nos
désirs attestant 1 étendue de notre misère, vaine poursuite d'un
bonheur qu'on ne peut atteindre ou retenir, prompte satiété au sein
de la jouissance, inquiétude du cœur que troublent sans relâche la
peine, l'ennui, la privation, la tristesse, les regrets...; — mal esthé-
tique : dégoût d'une laideur presque partout étalée, opposition du
rêve et de la réalité, désenchantement de l'admiration qui se blase,
perte d'illusions aussi décevantes que chères...; — mal intellectuel :
curiosité toujours inassouvie de connaître, incertitude de la vérité,
tourment du doute, égarement de Terreur, contradictions d'idées
qui mettent la raison aux prises avec elle-même...; — mal moral :
indécision et faiblesse de la volonté, hésitations et scrupules de la
conscience, impuissance de nos efforts en lutte avec la force irré-
sistible des choses, faillibilité des meilleures intentions, fautes,
crimes, vices, remords... ; — mal social : discordeau sein des familles,
conflits d'égoismes, d'intérêts et de vanités dans les relations pri-
vées, antagonisme de partis et de classes dans l'État, troubles,
dissensions, révolutions, écrasement des faibles par les puissants et
les forts... ; — mal dans l'humanité : guerres, conquêtes, éviction ou
TOVB L. — Aoinr 1900. 8
114 REVï:K PHILOSOPHIQIK
oppression de peuples et de races, bouleversements historiques* per-
sécutions religieu-^es, progrès toujours acheté au prix de douleurs
et de sacrifices... ; — mal dans la nature : lacunes et accidents de son
ordre, n«^;uix, pestes, famines, orages, dévastations, inondations,
sécheresses, éruptions de volcans, tremblements de terre, rigueurs
des saisons et des climats, concurrence vitale, loi du struggle for
lif'e... — Enfin, pour tout ce qui naît dans le temps, inexorable
nécessité de peiner, de souffrir et de cesser d'être...
Pour peu que l'esprit s'attarde à considérer les choses sous ce
désolant aspect, et se plaise î^i « broyer du noir », cette manière de
regarder le monde par ses pins méchants côtés plongerait dans le
désespoir et empêcherait tout le train de la vie d'aller. Le mal parait
alors universel et permanent. Les penseurs attristés re renvoient
leurs plaintes à travers les siècles comme un lamentable écho. Job
demande pourquoi le jour a été infligé aux misérables. Les poètes
grecs redisent à Tenvi que mourir vaut mieux que naître et que le
plus heureux est celui qui n'a pas franchi le seuil de la vie. Le boud-
dhiste déclare Texistence mauvaise et aspire à en être délivré
dans l'inerte quiétude du nirvana. Le christianisme tient ce monde
pour une vallée de misère et ajourne à une autre vie, dans un ciel
idéal, un rêve de félicité future. « Toute créature gémit », affirme
saint Paul; et Goethe, à qui la nature apparaît comme un vaste
champ de carnage, la compare à un monstre occupant son éternité
î\ se dévorer lui-même.
•2. — Quelle cause assigner à l'existence du mal? II doit y en avoir
une puissante, étomiue et persistante, puisque ses effets se mani-
festent av(V tant d'intensité, de constance et de généralité. Mais
ancvme des explications qu'on a tenté d'en donner ne satisfait la
raison Par les contradictions et les antinomies qu'il soulève, ce
redoutable problème fait tomber toutes les théologies en confusion.
< D'où vient le mal. si Dieu existe? demande Boèce, et, s'il n'existe
pas, d'où vient le bien '? » A la question ainsi posée, il est difficile
de faire une réponse topique. Lorsqu'on tientle monde pour l'œuvre
d'un créateur qui Ta tiré du néant par un acte de sa toute-puis-
sance, ordonné dans sa toute sagesse avec une parfaite bonté, et qui
continue de veiller sur lui par les soins d'une Providence, on le rend
responsable de tout ce qu'il y a mis ou laissé se produire de maux,
fil soit possible de lui découvrir ni même de lui prêter de
raisons. L'existence du mal dans sa création est en effet
aJ)leavec nos attributs d'omnipotence, d'intelligence suprême
molatione p h ilosoph ira .
BOUBDBAU. — Q\mE ET t)RlGli^E m MAL
118
et de souveraine bonté, car elle dément ïun ou Tatitre, et accule l'au-
leur deTunivers à une des aïternutives de ce irikmme terrible : ou
il n*a pas pu, ou il lia pas su, ou il n*a pas voulu éviter le mal à ses
créatures, et n'est conséquemment qu/un être inipuîssaut, ou rnai-
hablle, ou cruellement tyraunique.
On se réfugie alurs dans le mystère de ses desseios qu'on ignore,
Ktais cela n'explique rien.
On a vru sortir d'erol)arras et Ton est tombé dans un autre, en
imaginant, par opposition à un Dieu bon» voulant et (ai saut le bien,
un Dieu ïiiécbanl et irervers, qui se plaît à voir soufîrir et lait le mal
par nalure, avecdéleclaîiou. l.es religions dualistiques personnifiant
ainsi les bons et les mauvais côtés de Thomme et des choses, ont
mis en conflit, dans une gueiTe sans trêve, Osiris et Typbon,
OrmuKd et Ahriman» Jéhovah et Satan, le Ciel et rEnfert avec leurs
légions ncherses d anges et de démons, troupe secourable ou nial-
faisante, qui tient une si grande place dans les croyances humaines
qu elle semble ronslituer le fond de tuutes les religions. Mais cet
âiiiagonîsme puéril, qui lait de la création un duel de divïnilés lios*
liles. est une contradiction logique t et, par la li mil al ion réciproque
de puissances qui se démentent Fune i aidre, conclut â la déchéance
des deux.
La mythologie grecque faisait infliger les maux aux mortels par
illes dieux qui vengeaient leurs injures personnell^^s, ou qui, rivaux
^jaloux les uns des autres, poursuivaient de leur haine les secta-
teurs des dieux ennenns.
D'après le dogme de la métempsycose, inspiré par Tidée de justice
dislribulive, les maux de la vie présente seraient rexpiation de
fautes commises dans des existences antérieures; mais, comme nul
n'en conserve le souvenir, on ignore le délit, alors qu'on subit la
peine, et son équité n'a plus rien d'évident.
Pour le judaïsme et ses dérivés, le njal est la conséquence d'un
péché originel dont le premier couple humain se serait rendu cnu-
psMe en désobéissant à un ordre, d ail leurs arbitraire, de son créa-
teur, explication purement mythique el dillicile à justifier au point
lie %^ue de la raison, puisqu elle fait i^ujtporler à une innocente puslé-
rite la peine d'un délit qui ne lui est pas imputable. Il convient en
lire de noter que tous les êtres vivants sont, ainsi que Thomme^
ajets à soutTrir, et un mal ainsi répandu doit avoir une cause gêné-
nUe qull faudrait montrer.
Suivant la doctrine de Jésus, les douleurs de la vie sont une
épreuve qui, subie avec résignation, sera compensée par d'amples
rémunérations dans le ciel, et il promet une élernelle béatitude aux
116 REVUE PHILOSOPHIQUE
misérables, pour cela seul qu*ici-bas ils ont souffert et pleuré^
Mais, môme avec la perspective d*un dédommagement éventuel, i -
semble bien rigoureux de faire acheter des félicités futures au pmm
de malheurs présents, tandis qu'une divinité vraiment bonne devrar
à ses créatures un bonheur constant.
Abordant ù leur tour le problème de l'origine du mal, le^
métaphysiciens n'ont pas mieux que les théologiens réussi à 1^
résoudre, et se sont bornés à répandre quelques obscurités d^
plus. Il en est qui regardent le mal des uns comme la condition dur
mal des autres, de sorte que, par une balance de douleurs compen-
satrices, le bien général serait la résultante des maux particuliers,
tandis qu'il devrait plus rationnellement être la somme du bien de
tous. Les stoïciens tenaient que le mal est l'envers du bien et qu'ils
se conditionnent l'un l'autre, sans qu'on les puisse séparer, c Le bien,
disait Chrysippe, est le contraire du mal ; il est nécessaire qu*ils exis-
tent tous les deux, opposés l'un à Tautre et comme appuyés snr leur
mutuel contraste- ]>. Mais on n'en voit pas la raison, et l'on souhai-
terait que le bien piU se soutenir tout seul, sans avoir besoin d*un
aussi fâcheux support. Cette alliance du bien et du mal n'a d'ailleurs
rien d'absolu, puisque toute l'activité de notre vie se consacre à les
disjoindre et à faire prévaloir l'un sur l'autre. Pour Hegel, le mal
est la forme inférieure du bien, le bien en puissance, à Tétat de
devenir. Mais comme le bien lui-même serait alors une forme infé-
rieure du mieux, un mal par rapport à l'excellent, il s'ensuivrait que
le bien et le mal, ne ditTéraut qu'en degré, non en nature, sont d'es-
sence commune et, finalement, s'identifient.
Nombre d'esprits, renonçant à résoudre un problème aussi ardu,
chargent des puissances aveugles, personnification de l'accident
sans règle et sans but, le hasaini, la fortune ou le destin, de répartir
à l'aventure, entre les êtres vivants, des lots propices ou funestes,
ce qui ramène à la conception homérique d'un Jupiter qui, puisant
dans deux récipients à sa portée, à droite les biens, à gauche les
maux, les distribue selon son caprice aux mortels.
On voit la faiblesse et Tinsuftisance de ces explications imagi-
naires. Aucune d'elles ne résisterait un moment à la discussion. En
place de fables mythiques et d'hypothèses sans preuves, la science
réclame une interprétation qui. mettant de coté les causes surna-
turelles et les conjectures invérifiables, ne fasse intervenir que des
causes naturelles, accessibles et déterminables. Ktant donné que le
1. Saint Mathieu^ V. 3.
â. Aulu-Gelle, SuiU aUi(fues, VI. 1.
BOUHDEAU. — CALSK ET ORIGINE DU MAL
H1
ia.1 est une Umitalion, une diminution de vie, il doit résulter des
kndlîiions mêmes et du foiîclionn<^ment de la vie. Il faut que sa
tu se, non plus externe > mais interne, s*exp[ique par la réaction
B€?3 êtres entre eux et se déduise de leurs rapports nécessaires, qui
►fil des lois. On verrait alors clairement loriginc réelle du mal,
is quelle mesure il est inévitable et s'impose, dans quelle autre sa
[«î^mitigence permet d'en éviter Tatleinte ou d'en corriger les elTets,
^* ^ La loi générale des êtres finis les fait se constituer en verlu
^'ub double principe d'association et dindividuation. Chacun d'eux
^^ compose d'êtres plus simples coordonnés en un tout, et ce tout
Viii^ntème tlgure à litre de paiiie dans des iigrégals complexes d am-
l^^ilude croissante. Ainsi Thomme est un composé d'organes» un
*^ïgane de tissus, un tissu de cellules, la cellule d'éléments molécu-
laires, la molécule d'atomes,.. Et de même, dans les modes supé-
rieurs de groupement, l'être humain fait partie d'une famille, la
famille d'une nation, la nation de rhumanité, T espèce humaine du
régne animal, le règne animal de l'empire organique, l'empire orga-
nique du monde terrestre ^ et h progression se continue parmi les
systèmes de monde jusqu*à Tunité suprême de Tunivers qui com-
prend tout. D'une extrémité à Taulrede cette hiérarchie d'êtres, de
Tatome au cosmos, la vie individualisée se développe en orbes gran-
dissaats par une fédération de parties constituant à chaque degré un
toul-clos unitaire. De là découlent deux sortes de résoltnnles qui
assignent à la vie ses couditions et ses lois,
LPar celii même que des parties disHnclcs s'unissent en un tout
vivant, elles de vien tient solidaires les unes des autres, leurs pou-
voirs d'action se surajoutent, leurs fonctions concourent à une même
fett^ desfacuUés nouvelles apparaissent, et le résultat de cet accord
Bt la production, par voie de synthèse j d*un ensemble ou la raulti-
plicilé des éléments se résout en existence unifiée.
^B Mais, en même temps qu'un principe de concert et d'union, l'as-
" sûcîation introduit dans l'agrégat un principe de contradiction et de
lutte, parce que les rapports des parties entre elles et avec le tout,
loin de s'accorder toujours, ont aussi leur discordance et sont sou-
kvenl en conilit* Malgré la solidarité qui les lie^ chaque partie, en
effet, a son individualité spéciale et collabore à une activité commune
sans pcrilre son autonomie. C'est un être qui vit pour son propre
j^ compte, qui a ses conditions de genèsci ses exigences de conser-
^Ê valion, ses tendances évolutives, son mode de fonctionnement, ses
^Ê besoins, ses satisfactions. Formant par lui-même un petit tout, il est
V porté à se considérer comme un tout absolu, et, s'il se prèle h cer-
taines relations, il ne s'aliène jamais entièrement. 11 slntéresse sur-
118 liEVUE PHILOSOPHIQUE
tout à lui-même et oppose son égoisme irréductible aux autres êtres,
qui ont aussi leur égoïsme, car c'est là pour tous une nécessité de
vie. Ils se trouvent ainsi en compétition et en lutte. Il leur est même
difticile de voir clairement ce qu'exigerait rintérêt, soit des êtres
inférieurs qui, inclus dans leur unité, dépendent d'eux, soit des
êtres supérieurs qui les englobent et dont ils dépendent. Si en effet
chaque être a, par sa conscience, le sentiment très vif de sa person-
nalité, il n'a qu'une notion confuse et de moins en moins distincte
de celle des êtres qui, plus simples ou plus complexes, différent de
lui. Le moi perçu par le sens intime est comme un foyer de lumière
qui brille d'un éclat propre et éclaire tout le reste, mais avec une
intensité qui décroit suivant la distance et se perd assez vite dans
une profonde obscurité.
Ainsi l'homme a une conscience très nette de sa personnalité
totale; il sent, pense et veut au grand jour; mais il n'entrevoit que
dans la pénombre d'une sous-conscience ce (|ui se passe dans ses
centres nerveux inférieurs; il n'a presque aucune lueur du méca-
nisme autonome de la réllexivité; enfin la sensibilité des éléments
cellulaires lui échappe entièrement. Il en résulte que le moi, ne
connaissant bien que lui-même et ses besoins particuliers, vit sur-
tout pour lui même, sans beaucoup se préoccuper des êtres partiels
qui le constituent, et nuit souvent à leurs intérêts qu'il ignore, tandis
que les éléments du moi poursuivent chacun à part, et non sans
confusion, leur avantage, mênje aux dépens du tout dont ils ne
soup<;onnent pas l'existence.
Il en est pareillement des rapports de l'être humain avec les
groupes hiérarchiques dont il partage la vie. Il entre dans ces col-
lectivités sans se confondre avec elles, réservant toujours les droits
essentiels de sa personnalité, les exigences de ses besoins et les
prétentions de son égoïsme. Plus le cadre de l'association grandit,
moins il se fait une juste idée du rôle qu'il remplit dans ces collecti-
vités et des obligations qui en devraient dériver. Pour ce qui conceiiie
la famille, le plus restreint de ces groupes, les fonctions de ses divers
membro-s soni indiquées par la nature avec précision, et le sacrifice
des intérêts du moi, facilité par de mutuelles atTections, est consenti'
sans trop de peine, quoique les causes de conflit ne manquent pas;
mais, à me.sure que lagn-gat social s'étend et se complique, la con-
science que l'être individuel a de sa vie s'obscurcit, et le désir d'y
contribuer païaîl moins urgent, car chaque éi];oïsme voudrait jouir
des avantages d(» la collectivité sans en supporter les charges. Dans
les grands Élats modernes, peu de vrais patriotes ont le sentiment
exact de ce qu'exigent l'intérêt public et une mesure d'abnégation en
BOUROEAU, ^ CAUSK El OHIGINE DU !H\I.
119
"^s:»pport avec le devoir civique. Moins encore sont assez éclairés pour
^CDfjiprendre l'importance de îa civilisation, comme résumant la vie
_^^^ l espèce humaine, et pour coticourit* avec un zèle désinléresso à
^^^g progrès. Enfin, quelques-uns à peine ont une vague idée de notre
^fc^srljcipalion à la vie des séries les plus générale;^ du règne animal,
<1 lî monde terrestre, et, dans une transcendance linale, k celle de
* *élre aaiversel
La même cause agissant dans ces divers groupes» ils ont d'autant
«"Kioîns conscience et sQUci des intérêts individuels qu'ils les domi-
ïr:aent de plus haut. C'est dans la famille que^ à raison d'un contact
i^mnaiédiat, il en est le plus tenu compte. Déjà TÉtat, bien qu'institué
Ipour servir la miisse des intérêts particuliers, les sacrifie volon-
t^&iersà des exigences de vie nationale, souvent même à Tambition
^z>u aux caprices des gouvernants. Plus indifférente encore au sort
^es individus et des peuples, l'humanité les tient pour des ouvriers
^'un jour qu*elle congédie leur tâche laite, et récompense d*ordinaire
^MSi^GX mal ceux qui se dévouent avec le plus d'ardeur à favancement
«3e la civilisation. La nature livre les espèces vivantes à Timpi-
^oyable loi de la concurrence vitale, sans se préoccuper des souf-
Cratices qu tille cause, pourvu que l'é^^olution de la vie suive son
cours. Le globe terrestre s'acquitte de ses fonctions cosmiques et
xie s'inquiète guère si des foules d-êlres sensibles, nés de lui et qui
font partie de son ordre, aont torturés et brayés par tes convulsions
de sa masse interne ou par l'agitation désordunnée de ses milieux
iperticiels. Enfin, TÊlre suprême, planant au-dessus de toutes les
jotitigences, n'agit sur rensomble des êtres que par des lois géné-
rales, et les abandonne aux accidents de leurs résultantes, sans
jamais intervenir, pour en corriger les effets, par des décrets par-
ticuliers.
Malgré ses rapports de série, et quoique enserré dans les mul-
tiples liens de collectivités hiérarcliîques, chaque être sort dune
inalaiséinant de son moi, voit tout du point de vue de son égoïsuie
et consacre â ses proprei^ intérêts la meilleure part de son activité,
Lcachevclreaient d'existences ainsi encliainées les uns aux autreSi
mais dont chacune à sa un particulière, ne saurait aller sans trouble.
Bnire ce^ individuaîités à la fois indépendantes et solidaires, des
auta^onfcsmes et des conffits sont inévitables. Partout où ces inté-
rêts exclusifs se heurtant au lieu de se coocilier doit se produire un
Sel ci>niparable à celui qui, dans un mécanisme complexe, déter-
line entre les pièces en jeu des résistances, des frottements et des
cliocs, c*e3t-à dire une perte de force vive, inséparable de la trans-
mission des mouvements. Seulement, lorsqu^en place de piècei
1!20 REVLE PHILOSOPHIQUE
inertes, il s'agit d'êtres vivants, les frottements et les chocs se t ^tra-
duisent en maux sentis.
De cette double loi d'association qui unit les êtres et d^individ'a-.:^^-
tion qui les oppose, résultent tous les biens et tous les maux d^^ ^
vie : les biens lorsque Taccord s'établit entre les parties et le to "«-^^^
parce que ces convergences d'effets procurent un accroissement ^e
vitalité; et les maux quand se produisent soit entre les parties as^» ^=>*
ciées, soit entre elles et le tout, des antagonismes et des conQits c^ vi
entraînent des désordres et des diminutions de vie. Dans U^mjm. *
société d'êtres, par suite de rapix)rts non moins nécessaires (j «-^6
faciles à troubler, il y a donc des conditions de concert et de lut "ft-^»
d'ordre et de perturbation, de paix et de guerre. La vie collecti '^^^^
est une harmonie qui admet beaucoup de dissonances. Rerum a^'^'^^''
cordia discorsy disait la sagesse antique. Nous allons essayer rf^
montrer que tous les maux dont nous souffrons, qu'ils soient pb >
siques ou psychiques, personnels ou sociaux, naturels ou accidefs —
tels, peuvent s'expliquer par cette cause.
II. — Du MAL DANS L FriTRE INDIVIDUEL.
l. — Quoique l'être humain, qui a très clairement conscience de
son unité, ne paraisse pas susceptible de se scinder, puisqu'il fait
de l'indivisibilité de son moi le trait caractéristique de Yindividua^
lité (in-dlv\duu»\ ce tout, loin d'être simple, est un agrégat de
parties qui, si elles s'accordent pour produire une résultante
d'ensemble, sont en désaccord et en conflit sur nombre de points.
Considérons d^abord Thomme dans la dualité, non de sa nature,
mais de ses fonctions. On l'a cru longtemps composé de deux êtres
accotés et distincts, le corps et l'àme, si dissemblables que le lan-
gage les oppose communément l'un à l'autre et que la plupait des
systèmes religieux ou métaphysiques les ont supposés d'essence
contraire. Malgré leurs corrélations que la science, qui tend à les
identifier, met toujours mieux en lumière, un antagonisme réel
existe entre l'àme et le corps, ou, pour éviter ces personnifications
trompeuses, entre les fonctions physiologiques de l'organisme et les
fonctions psycijiqnes de l'appareil d'innervation. Leur accord est
indispensable au dcvelopponient de la vie, puisque, d'une part,
Torgiinisme contient, prutrge, nourrit le système nerveux et lui
fournit les forces (|u'il met en action, et que, d'autre part, le système
nerveux relie, coordonne et harmonise les fonctions des organes,
ce qui implique entre ces deux moitiés de l'être une si étroite soli-
darité et une telle réciprocité de services qu'aucune d'elles ne
BOURDEAU. — Cause rr origipce du mat.
ôurrait subsister sans raulre, Néannioins, elleâ ont aussi leurs
:^OT]ciitrûns spéciales d'activité, des intérêts en partie contraires et
^es tendances divergentes, tause incessante de conflits. Livré à
3ul-mémc et cédant aux exigences de ses besoins, Torganisme ne
iréclanie que des satisfactions d'ordre purement physiologique dont
Ta lin est d assumer le fonctionnement normal de Tenserable, sa
j^èfeclion trophique et sa régénération. Il se confine dans le cercle
étroit de ces atlnbulions, replié sur lui-même et sans appétitions
qui le dépassent. L'esprit, au contraire, mis par les impressions des
sens en relation avec le dehors, aspire à répandre son activité dans
le moDde extérieur. AflYanchi par le corps de besoins matériels et
sollicité en divers sens par les émotions de la sensibilité, les appré-
«riations du goût, la curiosité de rîntelligence, Texercice de la
^volonté, il ne vise et ne tendqu a des satisfactions idéales. Ces deux
sortes de fonctions dilTèrent trop pour que les coassociés chargés
d'y pourvoir séparément puissent s'accorder toujours, et il en résulte
qu*ils se querellent souvent.
Voilà donc la guerre engagée au sein de ce moi que 1 Vime et le
corps déchirent par leuï-s prétentions rivales, car aucun d*eux ne
peut abusivement prévaloir qu'au préjudice de Tautre, Uorganisme
opprime Tesprit par ses nécessités impérieuses, par Thumiliant
servage qu'il lui impose pour y subvenir, par ses appétits brutaux,
ses basses jouissances^ ses excès, ses tnaladies, son déclin, toutes
causes de contrainte ou de faiblesse pour un agent qui voudrait ne
relever que de lui-même; etj de son côté, l esprit qui ne se croit
libre que lorsqu'il prédomine, exploite le corps, le traite en esclave,
le surmène et Tépuise en ne tenant pas assez compte de ses besoins.
« Démocrite disait que si le corps mellail Tànie i'xi proeès et
rappelait en justice en matière de réparation de dommage, jamais
elle ne se sauverait qu'elle ne fût condamnée eu laniende', » La
conciliation > dans une juste mesure, des intérêts contraires de
Tâme et du corps est une des plus grandes difficultés de la vie.
*i. — Entrons plus avant dans le détail. Le même état de guerre,
qui oppose l'un à l'autre les deux principaux ordres de fonctions, se
retrouve, pour chacun d'euXj entre les modes spéciaux de leur
àclivité.
L organisme est un composé d'appareils^ d'organes, de tissus et
de plaslides^ dont chacun a son individualité, sa vie particulière,
45on autonomie. Ce sont de petits organismes plus simples, reliés et
unis, mais non confondus, qui ont des intérêts communs et des
4» Plutarqye^ (JEurreg momtcs; féglestt préceptes dt ifûnté.
m ukvlf: PHiLosopiiiQi'ii:
intérêts contraires. Lorsque Kant définit l'organisme : n Un toul
dont dia(iuo partie est à la fois but et moyen* », il exprime un id^ad
dont la réalité s'écarte sensiblement, parce que si chaque partie
contribue à la vie de Tensemble, elle vit aussi pour elle-mèma et
fait souvent passer son intérêt propre avant celui du tout. Il arrive
aussi (]ue le tout vit à sa guise sans trop se soucier 'des parties ^
parfois à leur détriment. S'il nous était donné d'observer, au sein
de l'organisme, les conlîits que s'y livrent ses éléments, nous
constaterions avec épouvante, au lieu de Tordre intérieur que
Tunité persistante du moi porterait à conjecturer, une lutte sourde,
mais acharnée et implacable entre des adversaires au>^ prises. Leur
compétition pour la prépotence lait se reproduire ici les redoutables
rivalités de la concurrence vitale. Un système d'organes ne peut
prévaloir, par ce (]u'on appelle a intra-sélection », qu'en se faisant
au.v dépens des autres, une part exagérée qui les laisse aflaiblis et
connue vaincus. Tout surcroit d'activité dans une partie de Torga-
nisme impose ailleurs une diminution corrélative, car le budget de
la vie est fixe, et la nature ne peut se montrer prodigue sur un point
sans être forcée d'économiser sur un autre. Geoffroy Saint-IIilaire a
i'ornnilé la règle de ces inégalités compensatrices par sa a loi du
balaniiMuont des organes >>, où le gain des uns implique une perte
pour d'autres. La distinction usuelle des tempéraments montre que,
d'ordinaire, telle ou telle liasse d'organes prédomine dans Torga-
nisme. et, par cela même son équilibre normal est rompu. Entre les
élénuMits cellulaires, la guerre est plus générale et plus implacable
encore. Comme ils vivent tous sur le même fonds de substance
protèique, ils s'en disputent avec àpretê la jouissance, se partagent,
d'après la K)i du plus avide et du plus tort, les ressources bornées
que le smg. imhtiiuiu vHu\ met à leur disposition, et ce que les uns
ont en plus, les autres l'iMil en moins. A cette armée de compétiteurs
en lutle. aioute/. les légions de phagocytes, exterminateurs des cel-
lules dibililêes ou vieillies, et les t>andes de microbes étrangers qui
viennent inoess;unment assaillir l'organisme du dehors, vous aurez
l'idt'i' viune niellée ardente et confuse, d'où Von a peine à concevoir
qu'un oiiitt^ qiieK*v'n;ue puisse >orlir.
r.es viis.uwM'vis incMtaMes entre les av*tiviiès concurrentes des
orj:anes, de Knns cle/.v nts et de TensemMe, sufiiraient à expliquer
la pluiMii des niaii\ piixst.pies dowl n»»us soulYrons. Nos états de
Ivsv^ .'.. de m.daiso. i.i diver-iié des lualadies et linlensité de ladou-
leui\ si^iia;enl v\*s perîarlviiu»iis â t.nis les degrés de gravité
BOURDEAU. — C.VrSK ET ORIGINE DU MAL li3
qu'elles comportent, et nous pouvons juger par là de leur fréquence
comme de leur étendue. La santé réelle, le complet bienêire,
expression d*un parfait accord entre toutes les fonctions de Torga-
nisme, sans qu'il y ait nulle part excès ou manque, est un idéal
irréalisable dans ce qu'il a d'absolu, parce que la multitude et la
variabilité des agents qui concourent rendent leurs rapports tou-
jours défectueux et précaires. La maladie est donc l'état naturel,
non pas seulement du chrétien, comme l'afQrme Pascal, mais de
tout être vivant. Aussi longtemps que l'organisme subsiste, l'accord
des fonctions l'emporte sans doute sur leur désaccord, et la vie en
exprime la résultante ; mais cette harmonie, si facile à troubler, ne
peut durer qu'un temps, et, lorsque le désordre dépasse certaines
limites, la conservation de l'ensemble devenant impossible, l'être est
voué à la destruction.
3. — Notre activité psychique s'exerce dans les mêmes conditions
d antagonisme et de lutte. Comme les appareils et les organes du
corps, les facultés spéciales que l'analyse distingue dans l'unité du
moi conscient, la sensibilité, le goût, Tintelligence, le caractère, le
sens moral, ont, quoique liées et interdépendantes, leur particula-
risme étroit, leurs aspirations divergentes, de sorte que tantôt elles
s'entr'aident et se développent de concert, tantôt des contradictions
éclatent et l'accord se change en guerre civile.
Chacune de ces facultés, ayant des besoins et des exigences de
fonctionnement à elle propres, cherche à les faire prévaloir dans
l'activité du moi, et, comme celui-ci ne peut pas céder simultané-
ment à leurs sollicitations contraires, cette opposition de tendance
met forcément en conflit la passion, qui va où l'appelle le désir,
impatiente de le contenter à tout prix, le goût idéal, qui s'applique
à concevoir et à réaliser la beauté pure, l'intelligence qui cherche à
connaître la vérité quelle qu'elle soit, le caractère, qui à force de
volonté veut triompher de la résistance des choses, et la conscience
qui prétend imposer à l'être moral une règle désintéressée du
devoir. Un de ces modes d'action ne peut prévaloir, par circon-
stance ou par habitude, qu'à condition de suspendre, pour lui
laisser libre carrière, toutes les fonctions rivales. Ainsi tiré en divers
sens par de multiples aptitudes, obligé néanmoins de choisir entre
elles et de se restreindre pour les exercer tour à tour, le moi, pressé
de plus de besoins qu'il n'en peut satisfaire, est réduit à une acti-
vité toujours pleine de lacunes et de privations. D'ordinaire, une
faculté maîtresse prédomine en lui comme une sorte de tempéra-
ment dans l'organisme, et l'on voit les alfectifs attribuer la plus
large part au sentiment, les Imaginatifs à l'idéal, les intellectuels à
124 REVUE PHILOSOPHIQUE
Tétude, les volontaires à laction, les gens de bien à la vertu. Ma^
une préférence aussi marquée ne va pas sans dommage, et le
facultés négligées, qui seraient non moins nécessaires, restent, pa:^^
insuffisance de développement, dans un état de langueur ou d'atro- ^
phie. Nous ne jouissons presque jamais d'une vie psychique com^ — ■
plète, harmonieuse, où toutes nos aptitudes, normalement exercées,i^
nous feraient goûter, dans une juste mesure, les jouissances varicess^
auxquelles notre nature nous permettrait d'aspirer.
Les mêmes effets de concurrence se produisent pour chaque
faculté prise à part, à raison de la multiplicité des manifestations
que son activité comporte. Ainsi nos désirs s accordent bien en cela
qu'ils tendent tous au bonheur et se prêtent à l'occasion d'utiles
secours; mais ils ont aussi leur antagonisme parce qu'ils pour-
suivent par des voies distinctes les divers biens de la vie, et n'ont
chance d'en atteindre quelques-uns qu'en limitant leur effort. Ils se
font ainsi obstacle l'un à l'autre, et le triomphe d'un seul n'est
obtenu que par la défaite de ses compétiteurs. Conséquemment le
bonheur, qui exigerait la satisfaction simultanée et adéquate de tous
les désirs, est impossible, puisque, pour un désir qui prévaut
momentanément, la multitude des autres reste en souffrance. Nous
ne pouvons donc obtenir que des parcelles de bonheur, et notre
félicité sera toujours inachevée. En outre, le désir qui, victorieux
de ses rivaux, prédomine et devient passion, s'exagère inévitable-
ment la valeur du bien qu'il poursuit, la croit absolue quand
elle ne peut être que relative, et, par suite, s'il réussit à le pos-
séder, se prépare une déception lorsqu'il en reconnaîtra l'insuffi-
sance, ou d'amers regrets s'il vient à le perdre avant que la satiété
l'en ait détaché. Ainsi en proie à d'innombrables désirs dont la plu-
part ne seront jamais satisfaits, anxieux durant l'attente, inquiet ou
déçu dans la jouissance, notre cœur est continuellement misérable
et tourmenté.
L'imagination, que ne sauraient contenter les vulgarités et les lai-
deurs du monde réel, se plail à rêver un monde idéal qu'elle dispose
à son gré, en le remplissant de belles images qui se forment, se
succèdent et se dissipent comme des nuages dans l'air, sans que le
goût puisse s'y tenir et se fixer. Son essence e&l de choisir, c'est-à-
dire de préférer et d'exclure. Des arts distincts nous montrent les
divers aspects de la beauté, et il est rare que le sens esthétique soit
assez compréhensif pour les tous embrasser d'une même étreinte.
Pour exceller dans un art, pour jouir pleinement du mérite de ses
œuvres, il faut se spécialiser, limiter sa culture esthétique. Les
conceptions les plus belles ne nous charment même qu'un moment
BOURDE AU. -^ CAUSE ET ORIGINE DU MAL 125
et nous lassent après nous avoir ravis. Elles doivent se renouveler
sans cesse pour raviver nos admirations éphémères. C'est pourquoi
les goûts changent d'âge en âge, d'école en école, d'œuvre en
œuvre, une loi de variabilité sans fin étant imposée à l'évolution des
arts. « L'âme de l'homme, a-t-on pu dire, est comme la fille de
Cérès, qu'Ovide nous montre les mains remplies de fleurs qu'elle
cueille en folâtrant sur le penchant des monts de Sicile; quand de
nouvelles fleurs l'attirent, la jeune déesse jette le bouquet qu'elle a
dans les mains ^ » Nous allons ainsi d'illusions en dégoûts,
d'enthousiasmes en désenchantements, sans pouvoir rencontrer,
parmi les aspects sans nombre du beau, des jouissances qui durent.
Toujours le nouveau nous séduit, nous plaît et nous trompe.
Notre esprit est comme le champ de bataille où, soit dans la
nuit de l'ignorance, soit dans la pénombre d'un demi-savoir, se
combattent nos idées, le plus souvent en contradiction et en guerre.
Le mal, représenté ici par l'erreur, tient au désaccord de notions
communément dépourvues d'évidence, de certitude et de cohérence
logique. Avide de tout connaître et ne pouvant se résigner aux len-
teurs d*une recherche méthodique, la curiosité de l'esprit soulève à
la fois une multitude de problèmes, anticipe sur leur solution, tient
le faux pour douteux, le douteux pour vraisemblable, le vraisem-
blable pour vrai, prenant ainsi des lueurs d'aube pour le grand jour,
des présomptions pour des preuves et des conjectures pour la
vérité. Une lutte sans trêve, dont témoignent assez nos discussions
et nos doutes, se livre entre les notions imparfaites auxquelles notre
créance s'attache, et le progrès de la science fait à grand'peine
triompher de siècle en siècle quelques rares vérités sur une foule
d'idées fausses. L'opinion, a cette maîtresse d'erreur », mue et se
transforme avec une incurable versatilité. « Il ne faut pas, dit La
Bruyère, vingt années pour voir changer les hommes d'opinion sur
les choses les plus sérieuses comme sur celles qui ont paru les
plus sûres et les mieux prouvées. » Combien de nos vérités d'aujour-
d'hui seront des erreurs demain?
Enfin, notre activité morale est aussi le théâtre de continuels
conflits, d'abord entre les divers mobiles qui nous incitent à l'action,
que la délibération met en balance et parmi lesquels la détermina-
tion arrête son choix, puis, une fois l'action engagée, entre les
difficultés de Texécution, et la volonté qui s'efl'orce d'en surmonter
les obstacles. Souvent même le désaccord se produit, au sein de la
conscience, entre les devoirs qui réclament en sens contraire, alors
1. Dondan, Des Révolutions du goût.
126 REVUE PIIILOSOPHIQLK
qu'il est malaisé de discerner le plus strict, et impossible des
s'acquitter d'une obligation sans en violer plusieurs autres. Incer —
taine du bien, tourmentée de scrupules et vouée, quoi qu'elle fasse,
à rester toujours imparfaite, la raison pratique va de l'embarras de
l'hésitation au regret de rêsfolutions téméraires, succombe fréquem-
ment aux tentations qui l'assiègent et doit ensuite expier ses défail-
lances par des remords. La volonté, que tout empêche ou égare,
n'arrive que par exception à ses fins. Notre vie se passe h projeter
sans décider, à résoudre sans exécuter, et à entreprendre sans
aboutir. Rarement le succès nous récompense de nos peines, et les
meilleures intentions sont sujettes à mal tourner.
4. — La lutte est donc partout au dedans de nous, entre le corps
et l'ûme, entre Torganisme, ses organes tt leurs éléments, entre les
facultés de l'esprit et leurs modes spéciaux d'activité. Un principe
général et permanent de discorde les met on opposition et aux prises.
Nos besoins physiologiques et nos aspirations rationnelles, lintérèt
et le devoir, l'imagination et la science, cédant à leur opposition
naturelle de tendances, se font une guerre incessante, où nous
sommes à la fois le vainqueur et le vaincu. Meurtri, déchiré par
ces divisions, le moi peut dire avec Job, et à plus juste titre que lui :
«c Ma vie est un combat ».
IIL — Du MAL DANS LES GROUPES HUMAINS.
1. — Un antagonisme plus formel encore et non moins fécond en
maux se produit entre les êtres numains et les divers groupes
sociaux nécessaires à leur développement. Chacun de ces modes
d'associations procure à ses membres d'inappréciables facilités de
vie, mais il leur impose en retour des restrictions et des charges
pénibles à supporter. Or, le moi est égoïste par nature, car c'est là
pour lui une condition d'existence. Quoique lié à d'autres êtres par
des rapports qu'il ne peut rompre, il garde toujours très vif le sen-
timent de sa personnalité, parce qu'il a le plus clairement conscience
de lui-môme, de ses besoins et de son autonomie, tandis que les
liens qui rattachent à ces collectivités sont plus ou moins lâches,
ta, et en apparence facultatifs. Par suite, l'être individuel se
ïte comme un centre absolu d'activité, rapporte tout à lui-
"i répugne au sacrifice de ses moindres intérêts. Mais, d'autre
icun des groupes qui l'enserrent et le dominent a aussi son
Jitéy ses exigences de vie, son égoisme non moins intrai-
I celui des êtres particuliers, car il ne peut se constituer et
3Dir qu'en les rangeant aux nécessités de son ordre, en
BOURDE AU. — CAUSE ET ORIGI^JE DU MAL 127
^^^ï" imposant des contraintes et des assujettissements. Sans doute,
^®s résultantes de ces rapports se résolvent d'ordinaire, à Tavanlage
^^niinun, en effets d'accord et d'harmonie; mais souvent aussi les
^^ndances divergent, les intérêts se contredisent, les égoïsmes
entrent en conflit, et, de pacitlques, les relations deviennent belli-
queuses. S*il veut éviter cette guerre et tous les maux qu'elle
^'^ draine, l'être individuel, réduit à une fôcheuse alternative, n a plus
^^ele choix de renoncer au.x bénéfices de l'association s'il refuse
^'^n payer le prix, ou, s'il consent à l'acquitter, de se résigner à
*^ien des servitudes et des sacrifices. Quelque parti qu'il prenne, il
^ clés maux h souffrir.
^. — Quoique la famille, où l'être humain reçoit et transmet le
Principe de vitalité qui l'anime, soit de tous les groupes sociaux
^elui où, par suite de mutuelles affections, l'égoïsme se combine le
ïnieux avec l'altruisme, elle ne laisse pas d'imposer à ses divers
niembres une part notable d'abnégation parce qu'elle oblige «'i
vivre ensemble des égoïsmes qui, même solidaires, ne peuvent
jamais abdiquer entièrement. Une part irréductible d'intérêt per-
sonnel se môle toujours aux relations de la famille et met en péril
Son union. La plupart des querelles et des divisions qui la troublent
t^iennent à des conflits d'égoismes.dont les prétentions inconciliables
^€ refusent aux concessions qu'exige le bon accord.
Dès le début, dans l'union conjugale où l'homme et la femme, se
<^omplétant Fun l'autre, semblent n'être que les moitiés d'un seul
"^out, liées par un égoïsme à deux, une cause d'antagonisme les
*^^pare et tend à les opposer. L'amour, qui rapproche les sexes, les
^Kiet par cela môme en conflit, parce que leurs fonctions, leurs
instincts et leurs aspirations différent. Pour l'homme, que solli-
Ciitent des tâches viriles, l'obligation de faire vivre les siens des
fruits de son travail, d'avoir au dehors des reli tiens étendues, de
Servir et de défendre son pays, de contribuer même, .selon son pou-
>foir, aux progrès de la civilisation, d'exercer en un mot les hautes
facultés de son esprit, Tamour et la procréation ne sont qu'un inci-
dent de la vie. Pour la femme, au contraiie, investie de fonctions
conservatrices, chargée de concevoir, de porter, de nourrir et
d'élever les enfants, de maintenir l'ordre et l'harmonie dans la
famille, d'en être le charme et le bon génie, ces soins, qui réclament
tant d'application et de dévouement, sont le principal de l'existence,
la vraie vocation naturelle. Si cette disparité d'attributions nest pas
admise des deux parts, elle amène une longue suite de malentendus
et de conflits. Ce qu'on a appelé le duel des sexes, le désaccord dou-
loureux et parfois tragique qui met aux prises les moitiés désunies
138 REVCE PHILOSOPHIQUE
d*un couple mai assorti, trouble plus ou moins la plupart des
ménages et ne peut être évité qu'à force de condescendance mutuelle
ou de constante résignation. Lorsqu'un amour sincère y dispose les
époux, ce devoir se confond pour eux avec le bonheur; mais si, en
se liant, ils ont cédé à des considérations étrangères, rintérèt per-
sonnel, toujours prêt à revendiquer ses droits, ne tarde pas à rendre
ennemis deux égoïsmes rivés à la même chaîne, comme les anciens
formats.
Tous les rapports de la famille sont compromis ou foussés dès
qu'un individualisme exclusif prévaut sur raffection réciproque et
que le moi prédomine sur le }wus. Si, par exemple, l'un ou l'autre
des époux est, par passion ou par caprice, infidèle à la foi jurée; si
les parents, oublieux de leurs devoirs d'éducateurs, vont où la dis-
sipation les appelle et s'occupent de leurs plaisirs plus que de leurs
enfants; si ceux-ci, par ingratitude, n acquittent pas les bienfaits
reçus en déférence et pitié filiales; si, lorsqu'arrive l'âge de leur
émancipation, les parents veulent encore exiger d'eux une docilité
({ui dégénère en tyrannie, tandis que les enfants, las d'être tenus
en tutelle, revendiquent le droit d'agir librement, à leurs risques
et périls; si enfin, dans les questions d'intérêt, la cupidité l'emporte
sur Tallection, ne laissant en présence que des convoitise en lutte
et des plaideurs en procès, le lien de famille n'est plus qu'une entrave
et l'animadversion remplace Tamour.
Aussi longtemps qu'une affection désintéressée prédomine, les
sacrifices qu'impose l'esprit de famille sont consentis avec allé-
gresse et amplement compensés parce que celui qui fait abnégation
de lui-même retrouve, par l'accroissement de vie procuré à ceux
qu'il aime, un gain supérieur à la diminution de son moi; mais,
lorsqu'un égoïsme intransigeant exige des concessions de ses
proches et refuse de leur en faire, la discorde succède vite à l'har-
monie. Une balance exacte des droits et des devoirs réciproques est
sans doute malaisée à établir, parce que les conditions d'accord
varient suivant les caractères, les situations, les âges, les milieux et
les ciroonslancos. Toutefois, l'union durable est à ce prix, et tout
ce qui s'ôcartt* d'une mesure do raison tend à la détruire.
:V — Pans leurs relations privées, le^ ôtres humains, tous fon-
oiôrenuMit ojioislcs, >ont surtout mis on oonllit y^r Topposition de
leurs inloivts ol los prolonhons do leurs amoure- propres. Comme,
lorsqu il s'ajiit d'alYairos, chacun ohoivho son profit, il tâche de
l'obtenir lo plus grand possible, au préjudice do ceux qui traitent
avec lui. Soulo une probito sorupulouso s'abslionl de 4>oursuivre un
gain illicito au-dol;\ do oo qu'autonso la loi d'oquité. et le petit
BOURDEAU. — CAUSE ET ORIGINE DU MAL 129
nombre d'honnêtes gens qui pratiquent cette rigide vertu montre
assez combien une avidité qui ne recule pas devant l'injustice et la
fraude prévaut dans les transactions communes. — Quant aux
simples rapports de société, le moi, qui s'exagère si volontiers ses
mérites, voudrait le plus souvent imposer aux autres la bonne opi-
nion qu'il a de lui-même, sans leur témoigner en retour une bien-
veillance égale, et de là proviennent de continuels conflits entre des
vanités rivales, également susceptibles, qui se heurtent et se blessent
dès qu'elles se rencontrent. D*habiles ménagements et la politesse
la plus attentive sont nécessaires pour éviter dans le monde les frois-
sements et les brouilles, sans y réussir toujours, tant il est difficile
de faire vivre en paix des amours-propres naturellement incompa-
tibles, armés en guerre et prêts d'en venir aux mains.
Si Tètre isolé retire des facilités de vie de sa participation à des
groupes corporatifs, ce mode d'association lui impose des restric-
tions et des charges, parce que chaque collectivité, constituant un
petit monde fermé, a son égoïsme exclusif, ses conventions, ses pré-
jugés, leur attribue force de loi et ne tolère pas qu'on s'en alTran-
chisse. Quelle que soit leur disparité individuelle, tousses membres
sont astreints à une règle de conformisme, tenus de se modeler sur
un type déterminé. Pour être admis et bien vu dans un de ces
groupes, il faut en observer les usages, et, suivant les formules
reçues, € être comme tout le monde », « faire comme les autres »,
* hurler même avec les loups », si Ton a le malheur d'être dans la
connpagnie des loups, ne pas s'écarter de la mode, sous peine de
paraître ridicule, alors même que la mode est le plus contraire h des
convenances personnelles et au bon goilt, adopter l'opinion cou-
'^'ïte, feindre de croire dans un monde de dévots, ou se parer de
^"'c^s bien portés dans un monde de viveurs. Par égard pour l'esprit
"G Corps, on doit souvent cacher ce qu'on sent, taire ce qu'on pense,
^oti^kpQQ qu'on réprouve, se mentir ainsi à soi-même et s'abais.ser
^^^ simulations dont s'indigne la généreuse sincérité d'un Alceste.
^^^i subit trop servilement l'influence d'une coterie cesse de
^^l^partenir. Il sacrifie à chaque instant quelque chose de ses sen-
^'^■^cnts intimes, de son idéal, de ses convictions, de sa moralité
. ^rne, et fait par imitation, snobisme ou respect humain, ce que lui
f^^^rdirait sa raison. Or, c'est là une sujétion véritable, un amoin-
*"i^sement réel pour qui tient à sauvegarder Tindépendance du
^^i et à conserver sa propre estime, plus précieuse que celle des
^n outre, chacun de ces groupes sociaux, séparé des autres par
^'^ conditions qui le particularisent, oppose à ses rivaux un esprit
TOME L. — JUILLET 1900. 9
130 HEVLK I»H1L0S01>HIQLK
d'exclusivisme prompt à dégénérer en formelle hostilité. On .saiC
quelle» préventions, parfois même quelle animosité combaLiv^
divisent certaines corporations, les castes ou classes sociales, les»
partis politiques, les sectes religieuses... On ne peut appartenir îl
un de ces mondes sans avoir tous les autres contre soi, et, dès
qu'on sort d'un cercle étroit d'adhérents, on n'est entouré que
d'ennemis.
4. — Bi<*n des maux découlent, pour les membres de l'agrégat
politique, du fait d'être liés à la vie dune nation et d'avoir à subir
la dépendance de TÉtat. L'individu et l'État représentent en effet
deux tMres, égoïstes Tun et l'autre, dont les intérêts diffèrent, et
entre lesquels, en même temps qu'une solidarité nécessaire, il y a
un antagonisme inévitable. Quoique ni le tout ni la partie ne
puissent se passer l'un de l'autre, ils sont incapables de vivre en
parfait accord. Pour peu que leurs prétentions respectives s'exagè-
rent au-delà d'une limite difficile à établir, la tendance à l'oppression
d'une part suscite une disposition i\ la révolte de l'autre, et forcément
la guerre éclate entre l'intérêt public qui s'impose et l'intérêt per-
sonnel qui se sent lésé.
Déjà, pour maintenir quelque ordre parmi des activités indépen-
dantes et empêcher les égoïsmes individuels d'empiéter les uns sur
les autres, l'État doit recourir à des moyens de contrainte qui se
traduisent en une quantité de lois et de règlements, dont la gêne
augmente à mesure que l'organisme social devient plus complexe.
Édictées pour assurer la paix publique, ces lois, civiles ou pénales,
sont autant d'entraves à la liberté, et leur poids est un fardeau sous
lequel peinent les peuples trop administrés. On serait alors tenté
de donner raison aux partisans de Van-archie, qui protestent contre
la tyrannie des lois, si une suppression complète de lois n'était pas
un mal pire encore que la surabondance des lois.
Ce que lintérêt de l'État et celui des citoyens ont de contradictoire
se résout en sacrifices imposés d'une part, acceptés ou subis de
l'autre. L'être individuel, dont la vie est courte et l'horizon très
borné, n'a guère de préoccupations qui les dépassent; l'État qui, au
rebours, représente une collectivité étendue et durable, a charge de
ses destinées dans le présent et dans l'avenir. Il doit diriger au
mieux un vaste ensemble et préparer le bien des générations futures,
en sacrifiant s'il le faut une part des intérêts privés aux exigences
de l'intérêt général. En vertu du contrat social tacitement consenti,
chaque citoyen est tenu de concourir pour sa quote-part aux charges
publiques, et se trouve conséquemment atteint dans ses ressources
par l'impôt, dans sa liberté par des prescriptions impératives ou
BOURDEAU. — CAUSE ET OIUGLNE DU MAL 131
prohibitives, dans son existence même par le service militaire qui
Texpose à braver la mort pour défendre sa patrie. L'égoïsme indi-
viduel, qui voudrait bien jouir des avantages sociaux, mais non les
payer trop chèrement, cherche par tous les moyens à se soustraire
au dur égoïsme de l'État, à la rapacité du fisc, à la tyrannie de
l'administration, à la servitude du militarisme. Seuls, les vrais
patriotes, toujours en minime exception, s'acquittent avec zèle du
devoir civique, sans marchander leurs sacrifices et subordonnent
toute considération personnelle à l'intérêt national.
Entre gouvernants et gouvernés, la guerre est constante parce
que les premiers, avides d'autorité, visent sans cesse à étendre leur
pouvoir, tandis que les seconds, désireux de sauvegarder leur indé-
pendance, ne songent qu'à le restreindre. Un peuple a également
besoin d'ordre et de liberté; mais jouir des deux à la fois, dans une
juste mesure, est un idéal difficile à réaliser. Par une sorte de com-
promis instable et précaire, les institutions politiques s'appliquent
à prévenir, d'une part le despotisme des chefs, de lautrë 1 insubor-
dination des sujets; mais elles penchent toujours et versent quel-
quefois de l'un ou l'autre côté. Aristote pouvait déjà constater, dans
sa Politique, que chaque type de gouvernement, monarchique, aris-
tocratique ou populaire, est susceptible d'avoir deux formes, l'une •
bonne, l'autre corrompue, suivant que ceux qui gouvernent se
règlent sur Tintérêt général ou sur leur intérêt particulier. Or, la
seconde est de beaucoup la plus commune, car il n'y a guère
d'exemple d'un chef d'État, d'une dynastie, d'une caste dirigeante
ou d'un parti populaire qui aient exercé le pouvoir sans en abuser à
leur avantage, ce qui rend inévitables de périodiques révolutions.
L'histoire politique des peuples est le long récit des agitations cau-
*^ par ces luttes d'influences rivales et par l'éternel conflit entre
Je principe d'autorité et les revendications de la liberté.
Parfois aussi les crises et les phases de la vie nationale réagissent
^e la manière la plus fâcheuse sur les destinées individuelles. Sou-
niises, comme tout organisme vivant, aux lois de la biologie géné-
î'aïe, les sociétés ont leurs stades d'évolution, leurs maladies consti-
tutionnelles ou accidentelles, leurs âges successifs qui les font
passer d'une débile enfance à une virilité forte, puis au déclin de la
Vieillesse pour aboutir à la mort Pour chaque période donnée, les
conditions de la vie nationale dominent celles des existences parti-
culières. Il y a donc des générations privilégiées, appelées à vivre
durant des époques prospères et glorieuses, tandis que d'autres,
iDoins favorisées, venues dans des temps d'épreuves, de révolutions
ou de décadence, ont cruellement à soufTrir des malheurs publics.
132 HËVtË PHlLOSOIMIlOt'E
Enfin, dans leurs rapports mutuels, les peuples, personnalités
puissantes, sont animés d'un formidable égoïsme, décoré du beau
nom de patriotisme, et dont ils se font une vertu qui autorise et
justifie tout. Pour un patriote exalté, aimer son pays, c'est haïr les
autres, et le bien servir, c'est beaucoup leur nuire. Chaque natioD,
prenant ainsi ses prétentions pour des droits, s applique avec un soin
jaloux à faire prévaloir ses intérêts, justes ou non, par tous les
moyens, sans en excepter les plus mauvais, la ruse, la fraude et la
violence. De là ces longues rivalités, ces guerres, duels sauvages de
nations, dont le récit occupe tant de place dans leurs annales, ces
conquêtes brutales, ces dévastations, extorsions et pillages, maux
inhérents à la constitution des États, et que la diplomatie s'efforce
assez vainement de prévenir ou le droit des gens d'atténuer. Quand
éclate un de ces fléaux déchaînés par l'ambition de gouvernements
sans scrupules, des susceptibilités d'orgueil national ou le criminel
amour de la gloire, la masse des intérêts particuliers est impitoya-
blement broyée.
5. — Une compétition de même ordre, mais plus inexorable
encore, fait s'opposer et se combattre les différentes races humaines.
Longtemps séparées et comme étrangères, distinctes par leur t>T)e
d'organisation, leurs genres de vie, leurs mœurs, leurs aptitudes,
leurs traditions, leurs croyances, leurs institutions et leurs lois,
presque incapables de se comprendre, de s'unir ou même de se
tolérer, elles oublient qu'elles sont sœurs, se tiennent pour enne-
mies et ne cherchent qu'à s'exproprier, s'asservir ou se détruire.
On sait quelle implacable hostilité a, durant tout le cours de l'his-
toire, mis aux prises les Sémites et les Aryens, les blancs et les
noirs, les Européens et les rouges ou les jaunes. La race la plus
énergique et la mieux douée s'arroge un droit de suprématie sur les
races inférieures qui, si elles refusent de subir cette domination
tyrannique, sont refoulées ou exterminées. Par combien d'injustices,
de massacres, de spoliations, de réductions en servitude, d'anéantis-
sements de populations entières, s'est fondé dans le monde l'enipire
exercé par les races supérieures! On s'elTraie d'y penser. Durant la
longue nuit de la préhistoire, nombre de races ont péri dans ces
luttes fratricides, et nous voyons actuellement les Peaux-Rouges de
TAmérique du Nord, les noirs d'Australie, les Ilotlentots du Cap,
les Polynésiens, etc., sur le point de disparaître, victimes de
l'égoïsme féroce d'une race mieux armée pour le combat delà vie.
6. — Quoique la civilisation, qui consiste en gains accumulés de la
raison, paraisse essentiellement bienfaisante, elle n'est telle que
pour la postérité qui en recueille le profit sans les charges. Pour les
BOURDEAU. — CAUSK KT OHIGINK DU MAL 133
générations successives qui travaillent à son avancement, elle est
une source abondante de maux, à raison du désaccord fatal entre
l'intérêt de l'espèce humaine, considérée dans son ensemble, et l'in-
térêt des êtres individuels ou collectifs qui la composent. L'huma-
nité, qui les englobe dans son unité souveraine, a son égoïsme
propre et mène sa grande vie sans tenir compte des existences qui
lui sont subordonnées et dont les besoins diffèrent des siens. Pour
l'espèce, l'intérêt suprême, la raison d'être, est le progrès de la
civilisation qui doit être obtenu n'importe à quel prix. L'intérêt
plus restreint des individus, des peuples et des races serait de sub-
sister tels quels, dans les conditions particulières où ils se trouvent
placés. Or, ces deux sortes d'intérêts, loin de se confondre toujours,
sont souvent en contradiction. Un sacrifice devient alors nécessaire,
et, comme l'avantage des générations futures prime incomparable-
ment celui de chaque génération donnée, le progrès, c'est-à-dire le
triomphe d'un droit supérieur, ne peut s'accomplir que par la juste
immolation du droit inférieur.
Le progrès, qui est une amélioration graduelle, implique des
changements mesurés, mais continus. Une lutte doit donc se livrer
en permanence entre l'esprit de conservation ou de routine qui ne
vise qu'à se perpétuer, et lesprit de réforme ou d'innovation qui
aspire au mieux. Le présent est comme le champ clos où combat-
tent, sans paix ni trêve, le passé qui ne se résigne pas à cesser d'être,
et J avenir, impatient de se produire à son tour. C'est pourquoi les
pères et les enfants, la génération descendante et la génération mon-
gole, s'entendent d'ordinaire assez mal. Non moins cruelle que
féconde, la dure loi du progrès exige, dans les éléments de la civi-
lisation, le renouvellement de tout ce qui est imparfait, caduc, tran-
sitoire, et, parmi les ouvriers du grand œuvre, l'élimination des
*^bles, des incapables, des arriérés. Il faut que les générations vieil-
^^s, désormais impuissantes, soient successivement fauchées par la
^^ï^t et remplacées par des générations jeunes, actives, pleines de
*orc€ et d'ardeur; il faut que des peuples, jadis vaillants et glorieux,
^^^^is débilités par l'âge et humiliés par la vie, cèdent l'empire du
^Onde à des nations en croissance, plus énergiques et mieux douées ;
*^ feut enfin que les races stériles, les sauvages et les barbares,
y^colent devant les civilisés, missionnaires armés do la civilisation,
^ï^vestis du soin de propager sur le globe de meilleurs conditions
^® vie. Sans épurations de ce genre, douloureuses, mais nécessaires,
^^ verrait des peuples en déclin perpétuer, comme le Bas-Empire
^^ la Chine, sans profit pour l'espèce ou plutôt à son détriment,
wur impérissable caducité, sinon même la terre entière encore
^^upée par la première race d'anthropoïdes qui y fit son apparition.
134 REVUE THILOSOPHIOLE
Si rigoureux qu'il puisse être en ce qui concerne les vaincus, ce
concours pour la prépotence pouvait seul assigner les rangs et déter-
miner Thégémonie des plus dignes. C'est pourquoi la guerre, malgré
ses horreurs, a jusqu'ici rempli dans l'histoire une fonction civilisa-
trice, exprimé par la victoire le droit véritable, et son rôl e conti-
nuera d'être utile pour l'espèce, aussi longtemps que le progrès
n'aura pas fait prévaloir au sein de la paix un meilleur mode de
sélection.
Ainsi pour le plus grand avantage de l'humanité, tous les intérêts
particuliers qui feraient obstacle au progrès doivent être successi-
vement immolés. Ce mal, dont sans doute auraient à se plaindre les
victimes qui le supportent, a sa justification au point de vue de
l'ensemble, puisque le préjudice de quelques-uns se change en gain
pour le plus grand nombre et qu'un bien durable est acquis au
prix de souffrances passagères. On entend parfois les sacritiés dire •
Peu nous importe que la postérité soit plus heureuse si nous sommes
malheureux à cause d'elle et si nous souffrons pour un avenir dont
nous ne jouirons pas! Ceux dont l'égoïsme en révolte récrimine
contre cette loi du sacrifice ne se font pas une juste idée de la soli-
darité humaine. Puisqu'ils en ont recueilli le bénéfice pour tout ce
que le passé leur a transmis d'accroissements de vie péniblement
obtenus, ils doivent se résigner à une abnégation pareille en ce qui
regarde la postérité. Considérons-nous comme des membres de
l'humanité, chargés de collaborer à ses progrès; en y contribuant
par nos efforts et nos sacrifices, nous pourrons alors jouir par avance
du bien que nos épreuves auront préparé à nos successeurs.
IV. — Du MAL DANS LA NATURE.
1 . — Le milieu cosmique où s'écoule notre vie nous met en rela-
tion avec des séries d'êtres dont les uns sont utiles à nos besoins, les
autres nuisibles à nos intérêts. De là résultent pour nous des caté-
gories spéciales de maux, parce que nos exigences sont souvent en
désaccord avec ces collectivités dont l'ordre nous domine et s'impose.
2. — Considérons d'abord le monde des êtres vivants. Chacune des
innombrables espèces qui partagent avec nous le privilège de la vie,
a ses conditions particulières d'existence, bien que toutes ensemble
se confondent dans l'unité de la création organique, et, malgré les
corrélations qui les lient, par cela seul qu'elles coexistent et diffè-
rent, elles ont des intérêts en conflit.
Trop enclins à raisonner des choses en nous plaçant, pour les
apprécier, au point de vue de notre égoïsme, nous appelons bonnes
BOURDEAU. — CAll^Ë KT ORIGLNE tll MAL iM
^ espèces susceptibles de servir à ]a satisfaction de nos besoins j et
.^fc^^vaises celles qui nous nuisent, les fauves qui nous menacent, les
^^> tiles dont la piqûre est morlellpjes dépriMaleurs qui nous pil-
l^^rmtj les insectes qui nous liarcèknt, îes plantes vénéneuses ou
|-a:^^M-issées de piquanls, le^^ herbes stériles qui envahissent dos cul-
tija x^^s. les microbes propagateurs de maladies infectieuses,.* Mais la
13 ^^1: ure ne s*est montrée ni favorable à dessein en créant pour notre
^J a.^%r.^Mîtage des espèces utilisables, ni intentiojmelleraent njal veillante
^m er-fc nous opposant des espèces ennemies. Son seul idéal, dans I évo-
l'^Jt.iori du monde organique, semble avoir été de produire, partout
^K c»Ci la v(e était possible, unç grande diversité de types adaptés aux
^H Cï<:>^icljlions des miïieux, sous les lois de la variation spontanée, de
^P l-a. €3oncurrence vitale et de la sélection naturelle. Si elle a témoigné
" d^ c^uelque prédilection pour Thonimc, c'est uniquement lûrsqu'elle
l^ c^^juîiit d'une intelligence capable d'exploiter a son profit les trois
^^^e'iies d êtres vivants.
l^«rdu d*abord dans la foule des espèces animales et vivant sur le
*"*>^t¥ie fonds, l*hûmme a dû lutter contre elles, afin de se défendre de
l^ii fsagressioDs et d'utiliser leurs ressources, car il lui fallait détruire
Poiar subsister et vaincre pour n'être ptis vaincu. AussiliH que sa
''îMson Tiaissante s'éclaira de quelques lueurs d'ingéniosilé, il apprit
^ ^€5 faire des armes et des pièges, en vue de combattre dans des
c^oritjiiions moins inégales les animaux, comme lui sauvages, et la
Ru^rre éclata, terrible, innplacable, entre lui seul d'une part et le
îtif^nde animal de Tau Ire- Celte guerre a rempli Timmense durée de
'^ f>réhisloiret c'est-à dire toute la période quaternaire* Après tant
*^<ï sanglants combats, nous assistons sur les territoires occupés par
'^ c:i vilisalion, au triomplie définiUf. Les espèces les plus redoutables
■^ Çî rai ids fauves ont étf^ refoulées ou exterminées, et partout des
^^pf^ces amies, réduites àlelat domestique^ sont substituées par nos
*<^ins aux espèces hosliles ou faroncbes du premier ûge.
Le même empire que la chasse, la pécbe et Télevage nous ont
^^'^n né sur les animaux, fagricullure s'est plus tardivement appliquée
^ '*établir sur le monde végétaL Là aussi, parmi une multitude d'es-
W?ceâ de peu de ressource, notre avidité a su découvrir une élite
Pï^cieuse et de grand profit. Mais^ pour propager et améliorer les
ï*«*riles utiles, limiter faire occupée par les autres et les empêcher
^i' la reconquérir, il a fallu i*ngager contre la puissance désordonnée
^ végétation qui cou\Tait la terre une lutte sinon aussi dangereuse^
^^ fiioins beaucoup plus pénible que celle qui avait assuré la victoire
*^^ le monde animal, et celte lutte incessante nous impose toujours
^'^iJîrnenses labeurs.
136 KKVLE PHILOSOPHIQUE
Enfin, des exigences de préservation nous obligent maintenant de
combattre et d'assujettir Je monde, si longtemps ignoré, mais dange-
reux et souvent funeste des infiniment petits. Cette création confuse
arme en effet contre nous des légions d'ennemis dont il importe de
neutraliser le pouvoir de nuire, et, par contre, nous offre des auxi-
liaires éventuels dont il est bon d'utiliser les services. La science,
seule en état d'organiser cette nouvelle conquête, nous procurera le
moyen de rendre les premiers inoffensifs et les seconds secourables.
Pasteur aura été l'Hercule de cette classe de monstres, plus difficiles
à vaincre que 1 hydre de Lerne, le lion de Némée ou le sanglier
d'Eurymanthe.
Ainsi, par leur condition naturelle où la prédation s impose, tous
les êtres vivants, en état continuel d'antagonisme et de guerre, sont
condamnés à subir les maux qui en découlent. Sans doute, Patroce
loi du struggle for life^ de l'entremangement universel (aX^r^Xo^xyia,
disaient les Grecs bien avant Darwin , paraît, quand on se met à la
place des mangés, d'une cruelle rigueur, et l'on est alors tenté de
dresser contre la nature sans pitié un acte de véhémente accusation.
Mais, quand la raison s'élève au point de vue de l'ensemble, tout
change et l'on reconnaît alors que, loin de consacrer le triomphe du
mal. la loi de la concurrence vitale amène celui du bien, puisqu'elle
attribue la suprématie aux mieux organisés, aux plus forts et aux
plus intelligents, i]ui, à tous égards, méritent le mieux de vivre. Elle
est donc un principe d'évolution progressive, et, malgré les souf-
frances qu'entraîne son application dans le détail, on doit la déclarer
juste et sage, car on ne voit pas par quelle loi plus douce il aurait
été possible d'obtenir les mêmes effets. L'homme surtout est moins
fondé à son plaindre qu'aucun être vivant, puisqu'il est celui de
tous qui en retire le plus d'avantages.
H. — Vne lutte plus laborieuse encore et non moins pleine de
périls a dii être engagée par l'homme contre le monde des corps
bruts, afin d'en exploiter les richesses qui, nulle part, ne s'offraient
gratuitement à ses convoitises. Quoique, à raison de sa passivité, la
création minonilo n'opposAt que son inertie à des entreprises d'usur-
ixition. un immense etïorl. dont le débile conquérant avait longtemps
été incapable, pouvait seule surmonter la résistance de la nature
inorganique. Pour la contraindre à nous livrer ses trésors et les
adapter à nos besi»ins. d».'mpter des torces rebelles, transformer en
esclaves dociles les cours d'eau, les vents, la vapeur, les explosifs,
réleclricité même, mystérieuse et cachée: pour extraire, épurer et
faijonnerles métaux, rompre la dureté des roches, modeler et durcir
la plasticité des argiles, arracher la houille à ses gisements pro-
BOURDEAU. — - CAUSE ET OBIGINK OU MAL 137
fonds, surmonter à la surface du globe robslacle de la pesanteur,
établir par la navigation le libre parcours des eaux, s'ouvrir même
un chemin invraisemblable dans les airs, il fallait organiser, à force
de travail et de génie, une lutte gigantesque contre la condition
générale des choses et la vaincre en acquérant le pouvoir de la
modifier à notre gré. Si le triomphe remporté par la civilisation est
aussi lucratif que glorieux, il ne doit pas faire oublier ce qu'il a
coûté et coûte encore chaque jour de dangers, de soins et de peines,
c'est-à-dire de maux vaillamment subis.
3. — - Dans ce formidable duel où l'homme, armé de sa seule intel-
ligence, a contre lui la totalité des êtres bruts ou vivants dont se
compose son milieu cosmique, la nature souffre bien d'être vaincue
et dépossédée en détail; mais lorsqu'elle oppose ses forces unies à son
chétif adversaire, elle l'accable par sa souveraine puissance que nous
jugeons alors oppressive et malfaisante. Nombreux sont les fléaux
qui résultent pour nous des fonctionsde la vie du globe en désaccord
avec nos conditions d'existence. Nous reprochons avec amertume à
la nature la violence de ses éléments déchaînés, les orages, tempêtes
et cyclones, cause de tant de désastres, les irrégularités de la météo-
rologie, qui font se succéder des sécheresses prolongées et de brus-
ques inondations, les inégalités des saisons et des climats qui nous
exposent à des froids mortels ou à des ardeurs dévorantes, les érup-
tions des volcans, les tremblements de terre, les pestes et épidémies
qui déciment les populations..., et, plus que tout, la suprême indif-
férence avec laquelle cette maîtresse de nos destinées assiste,
impassible et dédaigneuse, souvent même avec un air insultant de
fête, à nos plus cruelles douleurs. Elle nous paraît alors hostile et
méchante, une marûtre et non plus une mère.
Fondées pour nous, ces récriminations n'atteignent pas la nature.
Dans les calamités dont nous gémissons, il convient de voir non
l'œuvre funeste à dessein d'une puissance qui déploie contre nous
ses fureurs, mais l'activité normale d'un monde qui accomplit ses
fonctions cosmiques, sans s'occuper de nos intérêts qu'il ignore et
dont il nous laisse le soin. Ces accidents, qualifiés par nous de
désordre, font au rebours partie de son ordre, dont les exigences
priment tout, et, puisque nous bénéficions de cet ordre par les con-
ditions propices de vie qu'il nous fait, nous devons en supporter
sans plainte les effets dommageables par inconstance. Il n'y a de
trouble que partiellement et dans le détail. L'harmonie règne dans
Tensemble, puisqu'il évolue avec régularité, offrant aux séries d'êtres
englobés dans son unité un milieu favorable à leur développement.
En outre l'homme a son intelligence pour prévenir ou atténuer les
138 REVUE PHILOSOPHIQUE
effet de ces maux. La civilisation tout entière est une adaptation
réciproque de la vie humaine et de la vie de la nature, en vue d ap-
proprier ses ressources à nos besoins et de neutraliser ses influences
nuisibles Opposons notre savoir, notre prudence et notre activité à
la malfaisance des choses, nous réussirons de mieux en mieux à la
désarmer, à rendre la nature plus clémente et plus douce, à sauve-
garder et à faire prévaloir nos intérêts. Là seulement où nulle ingé-
rence ne peut l'emporter sur elle, il faut nous résigner à Tindéfecti-
bilité de ses lois.
4. — Nous ne croyons pas nécessaire de poursuivre au-delà du
globe terrestre Tétude des conflits entre Tordre des systèmes inler-
cosmiques et les exigences, bien humbles en comparaison, de la vie
humaine. Les sociétés d'astres dont notre planète dépend, nous
dominent de trop haut pour qu'on puisse admettre Tidée de rien
changer aux conditions d'existence (lu'elles nous font, et la soumis-
sion s'impose. Bornons nous à dire quelques mots des rapports
entre les êtres humains et Tétre univers»:!, personnifié diversement
par les religions dans des Dieux, car bien des maux devaient encore
provenir de ces conceptions imaginaires.
Par cela seul, en eflet, qu'au lieu de laisser TUn-Toutdans l'indé-
termination de son infini et de son absolu également inaccessibles,
on se le représentait à la ressemblance de l'homme, doué d'attributs
pareils avec un peu plus de grandeur, et que, au lieu de le faire agir
exclusivement par des lois générales et constantes, on lui prêtait
des révélations arbitraires, des volontés révocables, des inler\en-
tions miraculeuses; toutes les relations entre l'homme et le principe
d'activité qui anime l'univers, se trouvaient faussées. Une longue
suite de méprises et de conséquences funestes devaient forcément
découler de l'illusion anthropomorphique, parce qu'elle mettait en
présence, en opposition et aux prises, deux égoïsmes inconciliables :
d'une part, une divinité puissante qui, après avoir ordonné le
monde pour réaliser de mystérieux desseins, continue de le gou-
verner à coups de décrets particuliers, mais qui, partageant les pas-
sions et les faiblesses de l'homme, est ainsi que lui orgueilleuse,
intéressée, avide d'hommages, jalouse, colère, vindicative, qui se
fait un jeu cruel d'exposer ses créatures à de périlleuses épreuves,
pour les rémunérer s*il y a lieu ou les punir par une éternité de
supplices...; d'autre part, l'homme misérable, besogneux et tour-
menté, qui, ayant conscience de sa faiblesse et de son assujettisse-
ment, s'ingénie à fléchir son puissant dominateur, Timplore par des
prières, le flatte par des hommages, l'honore par des cultes, cherche
à capter sa faveur par des promesses ou des ofl'randes, h se faire
BOURDE AU. — CAUSE ET OBIGTKE PD MAL
139
pardonQcr ses fautes par de feintes expialtons... Ainsi entendue, la
piété n esl qu'une sorte de marchandage, intéres.sé des deux parts,
une iulte de ruses et de trumperies oii Thomnie lâche d exploiter et
d'abuser pàv lous les moyens les maîtres redoutés dont il croit
dépendre.
Si les religions ont pu être nliles comme expression d'un idéal
supérieur, des maux sans nombre devaient résulter des fictions
Ihéologiques. De là proviennent, au lieu d'un sentiment pur, con-
liant et désintéressé de Têtre suprême, la terreur servile inspirée
par des Dieux tyranniqaes et méchants % la propension de leurs
adorateurs k faire le mal à leur exemple, à commettre, en croyant
/es ijonurer ou les servir^ les actes les plus criminels. En outre,
comme les religions, fondées sur des révélations diverses et contra-
^irloires, se démentent Tune l'autre, elles sont en état permanent
cf 'liOÊtililé, d autant plus intolérantes qu'elles se présument plus
^^raies, ce qui déchaîne le fanatisme, les persécutions, les guerres
x-^ii^euses. Elles ne s accordent que pour combattre la science,
s^i^ le capable de corriger leurs erreurs, La somme des mau% impu-
tâLl>Iesaux religions balancerait donc amplement, dans rbij^toire de
^^ c^hilisation, le bien que les moins mauvaises ont pu faire, et le
^'^ M*s de Lucrèce leur sera toujours applicable :
Tan Lu m relligîo potuU suadere malorum,
* , — Une dernière cause de mal, plus diflïcile h supporter
^^^*sàucuoe autre, parce qu'elle contredit toutes nos convoitises de
"^^^^ est rinéluetable nécessité de mourir. La faculté de prévoir
^^^ B ^impossibilité d éviter le terme fatal assigné à notre existence,
^ <*llent le plus fort de nos instincts, le vouloir- vivre avide d'une
^^^^*^e sans 0n et de développements sans mesure* Notre intérêt
"sûunel se trouve ici en conflit avec les nécessités absolues de la
*^ générale, et, conséquemmenl sacrifié par elle,
^A»us avons essayé de montrer ailleurs^ la Ibnction de la mort
^^s Tordre de la nature, comme la condition d'existence de lous
^^ êtres finis, et, pour 1 ensemble, d^un perpétuel devenir. Dans un
***ciBi1e où rien ne devrait périr, rien ne pourrait naître, évoluer et
^^^^gresser, La mort, grande rénovatrice, libère Téternelle substance
^ ses apprupriations passagères et ToiTre, toujours disponible, aux
^^*-i>orations successi ves de la vie. C'est elle encore qui, dans cette
**^ile de genèses^ introduit un principe de perfectionnement par
J-^ FrimUê in orbe dù« fecit iimor (Pélronef Sai.^ticonj ÎM).
140 REVUE PHILOSOPHIQUE
l'élimination des êtres vieillis, des types inachevés et inférieurs,
que la vie remplace à mesure en leur substiiuant des êtres jeunes
et forts, des types améliorés et supérieurs. Le renouvellement, la
transformation des êtres et de leurs séries, leur apparition et leur
disparition dans le temps, sont la loi fondamentale de l'universelle
vie et de son incessante activité.
Il faut donc que ce moi, qui nous est si cher, périsse une fois son
terme venu et fasse retour au tout; il faut que les générations
humaines soient supprimées Tune après l'autre et cèdent la place à
des générations nouvelles, où se produiront les effets que l'héré-
dité comporte; il faut que les peuples et les races, acteurs du drame
historique, occupent tour à tour la scène pour y jouer leur rôle et
s'en aillent bientôt après; et de môme, il faut que les espèces
vivantes, les mondes, les systèmes de mondes disparaissent l'un
après l'autre et cessent d'être par impuissance de durer toujours. Il
faut que tout s'écoule et passe, s'achemine vers un terme, y arrive
et tombe dans l'abîme de l'éternité, car, sans cette loi de mortalité
générale, la vie, qui est une rénovation continue, perdrait sa fécon-
dité créatrice et se confondrait avec le néant.
Ainsi tout ce qui vient à l'existence dans la durée, tout ce qui est
conditionné, relatif et contingent, c'est-à-dire la totahté des êtres
finis, est condamné à finir comme ne représentant qu'un aspect
borné, forcément transitoire, de l'éternelle réalité. Seuls la substance
primordiale et l'Un-Tout, absolus par essence et infinis, sont
exempts de la loi de mortalité; mais ils ne peuvent communiquer
qu'à titre précaire, aux êtres périssables inclus dans leur unité, une
part viagère de leur inaliénable indestructibilité. Ce qui entre dans
le temps par la naissance doit en sortir par la mort. L'éternité d'un
être fini serait une contradiction logique et, pour lui-même le plus
funeste des dons, car la vie, prolongée sans terme dans une condi-
tion bornée, deviendrait à la longue un intolérable supplice. Nos
rêves d'immortalité, qui nous font désirer Timpossible, sont une
grande illusion et un absolu non-sens. Lorsque tout a sa fin, depuis
l'atome juscju'aux astres, n'est-il pas déraisonnable pour l'homme de
prétendre à une éternelle durée?
Sans doute, il ressent plus cruellement qu'aucun être l'angoisse
et l'épouvante de la mort; mais la même raison qui le dispose à la
craindre parce que seule elle est capable de la prévoir, peut aussi,
mieux éclairée, l'incliner à la résignation en lui montrant la néces-
sité, l'opportunité d'une fin. Nous devons accepter et subir la mort,
non comme un mal ou une peine, ouvrant des perspectives incon-
nues et redoutables, mais comme la dernière fonction de la vie.
BOURDEAU. — CAL'SE ET ORIGINE DU MAL 141
iltement d'une dette et le suprême devoir. C'est Taccomplisse-
i'une loi commune à tous les êtres, utile pour leur ensemble
Jtaire à nous-même. Puisque nos prédécesseurs sont morts
îous faire place, nous aussi devons mourir pour faire place à
jccesseurs. Nous ne sommes pas fondés à nous plaindre de
'achever notre vie, puisqu'il nous a été donné d'en goûter les
lans la mesure de notre sagesse et de notre activité. La nature
)te d'ailleurs le goût de vivre par les infirmités croissantes de
liesse et nous amène à considérer la mort comme une déli-
e et un bienfait.
Louis BoURDEAU.
RELIGION ET FOLIE
Les rapports de la religion et de la tblie n'ont, jusque maintenant^
été étudiés par les aliénisles que d*UDe f^içon insu irisante el» en ij
quelque sorte, réservée et timide. Sans vouloir en rechercher les j
raisons, ne pourrait-on s'expliquer la chose dans une certaine
mesure, si Ton se rappelle ce conseil donné par Victor Cousin :
€ Vous rencontrereE assurément sur votre route un personnage très
considérable ; c'est le chnsliantsme; ùle^i-lui respectueusement
votre c Impeau, et n'essayez pas d*efitrer en lutte avec lui. Il en a
encore pour deux cents ans dans le ventre i.
Deux cents ans, cela nous a paru un peu long à attendre pour
aborder Tétude d'une question intêressaule et que nous croyons
nouvelle, mais que nous avons draille urs T intention de traiter avec
tout le rt;spect désirable et sans aucun esprit de lutle et de parti.
Nous avons qualilié la question de nouvelle ; ce n'est pas à dire
touietois que Jamais on n'ait abordé 1 étude des rapports de la religion
et de la iblie : nombreux, en elTet, sont les travaux des aliénistes
sur ce sujet, et l'en mnéral ion serait déjà longue des ouvrages qui
traiti^nt de la folie religieuse, de la fulie myj^lique^ des épidémies de
démonopathie, etc, ^ — Dans railicle Délïrk du Diciionnaite en€g~
dopêdlque des sciences médicates^ MM. Bail et Rîtti, classant les
conceptions délirantes des aliénés, en distinguent Imit catégories, et
dans leur énuinération quelque peu bétérogène, les idées reli-
gieuses occupent le cinquième rang, entre les idées hypochondria-
ques et les idées erotiques- Tous les jours encore, les revues et
journaux spéciaux de médecine raeiilale relatent des observations
de délire religieux, avec ou sans balluciuationSj et \i n'est pas de
traité consacré yux maladies de Tesprit qui ne contienne datis son
chapitre * éliologie » un article sur la religion considérée connme
^••""^ de folie. Tout cela nou:^ prouve qu'au poiiit de vue clinique et
tout au moins, la question a été étudiée, et on peut même
►Ue est résolue autant qu*elle peut Tètre dans Tétat actuel
^ atilre» : L, l'. Calnieil, De la folie vonsidérée au imint dt uue paiho-
♦jjAty«<*, fniiorique et judiciaù^.
SANTENOISE. — UELICION ET l'OLIE 143
de nos connaissances. Aussi noire but n*esl-il pas de revoir la
question au point de vue médical pur, ne voulant pas refaire ce qui
est lait et bien fait. Notre ambition serait la suivante : il nous
semble que, jusque maintenant, personne, soit parmi les aliénistes
de profession, soit parmi les psychologues purs, n'a encore envisagé
la religion et la folie dans leurs rapports psychologiques intimes.
D'abord aucun psychologue ', du moins à notre connaissance, ne s*est
spécialement occupé de ce sujet; quant aux médecins, ils se sont
bornés/ comme nous Tavons dit, à signaler, en passant, l'influence
de la religion sur l'éclosion de certains délires et à décrire les idées
délirantes mystiques de certains aliénés, mais ils n'ont pas su ou
n'ont pas voulu faire l'analyse psychologique approfondie et systé-
matique des liens étroits qui rattachent la religion, ou mieux les
religions, à certains états dûine qu'on qualifie de folie. — D'abord
ils n^avaient pas à le faire, et puis, il faut bien le dire, et nous répé-
tons ici ce que nous disions en commençant, la question est, encore
de nos jours, des plus délicates, et il était plus prudent, peut-être,
de s'abstenir de l'envisager par son côté véritable et essentiel. C'est
ainsi que, pour préciser davantage, dans leurs descriptions de folie
religieuse, les auteurs font implicitement cette pétition de principe :
^iy aune folie religieuse, c'est vrai, mais cette folie religieuse, ou,
Par inversion de termes, cette religion folle ou morbide doit être
Astinguée de la vraie religion, qui, elle, est normale et raisonnable,
^r cette pétiiion de principe, nous nous proposons de démontrer
qu'elle est illégitime, et cela justement en essayant de faire cette
analyse psychologique à laquelle nous avons faitallusion. Autrement
^^U BOUS voulons prouver que, entre la religion considérée comme
Dorimale et la folie religieuse, il n'y a pas de différence de nature,
"^*^s3ulement une différence de degré. Aussi bien cette distinction
"® io. folie religieuse et de la religion normale est-elle non seulement
^'"ï^ parable, mais encore complètement idenlique à la distinction
^^^ toDt les médecins entre la physiologie normale et la physiologie
P^^thologique, distinction qui, au point de vue scientifique, n'a
aucivine raison d'être : la science, en effet, ignore la différence du
^Oï'rnal et du pathologique. « L'organisme, dit Roger, dans un
^^nr^arquable article du Tmilé de patliologie générale de Bouchard,
^^ Uispose pas de deux sortes de modalités réactionnelles, de&tinées
les \ingg j^yjj èiaiis physiologiques, les autres aux états morbides. La
*• A Texception toutefois de M. llibot, à qui rien de ce qui touche à la psy-
cbologie n'est resté étranger, et qui a nettement indiqué le problème à la lin du
chapitre sy|. le Sentiment relit/ieux, dans son ouvrage : La psychologie des sen-
*i''»en/*.
144 REVLE PHILOSOPHIQUE
physiologie est une et la physiologie pathologique ne doit être
considérée que comme un corollaire de la physiologie normale. » —
De même ne peut-on pas dire qu'il n'y a pas de différence essentielle
entre la religion dite normale et la religion prétendue patholo-
gique? La seconde n'est-elle pas simplement une exagération,
parfois même, nous le verrons, une perfection de la première, et n'y
a-t-il pas entre les deux une gradation insensible, et non pas un saut
brusque, comme on semble généralement l'admettre? C'est ce que
nous allons examiner; aussi bien pensons-nous qu'il y a là un malen-
tendu à dissiper: nous en faisons une question de conscience logique.
Avant de commencer notre démonstration, nous prenons la pré-
caution de prévenir encore le lecteur que, dans tout ce que nous
allons dire, nous ne nous inspirerons d'aucun esprit de parti, nous
ne serons animé d'aucune hostilité contre aucune opinion quelle
qu'elle soit, notre seule préoccupation étant de nous rendre compte
aussi exactement que possible des conditions de production de
certains phénomènes psychiques, au môme titre que le physicien
ou le naturaliste étudiant sans parti pris un objet ou un phénomène
quelconque. Donc nous allons exprimer nos idées, et nous croyons
pouvoir y réussir, sans haine et sans crainte, et nous espérons
ne froisser les susceptibilités d'aucun lecteur de bonne foi. Aussi
bien, dirons-nous en transposant une phrase de Taine sur la Révolu-
tion, cet article n'est écrit que pour les amateurs de pathologie
morale, pour les naturalistes de Tesprit, pour les chercheurs de
vérité, pour eux seulement, et non pour le public qui sur la
religion a son parti pris, son opinion faite.
Notre but, disions-nous, est d'étudier les rapports de la religion et
de la folie. A cet effet, il serait indiqué d'abord de définir ces deux
termes, religion et folie. Mais ces deux mots expriment des choses
tellement complexes que nous n'osons entreprendre cette opération.
Contentons-nous de dire que, dans le travail qui va suivre, nous
allons rechercher si quelques-uns des nombreux éléments qui cons-
tituent ce qu'on appelle la religion, ne pourraient pas être placés,
en suivant les règles d'une logique rigoureuse, dans le cadre noso-
logique de la patholuj4:ie mentale; en (Pautres termes, nous avons à
voir si plusieurs des phénomènes psychiques que Ton rencontre
dans la religion normale ne seraient pas des phénomènes psychiques
morbides identiques à quelques-uns de ceux que l'on rencontre
dans les maladies mentales: et, pour le dire tout de suite, il s'agit
ici uniquement des conceptions délirantes, avec les hallucinations
qu'elles peuvent provoquer, ainsi que certains actes anormaux qui
en sont la conséquence.
SANTENOISE. — RELIGION ET POLIE
145
L'élément primordial, Je phénonièoe psychique fondamental de
toute religion, c'est la croyance^ et c'est sur celle-ci que va porter
notre examen. Pour nous mettre immédiatement à l*ajse, nous
alloris nous placer, et cela est bien permis, dans Thypothèse d un
philosophe absolument dégagé de toute croyance religieuse posi-
tive, les croyances métaphysiques mises à part; pour lui, Tensemble
des croyances d'une religion positive quelconque conslilue une
• erreur ou p!ut<')t un faisceau d'erreurs reliées entre elles d'une
ffaçon plus ou muins systématique. Laissons maintenant ce point de
vue de côté {nous le reprendrons en temps et lieu), et reporlons-
nous à la définilion, malheureusement trop vague, que donnent
généralement les aliénistes, de la conception déïirante. La plus
simple est la suivante : « Les conceptions délirantes sont des idées
fausses n, (CuUerre) ', Or qui dll idée fausse dit erreur; « Terreur,
en eftel, est Topposé de la vérité », disent les logiciens (Babier) ^.
Mais il y a erreur et erreur, et il est bien certain que la conception
délirante n est pas une erreur comme une autre, mais qu'elle est
d'un genre bien spécial; ou mieux nous dirons, pour parler le
langage de Técole, que l'erreur est un genre dont la conception
délirante est une espèce, H nous faut maintenant, suivant les règles
d'une bonne définition, chercher le ou les caraclères qui dilférencient
cette espèce, conception délirante, du genre erreur dont elle fait
partie. Or nous avons vainement demandé une réponse à cette
question aux livrê-^ des logiciens, et il est vraiment regrettable
qu'aucun d'eux n'ait cherché à préciser les relations qui unissent
Terreur et le délire. Quoi qu'il en soit, nous croyons avoir trouvé
une solution salislaisante : nous la donnons pour ce qu'elle vaut.
LLes erreurs, nous semble-t-il, peuvent être classées, au point de vue
qui nous occupe, en deux catégories : 1" les erreurs purement
intellectuelles (en général les erreurs métaphysiques et scientinques,
par exemple I, c esi-à-dire ne touchant en rien ii la sphère atfective;
2^ les erreurs qui sont à la lois intellectuelles et affectives, c'est-à-
dire qui éveillent dans Tàme des sentiments quelconques, et que
nous appellerons pour plus de simplicité erreurs affectities. De ce
nombre seraient les conceptions délirantes; nous pensons mérne.
jusqu'à preuve du contraire, que toutes les erreurs de ce genre
sont des conceptions délirantes, et que ces deux termes» conception
délirante et erreur affective, sont absolument roexlensifs. Nous
formulerons notre idée par cette proposition universelle aflirmative :
1. Traiié des malndieM mfiUatet,
TOME L. — 1900.
!0
146 REVUE PHILOSOPHIQUE
Toutes les conceptions délirantes sont toutes les erreurs afTectives,
proposition qui peut évidemment être convertie en la suivante :
toutes les erreurs afTectives sont tontes les conceptions délirantes.
Quelques exemples feront mieux comprendre notre pensée : La
CMe-d*Or a pour chef-lieu Dijon; la Côte-d'Or a pour chef-lieu
Auxerre : voilà une vérité et une erreur qui peuvent m'étre, l'une et
Tautre, absolument indiiTérentes, si je n*ai rien à faire avec ce
département, ni avec ces villes. — Un mari est jaloux de sa femme
qui le trompe; un mari est jaloux de sa femme qui, cependant, ne
le trompe pas : le premier cas est celui d'une vérité affective, le
deuxième celui d'une erreur affective, et cette dernière est bel et
bien une conception délirante.
Cela posé, on conçoit que les conceptions délirantes ou erreurs
affectives peuvent être classées de deux façons, suivant qu'on se
place au point de vue intellectuel ou au point de vue sentimental.
Au point de vue intellectuel, nous aurons les classifications des logi-
ciens, qui divisent Terreur, suivant sa matière, en erreurs de
termes ou en erreurs de rapports, et, suivant sa nature, en erreurs
par défaut, par excès où par substitution (voir Rabier); ces deux
classifications se pénétrant d'ailleurs réciproquement. Nous n'y
insistons pas *. — Quant à la classification que nous qualifierons de
sentimentale^ nous n'en trouvons pas trace dans les traités de
logique, ni môme de psychologie; mais par la force des choses, les
aliénistes ont été amenés à la tenter : toutefois ils l'ont fait sans
avoir une conscience bien nette du but psychologique qu'ils avaient
à atteindre : c'est ce qui nous explique que leurs classifications
soient si peu rigoureures, si peu homogènes, et en somme, si peu
méthodiques. Voyons cependant la meilleure de celles qu'ils nous
ont données.
C'est ici le lieu de rappeler la classification mentionnée plus haut
et qui est classique, d'après laquelle MM. Bail et Ritti (art. Délire
du Dict. encyclop. des se, mëd.) admettent que toutes les concep-
tions délirantes susceptibles d'être observées chez les aliénés^
peuvent être groupées dans les huit catégories suivantes :
1" Idées de satisfaction, de grandeur, de richesse;
2" Idées d'humilité, de désespoir, de ruine;
3' Idées de persécution;
4'' Idées hypochondriaques ;
5** Idées religieuses;
\. Celle opéralion logique appliquée à la religion en conslilue ce qu'on appelle
la crilique doginalique ; nous n'avons pas à nous en occuper ici.
SÂNTEVrOtSE, — BELIGtOTt ET FOLIE
U1
^5-' Idées erotiques;
^y* Idées de transformation corporelle, se rapportant soit à l*aliéné
1 m^M. m — même, soit à son entourage;
^5** Idées délirantes avec conscience (folie avec conscience, ago-
ir-^»-f>liobie, topophobie, claustropiiobie, folie du doute avec délire du
t-^i^um^^her, etc.).
I>îous éliminons immédiatement de notre discussion les idées déli-
r^^^^MTEtes de celle dernière catégorie, lesquelles ne peuvent rentrer
dt^^rms notre définition : en effet, elles ne constituent pas des erreurs
p^^K^€:>prement dites, puisqu elïes s'accompagnent de conscience. Nous
rm<=>iJi.â en tiendrons donc aux sept premières catégories. Or les
si.%-mt.6urs précités font observer avec raison que ces catégories sont
loirk d*étre aussi limitées quelles le paraissent, et que dans la réa-
Im M.& elles empiètent souvent les unes sur les autres. Une conception
délirante, disent-ils, peut, par exemple, suivant le cas, être rangée
^ la. fois dans les idées religieuses et les idées de grandeur, etc.
■ Cl^stte dernière remarque est très juste, mais elle manque de préci*
sion ; nous allons l'approfondir davantage» ce qui va nous ramènera
l'^iJitijet de notre étude. Pour cela, revenons à notre hypothèse du
E>tiïloâophe incrédule, pour qui la plupart des croyances religieuses
aoot des erreurs, et voyons si quelques-unes de ces erreurs peu-
v-eot être rangées dans le groupe des erreurs affectives, autrement
«iit des conceptions délirantes. Qu'on ne s*eiïarouche pas de ce rap-
pi"Oohement ; nous faisons une simple étude psychologique, et nous
eroyuns bon de le répéter encore, nous ne poursuivons qu'un but
pu ruinent scientifique*
Il e^t incontestable, a priori^ que les croyances religieuses tou-
rnent à la sphère alTective : par suite, si quelques unes d'entre elles
^nt des erreurs, elles ne peuvent être que des erreurs afTectives,
^ ^st*à.dire des conceptions délirantes.
^^tle démonstration nous parait absolument rigoureuse, mais elle
^ ^a défaut d'être un peu concise. Nous allons la développer en
^^herchant précisément si quelques idées religieuses ne pourraient
■*^^ être assimilées à quelques-unes des conceptions délirantes, énu-
»*i^r^g précédemment. Si nous éliminons, pour la raison indiquée
P'Us haut, la dernière catégorie de la série, ainsi que la cinquième,
^^t comprend les idées religieuses proprement dites et qui ferait
^^"*Uble emploi dans notre discussion, il nous reste : 1" les idées de
^^*Bfaction et de grandeur; "2" les idées d'humilité et de désespoir;
*** tes idées de persécution; 4^ les idées hypochondriaques; 5" les idées
^^^iques et B" les idées de transforma Lion corporelle. Nous allons
encore retrancher ces trois dernières catégories d'idées délirantes :
148
REVUB PBttOSOPHIQUE
lei idées hypochondnaques et les idées de transformation corporelle,
parce qu'elles ne nous semblent avoir aucun rapport direct avec la
religion, et les idées erotiques, parce qu'elles ne doivent pas se
rencontrer dans une religion dite normale; nous ne voulons pas, en
elTet, examiner si on ne retrouverait pas parfois des idées délirantes
éroliques dans les extases mystiques d'hommes religieux adorant la
Vierge, ou de femmes religieuses adorant le Christ; de même qu'il
est bien certain que rérolisme est un élément important du cortège
symptomatique de la démonopalhîe (voir les incubes et les suc^
cubes)- Mais ces faits sont considérés généralement comme des
aberrations du sentiment religieux ; aussi les passerons-nous sous
silence, puisque aussi bien nous n avons en vue que les idées reli-
gieuses dites normales ou orthodoxes.
Une remarque encore avant d entrer dans le cœur même du
sujet : par idées religieuses, nous entendrons surtout les idées reli-
gieuses chrétiennes, et particulièrement les idées religieuses catho-
liques, et cela parce que, à nos yeux, le catholicisme constitue le type
de religion le plus riche et le plus complet, {nous ne voulons pas
dire le plus parfait,) et aussi parce que c'est celui qui, sans conteste,
nous iiitéresse le plus directement-
Nous avons donc à rechercher si quelques-unes des idées reli-
gieuses, en particulier des idées religieuses catholiques, ne consti-
tueraient pas des erreurs afrectives, c'est-à-dire des conceptions
délirantes, rentrant dans les trois groupes des idées de grandeur,!
des idées d'humilité et de désespoir, ou des idées de persécution. |
Pour simplifier le problème, nous altons encore réduire ces trois
groupes de conceptions délirantes a deux :
V Les idées qui exaltent la personnalité, idées de grandeur;
2" Les idées qui dépriment la personnalité, la cause de cette
dépression étant attribuée, soitâ la personnalité elle-même, comme
dans les idées d*hu milité et d'indignité, soit à des éléments étrangers'
à cette personnalité, comme dans les idées de persécution.
Avant d'aller plus loin, il nous semble utile d'ajouter à cette séria
une catégorie nouvelle, qui ne ligure pas dans la classiOcation da
MM. Biill et Ritti, pas plus que dans aucune autre d'ailleurs, la caté-^
Hé des idées délirantes que nous appellerons idées de protection
>p position aux idées de persécution. Cette catégorie nouvelle,^
Tin Iro d u i !?o n s sa ns doute po u r les besoi ns de 1 a cause ; ma is-
verrons qu*elle est parfaitement justifiée. Aussi bien, si nous!
rouvons pas indiquée formellement par les auteurs précités,
u*ils devaient la confondre dans le groupe générique des idé€
uses de leur classification. Ces idées de protection se placent
SAKTENOISE. — tlELIGION ET FÛUE
149
naturel lement à côté des idée^ de grandeur, dans le groupe des
idées qui exaltent la personnalitô. Les quatre catégories cjye nous
venons ainsi de l'ormer peuvent se disposer de la fagon symétrique
suivante :
ntisofnïALriK exaltée
Wées de grandeur,
liti'en de proteçtton.
sMpposiiEit à
â^ôp posant à
1*ERS0?fN ALITÉ DÊPHIHÉE
[déea d'IiumilLLé.
Idéas de perâécuUon.
■ Cela posé, nous allons examiner successivement les idées reli-
B gieuses de grandeur, de protection, d*humilité et de persécution.
H Voyons d'abord les idées religieuses de grandeur ; ces idées fré-
" quentas aux époques de fondation et de premier développement des
religions {élns, envoyés de Dieu, prophètes et fils de Dieu), sont assez
rares à notre époque où les religions sont officiellement organisées et
régulièrement hiérarchisées. Toutefois, comment un psychologue
indépendant devra*l-il qualifier ce passage de la Manrèze du prêtre,
cité par Taine \ lequel fait en quelque sorte partie du pain quotidien
spirituel du prêtre de nos jours, et oii l*on exalte si haut sa dignité :
[ c Qu'est-ce que le prêtre? — G'e.^t, entre Dieu qui est dans le ciel et
B l'homme qui le cherche sur la terre, un être, Dieu et homme^ qui les
^ rapproche en les résumant.,- Je ne vous flatte pas par de pieuses
hyperboles, en vous appelant des dieux ; — ceci n'est pas un men-
songe de rhétorique... Vous êtes créateurs comme Marie dans sa
coopération à l incarnat ion.., Vous êtes créateurs comme Dieu dans
Téternité. Notre créatiou à nous, notre création quotidienne n*est
rien moins que le Verbe fait chair lui-même.,. Dieu peut susciter
d'autres univers, il ne peut faire qu'il y ait sous le soleil une action
plus grande que votre sacrifice; car, en ce moment, il remet entre
Tos mains tout ce qu'il a et tout ce qu*il est,.. Je ne suis pas un
peu au-dessous [des chérubins et des séraphins dans le gouverne-
ment du monde j je suis bien au-dessus ; car ils ne sont que les ser-
viteurs de Dieu, et nous sommes ses coadjuteurs.-. Les anges, qui
voient la quantité de richesses passant chaque jour par nos mains,
eont effrayés de notre prérogative..* Je remplis trois fonctions
sublimes par*rapport au Dieu de nos autels : je le fais descendre, je
l'administre, je veille à sa garde,.. Jésus habite sous votre clé; ses
heures d'audiences sont ouvertes et closes par vous; il ne se remue
pas sans votre permission, il ne bénit pas sans votre concours, il ne
donne que par vos mains, et sa dépendance lui est si chère que,
1p Taine, le Régime moderne : tÉgtùe.
150 REVUE raiLOSOPOIQUE
depuis dix-huit cents ans» îl n'a pas échappé un seul iDstanl
pour se perdre dans la gloire de son Père, jt |
Quel doit être, nous le demandons, Tétat d'âme d'un prêtre bieHî
pénétré et bien convaincu de ces idées, qui font de lui un être d^uDej
espèce et d'une essence à part, infiniment supérieur au vul^ire, et|
qui lui composent, selon rénergirpe expression de Taine, un cordial'
des plus puisâantSj un breuvage, une liqueur forte^ d'une saveupj
excessive et d*une crudité si âpre qu'une bouche ordinaire en seraitj
brûlée? j
Mais si Ton peut trouver dans la reltg^ion ch rélien ne quelques
idées de grandeur, pour les appeler par leur nom, il faut bien dire]
aussi qu'elles sont plutôt une rareté et une exception. Ces idées dej
grandeur sont Fapanage, pourrait-on dire, des ministres de la reli-|
gion auxquels elles sont exclusivement réservées; quant aux simples
fidèles, ils ne peuvent disposer que des idées de protection,'
Celles-ci consistent dans la croyance à rintervention particulière et
bienfaisante de certains êtres invisibles et surnaturels (Dieu, Vierge,
anges gardiens, saints patrons] ^ qui octroient ou font octroyer à!
l'homme, soit des biens spirituels comme la grâce, soit aussi des
biens matériels tels que que la santé, la fortune, la réussite dans|
les entreprises, etc. La donation de ces biens se fait même en dépiti
et à rencontre des lois naturelles les mieux constatées, en vertu del
cette opération providentielle qui s'appelle le miracle [guérîson de!
maladies incurables, production du beau lemps ou de la pluie selon
les besoins de la récolte, etc.). — Pour obtenir ces résultats feivora-,
bles, tant physiques que psychiques, le croyant doit se placer dans|
une situation mentale toute spéciale et qui n'est atitre que la priêre,\
Or, si celle-ci est purement verbale dans la plupart des cas, il en est
d'autres, et ces derniers sont l'idéal, où elle envahit Tétre psychiquff
tout entier et produit en lui une transformation complète : nou$
n'en voulons pour preuve que Texemple bien connu de a Tamu-?!
lette ^ de Pascal, dont nous citerons seulement les passages sui-I
vants : j
« Depuis environ dix heures et demie du soir jusques envîroaj
minuit et demi. Feu. Dieu d'Abraham, Dieu d*Isaac, Dieu de Jaeob^
non des philosophes et des sa%^dnts. Certitude. Certitude. Senti-^
»ent. Joie, Paix. Dieu de Jésus-Christ... Oubli du monde et di
tt, hormis Dieu*. Grandeur de TAme humaine..* Joie, joie, jolej
rs de joie. Je m'en suis séparé... Mon Dieu, me quîlterez-vousl
e n'eu sois pas séparé éternellement..* Renonciation totale e^
... Éternellement en joie pour un jour d'exercice sur
I. — Nous n'oserons pas dire, aussi irrévérencieusement c
^
^
SANTEHOISE. — RELIGION RT KUUE
IM
I
le D' Regnard * que cet écril, danssacoritexlîire bizarre, ressemble,
de lous poîDls, h ceux que les aliénés, dans les ïisîles, remellent •
journellement aux personnes qui les visitent» mais pouvons-nous ne
pas considérer comme morbide Télnt de piété mystique si ardem-
ment exprimée dans cette pièce fameuse? Ce fait L'clatant, comme
dirait Bacon {instantia ostcnsiva}^ nous dispensera d'en citer d*au-
Ires, qui u*en pourraient être que de pâles copies. Rappelons néan-
moins, pour mémoire» parce qu'il est d'un intérêt actuel» le cas de
ces nombreux niiilades que « la foi guérit »(Charcot), et qui ne con-
stitue pas le phénomène social le moins étrange de notre époque
(pèlerinages de Lourdes).
Nous venons de voir les idées religieuses qui exaltent la person-
nalité; passons maintenant h celles qui la dépriment, et ces dernières
ne sont pas les moins importantes. Nous avons dit que les idées
religieuses de grandeur étaient plutôt une rareté dans le christia-
ntsnie. Cette religion, en elfet, déprime plutôt qu'elle n'exalte la
personnalité de ses adeptes. Si elle inspire à ses ministres une haute
idée de leur rôle social et même universel, elle détourne la masse
des simples fidèles de rorgneU^ qu'elle considère comme le premier
des péchés capitaux, et elle leur prêche f7naniiittî comme la vertu
fondamentale. Cette humilité n'aurait rien que de très légitime, si
etîe n'était que le résultat et Texpression de la conscience exacte de
la place de Thomme dans Tunivers; mais J*humilité religieuse est
pleine d'anxiété et de désespoir. Pour le chrétien digne de ce nom,
en elTet, la vie, qui est une « vallée de larmes et de misère 9^ ne
doit être qu'une constante préparation à la mort, et la mort, selon le
loot de Pascal t la mort qui nous menace à chaque instant, doit infail-
lible ment nous mettre dans peu d*années dans l'horrible risque
d*étre éternel lemt^nt malheureux* — « 11 n*y a rien de plus réel que
cela, ni de plus terrible '-♦, En sortant de ce monde^ Thomme peut
tomber pour jamais dans les mains d'un Dieu irrité..* Rien n'estai
redoutable à Thomme que Téteinité... Entre nous et Tenfer ou le
ciel, il n'y a que la vie entre deux, qui est la chose du monde la plus
fragile.,. Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est
donné, n'aytmt plus qu'une heure pour 1 apprendre, cet heure suffi-
sant, s'il sait qu'il est donné, pour le l'aire révoquer, il est contre la
nature qu'il emploie cette heure- là non à s'informer si larrêt est
i, G^nie ei folie i réfuiatùm ifu/i paradare. ^ Crîlique bien françaiie, c'eal-i-
dîrt^ mi^thrKltf|ue et i»|)îrjLiiene à Li foH^ de l'ouvrage amu^ant^ mati diffus el
san^ vênUble valeur scicntilique;, de Loinbroso r Lliomme de génie.
2. Extrail dm Ptn^éfs.
donné, mais à jouer au piquet ï, — Qu'un homme d'une nature
intelligente el sensible, comme l était Pascal, soit bien pénétré de
celle pensée, n*y a-t-il pas lieu de craindre que celle-ci dégénère en
idée fixe, en obsession? Et cette idée fixe sera ici* comme le fait
remarquer RegnardV, beaucoup moins que Taspiration au bonheur
du Paradis, la crainte de Tenter, de rhorrible enfer judéo-chrétien.
Où les rebelles et les incrédules resteront h Pétat de • cadavres »
sensibles, que les vers mangent et que le feu dévore. « Et leur ver
ne mourra point, et leur feu ne sera point éteint», dit rÉcriture,
Et pour éviter cette éventualité terrible, que faut-il au chrétien?
Mourir en état de grave; mais cet étal de grâce, est-on jamais
cerlain de le posséder? Est-on bien sûr de n*avoir plus aucun péché
mortel non pardonné? Qu'en sera-t-il si Ton admet, comme dans
certaines doctrines [protestante et janséniste), que tout homme
est dés Porigine prédestiné au salut ou à la damnation t — Quoi
d'étonnant à ce que ces préoccupatious inquiètes aboutissent^ chez
un individu prédisposé, à cette forme de vésanie qu*on a décrite
sous le nom de mélancolie religieuse, avec ses scrupules, ses
remorde, ses angoisses, ses idées d'humilité, d'indignité, de culpa-
bilité et de damnation?
invoquons ici le témoignage du seul aliéoiste qui ait parlé de
ces choses d'une façon un peu précise (Maudsley : Patholagie de
Ve^prii}. <c Au chrétien, dit-il, la mort est présentée avec toutes les
horreurs imaginables, comme la conséquence et la punition du
péché, la grande terreur, le dernier ennemi, l'occasion pour les
démons joyeux de saisir leur proie, rentrée possible à des toar-
ments inexprimables pendant toute leternité. Il me semble qu'il est
impossible de concevoir les heures infinies de tourment» l'intradui-
sible agonie de l'esprit que cette doctrine doit avoir produites
depuis qu'elle s'est propagée pour la première fois. Que de réflexion^
amères, quelle angoisse aiguë du remords, quelles craintes agoni— ^
santés, quels examens de conscience torturants, quelles terreur^^J
effrayantes a produites dans des consciences anxieuses et délicate
une doctrine qui, dépassant beaucoup en barbarie tout ce que Is
superstition la plus grossière des sauvages a jamais pu concevoir^
est encore enseignée du haut de milliers de chaires dans tout pays
civilisé, bien qu'il n'y ait pas une personne d'un entendemen'^
ouvert, qui^ analysant rigoureusement ses pensées et exaraioanl
sérieusement ce que cette doctrine signifie, puisse dire au fond de
son cœur qu'elle y croit, i Aussi n'y a-t-il pas lieu d*étre surpris
i. LocQ diatô.
SANTENOISE. — HEUGION ET FOUIE
im
< s*il arrive de temps en temps qu'un individu d*un tempérament
anxieux et à pressentimenls, abîmé dans la contemplation de ses
péchés, tombe dans une sorte d'horreur spasmodique de Téventua-
lité terrible de la damnation éternelle, devienne atteint de folie
mélancolique, croyant que ses péchés sont au-dessus du pardon et
qu'il est éteniellement perdu. »
Ce n'est pas tout. Pour le chrétien, nous l'avons vu, le but unique
et exclusif de la vie est d assurer son salut ; mais, pour y arriver, il
a à lutter contre une foule d'obstacles pro%^oqués non seulement
par le monde extérieur, mais aussi et surtout venant d'enneniis
invisible.^. Ces ennemis, ou mieux cet ennemi invisible, c'est le
démon, que T Écriture représente comme un lion rugissant sans
cesse en quête d'une proie à dévorer : quœrens quem devoret. Cet
ennemi est un persécuteur acharné, cherchant à perdre Tàme par
toutes sortes de tentations, de suggestions, dirait-on maintenant.
Quelquefois même il n'attend pas le moment de la mort pour saisir
Vfkme du damné, mais il en prend déjà possession pendant la vie. Aussi
la préoccupation constante du chrétien doit -elle être de se défendre
contre « les embûches » du démon, et c'est chose fort difficile,
assurent les théologiens. Que cette crainte et cette défiance de
Satan dominent un esprit suffisamment impressionnyible, il s'en-
syi\Tîi un véritable délire de persécution, nettement caractérisé, et
à lorme démoniaque.
Jusque maintenant, nous n'avons examiné comme phénomènes
psychiques morbides dénature religieuse que les troubles intellec-
tuels pr'oprements dits, à savoir les conceptions délirantes; mais
celles-ci ne restent pas toujours à fétat d'isolement, et s*accompa-
^gnmi parfois de nouveaux troubles, d'ordre sensoriel ceux-ci, les
Jïâliu ci nations. Sans vouloir prendre parti dans le débat toujours
ouvert sur la palhogénie de l'hallucination, nous admettrons ici que
I^^B hallucinations religieuses peuvent être provoquées par les con-
*^®ptions délirantes de même nature. Ces haîtucinations seront agréa-
«Je» 0y pénibles suivant qu'elles seront provoquées par des idées
>ôxaJtant ou déprimant la personnalité,
*^ ans le premier cas, nous trouvons des hallucinations visuelles,
*'^^iti\^esj psycho-motrices, tactiles et de la sensibilité générale,
_^ «ïtit toutes pour objet des personnages divins ; c'est Dieu, c*est la
ï^rge, ce sont les anges et les saints qui apparaissent dans des
^*ons miraculeuses, donnent des conseils, font entendre des
P^ï'oles d'encouragement ou de consolation; c'est aussi f Esprit de
*^U qiij pénètre Tindividu, fait sentir en lui sa présence^ s'infuse
L 'l C]uelqu€ sorte dans son organisme^ quelquefois même f inspire
184 * REVUE PHILOSOPHIQUE
et parle par sa bouche. Les exemples de ces faits surgissent en
foule à la mémoire, et leur simple énumération nous entrainerait
trop loin. Citons seulement ce passage de Taine, qui n'est rien
moins qu'un exposé vivant et saisissant de la physiologie patholo-
gique de rhallucination religieuse : c A.u xni« siècle*, quand le
communiant à genoux allait recevoir le sacrement, quelquefois il
cessait de voir l'hostie ; elle disparaissait : à la place, il apercevait
un petit enfant ou le visage rayonnant du Sauveur, et, selon les
docteurs, ce n'était pas là une illusion, mais une illumination ; le
voile s'était levé; Tûme se trouvait face à face avec son objet, avec
Jésus-Christ présent dans TEucharistie ; elle avait la seconde vue,
inGniment supérieure en certitude et en portée à la première, une
vue directe et pleine, accordée par une grâce d'en haut, une vue
surnaturelle. — Par cet exemple qui est un cas extrême, on peut
comprendre en quoi consiste la foi : c'est une faculté extraordinaire,
qui opère à côté et parfois à rencontre de nos facultés naturelles; à
travers et par delà les choses telles que lobservation les présente,
nous découvre un au-delà, un monde auguste et grandiose, sleul
véritablement réel et dont le nôtre n est que le voile temporaire. Au
plus profond de l'âme, bien au-dessous de la couche superficielle
dont nous avons conscience, les impressions se sont accumulées,
comme des eaux souterraines; là, sous la poussée et la chaleur des
instincts immanents, une source vive s'est formée, grossit et bouil-
lonne obscurément; vienne une secousse, une fissure et soudaine-
ment elle monte, elle perce, elle jaillit à la surface; l'homme qui la
contenait et en qui elle déborde est surpris de cette inondation, il ne
se reconnaît plus lui-même; tout le champ visible de sa conscience
est bouleversé et renouvelé; à la place de ses anciennes pensées
vacillantes et fragmentaires, il trouve une croyance irrésistible et
cohérente, une conception précise, une représentation intense, une
affirmation passionnée, quelquefois même des perceptions positives,
d'une espèce à part, et qui lui viennent, non du dehors, mais du
dedans, non seulement des suggestions simplement mentales, comme
les dialogues muets de Vlmitation et « les locutions intellectuelles >
des mystiques, mais encore de véritables sensations physiques,
comme les visions détaillées de sainte Thérèse, les voix articulées
de Jeanne d'Arc et les stigmates corporels de saint François > *.
\. Loco citato,
2. Voir dans V Ancien el le Xouveau TestamFn(, les Prophètes, rApocalypse de
sainl Jean; en oulre les Vies des Sainls, Thisloire de Jeanne d'Arc (qu'on nous
pardonne ce sacrilège du patriotisme, mais la science a ses exigences), la
biographie de Bernadette de Lourdes, etc.
SANTEHOISE. — ItEUGlO;^ ET FiiLIË
ItJ-U
Le second groupe d'hallucinations religieuses» celui des haUucl-
nations péDîbles, a pour objet les éires invisibles malfaisants, per-
sonDifiés dans le diable. Nous renconlrons ici les hallucinations des
■ divers sens énumérés plus haut (de la vue, de Touïe, du tact, de la
■ sensibilité générale» psycho-raolrices), et en outre des hallucina-
tion& du goùt^ deTûdorat et de la sensibiJité génifale. Le diable, en
effet, ne se contente pas d'apparaître à ses victimes en des visions
fantastiques el terrifiantes, ou de leur parler pour leur adresser des
menaces' ou leur donner de mauvais conseils; non seulement il fait
éprouver par diverses sensations internes sa présence à ceux qui en
sont possédés [pincement, arrachement, piqûre, fourmillement,
déchirure, distorsion , brûlure, etc.) ; non seulement il leur fait perdre
la notion de Téquilibre et les transporte au loin dans les airs; non
seulement il parle par leur bouche et leur fait proférer, malgré eux,
toutes sortes de grossièretés et d'iropiétésT mais encore il leur fait
respirer des miasmes empestés ou leur fait goûter des substances
amèreâ et nauséabondes; il va même jusqu'à pratiquer, chez les
femmes surtout, des attouchements impudiques, qui vont parfois
jusqu'à Taccouplement-.
Toutes ces hallucinations religieuses, de nature agréable ou
pénible, dont nous venons de tracer la rapide esquisse, sont sponta-
Bées, en ce sens qu'elles sont indépendantes de la volonté formelle
du sujet, qui les subit en quelque sorte passivement; mais la reli-
gion fournit en outre de véritables procédés artificiels pour faire
Mitre r bal lucï nation. Il existe, en effet, à Tusage des prêtres dans
les reirai les diocésaines, une sorte de manuel pour hallucinations
religieuses provoquées, et où sont décrites les li"ois voies par
«quelles rhomme parvient à se détacher du monde : < la purgative,
IKnHUïitïh't'e et Funilive ». Ce manuel iiest autre que ]es Exercitiu
lie saint Ignace^ qui ont pour objectif de « reconstituer pour Tàme
le monde surnaturel..., de lui en rendre la sensation positive, le
contact et ratlouchement (Tainei. A cet effet, l'homme s'enferme
dans un lieu approprié, où chacune de ses heures a son emploi
aine d'avance, passif ou actif : assistance à la chapelle et au
t MîfhelcL — • En l'an 11)00,... le moine alleiidall, dans les ahsllnencei du
doUrCp dans le6 tumultes aoliiaire» du cœur, au milieu des lenlalitina et des
ftitsU-s, fies remords et des visions étranges, misérable jouel dir diable qui
folàtpmi cruellement autour de îui, cl qui le soir, tîranl ^a couvi!rlure, lui
diàftilgaiemenl à Toreille î ■ Tu es damné! • (d'a|ïrès Raoul Glaber).
y Voïr^ oulre VAncien el Iç Souv^au Te^tamt^nl, ainsi que les Vies dej Saintii
^'^àichi^ l^ Sorcière; HL^toire de Frunct (le Sabt>al el U Soreellerie); — fîijur-
"«ville* 1^ giibhuî dëË sorçhrs^miy^i que loua leii ouvrages de la inÔiue i^ollcclton^
H l^ibliothèque diabolique.
156
REVUE PHTLO^OPHIÛUE
sermon, chapelet^ lîtanies» oraisons des lèvres^ oraison du cœur,
examen réitéré de soi-même, confession et le reste* bref, une série
îninlerrompue de pratiques diversifiées et convergentes, qui, par
degrés calculés, le vident de préoccupations terrestres et l'assiègent
d'impressions spirituelles; autour de luit des impressions sembla-
bles, par suite Ja contagion de Texemple» réchaufTement mutuel,
Tattente en compagnie, Témulation involontaire et le désir surex-
cité, jusqu'à créer son objel; d'autant plus sûrement que f individu
travaille lui-même sur lui-même, en silence, cinq heures par jour,
selon les prescriptions d'une psychologie profonde, pour donner de la
consistance et du corps à son idée nue. Quel que soit le sujet de sa
méditation, il la répète deux fois dans la même journée, el chaque
fois il commence par « construire la scène », la Nalivité ou la
Passion^ le Jugement dernier et TEnfer; il convertit l'histoire indé-
terminée et lointaine^ le dogme abstrait et sec, en une représenta-
tion figurée et détaillée; il y insiste, il évoque tour à tour les
images fourniei? par les cinq sens, visuelles, auditives, tactilej,
olfactives el même gustativcs; il les grrjupe, et, le soir, il les avive
afin de les retrouver plus intenses au matin. Il obtient ainsi le
spectacle complet, précis, presque physique auquel il aspire, il arrive
à Valibij à ia transposition mentale, à ce renversement des points
de vue où Tordre des certitudes se renvei^se, où ce sont les choses
réelles qui semblent de vains fantômes, où c*est le monde mystique
qui semble la réalité solide ^.
Tous ces phénomènes que nous avons étudiés, conceptions déli-
rantes et hallucinations, sont des phénomènes positifs; nous devons
signaler maintenant les phénomènes psychiques négatifs, si Tom
peut ainsi parler, que la religion provoque. Ces phénomènes sont
de deux ordres, d'ordre sensoriel et d*ordre sentimental ou affec-
tif* Leur pathogénie s'explique par ce fait que la religion, comm^
d'ailleurs n'importe quel délire systématisé, faisant converger lout^
la vie psychique dans un sens et vers un point déterminés, produiC-
dans la conscience une sorte de polarisation, qui a pour effet d
Texagérer d'un coté et de la diminuer de Taulre au point de l'anéanti
parfois. « Si Ton compare dit Ri bot» l'activité psychique normali
à un capital en circulation, sans cesse modifié par les recette^^
et les dépenses, on peut dire qu'ici le capital est ramassé en ur^
bloc; la diffusion devient concentration, i*exlensif se transforme et^
intensifs* 11 n'y a, â chaque moment, qu*un certain capital nerveu»^
et psychique disponible; sll est accaparé par une fonction^ e*est ai^-^
détriment des autres* » Ce serait ici le cas de rappeler celte meta
phore plus récente du <l rétrécissement du champ de la conscience
léta-j
SAlfTEHOISE, — RELIGION ET FOLIE
mi
3*il se trouve plus éclairé sur certains points, le reste de son
et: ^r^ due plonge dans 1 obscurité,
CZomme phénomène d ordre sensoriel, nous rencontrons les a hallu-
cli=&^t.îons négatives »* des mystiques* réalisées à leur maximum
cI^^t:!^ Textase. Il en a déjà été incidemment question plus haut
lor'sc^e nous avons décrit, avec Taîne, le manuel opératoire destiné à
ï*m-o<3uire rhallucination religieuse : « Quand cet état (d*extase) est
â^t. M^€iï nt, dit Ribot^j qui en a fait une magistrale description à laquelle
novis renvoyons^ les yeux, même ouverts, ne voient pas; les sons
s',»^issent plus; la sensibilité générale est éteinte; nul contact n'est
^^inti; ni piqûre, ni brûlure n'éveillent la douleur, n Vis-à-vis du
iT^OTîde extérieur, les extatiques sont comme les idoles dont parle le
I*:s^^liniste : € Ocuh$ habent, etc. »
X)£ins l'ordre de la sensibilité morale, nous observons la dimi-
ràijation qui va parfois jusqu'à l'abolition de ce qu'on appelle les
sentiments alTeclifs, et c*est là, on le sait, un des symptômes carac-
ti^K-istiques de la plupart des vésanies. Nous en trouvons même la
for*ri:iule concise dans Tamulelte de Pascal : « oubli du monde et de
tout^ hormis Dieu », et ce chrétien par excellence, en qui la piété
la. plus ardente s'associait au génie le plus profond, Pascal lui-même
^'^^o est-il pas un exemple frappant? * Il était, dit Regnard%
<i*^ pourvu de tout sentiment alTectif. » Apprenant la mort de sa
sortir Jacqueline, la personne qu'il aimait le plus au monde, il dit
si m paiement : œ Dieu nous fasse la grâce d'aussi bien mourir »,
^ G*est ainsi qu'il faisait voir, ajoute Mme Périer, son autre soeur,
q tii ^ écrit sa vie, qu'il n*avaît nulle attache pour ceux qu'il aimait;
Ca.1- s'il eût été capable d'en avoir, c'eut été sans doute pour ma
s^»-*iar', parce que c'était assurément la personne du monde qu*il
^im£i,it le plus, » 11 fut admirablement charitable, mais c'était sur-
^oiii, par devoir religieux* « Il disait, Mme Périer nous l'apprend
encore, que c'était la vocation générale des chrétiens^ et que c'est
sur c*ela que Jésus-Christ jugera le monde, et que, quand on consi-
**©rc4lt que la seule omission de cette vertu (la charité) est cause de
^- Meoreuse dénomi nation, due a notre tuaître Bcrnhcîîm, maîâ «fui a été crilî-
^^^ Ijar Binéi et Fém dân,< la flptiw^ phitosophique,
• %*oir l**^ Mtîlatiiês dr ta volonté ti les Malmlit» th kt penfonnaîiliL Uan3 le
^*^'^ii<?r ouvrage, on trouvera un intéressant extrait de raiitD-hîogra|»Uie de
. *^ ^o Thérèse. — Voir aussi sainl iiernard dans MicheUt. - Homme de vie
^,, *''îeure, d'oraison et de sacnlii.'ei perjionne au milieu du bmii ne sut mieux
- ^l«ïr. Lc^ arns oc lui dhaient plus rjen du mondeJl niafcha, dit bon ijingraphu
Uii**^ un jour le long du lac de LELusanne., et le soir dcmiinda oii élail le lac. Il
^^'^îl de rimiJe pour de Teau, pf^rwiit ùu sang cru pour du ijeurre, etc.
.;;^ REVUE PHILOSOPHIQUE
À iaiiuiation, cette seule pensée était capable de nous dépouiller de
out. 51 nous avions de la foi. » Nous avons cité cet exemple parce
iu (I ost bien connu, et aussi qu'il est typique et en résume une
:oaloil*autres : c'est ce qui nous dispensera d'insister'.
i.:olto suppression des sentiments naturels n'est-elle môme pas for-
:noUeinont prescrite dans un précepte évangélique : c Si quelqu'un
Mont ^ moi, dit Jésus, et ne hait pas son père, sa mère, sa femme,
'ii's ontants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut
otro mon disciple. » Dieu lui-môme, fait remarquer Lombroso, fut
dur à rè^jaiil de sa propre famille. <c En vérité, je vous déclare, ajoute
ouv'i»iv Jésus, (juiconque aura quitté sa maison, sa femme, ses frères,
v.^'i parents, recevra le centuple en ce monde, et, dans le monde à
>ouir, la vie éternelle. »
Vprès avoir vu les différents phénomènes psychiques morbides
do iKiluiv ivliiîieuse (conceptions délirantes, hallucinations positives
oi iK'^alives, perte des sentiments affectifs, passons aux actes de
v\«rav lore morbide qui en sont la conséquence. Pour gagner le ciel,
ri v*^i pivseril au ciirétien non seulement de fuir les jouissances que
iKHi.s ».»:Viv la nature, considérée comme mauvaise et diabolique,
îiiai-» oiuoiv de s'infliger dans la plus grande mesure possible,
loiUv^"* ^vules do privations et même de sensations douloureuses. De
la 00-^ joignes, ces macérations (cilice, discipline) et toutes ces pra-
iniuo.-. di\oiNos, parfois grotesques*, qui ont pour résultat la dété-
tu'iaiuMi ph»^ressive de l'organisme. Joignons-y les mutilations en
u..»«iie chez, certaines sectes (comme les skoptzy russes), bien
^u rlli'.i soient généralement regardées comme des anomalies, et
. i^'iulahi « \\\\ nit)ment, dit Renan % en parlant de la continence
*Aoin!»Kindée aux disciples, le maître semble approuver ceux qui
.*• mailleraient en vue du royaume de Dieu*. 11 était en cela consé-
|iuiii «t\eo sou principe : ce Si la main ou ton pied t'est une occasion
â\' iM lie, cv>upe-les, et jette- les loin de toi; car il vaut mieux que tu
.iiiv-.. boiteux ou manchot dans la vie éternelle, que d'être jeté
ovs VA deu\ pieds et tes deux mains dans la géhenne. Si ton œil
. . .;k^ iKvasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi ; car il
X . 1, :iiru\ cnlrer borgne dans la vie éternelle que d'avoir ses
\. \ \*ii\. et d'être jeté dans la géhenne ». La cessation de la
.1 Uvi \kK*t (/f'« >V///i^y, notamnienl sainl Alexis, qui quille sa femme
u> ^«ui iiiariaKc; sainl Thomas (J'Aquin cl saiiil Fran^-ois dWssise,
i sW Uni" fiunille, malgré celle-ci, pour aller • vivre en religion ■.
I ■ .1 viiH< Simt'OH le ntyiiie.
SANTEHOISE,
BELICIOX ET FOLIE
159
génération, ajoute rhîstoirten, fut souvent coasidérée comme le
signa et la coadition du royaume de Dieu.
Conceptions délirantes» hallucinations positives et négatives, per-
version des sentiments affectifs, artes anormaux, tels sont les phéno-
mènes psychiques morbides auxquels la religion donne naissance.
Nous croyons les avoir énumérés dans leur ordre d apparilion patho-
génîque, et nous pensons en avoir donné une classification métho-
dique. On a dû voir que nous sommes constamment resté dans la
plus stricte orthodoxie, et que nous n'avons décrit que des cas appar-
tenant k la religion dite normale. La preuve, c'est d'abord que la
plupart des personnages que Thistoire nous montre comme ayant
présenté ces phénomènes religieux au maximum de leur intensité,
ont reçu, pour ainsi dire, restampille offictelle de l'Église : ils ont
été sanctifiés; c*est aussi que TÉglise admijl^ dans sa doctrine, la
réalité des persccutîons diaboliques et des possessions démoniaques,
et qu'elle n'a que trop souvent usé et abusé^ pour les combattre,
des exorcismes et d'un moyen plus radical encore » la suppression
par le feu.
Mais aloi^s, nous dira-t-on, si vous qualifiez les croyants de déli-
rants, comment se fait-il que le nombre des cas de folie religieuse
proprement dite, observés et traités dans les asîtes, soit, en somme,
âsse^ restreint? Icit nous devons faire une remarque : c'est que le
placement dans un asile d aliénés, qui contitue le critérium adminis-
tratif du délire, n'a pas la même valeur au point de vue psycho-
lagique. En elTet, quel est te motif déterminant de la séquestration
dans ^n asile** C'est le danger immédiat que constitue la présence
<îu malade au dehors, soit pour lui-même* soit pour les autres,
(langer sans lequel on doit laisser Tindividu à la vie libre V Or qui
*>© sait qu'il existe de pir le monde une fouie de véritables aliénés,
f^^h considérés comme inotîensifs? Aussi on a pu dire, sous forme
P^iradoiiale, mais avec raison^ que tous les fous ne sont pas dans les
asiieg. et le psychologue pur, qui n'a pas à s'inquiéter des consé-
*i**ences sociales d'un état de conscience, qualifiera celui-ci de mor-
bides'ily trouveles phénomènes que nous avons énumérés plus haut.
-* t| faut dire au-^ii ^uc leâ tumpâ sorti changés'^ [m asiles sont d'iosLilulion
. -*^nie, el la religion a perJu beaur-oiip d« son inHueni^e, ce qm fait qun ks
^* «le fohe rclif'ieuse aonl inoom].ambÏÊmenl mrjîns nombreux aujourd'hui
l^ autrefois, yui tlûuLe cependant que L«î saiat de jadi«^ (t^iméiîti le stjllte, par
jî^*^*Pltï)* f|tie tel sorcier ilu moyen jîge ser^iienl inLeniès de nos jours, au lieu
«être, run vénéré, Tautre brCilêï— Ce qui était possible autrefois ne Test plus
^4ini(*nnnt : conçoït-on Jeanne d'Are à notre épot|ucî - Dans sa course vaga-
îi^^i^tie, (lil Renaa. on ne voit nas due Jésus ait été une seule fois inquièlè par
^ Mice.
pas c|ue <
160
mvm PHlLOSOpBfQUE
Est-ce à dire toutefois que nous considérions tous les croyaQts
comme des délirants? Dieu nous garde d une pareille pensée, et
notre raison en est la suivante : c'est que ta plupart des croyants, de
nos jours surtout, et heureusement pour euxj ne sont pas, en réa-
lité, de véritables croyants; c'est que, chez eux, Terreur qui cons-
titue ce qu'ils appellenl leur croyance est une erreur purement
intellectuelle, et ne devient jamais au presque jamais une erreur
affective, c est-à-dire une conception délinmte proprement dite,
pour employer la terminologie que nous avons établie en commen-
çant. Nous pourrons dire encore, avec Taine^ que pour la grande
majorité des fidèles, y compris; les prêtres eux-mêmes, a le monde
surnaturel, à Tordinaire, sous la pression du monde natureU s éva-
pore, s*eïîace, cesse d'être palpable; ils n'y pensent quavec une
attention faible, et leur conception vague Unit par devenir une
croyance verbale ^ i
Nous ajouterons que, même s'ils y pensaient avec une attention
forte et soutenue, cela ne suffirait pas encore pour faire d'eux des
délirants : on a dû le remarquer, en elTet, nous avons, dans le cours
de ce travail, employé souvent le mol prédisposé; nous voulions
dire que, pour produ ire tous ses etîels, Tidée religieuse doit rencontrer
un cerveau prédisposé, prédestiné, comme diraîenl les théologiens,
L*idée est un germe, qui a besoin d'un terrain favorable pour se
développer et donner tous ses fruits (nous l'avons appris à Técolêde
notre maitre Bernheim). Ce terrain, celte prédisposition, que nous, ,
médecins, nous faisons dériver de la constitution organique, dans le
cas particulier, c'est ce que les théologiens appellent la grâce: or la
grâce, on le sait de reste, ne se répand pas uniformément et indis- j
tinclement sur tous les hommes : en un mot, ne devient pas saint
qui veut, de même qui c'est bien malgré soi qu'on devient possédé
du diable* i
Ceci nous amène à préciser les rapports de causalité de la religion
et de la folie. D'abord il est évident que la religion ne constitue ni
une cause nécessaire, ni une cause suffisante de folie; elle ne peut
jouer vis-à-vis de celle-ci que le rôle de cause adjuvante. Au point
de vue de son mode d'action, elle n*agit que par Tintermédiaire de
l*idée, et, à ce titre, elle ne peut produire que celle variété de folie
que les aliéni^les ont nommée «t folie communiquée-. » Elle agit donc
par suggestion, et, de fait, beaucoup de phénomènes religieux sont
susceptibles d'être reproduits par la suggesliun expérimentale^
notamment dans le domaine de la sensibilité (hallucinations posiliveâ
l, LocQ ciiato.
2i Woh son caraclèra fféqut^mment épidémique.
SANTENOISE. — RELIGION ET FOLIE IGl
et négatives, guérison d'apparence miraculeuse, extases mystiques
analogues à certains états hypnotiques, etc.). Mais si la religion agit
par l'intermédiaire de l'idée et si l'idée est une force (la foi soulève
les montagnes), comme l'a démontré Fouillée, force dont il est diffi-
cile, il est vrai, de mesurer l'effet, il faut bien dire aussi, ave c
Ribot S dont nous transposons une partie de phrase, que les état s
de conscience qu'on nomme idées ne sont qu'un facteur secondaire
dans la production du délire. L'idée joue son rôle, mais il n'est pas
prépondérant. Le délire vient le plus souvent d'en bas (d'une orga-
nisation défectueuse), et non d'en haut, dirons-nous encore. De sorte
que, en fin de compte, le rôle de la religion dans la folie nous paraît
être plutôt celui d'un moule, mais d'un moule sigulièrement bien
adapté, dans lequel viendraient se couler les prédispositions orga-
niques individuelles de nature morbide. Nous devrons même
ajouter que la religion fournit deux moules différents, suivant la
tendance individuelle à l'exaltation ou à la dépression, a On a dit
justement, écrit Ribot *, que le sentiment religieux se composait
de deux gammes. L'une, dans le ton de la peur, se compose d'états
pénibles, dépressifs. La terreur, l'effroi, la crainte, la vénération, le
respect, telles en sont les principales notes. L'autre, dans le ton de
l'émotion tendre, se compose d'états agréables et expansifs : admi-
ration, confiance, amour, extase i>. De là cette variété disparate des
idées délirantes religieuses que nous avons étudiées; de là vient
que la religion s'adapte si bien à tous les délires; mais, nous le
répétons, il ne s'agit que d'une adaptation. La religion ne crée pas
de toutes pièces, par exemple, le délire de grandeur ni le délire de
persécution' : elle ne fait que lui donner une forme. C'est ce qui
nous explique que les cas de folie religieuse sont moins fréquents
à notre époque* d'incrédulité et de scepticisme qu'au moyen âge,
où la foi était si vive et si profonde. Il est de remarque banale, en
effet, que le milieu social, les mœurs, les idées courantes influent
considérablement sur la forme délirante : si, au moyen âge, le
délire de persécution, par exemple, revêtait la forme démonoma-
niaque, les persécutés d'aujourd'hui se croient plutôt victimes des
agents physiques et naturels (électricité, magnétisme, somnambu-
lisme, et môme actuellement rayons X, etc. ').
1. Maladies de la personnalité.
2- Psychologie des sentiments.
3. Aussi la folie religieuse n'est-elle pas une entité morbide véritahie; mais
elle peut faire partie intégrante des diverses entités morbides suivantes : mélan-
colie, délire chronique, dégénérescence mentale, hystérie.
4. Nous observons surtout des cas de mélancolie religieuse.
5. Nous jugeons inutile de nous livrer, après d'autres, à ce jeu incerlain des
TOMB L. —1900. Il
162 REVUE PHILOSOPHIQUE
Quoi qu'il en soit, il y a lieu de se demander d*où vient cette
singulière affinité que la religion présente à l'égard de la folie. Ne
pourrait-elle s'expliquer par ce fait que la religion aurait en partie
son origine dans une mentalité morbide, et que plusieurs de ses
racines plongeraient dans le même fond psychique qui donne aussi
naissance à la folie? Étudier cette question, c'est chercher le rôle de
la folie dans la religion, problème inverse, mais connexe, de celui
que nous avons examiné jusqu'ici : le rôle de la religion dans la
folie. Pour lui donner une solution complète, il nous faudrait remonter
dans le lointain des âges, jusqu'aux origines mêmes de rhumanité
et à ses premières manifestations religieuses. Ne voulant pas entre-
prendre une tâche aussi gigantesque, qui est, du reste, bien au delà
de notre portée, nous rappellerons seulement Texemple illustre du
fondateur du christianisme, puisqu*aussi bien nous avons surtout en
vue cette forme religieuse *.
Nous pourrions multiplier les exemples dans cet ordre d'idées,
et étudier entre autres la psychologie des prophètes et des saints
qui ont contribué, les premiers à préparer, les seconds à déve-
lopper la religion chrétienne, mais cela nous entraînerait trop loin.
Contentons-nous de rappeler ce fait significatif que, dans la Bible,
le même mot sert à désigner le fou et le prophète *.
Après tout ce que nous avons dit, nous croyons avoir suffisam-
ment établi cette thèse que la religion et la folie ont entre elles des
rapports étroits de causalité réciproque. Il serait injuste toutefois de
ne pas signaler, à ce sujet, une opinion diamétralement opposée à
la nôtre. c( Les médecins, dit le D*" Toulouse '\ qui écrivaient sous les
régimes monarchiques, ont souvent accusé Tathéisme, le manqu®
d'esprit religieux, de causer l'aliénation mentale » (c'était même
l'avis d'Esquirol). L'allemand Heinroth (1773-1843;, entre autres,
« ne voulut voir dans la folie que le résultat de la perversité et d®
l'immoralité, l'erreur, le péchéy une maladie de l'âme à laquelle ^^®
organes et le corps sont tout à fait étrangers ; qui ne peut ôtr«
sfalislijjues comparatives, qui ont la prôlenlion d'évaluer en chifTres Tinflu^*^^.
plus ou moins grande de telle ou telle forme religieuse sur le développer!'* •^^
de la f(»lie.
1. On ronnait la tlioorie du g(fnie-folie de Lombroso. Cette théorie, fa^*^'*
pour les génies philosophiques et scientifiques, vraie dans une certaine me^*^
pour quelques génies artistiques, semble s'appliquer avec assez de justesse *^
génies religieux. Quel rapport y a-t-il, par exemple, entre l'accès de m ^■- *^
aiguë d'Auguste Comte et sa philosophie positive? Apparemment aucun; ta *^ *"
que Lombroso n'a aucune peine à démontrer ridcntilé complète du délire ^^"^
tique et du génie religieux chez saint François d'Assise, entre autres. Le o gf ^^ "*
du christianisme • serait-il donc un génie morbide?
2. Les causes de la folie.
SAWTElfOISE, — ftELlGÎOK ET FOLIE 163
"^réditaire, puisque Tâme ne Test pas, et dont les meilleurs préser-*
^* atifs sont dans la crainte de Dieu et robservalion des préceptes de
^la religion. * » N'insistons pas.
^fe S'il est vrai que la religion puisse être une cause adjuvante de
"folie^ cette conséquence pratique s'impose, à savoir qu'il y a indica-
tion à poser certaines règles d'hygiène morale, soit individuelle,
soit sociale, destinées k prévenir l'action morbide de la religionÉ
Cette question, pour intéressante qu*el!e soit, nous la laisserons de
c^^të, parce qu*elle est étrangère à noire point de vue. Nous ne
ferons là-dessus aucune réflexion, dirons-nous aussi avec Jules
Soury'j « pour ne point contrisler ceux qui puisent dans leur
i"eiigion un motif d'aimer et de faire le bien, la paix intérieure, la
résignation à la douleur de vivre ».
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici peut avoir Fappa-
irence d'un véritable réquisitoire contre Hdée religieuse : ce
^^^111131 serait cependant bien éloigné de noire intention. Aussi,
pr-ès avoir montré uniquement le revers de la médaille, devrons-
lïoos, et ce sera justice, en faire voir également la face : nous
voulons parler de rinflucnce morale salutaire qu'a exercée et
qu'exerce encore incontestablement la religion, et la religion chré-
tienne en particulier ^ Pour Texprimer, nous ne saurions mieux
r^ire que de citer une dernière fois Thistorien philosophe à qui
oor«s avons déjà lait de si fructueux emprunts : « Aujourd'hui, dit
Taioe*, après dix-huit siècles^ sur les deux continents, depuis
l'Oural jusqu'aux montagnes Rocheuses, dans les moujicks russes
^^^i les settlers américains, il (le christianisme) op^re comme autre-
^Vois dans les artisans de la Galilée, ai delà même façon, de façon
^1^ Substituer à Tainour de soi Taniour des autres; ni sa substance
**i ?^ûn emploi nV>nl changé; sous son enveloppe grecque, calho-
^^que ou protestante, il est encore, pour quatre cents millions de
-t*i^^lures humaines, Torgane apiriluelj la grande paire d'ailes indis-
^^Hîiables pour soulever Thonmie au-dessus de lui-tnème, au-dessus
sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire, à
ivet^ la patience, la résignation et Tespérance, jusqu'à la sérénité,
►cnjj. remporter par delà la tempérance, la pureté et la bonté,
isc|uau dévoûment et au sacrifice. Toujours et partout, depuis
^ • Cul terre : TruUé de» mafndieê rue nf aies,
^* tue rrretir |iciit donc être utile et salut&îrc ! Pourquoi p&sl La protjuction
- l'^rr^fur *ahua(r*' |mr illusion suggérée n'est- t*Ue pas un moyen couramment
''J^*'"^ «H iisychotln^rapie î
*• loca eitaÎQ.
164
REVDE PHILOSOPHIQUE
i
dix-huit cents ans, sitôt que ces ailes défaillent oti qu'on les câ^^S
les mœurs publigues et privées se dégradent, Kn Italie pendant
Renaissance, en Angleterre sous la Restauration, en France soiit
Convention et le Directoire, on a vu rhomme se faire païen, coin.
ati v siècle; du même coup, il se retrouvait tel quau lerr^
d'Auguste ou de Tibère, c*est- à-dire voluptueux et dur : il abus
des autres et de lui-même; Tégoïsme brutal ou calculateur av
repris rascendant; la cruauté et la sensualité s étalaient, la socic^ti
devenait un coupe-gorge et un mauvais lieu. Quand on s'est don«^
ce speclacle, et de près, on peut évaluer rapport du chistianis !"«:*£
dans nos sociétés modernes, ce qu'il y introduit de pudeur, «i^
douceur et d^humanité, ce qu'il y maintient d'honnêteté, de borir^e
foi et de justice. Ni la raison philosophique» ni la culture artistique
et littéraire, ni même l'honneur féodal, militaire et chevaleresq tae,
aucun code, aucune administration, aucun gouvernement ne suffit
à le suppléer dans ce SîTvice. Il n'y a que lui pour nous retedi''
sur notre pente natale^ pour enrayer le glissement insensible par
lequel incessamment et de tout son poids originel, notre race rétro-
grade vers ses bas-fonds ; et le vieil Évangile» quelle que soit son
enveloppe présente, est encore aujourd'hui le meilleur auxiliaire
de Tins tin et sociaL »
Nous nous ferions scrupule de rien ajouter à cette belle page, qui
sera ainsi le finale de notre étude *.
D' SaNtenoise.
4. Ceci n'est en réiilité qu'une «.impie esipiÎBae suBcepliblc, on le conçoit
sana pôlnâ« de se prèier à de longs développements. Nous avons, en elTel^ pdf*
failemcnt coni^ciem^e de et* que notre iravatl a d'incïomplet cl d'inachevé. U
BU rail lieu nolammenU d^une pari, au point de vue rdijîjeux, de passer et
ravue d^aulre^ types que le clirislidnisjnts (soit dans le pnJsenU Molt dn^ns
pBBsé)4 lels 4|ue rislamisme, le Judaïsme^ le boudliisine, \ùs relîi^icïris des satt
vages, el mi!ïme. ilanâ la mesure du possible les pol y lhétsm<>s antiques : d'au
parlf AU point de vue pathologique^ nprÈs avoir étudié sèparéoienL cotiinie îitïi
l'avoua fait, les symptômes morbides* il faudrfiît eu faire les synthèses divi?rsç«
correspondant aut difTérenteîj Vririi^lt^sj de folies l'cligieuses qui viennent
griîiïer sur fond d'hystérie, de d*>j^i*nèrescenee mentale, de mélancolie, de déltPe
ehronique^ elc, (ï^ulvanl la cUssItîcation actuellement usitée en pathologie*
menlale).
Janvier l^DO.
l V
i
'3
^ Aristote a défini rhomme un animal politique; on pourrait avec
autant de vérité le définir un animal menteur. Le mensonge semble
l'atuiosphère naturelle de la vie sociale. L'être social ment à autrui
®l se menl h lui-même. Il meut par égoisme individuel et par
^^ofsme collectif; il ment comme unité et comme groupe. Le men-
I Songe que nous voulons étudier ici est le mensonge de groupe,
t^oys entendons par là uo mensonge commun k tout un groupe social
< caste, secte, classe, etc.), un mensonge concerté en vue d*un intérêt
«^Qllectif et érigé en dogme obligatoire pour les membres du groupe.
Pour ne point paraître disserter dans le vide, nous énumérerons
Cïuelques exemples de mensonges collectifs.
L'un d'eux est le mensonge optimiste ', si bien décrit par Scho-
peohauer. Toute société a besoin, dans Tintérêt de sa conserva-
tJon, d'entretenir chez ses membres une certaine dose d^oplimisme
très propre à les inciter à agir et à déployer le maximum d eflTort
utile. Il importe que le jeune homme débutant dans la vie soit
persuadé que ce monde lui offre la promesse d'un bonheur qui
n'échappe qu^aux maladroits et aux faibles. Comme le jeune
homme ne se range jamais dans cette catégorie, il s'élancera vers
Faction avec la présomptueuse confiance dont la société aime à le
voir animé '. t La difficulté de se pénétrer de la vérité sur le monde,
dit Schopenhauer, est encore augmentée par cette hypocrisie du
ijBoode dont je viens de parler et rien ne serait utile comme de la
dévoiler de bonne heure à la jeunesse... La parade sociale et les
magnificences dont elle s'entoure sont pour la plupart de pures
pparencest comme des décors de théâtre, et l'essence de la chose
manque... Ainsi des vaisseaux pavoises^ des coups de canon, des
illumioatrons, des timbales et des trompettes, des cris d'allé-
LE MENSONGE DE GROUPE
1, î^ouij n^enlendons pas dire que toute philoâQphie optimiste est nèces^ai*
mneiit un mensonge. — H ne peut Hvc question de mettre en doulu la sincérité
du haut Mfitîmisme inteneetuatisLi^ d'un Spinoza pur exempte. Nous voulons parler
dt- i'H ^ipllmî»me dei'ommande qui est une des tiabiletés de la la^Utque sociale
ft qui resifraH mensonger, même dans Thypothèse où une certaine mèlaptiy-
, «i<tuc opliintste scrail vraie,
%* Voir sur ce fioint Schopenhauer, Aphorùtmes sur la sagesse dans la trt*, p. 154,
166 REVUE PHILOSOPHIQUE
gresse, etc., tout cela est renseigne, l'indication, l'hiéroglyphe de la
joie; mais le plus souvent la joie n'y est pas; elle seule s'est excusée
de venir à la fête *. » — Schopenhauer appelle philistin l'homme
qui se laisse duper par ces apparences et qui prend au sérieux la
parade sociale. « Je voudrais définir les philistins en disant que ce
sont des gens constamment occupés et le plus sérieusement du
monde d'une réalité qui n'en est pas une '. » — Ajoutons que le
philistin est très attaché aux illusions dont on l'a nourri. S'il ren-
contre quelque philosophe ou quelque romancier qui, par une vision
plus aiguë de la réalité, met à jour la faiblesse de son plat optimisme,
il s'en écarte avec horreur, semblable à ce philosophe écossais dont
parle Taine et qui recula épouvanté, quand il vit que sa famille elle-
même allait disparaître dans le gouffre du nihilisme de David Hume.
Un autre mensonge collectif également étudié par Schopenhauer
est le respect qu'on affiche pour les décisions de Topinion publique,
à tel point que celui qui ne partage pas cette vénération est regardé
comme un esprit mal fait. La raison en est claire. Le groupe social
a intérêt à ce que ses membres ne jugent point les choses par eux-
mêmes, mais s'en rapportent au tribunal de l'opinion, qui ne peut
manquer de juger d'après les conventions admises. C'est ce qui fait
que tant de gens placent, comme le dit Schopenhauer, « leur bon-
heur et l'intérêt de leur vie entière dans la tête d'autrui. i On se
rappelle qu'ILoen en a également fait justice dans sa pièce Un ennemi
du peuple^ de ce culte fétichiste de la <x. majorité compacte >.
Voici un autre mensonge de groupe qui joue également un rôle
important dans la tactique sociale.
La société n'a aucun intérêt à permettre aux individualités supé-
rieures par leur intelligence et leur pénétration de se faire une
place prépondérante qui découragerait la médiocrité. Elle a intérêt
au contraire à favoriser la médiocrité que le manque d'esprit cri-
tique rend inofîensive et qui ne court pas le risque de diminuer le
prestige des conventions établies. « La soi-disant bonne société, dit
Schopenhauer, apprécie les mérites de toute espèce, sauf les mérites
intellectuels. Ceux-ci y sont même de la contrebande. Elle impose
le devoir de témoigner une patience sans bornes pour toute sottise,
pour toute folie, pour toute absurdité. Les mérites personnels au
contraire sont tenus de mendier leur pardon et de se cacher : car la
supériorité intellectuelle, sans aucun concours de la volonté, blesse
par sa seule existence \ »
1. Schopenhauer, Aphorismes, p. 158.
2. Schopenhauer, Aphot-ismes, p. 49.
3. Schopenhauer, Aphorismes^ p. I7.S.
PALANTE.
LE MENSONGS D£ GROUPE
167
T^errainons celte liste de mensonges — qui pourrait être fort
l longée — par un des exemples cités par M. Max Nord au : le men-
^tige politique* Ce mensonge est celui qui interdit à Tindividu de
^ faire jour dans la concurrence politique par ses mérites person-
»^^\s. sans Tappui d'un comité élecloml. «t Ni un Rousseau, ni un
^^nl, ni un Gœlhe, ni un Carlyle n'eussent jamais obtenu par leurs
^t^pres ressources, sans lappui d'un comité électoral, un mandat
^^ député dans une circonscription rurale ou même dans une
Grande ville, ^ Le candidat ne se trouve jamais en face de rélecteur.
-fentre les deux se trouve un comité qui ne doit ses pouvoirs qu'à sa
■ propre audace * ».
On voit assez par ce qui précède qu'il est impossible de mécon-
naitre Timportance sociale des mensonges de groupe. Aussi la
_ sincérité, loin d'être une qualité, est-elle généralement tenue en
^ Buspicion dans un groupe, dans une secte ou une caste. On se défie
des esprits sincères, parce qu'on sait qu'ils refuseront de rentrer
dans le mensonge général ; on les écarte ou on les exécute en les
Irai tant de naïfs ou d'utopistes.
■ Quel est le trait commun à tous ces exemples de mensonges que
Gouâ venons de citer? Il n'y en a pas d'autre qu'une contradiction
întinie dans la conscience de ceux qui adhèrent à ces mensonges,
ou encore une contradiction entre leurs pensées et leurs paroles ou
leui*s actes. Par exemple ceux qui professent TopUmisme de corn*
trmnde, qui est de mise dans la société^ ne peuvent s'empêcher de
ri^marqoer à certains moments le démenti que donne à cet opti-
misme béat le spectacle des douleurs individuelles et sociales. Dans
le cas du mensonge politique, on peut remarquer la contradiction
qui existe entre la théorie de gens qui affirment bien haut la sincé-
rité du suffrage universel et leur pratique électorale qui consiste à
Kvicler celte sincérité par des manœuvres plus ou moins gros-
Hsières. Ce sont de telles contradictions qui, suivant la remarque
f^e M. Max Nordau, sont la cause de Tinquiétude et du malaise qui
posent sur la société contemporaine.
Une société où Tindividu est asservi aux mensonges de groupe et
oCi dominent les dogmes formalistes et les psittacismes imposants
tm^apparail plus» h qui l'envisage de près, comme une réalité solide,
ïnais comme une ombre fantoraaticïue faite, suivant Texpresion de
Shakespeare, « de TétotTedont sont faits les songes ».
Il importe de se demander ici quelles sont les causes les plus
e^nérales qui engendrent les mensonges de groupe*
!. lUl Nordau, Les mtnëonges conueniionncU de ùotre emlisaiion, p. 171.
168
REVUE PHiLÛ.SDl»BlQLEl
1" La cause la plus générale ressort déjà suffisamment de ce qw
vient d'être dit. < Lliomme, dit le D^ Tardieu, est un animai q»^
garde son fond sauvage^ malgré FelTort des pédagogies prétentieuse^^^
la civilisation la plus parfaite est celle qui fabrique le plus de mu
lières* ». C'est de ce fond individuel qu émergent les poussées
spontanéité et d'indépendance que le groupe, entité compressivi
cherche à réprimer. Mais une fiction est aussi propre qu'une véri
à assurer la discipline sociale, M. Tarde en fait la remarque, c Parj
las conditions d'unification nationale, dit<il, M. Seeley place avj
raison la communauté de race on plu tôt la croyance à cette commi
nauté... Dans les temps les plus modernes comme dans les temps 1
plus antiques, ce qui importe cVsi moins la amuangninité réeU
que la consangninUé fwtive ou réjnttce réelle^ >, En un mol, pe
importe pour la conservation du groupe que sou conformism
soit fondé sur un mensonge.
2** De même que toute société en général tend à s'ériger en entit
supérieure aux individus^ de même chacun des groupes particulie
qui sont comme les organes diiTérenls de l'organisme social» tend
attribuer à sa fonction spéciale dont Timportance n'est que relativ
une valeur absolue. M* Simmel met en lumière cette tendance
* La bureaucratie, dit il, nous oftre de cet antagonisme un exempli
relativement inoiïensif, mais significatif. Cet organe en vîen
souvent à oublier son rôle d organe et se pose comme une fin e:
soi. On pourrait sur ce point comparer la forme bureaucratique au
formes logiques de rentendement. Celles-ci sont à la connaissan'
du réel ce que celle-là est àradminisLration de TÉtat; c'est un in.
trument destiné à organiser les données de l'expérience^ mais q
précisément n'en peut être séparé sans perdre tout sens et tout
raison d*^tre* Quand la logique perdant le contact avec la matiè;
des faits dont elle n est que Texpression schématique^ prétend tir
d'elle-même une science qui suffise» le monde qu'elle construit et
le monde réel se contredisent nécessairement,.. Le Droit lui*mème
n'échappe pas toujours à celte tendance. Qu'il s'agisse de la bureau-
cratie ou du formalisme Juridique, cette tranformation d'un moyen
en Un est d'autant plus dangereuse que le moyen est d'après les
apparences plus utile à la société* », On ne peut mieux rendre
compte de la tendance qu'ont certains groupes sociaux a exagérer
leur influence et leur prestige social au moyen de vains simulacres.
i^W Tard le u, VEnnuL {Rfwt philG^ophiqut ût février 1900.)
Z. Tarde, Lu loh de rimitaiion, p, 317,
3. Si m me I. Covtmtiii tt^ fijrme* «i#cla/e# s€ maintifnnmt* {Ànnéf foCiQiogique,
p
PALATITE. — LE SIËfiSONGB DE CnOUPE
IF
3*^ Cessons de considérer un groupe dana ses relations avec les
.^^roupes rivaux ou anlagooistes, — Pris en tui-méme, ce groupe
^^^^uliit une évolution au cours de laquelle des conllits se produisent
^nécessairement entre le passé et le présent. De là ces duels logiques
^zîont parle M. Tarde et dont la succession constitue riiistoire d'une
société. Une croyance, une discipline sociale conserve, quoique
^surannée, des défenseurs. Il y a dans une société des classes eutières
^'honimes qui se vouent à la défense des vérités d*hier devenues,
suivant le mot dMbsen, des men^^nges d'aujourd*hui. Ajoutons que
^aos ces duels logiques, aucune des deux parties en présence ne
;peut revendiquer le monopole du mensonge organisé. 11 peut se faire
^oe les novateurs substituent simplement de nouveaux mensonges
^ux mensonges anciens. Les sectes révolutionnaires ne sont pas plus
^ncères, par déllDilion, que les sectes conservatrices. 11 y a pourtant
;]plus de chances de trouver parmi elles des esprits sincères, que
;2iarinî les défenseurs de croyances qui ont fait leur temps et dont
l'expérience a dévoilé Unsuflisance,
Une question qui se pose maintenant est celle de savoir comment
kUndividu en vienl à reconnaître le caractère mensonger des illu-
sions que le groupe organise autour de lui* On peut répondre
^ue Tindividu prend conscience de ce qu'est le monde social, de la
:xDème manière qu'il arrive à se rendr*^ compte de la véritable nature
miu monde extérieur, C*est en présence des erreurs et des contra-
^iclîons des sens que le moi renonce au dogmatisme naïf qui lui
faisait admettre tout d abord lobjectivité de ses perceptions. Désor-
:Knais il fera un tri parmi ces dernières; il déclarer vraies et réelles
^el)es*là seules qui ne se contrediront pas entre elles. 11 rejettera
les autres comme irréelles et hallucinatoires. De même ce sont les
«contradictions qui se manifestent au sein de l'organisation sociale
Cjut font sortir Tindividu du dogmatisme social qui est sa primitive
attitude. Ces contradictions le déconcertent et font naître en lui le
cjoute libérateur. Les institutions et les disciplines sociales, au
lieu de lui apparaître comme des édifices aux murailles solides et
înébranlablt^s contre lesquelles vient se heurter l'insensé assez
audacieux pour les nier, ne sont plus pour lui que des ombres molles
et opaques qui, comme dans les ténèbres de la nuit, reculent devant
celui qui s'avance vers elles.
Mais quelle est dans Tindividu la faculté libératrice? Comment
riudividu qui n*est après (out qu'un tissu d'influences sociales
ijiterférentes, en vient-il à poser son existence indépendante comme
juge et mesure de l'être et du non-être social? Il semble qu*on
^urrait peut-être recourir pour résoudre cette question, à Tingé-
170 REVUE PHILOSOPHIQUE
nieuse et profonde hypothèse développée par M. Bergson dans son
livre : les Données immédiates de la Conscience, On sait comment
ce philosophe oppose au moi social, moi superficiel et illusoire, un
moi intime et profond dont le premier n'est que Tinfidèle symbole.
La philosophie n'a d'autre but, d'après M. Bergson, que de retrouver
ce moi vrai sous les symboles qui les recouvrent, pour le saisir « dans
sa fuyante originalité » *. — La vie sociale répondrait à une illusion^
rinévitabie illusion par laquelle la conscience humaine a déroulé le
temps dans l'espace et placé la succession au sein même de la
simultanéité. « Quand je mange d'un mets réputé exquis, le nom
qu'il porte, gros de Tapprobation qu'on lui donne, s'interpose entre
ma sensation et ma conscience; je pourrai croire que la saveur me
plaît alors qu'un léger effort d'attention me prouverait le con-
traire. Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal qui
emmagasine ce qu'il y a de stable, de commun et par conséquent
d'impersonnel dans les impressions de l'humanité, écrase ou tout au
moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre
conscience individuelle. Nous croyons avoir analysé notre senti-
ment; nous lui avons substitué en réalité une juxtaposition d'états
inertes, traduisibles en mots et qui constituent l'élément commun,
le résidu impersonnel des impressions ressenties dans un cas donné
par la société entière... Que si maintenant quelque romancier déchi-
rant la toile habilement tissée de notre moi conventionnel, nous
montre sous celte logique apparente une absurdité fondamentale,
sous cette juxtaposition d'états simples une pénétration infinie de
mille impressions diverses qui ont déjà cessé d'être du moment si
on les nomme, nous le louons de nous avoir mieux connus que nous
ne nous connaissions nous-mêmes... Il n'en est rien cependant et
par cela môme qu'il déroule notre sentiment dans un temps homo-
gène et en exprime les éléments par des mots, il ne nous en pré-
sente qu'une ombre à son tour; seulement il a disposé cette ombre
de manière à nous faire soupçonner la nature extraordinaire et illo-
gique de l'objet qui la projette; il nous a invités à la réflexion en
mettant dans l'expression extérieure quelque chose de cette contra-
diction, de cette pénétration mutuelle qui constitue l'essence même
des éléments exprimés. Encouragés par lui, nous avons écarté pour
un instant le voile que nous interposions entre notre conscience
et nous; il nous a remis en présence de nous-mêmes » *.
Nous n'avons pas à discuter ici dans son ensemble l'hypothèse de
1. Bergson. Matière et mémoire (Avant-propos.)
2. Bergson. Les Données immédiates de la conscience, p. 100.
PALAWTE. — LE SIElfSÔSCP. DE GROUPE ITI
fîergson. Nous ne nous demanderons pas s'il faut admettre ou
rejeter ce moi intime et profond qui se cacherait, fuyant et mysté-
rieux, sous Tenveïoppe des verbalismes auxquels s'arrête notre moi
socia]. Nous nous ileinanderous seulement si ce moi intime, à
supposer qu'il existe, peut nous servir pour résoudre le problème
que nous avons posé plus haut, c'est-à-dire comment l'individu
est-ïl capable de percer les mensonges sociaux ?
Ail premier abord, Thypothèse de M, Bergson semble très propre
h remplir un pareil office. En effet, ne nous ferait-elle pas saisir en
nous-mêmes un principe supérieur au monde social et indépendant
de lui, par conséquent très propre à devenir le juge et la mesure de
l*être et du non-être social? Et pourtant à y regarder de plus près,
on voit qu'il n en est rien. En effet» dans Thypothèsede M, Bergson,
tout, dans notre représenlatïùn du monde social j est également
mensonger* Il n'y a plus aucune distinction à faire entre la sincérité
et rinsincérité, entre la vérité et le simulacre. Le moi cherchant la
vérité sociale ne sait plus oîi se prendre; il s'anéantit lui-même dans
le rêve dont il est le créateur* La conséquence directe de la con-
ception de M, Dergson est un illogisme et comme un nihilisme
social absolu. En elTet, qui dit science dit distinction de genres et
d'espèces, opposition et combinaison de catégories- Or la psychologie
de M. Bergson est la négation de tout genre, de toute espèce, de
toute catégorie. Comment ce moi mystérieux et fuyant serait-il
capable de découvrir les contradictions qui sont les indices révéla-
teurs des mensonges sociaux, alors qu'il est lui-même la négation
de toute logique? M* Fouillée semble avoir prévu la conception de
M. Bergson quand il dit quelque part à propos du moi nouménal
de Kant : « .rai besoin d'avoir une activité personnelle là oîi j'agis»
là ofi je connais mon action et son milieu « Ik où je me connais moi -
nîéme^ t
Nous ne recourrons donc pas au moi pur de M. Bergson pour
exphquer comment Tindividu peut percer les ÎUogismes et les men-
songes sociaux. Il ne reste dès lors qu'une réponse possible au
problème. Elïe consiste à charger de cet office les facultés ordinaires
de la conscience empirique : comparaison, jugement, raisonnem ent.
Ajoutons que les sociétés évoluent et que cette évolution introduit
un facteur nouveau dans le problème. A mesure que révolution
sociale se poursuit, la conscience individuelles par suite de la com-
plexité croissante de la vie sociale, devient elle-même plus com-
plexe» plus délicate, plus consciente d elle-même et de son milieu.
1 . Fou i 1 1* e. Vém tu t ion n ism e rfe^ kléei 'fo rces , Introduction.
m
HEVUE PHlLOSOtamUË
Elle devient par suite de plus en plus apte à découvrir les illogismes
des âyslèmes sociaux qu^elle traverse. Un individu qui n^appartient
qu'à un groupe sera fûrcément dupe des mensonges de ce groupe.
Hais sli apparlient à la t'ois à un grand nombre de cercles sociaux
différenls et variés^ il sera capable de faire un tri parmi ces
influences mulUlatérales et de les faire cotnparaltre devant le tri-
bunal de la raison individuelle* C'est un des mensonges de groupe
les plus caractéristiques que celui qui consîsle à juger de la valeur
d'un individu d'après son étiquette sociale. M. Bougie remarque
que la variabilité croissante des modes ôte beaucoup de sa force à
ce mensonge, t I! se produit un changement perpétuel qui nous
fait voir les mêmes modes portées par des individus très diftérenls
et des modes très différentes par un même individu,,. L'esprit qui
a vu se succéder tant d'assimilations différentes se déshabitue de
juger les gens sur réliqueite qu'ils prennent et essaie de décou-
vrir sous Tuniforme momentané des collectivités, la valeur propre
à rindividu ' ».
Une dernière question se poserait maintenant : celle de savoir
quel est celui des deux termes antagonistes — la vérité ou le simu-
lacre qui aura le dernier mot dans Thistoire de rhumanité.
Sur celte question, plusieurs conceptions ont été soutenues. D après
Schopenbauer, toute société est essentiellement «t insidieuse i». Par
sa constitution même, elle est condamnée à duper Tindividu par des
simulacres variés qui changent au cours des civilisations, mais
dont Teffet est toujours le même : stimuler le vouloir-vivre de rindi-
vidu et le faire servir aux fins sociales, L'bistoire se répète sans
cesse. € 11 faut comprendre que rhisloirey non seulement dans sa
forme, mais dans sa matière même, est un mensonge ; sous préte^tte
qu'elle parle de simples individus et de faits isolés^ elle prétend
nous raconter chaque iois autre chose, tandis que du commence-
ment à la fin, c*est la répétition du même drame avec d autres per-
sonnages et sous des costumes difTérents ^, > Les sociétés se succè-
dent, mais leur tactique ne change pus; elles dupent éternellement
rindiviSu au moyen des mêmes simulacres-
Ibsen est un de ceux qui ont été le plus vivement frappés de
Vintérèl que présente le problème du « mensonge de groupe «*
On sait que le sujet de beaucoup de ses drames est la lutte de TindJ^
vtdu contre les mensonges sociaujt. Et Ton peut dire qu'aucun poêle
ii*a dramalisé d*une manière plus intense ce qu'un personnage de
2* Schopenliaucr, Le Mande cowiine vûdmté
tt
rtprésmtaiwm^ T, UI,
PALAlfTE. — LE MENSONGE DE GROUPE 173
son théâtre appelle c le mensonge vital u. On sait avec quelle énergie
Ibsen dresse contre les hypocrisies sociales ce qu'il appelle quelque
part « la revendication de Tldéal ï>. Certes, dit un des critiques
d'Ibsen, si Kant pouvait revenir à la vie, comme il exulterait de voir
si admirablement dramatisé son rigorisme moral! comme il rayon-
nerait de voir son impératif catégorique adapté et approprié à la
scène! » Mais on ne serait peut-être pas fondé à conclure de là
qu'Ibsen ait cru au triomphe final de la sincérité. Il semble croire
parfois comme Schopenhauer qu'il y a toujours quelque chose de
pourri dans notre vérité et que l'humanité ne fait que substituer le
mensonge au mensonge.
La conception de Carlyle est plus nette. D'après lui les médiocres
sont caractérisés par « l'intelligence vulpine »; les héros, moteurs
de l'histoire, par l'absolue sincérité. La sincérité et la vérité l'empor-
teront un jour, car l'évolution humaine est dominée par une idée
divine qui se réalise progressivement dans les grands hommes.
Ces diverses solutions répondent à une question qui dépasse
manifestement l'expérience et que nous ne chercherons pas à
résoudre ici. En restant sur le terrain de l'expérience, tout ce qu'il
nous est permis de dire, c'est que l'individu peut, dans un ensemble
donné de conditions sociales, arriver à reconnaître les mensonges
de groupe et à se prémunir contre eux.
G. Palante.
. v:> ET COMPTES RENDUS
PHilosophie générale
Cl- i ».'-.>NsnTLTiON DU MONDK. {I.Ujnnmifiue des
/ l'.s- r//» phiUh^ophie iiOitnrolh', i vol. de
-.-;. V' «îior de la valeur scientifique de l'œuvre de
aiit d'abord la louer d'avoir osé l'entreprendre
-.«i» ooura^e. La tranquillité avec laquelle cette
. .u;; aux Français le très grand service de leur tra-
.1 i\e explication de l'univers, en professant une
c" vi.uis la science, sa méthode, et la cerlitude de
■ 1 .'. sdos préjutrés traditionnels comme des sottises
•*ii .i,.îo\os de nos littérateurs professionnels, doivent
. .■ L siirtnul une admiration respectueuse : « Il n'y
. -.s^a- la raison que ce qui n'existe pas. 11 n'y a rien
(. .;.;o lo contradictoire qui est impossible... Ce que
i .1 iMis. ce sont toutes les folles visions de rima;;i-
v-.v î.r.it à >c représenter ce ([u'ellc ne sait pas encore;
• i^f.qucs (lu sommeil pris durant le jour pour des
v.o^ les erreurs enfantées par le mcnsonL'e, expbu-
l!i plus loin : « H faut le reconnaître et le «lire
xamc eampa.i^ne entreprise et menée sourdement,
. i «.o. pour faire croire à Tinlirmité radicale de l'es-
. iv! Nuance de la raison pour déccmvrir la vérité...
i,«i;\.'lle di- la vii'ilK' ibeocralii* pour rr-^ssaisir le
.i,»ji.-. N'ayant plus !«• pouvoir d'oblijri'r personne à
v..^ .li.»i;in«'s révL'lés. i-lle tiavaille à ruin«'r la foi dans
.. IN basrs dr l'évidj'nc»', à ébranb-r les conditions
. .;'*»»iue \)'u'\i a ét<'' lu ^omme drs i^niurances di'
...fn:î'enl diminué (b* tout <•<• (jurcclui-ei aappris...
. .I..'.'.. ont vécu aux dépms (b-s dii'ux... s'eiïorci-nt
...i' V- à sou^trairi' de ci'< dirux, primitivmu'nt
. . . ; "v "lier le ri'^île. II-? proelanh-nt ce reste incon-
.»\ ',:• d'être c«)nnu. S'ils accusent la science de
» .'v-niue ces i'scroc.'> qui crit-nt au vob.'ur pour
.*» .x; . '* '. ^;nes la franchise d'attitude de l'auteur,
ANALYSES. — c. ROYER. La constitution du monde 175
et les tendances générales de Tœuvre : elle sera avant tout scienti-
fique; mais essaiera de suppléer à ce que nous ignorons encore, car
« la science est toute jeune », par des inductions aussi voisines que
possible de Texpérience, et des résultats généraux auxquels nous
sommes déjà parvenus.
II. — Mme Clémence Royer passe ensuite au développement de ces
inductions que la science actuelle, telle qu'elle la conçoit, permet
et dans une certaine mesure rend nécessaires. Elle retrace d*abord à
grands traits Thistoire de cette science depuis ses origines mythiques;
de telle façon que nous puissions nous rendre compte de la direction
qu'elle a suivie, et de la voie dans laquelle elle s'est et doit rester
engagée. Les conclusions auxquelles elle peut nous amener dans les
parties où elle est encore loin d'avoir dit son dernier mot se dégage-
ront ainsi plus facilement. Une a Introduction » de 80 pages est con-
sacrée à cet historique. Il esl, on le comprend, trop rapide et trop
général pour qu'il ne s'y soit glissé des lacunes et quelques méprises,
notamment en ce qui concerne la philosophie grecque et le cartésia-
nisme. Des spécialistes y trouveraient à redire. Mais aussi bien Tauteur
n'a-t-elle pas l'intention de faire de l'érudition ; elle cherche les grands
traits, la physionomie générale, une tendance, de façon à fonder ses
hypothèses, d'après l'évolution historique de l'idée de matière.
Sa conclusion sur ce point, c'est que les idées mécanistes sont insuf-
fisantes. L'atomisme cinétique, qui supprime le concept de force et le
remplace partout par celui de chaos entre masses inertes, ne résiste
pas à Texamen. La notion de masse elle-même est confuse; elle ne doit
pas être considérée comme primordiale; et la loi de l'inertie à laquelle
elle est intimement liée par les théories de la mécanique doit, elle aussi,
descendre de son rang de principe. Inertie et masse ne sont que des
eorollaires dérivés. Qu'est-ce donc que la matière? Quelles sont ces
idées primordiales que la science nous invite à poser? Il faut nous
faire de la matière une conception dynamique : « Les éléments pre-
miers de la matière cosmique sont des volumes fluides impénétrables,
mais expansibles et élastiques, dont l'étendue varie en raison directe
delà quantité de force substantielle active qui les constitue et en rai-
son inverse des pressions qu'il subissent. Tous tendent à réaliser
des sphères, et, en vertu de leurs pressions mutuelles, ne réalisent que
des polyèdres... Les éléments cosmiquc^s, constitués parées centres
d'émission d'une substance indéfiniment expansive, sont actifs. »
X'univers est absolument plein sous pression moyenne constante, avec
des variations de pression, locales et temporaires, qui sont l'origine de
tout mouvement.
Il résulte do là que la fameuse loi de l'attraction universelle, mot que
^'ewton lui-même a déclaré n'être qu'un mot commode, sans aucun
contenu objectif, sera fausse, si l'on pense que ses effets mathéma-
tiquement exacts, sont réellement dus à une attraction, « Cette
attraction apparente serait donc une moindre répulsion réelle et le
176 REVUE PHILOSOPHIQUE
résultat des répulsions supérieuros des atomes de Téther impondéra
entre eux. ^a prétendue force d'attraction, la seule que les métaph
siciens dualistes consentent à laisser à la matière, serait ainsi uzz
force toute négative, une force en moins, une réelle diminution de sc:
énergie répulsive propre. »
Ces atomes iluides conçus sur le type de la matière gazeuse so^
ég<nlement au point de vue interne des monades. Ils sont moteurs
centres conscients du monde, «t Toute la substance cosmique est doi
vivante, d'une vie virtuelle élémentaire ».
III. Cette vue générale de l'univers posée, Tauteur essaye d'en déduir— — •'^^
les multiples apparences du réel, et de retracer Tordre éternel de-tfn* ^^ ^
choses.
Dans une première partie, elle établit les faits et principes, les prc— ^^*
miers chaînons que Ton peut poser en partant du point de vue précité^»*' «■ ^^^
et dont se déduira l'explication totale. Nous y voyons se dégager et s€^^^^ ^
préciser la notion d'être, et celle de loi logique et de loi mathéma— — -^ ^^
tique; les idées d'espace, de temps et de force active, ou les troi^- ^î'
entités cosmiques, les trois états de Tatome éthéré, matériel, sure- ^ ^
théré ou vitalifère. En ce dernier état ils donnent naissance aux êtres ^«
vivants proprement dits. Les développements successifs de ces atomes ^s-*
sont alors considérés : variations des activités psychiques et des moda^ — •^"
lités physiques, forme, densité dynamique, relation métriques, élasticitê-
et mouvement.
La deuxième partie nous conduit au milieu des phénomènes vibra^
toires : chaleur, lumière, son, odeurs et saveurs; la troisième est con-
sacrée à l'étude des corps solides : forme géométrique de la molécule,
volume moléculaire, classification des corps chimiques, lois physiques
générales. La quatrième partie s'occupe des corps liquides et gazeux z
théories de la fusion et de la vaporisation; constitution des gaz. Ayei%
la cinquième nous atteignons le processus vital; la cellule organique
nait d'une transformation de l'atome éthéré en atome vitalifère et ea
atome pesant. Nous passons alors à des considérations plus spéciales
sur la. pesanteur qui ne saurait être une attraction, mais qui résulte
d'une pression de Téther. Les marées ne peuvent plus non plus être
expliquées par l'attraction lunaire; d'où une nouvelle théorie des
marées qui s'accorderait, avec les faits, d'après l'auteur, plus aisément
que l'ancienne.
Dans une huitième et dernière partie, nous voyons une explication
irênérale de .'évolution des mondes basée sur ces nouveaux principes :
à remarquer di'«î vues ingénieuses sur l'oritrine des satellites qui
accompairiicnt les planètes du système solaire. On conçoit que l'hypo-
thèse de Laplace soit forcément exclue d'un tel système : Planètes et
satellites no sont donc plus l'etTet de la force centrifuge dégagée par
la rotation solaire, mais sont des astres venus pour ainsi dire par acci-
dent dans le système actuel et qui, peu à peu, tendront à rejoindre le
soleil et à s'absorber en lui. De ce fait s'augmentera son énergie caio-
ANALYSES, — J. COSTA NTix. La nature tropicale in
T"^^^^^ et par suite su force expansive^ jusqu'à ce que, dans une explosion
li mrA£M.te\ il passe â Fétat de nébulosité amorphe ft se refroidisse lentement
l^oia r donner naissance à de nouveaux germes de monde*
Clï^ïs trois dt^rnières parties sont donc en somme Inapplication des
tti «fortes développées dans les cinq prennières, et une sorte d'épreuve
d^sti^inée à montri-^r qvfon peut tirer de celles-ci une valable explication
d«® faits dans leur généralité.
l'V, Le livre de Mme Clémence Royer^ fertile en hypothèses, il ne
^Ji^tat^ pa^s le difâslmuler, un peu hasardeuBes^ défLe par sa complexité
^Ê^t. m^ richesse une analyse détaillée. L'auteur, comme on le voit,
^Ti. ^voulu beaucoup embrasser. A-t-elle reuKsi à tout étreindre. c'est ce
qi-i'Oii peut difficilement croire dans une œuvre aussi formifîahie. En
tovi t; cas, c'est un mérite de Tavoir tentée^ et c'est un plus grand mérite
ënoore de Tavoir abordée avec cette sincéritëj et dans cet esprit. Aux
compétences particulières à voir ce qu'il y a à garder des aperçus ori-
' finaux que Ton y rencontre,
A BEL ReT,
II. Philosophie hîolo^iquê.
J^ Costantîn, La nature tiiopicale. — Un vol. de la Bibliothèque
seioniiitquo internationale. Alcan, lël»!^*
!-•« nouveau îïvre de M. Costantin est de nature a intéresser vivement
I^B philosophes; non seulement il fait faire une charmante excursion
"*fia les régions si intéressantes où la végétation déploie toute sa
*ï*lendeur, mais, en ni^me temps, il met en lumiLTC un grand nombre
^^ faits d*une importance capitale en biologie générale.
T'ous ces faits, exposés avec une g^rande simplicité et une grande
I ^^^^r^tê* sont coordonnés de manière à fi^er dans IVsprit, et cela sans
*^eti|ie peine j les lois lama rckien nés de Tinfluence directe du milieu
^^^ 1^3 êtres vivants et de l'hérédité des caractères acquis, sans pré-
judi^^ du principe de la sélection naturelle de Darwin.
I ^ ***«iuprunie à M. Costantin un seul exemple qui suffira à donner une
JcJeo (Je J'esprit de son livre.
, ^out le înonde connaît les il an es des forêts tropicaleB; ceux qui
^ ^tit pàa voyagé en personne ont lu, dans les récit» des explorateurs,
^ 'l^âcriptions si pitloresquesde ce fouillis inextricable pendant aux
^*^ches des grands arbres et entourant leurs troncs d'ueie multiple
^*^Veioppe; mais bien peu de gens ont pensé que rextslence des liunes
®^ leur présence constante dans les forêts vierges consiituaient un
*ïid enseignement de biologie.
M, CoitErjtin nous le lait voir lumineusement en quelques chapitres
^itrèiTii'ment Cïlairs dont je vais essayer de vous donner la subs^tanco
^^ quelques lignes»
Vous savex tous quelle inlluence extraordinaire la lumière exerce
TOUîî L. — 1900. 1*2
178
REVUE PHlLOSQPHiaUE
sup les plantes vertes ; ce n'est pas qu*eHe rende leur croiâsance plu;
rapide j aiî contraire^ mais elle ajoute .lu phénomène tle la crûissfince
même de ïa plante^ un autre phénomène connu sous le nom d^aciion
chlorophyllienne et grâce auquel des substances empruntées direc^
tement à ratmosphëre viennent se Bxer dans les tissus de la plante.
En l'absenoe de cette action chlorophyllienne, la plante ne pourrait
emprunter ses matériaux de construction qu'au sol dans lequel eile
est fixée, mais elle pouaserait plus vite, par là même, car Faction
chlorophyllienne introduit des substance*; nouvelles {substances amy*
lacées) dans la plante aux dépens de ratmosphère (acide carbonique],
et aux dépens aussi de la substance préexist^inte de la plante» donl
raccroî^tsement devient ainsi moins rapide. Seulement, si raceroiss^
ment est moins rapide, la structure est plus résistante. Vous avez tous
pu vous en t^m vaincre par une observation courante : lorsque dea
pommes de terre sont abandonnées dan>ï une cave obscure, humide et
tiède, elles germent et donnent en quelques jours de longues li^jôi
blanches et mulles qui ont quelquefois plusieors mètres de longueur;
c'est ce qij*on appelle des pLintes étiolées. i6i la cave possède un sou-
pirail par lequel tiltre une petite quantité de lumière, ces longues liges '
blanches rampent vers la lumière et, à mesure quelles s'eu rappro-
chent, leur extrémité se dresse et verdit.
Les mêmes pommes de terre ^^ermant à ciel ouvert, en pleine
lumière, auraient donné dans le même temps une petite tige courte,
mais dressée, robuste et verte.
Cet exemple su Qit à faire comprendre Thistoiredes lianes^
Supposons, au voisinage d'une forêt tropicale, c'est-à-dire d'une
forêt dans laquelle rinteiisité de la végétation oau^e une obscurité
presque complète, une rég:ion nue, une savane, dans laquelle les plantei
vivent librement sous le eoleil et ont l'allure normale des plantes
saines bien éclairées.
Les graines de ces plantes libres se disséminant par les moyens
nntureh (vents, oiseaux, etc.), quelques-unes d'entre elles pourront
ôtre transportées dans la forêt et germer ^uv l'abondant bumu5 qui en .
forme le sol, exactement comme une pomme de terre germe dans mu
cave obscure et tiède, c*est -à-dire que ces graines donneront dei
plantes éliolées qui ramperont sur le sul ou sur les souches des végi
taux voisins. Beaucoup de ces plantes mourront asins avoir pi
aUeiJidre la lumière vivi liante, mais il faut bien se dire qne, miil^
répaisseur du feuHlagi* des grands arbres placés au-dessus, Tobsci
rite n'etft jamais complète au niveau du sol dcH forets viers^es; il y
dans le plalond verdoyant de ces forêts, un grand nombre de joui
analogues an soupirail de notre cave de tout h l'heure et vers lesquel^^-^*
en vertu du phototropisme, les plantes étiolées se dlrig<'runt si elle=3
le peuvent, c'est-à-dire si elles trouvent des supports qui les y condi^^i
sent mal^^ré tour slructute peu résistante* Ain^i se formeront, dans 1^^^
forets, de ces longues tiges faibles et ilexibles qui, dépourvues (^^^j
AlfALTSES. — j. nosTvNTîK. La nature tropicale 179
ïijLÎlles ou^ du moins, pourvues de très rares feuilles dans la région
bscure, pourront s*épaiiouir au contraire en une abondante frondaison
m -une vigoureuse noraison, en présence de la lumière.
■X^otis aurons ubtenu ainsi une plante qui a déjà Taspect de ce qu*on
fcpelle ordinairement une linne. Mais cette forme de liane sera-t-elïe
mmédiatement tixée et héréditaire 1' Evideraraent non. Les fleurs que
!iotre plante aura données dans sa région éclairée donneront des
gratines que les hîisards de la dissémination pourront amener sur le
■pi. soit dans la savane voisine, soit dans la forêt,
■ Celles qui seront amenées dans la savane donneront des plantes nor^
Balles, comme si elles ne provenaient pas d'un individu transformé en
■atte; cette forme de liane n'aura été qu'une forme accidentelle,
B%»tenue par une obéissance actuelle à une cause actuelle; la causa
Bllsparaîssant, Teffet aura également disparu.
Mais d'autres graines de notre plante à forme de liane tomberont
dam la forêt et donneront de nouvelles plantes étiolées dont quelquca-
^ri€s mourrontu dont quelques autres vivront comme la précédente en
pï'^^nantla forme d'une liane; et ainsi de suite, pendant une série de
géfuirîUionSj ils'efîectuera une sélection entre les graines qui tombe-
ront dans la foret, les plus aptes à la vie sous forme de liane persistant
*^ule3. Et ainsi, petit à petit, ce caractcre de liane, acquis sous l'în-
^*Âcnce de conditions de milieu toujours les mêmes, se fixera dans
1 hérédité de cette série de plantes; on finira par avoir des plintes,
^«loirablement adaptées à la vie sous bois, et qui auront une hérédité
^lleque* même transportées en dehors du bois, leurs graines donne-
^rit naissance à des individus rampants et grimpantft. On connaît
'fidcoup d'exemples de ces lianes^ définitivement lianEs^ qui repro-
^ites par semis dans des endroits découverts, y conservent leur
kt^actere de liane.
Oette interprétation de U genèse des lianes fait prévoir que, dans des
'^ions voisines, Tune nue, Tatitre boisée, il pourra exister deux
'iélés de la même plante. Tune arbuste ou arbre normal, l'autre
^rie rampante et grimpante. Far exemple ♦ il existe au Brésil une
^F>«^ce de Fuchsia qui, dans les régions découvertes et éclairées^ forme
'^ buissonsdeun à deux mètres: la même espèce présente une variété
"i tu pan te qui vit dans les forêts et a une hauteur plus considérable,
•tume les autres Fuchsias du Brésil sont des arbustes, il est très vrai-
Iblable que pour l'espèce dimorphe dont nous venons de parler, la
^Atte liane ^st tme forme dérivée par adaptation à la vie sous bois.
Oette forme Unnc, adaptée pendant de lons^'ues générations à la vie
^ï'estière, peut conserver son type ramp[int quand les graines qu'elle
ï*^ijduit se trouvent par hasard disséminées en rase campagne, de
ti*^tte qu'on a pu croire que les lii^nes étaient de véritables espèces,
^^dis que ce sont seulement des variétés adaptatives.
Wrmi les caractères qui distinguent les lianes, leur allongement
^Mcaord maire n'est pas le moins curieux: des rofan^^ peuvent avoir
180 REVUE PHILOSOPHIQUE
plus de 300 mètres de long et vous savez que leurs entre-nœuds sont
quelquefois assez allongés pour qu'on en fasse des cannes très esti-
mées, connues sous le nom de joncs de Singapour.
Un autre caractère des lianes est le caractère volubile^ la tendance
à lenroulement autour des supports; or ce caractère est précisément
un caractère des plantes étiolées ainsi que Tavait depuis longtemps
remarqué Sachs; KoU Ta démontré expérimentalement en cultivants
l'obscurité des plantes dépourvues de torsion et en constatant que
beaucoup d'jsntre elles acquéraient la torsion par Tétiolement.
Il y a bien d'autres modifications dans la structure des lianes, modi-
fications plus profondes et que M. Costantin montre dériver de réclai-
ment particulier et des autres conditions spéciales réalisées dans les
forêts vierges. Je ne peux pas le suivre dans cette étude de Faction '
directe du milieu sur les végétaux et de la transmission héréditaire
des caractères acquis sous Tinfluence de circonstances nouvelles. Les
lignes précédentes sufTisent à donner une idée de l'intérêt que peut
présenter la lecture de La nature tropicale. Le titre même de la
première partie de ce livre suffit à donner envie de le lire; je dois dire
d'ailleurs que ce titre « Origine de la forêt » tient bien ce qu'il prom©*
au lecteur. Ensuite, après avoir longuement étudié les caractères et 1a
formation des lianes, l'auteur passe en revue les autres joyaux de l^
forêt vierge, les plantes épiphytes, c'est-à-dire celles qui poussent su.^
les arbres en leur demandant seulement un support sans leur emprut»^'
ter de substance; vous comprendrez immédiatement quel intérêt pr^'
sente ce groupe de végétaux quand vous saurez qu'il comprend 1^^
plus admirables des Orchidées.
Le chapitre des parasites nous éloigne un peu de la région trop*'
cale; pour nous expliquer le rôle du parasitisme dans l'histoire d^*
végétaux, M. Costantin prend des exemples dans notre région tet^*'
pérée; mais ces exemples n'en sont pas moins intéressants pourcel^'
Nous revenons aux tropiques avec l'étude du rôle des fourmis dans ^^
végétation et avec celle de l'influence de la mer sur la mangrove c^^
flore des palétuviers, etc.
Je ne puis que signaler en passant toutes ces questions si instruC^
tives; le lecteur qui commence à suivre M. Costantin dans son excur-
sion le suivra jusqu'au bout sans se fatiguer et, tout en assistant à ud^
série de tableaux qui donnent envie d'aller immédiatement voir si
cest vrai, il acquerra un grand nombre de notions de biologie générale
solidement étayées sur des faits nombreux et .soigneusement décrits.
FÉLIX Le Dantec.
Denis Courtade. — L'Irritabilité dans la série animale (Collec-
tion « Scieniia » n» 7, janvier 1900. G. Carré et C. Naud. éditeurs, Paris,
in-8 écu, 86 pages).
Le titre est assez mal choisi, semble-t-il, pour un ouvrage où il est
rALYSES. — cotJRTADE, rirritahilUê dans la série animale 181
Fi-a-ité de la malière vivante (p, 12-2t), des corxditions requises pour que
la vie se manireste (p. 22-34), des irritabilités nutritive et fouction-
îie^lie (p. 35-6*2), enfin des pliénomènes nerveux dans leura rapports
AVeo rirritabitiié (p. 6:^79] et de la nature de rirritabilité (p. 80-86),
P^iis qu*à aucun moment les divers degi es de la série animale soient
parcourus. Toutefois, on ne saurait méconnaître Tutilité de ce petit
livre où un grand nombre de notloîis diverses sont condensées en
(|uelques paij^ea.
Glîsson (iC34-l(i7I) avait émis Tidée que la matière vivante est irri-
table par elle-même; Haller (1708-1777) démontra l'irritabilité du muscle
et du nerf; Bichat constata que touâ les tissus sont irritables; Brgus-
iais considéra rirritabilité comme la propriété essentielle de tout
Krivant; les travaux de GLiude Bernard « ont rattaché d*une façon délî-
Hultive les phénoménea vitaux aux lois physico-chîmiquos b, de aorte
Bi|ue rirritabilité et la vie ne paraissent plus des phénomènes mysté^
rieax. D'après le^ travaux récents de Kosselli Zacharias, Altmann, les
substances formant la partie réellement vivante de la cellule ne seraient
q^ue des combinaisons de Wicide rnwléique (C'*H*^Az*Ph^O^^) avec des
L «ubBtftnees proléiques non pbosphorëes. Sans doute les composés
■ vivants ont une complexité beaucoup plus grande que les composés
n î^ctudie la chimie, inorganique ou organique; mais <t depuis le
minéral le pïu<i simple jusqu'à i'ivnimal ïe plus compliqué en organl*
«ation^ tout n'est qii'ussembLij^e, dans des proportions variées, des dif-
1 férentf corps simples connus, et les phénomènes qu'ils présentent sont
H >ouB de môme ordre et obéissent aux mêmes lois n (p, 8l>}. La nature a
p • uni* manière de modifier l'énergie beaucoup plus perfectionnée que
^ nôtre *; elle provoque les réactions chez l'être vivant au moyen de
fermentiitions (oxydases) que nous ne savons pas encore produire r
'U^is il y a de frappantes analogies entre les manifestations de la vie
ï^rtoutdans rirrît;ibilité nutritive) et les réactions chimiques produites
par certaines substances minérales (ferments minéraux de Duclaux,
^iiociaste de manganèse de Bertrand)» « Si nous appliquions à un
ïimpie fuit de chimie générale les idées et les expressions usîtéea en
pïlysiolog-ie, nous ne manquerions pas de dire que Tirritabilité du
I Potassium est mise en action par le contact de Teau et que le résultat
^^ l'ôxcilâtion est une production lumineuse j* (p, 84).
• U fonctionnement de l'animal le plus compliqué peut être ramené
**tciivité protopbsmique d'un être unicellulaire » [p. 3â), L'irrilabi*
^Ué nmj^ItlyQ consi'^le en une sorte d'aptitude aux réactions qui ont
P*ïur moyens des ferments, solubles ou figurés, La distinction entre
'^î'iïienti solubles et ferments Jigurés a d'ailleurs perdu son importance
P'*J* iuilc de la découverte d'Ed, Buchner, qui a pu retirer de là cel-
**l^ une diastase appelée zijmase^ découverte qui « permet de faire
^ntffp mi phénomène considéré jusqu'ici comme exclusivement vital
"^^^U le domaine des faits phystco*chimiques * (p. :J9)* L'irritabilité
^^aetiofilielle se manifeste par des phénomènes : 1^ caloriques (surtout
182 REVUE PIIILOSOPIIIQUR
par oxydation déshydrates de carbone); ?* de mouvement, e%plïc a t>Iftî
par le chimiotactîsme, le galvànotactîsme, le thermotropisme, le Itiig^j
motropianie^ etc. j 3'' lumineux (transformation en lumière de réiier^«
chimique résultant de la vie protoplasmique) : i" nerveux (le noy^^ |
dans la cellule joue le rôle du système nerveux dans les corps oe^^'
nisés) (p. 66), u Plus on avance dans l'étude de l'organisatioa cft ^
matière vivante et plus on s'aperçoit que rautonomie des diverses irri-
ta bililés locales disparaît pour faire place aux manifestations de rir**i'
tabîiité nerveuse, néLessairement difïérenles suivant les organe» *
(p* 79). Les organes sont ordinairement exciléw par voie réîlexe; par **
même voie sont inhibées un grand nombre de réactions. Mais * 1^
système nerveux n'entre en jeu que pour présider à rulilisation d^* —
réserves accumulées pendonL le fonctionnement rcellement vital de la H
cellule S' (p. 72), Ce quUl importe donc de connnitre pour compreol^*
les phénomènes vitaux, c'est l'activité cellulaire que les travaui d*
nos savants nous montrent de mieux en mieux analogue à des réactioCis
physico-chimiques très complexes, de sorte qu'il est de plus en plu^
certain que dans ta nature il n'y a pas d'hiatus entre les substances
dites inertes et ks êtres dits animés.
G. L. MUFflATr
A. Her^en, Causeries PuvsiOLOtiiQUKS. Faris, Alcan, 1899.
Dans ce volume de :^5(> pages environ Herzen fait, à Tusage des
personnes qui n'ont point étudié, les sciences biologiques, un résumé
assez étendu de nos connaisf^ances uctnelles en physiologie. La lecture
en est fort attachante et plus d'un homme de science pourra y relire
des données intéressantes. L ouvrage est didié aux filles, bellea-lillea
et nièces de Tauteur: ceci nous explique sans doute la présence de
nombreuses anecdotes accueillies ou interprétées sans dëtiance; elles
faciiileni ta lecture d'un traité que ïn manière de Fauteur rendrait par« i
ticulièrement aride. Je lis à ta page iî42 que leiî élèvea apprennent
toujours à lire en lisant à haute voix; Hei zen ajoute : ^ Chacun peut
observer qu'en lisant des yeux, on entend intérieurement le son des
paroles que l'on voit- u C'est à mon avis inexact; les auditifs et cer-
tains moteurs seuls font ainsi.
Une partie du dernier chapitre est consacrée k la Volonté, à la Liberté
à la Moralité. Je ne puis Tapprécter ne Tayant pas comprise; il m'esll
impossiblo de eomprendre pourquoi, d'après les définitions de rauteur,'
une action morale doit nécessairement être libre ; Tidée que Ton se fait
du devoir» souvent la façon de faire le devoir étant souvent en com-
plète contradiction avec les tendances de la nature intime du sujet, ^
La série des raisonnements par lesquels passe l'auteur pour pauvoifS
stigmatiser la lâcheté et rtnd^^'nité de rhomme qui n écoule pas la
voiï de sa conscience, et arriver à prnner la devise a Fais co que dois,
advienne que pourra » m'échappe absolument.
fe
AKALTSES. — H. THIILIÊ, Le Ûi^esnage des jeunes dégénérés 183
Ces criUques (dont certaines n ont sans doute que la valeur d'appré-
<3iatiûns personnelles) mises ù part^ on peut dire que cette œuvre,
écrite par un maître de la science dans un but de YulgaHsation,
**éprmd entièremetit au defisein que se propose Tauteur et qu'elle a sa
J>lace indiquée cîans toutes les bonnea bibliothèques.
I
m. — Psychologie pathologique.
B-" H. Thulié. — Le ORESSAriK des jeunes DÈGÉXÈlŒi^ Ot; ORTHÛ-
ï'HRKNOPEOiE. i vol. iu-S, G78 pages, 53 figures» i9Û0. Paris, F. Alctin
et bureaux du Pi^ogrès mèdwaL
Dans son récent ouvrage La Fr^ince au itoinl de vue momt^
>!* Fouillée a rt^sumé les t nivaux déjà nombreux qui prouvent Tac-
croisï^tnient eonslant de la crinunaîUé en notre paya. Ce qu'il y a de
plus inquiétant dans cet accroîsïsement^ c*esL la part qu'y prennent les
enfants et les jeunes gens. Aussi M. F<millée inaîste-il ^ur la réforme
urgente de réducaiioti morale et religieuse» sur la nécessité de pré-
server l^enfnnce et la jeunesse d'une « contagion morale u, que îe rôle
udteu3t joué par certaine presse rend sans cesse plus redoutable.
M. Thulîé, en médecin-sociologue, est venu nous donner ce qui man-
quait au livre de >L Fouillée : une vue profonde sur les dègéfiéréë et
sur Ipur traitement médico-psychologique. C*est en efTet raicroisse-
ment continu du nombre des dégénérés qui explique le mieux Taccrois-
sèment continu de la crinùnalité en France. Quand on peut visiter
chaque jour un asile d'aliénés, étudier de près les tendances»* les états
(l'âme des jeunes idiot», imbéciles, faibles d'esprit, instabEes, hystérî-
queSj épileptiques, qui y restent trop souvent sans traitement etlicace,
qui }* grandis^srnt sans améHoration mentale et morale, et, au contraire,
avec une exacerba tion périodique de leurs vils appétits ou de leurs
inclinationi* dépravées; quand on peut les comparer aux jeunes erimi-
nelfl des deux sexes que certains parquets soumettent réirulièrement
a l'examen des aliénistes, on comprend, on sent, on voit ïa parenté
étroite de ces êtres débiles et de ces malheureux délinquants : on est
CM>nvaincu que la lutte contre la dégénérescence, ses causes et ses
conséquences mentales et morales, est la lutte môme contre la crimi-
nalité. On apprécie dès lors la haute portée d*un livre qui, c^'mme
celui de M. Thulié, met en lumière les principes de l'éducation phy-
sique, intellectuelle et morale des dégénérés^ Indique îa méthode
usitée et les résuitata obtenus par des savants philanthropes^ tels
que M. Dourneville^ qui a employé la majeure partie de son existence
à transformer de misérables enfanta, gâteux, insociables, incapables
d'attention ou de moralité, en êtres sinon utiles à la société, du moina
susceptibles de se procurer des moyens de subsistance et de respecter
les lois.
i84 REVUE PHILOSOPHIQUE
MM. Magnan et Legrain ont défini la dégénérescence : « Tétatpaàfe bio-
logique de Tètre qui, comparativement à ses générateurs les f>lu5
immédiats, est constitutionnellement amoindri dans sa résistarmce
psycho-physique et ne réalise qu'incomplètement les conditions biolo-
giques de la lutte héréditaire pour la vie ». L'alcoolisme est une cS^
principales causes de dégénérescence; il va sans dire que si Â^
parents présentent des stigmates de dégénérescence, les enfants ^^
présentent aussi, qui ordinairement sont plus graves, et en géné^*-*;
différents, de sorte que des alcooliques peuvent donner naissance ^
des cpileptiques et ceux-ci à des idiots. Il y a donc des degrés dans ^
dégénérescence : au niveau inférieur, se trouvent les idiots, plosC^^
moins idiots; puis viennent les imbéciles; ensuite les impulsifs, in. ^'
tables, pervertis, invertis, plus ou moins aliénés; au-dessus apparai -^'
sent les « dégénérés supérieurs », vagabonds, délinquants, criminer-^J*
au premier degré, et, à un degré plus élevé, intelligences lucides ma ^^^*
consciences débiles, génies partiels, talentueux abouliques, espri^^^
brillants mais superficiels, dont l'évolution présente de su^rprenan^^*
hiatus, d'incompréhensibles défauts, un caractère asystématique assu:^'
rément maladif. Une aussi vaste classe que celle des dégénérés ne ^^ ^
prête pas à une classification complète; elle constitue une hiérarchS- ^
aux multiples degrés dont le stigmate commun est le déséquilibre d^^
fonctions mentales (Cf. chap. i à vi, xiv et xv).
L'instabilité mentale est si grande chez les idiots que le traitement
de ces dégénérés inférieurs consiste tout d'abord dans Téveil de l'at-
tention, par la répétition de mouvements, passifs au début, actifs dans
la suite. « Il est nécessaire, pour établir une fonction, de faire appa-
raître d'abord la sensibilité spéciale sans laquelle le réflexe ne peut
exister. » Or Séguin ne s'y était pas trompé : « il considérait comme
le facteur principal de l'éducation de l'idiot la répétition patiente et
incessante des mêmes impressions. » Quand l'imitation « qui est le
premier et le plus sûr facteur de l'éducation de l'enfant normal et que
Ton retrouve dans les sociétés animales », peut venir en aide à la répé-
tition machinale, les progrès deviennent rapides (chap. viii). Pour
« faire naître les différentes sensibilités chez ceux où elles sont endor-
mies, on produit des impressions multiples, violentes et variées: on
projette subitement un rayon lumineux dans une chambre noire où
Ton a placé Tidiot..., on agite des étoffes aux couleurs éclatantes, on
fiiit tinter près de lui une cloche aux sons vibrants..., on saisit l'en-
fant d*un contact vif, etc. Ces impressions répétées à des moments
différents pour éviter l'accoutumance rendent chaque sens endormi
plus accessible et plus apte à la sensation ». Une fois Tattention attirée,
il faut 0 que l'éducateur s'ingénie à trouver les moyens de la main-
tenir, moyens qui varient avec chaque enfant » (chap. x, p. 130-132).
D'après Séguin, f^ le premier sens à exercer chez l'enfant, c'est le tou-
cher P. La main, ordinairement dépour\'ue chez l'idiot de sensibilité
aussi bien que de motricité intentionnelle, est promenée sur des sur-
AifAt.TSE5, — TL TiiULiÈ. Lb dr&ssagê des jeunes dégénérés 185
faces plîiiies ou rugueuses, ensuite sur des corps chauds ou froids,
puis sur des corps dura et mous, jusqu'à ce qu'elle devienne apte k
faire distinguer les divers de^çrés des qualités sensibles (chap* Xï,
p. f4M43). De même pour l*éducation des sens visuel et sonore on use
de la répétition, aussi souvent que posMhle imitaiive^ on combine lei
données des sens Jiïusculaii^e, tactile et visueli pour faire reconnaître
les diverses formes de solides, puis les diverses formes dessinées; la
musique, qui cause toujours un vif plaîsîr aux idiots dont les sens
sont le plus obtus^ .1 est un des excellenia moyens pour les faire
sortir de leur inertie auditive » (p. t5T). L'uange de la parole exige
comme condition prûaïable « la possibilité d*en tendre, de fixer dans la
mémoire et de reproduire les différentes articulations qui constituent
les mots tï : on fait en conséquence « subir une gymnastique passive
à tous les orj^anes accessibles de rarticulation des sens.., D autre part,
afin d'augmenter la puissance du souflle qui produira le son glotiique,
en ejierce l'enfant à éteindre une bougie que Ton éloigne griiduelle-
menl ». On adjuvant précieux est TapLitude démontrée de 1,l plupart
des idiots à retenir facilement îes airs de musique même les plus difti-
ciles : « Tair fera retenir la chanson, le rythme et la sonorité musicale
feront répéter le mot comme un son quelconque 0 (p. 165),
Il va sans dire que Téducation des sens et de la parole ne peut pas
le fiiire sans une éducation progreâijive des fonctions motrices. * Pour
prépartM* les membres inférieurs aux exercices destinés à enseigner la
marche^ on les soumet à des frictions stimulantes et à un léger mas-
sage des muscles, frictions et massages qui contribuent à donner non
seulement une plu« grande vitalité aux parties appelées à fonéiionner,
mais encore à développer la sensibilité Locale absolument néoc^saire
pour la station debout comme pour la marche » (ch. ix, p. 117), La
gymnastique passive donne de la souplesse; le massage des articula-
tions peut être complété par Texercice du « fauteuJl-trejnpUn «, exer-
cice qui consiste à mettre le jeune idiot z^ur une sorte de fauteuil se
balançRnt «> de telle façon que la plante des pieds %'a frapper une planche
irerlicaJe élastique et faisant tremplin n. Ce procédé employé par le
D' Bourneville et inventé par Séguin est un des plus caractéristiques
parmi tous ceux qui servent â éveiller et développer la sensibilité tac-
tile et musculaire, condition des réllexes qui servent à la station
debout f à la marche, à la préhension, à Tascenston, etc. Les barres
parallèles, les chariots, les escabeaux à sauter, tes échelles de
corde, etc*, permettent d'enseigner a Tenfant Tusat^e de ses divers
ambres : » les mouvements sont forcés de se régulariser u et celte
iucalLon physique contribue a la fois au dévoloppement intellectuel,
en facilitant les exercices des sens et de Tiittention, et au développe*
ment moral en habituant à robservation d*une règle, à une discipline
du corps et de Tes prit (cf* chap* ix et chap. xx).
Quand par des exercices appropriés l'enfant non seulement est
devenu propre, mais a appris à se servir de ses mains et à marcher,
1&6
BEVUE NllLOSOPHIQlE
sauter^ courîr, ee mouvoir normûleiïient, on peut poursuivre Fédueip
tiûiï des fonctions ïutelleLHuell^a. On comnience par des leçons de
choses, qui parlent aux sens (p. 181); puis oit habitue r«»prit aux
ligures géométriques, par exemple comme le fait M, Ilo urne ville, qui
a donné dans les jardins scolaires «f îa reproduction des difforeîilei
surracGs par des petites pelouses taillées en triangle.^, carrés, lert'lÊa,
ovales, trapèzes, ele*,. ; la représeïilation des solides : ifs, fu&aiikfi*
tailîés en cubes, sphères, cônes, pyramides, etc*.* 9 Eu même Hmp
on s'adresse à la mémoire, do façons diverses selon le type des ima^^çà
prédominantes* w tl est essentiel en effet pour l'éducateur de coaaàftre
cette aptitude spéciale à chacun des malades, cette dominante, et de
la développer ■* On passe des objets les plus intéressants aux sujets
qui exigent un plus grand désintéressoment, c'est-à-dire aus absimC-
tions de plus en plus scientilîques. tx La notion des nombres ne pénètr^
que très diflicilement, il est v\a\^ dans rintelligence courte de v*-' ^
infirmes et renseij^nement du Lalcul demande des ^innées d'exerdL^e? *
et de démonstrations a (p, i'J9); du moins peul^on donner tiux espri*- ^
débites quelques notions utiles, indispeni^ables à b vie de tous les jou»"^^
et qui permettent 1 educatmn prûfessionnelle. La section des cnfaa*- ^
idiots de Bicêlre comprend huit ateliers : imprimerie, menuiserie, sr^^^
rureHe, couture, cordonnerie, brosserie^ i^annerie, rempaillage* « U ^-^^
certain nombre d*enfauts qui ont passé par ce service ont quitté rbos
pice et sont placés; c*est là un résultat merveilleux que des petit ^
malheureux entrés gâteux..*, ne sachant se servir ni de la cuillère, m^ ^
de la fourchette* ni du couteau, etc., aient pu devenir propres et as^e:^^
développés intellectuellement pour.*, s'exprimer clairement et gagne^^
leur vie » (p. 2\2, chap, xu et obs. pp, 596-67 1))*
L^assÎBtanee des dégénérés inférieurs est d'autant plus nccessair^^
que les idiots sont une trop lourde charge pour les faoïilles pauvret
quand ils sont guteux et incurables, que « les idiots qui peuvent vivr^
en liberté sont capahles de commelire tous les attentats contre le?^
propriétés et contre ks personnes " bien qo*iis niaient pas d'inientinm^iei
criminelles, que les imbéciles agissent souvent dans le dessein de^
nuire, que « le peu d'intelligence dont ils jouissent est entièremfnt^
employé h combiner des méchancetés et des actes de vengeance : il
en est qui ré vent de faire écruulei' une maison pour le refus d*un mor-
ceau do sucre y (p, T22}', qu'en fm la perversion sexuelle des idiots et
des imbéciles est extrême, jointe îe plus souvent à une * récondué
menaçante »* Sans doute les dégénérés ne se reproduisent guère au
delà de la quatrième génération^ comme Morel l'a bien indiqué; mait
chacune des générations est d'autant plus proli tique que les 11 lies
idioles et imbéciles ne le cèdetvt en r^en aux garçons en appétit st^xueL
« Le Êcul moyen d arrêter la Béleclion en sens inverse, révolution
régressive de la race amenée par hi reproduction des dégénérés i,
serait la castration des idiots et des imbéciles: mais ce moy^^n de pro-
phylaxie sociale paraît d'une application impassible ip. 1235), Il faut
^^^riALTSES. — il, TIIULIÉ. Le drûêêagë des jeunes dégénérés 187
^X^c^ multiplier les hospices du genre de celui de Bicëtre et organiiier
une loi le Iraiteaient obligatoire des dé^^*'ênéres iniéneurs dans
s les asiles d'aliénés où doivent être établis des quartiers d'adultes
aisant suite h l'école de redressement « et munis d'atelierB pour
«rîij cation professionnelle (p, îi? 'M6),
jes dégi^nérés supérieurs nlntéressent le médecin qu'autant quHIs
1 1 devenus délinquants et criminels. L^intégrité apparente de leurs
<3t:îons intellectueUes les fait trop souvent classer parmi îes indi-
us responsables de leurs actes et nia.sque un déséquilibre r^eL un
banque de sens moral, de # logique pratique », une iucohéreiiee toa-
i^-ÊTG^ « C'est toujours robjet d'une surprise profonde de les voir d'un
^*^ forinuler les théories morale.'? les plus élevées.,, et de l'autre com*
tKïttre des actes d'indélicatesse ou d'immoralité *, qu'on ne peut k
»a.\ieto de leur fréquence attribuer à une erreur ou unt* défaillanue
fecidentelle (ch, XV, p. WO). L'obsession, l'impulsion, les phénomènes
Tar-rêt appelés parfois « impulsions négatives u, sont les principaust
symptômes de la folie des dégénéréSi du trouble de l'esprit qui peut le
*^^s souvent prendre le nom de « folie morale » (p. *î03 sqq,).
V.*ldéc de sanction est- elle applicable aux actes délictueux des dégé-
^^t"és supérieurs ? Cette idée qui, à notre avis, est une conception
'^tïiorale lorsqu'il s'agit d'imposer une expiation à l'être normal, Test
^ ^ortîori quand elle entraîne la souffrance physique, la peine» au sens
l^i-idiqye du mot, pour le malade irresponsable. Il ne saurait ôtre
HUeitjon que de sauvegarde sociale et de réfection morale du coupable
^tiaud on u devant soi un dégénéré (p. 317). Tout d'abord» a au point
^Z vue du redreasement moral de Tenfant comme au point de vue de
*a protection» la loi sur ia correction paternelle doit être absolument
lofait e » Ip- 335J. Il faut ensuite empêcher le vagabondage en appli-
quant strictement la loi sur robligalion de fréquenter les écoles pri-
niaireSj obligation étendue même aux enfants nomades (p. 3tiO). Enfm
il faut fonder sur le modèle de certains établissements anii:lais des
t i!CoIes de réforme » qui ne reasemblent en rien aux colonies péniten-
tiaires et aux maisons de correction actuelles. Autant que possible il
faut introduire dans Técoîe de réforme en même temps que l'et^prit de
discipline, d*ordre, d'économie» avec » rinfluence de la femme •, Tes'
prit de famille (ch, xvin, p. 385). L'éducation intellectuelle doit avoir
pour objet de iixer Tattention, d'augmenter les facultés de comprendre,
déjuger, de raisonner plutôt que la faculté de se souvenir; l'éduca-
tiiïn physique doit tendre à créer « le réHexe de Tobéissance û, et à
discipliner bien plus qu'à divertir. L^enseignement professionnel doit
comprendre des ^ tenons d'initiative >, La conscience morale doit en lin
ne former par la théorie et par la prali([ue : chante exprimunt des idées
morales fréquemment répétés, vie régulière, imitation d'aitrs charita^
bleSt union intime du précepte et de l'exemple surtout en matière de
jiiilice, abstention de toute punition dégradât nie, culture intensive du
lentrment de la dignité personnelle (ch. \% u %xm)^
188 REVUE PHILOSOPHIQUE
Nous avons tenu à signaler du livre de M. Thulié les passages
plus importants : il faut renoncer à indiquer même d*une façon goni ^^
maire des aperçus bien intéressant®. Le livre est touffu, le plan n'eC"^
est pas toujours très clair; plus de systématisation eût été indispeu-'-'^
sable à la clarté et à la compréhension totale de Touvrage. Il y a des^^
assertions discutables; mais, en général, les idées exprimées sont de ^^
la plus haute importance. La bibliographie est incomplète et une part ^
plus large eût dû être faite aux travaux des psychologues contempo- ^
rains qui ont donné un aspect si nouveau à la pathologie mentale; ^
Tœuvre, pour nôtre pas celle d'un Charcot ou d'un Magnan, n'en est -
pas moins consciencieuse, utile, et sera, nous Tespérons, féconde en
heureux résultats.
G. L. DUPRAT.
Ch. Féré. — L'instinct sexuel, évolution et dissolution, Paris,
1899, Alcan.
Il serait grand temps de faire enfin dans l'éducation une place à
l'instinct sexuel. Cet instinct est livré à lui-même ou plutôt il est livré
à toutes les excitations, à toutes les provocations les plus malsaines,
tandis que l'hypocrisie sociale feint de l'ignorer dans ses fondements
physiologiques, ne consentant à le reconnaître qu'en lui appliquant
des lois si imparfaites et si souvent enfreintes, précisément grâce à
cette ignorance systématique de la vraie physiologie et j'ajouterai de
la vraie morale. Il faudrait enfin avoir le courage de parler tranquille-
ment, ouvertement et scientifiquement des fonctions sexuelles au lieu
de se borner comme plus vertueux à méditer des romans obscènes et
à aller voir des pièces de théâtre licencieuses. Cela serait peut être
plus favorable à la société et à l'individu. On ne trouverait certes
aucun plaisir malsain à lire le livre de M. Havelock Ellis que j'ai ana-
lysé dans cette Revue, Et véritablement celui qui rencontrerait dans
le livre de M. Féré un sujet d'excitation erotique ne pourrait être lui-
môme qu'un malade. Aussi ne saurais-je trop recommander la lecture
de cet ouvrage, surtout à tous ceux, médecins ou professeurs et insti-
tuteurs, qui ont à donner des conseils en matière d'éducation do la jeu-
nesse, et qui dans l'immense majorité des cas, si peu et si mal élevés
eux-mêmes, ou sont ignorants de cette question do l'instinct sexuel dans
ses détails scientifiques ou, ce qui est pire, partagent en outre tous les
préjuges des hommes sur l'irrésistibilité de cet instinct et se contentent
de dire qu' « il faut que jeunesse se passe ». On verra très clairement
démontré que cette nécessité d'une conduite immorale n'est nullement
prouvée, et que si l'éducation était bien comprise, si les mœurs géné-
rales étaient vraiment bonnes, la règle de la continence absolue en
dehors du mariage ne souffrirait que les exceptions... qui confirment
la règle. C'est que l'instinct sexuel n'est qu'un instinct, et que la civili-
sation consiste précisément dans la subordination des instincts à des
ANALYSES. — c. FÉRÉ, V instinct nezuel
1S9
sentiments supérieurs, permettant seub par leur prédominance la vie
en tiociété. C'eat que la morale commande h l*homme aussi bien qu*à
la f^mme (il n*y a pus deux morales) la continence ou le mariai^e, et
dans le mariage, la chasteté» c'est-à-dire la modération dans les rap-
ports sexuels. Et quo i on ne vienne pas obJÊ-cter la nécessité physio-
]o^ic]U6 de l'acte sexael : cette nécessité, M. Féré le montre, n'existe
pas* >Iais il faut que réducation sexuelle soit faite de bonne heure.
L*eii.ro.rit n'est pas raduUei mats cependant les organes existent et se
développent^ une éducation soigneusement Taite^dans et par la famille,
préserverait Tentant de bien des dangers et Tadolescent de bien des
erreurs quM paie souvent fort cher. Non seulement ce sont des dan-
gers txioraux:, mais ce sont aussi des dangers pathologiques, des mala-
dies oontagieuses entre nu très, qui réagissent même sur la descendance
avec cette intensité que if. Fournier a si bien mise en lumière, Montrer
à renfîint et au jeune homme, à chacun suivant son âge, Timportanee
à& la. fonction sexuelle, la gravité de cet aete qui peut entraîner des
con£ïéc|uences si lointaines pour Tindividu et pour autrui, est assurément
tine tâ.che délicate, dillicile, mais qui incombe â ceux qui sont responsa-
bleis des enfants qu^ils ont mis an monde. Ainsi donc pour les individus
oot-n:ia.ux, éduciition qui entraîne la continence et la chasteté, victoire
des sentiments sociaux sur rinstinct, voilà le but qu il faut poursuivre
et atteindre. L individu et Tespôce s'en trouveront bien. Quant aux
^norniaux, c*est encore pins simple et plus sur, La continence doit être
absolue. Les invertis sexuels, s'ils sont traités, ne doivent pas être
poiistàer à reprendre un exercice normal de Tinstinct. Ils doivent s'abs-
J^oîi* complètement. On a attribué à Thypnotisme des guérîsons
^um,bles de malades de ce genre. Il serait très fâcheux que cette
&Meriaon, si elle est bien démontrée, eût pour conséquence la procréa-
■On _ Uq inverti est le plus souvent un anormal, un dégénéré, qui
,Ppsir tient à la catégorie des gens dont il ne fait pas bon descendre :
' ** ^éré donne deux observations â 1 appui de cette opinion. Si donc il
* ^ ^tte catégorie de ces malades qui peuvent être inllucncés par le
/"*^* Peinent, ce traitement ne doit jamais tendre au rétablissement d'un
'^•-^tionnement normal, qui d*ailleura, en général, serait « bien plutôt la
H ''v^rsiQn de rinverti que la guéri son de lin vers ion », p Pousser les
, **'^^rtis congénitaux au mariage ou aux rapports extra conjugaux.
_^^-*^t. sigir à la fois contre la loi naturelle de rinstinct, contre la loi
»*^**^îe de Tutilité et contre la loi philosophique de l'évolution ». Ce
^^ C|ue lorsque les perversions sont sy m ptoma tiques que M, Féré se
^ *^r*tre moine rigoureux : n Certaines perversions épisodiques, dit-il,
*"»i^.nîfe3tent sous rinlluence de conditions physiques déterminées et
t*^t-aîssent avec ces eonditions. Ces perversions Font nettement
' "^ F* thématiques et indépendantes d'une anomalie congénitale. Leur
*^* lation naturelle éclaire la voie à suivre dans le traitement des per»
t _ ^ion<> en général : chercher â rétablir les conditions physiologiques.
">«B»vaisea tendances ont disparu, soit sous Tinfluence du
190
ItEVtïE PHriOSOMUOUI
traiLeiiJont physique» soit sous J*îunueiice du traitement tnoral, si
instincts sexuels norjnau:^ reprennent aans provocation leur allure nor — ^
maie* quelles que soient les réserves qu'on puisse faire sur les risque
d'une génération défectueuse, ïl ne reste qu'à laisser aller* »>
Tout ce côté hygiénique ei moral, d'ailleurs prédominant, de cetB^
ouvraîic, est ctayé par une accumulation prodigieuse» ordiDaire km^
M, Feré, de faits et de citations et par de curieuses observations per ^
sonnelles. On y trouvera aussi des expériences ingénieuses sur les .^
insectes, montrant que chez eux l'inversion congénitale n existe pas
et que les rapports anormaux sont le résultat d'une erreur. Et Ton 8>
convaincra en le lisant, je le répète» que v la vérité et la science n
sont jamais immorales n, comme XL Féré le proclanae dans sa préface.^
par la bonne raison que la vérité et la science sont les bases mêmes
de la morale.
Ph. Chaslin.
Victor Ifodât. — Lm agso-ûik^, la cftciTÈ psychique ek partico-
LIER. Paris, frt^l*, F. Atcan,
Les malades atteints de cécité p*?ychique ont sans doute en grande
partie les sensations visuelles, puisque l'acuité visuelle est ordinaire-
ment conservée : on peut donc dire qu*ils voient, mais ils sont inca-
pables de reconnaître ce quils voient. Us ont la sensation^ ils n*ont
pas la perception; rébranlement visuel produit par Tobjet ne réveille
plus Timmense cortège des anciennes sensations: il y a perte de la
reconnaissance ou de lideniilication, comme le dit M, Nodet, il y a
agno'fCie. Cette reconnaissance qui se passe dans la sphère visuelle
n'est pas la seule; il y a aussi les reconnaissances auditives et tactiles;
chez l'homme les reconnaissances fondées sur rolfaction et la gustattoa
n'ont pas de place bien démontrée. La reconnaissance visuelle joue le
rôle prt.'pondéranE; elle prend par l'éducaiion la place du tact en grande
partie; si bien que si Tas^noscie vi'^uelle est très intense» variable,
s'accompagne surtout d'agnoscit* ticttle localisée, le malade présente
Taspeet d'un dêmi-nt: il soulTrc d'agnodcic multiple ou a^ymbolie, tout
comme s'il n'avait plus de cerveau pour iiiiisi dire. Mais la démence
est encore un pas de plus vers l'abolition du fonctionnement supérieur
de Tespèee et il y a tous les intermédiaires entre la démence vraie et
Tagnoscie vraie.
Cette cécité psychique s'accompagne très fréquemment d^hémia*
nopste ordinatrcmentdroiteet d'une achromatopsie spéciale^ achroma-
topsif* agno^cique. Ainsi, par exemple, un malade de M. Nodet qui
était inL^apabïe de reyonnaître du jaune ou du rouge sur demande,
pO'ivait reironnaîtrc dans un ensemble de carrés de couleurs diverses
les carrés de même teinte. Des malades de Lissauer et de Millier pou*
vaient, d,ins les mêmes ci rcona tances, échantillonner avec assez de déli-
catesse des écheveaiix de même nuance. Il y a quelquefois des troubles
AiffALTSES, — c. BALLET. Swedenborg 191
clana lalootlisatLOn dans l'espace. La perception des formes est altérée
p a i-c^ qu'elle t^st devenue surtout visuelle par réducation, l/onent:itioa
est assez souvent perdue dan^ des cas inten-ies. Et dans ces cas
ifitenses le fonctionnement inti^llecturl des territoires des autres sens
est extrémem'*nt troublé^ vu Timportance considérable de Télément
viaueJ dans toute perception quelconque. Aussi Tétat mental est-il très
^Itftteilc^ h débrouiller ; d'autant plus qu'il semble dans certains cas
survenir des hallucinations visuelles qui viennent pervertir rintellî-
gence seulement obscurrie des malades.
M- Nodel élimine du cadre des agnascies^ les phénomènes agnosoi-
ques fréquents dans les psychoses, dans les névroses, dans la vie ordi*
naîre. Au fond ils ne diffèrent des aî^'noscies que parce qu'ils sont
plutôt fonctionnels, tandis que celles-ci reposent sur une destruction
organique palpable, i/agnoscie visuelle pourrait peut-être être produite
par une lésion purement corticale; eUt^ est sûrement produite par une
lésion portant exclusivement sur la substance blanche ou tout à la fois
sur celle-ci et sur l'éoorce; chaque fois qu*il y a asymbolie, agnoscie
générale, il y a toujours ïésian en même temps de la sphère visuelle.
Très souvent, dans la cécité psychique, il y a double lésion des lobes
occipitaux; quelqui^fois elle est unique, unilatérale: elle siège alors à
gauche ; ce qui prouve que T hémisphère gauche ne préside pas seule-
ment au langage, mais encore ii presque tout le fonctionnement supe-
netlr de Tinteltigenee, C'est ce que Tauteur a observé lui-même îiprès
Lis^iauer et Hahn. Son observation, qui porte le n° t dans la liste des
observations reproduites, au nombre de 67, est très déraillee et un bon
typc^ du syndrome décnt. l/autopsie tU reconnaître un ramollissement
du cuiiéust du lobule fusilorme, du précunéus gauche et du bourrelet
dij corps calleux,
P. C.
*^îlbert Ballet. — ^weoknuouo, Paris, 1899^ Masson,
* ' tiallet n'est pas le seul que Tétude intéressante de Swedenborg
^^nté. M, Wdliam W. Ireland, d.ms son livre « Throug^h thc ivory
I *t nous avait déjà donné une bonne description de l'état mental
^^k homme remarquable, M. Ballet ne paraît pas en avoir pris con-
^ ^^î^Tiec avant de redÎL'er son Itvre^ car il aurait trouvé relevés
^'* Tauteur anglais quelques détails intéressants sur l'ctat physique
^Swedenborg. Ainsi ceïui ci aurait eu un peu de bégaiement et il
* ,^^t eu, d'après ses propres dire^', un peu suspects d'ailleurs d'inter-
^^ *^^lion délirante, la respiration extrêmement superficielle et pour
I ^* parler in^^ensible. Mais l'étude de M» Ballet est bien plus appro-
'^ie au point de vue de la psychologie pathologique que celle do
I /* prédécesseur; elle est écrite avec cette élégance et cette clarté qui
ç^ * ^<ml habituelles. M, Ballet range Taffection que présente à considérer
*^denborg dans le cadre de la théoiiianic raisonnante, à côté de la
^ y Chose raisonnante des régicides^ si bien décrite par Régis. IL place
193 REVUE PHILOSOPHIQUE
Swedenborg à côté de sainte Thérèse; ce sont là deux types des plat,^^^
complets de cette affection mentale qui, pour M. Ballet, constitue un».«-^
« espèce morbide ». Je me demande s'il est bien permis en matière ^
d'aliénation proprement dite de parler d'espèce. C'est là, pour le dir^r ^j
en passant, une grave question que M. Ballet n'aborde d'ailleurs pa -^r:^^
et que je me garderai bien aussi d'envisager ici. Mais cette remarquas- q^
m'est suggérée par ce fait, sur lequel appuie M. Ballet, qu*à côté d^ ^^s
mystiques type Swedenborg il y a des mystiques persécutés q^^ui
n'ont pas d'hallucinations visuelles et qui n'ont que des hallucinatio Qg
auditives. Ce sont des affections évidemment différentes. Et pourt^^^u]^
j'ai eu l'occasion de voir un malade fort intéressant qui avait à la f^c=)i8
les deux sortes d'affections. C'était bien un persécuté auditif, ses per^i^é-
cutions étaient d'ordre mystique et en plus c'était un mystique à haL Ma-
cinations visuelles, à exta>es; il cumulait les deux délires qui s'étai^sot
fusionnés pour n'en faire qu'un. Quoi qu'il en soit, on trouvera Tort
instructif et agréable à lire ce petit volume : l'auteur met si bien en
relief toutes les particularités morbides de l'intelligence de 8wi<l«n-
borg, ses hallucinations visuelles, ses extases, ses hallucinations dmtes
psycho-motrices et psychiques, qui ont tenu dans sa vie une place
plus considér;ible que chez tout autre homme célèbre. Bien que S'vi/'O-
denborg ait eu une influence limitée, il y a encore, même à Paris, des
croyants swedenborgiens; leur nombre serait de cent mille pour toii^
la terre. Ce travail montre une fois de plus le rôle inouï qu'a jou^ «*
joue encore Terreur pathologique dans la vie de l'humanité, gràc© *
l'iirnorance de celle-ci. Arriverons-nous jamais à dissiper assez octtt
ignorance pour empêcher l'action mauvaise du rêve et de nilusior» *
N'importe, il faut y travailler.
P. C.
J. Grasset. — Conférence sur la supériorité intellectuelle e^
LA NbVHOSE, Montpellier, 19U0, Coulel et lils.
Le génie est une névrose, voilà ce qu'on entend soutenir depuis
Moreau de Tours et Lombroso; c'est-à-dire que le génie est une affec-
tion nerveuse, comme le crime d'ailleurs. Est-ce vrai? En fait, et on le
voit bien par l'énumération des nous illustres contenus dans cette
brochure, chez « les supérieurs intellectuels on trouve très fréquem-
ment (le plus souvent même) les signe» d'une névrose plus ou moins
caractérisée, des tares névropathiques, plus ou moins graves, un état
anormal du système nerveux ». Mais quel est le rapport entre le génie
et ces lares névropathiques ?« La supériorité et la névrose ne sont reliées
chez le même individu que par la branche commune. Ce tronc commun
est un tempérament et non une maladie. De ce tronc commun sortent des
branches de vigueur et d'aspect bien différents: l'une rabougrie et mala-
dive (c'est la névrose), l'autre d'une magnifique et vigoureuse fron-
daison (c'est le génie). Comprise et formulée de cette manière simple
«^i
>»;
jkiVALTSES, — ARisTorE. Pi^ûM^^es sur V amour phi^sique 193
et ^i^iêtUote, la question des rapports entre la supériorité intellectualte
et la névrose n'a plus rallure paradoxaie, scandalisante et tapageuse
quo lui donnent les théories de Moreau de Tours et surtout do Lora-
broso •* Telle est la réponse que fait M. Griisset à celte question qa*a
tant agité 1p public savant et même ignorant. Que cette réponse
dîfTère de celle quedonrie Lombro^o.certes» puisque pour Lombroso le
^éfiie est vraiment pathologique ^ presque de Téptlepsie; mats }e ne
pense pas qu'elle dilTère tant que cela de celle de Moreau de Toura,
134JIOS ss^ Psychologie morbide, œuvre d'ailleurs prolixe et mal composée,
cêlui-ci dit nettement : « Le Géniet c'eat-à-dire la plus haute expansion, le
Tiec pluê ultra de Tactivité intellectuelle n'eat-il qu'une.* neurone? Pour-
quoi non "f On peut très bien, ce nous semble, acc**pter cette définition
en n*Hattachant pa^ au mot névrose un sens aussi absolu quo lorsqull
»'agit de modalités différentes des organes nerveux, en en faisant sim-
plement le synonyme d*exahation (nous ne disons pas trouble, pertur-
l>^tion) des facultés intellectuelles,.. Le mot névrose indiquerait alon
^Tie disposition particulière de ces facultés, dispositions participani
toujoyra de Tétat physiologique, mais en dépassant déjà les limites cl
touchant à rétat opposé, ce qui d'ailleurs a'ejÊpïiquo si bien par la
**^ture morbide de son origine p *. Ht en outre ne voit-on pas à la fin
**^ volume d'où ast tirée la citation précédente, une planche repré-
sentant un arbre dont les ranreaux distincts ront les folies, les crtmef
*^H névralgies, les névroses, les maladies organiques nerveuses, les
»i^tel[|ggncesi exceptionnelles^ et dont la racine commune, est ^* Tétat
«Or Veux héréditaire idiosyncrasique * ? N*cst-ce pas là n le tempéra^
Vf ^*^t nerveux # de M. Grasset? Mais qu'importe, puisque M, Grassel
** ^n très bons termes des choses qui sont, à mon avis, très justes,
^J^^ h génie ne doit pas être « soigné u, mais seulement la ncvrosc
ï'i table coexistante, et ce^ au grand profit du génie.
Ph. Chasux.
I
fr
, ^*^*istote. — pROBLfeMEâ SDR L*AUOUii PHYâïQUE, traduits du grec en
^*S;^is et enrichis dïinc préface et d'un commentaire par Agriook
^ t> ef f f e u nd ; Py r gopo lis, 1 'Î(H 1 .
^fc ^\*^ ^ ouvrage, tiré â vingt-cinq exemplaires seulement sur papiei
j ^^tmann, est une traduction nouvelle d'un fragment fort intèressani
^^ *_ <^uvres d'Anstote, des écrits m hypomnématiques », renfermant le!
^ux préparatoires ou accessoires qui servaient à ébaucher ou cor
^^ "^rer les théories du philosophe. Si nous en croyons le traducteur
^^ traduction nouvelle était utile, car la seule qui existât déjà ei
'^ais« celle de Barthélemy-Saint-Hilaîre et qui date de 1801, étai
^t à fait mauvaise pour ce qui concerne les problèmes iiiir t'amow
.^' J, UùTÉûu (de Tours) . La pttjchotogiê morbide dam sti rapports^ etc. Pa
194 REVUE PHILOSOFIItaUE
physique. Le savant helléniste y a commis des contre^sena fréquents
et mémea risibles.par exemple au problème V; et, en outre, pris d'un
scrupule intempestif et désireux à rexcès de a niéna*2rer une juste
pudeur », il 6*est évidemment complu à épaissir les ténèbres autoarj
des points les plus scabreiiît « ; aussi les notes mises à la Un du
volume visent-elles sou%'ent la rectification d*erreurs de Barthélémy-
Saint-Hilaire. On comprend qu'il me so«t impossible, faute de compé*
tenoe, d^apprécier ta valeur de la traduction de M. Agricola Lîeher*
freund. Mais en la lisant, on a Timpression qu elle doit être eiaete;
car une fois admises les théories antiques sur le roi© de là chaleur, du
tempérament humide* etc, les questions que se pose Arislote et les
réponses qu'il se fait paraissent bien logiquement liées. Une hugue
préface nous expose cette physiologie d'Artslote qui est la base des
réponses formulées dans ces problèmes. Et il est instructif au point
de vue de rhîsîoire des idées en physiologie de comparer les questions
et les réponses à celles que Ton poserait de nos jours; c*eatcequ*a fait
M. Lieberfreuod dans les notes. Je citerai seulement un point où Aria-
tote se trouve en partie cotitîrmé par les recherches les plus réceniea. Oo
sait que les pratiques dues â l'inversion sexuelle étaient très fréqyeot^s
en Grèce, et pourtant Ari&tote reconnaît que ceux qui, renonçant à leur
sexe, subissaient ces pratiques^ devaient être des gens anormaux^
lorsque ees leodane^s étaient congénitales, ou des vicieux k»rsquellt*s
étaient acquises par la débauche. Quant à ceux qui en profitaient, A ri®'
tote leur montre une aussi grande indulgence, explicable par l«^
mœurs alors rî'pandues. Cette traduclion intéressera donc à la fois l^®
médecins carîeuît d'histoire et les hellénistes ; la préface, les no^es
et une table analytique fort bien faite sont d'un grand secours pci*^*
la compréhension des problèmes eux*mèmes.
P. 0.
H- Charlton Baatian. A thkatise on aphasja and other âPE^
OKrECTs; London, 1898, H, K, Lewis.
L*auîeur nous prévient que ce livre contient en grande partie la ^
production de ses legous, « Lumleian lectures i\ « On some Probl^^*^^
in connection wUh aphasia and olher speech defects a, déjà publiée
et
que j'ai analysées Tannée dernière dans la Reoue, Cette reproduct»*-^^
est contenue dans les chapitres l, 11, Vf, VÏIl et IX. Le chapitre ^^
a déjà été publié aussi sous forme d*itne leçon clinique dans ^f^
LsinceL Aua^si me bornerai-je à dire quelques mots seulement sur ('^
volume, qui constitue un traite très complet et très précieux de raphasi^ '
IL contient in extenso ou en résumé 124 observations qui servent d^
type et de nombreux diagrammes illustrant les hypothèses que lei
auteurs et M. Charlton Bastian émettent pour expliquer les diffé-
rentes formes d'aphasie ainsi que leurs modes de guérisou. On sait
en effet que Taccord est loin d'être fait aur la mécanisme du langage
ANALYSES. — c, BASïiAN, A treathc on aphasia 195
e4: d^ ses troublés et que, si les faits cliniques sont déjà assez difncileâ
h ^t Didier en eux- mêmes ^ des théories diverses ne sont pas encore près
d*^ol^ircir les obscuritéa de la question. Aussi ne s'étonnera-t-OD
PÏX.S de voir M. Charlton Bastian avoir sur bien des poltits une opinion
personnelle, ce qui fait que son livre doit absolument être lu par ceux
qui ^t.udientla>i diriici le question de raphasie. Je rappelle que]ques*u nés
des idées partie ulièro s de Tau leur. Ainsi M. Bastian s*ulève avec force
cotit re r hypothèse d'un « centre spécial pour les concepts w; ni paycho^
logic^uemeut ni clinîquement Texlstence d*un pareil centre n'est admis-
Bible, Le processus de la conception dérive par gradations iopensibles
du. processus de la perreption; il est donc probable que le centre sen-
soriel doit être complété par des « annexes », Ce.s annexes constituent
^^oe que Fïeehsïg appelle territoires associatifs. M* Bastiim rapporte à
H^roa dbetit le mérite d'avoir le premierf U y a plus de vingt ans (1872),
^reeonnu l'indépend^ince de ces territoires vis-à-vis des fibres pédon-
Ouliiires et de celles du corps calleux et leur rôle spéciaL Mais pour
lui ils ne sont que les « annexes o des centres sensoriels : a II est^
j^ crois, dît- il, parf:iitement ît-gitime de supposer que les* annexes des
centres sensoriels, dont je viens de parler, ter;dent à se dévt^lopper
*iane les directions données par Broadbent et Flechsig, quoiqu'on doive
^«si«r dans fincertitude sur la surface qu'ils occupent elfecLi veulent
«ur les zones indiquées. Il parait aussi probable qui! n'y a pas une ligne
^^ démarcalion trà[ieh»:e entre ces annexes et les divers centres sen-
soriels, et que ks renhrs sensoriels, combinés avec les àunexf^s, fonc-
'**>nTïenf hahitucUement pfus ou moins sifnuitanément. Ainsi les
processus de la perception et de la formation des concepts, joints aux
^^Présentations des symboles linguistiques, sont probablement aussi
ia»eparables dans leurs localisations que dans leur nature et leurs
^■P^odes d'occurrence, et leur substralum anatomlque doit occuper très
ippi^obablement une surface très considérable de TécorcedeH deuxhëmi-
^p hères, * Les centres du langage, an nombre de quatre, doivent être à
»*^ lois ^nr les confins des centres seusoriels et sur ceux de-i annexes,
► On ^Joit faire cette supposition parce que certains mots {particuliere-
y^^nt Icîs noms des choses, personnes et endroits) sont dans la relaiion
a plu g étroite avec les centres sensoriels, tandis que d^autrea mots,
l^^mme les verbes, adjectifs, prépositions et d'autres encore qui consti-
f '■Ueni la charpente du langage, sont en relations plus étroites avec les
pï'cjcestjus des concepts, a
'îe viens de dire que 1rs centres du langivge sont au nombre de
^^atre. C'est que Taule ur admet un centre spécial pour recriluie. On
Clique son existence est très discutée; un des derniers travaux faits
**Mi8 Vinspiration de Dêjerine, la thèse de Mirallié^ analysée ici môme,
**! eontebtc formellement ta leptimité. M, Bastian trouve une preuve
^ ! p à roxistenee de ce centre dans le fait suivant, qu'il a
sa juste valeur il y a déjà bien longtemps : dans les cas de
^^nle où la malade peut écrire spontanément, il peut arriver
196 REVUE PHILOSOPHIQUE
à lire ce qu'il a écrit en suivant la forme des lettres avec le dofft.
Mais c'est tout à fait une autre question d'ailleurs et qui n'est ^^as
encore résolue, que de savoir si ce centre graphique est à part ou c^^^-
fondu avec celui des mouvements ordinaires du bras et de la m»- ^^'
Mais en somme, jusqu'à présent, rien n'est venu démontrer que ^
centre soit réellement distinct.
M. Charlton Bastian donne, dans un autre chapitre, des observation '^^
intéressantes d'amnésie verbale, dont il tire des conclusions sur ^^
fonctionnement et l'action réciproque des différents centres du l^fc-n*
gage. Pour lui le centre auditif joue un rôle prépondérant, primordi ^'»
dans récriture spontanée et sous dictée, en agissant sur le 060"^ ^
visuel, tandis que dans la lecture à haute voix il agit sur le centfi^Te
glosso-kinesthétique, après avoir reçu l'excitation du centre visux^el
verbal, a II s'ensuit que le trouble du langage connu sous le nc^^
d'amnésie verbale est causé presque uniquement par un affaiblissem^ ^^
de l'activité fonctionnelle du centre auditif verbal et seulement dav3S
des cas extrêmement rares (lorsque le malade est un visuel très tra-^*^-
ché), par TafTaiblissement seul du fonctionnement du centre visus-^^
verbal. » Kn dehors de ces derniers cas et de quelques autres, ni^ "MX^
ne savons rien de Tinlluence du trouble fonctionnel du centre visi-*^^^
verbal. Il arrive néanmoins parfois que ce centre a subi un arrêt ^i*
développement et alors il y a une grande difficulté à apprendre à li«:"^ ?
cet acte reste toujours malaisé et il y a un contraste curieux, dans i» ^^^
observation de M. Charlton Bastian, entre cette difficulté de la 1^^^'
ture, la mémoire visuelle des mots et la mémoire des événements ^>**
des mots parlés, qui est suffisamment bonne.
Je noterai encore la façon dont M. Bastian explique la cécité verb^^^
pure. Pour Déjerine, ce trouble du langage est produit par l'isolem^*^
absolu du centre visuel verbal, siégeant à gauche, d'avec les centf^^
visuels situés dans chaque hémisphère. Pour noire auteur, la lési^^
isolerait le centre visuel verbal gauche non seulement du centre visU^-»
du même côté, mais encore du centre visuel verbal droit, dont il adnfl^^
l'existence.
J'ai mentionné la grande importance que M. Bastian attribue au
centre auditif verbal ; elle est bien mise en relief par le passage suivant
qui résume son opinion : a Dans les chapitres VI, VIII et IX, je
me suis efforcé de montrer que l'importance exagérée attachée par
beaucoup aux fonctions du centre de Broca nest pas justitiée parles
faits; que quelques-uns ont supposé trop d'incapacités résultant de sa
destruction, et que le pouvoir d'activité indépendante à lui attribué
par d'autres n'existe pas. J'ai essayé de montrer la façon dont ces vues
ont intlaencé des auteurs pour leur faire nier l'existence d'un centre
cheiro-kinœstliétique, et la nature erronée de beaucoup d'arguments
donnés pour soutenir ces vues. De plus, en fai^^ant allusion à la nature
peu satisfaisante de la nomenclature en vogue à présent, j'ai essayé de
montrer que la soi-disant « aphasie sensorielle » de Wernicke n'a
AHALTSBS, — ALLEN FAY. Mar*riag€8 of the deaf in America 197
pai de droit à rexlstence infîépendaate, comme it le supposait^ mais
qu'elle con Lient en réalité un très grand" nombre d*états diatincU,
qu'il faul étudier Béparément et en détail. La grande importance du
centre auditif %'erbal a été relevée, ainsi que la variété des troubles
produits par lea altérations fonctionneUeft ou organiques de cette
région, et par son isolement. Une étude de ces résultats, menée en
pandiçle avec celle de? troubles moins vané,'!î résultant de la maladie
Qîi de lieolement du centre visuel verbal, nous a amené à quelques
eoiiduaions nouvelles* Nous avons vu confirmée Topinion a laquelle
H0Ï18 aviona été primitivement amené sur ^impuissance relative du
centre do Broc a seuU nous avons trouvé la preuve d'un très grand
nombre inattendu de substitutions possibles entre les centres visuels
rt ayditifs verbaux pour la production du langage et de récriture, et
même, chose plus surprenante encore, nous avons trouvé de bonnes
raisons pour croire que les deux centres auditifs verbaux agisgent en
rè^le sur le centre de Broca pour ta production du langage; — de bonnes
fAmons pour admettre que, rnéme dans une opération comparativement
^innplede perception^ c omme dans une opération intellectuelle» ce sont
dea territoires très étendus dans les deux hémispht'res cérébraux qui
^titrent simultanément en jeu. »
Ph. Chasun.
I
Edward Allen Fay. — Marriages of the deaf in AMBaiCA; Was-
feiriiiçl^^jj^ 1898, Gibson Bros., Printers and Hookbinders,
1^» Bureau Voila de New- York, chargé de f étude des sourds- muets,
* Pa^ironné et subventionné une étiorme entreprise de statistique con-
f^^nant les Eourds des États-Unis, conliée au D*" K.-A, Fay, en corré-
l^tion avec le onzième recensement genéraL CVst le résultat de ce
^^v%ii qui se trouve consigné dans le présent volume, dont les deux
^^^r^ ^ont constitués par des tabtes statistiques. Il aboutit à des
^ïitluôiotis fort intéressintes, tjuoiquc cellt^s-ci pussent en somme
I^^^e prévues en s'appujant sur les lois générales de rhérédîté. En
"entreprenant cette râcbe on avait pour but de trouver des réponses
^Uï qufislions principales suivantes :
1* Les mariages de personnes sourdes sont-ils, plus que les mariages
ûrdinairêâ, féconds en enfants muets?
13° Les mariages où tes deux conjoints sont sourds SQnl*ils plus fré-
quemment féconda en enfatjta sourds que les mariages oii l'un des
conjoints seulement est sourd?
3** Cerlaiues catégories de sourds, quels que soient leurs mariages,
sont-elles plus lécondes en enfanta sourds que d*autres'? Et, s'il en est
ainsi, comment sont composées ces catégories^ et quelles sont les
conditions qui font augnienter ou diminuer cette fécondité spéciale?
4" f^n mettant h part cette question de la surdité des enfants, les
mariages où les deux conjoints sont sourds ont-ils plus de chance
198
ftBVUE PHlL0SOϻH1QtJE
■oser
d'êtfê heureux que ceux où l'un des conjolnla est sourd et r-^^^=*utre
pas?
En fia d^autres quesUons moins importantes pouvaient aussi se
à l'occa&ïon de cette slatistique.
Toutes ces questions, comme on peut ie voir par Tindex^ biblic»^»
phique plâtré à la fin du volume, ont été fort dHoutées en Eum^^^
en Amérique, ce qui prouve qu*elles ont reçu des réponses fort <^^B
retues. Ceîa tient en partie h Unexactitude des recherches statistic^-:^
et aussi à ce fait curieux qu'en Amérique les sourds-muets se mac-—'
en nombre plus considérable qu^ailleurs, ce qui fait que les staS-^ m su- ^i
ques portent sur des nombres très difTm'ents. Cette plus grande *^^' ^M
queuce des mariages entre sourds amérieains est probablement *^^^ ^^
en partie à Tabsence des obstacles nombreux qu'opposent au mar r:^^^
uombre d'Etats européens et en partie aussi à la situation plus a^^^^'^"'
tageuse des sourds au point de vue de la facilité de l'extstenc^^^ ®
Amériq<te, Cette dernière oondition est la conséquence de Faugn^^ ^^
tation des écoles spéciales répandant une instruction et une éduca^^-* .
intlispensabîes à la vie en société. Ici les chiffres sont extrèmeiï»^ ^^3 1
élevés, comme ou peut s*en rendre compte en examinant les tab ■* Ji^M
puisque le nombre total des m triages dans lesquels un des conjo# I^H
ou les deux étaient sourds, relatés dans les recensements des Étr^^ .^^^.tx
Unis et du Canada, s'élève depuis 1801 jusqu'à la fin de juin 189) \^b
chilTres de 4 Vît, Les unions illégitimes n'entrent point dans '^^^^.^^^
tables; on les trouve mentionnées en appendice (appendice C) et ^^|^^
très petit îiombre, \t. Il est ourii^ux de comparer ce chiiïre si faiE^ -^^^]]^|^^,
avec celui donné pour (*Eurupe dans une statistique de M. Mygir»*^^^^^.^
pour certaines régions de rAlîeniagnc et du Danemark, et qui mon^*' ^^^
à iO'2, c'est-à-dire à -25 p. 100 des unions légitimes. I! est inflniniet)- ^^^^
probable que ce chiffre de It? n*est pas un chiffre exact; mais M. S,-^-^^^^
Fay se déclare néanmoins convaincu qu'en Amérique le pourcentage ^^
comparatif doit être exlrêmemeni éloigné de celui obtenu en Europe,
D'ailleurs il y a quelqu'î chr^se d'évidemment vioié dans les bases sta-
tistiques de ces unions illégitimes, car celles-ci semblent donner,
d*après les chiffres recueillis aussi bien en Amérique qu'en Europe^ ce
résultat singulier d'être bien pins fécondes en enfants sourds que les
mariages légitimes. Cela tient très probablement à ce fait que seules
les unions illégitimes sont connues lorsque les enfants étant sourds
sont envoyés aux écoles epécialesi tandis qu'elles passent inaperçues si
les enfants étant normaux sont confondus avec les autres dans les
écoles ordinaires.
Un peut remarquer dans les chiffres donnés que le nombre des per-
sonnes sourdes qui se marient entrt^ elles est bien plus considérable
qtie celui des personnes sourdes qui épousent un individu normal, Lea
mariages entre sourds ou entre sourd et normal sont un peu naoîns
féconds que les mariages ordinaires. Quant aux réponses aux ques-
tions que Ton s'était posées en entreprenant cette énorme statistique.
M^Tm .A.hYSBS. — ALLEN VAY, Man'îageB ofthedeaf m America
otx 1^3 trouvera dans les cond usions suivantes, qui résument le travail
toia^ti entier,
H I^^s mariages de peraonnes sourdes (un conjoint ou les deux) pris
^n. toïoc sont plus féconds en enfants sourds que les mariages ordî-
na^ii*es. 9,7 p* lOÛ des premiers donnent des enfants sonrds. La propor-
tior% de ceux-ci aux enfants normaux est de ë,i> p, 100. Tandis qu*il
est. probable que le pourcentage pour les mariages normaux est
aaoîndre de 1/10 p, 100.
l[>*tin autre côté les mariages de sourds sont de beaucoup plus fré-
qixemment féconds en enfants entendants qu*en sourds, la proportion
deM entendants étant de 75 p. 100 contre â,6 (sur les i0,2 p. 100 d'en-
fa.nt.s restants on n'a pas de renseignements),
»3>«>.tls avoir égard â la nature de la surdité, en prenant celle-ci
eomtne une, les mariages entre deux sourds ne sont pas plus frêquem-
tncînt féconds en enfants sourds que les mariages où Tun des conjoints
Beixl est sourd» et même cette fréquence paraît moindre. Ce résultat
petit paraitnt à première vue en contradiL-tion avec les lois do riiéro*
clit4^ ; mais en y réJléchîssant, on s'apertjoit bien vite que ïa surdité, qui
L u*est qu'un symptôme, ne se transmet pa^ comme surdité; c'est eeule-
■ meot ranomalie ou la prédisposition conditionnant la surdité qui est
^ trmiismissible, et comme ce n*est pas la même chez chaque sourd, il
s'eoauît que le mariage d'un sourd avec une sourde ne double pas sur
l* tête de Tenfant Théritage d'un même genr*^ de surdité^ puisque
©elle^ji peut être d'origine différente pour chaque parent. Il y a excep-
tion là où le mariage est consanguin, assez rare heureusement, puis*
qu*U y a seulement 31 unions de ce genre inscrites dans les tables star
tifitiqyes. 45 p. 100 de ces 31 unions donnèrent des enfants sourds et la
proportion des enfants sourds est de 30 p. 100» Et c'est encore la con-
®«aé ration de la consanguinité qui explique cctle anomalie apparente
■ «lue les mariages entre sourds sont plus fréquemment féconds en
H ^iifa,Qts sourds quand un des conjoints ne l'cstpas, que quand les deux
^ï^joitits sont sourds; car datjs le premier cas la proportion des
triages consanguins (2 p, loti) est plus grande que pour le second
^^ (où il n'est qut? de 0,37 p. 100). Les sourds de naissanc^e donnent
P u^ fréquemment des enfants sourds que les sourds par aHection
^^<\ iiïse.
j, ^^ présence de parents sourds dans la famille accroît le» chances
^voîrdes enfanta sourds. « Si une personne sourde, congénitale ment
^ Cîccasionnellement. a de» parents sourds, eite est, quel que soit son
^**iage (avec une autre personne sourde ou saine) capable d'avoir
^ entants sourds, cette capacité étant beaucoup plus grande pour>
**l lursque la surdité est congénitale; et si une personne sourde,
^t"' ou sans parents sourds, épouse une personne sourde ou non,
^ii qui a dea parents sourds, le mariage peut produire des enfants
. ^rds; lorsque des deux cotés il y a des ascendants sourds la chance
*^^oir de» enfants sourds augmente considérablement, n Mais les
200 REVUE PHILOSOPHIQUE
mariages les plus féconds en sourds sont les consanguins, comme il a
été déjà dit plus haut, et ce que ce soit entre deux personnes sourdes^iMes
ou entre un sourd et une personne normale, avec ou sans parenflr ^ts
sourds, et quel que soit le degré de parenté et que la surdité so^czDit
acquise ou congénitale; il n'importe, la consanguinité suffit, pounii ^\n
qu*il y ait un sourd, pour que ce sourd ait une puissance de transmis ^Sa-
sion considérable.
Tout ceci est fort intéressant et cadre complètement avec les lois <
rhérédité telles qu'on peut si bien les établir chez les animaux dôme
tiques et que j'ai résumées ici même en analysant Texcellent livre (
A. Sanson, L'hérédité normale et pathologique. Une deuxième cona
dération, qu'on ne peut envisager à propos des animaux, termine
statistiques : c'est le problème du a bonheur » qui la fournit. Et
ff bonheur » est mesuré par la proportion des divorces et séparatio
qui ont lieu dans les diverses catégories de mariages. Les plus heure
sont ceux qui ont lieu entre deux sourds, puisque la rupture du li
conjugal n'arrive alors que 2,5 fois sur lOO contre 6,4 fois sur iOOda
le cas d'un conjoint seul atteint de surdité.
Ph. Chaslin.
Theodor Lippe. — Suggestion und hypnose. Eine psychologisc^he
Vutcrsuchung. Aus den Sitzungsberichten der philos,, philoL ic- "^rf
histor. Classo der K. Bayer. Akad. der Wiss. 1897, Bd II, Heft ■IH,
Mûnohen. 189S.
La définition préalable de la suggestion est, pour M. Lipps, la 9 'vi-
vante : c'est l'évocation d'une influence psychique par Téveil d*i9-A®
représentation, évocation qui, à l'état normal, n'a pas lieu par l'éveil ^^
cette représentation. Comment cela peut-il arriver? Il faut examiner ®®
qui se passe dans le cas le plus simple, la suggestion d'une hallucinati^'^j
Et pour comprendre ce cas, il faut d'abord voir si l'on peut répondra *
cette autre question : est-il compréhensible qu'une représentation, s^^^**
plus, se change en une sensation? 11 est facile de répondre oui. La t^^*^"
danoe naturelle d'une représentation est de devenir sensation. D^^^^
l'état habituel, ce qui fait que nous ne sommes pas constamment^ _,^
proie d'hallucinations, c'est que l'ensemble de la vie psychique ^^^^g
oppose. L'hallucination est la représentation complète; elle n'a t^^^^,„^u
lieu parce que cotte représentation est entraînée dans les liens ^"^^^-^
c oui plexus d'autres repré&entaticns et de sensations, ou, plus en dét^^ f.
parce qu'elle est soumise à l'action des facteurs suivants : conçue "^^^.
rence do tous les contenus psychiques entre eux pour la force P^3^^^
chique limitée, ia tendanee à 1 égalisation et à l'écoulement, et opp^^^^'^g
sition do nxnivemcnts psvohiques qui solèvent immédiatement. Cet^^^^
représentation peut devenir plus intense, dans certaines condîtioo^^
parmi lesquelles conditions son; rabsenco des facteurs cités plus haut — '
Pour revenir au cas do rhallucir.ation suggérée, que constate-t-on psy-
ATTALTSES. — l GHHTTT. li îremotê essmizîale 0rêditario 201
cÎTologiquementfEn quoi consiste psychologiquement la suggestibilité?
I Hlle consiste» répond M* Lipps, dans un amoindrissement de Texcita-
^ft Milité psychique, avec conservation tout au moins j'elative de la force
^M psychique» c*est-à*dire que les processus psychiques sont moins étendus
^m ^o^^t en conservant a peu près la même intensité, 8î, par exemple, on
^r P^m^ie devant moi d'une douleur et que je sois euggestible^ je resaen-
I ti»^^j cette douleur. La représentation de la douleur, au lieu d*évoquer
**^ *-*t le reste du cortège, est restée seule pour ainsi dire et ainsi gagne
î^**^ 'Ur elle seule une partie de la force psychique disponible; elle a
*^*^^î à sa tendance naturelle de se transformer en sensation.
"^out le reste de la suggestion suit de là; une explication fort ana-
**^^^ue peut être donnée pour les autres genres de suggestions, bien
q ^.^ « plus compliquées, lorsqu'il s'agit de jugements ou d*actes volon-
^^^ 1 res : un jugement entendu tend naturellement à être cru, un acte
^-ac^cuté devant nos yeux à être exécute par nous, Texpression d'une
^^""«:» Ion té à être reproduite. Ce sont les autres processus întellectueU
<ï M^^ i sy opposent, excepté quand nous sommes suggçstiblcs et nous le
^«:>xumes tous. La suggestion est de tous les instants et joue son rôle
p^^7tout; ses conditions sont très bien étudiées par M. Lîpps. Il remarque
^"^^ec justesse que la première condition pour suggestionner les autres
^ ^% de se suggestionner soi-même, c*est-â-dire d'avoir une conliance
i 1 A mmitée en soi* On comprend facilement d'après ce que je viens de
«i m M— e que, pour M, Lipps, la suggestion hypnotique n'est qu'un cas par-
^i *z-^ ^lier de la suggestion ; n Thypnose est un état de sommeil provoqué
^>^».x* suggestion^ qui entraîne on lui une capacité plus grande de sug-
^^^^^tîbihté «^ et rien de plus. Pour lui la suggestion post-hypnotique
^^^^iplique par le renouvellement de Thypnose au moment de Thallu-
^^ c::^ M «talion ou de l'acte suggestionné. Tout cela est expliqué avec beau-
^B^^<z>^:ip de détaib et rappelle certaines vues de Wuiidt sur le même
^M ^m^MJtL Ces explications sont exclusivement psychologiques; ce ne sont
^^ ^s^m:^ idéalité qu'une constatation des faits psychologiques eux*mômes
^^*-*^i intervention aucune des interprétations physiologiques que Ton
F^*^ errait donner* 11 serait intéressant de faire une comparaison entre
^ ^ ^ deux ordres d^ « explications ».
P. C,
I
»»-»
»=^.
B. Uglietti. — Il themorp esSënztale EtiBOiTABiO (tromofilia)»
^'ôn/erTn;c cliniche Ualiane. direlte dal prof. Achille de Giovanni;
^*'*ice«co Vallardi edit,
^^l^^^oi est une étude clinique sur une variété de tremblement, trem-
j^» **^ent héréditaire^ qui a des caractères spéciaux. Après avoir montré
^ j *-*Ord la difFiculté de Tétude approfondie du tremblement en général,
^ ^«^ylté qui va si loin que la délinitioa exacte de ce symptôme est
^•^re à trouver, ^L Ughetti, rappelant la classification des tremble-
^t« et en citant deux, dont Tune fort longue de Massalongo, en pro^
Tremblement >
20â ftEVUE PHILOSOPHIQUE
pose une à son tour pîus simple, ce qui a pour principal avantage de
réunir les tremblements physiologiques aux pathologiques par uaA
gradation insensible :
émotif (amour, colère, peur, eto,);
par tJéséquilibre thermique {froid extérieur, hyper-
thermie;
par intoxication (alcool, café, tabac, etc,)î
l essentiel, héréditaire hu tromophilie;
I paraffaiblisaementc-énéral (sénilité, convalescence, etê.)
par maladies orgainqucs des centres ou des nerfs;
par névroses (hystérie, mal. de Basedow, etc.).
A roccasion d'un cas étudié par lui, l'auteur a inventé un nouv^el appa-
reil, par transformation d*une espèce de dynanomèire à ressort qui
sert a peser des objets. Ce tremblement héréditaire a ceci de curreiis
qu*il est le plus souvent sans relation avec d'autres phénomènes tievro*
pathiques oti psychopathi^ues dans les familles où on le renconlre*
Pourtant duns la famille qu'il a particulièrement étudiée dans uQ
mémoire antérieur, l'auteur a remarqué une seDsibillté morale exquise,
et un peu de facilité à réagir aux impressions (rougeur, etc,j. Il repro-
duit le tableau généalogique de plusieurs familles atteintes de ce
tremblement et entre autres cinq observations personnelles. Ce Irein*
blemcnt héréditaire a certîiins caractères qui lui sont peut-être par^
tlculiers, entre autres d'être essentiellement variables sous IHnllueucie
d'une foule de circonstances. Je ne m'étends pas davantage sur cet
intéressant sujet un peu spécial; je me borne à signaler ce mémoire,
qui mérite d'être lu.
IV. — Philosophie de l'histoire. Sociologie.
Schtiller. Die WlBTHSCHAFTSPOLtTIK DER HiSTOtUSCHBN SCHOtE.
Berlin, lleyraann, 1899, t voL in-8", !3I p.
Sous ce titre, l'auteur nous fait lire une histoire, sommaire etcepen*
dunt explicite, de la science économique en Allemagne depuis Adam
Smith. L'histoire des doctrines est ici expressément subordonnée à
rélucidatîoadu problème de la méihode. Dans la période historique ou
la liberté économique était en jeu la méthode analytique et déductive
a seule &u interpréter vraiment les besoins de la Société alors que
recule historique ne savait faire autre chose que chercher un© conei*
liation impossible entre les thèses oppo:»ées de Técote libérale et de
Tecole féodale. Donc, dans la période actuelle, où le problème de la
protection due au travail appelle une solution, il faut savoir écarter
I*historisme et revenir à une méthode permettant d'extraire des faits
les lois générales et de tirer de ces lois des principes dont on puisse
déduire la solution que chaque question pratique réclame.
I
AifALYSES. — scuCller. Diê WirthschafispolUik â03
L'hîstorîsiûe n& date pas de la célèbre école représentée par Roscher,
Kciies et Hillebrand. Ceux-ci, qui vinrent h un moment ou Féconomie
abstraite ne produisait plus que des pubUeîstes et où ses partisans, les
prince-Smith, les Max Wirth, les Sciihllze-Delitach, s'éeartaient des
doctrines et de la méthode iraparti.de de Stnith pour verser, comme
l'école de Oastiat.dans un optimisme suspect, avaient eu de nombreux
M laborieux prtjcurseurâ dans la période qui s'écoule entre le joaéphi-
■nisrne et rétablisâement du ZoUverein, période qui vit s'accomplir les
réformes de Stein et de Hardenberg et celles, plus brutales ot plus
radicales* que le régime napoléonien imposa à T Allemagne occiden-
tale et méridionale*
Deux écoles radicalement opposées se disputaient alors la confiance
de lopinion et celle du pouvoir. C'était d'abord Técole d'Adam Smith,
reprc^âenlée par Kraus^ le collègue de Kant a Kœnigsberg, par Jakob,
par Rau, Lotz, Ilufeland et Nebenius, école ouvertement solidaire des
idées morales de Kant et que Steîn, Humboldt et Hardenberg avaient
comme installée au pouvoir en Prusse après léna:c était à Textreme
opposé récole féodale que défendait Halîer dans TAi le magne du Nord,
Adam M ii lier en Autriche, et que les hommes d'État de la Sainte-Alliance
prirent ouvertement pour guide. A. Millier montrait plus d'habileté
que Kaller dans Tart de concilier la défense du régime féodal avec les
ménagements dus aux idées modernes. Halle r faisait le panégyrique
du moyen âge; Millier voulait conserver, dans rintérôt de TÉtat, les
conditions économiques d'une « saine noblesse, • mais, comme Haller,
il voyait dans la féodalité une merveillçuse fusion des personnes et
des choses. Comme lui il considérait le servage de laglèb^, le régime
corporatif, Texistencc de petits territoires économiques indépendants
de rensemhle comme les éléments de rÊtat social normal, tandis que
le libérait^ me économique n'était à ses yeux qu^ucie hypothèse assise
en Tair et une utopie sans avenir.
Que Hrent les premiers représentants de Thistorisme^ qu'il faut
d'alUeurs rapprocher de l'école juridique dont Savigny a été le chef
liien connu? Ils prétendirent écîvrter toute discussion des principes, la
Vîe sociale ne supportant l'application d'aucune formule générale. Ile
ftemandèrent à la méthode historique de les aider à choisir entre les
solutions préconisées par les deux écoles, l/un d'eu3£^ Schmittheneri
©e reconnaît que deux méthodes, la connaissance par concepts inappli-
j^able à la matière économique, et la connaissance historique* Mais
'pouvaient-îls vr^'^iment jouer le rôle de couciliateurs qu'ils s'attri-
buaient? Non, car les principes de Técole féodale n'avaient pas d'autre
Ibndement que la négation des principes de l'école libérai e* Les parti-
ivtns de l'historîsme étaient donc conduits 4 faire un choix arbitraire
vntre les principes des deux écoles rivales, un choix dicté, non par la
ioience, maïs par les allinités particulières auxquelles chacun d*enx
obéts^^ait* C'est ainsi que Schùller distingue parmi eux deux groupes,
le groape des agra riens et le groupe des mercantllistes.
.•-•:i:: Oarvc, le comte de So» i'-'".
... . r; ' .- -•■i.vont conti-f l'esprit des i*«-
■ - .1 .- :uiit:on des paysans et coi'-îi'"
^ ■• .-■ i:.';e> là où elles existent enc^-*:''--
•. '..■ - -■ v. raies et ne croient qu'aux tr;t i»-*-
::s conditions de la prodiu* * i «^- ^^
:■ ■ . < seiimeuriaux le même respect i^i-i»?
'■ cricté ; ils nient que les clasr^es rum 1 ^ '=>
• ;r"f pour la liberté économique. l'-f^
• c'.'e vie la liberté commerciale, car ra^t*!-
... i" ..i classe (les LTands propriétaires * '-"^t
rotection artilicielle accordée à riiul 'i =^'
.-ri.:* les '^alaires dans les villes et, le .-^♦"--i*-
■■■ :•>: luraux.
• nri LudiMi. Schmitthener. Piihtz. Je.iii
- -'clanjent une contrainte qui suboidon i *<^
: - l'.ces deFliarmonie économique: il> rc[>3'< ''
..i:x de rt'duiie, en matière éconouiiqu c^- ^ *-^
.- -.rirement ncL-atif rt de n avoir aucuîu- :iJ<--'^
... .> do la vie sociale. Ils accordent que le ré2i/' ^ '■ '
■■'::•■ ià où il est devenu opprt.'ssif. nuii^ iN p/"* '"
: faire table rase. Ils veulent que la natMX"'^'
. • -c:i acti\itcintcrieure se< besoins élémeutairi--* ^
, ..■ u\e. Ils coU'-tatent qu'un peuple con.niein' *'"
■V tributaire de i'nidusîrie ('tranj/cre. mais qu^^
, . tiianciper :\ :aul à son industrie naissante ui ^
. .le privilège.
,■ ••stt)rique -virt Lrrandie île cette critique, iîeurou-
■..• exp0"^ition Kiipa: ::a^e d-s iaits.
■ ■:: le rei-roclic li ^iVMJr t-iudié !e> phénoiaci.cs
;cun prii:c.j-i ': Sc:."..l'.r. c;iî'. le iiii adre-so, cuii-
- T-écepte^ '^-rati^ui- a\ ec !• - ••:'i;c«.'p'. s ;ieuri-t'aiu«>
■ ou à rai-^.-'- ]\^k'\k' :.:>:< i;[u<' t'.Lidani:.c hi p:é-
■•■• 11' devr"-.':- t'v :..■!..: r..-. a d'--* I'i-l'Ic- uriivcr.-r-ilcs.
i ;à une l! ... .;:■ ; .v!i li' !.:i.o. i: nen résulte pa*- ',ue
^>e pas à (K < ^ . :.i - : •- li;: i-. :.■ :rs iju.md elle pr^-cède
-.i'i-:que; c!"...' o-t ^.:: _ ». :■;■.:■ deux ".ili us. rui. ».• île la
îvnlsetl.u - .:' [ ■ y :.. \;::- .:••-: rmo- de l'ai-tiv il':'
.••.•ndam: . .\ : .■ :;. . \. .. ■ .'.• - r..p;ûvts e:.tre '.;
. .a:res et ^ . . . .;^ - • .:N -..■ -. « .. -: -u.-' !'cniai:cirtaîion
.u>e qr.t . . - • • . >■ - v , :'.vi::.'< l'-'i.d.tîi:.^
. ^ inple r... V ^^; : • : .; .. : . ^>- :: o: .i>- l- cl du
. . uiatio;: -. > - .::..: -:^a- .i'Adani >ini:ii
^i-i, c'est q\. . 'v _ :.\- :■ • iv.-:-\ :. a vies ai:r.:'ii-
.^ r:ves, a'i'V- .• . . ^ : : _ . . ■: :.:;:r. :.: i.:>-éde
: .0 summu: ..;. . ^ .. --. .»•. . ^ e C "..:. . On peur.
ANALYSES. SCHULLER. Die WirthschaftspoUtik, 205
api-ês examen, juger ces idées mal fondées, maison ne peut équitable-
ment qualifier d'empiriques des savants qui mettaient en œuvre des
hypothèses sociologiques de cette généralité. Schûller sMnflige à lui-
même un démenti, car il rapproche Thistorisme allemand du comtisme.
Dr on peut faire à Comte tous les reproches sauf celui d'avoir été un
empirique et d*avoir interdit au savant Tusage de l'hypothèse.
Bntre les féodaux et les individualistes, les représentants de Thisto-
risme font seuls œuvre de savants. Les disciples de Smith servent les
at;érêts des commerçants, MùUer et Haller les intérêts de la grande
)ropriété foncière : les historiens ne servent et ne cherchent que les
ntéjréts de la vérité.
Scliuller leur reproche d'avoir contribué à retarder des réformes
iir'jçv'entes et ralenti l'initiative de gouvernements qu'il aurait fallu sti-
na^iler. Mais n'est-ce point le langage d'un homme de parti impatient
^u. mieux, indifférent aux crises morales qui accompagnent et châtient
les progrès hâtifs? D'ailleurs est-il vrai que Téconomie anglaise ait été
^'^J^i^ique source du libéralisme? L'abolition du servage de la glèbe
est-elle une réforme de même ordre que l'abolition des douanes inté-
f*^^ires ou la conclusion des traités de commerce ? Le principe kantien
*-t -il pour corollaire le dérèglement des forces économiques? Ëmpèche-
^^il C]ue par un sage emploi de la contrainte on réalise approximative-
ff^^tit l'harmonie des intérêts? Rossi na-t-il pas reconnu avant
Providhon l'opposition des exigences de la justice et des effets de la
Ubr-e concurrence?
Schiiller se montre sans indulgence pour l'école optimiste allemande
^® I^rince-Smith, Max Wirth et Schùltze-Delitsch. Il porte sur elle le
^^tne jugement sévère que Cossa sur l'école de Bastiat. Elle a aban-
^<>nné la science pour la politique économique; elle a oublié la méthode
^^^ maîtres et outré leurs conclusions. Mais n'est-il pas surprenant
^^e dans deux pays où régnait un esprit différent l'école d'Adam Smith
*it subi au même moment, c'est-à-dire après 1848, la même déviation?
Cette école couvait en effet l'école optimiste. On avait promis une
répartition équitable des richesses et on avait, sinon avili la valeur du
travail, au moins produit l'instabilité du salaire. Pour ne pas mettre
en question les principes pratiques, il fallait donc postuler l'optimisme
et nier simplement la question ouvrière. Adam Smith et Ricardo con-
duisaient logiquement à la nécessité d'opter entre Bastiat et Proudhon,
entre la thèse des Harmonies économiques et celle des Contradictions
économiques.
Les adeptes de l'historisme n'avaient donc pas tort de rappeler
sans cesse la continuité et la connexité sociales. C'est pourquoi nous
adopterions volontiers une conclusion diamétralement opposée à celle
de l'auteur. $i la méthode déductive de l'économie abstraite a donné
pratiquement des résultats contestables à l'âge du libéralisme, où il
s'agissait uniquement de trancher les liens de l'activité humaine,
combien l'application d'une méthode semblable ne serait-elle pas plus
204
Les agraric]
Bulow-Cume*
formes opér
Tabolition ('
Ils nient !*•
actions cl
locale; i^
pour toi
de YEv
revanc
CUitU'
tout
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. fiiie direction scientirî <qîue
.,,.tide concilier la lit» C3 rté
.....ytf^'^
cerEUi?
Witiiif-'-i à cette critique ^s^ns
■■■■ '^.jiiiJjrrà l'histoire des doctr- i nés
*i/rt ff-'-" ^" lumière beaucoup de
^ y„ pfL i^^^céesy mais il aura dissipé
IhHitie^ -' r»*'^''"*'*^ ^" socialisme r €> x- o-
""*"' „^^i:c:ol0iriques qui en affirmant la
»*•' "/J' ^ j rc^ i jrité et pour la restaurât ion
'"*' /df.'^^ hauteur les décharge de eof te
'lit .^ méthode révolutionnaire clu
•^ '' j «as: w.^^ ^ue celle de l'économie of li
Gaston Richard.
',,u^^^''
^, /«NI""
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,-^ ^:^'
p^
HISTORY, AN INTRODUCTION
-r^
'^.- -,- »_:tics. Ann Arbor, George WafJ'*'
'"''■ -r^/i:^ " ■'* '^'^ '**'''® Q"^ ^«'"s son amplituJ*^^
^ ' nofihff #*ciïfia< * -^'' -•* foule des pensées qu'il évoqu*-^
/•A*/.»"'i
,W'" '
1'*'*'^ ' JL^. ^1-:. •■' r.5 qu'il englobe, parait presque e'*
rt 0?=^
/ifl»urt«fP ^ 7- i rA->ar*»c'^^'*'^^* l'introduction résumera le contenu
fiuji'' Z""^^'^*^^ ^ j^. . X.9. VAS pouvoir mieux faire que de le citer :
ijf JfB»"*^" ^ , ^., ,v. .. vîo Nuo philosophique, c'est étudier les
r Btu^^" ■ '!' _^. .^..^ .:c . r '»u»iro, les faits et les principes ffônéraux
e\i:u du volume que vient de fair^
vrt pourtant de se laisser aller à celte
.•wi\rat:e a tenu les promesses du titre,
ji nionlré, qu'avec de la clarté, do la
ivuvait en très peu de pages exprimer
î Ii\ro tout petit pouvait embrasser un
^*j.tf -s^'
•ï.x:o.
s**: trv>p disposé à tenir pour posés, et c'est
^'^^.ju à quoi point nous pouvons réellement
.\»l\v't do notre pensée. Celui qui s'occupe
V. ovMunie tout philosophe, doit considérer
»m iw J^ '^^ ' '^''*^' "' laqufllo lui et ses semblables ont eu,
Il lui faut être capable de dire de This-
K'v* i, c'est nous, et ses relations et ses
o; Ni protondos, il ne peut arriver au but
loviMîUo. Le-* faits en eux-mêmes peuvent
**** ^ ... 1» Jî\o.» . :U :\o pouxont l'ontrainer que lorsqu'il les a
mic c*>t v|uv» . V
'TL-,«^if w»a «? Jî^v.» ■ -^ :î^* poux ont 1 1
^^ .j,^AiiCi»»*''*- • •' ^*î«'»-*- ^'1. 00 qui revient au même, lorsqu'ils
*^** ^^^,: j^^ .i,\»,K\* ^to 0-. '. .iiiiivîU vi\ eux-mêmes. Il n'a pas seule-
'^'^^totf»» i» jN***^*'**' i»4;îv»a,»osor l'iusioire en tant que série devé-
^Â^TiiJkUTBES* — A. UïRiA* La consiUuzionê economîca odierna. 207
i:ieiiients, 11 lui faut savoir ayisi ce qu'ûst rhistoire eo elle-même, ce
€5o.*elle signifie par rapport k l'expérienae, qitelle est sa place dans
l'onivers. L'historien» par exemple, ne se mêle pas ordinairement
d^'étudier des faits comme le temps, la causalité, rindividualilé^ le pro-
gi-^s ; maÎB le philosophe, avide de comprendre h fond rhistoire, ae
trouvera rien d'aussi imporUut ut d'aussi absorbant ». Voilà donc ce
que notre auteur va étudier : les données preraièreSp les conditions
de F histoire; et il s'efforcera en mémo temps de démontrer les relations
qui existent entre tous Jes temps et tous les faits, la solidarité qui nuit
tous les hommes du passé, du présent et du futur. Pour lui, et c est la
conclusion môme de ces analyses si ingénieuses, la fonction do This-
toire est * d^universaliaer tous les lieux et de contemporanéiser toutes
les époques s.
13 e ces données premières Tauteur passe à Tétude de la société et
de son évolution; il divise cette évolution en trois périodes: l** période
d'idetititL* de la société avec elle-même; 2^ période d'aliénation; 3^ pé-
fio^le de restauration. Je n'ai pas à le suivre dans les détails de son
œuvre; sinon je pourrais peut-être le chicaner un peu (oh! si peu) sur
l^s exemples qu'il cite et sur les termes qu'il choisit. Mais j'aurais
miAuvaise grâce à le faire^ puisqu*il est le premier à proclamer qu*il est
souvent dangereux d'illustrer des théories par des exemples, et que 1©
lang-âire n'offre pas toujours les termes justes qu*on voudrait employer.
J^ |>réfère donc m'ahstenir de toute critique, si minime fùt-elle, et ter-
tt^iner en félicitant M. Lloyd pour son oeuvre si solide, si élégante et
si concise, et dont le style piquant et clair fait une lecture que je ne
I **U.rait trop recommander.
' A, B.
-A^oMille Lorîa, La Costituzione econo«[ca odiehna, — l voL grand
m^S s^2 pages. Turin, Bocia. 181+9
*-*^^s idées et la méthode d'Achille Lorîa sont bien connues en France
!:«:> IIS ceux qu'intéressent les problèmes sociologiques', théoriques et
*l^^^* ^^ particulièrement l'étude des rnpporta de la sociologie gêné-
^J^ ^vecrëconomie politique. Lç% Âi-iHlisi detU'prQprietàcapitaiislR, les
j^ ''^^ ^^ ^ économiquei^ de la constitution sociale, les études publiées par la
,^^^^ *-«e de sociologie sur les phénomènes sociaux observés dans les colo-
-^^ européennes nous ont familiarisés avec une théorie qui juge les
jg ^^>omènes proprement sociaux, c'est-à-dire morau?;, religieux, juri-
^_ r^ ^-^'«a et politiques entièrement subordonnés auK phénomènes êcono-
j^ ^^^'^^es et qui suppose Tordre de succession des phénomènes écono-
j^- ^^ ^ues entièrement réversible. L'teuvre que Loria présente au public
^ ^ ^^utera, croyons-nous, rien de très nouveau à ce qu*il avait déjà
„ ^ * t, mais elle mettra la thèse mieux en lumière, elle fera mieux con-
^^^ _, ^ *^e la différence profonde qui distingue Tauteur des autres adver-
^**^s de la propriété capitaliste.
208 REVUE PHILOSOPHIQUE
On sait qu'il y a, au jugement de Loria, deux types d*organisatioQ
économique; l'un est fondé sur la terre libre, Tautre sur !& propriété
foncière exclusive. Le régime de la terre libre, s'il est combiné avec la
division du travail, conduit à la constitution de Tassociation mixte du
travailleur et du producteur de capital; le régime de Tappropriation
foncière conduit d'abord à l'économie esclavagiste, puis à réconomie
capitaliste, source chacune d'un système propre d'institutions morales,
religieuses, civiles et politiques. Un régime économique ne peut être
ni modifié par VÉlat qui en est un organe auxiliaire, ni détruit par uoe
révolution.
Il se désagrège lui-môme s'il est contraire aux exigences de la "vie
(Loria entend par là l'harmonie des intérêts égoïstes).
La structure économique actuelle est fondée sur la négation ^^
droit de chacun à la terre : aussi assistons-nous à sa dissolution spC ^'
tanée et de plus en plus rapide. Cette dissolution ne résulte pas,comr^^®
le pense l'école marxiste, de la disparition graduelle des petits pf^'
priétaires, mais tout au contraire de leur accroissement régulier. L'é<^^^'
nomie capitaliste n'a pas d'autre fondement ni d'autre origine qu'uC^
scission complète entre le travail et la propriété du sol; cette stra ^^
ture économique est donc mise en péril par la constitution d'uc^^
classe de petits propriétaires cultivant le sol de leurs propres main-^^'
Cette petite propriété foncière est formée par l'épargne; elle proviec:^^
en d'autres termes d'un excès du salaire sur les besoins de la familL ^
ouvrière et le salaire surpasse les besoins à mesure que diminue l-^^
productivité spontanée du sol. Les lois mêmes de la rente foncièr^^
tendent à détruire l'économie capitaliste que l'emploi d'artifices poli''
tiques et législatifs peut seul maintenir provisoirement.
L'état de crise résulte du contlit entre l'inhibition foncière, c'est-à-
dire la plus value artificiellement donnée à la terre par les capitalistes
afin que l'épacgne ouvrière ne puisse l'acquérir, et l'abaissement tem-
poraire de la valeur qui met le sol à la portée de cette épargne durant
des crises toujours plus longues et plus fréquentes. Chaque crise sous-
trait un certain nombre de travailleurs au régime capitaliste, et malgré
les procédés d'extorsion mis en œuvre dès que la crise est terminée,
une crise nouvelle plus longue et plus intense est rendue inévitable
dans un certain délai.
L'État est au mains des capitalistes en raison de son origine et de
sa nature; il n'y a donc rien à lui demander. Néanmoins la science
peut légitimement chercher comment on pourrait sortir de cet état
anormal toujours plus onéreux à la productivité et à la liberté person-
nelle. Le collectivisme n'est pas un remède ; il méconnaît raspiration
croissante à la liberté. Ceux qui affirment qu'il façonnerait les hommes
de telle façon que la solidarité des intérêts rendrait toute contrainte
inutile oublient que pi)ur amener l'humanité actuelle à une pratique
normale du collectivisme une contrainte illimitée serait nécessaire.
Le remède ne peut être cherché que dans l'institution légale du
A.7r.^%.x,YSES. — A. umix, La consiiUizwne economica odierna 209
s^lâ'îrê territorial, le paiement de l'ouvriep agricole enterre (Chap» 31 o,
p. T^O et suivantes),
î^i^ousavons montré ailleurs la place qu'occupe Lorla dans Thistoire
dim socialisme scientifique. II est à Marx ce que Marx avait été^
api*^s LassaOe, Rortbertus et Proiidhon, à Técole de Manchester.
11 détruit le marxisme, réfute la loi d'accumulation automatique en
pr-^nant pour point d'appui la. critique de l'économie capitaliste et la
thièiso du déterminisme économique. Il conclut victorieusement contre
I ridéo de proposer au prolétariat la conquête des pouvoirs publics et
' cotiitre la possibilité d une organisation vraiment collectiviste. Mais il
coriserve les idées maîtresses du grand communiste, la réduction do la
sooiotë humaine à la combinaison des forces productives, le matéria-
listne historique, Téconomie capitaliste précédée par réconomie escla-
I vai^-iste et conditionnée par la propriété foncière exclusive.
' L-a sociologie doit rester impartiale entre Técole qui se voue à Tapo-
logîo de l'entreprise capitaliste et celles qui y voient un fait patholo-
Sic|ue et préconisent comme à la fois salutaire^ possible et inévitable
Utie autre organisation de la production et de la répartition des
L richesses. Nous n'élèverons donc aucune objection directe à la thèse
f économique qu'à soutenue Lona. Mais si Ton entend par régime capi-
taliste le régime de l'entre prise contractuelle* nous ne Je croyons
nullement solidaire du régime pré-ca pjtalïs te caractériBé par le domaine
l'Urîil et la grande propriété foncière.
li nous semble que l'entreprise fonctionne en France, en Suisse^ dans
1 Allemagne occidentalei dans Tltalie du nord, pays de petite propriété
"^ocîère, tout comme en Angleterre, en Autriche, dans la Prusse orten-
*^le^ pays de grande propriété. H nous semble que, dès que la terre est
^^ns ie commercey l'existence de la classe des grands propriétaires
«'^^nciers est par ]h même menacée et que loin de trouver on sûr appui
^^fîs les institutions poliliqucs, cette classe est plus ou moins violem-
*^^nt dépossédée du pouvoir^ comme le fut 1 aristocratie nobiliaire et
^croiésiastique en France à la fin du xviiî* siècle, comme Taristocratie
^ng^Inaïse depuis 1832 (t), comme laristocratte polonaise après 1863»
*^*^ïrime la Hiiterf^chaft prussienne depuis les progros économiques de
en>pi>g_ Néanmoins, Tinstitution du salaire territorial est peut-être
^^ ^Jxjjérience à tenter dans les états dont le ré^nme économique a
^bi Un arrât de dévelopement ; tels, Tltalie méridionale et certaines
"^ -*eiori8 de rEurope orientale,
t'evanchcon peut chercher si Tauteur applique une méthode socio-
Efi
îf i<^ ijp îicceptabie» s'il ne fait pas subir au.v faits historiques ou ethno-
^r*H ique^ une véritable torture pour les contraindre à témoigner dans
Se Us d'une thèse préconçue. Si Ton ne peut trop affirmer le droit du
^^*Olçgyii II formuler des hypothèses^ comme tout autre savant expé-
. ' **Q rjuesLiot^ jdanilatse et la quesLîtin tle la Citamhra des Jords sont, on le
. \^ eu 3t aspects d'un problème unique, le privil(;ge poliUque de la propriété
ToiiK L, ^ 1900. U
210 REVUE PHILOSOPHIQUE
rimental, on ne saurait trop non plus lui rappeler qu'il doit être à lui-
même son propre critique.
Retenons à ce point de vue deux thèses sociologiques de Tauteur.
L'une est celle de Tidentité de la communauté de village et de Tasso-
ciation mixte, Tautre concerne les phénomènes qui ont accooipagné la
disparition de l'économie esclavagiste dans l'antiquité classique et dans
les colonies modernes.
LfOria fait naître la communauté de village, observée en Russie, eo
Perse, dans l'Inde et l'Indo-Chine, à Java, en Chine et môme dans l'Eu-
rope occidentale, d'un contrat entre travailleurs isolés dont certains
voient un avantage, à exercer d'autres professions que l'agriculture et
à combiner leurs travaux en cessant de revendiquer un droit à la pos-
session d'une unité foncière. Il fait entièrement abstraction des liens
domestiques, religieux et politiques, de tout ce qui est proprement
social. Bref, il construit la petite société primitive en prêtant à seB
membres les calculs de l'homme contemporain. Mais si Loria ne mépri-
sait pas autant l'étude historique du droit et des mœurs ' , il saurait qu'uri.e
telle explication est inadmissible; il saurait que les travaillenrs isolés
quMl nous peint opérant sur une unité foncière (Cap. I, § 2) sont d^s
êtres mythiques dont aucun sociologue quelque peu informé ne consen-
tira à discuter seulement l'existence.
Aux yeux de Loria, l'économie capitaliste n'est point, comme aux
yeux do Marx un simple prolongement de l'économie esclavagiste. L'é-
conomie esclavagiste, dut disparaître pour que le capitalisme trouvât
place, mais Tune et l'autre sont deux moments successifs, deux formes
du régime économique fondé sur la propriété foncière exclusive. Elles
succombent à des causes analogues et la crise finale de l'économie ca-
pitaliste présente les mêmes symptômes que la crise à laquelle a par
deux fois succombé l'économie esclavagiste, une première fois dans Tem-
pire romain, une seconde fois dans les colonies modernes. Or le
tableau que l'auteur nous fait de cette crise nous parait empreint de
fantaisie. L'esclavage n'a pas succombé aux mêmes causes dans les
colonies modernes et dans le monde antique et en appliquant à l'his-
toire économique de l'empire romain, des observations faites sur TUnion
américaine au xix^ siècle, l'auteur viole toutes les conditions et toutes
les règles de la méthode sociologique. L'économie esclavagiste de l'Amé-
rique était en concurrence avec le travail libre et avec l'économie capi-
taliste (Citons un exemple bien connu : la production sucrière) : aussi
a-t-elle brusquement succombé et d'abord dans les régions où le travail
libre s'implantait le plus facilement: elle a péri plus tôt dans les oolo-
nies anglaises et françaises que dans les colonies espagnoles, plus tôt
aux Etats-Unis qu'au Brésil. Dans l'empire romain, l'économie esclava-
giste ne s'est pas transformée parce qu'un calcul machiavélique élevait
1. L'expression hautaine de ce mépris se rencontre dans la préface et la con-
clusion des Bases économiquei de la constitution sociale .
ANALYSES, — I*. BOlGLÉ. Pour la démocratie fmnçawe 21!
le prix des esclaves pour les empêcher de racheter leur liberté. Ce cal*
cul aurait trop déçu ses auteurs, et Ton peut faire aux jui'i s consultes
romains tous les reproches, sauf celui d'avoir péché par aottise. Les
propriétaires avaient tout avantage au contraire à laisser leurs esclaves
racheter leur liberté, puisqu'ils conservaient des droits étendus sur la
personne et les biens de leurs affranchis. Le système desesdaces ca^és,
des a^ervi tnanëi^ a remplace sur le domaine rural celui de l'esclavage
Cantique parce que le travail de co serf à demi libre et propruïtaire en
fait sinon en droit était beaucoup plus productif et rémunérateur que
celui de lesclave. Une intelligence confuse de la réciprocité des inté-
rêts a fa%^onsé cette grande transformation,
S*il n'y avait pas eu, après les événements de Saint-Domingue, une
guerre d© la sécession et si rémancipation des esclaves brésiliens
n*avait pas occasionné la chute d'un empire, on pourrait peut-être ex-
pliquer la transformation de l'esclavage par un mécanisme écono-
mique. Mats si les propriétaires de la Virginie et de la Louisiane ont
tenté de détruire violemment Tétat fondé par leur pères et supporté
une guerre inexpiable sous ta seule appréhension des mesures légales
d émancipation, c'est que Teaclavage n'était pas devenu aussi onéreux
que M, Loria croit le prouver. Ce mécanisme économique que Ton s*i-
magine découvrir partout n'est peut-être nulle part; tout au moins
Q^a-t-ît nulle part une action prépondérante.
Gasto» Richard.
G. Bougie* — Pour la Dàe^ocEATtB française. Conférences popu-
laires. Paria, Cornély, 1000, Î56 p* in-î2.
Les conférences réunies dans ce petit volume traitent de sujets asses
variés : La Tradition ntiHonaîe^ In Philosophie de rantisémiiismej
l'Armée et h clémocraiie, InteUeclueis et mimuels^ Cimlisalion et
d^mocrah'e. Ces conférences s'inspirent d'une idée commune. M, Bougie
y inet en garde Tiiidividu contre certaines idées qui, soit par elles*
mémes^ soit par les f liasses conséquenres qu'on en peut tirer, sont
susceptibles de devenir oppressives ou limitatives de sa personnalité
morale. Telles sont les idées de nationalité, de race^ de classe* A
propos de Tidée de nationalité. M, Bougie s'efforce de définir la vraie
tradition française, Individualiste et émancipatrice, par opposition à la
eoDception nationaliste.
Il critique ensuite la philosophie des races devenue une arme entre
les mains des leaders de rantisémitisme*
Il montre enfin ce qu'il y a de factice dans la coiiception de classes
sociales tranchées. Le progrès social consiste dans le développement
den idées ùg^tlitaires et dans le rapprochement des deux forces sociales
faites pour s'entendre et se compléter Tune Tautre : les Intellectuels
et les Manuels.
G. FAIiANTE.
21â
BEVUE PUlLQâOPHrQUE
Otto Ammon. — L*ORDRE SOCIAD ETSEsnASÊSNATUEBLLEa» E&quiêiiC
d'uïie aiithroposociologie^ traduit par H, MulTang, Paris, Fontemouig,
1900» 51fi p, iti-S^
Le livre de M. Ammon se divise en deux parties : Tune où l'auteur
expose la théorie de l'ordre social d'après les sciences naturel les,
l'autre consacrée aux applications de sa théorie.
Le fondement théorique du ijvre se résume daiifi la théorie de Gaîtori
sur l'inégale répartition des aptitudes humiiines et dans le mécanisme
de la sélection sociale qui n*est« d'après M. Âmmon, qu'un prolongeco^nr
de la sélection naturelle.
Les conséqueace& pratiquer sont des plus favorables aux eîasscï
dirigeantes. M, Ammon est un ad%'eraaire résolu du suffrage universel,
de la sociale-démocratie et des idées éÉ^alitaires.
Le livre est précédé d*une très intéressante et substantielle préfaces
de M* Muffang consacrée à rhistoHque et au rôle politique de Tanthro-
posociologie.
M, Ammon est un esprit très éclairé et trèa informé, un observate vjiv]
pénétrant des réalités sociales. Son livre marque une étape dî^wi*
l'évolution des théories conaervatistes. Avec lui, le conservatisr^n«?.
renonçant à la méthode théologique, tradltionnaliste ou autorité m i^e
d'un Bossuet, d'un J. de Maistre ou d'un Brunetière, devient fran&i^<*
ment darwinien. Nulle part, pasmèrae chez H. Spencer, on ne trour ^ »a
une conception darwinienne du monde social plus cohérente et p^ 1 *»^
systématique, M
Voici quelques points faibles de la théorie de M. Ammon. E11& ^V
ûonipose de deux parties : i" Une théorie mathématique des coir» *^'"
oaisons possibles de 4 dés dont les cotés sont marqués de I à Ti pum rv ^^
et dont chacun représente une série d'aptitudes humaines; '> l'apl^''^*
cation de ce calcul des probaJîiUtés au mécanisme de rhércdîté et «^*
la fécondation humaines.
La théorie mathématique de M. Ammon est irréprochable. Mais 1^ ^^
peut so demander si ce calcul des probabilités est la représent a tl^rn
exacte des phénomènes qui précèdent et accompagnent la fécondatioti-
N'y a-t-îl pas dans ces phénumènea une complexité beaucoup plut
grande que celle que Ton suppose et qui déjoue le simplisme rektif
du mathcmatisme de M. Ammon? Les lois de rhérédilé se laissent
malaisément saisir. N'y a-t-il pas, à côté des lignées de talents hérédî*
taires, des apparitions soudaines de génies que rien dans leur ascea-
dance ne permettait de prévoir? 2'^ on peut se demander si la hiérar-
chie sociale existante coïncide avec la pyramide idéale de Galton. Il y
aurait dans une telle affirmation une dose absolument inacceptable
d'optimisme.
En somme, la doctrine de M. Ammon est moins une qu'elle ne
parait au premier abord. Klle se compose de deux parties superposées
entre lesquelles on n aperçoit pas bien le point de jonction : une théorie
mathématique des probabilités et une théorie sociale de l'hérédité et
AHALYSES. — [E. WAHLE. Kurze Erktâriing der Ethik 213
de la eélection* Nous ne Terans h roptimismc de M. Ammon qu*une
objection . si hi supériorité des classes dirigeantes était réelle, ces
classes auraient-elles besoin d'organiser ces rnenaorifces convenlionnela
si bien decrila pas M. Max Nordau eldont on retrouve la trace à chaque
pas dans notre organisation sociale? Le but et Teffet de ces mensouges
aont précisément de favoriser la médiocrité et d'éliminer les forts, ies
întelligents, les indépendants. La vraie force ignore le mensonge, La
supériorité des classes dirigeantes n'est donc qu'une supériorité appa-
rente. G, Palante.
V. — Histoire de La philosophie.
D* Bichârd IVable. — Kuiize Erk^aerung ueh ErniK von î^pînoza
VSÎ) D\Hi?THLLLNri DER UEFINITIVEN r*JÏILOSOPUIE. i V. in-S'^ de Vllf-
?I2 p. — Vienne et Leipzig, Wilhelm lîraumuUor, 180'J,
Lies deux parties qui compostent l'ouvrage de M* Wahle ont entre
©lien un lien assez lâche, l/nuteur» après avoir exposé la conception
spiroziste du monde, veut lui opposer la sienne» qui est très difFé rente
et presque uniquement négutîve. C'est Vi ce qu'il appelle la phiiomphie
d^flr\itim\ et il est entièrement convaincu qu'il a découvert tout ce
«îti'tl est possible de savoir sur le fond des choses. Il exprime cette
conviction à diverses reprises, et il renvoie souvent le lecteur à un
gi*-t nd ouvrage publié par lui jadis ; Das GnnzCfhr Philosophie und ihr
*^^^fîe. Cette conviction est si entière qu'elle en devient assez fatig-ante»
L ^tit^ioiit quand on a lu la tieuxième partie et que l'on a vu ce que Tau-
r ^^ur entend par le vrai systi^nie des choses. — De môme que M, Wahle
* ïi^ouvert la philosophie dèftniîivej il a découvert aussi la véritable
^^tçrprélation de Spinoza. Tout le monde, avant lui» s*y est trompé, et
^^n âpre le à Spinoza des idées tout à fait étrangères h sa doctrine.
^ ^st ce que nous apprend Vlnlroduciioii. Mais, parmi tous les com-
mentateurs, le plus téméraire etp il Hiut le dire, le pluâ ignorant, est à
^^U|) sCu* M- Kuno Fischer, lequel est incapable de démêler le sens
^^a i'onecpts spinozistes (p. 5). C*cst que M. Kuno Fischer a ou lo tort
impanlonnable do traiter avec dédain Tin ter prêtai ion de M. Wahle,
^Ik que celui-ei Tavait exposée ilans trois essais* Il u même blâmé le
Btjje de >L Wahle (p. 4|. Aussi M. Wahîe lui renvoie sa critique et le
(convainc sur une phrase de ne pas savoir l'allemand* 811 publie
Aujourd'hui cette nouveîle étude, c*est pour détruire Iq fâcheux effet
que peut a%'oir produit sur le public le jug^emenl de M* Kuno Fischer,
Après cela» il s'engage à ne pi m s parler de Spinoza.
Quel est donc le sens de l'I'Jthique, sens si caché que ÎL Wahle est
le preraier à l'avoir compris':^ U est très simple* La doctrine de Spinoza
est le pur naturalisme, un positivisme véritable, Bpinozi a voulu
expliquer le monde sans faire appel à la théologie et à la psychologie
traditionnelles. 11 a voulu exclure Fidéa théologique et réduire ren-
214
REVUE PHILOSOPHIQUE
leuje livre ua
léologique aj
a chrétien. À
lire au mystij
semblo des choses à Tunivers. Bref, Il n'esit ni ihëîste^ ni panthéiste]
mais bien Qfhëe: et ceux qui lui ont prêté une fl<jetnne ficoaraique M
sont entièrement mépris sur sa pensée. La grande ditlkulto du spmo
^isme consiste dans Tempîoi d*une terminologie consacrée et qu
éveille des idées absolument difîérentes de celles que Spinoza %'eut lu
faire exprimen Mais le remède est facile. Spinoza définit tous led
termes qu'il emploie. Il suHit de se reporter à ses défînitions pour n^
paa lui prêter une doctrine incohérente* C'est ce qui devient sensibllj
en particulier si Ton étudie le concept spinoziste de Vamour^ L*amoud
n'est pour Spinoza que la joie accompagnée de Tidée de sa causal
C'est pourquoi il est inadmissible d'interpréter le cinquième livre d^
VÉthique comme s'il s agissait d*un retour à Tidée théologique
comme bi Vamour intellectuel de Dieu prenait ici un sens
Ainsi il n*y a dans la doctrine spinoziste aucune part à fair
cisme, rien de surnaturel. Les attributs expriment exactement II
notion de la substance et ils n*ont rien de transcendant par rapport auJ
modes, La preuve a priori de l'existence de Dieu n'a rien de commui
au fond avec Targument ontologique de Descartes, et elle axprJml
simplement cette vérité incontestable que» si quelque chose exista
Texistence de ce quelque chose est néc^Gaaire. — Spinoza professe uJ
phénoménisme absolu, et c'est à lui qu'il faut faire honneur, et non paj
à Hume, d'avoir établi Fabsurdité de l'hypothèse àme. Son explicatiol
des rapports entre Tâme et le corps, toute phénoméniate égalemeni
est bien proche de la vérité. Il a bien vu que le jugement et la volonlj
sont des entités abstraites et que tout, dans l'esprit, se ramène à dé
représentations, — Au point de vue moral, il a voulu fonder la cod
duîte sur la seule raison et enseigner aux hommes le chemin â|
bonheur naturel, qui est celui de la connaissance des rapports eote
Vindividu et Tunivers, Là encore, nous trouvons en lui un naturalisa
et non un mystique. 11 ne faut pas entendre en un sens théologique I
troisième degré de la connaissance et la fameuse formule : sud spec
$?teTuL 11 ne faut paa non plus prêter à Spinoza des idées sur Timmc
talîté de l'âme contraires à son point de vue.
Telle est la première partie de Touvrage de M. Wahle. (Nous laissai
de eôté une longue section qui a pour objet de classer les doctrine
morales, en manière d'introduction à Texposé de la morale sptnoziati
Peut-être l'interprétation de M, Wahle, toute rigoureuse qu'elle se
ne convaincra-telîe pas tout le monde; et l'on peut se demander
réduite à ces termes, la doctrine mériterait T estime qu'en ont faîte
penseurs tels que <.ïa<the et St-helling. Les îneohérences apparentes ac
parfois signe de richesse, et l'esprit d'une phi ïosophie est souvent pU
vrai que la lettre. A ce point de vue, rinterprétation de M. Delbos, l
cette de M. Brunschwteg, nous semblent plus dignes de Spinoza d
celle de M. VVahle, ]
Dans le deuxième livre, ainsi que nous Tavons dit aa déb^
M, Wahle expose ses idées personnelles, lesquelles oonstituent la pi
ANALYSES. — B. WÂiiLE. KurzB Erklâning âer £thik 2)8
I o^€3^hi€ définitive. Cet le philosophie est impitoyablement critique;
et, st elle n assure rien h la connaissam-e, elïe lui retire à peu près
touf^* Nous pouvons la résumer en quelques mots, 11 n'ex.iste que des
pliérmomènes. Les qualités des corps perçues par les sens se ramènent à
des i-epresetitatîons- Il en est de même pour notre corps. Ainsi on ne
petxC prétendre quf! les états de Tesprit aient pour cause les étala
externes, car il y aurait absurdité à mettre dans une représentation
1& force productrice d'une autre représentation. La matière n^est pour
nous qu'un ensemble de sensations, et elle ne peut être le support des
qiià.li tés sensibles. L'espace est un abstrait et non une existence. Mai»,
d'autre part, rien ne nous aiiCoriî^e à admettre un sujet connaimant,
un TTiof. La catégorie métaphysique du savoir (Wissen) est vide de
sens* Le subjectivisme de Fichte est inacceptable. Encore une fois, il
n'esciste que des phénomènes (Vorkommnisse), et il faut admettre
r identité de la représentation et de la chose qu'elle représente» leur
ur\£€Zitè. — Mais les phénomènest qui sont les produits véritables f
doi-vent être les effets de causes véritables. Ces causes sont inconnais-
8al>lesdans leur nature, et elles constituent la sphère fondamentale
iFutidamentalgebietJ, laquelle n'a rien de transcendant. Bien quelles
soiertt étrangères à Tespace, il faut admettre leur diversité» sans
la<^tjielïe le monde des phénomènes serait entièrement immobile. La
eat^ggj^je ^^ |a causalité s'applique naturellement à elles, avec ses con-
diticuis essentielles, bien que nous ne sachions absolument rien sur
leui- mode dUnlluence réciproque ni sur leur méthode de production
des phénomènes, Eîïes ne sont ni exeluBivement substances, ni exclu-
^ïV^riQgjit forces. L'être et le changement se concihent en elles d'une
*T^ani^fe indénnmsable. — Ainsi îa philosophie cléftnitive constitue un
^^J^Glivisme absolu, qui tient à son caractère rigoureusement phéno-
''^^i^iste. C'est la marche même de la philosophie que d'aller de la
*^«03^ représentée à la représentation, et de revenir de la reprêsenta-
'P^* à ce qui est objectif (p. 207-208). Cette doctrine, qui est une
^'^onstration de Tignorance irrémédiable oïinous sommes^ a une utilité
^^o^tivei celle de nous éviter la peine de construire des systèmes méta-
1% *^siques. C*est a peu près, avec te souci moral et religieux en moins,
^•-ilité que Ki^nt attribuait déjà à la critique. — Nous ne croyons pas
"^^ ^^ Wahîo aît découvert, ainsi qu'il le pense, la philosophie défi-
_ ^*it>^. ^t ses idées sur las^p/iére fondamenÎAle nous paraissent aussi
1 ''^itraires qu*obscures. Quel est le principe qui l'autorise à dépasser
_ ^ ^liénomènes? De quoi droit app1ique*t-il aux ca^tses véritables la
^^j^orie du nombre et celle du changement, quin, Tune et rautre, aup-
^^nt celle de Tespace, alors qu'il fait de l'espace quelque chose de
^. **^Knent phénoménal? Qu*est-ce que ce monde des existences réelles,
*>^>rà une projection de la conscience analogue à l'idée de la matière?
*ïi^elle est, dès lors, la valeur de cette projection? Comment s'expli-
^Jjî^^rit la mémoire et la connaissance, si Ton refuse d'admettre avec
'-ï^rk^ tea lois essentielles du sujet connaiasant, et d'où vient dès lors
216
REVUE PHILOSOPHIQUE
la représentation de l'univers? Voilà des questions auxquelles M. Wah^
no satisfait pas. Il affirme {p. 184) qu'il n'a rien à apprendre cheai Kac
en ce qui oon cerne T usage des catégories. Nous croyons que, comnz
tout le monde, il fera flagornent de se remettre â Tétude de Kant, fl
apprend rfi sans doute a ne pas faire de raisonnements tels que celui-
(p. 197-iîJ8) : Il n'y a rien d'inadmissible à ce quune chose^ une su
i^lance (Dîng) puisse tzhanger. En effet, nous iiaimns pa^ le moind
mupçoji de ce que c'est qu^une chme : nous ne soupçonnons pas na
plus ce que peut être la nature de son aciwité [Kvûftigkeit), Nq~
pouvons donc admettTe des choses susceptibles de changement.
J* Sëoond.
Mme Dr, Dorothée PastuâJÙk. Alfred Fouillées psfchisck
MomsMUS. Bern, Stu^^enegger, 1809.
Mme Dorothée Pasmanik a. dans une petit nombre de pages, am:
lysé d'une fagon bien claire et bien conipliîte la philosophie
M. Fouillée et elle a su conserver à la doctrine qu'elle exposait s
aspect attrayant et fiympathique. Elle s'est attachée d'abord à met.
en lumière la conception métaphysique générale de M, Fouillée ^ ^
indiquer le point de départ de sa théorie d'un monisme psyeiiic^ m^je
immanent; puis, dans une analyse détaillée et exacte des idées-forc ^^^ '^'H
elle en a étudié la base psychologique; enfîn^ après quelques consirf ^^^
rations sur les tendances morales du système, et sur ta position qu'<?^^*
cupe l'auteur parmi les philosophes français contemporains, elle -^
consacré son dernier chapitre à faire connaître et à défendre /^
méthode dont il s*est servi, méthode de conciliation qu^elîe caractérise -
une méthode spéculative de synthèse progressive, par opposition ^
l'éclectismedontelle qualifie laméthoded^historique-critique. « Fouillée,
dit-elle en manière de conclusion^ n'est point un éclectique; il appar-
tient au contraire à cette catégorie de penseurs qui, tel un foyer réu-
nissant en soit des rayons divergents, expriment certaines tendances et
certaines idées dominantes de leur époque avec une énergie telle et
avec l'aide d'une science si étendtïe, que les idées qu'ils formulent en
re<;oivent une intensité et une force suirisanles pour devenir elles-
mêmes le point de départ d'un développement ultérieur, w
ÂLFItED BLAXCIIE.
Dr, Karl Vorlander. Immanuel Kants Kritik der reixbn Ver-
NUNFT, 1 voL in-l2 de A,-K.-XLVin-B39 p. Halle, Otto Hendel {Biblio^
thek der Gesamtlitteratur)^ i809.
L'édition que nous donne M. Vorlânder a plus d'égard au fond de la
Critique qu'à la forme du texte. Elle débute par une introduction très
instructive, dans laquelle l'auteur nous retrace le développement de
la pensée de Kant» Tacoueil fait à son œuvre, le mouvem<?nt philoso-
A^TVi^X^TSES. — pAîmcK^ i^exius Emptricus and greek scepiictsm 217
pHîc|;i^e qui en est issu^ le déclin de son înlluencc^ enfin Ea renaissance
diî Icantisme; n*oublions pas les explications si nettes qui nous font
ootn prendre la nature générale de la pensée cHticiste^ ainsi que les
inclio£itions relatives à la bibliographie kantienne.
Li^» étudiants trouveront dans ce travail, ainsi que s*en flattô
M . Vorlânder, un secours précieux. Mais ce qui leur sera le plus utile,
et oe qui n'existait pas jusqu'à présent, o^est le double index qui ter-
raziioe Touvrage, index des noms propres et index des matières. Toutes
l^s re^sherches que Ton entreprendra désormais sur le sens de la Cri-
iirjtAéf devront beaucoup au labeur patient de M. Vorlîinder. L'index
<ios matières lui a naturellement donné plus de mal que celui des
î^ viteurs. Il a fallu rechercher patiemment tous les termes notables de
Is*. l^ingue philosophique de Kant, et Ton sait de reste que la termino-
lc>3^ie kantienne n'est pas exempte d'ambiguïtés, — Ajoutons que, malgré
l*î*.ttention apportée au fond, le texte n'a pas été négligé. L'édition de
^I - Voriunder reproduit la deuxième édition publiée par Kant^ mais
a^x-ec toutes les variantes essentielles qui viennent de la première édi-
tion (c'est la méthode inverse de celle qu'a suivie, entre autres,
*v.elarbach). Four ce qui est de Torthographe, de la ponctuation et des
^^^ï'ixies tombées en désuétude, M. 'Vorlânder n*a pas attaché une
**^t>ortance extrême à tout ceht, évitant avec raison tout pédantisme,
^^ *^'en tenant avant tout au désir de Kant lui-même (Préiace de la
^^ tiqua de U Raison pratique), qui demandait seulement à se faire
*^^=*»TQpr6ndre.
■%tfftry Mills Patrick. Sextus Empieicus akd greek scepticîsm.
, ^^^ . in- ri de vjii -163 p* — Cambridge, Deighton Bell and Co; London»
'^^^rge Bell and Sons, 1899.
j^ ^^e petit volume a été écrit pour servir d'introduction au premier
^ ^'e des HypotypQsea pyrrhoniennes de Sextus Empiricus, imprimé à
X^r^ ^uitede VEssai, Il a servi de thèse pour le ^^radc de docteur en phi-
^^ ^*^}phie devant rUni^'ersité de Berne en novembre 1897. Il renferme
_ 1::^^^^^ série de discus^iions relatives à Tinte rp relation du scepticisme
B^^^ **"rhonîen par différents auteurs » notamment par Zeller, Pappenheim
^^^^ 3îrochard- H comprend cinq chapitres. Dans le premier, l'auteur
^g. ^-*^die les relations historiques de Sextus Empirîcus^ Il discute lon-
c:^ ^-^- ^^ment Torigiae de ce surnom d'Empiricus^ et recherche s'il convient
^^^^^ rattacher Sextus à la secte des médecins empiriques ou bien à la
I ^ ^^^^^ le méthodique; cette question en enveloppe une autre, celle du
c^ ^-^^„*^^* *l^* ^ P*^ exister entre le scepticisme et Técole des médecins
1 ^ ^_^~^ ^i tiques. Le lieu de renseignement de Sextus est également
*~^et d'une longue discussion, dont le résultat paraît d'ailleurs
^^^^ t problématique. Il en est à peu près de même en ce qui concerne
^S^^oque de cet enseignement. — Le chapitre H a pour objet le point
'mue et le but du scepticisme pyrrkonien, tels que les déûnissent les
RgVDB MILOSOPH1Q0E
Srpotypose». On^eut y noter rinsistance avec laquelle Sexltis rallaehe
le véritable scepticisme à la personne de Pyrrhon et défend le pyrrho-
nisme contre tout reproche de dogmatiâme. — Le chapitre lli est un
exposé, d'aprèa i^extus (et parallèlement d'après les autres histoHpïis
du scepticisme comme Diogènej des dix iropes d'Éiicsidème, des cinq
tropes d'Açrippa, des deux tropes dont on ii^nore Tauteur, en lin des
huit tropes dirigés par Énësidème contre la noiion de causalité. L*ati-
teur insiste avec raison sur l'opposition entre les dix Iropes de carac-
tère empiriste et les tropes d'Agnppa, dont le caractt-re est dialectique,
— Le chapitre IV est le plus intéressant. L'auteur y étudie^ d'après
un passage de Sextus(Hypotyposes, I, tiO et sq,) les accoin^ajices de la
philosophie d'ï:lnèsidème avec celle d'HèrRclite, Il n\idmet ni Thypo-
thèse de Pappenheim, ni celle de Zeller, ni celle d*Hirzel et Natorp^
ni celle de Saisset, ni celle de Brochard. H croit à une sorte de dogma-
tisme intooacient che£ Énésidème, dogmatisme qui serait le produit
naturel des efforts tentés par Énésidènie pour systématiser le pyrrho-
nisme, — Le chapitre V a pour objet l'examen critique du ptjrrhO"
nisme~ L'auteur rappelle les principaux traits de la vie et de la morale
de Pyrrhon i il distingue fortement le pyrrhonisme indifTérent du
sceplicisiae pro6abîiis/e et secrètement idéaliste de TAcadémie; eûfin
il marque tout ensemble la force du pyrrhonisme, les services qu'il a
rendus (et surtout ceux qull aurait pu rendre) à la science, à la philo-
sophie, à la morale, à la religion, et sa faiblesse, soti caractère pure-
ment négatif, son point de vue insoutenable et inexprimable* son indif-
férence à regard du vrai, son manque absolu de vîtatité. Alors qull
pouvait stimuler Tesprit scienti tique à la recherche des phénomènes,
le pyrrhonisme supprime la recherche des causes. Ènésidcme pose la
question de la causaîi té avant Kant; mais, tandis que Tidéaliste Kanl voit
dans te caractcre subjectif de la causalité la preuve décisive de sa valeur,
Eoésidème, placé à un point de vue matérialistei y voit la preuve du
néant de la notion causale* L'inconsistance du pyrrhonisme et sou
opposition à tout progrès établissent Timpossibilité de tout scepticisme
radlcaU Le pyrrhonisme, dénué de tout idéal, en contradiction avec
lui-même^ est une secte de décadence philosophique.
J. Segond.
I
Bdmcmdo Solmi. Stluh sulla tiLosonA NATtiHALE ot LBO^*AilDa da
Vinci, Gxoseoloi^ïa e CosMOLoaiA iModena, Vincenzî, 1898).
Ue travail^ que M. Solmi offre aujourd'hui au public, a été accueilli
favorablement par T Académie de Modène, et ne sera pas moins bien
reçu de tous ses lecteurs. M. Solmi s'applique à discerner les principes
qut donnent une unité aux fragments épars des manuscrits de Léo*
nard, dont la publication, comme on sait, est loin encore d'être ter-
minée. C'est faute, dit-il, d*âvoir discerné ces principes et dégagé la
théorie de la connaissance qui fut vraiment celle de Léonard, que cer-
AlfALTSES. — E, soï.Mi, Studi siitla filosùfia naturale 219
t£&in& criUquos, et par exemple M. Séailles» en un ouvrage d'ailleure
trh^ remarquable, ae sont trompés gravement sur quelques points.
La théorie de Léonard, telle qu'elle apparaît clairement dans les
ïioml>reuscfl citations mises sous nos yeux, peut se résumer en cca
c|ei_i.:?ÊL propositiona : Tune, que nous conn*iissons la force motrice de
l*Unîvers en ses effets, non en son essence; l'autre, que nous connais-
SOZ3 9 ces effets mêmes par le seul moyeu des sens, et qu^ainsi l'e^iE pé-
ri exmoe est mère de la science* C*est déjà Ja position de Bacon et de
Oâ^lilëe, et c*est aussi ie positivisme. La vie et l'âme sont donc, pour
Léonard, des problèmes transcendants; Dieu demeure inaccesiible.
Xi l'essence des choses ni leur lin ne soot connnaissables, H\ la notion
des Ofialité pouvait se découvrir quelque part, ce serait dans la loi du
ixEoindre efïort et dans l'ajustement de Torgane à la fonction. M, Charles
L#e%'oqiie s*est ici mépris étrangement; il interprète un passage où Léo-
nstt^ct parle de la dé.siVience du verbe passif, en lui faisant dire qu^îl
fmi^t toujours considérer k fin dans Tétude des chosea naturelles
(note, page 5*).
M» Séailles, lui, s'affligerait que le Vinci fût perdu pour la métaphy-
«îcïue* Il voudiait repousser les conséquences de ses déclarations
exLpresses concernant Texpénence sensible. Léonard, certes, laisse à
la raison la charge d'élaborer les données fournies par les sens; il lui
attribue une structure qui précède Texpérience individuelle. On peut
dire encore qu'il demeure indécia sur la question du dualisme, sur le
contenu psychique qui serait antérieur h. rexpérience. Mais, en aucun
cas^ il ne ramène h la façon de Leibniz, comme le prétend M. Séatlles *»
la nécessité mécanique à la nécessité morale* Le déterminisme ne lui
•emble souffrir aucune exception.
^& me borne à ces indications rapides. Qu^on veuille bien lire Tétude
<Je Ï^J:, Solmi; on y constatera que le clair génie de Léoniird abordait
avecs franchise beaucoup de problèmes sur lesquels une jeune école de
philosophes paraît prendre à tâche de ramener les ténèbres.
L. Akhéat.
I* ^ï 'avais prefisenti ceUe mépritte d
1, fc^^aiiles, lu vue phiiosophiguef janvier
dans mon compte rendu du ïîvrc de
1B93.
H
REVUE DES PERIODIQUES ETRANGERS
^SL^I
Kantâtudîeiii
PkUosophiscke ZmUchrifK t. IV, 2" et a« faac,^ 1889.
H. HrcKEnT, V a Atheisinussîreii it de Fichte et îsl philosoph
kantienne.
Les vexations auxquelles Fîchte fut en butte, voici cent ans, i
raison de ce que l'on nommait son athéisme^ eurent pour occasion i
essai qu*il publia dans son * Philosophïaches Journal » sous ce titn
Du fo7\dementde notre croyance à un gotivernement providentiel i
monde. Cet essai était une réponse à un article de Forberg, paru da
le même recueil* et qui avait pour objet : Le développement du ce
cept de religion. — M. Riekert cherche h rattacher tout ensemble !
idées de Forberg et celles de Fîchte à la philosophie kantienne.
montrer la supériorité de la thèse de Fichte, et à faire voir rinté:
que présente cette discussion en ce qui regarde la spéculation de no'
époque. Il nous apprend à connaître un Fichte un peu différent
celui que Ton s*est accoutumé à considérer, un véritable positivi
kantien» éloiorné de toute métaphysique^ fondant la réalité de faç
eitclusive sur les données de rexpérîence. En mémo temps il dc
explique de quelle manière originale Fichte rétablit Tunité dans
pensée, grâce à sa doctrine du primat de Ir raison praiiqur^ en r
tachant toute certitude, même scientilique, à Ftdée du dev<
M. Riekert oppose nettement cette attitude philosophique à celle
M. Paulsen et de M* William James, qui admettent une inOuei
inexplicable de la volonté sur rintolligencep en vue de la solution
certains problèmes insolubles aux yeux de la raison. L'attitude
Fichte est évidemment plus satisfaisante pour Fesprit, et, sî on
rejette, il ne reste qu'a adopter celle de Forberg, la séparation ra
oale du C4i^ur et de la tète, Tim possibilité pour le coati r de constru
jamais une doctrine rt.4i^neuse acceptable par la raison. — La con
queuce de la Ihcsede Fichte, c'est l évidence immédiate de la religi
supérieure et inaccessible a toute démonstration spéculative. Mais c't
en morne temps, rimpossibLlIté de donner au sentiment religieux
contenu rèei^ de dépasser V ordre moral du monde pour arriver à
Diou personnel- De là, Vnihèisme de Fichte* Seulement, n'oublions f
(et c'est là un point dont la spéculation actuelle doit faire son prc
que le but de Fichte est uniquement de construire une p/itlosopi
REVUE DES PilîlOtUQUBS I^THÀ?îGErtS
ââl
de in religion f c'est-à-dire de marquer ia place de la religion dans le
système des idées. La religion, considérée comme chose concrète, est
indépendante de cette législation foi^melle, et elle peut très bien rece-
voir un contenu que la raison philosophique est impuissante à déter-
miner. Ce contenu sera, de préférence, hisloriqitef individuel, et non
F- BTAumsTf ER, La controverse relative à la chose en soi et sa résur-
F^^hecê ton dans te camp sociatiste*
M, Staudinger prend occasion d'une discussion qui s'est élevée entre
<ieux sucialîstes, Plechanow et Konrad Schmidt, au sujet de la c/ia^e
en &oi îtanlienne, pour éclaircir ce concept et arriver à une théorie de
*a connaissance exemple des contradictions que renferme la doctrine
^^ Kant, ^ Il esquisse brièvement rhistoire du problème philoso-
phique^ et il montre que c'est à Kant que Ton doit d'avoir substi-
tué délinilivement aux recherches sur l'être, les recherches sur les
itistrumenta de la connaissance^ tandis qu'avant lui les penseurs hésî-
*^>*nt entre ces deux directions. Kant a fait voir nettement que l'expé-
rieriee suppose des éléments a priori. Mais il a eu le tort de rapporter
*ous 4;es éléments a priori à une même origine^ au sujet, et de retirer
P^** là à la connaissance toute valeur objective. De là les contradio-
t'on^ (jg [â thèse relative à la chose en soi, Topposition irréductible
^ntt-^ (^ chose en soi et le phénomène- De là les vains efforts d'un
ï^^icbte ou d'un Laas pour échapper h ces contradictions. C'est qu*il
tant distinguer les éléments a priori qui expriment seulement notre
attitude à regard des choses (les catégories de la modalité) et qui
dirent du sujet leur origine, et ceux qui expriment la nature même des
^«Oses^ qui sont constitutifs, et qui tirent leur origine d'un autre que le
®Ujet* Kant lui*mÔme nous indique où est cet antre, lorsqu'il fait de la
-^«însatiùn la marque de notre passivité. C'est datïs la sensation que
^ont renfermés a priori tous ces éléments constitutifs (espace, temps,
•^^•isalité). et c'est par l'unalyse que nous les en tirons ensuite. Voici
*^^o la véritable nature de la chose en soi; elle est donnée dans la
^isation; mais, d(?s lors, elle n'est plus cho^ie eu soi, x énigmatique,
^^ il faut bannir ce fantôme de la théorie de la connaissance*
^' - \V EN TSGHE II . Ka ni éin ii-it pessim isle! (Fin),
*J^ti5 un précédent article (Kantstudien, U IV, 1'''' fasc), M. Went-
^liOf a rélabît contre Hartmann la véritrtble théorie kantienne du
^Cîraïn bien. Dans ce nouvel article, il va établir^ toujours contre
^i*t.ixjjino, que les postulatï^ moraux de Icxistcnce de Dieu et de Tim-
'^•^taïité de Tàme ne sont pas en contradiction avec les principes du
"^^îsme. L'être moral nV*taut qu'une partie du monde, le sentiment
^ <*r^l ^^^ jg valeur que par rapport au monde, et il faut que le monde
^n sens au point de vue moral, c'est-à-dire qu'il soit Tceuvre d*une
~»^* licence. D*autre part, cet accord entre Tëtre moral et le mondai
^j. *^^tit pas complet dans cette vie, une continuation de Texistence au
^ iie cette vie devient nécessaire. Peu imparte que Kant ait alflrmé
REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS
Kantstudien.
Philosophische Zeitschrift, t. IV, 2« et 3« fasc, 1889,
H. RiCKERT. V « Atheismusstreit » de Fichte et la philosophie
kantienne,^
Les vexations auxquelles Fichte fut en butte, voici cent ans, en
raison de ce que l'on nommait son athéisme, eurent pour occasion u.n
essai qu*il publia dans son « Fhilosophisches Journal » sous ce titre -
Du fondement de notre croyance à un gouvernement providentiel ^^
monde. Cet essai était une réponse à un article de Forberg, paru d^^^
le môme recueil, et qui avait pour objet : Le développement du c^^'
cept de religion, — M. Rickert cherche à rattacher tout ensemble 1^.
idées do Forberg et celles de Fichte à la philosophie kantienne^ ^
montrer la supériorité de la thèse de Fichte, et à faire voir Tinter^
que présente cette discussion en ce qui regarde la spéculation de not^
époque. Il nous apprend à connaître un Fichte un peu différent (>
celui que Ton 8*est accoutumé à considérer, un véritable positivisC^
kantien, ôloiîrné de toute métaphysique, fondant la réalité de façoX^
exclusive sur les données de Tcxpérience. En môme temps il nou^
explique de quelle manière originale Fichte rétablit l'unité dans l^
pensée, grâce à sa doctrine du primat de la raison pratique^ en rat'
tachant toute certitude, même scientitique, à Tidée du devoir.
M. Rickert oppose nettement cette attitude philosophique à celle de
M. Paulsen et de M. William James, qui admettent une influence
inoxplioable de la volonté sur Tintelligence. en vue de la solution de
certains problèmes insolubles aux yeux de la raison. L'attitude de
Fiohte est évidemment plus satisfaisante pour l'esprit, et. si on la
rejette, il ne reste qu'à adopter celle de Forberg, la séparation radi-
cale du cœur et de la tète, Timpossibilité pour le cœur de construire
jamais une doctrine reliirieuse acceptable par la raison. — La consé-
quonoe de la thèse de Fichte, c'est l évidence immédiate de la religion,
supérieure et inaccessible à toute démonstration spéculative. Mais c^est,
en même temps, Timpossibilito de donner au sentiment religieux an
contenu rtv/, de dépasser l'oriire iMora/ du monde pour arriver à un
Hiou personnel. De là, Witfuisinc de Fiohle. Seulement, n'oublions pas
»et oesi là un point dont la spéculation actuelle doit faire son profit)
que le but de Fiohte est uniquement de construire une philosophie
REVOB nés PÉRIODIQUES ÉTHANCERS
S33
I
toixâ les impératirâ hypothétiques. — Maïs Kant délinit TimpératiF
coiazàtne étant rexpreagion d'un devoir être (soUen}, et comme étant,
d'ï^tjitrû part, une rètjh rationnelle. Le premier caractère ne saurait
plu.^ appartenir aux impératifs hypothétiques, dès l'instant que ceux-ci
ont. iine valeur purement théorique* Mais dès lors l'impératif calégo-
riqt^e possède-t-U réellement le second caractère, est-il une règle de la
fa.is<-in? Kant ne rétablit nulle part; il se borne à raffirmer, grâce à sa
d^£i niiion générale de Timpéralif (définition qui enveloppe la confusion
d^^ï4 «"ègles théoriques avec les impératifs, ainsi que nous venons de le
VC3Ï ir>. Or rêtude des véritables impératifs hypothétiques, lesquels sont
''^^^cfaression d'une nécessité particulière et d'un Ci^tprice individuel,
èi-n |>c'che de considérer ceux-ci comme des règles ratîortnellee. Reste-
rait, donc à démontrer, ce que Kant n'a pas fait, que l'impératif caNj^o-
ric^i^t^ est privilégié à cet égard. El c'est là un point capilal, si Vou
S4>rt^e que tout le système de Télhique kantienne est fondé sur ce pos-
t«lmt.
-A.. DOKKBH. La Critique hanfienne du jugement dans se^ rapports
a^t:?ecr tes deux natres Critiqnes et avec tcsi systèmes post kantiens,
ICa^nt a es^iayé, dans la Critique du jitgementt de réconcilier les élé-
lïieixts opposés que les deux autres critiques avaient séparés de façon
r*^ciiuale, sensibilité et entendement, pençhantiî naturels et loi morale,
i*^ï»oh théorétique et raison pratique, causalité mécanique et finalité.
t2*o«5t par la détermination du concept de la finalité qu'il pouvait arri-
'^mr- à cette conciliation. Mais il n'a pas abouti de façon entièrement
Conséquente, Sans doute, la conception finaliste de la Nature semble
4c;l^^niiner celle-ci vers la moralité: mais le point de vue du jugenriant
i^'^st pas constitutif, il est seulement réflexif; dès lors, le caractère
^ï>jectif de la finalité n'apparaît pas nettement. Le primat de la raison
I>t*ï^ tique laisse toujours plar© à la difliculté qui provient de ladilTé-
''^rics^ de valeur entre les deux raisons, et la possibilité d'une action de
ï iljerté sur le monde de la Nature demeure problémaiique, La théo^
ciu sublime, en subordonnant ta sensibilité à la raison, ne fait
2J* ^^centuer leur distinction. Kant indique bien une hypothèse, celle
'^tte intelligence intuitive, en qui mécanisme et finalité se confon-
^ ^^^i«nl; mais il na pas développé cette hypothèse, — 11 faut conclure
^ tout cela que Kunt, de même que Socrate, a été llnitiateur d'un
j. ^-'M.vement, et que la pensée a dû, sous son impulsion, prendre des
^**^ Plions diverses. De là, le subjectivisme de Fichte, le point de vue
^'[^^^^ê tique de Hchelling et même des matérialistes comme Biichnerj le
ï^**^tde vue rntelleçtuaîjste de Hegel, le psycholngisme, le moralisme
1
ri
P^i
. dernière philosophie de Bchelling (point de vue auquel M» Dorner
|- ^ ^^ît favorable)^ etc. — En somme, les diflicultés auxquelles se heurte
•^r^fc proviennent, en grande partiei de ce qu'il a gaidé inconsoiem-
^^^ *^ t la conception leibnitîcienne et intellectualiste; il n'a pas maintenu,
^^ndp la séparation radicale qu'il avait établie entre la sensibilité et
'^t^odement; il a vu dans la sensation l'action d*un principe intelli'
%u
BBVUE PHILOSaPHIQtlK
gibie de la Nature, ou d'une choee en 8oi parente de renteademeot
(puisqu'elle est Vobjet d*un concepl). De là Thypothèse de V entende-
ment intuitif,
Ellen Bliss Talbot- L^s rapports entre la conscience humaine et
son idéal chez Knnl et étiez Fichte. (Article publié en anglais./
Dans la théorie kantienne de la connaissance, la matière et Ta forme
sont entièrement distinctes; et, alora même qu'elles sont iriBéparaliIes*
leur rapprochement est encore extérieur et artificiel. Cependant Kant
a conçu un idéal de la connaissance où cette dualité disparaîtrait. Cet
idéal a été conçu par lui de deux fayons. Au premier det^ré, Fentende-
ment intuitif s'appliquerait à la chose en sot ; la dualité subsiste donc
encore. Au second degré, la conscience se prendrait elle-même pour
objet» la dualité a donc disparu. — Mais c'est la» aux yeux de Kant,
un idéal inatrcessible, Sotre connaissance ne peut consister que dans
un élargissement sans lin de rexpérience sensible, et la sensibi-
lité difTère de Tentendement de façon radicale- — La Critique de k
Raison prutiquc établit à nouveau celte dualité. Le désir a'oppose à la
loi morale* et Tidëal consiste pour Tôtre raisonnable à supprimer le
désir sensible; si la vertu et le bonheur doivent 6tre réconciliés, cette
réconciîîatioj>, tout extérieure, réclame l'interventian de Dieu. La Cri*
tique du Jugement n'arrive pas à l'unité, comme on le dit souvent. La
contemplation esthétique est d'ordre sensible. Le concept de tinalité
n'a qu*une valeur subjective. Et Kant insiste sur le caractère supra*
humain de l'intuition intellectuelle, ^ Fjchte donne au problème une
autre solution, F*our lui é^'alement, l'idéal est inaccessible, et la dualité
existe* Mais, d^ns la Wissenscfiaflsîehre^ cet idéal n'apparaît pas
comme purement négatif, ainsi qu'il est chez Kant. C'est un idéal posi-
tîf, c'est-à-dire qu'il constitue le principe interne du développement de
îiotre connaissance. La matière du Moi lui \ientf non pas du dehors,
mais du dedans» — Il est vrai que, dans la Siltentehre^ la pensée de
Fichte^ et cela sous Tintluence de la morale kantienne, devient hési-
tante. Il semble, lui aussi ^ vouloir sacriUer le désir à la moralité. Mais
on peut aflirmer que l'idéal demeure toujours pour lui runité orga-
nique de la matière et de la forme. M. Andrew Seth n'a dono pas
raison, au fond, de reprocher â Fichie de vouloir faire évanouir la vie
consciente* Si J7dée du Moi était réalisée entièrement, ce qui dtspa-
rai trait, ce n'est pas la concience réelle, mais seulement cette conscience
imparfaite qui vise à l'unité sans pouvoir sortir du dualisme. En résumé,
Fiehie entend par l'idée du A/oï ce que Kant entend par rtnfiititon
iFU**ni'c!ut^f^*. Mais l'idéal de Fichte est positif, et rexpérience^ au lieu
d'être, comme chez Kantp hétérogène à l'idéal, esl^ chez Fichte, de ta
même nature que lut J* Segond*
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te pt'opriétaifT-girtmi : F&Lix AtCAx.
C0iiltiraBiî«n, ^ Imp. f^AOL BEOJMAD «
LE PARI DE PASCAL
Nous ne pouvons savoir si Dieu existe, mais aous devons croire
qu*il existe. Telle estla thèse qae Pascal s'elîbrce d'établir par un
raisonnement célèbre, connu sous le nom d'argutuent du pari.
Cet argument a été i^objet de remarquables critiques. On ne peut
dire cependant qu'il Yfy ait plus à y revenir et que la valeur en soit
définitivement fixée. Il a généralement paru un paradoxe violent»
une iorfanterie logique » mais il a été regardé aussi comme le résumé
ou le point de départ d'une philosophie profonde (Renouvier) *.
Tantôt on Fa quabfié d^habile (Droz), tantôt on Ta jugé imprudent
(Havet), D'une subtilité qui déconcerte les simples, qui égare
tn^me les commentateurs, il peut être troublant, mais il n'est point
persuasif, et Ton ne voit pas qu'en fait il ait ou terrassé les incré-
dules ou édifié les croyants. Écartant ici toutes préoccupations
métaphysiques ou religieuses, noos voulons chercher ce qu'il peut
logiquement valoir, s'il est sérieux ou s'il est un jeu, s'il est fait
pour convaincre ou seulement pour frapper et éblouir les esprits,
s'il constitue une preuve, ou n'est qu'un argument, au sens oratoire
du mot.
[/idée du pari, appliqué à Dieu et à la religion, n'est point nou-
velle. On la signale chez Arnobe -, chez Raymond Sebond % oti
Pascal a pu la rencontrer. Mats il importe si peu qu'elle soit neuve,
qu'au contraire! si elle est juste et fondée, elle ne doit point Tôtra.
< Rien n'est plus commun (en efiet) que les bonnes choses..* et il
est certain qu'elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même
connues de tout le monde * », Tout d'abord il n'échappe à personne
que^ dans Tordre pratique, un moment vient toujours où il faut se
résoudre dans rincerlituda, c'est-à-dire parier, C est une règle fort
juste que, lorsque nous sommes dans la nécessité d'agir et qu' < il
n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions,
I. Voir DOtamtnânt Philomphie antdyîique de Vhistùire^ i. i\\ p, 35 et suiv.
3. Le texi« d^Ârnobe csi cilÉ dans le DicUonnoIre de Bayle, art. Pascal.
3* Théologie naîiù*tUf*^ lra<liiitc par Alontaigne. V. Droïî : Le sccpiîciimt de
Pascal» P' 71, note.
i« I^ascal. De rEspîii giamétrique,
TONS L* — SEPTEMBRE 1900. 1&
2â(5 REVUE PHILOSOPHIQUE
nous devons, comme dit Descartes, suivre les plus probables, et
même qu'encore que nous ne remarquions pas plus de probahUité
aux unes qu'aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer
à quelques-unes, et les considérer après, non plus comme dou-
teuses, en tant quelles se rapportent à la pratique^ mais comme
très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait
déterminer se trouve telle '. > Nous trouvons déjà ici rindication
d'une théorie du pari, et on ne saurait dire tout à fait de Descartes
ce que Pascal a dit de saint Augustin : c Saint Augustin a vu qu*on
travaille pour Tincerlain sur mer, en bataille, etc.; mais il n'a pas
vu la règle des partis qui démontre qu'on le doit *. » De la maxime
de Descartes il ressort en effet que le pari a beau être en soi irra-
tionnel et aveugle, quand d'un côté il y a pour nous intérêt puissaot
à agir, et de Tautre impossibilité de connaître par la raison le pax^
qu'il faut prendre, il devient raisonnable de parier, c'est-à-dire ^^
choisir le parti le plus conforme à notre intérêt, ce choix lui-mérr^®
ayant lieu suivant des règles posées par la raison. Ainsi défini, ^^
pari est le contraire d'une démarche hardie de la pensée, d'un éi ^^
de rimagination ; li ne répond pas à ce goût de l'aventure mé^::^'
physique qu'on a appelé « le plaisir du risque » (Guyau); il est u ^®
décision sage, calculée, prudente; il est la conclusion d'un proc^^^^
méthodiquement instruit, la solution raisonnée d'un problème p*-^'
tique.
Mais Descartes n'a pas appliqué à la religion la théorie du pari, ^^
d'autre part ceux qui, avant Pascal et même après lui (Locke p^^^
exemple), ont fait de la question de Texistence de Dieu, ou d aulr^^
analogues, l'objet d'un pari, ne l'ont fait ni avec la même rechercl^^
de rigueur logique, ni en vertu des mêmes principes : en effet, ils
n'ont pas pris soin préalablement d'établir que nous sommes :
l"" incapables de connaître par la raison si Dieu existe ou non,
^ intéressés à résoudre cette question, et capables de découvrir
en quel sens il est de notre intérêt de la résoudre. II suit de là que,
comme « Descartes est le véritable auteur du cogita », bien qu'il eu
ait pu trouver l'idée première dans saint Augustin , Pascal est le
véritable auteur de l'argument du pari appliqué à Dieu, et, quoi
qu'on pense de cet argument, il ne faut point lui disputer l'honneur
de l'avoir trouvé.
Voyons comment il le prépare, le justifie et le développe.
1. Descarlfîs. Discours de la MiUhode, 3« partie.
2. Pensées, art. V, 9 tis, cdit. llavel.
I
L> DUGAS et GH, RiaOIER, — LE |*Ani DB PASCAL
227
L*idée de parier si Dieu existe ne peut venir qu*à celui qui déses-
père de savoir s'il existe. Parier, c*est trancher par un acte de
volonté une question qu'il y a intérêt à ne pas laisser pendante»
m^iâ que la raison juge néanmoins insoluble; c*est renoncera savoir,
tt se résigner à agir sans savoir, à t travailler pour Tincertain p.
Or cette résignation n'est permise qu'à celui k qui il serait prouvé
que la connaissance est interdite. Pascal, voûtant montrer que nous
sommes dans la nécessité de parier sur Dieu, commence donc par
poser que nous sommes en effet incapables de le connaîlre.
Et d'obord qu'est-ce que connaitref
Suivant Pascal, il y a deux voies pour aller h la vérité, la « raison >
^t le <[ sentiment », partant deux sortes de connaissance : celle qui
procètle du c coeur i, du « sentiment p, de « l'inâtînct d (tous termes
synonymes), autrement dit, Tintuition des premiers principes, que
ï^ascal appelle d'un mot la t foi »; — et la connaissance qui vient
^e la € raison ï>, c'est-à-dire du raisannement, la vérité démontrée
ou discursive, qui est la « connaissance » proprement dite K
I*our quiconque chercherait à se maintenir sur le terrain de la
connaissance discursi%^e, le c véritable ordre o, la « méthode » la
P*us < éminenle i et la plus « accomplie » consisterait à « tout
prouver », à tout connaître t par raison »; mais cela est radicale-
^**^nt impossible^ et notre connaissance, ainsi entendue, a des
"ornes; elle s'arrête aux principes; cest justement oii la « foi »
*^ontnjence '. Tant s'en faut d'ailleurs que la connaissance qui relève
^^ la foi soit inférieure à celle qui procède du raisonnement. Au
*^^ti traire, F « impuissance [à tout connaître par preuves^ ne doit
" ' '^ ^ir, dit Pascal, qu*à humilier la raison qui voudrait juger detoutj
^'' 'is non pas à combattre notre certitude, comme s'il n*y avait que
^ '"■aison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'eneus-
*<Jna au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes
<^iioses par instinct et par sentiment! Mais la nature nous a refusé
^ ^ien. Elle ne nous a au contraire donné que très peu de connais-
*ïînee de celte sorte » '.
*^'Uand Pascal dit que Dieu ne peut être connu, entend-il donc
•^^eiiaent qu'il ne peut être connu « par raisonnement », qu*il ne
^^t ^tre € démontré », et qu*ainsi il ne doit pas être < pris pour
»* ^^ i'eiprli fféùmétrique. V section*
ââs
BEVUE pHtLOSOI>HI0ljE
I
I
une proposition ' », mais qu'il serait plutôt un axiome, un prino^'-P^
intuitivement connu, et par suite d*autant mieux connu qull naiif^^
paâ h être « prouvé »? En d*autres termes, quand il dit : « C'est ^ .
cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilîi ce que c*est que la fo*f^<
Dieu sensible au cceun non h Ja raison d % ne fait-il que transporl^^^t;
dans Tordre théologique, qu'appliquer à La connaissance de Diel^^
la distinction platonicienne de la vd^^tç et de la Stavoi^?
Nous ne le pensons pas, Pascal ne se serait pas exprimé avec laut-
de force et d'insistance au sujet de Tïncog^noscibilité de Dieu, s il
avait entendu simplement par là une ignorance de la c raison i et
une certitude de la « foi b : il semble bien que, d'après lui. Dieu ne
puisse être aucunement connu par les lumières naturelles, par le sen-
timent non plus que par la raison^ qu'il soit inconcevable aussi bien
qu'incompréhensible et que nous ne puissions, réduits à nos pro-
pres forces, ni prouver son e:xistence ni la sentir. Dieu, dit-il en effet,
« n'a nul rapport avec nous »* Il n'y a rien de commun entre sa
nature et la nôtre, considérées tant au point de vue métaphysique
qu'au point de vue moral, et par exemple entre son éternité et notre
existence mortelle, entre sa justice et la ntitre, entre sa miséricorde
et la nôtre. Dieu n a « ni étendue ni bornes » tandis que nous sommes
t finis et étendus ■* Or nous ne pouvons connaître que ce qui est
identique ou analogue à nous. Aussi ne le connaissons-nous point
du tout; nous ignorons sa nature et jusqu'à son existence; nous
savons a ni ce qu'il est nî s'il est i ^.
On a douté que cette thèse fût de Pascal; Bayle prétend qm
c Pascal ne l'avoue pas », mais < veut seulement s'en prévaloir
pour engager les athées à sortir de leur état > *, Rien n'est moins
exact : quand Pascal pose rincognoscibitité de Dieu, il ne fait pas
une concession à Fincrédule, il parle en son propre nom. Toutefois
il n'entend pas dire que nous ne puissions avoir absolument aucune
connaissance de Dieu ; il soutient seulement que nous a*en avons
pas une connaissance natureUeou innée. L'homme, puni de la faute
originelle par la déchéance, ne peut s'élever de lui-même à ridée
de Dieu; il ne trouve pas cette idée empreinte en son âme. il ne la
découvre pas par la réflexion et le raisonnement; mais néannaoins
il peut, si Dieu lui en fait la grâce, recouvrer à quelque de^ré la
connais&anee siamaturells^ 1 intuition ou te sentiment de Dieu, que
le péché lui a ulés.
1, Pênté€s. Art» XXIV, 5,
2, Pensées f art, X, 1,
3- Feuséc*^ art, XL la èw,
i« Dictionnaire, art. Pascal»
L. DtîGAS et CH, RiaUÎER. — LE PARI DE PASCAL
IP
iCOl
d
cl
A.însi entendue, la thèse de rincognoscibilité de Dieu peut être
d'autant mieux allribuée à Pascalj qu'elle rentre dans son système
pl-iilosophique. Il professe en eiïet un agnosticisme scientifique
aussi bien que théologique ^ et les premiers principes, soit de la
coii naissance, soil de Têtre^ Jui apparaissent enveloppés de mystère.
ixiystère est à la base de la science, * Notre âme est jetée dans le
f>s, où elle trouve nombre, temps, dimension. Pille raisonne \k-
do^sus, et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre
chose ^ » Le mystère est aussi à Torigine et dans la nature des
hfois^s : € Incompréhensible que l'âme soit avec le corps, que nous
*^i^yons pas d'ame; que le monde soit créé, qu*i[, ne le soil pas; que
I>i^ut soit, qu'il ne soit pas, etc \.* »
Oombien de choses, dit la Logique de Port- Royal dans un passage,
c|^:ii reproduit les Idées de Pascal, « sont incompréhensibles dans
loiii* tnanière et sont certaines dans leur existence I On ne peut con-
c^V'oîr comment elles peuvent être, et il est certain néanmoins
^I*-» 'elles sont. Qu'y a-t-il de plus incompréhensible que Téternité,
^* *3i-iY a-t-il en même temps de plus certain »^ de plus universelle-
oa^nt reconnu, puisque ceux-mémes qui refusent d'admettre un
I>iieut éternel sont obligés d accorder réternité à la matière? ft Quel
looyen de comprendre que le plus petit grain de matière soit divi-
silalo à Finfini, et que Ton ne puisse jamais arriver h une partie si
petite, que non seulement elle n'en enferme plusieurs autres, mais
q^'olïe n'en enferme une infinité? Toutes ces choses sont inconce-
vatiles, et néanmoins il faut nécessairement qu'elles soient, puisque
l'on démontre la divisibilité de la matière à rinflni, et que la géo-
ltiétt*ie en fournit des preuves aussi claires ijue d'aucune des vérités
qQ^lio nous découvre i ^. Ainsi nous démontrons plus de choses
^ua mous n*en pouvons concevoir.
C^omment expliquer un pareil succès? Pascal en attribue tout
l'hDniteur â la méthode de raisonnement dite par Vabsurde^ qu'il
pt^eonise, et dont il fait ressortir en ces termes Toriginalité et la
puissance logique, * C*esl une maladie naturelle à Thomme de
erti^re qu'il possède la vérité directement; et de là vient qu'il est
toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible^ au lieu
(|U*en elîet il ne connaît naturellement que le mensonge, et qu'il oe
joit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui
parait faux* Et c'est pourquoi, toutes les lois qu'une proposition est
j|]concevable, il faut en suspendre le jugement, et ne pas la nier à
î, Prmér^, arl. XXIV, 97.
3. !Mf]fiqm df t'afl'Rotjai. i* pnrtte de la méthode, cb, L
230 REVUE PHILOSOPHIQUE
cette marque, mais en examiner le contraire; et si on le trouve
manifestement faux, on peut affirmer la première, tout incompré-
hensible qu'elle est ^ »
On voit quelle disposition d'esprit toute mystique Pascal apporte
dans l'interprétation de la science. Et non seulement il appelle
inconcevable ce qui, bien que démontré à ses yeux d'une façon
péremptoire et certaine, confond néanmoins la raison (telle la divi-
sibilité indéfinie de l'étendue), mais encore ce qui, par son évidence
même échappe à la démonstration : ainsi toute science part de l'in-
compréhensible, étant hors d'état de définir c aucune des choses
qu'elle a pour principaux objets » ; la géométrie, par exemple, c ne
peut définir ni les mouvements, ni les nombres, ni l'espace * t. L'in-
concevable, qui est souvent la conclusion du raisonnement, en est
donc toujours le principe; il se trouve à l'origine et au terme de la
science; il en est le premier et le dernier mot. Peu importe d'ail-
leurs à la science qui, selon Pascal, n'a pas à critiquer^ au sens
kantien du mot, et n'a qu'à recevoir sans examen les notions incom-
préhensibles sur lesquelles elle s'appuie ou auxquelles elle arrive *.
1. De Vesprit géométrique, {*^ fragment. Nous exposons les idées de Pascal
et ne les discutons pas : nous ne pouvons nous empocher cependant de faire
remarquer combien, dans le passage que nous venons de citer, elles nous pa-
raissent sujettes à critique. Que penser en elTet de ce principe : « L'homme ne
connail naturellement que le mensonge, et ne doit prendre pour Térilabies que
les choses dont le contraire lui parait faux -? Le faux existe-t-il donc en lui-
même? Est-il donc un absolu? un objet d'intuition? N'est-ce pas au contraire
le vrai qui est premier en soi et dans la pensée? Et le raisonnement peut-il être
autre chose qu'une chaîne d'intuitions successives du vrai, suppléant à une
intuition immédiate? Sans doute le raisonnement nous conduit ainsi à admettre
ce que nous ignorions d'abord; mais il ne saurait avoir pour effet d'imposer à
notre esprit des conceptions qui le dépassent; il n'opère pas de miracle, comme
Pascal tend à le faire croire et le donnerait à penser.
En ce qui concerne, notamment, la divisibilité indéfinie delà matière (le mot
matière étant pris ici comme synonyme du moi étendue, conformément à la doc-
trine de Descartes), elle ne doit pas, en bonne logique, élre considérée comme
la conclusion rigoureuse d'un raisonnement par l'absurde, mais simplement
comme une hypothèse adoptée par les géomètres grecs, en l'absence de toute
théorie sur le nombre, pour tourner un obstacle logique. Telle est du moins la
thèse soutenue par M. Riquier dans un article rncore inédit, ayant pour litre :
De la distinction entre les Sciences déductives et les Science» expérimentales.
2. De l'esprit géométrique.
3. Sur ce qu'on pourrait appeler le positivisme de Pascal, sur la condamnation
qu'il prononce conlrc la métaphysique en général, contre la critique delà con-
naissance et la théologie rationnelle en particulier, voir l'Esprit gt^ométrique et
]& Logique dn Porl-Hogal (loc. cit.). « f.e plus grand abrègement que l'on puisse
trouver dans l'étude drs scieuces est de ne s'appliquer jamais h la recherche de
tout ce qui est au-dessus de nous et que nous ne pouvons espérer raisonnable-
ment de pouvoir comprendre. De ce genre sont toutes les questions qui regar-
dent la puissance de Dieu, qu'il est ridicule de vouloir renfermer dans les tioroes
de notre esprit, et généralement, tout ce qui tient de l'infini; car notre esprit
L. DOGAS et CH. RIQUIER. — tE PVHI DE PASCAL
•31
I
I
II
Mais riDCOgnoscibilit6.de Dieu, telle que Pascal hi définît, dépasse
celle même des notions scienlidqiies; car, suivant lui, nous ne pou-
vons acquérir par nous-mêmes la moindre conniiissance de Dieu,
nous ne pouvons humainement savoir non seulement ce qu'il est,
mais s'il est, et Dieu seul, s il le veut, peut nous tirer de cet état
d'ignorance. Ainsi la révelatioii est nécessaire; c'est h elîe qull
appartient de présenter à Thomme^ comme un fait, la vérité théolo-
gique qu*iï ne saurait, au sens rationnel du mot, connaître ni com-
prendre, et que^ par conséquent il n*a pas le pouvoir de poser.
Telle est du moins la thèse qui découle des principes de Pascal -
Est-elle bien soulenable? Est- il même vrai que Pascal Tait toujours
rigoureusement soutenue? 11 est certain que, d'après lui, laconnois-
eance de Dieu, en tant que fondée et véritable^ est absolument
refusée à Thorame. « Nous no connaissons Dieu que par Jésus-
Christ... Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver
sans Jésus-Christ n'avaient que des preuves impuissantes ^ »
N*avons-nous cependant par les lumières naturelles absolument
aucune notion de Dieu 7 N y a-t-il à la question religieuse d^aulre
solution possible que le christianisme ou Talhéisme'] C*est ce que
Pascal voudrait soutenir, mais il est arrêté par la vérité historique.
La religion naturelle des païens est un fait devant lequel il est torcé
de s'incliner- Ne pouvant en contester rexistence, il en conteste la
signilicatioo et la portée; ne pouvant le nier, il ranrmle* Il met sur
le même rang Tathéisme et le déisme : Tun relève de Tignorance,
l'autre de la liction. Logiquement ils sont également en deçà de la
vraie connaissance de Dieu; moralement, ils sont également, pour
le chrétien, un objet de réprobation et d'horreur**
Ainsi F*ascal rejette entièrement la commune conception de deux
religions dillérentes se complétant et se confirmant Tune l'autre,
l'une fondée sur la raison, Tautre sur la révélation. Le Dieu quMl a
en vue, c'est icomme le porte cet écrit fameux ^lu'on retrouva,
après sa mort, cousu dans son habit) d le Diao d'Abraham, d'isaac
elde Jacob, non des philosophes et des païens i, le Dieu révélé^ et
»
élântlini, îl se perd et s'ék»louJI dans rinfinLté, &t demeure accablé sous U mul-
litude d«s pensées contraires qu'elle fourniL II y a de même une infinité de
C|iieâticin!« métapliysiques qui, étant trop vaguei^, tropabslraitesi't trop élaignées
des principes clairs et connus» ne ae résoudront Jamais; et le plus ^ùr est da
9*en délivrer le plus lût qu'on peut, et^ après avoir appris tégèrenient que l'oa
tes Torme, se résoudre de bon coeur à leâ ignorer. « Nescîre qui^dam magna
fiers ^aptenlite^*
t. Pensées, XXÏl,©.
232 REVUE PHILOSOPHIQUE
non l'auteur supposé < des vérités géométriques et de Tordre ^dics
éléments * ». Par un scrupule de logicien et de croyant, il reE"mjfie
de faire servir à la confirmation de la religion chrétienne les préL^c-
dues preuves de la religion naturelle. Il ne parle de celle-ci qu'a^^vec
mépris et dédain; il la juge philosophiquement mal fondée, et d^siil-
leurs « inutile et stérile ». Aller dire « à ces personnes deslitutées
de foi et de grâce, qui, recherchant de toute leur lumière tout ce
qui peut les conduire à la connaissance (de Dieu), ne trouèrent
qu'obscurité et ténèbres », aller leur dire «t qu'elles n'ont qu'à ^oir
la moindre des choses qui les environnent et qu'elles verront YD'm
à découvert, et leur donner, pour preuve de ce grand et impôt- mant
sujet, le cours de la lune et des planètes, c'est leur donner suje t de
croire que les preuves de notre religion sont bien faibles; et je ^rois,
par raison et par expérience, que rien n'est plus propre à leur en
faire naître le mépris. Ce n*est pas de cette sorte que rÉcriture» qui
connaît mieux les choses qui sont de Dieu, en parle. Elle di t au
contraire que Dieu est un Dieu caché, et que, depuis la corruption
de notre nature, il les a laissées dans un aveuglement dont elles ne
peuvent sortir que par Jésus-Christ, hors duquel toute communica-
tion avec Dieu est ôtée. Nemo novit Patrem nisi Filius, et oui Filius
volait revelare *. »
Ainsi « la foi est un don de Dieu », vérité profonde que le chris-
tianisme est seul à proclamer. « I^es autres religions ne disent pas
cela de leur foi; elles ne donnaient que le raisonnement pour y
arriver, qui n'y mène pas néanmoins... C'est une chose admiral:^^®
que jamais auteur canonique ne s'est servi de la nature pour jarouK^^*"
Dieu; tous tendent à le faire croire^. »
La révélation d'ailleurs ne nous donne elle-même de Dieu qu'u '^^
connaissance imparfaite et bornée; si elle nous marque clairem^^^^
son existence, elle laisse subsister entière l'incompréhensibilité ^
sa nature. Dieu ne se révèle pleinement à ses élus que dans
« gloire* ». Aussi le christianisme, tout rayonnant qu'il est ^^
sublimes clartés, demeure-t-il pour nous, en cette vie, plein d'ofc^^
curités et de mystères; il est une religion surnaturelle et se don^^ .
comme telle; jamais les chrétiens ne cherchent à prouver leur iC^-^*
et « il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de
raison ». Qui les blâmerait en effet • de ne pouvoir rendre raison c^^*
1. Pensf^es, XXII, 3.
2. Pensées, XXII, 2.
3. Pensées, XXV, 40; X, 6.
4. « Par la foi nous connaissons son existence ; par la gloire nous connallpon^ '^
sa nature. » X, 1.
le
1
DUGA3 et CH. RiauiER. -^ LE PARI DE MSCAL
^
letii- créance» eux qui professent [que leur religion est] une religion
doint ils ne peuvent rendre raison? Ils déclarenl, en l'exposant au
tnoode^ que c'est une sottisej stultitiam; et puis, vous vous plaignez
qu*îl3 ne la prouvent pas! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas
parole; c'est eu manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de
seri& *- •
Acceptons donc la révélation telle qu'elle est, avec ses obscurités
el ses lacunes : ta révélation étant posée, comment la foi naUra-l-elle
en nous? C*eât là une question qui demande à être éclaircie, car»
bleo que notre espnt soit, par hypothèse, en état de connaître Dieu,
pat- révélcUion (ex auditu}^ cependant, môme après la révélation,
il ne s*élèvepas de lui-même à Dieu, c'est Dieu qui descend en lui,
et •:|ui seul peut lui donner la foi. Mais d'autre part Dieu ne donne
la foi qu*à ceux qui se tournent déjà vers lui. Comment^ de notre
part, cette conversion est-elle possible? Au point de vue de la raison,
la question deTexistence de Dieu, étant insoluble, nous laisse indif-
férents; mats au point de vue de notre intérêt, il n'en est plus de
niéme : notre vie doit changer du tout au tout, suivant que Dieu est
oii n'est pas. Notre destinée est en jeu; une alternative se pose,
Ffi^ou table et tragique : du parti que nous prendrons dépend notre
^nheur à venir. Il s'agit ici, non pas proprement de foi, mais de
^^ilui^ non pas de vérité métaphysique, une telïe vérité étant inac-
cessible, Oiais d*utilité pratique; il s'agit, non pas d'adopter une
*^^oysi0çe qui réponde aux besoins de lame, mais de se tracer une
*''-'6le de vie qui assure iles chances de bonheur; et la condition à
^^'iuelle Dieu, d'après Pascal, subordonne expressément le don de
^ Krûce, c*est que nous commencions par comprendre noire véri*
ablé intérêt, et par y conformer notre conduite. Cherchons donc
<ïiiel ^st le parti le plus avantageux et le plus sur, jouons serré,
pyons habiles et prudents : tel est le sens du pari, lequel rentre
^'^si dans la doctrine janséniste du itiliorisme^ que Pascal a sou-
^rju^ dans les Provinciales^ et qu'il continue à soutenir dans les
• l>ieu, dit-il, est ou n'est pas. De quel côté pencherons-nous? La
i^on n'y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous
P^ fe. Il se joue un jeu à rextrémité de cette distance infinie» où il
* * ^^ra croix ou pile. Que gagerez- vous? Par raison vous ne pouvez
"^1 **^^ ïii l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des
^ ^ - j N 'accuser donc pas d*eiTeur ceux qui ont fait un choix (les
]Ki!se du ttiHçrùmê ile Pascal^ voir Jan^t
ie moral.
ta Morale^ lîv. Itl, cii* m.
2^4
\\E\U\Ù PlIlLOSUPtnQUË
chrétiens), car vous ne savez s'ils se trompent. « Non; mais je les
blâmerai d*avolr fait, non ce choix, mais un choix; car encore que
celui qui prend croix et l'autre ne noient pas en faute Vun pltts que
Vautré, ils sont tous deux en faute; le juste est de ne point paner,
— Ouï, mais il faut parier : cela n'est pas volontaire, vous êtes
embarqué. » En vain vous essayez de rester neutre; vous ne savex
que croire, et vous voudriez ne rien croire; mais ne rien croire
équivaut pratiquement à croire que Dieu n'est pas, à vivre en con-
séquence, et c'est là prendre un parti, a Lequel prendrez- vous
donc?*,. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins
(ce qui engage, peut léser le moins vos intérêts)* Pesons le gain et
la perte, en prenant croix, que Dieu est. Estimons ces deux cas :
si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdei, vous ne perdez
rien. Gagez donc qu*il est» sans hésiter \ » N'est-ce pas c admi-
rable »? Gonçûit*on un pari plus avantageux? Cela est même trop
beau, et nous n'osons y croire. C'est pourtant ce que Pascal prétend
établir par uo raiBonnement mathématique.
Par malheur, ce raisonnement est indiqué, non développé; la
rédaction en est incorrecte, elliptique, obscure; il est d'ailleurs en
soi compliqué et subtil; pour le rendre intelligible, il a fallu para-
phraser le texte ^ en combler les lacunes, rétablir la suite des idées.
Nous mettons le texte de Pascal en regard de notre commentaire; le
lecteur jugera si nous l'avons serré de près et traduit ildèlemeot.
111
A, Voyons*. Puisqu'il y a pareil
hasard de gain et de perle, al
vous n*aviez qu*à gagner deux
vies pûur une, vous pourriez en-
core gager, Mois s*il y en avait
trois à gagner^ il faudrait jouer
(puisque vous êtes dans la néces-
sité de jouer), et voua seriez im-
prudent^ lorsque vous êtes forcé
à jouer., de ne pas hasarder votre
vie pour en u;agiier trois â un jeu
où il y a pareil hasard de perte et
de gain. Mais il y a un© éternité
de vie et de bonheur.
Voyons. Imaginez que Ton vous
force à jouer, et que les coadi-
lioïis soient réglées comme il suit :
S] vous prenez pile et gagez qye
Dieu n'est pas, vous gardez la vie
avec ses vains plaisirs» et ivo f^ik-
guez rien; si vous prcnei£ croix et
gagez que Dieu esi, voua vous
abstenez des vains plaisirs^ et ris-
quez également, soit de ne rien
gagner, soit de gagner une vie
vraiment heureuse et deux fols
plus longue : puisque vous été»*
forcé de prendre plie ou croix, et
i, Pemées, art. X, 1, édit. Havet.
2, Pensées^ art, X, 1, edlt» Uavi^U
L, DUCA5 et CH. RIQUIER. — LE PARI DE PVSCVL
â35
quHl y a, dans le dernier cas de
cette alternative, deux viea à ga-
gner contre une avec dei risques
ép:aux de perte et de gain, vous
agirez aagemeut en prenant croix.
Imaginez que Ton vous force à
jouer en vous imposant les mêmes
conditions, avec cette seule diffé-
rence quli y ait maintenant trois
vies à gagner contre une ; ici
encore, et à plus forte raison,
vous devez prendre croirs. Que
dire alors du cas où, le jeu étant
obligatoire, et toutes les conditions
restant d'ailleurs les niâmes, il y
a à gagner contre une vie toute
une éternité de vie et de bonheurt
Pascal, après avoir formulé sa conelusionj reprend son argumen-
tation; mais veut la rendre plus convaincante encore, en partant d*un
cas hypothétique oit le joueur qui prend croix aurait, en regard
d'une chance de gain, non plus une chance de perte, mais une infi-
nité.
B^ Et cela étant, quand il y
aurait une inilnité de hasarda doiU
un seul serait pour vous» vous
auriez encore raison de gager un
pour avoir deux» et vous agiriez
clo mauvais sens, étant obligé à
jouer, de refuser de jouer une vie
contre troi^ a un jeu où d'une infi-
ni lé de basardi* il y en a un pour
voua,.„ s'il y avait une in Uni te de
■vie infiniment heureuse à gagner*.
Mais il y a ici une infinité de vie
iûlinîment heureuse à gagner^ un
Si, sur une intjnîié de chances
toutes égales, il s*en trouvait, pour
le joueur qui prend croix, une
seule favorable, vous auriez en-
core raison de gager un pour
avoir deux; it plus Forte raison
pour avoir trois, quatre^ cinq; à
plus forte raison pour gagner une
infinité de vie infiniment heureuse.
Or, il y a justement ici, contre un
risque fin!, une infinité de vie
infiniment heureuse à gagner; et,
en rej^ard de la chance favorable
f. Cette |ihrase est inintenigîbïe, comme M. îïavel en a très juslemenl fuit la
rAin&rque {Pensées, i, L p. I5li, note 2). Aussi cslimons-nous qu'il y a une laetjne
dans le maritisi^rit du Hii.^caî, et qu'il faut tire : <* à plu^' forte raimn sll y avait^
une inlînitt* de vie infiniment heureuse à i^agner. « Par la simple nddi'îûu de
r CCS motii » û pltÂf forte raison ^y la suite logique des idées^ qu'il était im|voâftble
d'aperceTOir, nous semble rétablie lie la fat, on la plus naturelle. C'est pourquoi
nous avons cru devoir adopte r^ dans le passage ri-desâus, la ponctuation siii-
vial« : ft pour vquHj... s'il y avait -^ alors que la pouclualioa constamment
uatifi» eit : • pour v^ua^ m*U y avait «.
336
REVilE fBJLOSOPHIQLE
hasard de gain contre un nombre
fini de hasards de perte, et ce que
vous jouez est fini* Cela est tout
parti. Partout où est riiifiiii et où
il n'y a pas infinité de hasards de
perte coutre celui de gain, il n'y
ft point à balancer, il faut tout
donner. Et ainâi, quand on est
lorcé à Jouer, il faut renoncer à là
raison pour garder la vie plutôt
que de b hasarder pour le gain
in Uni. aussi prût à arriver que ia
perte du néant.
procurant un gain infini, il n>
plus, contrairement à ce que no-
su pposions, qu*un nombre lini
chances de perte. Le partage ^s
tout fait : pouvant gagner TiiiK
contre le lini, et n'ayant pas, ^
regard de la chance favorable, u^
infinité de chances contraire
vous n*avez point a balancer,
faut tout donner. Et ainsi, quan
on est forcé à jouer, tl est dérm
sonuable de se décider, en prena::^
pile, à garder la vie, qui n*e
qu'un néant, plutôt que de couri.
en prenant croix, la chance d'L
gain infini^ tout auï^si probabi
que la perte de ce néant.
Eûfia Pascal répond aui incrédules qui contestent le néant de !
Tïe,
C, Car il ne sort de rien de dire
qu'il est incertain si l'on gagnera,
et qu'il est certain qu'on hasarde;
et que l'infinie distance qui est
entre la cerLitudê de ce qu'on
s'expose, et V incertitude de ce
qu*on gagnera^ égale le bien fini
qu'on expose certainement à Tin-
fini qui est incertain. Cela n'est
pas 1 aussi tout joueur hasarde
avec certitude pour gagner avec in-
certitude, et néanmoins il hasarde
certainement le fini pour gagner
încertainement le fini, sans pécher
contre la raison. Il n'y a pas inli-
nité de distance entre cette certi-
tude de ce qu'on s^expose et l'in-
certitude du gain; cela est faux.
Il y a» à la vérité, infinité entre ta
certitude de gagner et la certi-
tude de perdre* Mais l'incertitude
de gagner est proportionnée à la
certitude de ce qu'on hasarde,
lelon la proportion des hasarda
de gain et de perte, et de là vient
Car il ne sert de rien de dîr "
qu'il est incertain si l'on gagnerai
et qu'il est certain qu'on ba&arde
et que fin finie distance qui es
entre Li certitude qu'on s'expose
et Vincerlitwie sî Ton gagneriVpi
rétablit Tégafité entre le bien tini,^^
qu'on expose certainemetit, et Tin — \
fini; qui est incertain. Cela n'est
pas : ainsi ^ tout joueur hasarde
avec certitude pour gagner avec
incertitude, et néanmoins il ha-
sarde certainement le fini pour
gagner inccrttunement le Uni, sans
pécher contre la raison. Il n'y a
pas infinité de distance entre cette
certitude qu'on s'expose et l'incer-
titude du gain ; cela est faux. Il y
a, à la vérité, infinité entre la cer-
titude de gagner et ia certitude
de perdre. Mais la proportion entre
l'incertitude de gagner et la certi-
tude qu'on hasarde est la môme
qu'entre le nombre des hasards
de gain et celui des hasards do
L, DUGAS et GH, RiaUIER. — LE PAni DE PASCAL
237
cfu^^ s'il y a autant de hasards
d'im «^ cote que de Tautre, Je parti
est iï jouer égal contre égal; et
aloT-s U certitude de ce quon
s'e^^i pose est égale à Tmcertitude
du ^ain : tant s'en Taut qu^elle en
soi t- inllmment distante, Kt ainsi
no*-we proposition est dans une
foi-<:5« inOnie, quand il y a le fini
à H ^sarder à un jeu où il y ii pareils
ha^^rds de gain et de perle^ et
Titm t~ini â gajrner. Cela est demona-
tra-tif; et si tes hommes sont ca-
pat>Iesde quelques ventés, celle-
là l'^st.
perte, et de là vient que^ a'il y a
autant de hasards d'un côté que
de rautre^ le parti est à jouer ég^al
contre égal; et alors la certitude
qu'on s'expose est égale â Tincer-
titude du gain : tant »'en faut
qu'elle en soit infiniment distanle.
Et ainsi notre proposition est
dans une force infiuie, quand, à
un jeu où l'on risque également
8ûit de gagner, soit de perdre, il
n*y a, avec Tinfini à gagner^ que
le fini à hasarder. Cela est démons-
tratif; et si les hommes sont ca-
pables de quelques vérités, celle-
là Test.
1^
^H I—^ conclusion où Pascal s'eiïorce d'aboutir est la suivante : t Le
^pau ^tant obligatoire, vous avez tout intérêt à prendre croix, et il
~ servît déraisonnable de prendre piïe, t Celte conclusion est-elle
'«^ë'i time? Pour en juger, nous distinguerons deux hypothèses^
sui%^ajQt qu'aux yeux du joueur, Tensemble des plaisirs de la vie,
^u^ pour la commodité du discours nous nommerons désormais
^*\^eu^ est ou non de quelque valeur.
*^ffiÊMiÈRE HYPOTHÈSE. — L^cnjeu est de quelque valeur aux yeux
^T^ Joueur.
^P î^^ raisonnement de Pascal est basé sur rarffirmation suivante :
^*^ d*une part, en prenant pile et gardant les plaisirs^ vous êtes
c^^r-t^in dfe! ne rien gagner; si, d autre part, en prenant croix et
^^Cknç^nt aux plaisirs, vous risquez également soit de ne rien
^^Kner, soit de gagner deux, trois, quatre vies contre une : vous
*eît*^2 sagement en prenant croix. » Or, dans Thypothèse actuelle,
^Xi^ pareille îjffirmalion n*a rien d'évident : on conçoit en effet,
Vttisque les risques sont égaux, que le joueur hésite à sacrifier»
ï*J\ir un gain incertain, les biens certains de la vie présente, et Ton
Tiô voit pasj s*il se décide finalement à les garder, que ce choix ait
Tien de blessant pour la raison. Quant au cas imaginé ensuite pour
renforcer le raisonnement, et où l'on n*aurait, en prenant croix,
qu'une seule et unique chance favorable en regard d'une inOnité de
chances contraires, il ne saurait donner lieu à la moindre hésitation,
et quiconque se déciderait à courir cette chance unique commettrait,
t n'en pas douter, la plus grave imprudence.
Que si le gain, au lieu d'être Oni^ est inûni, le jeu devient assuré-
Qt
jîl
iil
2H8 REVUE FHILOSOFBIQUE
ment plus passionnant, mais il n'en est pas plus sûr, et les coe^
sions précédente?? subsistent.
Del'xïème hypothï^;se, — L'enjeu est sans valeur aux yeus
joueur.
Les arguments développés dans les alinéas A et B établissent:-
la façon ta plus convaincante qu'une semblable hypothèse, exclu ^
tout risque, entraîne, pour le joueur qui recherche son intéK-
Tobligation de prendre croix.
Ainsi, des deux hypothèses successivement examinées, la A
nière seule aboutit à la conclusion voulue. Le texte des Pen^
nous indique d'ailleurs clairement qifaux yeux de Pascal Tenjeu
en elTel sans valeur, et que telle e^t bien F hypothèse dans laqu^
il entend raisonner : car les alinéas A et B, dont la dialectique
alors d*une force invincible, conlîenneat a cet égagé tes rndicatî*^
les plus nettes, < Si you» perdfez, vous ne perdez tien », dit Taut^
au début da mn discours ^ Et plus loin* : ol 11 faut renoucer à
FMon pour garder la vie plul<!>t que de la hasarder pour le g^
infini, aussi prêt à arriver que la perte du néant *,
Pascal toutefois, ayant en vue la conversion du prochain, ne cr^
pouvoir se borner à une argumentation dont le principe est co -
testé par ceux-là mêmes qu'il se propose de convertir, et, avants
g'adresser à leur * cœur )> comme il compte le faire par la suite^
yeut soumettre leur a raison » et lui imposer, par la force de /-^'^^
logique, la vérité du principe : tel est Tobjet de Talinéa C. Quelle e
peut être la vertu convaincante^ nous le devinons dès maintenant *'
car il n'est d'autre ressource, si ladversaire se refuse à concéder là
seconde hypothèse, que d'en admettre provisoirement la ^ussetéi
ç'est'à-dire d'argumenter à nouveau en partant de la première,
incompatible, ainsi tjue nous ra%'ons montré, avec les conclusions
de la seconde. Mais Pascal ne recule pas devant une discussion
ainsi posée, et il entreprend de prouver que si l'on attribue pour un
instant une valeur réelle à Tenjeu, on aboutit à cette contradiction
que l'enjeu n'a pas de valeur; de ce point, une fois établi, résullem^
par réduction â l'ab^^urde, que la seconde hypothèse est bieo la
Beule qui puisse effectivement se présenter. Examinons sa démons-
tration .
Tout le monde sait quelle sorte de fascination exerce sur Pascal
Ja pensée de rinfini, avec quelle puissance il l'évoque, et aussi avec
quelle variété d'éloquence. Tantôt c'est un trait rapide, une formule
i. Quelque® lignes avant l'alitiéa ^4*
ii. Fin de l'alrnéa ih
t. ÛUGAS et CH, RiaUÏER. — LE PAHI DE PASCAL
239
5ve et saisissante : * L'unité jointe à l'infini ne raugmente de rien.
Le fîoi s'anéantit en présence de l'infini, et devient un pur néant ", »
Tanti5t c'est une suite d'images grandioses, vivants reflets de Tuoi-
vers matériel : « Que rhomme contemple donc la nature entière
datiB sa haute et pleine majesté; qu'il éloigne sa vue des objets bas
qui l'environnent; qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme
ïine lampe éternelle pour éclairer Tunivers ; que la terre lui paraisse
coiTime un point, au prix du %'aste tour que cet astre décrit, et qu'il
s'étonne de ce que ce vaste tour lui- même n*eâtqu*une pointe trùs déli-
cate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le lirmament
etn tarassent... Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des
^^Paces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de
la
*"^aljlé des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est par-
loia^j^ circonférence nulle part.*. Notre imagination se perd dans
^^t-tc pensée..* Qu'est-ce qu'un homme dans rinfini-? »
^^r, constatant d'une part la force de cette impression chex Pascal,
*^^*> sidérant d'autre part le texte de Talinéa C, nous avons acquis la
^^ï^Tiction qu'au moment où Pascal l'écrivait la pensée de riïifmi se
^'^^^ sentait à lui enveloppée d'une image matérielle, et que celte
'^^*^^ge, une fois retrouvée, fournirait une sorte de clef pour Tinter-
P^'^tatjon du passage.
"V'oici donc lacfe/'que nous proposons :
-C*€ même que les masses prodigietises des astres, perdues dans Ves-^
"^^^^^ à dès distances prodigieuses, nott9 apparaissent corn me des
^^^^m-its lumineux^ tandifi qtw, si elles étalent près de nous^ rien ne
^^•^^^élerait plus à côté d'elles qiCïmpalpable poussière : de même fin-
^'^ * ^ s^il est infiniment distant^ est comparable au fini^ viais^ s^il est
^^'^wie distance finie^ le réduit à un néant par aa seule présence.
^ ^I^e principe étant posé, ou, si l'on préfère, cette métaphore étant
ise à titre de principe, on aperçoit, non sans surprise, mais avec
entière netteté, le singulier mirage dont Pascal semble avoir
la dupe, et Ton renoue fort aisément, comme il suit, la chaîne
Le mystique de ses déductions :
a le fini et Vinfini sont à une distance finie Tun de Tautre, le
est un pur néant ^.
j : 1" Fenjeu que vous risquez certainement est ftni; 2" le gain
vous en retirez incerlainemenl est in/îni; 3° entre ce gain infini,
K vous êtes incertain, et ce risque fini, dont vous êtes certain,
J*ntiées^ étJiL Uavel, arL X, 1 bis.
J*enjiéts^ édiU tlavel, arL 1, 1.
<iV$t, prcijque leitueUemenL, )a plirasedc Pascul clléc plui haut i
- -anLilen préêence ûtVinfinû et devieul un pur néanl. »
Le fini
S-IO BEVUE PHILOSOPIJÎQLE
H nY a qu'une distance finie : car rincerlilude du gain el la cerlit»-^ <3e
du risque sont entre elles dans la même proportion que le nom X^xe
des hasards de gain el celui des hasards de perte, par suite égvm. l«s
entre elles comme le sont ces nombres, par suite non inlintiii ^^nt
distantes Tune de Tau Ire. ^m
Donc t'enjeu est un pur néant* ^
Donc il est cootradicloire de lui attribuer une valeur réelle.
Telle est, en substance, la démonstration de Tillustre mathémE^^t: i-
cîen. Gomme si une métaphore, quelque attrait qu^elle offre à rit":»^^'
ginatlon, pouvait servir de base à un raisùnnement! Comme si ^^^
mots certitude du risque^ incertitudf^ du gain pouvaient ici tradti
autre chose que des impressions purement morales, variant d'
homme à l'autre, dun moment à Tautre, et échappant, dans le<
insaisissables nuances^à toute évaluation aritlimétîquc, à toute fi^?'*^'
ration géométriqueî Comme si Tabsence de défmilions précis ^^^
Tambiguité et le vague dans les termes, n*étaient pas la négation ^*
toute logique! Comme si rattachement aux biens delà vie (car T-^^"
tribution d'une valeur réelle à Tenjeu ne signifie pas autre cho^®)
pouvait impliquer contradiction * I ■
En résumé, la nécessité du jeu étant posée, Pascal, ainsi qu'il *^
déclare expressément, raisonne dans Thypothêse d'un enjeu s^ ^^
valeur; il établit de la façon la plus convaincante qu'une semlilal^^^*^
hypothèse, excluant tout risque, entraîne, pour le joueur tj. **'
recherche son intérêt, Tobligation de prendre croix; puis» s att-^''
quant à l'hypothèse contraire, il soutient, mais sans succès, qu'^ * S
implique contradiction. j|
Le pari sans risque, il le discute à fond, montre nettement où ^^
l'avantagei multiplie les arguments et les preuves; le pari a^*^
risque^ il en nie la possibilité, et, déçu par un raisonnement i'aux^
croit fondé à dire que Tidée même en est absurde.
IV
Mais rargumenlation de Pascal, quelle qu*en soit la faibles;
rencontrera toujours des adhésions. Supposons que, Tayaut juj
convaincante, on ait parié et pris croix. Qu'en résukera-l-il? A v
dire, peu de chose, car, ayant parié, on n'aura pas la foi,
1, Nous appelons l'atteniton du lecteur sur les redites de Talinéa C, el
relTort Tisîble qu'y fait Pascal pour suppléer à IHn«uriisanc!e des preuve* —
des affirmations rùpÉtt'eg : » Il ne sert de jùhh de dire. Cria «V*/ pas^ Cela
fau^- Cela, est démonstfatif. Si les hommes soni capables de quelques vérï
çelle-tà Veut* •
DUGÀS et CH. RIQUTER. — LE PAni DE PASCAL
341
Suivant Senancour, Pascal aurait dit celte « puérilité » : Croyez
^€Ad*ce que vous ne risquez rien de croire et que vous risquez beaucoup
e ?u 7%^ croyant pm. Ce raisonnement, ajoute-t-il, c est décisif quand il
s*a^it de la condiute; il est absurde, quand c'est la foi qu'on
demande' », Senancour commet ici une méprise. Pascal a reconnu
lui-même en termes exprès que Targument du pari n'est pas édifiant
au 3ens propre^ nous voulons dire n*est pas de nature à édifier la foi.
Il prête en etfet ces paroles h un interlocuteur imaginaire : Je me
rends à vos raisons, « mais j'ai les mains liées et la bouche muette,
on me force à parier et je ne suis pas en liberté; on ne me relâche
pas^ et je suis fait de telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-
vous donc que je fasse*? t
Si cela est sans réplique, si, de Taveu de Pascal, et selon la
remarque fort juste de Senancour, on ne croit pas par cela seul qu'on
est ri^solo à croire, qu'a donc pu prétendre et qu'a prétendu en efTet
Pascal? Simplement combattre les préjugés contraires à la foi. Son
argumentation est négative, réfutalive Idestruem}^ non démonstra-
tive ou édifiante [constrnens^ ii^dificam)^ pour parler comme Bacon.
Ï Interprétée ainsi, elle ne laisse pas d'avoir une importance capitale
pour qui sait comment la foi s'établit en nous. Les vérités divines^
dit Pascal, n. ne tombent pas sous Tart de persuader j car elles sont
infini ment au-dessus de la nature: Dieu seul peut les mettre dans
l^âme^ et par la manière qu*il lui plalt ^ >. Que la raison , incapable de
connaître ces vérités, mais compreniint Tintérêt qu'il y a à les
admettre, nous accorde seulement la possibilité ou la faculté de
croire, et laisse opérer la grâce. Qu'elle se juge elle-même, qu'elle
avoa^ son Œ impuissance », reconnaisse ses bornes, et qu'elle laisse
place à la foi, cet état supérieur, semblable à l'enfance, dont il repro-
duit Tinnocence et la candeur. Nisi efficiamur' sicut parvuli/
'ï'outefois la neutralité bienveillante de la raison ne suffit pas encore
* ^>*surer le triomphe de la foi.
^ Qu'il y a loin en e(îet, dit Pascal, de la connaissance de Dieu à
minier M » La foi est un « sentiment *, elle s'adresse au g; cœur i
ou ^ la « volonté ï>, la volonté^ telle que fente nd Pascal, étante fen-
--ïïîble des désirs naturels communs à tous les hommes, comme le
^®*ï* d'être heureux ». Mais depuis le péché, la « volonté », pas plus
^^^ 1^ raison, ne conduit naturellement à la foi; étant corrompue,
'^ f>€ut 9* éloigner de sa fin, et se porter sur des objets indignes,
^ - ...tï, XXV, 21.
S42 REVUE PHILOSOPHIQUE
€ aussi forts, quoique pernicieux en effet, pour la faire agir que s'ils
faisaient son véritable bonheur » *. « Tous les hommes recherchent
d'être heureux* », et comme jamais personne ne l'a été sans la foi)
qui est « le véritable bien », tous devraient tendre à Dieu; la plupart
néanmoins s'en éloignent, parce que leur volonté est dérégléôi
comme leur esprit est aveugle. Il faut donc, pour rétablir rhoni«^^
dans la dignité de sa nature première et le ramener à Dieu, purift^^
son cœur, le guérir de ses passions, comme il a fallu critiquer sa
raison, la délivrer de ses erreurs et de ses préjugés dogmatiqii ^^•
L analogie va plus loin encore : il faut que Tesprit, comme le cœ •Jr»
redevienne humble, candide. Il le deviendra en se soumettant à ^::^s
pratiques de la dévotion dont on ne comprend pas d'abord le s^^ns
et la portée, dont on ne peut prévoir, sans en avoir fait Texpérien^^,
les effets indirects et lointains. « Vous voulez aller à la foi et vcjms
n'en savez pas le chemin; vous voulez vous guérir de Tinfidélife'
(manque de foi, incrédulité), et vous en demandez le remède ;
apprenez de ceux qui ont été liés comme vous et qui parient mainte-
nant tout leur bien : ce sont gens qui savent ce chemin que vous
voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez
la manière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout comine
s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des
messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire, et vous
abêtira'. >>
En résumé, selon Pascal, rendre à l'esprit son innocence et au
cœur sa pureté, et préparer ainsi le terrain à la grâce, c'est la seule
manière d'édifier la foi. Toute la démonstration de la vérité chré-
tienne consiste à convaincre l'esprit, à persuader le cœur qu'il ne
faut pas résister à cette vérité. L'esprit ne risque rien à croire : la
foi lui révèle un ordre de vérités qu'il ignore, et ne l'oblige à renon-
cer à aucune de celles qu'il peut naturellement connaître. La volonté
ne risque rien non plus à embrasser le genre de vie et les senti-
ments chrétiens; elle ne sacrifiera rien pour cela du bonheur pré-
sent. <r Quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti? Vous serez
fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sin-
cère, véritable. A la vérité vous ne serez pas dans les plaisirs
empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n'en aurez-vous
point d'autres*? »
Nous voilà rassurés, et même convaincus, persuadés, mais non
1. De r Esprit gëomélriifue.
2. Pensées, Vllî, 2.
3. Pensées, X, 1.
4. Pensées, X, 1.
L. DUGAS et CH. RiaUTEH. — ht PART HE M5CAL
I
243
encore croyants. — Laisseiî laire Dieu ; vous Mez le devenir! Iji foi
est un don de Dieu, nue inspiration de la grâce. Vous vous êtes rais
en état de la recevoir; vous avez ôté les a obstacles »; vous o'avez
pu vous la donner. Mais elle se donnera elle-même à vous*
Voici comment, a lî y a trois moyens de croire : la raison ^ la cou*
it^ >yje, ] inspiration. » Ou s'achemine vers la foi par la et raison », en
^ o^ivraut son esprit aux preuves *; on « s'y confirme par la cou^
'*^^*ie ^; mais « les impirations seules peuvent faire le vrai et salu-
^^iir^efTet », Remarquons que les preuves dont il s'agit sont higlo-
t*»^^^^ç^ non philosophiques; c'est « récriture et le reste », que
^^c^al tient a priori pour valables et ne songe pas à soiimeltre à la
*■,*"** ique; dans le pari, cela s'appelle € le dessous du jeu >, La foi
''^^•^^ée sur les témoignages (fides fix atidilu] est d'ailleurs impar-
"^^^^^y elle reste extérieure, ne s adresse qu'à l'esprit. Mais par la
^^^otion, rascélisme, on se dégage des passions humaines, on déve-
<^i">^e en soi les sentiments chrétiens, on ouvre les voies à la grâce,
^ ^'inspiration, laquelle seule donne la foi véritable, celle qui oc est
^^^ s le cœur ï> *.
^^ uand la foi véritable est entrée dans Tâme, qu'elle a pris posses-
®*c>:r^ ^Q toutes ses facultés, de la raison et du cœur, qu'elle est deve-
^^^ une « certitude » et une a joie », alors elle oublie son point de
**^t>^rt, les angoisses, les doutes dont elle s'est affranchie, elle croit
^'^^^i r toujours joui de la sécurité et de la paix enfin rencontrées. « Je
^^^*^s dis que vous y gagnerez (à parier) en cette vie, et que, a
^f^-^^yuepm que vous ferez dans cê chemint vous verrez tant de cer-
•^ ^u fie d'un côté et tant de néant de ce que vous hasardez^ que vous
^■f^^^^Onnaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine^
^B**^/^»^i«j pour laquelle vous n avez rien donné*, n En d'autres termes,
^^ ^oi n'est pas la même aux difîêrents degrés de son développement,
^^2^^ ^ ^^ ^'^^ cherche sa voie et croit Tavoir trouvée; elle avoue d'abord
^^^^ *^sllese fonde sur un pari à Tissue douteuse, puis elle se prévaut
^P *^^ ïin du gain réalisé ou de la certitude obtenue.
^" T'^ïlle est bien en ellet révolution naturelle de la croyance : quand
, ^* ^ la foi, on croit tenir la preuve» ou plutôt on s'en passe, on la
■* ^^^^ superflue.
^*^i ra-t-on que la foi est alors illogique? Mais le mot ne convient
-P^""^^ — La foi est t un don de Dieu », non a un don de raisonnement ï>.
mérités de la foi ne relèvent que d'elles-mèmesj elles ne sau-
il être appuyées sur d'autres vérités ; il faut les recevoir gra-
fui ^^
*nent, c'est-à-dire sans preuves. Bailleurs Tordre dans lequel
244
BEVUE PBlLOSOPniQCE
00 s'élève â ces vérités est « tout contraire à Tordre,*, naturel au
hommes dans les choses naturelles », La dialectique de la foi estl^;;;
renversement de la logique huiiiaiae. Dieu « a voulu que les vérittv
divines entrent du cœur dans l'esprit et non pas de l'esprit dans l
cœur... Au lieu qu*eii parlant des choses humaines on dit qu'il faut
les connaître avant de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les
saints, au contraire, disent» en parlant des choses divines, qu*il faut
les connaître pour les aimer, et qu'on n^entre dans la vérité que par
la charitéj dont ils ont fait une de leurs plus utiles maximes ' »*
Aulrement dit, la loi se justifie par elle-même et par ses effets. Il
ne s'agit pas de la prouver, mais de 1 éprouver, d*en faire Vexpé-
rienœ. C'est celle expérience qui serait décisive. Mais souvent on
refuse de la tenter» de se soumettre aux conditions en dehors des-
quelles elle ne saurait se produire. € J'aurais bientôt quitté les plai-
sirs, disent'ilSj si favais la foi* Et moi je vous dis : Vous auriez
bientôt la foi si vous aviez quitté les plaisirs. Or c'est à vous à com-
mencer. Si je pouvais, je vous donnerais la foi. Je ne le puis faire, ni
parlant éprouver la vérité de ce que vous dites. Mais vous pouvez
bien quitter les plaisirs, et éprouver si ce que je dis est vrai \ i
Pascal nous conjure donc de faire Texpérience de la foi, et il nous
répond du succès^ d'un succès qui réalise et dépasse toutes les espé^
rances. 11 va jusqu'à dire : « Naturellement même^ cela vous fera
croire, et vùuh abêtira ; » et il ne s'aperçoit pas que ce raol « naturel-
lement 1 est en contradiction flagrante avec la théorie janséniste,
d'après laquelle la foi est une grâce, une faveur particulière de Dieu;
il ne voit pas non plus que ce mot « mm abêtira » est absolument incon-
ciliable avec les assurances qu*il nous donne que l'esprit ne risque
rien k croire, ni la volonté à s'assujetlîr aux pratiques de rascétisrae*
Et maintenant, que penser d\me expérience qui se présente ainsi :
Pour entrer dans Tétat d'âme du croyant, vous dépouillerez votre
nature, vous ferez table rase de vos instincts, de vos senthuents, de
vos conce plions du bonheur'? A ne considérer Je pari qu'au point de
vue logique, le refus de prendre croix n aurait rien, avons-nous dit,
de blessant pour la raison. Mais si nous nous mettons en face des
conditions réelles du pari, nous devons dire qu'il y aurait au con-
traire folie à prendre croix. Car la foi n est pas telle que Pascal quel-
quefois la présente : elle ne se superpose pas simplement h la rai-
son ; elle n'a pas pour elTet de reculer les bornes de notre esprit sans
entraver son développement naturel, et de lui donner ainsi accès
dans un monde qui lui serait naturellement fermé. En réalité, elle
^::^
^^
H
1
L De t'e^t^it g^^omé trique*
3. Pensées f X, 3.
L. DUQAS et CH. RIQUIER, — LE PAftl DE PASCAL
S4S
»:?ci@e l'abdication de ootre raison, riinmolation de nos sentiments.
^K Gett. anéantissement de notre persotinalilé n'esi-il pas le plus grand
^m d^n^er que nous puissions humainement courir?
^1 r*ascal néanmoins voit ce danger d'un œil indifférent, t Qu'avez-
"%roiJEs h perdre? b nous dit-il. Tout rempli de ses idées théologiques»
il x:i 'entre pas dans Tesprit de Ihomme purement homme^ et son
« d iscours » s'adresse exclusivement à celui qui admet déjà, sinon
1^ ïi^èché originel et la déchéance de l*homrae, dui moins la faiblesse
d^ i a raison, la vanité du bonheur terrestre, et toute cette philoso-
phie i ^ pessimiste que lui-même a tirée du dogme chrétien. Mais tout
^^Ç:^ ï^it qm n'a que la raison pour guide, et qui croit à la dignité natu-
rel I « de i homme et à la possibilité du bonheur, ne peut manquer de
*^ori sidérer Targumentation du pari à. ta fois comme une monstruosité
^^Ic^^g-i que et une énormité morale.
^m I^s dureté d'un pareil jugement trouverait au besoin sa justifica-
^^ tf ox» ou 5îon excuse dans la remarque célèbre de Pasca! sur « la dilîé-
**^Mric!e entre les hommes i ou roriginalité des esprits. Pascal est
^^^^-même Tesprit le plus « original s», c*est-à-dire le plus personnel,
*^ ^lus fermé et le plus haulain. Il heurte de front 1 opinion de ses
^^'V'^êrsaires et le sens commun; il s'atlache à son « sens propre »;
*• ^^it et développe ses idées, donnant à chacune sa valeur particu-
11^ t*^^ et invoquant pour toutes l'appui du système général qui les
**^, Oo ne peut entrer en discussioi\ avec lui; il faut accepter ou
''^J^t.er en bloc sa doctrine. Avec cela il est si passionné, si ardent
^^nsssa foi, qull a recours, pour la défendre, aux pires sophismes, et
_^ forme de son raisonnement n'est pas moins contestable que le
'^rici de ses idées. Nul ne fait mieux comprendre et mesurer labime
^■i * e^tisle entre les esprits, particulièrement celui qui sépare le phi-
^P^ . ^^^phe et le croyant. Mais sa sincérité est évidente, sa franchise
. T^^^:>lue; et quelles que soient Timmoralité de ses thèses et la fai-
^_ ^s^e de ses raisonnements, on continue à respecter son caractère
^E ^ admirer son génie. Il ne plaide jamais, il expose loyalement sa
^^F ^^t^rine, dans toute son intransigeance et sa raideur. Il apporte son
fl^^^^**it de précision, c'est-à-dire de loyauté encore, jusque dans Ter-
^ jj ^-^^ ; par là il en prépare la ré futation^ qu'il rend relativement aiï^ée,
■l^ - ^ dénonce en renonçant. Il nous fait éprouver à la fois le plus
|^C^'^*^*>d respect pour sa personne et la plus grande aversion pour ses
.^^_^^'^3. Mais il doit être permis de sentir la force de son esprit sans
Q _ ^ ^îbir la fascination, et partant, de le juger, ou plutôt déjuger ses
** ions^ aussi sévèrement que nous l'avons fait*
L. DuGAs et Ch* Rîquisr.
DE
L'INDIVIDUALISME RELIGIEU 1
é^
Partout dans le monde social il y a lutte, influence réciproque» ou
accord flnai entre deux Corces contraires : VindividttaU&ine et ce qui
n'a pas encore reçu de nom technique et ce que nous proposons
d'appeler le sociétarisme, dont Ja limite extrême est Je collectivisme,
de même que la limite extrême de Tindividualisme est ranarchiBin©
théorique* Tandis que le sociétarisme à ses divers degrés consiste
essentiellement dans une adaptation réciproque, dans une cot^t'fi*-
nation des hommes entre eux, suivie d'une subordinalion, d'iio^
hiérarchisation^ dételle sorte que la société puisse communiquer ^^j
force et ses avantages à tous moyennant Tabandon qu'elle deinan^J^B
à chacun formellement d'une partie de sa liberté, et virtuelleinex^
d'une partie de ses atïections, de ses idées; l'individualisme rejeta
toute espèce de joug et toute union forcée, même toute union volorP-J
taire si elle devient indissoluble; il se renferme dans le moi, tandj
que le sociétarisme s'absorbe souvent dans le non -moi. Or voïc^-
que ces deux principes sont situés aux antipodes Fun de Tautre-
Ce qui répugne le plus à l'individualisme, c'est moins la coordina-
tion que la subordination; il est essentiellement anti-hiérarchique^
et fiij par nécessité sociale, il veut bien se soumettre quelquefois à
une autorité suprême, celle de la loi qui règne comme une divinité
lointaine, il ne se soucie pas de subir les nombreux intermédiaires
qui s'interposent entre la loi et lui, il lui semble alors porter toute
une chaîne de servitude.
Chacun de ces deux principes a sa valeur propre, et quoique d'un
camp à l'autre, comme toujours^ on refuse de reconnaître celle de
Tadversaire, le juge impartial n'hésite pas à penser que rélimination
deTun d'eux serait un malheur certain et grave. Sans des individua-
lités préexistantes la société n'aurait pu se former, puisqu'un tout
ne peut exister sans ses parties; mais il ny a là qu'un état d'une
durée très brève, et la base psychologique n a été qu'une base, car
de bonne heure, les individus se sont rencontrés, choqués d*ai>ord
peut-être^ mais ensuite alliés ou soumis. Ce n'est qu*âprès cette
DE LA GRASSERIC.
L INDIVIDUÂUSIIE HELIGIELX
247
rnis^ en société que les iadividualités se détachant ont apparu de
nouveau, mais avec plus de consistance et d'iinporlance. C'est que
i'i iriclivîdu recueille beaucoup de la Société qui le renfermCj de même
cfiwi'uin corps, de tous les éléments ambiants et de tous ceux qu'il
s'incorpore par intrasusception ; sans ces éléments nouveaux^ il
3«^i*o.it soi-rnèmej mais n'aurait que la valeur d*un soi, sans culture,
so tns développement^ il lui faudrait recommencer toutes les sciences,
tous les arts, et le progrès serait impossible. De même, à son tour
^ans rindividu et même sans Tindividu ayant une individualité très
tï^^aï-quée, la société verrait ses progrès s'arrêter, elle reproduirait
toujours ceux qui sont acquis sans y ajouter, ne ferait jamais que
^' î rriitiT eîle-même^ continuant le mouvement commencé, mais par
la seule force dlnertie. C'est à son tour rindividualisme qui, par
V*initiaiive, la spontanéité qui lui est propre, lui donnera un nouveau
branle. Tous les grands progrès, ceux qui ont d*un seul coup franchi
plusieurs étapes, sont Tœuvre de solitaires. C'est ainsi qu^ndividu
^^ société peuvent et doivent rivaliser non pour s'éliminer, mais
pour se promouvoir.
Les caractères des individualistes et des sociétarisles sont très
aîflTièrents, ainsi que Finfluence que leur doctrine et leur condition
ont sur leur vie. Le sociétariste a une grande tendance à radaptation,
* ^*iinitaUon qui, loin de le gêner, le guident; il ne s'écarte point
*^** c^hemin commun, il se place volontiers à son rang hiérardiique,
^e n'est pas seulement sociologiquement^ mais psychologiquement,
qu'i I ^gji ^îngi li accepte et s'assimile facilement les idées courantes,
^ idées moyennes. Sans doute, s'il se place aux extrémités du
-. ^*êtarisme sur les bancs du collectivisme, il n'en est pas ainsi, car
^ écarte de Top in ion majoritaire. Mais même alors il se rattache
^^^*le école dont il suit exactement les leçons sans se permettre d'y
iM **^ger, pour avoir quelquefois sur un point une opinion contraire;
^^meure seulement sociétaire d'une autre société plus associée.
* ^ «i^aractére du sociétariste empêche les progrès considérables,
^^ne ceux de Ta venir, mais il a le grand avantage de conduire
t^^ , ^«^ciété sans secousse» de laisser fonctionner très régulièrement
^^^^ ses rouages et de ne point compromettre dans de graves et
En outre, cette doctrine est favorable à ses
A* A^eiies erreurs.
^ '^^rents; de par leur esprit hiérarchique, tant en la forme qu'au
^^ ^ ils plaiseat beaucoup, leur docilité les élève sans cesse. La
^■-^ ne, les honneurs, le pouvoir sont presque conslammeut aux
^^ ^^'^ taris tes, surtout aux sociétaristes moyens ou qui le devien-
^ 1^ par la formation d'autres partis extrêmes.
^^^s individualisteSp au contraire, ordinairement en petit nombr^^
248 REVUB PHILOSOPHIQUE
ont un caractère qui s'adapte difficilement aux conditions et ^v\x
idées sociales. Ils sont impatients du joug, réfractaires; loin de
chercher à complaire à Topinion, ils la heurtent volontiers, qim -^Ue
que puisse être leur ambition personnelle, car ils espèrent parv^^Qjf
par d'autres moyens. Ils s'isolent dans leurs opinions, comme ^Êans
leur vie. C'est précisément de cette contradiction constante que jai/.
lissent des vérités qui autrement seraient restées inconnues. Ils ^oot
ou précurseurs ou novateurs, leur état psychologique les isole au lao^
que leurs tendances sociologiques. Ils ont en horreur rimitatioo,
cette discipline intérieure. Leur force est donc très grande, et les
sociétaristes eux-mêmes, s'ils veulent se retremper, sont obligés de
se faire transitoirement solitaires comme les premiers. Mais paria
même ils restent minorité; leur mission n'a pour la plupart des
hommes aucun attrait, et eux-mêmes n'éveillent pas de sympathie;
leur solitude n'appelle que la solitude. Cette doctrine ne leur est
personnellement pas favorable; le bien qu'ils peuvent faire retombe
sur eux en malheur. La fortune et les honneurs leur échappent et
la gloire seule leur appartient, mais souvent outre-tombe et sans
aucune de ses douceurs accoutumées.
Si tous étaient individualistes, la Société ne pourrait guère se
maintenir, car ils imprimeraient par l'activité de leurs idées et par
la divergence de leurs directions un mouvement incessant ; ils doi-
vent rester minorité, mais s'ils n'existaient pas, l'imitation régnerait
seule dans le monde, et l'uniformité, l'immobilité définitive.
Cependant, malgré la différence profonde qui existe entre eux,
individualisme et sociétarisme se rapprochent tout à coup par leurs
points extrêmes, ce qui constitue un phénomène très curieux. On
peut le constater dans les institutions les plus différentes. Eo
matière économique et politique, les anarchistes et les collectivistes
sont situés aux antipodes les uns des autres; tandis que les premiers
ne veulent de gouvernement d'aucune sorte, les autres voudraient
gouverner à l'extrême, jusqu'à réglementer tous les actes, les droits
et les hommes. Cependant non seulement ils se rejoignent dans
l'opinion publique, dont la sensation les confond presque, mais ils
se rapprochent singulièrement par leur genèse. Presque tous les
initiateurs qui ont conduit au collectivisme ont été des isolés dans
leur vie et des anarchistes au sens théorique du mot dans leur con-
duite publique ; il le fallait bien d'ailleurs, ils devaient commencer
par détruire, se révolter, être anti-sociaux. Lorsque cette première
partie de leur œuvre fut faite, et chacun y travaillait séparément,
sur le terrain déblayé ils se rencontrèrent, s'unirent, et s'ils venaient
à triompher, ils essayaient une société nouvelle dans laquelle ils
DE LA GHASSERIE. — L'iNDlViniALISME RELIGIEUX
S49
étaient collectivistes. Le même processus peut s observer en matière
do relïgion* Presque toutes les religions nouvelles ont pour ionda-
teu rs des iêolés, des iniipirés^ en rapport direct a%^ec la divinité,
et oïl rébellion contre la société religieuse alors en vigueur; ils
s'entourent de disciples, sans autre domi nation que celle de leur
doctrine, mais bientôt ils triomphent, ils fondent une société reli-
ai oose nouvelle et cette société se crée un culte, une discipline, une
hiérarchie, tout ce qu'on avait blâmé dans laulre, Ce n'est pas tout,
nou3 verrons, dans le christianisme surtout, à côté du clergé sécu-
lier qui forme un gouvernement moyen, se développer aux deaîc
p<^les deux institutions dont Tune répond à Tanarchisme et à l état
d'isolement^réréinitisme, etTuutreau collectivisme, la communauté
ab&olue, rultra-suciété, le monachisnie; cependant le second dérive
do premier, nous verrons bientôt comment, tellement est vrai le
pro\-erbe que les extrêmes se touchent.
Le phénomène de rîndivîdualisme» opposé au sociétarîsrae et au
collectivisme, ne règne pas seulement dans Tordre d'idées religieux
où nous allons Tétudier, mais dans tout le domaine social; nous
Venons d*en indiquer Topposition dans le monde économique et
politique. On peut citer dans le même ordre d'idées la décentralisa-
tion opposée à la fédération et surtout à l'État unitaire; ici encore
1 individualisme territorial est fécond ^ pourvu qu'il ne soit pas poussé
^ *>utrance jusqu'à la dislocation de l'État. Mais c'est beaucoup au
^e!^ du monde social et même humain que sétend le principe
individualiste. Dans Tordre physique, il produit le phénomène de
ta i~a. réfaction opposé à celui de la condensation, laquelle se résout
^^ ta ne raréfaction nouvelle, en un isolement hystérogène. De
^*^rne, tandis que rattmetion qui fait dévier les corps dans l'es*
paco hors du mouvement imprimé par la force vive indépendante
^t l»elTet d'un sociétarisme mondial, cette force vive est l'indi-
'«Jia^isrne matériel. Il en est de même des dissociations des
^*^^cnts chimiques opposées à leurs combinaisons; c*est par
n^ alternance continue des deux sous Tinfluence des forces phy-
'qvi^gqyg la matière se décompose et se recompose. Dans l'ordre
^^T^ique métaphysique au point de vue subjectif le monde est conçu
1 ^ ^eux manières : suivant les uns Tesprit et la matière s'isolent,
», t»**emier constitue la divinité personnelle et solitaire; suivant
^l^^tres dont la doctrine aboutit au monisme opposé au mono-
_ •^me, esprit et nature sont confondus, mens agitai molem^ la
^,'^*-*-ire et la divinité ne font qu'un, c*est le triomphe du coUecti"
Vi^
*^o
«Ti
e métaphysique. Au contraire, le polytliéisme constitue le
V^n terme entre le monothéisme et le monisme.
250
BEVUE PHlLOSOPIilQlI&
C'est sur le terraia religieux que la lutte entre rmdividualisiiie et 1
priacipescoiitrairei^ s'est élabli depuis le plus longtemps, et q\x^
peut le suivre le plus sûrement à travers les siècles. C*est quo
]ûug retigîeus est le plus pesant, de même que la relîgioD a agi &
Fesprit et la société de la manière la plus puissante^ aussi ti ï
pour les élever que pour les comprimer. Or, cette action si ^'
devait amener des réactions, le lien étroit tendait à sedesserreir,
mentalité gravite attirée par cette force intense, mais elle
douée aussi de force vive et de résistance, et la liberté û&
pensée n'est pas moins énergique que la foi. D*ailleurs, ce q."^
point à une révolte contre la divinité que Tindividualisme religi^
aboutit; s'il en était ainsi, ce serait un individualisme mental^
manifestant en athéisme, mais ce ne serait plus Vindividuati^
reUfjieux, celui que nous étudions. L'individualiste de cet or*
veut prier et cmirej il désire même s'approcher de la divinités
plus près possible, et loin d'être un impie, il est plus souvent
ascète, mais il veut adorer à sa manière, en son temps, en son li ^
sans qu'aucun homme, même consacré, s'interpose entre Dieu et t
il veut, d'autre part, adorer seul dans son recueillement intérim
sans qu'il soit besoin pour cela de se réunir en société, ce qui
serait antipathique. Il fiait par isoler son Dieu lui-même, voulanr^
contempler, lui parler en dehors de î?a société divine^ aussi bien qu^
dehors de toute société humaine. Parlant il faut la solitude et ce
solitude semble devoir être stérile; il n'en est rien, elle lui comt
nique une force singulière, sa mentalité est exaltée, et il est se
capable des grandes vérités et des grandes œuvres; c'est lui
renouvelle la croyance religieuse^ et aui temps où cette croyance <
un échafsiudage social indispensable, par elle la face du monde.
le
Bir
la
M
le
L'individualisme religieux se réaliae de plusieurs manières
différentes Tune de Taulre, par lesquelles il tranche nettement sur 1-
sociétés religieuses dont il se détache. Il prend, en effet, plusieu-
direclions.
La première, c'est une direction en ligne directe aBcendanië
descendante. L'individualiste ne souffre entre lui et Dieu auc
sorte d'intermédiaire, ni humain ni divin; aussi est41 ratii'<?rsai
né des sa€erdoce$^ c'est lui qui les bat en brèche, beaucoup plus qu
ranticlérical ou le libre- penseur, d'abord parce que pendanl un
longue période de révolution, ceux-ci n'existent pas ou en si peti
nombre qu'ils n'ont pas d'action sur Topinion, puis, parce que ndè
11
lei
fo
il
DE LA GRASSEHIE. — L^INOÏVIOUALISMB RELIGIEUX
^ative D'ajainaisla même puissance qu'une idée positive contraire,
ta^eut adorer Dieu en esprit el en vérilé en dehors du temple, du
i jrde fête et du prêtre, et souvent pour mieux le rencontrer, il se
'«agie dans le désert, moins encore pour fuir les hommes que pour
^ Séries intermédiaires antipathiques: ce qui le prouve^ c'est qu*il
^ che volontiers, qui) est rempli de fraternité et qu'il aime ix répandre
fc idées. Mais il est anti^hiérarchique^ il veut bien obéir à Dieu,
.ms non aux hommes, sa fierté se révolterait à le faire, quand même
» hommes auraient ou prétendraient mission. Il ne nie pas d*uil-
ms qu*ils aient Ibnction de représenter Dieu, mais il trouve
' £Is la remplissent mal, qu'ils l'exagèrent, que d'ailleurs ifs ne le
«: que pour ceux qui n'ont pas la force de s*élever eux-mêmes, et
■"«jette leur aide. D'ailleurs, les sacerdoces bien établis ont coû-
^^^«^ Jé beaucoup de routine et d'abus de toutes sortes, ils se sont
^*^^^^ourdis, et il est visible que Tesprit de Dieu s est retiré d'eux* Il
^^ «-».«. donc recourir directement à la source. Dieu le veut bien iui-
Bk*^^ maie; cequi le prouve, c'est que, lorsqu'on Tinvoque ainsi, il répond
^«- <::^^^ux qui osent Faborder directement en forçant la consigne; il se
ïï^c:* Mitre généreux, il donne aux uns là faculté de vision, aux autres
1^ «lion de miracle ou celui de prophétie : à celui-ci, it imprime ses
^t.i ^^Tiiates, comme une livrée divine, à celui-là il accorde lextase» ce
pâ^KT^adis antrcipé. Ce n'est pas tout» il inspire réloquence, au sortir
^^ la vision, de Textase; rindividualiste est doué d'une force persua-
si vr^^ merveiUeuse, il raconte ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, dit ce
^^^'^ it faut croire, ce qu'il faut faire, et lout le monde lui obéit comme
P^K^ eacliantement. Aussi n'a-t-il aucun remords» aucune crainte
•^ ^^"voir abandonné la grande route de la dévotion, de s'être mis en
^^-^t, de rébellion et d*avoir pris le chemin direct, car il se sent
^t^t^rouvé de Dieu d'une manière éclatante. Qu*est-il besoin des
^^*^5les minutieuses de la morale et du culte, des exégèses, des
^^* ï^ troverses subtiles de doctrine lorsqu'on peut y couper court, que
l^ lettre tue ce que Tesprit viviOeî N est-ce pas peut-être de leur
P^'oiare volonté que les prêtres se sont arrogé un tel pouvoir? Rien
^^ ^e fait sans leur concours incessant ; ils ont la clef des sacrements,
^^<^umulent les pratiques, rendent le salut plus difficile, inspirent la
t^M*r*cuf religieuse, si contraire à Tamour de Dieu, et emprisonnent
Ame humaine* £1 est temps de la délivrer. Ils devraient être les
^u xiliaires, non les maîtres. Ils vont jusqu^à cacher la parole de Dieu,
'l*-4 lia ne permettent de prononcer que dans une langue sacrée
fi^crori j^yg des fidèles. Aussi les prêtres sont antipathiques aux saints
^^^f^endants. aux voyants, aux prophètes, et par contre ceux-ci,
^^^^i^ que soit leur sainteté, sont antipathiques au clergé de toutes
2S2
IIBVUE ï»IliLOSQPHlQ€B
les rdigiûns, au moins, pendant leur vie, et si le sacerdoce juif a cru-
cifié Jésus, l'épîscopat chrétien a mis Jeanne d'Arc sur le bûcher.
Il est exact de dire que si le sacerdoce d'une religion n'aime pas
ceux qui nient toute divinité etsont les ennemis îrréconciliablesdes
religions étrangères, ils haïssent encore plus ceux qui, dans leur
propre religion, sans renier leur dieu, au conl ruire, en aCTeclant pour
lui plus de piété qu'eux-mêmes, veulent ladorer direclemenl en
s'instituant leurs propres pontifes. Aussi ces derniers sont-ils l'objet
constant des excommunications et des anathèmes.
Est-ce à lort? On ne saurait le prétendre. Le plus grand nombre
a besoin d'être guidé, il ne peut concevoir la divinité qu*ù trav^ers
ses représentants visibles; il lui faut voir, entendre, des yeux, des
oreilles de la chair, s'enloin'er de symboles qu'on puisse prendre
pour des réalités, s enivrer de chants et de spectacles. Si on Ten
prive, Dieu devient une pure idée, il nen a plus la sensation;
c'est un Dieu trop haut, abrupt, auquel il renonce. Mais le sacer-
doce remplit le vide de l'espace et d'échelons en échelons favorise
l'ascension. Le peuple n'a plus la fatigue de comprendre; ii lui
sulïltde sentir parcelle sensation spéciale qui est la croyance; s'il
veut parler à Dieu, il sait à qui s*adresser et est certain d'utie
réponse, sans l'attendre directe, mais incertaine. Si l'on vaut sup-
primer les intermédiaires comme inutiles, le personnel de la reïîgîoQ
court les plus grands dangers. Pour quelques individualité? pi
seront plus parfaites, la foule sera plus corrompue, incrédule* Elle ira
à ridolâtrie complète ou à Tathéisme; le sacerdoce satisfait Tin^
tinct idolàtrique dans une mesure qui en empêche le développa
ment. Sa mission est donc indispensable, et Tindividualiste relîgieuî
fait sinon œuvre impie, au moins oeuvre délétère. Dans le monde
économique, Tidéal souvent prétendu a été d*établjr des rapports
directs entre le producteur. et le consommateur; les intermédiaires^
les commerçants, abusent singulièrement de leur situation; ils ven*
dent très cher, à faux poids et de mau%'aise qualité; aussi a-t-oït
songé k s'en passer, et le consommateur et le producteur se sont
mis en relation directe, celui-ci avec d'autant plus d'empressement
que le plus clair des bénéfices passe à rintermédîaire; mais la ten-
tative na guère eu de succès; le producteur ne peut débiter en
délai], il ne saurait supprimer les distances, il craint les insolvabilités,
il ne vend pas assez pour compenser les pertes par un seul gain, et
il cherche à se couvrir en fraudant h son tour. 11 en est de même
dans le monde religieux. Dieu est trop loin, et l'individu trop inflme,
il faut un mode de communication plus régulier et plus pratique
que la tension continuelle de l'individu vers lui-
DE LA GRAS&EHIË. — L'iNDIV1DL'\USMB nRLiCfEUX
253
'XTî^îs il est des natures iVélite pour lesquelles cette communicatîoo
€Bt possible, ce soot de puksante,iindh?ifîuaUiés capables de s'élever
^^it^^ secours jusqu'à la divinitc* Cependant leur allure paraît singu-
Hèir^ et le sacerdoce les tient en défiance, il les confond volontiers
»^%r^C% les impies.
T^lîe est la ligne aBcendanfe directe dans Tlndividualisme religieux,
g^ c*e qui concerne les intermèdmires humain». Mais ce ne sont
1^^ les seuls écartés j on élimine ensuite les intermédiah'es d'tvins.
J>^a.n^^ le christianisme, ces intermédiaires se composent des saints
et d^^sanges. Les saints tiennent le milieu entre fange et Thomme;
^. C€5 ^cDnt des hommes morts, des ancêtres, toujours illustres par leur
^P"V^w*t.mj; dans le paganisme, les demi-dieux leurs correspondent.
^ ^^t: par eux qu*on s'adresse sûrement à Dieu, sans exciter sa colère
<^*^*^AlLTe le pécheur qui Tinvoque. Des individualistes mêmes, mais
ir^c::*::^ «nplets, répudient l'Égf^L^^ t?tsi6/e composée d'hommes mortels et
irxi t>,£arfaits, conduits peut-être par Tanibition, et admettent VÈgliêe
'^^^^m^^iblej la communion des saints, devenus parfails, désintéressés
el» it^^ellement supérieurs. Plusieurs ont une dévotion particulière
poii^- Ig Vierge j leur patron, tel autre bienheureux; ce sont eux
*!*-»' mis voient en extase et non pas la divinité trop abstraite. Mais
lin.^ï ividualiste pur rejette le culte des saints et avec lui celui des
iro^^gg^ les temples, les cérémonies. 11 ne veut voir sur la terre que
lu 1 ^ Jméme et au ciel que Dieu seul , sans cour céleste, dans sa belle
^t- ciczimplète solitude. Les anges, à leur tour, se retirent devant cet
ra^^j nouveau; ils sont plus près de Dieu que les saints, ils n*ont
pas ^tédes hommes, on pourrait donc à la rigueur les retenir sans
^^nrÈ^ eltre une hiérarchie humaine d aucune sorte, mais la hiérarchie
iSiv£^^^ en est encore une; ce sont des nuages brillants qui cachent le
^^ï^if et qui n'en laissent plus passer que le reflet,
^ *y a-t-il pas dans cet individualisme religieux ascendant beau-
^^p* d'orgueil? Sans doute, et nous ne prétendons pas lui donner
*^^& admiration sans réserve, nous constatons seulement. Ce refus
^^ t.cjut]uge, de toute hiérarchie, par conséquent, de toute société,
^^ vin égoisme qui a ses dangers et son côté peu sympathique, mais
il forme un trait essentiel «lu caractère de tout un groupe, et d'ailleurs
v\ *^C€use des qualités spéciales, la dignité, le courage, la force,
Seulement rindividuahsme ascendant ne s'arrête pas là, son
orgueil, son insubordination s accroît. Lorsque par sa communica-
Ijon directe avec Dieu, le mystique s'est rendu semblable à Dieu
lai-même, il tente de le dépasser, de le détrôner, de monter à sa
place et de gouverner ensuite le monde. Cette lois il semble qu'il y
gît ingratitude et impiété et analogie avec la situatioii de Tathée,
254
REVUE {"HILOSOPRIQUE
sauf que celui-ci nie la divinité, tandis que rindivldualisle d'uncer^
tain degré la reconnaît, mais la combat. Nous examinerons plus loin
ce cas très curieux, mais qui n'est point rare. Notons qu*il n'y à pas
là d'impiété véritable^ qu*tin tel mystique ne devient pas îrréligieuî;
il veut devenir dieu, voilà tout, et lorsqu'il le sera devenu, il pourra
légitimement s'adorer soi-même.
Il y a peut-être dans cet individualisme ascendant un degré supè-
rieur- L'homme de bien ne peut atteindre à Dieu par ses eiïorts; il
n'a pas niême pu acquérir la certitude qu'il existe. Bien plus, il m
pas su découvrir dans le ciel la place, vacante ou non, de !i
divinité et s'y mettre. D'une excellente nature, porté vers le bien,
mû par la ferme volonté de raccomplîr, il voit ses vertus mal
récompensées, le malheur lenvahirde toutes parts; cependant il est
fier de sa vertu, ne demande pas l'approbation des hommes^ se con-
tente de son propre témoignage. C*est le stoïque; Vidée religmu
manque peut-être, mais le sentiment retigiêux est bien vivaril. 11
est ascendant, ou, ce qui revient au même, il réalise dans sa solitude
avec lui-môme Tidéal divin.
En redescendant de la divinité à l'homme se réalise Vindîmdualkm
religîeujt^ descemImU. L'individualiste veut monter vers Dieu direc-
temeût,sans que personne s'interpose ni le conduise, mais il ne veut
pas que Dieu descende et qu'il vienne se confondre avec la socu^lé
humnine, U désire qu'il reste à sa place dans sa solitude élevée, et
non qu'il se mêle à la foule^ car il tient à la dignité de la divinité
comme à la sienne propre. De là la répugnance de !'individu.ilisfïie
pour Vanthropomoiyhisme, non seulement ranthroporaorphisme
grossier qui aboutit à ridolàtrle, mais cet autre plus complet,
quoique [»lus élevé, qui consiste dans une inçamaiion, D aiileuPSf
rincarnalion fournit encore un intermédiaire eiitre Dieu et l'homme
et il qe veut pas d'intermédiaire, surtout d'intermédiaire constant.
Sans doute, il peut bien de temps en temps surgir un prophète qui
transmet aux hommes quelque ordre important de Dieu, puis dis-
paraît, et lui-même serait volontiers ce prophète. Mais Bien devenu
homme, riiomme devenu Dieu, tirent le ciel et la terre de leur iso-
lement respectif, donnent un vain orgueil à Thomme et diminuent
la divinité, i}ui, elle aussi, est plus forte dans sa solitude.
Tel est rindividuaîisme religieux direct; c'est le plus essentiel,
celui qu'ont pratiqué tous les fondateurs de religion nouvelle, tous
les mystiques, tous les prophètes, et même les sorciei*s des temps
primitifs.
Contre cet individualisme apparaît le sociétarisme religieux direct,
Celui-ci lut oppose une foule d'intermédiaires humains entre DieUi
DE LA GRÂ3SËRIE. — L JNDIVIOUAUSME IlELlGÎËUX SSS
et rViomme formant le sacerdoce régulier, une foule dlnlermédiaires
divins composés des sain ts» des demi-dieu x, des anges, des mélanges
enl^e la divinité et riiunianilé dans des incarnations, la défense de
se rêTolter contre Dieu, comme les mauvais anges pour le détrôner,
même par nos vertus, en un mot, la nécessité de la hiérarchie et de
i'ol>^îssance*
A. oHé de Tindividualisme religieux direct ascendant ou descendant
apparaît, en se réunissant presque toujours au premier, Tindivi-
duolisme religieux latéral. Il ne s'agit plus de se séparer des supê-
rieors, mais de s'éloigner des égaux, de s'isoler de tous les autres
hommes, de tous ceux mômes qui suivent la même religion et de
s 'o^l^B traire de la société religieuse humaine. Cet abandon n'est pas
toujours complet et théorique; Tisolé reste souvent uni aux autres
PB.1* le lien de la foi et se dit membre de la même église, mais il prie
®t ^dore dans sa solitude.
Seulement la solitude ici n*est pas toujours complète et rindivi-
du illiste qui se sépare du gros des fjdèlesne reste pas toujours seul;
il advient souvent qu'il forme avec d'autres un petit groupe plus ou
ïï^oios étendu. Pour bien le comprendre, examinons d^abord le sys-
tème contraire du sociétarisme religieux, tel qu'il est pratiqué dans
dîx'-erses religions, mais surtout dans le catholicisme.
Non seulement le catholicisme est fortement hiérarchisé. ce qui con-
cerne le sociétarisme ascendant, mais il conduit les fidèles à Dieu par
d©s d egrés nombreux : au bas, le fidèle simplement ba plisé ; au-dessus,
le prêtre, Tévêque, et au sommet le concile et le pontife souverain;
*^ n^est pas tout; la hiérarchie se prolonge bien au delà si Ton se
^n s porte dans la sphère divine. Au-dessus du sacerdoce apparais-
sent les bienheureux, les saints, les anges, la Vierge et le Christ lui-
même oon sidéré comme homme, avant de Têtre comme Dieu. Ces
deux hiérarchies se superposent et m<^ me elles ne s'interrompent point
^^ Sommet, Dans sa double nature, le Christ jette un pont entre les
esprits et Dieu lui-même, de sorte que la hiérarchie est une chaîne
continye^ Mais s*il est ainsi constitué en haut^ sa constitution laté-
rale ïi*esl pas moins ferme et droite. Tous les fidèles sont unis, à
dUelqo^g nations dilTérenles qu'ils appartiennent ; d'ofi le catholi-
QiEme qui est rinternationalisme religieux. Le besoin de société,
d 'ifùcjn se projette jusque sur la société civile, que la société rell-
gp^use cherche à dominer. La doctrine est parfaitement unifiée,
3.tieuae dissidence n*est permise. Le culte n'admet que des diver-
gences limitées. Les fidèles ne prient pas seulement dans le silence
d^ieitr maison, ils se réunissent dans ce but, ils communient entre
eui et avec Dieu.
S56 ' REVUE PHILOSOPHIQUE
Si telle est la situation des fidèles, celle du clergé réalise yX^^
union plus parfaite encore. Une discipline étroite lui est imposée. ^
ne doit être distrait de la solidarité chrétienne, de la propagande ^^
moyen de la prédication et les sacrements à laquelle il doit selivr^^»
par aucune affection trop particulariste. De là lobligation du ceWC^^
imposée par beaucoup de religions, à un certain stade de leur dév^"*
loppement, à leur clergé. Le célibat semble être au premier abo »'^
une institution de rindividualisme,ce serait une erreur de lecroii"^-
S'il isole l'homme d'une famille possible, c'est pour le fondre d'à. «-i*"
tant plus complètement dans la masse collective. Cet individu isol^
est plus facile à dissoudre que celui renforcé par un petit groupe ^^
reliant à lui par l'esprit et par le choix et formant autant de peii 'C:^-
mox.
Il n'y a dans les situations que nous venons d'esquisser que 1^
réalisation du sociélarisme, mais celui-ci va se resserrer davantag^^
et devenir le collectivisme religieux, si l'on passe du clergé séa'«-»-
lier au clergé régulier. Le monachisme, malgré l'étymologie de scz>xi
nom, est un collectivisme plus complet que celui qui a été rêvé ^3-^
nos jours, car ce dernier ne comprend que le corps, et l'autre vr^^^
le corps l'esprit tout entier. La société est étroite, et le moine ab»-"*^"
donne son individualité entièrement pour ne plus compter q «-»*
comme membre d'une société. Non seulement il aliène toute faml H ^
dans l'avenir par son vœu de célibat, mais il perd son indépendacB <^^
par le vœu d'obéissance, son patrimoine par le vœu de pauvreté ^ ^
efface jusqu'à son nom qui le rattachait à sa famille ascendante et ^<^^'
latérale. Il vit, prie, adore en commun.
Il est plus facile maintenant de^comprendre en quoi consiste T î ^c:"'
dividualisme religieux latéral. Il s'opère une séparation ea*-*^
l'Église plus ou moins étendue d'une part, soit seule, soit ay^"*^'
absorbé le pouvoir temporel, et d'autre part des individualités pl»^^
ou moins compréhensives.
L'individualité la plus étroite c'est celle qui se compose d'i:»*^^
seule personne. Les fondateurs d'une religion, au lieu de se réi» «^^^
aux autres dans les temples et aux heures de prière, pour ad(>^^^
ensemble, entendre la prédication, recevoir la communion qui ^^'
le signe sensible de la société religieuse, préfèrent prier seuls, ^^
dehors de toute cérémonie, sans employer des formules consacr^^
pour tous, et sans être troublés dans leur recueillement, même p^^
le recueillement voisin. Nous observerons dans la secte des Quak^
de curieux exemples de cette idée, d'autant plus curieux que te
culte individuel a lieu souvent pour eux dans un temple à des heures
de prière, mais il ne s'établit pas toujours de communication de ta
I
DE LA GRASSERIE. — L INDIVIDUALISME HELlCrEUX
257
prîèi-e de l'un à la prière de Tautre, il n'y a que juxtaposition d élans
vers Bieu. î/individualisme n'en ressort que davantage dans un
t6l milieu, Lorsqu*il est complet^ il conduit à Tabolîtion du culte;
DîetE est adoré en esprit, comme le veut rÉvangile. De même, chacun
I croit ce que Dieu a dit, mais non ce qu'ont ajouté ou autorisé les
I homines. L'Église dont on tait partie n'a plus non seulement dans
ses chefs, mais dans ses membres, dans sa collection, d'autorité
- d*exégèse; chacun peut interpréter à sa guise,
P Une individualité déjà plus étendue est celle de la famille, elle
peut sisoler des autres; collective et souvent d'une manière très
étroite à rintérieur, elle est isolante et individualiste à Textérieur,
p A certains stades de l'évolution, il n'y a eu d'autre religion que la
f'eligion tamiliale. Le père en était le chef; les membres en étaient
)e^ fidèles. Il régnait entre eux la solidarité la plus étroite, la prière
^^ faisait en commun, ainsi que les sacrifices non sanglants. Une
*^^^Tnbre de la maison était consacrée au culte divin^ surtout à celui
^^^ ancêtres» de même que chess nous dans toutes les famtlles aîi^ées
i; ^€t consacré un salon au culte mondain; il en est ainsi encore en
r'^ ÏTie, où les aïeux ont un boudoir où Ton vient de temps en temps
^*^r parler, les consulter, attendre leur réponse. Cette religion
^*^*>rliale va s*effaçant devant les autres» mais cependant la famille
I ^^'■^serve des vestiges de culte propre. De nos jours, la mère initie
^^ enfants à sa religion.
^tSous avons vu que lorsque la famille est religieusement interdite,
*^**^que le vœu de chasteté est institué, Tindividualisme religieux
^*^Ocit une atteinte profonde.
r^euà peuTindividualilé religieuse opposée à la collectivité devient
^^*^s exlensive. Ce groupe ne se compose plus seulement de quel-
^•-■^s membres, mais d'une petite, quelquefois d'une grande société.
*^1 est le cas des communautés religieuses. A rintérieur, il y a un
*t*C5iélarisme excessif qui devient du véritable collectivisme, mais à
^^^^clérieur c'est exactement le contraire, la petite société compacte
^ ciétache nettement de la grande Église, non par rébellion, mais
pa.w autonomie mécanique. Dans le christianisme, par exemple, les
fcligieux de Tun et de Tautre sexe se relient au clergé séculier par
^T% chef, le pontife souverain, mais seulement par lui, et par consé-
É(^enl, d'une manière nominale; ils sont soustraits h la juridiction de
l*OTdlnaîre| c'est-à-dire des évèques qui ne les voient pas toujours
^*iriataller près d'eux avec beaucoup de satisfaction; ils forment une
p€iïle Église distincte, autonome, jetant partout des racines parfois
d'un pays à l'autre. Ce phénomène est curieux, collectivisme sur une
Ûce, individualisme sur l'autre* LHndividualisme ainsi constitué est
TOIK L, — 19O0, !7
258
RKVUE PHlLOSOPBiaUE
plus fort que celui de rindividu, il est ce que dans Tordre politique
la coïïiinuue ou la province est vis-à-vis de l'Étal»
Certaines religions sont nationales; d autres, qu'elles aient en ce
point de départ, ou qu'elles se soient grelïées sur une religion tislio*
Baie, sont devenues internationales, c*est-à-dire quelles compren-
nent indilTéreuiment des membres de toutes nationalités. QtiûJtiue
les Juifs aient eu des prosélytes, ils ne sont guère parvenm A
répandre leur religion au delà de leur race ; il en est de m^ine du
brahmanisme. Rome eut sa religion et quoiqu'elle fût toléraule
envers presque toutes les autres, et les admit dans son paalbéon.
elle garda soigneusement la sienne pour elle, sans chercherais
communiquer. Au contraire, le christianisme a envahi toutes les
nations, si bien qu on ne peut dire qu'il appartienne de i^réfe-
rence à Tune d'elles, et il en est ainsi aussi bien dans la brandie
protestante que dans la branche catholique, sauf une nuance impor-
tante. De même, le bouddhisme a visé tout d*abord à sortir de*
limites nationales, et l'islamisme la fait par un moyen nomeaa,
celui des armes. Il y a dans un cas isolement^ individualisme, et dans
Taulre sociétarisme très large et mondial.
Mais le phénomène est plus visible lorsqu'une nation se détache
de Téglise universelle d'une religion pour former une église à part,
limitée au territoire de cette nation, en prenant pour chef le chrf
civil ou tout autre ne reïevant plus du chef antérieur ; il l*est encore
plus lorsque cette scission n'est pas accompagnée dune divergence
introduite dans les dogmes; c'est le cas du schisme; le schisme esl
UD individualisme national. L'orgueil national s'indigne d^èlre dirigé
du dehors, même au for intérieur, et rejette raulorité intemalional^
même au risque d'ôtre asservie par le pouvoir civiJ à eon tour.
Souvent ce nationalisme ne va pas jusqu'à la scission complète, ma^^
il entraîne de nombreuses différenciations, par exemple entre IVglise
d'Orient et celle d'Occident, jusqu'à leur séparation; de nos joûts
raméricanisme est à la mode en Amérique, comme autrefois le g^^'
licanisme en France; ce ne sont pas des schismes, mais des i^^
dances au Bchiëme.
Un individualisme analogue, mais qui s'applique à la doctrine ^
non plus seulement à la Société de l'Église, consiste à créer dans ^^
doctrine commune des dissidences. Quand celle doctrine commiJ*'*
est libre, il n'existe que de simples variétés, mais ces variétés int'^
vidualisent déjà en créant des gît>upes différents reliés seulem^'î*
par une idée générale k laquelle tous participent; c'est ce qui a lieu
antre les sectes protestantes non excentriques; par exemple, k
luthérianisme et le calvinisme sont dès Torigine et restent parallèles*
nm LA QHASSERIE* — l'IXTIIVIOUAUSMK RËUCIEOX
1
19
Cependant chacune de ceK congrégations est indiviJualisle, et plus
encore le sont les sectes protestantes excentriques, si bien que le
protestantisme peut être considéré comme le type de l'individualisme
religieux. Mais cet individualisme se détache encore davantage quand
il ge réalise au moyen d'une rupture violente continuée par une lutte,
c^e qui a eu lieu dans les hérésies qui se sont produites au sein de
l'église catholique, particulièrement sociétariste, de siècle en siècle,
Jîenuroup d'hérésies ont eu le dogme pour prétexte et sont nées
f:ilutùt d'un besoin dindépendance de pensée contre rorthodoxie.
plus le nombre des adhérents d'une secte a été petit, plus le carac-
C^re individualiste s'est accusé, car la révolte et la volonté de s*isoier
^. été plus personnelle. Au point de vue dogmatique, Tindividualisme
^st au comble quand chacun peut interpréter comme il Tentend les
C^xtes sacrés, et sur celte exégèse fonder une croyance propre, qui
j^'est plus reliée à celle des autres que par un lien formel.
Entre religions diiïérentes, il peut exister pour chacune un indi-
-%ridiialisme étroit qui ait pour résultat d'exclure Taulre, ainsi que
^^Utes les autres, et de rendre intolérant envers elle par cette convie-
^î<ni quon est seul en possession de la vérité et du salut. Au con-
c*"sire, d'autres religions, tout en se croyant dans le vrai, ne nient
f><as qu'une religion dilTérente puisse y être aussi, chacune pouvant
l>c>ssé!der une des faces de la vérité ; un tel esprit s'accompagne de
i^eaucoup de tolérance, mais d'une foi moins vive et s'engagerait
l^cilement dans la voie du concrétisme,
Eohn des religions s'associent aisément et volontiers au pouvoir
^yii pour le dominer, il est vrai, ou pour être dominées par lui, mais
âvec3 un espoir de renverser cette situation. D'autres, au contra ire,
'^^o J^erchent pas h empiéter, mais se refusent à toutes les i ni mixtures*
^%^^ sont, dans un sens nouveau, individualistes* Ce point est en
oe/i^^^ ^^ jjg notre étude*
'^^^ lies sont les espèces diverses et nombreuses de rindividualisme
'««"^^ssiî. il se réunit d'ordinaire aux individualismes ascendant et
^^^^^^ndant, parce qu1î est le produit d'un même caractère. Celui
lui ^^r-:m c veut pas d'intermédiaires entre Dieu etluij qui se refuse éner*
&^lM ^^ment à la subordination, par le même désir d Isolement, se
refusas. ^i*gi aussi à la coordination; cependant avec moins d'énergie,
paro^^^^ que Torgueil en souffre moins et que le besoin social est très
vif, '^^'^-lême pûLir les esprits impatients du joug,
1* ^^xiste une dernière sorte d'individualisme qui ne se place plus
dô.î^^ rbommCj mais dans la divinité elle-même. Il a pour but et pour
^^fe«^ d'isoler Dieu tant de Thomme que des esprits supérieurs,
y\\0^^ine, anges, héros ou dieux^ et de créer en lui-même un isole*
REVUE PHÏLOSOpaïQUE
ment intérieur* Nous avons déjà touché les deux premiers pattii
L'individualiste supprime ces inlermédiaires divins, îes saints, i^^
anges, au même litre qull avait supprimé les intermédiair'^^
humains; mais il les supprime à un autre litre encore, c'est po^^
isoler Dieu^ Je tenir en dehors de tout contact dans son être parfa:»-^'^
mais abstrait. Pour le même motif, il répudie les ÎDcarnalions ^ ^^\
font à Dieu une existence mixte, en partie seulement divine. M^^- ^^J
ce qui importe surtout, c'est de conserver intacte Tunité de Diec^— * V
les individualistes y veillent avec un soin jaloux; ils se renfermai
dans UD impeccable mônùthéisme; aussi pour eux n*y a-t-il pas
dieu au-dessous de Dieu. Mais ils pensent que le polythéisme poor
survivre s'est servi de subterfuges» qu*il s'est placé en Dieu, mêi
après avoir été vaincu au dehors, et que les hypostases divines soj
un polythéisme déguisé et remontant. Aussi tes sectes individuab&t^
les plus importantes voulant rjndividualisme de Dieu lui-même on
ils combattu vigoureusement les dogmes trinitaires.
Tels sont les divers individu al ismes religieui. Nous allons raaii
tenant les étudier séparément d une manière concrète dans Tévol
tîon historique. Nous chercherons ensuite quels ont été les rappor
entre Tindividualisme et le sociétarisme religieux, soit pour influi
Tun sur Tautre, soit pour entrer en lutte» soit enfin, résultat pli
étrange, pour se convertir en religions nouvelles sociêtâristes
leur tour, ou en sociétés plus étroites et plus collectivistes que li
institutions religieuses normales.
Il
L'individualisme religieux le plus caraclérislique peut-être, c«
Vindividualisme ascendant^ celui qui se refuse h admettre des inim
médiaires entre Tindividu et la divinité. L'individualiste est eesfe^
tiellement antihiérarchiste, il ne diffère de l'athée que par Tadmissi *
de Dieu au sommet, car il est de nature indépendante; Il est ^
même temps mystique, et le mysticisme consiste précisément ém-^
cette suppression; ce n'est pas à Téglise que le mystique se r^
contre, ni au milieu des fidèles; il prie dans son cœur, y trouvcai
la divinité en tout temps, sous toute latitude, il y dresse son aia ^ ^^
invisible comme Dieu lui-mènrie, il écoute sa voix et croit souv^^' ^^'
Fentendre; le bruit externe, même le bruit ecclésiastique, efTar*^^*^"j
obérait cette voix* Cependant un tel individualisme a ses degr^^*
quelquefois il repousse les intermédiaires terrestres, tout en adm^^'
tant les intermédiaires célestes; mais il peut devenir lout à ojVp
bsolu, ne vouloir que Dieu, jusqu'à s'oublier lui-même, jusqu*à n^
•&l
DE LA GRASSEHJE. — LIKDIVIDUAUSME BELIGIEUK
261
plma^ désirer son propre salut, dépouillant son individualité même,
t^II «ornent que rindividualisme péril par excès d'individualisme.
Ci '^est rhisloire à la main qu'il y a lieu de rechercher tes traces de
c^t individualisme religieux. Il a eu successivement diverses niani-
. t^atioûs qui, au premier abord, semblent ne pas se relier les unes
' a. 1-1 3c: autres, et qui ont cependant entre elles un lien étroit.
X^«s premiers individualistes qui apparaissent sont les sorciers;
il^ ï-irécèdenl les prêtres, qui. au contraire, sont des coHectivisles ou
toui^t; au moins des sociétaristes religieux très hiérarchiques, mais
q%:ix iï*apparaissent que plus tard. Les sorciers sont des iiommes se
Ai^^ïit ou se croyant privilégiés, qui, sans former de corps perma-
, imoE~Kt:ni même d*association temporaire, entrent en rapports directs
^ a.v^c: la divinité ; ils sont inspirés par elle individuelle menl ; ils ne sa
reownjtent pas, comme le prêtre, par un mode régulier et n'ont point
de litre olficieL On les trouve surtout chez les nègres d'Afrique ou
I cliez les Tarbnres, là où il n'y a pas encore de prêtres; chez le
dernier de ces peuples il s agit du chamontsme. Le sorcier est le
pfètre de Tarumisme, il évoque les esprits; tantôt d ailleurs il est
l»ien faisant, et tantôt il est malfaisant. Cependant il ne se contente
P^înt de la contemplation de la divinité, mais entre ensuite en rela-
tion avec les hommes pour les dominer; il le fait surtout par Texor-
î^ïstne, qui est un exercice de la médecine divine. Le sorcier des
^^quirnaiix, Tangekok, doit d'aliord se retirer dans la solitude; c'est
la qu'il acquiert sa force au moyen de sa communication incessante
^vec les esprits et aussi de ses austérités, puis il la répand sur les
«ornmes et réunit des disciples. Nous verrons plus loin cette influence
^u Bcjljfairesur la société. Le métier de sorcier est libre, quoiqu'il
"^^ vienne souvent héréditaire, comme toute qualité. Les moines
'^'^aïbes, appelés priaches, sont aussi médecins et magiciens ; ils jeû-
îi^nt et vivent dans les solitudes, formant cependant des disciples.
L-hex les Fidjiens le sorcier entre en extase en fixant un objet, comme
^ *4ns ta provocation à Thypnotisme, D autres fonctions se sont
J^iQies II lu fonction primitive du sorcier qui consiste à être inspiré
^^ '^ divinité, ce sont la prévision de Taveniri comme chez le pro-
. *^*^t et ïa guérisondes maladies; mais ce ne sont que des résultats
directs de la communication divine, La sorcellerie survit à rînsti-
ciori du sacerdoce, au moins dans certains pays et pendant im cer-
•^* temps; c'est ainsi qu'au Pérou il y avait très distinctement des
im^L\^^^^ et des sorciers» mais alors la sorcellerie descend aux classes
' t;jndis que le sacerdoce s'élève. En outre, la bonne
! -irait, et il ne reste plus que la mauvaise, à savoir celle où
munication avec les démons. Voici les points par
S0:2 rf:vi:e philosophique
\
l(?s(|iiels l<» Horcior difrôre essentiellement du prêtre et marque «^^
curacïtôro individualiste : 1" aucune sanction officielle, mais seulem^'^\
traiisiniKsion dos secrets du maître au disciple; 2** ni temple, ^^
autel, ni idoles, ni culte en commun; 3» emploi par les cla??^^^
pO])ulain*s; i" communication avec la divinité par l'extase provoqua ^'j
Ti" nh'»d(»ein(î mystique et surtout G^ au lieu de l'obéissance à ladi^^^'^"
nitt^, contrainte asservie sur elle, qui fait que le sorcier devient su{^ ^^^
ritMir au dieu. Nous retrouverons plus loin ce trait extraordinai -^^"^
du»/, d'autres mystirpies.
lit» sacerdoce est diamétralement contraire; la hiérarchisation e- ^^=^
de son essence, c'est en commun (|uo les prêtres prient et sacrifien^B- *
en connnun, au moins, aviv les fidèles, ils n'ont de raison d'être qi — i:^ e
comme intermédiaires et sont tout à fait sociaux. Ils s'approchent de ^ a
divinité par de|;:rés, et sans jamais l'apercevoir en face, s'ils neso-^ ""t
pas devenus pontifes souverains; cette vision directe serait umet"»*
sort" de ivbellion. Dieu ne doit leur apparaître qu'à travers leu -^ ^
supérieurs. Ils se créent au-dessous de nombreux intermédiair ^~^s
divins t»t nuelquefois se consacrent exclusivement à l'un d'eux. Use "«^ t
une fiû commune, un cuite commun, ils prient suivant les fonnuL ^S'S
ctuisaiMves et n'oseraient en employer d'autres. Enfin ï)Our eux, L ^^s
sorciers sont do simples prêcui*5ieui-s ou des révoltés qu'ils ne p& ^J*
vent déscivouer entièrement, mais dont i!s redoutent la'concurrem.^^:^^
et les idées. Cependant ils en s<.>nt historiquement issus, car les pr"^*
mieiN prétivs sont des sorciei-s qui ont acquis une profession hét"^*
ditaiiv, qui ont formé de nombn»ux disciples et se sont réunis ent-**^
eux en collèjîes. Il y a eu mission, puis parallélisme, puis anta^o*
nisme. Le prC'tiv tlnit {Kxr maudiiv le sorcier, par lui imprimer a:^*^
n'^putatiou démoniaque. LUuis le christianisme, ce dualisme devi^***
de plus en plus mai\|ué. findividualisme se trouve ainsi maudit ^^
déclan* coupable par les s<.K*iétanstes reliirieux triomphants.
Cependant les soa'iers survivent en petit nombre; c'est le de^^-^
de village, celui qui ne tVéquente pas les églises ou les réunio^*^
mondaines, mais s'isole de Irnis les autres, menant une vie austè*""^'
ce qui ne renipOche pas d'être si«mvenl regardé comme un crimia.-^^ '
Conirtie le sorcier antique, il pratique la môd»feine empirique, conik'^*'^^
la \e?ui des simples, pronouce des paroles qu'il croit magiques et *=^ ^ _
quelque peu visionnauv. Ou ne le trouve qu'au tond des campagt^ ^^_
00 ileverce m»u siM;^u!ïer sacenioce. C'est lui qui, à certaines époqu*^"^^*
a de le ifi'neof J»'s ^iccLes in\stii;::«s.
Ci'[»eM.i.«:iL 1.' ^acerd.'ce sorianL »!■• la sorcellerie en a parfois cO ^
;!ior\e ceri iirt>i cit «it-Mvs. îe pp'îp* îi-'st pas toujours le simt-^
ser\iteur do mm! Pi. -m ti eu c^i î\û jV.'vVns le maître en employ^^
DE LA GRASSERIE, — L IXOirmUÂLrSMÊ HELIGÏECX
Î63
des paroles magiques. Dans le christianisme même il contraint ce
Dieu à apparaître sur raulel. D'autre part, au lieu de se réunir en
corps^ chaque prêtre reste parfois isolé des autres, ne se reliant
qu'aux fidèles; c'est ce qui avait lieu en Grèce.
L'individualisme religieux se réalise plus tard par le propbélisme*
C'est en Judée qu'on peut bien étudier ce phénomène. Ce n'est pas
avant le clergé, mais après lui et en raison de ses nombreux abus,
que le prophétîsme apparaît, nouvelle sorcellerie, mais diiïéreote de
la première sur beaucoup de points. Il faut se tenir en garde contre
rétymologie de ce mol. Sans doute le prophète prévoit souvent
lavenir et le prédit, mais ce n'est pas là sa fonclion primitive* Il
cherche surtout h se mettre en rapport avec la divinité qui lui dit ce
qu'il faut faire et il se charge de le redire aux autres hommes, sans
employer rinlermédiaire ordinaire et obligatoire du prêtre. Le point
de départ est un fait individuel, Textase provoquée par le jeûne et
les austérités qui affinent et élèvent Tesprit, Le prophète, après avoir
reçu les ordres de Dieu, les divulguait, il devenait prédicateur! On
ne le rencontre guère chez certaines races, mais il est nombreux
chej& les sémites, et it en surgit souvent de nos jours chez les Arabes,
préchant la guerre sainte. Il joue un rôle à la fois démocratique et
anli'Sacerdotal; c'est rauti-clérîcal de l'époque, avec cette différence
qu'il est en même temps très religieux, (e C'est par le prophétîsme, a
dit un grand écrivain, qu'Israël occupe une place à part dans This-
lire du monde. La création de la religion pure est l'œuvre non pas
pré 1res, mais des livres inspirés. » Le prophétisme fut, en effet,
che^ les Hébreux, un retour à l'état de pureté primitive de la reli-
gion ; au dieu sévère et national Jahveh succéda l'ancien Dieu plus
humaiu, plus cosmopolite, celui du connaencemenl Elohim. Au temps
d'Achab il y avait quatre cents prophètes; ils se formaient en corpo-
râlions, mais on les trouvait isolés aussi; il y avait des moines appelés
fiJs lie prophètes. Ils pouvaient faire des miracles pour le bien et
aussi pour le mal, appelaient la sécheresse et la famine, portant
malheur par leur présence, tout en ressuscitant les morts. Leurs
tendances sont nettement démocratiques, ils sont insolents envers
les rois, les croyants et les prêtres. Parmi les plus actifs on peut
citer Éfie, Elisée, Amos, Osée. Tout le monde peut devenir pro-
phète, tandis que le sacerdoce est fermé. Le Christ, abstraction faite
de !a question de sa divinité, est un prophète aussi; il en présente
tous les caractères, il censure les vices des grands, se met en lutte
ouverte contre le sacerdoce, répudie les sacrifices, prêche une reli-
gion cosmopolite et non plus exclusivement juive; il est mis k mort
à rinstigation du sacerdoce; ses disciples le prennent pour Élie rés-
olu i
Rês
264 REVUE PHILOSOPHIQUE
suscité, il emploie l'inspiration directe, la vision divine, le miraciô
et la prédication, et adore Dieu en esprit et en vérité. Il en est ^^
même de Mahomet qui se déclare lui-même le continuateur de Jé^**^
et de.s prophètes, il a recours surtout à Textase. De même, BoudcJ ^^
est un véritable prophète et non pas seulement un ascète, il re^*-^
isolé, il prêche, il a des disciples, mais il ne veut pas fonder 'de nrmo-
nastères, ni de sacerdoce. Ailleurs, le prophétisme existe aussi, m^is
sporadiquement: c'est chez les Sémites et les Aryens de l'Inde qu* on
en trouve le massif principal ; de là le progrès religieux se répa^xici
dans le monde entier. Ailleurs, ce progrès est figé par Tétablis^^^—
ment du sacerdoce. Le lien qui réunit la divinité et l'homme ^e
trouve arrêté par des nœuds intermédiaires nombreux où le coursicmt
spirituel rencontre à chaque instant un nouvel obstacle, la letLare
étouffe l'esprit, les cérémonies du culte coupent tout élan; la.
divinité prend toutes les déformations de ceux à travers lesqa^ Is
son rayon doit passer. Des pratiques mécaniques, minutieuseni^i.:it
réglées, empêchent l'inspiration, l'amour, l'élévation au-dessus de
soi-même. Cet appel direct à Dieu est suspect, c'es^t une rébellioi^
contre la société religieuse, un acte d'orgueil. Le prêtre remplsicre
Dieu au lieu de le représenter.
Ce qui est très curieux, et c'est un point sur lequel nous revien-
drons, c'est que le prophétisme aboutit très souvent à la fonda-
tion d'une religion nouvelle, au sacerdoce, à un sacerdoce nouvea.u.
Il est singulier même que le prophète ait prévu et craint parfois
cette conversion sans pouvoir l'empêcher. Comment le Christ pou-
vait-il penser dans sa lutte contre les prêtres juifs, que sa religî*^^
fonderait à son tour un sacerdoce beaucoup plus puissant et plus
intolérant, et que ceux qui joueraient alors le rù!e de prophètes nou-
veaux seraient en butte aux persécutions? Il existe ainsi une véri-
table aUertuuice entre le prophétisme individualiste et le sacerdoce
socirtuè^iite; le premier est appelé en réalité plutôt à renouveler
Taulre tiu'à le détruire, mais tant que dure la lutte, l'inimitié entre
eux est ardente.
De temps en temps, même dans les religions supérieures, on v"oil
se renouveler sporadiquement le propliêtisnie dans ce qu'il a d'e^-
iiontu'L c'est-à-dire la vision directe de Dieu suivie de la communi"
cation do cotte vision aux hommes, et même dans la fonction nO«
essontiollo de prédiction de l'avenir, enfin et surtout dans l'oppo*
silioii oonsianto au pouvoir temporel et au sacerdoce. C'est toujours
le my^tk•lsmo suivi de prosôlyiisnio. On peut citer au moyen àgd
l'exonjplo on Italie do Savonarole, et oo!ui beaucoup plus remaf-
quabio ou France do Jeanne d'Arc. Lo premier se contente de com-
DE LA GRASSERIE. — L'l?îmvmOAIJSME BELÎGIEl'K
965
3jallre le clergé, même la papauté, mais il ne jouit pas derinspirafion
^:ljrecte. L'héroïne française enlre en communicalion personnelle
ivec le ciel par rintermédiaire de saintes de son choix (sainte Gathe-
"îne et sainte Marguerite), dont elle entend les voix, dont elle suit les
.^Drdres qu elle exécute ensuite et qa*elle fait exécuter à ses compa-
-^rtotes vaincus; le sacerdoce dont elle supprime rintermédiaire* loin
^e l'approuver^ la condamne, même à mort, même après ses victoires,
ît le chef du pouvoir, le roi, rabandoone. Elle n*est cependant pas
me révoltée, ne rejette pas l'Église et admet son autorité, mais en
pUtvanl son inspiration personnelle, ce qui est trop. Son individua-
^ isrne fait ombrage. Il serait curieux de suivre pas à pas son histoire»
,^^1 de relever tontes les traces de cet antagonisme qui aboutit ù un
^::»ouveau calvaire très analogue à celui du Christ oii jusqu'aux ins-
^_^ J'iptions ironiques et mensongères écrites par la haine se ressem-
^;::»JeDt. Ce qui rend ce cas d'autant plus remarquable, c'est préci-
^4$ment Tabsence de toute rébellion de la part de Jeanne d'Arc, qui
w^ 'a mèrae pas eu, comme le Christ, des paroles sévères contre le
oler^é.
J>e nus jours des visionnaires ont apparu qui ont reproduit l'esprit
ft JsL mission du prophétisme^ et qui ont voulu en montrer le signe
î^»ro.ctéristique, les miracles; ils y ont joint un but pratique de pro-
"lytiisme, ce qui les distingue des simples mystiques. Ils ont surgi
luf'tcïut en France dans la seconde moitié du siècle et ont fondé non
pes^ religions nouvelles, mais de célèbres pèlerinages. C'est surtout
iiracle qui a été la dominante; mais le miracle avait un but et
pi^o^que toujours la Vierge, en apparaissant, chargeait rinspiréede
q^^lciae mission spéciale. Seulement celle inspirée nVntrait pas
J^^ 1 utte avec le clergé, celui-ci était d'abord hostile, car la commu-
l^ci^^tion directe avec Dieu sans son intermédiaire est contraire à son
>^0|:trç principe et à son intéréî, mais après réussite du pèlerinage
*^ *^* V ralliait, le recommandait et une prompte fusion s' opérait entre
^4^ ï'i ^û-propliétisme et le sacerdoce ordinaire.
Tc*l est le prophélisme dans ses grandes lignes. Il ressemble fort à
\^ Sorcellerie : vision directe de la divinité, choix d'une di%înité per-
t?^^nnelle et spéciale, miracles, mission, but thérapeutique physique
oM înoral, prosélytisme, indépendance du sacerdoce, suppression de
tous intermédiaires religieux.
m
L'individualisme religieux direct ne consiste pas seulement dans
la suppression des intermédiaires qui s élèvent de l'homme à la divi-
DE LA GRASSEHIE. ^ L mDiVintîAtîSKE BRUClEtîX
!«7
totérieurj incognoscible, et un Dieu extérieur qui pût communiquer
avec nous, ou tout au njoins, une face inlérieure et une face exté-
rieure de Dieu, Le premier serait Immobile, inopérant, le second
a^î ra.it. La philosophie grecque et certaines religions dédoublèrent
aïnei la personne divine* A coté du Dieu proprement dit, U y eut le
demi orge, celui qui pouvait agir et créer, le Xé^ù^, celui qui pouvait
parler, celui qui extériorisa Dieu. Est-ce de cette philosophie que le
Vertoe a passé dans le christianisme? On le prétend généralejnent,
en tout cas le Fils y joue bien le même rôle à côté du Père- A
ces deux hypostases divines s'en joignit bientôt une troisième et la
Trinité fut ainsi lormée^ La doctrine est bien exacte en affirmant
qu'il n'y a point là trois dieux, mais seulement trois aspects. Gepen-
«iant chaque aspect devient bientôt une substance, pense et agit
séparément-
Les individualistes, après avoir admis un moment cette sorte de
dèrneiTibrement d'un Dieu unique ayant pour but de le rapprocher
de l^homme, sentirent bientôt qu'il s'était créé ainsi entre Dieu pro-
pre rrjent dit et chatiue iiomme un intermédiaire, au personnel moins
■ nombreux, il est vrai, que celui du polythéisme, mais très puissant,
^t^s indispensable, ce qui était contraire à leur instinct; ils voulurent
^tnener à runilë divine complète et combattirent le dogme de la
Trinité; il le (irent encore dans un autre but que nous expliquerons
■ tout ^ rheure. De là dans le sein du christianisme des hérésies fré-
*îtieriies. On n'osa pas toujours nier entièrement l'existence de p!u-
ajetirs hypostases divines, mais on combattit au moins leur égalité
■ respective, et quant au Fils, on chercha à le réduire à des dimensions
■hunaaities.
H ^'^rianisme qui a occupé une si grande place dans l'histoire du
Hcti^i^tianisme tendait à inférioriser la seconde personne de la Trinité*
^ pès auparavant, les Nazaréens, les Ébionites avaient battu en brèche
ce ^ogme. Le Fils, suivant cette doctrine, était engendré parle Père,
et ^on consubstantiel au Père; le Christ avait été simplement créé,
piJ^B était devenu Dieu par participation, T intermédiaire descendant
iJeVenait ainsi un intermédiaire ascendant. Cette doctrine anti-trini-
x^it-Q lutta pendant des siècles. A l'autre extrémité de l'évolution
IL tlU christiaoisme, chez les protestants, ranli-lrinitarisme éclata de
^1 fiouveau, non de la part des protestants eux-mêmes qui admirent
V le dogme de la Trinité, mais de celle de plusieurs sectes qui ont
H pris un grand développement ; celte doctrine fut soulevée dès la pre*
■ ifiière heure par le célèbre Michel Servet, le rival de Calvin, puis par
les Sociniens, qui, par voie de conséquence, nient le rédempteur.
plus tard et de nos jours les Unitaristes en Angleterre et en Amé-
S68 REVUE PHILOSOPHIQUE
rique rejettent le Saint-Esprit et infériorisent le Fils, allant mé*^^
jusqu'à renier sa divinité. Leur secte remonte à l'époque de Milton,
de Locke et Newton, qu'elle eut comme adhérents. C'est par Tutimla-
risme que le protestantisme se rapproche du théisme et finit par" se
confondre avec lui. Ainsi le monothéisme chrétien se trouve ram^riè
- au même absolu que le monothéisme juif ou musulman.
Le sociétarisme religieux a une tendance aussi forte à jeter un
pont entre la divinité et l'homme en y plaçant partout des intemn^î-
diaires divins que l'individualisme à le supprimer. Non content de
créer des dieux de forces différentes allant en s'atténuant jusi^u'â
l'homme et de démembrer chaque dieu, il voulut fondre Thumanité
et la divinité de temps à autre en un être unique, servant de lien et
au besoin d'intercesseur beaucoup plus que les intermédiaires orxi î-
naires; de là les avatars et les incarnations.
Chez les Indous le Dieu suprême comprend trois personnes :
Brahma, qui est le dieu abstrait, d'abord neutre ; Vishnou, qui l'exté-
riorise et sert de démiurge; enfin Siva; mais la seconde personne^cie
cette Trinité agit incessamment, elle se détache et va s'incarner
dans le corps d'un homme ou d'un animal; ainsi se réalise une
union intense, matérielle entre Dieu et Thomme, union non point
ascendante et mentale comme dans l'extase et l'obtention du nirvana»
mais descendante et corporelle; l'homme ne devient plus Dieu,raaJ^
Dieu devient l'homme, le résultat n'en est que plus énergique. L^^
incarnations n'étaient pas étrangères à la religion grecque, quoi'
qu'elles y jouassent un rôle moins grand : c'étaient les métainor'
phoscs. Mais c'est un des dogmes essentiels du christianisme. L^
mystère de l'Incarnation suit celui de la Trinité; on peut même dire
que pratiquement ce dernier ne fait que le préparer. La seconde per-
sonne divine est devenue homme, et si elle l'a fait, c'est pour pré-
parer la rédemption, c'est-à-dire pour servir d'intercesseur, d'inter-
médiaire au profit de l'homme ; on ne s'adressera plus à Dieu que
par le Christ, et c'est précisément parce qu'il est à la fois Dieu et
homme. Par cette incarnation la divinité est rendue plus sensible,
un certain intérêt d'orgueil est satisfait et l'anthropomorphisme
triomphe, anthropomorphisme bien plus complet que celui qu*on
désigne ordinairement de ce nom, puisque ce dernier ne consiste
que dans une ressemblance avec l'homme, tandis qu'ici la ressem-
blance va jusqu'à l'identité.
C'est précisément cet intermédiaire, plus puissant, plus complet,
que l'individualiste religieux répudie énergiquemenl; il veut Dieu
pur, Dieu seul, sans aucun mélange humain, et l'Incarnation ne le
choque pas moins que la Trinité. Du reste, ces deux dogmes se
DE LA GRASSERIE. — u'iNDlVlDlAUSIirE ItEUGIHUX
269
muent étroitement; on peut mi^me af/irmer que si les Ânti-trini-
wes ont été si nombreux et si tenaces, ce n'était point pour Vidée
peu abstraite de rabattre Tune des hypostases divines, mais
KHsle but plus pratique de supprimer l'incarnation de la divinité;
■j^i là Tobjectif évident des Unitanens, si chez les Ariens il était
sr^ore caché. Aussi par la négation de Tincarnation parvient-on vite
^négation de la révélation elle-même, qui se soutient cependant
^c ridée restreinte que le Christ était un prophète. Aussi, pour ne
BOUS répéter, nous renvoyons à Pexposé ci-dessus de révolution
i*^i m gieuseanti-trinilaire. Cependant il faut signaler les sectes oiij pour
•^<:=^*":»apper à la difficulté, on a visé rejcistence réelle du Christ; telle
^^^^ ^l la prétention des Manichéens, des Gnosliques, des Docètes, qai
F*^ï*^^ tendaient que sa vie n'avait été qu'une apparence, qu'il n'avait
F^i-ai soutTrir réellement. Telle était aussi la doctrine des Cathares;
®*^ * "%'ant eux, Jésus était émané de Dieu, mais lui était inférieur et
^"•^^^^ it dépourvu d'humanité réelle, ainsi que Marie, sa mère; sessouf-
rm^^^-^çes élaieni fictives; rincarnation se trouvait visée ainsi plus
^ * •^^ctement. De même, suivant les BauUciens, Jésus était descendu
*^ *-*- «iel avec un corps incorruptible qui n'avait fait que traverser
*^ ^sein de Marie; sa mort n'avait été qu'apparente,
Jl— ^ sociélarisme religieux avait jeté d'une autre manière encore
'^^^ pûnt entre ta divinité et Thomme par Tanthropomorphisrae
^^^^^ prement dit, ou plus exactement par la représentation de Dieu
®*-**^ s une forme visible; la statue ne fut d abord qu'une image, un
*^^^**^rait de Dieu, mais, pour pouvoir faire Tobjet d'un portrait^ il fal-
_^i 't^ déjà qu'il ressemblât à l'homme ou à quelque autre être visible-
^^^ Mie fut pas tout : la statue devint idole, on Tadora bientôt elle-
^^^*T)e; de là ridoîâtrie qui a dominé la plupart des religions, et
^^^ tend à se reproduire. Le christianisme» si monothéiste et si
^^^ trait qu'il fût, n'a pas su toujours résister à cet instinct naturel.
^^^^^*^ s doute, l'image ny est pas prise pour la divinité elle-même,
! le fait que Dieu s'est incamé en devenant un homme a favorisé
^présentation de Dieu sous une forme humaine, et quelquefois
_^ ^^ *^e sous l'empire de la superstition , certaines statues de saints
jV^ ^e la Vierge sont devenues lobjet d'un culte pour elles-mêmes,
* *^^dividuaîisme, lorsquVil s'est réalisé, notamment dans le pro-
t^nlisme, a combattu cet anthropomorphisme, môme en admet-
te dogme de Hncar nation , et dans ce but elle a proscrit la pein-
et la statuaire religieuses» Les Cathares refusaient tout culte à
ùix et aux images. Les Manichéens, les Iconoclastes agissaient
1
*^éme. C'est une des difTérences qui frappent le plus tout d'abord
^^t ï-e le catholicisme et le protestantisme que la profusion d'images,
270 BBVtlE PBlLOSOPHJtlUE
de peinture, d'architecture et de sculpture dans Tune et le
absence dans Fautre, ce qui donne au second une certaine séche^
resse et 1 empêche de répondre auasï bien aux besoins eslhéliqués
de l'homme-
D'ailleurs le dogme de îlncamaLion^ de même, que les avatars
dans la religion hindoue, ont puissamment contribué à la popularité
de ces cultes, et réalisé le besoin de société qui est en ThotTime de
la manière la plus complète qui soit possible, puisque^ suivaDt
Texpression évangélique, Dieu est ainsi venu habiter parmi nous.
IV
Tel est rindividualisme religieux divin, soit ascendant, soit de^
cendant; il consiste es^senliellemenl dans la suppression des inter-
médiaires, soit humains, soit divins, qui séparent Dieu de rhomme
et prétendent interposer entre les deux une société hiérarchisée*
A côté existe l'individualisme religieux latéral, lequel consiste à
isoler rindividu des autres hommes qui Tentourent et qui cherchent
k adorer la divinité en commun avec luij cette réunion religieuse
constitue une Église. Tous s*y solidarisent, des cérémonies pério-
diques sont instituées, des lieux de réunion, des temples sont édiOés.
Les chants réunissent les lidèles par un lien esthétique; la prédica-
tion leur donne des pensées communicantes; la communion a Heu
non seulement avec Dieu, mais aussi avec les autres communiants.
Lorsque le prêtre a commencé une prière, tous les fidèles continuent
ou répondent. La religion forme un lien extérieur horiwntal^ aussi
bien qu'un lien extérieur veHieaL
C'est précisément ce lien considéré comme un joug, au moins
inutile, que rejettent les individualistes. Ils veulent slsolerde tous
les autres, et adorer Dieu en cette situation. Il entre dans cette
détermination beaucoup de misanthropie; on se sépare des autres
surtout lorsqu'on a soulîert de leur part; mais la disposition du
caractère sulTit. Dans cet individuaUsme^ ^ 1^ dilTérence de ce qui
a lieu dans rindividualisme direct, il n'y a plus de rébellion, par
conséquent d'hérésie ou de schisme; on peut rester soumis àTorga-
nisation ordinaire, seulement on s'isole.
L'individualisme latéral est donc une réaction contre la socîétâ-
risme latéral religieux ; nous avons vu plus haut qu'il est à diffé-
rents degrés et que rindividualiste qui se sépare de Tensemble des
fidèles ne reste pas toujours seul et qu'il peut y avoir individualisme
de tout un groupe vis-à-vis de tous les autres. D où individualisme
religieux de la part ; l"" d'un individu, ^^ d'une famille, 3'^ d*une
DE LA GRASSERIE. — t'iNOIVIDUAUSÎiE HELIGIELX
H
famille fictive ou conimunauté religieuse. 4° d'une nation, O** d'une
école ou secte, ï> d'une religion vis-à-vis des autres, 7" d'une église
entière vis-à-vis du pouvoir civiK L'espace manque ici pour les
envisager toutes; nous ne retiendrons que les principales.
Le cas le plus remarquable c'est l'individualisme absolu, c*est-â-
dire celui de Vindividu lui-mênie; il se réalise dans Vérthnitume^
c'est-à-dire dans l'isolement complet avec le but d'adorer la divinité.
UérèmiLisme u est pas particulier a la religion chrétiennet on le
rencontre dans beaucoup il 'autres. Il est d'usage commun dans le
brahmanisme. Lorsque le brahmane ou Je cshatrya a rempli son
devoir ordinaire, qui est d'avoir un lils et d*élever sa famille, et dès
^ue ce lils est marié, il donne une partie de ses biens à ses enfants
^t lautre aux pauvres, puis Q se relire au fond des bois ou sur le
^iïimet d*une montage pour se livrer à la méditation et aux austé-
*V/t^et parvenir au paradis suprême, le Moksha; il jeûne, observe
'*^ «chasteté et médite sur la divinité. Il peut devenir 1 égal des dieux,
'^«^ muB leur supérieurj peut créer des mondes nouveaux. Dans l'In-
''^«^fcisme les ermites se retrouvent, il portent les noms de Mounis,
^^ Voghis et de Sannyasis, ce qui forme trois degrés d ascétisme :
^^ ^^iouûi fait vœu de pauvreté et de mendicité, il est sans cesse en
ï^ti^fc.-^ aux attaques du démon, il a des disciples. Sakya Mouni était
lui même un ermite» mais bientôt Térémitisme se Iransjfotma dans sa
tel M 45ion en monachisme. En Chine, dans la religion taoïste, on trouve
**^ nombreux ermites, i'érémitisme y dégénère en monachisme ;
^**^*-isde même que Bouddha, Lao^Tsé défendit, autant qu'il le put,
^61_^^ transformation. Le christianisme a donné à l'érémitisme un
^y^^ ^^ développement jusqu'à ce qu'il ait disparu dans le moïia-
^ * ^^me, qui est, au contraire, un collectivisme extrême. Après la ces-
^^ ^ S ^Q tigg persécutions des empereurs romains la pureté des mœurs
j^>^^^^^ ^éra et ceux des chrétiens qui voulaient la conserver se sépa-
j *^^^ni de la masse des fidèles» et pratiquèrent l'ascétisme, dépassant
^ ^^ _ ^^ertus imposées et visant à la perfection. L ascétisme seul con-
■^-^âait à un certain isolement, même dans le monde, puisqu'il
lortait le célibat. Le premier anachorète fut saint Antoine en
(j^^^^^F^pte, il se retira dans le désert et fut en butte à des tentations
3^^^_ ^^eurées célèbres; il eut de n:imbreuK imitateurs. Les ascètes de
Q^^ *^5-e n'avaient pas même de huttes, ils allaient paître l'herbe et
p» '^^Kient nu-tête sous le soleil. Parmi eux, les stylites passaient
^^ ^^ ^^ieurs années sur le haut d'une colonne. Saint Siméon demeura
^^^^^^i sept années. Saint Martin de Tours était aussi un ermite,
^ 1 ressuscitait les morts. Mais cet individualisme absolu, diffi-
â conserver pratiquement, disparut. Des personnes consacrées
^It REVUE PHILOSOPHIQUE
à la contemplation pouvaient difficilement: se procuper les moyerm^
matériels de subsistance. Il fallait même, pour se faire ensevelir-,
que DteUj par «ne sorte de miracle, suscitât rinlervenlion d'imii
autre ermite. Cependant c'était le seul moyen de s'assurer un ind i-
vidualisme latéral absolu. La vie des Pères dans le désert reste cm
des phénomènes psychologiques et sociologiques les plus curieui â'
étudier.
On croirait au premier abord que le célibat ecclésiastique esliïU
moyen d'isolement, une manifestation d'individualisme^ puisque la
famille est une des premières sociétés. Cela nest vrai, en réalité -
que si le célibat est suivi de la solitude dans le désert ou si tout au
moins il ne se relie point à TaOîlialion au sacerdoce d^una Églis© ;
mais dans ce dernier cas, c'est un moyen de sociétarisme et mêtn^
de collectivisme religieux. En effet, TÉglise conserve une maiwi
beaucoup plus puissante sur un individu isolé que sur celui qui
s'est constitué une famille; ce dernier lui échappe souvent par ut n
petit intérêt collectif distiocl, Tautre, au contrairet se fondenli^-
rement dans la grande collectivité. Aussi une église est-elle plus
forte dans sa centralisation avec un clergé non marié; c'est ce qui ^
permis la concentration du catholicisme; au contraire, toute religion
qui voudra affaiblir son clergé, et par conséquent laisser plus d'ao-
tonomie aux tidèles, permettra le mariage des prêtres, C*est ce
qu'a fait le protestantisme, qui est une religion individualiste; c'g&ï
C6 qu*ont fait la plupart des autres sectes nées d*un mouvemeol
autonomiste. Les Vieux Catholiques ont la même doctrine. La faimllô
constitue un petit agrégat individualiste vis-â-vis de T Église,
Un individualisme plus étendu, mais d'un genre particulier^
parce qu'il se complique de coUectivisme, est celui qui résulte dn
cénùbhîi^ms. 11 s'est développé lentement de VéréniUisme que oou&
avons décrit et qui ne pouvait avoir qu'une existence instable, U a
un double caractère^ suivant qu'on le considère du dedans m àu
dehors. Du dedans c'est une institution située aux antipodes ie
Térémitisme, puisque, bien que les membres soient isolés les uns
des autres, ils forment une unité compacte dans laquelle chaque
individu disparaît en renonçant à toute famille par le vœu de chas-
teté, b. toute propriété par celui de pauvreté, et à toute indép^fl*
dance par celui d'obéissance, et on peut s'étonner de ce que l'uû
ait précisément conduit à Tautre; c'est un phénomène que nous exa-
minerons plus loin. MaiSj envisagé à Fextérieur, le cénobitisme ou
raonachisme forme une unité autonomique très forte vis-à-vis dô
l'ensemble de rÉglise» elle en est à bien des égards presque indé-
pendante. C*est que, malgré la contradiction apparente, le
le moua- À
DE LA GRASSERIE. — L JNT>1VIDCA|,ISME ItElICIElUL
373
ch&t^nie n'est que rérémitisrae continu, solidifié, en passant par le
cémxobîlisme. Les ermites ayant besoin de secours maténel se cons-
tr"i_a m raient des huttes rapprochées les unes des autres, qui formaient
^ i ^ r^tôt des villages ; chacun y vivait à sa manière et indépendant ; puis
il ^ ^e rapprochent encore davantage et ont des demeures cojnmunes
^*^>U:s raulurité d*un supérieur* Pacôme fonda délinitivement le céno-
i^i^i^me en 'MO; trois religieux habitaient une cellule, ils man-
S^^^^-ient ensemble, mais en siîence, couverts d'un voile qui les
^''*^f:»éehait de se voir. Le silence obligatoire est un signe de J'éré-
"^i^isme primitif. Vis-à-vis du clergé, jusqu'au v« siècle, il y eut
iMti^p^Q^^^^.g absolue; d'ailleurs les moines étaient des laïques et
fc'*^■^*-^^aïent même pas d'églises à eux. Bientôt ils s*en construi-
***^i!t, et furent placés sous rautorité des évêques, mais sous
'^'^^ «^apport on revint ensuite à Tétat ancien; ils furent exempts de
^^^•^ te juridiction. Les couvents se relièrent entre eux et formèrent
^^^ ûï-dres religieux qui constituaient souvent une église dans
^ ^^.^5" lise* Le cïergé régulier rivalisa avec le clergé séculier, c'était le
eî^^*^^ individualiste dans Tensemble de chacun de ses ordres vis-à-
vi^ «ju cleiTgé sociêtariste.
^^l^ 'individualisme latéral devient plus large lorsqu'il s'agit d*opposer
'^ 1* universalité de TÉglise Faulonomie d'une nation, d'une secle. Le
PK^^mier de ces individualismes se réalise par un schisme ou une
dis^lilence qui touche au schisme. 11 résulte de Tinstinct répulsif
<^'iari pays contre le fait d'être gouverné même spirituellement par
des étrangers. En France, sous Louis XIV, le gallicanisme fut sur le
point de réussir. L'anglicanisme avait le même caractère lorsqu'il
irionapha sous Henri VHL et partout une des causes de triomphe du
protestantisme fut la nationalisation de TÉglise. Ce fut aussi ce qui
3^ pîura définitivement rÊglise d'Orient de celle d'Occident. Le natu-
ralii»me religieux est un des autonomismes les plus énergiques, il
détorraine, ce qui sans cela répugnerai t^ à se jeter dans les bras du
pou v-oir civil.
Ce qui distingue très remarquablement les ^lises protestantes
de régïise catholique, c*est que, tandis que la deuxième forme un tout
mtli visible dont toutes les parties se relient entre elles étroitement
par une hiérarchisation autant que par une solidarisation, les églises
proie^stantes de même confession sont sans lien entre elles dans
certaines sectes; n y a encore là une réaiisalion de Tindividualisme,
sans dotjte, i7 ejj ^^t autrement dans Tanglicanisme, mais celui-ci
p^^emtm singn/j^.^^ ^ji^^i jm catholicisme en tout ce qui n'est pas
Icdoiîiiîe* A p/fj^ fij£^te raison n'y a-t-il pas de lien, même de doc-
*^' "'%fflfr'^^ Je luthéranisme et le calvinisniCj encore moins
274 REVUE PHILOSOPHIQUE
entre les sectes dissidentes. Celles-ci cependant, si elles se sont per-
sécutées, se supportent aujourd'hui réciproquement , tandis que le
catholicisme ne peut souffrir aucune hérésie et abolit ainsi les auto-
nomies individuelles .
Tel est l'individualisme religieux /attf'raL Avant de terminer, signa-
lons un stade religieux très ancien, intéressant sous ce rapport
comme sous beaucoup d'autres. Il s'agit du fétichisme. L'individua-
lisme consiste ordinairement à se mettre en rapport direct avec
Dieu, en dehors de tous autres et sans l'emploi d'aucun intermé-
diaire, mais le Dieu invoqué est commun à beaucoup d'hommes,
souvent à des millions de coreligionnaires. Il existe cependant un
individualisme plus intense; c'est lorsque notre Dieu n appartient
qu'à nous, que nous le dominons, que nous lui commandons, que
nous en changeons à notre guise. Singulier Dieu, cela est vrai, mais
Dieu pourtant! Sujet individuel, objet individuel. Cela ne doit d'ail-
leurs pas trop nous surprendre, car le fétiche est contemporain du
sorcier, son prêtre, le premier des adorateurs individualistes.
Il nous reste à étudier les rapports entre l'individualisme et le
sociétarisme religieux, rapports incessants qui ont pour résultat,
non sans de terribles chocs, de renouveler Tun par l'autre, surtout
le sociétarisme, et même de l'exalter en le convertissant en collec-
tivisme religieux.
Les rapports de ces deux éléments contraires que nous observe-
rons sont ceux d'influence, de lutte et de conversion réciproques.
Quant à l'influence et à la conversion, elles s'exercent de l'indivi-
dualisme au sociétarisme et ne semblent pas réversibles.
L'influencede l'individualisme religieux sur les églises et plusgéné
ralement sur les autres hommes n'existe pas toujours. A cet égard,
il faut distinguer entre deux sortes d'individualistes. Les uns se
renferment en eux-mêmes, se confinent dans leur mysticisme qui
reste perpétuel ; ils ne cherchent que leur salut, ou s'ils prient pour
celui des autres, c'est en silence et sans rien leur communiquer; ce
sont des contemplatifs, jamais actifs. Les autres, au contraire, ne
veulent pas rester toujours enfermés dans leur théorie, quelquefois
même ce sont des hommes d'action beaucoup plus que de médita-
tion, mais ils savent que la méditation retrempe singulièrement,
qu'elle crée une grande force, et qu'il faut avoir été solitaire pour
dominer la foule, car autrement on devient a son image et l'on ne
peut plus rien contre elle ni sur elle. Aussi non seulement les pen-
OE LA GHÂSSERIE. — L'jXftlvmUAUSME RELTCIEU^ 275
iiirs, mais les homnies sociaux, ont été souvent solitaires d'abord,
toujours Lat^iLuruGs. Mats cet isolemeût n'était pour eux qu'une
transition* Aussi, dans toutes les religîonSî les missionnaires,
chargés de la propagande religieuse et qui exposent leur vie, sont-
ils sortis des ordres religieux, 11 en était ainsi déjà des missionnaires
bouddhistes qui ont converti laChinef llndo -Chine , le Thibet, le Japon.
De même, ce furent les Jésuites qui lenlèrentj au profit du christia-
nisme cette fois, la conversion de la Chine. La religion en vigueur
est propagée d'ordinaire par des solitaires» les individualistes.
Mais c'est à eux qu*est due aussi la fondation des grandes
religions. Le Christ dut jeûner quarante jours dans le désert, de
même Sakhya-Mouni, avant dVntrer dans la vie active; Tun et
l'autre renoncèrent ensuite à la solitude, à rascêtisme, mais après
s*y être exercés. De mème^ le protestantisme eut pour fondateur un
moine, Luther.
De grandes missions sociales, autres que celles exclusivement reli-
^iL'Uses, furent entreprises par des individualistes, des mystiques,
Ji?anne) d'Arc ne sau%^a la France et ne se mit à la tète des armées
que parce qu'elle avait puisé d'abord dans des visions renlhou-
Biasme nécessaire,
Llnfluence de rindividualisme religieux a donc été énorme; soit
pour prêcher les rehgions, soit pour les fonder, soit pour les
détruire, soit pour accomplir de grandes œuvres patriotiques ou
ïminanitaîres. C'est qu'il retrempe singulièrement les esprits, leur
cJonne une force inouïe.
Mais cette influence ne se produit pas sans une lutte très vive^ H
Cette lutte, quand rindividualisme succombe, se change en violente
persécution. Le Christ, dont la religion était encore individualiste en
ce moment, est mis en croix, Jeanne d*Arc monte sur le bûcher; les
Albigeois, les Vaudois, les Protestants en France sont persécutés
j»ar les Catholiques; les sectes dissidentes le sont en Allemagne et
en Angleterre par les Protestants, Setvet, plus individualiste que
Luther, est mis a mort à son instigation. L'histoire religieuse est
remplie de ces révoltes, de ces luttes, et du triomphe éclatant ou de
la persécution de quelques-uns dé ces individualistes*
En lin, ce qnll est très inlére^^sant d'observer, c'est la transition
par une pente naturelle de T individualisme au sociétarisme et quel-
quefois même au collectivisme religieux; de même par la résurrec-
lioo d'un individualisme nouveau à la suite des excès ou des dépé-
rissements du sociétarisme religieux.
Le sociétarisme n'engendre jamais directement rindividualisme,
mais seulement par voie de réaction naturelle. Quand la société
276
IIEVIB PIIILOSOPKLQI^E
religieuse devient corrorapue, les plus sincères religieux s'éloignent
d'elle, et comme ils oe renoncent pas à la foi, il peut ne pas en
résulter d'hérésre» mais alors rérémitisme est né. C'est ce qui eut
lieu lors de la vocation des premiers ermites. Plus tard la corrup-
tion de l'Église causa par réaction la confession pmtestânte, qui élait
un individualisme doctrinal.
Au contraire , Tindividualisme engendre înseasi blâment un
sociétarisme nouveau. Nous avons vu que la plupart des fonda*
teursde religions nouvelles ont été des solitaires, des individualistes
qui ont combattu les sacerdoces établis. Tel fut le cas pour le Christ,
pour Sâkhya-Mouoi et plus tard pour Luther. Ils étaient même loin
de s attendre à ce que sur leur individualisme il fût plus tard cons-
truit une société religieuse nouvelle; le Bouddha s opposait formel-
lement à la fondation de couvents qui pouvaient produire un sacer-
doce* Cependant cette conversion eut lieu, elle était inéluctable.
Toute institution passe de Tétat fluide âTétat solide.
La conversion de rindividualisme en collectivisme est plus
curieuse encore, mais elle s*exp!îque très naturellement; nous avons
donné cette explication déjà; il s'agit de Térémitisme devenu
monachisme. Dans ce dernier, le religieux perd toute autonomie
par ses trois vœux, il vit en communauté étroite avec trautres,
obéit aveuglément à un supérieur; il réalisa? ce que demande le col-
lectivisme social moderne; il perd jusqu'à son nom. Cependant il
dérive de Termite; les couvents, les ordres religieux, ne se compo-
sent en réalité que d'une juxtaposition d'ermites, de solitaires. Les
extrêmes se touchent. Ce qui est remarquable, c*est que ces soli-
taires constituent les sociétés les plus puissantes, à moins que par
des pratiques trop régulières et mécaniques, ils n'effacent sous la
routine leur caractère premier.
Tel est dans ses grands traits rindividualisme religieux; il ne joue
pas dans les sociétés religieuses un moindre rôle que rmdividualisme
social dans les sociétés politiques, il y a souvent coïncide nce for-
tuite ou noUj entre ces deux individualismes ; c*est ainsi que les
Anglo -Américains, individualistes par excellence politiquement et
socialement, sont aussi individualistes religieux par leur protestan-
tisme et surtout par la variété de leurs sectes protestantes. C'est
ainsi que presque toutes les confessions dissidentes aux diverses
périodes de rhistoire, fondées sur un élan d'individualisme religieux»
ont joint à leurs doctrines des revendications politiques ou sociales
dans le même sens; on doit y voir un des effets de t'uûité de
chaque mentalité Immaine.
Raoul de la Grassehle.
LES
CAUSES PSYCHOLOGIQUES DE L'ABOULIE
Les causes physiologiques de Taboulie sont inconnues et l'on en est
réduit sur ce sujet à des hypothèses incertaines et values. Mais si
nous ignorons les localisations anatomiques des phénomènes qui bq
produisent dans cette maladie de la volonté, nous pouvons du moins
essayer de saisir son mécanisme psychologique.
I
L*atioulique veut accomplir un acte et il s'aperçoit qu'il ne Taccom-
plit pas. DeUK idées sont donc nécessairement présentes a son esprit^
l'idée de Taete h accomplir et ridée opposée à cet acte. Ici un problème
se pose. Cette idce de TtMat contraire à facte, à laquelle M, IVmlhan a
déjà consacré un savant tnivail, est-elle la cause de Taboulie ou n'en
est-elle qu'un effet?
Nous essaierons d'abord de résoudre la question pour ce qui con-
cerne les paralysies psychiques. En procédant a cette étude* nous ne
croyons pas sortir de noire sujet. Qu'est-ce en effet que raboulie,
sinon Timpuissance de transformer une idée en acte par suite de la
victoire des idées antagonistes? Or ce double caractère de raboulie se
retrouve dans les paralysies psycJiiques, du moins dans celles dofit on
a pu établir la pathogénie et qui seules nous intéressent, d'une part idée
d'un acte qu'on désire accomplir et de Tautre, idées causes de la para-
lysie s 'opposant à Tac le.
Ceci posé, nous diviserons les paralysies psychiques en deux caté-
^ries,
1" Certainei paralysies psychiques ont pour causes Tidée d'un arle
dilférent de celui que le sujet a l'îiiteniion d'accomplir. Ainsi, pour
citer un exemple entre bien d'autres, une des malades que M. Pierre
Janet a étudiées sous le nom de Justine» rêve la nuit qu'elle déménage
toon mobilier, et le lendemain elle se réveilïe avec les bras contractures,
dans ta position de quelqu'un qui porte un paquet* La cause de cette
paralysie est Tidée du déménagement, qui^ persistant sous une forme
plus ou moins consciente, donne à ses bras une attitude expressive.
On voit qu'ici l'association par contraste ne joue pas le rôle prépondé-
rant* L'idée du déménagement est différente de l'idée qui porte la
malade à faire mouvoir tes bras, elle ne lui est pas contraire^ L'idée
i278 REVUE PHILOSOPHIQUE
contraire est celle d'immobilité pure et simple, qui est présente à l'es-
prit de Justine, puisque celle-ci sait qu'elle est immobile, mais qui n'a
qu'une importance secondaire.
2° Il existe d'autres paralysies psychiques où le malade est paralysé,
parce qu'il craint de l'être. Le caissier d'une maison de commerce venu
en consultation à la Salpêtrière, se plaignait de ne pouvoir écrire toutes
les fois qu'il se trouvait en présence d*un client ^ Dans ce cas, le rôle
de l'association par contraste est aisé à concevoir.
La crainte de ne pas écrire donne à l'idée opposée à l'acte, c'est-à-
dire à celle de ne pas écrire, une intensité tellement vive que cette
idée se réalise et que la paralysie en résulte.
Cette deuxième catégorie de paralysies psychiques nous amène à
l'aboulie. On peut en effet se demander si tous les cas d'aboulie ne lui
sont pas réductibles. L'aboulique a conscience de son infirmité; très
souvent il se la reproche comme une lâcheté et s'en désole. Mais qui
sait si précisément cette crainte, ce chagrin qu'il a de ne pas vouloit
n*est pas la seule cause pour laquelle il ne veut pas? La crainte de Ti^
pas vouloir, donnerait à l'idée opposée à l'acte unes! grande force ci«®
l'acte ne s'accomplirait pas. Il n'y aurait avec la paralysie psychici.'u^
qu'une différence de degré et non de nature. Dans la paralysie p^ï'
chique, l'idée opposée à l'acte aurait une telle intensité, qu'elle imrx^o-
biliscrait d'une manière absolu les organes moteurs; dans l'aboL^li®
proprement dite elle les rendrait seulement moins actifs. Ûan» '^
paralysie psychique le sentiment d'impuissance serait tel que le mal<£><^®
dirait : je ne peux pas; dans l'aboulie il serait beaucoup moins vif, ^^
telle sorte que le malade conservant encore la croyance à sa libcî**^
dirait seulement : je ne veux pas.
Nous regardons cette interprétation comme plus spécieuse que soiiàe.
Sans doute dans l'aboulie il y a toujours association par contraste;
l'aboulique, comme nous le disions plus haut, s'apercevant qu'il oe
peut accomplir un acte, a nécessairement deux idées présentes à son
esprit, l'idée de l'acte à accomplir et l'idée opposée à cet acte. Sans
doute dans Taboulie, tout aussi bien que dans la paralysie psychique,
l'idée opposée à l'acte finit par triompher, puisque l'acte ne s'accomplit
pas, du moins d'une manière complète. Tout cela est incontestable,
mais la question est de savoir si l'association par contraste est primi-
tive ou secondaire, si Tidce opposée à l'acte est à elle seule une cause
suffisante pour empocher l'acte de s'accomplir, si elle n'a pas besoin
d'être accompagnée soit d'autres idées qui la renforcent, soit d'états
affectifs qui augmentent son intensité.
Dans l'aboulie, l'association par contraste ne nous semble pas pri-
mitive. Si en effet la crainte d'ôtre aboulique, qui se réduit, nous
l'avons démontré, à une association par contraste, est antérieure à tout
acte d'aboulie, il devient inexplicable que cette crainte ait jamais pu
1. Raymond et Janet, Névroses et idées fùres, l. II, p. 397.
MOUHRE. — LRS CAUSES PSYCHOLOGIQUES DE L*ABOULIË 279
laîcre. Comment une idée ^lussî aubtile que celle d*ètrG aboulique
viendrait-eUe à resprit des malades qu*on soigne à la Balpôtricre, fort
peu cultivés pour la plupart? L*homme porte en lui la croyance pro-
fonde à sa liberté ; on est déterministe par réflexion, jamais par ins-
|tinct. Aux yeux de la masse des hommes, perdre sa volonté est la
ijnéme choBeque perdre sa liberté et l'idée qu'on peut perdre sa liberté
ne naîtra jamais dans un cerveau grossier.
La vérité est qu*un premier acte de paresse a lieu. A sa suite le sujet
eontracte Tidée qu*il est paresseux et cette idée rend plus difficile une
nouvelle action qu'il tente d accomplir. Â mesure que les itisuccês se
multiplient, Tidée devient de plus en plus intense et peut même finir
par rendre presque impossible tout effort volontaire.
La crainte de ne pouvoir agir transforme ainsi peu a peu la paresse
en aboulie. Elle n'est donc pas la cause de l'aboulie tout entière, mais
seulement de la diiïérence quantitative qui existe entre la paresse et
l'aboulie. Or dire que l'association par contraste ou en d'autres termes
la crainte de ne pas agir n'est cause que d'une portion de l'aboulie^ c'est
dire qu'elle n'est pas sa cause unique. Nous arrivons de la sorte à la
solution du problème que nous nous sommes posé.
On objectera peut-être que le premier acte de paresse remonte aux
débuts les plus lointains de f enfance, et que depuis, Tidée de paresse
6*68 1 renforcée sans cesse par tous les échecs successifs de la volonté,
de manière à être dans Taboulie une cause tellement prédominante
que toutes les autres deviennent négligeables. — Nous répondrons que
chez tous les individus peu malades et môme chez quelques maladca
gravement atteint^^ les périodes d* aboulie alternent avec les périodes
d'énergie. L'idée d'énergie contractée au cours de ces dernières lut-
tera contre fidée de paresse, l'entravera dans son développement et
l'empêchera déjouer dans l'aboulie le rôle prépondérant*
II
Nous avons réduit à leur juste valeur les effets de rassociatîon par
contraste. Noua avons trouvé que^ constituant Tessence de certaines
paralysies psychiques, elle n'avait dans Taboulie proprement dite
qu*une action beaucoup moindre et n*ctaît pas sa cause unique. U
nous faut maintenant essayer de découvrir les autres causes psycholo-
giques de cette dernière maladie.
Nous commencerons par rappeler une observation olinîque de
MM. Raymond et Pierre Janet.
Un homme de cinquante -trois ans, charron de son métier dans un
petit village, d'apparence très robuste, vient en consultation à la Sal-
pê trière. 11 y a trois ans il fut atteint d*une fièvre lyphoide fort grave.
A la suite de cette maladie, cet homme se plaignit d'avoir perdu sa
Tolontét et depuis il ne Ta pas encore recouvrée. L'Intelligence et la
â80
REVUE PHlLOSOPHiQUE
mémoire sont pourtant reatéesi iataotea; les forces physiques sont
complèteraent revenues, les seaaibiîités sont normales. L'appétit est
bon, quoique les digestions soient un peu laborieuses et que le maïade
soit aHligé d'une constipation opmîâtre. Ccluî-cl s'îndigoa de se
trouver si paresseux. « Tu vois cette planche, se dit-il à lui -même»
eh bien tu vas en scier cinquante centimètres ou sinon tu ne dineraa
pas. » Et il n'arrive pas à en scier plus de dix et en s'y reprenant k
vingt fois K
Remarquons d*abord qu'à en croire le langage du sujet observé. \i
désir d'agir parait intact. Il s'injurie, il ^q dit - n Tu ne dîneras pm, si
tu ne scies pas cette planche », De plua^ d'où pourrait venir Fabsenee
de d*isir? Quand l'organisme est aîTaibli, quand les réactions s'y accoci-
plissent miil, les désirs sont amoindris; nous parlerons plus tard de
cette dépression physique. Dans le cas présont il y aurait peut-être lïew
d'incriminer les troubles digestifs, mais ces troubles paraissent acce^g-
soires. On pourrait encore soutenir qu'il peut y avoir absence c^ti
désir» sans que les procédés actuels de la stîience permettent de rr^-n-
atater aucun trouble apparent dans Torganisme, mais c'est là unebj çdo
thèse bien douteuse.
L'absence de désirs n'a pas non plus chez notre malade de eata. ^^s
psychiques. On verni plus loin qu'un grand chagrin, qu'une émot ioû
vive peut éteindre non seulement lea désirs, mais aussi tous les se «Jii-
ments affeutifs. Ici ce n*est certainement pas le cas^
La climinulion de la sensibilité n*est donc pt abablement pas chez c&
charron la cause prépondérante de Tabou lie et il faut chercher mine
autre explication.
Tout le monde sait que la volition inïplique un effort souvent ton
pénible, quoique la fatigue soit d*une autre nature que dans TefTort
musculaire. Nous croyons pour notre part que ce sentiment de relfort
volontaire est le résultat d'un proceissus physiologique encore inconnu.
Or ne peut-on pas admettre que pur suite d'une lésion ou d'un troubk
organique quelconque des centres qui président à la fonction \cku-
taire, ce processus physiologique s'accomplisse avec plus de diflîcuUé
qu'auparavant, et soit accompagné d'une fatigue plus intense, rendant
le malade peu enclin à vouloir? Ferrier a émis Thypothèse vraisem-
blable que dans les circonvolutions frontales se trouvaient des cenlrci
d'arrÊt pour les opérations intellectuelles; il doit aussi exister dans le ,
cerveau des centres de coordination des idées rendant les voUtions
po.'ïsibles et eflicaces. Qui sait si dans Texemple choisi ces centre» ne
seraient pas atteints? Et ce qui rend cette supposition plausible,
c'est que la perte de la volonté date d'une fièvre typhoïde qui a pu
causer des lésions^ des paralysies ou des atrophies plus ou moins
durables*
La cause psychologique de Taboulie serait donc la dilûculté de Tef-
L Raymond et Janet, AViro^ej et idtfes fijteM^ [. 11, p, 29.
MOURHE,
LES CAUSES PSYCHOLOGLdUE^S M L'ABOCLÎE
281
fort volontaire et la causé physiologique un Êrouble organique du cer-
veau dont la localisation est inconnue.
Notons que chez certains abouliques, rînten^Ué du désir se manifeste
souvent par la Bomme d'énergie considérable qu'ils déploient pouf
accomplir un acte et qu^on peut reconnaitre h la fatigue qirexprime
leur viaage* Ainsi le malade de Billod ayant une aîgniiture à donner
exécute dans le vide les mouvements nécessaires pour le paraphe sans
pouvoir réussir à appliquer sa plume sur le papier» il s'épuise et « sue
sang et eau »». Cette fatigue n*eat pas nécessairement J 'indice d*uii
trouble organique rendant l'effort plus dinicile; il faut se souvenir que
dans la paralysie psychique, comme d'une part Tidée opposée à Pacte
est toujours très forte, comme de l'autre le désir de Taete peut être
très vif, cette lutte entre deux états contraires donne lieu parfois k
un effort înfructueuTt, mais intense, C'est en interrogeant le malade
sur ses antécédents psychologiques et physiologiques que le médecin
déterminera t1! se trouve en face d*un trouble fonctionnel ou d^une
simple paralysie psychique.
Toutefois, El les altérations de la sensibilité ne jouent parfois aucun
ruie dans l'aboulie, il n'en est pas toujours ainsi. Nous allons étudier
l'aboulie dans ^es rapports avec les états affectifs et pour cela nous
distinguerons deux cas.
Premîr*rca8, — Souvent on ne peut accomplir l'acte qu'on sent utile,
parce que la jouissance qu'on trouve dans Tétat présent empêche de
sortir de cet état. Il y a alors lutte entre deux idées contraires; Tidée
d*un acte désiré à cause de l'utilité qu'il présente, l'idée opposée à Tacte^
renforcée par un sentiment affectif agréable. Si une lutte semblable se
renouvelle trop fréquemment chez un même individu, elle alïecte, parle
furtmêrae, un caractère morbide. Les gens qui causent toute la journée
et ni^gligent leurs affaires nous offrent un type de ce cas : quand le
goût du bavardage s'exagure» il rentre dans le domaine de la paLho-
logie. Voici encore un autre exemple^ Une personne passe un temps
très Jong avant de se décider à sortir du Ht; elle se lève enfin» mais
s'aperçoit qu'elle a fait erreur sur T heure el qu'il est un pou plus tut
qu'elle ne pensait; elle sait q*ic sa présence hors du lit est utile, mais,
trouvant qu'elle peut à la rigueur y rester, elle se recouche. On voit
d'une part qu'elle éprouvait du plaisir à rester couchée, puisqu'elle se
recouche et on peut Induire avec vraisemblance que ce plaisir dç%'ait
contribuer beaucoup k l'empêcher de se lever; on voit d'autre part que
cette paresse excessive a quelque chose de pathologique.
Deuxième cas. — Supposons au contraire que cette personne, auUcu
de se recoucher, après s'être trompée sur l'heure, reste levée» La cause
de raboulie n est évidemment plus le plaisir du lit* Elle peut être ua«
de celles que nous avons signalées plus haut, trouble organique du
cerveau ou paralysie psychique, mais elle peut être aussi la niédioare
iotensité des désirs dont M, Ribot a fait ressortir toute l'importance.
« Ce qui est atteint dans l'aboulie, dit cet auteur, c'est la vie affec-
282 REVUE PHILOSOPHIQUE
tive, la possibilité d*ètre émue. Les malades ne font pas les actes,
parce qu'ils ne les désirent pas sufïïsamment » ^
M. Ribot cite à Tappui de sa thèse le témoignage d*une jeune Ita-
lienne soignée par Billod et celui de deux malades d'Esquirol dont
l'un dit que ses « sensations sont trop faibles pour exercer une
influence sur sa volonté » et Tautre constate que dans chacun de ses
actes «( il manque quelque chose, à savoir la sensation qui leur est
propre et la joie qui leur succède » '.
Malheureusement les observations cliniques ne sont ni assez nom-
breuses, ni assez nettes pour étayer d'une manière inébranlable la
théorie qui voit dans la faiblesse des désirs une des causes principales
de Taboulie. Il serait peut-être plus sûr de recourir à Tobservatioa
interne. C'est d'ailleurs ce qu'a fait Tauteur précédemment cité. Chacun
de nous, dit-il, peut se représenter Tétat d'aboulie : « car il n*est per-
sonne qui n'ait traversé des heures d'affaissement, où toutes les inci-
tations, extérieures et intérieures, sensations et idées restent sans
action, nous laissent froids. C'est l'ébauche de Taboulie. Il n'y a
qu'une différence du plus au moins d'une situation passagère à un état
chronique » ^.
Cette théorie a en outre l'avantage d'expliquer certains faits qui
demeurent obscurs, si Ton a recours à une autre interprétation! par
exemple celui que nous allons citer.
M. Pierre .ianet fait la suggestion suivante à Marcelle pendant quelle
est endormie : « Quand je frapperai sur la table, vous prendrez ce cha-
peau et vous irez l'accrocher à une patèro. » Cela dit, je la réveille
bien complètement; quelque temps après, je l'interpelle comme pour
lui demander un petit service : « Mademoiselle, vous devriez bi*^
enlever ce chapeau qui me gêne pour écrire et le mettre sur une
patère. — Je ne demande pas mieux », dit-elle. Et la voici qui essaî^
de se lever, se secoue, étend les bras, a des mouvements incoo^'
donnés, se rassied, recommence, etc. Je la laisse travailler ainsi vinS^
minutes... Puis je frappe un coup sur la table. Aussitôt, elle se l^''®
brusquement, prend le chapeau, l'accroche, et revient s'asseoir, Va»^^
est fait par suggestion en un instant, il n'avait pu être fait par volol^^^
en vingt minutes » *.
Comment interpréter ce fait? A l'état de veille, une idée, bien qu'e^^^
ait par elle-même une tendance à s'exprimer par un mouvement-» t
presque toujours besoin pour cela d'être accompagnée d'un état affec^^
qui la renforce. Aussi chez Marcelle, les désirs étant trop faibles, '^ ^
idées ne se réalisent pas. Pendant l'hypnose au contraire, grâce à
concentration de l'attention, les idées sont non seulement assez for '^ *
pour passer à l'acte, malgré l'absence d'états affectifs, mais même pC^ *
1. Ribot, Maladies delà volonté, 1883, p. 50.
2,lbid. id., 1889, p. 50.
3. Ribot, Maladies de la volonté, p. 53.
4. P. Janel, Névroses et idées fixes, t. I, p. 11.
MOURRE. — LES CAUSES PSyCHOLOGlQUËS DE L ADUUUE
383
I
COTia^i^^ver leur întensîté après le réveiL C'est ce qui explique pourquoi
Maro® lie prend le chapeau, quand elle exécute cet acte par sugu:eation.
Si ». wa contmire on regarde seulement l'aboulie comme un aiïatblia-
Kmerit; du pouvoir de synthèse, sang remontera sa cause fondamen-
tale, l^^ faiblesse des désirs, il devient fort difficile d'explîqu(*r le fait
obserxrê par M. Pierre Janet, Pourquoi les facultés synthétiques du
malad^^ disparues penrlantia veille, ne retrouvent-elles pendantl'hyp-
noee? ÉSelon M. Janel, si Marcelle accomplit si facilement les actes sug-
gérés, c'est que ces actes se passent dans une conscience absolument
rï^tréuie, qu*ib n'exigent pas la synthèse de tous les détails devenus
inconscients pour la plupart, qu'ils ne se rattachent pas eu un jnot à la
personnalité de la malade, « Marcelle vient de prendre un coupe-pupicr
par suggestion et je la félicite de ses mouvements rapides. — Ce n'est pas
°J<^t, clît-elîe d'un air boudeur, w A notre avis, le manque de personnalité
fïest pas la cause qui facilite les mouvements, elle prouve seulement que
Je s ^«3 tes suggérés n'éveillent pas chez le malade de sentiments affectifs.
^^ d'ailleurs il en était toujours ainsip Tiriduence de la auggeslion
^"Cimentanément asse^ active, ne tarderait pas à disparaître. Les hyp-
nt>t.is^squi n'éprouvent pour leur endormeur ni amour, ni crainte.
éa^
■^ppent facilement à son empire. C'est là une découverte dont
ï^ierre Janet a enrichi la science psychologique et qui confirme
" ^1*^ manière de voir. Elle montre en etïet le rôle considérable de la
^ ^*^il)ilité dans tous les phénomènes volontaires,
Itfe jîijifqQQns d'ailleurs que la théorie qui voit dan^ la faiblesse des
^^î^sune des causes principale.s de TabouSie est d'une appîiealian
pi^iuis fréquente qu'on ne pourrait le croire au premier :ibord* M. Ilibot
fS^-tt observer que les abouliques qui affirment leur désir intense d*aL''ir,
dCM\t souvent le jouet d'une illusion^ que Tintonsité du désir est chose
^ôiit^ felative, que « dans cet état d* apathie g-énérule, telle impulsion
Ciui l^ur parait vive est en fait au-dessous de l'intensité moyenne, d'où
1 ^^a^tjîtîùn » '. Cette explication rend compte d*un grand nombre de
*^^' CJu peut encore ajouter que les abouliques doivent être souvent
oupc^as non seulement de leur conscience, mais aussi de leurs habi-
lud^^ antérieures de sentir et de s'exprimer. Ainsi une perisonne sHnte-
rÊss^^ vivement à un projet» Une fois frappée d*aboulie, elle sent qu'elle
I* ^*y intéresse plus, mais ne voulant faire cet aveu ni à elle-même,
il 3*ia.x autres, elle continue à dire qu'elle s*y intéresse.
in
1^3 rapports de Taboulie et de la sensibilité sont maintenant établis,
i^iiis quclïes sont les causes de l'absence de désirs? ^ — Elles peuvent
^tr^^ tantôt purement organiques, tantôt purement psychiques.
1. ftibot, Maîadks de in volonté, p. S3,
284 REVUE PUILOSOPHIQUE
Des causes physiologiques nous n'avons rien à en dire; elles ne nous
sont pas connues d'une manière précise. Les causes psychiques sont
presque toujours des contrariétés, des chagrins qui produisent une
profonde dépression morale et font prendre la vie en dégoût.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune,
Je ne me. sou viens plus des leçons de Neptune,
Mes seuls gémissements font retentir les bois
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.
Comment ces causes psychiques agissent-elles? D*abord le malade
découragé a l'idée que tout ce qu'il entreprend est inutile. A quoi bon
agir? A quoi bon vivre? Cette idée d*inu(i7i^é est plus ou moi ri*
avouée, plus ou moins consciente, mais elle n'en existe pas moiris.
Peu importe d'ailleurs son degré de conscience. C'est un fait acquis ^
la psychologie que la force et Tefficacité d'une idée ne tiennent pas *
la vivacité avec laquelle elle apparaît dans la conscience.
En plus de cette idée d'inutilité qui s'attache à tous ses actes, ^^
malade éprouve un sentiment de tristesse qui agit non seulement ^^
renforçant l'idée d'inutilité, mais aussi en activant par lui-même ^®
désagrégation mentale. Cette intluence dissolvante de l'émotion n'^^*
plus une hypothèse, c'est une vérité démontrée que M. Pierre Jane^ ^
fort bien mise en lumière dans son beau travail sur VAutomaih'^^''^^
psycliologique. « L'émotion, dit-il, rend les gens distraits, bien pi ^*
elle les rend quelquefois anesthésiques soit passagèrement, soit d'ix^^
façon permanente... J'ai constaté que chez des hystériques en voie ^^
guérison, toute émotion subite ramène des anesthésies. En un m^^
l'émotion a une action dissolvante sur l'esprit, diminue sa synthèse ^^
lo rend pour un moment misérable » ^
Après ce que nous venons de dire, on peut comprendre comment
chez les abouliques la faiblesse des désirs peut se concilier avec une
émotivité excessive. L'une est souvent la conséquence de Tautre. Les
nialudos éprouvent à un haut degré un sentiment quelconque de colère
ou do chagrin par exemple qui accapare toute leur énergie affective et
leur enlève la possibilité d'être émus par aucun objet, sinon celui de
lour préoccupation. « Il me semble, dit une malade observée par
MM. Kuymond et Janet, que je n'aime plus personne : mon mari et
mou garçon me sont sortis de l'idée et je n'éprouve ni plaisir à les voir,
ni poino à les quitter, moi qui me suis tant désolée autrefois quand il
m'a fallu vendre ma boutique ! Tout pourrait bien brûler aujoud'hui,
oolu m'oMt égal » '^.
NoUM avons terminé cette étude rapide des principaux phénomènes
do l'ahoulie. Il n'est qu'une dernière remarque à faire : c'est que les
I. IMorro Juncl, Automatisme psychologique, 1889, p. 457.
U. U«i>nioutl «•! Javrt, Sévroses cl idées fixes, t. II,p. 45.
MOURRE. — LES CAUSES PSYCHOLOGIQUES DE l'aBOULIE 285
ivisions que nous avons données n^ont rien d^absolu. On peut très bien
oncevoir des abouliques, et il en existe certainement, qui sont atteints
la fois de paralysie psychique plus ou moins apparente, d*un trouble
Dnctionnel du cerveau, d*une tendance excessive à se complaire dans
état présent, de sensibilité insuffisante, résultant soit de causes orga-
niques, soit de causes psychiques. Quant aux distinctions que nous
ivons faites, elles peuvent paraître trop nombreuses et trop subtiles,
^ous avons du moins deux excuses : c'est d'abord que pour analyser
l faut diviser, c'est ensuite que toute distinction psychologique cor-
espond à une distinction physiologique.
Baron C. Mourre.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
I. — Philosophie générale.
M. M. Philippof. Philosophia dieistvitelnosti. (La philosophie
de la réalité), t. II, in-8, il78 p., Saint-Pétersbourg.
Nous avons déj«à parlé de la première partie de emportant travail de
M. Philippof*. L'auteur vient de faire paraître le second volume de sa
Philosophie de la réalité. Évolutionniste convaincu, M. Philippof
pense que Tontologie même est le produit d'une longue évolution; \\
trouve aussi que la métaphysique du moyen âge se rapproche beauca\ip
plus de la vie réelle de cette époque qu'on ne le croit ordinairement.
La fameuse controverse entre les nominalistes et les réalistes du moyen
âge n'est autre chose que la lutte de la libre pensée contre l'autorm té;
c'est l'individualisme qui commence la guerre contre la hiérarchM. îe :
voilà le vrai sens de la polémique d'un Roscellin ou d*un Abél^^rd.
Passant des controverses scolastiques aux questions plus récem. tes,
l'auteur trouve que l'individuel n*est pas en contradiction avecri^ni-
versel ; il en fait, au contraire, le fond. L'espèce n'est que la somme des
variations individuelles. Il n'existe pas d'archétypes antérieurs bux
individus, comme le croyait le célèbre anatomiste Owen et comme In-
firme encore aujourd'hui Max Millier; mais les variations individueiies
en s'intégrant deviennent typiques. Poursuivant cette idée, l'auteur
arrive à l'analyse de « la crise de la métaphysique », il rejette la solu-
tion de Platon et aboutit logiquement à l'idéalisme critique de Kant.
Pour Kant, la raison n'est qu'un principe a régulatif », systématisant;
quand la raison devient constructive, quand elle commence à créer des
concepts nouveaux en leur imputant l'objectivité, elle n'arrive qu'à la
construction des mirages. C'est la partie critique de l'idéalisme kan-
tien; mais il en a aussi du dogmatisme. Kant rejette le principe « éco-
nomique » de la pensée qu'il avait reconnu avant Mach et Avenarius.
D'après Kant, la classification naturelle est basée sur le principe trans-
cendental à prioriy qui n'est pas le résultat de l'expérience, puisqu'au
contraire c'est lui qui rend l'expérience possible. C'est le dogme que
réfute M. Philippof. « Le principe a priori, dit-il, dont parle Kant,
n'aurait pas de sens s'il n'était basé sur l'expérience. Le même argu-
ment est appliqué au principe de la spécification et troisième principe
transcendantal de Kant celui delà continuité. Pour Kant la maxime
i. Revue philosophique^ novembre 1896.
ANALYSES. — M. mn LIPPU F. PhUosophîa diehtvitêlnosti 287
scolastique Natura non facil sMus n'est qu'une idée pure; M. Phiiippof
considère la non-concordance de cette idée avec les faits biologiques
dont parle Kant. comme Teffet du principe de divergence, élucidé par
Darwin. M, Phiiippof n'est pas cependant darwiniste dans le sens
strict de ce mot; il est plutôE néo-lamaivklen. Il consaure quelques
chapitres à la rériitation dca théories de Weîsmann et de ses disciples
relativement à « romnipotenco de la sélection naturelle, u L'auteur
applique le mèmepoint de vue lamarckien à révolution psychologique,
il discute avec Valdéniar Wagner, Tauteur de la Zoopsijcholotjie^
Wagner considère les araignées et les insectes comme des nutornates.
M. Phïlippofp se basant sur la philogénie même des vertéhrés ahial
que sur jes données de ranatomie comparée^ soutient la thèse de la
similitude essentielle des instincts dans le monde animal enUer,
L'action instinctive est déterminée par deux conditions : eîle est auto-
matique comme voUlion, mais en même terapa étroitement liée à la
perception cont;ciente. M. Phiiippof a fait des expériences eurrurai-
^néeEpeim dtadtnna, et il a constaté que e^ construction est automa"
tique, mais cela ne la prive pas d'une certaine initiative, quand elle est
obligée de travailler dans des conditions imprévues. Quant aux four-
mis et abeilles^ M. Phiiippof se base sur les expériences de M. Wagner^
qui A « décapité u ces insectes pour étudier le rùle de leur centre ner-
veux principal, analogue, mais non homologue au cerveau des verte»
brés. L*auteur eat d^iccord avec rémjiieut neuropathologue russe,
M* Bechterev, que lorsque le système nerveux: central se ditïérencie
el en même temps s'intègre, les fonctions psychiques appelées con-
scientes s'attachent à des centres spéciaux^ tandis que les autres con-
scients, deviennent sous-conscients et enfin se transformenten centres
des actions inconscientes purement réllexes. C'est pourquoi une
mouche déçapilée se comporte presque comme une mouche intègre;
tandis qu'une fourmi dont le « cerveau » ou le ganglion principal est
beaucoup plus dlfférenciép devient, décapitée, presque aussi automate
comme un oiseau privé des hémisphères.
L'évolution biologique et pHvchologique nous amène à révolution
des sociétés animales et k celle des sociétés himiaines. M, Phiiippof ne
dit pas, avec Marx^ que n le matérialiâmo économique explique 1 his-
toire "N mais il voit pourtant dans le principe écoeoniique le facteur le
plus important de i1jtF§toire de rhumanité et dont le rôle croit quand
nous arrivons aux temps modernes.
L*auteur se demande si les lois de notre vie sociale sont de vraies
lois/ Cette question se rattache à l'antinomie cétôbre du libre arbitre
et de la nécessité; Kant a posé la question, il ne Ta pas résolue.
M, Phiiippof croît que non seulement le libre arbitre, mais aussi la
nécessité absolve n'est qu*un mirage. Si Ton reste dans le domaine de
la science, on ne trouve qu'un arbitre relatif et uno nécessité relative,
cela veut dire déterminée par les conditions extérieures, 11 réfute les
théories subjectivistes du progrès, H croit que c'est la contrainte, la
288
RBVUB PHIIUSOPBIQIÎE
force extérieure qui est TopiiosUion de la %'olonté libre. Le fatal ïs ri**
n'est qu'un fantôme, La théorie juridique de la société, u'esl-â'di'*^
la société n'existant que grâce aux normes législatives ou quasi- Jé^'^'
latîves., n'a pas de raison d*être; au coutraire, la théorie de la toi iijf ^**
FC/7e des philosophes duxviii' Ê^îêcle» la dialectique sociale de Roussel '^^
peut-être unie aux nouveaux principes scienttiiquea et sociologiqu
^«
La faute de Rousseau est de chercher T idéal dans la vie pnmitiV^
mais les traits principaux de cet idéal peuvent être concilii^s avec
science moderne. Le progrés n'exclut pas riutêt^^Hté de rîmlivid*-
M, Philippof trouve que n le progrès industriel de notre siècle a por ^
ses bons fruits m* Nous ne pouvons pas être itn d'accord avec rhonorala J
auteur. Où danc sont-ils, ces * bons fruits o'? Est-ce le paupérisme di^
masses qui aus^menteà mesure que grandit n le progrès industriel ►-
Le fl capitalisme, poursuit l'auteur, est démocratique, malgré luS
même iK Cet aphorisme demande à être démontré. Nous pensons a
contraire que le capital n'est jamais démocratique, il absorbe, parRâc
lyse toutes les forces libres et démocratiques, il tente toujours ver~
rexclusivisme, vers Tabsolutisme, il domine le travail; le capitales
ie meilleur soutient des gouvernements despotiques* n Dire que Tévc
lution industrielle est la seule base de la réforme sociale, contini^
M, Philippof, ce n*e8t pas prêcher Tindifrérentisme moral », Nous iv
pouvons pas considérep lYvolution industrielle comme la seule ba^
de la régénération soc iule. Le premier jalon de toute rénovation, ind
viduelle ou sociale, est la conmience et la morale, non pas la mora
conventionnelle, mais la morale intérieure. Or, le capital démoralii^
il engendre la lutte et la haine. Le capitalisme et l'amour sont iaeoi^
patibles* Ce n'est pas i'évoîution industrielle, c'est la conscience, e"^
l'amour qui peuvent aider la résolution des grands problèmes soclau,-
que Je xix^ siècle lègue aux générations futures.
Nous regrettons que le manque de place ne nous permette pas d'ai^
lyser, selon son mérite, Touvr^ige de M. Philippof* Son travail co^
ficiencieux enrichit laphiio^ophiû russe*
OSSIP-LOURIÉ.
»^
Ch, Horion,— RSSAI DE SVNTïïÈSI KVOLOTIOKmSTE 00 WONALlSTi^.
Scienct\ philosophie, métaphysique, religion. 476 p, in-8, Par ^
F. Alcan. Bruxelles , H. Lamertin, 1900.
U* Ch. Horion^ mort il y a quelques mois^ à Tâge de soixante-ns^ ^
ans, était un médecin de Liège, docteur en sciences naturellea.
publia de nombreux travaux de géologie^ de chirurgie, de médecir^ ^
s'intéressa dès sa jeunesse aux beaux-arts, et réunit différentes cc^^J
kctionsqu^il a léguées à la ville de Liège; la philosophie, la sociolo^*
Toccupèrent aussi et lui ont inspiré plusieurs ouvrages, outre celui q *^
parait aujourd'hui, après sa mort, et quil appelle : Testament phit^^
SùphiquCt examen de conscience*
Jï
,A.NALYSES. — CH. jiORïON, Essat de synthèse évalutionnisie 289
J^« Teêiament pltilosophiquet essai de synthèse évoîtitioanUte et
C7Z~ia!tste, témoigne du goût de Tauteur pour les grandes questions de
1^ p liitosophie. Il prouve de vastes lectures, des cor naissances étendues
f^ -V".©.rîée3, avec le souoi de Tunification et de la coordination. II n*est
^ sans indiquer une intelligence intéressante, a?isez vigoureuse, et
IT<:> «^ sans pénétration, ni sans valeur personnelle. Mais n*ayant peut-être
p^i,^ ^u assez de temps à consacrer à l'élaboration de ses idées philoso^
pln^ icônes. Fauteur n*a pu sans doute donner entièrement sa mesure.
ë>onL livre est mal composé, tout farci de citations longues et nom-
bre i^ ses et de résumés un peu encombrants. De plus M. Horion se con-
ti^i-kt^ vraiment trop vite et trop facilement d'une philosophie d'aspect
sc^ i ^inliiique maia très insuffisamment digérée, souvent bien superfi-
ci ^11^^ et d'une hardiesse que je ne songerais pas d'ailleurs à lui repro-
cl^^r- s'il paraissait a être mieux rendu compte des difficultés des ques-
^ior-^s qu'il tranche. Ce qui concerne la morate, par exemple, est
'^ï'^iixipnt trop faible malgré quelques bonnes idées, la question n*est
p»a.^s 3crrée de près et analysée avec assez de précision. Nous lisons
P^^»* exemple (p. 78) : « La conscience d'où dérive la moraJe est la per-
c^pition et l'applicatioti des irapressïons reçues; son premier degré est
clii.ï>s le choc de deux corps non vivants; toutes les molécules éproii-
"von t rimpression, la sentent [conscience, cuïïi sentire, sentir ensemble)
^tr i*eagtssent suivant leur nature. Comme les impressions se conser^
^^'^t dans la mémoire inorganique».,, il en résulte que la conscience,
**>tit en ayant une base commune résultant de la constitution même
^^ l'être qui est une force tendant à l'expansion, se modifiera à mesure
o^!^ impressions rei^ue*! qui en changent la direction, et suivra paral-
lèlement les lois de révolution. C'est pourquoi la conscience de Tanimal
*itlTêre de celle de Thomme,,*, etc. b II y a là bien de la confusion, et
voiçi ,jj^ passage encore pire. Il serait difficile do prêter, sans paraître
*®n méfier, à plus d'objections graves: a La morale^ enfin, consiste à
'^specterles lois de la nature, où les parties concourent solidairement
former un tout harmonique, sans que l'une d*ellcs soit annihilée^
SAoriti^e à Tensemble^ pas plus que, dans Tordre social, TindiVidu
aoive être sacrifié à la société, comme le voudraient les collectivistes,
's^ «ieux termes étant solidaires, mais où la suprême vertu consiste à
fait-e prédominer l'hétéroîsme (altruisme} sur Tégoîsme, sans même
'^^pter sur îa récompense après la mort * (p. 2O0-'2OÏ), On approuvera
an^Vatitnge Fauteur quand il vante Timportance morale de la solida-
*** ^* mais ses théories sociales soulèveraient encore bien des cri-
t*^u«ig^ M nous est dit, par exemple, que le remède aux maux écono-
fi^it^Ueg (misère, grùves, eto) ^ serait dans la diminution légale delà
||t*f5c*réatiun, réduisant celle-ci au niveau des subsistances* L'extraction
ii^a Organes procréateurs çhe^t les enfants de parents tuberculeux ou
Criminels, ou même trop miséMbles, serait un immense service rendu à
V^mmanité; la liberté de ravortement de même» » Tout cela est bien
<itB décidé. Fh. P,
roiu u — 1900, ' 19
390 REVUE PHILOSOPHIQUE
II. — Anthropologie criminelle.
Rafaël Salillas. — £l delincuente espanol. — Hampa. (AnthropO'
logia picaresca. l vol. in-8«>, 52G pages. Madrid, V. Suarez, 1898.
On sait que TEspagne a, en Europe, une physionomie criminelle
propre, très analogue cependant à celle que présentent la Sardai^e,
Tancien royaume des Deux-Siciles et les anciens États de l'Église. Le
caractère distinctif est ici le rôle joué par les grandes associations de
malfaiteurs. On conçoit par suite Timportance et l'intérêt d'une mono-
graphie du criminel espagnol. Mais un Espagnol peut seul la faire
utilement; or, si TEspagne a fait bon accueil à la méthode sociolo-
gique, comme le prouvent les travaux de Posada, Sales y Ferré et
Giner, la sociologie criminelle qui exige le concours de la psychiatrie
et de la statistique morale n'y avait guère été réprésentée jusqu'à ces
derniers temps, sauf par une femme, Dona Conception Ârenal. Celle-ci,
avec une grande sûreté de vues, avait montré dans plusieurs œuvres
les relations du crime et du milieu social *. M. Rafaël Salillas, disciple
très indépendant de l'école anthropologique italienne, a entrepris des
études plus précises sur la criminalité de son pays. Disciple des
anthropo-criminaiistes, il l'est en ce sens qu'il étudie seulement le
criminel et non les variations numériques de la criminalité; mais il est
plutôt psychologue que biologiste et la psychologie telle qu'il la con-
çoit, no sépare point Thomme du milieu social et économique. Il en
résulte que, si M. Salillas néglige à l'excès la statistique morale, il
s'éclaire constamment de l'histoire du langage, de la littérature popu-
laire et des institutions fondamentales.
. C'est sur le phénomène bien défini de l'association criminelle que
son attention s'est portée. Le signe extérieur de la vie d'une association
durable est une langue; aussi la première étude qu'il ait publiée sur
le délinquant espagnol a-t-elle eu pour objet les grandes formes de
l'argot en Espagne {germayiia et ca/o jergal)^. La seconde est consa-
crée à la hampa, c'est-à-dire au genre de vie menée par ceux qui
parlent une des deux grandes formes de l'argot criminel, la germania.
La liampa est la vie d'une association répandue partout, mais notam-
ment en Andalousie. La hampa est une société picaresque^ assez
semblable à celle des Gitanos et organisée pour la pratique du délit.
L'objet propre de Salillas est la genèse de la hampa et, par suite,
l'étude des liens de solidarité qui la rattachent au milieu social» histo-
rique et économique.
Ce lien n'est autre que la vie picaresque, c'est-à-dire une forme du
1. (Hiuvres complètes, Madrid. V. Suarez, El delito coleclivo <dans la Coleccion
de lil)ro8 cscogi^loi^).
2. El delincuenfe fispanol : El ienguaje^ Madrid. Suarez, 1896 (ouvrage analysé
par nous dans VAnitée sociulor/ique, ISU"). — Auparavant M. Salillas avait publié
1" Dona Concapciou Arenal en la ciencia penilenciaria, 2** La antropologia en el
derecho pénal.
ANALYSES. — RAFAËL SALILUS. El delincuente espanol î291
parasitisme généralisée toujours davanta^^e dans les mœurs espa-
gnoles et qui, d'ailleurs, est la conséquence de la persistance de la vie
nomade dans Tensemble de la nation.
L'intérêt de l'ouvrage vient donc de ce qu'il éclaire les rapports que
le parasitisme et le nomadisme soutiennent avec la formation des
associations criminelles.
Le parasitisme, dont la criminalité violente et frauduleuse est une
simple exagération, résulte selon Salillas : 1° de la vie économique de
l'Espagne; 2^ des rapports séculaires entre les classes; 3^ de la persis-
tance du caractère national, tel qu'il s'est formé pendant les luttes du
moyen âge.
L'habitude du parasitisme commence avec la tendance à vivre des
productions spontanées de la nature en demandant le moins possible
au travail. Or l'exploitation du sol est pénible en Espagne, tandis que
le climat stimule peu les besoins, surtout dans les régions méridio-
nales. Il en résulte que le peuple espagnol a pris l'habitude de préférer
l'abstinence au travail. Ce n'est point qu'il soit indolent et inerte.
L'auteur, preuves en mains, s'inscrit contre ce préjugé trop facilement
accepté par les étrangers. Le peuple espagnol, tel qu'il nous le montre,
n'est pas moins actif que le peuple anglais : témoin le goût, universel-
lement répandus des jeux athlétiques et des danses les plus expressives
et les plus fatigantes. Maii?, tandis que le travail absorbe l'énergie des
Anglais, le peuple espagnol réserve la sienne pour les fêtes qui tien-
nent dans sa vie une place plus grande que dans celle d'aucune autre
nation européenne.
La conséquence est, néanmoins, que le peuple espagnol, individu et
collectivité, souffre d'une insuffisance générale de la nutrition. L'auteur
fait, à ce propos, une observation assez piquante : c'est que la cuisine
d*un peuple répond aux conditions générales de son existence. A cet
égard, rien de plus pauvre que la cuisine espagnole, rien qui contraste
mieux avec le régime nutritif de l'Angleterre, de la France et mémo de
riialie du nord. Un économiste dirait que le luxe, le bien-être, l'épar-
gne et la puissance productive se correspondent.
Les rapports des classes ont transformé ce parasitisme naturel en
un parasitisme social. On ne saurait, à cet égard, trop conseiller la
lecture du livre de Salillas aux théoriciens de la lutte des classes.
L*auteur montre que, nulle part, il n'y a moins de difTérence entre les
moeurs, les croyances, le genre de vie des classes élevées et ceux des
classes pauvres; nulle part, il n'y a moins d'antagonisme et une ditïé-
renciation plus faible. La cause en est moins la tendance des pauvres
à imiter les riches que celle des grands à prendre les superstitions et
les préjugés du peuple. Or, nulle part, il n'y a plus de parasitisme :
d*un côté, une noblesse et un clergé puissants qui, par la grande pro-
priété foncière et les biens de main morte, tirent à eux la richesse du
pays (ajoutons celle des colonies quand l'Espagne en avait), de l'autre^
une classe pauvre qui vit de l'aumône.
293 REVUE PHILOSOPHIQUE
Est-il besoin de dire que ce parasitisme social favorise l'étemell
classification des professions en viles (productives) et en honorable
(oisives ou contemplatives)? La tradition espagnole ne jugeait digne^^^es
d'estime que trois formes d'activité : la vie universitaire, la vie milr Jii.
taire et la vie monastique. L'université espagnole resta longtemps u:' .^n
foyer de parasitisme, vu ralïluence des étudiants pauvres qui vitcl ^^t
de la sportule et que désigne un terme pittoresque Isopones^ quémacr^zai.
deurs de soupe) (p. 37, 38). L'armée attire à elle les aventuriers c jt
néanmoins, les contingents en sont toujours faibles, en rapport ave j*o
la pauvreté nationale. Quant au rôle du monachisme espagnol, qua^^^sit
aux relations de la main morte et de la mendicité, M. Salillas finnfim ^j^
une opinion trop bien établie pour qu'il soit besoin de la rappel^^j*.
Notons plutôt la transformation du caractère national que le para^^f*
tisme a produite : le parasitisme hypertrophie la personnalité chez 1 -^s
uns et Tatrophie chez les autres. Chez les représentants de la nobles» «e
et de la théocratie, c'est l'ostentation, la parade (alarde), chez l^^s
autres, c'est l'art de solliciter les faveurs. De là, une constitutàoo
sociale bien définie. L'inférieur cherche un supplément de personnalité
et tend vicieusement à se former à l'image du supérieur (p. 369). La
pauvreté générale n'empêche pas la société de se constituer sur 7e
type aristocratique : c'est une démocratie à préjugés et à manières
nobiliaires. De là, la ruine des petits et rares foyers industriels; de
là, lautoritarisme d'un côté, le servilisme de l'autre. Le régime parle-
mentaire a dû s'adapter à cet état social en se déformant. La vraie
constitution politique de l'Espagne est le caciquisme, c'est-à-dire une
accumulation d'influences politiques, économiques, administratives,
entre les mains de quelques électeurs influents dans chaque localité.
Le caciquisme qui paralyse les forces salutaires et donne l'essor aux
activités nuisibles est manifesté par le même type d'action que la
hampa,
A côté de l'insuffisante exploitation du sol et des rapports entre les
classes, il faut se garder d'omettre les luttes de l'homme contre
l'homme. De l'antiquité à la fin du moyen âge. l'Espagne a été un
gigantesque théâtre ouvert à la lutte des races et des religions. Les
races germaniques sont venues s'y heurter aux peuples nomades de
l'Arabie et du Sahara.
Ainsi se sont formés un caractère national qui met au-dessus de
tout la valeur, l'élégance guerrière [guapeza), l'endurance aux tour-
ments, le déploiement de la force musculaire et une conscience popu-
laire, prête toujours à tout pardonner à qui possède ces qualités. Ce
qu'on est tente d'appeler dégénérescence n'est ainsi que la persistance
d'un caractère incapable de s'adapter à la vie laborieuse de la société
moderne. Le Cid revit dans le bandit de la Sierra-Morena. Ce n'est
point là un paradoxe.
M. Salillas montre que Thistoire littéraire peut rattacher au JRoman-
cero la littérature populaire de l'Andalousie, qui est tout entière à la
ANALYSES. — RAFAËL SALiLLAS. El deliticuente espahol 293
gloire du bandit {literatura banderola). Au romancero qui exprime les
ientiments normaux du moyen âge succèdent les romans de cheva-
lerie, puis le roman picaresque dont Cervantes et Mateo Aleman ont
3té les maîtres; enfin vient la literutura banderola, Tépopée du bandi-
tisme, collection de romances, nouvelles, histoires et drames dont les
déros sont toujours les généreux bandits de la Sierra Morena. A
mesure que Ton s*éloigne du moyen âge, le chevalier fait place au
bandit, mais sans changer vraiment do nature. Bernard del Carpio,
Francisco Esteban et José Maria ont, en commun avec le Cid, cer-
taines qualités, celles précisément que le peuple admire, notamment
une intrépidité théâtrale dans la chapelle et en face de la garrote. Bref,
la littérature picaresque est une épopée invertie.
En revanche, il faut renoncer à une idée fréquemment exprimée
dans les milieux académiques en Espagne, idée d'après laquelle le
banditisme espagnol serait l'œuvre des gitanos et les mœurs picares-
ques le résultat de leur influence. I/Espagne n'a jamais pris contre les
Gitanos les mêmes mesures d'expulsion que contre les Juifs et les
Morisques. Si les rois catholiques ont rendu contre eux des édits de
bannissement, d'ailleurs inexécutés, ce n'était point pour débarrasser
l'Espagne d'une nation étrangère; c'est parce qu'ils voyaient dans les
Gitanos une réunion de vagabonds, de voleurs et de gens sans aveu et
que la pénalité n'était jamais alors qu'une élimination par l'exil ou la
mort. La société espagnole a été plutôt hospitalière au Gitano. C'est
qu'entre lui et l'Espagnol il y a une analogie morale profonde. Comme
l'Espagnol, le Gitano est disposé au parasitisme, à la vie errante, à la
recherche des émotions esthétiques élémentaires que procurent la
danse et une musique simple. La cause est la même pour l'un comme
pour l'autre; c'est le nomadisme. Originaire de l'Inde, longtemps errant
dans tout l'Occident, le Gitano d'Espagne, comn^c son congénère le
Tsigane de Hongrie ou de Valachie, est resté un nomade. Mais si le
nomade est, au fond, l'homme que l'intensité du travail sédentaire ne
rattache point au sol, il y a chez tout Espagnol un nomade qui som-
meille. Du nomadisme seulement proviennent les analogies incontes-
tables de la psychologie picaresque et de la psychologie gitanesque^.
Les Gitanos ont néanmoins apporté à la société espagnole un ferment
qui a sans doute activé l'évolution de la criminalité.
Si la criminologie est Tétude des rapports entre la criminalité d'un
peuple et les crises sociales, M. Salillas a fait incontestablement une
œuvre utile et même lumineuse. L'observation a fini par distinguer
deux types de criminalité, Tun propre à l'Europe méridionale et orien-
tale, l'autre localisé dans l'Europe nord-occidentale. La criminalité du
premier type est caractérisée par la fréquence des meurtres imprémé-
dités et des actes de vengeance, par la fréquence des agressions à
i. Noire locution • vie de Bohème • n*exprime-t-elle pas ridentilé de l'une
et de Taulre?
\
294 REVUE PHILOSOPHIQUE
main armée et par la formation des grandes associations de malfaiteu ^^^"
La seconde est une criminalité individuelle, plutôt astucieuse que s^^*^'
glante, inspirée par la rapacité plutôt que par l'inimitié, multipliant W ^*
petits délits plutôt que les grands crimes. La criminalité méridion^^*^
et orientale attire à elle les caractères énergiques, aptes à Tentrepri ^^ ^
et capables do pratiquer l'association, la criminalité nord-occidentav^ ^ ^
est la profession des incapables et des dégénérés qui craignent ^r^ ^
recourir au suicide et à qui la mendicité n'offre plus un moyen suffisa :^r"^^t
d'existence.
Or, si l'intensité des courants criminels répond toujours à l'acui '^^ ^
des crises économiques, politiques, religieuses et morales, ces dec-^z- ^^^^
types (criminels qui peuvent coexister en certaines régions telles q«-:
l'Italie centrale) correspondant inévitablement à des crises bics
différentes.
M. Durkheim a émis l'idée que l'accroissement du taux social d. ^-3 £3i
suicides dans rKuropc centrale et occidentale répond à une crise do jtb t:
la cause est un progrès rapide et incomplet, c'est-à-dire l'inégale rapidm K^
du progrès industriel et intellectuel et du progrès moral ainsi que d» 'Ë.st
prépondérance excessive du lien contractuel sur la vie de famille et Ist
vie professionnelle. Cette explication peut être étendue à tous les fi^S^s
criminels. La criminalité nord-occidentale est due à l'intensité et «t-ti
dérèglement des activités civilisatrices. Mais puisque le crimix:»^!
méridional est au contraire un homme qui porte dans l'entreprise C5 cri-
minelle une activité qui fait défaut à la puissance productive on p^ut
ôtre certain que la crise dont souffre la société dont il est membre ^st
tout autre. Kilo est duc à la compression séculaire des formes d'ac^'tî'
vite qui triomphent dans le nord de l'Europe et, par suite, à une cr-î^
régressive. L'œuvre de M. Salillas met en lumière ce point qu'aval ^ **'
déjà éclairé le travail de Ciraolo Hamnett sur les délits des ferarx^*^
napolitaines et ceux de Niceforo sur la criminalité sarde et sicîlienrm^ •
De môme que la criminalité astucieuse et individuelle n'a point p-^*^'
tout la même intensité et est beaucoup moins grave en AngleteK"**^»
pays de civilisation urbaine cependant, qu'en France et en Allemag'ïC»®^
nations où des longues crises politiques ont compliqué la crise moK"^^®
et économique, de même la criminalité brutale et collective est l:>i^'*
moins intense en Russie qu'en Espagne et dans l'Italie méridion.^*'^*
L'opposition des climats ne suffit pas à l'expliquer. La raison en ^^^*
semble-t-il, que si la Russie a eu un développement tardif, interrorOP**
par certaines périodes d'arrêt, elle n'a pas, depuis la fin de la domî**^*
tion musulmane, subi une véritable régression. Il n'en a pas été aî**^'
en Espagne ni dans ses annexes italiennes. Le parasitisme colonial ^^^
venu compliquer et aggraver les dispositions du caractère nation^
qu'avaient forme k's luttes du moyen âge.
L Niceforo. Ln (h;liiufuenza in Sarde(/na. Criminalilà e condizione economith^r
in Sicilia. Analysées dans la deuxième Anîiee socioluyique.
r-
^
E-^TSES. — FOLILLÉË. La Fraucù au point de eue moral 295
A^i:r>si s'est constitué un peuple où la mendicité est réputée plus
horàoï-able que le travail et où le chevalier brigand est Tobjet d*un
hoTïi¥ïia^e univeraeL L'Allemagne du xy^ siècle avait aussi ses cheva-
liers-t^rigands immortalisés par les noms historiques de Gœtz et de
V^rmnz de Hickingen. Bien qu^ils eussent une autre puissance que ceux
d^ l3L Sierra- Morena ou du Nuoro sarde, bion quo rAîlcmagne n'ait
J£kTxia,i^ eu un pouvoir fort et centralisé comme celui de TEspagne, ils
ont de bonne heure disparu sans laisser de traces. C^cst qu'ils ne ren-
conti-£tient pas une complicité latente dans la conscience populaire, et
Is^ i^ £1,1 son en est que le régime moral, mental et économique du peuple
avait été changé par la Réforme et par révolution dont elle a été le
moment décisif. Au contraire le régime médiéval a été violemment
pei*pétué en Hspagne, étourfant tous les germes de progrés moral et
DOn<j,€krnnant les populations à singer en quelque sorte un passé tout
joiai^s plus éloigné des conditions d'une existence normale. De là la lit-
téra^tiire picaresque dont Cervantes est le représentant le plus illustre;
de là rassimilation spontanée des Bspagnols à une population infé-
r'iei.ire, les Gitanoa; de là les associations de malfaiteara qui sont
presque des organes de la constitution politique, comme Tétait la
(^»morra dans Tancien royaume napolitain. Ces associations dérivent
en effet vers le banditisme des sources d'énergie que le pouvoir spiri-
tuel et le pouvoir temporel redoutent avant tout de voir se consacrer
tau «iéveloppement de la culture moderne* le banditisme étant Tunique
forme de Tentreprise dans les pays soumis au régime mental et moral
qui fut longtemps celui de TKspagne.
Gaston Richard
III.
Morale.
^
^^- F'ouillée. — I4A France au point de vue mou al, 1 voL in-S» de
^ ^ibUfjthèfiiie de philosophie contemporaînej vî-416 p, ; Paris.
^; ^Ican, 1900.
*-*Ouvrage de M. Fouillée est un nouveau symptôme de la tendance
^ttielie des philosopher, et en général des « intellectuels u, à s'inté-
^^^r aux alTaires de leur tempe, en même tempa qu*il est une appîi-
_ *On nouvelle des principes généraux de Tauteur» Au reste les der-
^^s ouvrages de XL Fouillôe nous montraient déjEi qu'il n'était nulle-
Ij ^^t indifférent aux événements qui s accompîissent de nos jours, et
j^ ^^*y a pas lieu d*étre surpris qu'il fasse un devoir au philosophe de
^ t*^s se borner à la pure spéculation abstraite. « S'il est, dit-il dans sa
. ^'5ieé, nécessaire au philosophe de rechercher les fondeinenls théo-
^ '^^â de la morale, il ne lui est pas inutile de suivre en mt^mo temps,
*^ le milieu social de son époque, et surtout dans son propre pays,
* ii.i*che des idt^es et des sentiments. Spéculation et pratique se sou-
'* vériftent Tune Tautre, surtout en morale; les études con-
«ilbur moyen de ne pas perdre de vue la réalite pour
\
296 REVUE PHILOSOPHIQUE
l'abstraction. On a dit aux poètes : « Honte à qui peut chanter tandis
que Rome brûle ! » On peut dire aussi aux philosophes qu*il8 ne ss^'^'
raient se contenter de spéculer quand s'agitent autour d'eux des qu^a*
tions de vie ou de mort. Tel est du moins ce que nous éprouvons no«^B,
même, et ce sentiment nous excite à passer sans cesse de Tidéal au ré ^1-
du réel à Tidéal, afin de mieux comprendre l'un par l'autre et d'évi'C^^r
tout ensemble un rationalisme utopique ou un empirisme aveugle, i^
M. Fouillée s'est donc proposé d'étudier l'état moral actuel de ^
France, d'examiner les maux dont nous souffrons, d'en rechercher 1 ^s
remèdes possibles et de voir si nous sommes dans un état de décr^-
dence irrémédiable ou de crise peut-être passagère. Il étudie d'abord
l'état moral de la France et son état religieux. Ensuite il rechercl^e
l'influence de la presse et de l'opinion, puis il aborde la question de i^
criminalité en général et de la criminalité juvénile, et, en dernier lie «x->
les problèmes de l'éducation auxquels est consacrée près de la moLt^i^
du livre.
Il n'y a rien dans le caractère français, ni dans notre race, qui no^^s
condamne à une moralité inférieure. Les qualités sociales domina r^^
chez nous, un peu aux dépens parfois de certaines vertus individuelles
qui réclament Tcnergique développement de la personnalité intérieax"^)
plus manifeste chez les nations devenues protestantes. Mais en soiilixïc
la morale prend de plus en plus la forme sociologique, V humanité &^^^
de plus en plus, le but de notre activité, et à ce point de vue la Frano«
a plutôt devance les autres nations. La France contemporaine est svir-
tout 0 humanitaire ». Cela peut avoir certains inconvénients au pc^ittt
de vue politique, mais on ne saurait contester la haute valeur mor&l^
de cette tendance. Comment faut-il donc expliquer notre apparente
démoralisation actuelle? a C'est la crise de la morale», dit M. Fouillent
qui explique en grande partie la crise de la moralité. La philosophie
a failli à sa tâche, les opinions y sont devenues plus diverses et pl^^
individuelles, moins propres par suite à rassembler et à diriger 1^*
esprits. Elle a perdu une grande partie de son hégémonie qui pa.s^^
d'un côté aux littérateurs et aux artistes, de l'autre côté aux savants-
Mais ni les uns ni les autres n'étaient capables d'exercer une influent®
heureuse sur le progrès moral. « Littérature et art, abandonnés à cu^'
mêmes, ne pouvaient aboutir qu'au dilettantisme, au septicisme ^^
finalement à 1' « égotisme » de notre époque, qui est le contraire ^^
toute organisation. » D'autre part les savants, « cantonnés dans letir
spécialité et le plus souvent étrangers à toute culture vraiment p^i'
losophiquc », généralisèrent les notions incomplètes, transporter©^^
indûment dans le monde social des principes valables seulement da^^
le monde animal, et présentèrent comme scientifiques les hypothèse
d*une métaphysique aventureuse, en portant « dans leurs plus grosses
erreurs le sentiment de l'infaillibilité scientifique ». Les philosopb^^
n'ont pas su réagir avec succès, ils sont restés impuissants à dégager
le sens des grandes découvertes modernes. « Tandis que l'école d0
j^T^.AL,YSES* — FOLiLLÈE, La Ffâncê UH point de vue moral 2§7
\r» C_Jousin demeuiaït étrang^ère au mouvement des sciences ^ et même
do 1^ haute philosophie depuis Kaiit, — les Reuan et les Taine subis-
BSkl^^Mit la fascination des sciences de la nature^ en même temps que
ceH«3 de Thistoire^ de la littérature et de lart Le tout devait aboutir à
mn inaturalïsme étroit, voilé chez Tun par un idéalisme vague et déce-
V£krx r, chez fautre, par un appareil non moins trompeur de rigueur
log^icque. u De là le malaise actuel. On a voulu le rattacher seulement
à d^s causes d'ordre social, plutôt que d'ordre intelleetucl, on a dit
((ix^il fallait faire une moralité avant de formuler une morale. Mais
fl comment la faire, répondrons-nous, et comment la réaliser, si nous
UG dégageons pas, dans rédilice même de nos idées théoriques et pra-
ticjtji^st, les parties solides des parties en ruine? Et n est-ce pas là œuvre
d* intelligence, œuvre de doctrine philosophique et scientilique ? Un
ensemble d'idées, voila ce qu'il faut avant tout inculquer à la société
entière t. Au reste il est bien vrai que n la crise politique et la crise
sooiale sont venues augmenter encore la crise morale d,
L.^. crise religieuse aussi a son influence, et elle a été considérable.
Ori a^i^ combien rinfluence du catholicisme a été combattue chez
notas. Bans doute une lutte violente et aveugle a pu être une grande
fmtiio politique, mais on ne peut compter sur un retour à Tancienne
conception de la nature et de l'homme. Peut-être espérerait-on avec
plus de fondement un élargissement, une nouvelle adaptation du
**«*Riï3e, la souplesse du catholicisme pourrait rendre Ja chose possible.
î*eij.t-être aussi pourrait-on trouver quelque chose de lldéal chrétien
Q^^ris les principes qui dominent aujourd'hui, a Toujours est -il que la
®^Cïnlarîsation de la morale et de la religion et leur rétablissement sur
^^n l^ases sociologiques demeure la mission propre et la tache de la
«•rance. SU y a^ selon Texpression de Carlyle, des hommes représen
*^tiriijl y a encore mieux des nations représentatives* La France, en
^^pit de ses détracteurs et de ses envieux, représente les grands prin-
cipes de la Révolution» c'est-à-dire l'idée des droits é^aux pour les
«Orti rïîes en tant qu'hommes et Tldée de la solidarité humaine, C*est
tir oeg principes que vit la France; la est sa force, là est sa grandeur.
^^^ idées directrices de la France sont les conditions d'existence de la
Pïï'ti'i^ française, et il 3e trouve que ces idées sont en même temps les
_^no€ptlons essentielles d'une religion morale et sociale» par cela mâme
^^^ reliï^ion universelle, o
^-•^ presse ne contribue pas médiocrement, d*après M* Fouilléei à
*^«*^ désarroi moral. Les scandales, les diffamations, la propagatio"
*^ débauche et du crime, voilà ses griefs contre elle. Et il indiqt
les
liOi
*^eaurea à prendre pour se préserver : <f Çoinplète liberté de la presse
*^r^tit]que^ religieuse, littéraire et politique, mais sous la condition
*^^ complète respon^ahiUlê : voilà, selon nous, la seule solution
r ^^^ et ie seul remède à tant de maux* j> Donc pas de lois préventives
a2^^^^ la presse, elles sont injustes et dangereuses* mais des lofs
^€r^
nsives et répressives. «En somme^ clani notre société si complexe i
298 REVUE PHILOSOPHIQUE
il est vain d'espérer que les choses s*arrangeront toutes seules, comi
Teau agitée reprend son niveau. C*est une vérité élémentaire de socs-^c
logie que, plus le domaine des libertés s*étend, plus s'étend aussfi. 1
domaine des lois et des sanctions, qui soumettent les rapports de cse
libertés à une règle d*égalité et de respect mutuels. Notre législatioi
de la presse est à Tétat informe et chaotique : Tintérêt de la presse,
comme sa dignité, est de réclamer elle-même la justice, qui ne peut
être que l'organisation de la plus grande liberté pour tous, et d'une
responsabilité égale en étendue à la liberté elle-même. » Et M. Fouillée,
entrant dans le détail, indique une abondante quantité de mesures à
prendre. Parmi ces mesures peut-être en est-il qui paraîtrait rentrer
assez difficilement dans le rôle que leur assigne M. Fouillée lorsqu'il
dit qu'il s'agit, avec elles a non pas d'enlever préventivement la liberté,
mais d'assurer la responsabilité ». Je cite quelques unes de ces mesures :
réglementation de Tinterview, réglementation de la chronique judiciaire,
organisation d'un compte rendu judiciaire ofliciel, interdiction de»
comptes rendus d'exécutions publiques ou compte rendu officiel et som-
maire, juridiction rapide et même immédiate pour les délits de presse,
possibilité de poursuivre le propriétaire et le directeur du journal, sup-
pression de la gérance fictive, fortes amendes et forts dommages-inté-
rôts attribués partie d'office, partie sur la demande du plaignant, tri-
bunal composé d'un magistrat, de quatre ou six jurés et de deux expertst
écrivains eux-mêmes ou journalistes; permission plus étendue de faire
la preuve accordée aux journalistes pour les faits qui ne sont pas de 1^
vie privée, obligation de réhabiliter et de rembourser les journalistes
condamnés pour de prétendues diffamations, justifiées plus tard p^r
des preuves nouvelles, etc.
Abordant la question de la criminalité, l'auteur, tout en reconnaissait*
que « la criminologie socialiste met bien en lumière un côté des choses
sur lequel elle attire à bon droit l'attention », lui reproche denevoirq^^*
ce côté. Les conditions économiques ne rendent pas compte de toi**-
« Moralité et immoralité ont des causes principalement morales. Cette
loi se vérifie de plus en plus à mesure que la civilisation avance. '
Actuellement des causes en partie économiques, en partie intellectuelle^»
ont vicié le milieu moral pour les enfants et produit une effroyabl^
montée de la criminalité juvénile. Il serait injuste de s'en prendre •
l'école, il est faux que notre enseignement obligatoire soit responsab*-^
du flot montant de la criminalité juvénile. « Toutefois, si l'école n'ap^^
créé la criminalité croissante de l'enfance, il faut concéder qu'elle ne 1 *
pas empêchée autant qu'on l'aurait attendu et qu'elle aurait pu le faire- •
C'est que l'enseignement a été trop intellectualiste, et insuffîsarameï**
préoccupé de l'éducation morale. De plus on n'a pas assez cherché d^^
fondements nouveaux à cette éducation au moment où Ton émancip*-''
les esprits des anciennes croyances. « Le scepticisme moral aété.cbe^
les enfants et jeunes gens, le trop fréquent résultat du scepticisiïï^
religieux. »
^•jrALYSES. — FOUILLÉE. Lu FtaftcB uu fùïnt de v%w moral 299
Dans les deux derniers livres de son ouvrage, ^ï. Fouillée s*oecupe
(J^ l*instruction et de réducatton. Tout en acceptant reneeig^nement
u rïi^'ûrsel, intégral , comme un idéal pour Tavenir, il demande que cet
ei:i saignement se fasse aussi de plus en plus spécial pour favoriser les
rocs^a-tions individuelles et la division du travail social. Surtout il devra
êtM-^ éducatif et non pas seulement instructif. Il devra aboutir ainsi à
lu. I^ormation d'individualités distinctes et d^une élite naturelle. Mais
on ^ trop voulu donner à tous un savoir encyclopédique. « Donner aux
erx f^i^uts des clartés de tout est bon, sans doute, mais importe moins que
d^ l^^ur fournir des notions précises sur ce qui leur servira néceasaire-
id^sKït dans la conduite g^énérale de leur vie et dans leur profession par-
ti^^milîère. Or pour la conduite générale» qu'est-ce qui importe? C'est
Vort i-atle de la morale, surtout civique. Et pour la profession particulière»
le "technique ne pouvant être admis dans Técole priraairei que faut-il
donner aux élèves? L'instrument scientifique général. L'instrument
«c^i^mifique c*e3t une bonne connaissance des mathématiques et des
gra.r^<ltr3 lois de la physique. Le reste est accessoire... En faisant à la
inofale une large place, on donnerait » renseignement primaire le
leial caractère universel qu'iï puisse acquérir. L'enseignement de la
iaoi*sfcle, surtout sociale^ danî* Técole et dans les cours complémentaires
à^ l*ccole, est... le vrai moyen d*unifier et d*intéf^rer tout l'ensemble
âe® oonnaissances, d'aboutir à l'instruction par Téducation. »
ï*iisîsantà l'instruction secondaire, M. Fouillée, après avoir exposé son
Opit^ion sur la nécessité de donner aux diverses éducations, classique et
laoclorne» une sanction et combattu réqui valence des diplômes» se pro-
»noiioe contre le monopale universitaire. Il ne veut même pas que l'Etat
puîs££e exiger a Ventrée des (onctions publiques un certificat d'études
ttnix^eraitaifes;il demande seulement que l'enseignement de TÊltat soit
'^^ïii is à des conditions de recrutement sévères, non seulement au point
oe Vile intelîectueî, mais au point de vue moral et sonîal. Enlin il insiste
^^^ l'éducation morale» et sur la nécessité des idées et des doctrines
P*uloaophiques dans renseignement. Les sciences positives ne peuvent
loufriir le fond de Veducation morale et sociale; l'enseignement des
_^ttrcîg a une valeur êducatrice et moralisatrice, mais tl ne saurait suf-
5^" *r l^u moment où la France, devançant les autres nations à ses
"^qUés et périls, renonce par la force même des choses, à l'organisa-
^^ religieuse de l'enseignement, elle doit avoir recours a rorganisation.
"**llosôphique et sociologique. » La philosophie prend ainsi, dans Teti-
*^nement, une place d'honneur, et « ce qui importe, c'est le côté
^ rai et social de ïa philosophie, comme aussi ses grandes conclusions
^IrinaieSj dans ce qu'elles ont de plus propre à réconcilier les
R^> croyons pas que les points où les doctrines se rapprochent soient
^ plus superficiels; ce sont au contraire les plus profonds : plus on
**^ au centre des choses, plus on entrevolt leur unité. Aussi serait-il
^1 important d'enseigner avant tout aux professeurs eux-mêmes les
300 REVUE PHILOSOPHIQUE
sciences philosophiques, morales et sociales. « Tous les maîtres doir^nt
être avant tout des moralistes, et, pour cela, avoir reçu euz-môcxies
la vraie instruction morale, o
C*est surtout dans renseignement supérieur, dont M. Fouillée dit
quelques mots en terminant, quUl importerait de donner Tessor aux
études morales et sociales. L*organisation actuelle est bien insuffisante
à cet égard.
Dans sa conclusion, M. Fouillée. se demande si les tendances de 1&
génération actuelle indiquent vraiment une décadence morale. Ils
pense que nos maux actuels ne justifient point un diagnostic pessi-
miste, et il n'est pas sans espoir pour le siècle qui va commeocer-
« Après le xviir siècle, qui fut révolutionnaire et français, après le
xix^ siècle qui fut réactionnaire et anti-français, apparaîtra Baii.0
doute un siècle plus proprement humain. Déjà, sur le déclin de nos
temps troublés nous avons vu l'impérialisme russe, après des progrès
intérieurs successifs, revenir vers la France de Tabbé de Saint-Pierre
et rêver d'arbitrage universel. Les idées incomplètement formulées ^t
mal pratiquées par la France prendront leur revanche dans la second^
moitié du xx<' siècle qui, selon toute apparence, sera un siècle d'inspî"
ration sociale et de réformes sociales... Tout ce que nous aperce-"
vons aujourd'hui à l'état inorganique et anarchique, — science moral-^
et sociologie, liberté politique et suffrage universel, production cidi ^"^
tribution industrielles, associations de toutes sortes au seindeladém^''
c ratie qui se cherche elle-même, relations de droit international, — to*-»»*
cela recevra enlin, espérons-le, un commencement d'organisation r^^"^
tionnelle... Mieux vaut pour nous, Français, préparer cet avenir q"»-*-*
veut naître que de songer au siècle achevé qui ne peut que mourir» ^^
On retrouvera dans le nouveau volume de M. Fouillée les qualit^^^
habituelles do l'auteur, le sérieux et l'élévation de la pensée, la péa ^^^
tration et la souplesse, avec une grande abondance d'idées et de i
seignements. Ses opinions ne sont jamais négligeables et Ton peut i
pas les partager toujours mais il en faut au moins tenir compte. lia'
mérite qui devrait être commun et qui ne l'est certes point, de mail
tenir avec force les droits de l'idéalisme et ceux du naturalisme, 1^
droits do l'idéal et ceux de la réalité. Si ses préférences vont vers l'idé^
et s'il voit surtout dans l'étude des faits un moyen de le mieux co*^ -^^|
cevoir et d'en mieux préparer la réalisation, je ne pense pas qu'il y ^^^^ ^
là matière à critique, au contraire. Je suis heureux encore de le v(^
défendre l'intellectualisme si mal compris et si singulièrement mépri^^^^
depuis quelques années, même par des critiques qui ne s'en font pa^ '^^
semble-t-il, une idée bien nette et qui ne l'ont vraiment pas approct^^^^^^
d'assez près. Du reste, je ne veux pas afiîrmer que M. Fouillée n'ait pa- ^^TV
je ne dirai pas exagère le rôle et la portée de l'intelligence, mais plut^^-^
un peu méconnu le rôle et la portée de la pratique et de la pensée n<^ ^
réiléchie dans la formation de l'idéal moral, bien qu'il ait hautemcr^^
reconnu l'importance du sentiment. En fait l'intelligence réfléchie dp- ^
AlTJklL.TSES. — FOUILLÉE. La France au point de vue moral 301
peut guère s'exercer que sur les données de la pratique, du sentiment,
de \sL conception spontanée, de Tidée brute si je puis dire. C'est pour*
quoi il est bien juste de dire que pour formuler une morale il faut
d'abord que cette morale existe dans une certaine mesure, et souvent
elle se crée, ou plutôt elle s'ébauche peu à peu, en dehors, semble-t-il,
de préoccupations proprement morales, par les réactions spontanées,
par le jeu de tendances diverses, égoïstes ou non, par la formation et
la cordination de groupes sociaux, de relations sociales nouvelles.
De xnéme que la théorie scientifique peut sortir d'observations d'abord
confuses et faites un peu au hasard, de même la théorie morale sort
d'une pratique spontanée ou imposée par diverses circonstances sans
préoecupations morales bien nettes. Peu à peu un sentiment d'obliga -
tion ou de devoir correspondant aux pratiques nouvelles se dégage et
se précise. L'intelligence intervient pour lapprécier, le critiquer, en
reconnaître les éléments, en éliminer ou en signaler les impuretés, le
mettre en harmonie avec un ensemble d'idées et de préceptes adoptés,
lui donner la forme achevée et correcte qui se généralisera ou qui
tendra à se généraliser. La formation de syndicats ouvriers ou de
'^Hîiétés coopératives fondés dans un simple but de défense ou d'éco-
nomie peut ainsi faire naître peu à peu tout un ensemble de senti-
*û®nts spéciaux qui deviendront le corps d'une morale restreinte d'abord
^ professionnelle, qui s'étendra et se généralisera par la suite, s'har-
n^onisera avec les données morales 'obtenues par d'autres voies. Cela
n empêche pas que, en certains cas, l'intelligence précède la pratique,
conaxjQg^ en science, la théorie précède parfois l'expérience et la pré-
P»J:*e, Ily a là un enchevêtrement d'actions et de réactions très variables
®^ très diverses. M. Fouillée sait bien tout cela sans doute et peut-être
''^exïlera-t-il dit. Il m'a paru, en certains endroits de son livre au moins,
^^ il ne tenait pas assez de compte de la part* considérable de l'intelli-
fiTQUce spontanée et de la pratique directe, des réactions presque auto-
^^^iques suggérées par les nécessités de l'existence chez l'être vivant,
■^i*tout chez l'être social.
*^^ ut-être, pour une raison analogue, donne-t-il trop d'importance
^^ lois écrites. Il va jusqu'à retourner un adage connu et à demander
^,'^^cl mores sine legibus? Il demande beaucoup de règlements et
. ^^t*ichissements du code; je ne voudrais pas nier l'utilité des lois, je
^^fendrais même au besoin. Formuler et prescrire officiellement
'^^ Yègle de conduite c'est créer une tendance à la faire observer,
"^^ia la tendance ainsi produite peut rester bien faible. Encore faut-il
*^oir si les lois seront appliquées et par qui elles le seront. Or lors-
"^ ^lles sont en désaccord avec des sentiments puissants, souvent elles
^ aoDt pas appliquées. Et lorsqu'elles sont appliquées, il n'est pas
^^^e qu'on s'aperçoive à l'usage qu'elles ne donnent nullement les
^*U.ltat8 espérés, quand elles ne vont pas directement contre le but
rOUi» lequel on les fit. Je sais bien que M. Fouillée se plaint, non sans
*^Uon, de la façon dont nous avons été gouvernés. Seulement le gou-
302 REVUE PHILOSOPHIQUE
vernement est bien, dans une large mesure, le résultat fatal de l'esprit
public et de la manière dont il se manifeste. Je n*irai pas jusqu'à sou-
tenir contre M. Fouillée les adages connus : un peuple a le gouverne-
ment qu'il mérite, la presse qu'il mérite, etc. Ils sont vrais dans une
certaine mesure, ils ne le sont pas complètement. Ils le sont assez pour
qu'un simple changement de constitution, à Theure actuelle, ne
paraisse pas devoir donner des résultats très heureux, au moins d'une
manière durable. Changer la manière dont la volonté populaire se
manireste ne serait ni très facile, si la modification devait être coDsi-
dérable, ni sans doute très longtemps efficace. Resterait donc à chan-
ger cette volonté même, à développer l'esprit public qui la dirige et U
détermine. C est une grande et difficile affaire pour laquelle il n'est
pas superflu d'employer tous les moyens depuis la constitution et
l'organisation d'œuvres diverses, de groupes sociaux infiniment variés.
jusqu'à la discussion et à la méditation philosophique.' L'œuvre même
de M. Fouillée n'y sera pas inutile, je Tespère, et si elle l'était ce x^e
serait pas par la faute de l'auteur. Mais la tâche est immense, et sinon
impossible, tout au moins extrêmement longue et ardue. Peut-ôtre
M. Fouillée, qui m'a paru ne pas toujours reconnaître toute l'impor-
tance de la pratique, a-t-il un peu trop négligé, dans ses considéra-
tions sur ce sujet, les facteurs économiques et certains autres facteurs
sociaux. Il ne les a pas méconnus absolument, mais il n'a examiné xjlu
peu longuement que les conditions intellectuelles de la moralité, 1*
presse, l'éducation, etc. Sans verser dans le marxisme, il eût mieiv
valu, à mon sens, étendre son étude, et préciser davantage l'influence
des conditions sociales en général sur la mentalité d'un peuple, ^^
si Ton veut, Tinfluence de l'organisme social sur Tâme sociale.
Il est encore quelques points sur lesquels je discuterais volontiers.
M. Fouillée, que je trouve plutôt un peu pessimiste à propos de i'
presse (non que ses critiques ne me semblent exactes, mais elles o^
me paraissent pas suflisamment équilibrées par la considcratioa de
l'utilité de la presse et des services qu'elle rend, bien que M. Fouillée
reconnaisse ces services et cette utilité), M. Fouillée, dis-je, me paraît
un peu optimiste en certains cas. Il y a, je le crains, quelques illusions
sous ces mots : c Nous avons encore, dans notre pays, trois choses
fortement organisés : la Justice, l'Armée, l'Université. Au moment
même où nous écrivons ces lignes, la justice et l'armée sont, toutes
deux à la fois, battues en brèche injustement par des passions cou-
pables... » Et je crains qu'il n y en ait aussi dans son appréciation de
l'affaire Dreyfus : « Au point de vue moral, dit-il, nous ne saurions voir
un symptôme fâcheux dans le grand mouvement d'opinion qui s'est
produit récemment chez nous à propos d'une question de justice, les
uns craignant que Ton n'eût condamné un innocent, les autres crai-
gnant que l'on ne répandît une injuste déconsidération sur des juges
innocents et, par contagion, sur l'armée chargée de défendre la patrie ».
Certes je ne suis pas, pas plus que M. Fouillée, de ceux qui feraient
ANALYSES. — ËfiNS? HAHCUS. Die ùmacte Aufdeckung 303
« un crim€ à la France de s'cire passionnée pour une question de vérité
«t d équité qui dans tous les autres pays, eût été immédiatement étouf-
lL*e par l'autorité, surtout à cause de son caractère international, » Au
coîitraire, je lui reprocherais plutôt de ne pas s'être assez passionnée.
Et surtout le symptôme f;icheux qui me parait ressortir des derniers
événements, c'est qu'une grande partie de ceux qui ont pour fonction
sociale d^iostruîre et de diriger les esprits aient mis sî peu de clair-
voyance, ou si peu de bonne foi, à se faire une opinion. Que la foule soît
restée indécise, se eoit Irompée^ cela serait moins grave, encore aurait-
elle dû savoir choisir ses guides. Mais il est très inquiétant pour un
pajsde voir que TéLite même possède si peu les qualités qui Lui seraient
nécessaires. (> Depuia la situation où nous a rais la guerre de l 87(1»
beaucoup d'autres nations auraieut-eUes osé faire plus que nous
n'avons fait? » se demande M, Fouillée. Peut-être bien que non, en
eHTet, mais cela eiit été fâcheux pour elles. Mettons que ceïa nous soît
de quelque consolation, Sans doute, il faut penser un peu aux étran-
gers pour n'être pas trop sévère envers les siens, comme il est bon de
relire rhistoire lorsqu*on est porté à juger durement l'époque présente,
J'ajouterai que M. Fouillée me paraît pouvoir rendre un véritable
service en maintenant et en développant comme il le fait à plusieurs
reprises un certain esprit de hiérarchie, de distinction entre ce qui
Vaut plus et ce qui vaut moins qui s'affaiblit et surtout qui s'altère en
^^^ lemps-ci d'une manière dangereuse, par suite d'une fausse manière
d'entendre ce qu'il y a de boa et devrai dans les tendances égalitaires.
Mai a le livre de M. Fouillée serait une inépuisable source de commen-
^^ir©g et de discuasious. soit que Ton partage ses opinions, comme je
l^^use que cela arrivera souvent à hcs lecteurs^ sott qu'on s^eu écarte
^^las ou moins*
Fr. Faulïian.
JEmst Marcm. Dib bkacte AuFnEcitUNtJ ues Fundaments der Sitt-
^ïl^HKEir liND EELIOIOM UKD OIE KONSTRUCTiOX DER WeLT a OS OEN
KlEMEXTEN DE» Kant. 4 v. gr. ÏB &* en deux parties de xix 1-240
*t tGl p, Leipzig, llerraann Haacke, 189ÎK
L Le titre de Touvrage de M. Marc us renverse Tordre des deux par-
B tJii qui constituent cet ouvrage; maî^ ce renversement môme exprime
^ «vec exactitude Tidée fondamentale de l'auteur. Comme celui-ci nous
riïidique dans les premières pages de sa préface i^ur Otieniierung
deê Lesersj. le but qu'il a poursuivi est tout moral et social; et, en
ceci tout au moins, il s'est montré le fidèle disciple de Kant* Son livre
est une œuvre de polémique contre les faux savants qui empoisonnent
tiés esprits de leurs hypothèses mensongères, ?ichopenhauer, Hart-
IIDann, Nietzsche, les matérialistes^ les évolutionuistcs, tels i^ont les
i. Niceforo. Lti dHinf^ueriza in Snrdt'ffaat cUap, n et lU.
304 REVUE PHILOSOPHIQUE
principaux adversaires dont il veut combattre l'influence. Mais on ne
peut les combattre que du point de vue exact de la sienne. C'est
pourquoi M. Marcus veut élever la doctrine kantienne à la dignité de
science exacte, ainsi qu'en témoigne le sous-titre de son ouvrage :
Élévation de la Critique de la raison pure et pratique au rang de
science de la nature. Il sait bien que la théorie n'agira pas immédia-
tement sur la conduite; mais il pense qu'elle modifiera peu à peu la
conscience publique , laquelle ne peut manquer enfin d'agir sur la
conscience individuelle. Ce n'est pas à dire que M. Marcus ait fait un
simple décalque de l'œuvre critique de Kant. Lui-même nous raconte
comment il est parvenu à ses conclusions. Il a repris le problème
général dans les termes où Hume l'avait posé et Kant rétabli; et, par
la méditation personnelle, il s'est trouvé en accord foncier avec Kant.
Cette rencontre lui paraît un signe de la vérité de la doctrine. Autre
signe, intrinsèque celui-ci : l'hypothèse kantienne est en accord entier
avec tous les faits de l'univers. Voilà qui l'établit- solidement. Les
autres hypothèses se trouvent toutes contredites par des faits indubi-
tables. Parmi ces faits, ceux de la conscience morale sont en première
ligne. Et M. Marcus consacre une bonne partie de sa préface à mon-
trer combien est vainc la prétention d'expliquer la conscience morale
par l'hypothèse de l'évolution. Le seul fait de rechercher la vérité est
déjà une preuve de la loi morale. De plus, le seul fait d'un contrat»
quel qu'il soit, institué entre les hommes, démontre que lescontrao-
tants ont l'idée de la moralité et de l'obligation. De tout ce qui pro-
cède, on conclut' aisément que M. Marcus n'a pas détaché de ï'œuvir^
critique de Kant un morceau isolé; il a repris cette œuvre to«*r
entière, et il fait précéder son enquête sur les fondements de l'éthiq^^®
d'une autre enquête sur la constitution de l'esprit et du monde. Ceirte
première partie n'est à ses yeux qu'une esquisse; il se propose d®
publier plus tard un <j:rand ouvrage sur les fondements de la connais-
sance. L'esquisse qu'il nous offre aujourd'hui nous fait juger à^
maintenant que l'œuvre annoncée offrira un intérêt très grand. C'est
chose rare, et presque paradoxale, que de voir un penseur allemaO"
abandonner de nos jours le point de vue empirique et évolutionnis^c
pour revenir au point de vue do Kant. Tandis que l'Angleterre, quai*'
fiée de positiviste, revient à la spéculation métaphysique, rAllemagn^»
qualifiée do métaphysique, s'est donnée tout entière au positivisme ^'
au darwinisme. M. Marcus s'élève à bon droit contre cet oubli ^f
rà-priori, qui est à ses yeux un oubli de la logique. Il pense avo*^
démontre de façon irréfutable les principales thèses du kantisme ^^
avoir interprété celui-ci de la manière la plus fidèle, contrairement
ceux qu'il appelle les Kpigones de Kant, et parmi lesquels il f**^
comprendra l'ichte et Hcîgcl, aussi bien que Schopenhauer et Ha*"*'
mann.
La deuxième partie de louvrage de M. Marcus reproduit ass^
exactement les divisions de la Critique de la raison pratique; ^^'
ÂICALYSES. — EftssT SJARCUS, Die e3:a€t€ Ânfdeckung 305
ni se flatte d'avoir complété Kant, notamment en ce qui concerne
rappUcation de la loi morale au monde sensible, ainsi que le primat
le la raison pratique sur la raison théorique, il ne modifie pas grave-
iient ta doctrine de son mailre. Il serait 1res utile de se servir de cette
iiterprétatîon pour lire, en raccompagnant d'un commentaire sérieux»
•œuvre même de Kant C'est dans la première partie que M. Marcus
lous paraît avoir faît subir à la pensée kantienne d'importantes
léviatjons (peut-ctre, ainsi que lui-même Testime, d'heureuses correc-
lonsO n donne comme sous-titre à cette partie : Passage de la cri*
lique de la raison pure à la critique de la raison pratique; et il a^eat
ifTorcé, en effet, de trouver un lieu étroit entre la théorie et Taction.
Coût le chapitre IV {Organisation pragmatique) est consacré à cette
^©clicrche; et c*est là qu'il développe tout ensemble sa théorie de la
^uaaljté et sa théorie corrélative de la liberté. Il admet la liberté
|ans un sens beaucoup plus large que Kant, et il ta considère comme
tine condition de toute connaissance et de toute pratique; néanmoins,
1 rejette le libre arbitre, et il parait réduire cette liberté à une spon-
Bnéité de la conscience. — Un autre point sur lequel M, Marcus
léveloppe une doctrine originale, c'est le problème de la nature do
*a priori. Il semble qu'il considère Va priori comme un contenu pri-
piîtjf de la conscience» dont Texpérience constituerait les modifica-
ions* Il fonde cette manière de voir sur ce qu'il appelle la loi de la
mbsiitutiùn homogène^ en vertu de laquelle un mode de la conscience
\m peut succéder qu'à un autre mode relevant du même genre. Cette
aanièrc d'entendre l'existence de l'a priori rappelle celle de Hartmann^
tvec cette dilTérence capitale que Hartmann fait appel à rinconscient,
lundis que \L Marcus n'admet pas la possibilité de rineconscient- Nous
Otitons que cette interprétation soit conforme à la pensée de Kant.
Cftfsque Kant dit que la connaissancs commence av^ec rexpérience^ il
^ semble pas qu'il veuille opposer à la connaissance une conscience
rii^ineïle qui serait antérieure à rejtpérience. La table des catégories
B M. Marcus diffère notablement de la table kantienne. Surtout il
pt loin d'attribuer aux catégories ta même importance que Kant, et il
te voit en elles que tes applications de ta règle a priori, qui permet
ranticiper sur rexpérieace. Mais la nature et la valeur de cette règle
t priori semblent insudisamment établies. 11 semble que Kant ait
rouvé un fondement plus solide dans l'unité synthétique de l'aper-
eption. — Il est nécessaire de dire quelques mota de ta théorie de
i. Marcus relative à ta chose en soi. L'existence de la chose en soi
Ht paratt iodubitable. Mais il ne croit pas que ta chose en soi dépasse
es limites de la pensée^ car elle serait alors un non-sens. Voilà qui
condamne la théorie métaphysique de Sohopenhauer. La cliose en soi
iépaase seulement les limites de rexpérience sensible » et répond uni-
^n^meot à l'idée de la raison. Pour déterminer la nature de ta chose
n soi, il faut recourir à la critique de la raison pratique, qui Tiden-
Mêra avec la volonté rationnelle* C'est, samble-t^il, à la chose en soi
I TO«K t, — 1900. 20
306 BKVLE t*«lLO^t>PIÏ!Qi;K
qu'il faut rapporter les data irrédtietibles et inexplicables de la ^^
naissance. La doctrine kantienne de la chose en soi adonné lieu à fc
d'interprétations diverses, que nous ne saurions décider si cell^
M. Marcus est exacte. Nous ne Voyons, quant à nous, aucun ir».
d'admettre cette hypostase mystérieuse; el il nous sembJe que F
de la raison ne réclame pas ce complément indétermînable.
En somme, Tessai de M. Marcus eat un des plus remarquables
nous connaissions parmi les tetitativea récentes de philosophie ^^
raie. Espérons qu'il nous donnera bientôt le grand ouvrage qu il a *
promet.
Théodor Elsenliaos. — BErTU.EGE zun Lehhe vo^ï Gewis^
(Extrait des Tht'ohgischf^ Studien. W fascicule. — Brochure ïtl. ^
àù pages; Gotha^ Perthes, 1900.
M. Elsenhans, auteur d'une étude connue sur VEsmnce et t'c^
gine de la conscienco (1^94), s^altache ici à définir avec une précis ^
plus grande, robjet d'une psycholopfie de l'Éthique, La morale c^^
ûesser d'être une simple technique pour devenir une science, C^^
science a un objet défini : c'est la psychologie de la conscience morj?^
Certains voudraient rattacher la théorie de la conscience à la théo^
économique de la vaïeur. Mais une telle recherche n'est scientifii^^
qu'en apparence^ car elle ne fait aucune place à Tétude des variatic::*
de la conscience et par suite à Tétude de ea genèse. Il n'est pas v ^
d'ailleurs que la conscience morale échappe à l'analyse en raison
sa nature plus sentimentale qu'intellectuelle, — On peut faire ce ^
analyse à trois points de vue. On peut d'abord distinguer les dif:^
rentes directions dans lesquelles les éléments affectifs de la consciei»-
se déploient; on peut les distinguer des autres sentiments moraux: '^
peut en chercher la connexion avec la vie totale de Tesprit* L'auto
reste fidèle à ce plan. Il distingue soigneusement la conscience morsr^
du sentiment religieux, les éléments objectifs de la conscience, ^-
sentiments moraux auxquels n'est pas unie l'idée du moi; enfin
s'efforce de montrer que la conscience morale est à l'humanité entier
ce que la cœnesthésie (Gemeingefûhl) est à Torganiame indl^^
duel.
Notons surtout l'étude très fine des rapports que la consoien^
morale soutient avec le sentiment religieux. L'auteur est pasteur; r^
d'étonnant si, après avoir bien distingué les sentiments moraux c^ff
sentiments reliofieux, il s'attache à montrer le concours que ceux
peuvent apporter aux premiers. Quand la conscience morale e«t re ^
gieusement déterminée par les idées de la justice et de la grm^^*
divines, il se fait une combinai^^on des sentiments moraux et des se
timents religieux. L'effet en est de modifier la quftlllé et Tinten^^
des premiers. Chez l'homme religieux les i
iS
.^%.LTS£S, — K, éLËUTHÊuoPûCLOS* DûS Reckt dm Starkeren 3U7
coloration tout autre que ohez le pur rationaliste; cette modification
qi^î^l itative, à vrai titre, ne se laisse guère définir et, pour la concevoir,
il f î.^ mi ravoir vécue. L'intensité des sentiments moraux est générale-
ino WTM. l accrue par leur fusion avec des sentiments dont TexciUlion est
d'os* ci inaire beaucoup plus forLe. L^auteur reconnait que les erreurs
reli^'ieuses pénètrent alors avec facilité dans la conscience et peuvent
icof^i^inier une déviation aux sentiments moraux. Peut-être aurait-il pu
ètro conduit par là à chercher ni toutes les formes du sentiment moral
eool: compatibles avec le sentiment religieux même le plus pur et si
Ta! I i ance de la religion, après avoir fortifié la conscience morale durant
ses premières phases, ne lui fait pas inhibition plus tard-
Cet opuscule est To&uvre d'un esprit familier avec les travaux les
plu» récents sur la psychologie des sentiments. Aussi aurait-on sou-
limité avoir son avis sur la question si controversée des limites de la
psychologie et de la sociologie, queîition qui intéresse si directement
toute riithique, — Elsenhans estime à la fois que la racine de la con-
st.*îençe est dans U vie affective et que les sentîments de la conscience
(Oewissensg'efiihle; sont distingués des autres sentiments moraux en
ce qu'ils sont liés a un jugement réîléoht que le moi porte sur lui-
Maïs ces sentiments moraux étrangers à la conscience morale déllnie»
«lue peuvent-ils être sinon des sentiments collectifs? Dès lors, quelle
Isolation la conscience morale réfléchie soutient-elle avec la conscience
«ilte collective? Procède-t-elle d'une évolution ou d*une dissolution de
ct?t!e-ci? Cette question se laisse ramener à une autre pîua générale.
l^ft psychologie de TEthique ne devra t-elle pas être une branche de
^^ Psychologie sociale, j'entends une psychologie consacrée à l'étude
^^^ liens qui unissent le Moi au « Nous » ou à ce que l*on nomme,
t*^*tJt-ètre très improprement, la conscience collective?
Gaston RiGHAADt
^^ ^br. Éleuthéropoulos . Das Reçut des Stahkeren* Die
.^^^^il'LrCÎHKISIT OCiEïl ElN PÛLITISGH-nECHTLiUHEll TRACTAT. 1 VOl,
*a-^ de \M pages- Zurich, Caesar Bchmfdt, 1897,
Ce livre nous présente une conception toute matérialiste du Droit.
*pf 68 Tauteur, la force est le seul facteur à considérer dans U for*
^^lioi^ et dans l'c^volution du droit et de TÉtat, Droit idéal, État idéal,
^ '^reH chimères ^ nées de la cervelle des métaphysiciens. Le désir
^fit^l^ regardé par certains sociologues tlnalistes comme le moteur
^ * histoire n*a pas davantage de réalité. Tout au plus pourrait-on le
. Cartier comme un épiphénomène subjectif du jeu mécanique des
extérieur es qui seules engendrent le Droit et rËtat.
' 'm explicite à cet ég.ird que le passage suivant, où
.ifjulos oppose sa théorie de la g'enèse de l'Etat à la
* "* de Jhering, tt Ainsi naît TEtat (de la horde et de la
3ûâ
HËVUE PHlLOSOPRiaUE
geiu par un processus tout mécanique^ il est le prolongement de la
société primitive; il est détermiQé extérieurement par la lutte directe
(contre le dehors) pour rexistence et se présente intérieurenieut
comme l'organisation de la gens devenue organisation politique. Le
rapport d'individu à individu n*eat pas changé, mais le rapport de
l'individu BU tout, — H me sembla que c*est une conclusion erronée
(celle de Jheritig} que celle qui consiste à tout rapporter à raftirmation
égoïste (die egoisliche Selb&ibehauptung) des moï indlvidueU et à
conclure que c'est un but individuel (individuelle Zvcco/0 qui a con-
duit du Droit à TEtat K Xon seulement TËtat n'est pas le produit du
Droit, ce qu'affirme cette théorie, mais il n'est en aucun sens le pro-
duit d'un but individuel. Dans le premier caa, le droit est regardé
comme quelque chose qui existe de tout temps, en soi et par soi; ce
qui comme nous le montrons plus loin est faux; dans le second cms
(quand on suppose que le droit résulte des égoïsmes individuels), on m
aboutit à une conception qui contredit radicalement Teicplicalion de ^
rÉtat comme organisation politique issue de la gen^ et de lu horde.
— Ce n*est pas un désir individuel, mais la pression (cfiR Nôtigung]
de la lutte directe pour rexistence; c'est donc la conservation de Tes- ■
pèce qui a réuni les hordes. Et c'est là, comme je l'ai montré, Torî-
gîne de l'Etat. Il ne peut être question d'un biit^ qu*il s^agisse d'un
but général ou d'un but déterminé, parce que naturellement la vie ne
se définit pas par une fin quelconque. Ajoutons que le sauvage ne fait
jamais quelque chose iî pour faire quelque chose v»; il ne vît ^m
« pour vivre u; cette dernière manière de vivre est le privilège de
l'homme moderne. Naturellement, on vit parce qu'on fit et la hûrde
ainsi que TÉtat naissent non pour réaliser un but conscient ou incon-
scîent, mais sous Tunique pression de la lutte directe pour resis- i
tence » (pp, 133 et 134). M
Telle est rexplication antifinaliste de M, Eleuthéropoulos et sa réfa-™
tation de Jhering. Outre que M. E^ noua paraît commettre une sorte de
cercle vicieux en rejetant li\ théorie de Jhering sous le seul préteiEte^
qu'elle est en contradiction avec sa propre explication, il est permis V
de se demander si le mécanisme simpliste de Tauteur rend véritable-
ment compte du droit et de TEtat. M, É. ramène tout à des rapports
mécaniques de causalité; mais dans le monde moral et sooial, les
rapports de causalité se transforment en rapports de HnaUté, et c'est^
quoi qu on fasse, sous cette dernière forme qu'ils apparaissent à la
conscience. On ne peut éliminer le désir, le but, règoïsroe et le fina-
lîsme individuel, — Même dans la contrainte, la volonté reste un ho ^
teur présent et nécessaire : coacti lumen volunt* H
A Tappui de ses théories, M, É. fait une revue critique assez com-» *
p!ète des théoriciens de la force dans le droit On pourrait y sigualef
pourtant certaines lacunes. Par exemple il n'y est pas fait mention dol
1, Jhering, Der Zweck im Hecfii€i S* 7f j 81, etc.
AifALYSES. — UFARGUK. Beckerckes BUT V origine de Vidée 309
la théorie du comte de Gobineau sur rinégalité des racée humaines »
théorie * qui peut être regardée comme un des moments împortûiitfl
dans révolution de cette doctrine.
P Poursuivant le tléveloppement de sa théorie, M. É, rapplique aujc
^uestîon^ de lu politique contemporaine. Voici un passage qui donne
une idée de son attitude à ce sujet : i L'histoire ne nous donne jamais
€]U*une réponse : le droit est la force et celui qui n'a pas la force n'a
pas le droit- Parmi ceux qui ont la force, c'est le plus fort qui délient
le droit. La voix de la politique internationale, le droit des gens jus-
tifie ces faits historiques en proclamant expressément un droit des
nations à se maintenir {Selbslerhaltungrechi) par la force. Pour citer
«quelques exemples, c*est ce droit qui autorise la Turquie à opprimer
les nations (plus faibles) qui veulent sinsurger contre elle et à vou-
loir en faire ses sujets. Et il en est de même pour toutes les nationa
actuelles. En ce qui concerne TÂlsace et la Lorraine, on doit dire
qu'elles ne sont ni allemandes ni françaises, mais qu'elles sont au plus
fort; le plus fort est aujourd'hui TAllemagne » (p. 47).
On voit que la thèse de M* È. n'eut pas nouvelle^ et ^ vrai dire noua
WTke voyons pas qull apporte pour la défendre aucun argument nou-
^%^eau. Ce réalisme brutal^ce darwinisme simpliste, développé en un style
i^HDUvent vague et diffus ne fera pas faire un grand pas, selon nous^
^i.ux questions posées par Tauteur.
G. Palante,
P. LafargUQ. — HECHEnCMES sur t'ORiaiNE de L*IDéË DE JUSTICE ET
X^£ l'idèf. du bien; brooh. in-8 de T5 pages; Qlard et Brière, éditeurs;
^ ï*ari8, i90û.
^P Cette brochure a d'abord paru dans le .Yeue Zeit (organe officiel de la
«social-démocratie allemande) et ensuite dans la Revue Bocialiste : elle n'a
&ubi que peu de corrections; il y en a cependant une intéressante à ta
^ge 7^; d'après le texte primitif, Sccrate aurait été le disciple de
j^_ Pl&ton et le familier des tyrans siciliens* — L*auteur annonce dam
^B îikvant-propos qu'il va aborder des questions restées insolubles aux
^^ t cénacles d'impotents' u ou << vaticinent les sociologues untversi-
ta^ires ■ et appliquer la méthode matérialiste de Marx à Tongine des
I Idééâ abstraites u; en fait il se borne à répéter, apri^s tout le monde
que les mots ont eu d'abord un sens concret et il n'indique comme
application directe des idées de Marx que ce fait que le mot bien a
d'abord signifié des richesses, en sorte que a la morale bourgeoise
réllèie Sa vulgaire réalité » (p. 75), ^ Il se livre à une débauche d'éty-
iQOlogies par à peu près; on pourrait par sa méthode ramener à un
léme radical oreille, horticulture, orthopédie et borïoge* — 11 croit
f , De Gobiniiay. Eââai sjtr rinégaîilé dei t^cej humamei. «
310 REVUE PHILOSOPHIQUE
que la philosophie moderne ignore l'évolution des idées et des ^ ^
sentiments; mais s'il avait été au courant des travaux des sociologues ^^ ^^
universitaires, il n'aurait pas trouvé que la vengeance, le talion et le ^-K^
tabous soient choses aussi simples qu'il le pense; il aurait su que les ^^^
explications utilitaires sont surannées. — Cette brochure est à lire pour "km.j
savoir quelle espèce de science MM. Bantszy et Kebel comptent ^mtm.
imposer de force au monde.
G. SOREL.
H. Lagrésille. — Vues contemporaines sur la sociologie et sur ^^ lU
LA morale; vol. in-8 de iii-268 pages; Giard et Brière, éditeurs; ^ ^'
Paris, 1890.
L'auteur est très ingénieux, mais ses raisonnements subtils sur les ^^
idées n'aboutissent à rien ou à des résultats donnés déjà par le sens ^ ^^
commun. On aura une notion assez claire de sa théorie par la définition .cm<:
suivante : « La société est un concert d'idées vivantes^ lesquelles, après ^s
avoir moulé le cerveau de chaque individu, moulent toutes les choses ^^^
humaines pour ainsi dire par leurs vibrations » (p. 22).
G. SORKL.
Jules Bovon. Morale chrétienne, 2 v. in-16, 437 et 460 p., Lau-
sanne, Bridel, 1898.
J'ai pris un puissant intérêt à la lecture de ces deux gros volumes,
tout en n'admettant pas toujours les idées qui y sont émises. L'auteur
attribue à Jésus de très beaux préceptes, mais il oublie qu'aucune
église régnante n'a rien de commun avec aucune parole du Prêcheur
de Nazareth. La divergence des lois morales des Eglises prouve qu'au-
cune no possède la véritable. M. Bovon, professeur de théologie à
rUnivcrsité Évangélique de Lausanne, exalte la supériorité de la
morale protestante. Certes, elle est supérieure à celle des jésuites, qui
enseignent, d'après Pascal, entre autres points, que « quand celui
qui nous décrie devant des gens d'honneur continue, après l'avoir
averti de cesser, il nous est permis de le tuer, non pas véritable-
ment en public, de peur de scandale, mais en cachette, sed clam »,
mais la morale des prophètes hébreux n'est pas inférieure à celle de
Calvin ou de Luther; nous ne pouvons pas non plus dédaigner la
morale de Mahomet ni celle de Bouddha. Qu'est-ce que la morale
chrétienne? II n'y a que la morale humaine. La force morale n'est pas
le fruit du syllogisme. Il ne faut pas faire dépendre la morale d'aucune
doctrine. « Quel est le ressort principal de la moralité? Est-ce la doc-
trine/ Oui. sans doute; mais avant tout, c'est l'homme *. » Il faut faire
1. Kinile Uoiitruux. Inlroiluction à la Morale sociale, p. ii.
— J
i J
ANALYSES. — EUCiiME t^uioiT. Die Théorie des Milieu 311
^'
TM.*
bien sans ^'inquiéiersi personne le saura* Le vrai, le beau, le bien
^.t par euîE-mêmee assez d'attrait pour n'avoir pas besoin d'une auto-
^ é qui ïes commande» ni d*une récompense qui y soit attachée,
^7^aime mieux la partie psychologique du travail de M. Bovon. Il con-
C3re une page excellente â la psychologie du mensonge. Le mensonge
^^pose un desordre profond dans notre vie. Si nous étions ce que
^«js devrions être, nous n'éprouverions nul besoin de dissimuler ce
m est Mais nous subissons, à cet égard, deux inlTuenccs contraires»
Ljxn côté notre nature est mauvaise, ce dont nous sommes bien obU^
^:^^^ i^» de convenir. Et d'autre parti nous sentons ce qu*il y a là d'anormal :
i^i^^i:^ ^pables donc de nous changer, nous vouions du moins noua
^^^^^uiser; n^ayant qu'imparfaitement le fond» nous recherchons avec
^*-"v* m ^ité l'appai^ence. « Cette impulsion instinctive est certes digne de
t^arque, puisqu'elle nous révèle» avec notre déchéance, la honte que
t^B en éprouvons ». C'est un penchant gros de péril, qu'il faut com-
*^^^-*:re. Le mensonge est un dissolvant social toujours à l'œuvre :
* ^«=:»]nme change l'activité collective en une lutte sourde où chacun
J"^"*^^ *^p*^ à Tenvi le prochain* Tel étant le danger à éviter, pour
^ "vaincre d'autant mieux il importe de le discerner et de préciser
*^ ^^ i^ord le sens des termes. Boit le mensonge, soit Terreur sont contre
^^ "^i^érité : seulement l'erreur Test inconsciemment, tandis que le men-
^^^m-^ ^e est un acte voulu, le menteur sait ce qu'il fait quand il abuse
^^ autres. On peut nuire à la vérité sans mentir, lorsqu'on ignore
» t^ exactitude qu*ûn commet; on peut dire une chose vraie en mentant,
^^*^-^<lue. la croyant fausse, on cherche à égarer le prochain par caprice
*^^^ ^ans un but égoïste. L'intention positive de tromper est donc le
^'^î^m^ caractéristique du mensonge* Le poète ou le romancier ne men-
^^'^t pas, par exemple, en enveloppant leurs fictions, que nul n'a l'idée
t^rejidre pour des réalités. On ne ment pas daviintat^'e enplaisiintanl,
a-ifi^^^g (|y^ Tironie est évidente. Mentir, c'est abuser les hommes le
^^^^ant et le voulant, qu*on le fasse en actes ou en paroles, par le
^^^ï^ce ou par d'insidieux discours. Ce mensonge consiste à affirmer,
^-^^^1 le but de tromper, ou ce qui n'est pas, ou ce qu'on ne croit pas»
l# '^^''^es qui, dittinctes en certains cas, en viennent souvent à se con-
*^^ro. Notre conduite envers autrui dépend de notre vie personnelle,
-, ^^'^st dans ce sanctuaire intime que nous devons chercher en premier
^^^ robligalion qui nous incombe de poursuivre en toutes choses la
OSStP-LOURIÉ.
t%^r
IV. — Esthétique,
^^xgénie Dutoit — Dje Théorie des MtuEa (Bern» Bturzenegger
€^
Mi
le Eugénie Dutoit^ de Berne, a choisi pour sa thèse de philosophie
^Ijjet des plus intéressants, qu'elle a traité avec soin. Son travail
312 REVtlE PHILÛSOPHIÛUE
se divise en trois p&rties. Dans la première, elle critique la théorie d^ ^
milieu, telle que Taine Ta comprise; dans la deuxième, elle en eipo^^j
les origines historiqued» en marquant tes traits qui la distinguent cbes^^
les ditïérenla auteurs, Hippocrate, Aristote^ Bodin, Montesquieu ; dans '^
la troisième, elle la considère en elie-môme. alln d'en découvrir la
véritable signification et la portée,
La théorie du milieu n*eat qu'une expression nouvelle du problème
qui se pose à Fesprit humain, lorsque, voulant ramener à Tunité Vex-
plication des choses, on s'elTorce de transporter du monde physique
au monde moral les lois de la causalité. Comment est-il possible
d admettre à la fois la nécessité de tous les phénomènes et de sauver
la liberté de la réaction psychique^ de concilier le déterminisme scien*
tiltque avec la responsabilité morale? Telle est, au fond, la question
philosophique impliquée dans le débat, et dont Mlle Dutoit se préoc-
cupe,
A l'égard deTaine, elle oonctut que ses erreurs et ses contradictioiiSt
vraiment manifestes, peuvent se réduire à ces deux points : l'un, qu'il
part de ridentîté des problèmes psychologique et biologique, et suppose
ainsi ce qu'il fallait d'abord démontrep; Tautre, qu'il entend traiter
comme des quantités constantes des qualités morales qui sont essea-
tiellement variables, et qui ne sont pas^ d'ailleurs, à ce point délep*
minées par la race, le temps et le milieu, — c'est-à-dire indifférentes,
qu'un Marat ou un Robespierre ne lui inspirent delahaîne, du dégoût
ou du mépris*
A regard des penseurs qui le précédèrent, elle conclut que, avant
Taine, la théorie du milieu était susceptible de recevoir des développe»
ments, mats qu'elle n'en peut plus recevoir après lui, à la fois parce
qu'il lui a imposé l'empreinte de sa propre personnalité^ et parce qu'il
Va systématisée conformément à IVsprit de son temps, qui était de
simplifier tous les problèmos en éliminant les éléments sur-empîri*
ques.
Quant à la théorie en elle-même, Mlle Dutoit estime que Tobjet de
ces deux disciplinas, les sciences de la nature et celles de resprit»
n'étant pas identique, ni la méthode mathématique ne peut convenir^
toutes les deux^ ni la loi de causalité n'y pourrait avoir le même
sens. Cette loi nous apparaît, dît-elle^ sous les trois formes de la néces-
sité physique, de la nécessité logique et de la nécessité téléoto^que :
la théorie du milieu n'a affaire qu'avec cette dernière forme. Les
phénomènes psychiques, r e marque -t-el le enQn, réagissent à leur tour
sur les phénomènes phy^siques; Tiniluence du milieu, d'abord toute
puissante, s'affaiblit à mesure que la conscience humaine s'enrichit. Le
moyen d* échapper au /af «m, c'est donc de travailler sans cesse au déve-
loppement de l'individu, de la personne; c'est de prendre claire cons-
cience de la fin suprême de nos actions, qui est révolution harmonieuse
de tous les êtres»
Bref, la liberté s'augmenterait — ainsi Lîttré donnait à la question
I
I
ANALTSES. — EUGÉNIE DUTOiT. Die Théorie des Milieu 313
o^ ^our ingénieux — aveo la richesse des motifs qui se trouvent mis à
Isk disposition de Thomme. Cependant la seule complexité du fait social
e^ psychologique ferait-elle jamais que la théorie du milieu perde sa
vfikl^v^r? Assurément non, et c^est une considération qui n'a pu échapper
& :iW'dle Dutoit. Si elle proteste justement contre la simplification exces-
si-%r^ du problème, comme Taine l'a traité, elle ne saurait empêcher
cjuK^ l'idée des influences objectives ait provoqué dans l'histoire de
l'^jn^9 par exemple, des recherches plus intéressantes que n'eût fait
i*id^^ d'une évolution dirigée par l'accident du génie.
<D^ qui est contraire, en somme, à l'esprit scientifique, c'est de sim-
plifi^T arbitrairement des événements complexes en les ramenant à
qi2^1c]ue fait principal qu'on suppose être explicatif, sans l'avoir môme
trè^ exactement analysé. La méthode constante des sciences est de
clm^xToher l'explication dans une comparaison attentive portant sur les
cii'v-^iTses séries de faits qui varient ensemble, en ayant garde d'attri-
but x* à aucune un caractère dominateur, sinon pour la commodité 'de
l'étuicîe et par hypothèse provisoire. Ce dernier procédé est plus labo-
^^^ ij.:3c , sans doute ; il ne donne pas de ces résultats brillants qui (rap-
P^i^ti les yeux et assurent le succès immédiat : mais il est plus sûr et
laisse moins à l'imagination.
L. Arréat.
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES
Ernst Homeffer. — Nietzsghes Lehre von der ewigen Wieder-
KUNFT UND DEREN RiSHERiGB VerOffentlichung. (Leipzig, Naumano,
1900.)
M. HornefTer 8*est proposé, dans ce petit écrit, de recueillir les idées*
de Nietzsche relatives à rêternel retour ou recommencement des
choses, et de critiquer la publication qui a été faite sous ce titre. La
critique frappe Tcditeur des tomes XI et XII des œuvres complètes, le
D*" F. Koegel;ces tomes ont été, depuis, retirés du commerce. M. Hor-
neffer montre à quel point le travail de Koegel est infidèle et peu sûr,
dans le texte môme aussi bien que dans l'ordonnance; il établit que
Nietzsche ne donna jamais à sa théorie des retours un développement
suffisant pour qu'il soit permis aujourd'hui de la juger et do la pré-
senter au public avec Tapparence d'une doctrine complète.
Il est vrai que Nietzsche a dû abandonner sans le terminer rouvrage
principal qui eût été le résumé de sa philosophie. Quelques parties
de sa philosophie nous sont bien connues; mais sa pensée du recom-
mencement des choses, à laquelle il attribuait la plus grande impor-
tance et qui devait former la pierre angulaire du système, nous la
connaissons par quelques indications à peine. M. Ilorneffer s*applique
à les rassembler; il le fait d'une manière intéressante, et il réussit a
révéler un aspect de la pensée de Nietzsche qu'on n*avait pas aussi
bien mis en lumière. On constatera ici encore, si je ne me trompe, que
le procédé de cet illustre et infortuné penseur consistait toujours à
pousser une idée juste à un degré de grossissement qui la déforme, à
accorder à quelque fait simple une valeur d'explication universelle.
Mais je n'ai point maintenant à parler de Nietzsche lui-même, et je
me borne à recommander le travail de M. HornefTer, qui est d'un cri-
tique scrupuleux et judicieux.
L. Arréat.
Robert Schellwien. — Wille und Erkenntmss. (Hambourg,
A. Jiinssen, 180'.».)
M. Schellwien publie neuï Essais philosophiques sous les titres sui-
vants : 1. La volonti^ et ^fa.\• Stirner; II. La volonté comme principe
d^ètbication: \l\, La r:olont(} de connaîtro. IV. La volonté d'agir et
irdiique: V. Conclusions pèdafjofjiques', VI. La connaissance et la
vobnitc dans Sclioptinhauer; VII. La volonté humaine et l'idée de
ANALYSES. — A. ORASSËUR* La Quest'wH sociala
mn
Dieu[YllL La, vokmi*} dans la philosophie critique; IX, La volonté et
ia connaissance pour le sens cujnmun.
Les lecteurs curieux de connaitre la doctrine de M. BoheUwien —
îl en a été plusieurs fois parlé ici — la trouveront clairement exposée
dans cesE^saiii, qui forment f?nsemble un petit volume de 12? pagea,
et qui sont d'une lecture facile, IJ ne rae parait pas utile d en donner
un rësumé. Je rappellerai seulement que M. Schellwlen n'entend point
la volonté au sensdeBchopenhauer ou de NictisGhe,c>st-à-dire comme
une chose métaphysique, tout « arrosée de sauce darwinienne j) qu'elle
est dans ce dernier. Il entend parler de la volonté que je connais, de
ma propre volonté; mais cette liberté lui apparaît comme un acte delà
volonté divine, limitée en Thorame en tant qu'il est ^ individu »,
L'éternel problème qui sUmpose à nous est de poursuivre, scientilique-
ment et pratiquement, c'est-à-dire dans l'ordre de la science et de la
morale. Téquation, l'harmonie du fini et de l'abaolu, du fini que nous
sommes et de l'absolu auquel nous participons. L'idée de Dieu, dans
«ette doctrine, est donc nécessaire à ridée même du moi. Elle est
nécessairement panthéistîque.
L, Au RÉ AT.
Auguste Brasseur. — La Question sociiLE, Éludes &ur les bases
du collecticisme^ î vol. in-8" de 464 pages. ParÎB, F. Âlcan, t^ÛO,
L'auteur — qui est Belge, et inj^énieur honoraire des mines, — a
voulu *i démontrer que les bases du collectivisme sont factices; qu'elles
heurtent à la fois l'homme statique et Fhomme dynamique; en un mot,
qu'elles sont en opposition avec les lois physiologiques et psychologi-
ques qui forment le soutènement de la molécule humaine; » mais la
plupart des griefs que soulevé le collectivisme et des maux qu'il
signale s sont^ dît-il^ l'expresfîîon douloureuse de la réalité, La société
ne peut donc se contenter de rejeter la synthèse collectiviste; mais
elle doit s'efforcer de donner satisfaction aux plaintes qui lui sont
«dressées en répandant plue de justice et plus de simplicité dans le
eorps social 6» L'auteur est positiviste, anticlérical et philanthrope; il
I est, en somme, très favorable aux socialistes; pour lui, toute la morale
est résumée dans ces deux maximes : <i l'oisiveté est une honte, le tnxe
est une honte, ^ Mais il distingue le «c soci^Uisme positiviste )> du collec-
tivisme, doctrine qu*il juge erronée et dangereuse, bien qu'il soit plein
de déférence pour Marx et Lassai le. Son livre est un document
curieux pour qui voudrait étudier comment peu à peu les idées socia*
listes slmposent à l'attention des gens honnêtes et réfléchis, par quels
cotés elles pénètrent facilement^ par quels autres elles se heurtent à
des résistances.
Mais le livre n*est intéressant que de ce point de vue. Car l'auteur,
qui reproche avec emphase à Marx d'avoir mal connu les mathémati-
ques, était manifestement peu préparé aux études sociologiques et
316 REVUE PHILOSOPHIQUE
politiques. Il n*y a rien à tirer des pages où il retrace révolution
générale de la famille et de la propriété (p. 77 à 152), où il expose et
critique les doctrines de Marx (p. 154-225) et de Lassalle (p. 226-239) ; la
longue analyse critique des idées de Benoît Malon (p. 240-368} est faite
d'après le texte môme, par conséquent plus fidèle et plus intéressante.
Le reste du volume est consacré à la critique du collectivisme par
l'auteur.
P. F.
A. Naquet. Temps futurs. Socialissce. anarchie, vol. in-18 de
XIV, 352 pages; Stock, éditeur; Paris, 1900.
La partie la plus intéressante de ce livre est consacrée à la for-
mation du parti antisémitique durant l'agitation boulangiste. L'auteur,
qui en 1890 avait écrit une brochure contre le socialisme^ se rallie
aujourd'hui au parti socialiste, parce qu'il considère ce parti comme
étant seul capable de lutter contre le grand mouvement réactionnaire
actuel. Il croit que dans un avenir prochain, les pays neufs étant suc-
cessivement entrés dans le mouvement industriel, le progrès du
machinisme produira de tels chômages que Ion aboutira & réglementer
les productions par des trusts et enfin qu'on passera au collectivisme.
L'auteur estime que le socialisme est indépendant des deux thèses
sur lesquelles on l'a fondé longtemps, de la théorie marxiste de la
valeur et de la loi des salaires. Il est regrettable qu'il n'ait pas connu
le livre de M. Bernstein, qui soutient une opinion analogue. A la fin
de son ouvrage il présente des observations sur les ouvrages de
MM. Faguet et Qarofalo.
O. Sorel.
Moncalm. L'origine de la pensée et de la parole ; Paris, Alcan»
1900; 310 p.
Dans cet ouvrage il est traité, sans méthode, non seulement de
l'origine de la pensée et de la parole, mais un peu de toutes les ques-
tions qui peuvent intéresser les métaphysiciens. Quant à l'origine de
la pensée et de la parole, l'auteur s'en tient à la doctrine de Max Mûller,
qu'il considère d'ailleurs « comme le premier philologue de notre
époque ». Il n'y a pas un seul renvoi bibliographique dans tout le
cours du livre; l'auteur se borne à indiquer au début les ouvrages dont
il s'est servi et qui sont : neuf ouvrages de Max Millier, deux de Darwin
et deux de Noire.
B. Bourdon.
A. Sauvé. L'orthographe française considérée surtout au point
DE VUE DE LA MÉMOIRE DES MOTS ET DE L'aCTION DU SENS INTIME SUR LA
prononciation; Cherbourg, Le Maout, 1890, 234 p.
Cet ouvrage débute par des considérations historiques sur l'ortho-
AWALTSES. — L. MrcQELANCELO BILUA, La Umnnîâê 31?
raphe française et des discussions relatives à un certain nombre de
3iots; l'auteur se place généralement au point de vue de la logique et
-^131 uâ encore à celui du sentiment; ain^î, le remplacement de Vh aspirée
^^^;3'IIenrr par un h ordinaire « a du être surtout une question de logique
■^F=^t de sentiment. En effeti à celte époque où la lecture de la Hcnriade
.^z^t la comparaison entre le règne de Louis XV et celui d*tienri ÎV
,^^ftvaient tant Fait chérir la mémoire de ce dernier, n'a-t-il pas du sem-
Jfe:3ler naturel aux Français d*employer les sons les plus doux possible
^^::^uand iïs prononçaient le nom de ce grand roi, si justement aimé. & Cet
^^M^utre exempie, emprunté k la quatrième partie du livrCj achèvera de
^ri^aractériser la manière de Tauteur : « Quant à polygogney pourquoi la
-^::»Vupart des canon nrers préféraient-ils, autrefois, cette prononciation à
^ ^1 vraie, plus facile cependant et qu'ils ne pouvaient ij^norer? C'est que
^ ^ son go ne (yMvta) leur semblait beaucoup trop doux pour convenir à
-«_mn champ de tir, dans lequel on entend fréquemment des projectiles
j^^apper (j'allais dire : qui cognent) la butte »»,
Lia seconde partie du livre est consacrée à la mimique de la parole
.^^atis le cas des vocables employés pour les aJlirmations catégoriques,
^•^lles que les commandements militaires et maritimes; la troisième, au
^^cila des diverses espèces dUmages mentales dans la mémoire des mots;
^^t, enfin la quatrième, à l'orthographe actuelle et à sa réforme,
B, Bourdon.
L. Michelangelo BUlia. La TfRANNiDE del lunahîO, 24 p, ^ Turin,
Vibreria éditrice Renzo Streglio, 1900.
Cette éloquente leçon fut professée par Fauteur à rUniversité de
Turin le 24 novembre 1898* Le titre : La tyrannie de VaimaLuach est
un peu énigmatique. M. Billia entend désigner par là cette disposition
de beaucoup d'esprits qui leur fait estimer les choses en raison de
leur actualitét et cette fausse idée du progrès, qui fait décréter a priori
que telle pensée n'a pu venir h telle date, étant donné que ce n*en
était pas encore l'heure. Cette tyrannie résulte de ce que Ton a mal
entendu la théorie de révolution, — L'idée de l'évolution est la carac-
téristique de notre époque; remploi de la méthode évolutionniste est
son princip<il titre de gloire. L'application de cette méthode aux sciences,
aux arts, à l'histoire de Thumanité, à renouvelé la connaissance; en
particulier» les recherches de la philologie comparée ont enrichi
Incomparablement Tbistoire de la civilisation; désormais toute expli-
cation des choses devra scruter leurs origines. Et l'importance de
cette idée n'est pas moindre dans la pratique ; la violence des partis
diminue grâce à elle, et ils demandent le triomphe de leurs théories à
TactioE lente du temps. — Mais il importe de séparer Tidée de Tévo-
lulion des conceptions fausses et étroites que le pédantisme des faux
^avfints a confondues avec e!le. On en e^t arrivé à voir dans le temps
un f&ûteur véritable, au lieu d*y voir le produit de l'évolution elle*
318 REVUE PHILOSOPHIQUE
même. On a établi en histoire des périodes et décidé que dans cbacixiQe
d'elles on a dû penser et faire ceci ou cela. Si les faits démentent \a
loi posée, on accuse ceux qui recueillent ces faits de n'avoir pas le s^^ns
historique. Et Ton en vient à dire avec M. Brunetière que Pla ^ton
raisonne comme un enfant : « Oh 1 le magnifîque progrès! s'écri ^ à
ce propos M. Billia; il fut un temps où les enfants raisonnaient coim^ me
Platon, aujourd'hui les sages parlent comme M. Brunetière » (p. ^3).
(S'il nous en souvient bien, la phrase de M. Brunetière est un peu ^cdif-
férente : « Platon, dit-il à peu près, pense comme un enfant et ^c-ai-
sonne comme un sophiste, tandis qu'Aristote pense comme un hoins^me
et raisonne comme un savant. ») — Ceux qui travestissent ains i la
théorie cvolutionniste méconnaissent la part d'universel que l'on
trouve en toutes choses et qui est le fondement immuable de la beamjité;
ils méconnaissent encore les renaissaiices que nous atteste Thistoire,
les risorgimenti, ou du moins ils les ramènent au rythme illusoire de
rhcgélianisme ; ils prétendent à tort que chaque période est en Of^po-
sition ouverte avec la précédente; enfin ils confondent Tordre deia
science, laquelle est personnelle et se forme sur l'objet, avec Tordre
supérieur de l'histoire de la science, laquelle est évidemment fîiledu
temps, œuvre des générations successives, et ils en arrivent à substi-
tuer l'histoire de la philosophie à la philosophie elle-même, c'est-à-dire
à supprimer la chose dont il font l'histoire. Ces quatre erreurs, on
n'est plus dupe de leur vanité dans le domaine de l'art; il importe de
les chasser aussi du domaine de la science. — L'évolution ne se fait pas
à l'aveugle; elle obéit à une raison ontologique; elle est un dévelop-
pement de l'idée. C'est pourquoi on ne saurait expliquer par des rai-
sons extérieures la succession des pensées et des actes. La beauté
morale est de tous les temps, parce qu'elle répond à cet idéalisme
intérieur qui n'a jamais disparu, bien qu'on célèbre aujourd'hui sa
renaissance.
.T. Segond.
REVUE DES PÉIUODIÛUËS ÉTRANGERS
F&ychological Review
XùL VL — Juîy-Seplember-November 18U9,
"V^. Bryan et M- Harter : Studies on tke TelegrRphic language^
i/ê^BT ndquisition of a hierarchu of habiU* {Etudes sur le lang,ige télé*
cfT-^^Mj^hique : Va.cqiiisUiQn de hiérarchies d*habitudes), p* (3'iu-3T5).
Cl^omuie suite à la série d'expériences publiées en 1897 {Psydi. !lev.,
ÏV^, p. ia,i et analysées ici {Hev. Phiî., WM), MM, Bryan et Harter
pi:- ^sentent Tobservation d\in jeune télégraphiste étudié chaque
aoTx^aiive, pendant huit mois, en suivant la méthode des premières
e:^ ç^^riences. Les auteurs (dont Tun a été télégraphiste) ont complété
l«u.*-s observiUions par des flétails d'intro^ection.
Ils ont cherché surtout, a lin d'expliquer !a façon dont se dévelop-
paient leurs courbes précédentes^ comment croit la rapidité à enre-
g^ï&ti'er les lettres séparées, les mots isolés et les phrases. Us ont
|c:onBtaté que Tattention se porte d'abord sur les mots, et seulement
eta.auite sur les phrases : les choses ae passent donc comme pour ta
leetijre ordinaire. Quant à la façon de saisir tes mots au courant de la
transmission, la meilleure semble t^tre de les lire après coup, connue
lorsc^u'on compte qu'elle heure vient de sonner a rhorloge après en
*voi r entendu le,g coups sans y faire attention,
i-'oducation du télégraphiste consiste à acquérir une hiérarchie
d*ha.ljitudeâ psycho-physiques : elles se développent toutes ensemble,
inff^r-leures et supérieures : mais celles-ci ne prennent vraiment leur
esiic>r qu^aprèa que les autres sont délinitivement acquises, c'est-à-dire
tfjtvt automatiques et laissent Tattention libre de ses mouvements» Les
P^i&nux des courbes indiquent la lutte de l'attention pour se dégager
yoT>, D'ailleurs il en est ici comme dans le langage» où les habitudes
uifèrieures tendent à so fondre dans les supérieures dont elles sont
V«l^itient : et le langage télégraphique, qui est un véritable idiome à
^Ç|i rendre, est aussi personnel que tout autre langage, par la lon-
gueur, le rythme et la construction des phrases affectionnés de chacua
0l tépétés par lui parce que tout cela exprime les tendances de sou
prg^tttsme (36ti).
ùe^i cet automatisme des habitudes inférieures qui nous laisse
0^tre liberté d'allure pour les choses plus élevées. Les auteurs tirent
^0 lÀ diverses conclusions pédagogiques^ et terminent en eiaminant
320 REVUE PHILOSOPHIQUE
si la rapidité du mouvement de réaction peut servir à déterminer
la facilité d'adaptation.
Le mélange, à cette étude très spéciale, de considérations fort géné-
rales, a nui sans doute à la bonne ordonnance des constatations
recueillies : elles sont en elles-mêmes intéressantes et instructives :
mais la disposition adoptée empêche d*en suivre facilement le dévelop-
pement.
Travaux du laboratoire de Harvard. — L. Solomons : Automatic
reactions (Réactions automatiques) (p. 376-394).
C'est un élément du travail publié avec miss Stein {Psych, Rei\,
sep. 18116, cf. Rev. Phil.) pour étudier si chaque état d'automatisme se
caractérise par une réaction particulière — montrer, si possible, que
le sentiment d'action personnelle dans nos mouvements est dû à l'ac-
tion des centres moteurs du cerveau — et étudier des réactions où
l'attention n'eut aucune part. La méthode de distraction (lecture
absorbant de plus en plus Tattention); le dispositif pour les réactions,
sont les mêmes que précédemment; les calculs de moyennes ont été
faits selon une méthode de groupement analogue à celle de H. Beaunis.
Enfin on a soigneusement interrogé les sujets.
Les chiffres vont de 150c à 350c, autour de 300c, il y a plus de volonté;
vers 250;, l'attention, occupée ailleurs, revient pour réagir; vers 200;,
le sujet a conscience en même temps d'entendre le son et de faire le
mouvement : il se sent presser la clef en même temps qu'invité à
réagir : c'est ce que l'auteur appelle réaction simultanée (389).
L'auteur appelle réactions impersonnelles celles qui sont au-dessous
de 180; : elles sont particulières à certains sujets, qui déclarent
entendre le signal tantôt avant, tantôt après la réaction (390).
Les conclusions sont relatives à la théorie de l'action des centres
corticaux que Tauteur voulait vérifier : il se propose d'ailleurs de les
appuyer par d'autres expériences.
V. Dearborn : Récognition under objective reversai {la ReconmiB-
sance d'objets renversés) (p. .S95-408).
Les séries de taches d'encre signalées dans la Psych. Rev. de
mai 1897 et employées pour une étude sur l'imagination dans le
Americ, Journal of Psycliol, (janvier 1898, Rev. Philos,), ont été uti-
lisées à nouveau pour examiner jusqu'à quel point la situation des
diverses parties d'un objet nous aide à le reconnaître. On demandait
à chaque sujet de dire s'il avait déjà vu la tache présentée : quelques*
uns reconnaissaient une fois sur deux des objets qu'ils n'avaient
jamais vus; tous en reconnaissaient ainsi un sur cinq (p. 401).
La reconnaissance est ordinairement liée à de petits détails : un
point, une forme bizarre, etc.; le temps nécessaire est très variable;
par contre, le caractère semble avoir une certaine influence. Les objets
les plus faciles à reconnaître sont ceux qui sont simplement renversés.
M. Dearborn se propose de poursuivre ces expériences.
AEVUE DES rÉftlODlQUBS ËTRAE^GEttS
321
Nùtes et diacasaions. — Expérience de cours sur les hallucinations
(suggestion d'odeur à un auditoire) (Stosson). Réponsa à la note de
M, Ihfslop sur le mysticisme \M ànsterherg), La psychologie et b \i%
iCh. lUiss}. Réponse à l\irtlcîe de Wesley-Mîlïs sur la manière d'étu-
dier riiitelligence animale {Thonidike}. Localîsatton des images con-
sécutives (chaque teil ayant son image propre) iGiliette).
P. Montagne ; .4 Pka for &aul substance {Plaidoyer pour VAme
êxïbfitBnce) (p. \bl-\U et B00-G:IH).
Après avoir énuméré et caractérisé les diverses solutions proposées
pour le problème de la matière et de Tesprit, ou de l'âme et du corps
^idéalisme et téléologie^ matérialisme et mécanisme» occasionnlisrne et
miracle, parallélisme paycho-physiologiqtie, théorie de l uïiion intime
de Tame et du corps qui sont deux attributs d'une même substance)»
Fauteur conclut à un ter lin m qnid^ déjà connu, et qui fait l'uni on.
Dans un second article l'auteur caractériae cette substance : il s'agit
d'expliquer l'action réciproque de deux séries opposées do phéno-
mènes : d'un côté Tesprit et les lois toléologiques ; de l'autre, la
matière et les lois mécaniques. Pour ne pas tomber dans la ooncep*
tîon de substance à laquelle on répu^ne^ on a imaginé cinq solutions
différentes : i'^ téléoïogie absolue; 2" matérialisme; 3^ occasionaliame ;
l<» parallélisme: 5^ spiritualisme. Après les avoir réfutées» surtout le
parallélisme, Tauteur prouve Texistence de Tâmo substance indirec-
kmenl par T impossibilité des autres solutions, et directement par
l'aïtiome : U D*y a pas d'action à distance (ce qui est une autre
forme de l'argument précédent). Il expose ensuite quelle est la nature,
quels sont les attributs de cette àme^ qui est Thomme même, ce
quelque chose que nous connaissons fort mal, mais qui est capable de
prendre conscience de soi, de réunir ensemble deux choses aussi irré-
jnédiablement inconciliables que Tesprît et la matière, une idée et une
<;ellule cérébrale.
H, DODfjtî ; The réaction time of the eye [Temps de réaction de
rœiif ip. 477-S83).
M. Dodge, qui vient de publier une étude sur la lecture, a voulu
mesurer quel temps est nécessaire à IVeil pour répondre à une exci-
tation lumineuse connue, ou pour en preiïdre connaissance. Partant
dé ce fait que l'œil ne voit pas durant son mouvement pour reporter
ailleurs son regard, il fait disparaître une raie vue, et mesure com-
bien de temps il faut pour qu'une autre apparaisse à la place oii Tceil
qui essayait de suivre la précédente, revient la chercher. Les mesures
prises âur deux observateurs ont donné environ irr>;.
G* Albeiit Coe : A &tndy in the dynanjiCfi of personal religion
(Examen des forces de |.i religion pcrsonnelie\^ (p, ^iHi'-nD5)*
Quel est le mécanisme psychologique d'une conversion '^ Une enquête
m été faite sur ce sujet, déjà traité par Leuba, etc., sur fiO hommes et
f4 femmes; on a d'abord séparé ceux chez qui la conversion produisait
rétal d'àme attendu de ceux qui n'éprouvaient pas ce changement
TOMl u ~ 1900, U
S22
REVUE PiflLOSOPfllQUE
niais qui n'en conformaient pas moins leur vîe à la religion adoptée.
Puis on a examiné le tempérament de chacun , en posant cette quci^
tion détournée : »Si vous avtez un jour entier d'absolue liberté, avec
pleine latitude de faire ce qu'rl vous plairait, que préfèreriez-vouif
En outre, on donnait un questionnaire à remplir ; des Interpogalions
personnelles le complétaient-
Les plus faciles à atteindre sont les sanguins sensitifs : ce sont ausii
ceux ehés^ qui les liîdlucinations et l'automatisme sont le plus fré-
quents : au contraire les colériques, les intellectuels éprouvent plus
rarement la Iransformatioa attendue (194), Et si Ton examine la sug-
geatibililé, on voit que chez ceux qui présentent de rautomatisme, b
su^rgestion vient du dehors : les autres sont plus spontanés, font de
rauto-suggestïon*
En résumé, trois éléments concourent au résultat assez compleic :
le tempérament, Tattente d une transformattont la suggestion spon-
tanée ou passive.
L'abondance des observations et des analyses prises sur le vif lûnt
de cette étude une excellente contribution a la science du carac-
tère*
Notes ei discusmùns^ — Mary Whiton Calkins examine et critique li
vieille théorie des attributs de la sensation ; quantité, qualité, éteûdue
et durée : un élément de conscience ne peut avoir ces attribuls. i^tie
sont donc ces qualités? en tout cas la psycholog-ie analytique na psa
de place pour elles. — La mémoire d'un bruit uniforme (M. MeycH.
J. Lëuda : 07% ihf* validiiy of the Griesbach methoii af tfetermminfi
fatigiip (57^ 51*8).
G. Germaxn : On ihe inraiidily ofthe ssêthesioniêtric niethod its^
mea^ure of mental fatigue (591I-605K
Ces deux articles conduisent, en somme, h des conclusions sn^'
logues sur la valeur des expériences de Griesbach. qui avait cru décnon-
trer que plus une personne est fatiguée» plus augmente la dietanw
des points dont elle peut discerner la dualité au compas de Web^^
M. Leuba critique la technique de Griesbach, qui a opéré trop rapîdf^
ment et sans éliminer assez les causes d'erreur : surtout il ne pe^J^
s'expliquer comment tous les résultais de Griesbach confirment puff^
ment et simplement sa théorie. Pour lui, la question lui semble bt?au-
coup plus complexe r il y a différentes fatigues, qui toutes retentissent
sur la perception des pointes du compas, au même titre, sinon p'^^*
que la fatigue mentale; ajoutez à cela des causes physiologiques, des
perturbations nombreuses, et Ton s'expliquera que les graphiques de
M. L. accusent dans la fatigue, tantôt un rapprochement des peinl^^^
tantôt leur éloignemont.
M. Germann est encore plus aflirmatif et déclare que les dt-pres*
sions attribuées par Griesbach à la fatigue mentale » ne soat que
Texpression des fluctuations normales de Tattention*
Notes, — Formation du contrôle volontaire (//. Davies]. La psjtiio*
REvuii nés pi^uiodiquiih éthangehs
«D^ie éthologique {TU. Bailey). La sensation et ses attributs (G. Dôar-
morti). Images coasecutives {Marg. Washburn).
D' J. Philippe*
I
Przeglad âlozoSczny.
Betue philosofitnque potùmimf IV, IBÎlO.
Z. LïALïCKI, Sur les b^sês sociologiques de rutiiîlé K Aprèâ avoir
S labli que le oaractôre avantageux ou désavantageux des phéiiomèues
e dépend pas de leur essence, mais qu'iî est absolument relatif et
Léierminé par les conditions sociales, Tauteur pose la question eî un
riiérium objectif de ce qui est utile ou nuisible à la société est pos-
tbie. L*analyse le mène à la conclusion que chaque pbéuomène qui
e%^oc|ue des sentiments positifs ou comprime les sensations négatives
^&t utile et vice vtrrsa. Il rejette la nùtion d' < utilité-limite » introduite
p^r certains auteurs, La solidarité émotionnelle du groupe social fait
^ ^*il fi^lTorcL^ de retenir et de fixer collectivement tout ce qui produit
de 9 sentiments positifs et de rejeter les sources des sentiments
xmêgatifs. Cette réaction collective et émotionnelle sert de base aux
i^ceâ morales du groupe^ ainsi qu a son appréciation de rutilité ou de
Vincooimodité de relations qui y ont lieu.
ê3t« Grabskk tntroduclion à la méthoiiolo<jie dé Véconomie poli-
iiquB ^ C'est un essai d'appliquer la théorie de la connaissance an
phénomène économique et de donner ainsi des fondements méthodolo-
giq^uÊs solides à la science économique. Les phénomènes économiques
«ont des faits sociaux. L'auteur commence donc par délinrr la société
oomme un syatème de relations typiques et fixes des individus et des
groupes humains entreeux. Les phénomènes économiques sont délinis
eomme relations typiques des individus et des groupes dirigés a la
satisfaction des nécessités matérielles. Ce qui est caractéristiq^ie pour
chaque phénomène social, c'est que son sujet en est e|i même temps
lobjet. Chaque phénomène social est un phénomène psychique. Mais
dans la perception de ce phénomène il y a un élément de valeur
objective. Ce que l'objet qui est opposé au ^ moi » (comme le remarque
Onken) c'est n nous a. Chaque individu peut se considérer soi-même
■oit comme sujet de ses états de conseience, soit comme membre d'un
groupe homogène. Cela amène fauteur a substituer à la définition de
Mengcr (le phénomène social est la résultante des facteurs individuel-
lement téléologiques) cette formule nouvelle : le phénomène social est
lu forme indispensable psychique des relations objectivement téléolo*
igiques des individus et des groupes. Ce point de vue donne le moyen
'^e résoudre rantinomie du phénomène social comme produit subjectif
t. {jm commeacemeal de eet arlÎLie se trouve d&ns la livraison IIK
l'WTJéme année.
2. Commencé daos la livraisca III de ta même année.
de la
324 RBVUE PHILOSOPHIQUE
et comme fait objectif en dehors de noup, ainsi que cet autre : de
Tindividu comme facteur des phénomènes sociaux et comme produit
des conditions sociales. En spécifiant cette définition du phénomène
social dans sa généralité, pour Tadapter aux phénomènes économiques,
on arrive à la formule impliquant que ces derniers sont des formes
indispensables des relations des individus ou des groupes, dérivant
de leurs jugements objectifs et téléologiques sur la capacité des choses
et de services de satisfaire aux nécessités matérielles.
Nous percevons chaque phénomène social soit comme une propriété
des choses, soit comme un résultat de notre activité, soit enfin comme
une loi qui nous est imposée. Ce sont les trois catégories des phéno-
mènes sociaux. Les éléments scientifiques, qui leur correspondent,
sont : io les concepts économiques objectifs; '2<> les faits économiques;
3^ les institutions économiques.
L'économie classique les considérait sous le point de vue du réalisme
naif : le monde des phénomènes économiques était pour elle ce qu*il
paraissait. La valeur, le capital, la rente, le revenu étaient considérés
comme propriétés immanentes des certains genres des biens. Le travail
humain était ce qui les mettait en corrélation. L'homme était considéré
comme un être matériel, dont Tactivité se réduisait au travail et à la
consommation. L*ccole historique fut une réaction contre Técole clas-
sique; mais elle se borna à revoir les faits et à critiquer les idées de
celle-ci. Ce n'est que Técole stricte (Mcngcr et l'école de Vienne) qai
rompit avec le réalisme naïf de l'école classique et l'agnosticisme de
l'école historique. L'essence des phénomènes sociaux, elle la voit dans
l'état psychique des individus. Mais elle ne peut pas donner d'expli-
cation des phénomènes généraux. L'explication complète n'est possible
que sur les bases de la théorie de la connaissance de ces phénomènes
qui détermine le caractère double de l'individu comme sujet et objet
de l'activité économique.
W. M. KozLOWsKi. Les sources psychologiques de certaines lovi
fondamentales de la naiure (suite et fin : ch. m. L'aspect triple de
retendue). L'analyse psychologique de ce contenu empirique de notre
conscience que nous appelions monde extérieur aboutit à la même
opposition des notions du plein et du vide qui a été signalée comme
fait dominant dans le cours du développement historique des idées
scientifiques K Après avoir parcouru les diverses théories concernant
la genèse de l'espace (Condiilac, Baine, Mill, Herbart, Weber, Lotie,
Helmholtz, Wundt, Stumpf, Gôring, Delarive, Dunan), l'auteur s'ap-
plique à déterminer la participation des diverses sphères sensorielles
dans la formation de l'idée de l'étendue. Cette analyse appuyée parles
observations sur les aveugles-nés opérés ainsi que sur les enfant'»
l'amène aux conclusions suivantes : 1° La notion de la masse ou du
plein est Tunique qui soit donnée par le toucher. Il l'appelle étendue
1. Voir les périodiques dans la Revue philosophique de février 1900.
REVUE DES PÊRIOIViaUES ÉTHANGEEIS 325
tactile ou physique, 2** Le sens musculaire est la source de la notion
du vide ou de la dislanco^ autant que notre mouvement a un caractère
d'iiivesligiUion (lâtonnementii mats lorsqu'il est dirigé à produire un
changement dans le monde extérieur (caractère pratique), la sensa-
tion de résistance des masses développe deux idées corréktivesi : celles
de la force et de Tinertie. Ce genre d'étendue produit par le mouve-
binent est appelle uiotoriqu^ ou m*^canique.
L*analyse scientifique qui décomposait le mouvement en oea deux
iélémenlB — Tun actifs l'autre passif — exigeait un complément — la
troisième loi de Newton j égalité de Taction et de la réaction), qui n'est
que l'expression de ce fait psychologique, que la sensation de pression,
perçue pendant lefTort de mouvoir un corps, croit dans la même pro-
portion que rinnervation musculaire qui produit cet eiïort. La force
est défmie en mécanique comme la relit Lion de la masse à la vitesse
produite (F =^ —); d'autre part la vitesse n'est que la relation-limite
fis
de Tespace parcouru au temps (-rj ^ v). Ces deux équations établis-
sent les relations entre les trois éléments de l'étendue mo torique
(passive — distance; active — force) et lat^tile (masse) d*un coté et le
temps, qui est Ja forme générale de perception des états internes,
d'autre part.
Le postulat fondamental de la physique moderne, établissant que
Abaque changement dans la nature ne peut être autre qu'un mouve-
■iint *f découle de ce fait psychologique, que runtque moyen d*applî*
rqoer noïre volonté au monde extérieur est Teffort musculaire* C'est le
fondement psychologique de la loi de l'unité des forces physiques.
C'est en m^'-me temps la clef de l'éternelle dispute du réalisme et de
ridéalisme, La réalité du monde sensible ne peut pas être prouvée
Ibéoriquementf son existence n'est établie indubitablement que par
Tacte volontaire,
3"^' En passant à l'étendue visuelle ou gêométriquet rauteur établît
que la qualité de Tim pression visuelle étant la couleur, qui ne peut
être imaginée sans extension, Télément de surface doit y être pri-
mîtif* La même cause objective (chose en soi) qui détermine la qua>
Il té de la couleur en lixe l'exiension, La tache colorée avec son con*
tour forment donc rélément primitif qui ne peut ôlre élimmé par
ranalyse. L'homogénéité trop évidente de notre espace visuel a
induit les psychologues contemporains soit à attribuer à rœil la per-
ception immédiate des trois dimensions, soit à nier absolument la
perception de Tespace par l'œiL L'nrgument de Berkeley contre la per-
ception immédiate de la troisième dimension (la projection d'une
droite correspondante avec la direction de la vision est toujours un
point) reste pourtant invincible. D'autre part les expériences récentes
(eelles de llelmholtz surtout) ne laiedent aucun doute sur ce que la
L AsscrlioD faite ûéià par Parménide,
3â6
REVUE PUtLQSDPHJQUB
vision est un acte complexe, impliquajit comparaison* jugement, ra_
Bonnement, etc. Tous ces actes n*ont pas la forme discursive des ope
rations Jogiques; ce sont les représentations concrètes qui y preDoen
part au lieu des concepts» ce qui fait que leur résultat apparaît comm
parfaitement homog^êne et spontané.
C'est donc toujours le plein (qualité, couleur) qui est perçu par Vœi m
immédiatement, tandis que le vide (distance, profondeur) est le ^éâuka^.^
dea efforts musculaires.
La qualité de l'étendue visuelle (couleur) s^associe avec celle du tou— j
cher (masse) pour produire la notion dea corps, tandis que les mouve- ^_
ments de TcBil (sens musculaire) transforment la diversité motrice ec»
espace g^éométrique à trois dimensions.
En refaisant dans la direction opposée, au moyen de Tanatyse acien.«r
tiûque» la roule parcourue inconsciemment par la synthèse de la per
ception, nous obtenons les notions de forme et de volume^ opposées s,
la substance du corps (en éliminant cette substance dans noir» -
pensée, c'est-à-dire en séparant les éléments tactiles-visuels des éléments: ^
motoriques de l'étendue concrète). Le résultat de l'analyse ultérieur» -
eat ropposition de Télément tactile — malû^re en général — aux qua^Ei:
lités des substances concrètes, c est-a-dire à 1 élément visuel» puisque j
la couleur est la base la plus frappante et la plus primitive des dis^^
tinoiions qualitatives. L^unité qualitative (la non-difTérenciation) de li^ M
sensation tactile, devient source d'un nouveau postulat — celui d^ M
Tunité de la matiùre — postulat qui jusqu*à présent, malgré tous ies^^
efforts, n'a pas pu être mis en concordance avtc la diversité empiriquL»- J
des éléments chimiques. La notion do volum*.^ est formée en étendanr mt^
le contour (élément visuel primordial) par la troisième dimension (élc-'^
ment visuel m o torique). Comme la derisiÉé = j . on voit qu ellc^»
sert de coelTicicnt pour passer de retendue tactile à rétendue visuelle; *
la vitesse joue le même rôle envers retendue tactile el Tétendutr^-
Tîiasse
Bii
motorique» comme l'on voit d'après la formule : vitesse ^^
force
La
loi d'imperméabilité de la matière est le résultat de ce fait psycLique,
que chaque corps produit son espace propre. Deux corps ne peuveut
doue jamais se trouver dans un môme lieu.
W, M* KOZLOWSKL
J. f Ue
,M^^''
mû
'^^^S DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE
'• La question agraire, trad. de Tall. par E. Milhaud et
in-8«. Paris, Giard et Brière.
^Ud. Les philosophes-géomètres de la Grèce : Platon et ses
^rs, in-8\ Paris, Alcan.
^ï^EEF. Problèmes de philosophie positive : renseignement
inconnaissable, in-1?. Paris, Schleicher.
K. La musique des cou/eurs, in-i2. Paris, Schleicher.
*• Cours de psychologie expérimentale, trsid. de Tanglais par
în-8*. Paris, Schleicher.
ase d*ADHÉMAR. La femme catholique et la démocratie /ran-
% Paris, Perrin.
A.RRAN DE Vaux. A ficemie, in•8^ Paris, Âlcan.
ROUX. Pascaly in-12. Paris, Hachette.
ILESCO. Le problème juridique de la personnalité morale,
s, Rousseau.
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EAUMONT. Parole d'un vivant, in-8^ Paris, Âlcan.
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lRd. La méthode scientifique de Vhistoire littéraire, in-8<».
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328 REVUE PHILOSOPHIQUE
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berg i. W.
GiESSLER. Die Gemûthsbewegungen und ihre Beherrschung , in-ii.
Leipzig, Barth.
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in-8^ léna, Fischer.
E. Grosse. Kunsl-wisserifichaftliche Studien^ in-8<*. Tiibingcn, Mohr.
H. Sf HWARZ. Psychologie des Willens zur Grundlegung der Ethik,
in-8^ Leipzig, Engelmann.
Philosophischc Abhandlungen : Ch. S/gwari : zu seinem sieb-
zigsten Geburtslage, in-8''. Tubingen, Mohr.
IL ScHOELER. Problème : Kritische SliuUen ûber den MonisniuSy
iD-8° Leipzig, Engelmann.
R. V. Feldbgg. Deilrâge zur Philosophie der Gefùhle^ in-f2.
Leipzig, Barth.
A. Pfaender. Phœnomenologie der Wollcns, in-8*. Leipzig, Barth.
W. Stern. Ueber Psychologie der individuellen Differenzen, iii-8".
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H. Spitta. Mein Recht auf Leben, in-8«. Tûbingen, Mohr.
H. IIuGHER. Die Mimik des Menschens auf Grand voluntarîscher
Psychologie, in-8». Tiibingen, Mohr.
Ottolenghi. La Suggestione e la facultk psichiche occulte, in-8*.
Torino, Bour.
Fbagapane. Obbietto ed i limiti délia filosofla deldiritto^. in-8*. 2 vol.
Roma, Lœscher.
Ranzou. La religione et la filosofîa di Virgilio, in-8'\ Torino,
Lœscher.
NECROLOGIE
Au moment de mettre sous presse, nous apprenons la mort de
F. Nietzsche, décédé à Weimar, à Tâge do cinquante-six ans, à la
suite d'une attaque d'apoplexie.
Le proprié laire-géranl : FiiLix Alcan.
Goulommiers. — Imp. Paol BRODARD «
MORALE ET PSYCHOLOGIE'
La question des rapports de la sociologie avec la psychologie
aboutît, en fia de compte, à cette autre question qui la résume et !a
coiiticat, poar ainsi dire, tout entière : qu'est-ce que le phéno-
mèoe socud?
Si, comme semble le croire Técole qui fait de Tâme collective le
propre objet des études sociologiques, le phénomène social se con-
fond avec ie phénomène mental, il nous faudra rayer du diction-
naire scientifique le terme de sociologie, il nous faudra considérer
Feffortdece siècle pour fonder la nouvelle science comme un cha-
pitre curieux dans Thistoire du développement de la psychologie.
Mais si, au Heo d'identifier le phénomène social avec le phéno-
mène mental, nous envisageons le premier comme la cause ou une
des causes déterminantes et productrices du second , nous pourrons
conserver le terme de sociologie à côté de celui de psychologie.
Nous assignerons à chacune de ces deux sciences une matière dif-
férente. Nous pourrons défmir le phénomène social par un ensemble
de caractères constants quiledilTérencieront du phénomène mental*
Dégageons ces traits essentiels. Nous estimons que le phénomène
social précède le phénomène mental. En ce sens, il lui est extériBur.
€ Antériorité » et « extériorité », ces deux caractères sont fondamen-
taux- Ils tracent en Ire le fait social et le lait psychique une ligne
ferme de démarcation. Une chose à la fois antérieure et extérieure
à une autre se confondra difficilement avec celle-ci. Voila pourquoi
ceux qui, réagissant contre le courant psychologique, ont voulu
donner à la sociologie une base positive ou objective, se mirent
résolument à la recherche du fait antérieur et extérieur aux mani-
feÀlalionï^ de l'esprit.
Un tel fait, ce n*est pas Tesprit lui-môme, noumène qu'il serait
puéril d'opposer au phénomène qui lui sert d'expression intégrale.
Serait-ce donc la viel Une école naguère encore puissante et qui
se réclame de Comte, de Darwin, de Spencer et du matérialisme
f, >'ou3 f>oblîons 9011$ <!e lilre une des kçons du cours sur U ConsliUiLign
lie rérhT«)uei drtnnù pir M. de Robcrly a TCniversilé nouvelle dd Bruxelles et ù
rt^:ole dtî ma raie de Paris (2" aemesire de celte anuée).
TOMI L. — OCTOBnE 1900, 22
330 REVUE PHILOSOPHIQUE
scientifique, a énergiquement soutenu cette thèse. On s'aperçut
toutefois bientôt qu'en identifiant le phénomène social avec le phé-
nomène vital, on escomptait peut-être un avenir lointain, on ne
, réalisait sûrement pas la sociologie de l'époque présente. On aban-
donna, par suite, peu à peu, ces simples exercices métaphoriques.
On chercha le « fait antérieur et extérieur au fait mental > dans la
sphère, très large selon les uns, très étroite selon les autres — et
d'ailleurs foncièrement hypothétique — qui sépare la biologie de la
psychologie. On mit en avant les phénomènes de pécorisme ou de
grégarisme, l'association rudimentaire, l'évolution historique, la
tradition, l'organisme contractuel, le finalisme collectif, le polygé-
nisme des races, la conscience de l'espèce, le déterminisme écono-
mique ou matérialiste, la répétition universelle et ses fornaes
sociales, l'imitation et la suggestion, enfin même le nombre, la
masse, la population.
Mais ces diverses théories présentent ce trait commun, que toutes
finissent par tomber du côté où elles penchent, les unes nous ranne-
nant h l'explication biologique et les autres à l'explication psycho-
logique des phénomènes sociaux. La zone neutre qu'on désirait
établir entre la biologie et la psychologie, pour y élever l'édifice d*
la sociologie, s'évanouit de la sorte chaque fois qu'on tente de l'ex-
plorer. La terre promise et inconnue, la « terre sociale d ne serait-
elle donc qu'un mythe?
N'abandonnons pas à la légère tout espoir de construire un*
sociologie autonome. Cherchons et luttons encore. Pour ma par^»
je crois que le phénomène antérieur et extérieur au fait mental C^^
postérieur et extérieur au fait vital) existe réellement.
La transmutation de la multiplicité organique ou biologi<I^^^
(espèce, race) en une unité surorganique ou sociale (communai:^*-^
société), et la métamorphose de l'unité organique (égoïsme, isol*=*'
ment, lutte pour la vie) en une multiplicité surorganique (altruisn"*^^»
coopération, moralité), telle est, à mes yeux, la'doubleface du p*^^"
nomène social et son contenu spécifique, tel est le fondements ^^
point de départ de la sociologie.
L'altruisme, le sens moral est une complication nouvelle, i^^®
floraison de la vie. L'altruisme s'observe à tous les degrés ^^
l'échelle biologique (symbiose, parasitisme, commensalisme,donr>^^"
ticalion, mutualisme, vie par autrui et pour autrui). Mais c^^*^
modalité de la force universelle s'affirme avec éclat, elle atteint ^^^
point culminant dans une seule espèce zoologique; et elle y dét^^'
mine, selon la belle parole de Gournot, « l'évolution de ce gra^^
phénomène qu'on appelle l'humanité ».
/
E, DE ROBERTY.
HOBALE ET PSÎCHOtOGfE
W
1€
crois que le jour est proche ou ridentité de Téthique et île la
^^clologie sera universellement reconnue comme une vérité évi-
^Jte, La science sociale aura fait alors un pas considérable en
avant.
L'objet des recherches du moraliste ne difTcre en rien de celui à
/'*?*! rde duquel le sociologue consacre le plus pur de son efîort.
Z)ésJj^*nons cet objet par ses appellations les plus habituelles. S agit-il
de catiditife? Mais les séries de conduite remplissent le domaine tolal
de /'histoire qui est la base de la sociologie. S'agit-ii d'icfdex qui se
réalisent, qui se transforment en acle»'} Mais la sociologie n est-elle
pas le grand portique de Tidéologie, et qu'est-ce que la société,
sioo n , à la fois, le creuset où s élaborent nos idées, et le vaste champ
où celles s'appliquent? S'agit-il ôe caractère'} Mais le caractère est-il
auti*o chose qu'un simple aspect de la conduite, Taspect qui la relie
aux conditions mentales dont nos actes ne Forment que les consé-
quences? La matière intime de tout drame — ^et Thistoire sociale de
'tiun:ianiti^. est le drame par excellence — ûê se confond- elle pas
vec ce que nous appelons le caractère? S*agit'il enfin de jugements
^>ioî*aii,r, de jugements portés sur la valeur des idées et des actions
l^^ornuines? Mais le titre à'amoîogie sociale ne convient-il pas à
■aer veuille aux études du sociologue?
La inorale a souvent été définie comme le plan^ la méthode, la
^eîe qui gouverne la vie de Thomme au miHeu de ses semblables.
ï"* une minute de réflexion suffit pour comprendre qu'une lelle
l^'^Kle ne peut avoir de valeur que si elle exprime, au moins d*une
ï^COn lointaine ou approximative, les lois essentielles qui dirigent
* aetiviié sociale de Thomme et qui forment Tobjet propre de la
^GjojQgie_ Toujours et parlout, la transition du moral au social
^••f firme comme un passage du môme au même. La morale est,
*^^ns l'ordre des idées, le corrélalif exact des mœurs, des coutumes,
^^^ droits et, en général, des rapports sociaux ^ dans Tordre des
faits.
Quant à Targument tiré de Tan ti thèse qui oppose Vindiviitu à la
socitif^ et vice verset^ il nous enferme, comme j*ai eu maintes fois
l Occasion de le constater, en un cercle vicieux; il nous conduit à
e^ j^u de mots puéril qui consiste à voir dans la sociologie une sorte
d^ »tiora(e du groupe^ et dans la morale une sorte de i^ociologie de
V'^ndiiidu.
Mlruisme, morale, droit, justice, — voilà autant de points de vue
fiuccessifg auxfjueîs nous nous plaidons pour analyser un seul et
ïii<'tTie phénomène, la socialilé* La sociologie est aussi bien la
xmmQ de la morale que celle du droit. £tle est également la science
333 RËVUK PHILOSOPHIQUE
économique, car les rapports de cette sorte rentrent tous dans l'ordre
juridique et, par suite, dans Tordre moral. Et lorsque de la théorie
on passe à l'application, la sociologie devient une technique sociale,
une politique se subdivisant en une foule de chapitres distincts.
Enfin Thisloire est nécessairement morale, juridique, économiqueet
politique. C'est le fond commun où puisent toutes les hranchesde
la sociologie. Les faits de l'histoire s'offrent comme un immense
champ d'expériences morales, et le récit de l'historien n'est que lo
description, plus ou moins détaillée ou succincte, de pareilles
expériences qui toujours se montrent intimement liées ensemble
et découlent les unes des autres (pragmatiquement, comme on lit
dans l'école allemande, ou encore en vertu des lois logiques de
l'esprit appliquées aux choses).
L'éthique telle que nous l'entendons, la morale devenue une
sociologie abstraite, c'est la science de l'univers transcendant rapa-
triée, ramenée dans le monde de l'expérience; c'est le rêve de Kant
réalisé, la nature intelligible émergeant du brouillard métaphysique
qui nous cachait sa véritable essence.
Le monde des idées possède deux sources distinctes : 1" les lois
ou les conditions de la vie organique; et 2® les lois ou les condilioDS
de l'existence sociale. La biologie est la science des premières, la
sociologie ou morale la science des secondes. Sur la double base
offerte par ces deux disciplines également abstraites et inductive^
s'élève l'édifice du savoir concret et déductif désigné par le nom de
psychologie.
Confondre ce savoir concret avec la biologie ou avec la sociologie
est une faute grave. Elle fut pourtant commise, soit par Comte et
l'école positiviste incorporant la psychologie dans la physiologîîe
cérébrale, soit par Spencer et l'école cvolutionniste concevant
l'éthique comme une partie de l'idéologie, le chapitre qui traite des
notions morales, qui déroule la longue chaîne des syllogismes imp^
ratifs réglant la conduite de l'individu pour son plus grand bien.
L'altruisme, sous le nom populaire d'amour du prochain, lasocia-
lité sous la dénomination non moins répandue de moralité, ces phé-
nomènes furent, de temps immémorial, familiers aux hommes, tf^*^
ceux-ci ne connurent-ils pas, de tout temps, certaines grandes
classes de faits chimiques, la combustion, la putréfaction, la fer-
menlallon par exemple? Néanmoins, la chimie s'offre comme uDC
discipline de date récente, et la sociologie en est encore à ambi-
tionner le titre de science. Pourquoi? Parmi les causes qui e^f^'
quent la persistance de l'empirisme vulgaire et les retards subis pf
l'éclosion du savoir théorique, il en est une qu'on ne signale presque
E. DE ROBERTT — MOBALE ET PSTCHOLOGTE
ÎSrnSTs, Je veux parler du ran^î secondaire, accessoire, dépendant
que la raison est naturellement portée à assigner aux phénomènes
qu'elie connaît mal^ d'une façon vague et imparfaite.
Sans se rendre un compte exact de îa dîfTérence qui existe entre
la dérinïtion d'une chose par r/t?s mois et sa définition par des fait$y
on son étude expérimentale, Tcsprit recourt, dans les deux cas» à la
même méthode , il tente la réduction de ce qull ne connaît pas à ce
qu'il croit connaître. Il assimilei sans plus, les phénomènes chtmi-
quesaux phénomènes physiques, et il range volontiers les faits sociaux
parmi les faits vitaux. Au lieu de considérer, jiîsqu'à nouvel ordre,
ksocialité (OU laîtruisme, le psychisme collectif) ainsi qu'un mode
spécifique de Ténergie universelle, il est enclin à n'y voir qu'un
simple fait biologique, le compagnonnage commun à tous les ani-
maux*
Non pas qu'une telle vue soit fausse en elle-même, ou qu'elle
pèche par son étroilesse. Elle me semble, au contraire, eu égard au
savoir infime que nous possédons en ces matières, trop générale,
trop vague, trop fluenle. C'est Thabit d'un colosse mis sur le dos
d'un enfant et qui ne peut qu'entraver ses gestes, embarrasser sa
marche. C'est peut-être Tavenir, saisi et deviné par hasard, sinon
en vertu des tendances monistes du philosophe; ce n'est sCirement
pas le présent, avec ses besoins précis et ses limitations néces-
saires.
Admettons toutefois, avec certains écrivains récents, la social! té
pour un instinct profond de la nature vivante. Ce mot %^ague d*ins-
tioct ne nous apprend pas grand'chose. Il nous enseigne seulement
qu'un lien, comparable a une racine, ex.iste entre la vie organique
ou Ion digère et se meut, et la vie surorganique oii Ton pense et
agit. On a très justement dit de Tinstinct qu*il naissait « de la répé-
tition soutenue des mêmes actes » et on l'a 1res véridiquement
décrit comme une mémoire héréditaire « qui se décolore et finit par
ivanouir quand Texercice ne lentretîent pas ». La socialité subit
'Scessai rement la loi générale. Bépélition soutenue des mêmes
actes, éducation prolongée du genre humain, l'histoire exalte ou
atrophie tels ou tels groupes de penchants qui, par suite^ seront
considérés à une époque comme moraux, et ù une autre comme
immoraux. Et Thistoire, en outre» fait surgir des penchants neufs
et inédits, en employant a cette lin les innombrables données de la
vie psychique eoncrète, de la bio-sociaUtê qui forme la trame même
des événements historiques. C'est ainsi, par exemple, qu'une partie
des idées et des théories socialistes passera sans nul doute dans le
sang, imprégnera les cerveaux des générations futures. Le temps
334 IlEVUË PHILOSOPHIQL'K
est un grand magicien. Que n'a-t-il déjà changé, dans le domaine
politique, dans celui de la sexualité, dans nos rapports écoDO-
miques! Combien de vieux instincts sociaux éteints, combien de
mourants, combien de nouveau-nés aussi ! Quand les circonstances
s'y prêtent, un très petit nombre de générations suffit pour opérer
les plus étonnantes métamorphoses.
On n'^pête volontiers avec Darwin, qui fut un grand naturaliste,
mais un philosophe plutôt médiocre, que « l'instinct social n émané
des profondeurs de l'organisme, gi'oupa les hommes en sociétés.
Et on ne nous cMe pas que cet instinct, qui joue en sociologie le
rôle d'un deus ex machina, se comporte d'une façon bizarre el
capricieuse. Après avoir touché de sa grâce quelques espèces
placées très bas dans l'échelle zoologique, il saute brusquement
jusqu'au faîte de la série. Brusquement, sans transition apparente,
mais, non, certes, sans cause réelle. Or, quelle est cette cause?
Je m'imagine qut; la rencontre, le choc des forces psychophysiques
rudimentaires produit, à tous les degrés de l'échelle animale, une
réaction originairement semblable. Mais celle-ci ne doit-elle pas se
dilTérencier peu à peu et amener des conséquences fort diverses,
suivant la diversité des matériaux sur lesquels opère la socialité,
suivant la classe de cerveaux où sç manifeste le phénomène social
et (jui sont doués de pouvoirs psychiques très dissemblables? Chez
les animaux inférieurs, et peut-être, d'une façon passagère, dans les
premières hordes humaines, la réaction collective donne naissance
au seul « instinct social »; et chez les êtres exceptionnellerai^nl
favorisés sous le rapport psychophysique, tel l'homme sorti de
l'état sauvage, elle fait surgir un phénomène nouveau, a la cods-
cience sociale », qui participe de la nature supérieure de ces orga-
nismes perfectionnés. Le a pur instinct » et la « pure conscience *
auraient ainsi une origine commune ; et une lin analogue, puisque
la raison elle-même se transforme avec le temps en fonction auto-
matique.
Certes, ni l'inlelligence, ni la socialité ne font entièrement défaut
à aucune espèce animale. Une sociable restreinte aux rapport^
sexuels ou à l'amour de la progéniture est parfois étrangement
dévtMoppée chez des êtres absolument réfractaires aux formes plu^
hautes de Taltruisme. Certaines autres espèces, les abeilles et 1^^
fourmis, par oxenn)le, ces primates des invertébrés, manifestent
déjà, à un degré très apparent, ce i^i'on pourrait appeler laltruisin^
de la cité. Cette monile peut nous surprendre par ses nombreus^=»
ressemblances avec la morale humaine ; il n'en est pas moins pr^'
bable ipie la première ditïère de la seconde dans la mesure exacte
dans laquelle la cérébralité. les aptitudes psychophysiques des
êtres quelle joint ensemble^ restent iaféneures à la cérébralité, aux
aptitudes psychophysiques de rhonime. Car la morale ou la socia-
ili^ n'est pas autre chose que la mise de telles aptitudes en pré-
sein!e, en contact permanent, chez les individus biologiques qui
Prinenl l'espèce . Une partie des lorces psychophysiques se
ansmue alors en forces sociales ou raorales.
Chez rhomme, révolution une ibis commencée ne s arrête point.
La cérébraiité humaine, devenue collective (d'individuelle qu elle
■fait au sens biologique du mot), entre avec la mentatilé première en
in rapport régulier de coopération. Les aptitudes collectives alfiées
^ux aptitudes psychophysiques se transmuent, à leur tour, en une
louvelle série d'aptitudes qu'on pourrait appeler idéologiques, qui
Lnt essentiellement instables (une condition de progrès) et qui
pm placent partout la pure causalité par le fînalisme conscient (ou,
ijelon le jargon philosophique encore en usage, la nécessité par la
eilé).
Dans le cas zoologiqoe^ nous avons une série évolutive composée
deux termes : cérébraUté, socialilé* Et la morale animale
meure stationnai re, elle se lègue héréditairement avec la môme
lié et la même rigueur que les instincts organiques et fonction-
lels. Uans le cas humain, par contre, nous sommes en présence
Tune série évolutive composée de trois termes : cérébralité, sociaUlé,
éalitét dont le premier seul rentre dans Tordre biologique, tandis
tie les deux autres appartiennent à l'ordre sururganique. La socia-
le humaine est consciente comme son ellét ou son produit i m mê-
lât, rîdéalité humaine. Elle est, par suite, foncièrement progrès-
(ive, et sa transmission héréditaire n'est rien moins que fixe ou
igoureuse. Elle se rapproclie visiblement, sous ce rapport, de Thé-
ité si intermittente et si fugace des hautes aptitudes intellec-
elles {auxquelles les physiologistes eux-mêmes n'accordent tout
U plus qu'une transmissibilité de quelques générations).
Une terminologie particulière, alors môme qu'elle est très
éfectueuse (rexemple de Kant Ta su If i s am ment prouvé pour les
soncepts universels), rend des services inestimables aux esprits qui
entent le passage de la vague connvaissance empirique à un savoir
llus exacl et plus sûr. Le plus mauvais néologisme scienti tique
possède sur le meilleur des termes de la langue usuelle ou cou-
nte cet avantage que, tant qu*il n'est pas usé, il ressemble à ces
fases neufs qui ne laissent pas couler leur contenu. Le lecteur
)rdinaire et le critique qui défend ses intérêts, poussent de grands
iria h la vue de certains barbarismes; mais n'est-il pas juste de
33G REVLE PHILOSOPHIQUE
répondre, à l'un, qu'il n'est, en somme, que le lecteur ordinaire^ et
à l'autre, que les intérêts par lui pris en mains, pour respectables
qu'ils soient, doivent céder devant l'intérêt supérieur qui s attache
à la découverte d'une vérité nouvelle.
Ne craignons pas d'employer ce mot barbare, le psychisme col-
lectif, DU remplaçons-le, pendant qu'il est temps encore, par un
néologisme plus suggestif, mais équivalent. Et pour en revenir au
problème posé dans les pages précédentes, constatons que le phé-
nomène social ou moral surgit partout où il y a collectivité, com-
munion psychique, indépendamment de la nature du psychisme
dont le simple équilibre biologique est partiellement rompu ao
profit d'un équilibre plus complexe et, par là, supérieur. Ce psy-
chisme apparaît soit chez l'animal proprement dit, soit chez l'homme
zoologique. On pourrait par suite diviser la science sociale descrip-
tive — l'unité de la science abstraite étant hors de cause — en
deux parties distinctes : la socioiOiiie ou la morale animale, et la
sociologie ou la morale humaine. Toutes deux contribuent par leurs
données et leurs expériences au développement de la sociologie
générale. Mais, très précieux au point de vue de la théorie pure,
l'apport de la première parait, à tous les autres égards, étrangement
inférieur à celui de la seconde. Ce n'est pas, certes, de la sociologie
ou de la morale absente, comme on la dit, mais c'est presque de
la stKiologie latente et, au mieux, une manière de pi'ésociologiem
de />iYi)»i»r.ï?*\
Partout dans la nature, le fait altruiste la présence d'aufruî, du
iwéiïit» à la fois nutltipliê et [jradu»: annonce l'existence d'une
réserve de psychisme collectif. Pleinement utilisée, cette réserve
fera éclater la si«cialiîé et lui permettra d'atteindre un développe-
mont puiss;mî; .|ue si. au contraire, comme cela a lieu dans la
plujwrt des espèces animales et dans toutes les espèces végétales,
cette réserve reste inactivo, la socialité ne s'éveillera pas de son
lourvl so:umeil. elle dem- uroni :\ T' ::it de simple tendance.
Quand îe psychisme c^«î[ec:if. de potentiel qu'il étiit. devient
actu;!. i* rovjt la f^Tme d'i:: e •<-::• l'ion, d'une ifociété d*indi\idus
ou j "'-* - vlWmes, d'esprits s^r\!> î ar leurs organes. Une sobriété
est i::: CimiPjZcr.ier.t. uitC cc:n:s:', on i^t^rnuinente et n'iturrlle àA
t,^i;> U > / lassOs, i n^ sonis et Uîiirs avec tous les <]i#(rii( éga-
ler, c:.: cv.\<v'^;s si^r s; '•.•:* .ttc - ;■ ::•■> , d.ius un milieu physique à
la :V i> ^ :c:c".:^î:;.e et g; o^ir r::: |\::- d.itrniiné- l'n milieu c.>u5«ri<Til
et h:<::--'- .• • .s! ,v:;>. . ivc -îià sc^ ; "t.r.d intimement avec le milieu
sulv . :*>c cr.t v. r.\i:-r :'. Ijx^ trj..: : •::: » • u îa *. tîliation » de Ijllrê,
4 r;:*',.::M'::-::v.e:\: ♦ eu î" ir.iMtio:: » «ie Oournot et de M. Tarde, la
E. DE ROBERTY. — MOIULE ET PSYCHOLOGIE 337
<c suggestion » du docteur Nordau, etc., sont des indices conco-
mitants du phénomène associatif, indices toujours subordonnés au
fait altruiste primordial.
Il reste à s'enquérir des circonstances qui favorisent Téclosion du
phénomène associatif. Une haute cérébralité s'offrira, à ce point de
vue, comme un avantage considérable. Mais l'exemple des sociétés
constituées par certains hyménoptères, où le fait altruiste revêt les
formes précises qu'il possède dans les sociétés humaines les moins
avancées, prouve, semble-t-il, qu'il faut chercher ailleurs la clef du
problème. Hasardons une modeste hypothèse.
Ne voyons-nous pas, dans toutes les sociétés dignes de ce nom,
dans celles des animaux mentalement très inférieurs comme dans
celles des êtres exceptionnellement doués sous le rapport-de Tintel-
ligence, se produire un fait caractéristique, la différenciation ou la
spécialisation des fondions sociales? La fonction organique a été
définie : une coordination de mouvements inconscients, mais indis-
pensables à la conservation de la vie, qui s'inscrivent d'une manière
plus ou moins profonde dans les centres nerveux (quand ces mouve-
ments se rapportent au genre d'existence de l'animal et lui dictent
une conduite invariable, la fonction organique change de nom, elle
s'appelle instinct). A son tour, la fonction sociale se pourrait définir :
une coordination d'éléments psychiques (représentations, émotions,
désirs ou besoins primordiaux) qui, s'imprimant dans les cerveaux
des individus groupés ensemble, sont indispensables au maintien de
la vie commune. Se rapprochant ainsi de la fonction organique, la
fonction sociale se rapproche encore plus de Tinstinct biologique :
car elle se rapporte toujours au genre d'existence des êtres vivants
qui la manifestent et elle leur dicte, d'une façon impérative, leur
conduite. Mais, grâce à la nature psychique (et non plus physiolo-
gique) des éléments qu'elle coordonne, elle diffère de la fonction
vitale et de l'instinct parla qu'elle peut faire passer ces éléments et
passer elle-même de l'état subconscient à l'état de pleine conscience.
Elle n'accomplit pas toujours ce pas décisif (les sociétés animales,
les tribus humaines primitives et tout ce qui, dans nos sociétés
modernes, représente ataviquement ce lointain passé, nous en four-
nissent la preuve indubitable); mais elle semble y tendre d'une
façon constante.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, le « phénomène associatif» s'accom-
pagne régulièrement d'une spécialisation plus on moins parfaite des
principales fonctions de la vie psychique collective. Or une telle
séparation ne serait guère possible si elle n'avait pour base et pour
source la différenciation plus essentielle et plus profonde des apti-
338 KEVUE PHILOSOPHIQUE
ludes psychophysiologiques et, plus tard, celle des aptitudes bio-
sociales. Je suppose donc que la différenciation psychique des êtres
placés en face les uns des autres, constitue la première condilioi^
assurant la force, la stabilité, la durée des liens qui les unissent. -
Cette condition me paraît plus indispensable et plus efficace qu*UD ^
haute cérébralité. Je n'affirme pas, bien entendu, que Tunité social ^
croit en raison directe de la différenciation psychique; je suis plulO ^
enclin à penser qu'un degré relativement peu élevé de difTérencialioxm.
suffit pour mener à bonne fin Tœuvre unificatrice.
Ce trait renforce encore les nombreuses analogies qui existerm. t
entre la science des phénomènes d'association et la science dfe ^s
phénomènes d'affinité, entre la sociologie et la chimie, séparée ^s>
l'une de l'autre par la vaste région des phénomènes vitaux. Les re^ —
semblaiices en question sont si frappantes qu'elles nous pousserM. '^
involontairement à comparer la sociologie à une chimie de l'esprit ^ *-
la chimie à une sociologie de la matière.
En effet, l'altruisme inorganique, s'il est permis d'ajouter celL ^^
comparaison aux autres, — reste stérile, demeure inaclif, et aucu mrm.
phénomène d'aflinité ne se produit en présence d'une matière pâriisL m—
tement homogène. C'est l'hétérogénéité, la différenciation matériell. ^^
qui forme le point de départ et la condition fondamentale du phénc^—
mène chimique, comme c'est l'hétérogénéité, la différenciation^
psychique qui forme le point de départ et la condition essentielE ^
du phénomène social.
L'étude des foules, des grandes réunions d'hommes et mémedi^
la plupart des corps constitués (tribunaux, jurys, collèges électorau:^^ »
parlements, etc.; conduisit certains observateurs à cette conclusio^^
qui, au premier abord, parait choquante, à savoir, que le simple fsa-»*-
de prendre contact, de se tasser,. de s'agglomérer tend à abaissa**
aussi bien le niveau intellectuel que l'étiage moral des unités com-
posant le nouveau groupe, qu'il soit accidentel ou permanent. 1^^
sociologue italien Seipio Sighele nous donne une brève formule d^
ce curieux phénomène : Unirsi, net mondo umano^ écrit-il. v^^^
dire jH'ggiorarsi iContro il parlamentarismo, 1895).
M. Sighele nous semble avoir raison. Mais loin d'aller à Tencontr^
de nos vues sur le psychisme collectif, ou de saper par sa basenotr^
théorie des formations bio-sociales, sa formule vient h l'appui denos
thèses, conlinne nos suppositions, sert à contrôler leur justesse.
En elTet, si l'individu tel qu'il fleurit sur notre terrain social, ^^^
le produit de deux forces ou de deux facteurs coopérant ensemble
(le facteur psychophysique et le facteur proprement social), il ^^
manifeste que chaque agent ou facteur plus simple, pris à part,
E, DE ROBERTY. — MOflAtE 8T PSTOIOI.OCIE
ïuera, dans Févûluttun totaJe, un degré inrérieiir, un pas en
arrière. On rétro^jrade en quelque sorte quand on va de Findividuel,
du psychologique, à ses parties composantes, soll àrindividuel bio-
logique, soit au coîlectif. Or, dans les foules, chaque fois qu'elles
agissent en véritables toutes, il y a toujours, pour ainsi dire, reprise
de réiénient prituordinl (du coliectîf) et prédominance de ce facteur
sur le produit combiné (findividu social). On s'en aperçoit très vite
par des symptômes caractéristiques, tels que le jeu plus libre des
instincts sociaux, des passions cotlectives. et surtout par Tabseace
de responsabilité. H en va de même h regard des corps constitués
qui remplacent reflicace respunsabilité personnelle par rillusoire
x'esponsabilïté collective ou qui échappent, d'une manière ou d*une
ciutre, au cunlrùle du savoir et de la raison. Et là se trouve aussi
k^eut-étre le secret de la supériorité finale des vagues aspirations
^iiiarchiquGS (ou plutôt autarchiques) sur les vagues aspirations
^ziollectivistes.
La question des rapports de la morale avec la sociologie d'un côté,
.^mvec la psychologie de Tautre, a été Tobjet de Iréquentes contro-
^^rerses, surtout en ces derniers temps. Mais la plupart des auteurs
«^ua ce sujet préoccupa l'envisagent à un point de vue tellement
^5î ranger a celui qui domine dans le présent travail, que la discussion
^de leurs thèses ne pourrait ollrir ici qu*u!ie utilité restreinte et
^^resque négative. Une exception toutefois sera faite en faveur de
^^ertaines vues sur le problème de la con^itulion de Téthique,
X7écemment émises en Allemagne par un esprit des plus distingués^
^SI. Simmel, qui enseigne la sociologie à TUniversité de Berlin. Ces
^'ues — tantôt justes, et tantôt consacrant, ce nous semble, de graves
Cïrreurs — méritent de fixer un instant notre attention.
M. Simmel a. certes, mille fois raison lorsque, dans un éloquent
apfïcl aux moralistes contemporains, il les adjure de renoncer aux
vieux « impératifs n et aux abstractions ontologiques en usage, pour
édifier la science morale sur ranaljrse historique, sur les observa-
tions du psychologue, de rettmologiste, du sociologue. Kt M. Sim-
mel se montre à la fois subtil et judicieux dans ses recherches de
ilélail sur la nature de nos concepts moraux* Mais il ii^abdique pas
la vieille erreur qui consiste à voir dans les formes sticiales tantôt la
cause, et tantôt Fetlét des fat^cea morales, U estime, par suite, que
réthiqne n*est pas une science abstraite et ne pourra jamais le deve-
nir* Le sens des idées morales lut parait indélinissable et ces idées
sont, pour lui, l'oîuvre de ce qu*jl appelle le <r platonisme de l'es-
prit » (du mirage qui attribue la vie réelle h l'abstraction vide et
souvent même contradictoire). Mais la méthode qu*il nous recom-
340 REVUE PHILOSOPHIQUE
mande pour combattre cette illusion, renouvelle le vieux jeu de
dialectique hégélienne.
Elle détruit, à grand renfort de preuves, des suppositions qu'elli
môme édifia dans le but apparent de les jeter par terre à la premièi
occasion. C'est ainsi, par exemple, qu'on nous assure que les nolioi
morales les plus usuelles, le devoir, le sacrifice, le bonheur,
liberté, etc., ne sont ni des unités, ni des forces vivantes capab!
de servir de point de départ et de base à l'éthique.
Dénoncer Tontologie morale après Tontologie métaphysique, ^*
besogne semble déjà vaine aujourd'hui. Et elle devient presque pi^ **
rile lorsqu'on cherche à prouver que le Devoir comme TÊtre so*^^
vécus et sentis avant de fournir des sujets de méditation au pbi^ ^^
sophe. La logique, dit avec raison M. Simmel, ne crée pas des ét^^
d'esprit, elle les suppose. Aussi la recherche du bonheur univers^^ '
la culture du moi et toutes les autres lins morales que nous po*-^'
vons nous proposer, restent-elles des postulats éthiques tant qii'^^-^
ne les dessaisit pas de ce nMe. ..
Simmel estime que ce n'est pas notre science, mais bien plii *-
notre ignorance de tout ce qui est caché dans nos devoirs et so»-^*"
entendu par eux, qui les investit de la force morale que nous 1^ "^^
attribuons. Nous transformons à notre insu en obligations inélijr ^^
tables et permanentes toutes les nécessités relatives nées au coii --^^
de l'histoire. Pourtant, et à supposer que notre ignorance des faî
historiques soit remplacée par leur connaissance exacte, la sanctic
qui s'attache à nos devoirs en sera-t-elie amoindrie? Je pense, pot
ma part, que, si elle s'eflace en ce qui concerne certaines cat<
gories d'obligations, elle verra sa force se décupler par rapport
d'autres. Loin donc de m'apparaître comme une maladie incurable
le scepticisme moral, qui est la plus vieille et la plus éminente carac
térislique de l'élile humaine, me frappe comme un appétit constan'
de santé psychique.
Aux théories courantes sur l'égoïsme, Simmel oppose des vue^
fort judiiMCuses sur la vraie nature des motifs « altruistes »>. H
prouve avec beaucoup de finesse que l'altruisme est un principe detf
conduite aussi général, aussi simple, aussi primitif que Tégoïsme.
Il n'est même pas éloigné de croire que l'altruisme se développe
dans les sociétés humaines avant Tégoïsme. Mais il retombe en môme
temps dans Terreur vulgaire qui consiste à voir dans l'un de ces
concepts l;i négation de l'autre. Au reste, si, comme nous le pen-
sons, la poussée égoïste ne forme que le degré inférieur du phéno-
mène social, riiisloire et la logique sont d'accord pour nous montrer
le règne de régoisme précédant et préparant celui de l'altruisme.
St
I
I
le
E. DE ROBERTY. — MOîtALB ET PSTCHOiOCIE
Un dernier Irait caractérise la théorie morale de Si m met : c'est
riiiipûrt-ince extraordinaire qu'il attache à la vieille notion d'un
€onHît irréductible entre nos dillérents devoirs. Cette lutte, selon
Jui, ne ces^e jamais et constitue l'essence du sentiment tragique qui
voile d'une ombre douloureuse la jjIus brillante destinée humaine.
La contrariété ibrme à ses yeux la loi suprême de la morale^ la con-
dition qui Tait surgir les dilTérents groupes et qui règle la succession
des divers *Hats sociaux. Ceux-ci naissent te plus souvent non pas
l'un de lautre, mais, pour ainsi dire, Tun contre Tautre. Aussi Sim*
mal s*élève-t-il avec force contrôla recherche de Funilé en morale,
contre le monisme éthique, contre toute tentative ayant pour bul de
réduire à un seul principe les mobiles variés de notre conduite. Il
semble ne pas vouloir admettre que la tendance h rimilé est une
xiécessilé logique h laquelle nulle science abstraite ne saurait se
souii^lraire sans briser le ressort intime qui la fait vivre, sans s'immo-
biliser, pour y croupir indéliniment, dans sa phase inchoative et
empirique. Le médecin ignorant les lois de la pathologie, le mécani-
cien étranger à la théorie de son art, peuvent facilement devenir la
;çroie de perplexités, d'angoisses au mejins aussi pénibles que celles
«jui tourmentent le moraliste. Mais cela les autorise-t-il k déclarer
^ue la mécanique et la biologie sont basées sur un conilit, une lutte
éternelle de forces dont jamais nous ne pénétrerons lobscur
Avant de terminer cette leçon, il nous faut dire quelques mots du
roblème des rapporlii nécessaires qui relient le progrès moral au
ï^rpgrcs întellectueL
Une dispute restée célèbre s engagea h ce propos entre les histo-
riens de la civili^tion. Les uns admettaient la haute valeur des
progrès moraux, les autres contestaient leur inîluence et attribuaient
^^nx seuls progrès intellectuels la paternité de Tœuvre civilisatrice.
^es derniers, à Tappui de leur thèses invoquaient surtout la marche
^ente de la morale et révolution rapide du savoir.
Mais, dans cette discussion, ne devenons-nous pas, malgré nous,
^^ictimes d'une erreur mentale semblable à fillusion physique qui
immobilise à nos yeux la terre et déplace les astres, ou qui arrête
A e train en marche et met en mouvement les raiîs, les poteaux, les
sarbres de la route? La morale n est-elle pas le sol ferme qui porte
ft ^humanité h travers l'histoire, et le propre véhicule de toute civili-
^aalion? Et la lenteur des progrès dits moraux, quand on la compare
Mm h rapidité des progrès dits intellectuelSj ne signifle-t-elle pas sim-
"^lement que nous ne nous rendons pas bien compte des premiers,
c^ui ne font qu'un avec notre être social intime^ tandis que les
342 REVUE PHILOSOPHIQUE
seconds, plus extérieurs et plus apparents, nous étonnent et attirent
nos regards?
On n'a jamais clairement défini la valeur de ces deux vocables :
le a moral » et a Tiiitellecluel ». Ce que nous appelons le c progrès
moral » peut signifier beaucoup de choses qu'il serait profondément
irrationnel de ne pas distinguer.
S'agit-il du progrès de la « connaissance » morale? Nous rentrons
alors dans la définition du premier des progrès intellectuels, le pro-
grès scientifique, qui est la base et le point de départ du progrès
philosophique, du progrès esthétique et du progrès technique. La
marche en avant de la connaissance morale s'affirmera comme le
résultat d'une marche analogue déjà accomplie par toutes les autres
sciences : ce progrès se manifestera, par suite, en dernier lieu. Mais
comment pourrait-il retarder beaucoup sur le progrès philoso-
phique, esthétique ou technique dont il est une des conditions
nécessaires?
S'agit-il d'autre chose que de connaissance? Ce mot de « morale ^
est, en effet, si vague qu'il désigne à la fois le psychisme collectifj
l'une (les deux sources fondamentales de toute science et de tout*
culture intellectuelle, et les idées, les concepts éthiques qui forment
le contenu et le produit de l'expérience sociale proprement dite. Dans
sa première signification, la morale apparaît à nos yeux coracne
quelque chose d'infiniment plus stable que la culture intellectuel !<■
Nous devenons la proie de l'illusion bien connue qui, séparant 1^
effets multiples de la cause unique, conçoit celle-ci comme immuable»
et ceux-là comme soumis à une variation, à un changement perp^"
tuel. L'id('^e de progrès, dès lors, déserte l'idée de cause pour s'atta-
cher étroitement à l'idée des effets que cette cause détermine. No«Js
oublions que ces derniers ne sont, en réalité, qu'une série déchar-
gements subis par la première. Nous parlons des progrès rapides de
la culture intellectuelle sans nous apercevoir que nous affirmons p^r
là l'évolution — tout aussi rapide, sans nul doute — du psychisriïe
collectif qui produit cette culture. Que si, d'autre part, nous app'^"
quons le terme de morale aux seuls concepts éthiques qui, à une
époque donnée, meublent nos cerveaux, il est clair que le dévelop-
pement des idées de cette sorte ne pourra pas devancer celui des
concepts dus à Texpérience biologique, physico-chimique ou méca-
nique; et nous ne nous tromperons pas beaucoup en constatant '*
lenteur dos progrès de la technique sociale comparativement aux
progrès de la technique de toutes les autres branches du savoir.
Peut-on, de l'état intellectuel d'un peuple, conclure avec sûreté à
son état social? Quand ils ne s'identifient pas l'un avec l'autre, ces
E. DE ROBERTY, — MORALK KT PSYCÎlOLOCtli
34H
^^ mj» 3t états restent étroitement connexes entre eux. Certains paral-
^ M ^^ s historiques et contemporains tendent, il est vrai, à prouver le
^i^m;-:» traire. Mais Texcessive complexité des pliénomènes sociaux
izs^^is^ «jmule et explique les erreurs qui se commettent journellement
irm *n;etle sorte de comparaisons. On perd de vue» par exemple^ que
^ s^r^ientaltté d'une élite restreinte ne représente jamais la mentalité
B^ M ^ nation enti^^re : les semailles, soumi-ses à Taléa des change -
^^^^■rmts atmosphériques, ne sont pas encore la récolte. La barbarie
f m w^m^ téneuvù aussi bien que rextérîeiire; supporte pendant de longs
» ^^«iz^ les, sans se laisser entamer^ le contact de la civilisation. On a
*t»^l-jitude de déplorer en pareil cas l'échec piteux de la science,
r^«i mj«ite, dit-on, à s'incliner devant Fempirisme des praticiens
socz^m^^yx. On oublie la plus belle conquête de celte même spience,
la lo i de continuité, selon iaquelle jamais et nulle part dans la nature
te^ cJegrés ne se sautent
^N'os idées — scientîliques, pbiiosopiiiques, esthétiques et pra-
liciUcBS — sont des forces qui, comme telles, rayonnent de tous côtés,
agissent ou réagissent sur le monde des phénomènes. Cependant,
pltic^^êe en dehors de certaines conditions biologiques intimement unies
^ oc? i^taim*s conditions sociales, l^idée ne se manifeste point; j'entends
rîcl^^ complexe, Fahstraction fille du langage, de la tradition, de
^'en^^ignement, des divers modes de communication entre les cer-
^^^ai^x individuels. Sans socialité, pas d'idéologie; sans morale, pas
^B^ 3S<::ience, Mais le contraire ne semble-t-il pas également vrai, et
^V^ l>CïUvons-nous pas dire : sans idéologie, pas de socialité; sans
^^^vciïi'^ pas de morale? Dans la réalité concrète^ Teffet est insépa-
^Vabi^ de sa cause. Là société la plus sauvage possède déjà une idéo-
/*ei^ rudimentaire. Le développement des liens sociaux augmente
^ Nombre et la valeur des idées qui s'échangent entre les hommes
qui constituent le véritable fonds sur lequel vivent les sociétés*
*^^*H Je développement idéologique s olîre à son tour comme un
'Bne auquel se doit reconnaître [en dépit d'apparences parfois
reposées) une socialité accrue, une morale virtuellement plus haute.
tï-^ne observation a été faite des milliers de Ibis : cette remarque
*^*>^'itnment, que le progrès intellectuel et le progrès moral ne s©
*iSii^iit constater qu'à la suite d'un progrés économique j d'une
, "^^^iiyi^ation des bases matérielles de Texistence. Les idées prati-
^**es auraient-elles donc le pas devant les idées scientifiques et phi-
^*->|jhique3? Voilà une illusion assez semblable à celle qui tire la
^rale de Tidéotogie, ou qui donne poiu* origine au fait social élé-
^^ *^ni*iii*e une suite de raisonnements compliqués. Et cette illusion
^^plique delà même manière.
344 REVUE PHILOSOPHIQUE
Dans les deux cas, ce que nous apercevons avec netteté, c'est le
phénomène consécutif, soit Tépanouissement idéologique, soit Je
progrès matériel. Et ce phénomène nous frappe d'autant plus qu'il
forme la matière propre de notre activité sociale, qu'il nous pousse
à agir d'une certaine faron, qu'il guide, à notre insu, par la force
inhérente au finalisme latent de l'esprit, nos désirs et dirige nos
volontés. J
Une finalité plus consciente nous eût sans doute aidé à corriger
l'erreur subjective qui nous fait voir dans le progrès matériel l'an-
técédent ou la condition nécessaire de progrès intellectuel. Car
poser consciemment la première espèce du progrès comme une fin,
un but à atteindre, n'est-ce pas reconnaître à la fois : 1'* que cette
fin devient pour nous un mo^y d'action, une cause subjective déter-
min.mt un certain efl'et (dans notre exemple, le progrès intellec-
tuel; ; et 2" que l'effet en question constitue la vraie cause objeclm
du phénomène transformé par notre raison en motif ou mobile?
D'ailleurs, le progrès intellectuel est une cause qui, comme toutes
les causes naturelles, renaît sans cesse, à mesure qu'il produit son
effet, le progrès matériel. D'où cette formule qui suffit aux besoins,
qui répond aux exigences étroites de la pratique : sans progrès
matériel, pas de progrès intellectuel. Mais la théorie, la science
pure fait cesser l'équivoque. Elle remet chaque chose à sa véritable
place, la cause avant Teflet qui la manifeste, le progrès du savoir,
cette richesse latente de l'homme, avant le progrès de la richesse,
ce savoir incorporé dans les objets qui nous entourent.
Dans les petits détails de la vie active, nous pouvons impunément
oublier les liens de dépendance qui unissent la pratique à la théorie.
Mais nous nous exposerions aux plus graves mécomptes en basant
sur la même règle notre conduite générale. Sur ce point, les meil-
leurs esprits sont d'accord depuis des siècles.
a La question de l'avenir de l'humanité, dit, par exemple, un des
plus fins moralistes de l'époque, est tout entière une question de
doctrine et de croyance; la philosophie seule, c'est-à-dire la
recherche rationnelle, est compétente pour la résoudre. La révolu-
tion réellement efficace, celle qui donnera la forme à l'avenir, ne
sera pas une révolution politique, ce sera une révolution religieuse
et morale J'imagine donc que ceux qui nous rendront la
grande originalité, ne seront pas des politiques, mais des penseurs.
Ils grandiront en dehors du monde officiel, ne songeant même pas à
lui faire opposition, le laissant mourir dans son cercle épuisé. »
Montaigne, au xvr siècle, était déjà de l'avis de Renan : « Aucuns,
lit-on dans le premier livre des Essais^ voyant la place du gouver-
E. DE ROBERTY. — MOMALE ET PSYCHOLOGIE 345
nement politique saisie par des hommes incapables, s'en sont
reculés. Et celui qui demanda à Cratès jusques à quand il faudrait
philosopher, en reçut cette réponse : Jusques à tant que ce ne
soient plus des asnlers qui conduisent nos armées, d
Les <( asniers y> de Montaigne, les empiriques et les praticiens
encombrent les avenues qui de l'expérience sociale conduisent à la
théorie sociologique. Et la suprématie de Taction sur la pensée
trouve un écho complaisant jusque chez les serviteurs de la science
qui volontiers confondent le point de vue qui convient au journaliste
ou au poUtique avec celui auquel se doit placer le savant.
Parmi ces serviteurs, les uns déplorent l'état arriéré de la
psychologie, le mystère qui enveloppe la vie de l'âme et qui ne
permet pas au sociologue de prévoir la conduite des individus et
des peuples. Ceux-là enferment la science sociale dans un cercle
sans issue. Us font dépendre Tavenir du savoir abstrait du sort de
la connaissance concrète correspondante. Ils semblent ne pas se
douter que les lois psychologiques se déduisent simultanément des
lois générales de la biologie et des lois générales de la sociologie.
D'autres vont plqs loin encore. Ils dénient à la connaissance
sociale toute capacité de prévision. La sociologie, à leur gré, ne
sera jamais une science véritable, mais seulement une description
analytique, une simple histoire naturelle des sociétés. Il faut, assu-
rent-ils, <!C nous borner à savoir que le monde moral est, lui aussi,
soumis à des lois :», et nous résigner en même temps « à ne jamais
connaître les conséquences futures (c'est-à-dire le propre contenu)
de ces lois».
Cette thèse pessimiste affirme, d'une façon formelle, l'existence
d'un inconnaissable moral. Nous ne relèverons pas son caractère
profondément illusoire; mais nous nous permettrons de faire
observer que la vieille théorie de l'indétermination des phénomènes
moraux était à la fois plus franche et plus logique.
Eugène de Roberty.
TOME L. — 1900. 23
LES LOIS DU MOUVEMENT
ET LA
PHILOSOPHIE DE LEIBNIZ
Quand on lit les œuvres philosophiques de Leibniz on est frappé
de Timporlance qu'il donne à ses propres recherches surlesloisda
mouvement. On voit sans peine qu a ses yeux Tintérôt de ses décou-
vertes dans cette (jnestion dépasse de beaucoup les bornes de la
science de la nature et touche aux problèmes les plus essentielsde
la nuHaphysique. Mais c'est par une série d'allusions plus quepir
un exposi» complet présenté une fois pour toutes que Leibniz donne
cette impression. Il en résulte quelque obscurité dans l'esprit do
lecteur; celui-ci n'aperçoit pas toujours avec clarté dans quel rap-
port se trouve la philosophie leibnizienne avec l'énoncé dequel»|U€S
lois <le dynamique. Peut-être les réllexions suivantes qui précisé-
ment veulent jeter sur ce point quelque lumière ne seront-elles p»
tout à fait inutiles.
I
(l'est avant tout contre le principe cartésien de la conservation de
la quantité do mouvement que Leibniz a dirigé ses elîorts. La quan-
tité (ic mouvement dun corps, c'est le produit de sa masse prsa
vitesise. Afiirmer la conservation de la quantité de mouvement dans
l'univers, c'est afiirmer l'invariabilité de la somme des quantités de
mouvement de tous les éléments de matière. Comment Descartes
démontrait-il celle grande loi? Il prétendait la faire dériver defiffl"
mutabilité de Dieu, qui <^ doit conserver en l'Univers, par son con-
cours ordinaire, autant de mouvement et de repos qu'il y en amis
en le créant • )>. A quel point cette argumentation est fragile, il est à
peine utile de le faire remarquer. S'il doit y avoir un lien élroil
entre Tinmiutabilité divine et la constance d'une somme, pourquoi
1. Principes, 2' partie.
a. MILHAUD.
LKS LOJS DU aiOLrV£>IE?ir
3'J
ir la somme de la quantité de raoiivement de préférence à
LUtre? C'est à peu près ce que dit Leibniz : d Quie hic ratio
MV a CDOStantia Dei quam deljîiis sit, nemo non videt» quoniam
oostaiitia Dei îsummu sit, nec quicquam ab eo nisî secundurn
3riptiB dudum seriei leges mutetur, id tamen quctrilur, quid-
Donservare in série decreverit ^ ».
is Leibniz connaît les tendances de Tesprit de Descaries : il
[ue si par tenipérameot il ne voit toute la vérité d'une proposi-
qu'à la lumière de quelque principe d*oLi elle se déduise, ce
ordinairement pas le chemin naturel qu'a suivi sa pensée pour
venir. A propos de la réfraction, par exemple, Leibniz — pas
que Fermât — n'a pris au sérieux Tétrange démonstration de
irtes, et il a refusé de croire qu'il lui dût vraiment la connats-
3 de la loi des sinus, «t Lorsque les rayons observent dans les
es milieux la même proportion des sinus, qui est aussi celle
résistances des milieux, il se trouve que c'est la voie la plus
ou du moins la plus détei^minêe pour passer d'un point donné
un milieu à un point donné dans un autre. Et il s'en faut beau-
que la démonstration de ce même théorème que M. Descartes
Lilu donner par la voie des efficientes, soit aussi bonne. Au
B y a-t-il lieu de soupçonner qu*il ne l'aurait jamais trouvée
ùj s il n'avait rien appris tu Hollande de la découverte de Snel-
. » Leibniz a tort de ne pas songer à la possibilité que Descartes
ouvé sa loi par Texperience, en bon pltysicien quUl sut être à
Sures ; mais sa remarque reste vraie en tout cas, si elle exprime
ment la défiance avec laquelle nous devons accueillir les nu-
que Descartes nous donne de ses convictions. S'il s'agit de la
-ance de la quantité de mouvement, Leibniz, n'a pas de peine à
ouver unejustiljcalion raisonnable, ou tout au moins qui mérite
len, dans 1 élude des cinq machines connues, le levier, la vis, la
e, le coin, le tour, * Gompiures matbematici cum videant in
lue machinis vulgaribus celerilatein, et molem inter se com*
4ri, generatiter vim motricem a'Stîmant a quant itate motus,
producto ex mult(i>licatione corporis in celerilatem suani ^ j» Et
it^ nous savons bien que l'attention de Descartes a été tout par-
èreraenl attirée sur les conditions d'équilibre de ces cinq
ineS| puisque nous avons les considérations fort courtes, mais
substantielles qu'il a écrites pour a l'explication des machines
gins par l'aide desquels on peut avec une petite force lever un
J. Gerhard t, L IV, p, 370,
sirhartn, L ÏV, p. 418.
348 REVUE PHILOSOPHIQUE
fardeau fort pesant ». Ce qui ressort clairement de ces quelques
pages, c'est qu'en effet, comme le dit Leibniz, les masses qui doi-
vent s'équilibrer Tune l'autre sont en raison inverse des vitesses
des points où elles sont appliquées. Car si nous considérons un
levier AB, par exemple, dont le point fixe soit en 0, refîort exercé
en A, pour vaincre une résistance qui se trouve en B, doitéireà
cette résistance comme sont entre elles les longueurs OB et OA,
c'est-à-dire comme sont entre eux les arcs décrits par les extré-
mités B et A, dans l'instant où l'engin produit son eflet. Ces résul-
tats ne sont pas contestables, mais il reste à se demander si de
l'égalité des produits de la masse par la vitesse qui se trouve ainsi
postulée comme condition d'équilibre dans un cas tout particulier,
on a le droit de tirer la loi de Dcscarles. Pour démontrer l'erreur
qui se cache dans celte généralisation hâtive, Leibniz formulera
deux sortes d'arguments. D'une part il fera voir directement que ce
n'est pas le produit mw, mais bien î/îv-qui se conserve; d'autre
part il montrera que de la loi cartésienne découleraient des consé-
quences contraires au sens commun et à une expérience cons-
tante.
1° Pour sa réfutation directe de la loi, il invoque un principe que
ses adversaires ne sauraient songer à contester; c'est celui même
que Descartes a énoncé au début de son étude sur les machines:
a L'invention de tous ces engins, disait-il, n'est fondée que sur un
seul principe, qui est que la même force qui peut lever un poids,
par exemple de 100 livres, à la hauteur de deux pieds, en peulaussi
lever un de !200 livres à la hauteur d'un pied, ou un de 400 à la hau-
teur d'un demi-pied, et ainsi des autres, si tant est qu'elle lui soit
appliquée. Et ce principe ne peut manquer d'être reçu, si on consi-
dère que relïet doit être toujours proportionné à l'action qui est néces-
saire pour le produire : de façon que s'il est nécessaire d'employer
l'action, par laquelle on peut lever un poids de 100 livres à la hauteur
de 2 pieds, pour en lever un à la hauteur d'un pied, celui-ci doit peser
200 livres : car c'est le même de lever 100 livres à la hauteur d'un pied
et derechef encore 100 à la hauteur d'un pied, que d'en lever 1200 à la
hauteur d'un pied, et le même aussi que d'en lever lOOàla hauteur de
2 pieds. >' Leibniz s'arme purement et simplement de ce principe^
et, après avoir rappelé qu'un corps tombant d'une certaine hauteur
acquiert précisément la vitesse qu'il lui faudrait pour remonter
aussi haut, il présente ainsi sa démonstration : « Je suppose q"^^
faut autant de force pour élever un corps A d'une livre à la hauteur
CD de quatre toises, que d'élever un corps B de quatre livres à la
hauteur EF d'une toise. Il est donc manifeste que le corps A éia^t
G. MILHAUD, — LKS LOIS I>P MOUVEMENT
349
mbé de la hauteur GD a acquis autant de force précisément que le
rps B tombé de la hauteur EF; c:ir le corps B étant parvenu en F
t y ayant la force de renionler jusqu^en E, a par conséquent la
jrca de porter un corps de quatre livres, c'est-à-dire son propre
orpe?, à la hauteur EF d'une toise, et de même le corps A étant par-
tenu en D et y ayant la lorce de remonter jusqu'en C, a la force de
0rter un corps d une livre » c'est-à-dire son propre corps, à la hau-
»iir CD de quatre toises. Donc la force de ces deux corps est égale*
toyons maintenant si la quantité de mouvement est la même de
art et d'autre. Mais c'est là où on sera surpris de trouver une dîlTé-
Bnce graniHssime. Car il a été démontré par Galilée que la vitesse
cquise par la chute CD est douhle de la vitesse acquise par la
lute EF, quoique la hauteur soit quadruple. Multiplions donc le
orps A r|uî est comme 1 pur sa vitesse qui est comme i, le produit
lu la quantité de mouvement sera comme 2; et d'autre pari niulti-
flîons le corps D qui est comme 4 par sa vitesse qui est comme i ;
|È produit ou la quantité de mouvement sera comme 4 : donc la
|uantité de mouvement du coj'ps A au point D est la moitié de la
quantité de mouvement du corps B au point F; et cependant !eurs
brces sont égales. Donc il y a bien de la dilîérence entre la quantité
le mouvement et la iorce, ce qu'il fallait montrer ^ » Ainsi s'exprime
teibni/. dans ie discours de uiéta^ihysique, répétant erj suhsti^ince la
bmeuse démonstration parue dans les Acia Efud'iiOiHitit de 1086 *, Il
le se borne pas par là à montrer la fausseté de la loi cartésienne, il
ait voir comment doit se mesurer la force, car il résulte de son rai-
lonnement que si ce n'est pas le produit do la masse parla vitesse
ui se retrouve de part et d*autre le môme dans son eîtempie, c'est
e produit de la masse par la hauteur à hiqueîle elle s élèvera, c'est-
HJire aussi, d'après les lois de Giiliïéej le produit de la masse par le
iarrê de la vitesse.
2* La loi cartésienne conduit à admettre, prétend Leibniz, que la
arce se crée ou se perd, ou si Ion veut, que certains eiïets naissent
6 rien 5 tandis que d'autres ne reproduisent pas raciiun tout entière
e la cause* Kn particulier^ la production d elTet sans cause équiva-
ente aurait pour conséquence le mouvement perpéiueî dont Texpé-
ience démontre suffisamment rimpossibiîité. « Si on suppose que
ioute la force d*un corps de 4 livres dont la vitesse est d'un degré
oit être donnée à un corps d*une livre, celui-ci recevra non pas
ma vitesse de 4 degrés suivant le principe cartésien, mais de
ik Oiitcottrê lie mèlaphrfuiffut*, XVI t.
3» Uneri* ilêmonstrado em^rh memorabilw. Dutcos^ t* UL
350 HEVL'E PHILOSOPHIQUK
2 degrés seulement, parce qu'aussi les corps ou poids seront en
raison réciproque des hauteurs auxquelles ils peuvent monter en
vertu des vitesses qu'ils ont; or ces hauteurs sont comme les carrés
des vitesses. Mais si le corps d'une livre devait recevoir 4 degrés de
vitesse, suivant Descartos, il pourrait monter à la hauteur de
10 pieds, ce qui est impossible, car reflet est quadruple : ainsi on
aurait gagné et tiré de rien le triple de la force qu'il y avait aupara-
vant. C'est pourquoi je crois qu'au lieu du principe cartésien on
pourrait établir une autre loi de la nature que je tiens la plus uni-
verselle et la plus inviolable, savoir : qu'il y a toujours une parfaite
équation entre la cause pleine et l'elTet entier. Elle ne dit pas seule-
ment que les effets sont proportionnels aux causes, mais de plus
que chaque effet entier est équivalent à sa cause *. » Dans une note
publiée trois ans plus tard, il reprend le même raisonnement, et
montre que d'une semblable création d'effet supérieur à sa cause
naîtrait le mouvement perpétuel.
Dans d'autres cas, c'est le contraire qui se produirait par suite de
la loi cartésienne, (c Considérons, dit Leibniz dans sa réplique à
l'abLé de Conti, la troisième règle du mouvement pour servir
d'exemple, et supposons que deux corps B et C, chacun d'une livre,
aillent l'un contre l'autre, B avec une vitesse de 100 degrés, et C
avec une vitesse d'un degré. Toute leur quantité de mouvement
sera 101. Mais si C avec sa vitesse peut monter à un pouce de hau-
teur, B pourra monter avec la sienne à 10000 pouces, ainsi la force
de tous les deux sera d'élever une livre àlO(K)l pouces. Or, suivant
cette troisième règle cartésienne, après le choc ils iront encore de
compagnie avec une vitesse comme ."VO et demi, afin qu'en la multi-
pliant par ^2 (nombre des livres qui vont ensemble après le choC) il
revienne la première quantité de mouvement 101. Mais ainsi ces
deux livres ne se pourront élever ensemble qu'à une hauteur de
t> 5."30 pouces et un ifuart qui est le carré de 50 et demi), ce qui vaut
autant que s'ils avaient la force d'élever une livre à 5 100 et demi»
au lieu (ju'avant le choc il y avait la force d'élever une livre à
10001 pouces. Ainsi presque la moitié de la force sera perdue en
vertu de cette règle sans aucune raison et sans être employée à
rien. Ce qui est aussi peu possible que ce que nous avons montré
auparavant dans un autre cas, où en vertu du même principe carté-
sien général, on pourrait gagner le triple de la force sans aucune
raison-. »
i. lU'pliqup à Vabhé de Conti^ Dutens, III, p. 197.
H. Idem,
G. MILHAUD. — LES LOIS DU MOUVEMENT 3S1
Cette discussion avec l'abbé de Conti nous fait passer de la cri-
tique de la loi cartésienne elle-même à celle des règles qui avaient
Blé formulées pour les différents cas du choc de deux corps, et qui
36 trouvaient être aux yeux de Descartes de simples applications de
;ette loi. Elles sont assez souvent dans les écrits de Leibniz Tobjet
ie vives attaques. Outre qu'elles rappellent constamment un prin-
cipe dont la fausseté a été démontrée, et encourent par conséquent
ies reproches analogues aux précédents, il est un argument que
Leibniz invoque fréquemment contre elles, c'est qu'elles impli-
:]uent une discontinuité flagrante dans la suite des phénomènes.
Exemple : si deux corps B et C vont l'un vers l'autre avec des
vitesses égales, B étant plus grand que G, Descartes veut que C se
réfléchisse en gardant sa vitesse, sans que rien soit changé au mou-
vement de B; tandis que si B et C étaient égaux, ils se réfléchiraient
tous deux d'après Descartes (comme aussi d'ailleurs d'après Leibniz)
dans des directions opposées à celles qu'ils avaient d'abord. Dès
lors imaginons que dans le cas où B et G sont inégaux, nous fassions
décroître peu à peu leur différence de telle façon qu'elle tende vers
zéro : il arrivera que le choc ne change rien au mouvement de B
jus(|u'au moment extrême où H se réfléchira brusquement lui aussi;
la vitesse de B aura gardé sa valeur et sa direction constantes jusqu'à
ce que tout à coup, conservant sa valeur absolue, elle change de
direction.il est difficile d'imaginer une rupture plus choquante dans
la suite des effets pour une variation continue des causes.
De toutes les règles relatives au choc de deux corps, .Leibniz ne
retient que celle du premier cas envisagé par Descartes (égalité des
masses et des vitesses). Il corrige toutes les autres en substituant la
permanence de mv- à celle de mu, en rétablissant ainsi Tadéquation
complète de l'effet à la cause, du moins au sens où il l'entendait,
et modiflant après le choc les vitesses respectives de façon qu'on
puisse passer par continuité d'un cas au suivant *.
Enfin Leibniz fait souvent allusion à une loi fort importante qu'il
dit avoir trouvée, et qui postule la conservation non pas de la quan-
tité absolue de mouvement, mais de la quantité relative à une même
direction. Étant donné un système de points matériels, considérons
non les vitesses d'un point, mais les composantes qu'elles fournissent
dans une certaine direction, d'ailleurs quelconque, la somme des
produits des masses par ces composantes garde une valeur cons-
tante. Ce principe semble avoir été déduit par Leibniz de la conser-
i. Anhnadversiones in partem f/eneralem Principiorum Carfesianorum {Pars
tecunda). Ed. Gerhard, t. IV.
332 REVUE PHILOSOPHIQUE
vation de »n'-.' C'était en tout cas quelque chose de tout à fait noo-
veau par rapport à la mécanique cartésienne, en ce sens que la
direction et non plus seulement la valeur absolue de la vitesse ioter-
venait clans IVnoncé de la loi. I-a direction d'un corps pris dans uo
ensemble pouvait changer pour Descartes sans que la somme de U
quantité de mouvement iïit altérée. Au contraire, la polenlia direc-
tiva. comme dit Leibniz, ou encore la quantités progressas, bref U
quantité de mouvement dans une direction donnée quelconque èlail
altérée par le moindre changement de direction d'une molécule.
Telles sont les moditications essentielles que Leibniz a le senti-
ment d*avuir apportées aux lois cartésiennes du mouvement. E^
maintenant demandons -nous pourquoi et comment la substitut ioD
des règles nouvelles aux anciennes a pu lui paraître si si^uventjusti-
lier ses doctrines métaphysiques.
H
Tuut d'abord nous n'in-isîerons pas sur ce que la règle de la qiï^"*
XiW de pr^vrès. que nous av-ms mentionnée en dernier lieu, s'opl*
s;ul aux yeux de Leibniz à une action dire-.'te de i'ime sur le c-j^p-
Nous n'alarmerons pas comme lui qu-? si Descarles l'eût connut?- ^
t'ùt vetui tout droit au sy^t^•!lle de Ihannonie préécaLlie; mais tout
le morivie c-'iiiprenJ. comme cela a été expÎLqî.ir; très cbireraent ^^
par î i ^ u ! ! e r [av M . P. • ; r. oa r > - . • ] ue De scartes n*e û t pu -"ontinuer ^^
tout cas ': e\pii.iuer latio:i d? [ Xrn-y sur le corps pir ua simp**
clian^ierr.-;:!- de direcùon.i::i:r.:iié ajx :u :lvcv.îr>s nijitêr.elies. [uiî-
qu'an pare.! clia:iç:r:îw:.t r.i: :•:. aussi irn^-jssiL-lr qu uae jli-iratiM
de v,:es<e a", s. ".Lie. Vv:i..:,s-e:: s^i-is v.trder à ce qu: aojs parut
mj:::s ».'..l;:- s:it «.i.ez Lv.l::-..:. s::: ci'.ej ses comîueaiatrrurs. c■e^t■à:
dire au /::: ^;:: rA::a:::o la ::: :.;:i.\si4ue de ;a ^ubstaii-je aux lois
L'::L:-. : :c; :e sa:.? :-fss: -.jv/rr. s.:isîL:uar.t »?îv- ir^rdansle
jt::..:^.- :. :: :.L:i:i:::al i! a::;>{;ar :t1â :!;:;:::e en èv: len recette v^riîê
.;,;' '. ) .• .:■.■..> '..■ :::.r.:.r£- .■i:::e ::■. sr :Jr ;ie lèîeriJue et du mouve-
!::^:;:. ; ." : ; .. a.:ss: .ifs i.r/vs. C:n;-r::: :iu:-Li IVatendre"?
A.: . V ■■ ->:■:=; .:.:-; \-, \. s::: :: : .-.r s-::: éQon.v uivnie reUlifâ^
..:.;.i: ;: "ij-v^i-t:::. ui.; ::.■.:. s ^^r :"À::ir:uati:^a Je certains fiits,
c: :..r > ; ...VjIAj^t; o:; ;c :-. ::-:". r à 1â ni-rcaniîue. Descartes ne
a MILHAUD, — LES LOIS UU MOUVEMENT ^^53
^Diiduit pas toat naturelle ment lui-même à reconnaître la force?
Leibniz ingisle plusieurs fois sur ce que celle-ci est déjà prouvée
3ar le simple lait de rimmobihté persistante d^une grande masse
;hoquée par un petil corp;? (tait qu'acceptait Descartes sans hésitep
lUBsi bien d'ailieufi^^que Leibnisi', « S*il n'y avait dans les corps que
'étendue ou Ja situutionj c est-à-dire que ce que les géomètres y
ïonnaissent, joint à la seule notion du changement, cette étendue
ïeniit entièrement îndifTërente à Tégard de ce changernenlj et les
ésultats du concours des corps s expliqueraient par ia .seule compo-
lîtion géométrique des mouvements,.. Celui qui est en mouvement
importerait avec lui celui qui est en repos, sans ret'e%'oir aucune
limiiiution de sa vitesse, et sans qu en tout ceci la grandeur, égalité
m ÎDégalité des deux corps puisse en rien changer, ce qui est entiè-
■emenl irréconcialiabîe avec !es expériences*, )» De plus est-ce que
a notion de force ferait défaut dans la langue de Descaries? On sait
)ien le contraire puisque le principe qui sert k la démonstration
eîbnîîîïenne de la nouvelle loi de la nature, <ic la même force qui peut
ever un poids de KK) livres à la hauteur de deux pieds en peut
ever un de i^M\ livres à la hnuteur d'un pied », est emprunté h
Descartes lui-même; et le petit traité sur les machines a pour seul
>ut d*expliquer comment avec une petite force on peut vaincre de
grandes résistances, Leibniz loi-même d'ailleurs reconnaît chez les
îïirtésieiis la notion de force motrice; il pense même qu'ils ont
mulu affirmer dans le monde la constance de cette force, et il leur
'eproche seulement de Ta voir mesurée par la quantité de mouve-
nent. a Vires duorum corporum in motum concitatorurn, ac sua
noie pariter, ac motu agentium, esse dicunt in ratione composita
îorporum, seu malium^ et earum quas habent velocilatum. Itaque
ïum rationi consentaneum sit, eamdem niotricis potentire summam
n natura conservari ; et ueque imminui, quoniam videmus nullam
fim ab uno corpore amitti, quin in alïud transferatur; nequt? au{jeri,
luia vel ideo motus perpetuus mechanicus nuspiara succedit, quod
Milla machina, ac proinde ne integer quidam mundus suam vîm
Q tend ère potest sine novo ex le m o i m pal su; in de factum est, ut
[lartesius, qui vim motricem, et quant itatem miitus pro re aequiva-
eote habebat, pronunciaverit eamdem quantitatem motus a Deo in
nundo conservari** » Ainsi ce que Leibniz apporte de proprement
louveau, ce n'est pas la constance de la force motricet c*est la vcri-
able estimation de cette force ; Descarte 5 la mesure par le produit
l. I^d. Gerhard l, L IV» p. 46 L
% DutensJiJ, ItîO
354 REVUE PHILOSOPHIQUE
de la masse et de la vitesse, elle doit être mesurée par le produit de
la masse et du carré de la vitesse.
Y aurait-il dans l'expression mathématique elle-même, mu' au lieu
de mx\ quelque chose de significatif, de quoi donner mieux le senti-
ment de rénerj^ie, ou de quoi éloigner davantage de vues exclusives
d'étendue et de mouvement? On pourrait peut-ôtre soutenir jusqu'à
un certain point que la première dimension de la vitesse, offrant à
l'imagination une étendue rectiligne, une longueur, n'éveille pas
d'autre idée de variation que celle qui se présente à l'intuitioa géo-
métrique la plus simple, tandis qu'une puissance de la vitesse se
prête mieux, à une vue synthétique et dynamique. Mais, outre que
ce serait subtil, on remarquera que dans les passages les plus impor-
tants où Leibniz établit sa loi, comme dans cette page du Discours
de métaphysique que nous avons citée, il n'appelle môme pas Tatlen-
tion sur la formule nouvelle qu'il convient d adopter pour la mesure
de la force. Il faut chercher ailleurs.
Tous ceux ([ui ont la moindre teinte de sciences mécaniques el
physiques diront que Leibniz avait vu dans ce qu'il nommait la fom
ré( lui valent dynamique de ce qui se nomme aujourd'hui le iraraily
par exemple, la capacité d'élever une certaine masse à une certaine
hauteur. Et en vérité ils ne se tromperont pas, car si Ton se reporte
à sa démonstration de la loi nouvelle, on voit clairement qu'il veut
mesurer la force par l'efl'et qu'elle produit en faisant monter un
corps à telle ou telle hauteur. Mais il convient de faire ici une re-
marque. Descartes, ne fût-ce qu'à propos des machines, soit dans
le principe qu'il avait invoqut\ soit dans les règles qu'il en avait
tirées, ne se préoccupait-il pas précisément du déplacement en
hauteur des points d'application des forces et de leur travail? Leibniz
est bien obligé de le reconnaître. En réponse à Arnauld qui lui en a
fait la remarque, il appelle mortes les puissances que Descaries se
trouve conduit à mesurer. « A l'égard des puissances que j'appelle
mortes, comme lorsqu'un corps fait son premier effort pour des-
cendre sans avoir encore acquis aucune impétuosité par la conti-
nuation du mouvement, item lorsque deux corps sont en balance, il
se rencontre que les vélocités sont comme les espaces*, i Ainsi ce
sont iùen des puissances, des forces que Descartes a voulu estimer,
à Toccasion des machines, par l'effet qu'elles produisent, par les
espaces qu'elles font franchir, par un travail; mais les circonstances
sont telles alors que Leibniz n'y voit que des forces mortes. Har
opposition, il reconnaît la force vive^ quand les corps ont acquis
1. Leilre à Armiulii, 1C8G, Kd. Cierhanil, t. 11.
G. MILHAUD. — LES LOIS DU MOUVEMENT 385
quelque impétuosité, et sont devenus capables par là de s'élever à
une certaine hauteur, c'est-à-dire de manifester certain effet qu'il
suffira de mesurer, pour apprécier la force elle-même. Et ce cas qui
seul intéresse vraiment aux yeux de Leibniz les lois du mouvement
est celui qu'il a pris comme exemple général pour établir sa formule
nouvelle. Ce qui le distingue essentiellement de ceux dont le type
était fourni par le maniement des machines, où la puissance pro-
duisait instantanément son effet, où elle ne persistait pas sans
impulsion extérieure, où elle ne durait pas par elle-même, où elle
s'écoulait tout entière au moment où on la réalisait par un méca-
nisme convenable, et où l'effet durait juste autant que l'effort exté-
rieur par lequel on la produisait, c'est d'abord que la force acquise
par la chute d'un corps manifeste sa réalité par la possibilité de pro-
duire ultérieurement son effet. La force vive telle que la voit Leibniz,
et telle que ne l'avait pas vue Descartes, c'est avant tout la puissance
capable d'un effet futur. La réalité vivante et substantielle est mar-
quée par la distinction possible de la production de la force et de
son effet consécutif. « J'ajouterai une remarque de conséquence
pour la métaphysique, écrit Leibniz à l'abbé de Gonti, après avoir
exposé une série de considérations scientifiques sur sa loi nouvelle.
J'ai montré que la force ne se doit pas estimer par la composition
de la vitesse et de la grandeur, mais par ïeffet futur. Cependant il
semble que la force ou puissance est quelque chose de réel dès à
présent, et l'effet futur ne l'est pas. D'où il s'ensuit qu'il faudra
admettre dans les corps quelque chose de différent de la grandeur et
de la vitesse, à moins qu'on ne veuille refuser aux corps toute la
puissance d'agir. » Dans le cas où Descartes semble avoir deviné
aussi l'importance de la notion du travail, de l'effet produit, toute la
puissance s'écoulant à mesure qu'elle est posée, elle ne subsiste pas,
elle n'est pas saisissable dans sa réalité : tout peut se passer comme
s'il y avait transmission mécanique du mouvement. Leibniz sent le
besoin de parler de puissance vivante lorsqu'il a vu dans le corps
une virtualité, une sorte de pouvoir emmagasiné et prêt à réaliser
son action future. La force substance lui est apparue dès que, sépa-
rant dans les phénomènes de mouvement qu'il a examinés l'acquisi-
tion du pouvoir et la manifestation de son effet, il a pu appeler la
force « une cause prochaine* ». Cette séparation des deux moments,
celui où l'on note la force et celui où se produira son effet, — a sur
l'esprit une influence de même ordre que la séparation dans l'espace
du corps qui agit et de celui qui reçoit l'action : l'action à distance
1. Discours de métaphysique, XVlll.
:^or> nEVCE PilILOSOPHlQUE
entraîne nispment Tidée d'une force vive, d'une virtualité réelle, -
tandis que Taction par contact n'éveille que Tidée d'une transmission
niécanir|ue.
Mais ce n'est pas tout. La force telle que Leibniz l'envisage dans le
mouvement des corps dilTnre encore et surtout de celle de Descartes
en ce qu'elle va d'elle-même produire son elTet, pourvu que rien ne
rempê<'lie. 11 ne sera pas nécessaire d'exercer de dehors une pres-
sion, ou une impulsion, ou une traction, comme dans les machioes,
pour que le travail attendu se réalise. Si, par exemple, le corps qui
se meut est disposé à la faron d'un pendule, sa chute sera tout natu-
rellement suivie de Tascension; l'élévation du corps se produira sous
la simple incilalion de celte force interne qui est liée à la vitesse
ac(iuise pendant la chute, et qui se mesurera par son effet spontané,
c'est-à-dire par la hauteur où le corps s'élèvera, pourvu seulement
, qu'un obstacle ne vienne pas larrêter. C'est là le caractère de la
forre aujjuel Leibniz donnera le plus d'importance, celui qui justiGera
le mieux son nom de force vive, ([ui en fera vraiment une substance.
« Je trouve que dans la nature, dit-il dans le Système Nouveau, outre
la notion do l'étendue, il laut employer celle de la force qui rend la
matière (\q)able d'agir et de résister; et par la Force ou Puissance je
n'c^ntonds pas le pouvoir ou la simple laculté qui n'est qu'une possi-
bilité prochaine pour agir, et qui étant comme morte même ne pro-
duit jamais une action sans être excitée par dehoi-s, mais j'entends
un milieu (Milre le pouvoir et l'action, qui enveloppe un effort, un
acte, imo entélécbie. car la force passe d'elle-même à l'action en
tant »|ue v'wu ne rempéche. C'est pourquoi je la considère comme le
constilulif de la substance, étant le principe de l'action qui en est le
caractère. .Ainsi je trouve (jue la cause cfliciente des actions physiques
est du n^ssorl de la métaphysique *... )^
Les lois du mouvement ont donc fourni à Leibniz l'occasion d'af-
firmer clans la matière des éléments de vie et d'ajction. Ces éléments
sont des caHs*'.< vis-iVvis des effets qu'ils produisent : quel rapport
faut-il admettre entre de pareilles causeset leurs effets? — Descanes
admettait qu'il faut une proportion entre la cause et reffel-; mais
les lois naturelles avaient aux yeux de Leibniz le défaut de se prêter
à une dépt rditipn ou à une «Mvation ex nihilode certaine quantitéde
force, vv C'est pourqui»i, <lil Leibniz, je crois qu'au lieu du principe
cartésien «in pourrait établir une autre loi de nature que je liens la
plus universelle et la plus inviolable, savoir qu'il y a toujours um
!. K»i. ('..riiarvll. t. IV. p.
2. V. oi-di'<Mi>, p. ;»i<.
* !..
G, MILHÂUD^ — Li:S LOIS DU MOUVEMKNT
as7
parfaite équxttion entre la cause pleine et F effet entivr. Elle ne dît
pas seulement que les etlets sanl iiroportiorinels aux causes, mais
de plus que chaque eiïel entier est équivaleiU a sa €ause^ » Par la
façon mt^me dont il critique les lois carlésiennes du mouvement, il
est donc visible que Leibniz a le sentiment de satisfaire mieux avec
les siennes au principe d'équivalence de la cause et de TelTet. On
peut dire alors qu'inversement les lois de la nature telles qu'il les
énonce apportent pour lui une rectification de ce principe et contri-
buent à le mettre au premier plan dans sa philosophie. La fort-e qui se
retrouve tout entière dans la série de ses effets k venir va donner
ainsi le type le plus naturel de cette vie de la substance dont il est
permis de dire quelle exprime des à présent tous ses états futurs-
En même temps et de la même tiicon la réfutai ion des règles car-
tésiennes qui s'accommodaienî. d'une discontinuité si maniteste dans
les phénomènes de la nature, autorisait Leibniz à voir dans ses
recherches sur les lois du mouvement une victoire décisive du prin-
cipe de continuilé. Sans doute les cartésiens eussent pu corriger les
lois du choc de façon ii rendre continue la série des résultats et sans
se croire obligés de renoncer pour cela à leur mécanisme géomé-
trique : c est ce qu'essaya de l'aire MaîebrancUe pour quelques-unes
de ces lois, ainsi qu^en témoigne sa correspondance avec I^eibniz»
Mais il semble naturel que cehii-ci ait réuni dans sa pensée les
griefs qull avait fornmlés contre tes règles cartésiennes du mouve-
ment, el qu'à ses yeux les principes qui les lui avaient suggérés
aient été tuus solidaires de la vérité nouvelle. Ainsi, comme Téqui-
valence de la cause et de relFel, le principe de continuité qui contri-
buait à faire condamner la physique de Descartes et s'accordait au con-
traire avec les vues dynamiques de Leibniz se dégageait dcsorniais
comme mieux établi, comme plus manitestement réel, et tout prêt
pour jouer le rôle que l'on sait dans la métaphysique de la Monade.
Virtualité qui tient en puissance son action future, sponlanéité de
cette action, permanence, subsistance de la cause entière dans
Ta suite des elîets, continuité de la trame de ces effets, par lesquels
se manitcste toute la vitalité interne, — tels sont donc les traits
essentiels que par Télude des lois du mouvement Leibniz a rencon-
trés comme caractérisant Télé ment nouveau qu'il a du introduire, la
force vive. Ne sutlîsaient-ils pas à réaliser le type le plus exact des
formes substantielles que désormais il faudra ressusciter? On dirait
parfois que pour mieux éelaircir ce qu*il entend par ces formes sub-
stantielles, il tient à emprunter des exemples à la géométrie : c'est
!. liépliqttif à Vaà^ de Cofiti, janvier 1681.
1%^
358 KEVUE PHILOSOPHIQUE
ainsi (ju'ii aime à invoquer la notion d'une courbe comme contenar^^
en elle-même la suite infinie des propriétés qui pouri*ont jamais ^ t\
être formulées ^ Mais no nous y trompons pas, la comparaison res^Mi^
alors tout extérieure et toute superficielle. L'unité véritable n — le
saurait être atteinte là où, en dépit des efforts logiques de Tespri jSt,
l'être que l'on considère est finalement un composé de propriét^i^s
d'espace. Ce qui est mathcmatic[ue et se traduit uniquement en él
ments de nombre et d^étendue est insuffisant comme l'étendue elli
même, qui n'est jamais qu'a^iglomération de parties, que multiplicité '^^'
« L'étendue ne signifie qu'une répétition ou multiplicité continué
de ce qui est répandu, une pluralité, continuité et coexistence de -^
parties. » - Seule la puissance qui se retrouve la même à travers lou- *
ses effets offre limage de la réalité vivante, subsistante, que postulent"
Leibniz. A propos de TEucharistie, il écrit à Pelisson: «Jeremarqu^^
que dans la nature du corps, outre le changement et la grandeur d
la situation, c'est-à-dire outre les notions de la pure géométrie, il^ ^
faut mettre une notion supérieure comme celle de la force par
laquelle les corps peuvent agir et résister. La notion de la force est
aussi claire que celle de Taclion et de la passion. Car c'est ce dont ^
l'action s'ensuit, lorsque rien ne Tempêche; l'effort, conatiis : et au
lieu que le mouvement est une chose successive, laquelle par con-
séquenl n'existe jamais, non plus que le temps, parce que toutes les
parties n'existent jamais ensemble; au lieu de cela, dis-je, la force
ou l'effort existe tout entier à chaque moment, il doit être quelque
chose de véritable et de réel " ».
Enfin, en portant son attention sur la nature môme des démons-
trations qui l'ont fait atteindre les réalités métaphysiques et vivantes
sous les apparences de l'étendue et du mouvement, Leibniz est
frappé (le ce qu'il n'a pas procédé comme les mathématiciens par
des raisonnements d'une nécessité rigoureuse. En transformant la
Physique cartésienne et la vivifiant par un souffie nouveau, il avait
le sentiment qu'il invoquait autre chose que le principe de contra-
diction. Les principes sur lesquels il s'appuyait ne sont pas sero.
blables aux axiomes de la géométrie, dont Leibniz pensait qu'on
pouvait rendre complètement raison en se ramenant à des identités.
Nous les énouf/ons sans croire qu'il y ait nécessité absolue à ce qu'ils
soient ainsi; ils auraient pu être différents; et en ce sens ils sont
contingents. Mais en môme temps ils s'imposent à notre esprit par
un caractère complexe d'opportunité et de simplicité, qui écarte
1. Cf., par exemple. Discours de vitUaphi/sique^ Xllf.
2. Gerliardl, t. IV, p. i6".
3. Diilens, III, p. 718.
G. MILHAUD. — LK8 LOTS DU SfOnvEMEST
tm
^
ûéCHÏémenl toute apparence arbttmire. « Il nie paraît» dit Leibniz,
que la raison qui fait croire à plusieurs que les lois du niouvement
sont arbitraires, vient de ce que peu de ^ens les ont bien exami-
nées. L'on sait bien à présent que M, Descartes s'est fort trompé en
les établissant.,. J'ai découvert i|ue les lois du mouveruenl qui se
trouvent elTectivement dans la nature ne sont pas en vérité absolu-
ment démontrables, comme serait une proposition géométrique^^.
Je puis démontrer c*es lois de plusieurs manières, mais il i'aut lou-
_/€>tJrs supposer quelque chose qui n'est pas d'une nécessité absolu-
m^iiX géométrique*.-
« J>i trouvé qu'on en peut rendre raison en supposant que TefTet
^•^ e- toujours égal en force â sa cause, ou» ce qui est la même chose,
c/t_m^ la môme force se conserve toujours... J'ai encore fait voir qu'il
s* 3^^ observe cette belle loi de la continuité, que j'ai peut-être mise le
pï^^^mier en avanL.. En vertu de cette loi il faut qu'on puisse consi-
cJc^ mr-f^r le repos comme un mouvement sYnanouissant après avoir été
<^ï<^ «raîinuellement diminué; et de même l'égalité comme une inégalité
*^ *-^*^ i- s évanouit aussi, etc. Ces considérations font très bien voir que
1^^^^^ lois de la nature qui règlent les mouvements ne sont ni tout à
*^«^ sl -^^ nécessaires, ni entièrement arbitraires. Le milieu qu'il y a à
^-^*~ '^^^adre est qu'elles sont un choix de la plus parfaite sagesse. Et ce
^^^^'^^^^^nd exemple des lois du mouvement fait voir le plus clairement
*-^ monde, combien il y a différence entre ces trois cas» savoir, pre-
^^^^ * ^Srement une nécessité absolue, métaphysique ou géométrique,
" on peut appeler aveugle, et qui ne dépend que des causes efli-
:K3tes; en second lieu, une nécessité qui vient du choix libre de la
esse par rapport aux causes linale^^; et enfin, en troisième lieu,
Slque chose d\^rbitraire absolLiment, dépendant d'une indiiïérence
^uilibre qu'on se ligure, mais qui ne saurait exister où il n y a
"^^^ ^^^^^uue raison sufiisante ni dans la cause efficiente ni dans la
insi, guidés par Leibniz lui-même, nous pourrons apprécier
lie put être sur sa philosophie tout entière l'intluence de ses tra-
». X sur les lois du mouvement. Co ne sont pas seulement les grandes
^jfies de lasubstanceet de rharmonie pï'éétabîie, c'est même cette
Lmction capitale dans la métapliysique leibni tienne des idées de
-«ssité et de contingence^ de nécessité absolue et de nécessité
*:^ale, des principes dldentité et de raison sufiisante, — de Tinfî-
des possibles et des conditions de linalitéj d opportunité, de
plicitéd'où dépend le réel, — c'est, semble-t-iJ, tout le fond de
ici
A-
fi
300 REVUE PHILOSOPHIQUE
ia pensée leibnizienne qui a gardé du contact de la Physique nou-
velle des traces inelTacables et en offre à quelque degré un écho
significatif.
Dirons nous d'ailleurs que l'étude des lois du mouvement a con-
duit Leibniz à sa métaphysique, comme il l'indique parfois lui-même?
Nous nous en garderons bien. S'il fallait se prononcer sur ranlério-
ritédans son esprit de certaines idées sur le mouvement des corps ou
de certaines tendances métaphysiques, nous n'hésiterions pas àopteï
pour ces dernières. Mais la question n'est pas là. Nous avons vouV>x
montrer combien est étroit lelien qui rattache la philosophie prest'iuc
entière de Leibniz à ses recherches sur les lois du mouvement, eX^
nous bornant ici à cette parcelle de son o:iuvre scientifique, coml>i^^
il serait artificiel de séparer chez lui le métaphysicien et le savflt^nl-
G. MiLHÂUD.
LES
CASTES ET LA SOCIOLOGIE BIOLOGIQUE
fa Rnme philùsophiqitê s. pubVié dans son numéro d'avril un article
M. C. Bouclé sur la Sociolof/ie biologiffue et le n^gime des castes.
niteiii" y soulève la question de rorf^anicisme. € Les sociétés sont-
Bs des organismes, se demande-l-ilt et les lois qui régissent ceux-ci
ppliquent- elles à celles-là? » M. Bougie dit que les arguments de
"dre général, donnés par les partisans et les adversaires de cette
orie, Q*ont pas pu trancher le débat. Il propose de recourir h une
jfe^méthode pour vérifier la Ihêorie organique. Au lieu de compa-
Snérales, il lui semble préférable de recourir à quelque
llîe particulier- <t Les théories se justifient par leur fécondité,
à tel problème sociologique défini, rorganicisme doit nous
►orter nne réponse précise, il a raison contre ses adversaires. S*il
*épond à la question posée que par des formules vagues, incapa-
s de s'appliquer aux faits sociaux sans portera faux, Torganicisme
^rt et sa place est marquée au musée de Thistoire des sciences,
te les hypothèses inutiles et les métaphores dangereuses »
^r voici le mur au pied duquel \f, Ronglê pose rorganicisme. Vous
rmez, dit-il^ que les sociétés étrini des organismes, les lois de la
togie doivent s'appliquer à la sociologie. Alors expliquez-nous
iment révolution sociale se fait h T inverse de révolution biolo-
Ue. Les organismes intérieurs sont composés de parties qui peu-
t mener une existence indépendante les unes des autres, qui
nent des êtres pour ainsi dire complets. Puis, à mesure que les
Ëtnîsmes se perfectionnent, leurs parties constituantes se soudent
Unes aux autres et arrivent à perdre toute indépendance. Elles
t conlinées dans un organe dont elles ne peuvent plus se déta-
r* Elles se subordonnent hiérarchiquement les unes aux autres
Hissent par tomber sous l'autorité despotique du cerveau. Ainsi
olution biologique va d'une grande somme de liberté et d*égalité
le moindre somme, L*évolulion sociale va en sens inverse, a C'est
^ les sociétés primitives et rudimentaires que l'individu est étroi-
TOIE L. — 1900. ÎA
362 REVUE PHILOSOPHIQUE
tement soucié au groupe, comme la cellule à Torgane; c'est dans les
sociétés développées, plus volumineuses et plus compliquées, qu'il
se libère peu à peu et gagne en autonomie. De même, n'est-ce pas
à ces sociétés qu'il est réservé de voir leurs unités s'assimiler petit
à petit et se poser les unes en face des autres comme égales? N'est-ce
pas chez elles encore que le gouvernement, loin de devenir le mono-
pole d*unc aristocratie, tend à être de plus en plus la propriété de
tous? Le régime des castes enfin, s*il est le point dont vos orga-
nismes semblaient s'approcher, n'est- il pas en même temps cetai
dont nos sociétés semblent s'éloigner? De quel droit conclurez-voos
donc des formes organiques aux formes sociales, s'il est vrai que
révolution sociale est exactement inverse de l'évolution organique?!
(P. ;U'2.) Si la théorie organique était vraie, dit en substance
M. Bougie, la loi de la différenciation des fonctions devrait avoir poar
résultat a de diviser la société en sections hétérogènes, chacune se
distinguant radicalement des autres et formant des corporations fer-
mées » ^p. 3i;}}. En se plaçant au point de vue organique t la meil-
leure organisation serait le régime des castes » (p. 347) et la société
la [)lus [)arfaite serait celle où il y aurait le moins de liberté et d'éga-
lité. Or, comme c'est précisément le contraire, la théorie organique
est fausse.
Il est tiU'ilo de triompher de ses adversaires quand on leur prête
dos onvurs qu'ils n'ont jamais soutenues. Où et quand iesorgani-
cistos ont-ils attirnié que le régime des castes constituait la marque
distinctivo lie la perlertion sociale? Les organicistes ont affirnoé tou-
jours qu'un iMre est d'autant plus parfait que ses fonctions sont plut
dilft^rencicrs. Los organicistes ont atlirmé encore que cette propo-
sition s'appliquo littéralement aux sociétés comme aux individus
hiulogiquos. Mais, s'il plaît à M. Bougie de confondre la fonctm
avoo la ivis/eî, o"ost son alTaire ot non celle des organicistes.
Doux raisons lo poussonl à commettre cette erreur : celle de l'es-
paoo ot oollo lio rhôréJitô.
i^Miaml muis parlons des organismes biologiques, étant plus grands
quo lours parlios constituantes les cellules sont invisibles à l'œil
nu , nous los voyons par le dthors, par la totalisation de leurs
olVots. Ouand nous |-arlons dos sociétés, étant plus petits que leur
onsouiblo \on no j oui embrasser d'un regard des yeux matériels
los ;îS millions iriiHinnios qui forment la nation française), nous les
oonNJdoiMiis au point lio vuo do leur élément constituant : ImdiviJu
humain. Nous pordons do \uo les fonctions générales.
C'ost l'cnvur lîav.s la iiiolle tombe M. Bougie. Quand les oi^ani-
oistos atiirmont qu'une ^ooiotô est d autant plus parfaite que la diffê-
NOVIGOW. — LES CASTES ET LA SOCIOLOGIE BIOLOGIQUE 363
renciation des fonctions y est poussée plus loin, ils ont en vue la
fonction et non les individus. Mais M. Bougie ne considère que Tin-
dividu et il confond la division par castes avec la différenciation des
fonctions.
Il est facile de démontrer que la division par castes est diamétra-
lement opposée à la différenciation des fonctions. En effet, qu'est-ce
qui résulte de Texistence des castes? G*est que si le père de Jean
a été prêtre, Jean doit le devenir aussi. Mais Jean peut n'avoir
aucune vocation et aucune aptitude pour la prêtrise; il peut avoir,
au contraire, de grandes aptitudes et une vocation impérieuse pour
l'industrie. Dans une société où règne le régime des castes, Jean
devra tout de même devenir prêtre et, naturellement, il sera très mal
adapté à cette fonction. Dans une société sans castes, Jean deviendra
industriel, et, naturellement, sera bien adapté à cette fonction. Dans
une société sans castes, les fonctions seront donc accomplies par
•des individus aptes à bien les remplir; dans une société à castes,
cela ne sera pas le cas. En d'autres termes, l'organe sera mieux
adapté à sa fonction dans la société sans castes, ce qui revient à
dire que la différenciation de fonctions y sera poussée plus loin.
Loin donc que le régime des castes contribue à établir la différen-
•ciation des fonctions sociales, il contribue à l'empêcher.
Nous le demandons à M. Bougie, où et quand les organicistes
•onl-ils jamais déclaré que toutes les aptitudes physiques et mentales
«ont héréditaires? Quand ont-ils soutenu que le fils ou la fille de
Victor Hugo devaient avoir nécessairement le génie poétique et le
fils ou la fille d'Edison nécessairement le génie de l'invention *. Les
organicistes, qui se tiennent aussi près que possible de la biologie,
savent que la question de l'hérédité est des plus complexes et des
plus obscures, qu'elle est pour ainsi dire insoluble dans l'état actuel
de nos connaissances. Il est impossible de dire dans quelles limites
les caractères des parents se transmettent aux enfants. Par cela seul
l'affirmation qu'un fils peut accomplir, d'une faron satisfaisante, la
fonction exercée par son père parait absolument insoutenable aux
organicistes.
Et puis comment M. Bougie ne voit-il pas que la différenciation
■des fonctions sociales n'a rien de commun avec les castes? Môme
«iDx Indes, où le régime des castes est pousse jusqu'à l'absurde, les
■occupations des hommes (donc leur fonction sociale) ne correspon-
i. Nous insistons surlcslilles, parce que les socioloKues des anciennes écoles,
l>tr une ètourderi<; vraiment extraordi nains quand ils parlent d'hérédité, ne
^90DgeDt qu'aux descendants mâles, comme si les femmes n'éUient pas des êtres
Immains et comme si les lois de Thérédité ne s'appliquaient pas à elles.
364 REVUE PHILOSOPHIQUE
dent pas toujours à leur caste. Il y a des brahmanes qui sont cuiâ-
nierSy mendiants Juges, publicistes ou négociants. Des individus de
la même caste font des métiers difTérents ; la même fonction sociale
est accomplie par des individus de castes différentes; il n'y a donc
aucune synonymie entre la caste et la fonction sociale.
M. Bougie n'aperroit pas non plus que la liberté n'est autre cbose,
au fond, que la différenciation des fonctions. Que signifie, en effet, i&
liberté de conscience? Mais simplement que Torgane, chargé delà
défense de la personne et des biens (le gouvernement), ne s'occupe
pas des croyances des citoyens. Que signifie la liberté de renseigne*
ment? Que TÉtal s'en désintéresse et Tabandonne à l'initiative privée,
tant au point de vue du personnel que des programmes et des
méthodes. Que signifie la liberté du commerce? Que le gouverne-
ment ne se mêle pas de ce qu'achètent et vendent les citoyens et
qu'il lui est absolument indifférent s'ils s'approvisionnent chezleuis
compatriotes ou chez les étrangère. Toutes les libertés qui viennent
d'être énuniérées se ramènent à une différenciation complète de
fonctions entre l'organe régulateur et les organes économiques et
intellectuelles. C'est ce que nous voyons se produire, sur une échelle
plus vaste, dans les organismes biologiques tels que Thomme dont
le cerveau ne peut pas respirer et le poumon penser. La différencia-
tion parfaite consiste dans l'absolue impossibilité pour un organe
d'accomplir la lonction d'un autre.
La liberté signifie aussi la garantie des droits de Tindividu;»,
cela s<> ramène ôgalenient à l'adaptation à la fonction. Le gouverne-
n)ent est l'organe qui doit procurer la protection des personnes et
des biens (en d'autres termes garantir les droits), mais cela, non
seulement au point de vue des citoyens les uns vis-à-vis des autres
(droit civil, mais encore des citoyens vis-à-vis des fonctionnaires
de l'Ktat \droit politique . Or. quand la liberté du citoyen est violée,
quand il y a despotisme, qu'est-ce que cela signifie? Mais simple-
ment tpie l'Ktat accomplit mal sa fonction, donc qu'il n'y est pas
adapté. M. Honglé ne voit pas que les citoyens veulent possédera
(pi'on appelle la liberté politique (donc prendre part au gouvene-
lutnt do leurs pays) justement parce que l'État accomplit mal sa
lonction. Supposons qu'un jour les gouvernements exécutent leur
fonction dune façon s;Uislai santé. xVlors ils ne commettront lia*
d injnsiiivs; la liberté deviendra complète, puisque les droits de
tou?> seront scrupuleusement respectés par les autorités poiiti-
qm»s. Si le< citoyens avaient la certitude absolue que les bomm^
au pon\oir accompliront toujours leur fonction d'une façon [«iitùte*
let« citoyens se dosintérossei-aient complètement du gonveniem^^
NOVIGOW. — LES CASTES ET LA SOOCVLMIK BIOLOGIQUE 365
'iJe leur pays. Personne ne voudrait plus perdre son temps à être
député» personne ne s'inquiéterait de ce que font les ioinistre&.
La fonction gouvernementaie, étant devenue parfaite, deviendrait
in consciente. C'est exactement ce qui arrive dans les corps biolo-
giques. Sitôt qu'une fonction s*y exerce d'une manière régulière et
'Satisfaisante, elle cesse d'affecter la conscience.
M* Bougie a donc lort d'affirmer que si la théorie organique est
vraie, la liberté humaine est impossible. C'est juste le contraire.
Quand la théorie organique sera universellement admise, on sera
convaincu de la nécessité de réduire le gouvernement h une seule
Ibnction (la justice), et alors la liberté humaine arrivera au point cul-
inant. aux dernières limites du possible. Si on avait compris déjà,
que les organicistes ne cessent de répéter sur tous lestons, que
'être le plus parfait est celui dont les fonctions sont lefci plus difTé-
enciées^ l'État ne s'occuperait ni de la religion, ni de rinstruction,
I de la production économique. Alors il n'y aurait donc plus ni
ntolérance, ni étatisme, ni protectionnisme, ni socialisme. Bref il y
-aurait une somme de liberté infiniment supérieure à celle qui existe
aujourdliui*
M. Bougie aftirme encore qu'avec rorganicisme on arrive à trois
i}U quatre couleurs tranchées i[\. 344), Quand est-ce que les organi-
■cistes ont-ils affirmé que la société doit se figer dans trois ou quatre
pgfandes fonctions?
Au contraire, les organicistes montrent que les organes se comp-
tent par dizaines, que les appareils sont d*une variété de structure
énorme, que Têtre vivant est éminemment changeant et instable, que
Jes sociétés, formées d'un élément aussi complexe que Thonime, doi-
;Vent présenter une complexité élevée à la deuxième puissance. Aussi
les associations les plus diverses s'y forment et s'y déforment à
ehaque instant. Les organicistes soutiennent que la perfection d'une
^•société est en raison directe de rinlensité des mouvements qui s*y
^produisent. Et, en faisant celte affirmatlonT les organicistes sont
absolument conséquents» parce que le même fait s'observe dans les
organismes biologiques. Les plus imparfaits ont des mouvements
lents, les plus parfaits des mouvements rapides. L'homme médiocre
fïiet des heures à comprendre ce que T homme de génie saisit avec
4a rapidité de réclair.
Si nous passons de la liberté h l'égalité, nous voyons que ^f . Bougie
ti'en a pas, non plus, analysé Tessence asses: profondémenL 11 con-
fond régâlilé pohtique avec l'égalité sociale. L'égalité politique n'est
autre chose que la liberté considérée à un point de vue dilîérent. Elle
366 REVUE PHILOSOPHIQUE
est un état social où toutindividu, possédant des aptitudes pour exercer
une fonction quelconque, n'est empêché de l'exercer par aucun obs-
tacle. Mais cela revient à dire que les droits de cet individu ne sont
limités dans aucune mesure, ou, en d'autres termes, qu'il jouit d*uDe
liberté entière. Imaginons un pays où il n'y a pas de suffrage uni-
versel. Il peut y arriver que Jean, un profond génie politique, n'ait
pas de droits électoraux, tandis que Pierre, une médiocrité com-
plète, en ait. Dans ce cas Jean ne pourra pas devenir premier ministre
(ce pour quoi il a les plus grandes aptitudes), tandis que Pierre
pourra le devenir. C'est une injustice; or, dans une société bien
organisée, il ne peut pas y avoir d'injustices, ou, en s'exprimant
autrement, l'égalité doit y être complète; mais, cela s'entend, l'éga-
lité politique. Au contraire, il est facile de démontrer que plus la
société sera parfaite, plus grande y sera Tinégalité sociale. Soit une
bande de sauvages; elle abat une grosse pièce de gibier. Les chas-
seurs se partageront le butin en parts d autant plus égales qu'il y
aura moins de distinctions entre eux, ou, en d'autres termes, que leur
organisation sociale sera plus rudimentaire. S'il y a une hiérarchie
entre les chasseurs, le chef aura une part plus grande. L'égalité sera
amoindrie. Considérez, d'autre part, quelque grand centre de ci\ili-
sation comme Paris. Une cantatrice extraordinaire vient y donner
un concert. La recelte qu'elle pourra faire (en négligeant pour le
moment toute autre circonstance) sera en raison directe du raffi-
nement de ses auditeurs. Plus leur sentiment musical sera élevé,
plus haut sera le prix qu'ils consentiront à payer pour leurs places.
Dans une société grossière, notre cantatrice, avec autant d'art,
obtiendra des bénéfices modestes; dans une société raffinée, des
bénéfices énormes. Aussi, dans le premier cas, elle restera confondue
dans la foule; dans le second, elle pourra accumuler des richesses
qui lui permettraient de vivre avec un faste accessible à un bien
petit nombre de citoyens. Ainsi l'inégalité sociale sera accrue. Il en
est des autres manifestations intellectuelles, comme du chant de
notre cantatrice. Chez des sauvages, un Edison n'aurait guère plus
de bien-être que ses voisins. Dans une société très civilisée, un
Edison, en apportant seulement un petit perfectionnement aui
lampes électriques, pourra réaliser des millions. Et il en est
de finégalité morale comme de l'inégalité financière. Plus une
société est civilisée, plus elle honore ses grands hommes, plus
elle leur prodigue les marques de respect, l'admiration, les sym-
pathies, plus elle leur accorde de distinctions pendant la vie et
plus elle leur dresse de hautes statues après la mort. Les hommes
qui ont vécu à fûge de la pierre polie sont tous égaux devant la
ItOVlCOW, — LES CASTES ET U SOCIOLOGIE BIOLOGIQUE 367
pogtériLé ; les hommes qui ont vécu au xviii* siècle ne le sont pas.
On n*est donc pas en droit d anirmer que, si la théorie organique
est vraie, l'évolution sociale doit alJer d'une plus grande somma de
liberté et d'égalité à une plus potite somme. C'est le contraire qui
mi vrai. Avecl'organicismeon arrive immédialement h la conclusion
diamétralement opposée : à savoir que la dilTereuciation des fonctions
est le bien suprême. Lldcal, indiqué par la théorie organique, est
la îîon intervention de TKtat dans la sphère économique^ religieuse
et intellectuelle, donc le ininimutn d'oppiession ou, en d'autres
termes, le maximum de liberté et d'égalité politique accompagnée
d'inégalité sociale*.
M. liouglé dit que la démocratie n'est pas un cas pathologique.
Nous sommes complètement de son avis. Mais que signifie la démo-
cratie, selon M. Bougie? Ce n'est pas, ^t coup sur, le droit pour tout
bottier de diriger des navires en pleine mer et de les iaire échouer
ur des écueils, La démocratie est le droit d'exercer, sans aucune
entrave, un métier pour lequel on a des aptitudes et des connais-
sances spéciales. Ce n'est certainement pas l'organicisme qui s'op-
P>ose à un pareil droit. Au contraire, c est le régime des castes. Et
!*est précisément pour cel^ji que le régime des castes est un cas de
mthalogie sociale, car il est basé sur une erreur absolue : la pré-
lômption que le fils d'un individu aura les mêmes aptitudes que son
ïùre. Il faut dire d'abord que, dans la question de l'hérédité, on
^mmet une erreur capitale. On considère seulement un seul des
acteurs : le père, ou fait abtraction compîcle de la mère. C'est
bsurde. L*enfaiit est une résultante produite par le mélange des
eux progéniteurs. Le fils d'un blanc et d'une négresse sera un
ïluUVtre, non un hïanc ou un nègre. Si donc le méhuïge est évident
K)ur les traits physiques, il doit Têtre aussi pour les traits moraux.
fous n'avons aucun droit d'affirmer que l'enfant, lïien que prenant
es traits physiques de la jnère. ne prend jamais ses traits moraux.
>r œlle circonstance seule suffit à saper par la base la présomption
ue le fils aura les aptitudes du père. L'hérédité palernelle des
saractéres psychiques (qui ont seuls de Timportance dans une
Inmense partie des fonctions sociales) n'étant pas une réalité, le
fégime de^^ castes ne soutient pas un seul instant la critique.
M- Beuglé commet encore d'autres erreurs en partant de la théorie
t. Et il n*Y a pos la moindre conlradictton dans cea deux faUs, car Vt^galitt* H
jutitce peuirenlêtre deux termes oppoiiég et contrai re«4. SI J^an ira vaille bien
Paul mal, tea obliger à recevoir un salaire égal e^i eomrneUre une injusUci;
lag^f/inU. La devbe de la justice est : Â chacun selon sm œuvras*
3G8 REVUE PHILOSOPHIQUE
organique. Les organicistes affirment que les loîe générales de la
biologie s'appliquent à la sociologie, mais il ne s'ensuit, en aucune
façon, que les organicistes confondent les phénomènes physiolo-
giques avec les phénomènes sociaux. C*est M. Bougie qui leor
attribue cette confusion. En sociologie, il n'y a pas d'hérédité, mais
de la successivité (s'il est permis de forger ce mot nouveau). An
point de vue du bon fonctionnement des organes sociaux, il faut
qu'à un homme, apte ù exercer une profession, succède un autre
homme apte à l'exercer également, mais il ne faut nullement que le
fils succède au père. Une preuve péremptoire peut en être donnée.
Il y a des institutions sociales (fËglise catholique par exemple) dont
les membres doivent être célibataires. L'hérédité physiologique ne
peut donc pas s'y exercer, mais la successivité y atteint parfois une
force extrême. C'est dans quelques-uns des corps recrutés ïJar
cooptation (comme Tordre des Jésuites) que l'esprit traditionaliste
et la fidélité aux principes se sont aOirmés avec l'intensité la plus
extraordinaire.
Dans les organismes biologiques, dit M. Bougie, les cellules
restent attachées constamment à l'organe dont elles font partie et les
cellules liiles remplacent les cellules mères sans changer de place.
Si donc les sociétés sont des organismes, il doit y être de môme.
Or comme il n'en est pas ainsi, les sociétés ne sont pas des orga*
nismes.
Singulière argumentation en vérité! Autant vaudrait dire : dans
les végétaux phanérogames la transmission de la vie se fait parla
fécondation des étamines. Comme il n'en est pas ainsi chez les
animaux, les animaux ne sont pas des organismes.
La grande erreur consiste ici à identifier le terme organisme avec
une tonne quelconque. Les organicistes ne se placent jamais à un
point de vue aussi étroit et aussi anti-scientifique. Les organicistes
ne sont ni aveugles ni fous. Jamais ils n*ont affirmé qu'il y a des
similitudes de structure entre les organismes sociaux et les plantes
ou les animaux. Ils ont affirmé qu'il y a des similitudes biologiques^
ce qui tvt tout différent. Les formes vivantes sont infinies dans la
nature. On ne peut pas appeler organisme ce qui ressemble à un
champignon, à un peuplier, à une baleine ou à un éléphant. On ne
peut pas même dire qu'un organisme est un être qui a quatre pattes,
une tête et une queue ou un tronc avec des branches rayonnant
dans dilTêrentes directions. Un organisme doit être défini w»
ensemble </(• parties vivantes entre lesquelles $*éiablit une inJterdé^
pcndancc des fonctions. Justement Terreur de M. Beuglé consisteà
WOVICOW. — LES CASTES ET LA SOCIOLOGIE BIOLOGIQUE 369
se faire une image purement personnelle d'un organisme (il pense à
l'homme fort probablement) et alors il vient dire aux organicistes :
Voyez, la société n'a aucune ressemblance externe et morphologique
avec un être de ce genre, donc la société n'est pas un organisme.
M. Bougie aurait eu raison si les organicistes avaient affirmé que la
société est un homme amplifié. Mais jamais, au grand jamais, ils n'ont
soutenu une pareille absurdité.
Dans certains organismes animaux l'amplitude de mouvement
des cellules est limitée; elles ne quittent plus les organes dans
lesquels elles se sont une fois établies. Si la caractéiislique de l'orga-
nisme était la limitation du mouvement, alors M. Bougie aurait
raison. Comme le mouvement dans les sociétés est beaucoup plus
étendu que dans les corps animaux, on aurait pu en conclure, à la
rigueur, que les sociétés ne sont pas des organismes. Mais la carac-
téristique de l'organisme est l'interdépendance des fonctions entre
les parties associées. Pour cette raison, les êtres où cette interdépen-
dance existe, mais où la limitation des mouvements n'existe pas, sont
cependant des organismes*.
De même M. Bougie se trompe en prenant l'adhérence comme
une caractéristique de l'organisme. L'adhérence est un fait accidentel
sans importance. Si deux cellules se touchent, mais n'ont entre elles
aucune communication, ces deux cellules forment des organismes
différents. La caractéristique de l'organisme n'est pas le voisinage
ou même l'adhérence des parties, mai» leur interdépendance fonc-
tionnelle. Par conséquent, que l'interdépendance s'opère à grande
ou à faible distance, par des procédés physiologiques ou psychiques,
peu importe; dès que l'interdépendance existe, on est en présence
d'un organisme. Voilà pourquoi la France et l'Angleterre sont des
organismes. Il existe, en effet, une interdépendance mutuelle com-
plète entre les individus qui forment ces deux grandes nations.
Un autre fait pourra faire saisir nettement combien la distance
matérielle est peu de chose. Soient deux individus qui, dans une
foule, se touchent du coude. Ces individus peuvent être complè-
1. Bien entendu, tous ces termes sont relatifs. La limitation des mouvements
n'est pas absolue dans les corps biologiques. Il y a d'abord la période embryon-
naire, où chaque cellule doit se rendre à l'organe qu'elle forme. Ensuite, même
dans la période adulte, comme l'ont démontré les recherches de M. Metchnikof,
il y a dans les corps animaux des cellules errantes qui se transportent d'un
organe dans un autre. Dans les sociétés, d'autre part, le mouvement n'est pas
absolu. Le peuple français, dans son ensemble, n'erre pas aux quatre coins du
^lobe, mais occupe son territoire d'une façon permanente. Des millions d'hommes
ne quittent presque jamais le village où ils sont nés, ou le quittent pour une
période assez courte de leur vie. Dès qu'on parle de la matière vivante, il faut
renoncer aux déûnitions précises de la géométrie.
STO REVUE PHILOSOPHIQUE
tement étrangers Tun à Tautre et ne pas s^apercevoir, pour ainsi
dire, de leur existence. D autre part, deux autres hommes, plaça
aux extrémités opposées de la terre, peuvent se causer des impres-
sions capables de modifier du tout au tout et leurs pensées et leur
conduite.
Mais revenons à la caste. C'est sur ce terrain précisément qu'il est
facile de démontrer que Torganicisme est absolument vrai. Selon
cette théorie, la perfection de Têlre est en raison directe de la diffé-
renciation des fonctions. Imaginez un instant que le fils d'un grand
homme d'État eût nécessairement et toujours des aptitudes hors
ligne pour la politique. Les fonctions sociales s'accompliraient
immédiatement d'une façon beaucoup plus facile et plus rapide,
partant d'une façon plus parfaite. Plus rapide, parce qu'il ne serait
pas nécessaire de chercher le remplaçant d'un ministre; ce serait
son fils. Et si le fils du ministre était l'homme le mieux qualifié pour
remplir lu charge de son père, cela reviendrait à dire que les
hommes seraient, dès leur naissance (donc physiologiquementi,
adaptés h leur fonction sociale.
Mais aussi longtemps que le fils ne sera pas adapté à la fonction
du père (et cela ne sera jamais, parce que les hommes ne se repro-
duisent pas par prolifération parthénogénique et qu'il y aura tou-
jours lés déviations héréditaires provenant de la dualité des parents),
la fusion de l'hérédité physiologique avec la successivilé fonction-
nelle sera impossible dans la société.
Les organismes biologiques, étant beaucoup plus anciens, sont
infiniment plus perfectionnés et oflrent un idéal que les sociétés
sont encore fort loin d'atteindre et que peut-être elles n'atteindront
jamais. Ainsi une association comme le 'corps de l'homme est une
véritable merveille. La division du travail y est poussée jusqu'à une
limite extrême, l'adaptation des organes h la fonction y est com-
plète, la pondération entre le pouvoir central et les parties y semble
atteindre la perfection.
Si jamais dans les sociétés on parvenait à imiter ce modèle, la
somme du bonheur humain décuplerait immédiatement. Tandis
que les hommes versent des flots de sang pour obtenir une justice
boiteuse, la justice est devenue une fonction automatique et incon-
sciente au sein des organismes animaux. On sait que le cerveau dis-
tribue à chaque organe justement la quantité de sang qui lui est
nécessaire pour accomplir son travail. II remplit sa fonction régu-
latrice avec une équité complète. C'est un juge parfait, inaccessible
à la corruption. Dans les corps animaux le principe fondamental
de la justice : à chacun selon ses œuvres, est appliqué avec une
IfOVÎCOW. — LES CASTES ET LA SOCIOLOGIE BIOLOGIQUE 371
plénitude qui est malheureusement bien loin d'être atteinte dans
les sociétés,
[ « Tandis que, dans un organisme complexe, dit M, Bougie
jp. 343), la cellule appartient à un seul organe» dans une société
>niplexe, Thomme participe à plusieurs groupements^ l'un d ordre
conornique, l'autre d*ordre politique ou religieux, Tun permanent,
^autre éphémère, Vun local, lautre inlernationnaL Leur mulliplit^ité
lême augmente, vis-à-vis de chacun d*eux, Undépendunce de Im-
ividii> Posté au point d'entre-croisement de tant de cereles, il ne se
lisse plus englober par aucun. El c'est ainsi que ce même progrès
la différenciation qui est asservissement pour la cellule, peut
re libération pour Thomme. »
On voit nettement par ce passage où M, Bougie veut en venir. Il
ïfend la liberté individuelle. Il désire que chacun puisse aller et
et s'occuper de ce que bon lui semble. Nous avons exacte-
ïnt les mêmes désirs. Il ne s'agit en aucune façon de limiter la
berté humaine. Aucun organiciste n*a jamais proposé de con-
Mnner chaque citoyen à un seul métier comme les serfs de la
lèbe. Mais comment M. Bougie ne voll-il pas que ce qu'il prend
Dur un avantage est, en réalité, une imperfection, au point de vue
Cïcial? 11 est évident que, si un individu fait de Tindustrie pendant
hois heures de sa journée, de la peinture pendant trois autres et de
I polilique pendant les trois suivantes, il sera un mauvais indus-
*iel» un mauvais peintre et un mauvais homme d'Étal. Les organi-
istes apprécient le charme de la liberté autant que les autres
tonrinies. Ils soutiennent seulement quej dans une société où chaque
idividu, de plein gré, se vouera de préférence à une seule occupa-
on, la prospérité sera plus grande, En riussie^ au temps de Pierre
g Giand, le célèbre Lomonossof a été physicien, minéralogiste et en
Dême temps il écrivait des grammaires et des manuels dlustojre.
Ictuellement ces difTérentes spécialités sont partagées entre des
individus différents. Cela prouve que la science russe est plus
ivancée de nos jours qu'elle ne Tétait au commencement du
^vtii* siècle.
Si la théorie organique était vraie, « toutes les protestations de la
idémocratie contre ce qui rappelle les castes, soutient M. Bouclé,
seraient autant de résistances étourdies à ce que prescrit la nature*
^e sociologue instruit par la biologie ne verra pas sans frayeur
rabaissement des barrières qui divisent les classes : car il ne peut
ftttendre rien de bon de cette irruption de la panmtj.'ie, de ce
itrîomphe de « Terreur amorphiste i (p. 3-47),
I Ce passage montre de la façon la plus nette Terreur de M^ Bougie*
373 REVUE PHILOSOPHIQUE
La caste est un phénomène de l'ordre social. Il ne faut pas con-
fondre des choses différentes. Une société peut être des plus aristo-
cratiques, voire même des plus oligarchiques, sans posséder la
moindre caste. La loi peut établir que seuls les individus possédant
une certaine étendue de terre, une certaine fortune mobilière, ou
certaines connaissances spéciales, peuvent prendre part au gouver-
nement du pays. Plus haut sera le cens, plus oligarchique sera la
société. Mais cela n'empêche nullement que tout individu, ayant le
cens requis, quelle que soit sa naissance, puisse faire paitie de la
classe gouvernementale. Il pourra arriver certes que le fils d'un
homme, possédant le cens politique, le possède également. Hais
cela ne sera pas par suite de sa filiation, mais par suite de sa situation
sociale. La délimitation rationnelle des classes est Tidéal vers lequel
doivent tendre les sociétés. La hiérarchie des fonctions est la pre-
mière condition pour la prospérité sociale. Rien ne le démontre
mieux que les armées modernes. Là chaque grade se distingue des
autres non seulement par les droits et les avantages, mais même
par le costume. Les membres des grades inférieurs sont obligés,
sous peine de punition, de donner constamment des marques de
respect aux grades supérieurs. On le voit, c'est la plus grande iné-
galité possible. Que dirait-on si un comte était obligé de se lever
chaque fois en présence d'un duc ou d'un prince? Cependant l'iné-
galité dans l'armée ne choque personne et ne porte aucune atteinte
à la liberté des citoyens. Pourquoi? Mais par la raison toute simple
qu'il ne s'y mêle aucune question d'hérédité physiologique. Tout
lieutenant peut devenir, à son tour, colonel et général et jouir des
droits attachés à ces grades. De plus, un colonel ou un p^énéral ont
des droits supérieurs à ceux du lieutenant et du capitaine parce
qu'ils doivent avoir aussi des connaissances et des capacités supé-
rieures. 11 y a donc dans l'armée la plus grande dose d'inégalité
hiérarchique accompagnée de la plus grande dose de justice.
Et c'est précisément, grâce à la combinaison de ces deux fac-
teurs, que l'organisation des armées modernes est la plus parfaite
qui existe ici -bas. L'organisation savante, bien pondérée, bien
agencée, voilà Tidéal des organicistes, et M. Fk)uglé devra bien
reconnaître, par l'exemple si typique de l'armée, que cet idéal ne
diminue en rien la liberté et l'égalité juridique des citoyens.
Nous ne voulons pas suivre M. Bougie dans ses considérations
sur les races et les sélections sociales. Sur ce terrain encore
M. Bougie arrive à des conclusions fausses par rapport à Torgani-
cisme. Cela serait facile à démontrer. Mais cela nous entraînerait
WOVICOW. — LES CASTES ET LA SOCIOLOGIE BIOLOGÎQL^ 373
à des considérations trop longues, parce que les questions sociales
sont proligieusement complexes. Si on veut les exposer d'une façon
trop succincte, on ne peut pas les rendre assez claires. C'est l'occa-
sion ou jamais de dire avec Horace : Brevis esse laboro^ ohscurus fio.
Pour cette fois et pour ne pas fatiguer les lecteurs de la Revue
phUosophiquBj nous préférons nous en tenir à la seule question des
castes.
Cependant nous ne pouvons pas nous empêcher de faire une petite
remarque en terminant.
Comme presque tous les adversaires de l'organicisrae, M. Bougie
reconnaît implicitement la vérité de cette théorie, tout en la com-
battant. Il dit par exemple : « Les sociétés, comme les organismes,
divisent les travaux entre leurs membres, car elles sont des êtres
collectifs, et la division du travail est une condition générale du
perfectionnement de ces êtres, de quelque nature qu'ils soient »
(p. 346).
Nous n'en demandons pas plus long. Et, quoi qu'il en dise, cette
seule phrase suffît à classer M. Bougie parmi ces organicistes qu'il
combat avec tant d'ardeur, parce que les termes être vivant et orga-
nistne sont complètement synonymes. Les organicistes n'ont jamais
afOrmé que les sociétés sont des plantes ou des animaux quelcon-
ques, ils ont affirmé qu'elles sont des êtres vivants d'une nature
particulière, mais obéissant cependant aux lois générales de la vie
étudiées par la science appelée biologie.
J. Novicow.
Odessa.
LES
SCIENCES NATURELLES ET L'HISTOIRE
Le xiK*' siècle sur lequel nous pouvons, maintenant que nous
Pavons dépassé, jeter un coup dœil rétrospectif, a été incontesU-
blement une époque de grands et légitimes triomphes pour Fhistoire.
Non seulement son élude a été renouvelée et placée sur des bases
solides et inébranlables, mais son esprit a pénétré partout dans les
autres sciences. Presque toutes ont fait jaillir de nouvelles vérités
de leurs faits, traités au point de vue du développement, et Tidéc
si féconde de révolution, qui n est au fond que le principe de l'his-
toire appliqué à toutes les connaissances humaines, est venue ren-
forcer et vivifier les conclusions de la science.
IJn rôle aussi important joué par l'histoire ne pouvait manquer
d'attirer Tattention sur la nature et sur les procédés de ce mode
d'investigation. Aussi le siècle écoulé compte-t-il de nombreux
essais qui ont pour objet, d'une façon plus ou moins complète, la
théorie de l'histoire.
Ces idées sur la mclhode à appliquer en histoire, se développant
au sein d'un esprit dominé et même subjugué par les sciences de la
nature, il était très naturel que les premiers essais de constitution
de la logiijue de l'histoire tendissent à la subordonner à celles des
autres sriences. Pour élever aussi Thistoire au rang de science, il
fallait lui appliquer également la méthode usitée dans les sciences
appelées naturelles. Cette idée fut soutenue, non seulement par des
naturalistes, chez lesijuels elle n'avait rien de paradoxal, mais aussi
par des historiens (]ui, éblouis par les splendides résultats auxquels
avaient abouti les sciences de la nature, pensaient élever peut-être
leur discipline au même niveau, si elle était traitée d'après la même
mrtliode. Ce furent surtout les sociologues qui revendiquèrent
rijoiineur de pla(!er, par la sociologie, l'Iiistoire sur ses véritables
bases scientiiiciues et de la transformer ainsi, d'une exposition
esthéti(|ue, en une exposition vraie de la réalité passée.
Peu à peu pourtant une réaction commença à se faire jour dans
les théories relatives à la nature de l'histoire. On finit par s'aperce-
iwOPOL, — LES SCtEÎÎCKS WATCnBUES ET L^HTSTOTRË
STr que Thistoire poursuivait un autre but que les sciences natu-
relles, et que, le but étant difTérent^ le moyen» c'est-à-dire la
méthode, devait Têtre aussi. En dehors des remarques occasion-
nelles» consignées dans les ouvrages les plus divers, quelques Ira-
vaux d'ensemble parurent sur cette question si importante, parmi
' lesquels nous rappelons le nôtre, intitulé Pnncipes fondamentaux
de fhïsloirey 181)9^ qui a été Tobjet d'une critique, par M* Lucien
Arréat, insérée dans cette revue même '.
Trois ans avant l'apparition de mon ouvrage^ M, Henri Rickert,
professeur a FUniveraité de Fribourg en BrisgaUj avait publié la pre-
mière partie d'une Introduclion logique aux scifmcf's hUtoriquem '.
Je n'en avais point connaissance, malgré toutes les peines que je me
suis donné pour n'omettre aucune publîcalion importante qui eût
trait à la question dont je m'occupais. Je ne le regrette cependant
pas; car le fait que M. Rickert et moi, nous sommes arrivés presque
Qux mêmes résultats, quoique partis de points de vue complètement
<3ifTtH*ents, ne laisse pas d'être un gage que la solution de ce difficile
problême se trouve dans Ja bonne voie.
Le livre de M* lUckert, que nous avons spécialement en vue dans
oette étude, est un traité logique très complet et rempli d'intéres-
sants détails, auqnels malheureusement nous ne pouvons nous
^rrùter. Pour k matière que nous voulons traiter, il stra suftisant
câ*examiner les principes généraux sur tesqnels il repose.
La thèse que M, U, se propose de démontrer est que^ la tendance
& appliquer la méthode des sciences naturelles à Thistoire repose
^ur une confusion qui a son origine dans le manque de distinction
^Drrcise entre Tobjet de ces deux disciplines de Tesprit humain ; que»
^traiter Tinvestigation îiistorique comme une science naturelle est un
^Droblème impossible à résoudre, une véritable contradiction logique
p. 21). Pour arriver à démontrer cette vérité, fauteur Vache de
léterminer, dans cetle première partie de son élude (la deuxième
r^^â. pas encore paru), quelles sont les limites assignées par la
ogique aux connaissances procurées par les sciences ainsi appelées
r^alurelles. Au delà de ces limites, lesprit conçoit un autre mode de
;:>énétrer dans l'essence des choses, mode qui constitue l'histoire*
L auteur commence par démontrer que, sans f aide des notions,
vautre aspritne pourrait prendre possession de la variété iuliniede
. '*univers, tant extensive comnie quantité qu'intensive comme qua-
1. Février 1900.
m^m tlie htAioriicheti Wiëffen^chitfé*in, von Iv Ht?înrkch UickerL, Freitiiirg i B, KnU^
-M^UUf Freibufg, Uïp^ig, inn, i voL de lin; p.
376 REVUE PHILOSOPHIQUE
lité; que la notion a pour but de détruire le plus possible la per-
ception réelle des choses et de réduire ces dernières à de simples
éléments rationnels; que pour y arriver, elle substitue toujours plus
complètement, à la conception des choses, celle des relations entre
les éléments qui les composent; que ces relations sont données par
des jugements de forme générale et nécessaire, donc par des lois;
que la tendance générale de toutes les sciences qui concernent les
corps matériels, est de réduire tous ces derniers à des mouvements,
donc à des relations d atomes. L'atome serait la chose dernière qui
ne pourrait être réduite à aucune autre notion de relation; mais
cette notion de chose — dernière — est elle-même si abstraite»
qu'elle équivaut à une notion de la relation.
Les phénomènes intellectuels ne sauraient être traités différem-
ment par la logique. Pour les saisir, il est aussi besoin de notions
générales; il faut aussi réduire les notions de choses à des notions
de relations. Quoique la psychologie ne soit pas aussi avancée que
les sciences des corps, il existe une tendance très justifiée, à
réduire les pht'^nomônes psychologiques à des mouvements, à des
relations de phénomènes primitifs, de sensations. Les phénomènes
intellectuels ne se distinguent donc en rien, sous le rapport logique»
des corps matériels et des phénomènes que ces derniers présentent.
Le terme de nature doit dune s étendre aussi à eux. Une distinction
entre les sciences de la matière (les sciences appelées naturelles) et
les sciences de Tosprit est arbitraire et sans aucun fondenaent
logique. ^ Li psychologie, nous dit M. R.,est donc aussi une science
naturelle, car elle est la science de la nature de Tesprit, c'est-à-dire
la science de l'esprit conçue, non par opposition au monde corporel,
mais bien par opposition î\ l'art, ;\ la culture, aux mœurs, à l'his-
toire, c'est-à-dire comme une continuité existante par elle-mèmeel
régie par des lois immanentes, qui tûche de concevoir la vie de l'es-
prit comme un tout, eu égard aux généralités qu'elle présente»
vp. ^21:2).
Celte conception des sciences de la nature, qui comprend aussi 1*
psychologie, lorsqu'elle est traitée au point de vue générait des
notions ahstraîios. annihile complètement Tancienne opposition entre
les sciences de la nature et celles de l'esprit, et laisse le champ
libre pour une autre distinction logique, les sciences qui s'occupent
du général ou les sciences de la nature et les sciences qui s'occn-
pent du concret on de Tindividuel, les sciences historiques; cari"
n'y a que ces dcii\ ia<;ons de considérer les choses, au point de vue
du général et à cAni du particulier; un troisième point de vue est
impossible -^ i. :^*i*«.
ZÊIfOPOL. — LES SCIENCES NATDRELLES ET l'mSTOmE 377
Les sciences naturelles, dans celte extension que leur donne
'M* lUckert, ne peuvent s'occuper, selon lui, que des relations géné-
Tales et abstraites entre les phénomènes, tant physiques que psy-
^îjques. Elles ne peuvent jamais étudier la réalité elîe-niénie et a la
1 imite de la formation des notions datns les sciences naturelles, limite
€joe ces sciences ne peuvent jamais dépasser, est donnée précisé-
iTîent par cette réalité empirique elle-même ^ (p. 239).
Au contraire, rhistoire a pour but de concevoir et de saisir celte
^r^iMJîié dans sa forme vivante et mdividuelle.
L^e fondement logique de cette distinction se trouve dans le prin-
c^ip^ rapporté plus haut, que Tesprit ne peut prendre connaissance
d^^ choses que de deux façons : au moyen des notions générales ou
L^ia BTiûyen des perceptions individuelles, La première de ces deux
pfa.C*ons donne naissance aux sciences de lois (f^cîences naturelles
^SLwrm =3 le sens étendu rapporté plus hauti^ et le second aux sciences
h î s. t: conques. Pour bien rendre la pensée de Tauteur, reproduisons
ic3cDre quelques passages : i La réalité, nous dit-il, devient nature
loi:-^c:ju^on la considère au point de vue général; elle devient histoire
lr>¥'^ qu'on la considère au point de vue individuel » (p, 254], h Toute
T^^al î té est donc histoire » (p. 257 1. a Sous le terme d'histoire, nous
*conni prenons toute formation individuelle, et non seulement ce que
Vort dèsigue communément sous ce terme » (p. 286)* a L'entière
rêo.1 i té empirique dans laquelle nous vivons doit être considérée
*^*^>^nt rue un procédé historique, qui change continuellement n (p. 27ti'i.
(So 1^ la dernière phrase : « qui change continuellement >» nous ferons
les o bservations nécessaires un peu plus bas),
^oite faron de comprendre Thisloire nous semble un peu forcée.
**^H^ étend celte notion bien au delà de ce qu*elîe doit comprendre
'^•^ i*^alité; car elle laisse de côté l'élément caractéristique de Tbis-
«^oit-(^^ son développement dans le temps, pour n'appuyer que sur la
I^'^^l-Ure individuelle de ses phénomènes qui n'est pourtant qu'une
*^*^ ri séquence précisément de leur transformation dans le courant du
^ ^tais M, R. devait arriver h cette solution, aussitôt quMl part
*-• n critérium logique, pour établir la distinction qui existe en eftet
'*^^re les deux grands modes de conception du monde. Le cntérium
'"^^'îque étant subjectif, il ne peut servir de base h une distinction
^ ■*tre les phénomènes extérieurs, objectifs, que la nature présente
r>çj|j,ç perception. Le critérium doit être aussi objectif, cherché
/^i~i3 la nature dilTérente des phénomènes étudiés et non dans les
II
*^ception3 que ces pht^nomènes éveillent dans notre entendement,
^sî vrai que la science est une opération de notre esprit; mais ce
TOME L. — 19U0, i^à
378 REVUE PHILOSOPHIQUE
dernier n'étant que le reflet de la raison des choses dans notre
propre raison, ce sont toujours les choses qui doivent déterminer la
façon dont l'esprit prend connaissance de la réalité extérieure. Ce
71^681 pas Vesprit qui introduit Vidée du général dans les phénomène$
quil étudie; cet élément existe, et Vesprit ne fait que le constater. Ce
n'est pas non plus Vesprit qui conçoit Vindividuel; Vindividud lui
est aussi imposé par les formations de la réalité.
Si nous considérons donc les phénomènes, qu'elle est la dilTéreoce
qui nous frappe tout d'abord? c'est que certains d'entre eux ne sont
pas modiflés par l'intervention du temps, et se répètent sans chan-
gement dans le courant des âges; tandis que d'autres se modifient
continuellement, étant toujours difl*érents aujourd'hui de ce qu'ils
étaient hier. Les premiers, se répétant sans cesse, constituent en
définitive, pour chaque phénomène, un seul et même type qui peut
être reproduit par une seule expression de la pensée —la même
pour tous — par une loi. Au contraire, les phénomènes qui chan-
gent par suite de l'intervention du temps, sont tous distincts les uns
des autres; ils ont une forme individuelle qui ne se laisse plus
emprisonner dans la formule des lois. Ce qui donne naissance à
l'histoire c'est l'intervention du temps, comme élément modilica-
teur. Sans cette intervention l'histoire ne saurait être pensée. Ce
nest donc pas la connaissance de lindividuel par lui seul qui déttr-
mine la conjiaisHance histoHque, mais bien celle des trnnsfornK^'
tions que le temps impose aux phénomènes de la réalité. Il ne sau-
rait y avoir de conception historique sans intervention du teï^^V^"
C'est cette intervention qui individualise les phénomènes, ^'
comme ils ne se produisent qu'une seule fois dans le cours des ^^
et ne se reproduisent plus jamais, il est évident que nous a'*^'^
affaire à des formations uniques, individuelles. L'individuel *- ^, *,
dans la conception historique, est une conséquence de l'inter"""^ ^
tion motlifiealrice du temps. Mais l'individuel peut provenir en^^\
d'autres sources. Par exemple dans l'art, il est le produit de Vot""^'"^
nalité de l'artiste; dans les éléments géographiques — les cx^^
d'e«iu, les villes — il est une conséquence de leur constitution pa -^
culièro. I/hisloire ne s'occupe point de ces différents genres
Ijhénomrnes individuels; elle n étudie que Vindividuel produit i'^^
les Inutsfonnations du temps.
D'ailleurs M. 1{. lui-même ne peut faire autrement que d'aba.
donncu' son principe trop absolu et concéder au temps le rôle qui 1
incombe d.ins l;i production do l'histoire. Nous ne voulons citer ^^
son ouvrage (jue quelcfues passages, où l'intervention du temps dan^
l'histoire est admise explicitement ou implicitement : « La matière
EWOPOL. — IKS SCIENCES NATURELLES ET L'HISTOmE
379
dérable lorsqu'on considère les masses d'atomes comme des
lensalion.s de l*éther, comparée à Féther lui-même ri est quun
tédé historique qui éventuellement ponsède un commmcêment et
fin comme toute chose particulière dont il pourrait exister une
nre (p. '275), L'entière réalité dans laquelle nous vivons doit être
îidérée coimne un procédé îmlùrique qui change coulinueUement
276). Des motifs que nous supposons connus, éveiïient le pro-
ae de la constance des espèces et par là un point de vite hisfù-
lt«e jpf)S0, notamment la question de roriginedes espèces dans la
^e. Il n*était que Ires naturel que Ton réfîéchit au caractère
crique de la matière vivante, et en effet, il est aujourd'hui très
imun de considérer le monde vivant comme un procédé hislo-
le qui a dû avmr un commencement et probablement aura aussi
fin (p. 281). On pourrait penser que des représentations des voli-
B OU des sentiments n'ont pas toujoun existé et que Ton s'enquiert
eur histoire {p, !28H). <i L'exposition des recherches de cette nature
posséder la forme d*une recherche historique, c'est-à-dire qu^elte
mie ce qui est aniré dans (es temps antérieurs (p, 277), Enfin
roduisons le passage le plus caractéristique qui montre qu'évi-
imenl, dans la pensée de M. R-^ le temps joue un rOle dans This-
te Une science qui ne s'occupe pas de ce qui est attaché à un
I ou 5 un temps quelconque, mais rien que de ce qui a une valeur
r tout espace et pour tout temps, malgré sahauleimporlance, ne
rait é[juiser notre besoin de savoir. Car enfin nous désirons cou-
re aussi ce qui se passe en réalité, ici ou là^ maintenant ou alors
f qui s* est passé précéd^mt ment dans le monde ; comment étaient leg
ïê$ et comment elles wnt devenues ce qu^ elles soni? Une réponse
I pareilles questions no peut être donnée que par une science
iplèlement dilVé renie de l'autre [p. '25Cï) ».
lais si M. R, admet le temps comme un élément essentiel de
îloire, alors son point de vue loffiriue, qui considère Thistoire
ime la connaissance de T individuel, est ébranlé. Car enfin, comme
cédé de connaissancei de prise de possession des phénomènes par
prit dans les deux seules formes de perception que ce dernier
5se employer pour y arriv^er, le temps est un élément absolument
ifTérent; on peut parfailement percevoir rindivtduel indépen-
ament du temps, et voilà pourquoi aussi M. R, nous dit que toute
Kl, toute formation individuelle est de rhistoire. Sî findividuel
tue fhistoirej quel besoin a celle-ci du temps pour exister, et
amant expliquer alors le rôle que M. R. accorde tout de même à
élément dans la constitution de rhistoire?
liais il n'y a rien de plus convaincant pour rexistence d^une
380
REVUE PHILOSOPHlûLe
vérité que la contradiction dans laquelle tombent les plus puissarîts
espritSj aussitôt qu'ils passent à côté, et celte contradiction de Vém-
nenl logicien prouve, mieux que tout autre argument, le bien îmë
de notre théorie.
M, rUckert se trompe encore, croyons-nous, Iorsqu*il pense que
ni le temps ni Tespace ne sont nécessaires à la perception des lois
générales. Ainsi il dît que nos notions générales (les lois) dm van V
être formées de telle sorle qu'elles puissent s'appliquer à toute îo^—
mation de Tunivers; elles doivent donc être indépenddnti's d^ Tâf^^ —
ment de l\>spact\ et il en est exactement de même de celui du temp^^^--
Le contenu d*une notion qui doit servir à concevoir la totalité m:^^ ^
Tunivers, ne doit rien contenir qui puisse s*attîicher au temps (p. ^ ^)
Les lois en elTet ne peuvent exister si elles n'ont pas une vaiew^:^ r
éternelle, c'est-à-dire si elles ne sont pas indépendantes de l'ëL^
ment du temps. Quant à l'espace il ne peut être exclu de la conce;]
tion;eur tout phénomène ne peut avoir lieu que sur un esp^ice
cela même pour les phénomènes intellectuels qui ont pour sit^
le cerveau de Thomme. Faire abstraction du temps est une ctio^^^
possible, attendu que cet élément n'est pas essentiel pour les phén >
mènes qui se répètent, mais faire abstraction de l'espace ei?t absol mja—
ment impossible soit pour les phénomènes de répétition soit poi
ceux de changement. Nature, dans le sens étendu du terme, et lii^^ — \
toire donnent naissance à leurs phénomènes toujours sur un espac-<
mais pour rhistoire, le temps joue un rùïe transformateur et par coi
séqucnt essentiel; pour la nature, le temps ne donne que la p05& « " I
bilité de la perception. Le temps est donc pour Thistoire un éléme*^*
dont on ne peut faire abstraction, tandis que pour formuler lésiez ^^
naturelles, cette abstraction s'impose. Ceci ne veut pas dire que ^^
temps n*est pas un élément tout aussi nécessaire à la production d^^
phénomènes naturels; mais cet élément n'exerçant aucune inllaen^^
modificatrice sur les phénomènes qui se répètent, on peut en fa**"^
abstraction, lorsqu'il s'agit de formuler des lois. Ainsi la révoluti^^
de la terre autour du soleil et sa rotation autour de son axe *>^
besoin de certains intervalles de temps pour pouvoir s'accomp*^ '
mais pour formuler les lois qui régissent ces deux mouvements *"
notre planète, le temps n'a pas besoin d'être pris en considérali^^
Des deux grandes formes sous lesquelles apparaissent les phér^
mènes de funivers, Tespace ne saurait jamais être éliminé de noi— ^^
pensée, puisque tout phénomène s'accomplit dans un espace -, Tespii^^^^^
est la base inébranlable de tout ce qui existe, il est le fondement ^|
tout Tu ni vers. ^^
Le temps joue un rôle un peu moins compréhensif. C'est un cou
^
n
1
XENOPOL. — LE^ SCTEISCES XVTtJKEULES ET I. IIISTOIKE
381
Êàu qui roiiîo ses oiules dans îo sein de l'espace, et transporte tous
s phénomènes, mais qui n'en dissout qu'une partie, ceux qui
mslituent riiistoire. Nous admettons donc la théorie de M, FU qui
stingue les sciences naturelles, dan.s le sens étendu, rapporté plus
tut, comprenant aussi les sciences de resprit, ou du général^ et les
lences historiques, ou de rindividuel; mais nous caractériserons
trcmentces deux modes de conception de l'univers. Les sciences
tarelles sont, pour nous, celles qui s occupent des phé no mènes
*'épéiiHon qui ne dépendent par de VMément du temps et devîen-
It par là éternels et donc généraux; Jes sciences historiques
^cupentdes phénomènes qui st' ii*ans forme $ous Vactton du temps
jmji par ta deviennent individuels,
im rô!e que le temps joue à Végard des phénomènes leur donne
t le caractère général ou individuel * Il est indifférent par
m pie îH>ur la conception des lois, si les phénomènes sont géné-
fe ou individuels quant à l'espace; il suOU qu'ils soient, dans Tun et
m l'autre cas^ éternels. Par exemple 1 inclinaison différente des
k des planètes sur le plan de leur orbiîe —pour lu terre de 23 de-
^, pour Jupiter presque verticale et presque horizontale pour
lus ^ sont des phénomènes absulutnent individuels quant ;t l'es-
e, puisqu'ils ne s'y rencontrent chacun qu'une seule fois. Pour-
t en parle, et à bon droit, de la loi des saisons sur chacunede ces
aètes, parce que cette inclinaison élatil constante elle donne lieu
He répétition éternelle des phénomènes, répétition formulée par
il dehors de ces deux grandes questions relatives Tune au
lc|ue de fondement de la division des sciences^ en sciences de la
îère inaturelles dans le sens restreint, ancien de ce terme), et en
tiçesde Tesprit, et l'autre à la conception de Thistoire comme
ïes deux grands modes de conception du monde- M. R. était
ftié à toucher aussi aux rapports de la sociologie avec Thistoire*
jE^uteur considère la sociologie comme une science naturelle
^<fnsu^ dont Tobjet est la recherche des lois qui régissent les
pomènes sociaux, donc une science qui tûche de percevoir Télé-
^t général dans les phénomènes que présente la société humaine,
tociologie ne saurait être une science de Tindividuel, elle ne
N.U donc jamais être confondue avec lliistoire. M. R. exprime
P beaucoup d'énergie» sa conviction h. ce sujet. Il dit que
koique la société soit un élément historique d'un degré supé-
ptous employons ce tertïnî h ta place de ceîut de phénomêfies coejistanls qui
H^Uve dans nos Ihincipes fondnmenfatu:, et qui a SOU ïeTé quelque lï criUque»,
^, Eon extension surte^ pliénamènes te ïon;^ du temps.
382 REVUE PHILOSOPHIQUE
rieur, la vie sociale qui intéresse Thistoire saurait d'autant moins
èlre confondue dans la notion de sociologie, que cette division est
devenue davantage science naturelle, c'est-à-dire que ses notions
ont acquis une valeur plus générale. Il faut donc faire une distinc-
tion entre une exposition scientifique naturelle et une exposition
historique de la société humaine, tout aussi bien qu'il faut en faire
une entre la biologie comme science naturelle et la biologie his-
torique. Si nous ne pouvons rien objecter contre une socio-
logie traitée comme science naturelle, nous soutenons avec force
rimpossibililé d'une histoire conçue dans le même esprit, c'est-
à-dire que la sociologie ne peut jamais remplacer l'histoire. La
sociologie doit donc être combattue de la façon la plus décidée,
aussitôt qu'elle élève la prétention d'être la seule science de la
vie sociale de l'homme et surtout d'être une science historique >
(p. 294).
Nous avons soutenu la même idée à notre point de vue, différent
comme on l'a vu de celui de M. R. Nous avons aussi admis que tant
qu'il n est question que de faits coexistants, c'est-à-dire de faits derépé-
tition, la sociologie peut parfaitement formuler des lois. Mais aus-
sitôt qu'il s'agit de faits sociaux successifs et donc individuels, les
lois sociologiques portent à faux. Les lois de succession formulées
par les sociologues ont un caractère tout à fait insolite : ce sont des
généralisations, des modes de succession, des séries d'événements
analogues, le produit d'abstractions recueillies sur ces séries. Le
théoricien de cette façon de procéder des sociologues pour établir
leurs lois, M. Lamprecht, formule le principe suivant : « L'on peut
réduire les séries de faits parallèles, par l'isolement de leurs élé-
ments, à un contenu identique et considérer ce contenu comme
l'essence de ces séries. C'est absolument le même procédé de la
pensée scientifique que celui qu'elle applique aussi dans les sciences
naturelles. » Nous avons critiqué cette façon de voir, en observant que
par la généralisation des séries, on eiTace précisément leur caractère
historique, particulier, individuel pour chacune d'elles, et que plus
cette généralisation est étendue, d'autant moins elle ressemble aux
séries dont elle a été abstraite. La raison pour laquelle la généralisa-
tion peut arriver à formuler des lois vraies sur les faits qui se répè-
tent est que ces faits sont semblables^ ou pour mieux dire identiques,
tandis que les séries historiques étant toutes dissemblables et que
leur diiïérence constituant précisément leur partie essentielle, ia
i. Was ht Kullurgeschichley dans la Zeitschnft fur GeschichiswûfensckafU
18%-in, p. 84.
XÉNOPOL. — LES SCIENCES ffATCnËUElS ET L'itlSTtïlItK
â83
négligence de cet élément difTérenciel, dans le fait de généralisation,
enlève aux séries leur caractère spêciiîque, et les lois obtenues parce
procédé ne sont plus que des f laïus vociii.
M, Lucien Arréat, dans la critique de mon ouvragei admet en au
sens la justesse de cette remarque, et reconnaît que Thistorien se
trouve dans la nécessité de localiser et d'individualiiser Jes actions
humaines qui sont la matière de Thistoire; mais il prétend que
j'exagère la portée de celte observaiiou; que s'il est juste de con-
damner Jes essais des sociologues, lorsqu'ils clierclienL un fait
dominant en fonction duquel tous les autres doivent varier, tachant
ainsi de trouver un fait ([ui domine toute riiistoire, il n'est pas
déraisonnable de s'appliquer u dégager des évolutions partielles,
des séries sociologiques; il se pourra que les moments principaux
d une série sociologique se trouvent réalisés dans des séries bislo-
riques dilTérentes. 11 se pourra aussi qu'une série historique déter-
mioée présente en un plus haut relief quelque aspect partiel ieru
d'évolution dans Tordre intelïectoel, économique, juridique, etc.
Pourquoi serait-il interdit au sociologue de marquer ces évolutions
et ces moments à travers la suite de l'histoire? C'est de vérités de
cette nature — il nlmporte guère qu'on les nomme faits ou ials —
que la sociologie est faite en dernière analyse ou doit être faite K
i\L Arréat semble croire qu'entre la sociologie et Thisloire il ne
s'agit que de plus ou de moins. Nous ne croyons pas que ses con-
cessions satisfassent les sociologues, La prétention de ces derniers
est bien plus grande* La sociologie veut être une science et c'est au
aom de la science qu'elle combat les procédés usités jusqu'ici par
les historiens, pour établir la vérité sur les faits passés. Elle prétend
que rhistoire doit absolument être basée sur des lois de développe-
ment, car il ne saurait y avoir de sciences sans lois, et elle veut
Ifouver ces lois dans la généralisation des séries historiques. C'est
une question de principe, une question fondamentale qu'il s'agit de
trancher, et non de concéder à la sociologie le droit de spéculer,
quand elle le trouverait bon, sur les données de Thistoire par des
remarques de earaclère plus général. L'histoire est-elle ou n'esl-elle
pas une science, malgré son incapacité à formuler des lois, et doit-
elle attendre que le caractère scientifique lui soit octroyé par la
sociologie^ au moyen des séries sociologiques, recueillies par labs-
traction sur les séries historiques? Voilà le véritable fond du débat
que nous avons engagé dans notre livre. Nous avons raison ou nous
ne lavons pas. Dans cette question, très clairement posée, il ne
m
Ci-iJ«aaua, p, 1*J0,
384 REVUE PHILOSOPHIQUE
saurait y avoir lieu à des réserves ni à des concessions. Tout ou
rien : voilà la seule solution.
Or nous soutenons avoir démontré, non seulement en principe
l'impossibilité de la généralisation des séries historiques, mais
encore, par une analyse minutieuse de toutes les lois sociologiques
formulées jusqu'à présent» que toutes — mais absolument toutes —
ne sont que des généralisations arbitraires. Tant que ma démons-
tration qui repose sur des faits ^ ne sera pas renversée ou ne pourra
point parler de séries sociologiques ni de lois de développement sur
lesquelles il faudrait constituer Thistoire-science. M. Arréat confond
les cho^5es lorsqu'il soutient que « Thislorien se verrait aussi con-
traint, pour établir ses séries, de négliger certaines différences
qu'il juge secondaires », et lorsqu'il montre que moi-même t j*ai
recommandé de trier les faits qui méritent seuls d'être pris en con-
sidération, dans la masse de ceux qui constituent le passé humain i.
Trier les faits, cela veut dire choisir, entre les faits innombrables-
que le passé présente, ceux-là seuls qui ont une importance histo-
rique; mais ces faits sont pris dans leur entier, ils ne sont pas
dépouillés de leurs parties caractéristiques, pour pouvoir être
résumés, par l'opération de la généralisation, dans les lois du déve-
loppement.
L'individuel qui est l'élément essentiel de l'histoire s'oppose à li
généralisation. 11 ne saurait s'y soumettre que sous peine de perdre
son caractère, et de ne plus être de l'histoire. M. Rickert dit aussi
que (( l'histoire au contraire ne peut jamais chercher à ranger son
matériel dans un système de notions générales qui est d'autant plus
parfait qu'il contient moins d'éléments de la réalité elle-même i
(p. 25:)).
n est même d'avis a que même en sociologie, c'est une questiou
très discutable s'il est possible d'arriver jusqu'aux notions de lois,
auxquelles on pourrait reconnaitre une valeur supérieure à l'empi-
rique; car en général, le procédé des sciences naturelles aura d'au-
tant plus de chances de réussir, que la notion sous laquelle se
place le matériel est étendue, et il sera d'autant plus difficile d'ar-
river à des notions de lois, que l'historique (l'individuel) que l'on
veut traiter d'après le principe des sciences naturelles, sera plus
haut placé f> (p. '288).
Et pourtant il y a des lois en histoire! On peut formuler des prin-
cipes généraux, indépendants du temps — caractère essentiel pour
l'existence d'une loi — dont dépend la production des séries histo-
riques qui se développent dans le temps. « De pareilles généralités
doivent exister en histoire, attendu que toutes les forces de la
XÉNOPOL. — LES SCIENCES NATURELLES ET l'hISTOUŒ 385
nature, tant celles qui soutiennent la coexistence (qui produisent les
faits répétés) que celles qui déterminent le développement, mani-
festent leur action par des régularités qui ne sont pas soumises à
l'action du temps et qui ne souffrent aucune exception, donc par
des lois. Ces régularités éternelles constituent les lois abstraites,
tant celles de la répétition que celles de la succession. Mais ces
lois, manifestation des forces, pour donner naissance aux phéno-
mènes, doivent s'incorporer dans des circonstances, car les faits de
répétition ainsi que les faits successifs ne sont que le produit des
forces et par conséquent de leur mode de manifestation, des lois, à
travers les circonstances de l'existence. Lorsque ces circonstances
sont permanentes et ne changent pas avec le temps, l'action des forces,
formulée par les lois abstraites, donne naissance aux lois concrètes
qui régissent les faits ; quand les lois abstraites s'incorporent dans des
circonstances qui changent par l'intervention du temps, on n'obtient
plus des lois, mais bien des séries historiques uniques et particu-
lières * ». Comme exemple d'une pareille loi de développement
citons la suivante :
ToKt développement s'accomplit par le haut, c'est-à-dire par les
éléments supérieurs de l'existence. Pour les sociétés humaines,
cette loi prend la forme :
Tout développement s'accomplit par le haut et de haut en ha^.
C'est une loi absolument générale qui se retrouve chez tous les peu-
ples et à toutes les époques de l'histoire; mais cette loi ne donne
pas naissance à des lois concrètes de production des faits histori-
ques; mais bien seulement à des séries différentes de faits, aux
diverses époques et chez les différents peuples de la terre. Voilà le
seul domaine où la sociologie peut toucher à l'histoire. Pour le
reste, la sociologie doit se borner à l'étude des lois dès faits sociaux
de répétition.
Nous sommes heureux de pouvoir apporter à l'appui de nos idées
celles du savant professeur de Fribourg. M. Rickert dit aussi que
« nous devons nous rendre bien compte du fait que la construction
logique d'une exposition qui nous dit que les premiers êtres vivants
furent les amibes, qui furent suivies par les moréades, puis parles
blasléades, etc., se distingue en principe de la construction logique
d'idées qui disent que, dans l'immense quantité des êtres, ceux-là
seuls peuvent se conserver qui s'adaptent le mieux au milieu, cir-
constance qui explique la finalité des organismes. Les lois de déve-
loppement ne nous disent rien sur le développement lui-même. On
1. Les Principes fondamentaux de l'histoire, par A.-D. Xénopol, p. 192.
386 REVUE PHILOSOPHIQUE
devrait penser que la biologie, comme science naturelle, nous fiait
connaître toutes les lois qui régissent la vie des organismes, et que
pourtant nous ne savons que très peu de choses sur l'histoire de
ces organismes. Et par contre, on pourrait connaître riiistoire de h
vie sur la terre, sans connaître les lois biologiques. Au point de vue
logique, il faut distinguer entre la biologie comme science naturelle
et la biologie historique » (p. 291). Uhistoire se trouve exactement
dans le même rapport vis-à-vis de la sociologie. Cette dernière ne
peut formuler que les lois abstraites du développement, analogues
aux lois biologiques; jamais des lois de manifestation des faits his-
toriques eux-mêmes. Mais bien entendu que, de môme que la bio-
logie pour établir ses lois de développement, a besoin de spéculer
sur le développement des êtres, la sociologie, pour formuler les lois
de développement des sociétés humaines, se trouve dans la néces-
sité de spéculer sur le développement de l'humanité. 11 nous semble
que par ces considérations les domaines de la sociologie et de l'his-
toire sont délimités d'une façon précise.
Finalement, montrons encore un point sur lequel nous tombons
d'accord avec M. llickert, dans les Principes fondamentaujc^ en trai-
tant de la méthode appliquée en histoire. Nous avons cherché à
démontrer que ni 1 induction ni la déduction ne sont applicables
pour rétablissement de ses vérités; que l'histoire doit user d'un
procédé différent, et remplacer la conclusion du général au particu-
lier ou du particulier au général, par la conclusion du particulier au
particulier, méthode qui n'a jamais été prise en sérieuse considéra-
tion par les logiciens. Nous n'avons pas osé exprimer un deside-
ratum qui se pressait sous notre plume, notamment que la logique,
telle qu'elle a été traitée jusqu'à présent, comme logique déductive
(Aristote), et logique inductive (Hacon et Mill), n'épuise pas tout le
champ des spéculations logiques et qu'il faudrait ajouter, à la
logique du général, la logique de l'individuel.. M. II., avec son auto-
rité de logicien, complète notre pensée. 11 dit, sans ambages, que
« la logique n'a considéré jusqu'à présent que les sciences qui pour-
suivent une exposition du général et n'a pas remarqué ce qui doit
être perdu dans une pareille exposition. Gomme la logique, à peu
d'exceptions près, n'a considéré jusqu'à présent que le procédé
scientifique qui absorbe le particulier dans le général, elle devait
fatalement se développer d'une façon unilatérale comme logique
des sciences naturelles. Dans quel sens faut-il chercher le complé-
ment de cette unilatéralité <t ce sera l'objet de nos considérations
postérieures » (p. '2-48).
L'analyse du livre de M. Rickertet les réflexions qu'il nous a sug-
2CÉNOPOL. — LES SCIENCES NATURELLES ET L'HISTOIRE 387
gérées ont servi à établir les vérités suivantes, d'une importance
capitale, pour élucider le caractère et la nature de l'histoire.
1** Les sciences ne se distinguent pas en sciences des corps maté-
riels et sciences de Tesprit, mais bien en sciences naturelles, y
compris celles de Tesprit qui traitent des phénomènes de répétition,
et en sciences historiques, y compris celles des corps matériels,
qui traitent des faits qui changent.
12" Les premières sont seules aptes à formuler des lois de produc-
tion des phénomènes; les secondes ne peuvent enregistrer que des
lois abstraites de Faction des forces naturelles qui, incorporées dans
les faits réels, donnant naissance aux séries historiques, uniques et
particulières.
S"" La sociologie, comme science naturelle s'occupant des faits
sociaux de répétition, peut formuler les lois de production de ces
&its. Pour les laits changeants, elle ne peut formuler que les lois
abstraites de l'action des forces historiques naturelles, et laisser
l'exposition des séries historiques des faits successifs, changeants et
individuels, à l'histoire.
4*" Dans l'étude des faits historiques, individuels, on ne saurait
appliquer ni la méthode de la déduction ni celle de Tinduction,
mais bien une méthode nouvelle qui n'a pas été encore clairement
exposée par la logique, et qui doit compléter cette science.
A. D. XÉNOPOL.
Jassy.
NOTES ET DISCUSSIONS
LA DROITE TRANSFINIE
Monsieur et cher Directeur,
Voici deux fois, en deux ans, que la discussion des antinomies
mathématiques amène, dans votre Revue, la citation d'un article que
j'ai publié ailleurs en 1804 *; mais, chaque fois, ceux qui m'ont fait
cet honneur ont exprimé ma pensée sous une forme dont je ne vou-
drais pas endosser complètement la responsabilité :
« Si l'on traduit géométriquement une telle conception (celle du
nombre transfini de G. Cantor), comme Ta fait d*ailleurs M. Paul T*n-
nery, on arrive à affirmer qu'une droite AB, d'extrémités fixes, peut
ôtre telle qu'en portant l'unité de longueur sur cette droite à partir
d'une extrémité, ou n'arrivera jamais à l'autre ». (Reu. p/u/;, nov. 1898»
p. 476 : MM. Evellin et Z.)
a Traduit en termes géométriques, cela (la conception du nombre
transfini) signifie, comme Ta dit nettement M. Paul Tannery, qu'une
droite AB, etc. o (Rev. pliiL, avril 1900 : M. Dunan.) j
Ce que je tiens à faire remarquer, c'est que le concept d'une telle
droite est très antérieur aux spéculations de G. Cantor, et que si, pour
le désigner, j'ai emprunté un teriiio au vocabulaire du mathématicien
de Halle, je n'ai voulu marquer ainsi qu'une analogie, non point une
identité logique.
Dans mon article de 1804 en efTet, je me suis attaché à prouver
l'existence chez Aristotc {Pliys., III i06 R) et chez Simpliciua de ce
concept de la droite transfinie, comme je l'ai appelée. J'aurais pu, tout
aussi bien, poursuivre l'histoire de ce concept pendant le moyen âge.
et reprendre, au lieu du mot tran^ifini, le terme scolastique d*intini
cathèLique ^ ou cato(jorêmatiquc. Mais je mo proposais surtout de faire
ressortir que la négation du concept en question correspond à une
afTirmation que Knnt aurait appelée un jugement synthétique a
priori, que les mathématiciens qualifieront plutôt aujourd'hui de pos-
tulat, mais qui, en tous cas, me parait absolument indémontrable.
J'ai bien dit, à la vérité, que, in concreto, le concept d'une droite
transfinie équivalait à celui du nombre translini, tel que G. Cantor
i. Revue de mritiph}i.sifjue et de morale, juillet 1894, p. 465-412.
2. Thomas de Brodwardin.
p. TAHNERY. — IK 1>R01TE TKAÎÇSFIKIE
a eofistruit abstraitement; mais si lanalôg^îe de ces deux concepts
suflit a montrer que ce n'est point tout à fait a juste titre qu'on qua-
lifie le tran&ftni d'infini nouveau \je n'irais point pour mon compte,
jusqu'à parler de traduction géométrique. Je serais, on effet, assez
embarrassé pour prouver que la traduction est fidèle: d'un autre côté,
la construction abstraite de G. Cantor f^arde sa valeur propre, même
pour qui admet, ainsi que je le fais d'aïUeurs sans réserves, le postuïat
niant la droite transfinie.
Et inversement, j'estime qu'on pourrait, sans commettre aucune
faute logique, rejeter le dit postulat et, tout en même temps, la cons-
truction du nombre transfini. Si connexes que soient les deux ques^
tions, elles n'en demeurent pas moins indépendantes Tune de Tautre,
en tant que h- concret est et sera toujours indépendant de fabstrait et
réciproquement.
Si jHnsiste à cet égard, c'est que MM. Evellin et Z. ont cru trouver,
dans le concept d'une droite transfinie» une contradiction dont ils ont
argué contre celui du nombre transfini, La contradiction existerait-elle,
Hs n'auraient, à mon sens, rien irjigné contre G. Cantor; la thèse que
j'ai soutenue, bonne ou mauvaise, ne peut ni confirmer ni compro-
mettre la sienne.
Quant aux argunienis, d'apparence mathématique, qui ont été mis
en avant pour faire n'ssortir la contradiction prétendue, j'aurais pré-
féré les passer sous silence, car je n'y puis voir qu'une ignoratio
elenchi; maiis, puisque j'ai été amené à les mentionner, j'aurais peut-
être mauvaise grâce i\ me dérober devant eux.
Que l'hypothèse des droites transfinies oblige à refaire toute la
théorie des triangles semblables (établie pour des droites finies), c'est
ce que Je ne puis voir; il est bien clair, par contre, que, puisqu'il n'y
a point de rapport fini entre une droite transfinie et une droite finie,
il y aurait lieu de refondre cette théorie pour les triangles à côtés
-transfinis; plus généralement, il faudrait même constituer la géométrie
<la transfini. Mais je n'ai pas à me charger d© celte tâche, dans laquelle
je ne vois, pour mon compte, pas plus d'intérât que de difijculté réelle;
J'ai le droit d'attendre que l'on me prouve Timpossibifité de conatituer
-<ett6 géométrie sans contradiction logique.
Quê^ dans un triangle ayant deux côtés transfinis et un côté fini, les
relations numériques valables entre côtés finis n'existent plus, ce n'est
-certainement pas là qu'on peut trouver un tel exemple de contradic-
tion* Kst-ce que les mèmei^ relations subsistent dans un triangle ayant
"^eux cotés finis et le troisième infiniment petit?
V a-t-il davantage contradiction à considérer l'angle compris entre
<«ieu3t côtés tranafinis et opposé à ^un côté finif Cet angle, disent
Evellin et Z., ne sera pas nul, et cependant il n'aura aucune tan-
i» Georg Canlof a èiè^ au n-ste, le premier à fain^ remarquer que ses coaç«p-
^Ifiçti concordaient avec la iJocirinQ Bcolaâtii]ue de T infini.
31K) REVUE PHILOSOPHIQUE
gentc trigonométriquc. Il est bien aisé de répondre que cet angle e(
sa tangente seront des quantités transfîniment petites.
Ceci dit pro domo mea^ permettez-moi, Monsieur et cher Directeur,
d'ajouter encore quelques mots au sujet de la polémique dont les idées
de G. Gantor viennent d'ôtrc l'objet dans la Revue, quinze ans aprèi
que j'ai essayé, le premier, de les faire connaître à vos lecteurs. Peut-
être cette polémique, pour ce qui concerne le transfîni, est-elle encore
prématurée. En fait, G. Gantor essaie (car il poursuit toujours ses tra-
vaux) de constituer un algorithme nouveau sans paraître se préoixuper
des applications qu'il peut recevoir, applications dont le domaine mathé-
matique est, je crois, bien reconnaissable d'avance pour les initiés, cl
comporte une démarcation spéciale. S'il parvient à abréger des
démonstrations de vérités connues et à faciliter l'invention de nooTelIef
vérités (sur les relations entre quantités finies), le transfini s'introduin
en mathématique, comme l'infiniment petit s'y est introduit, sans qa'il
ait besoin d'une justilication logique. Gelle-ci viendra après coup, et
résultera do la concordance entre la nouvelle méthode et les anciennes.
Si, au contraire, les travaux de G. Gantor n'aboutissent point à des
applications utiles, sa doctrine du transfmi sera condamnée à l'oubli,
comme tant d*autres essais, non moins ingénieux» d'ouvrir de noa-
vcllos voies en mathématiques.
H est, au eontrairc, une théorie géométrique moderne qui a déjà
complètement fait ses preuves, mais dont Timportancc au point de vue
philosophique n'a point, jusqu'à ce jour, attiré toute l'attention qu'elle
me semble mériter. G'est la théorie qui sert de base à la géométrie
projeetivi' > et dans laquelle le zéro et Tinfini ne sont que desTalenrs
numériques particulières, dont l'attribution à tel ou tel point de l'es-
pace est absolument arbitraire. IVaprès cela, Tinfini spatial appirait
eonime uni' eoneeption purement subjective, et l'existence du nombre
intlui aetuel nV>t ni plus ni moins discutable que celle de tout nombre
tiiii. NVst-ee point la peine d'éprouver sérieusement la légitimité de
pareilles eonel usions?
Veuillez, etc.
Paul Tanxery.
L'HYPNOTISME ET LA PSYCHOLOGIE MUSICALE
M. A 11 en lie Ki\ î;.ïs \ :ent de rendre un véritable service à la psycho-
loi:ie m piiMun; '.e iv^iv-j^to renvîu dexpêriences très curieuses qu'il*
eu la liiMi.u- :\'rM:.e /.e :a;re ?.ur un de ses ♦ sujets •. Une partie de cei
! N.-::- -V : > "^, paiîes 438-439.
L. DAURIAC. — l'hypnotisme ET LA PSYCHOLOGIE MUSICVLE 391
expériences iuléressera ceux qui prennent ou se laissent donner le
nom d'occultistes. On sait assez d'ailleurs que M. de Rochas s*est
depuis longtemps résigné à laisser sourire les incrédules.
Nous n'en sommes que plus à Taise pour dire tout l'intérêt dont est
digne la partie « psychologique » de son livre et tout le progrès que
peut en attendre la psychologie musicale, le jour où ses expériences,
reprises par d'autres, et sur d'autres sujets, auront amené des résultats
semblables.
Ce qu'est la psychologie musicale, chacun le sait ou le devine. Un
peu de réflexion, d'autre part, suffit à convaincre que tout art, s'il est
une source de plaisir, a une autre destination que de plaire. Si le rôle
80cial de la musique est de délasser ou de divertir, il est un genre d'ac-
tion social auquel ia musique a le droit de prétendre. L'expérience
prouve, qu'en de certaines conjonctures, la musique est un moyen de
faire vibrer les cœurs à l'unisson. Je rappelle la « métaphore » et que
le nom de métaphore lui est on ne peut plus indûment appliqué.
La musique est quelque chose de plus que « l'art de greffer des suc-
cessions sonores cohérentes sur des suites de simultanéités sonores
concordantes » ainsi qu'il nous est arrivé de l'écrire ailleurs. Qu'est-
elle? Un art d'exprimer des états d'âme du type affectif, ou émo-
' tionnel.
Voilà ce que nous aflirmons. Voudra-t-on nous faire crédit de la
preuve? D'autres, aussi bien, l'ont donnée avant nous. Voudra-t-on,
maintenant, se ressouvenir que, chez l'enfant, toute émotion aboutit à
un mouvement. L'enfant chez lequel un état affectif ne se traduit par
aucun geste est, ou médiocrement ému, ou trop bien élevé pour laisser
paraître ce qu'il éprouve. L'éducateur, que l'on y songe, est un maître
de modération, de concentration, de retenue. Avoir de bonnes manières,
c'est se montrer sobre de gestes. C'est quand on parle se tenir dans le
médium, à égale distance, si l'on peut ainsi dire, des sons aigus et des
sons graves. C'est encore, éviter les termes trop violents ou trop bru-
talement significatifs. Si l'on est ému et si l'on est de bonne compa-
gnie on laissera l'émotion s'écouler goutte à goutte, on trouvera, pour
l'exprimer, des termes bien choisis, mais soi-même, on restera impas-
sible.
On sait 1(îs effets de la bonne éducation. A force de comprimer elle
supprime, ce qui souvent, d'ailleurs, est un bien. Mais, à force de sup-
primer, elle dénature. Elle effiioe ces textes primitifs dont la lecture
s'apprend sans maître et qu'il suffisait de lire pour pénétrer dans une
&me d'homme. Il est, dès lors, un degré d'hypocrisie dont il faut, bon
gré mal gré, que toute bonne éducation se résigne à rester inséparable.
A cette conclusion, une autre s'ajoute. C'est que la psychologie musi-
cale a de grandes chances de rester longtemps « introspective ». Un
« vieux psychologue », seul, la pourra commencer. En effet — et c'est
ce qui a plaisamment centriste certain rédacteur de V Année Psycholo-
gique — nos études sur les fonctions musicales, publiées ici même^
393 REVUE PHILOSOPHIQUE
notre Psychologie dans VOpéra, tous ou presque tous nos articles de
critique, sont d'un « vieux psychologue ».
Ne nous attardons pas, des lors, à démontrer, ce qui est révidence
même : 1° que la psychologie subjective doit toujours précéder, 2* que
la psychologie expérimentale objective ne peut pas toujours suivre.
Aussi avons-nous longtemps pensé que nos recherches de psychologie
musicale exciteraient, même chez plus d*un bienveillant, ce genre d'in-
térêt bien connu que tout sceptique éprouve, quand il sait être à la fois
curieux et indulgent. Nous souhaitions, mais n'osions espérer davan-
tage. H nous arrivait parfois de regretter cette nécessité de recours aa
verbe à laquelle tant de gens se trouvent réduits, lorsque, se sentant
émus, ils veulent le faire savoir aux autres. On nous avait conté que
les pratiquants de l'hypnotisme excellaient à opérer de ces vivisections
mentales dont TcfTet le plus ordinaire et le plus inofTensif est d*aboIir
— momentanément — les résultats de la civilisation, de donner conjé
aux bonnes habitudes, de métamorphoser un sage en libertin, bref de
rendre aux émotions toute leur éloquence physique. Il suffisait donc
dVndormir un sujet, de lui faire entendre de la musique et d*observer
ses attitudes. Supposez ces attitudes assez précises pour être notées,
supposez-les en outre, dans leur précision, assez changeantes pour
correspondre aux variations de la phrase musicale; — ce n'est pu
tout encore, — supposez toute musique, non seulement la mufl'qne
d'opéra, mais ce qu'en Allemagne on appelle la a musique pure».b
musique sans parole, en état de produire des altérations ou dans h
physionomie ou dans les poses ou dans les mouvements des membrai,
vous n'êtes pas loin, j'imagine d'avoir démontré ce dont, pour notre
compte, nous sommes depuis longtemps convaincu, que l'art masic»!
a pour effet de susciter des émotions. La psychologie musicale n'est
décidément pas une science imaginaire. Nous en attestons les expé-
riences faites par nous sur le sujet mis en état d'hypnose par M. de
Rochas. Nous n'avons pas à les décrire, M. de Rochas s'en étant charç**
Disons seulement quelles sont les expériences auxquelles nous avoos
pris part, les soûles dont les conclusions engagent notre responsabilité
Ces expériences ont toutes le même caractère. Elles consistent, ptf
exemple, à provoquer une attitude de prière, puis à la faire suivre
d'une attitude belliqueuse, par le simple passage de la prière de U
Muette à la Marseillaise.
Ce sont là des morceaux connus. Le sujet était-il assez « endormi |
pour ne s'en point souvenir? N'y avait-il pas simulation? Pour parer*
cette objection, que nous n'avions point manqué de nous faire, nooi
avons souvent improvisé au piano des phrases musicales et détennin^
les attitudes jugées préalablement par nous conformes à ces gestes.
Une phrase musicale se compose d'une suite de notes; d'une »ui^
de rythmes; elle a son mouvement; elle a son timbre ; elle a sa mesure.
iSans varier la succession mélodique, faites varier, ou le timbre, oa 1»
mesure, ou le mouvement, ou le rythme, obtiendrez- vous des variatioot
dans les attitudes? L'hypothèse n'a rien d'invraisemblable, L*hypothèse
s'est réaliaée sous nos yeux. N'est-il pas naturel, en effet, que Texpres-
sion d'une phrase musïcak* prenne sasource dans le caractère expressif
propre à chacun de ses éléments?
Toutes ces choses j par nous abrégées, ^I , de Hochas les a dites. Même
ril les a tt montrées m puisque son livre contient un nombre assez
considérable de photographies. En supposant même quu le cas de son
« sujet » fût un cas tout a fait unique, son * unité a suflirait à justifier
le succès du livre.
Or, conveuons-en, le « sujet o eu question n*a point son pareil. Nul
ne l'égale pour la beauté des gestes, pour la soudaineté des attitudes,
^pour rextrôme mobilité de la physionomie, pour l'harmonie entre les
inouV( ments du corps etceuxdu visage. Toulefais, si d'autres sujets se
J'en contraient capables âv répondre aux excitations musicales par des
réactions motrices appropriét'S, quand bien même les réponses seraient
hésitantes ou gauches^ elles resteraient instructives. Le « sujet » de
M, de Rochas est précieux pour les psychologues et pour les artistes,
eintres, sculpteurs, comédiens. Nous connaissons d'autres sujets,
lus le m s à se mouvoir, et dans leurs mouvements d'une grâce dou-
etise, il n*rmporte. La question n'est pas de savoir si Ton parle avec
éloquence. Elle est de savoir si Ton parle avec exactitude. Qu'un sujet,
Sendant qu*on lui joue la Oerceuse de Reber, joigne ses bras, les arron-
jBse, et les balance en mesure et avec précaution ^ ainsi, dans le Pardon
mde /^/oerme/, la pauvn- folle Dinarah quand elle se figure bercer sa
phèvre, c'est là l*essentiel '. Que le même sujet, questionné sur ce qu'il
m voit • pendant qu*on exécute un morceau, se représeute une scène en
b>apport. avec celles dont b musique du morceau peut évoquer ï'image,
É 'expérience a de quoi satisfaire. Voici par exemple Lina ^ c'est le
^ujet dv M. de rioebas : — nous jouons la marche funèbre de la Juive*
t)n Tinterrogc, n Que voyeî-voU8? — Une procession, — Une proces'
loa gaie ou triste? u Elle ne répond pas din^ctemeut a ce qu'on lui
demande, mais elle nous dit qu'elle voit s'avancer des femmes vêtues
Qe blanc formant cortège. Au milieu du cortège, n Tune d'elles est
lElcfidue ]>, Ainsi, c'est bien une procession funèbre que voit le sujet, bien
^aHl soit incapable de la déJinir, Uy a là, entre parenthèses, un curieux
l^xemple de dissociation mentale, d'imagination opérant sans le con-
urs de rintelligencc.
Lié présent escemple met en évidence le pouvoir de la musique sur
iuiagi nation visuelle^ 11 peut advenir en effet que les réactions
olriees fassent défaut et qu*au lieu d*un « acteur w nous soyons en
résenee d'un *f spectateur a. Gela dépend des sujets, de leur degré
ititelHgence, de culture» de leur caractère normal» Un sujet dont la
É^lse en état d'hypnose abolirait toute mémoire serait incapable de
réagir, «tant, par cela même, incapable de percevoir et de comprendre,
t. Nous ne citons h litre d*exemple, que des f&il^ par noua constates.
TOMi L, — 1900. 26
394 REVUE PHILOSOPHIQUE
Les sujets soumis à nos expériences ont-ils tous réagi de la même
manière sous Tinfluence d'une même excitation musicale? A cela nous
avons presque déjà fait réponse. Et la réponse est négative. N'en
soyons point surpris. La musique n*a jamais passé pour un art d*imi-
tation. Or du moment où, n'imitant point, elle évoque ou suggère, il
est à prévoir que la nature des images ou des mouvements sera ea
raison composée de la nature de l'excitant et de celle du sujet. De
plus, et c'est un point digne de toute l'attention des psychologues, les
phénomènes de conscience échappent à la loi d'impénétrabilité, les
états affectifs peuvent se mêler les uns aux autres, non pas indifférem-
ment, mais selon certaines lois. La célèbre distinction de Tappétit iras^
cible et de l'appétit concupiscible, toute vieille et môme vieillie qu'elle
soit, n'est pas entièrement à rejeter, tant s'en faut. Mais que ces deux
appétits se réveillent simultanément sans se contrarier l'un l'autre, il
n'est nullement impossible, et l'expérience est loin d'y contredire.
L'amour et la haine tour à tour s'apaisent ou s'irritent. Cela revient!
reconnaître, en d'autres termes, qu'une passion, sans changer d'objet
ou plutôt de nature, peut changer de rythme. Et puisque le mot
ff rythme » vient de se rencontrer sous notre plume, demandons-nous
en passant si ces mots italiens, familiers à tous les musiciens prati-
quant tels q\i*ai)diiiUe. adugio, ayitato, largo ne s'appliqueraient pas
aussi bien à la langue des « mouvements de l'âme » qu'à celle d'oo
mouvement mélodique. Cette remarque faite, il est aisé d'établir pv
l'analyse musicale que d'une même phrase peut se dégager une double
impression, une impression d'amour ou de haine, d'une haine ou d'un
amour qui, selon les cas. s'abandonnent ou se compriment. Par exemple
dans lii célèbre phrase de Gounod :
Laisse-moi contempler ton visage..., etc.,
il entre de l'amour, de l'imploration, de l'impatience. Or un sujet en
état d'hypnose sera plus sensible à l'un de ces éléments qu'à l'autre,
la détachera et le mimera exclusivement. Ainsi s'expliquerait selon
nous la diversité des réactions motrices, à la condition bien entendu
que cette diversité n'allât point jusqu'à la contradiction. Un même
texte musical comporte plusieurs interprétations différentes : roaisces
interprétations ne sauraient être incompatibles. Il en est des états
affectifs de l'âme humaine comme des idées de Platon : elles sont sou-
mises à des lois d'attraction et de répulsion dont la connaissance est
l'objet même de la dialectique. Il est une autre dialectique que celle
des idées. Celle des états affectifs reste à faire. Elle aurait pour objet
l'étude comparée des phénomènes du type irascible et des états du
genre concupiscible. Elle se proposerait de rechercher quelles espèces
de chaque genre peuvent aller de pair, quelles autres se repoussent.
L'analyse des textes musicaux viendrait peut-être utilement en aide au
psychologue. Plus encore que de cette analyse, le psychologue profite-
L, DAUHIAC- — t 'hypnotisme ET LX tRYCHOLaGÏK MUSICALE 395
TSiit des expérîenfïes d'hypnotisme et de la diversité des attitudes pm-
Toquêes par la phrase musicale.
Mais ne nous enchantons point d'un eapoir dont, selon toute vrai-
semblance, la réalisation tardera, et sachons manquer de la témérité
'qu*il faudrait avoir pour annoncer Tentrée de la psychologie musicale
dans sa période objective. Ce jour n'est pas encore près de venir. Four
qu'il vtennot il nous paraît indispensable : 1* que la psychnlogie de
(1* hypnotisme soit avancée au point de ne plus laisser de doute sur letat
de sommeil des patients. Où est le critère de ce sommeil? Il en est
plusieurs que Ton invoque, mais on nL* s^entend pas sur leur valeur;
Ç^ que la valeur psychologique des attitudes corporelhïs soit fi^ée de
manière à diminuer les diverg^t'ocos dlnterprétalion, encore trop fré-
quentes h Theure actuelle et souvent irrcductibles : 3" que le nombre
des expériences dont nous avons esquissé la description se soit accru
et en même temps le nombre des observateurs, de telle sorte qu'ayant
été soumise h une critique préalable, ta signîiicatiou de ces expériences
ne puisse plus raisonnablement être révoquée en doute,
La psychologie musit:ale est donc une science dont le progrès ne
peut se faire que par le progrès d*autres sciences et celles-ci nous seni-
^►blent encore assez incertaines, sinon dans leur objet du moins dans leur
' méthode. Kt c'est pourquoi M. de Rochas a eu raison de ne pas attendre
pour publier son livre, que des temps meilleurs fussent arri^^tfs. Plus
courageux que nous, il a rompu un silence que noua avions, par excès
^d© scrupule, ju^-é prudent de garder. Grâces lui en soient rendues. Il
f ne serait pas bon que l'adage du droit romain U^siis /mus lestis nallus
f fut toujouFi^ pris au près de ta lettre. Le champ de nos ignorances s'en
trouverait démesurément a<?randi : après tout les u choses vues ^ étant
Je plus souvent choiiies qui, avant de se faire voir, se sont donné la
jkeine d^ètre, ont toujours quelque droit à être constatées.
Lionel DAuniAC,
REVUE CRITIQUE
LA PHILOSOPHIE D'AUGUSTE COMTE'
Ce n'est pas la première fois que M. Lévy Bruhl s'occupe du Posi-
tivisme et de son fondateur; déjà, en 1806, il avait fait à rKcole Nor-
male un cours sur le Comtisme dont le souvenir ne s^est pas efTacé
dans Tesprit des auditeurs; plus tard, en janvier 98, au moment où les
fidèles de la rue Monsieur-lc-Princc célébraient le centième anniver-
saire de la naissance du maître, il lui avait consacré, dans la Revue
des deux Mondes, un magistral article, et, plus récemment encoret
après avoir retrouvé parmi les papiers de Comte les lettres de Sluart
Mill, il a publié, avec une introduction, la correspondance complète
des deux philosophes. C'est assez dire qu'il est familier depuis long-
temps avec la philosophie positive qu'il nous expose anjourd'hui dans
un ouvrage d'ensemble.
Pour traiter le Comtisme, il avait le choix entre deux méthodes qu'il
a lui-même appréciées et comparées. <t II est dit-il, deux façons diffé-
rentes de concevoir l'histoire d'une doctrine. L'historien peut non
seulement se replacer exactement comme il le doit, dans lattitude
mentale du philosophe qu'il étudie, et repenser après lui ses idées
directrices, mais juger. encore comme lui de l'importance respective
des problèmes, sans se permettre de distinguer autrement que lui ce
qui est secondaire de ce qui est essentiel. L'<euvre historique prend
alors la forme d'une « monou'raphie » ou d'une « biographie intellec-
tuelle ». — Ou bien, tout en essayant de pénétrer au cœur du système,
afin de le saisir dans ses principes, l'historien peut néanmoins se
placer en dehors et au-dessus de lui, et tâcher de le situer dans l'évo-
lution générale de la philosophie. »
Appliquée ici, la première méthode conduirait à considérer le Cout«
de philosophie positive comme simplement préparatoire au système de
politique et à la religion de Thumunité. Comte pensait en effet, avec
do Miiistrc. Cousin, Chateaubriand et tous les philosophes de son
temps, que le grand problème posé par la Révolution était celui delà
réorganisation sociale, mais tandis que ses comtemporains abordaient
le problème de front et voulaient lui apporter des solutions immédiates,
il se distinguait d'eux par ce trait, qu'il voulait réorganiser les opi-
nions et les idéos avant de réorganiser les institutions qui, à son avis,
I. L. Lévy Bruhl. La Philosophie d'Auyuste Comte (Paris, F. Alcan, !900).
REVUE GRITiaUE. — LA l^Ilir.OSOrmE D*AUGÏÏSTE COMTE 397
en dépendent. — De là s^s six volumes de philosophie des sciancea,
son Cours de philosophie positive, t préambule indispensable » sans
doute, mais en Un ^ préambule » de son ceuvre totale et quUl convien-
drait de n'étudier que comme teL
M. Lévy Bruhl a préféré la seconde méthorîe. et c'était son droît
strict d'historien philosophe; il a donc exposé et apprécié le Com-
tismc objectivement, dans ce qu1l a de plus général et de plus durable,
et la conséquence logique de ce point de vue a été que la partie poli-
tique, celle que Tàutenr jugeait capitale, a été négligée ou laissée au
second plan^ puisque, de l'aveu de tous, elle constitue aujourd'hui la
partie la moins féconde et la plus caduque du sj^stêrae, — Au coti traire
ce qui a été étudié c'est la partie préliminaire^ le « préambule indis-
pensable d, cette philosophie des sciences que Comte estimait itiacces^
soire et qui constitue cependant le meilleur de sa doctrine,
n peut sembler, au premier nbord, qu'une étude executive d'après la
première méthode aurait des chances d'être plus vraie et plus vivante»
mais la vérité et la vie qu'on obtient ainsi sont individuelles, subjec-
tives^ plus intéressantes à coup sûr pour le psychologue que pour le
philosophe, et l'on peut en concevoir des formes plus générales et plus
philosophiques; c'est ce que fait >L Lévy Bruhl lorsqu'il étudie la
vérité et la vie impersonnelles des idées positives, leur rapport avec
Ja philosophie qui les précèfJe ou qui les suit, et qu'il imalyse le Gora-
tisnie non en lui même mais sous son aspect objectif.
Dans ces conditions, Comte, avec ea personnalité si bizarre, ses
rêves de mysticisme et de conquête sociale, sa politique de mégalo-
lîaane systématique^ va disparaître ici^ et c'est le philosophe seul qui
apparaîtra.
L*idée centrale du système, celle qui permet de transposer et de
résoudre d'une façon positive la plupart des problèmes insolubles
posés par la métaphysique et la théologie c*est, d'après M. Lévy Bruhl,
l'idée d'humanité.
Dans ce monde ou tout est relatif, il existe cependant pense Comte,
une réalité suprême dont l'idée est le principe d'une conception
ratiounelle du monde; cette réalité c*est Thumanité.
Dans Tordre théorique et objectif l'humanité est plus réelle que
l'homme, puisque l'individu eonsidéré isolémeut, indépendamment de
la société qui réalise ses aptitudes et développe toutes les fonctions de
son espriti n'est qu'une abstraction vide» une virtualité sans contenu.
Dans Tordre pratique et social, elle est un idéal auquel nous devons
surbordonner la vie végétative et la vie animale; de aorte que nous ne
sommes vraiment hommes que par notre participation naturelle ou
volontaire à Thumanité.
Cette • immense et éternelle unité sociale n a pour attributs easen-
.V.5» KEVIE PBlLOxJPfllvlE
:.f:!=ï .i -tol.daritf; dans le présent, et la coL.!::i-^:ê '«- g jr -*n.iî ic
Mr-i.*:::.';:.: >s in^Iividus et les peuples dur. :i=rz:f ZzZLZ't =■;•:: â...^-
Ci&.rer. :j*ai5 les L'^/nérâtions successives ccr.::-:^:.: l 'lzk Hthzr.
«y.xiwh c:.;itu:ie a sa participation déterminée dar,? La t-.* -t: .* pr -rrr*
le i':^p':Cf: hurfiainc; «-n fait, nous vivons tous ei. tl-i. pir rLi. s
notre cuiTure morale doit nous a:i;ener a vivre p -r -ê-Lt
Ces pririrjpes posé.':, nous allons voir se dêro.->T. :.-:r: ^^t piri:*
cJart'.'. j'-t philosopliic positive de Comte, et to=;i«rr c-:::.:ir* it^^
/rj'-mes bien des objections qui lui sont f .ites couranii.t'rLi.
Kt tout daboid. le problême pratique que Ir pirs-irrî-zz* ::;:
résoiidnî est 1-: problZ-me humain par excellence; :1 -i^t. ri. re-i-r^j-
lii^iint i«:.s oroyiinres, de donner à toute l'huma:. i:ê «.':-C-i'r::i*^r ',zz.\v
llK'ori'jiie, l'accord d«js intelliîrences, source de i"ur;::t: e: de !& <'^'^:.t
KOI -1 aie.
l/îinarchie mentale où nous vivons « la maladie CK!Lid*Li:iIe • '^t
pourrait, sans être mortelle, passer à l'état chronique ; & ;oc: pr*i.
nou"-: rjfîvons sortir de <f la grande crise »> et sauver la ^oc.tit i^
d'-.Hordre moral.
Or le reiiirdc consiste dans l'extension de la méthode positive â i.us
\*r. phirnoniùnes de ce monde.
C«: ffiii fait la division dos esprits en général, et l'incùbrrerice de
chaqui; esprit en particulier, c'est que l'homme qui traite avec a
fiM-ihode seienlifique les faits du monde physique traite encore arer
la ifiétiiodfi iiiétapliysiquc les faits du monde moral: tandis qu'il £«
conJenle là dVtablir des lois de successions entre les phenomcne*. ii
Hpéeii!<' u'\ sur Viwnv humaine, sur la lin que la société don se pr-
po *r, y.wv le meilleur î^ouvomement possible.
lintre res deux modes de penser, la conciliation L*st impossible. fl
d ailleurs h' second, le mode métaphysique, est définitivement eo:j-
diiiniié; il faut donc universaliser le mode positif, fonder ■ la physique
;j(M-i:ile »» enleviT ainsi tonte raison d'être à la théologie et ii la meta-
pliyiKjiie, j't réaliser par là mémo, l'unité de rentcndoment.
Or la loi (l(* (Ivnannciue sociale, la célèbre loi des trois états, qu«
('ointe parait avoir découverte dès 18*2*2, va lui permettre en mêsie
temps et de fonder la sociologie et d'universaliser la méthode p3?i-
( «Ile loi est la formule générale du progrès de l'intelligence humaioe.
(|iii i'\|»lh|in» d'abord les faits par des volontés divines, puis par de*
raii;4e:. ou divs puissances métaphysiques, et enfin par des faits aotê-
iHMin fiu par îles lois; et croinnie l'évolution intellectuelle est pour
( oiiih', la cause de toutes les autres, on conçoit que la loi des trois
ri al 1 Moii a ^^»n avis la «lynaniique sociale tout entière.
il II \i»lutiou était j)arfaite dans tous les ordres de phénomènes, si
11- jia- :ia-^e d«' re\plicati«)n tliéologiquc à l'explication positive séiaii
op«'ré pour toutes le-- sciences, le mode de penser positif serait universel
et runiii* iiitiMlcctuelle serait faite, mais l'évolution n'est pas faite, ou
REVUE CRITIQUE. — I.\ PBIL0S0PB1E D \IIGIISTÏ COMTR
399
I
du moins tîlle Test h des degrés divers, et il convient par conséquent
de faire la revue critique du savoir positif^ de classer les sciences
d'après leur complexité croissante et leur généralité décroissante, pour
dresser le bilan de ce qui, en chacune d'elles, est encore métaphysique
ou théologique.
D'où lîi classification des Bcieuces, préface nécessaire du Cours de
phitth^ophk': eïle va permettre à Comte d'exposer une théorie poai-
tiYe des six sciences fondamentales, de créer une sociologie, et de
fonder ainîîi l'unité du savoir humain.
MM. Reiiouvier et Max Mùller ont reproché à Comte d'avoir philo-
sophé sur les sciences, et fixé la méthode et la portile de chacune
d'elk'S^ sans avoir procédé à une critique préalable de la raison
humaine, et M. Max Millier dît expressément qu'il n'y a pas à tenir
compte d'une doctrine philosophique qui procède comme si la Critique
de la Raison pure n'avait pas été écrite. Mais ces critiques portent à
faux et M, Lévy Bruhi le montre fort bien.
La critique de la connaissance humaine, elle est Justement dans la
hiérarchie des sciences et dans la loi des trois états. Comte ne pou-
vait pas la faire par l'analyse de resprlt réfléchissant sur lui-même,
par ce qu'il conâiderait cette analyse comme impossible; il croyait
que s'abstraire du monde et de la vie sociale pour se regarder penser
c'était faire une tentative vame et quelque peu ridicule; il pensait que
les lois les plus générales de la raison devaient être découvertes comme
toutes les autres par Tobservalion des faits, et les faits ce sont ici les
sciences, résultats sociaux et humains de notre activité rationnelle.
La critique de la connaissance que réclament MM. Uenouvîer et
Max Miiller ne manque donc pas dans son système; elle y est imma-
nente, ou plutôt elle est faite non pas chez l'individu, mais dans Thuma-
:nité.
t FÀh' étudie, elle aussi, dit M. Lévy Bruhl, le « sujet universel »
^ont Kant a voulu déterminer les formes, les catégories et les prm-
^pes a priori. Mais ce sujet universel, ce n'est plus la raison se saisis-
<9tant elle-même en dehors et au-dessus, pour ainsi dire, des conditions
^u temps et de l'expérience; c'est l'esprit humain prenant conscience
^és lois de son activité par Tétude de son propre passé'- »
Au lieu de la raison impersonnelle, la philosophie positive analyse
A*histoire de rhumanitéf et^ transposant le problème, elle substitue
•.'étude historique et positive de la pensée humaine à l'étude méta-
hysique d'un moi absolu.
H en résulte une conception sociale et humaine de la relativité de !a
onnaissance qui pourrait paraître sceptique a des métaphysiciens et
ui est cependant aussi dogmatique qu'elle peut Tétre, puisque la
ociété, l'humanité, représentent la réaliti' suprême parmi les réalités
ï*elalives.
1. Page toà.
400 REVUE PHILOSOPHIQUE
Comte ne déduit pas la relativité d'une critique de notre faculté de
connaître, il la constate d'abord, comme un fait, et, par la loi sociale
des trois états, il montre que Thomme a commencé par chercher Tabsolo
pour en abandonner ensuite la poursuite, d*abord sous la forme théo-
lo)?ique, ensuite sous la forme métaphysique.
Puis à la science positive qui succède à la métaphysique, Comte se
garde bien d'attribuer une valeur définitive et immuable.
Sans doute la vérité dépend de notre constitution mentale qui se
développe, sans se transformer dans ses lig-nes essentielles, et, parla,
il semble bien que la relativité de la connaissance admette au moins
un point fixe comme centre, mais nos conceptions positives, notre
science, dépendent aussi de notre « situation » c'est-à-dire du point
mobile que nous occupons dans l'évolution intellectuelle de Thumanité;
nous ne pouvons s.ivoir dans un ordre donné de faits que ce qui est
compatible avec la philosophie généralement admise comme avec les
connaissances antérieures; il ne peut donc y avoir, même dans les
sciences les plus exactes, cette fixité que les métaphysiciens ont sup*
posée.
Il n'y a pas de vérité immuable; toutes les vérités sont provisoires,
ou plutôt elles sont relatives au reste des vérités admises aujourd'hui;
ce qu'on appelle vérité, c'est à chaque époque o la parfaite cohérence i
logique, ou l'accord de nos conceptions avec nos observations.
Ainsi conçut», la science relative, est-elle susceptible d'unité n*eut-
elle expliquer l'Univers par un même principe, réduire toutes les lois à
une même loi? Comte no le pense pas,
Il tient les diverst^s catégories de phénomènes, mathématiques,
physiques, chimiques, biologiques, comme irréductibles les unes aux
autres; il admet leur profonde hétérogénéité.
Et ce qui est vrai des phénomènes lui parait aussi vrai des lois;
chaque ordre de phénomènes a, d'après lui, ses lois spéciales outre
celles qui résultent de ses connexions avec les phénomènes inférieurs
et moins compliqués.
La philosophie positive renoncera donc à toute synthèse objective
de l'Univers, elle se bornera, dans ses plus hautes généralisations à
établir des lois encyclopédiques, c'est-à-dire des lois comme 1» loi
d'inertie, ou la loi de l'action et de la réaction qui, se retrouvant dans
les divers ordres de faits, nous montrent que ces faits irréductibles
sont néanmoins harmoniques entre eux.
La véritable synthèse, la seule que l'homme puisse établir, c'est
une synthèse sociale des connaissances, une organisation des sciences
dont la sociologie fournira les principes et le but, et cette synthèse ce
sera la philosophie des sciences spéciales telle qu'Auguste Comte 1'»
exposée dans son Cours.
REVUE GRITiaUE. — LA PHILOSOPHIE d'aUGUSTE COMTE 401
Je ne puis songer, dans les limites de ce simple compte rendu, à
suivre M. Lévy Bruhl dans les différents chapitres qu'il consacre à la
philosophie des mathématiques, de Tastronomie, de la physique et de
la chimie. Ce sont là des questions qu'il traite avec son ordinaire
pénétration, mais que je ne pourrais aborder sans entrer dans des
détails un peu longs et des considérations un peu spéciales.
Je me bornerai donc à parler de la philosophie générale des sciences
et de la philosophie spéciale des deux sciences les plus complexes de
de la série positive, celles-là justement sur lesquelles Comte a parti-
culièrement insisté, la biologie et la sociologie.
Comte, ayant exclu la métaphysique de la connaissance humaine,
ne pouvait en aucune façon disserter, dans sa philosophie des sciences,
sur les questions comme le temps, le mouvement, la matière, l'es-
pace, etc., que les savants spécialisés n'examinent pas. Il ne pouvait
concevoir qu'une philosophie relative comme les sciences, homogène
avec elles, et c'est bien là ce qu'il a fait. S'il y a philosophie et non
plus science, proprement dite, ce n'est pas que l'objet ait changé,
c*est tout simplement que le point de vue du détail, et que l'esprit
positif, de spécial qu'il était, devient universel.
Encore ce caractère d'universalité ne doit-il pas être pris au sens ou
le prenait Kant qui y voyait le signe distinctif de Va priori; Comte
appelle universelle toute connaissance qui, restant relative, conditionne
les autres dans l'ordre de la généralité. Des lors, la philosophie des
sciences peut s'établir « par une vue à la fois synthétique et une de
toutes les sciences où se coordonnent les objets qu'elles étudient, les lois
qu*elle découvrent, les méthodes qu'elles emploient et les fins qu'elles
doivent poursuivre. »
Or cette vue synthétique et une, la sociologie, la science de l'humanité
peut seule nous la donner, parce que seule elle nous permet de sub-
stituer la conception de l'ensemble à celle du détail.
" Tout d'abord, dans l'ordre statique, et par ce seul fait qu'elle est
créée comme science positive, elle manifeste l'unité de la méthode
positive, rhomojLîénéité du savoir humain.
Puis le sociologue, considérant les sciences comme de grands faits
sociaux, embrasse la hiérarchie des sciences fondamentales écarte, ce
qui reste encore de métaphysique ou de théologique dans les plus
complexes d'entre elles, voit la communauté de leurs méthodes fon-
damentales, étend à chacune d'elles les artifices logiques qui n'étaient
primitivement propres qu'à Tune ou à l'autre, et c'est ainsi qu'il
représente réellement l'esprit d'ensemble qui, dans #la langue de
Comte, est synonyme de gouvernement.
Dans l'ordre dynamique, c'est encore la sociologie qui la synthétise
puisque c'est vers elle que convergent les sciences plus simples. —
c La mathématique, écrit M. Lévy Bruhl, et les autres sciences fonda-
403 REVUK PHILOSOPHIQUE
mentales, excepté la sociologie, sont préliminaires. Celle-ci est finale.
Chacune des sciences préliminaires doit ôtre cultivée seulement dans
la mesure nécessaire pour que la suivante puisse à son tour prendre
la forme positive ' ».
Au point de vue statique comme au point de vue dynamique, c'est
donc la science de l'humanité qui synthétise, totalise et organisée
savoir humain, en faisant prédominer sans cesse les conceptions uni-
verselles sur les conceptions de détail, et c'est pourquoi, même en
faisant abstraction coifimo M. Lévy Bruhl, de la politique et de la reli-
gion d'Auguste Comte, on peut considérer déjà Tidée d'humanité
comme le centre de sa philosophie théorique.
Mais deux sciences surtout, parmi les six sciences fondamentales,
sont ou renouvelées ou complètement créées, de ce point de vue social
et humain, c'est la biologie dans sa partie psychologique, et la socio-
logie.
C'est une opinion très répandue qu'Auguste Comte n'a pas fait de
psychologie, et qu'il a môme contesté, comme illusoire, la premièredei
méthodes psychologiques, l'observation interne. D'où beaucoup de
protestations et de critiques parmi les contemporains contre cette phi-
losophie incomplète qui néglige tout le monde de la pensée BubjectJre
et nie, contre toute évidence, que l'esprit humain puisse se connaître
par introspection.
M. Lévy Hrulil, après avoir rapporté cette interprétation courante
de la pensée de Comte, montre ce qu'elle contient d'erroné. Sans doute
Comte ne fait pas de psychologie, si l'on entend par ce mot la science
de l'âme, mais il en fait au contraire, et avec beaucoup d'oriiriualiiP'
si on entend par psycholoiric « la science qui cherche les lois des
phénomènes sensibles, intellectuels et moraux chez l'homme et chex
l'animal ».
D'autre part il ne nie pas que nous soj'otis informés par la ^'
science de l'existence des phénomènes psychiques, — qui pourrait oi^
cela?— Ce qu'il regarde comme impossible, c'est d'étudier l'activitéde
la pensée par le moyen do la réilexion, c'est de découvrir les loisdel»
pensée losrique, les méthodes scicnti tiques, par Tobservation interne.
Si au lieu de rechercher les méthodes scientifîques, on veut étudiff
les phénomènes psychiques on général, l'observation interne devient
possible, mais, même alors, elle ne saisit qu'un être irréel, abstrait,
métapliysique, l'individu humain, sans pouvoir démêler en luiceq**
est vraiment universel et humain.
De là résulte, pour Comte, la nécessité de substituer à la méthow
subjective dos psychologues une méthode objective où le psycholog^^
étudiera les lois de la pensée et du sentiment dans rhistoire scienli*
I. Kvo 2ii0.
I
HEVUE CHITiaUE. — U riIlLOSOPHlE d'âcgcste gûmte 403
fîquè et sooiat@ de l'humunlté; c'est ainsi qu'il marquera b courbe qui
â Tait passer l^esprit ïiumain de rexplication thcologique à l'explica*
tiôn positive, le progrès croissant de l'altruisme, et c*est également
amsi qu'il ooanaîtra, par leurs manifestations sociales, les dilTérenles
• fonctiotis intellectuelles et affectives de Thomme,
Et qu*on ne dise pas que cest là restaurer, sous le nom nouveau
d'observation sociale, Tanciemie observation externe telle que les phi-
losophes lont toujours pratiquée. — Non; celle-ci s'en distinirue pro-
fondtVment, par^e qu'au lieu d'étudier les fonlions Ijumaines, dans leurs
_ manifestations actuelles, ce qui conduirait torcênient à des conclusions
■ absolues, elles les étudie dans Thistoire, elle en décrit les transforma-
ÙOns passées, comme elle en prévoit les transformations futures* ce
*îui amène le psychologue à des conclusions excessivement positives,
parce que relatives*
Sur la Un de sa vie Comte employé même, pour caractériser cotte
éthode, un mot qui, bien compris, Téclaire singulièrement. Il l'appela
jubjeetive a et par là il n'entendait nullement qu'elle Gondnût à la
ode, si souvent condamnée par lui, de V* Cousin ou de Jouffroy;
-voulait simplement dire que c'était la méthode que rhumanité
eji3;ployait pour se regarder penser et évoluer; objectivo par rapport
k 1.* individu, cette méthode redevenait subjective par rapport à la réa*
ît^ suprême dont l'individu n'est qu'un élément; l'histoire n'était,
ÏA^^acecas, que l'introspection de rHumanité,
CH^ n comprend, sans peine» après cette conception sociale de la
^3^«^*hologie et des sciences en générai, que la sociologie ait été la clef
^ "^^oùte du système et, pour employer Texpression de Comte, la science
a<3 w*ée. C'est en effet la science même de l'humanité,
^^^tte science ne se déduit pas, comme Cabanis et Gall ont pu le
^^ 1. re, de la biologie,
^^* d n'existait que des sociétés animales, cette déduction serait peut-
*"*"^2^ possible, puisque la vie sociale rudimentaire que nous constatons
'^ les animaux est sous la dépendance stricte de leurs fonctions,
* ^ la société humaine exclut toute tentative de ce genre; c'est en
— % la vie sociale, la participation à Thumanité, qui a développé d'une
n si extraordinaire nos facultés intellectuelles et morales, et ce
jloppement, la biologie ne sufdt plus à l'atteindre,
^^ doit donc y avoir une sociologie, comme il y a une biologie, une
^^^liématique, et celte sociologie emploiera, en même tomp« que les
^^ arides communes à toutes les sciences, observation, comparai-
*-^ «. etc., une méthode qui lui sera propre, la méthode historique, ou
ï>erchc des lois qui régissent le développement social de notre
ce.
^is si, par la méthode bistoriqut\ on veut marquer l*encbâînc<ment
phénomènes sociaux, comme toutes les classes de ces phénomènes
«veloppent en même temps et réagissent les unes sur les autres,
«ciologue ne devra aborder aucune d'elles « sans avoir d'abord
404 lŒVUE PHILOSOPHIQUE
conçu d'une manière générale la progression de rensemble ». Il devra
donc se proposer avant tout « de concevoir, dans sa plus grande géné-
ralité, le développement de Tespèce humaine, c'est-à-dire d'observer et
d'enchaîner entre eux les progrès les plus importants quelle a faits
successivement dans les principales directions différentes ».
« Ces principales directions différentes, écrit M. Lévy Bruhl, corres-
pondant à C(> que Comte a appelé plus tard a les séries sociales. iH
désigne par là les groupes de phénomènes sociaux disposés pour une
étude seicntitiquc. Une fois ces groupes formés, la sociologie cherche
à déterminer, d'après l'ensemble des faits historiques, l'accroissement
continu de chaque disposition ou faculté ph^'sique, morale, intelle^
tuelle ou politique, combiné avec le décroissement indélini de la dis-
position ou faculté opposée, par exemple la tendance de la société
humaine à passer de la forme guerrière à la forme industrielle, de U
.religion révélée à la religion démontrée, etc. »
Ajoutons, pour en iinir avec ces généralités, que cette science de
riiumanitc doit être contrôlée sans cesse par une théorie positive et
biologique de la nature humaine, que l'évolution sociale peut déve-
lopper ou restreindre certaines fonctions, mais non les créer ex nihilo
ou les anéantir, et que toutes les dispositions humaines que rhistoire
révélera devront se trouver en germe dans le type humain tel que 1»
biologie le construit et le définit.
Dans la sociologie ainsi conçue Comte distinguer une statique et une
dynamique sociales.
On comprend niai d'ordinaire ces deux termes, parce qu'on perd de
vue l'idée d'une humanité unique, et qu'on veut les appliquer à telles
et telles sociétés spéciales.
Sans doute, en biologie, la statique étudie les organes et la dyna-
mique la vie; c'est à peu de chose près ce que nous appelons aujour-
d'hui l'anatomie et la physiologit» animales, mais si nous \ouIons trans-
poser ces idées en sociologie, nous ne devons pas nous borner à dire
que la statique étudit» la structure d'une société particulière et la dyna-
mique sa vie. En réalité, c'est de l'humanité toute entière qu'il s'agit,
et la statique; étudie les conditions d'existence, les éléments nécessaires
de l'organisme humain, comme la dynamique étudie les lois de son
évolution à travers h's âges.
C'est ainsi que sous hr nom de statique, Comte étudiera la faTnill«î,
élément social ultime, le mariage, la coopération sociale, le rôledn
gouvernement, et qu'il marquera plus étroitement, peut-être, quedans
la siati(iue bioloLrique Tidée dominante d'un consensus des éléments,
et c'est encore ain.si que, sous le nom de dynamique, il étudiera le
mouvement nécessaire et continu dt; Thumanité ou, si Ton préfère, le
progrès. Mais l'idée du proirrès n'est pas chez lui, comme chez les évo-
lutionnistes, l'idée d'une transformation infinie ou indéfinie. Il en revient
encore ici, à son principe favori que la nature humaine est invariable
dans son fond, et que h; progrès ne peut ni le développer indéfiniment
REVUE CRITiaUE. — IK FHÎtOSlîï^HIE B'AtîCUSTE COMTE 403
ni le changer; cosi ainsi, pour citer un exemple, que la prépondérance
tdes instincts égoïstes sur les instincts altruistes est essentielle à notre
nature, et» que si le progrès favorise le ^ développement des senti-
ments altmistefl, il ne peut cependant renverser réquilibre naturel de
nos inclinaljona », G'i^st donc un progrès qui se meut entre deux
limites llxes^ quelque chose d'analogue non à l'évolution de Spencer
, mats au mouvement d'Aristote qui fait passer la puissance a Tacte
PdaDs chaque hiérarchie de matière et de forme. Comte la détinit très
bien « une marche sociale vers un terme défini, quoique jamais atteint^
par une série d'étapes nécessairement déterminùes ^k
La loi d<33 trois états étant la loi de la dynamique sociale est par là
môme li loi fondaraentile du progrès^ et c'est olle qui introduit quel-
qu'unité dans Tincohérenco de l'histoire; elle exprime elle-même non
une transformation de Tintelligenfe humaine, de Eiotre faculté de con*
H naître, qui ne change pas plus dans sa nature que nos instincts, mais
^ les différentes étapes par lesquelles cette intellig^ence est passée dans
son interprétation du monde; et comme, daprca Auguste Comte, l'évo-
■ lution des idées est la cause de toutes les autres évolutions, on com-
H prend, sans peine, qu'il ait pris l'évolution de llntelligence, e>st-à-dire
H des sciences et des philosophies, comme tt fil conducteur ** de sa philo-
■ sophie de Thistoire,
H Enfin à ces vues théoriques sur les si_\ sciences fondamentales
\ M, Lévy Bruhl ajoute un exposé de la morale de Comte qu*iî est obligé
Ide construire, Comte n'ayant pas consacré de chapitre spécial à ce
genre d'études.
Cette morale est plutôt un art qu'une science; elle revient à se
demander : les lois des phénomènes moraux, tels que Tégoisme^ Tal-
truisme, les passions de toute nature, étant supposées connues, quel
serait le meilleur emploi du pouvoir que Vhomme a de modifier ces
phénomènes?
kEt la réponse» on peut la prévoir d'après tout ce que nous connais-
sons déjà des théories de Comte sur Thumanité. L'homme devra faire,
^utaitÈ que possible^ prévaloir les instincts sympathique^ sur les
Impulsions égoïstes a la sociabilité sur lu personnalité * rîiumanité
6ur l'individu.
Mais quelles raisons le détermineront à faire ainsi prévaloir Tat-
truisme sur l'égoisme, et en dérinilive à sacrifier ci la personnalité à la
tvoeiabilité d If
Ces raisons, Comte ne les donne pas expressément h propos de
tnorale, mais il les exprime cependant à propos de sociologie, de psy-
«^hologie^ et toutes les fois qu'il expose sa conception de l'humanité.
ï^our lui, nous le savons déjà, rindividu, être irréel et vain, ne devient
«-éellement lui-même, ne réalise pleinement sa nature que par sa par-
ticipation de plus en plus complète à rhumaiiité.
0*esl de rhumanité passée, c'est-à-dire de la vie sociale qui a pré-
^lédé le notre^ que nous tenons tout ce qu'il y a de bon, de précieux
406 REVUE PHILOSOPHIQUE
et d'humain en nous. C'est en Thumanité présente que nous dévelop-
pons toutes les fonctions de notre esprit et toutes les facultés de notre
cœur, et c*est enfin rhumanité qui, en perpétuant notre mémoire cm
en oubliant notre nom, nous donnera la seule sanction positive dont
elle dispose.
LMdée d*humanité est donc le principe de la morale de Comte, et
elle y introduit lo même relativisme que dans la philosophie des
sciences et la conception de la véritu. L*espècc humaine n*a pas tou-
jours eu, en effet, une égale aptitude à comprendre une loi morale;
tout au plus peut-on dire qu'avec le temps cette aptitude devient plus
grande.
Puis nous dépendons, comme espèce, d'un très grand nombre de
conditions naturelles, astronomiques, physiques, biologiques, sociolo-
giques; si ces conditions étaient modifiées, la morale pourrait Tétre
aussi. Le bien est donc relatif, comme le vrai, et à notre situation dans
le temps, et à notre organisation.
C'est toujours, dans l'ordre pratique, comme dans l'ordre théoriqae,
la même synthèse qui s'opère autour de la réalité la plus géncnle,
cette humanité que Comte devait plus tard appeler le Grand Être eC
prendre pour objet de son culte religieux. « C'est donc en l'idée d'hu-
manité, comme en leur centre, écrit M. Lévy Bruhl, que convergentles
idées scicntiliques, sociales et religieuses d'Auguste Comte. Si cette
convergence est parfaite, son œuvre est accomplie. L'anarchie mentale
et morale est dès à présent guérie, l'anarchie politique et religieuse w
disparaître. L'unité sera rétablie partout. »
Telle est, dans ses grandes lignes, la philosophie objective de Comte,
interprétée par M. Lévy Bruhl, et je me hâte d'ajouter que je ne con-
nais pas, dans toute la littérature positiviste, une interprétation do
Comtismc aussi exacte et aussi profonde que la sienne.
On est habitué, chez nous, à juger de loin le Comtisme, qu'on ne
connaît guère d'ailleurs qu'à travers le livre inintelligent et malhon-
nête de Littré.
La plus grande partie du public, ne prenant dans la doctrine qw
ce qu'elle a de négatif, y voit seulement la négation de l'absolu divin
ou métaphysique, et cette opinion est si répandue qu'il suffit à bien
des gens de ne pas croire en Dieu et d'être ignorants de toute philo-
sophie, pour se déclarer positivistes.
Parmi les professionnels de la philosophie, on entre davantage dans
le Comtisrne, et on en connaît au moins la loi des trois états; maison
lui reproche d'être incomplet, de ne pas avoir de psychologie, de
théorie de la connaissance, et on le dédaigne en somme sous le pré-
texte qu'il a passé sans les résoudre ou sans les voir à côté des difli-
cultes théoriques que nul philosophe n'a le droit d'ignorer.
REVUE CHITiaUE, — r.A PHlLOSOpiliK DAUCCSTE COMTE
407
Après le livre de M. Lévy Bruhl, nous seriona désormais sans
eiECuses si noiis continuions à proTesser sur la philasophle de Comle
une opinion aussi injuste.
En réalité le Positivisme, tel que son fondateur l'a conçu, est un
système difficile et complexe qui n'igore pas les questions essentiellea
de toute philosophie, mais qui les transpose et qui les résout d'un
point de vue social et humain; il contient une psychologie; une
logique, une morale; pour les comprendre et même pour les trouver^
on doit seulement se dire que Comte n'étudie pas Thomme par analyse
«ubjeetîve impossible à ses yeux, mais qu'il procède au contraire
Objc^ctivement par l'analyse historique de Thumanité, du Grand ICtre,
plus réel, à son avis, que l'individu.
On ptîut ïividemment contester îe principe, mais il importe d'abord
de le bien voir, pour comprendre le caractère de la transposition
opérée.
Ainsi congu, on ne peut plus dire que Comte réfute la théologie ou
la niêtaphysique; et on peut encore moins soutenir qu'il les incorpore à
son système; il procède simplement d*un autre principe^ et traduit en
langage positif et sociologique les problèmes philosophiques ot leurs
solutions.
Pour lui» l'idée de T Univers devient Tidée du monde; Tidée d*une
providence devient Tidée d'une sociologie pratique et tutélaire, lldée
de theu devient Tidée du (irand Être, l' immortalité devient la &urvi-
van ce dans la mémofre de Thumanité*
Elt c'est ainsi que toutes les questions métaphysiques ou théoto-
l^iques, aussi bien que les questions de haute logique, se retrouvent
febejî Comte, mais transposées, exprimées en termes nouveaux.
Que sous la forme nouvelle qu'il leur donne les solutions de Comte
soient inattaquables, M. Lévy Bruhl ne songe nullement à le prétendre»
mais il se contente de les expliquer, de les mettre à leur place dans
le progrès des idées, sans les discuter ou tes réfuter.
Il a voulu en effet faire seulement œuvre d'historien, et U sVst
acquitté de sa tache avec une pénétration, une originalité, une clarté
dont je n'espère pas avoir donné une idée par ces quelques pages.
Par son ceuvre. Comte apparaîtra dorénavant comme le trtis grand
philosophe qull a été, c'est-à-dire comme un penseur compréhensif
et complexe qui n'a ni Ignoré ni éludé les problèmes inhérents à toute
philosophie, mais qui les a au contraire nettement posés et nettement
résolus du point de vue si personnel et si profond où il se plaçait» celui
la soctologie et de Thumanité.
G. Dumas-
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
I. — Biologie.
Paul Busquet. — Les êthes vivants; onGANiSATiox-ÉvoLLTïOs.
Paris, Carré et Naud, iSOU.
Cet ouvrage est Texposé d'une théorie, destinée à combattre les par-
tisans de la théorie cellulaire et à développer des arguments en faveur
d'une doctrine qui, reconnaissant pour origines plus ou moins vagues
et lointaines la théorie des molécules organiques de DuCTon (1749-18U4).
celle des unités physiologiques de Spencer (186i), celle des cremmuiefl
de Darwin (Ch.) (1868), celle des plastidules de Maggi (1874), Erhberg
(1874), Hœckel (1870), celle des microzymas de Bcchamp (1875), se
réclame des idées de Kiinstler (I88i) sur la structure sphèrulaire;]»
sphérules sont constituées par une portion périphérique (protoplas-
mique) plus réfringente qui entoure du protoplasme central plus riche
en eaux et souvent granuleux; elles sont accolées et ont une auto-
nomie plus ou moins nette. Morphologiquement parlant la sphênile
est l'élément primitif distinct. La cellule au point de vue morpholo-
gique ne répond, selon M. Husquet, à rien de précis. Il le proclame
pour la raison qu'aucune des parties de la cellule ne lui donne une
valeur individuelle, ne la caractérise; la conception cellulaire, selon
les idées de Tauteur, n'est fondée que sur un fait secondaire, la struc-
ture de la membrane d enveloppe que le protoplasme secrète, mais
cette membrane d'enveloppe est une production consécutive destinée
au soutènement des parties, essentiellement variable selon le rôle
qu'elle a à remplir; les )inijaux dont théoriquement il doit n'exister
qu'un seul par cellule, se trouvent parfois en plus grand nombre dans
une même cellule, ils varient selon l'état des organes et peuvent
môme disparaître (dans les hématies par exemple). Le protoplasme est
constitué par des séries de petits éléments plus ou moins globuleux
qui sont tantôt accoles par leurs parois (protoplasme consistant), tantôt
séparés les uns des autres et circulent dans un liquide particulier pins
ou moins visqueux et dû peut-être à leurs sécrétions (protoplasme
fluide); il ne s'agit pas d'un phénomùne de dégénérescence ou de séni-
lité : ces corpuscules visibles dans les tissus bien vivants sont suscep-
tibles de s'accroitre et de se reproduire. La cellule ne constitue pas
forcément une unité morphologique parce qu'elle correspond à une
unité physiologique (le noyau présiderait aux fonctions de la vie végé-
tative, à la reproduction, le protoplasme tiendrait sous sa dépendance
ANALYSES. — P. BUSQUET. Les êtres vivants, 409
immédiate celles de relation, de sensibilité, de mouvement : énergide
de Sachs).
Ces considérations ont pour résultat d'amener l'auteur à rejeter la
théorie coloniale de la constitution dos êtres vivants. Les êtres vivants
ne sont point (sauf exceptions constatées parmi les Tuniciers, les
Cœlentérés) des colonies ou agrégats de cellules; ils constituent en
dépit de leur aspect des individualités réelles. Si l'on veut qu'un être
vivant soit une colonie d'individus, ces individus sont en voie de
genèse, non de régression organique : les êtres vont en se compliquant
régulièrement ainsi que les organes; au principe de concentration
centripète des organismes dans un tout nouveau, où ils perdent leur
individualité propre, Tauteur substitue celui de la dilatation ou disso-
ciation centrifuge; l'individualité n'est pas pour lui une propriété pri-
mitive, mais au contraire acquise ou consécutive ; les fonctions rudi-
roentaires tendent à se servir plus spécialement de certaines parties
qui leur sont pour des raisons diverses et d'abord peu accentuées plus
favorables; cette sorte d'indication du travail aboutit à la spécialisa-
tion des organes (ainsi chez les êtres à axe longitudinal le rôle que
joue la partie antérieure amène une spécialisation de cette partie ').
Par une sorte de souvenir évolutif, par des propriétés héréditaires
communes les nouvelles formations; organes, éléments ou êtres auto-
nomes, tendent à reproduire les principaux traits de l'organisation des
êtres souches sans y parvenir. La descendance des êtres est ou directe
(c'est la progression lente, le perfectionnement des groupes existants
et limités ou des types pris séparément), ou bien c'est Tindividualisa-
tion de parties ou de régions d'êtres préexistants. Ou c'est la trans-
formation directe d'une forme en une autre plus perfectionnée ou
c'est la métamorphose partielle d'une partie considérable. C'est la
notion de leur origine qui permettra de rapprocher les êtres non pas
celle de leur équivalence morphologique.
La métamérie n'est que l'expression d'une tendance universelle à la
répétition, les métamères étant primitivement de simples régions d'un
corps divisé, sont des parties primitivement dissemblables qui se sont
régularisées plus tard.
Partout unité morphologique de l'être; tendance puissante à la répé-
tition des parties ou des organes en même temps quindividualisation
consécutive et secondaire des parties ainsi répétées. Tous les animaux
tendent à se fragmenter plus ou moins et à développer ensuite cer-
taines des parties aux dépens des autrei^ qui restent ce qu'elles étaient
ou bien régressent et s'atrophient.
Entre les êtres cellulaires à plusieurs noyaux et les êtres muUicellu-
1. En résumé nous constaterons dans Télude du processus des chanf/emptils
(Taxes variés, des mutations constantes d'or(/anes, phénomènes rappelant des
espèces de déplacement de vitalité d'une région vers une autre, des sortes
(Vepigenèses ou acquisitions nouvelles d'organes nécessaires à une vie autonome
et corrélativement des éliminations successives, V. Busquet, p. 85 et suivantes.)
TOMB L.— 1900. 27
410 HKVUE PHILOSOPHIQUE
laires il n y a qu*unc complication due au développement de cloisons
plus ou moins complètes délimitant des segments à un seul noyau.
L'auteur passe en revue la série animale et présente des arguments
destinés à étayer sa théorie. J'In ce qui concerne les vertébrés, il con-
clut en disant que les prévertébrés ont les mémos organes fondamen-
taux que les vertébrés, que les ancêtres des vertébrés n'étaient pas
segmentés, que leur segmentation n'est pas de même nature que celle
des annclides. M. liusquet consacre quelques pages à démontrer que
r étude de l'œuf, de son évolution, de sa segmentation, rinvaginalion.
la production de feuillets blastodermiques, témoignent en faveur de
Tunité organique et non do la conception coloniale ou polyzoique des
êtres. Il rejette, bien entendu, la doctrine de la spécificité cellulaire
au sujet de laquelle il analyse particulièrement les idées de Bard.
Pour M. Busquet les groupes réellement distincts ne proviennent
pas les uns des autres, comme le veut le transformisme. Il signale la
rareté des formes de transition fournis par la paléontologie. C'est dans
les groupes inférieurs non dans les groupes différenciés qui sont des
types terniinns, que résident les liens de parenté entre les divers
embranchements. Ce ne sont pas toujours les êtres que leur structure
semble le plus rapprocher qui sont les plus voisins; il n'y a souvent
que des résultantes d'arrangements en série qui ne fournissent qu'une
parenté fausse et toute apparente '. D'ailleurs dit l'auteur, ni la sélec-
tion, ni l'adaptation se peuvent expliquer les particularités de struc-
ture des êtres qui sont dus à des productions spontanées. Parmi les
êtres inférieurs d'une organisation également développée, ce sont ceui
qui présentent des portions dilïéronciées qui forment souche; ces
types n()U\eaux soumis aux influences du milieu peuvent varitt
(sélection, adaptation) mais leur puissance de transformation n'est pas
illimitée; ils l'orment des êtres nouveaux par des procédés analogues
à C('ux qui les ont produits; sans cela les variations atteignent unlt-rnif
ultime, puis survient l'arrêt, suivi de la décadence ou non. Les typ»^
bien défini.'* qui constituent le règne animal sont à pou près tousdi*?
groupes toinn}i.n..<, ineapablrs de st' transformer ultérieuremoni l'n
qui'liiue chns»' de bien distinct.
Va\ résumé sous l'inlluenei» d'un processus dû à di-s forces inconnues
(d'ordr»' vraisemblabh-nicnt physico-ehimiquej, tendance générale cl
univi'isclle dt» la matière vivante à la prolifération ou répétition des
parties semblables, puis fragmentations de plus en plus abondantes
(les partii's ainsi constituées. Les parties d'ètro ou d'organes pro-
I. Il IIP p:\rnil i».is impo^siblod'at.liueltreqirune forme, actiiellcmenl cnpri'grès.
ait ou lin am-i'-lrv iiniikMliat i]iii ait présenté une période de régression... U e»l
(lifliciliî irailuptr-r Ti^lée de rexisliMicc d'une .«érie prog^ressivement ascendante
ou \t\ox\ lie comparer U) rèj^^ne auiuial ù un arbre dont les extrémités terminales
seraient cuu^titures i)ar les forints les plus pcrfeclionnôes... Ce sont les formes
les moins diirércncifes <pii sont le point de d «'part des groupes zoolo^*iques. el
non N's form«.'s d'une orKani^ation élevée <.|ui sont des Formes terminus iBusquel.
p. iTO-lIT).
ANALYSES. — P. BALLiox. La mort chez les animaux. 411
duites n'ont jamais au début de valeur primordiale fixe et constante;
elles prennent peu à peu des caractères propres et se difTérencient soit
BOUS Tiniluence d'agents extérieurs, soit par le fait de causes internes
ou propriétés ataviques d'évolution qui leur font récupérer plus ou
moins complètement les particularités de structure caractérisant Tètre
souche. L'individualité d'une partie peut amener la disparition ou
régression du reste du corps. Les animaux supérieurs ne sont que des
portions d'êtres plus inférieurs, portions agrandies ou mdividualisées
par une sorte d'épigénoscî, puis séparées, et ceci avec le mémo axe ou
avec un axe différent. Il arrive que chez les êtres les plus élevés Tindi-
vidualisation d'une partie * ne s'accomplisse qu'après que cotte partie
est adaptée à son rôle nouveau et qu'elle a acquis des organes en rap-
port avec les propriétés ataviques.
Je regrette de ne pouvoir citer entièrement les conclusions de
M. Husquel; elles ne peuvent que susciter d'utiles controverses.
D"" Laupts.
D*" P. Ballion. — La mort chez les anlmaux. Imprimerie Constant;
Bazas, 1900, un vol. in-8**, 79 pages.
En 189'*», M. le D*^ Ballion a donné une seconde édition de son travail
sur L'instinct de la Propreté chez /<?« ca7îtmaux(1891j,dont M. Espinas
disait : a II renferme des faits nombreux, puises «à de bonnes sources,
heureusement interprétés presque toujours et rattachés sans elïort à
une loi )?énérale ». Pouri«uivant ses études de psychologie animale, le
môme auteur a entrepris de faire connaître « Tétat mental des ani-
maux en face de la mort », soit de la mort imminente pour eux, soit
de la mort survenue chez un de leurs pareils ou chez un être d'une
autre espèce.
Gondillac, Bichat, Charles Bell, estimaient que l'animal ne saurait
avoir le sentiment de la mort. Schopenhauer affirme que l'animal
« éprouve la crainte de la mort sans pourtant la connaitre ». M. Féré
prétend qu'à moins de tares nerveuses « la notion de la mort manque
même chez les enfants jusqu'à un âge assez avancé ». M. le Dr Ballion
constate d'abord que les bétes distinguent la proie vivante de la proie
morte ou mourante; puis il donne certaines manifestations des oiseaux,
en particulier des corneilles, celles des bourdons, des fourmis, en pré-
sence d'un des leurs ayant succombé, comme des preuves d'un senti-
ment particulier provoqué par la mort. On sait que les chiens semblent
très affectés delà disparition de leur maitre et parfois ne lui survivent
pas. a Les animaux expriment de mille façons la crainte qu'ils ont de
la mort violente... Le bruit du tonnerre fait trembler la plupart des
1. Les parties dilTérenciées se constituent de manières fort diverses : ici par
division, là par bourRconnement ou encore par différenciation pure et simple,
mais malgré cette nécessité apparente le processus est général, Busquel, p. 180.
412 HEVUE PHILOSOPIIIQUE
bêtes... Les rats abandonnent, dit-on, les maisons qui menacent ruine...
Les animaux les plus hardis tremblent à rapproche du lion ». (p. tf6-38^
« Exposés à une mort imminente, les animaux souvent par leurattitude
et le jeu de leur physionomie semblent demander grâce »; les rumi-
nants surtout ont un regard tout à fait expressif quand ils sont
menacés de mort ; le cerf aux abois pleure et Tours aussi, parait-il.
Sentant leur lin venir, beaucoup d'animaux se retirent à Técart.
Dans la mort naturelle, les bétes montrent comme de la résignation.
L'auteur incline à admettre chez Tanimal une sorte d' « euthanasie >
(p. G 1-00), comparable «à celle de Thomme sage; il croit à « des senti*
ments affectueux, susceptibles d'inspirer aux botes le mépris de la mort
et de les disposer à tous les pacri lices » (p. 73), comme il admet chez
les animaux, et en particulier chez les abeilles (p. 25), un meurtre
volontaire,* revêtant les caractères d'une exécution judiciaire d, une
« mise à mort réiléchie, légale, pour ainsi dire ».
La question intéressante au point de vue psychologique ne nous
paraît pas bien mise en lumière. Ce qu'il nous importerait de savoir,
c'est s'il existe chez les animaux des manifestations plus ou moins
nettes d'une notion abstraite de la mort. La bête distingue le mort do
vivant; en présence du mort il se conduit tout autrement; mais c'est
que les données de ses sens sont tout autres: tantôt l'immobilité, tantôt
l'odeur produisent en lui des émotions désagréables. Quand il donne
la mort, il imagine sans doute l'état dans lequel il va mettre son
adversaire, son ennemi ; mais a-t-il une image générique des êtres
morts? Dire qu'il a peur du tonnerre n'est pas prouver qu'il a l'idccde
la destruction par la foudre.
Nous eussions donc désiré que M. le D»" Hallion apportât, arec
l'érudition dont il fait preuve, des indications plus nettes sur le point
qui est le plus controversé : dans quelle mesure et de quelle manière
l'animal conçoit-il la mort, ce phénomène dont l'imagination des
hommes a fait souvent un objet d'épouvante? tS*il a une image géné-
rique de la mort, il doit manifester une émotion à pou près identique,
une émotion générique pour ainsi dire, en présence des ditTérents cas
de mort : cette émotion eût dû être recherchée.
G. L. DUPRAT.
II. — Psychologie normale.
Julius Pikler. — Das GnuNDdESETz allés neuro-psvchischen Lebens
(Leipzig, Harth, 1000. 1 vol. in-S'^, "25 4 pages. Prix : 8 marks).
Cette étude est l'œuvre d'un sociologue qui a cherché a donner
pour base psycho-physiologique au « déterminisme économique » des
faits sociaux (>< matérialisme historique »), le déterminisme des faits
psychiques par la « vie végétative ».
ANALYSES. — J. PiKLEiL Das GrundgesetZy etc. 413
« L'essence des phénomènes neuro-psychiques, dit-il, ne consiste
pas dans la transmission du mouvement d'une portion à une autre
portion de la substance nerveuse, bien que ce soit là qu'on recherche
d'habitude : elle est dans l'enchaînement ou l'opposition des mouve-
ments divers, et dans leur résultante, au sein de la môme portion du
système nerveux. Tous les états de conscience.... sont pour ainsi dire
la perception immédiate de mouvements moléculaires. »
Mais qu'est-ce qui détermine la direction de ces mouvements? Il n'y
a pas de relation directe, anatomique, entre les nerfs sensitifs et les
nerfs moteurs qui fournissent les réponses appropriées à certaines
excitations. Tant que l'on ignorera comment et pourquoi tels muscles
réagissent à telles sensations ou impressions, on ne pourra faire de
progrès sérieux en psychologie. Les associations fonctionnelles de
certaines parties du système moteur et de certaines parties du sys-
tème sensitif ne sont pas dues à l'exercice et à l'habitude, comme on le
dit généralement : il y a des le premier moment sélection entre plu-
sieurs réponses possibles. Cette sélection ne peut s'expliquer que si
l'on tient compte du a travail de réaction », de la résistance rencontrée
par un centre nerveux, qui ne meut tel muscle ou groupe do muscles
que parce qu'il se trouve précisément présenter la moindre résistance.
C'est donc le principe mécanique de la moindre résistance qui est à la
base de l'explication cherchée (p. 3-42).
il faut ajouter que tous les mouvements de l'être vivant ont pour
objet d'écarter tout obstacle aux processus vitaux, il y a lieu de dis-
tinguer les mouvements constjants de la vie végétative, qui ont une
finalité originelle, des mouvements passagers de la vie de relation et
de la vie mentale, réponses à des excitations externes. Parmi ceux-ci
sont seuls conservés et développés ceux qui favorisent les premiers
ou s'accordent avec eux (p. 42-117).
Toutes les fonctions mentales se rattachent donc à la vie végétative.
L'expérience n'est que la prise de consci(;nce des modifications intro-
duites d'une façon continue dans le cours ininterrompu des processus
nerveux qui est à la base de la vie végétative (p. 1G7).
« L'activité de l'esprit et la vie végétative ne sont qu'un seul et
même processus... Le même mouvement nerveux fondamental engendre
la circulation, la respiration, la pensée et l'action volontaire » (p. 105-
100). La volonté, qui est d'une explication si difficile pour la psycho-
logie associationniste, « est cette force primitive, prémentale...; et
comme le plaisir et la douleur, l'attention et la pensée, elle n'est qu'une
résultante du mouvement constant de la vie végétative » (p. 109).
La psychologie a donc eu tort jusqu'à ce jour de ne pas assigner à
cette vie inférieure le rôle qui lui convient (p. 142). Quant à la nature
foncière du mouvement nerveux qui constitue la base de tant de phé-
nomènes, M. Pikler la rapproche de celle' d'un dégagement d'énergie
résultant d'une décomposition chimique; et il signale en terminant les
analogies de l'activité neuro-psychique et de l'induction galvanique.
414 REVUE PHILOSOPHIQUE
s II est impossible, dit-il, de ne pas voir entre ces deux ordres de faite
une communauté de nature. »
G. L. DUPRAT.
J. Uschakoff. — Das Localisationsgesetz. Eine psychophysiolo-
fjischp rntcrsuchu7}g (Leipzig, Otto llarrassowitz, 1900, l vol. in-8".
X'O.") pages).
L'auleur s'est proposé a d'étudier les rapports les plus généraux des
localisât ions cérébrales avec les faits psychiques et les mouvemcnte
chez rhonimo » (p. ;i'J). Mais il a réservé pour une prochaine publica-
tion Totude des localisations cérébrales chez les animaux supérieurs,
dc« rapports que ces localisations, corticales ou sous-corticales, 'ont
outre elles et avec les diverses sortes de faits psychiques, d'intensité
et de qualité différentes ip. iîr)). Les trois chapitres qui constituent la
présente publication répondent simplement à celte question : « Peut-
on établir des localisations cérébrales distinctes, en partie ou totale
ment, correspondant aux fonctions ou groupes de fonctions mentales
en partie ou totalement dissemblables? » (p. 52). Toutefois M. Uschakoff
formuie dès maintenant sa « loi de localisation » en ces termes un peu
abrégés :
A, Les psyo homes * sensoriels ou les mouvements volontaires, plus
ou moins qualitativement dilTérents, qui se produisent à différeote
moments chez le même individu, dépendent de lacti vite de groupes de
neurones pins ou moins distincts, les psychomes tout à fait disparates
reposant sur l'activité de com plexus corticaux tout à fait distincts.
B. Les perceptions ou idées et les mouvements volontaires qualita-
tivement semblables correspondent à l'activité du même groupe de
neurones corticaux ou du moins de neurones pour la plupart identi-
ques p. ;j'.»-iO .
l..\ partie la plus intéressante du travail est assurément le deuxième
chapitre dans lequel sont exposées, avec une louable érudition, les résul-
tats lies ie«.'herches ps>cho-physiologiques et anatomo-patbologiques
ou V.isti'lOiTijues de ces cinquante dernières années (p. -iSUl").
M;:nk et FlochsiiT afiirment l'existence de régions corticales dii-
li-uto-î pour les di:Té:e:.îes classes de sensations: mais la plupart des
.\u::v> .iv.ieur- tendent à les réunir en une seule AVundt, Huffding.
J,»!v.os. JvhH. KM>;n,-!:aus, Sachs . En ce qui concerne la distinction
tv iH^-...yV...;:ie de> 7ones :::o:r:ce? et des zones sensorielles, m^m*
..'.vc. i.tLivie. James, Tlechs j, K^binirhaus. Tigerstaedt unissent étroite-
:v.c-.-.: ':e vU^:r.a:"c des se::sa::orîs or-:.in:ques et celui des fonctions
y.\:r:io>. :r.a:> V".ev:-.> ^r es::r.:e que '.es innei^~ations motrices partent
a;;s<. : uv. .^.:e v'.i' !a jo.-.e r.:o:r:oe de tous îes autres poînis de l'écorce
î: les auteurs admettent que les pa^
cf ;-e:.
-:< ;â.-.s »it cozscieace de tout** sorlei.
ANALYSES. — J. usciiAKOFF. Das Localisationsgesetz. 418
ties corticales correspondant à la même classe de fonctions forment un
tout fonctionnel, ont une unité synthétique » (p. 56).
Les physiologistes et les médecins ont cherché à localiser non seule-
ment les principales fonctions psychiques prises dans leur ensemble,
< mais encore des fonctions particulières ou des groupes restreints de
fonctions psychiques pris dans une classe déterminée ». Parfois ils
ont admis (Munk chez les singes et les chiens, Wernicke, Charcot et
Wilbrand chez Thomme) une « projection », dans la région visuelle
corticale, des deux champs rétiniens. James reconnaît a qu'il y a une
correspondance entre certaines régions du cerveau et certaines parties
du corps, bien que les divers éléments d'une partie du corps ne soient
représentés dans le cerveau que tous pris ensemble ». De nombreux
aut#urs semblent de plus en plus disposés à admettre des localisations
distinctes pour les sensations, les perceptions, les souvenirs et même
les concepts.
Wilbrand suppose deux centres cérébraux distincts pour les opéra-
tions visuelles, l'un pour les perceptions, Tautre pour les souvenirs
optiques. J. Ward les conçoit comme appartenant à la même circonvo-
lution, maisfonctionnellement distincts. Si Wernicke, Richet, Stricker,
Lissauer, Sachs, Hlrth, Charcot ont prétendu que les centres senso-
riels et les centres des souvenirs ne sont pas différents, Broadbent,
Kussmaul, Charcot, Ballet et Grasset admettent un centre idéationnel
séparé. Exner, Charcot, Pitres, Wundt et Bastian ont parlé d'un
centre graphique et de divers centres du langage articulé. L'avis
général est donc qu'il y a des groupes distincts de neurones corres-
pondant à certaines fonctions ou à certains groupes de fonctions
psychiques (p. 75).
Mais ne faut-il pas aller plus loin et reconnaître à chaque fibre ner-
veuse ou à chaque nerf sinon une « énergie spécifique », du moins
une aptitude fonctionnelle spéciale, acquise, correspondant à un élé-
ment psychique déterminé ? Spencer a prétendu « qu'en quelque région
que ce soit du cerveau, chaque fibre peut être regardée comme ayant
un office particulier » ; et d'après Exner « deux sensations sont sembla-
bles quand au moins une partie des éléments cérébraux excités dans
les deux cas est la même ». Wundt, Flechsig, Ross, W. James n'ad-
mettent pas que le même neurone soit sensitif et moteur. Il semble
conforme à la majorité des opinions scientifiques de supposer que
chaque neurone engagé dans un processus psycho-physiologique con-
court pour une part déterminée à la production d'un élément psychique
fixe, et que son concours est nécessaire à la production du a psychome »
qui comprend cet élément.
Toutefois, M. UschakofT sent bien que les travaux des physiologistes
et des médecins n'apportent pas une confirmation suffisante à sa
théorie. « En ce qui concerne la communauté ou la distinction des
neurones aucune donnée sûre ne résulte des investigations scientifi-
ques jusqu'à ce jour... On n'a aucune indication positive de l'identité
416 KEVUE PHILOSOPHIQUE
du neurone agissant dans le cas de deux psychomes semblables >•
(p. 118-110).
Ce que la science ne lui fournit pas, l'auteur le demande au raison-
nement. Par exemple, c'est h des considérations sur les phénomènes
de la mémoire et de Thabitude qu'il doit « l'argument le plus fort en
faveur d'une localisation corticale distincte pour des fonctions senso-
rielles et motrices qualitativement différentes » (p. 113). Nous ne con-
testons pas à M. Uschakoff le droit de recourir à des c arguments
théoriques » et nous reconnaissons que ses raisonnements semblent
judicieux; mais ne vaudrait-il pas mieux quelques bonnes observa-
tions anatomo-pathologiques, quelques faits histologiques bien établis
pour donner à la « loi de localisation » une certitude qui lui manque
encore, malgré son apparente valeur scientifique? Du reste* il nous
faut attendre la publication de la quatrième partie de ce travail pour
juger de l'importance des preuves apportées par M. Uschakoff.
G. L. DUPRAT.
Rudolf Mûller. — Naturwissenschaftliche Sbelenforschuxc.
lll"" Hand. Will, Hypnose, Zweck; Leipzig, Arwcd Strauch. —1 vol.
in S", p. :ie:)-60«.
La conception d'une « énergie psjxhique », d'ailleurs indéfmissabje,
domine l'étude de M. Rudolf Millier. Dans un premier volume, il a
traité les principales questions de la psychologie générale : questions
de méthodologie, loi du devenir conscient au point de vue de la cau-
salité et de la finalité. Dans le deuxième, il a étudié la conscience nor-
male, la perception et le sentiment. Dans le troisième il a intercalé
entre des divsçussions et assertions plutôt d'ordre métaphysique que^
ques vues sur les notions d'espace et de temps, le jugement, la raison,
la volonté, la liberté, le sommeil, le rêve, la suggestion et l'hypnose.
Il termine par l'esquisse d'une « morale naturaliste » dont nousdcvoas
tout d'abord donner le principe afin de renseigner le lecteur sur
Torientation philosophique de l'auteur : « Du moment où la cause pre-
mière de toute existence subjective est reconnue être Vénergiep^t
chiqun, comme l'a montré notre étude scientifique (?) de l'âme..., 'outl«
devenir cosmique nous apparaît comme un immense processus de
transformation des aspects de la force objective en formes del'énerg»
psychique... Ce but de l'évolution universelle nousindique celui de notre
vie... L'homme doit donc hâter la réalisation de la fin proposée ai
monde... et c'est pourquoi il doit diriger sa volonté consciente dans le
sens d'un altruisme progressif», ou d'un « égoïsme humanitaire. »nH)tir
de tous les peuples de la terre », succédant à « régoîsme familial ■<!'*''
grâce à Tinstinct do reproduction, a chassé Tégoîsme individuel.-
[Cf. pp. 58i-5'.lU.J
L'éiierL'ie psychique joue le même rôle d'un bout à l'autre duli^"
dos qu'une difliculté se présente, elle est résolue par un appel*''*
ANALYSES. — R. MiiLLER. Natiirwissenschaftliche Seelenf. 417
cause fondamentale de toute vie consciente et inconsciente, essence
impérissable, indépendante de l'espace et du temps », (qui sont les
« conditions » de tous les phénomènes, non des formes, mais des con-
ceptions à priori se rattachant à « rcnchaînement causai des énergies
naturelles données à notre conscience comme faits en rapport avec
nous-mème » (p. 35"2-371). Il y a des connexions de toutes sortes entre
la nature physique et la nature psycholoj^ique, et des connexions de
ces connexions, qui constituent « la causalité de notre monde de phé-
nomènes » (p. 371-395).
Rien d'intéressant sur le concept, l'entendement, le jugement et le
raisonnement (p. 400-408). Sur l'acte volontaire un exposé fort confus
du rôle de la sensibilité et des excitations externes dans la production
des actions musculaires. « La formation des idées volontaires est con-
ditionnée par la direction que prend le courant d'énergie psychique en
voie de développement » (p. 412). « L'acte volontaire dépend de la
préparation des appareils sensoriels à la réception des excitations,
préparation elle-même consécutive à l'attention, qui est déterminée
par la direction de l'énergie psychique (p. 415). « L'exercice volontaire
des muscles a deux fondements : l'un subjectif ou émotionnel et l'autre
objectif ou intellectuel, le premier dépendant des processus vitaux, le
second des excitations dont les processus d'énergies externes sont les
causes » (p. 416).
Transportant la question de la liberté sur le terrain de l'imputabilité,
l'auteur considère comme « responsable celui qui est capable de pré-
voir les conséquences objectives et subjectives de ses actes et dont le
cerveau fonctionne normalement » (p. 47 î).
Le sommeil est l'effet d'une diminution d'activité subjective (p. 479).
Le rêve est l'activité consciente sans action musculaire volontaire
fp« 485). Comme il est impossible sans le fonctionnement du cerveau,
8on étude fait partie de celle de la conscience normale (p. 496). Mais
on ne connaît pas bien sa nature intime, puisqu'on ignore celle de
i'énergie psychique (p. '^'Ib). De même on ignore les causes de l'hypnose
^t de la suggestion et on n'en donne que des définitions bien impar-
faites tant qu'on méconnaît les principes de la causalité consciente
^P- 511). Les théories de Liébeault, Bernheim, Benedikt, Schundikunz,
J*net, Forel, Moll, Freud, Lehmann, Wundt, Lipps, Hirsch, Vogt, etc.,
^^ï* la suggestion, sont rapidement passées en revue. Les explications
^u Ont données de l'hypnose les médecins de 1* « PJcole de Nancy » et
®®^Xde r « Ecole de Paris » sont opposées comme étant les unes de
ï^ature plutôt psychologique, les autres de nature plutôt physiologique :
®*les sont conciliées par celte considération que les deux ordres de
P*^énomènes ont même cause : Ténergie psychique (p. 529). Toutefois
*^ypnose est tenue pour autre chose que le sommeil normal (p. 531).
*-*ea états d'hypnose plus ou moins profonde sont bien décrits et
^^nienés à : 1° la léthargie, 2" la catalepsie, 3*^ le somnambulisme,
*** « rHypnotisohen-lIcUsehen » qui « se distingue par une aptitude
418 REVUE PHlLOSUPIilQLE
à avoir des représentations de choses dont à Vétat de veille on ne
reçoit pas d'excitations sensorielles » (p. 519-p. 580).
On peut demander au livre de M. Rudolf Millier d^utiles renseigne-
ments, mais il n'y faut point chercher une théorie nouvelle vraiment
intéressante.
G. L. DUPRAT.
Sydney Alrutz. — Studien aufdem Gebiete der Temperatursinne.
II. Die HiTZEEMPFiNDUNG (« ^kandin. Archiv f. physiol. », vol. X, p. 340-
35-2. Veit. Leipzig, 1900).
Dans cette courte étude l'auteur expose les résultats d'expériences
faites au laboratoire de physiologie de Tuniversité d*Upsala sur les
points ou aires du sens thermique, en vue d'établir une distinction
entre la sensation de chaleur (Warmecmpfindung) et la sensation
d'ardeur brûlante (Ilitzeempfindung). Celle-ci n'est pas douloureuse
par elle-même, elle ne présente pas des degrés variables comme
celle-là; a elle n'est en aucune façon une sensation de chaleur portée
à un très haut degré » (p. iVi')); mais elle est le résultat de la fusion
intime d'une impression de froid et d'une impression de chaud pro-
duites presque simultanément en un même point de la peau fp. 349/.
Les travaux de Lehmann et de v. Frey ont établi l'existence de cer-
tains points de la peau où des objets, portés à une température même
très élevée H- 40 à i5° C. d'après v. Frey, + 70 à 100» C. d'après Alruti;,
produisent une sensation de froid dite « paradoxale ». Cette sensation
est sans doute celle qui s'unit à l'impression normale de chaleur pour
engendrer une sensation d'un nouvel ordre.
G. L. DUPRAT.
Miss Washburn Shinn : Notes on thb Development of a child.
(Part I, 1893; Part H, l^îi'i : Part III, 1890), pp. U\, Published by the
University of California, Berkeley.
Le; livre de Preyer reste le type des monographies consacrées au
développement d'un nouveau-né : à quelques écarts près, c'est son
plan que Miss Shinn a suivi pour nous faire l'histoire de sa nièce durant
SCS trois premières années. Deux premiers fascicules sont consacrés à
l'étude dos sensations; le troisième et dernier, à lui seul plus long que
les doux précédents réunis, étudie l'organisation et l'éducation des
niouvomonts : c'est la meilleure partie de ce travail de patiente et
minutieuse observation.
La lecture de Preyer et Tiedemann nous porte tout naturellement
à considérer l'histoire de leurs fils comme le type du développement
de l'enfant : mais lîaldwin avait déjà rappelé efTcctivement que ses
observations ne concordent pas toujours avec celles de ses devanciers:
Miss .Shinn le démontre à nouveau en rapportant mainte observation
ANALYSES. — w. SHINN. Notes 011 the development ofachild. 419
qui contredit celles de ses prédécesseurs ou plutôt établit que le déve-
loppement n'est pas le même chez tous les enfants. Ainsi elle n'a pas
constaté chez sa nièce l'asymétrie visuelle que Freyer note aux pre-
miers jours; le développement du sens des couleurs s'est aussi montré
diflérent ; enfin il ne semble pas que l'enfant ait pris conscience de la
distance en se rendant compte de ce qui se passe en lui-même, en éten-
dant le bras : Miss Shinn croit au contraire que l'idée de l'espace se
forme d'abord grâce à des sensations visuelles : cette idée apparut en
effet peu après que l'enfant s'était montrée particulièrement attentive
à suivre les changements de forme et de dimensions des objets qu'on
lui éloignait ou rapprochait.
Les pages qui suivent traitent de l'évolution de l'audition, et de son
rôle dans la formation du langage, où interviennent d'abord la simple
imitation, puis la spontanéité inventive qui se fait soi- môme des chants
et du verbe avant de se plier au langage de son entourage : sur tous
ces points l'auteur diffère peu de ses prédécesseurs.
Mais en ce qui concerne les sens inférieurs, les observations de M. S.
l'ont conduite «à des conclusions assez opposées à l'opinion courante
pour qu'on y insiste. Loin de se développer les premiers, à la base, le
goût, l'odorat, etc., n'apparaîtraient au contraire qu'après les sens
supérieurs de la vue et de l'ouïe. Cette conclusion s'appuie sur l'époque
des premières sensations olfactives, etc., apparition fort tardive,
d*après les observations de Miss Shinn. Cependant il est d'observation
courante que le nouveau-né paraît vite sensible aux odeurs, et recon-
nait assez celles de sa mère ou sa nourrice : quant à la sensibilité à
la douleur, elle se manifeste dès la vie utérine, à toute impression
désagréable, fut-elle passagère : et dans les expulsions avant terme,
nombre de mouvements adaptés se manifestent dès le quatrième ou
cinquième mois de la vie utérine.
D'ailleurs Miss S. a bien noté que la première apparition d'une sensa.
tion peut se produire plusieurs jours avant l'établissement définitif et
régulier de cette sensation : cette sorte d'anticipation, qu'elle a plusieurs
fois observée, reste encore inexpliquée.
L'apparition des mouvements, et sans doute aussi l'exercice du sens
musculaire, étant ainsi antérieurs à la naissance, on n'en peut donc
saisir l'origine réelle. Mais les observations de Miss S. montrent bien
comment dès la naissance, les mouvements volontaires et coordonnés
s'installent à mesure que les mouvements incoordonnés leur cèdent la
place. Dès la deuxième semaine commence l'inhibition des mouve-
ments grimaçants du visage et des yeux : et les mouvements volon-
taires de la tête datent du moment où l'enfant parvient à fixer son
regard. Dès la fin du premier mois, les mouvements coordonnés appa-
raissent aux jambes : aux bras dès le milieu du second : et l'enfant,
cependant, s'intéresse de plus en plus à éprouver ses sensations.
Les sensations organiques et les efforts qu'elles provoquent pour une
adaptation de plus en plus intelligente ont été très attentivement et
4:20 REVUE PHILOSOPHIQUE
très finement notées : il en faut dire autant des observations sur le
sommeil de l'enfant et des lambeaux de phrases qui manifestaient avec
évidence qu'il rêvait au début de la troisième année et sans doute
depuis quelque temps. Knfln il faut attentivement lire et comparer aux
pages de Baldwin toute la suite des observations sur racquisition, par
Tenfant, de la station assise, puis debout, et eniin de la marche, de la
montée et de la descente des escaliers, du saut, etc., li y a là, de la
pan du jeune enfant, toute une série d'acquisitions obtenues par de
patients ciTorts, par une adaptation méthodique, lente et bien conduite:
rien de meilleur pour nous renseigner sur leducation musculaire:
psychologues et médecins auraient grand profit à revenir constam-
ment aux études de ce genre, lorqu'ils abordent la question de ce seos
dont Maine de Biran, en suivant Cabanis, avait bien vu le rôle capital.
Le livre de Miss Shinn (à qui Ton pourrait seulement reprocher de
trop peu rapprocher des siennes les observations de ses prédéces-
seurs) est donc une importante contribution non seulement à la
psychologie de l'enfant, mais aussi à la psychologie, laquelle, eu de^
nière analyse, lui emprunte peut-être plus qu'elle ne lui donne. Ea
effet, les facultés de Tenfant n'apparaissent plus aujourd'hui comme
une simple réduction de celles de l'adulte; mais, en réalité, comme
une préparation : d'où la nécessité de les étudier directement pour
bien voir comme elles se forment,
D*" Jean Philippe.
G. Dwelshauvers. Nouvelles notes de Psychologie expérimentale
(Extrait de la Revue de Tuniversité de Bruxelles, t. IV, 18'JU, p. ^'J.)
M. 1). s'est proposé ce que déjà plusieurs psychologues ont tenté:
faire la monographie d'une ou plusieurs personnes en leur appliquant
quelques-uns des procédés actuels d'anthropométrie mentale.
!:?on idée directrice est que chaque sujet donne sa note personnelle:
d'où résulte qu'il ne faut pas tirer les moyennes d^expériences psycho-
logiques comme ferait un physicien opérant sur des données abstraites
ou sur des éléments triés d'avance. Nos chiffres traduisent des faits
complexes et vivants, et le simple temps de réaction lui-même a son
individualité : il est réel et vivant, non abstrait. On s'est trop hâté de
traiter la psychologie comme une mathématique.
Ces vues sont à peine indiquées, et nous le regrettons d*autant plus
que nous avons aussi constaté souvent et signalé les inconvénients de
la méthode critiquée.
Ceci posé, M. D. étudie les temps de réaction, Tattention et la mémoire;
cherchant toujours la caractéristique individuelle de ses sujets. C'est,
en effet, à quoi devrait aboutir la psychologie individuelle pour ébau-
cher une classiiication des personnes dont l'étude fait Tobjet delà
psychologie. Mais pourquoi n'avoir pas poussé la méthode jusqu'au
bout, en nous montrant, par exemple, ce qui caractérise l'attention
ANALYSES. — L. Dt'PRAT. Les causes sociales de la folie. 421
ou la mémoire d'un sujet dont les réactions appartiennent au type
moteur.
D"^ Jean Philippe.
III. — Psychologie pathologique.
G.-Li. Duprat. — Les causes sociales de, la folie, in-12, 202 p.;
Alcan, 1900.
Plein d'aperçus intéressants, agréable et facile à lire, ce livre appelle
Tattention sur beaucoup de points qu'on ne saurait trop méditer. On
ne doit pas s'attendre à trouver, en si peu d'espace, une étude appro-
fondie d'une question aussi vaste et aussi difficile.
L'auteur signale les problèmes plutôt qu'il ne les discute. Il réussit
a convaincre son lecteur que le milieu social peut bien avoir quelque
influence sur la folie, mais sans déterminer en quoi consiste cette
influence, comment et dans quelles limites elle s'exerce. La folie peut
être le résultat de la dégénérescence, c'est-à-dire de l'hérédité; or le
mariage^ phénomène social, a une influence sur l'hérédité et par suite
sur la folie. Les excès de toute sorte, alcoolisme, surmenage intellec-
tuel, surmenage professionnel, etc., peuvent engendrer la folie chez
les sujets sains, la développer chez les prédisposés; or ces excès ont
des causes sociales, notamment l'àpreté de la lutte pour la vie dans
les sociétés les plus civilisées; ce sont donc là des causes sociales de
la folie.
On pourrait observer que, dans ces exemples, la cause prochaine de
la folie est organique; les causes sociales ne sont ici que des causes
éloignées. Il était peut-être d'unie bonne méthode de considérer une à
une ces causes sociales, et les effets organiques qu'elles produisent ;
aux aliénistes d'expliquer à leur tour comment les altérations orga-
niques produisent la folie. Le choix d'un époux ou d'une épouse est
déterminé beaucoup trop par des convenances mondaines et des inté-
rêts matériels, pas assez par l'examen de la santé physiologique et
morale. Le mariage donne à l'homme deux choses : un intérieur et
une situation sociale. Comment se fait-il que la préoccupation de la
seconde soit si forte, et celle du premier si faible? Comment l'homme
en arrive-t-il à se soucier si peu de trouver dans sa femme de la santé,
de la beauté, de l'intelligence et du cœur? Quel est donc le mystère
de cette étrange séduction de l'alcool, séduction qui continue à
s'exercer malgré la connaissance du danger, séduction qui paraît même
indépendante de la saveur des boissons, séduction dont les causes sont
sociales en efl'ct, mais bien mal connues? Comment le désir de par-
venir, de s'enrichir et de s'élever, en se privant pour cela de toute
jouissance et de tout repos, peut-il être si puissant qu'il fasse échec à
rinstinct de conservation? Voilà d'intéressants problèmes de psycho-
logie sociale. Les aliénistes détermineront ensuite dans quelle mesure'
et comment la dégénérescence, l'alcoolisme et le surmenage mènent
42 â REVUE PHILOSOPHIQUE
à la folie. Il faut, dit Descartes, « diviser les difficultés ». J'ai déjà eu
Toccasion de faire remarquer que la méthode sociologique, telle qu'on
la pratique souvent, consiste à considérer les phénomènes en gros, et
à s'abstenir de les analyser, de peur de leur faire perdre leur caractère
de faits sociaux.
Il me semble aussi que M. D. rapproche du délire des aliénés des
aberrations de lesprit et des écarts de conduite que les alicnistes en
distinguent soigneusement. Les causes sociales dont il parle n'ont
souvent d'autre effet que de déterminer la matière de l'idée délirante:
cette idée délirante se rattache presque toujours, en effet, à quelque
circonstance de la vie du malade, mais ce n'est pas cette circonstance
qui fait qu'il y a une idée délirante. Cette critique s'adresse à tout ce
que dit l'auteur des mégalomaniaques et des persécutés, de la folie
religieuse et de la folie morale. Son chapitre sur les rapports des reli-
gions et de la folie religieuse est un des mieux documentés; mais
comparez-le à l'étude de M. Durkheim sur les rapports des religions et
de suicide. M. Durkheim avait démontré par des faits, des chiffres, des
statistiques scrupuleusement analysées, que le catholicisme est, contre
le suicide, un préservatif plus efficace que le protestantisme, moins
elHcace que le judaïsme. M. Duprat ne nous apprend pas si certaines
religions agissent plus puissamment que les autres, soit pour déter-
miner la folie religieuse, soit pour donner au délire des aliénés un
caractère religieux. Il se borne à montrer clans la religiosité humaine
un danger.
Le livre se termine par un chapitre de conclusions pratiques. II con-
seille « une organisation rationnelle de l'éducation populaire en vue
de préserver les nations des troubles sociaux et les individus des
troubles do l'esprit ».
E. GOBLOT.
A. Pitres. L'aphasie amnk.<ique et ses variétés cliniques. Leçons
faites à l'hôpital .Saint-André de Bordeaux. Paris, 18U8, au Progrès
médicnl et chez F. Alcan.
« L'aphasie amnésique » était décrite par Bouillaud, par Trousseau,
par de nombreux médecins anglais, et elle subsista même concur-
remmeiil avec l'aphasie de Hroca jusqu'au jour où les travaux de
Wernicko, de Charcot l'englobèrent dans leurs nouvelles formes
d'aphasies sensorielles, si bien qu'à l'heure actuelle elle n'existe plus»
passcW' sous silence ou niée formellement. Et pourtant elle existe bel
et bien, et c'est à rétablir son existence que M. Pitres a destiné ses
le(;ons. On peut penser, je crois, qu'il y a réussi, car il fournit après
les vieux auteurs, des observations absolument démonstratives. Après
avoir rapp('lé brièvement les notions bien acquises depuis M. Ribot
sur la physiologie de la mémoire, il en fait l'application à sa patho-
génie en classant d'abord les amnésies ainsi :
AffALYS£3. — A* PITRES. L,"aphmie amnésifpie.
423
ÀitiEièsks de fixation
Amnësids de rêcoUeclioti
par défaut de pènélriilion.
par de faut de pélention,
par déraul d'évocalion,
par dêraul de rèvi viscencé
par défaut de recon naissance.
Et alors râtnnésie des mots ee pourraft classer ainsi qu'il suit :
1° de fixation
Amnésie v^r-
baie. — l'çrliir-
IjaUons en
111 liens ou s'Up-
pn-.î-âûin totale J
dt! Iti tonelion /
innésiffueappti'
qoée à U U%n-
lion el à la pe-
c-olleclion des
images des
Ir,
C. Par défaut de
reeonnaisîiariire.
/ Peu étudJéti jnîifju*à présent. Ne correspond
i d'aiJ^curs pas à une fonne âpétn^ile il'nphaste
< muia s^obHcrve st>uvent à litre dv svmplèmea
/ iicfessoires chejt beaucoup d'apliasiqucs de
\ loutes \es varît'tés.
SCaractèriîïée par l'onbli d'é vo-
cation des mois avee eonser-
v.ition de la rèviviscenee et
d'ê vocation. ) de Ifi reeonnaiaifaiire des
ruage^ verbalea . Prtiduit
aphasie amnésique.
lié s ni te de la dealmclion or-
igan in u<î ou de Tincrtie fonc-
Itonnelle des ceiitres corli-
âl rà^lvlnrsnTp { ^'"" ^^ langage, ^e confond
CIL rtTi^jiLçnLÇ 1 ,;|jniqi,ej„enlaveek.*;randi*s
2r de reeolïee- / formes èlémi?nt«ures derapli a-
lion \ me, notamment Ka surdité
vi céeité verbales.
i Caractérisée par la perte ou
' ia perversion de (a reconnais-
snnre, coïn4!(dant avec la con-
tt*fvalion de Té voirai ion vi de
La reviviscence des iniagt'â
verl>ales* E^Jtpliqne les îtyai-
ptiimtîs d'aphasie générale-
ment confondus avec ceux
de rapïinsie sensorielle. S'oli-
servr peut -être aussi dans
quelques cas de parnpbasie.
C'est à Tamnésie verbale par defAUt d'évocation seule que M. Pitres
conserve le nom impropre iVriplut^ir Rmné&îqut' que Ton devrait,
dïl-iK remplaci^r par celui plua précis d*aphaaic dysmnésique d'évoca*
tïon. Cotte aphasie amiiéslque doit être distinguée des aphasies sen-
sorielle et motrice. Ces dernières sont des symptauies de la perte de
IVxcitabnite or!:^^ nique ou sensorielle des centres des images senso-
rtellea ou motrices de^ mots; la première est le signe du défaut d*inté-
grité de eommunfcatiou entre les centres psychiques intacts et les
centres inaltérés des images verbales.
Celte aphasie amnésic^ue n a une symptomatologte très précise. Les
malades qui en sont atteints ne Bont t. as absolument privés de la
|iarole* Souvent même ils parlent beancoup. ils peuvent lire mentate-
gnent et a haute voix. Ils comprennent ce qu'on leur dit. Ils répondent
judicieusement au^t questions qu'on leur pose» Mais de temps en
temps, les mots qu'ils voulaient employer pour exprimer leurs pen-
sées leur échappe ntp et ils aont obligés de s'arrêter ou d'avoir recours
42i KRVIË PHILOSOPIlfQlE
à des périphrases. » 11 est facile de s'en assurer, en priant les aphasiques
amnésiques de nommer un certain nombre d'objets qu'on désigne à
leur attention; ils reconnaissent ces objets, mais ne peuvent les
nommer tant qu'on ne leur a pas soufilé le nom exact. Les troubles de
récriture sont analogues à ceux de la parole; sous la dictée les
malades écrivent tout. Comn)e variétés cliniques, on peut distîQirucr
l'autonomasie ou prédominance de la difficulté d*é vocation de subs-
tantifs, Tagrammatisme ou acataphasie, impossibilité de construire
des phrases, Taphasic systématique des polyglottes.
Cette aphasie amnésique n*a pas nécessairement une significatioii
topographique, c'est-à-dire ({u'elle peut ôtre un simple trouble fonc-
tionnel, mais les lésions, quand il en existe, « siègent habituellemeat
au voisinage immédiat des centres psycho-sensoriels du langage, el
plus fréquemment que que partout ailleur;*;, dans la région du lobule
pariétal inférieur ».
Le diagnostic de cette aphasie amnésique lorsqu'elle est pure, est
très simple, mais cela devient plus difficile quand elle s'accompagne
d'autres formes d'aphasie; aussi a-t-on négligé dans ces dernières de
faire la part à Tamnésie, ce ([ui a donné à certains signes une impo^
tance exagérée. La conclusion générale à laquelle arrive M. Pitres ert
qu'il no faut pas abuser de ce jeu des petits schémas, autrement dit
que la clini(|ue réelle des aphasies n'est pas si simple que les théories
qu'on en a données.
Pu. Chaslin.
William Ireland. The mental affections of childuen, iDiocr,
iMiiECiLiTY AND INSANITV, Londres et Edimbourg, I8D8.
Ce livre se prête mal à une analyse détaillée, étant surtout une
description d'ensemble du sujet au point de vue clinique et patholo-
gique. M. William Ireland y a condense le fruit de nombreuses lec-
tures et de nombreuses observations personnelles faites depuis son
premier livre « On Idiocy and Imbecility u, de telle sorte que le pn^
sent ouvrage pamil plutôt une œuvre nouvelle qu'une deuxième édi-
tion de l'ancienne. A propos dos causes de l'idiotie, dont « rbcrédite»
est une des principales, M. Ireland fait remarquer que fréquemment il
est diflicile d'établir une étiologie certaine. Le plus souvent, dît-il
les idiois naissent dans des familles nombreuses et qui ne sont nulle-
mont on décadence. « On peut comparer ces familles à un trooc
d'arbre dont quelques branches meurent et tombent graduellement,
tandis qu'il y en a d'autres qui restent vertes et vigoureuses. » ^'
dans bien dos cas on ne peut remonter jusqu'à la cause, dans d'autres
celle-ci est bien connue : c'est l'existenoe dans des conditions sociales
mauvaises en haut comme en bas. Mais qu'y faire*^ « Après tuul,
personne, dit judicieusement l'auteur, ne fait du maintien dobpl**^
grande vigueur physique possible chez lui-même ou ses descendants
AlTAT^TSES. — A* WRESCHNKR. Elnc experimmitdle Studlc, 458
le but primordial de la vie. Il est fort à croire que ai vous prenez dans
une salle de conférences un millier d'hommes rirhea, pouvant vivre
où et quand il leur plaît, vous pourrez bien convaincre chacun d'eux
que leurs chances de survie seraient de quinze années plus longues,
s*ils allaient 8*ctablir dans une des Hébrides ou quelque trou des
llighlands, qu*eux et leurs femmes seraient mieux portants et quMa
auraient moins do chance de perdre d'enfants; ils pourraient en être
complètement convaincus, et pourtant vraisemblablement personne
crentre eux ne voudra partir pour cet endroit salubre. » Cette remarque
me parait importante au point de vue de la prophylaxie en général de
la folie aussi bien que de l'idiotie; il y a non seulement Talcoolisme à
enrayer, mais il y a encore à combattre le genre de vie^ dans son
ensemble, des classes riches ou moyennes, si Ton veut arriver à un
i-*^sultat. îl semble que pas plus chez nous qu'en Angleterre on ne
comprenne rimportancâ d*une exiâtence moins artîncielle et plus
.s^me.
Quand à la classilication de Tidiolie, M. W, Iretand la considère
cdoime devant être avant tout pathologique, et il donne de grands
développements à lanatomie pathologique. Il termine son livre par
un Cïhapitre sur le traitement et nu autre sur la législation sur les idiots
If i^i, comme l'on sait, sont Tobjet de ïa sollicitude des pouvoirs publics
en ^Xngleterre et surtout en Amérique* Cest un traité clinique très
^ul^^j w^, un excellent guide en matière d'idiotie. Mais me sera-t-il permis
^Rc£ *: ï*ouver que le chapitre sur la folie proprement dite chez les
^nrEf-^nts est un peu court et ne nous donne pas des renseignements
^»i«a^^ précia sur la différence qu*il y a entre la folie do rcnfance et
C^^l^ de Tadulte? Il y aurait aussi à réunir ce qu'on a publié sur les
iroiabjes mentaux de Tenfance^ en dehors de la lolie proprement dite»
é^ï* les rêves pathologiques, les écarts d*ima un nation, lea halluci-
05fclîons, etc. J'espère qu'à la prochaine édition, M. Ireland nous don-
^^r^ tout cela traité et mis au ptïint avec le sens clinique et psycholo-
i&Hue qu il apporte à ses travaux.
Â, Wreschner. — EiXE expeuimentelle Studib ûber oie AîsSOcea-
TJOî* ïs EiNEM Falle von Iolotie (Publication de VAlîgem* ZeitschTift
far Psychiatrie, Bd, 57, p. 2.il-339, in-K^ (>. Reimer, Berlin. 1900}.
L'élude de rassociatîon mentale chez lt*s aliénés nous semble sur-
tout appelée à mettre en lumière la fréquence des associations ver-
bales, et leur importance, non seulement pour la production et le
développement des délires dans les esprits anormaux, mais encore
pour renchaînement des pensées chez les êtres normaux. Toutefois»
quelques recherches préparatoires sont indispensables. M, Wreschner
a. observé une maîade que nous n'appellerions pas sania doute une
îdiote» étant donné le degré do développement de son langage, mais
<|ui est une faible d'esprit, une dégénérée, incapable de r|ùsonnemcnt»
TOiK L. — 1900, 2Ô
426 REVUE PHILOSOPHIQUE
de jugement sain et d'attention soutenue. Née en iB75, elle a apprU i
lire, écrire et faire les travaux du ménage dans un établissement tpé-
oial; revenue à dix-huit ans auprès de son père, elle n'a pu rester
dans la maison » où elle souillait et détériorait tout. Entrée le U no-
vembre 1895 à la clinique psychiatrique de Giessen, elle se montre
pourvue de quelques souvenirs bibliques, poétiques, historiqnes et
géographiques; mais elle dit que le jour a 1 heure, la semaine 3 jours,
que 10 pf. sont plus qu'un mark, etc. Elle est soumise du G décembre
1897 au 23 février 1898 à 1040 expériences dans lesquelles, un mot étant
prononcé, elle doit répondre immédiatement par le mot suggéré. Le
môme mot est répété à plusieurs jours d'intervalle (Wiedcrholungs-
mcîthode).
Les mots prononcés (Reizworte) sont empruntés aux trois tables de
Sommer : la i*^ comprend 'iG termes désignant des qualités sensibles
(répartis en 10 groupes selon les divers ordres de sensations : lumière
et couleur, étendue et forme, mouvement, toucher, température, ouïe,
odorat, goût, plaisir et douleur, sentiments esthétiques); la 2* et la 3*
comprennent chacune 48 substantifs, abstraits ou concrets, ou inter*
jections de plaisir, de douleur, d'admiration, etc.
L(\s résultats ont été examinés au point de vue de la qualité des
associations (ass. verbales ou par contenu représentatif), de leurdurrt,
de leur répétition, de Vinfluence et de Voxercice. Nous ne pouvons
indiquer ici que les données les plus générales : il faut se reporter aui
nombreuses tables d'observation et notamment aux tableaux récapi*
tulatifs des pages 2S;i, :i09, 330, pour des détails qui n'auront d'ailieur*
d'intérêt que par une comparaison (que nous espérons faire procha^"
nement) avec les résultats d'expériences analogues : i« sur des aliéo^*
de différentifs catégories; "2^' sur des sujrts normaux.
On trouve dans les expériences faites avec les mots de la 1" tat>*®
(adjectifs ou lunriH de (lunlitès sensibles), '283 associations par contenu
représentatif contre 74 associations verbales; — avec ceux de **
2*' table (noms des différentes parties du corps, des choses de la famil *^
ou d»' la cité, de plantes ou d'êtres vivants), l.'^7 associations parco*^*
tenu représentatif contre lur» associations verbales; — avec ceux de **
ii*" table (interjections et termes abstraits), r»7 associations par conteï">^*|
contre ^Mi associations verbales. Donc « plus est élevée la quali *^
du mot prononcé, moindre est chez la malade la qualité de laré»-^'
tion ». Sur ^>\'^ associations par contenu représentatif-, on troii.^'*
comme réponses :)27 adjectifs, 119 substantifs et 69 verbes : « **
malade sciiihle donc disposer d'un plus grand nombre de teric»-^'
qualilicatifs que de termes désiiTuatifs ou abstraits. »
Les associations verbales sont celles qui ont demandé le moins ***
temps : elles se sont laites par llexion, ou par réminiscence, ou P*
hoinophonie partielle. Klles ont pris de 2,2 sec. à 3,5, tandis qu^
afeb()ci.uii>ns par contenu reprcsenlatif ont pris de 2,5 sec. à 4,6 ^
Moins le moi pront)ncé est familier, plus i^rande est la durée, mais f^
ILTSES* — DUBOIS. Spencer et le principe de la morale. 427
tlde aussi peut être l'inHuence de Texercice pour abréger la durée du
cêBâu«. L'exercice en outre améliore la qualité de rassociation^
tout dans la l''» série, od rabréviatîon est de 0,7 sec. pour les asso-
ioui Vïi'rbales (tandis qu'elle est de 0,8 et de 1,1 dans la î* at la
lérid); 0,2 §ec. pour les aasocjatioDS et de contenu représentatif,
tdis qu't^tle est de i,3 et de 0|9 dans la î^ et îa 3^ aéne). On véritle
Heurs que rexerçice entraîne diminution du nombre d'associatlont
baies et augmentation du nombre d'associations par contenu repré-
tatif, Enfin le retour de U même réaction n'a pas grande împor-
&e, a Plus élevée est la qualité de Tassociation, plus rare est la fixa-
I du processus, « Il faut toutefois éviter la répétition à trop court
îrvalle des mômes excitations, surtout chez les faibles d*esprit, car
fixation des processus, par paresse psychique, y est plus aisée
? chez les sujets normaux.
G.-L. DOPRAT,
u
IV. — Morale.
'ttles Dubois. — Sî'ENCER et le frin'Ctpe de l\ morale. Paris,
ehbaoher, 18^1, in-8"» 329 pages.
tprès les nombreux travaux provoqués en France et à Têtranger
■ la philosophie de Spencer, le ïivrc de M. Dubois ne sera pas inu*
^, car il envisage la question à un point de vue particulier, L'auleur
se met pas seulement en face d'un problème philosophique et
rai, mais aussi d*un problême religieux.
I. Dubois constate que, parmi les idées modernes, la théorie de
folution occupe une place importante, que même révolution est
B vérité : il re^^te à savoir &i Ton a le droit, avec les évûlutionnisteSp
n fair« la véniê. Mais Tauteur restreint la portée de son travail,
son ambition n'est pas de jug'er dans son ensemble la oonstruc-
1 philosophique de Spencer: comme, d*aprês lui* la tendance évo-
onniate présente un danger sérieux paur Tindividu et pour la
lété, ce qu'il est surtout intéressant d'étudier dans l'œuvre du phi-
>|>he anglais c'est sa morale. A-t^ii donné une solution satisfai-
te à ce problème : (^uel est le principe rie fa Tnor^ie'i tel est le
et du livre de M. Dubois, qui comprend deux parties : une partie
tpoâition du sy^^léme de Spencer, et une partie de critique,
,wk première partie du livre de M. Dubois est un excellent résumé
Ka philosophie de Spencer, pour lequel il suit fréquemment, comme
dit lui-même, l'ouvrai^'e de H. Gollins. Comme Tidéal social que
19 avons est en avance sur notre époque, û faut faciliter l action
i forces qui lendent à produire le progrès; « il faut toujours faire
façon à ce qu'elles ne prennent pas une fausse direction. » Cela
ni lie qu'il faut aroir une conduit e conforme aux lois de révolution.
it ainsi que tious entrons dans la partie morale de Vceuvre de
e
428 REVUE PHILOSOPHIQUE
Spencer, dont la tâche est « de trouver une base scientifique pour les
principes du bien et du mal dans la conduite en général. » Nous ne
suivrons pas l'auteur dans son exposé de Vutilitarisme rationnel de
Spencer, des transformations de la conduite, et de rapplication des
principes de la morale à Tindividu et à la société; nous préférons nous
borner à une analyse de la seconde partie de son ouvrage, et qui est
la critique de la morale évolutionniste.
Au point de vue philosophique, c'est la théorie de la connaissance
qui fait Tobjet de la critique de M. Dubois. Il pense que les preuves
données par Spencer en faveur de la réalité extérieure convaincront
seulement ceux qui sont déjà convaincus.
Au point de vue moral, Tévolutionnisme est la négation pure et
simple de l'élément moral dans le monde de la conscience. La conduite
et la morale ne sont considérées que du point de vue objectif, comme
toutes les autres sciences; aussi la morale de Spencer est-elle pure-
ment descriptive, une histoire du passé plutôt qu'une anticipation de
Tavenir.
Cette morale ne peut avoir pour méthode que la méthode expérimen-
tale et inductivc; aussi, la loi de la conduite scra<t-elle simplement le
désir du bonheur, manifestation de la persistance dans Tètre, de li
permanence de la force.
C*est encore aux sciences que Spencer emprunte la loi suprême qui
doit diriger riionime, c cst-à-dire la loi d'adaptation, quMl transporte
de la biologie en morale. Mais l'adaptation ne peut être synonyme de
bien, au moins dans le cas fréquent des périodes de recul, pour les-
quelles ff le principal ne peut pas être d'être adapté à son milieu ». Et
si Ton veut parler d'une adaptation à la société idéale de l'avenir, il ne
saurait être question de nous donner comme règle morale de nous
adapter à ce rôve lointain et vague d'une humanité transformée.
Autre critique : la morale utilitaire de l'évolutionnisme repose sur
une conception optimiste du monde, puisque tout est dominé par l'idée
d'un progrès nécessaire; mais il reste à savoir si Spencer a le droit
d'assimiler l'évolution ou simple loi de transformation avec la loi do
progrès, — une loi purement scientifîquc et naturelle avec une loi
impliquant notions et jugements moraux. Et ce progrès, ce bonheur
qui ne sera, en somme, que pour l'humanité, sorte d'être abstrait,
l'homme n'aurait-il pas le droit de le réclamer pour lui, au lieu de se
contenter d'une satisfaction toute idéale? En tant qu'être moral,
comme ayant une valeur spécifique, sans souci d'utilité, Thomme peut
rcclamcr sa part de bonheur ici-bas; et la société future que Spencer
prétend bâtir sur les données de la science semble bien, chez lui, un
résultat de l'imagination.
Dans un dernier chapitre, M. Dubois étudie d'une façon très minu-
tieuse l'idée de la religion dans la philosophie évolutionniste. Pour
Spencer, la religion n'est pas du tout ce qu'on entend généralement
par ce mot; il prétend, on le sait, la réconcilier avec la science. Ces
AITÂLTSES. — F, TILLV* Jntrodtictwn to £thics.
429
deux puîssânceiï ont toujours lutté dans V histoire, parce qu^eUes ont
voulu empiéter sur leurs domaines respectifs; ainsi, la religion pré-
tend connaître le mystère, et alors, elle devient irréligieuse. Qu'elle
reste ngnoslieiame, et il n'y aura plus lutte entre la religion et la science.
Mais qui ne s'aperçoit pas que cette relî^fion est une religion sans
Dieu^ Dans ce cas^ la réconciliation avec la science ne coûte pas grand
effort. Ce n'est plus de la réconciliation ; o*est la suppressioQ même de
là religion. L'auteur complète eon idée en montrant que la loi morale
noua conduit au deià d'elle-même; et ce n'est que par un acte religieux
qu'on saisit, en l'homme, lo principe de la morale.
Dans les derniûres pa^es de sou livre^ M. Dubois noua dit que, pour
comprendre la vie, il faut aller plus loin que ne Ta fait Bpencer, car il
faut donner à cette vie une valeur absolue; c'est en Dieu, vt dans le
Dieu du christianisme que nous trouvons la source de cette vie, et
aussi sa réalisation. Telle est la conclusion de cette étude de philoao*
phie morale et religieuse.
JULBS DëLVAILLE.
1 Frank Tilly. ÎHTRonucTiON to Ethics. New York» Charles Sorib-
sr^s Son-s mOU; 1 vo!. in-1?, 3i6 p.
M* F. Tilly avaît hwduit le Siii^tèmp do morale du professeur Friedrich
Paulsen. 11 lui dédie, comme à son maître, le îivre que voici, oii il
noua donne, en manière d'introduction à une morale pratique qui
paraîtra sans doute bientôt, un exposé de la morale théorique*
Cet exposé consiste essentiellement en une critique des syslèmes.
Il a au motus le mérite de nous fournir des indications bibliographi-
ques très nombreuses et très variées. Elles ne sont cependant pas
encore complètes. Parmi nos contemporains ^ par exemple, on est sur-
pris de ne pas rencontrer le nom de M. flenouvier à côté des noms
de MM. Janet, Fouillée, Guyau, ete. Elles ne semblent pas non plus
toujours exactes» Je ne suis pas sûr que La Bruyère doive être rangé
ip* ^62 1, avec La Rochefoucauld, parmi les moralistes qui regardent
ramour- propre comme le seul motif de nos actions. Ailleurs» on est
surpris de voir mettre sur la même lîgne des philosophes d'un mérite
fort inégal. Telles qu'elles sont, elles dénotent cependant une grande
richesse d'informations et constituent un précieux répertoire de ren-
ieignements qui manque souvent à nof? livres français et dont un
index rend l'usage très facile.
Les deux chapitres par lesquels Touvrage se termine — OpHmisme
contre pessuntsme, Caruct&re et liberté — forment, malgré leur rapport
manifeste avec le sujet, une sorte de hors d'œuvre. C'est assez facile à
comprendre pour le premier; le ficcond revient sur l'examen d'un pro-
blème qui a déjà été étudié dans des chapitres précédents à diiïérents
points de vue. Ce qui fait îe fond du livre, c'est le résumé et la dise us*
sion des opinions nnciennes et modernes sur toutes les questions de
— J
430 REVUE PHILOSOPHIQUE ^
morale. T/auteur déclare, p. 20, qu'il ne fera pas de métaphysiqu^-
Encore lui faut-il, pour discuter les opinions des moralistes, recourir
à quelques principes. S'il ne fait pas de métaphysique, c'est donc qu* **-
appartient à Tccole évolutionniste ou, plus simplement, à celles A *^
progrès historique, et qu'il en adopte les principes. II. rejette, en eff^"^'^^
la doctrine d'après laquelle le devoir nous serait immédiatement révé^- ^^
par la conscience, ou celle qui le fait dépendre d'une révélation de K
volonté divine. La distinction du bien et du mal résulte pour lui
l'expérience. C'est elle qui, peu à peu, nous a appris quelles sont le
fins que nous devons ab^olnmont nous proposer, quelles sont celles
que nous devons absohtme/if éviter. Cette origine empirique n*ôterail
donc rien au caractère obligatoire de la loi morale. 'Nous somme!
obligés de rechercher le plus grand bien, c'est-à-dire le terme où aspi-
rent en réalité tous les hommes et qui a pour eux une valeur absolue.
Aucun idéaliste n'a parlé avec plus de force que M. Tilly de l'obliga-
tion morale, de sa sainteté; il ne doute pas qu'elle ne soit conforme à
la volonté de Dieu; il prétend seulement que c'est à nous de découvrir
par degrés en quoi consiste le ^xinnmuTfi bonum obligatoire; il recon-
naît, par suite, qu'il n'est pas possible d'en donner déjà une définition
détaillée et de rentermcr dans une formule générale un idéal qui varie
nécessairement d'un peuple à l'autre. L'essentiel est de bien com-
prendre que la vraie doctrine en morale est non pas la doctrine utili-
taire, qui considère une seule espèce de fins, les plaisirs — et Fauteur **
fait une critique approfondie, pages 20r)-iî4y, de l'hédonisme, -=- mais, **
pour employer le mot de Paulsen, la doctrine tèléologique^ qui 'J
embrasse, dans leur harmonie, toutes les fins de l'activité humaine. • t
Cette doctrine seule « nous rend capables d'examiner les différents ^.
codes moraux et de les critiquer. Nous pouvons maintenant juger '^'-
d'une manière plus rationnelle la conduite morale des peuples, et dire ^«i
si telle ou telle race réalise sa fin, son plus grand bien. Nous pouvons .^,^-
dire aussi quels modes de conduite sont nécessaires à la réalisation de ^^ ^
l'idéal, et alïirmer qu'ils doivent être appliqués. Mais cette partie de jt^ ^^__
notre problème appartient à la morale pratique », p. 284.
On ne trouvera peut-être pas très original, d'après cette analyse tro|
sommaire, le contenu de ce livre. Il l'est plutôt par les détails et dai
la forme. C'est l'œuvre d'un philosophe optimiste, qui se contente
bon marche et à qui Va peu pi'ès paraît suffisant. Il dit quelque pa
p. 2GS, que la moralité est née du conflit des intérêts. C'est qu'il c^
fond le droit et la morale. Il convient ailleurs, p. 280, que la vie et e
idéal sont plus larges que la moralité et la débordent. C'est qu'il p
siste dans celte confusion, et en même temps il fait lui-même, si je
me trompe, la crititiue la plus profonde de sa propre doctrine; car e
ne peut nous proposer qu'un mieux relatif, tout en nous entretenî
du bien absolu dont nous avons tous le sentiment, et qui nous appai^
clairement dès que nous prenons conscience de notre vraie natu
Mais nous devons lui accorder que cette conscience est encore t
ANALYSES. — L. CREDAiio. La Pedagogia di G. F, Herbart. 431
peu répandue. Et puis si sa théorie, dans l'ensemble, est peu exacte,
elle est présentée d'une manière intéressante, et, tout bien considéré,
cette inexactitude même ne risque peut-être pas de causer beaucoup
de mal : « Je ne crois pas (dit-il lui-même, p. lU) que les avocats de
la théorie historique, des hommes comme les Mill, comme Darwin,
Spencer, Wundt, Hofîding et Paulsen, soient moins moraux que Kant
et Martineau ».
A. Penjon.
liuigi Credaro. — La Pedagogia di G. F. IIerdart (Homa, 11*00,
1 vol. in-8°, XI-32T pages).
La pédagogie de Herbart, après avoir conquis progressivement une
influence prépondérante dans les pays de langue germanique, grâce
aux persévérants elTorts de toute une phalange d'hommes distingués,
commence depuis quelques années à devenir à l'étranger Tobjet d'une
sérieuse attention. Vjïï Amérique particulièrement, elle excite actuelle-
ment un très vif intérêt : d'importants articles lui ont été consacrés
dans VEducational /ît»i;/ew de New- York, des cours spéciaux dans les
Universités; la traduction anglaise de la Pédagogie générale et de
V Exposition esthétique du monde, reproduite avec une préface de
M. O. Brownig a obtenu en deux ans (1805-1897) deux éditions succes-
sives. Notre pays a aussi depuis 1894 sa traduction des principales
œuvres pédagogiques de Herbart, due à M. Pinloche, et cette année
même les théories du grand pédagogue allemand ont été exposées
aux étudiants et au public dans les Universités de Lyon et de Poitiers.
Le présent livre de M. Credaro est Un nouvel hommage rendu à Tœuvre
magistrale du pliilosophe de Gcettingue, après les articles que M. For-
nelli et M. Credaro lui-môme lui ont déjà consacrés à diverses reprises
dans la Rivista italiana di /i/oso/îa.
M. Credaro a vécu plusieurs années à Leipzig, ce centre d'action de
l'école herbartienne; il a fréquenté le Pàdagogiuin prakticuni, assisté
aux séances de VAssociation de pédagogie acieiiti/îque, et acquis une
connaissance approfondie do l'œuvre qu'il expose. iSans entrer dans
une discussion détaillée, il a voulu, comme il nous lapprend lui-
même, donner à ses concitoyens une idée claire et fidèle des doctrines
de Herbart, et il semble qu'il y ait en grande partie réussi. Son expo-
sition est assurément d'une incontestable fidélilé, au point qu'il s'est
contenté de traduire littéralement aussi souvent qu'il l'a pu. Toutefois
cette fidélité même ne va pas toujours sans inconvénients au point de
vue (le la clarté. L'exposé de M. Credaro a un peu le défaut, à nos
yeux, de l'œuvre môme de Herbart : il est un peu compact, un peu
toufTu, surtout dans la seconde partie, et ne présente pas, du moins à
un degré suffisant, ces qualités d'ordre et de méthode dont les Alle-
mands se passent facilement, mafs auxquelles nous sommes malheu-
reusement habitués : dans la multiplicité des détails, intéressants à
432 REVUE PHILOSOPHIQUE
coup sûr, le lecteur perd un peu le fil des idées essentielles. L'auteur
Ta bien compris, et, comme Herbart lui-même, il recommande de ne
point s'en tenir à une première lecture : « Herbart, dit-il, très juste-
ment d'ailleurs, ne se lit pas; il s'étudie. »
L'ouvrage comprend trois livres. Le premier est oonsacré tout
entier à une biographie très complète et très intéressante du philo-
sophe allemand. Le second livre, le plus considérable comme aussi le
plus important, est un exposé détaillé de la pédagogie générale : après
un chapitre d'introduction, un peu bref peut-être, destiné à donner
une idée générale du système philosophique de l'auteur dans son rap-
port avec la pédagogie, M. Credaro détermine la méthode, la néceisité
et la possibilité de cette science diaprés Herbart, et étudie successive-
ment les trois grandes fonctions de l'éducation, le gouvernement des
enfanta, Yenseignement et la culture momie, en mettant en lumière
le rôle prépondérant assigné à l'enseignement entendu comme il
convient, à un euApignement vraiment éducatif, dominé tout entier
par l'intention de former moralement le caractère de Tindividu, ce qui
est le but essentiel de l'éducation. Le troisième livre est consacré à
l'étude de diverses questions particulières qui constituent ce que He^
bart appelle la ptidagogie spéciale : éducation aux différents âges,
méthode à suivre dans l'enseignement des diverses matières, correction
de certains défauts, avantages respectifs de l'éducation publique et de
l'éducation privée, rôle de la famille et de l'Etat. Dans un dernier cha-
pitre Fauteur examine brièvement les rapports de Herbart en tant que
pédagogue avec ses principaux devanciers ou contemporains : Kant et
Fichtc, Rousseau et Basedow, Niemeyer et Pestalozzi. Il conclut en
montrant dans Herbart le véritable fondateur de la pédagogie scienti-
iique, dans son œuvre une mine d'indications précieuses, particuliè-
rement pour les maîtres de l'enseignement secondaire; et cela le
ramène à son intéressante préface où il critique, comme médiocrement
éducatif, renseignement secondaire tel qu'il existe actuellement en
Italie. Il est fâcheux, déclarc-t-il en substance, que les professeurs
des lycées n'aient pas en même temps que le zèle et le savoir une
solide culture pédagogique, qu'ils se préoccupent de la quantité de
choses à enseigner plutôt que de la manière même de les enseigner,
qu*ils se proposent presque exclusivement d'instruire sans se soucier
de former. M. Credaro n*a sans doute pas entièrement tort, et quelques-
unes de ses critiques pourraient peut-être s'appliquer à notre propre
enseignement secoiulairc : de bons esprits ne réclament-ils pas comme
lui une culture pédagogique sérieuse des professeurs de nos lycées?
Kn somme M. Credaro a rendu un véritable service à la pédagogie
italienne en faisant connaître des théories qui présentent un incon-
testable intérêt. Ajoutons que nous aurons bientôt dans notre langue
l'équivalent do son livre.
Marcel Mauxion.
AllALTSES. — G. MAZZARELLA. La condizxone giuridica, 433
V. — Sociologie.
G. Mazzarella. La condizione giuridica del marito nella famiglia
MATRi^TRCALE. 1 vol. in-8% 1 i:> p. Catane, typographie Coco, 1899.
Les travaux sur les origines de la famille et du mariage ne font pas
défaut; néanmoins la question reste ouverte : c'est que malgré Tat-
tention croissante apportée à la critique des sources, il s'en faut de
beaucoup que la lumière ait été faite sur tous les problèmes relatifs à
la filiation des types domestiques. Une étude précise d*un point du
droit domestique, la condition juridique du mari dans la famille mater-
nelle, est donc d'un haut intérêt quand elle est entreprise avec Tesprit
critique qui distingue celle dont nous allons rendre compte.
Mazzarella rappelle au début que la méthode de la jurisprudence
ethnologique, formulée par Post, ne ressemble en rien à cette prétendue
méthode ethnographique dont nous connaissons trop les fruits; elle
exclut sévèrement les analogies biologiques; elle se garde dMnduire
des mythes aux coutumes, elle fonde ses inductions exclusivement
sur l'observation des coutumes et des lois. C'est à cette condition seu-
lement que l'on peut introduire quelque précision dans l'étude géné-
tique et évolutive de la phase tributive et « gentilice » des sociétés
humaines (p. 3 à 7).
Or il est un problème laissé jusqu'ici sans solution. Les ethnologistes
ont démontré l'existence d'un mariage sine nianUy dans la période
matriarcale de la famille. Mais savons-nous pour cela quelle est la
condition juridique de cet époux dépourvu de la puissance maritale,
relativement à la famille de sa femme? L'auteur se défend de recher-
cher quelle est la position du mari au point de vue patrimonial, vu
l'insuffisance des documents ethnologiques. II examine seulement sa
position juridique personnelle, car l'ethnographie a réuni un matériel
de faits qui permet de donner une solution approximative du problème.
« Si Ton considère dans leur complexité toutes les sociétés humaines,
les systèmes fondamentaux relatifs à la position juridique du mari
peuvent être ramenés à quatre. Dans le premier cas le mari entre
dans la famille de la femme; dans le second chacun des époux reste
élément composant de sa famille propre; dans le troisième le mari
seul continue d'appartenir à sa famille d'origine; dans le quatrième,
les deux époux, se détachant de leurs familles respectives, constituent
une famille nouvelle et autonome. »
0 Or il est clair que celui qui se propose de déterminer la position
juridique du mari dans le pur matriarcat, doit prendre comme points
de départ de sa recherche ceux-Ti seulement de ces quatre types qui
sont compatibles avec les principes sur lesquels se fonde la société
matriarcale. Les deux premiers types ont seuls ce caractère, car ils
nous présentent le mari destitué de puissance paternelle et maritale.
434 REVUE PHILOSOPHIQUE
Les deux derniers supposent au contraire que le mari a acquis un
pouvoir de tutelle sur sa femme et sur sa postérité d (p. 9).
Do ces deux premiers types, le second ne s*ofTre pas dans toute sa
pureté ailleurs que chez les Menangkabao du centre de Sumatra et
chez quelques tribus indiennes de TÂmérique du Nord; les survi^'ïDces
qu'il a laissées sont sporadiques et n*ont qu'une faible étendue. Le
premier a une aire de diffusion très étendue et a laissé des survivances
chez beaucoup de peuples parvenus à la phase patriarcale. Le pro-
blème consiste donc à déterminer Tantériorité do l'un par rapporta
l'autre. L'hypothèse de Mazzarella est que le premier est la forme pn-
mitive dont l'autre n'est qu'une simple transformation (p. 9, 10).
Le point de départ de l'auteur est l'étude des populations malaiseï |
de l'Insulinde ; il cite comme autorité principale les travaux de l'ethno-
logiste hollandais Wilkens; il le cite textuellement, sans le traduire,
ce qui ne rend pas aisée la tâche des lecteurs qui, comme moi, igno-
rent la langue hollandaise. Mazzarella a eu néanmoins les raisons les
plus sérieuses de choisir comme sujet d*étude la race malaise; c'est
que les populations de l'Insulinde qui y appartiennent ne sont pas
toutes sorties de la phase matriarcale, comme les autres rameaux civi-
lisés des races jaunes, et que cependant les sociétés domestiques for'
mées par les hommes de cette race n'appartiennent pas en très granA*
majorité au type maternel. L'ethnologie observe donc ici une rat^*
relativement civilisée eu voie d'évolution; elle peut donc réponde"*
aux objections et aux doutes qu'avait soulevés la méthode, plus hardi ^
en apparence, adoptée par Lewis-Morgan et son école.
Les Menangkabao de .Sumatra, les Dayaks de Bornéo sont encore ^
la phase gentilice do l'organisation domestique; les Battaks d- *
Sumatra, les Bedjangs, les Lampoc^s, les Pasemahs de la même île.l^ ^
Galela et les Tobaloresi des Moluques sont déjà arrivés au staA *
patriarcal et à la parenté agnatique, mais on rencontre parmi euxl^^
vestiges authentiques de la phase gentilice. Par suite la Malaisie offt**
à l'induction ethnologique un champ d'observation très étendu. L*^
sociologue peut y chercher la solution du problème relatif à l'antéri*^*
rite d'une des deux formes du mariage précité sur l'autre.
Kn langue malaise, dans le dialecte suniatrien tout au moins, ^^*\
nomme ainbil iniak cette forme du mariage sine manu qui introd-*^
l'époux dans la famille de sa femme comme un membre inférieur, viva.^^.
quel<iue temps au moins, sous l'autorité du chef de la famille, c'est- ^^
dire du plus âgé des oncles maternels; on nomme semundô au ccr ^^
traiie le mariage qui laisse chacun des deux époux sous l'autorité C^^^^-^^^
chef (le sa famille d'origine. L'auteur s'approprie ce vocabulaire
cherche si k* niariaire seniundien n'est pas une transformation et m"
survivance du mariage lunlnlirn. L'enquête le conduit à une répons
affirmative. ^
La partie la plus intéressanle de l'étude est celle que Mazzarell
consacre aux survivances que ces deux types de l'union conjugale on ^^
ANALYSES. — G. NAZZARELLA. La condiziofie giutidica. 435
laissées parmi les populations sorties de la phase gentilice et arrivées
à la phase patriarcale. I/auttur, préoccupé de vérifier sa thèse, dis-
tingue entre les survivances directes laissées par le mariage ambilien
«t les survivances indirectes qui expliquent d*anciennes formes de
passage. A notre avis cette distinction a une valeur universelle et
l'usage devrait en être généralisé dans toutes les recherches de ce
genre.
Ces survivances s'observent chez cent trente peuples appartenant à
toutes les races. La race aryenne est représentée par les letto-slaves
(Monténégrins, Herzegoviniens, anciens Prussiens), par les Zingari et
les anciens Hindous, par les Iraniens (Tadjiks, Afghans, Jussufzais),
par les Basques, par les anciens Hellènes, par les Arméniens, les Mir-
dites et les Albanais du nord; la race sémitique l'est parles Bédouins,
les anciens Arabes, les anciens Hébreux, par les Tédas du Sahara, etc.
•Inutile d enumérer les races dont l'évolution sociale est à tous les
points de vue moins complète.
Les survivances directes du mariage ambilien pur sont beaucoup
plus rares. On ne les observe que chez trente-six peuples appartenant
aux races malayo-polynésienne, dravidienne, mongolique, indo-amé-
ricaine, arctique, sémitique, nègre et congolaise. Les survivances
indirectes sont beaucoup plus fréquentes et se rencontrent chez des
races plus élevées : le mariage ambilien à temps, en d'autres termes,
•la subordination temporaire de l'époux à la famille de 1 épouse, chez
dix peuples et cinq races; le service de l'époux (ou l'usage d'exiger-
-pendant quelque temps un travail dont profite seule la famille de la
femme), chez dix-huit peuples et six races parmi lesquelles sont des
rameaux de la race aryenne et de la race sémitique; la continuation
de lu famille de la femme par le mari est constatée chez quatorze peu-
ples et quatre races, dont la race aryenne ; l'institution si connue des
filles épiclères (continuation juridique de la famille de la femme par
ses fils), chez six peuples et deux races parmi lesquelles l'ancienne
-race grecque; le mariage semundieii, chez trois peuples et deux races
(race malaise, race américaine); la séparation temporaire des époux,
chez dix-neuf peuples et dix races; la coutume de retarder la consom-
mation du mariage chez vingt-quatre peuples et huit races; le retour
temporaire de la femme dans sa propre famille, chez trente peuples et
neuf races; le lévirat ambilien, chez quatre peuples et trois races; la
juridiction domestique de la famille de la femme sur le mari, chez
cinq peuples et cinq races; le droit de la famille de la femme à pro-
noncer la dissolution du mariage est enfin observé chez deux peuples
et deux races.
Ces survivances sont constatées chez des peuples parvenus au
stade patriarcal. Ce sont des coutumes qui ne sont pas en harmonie
avec l'institution prédominante et qui, par suite, ne peuvent en dériver.
Elles attestent donc la persistance de souvenirs et d'habitudes issues
d'institutions domestiques différentes que l'on retrouve intactes dans
436 REVUE PHILOSOPHIQUE
des populations moins avancées. Tel est, provisoirement, le meilleur
critère qui nous permette de discerner les survivances. (Il convient
en passant de remarquer que la survivance ainsi entendue ne peut
être confondue avec un développement dévié ou avec la régression
vers un type primitif; encore moins peut-elle être identifiée avec Fata-
visme.)
Mazzarella a donc isolé un problème important d*une foule d*autres
que Ton avait l'habitude de traiter toujours simultanément; il Ta
clairement déiini; il a fait la critique des documents ethnographiques
mis en œuvre par lui ; il a enfm dressé deux tableaux ethnographiques
où les éléments de la solution sont mis sous les yeux du lecteur.
Nous ne voudrions pas terminer cette analyse sans avoir montré
quel service une recherche de ce genre peut rendre à Thistorien du
droit.
Les historiens du droit hellénique, M. Rodolphe Dareste notamment,
ont appelé souvent notre attention sur une institution singulière qui
est restée étrangère au droit romain, celle des filles épiclèreSy cest-
à-dire des héritières dont les époux n'avaient qu'une position subo^
donnée car leurs enfants continuaient non leur famille mais la famille
de leur mère. L'importance de cette institution avait échappé aux
sociologues les plus soucieux de découvrir chez les Grecs quelques
vestiges de la famille maternelle. Engels et Letourneau notamment
n'y avaient vu qu'une preuve de l'action dissolvante que l'héritage,
l'argent, peut exercer sur la société domestique. Au contraire l'en-
quête de Mazzarella projette une lumière éolatcinte sur cette institu-
tion qui, chez les Grecs, semble avoir joué le mêmeVôle que l'adoption
dans le droit romain. Beaucoup mieux que les chœurs de VOre^tif^
l'institution des filles cpiclères (qui à Athènes était de droit publie)
permet de rattacher les institutions domestiques des Grecs à une
phase plus ancienne dont les Lyciens, leurs frères, n'étaient pas encore
sortis, si l'on en croit Hérodote. On a donc une preuve de plus que le
droit grec est beaucoup plus archaïque que le droit romain et comme
tel a une importance éirale, sinon supérieure.
L'auteur constate au début de son livre la répugnance des historien»
du droit à accueillir les méthodes et les résultats de la jurisprudence
ethnologique. Des recherches telles que la sienne feront beaucoup,
croyons-nous, pour vaincre cette répugnance là où elle n'est pas l'effet
des préjugés sociaux. On ne postule plus ici la promiscuité originelle
et la subordination nécessaire de la famille à révolution économique.
L'application de la méthode génétique élimine peu à peu de la socio-
logie les explications aventureuses et l'on comprend aisément l'avff-
sion qu'elle inspire à ces hommes d'imagination vive qui veulent être
crus sur parole et imposer leur vision des sociétés primitives.
Gaston Richard.
REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS
Mind.
Jftiiu.iry-Âpnl 1900,
Stout. Li perception du ch<ingement et de la. durée. — Quand nous
percevons un processya temporel comme tel, en quelle mesure et
dans quel sens est-il néccssairt^ que les représentations de la première
partie de la série soient présentées à notre conscience quand nous
percevuiis les parties suivantes? Cette question, d'après Stout, n*eï^t
pas seulement un prohlème spécial de psychologie, mais a une grande
importance métaphysique. Il examine sur ce point les deux théories
récentes de Schumann et de Meinong. Schumann n'admet pas b
nécessité de l'existence dans la conscience des premiers termes^ pour
Se ter miner soit un processus temporel, soit une différence de qualité
^t>u d'intensité (par exemple entre deu:c sons). En comparant deux
notes séparées par un intervalle de deux ou trois secondes, il faut que
la première laisse un effet consécutif^ mais qui n*eat pas nécessaire*
ment une Ima^^e mémorielie; il suffit de supposer une disposition
physiologique ou psychique, Schumann nie que Tiiitrospection lui
donna la persistance de la première note s'ëtendant jui^qu'à Tapparîtion
de la deuxième. — Meinong lui aussi nie cette persistance en fait
Exemple : percevoir une mélodie ou le mouvement d'un corps de A à B;
à la dernière note de la mélodie, nous n'avons pas toutes les autres pré*
sentes; mais il soutient que cela doit être, parce qu'i/ /awique cela
©oit, — Stout se range à lavis de Schumam, tout en paraissant admettre
des présentations subconscienteSni
H* ^iDGwrcK. Critères de Ib, vérité et de Verreur. — Article critique
tout négatif qui sera suivi d*un autre positif. U est principalement
consacré à discuter le critérium de Descartes et le pofîlulat universel
de Spencer a qui ne peut garantir même la donnée primordiale de sa
propre philosophie et qui» s il peut être utile dans certains cas, ne
peut suffire k tous et servir de rempart contre le Scepticisme ».
BiuuLEV. Défense du phénoménismeen p^^ychologi^^^ L*auteur dis-
cute une série d^objectious : que dans cette hypothèse, Tâme qui est
réellement une n^a plus d'unité; qu'on ne sentirait à chaque moment
que ce qui est éprouvé en ce moment ; datis ce qu'on éprouve» il y a plus
que des événements, mais des idées et jugements sur îes objets; que,
dans tout événement psychique, il y a un élément itianalysable qui n'est
pas un événement; que la psychologie ne peut être une science séparée.
•i38 REVCE PHILOSOPHIQUE
parce qu'il n'y a rien ((ui soit en dehors de l'esprit. L'auteur examine
ensuite séparément deux autres objections : 1° que de purs phénomènes
siont nécessairement séparés et manquent de toute continuité ; î* qu'en
tout cas, ce sont de pures perceptions simplement données au moi.
V. TOnnîes. Tornn'noinjie philo^Oit/iique. — L'auteur terminé 1»
publication de son mémoire couronné : la plus prrande partie est comi-
crée à indiquer à des remèdes.
V. Kno\. S«//.t rt'*futntinn de VempirismeparGreen, étudiée d'après
les deux premiers chapitres de ses a Prolegomena to Ethics » et des»
Hiéoric de la c.»nscience éternelle, en dehors du temps, dont l'orga-
nisme animal, ddunant naissance à la conscience individuelle, n'est
que le véhicule. — Cotte doctrine que la pensée n*est pas dans le
temps, et qui prétend ainsi détruire l'empirisme, » rend la psychologie
inipnssiMe, rend notre connaissance de la nature impossible et comme
elle laisse le mot « ct»n<cience « sans vestige de signification, rend la
philosophie impossible. »
n. Mai: Coll. L»* raison nrment symbolique ;3* article.;
l.K MAr.rnANT DousE. ^'«/• q\i*^l'}ue$ petit**^ interfèr'inces psycholo-
[li'iue<. Kaide taile daprès les examens de certains candidats aux Uni-
versités si:r l'-s erreurs d'appellations : telle sont la pi'»Uep'<i6, la méti-
pf\l'<'\ la mol.illaj'e. \\»pi.<:fiviuim»^sii^, la contamination.
M \i: TA.iiîAKi" ; //t\;-'; 'f /i^s •- ^'■; trie< Je ri:lê'\
\\K>rKr.v'\:iOK : /i-'7'i r i:it<.<urlesp>\'d-r:ttii d**i:j\sjemeii:s moraux.
lis son: :;r.aîeî:;e:;: l-asos sur les émotions soit duidi^nalion §oJld'»p-
c"e>; un :"a;t que les moralistes inielleoiUvilistes ont vaine-
:;: es-^iwi- -le mer. e:; d'autres ter::. es. sM n y avait pas dételles
:•..■::>. ..:. v auiar. .\:...i.s eu de preiio^ts moraux. Ces prédicaU
'.:q.;.::: los i:j:ie:M"..-.r.î..:.s ie i:u':;.»:r.é:ies e::îo:io:i '.e"s. faites par
iiîiv.e .\.uoi::-s ôj :e:::: s. i.\i.i:ei;r. ; oi;r éîaL''..rla 'oase cii.oliou.icl.e
".il -' ■> .: .:.-o :". raie. i\A*:.::;e les ràiport> ^.ies diverse? ircdicaîs
■.;;\ .ivos.* le-î c:.:.: :.s d :.; i:i::i.k::.»'i e: dai-p'*oba:i:':i. La :.«'t;oa
.;o\ .. : : o-i*. e ^e- ::o d: '.:% :.: ra.e r/.-i-rriie nés: ias u'.:in.e
:..i-...».y^,." .r' . ^-.■■; ^;^' i> .:: c^. ..i\\..:rcs é'.J;r.er.:s : vi'abri ceiu:
•■ : : :..<>:; j.i-a;:.::» :::;^erA::f : -:a.s j.:; i.'ess pa? :.cCtàsa:e«:
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REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS 439
qu*appartient l'ouvrage récemment publié par Miinsterberg: Psj/c/io-
logy and Life^ soutenant que « dans la vie réelle, nous sommes des
sujets voulants dont la réalité est donnée dans nos attitudes volon-
taires, dans nos sympathies et antipathies, amours et haines, affirma-
tions et négations, «t comme ces attitudes se recouvrent et s'associent
réciproquement, notre personnalité volitionnelle a une unité », L'au-
teur entre ensuite dans quelques détails sur cet ouvrage dont on trou-
vera l'analyse (Revue philos., 1899, tome II p. 428.)
Myers. Le Vitalisme: revue historique et crih'qfue. (U' article.) L'au-
teur expose rapidement les doctrines de l'antiquité, les suit chez les
Pères de l'Église, à la Renaissance ; puis vient la réaction du mécanisme
de Descartes qui suscite l'animisme de Glisson et surtout de Stahl;
modifications amenées par la théorie cellulaire ; opposition de Cl. Ber-
nard au vitalisme qui trouve quelques nouveaux adhérents en Alle-
magne mais ne s'affirme réellement qu'avec Bunge et Rindfleisch,
1887-1888.
La Revue philosophique publiera dans son prochain numéro un
compte rendu détaillé des Congrès internationaux de philosophie, de
psychologie et d'histoire générale des sciences.
Le congrès international de psychologie, dans sa dernière séance
(20 août) a décidé que sa 5* session aura lieu à Rome en 1904, à une
date qui sera fixée ultérieurement par le Comité directeur : Président :
M. LuciANi, Recteur de l'Université de Rome; vice-président, M. Sergi,
professeur à la môme Université; secrétaire général, le prof. Tambu-
RINI (à Reggio-Emilia).
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE
Durand (de Gros). Variétés philosophiques, 2* éd., in-S®, Paris,
Âlcan.
C. Stumpf. Tafeln zur Geschichte der Philosophie, în-4'^, Berlin,
Speyer und Poters.
M. AscHER. Renouvier and der franzôsische Neu-Kriticismus, in-8o,
Bern, Stiirzenegger.
Aars. Zur psychologischen Analyse der Welt : Projectionsphiloso-
phie, in-8% Leipzig, Barth.
E. Haeckel. Die Weltrâthsel, in-S*», Bonn, Strauss.
L'Institut catholique de Paris annonce la publication d^une Revue de
philosophie qui paraitra tous les deux mois, à partir du l*^** novembre
prochain, sous la direction du R. P. Peillaube. Nous donnons un
extrait de son programme :
« On se propose, en fondant cette revue, d'offrir un organe spécial à
tous les philosophes qui, s'inspirant, au sens large du mot, de Platon
et d'Aristote, de saint Augustin et de saint Thomas, poursuivent une
synthèse vivante et progressive, toujours ouverte aux progrès de la
pensée et capable, au milieu du désarroi intellectuel, d'unir tout ce
qu il y a d'éléments sains dans la raison humaine.
Bien qu'il existe actuellement en France des revues très appréciées
qui leur font bon accueil, un certain nombre de nos collègues nous
ont demandé de créer, dans ce but, un organe autonome, orienté avec
précision et exclusivement philosophique : c'est à eux que la Revue
doit son apparition.
LdkRpvucdi* philosophio sera soutenue par tous les catholiques qui
ont compris la portée de THncyclique de Léon XIII sur la philosophie.
La philosophie proprement dite et l'histoire de la philosophie au
premier plan. Comme la philosophie se superpose, à titre de science
générale, aux sciences particulières, on trouvera, au second plan de
la revue, des questions qui intéressent le philosophe, tirées des
mathématiques, de la p/i?/sir]ue, de la chimie, de la biologie, du droit
naturel et de la sociologie. — On se propose aussi de faire une part
aux rapports de la philosophie avec Vesthétique et la. vie spirituelle.
D'un côté, il y a dans les œuvres d'art et surtout dans la vie des saints
une psycholot^ie profonde qu'il convient de dégager; de l'autre, la
science du beau et la théologie ascétique et mystique ont beaucoup à
attendre des études psychologiques. »
Chaque numéro de la Revue contiendra sur ces questions :
1. Des nrticles origiiiaux:
V. Des anali/st's et des comptes rendus;
.'{. La reciut des })ériodi(iU('s français et étrangers;
I. Le IhUlf'tin de renseignement philosophique.
Le propriétaire-gérant : Fklix âlcax.
Coulommior». — Imp. Paul BUODARl) .
DE Lk VOLONTÉ
A. Conflit des tendances. — 1" Sensatïoos comparées à sensations.
S»^ Sensations comparées aux simulacres et aux idées. 3^^ Simulacres
comparés entre eux, selon leur degré d'abatraction, et au» idées
abstraites, i^ (dées abstraites purea comparées aux idées abstraites
transformées en métaphores. 5° Connaissance d'un fait présent com-
parée à un souvenir ou à une provision. Les souvenirs comparés
entre eux, et les prévisions entre elles. Le souvenir comparé à la
prévision. 6"" Connaissance d'un fait comme plus ou moins probable
ou possible^ comparée à la connaissance du même fait comme réel
et certain. 7° La même connaissance plus ou moins précise, 8^ La
même connaissance plus ou moins attentive. 9^ La même connais--
sanee abstraite, selon qu'elle est plus ou moins voisine des faits par-
tie ulierî", — ID** Résumé,
B. La tkndakcë nxÉË. — I* Fixée sans aucun conflit* 2^ Fixée aprèi
conflit, ayant pour objet une action immédiate et présente, 3' Fixée
après conlHt^ ayant pour objet une action plus ou moins éloignée.
4^ Fixée après conflit, ayant pour objet une action plus ou moins
générale. 5<* Règle de prépondérance, La tendance la plus forte
d'après les lois donnée*», est la défuiitive.
a, induction psychologique, b, induction historique, c^ preuve à pnori.
d, réfutations* e, force de la tendance fixée.
C. Influence de la tendance fixée. — t" Sur les mouvements. Pour-
quoi? 2** Sur les connaissances. Pourquoi? H^ Sur les sensations,
plaisirs, peines, tendances. Pourquoi? — Résumé.
i» Les pa^es qu'on va Hre sont un fragment d'un irailé de psychologie écrit
[>&f M. Tâîne de 1B53 à iâ55. La première partie du travail portait comme mna-
titre Fonçliom Théoriquéê \ eWû a élî' reprisse et développée dansi les volumes sur
riniéiligence, — La seconde parliez intilulêe : Fouû lions praiîquest se subdivi-
sait en trois livres : -- l. Des Passions. — II. De la Volonté, — III, Des mouve-
menlîî. C'est Je second livre que nous publions aujourd'hui. — M. Taine devait
donner comme suite au traité de Vlnteltif^énee^ un ouvrage sur La l^otonté. Ses
travaux hisloriques ont suspendu ce projet ffull n'a jamais pu exécuter. Noua
avon^ cru qu'il serait întérest^anl pour leis amis de sa pensée de connaître celte
premiËre esquisse* ^ Noutf publieroniî également ici de courtes notes et ei$sais
de plans pour la Volonté, postérieurs k VlnielHgence et écrits probablement
ûmnn l'hiver de 1870* (Note des éditeurs.)
TQSIK U ^ KOVÊH&nE 1900. 29
443 REVUE PHILOSOPHIQUE
Nous prions le lecteur de faire abstraction du mot Volonté, que
nous mettons en tête de ce chapitre. Ce mot pourrait réveiller en lui
des préjugés, et Tempècher de bien voir les faits, surtout s'il a lu
des ouvrages de philosophie. Nous allons simplement décrire ces
faits et, plus tard, nous leur donnerons leurs noms, vulgaires ou
philosophiques.
A. Conflit des tendances.
Nous avons vu les diverses tendances isolées ; nous allons les voir
agissant ensemble. Quand nous disons qu'elles sont en conflit, ou
contraires, nous voulons dire que les actions auxquelles chacune
d'elles aboutirait s'excluent et sont contradictoires : par exemple,
rester à un endroit, et le quitter ; penser à un objet, et n'y pas penser.
— Ce n'est pas tout pour une tendance d'exister, il faut qu'elle soit
fixée, maîtresse et définitive. C'est le second pas dans l'histoire do
passage de Tidée à Faction, de la théorie à la pratique, de la modifi-
cation que Textcrieur détermine en nous à la modification que nous
déterminons dans l'extérieur.
On a montré que ces tendances sont d'inégale force, et pourquoi.
Cherchons les lois de cette inégalité, en parcourant successivement
les diverses classes de tendances.
l*' Sensations comparées à des sensations.
Nous avons vu deux classes de sensations parfaitement distinctes,
les unes cognitives, les autres impulsives, la plupart des sensations
cognitiveSj et peut-être toutes, ayant un siège, c'est-à-dire desnerls
distincts des nerfs impulsifs. Nous avons vu aussi que le plaisir et
la peine, et en général la puissance impulsive, est très faible et diffi-
cile à prouver dans les sensations cognitives, tandis qu'au contraire
elle est presque l'unique propriété des sensations impulsives, et y
acquiert une intensité excessive. Enfin nous avons prouvé par l'eu-
men des organes, et la correspondance des sensations impulsives
aux besoins de Torganisme, que cette propriété des nerfs impulsif
est le but de la nature.
Il reste à l'expliquer. La douleur étant une diminution d'être, ï
suit de là que la douleur de ces nerfs est une diminution d'être; ^1^
ce qu'ils sont seuls susceptibles d'éprouver de la douleur, et eoloot
cas qu'ils sont infiniment plus susceptibles que toutes les autres
parties, nerveuses ou autres, d'éprouver de la douleur, il suit (p
tout l'être de l'individu organique s'est concentré en eux. Le s}*»-
tème des nerfs impulsifs doit donc être considéré comme le repré-
H. TÂlIfE* — DE LA VOLONTÉ
443
sentant et le substitut de tout Torganisme, de même que le cerveau
est la représentant des nerfs impulsifs, Cette concentration et cette
substitution sont des phénomènes dont nous avons vu plusieurs
I exemples. Les mots se sont substitués aux idées, les simulacres aux
BObjets, les images aux sensations. Les actions répandues dans tout
wle système nerveux se répèlent et se concentrent dans le cerveau.
W Ainsi, nous n'avons îâ qu'un fiiit ordinaire.
Quelle est la cause de cette substitution? Car elle en a une comme
'ouïe autre substitution. Ce qui dislingue Tanimal de la plantCt c'est
yue Tt^tre organiiiue qui est en lui comme dans la plante se trouve
jùàwnt^ la conscience, qui est un (léveloppement supérieur; par cou-
se ^3 ueal, il doit être aperçu par la conscience, et rairecter de douleur
H ^le plaisir. Mais celte union, qui consiste dans la propriété d'être
[^^^ rgu et de faire soufTrir ou jouir, est un point de vue spécial, une
Di^ c::lion particulière; et c'est une loi physiologique (Milne Edwards),
[a^.& mesure qu'on s'élève dans la série animale, des appareils de
il\-m^ en plus distincts sont affectés à des fonctions distinctes, ce
[u^^nïti peut voir par rhistoire de la digestion, de la circulation, de la
®s ^uiraiion, des sécrétionsj de la génération, du mouvement, etc.,
^ I>arlant des zoophytes pour arriver jusqu a Thomme, D'où il suit
L^cs Torganisme tout entier, en tant que devant être uni à la con-
^"»<^ïîce, doit se trouver concentré dans un appareil distinct» qui se
^t>siitue à luit et qui, étant seul en rapport avec la conscience^
J^^G le même eiïel sur elle, et un eiTet aussi énergique que le ferait
*-^^^ântsme entier* Les zoophytes, sauf un très petit nombre, n*ont
*^s cle système nerveux distinct, et cependant ils sont sensibles. A
^^Sure qu*on s'élève dans la série^ le système nerveux se montre
^^vis nettement, les dépendances réciproques de ses parties devien-
*^nt plus élroiteSt il acquiert un centre, et arrive dans Thomme à
^tat où nous le voyons.
Ouant aux nerfs cognitifs, ils ne sont point du tout les représen-
•^^^ ts de rorganisme, mais seulement le premier degré de la fonction
t*^** laquelle les objets extérieurs se reproduisent dans le moi, pour
aevetiir images dans le cerveau» puis simulacres et mots abstraits.
On voit par celte analyse la diiïérence complète des deux classes
de
tierfë; les uns, représentants de Torganisme dans ses rapports
^^"^c la conscience, moyens d'union; les autres, éléments de la lonc-
uoii théorique, ayant rapport non avec l'organisme, mais avec les
^^ets extérieurs; les premiers, à titre de représentants de Torga-
itksrrie, éprouvant des douleurs et des joies dont T intensité est pro-
^^'Uonnée à Fimpor tance des fonctions accomplies et â la dignité
l'organisme détruit; les seconds, à titre d éléments de la fonc*
444
BEVUE PHILOSOPHtOUB
tion théorique, n*éproQvanl de douleurs et de joies que suivant q^i
leur action est entravée ou facilitée; d'autant plus faibles^ que celle
action, quelle qu'elle soit^ sert à la connaissance, et qu'en toat cai
elle a*en est que l'occasion.
Maintenant; ces sensations impulsives sont susceptibles d' acquérir
une intensité illimitée, ou de diminuer et d'arriver à zéro, sousTiû-
fluence de circonstances physiologiques et physiques : inflamroaiioQ,
maladies nerveuses, jeûnes prolongés, rut, narcotique, éthénsation
locale^ etc. Et leur énergie varie selon les tempéraments. Mais
cette question paraît plutôt appartenir à la physiologie. En psTcbo-
logie, on voit d^abord quelle domination cet accroissement d'ém
peut donner aux sensations impulsives sur les autres, et c'est là
ce qu'on y peut regarder.
2" Se7isaiîùn& comparées aux simulacres et idées absîraiîef.
Un homme affamé, quoiqu'on lui dise et qu'il sache que, s il
mange vite et beaucoup, il mourra inrailliblement dans des douleun
atroces, se met à manger vite et beaucoup. Voyez toutes les rela-
tions de tàmines et de naufragés secourus. Il faut un caractère Iras
énergique pour résister.
Beccaria développe tout au longrhîstoire d*un magistrat florentia
qui, pendant la peste, accusé d'avoir empoisonné les sources, je croif,
fut torturé, résista longtemps, et quoique innocent finit par s'avouer
coupable. Ce fait est fréquent, quoique le patient sache que, s*il
avoue, il sera brûlé, écartelé, etc.
Xénophon rapporte qu'en Arménie les soldais grecs se laissaiéol
tomber dans la neige, de fatigue, et refusaient d'avancer, quoiqu'ils
sussent que les ennemis arrivaient pour les tuer* De même dans la
retraite de Russie, les soldats se couchaient et s*endormaient» lôîit
en sachant que le sommeil était mortel, etc.
Et en général, l'efTel d'une sensation excessive est de faire feif»
des actions déraisonnables ; ce qui signifie que la sensation, eu coo-
ilit avec l'idée d'un plus grand bien qu elle-même, remporte; ce
qui paraît absurde au premier coup d'œil, et contraire à la tliéoric
Au second coupd*ceil, si je me rappelle des actions de ce geûit
produites par moi-même, je découvre Texplication, La sensation
intense absorbe tellement raltention, qu'au bout de quelques instants
on ne songe plus qu'à elle, et le reste disparaît des yeux. On tot
par agir mécaniquement, instinctivement; on ne sait plus cequoo
fait; on est possédé par une idée fixe, si intensp qu'elle exclut loutas
les autres; on est comme sourd et aveugle aux autres impressions.
c'est une monomanie momentanée. Le torturé, au moment où hàûH-
leur monte à une certaine hauteur, crie : « C'est raoil J'avoue! i ni
^Éi
H, TAtlfE. — DR LA VOLONTÉ
445
ûui»lié tout le reste, il ne voit plus la roue, les fagots, il ne sent plus
d'imagination les pointes de la flamme qui le brûlera s'il avoue. On
Je relâche un instant; aussitôt, Tidée du dernier supplice reparait,
et il se rétracte. — L'affamé, pendant trois ou quatre jours qu1l n'a
pas mangé, a été obsédé par Tidée de la nourriture; en la voyant
leous ses yeux, en la respirant, en la sentant d'imagination sur sa
1 langue, en subissant la contraction furieuse et les déchirements de
son estomac, il devient presque fou, il ne comprend pas vos repré-
^ sentalions. Il n'y a donc ici qu'un phénomène d'attention.
Quel est ce phénomène, et pourquoi rattention se trouve-t-elle
[portée avec cette intensité sur la sensation actuelle? En premier
lieu, la douleur est ancienne déjà, Tidée de la délivrance incessam*
ment suscitée et avec une force croissante, et suscitée seule, a
acquis, d'après les lois de la reproduction des idées, une énergie
[excessive, proportionnelle k son ancienneté, à sa durée, au carac-
Itère exclusif de sa domination préalable. — En second lieu, nulle
jîmage^ nul simulacre n est aussi complet, détailléj que la situation ou
Isensalion qu'il représente : ainsi Timage du supplice ne renferme
[pas tous les élancements de douleur, etc., que produira le supplice
[lui-même; et d'ailleurs 1 énergie de la sensation empêche cette
rimage de se compléter, de s'animer, de se colorer, comme eile le
Ifeit par exemple dans te cerveau d'un poète, lorsqu'il s'occupe tout
[entier à se la figurer. D'où i! suit que l'énergie de l'image est
[moindre, — En troisième lieu, la sensation ne peut pa.s être chas-
tsée, car elle dépend uniquement d'une cause extérieure, tandis que
[rimage peut être chassée comme toute image- — Ainsi la sensation
[ayant acquis par diverses causes une énergie extrême et ne pouvant
[être chassée, et l'image ayant par diverses causes une énergie dimi-
mée, et pouvant être chassée, il suit que l'image sera chassée, et
lue la douleur agira seule et en maîtresse, ainsi qu'on Ta vu<
Les moyens d*y résister sont différents, i*" On peut renforcer
f image contraire par une longue iiabitude préalable. Ainsi les sau-
l^ages résistent au cadre de feu et à la torture, parce qu'ils se sont
[habitués à considérer un signe de faiblesse comme une action
linfàme, 2^ On peut empêcher cette image de disparaître. Ainsi cet
[Italien qui ne fit aucun aveu à la torture, parce qu'il eut soin à
tchaque élan de douleur de se représenter le gibet. S'^ Le simulacre
[arrive presque à contrebalancer la sensation présente, à mesure
tqu'il se complète* Si TafiTymé qui veut manger voyait son voisin qui
la mangé, tomber bleui, hurlant, se tordre» et mourir sous ses yeux,
lit hésiterait probablement, parce qu'il arriverait à imaginer avec
lassez de précision l'intensité de la douleur qu'il affronte, et qu'il ne
444 REVPE PHrLOSQFHIQUB
tion théorique, D'éprouvant de douJeurs et de joies que suivant que
leur action est entravée ou facilitée; d'autant plus faibles, que cette
action, quelle qu'elle soit, sert h la connaissance» et qu'en tout cas
elle n'en est que Toceasion.
Maintenant, ces sensations impulsi%'essoDt susceptibles d'acquérfr
une intensité illimitée, ou de diminuer et d'arriver à zéro, sous Tia-
lluence de circonstances physiologiques et physiques : inllammatioa»
maladies nerveuses, jeûnes prolongés, rut, narcotique, éthérisation
locale^ etc. Et leur énergie varie selon les tempéraments- Mais
, cette question paraît plutôt appartenir à la physiologie. En psycho-
logie, on voit d*abord quelle domination cet accroissement d'énergie
peut donner aux sensations impulsives sur les autres, et c'est là iml
ce qu'on y peut regarder.
2* Seiuations comparées aux simulueres et idées ahstraites.
Un homme affamé, quoiqu'on lui dise et qu'il sache que, â»!
mange vite et beaucoup, il mourra infailliblement dans des douleui^
atroces, se met à manger vite et beaucoup. Voyez toutes les res-
tions de lamines et de naufragés secourus. Il faut un caractère très
énergique pour résister»
Beccaria développe tout au longrhistoire d*un magistrat ttorenti*^
quij pendant la peste, accusé d'avoir empoisonné les sources, je croi^^
fut torturé, résista longtemps, et quoique innocent finit par s*avoi*^^
coupable. Ce fait est fréquent, quoique le patient sache que, ^'*^«
avoue, il sera brûlé, écartelé, etc. ^B
Xénophon rapporte qu'en Arménie les soldats grecs se laîssaie**^
tomber dans la neige, de fatigue, et refusaient d'avancer, quoiqu'i-*^
sussent que les ennemis arrivaient pour les tuer. De même dans -i^
retraite de Russie, les soldats se couchaient et s'endormaient, tci«>^
en sachant que le sommeil était mortel, etc.
Et en général, TeffeL d'une sensation excessive est de faire fkir"^
des actions déraisonnables ; ce qui signifie que la sensation, en oû«^^
fiit avec Tidée d'un plus grand bien qu'elle-même, remporte; c^*^
qui parait absurde au premier coup d'mil, et contraire à la théori ^'
Au second coup d'œil, si je me rappelle des actions de ce ijen «"^
produites par moi-même, je découvre l'explication. La sensati^:>i^
intense absorbe tellement Taltention, qu'au bout de quelques insiai
on ne songe plus qu'à elle, et le reste disparaît des yeuît. On ili
par agir mécaniquement, instinctivement; on ne sait plus ce^jn^'
fait; on est possédé par une idée fixe, si intense qu'elle e^'
les autres; on est comme sourd et aveugle aux autn^s :
c'est une nionomanie momentanée. Le torturé, au moi m i
leur monte à une certaine hauteur, crie : y (
it
H. TAINE.
PE LA VOLONTÉ
443
oublié tout le réfute, il ne voit plus la roue, les fagots, il ne sent plus
d'imagination les pointes de la flamme qui le brûlera s'il avoue. On
le reldche un instant; aussitôt, Tidée du dernier supplice reparaît,
et it se rétracte. — Uaiïamé, pendant trois ou quatre jours qu'il n*a
pas mangéy a été obsédé par l'idée de la nourriture; en la voyant
sous ses yeux, en la respirant, en la sentant d'imagination sur sa
langue, en subissant la contraction furieuse et les déchirements de
son estomac j il devient presque fou» il ne comprend pas vos repré-
i sentations. Il n y a donc ici qu'un phénomène d'attention.
■ Quel est ce phénomène, et pourquoi l'attention se trouve- t-elïe
wportée avec cette intensité sur la sensation actuelle? En premier
W iieu, la douleur est ancienne déjà, l'idée de la délivrance incessam-
ment suscitée et avec une force croissante, et suscitée seule, a
acquis, d'après les lois de la reproduclion des idées, une énergie
excessive, proportionnelle à son ancienneté j à sa durée, au carac-
^ tére exclusif de sa domination préalable. — En second lieu, nulle
■ Image, nul simulacre n est aussi complet, détaillé, que la situation ou
sensation qu'il représente : ainsi Timage du supplice ne renferme
pas tous les élancements de douleur, etc., que produira le supplice
luj-xuéme; et d*ailleurs Ténergie de la sensation empêche cette
ima^é de se compléter, de s'animer, de se colorer» comme elle le
ûit par exemple dans te cerveau d'un poète, lorsqu'il s'occupe tout
entier à se la figurer. D'où il suit que l'énergie de l'image est
moindre, — En troisième lieu, la sensation ne peut pas être chas-
sée, car elle dépend uniquement d'une cause extérieure, tandis que
lim^i^^ peut être chassée comme toute image. — Ainsi la sensation
ayant, acquis par diverses causes une énergie extrême et ne pouvant
^^^ c^hassée, et l'image ayant par diverses causes une énergie dimi-
nuée, fit pouvant être chassée, il suit que l'image sera chassée, et
îiie Mgl douleur agira seule et en maîtresse, ainsi qu'on Ta vu*
,. ^^ f^Qygjig ^*y résister sont différents. 1*" On peut renforcer
^^^e contraire par une longue habitude préalable. Ainsi les sau-
^S^^^^ résistent au cadre de feu et à la torture, parce qu'ils se sont
'*hit.m_iés à considérer un signe de faiblesse comme une action
7^^«. 2' On peut empêcher cette image de disparaître. Ainsi cet
^^^Wi qui ne fit aucun aveu à la torturei parce qu'il eut soin à
waqaa e élaji de douleur de se représenter le gibet. 3* Le simulacre
iV^ presque à contrebalancer la sensation présente, à mesure
Qi i'affijmé qui veut manger voyait son voisin qui
li, hurlant, se tordre, et mourir sous ses yeux,
*r-* "^î^rce qu'il arriverait à imaginer avec
a douleur qu'il alîronte, et qu'il ne
^6
RKVUE nnLosownQUE
pourrait pas chasser celle image^ laquelle serait iovoloulaire, cûimne
suscitée par un spectacle extérieur, 4" Certaines idées agrêaMes
peuvent être associées h la douleur de telle façon, que le \Mm
qu*elles procurent croit avec TiiUensilé de la douleur. Par exemple.
le sauvage sent sa force d'âme d'autant plus grande el plus glo-
rieuse, qu'il souffre davantage. Il sait ses ennemis d autant plus
irrités et bravés que leurs elTorts sont plus impuissants. It la
insulte, il leur dit de faire plus, quMls ne savent pas tourmenter» etc.
— Le chrétien se réjouit d'autant plus qu'il souffre plus poursun
Dieu* De 15 les pénitences sanglantes des moines, et principalemeat
des religieuses qui ont de l'imagination, elc,
G** SlmHl.wres comparés entre eu jc et aux idées ahi^lrailes^
Stendhal, Rouge et Noir^ p, 420. Julien condamné à mort esl
brave quand il pense h la mort, prise abstrailenient. Le vieux curé,
son ami, qui vient le voir, est tout ctiangé, décrépit, l'œil morue,
vitreux, machine déjà morte à demi. Julien « voit la mort dans touie
sa laideur » et tombe dans uae atfreuse Instess^e.
Voyez, dans le paragrapiie i)récédent, U dillrrence d'émûtion outre
ridée de la mort causée par gloulonnene, et la vue d'un hommf
mort par gloutonnerie.
Nous-mêmes, chaque jour, nous lisons le récit d'une opéralion,
d*un accident, d*une mort, etc., avec une émotion médiocre. Aliei
voir une opération elTective à TÊcole pratique. L émotion croîtra
énormément,
La différence d'émotion lorsqu'on imagine est proportionnelle à
la netteté avec laquelle on imagine, à l'abondance dt's détails. Il y a
une échelle, depuis rimLige'hallucination, dont TelTet est le même
que celui de la perception réelle. Jusqu'à l'idée abstraite, en pas-
sant par une série de simulacres de moins en moins coraplelset
précis.
ÏAt Chartreuse àr Parmr ^ qui est Thisloire d'un Italien, liomro^
d'imagination, est pleine d'applications de celte loi* Fabrice, qui ^^^
dans un clocher, aperçoit les gendarmes : « Tout le monde mecoï^'
naît ici; si Ton me voit, je ne fais qu'un saut au Spielberg, oti T^*
m'attachera à cliaque jambe une chaîne pesant cent dix livres:
quelle douleur pour la duchesse! »
« Fabrice eut besoin de deux ou trois minutes pour se rappeler q
d'abord il était placé a pluis de 80 pieds d'élévation, que le lieu oit-
se trouvait élait comparativement obscur, que les yeux des gens q "
pourraient fe regarder étaient frappés par un soleil éelâlant, -'"
t.StendhtiL
H. TAINE; — UE LA VOLONTÉ
447
qu'enfin ils se promenaient les yeux grands ouveils dans les rues
donl iDutes les maisons venaient d'ôlrc blanchies au lait de chaux,
enllionneur de la fêle de Saint-Giovita. Malgré dea raisonnements
si clairs, Tâme italienne de Fabrice eût été désormais hors d'état de
goûter aucun plaisir, sMl n'eût interposé entre lui et les gendarmes
un lambeau de vieille toile, qu'il cloua contre la fenêtre^ et auquel
il fit deux trous pour les yeux* »
Fabrice* a pris pour se sauver, mais sans violence, le cheval
anglais que promenait sur la route un valet de chambre, m Au retour
U se disait : Aurai^î-je dû tirer un coup de pistolet au valet de
chambre qui tenait par la bride un cheval maigre? Sa raison disait
oui, mais son cœur ne pouvait s'accoutumer à l'image sanglante du
beau jeune homme tombant de cheval, défiguré* i
Cherchons les causes de cette ioi. 1° U est visible que le simulacre
ou image enferme beaucoup plus de causes d'émotion que le mot
abstrait. Car comparez la phrase : tL Ce valet de chambre meurt »,
avec ce qui est contenu dans Tirnage : premièrement, le passage
brusque de la beauté et de la jeunesse h la mort; secondement, le
sang sur le visage, la cervelle à nu, les yeux emportés^ la convul-
sion des muscles, les derniers soubresauts du corps gisant, le râle
rauque et douloureux; troisièmement, la chute subite, puis rinertie,
qui contraste avec le mouvement de la vie* — Cette analyse touche le
lecteur, qu'il juge de Timpression qu*il aumit s'd voyait la chose!
Carlanalyse donnée ne renferme qu*une partie des causes d'émo-
tion. Donc une des raisons de la loi est que Timage ou simulacre
renferme beaucoup plus de causes d'émotion ou faits touchants que
le mot abstrait. Cela tait comprendre pourquoi plus le simulacre est
complet et se rapproche d'une perception actuelle, plus il est puis-
sant et touchant, — Nous voyons aussi par îà ce que c*est qu'un mot
abstrait, comme mort, doulmir, tortm^e^ joie, salut ^ etc. Ce mot
abstrait ne tient pas la place et par conséquent n'a pas refTet de la
série de détails que renferme une mort, une douleur particulière.
Le mot mort signifie simplement la suppression de la vie, et le mot
vie signifie simplement ce qu'il y a de commun dans les fonctions
organiques, animales et humaines. Mais le mot vie ne remplace pas
toutes ces fonctions, ni le mot mort tous les phénomènes de Textinc-
tîon de ces fonctions. Au contraire sa nature consiste à représenter
les choses, comme si les détails n'existaient pas. De VX une difîé-
rence énorme de puissance, 2^ Si une idée abstraite se présente, si
une phrase abstraite est prononcée dans un moment pareil, lorsque
L iifid,, p. \m.
448
hevue philosophique
rjmagijiatioii est occupée par une îmoge ou une séria d'images,
ordinairement elle n'est pas comprise, elle n>nlre pas dans Tespril,^
les sons irappent l'oreille» mais rien de plus. En effel, comprendr
une phrase abstraite, c*est, comme on Ta vu^ éprouver une tendaDcaJ
pour joindre radjeclif au substantif» l'afTmité entre ces deux naoïs
étant élablie par l'habitude. Or, cette affinité est une force assez
faible, comme on peut s'en convaincre en voyant la médiocre con-
trariélé qu'on éprouve, lorsqu'elle est contrariée par une phrase
fausse ou absurde. L'énergie des images étant au contraire très
grande, comme on peut s'en assurer par expérience, raffinité entre
le substantif el l'adjecLîf ne peut s exercer , et Ton prononce ou
entend les mots sans en sentir raflinité, c/est-à-direle sens. — D'autre
part ta phrase est très aisément chassée par T image, qui dès lors
subsiste seule. Car, en vertu de la raison précédente» Timage étant
plus complète renferme plus de causes pour subsister-
Contre-épreuve : Les moyens de résisier aux images sont les suî*
vanls : i^ Développer la force de comprendre telle idée abstraite,
ou rafrinité de tels mots abstraits entre eux, par la fréquente con-
sidération de ces mots* Ainsi l'idée de l'honneur, du devoir. Oa
comprend la phrase, même au milieu des images contraires les plus
puissantes. Par exemple des soldats au milieu du feu^ pleins des
images de la mort et des blessures, à qui l'on crie : « Et votre hon-
neur 1 » — En même temps et par la même raison d'habitude, la phrase
tend k subsister, et n'est plus chassée facilement. 2^ Susciter Tintiage
' contraire, en s'appesantissant sur le mot ; par exemple pour peu
que le mot honneur persiste, Timaginalion aperçoit les paroles et
expressions de mépris du public en cas de lâcheté, les paroles et
altitudes contraires en cas de courage, etc. Ce qui contrebalance
rimpression opposée.
4" Idées abstrait t;s purc$^ comparées aux idées abstraites transfof
filées en métaphores.
œ Erra bas ^ Verres, et vehementer errabas» quum te maculas fur-
torum et flagiliorum tuorumjsocioruminnocentium sanguine eluere
arbitrabare* » '
On le voit qui, comme Lady Macbeth, essaie d'effacer des taches
de sang. Cela est beaucoup plus tort, que si Cicéron disait simple-
ment ; Tu te trompais en croyant éviter par des meurtres Faccusa-
tion de vol.
Platon (de VÉtat^ IX) compare les désirs oisifs et prodigues à un
grand frelon allé, « Lorsque les autres désirs, couronnés de fleurs.
1. In Verrem^ H, livre V, ch«p. 46,
H, TAXIIE: — DE LA VOL0?^TÉ
4i9
parfumés de senteors, enivrés de vins et accompagnés des plaisirs
effrénés, viennent bourdonner autour de ce frelon, Je nourrissent,
rélèvent, et Tarment enfin de 1 aiguillon de rambition, alors ce tyran
de rame» escorté de la démence, extermine ou chasse loin de lui
tous les senlimenls honnêtes et tous les désirs vertueux, % (Traduc-
tion.)
Le lecteur est beaucoup plus ému que si on lui disait simplement;
L'ambition et les mauvais désirs finissent par chasser tous les bons
sentiments.
Et en général, la métaphore est un moyen très puissant pour
exciter la passion.
Ce fait a plusieurs c3auses.
(a.) La première» qui est visible» est rapplicatlon de la loi pi*écé-
dente, en vertu de laquelle les images, et parlant les images contenues
dans la métaphore, sont plus puissantes que les idées abstraites,
(6,) Mais cette cause n'est pas Ja seule, comme on peut s'en con-
vaincre en remarquant qu'une métaphore est plus puissante qu'une
comparaison, quoique dans toutes les deux il y ait la même image
enfermée.
Prenez» parexemple» la métaphore de Platon qui vient d'être citée,
et mettez à la place ceci : « Semblable à un frelon que d'autres
insectes pernicieux viennent en bourdonnant nourrir et armer, etc. » ;
vous aurez la preuve du fait en question. 11 y a une certaine folie
dans la métaphore* Nous confondons en une seule chose deux
choses semblables en un point, mais difTérenles dans tout le reste :
un frelon avec l'ambition, Tassant d'une ville et la destruction d'une
population avec une substitution de passions dont l'une succède à
l'autre, etc. Aussi le propre de la poésie et du style lyrique, lesquels
se composent presque uniquement de métaphores, c'est l'emporte-
ment et la puissance excessive de Timagination*
Voyez par exemple ces vers :
ReKi"t:tie?.-vou« le temps ou d'un siècle barbare
Naquît un siËcle û'or, plus forlile et plus beau?
Où le vieil univer:^ fenillt avec Lazare
De son front rajeuni la pierre du tombeau?
Regfette^'VOuiï le temps où nos vieilles romances
Ouvraient leurs aile^ d*or veri leur monde enchanlé?
Où tous nos mon u m en 1 s et louiez nos croyances
Portaient le manleau blanc de leur virginité?
Où sous la main dn Christ* tout venait de renallre?
Où le palais du prinre et la miiison du prêtre.
Portant la même rroiï sur leur front radieux,
âortaient de la montagne en regardant le:^ cieux?
Où Cologne et Strasbourg, Notre-Dame et Samt>Pîerrei
S'agenoulllantau loin dans leurs robes de pierre,
BEVUE paiLDSOffilQUE
Sur rop;zue universel des peuple^* prosternés,
EutofiTiaieiiL riiosauua iJe^ fïèeJes nouvetiitiE-nês !
Le It^mps ùii se'tarsnit loul ce f|u'a dit l'histoire?
Oit sur lei ïsainta uutels Jea Crucifijt d'ivoire
Ouvraienl des bras bûïia Lâche, el blancs comme du laîlî
Où la vie èlail jeune, — oii Ea uiort espërail?
Il Y a évidemment dans tout ce passage une sorte d'ballucina
admirable, toutes les abstracUons se transformuat en forraes x^nm^
et grandioses. Delà une puissante cause d*émolion. Car Ja puissance
émouvante d*une idée ou ima^je est, comme on Ta vu, en raison non
seulement de la grandeur de Tobjet qu'elle représente» mais de Tîn-
tensité avec laquelle elle se produit, et de la force de ratteotîoo
qu'elle excite*
Maintenant pourquoi la métaphore est-elle toujours accompagnée
de cette sorte de folie impétueuse? C'est qu'elle est elle-mênie cetie
folie. Quand on dit : « cet homme est un lion », on fait une proposition .
absurde en soi. L'attraction entre le substantif homme, ou le simu-J
lacre intérieur produit* et la qualité de courageux comprise dans le
mot lioih est si puis.sanle, que le lion tout entier, et non plus seu-
lement son courage, se trouve réuni en un seul objet avec le sujet i
de la phrase. Cette énergie de FaltracUon produit précisément cetta]
force de l'attention et cette cause d^émotion dont nous avons parlé. ]
5^ Connaissance cCun objet ou d*un fait jirè&ent comparé à un iOu~
venir ou à une prévinon.
Un homme qui se noie s*accroche à celui qui veut le sauver avec
une obstination frénétique, tout en sachant qu'il le gênera, le noiera
peut-être, el lui-même en même temps.
Les enfants particulièrement, et les sauvages^ donnent des exem-
ples de cette loi. Un Caraïbe vend sa couverture le matin, et vient la
redemander le soir en pleurant, parce qu'il a froid.
Un autre exemple est celui des condamnés à mort qui prient, sup-
plient pour un sursis. La mort présente, actuelle, leur parait plus
terrible que la mort demain.
Un dernier exemple encore plus frappant est celui des enfants à,
qui on promet un plaisir pour demain, par exemple une friandiâe,i
un jouet, une promenade; ils disent : Oh! non, tout de suite, tout
de suite. — Nous faisons comme eux dans tout désir ardent; nous
ne pouvons pas attendre; nous sommes impatients, nous voudrions
supprimer le temps qui nous sépare de la situation désirée-
Bref, généralement, l'idée d*un fait présent produit plus d'impres-!
fiion, c est-à-dire plus de plaisir ou de peine, que ridée du même fait
à venir.
H. TAINE. — DE LA VOLÛÎ^TK
VM
Nfafs un fait à venir peut ôlre moins éloigné qu'un autre, et par-
tant dans la même situation qu'un fait présent par rapport h lui-
nièmc; d'oti l'on conclut d'avance que l'idée d'un fait à venir frappe
d*autant moins qu'il est conçu comme plus éloigné. En effet, reculer
une jouissance est une contrariété. Plus le surfis est long, plus le
condamné est content. Lorsque la distance est très grande, dix,
vingt, trente ans, Tldée perd presque toute sa force. Par exemple,
considérez que votre père a soixante ans, et que certainement d'ici
à quarante ans, il mourra, — Ealm quand reloignemenl est indéter-
minét ridée s*a(Tait>lit encore. Nous savons que nous mourrons, et
cependant cette pensée nous laisse fort tmnquillGS, quand nous
sommes en santé.
Ainsi en général l'éloîgnement du fait représenté atténue Timpres-
sîon de plaisir ou de douleur.
Je vois plusieurs causes de cette loi. (a) L'une principale, qui est
tirée de Télat naturel des images ou simulacres, ou idées. Un objet,
comnje on Ta vu, e^^t naturellement représenté comme actuel et pré-
sent. Par conséquent, le représenter cumnie futur, c'est contrarier la
tendance naturelle de la rcprésenlalton. C*esl donc diminuer sa
furce d'existence, et partant la quantité d'aUention qui lui est prêtée^
Pattention étant proportionnelle a lenergie de Faction cérébrale qui
est son objet. Or avec la quantité d*attention prêtée diminue la quan-
tité de puissance impressionnante, et parlant la grandeur de la peine
et du plaisir. — On comprend par là que, lorsque la position du fait
futur paraît indéterminée^ et qu a mesure qu*on essaie de la placer
quelque part il en est exclu par le doute, sa capacité d^émouvoir
diminue subitement d'une manière plus considérable encore. Car sa
force d existence est attaquée par la totalité des exclusions* \b) La
cause secondaire est que le fait prévu n*est jamais représenté aussi
complètement, avec des détails aussi nets et aussi particuliers, que
le fait actuellement vu. Ainsi le noyé qui s'accroche ne sô figure pas
la mort de son sauveur et les suites de sa frénésie aussi nettement
qu'il sent rétoutlement et la congestion cérébrale qui commence.
Une autre cause secondaire, c'est que le fait à venir paraît toujours
un peu douteux, parce qu on imagine toujours des obstacles pos-
sibles.
Mêmes faits et môme explication pour ce qui est des souvenirs.
Gepejïdant il faut noter qu'ici le fait représenté est d'autant moins
distinct et moins détaillé qu'il est plus ancien, parce que Ténergie
reproductrice du cerveau a contracté d'autres habitudes. On Ta
oublié partiellement.
Comparons maintenant Pi m pression d'un souvenir à celle d'une
m
REVUE PHILOSOPHIQLTE
prévision. Par exemple, un hoîniïie qui a subi une opération et à qui j
on annonce qu'il faudra la recommencer. On vous a arraché une
dent, et vous reconnaisses qu'on devra vous en arracher une aulie
bientôt. Vous avez gagné hier une somme d'argent, et vous pré-
voyez que demain vous gagnerez une somme pareille. — Dans ces
cas et dans tous les autres^ un fait à Tétat de souvenir nous touchel
moins qu*un fait à Tétai de prévision.
Pour expliquer cette loi, il faut remarquer que le présent par
rapport auquel on considère le fait à venir ou passé, o'apparait pas
comme un point fixe, mais comme un point en mouvement, et i
mouvant vers l'avenir. Le moi que j'aperçois se dirige vers le fait'
futur, il va y loucher, et par contre, il s'éloigne du fait passé. Ma
pensée est emportée par le mouvement de son objets et ainsi se
trouve inclinée à considérer le futur plutôt que le présent* CeltÊ
inclination détermine en faveur du fait à venir une intensité d^alteo-
tion plus grande, et partant lui communique une plus grande puis-
sance pour faire impression.
Cela explique pourquoi la pensée des hommes est plus ordinaire-
ment loumée vers l'avenir que vers le passé.
Enfin il faut noter que le futur et le passé, surtout très éloigniis,
paraissent pius beaux que le présent.
Foraan et bsec rïiemLfiLSseJtiTabit»
On sait les châteaux en Espagne que nous faisons et les charmâmes
apparences que prend notre espérance, etc.
En effet, quand nous imaginons un fait futur, n étant pas gênés
par la connaissance présente des conditions de son accomplisse-
ment, nous rimaginons en artistes, et nous l'arrangeons d'une Cac<iQ
aussi intéressante que possible, uniquement selon les convenances
de notre imagination, et selon les attractions de nos idées. Tandis
que lorsqu'il est présent, il suit sa loi propre, nous sommes obligés
d'accommoder notre imagination à sa nature réelle, ce qui gt^-ne les
attractions de nos idées. Par exemple, voir la mer, après ravoir imi-
ginée. Avoir un prix, après ravoir espéré. Le présent est plat,
ravenir poétique, ce qui signiGe : dans un cas, notre irûaginâliofl
subit un mouvement, dans Tautre, elle suit le sien.
Et quand nous nous représentons un f^it passée nous éprouvons
du plaisir par deux raisons. Premièrement, nous sommes Imoy
portés tout d'un coup dans nn autre monde, surtout lorsque nous
nous rappelons des faits anciens, notre enfancei elc, ce qui excite
Pattention par contraste- Secondement, notre esprit reçoit un mou-
H* TAraS* — DE LA VOLOPÏTÈ
SSS
vement facile, et parlant agréable. Ce qui signifie que nos idées et
images s'attirent aisément et rationnellement ^ sans TetTort de Tin-
ventiôD, avec la vivacité et la logique de rinventlon poétique, et
avec une certitude qui manque dans Finvention poélique.
Ajoutons enfin que lorsque nous nous représentons le passé ou
Tâvenir, nous n'apercevons que les grands faits intéressants, que
les petits détails ennuyeux disparaissent, et qu'ainsi nous opérons
involontairement comme les artistes. Par exemple, je songe à ma
vie de telle époque, çtc. De sorte que le présent doit nous paraître
toujours plus laid que le passé et Tavenir, et que nécessairement
nous regrettons et nous désirons, sans jamais jouir. Il y a là un
phénomène d'optique morale, fort triste, mais qui est un puissant
ressort d'action , et qui nous pousse soit à innover, soit à restaurer,
et nous défend de rester tranquilles.
6'' Cminaiasmice eFun fait coinme pluB ou moiiis probable et pos-
$ibte^ camparée à la connaissance dti même fait comme réel et
certain^
Soit une loterie, selon qu'on a plus ou moins de billets et qu'il y
a plus ou moins de numéros, Tidée d'un lot gagné nous touche plus
ou moins. On se représente comme gagnant. Mais au même instant,
on se représente comme ne gagnant pas, et Ténergie de la contra-
diction est proportionnelle au nombre de numéros distribués, et au
nombre de billets qu'on n'a pas.
Lorsque le nombre des chances contraires ou favorables devient
si grand qu'on ne peut pas le déterminer, les autres chances dispa-
fuissent, et la probabilité fait la même impression que la certitude.
Par exemple* je sors; il est possible que je sois écrasé par une voi*
ture, ou tué par un moellon; d'après les statistiques j ai environ une
chance de danger contre 500.000 de sûreté. Cependant le 1 ne me
touche pas plus que 0 parce que je n'y fais pas attention. L expli-
cation est Ja même que pour la prévision. L'image ou idée parait
3iaturellement objet réel, certain ou présent. Les contradictions en
question diminuent sa force d'existence, en gênant sa tendance
:»aturelle. Ainsi contredite et partiellement détruite, elle attire moins
l'attention, ce qui fait qu'elfe touche moins.
7" CQnîiais$ance moins piécise comparée à une connaissance plus
'précise.
S'il s'agit d*une image ou d*un simulacre, comparez l'image très
«3bscure, vacillante, sans limites bien précises» d'un chêne, avec
^i^tte même image précise, distincte, obtenue par réflexion ^ ou
^i3ans un moment d'inspiration.
Comparez l'idée plus ou moins vague de TÉtat que peut avoir un
4Si ^ REVUE PUILOSOPBIQOE
paysan, avec cette même idée nettemeot marquée et définie dans
la tète d*uQ pubîicîste ou philosophe*
Dans le second cas, Tidée ou image est toujours plus puissanle;
en d*autres termes, cause plus de joie ou de douleur.
En elTet, dire qu'une connaissance est précise et disliriiile, c'est
dire qu'elle se détache nellenaent et fortement sur les autres* qu eliâ
fait contraste avec elles, que partant, selon les lois iloonées, elle
excite plus d'atlênlion,
8" Connah$unc€ plus ou moins attentive*
On a vu que plusieurs des cas précédents renlrent dans celui-ci.
Plusieurs autres y sont compris* Tel homme fait plus d'attenlioui
un objet d'art, à une idée scientifique, à une espérance d'ambitiorï,
d'avarice, à un objet de vanité, au bonheur de son ami, de son Ui,
de sa maîtresse, etc* ; tel autre moins, tout cela d'après les lois des
passions* Mais on a expliqué comment il se fait que ratteiition,
accroissement de Tact ion intellectuelle, détermine un degrr île
douleur de plus dans la douleur, puisque la douleur est la diminu-
tion de Taction intellectuelle*
9"* Coanamance d\m mat comparée à la connaissance dit ï}wm
mot.
Dans tout ce qui précède nous avons comparé un mode de repré-
sentation h un mode de représentation. De môme çncore dans*
article* Les sensations, les images, les simulacres à tous leur
degrés de netteté, les mots abstraits, les métaphores ne sont que
des substituts ou représentants dli fait ou objet qu'il s agit de ct*n*
naître. Nos comparaisons n'ont pour but que de marquer les degré?
d*énergie impulsive proportionnelle possédés par ces diverses sorles
de représentations.
Or un mol ou une phrase étant donnée, elle peut naître avec àe
énergies impulsives très inégales* Comparez une phrase à Tétai da
banalité, de lieu commun général, telle que vous la lise^ souvent
dans les livres, et cette même phrase suscitée en vous par rinipres-
sion d'un ou plusieurs faits particuliers* Par exemple : « L'amour de
la patrie est un noble senlimenl ï^* Celle phrase ainsi présentée me
laisse à peu près indifférent* Mais supposez que Je la produise el
que je rinvenle, que je lise la vie de lïùche, de 1^ Tour d'AuvergTJ(\
de Caniot, de Cambon, que je cûmpare ces vies à celles de Louis XV
ou du savetier du coin, celte phrase ainsi suscitée aura une puis-
sance énorme* Je Taffirmerai avec une certitude extrême, je ïa
comprendrai à fond; les mots : « amour de la patrie, sentîmenl noble ^
Jailliront ressuscites comme par une commotion éïeclni|ue, et se
joindront avec une affinité très puissante* Telle est la puissaiace des
H. TAINE. — DE LA VOLONTÉ 4SS
faits particuliers substitués à deè idées générales. La force d'exis-
tence et Taffînité des idées s'en trouvent accrues et partant leur
capacité impulsive. (Julien ' : Une idée le saisit avec toute la puis-
sance de la, première idée qu'on croit avoir inventée, et faillit le
rendre fou, etc.) — On comprend par là qu'il y a une échelle dans la
capacité impulsive d'une phrase, depuis l'état où elle est suscitée par
des faits particuliers, jusqu'à celui où elle n*est plus qu'une pure
banalité, sans aucune puissance impulsive, réduite à l'état de
formule, et bonne tout au plus pour figurer dans une science.
Maintenant, -si l'on considère plusieurs connaissances, on verra
que Pierre a la capacité d'avoir plus d'idées et des idées mieux clas-
sées que Paul, dans un espace de temps donné; ce qui donne une
plus grande force impulsive aux idées de l'un qu'aux idées de
l'autre, etc.
RÉSUMÉ.
En considérant l'échelle des modes de représentation, on trouve
ainsi une échelle d'énergie impulsive : voici l'ordre,
a. Sensation impulsive pure. .
6. Sensations cognitives avec simulacres.
c. Images avec simulacres à différents états de netteté, selon que
Tillusion affirmative et l'apparence présente sont plus ou moins
contredites, selon que l'intensité de la production est plus ou moins
grande.
d. Phrases abstraites, selon que les affinités de leurs éléments
sont plus ou moins énergiques.
Cet ordre exprime les principaux degrés de décroissance de
Ténergie impulsive. On voit par le tableau que plus le substitut
s'éloigne du fait représenté et met d'intermédiaires entre lui et ce
fait, et plus sa tendance à exister est faible, plus son énergie
impulsive diminue.
B. La. tendance fixée.
Le chapitre précédent a exposé les lois générales de Tinégalïté
des tendances. Outre ces lois, qui sont les plus générales possible,
il y en a de plus particulières qu'on trouvera dans la théorie des
passions. Par exemple, l'idée d'un bien plus grand a plus de force
impulsive que celle d'un bien moindre. L'idée de telle sorte de bien
\, Rouge. et Aôir, :''.''
456
REVUE PfllLOSOPaîQUK
est pîiJ3 puissante sur celui qui a tel genre de passion dominante,
ou qui se trouve dans telle situation, elc.
Des tendances contraires d'inégale force, se trouvant en présence,
il est clair que lune sera plus forte. Cela suit de la définition même
de rinégalité. Celle-ci est donc délinitive, c*est-à-dîre qu'elle
annule l'autre et subsiste seule- En d^autres termes, elle est fixée.
Voyons les diverses espèces de la tendance fixée, et les eircoiis-
lances qui accompagnent cette fixation.
L La tendance peut se trouver fixée sans aucun conflit, immédia^
tement, nulle tendance contraire ne s étant présentée.
Par exemple, à la vue d'un coup, on lève le bras ; au moment de
tomber dans un fossé» on rejette le corps en arrière. En voyant
arriver une voiture, on fait un saut pour ne pas être écrasé, etc.
Dans tous ces cas, il y [a] idée subite d*un danger, tendance à
l'éviter, et point d'antre idée, ni point d'autre tendance.
Doit-on appeler cela résolution, acte de volonté? Peu împortep
Voilà le fait constaté^ sa nature déterminée, le nom est rafTaire des
grammairiens. — Ce cas est le plus simple, — Nous allons voir
l'histoire de la tendance fixée se compliquer.
IL La tendance peut se trouver définitive et nxée, après conflit.
Taction à laquelle elle aboutit étant immédiate et présente.
Soitj par exemple* la tendance à prendre ce livre pour le lire, et en
même temps, la tendance h me renverser sur mon fauteuil pour
dormir. Voici la description du phénomène. Il y a d'abord l'idée du
livre ouvert, idée agréable (le livre est un volume de Stendhal),
laquelle par conséquent tend à persister; ce qui amène Tidée de
rouvrir, idée agréable, et partant la tendance à rouvrir. Jusqu'ici
le fait est exactement semblable à celui de l'article précédent. Mais
en même temps survient Tidée du bon sommeil que j'aurais, ren-
versé sur mon fauteuil ; en môme temps j il y a fatigue, tendance
physique à ne pas agir. Les deux constituent une tendance contraire
à la première. L'idée du livre ouvert» écartée ou obscurcie un
instant, revient avec plus de clarté et d'énergie; désormais elle
subsiste seule; l'autre n'apparaît plus. La tendance définitive et
fixée est maintenant la tendance à lire.
A chaque quart d'heure, il se passe en nous vingt faits sembla-
bles. Notons seulement que dans les deux ou trois apparitions suc-
cessives des deux idées et tendances contraires, ces idées et ten-
dances changent de caractère et d'intensité; la sensation de fatigue
a cru ou diminué; l'idée agréable de la lecture est devenue plus ou
moins agréable, par Fadjonction d'une idée auxiliaire ou complé-
mentaire, par ridée quHl ne faut pas être paresseux, que celte
I
H. TAlEfE. — m LA VOLONTÉ
457
Jectare m*est utile, que je n'aurai pas le temps de la faire à un
autre moment, etc.
Tout ce que je puis remarquer de général, le voici : Des idées ou
sensations agréables ou désagréables, (Voix naissent des tendances
contraires, existent ensemble, avec des intensités changeanles» pré-
dominant tour à tour, jusqu'à ce qu'enfin l'une d'elles soit déilniti-
vemenl et d'une manière fixe ta plus intense : ce qui arrive ordinai-
rement par l'extinction de Tidée contraire, et par conséquent de la
tendance contraire. Dans ce cas, on en revient au phénomène simple
décrit dans l'article 1.
IIL La tendance peut être fixée après conflit, et avoir pour objet
une action plus ou moins éloignée.
Notez que dans le cas précédent, il s'agissait déjà d'une action un
peu éloignée. Ouvrir le livre n'était [pas] Tobjet immédiat du désir,
ridée vraiment agréable; ce n'était qu'un moyen. L*idée agréable et
le véritable but était Taction de lire. — Cette fois nous allons consi-
dérer un but très éloigné, exigeant une grande série d'actions
intermédiaires. ÎSous aurons ainsi étudié les deux extrêmes.
Par exemple, F idée d'aller à Orléans pour aiïaîre. L'idée des
moyens naît d*après les lois de Tassaciation des idées» En pensant
à Orléans, je pense au chemin de fer qui y aboutit. En pensant au
[Chemin dater, je pense à Tembarcadère, à l'argent de la place, au
fiacre qui m'y conduira, à ma malle que je mettrai sur le fiacre, à
l'escalier que je dois d*abord descendre, etc. Rien que de connu
jusqu'à présent.
Ce qui est remarquable, c^est la transmission de la tendance d'un
bout à l'autre de la série des moyens. L'idée de ma présence à
Orléans étant agréable, Tidée de mon voyage en chemin de fer qui
s'y trouve unie est agréable aussi d'après une loi indiquée. Voyant
comme une seule et même chose ma présence à Orléans et mon
voyage en chemin de fer, il est clair que pendant cette union ce
voyage doit me paraître un fait agréable. Mais ce qui est frappant,
c*est que ridée de ma présence à Orléans étant passée, Tidée du
voyage^ demeurée seule, persiste à être agréable; que par le même
procédé, Fidée de la course en fiacre, puis celle de la malle à faire^
deviennent agréables, etc* En ce moment, je fais ma malle, je ne
pense pas plus à Orléans qu'à la Chine; et cependant j'éprouve une
tendance k la faire, à plier les babils, etc. Il y a là comme une aiman-
tation et un transport de vertu attractive, iaquelle subsiste après
que ridée qui la cause s'est retirée.
Cela est encore bien plus visible dans les longues suites d'actions.
Un homme veut faire fortune, pour vivre à Taise et s*amuser. Au
TOME L. — lîiOO. 30
458
HEVIIE PHlL050f>HiaUË
bout d'un certain temps, it oublie son but, il Mt comme but ce qu'il
faisait comme moyen, I! gagne de Fargent pour gagner de rargênt.
C'est uniquement grâce à ce procédé, à cet oubli du bot, à ce
changement du moyen en but, qu*on peut accomplir les grandes
entreprises. Par exemple, uti homme qui fait un livre, un roi qui
fait une guerre, etc. On pose d'abord qu il faut atteindre tel but; on
en conclut qu'il iaul d*abord produire telle action. Peu à peu, oo
finit par apercevoir Taclion comme devant être faite, sans plus
apercevoir qu'elle n'est qu'un intermédiaire* Une partie de l'idée jm-
mitive s'etîace, il n en reste qu'une partie. Au Heu de se dire : il but
faire Taction A pour parvenir à faire Taclion B; on dit, en suppri-
mant la deuxième moitié de la phrase : il faut faire raction A. Plus
cette action est difficile, et exige d'attention intense, plus on con-
centre son esprit sur elle, abstraction faite de l'action B* Od finit
par la vouloir avec fureur,
Considères^ par exemple un siège, la défense d'un poste; Ja gar-
nison s*y attache avec une opiniâtreté désespérée, non pas parce
qu'elle considère que cela est utile à la conduite de la guerre, mais
en vertu du mécanisme indiqué. De même le savant qui se dit :
THisloire des mathématiques chez tes Arabes serait une chose atile
à la science. L'énergie avec laquelle il s'y met, apprenant le Cùké
diiTé rentier le persan, Tarabe, n'est pas proportionnelle au degré
d utilité qu'il y aperçoit. Nous finissons par vouloir mécaDiqnemeot
ce que nous voulons.
11 y a donc là un phénomène curieux, dont voici le résunsé* U
moyen G étant aperçu comme uni au but D, son idée ou iiDUge
devient agréable comme celle de D. De là cette phrase abstraite :> il
faut taire G puisqu'il faut obtenir D ». Cette phrase abstraite peiJ^
peu se mutile, il n'en reste que la première partie : « il faut faut
G >, phrase qui renferme une tendance > puisqu'elle renferme ïlnà*
cation d*un but. Getle tendance peut se fortifier jusqu'à ua dep^
illimité, si les circonstances développent l'attention portée surC
IV. la tendance peut être fixée après contlit et avoir pourobj«l
une action ou un étal plus ou moins général.
Par exemple, se décider à apprendre telle science, à embnspfif
tel état. Ces buts sont beaucoup plus généraux que raction de UfC
tel livre, de se trouver dans telle ville, etc. Ils compreonent non
seulement une action éloignée* mais encore une action ou un ^^
complexe, c'est-à-dire une collection d actions ou d'états.
C'est dans ce cas que se rencontrent les délibérations l(ïs P^^^
complexes, les plus agitées. L'idée de chaque parti comprend "^^
multitude d'idées outre celles des moyens et conséquences, coosc'
H. TAIHE, — HE LA VOLONTÉ
459
[queïîces des moyens, possibilité d^atteindre le but, etc. On flotte
[cent lois de Vnn à Tautre; souvent on dit ; « Tant pis, à Taventurel ï»
' — D'autres fois, on suit sa passion secrète, elle se fait sophiste, ne
laisse voir que le bien, écarle les idées contraires. Le seul moyen de
fixer sagement sa tendance, est de classer méthodiquement les rai*
tsons pour et contre.
— Je dis maintenant que la tendance fixée et définitive dans tous les
cas indiqués est ce qu'on appelle une vohlion, ou résolution. Le lec-
teur peut s*en assurer en observant ce qu'il appelle une résolution,
par exemple la résolution de lire un livre, d^allerse promener, d'en-
»lreprendre telle spéculation. Il verra qu'il appelle résolution relTort
ou tendance intérieure arrêtée et définitive à la suite de laquelle
naît raclion; que cet état s oppose à la fluctuation qui a précédé, et
qui comprenait une succession de tendances commencées, contraires,
oui s'entre-délruisaïent; que cette tendance est une force, ou néces-
^tfté intérieure d'action, comme la résolution dont il s'agît; qu'enfin
^lle a toutes les propriétés de la résolution, et que la résolution a
^>{j^ les caractères qu'elle-même possède. Que, par conséquent, elle
tt ce qu'on nomme résolution.
X-e langage ordinaire et les étymologies confirment cette analyse.
r^ uere signifie rendre stable et fixa. Décider^ trancher, signifient
Lf^er lobstacle qui empêchait la tendance de se fixer. Résoudre a
tème sens. — Se déterminer indique qu'on trace une limite, qu'on
if>éche fesprit et le désir d'aller à droite et à gauche, qu'on les
c^^ dans un espace borné. Je m arrête, je me fixe à ce partie signi-
Lt. encore la même chose* En allemand, en grec, les sens sont
LicDgues. Résolutiùn signifie partout direction de la force humaine,
lo, tendance intérieure dans un sens précis et limité, succédant à
ï^fésence simultanée de deux directions et de deux tendances
ilfaires qui se détruisaient.
Sciant au mot volonté, pris au sens ordinaire, voyons ce qu'il
Lille* On dit : < cet homme a une grande force de volonlé^ ou une
t>lcinté faible ». Ce qui signifie qu'une fois sa tendance fixée dans un
^^^s, j[ Il en dévie pas, quelque grandes que soient les tendances
^•ïlt-aires que les circonstances développent en lui, ou dans le cas
'Pposé, qu'il en dévie au moindre obstacle* Le mot volonté, au sens
>rtli naire, signifie donc simpiement rénergie plus ou muins grande
•ô 1^1 tendance définitive et fixée. — Quanl à ce mot, pris au sens des
Piïilosophes chrétiens ou contemporains, et signifiant la faculté pure
^ft^pi*c}duire des résolutions, nous n'en avons que faire; il n'a servi
V^ ^ produire la doctrine absurde de la liberté, que nous réfuterons
Pï^oohiainement.
460 REVUE PH1L0S0PH1QLE
Considérons maintanaDt un exemple délaillé de délibérations et
de résolutions. Je remprunte au plus exact de tous les analystes, k\
Stendhal ^ :
« Le comte passa la soirée sans lumière, à se promener ati
hasard, comme un homme hors de lui. Plonge dans des angoisses
c]ui eussent fait pitié à son plus cruel ennemi^ il se disait : Hiomme^
que j'abhorre, loge che^ la duchesse, passe tous ses moments avec^
elle» Dois-je tenter de l'aire parler une de ses femmes? Elle est sa
bonne, elle les paie bien. Elle en est adorée! Et de qui, grand Dieu,
n*est-elle pas adorée! Voici la question, reprenait-il avec rage* »j
(Admirable, II enfilait involontairement 1 enuniération des ménles
de sa inaitresse* Il se retient, il veut dOlibérer, c'est-à-dire l'idée de
la délibération comme nécessaire surgit de nouveau el prêdointne,
H prononce la dernière phrase furieusement, par un reste d'impul
sion, quoiqu'elle soit tranquille, comme le Joueur qui dit avec rage * :
Non, il élail de Rome!) ■
û Faut-il laisser deviner la jalousie qui me dévore, ou ne pas eu
parler? Si je me tais, on ne se cachera pas de moi. Je connais Gina*
c*est une femme tout de premier mouvement. Sa conduite est
imprévue^ même pour elle; si elle veut se tracer un rôle à Tavânce,
elle s'embrouille; toujours, au moment de Taclion, il lui vient une
nouvelle idée qu'elle suit avec transport comme étant tout ce qu'il
y a de mieux au monde, et qui gûte tout, »
[Les mots allongent. Tout cela est vu d un clin d'œil. ,
(i Ne disant mot de mon martyre, on ne se cache point de mni et
je vois tout ce qui peut se passer,
« Oui, mais en parlant, je lais naître d'autres circonstances; je fâjs
faire d'autres réllexions; je préviens beaucoup de ces choses kor*
ribles qui peuvent arriver,,. Peut-<^Lre on Féloigne. (Le comte res-
pira,) » (Sublime. L'hypothèse est un plaisir extrême, parce qu'elle esl
ici une affirmation.) « Alors j'ai presque partie gagnée ; quand même
on aurait un peu d humeur dans le moment, je la calmerai,., EtcaUe
humeur, quoi de plus naturel!.. Elle l'aime comme un fils depuis
quinze ans. Là gît tout mon espoir. Comme un fils... mais eùâ ^
cessé de le voir depuis la fuite de Waterloo; mais en reven^iaU^
Naples, surtout pour elle, c'est un autre homme. Un autre hommtl
répéta- t'il avec rage* ^ (Sentez-vous les allées et venues d'un part
à lautre?) « Et cet homme est charmant, il a surtout cet air nalE el
tendre el cet œil souriant qui promettent tant de bonheur! Et ms
1
I
i
1, Chartreuie de t'armi'^ p. 127,
2. Uegrttird i Le Joueur^ acte ÏV, se, XIU.
H. TAINE* — DE LA VOLONTI^
461
yeu3£-là, la duchesse ne doit pas être accoutumée h les trouver â
notre courf... Ils y sont remplacés par le regard morne et sardo-
nique* n ill voit les formes» les couleurs, les expressions, le phy-
sique. De là la violence de sa passion » etc.)
œ Comment rapporter tous les raisonnements, toutes les façons de
voir ce qui lui arrivait, qui, durant trois moilelles heure^s, mirent à
la torture cet homme passionne»? Enlln le parti de la prudence rem-
porta, uniquement par suite de cette réflexion : je suis fou, probable-
ment; en croyant raisonner, je ne raisonne pas, je me retourne
seulement pour chercher une position moins cruelle» je passe sans la
voir à côté de quelque raison décisive. Puisque je suis aveuglé par
Texcesstve douleur, suivons celte règle, approuvée de tous les gens
sages, qu*on appelle prudence. »
(Son attention s'arrête sur la lettre anonyme. En vertu de ses
habitudes de diplomate, il cherche à en deviner fauteur, il découvre
que c*est le prince.) « Ce problème résolu, la petite joie causée par le
plaisir de deviner » (voilà le vrai et les interruptions de passion),
« fut bientôt eflacée par la cruelle apparUioit des grâces charmantes
de Fabrice» qui revint de nouveau. Ce fut comme un poids énorme
qui retomba sur le cœur du malheureux. Qu'importe de qui soit la
lettre anonyme ! 9'écria*t*il avec fureur, le fait qu'elle me dénonce en
existe-il moins? Ce caprice peut changer ma vie, dit-îL comme pour
s excuser d*êlre tellement fou. i> (Que de reploiemenls! Voilà le contlit
des passions modernes; nos tètes sont remplies d*idées, et nous
nous analysons partoutl, — etc*
V. Étant données ces diverses sortes de tendances fixées» il faut
chercher suivant quelle loi la tendance devient lixêe et délinitive.
Une tendance est une force, laquelle se mesure à la quantité de
douleur que sa contradiction développarait, ou en d'autres termes, à
la quantité d'existence positive qui se trouve attaquée, et en train
d'être détruite. (V. plus haut. ) Les di%*erses tendances peuvent donc
être inégales, ainsi qu*on Ta vu par expérience. Or, nous avons
observé que la définitive est la plus forte. Nous n'a%^ons donc besoin
de rien pour expliquer cette force plus grande- L'expïication est
donnée par la nature même de la tendance, laquelle comporte des
inégalités de force. Quant aux règles de cette inégalité, voyez le
ch. A.
Montrons maintenant que cette cause de fixation est la seule agis-
sante, qu'il n'intervient point d'autre force distincte :
a. Expérimentalement, soit le cas suivant : j'hésite et je délibère
entre ces deux partis, aller me promener parce qu'il fait beau, ou
rester ici occupé h lire un livre amusant. Tout à coup se présente
462 nsvuE philosophique
une raison que j'oubliais; je dois rester ici parce que j'y attends
aujourd'hui quelqu'un qui viendra me parler d'une affaire impor-
tante. Immédiatement je prends le parti de rester.
Dans cette occasion, on aperçoit la raison nouvelle comme un gros
Ilot qui arrive et qui vous emporte. On voit la différence d'intensité
impulsive qui existe entre elle, et sa contraire; et on sent qu'on
n'aurait pu lui résister, tout restant de même, et nulle autre raison
ne venant s'adjoindre à l'idée du parti contraire. — Ceux qui répéte-
ront cette expérience verront manifestement que la seule cause de la
détermination ou fixation de tendance est la grandeur démesurée du
désir survenu, bref, que la résolution qui est la tendance ou désir
lixé, n'est fixée que par son énergie intrinsèque, c'est-à-dire parla
force du désir.
On peut donc poser cette règle : nos déterminations sont réglées
d'après l'inégalité d'énergie de nos désirs. L'homme est une méca-
nique où sont des ressorts contraires, et sa conduite est hiée
mathématiquement selon les différences d'énergie de ces ressorts.
h. Preuves inductives.
Je prie le lecteur de prendre une personne, de sa famille par
exemple, dont il connaisse très bien le caractère, c'est-à-dire les
passions habituelles, par exemple un enfant doué d'amour-propre,
une jeune fille qui aime le monde, un homme doué d'une grande
ambition. Considérez ces personnes dans une longue série d'actions,
pendant tout un an, par exemple. Il est certain que l'enfant aura
pris un nombre énorme de résolutions et fait un nombre énorme
d'actions pour être le premier, la jeune fille pour aller au bal,
l'homme pour monter d'un rang. Il est certain en outre que plus
cette passion sera vive en chacun d'eux, plus chacun d'eux aurafeil
souvent et énergiquement le genre d'action indiqué. Il est certain
encore que plus les passions et causes de désirs contraires seront
faibles et rares en chacun d'eux, plus il aura fait souvent et énergi-
quement le genre d'action indiqué. Donc la cause suffisante et
unique des déterminations est le désir ou passion.
Nous demandons que dans ce cas on considère une longue série
d'actions, parce que lorsqu'on considère une action isolée, la loi se
montre moins sûrement, parce que les circonstances extérieures et
intérieures peuvent s'accumuler de manière à empêcher la passion
dominante de dominer. Au contraire, dans une grande série de cas,
la cause maîtresse agissant chaque fois, et les autres causes n'agis-
sant que rarement, elle finit par se montrer à découvert.
Cela est encore plus évident, si l'on prend un caractère de peuple,
par exemple celui des anciens Romains : étant donné ce désir prin-
H TAINE, — m U V0U*?8TÉ
46a
ci pal, à savoir la passion d*acquénr et de dominer, la plupart de leurs
actions sui veut-
Bref > dans l'expérience de la vie et en histoire, les résolutions et
actions sont déterminées d après T inégalité des tendances ou pas-
sions, et elles sont uniquement déterminées ainsi. Nous n'avons
donc que faire de la force que nos philosophes appellent volonté et
liberté-
c. Preuves à priori.
Elles sont déterminées d'une manière nécessaire comme en
mécanique; de sorte qu*une résolution s étant produite, il serait
contradictoire que l'autre se fût produite, tout restant de même.
En elfet, soit une résolution A produite. Les faits circon voisins
étant donnés, elle a suivi. Supposons qu'elle ait pu également ne
pas suivre. Alors il n^y a pas eu de raison pour qu elle ait suivi, ce
qui est absurde.
Par raison, on entend la présence d'un fait ou qualité quelconque^
laquelle étant donnée, révénement en question suit. Et il y a tou-
jours une raison (Leibnitz).
Appliquant la loi au cas en question, on voit qu'il est impossible
qu'une tendance étant plus forte, en d autres termes qu'une force
étant plu5 grande, ne détruise pas la tendance contraire.
Au reste, la démonstration n'est qu'un cas d'une démonstration
plus générale, de laquelle il suit qu'une chose ou fait étant donné, son
contraire n'est jamais possible en soi, et ne 1 est qu'au regard de notre
esprit. Car, soit un objet ayant la qualité B, c'est-à-dire étant B; et
supposons qu*il puisse être non-B, S'il peut être non-B, c'est que
cala n'esit pas contradictoire, le possible étant ce qui n est pas con-
tradictoire. Mais d'autre part, puisqall est B, tl n'est pas contradic-
toire (|u'j1 soit B. Donc il n'y a ni nécessité, ni empêchement pour
qu'il soit B, ou non-B- Les deux hypothèses sont donc absolument
égales. B, et non-O conviennent également à Tobjet; si l'une des
deux hypothèses est vraie, l'autre Test au même titre, et par la
Sme raison. Donc si lobjet est B, il sera non-B, et s'il est non-B,
sera B, ce qui est absurde. — Le principe de raison suffisante se
réduit donc au principe de conlradiction. Si la proposition posée
et la proposition contraire ont une égale tendance à être affirmées,
si elles sont identiques pur rapport à 1 alTirmation^ la deuxième sera
affirmée avec la première, et il y aura contradiction.
d. r..}futalîon,
I. On oppose â cette doctrine de la volition nécessaire et de la
tendance prépondérante une prétendue observation de conscience :
quand j'ai pris une résolution, dît-on, je sais que j'aurais pu prendre
46i liE\UE PHtLOSOI^HIQUK
la cootraire. Quand je k prends, je sais que je potirrais prendre la
contraire.
Je répotids que dans ce cas la conscience fait abstraction dé la
force inégale des tendances. Par exemple, je suis à mafenèlre, je
prends la réi^olution de ne me point jeter dans la rue. Je sais^ditHXj,
que je pourrais prendre la résolution contraire. Oui, mais en faisant
abstraction de rinêgalité énorme de force qui existe entre le désir
de faire le saut pour m*amuser, et le désir de ne pas me casser le
cou. Oui, en supposant des motifs très puissants ^ Thonneur mis en
question, un pistolet mis sur la gorge, etc. Mais en conservant tes
deux tendances dans leur état d'inégalité actuelle, non.
Comprenons bien le mécanisme : je me suppose voulant faire
telle ou telle action. Cette supposition est toujours possible, surtout
lorsqu'on ne considère pas Tinégalité des motifs. On peut toujours
se dire : supposons que je veuille me jeter par la fenêtre, me désho-
norer, me couper un bras, comme on peut toujours dire : supposons
que cet arbre casse tout d'un coup, que le sol se soulève, quua
orage se déclare, elc. Et dans ces deux genres de supposition, oo
peut toujours faire abàlraction des conditions nécessaires qu*aa
ignore la plupart du temps, par exemple de Tintensité actuelle da
désir de se conserver, ou de la cohé sion actuelle des fibres ligneuses*
Alors, la résolution, comme révéoement supposé, paraissant ne ren-
fermer aucune impossibilité, on les déclare possibles.
De ce qu'on a cessé de voir les empêchements* on conclut qu'ïl
n'y en a pas*
La preuve inductive de cela, c'est que moins llnégaiité des ten-
dances est visible, plus on affirme avec confiance que la voîitian
contraire était possible. Ainsi je sais qu'il me serait impossible de
vouloir monter dans la lune^ j'afïîrme avec une certitude prest^ue
égale que je ne pourrais vouloir tuer ma mère, avec une certitude
très grande encore que je ne pourrais me décider à voler, etc. Au
contraire, j'affirme que je pourrais indifféremment en ce raomeDl
me décider à lire ou bien à jouer du piano, à rester dans mon fau-
teuil ou à me lever, etc. Dans la première série d^xeroples, je ne
pouvais détacher la résolution supposée de Fénornie tendance
qu elle excite, ni apercevoir de tendance contraire assez grande
pour la détruire, de sorte que cette résolution me paraissait impos-
sible, ou presque impossible. Dans la deuxième série, au conirairef
la résolution supposée n'excitait qu'une tendance très faible, que
je remarquais à peine, et vingt motifs que j'apercevais me sem*
blaient suffisants pour la renverser. — Il suit de là que ce qui fait
paraître une résolution possible, c'est la faiblesse, ou la non-appari-
H. TAniE. — DR LA VOLOJÏTÉ
46S
tion de la tendance qa*elle excite, et en même temps Tapparition
I&LcWe de motifs plus t'orls.
I Nous ne nions donc pas le témoignage de la conscience. Au con-
traire, nous le revendiquons en notre faveur. L'observation qu'in-
voquent nos advet'saires est incomplète, et ne porte que sur une
partie des faits,
L On voit maintenant comment i[s sont arrivés k construire ce qu'ils
appellent volonté. Ayant rassemblé les résolutions en un monceau
distinct des autres faits, ils ont appelé volonté le pouvoir de les pro-
Ïuire, mot qui n'exprime qu*uue qualité générale comme tous les
oms de facultés.
Faute d'avoir analysé la voUtion, ils n ont pas vu qu'elle n 'était
que le désir à l'état définitif, et ainsi ils ont séparé leur nouvelle
faculté des autres. Maîntenanl, n'ayant pas vu que rinégalité des
■endances est la cause de la fixation de la tendance définitive, et
ayant besoin d*une cause, ils Tont mise dans cette faculté, qui ainsi
est devenue quelque chose de réel, une force. Ils lui ont donc
insi attribué une existence distincte, et une existence réelle, quand
lie n*a en réalité ni Tune, ni Tautre.
Ce n'est pas^ je crois, la peine de répondre aux objections niaises
u genre de celle-ci : puisque ma résolution est nécessaire, je suis
fmc forcé, ce n*est pas moi qui agis. — Qu'on observe seulement que
mot eantmint indique l'obligation d'agir contre sa tendance domi-
lante, obligation imposée par une force extérieure, et que dans la
rolilion, c'est ma tendance qui l'emporte, c'est mon idée qui sus-
Hte ma tendance, c'est mol qui me gouverne et détermine. Ainsi
uoique ma résolution soit nécessaire, je ne suis pas contraint, et
fest moi qui agis* Notre doctrine n'est donc pas fataliste. Car le
ol fatalité (^Turcs, Œdipe), indique une force étrangère et extérieure
aquelle contraint ma résolution naturelle et ma tendance domi-
lante* Ainsi il y a fatalité quand une hallucination produite par
'opium, ou l'ascendant magnétique, me détermine à une résolution
"que mes tendances à Tétat naturel et ordinaire n auraient point pro-
duite, par exemple quand un dérangement des menstrues frappe une
kière de monomanie homicide. On voit par là ce que la loi punit et
ce que l'opinion condamne. G*est la résolution lorsqu'elle provient
du conflit des tendances naturelles ordinaires, sans rintervention de
uelque cause anormale*
Bossuet et Reid objectent encore les résolutions qu'on prend sans
iolif^ par caprice pur : par exemple, prendre telle pièce d argent
[ans la bourse afin de payer, plutiît que telle autre semblable^ partir
u pied droit plutôt que du gauche, etc» Leibnitz a fort bien réfuté
466 UEVUE PHILOSOPIIIQUB
cet argument en montrant qa*il y a des motifs dont on n'a pas cons-
cience, perceptions et inclinations insensibles. Cette pièce était plas
commode à prendre, plus près de ma main, la première vue, etc. Ce
pied était plus dispos, le corps reposait plus sur l'autre, j'avais l'ha-
bitude de le mouvoir le premier. — On remarquera d'ailleurs, que la
volition devient invisible avec le motif. J'ose à peine affirmer que
j ai voulu et décidé de prendre cette pièce plutôt que cette aulre. Je
n'ai pas plus conscience de ma volition que de mon motif; j*ai voulu
seulement prendre une pièce, mais non pas celle -là plus que l'autre.
Je ne m'attribue pas cette volition. Et la raison en est claire : le
motif, c'est la tendance motrice ou impulsive; la volition, c'est celte
tendance fixée. Donc si je n'aperçois pas le motif, je n'apercevrai
pas la volition.
II. Responsabilité.
Voici une série de faits qui en indiquent la loi, c'est-à-dire qui
indiquent d'après quelle règle nous jugeons une action plus ou
moins laide et repoussante.
Soit un bomme qui fait un faux témoignage pour gagner vingt
francs ; soit le même faisant la même action pour gagner un mil-
lion, un luxe immense, éblouissant, le respect de tous, etc. Le pre-
mier parait plus vil et plus odieux.
Soit ce même homme à la torture, d'abord résistant, puis les
membres à demi brisés, linissant par faire le même faux témoi-
gnage, nous l'excusons presque.
Soit un homme intelligent, bien élevé, commettant un meurtre
pour \oler; soit le même meurtre, commis par un homme grossier,
ignorant, élevé parmi des assassins. Nous avons plus d'indulgence
pour le deuxième.
Soient deux hommes ayant chacun commis un meurtre, après
provocation, après un soufflet, par exemple : Tun calme, grave, rai-
sonnable, âgé de quarante ans; l'autre à vingt ans, fougucui,
singuin, de passions irascibles et impétueuses. Nous trouvons le
deuxième moins coupable.
On voit par ces exemples que plus nous considérons le motif
contraire comme puissant, plus nous excusons la volonté coupable.
Ce qui est aisé à expliquer. Nous nous mettons à la place de
riionitue, et nous reproduisons plus ou moins inexactement en
nous-mêmes le conflit de ses tendances. Nous éprouvons une répul-
sion pour ractioii mauvaise, plus ou moins énergique selon la nature
de l'action, et selon notre caractère propre. En môme temps, l'idée
des motils contraires détermine en nous une attraction vers elle,
très faible ou très forte selon le nombre et la qualité des molife
H. TAIRE. — DE LA VOLONTÉ
461
représentés. Plus celte atiraction est forte, plus elle détruit la
répulsion indiquée. Si eHe finit par être considérée comme irrésis-
tible, elle ladélruit entièrement. De sorte que si la résolution prise
■ seule et abstraction faite des motifs contraires oous parait laide,
cette même résolution considérée avec radjonction des motifs pré-
pondérants doit cesser de nous paraître telle- Ce qui arrive dans
plusieurs des cas cités.
Gela est encore plus visible si Ton cODSidère la nymphomanie, la
monomanie incendiaire ou homicide, etc* Dans ce cas, il s'agit de
résolutions très laides et odieuses, lesquelles cependant cessent de
paraître telles, parce que Ton sait qu'uoe force invincible a lixé la
tendance. Dans les cas précédents on n'excusait q\ï(\ peu près la
voUtion criminelle, parce qu'on ne considérait pas la tendance coii>
trairet comme rigoureusement irrésistible; on se disait : * s il avait
pris rhabilude de résister à ses mauvais penchants, etc*, il aurait pu
dans cette occasion ne pas commettre le crime ». De plus eu consi-
déranl Ta version contre le crime en général, ou l'imaginait comme
pouvant monter à un degré illimité, et partant, capable de vaincre
tous les obstacles. Ici point; donc excuse entière.
Tel est le mécanisme de la conscience morale.
Concluons de là que le psychologue, tout en considérant les
crimes en eux-mêmes comme très laids et odieux» doit cependantj
s'il considère non plus le crime en général, mais tel criminel déter-
injoé, excuser son crime en le regardant comme nécessaire, et dune
nécessité aussi absolue qu'un meurtre commis par monomanic
homicide* C'est ne qui arrive, du reste, dans les biographies et
éludes de caractères. Les vices, vertus, crimes et actes d'héroïsme
apparaissent bientôt comme des conséquences nécessaires de la
nature de l'imagination, du tempérament, de leducalion, du milieu
physique et morah Mais ce point de vue scientifique n a rien à faire
avec la vie pratique, où joue le mécanisme ci-dessus explfqué.
J.liDtTïON. — Autres objections des pahtïsans de la iîbêrtè*
1
Ils opposent la volition au désir : et nous aussi. Car le désir
simple el seuldifleredu désir Joint préalablement au désir coritraire,
puis tjxé.
Reidj aë'i. — 1" On dit : j'ai le désir d'un aliment. On ne dit pas :
5 'ai la volonté d'un aliment.
Ilépon&e : C'est une affaire de construction, il y a ellipse; mettez
à la place : « j'ai la volonté d avoir cet aliment i% et d'autre part, « j'ai
408 BBVUE PHILOSOPHIQUE
le désir d'avoir cet aliment *. Les deux constructions sont exacte-
ment semblables, el signifieDt la même chose que celles de Reid*
*2" Un homme désire que ses enfants soient heureux« Il ne peut
pas dire : je veux qu'ils soient heureux.
Répense : En efîet, pour vouloir^ il faut avoir délibéré, avoir vu si la
chose est possible, impossible, dépendant de nous ou non. Dans ce
désir, point; il ne présuppose pas cette connaissance. Or il ne
dépend pas de moi que mes enfants soient heureux. De sorte qu'en
délibérant je regarde cela comme incertain, et je ne puis former que
la résolution suivante : je veux que mes enfants soient heureux, en
tant quîl dépendra de moi. L'idée de Timpossible survenant détruit
la tendance fixée^ et l'empêche de se fixer.
Celte objection prouve seulement ce qui a été dit, à savoir que le
désir est la tendance, abstraction faite des idées contraires, et que
la volition est la tendance Vixée^ après rapparition des idées con-
traires. L'objection prouve donc qull y a délibération, et rien de
plus,
3° On peut vouloir ce qu'on ne désire pas, et ce pourquoi on â
une grande aversion, par exemple boire pour sa santé une potion
amère.
Képome : Le désir de la santé qui devient définitif, est un dé^ir.
4"* Nous pourrions désirer de faire une visite dans la planète de
Jupiter, Mais nous ne pouvons le vouloir.
Réponse : Même réponse qu'au 2*. La délibération présente cette
ascension comme impossible, et détruit la volition. — Et de nnéme un
désir accompagné de Tidée absolument évidente de labsolue impus-
sibilité de son accomplissement périt. Il ne renaît qu'à mesure que
cette idée s'écarte. Exemple : désirer voler dans lair. L'idée de !â
pesanteur victorieuse présente le vol comme absurde^ et suppririie
le désir.
5^ L'objet immédiat de là volition, est une action qui nous est
propre. Celui du désir peut être raclion d'un autre, ou un état quel-
conque. Ainsi je puis désirer que la mer soit une limonade,
lîépoïise : Les mêmes qu'au ^ et au 4"* Les actions qui me saut
propres, et que je conçois comme devant naître sitôt que ma tem-
dance sera fixée, sont les seules qui, après délibération^ m'apparais*
sent comme uniquement dépendantes de moi, et ne présent^*^^
aucune chance d'impossibilité. Ce sont donc les seules que je veui^^^
absolument. Je ne veux les autres que conditionne Uement, sc^^^
celte condition que rien d'extérieur ne m'empochera de les acca'^'
plir. L'objection prouve donc uniquement qu'il y a dêlibéraLi^^
avant la résolution,
I
H. TAIHE, — Ï>E LA VOLONTÉ 468
Cependant cette loi de Ueid n>st pas rigoureuse. Quand je n'aper-
çois et n'imagine aucune chance d'impossibilité, je veux l'action
d'un autre : je veux que mon chien que j appelle viennent moi, un
général veut que ses soldats tassent lexercice. Je veux rarn%'ée de
mon chien directement et d'abord, comme je veux arriver là-bas à
ce but moi-même. Il est vrai qu'en ré fléchissant je me souviendrai
peut-être que mon chien pourra ne pas m*obéir, et que ma jambe
pûurm se trouver paralysée en chemin. Dans ce cas, je n'aurai
plus de volition proprement dite^ mais seulement une volition con-
ditionnelle.
6*^ € La volition, dit Reid, est la détermination de faire ou de oe
pas faire une chose que nou5 concevons être en notre pouvoir »,
Accordé. Car détermination signifie tendance fixée ou déter-
minée. La deuxième partie de la dérmition indique une condition de
la fixation. La définition de la chose prise pure est donc la même que
la mienne.
T*' Garnier, 1, 3'28. Nous promettons de payer telle somme dans
un an. Nous savons donc certainement que nous voudyons la payer,
« Puisque nous faisons des promesses, il faut que nous soyons et
que nous nous sentions maîtres de notre volonté, »
Ce raisonnement est un des plus plaisants qu'on puisse voir, H
démontre précisément le contraire de ce qu*il veut démontrer.
Puisque nous taisons des promesses, il faut que nous apercevions
une tendance suffisamment forte et fondée, pour durer encore Tan
prochain; telle que celle que produit l'honneur engagé. Il y a donc
en nous certaines tendances si énergiques, que nous pouvons
aflîrmer avec certitude qu'elles prédomineront, et que la volition
contraire ne se produira pas.
8*" Si notre résolution est nécessaire, et la contraire impossible,
notre action n'est ni laide, ni belle, nous ne sommes dignes ni de
châtiment ni de récompense^ etc.
(Voir plus haut.) Soit, en spéculation. Mais dans Tordinaire, on
n aperçoit pas la nécessité. — Enfin la peine est absurde comme puni-
lion ou expiation; elle n*est bonne que comme exemple, ou moyen
de rendre le coupable inolTensifà l'avenir.
€. Force de la résolution.
Cette force, comme toute force, se mesure aux elFels produits,
c'est-à-dire à la quantité delà résistance vaincue. Elle se mesure par
exemple à la grandeur des désirs %'aincus, à Ténergie des mouve-
470
HEVUE PHILOSOPHlQtTE
ments produits, à sa durée, à sa persistance dans les maladies qot
affaiblissent la pensée, etc.
Une résolution est un désir définitif Un désir est constitué par
une idée agréable ou pénible. Donc la force de la résolution dépendra
de l'énergie des causes qui suscitent et maintiennent Tidéet de l'at-
tention qui se porte sur Tidée, des idées auxiliaires qui naissent,
des images sensibies en qui elles se transforment, etc* (Voir ch. A*)
La plus notable entre ces causes est la confiance en soi, c'est-à*
dire la croyance que Taction voulue ne dépend que de nous, en
d'autres termes, ne renferme aucune chance d'impossibilité- Ptus, att
contraire, nous imaginons qu'elle est douteuse, nous la représentons
comme impossible à faire, nous lui attachons des négations et des
causes de destruction, plus la volition est faible. Lldée motrice
attaquée dans son être perd toute énergie impulsive.
On peut attribuer à cefle exaltation de la volonté une part dans
certains phénomènes singuliers, A la prise de Port-Mahon : * C'était,
dît Voltaire, un roc uni; c étaient des fossés profonds de vingt pieds,
et en quelques endroits de trente, taillés dans le roc- — On descendit
dans les fossés malgré le feu de rartillerie anglaise, on planta des
échelles hautes de treize pieds; les officiers et les soldats, parvenus
au dernier échelon, s élançaient sur le roc en montant sur les épaules
les uns des autres. C'est par cette audace difficiïe à comprendre
qu'ils se rendirent maîtres de tous les ouvrages extérieurs,, > Les
Anglais ne pouvaient comprendre comment les soldats franç-ais
avaient escaladé les Ibssés, dans lesquels il n'était guère possible à
un homme de sang-froid de descendre* »
Mu lier, note. II, 57'2. c Pour susciter une force extraordinaire
dans un groupe de muscles par un procédé menlal, il suffit de sug-
gérer Taction et d'assurer au somnambule tiu'il peut la Étire avec ta
plus grande facilité s'il le veut. Ainsi noue avons vu un des sujets
hypnotisés de M- Braid, un homme remarquable parla pauvreté de
son développement musculaire, soulever un poids de 14 kilogrammes
sur son petit doigt tout seul, et la faire tourner autour de sa tète sur
la seule assurance qu*it était aussi lé^er qu'une plume* Nous avons
toute raison de croire que le caractère de cette personne la plai;ait
au-dessus du soupçon de fraude, et il est clair que, s'il avait eu la
pratique d*un tel tour de force, tour que même les hommes les plus
forts ne pourraient exécuter sans exercice, cela aurait été visible
dans le développement de son système musculaire* »
On voit dans ces deux cas la force de la volition e3tagén5e, soit par
l'intensité de la passion^ soît par la plénitude de la croyance.
I
H, TAINE. — IIH LA V0L05TÉ
471
C. Influence de la tendance fixi^ie.
1* Soit ridée d'un danger, par exemple que cette voilure qui
accourt va m'écroser; Tidée que je vais être écrasé h cette place est
douloureuse, l'affirmalion que je suis k cette place tend donc à être
détruite* Le seul moyen est mon changement de place ; mes muscles
se tendeot, mes jambes se meuvent, et je change de place.
De même si j*ai mis ma main trop près du teu; je me brûle; Hdée
de cette position est douloureuse, tend à être détruite^ et ne peut
Ferre que par le déplacement de la main. La main se déplace.
Je veux prendre ce livre sur ma table, c'est-à-dire Fidée de ce
livre dans ma main est agréable, t*idée ultérieure qu'il n'y est pas
est désagréable; cette alTirmi^lion qu'il n'y est pas tend donc à être
détruite, Lldée de mon bras porté jusqu'à lui devient agréable; la
remarque que mon bras n*y est pas actuellement porté est désa-
gréable. Cette affirmation que mon bras n*est pas en mouvement
vers ce livre tend donc h être détruite. Le mouvement du bras suit.
Dans tous les cas, une affirmation désagréable tend à être détruite,
et le mouvement capable de la détruire suit. Celte tendance peut
n'être pas toujours suivie du mouvement, par exemple dans la para-
lysie; mais elle Test habituellement, d'oti il suit que dans la vie ordi«
naire nous la considéron?^ comme la cause unique et suffisante du
mouvement, disant^ par exemple, que quand nous voudrons faire ce
mouvement, il se fera.
Par quelle série d'intermédiaires ridée-tendance détermine-t-elle
contraction musculaire? Nous verrons au chapitre du mouvement
ce qu'on en peut découvrir. Mais il est visible que les intermé-
diaires ne sont que des moyens, de même que le suc gastrique n'est
qu'un moyen par rapport à la nutrition. (V. plus loin.) Par consé-
quent, ce qu'il faut examiner c'est la relation entre la tendance et le
mouvement, et pourquoi le second doit suivre la première* Cette
appropriation du second à la première, marque la dépendance des
diverses fonctions, partant leur indivisibilité. De là suit que leur
ensemble constitue un seul être, un individu, le moL On peut donc,
en retournant l'analyse, dire que cette appropriation dérive de l'unité
Ûu moi, de même que Tappropriation réciproque des muscles pha-
ryngiens et de la poche stomacale dérive de runiléde la vie orga-
nique.
Donc, en règle habituelle, Tldée-tendance ou volition délerminele
mouvement. Son influence dépend de plusieurs conditions : i" De
son énergie propre (Voir § précédent)» 2"* De l'irritabilité nerveuse
47â REWE PHJLOSOPHIQUE
(paroxysme de la fièvre, du délire, de la colère), 3^ De la masse des
muscles (comparez un hercule de foire, un forgeron et une femme), ■
4* De la disposition plus ou moins parfaite des os, leodons, etc. La "
force du mouvement dépend de toutes ces conditions, et lenergie
de la volonté n'y contribue i|ue pour une part,
2° Soit ridée que la découverte de tel théorème sera agréable, que
la connaissance de tels et tels moyens de persuasion ou d'action
est utile, etc»
Par exemple, si c*esl un théorème sur le triangle et la somme de
ses angles, Fidée du triangle, puis celle de ses angles est maintenue
présente longtemps, revient un grand nombre de fois, il se présenta
une foule d'idées et constructions qui y ont rapport, elles persistêot
d*autant plus longtemps et plus fot temenl, qu'elles paraissent devoir
conduire à la connaissance cherchée. Bref, s'il y a tendance a ccn*
naître quelque chose d'un objets Tidée de cet objet tend à persisfer^
et les idées environnâmes tendent à naître et h persister.
Mêmes phénomènes, si je veux me rappeler les actions qm j'âï
faites avant-liiei\ par exemple. Je persiste à considérer ce moLlûiid),
puis ridée que Je lisais tel livre le soir» puis Tidée que j'ai dow
telle leçon le matin, puis Tidée que j'ai attendu telle personne» etc^
J'imagine une rose. Si je veux l'imaginer mieux, je persiste dans
la considération du vague disque rose que j*aï aperçu d'abord, îes
feuilles se reforment, je vois les dentelures de la couronne de
pétales, le paquet d*élamines jaunes irose sauvage), la tige mince,
verte, luisante, etc.
L'eflet de la tendance est donc de faire persister Tidée et renaître
les environnantes.
Rien de plus facile à comprendre. L'idée que telle iàè% ^^^
agréable, c'est cette idée elle-même paraissant agréable. c*est par
exemple ici, l'image de la rose devenant agréîible» Elle tend à p*t"
sisler comme toute idée agréable. C'est dire qu'elle a en soi uneforc^
d'existence plus grande, et que parlant elle persistera. Mais piusellts
persiste, plus les idées quelle suscite ordinairement ont chance d<?
renaître. Celles-ci, devenant agréables par la même raison, teuW
aussi à persister, et font renaître leurs voisines et ainsi de ^"^1^^
Par la même raison, celles qui renaissent et sont inutiles au ^^^
proposé, par exemple l'image de la terre au-dessous de l'églanti^'*'
n'étant pas agréables, et étant même désagréables, puisqn'^l^^*
gênent les autres et les empêchent de renaître, n'ont quW
médiocre force d'existence et s elTacent vite*
Remarquons que cette influence de la volition sur les idéôâ ®^^
limitée et incertaine. Elle se produit seulement à Fétat normal. Mâis
H. TAIIfE.
DE LA VOLOMTÈ
473
il se peut que Tidée, quoique agréable, oe puisse persister, par
exemple après un grand travail de tête, dans l'extrénie fatigue. Il se
peut que des idées et images très énergiques et contraires au but
vainquent la tendance à considérer telle série d'idées; par exemple
dans la distraction, dans la folie, il se peut que certaines images ou
idées aient totalement perdu leur Ibrce de renaissance, et que nul
effort ne puisse les rappeler, comme il arrive pour les souvenirs de
faits très éloignésj et dans les maladies oU Ton perd la mémoire
d'une langue, de telle classe de mots, etc,
^0n voit par là que rinfluence de la volition sur les connaissances
lltpend de plusieurs conditions : 1'' De la force de la volition elle-
liême. 2'^ De Tabsence de tendances plus fortes et contraires, les-
quelles peuvent être déterminées par une passion, par un narcotique,
etc. 3° De Taptitude à renaître des idées circonvoisines. La force de
Tattention et les chances de renaissance dépendent de toutes ces
■ circonstances; et non pas seulement de Ténergie de la volition.
F Nous avons expliqué tout à Theure pourquoi une idée influe sur
un mouvement. Il s'agit d'expliquer ici pourquoi une idée influe sur
K une idée : la deuxième paraissant moyen de la première et unie à
' elle, paraît ne faire qu un avec elle, et ainsi en emprunter les pro-
priétés (V. Théorie des moyens» et lois générales des passions). La
I connaissance de tout avant-hier m'est représentée comme agréable,
donc la représentation de ma lecture du soir, qui en fait partie, m*est
agréable, etc.
>d>'' Soit ta volonté de ne pas désirer une chose qu'on se représente
comme agréable, de ne pas éprouver du plaisir en concevant un
objet agréable, de ne pas éprouver de plaisir en buvant frais quand
on a soif, de ne pas sentir de douleur quand on vous blesse avec un
canif. — Impuissance. Le deuxième phénomène n*est aucunement
■ modifié^
En effet (voir plus haut) le désir est constitué uniquement par Tidée
agi^éable, Tidée agréable par la nature agréable de l'objet représenté,
la sensation douce ou pénible par l'espèce de mouvement du nerf,
de sorte que ces conditions données, les phénomènes suivent néces-
sairement et tout entiers, de même quêtant donné le cercle, suit
nécessairement et sans restriction possible Fégalité des rayons. Il
ii*en était pas ainsi pour Tidce ou ïe mouvement, lesquels peuvent
être directement modifiés par la volition.
IDonc la volonté n'a pas d'influence directe sur le plaisir, la peine,
la sensation, le désir.
Mais elle a sur eux une inlluence indirecte très grande : en écar-
tant ou en rapprochant les conditions extérieures physiques de sen-
TOiti Lp — 1900. ai
4T4
HËVUE PHlLÛSÛPBtÛUi
sation^ en abolissant sa sensibilité par des narcotiques^ en exaltant la
douleur par Fatlention qa*on lui donne, en recherchant ou fuyant
les idées agréables ou désagréables, etc. Elle agit sur les phénomèûes
qui échappent à ses prises en agissant sur leurs causes.
RÉsuaiÉ.
La tendance peut être accompagnée d'une ou plusieurs tendances
contraires, de force inégale. Les conditions de cette inégalité sonl
les suivantes : les sensations impulsives sont les plus éQergiques»
leurs nerfs étant les représentants de tout rorganisme- Dans les sen-
sations et opérations cognitives, la puissance impulsive est d*aulant
plus grande : 1* que le mode de représentation est plus semblable k
lobjet et séparé de lui par moins d'intermédiaires; 2*^ que Ténergie
active de la représentation est plus grande (condition objective et
condition subjective)» — La tendance fixée et définitive, ordinaire-
ment après conflit, est ce qu'on nomme volîtion ou résolution. Son
objet peut être une action immédiate, une action plus ou moins éloi-
gnée dans le futur, une action pins ou moins générale. Ces deux der*
niers cas, plus complexes, se ramènent au premier. — La tendance
fixée est celle qui est la plus forte. Les lois citées de prépondérance
déterminent la plus forte. L'observation directe des cas où les ten-
dances iiont très inégales, les inductions et prévisions fondées sur
les caractères d'individus et de peuples, le principe de raison suffi-
sante, établissent que la plus forte tendance devient nécessairement
définitive ou volition; les objections des adversaires reposent sur une
observation incomplète de conscience; quant aux volitions morales,
elles perdent leur caractère moral de beauté ou de laideur, d'autaot
plus qu'on voit mieux leur nécessité. Enfin les objections de Reid
prouvent seulement que la volition implique délibération, et une
tendance fixée après conflit, au rebours du désir qui est la simple
tendance. — L'énergie de la volition est proportionnelle aux causes
de l'idée qui la fonde, et du désir qui la constitue, et particulièrement
à h croyance que son but peut être atteint, — Elle détermine les
mouvements et modifie ou suscite les connaissances concurremment
avec d'autres causes. Elle influe sur les mouvements en raison de
Tunité du moi, sur les idées parce que l'idée modifiée se trouve unie
à ridée tendance impulsive, — Elle n'a pas d'influence sur les plai-
sirs, peines, sensations cognitives, désirs, du moins directemenL
Mais elle a mt eux une influence indirecte en modifiant leurs causes.
H. TAÏNE. — DE L4 VOLONTÉ
475
— La connaissance en tant qu'impulsive se divise donc ici : d'une
part elle agit sur elle-même, c'est-à-dire sur la connaissance et sur
l'impulsion; d'autre part elle agit sur les mouveraenls. Ce dernier
point de vue est Je plus iropoi tant, Les objets et qualités exlérieurs,
ayant été par les fonctions théoriques transportés dans le moi et
perfectionnés, repassent du moi dans le monde extérieur par les
fonctions pratiques, el le moyen par lequel elles y arrivent est le
mouvement. L'influence de la volonté sur les connaissances^ rentre
dans les fonctions théoriques; son influence indirecte sur les ten-
dances, rentre dans les fonctions pratiques. Dans ces deux cas, il y
a détour. La vraie direction est celle que Ton aperçoit en regardant
rinfluence de la volition sur le mouvement. On la voit manifeste
dans les animaux inférieurs, qui n*ont point de cerveau, peut-être
point de conscience, point de nerfs spéciaux, quelquefois point de
nerfs, partant tout au plus des sensations vagues à la fois impulsives
et cognitives, et le mouvement. Ici la faculté cognitive se réduit a
une modification ou impression locale pure, avec tendance à réagir,
et mouvement de réaction (Polypes, Méduses).
H- Taine,
DE LA VOLONTÉ^
NOTES ET ESSAIS DE PLANS
I. — Lès ÉLéMENTS DE LA VOUTÎOK.
Soit une tendance définitive fixée ^ quelconque (id plusieurs
exemples), — J'ai perdu un billet de cent francs qui était dans mon
porte- monnaie. — Les cléments sont : peine, tendance dans tel
sens. Et, en général, cinq minutes de passion découpées dans la vie
d'un homme se réduisent à une série d'émotions (idées ea tant
qu'agréables ou désagréables, avec contre-coup de sensations phy-
siques locales) et tendances.
Même fait dans les sensations directement motrices et dans les
actions réflexes centrifuges,
1^ Théorie de la tendance en général et de rémotion, la peiue et
le plaisir étant déânis la tendance contrariée ou satisfaite. — Appli-
cation aux sensations locales et aux actions réflexes centrifuges des
données acquises par Tanalyse des sentiments (idées avec leur face
affective et motrice).
Le point fondamental est la définition de la tendance. Nous voyons
lace qu'elle est, Il suffit de se reporter à la théorie des images et
idées latentes; leur groupement successif ou simultané selon telle
ou telle direction constitue la tendance. Ellej* sont les éléments de
la tendance.
2^^ La génération des tendances (désirs, passions, besoins, incli-
nationSj penchants, appétits, goûts),
S^' Le conflit des tendances.
Deux ordres de faits très instructifs :
1" Les perversions subites et énergiques d'inclinations données*
Nymphomanie.
Folie homicide oo incendiaire. Récits de mères qui se sauvent,
sentant qu'elles vont tuer leurs enfants (Moreau de Tours, Bail-
larger, Brierre de Boismont).
1. Écrit vera 1170, -^ Voir la note de Tartide précédeni*
H. TAIFTE. — DE LA VOLONTÉ. NOTES ET ESSAIS DE PLAPfS 477
Appétits et envies étranges et subites dans la grossesse.
Démoralisât ion dans le rêve. On a tué ou violé et on trouve la
chose toute naturelle* L'horreur ordinaire manque. C*est la perte
des associations ordinaires ou révocation d'associations nouvelles.
Ce qui est dissocié ou associé ici, ce n est pas une idée, mais une
émotion. Ceci nous conduit à la théorie des émotions associées aux
idées, et en général à la théorie de Fémolion considérée comme un
ordre et une direction des mouvements moléculaires cérébraux.
2° La formation de l'idéal et la génération des tendances,
Stendhal, histoire du lieutenant Louant {Correspondance. II, 81),
Horreur chez Gautier et Saint- Victor de manger gras le Vendredi
Saint; horreur du bouillon chez le brahmane, du porc chez le juif-
— Amour de l'argent inutile chez l'avare,
Scbopenhauer, métaphysique de lamour et de la mort.
ÂUTHES IDÉES SUR LES ÉMOTIONS ET TENDANCES.
Comme dit Bain, toute émotion est une vague, un courant, et le
sens en est déterminé par le geste d'action auquel elle ahoutit* Elle
aboutit à la mise enjeu de tel ou tel système de nerfs moteurs (joie,
douleur, colère, admiration).
Les émotions sont plus ou moins semblables, selon qu'elles met-
tent en jeu tel ou tel groupe de nerfs moteurs.
Entre une idée et une action nerveuse centrifuge, il y a un inter-
médiaire qui est la série des courants nerveux par lesquels F idée
met en jeu le nerf moteur*
Toute idée, vive ou non, aboutit spontanément à un geste, à une
attitude, à une expression physique qui est raction correspondante,
commençant {¥, Gratiolet).
Plan*
1' Quels sont les éléments d'une passion? Exemples : Jalousie de
Mosca* (Chartreuse de Parrtie.)
Le lieutenant Louant, etc<
Des sensations, images, idées, plus ou moins simples ou com-
plexes, accompagnées d'émotion, avec contre-coup physique, et des
tendances (joie, douleur, tendances). (Le geste et Tatlitude expres-
sive* — Principe de la suggestion*)
2^> Nature de ces éléments»
Se reporter à la théorie de l'encéphale et des états élémentaires*
^ C'est le passage de Fidée à l'action ou expression.
478 BEVUE PHILQSQPHiaCE
DoïiC intermédiaire cérébral entre Fidée et rorigine des nerfs
expressifs, actifs, moteurs.
3" Conditions de naissance de ces éléments.
a. Conditions générales organiques.
Moment du sexe. — Mémoires sur la castration. — Moment delâ"^
grossesse* — Diverses perversions de la folie»
6. Conditions cérébrales spéciales ; effet de Tattenlion, de la répé- ,
tition. — Mêmes lois que pour la renaissance et refTacement ém
images.
De la substitution (type : l'avare).
4^ Des composés; montrer, d'après ces lois, la formatton des
diverses passions,
5° Du conflit des passions» ou de la volonté.
Plan,
Dbh émotions et de la volonié^ — La méthode doit être la même
que dans rinlelligence.
Première partie ; Ramener les complexes les plus usités à de plus
simples» (Par exemple, tout a été ramené aux sensations,) Puis ces
plus simples aux simples infinitésimaux. Par exemple» les diverses
sensations inlinitési maies de même type, et celles-ci (qualité} à des
mouvements (quantité).
Ce que j*enlrevois en suivant cette méthode, ce sont les points
suivants :
a. Ce qui constitue une émotion, c'est une série dUdées plus ou
moins agréables ou désagréables, avec leur contre-coup local sur les
organes (mouvements rétlexeSj ou communication directe des états
sensitîfs cérébraux). Partant» il n*y a rien d'inexpliqué dans cette
série que la propriété qu'ont des éléments d'être agréables ou péni-
bles, le trait caractéristique de ces deux états étant que Tagréable
provoque une série d'actions ayant pour effet de le conserver, et le
pénible une série d actions ayant pour effet de le supprimer.
Ce qu'il y a donc à chercher, c'est Tessence de Tagréable ou du
pénible.
b. Pour trouver cette essence » il fautTétudier dans les complexes,
dont nous avons les éléments, c'est-à-dire dans les groupes d'images
et d'idées, pour de là conjecturer, par analogie, ce qu'elle peut étï©
dans les simples dont nous ignorons plus ou moins les éléments,
c'est-à-dire dans les sensations. (On voit en partie cette essence
dans les sensations de Touïe et de la vue; mais non dans les autres. |
H. TAIHE. — IIK U VOLOr^Tft* NOTES ET KSSAIS M PLANS 479
0. La propriété d'être agréable ou pénible est dérivée (et non pri-
mitive) dans un graod nombre de complexes. Ainsi toute image de
sëDsâtion agréabîe est agréable parce que l'image n'est que la sen-
sation reviviscente, et d autant plus quelle reproduit plus exacte-
ment la sensation- — Ainsi toute négation portant sur une image
agréable est pénible. — Ainsi, plus une image agréable est intense
et prédominante par attention exclusive, plus elle est agréable,
l'agréable, ainsi que toutes ses propriétéf?, s'exagérant.
d. Mais, dans plusieurs CiJSj lapropriélé d'être agréable est primi-
tive. Ainsi, dans le cbagrlUf il est pénible d*étre dérangé de la série
d*idées pénibles. Ici, il est clair que c*est la tendance à tel ordre
d'idées qui est contrariée. Cette tendance est la prédisposition, Tef-
fort pour être. On peut considérer (comme on Ta vu) chaque image
ou idée, comme tendant h s achever^ à se compléter ^ h arriver au
premier plan. — Et c'est là le type de Texistence (comme on Ta vuj.
fitant donné un groupe d*événements, de cela seul qu'ils existent
un autre groupe les remplacera, doit les remplacer, ou, en langage
métaphysique, fait elTort pour les remplacer. C'est là l'idée de la
force : succéder sans autres conditioiis. — En général, la nature con-
siste en séries simullanées d^événements ; tel événement naît spon-
tanément à la suite de tel autre, dans telle série, et nous appelons
force, vertu efticace et productive, la propriété qu'a le groupe pré-
cédent d^être (par lui seul) suivi du suivant.
De sorte qu'il semble que, dans ce cas au moins, lessence de
Vagréable consiste dans la propriété de naître spontanément du
seul état précédent et Tessence du pénible dans cette particularité
que celte naissance est empêchée.
;jo i Partant de ce fait bien analysé, il faudra voir si les autres cas
de Tagréable et du pénible ne peuvent pas s^expliquer mieux* — En
ce cas, notamment pour nos sensations qui sont la base du reste,
Texplication serait celle-ci : leurs composants, à savoir les petites
sensations élémentaires, auraient entre elles des affinités et des répu-
gnances. En d*aulres termes, tel groupe de sensations élémentaires
donné aurait pour conséquent naturel tel autre, ou son conséquent
naturel serait plus ou moins remplacé par son contraire. Comme
exemple sensible, voye^ les accords et dissonances en musique, en
couleurs, en cuisine. En musique et en couleurs, on sait la loi. Phy-
siologiquement on peut se représenter la chose ainsi : tel système
de fibres cérébrales ayant telle vibration, telle autre vibration con-
sécutive ou simultanée est mathématiquement en rapport, naturel
!» Les diTisîOELS i" cl ^* ne sont pas indiquée! do-QS Le munus^Ht.
480 KEVTE PBKlOSOPHlOfîE
OU non, avec la vibratian donnée, à peu près comme dans les cordes
tendues d'un piano.
4'' Des indices et confirmations très fortes se trouvent dans les
faits anormaux si nombreux (sommeiK maladies mentales^ hystérie»
grossesse, naissance d'instincts à la puberté, instincts en général).
Ils consistent essentiellement en ceci : des idées^ ou images, oy
sensations, qui à Fétat normal sont agréables, ou pénibles, ou
neutres, cessent de Télre^ et prennent la qualilé inverse» — Instincts
d*homicîde dans une mère sur son enfant. — Dans la grossesse,
manger des pommes pourries. — Horreur des aliments dans T hys-
térie. — Appétit du sexe, ou désir de faire son nid, à tel moment
de la vie et de Tannée, — Meurtres, viols, etc., commis en songe
et n'excilant aucune répugnance, — Maniaques qui embrassent un
poêle ardent. — Dans la même catégorie rentrent toutes les dévia-
tions du caractère; tel ordre de sensations et d'idées est pjus ou
moins répugnant ou attirant, suivant Tindividu et la race.
5° Autres indices dans la différence et le renversement de
Tagréable et du pénible, après que le nerf a élé en fonction un cer-
tain temps. Il y a émoussemenl ou ren%^ersement de la sensation. —
Ainsi pour Fœil, pour Touïe, pour le goût.
Conclusion-
Par des recherches de ce genre, on ramène la qualité de pénible
et d'agréable à la particularité de succéder spontanément, physiolo-
giquemenl à des vibrations de fibres concordantes ou discordantes,
mécaniquement au mouvement spontanément continuant. Ici fini!
la partie analytique.
Deuxième partie. — Les émotions et la volonté. Deux points i^
noter : certaines émotions, par suite tendances, sont communes 4
tous les hommes (amour, avarice, ambition, curiosité^ sympathie,
colère). (Là-dessus voyeiî les classifications en tendances égoïstes,
sympathiques, abstraites.) De plus, chacune de ces tendances est
plus ou moins forte selon Tindividu.
De là deux ordres de recherches i
i^ Expliquer d*après la définition du pénible et de l'agréable,
pourquoi, dans tout homme, telle idée est pénible ou agréable
(V. Spinoza, 3" et 4" parties.)
S'' Chercher à quelles conditions la même idée est plus pénible
ou agréable chez tel homme que chez tel autre. (Ceci est le plus
fructueux et donne les principes de Thistoire.)
LE CONGRÈS INTERNATIONAL
DE PHILOSOPHIE
Si Von a'en tenait à Tidée de la philosophie qui a dominé pendant
longtemps^ et qui aujourd'hui encore ne manque pas d'adeptes, ce
devrait être une chose bien étrange qu'un congrès de philosophes.
On ne pourrait guère se le représenter que comme un concert où
chacun viendrait à tour de rôle exécuter un morceau de bravoure, à
moins qu'on ne l'imaginât comme un champ clos ou les théories ne
succomberaient que pour renaître, à la Façon des guerriers du Walhaîla*
On ajouterait encore à cette présomption si Ton disait que les orga-
nisateurB de cette réunion, principalement métaphysiciens» avaient dû
laisser à des congrès spéciaux les parties de la philosophie qui reven-
diquent déjà le nom de sciences positives, comme la psychologie et la
sociologie, et qulls s'en sont tenus à quatre sections : métaphysique
et philosophie générale; logique et philosophie des sciences; morale;
histoire de la philosophie ^ —Or, on n'a riea vu de semblable. Les
communications ont été écoutées, non pas avec une curiosité artis-
tique, mais avec un désir très général^ et che^: quelques-uns très vif,
d'en peser la vérité ou Terreur; tes discussions ont été suffisamment
actives, mais plutôt réservées qu'exubérantes; et il a été visible que la
spécialisation du travail a fait^ même dans notre domaine^ assez de
progrès pour que, sur la plupart des points, nous ayons plus d*intérèt
à apprendre qu'à rétorquer.
ILes séances ont eu lieu du 1*'" au 5 août, au lycée Louis-le-Grand.
Il faut louer le secrétaire général, M. Xavier Léon, cheville ouvrière
du congrès, et ses dévoués auxiliaires MM* Couturat et Hatévy, qui
ont fort habilement organisé le travail, et mârae ménagé Tintérèt.
Tous les matins^ las quatre sections fonctionnaient simultanément;
toutes les aprèR-midi avait lieu une séance générale dont Tattribution
avait été ainsi faite : 1*> discours d ouverture et séance commune aux
deux congrès d'enseignement supérieur et de philosophie, 2'' logique,
^philosophie scientifique et histoire des sciences; 3*^ histoire de la
philosophie; i" métaphysique et philosophie générale; en lin 5" morale
^ et questions sociales. 11 m'est impossible de donner ici le résumé de
l< L'esthétique, qui aurait dû Ihéonquement constituer une section de plus,
mais qui n'étaîL représentée que par un seul mémoire^ a Été rattaclièe à It
philosophie générale.
483 ^ iibvuë philosophiqub
tous IcB travaux qui ont été présentés et discutés dans les sé^nc
particulières; je ne pourrais consacrer que trop peu de li^ines
chacun, et nous aurons d'ailleurs roccasion d'en reparler au mome
de leur publication. Je me bornerai donc au compte rendu des séances
générales^ et à l'analyse des mémoires qui y ont été lus^ eji posés i
résumés ^
1
>sés ou
La séance d*ou ver turc îi d*abord été consacrée aux prés eu talion^
individuelles. C^eFst un des grands avantages d'une pareille réunion^
et dont nous nous sommes tous félicités à maintes reprisef, qm
d'entrer en relations personnelles avec des hommes que nous coa-
naissions déjà par leurs ouvraj^es ou leurs lettres. Cela facilite tas-
jours, et quelquefois reclilie l'idée que nous nous faisons de lettf
pensée. Je Tai constaté, et je Vai entendu coastater autour de moi.
Un grand nombre d*ét rangers avaient répondu à l'appel du codite,
surtout parmi les savants. Les philosophes sans doute ne faisaient
pas défaut : MM. J,-J. Gourd, Uarth» Ivanovski, Geijer, Remacle (WiÉ
pris part activement à cette réunion ; M* Chatterji, professeur au
collège hindou do Bénarès, a fait deux communications d'un tiiut
intérêt; mais les mathématiciens dominaient par leur nombre : il
sulîit de citer les noms de MM. Moritï Cantor, Schroder, RuBjelIi
Vaiîati, Peano, Padoa, Kozlovski, Vassilief. Ils y ont rencontré dAil-
leurs» parmi les congressistes français, non moins de s.tvants propre-
ment dits, mathématicien*? ou physiciens : MM. Jules et Paul Tanocrj'*
Foincaré, Painïevé, Hadamard. pour n'en citer que quelques-uns. ^ï*^^
ou ne rendrait pas Taspect du congrès si Ton ouliliaît l'élépent
féminin qui en constituait une fraction noiabie — il s'est élevé c^rtâîM
jours à près d*un tiers de l'auditoire, — et qui a participé irèsefîesf*
tivement au travail, puisque les deux secrétaires de la section ^^
morale étaient Mlles Baertscbi et [larlu. Si ré^allsatiou des hoJlLtitei
et des femmes doit trouver quelque part un terrain favorable, il eit
naturel que ce soit avant tout dans une science ausâi rationaliste <^
aussi peu conservatrice que la philosophie, Ëufin un assez ^t%d
I.Je mentionnerai seuîement, en attendant, les mémoire!!* suivaals : M. Buii.îon.
Sur tu sanviion murale; M. Darlu, Httpporl de la uiofnh H d^ ta ryli^njn. ■'
M* Siiuniel fabsenî^ mais lu par M, lîalévy^, Théorie de lu i'iimuJixjfHfiCf ^'Hf
i^!eu.ie; M, Parodi, Sur ie proffr-èx; M. Eveil i n, ,*îMr Itn^nî; M. Chdllerj»* £^
méthodt'^ fîénéraies de la philomphitr hindoue \ M* Paul Tanaery, Sur tes prmtijxf
lie ia nuture ches AnstQle:. M- Del ho S, Sut' ta critiffue kantienne et la p^rj^cA*-
tof/îei M. Halévy, La méthode en pHijvholoffie; >L Brunsclivtc^, t^^idéak*^
^contemporain; M, ScbrOder, Sur la lùf^iqne atgont/imiffuei M^ Vail^ti* HatDiFf
de ta ctiiisi/ieation des sciences 't JL P«!ino, Les déjinitions mfithrmidiq*iti\
M* Miiliaud^ Les origines du entent infinitéaipial; M. Le Roy^ Sur ta nuiurt i^
vét*ité$ scieriti/iques^ Je r«^fretle de ne pouvoir matèrielleaient en ctlerdaviu*
tai^e, car cette lîsle est loin de contenir tou( ce qui a éié prwluit dMatéftswii^
dans rus réunions spécial es , <]ui puisaient un allrait particulier dans te noiiil^i*^
relativemeat restreint des auditeurs.
LALANDE. — CONÇUES L^TËIlXVTlftNAL DE PHiLOSOPHfE
4S3
nûn>bre d'ecclésiastiques ont apporté des communie atiûns et prie
pnrt ai IX discussion '^^ : le R. P. Bulîiot, professeur à l'Institut catho-
lique; M* ralïbé Ackermaian. professeur de philosophie au collège
St»inifllas; le R. P. Schlinkcr, des Frères prêcheurs.
La séant;e proprement dite B*est ouverte sous la présidence de
XL BOUTHOUx, président général du Congrès» qui a pris la parole
pour en exposer le but, souhaiter la bienvenue aux adhérents étran-
gers, et les remercier de leurs concours, U rappelle qu'en \Sb't, lors
de la première Expositiou uîuver-ïelle, Renan exprimait la crainte
que ïa construction du palais de Tlndustrie ne fût un symptôme de
déchéance intellectuelle, et la fête de la matière aux dépens de
Pesprit, Il eût été heureusement surpris s'il avait pu voir la cinquième
de ces Expositions provoquer un congrès philosophique International,
et s*il avait pu constater le triomphe que Favenir réHervait au culte
de l'idée dans de^* sociétés en apparence tout occupées d'intérêts
matériels.
t Après ychellinjçr et Hegel, un divorce profond avait eu lieu entre la
science et la philosophie, jusqu'alors nâsociées. La philosophie mépri-
sait la science, et la science prétendait à se passer de la philosophie*
Il n'aurait pu être question de travail collectif alors que chaque phi-
losophe croyait posséder dans sa conscience individuelle la totalité
des conditions de sa recherche. Mais aujaurd'hui, cette situation est
bien chauffée : d'une part, la philosophie s'est rapprochée des sciences
cji les voyant atteindre et résoudre les problèmes réels et vivants dont
elle ne peutse désintéresser ; et réciproquement les savants ont éprouvé
le besoin» après l'enthousiasme que la science pour la scienca avait
d'abord provoqué* de compléter leur oîuvre et de lui donner un sens
général par une synthèse philosophique des conclusions fragmentaires
qu'ils avaient déjà établies.
La phiioaophiCp dans cette association, n'a pas perdu son caractère
pour devenir un simple prolongement de chaque science positive. Elle
les dirige autant qu'elle les continue, C*est ainsi que la psychologie
s'est renouvelée en se rattachant à la science biologique: mais elle
n*en a pas moins gardé sa méthode propre, et loin de chercher seu-
lement, comme la physiologie ou l'anatomie, a trouver dans le simple
la raison du composé, elle est au contraire orientée plus que jamais
clans le sens linaliste, qui explique les éléments eux-mêmes par leur
synthèse. Il en a été de même de la théorie de la connaissance : elle
prend pour matière de ses études les sciences telles qu'elles existent
et les concepts qui les constituent, mais elle tente de rendre compte
de ces concepts en les considérant comme des compromis entre les
dannéas matérielles de la connaissance et les lois pures de la Raison.
La politique, devenue positive et philosophique sous le nom de socio-
^ie» emprunte aux sciences de la matière toutes les informations
l*eUes peuvent fourni r^ et néanmoins ne se perd pas en elles» parce
qu'elle garde pour caractère propre de chercher non comment les
484
REVUE PHILOSOPHtQDB
parties déterminent le tout, mais comment le tout détermine les par-
ties. Enfin la morale, la logique, la métaphysique, rhisloire de b
philosophie ont suivi la même marche en se rapprochant des faits el
en fl'en nourrissant.
Un congrès, dès lors, devenait opportun. Bans sHdentiGer mi
savants, les philosophes ont acquis du moins quelques-uns de leurs
caractères : comme eux ils cherchent désormais une vérité humaine,
et non pas une satisfaction individuelle. Ils doivent donc aussi comme
eux procéder à un travail collectif, bénéficier de la division des
recherches et faire converger leurs efforts. Sans doute, chaque partie
de la philosophie tend à se poser comme un tout, à se conaidéfer
comme le centre de la pensée; en ce moment même la psychologie,
la sociologie sont constituées en congrès spéciaux. Mais cette sëpa*
ration n'est poafible que matériellement; intellectuellement^ elk
serait une anarchie. Il n'y a de vérité philosophique que si louslei
éléments qui peuvent y concourir sont compris et accordés, de telle
iorte qu'on y perçoive une harmonie et qu*un© unité s*en dég-a^.
Il n'a pas disparu de Tàme humaine, ce besoin de voir les choses
au point de vue universel qui animait les grands philosophes d'sutre-
fois< Nous aspirons, nous aussi ^ à juger au point de vue du tout. Une
telle philosophie peut-elle se constituer? Pour y aboutir il faudrait
tout savoir, et qu'un seul homme put faire, comme le voulait Des-
cartes, la synthèse de cette multiplicité. Toute la science dani ufl
seul esprit j tel est le postulat de la philosophie. N'est- il pas contradic-
toire avec la limitation de nos forces individuelles et le développe^
ment presque infini de la matière qu'elleâ devraient embrasser!
Mais ce rêve, qui semble absurde^ une association d'^hommes peut
le réaliser. Les réunions matérielles rapprochent aussi les iotelii-
genees; les âmes communiquent presque directement quand elles
peuvent le faire par la parole vivante. L'enveloppe du moi s'amiaoïtt
tend a s'évanouir. Eîn ces consciences distinctes se forme un esprit
commun» Nos devanciers ont créé la conscience de la famille, data
trihu, de la cité : il nous appartient de créer la conscience humaine.
C'est elle qui formera, avec la masse des connaissances positiveir
la synthèse philosophique de l'avenir. En préparant son avènementi
nous ne travaillons pas seulement pour l'intelligence pure« Aristolc
opposait avec profondeur la véritable amitié, fondée sur une peniél
commune, à Talliance égoïste , fondée sur la solidarité des intérêts.
Lorsque des hommes pensent vraiment en commun» leurs volonl*^*
se mêlent, et deviennent une même volonté. Organisé pour Taviii'
cernent des sciences philosophiques, notre congrès servira non pi^
seulement à cette fin, mais encore à constituer entre nous une famille»
image et foyer de cette amitié vraie que nous devons souhaiter de voif
se propager parmi les hommes, n
Il est à peina nécessaire de dire combien ces hautes pensées, qui
répondaient au sentiment presque unanime des auditeurs, otit ^*
LALAffDE. — dONGRÈS I^TERKAÎIQNAL DËl PHILOSOPHIE
485
It
chaleureusement accueillies* M. GEJtEit, profêBseur à T Université
d*Up8al, 8* est fait l'interprète des élranç^ers en remerciant le président
et le Comité d^organisatioii. Il a soulevé à son tour de vifs applaudis-
sements en ee félicitant de cette organisation nouvelle qui tendait à
Me constituer au-dessus de toutes les différences nationales^ «t et même
kle tous les préjugés nationaux ■.
" Bous la présidence de M. J.-J. Gourd, professeur à TUniversité de
Genève, îuretit ensuite abordées les questions d'enseignement.
M. EvËLLiN lit d'abord un mémoire sur Féducation morale et son
but. Les traits dominante, en ce qui concerne renseignement de la
philosophie, sont Ifis suivants : réserver exclusivement les études de
théorie pure aux Unîversitési comme on le fait d'ailleurs dans la plu-
part des pays d'Europe* Au lycée, commencer de bonne heure lacul-
turc morale de Tenfant par des procédés pratiques^ l'entretenir par
une discipline pédagogique, consistant à subordonner toujours forte-
ment la curiosité intelk-ctuelle et même le sentiment du beau à la
valeur morale des choses enseignées. Traiter enfin dana la classe de
nhito&ophie les problèmes éthiques méihodiquement et systémati-
■quement : cette étude sera féconde si la préparation qu'a subie Télève
dans tout îe cours de ses études lui permet de répondre à des senti-
ments actifs et d'éveiller dans Tâme des échos profonds. Miiis même
en philosophie — et c'est là le point le plus original de la thèse sou-
tenue par M* Evellin -^ il conviendrait de aupprîmer toute théorie
-pure, de laisser au second plan les longues spéculations qui sont
Kujoard'hui en usage sur la nature du Bien, et qui ne servent qu'à
entamer la foi morale des enfants. Au lycée, les principes doivent
demeurer hors de discussion. Ce qui doit former le corps de IVusei-
gnement, c'est avant tout Tanalysc des devoirs» tiréa des quelques
principes que tout le monde accorde et, ce qui serait le plus utile
>ur la formation du jugement, l'analyse et la solution des conJlits
|ui s'élèvent entre plusieurs sortes de devoirs.
M. DaRlu répond à cette communication et défend les idées con-
raires* Il faut raisonner, dit-il, non pas à priori, car les possibilités
>fit en nombre inlini, mais à posteriori. Ë)t si Ton part ainsi des faits,
aboutira à d'autres conclusions : 1^ Sane doute la classe de philo-
sophie française, avec son caractère d'enseignement supérieur^ est
une exception parmi tes systèmes pédagogiques européens* Mais une
Dhose est certaine, c'est que cette classe, dans la plupart des lycées,
st ilurissante; Il s'y manifeste une vie spontanée qu'il serait mauvais
le détruire. La classe dirigeante, qui s'y forme, a besoin de réllét^hir,
; comme elle ne fréquente pas l'Université, elle ne rénéchiratt jamais
ms cela, — 2^ Leâ principes seuls peuvent être enseignés : on excite
yp les passions en discutant les applications. D'autre part^ les jeunes
486
REVUE FBfLOSOPBlQtJE
gens de cet âge ont précisément une tournure d'esprit métaphysrq
à laquelle il est utile et éducatif de fournir un aliment approprié.
d^ Enfin, il faut alléger les pro^ammes; si Ton tient compte
nombre de cours que peut faire matériel le meut un professeur, et doi
plusieurs doivent nécessairement se faire suite pour développer co
plètement une question et permettre aux élèves d'en assimiJer J
éléments^ on verra que le plan d'études actuel est d«ux lois troj
étendu. Il y aurait donc lieu de conserver seulement d'mie part»
théorie de la connaissance, comprenant la philosophie des soîeace'
et de Tautre la philosophie morate, comprenant la psychologie qui s
rattache* On supprimerait ainsi îa logique formellep la psycholosrie
c:cpérifnentalei re&théiique, Thistoire de la philosophie et la mèu^
physique en tant qu'étude séparée.
L'histoire est attaquée plus fortement encore par M. Brukschvjcg,
car on ne peut renseigner que très superficiellement, et dans ces mti-
ditions, elle n'excite que le scepticisme. Elle est défendue )âar M. Padoàf
qui rappelle qu'en Italie la classe de philosophie existe comme en
France, et qui craint de trop dogmatiser les élèves par un enseigne-
ment ofUciel : rhistoire u toujours été le grand facteur de l'esprit cri*
tique. M. Boutroux pense aussi qu'on doit la maintenir, quoique pour
des misons un peu difTèrentes et dont il trouve un bon résumé ûêU
ces lignes do M. Vailati : <t II ne faut pas croire que raccumukticn des
connaissances de génération en génération soit un motif sufUsant é&
nous juger intellectuellement supérieurs a tous nos devanciers, de penser
que les grands esprits du passé n'ont par[é et écrit que pour leurs coD-
temporai na, et que nous n'avons plus rien à apprendre en les étudiant. •
Le R. P* Bull tôt voudrait alléger les programmes en réduisant tous les
systèmes à un petit nombre de types qui donneraient aipc élèves une
idée suftîsante de la diversité des esprits. ^ \L Ivanovski rappelle qtie
dans ces gymnases russes ^ la classe supérieure ne comporte actuelîa-
ment qu'une heure de logique, mais que la classe de philosophie à I*
française y a e^tisté autrefois, qu'on en demande le rétablissemênul
que pour sa part il le jugerait souhaitable, surtout en ce qui coucerni
renseignement de la morale. — Enfin M. Leclere a fait observer qu'il
n*y avait peut-être pas lieu de réformer le programme, puisque en réa-
lité les professeurs n'en faisaient jamais que ce qu'ils voulaient. ^1
qu'il leur permettait fort aisément d'enseigner suivant leur individua-
lité, — Le fait est assez vrai; mais n'est-ce pas précisément une de*
situations les plus malsaines, au point de vue de cette éducation morale
dont parlait un peu auparavant M. Evellin, que d'avoir des règlemefll*
et de ne pas les appliquer? Qu'on les supprime ou qu'on les suive. fi^'^
ne force à multiplier les lois; mais il n'y a pas d'esprit social saosl^
respect de celles qui existent*
M, CoUTun AT parle ensuite. « On veut faire, dit-il, deshomraesetdw
eitoyeuB* Pour cela, deux sciences pratiques sont easentieUes: l»
logique et la morale. Sacrifîona leur résolument le reste« Histoim
LALAHDE, — CONGRIvS INTERNAtlONAL DE rKII.0SOl»H)E
487
■
I
psyehoïogîe, métaphysique sont sans doute intéressantes; mais puisque
nous sommes tous d'accord quMl faut alléguer le programme, nous ne
pouvons pas espérer n'en retrancher que des non-va!eurs. Dans la
logiqueeiie-mème, il faut simpiitîer les choses, abandonner ]a logique
formelle, qui n*a point de valeur pratique, ne conserver qu'une logique
des sciences aboutissant à la théorie générale de la connaissance et à
la cosmologie. Dans la morale, môme méthode : o[i retiendra surtout
la morale appliquée, la morale sociale et la philosophie du droit. C'est
une partie de l'enseignement qu'on ne doit pas négliger et quon ne
négligerait pas sans péril dans le pays qui a proclamé les droite de
rhomme* Ainsi les jeunes gens sortiraient do la classe de philosophie
pourvus d'un viatique solide: Tesprit critique, fruit de la logique; les
principes de la conduite, formulés par la morale. Un pareil système
repondrait à tous les adversaires avoués ou cachés de notre enseigne-
ment, justilierait le maintien de la classe de philosophie au faite des
études classiques, et serait â Fabri du reproche de former des scepti-
ques ou des songes-creux, w
J*ai résumé avec quelque détail cette nette et solide exposition, qui
a paru faire impression sur le congrès, et à laquelle je ne puis que
m'assoeier. Tai fait toutefois remarquera M, Couturat que les notions
d'esthétique, qui llgtiraient à l'ancien programme^ ne devraient pas
être exclues de celui-ci. En premier lieu, Festhétique est par sa nature
même tout â fait analogue k la loLique et à la morale, et forme avec
elles un groupe complet, qu'il semit regrettable de démembrer pour
économiser quatre ou cinq leçons. Mais cette raison de symétrie serait
encore peu de chose : il faut peser aussi ^ au point de vue même qu'in-
diquait M. Couturat, la valeur éducative de quelques principes solides
sur la véritable beauté, pour des jeunes gens assaillis dès l'école par
tant de productions lucratives dont les auleurs ou les interprètes récla-
ment le respect au nom de « l'Art », et qui sont un des facteurs les
plus actifs de l'aveulissement moral contemporain*
M. Farodi Ut un mémoire de M* le sénateur CaKTONî, professeur à
rUniversité de Pavie, qui propose de supprimer l'histoire de la philo-
sophie dans l'enseignement f=econdaire et d'établir dans toutes les
Universités cinq chaires fondamentales: Psychologie générale, Logique,
Morale, Pédagogie. Histoire de la philosophie, qui s'accompagneraient
de chaires accessoires, créées momentanément pour les hommes qui
auraient quelque compétence spéciale.
Enfui le H* P. Bclliot. s' appuyant sur cette idée reconnue par tous
que la science est le point de départ commun de toute philosophie,
a défendu fortement les droits de la culture scientifique. Il cite
r exemple très instructif de rinstîtut catholique de philosophie de IjOU-
vain^ comprenant trois années d'études, et où les étudiants sont divisés
en deux catégories : ceux qui n'ont point de goût pour les sciences
entrent dans la branche pratique comprenant des cours accessoires
détaillés d'histoire et de sociologie; ceux qui ont l'esprit scientifique
488
REVtJB PHILOSOPHIQUE
forment la branche spéculative : pendant trois ans, Us reçoivent un
enseignement mathématique, phytique et naturel très complet: lisant
des laboratoires^ dea Balles de maotpulatîonâ et de dissection qa'jk
sont astreints à fréquenter, et ils finisBcnt ainsi par acquérir des
connaissances techniques comparables à celles de nos étiidiâaU es
sciences.
in
La séance générale de Logique, a été fort intéressante* raaia très
hétérogène dans ks communications et non moins décousue dans les
discuasions^ qui chevauchaient l'une sur Tautre, dégéDéraîent par
moments en conversations particulières des orateurs, et tlnisaaieEit
d'une façon plus brusque que satisfaisante* Les raéthodologistes min-
quent un peu de respect pour la méthode; mais c*est toujours l'effet de
la familiarité,
BfL le pi-ofesseur Moritz Cantoh Occupe d'abord le fauteuil, et doant
lecture d'une conférence sur les origines du calcul inlinitésimal depuis
l'antiquité jusqu'à l'époque de sa constitution définitive* M, Oantor
écrit et parle parfaitement le français, et dans un style qui cWpis
dépourvu d'oiégance. « Le calcul inliniti^siraal, dit-il, comprend deui
parties, le calcul intégral et le calcul différentiel. L'intégral est de
beaucoup rainé, mais son cadet Ta si bien dépassé qu'il aura miinte-
nant fort à faire pour défendre son droit d'ainesse et se remettre sur
le même pied que lui.
On sait que les anciens connaissaient la méthode des limites et «e
faisaient par conséquent une idée nette de la cotitinuité. Euclideen^
donné une excellente déiinition, Archimède a trouvé le moyen de
mesurer le volume d'un ellipsoïde par la limite commune de deux sys^
tèmes de cylindres inscrite et circonscrits, et il lui arrive fréqui^nî*
ment, par exemple en calculant l'aire d'un segment de parabole, à'fi^*
fectuer des calculs destinés à trouver la somme d'une série convergente
prolong^ëe à l'infini.
Mais il faut arriver à une époque beaucoup plus moderne pouf lui
véritables origines de ce calcul. Au xni' siècle on trouve Texpressiû'^
de fluide appliquée à la continuité. Thomas de Bradwardin a composé
un traité du continu permanent et du continu variable, où est exposée
la distinction classique de Tinlini et de Tindéfini^
Le véritable initiateur des nouvelles conceptions fut cependant
Nicolas Ûresme. On employait déjà, à son époque, dans les uûiversitéii
une sorte de géométrie des coordonnées dont on pourrait faire remonttî
l'origine première à Apollonius, et qui consistait à étudier les rapports
de la longilude (abscisse) et de la latitude [ordonnée) pour les difîê~
rents points d*une courbe rapportée à deux axes rectangulaires, et
notamment d'un quart de cercle^ Oresme étendit même cette analyse
LALAHOE. — CONGAÊS IRTfiHNATIOnAL »£ PillLO!;0)>HIC
48fl
I
»
I
à la parnbole et aperçut le principe si fécond de la variation impercep-
tible de l'ordoiinée aux environs des maxttnn et rainima,
Viète a dé Uni la circonforenee comme un poly^^^one d'un nombre
infini de côtés avec Fun desquels se confond la. tanj^ente. Kepler étendit
cette inâme idée à hi sphère et à ses pîanâ tangi?nts, puis» dans sa Notm
Stereometria doliorum, à tous les corps de révolution. Il précisa à
propos des mêmes prûblcnies la n-marque d'Opeime, et peut être con-
sidéré comme le vrai fondateur de Tanalyse des maxtma et mini ma.
Cavalier! publia en 16:17 sa géométrie des indivisibles, qui mérite-
rait, dît M. Cantor, le prix d'obscurité, Fluero y est encore employé
pour marquer la variation continue,
Deacartes précise le problème des tangentes qui devait din'enîp le
point d'attache du calcul différentiel et lui donne par sa méthode la
forme algébrique qu'il a gardée. Fermât va beaucoup plus loin et pousse
si loin la théorie des niaximaqu*on peut déjà trouver dans ses œuvres,
à condition de traduire ses formules en langage moderne, le principe
de Tannulation de la dérivée- Uoberval, par une idée plus ingénieuse
que pratique, considère le mouvement par lequel un point décrit une
iïourbe comme la résultante de deux mouvements tels qu'en construi-
mant le parallélogramme des vitesses, la tangente en soit la diagonale*
Pascal compléta et perfectionna la méthode de Cavalieri, mais aussi
l'analyse des tangentes de Descartes, et par là doit être considéré
eomme ayant apporté une contribution très effective à la préparation
du calcul infmitésimal; une de ses constructions a directement inspiré
Leibniz.
Wallis publie en lG6r> ^on arithmétique des infinis. Barrow, maître de
Newton, suit les traces de Fermât; M* Cantor lui restitue detinitive-
mentH* par une petite discussion de teiLtes assez convaincante^ la pro-
priété de la célèbre leçon qu*an a voulu lui disputer pour en faire hon-
neur à Newton. II ajoute qu'arrivant à Tépoque même de la création du
ealcuï inrinitésimal sous sa forme moderne, il n ira pas plus loin et ne
discutera pas les mérites relatifs des deux inventeurs, Sansdoute Leibniz
aurait quelque avantage, d'abord parce qu'il a montré plus elairement
la réprocité du calcul intégral et du calcul différentiel; ensuite parce
que 3on esprit hautement philosophique rattache les principes de son
analyse h toute une conception du monde. De là vient qu'il les a saisis
d*uii seul coup, tandis que Newton a tâtonné. Mais entin il faut recon-
Qailre h que chacun de son côté, ils sont entrés dans la terre promise "*
Cette instructive conférence, bien qu'elle présentât moins un carac-
tère de controverse que de vulgarisation, n'est pas sans soulever quel'
ques objections ^ M, Milhaud, qui a fait aussi dans une des séances de
i4fCtion une étude sur les origines du calcul infinitésimal, relève lapre-
léffrace que M. Uantor donne à Fermât sur Descartes, et montre que
f. Je let rétablis ici à leur ordre» bien qu'une partie s*en soît trouvée rejelée
Ipffes la communication de M^ Poincaréf
TOMI L. —1900. 32
l^lk
490
REVUE PflILOSOPÏIIQDE
les raisons de gétiêralité et de méthode qui rende ot Fermât supérieur
il Eoberval, comme Ta reconnu Torateur, peuvent aussi s'appliquera
ta aupériorité dti Descartos sur FermaL — M, Cantor réplique en con-
testant vivement k Descarles la création de la géométrie analytique, il
n'a développé, âolon lui, que l'algèbre; mais il n'a môme pas coium
l'équation de la ligntî droite, tandis que Fermât a créé Tidée easen-
tiôUe» l'équation des courbes; et :si Ton veut appeler analyse re qii a
créé Desearti^â^ on dinraît divv alors ri qu'elle se trouve déjà partout*
et notamment chez Viète* Cette supériorité de Fermât, sur Descartea
était d'ailleurs, dit-il, l'opinion de Gauss, — M. l'abbé Ackermina
proteste contri' cet enlèvement a Descartes de la géométrie analytique.
— M. Paul Tannery apporte quelques documents nouveaux par la lee-
turtî d'une lettre du commentateur de Descartes, Florimond de Beaune*
— Et finalement M* Milhaud, tout en déclarant qu'il n'a pas « té ton-
vaincu parles arguments de M, Cantor, renonce à prolonger ladiicui^
sion>
M, Heori PoiNCARÉa pris pour sujet de sa communication ilespnn-
ctpes ai' in méainiqne^ Les Anglais, dit-iU ont riiabitude de les canai-
dérer empiriquement, et de ranger imtierenit^nt la mécanique parmi 1««
sciences expérimentales. Sur le continent Tusagi; contraire prévaut. Ni
l'un ni l'autre iVest entièrement justifiable. Considérons en effet quel-
ques*uns de ces principes, celui de f inertie par exemple. Tout (îorps
sur lequel n'agit aucune force persiste indéfiniment dans son état de
mouvement ou de repos. Est-ce une vérité a priorVi On ne peut i'atî^
mettre, car^ en ce cas, comment les Grocs, qui ont ai profondémeai ani
lysé les axiomes géométriqueSp auraient-il pu méconnaître celui -là ^^Û^'
plus nous pouvons constater sur nous-mêmes que la proposition n'est
pas nécessaire. Nous concevrions aisément nn monde tout aussi intel-
ligible que le notre et dont la loi serait que tout corps, aussitôt nbufl-
donné â lui-même, conserve indétiniment la position où il se troui^e.
— Dirons-nous que ce principe est expérimental? Mais l'expénencc
n'est pas possible : car il n'y a pas de moyen de s'assurer que le eor|^$
sur lequel on expérimente n'est soumis à aucune force. En fait, toii&
les corps sur lesquels nous expérimentons sont au moins soumis &1*
gravitation» Parlera-t-on d'éliminer l'eiïet de ces forces? Mais oîi ne
peut-être sur de félîminer tant qu'il n'est pas défini, et il ne peut l'être
tant que le principe de l'inertie demeure en suspens. Quand ûQ^^
voyons un corps lancé qui continue h rouler, rien ne peut donc nOïi*
dire dans rexpériences'il est ou s'il n^est pas soumis à une force, puistjU@
nous ne jugeons des forces que par leurs effets. L'expérience ne pe"^^
donc ni confirmer ni contredire la loi d'inertie.
Il en est de même de la lai /"=: mg, qui n'est que la définition de W
force. On ne peut essayer de la rendre synthétique en assimilant t*
force à l'effort musculaire, car il s'agit ici de sa mesure, et la seiîftatii>ti
ne donne qu'en apparence des degrés dUntensité mesurables* On n^
peut non plus, comme M. Andrada, la ramener â la notion de la ino-
LALANDE. — COr«GRÈS INTERNATIONAL DE PHILOSOPHIE 491
tion par un fil, qui ne coïncide que très imparfaitement avec Tusage
que nous faisons de la notion de force en mécanique.
Il en est encore de môme du principe de Tégalitc de l'action et de la
réaction. Il ne peut ôtre a priori, puisque le contraire est concevable;
il ne peut être expérimental, puisque pour le prouver ainsi, on serait
obligé de réaliser des systèmes isolés, condition matériellement impos-
sible. Il reste que ces principes ne soient autre chose que les conventions
les plus commodes, mais non nécessaires, dont nous pouvons nous servir
pour organiser les sensations. <i La question de la vérité absolue des
principes de la mécanique n'a donc aucun sens ». C'est un système de
notions solidaires les unes des autres et au moyen desquelles nous
réduisons au minimum les corrections toujours réelles qui séparent
les mouvements que nous percevons dans la nature de la prévision
que nous pouvons avoir de ces mouvements.
M. Painlevé, au lieu de lire son mémoire, qui portait sur un sujet
analogue, demande à présenter quelques objections à Si. Poincaré : si
plusieurs systèmes de principes sont également admissibles, pourquoi
adoptons-nous celui-ci plutôt qu'un autre? Pourquoi pas celui par
exemple qui donnerait pour formule à l'attraction la raison inverse du
cube des distances? Parce que la formule mm' : d^ donne des correc-
tions beaucoup plus simples, de même que le schéma de Copernic
donne des corrections beaucoup plus simples que celui de Ptolémée. Il
y a donc, indépendamment de nos conventions, un ensemble de faits
réels avec lesquels elles cadrent plus ou moins parfaitement, qui par
conséquent leur communiquent une raison d être indépendante de
notre arbitraire, et qu on peut appeler leur vérité.
M. Hadamard rappelle que les mêmes vues ont été soutenues par
Kirchoff et par M. Duhem, et conclut avec eux qu'on ne peut sans
doute vérifier isolément aucune des hypothèses, mais qu'on n'en peut
dire autant du système total des hypothèses. — M. Padoa pense qu'on
pourrait, par une critique analoï^ue à colle de Kant, distinguer ce qu'il
y a dans ces principes de purement logique, qui subsisterait même si
la matière de notre connaissance était changée, et ce qui, directement
ou c-onventionellement, n'exprime que la nature de cette matière. —
M. RiBERT enfin essaie de porter la discussion sur un nouveau terrain
en se plaçant au point de vue du réalisme scientifique, qui prend
comme point de départ l'idée que l'homme est nouveau, et que la
nature, telle qu'il se la représente, lui a préexiste. Mais M. Poincaré
n'accepte pas ce nouveau débat, et clôt la discussion en le renvoyant à
la section de métaphysique.
Une question corrélative sur bien des points est attaquée par
M. RussELL, fellow of Trinity Collège (Cambridge) : Y a-t-iî dans le
temps et dans l'espace des positions absolues? Dans le temps, on est
obligé de l'admettre, si l'on veut, comme l'expérience paraitnooff con-
traindre, qu'un même événement puisse se produire deux foif, et en
fait on est d'ordinaire porté à le reconnaître. Dans l'espace on pcBfle aa
49S KEVU£ pnlLOS(»PHI(ÏU£
contraire généralement, avec Leibniz et Lotze qu'il ne saurait y avoir
que relativité, c*est-à-clire que la position d'un corps n'est qua Vm-
semble de ses distances aux autres corps. Cette théorie, suitanl
M. Ruâsel, est inacceptable : un angle, par exemple, est une délenni-
nation absolue ; la droite elle-même doit être considérée comme absolue
pour fixer les distances qui roiU les éléments constitutirs de U
théorie relativiste : il s'ensuivrait donc que toutes les propoaitioni
géométriques prendraient un caractère hypothétique.
M, CouTUBAT prend la parole pour faire ressortir le caractère trca
paradoxal de cette opinion. Il rappelle que cependant elle a pour elle
des considérations de valeur et que notamment en mécanique ou eit
obli^^ë d'admettre des axes fixes dans U théorie des corps tournants.
Quelques obi^ervations sont présentées par MM. Taudb (sur la nature
différente de respaceetdu temps), PoiNCAhE (dans le temps lui-même,
la position n'est-elle pas uniquement définie par le rapport à eertaîofi
antécédents et conséquents déterminés?), Akhé, qui demande si celte
question ne se confond pas avec celle de robjectivité et de la subj^-
tivilé. Mais M. lîussell ne le pense pas, et répond que Kant laî'mciïie
a admis qu'il y avait des positions absolues dans TcspaGe. C'est one
question d'analyse indépendante de la réalité.
La séance s'est terminée par une eiposition de M* Mac COLLsyruû
système de logique symbolique et son application à rexpresaion dei
probabilités. Je ne crois pas utile d'en reproduire les notations, cif
cette reproduction serait nécessairement incomplète; et d'autre pad
elles ne peuvent avoir leur valeur et leur intérêt que si Ton étudie
l'ensemble du système et les opérations qu'il peut servir k eiïectue^
IV
Histoire de U phliosophie. M. DouTflbDX en définit robjet et U
méthode. La variété des points de vue» dit-il, profite à ravanceiflfîQt
de la science; il ne faut donc pas imposer à tous les travailleurs une
même règle. Le seul principe inviolable est qu'il existe une véritfl
devant laquelle Tesprit doit faire abnégation de ses goûts ou desei
opinions : le respect des faits et de la logique sont les seules loi^
strictes de Thistorien,
On peut cliercber cependant quelles conceptions sont préférables «t
répondent le mieux, en ^'énériil, au but qu'on se propose. L*hiBloire€iî
objective, et pourtant elle est un choix^ car on ne peut ni tontdiretD*
tout reproduire simultanément dans Ja multiplicité de ses rapporiJ.
Une première méthode consisterait à chercher en tous les auteurs c*
par quoi ils se rapprochent de nos idées actuelles- On montrera'^
ainsi comment s*eat formé peu à peu Ten semble des vérités que oûu*
recevons. — Mais cela suppose que la philosophie est une scîefHî^
faite» destinée à î^^accroitre sans grands changements, au moins i9>^
révolutions, Or, il semble, au contraire^ qu'elle soit plus que io^^
LALÀNDE. — CONGHËS INTERNATIONAL DE PUlLOSÛt^BtE
493
autre sujette à des corsi e ricomi (Vico), qui la renouveUerit en en
reprenant les principea de fond en comble. Telle fut la révolution kan-
tienne, après laquelle, pur exemple» il n'était plus possible de juger
Locke du point de vue qui avait été celui du xviii* siècle. — Et pïus
récemment encore, ta devise que recommandait /Seller aux nouvelles
générations n'étaitelle pas : Rûchgnng auf Kant?
Une seconde méthode plus sûre est donc de Juger le passé en lui-
même, de traiter de chaque écrivain^ en se plaçant au point de vue de
Fauteur et de Tépoque, De cette façon on peut pénétrer plus avant
dans le fait étudié, qui est la succession des pensées et l'inilufince
qu'elles ont exercées Tune sur l'autre. En même temps aussi on rend
plus de justice aux hommes : ic Expliquer un écrivain par lui*môme et
pour lui-même, disait Herder, c'est ce qu'un honnête homme doit à
tout honnête homme, u
A cette exposition très applaudie, et si magistralement illustrée par
les applications qu'en a faites fauteur, succède une communication
lue par M, J.-J. GouRfj, professeur à TUniversité de Genève, et qui a été
une des maîtresses pièces du Congrès. Elle a pour titre : a Le progrès
dans l'histoire de la philosophie, a
« Il faut sans doute iccon naître, dit M. (lourd, le rôle de la philoso-
phie en tant qu'art et q«e e^ymnastique activant les fonctions de
Fesprit, construisant les formules du monde et de la vie les mieux
appropriées à notre individualité, et nous donnant pour nous-mêmes,
sans prétendre à runiversalité, des satisfactions subjectives dont on ne
peut contester l'intérêt. Il y a cependant en elle quelque chose de
plus ; elle contient, sans s*y réduire, une part considérable de pro-
blèmes ohjectifs, pour lesquels la question de Terreur et de la vérité
ae pose dans les mêmes termes et avec le môme sens que pour la
science* C'est le progrès de cette vérité scientifique que je veux démon-
trer. Ce progrès enveloppe les doctrines dans des doctrines plus com-
B^hensives sans en supprimer la valeur individuelle. Il est lent,
«Mieste, il a des (lux et des reilux; il n'est pas frappunt comme celui
de la physique, mais il est réel cependant : nous en savons plus
qu*Aristûte, même en philosophie, sans pour cela lui être supérieurs
en génie.
Ce progrès peut se diviser en deux ordres de faits : progrès de la
philosophie, 1** vers la science, '2'^ dan^ la science*
Vers la science : caria philosophie est de moins en moins mystique
et intuitive, malgré quelques mouvements de recul partiels, et tend
au contraire de plus en plus à une forme rationnelle, donc objective
et communicable^ Comme la science, elle sacrifie toujours davantage
la connaissance <t spontanée ï> à la connaissance rélléchte; nous ne
devons pas nnus laisser émouvoir par le dédain des artistes en philo*
■ophie pour les doctrines a plates u : elles ont du moins l'avantage de
pas mettre artificiellement un double fond à la réalité. Comme la
iîence, dont la loi générale est la coordination par similarité, la phi-
494 REVUE PHILQSÛpnmilB
losophie veut aboutir a l'universel et au nécessaire : le concept^ inalra-
ment de cette assimilation/y joue un tùle croissant. D'abord mythique.
poétique, individuelle, elle devient toujours plus démonstrative et
pîtis raisonnante. En même temps, elle se soustrait â rautorité. Res^
tant indépendante des sciences particulières^ elle les systématisPjiDais
avec leurs procédés et dans leur esprit : pour efTectuer ce travail ûii
Ton a apporté tant de mystère, H n'est besoin d'autrea concepts tjue
ceux qui se dégagent de k science phénoménale : preuve pour Tidée
de Ja Cause, du Tout, du RéeL En procédant avec celte réserve sévère
et méthodique-, on ne laisse en dehors de ses prises que de pseudû-
pro blêmes, faits de ternies équivoques ou de questions mal posées i.A
philosophie, en délinitive, devenue la science des processus généram
de Tesprit humain, a donc progressé verâ la scieni^-e sans rien pfdre
de sa grandeur, ni même de ses ambitions d*autrefois.
Dans la science : car ce qui était d'abord h Tétat de problème reçoit
une réponse et passe à l'état d'échelon pour alîer plus loin. On dit que
la philosophie traite toujours les mêmes questions; c'est ineiacl ; elles
se transforment et se précisent. Exemple de la manière. De nouvelles
questions se posent en dépassant les anciennes r celle de l'o/j/e^ et du
sujet t que seuls en Grèce les sceptiques ont aperçue, et dont ils a'oat
fait qu*un usage oblique; la distinclîoo de l'ordre théorique et ^*
Tordre pratique; la philosophie de la religion, qui met hors la loi l'Ab-
solu et ses dépendances, — On dit que ce sont toujours les mêmes
solutions et que les doctrines reviennent en cercle. C'est encore
inexact; car sous ces mêmes noms s'abritent des choses nouvellÊ$< 1^
panthéisme moderne comprend et dépasse le panthéisme grec. Us
doctrines se rectifient, se rapprochent de leur type^ éliminent îes élé-
ments qui nuisaient a leur pureté ; quel progrès par exemple, dans
les questions du déterminisme et de la liberté, depuis le vague et b
confusion des idées anciennes jusqu'aux distinctions précises étsblÉÊt
de nos jours! — On dit enfin qu'il y a toujours autant de contradic-
tions; mais d'une part elles ne portent plus sur les mêmes objets et
marquent seulement la région où se fait le travail philosoptiiîi^
aetuel; et d autre part elles ne sont pas inconciliables, si on réfl^h'^
qu'une doctrine n'est qu'une vue déterminée prise sur k s choses et
leur transcription d,ans un certain langage.
Pour voir se concilier ces oppositions, il suflit de se débarrasser de
la grande idole : Tidentité de l'objet intelligible, scienti tique* avec 1^
réalité même, La science et la philosophie s'éloignent de la mattt*f^
qui leur sert de donnée; elles construisent leur vérité comme unescric
de cartes à di[lérentes é(;.hellea. On peut donc disposer suivant uî3^
hiérarchie les vérités qui semblent d'abord contradictoires et qui réel"
lement s'enveloppent : Tempirisme est au premier étage ; le rationahsîï^*
lui succède et l'explique : ils ne peuvent se passer l'un de Tautre; **
rationalisme lui-même est destiné à être compris et absorbé par u^^
idéalisme phénoméniste qui le justifiera en le dépassant. Il eu est d^
LALANDE. — CQISGHBS 1?«TEHN\TI0ÎÏAL DE l'HtlOSOPHtE
495
mèine de la science, de la morale, de la religion. Matérialisme et spiri-
tualisme, liberté et déterminisme ont une vt^rité fixe et objective, mais
qu'on ne peut reconnaître qu'en définissant et en subordonnant lea
problèmes auxquelles ces solutions prétendent répondre,
Lfe progrès philosophique concilie donc les doctrines^ non en les sup-
primant, mais en leur marquant leur place. A la science, la détei^mi-
nation* A la religion, tout le déchet d'indétermination non moins rcel
qui accompagne cette détermination. A la morale, la vue spintualiste
de Tùme et de la personne morale qui n^empêche pas Je matérialisme
d'être la vraie méthode directrice des recherches physiqties ou bio-
logiques. A chacun iinaiement de choisir sa doctrine, plus ou moins
compréhensive de point de vue inférieurs^» en choisissant la pLice
qa*il veut prendre dans Tensemble du travail humain. ^*
Personne, je crois, ne me reprochera d'avoir analysé avec trop de
détail ce beau discours, dont les idées rappellent la puissante méthode
de conciliation leibnizienne, et qui n'a cessé d*ètre accompagné par
une chaude sympathie de l auditoire. Bur la demande de M. BauNsan-
WIC&, qui le prie dé préciser sa théorie de la religion» catégorie de
Jinconditionné et de rindétermino, si opposée à l'idée courante de la
relit^ion. dernier mot de t 'intelligibilité et communication avec Tabsolu,
M. GOURO résume les originales conceptions qu'il a exposées dans ses
Trùîs dialectiques^ et que je ne voudrais pas aUaiblir en les réduisant
ici à quelques formules. Elles soulèvent une réclamation courtoise
du R. l\ OuLLiOTrft Mais que faites-vous alurs delà cause première l:* s
Et M, Gourd ayant expliqué pour quelles raisons la philosophie, qui
ne cherche que l'unilication, peut se passer de ce concept, la discussion
tBe va pas ^us loin.
Tout le reste de la séance a été consacré à Platon.
M. Bhochard, qui n'avait pu assister au Congres a envoyé un mémoire
lur « le Devenir dans la philosophie de Platon * . M. Halévy en donne
abord Tanalyse : il comprend cinq parties : le Démiurge, Tàme uni-
jrerselle, l'àme humaine, lamatière^ le monde physique. Leur ensemble
rme le devenir» qui ne laisse en dehors de lui que le monde des
[dées. — Dans cet ensemble assez considérable, M. Halévy choisit
jKïur en donner lecture ce qui concerne le Démiurge et ce qui con*
Berne la matière. Sur le premier point M. lîrochard établit que Platon»
[ont la sincérité relig"ieuse est entière, ne considère aucunement son
Oieu comme un absolu : il est dilTérent de Tidée du bien, ce Dieu du
tftonde intelligible; il n*eat pas d*avantage le lieu des idées; il est
ïomme tous les êtres de ce monde un mélange didées» p^iUt di^v ;
t'est donc un être relativement inférieur, comme les dieux du poîy-
béisme grec. — 8ur le second point, il réfute Topinion qui rapproche
latoQ du mécanisme cartésien et qui identifie la matière avec Vespace
2eller) ; x^psi EiSpot. tùnoz ne sont pas Tespace ; ce concept» les Grecs
Savaient sans doute» mais le désignaient toujours par itÈvov. La matière
donc une réahté intrinsèque : elle s'agite, elle résiste à sa
Am
BEVUE PHILOSOPHIQUE
formation par les idées; elle en est comme le siège ou la pkm Rian
de plus. Elle c^at formée p-ir la combinaison des contraires, ee qtii la
met dans une perpétuel le instabilîté. Elle est donc l'âîteritô pure,
r^iUre analysé danîi le Sophiste comme condition du même, et c'est
parla qu*elle participe aussi aux idées.
Malgré son caractère technique, cette communication a été très cha*
leureusement accueillie. Lea applaudissements ne s'adressaient pM
seulement à. la forte démon strat ion qu'on venait d'entendre, mais aiî&si
à la personne de réminent professeur dont l'absence invot on taire était
universellement regrettée, — Lecture fut ensuite donnée d*un mémoire
de M. RiTCHiE, professeur à T université de Saint Andrews, qui d*accûr<J
avec Lutoslavski, fixe la date du Farménide peu après 3*3"* et peatf
qu*il fut écrit pour répondre à des objections d'Aristote, — M, Coi^*
TtJRAT expose ff rÉvolution historique du système de Pluton i.
Ce mémoire, qu'on ne pourra se dispenser de consulter pour 9i
mettre au courant de l'état actuel di^ cette question, résuma tûuB
les travaux les plus récents et en particulier ceux de Lulostavskif U
grand vulgarisiiti^ur^ sinon Pinventeur, de la méthode de stati&tifïap
verbah* et grammaticale* M, Couturat fait connaître les résultats aut
quels ont abouti ces travaux : la négation de la soi-disani périmie
éléatico-mégarique de la pensée platonicienne» admise courammeot
sur l'autorité de Zeljer et d'Ueberweg. Trois groupes restent alors
bien déOnis* entre lesquels Tauteur indique la répartition df s dialoj^Qef
et dont îl définit le caractère en disant que Platon a passé parle pro-
grès de sa pensée n du dualisme au monisme^ de Jldéahsmt* au
réalisme f des concepts aux nombres, de lu dialectique aux matliéma-
tiquca. «
La séance consacrée à la métaphysique et à la philosophie génémlr
a débuté par une communtcation de M. le D' IJOXNIEB qui avait pour
titre : « Rapport de Fintuition spatiale avec les représentations inl#l-
lectuelles >k Ce travail, dont le titre ne donnerait pas une idée tant •
fait exacte, part de ce principe que les phénomènes psychologiqutîi nt
sont pas autre chose que des mouvements de la substance cérébrale:
que rintelligence^ comme dit Tauteur^ ^ est une matière de eon^is^
tante molle^ dont la température se maintient aux environs de liB^ »
et qu*en conséquence toute pensée, occupant une région déterminée
de cette matière, a nécessairement un caractère spatial,
M. Hergson a parle ensuite « Hur Torigine psychologique de noirt
croyance à la loi de causalité* » Problème délaissé de nos Jours, dit il
après avoir été fort activement débattu, La théorie de la conuaîS9iui<ï*
discute plutôt actuellement la sigaîlication des principes qtie l<Mir
origine dans le temps. Cet abandon est regrettable, car le problème
est susceptible de solution.
LALAIfDE. — CÛ?«ORJ^.S INTERKATIOXAL HE PHILOSOPHIE
497
La première hypothèse consiste à faire créer l'habitude de la causîi-
lité par U régularité des successions dans les objets qui nous impres-
sionnent; les relations internes se modèleraient sur les relations extor-
ni^s, N^iiisistons pas sur les objections théoriques qui sont reproduites
partout, mais examinons une question de fait. Notrt* expérience visuelle
assiste-t-elle à des Buccessions régulières de phénomènes? On cite tou-
jours Texemple de ta bille qui choque la bille et la met en mouvement,
0*est qu'en effet il ne serait pas facile d"en citer d'autres. Le nombre des
cas où nous "voyons des phénomènes se succéder réj^ulièrement est très
restreint; presque toujours rexpérience donnée présente^ au contraire,
des lacunes. Le rapport de causalité, tel que nous le concevons aujour-
d'hui, va dans Timmense majorité des cas d'un phénomène ru a un
phénomène suppo&é ; et dans bien des circonstances ce phénomène
lui-même n'est pas représenté comme antérieur, maïs comme concomi-
tant à son effet- La causalité dépasse donc de beaucoup la succession.
Une seconde théorie cherche Torij^ine de cette croyance dans la con-
science de la vie intérieure. C'est par exemple le cas de Maine de liiran.
Mais cette conception est obscure ; elle n'explique pas le passage de
la notion à la loi qui afUrme Tuniverselle application de concept, Dô
plus, comment accorder le caractère déterminé et nècessitîiire du
principe de causalité, s*il vient de la con^sciencei avec la croyance si
forte que nous avons d'autre part et non moins spontanément dans la
réalité de notre libre arbitre?
Une lroiHïèmelïypothè*?e (*st celle de Kant» qui met Foriglne de la loi
de causalité dans la constitution même de Tentendement, condition de
TeApérience* Mais ce n'est pas répondre au problème que nous consi-
dérons actuellement; il s'ag^it de l'origine psychologique de notre
croyance, La formule kantienne explique la acience, non la représen-
tation commune^ car elle ne rend pas compte de ces formes naturelles
de ridée causale, que la science au contraire nous force plus tard à
abandonner,
Cette idée comprend donc un mélange de succession et de concomi-
tance, de nécessité et de contingence, de donnée expérimentale et de
forme à priori. On peut cependant sortir de ces contradictions. Bous
sa forme primitive, l'idée de causalité est anthropomorphique : elle se
constitue parce que tïous nous interposons entre la cause et TefTet. On
peut résumer cette explication dans la formule suivante . « L'acquisi-
tion de notre croyance à la loi de causalité ne fait qu'un avec la coor*
dination graduelle de nos impressions tactiles avec nos impressions^
Tisuelles. »
En efTét^ les phénomènes que nous associons suivant la causalité
ne sont pas d'abord des phénomènes auxquels nous restons étrangers,
comme à deux couleurs juxtaposées dans le champ de îa vision, mais
ceux ou notre activité intervient : par exemple Teffort que nous faisons
pour suivre des contours ou pour vaincre une résistance. De là vient
d'une part la ressenibbnce primitive de la cause avec notre volonté ;
498 REVDK PHILOSOPHIQUE
de là vient aussi cet aspect contraire de nécessité, qui résulté de [i
construction de nos habitudes motrices. Par elles, nous devinoas en
voyant une forme visuelle les mouvements qu'il nous faudrait accom-
plir pour en réaliser musculairement le poids ou les cotitours, Cei
habitudes sont fortes, car elles font partie de notre vie, k kquelk lout
le corps slntéresse. Limpression visuelle étant érigée en cause, et
Fimpression tactile en effet, la détermination de Tun par Tautre ni
sentie et vécue avant même d*être pensée. Nous passons ensuilede
là, par analogie, au contact de cette forme visuelle avec un corps qui
ne sera plus le notre* Ainsi s'expliquent tous les caractères apparents
et contraires de la causalité extérieure.
Deux remarques peuvent enfin être ajoutées a cette analvie : h
première est que toute éducation d'un sens, eu coordonnant un m-
tème d'impres!îïon3 déterminées avec un Bj'stême de mécanismes
moteurs correspondants, implantera en nous la croyance â la causa-
lité; la seconde est que la série de ces opérations nous étant commune
avec les animaux» ils doivent avoir cette même croyance. L'homme
seul rélléchit, forme la reprêsEntation de la eau salîtes c'est-à-dire h
vide de ses éléments dynamiques, et la rapproche du rapport de prin-
cipe à conséquence, ou mieux de fonction à variable* Ainsi Ton pasgé
de la nécessité d'habitude, vécue par le corps, à la nécessité nkn'
tifique et logique^ conçue par Tes prit; de là l'impuissance de rem-
pifisme qui n'est pas encore de Ja science et qui n'est déjà plus àe
la vie.
La discussion s'engage ensuite, d abord par quelques remarques de
M. Christian Aaiis, de Christiania, puis par une attaque plus vive àt
de M. ChaBTIEH : évoquant le iaouvenir de Lagneau et le gr;*nd pHn-
cipe auquel il aimait à revenir^ M, Chartier demande d*où vient Tideii-
titication de Tobjet (image visuelle] avec l'objet (image tâctde] ^Iwn
de ridée préconçue et pour .ainsi dira miraculeuse de T Unité du Taut?
— « Si Ton trouve le principe de causalité dans la vie, répond M. Berg-
son, c'est évidemment qu'il y était h l'état virtuel, quoique le principe
de rUiîité du Tout soit un peu trop vague pour en donner l'cxplicatioû*
Mais surtout il convient de sérier k's questions : autre chose est '*
processus psychologique, autre chose l'hypothèse métaphysique der-
nière par laquelle on rendra compte de la possibilité de ce processus-
Quant à la question de reconnaître pour identiques un objet visuel**
un objet tactile, cela se fait par concordance des vanatiooH, sans qu'l
soit nécessaire de sortir des phétioménes et de leurs relations, » -^
La discussion se particularise alors sur un exemple de lenteur et à&
rapidité; M. Gai veau y ajoute quelques observations très judicieuses
dans le sens de M. Bergson, M. Barth revient à une vue plus gêné'
raie et analogue à celle de M, Chartier en réclamant les droits d*
r uni té de la conscience pour cette aperception de rapports. H cile 1^
théorie de M^ Hiehl quMl assimile à celle de M. Bergson. Mais celui-oi
ne croit pas cette analogie très réelle : il distingue la ratio essendi
LALAÎIDE. — CONGRf:S ISTER NATIONAL DE MlILOSOrHlË:
490
it ce dont parlait tout à l'heure M. Chartier, et ce que M* Rîehl
semble avoir aussi viséi de la raiio cognoscendi que lui même a voulu
^mettre en lumière *, La construction psychologique présuppose peut-
être ridentité métaphysique de la conscience, mais noû Vidée de son
iiiîité. Et Tiaverae serait plutôt vrai,
M. Louis Wbbeh : « De l'idée dévolution dans ses rapports avec le
problème de la certitude m. Les idées évoluiionniates (et par ce mof
M. Weber entend toute philosophie du devenir) se sont universalisées
au point de dominer aujourd'hui toute la psychologie, la sociologiei la
^orale. Ne doivent-eHes pas altérer de la même laçon U logique? Dans
rhypothèse de ce changement iinîverseK la question de îa certitude
[Change de face. On ne peut plus posséder la vérité. Plus d attitude
stable de Tesprit en face d'une réalité stable. Qu'est-ce qu'une vérito
[là se fait, qui devient sans cesse, qui n'est pas sure de n'être jamais
tredifcV II semble douteux quelle mérite encore le nom de vérité
fet sa connaissance celui de certitude. En fait toutes les doctrines
modernes, parmi lesquelles Tauteur cite celles de MM. Boutroux et
lergson, sont affectées de cette sorte de défiance demi-sceptique à
regard d'un vrai immuable; et le critîcisme même de Kant parait un
dogmatisme intransigeant à côté de cette fuite héraclitéentie des
choses qui s'étend par degré à tout le champ de la connaissance, A
tte difficulté^ M. Weber ne veut pas se Hatter d'apporter une solu-
;ion : il croit qu'en considérant l'évûlutionlsme comme intérieur, on
eut essayer de retrouver une immutabilité et par conséquent une
lîrérité dans la nature de Tesprit qui se manifeste, et dans les principes
}î*ationnelH qui dominent ce devenir en le constituant à l'élat de con-
aissance et de pensée. Cependant, on peut douter si ces lois de la
ensée, à leur tour, ne sont pas mobiles, et si nous n'aboutissons pas
insi à un cercle vicieux qui ne laisse subsister que ta réalité pure
'un esprit ofi rien n'est lixe qu'une liberté absolue et indéfinie,
La discussion qu*a provoquée cette lecture a été fort intéressante*
. BfiRCfSOK a contesté fortement, en ce qui concerne la doctrine de
Boutroux et la sienne propre, qu'ails fussent cvolutionnistes. Son
lia de la discontinuité fondamentale des choses s'oppose au dévelop-
ment continu et non créateur qui caractérise révolution non seule-
ent chez ses fondateurs» miiis jusque dans sesapplicalionîît.'Ouri>nteB.
^C'est même cette conlinuiié qui a été Tun de ses grands éléments de
uccès. en divisant à l'inllni des dillicultés qu'on a dès lors naivemcjit
ubliées). M. Bergson proteste aussi contre la qualification de scepti-
ame, et montre comment la métaphysique progresse en élargissant
lOn point de vue, ce qui, loin d'exclure une vérité fsxe, en suppose au
ontraire l'existenct.'- — Ce que la modestie de M. Bergson ne lui a pas
rmis d'ajouter^ c'est que la grande popularité philosophique de ses
1. C« ne tant pas les tËrniés employés par Bl. Bergson^ mais je crois pouvetr
D^eD servir pour résumer sa pensée. i
soo
REVUE PHriOSOPRlQUE
idées les a quelque peu déformées, comme il arrive toujours, et que
beaucoup de ceux qui ae présentent comme ses disciples en usent
activement au profit du scepticisme* S*il les renie, on ne saurait ïen
rendre responsable.
L'ordre du jour appelle ensuite un projet que j'av^iig demand^'i «
soumettre au Congrès: « Hur ramélioration et la fixation duiansrAg^e
philosophique ». J'ai brièvement exposé les inconvénients qui résulttot
deR équivoques de notre vocabulaire et dont les discussions précé-
dentés ne fournissaient que trop d*exemples; j*ai essayé de monim
comment celte absence de langage bien déterminé paralyse partieik-
ment Tactioii sociale de la philosophie et Tempéche de remplir detix
fonctions qui seraient essentielles ; Tune, d'être entre les sciences ua
organe de communication et de coordination; Tautre, de donnera
réducation morale les bases d'une conduite rationnelle. Ce n'est pm
là, comme se plaisent à le dire ses adversaires, une in capacité de
nature; c'est une faiblesse accidentelle à laquelle on peut remédier
par Tentente et le travail collectif* Les philosophes n*ont qu'à remar-
quer et à formuler davantage les points sur lesquels ils sont d*accord,aii
lieu de se complaire exclusivement, par une sorte d'êgoismo aristocra
tiquCt dans la discussion des* problèmes controversés, J*ai montré par
quelques exemples comment cette entente était possible, et j'ai conclu
en propoisant la fondation d'une socitité française de philosophie, ayant
pour objet principal de perfectionner en ce sens le langage philo«c^
pbique et de se tenir en relations, en vue d'une unification uliérieute
et plus générale, avec les sociétés analogues dont j'invitais nos coti-
frèreg étrangers à provoquer la constitution, slls pensaient de m^me.
M. IVANQVSKi, professeur à T Université de Moscou, avait précisé m ervt
composé un mémoire dans un sens analogue* Il a donné lecture de*
thèses qui te résumaient : il y montre historiquement qu'elles sont les
sources du langage philosophique^ comment il en est venu à l'obscu-
rité et à la confusion actuelles p;ir îa quadruple action diversitiante^es
idiomes, des époques, des écoles et des penseurs, qu'aucun principe
d'assimilatiori ne venait jusqulci compenser. Il indique comment tm
pourrait sortir de cet état par Tétude comparatives des mots les plM
analogues dans les langues russe, allemande, française, angUise,
italienne, et construire des vocabulaires comparés qui pré pare raJeal
une simplification ultérieure. Il termine en exprimant Tespoir que î*
Société psychologique de Moscou entreprendra celte tâche.
M. Hémo?< critique également Tobscurité et rindétermiuationdu lan*
gage philosophique. Il développe surtout les inconvénients pédagogi*
ques de cette indermiaation, les avantages qu'elle donne a» savol^
faire dans les discussions verbales- Il a souvent constaté oombieii cet
étal de choses rendrait la masse des élèves impénétrable à de solides
notions philosophiques; il serait disposé à y porter remèdiïpar Tadop'
tion d'un double langage, très technique pour les ouvrEges et les dt*-
cuasions entre savants^ et ne différant en rien, au contraire, du îaisff»gt
LALANDE. — COI^GRÉIS ÏNÎERNATIÔNAL m PHtLOSnPIÎlE dO!
courant pour la vulgririsrition et pour renseignement élemeutaire. Il
s'associe au projet de loiidalion d'une société pour la lixation de ce
langage.
M. CouTUHAT juge le travail proposé insuflisaut^ et pense que Vuni-
fication du langage doit se faire d*en haut par radoptioti d'une langue
scientifique universelle qui ne s'imposerait pas^ bien entendu, à la
philosophie en Irain de se faire fnous sommes tous d'accord là-dessus),
mais qui servirait à marquer Jea positions acquises et à répondre aux
desiderata pédagogiques* Il rappelle que les Académies de foute l'Eu-
rope viennent do former eniîn îa fédération jadis rè\é& pnr Leihniz, et
qu'on peut attendre d'elles la propc^îtion d'une langue universelle,
MM. IvanovskI, Ht: mon et moi lui avons répondu chacun en ce qui
aous concernait. Il n'y a rien de contradictoire entre les deux projets :
on peut seulement craindre que Taction des corps oniciels, sur ce
point» ne soit bien lente. Aussi, comme il s*oryanîse en te moment un
comité formé des délégués des congrès en vue d'étudier cette ques*
tion et ne pas la laisser oublier des autorités Je propose au Congrès de
s*y faire représenter par M, Couturat Ces propositions sont mises aux
-voix, et Ton décide à Tunan imite, d'une part d'approuver la fondation
d'une société philosophique ut supra ■ de rautre, de déléguer M* Cou-
turat au comité de la langue universelle-
VI
Tout le monde a été d\'iccord que la séance générale de moral©
par laquelle s'est clos le congrès, en avait été la plus intéressante.
M"*^ Baertschi^ secrétaire, a lu d*abord un mémoire de M. Bargy
qui résumait le mouvement des sociétés éthiques en Amérique^ et
qui donnait en partculier des détails typiques et pittoresques sur
la Socitny for Eihic^'il Culture fondée par M. Adler à New- York.
n Notre seule croyance fonda mentale* dit M. Bargy, est la foi au
bien. Ce credo, on l*alîirme en le réalisant» Nous ne développons
qu^une chose : la volonté commune de pratiquer ce que tout le monde
professe* Nous tentons de concentrer sur la vie morale Tenthousiasme
et le caractère rituel qui étaient autrefois propres à la religion. Des
réunions régulières comme des oûices ont lieu le diîn:incbe. Les
tleurs, la musique, en font par degrés un besoin des sens. La Société
de New- York a même obtenu le droit de marier. Quant aux œuvres
matérielles, elles ont toujours le double caraclèrc d'actualité [loge-
ments ouvriers, action politique et s^ociale, îniervcntion même dans
les grèves) et de personnalité (culture des qualités individuelles,
développement de Tidée de beauté et du travail créateur chez les
enfants),
M. Pauu Desjaïidjns raconte brièvement Thistoire de V Union pour
Vaciion viorate. Fondée en 1891 par quelques arais^ parmi lesquels
Lagneau, elle s*est aussitôt trouvée d'accord avec des Initiatives qu'elle
802 REVUE PHILOSOPHIQUE
ne soupçonnait pas. Sa première action a été la fondation d*un bulle-
tin, d'abord simple communication de pièces et de documents, mais
qui s'est élargi spontanément, sans plan préconçu, par une croissance
vivante. La Société, qui a débuté par quinze adhérents, en compte
aujourd'hui près de iriOO, dont la plupart dans renseignement pri-
maire.
On est parti du principe que la réforme morale no se fait pas en
remaniant les lois, mais par le travail de l'esprit sur lui-même. Le
Bulletin et la Société sont des points d'appui pour les velléités de con-
version que peuvent éprouver des âmes isolées. Beaucoup de forces
se perdent s'il n'y a pas une Eglise : la morale a besoin d'une orga-
nisation simple, minime, mais pratique. Pas de symbole ni de credo;
seulement une disposition commune, dont la « liberté d'esprit • sera
le trait essentiel. Cela semble peu, mais ceux qui savent quelle diffi-
culté sociale présente sa réalisation comprendront que c'est là un
programme immense. Rapeller des principes dont le manque s'est
fait cruellement sentir ; créer des habitudes d'esprit critique, réagir
contre l'esprit de parti, les afiirmations aveugles, le règne des mots;
ne pas tracer de voies nouvelles, mais frayer les bons sentiers, telle
est l'œuvre que s'est proposée l'Union.
M. Bui^>sON prend la parole sur les deux communications précé-
dentes. L'entreprise de M. Adler n'est pas isolée. C*e8t une centième
secte de protestantisme à côté de quatre-vingt-dix-neuf autres. Toutes
ses caractéristiques, culte rationaliste, actualité, personnalité, appar
tiennent à toutes les sociétés américaines : on peut le voir en visitant
l'exposition scolaire des États-Unis. — Cependant, objecte M. Darlu,
qui préside, n'est ce pas le contraire d*une religion, puisqu'au contraire
elle veut se substituer à l'idée religieuse en donnant toutes ses formes
et ses effets à l'idée morale? — Sans doute, répond M. Buisson; nuis
une foule de religions en arrivent là en Amérique. Ce n'en est que la
forme la plus émancipée. En Europe, le mouvement est beaucoup plus
intéressant à cause de l'opposition nette qui se produit : les sociétés
éthiques ayant en face d'elles, non une multiplicité de religions indé-
iiniment et graduellement libéralisées, mais des Églises conserva-
trices, à principes très arrêtés, elles sont obligées de prendre à leur
égard une attitude militante, anti-théologique, rationaliste, et de
constituer une morale la'ique. Serait-il possible, serait-il souhaitable
de grouper tous ces efforts en une fédération générale, une sorte
d'Église morale universelle? La question est soumise au congrès.
M. l'abbé Clamadieu proteste contre cette opposition de la morale
et de la religion. Les croyances religieuses ne divisent pas les
hommes. Il n'y a qu'une seule morale, celle du bien, et la religion
n'est essentiellement rien d'autre que cette morale.
Je crois à la morale en dehors de toute religion, dit M. Rauh; mais
il faut préciser. Qu'est-ce que cette vertu, ce bien, ce devoir? Il serait
oiseux d'essayer d'unir les hommes sur de vagues croyances. Quels
LAI.AIIDE, — CONGRÈS ISTKRKATiOJiAL DE PHILOSOPHIK
503
sont nos devoirs dans la société? nos opinmiis sur Forganisation ju.'^te
du travail, de la propriété? On ne peut a'tmir et travailler eneemble
qae si Von a la méaie pensée sur oes questions vitales. — On ne peut
aborder le peuple qu'avec dea questions matén elles : le travail, le
pain, la liberté. Il ne e'agit pas de lui faire des discours et des exhor^
lations sur le progrès moral. Ld peuple se détle que noua le leurrions,
que nous ne cliGrchiouâ à Tenlever au ciel pour lui faire oublier les
misères de la terre- 11 est trisle d'entendre parïer du bien et de !a
vertu comme si nous n'avions pîug de questions brutales à résoudre.
»Si Ton veut être franc, on se séparera sans doute, on sera mains nom-
breuse, on ne fondera pas d*Église morale universelle, mais on exer-
cera une action réelle. Nous vivons dnuH Tétat de guerre : il faut
l'adoucir; m ai 3 c'est l'aggraver que de le cacher.
■ S'il eat posfeiibîô de constituer une église nouvelle, conclut M. Darlu.
e*eet une question de fait, et que nous devons étudier* La question
est à réserver et à inscrire au programme d'un nouveau congrès.
^ Mlle Baertsghi expose la nature et le fonctionnement des Univerêités
B pôpu/.itr^s, auxquelles elleii pris une grande part, car elle a participé
à Torganisation et aux conférences de huit groupements dans Paris
et de trois dans la banlieue. Les fondateurs ont trouvé dans le peuple
B un ardent désir de sinstruire et de se d*^veîopper: on ne peut dire
" encore qu on ait obtenu des résultats, IL n'y a pas à 8*en décourager,
puisque presque toutes ces institutions datent à peine d'un an; on
peut seulement marquer les ccuells et les points difUeiles.
Obtîent*on un rapprochement de classes, ce qui était un des buts
eî3seniièîs? Mal 11 y a beaucoup de défiance dans le peuple et
»M. Rauli a raison dans s6s critiques. On nous accuse d'être venus là
pour nous amuser. On se déile des politiciens qui préparent leur
élection. (Les femmes sont mieux accueillies pour cette raison j 1 II
y a tout de même de bons bourgeois, a Voilà à peu près le maximum
»de TefTet obtenu.
J^'action sociale est faible, mais en progrès. Elle gagne surtout
quand l'Université populaire peut s'associer avec des sociétés coo-
^pératives, comme à Grenelle, Clioisy, Billancourt.
H Les conférences se font trop au hasard. Ni adaptation au milieu, ni
H continuité* Les conférenciers ne se connaissent ni ne s'entendent.
H Chacun, sollicité par les organisateurs, vient parler de n'importe quoi.
Or, la simple contradiction des idées émises par eux ne sufiit pas à
I éveiller Tesprit critique *. En fait, cela ne crée que confusion et même
mépris. Les auditeurs se rejettent alors sur les doctrines toutes faites,
au aboutissent à dire entre eux : a C'est joli d entendre parler, mais
tout ça, au fond, c'est de la blague^ ^
Entin raction morale est nulle, au moins dans Paris. Les ouvriers
L Hemarquat)le analogie avec les eonsidèrations qui ont été émises à ta pre-
mière séance sur L^nie igné ment de rhisloire des systÊme^^
604
REVUE PHILOSOPHIQUE
lilieu d'un public d'ailleurs panaché; \h
y viennent, i
ressent pas de cœur et ne font pas corps. îéeuls, quelques groupe-
ments de banlieue ont acquis cette homogénéité, parce que les ouvriers
y ont toute î'initiatîve.
J'ai Tatr très pessimiste^ conclut Mlle Baertschif je croîâ pourtant
qu'on peut améliorer cet état de choses. Ce qui manque à ces Bociétég,
c'est un eêpril individuel. Feu importe comment il se constituera
dans chacune d'elles; il peut être varié» pourvu qu'il se forme. Il
existe déjà un peu à Nan terre» beaucoup à Montreuil^ dont le -groupe
a été fondé et dirigé exclusivement par des ouvriers. Donc» pomi de
grandes entreprises» point de palais du Peuple; mais elTacement de
llntellectuel devant l'ouvrier qui doit choisir pour lui-même se« con-
férences, et diriger son éducalion suivant ses besoins.
Nous passons à un autre ordre d'idées avec le spirituel petit dis-
cours de Mrs Russell, sur léducatlon des jeunes lilles» qu*elle lit en
anglais et que traduit à mesure M. Halévy. A vrai dire^ je crolaque
ses observations sont moins applicables en France qu^en Anglelerre*
La famiUe n^est gucre ici, comme le di^ Mrs liussell et comme k
peignent en eïTet si souvent les romanciers anglais, qu' « un instrument
à écraser toutes les individualités, sauf celle du père de famille ■. Il
est certain pourtant que noua souffrons aussi de Téducation qui t*oa-
siste a former des femmes d'agrément, et non des caractères et de&
intelligences, capables de comprendre leur rôle dans la société tot^lei
et de le jouer* — Les femmes de condition moyenne, drt justement
Mrs RusselU ont moins de travail qu'autrefois dans leur maison; tlki
ne font plus le pain, elles ne filent ni ne tissent : autant de liberf^
qu'elles peuvent employer à un développement moral el à Véducatioû
de leur personnalité.
La scène changée encore après les vifs applaudissements qui suivent
cette communication. C'est M» G. Moch^ ancien ofticier d'artillerie et
Tun des promoteurs de la Paix par Iv clroiU qui vient proposer lu
Congrès une résolution pouvant contribuer « à éteindre le feu qui
couve en Europe, « On ne peut rêver d*un désarmement collectif n*ïi^
qu'on n*aura pas modiUc Tesprit pubiic^ diminué les cramtes ^^^
â*inBpirent les nations, créé la conliance* Pour cela trois moyeiii
peuvent être mis en oeuvre. Les deux premiers sont lents : ceîïontî*
progai^'ande par la presse et la réforme de renseignement, ou l^^û
apprend actuellement Thistoire de la façon la plus propre à aUir«T
les haines. Le troisième est rapide : c'est Tarbitrage intemationil'
Contrairement aux préjugés et aux plaisanteries faciles contr* 1*
conférence de La Haye, M, Mocu (ait voir par des chiffres et de» té^
quels progrès a réalisés depuis vingt ans le système arbitrai, tlit^^*
résultats considérables il a déjà donnés, et comment le tribunal institua
à La Haye est encombré d'affaires qu'il résoudra juridiquemeat, «^
lieu de les laisser traîner et peut-être s envenimer. U propoae «a
terminant d'adopter un vœu par lequel le Congrès, considérant (Jù^
LALATÎDE. — CONGRÈS lNTERNJiTlO:SAL Dli niiLOSOPHJE
505
le matntiea de la paix générale et la réduction des armements est
IMdéal auquel doivent tendre les rapports internationaux, Bouhaiterait
que lea nations non représentées â la conférence de la Haye fussent
invitées à y adhérer, que toutes les puissances civilisées établissent
entre elles des traités d'arbitrage permanent» et qu'on s'appliquât,
dans les écoles de tous degrés et de tous pays « a affranchir les enfanta
des préjugés historiques qui peuvent développer en eux un esprit de
' chauvinisme aggressiL p
M. DiftLU déclare approuver complètement, en son nom personnel,
les idées de M* Moch* Mais il ne croît pas qu'il soit dans le caractère
du Congrès de mettre aux voix un vœu ayant un caractère bÏ pratique
et si politique* M. BaoTiioux appuie eelte manière de voir. M, Vassilief,
tout en s'y associant, estime és^alement qu'à cette œuvre, nous devons
plutôt travailler ludirectement par nos relations personnelles avec les
étrangers et par celles de nos sociétés savantes. — M. Padoa pense au
contraire que puisqu'on nous accuse si souvent de vivre en dehors
du mf>nde réel, nous devons prouver la valeur de la philosophie en
aboutissant à des résultats : l'adoption de ce vote en serait un.
M, Gaston Moch parle de nouveau dans le môme sens, et rauditoire
parait asseiî disposé à entrer dans ses vue^. Mais M, Boutroux clùt la
discussion en s'opposant expressément , en qualité de président
général du Congrès, a ce que la proposition soit mise aux voix.
M. Jagadïsha Chatterji, professeur au collège hindou de Bénaros,
nous ramène à des sujets tnoina brûlants. Debout dans son costume
original de soie blanche, il parle en anglais, rapidement, souvent
avec une nuance dlnspiratîon, et M. ïialévy lui sert aussi d'inter-
prète. Il a déjà fait à la section d'histoire une conférence très curieuse
I iur les idées difectrices générales de la philosopliie hindoue. Son
sujet actuel est œ Moral training in Indian philosophy ^k La philoso-
phie hindoue, a dit Max Millier, est de la morale au commencement»
de la morale au milieu, de ta morale à la lin. Elever 3'homme au plus
haut degré de sa nature, dépasser la souîTrance, qui esl la donnée
première de la philosophie, par la connaissance, qui en est la Un,
telle est la voie. EUo est donc essentiellement un entraînement moral,
dont voici les principes :
Le monde est constitué par une série de phénomènes réunis en un
tout par la causalité. Il est la chose qui change et qui se meut. Nous
sommes tous de petits tourbillons dans ce 11 ux immente, dont la loi
est le Karma,
I Tous ces phénomènes sont liés extérieurement par la causalité
parce qu'ils sont au fond la manifestation d'un principe unique, que
les uns appellent Urahma et les autres Nirvana.
Le développement de cet être se fait par une série d'Incarnations
cycliques. Le monde actuel a eu un commencement, il aura une lin;
mais il n'y a ni création ni anéantissements
Le principe d'individuation eat l'oubli de soi-même par TEtre. C'est
TOUS L. — i9ô0. 33
506
REVUE PHILOSOPHIQUE
la création du phénomène. Aussitôt produit» Tindivida tend à revenir
k cet Etre en recouvrant la mémoire.
Le but de la vie morale est de se dépouiller un à un des voiles qui
conâtituent T individualité. I^ progrès est rJUumjnatîon de plus en
plus complète en noua du principe premier. Un jour viendra pour
chacun où il recouvrera cette identité.
Connaissant les lois de ce développement» nous pouvons raccélérer
en noua, comme on accélère par la culture le développement d'une
plante qui croitrait d'ailleurs sans cela.
Est bonne toute action qui développe cette lumière interne; mau-
vais, tout ce qui Tobscurcit. Il n'y a rien dans la morale qui soit
agréable ou désagréable à des dieux*
Ce n'est pas ici le lieu d'indiquer le détail de ces exercîcta, ajoule
Voraieur. Quand on est au bout on peut dire : Je suis ce/a. C'est le
mot du Vedanta et le résumé do toute notre philosophie morale. Celte
réalisation de TÉtre en soi dépaase la connaissance logique : elle est
rintuition directe de ce qui est.
Cette exposition, attentivement écoutée, vivement applaudie, ter-
mine la série des communications. M. Boutroux^ qui prend la prési-
dence, donne lecture de la liste des membres du comité, divisés par
langues, qui seront charj^és de Torganigation du prochain Congrès.
Un décide de s*en rapporter à ce comité pour la fixation de la date
et du lieu de cette réunion : ritalio parait cependant obtenir une cer-
taine préférence. M* PaulTANNERY, appuyé par M. Vassiuek, propose
de scinder la troisième section^ un peu trop composite, et de la diviser
en Théorie de la connaissance scieniifique^ et en Histoire phitoso--
phique des sciences. Cette mesure permettrait peut-être de rattacher
au Congrès de philosophie celui d'histoire des sciences, qu'une orga-
nisation défectueuse avait subordonné cette année à celui d'histoire
comparée.
M. Goufîn remercie le comité d'organisation et rappelle que la sym-
pathie développée dans une telle réunion, les relations uUérieures
que nous en conserverons, tout cela peut être et sera sûre ment un
contrepoids aux luttes malheureuses qui vivent encore tntre UnLiiions*
— Des remerciements unanimes et chaleureux sont également \o tés
à M* Xavier Léon^ le créateur et le dévoué secrétaire géoéral du
Congrès, à MM. Couturat et Halévy, qui se sont si activement consa-
crés à sa réussite.
M. BOUTBOUX prend enfin la parole pour une dernière allocution. îl
marque d'abord les parties les plus vivantes de la philosophie : la
morale dune part; de l'autre, la logique des sciences» le puissant
effort de critique actuellement dirige sur leurs principes. Il s'est
manifesté parmi nous certaines divergences d'opinion; nous ne devons
pas nous en émouvoir : ou ta philosophie n'est rien, ou elle est avant
tout Texpression de la liberté pleine et entière de l'intelligence. SU
LALANDE, — CÛXfiRÊS II^TËRMATIONAL DE rHILOSOPlllE 507
est une recherche qui ne viae aucune fm, aucun but fixé d'avance,
sinon la vérité, c'est la philosophie. La conlradîcHon e?t nécessaire
à son progrès : t^lie constitue un appel â la réilexion, elle nous avertit
que notre pensée est imparfaite, elle nous force à agrandir notre
conscience ju9qu*à ce qu'elle s'accorde avec la conscience de Thuma-
nilè. IL y a plus : sous ces divergences, une certaine unité de vues
s'est déjà manifestée, plus grande f(Q-on ne le croit. C'est d'abord
Fuiiion aussi intime que possible de la philosophie avec la science.
Quel est celui d'entre nous qui n'tidmelte pas pour règle fondamentale
de partir de la vérité d'expérience et de ne la traiter que d'après les
priucipes de la raison? De plus, nous eomraes d'accord que la philo-
sophie ne s'épuise pas dans la science, mais qu'elle la complète. Le
caracti?re do certitude et d'universalité des sciences doit se réfléchir
dans la philosophie, mats pour s'étendre h de nouveaux objets. Nous
pouvons encore être unanimes sur cette vérité que si la connaissance
scientiîique est une forme de la réalité^ la vie, la volonté, la religion
en sont une autre. Une philosophie de l'action, encore indécise, est
du moins reconnue pour légitime et nécessaire, feSur les conclusions
qu'elle formulera, nous ne pouvons rien aftirmer; sinon que le rap-
port de la philosophie de la science à la philosophie de l'action ne
restera pas une énigme insoluble : pour le moment il faut dire encore
igiioramiis^ et laisser par conséquent libre jeu à toutes les opinions ;
mais comme le disait récemment un philosophe, il serait coupable do
di r e Lj î i o m bin i us .
Cette enti^nte actuelle est le gage d^une entente toujours plus
grande par le commetce des intelligences et des cœurs. Far \k se
réalisera un accord qui ne sera pas refïacement des personnalités,
comme si Ki philosophie devait se réduire à la connaissance lo^^ique
[des principes premiers des sciences, mais » une harmonie riche et
pleine, où l'esprit se développera dans la vie et la liberté, »
Les lecteurs do ce compte rendu déjà si long me permettront- ils ûSf
I ajouter une impression que je n'ai pas été le seul à éprouver? Les
accords philosophiques cités par M. Boutroux, et qui ont été sou-
lignés par des applaudissements unanimes, sont les plus intéres-
sants pour des philosophes, parce qu'ils répondent à des questions
où récemment encore la discussion était active : il en est d'autres^
bien plus nombreux^ qu'il n^a pas cru nécessaire de relever, parce
qu*il3 sont déjà plus anciens et qu'ils forment précisément les
assises profondes sur lesquelles nous venons de construire un étage
de plus* — Et maljLçré cela, nous ne pouvons pas nous dissimuler qu'il
se produit simultanément un courant de scepticisme dont la force
► n'est pas négligeable* Il a des sources multiples; non pas des sources,
vrai dire, car ce scepticisme préexiste plutôt, à la manière d'une
tâjspoaition desprit qui va chercher des aliments où elle en trouve.
lEUe puise donc en partie dans la doctrine anglaise de rinconnais-
508 flBVCfi l'MlLOSOPHîatJfi
sable, dans celle du devenir infini et universel, comme le montrait
M. Weber, dans les idées de qualité pure et de libre arbitre absolu
dont elle mélange intimement le caractère extra-logique au système
des connaissanoea scientifiques; et comme pour cela il faut renoncer
à l'œuvre bacoïiienne» leibnixienne, kantienne, qu* a eu précisément
pouroaractère de séparer rintellîgible et de le constituer à part, gràca
à des conventions appropriées, les sceptiques insi estent fortement sur
le caractère artificiel de ce départ, et s'efforcent de le présenter comme
une sorte de faiblesse et d'erreur, La critique si forte que leg s rivants
exercent eux-mêmes sur les principes de leur science est utilisée par
eux dans toute retendue de ses négations, et sans tenir compte de ce
fait, clair pour les initiateurs, oublié par les disciples, que cette cri-
tique n*a pour raison d'être dernière qu'une reconstruction pluf
consciente, plus solide et plus épurée de la science elle-même. Sou*
prétexte de ramener la pensée à ia r*iaiité — comme si la pensée k cet
égard n'en était pas justement Tin verse! — ils la ruinent en la refou-
lant dans l'indivision première de son objets et dès lors ils peuvent
établir aisément, dans respacR laissé vide^ les fondements d'ufîe
croyance iidéiste qui se soutient par un acte de bon plaisir contre
lequel rien ne saurait valoir. — En rapprochant ce scepticiaioe, et
le grand travail de logique et d*épisiémologte sur lequel il Ê*mi
gretTé, du développement si vivace que prennent aujourd*hiïi N
doctrines morales; en constataol d'autre part combien la raétApliy'
sique proprement dite est délai?^sée (car sauf Texposé matérialiste da
M, Bonnier, il n*a été question que de psychologie pure et de logiqu^p
à la soi-disant séance «-énérale de métaphysique)» ne semble^t-il p^^
qu'il y ait une ressemblance frappante entre notre époque et celle qw
a précédé le christianisme? Encore n*avQns-nous pas eu dans noire
congrès Técho du mouvement occultiste et surnaturaliste, qui c^^-
pîète cette ressemblance, et qui s'est fait sentir à celui d'histoire des
sciences et à celui de psychologie. C'est la fin d'une période et k
puissant fAîY[i=t qui prépare l'eclosîon d*une idée nouvelle. Le rôleda
rationaliste, en pareil cas, semble être de maintenir rermement lea
positions acquises, et d*apporter ainsi à cette idée, sans qu'd soit
besoin d'un moyen âge, Théritago intégral de la vérité déjà construite
par les hommes. Le christianisme n'aboutit qu après quinze sièe^^^
à la réforme, qui était pour lui cette synthèse, et qui, si tardive^ a été
incomplète. Je crois que lactivité des communications intelleclueU««
et Tesprit de stabilité progressante qui s*est marqué dans ce congrès
peuvent nous faire espérer de moindres retlux dans l'avenir.
Anûrè Lalakoe.
LE
IV' CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE
Le quatrième Congrès international de psychologie s*est ouvert le
20 août à Paris, au palais des Congres, sous la présidence de M. le
professeur Ribot, assi sté de M. Cb. Richet vice-président, et de
M. Pierre Janet, secrétaire généraL
M. iiibot a prononcé le discours d'ouverture *. Après avoir fait un
rapide historique de trois premiers Congrès, il a exposé les quelques
modifications qui ont été faites par la Comité à l'organisation des tra-
vaux. Le Congrès a été divisé en sept sections r (l. Psychologie dana
ses mjyports avec Panatomie et la physiologie. Il, Psychologie iiiiro-
^peclive dans i^es rapports at^ec la philomphie. II 1, Psychologie expè-
Timeniule et psycho-physique. IV^ Psychologie pathologique et psy-
chiatrie. V, Psychologie de l" hypnotisme , de la suggei^tion et ques-
tions connexes. VI, Psychologie sociale et criminelle^ VU, Psycho-
logie animale et comparée, anthropologie, ethnologie); h Munich, il
n'y en avait que quatre. Puis il a paru utile d'instituer des prési-
dents de section *, En confiant à des hommes d'une compctonoe reconnue
le soin d organiser la partie du Congrès qui répondait lé mieux à
leurs goijts et à leurs travaux habiluels, on était fondé à espérer que
les communications seraient plus nombreuses et les discussions
cependant mieux réglées que si le bureau avait dû à lui seul assumer
toute la charge de ta direction Bcientiûquo du Congrès.
>L Ri bût a esquissé alors à grands traits un tableau d* ensemble du
travail psychologique accompli depuis i8yf>. Ce qui frappe tout d'abord
c'est Tabondance extrême des travaux en certaines provinces de la
psychologie et leur pénurie relative en quelques autres. Le h rechcr-
chea sur Tanatomte et la physiologie du système nerveux se sont mul-
tipliées et quelques-uns des travaux qui ont été publiés en ce domaine
ont une haute importance, mais si ces disciplines sont les indiâpen-
sables auxiliaires des sciences psychologiques, elles demeurent cepen-
î. Il a èlé publié dans la Hevue m^nii/tque^ n* du 32 septembre ^900, 4' sé-
rie, t. XIV, p. 1)51-356. Les séances générales ont élé présidées par MM- ËbbïQ-
ghitus, FJournoy» Miinsterberg, Myers, Sergî, le prinoe Tarchanor, T, Ladd.
t* MM. MATHtAti De VAL, Sèaillës, B[>£t, Magxax« tiEitMiEM, Tasde et Y, Dk-^
510
HEVtlE PHJLOSOPBIQUB
dant dea auxiliairêa, « Taat que les phénomène^i nerveux li'ont pas
été traduîÊs en terme» de conscience, il n'y a pas de psychologie »*Les
psychologues cependant ne se sont pas soustraits à la lâche qui leur
incomba U de construire diaprés les conceptions nouvelIcB sur Im
neurones le mécaniame psycho-physiologique* Les études sur les sen-
sations et surtout sur tel ou tel groupe particulier de sensations sont
de beaucoup les mieux partagées; les recherches qui s'y rapportent et
celles qui ont pour objet les mouvements tendent d'ailleurs de plus
en plus à former sous le nom de psychophysique une province distincte,
caractë risée par sa matière, ses méthodes, remploi de reïpéhmettt*-
tion et de la mesure. Pour la mémoire et rassuciation des idées» on
n'a guère fait que marcher dans la voie précédemment ouverle. Les
travaux sur rattenlion se sont multipliés et ont pris chaque jour une
importance plus grande. L'étude expérimentale des émotions et les
enquêtes par questionnaire sur leâ diverses formes de la vie affecîive
ont gi^gnc la faveur d'un nombre toujours croissant de psychologues.
Mais au nombre des questions délaissées se placent au premier
rang celles qui ont trait au jugement, au raisonnement^ à l'imagina-
tion créatrice; la raison principale en est peut-être que ces phéno-
mènes psychiques sont, jusqu'ici, inacessibles à rexpérimcntaticui-
L'anthropologie, l'ethnographie, la linguiRtique, Thistoire fourtiissenl
cependant des instrumunts de haute valeur pour les éludior objecti-
vement. 11 importe de signaler par contre l'extension toujours plus
grande des recherches sur le caractère et ses variétés, sur Iîi 0-
choloîiie do Tcufant, qui vise de plus en plus à devenir une éiiKJe
embryologique et génétique de TiispHt humain» sur la psychologie
individuelle.
Les travaux se sont également multipliés dans le domaine de 1^
psycholoi>ie morbide, où il faut relever spécialement les reehercÎJis
sur les aphasici^, les aboulies, les amnémes et paramnésies, etc., et dans
celui de la psychologie du sommeil et de rhypnotisme. La tendnflt^^
est à noter de faire la part toujours plus grande à Tétude de cesph^
nomenes supra normaux qui constitue la partie aventureuse, mai''
non la moins séduisante^ de la psychologie expérimentaîe. Il fai^*
remarquer entin rimportance croissante que preimentles travuui reîâ-
tifs à la psychologie sociale (l'interpsyehologie, comme l'appelt^
M, Tarde),
M, Ri bot, en terminant, & attiré l'attention des membres du Coagr^
sur 11» nombre qui s^accroît sans rcfise des publications qui se TApP**"^
tent aux divers départements de la psychologie. La quantité ni^*^^
des travaux devient presque un obstacle au progrès des études i "
est devenu impossible de se tenir au courant. Le seul remède a cette
situation serait la confection de monographies fréquentes, tioï"'
breusL's, soigneusement étudiées. Ces synthèses partielles feralei^*
équilibre à la dispersion des analyses.
La parole a alors été donnée à M. le professeur Ebbinghaiis (de
MARILLIER. — COWCKÈS lÇSTKH>'AT|OP(iiL 0E PSÏCHt»LOClE 511
■ Brealau), qui a tracé un paratlèLe entre Vét^t de la psychologie à
V heure présente et son état ii y a cent ans. Il a fait poner tout d'abord
sa comparaison sur les organes^ si ]'o9e dire, dont disposait alors et
dont dispose aujourd'hui la psychologie, livres^ revues, journaux,
L sociétés. Fuis il a comparé les çouceptiona du siècle passé et celles de
I cette Vm de siècle sur quelques points essentiels où les progrès de la
r science psycholo^'îque semblent les plus marqués et plus surs :
I méthodes, qui admettent maintenant rexpérimentation et le calcul,
rapports du cerveau et de ractivité mentale, étude analytique et phy-
siolog'tque des sensatiousi déterminations des lois psychologiques. Il a
définit enVin les caractères généraux qui marquent la psychologie
moderne : subordonnée jadis à des intérêts pratiques ou réduite à Tétat
de discipline auxiliaire d'autres scitmcos (théorie de la connaissance.
mopale, politique, métaphysique générale^ etc.)i ^ll*^ est devenue auto^
aome. Elle a cessé de se laisser guider par des analogies mécaniques
ou physico-chimiques (ti'lles que Tinortie, Tattraction, la synthèse chi-
mique) qui semblaient fort naturelles en un t4»mps où la science de la
vie naissait à peine, et ne cherche plus que dans le domaine biolo-
gique des parallèles aux lois qui régissent les laits de conscience.
Enlin elle est devenue internationale : les psychologues de tous les
pays collaborent à une œuvre oommane et dont les Congrès sont la
vivante expression. Il a conclu par le mot de Galilée : De subjectù
vetustissîmo }iovis£imam proiiiovemus scientiRm.
Le Congrès comptait Î7G membres, il a été annoncé 156 communica-
tions, dont environ 110 ont été faîtes. Le Congrès a siégé jusqu'au
samedi Îô août; les après midi ont été consacrés à des séances g'éné-
raies, les matinées à des séances de section^
Nous avons adopté pour la cl assifi cation des communications Tordre
que nous avons suivi dans le comptts-rendu du Congrus de Munich»
de fa^on à permettre une comparaison plus facile entre les travaux
des deux Congrès; nous avons mentionné ici celles qui nous ont paru
les plus importantes et les plus caractcristiques; on voudra bien
excuser nos omissions, dont quelques-unes à coup sûr sont involon-
K taires ou injUBtlOées.
/. ANATOMIE et physiologie CÉnÊBRAtES ET NÊEIVËUSË3
DANS LEURS IlAPPOUTS AVEC LA PSYCHOLOGIE.
l<* Prof. p. Hegeh et D"" J, Dhmoor. — Contribution à U physiologie
de Vécorce cérébrale^
Les expériences de Heger et de Denioor leur ont permis d'établir
que les neurones, et en particulier les neurones corticaux, ne sont pas
leetège de mouvements ami boldes, mais qu'ils réagissent aux excitations
par une contraction de leur substance fondamentale. Les prolongements
dendrî tiques et cylindraxiles de ces neurones portent des appendices
de forme variable qui interviennent dans T association des éléments
Blâ
BEVtË PUiLOSOPIIlQlE
nerveux. A Tétat de repos, iIb ne revètenr. jamab laspcct moDiliforme;
ils afTectent au contrairo celte apparence sous Taction de la morphme,
de Vhydrate de chloral, de Téther ou duohloroforme; le mém^ phéno-
mène s'observe chez les animaux fatîf^ués ou soumis à uae excita-
tion électrique trop prolongée, dans les cas d*inanîtion et d'empoi-
sonnement^ chez les animaux hibernante pendant leur sommeil d'hiver,
chez des animaux eniln en proie à TefTarement et à la terreur àu
moment où on les a aacrinés* L'état moniH forme, qui d'ailleurs w'esl
que transitoire {lorsque rirritation a cessé d'agir, la neurone récupère
sa forme normale) révèle que la cellule a été soumise à utie ejcciimioa
intense et qu'elle y a répondu comme toute cellule par une contraction
protoplasmique. Lorsque Texcitation est Taible et réjcrulièrement pro-
gressive, Tétat moniliforme ne se produit pas. Cette plasticité de la
cellule nerveuse rend compte de diverses expériences faites sur k
cerveau, qui viennent d*ai Heurs en apporter des preuves nouvelles;
elle expUque notamment que la rapidité de la myélinisation dépende
de la mise en Jeu de ractivîté des cellules, que Tactivité des neuroûei
Boit indispensable au complet développement de leurs arborisations^
que les phases d'activité ou de repos de la cellule soient caractériiëei
par la consommation ou 1 accumulation de la substance ehrotnatîque.
La conséquence, de haute importance au point de vue psychique,
quM faut tirer de cetto plasticité et ûn' cette variabilité du ncurofii'i
c'est que dans sa structure ot fe^on fonctionnement il n'est pas exclu-
sivement dominé par rhérédtté, mais qu'il dépend dans une large
mesure, h ce double point de vue, de la nature, de rintensité et de
la forme des excitations auxquelles il est soumis. 11 est vrais embla^il^
que pendant l'état moniliforme le neuponi; est insensible, comme ie
protoplasma pendant la durée de la phase de contraction. On ceiD*
prend que cette insensibiliLé temporaire de ïa cellule, jointe aux chai*
gements morphologiques qui résultent de sa plasticité, modifie saBS
cesse les conditions de perméabilité de Fécorce cérébrale aux excita-
tions périphériques. La complexité des phénomènes psychiques et l&
variété des combinaisons mentales deviennent ainsi plus aisée à com-
prendre- Heger et Demooor assimilent à un phénomène ré il exe It'â
réactions de Técorce cérébrale; tous les territoires sensitifs ou sefisû*
riels sont en môme temps moteurs, La réaction de ces centres seftsi-
tivo-moteurs aux irritants a pour corrélatifs psychiques les sensati^i^^
et les images particulières; les idées complexes et générales supposent
rentrée en jeu des centres d^association, centres réflexes, eux aussit
dont le fonctionnement a son point de départ dans Texcitatton des
centres ^sensitivo-moteurs. Par des expériences faites sur le ehi^^*
Demoor pense avoir nettement mis en lumière le rôle de ces centre^
d'association; ses conclusions corroborent dans les grandes ligoes
celles de Flechsig *.
1, La communication a été faite par M, Oemeor en une séance génèrtîet**
cours d'une vénUible conférence sur les fonctiens de récorcei coofé rente i]^%
MARILLIER, — COXÛRÉS IXTEUÎUTIONAL HZ PSYCHOLOGlfi 313
2® Mlle StefaKOWSKa a démontré que les appendices piriformes qui
recouvrent toute la Burface des dendrites demeurent étalés chez les
Animaux qui sont plongés soît dans le sommeil naturel, soit dans le
pommeil anesthëstque iuoffensif comme chez ïes animaux éveillés. Ces
!»ppendiceâ ne disparaissent que chez les atiimaux soumis à une éthé-
risatiou violente et prolongée. Il semble donc que dans les coaditioni*
physiologiques normales, ils persiâtent sur les dendrites. Il n'est pa&
Impossible cependant do supposer que même dans ces conditions ils
Soient doués d'une certaine mobilité et que par des oscillations imper-
ceptibles ils fassent varier les contacts entre les neurones et exercent
pkinsi une inlluence sur le passage de rinHux nerveux. Mais les
preuves expérimentales manquent- Mlle St considère les perles ou
►varlcosités qu'on observe souvent sur les prolongements des cellules
lierveuses comme des formations pathologiques; leur existence ne
saurait dune constituer une preuve de ramiboïsme de ces cellules;
plÏB GU attribue roriglne à des troubles de nutrition^ ces varicosités
apparaissent dans rintoxication par Téther chez les animaux qui ont
succombé à Tasphyxie, à la décapitation et à la strangulation, et aussi
flans le cerveau électrîsé directement, Mlle St, n*a observé aucune
pspèce de rétraction des dendrites chargés de perles j leur parcours
peste invariable malgré cette altération.
3** M* Le EK 0. Vogt a cherché à montrer que les conceptions ana-
omiquos de Flechsig étnient sujettes à de nombreuses critiques et à
établir qu'en conséquence les théories psychologiques quMl a édi liées
lur cette base reposent sur un fondement trcs fragile et presque rui*
leux. Il estime d'ailleurs que la notion des centres spéciaux d'associa-
tton, fût elle de tous points escactc, nous n'en serions pa$; mieux rensei-
gnés sur te fonctionnement de Tesprit. Dans T état actuel de la science,
A connaîssancL» de la topoj^raphie cérébrale ne peut jeter sur les phé-
Kiomènes psychologiques ou les lois de leur groupement aucune
lumière. Un jour peu-ètre viendra où la connaissance de Tanatomie
du système nerveux pourra rendre à la psychologie des services ana-
logues à ceux qu'elle rend déjà au neuropathologîsteou au psychiatre^
tuais ce jour n'est pas venu encorL' ; nous n'avons d'autres ressources
pour connaître les fonctions physiologiques du cerveau que dt.- les
déterminer expérimentalement, nous n^avons pas d'autre moyen pour
connaître les fonctions psychiques que l'observation directe ou iutro-
Rpective ou l'étude des manifestations somatiques (actes, gestes,
paroles, etc-) par lesquels les états de conscience se traduisent au
liehors, — A ïa suite de cette communication s'est engai^ée une inté-
ressante discussion : M, Uemoor, d*accord en cela avec M. Delagc, a
ioutenu que la connaissance de Tanatomie macroscopique du cerveau
et du système nerveux avaient déjà rendu d'éminents services à la
ft illustrée de ni>mbreuses projectioûi de préparations bîs toi ogiquee, faites dans
les laboratoires de Flnstitut Solvav»
mWE PBILOSOP]ifat)E
» efequ ea particulier la dêtermiaaUoEi des localî sdtioiu céré*
AYmtl iiemiis de pousser ptua avant Tanalyse de IVspnt: il
rfue U. eonaaiâBaoee plus approfondie de Thiâtologie, de lacyto>
f riitstoph^pMiolo^e jt.Tttera sur tous les problèmes encore mal
rde la soieac^^ de Tesprit unu abondante lumière* 11 conteste
i^ el en se fondant sur de multiples exemples, que la mor^bo.
liçiie «Tttci élément anatomique ne puisse nous éclairer sur ses fûQC-
ttnan Sur ee dernier point, sa thèse est combattue asse^ vivement, en
i#^vi OQûceme les ronctions physiologiques elles-mêmes, par le pro-
ttmmmt Riohet, qui se range à Topinion de M. Vogt, a laquelle eepcn-
Éiat tl apporte quelque lempérament. Il admet d'aîUeurf que la physio*
U0m p«ut aous fournir sur le fonctionnement mental de très préci€tms
Imiicâtiofis. oelles-là même que Tanatomie est inhabile à nous pro-
«Mper.
I* Mlle JoTSYKO a présenta deux notes relatives à la fatigtie. D^nû
to première, elle a cherché à établir que les centres psycho-mo leurs
«Mit beaucoup plus résistants à la fatigue que les appareils termiu»ux*
Kllv y i^si parvenue l'O ûludiant les variations de quolienl de fati^w
MUa rniÛuence de la fatigue elle-nièm'ï. (Le quotient de fatigue esïle
t«|»p«ïrt numérique qui existe dans une courbe ergographiquct entre U
luiutdur lotale des soulèvements et le nombre des soulèvomeoU). Les
ill^ts k chaque expérience épuisent totalement leur force à Tergo-
grapheet lo temps de repos entre les expériences successives est iiisuf-
llaajnl pour faire disparai tre toute trace de fatigue antérieure- A
tfliaque expérience, la quantité du travail mécanique est diminuée*
Or c<»Ue diminution se fait surtout aux dépens de la hauteur, de ieUt^
ttorti.^ qu'à chaque nouvelle courbe la valeur du quotient de fatigua
( 7 ) diminue, et Ton sait depuis les travaux de Hoch et de Kraepeliû
que la hauteur totale est en relation avec le travail musculaire^ ^^
tiombro des soulèvements avec celui deâ centres cérébraux. Mlle Joteylio
avait pu d ailleurs établir antérieurement que les centres réllexe^ ^^
lanKH'lle se fatiguent moins vite que les muscles. Par cette fatigue du
mu^eUs \\ convient d'entendre répuisement des terminaisons nerveuse»
Uitra-museubires,
Uatii aa eeooade note, Mlle Joteyko a insisté sur la fonction bioW'
tfiqiio do la fatigue, qu'elle considère comme un moyen de défenseur
roi^atlNmu. Elle le soustrait momentanément à l'action des excttatioûs
trop intenses ou trop prolongées et elle est engendrée par ces excita-
Uon« mêmes. Cette protection est d'autant mieux assurée que l^
orgftnes terminaux s'épuisent les premiers. Si cependant une irritation
piut Intense est portée sur des organes périphériques devenus ine^^^^'
tabk^K pour un excitant d'une intensité donnée, ils peuvent fonctionne'
«noort\ mais alors apparaît la sensation de fatigue» sensation d'origine
coiUralo ot qui est comme un second avertissement qui se f»*^
enii^ndrt» lorsque le premier (la nécessite de relfort) n'a pas été écoute*
MARILLÏEH. — CONGRÈS ISTEttXATIOnAL BB PSYCHÛLOCTE 515
itain^i défense immédiate par la paralysie périphérique, défense
préventive par la sensation qiiV>ngendre ie mouvement accompli en
dépit de cette parésie momentanée-
JI, Psychologie et phtsiolooib des obganes des sens,
PSYCHOPItVSIQOE-
i*' Kfi* B. — R. ÂAAS« Sur quelques conditions de la rivalité des
images rétiniennes.
M. Âars cherche à établir que la fusion, raUernatice ou la juxtaposi-
tion des images rétiniennes est sous rinfluence non pas seulement de
conditions physiques déterminées depuis îongtemps, mais aussi de con-
ditions d*oj igine centrale ^ telles que la volonté ou l*attente 11 a eona-
taté que ai, au moyen de lentilles placées devant les yeux, on rend
l'accommodation plus difficile pour l'un ou Tautre œil, on fait dispa-
raître Timage correspondante. L'intensité de la sensation a une grande
inDuence sur sa perception, mais le rôle des relations de contraste et
de U netteté des contours est plus important encore. Cette netteté ne
dépend pas d'un accroissement d'intensité de Texcitant, mais doit être
rapportée aux conditions centrales de la perception^
2* M. S. Alhutz a fait une communication sur le sensation do cha-
leur ardente (Hitzeemprtnduwj), qu'il dîlTérencie de la sensation de
froid et de la sensation ordinaire de chaud et qu'il rapporte à Texcita-
tion simultanée de points chauds et froids de la peau* Il étudie les
gensations « para- doxalcs » de froîd et de chaud (la sensntion da
froid par exemple produite par l'excitation avec une pointe chaude d'un
organe terminal de perception du froid )et expose la technique à
employer pour la dissociation des diverses sensations thermiques et
des sensations douloureuses.
Cette communication a été suivie d*iine démonstration expérimentale
au laboratoire de M. Binet.
Z'' E)'" F, KauEGER* Sur la consonance et In diêsonance.
BrL Krucger s'est attaché à démontrer expérimentalement l'inexactî-
tude de la théorie de Helmholtz qui rattache la consonance à la coïnci-
dence des harmoniques et la dissonance à leur non*coincidence. Il a
établi que le caractère psychologique de consonance et de dissonanûô
appartient à des sons qui ne possèdent que très peu d'harmoniques ou
n'en possèdent pas du tout. Il le rattache comme à ses facteurs prin-
cipaux aux sons de différence, â leurs propriétés, à leur relations,, ^^
leur succession. Tous les accords consonants possèdent un nombre
limité et bien déterminé de anns de différence, qui sont simples et
pareils les uns aux autres; les dissonances ont leur cause en une plu-
ralité confuse de sons dtfTérentiels, voisins les uns des autres^ qui
possède les propriétés d'une pHme discordante.
516
REVDE UUILOSOPUIQUE
4« Prof. O, KuBLPE, Sur lu relation des dîlférences h peine percep-
tibleê anx dilfêvences nettement perceptibles^
La question de la grandeur des différences à peine perceptibles ne
peut être résolue par des considérations purement théoriques, et les
recherches de Merkel {PhiL Stud. IV, Y, X) ne Tout pas résolue d'une
façon satisfaisante. De nouvelles expériences faites dans le domaine
des intensités lumineuses et sonores par un procédé direct et m\ pro-
cède indirect ont établi d'une manière indubitable que Tapprëciatiûii
des intervalles entre des sensations séparées par des difîé renées nette-
ment perceptibles donne des résultats tout autres que cerni aujquds
aurait conduit rhypothèse que toutes les difTérences à peine percepti-
bles dans une mcme série d'excitations sont des différences égAlw
entre elles. De ces expériemt;s it faut conclure que cette hypclhësoest
fausse, si on la prend dans toute sa généralité, et qu'on doit bien plutôt
admettre que ces diflérences de aensations, que nous appelons à peine
perceptiblea (ebenmerfdich), dans les limites des séries d*exdtaiiotis
qui ont é(é étudiées, croissent avec Tintensîté absolue des sensatians.
De ces don nées ^ on peut tout d'abord déduire que la loi de W^ber
aura une signification tout à fait différente suivant qu*elle s'appliquera
aux différences a peine perceptibles ou aux différences nettement per-
ceptibles. 11 convient, semble-t-il, de réserver, conformément a la tra-
dition, le nom illustre de cette loi à celle qui s applique à la détermi-
nation du seuil. On doit de plus préférer dans ce cas Thypothùsede b
relation et donner à la loi une signiticatton psychologique» Eïilio 1*
conséquence découle nécessairement de là qu'il y a des différeueesii^
sensations inconscientes ou non perceptibles, et iî devient très vrai-
semblable qu'en ce qui concerne les excitations à peine percepHhles
dans leur rapport avec les sensations, il y a lieu d*essayer la ïï^^^^
interprétation. Il faudrait se garder de trop généraliser la valeur du
rapport dccouvcit. Il est probable qu*îl se vérifie toujours et ptulout
en ce qui concerne les intensités. En revanche, en ce qui se rapport*
aux qualités, aux déterminations spatiales et chronologiques, ilexis**
pour les différences à peine perceptibles une autre formule des rel**
tions de grandeur, beaucoup plus variable et changeante.
5^ Prof, Alf, Lehmaî^n. Sur téquivahnt mécanique des étaU p^
chiques.
C'est chose connue que la relation entre Texcitation et la sensa^^^^
qu'exprime la loi de Weber est susceptible de plusieurs înterprétatii>*^**
II est aussi généralement admis que la loi ne peut prétendre à auc^^
rigueur. S'il était possible de déterminer une formule exacte et *^
eorreaporidît aux faits, de la relation entre Icxcitation et la sensati^ *
il est de toute probabilité que la question de la signîrication de la
se trouverait par là même résolue. Lehmann a réussi à détermir^
empiriquement pour les sensations visuelles une formule de ce gen^
d'ailleurs très compliquée, par la mensuration de la période critique
M ARILLIER. — CONGRÈS IWTÊ II NATION AL DE PSYCHOLOGIE 517
disque.% en rotation . On ne peut Taire comprendra que de in Taçoti sui-
vante îa signtïicatîon de cette formule. Si on exprime la grandeur de
Faction photochimique produite par une excitation donnée Bur la rétine,
en tenant compte de l'intluence des échangea nutritifs et de celle du
contraste, qui s*exerce suivant des lois connues, on arrivera à une for-
mule qui est précisément la formule empirique trouvée. On peut
exprimer les relations des sensations auditives à leurs excitants d'une
manière analogue. De plus on peut établir au moyen des mesures
ergo_-^raphiques que cette même formuie exprime la dépendance où se
trouve le travail musculaire à Tégard de Tinnervation centrale. On
rpeut à peine douter qu'elle ait une signification exclusivement physio-
«logique. C'est donc l'tiypothèse la plus vraisemblable que les sensa-
'tiens sont proportionnelles aux irritations centrales. Si Ton accepte
cca suppositions comme exactes» on pourra par les met li odes ergogra-
phiques mesurer Féquivalent mécanique des divers états de cunscience-
• 6* MM. L. M^tULLiEU et J. Philippe ont présenté une note préliminaire
BUr une série de recherches esthésioméîrîques qu'ils poursuivent
depuis plusieurs années. Les mensurations de Weber n'ont guère porté
que sur un seul sujet : les détails précis nous manquent sur Tétat de
6a peau, les modalités de sa sensibilité tactile et ses dispositions
psychologiques. Depuis Weber on n'a pas publié de travail d'ensemble
sur la topographie des sensations tactiles; tout s'est borné à des
recherches partielles. Il a paru utile aux deux auteurs de fournir au
psychologue et au médecin une carte générale de l'état de la sensibî-
lité tactile dans les diverses rc^nons du corps, d'après des niensu ra-
tions faites sur plusieurs sujets» C'est ce qu'ils ont tenté de réaliser
ati moyen de mesures prises méthodiquement et en séries complètes
BUr quatres modèles d'atelier et de mesures de contrôle prises sur plu-
Bîeurs autres personnes. Ils n'ont pas tardé à constater que si, dans ses
grandes liÉ^nes, cette topographie était invariable, des modifications
de détail d'une haute importance se produisaient à quelques mois de
distance et parfois, mais plus rarement, d'une séance à l'autre^ et
^que la finesse do la sensibilité différentielle était sous la dépendance
étroite de conditions psychologiques et de modirications physlologi*
^uea instables. — Des détails complets sur le dispositif adopté et les
précautions prises seront donnés dans le mémoire, où seront indiqués
^ea résultats de ces recherches, ainsi que Les tableaux numériques. Les
ineeures ont été prises pour la plupart en séries longitudinales
continues. Au cours de ces recherches, et c'est peut-être leur plus réel
intérêt au point de vue de la psychologie physiologique, Mari Hier et
hilîppe ont constaté qu'aune distance où deuxpointesde forme iden'
ttique ne donneraient qu'une seule sensation et étaient rapportées en
n même lieu, deux pointes de forme difîérente étaient toujours per-
ues comme distinctes. Il fallait les rapprocher notablement pour que
m deux sensations se confondissent, et encore laut-il ajouter qu'elles
ntinuaient fréquemment à être distinguées qualitativement alors
518
REVLE PHILOSOPHIQUE
qu'elles ne Tétaient plus localement. L*exercice leur a
encore Técart entre les seuils de ces deux modalités
tactile.
7° N. Vaschide. Recherches expérimentales sur le
sensibilité tactile et de la sensibilité musculaire.
V. a cherché à établir, en reprenant les cxpérienci
et en les corroborant par des expériences nouvelles, 1
la sensibilité tactile et de la sensibilité musculaire. L
culaire serait essentiellement une sensibilité kinesth
tude à percevoir les mouvements dont le muscle
elle serait en tout comparable aux autres sensibilités
pas ramener à un sentiment d*innervation centrale
unes des preuves invoquées par V. à Tappui de son
tion des nerfs cutanés, Tablation ou Tanesthésie de
blent pas Texécution des mouvements, même des mou
L'anesthésie de la muqueuse des cordes vocables n*e3
appréciable sur la justesse de la voix. Les faits cl
qu'il peut exister une dissociation fonctionnelle des
sensibilité étudiées dans ce mémoire. La sensibilité i
pour organes les corpuscules de Golgi, et cette exist
spécial est un indice de haute valeur de Texistence
la fonction. Il existe une sensibilité électro-musculai
sion s'accroît dans les cas d*ivresse alcoolique ou <
Topium, et une fatigue musculaire d'une nature spéc
spécifique de la sensibilité de mouvement s'accuse s<
protoxyde d'azote, du haschisch, du chloroforme,
Falcool, etc. Il existe cependant des relation s entre h
culaire et la sensibilité tactile; elles apparaissent « dt
de contact (la pression n'est qu'un contact plus inti
et dans la « sensibilité stéréognostique tactile sta
des images musculaires consécutives aux sensations
conscience musculaire est dans une étroite dépendaii
ment et de l'éducation des mouvements actifs.
8° Le Prof. Gœtz Martius a présenté au Congrèi
permet l'interruption à peu près instantanée d'une
neuse ou d'une série d'excitations lumineuses qui s
un intervalle obscur. Il est construit pour qu'on y pu
deux yeux, et disposé de manière à ce que l'on
quence comparer une impression d'une durée dé
suite d'impressions de cette espèce avec la sensation p
accommodé à une impression constante. C'est une tra;
plète de l'appareil construit par Helmholtz, avec le<
ses recherches bien connues sur le temps nécessaire
visuelle. Les résultats obtenus à l'aide de ce neuve
tuent à plusieurs égards une importante contributioi
MAEILLIER. — CONÇUES ÏKTKHÎNATlOPtAL DE PSTCHOLOCJB Sî9
sance des processua de la perceplion lumineuse et à la théorie de la
durée des sensations. Ils ne sont pas sans intérêt non plus au point de
vue physiologique : ils confirment le plus souvent les résultais auxquels
était arrivé Charpentier par une tout autre méthode.
9' M. P, Menti a fait une communication sur les degrés de saturation
des diverses régions du spectre et leur mesure. Il estime de peu de
valeur les chiffres obtenus par les mesures immédiates de la sensibilité
différentielle. La méthode la plus satisfaisante pour la mesure de la
saturation lui semble être celle des distances psychologiques égales ou
mieux encore celle de la moyenne des quatre proportiounelles, en
prenant pour point de départ une différence à peine supérieure au
seuil au milieu de la série des saturations. Les courbes ainsi obtenues
expriment des résultats qui coïncident avec ceux que fournit l'examen
direct du spectre entier et leur sont supérieurs par la quantité des sen-
Bâtions difïérentielles, sans que le contraste des trois facteurs paraisse
exercer beaucoup dUnfluence. Les positions des maxima do saturation
coïncident avec celles des couleurs pures, dès longtemps connues. Le
nombre de ces maxima de saturation est ù un point de vue théorique
d'une décisive importance. Mais il y a cependant ici des éléments
d'erreur qui proviennent 1^ des suggestions exercées par l'éclat et la
teinte, 2<* de la difficulté de déterminer le sens de la difïêrence^ le cas
des différences 1res petites; H"* de Tinlluence exercée par le contraste
sur les facteurs qui ne sont pas immédiatement soumis à la mesure,
La détermination de ces courbes de saturation potir les couleurs
douteuses dans les cas d'achromatopsie n'est point seulement à recom-
mander en raison de la précision qu'elle permet d atteindre, mais
aussi à cause des données que fourniront ces courbes pour la solulion
de la qut'stion du nombre des couleurs et de celle de réquivaience
entre des couleurs voisines ou autres,
U> M, E, W*ScRiPTOHE a présenté un nouvel appareil pour rexamen
du sens des couleurs qui offre le très grand avantage d'ét.r<3 aisément
transportable et d'un mftniement facile. 11 répond en même temps aux
exigences pratiques auxquelles ne répondent ni Tcpreuve de Téchantil*
lonnage des laines ni la comparaison des verres colorés. Il faut en effet
que les diverses couleurs sur lesquelles la sujet aura à se prononcer
lui soient présentées en des conditions aussi voisines que possible de
celles qui se trouveront réalisées dans la pratique {le colov-lester de
Scripture a été construit spécialement pour Texamen des yeux des
mécaniciens de bateau et de chemin de fer.) Il faut donc que Tappareil
permette de produire artiiicielletnent Taffaiblissement des colorations
que détermine le brouillard ou la distance, que le sujet ait à nommer
la teinte qui est soumise ïi son examen et que ce soit sur des lumières
colorées présentées simultanément à sa vue qu'il ait à se prononcer,
sans qu'il lui faille émettre un jugement de ressemblance ou de dis-
«emblance. Le color-tesifT de M. Scripture répond à ces divers deside-
Il a Taspect d'un ophtalmoscope; d*un coté il porte de petites
520
REVUE PH[LOSOI»flIQtJE
fenétrêi, garnies Tune d'un verre complètement transparent. r,tutfë~
d'un verre légèrement teinté de noir, la troisième d'un verre beaucoup
plus foncé. L*autre face de l'appareil est formée par un disque tournant
qui porte douze morceaux de verre coloré de différentes teinter d«
vert, de rouge et de gris. On peut ainsi produire toutes les combinai-
sont les plus propres à déceler rachromatopsie. L*opérfiteur n'-i qu'a
inscrire sur des tableaux tout préparés, en regard de lettres qui repro*
duisent celles qui désignent sur le disque leâ diverses couleurs* les
réponses du sujet. L'examen est ainsi fait automatiqu émeut et tans
que Topératenr ait à intervenir. Une bande métallique qui porte dei
ouvertures de 1 a 8 mlïi mètres permet de faire Texamen quantitalif de
la sensibilité aux couleurs. En se servant d*une source lumîaeusi
dlntenailé choisie une fois pour toutes et en plaçant le sujet à une
distance donnée » ropérateur cherclie à déterminer quelle est la plua
petite ouverture pour laquelle peut être distinguée une couleur, le
rouge par exemplo. On peut aussi se servir d'une ouverture degrandear
donnée et faire varier la distance à laquelle est placé le sujet II existe
des cas nombreux d'achromatopsie limitée à la partie centrale d« Il
rétine. Ils ont leur cause dans labus combiné du tabac et de Talcool
On les décèle en faisant passer rapidement les diverses couleurs ijue
porte le disque mobiîe derrière la fenêtre garnie d'un verre incolore,
au-devant de laquelle on a placé la plus petite ouverture. La ripide
succession des eouleurs oblige le sujet a laisser se former Tima^e atif
la partie centrai le de la rétine.
11" Le l'rof. J. Malcolm Stratton a communiqué au Congrès uoe
nouvelle méthode pour déterminer la plus petite distance latérale
perceptible. Dans rancienne méthode, on se servait, pour la détenni-
nation du seuiL de deux lignei^^ parallèles que Ion rapprochait jusqu'il
ce qu'elles so confondissent; le chiffre qu'on obtenait ainsi était d^
50 à 60". La méthode nouvelle* qui consiste a placer ces deux li,^aeseî!
prolongement et à déplacer l'une dVlles en lui conservant sa direetioa
jusqu'à ce qu*elle ne paraisse plus en prolongement de Tautre, a p(*rniis
d'éliminer laction de la dilTusion rétinienne et de déterminer comml
minimuin visibile la distance de 7* (mesure angulaire). On était ohii^
jusqu'ici d'expliquer la perception de la profondeur stéréoscopiqîîe
comme le résultat d'une activité inconsetente, parce que la plus pente
distance latérale qui produit un effet stéri^osco pique est beaucoup
moindre que la plus petite distance latérale qui pouvait être perçut
avec Tancienne méthode* — Mais cette inégalité des deux distance!
est si fort atténuée par remploi de la nouvelle méthode que la con-
clusion tombe- — On ne peut lier la perception de cette petite di s fanoe
à celle d'un mouvement de rotation de Tceil^ le diamètre de ta /oeea
eniriilis étant égal a 300 fois cette distance. Le minimum vtsihile est
d'ailleurs plus petit que le diamètre d'un seul cône de la fot?eâ an"
tralis : il fiiut donc admettre que les cônes ne sont pas les élùmeots
ultimes de Torgane de la vision ^ ou bien que le signe local élémen*
MARILLIER.
taire ïiécessite l'entrée en jeu de plusieurs éléments rélinien??. Les
recherches de S, permettent de s'expliquer pourquoi la lïmite de la
profondeur binoculaire que Tobservation directe avec le pseudoscopc
ûxe à 580 mètres, a été placée par Bourdon kT2Q mètres ^ cela vient du
fait que le seuil Rpatial avait été déterminé d'abord par l'ancienne
méthode des lignes parallèles.
12* M, le D'' Toulouse a attiré lattention du Congrès sur fa néces-
îté d'unilier â la fois b terminologie psychologique, les méthodes des
xuesure et la technique expérimentale en matière psychologique*
in. Émotions. Phiînomf:nE8 moteurs.
Mouvements u'kxpression.
lu Le professeur W* Tschlsch a essuyé d'établir que seules les exci-
tations qui transforment un tissu vivant en tissu mort engendrent de
la douleur- L*inteneitê de la douleur, toutes choses égales d'ailleurs,
dépend de la qualité du tissu vivant transformé en tissu mort. La
douleur est une réaction unii^erselle, parce que les excilalions qui la
déterminent chez Thomme détruisent les tissus vivants dans tous les
organismes* Les excitations qui ne détruisent pas les tissus vivants
flont utiles k certains animaux, nuisibles â d'autres; aussi produisent-
elles des sensations agréables chez tes premiers, des sensations désa-
^gréabîes chei les seconds. Les excitations qui^ soit par leur intensité,
fcoll pBT leur action chimique^ sont désavantageuses à l'organisme et
rpeuvent même entraîner la mort de rindividu qui y est soumis, mais
I n'amènent pas la destruction des tissus vivants, provoquent des seiina-
! tions dèmgréaUes^ mais non de la douleur; dans ce groupe se vien-
nent ranger les sensations liées aux excitations sensorielles intensives
et celles qui résultent d'une intoxication, telle que rintoiication mor-
phlnique.
Une discussion e'est élevée sur cette communication : le professeur
Richet a maintenu son affirmation qae la douleur est liée à toutes les
excitations très fortes et que nulle limite nette ne sépare les sensa*
tions douloureuses des sensations désagréables.
2*^ M. Tisser AND a fait un examen critique des théories qu'ont données
du plaiiir les Herbartiens d'une part, Lehmann, Dumonlt Bain,
Bpeneer, Ri bot, de Tautre* Il admet pour sa part, dans les plaisirs phy-
siques comme dans les plaisirs moraux, l'intervention d'un élément
Jorfuel, la tendance, qui est irréductible au mouvement; elle est iden-
tique à Lètre, inséparable de la spontanéité et de la vie, et nous avons
d'elle un sentiment immédiat, qui ne se peut ramener à une repré-
aenta'Jon sensible.
3* Le D'* P. lUnTENBEnG, Psychologie de la limidiU\
M. Hartenberg considère la timidité comme une tendance h une réac-
tion émotionnelle spéciale, l'accès d'intimidation, qui se produit en des
eondi tions déterminées; Tune de ces conditions est très nette, c^est la
TOUi L*— 1Ô00. di
i
822
REVUE PHILOSOPHIQUE
présence d'une personne humaine ou Tidée de cette personne* L'accèa-
d'iiitimidation résulte de la cumbinaisQU de deux émotions plus sim*
plei : Ifi peur et la honte. Les accès, en se multipliant, engendrent, par
les traceâ qu'ils laissent dans la mémoire intellectuelle et affective, par
le ressouvenir aussi des conséquences fâcheuses quils ont entraméés
pour le sujet, un état mental inter-paroxystique qui devient la carac-
téristique essenttellu du timide. U faut néanmoins remarquer que
parmi les traits du caractère des timides (il en est bon nombre qui
sont sous ia dépendance non pas du ressouvenir des accès d'imiaiida-
tion, mais de Thyperesthésie générale qui est la cause profonde de ces
accès eux-mêmes. La timidité peut révéler une forme pathologique,
tantôt par rintensité excessive de ses crises ëmotionneUes, tantôt en
donnant naissance à des phobiei^^ et à deso^sf^^^îoii^, parmi lesquelles
sont su premier ran? celles de la rougeur.
4* M. F. UA Costa Guimahaens a cherché à établir que l'attraît du
sport consiste excluaivement dans Texcitition qu'il produit et qui
n'est que la résultante d'un surcroît d'activité des fonctions vitales.
Ce surcroît d^actîvité n*c3t du qu'à une oxygénation plus aoUve;
Pattrait des sports se ramènerait donc en dernière analyse à l*f>ioita-
tion produite par l'oxygène.
M. L. Marîllîer a fait observer que Tat trait du sport résulte en partît
de ce qu'en même temps qu'une excitation» il est un repos et que
ce repos est la conséquence d'une systématisation motrice et mentale
très complète, qui oblige à une complète inactivité toutes les fcnctions
psychiques inutilisahles pour la lin actuellement poursuivie. Cett*
unification de Tesprit est beaucoup plus complète souh l'influence d*ufté
émotion forte; aussi les sports dangereux sont-ils les plus attrayants^
Nulle distraction n'est plus complète et pour Thomme civilisé Bul
repos plus parfait» puisque les fonctions mentales qui sont utilisées
dans les sports sont très diJTérentes de celles qui interviennent dans
son activité journalière.
5" Professeur Jaubs Sully. Psychologie du chatouillement.
Les deux formes de réaction au chatouille ment, les mouvemeots
défensifs et le rire, appartiennent à des stades différents de l evoliiti<>H
psychique, et Tapparition de Tun ou Tautre de ces modes de réaction
implique un état mental dilTérent; le ton affectif des sensations de
chatoutllement est à son tour modifié par les émotions engendrées pu
les réactions motrices. 11 n'est d'ailleurs pas constant pour une mèmi^
région cutanée, mais varie avec les conditions^ avec la durée, par
exemple, de l'excitation. Le rire n'est pas Hé à un mode particulier
d^excitatioui mais l'excitation de certaines régions particulières de la
peau en détermine plus aisément l'apparition, sans cependant lentraîner
nécessairement en tous les cas. Lorsqu*au contraire les conditions
sont favorables, le rire apparaît à la suiti; du chatouiltemeot de n*im-
porte quel point de la peau : au nombre de ces conditions sont un état
MARÏLLIEH. — COXGRI^S ISTRBNATlOEtAL DE PSYCHOLOGIE 523
de sattsfacUori et de bonne humeur et une disposition à prendre i^n
jouant îa sensation* Lotat complex^^ qni aboutit au rire implique une
certaine iij(;ertitude sur ce qui va arriver et une complète ^assurance
que li.^s attoui heinetïts dont on est l'objet ont un caractère inoITensif et
constituent un jeu; eVst le rapide passage de cette sorte de malaise
produit par l'incertitude â Tacceptaiion du jeu qui détermine le
rire. L'existence du rire choi Tentant dès li' deuxicme mois et che^
les anthropoïdes tend à faire conclure à son origine hérétlitaire.
M* Sully écarte l'hypothèse qui fait jouer un rôle essentiel dam les
réactions produites par le ehatoutllement aui réflexes provoqués par
la présence de parasites sur la peau de nos lointains ancêtres. La
théorie plus acceptable de L. Robinsani qui rattache le chatouillement
à un type de jeu fréquent chez les jeunes animaux (le combat simulé|
et estime qu'il s'est conservé en ralyon de son utilité, n'explique pas
Fori^ine des mouvements du rire eux-mêmes Ils se sont préalablement
introduits comme un élément essentiel en ces combats simulés, parce
qu'ils constituent le signe le plus aisément intelligible que Tattaque
est bien prise comme elle le doit^ c^eat-à-dire comme un jeu. Le rire
provoqué parle chatouillement n*est pas du reste, autant qu'il semble,
la forme primitive du rire : c'est tout d'abord une rcaetii*n générale
qui exprime un accroissement brusque du ton affectif agréable
du contenu de la conscience; elle ne s'est ainsi spécialisée qu'à un
stade ultérieur de révolution de la race et aussi de l'évolution indi-
viduelle,
6*^ M. Tabbé A, thiéRV a décrit un procédé qu'il a imaginé pour la
bolation pratique dt; la hauteur et de la mélodie de la parole parlée, et
il a indiqué en grand détail la technique à suivre.
7*^ Le D^ J, KoooiKOViTGH a étudié les variations du diaraètro pupil*
laire qui sont en rapport avec l'effort întellectueh Pour les mettre en
évidence, il faut fixer les pupilles dans des conditions d'éclairage et
d'accommodation constante; on voit alors la raydrîase se produire
lorsqu'on pose au sujet une question qui l'oblige à faire un effort de
réllexion ou de mémoire (trouver une date, un nom, résoudre menta-
lement un petit problème d'arithmétique)* Le moment de production
de la mydriase et sa durée (tantôt elle apparaît au moment où Ton com-
mande de poser la question; tantôt elle apparaît alors seulement
qu'on a achevé de la poser et persiste jusqu'à ce que la solution soit
trouvée) constituent des données utiles pour l'anayse du travail intel-
lectuel et de TeiTort mentaL
8" M* le D'' CasarI>îi a présenté au nom du professeur PAtai^ZI une
note sur un ergographe crural quiapermisde prendre au laboratoire de
rUniversîté de Modcne de très intéressantes courbes de la fatigue
produite par des mouvements volontaires ou involontaires,
0** M A.Casariki a fait en commun avec le professeur Patrizzi une com-
munication sur les relations des drfTérents types de réactions vaso-
motrices avec les types de mémoire et l'équation personnelle^ Certains
524 REVUE PHILOSOPDIQCE
individus réag-îssent plus rapidement et plus fortement par des modi*
fication^ vasculaires à certaines excitations sensori relies qu'à certaines
autres; ib appartiennent donc à un type vaso-moteur délerminé, Cei^
t^pes vaso-moteurs sont en corrélation la plupart du temps avec 11]
forme de ta ménjoirer les visuelâ réagissent mieux auit excitatiûm-i
OplîqueSp les auditifs aux excitations acoustiques. Il existe cL'^ûlemint
une relation entre la durée des temps de réaction, durée qui diffère
d'un individu à l'autre, et la rapidité des réactions vaso-motriees : le*
deux phénomènes varient de fa même manière, le tempi des réactions
est court chez les individus chez, lesquels la réaction vaso-motric* e«t
rapide^ et inversement^ Les sujels chez lesquels les oscillation^^ dins
la mesure de Téquation personnelle sont les plus nombreuses ci lea
plus marquées sont ceux aussi qui présentent les moditîcations vaâcn*
1 aires spontanées les plus marquées, et inversement*
10* Le prof, Rob, Nommer a présenté deux appareils destinés k enre-
gistrer graphiquement les mouvements volontaires et involootiàres
des membres selon les trois dimensions de l'espace simultanément
L'un d'entre eux est destiné a l'analyse des mouvements desdoij:tÉ*e(
en particulier de toutes les espècea de tremblements et des mouvejnent*
délicats et peu marqués d'expression* Tautre à celle des mouvenjentî
de la jambe. Il a présenté aussi un appareil destiné à la mensuration
des variations de diamètre d© la pupille qui peut être de grande uîîlîï*
pour Tétude des réactions organiques dues à Tattention^ à la dou«
leur, elc, et un appareil pour la détermination exacte du commencé'
ment d'une excitation lumineuse.
11" Le D^ VoGT a fait une communication sur les modiftcaliona que
subissent les courbes respiratoires sous l'influence des émotions* \M
courbes obtenues sont différentes de celles que Ton obtient sousHn-
lluence du travail intellectueL
IV. — PsvcHotor.iE DE l'intelligence
ET DES FONCTIONS ÏNTELLHCTUBLLEH,
1*^ M. Ed. Clapabèpe a exposé la nécessité de donner une définitic»u
précise de la perception qui permette de régler remploi de ce terme ft
de l'appliquer soit exclusivement à rappréhenalon des complexus psy-
chiques qui impliquent un élément spatial actuel , soit d'une manière
générale à celle de tous les groupements d'éléments mentaux, qui sont
représentés dans la conscience comme ne faisant pa^^t partie du moi-
Il serait désirable qu*à la suite d une entente entre les p^ijchologues
des divers pays une série d'équivalences fut établie entre les terpes
qui désignent cette fonction mentale dans les dilTérentes langues; il
serait d^aillcurs à souhaiter que toutes les expériences psychologiques
pussent ainsi être identifiées^ M. Goblot s'associe à ce voou, ^ous b
réserve que cette terminologie ne serait point une terminologie imposé
et fixerait seulement le sens habituel et le bon usage des mots.
MARILLIEH. — CÛNGRÈS OTEHYATIONAL M PSYCHOLOGIE 528
, 2** M. Ahït inBisle sur l'utilité de réintégrer à In baie de la perception
la notion d'ef^paco^ parce que seule sa position dans respace peut iridî-
ifiduiiHser une reprësentation et permettre d^oppoaer nettement^ comme
ils le sont dans les faïta» le percept de l'individu au concept du genre
lEt d'établir rantériorité logique et réelle du premier» îl voit dans les
tentatives de réduction de Tespace au temps une survivance des
« préjugés associaiionistes ». Pas plus raclion que la sensation ne peut
nous donner Tespace, elle n'eat qu'un moyen de le mesurer. L*idée
spatiale n'est pas un réaultat du processus perceptif, elle en est le
tond même. On ne peut donc réduire la perception à un acte d'organi-
sation de notre présent avec notre passé, c*est-à-dire, au fond, à une
opération de classincation autom^itique, ni dire que Tesprit commence
par une manière de penser qui n'est ni gonérale, ni particulière, mais
générique et dont naissent comme d'un tronc commun la perception
réfléchie des individus et la conception réflochie des genres.
3^ M, J. Ph[lipre indique les modifications que Tétude objective des
phénomènes psychiques et en pîirticuUer des phénomènes intellectuels
oblige a apporter dans la notion de la conscience; cette étude met en
«fîet en évidence ses erreurs sur la durée des événements mentaux et
leurs modalités. Son domaine» déjà réduit par la critique kantienne»
iemble encore se limiter, lï semble nécessaire de refaire, maintenant
que nous connaissons mieux le contenu de Tesprit et ses lois, cette
classification hiérarchique des fonctions mentales qu'avaient arrêtée, en
se fondant sur des données incomplètes, les philosophes écossais. Ils
levaient attribué à la conscience une sorte de prépondérance que peut<>
être elle ne possède pas,
1*> M. KiiEtBiG a établi par une analyse minutieuse du concept d'er-
reurs des sens {Sinne$taûschung} que toutes les erreurs do perception
étaient réductibles à des erreurs de justement; ce jugement perceptif est
d'ailleurs, en la majorité des cas, un jugement implicite et inconscient.
L'erreur résulte des conditions inaccoutumées (t/ngêwd/tn^c/i^etr) ou
i^est produite la perception.
5*^ M. Tabbé Denis a présenté une communication sur la croyance et
pur la place qui lui revient à côté de la raison réfléchie et de Tt^xpé-
rience scientifique dans lensemble de nos moyens de connaître. Il
nsiste sur Timportance que lui confère la notion de la relativité de la
connaissance rationnelle et sur la valeur éducative qu'elle possède.
Elle se distingue de la logique en ce qu'elle ne passe pas par la pro*
pression du jugement; c'est un acte qui engage tout Tètre et qui se
trouve à la base de la pensée scientifique comme « des croyances »
tïjorales et religieuses.
6* Le Prof. H. BEHasON dans une note sur la conscience de Veffort
tnteUeclnel a cherché à mettre en lumière les trois points suivants :
1° tout travail intellectuel, consiste à aller d'un schéma à une image
ï* dans tout efTort intellectuel, il y a une lutte ou une composition entre
des images multiples et analogues qui essayent de s'insérer dans un
826 KEVUE PHILOSOPHIQUE -
seul et même schéma, les unes no le remplissant pas tout à fait, lei
autres le dépassant jusqu'à ce qu'enfin la coïncidence de Timage avec
le schéma soit obtenue; 3^ ce moucement tout spécial d*images nous
donne une impression sut generis qui doit entrer pour une large part
dans la conscience que nous avons de TefTort intellectuel.
1^ M. E. Anastay a communiqué trois curieuses observations prises
sur lui-même, sur Tassociation subconsciente des images, des mots
et des actes, dans le rêve et à Tétat de veille.
8<> M. II. Pii^RON a tenté un essai d'explication de cette extraordinaire
rapidité dans révocation des images qui apparaît dans diverses con-
ditions mentales (les visions panoramiques des mourants, les illusions
et les rêveries des haschichés, et certains rêves). Il intervient, d'après
lui, en ces cas, l'illusion d'une rapidité plus grande encore que
la rapidité qu'affecte on réalité la succession des images; elle résulte
de la construction ultérieure en un tableau continu d'une série de
tableaux successifs. Quant à la rapidité elle-même de révocation des
images, elle s'explique psychologiquement par une orientation de
toute la conscience vers un point unique où sont attirées toutes les
images susceptibles de former avec l'image centrale un 8}'8tème
psychique cohérent. Cette « polarisation » de la conscience a pour
cause l'envahissement de tout son champ par une image unique dont
aucune image réductrice ne vient entraver l'action.
9^ M. le Prof. B. Bourdon estime qu'il y a lieu de faire une place
à côté des associations verbales phonétiques et des associations Te^
baies significatives à un troisième groupe, les associations verbales
grammaticales^ où les mots sont évoqués soit par leur identité de fon^
tion (association par ressemblance), soit par la juxtaposition habituelle
de mots analogues (association par contiguïté); c'est ainsi qu'un sub-
stantif appelle un adjectif, un verbe un complément direct, etc. Cftto
dernière forme est la plus intéressante : elle se rattache à ce fait que
dans chaque langue il existe des tendances à attribuer aux divers
mots de la phrase, selon leur nature de substantifs, d'adjtHîtifs, de
verbes etc., des positions déterminées dans la phrase. Les trois ten-
dances notées par Bourdon, qui n'a expérimenté que sur des Français
et avec des mots français, sont les tendances : substantif — adjectif,
verbe-objet direct, et verbe-adverbe. Chez certains individus cette
forme grammaticale de l'association verbale est beaucoup plus marquée
que chez les autres, et on peut même constater l'existence d'une ten-
dance spéciale chez diverses personnes aux associations grammaticales
par contiguïté.
40° Professeur P. Sokolov. L'inclividuation colorée. M. Sokolova
observé deux cas où des personnes, par un processus analogue à celui
de Vauclitioyi colorée^ traduisent en langue chromatique les indivi-
dualités humaines, les caractères, les qualités intellectuelles et
morales. C'est ainsi que l'un des sujets observés éprouve lorsqu'il
pense à une personne de haute valeur intellectuelle et morale l'impres-
MARILLIER, — CONGRÈS INTERXATIOWAL HE PSYCtlÛLOGlE S27
sion de la couleur bleu foncé, et lorsqu'il pense à une personne
médiocre celle de ta couleur jaune. Ces images chromatiques ront
objectivées bous la forme de nuages colorés. Chez Fautre sujets elles
demeurent purement înlernes. Leâ couleurs sont d'ailleurs partielle-
ment différentes dans les deux cas. Cette personne se représente aussi
chromatiquemen t cerb inea idées gêné raies , comme la loi et la force , L'au-
teuf a constaté aussi des cas de représentation chromatique de Vindi-
vidualité littéraire de tel ou tel écrivain ou du sentiment qui domine
dans Tune ou Tautre de ses œuvres. 1! fait jouer dans la g'enèse de
ces phénomènes le rôle essentiel aux associations émotionnelles, mais
il estime que la cause véritable de leur persistance el de leur déve-
loppement réside dans ce fait que les images chromatiques servent
aux sujets comme moyen d'aperception symbolique et leur permettent
de se représenter sous la forme concrète ou saisissante d*une couleur
une idée abstraite, telle que celle d*unc individualité humaine. Elles
sont pour ainsi dire des métaphores réalisées. Il pense que la même
explication ou une explication analogue pourrait s'étendre aux phéno-
mènes d^audition colorée,
U^ Le professeur Ch. Ri eu et a présenté au Congrès un enfant de
trois ans et demi dont la précocité au point de vue musical dépasse
celle de tous les sujets dont Tobservation a été rapportée jusqu'ici. 0
a appris seul à jouer du piano en écoutant sa mère en jouer elle-même
et en la regardant jouer; il sait un grand nombre d'airs et de mor-
ceaux, cherche et trouve sur le clavier des accords diffnL'tles ci com-
pliqués, et improvise en combinant d*uiie façon parfois originale des
thèmes connus; il a composé plusieurs petits morceaux, et entre autres
une marche militaire.
1^^* Lo professeur L. Bryak a exposé le résultat des recherches qu'il
a faites en commun avec le professeur Lindley sur un jeune homme
doué de facultés arithmétiques extrôment développées et qui se sont
manifestées de Vàg(^ de trois ans; c*est le Ris de très pauvres ouvriers i
il est sujet à des attaques épileptiques de peu de gravité, mais tous les
autres membres de sa famille sont normaux. L'étendue et la ténacité
de sa mémoire sont grandes; sa rapidité est surtout remarquable dans
la multiplication, elle est moins frappante dans Taddition. 11 sait mer-
veillement mettre à profit ce quil sait pour la solution de nouveaux
problèmes. Ce qu'il y a chez lui de plus remarquable, c'est la découverte
d'un grand nombre de méthodes de simplication. H peut les décrire et
dire quand il les a découvertes. Elles se distribuent par groupes et on
peut suivre son progrès depuis les règles les plus simples jusqu'à des
règles très complexefl^ telle que la règle pour (1000—7)" et d'autres
règles qui se ramènent à certaines formes du théorème du binôme. Il
ne sait pas d^alg'èbre et ne peut ou ne veut pas l'apprendre. Lee
auteurs ont déterminé les conditions où il présente et celles où il ne
présente pas cette mémoire extraordinaire et cette extraordinaire rapi*
dite dans les opérations* 11 semble que son extrême aisance à calculer
528
HEVUR PnaOSOPfllQUË
provient ûe ce qu'il a à sa disposition toute une hiérarohîe de méct*
oismea autojnatiques*.
13^ M. W, MoNRfJE a fait une communication sur les imagei oUae-
tives dans le rève« qui fait suite à un travail analogue sur les images
gustativea publié antérieurement,
14^ MileMAiiiîî BfiEUF (Camille Bo^), Contribution à la théorie psîf
chohgiqite du tempty,
Mlle Bœuf s'efforce d'établir Texistence d'un sens propre du tempa,
qui aurait sa base physiologique dans un rythme nerveux, qui nom
fournit un sentiment de notre propre corps, une cénesthé^te réiiu*
Il ère ment discontinue. Cette sensation de rythme qui existe chei
tous le«î animaux sera d'autant plua parfaite chez L'homme qu'il sf
rappj'ochera davantage de ranimai, c* est- à -dire que sera plus com-
plètement écartée l'activité supérieure de l'esprit, perturbatrice des
opérations automatiques. Cette activité supérieure» c'est esseniielle^
ment rattention^ dont le degré de puissance vteut en dernière
analyse déterminer le rythme de Tondulation de la cellule ntt-
veuae. L*unité de temps serait ainsi une unité d'aperception ou de
synthèse. Dire que le rythme de roscillation nerveuse se ralentît ou
B'accélère» c'est dire que le contenu de l'unité de temps est plus ou
moins dense ou raréfié* Ce rythme varie d'ailleurs chez Tindividu sou»
rinlluence des émotions, des intoxications^ des troubles nerveux. II
varie sans doute d'une espèce à l'autre, il a peut-être été s'accéléraût
au cours de l'histoire. C'est par rapport a cette sensation immédiate de
rythme que tout événement interne se colore d*un certatu degré de
présence. Les divers événements de notre vie, chacun affecté d'un 'ton
temporel k particulier, s'ordonnent par rapport à cette qualité^ et *ïaii
se constitue le temps psychologique qui se traduit symboliquement et
pour les besoins de la science par le temps linéaire projection dtnf
Tespace de la série de nos sensatioas internes. Les erreurs de locali-
sation dans le temps s'expliquent par la discordance qui se produit
entre le temps psychologique et le temps linéaire, lorsque le seiiti*
ment de présence, caractéristique normale du fait actuel, s'attache à
un fait passé ou a venir, ou que s^afTaiblit le sentiment de présenoé
lié à ce fait actuel. Dans le eus du temps linéaire, la localisation se f»tt
à Taide de points de repère pris hors du moi, dans celui du tcmpi
psychologique au moyen des qualités des états de eonscieuee; les diïui
atlas coïncident d'ordinaire ^ mais non pas nécessairement.
ib^ Le prof. A. Marty a fait une communication sur le double seni
du mol semblable ; tantôt il indique la capacité de deux objets ou de
deux concepts à s'évoquer l'on Tautre^ tantôt leur eapacité à se substi-
tuer Tun à l'autre. Dans la langue des géomètrca^ c est le premier §eii£
qu'il faut attribuer à IV'xpression; deux figures semblables ne peuveal
se substituer Tune à l'autre^ mais le caractère commun qui leur sert
de lien a une précision et une netteté parfaiteB : il n'est pas à peu prèi
identique dans les deux cas, mais vraiment identique. On en vieat à
I
I
I
I
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k tein
MARILLIER. — CONGHÉS IXTERSATIONAt DE PSYCHOLOGIE 529
cette oQticlusion qu'il y a deux. e«âpeœs de similitude: Tuoe qui est une
identité partielle, Fautre qui esit conâtituée seulement par deâ finalogies
pareilles à celtes qui unissent les espèces d'un même genre, U con-
vient de rémarquer que Ton aaisil la ressemblance de deux objets avant
de pouvoir préciser de quelle espèce de ressemblance il s*agit.
16^ Le prof. E, F, Buchner a insist<è sur le rôle essentiel que doivent
jouer les hypothèses dans la psychologie, ai elle aspire à devenir une
science qui expUqueet non plus seulement unescienGe qui constate et
qui amasse des faits. Toute explication scientifique est une hypothèse
vérifiée,
17" Le prof. Ch». von Ehrenfels a montré que le positivisme n'est
plus tant aujourd'hui une théorie de la connaissance, comme dans le
système de Comte, qu'une opinion ou une tendance scientifique, qui est
cependant avec cette théorie de la connaissance en une étroite relation.
Cette tendance entraine les savants a ne s'intéresser qu'à l'analyse
de leurs représentations et à la détermination des uniformités de suc-
cession qui existent entre elles. Ils ne considèrent les théories scienti-
fiques que comme des moyens pratiques de mettre dans les faits le
plus d'ordre possible et le plus aisément : ils ne les jugent qu'à ce
point de vue. L'aspiration métaphysique à la vérité absolue n'a cepen-
dant pas disparu^ mais Ton peut se demander si la tendance positiviste
ne réussira pas à en triompher pleinement. E. estime qu'elle y par-
viendra probablement, parce qu'une fonction persiste et: se développe
en raison surtout do son utilité biologique. Il n'en va pas autrement à
ce point de vue des tendances à connaître que des autres instincts, des
fonctions purement physiologiques ou de Isurs organes. Or il estcertain
que la fonction biologique essentielle de notre désir de connaître est
de réduire en systèmes dirigés verii des tins l'ensemble de nos mou*
vements et que cette systématisation a une valeur pratique de premier
ordre. Mais les tendances positives sont beaucoup mieuic adaptées
à ce rôle que les tendances métaphysiques, dont Faction dans ce
domaine ne saurait être qu'une action indirecte. Il ne faudrait pas
conclure de là cependant à la prompte destruction des instincts méta-
physiques, d'une part parce qu'ils ont eux aussi une fonction biologique
(ils constituent une protection contre l'ébranlement destructeur des
pa*ï3ions c*t fournissent à de larges groupes d'hommes le moyen de
communier en des sentiments durables) et parce que d'autre part
la fin même que se propose la philosophie positive, la découverte
d'uniformités de succession entre les représentations humaines, pos-
tulant Texistence d'hommes, membres d'une même humanité, l'en-
irainû néctissairement à se poser le problème métiiphysique du monde
extérieur. Mais st même les aspirations métaphysiques disparaissaient,
il en faudrait conclure que biologique ment elles sont mal adaptées
aux fins de rhumanité et non pas que Thomme est incapable d'at-
teindre la vérité dans le domaine métaphysique et que la théorie
Itiviste de la connaissance est vraie.
S30 REVUE PHILOSOPHIQUE
\9^ Le prof. E. von Schmidt a fait un examen parallèle des trois
grands systèmes philosophiques auxquels se peuvent ramener diaprés
lui toutes les explications de TUnivers. Ces trois systèmes sont le maté-
rialisme, le rationalisme ou spiritualisme et le spiritisme. Le matéria-
lisme est un système vraiment scientifique, parce que les explications
qu'il propose ont un caractère d'universalité et de nécessité, mais
il n'est pas satisfaisant philosophiquement, parce qu'il ne repose pas
sur un principe qui se suffise à lui-même et soit Vraiment premier. Le
spiritisme a bien un caractère philosophique, puisqu'il explique les
phénomènes par un principe qui se suffit à lui-môme, TEsprit, mais il
n'a pas en tant que système de valeur ni d'autorité scientifiques, puis-
qu'il se fonde sur les expériences particulières et encore contestées de
certaines personnes qui se prétendent en relation avec les âmes des
morts. Seul le rationalisme constitue une explication du monde scien-
tifique et philosophique à la foif<. La Raison diffuse à travers la Nature
entière arrive dans l'homme à la conscience, à la connaissance ration-
nelle de soi-même, ce qui établit une différence, non seulement quan-
titative, mais qualitative entre les animaux et lui.
20° D»" Kr. B.-R. Aars. Sieben R&thsel der Psyché. Dans ce mémoire
M. Aars cherche à déterminer quelles sont les questions essentielles
qu'oblige à se poser la dualité du moi et du non-moi, et à fixer si j'ose
ainsi parler, les frontières du moi, qui se ne confondent pas avec les
limites du psychique, ni avec celles de l'interne par opposition à
l'externe. Il étudie les différentes formes de projection du moi dans le
temps et l'espace, projection qui fait plus flottantes les limites de l'âme
individuelle.
210 Mlle M. Patrick a trouvé dans l'histoire même du scepticisme
antique la démonstration de l'impossibilité psychologique de s'en
tenir au point de vue du scepticisme et de ne pas glisser des affirma-
tions dogmatiques dans un système, ce système fùt-il celui de Pyrrbon.
V, L'individualité et la personnalité.
La volonté et le caractère.
1° Le R. P. Bulliot a esquissé une classification des caractères.
Il a déterminé huit types principaux coordonnés et non pas subor-
donnés les uns aux autres et qui sont constitués par un ensemble de
particularités structurales et fonctionnelles, à la fois physiologiques
et psychologiques, qui se présentent dans la grande majorité des cas
liées les unes aux autres. Les traits psychologiques essentiels du carac-
tère inné sont toujours dans la dépendance étroite du tempérament et
de \3i structure osseuse et musculaire de l'individu. Psychologiquement,
ce qui constitue un type, c'est la prédominance marquée et parfois
exclusive d'une fonction ou d'une faculté simple sur toutes les autres.
Les huit types admis par le R. P. Bulliot sont les suivants : ïhomme
primitif ou homme de labeur, caractérisé par la prédominance des
MARILLTEH^ — CONGRES ÏWTERWATIONAL DE PSYCHOLOGIE S31
instincts pfimiUfs et avant tout par la prédominance de la conservation
individueUe au moyen du travail quotidien; 2^ Vimii{iinalif à iniagi-
rtalion pùëilive et rèiH^Ui^e, 3" WifYeviif, 4" Vnetif, le combatif, 5" Vin-
iuilif* C"* L'intellectuel rèpèchi et rni sonneur^ le théoricien^ le stjêlé*
m^iiquef le grandi volontaire^ 1" Vhomme de sens pratique. Ihomme
tocial complet et pondéré, 8** le TELtjonnanl^ le tjrmid entraîneur
d*/iommcjs. A ces types psycholo^nquca correspondent des types
physionomiqueB dont Tauteur à présenté au Congrès d'intéresâants
échantillons.
2** M. Bernard Lehov a fait une communication sur l'illusion de déper-
gonnnlisation, 11 rapporte un cas où l'illusion durait depuis pluî^ieura
mois et ne s'accompagnait d'aucun trouble de la sensiLHlité, de Tatten-
tion^ ni de la volonté* L. rejette toutes les explications qui ont été
proposées jusqu*iui du phéuomcnc, mais il n*cn offre pas d'interprétation
nouvelle,
3» M. WjLHtXM Stebn à donné un dêUuition nouvelle de la liberté* Il
estime qu'il faut maintenir la notion du libre arbitre, qui est nécessaire
à la constitution d'une morale scientifique et positive, mais il rejette à
la fois la conception de la liberté d'indifférence et la conception kan-
tienne de la liberté noumênale. 11 considère sa notion de la liberté
comme apparentée à celles que s'en sont formées Herbart et Benekc,
mais il estime^aveo raison ^ qu'elle s'en distingue nettement. Pour lui,
la liberté, c'est la prédominance conquise par les forces psycliiques»
stables et générales, d'origine liéréditaire, sur les incitations momen-
taoées du dehors. Ces forces peuvent appartenir aux sphères de la
pensée et du sentiment comme à celle de la volonté : le type en est
rînstinct, 6Î elles triomphent d'excitations actuelles qui peuvent être
plus intenses, c'est parce que les voies nerveuses sont plus perméables
aux irritations physiologiques qui leur sont corrélatives. Si Tanimal,
qui n'en est pas d'ailleurs totalement dépourvu, a cependant en partage
une moindre liberté que l'homme, c'est qu'une ciasse importante de
ces forces, les forces rationne lies » est chez lui à peine représentée.
Mais il ne faut pas méconnai>re que dans Thomme même les instincts
constituent un élément essentiel de la volonté libre.
4'^ Lk P. Pëili^aube, dans .une coutmunication sur lo péri pâté tlsme
et la psychologie expérimentale, montre que la raison de la sympathie
intellectuelle qui rapproche les uns des autres les savants qui appar-
tiennent à ces deux écoles provient du choix commun qu'ils ont fait de
méthodes de recherche qui présentent un caractère objectif.
5** M, K CAftUS expose qu'il faut rechercher Tidentité du moi et sa
continuité dnns la persistance de sa forme. C'est cette forme qui cons*
tituc la personnalité; peu importe que Tindividu périsse; son moi n'en
persiste pas moins en sa forme dans ce grand tout qu'est l'humanité.
Sa personne dure après sa mort, comme elle durait au milieu deti
changements matériels constants que subissent pendant la vie les élé-
ments matériels qui constituent son corps. L'immortalité de notre
53i RBVUE PHILOSOPHIQUE
personne est réelle de la même manière que Test notre Identité tu
cours de notre vie individuelle.
6" JL Durand (l>b Gros) îi tenté de mettre en lumière le caractère
arliûciel de la limite qu'on veut tracer entre la payçholagie et la meta-
phy Bique. 11 estime que la psychologie expôrimeîitaîe, ea affirmant k
caractère original des phénomènes psychiques, est déjà mctai>h\*siqtie
quelque peu et soutient qu'il n'y a nulle raison de s arrêter n\â point
où elle a cru bon de fixer à ses recherches des bornes qu'elle s*inierdit
de franchir. Il a monlrêpar des exemples comment en partant des faits
biologiques et psychologiques acquis à la science, on peut tenter de
construire une métaphysiqne de l'esprit et il a exposé à cette occasioo
une fois de plus les idées, développées déjà en plusieurs de ses ouvra-
ges, sur la structure monado logique de runivers et sur le polyzoiamt?
et le poly psychisme animal et humain*
VL PsYtHOLOûïE DE L*ENFAKT ET PÉDAGOGIE.
!* M. le D' J. Philippe a communiqué une observation qu'il avait
eu roccasiou de prendre sur les mouvements d'un fœtus de 22 semaiaei
qui a vécu à peu près un quart d'heure après son expulsion du corps dt
la mère, lï avait été placé dans un bain d'eau tiède. Les mouvementî
constatés sont des mouvements d* extension et de flexion des jaïnî>e«,
des mouvements des bras, des mouvements des mains, qui faisaient l«
geste d' »t ae:ripper n. Il réagissait par de vagues mouvements de
défense aux contacts un peu rudes. D'ailleurs rcpui&ement venait trèt
vite et il fallait un repos d'une demi-minute pour obtenir par TeKCi-
tation d'une même région une nouvelle réaction. Le temps dVxcitation
était benucoup plus considérable que cheï le nouveau-né normaU On
a pu constater une prédominance très marquée des mouvements de
préhension de la main droite»
2^ M. N. VASCHinE a apporté au Congrès le résultat des rechêrcbei
qu'il a entreprises sur 11 magi nation créatrice chez les enfants. Soa
développement, n'est pas, d'après lui, corrélatif du développement de
la mémoire; elle n'est pas imitative ni conscieinment constructive.
Elle est apparentée de très prè^î au rêve, et ses créations apparaiss^^at
aussi réelles a la conscience de Tentant que les événements même dont
il est témoin, ^on fonctionnement très actif précède le développement
du langage et elle est tout d*abord incoordonnée et à demi déUraote;
rindéci^ion de la perception et la conTusion des images sont au nombre
des facteurs essentiels de sa genèse, mais elle a sa cause dans un besom
de créer qui semble une impulsion héréditaire* M. Vasehide a insisté
sur les relations qui unissent le mensonge à rimagination créatrice^-
3*^ >L C, SUHLTYTEx, en mesurant au dynanomètre la force musculaire
des élèves des écoles d'Anvers [filles et garçons) durant une anuéei a
pu constater que cette force^ oomme la capacité d'attention^ était sujette
à des variations saisonnières qui se présentent avec la régulariti
MARILLIER, — COXGBÉS INTERNATlorc.VL DE PSYCHOLOGIE 533
d'une loi. Les enfanta sur lesquels il opérait étaient âgés d'une dizaine
d'années.
4" M. A. Netchaeff à fait une comnaunîeation sur le développement
de la mémoire che^ lea écoliers. Les recherches expérimentales aux-
quelles \i s'est livré dans les écoles de Moscou lui ont permis d'arriver
aux résultats suivants : t' Lea diverses formes de mémoire sur Jes-
quelles ont porté ses expériences se développent à mesure que Tenfant
grandit. Cet accroissement subit une sorte d'arrêt à Tâge de la puberté*
2^ La signiti cation des mots exerce une très grande influence sur leur
rétention* :i>' Il existe une remarquable analogie entre le développe-
ment de la mémoire des mots abstniits et de celle des chiffres, i'' La
mémoire la plus développée est îa mémoire des objets et celle des
mots qui désignent des sentiments i la mémoire la moins développée
est ta mémoire des chiffres, ti® Les garçons ont^ relativement aux lilies^
une plus forte mémoire des impressions sensorielles directes (objets
et sons ou bruits)^ les filles une mtnileure mémoire des chilfres et des
mots, C*est entre onze et quatorze ans que ditTèrent le plus Tune de
Fautre la mémoire des filles et celle des garçons.
Les diverses sortes de mémoire subissent avec Tâge des chang^e-
ments : les écoliers de neuf à onze ans, par exemple, retiennent malai-
sément les mots qui expriment des sentiments; leur mémoire pour les
mots de ce Lie catégorie est plus faible que pour les chiffres môme. Au
moment delà puberté, il se fait à cet égard une profonde modilication ;
cette mémoire spéciale subit un rapide accroissement, chez les filles
surtout, où elle se développe plus vile que celle des mots abstraits*
Au même moment la mémoire des représentations tactiles et muscu-
laires prend (surtout chex les illles) un très rapide développement*
Chez les lilles le développement de la mémoire des chiffres précède
Hcelui de la mémoire des objets et des sons inarticulés. Mais il faut
remarquer que dans ces deux derniers cas la difficulté de retenir
rimpression visuelle ou auditive se complique de celle de trouver un
nom au son ou à l'objet, M. Neschaeff a constaté que les élèves qui
présentaient la plus grande cap.icilé pulmonaire et la plus grande
force dynamométrique étaient aussi ceux qui avaient la meilleure
jjnémoire,
5" M, Je D*" Chaillous s'est attaché h déterminer la piirt qui revient
à rhérédité et celle qui revient à la cnnti»gîon dans îa constitution des
perversions morales de Tenfanl. 11 fait une place impor taule à ce qu'il
appelle <t l auto<ontagion >». « Le vicié répète et varie à rinlini dans
9on imaginalion Tirnage de l'acte vicieux, et la multiple série de ces
images produit sur ses aptitudes mauvaises un véritable entraîne-
:xnent. b L*éducatton, qui doit guérir ou améliorer ces enfants, devra
consister à substituer à Timage de Tacte vicieux l'image de Tacte moral
et à constituer des habitudes qui puissent inhiber les tendances aux
actes coupables. De là la nécessité d*é)oigner des enfanlîi toute occa^
«ion de contagion et de donner à l'exemple et aux récits concrets ta
S34
nKYUH Î^HaoâOPIlIQUE
place essentielle dans leur éducatton, qui se rapprochera autant qut;
possible dans les premiers temps d*iine sorte de dressage, d'entrtinc-
Daeut. M, Chaillous tire de ces prémiBses psychologiques des codcIu-
sioes pratiques pour rorgantsation descolooies péniten tiaires d^eofants.
VIL — PSTCaOLOGIE SOCIALE ET CBIMIPTELLE*
M. G. Tarde, présîdeni de la saotion, a défini daos une allocuLiOQ
Tobjet de la psychologie sociale ou interpsychologie et esqutgsc sa
méthode.
i" Fr, EuLENBURti* — Le problème de l^ psychologie mciale.
Par psycholog'ie sociale, il faut entendre Tétude de ces phénonsènes
psychiques qui ne prennent naissance que dans le contact da plti*
sieurs individus réunis en un groupe plus ou moins sUîtle. La
Vôlherpsychologie a été une prcmii?re tentative pour conslituer cett^
science nouvelle, mais elle a arbitrairement limité son domaine i
Tétude du langage, des coutumes et des mythes, et s>st spécialemeai
attachée aux formes les plus basses et les plus simples du dévetop-
pement de rhumanitè : elle n'atteint d'ailleurs jamais directement lei
processus psychiques eux- mêmes, mais seulement lea phénomènes
extérieurs où Ils s*obj activent. La psychologie asociale ne se conrond
pas non plus avec la psychologie des foules, qui étudie la répétition
d^uo même phénomène chez des individus différents en raison de lear
juxtaposition et non Ici création de sentiments et de pensées vraimeûl
nouveaux, création qui implique l'organisation du groupe. Toute h
vie sociale s'offre ici comme champ d'observation avec les groupenn*nts
divers qu'elle entraine : familiaux, nationaux^ professionnels, etc. On
aura à déterminer quelle intluence est exercée par 1 étendue dti
groupe ^ par sa nature, par sa stabilité, par la fréquence des relaiioâi
entre ses membres» sur les idées et les sentiments collectifs, las modi-
fications qu^amènent dans les états internes les changements des
conditions externes et la réaction exercée par les transformations dea
senti ments conoctifs sur la structure du groupe et ses relatiani
avec d'autres groupes. Les lois de la psychologie individuelle se
vérîlient dans le domaine de la psychologie sociale : elles doivent subir
seulement une transposition; les lois d'association, et de contraste, U
loi de Fechner, les variations du champ de la conscience, les phéEtt)-
mènes de fatigue, etc» ont leurs parallèles dans les processus p»ycbi*
ques dea groupes sociaux.
2** Le Vmf. A. UtiOPPALÏT fait de la psychologie collective ou
psychologie des foule» un rameau détaché de la psychologie sociale,
qui est constituée essentiellement par la VOlkerpsychologie uu fùlkhre
d'une part et d'autre part par Tétude de la genèse des senlinient^
et des idées qui se produisent aux sein des groupes orgnaîôés
par Taction et la réaction des individus les uns sur les autres et
Texamen de rinlluence exercée par ces phénomènes sociàUl sur lef
MAHILLIER^ — IlortGRËlS mTERÎIATlo:ïAL DK PSTCFIOLOCtB
esprits indîvjdaels. Il cûnaidère ces diversea sciônoes comme des
disciplines auxiliairca de la sociologie. Il considère que rerreur dû
méthode commise en ce domaine a été l'application directe à des
phénomènes d'un autre ordre des lois de la psychologie individuelle ;
il blâme aussi la création de ces entités, telloa que Tàme des peuples
Faspect de la race, etc. qui no laissent pas réduire aux actions et
réacUons des éléments constitutife des groupes, mais auxquels on
Bembtc attribuer une sorte d'existence transcendante par rapport aux
consciences individuelles.
3^ M, Cn. KuNTE estime qu'il y a Heu de constituer sous le nom
d*ergologiê une science spéciale qoi traiterait de Faction de Thomme
sur son milieu et des transformations psychiques que cette action
même, qu'il exerce intentionnel le ment sur les choses et les êires qui
Tentaurent, amènent en lui,
i° M. ToMTO Takkbé a présenté une classification des tendances qui
constituent les facteurs essentiels dos phénomènes sociaux. L'action
des causes extra-humaines est pour lui secondaire et indirecte. Il fait
àoôté des tendances une place aux intentions et aux diverses formes
d*idéal. Les tendances sont divisées en individuelles et sociales; les
tendances f^ociales sont divisées à leur tour en tendances naturelles
ou a priori et tendances artilicielies ou a posteriori.
5° M. le prof, F. Schultzk expose le plan très complet d^une étude
psychologique des non civilisés. C'est la tabïe des matières d'un livre
qu*il vient de publier ', En voici les principales divisions : L l.^iiUelli-
gencedu sauvage. IL La uolonté du saunage. îll, Histoire naturelle de
Corigine de l^ religion. IV, Évolution de la morale.
6* M* A. Maetbès assigne pour origine à la justice pénale la ven-
geance, privée d'abord, puis publique. Il retrouve dans le duel
les traces de rancienne justice privée. L'idée de vengeance a fait
place à celles de Texpiation et de la dette du coupable envers la société,
mais elles sont périmées à leur tour, La peine ne doit plus être
qu'éducative pour le coupable et protectrice pour la société; toute
idée de vengeance ou même de réparation doit disparaître de la
iustice pénale.
1"* M, Ed. Reich attribue comme cause essentielle à la criminalité et
au vice rorganisatïon de ta eociéti^^ qui repose sur la libre concur-
rence et l'appropriation individuelle, 11 estime que la constitution
d^un système de mutualité altruiste les ferait disparaître.
Ô" M. N* de tîEELAND, s appuyant sur les données fournies par la
statistique criminelle de ta Russie d'I^urope durant une période de
cinq années f l8H9-t)3)^ est amené â conclure que la plus faible crimina-
lité de la femme n est pas attribuable à des causes accidentelles ou
i^ Pxychoïoffie der f^aiat'vëlkt^T. Entit'i^^^iungpxt^eholijQisch^ Charakiet^islik fier
NaiiH'tïtitmchen in inleliei^tuellei*, ^sthetiticht;i\ eihincher und reliffidset Bêziehun*j .
EtAc natUfîîche SchÔpfuiifjiie3i:hichie memchUchen VQrsieiUtiSj Wollens und
Glauhens. Leipzig, Ydt. tOÙO.
536
REVUi rflILOSOPHIQUE
socmksi mais à sa moratlté sapérteure, à sa sobriélé, à sa patienc
pluâ îj^randes, à sa plus grande assiduité au travail, à sa plus g^randfi
capacité d'aimer, au développement eniin qu*a chez elle 1 espri^
religîeujE.
vni. — Esthétique,
I" Mlles V. Pagbt (Vervon Lee) et C. Anstruthbr Thomsoî* ont
fait une communication sur le rôle joué par le**! sensations musculairef
et viscérales dans la perception esthétique visuelle. Leur thèse, qui
te pose s u r d es ex péri en ce s i nt ro s pect i ves t rès nom b r e uses, c o n^îste à
soutenir que le plaisir ou le déplaisir esthétique qui se rattache h la
perception visuelle complote (c'est-à-dire beaucoup plus compîeîte tt
plus profonde que le simple acte dldentification) d*un objet quelconqïiii,
dépend, non pas seulement de l'activirê de Tor^ane visuel et dei pro-
cessus musculaires qui lui sont associés, mais de la partie ipaiion h ta
perception de quelques-unes de^ fonctiotjs les plus importantes de toul
rorganiame : la respiration, la circulation, Téqui libre, les adaptations
motriceiï du corps entier, fonctiotis dans lesquelles il se prodm't des
changements favorables ou défavorables selon la nature des synthèses
visuelles et des éléments qui les composent. Cet état particulier des
sensations internes et musculaires n'est point un effet de rémotloo
esthétique agréable ou désagréable, mais sa cause et son explication,
et peut-être même un élément de cette émotion même. Ces éîémenU
moteurs interviennent dans la vision pour nous donner la perception
des rapports de direction entre les lignes, des rapportai spatiaux et
dimensionnels et des qualités pour ainsi dire rythmiques des olsjets.
Cette parlicipation se révèle par Tétude de sensations de différeote
nature (des sensations mi métriques entre autres) plus ou moins loca-
lisées, synthétiques ou rudtmentaires dont quelques-unes semblent
accusées par le langage métaphorique généralement appliqué àUi
objets visibles, tandis que beaucoup d'autres ne peuvent être démêlées
qu'expérimentalement des impressions esthétiques complexes où ellei
se trouvent engagées* Un questionnaire détaillé est annexé à ce
mémoire* Son but est de soumettre au contrôle d'un examen plw*
large et plus rigoureux à la fois les faits sur lesquels se fonde cetl«
thèse, de s'assurer si les phénomènes observés n'appartiendraient pi'«
à la catégorie des idîosyncrasies exceptionnelles (comme les phént?-
mènes, par exemple, d'audition colorée), et si, d*autre part^ ils ne sool
pas restreints aux sujets appartenant d'une manière presque exclusivS
au type moteur» et de déterminer enfin quelles relations existent entr*
la capacité de ressentir rémotion esthétique et le fait d'appartenir ïi C@
type,
'* M, Cb. Rot,LAND indique les quatre principaux points où se devrait
Iquer, d'après lui, ki psychologie expérimentale pour fournir à 1^
jue esthétique des éléments pour la solution des divers problèmes
HAHILLIER, — CONCHÏ^S IM'ERWATÏONAL DE rSYCBOLOGlK 537
qui sout de son domaine. Ce sont 1* l'étude des variations de la sen-
sibilité avec les clîmals et les races^ 2^^ Tétude du sens eBtbétique
lui-même (détermination de la part de chaque ordre de sensatioas
dans la formation de la sensibiitté esthétique, variations qu'il subit
sous rinlluence des émutioriB qui les accompagnent, examen de ees
modalités diverses chez l'artiste créateur, le public, la critique, Tin-
terprète (acteur, musicien ou danseur), 3" l'étude des relations de
Finstinct sexuel et du sentiment esthétique, 4" Tétude du rôle de L'an-
thropomorphisme et du sentiment de la nature dans la genèse du sen-
II timent de Tart et des a*uvres qu'il inspire.
^ft 3* Le Prof. V. Basgh réduit à trois catégories principales les multi-
|^"ples éléments qui entrent dans la composition du jugement esthé-*
tique : les facteurs sensibles directs, les facteurs formels et les fac-
teurs associés. Les facteurs sensibles directs sont la qualité émotion-
nelle de la sensation, qui est d'autant pluîs agréable qu'elle procure un
maximum do stimulation avec un minioium de fatigue; les facteurs
formels sont représentés par le plaisir intellectuel que cause la per-
ception de la liaison du divers ou de Tunité dans la multiplicité; les
facteurs associés sont les sentiments de plaisir que nous associons
directement ou indirectement à la contemplation d'un objet de la
nature ou de Fart. Le caractère commun de ces divers facteurs, c'est
que ce sont des sentiments de sympathie symbolique qui nous font
participera la vie d êtres infiniment éloignés de nous par le temps et
respaceT et conférer la vie qui est en nous à des objets inanimés*
i Envisagea ce point de vue^ le sentiment sensible direct résulte d'une
sympathie entre notre système nerveux et les excitationâ extérieures,
le sentiment formel d'une sympathie entre la loi primordiale de notre
entendement et les formes des êtres et des choses, et enfin le senii-
ment associé dune sympathie entre les événements propres de notre
Yiô et Ses objets actuels de notre contemplation )k De ces sentiments^
unis dans le justement et le plaisir esthétiques en un faisceau, seuls
les sentiments sensibles directs et les sentiments formels peuvent
prétendre à être universellement partagés. Les sentiments associés,
au contraire, sont essentiellement instables et leur «i communicabilité »
dépend d*uu acte de sympathie reconstructive qui exige des connals-
satiees et une plasticité de l'Imagination dont la moyenne est inca*
pable et qui sont limitées, même chez l'élite, à des époques et à des
formes d art déterminées^ Ainsi se résout rantinomie qui existe entre
fis prétentions du jugement esthétique à l'universalité et les varia-
ons auxquelles en fait il est soumis.
IX. — Psychologie morbide et patholoi^ie mentale.
1** Le Prof, A. Tambuiuni insiste sur le rôle considérable joué par
les troubles des sensations et des images viscérales dans les aberra^
tions de U conscience de soi et les aberrations de la personnalité; oea
TOME u -- 1900. 35
S38
1I6TCE pHiLosonmotE
troubles ont parfoîs une origine loeale dans les viseères même;
d autres cm elles ont une origine purement cérébrale. Les centres
la conscience viscérale sont situés dans Técorce cérébrale aux poiu!
qui sont en rapport avec les appareils et les fonctions de la vie
nique, c*est-à-dire dans la zone sensori^motrice et les territoires
sinants; ces centres ont des fonctions à la fois motrices et sensitlves,
Les hallucinations viscérales ont leur origine dans la reviTÎscenee ci
Tejiagération morbide, par «n processus irritatif siégeant daoa cette
partie de Tencéphale, des images qui s'y sont emmagasinées incoD-
sciemtnont, alors que Tétat du sujet était normal. Elles provoquent à
leur tour des sensations illusoires.
ï' M. le D' J. Sl^GLAS a exposé que, sous le nom d'hallucinations psjf-
chiques, on décrit depuis Baillarger des phénomènes disparates entre
eux et qn*ll importe de distinguer; ce sont 1* des phénomènes Inter-
médiaires à ridée et à rhallucination vraie (visions, bruits, odeurs^
goûts spirituels des mystiques), des représentations mentales vives et
précises, mats non esctérLorisées^ des pseudo^hallucinations en un moi;
2*> des hallucinattons^motrtces verbales, qui peuvent ou non s'acooffl*
pagner d^halluoi nations ou de pseudo -hallucinations sensorieUet;
3*» des pseudo-hall ucinationa verbales, le plus souvent motrices, mais
parfois visuelles ou auditives. Les discussions qui se sont élevées lur
la question des hallucinations psychiques tiennent en grande partial
la complexité et à rhétérogénéité des phénomènes compris sous tB
vocable et dont beaucoup ne sont pas des hallucinations. M* Scglis
estime qu'en conséquence c'est un terme qui devrait disparaître de l»
nomencïatu re psycb iatriq ue .
3'i Le D*^ Gustave d*Olah cherche à établir dans son mémoire fBar-
tielle Bewu&sUùsigkeit mit toiaier Amnesia) que la perte du souvenir
d'un acte n'implique pus que cet acte ait été commis iueonseiemmeBteC
sans que la personnalité de l'individu y ait eu la moindre part. Le oiS
des images des rêves si vives au réveil et qui s*efTacent si complètemeot
en peu d'instants lui parait constituer à l'appui de son opinion «^
argument démonstratif. Il faut ajouter que les actes qui sont coidip^
dans ces états prétendus inconscients ne sont jamais étrangff^,
encore bien moins opposés» à la nature psychique de Tagent; en mn
s'expriment des instincts, des tendances, des désirs inhibé» à l'ètaï
normal par des forces antagoniques. C'est ce qui se passe par esenipic
dans Tintoxication alcoolique : la condition où se trouve placé le déli-
rant alcoolique rappelle de très près celle de Tenfant dont la conscieacô
est encore pauvre en images antagoniques et qui est livrée aujc ^^'
pulsions de ses instincts* La conscience intervient dans la plupiirt (J^s
actes réputés automatiques et qui sont beaucoup trop compliqijés *'
trop nettement dirigés vers une tin pour qu'on puisse les consitîtîra^
comme une série de réflexes. Ijà où la conscience fait défaut, aîasi qt^^
tout élément représentatif, il n'y a plus place que pour des çuotr*^
tiens musculaires in coordonnées, M. d'Olah n'admet même p^is que "***
MARILLIER. — CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE 539
répilepsic larvée et le délire épileptïque il y &it mconicience ci qu'il
y ait en ces cas perte complète du souvenir. Et de même qu*il y a con-
servation du moins partielle de la conscience, il y a conservation aussi
sinon du caractère même de l^indïvidu, du moins de certains éléments
de ce caractère, qui à Tétat normal demeuraient» et pour lui comme pour
les autres, dans la pénombre* Un être ne peut réagir que conformément
à ce qull est, M. d'Olah va si loia en ce sens qu*il tient pour impossible
qu'un sujet hypnotisé accepte des suggestions en tout opposées à ses
sentiments et à ses désirs,
4° M. le C" Truelle a communiqué Tobservation de deux cas
d'amnésie continue, consécutifs lun à une attaque épilepti forme,
Tautre à une intoxication par Toxyde de carbone. Aucun des deux
malades ne présentait de stigmates hj^stèriques,
5* M* le professeur Pierre Janet a communiqué Tobservation d'un
cas de respiration du type de Cheyne-Stokes chez une hystérique. Il a
constaté que le réveil de Tac ti vite cérébrale chez cette malade et le
rétabli^^sement de sa capacité d'attention modifiaient son rythme respi-
ratoire et le rapprochaient du rythme normal.
tî" D^ J. P. n.\RTENBERci, Sur la, névrose d'angois&e (Angstneurose),
Freud la considère comme le terrain propice sur lequel se développent
les obsessions et tes phobies. Or il est à remarquer que les symptômes
par lesquels elle se manifeste consistent en désordres vasculaircs et
nerveux qui sont placés sous la dépendance du système nerveuit sym-
pathique. Elle apparaît donc comme une névrose du sympathique, et
étant donné le rôle que joue le sympathique dans la vie affective, on
serait amené à la regarder psychologiquement comme une névrose
émotionnelle spécifique. On ne saurait dêâ tors s'étonner qu'elle soit à
la base des obsessions et des phobies. On retourne ainsi uixx concep*
lions de Moreh II y a là un argument clinique en faveur de la doctrine
qui accorde ta priorité à la vie aiïective et assigne aux émotions un
caractère organique. L'angoisse est ici le phénomène primordial et elle
n'est que la traduction dans la conscience des désordres vasculaires
et viscéraux conditionnés par la névrose du sympathique. Les phobies
ont un caractère dérivé ; elles ne sont que les formes intellectuelles et
Imaginatives que révèlent ces état affectifs. Aussi la suggestion n*a*
t>elle pas de prise sur elles.
7" M. le D^ P, Tesdorff, a montré de quelle importance était pour
le psychiatre, au triple point de vue du diagnostic, du pronostic et du
traitement, la connaissance du caractère du malade qu'il a à soigner
Le caractère du patient imprime à la maladie une phyc^ionomie spéciale
el qui pourrait tromper sur sa nature et ^a gravité, si Ton ne savait
quelles sont la constitution psychique et les réactions habituelles de
celui qui en est atteint. Mais pour étudier scieûtiliquement un carac-
tère particulier Jl faut être en possession d'une bonne classi il cation des
eftractères, et pour pouvoir apprécier tes désordres que la maladie a
«•tés dans Tétai mental et moral d'un homme, il faut avoir nette-
540 REVCE PHILOSOPHIQUE
ment dêterfniné quels sont les traits qui appartlenneEii 3lux types nor-
maux et quels sont eeux qui sont signiiîcatifs, en dehors de toute psy-
chose définie, d une condition psychique anormale ou qui constituent du
moins une prédisposition à une affection cérébrale ou nerveuse. î/atteû-
tion doit porter dans une classification de cette espèce, sur les élénaenti
du caractère, leur nature» leur mode de groupement, la prédomioanee
de certains d'entre eux, leur accord ou îeur désaccord, leur aifiance à
être modiïiés par les influences du dehors ou leur résistance au con-
traire à toutes les aetions extérieures.
8** M, le D*" MOHTON PniNCE a présenté une communication sur un qm
de triple personnalité. Les trois personnalités podsèdent une complète
indépendance : l'une d'elles est une transformation de lasub^conscieDce
{sublimi7iat coîisciousness) du sujet; elle existe depuis son eafanceà
l'état de 8ub*conscîence et ses souvenirs sont continus depuis oetle
date» Elle n'a acquis qu'à une époque récente une totale indépendance.
Elle a écrit une autobiographie où est racontée sa vie en parallèle
avec celle de la conscience primaire. Elle a pu donner de nombreuji ren-
seignements sur les autres personnalités, qui sont, elles, des fragtûeiita
du moi normal. Cette fragmentation du moi s'est faite par désintégra-
tion. Elles n'existent pas simultanément, mais successivement elsorit
amnésiques pour toutes les périodes où elles n'existent pas comme per-
sonnalités distinctes.
D" M. le professeur de Tahchanoff a fait une communication sur ki
hallucinations ique révèlent leurs attitudes), les illusions, les pertur-
bations de caractère et les impuisiona déterminées eliez certainfis
espèces de grenouilles par T intoxication chloroforraique. Ces phéno-
mènes apparaissent au réveil.
X. -- Les états hypnotiques et les phénomènes de télépatîîik*
I** Le D"* Falk Schupp, après avoir indiqué les contributions qnfi
fournit h la connaissance des modalités de la conscience^ à la Itiéoffce
de la personnalité et à celle de la volonté et de l'instinct l'étude ^u
somnambulisme, exprime Topioion que la seule voie qui nous soit Uf-
gement ouverte pour accroître notre connaissance des phénomènes oc
cet ordre est rexpêrimentalion sur des sujets qui appartiennent à des
races où les pratiques hypnotiques et somnambuliques font partie du
culte. L'observation des cas spontanés de somnambulisme est en elï^l
mal commode et on no peut maintenir les sujets européens, quûB
a plongés artitîciellement dans le sommeil, endormis pendant àt^
périodes assez longues pour permettre de mener à bien certaines eïp
riences de haute importance. Mais pour réussir en une telle entreprise»
tDù les données fournies par la Vf'ifker psychologie et ranlhropolog'*
serviront de guides^ une organisation înternationaïe est nécessAÎre.
î^ U, le prof- Liégeois a fait une communication sur ies hallucî-
nations négutives. Le trait essentiel de ses conclusions, c*est que Ic^
MARILLIER, — COPiCRÉS INTERNATIONAL 0E PSYCHOLOGIE o4i
sujets qui semblent ne pas vDîr, t)oienU ne pas entendre, Entendent^
nsaïs qu*ïls voient et entendent inconiciemment,
3'^ Le proL Bernheim a traité de l'anesthésie hyeténque, qu*il
ramène presque complètement ti un ensemble d'auto-auggestions et
qu'il considère comme curable par su^^gestion ou par persuasion.
4<» Le D' Reeung Baouwsn présente robservatioa d'une hystérique
dont il a suivi pendant plusieurs années la maladie, ïl arrive à la con-
clusion que la caractéristique essentielle de l'hystérie c'est Tauto-sug-
gestlbilitë pathologique. Le mode de traitement le plus efficace, c'est
la psycho-thérapie suggestive, mais elle réusait plutôt à rempiacer par
d'autres moitis gênants les phénomènes morbides dus à des auto-sug-
gestions qu'à faire disparaître la tendance à rauto-suggestîbilité.
5*» Le D"' G--C* Feurari a fait une communication sur la divination
ou lecture de la pensée.
i't^ M, J,-C. Uhatterji a exposé la méthode suivie dans IMnde pour
Tctude expérimentale de la psychologie, étude où les procédés appa-
rentés à ceux des hypnotiseurs tiennent une grande place. Il insiste
sur le caractère naturel des phénomènes supra^normaux que IMnde
ofTre dL! si multiples occasions d'observer.
7^ M. îeD'' IJxnAUSSE a lu un mémoire sur le transfert hypnotique.
n a indiqué quelles sont les principales afïections nerveuses suscep*
tibles d'être améliorées par ce procédé thérapeutique et discute la
question de savoir sHl agit simplement par suggestion.
S^ M. le prof- Flournoï' indique la nécessité qu'il y a pour les psy-
chologues de profession de s'occuper de a phénomènes dits occultes,
supra-normaux, spirilîques» etc., qu*ilg ont trop négligés jusquici. Il
faut les examiner avec une complète absence de parti*pris, mais en
les soumettant à une critique rigoureuse. Il signale la tendance des
processus subconscients de mémoire et d'imagination à simuler des
communications supra-iiormales et la difficulté qu'il y à assigner des
limites à Tétendue de leur action,
9*^ M, FaÉn. W* IL M vers décrit, aous le nom devenu classique de
Trance, Tétat de sommeil apparent dans lequel le sujet peut exprimer
par la parole ou récriture des idées qui sont étrangères à sa peraon*
nalité normale et faire connaître des faits qu'elle ignore. Il arrive
qu'en cet état d'automatisme il n'y ait pas seulement modification de
la personnalité normale, mais substitution d'une personnalité à une
autre, La Trance peut survenir dans le somnambulisme spontané; elle
apparaît dans Fliystérie comme Tun de ses syndromes ; elle peut être
engendrée artiliciellement par les pratiques hypnotiques et la sug-
gestion. Ces phénomènes sont parfois simulés et les révélations faites
pendant le pseudo*sommeil sont h^ fruit d'informations adroitement
prises ; c*est le cas de la plupart des cl^iri:oyantes professionnelles;
on peut aussi se trouver en présence de manifestations morbides, ce
sont eclles qui ont été étudiées par P. Janet, Binet, Freud, Breuer, etc,
mais l'état de Trunce est compatible avec la parfaite santé. Tantôt en
S42
HËVOE Î^HtLOSOPKlÛi'Ë
ce cas les révélations da sujet, bien qu'elles eontleûnent des combi-
naisons de penâées et dUroages qu'il eût été hors d'état de réalisef
pendant la veille, ne renfernnent aucun élément qui n'ail pu venir k
sa coiinaisb^nce par les voies ordinaires : tes faits s'expliquent alon
par raulomAlisme des mémoirea sub-conscieiites et sont analog^uei i
ceux qui constituent l'inspiration du génie; tantôt ces révélations
contiennent la mention cott de faits ignorés du sujet, mais connui
d'autres personnes présentes, et qui peuvent ainsi atteindre le sujet
par léiépalhie, soit existant actuellement en un autre lieu et qui peu-
vent être appréhendés par lui par lèiesté&ie', tantôt eonn les révéla-
tions contiennent la mention de faits passés ignorés du sujet et des
personnes présentes, mais vériliables, et qui pourraient s'être con-
servés dan« la mémoire de certaincî? personnes déterminées, mortes à ee
moment et à la personnalité desquelles le sujet les rattacha en fait. Il
y aurait en ce cas une substitution temporaire de personnalité.
C*est à ce dernier type que se rattachaient les cas connus du Rev.
W. Btainton Moses et de M. Piper, c'eit à lui que se rattache le
nouveau cas, que décrit M, Myers, de Mrs. Thompson. M* Myen
explique cette dernière catégorie de phénomènes par Ja substitution de
Tes prit d'un mort à celui du sujet.
10'^ Mme W; Vehjuli. et M. le D^ van Eeoe>î ont présenté une noie
détaillée sur le cas de Mrs. Thompson. Mme V, estime que la cryplû-
mnésie ne joue qu'un rôle très secondaire dans les phénomènes dont
elle est le sujet. Mrs* Thompson est peu suggestible à T état de vidk
Mme Verrall et M. V. Ceeden ont assisté personnellement aux séao^seï
où se sont produits les phénomènes qu'ils décrivent.
11'* M. le D"" Kncausse a présenté une note sur une série d'appif^il*
cliniques enregistreurs destinés à Tétude des sujets hypnotisés el des
médiums et permettant de contrôler Tauthencité des phénomeoei
obtenus»
12*^ M. le D"" Paul Joiïie a indiqué d'autre part !a place que doivent
prendre dans rensemble des recherches psychologiques les étiidef si'î
la télépathie, la suggestion mentale, rexténorisatlon de la sensibilité
et de la force. Les faits lui semblent constants» Il faut travoiUern^'î*
pas à rechercher la cause et la nature de ces phénomènes, mais i
déterminer avec précision les conditions où ils se produisent.
{3" M* le D^ Th. Pascal a présenté une note sur la dualité des véh^'
cuîes de cùnscience. Il estime que la présence dans Têtre humain d*ti^^
conscience anormale plus étendue que la conscience normale et sup^'
rieure h elle établit la réalité de Texistence d'un substratum de ee*-^
conscience difTérent du cerveau et du sysième nerveux, U trouve d^**^^
Tanalyse des phénomènes du rôve, du délire fébrile ou toxique* der
foliCf de la possession et du dédoublement de la personnalité^ la preu^
de celte dualité de conscience. Il fait une large place aux phénomène
! i* M. G. Delanne expose la nécessité d*étudier scientifiquement l^^
apparitions qui ne peuvent s'expliquer par la télépathie et posséder^
MAHILLIER. — CONGRES lXTER?SATIOÎtAL DK rSYCROLOGlC S43
in caractère objectif (perception simultanée du mÉme fantôme visuel
par plusieurs personnes , effets physiques produits par Tapparition,
perception des visions parles animaux domestiques, etc.).
î^^ M. L* Denis en un mémoire^ où il fait riiistorique et expose
rélat actuel des recherches sur les phénomènes d'extériorisation et de
lédoublement de Tesprit, aboutit à la conclusion que les hommes de
Gience ne peuvent se dérober à Tobligation d'étudier méthodique-
[leat cet ordre de faiti*
iS^ M. le D^ Bahaduc a fait une communication sur les vibrations de
vitalité /lumaine.
L OnOAKIâATlON ou TRAVAIL PSYCHOLOGIQUE,
1" Mlle JoTEVKO a présenté une note sur le laboratoire Kasimir
Ohûlogie expérimenlale) de T Université libre de Bruxelles.
Le professeur Tomébi Tanimoto a communiqué, au Coiigrès une
otice historique sur l'évolution des études psychologiques au Japon.
:i« M, le ï}' OcHOnowicz a exposé les raisons qui avaient déterminé
la création d^un institut psychique iaternationaL T! a esquissé le plan
et indiqué le mode de fonctionnement de cette institution nouvelle.
r
Cette longue analyse des travaux du Congrès en reproduit lîdè-
ement la physionomie* Le nombre des oommunicationa d'un caractère
ares général a diminué, sauf peut*ètre dans le domaine de la psy-
chologie sociale, ta plupart des travaux portant sur des points prêcia
bl bien dé Ij mi lés.
I Deux remarques s'imposent en terminant : c'est d'une part le très
letit nombre des travaux relatifs à la VCdherpsychologie et Tabsence
lomplcLe de communications âur la psychologie animale, d*autre part
place toujours plus grande faite aux recherches sur les phénomènes
apra-Dormaux.
Le Comité international et permanent a décidé que le prochain
ngrès ee tiendrait à Home en 1904. La présidence en a été contîée
M, Luciani» recteur de T Université de Rome, qui sera assisté de
M. Sergt, vice-président et Tamburini, secrétaire général.
L. Mabilliba.
CONGRÈS D'HISTOIRE DES SCIENCES
Le Congrès d'hîstoiro des sciences s*étant trouvé ofLîciellemeTit i
taché, en qualité de cinquièinc aectiOQ. au Congrès mterualional d'hi^
toire comparée, s'est ouvert par une séance commune à toutes les se
tions de ce congi'ès. Le discoure le plus important de cette réunion!
été celui de M, Boissier, président général, qui a développé le rôkiî
riniluence de rhistoire sur la littérature et la science comparées, lia
montré que si rhistoire, par un certain coté, avivait le setîtimeiit
national, elle n'en tendait pas moins, par son caraclùre scîentilique, h
réaliser la. paix et la fraternité intellectuelle entre les peuples. — A la
suite de cette réunion générale, la section d*histoire des sciences s'es^
constituée séparément* Bile a tenu six séances au Collège de FranceJ
du lundi ^3 au samedi 28 juillet 1900. Le bureau déllnitif a été compos»^
des membres du comité d organisation : M, Paul Tannery^ présideni.
M. le docteur Bureau et M, AnihéLu-landej vice-présidentâ; M, ledM-
teur Sicafd de Ptauzoles, secrétaire.
On peut diviser les travaui: du Congres en trois groupes : l" lescoifl-^
raunieations et discussions (d'ailleurs nécessairement très restrôliît*
en ce cas) qui portent sur des points de détail de rhistoire des scitmt
et qui en sont pour ainçi dire les matériaux , 2° celles qui ont pouf
objet une question d*ordre généra!, présentant un caractère philûsi
phique, ou directement liées à des questions d'histoire de la phîlosi
phie; 3^ les veaux et les résolutions pratiques adoptés par le Congrès.
Nous indiquerons brièvement, en raison du caractère de cette Revue»
les mémoires appartenant à la première catégorie ^ nous analyserons
avec plus de détail ce qui concerne les deuv autres.
L Com//iunîc.ihons puremenf historiques, — M, Heibehg : Anâtt>'
lias sur les nombres, AnatoHus est un écrivain chrétien du in* siè
qui d'après Eusèbe, aurait enseigné la philosophie aristotéliciimn^l
Alexandrie. Il a écrit une compilation sur les mathématiques
M. Ueibcrg a découvert un fragment nouveau, contenant des s^péetS^
tiODS sur le symbolisme des nombres et lour^ vertus, des listes ^
triades et de tétrades, et eniin une citation inédite d'Heraclite, d'^
leurs peu intelligible^ sur le rapport du nombre 7 et de la lune.
M. de LoNGHAiVE présente à ce propos quelques observations sur 4*^
tribu tion des planètes aux jours de la semaine, probablement d'origi
égyptienne^ mais qui ne st^ trouve pas en tout cas dans rantiquitu cl^^
aique, antérieurement au premier siècle avant J.-C. — M* BouaNC^
de l'Université de Kiew : Sur les origines de labacus de Gerbert. -^^
M. Maiimiukn CtJATZE i Bur l'enseignement de la Géométrie au moy^
LALAI4DE. — CONGRÈS BinsTOlRE ïïES SCJENCESÏ
S45
L
\
âgé. M. Paul TAKNEHTy en présentant et en analysant ce mémoire,
dont Fauteur est absent, y ajoute le résultat de ses recherches person-
nelles, et fait ressortir le caractère exclusivement pratique qu'a long-
temps revêtu cet enseignement : on transmettait surtout des formules
d'arpentage et de jaugeage^ te plus souvent sans démonstration, et
les divisions usueUeâ de la géométne étaient TaltimétrieT ou mesure
des hauteurs verticales; la planimélrie, ou mesure des longueurs hori-
zontales, enfin laçosmométrie, on mesure tic s données coamographiques*
— M. SiAVËOBA, président du con.seil des ponts et chaussées à Madrid :
É?ur l'histoire de la numération et la première formule de résolution
des équations cubiques. Comment Tartaglia est-il arrivé à la décou-
verte de la célèbre formule qu il a exprimée en vers italiens? M, Saa-
vedra pense qu'il est parti des travaux des Arabes^ qui étaient parvenu»
déjà, comme Ta montré M, Zeuthen, a discuter d'une façon générale,
par ka géométrie pure, le cas délini par lexpreasion moderne j:^ -f p.x ^ q .
M. TA^fNERV, toutefois, fait remarquer que ces reconstitutions de décou-
vertes sont assez illusoires. Les choses, en général, n^ontpas été trou-
vées de la manière la plus simple, ni même la plus vraisemblable. De
plus, il nous est très difficile de nous rendre compte de ce qui parais*
sait simple à un mathématicien déterminé : cette simplicité dépend
avant tout d'habitudes personnelles, de la tournure d'esprit, et iictuel*
lement encore nous voyons des savante dllTérer complètement, à ce
pfïint de vue, dans le jugement qu'ils portent sur une méthode. Enfin,
il est diflicile, étant donné Tusage alors universel du secret et du mys-
tique, de savoir exactement quelles étaient les connaissances réelles
d'un géomètre. Aussi une autre hypothèse reste-t-elle possible, et
même plau.^ible : c'est qu'au lieu de se rattacher aux solutions arabes,
dont on ne trouve guère de trace au moyen âge, la formule de Tarta-
glia dérive des écrits de Diophante, qui Siwait déjà trouver deux nom-
bres en connaissant leur somme et la somme de leurs cubes.
M. 4Si£CtMUND GuNTHBR : Les systèmes astronomiques de compromis
atut xvi\ xvir et xviu*' siècles. L'auteur entend parla les systèmes qui
ont taché de concilier rimmobilité de la terre avec le mouvement des
planètes autour du soleil^ et dont le plus célèbre est celui de Tycho
Brahé. M fait connaître celui d'Alarus Orsus, un peu différent, et admet-
tant le mouvement diurne de la terre; mais quoique ce système ait été
publié avant celui de T. Brahé» ce dernier a réclamé la priorité et a
accusé Alarus Uraus d'avoir eu connaissance de ses idéesÉ II est a
remarquer, à propos de ces systèmes, d'une part, que datilée, dans ses
célèbres dialogues, ne mentionne jamais les systèmes de compromis,
peut-être pour se réserver, en cas d'attaque trop vlve^ le droit de dire
qu^l était tycho nien; et d'autre part, que le système fut adopté et
enseigné par les jésuites jusqu'au xviu* siècle, époque où le prog^rès
des idées newtoniennes le ruina déUnitivement. ^ M, Antonio Favaro»
professeur à rUniversité de Padoue ; Le a mètre a proposé comme
imité de mesure en 167^. — M. Tannery dotme communioatioo d'une
54G
REVUE PHltOSOPÎUQOB
lettre où Tillustre éditeur de Oaliiée s'excuse^ en raison de sa saaté,
ÛB ne pouvoir asBÎeter au Conc^rès^ et liL ensuite le mémûirc de
M. Favaro, Le a mètre # proposé en 1675, soub ce nom, par un astro-
nome italien, Tito Lï?io Buratini, avait pour m^ure U longueur tlu
pendule qui bat la seconde^ Les divisions usuelles devaient éire la
iDOitLé, le quart, le huitième et le sei;î;ième du mètre. Le cube de eetk
dernière division aurait donné le volume d'eau servant d'unité de pmdf^
Enfin Buratini a donné des indications précises et curieuses sur b
fabrication technique des étalons, \L de Lokgraïve fait remarquer que
Christophe Wren avait eu Tidëe de se servir de la longueur du fjeii*
dule comme unité de mesure^ mais toutes ces tentatives sont tombées
dans loubli quand on eut découvert que cette longueur était variable
suivant les latitudes. — M, ^loRiTJî Cantoïi : Contribution à rhistoire de
Gauss. Le célèbre historien de mathématiques y étudie et y compîete
la correspondance de Gauss. notamment avec WoHgung Bolyai^ fèn
du géomètre, et avec Guillaume Olbers* 11 cite en particulier uee
lettre fort curieuse de Gauss, répondnnt à Thypothèse d*Qlheri, et
s*indl^naut de ce qu'on puisse considérer les petites planètes dceou-
vertes par lui comme les débris d'une grande planète brisée (ixïrirûm-
mert) et dont la place aurait satisfait à la loi de Bode. Peut-être s*jigit-
il là simplement d'une ironie à regard des astronomes qui gardaieût
encore la croyance traditionnelle à l'incorruptibilité des corps céleste?
— M. Paul Tanmeby: Sur un manuel d'astronomie cambodgiemie. Oo
en avait déjà un, rapporté par Laloubère et étudié par GassinL Cehii
qu'a eu entre les mains M* Tannery ropète le précédent sur quelques
points et sur d'autres vient en combler les lacunes, U présente ua
caractère astrologique autant qu'astronomique. On y trouve des règles
pratiques pour calculer la longitude du soleil et de la lune au mûmeat
de Ja naissance; les astrologues cambodgiens paraissent, d*ailleursi
avoir tenu compte seulement du jour de la naissance et non de 1 heure
comme les astrologues occidentaux. La seconde partie est consacrée aaï
éclipses. On peut y relever un usage singulier qui consiste à comp'^^''
les années de Tère comme l'âge d'un homme, dont on dit qu'il a trente
ans après les trente années rét^o/ueN. Cela équivaut donc à comp^^^
une année zéro au débutde Tère, que les cambodgiens font commen<^^
pour des raisons d« conjonction astronomique au H mars 638,
M. MEuniOT : Sur la géographie de Dicéarque. Etude du « àf
phragma i*^ sorte de méridien central passant sur les côtes de TAi
Mineure et que les Grecs considéraient commedivisant en deux parti
égales le monde habité. — Le prince Nicolas Galjtzine : Les premi
expériences de MontgolOer. L'auteur donne lecture d*une série de
très écrites en 1783 par Tambassadeur de iiussie à Paris, et qui n
te ni avec un grand détail les expériences faites. Ces lettres ont
retrouvées aux archives du ministère des affaires étrangères,
Moscou* Elles sont ancompagnées de quatre aquarelles représentani
les ascensions des montgolfières avec beaucoup de précision, et don
LALANDE. — CÛXOHÈS D^HISTOIRE DES SCIENCES
547
e prince Galitrine a fait circuler des fac-siroilés parmi les auditeurs.
Mlle MÈLANtB LiPiNSKA^ docteur en médecine : Les femmes médecins
lans rautiquité. L*auteur a relevé, avec une érudition très remarquable,
|ou8 les noms de femme ayant exercé la profession médicale, qui sont
jeilés par les auteurs grecs ou la Lins ^ en y joignant des détails sur un
teertain nombre d*entre elles. Il en résulte que cet exercice de la méde-
cine par les femmes est de tradition constante et ne constitue pas une
nouveauté. — A la suite de cette communicalion, plusieurs observa-
^ons sont faites; d'abord ^ur des questions historiques de détail.
M* Paul Tannery examine la question de sa^'Oir si l'écoîe de médecine
Site pythagoricienne se rattache réellement à Pythagore; M. André
Lalande fait remarquer la dirTérence qui existe, quant aux opinions
pur les femmes, leur nature et leur rùle, entre la doctrine de Platon,
deale, rationnelle, utopiste même» favorable par conséquent à Tégalité,
Il eelle d*Ariâtote, historique, expérimentale et par conséquent défa-
vorable à rassimilation de Thomme et de la femme. Enfin, en se pla-
Knt à un point de vue plus général^ M, lo D"" Bureau fait ressortir
Hginalité et la lorce démonstrative de ce travail; it y ajoute que les
préjugés seuls ont fait croire à Textatence de diâpositiona législatives
ou même d*usage établi interdisant à la femme Taccès de la carrière
toédicale. Chargé en 18IjÛ d'une mission ayant pour objet d'étudier
^ette question dans les difTérents pays d'Europe, il a été amené à
l^onclure que rien chez aucun d*eux ne s*opposait à ce que les femmes
fussent médecins,
M. le D*^ Capitan : Résumé de rhistoire du préhistorique de la Un
i]u XVI" au commencement du xiï* siècle. Ce mémoire, très intéressant,
yéaume la marche des idées depuis Agricola de Biile, qui émit le pre-
pïier des doutes en 154G sur ta nature des haches en silex, appelées
Mers Cèraunies ou pierres de foudre» jusqu'aux travaux d'Antoine de
lussieu» qui en reconnut définitivement la parenté avec certaines
armes sauvages. Il donne les noms et les dates des principaux
ouvrages sur cette question, marquant tantôt un progrès, tantôt au
eontraïre un recuî des idées* 11 indique éi^'alement les principaux
documents de l'histoire des monuments mégalithiques, et des dépôts
paléolithiques» dont Tétude beaucoup plus récente peut être datée des
découvertes faites dans Londres même en ni.V.
IL Comtnunicûîiùns préëentai\t un caractère philosophique* — Tj»
plus ancienne, en suivant Tordre des sujets traités^ est celle de M» ANDaé
Lalande, qui a pour titre ; tt Le F,i/crius T^rmums et VinterprètSLtion
^e lanature selon Francis Bacon w. M. Lalande a tu en partie et en
|»artiê résumé cette étude, dont voici les principales idées.
Dans les ouvrage^) de Bacon, depuis les plus anciens jusqu'aux
derniers, revient sans cesse la formule inferyretatio naturœ^ qui Û gure
en aoua-titre du Novum Organum et, qui parait avoir répondu à la
pensée directrice de l*œuvre baconienne» Qu'est-ce-que cette interpré-
548
mvm PHILOSOPHIQUE
tation?Xon seulement Bacon ne la définit jamais expressément, mais
encore^ dans un certain nombre de passages, il déciare qu'il ne veut
pas le faire et que pour diverses raisons qui nous paraissent aujotl^
d'hui un peu légères, mats qui avaient p£?ut-ètre plus de force dani
Tétatde la Hcrenca au XVF siècle, il veut tenir cette formule quasi secrète,
ff intr.i légitima et optata ingénia clausa ». Il croit suivre en cehi b
tradition de touâ les anciens savants. Un de ses ouvrages cependant,
contient des éclaircissements plus explicites. C'est celui qui s'intitule:
<ï ValeriuB Terminus of Lhe interprétation of Nature, witb the mno-
lalioQs of Hermès t^lella j>. Il est ditliciîe d'eu déterminer la date,
M. Lalande a montré en passant que la formule énigmatique ins-
crite sur la couverture, et dans laquelle on avait lu jusque là lôf)3t
est une recette médicale en abréviations alchimiques, où il faut Itfie
eau diêtiilée 16 oz, c'est-à-dire Uî onces. Cet ouvrage et probable-
ment composé de fragments assez anciens, réunis en un cahier dans
la dernière période de la vie de Bacon. LlnterpréLîiïion de la nature t
est présentée sous la forme d'une série de « directions j» ou rectilles
pour produire un efTet déterminé, par exemple (a couleur blaache.
Ces recettes sont graduées en partant des plus grossières et des plut
extérieures jusqu'à la plus générale et la plu^ philosophique^, qui
repose, non plus sur des constatations empiriques, mais sur b
connaissance de la nature réelle des choses : cette nature serait une
certaine disposition géométrique des particules des corps, entière-
ment mécanique en soi et qui ne se traduit que pour nos sens, et en
raison de leur imperfection, par la perception d'une qualité sensible.
Cette idée est celle de Descartes : on ia trouve exprimée en termes
presque identiques dans le Va fe ri us Terminus et dans les RrgulsB àâ
directionem ingenii; et Tanalogie est si frappante dans le détiil
qu'elle rend très vraisemblable Thypothèse d'un emprunt, 11 n*yaaraît
pas lieu d'ailleurs d'en faire un crime à Descartes, pour qui c'était
une méthode de ne considérer les idées qu'en elles mêmes, et qui en
a usé de la même manière avec saint Augustin, saint Anselme^ Nepeff
et probablement Snellius*. — Ce ne serait pas^ selon M, Lalande, 1&
seul point où Descartes se serait directement inspiré de Bacon ■ il
cite pour le prouver une assez longue liste de passages du DiscouTî^^
la méthode qui correspondent chacun k un passage duiVociim Or^anw"*
ou du De Augmentis et qui en répètent quelquefois textuel tementl^^
comparaisons ou les expressions.
Il y a toutefois une dilTérence, autant qu*on en peut juger malg^*^
ces obscurités voulues de part et d'autre, entre la pensée de Bacon
celle de Descartiîs. Bacon a été, dans le milieu de sa vie, mécani^
et radical à la manière de Descartes ; c'est à-dire qu'il considéra |
alors les mathématiques, comme Pythagore ou Démocrite quM aim-»-^
à louer, comme fonuant lessenoe métaphysique des choses. Il semi^^^
qu'à nitisure qu'il avançait dans ses rétlexions, une certaine déliau^^
se soit fait jour dans son esprit au sujet de rintelligibilité absolue d^^
el
LALÂlfDE, — CONGRÈS DIllSTOinE DES SCJËNCES
S49
ehôses, et qu'il ait fini par adopter une vue analogite à celle du positi-
visme (le mot d'ailleurs vient de lui), qui réserverait dans la nature^
non pas des réalités qualitatives comme celles dea âcolaî^tiquea^ tnaia
tine sorte d'inconnaiEtsable limitant les connaissances humaines^ ce qui
réduirait le mécanisme à n'être qu'une méthode? au Heu d'une méta-
physique.
• M. G. MïLHAUD : « Sur un point de la philosophie scientifique d*Au-
guste Comte >, Un des traits les plus frappants do Tauteur du Cours
m* philosophie positive est la simplicité systématique de son esprit
flui fait que toute sa philosophie forme un bloc, et peut pour ainsi dire
le reconstruire en partant de n'ifnporte laquelle de ses idées, lï y a* quoi
jqu'on en ait dit autrefois, une très grande continuité de pensée dans
Ten semble de sa doctrine, même en la prenant depuis ses premiers
Jusqu*a ses derniers écrits. Et parmi les opinions fondamentales qui
animent et dirigent ainsi toutes ses conceptions^ il en est une qu'il est
particulièrement intéressant de relever : elle cotïsiste dans sa défiance
relative à Tégard du progrès et sa tendance k limiter toujours étroite-
inent d'avance le domaine des connaissancea futures.
Dans les deux premiers volumes du Coun^ de philosophie positive
H revient fréquemment sur la faiblesse de nos méthodes et de notre
BJiâlligenee. A chaque instant il marque des bornes : il insiste sur le
fôlt qu'on ne peut compter décou%Tir de nouvelles fonctions mathé-
inatiques; il ne croit pas qu'on puisse améliorer l:i solution des
équations ni créer des méthodes générales pour les problèmes qui
dépassent le 4* degré. Dès lors, bien qu'en droit il considère volontiers
^es mathématiques comme applicables à la réalité tout entière, en fait
il est convaincu que dès la chimie, et même dès les partie^i les plus
hautes de la physique générale, il faut renoncer à traitor les problèmes
par lansilyse* On peut délînir l'esprit général de toutes ces réserves
comme consistant à considérer d'une part les problèmes, de fautre les
ressources scientifiques actuellement à notre disposition, et à montrer
que les secondes sont insuîlisantes pour résoudre les premiers dans
leur généralité, w Quant à songer que les procédés eux-mêmes peuvent
ichang^er, que les conceptions peuvent succéder aux conceptions de
ielîe sorte qu'un but inaccessible aujourd'hui puisse cesser de l'être
demain, c'est là une idée qui resta loin de son esprit, o
Cette tendance statique et limitative n'a rien d*accîdentel. On peut
montrer aux contraire par quels liens logiques elle se rattache néoessai-
inent à Ten semble de sa philosophie. Dès ses premiers écrits. Comte
ie pose en réorganisateur de la société, ennemi surtout de Fesprît
erttique, désireux de tendre la matu aux catholiques, nég^ociant des
entrevues avec M. de Vil le le, se considérant comme n le vrai succès-
Beur des grands hommes du moyen âge », fortement ennemi de Tidée
révolutionnaire et purement négative qui lui sembîc avoir seule
âominé en tVance la marche des événements et des pensées depuis
p grande secousse de 1789. Or, pour que la science puisse se substi-
■
tuer Ainsi au pouvoir théologique» et organiser La sonété en tertu
d'une autorité analogue à celle de la religion, il faut que la science snît
achevée^ ou du moins près de l'être, à la fois dans ies méthodes dont
elle use et dans les vérités qu*eUe énonce. Tout le passé a été prépa-
ratoire : il a constitué des idées qui se rapprochaient de plus en jiLus^
par une sorte d'asymptote, de la vérité absolue. Des transforinatiooi
radicales ne sont plus à prévoir; les notions fondamentales sont défi-
nitivement fixées. Il faut donc renoncer à la chimère d'un progrès
indéfini qui seraît lanarchie et riostabilité perpétuelles.
* Auguste Comte, conclut M, Milhaud, aurait pria une autre attitude
s il avait compris que le rôle d'une idée n*est pas dû tout entier à h
part de réalité qu'elle enferme, qu'il s^expltque aussi par une ad^pti-
tion harmonieuse de l'idée à Fensemble des notions théoriques quelle
continue, de façon à prolonger le langage rationnel par lequel notre
pensée essaie do traduire Tunivers, Sa confiance dans les ressoufcei
de Tintelligence humaine aurait grandi s'il avait renoncé à voir un
lien trop étroit, trop rigoureusement déterminé et nécessaire entre Im
conceptions théoriques et les faits qu'elles esc priment, éUl n^'avait pal
exigé une pénétration aussi directe des uns dans les autres, bref, s'il
avait rendu à Tes prit une part de liberté créatrice dans les notiom
les plus fondamentales de la science positive. »
M. le D»^ Glev, secrétaire général de ta Société de biologie : • L'in-
fluence du positivisme sur le développement des sciences bîolo'^iqtiei
en France ». La Socfé(é de biologie a été fondée et organisée par dw
hommes profondément imbus des idées de Comte, Charles Robin,
Segond, dont les discours et les mémoires sont des documents frap-
pants de cette intluence; elle s*est fait sentir même chez Claude Ber-
nard| dont Tesprit fut si longtemps prépondérant dans la Société et
qui dans un article de ISCi'ï sur le progrès des sciences physiologiques^
adoptait expressément la loi des trois états. La Société de biologie a
d ailleurs subi les inconvénients comme les avantagea de celte direc-
tion primordiale : c'est ainsi qu*elle est restée longtemps réfracliire
aux idées transformistes, auxquelles Comte avait été très hostile.
M. Paul Tanehy relève cette remarque, et fait observer que 1*
portée en est générale : les inlluences d'abord les plus favorables la
progrès deviennent souvent à la longue des entraves qu'il est Décet-
saire de briser. I/hiâtoire de la philosophie et des sciences présente
nombre de cas analogues.
M- Stanislas Meuxier : « De l'évolution des idées en géologie
générale, i La marche des hypothèses géologiques s'est faite avec une
grande régularité, Les plus anciennes sortent des doctrines religieuse»
et finalistes, qui ne voyaient dans Thistoire du c^jobe qu'une succession
de phénomènes rapides préparant Tétat actuel. Puis on s'est heurté i
la diiHculté que créait le nombre des révolutions ou des cataclysiii6>
qu'on était obligé d admettre dans cette hypothèse pour expliquer k^
faits constatés. Quelques-uns ont voulu s'en tirer en réduisant le tottt
LALANDE. — CONGRÈS I^'HISTOIRE DES SCIENCES
 cinq grandes révolutiotis : mam c'dtaîfc însufTisant De là sortit Tidée
de Lyeïl sur les transformations lentes, C'eat Técole de racrua/i^^me
ou uniformitarisme, qui domine encore actuellement. — Mais nous
allons plus loin encore; non seulement on doit croire qu'aux différentes
époques se sont produits les mêmes phénomènes, mais encore qu'aucun
terrain n'est achevé, n*est mort, et qu'au contraire des phénomènes
plus ou moins lents, quelques-uns pérrodiques, continuent à s'y pro-
duire, tout à fait €omme dans les tiâsus d'un corps vivant. Une
énergie jamais lassée anime la masse de b terre : c*e8t ce qu'on peut
appeler recelé de l'aciioi^me et la conséquence logique de cette évo-
lution des idées.
Sur quelques questions qui lui sont adressées par M, Paul Tannehit
et M. ANuaiï Lalande, M. Stanislas Meunier explique de plus que la
vie géologique n'est pas seulement la continuité des transformations,
mais leur caractère cyclique : évolutif, puis décroissant. La période
de vitalité parait être celle où tes corps célestes absorbent leurs gaz;
les météorites peuvent être considérés comme des produits de décom-
posittou po^t morlûrn.
M, de Hochas, administrateur de TEcole polytechnique, « La phy-
sique de la magie, o Les phénomènes soi disant magiques, dit- il, ont
été fréquemment de simples supercheries ; mais ils ont consisté encore
plus souvent dans Tapplication de lois physiques inconnues à cens
qui les contemplaient et quelquefois mt^me à ceux qut les produisaient
empiriquement, Jean de Pêne, professeur au Collège de France, dans
sa leçon d'ouverture d'un cours sur Top tique et la catoptrique d'Ku-
clidci exposait déjà comment rapparition des fantômes pouvait être
produite artificiellement par remploi de miroirs cylindriques (f) devant
des spectateurs dont 11 magi nation avait été préalablement excitée par
le jeûne, les formules magiques, les accessoires imposants de !a mise
en scène.
S'il en a été ainsi dans Tantiquité et au moyen âge* ne devons-nous
pas raisonner de môme pour les forces physiques que les modernes ont
encore Incomplètement analysées, et dont l'existence même peut être
mise en doute? Il est déjà bien certain que les faits d'apparence surna-
turelle rapportés par Mesmer, et attribués par lui à ce qu'il appelait le
magnétisme animât, correspondent a des e0ets physiques réels; et
nous ne devons pas rejeter a priori des faits tels que la fascinattou,
rhallucinatton, la télépathie ou même renvoûtement, parce que nous
ne savons pas encore expliquer le mécanisme de ces effets surpre-
nants* Le baron Karl du Prel, occultiste allemand bien connu, ami de
Fauteur, et qui q aurait sans doute assisté à ce Congrès si la mort
n'était venue le surprendre v^ a développé fortement cette idée dans
•on dernier ouvrage; Die Magie al s NaturwiiysenschafU publié à léna
en 18U9. Il y faisait remarquer notamment que les exemples de lévita*
lioû sont tellement nombreux et pour quelques-uns si fortement éta*
blls^ qu'il y a Heu d'en chercher la cause par une méthode oxpérimeo'
mi
REVUE PHlLOSaï>lllQi:£
taie plutôt que de les nier. 11 faut en efTet ne jamais coneidérer U
science comme finie et fermée, mais au contraire attendre plus encore
de tranrormationa et de découvertes dans Tavenir que dans le passé,
d Le eoté bnilant de la civilisation, dlsaït dn Prel, est Thïstoirft des
sciences... Mais cette histoire elle-même a son c^'jté misémbîe : ï&
représentants scientifiques des idées régnantes n'ont jamais manqué
de dénoncer comme s'éoartant de la science tout ce qui s'écartait
d^eux. Voilà une histoire qui n'a pas encore été écrite, et qui contri-
buerait singulièrement à rabaisser l'orgueil des hommes,.. Aucune
opinion ne doit donc être rejetée seulement à cause du faible nombre
de ses représentants, mais a\i contraire elle doit être examinée sans
préjugé aucun, car ïe paradoxe est le précurseur de toute vérité nou-
velle. D'autre part, le développement régulier des sciences ne se fait
qu^à la condition d'y laisser un élément conservateur- Il faut donc que
toute vérité nouvelle ne soit d abord envisagée que comme une simple
hypothèse : ceux qui la découvrent doivent se dire qu'ils ne sont que
des pionniers auxquels les colons succéderont peu à peu. >»
Cette exposition très modérée des rapports de la science et des phé-
nomènes soi-disant surnaturels n'a pour ainsi dire provoqué aucuiKt
discussion ; elle a eu l'utilité accessoire de fixer le nom de Jean de Pm,
différemment écrit par les historiens, et que M. de Rochas se ïrouvc
connaître exactement par les archives même de sa famille. Mais elle*
eu pour résultat d^occasionner le lendemain une communication de
M, Fabius de Champville : a Sur les découvertes modernes quipeuvefiï
expliquer certains faits réputés prodiges dans l'antiquité, d Le jnémoii^
de M. de ChampviUe repose au point de vue historique, sur lldéequil
sufîit d'enlever aux légendes leur caractère miraculeux pour î
retrouver le fond réel qui a été défiguré; au point de vue âcientitiqui»
sur ridée qu'il existe un agent physique, \v magnétisme (au sens mes-
mérien), qui est au]ourd*hui reconnu et qui a produit ces apparences
de surnaturel, ïl a été connu, pense l'auteur, de toute antiquité, mJii^
seulement par quelques initiés qui en connaissaient les secrets, so l^^
transmettaient d*une manière occulte, et exploitaient paria la crédulité
religieuse do leurs contemporains, — Cette communication a été vive-
ment discutée, notamment par M. Tani^erv^ qui n'admet pa% i|ue Tâxi^'
tence du magné Lis me soit chose prouvée en tant qu^agent physique
distinct, et par \L MiLHAUO.qui, en se plagant au point de vue historiqi*^
fait remarquer qu'il ne sutllt pas d'enlever à un© légende son car^ct^''^
merveilleux pour que tout le reste soit vrai ; il peut y avoir un s^n^ntî
nombre de faits possibles, et même vraisemblables, qui sont égalem^ï^t
con trouvés, M. Sicahd oe Plauzoles admet une partie des idée5 de
M. de ChampviUe, qui s'est lui-même retranché, quant à rauihenticite
des faits matériels auxquels il avait fait allusion, derrière Icii ténioi^
gnages qu'il a relevés et pour lesquels il reuvoie à des ouvrages d#
publiés.
LALAHDË, — COSGRfcS O'HlSTQUtE ïiES SCIENCES
1- **KJ
HL Propositions pr&tîqucs concernant ie progrèii de l'histoire des
M. Danid Berthelot : « Sur rutilîtc de lliisioire en physique. » ïi y
aurait grand intérêt, pense Tauteur, à introduipe davantage dans
renseignement do la science celui de riiîstoire de la science. Actuel-
lement, rien ne se fait en ce sens parce que les savants manquent de
connaîssanoes historiques et d*esprit critique; les historiens ou les
philosophes^ des notions techniques qui seraient nécessaires. Les
meilleurs traités sont insuFfisants sur ce point, souvent même erronés.
Il en résulte que les étudiants croient la science faite, finie et fermée :
l*auleur cite Tcxemple d'un ingénieur qui considérait la physique
comme aussi achevée et définitive que la géométrie élémentaire* On
dissimule les lacunes, on élimine les phénomènes qui ne peuvent pas
rentrer dans une belle ordonnance classique et mathématique : ainai,
pendant longtemps, la phosphorescence.
On devrait dans les classes mettre davantage les élèves au contact
des ouvrages anciens de science, comme on le fait pour la littérature,
lire Newton ou Ampère comme Corneilîe ou Lamartine, On pourrait
ainsi les amener à trouver eux-mêmes les solutions, à comprendre
quelle en est la valeur. Par là aussi on resterait sans cesse en rapport
avec les tdces semées par les inventeurs^ et dont quelques-unes né
germent que plus tard. Ainsi largon de Ilamsay aurait été trouvé
plus lot si Ton avait lu les mémoires de Cavendîsh au lieu de proclamer
de seconde main que Tanalyse de l'air était chose faite et épuisée. Il on
eût été de même pour les rayons de Uontgen si l'on n'eût pas négligé
et fini par oublier les vieilles expériences de Cauchy, Nobili, Melloni,
qu*on trouve encore dans Pouillet et qu'on avait fait disparaître des
traités récents comme trop indécises. De même les moteurs explosifs,
soi-disant nouveaux, ont été la plus ancienne forme des moteurs ther-
miques, Entin, au point de vue de Tesprit général de la philosophie
qui doit animer la science, il y aurait tout avantage à les cultiver : si
nous justifions mieux nos vues, nous ne pensons pas plus pro fonde-
ment qu'eux.
U reste encore che:& ces auteurs biimdes choses qui nous paraissent
étranges et dont nous retirerons peut-être un jour quelque idée de
valeur : le nombre de Plalon, les révcs d*^ Kepler, les originalités de
Faraday qui croyait percevoir les lignes de forces à travers respace.
Peut-être la physique pénétrera-t-elle un jour assez profondément
dans Têtu de des phénomènes moraux pour que nous trouvions un
sens à cette célèbre et mystérieuse affirmation que le rapport du juste
à Ti ajuste est T29.
M. Tannery approuve viventent les conclusions de Torateur et ajoute
qut*lques autres exemples. >L Leau, pour introduire Ihistoire dans
renseignement^ voudrait iiu'on y réduisit ce qui n*est que recueil do
faits au minimum ; quelques exemples des lois fondamentales pour la
chimie.
TOME L. — 4900. m
554 REVUE PHILOSOPHIQUE
Cette discussion, commencée à la séance du mercredi, a été reprise
et développée le samedi. Sur la proposition de M. Sicard de Plad-
ZOLES, un vœu est adopté pour l'introduction de l'histoire des sciences
dans renseignement. M. Tannehy fait connaître que sur la demande
du ministère, il en avait rédigé un programme quand on a fondé l'ensei-
gnement moderne, mais qu'il n'a pas été utilisé. 11 fait remarquer en
outre que si Ton veut avoir des professeurs capables d'enseigner cette
histoire, il faut d'abord la* leur apprendre, ce qui n'a pas lieu actuel-
lement. L*ignorancc des étudiants en science est très grande sur ce
point. (M. le D'' Sicard de Flauzoles ajoute qu'il en est de même dans
la médecine.) En Belgique, cet enseignement existe et comporte une
sanction aux examens. — La môme chose a lieu, fait observer M. le
l)"^ DuREAU, dans plusieurs universités d'Allemagne. — M. André
Lalande pense qu'en France, où il existe une École normale qui est un
séminaire spécial de professeurs, il serait facile d'établir un cours
d'histoire des sciences dont l'influence se ferait rapidement sentir sur
renseignement. Les études dite P. C. N. seraient aussi un terrain
favorable pour l'établir. — M. Tannery souhaiterait qu'il en fût de
même à l'Ecole polytechnique, où les jeunes gens ont besoin d'un
contrepoids philosophique et critique aux études de mathématiques
pures. L'histoire et la philosophie des sciences ne devraient pas être
négligées dans l'école ou se sont formés Auguste Comte et Renouvier.
A la suite de diverses observations présentés par M. Berthelot, Milhaud,
le B^ Dureau, la résolution suivante est adopté à l'unanimité :
« Le Congrès d'histoire des sciences émet le vœu : !<> que l'histoire
élémentaire des sciences, donnée par les professeurs de sciences eui-
mémes, soit développée dans l'enseignement secondaire et reçoive une
sanction au baccalauréat; — 2" que des cours spéciaux d'histoire
générale des sciences soient créés à la Sorbonne, à l'Ecole polytech-
nique, à l'Ecole normale et dans les principales Universités. Le
Congrès adresse ce vœu non seulement à l'autorité universitaire,
mais encore à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire des sciences, en
leur rappelant que la loi du 1890 autorise les Universités à recevoir les
dons des particuliers destinés à la fondation de cours spéciaux. "
•> Que les Universités soient autorisées à créer un diplôme d'études
de l'histoire des sciences. »
M. ExESTUoMde Stockholm, directeur de la BibUoth(*ca mathemati^
et M. le D'' Pevpehs, rédacteur en chef du Janus, ont entrete'nu l^
Conixros de TorL^anisation internationale d'une bibliographie scient»"
fiquo. M. Peypers a de plus fait part de la fondation d'une société
internationali; dhistuire de la médecine dont le Janus sera l'orgaoe*
Tout en félicitant M. Feypcrs au nom du Congrès, M. le président
exprime le vœu qu'une société plus générale se constitue ayant pour
objet toute riii.^toire des sciences; ce qui est approuvé à l'unanimité.-'
Il donne ensuite la parole à M. Heru, en le priant de faire connaître
l'couvro analogue qu'il a entreprise. Elle consiste, dit l'auteur, dans
LALANDE. — COXGHl^lS d'hISTÔTRË DES SGlEKCE**
S5S
la fondation d'une Revue de synthèse historique, comprenant deux
sortes crarticlei : 1" des articles de fond, consacrés à des questions
historiques d'un caractère général et philosophique; 2'' dûa revues
génuraîea, établissant 1 état d'une branche déterminée d études. Dans
Tune et l'autre série une place importante sera faite à Thistoire des
sciences, et l'esprit général de cette publication combattra le morcel-
lement des recherches individuelles.
>L Lhau expose qu^un Comité formé des délégués de tous les Gon-
gros est i!n voie de constitution pour ctudifr Tr^doption d'unt.^ langue
soienti Pique universcllu. I! en fait ressortir rutilito, et rappelle que
dilTérents idiomes artificiels existent déjà qui présentent les qualités
nécessaires. — Ce projet- est approuvé par M. Lalande, qui donne
quelques détails sur Tactif mouvement d'unification terminologique
qui s'est produit depuis quelques années. (Travaux de MM. Eucken ot
Tiinnies, prix Welby, vocabulaires techniques en plusieurs langues,
unilication des mesures physiques, déjà faite» <-4 de l*hcure» en vole de
réalisation). MM. Dlreaq et Delpeugh seraient favorables à la réadop-
tion du latin scientifique. — M. Tannes y expose les difficultés que
présentera le choix et l'imposition de cette langue. A la suite de
quelques autres observations^ le Congres décide : V' D'adopter un vœu
en faveur de rétablissement d'une langue scientifique universelle. —
2^ De nommer M, André Lalande délégué éventuel à la fédération des
délégués des Congres qui pourra être constituée dans ce but. s
Kufin il est décide que le bureau, formé de MM. Paul Tannery,
D*' Dureau, André I^alande, D*" bicard de Fiauzoles, sera constitué en
commission permanente : i^^ pour s'occupper de la publication dea tra-
vaux du Congrès; 2" Pour étudier la constitution d*uue société
d*hiBtoire des sciences, la fondation d une Revue et la réunion d'un
futur Congrès* A. L,
GORRESPOiNDANGE
A PROPOS DE LA DROITE TRANSFINIE
Monsieur le Directeur,
J'avais cité dans mon article du 1^' avril dernier un passage d'un
article de M. P* Tannery (A'er. ih Mélaphysifiwci de mora/e, juillet IKlH)
dans lequel il est dit que, traduite en termes géométriques, laconcep*
tion de G, Cantor sur le nombre transfini signifie que « une droite
A B d'extrémité Oxe peut être telle qu'en portant Tunitê de longueur
sur cette droite à partir d une extrémité, on n'arrivera jamais à l'autre, y
Aujourd'huii dans le dernier numéro de la RsDitc ]ihilùmphîquf;,
M. Tannery abandonne nettement cette conception de la droite trans-
finie^ puisqu'il déclare u admettre sans réserves le postulat niant la
556 HEVUE PHILOSOPHIQUE
droite transfinie ». Du reste, il proteste que cet abandon ne compromet
en rien la doctrine de Cantor, laquelle garde sa valeur propre, qu'il
soit légitime ou non d'en transporter Tapplication de la théorie géné-
rale du nombre à la géométrie, ou même au dénombrement efTectif
des objets concrets.
Sur co dernier point je serais tout à fait de Tavis de M. Tannery.
Les théories de Cantor ont expressément rapport aux nombres, et il
n'y a pas lieu d'en chercher dos applications dans un domaine diffé-
rent. Donc Cantor peut avoir raison, mAme si la droite transOnie est
une conception à rejeter. Mais, en créant cette conception lorsqu'il
écrivit son article de 181)4, M. Tannery avait un but, la justification de
Tinfinitc actuelle de Tunivcr!^. Et, de fait, il est clair que rinfyiité
actuelle de l'univers et la droite transfinie sont deux thèses connexes;
car admettre Finfinité acturllc de Tunivers c'est supposer que la ligne
idéale, ou môme qu*une ligne réelle, allant d'ici aux extrémités de
l'univers, est telle qu'en portant l'unité de longueur sur cette droite à
partir du point initial on n'arrivera jamais à l'autre extrémité: c'est-à-
dire que cette lif^ne est une droite transfinie. M. Tannery était donc
alors parfaitement dans le vrai à son point de vue. S'il veut rester
déiinitivcment d'accord avec lui-môme, il me semble qu'il faut qu'il
fasse un pas do plus, et qu'il abandonne l'iniinité actuelle de l'univers
comme il a abandonné la droite transfinie. Tous ceux qui rejettent
celte infinité, soit parce qu'ils admettent le fini, soit parce qu'à leur
avis le monde comme totalité appartient non plus à la catégorie de la
quantité mais à celle de la qualité, seront charmés de voir entrer dans
leurs rangs une recrue si considérable.
Veuillez agréer, etc. Charles Dunan.
NECHOLOGIE
M. Henry vSnxiwiCK, professeur de philosophie morale à fUnivcrsité
do Cam])ridgc et l'iiii des directeurs du Miiid, est mort le '2S août der-
nier, à l'â^e de soixante-deux an?. Avec lui disparaît un des représen-
tants les plus considérables de la philosophie anglaise. Ses publications
sur la morale et les problèmes connexes de la politique et de réconomie
soeialc sont nombreuses. Ses deux livres OnUines of the Historijof
l'Uhics et Thr. Metliods of Ethics étaient devenus, le dernier surtout,
elasNi([ues dans son pays et ont fourni ailleurs matière à de longues
discussions. Ilappelons que M. Sidgw ick, en 1892, présida avec beau-
e()up d'amabilité le deuxième C-ougrès international de Psychologie.
\'ladiniir Soi.oviow, philosophe russe, vient de mourir à Saint-l*éters-
boui'u;, à l'a^^'e de ({uarante-scpt ans. Ses principaux travaux sont :
Lliistttuc cl r.iroiir da la Tluhflu'iir ; Lu justi/îcation du bien; Le
<ln)it ri /,'/ uuu;di'\ Lu l^iLssir e/ /;/ loUtjion universcUc , etc. Nous
a\ uns plusieurs fois rendu compte des ouvrai^es de Vladimir Soloviow.
REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS
VoproBsî âlosofn ipsichologuïï.
JanTÎer-avril ïWO.
P.-J. GiTETSKY. Humboldt d^ns Vhisioire de la tinguUiique. — La
question de l'origine et du développement du langage qui passionna
les esprits au moyen iige n'est paa encore résolue à l'heure actuelle.
La philosophie chrétienne disait ; « La parole est d'origine divine.
Jamais Thomme n'eût pu trouver le moyen d'exprimer ses désirs et ses
idées. * La science a réduit au néant les illusions humaines sur les puis-
sances divines, — elle est encore loin de découvrir rorigine du lan-
gage. Linguistes et psycholoijucs n'exposent que des hypothèses et
s'iibstiennent de toutes considérations défini tivôs. Le langage, consi-
déré au moyen âge comme don de Dieu, est devenu plus tard phéno-
mène physiologique pour les uns» produit de la volonté pour les
autres. Où est la vérité? La parole est-elle issue des sons arrachés
aux êtres vivants sous rinlluence de leurs émotions; est-elle l'acte de
Timitation des bruits de la natorci ou est-elle le produit de notre intel-
ligence? H Autant chercher les origines des rochers sauvages », répond
M.Monealm*, M, Giteïsky ne se pose d'ailleurs pas ces questions; il
cherche à déterminer le rôle de Humboldt (l7lS9-lfi35) dans Thistoire de
la linguistique et il trouve que ce rôle est immense. Étant encore
jeune (ÎWl-W^}, Humboldt écrivait à Schiller que la linguistique et
rorigine du langage le passionnaient et qu*il voudrait trouver le moyen
d^unîr les particularités de toutes les langues, (jette pensée l'absorba
toute sa vie, elle est Tidée muitresse de toute^^ ses œuvres, elle se
manifeste surtout dans tsou livre Uvber die Verschiedenheit de^
ïiieftschlichen Sprackhaucs und ihrcn Einfluss auf die fjei.<tigp Ent-
\^^îckelun(J des Men^^chengeschlcchts, Humboldt trouve que la parole est
Uïl a don naturel ■ et que « la langue d'un peuple est la force dépen-
dante de son esprit ». « 1/homme, dit-il, est un animal chantant, avec
la seule diRtinctlon qu'il unit les sons et la pensée, i»
Ç. Baltalon. — Observations et expériences relatives à refilkHique
dê& perceptions insuelles. Premier article d*uno étude qui promet
d'être intéressante. L'auteur constate que depuis la fondation par
Wundt (IHTë) du premier laboratoire de psychologie expérimentale,
L L-ori^inê de la pensée et dt la pavale^ Paris, L^^OO (Alenn).
S5ë
HEVLE FHIIOSOPIIIQOE
celle-ci fait des progrès énormes et se développe actueUenient indé-
pendamment de la métaphysique* M. Baltalon expose et analyse
ensuite Ja méthode de Feehuer, « le véritable fondateur de resthétiqtie
experimentaîe en Allemagne «, Tautour de Vorgchule der Açilhetik
et Zur experîmenliHif^n Aesthelik K
Ivanuvsky^ Viclûtav, Aîchenvuldt et Sokolov consacre nt quutr*
articles a iV, Grotc dont ils étudient et analysent la vie et les idées.
M. P. Bokolov voit trois périodes dans le développement philosophique
de Grote : période du posilii^iwic^ période de Vidéaîume méiapAy*
siqiic et période de rèœmiliatiQn du positivisme et de Vidèalkme,
dans Tesprit de la philosophie scientifique contemporaine*
B.-N* TscHiTSCiiEniNE, — La philosophie du drolL La dernièif
partie du travail de M» Tsebitscherine est consacrée aux Unions
humaines : famille, société, Eglise, État, relations internationales,
I, Le droit familial représente la transition du droit individuel au droit
social, La famille est une union où le tout ne forme pas une organisa-
tion indépendante, il n'existe que pour et par ses membres. La diver-
sité des se.xes est la loi fondamentale du monde physique et du monde
moral, d où la divergence do leurs miisions sociales. Leur prétendti*
égalité n'est qu'une chimère. Dans l'antiquité elle fut le fruit de la
sophistique, elle est aujourd'hui le produit d'un réalisme e\agtfré, H ne
faut pas conclure cependant que la femme doit être privée de tous
droits et qu'elle doit obéir en tout à l'homme. La femme a sea droits
propres^ l'homme possède les siens. L'homme se doit à la sociék^à
ri^tatj la femme ae doit exclusivement à la famille. La Base de la
famille n^est pas l'autorité, mais Tamour» et c'est à là femme que l'auteur
assigne la première place dans la formation de la famille. La loi j^ri^
dique est la régulatrice de la famille. Les éléments divers dti U
famille — l'homme et la femme — gardent leur caractère propre, toais
leur but est te même : les enfants. Le devoir des parents consiste dans
la préparation de leurs enfants à la vie Indépendante. L*auteur arrive
à la question de Téducation- D'après lui^ les priticipe^ de 1 i'ducalirjn
sont rautorlté et l'amour, — IL La Société civile est composée de p<îf*
sonnes et d'unions privées ae soumettant slux mêmes loie> 11 faut ài^
tlnguer la Société, qui est une conception civique, et V Était qui esMinfi
conception juridique. Ces deux notions sont souvent confondues par
les juristes. En Allemagne^ le mot Gesellschafti la Société, se distirigue
du mot ,s7aa(, Tl^tat. Après avoir analysé les phénomènes économique»
de la société^ la division du travail^ etc, l'auteur arrive à la conclusion
que la loi morale et la loi économique sont indépendantes 1 une de l'au-
tre, n trouve également naturelle et presque nécessaire la divistoîj ^''^
classes sociales, w Les riches et h^s pauvres, dit-il, ont t^xisté et existe-
ront toujours ïu Le rôle de TÉtat c'est de régulariser les relations éci>
L L. Vioimer a publié dans Phiioftoph. Studien (1893, IX) des fragm^aïs àt^
travaux inachevés dç Fechner*
HEVOE DES PÉftlOmOUES ËTRANGEBS
5b!t
b
k
nomiques des classos. La régularisation morale appartient à l'Egliee. —
n(* L^auteurcfoit que toutnslea sociétiîs humaines ont besoin d*un« reli-
gion, La raison humaine cherche Tabsolu, sans lequel le relatif est
impossible. Ce besoin embrasie non seulement la raison, raais le sen-
timent et la volonté do Tbomme. Or^ TabsoUi implique Texistence d'an
Être supérieur» etc. L'Église est Tunion des croyants; son rùle cepen-
dant n'est pas exclusivement r^'ligieux, mais aussi social. L'Eglise uni
nécessaire non seulement à l'accomplissement du a service divin u, mais
aussi à l'ordre moral de la société, et à ce point de vue TEgliac doit
également être considérée comme une corporation sociale^ mais elle ne
doit, sous aucune forme, être en dépendance de la Société. Elle doit
olre libre et se gouverner elle même. — IV. Tous les élémenta divers
de la société, les unîtes civilesi TÉglise, tout se confond dans Tunité
juridique ; VÉiat. L*État est lo point suprême du développement de la
société humaine, d'où la nécessité pour lui d'une autorité suprême.
« L autorité de l'Etat est une notion purement métaphysique; ceux qui
ne comprennent rien à la métaphysique, ne comprennent rien à
l'État ». L'auteur cherche à démontrer la nécessité pour TÉtat d'une
4 aristocratie politique », Elle est la force vivante de TÉtat; «^ on ne la
crée pas, elle est le produit de Thistoire u. L'aristocratie politique n*est
qu'une partie executive d'une autorité supérieure^ laquelle appartient
au souverain. Lui seul, se trouvant en dehors des partis (?) peut régu-
lariser leurs relations. Lui aussi» étant la personnification de l'Etat, est
appelé à prendre part dans les relations extérieures* L'État est Tunion
suprême des hommes, mais il y a beaucoup d'Etats sur ta terre. Com>
ment établir des rapports entre eux? Généralement, ces relations
^'établissent et se maintiennent par la force^ par la guerre. Cet ordre
des choses est-il naturel? — Oui, répond l'auteur avec une sérénité
remarquabie. Certes, ÎVÉ^lise aurait pu se charger des ralations inter-
nationales, mais elle ne dispose pas de force contrainlet laquelle est
indispensable dans les relations extérieures. Le contrat est aussi un
moyen naturel et normal dans l'établissement des rapports internatio-
naux, mais contrairement aux contrats individuels, une force con*
trainte doit planer au-dessus des contrats interjiationatjx, La morale
n© rejette pas la force conîrainte, la guorrCi mais elle ne Tadinet qu'au
nom des principes supérieurs; elle demande aussi un peu d'adoucisse-
ment pour les misères qui en résultent. M. Tacbitscherine ne dit pas
quels sont les « principes supérieurs « qui admettent la guerre. Son
travail met en relief des observations parfois asso^ Justes, mais
l'auteur semble ignorer, volontairement à coup sur» le développement
évolutif des sociétés humaines^ en général, at rorganisation politique
et sociale des sociétés démocratiques contemporaines en particulier.
I,'L IVANOV. — Les recherche& iVune concfjpdon de lUnwers^
Introduction d*un livre que Fauteur prépare sur les OriginvA des
idées pQiyitivcs et mciates au XîX'" siècle en France; Saint-iSimon et
le êâint-sirnonisme. Premier article. Nous y reviendrons.
560 REVUE PHILOSOPHIQUE
G.-I. TscHELPANOv. — Les doctrines contemporaines sur Vàme.
L'auteur étudie principalement le moriismo psyohophysique.
La Revue publie un compte rendu détaillé des travaux de la Société
de philosophie de VUniversilé impériale de Saint-Pétersbourg. Nous
y trouvons les communications très intéressantes de M. Lapschine :
La crainte dans le penser; de M. Pogodine : Les particularités natiù-
nales; de M. Schtrouppe : L'Art^ etc.
OSSIP-LOURIÉ.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE
Novicow. La Fédération de VExirope, in-12, Paris, Alcan.
Walras (Léon). Éléments d'économie politique pure, 4« édit., Paris,
Pichon.
Hachkt-Souplet. Examen p.^njchologique dos animaux, in-i2, Paris,
Schleicher,
A. La Beaucie. Lea grands horizons de la vie, in-l*2, Paris, Leymarie.
ToBOLOWSKA. Élude sur les illusions du temps dans les rêves du
sommeil normal, in-8", Paris, Carré et Naud.
D Surbled. La vie affective^ in-i2, Lyon, Vitte.
P. Janbt. Œuvres philosophiques de Leibniz, 2** édit. ; 2 vol. in-8»,
Paris, Alcan.
Questions de morale : Leçons professées au Collège libre des sciences
sociales, in-S»^, Paris, Alcan.
P. DupuY. Les fondements de la morale, ses limites, ses auxiliaires,
in-8°, Paris, Alcan.
W. WOOD. A nev^ Method in Brain study, in-\'2, New-York,
Appleton.
IIastié. KanVs Cosmogowj, in-i2, Glascow, MacLehose.
A MENT. Ueber das Verhàltniss der ebenmerklichen zu den ùlier-
merklichen U ntcrschieden bei Licht and Se hallintensi talon, in-8*,
Leipzig, Engelmann.
ReininCiER. KanCs Lehro i:om inneron Sinn und seine Théorie der
Krfnhrung, in-S®, Wien, Braumiiller.
Kant's Gesamniclte Schriften, Bd., XI, in-8°, Berlin, Roiraer.
K. Radim. Die Hystérie hei den Schwachsinnigen, in-S**, Berlin,
Gunther.
E. Platziioff. E.Ficnan, oin Lcbensbild, in-12, Dresden, Meissner.
L. M. A. BiLLiA. L'Ess'jro o l:i conoscenza, in-8", Torino (brochure).
(Jesca. Principii di podujogia générale, in-12, Torino, Paravia.
Ingegnieros. Dos paginas de psiquiatria criminal, in-S**, Buenos-
Ayres, Bredahl.
Yakhnina. Sila voli, in-12, Moscou.
Le propriétaire-gérant : Félix Alcan.
CoulummioFi). — Imp. Paul BHOOARD.
LE FANATISME RELIGIEUX
ÉTUDE PSYCHOLOGIQLE
La distinction da sentiment religieux individuel et du sentiment
religieux social parait mieux fondée et plus importante que Toppo-
Bilion ordinaire de la vie contemplative et de la vie active* La psy-
chologie du mysticisme nous a fait connaître la forme individuelle '.
La psychologie du lunalisme nous dévoile ra^ au moins en partie, la
Ibrme. sociale.
En vérité, la question est loin d'être épuisée, surtout en ce qui
Concerne le fanatisme religieux, objet spécial de cette recherche.
Chez la plupart des auteurs qui Font abordée, historiens, moralistes,
pi*léinisles, il n'y aurait guère à prendre que des exemples, et
incore importerait-il, si Ton y avait recours, d'en user avec raille
précautions. Les seuls savants qui aient contribué à élucider quelque
peu le problème psychologique se trouvent parmi les sociologues et
les aliénistes*
^ Des écrivains tels que Taine, Tarde, Sighele, Le Bon, fondateurs
le la psychologie des foules et des sectes, apportent des faits inté-
reasanls, parfois nouveaux, des interprétations ingénieuses, plausi-
bles, quoique peut-être insuffisantes. Leurs portraits du ^ meneur *
<Bt du chef de secte paraissent fort ressemblants. Mais outre que des
descriptions même exactes ne sauraient tenir lieu d'explication
même partielle et provisoire, le meneur et le chef politiques se dis-
tinguent à certains égards du fanatique religieux et ce dernier qui
nous intéresse tout particulièrement n*a été, que je sache, le sujet
iâ aucune étude spéciale, minutieuse et quelque peu explicative.
Du côté des aliénistes, autre lacune. On distingue, en générai,
lieux phases dans la folie religieuse, Tune de dépression, l'autre
ld*exallatîon, Tune de réceptivité, l'autre d'activité, A la première
correspondent des crises d'angoisse, de doute, de déraonomanie; k
a seconde, les hallucinations réconfortantes, les conflits avec le
inonde réel, la théonmnie, le prophétisme, le fanatisme. Malheu-
1. Voir Rfvite philosophif/ue. nov» et dèc. 1S98. FaisftQl ânusion à ce IraTsiK
h plusieurs repriaes^ jH' rçavoie une tùh {\ù\iY toulei,
TOÏIK L, — DÉCÊMURE 1900. 37
o6â nEVUE PHILOSOPHIQUE
reusement, les observations des aliénistes ne portent guère sur le
détail des phénomènes psychiques et encore moins sur les phéno-
mènes proprement religieux. M. Magnan confond la folie religieuse
avec les autres délires chroniques, et si celte identification a peut-
être sa raison d*être, ainsi qu'on Ta remarqué*, au point de vue
clinique, elle ne se justifie ni au point de vue psychologique ni au
point de vue sociologique. Certains physiologistes se bornent à
remarquer qu'une personne ambitieuse se croira prophète inspiré,
Jésus-Christ ou Dieu le Père, si ses pensées ont toujours été dirigées
sur les matières religieuses, de même qu'elle se croira Victor Hugo
ou Byron, si elle a toujours eu d'excessives prétentions poétiques
(Maudsley). On verra que, pour acceptable qu'elle soit, cette expli-
cation est trop sommaire.
KrafU-F^bing classe ces malades, y compris les fanatiques, dans
la catégorie des « dégénérés », des esprits faibles, incapables de
s'approprier l'élément moral de la religion. Il a observé chez eux
des symptômes morbides au moment de la puberté, et, par la suite,
divers désordres physiques et psychiques, un attachement exagéré
à queUjue l'orme extérieure du culte ou à quelque précepte absurde,
et surtout une perversion plus ou moins grave des sentiments
sociaux. Ces caractères se retrouvent en effet dans le fanatisme et
dans les dilTérentes maladies religieuses. Mais quelque exacte que
soit la description, l'interprétation ne varie guère : la dégénéres-
cence, la dépression, lexaltation, l'éducation >au sens large) lui
semblent expliquer suffisamment la forme religieuse de la folie.
Reprendre la question pour l'envisager à un point de vue plus
strictement psychologique, en tenant compte de certains cas moins
fit avancés » que ceux dont se sont occupés les aliénistes, mais peut-
être plus significatifs, tel sera, semble-t-il, le meilleur moyen de
l'élucider davantage.
La « VIE ACTIVE y> kt l'adaptation.
Les moralistes religieux, qui opposent couramment la vie active
à la vie contemplative, n'ont pas suffisamment observé les hommes
pour découvrir les raisons profondes de leur prédilection marquée
pour l'un ou l'autre de ces genres de vie. Préoccupés surtout de ce
I. G.-L. Diipral, Les causes sociales de la folie, et V. Magnan, Leçons cliniqfif*
sur les maladies mentales.
MURISIEH< — LE FA^-ATL^AiK lîELIGIEïJX S63
qui doit être, ils ne prêtent en général h o,e qui est fiu^une atLention
faible et intermiilenLe. Et comme, d'un autre côté, les savants, les
intfn*])rètes de ïa réalité, ont jusqu'ici négligé Tétude des fails reli-
gieux, il se trouve quen cea matières, le point de vue de l'observa-
tion vulgaire n'a paa encore été beaucoup dépassé.
Une étude complète de la 4 vie active » ne rentrerait nullement
dans le plan de ce IravaiL II importe seulement d'envisager ici
<|uelques phénomènes frappants recueillis, pour la plupart, par des
évangéli5:tes et des pasteurs, négligés pir les théoriciens, et qui
jouent un vùle capital dans la genèse du fanatisme. Ces phénomènes
offrent d'autant plus d'intérêt et méritent d^autant mieux d'être
introduits dans les cadres de la psychologie, qu'ils pourraient servir,
en même temps qu'à la pathologie rt?ligieuse, li la science du carac-
tère.
En effet, la vie contemplative et la vie active correspondent évi-
demment à deux des grandes classes de tempéraments et do carac-
tères que s'accordent à reconnaître, depuis HippoiTale, les pï^ycho-
logues comme les physiologistes ^ les sensitits et les at^tits. Mais,
tandis qu'Hippocrate ramenait les quatre tempéraments aux quatre
jg humeurs » par lui admises; tandis que les modernes physiolo-
gistes essayent de les rattacher soit au iun plus ou moins élevé du
système nerveux ^ soit aux modifications constructibles et destruc-
tives de rorganisme, les psychologues acceptent en général pure-
ment et simplement ces données fondamentales et se bornent h
superposer/à ces grandes classes, des espèces et des variétés déter-
minées par l'intervention du facteur mental. Je crois que quelque
secondaire que soit le rùle de rinlelligence dans la Ibrrjiation du
caractère, la psychologie peut aider à en poser les comiitions les
plus générales et il me semble que, sans rien exagérer» les faits sui-
vants et les considérations qui les accompagnent, fourniront une
petite contribution utile k réthologîe; que Texamen des mobiles qui
poussent, parfois contre leur propre pré, vers la ^ vie active » cer-
tains hommes religieux, permettra d'aller un peu plus avant dans
la connaissance de la classe entière des actifs,
Le mystique, le contemplatif tend à vivre d'une vie purement
intérieure» excluant sans doute Tactivité, mais surtout les relations
sociales* Je crois avoir suffisamment montré que le développement
exagéré de celle tendance tient en grande parlie aux conséquence»!
désastreuses qu'entraîne pour le moi individuel du malade chaque
tentative avortée d'adaptation à un milieu social quelconque. Si le
mystique perd peu k peu les sentiments de famille, etc., c* est que
56î
KKVIÎE PIlILOSOPfllQUi-
risolement devient pour lui Tunique remède efficace au3t troubte
organiques, airectil's, mlellecluels et aux maux de toutes sortes qui
résultent de Tincapacité synthétique de son esprit. Faute de pouvoir
même avec le secours d'une puissance surhumaine, coordonner ses
tendances et systématiser ses sensations, il les détruit, il les éli-
mine, sous rintluence de l'id^je religieuse, et trouve ainsi la paii
dans r unité, par le renoncement ascétique. Mais, le même remède
ne saurait convenir à tous les cm ni à tous les caractères, et mm
allons voir plusieurs malades, à beaucoup d'égards semblables aux
précédents, se isoumeltre instinctivement h un régime Iré^ différent
et même opposé* Chose curieuse, quelques-uns d'entre eux com-
menceront par essayer du remède de l'isolement et de V «t oisiveté i
et ce ne sera qu'après des échecs réitérés qu^ils auront recours à
un autre mode de traitement, qu'ils s'unifieront par l'action et par
Tiidaptation à un miîieu social déterminé* C'est donc le phénomène
inverse de celui qui se maniteste aux dilTérenls degrés de Textase,
particulièrement aux degrés « supérieurs ».
Un premier exemple vraiment caractéristique m'est fourni par m
pasteur presbytérien d'Amérique, qui observait fort bien ses parois-
siens et notait ses remarques dans des mémoires non rédigés en me
de la publication ^ Je néglige, bien entendu, les commentaires
Ihéologiques et les exhortations morales; Tobservation seule nous
intéresse* ^ J'ai connu, dit-il, un jeune homme, commis dans une
maison de commerce, qui voulut quitter ses occupations pour
donner tout son temps et toutes ses pensées à la religion. Il disait
que son esprit éiait distrait par le travail journarier, que s*il n'avait
rien d'autre ci faire qu'à chercher Dieu^ à lire et a prier, il trouverait
bientôt le salut. Il quitta le travail, prit une chambre particulière
dans une maison retirée "et s'y enferma seul avec lui-même, ^Vu bout
d'une semaine, il lui sembla qu'il n avait pas fait de progrès dans la
vie religieuse, 11 résolut alors d'être plus soigneux dans la lecture
de la Bible, plus fervent dans ses prières, plus déterminé à sou-
mettre son cœur obstiné*.. Au bout de trois semaines, il trouva ses
impressions religieuses presque entièrement etTacées, .\lors, il
abandonna sa retraite et revint à son ouvrage. « J'ai trouvé, dit-il*
que mon cœur était la pire société que je pusse avoir... Si je fusse
resté un peu plus longtemps là-bas, j'aurais fini par ne plus me sou-
cier du tout de la religion. » Un mois après avoir repris son travail,
il redevint un chrétien plein de décision et de paix et il s'unit i
l'Église. ^
1, Us onl élé putiUèa dans les Récits amérkains de L. firUleU
MDRISIER, — LE FANATISME HEUGieUX
ses
I
On souhaiterait assurément une deFcription un peu plus minu-
tieuse de rétat mental de ce jeune homme pendant ces trois semaines
d*isolement et d'exercices spirituels. Le fait que des troul>les se pro-
duisent et qne des impressions religieuses disparaissent dans cette
retraite, est déjà significatif* Le retour à runîté de conscience, à la
paix et Ci la foi, succédant à la reprise des occupations habituel les j
est un phénomène tout opposé à ceux qui se produisent chez les
mystiques.
Comme le cas n'est pas aussi rare qulon pourrait être tenté
de le supposer, il sera facile de vérifier et de compléter, h l'aide d'au-
tres exemples analogues, les indications qu*il Iburnit sur Je carac*
tère actif et sur le sentiment religieux dans la œ vie active »*
Le fait suivant pris à une autre époque et dans un autre mih'eu
confirme la première observation et la connpJète. Pogatski disait que
Dieu ne s'était jamais manifesté à lui dans la contemplât ion^ mais
seulement le diable. Car il avait été tenté toutes les fois qu'il était
resté inoccupé* Dès qu'il avait à vaincre des ob^^tacles, il ressentait
une joie qui] ne pouvait jamais atteindre par la contemplation ^ Les
troubles organiques et psychiques (tentalions) apparaissent et dis-
paraissent dans le^ mêmes conditions que chez le petit employé
américain et le sentiment religieux passe par les mêmes phases
d*exallalion et de dépression*
Avant de passer à de nouvelles observations, plus importantes
encore, remarquons que ces deux cas, qui représentent deux degrés
peut-être inégalement morbides d'un même état de conscience,
sont, malgré leur complexité, relativement simples, comparés à
Fétat ordinaire et normaL
L'homme religieux vit en général d'une double vie, intérieure et
extérieure, il sent et il agit, il contemple ou adore, et il exerce une
profession, il prie et prêche ou fait des alTaires, sans éprouver la
moindre dïtllcuité a concilier ces choses diverses. Il passe aisément
de l*une à lautre ou même les combine et les identifie* L'idée reli-
gieuse rétablit perpétuellement Tunilé de la conscience, l'équilibre
des tendances et des états psychiques. Parfois, au contraire, f indi-
vidu se trouve « partagé î, désagrégé, et partant malheureux, 11 se
voit alors contraint de choisir (s'il peut être ici question d'un choix)
entre cette alternative : Ou bien a de renoncer au monde i> pour
trouver Tunité avec Dieu dans son for intérieur, comme fait le mys-
tique ou bien de renoncer ù lui-même pour trouver l'unité avec
Dieu dans une activité extérieure quelconque^ comme nos actifs*
i. Rilflchl, GçëchiçlUt des Phiismm.
566 REVUE PHILOSOPHIQUE
religieux ou comme d'autres, plus enclins encore au fanatisme, dans
une action spéciale et sacrée.
Ce qui apparaît déjà clairement, c'est l'impossibilité absolue pour
certains individus de satisfaire leur besoin religieux par les pro-
cédés et les exercices des extatiques. Ils arrivent au même résultat
à la condition d'être orientés en sens inverse. Là où sainte Thérèse,
par exemple, ne voit que de la diversité, des tentations, du mal, dos
piétistes trouvent la paix et la délivrance; et ils s'exposent aux ten-
tations dès qu'ils essayent de suivre l'exemple de la sainte et de ses
pareils. Dans la situation et dans Tattitude même où celle-ci se sent le
plus portée à la dévotion, ils paraissent ne plus se soucier de reli-
gion et, tandis qu'elle jouit d'une vision de Dieu, de Jésus-Christ ou
de la Sainte Vierge, ils en sont réduits à une apparition du diable.
On ne saurait imaginer un contraste plus frappant.
Il nous reste à envisager maintenant d'autres cas du môme genre
que les précédents, mais qui nous intéressent encore davantage,
parce que les sujets ont besoin, dans l'intérêt de leur propre con-
servation et de leur unification personnelle, de se vouer à une œuvre
essentiellement religieuse. Finney' rapporte qu'il a connu dans un
ii réveil » un homme qui s'enfer4na pendant dix-sept jours, priant
Dieu continuellement comme s'il eût voulu forcer Dieu d'en venir à
ses fins; mais, cela sans aucun succès. Cet homme sortit alors pour
« travailler au règne de Dieu », et immédiatement il sentit l'esprit
de Dieu dans son ame et il éprouva un bonheur sans mélange. Veut-
on maintenant une deïîCription plus complète de cet état curieux,
d'un individu qui se sent tour à tour damné ou sauvé, abandonné de
Dieu ou rempli de son esprit, troublé ou pacifié, selon qu'il reste
enfermé dans sa chambre ou qu'il se met à l'œuvre? Je la trouve
dans uiio lettre adressée par un pasteur américain à l'un de ses
collègues presbytériens, pour lui faire la confession de ses fautes
et surtout de ses misères.
« .rai soulTert, écrit-il, toutes les horreurs d'une profonde mélan-
colie. Des pensées de blasphème qu'il ne m'est pas même permis
do répéter, des tentations que je n'ose pas nommer... me traver-
saient l'esprit sans (jue je le voulusse, sans qu'il me fût possible de
les repousser. Ma pauvre âme impuissante contre elles était leur
joufl. Souvent, il me semblait entendre Satan me parler, se rire de
moi et triompher en me disant : Où est ton Dieu maintenant? Ces
idées se présentaient à moi si soudainement, avec tant de force et de
réalité, (ju'il m'était impossible de croire qu'elles fussent nées dans
1. Discours nui' fes rrvci/if.
BflURISIEH. — LE FAWATISMK RELIGIEUX
567
mon esprit; sans doute» Satan avait reçu !e pouvoir de me souf-
ileter. Dans mon angoisse, je me roulais souvent sur le plancher de
mon cabinet d'études^ je passais là des heures dans le désespoir. Si
cela m'eût été possible, j^aurais certainement renoncé au ministère.
Mais, j'étais ubligé de prêcher^ et au dernier moment» je me met*
tais à préparer ma prédication avec le sentiment que, de ce côté-ci
de renier, il n'était pas possible d*étre plus indigne et plus mal-
heureux que moi. Une fois que je lavais commencé» mon sermon
m'intéressait; je m*oubliais d*ordinaire en le préparant. Le dimanche
je prêchais comme un ap6lre, et je revenais chez moi la mort dans
^âme^ 3ï VoLtà un prédicateur qui n'eut guère pu s'approprier ni
probablement comprendre la pensée de Pascal selon laquelle tout le
malheur des hommes vient de ne savoir pas se tenir dans une
chambre.
Il devient donc de plus en plus évident que la vie religieuse
intérieure, les joies de Textase restent inaccessibles a une certaine
catégorie d'individus. Ces individus sont les actifs^ dit-on généra-
lement. Sans doule^ et Ton peut maintenant saisir Tune dos princi-
pales raisons psychologiques de cette orientation totale ou du
moins nécessaire vers ractivité extérieure. La même cause qui
détermine à^ loisiveté n au moins apparente et à la contemplation,
un individu dont les éléments psychiques mal coordonnés se dis-
socient au moindre contact avec la rt^alilé sensible, produit néces-
sairement leffel contraire chez un individu pour lequel cette grave
dissociation et les sentiments pénibles qui i^iccompagnent^ résultent
de l'absence même de ce contact. A l'origine de la a vie active »
comme de la vie contemplative se trouve dojic îe besoin d unité et
de stabilité, réductible, on Ta vu, à Tinstinct de la conservation
individuelle. Chez ces esprits faibles, privés du pouvoir de la
synthèse mentale, l'unité et Tidenlité ne se maintiennent qu'au prix
de sacrifices décisil's et de sérieuses mutilations- De même que le
mystique sacrifiait laclion, le fanatique sacrifiera la réflexion. Quant
à nos malades, ils ont déjà avec le fanatique ce caractère commun,
de n'arriver à l'unité, c'est-à-dire à la satisfiiction d*un inslincl fon-
damental^ que par Toubli d'eux-mêmes, par labsorption totale de
leur moi dans une occupation favorite imposée à leur activité* Dès
qu'ils restent quelque temps inoccupés, ils retombent dans leur
état d'incohérence, d'anarchie intérieure et dans leurs angoisses*
Entre les quatre sujets ici mentionnés, il n y a à relever qu'une
dilTérence notable : les uns s attachent à une besogne quelconque;
i , 0 u >' r . c i té , Mémoires if n n pasîtur prtsbt/t érim ,
568
REVDB PniLOSOPlilOtJE
H leur suffit de se livrer à un travail de bureau» de surraonlêr"
« quelque obstacle i». Les autres se consacrent à une œuvre exclusi-
vement religieuse.
Mais, ainsi que je l'ai laissé entendre dès le début, cette explica-
tion des phénomènes constatés ne peut être tenue pour suffisante.
L'unité et la stabilité psychiques ne sauraient dépendre simplement,
chez ces malades, de la dépense quotidienne et régulière d'une
certaine i|uantité d'énergie disponible qui, faute d^emplot, détermi-
nerait les troubles physiologiques et psychologiques dont ils se
plaignent. La théorie de Bain, concernant la nécessité des dépenses
de luxe, sans objet et sans utilité, s'applique peut-être à quelques
actii's, « solides machines, toujours en mouvement », auxqueb une
bonne nutrition fournit sans cesse de nouvelles réserves d'énergie
vitale; elle ne saurait rendre entièrement cotnpte des phénomènes
beaucoup moins simples que fournit en général la réalité même la
plus vulgaire ou la plus morbide.
Tout bien examiné, ropposition très réelle de la vie cooterapklive
et de la vie aeti%'e se subordonne, en particulier chez les piétistes
qui nous ont servi d'exemple^ h une opposition plus profonde, celle
de la vie individuelle et de la vie collective. Le petit employé
laborieux qui abandonnait son bureau pour se vouer à la ^méditaliuo
religieuse, ne soutînt pas tant de son inaction^ d'ailleurs 1res te\^'
tive puisqu'il employait son temps à lire et à méditer la Bible, qiie
de risolement. Il le déclare expressément : ce qui le troubla et
faillit le perdre, ce fut de se trouver «c seul avec lui-même », A la
véritét le pasteur presbytérien atteint de mélancolie voyait régu-
lièrement cesser ses inquiétudes, ses doutes et ses tentation?, à
partir du moment ou il se mettait à préparer son sermon, Maiscda
ne signille nullement que cette activé intellectuelle ait pu rétablirai
elle seule, entre ses élals de conscience, un équilibre momentané.
D'abord, « il s oubliait lui-même » en s'intéressanl à son Iravatlt^l
cet aveu est déjà capitaL En outre, pour prêcher le dimancbe
« comme un apôtre Ut il importe, je suppose, de s* y préparer surtout
en songeant à ses auditeurs habituels et en prenant, pour ainsi
dirCj d'avance contact avec eux; ce n*élait donc pas au moment ûù
il montait en chaire que le prédicateur sortait de son isolementî
c'était au moment où il se demandait ce qu'il allait dire à ses paroiS"
siens. Ainsi, le cas se complique. 11 n'y a pas seulement, comme on
pourrait le croire au premier abord, passage de Totsiveté à raclivité:
il y a de plus et surtout adaptation de l'individu à un milieu àè\£^'
miné et substitution d'un moi social au moi individuel. Quoi trétofl-
nant si à une modification aussi profonde de la personnaUlé corra*
k
MURISIER, — LE FANATlî^MÊ RELIGIEUX 569
pond un changement non molDs profond dans les dispositions
morales du sujet, dans ses émotions et jusque dans ses jugements
et ses croyances?
Celte influence de l'adaptation sur Tunité et la stabilitti mentales
peut se constater en tout Heu et en tout temps. Les cas pathologiques
ne font ici comme toujours, qu*éclairer et illustrer les autres. Ceux
qui ont connu des étudiants en théologie auront remarqué la prodi-
gieuse facilité avec laquelle certains étudiants à I esprit inquiet, à
Vùme tourmentée, se transforment, peu après leur entrée en fonc-
tiOD, en simples représentants et en champions d*une doctrine
arrêtée, consacrée et traditionnelle. D'ordinaire ce changement
s'accomplit une fois pour toutes, parce que ladapialion est défini-
tive. Plus rarement, le prédicateur passe, comme on vient de le voir,
par des alternatives d'angoisse et de paix, de doute et de certitude,
suivant les circonstances sociales où il se trouve placé. Un évangé-^'
liste suisse plein de zêle^ d ardeur et ordinairement de conviction,
promoteur même de € réveils », avoue que dans Tintervalle des
réunions qull présidait, il se demandait avec angoisse : <* Tout cela
est- il bien vrai? Et, si cela est vrai, suis-je moi un vrai chrétien? i>
Et pourtant, ajoutail-il, pendant toute la durée de ces doutes, je
n'ai jamais manqué de sincérité en préchant Tévangile. Notre foi, a
dit \\\ James, n*est souvent qu'une foi dans la foi des autres. Rien
de plus juste. Mais on n*a pas encore assez remarqué que la foi du
meneur religieux dépend elle-même, dans quelques cas au moins,
de Inaction qu*it exerce sur le milieu oii s'impose son autorité, qu'elle
s'aflermit en se communiquant.
Pour couper court à toute équivoque et mettre encore mieux en
lumière le nMe etTimportance deTadaptation * dans cesphénomènes^
une dernière observation vaut la peine d*étre retenue et citée. On
Y voit les mêmes modifications de conscience produites non plus
par rintervention de Tagent dans un milieu donné, mais par Tunique
pression de ce milieu sur Tindividu qui la subit passivement, a J*ai
connu un homme qui avait résolu de ne jamais aller prier dans un
certain bosquet où*plusieurs personnes se rendaient à l'époque d'un
réveil pour y prier, y méditer et s*y consacrer à Dieu. C'était un
avocat, et Tun de ses clercs avait été converti en cet endroit.
L'avocat lui-même était « réveillé », mais il lui prit lldée de ne
jamais aller dans ce bosquet. Il marcha pendant plusieurs semaines
sans trouver la pai?c. Une fois, il passa une nuit entière à prier dans
l. M. MUiîoucJ, dani un tr&vail encore inachevé, met ea lumière ceUc loi psy^
chologique.
570 ItEYUE PHILOSOPHIQUE
sa chambre, mais il ne voulait pas se rendre au bosquet. Sa détresse
devint si grande qu'il étail tenté de sV)ter la vie, et qu'un jour il
jeta loin de lui son couteau, de peur de s'en servir pour se couper
la gorge. Finalement, il céda et se rendit dans le bosquet, où il fut
immédiatement converti et rempli de joie en son Dieu *. »
Bien que le cas ne soit pas encore aussi simple qu'on le souhai-
terait (l'attention expectante y joue un rôle important), il me paraît
assez significatif. Comment faire rentrer ce caractère dans la classe
des actifs? Et comment dans celle des contemplatifs? En réalité il
se rapproche beaucoup de ceux qui viennent d'être examinés, avec
cette diftërence remarquable que le sujet n'exerce aucune activité
particulière, profane ou religieuse. Le fait constant et capital dans
toutes ces manifestations psychiques, qui appartiennent évidem-
ment à un même groupe, c'est donc l'adaptation de l'individu à un
milieu bien défini, excluant d'une part les tendances individuelles,
d'autre part toute forme différente de vie sociale, et réalisant par
là même l'unité de conscience et la paix morale.
Ainsi, la vie active consiste essentiellement dans TabsorptioD de
l'individu par une (lîuvre, mais par une œuvre sociale, ayant pour
effet principal d'anéantir les sentiments individuels. De même, la
vie contemplative anéantit, comme on l'a vu, les sentiments sociaux.
En considérant, comme nous le faisons ici, des cas extrêmes, nous
trouvons donc que le sentiment religieux se développe dans deux
directions opposées. Il apparaît et acquiert toute son intensité chez
les uns, dans les conditions précises où il s'efface chez les autres.
Il se manifeste comme besoin, pour toute une catégorie d'êtres
humains, dans certaines circonstances déterminées où les repré-
sentants d'une autre catégorie trouvent la satisfaction même de ce
besoin. Et cette opposition se réduit à une différence de nature entre
les causes qui, en l'absence d'un réel pouvoir de coordination,
maintiennent en un équilibre souvent bien instable, les éléments
psychiques.
Lorsque la qualité et l'orientation des tendances prédominantes
poussent l'individu à s'isoler, à se replier sur lui-même, à chercher
loin de ses semblables le point d'appui dont il a besoin, l'image d'un
être surhumain, idée-force si jamais il en fut, remplit l'office d'élé-
ment unificateur. La religion apparaît alors comme une forme de
systématisation excessive et anormale, procédant trop exclusive-
ment par élimination. N'importe, le résultat est atteint du moment
où une certaine unité de conscience succède à l'incohérence primi-
i. Finney, ouv. cité.
IMIUHISIER. — LE FANATJSME RELIGIEUX
571
tive. Résultat peu assuré et peu durable, cf ailleurs, que 3e moindre
. accident suffit à compromettre. Or Taccident le plus grave se pro*
duit d'u tic manières peu près constante et inévitable, au moment
d'une adaptation nouvelle. Que le mystique entre réellement en
contact avec le « monde » îles dilTérents groupes sociaux, y compdï*
la l^unille et les églisesi et retjuilibre se perd. La systématisation
cède au premier choc, occasionné par une velléité quelconque
d'adaptation.
Lorsque la qualité des tendances et leur orientation inverse pous-
sent l'individu dans Je sens contraire, hors de lui-même, le point
d'appui indispensable change. L'idée religieuse remplit toujours, a
la vériléj un office analogue. Seulement elle n'est plus perçue dans
les mêmes conditions, ou si elle Test en quelque manière, elle
manque d'efficacité, elle reste lettre morte. Klle ne se développe»
elle ne se fortifie et n*ètablit sa suprématie que dans la mesure où
Tindividu se trouve placé dans un milieu favorable. La religion
devient alors à la fois cause et eflet de Tadaplalion. Et comme Téquî-
libre ainsi obtenu reste éminemment fragile et instable, il suffit
encore du plus léger accident pour le détruire, 11 suftitque l'individu
sorte de son mdîeuj qu'il en sorte seulement par Ja pensée pour
essayer de se vouer à la contemplation intérieure de Tètre divin*
L'heureux elïel de l'adaptation disparaît souvent dés les premières
tentatives de systémalisationj même religieuse.
II
FOaME SOCIALE DE L'iDÉE RELIGIEUSE.
L'influence de l'adaptation sur la stabilité mentale a été jusqu'ici
trop peu remarquée par les psychologues* Quelques traités récents,
quelques articles signalent pour tant cette lacune, fournissent des
indications utiles, et même des données qui contribueront à la com-
bler, M. Baidwin * ne sépare jamais rorganisation psychologique
de rorganisation sociale, et il s en faut de peu qu*il reconnaisse le
vrai rôle de Fadap talion. M, G, L, DupratS étudiant les causes
sociales de la Iblie, trouve que la plnijarl des troubles moraux qui
alTectent les individus, correspondent h des troubles sociaux et en
dérivent, 11 va même jusqu*à formuler avec précision cette idée, sur
laquelle il eût fallu seulement insister davantage» que les malades
1. Inierprétatwn if octale et morale du dêveioppement meniûL
t. Les came» jocmles de ta folk.
572 KEVUE PHILOSOPHIQUE
enfermés dans les asiïesj soignés dans les hôpitaux» ont souvent
perdu la raison, pour n*avolr pas su s'adapter à de nouvelles condj-
tions d existence. M> Flournoy^ remarque que sou sujet, Mlïe Smith,
héréditairement prédisposé aux hallucinations, a souffert, pendant
sa jeunesse, de se sentir trop différente de son entourage, inœm-
prjse et entièrement isolée. Et M, Millioud', interprétant ces ob^r-
vations, voit avec raison dans le défaut d adaptation au milieu, t'iiDe
des causes les plus fréquentes de la désagrégation mentale. Toutes
ces données et ces considérations générales viennent à Tappui de?
observations recueillies dans les milieux religieux et coaûrmeot
notre interprétation.
Les faits que nous allons maintenant passer en revue différent
quelque peu des précédents, mais* se rangent naturellement sons la
même loi qu'ils vérifient. Certains malades également faibles, iita-
paLles de systématisation interne et d'adaptations nouvelles, dont
Tunité et la stabilité dépendent aussi de la pression morale exercée
par le mUieu, ne retombent pas iiu môme degré que les premier^
dans les troubles organiques et psychologiques et dans te doute
chaque fois qu*ils se trouvent isolés. Séparés de leur groupe, quel
qu'il soit, de leur église ou de Jeur secte, retirés dans quelque îjoli-
tude, enfermés dans quelque asde» ils restent en général adâplésà
leur milieu réel ou imaginaire» partant unifiés, stables, calmes,
pleins de foi, souvent de joie» C'est que chez eux, Tidée religieuse
s'est développée, fortifiée, maintenue, lîxée. Mais cette idée llxa
n'apparaît plus, dans ce cas, tout à fait telle qu'elle se manifestait
dans lextase.
Sans doute, la plupart des phénomènes que nous altons consister
chez les fanatiques* nous les avons déjà i:enconlrés chez les mysti-
ques : la perversion des sentiments moraux et socîaui, rascéhsroe,
le besoin de direction, les visions, Texlasse même, au sens courant
du mol, se retrouvent dans ]e fanatisme, mais sous un aspecl diïTé-
rentde celui qui nous est déjà connu, avec un caractère nouveau.
Afin d'éviter les répétitions, je me bornerai à relever ce seul > -
tère, a envisager en ces divers états de conscience, la forme -
qui leur est commune.
Et d'abord, j ascétisme joue un rôle considérable dans l existeace'
des <t saints » de ce genre. Les biographies de saint Dominique, de
saint Bernard, même, fournissent en abondance des exemples de
mortifications qui ne le cèdent en rien à ceux que Ton sait* Les
i* De tfnde à la planète Afars,
2. Gazette de Lausanne ^ février îMQ.
MURISIER. — LE FANATISME RELIOIELX
§73
mêmes exercices spirituels sont souvent et en grande partie prati-
qués par les représentants des deux groupes de malades. Quelle
qu'ait été leur destination primitive, les « exercices » de Loyola
favorisent chez les uns le développement du mysticisme, chez les
autres le développement du fanatisme. Les prédicateurs eKaltés, les
prophètes inspires, les meneurs de foules, les chefs de sectes cru-
cifient leur chair, amortissent leurs sens, apprennent à « voir sans
voir i>, à • entendre sans entendre t», h « manger sans goûter », à tel
point qu'il arrive à Tun de boire de l'huile pour de Teau, sans s'en
apercevoir^ ou à un autre, d'ignorer au bout d*un an de noviciat la
configuration de Toratoire où il prie tous les jours. Inutile de mul-
tiplier ces exemples historiques.
k Ici encore, Tascétisme est à la fois un indice et une cause de la
transformation du sentiment religieux en idée et en émotion fixes.
Dieu lui-même ordonne à Tindividu partagé entre des sentiments
îivers et contraires, de renoncer k toute cmolion, à toute image
"^profanes. En d*aulres termes, fidée religieuse exclut elle-même de
la conscience ce qui la gêne et la contrarie. Et sa puissance s*eû
trouve accrue d*autant.
I L*êvangéliste déjà mentionné ne pouvait vivre en paix pendant
pies années ou tout en aspirant à la sainteté chrétienne, il prenait
plaisir^ lire ïSchiller, Goethe et Wieland. Un de ses amis lui ayant
fait cade^^u des tdifUe^ de Gessneri il les lut et les relut avec avidité.
Un jour, il prit le volume, s'assit près d'une haie et après avoir une
dernière fois goûté ïes émotions poétiques, il jeta loin le petit livre.
Dès lors, il eut moins à soutTrir du chaos de ses sentiments.
Chez un pasteur, mort récemment, ce développement de plus en
plus exclusif de fidée religieuse pouvait fort bien se constater et se
suivre. R, renonça tout d'abord à s'occuper de ses abeilles, durant les
lloisirs que lui laissait le soin de sa paroisse. Puis, il se sentit mal à
Taise à la pensée a que Tacte de fumer était incompatible avec Tordre
divin de faire toutes choses pour la gloire de Dieu », et dès lors, il
I ne regretta jamais son « dernier cigare i>. Puis il abandonna la lec-
ture du Journal de Genève, puis la culture des fleurs qui ornaient
son presbytère, finalement son presbytère lui-même et son modeste
traitement. Toutes ces choses et bien d^auires auxquelles il tenait
beaucoup lui furent successivement, comme il disait» « réclamées
par le Seigneur », On ne saurait mieux caractériser le pouvoir
tyrannique de l'idée qui sinstalle et se maintient par rélimination
graduelle, mais totale, des états rivaux et des tendances antagonistes.
Chez R-, ce développement aboutit à la fondation d'une secte dont il
I resta jusqu'à sa mort le chef*
514 REVUE PHILOSOPHIQUE
Parmi les éléments ainsi éliminés, les senUmenls de famille mén*
tenl une mention spéciale. Les savants qui établissent un niit^go*
nisnie eotre la vie domestique et la solidarité sociale trouveraient de
bons exemples chez les fanatiques* Les prophètes et les réforma-
teurs anciens ou modernes tuient la maison paternelle, résiiïtetit
inflexiblement à leurs parents, lorsque ceux-ci essayent de It^s
reprendre, quittent leurs femmes et leurs enfants pour se mettre
entièrement à la disposition de Dieu. EL cela toujours par ordre
drvin. D'ailleurs, les actes, les fugues, la négligence des devoirs
domestiques, ne font que manilesler le véritable état affectif de
i*agent. La réalité affective correspond exactement aux apparences,
la ruine de la famille a pour cause unique la destruction opérée par
une divinité jalouse des affections de famille- R* n'abandonna
jamais les sienSi mais il faut, disait-il, que « nous quittions dans le
cœur — et en réalité si le Seigneur le demande — père^ mère, frères,
sœurs, maison et que nous haïssions notre propre vie pour être ses
disciples t. Dans un passade de son traité contre les hérétiques,
Calvin fait h. ce sujet une déclaration vraiment effrayante qui a la
valeur d'un document psychologique. S adressant aux « miséricor-
dieux TV qui veulent laisser les hérésies impunies, il leur aflirnie que
telle n'est pas la volonté de Dieu. « Ce n'est point sans cause qu'il
abat toutes affections humaines dont les cœurs ont accoutumé
d'être amollis. Ce n'est point sans cause qu*îl chasse loin Tamour dtj
père envers ses enfants et tout ce qu1l y a d'amitié entre les fràres
et prochains^ qu'il retire les maris de toute.s îes tlalteries dont ils
pourraient être amadoués par leurs femmes; bref, qu'il dépouiile
quasi les hommes de leur nature afin que rien ne refroidisse leur
zèle. Pourquoi requiert-il une si extrême rigueur et qui ne Jléchisâe
point, sinon pour montrer qu'on ne hu fait point riionneur qu'on
lui doit, si on ne préfère son service à tout regard humain pour
n'épargner ni parentage, ni sang, ni vie qui soit et qu'on mette en
oubïi toute humanité quand il est question de cnmhattre pour sa
gloire ^ » Si ce n'est pas là une description complète du fanatisme,
il faut y voir au moins une confirmation éclatante de notre remarque
sur la marche de la maladie, et sur la puissance éliminatrice de
l'idée religieuse. Les affections naturelles les plus profondes cèdent
comme les autres aux chocs réitérés d'une force croissante. Les
malades les plus dangereux pensent alors et agissent en consé-
quence. Les plus inoffensifâ ressemblent simplement au fameux
pèlerin de Bunyan qui, fuyant sa ville et sa maison, avant qu'elles
i. Tntili' contre ks héréiiqjies^ cité par F. Buisson daos S> CùêUtUon.
MUHISIER. — J,E lAWATTS^K HEUCIHUX 575
fussent embrasées par le feu du ciel, se bouchait de ses doigts les
oreilles pour ne pas entendre Fappe! de ses enfants et répondait au
<t sage mondain » curieux de savoir slî était marié : « Oui, mais il
- me semble que j Vi une femme comme si je n'en avais point ^ ».
LMâis, si complète que soit rélimination, elle ne va jamais, cbez le
fanatique^ jusqu'à détruire l<mle e^pi^oe de sociabilité. Bien au con-
traire. Lîi tendance sociale ne contrarie plus ici Fidéa religieuse et
ne constitue plus un obstacle à écarter, mais elle lui est unie, elle
se combine avec celle-ci comme un élément essentiel entre dans le
composé dont il fait partie intégrante. Chercher par tous les moyens
Il plus grande gloire de Dieu, combattre rhérésîe sans épargner
_ jTii sang ni vie ». réformer rfiglise» fonder une société nouvelle et
parfaite, vivre pour son ordre ou pour sa secte, prophétiser la des-
truction d'un monde mauvais, ou le sauver une fois de plus, ce n'est
pas seulement, pour ces personnes éminemment sociables, accum*
plir un devoir envers autrui ni même, au sens ordinaire, un devoir
envers Dieu, c'est être tout simplement religieuses. La religion
devient un pliénomène social par cela seul que la personne humaine
est relative li une collectivité, membre d un groupe, et que par
suite, elle sent, pense, agit sous l'idée dominante de ce groupe,
lequel s'intègre réellement avec le tout qui la constitue-
On pourrait montrer comment le sectaire, par exemple» quel que
soit son njle, supérieur ou subalterne, reporte sur la secte les affec-
tions qui se détournent des autres groupes sociaux, comment il en
arrive k ne pouvoir s'unir li Dieu qu'en s nuissant ù ceux qu'il
appelle ses frères. 11 me paraît préférable, pour être moins long, de
consi dérer quelques phénomènes psy ch iques par ti cuHèrement im por-
tants.
Le fait essentiel, on Ta vu par notre analyse de Textase, c'est le
besoin de direction. Ce besoin existenaturellement chezle fanatique.
Mats il se satisfait autrement que chez le mystique, d*une manière
plus conforme îi la réalité courante, car si le mystique peut paraître
au premier abord échapper â toute direction, le fanatique parait à
première vue n*en subir d'autre que celle d'une ou de plusieurs per-
sonnes de son entourage, et il iaut y regarder d'uu peu plus près pour
s'apercevoir qu'il se soumet lui aussi à une autorité surhumaine.
Nous avons donc aiïaire maintement h un phénomène plus complexe,
à une double relation de dépendance, h la fois sociale et supra-sociale-
Distinguons, pour procéder avec quelque précision, entre le meneur
elle mené, Ceîui-ci éprouve» à n*en pas douter, le besoin de se sou-
t. Vot/affe du chréiieti.
576 RBVUE PHILOSOPHIQUE
mettre à une autorité étrangère, à une discipline extérieure. Inca-
pable de vivre pour son propre compte, il aspire à vivre de la vie
d'une certaine collectivité. Il ressemble à s'y méprendre à ces malades
étudiés par les docteurs Raymond et Pierre Janet qui souffrent de
tous les troubles de l'aboulie, de l'impuissance et du désespoir parce
qu'on les a sortis de leur petit milieu familial ou provincial, et qui
présentent toutes les apparences de la guérison dès qu'on peut les y
réintégrer*. Et pourtant, l'analogie n'est que partielle. Outre la dif-
férence de milieu, il y a celle du principe directeur. La pression
morale exercée sur Tindividu par son entourage ne le réconforte et
ne le satisfait qu'en réalisant certaines conditions qui permettent à
ridée religieuse de dominer sur les tendances diverses. L'avocat
américain'^ qui resta en proie au désespoir et aux .idées de suicide,
tant qu'il refusa de se joindre aux personnes pieuses qui se réunis-
saient sous un certain bosquet, fut délivré de ses maux, non par ia
simple action de ces personnes, mais par Taction divine devenue
irrésistible sous leur influence. Toutefois, dans les deux cas, le
besoin de direction se fait sentir tant que l'individu ne s'adapte pas
au milieu ou s'isole moralement; il se satisfait par l'adaptation et
c'est là ce qui dispense le malade de recourir périodiquement au
médecin ou à l'hypnotiseur.
Les grands fanatiques, meneurs de foule, chefs de secte paraissent
destinés au commandement bien plutôt qu'à l'obéissance. Mais cela
n'est vrai qu'en apparence ou en une mesure très faible. On l'a
déjà noté : le meneur est d'abord hypnotisé par l'idée dont il se fait
l'apôtre, autrement dit le meneur n'est qu'un mené. S'il en est ainsi
du chef politique, hypnotisé, comme Robespierre, par une idée
abstraite, à plus Ibrte raison en est-il de même du chef religieux
qui se croit dirigé et, selon une expression un peu ancienne, se sent
(tfji par une personne omnisciente et omnipotente, «c Dieu m'a dit \
ik le Saint-Ksprit nfa fait dire » ou « il m'a employé à ce travaih,
ou «c il m'a fait jeûner », ou encore, « il m'a fait prendre une certaine
attitude », il m'a ordonné de métendre à terre, de tourner sur moi-
même jus(]u'au vertige, etc., telles sont quelques-unes des formules
les plus fréquemment employées par les prophètes et les fanatiques
de toutes sortes. L'un des plus récents, parmi les plus gravement
atteints, Guillaume Monod, qui se crut prophète, puis fils de Dieu et
réussit à convaincre un assez grand nombre de personnes en France
et en Suisse on rencontre encore quelques monodistes), décrit ainsi
1. Sévrose< et idées fi tes, l. IL fiassim.
2. Voir;*. I.
MURISIER. — LE IMNATJSMK IlELlfilEUX
ses rapports avec le Saint-Esprit : « Pour donnor quelque idée de la
manière dont il me dirigeait, je puis dire que je penlis ma liberté
depuis le moment ou je re^us le Saint-Esprit. Tétais lié par lui,*, je
le tlis dans un sens littéraL Saint Paul était lié par un ordre; moi,
j'étais lié par une puissance qui agissait sur mes membres, autant
que par îa parole qui ra^était adressée, et je Tétais i-onstatoïnent. Je
puis me comparer à Exéchiel qui dit : l'Esprit entra en moi et me mit
sur mes pieds et m'enterma dans ma maison, etc'. » C'est là un
équivalent des témoîgjiages mysliques, une affirmation du besoin de
direction et de fabsolue dépendance. Mais, dans ce cas, ces senti-
ments cessent d'être individuels pour revêtir dès Tabord et garder
ensuite une forme nettement sociale. Guillaume Monod, séparé
malfe'ré lui de ses disciples (il resta longtemps entermé dans un
asile d aliénés I, n'en était pas moins occupée une œuvre sociale :
en elTel, respril dîvin^ il en était convaincu, opérait en lui la régéné-
ration de rhumanité tout entière.
De même, le chef de secte moins éloigné^ d'ordinaire, de l'étal
normal, ne se sent réellement dépendant de lu puissance person-
nelle dont il devient l'organe que lorsqu'il se trouve a la tête de son
troupeau, en communion morale avec lui. Dans Tintervalle des
réunions, il ue cesse presque jamais d'y être adnpté. R., qui fonda
une secte, comme on la vu, après avoir quitté TÉglise, considérait
comme dangereuse et diabolique la tendance k risulcmenL S'isoler
sous prétexte de jouir du Seigneur, c'est selon lui tomber dans un
piège préparé par le diable. Les corps peuvent ôlre séparés momen*
tanément à la condition que les âmes restent unies par le Saint-
Esprit. Autrement Dieu cesse de se communiquer. Le iiesoin de
direction chez, le meneur religieux est donc relatif h une collectivité
qui peut embrasser l'humanité dans son ensemble, mais qui reste le
plus souvent limitée à un petit groupe dUndividus animés d'un
esprit identique. Selon que le raui social se rétrécit ou s'élargit^ le
sentiment religieux s étend de la secte à 1 Église, k la nation, à
l'univers.
Ce caractère social se relrouve dans toutes les manifeslalions
psycïiîques du fanatisme et particulièrement dans les plus exagérées
et les plus aisément observables. On sait que Tidèe fixe arrivée a son
plein développement donne naissance soit *i des hallucinations, soit
à des mouvements et à des actions. Le mécanisme de ces phéno*
mènes est aujourd'hui assex bien connu. Ce (fu*il importe mainte-
nant de considérer c'est la Ibrme particulière que revêtent, ches les
1. Mémoire* (Ctin homme enfermé €<mime aliéné.
578 KEVUK PlIlLOSOPltlQUK
îïîalades dont il s'agit, les hallucinations et les acUoos auiomali*
ques.
Tandis que Textatique jouit égoMement d'une vision du Christ ou
joue plus ou moins consciemment la scène de la cruciGxioo, le Um-
tique n des visions d un autre genr^ et ne manque presque jamais
de donner à ses actes les plus bi/.arres, à se^ gestes les plus ariji-
traires en apparence, une inlerpretation sociale.
Considérons, en premier lien, les hallucinations. Dans l>nib;irras
dQ choix, i emprunte à ThisLuire ecclésiastique deux exemples que
deuK observations permettront ûe contrôler- Catherine de Sierinct
après une période de mysticisme, renonça u la vie solitaire. Aioi^
elle eut une vision décisive : les fondateurs des grands ordres monas-
tiques lui apparurent; elle laissa s'éloigner ceux qui imposèrent mx
nonnes une claustration trop absolue et l'outil i du inonde, Viitt euîtu
saint Dominique, qui jet a sur ses épaules le manteiiu des sœurs hospi-
talières de la pénitence, alfi liées aux frères préclieurs. Peu après, elfe
lut admise dans cet ordre militant '. A une autre époque et dans un
milieu très dilTérent, G* Fox» le fondateur de la société des Quakers,
vit *c des peuples aussi épais que les atomes, dans le soleil » anieoés
en la bergerie du Seigneur. Son œil tourné « vers le septentrion t
contempla un grand peuple qui laccueillit bien et s'apprêta à récoa ter.
Aussitùt, des [ihénomènes moteurs succédant à riinllucination, il se
mit à prêcher sur la montagne ou il se trouvait seul, comme s'il eût
été en présence d*un nombreux auditoire *, De nos jours, Guillaume
Monod eut plusieurs visions du même genre ♦ A la prière de Jésus-
Christ, Dieu son Père descetidait. «Je ne voyais rien, maisj>nteadais
une voix comme venant d'en haut, Jésus-Christ m'avertissait de me
mettre h terre quand Dieu venait. J'étais etTrayé, le visage contre
terre, pendant que Dieu lui-même parlait, et pourtant je me réjouis^
sais d'entendre sa voix. 11 me parlait de ses plans pour la conversion
du monde''». Enfui, J., ancien alcoolique converti, aujoui'd'hui soldat
de Tarmée du Salut, eut naguère des hallucinations auditives suivies
d*une série d'actes. En voici un exemple : Au moment de sa conver-
sion j il éprouva un désir ardent de « faire quelque chose pour le
Seigneur ?>. Pendant une réunion, il entendit tout à coup une voix
disant : « Je suis prêt pour le ciel, t'ètes-vous? i U fit broder ces mots
sur une grande écharpe qu*il mit en sautoir pour parcourir les rues
de la ville. Puis il se rendit dans le même accoutrement à Paris et à
i. Gébh&rd» f'iude ^ut' OïihejiTie de Sienne.
S. G. Feno (âon confidctiL). Ihi^i. des Quakerft
3. Mémùifci d*tin ftùtnnie enfermé comme aliénée
I
I
Londres. Il fallut une nouvelle intervention céleste pour mettre un
terme à cette sorte de fugue.
Avec deux de ces exemples, nous touchons aux actions automa-
tiques, puisque les hallucinations délenninent des actes combinés
en vue du saUil de l' humanité. Mais je trouve cliez CruiNaume Monod
des phénomènes mottnn's qui cojistituenl, en quelque sorte^ une
forme psycho-sociale de Textase motrice: une série de mouvements
automatiques représentant non plus un événement individuel, nne
scène de la vie du Christ, mais une situation collective, Tétat de là
chrétienté. Sans doute, le symbole n*est pas très clair pour rohser-
vateur étranger; mais îe sujet Tinterprète à sa manière et si cette
interprétation constitue à quelques égards une différence importante
entre les deux cas, il n'y a pas ici à en tenir compte. Donc, le Saint-
Esprit descendit sur le malade et lui fit prendre et Tapparence d'un
insensé n. Tantôt il tournait sur lui-même» tantôt il courait en
arrière et tombait h la renverse, tantôt il se dépouillait de ses vête-
ments, etc. Un jour même. Dieu renouvela en lui, <i par une opération
qui eût pu lui coûter la vie si lui-même n*eût conduit sa main, le
signe sanglant qu'il donna à Abraham pour accuser la race humaine
de péché »* Dieu voulait ainsi » représenter en moi ce que vous
êtes vous-m<5mes à ses yeux,.. Toute ma folie, j'adopte le terme que
le Saint-Esprit a employé, était destinée à figurer Télat de la chré-
tienté depuis le commencement du papisme'. » Peu importe que
le sens de ces symboles reste plus ou moins obscur pour celui qui
assisterait simplement à la scène san.s lire le commentaire. Un
fait devient évident : considérée sous son aspect mental ou sous son
côté moteur» l'idée religieuse apparaît toujours la même chez le
fanatique; elle s'associe d*une manière étroite et indissoluble k un
petit groupe de tendances^ d*émotions, d'images qu'elle régit, mais
qui en font une force éminemment sociale, un principe énergique
{inadaptation de TÔtre à son milieu,
m
La stabilité du mil.I£u.
Nous touchons ici à un point fort obscur, que la méthode patholo-
gique nous permet d'élucider : les rapports du psychique et du
social apparaîtront toujours mieux à mesure que nous pousserons
avant nott'e recherche. Les manifestations extérieures et bien
Onnues du fanatisme ont leur principale raison d'être dans l'état
psychologique décrit plus haut, dans ce besoin d'unité et d'identité
580 KBVUE 1411UÏS0PHÏQUE
mentales que satisfait seule, chez ceinains malades, radaptalion à un
milieu non pas quelconque, cerles, mais réalisant au moins 1 uoe
des conditjonsfondamentalesde tout milieu favorable et bienfaîsaiit,
savoir Ja stabilité, la permanence.
Cette condition s impose déjà dans radaplation organique. On ^ti
que d'après la théorie ordîfiairement admise, Torganisme retieol
entre une multitude de mouvements exécutée d abord au hasard, cent
qui par un accident heureux assurent une adaplatiun nouvelle et
sont accompagnés pour cela même de plaisir. Le plaigiir s associe dé^
lors au mouvement, si bien que le souvenir du plaisir suffira à pro-
voquer à nouveau le mouvement utile et, par la répétition, à reodre
Tacquisition permanente. La première réaction «adaptante ^ procure
te plaisir qui, devenant cause à son tour, engendre les réactions
«adaptées ». Il faut donc que le souvenir du plaisir puisse revîvfe,
à maintes reprises, et cette reviviscence suppose elle-mérae une
reproduction fréquente des excitations agréables et, en détinitive, là
permanence du milieu où se rencontrent ces excitations.
Une autre théorie réduit, il est vrai, en une mesure assez consi-
dérable, la part du hasard dans les réactions primitives et celle du
milieu dans les réactions répétées, autrement dit dans lalTermis^
sèment de ladaptation. L'organisme coopérerait lui-même, d'uoe
manière fort efficace, a la sélection des mouvements. S1l préfère et
exécute tel mouvement, ce n'est pas tant le mouvement agréable
qu'il recherche, c'est bien plutôt le stimulus favorable, et une fois
qu'il Ta rencontré, il se maintient en contact avec lui, en %'erlu d'une
tendance naturelle. Ainsi Fadaptation dépendrait moins absolumenl
de la constance du milieu. Toutes choses restant égales le milieu
pourrait varier dans la mesure où l'organisnie serait capable d*at-
teindre et de fixer le stimulus nécessaire ou, comme on Ta dit, de
créer lui-même à son propre usage cette stabilité que le milieu ne
lui garantit point.
Quoi qull en soit de ces hypothèses biologiques, on peut afflriuer
hardiment, d'une manière générale, que ladaptation de Tindivida
exige dans tous les cas une certaine stabilité de son entourage, qu*
plus l'individu est actif, doué de conscience, d'énergie et de volonté,
plus aussi le milieu peut, sans inconvénient pour lui, être variable et
divers. MaiSi il y a une dilTérence importante h signaler eotraïe
milieu physique et le milieu sociaL
Le cas d'un organisme s'adaptant au monde physique est le pl«s
simple. Les biologistes peuvent discuter beaucoup pour savoir si Je
vivant se borne à reproduire le mouvement ogréable et à enter te
mouvement pénible, ou s'il tend à se rapprocher du slimulps bieiî-
MUmSlEH. — I.R n?SATIS«e RtlLâCliitJX S81
it et à s'éloigner du stimulus malfaisant. Dans les deux hypo-
thèses, quoiqu'à un moindre de^vé dans la seconde que dans la
première, on admet â priori la persistance des mêmes conditions
extérieures d'existence. La stal>ilité du milieu physique est une sorte
de postulat indispensable a la biologie.
Le niiUeu social dépend au contraire, en une mesure très large,
de causes psychologiques en partie assignables. L'individu humain
qui s'adapte à son entourage agit sur celui-ci aprés^ avoir réagi sous
son influence. Les suggestions qu*il reçoit se ressentent, en délinitive,
des suggestions qu'il produit^ et bien plus encore des actes qu'il
exécute, Tout ce que peut faire un protozoaire sur lequel tombe un
rayon de soleil, c'est un mouvement propre ii augmenter ou à pro-
longer Taction du rayon bienlàisant. L'être social peut da\*aritage,
11 tend lui aussi k demeurer en contact avec îes stimulus nécessaires,
et il réussit d autant mieux dans cette tentative que le milieu où
prennent naissance les excitations est en bonne partie son ouvrage.
Uadaptation morale implique ainsi, outre la tendance vers certaines
suggestions favorables, la création et le maintien d'une société
ainsi faite que les suggestions de ce genre y abondent et sV renou-
vellent sans cesse, et que les suggestions contraires en soient si
possible rigoureusement exclues.
Sans doute, l'homme civilisé, sain et actif, s'accommode sans trop
de dillîculté d'un monde extrêmement varié et toujours changeant.
Il s'y trouve d'autant plus h l'aise que ce monde par sa diversité
même et sa variabilité lui fournit à chaque instant des occasions de
s'essayer à de nouveaux ajustements, de se modifier lui-môme et de
progresser sans renoncer à ses habitudes. Mais, le dégénéré, le
faible d'esprit, l'instable^ ne saurait y subsister. L'isolement lui est
pénible, il a besoin de vivre en société pour éviter les troubles, les
crises qui proviennent du défaut de systématisation. Mais, le mal n*est
jamais conjuré qu'en apparence et il se manifeste à nouveau, non
seulement lorsque le malade se retrouve « seul avec lui-même »,
mais aussi toutes les fois que surgit la difficulté d'une adaptation
nouvelle. Dans ces conditions, l'individu ne trouvera le calme, la
paix et le bien-être que dans un milieu social où les mêmes sugges-
tions toujours répétées ie soutiendront continuellement, c'est-à-dire
dans une société grande ou petite, mais absolument uniforme et
stable. Or lidée religieuse réalisera justement, mieux que toute
autre force, cette uniformité et cette permanence du milieu, indis-
pensables à l'adaptation.
Je mentionne d'abord quelques déclarations, significatives à cet
égard, des détenseurs autorisés de l'Église ou des Églises. Les saint
58i>
REVUE PHILOSOPIIIÛUE
Dominique, les saint Bernard , les Bossuet, célèbrent T Unité en
ler/nes presque identiques à ceux qu'employaient les solitaires H
les (îxtaliques* Seulement, avec eux, ce n*est plus de Funîte de coo-
8cience qu'il s'agit: ii'est bien plutiH de l'unité ecclésiastique, poli-
tique même, de Tunité extérieure des sentiments et des volontés.
Notez f|ue sur ce point, les subtils docteurs de TÉglise i^^isissent
mal le sens et la portée de leurs propres paroles p de leurs propres
actes. L*Unité qu'ils exaltent et qu'ils maintiennent reste pour euï
un mystère. Ils Ja justifient parfois au moyen de singuliers argu-
raenls. Il nV a qu'une foi, qu'un baptême, qu'un Seigneur, qu'une
Église, diront-ils par exemple, de même qalï n'y eut qu'une *irche
au temps du déluge'. Bossuet parait entrevoir au moins la vérité,
dans un passage célèbre : c Qu'elle est f^randeTÉgli^se romaine, sol^
tenant toutes les Églises, portant le fardeau de tous ceux qui souf-
ïreni^eïiired'nani VUnitê... Sainte ftglise romaine, mère des Kglises
et de tous les Mdèles, Église choisie de Dieu pour unir ses enfaitls
dans la même foi et dans la même charité, nous tiendrtms toujours
à ton unité par le fond de nos entrailles. » Paroles remarquables,
qui dépassent assurément la pensée de rorateur. A travers la phra-
séologie théologique, on peut discerner le fait capital, pour la
psychologie sociale, de Tadaptation religieuse. La religion réaïise
une condition fondamentale de Tadaptatiôn, par « rentretien > tlê
lu ni té et de Fidentité des croyances, des volontés, des étnotionsi, en
un mot par la stabilité du milieu social.
Mais, il y a mieux à faire rju'une transposition de la pensée chré-
tienne dans le langage de la science contemporaine. L examen des
faits justifiera plus sûrement les considérations précédentes. Ceux
qui constituent le fanatisme et qui présentent tout à la fois une sira-
pïilication et une forte exagémtion de la réalité ordinaire^ se répar-
tissent naturellement en trois groupes. La religion remplit soo
oftice psycho-social en unifiant ou pour mieux dire en unitormisaat '
h les croyances; 2^ les actes et la conduite; 3"* les sentiments ^t
les dispositions intimes des membres de la communauté.
Ces distinctions — est- il besoin de le dire? ~ n'ont rien d'absolu.
Tout au plus correspondent-elles à la remarque banale, fondée satis
doute, mais issue aussi d'une théorie surannée des facultés, qu'il y
a une religion de rtnteltigencej consistant essentiellement daesuu
ensemble d'opinions et de dogmes, ime religion de la volonté con-
sistant suit en pratiques rituelles, soit en œuvres de bienfaisance, fil
une religion du sentiment consistant en émutitms et en jouissances
i. Saint Bernard i Sur h schisme.
MURISIER. — LE FANATISME RELIGIEUX 583
plus OU moins spirituelles. C'est là une manière commode de
grouper les faits, rien de plus.
La tendance à l'uniformité agit puissamment sur les croyances
générales. Sa manifestation la plus connue est la lutte contre
Thérésie. Celle-ci constitue aux yeux du fanatique une véritable
maladie sociale. « C'est une gangrène qui gagne toujours*. » D'où
Ton ne manquera pas de conclure que l'unique remède doit être
l'extirpation du membre gâté. Le terme de novateur sert à exprimer
le plus profond mépris. La raison qui/ en affranchissant l'individu de
la foi collective et traditionnelle engendre la diversité sociale, paraît
plus que suspecte : on la juge impie. Le vrai motif de la condamna-
tion d'Abelard fut que, « non content d'avoir Dieu pour garant de sa
créance, il voulut que sa raison en fût l'arbitre » et que par là il
corrompit les fidèles et, « avec son esprit contagieux,^ égara les
âmes simples ^ t> Le protestantisme qui admet, en principe, le libre
examen, aboutit pratiquement, dans un grand nombre de cas, à
l'intolérance. Cela tient précisément à ce qu'il est lui aussi une reli-
gion et non pas une philosophie. D'ailleurs, entre les cas simples et
extrêmes, où qu'on les prenne, il n'y a aucune différence notable.
Et notre thèse s'en trouve encore confirmée. Le protestantisme vise
comme le catholicisme, comme toute religion positive, à maintenir
la stabilité relative et normale ou absolue et anormale d'une société
déterminée et il y réussit tantôt par les mêmes moyens, tantôt par
d'autres qui lui sont propres.
Le besoin d'uniformité intellectuelle excluant toute distinction
entre les vérités essentielles et les vérités accessoires, l'hérésie,
l'innovation sera combattue avec une énergie égale, quel que soit le
point litigieux. Le fanatique fera la guerre aux opinions particulières,
même les moins dangereuses en apparence, simplement parce
qu'elles sont particulières et qu'elles introduisent la diversité dans
son miheu. C'est un crime à ses yeux d'abandonner la foi de l'Église,
dans son ensemble, mais c'est aussi un crime de rejeter ou de
modifier certains détails, de penser que Jésus-Christ n'est pas
dans le sacrement de l'autel, que tous les hommes seront sauvés,
que si une hostie consacrée tombe dans la boue, le corps de
Jésus-Christ cesse d'y être'. De mémo, c'est un crime de nier la
Trinité ou de reconnaître que la loi de Moïse n'interdit pas absolu-
ment la polygamie*. Pour empêcher la diffusion do l'erreur, défense
1. Registres de Vlnquisiiion, c'iU'i pnr I^mnllio-Lttnjoon,
2. Saiîit Bernard, par Nean^Icr.
3. Registres de V Inquisition^ ouv. rlli^.
4. S. Castellion, par F. Buisson.
584 REVUE PHILOSOPHIQUE
est faite de recevoir ou écouter les prédicateurs étrangers, incoDDUs,
non recommandés par 1 autorité ecclésiastique K Pour prévenir le
mal et établir en tous lieux Tunité d'enseignement, des sectaires
modernes sont allés jusqu'à faire sténographier les discours pro-
noncés par quelque prédicateur autorisé et à les expédier dans les
localités éloignées où ils devaient être répétés textuellement*. Et
cette uniformisation des croyances se présente bien d'ordinaire
comme une œuvre essentiellement religieuse. Le persécuteur se
considère comme un instrument divin. C'est ce qui lui permet d'agir
si souvent sans colère et sans haine; c'est aussi ce qui le rend impi-
toyable dans ses actes et dans ses jugements.
Si le fanatique ancien frappait lui-même le novateur ou le dissi-
dent, le fanatique moderne, placé dans d'autres conditions, aban-
donne bon gré mal gré ce soin à Dieu et cela le conduit à voir des
chàliments divins dans tous les accidents dont les hérétiques peu-
vent être victimes. D'ailleurs, actes et jugements fanatiques se retrou-
vent à toutes les époques. L'Italien Ochino, expulsé de Suisse pour
avoir mis en doute le dogme de la Trinité, perdit, peu de jours
avant son procès, sa femme qui se brisa la tète en tombant d'un
escalier. Théodore de Bèze écrivit à ce propos de la meilleure foi
du monde : a C'était un jugement de Dieu qui frappait dans sa
maison ce vieillard impie avant même que son crime eût éclaté au
dehors^. » J'ai pu constater moi-même, récemment, ce phénomène.
Un pasteur d'une piété éprouvée, mais suspect pour ses vues par-
ticulières sur la divinité de Jésus-Christ, fut atteint de paralysie,
avec trouble des fonctions du langage. Le peintre D., orthodoxe
farouche, soutint avec une conviction profonde qu'il fallait voir dans
cet accident une manifestation évidente de la justice divine. Comme
je lui adressais (juelques objections : « Ce sont là, répondit-il, des
choses qu'il faut dire avec beaucoup de douceur, mais je ne puis
nrempèclier de croire à un châtiment divin. » La raison de cette
douce férocité nous est maintenant connue. L'introduction d'une
idée nouvelle ou étrangère dans un milieu donné, c'est ou ce peut
être, pour des personnes faibles qui s'y trouvent exactement adap-
tées, la désorganisation partielle ou totale de la vie psychique.
Le danger est assez grand pour que ces personnes ou celles qui
les dirigent comptent alors sur une intervention spéciale de la
divinité.
Le fanatisme requiert en outre et a entretient » chez tous les
1. Lritrt^s dt' saint Uernard.
2. Les Inrimjv'fis.
3. F. Buisson, ouv. cilé.
)
MOHISIEH. — LE FAVATISME RKUCIEL'X r>85
membres de la communauté une conduite uniforme. Entendez par
là, avec runanimitê dans raccomplisseiaent des pratiques religieuses,
une identité parfaite dans la manière de vivre, de se comporter, de
Iravailier, de se distraire, dese vêtir, d'écrire, de parler, etc. L'Ëgîise
a souvent exclu de soîi sein des croyants attachés au dogme, mais
détachés des cérémonies. alTranchis des formes extérieures du
culte ^ D'autre part, elle s^est contentée non moins souvent d'une
ad liés ion purement formelle, parfois d'une attitude, d'un simple
geste. Les missionnaires chargés de convertir les protestants aux
galères, voulaient les forcer à se mettre h genoux pendant Ja messe.
« Chiens, disait un major général, qui leur faisait donner la baston-
nade, mettez- vous à genoux et dans celte posture, si vous ne voulez
pas prier Dieu, prte;^ le diable. Que nous importe' »? Mais, d autres
fois, le lanatisïne prétend régler et uniformiser Ja conduite entière*
A Geuèvej au temps de Calvin, la force publique était requise non
•seulement pour assurer la fréquentation du culte, mais encore pour
empêcher les fêtes, les jeux^ les danses» les lectures frivoles, les
propos légers. S'écarter des coutumes établies ou de la pure doc-
trine, c'est toujours se révolter contre la société et contre Dieu.
Le lecteur s'étonnera peut-être que Ton s'arrête ici h une question
de toilette. Mais, lorsqu'il s'agit du fanatisme, les |.lus petites ques-
tions prennent une importance extrême^ et Tuniformité du costume
s'impose au même titre que Forthodoxie. Une mise personnelle,
rechercliée surtout, n*est-elle pas en elfet une sorte d'hérésie? N'in-
troduit-elle pas dans le groupe social de la diversité et par consé-
quent du mal? Je pourraii^ citer ici plusieurs exemples, entre autres
celui de B*, qui fait du port de la barbe une question vitale et qui a
même coiîiposé un traité sur Aa bavbe an point de vue chrétien. Mais,
je ne connais rien de significatif à cet égard, comme Tincident
survenu jadis h Mon tau ban entre le consistoire de la ville et
Mme Buplessis-Mornay, au sujet de sa coiffure. A Montaukm, Tau-
torité ecclésiastique avait interdit de vl porter che%^eux ou lit d arî-
chal dedans » et elle relranchait impitoyablement de la cène, outre
les délinquantes, les femmes et les jeunes filles qui refusaient de
faire le serment de se coilTer suivant les règles. Mme Duplassis,
sortant de chez elle, deux membres du consistoire labordent et lui
déclarent avoir reçu mission de ^ l'admonester d'oster ses cheveux ».
Elle les [jde poliment de s adressera M. Duplessis, chef de la famille,
seul juge autorisé en la matière. Sur leur rapport, une assemblée
1, Par exemple Arnayd h Tépoque de Saint Bernard*
2, Mémoirei d'un protestant... Rolterdani. 173 U
586 HfiVUB PHILÛSÛPUIQIJE
se réunit pour étudier et régler la question. L'assemblée décide
qu'aucun changement ne sei-a requis dans la coilTure de Mme Du-
ptessis, vu qu'elle n habite pas en temps ordinaire la localité. Mais,
Je pasteur liérault conlesle la validité de cette décision et prétetid
qu'à la cène, • on serait empêché, si Ton recevait Mme Duplessis
avec ses cheveux i>. On convoque alors une nouvelle asîtemblée,
composée des consistoires de la ville et des localités avoi^inante^,
qui résout la difficulté dans le même sens que la première. Ui-dessus,
M. Duplessis part en voyage, laissant sa femme malade et ses
enfeuts alité.'?. Toutelois, nonobstant son aRliction tant pour l'absence
de M. Duplessis que pour la maladie d'elle et de ses enfants, « pas un
des ministres de Montauban ne ta sont venus visiter, ny consoler»
encore qu'elle s* en sok plainte exprès afm qu*il leur fust dist »*
Bien plus. M* BérauU sa rend un jour cliez lliùte des Duplessis poar
faire le catéchisme accoutumé. « Je me levay du lit où j*élais et
m'en allay au lieu où Ton faisait le catéchisme avec notre famille, ce
que je lis : l" pour protester que nous étions du corps de Téglisedu
Christ; 2> pour apprendre et être instruits; 3* pour édifier moyea*
nant l'aide de Dieu les assistants. Cependant je ne sais pourquoi,
j'eusle malheur que toute notre larnille fut séquestrée par M. îîérauU
qui, par crainte de la recevoir en la communion de cette église,
rompit son ordre accoutumé*. » Dans ce cas^ vraiment typique,
toutes les conditîoiïs d'adaptation au milieu se trouvent rempli^ï,
sauf une. La piété d'une personne est sincère et notoire. Son ortho-
doxie se trouve attestée par une confession de foi rédigée pour la
circonstance. Elle ne s€ distingue des autres membres de la commu-
nauté religieuse que par un menu détail de toilette. Il n'en faut pas
davantage pour qu'on la condamne et qu on Texclue,
Uuuiformité des sentiments se trot^ve en quelque sorte înnpliquée
dans les données précédentes. LHdentilé des pensées et des nctess
doit recouvrir ridentité plus profonde des tendances, des volontés
et des émotions. Mais, cette unité affective peut elle se constater
directement, comme l'unité intellectuelle ou comme Tunité exté-
rieuœ des pratiques, des coutumes, des modes de conduite.^ Évi-
demment, la constatation sera cette fois plus malaisée et plus déli*
cate, à supposer qu'elle soit possible. Remarquons toutefois que h
difhculté est exactement la même en pratique qu'en théorie. Ce qui
échappe aux investigations du psychologue échappe aussi à fjnqiu-
sition du fanatique et runilbrinîté sociale i^eut être considérée
comme établie^ la permanence du milieu comme a^ssurée, dès que
i* Mémûiï^es tie M"'* Duplnm^Mernaij.
MURISIBR. — LE FAXATISME HEUGII^UX
587
I
toute dissemblance et toute divergence cessent de se manifester au
dehors. C*est pourquoi le fanatisme s'attache presque toujours à ce
qui est visible, larîgible, superficiel et s en lient d'arLlinalre à la
réglementation de là conduite et du dogme- Les dispositions intimes
împnitent peu, pours'u qu'elles i-estent cachées. Elles ne modifient
le milieu et ne îroublent les faibles qu'en s^exlériorisant.
Gela ne signifie pas que le fanatique se désintéresse toujours âe
la question ajfeclive. On trouve au contraire chez certains a: sensi-
tifs-acUls », comme dirait un éthologiste, un besoin marqué et sou-
vent exagéré de rencontrer chez autrui non seulement de la piété,
mais une piété et des émotions identiques à celles qii*ils ressentent
eux*rrjt^mes. Qu'est-ce par exemple que la^ communion des saints »,
sinon une manière de sentir en commun, impliquant 1 exclusion de
ceux qui pensent peut-être et agissent comme les membres du
groupe, mais s en séparent par un simple dissentiment? Ce dissen-
timent peut exister pendant une période même asse;^ longue, sans
provoquer aucun contlit ni aucun trouble; il subsiste néanmoins k
rétat latent, puis un beau jour, il éclate h propos de quelf|ue afTaire
insignifiante. Alors, il apparaît aussi redoutable qu'une hérésie,
aussi iotûlérable qu'une violation de la discipline ecciésîastique. Une
petite discussion sur remploi de certaines collectes avait causé
quelque refroidissement entre révangcHsle Bost et ses collègues ^
Peu après, il écrivait : «t II n'existe plus de brouille; mais le coup
d*œil que j'ai donné sur la faiblesse des dispositions de mes frères
quant au renoncemenl complet, m'a laissé une forte impression
d'éloignement. J ai ouvert les yeux sur un ami.*, et je compte partir
(de Genève) dans quelques jours ». R., dont il a été déjà parlé plus
haut, s^exprimaitsur rUnité en termes moins éloquents que Bossuet,
mais non moins passionnés; et il avait en vue Tunité des « cœurs i
bien plutôt que celle des croyances et des actes. Les cœurs, .selon
lui, devaient être purs de toute conformité avec le monde et ce n*est
qu*en proportion qu'ils se séparent du monde que les chrétiens
s'unissent entre eux. Ijh société religieuse ne subsiste que par rac-
cord de tous ses membres dans le détachement de la société pro-
fane.
Cette uniformité des sentiments ne saurait certes durer dans une
église multitudinîstc ni dans une foule quelconque. En revanche,
elle se maintient dans la secte et môme, pour un temps, dans les
foules extrêmement homogènes des tt réveils », Finney, dont chacun
reconnaîtra la compétence en ces matières* a longuement e?taminé
L À* HQ3t, Mémoirei.
588 UEVUE PaiLOSOPHIQUE
les conditions indispensables à la production et à l'entretien de ces
mouvements religieux extraordinaires. Après avoir recommandé
l'union entre ceux-là seuls qui professent des opinions identiques
sur tous les points, même secondaires, il insiste bien davantage sur
la nécessité d'une identification complète des sentiments et des dis-
positions intimes chez les fidèles. Pour prier, les chrétiens doivent
s'accorder dans leurs demandes et surtout dans leurs désirs. Ils
doivent s'accorder aussi dans les motifs qui les poussent à désirer
et à demander tel objet, dans la foi absolue à l'exaucement final,
dans la fixation même du moment où leur désir se réalisera, c Si
deux ou plusieurs personnes s'accordent à demander une bénédic-
tion particulière et que l'une d'elles la désire immédiatement, tandis
que les autres ne sont pas encore disposées à la recevoir, elles ne
s'accordent pas* ». Bref, il suffit du plus léger désaccord sur une
chose de la plus médiocre importance pour ruiner l'œuvre com-
mencée. Nous constatons ainsi chez certains prédicateurs, prorho-
teurs de réveils, chefs de sectes, etc., une résistance à Tin troduclion
du moindre dissentimont dans le groupe social, pour le moins égale
à celle qu'ils opposent à l'introduction d'une idée nouvelle, d'une
opinion étrangère, d'une manière d'agir inattendue. Si la lutte contre
l'hérésie proprement dite paraît parfois occuper à elle seule le fana-
tique, cela tient en grande partie à ce qu'une fausse doctrine se
découvre plus aisément qu'une fausse note dans le concert presque
imperceptible des désirs et des émotions. En réalité, il s'agit tou-
jours, je le répète, d'empocher la diversité, le changement, quels
qu'ils soient, de troubler les sociétés humaines et par suite, pour
emprunter à Finney lui-même ses expressions, « de jeter dans une
grande perplexité les ûmes timorées ».
Kn somme, l'idée religieuse devient une force sociale parce que
l'individu éprouve le besoin de rester adapté au milieu où il se
trouve placé et où toutes les suggestions qu'il subit semblent favo-
rables et bienfaisantes. Une puissance surhumaine garantit, à ses
yeux, la régularité et la permanence de ce milieu naturellement
changeant, c'est-à-dire, en définitive, la tranquillité et le bonheur de
l'être faible ou moyen, assuré désormais de ses adaptations anciennes
et dispensé de toute adaptation nouvelle. Voilà ce que nous apprend
d'essentiel le fanatisme, sur le rôle social de la religion.
i. Finney, ouv. cit.
MURISIEH. — LE FANATISME RELIGIEUX
o89
IV
Avantage de cette interprétation-
Ces vues se rattachent à celles gu'ont émises dans ces dernières
années les psychologues et les sociologues, elles les rapprochent et
peut*être les complèlenL
Le besoin d'une unité sociale poussée jusqu'à runiformité a été
assez bien constaté, principalcnjent dans la sphère politique et même
dans les sphères économiques et juridiques. On ne peut pus dire ton-
tefoisque ses manifestations religieuses aient jusqu'ici suflisamment
attiré Tattention des chercheurs* El pourtant elles occupent le pre-
mier rang, peut-être en date, san.^contreiiil en importance* Les meil-
leures preuves en sont t'ournies^ incidemment, par les sociologues
eux-mêmes. Une de leurs remarques fréquentes est que partout oii
Finfluence de la religion iaihlit ou fait défaut, il se produit une discor-
dance des consciences et des volontés, une véritable désagrégation
sociale. Une autre observation non moins exacte est à rapprocher
de celle-là : les convictions collectives revêtent presque toujours une
forme religieuse, quand bien même elles n*ont pour objet aucune
personnalité divine. Les jacobins ressemhlent à s'y méprendre aux
anciens inquisiteurs, et Tathéisme même peut devenir, chez les
foules, foncièrement reNgieux, Cela ne signiiie-t-il pas que runifica-
tion extérieure des désirs et des volontés a dépendu et dépend encore
de la religion, aussi bien que l'unification intérieure des états et des
tendances? l'œuvre religieuse par excellence ne consisterait-elle
pas alors à intégrer à la fois les états de conscience et les actions
individuelles, les éléments psychiques et les éléments sociaux et à
réaliser ainsi, avec l'harmonie du milieu, l'unité du moi qui la suppose?
Quoi qu'il en soit, et pour en rester à la pathologie, le simple lait
que le fanatisme politique se ramène aisément au fanatisme reh-
gieux, montre assez Tinfluence primordiale de celui-ci sur funifor-
misalion des idées et des mœurs. S'en tenir aux sphères politiques
et juridiques c'est donc préférer la copie à l'original, choisir entre
des cas d*inégale valeur, les moins significatifs. Les descriptions des
sociologues mettent trop peu en évidence les cas typiques où Funi-
formité des croyances, des actes et des sentiments se produit sous
la pression irrésistible de l'idée religieuse. Peut-être les observa-
tions utilisées au cours de celle étude conlribuerûnt-elles à bien
marquer sinon à combler cette lacune.
Si Ton considère maintenant les théories auxquelles les laits con-
statés servent de preuve, on ne manquera pas de les trouver peu
KEVCË MIELOSOrHiaUË
explicatives et Ton sera tenté ~ trop fortement ptmt-étre — de
donner raison aux esprits prudents qui voucJrnient vuîr les cher-
cheurs s'en ienir pendant longtemps encore h des descriptions pré-
cises et miouUeuses.
Lîi théorie biologique a été soumise ù une critique rigoureuse
dont il est peu probable qu'elle se relève jamais. Ce n'est pas une
raison pour nier les analogies, très réelles, qui existent entre les
sociétés et les organismes. A noire poiDl de vue spécial, l'analùgïe
biologique simpose et ceux qui Tonl notée mériteat quelque êioiie.
Uidentilè des individus dans une société animale ou humJiiTïe èqm'
vaut h l'idcMitilé des cellules dans un organisme. Chez, les organismes
inférieurs, il y a peu de difTérence entre les cellules, presque poinl
de hiérarchie. L'évolution progressive des individualités physiolo-
giques s*est opérée par une lente dilTérenciation des éléments
accompagnée d'une division croissante du travail, et [jar l'établisse*
ment simultané d'une coordination et d'une solidarité plus parfaites.
Considéré dès le début de sou développement embryoïmaife, IVtre
vivant le plus complexe se compose de cellules d*;ibord identitjues
qui peu a peu se ditTérencienl suivant des directions délerminéeët
mais gardent toujours et multiplient de plus en plus leurs rdatioas
mutuelles. Les mêmes lois président à révolution des sociétés
humaines. Les formes inférieures de rorganisalion sociale corres-
pondent aux formes inférieures de la vie. Un agrégat de cellules mn
diiîérenciées oftVe bien des analogies avec une tribu sauvage où la
division du travail n'exisle qu entre les sexes. A l'autre extrême,
une société supérieure avec ses individus spécialisés, avec ^es
families, ses associations, ses classes superposées les unes aui
autres, constitue une vivante hiérarchie comparable aux plus jiaf-
fails des organismes. Tout cela a été si souvent répélé depuis Spen*
cer, qu'il seniil inutile d'insîyter.
En ce qui concerne spécialement le fanatisme puUtique ou reli-
gieux, Tuniformité des idées, des coutumes, des désirs qu'il exig«
toujours, engendre souvent et maintient par les pires moyens^
ramène la nation, Téglise, la secle^ à Tétai des sociétés pï'imitivc&
et barbares* La diversité qu*il supprime sous toutes ses formes, li
cohésion et la solidarité qu'il détruit aveuglémerjt, étant le^ cûiï-
dilïons principales ou, si Ton préfère, les medleurs indices eu
progrès social comme du progrès organique, on peut aftirraer que
son ap pari lion j ses survivances, ses recrudescences marquent ou
bien un degré inférieur et un arrêt de développement, ou bien une
régression et un étal pathologique pour la société comme pour les
autres organismes de la nature.
i
MURISIER.
Œ l-AiX.VnSiVJK HEUGlKlfX
591
Exacte et, quoi qu'on om dise, a inslruclîve i&, cette analogie n'élu-
cide pourtant pas beaucoup la question. On Ta remarqué, la matière
sociale est surtout psychologique de sa nature; elle consiste en
penséesi désirs, émolinns,etc, El quant à Torganisation sociale, elle
reproduit Forganisalion psycliologique plus encore quelle ne rap-
pelle l'évolution biologique. 1^ suite de celte étude nous en four-
nira la meilleure preuve. Le rapprochement établi entre une secle,
par exemple, et un organisme à cellules identiques assemblées
autour d'un seul centre commun, ne nous apprend presque rien sui'
ce quil nous importe surtout de connaitre^ c'est-à-dire sur la genèse
de la secLej sur les satisfactions qu'y trouvent les afflliés, sur le
genre de service qu'elle leur rend, sur ce qui lait, au fond, sa raison
d*étre. Le fanatisme, maladie sociale analogue, si Ton veut^ h une
dégénérescence organique, dérive d'un état mental particulier, et
c'est à celte source quHl est nécessaire de remonter.
Les sociologues qui prétendent substituer Tinterprétation psycho-
logique à rinlerprétation biologique des lails sociaux ne donnent
pas non plus une explication salistaisante du fanatisme. Entre tous
les auteurs, M. Oaldwin est peut-être celui qui fournit les données
les plus utiles h Tintelligence d*on phénomène qu'il n'a d'ailleurs ni
décrit ni interprété d'une manière directe. Il y a profit à rappeler
ici ses vues sur l'esprit foncièrement conservateur de a l'homme
moyen t et sur Tinfluence conservatrice du sentiment religieux.
« L'homme moyen » est celui qui simple imitateur dautrui,
acquiert par absorption de modèles sociaux, les jugements et les
sentiments qui font de lui un représentant convenable de son
épot^ue, un appui solide des institutions de son pays, un t porte-
drapeau 9 de la société. Sa mission consiste, pour l essentiel, à
conserver les traditions, ces habitudes sociales indispensables au
progrès de la race. Mais, s'il contribue ainsi au progrès, c'est sans le
savoir, sans le vouloir, contre son propre gré, « Réduit à l'horizon
borné dans lequel son éducation et sa docilité Tont confiné..* il
déteste Torig inalité des vues et plus encore celle des actions. Loin
de trouver pénible de se conformer aux exigences sociales, il est
tourmenté, au contraires d'avoir à y manquer. » Bref, il représente
cet esprit conservateur ijui fait € de la stupidité une vertu, de l'in-
vention un vice « et qui n'est, en délinilive, qu'un des aspects mul-
tiples de la tendance générale à l'inertie*
Or, les religions positives favorisent Tesprit conservateur beau-
coup plus que loutes les autres institutions sociales, « L*individu
' assez exceptionnel dans son devenir personnel pour s'élever à une
conception de l'idéal religieux ditïérente, quant à sa forme, de celle
rm
iiKVLt: riiiLasDriiiQUE
explicatives ut l'on sera tentù — trop lortenietil peut-être — de
donner raison aux esprils (irudeuts qui voutlraient voir les cher-
cheurs s'en tenir pendant langtenips encore à des descri plions pré-
cises elminuLieuses.
La théorie biologique a été soutoise à une crilique rigoureuse
dont il est peu probabie qu'elle se relève janiais. Ce n'est pan utje
raison pour nier les analogies, très réelles* qui existent entre les
sociélés et les organismes. A notre point de vue spécial, ranalagie
biologique s'impose et ceux qui l'ont notée méritent quelque é%e.
Uidenlité des individus dans une société animale ou humaine é*]ui'
vaut à rideiititù des cellules dans un organisme. Chez lesorganj.smes
inférieurs, il y a peu de dilTérence entre les cellules, presque point
de hiérarchie. L'évolution progressive des individualités physiolo-
giques sest opérée par une lente ditTérencialion des elérneDîa
accornjiagnée d*une division croissante du travail, et par rétablisse-
ment siniullané d*une coordination et d'une solidarité plus part.iiiteîr.
Considéré dès le début de son développement embryonnaire, Tétre
vivant le plus complexe se compose de crltules d'abord ideûtique^
qui peu a peu se dîlTérencient suivant des directions déterminées,
mais gardent toujours et multiplient de plus en plus leurs rebaj(Hi.4
mutuelles. Les mêmes lois président à révolution des sociétés
humaines. Les formes inférieures de Vorganisatton sociale corres-
pondent aux formes inférieures de la vie. Un agrégat de cellules non
diiïérenciées oiïre bien des imalogies avec une tribu sauvage on la
division du travail n'existe qu entre les sexes. A Tautre extrême,
une société supérieure avec ses individus spécialisés, avec ses
familles, ses associations, ses classes superposées les unes am
autres, constitue une vivante hiérarchie comparable aux plus par-
faits des organismes. Tout cela a été si souvent répété depuis Spen-
cer, qu'il serait inutile d'insister.
En ce qui concerne spécialement le fanatisme poUtique ou reli-
gieux, Funiformité des idées, des coutumes, des désirs qull exige
toujours, engendre souvent et maintient par les pires nioyeûSi
ramène la nation, Téglise, la secte, à Tétat des sociétés primitives
et barbares, La diversité qu*il supprime sous toutes ses formes* La
cohésion et la solidarité qu'il détruit aveuglémenl, étant les con*
ditions principales ou, si Ton préfère^ les meilleurs indices du
progrès social comme du progrès organique, on peut anirmer ffue
son apparition, ses survivances, ses recrudescences marquent m
bien un degré intérieur et un arrêt de développement, ou bien nm
régression et un état pathologique pour la société comme pour les
autres organismes de la nature.
i
MORISIER^ — LE }'*aNATES^TE BEUGIEUX
891
Exacte et, quoi qu'on en dise, œ instrucUve », celte analogie n'élu-
eide pourtant pas beaucoup la question. On Va reniurquc, Ja matière
sociale est surtout psychologique de sa nature; elle consiste en
pensées» désirs, émotions, etc. Et quant h l'organisation sociale^ elle
reproduit rorganisation psychologique plus encore qu elle ne rap-
pelle révolution biologique. La suite de cette étude nous en four-
nira la naeiileure preuve. Le rapprochement établi entre une secte,
par exemple, et un organisme à cellules identiques assemblées
autour d*un seul centre commun, ne nous apprend presque rien sur
ce qu*il nous importe surtout de connaître, c'est-à-dire sur la genèse
de la secte, sur tes satisfactions qu'y trouvent les affdiés, sur le
genre de service qu'elle leur rend, sur ce qui lait, au fond, sa raison
d'être. Le fanatisme, maladie socitile analogue, si Ton veut, h une
dégénérescence organique, dérive d'un état mental particulier, et
c'est à cette source qu'il est nécessaire de remonter.
Les sociologues qui prétendent sul>stiluer T interprétation psycho-
logique à rinterprétation biologique des laits sociaux ne donnent
pas non plus une explication satisfaisante du fanatisme. Entre tous
les auteurs, M. Baïdvvin est peut-être celui qui fournit les données
les plus utiles h Fintelligence d*un phénomène qu^il n'a d'ailleurs ni
décrit ni interprété d'une manière directe* Il y a profit à rappeler
ici ses vues sur l'esprit foncièrement conservateur de « Thomme
moyen i& et sur l'influence conservatrice du sentiment religieux.
« L'homme moyen » est celui qui simple imitateur d autrui,
acquiert par absorption de modèles sociaux, les jugements et les
sentiments qui font de lui un représentant convenable de son
époc^iie, un appui solide des institutions de son pays, un « porte-
drapeau j) de la société. Sa mission consiste, pour l'essentiel, à
conserver les traditions, ces habitudes sociales indispensables au
progrès de la race. Mais, s*il contribue ainsi au progrès, c'est sans le
saN'oir, sans le vouloir ^ contre son propre gré. < liéduit à T horizon
borné dans lequel son éducation et sa docilité font conflué... il
déteste l'originalité des vues et plus encore celle des actions. Loin
de trouver pénible de se conformer aux exigences sûciales, il est
tourmenté, au contraire, d avoir à y manquer. » Bref, il représente
cet esprit conservateur qui fait « de la stupidité une vertu ^ de l'in-
vention un vice A et qui n'est, en déiinitive, qu'un des aspects mul-
tiples de la tendance générale à l'inertie.
Or^ les religions positives favorisent Tesprit conservateur beau-
coup plus que toutes les autres institutions sociales. « L*individu
assez exceptionnel dans son devenir personnel pour s'élever à une
conception de l'idéal religieux diilérente, quant à sa forme, de celle
580 HEvug ni iLosoriiiQtJE
explicatives et Ton sera tenlt^ — Irop ibrtetnent peul-étre — de
donner raison ayx esprits prudents qui vondrnient vuîr les cher-
cheurs s'en tenir pendant longtemps encore â des descripUons prr-
cises et miontieuses,
La théorie biologique a été soumise ù une critique ri|^oureuse
dont il est peu probable qu'elle se relève jamais. Ce n'est pas uoe
raison pour nier les analogies, très réelles, qui exislenl entre les
sociétés et les organismes. A noire point de vue spécial, l'analogie
biologique s'impose et ceux qui Font notée méritent quelque élo^e.
L'idenîile des individus dans une société animale ou humaine équi-
vaut h l'identitt^ des cellules dans un organisme. Chez: les organismes
inférieurs, il y a peu de différence entre les cellules, presque point
de hiérarchie. L'évolution progressive des individualités physiok*-
giques s'est opérée par une lente ditrérenciation de^ éléméDî^s
accompagnée d'une division croissante du travail, et par rétablisse-
ment simultané d\me coordination et d'une solidarité plus parfaites.
Considéré des le début de son développement embryonnaire, Tétre
vivant le plus complexe se compose de cellules d^abord idenliqyes
qui peu à peu se différencient suivant des directions déterniinéess,
mais gardent toujours et multiplient de plus en plus leurs reîaliofis
mutuelles* Les mêmes lois prèsidenl à révolution des sociétés
humaines* Les formes inférieures de Torganisation sociale corres^-
pondent aux formes inférieures de la vie. Un agrégat de cellules aon
dilTérenciêes oITre bien des analogies avec une tribu sauvage où la
division du travail n'existe qu'entre les sexes. A Fûutre extrêinct
une société supérieure avec ses individus spécialisés, avec ses
familîes, ses associations, ses classes superposées les unc^ ans
autres, constitue une vivante hiérarchie comparable aux plus par-
faits des orgarîismes. Tout cela a été si souvent répété depuis Sp*!ii-
eer, qu'il serait inutile d'insister.
En ce qui concerne spécialement le fanatisme politique ou reli-
gieuXi l'uniformité des Idées, des coutumes, des désirs qu'il exigé
toujours j engendre souvent et maintient par les pires moyeos,
ramène la nation, Féglise, la secte, à létal des société-s priïoitivt^
et barbares. La diversité qu'il supprime sous toutes ses formes ^
cohésion et la solidarité qu'il détruit aveuglément, étant ]m cm*
dilions principales ou, si Ton préfère, les meilleurs indjces do
progrès social comme du progrès organique, on peut aOirmer que
son apparition j ses survivances, ses recrudescences marquent ou
bien un degré inférieur et on arrêt de développement, ou bien uae
régression et un état pathologique pour la société couïme pour îei
autres organismes de la nature*
MUHISIER, — LE KAfiATISMK RELICIKUX
591
Kxacte et, quoi qu*on en flise, « iiiî^tructive ï>, celte analogie n'élu-
cide pour tant pas beaucoup la qyesiîon. On Fa remarqué, la matière
sociale est surtout psychologique de sa nature; elle consiste en
pensées, désirs, êmoliutis, etc* Et quant à rorganisation sociale, elle
reproduit Torganisalion psychologique plus encore qu'elle ne rap-
pelle révolution biologique, La suite de celte étude nous en four-
nira la meilleure preuve. Le rapprochement établi entre une secle,
par exemple, et un organisme ti cellules idenliques assenîblées
autour d'un seul centre commun, ne nous apprend presque rien sur
ce qu'il nous importe surtout de connaître, c'est-iï-diresur la genèse
de la secte» sur les satisfactions qu'y trouvent les airiliêSj sur le
genre de service qu*elle leur rend, sur ce qui faitj au fond, sa raison
d'être. Le fanatisme, maladie sociale analogue, si Ton veut, h une
dégénérescence organique, dérive d'un état mental particulier, et
e*est à celte source qu*il est nécessaire de remonter.
Les sociologues tiui prétendent substituer rinterprélalion psycho-
logique h Finlerprétation biologique des laits sociaux ne donnent
pas non plus une explication aalistaisante du fanattsnie* Entre tous
les auteurs, M. Baldwin est peut-Olre celui qui fournil les données
les plus utiles à rinlelligence d'un phénomène qu'il n'a d'ailleurs ni
décrit ni interprété d'une manière directe. Il y a profit à rappeler
ici ses vues sur Tesprit foncièrement conservateur de a l'homme
moyen » et sur rinfluence conservatrice du sentiment religieux.
€ L*homme moyen » est celui qui simple imitateur d autrui,
acquiert par absorption de modèles sociaux, les jugements et les
sentiments qui font de lui un- représentant convenable de son
époipie, un appui solide des institutions de son pays, un « porte-
drapeau *) de la société. Sa mission consiste, pour ressentîel, h
conserver les traditions, ces habitudes sociales indispensables au
progrès de la race. Mais, s'il contribue ainsi au progrès, c'est sans le
savoir, sans le vouloir, contre son propre gré. « lléduit à l'horizon
borné dans lequel son éducation et sa docilité l'ont conliné... il
déteste Torigin alité des vues et plus encore celle des actions. Loin
de trouver pénihle de se conformer aux exigences sociales, U est
tourmenté, au contraire, d'avoir à y manquer. » Bref, il représente
cet esprit conservateur qui fait ^ de la stupidité une vertu, de Tin-
vention un vice ^ et qui n*est, en délinitive, qu'un des aspects mul*
tiples de la tendance générale à Tinertie*
Or, les religions positives favorisent Tesprit conservateur beau-
coup plus que toutes les autres institutions sociales. « L'individu
assez exceptionnel dans son devenir personnel pour s'élever à une
conception de Tidéal religieux différente, quant à sa forme, de celle
590
REVUE rillLOîiaPIliatJE
e^^plicalives et Ton sera lenlé — trop rortcineiit pf*ul-être — de
donner misoa aux esprits prudents qui voudrûieQt vuir le& cher-
cheurs s'en tenir pendant longtemps encore h des descriptions pré-
cises et minutieuses.
La théorie biologique a été soumise k une critique ri^oyreuse
dont il est peu probable qu'elle se relève jamais. Ce n'est pas uoe
raison pour nier les analogies, très réelles» qui existent entre les
sociétés et les organismes. A notre point de vue spécial, l'analûgie
biologique s'impose et ceux qui Tonl notée méritent quelque éloge*
L'identité des individus dans une société animale ou humaine équi-
vaut k rîdeutilédes ceUuîes dans un organisme. Chez les oruanismes
inférieurs» il y a peu de dîtrérence eûtre les cellules^ presque poiul
de hiérarchie* L^ëvolution progressive des individualités physiolo-
giques s*est opérée par une lente difTérencialion des éléments
accompagnée d'une divisiofi croissante du lra%^ail, et par rétablisse-
ment simuïlaiié d'une coordination et d*une solidarité plus parfaites.
Considéré dès le début de son développement embryonnaire, l'être
vivant le plus complexe se compose de cellules d*abord idenliques
qui peu à peu se diilérencient suivant des directions détermiiiée*.
mais gardent toujours et multiplient de plus en plus leurs reiatioris
mutuelles. Les mêmes lois président à révolution des sociétés
humaines. Les formes inférieures de rorganisation sociale corres-
pondent aux formes inférieures de la vie- Un agrégat de cellules «un
difîérenciées ofîre bien des analogies avec une tribu sauvage oii la
division du travail n'existe qu entre les sexes* A l*autre exlréine,
une société supérieure avec sas individus spécialisés, avec ses
familles, ses associations, ses classes superposées les unes m%
autres, constitue une vivante hiérarchie cotnparable aux plus par-
faits des organismes. Tout cela a été si souvent répété depuis Spen-
cer, qu'il serait inutile d'insister.
En ce qui concerne spécialement le fanatisme politique ou reli-
gieux, l'uniformité des idées, des coutumes, des désirs qu'il exige
toujours, engendre souvent et maintient par les pires moyeas,
ramène la nation, Téglise^ ta secle, à Tétat des sociélès primitives
et barbares, La diversité qu'il supprime sous toutes ses formes, la
cohésion et la solidarité qu1l détruit aveuglément, étant le^s coo*
ditions principales ou, si Ton préfère, les meilleurs indices du
progrès social comme du progrès organique, on peut afïîrmer que
son apparition, ses survivances, ses recrudescences marquent on
bien un degré inférieur et un arrêt de développement, ou bien une
régression et un état patliofogique pour la société comme pour las
autres organismes de la nature.
MURÎ5IER,
LK i'ANATlSME ilËLlGIËtfX
591
Exacte et, quoi qu^on en Oise, « înslructive ?», celte analogie n'élu-
citle pourtant pas beaucoup la question. On Va remarqué, h matière
sociale est surtout psychologique de sa nature; elle consiste en
penséesr désirs, éniutldris, etc. Et quant h Torganisation sociale, elle
reproduit i'orgauiéalion psychologique plus encore qu elle ne rap-
pelle révolution biologique. La suite de celle étude nous en four-
nira la meilleure preuve. Le rapprochement établi entre une secte,
par exemple, et un organisme à cellules identiques assemblées
autour d*un seul centre commun^ ne nous apprend presque rien sur
ce (lu'il nons importe surtout de connaître, c'est-à-dire sur la genèse
de la secte, sur les satisfactions qu'y trouvent les affiliés, sur le
genre de service qu'elle leur rend, sur ce qui Tait, au fond, sa raison
d'être. Le ianatisme, maladie sociale analogue, si Ton veut, à une
dégénérescence organique, dérive d'un état mental particulier, et
c'est à cette source qu*il est nécessaire de remonter.
Les sociologues qui prétendent substituer rinterprétation psycho-
logique à rinterprétalion biologique des faits sociaux ne donnent
pas non plus une explication snlistaisante du fanatisme. Entre tous
les auteurs, M. lialdwin est peut-être celui qui fournit les données
les plus utiles à rintellîgence d'un phénomène qu'il n'a d'ailleurs ni
décrit ni interprété d'une manière directe. Il y a prollt à rappeler
ici ses vues sur l'esprit foncièrement conservateur de « Thomme
moyen » et sur rinfluence conservatrice du sentiment religieux.
<i L'hojnme moyen ^ est celui qui simple imitateur d autrui,
acquiert par absorption de modèles sociaux, les jugements et les
sentiments qui font de lui un représentant convenable de son
.^poi-jue, un appui solide des institutions de son pays, un « porte-
drapeau » de la société. Sa mission consiste, pour Tessentiel, à
conserver les traditions, ces habitudes sociales indispensables au
progrès de la race. Mais, s'il contribue ainsi au progrès, c'est sans le
sa%'oir, sans le vouloir^ contre son propre gré- « Uéduit à rhorizon
borné dans lequel son éducation et sa docilité l'ont confiné... il
déteste roriginalité des vues et plus encore celle des actions. Loin
de trouver pénible de se conformer aux exigences sociales, il est
tourmenté, au contraire, d avoir à y manquer, it Bref, il représente
cet esprit conservateur qui fait i de la stupidité une vertu, de l'in-
vention un vice » et qui n'est, en définitive, qu'un des aspects mul-
tiples de la tendance générale à l'inertie.
Or, les religions positives favorisent Tespril conservateur beau-
coup plus que toutes les autres institutions sociales, t L'individu
assez exceptionnel dans son devenir personnel pour s'élever à une
conception de Tidéal religieux différente, quant à sa forme, de celle
îiËsm mttùsmHmvE
explicatives et Ton sera lento — Irop rortement peut-^^tre — de
donner raison aux esprits prudents^ qui voudraient voir les cher-
cheurs s*en tenir pendant longtenips encare h des descriptions pré-
cises et mi ou lieuses*
Ux théorie biologique a été soumise à une critique rigoureuse
dont il est peu probable qu'elle se relève jamais. Ce o'esl pas une
raison pour nier les analogies, très réelles, qui existent entre le^
sociétés et les organismes, A noire point de vue spécial, l'analùgie
biologique sUmpose et ceux qui root notée méritant quelque élo*îe.
L'idenlité des individus dans une société animale ou huit lu*
vaut h ridentilê des cellules dans un organisme. Che?. les * 'K i.i
inférieurs^ il y a peu de difTérence entre les cellules, presque point
de hiérarchie. L'évolution progressive des individualités physiolo-
giques s'est opérée par une lente différenciai ion des élén*eiiïâ
accnnifiagnée d*une division croissante du Iravail, et par rélablisse-
ment simultané d'une coordination et d*une solidarité plus parfaite^-
Considéré dès le début de son développement erabryonnait e, Félre
vivant le plus complexe se compose de cellules d'abord idenliijiieâ
qui peu h peu se différencient suivant des directions déterminées
mais gardent toujours et multiplient de plus en plus leui-s relatiofis
mutuelles. Les mêmes loiï^s préaidenl à révolution des sociétés
humaines. Les formes inférieures de Torganisation sociale corres-
pondent aux formes inférieures de la vie. Un agrégat de cellules non
diirérenciées offre bien des analogies avec une tribu sauvage où h
division du travail n'existe qu'entre les sexes. A Tautre exlréme»
une société supérieure avec ses individus spécialisés, avec se&
familles, ses associations, ses classes superposées les imes mi
autres, constitue une vivante hiérarchie comparable aux plus par-
faits des organismes. Tout cela a été si souvent répété depuis Spen-
cer, quMl serait inutile d'insister.
En ce qui concerne spécialement le fanatisme politique ou reli-
gieux, l'uniformité des idées ^ des coutumes, des désirs qu'il Qxigt
toujours, engendre souvent et maintient par les pires nitjiens,
ramène la nation, réglise, la secLe, à l'étal des sociétés primitives
et barbares. La diversité qull supprime sous toutes ses formes^ La
cohésion et la solidarité qull détruit aveuglément, étant les con*
dï lions principales ou, si Ton préfère^ les meilleurs indices lîu
progrès social comme du progrès orgauifjuei on peut aflb^raer que
son apparition, ses survivances, ses recrudescences marquent ou
Lien un degré inférieur et un arrêt de développement, ou bien une
régression et un état pathologique pour la société comme pour le*
autres organismes de la nature*
MUH13IER. — LH KASATISMK HELieîEtJX
mi
Exacte et, quoi qu on en dise, ol iiislruclive )>, cette analogie n*élQ-
cide pourtant pas beaucoup la question. On l'a remarque, la niatière
sociale est surloul pâychoJogique de sa nature; elle consiste en
pensées, désirs^ émolinns, etc. Et quant h rorganisatign sociale, eïle
reproduit l'organisation psycliologique plus encore qu'elle ne rap-
pelle l'évolution biologique. La suite de cette étude nous en four-
nira la meilleure preuve. Le rapprochement établi entre une secte,
par exemple, et un organisme à cellules identiques assemblées
autour d'un seul centre commun, ne nous apprend presque rien sur
ce qu'il nous importe surtout de connaître, cest-ù-dircsur la genèse
de la secle, sur les satisfactions qu'y trouvent les ariilios, sur le
genre de service qu'elle leur rend, sur ce qui failj au fond» sa raison
d/étre. Le fanatisme, maladie sociale analogue, si Ton veut, à une
dégénérescence organique, dérive d'un étal mental particulier, et
eest à cette source qu'il est nécessaire de remonter.
Les sociologues qui prétendent substituer T interprétation psycho-
logique h rinterprélalion biologique des faits sociaux ne donnent
pas non plus une explication sali s lai santé du fanatisme. Entre tous
les auteurs, M. Baldwiu est peut-être celui qui fournit les données
les plus utiles à rinteîligence d'un phénomène qu*il n*a d'ailleurs ni
décrit ni interprété d*une manière directe. Il y a profit îi rappeler
ici ses vues sur lespril Ibncièrement conservateur de « lliomme
moyen » et sur rinfluence conservatrice du sentiment religieux*
<t L'homme moyen » est celui qui simple imitateur d autrui,
acquiert par absorption de modèles sociaux, les jugemenls et les
sentiments qui font de lui un représentant convenable de son
époque, un appui s^ûlîde des institutions de son pays, un a porte-
drapeau B de la société. Sa mission consiste, pour Tessentiel, à
conserver les traditions, ces habitudes sociales indispensables au
progrès de la race. Mais, s'il contribue ainsi au progrès, c'est sans le
savoir, sans le vuuloir, contre son propre gré* « Réduit à T horizon
horné dans lequel son éducation et sa docilité Tont confiné,., il
déteste roriginaîité des vues et plus encore celle des actions. Loin
de trouver pénible de se conformer aux exigences sociales, il est
tourmenté, au contraire, d avoir à y manquer, s Bref, il représente
cet esprit conservateur qui fait « de la stupidité une vertu, de Tin-
vention un vice » et qui n*csl, en déïmitive, qu'un des aspects mul-
tiples de la tendance générale à l'inertie-
Or, les religions positives favorisent Tesprit conservateur beau-
coup plus que toutes les autres institutions sociales, œ L'individu
assez exceptionnel dans son devenir personnel pour s'élever à une
conception de ridéal religieux différente, quant a sa forme, de celle
590
IlEVL'g rtltLOSOl'UlQU^
explicatives et Ton sera tenté — Irop fortement peut-être — de
donner raison aux esprits prudents qui voudrnif^ut voir Jes cher-
cheurs s'en tenir pendant loii^'lenips encore k des description!? [pré-
cises et minutieu^s,
Uï théorie biologique a été soumise a une critique rigoureuse
dont il est peu probable qu'elle se relève jamais. Ce n'est pas une
raison pour nier les analogies, très réelles, qui existent entre les
sociétés et les organismes. A notre point de vue spécial, l'analogie
biologique s'impose et ceux qui Tont notée nnéritent quelque éloge.
L'identité des individus dans une société animale ou humaine équi-
vaut à ridentité des cellules dans un organisme. Chez les organismes
inférieurs, il y a peu de difTérence entre les cellules^ presque point
de hiérarchie. L'évolution progressive des individualités physiolo-
giques s*esl opérée par une lente différenciation des élémenls
accompagnée d*une division croissante du travail, et par rétablisse-
ment simultané d'une coordination et d'une solidarité plus parfaites.
Considéré dès le début de son développement embryonnaire, Tétre
vivant le plus complexe se compose de cellules d'abord identiques
qui peu h peu se diiïérencient suivant des directions déterminées»
mais gardent toujours et multiplient de plus en plus leurs relations
mutuelles. Les mêmes lois président à révolution des sociétés
humaines. Les formes inférieures de l'organisa! ion sociale corres-
pondent aux formes inférieures de la vie. Un agrégat de cellules non
dilTérenciêes olïre bien des analogies avec une tribu sauvage où la
division du travail n existe qu'entre les sexes. A Tautre exlréme,
une société supérieure avec ses individus spécialisés, avec ses
lamilles, ses associations, ses classes superposées les unes aui
autres, constitue une vivante hiérarchie comparable aux plus par-
faits des organismes. Tout cela a été si souvent répété depuis Spen-
cer, quMl serait inutile d*insïster.
En ce qui concerne spécialement le fanatisme politique ou reli-
gieux, runiformité des idées, des coutumes, des désirs qifil exige
toujours, engendre souvent et maintient par les pires moyens,
ramène la nation, Téglise, la secte, à l'état des sociétés primitives
et barbares. Ijx diversité qu'il supprime sous toutes ses formes, la
cohésion et la solidarité qu*il détruit aveuglément, étant le^ con-
ditions principales ou, si Ton préfêre, les meilleurs indices du
progrès social comme du progrés organique, on peut affirmer que
son apparition, ses survivances, ses recrudescences marquent m
bien un degré intérieur et un arrêt de développement, ou bien une
régression et un état pathologique pour la société comme pour les
*utrês organismes de la nature*
MURISIER. — Î.K FAΫiAnS^IK HEIllQIEUX
m
Exacte et, quoi qu^ûn en dise, « instruclive », celle analogie n'élu*
cide pourtant pas beaucoup la question. On Ta remarquL^, h matière
sociale est surtout psychologique de sa nature; elle consisie en
pensées, désirs, émotions, etc. Et quant h l'organisation sociale, elle
reproduit rorganisaLion psycliologique plus encore qu elle ne rap-
pelle révolution biologique. La suite de cette étude nous en four-
nira la meilleure preuve. Le rapprochement établi enlre une secte,
par exemple, et un organisme à ceJlules identiques assemblées
autour d'un seul ce n Ire commun, ne nous apprend presque rien sur
ce qu'il nous importe aurtouldecùnnaUre, c'est-ù-diresur la genèse
de la secte, sur les satislactions qu'y trouvent les affiliés, sur le
genre de service qu'elle leur rend, sur ce qui fait, au fond, sa raison
d*étre. Le fanatisme, maladie sociale analogue, si Ion veut, à une
dégénérescence organique, dérive d'un élut mental particulier, et
c'est à cette source qu*il est nécessaire de remonter.
Les sociologues qui prétendent substituer Tin ter pré talion psycho-
logique à rinterprétation biologique des faits sociaux ne donnent
pas non plus une explication satisfaisante du fanatisme. Entre tous
les auteurs, M. Baldwin est peut-être celui qui fournit les données
les plus utiles à Tîntelligence d'un phénomène qu'il n'a d'ailleurs ni
décrit ni interprété d'une manière directe. Il y a profit à rappeler
ici ses vues sur lesprit foncièrement conservateur de <t Thomme
moyen * et sur rintluence conservatrice du senti rnenl religieux.
tt L*homme moyen » est celui qui simple imitateur d'autrui,
acquiert par absorption de modèles sociaux, les jugements et les
sentiments qui font de lui un représentant convenable de son
époque, un appui .solide des institutions de son pays, un « porte-
tlrapeau w de la société. Sa mission consiste, pour lessentiel, à
conserver les traditions, ces habitudes sociales indispensables au
progrès de la race. Mais, s'il contribue ainsi au progrès, c*esl sans le
savoir, sans le voulons contre son propre gré. « Jléduit à l'horizon
borné dans lequel son éducation et sa docilité Tout confiné*, . il
déteste foriginalité des vues et plus encore celle des actions. Loin
de trouver pénible de se conformer aux exigences sociales^ il est
tourmenté, au contraire, d avoir à y manquer. % Bref, il représente
cet esprit conservateur qui fait « de la stupidité une vertu, de Tin-
ventîon un vice » et qui n*esi, en définitive, qu*un des aspects mul-
tlples de la tendance générale à Finertie-
Or, les religions positives favorisent Tesprit conservateur beau-
coup plus que toutes les autres insti talions sociales. « L'individu
assez exceptionnel dans son devenir personnel pour s*élever à une
conception de Tidéal religieux dillérente, quant à sa forme, de celte
B»3 REVUE PHILOSOPHiQDE
qui est « divinement sanctionnée », est un rebelle â 1 égard de k
société et de son Dieu... II n'y a qu'un pas â faire pour que h
société conclue dans ce cas à la suppression de Tindividu. L'iiistoire
en témoigne*, la
Bien que M. Baldwin ne nous donna pas sur ce sujet les péûé*
irantes et précises observations dont il a coutume d*étnyer ses
conceptions générales et que même l*êtude du sentiment religit'iii
chez TenFant, si conforme à sa méthode firéférée, reste ù faire» les
considérations précédentes ont leur prix- Elles confirment d uns
manière remarquable la conclusion où nous a conduit l'examen des
faits. Sans doute, « rhomme moyen » n'est pas précisément celui
dont nous nous occupons ici et les individus que nous avons en vue
sont à bien des égards au-dessous de la moyenne. Mai:?, outre que
le fanalisme se développe parfois che& des individus relativemeol
sains et normaux, les esprits faibles nous olTrent une forte exagé-
ration des phénomènes constatés par M, Baldwiu sur les repréiien-
tants ordinaires des traditions et des habitudes sociales. En même
temps, ces dégénérés nous permettent, en eîcagéranl les dêfaulii
communs, d'interpréter avec plus de précision les données *Je
Tobservalion, de mieux saisir dans Unextricable enchevêtrernetït
psycho-social, les laits qui commandent les au 1res,
Le premier lait mis en t^vidence (et digne d'attirer rattention des
sociologues enclins à attribuer quelque importance k la loi de
radaptation), c est le trouble profond et général, organique, alTectif,
intellectuel, qui se manireste chex certaines personnes rsoiéevs et
qui prend fin dès que ces personnes sortent de leur isolement pour
obéir aux suggestions de leur entourage» Incapables de réaliser,
même à la manière mystique, la systématisation de leurs étals de
conscience, elîes arrivent cependant à Tunité et recouvrent la
tranquillité en sadaptant à un groupe large ou restreint, dilTérant
de la famille et des autres agrégats sociaux en ce qu'un même
stimulus y agit d'une manière à peu près exclusive et conslantef y
renouvelant sans cesse le même état de bien-être et de béatitude.
Mais refticacité durable de cette sorte de traitement psychologique
dépend de deux conditions principales : il importe, en premier lieu^
que le malade s'identifie avec le groupe, au point de n'avoir pluB
d'autre moi qu*un moi soeiati relatif au groupe unique, quel qull
soit, nation, êgÎ! L^cte; il importe, en second lieu, tjue le
groiM^^^ ^"*'^**^ *'^' 'lentiqne k lui-même, puisque le moindre
Lcbai 1 la plus légère, crée de nouvelles coodi-
i ilc du tlécetoppeméni mentaL
MURISIEH. — LE FAVATrSMR REUCIEtfX
593
lions d'existence et nécessite des adaptations nouveUes, toujours
troublantes. Nous avons vu comment le fanatique se rapproche de
»cet « idéal ï, comment il détruit en lui « toule humanilé », c'est-
à-dire tout ce qui reste étranger a son moi ecclésiastique ou sec-
taire*, et comment il éprouve le besoin de maintenir» envers et
contre tous, la stabilité absolue de son milieu*
■ Cette stabilité sociale qui assure et garantit la stabilité mentale
des faibles et des abouliques, paraît être Fœuvre propre du fana-
tisme politique ou religieux. Le premier dispose, pour la réaliser,
de certaines idées simples et fortes, surtout de certaines formules
I revêtues d une puissance mystérieuse, de formules magiques* Le
second fait appel à une pen^onnc omnisciente, omnipotente, dispen-
satrice du bonheur terrestre et éternel; c'est cette personne divine
qui, soit par des interventions directes, soit par Tintermédiaire de
ses agents humains fait régner dans les sociétés l'uniformité des
croyances, des mœurs, des tendances et des désirs. Lextraordi-
Oâire pouvoir de Tidée religieuse explique les extraordinaires effets
du fanatisme religieux.
Reste à savoir comment se réalise cette uniformité sociale et à
expliquer, en les rattachant à notre interprétation générale, les
principales formes du fanatisme. J'espère montrer prochainement,
ici*même ou ailleurs, que toutes les manières d'agir des fanaliques
se ramènent à deux modes fondamentaux : Texciusivisme et le pro-
sélytisme, lesquels reproduisent dans la société les procédés néga-
tifs et positifs d'unification ou de simplification psychologique; —et
que les manifestations si variées du fanatisme tiennent à des diffé-
■ renées de milieux et de moments, sous lesquelles se retrouvent
toujours des besoins et des états émotionnels identiques.
E. MURISIER.
i.sii^
TOlie L, — Î900.
CO.NTHJBUTION
A LV
THÉORIE PSYCHOLOGIQUE DU TEMPS'
La théorie kantienne de raprioritê du temps et de l'espace a été
l'objet de nombreuses critiques et le point de départ de rechercbes
qui, toutes, tendent à îa réfuter*.
Laissant de côté tout problème métaphysique, nous voudrions
nous demander, du point de vue de Tobservation psychologique,^!
Vaprloritë peut se soutenir et en quel sens; si, à cet égard, Fespace
et Je temps se comportent de même; — puis, quelles conséquences
en résultent en ce qui concerne le temp^; enfin I étude de quelques
troubles de localisation viendra illustrer les conclusions où noifô
aurons été amenés. Posant le problème tout autrement que Kant,
nous serons conduits û des conclusions tout autres que celles m û
tendait : il cherchait une forme universelle, voulait fonder la possiM-
lité d'une expérience, la même pour tous ; — presque à Tin verse nous
monirerons que la priorité du temps consiste dans la donnée }>hj*
Biologique d'un rythme organique, donnée essentiellement relative,
variant, non seulement avec les individus, mais sous mille influences
au cours d'une même vie individuelle.
C'est par rapport à cette sensation immédiate que tout fait se colore
1. CommunScation lue «tu Congres de psychologie (lUOD).
2, Pour Vespact, Herbarl refuse tle le t^nir comme tlor^né» le regarde eomms
un foncée pi fabriqué par l'espril ; ]es empiristoiî (Baîu. Spencer) m on trenl l'ac-
quisition de cette notion h l'aide du mouvemetiL; Les naliviBles (Mtdli^r, Slumpt)
ûUmellent une repréi^cntaUon spatiale. Knfm les deux doclrinefi sont coneittt^
par Ia théorie de M. Ûunan, posant * un mouvaiTK'nt sur place par quoi rorgir^^
réagi rail contre \g^ i ni pression s visuelles venues du dehors -. Cet ntUetif
démontre t»ien rinndmii^i^ibilité û& l'espace a priori et Ja dépendance écctik
forme dln lui lion par rapport è. l'organe percevant ; noua comtruhûm ûmf^
menl l'espace.
Pour le temps q\ï\ n'a pas Été rûbjcl d'éludés aussi nombreu^e^, vatr surtout
la - lîeiifcse de Tidée de temps *■ de Guyau^ l'éLude sur ta ■* Perception du
temps îp de W. Jame* [Pst/f'holof/i/j l* I, eh. xy)» en lin la thèse tîc M. Bt-rgâon ;
n Essai !iur les données immédiates de la eonseience -, doni nous noussommt^^
beaucoup inspirés, ainsi qu'on le verra.
C. BOS.
THÈOftlE PSYCHOLOGIQUE W TtOlPS
r,9S
tl un certîiin dvfjré de préiH^îia^. Les événements d*UDe vie indivi-
duellCj cliacun ainsi atTeclê d'un exposant de temps .qualilé propre
fournie par une équation personnelle) s'ordonnent pnr rapport ù cet
exposant et ainsi se constitue le iempi^ pstjchologiipie^ qu'on pour-
rait définir un « ordre de relations h valeur assenlielïeinent subjec-
tive >K
Mais noua distinguerons de celte ordonnance suivant le temps
psychologique, ou degré de présence, la traduction que nous en fai-
sons^ d'ordinaire dans le temps linéaire, suivant lavant et l'après —
traduction analogique du temps — qualité en un langage spatial qui
lui correspond très grossièrement*
L'ordre du temps prend celui de Tespace pour symbole, mais leurs
cours ne restent approximativement parallèles qu'au Lanl que la sur-
face seule du moi est efileurée : qu'un événement %ienne à s'en-
foncer trop avant dans ie temps psychologique (à atteindre un degré
de présence Iropinlease), il en résulte un bouleversement, très sug-
gestif et trop peu remarqué, dans la localisation sui%^ant le temps
linéaire. Celle-ci, opération tardive et compliquée, pourra se trouver
en conflit avec rordonnance vraie suivant le temps psycUologique,
tel que nous avons essayé de le définir.
En un mot, décomposant Tintuition pure a priori de Kant» nous
distinguons, d'une part, une intuition i^msible (s^ensaliun organique
de rytbme vilal], a priori en ce sens que la sensation de temps
préexiste à toute expérience externe; — d autre part, une ordon-
nance dans le temps linéaire, opération intellectuelle, localisation
par analogie dont les résultats ont sans cesse besoin d'être confrontés
avec ceux de l'ordonnance subjective, suivant le temps psycholo-
gique.
I
Constatons d abord que le rapprochement entre le temps et Tes-
pace, contre lequel de nos jours M. de Hartmann s'est nettement
élevé, est une vue toute moderne, dont on ne rencontre pas la
moindre indication dans la philosophie toute qualitative des anciens,
Ou trouverait, cliez ceux-ci, l*ébauche d'une théorie du temps : c'est
ainsi que le rapport étroit du tetnps à l'ùme est souvent indiqué.
Déju chex l*lalon, où la création de filme est suivie de celle du
temps, celui-ci étnit une conséquence de lapparition du mouvement,
avant quoi il n'y avait que l'éternité. Chez Plotin encore, pour qui
le temps est créé par r;\me, la vie de 1 ame produisant le temps
(Ennéade III, 7), Mais si Ton ne trouve pas la moindre ébauche
396
BEVUE PUILOSÛPHIÛUË
d'une théorie die Vespace^ la raison eu est simplement que îe pm-
blème ne pouvait pas se poser pour raritifiuité. Les Grecs, en effet,
sont restés réalistes : notre conception rektivisle d'un espace,
eonsiruction mathématique, ne pouvait pas trouver uccès près d'eux et»
de fait, ils n'ont pas de terme qui corresponde à notre terme d* espace.
Le lieu (topos) détermine encore une manière d'*>tre, se rapporte
par conséquent, comme le temps, à une qualité. Ainsi, chez les
Grecs, il ne pouvait être question de rapprocher l'un de Taulre, de
transposer Tun en Taulrele temps et l'espace* C'est le cartési^iisniç,
avec sa conception toute nouvelle qui a fait qu'après lui les recher-
ches modernes ont porté beaucoup plus sur Tes |>ace que sur le temps.
Pour ce dernier, le problème n a pas été abordé de front comme
rélait celui de la perception de Tespace, on s'est plutôt posé àsOD
sujet des questions annexes (mensuration d*intervàlles de temps;
étude de Tidée du temps^ non de sa perception; enlin réductioû du
temps mathématique en espace). Il semble qu on ait implicitemetit
reconnu pour le temps une quasi-Jégitimitt' de rapHorisme, qiioa
ait senti à sa base quelque chose d'irréductible, une donnée vérita-
bleraent innée.
tii ces apparences étaient fondées, si le temps participait plus de
notre moi que Tespace, une conséquence en résu itérait, qui seinWe
bien, d'ailleurs, réalisée.
Démasquer^ comtue on Ta fait, les postulats sur lesquels rept>5é
la géométrie euclidienne, constater un choix fait par Tesprit d'après
des motifs de « convenance ï, cela, sans doute, ébranle h iixité
immuable des mathématiques, mais cela ne compromet pas la valeur
objective de Tespaee. Tel que l'esprit humain a pt^éférè de le con^
truire, iï vaut ce que valent nos œuvres, ce que vaut, par exemple,
le langage, conveiitionnel lui aussi, mais qui nous permet cepen-
dant de nous entendre. S'il en était autrement du (e^nps, s'il è\di
plus ïYièiè de subjectivité^ sa valeur objective serait compromi&e, il
serait inacceptable comme înstruuîent d'échange car par lui nous
tendrions à la confusion d'une Babel. C'est pour éviter cela que
nous transposons un Nît psychologique en langage spatial. Ce n*e^l
pas un autre motif qui nous porte à prendre pour le temps un sym*
bole, c'est là Torigine de notre tendance à projeter llnétendu ito
rétendue, à convertir le qualitatif en quantitatif. C'est encore poor
une raison de même ordre que, malgré ce que nous savons et bien
que nous repoussions théoriquement la conception cartésieno^i
nous en revenons toujours à ridentiricalion de la matière et de Te*-
pace: c'est qu'en attendant d'avoir délini la matière, il faut bieji itoo^
entendre quand nous parlons d'elle!
C BOS, — Ttll^ORiE PSVOIOLCiaiaUE m TKMPS 597
En quoi diiïèrent donc les données à Faîde desquelles nous cons-
truisons Fespace de celles qui nous servent à élaborer le temps? Ces
- données sont inéduKes dans Je premier cas, elles sont hnmédiatesi
f dans le second. Pour construire Fespace, il noua faut combiner rap-
port de plusieurs sens : qu'on accorde la prédominance au tact,
_ comme Berkeley, ou à la vue, comme Dunau, les deux sens inier-
■ Tiennent et exigent, en oulre, Fessentiel apport du mouvement. De
cette complexité il s'ensuit : P Qu'un sens peut corriger Tautreet
»que, dans le cas de Fespace, un contrôle est possible, que nous ver-
rons manquer pour le temps; y^ Qu'une interprétation devient néces-
saire de notre part; Finluilion manquant, il fiiut que Fesprît t travaille
les données diverses qui lui sont fou mies et ce travail tend à éli-
p miner les erreurs d'équalton personnelle; 3" Ces données nous vien-
nent^ en grande partie, par des sens extérieurs, les plus intellec-
tuels, les plus susceptibles d'éducation; elles sont de plus médiates,
■ exigeant une interprétation selon les lois de Factivité de l'esprit, les-
■ quelles valent objectivement. Doi:i il résulte que nous avons â peu
près tous la même perception de Fespace, que les erreurs de locali-
sation valent à peu près pour tous, — ce qui permet de les prévenir.
Au contraire, nous croyons qu'il existe pour le temps une sensa-
tion simplOj immédiate, faurnie exclusivement parle sens interne. Et
c'est elle que nous voudrions d abord étudier.
I£
r
La dépendance plus étroite du temps que de Fespace par rap-
port à nous est depuis longtemps consacrée par le langage qui a
ithropomorpliisé le temps, ce qu'il n'a pas fait pour Fespace :
Chronos est un homme comme nous. C'est que le temps, en efîet,
est un mode de notre vie, tandis que Fespace n'est qu'un mode de
notre pensée : nous vivons avec le temps, nous pensons avec Fes-
pace, « Ce sont les états de conscience eux-mêmes, dit Hulïding,
qui se succèdent dans le temps, tandis que ce n'est pas la con-
science elle-même, mais les objets qui apparaissent sous forme d*es-
pace. Ce qui i mimique que le temps est une forme plus originale,
psychologiquement, que Fespace. » L'auteur pense même que Fes-
pace n'est pas une forme indispensable h la conscience, il y aurait eu
un stade de son développement où sensations et idées n*auraient eu
que certaine qualité.
Cela s'accorde avec les vues de Spencer qui pense que si nous tra-
duisons le temps en espace, nous avons commencé par exprimer
Fespace en temps, {Pstjdwîogiêy t. Il),
598
BEVL'Ë PKtLOSOf'IftOtJË
De quelle nalure est celle sensation initiale doù nous dérivons le
temps? Elle ne nous est pas fournie par les sens extérieurs, avons-
nous dit; il faut abandonner l'in-pothu^e que <i les représent,^Liûns
auditives constituent l'auxiliaire essentiel de Tintuition de temps ■
(Wiindt, Sully .
Lobser vallon des sourds -muets a sulfisamment prouvé que le
sens du rythme peut exister indépendamment de toute sensatioti
auditive : Laura Hridgman divisait Je temps très exactemenL
C* est donc vers les sensations internes que nous nous tournerons.
On a depuis longtemps signalé Timportance, pour la mensurattoii du
temps, des mouvements respiratoires, des sensations kinesth«^si-
ques, des pulsations; nous pensons qu on peut aller plus loin et
rechercher si ces données mêmes ne nous sont pas fournies sùî^'ïint
un rythme : si îa eon^ctence du corps n'nst pas régnliêremeitt fiucon-
(biHv*. Car si, de tous ces mouvements ijui se passent dans notre
corps, nous n'avions aucune conscience, ils ne nous serviraient en
rien; mais nous avons une « FuhlsphHre », une sphèm de c senti-
ment du corps nj qui constitue le « retlet psychii(ue d'états physi-
ques *) et dont, comme tetle, M, Flechsig, au précédent congrès,
soulignait déjà l'imporlance pour la psychiatrie'. ÎI restait à se
denmnder comment fonctionnait la celïule psychique, quelle était sa
forme d'activité; et les récentes études de M. Richet sur V « oscil-
lation de la cellule nerveuse )> elV ^ unité psychologique du temps »,
nous ontj fourni sur ce point de précieux apergus**
Analysons la /brmt' de toute sensation en général, indépetidam-
raent de son contemî : nous la voyons consister dans ractivilé de la
cellule nerveuse. Mais cette activité est t'discrète >. M. Bîchet a
montré qu'il y a une l'orme et une durée de la vibration nerveuse,
— que celte forme était l*ondulatoire, celle du balancement d*urt
pendule, avec une phase d'addition et une phase rélraclaire, que
cette durée était 1/10 de seconde, minimum requis pour tout pi'O-
ceâsus psychique^-
î. Conm'H de Munich ^ISOG) reproduit in Êtude.^ sur le tFiTean^ Irad. L^^i*
2, Cf. ihfv. p/*i/r>s., IHÎIS, el Dictionn.de phf/:fîùiGgie, L ïli. V fasr.
;j, . ijfff de iteçonde est la duri^e minimum d'une apéraU'on inlelJecUie]k^i!>'
sotïièe, la durée tniniuium d'une ]>Êrception sensible; dissociera la thiree îitîfU'
luiim d*tiii mouvement volonLaîre discontinu • (Jîiscours prononcé au Conifr»?*
de rAssoi iation brilannique, iHïlli), " La durée iGlale de rptte onduLiliou H k
retour du àyàLênn? nerveus à requîîihre mei^urent te lemp:^ nécessaire à la tli^
conlinuilè il'un pliènomène cértahml tiueleonque. " {DiH. de phy^mhfpf* p- ^
Ci^s ûludes prennent encore unt* nouvelle fraporlance par l'appu» qu'elles
trouvent dans le phénomène dé la mémoire^ Car uti« vibrîillon nerveusti cérv-
hmle D*e&t jamais èleitile compltîleuîenl, d'après les eoncîusion:^ de M, lîîdifU
et il est aln^i inU^ressatit de Toîr que ta tliéorie lUiilliemaiieo-physiologîtia*
G. BOS.
THÉORIE PSYCIïaLOGIQUE DU TEMPS
i99
Ces afrirmations delà psychologie expériracniale ne soot pas pour
nous surprendre. Nous sentions bien qu au fond, les systèraes phi-
losophiquess affirmant une harmonie, une cadence rythmée dans
l'univers, disaient vrai et le monisme nous permettait de supposer
que cette loi valait partout. Seulement jusqu'ici nouïn*avionstHudié
»qoe le rythme des astres, des corps extérieurs au notre et c'est cela
qui nous foumiî»sait des étalons pour mesurer le temps; c'est cela
aussi qui nous induisait en erreur, noua faisait fatalement introduire
rétendue dans le temps, nous laisait croire à un temps indépendant
de nous, absolument uniforme et, partant, mathématiquement mesu-
rable. Tel ne pouvait être le temps psychologique. Quand il s'agit de
nos événements psychiques^ le temps dans lequel ils s'ordonnent
doit s'exprimer en termes psi/thiques : son unité doit être une
unité parjchique et telle est bien celle constituée par une vibration
nerveuse complète.
Car, nous le verrons, ce n'est encore qu'au moyen d'une Iraduc-
tioH symbolique qu*on peut exprimer Tunité de temps-psycholo-
gique en temps-spatial et parler d*l/10de seconde : de fait, cette
ft unité n'a rien d'étendu, elle ne le devient que quand nous Texpri-
' mons, mais telle que nous la percevons immédiatement elle est une
manière d'être et toute qualitative.
La haute portée de ce^^ observations, on Tentrevoil de suite.
Et d'abord ie temps reste bien, comme le voulait Kanî, la forme de
nos phénomènes internes (et Ton voit quelle précision physiologique
prend ici le mot interne); l'orme a pr'torf^ car la sensation initiale de
I rythme vital n*est conditionnée que par rexistence d'un système ner-
veux et préexiste à toute expérience du monde extérieur. Mais Tin-
tuitîon pure a fait place h une intuition sensible et le temps continu
cesse d'être «c un scandale pour la pensée m car il a fait place au
temps discontinu.
Quant à la nécessUé inhérente, à la forme du temps, s'il faut
accorder h Guyau qu'elle ne s'impose pas en ce sens que la représen-
tation de temps n'est nullement donnée dans chaque représentation,
nous verrons cependant qu'à sa place nous est donné un sentime^H
de temps, accompagnement nécessaire de tout phénomène psychique.
Mais quand Guyau, à l'encontre de Técole anglaise, nous dit que
le sens de l'espace est développé avant celui du temps, nous ne pou-
vons le lui accorder. Son erreur vient toujours de ce qu'il n'envisage
d'^nc viUralior» nervcuâc iodé H ni m eut ^rnorlie, concorde av^jc Je grand fait de
k mémoîre {ttL).
1. Hartniatm {Ds l-incorvicieni^ p, 333) déltisisâiiit déiià le lempa • une per-
cepUon rêâuUant directement des Tibralioas ^^érébfales «.
A
600 HEVtll mtLOSOPHiaOB
que Vidée du temps ce qui lui fait déclarer qu'on ne peut se repré-
senter le temps j qu*avec des espaces : se représenter, oui, — mais
seutir, non, et un sentiment du temps en précède la représeDlattou.
Quant k la question de V universalité^ elle ouvre la voie à des consi-
déralions intr*ressantes.
Il résulte, en elTet, de la nature organique de la sensation de
rythme que nous le trouvons déjà chez TanîmaK Bien plus, c'esi
chez lui {et chez les idiots qui se rapprochenl le plus de lui) que
nous trouvons la plus parfaite mensuration du temps. Nous le cam-
p rendrons sans peine- Pour que le rythme vital demeure régulier II
faut que rien n'inïlue sur lui, il faut écarter ces causes perturbatrice*
que constituent les émotions, Tattention. ractivité supérieure de
l'esprit qui a toujours une résonnance sonmlitjue et dont ranimil
est exempt « par bénéfice de nature », En outre, toute opémtiôû
intellectuelle vient détourner le moi de sbn aulo-observation, i-^veo
diquer rattention qui, sous sa forme rudîmenlaire, n'est tournée qtie
vei^s le dedans : Tindividu cesse, pour ainsi dire, d entendrejes bat-
tements de son rythme.
C est ainsi que Taninial qui contracte une habitude refait cliaque
jour la même chose à la même heure, avec une minutieu&e esacti-
tude. G est ainsi que le détenu acquiert une remarquable acuitédans
la mensuration du temps et sait^ k quelques minutes près, qumé
l'heure de ses repas est venue.
On ne s'étonnera pas que les hypochondriaque^ qui, comme cm
Ta dit spiriluellenieni, ^ entendent les harmoniques », pervoivenï
distinctement le rythme du temps.
Un fait intéressant à noter c*est la perfection de la mensurattûDdn
temps che?. les aveugles ^ : on dirai! que le monde exlèneur ne
venant pas les distraire, leur sensibilité sWfine pour les phéiiO'
mènes du monde intérieur. Leur attention, qui ne se disperse pis
dans respace, leur révèle un plus riche univers dans le temps*
La mensuration du lemps — et c*est une conséquence de ce qtifi
nous venons de dire — ira se perfectionnant dans les états où riéo
ne disirait lattenlion. Dans le èommeiî, d'abord, nous avons à pciw
besoin de rappeler que beaucoup de gens peuvent s*éveiller exacte-
ment à Theure où ils le veulenL Mais c*est surtout daas Vhî^pno»e
que le fait a été signalé'. On peut suggérer à un sujet de dormir
douze minutes : il s éveille exactement au bout de douze minotes-
1^ Cf. Dunaji, Ht'u* philos. La remarque avail déjà éle fitile par ï*bklnct V^^^-
Aphonsm.) • Jn reâlih^ lu Lhe bIJnd lime serves int»lt<ad cif çpiii'c -,
â. :§utnnambttii»m€ pt'Qvofftié de Beaunis el idem D^lbofiif^ voir âU5^ IkU^tMi'i
CoDgr^!! de 11S02.
C. BOS, — THfiOHIE rSVUlOLOCHHlK DU TEMPS
601
Encore plus remarquable est celle appréciation du temps dans les
suggestions à longue échéance. M. Beaunis * suggère à un hypnotisé
que dans dix jours, à cinq heures, il ouvrira tel livre à lelîe page :
l'acte e:§t réalise exactement au jour el à l'heure indiqués. L'auteur a
même été témoin d'un cas à cent soixante- douze jours d'inlervalle-
Quelle patiente et juste mensuration du temps cela suppose I
Elle ne s^explique que par un rélrécis?ement du champ de Tat-
lention chex le sujet, amenant un mono-idéisme, une concentration
de Tattention sur le seut rhyUne vitaL
Ceci nous amène à nous poser une grande question qui va éclairer
d'un jour nouveau le problème de runilê de temps : Qu*e.st*ce donc
que raltenlion vient réaliser? Gomment la devons-nous concevoir
pour nous expliquer par elle les altérations dans Tappréciation de la
durée?
Elle est une activité, lactivité psychique par excellence, celle dont
les divers degrés de perfection mesurent exactement ceux du per-
fectionnement dans le mécanisme cérébral. Aussi est*ce à la méca-
nique que nous emprunterons des termes pour essayer de la définir,
assimilant l'attention à la force de ten&îùn.
C'est cette attention qui, sous sa forme volontaire, accélérant le
rythme nerveux, explique toutes ces erreurs dans l'appréciation de
la durée, — sur lesquelles nous n'insisterons pas, parce qu'elles ont
été l'objet de nombreuses et encellenles éludes : c est Tattenlion
expectante qui abrège les temps de réaction, c'est elle, qui explique
même les temps de réaction à valeur négative.
Mais cette a force de tension î> susceptible de varier légèrement
sous Finfiuence d'un effort volontaire, n'est-elle pas donnée déjà à
chacun de nous à un degré très diiïérenl? ne venons-nous pas de la
définir la forme même de ractivité psychique, de sorte qu en dernière
analyse, c'est îe degré de puusamw de V attention qui vient déter-
miner le rythme d'ondulation de ta cclhtle nerveuse. Le temps
psychologique se construirait ainsi avec des di/namos.
L'unité de temps, c'est donc une unité de cùncent ration, tmité
d^aperception ou de siftithèse^
Il y a une période réfractai re parce que notre puissance de syn-
thèse a des limites.
Ainsi, partis pour définir runité de durée de rexpressi<m spatiale
1/10 de seconde, nous sommes arrivés à une expression qHalitalivej
à concevoir que chaque temps de présence, chaque battement de
conscience, qui plus tard sera projeté dans retendue, n'est prirai-
t. Senmiiom inlernes^ [i. 166.
602 REVUE PHILOSOPHIQUE
tivement qu'un sentimenty celui d'une plus ou moins grande force
de tension.
Ce qui nous a induits en erreur, c'est encore le mouvement, que
M. Bergson accusait déjà*.
On devine l'importance de ces vues pour la localisation dans le
temps si nous disons, par anticipation, que ce c sentiment > four-
nira le « degré de présence ».
Désormais, quand nous dirons que le rythme de Toscillation ner-
veuse « s accélère » ou « se ralentit», il faudra nous entendre et
comprendre par là, non pas que l'unité de temps est plus ou moins
longue (comme pourraient le faire croire les expressions de temps
spécieux, temps en dos d'une des auteurs), mais que son contenu
est plus ou moins denae ou dilué.
Si l'on voulait tenter une traduction en langage physiologique, on
pourrait essayer de dire que notre unité de temps varie selon que
rintensité de l'oscillation nerveuse aura permis aux neurones, arti-
culés entre eux, de contracter plus ou moins d'associations.
De cette conception de l'unité de temps, des conséquences du
plus haut intérêt spéculatif résultent.
On conçoit que cette force d'attention (ou de tension nerveuse)
qui détermine le rythme vital et fournit l'étalon de durée psychique,
seraessenlillement variable.
Elle le sera beaucoup d'une espèce à l'autre. W. James nous feil
entrevoir, d'après les calculs de Von Baer, combien différente nous
apparaîtrait la vie si notre rythme nerveux devenait mille fois plus
accéléré : « Avec le même nombre d'impressions, écrit-il, notre
existence pourrait être mille fois plus courte, nous vivrions moins
d'un mois et ne connaitrions rien du changement des saisons. Nés
en hiver, il nous faudrait croire en l'existence de l'été comme nous
croyons en celle d'une période houillère. »
James tient pour très probable que les autres planètes sont habi-
tées par des êtres dont le rythme vital est tout dilîérent du nôtre et
pour lesquels, par suite, la fantasmagorie de l'univers est toute diffé-
rente.
Mais au sein même de notre espèce, ne peut-on parler d'une évo-
lution dans le rythme de la vibration nerveuse, ne peut-on penser
que le temps va toujours s'accélérant?
Lotzte, du moins, l'affirme. <c Le rythme de la pensée, de la vie
intérieure s'est modifié chez les différents peuples; et au cours du
développement d'un môme peuple, il est de plus en plus rapide à
1. Essai sur les données immédiates de la conscience ^ p. 94.
C. BOS, — THÉOUrK l»SYCIlOLOCtQUE DU TEUI^ 603
mesure que le degré de cuUure est plus haut. Les langues en font
preuve, ayant évolué des formes amples du vieux gothique h celles
étroites de l'anglais actueh Malgré son charmCj nous ne pouvons
plus lïre Boccace a cause de Tarn pleur de son style, déshabitués que
nous souimes de cette manière de penser ^ »
Le rythme vital est probciblement plus accéléré à Paris qu'en pro-
vince : les Goncourt ont bien écrit que Texistence parisienne
« hâtait Tovulution » !
Mais chez uu môme individu ne prévoit-on pas que Tondulation
nerveuse, étalon de la durée psychique, pourra sous mille iniluences
s accélérer ou se ralentir?
Elle varieni d'abord dans une même journée avec la tension élec-
trique, toujours plus forte le soir. L'accélération se réalise, en outre,
dans tous les états d'excitation et elle a surtout été observée dans
des cas d'intoxication, où les phénomènes ont lavantage d être
grossis.
On trouverait des exemples d'amplification du temps chez de
Quincey (Confessiom^ d'un mangeur loplum), chez Moreau de
Tours Le hasckich), chez Eiaudelaire (Par^adia artifici^h).
A l état de veille, Tillusion est presque toujours rectifiée car nous
avons des moyens de contrôle, des redresseurs de cette illusion.
Mais dans le sommeil, alors que manquent les points de repère et
que sont suspendues les opérations ïtitellectuelle;^ supérieures, la
durée est évaluée en fonction du nombre d*images et il nous senjbie
avoir vécu un rêve de vingt ans, tant fut riche le défdé des visions.
Le mécanisme de t Tillusion de la durée dans le rêve » tient dans ce
vers de Baudelaire-
J'ai plus de souvenirs qu^ si j'avais mille ans.,^
« Mille ans » est choisi volontairement par le sujet éveillé qui
juge et qui compare avec ses expériences passées t quil s'endorme
et que ïcs mêmes nombreux souvenirs défilent devant ses yeux, le
sujet endormi ne rectifiera plus son impression' de durée, ceux-là
mesureront celle-ci : il mtra vécu mille ans.
Si nous voulons prendre garde à la langue linéaire dont nous
usons, nous comprendrons que le sujet traduise cette plus grande
richesse duc temps de présence » par un accroissement de longueur
du temps spatiuL il la iradnU ainsi, mais ce n'est pas ainsi qu'il la
perçoit. Que se passe-t*il, en elTet, en lui?
K Lo i z l0 , h(e a te Fraffen { Z e U u nd We iJ e)*
2, Cf. Chérie.
604 ABV16 fUlLOSÛPRîOUE
Il a conscience d'un nombre si grand de phénomènes psychiques,
quHl conclut à un espace de temps assez vaste pour les contenir; il
fient !es événements inlérieurs plus abondanis qu'à l'ordinaire pour
une même longueur de temps spatial : le changement perçu est pro-
jeté du contenu dans le contenant et par une illusion d*optique tem-
porelle, il distend la durée* Tant est forte la tendance à traduire le
complexe en exlensif î Un exemple classique et bien instructif tle
celte illusion d optique est le cas de llousseau^ attribuant au séjour
qu'il fit aux CharmetleSj oîi il avait passé des jours si pleins d*émo-
tionsj une durée de deux ans trop longue*
L'intensité du t temps psychologique *, à mesure qu^elle crolt^ se
distend dans le temps linéaire.
Nota. Il est curieux de %^ojr qu'une tendance inverse .se produit
lorsqu'au lieu du langage, mode de l'étendue, nous exprimons nos
sentiments dans la musique, traduction immédiate du qualitatif
c'est-à-dire du temps psychologique. La musique redresse pour ainsi
dire, l'image renversée par le langage, en ce sens que fintensif s*y
traduit en condensation dans le temps-éiendue. Tous les musicieos
savent que, quand une phrase est écrite crescendo, nous la jouons
involontairement dans un mouvement accéléré : à notre insu, nous
avons traduit Tintensilé croissante par le surcroît de tension qui lui
correspond, ^ous avons une peine extrême à jouer un morceau de
musique à la fois dans un mouvement très rapide et très léiano : ce
qui est faible est par nous distendu dans le temps.
L'accélération du rythme nerveux ^ nous l'avons tous éprouvée
dans les cas d'émotion violente.
Devant un malheur foudroyant, nous avons tous « vécu plusieurs
vies en Tespace d^une heure », — et peut-être faut-il chercher là Tex-
plieation d'un phénomène souvent signalé', qui ferait que les noyé^
au moment de l'asphyxie, verraient défiler devant leurs yeux toule
leur vie en quelques secondes^.
Il ne sagit pas d'une simple e.valtation de la mémoire, car on peut
admettre le cas où le sujet n'aurait oublié aucun des faits qui ïui
sont actuellement prt'sents^ mais alors il eût dû les égrener^ les
épeler successivement tandis quHl les condense et les lit comme ua
moL N'est-il pas plus probable que rapproche de la mort amène une
t. Cf. Ritter, SouveUei recfiprches sur les Confef^iûns^ 1880*
2. Cf. BarrfÇ, L'ennemi de^^ loi<i, p. 226 ei Bergson, op. ciL
3* Suiïaijucs pnr Teaii, des êtres ont vu ii'alluni(.'r dans leur cerveau toul k
lliéâlre de Jcur vie passée : qtielqueïi secomJes ont suffi à conlenir une »iiiftn-
liti> «je senUmenis et d'images (J:qujvalerite à des années ^Baudulake. Putodi»
artificiHs, p. mn.
I
I
I
I
G. BOS. — TltKOFÎIB t^SVCllaLOGlQUE tïU TEMPS 605
exciUtiOD qui agit comme multiplicateur pour centupler la force
d'appréhension et permetlre la synthèse d*un grand nombre de faits
en un tout?
Baudelaire semble avoir bien compris la nature du phénomène,
cette condensation d'une multiplicité en une uniié, car il ajoute :
« Ce qu'il y a de singulier c'est la simultanéité de tant d éléments
qui furent successifs,.,, dans les excitations intenses, tout le com-
pliqué palimpseste de la mémoire se déroule d'un coup avec ses
couches superposées &.
Des émotions aux états pathologiques il n*y a qu'un pas. Nous ne
serons donc pas surpris de trouver dans les troubles graves du sys-
tème nerveux un bouleversement du sentiment de la durée. En ce
qui concerne Fépilepsie je relève une observation — qui fut, comme
on sait, une auto-observation — de Dostoïevsky, si remarquable que
je ne puis résister à Tenvie de la rapporter (le cas est d'ailleurs d'au-
tant plus intéressant que le sujet n'essaie pas de traduire en durée-
étendue ce qu'il éprouve, mais nous livre un sentiment immé-
diat) :
... « Toutes ses forces vitales atteignaient subitement un degré
prodigieux d'intensité, La sensalion de la vie, de Texistence con-
sciente était presque tiécuplàe tians cea insianti^ rapides comme
réclair... Quand plus lard, revenu à la Banté> le prince réfléchissait
là-dessus, il se disait souvent : Ces instants fugitifs où se manifeste
la plus haute conscience de soi-même et par conséquent la vie la
plus haule, ne sont dus qu'à la maladie, h la rupture des conditions
normales et» s'il en est ainsi, il n*y a pas là de vie supérieure mais,
iu contraire^ une vie de l'ordre le plus bas. Qu'importe que ce soit
une maladie, une ienaion anormale si dans cette minute j'ai une
sensation inouïe, insoup<;onnée jusqu'alors de plénitude avec
la plm hauie stjnthèsc de la vie?,*. Dana ce moment» disait-il, il
me semble que je comprends le mot extraordinaire de Tapôtre : il
n'y aura plnn iitî temps. C'est sans doute à cette même seconde que
faisait allusion Tépileptiiiue Mahomet quond il disait quit visitait
toutes les demeures d'Allah en moins de tempa ipiHt ne fallait a sa
cruche d'eau pour se vider m Dostuïe%'sky \U Idiot).
Que l'organisai ion ne puisse supporter longtemps une pareille ten-
sion, le sujet le sent lui-même : « il voyait trop bien que la consé-
quence évidente de ces minutes supérieures, c'était Thébétude,
l'idiotisme »*
Bien qu'au premier abord cela paraisse contradictoire, c'est encore
par un allongement de îa durée que nous traduisons le phénomène
inverse, le ralenlissement du rythme vital, cette raréfaction des faits
606 REVUE PïiiLOsorniûL'E
psychiques inclus dans le temps de présence et qui constitue Ten-
nui^
La contradiction n'est qu'apparente : précédemment, quand il y
avait surexcitation, c'était sur le mnienu du temps que portait noire
attention, la complexité n'était traduite eu allongement qu'après
coup; dans Tennui^ les événements extérieurs ne sollicilent plus
notre attention, c*est sur la forme même du temps, sur le nthme %'jtil
que porte notre attention. Le temps nous semble plus long cotnrae
un appartement vide nous semble plus grand,
La recti il cation^ d'aiïleurs, se fera plus tard, quand au lieu de
ëeniit nous jugerons : nous estimerons alors, va le peu d'images Im-
crites dans notre mémoire, qu'un « espace de temps très court la ûù
suffire à nous les apporter. Quoi qu'il en soit, ce que Vàme perçoit
immédiatement ce n est pas une durée allongée ou écourtée, c est,
ici encore, un sentiment : celui du vide.
L'importance de cette infinie variabilité dans le rhytme -vilal, en
ce qui concerne les problèmes métaphysiques les plus élevés, s en-
treverra mieux encore si nous ajoutons que non seulement Téqua-
tiou personnelle de Tunite de durée varie sous raille influences mais
encore qu'elle nous est imposée, dès la conception, avec la fafalité
de notre constitution. Car « le mouvement vital individuel qui don-
nera réquation personnelle de Tu ni té de durée i commence dès le
moment oii Tovute est fécondé par le spermatozoïde; des lors, U
forme du mouvement vital est déterminée aussi bien par là constitu-
tion spéciDque deTœuf que par celle du spermato^toide^jo.
Et la portée de cette spécificité est incalculable, car « les diffé-
rences individuelles sont plus grandes là que pnr'out ailleurs : les
phénomènes psycho-physiologiqucs sont probablement les plus dif-
férenciés des organismes vivants î ^. t Vraisemblablement* disait
déjà Condillac, il n'y a pas deux hommes qui, dans un temps dorme,
comptent un nombre égal d'instants *.
De ces diO*érences il s'ensuit d'autres dans nos idées abi^traites
de temps et de durée, dans ra.spect que prendra la vie pour chacun
de nous. Si bien que c'est peut être ici Tasile inexpugnable du siib-
jeetivisme.
Si Ton réfléchit en outre que a la plus ou moins grande tension
de la durée chez les différents êtres, qui exprime (m fond leur plus
\. Four confirmer ce que nous avons du ptéwlemmi^ni^ ritmennTït î^amplî-
tude du temps du pfé^encc è lu force de l'ai ton bon, raîn^Mf^n^ que ceUe-d e^t
très diminuî'e dans tous les dULs aslhéniijucs où apparaît l'eanuL
2. UiieckeL Geschîchie der NtJiiirsthtipfttHf/, p, i 7!l,
3. niiheU Diclimimthe de phystoiof/ie^ l. Ul, f* 1, p. î>.
I
C. BOS. — TJitaRIE PSVGHOLOCJÛLE DU ÎE»?^ flfT
ôD Tnoins grande intensité de vie, détermine ainsi et la force de con-
centration de leur perception et le degré de leur liberté * ^^ on com-
prendra qu a cette différence dans la qualité de la vibi'ation ner-
veuse (ou dans la tension de durée) se ramène llrréductibilitc de
deux personnalités.
Enïhi ce rythme vital, qui nous est imposé avec rexistence, ne
pèse sur nous que d*une nécessité de fait. Il est le propre de
l'homme même, mais en dehors de nous rien ne fonde sa nécessité
métaphysique. Nous avons vu la tension de durée varier sous mille
influences, nous avons même vu, dans les étals anormaux^ une con-
traction telle que de grands fragmenls de vie tenaient dans un ins-
tant présent. Rien ne nous empêche donc de concevoir un fttre pour
qui la tension de durée serait illimitée (ou plutôt pour qui ce mot
n'aurait pa.^ de sens), un Être qui serait aJTranchi de notre forme
successive de perception, parce que chez ce Dieu-Tout, T unité de
temps serait assez ample (la tension de durée assez intense) pour
enfermer Je touL
Pour ce Dieu, le processus entier du monde serait présent parce
que, pour parler notre langue spatiale, tout entrerait dans son pré-
sent. Ce Dieu serait le Dieu de Plotin, affranclû du devenir, celui
qu'allaient retrouver Ses ©liîiGooot pour entrer avec lui dans une
éternité qui était un <t éternel maintenant i>. La plus ou tnoins
grande force de tension mesurant, en somme, le pouvoir d'unifica-
tion, ce Dieu nous ramènerait (dans le sens même de l'évolution
pythagoricienne du platonisme) au Dieu-Un de Parménide.
Il s'ensuivrait une conception plus juste de réternité. Conçue
d'ordinaire comme une longueur prolongée à rinfmi, comme le
déroulement indéfini du successif dans la durée < étendue, l'éter-
nité dépouillerait ce masque spatial, pour apparaître avec sa vraie
nature qui est ijualîUiiive, celle d'une manière d'élre de Talisolu, et
elle deviendrait susceptible d'être appréhcDdëe dans une unité de
présence.
Qu'il en puisse être ainsi, ne le sentons-nous pas tous quand nous
cherchons Téternité dans une intensité sans durée?
V Le plaisir éternel, déclare Renan par la bouche de la belle Bru-
nissende -» c*est celui tiui a eu, à un moment donnée toute Tinten-
sîté dont il est susceptible. »
1. Bergson* Matinée* et mémoire, p* 23S.
2. Eau de Jouvence^ j>- Ï2.
"Soin. — C*eUe lîonceplion de réternité comme n*ayant rien de i:ommun avec
le lemps, qu*on pourrait suivre ii travers rUistoire de la pïiîlo*^opbie, depuis les
Idét^ de Platon nux Noumi'ntfi de Ktmt en paysan i par le Loyos fie Piotin, e&L
ms
REVOE PHILOSOPUJQUE
Ainsi le temps n*(?xisterait pas pour Dieu : après un long dtMour
nous rejoindrions le kantisme, et notre Ihéorie qui fournît un point
d'appui au subjectivisme, à la conception de la personnalité, servirait
encore k fonder le relativisme. Nous voudrions en terniinant mon-
trer comment elle explique certaines erreurs curieuses de la locali-
sation dans le passé.
Ne pouvant appréhender tout le processus de l'Univers dans une
uniliV, nous en localisons les épisodes dans un temps linéaire, cons-
truction arbitraire, ainsi que nons Tavons vu. Noire point lixe esl
alors le présent : par rapport à lui les événements s^ordonnent en
série et seloignent plus ou moins dans le passé.
Comment va se faire cette ordonnance?
Nous avons vu que, pour des raisons de convenance, TesprU Irado"
sait les diverses tensions de durée en longueurs de temps mesurables:
mais c'est lU une interprétalion a posicnori^ ce n'est pas la donnée
immédiate de notre conscience. Pour celle-ci rien ne s'inscrit en Inn-
guêur (espace) mais bien sous forme de qualité (temps psycholo-
gique).
Ce que la conscience perçoit immédiatement, c'est la sensaUon
de rythme, de vibration discontinue dont nous avons parlé; chaque
événement lui esl donné* avec un mode de temps spc^cial et c'est uo
^miilmnU qnï fournit à chaque fait psychologique son limbre^ fournit
à chacun un si^jne temporel', qualité due à son accompagneïîïeal
somatique.
C'est pourquoi, nous Tavons déjà dit, nous ne pouvons souscrire
aux conclusions de Guyau : nous admettons avec lui qu*on puisse
avoir une représentation sans <f représentation de temps », mais non
pas sans un « senliment de temps »* Ne le reconnaît-il pas d'atlIeuFB
quand il nous dit que « dans tout état de conscience il y a im
caractère dlnlensilé qui est irréductible »? Ce caractère c'est pour
nous le degré de présence; qu'il en aille bien réellement ainsi, que le
temps se traduise a notre conscience por un Benllment^ cela a dêjA
été reconnu par maints auteurs. PYies * ramène le temps et Tespace
d^aJLleurâ iiËLtcmenL formulée par Spinoita : « L^ëlernUé ne peut %e me«iifff
par le tciiip:» ni avoir avec le lempâ aucune reialion...f rexiïitrncâ ètern^lJe n<
peut se mesurer par le temps ni s*è tendre ilanii Iti durée * {Schûl %te la $*tv}*f>*"
23, partio IV)*
La cornue pti on <ie rùlernitt'ï comme *Vnne manitTe dVtre, d'un nnxl^ *!'
rabsulu, ressort Q^sQt des exemple,^ de vert lés t5i**rri elles ijiic doiruc J^ptfiwf*
dans Ja R^formt' de tEntendémeni i ^> La Ghîinere n'existe pas •; voili*» "•^'l""
lui» un type de ^érilt: élornelle * îi s^at^it bien la d'ime manière iPêlre iiualdattu
aftna rapport avec une durfe-èttsudut**
i. Ward, James* Lipps, Gtiyau.
a, M^uc KtiHk der Veruttu/L L I» p* tSL
G. BOS, — THÉORIE PSYOIOLOCIÛIE DU TEMPS
609
de Kantj non à des ioluitions pures, mais à des Grundhesiimmungen
des Gemiilhes. Lolze est convaincu que les divers mots sigrniftant
temps ont leur racine dans des radicaux exprimant des sentiments
el il appuie sa théorie sur des arguments pînloïogiques. Ce senti-
ment de temps, c e^^t la ■£ Weile », à valeur toute subjecli%'e et dont
Lolxe dislingue le « Zeit n, mesure du temps à valeur objective.
Plus récemment, Volkmann étudie ces a Zeitgeluhle if» qui consti-
tuent le ne-plus et le pas-encore, tandis que Ward tient le sentiment
de temps pour comparable à ceux de plaisir et de peine.
Puisque c'est le présent qui nous sert de point fixe, nous admet-
trons un sentiment inilial de présence, susceptible de variations. Ce
qui nous afteclera du sentiment de « ne plus présent » sera qualifié
passé, et suivant que ce passé sera plus ou moins dilTérent du iiré-
senl, nous l'en situerons à une dislance plus ou moins grande.
Mais comment défrnu'ons-nous le présent?
Il se définit par rapport au sujet : « I^ présent, dit M. Bergson, est
avant tout Téiat de noire corps; un état devient présent quand il atteint
ce plan dans le champ de la conscience ou se dessine notre corps d.
Le pvé»ent^ dirons^nou.s à notre tour, c'est ve rpù oecupe la « Utdte
jaune » de raHenilon^ ce qui prend le premier plan dans lechamp de
la conscience, de sorte que la suite temporelle de ses présents cons-
titue la vie de chacun i» i Volkmann). Mais après ce qui a été dit, ne
pouvons-nous traduire cela en disant, qu'un événement nous esl pré-
sent quand il nous est donné avec la tension de durée maximum
dont notre cellule nerveuse est susceptible?
Ainsi ce sont des (cnsions afîectant pour la conscience la forme de
sentiments difTérents qui vont fournir les degrés de présence et
Fordonnance primordiale, immédiate. Le rapport que se Fera la con-
science à elle-même se guidera sur des données toutes qualitatives,
aura une valeur toute subjective- < L'éloignement d*un événement
dans le temps dépend de Tinlensîté et de ia clarté de riraûge mnémo-
nique, l'n événement passé donne à celui-ci une faiblesse qui la
recule dans le temps. C'est ce qui fait qu'un événement amenant un
choc considérable, suscitant beaucoup de pensées, peut paraître
vieux : une mort subite nous parait lointaine au bout d'une heure. »
(,J: Sully. I
Ainsi dans la localisation psychologique les points de repère
s'imposent û nous : ce sont des états de conscience plus intenses.
Au contraire, la localisation dans le temps linéaire dont nous
usons par convention se fait au moyen de points de repère pfir un
procédé qu*à étudié Taine* Ces points de repère sont indépendants
du moi, car ils doivent valoir pour tous. On entrevoit donc de suite
TOHE L, — 1900. 40
(ÎIO
HEVUE PHlLO:?0Pt1]QlJE
que les deux allas, pour parler comme notre auteur, ne se recouMi-
ronl pas exactemeiil et que le conflit éclaLera précisément dans Iês
cas de « présence i» intense où le moi sera plus intir'-ressé.
Remarquons d'abord que le travail de localisation est bien Uirdif
et artillciellenieat Kurajouté, que dans tous les eas de précoce
intense il n'est par elTeclu<'^ '.C'est le sentiment de * hors du temps»
qui accompa^me les émotions violentes et dont la littérature nous
fournit de si nombreux exemples. <t LV vocation lut prrcise, brève,
hor& du temps comme dans certains songes — ^^crît M, Prévost, — eu
une minute a tenu tout le pass*^ n {Jardin set' tel). Sur la poitrine
d'une femme aimée, G. KeJler déclare expressément • Ich frililte
mieh aûsser der Zeit * {/^f^r fjrûm' ffeinnch).
Un autre phénomène qu*il serait curieux dV'tudter longuement,
c'est celui grâce h quoi nous ne prenons conscience de certains
« présents » que quand ils sont entrés dans le passé, Volkmaon
ravait déjà noté. « Il va des hommes, écrit-iï» dont le présent est
dans le passt\ c'est-à-dire dont le présent est surtout déterminé par
des souvenirs; il se peut même que ce passé n'ait jamais été un
vrai présent, il y a des « Luftreisen qui font pendant aux Lufl-
schlôsser »*
Tâchons d'abord de nous expliquer le premier point : que doit-il se
produire chez les sujets dont on nous parle? Leur force de synthèse
mentale doit être très faible, ils doivent vivre dans une sorte de tor-
peur ou rien ne les alTecte d'un sentiment de complète réalité —
c'est-à-dire où jamais la perception actuelle n'est tout à fait présente*
Cependant celle-ci laisse un souvenir, qui, s'il est souvent remé-
moré, va s'ajouter à la perception initiale et il se produira une sorte
de soinmation par suite de quoi T image de l'événement pa^sé rempor-
tera en intensité sur celle de Tévénement actuel, auquel manque le
renfort des souvenirs duplicata.
On peut dire de ces personnes que leur présent retarde toujours,
et le phénomène s'observe dans les états de dépression ; c'est un pre-
mier pas vers le curieux délire du doute.
Quant à la remarque ajoutée par Volkmann, elle me semble bien
digne d'attention. Selon l'auteur, ainsi qu*on fait des châteaux en
Espagne, anticipant sur le futur dont la représentation saccompa^e
du sentiment de présence^ ainsi, k Tinverse, on pourrait éprouver ce
même sentiment à propos de pseudo^souvenirs. Ce sentiment de
1. Voir reiitretien du prophète ^vùû Scjde, rapporté pjir Uartmatin : • hc
jour etla nuit ^vaienl Ji^i^ini < «intine rt'tl.iir: l'einhra^saU rinlinjlé du pâs^é
et de Taiffnîr vi dans mm il i i o n^ ' ,i1t?« on une Iil*ui^ èlak'nt poof tn<)i
C. BOS. — TMtoniE PSYGHOLOCigrîK ftU TES PS 61
« réellement vécu u serait une forme de paramnésie, voisine de celle
étudiée sous le nom de « fausse reconnaissance » par M. Bernard
Leruy \ et au même litre intéressante parce qu'elle nous montrerait,
cumme Tillusion de *< déjà vu », un cas de ces « senlimentii inteUectuels
dont la brusque apparition reste un problème >.
La règle pour la localisation psychologique peut donc s'énoncer
ainsi : Sera localisé dans le présent tout ce qui nous alTectera du
sentiment de présence.
Nouij avons vu le cas où Factuel n*y parvient pas, où il nous est
donné avec une tension (sentiment) trop faible, où un surcroît est
nécessaire. Mais les cas les plus fréquents seront ceux où le possé
aura Tinlensité d*un présent*. Nous avons coutume de dire de
certains événements, « qu'ils nous sont toujoui*3 présents à la
mémoire n ; — cela est en partie exact*
Tel fait qui a bouleversé notre vie peut avoir pris à jamais dans
le champ de la conscience cette place que nous avons appelée sa
tache jaune ou son présent. L attention, comme magnétisée^ pourra
rester immobilisée longtemps en un point qui, malgré les années,
demeurera Je présent : le cours de la vie se sera arrêté là. De pareils
événementSj quand ils n'empêchent pas les faits postérieurs de
s'enregistrer dans la mémoire* les rejettent cependant derrière eux
de sorte que l'après devient Vuvant; la faible intensité comparative
est traduite par Téloignemeut dans le temps linéaire, en vertu du
procédé habituel qui, dans ces cas, amène ce que nous avons appelé
une erreur d'optique temporelle,
L extrême dans le genre se trouve réalisé lorsqu après une vio-
lente émotion passée on se retrouve exactement dans les conditions
oh elle a été éprouvée. Le souvenir qui déjà nous restait présent
est intensifié par Tassociation : on s*attend à voir réapparaître ce
passé qui, non seulement est présent, mais devient pfws prment que
le présent.
A ce propos, j emprunterai quelques lignes caractéristiques à un
journal intime dont je me suis déjà servi :
• .., Le cauchemar devient affolant... c'en arrive à la sensation
d'identité entre le passé et le présent..* ils sont simultanés, je ne
2. » La (ii^tiu<!tiûrt tlu passé et du prè^enU écrivait déjà Guyau^ est tellemenl
retfitîvt* f(ije Lanti; ititago loinlaine donnée par la méniotre, torsqu^on la Ûxe par
PattL^nUtin, no tarde pas à se rapprocher, n prendre sa place ilans le présent *
[Op, tiL^ p. 44ï* Kt, h Tappiii de la tbéoric *^ue nous avons proposée |M>ur estpli-
t(uer le temps (>syctîQlogiq*ie : * Quand rallenlion rend un souvenir présent,
ne j>t'ui'On expliquer le phénoniètit' (lar la rapidité et la force plus ou moins
grande des vibralions de nos ccUulc:^^ • (Op. cii.r P* 5S).
612
REVtJE PBILÛSOFBÎQUB
distingue plus d'ordre de succession \ l'élaiemenl dans le teraps se
condense, j*ai le sentiment de mon moi dédoublé en deux exem-
plaires contemporains et identiques*
« ... Les deux séries se mt^eiit exactement et les faits passés iHant
aiïectus du même sentiment de réalité que les faits présents, i^mlùi
c'est un fait d'une série qui m'apparaît tantôt un de l'autre, sans
que je puisse distinguer. Passé et présent sont simultanés comme
Tobjet et son image dans un miroir... j*
La conclusion ou nous revenons aboutir^ à savoir que le terajfê
n'étant qu'une qualité, le rapport du passé au présent est infmimem
élastique et déterminé seulement par la nature de Tétat de cens-
cience actuel, ressort déjà d'une remarque de Spinoza : « Quand
j'ai dit que l'image d'une chose passée nous affectait de la même
manière que si celle chose était préseiUe, je n*ai point nié que celte
image ne devint plus faible quand nous venons k contempler des
choses présentes qui excluent Texistencedela chose passé » (SehoL
de la pr.^ y, partie JV).
Mais c'est surtout Lotsté qui a bien mis la chose en lumière.
Cet auteur fait observer que lorsqu'on attribue au temps le pou-
voir d'adoucir les plus grandes douleurs, ce n'est pas en vertu ûûn
simple tt recul s* sur une ligne de temps-étendue, mais bien h cause
des événements psychiques nouveaux qui sont venus affecter Tàrae
et qui, par les rapports contractés avec le phénomèoe initial (la
grande douleur), en modifieront, pour l'atténuer, le degré de pré-
sence. C'est le mécanisme grossièrement traduit par le terme de
t distraction ï». Si l'on pouvait, dit Lotze, aussitôt après I événe-
ment douloureux, boucher hermétiquement Tâiue à ia cire, les
années auraient beau passer : lorsqu'au bout de dix ans on rouvri-
rait Tâme» la douleur ne serait en rien diminuée (Op, ciL, Zeit und
WeU€),
Faisons un pas de plus : le passé pourra paraître non seulement
présent mais avenir. Placé dans les mêmes circonstances qui pré-
cédèrent immédiatement les événements de Tannée précédente, le
sujet auquel nous avons déjà emprunté quelques lignes écrit :
« C'est le même train, le même jour, la même heure que l'an
dernier... Quand je regarde dans Tavenir, c'est le passé qui s'f
1. Noie duJùurnat. —Pourtant ce caraclère d'intervalle comblé entre le passe
«l le présent n'a rien d^amnésigue. Je me riippelle parFaitement lous Ws évé-
netnents f|ui eonstilucnt cet intervalle, cela au moment mêmti oii il m>âl
impossit>U* do le réaliser comme plein d'événements i'étendant dans le tempâ
entre le passe et le présent, Tous les éléments sont conservés, mais péle-mék»
plus en ligne mais groupéa autour un pas^é-pi'^^eni comme centre.
C. BOS. — THÉORIE PSYCHOLOGIQUE »U TESIPS 613
reflète; il me semble que je vais au-devant de mon passé. »
On ne peut pas trouver une illustration plus frappante du mode
qualitatif de localisation dans le temps psychologique.
Ainsij partis d'une donnée physiologique, le rythme de Tondu-
lation nerveuse, nous avons retrouve partout la traduction conven-
tionnelle d'une qualiié {force de tension), fournie parce temps vital,
en étctidnB (longueur dans le temps linéaire). Nous avons vu à
quelles erreurs cela nous entraînait : elles sont InévitableSj cepen-
dant, parce que dès (|ue nous voulons exprimer des états de
conscience, il nous faut recourir au langage, mode de [^étendue*
Qu'il y ait hétérogénéité absolue entre les deux ordres, nous le
savions déjà ; déjà Locke nous avait dit :
« Ce qui a le plus contribué h nous empêcher de bien conduire
nos idées et de découvrir leurs rapports, ç*a été à mon avis, le mau-
vais usage des mots. Il est impossible que les hommes puissent
jamais découvrir exactement la convenance ou iJisconvenance des
idées tandis que leurs pensées ne roulent et ne voltigent que sur des
sons d'une signification douteuse et incertaine. i&
Mais Tétude que nous avons faite de la sensation de temps, des
lois qui président k l'ordonnance des faits psychologiques, nous
permet d^entrevoir la raison de bien des confusions, de bien des
impuissances où nous nous heurtons, quand nous oublions que,
selon le mot de %Vundt, ^ si l'espace est la condition de Texpérience,
le temps est Thomme même »•
C. Bos.
LE DILETTANTISME SOCIAL
ET LA PHILOSOPHIE DU « SUHHOMxVIE ..
Le problème capital dô U morale sooîale est celui des rapports de
rindividû et de la société. — Aux diffère titcs manières de résoudre
ce problème répondent diverses attitudes de Tindividu via-a*Tis de k
société.
Parmi cen attitudes, il en est deux qui nous semblent particuliè-
rement intéressantes, Boit par elles-mêmes, soît par T tn 11 uen ce qu'elles
tendent à prendre de plus en plus sur les esprits cultivés. L'une ett
celle que nous appellerons lUIetlantisme social; Tautre a été exposée
par Nietzsche sous le nom de luor.^le du <» Surliomrae *.
Noua voulons nous demander à quelle conception générale de la ri'
et de la société se rattachent le Dilettantisme social et la philosopfaîi
du Surhomme* Nous rechercherons ensuite quel est le lien qui unit
ces deux conceptions ainsi que le rôle moral qu^elles sont appelées
à remplir.
La question dont nous devons partir est celte-ei : Quelle est au
fond la xiature et la valeur de la société? — La société est-elle bonne
ou mauvaise^ a-t-elle, oui ou non, un droit à rexîstence aDlériêurût
supérieur au droit des individus?
Or, si nous examinons les diverses réponses qui ont été faites à
cette question, nous voyons que ces solutions, si nombreuses qu'elles
soient, peuvent être ramenées à deux types ; Tun que nous désigne-
rons sous le nom de Dog^matisme social^ lautre sous celui de Nihi-
lisme social.
J'appelle du nom général de Dogmatisme social les doctrines qui
attribuent à la société, en tant que telle, une existence antérieure et
supérieure aux individus, une valeur morale objective et absolue*
Telle est par exemple la phlloâophte sociale platonicienne qui subor-
donne absolument l'individu à la cité.
Ce dûL'matisme est en même temps un réalisme sociaL J'entends
par là que les Dogmatiques érigent la société en entité distincte des
individus et supérieure à eux. — Dans cette conception la société â
ses lois propres, distinctes de celles qui régissent les existences îndi'
viduelles; elle a aussi ses fms propres aux^quelles doivent être sacri-
fiées sans hésitation les iins éphémères de Tlndividu. Elle plane au-
dessus des existences individuelles comme une puissance mystérieuse
FALANTE. — LE DlLErTANTIâHË SOCIAL
61 S
et fiitaie, comme une sorte de Divinité. C'est ce que Sinamel met en
pleine lumière quand il nous montre par une comparaison ingénieuse
quelle est, aux yeux de certains sociologues^ la nature des rapporta
qui unissent rindividu à la communauté* « Simmel, dît M. Bougie ^
compare la Société à Dieu et montre que le développement des
sciences de la société nous fait apercevoir dans toute idée religieuse
le symbole d'une réalité sociale, — Il déduit toutes les repr^^sentations
qui vont se rencontrer dans l'idée de Dieu comme dans un foyer ima-
ginaire, des rapports réels que la Société soutient avec Tlndividu, ^
Elle est la puissance universelle dont il dépend, à la fois différent
d'elle et identique à elle. Par les générations passées et les généra-
tions présentes, elle est à la fois en lui et hors de lui. La multiplicité
de ses volontés inexpliquées contient le principe de toutes lés luttes
des êtres, et cependant elle est une unité. Elle donne à l'individu
ses iorccs en même temps que ses devoirs : elle le détermine et elle
le veut responsable. Tous les sentimenta en un mot, toutes les idées,
toutes les obligrations que la théologie explique par le rapport de
Tindividu à Dieu, ia sociologie les explique par le rapport de l'Indi-
vidu à la société. Celle-ci tient, dans la science de la morale ^ le rôle
de ta divinité ^ »
Ce réalisme social est en même temps un optimisme social. — Divi-
niser la société^ n'est-ce pasafiTirnier sa bonté transcendante? N*eflt-ce
pas croire à des harmonies sociales providentielles cachées sous les
antagonismes de la surface?^ Le Dogmatistc social dira avec Leibniz
qu'il ne faut pas facilement être du nombre des mécontents dans
la République où l'on est. Il ordonnera à rindividu de s'incliner
devant l'autorité sociale , quoi qu'elîeNQisse, quoi qu'elle commande»
parce que les grandes œuvres sociales ^^t Je symbole d'une Idée
morale supérieure devant laquelle doivent disparaître les intérêts,
les douleurs et les plaintes de Tindividu.
En face de cette conception sociale dogmatique^ réaliste et optî-
miste^ou rencontre une conception diamétralement opposée, que nous
pouvons désigner par antithèse sous le nom de Nihilisme soc ta L
Dans cette conception nouvelle, rexistence et le droit de la société
ne sont plus afiirmes comme supérieurs à Texistence et au droit des
individus. Au contraire, cette existence et ce droit de la société sont
ici mis en doute ou mémo positivement niés.
On pourrait encore designer cette attitude d'esprit sous le nom de
Scepticisme social, — Le principe de ce scepticisme social est le
même au fond que celui du scepticisme métaphysique dont il n'est
qu'un aspect. Ce principe consiste en ce que le Moi individuel con-
serve toujours le droit de douter de ce qui n*est pas lui. Du point de
vue du cogiio ergo sum^ mot seul suis une réalité; mes semblables,
la société qui m'entoure peuvent être regardés par moi comme une
L Bûuglé, Les Sciences stKtaks fn AlUmagne^ p* 61*
61*5
nEVLE PdlLOSOPHIQLlB
pure ilïusïon ou tout au moins comme n'ayant qu'une e\iâtence pure*
ment hypotlietîque. De ce point de vue* rien ne m'empêche de rester
sceplir|ue en ce qui concerne J 'existence de la société et de sun pré*
tendu droit sur moi. Telle semble d'ailleurs avoir été J'attitude de
Descarte^* Dans su morale provisoire» il est irai, il recommande au
sage de se conformer aux lois et aux coutumes de 8on pays. — Mab
il est aisé de se rendre compte que Descartes n'attribue pas à ce
précepte une valeur objective et dogmatique. C'est un simple conseil
de prudence pratique qui consiste* pour éviter des ennuis, à fi*accom-
moder^ sans y croire d'ailleurs plus qu'il ne convient, à la discipline
sociale ambiante.
Ce sceptrcisme social est en même temps un nominaïismr social.
Tandis que tout h Theure, dans le dogmalisnie social, on regardait b
société comme une entité réelle, on la regarde ici comme une abstrac-
tion. — La Société n'existe pas; les individua seuls existent^ Au lîeu
de cette mythologie sociale qui divinisait la société, nous noua trou-
vons ici en présence d'une conception sociale monadlque qui ne voit
plus que des individus évoluant suivant la loi de leur égotsme per-
sonnel. — Ce qu'on appelle société n'est rien de plus que renserable
des rapports créés par le contact, le heurt ou la combinaison des
diverses tndividnalitéfs.
Enlin ce nominalisme social est aussi un Pessimisme sociaK —
Qu'on examine l'histoire! Que d attentats commis contre l'individy
au nom de cette entité tyrannique : la Société! Les rapports s^ociatix
sont oppressifs et destructifs de 11 ndivi dualité. La société ne doit
pas apparaître comme une puissance bienfaisante, un génie lutélaîre
auquel Tindividn peut contier sa destinée, mais comme un géme
malfaisant et cruel, sorte de Minotaure dévorateur des faibles et des
souffrants. ^ Que de superstitions, de conventions et de mensonges
entretenus sciemment dans le corps social pour duper Tindividu
et le faire servir ans. lins de la collectivité! ^ N'est-on pas en droit
d© dire avec J,-J, Ho usa eau que l'Ktat de société est un état anti-
naturel et antîmoral, et Tolstoï nVt-il pas raison également de nous
crier : Fuyez les villes, renoncez à la religion du monde, échappei-
vous du biigne social! — Schopenhauer semble avoir eu raison aussi
de regarder la vie sociale comme le suprême épanouissement de la
méchanceté et de la douleur humaines. N'e<t*ce pa^ là que fîo donnent
carrière toutes les passitjns, toutes les trahisons, toutes les lâchetés
et les sottises dont est susceptible la nature humaine/ Dès lors, quelle
sera la ligne de conduite de l'individu, sinon de ae replier sur lui-
même et de diriger toute son industrie vers ce but ; échapper à la vie
sociale, A ses exigences obsédantes, à .les prescriptions tyranniques
ou grotesques? — Tel semble en effet le dernier mot de la philosophie
morale enseignée par Schopenhauer dans les Aphorismcs sur (a
SaQf*ssû dans la i^ie.
C'est ainsi que s'affirme rantinomie des deux tendances que nous
PALAWTE, — LR rULETTAÎUTlSMÊ StMlUL
617
avons nommées Tune, Dogmalisme social, et rautre Nihilisme social.
Celle dernière tendance est la racine commune du UileUautisme
social et de la philosophie nietzschéenne du « Surhomme ^y. Que sont
en effet le Dilettantisme social et la philosophie du Surhomme sinon
une protestation contre les dogmatismos et les optimismes sociaux de
toute espèce ;* La principale différence entre ces deux concep lions
nous semble consister en ce que le Dilettantisme social est surtout
une protestation antisociale au nom de Tlnstinct de la Heauté, tandis
que la philosophie du Surhomme est une protestation antisociale au
nom de ce que Nietzsche appelle l'Instinct de Grandeur. Par suite, si
l'on veut se l'aire une idée précise du Dilettimtisme social ^ on pourra
le définir par la négation de tout ce qui, dans îe Dogmatisme social,
froisse rinstinct de Beauté; on pourra de même déQnir Tlndividua-
lisme nietzschéen par la négation de tout ce qui^ dans ce dogmatisme^
froisse T Instinct de Grandeur,
Si ion idem î lie, comme il semble quVm doive le fiiire. le sentiment
de la Beauté et le sentiment de la Vie, on sera frappé de ce qu'il y a
d*inesthëUque dans ces dogmatismos ^iOciaux issus de cet Esprit
logique que Nietzsche appelle T Esprit de n lourdeur *>, dans ces délVni-
tions dogmatiques de ce qu'est et doit ôtrc une société , dans ces
morales, ces pédagogies pédantes et étriquées. Vu exemple actuel de
cet esprit de pédantisme est cette doctritie du Biologiame social qui
prétend trou%'er dans de pauvres métaphores développées jusqu'à la
nausée une explication intégrale du monde social et moral. Tous ces
dogmatismes méconnaissent ce qui foit Tessence même de la Vie; jô
veux dire : la spontanéité des énergies vitales dont la fonction n'est
pas seulement de s'adapter à un milieu donné, mais d'être des forces
autonomes, de créer par elles-mêmes la vie et Taction. — Le Dilet-
tantisme social est une légitime réaction contre cette incompréhension
de la Vie. — 11 cherche à retrouver sous les formalismes pédants la
spontanéité et la mouvance de la vie.
Un autre caractère du Dogmatisme social est son plat réalisme. Le
dogmatiste social veut croire k la société; il la pose comme une réa-
lité solide et respectable et il regarde comme un blasphème et un
sacrilège de nier ou de mettre en doute cette divinité souveraine
devant laquelle chacun doit s'incliner. Le dogmatiste social réalise
ainsi la définition que Schopenhauer donne du parfait philistin. *■ Je
voudrais définir les philistins en disant que ce sont des gens constam*
ment occupés et le plus sérieusement du monde d*une réalité qu^
n*en est pas une ^ o — Par opposition à ce phllistînisme, le Dilettante
a le sentiment intense du ^lensonge socîaL II voit dans le monde
social un monde de rêve et d'illusion, une parade et une mascarade.
Des lors, il jouit de cette apparence sans y attacher plus d'importance
qu'elle ne mérite^ Il se laisse bercer doucement par son rêve et^ aux.
K Schopenhauer, Aphormnêi sur ta iagesse tianê lit viêj Alcan» p» 49,
6f8
RKVUE rHILOSOPHiCîLÎE
heures où ce rêve devient douloureux et se transforme en cauebema^t.
il garde Tobsciir sentiment que ce n*est pourtant qu'un rêve, — Gcstii^
a admirablement exprimé le néant de ta vie sociale et des sentiments
qu*elle suggère au dilettante. « Je t*accorderai veloti tiers que ceux-là
sont les phia heureuse, qui vivent au jour îe jour comme les enfanta J
promènent leur poupée, rhabillent et la déshabillent, tournent avec]
un grand respect autour de l'armoire où la maman a serré les bon»
bons, et, sUls tiiiissent par attraper la friandise convoitée, la croquent
à belles dents et crient ; t Encore ». — Ce sont là d'heureuses créa*
tures... — Ils sont heureux aussi ceux qui donnent à leurs occupa-
tions frivoles ou même à leurs passions des noms magnillquea, et les
portent en compte au genre humain comme des œuvres de géants
entreprises pour son aalut et son bonheur, — Heureux qui peut vivre
de la sorte! Mais celui qui reconnaît daû'*! son humilité où toutes ces ,
choses aboutissent, celui qui voit avec quelle ardeur le malheureux J
poursuit sa route, haletant sous le fardeau, celui-là est tranquille et
se fait aussi un monde, qu'il tire de lui-même, et il est heureux aussi
parce qu'il est homme. Et si étroite que soït sa iphère, il porte toujouri
dans le cœur le doux sentiment de la liberté K »
Un troisième caractère du Dogmatisme social est rimplaoabk
sérieux, i'alïure pontifiante qu*il exige des acteurs de la comédie
sociale. Itien ne déconcerte, rien nïndigne plus le dogmatiste social
que r irrévérencieuse ironie à Tég^ard de ce qui est socialement res-
pectable. Par contre, le Dilettante social est un ironiste, un « rieur »,
suivant le vœu de Nietzsche. Un récent roman allemand ■ met en scène
un dilettante social, disciple de Nietzsche^ qui décrit un état social de
l'avenir où rct^neraient des hommes vraiment supérieurs qui dédai-
gneraient de recourir aux mensonges par lesquels on dupe le troupeau
humain. « Je rêve, dit- il, un rot qui répudierait toute crainte^ qui
aurait le courage d'ôtre Tesprit le plus libre de son royaume et pour
lequel ce serait u:i divin plaisir d'écLater de rire au nez de son parle*
ment, de ses ministres, de ses évêques et de ses généraux *. » Le
dilettante social s'amuse surtout de la pose et de la morgue^ de TafTee-J
tation de respectabilité et d'honorabilité qui ^ont la forme hourgeoisti
du dogmatisme social.
Si nous réunissons les traits divers du dilettantisme social, nous
voyons que cet état d*esprit est, comme nous l'iivons dit plufî haut,
une protestation contre ce que renferme de grimaçant et de men-
songer la mascarade sociale. C'est par instinct esthétique que le
Dilettante social dit adieu à la cité humaine. U dit avec Âriel : « h
ferai mon deuil de ne plus participer à la vie des hommes,.. Cette vii
est forte, mais impure. Je serai Tazur de la mer^ la vie de la plante, l«J
1. Goethe^ Werther.
2, Bas drille Geschlecht, von B. von Woizogetij Berlin, 1899,
4. Ddjf drUie Gç^dtlechij p* 02.
PALANTE. — LF. lllLETTANTlSNË SOCUU
619
I
I
I
parfum de la fleur, la neige bleue des glaciers K » Gœthe a bien coni-
pria le caractère essentiellement artistique d'une telle disposition
d'esprit quand il a dît : it La cause finale des luttes du monde et des
hommes, c'est l'œuvre dramatique. Car autrement ces choses ne
pourraient absolument servir à rien -. »
La constitution psychologique qui prédispose au dilettantisme
social peut, âemble<t*îl, se rets u mer dans tes traits suivants ; une
sensibilité Une, vite froLs»L<e au contact des laideurs sociales, une
îmagî nation encline au rêve: enfin une certaine indolence de tempé-
rament, à ta Housseau^qui détourne de l'action et fait qu'on n éprouve
aucun plaisir à faire du mal aux autres. On peut appliquer au Dilet-
tante social ce que Rousseau dit de lui-même : » Je me trou^-^e nalu-
reliement soumts à ce grand précepte de morale, mais destructif de
tout Tordre social, de ne jamais me mettre en siluntion à pouvoir
trouvermoji avantage rlajis le mal ctautrui. Celui qui veut suivre ce
précepte à la rigueur n*ft point d'autre moyen pour cela que de se
retirer tout à fait de la société, et celui qui en vit séparé suit par cela
seul ce précepte sans a%^oir besoin d*y songer -K i»
^ Quelle est, dans la vie pratique, la situation d*un pareil homme?
Évidemment celle d*un déraciné ou plutôt d'un homme qui n'a janiaia
pris et ne prendra jamais racine dans aucun des compartiments soi*
gneusement tirés au cordeau dont se compose la société, — C^est un
peu la situation de Pierre âchlëmyl, l'homme qui a perdu son ombre.
— Car tout homme a dans la vio un fantôme qui le suit partout et
qui n'est autre que la projection sociale de sa personiialité. Cette
projection sociale, qu'on appelle réputation, estime d'autrui, etc.^ est
Tombre qui accompagne partout les pas du voyacreur. bit s'il vient
à la perdre, il «ubit le rire des valets. La plupart des hommes vivent
et meurent pour cette ombre. Car, comme lo dit Nietzsche, « ils ne font
rien» leur vie durant, pour leur ego, mais seulement pour le fan tome
de leur ego qui s'est formé sur eux dans le cerveau de leur entou-
Ifsge * w. irai Heurs le Dilettante social est hai. Il commet le crime
irrémissible de ne pas rentrer dans le mensonge général, de ne pas
se grégariser. Il est Tobjet d'une de ces haines violentes au delà du
croyable qui assaillent « le type qui est rantithèse de Vembrigadc, du
bourgeois conlit dans son sacerdoce, nous entendons nommer le spé-
culatif, esprit serein qui se joue de la mascarade sociale ^ >*.
Le Dilettantisme social est une attitude provisoire, L'Instinct de la
Beauté est incomplet sans Tlnstinct de grandeur. C'est à la grandeur
L Renan, Caiiban*
2. GfcLhe, vÀiè par Mel^tsche (Cotisidéralicns iuacttiellca).
a. Beusi^eau, Biatof/uçs^ Dialogue IL
4» Nietzsche, Awore.
ÎS* Tiirïiieij, VEwtuî {Revue philosophique^ février lOÛO),
tjâu heyue philosophïquk
plus encore qu'à la Beauté que s'attacbe TAmour, « Soie graûJ, dil
M. ïiavaisson, et l amour te suivra * «. — L'Instinct de grandeur est,
plus encore que rinstinct de beauté, révélateur suprême da secret de
la Vîe. C*est pourquoi le Dilettantisme social semble condamné a
céder la place à une philosophie plus puissante, a une philosophie dt
la forcer Ciipable d'étreindrc et de dompter la réalité. — C*est pour-
quoi aussi, dans To^uvre de Nietziche^ TesprU apollinîen^ adorateur
des formes de la vie ou se joue le rêve, laisse le derutâf mot au pw-
phète de TEsprit de grandeur, à Zarathoustra,
Cetle philosophie de TEsprit de grandeur sVappelle, dans Tceuvrï
de Nietijsche, la philosophie du n Surhumain ». C'est, comme on sait,
un EgoUsme outrancier, une glorification de la force humaine prise
à sa source véritable : Le Moi libre et s'élançant avec une ûnèrgi^
que rien n'arrête vers des horizons lllimitùs de vie, de puissance et
de bonheur,
NietKsche a lui-même marqué la difîérence qui sépare cette attitude
nouvelle de Taltitude que nous avons appelée le Dileltaniisme social,
11 parle quelque part de « la grande jpâvS.'^ion de celui qui vit «aas
cesse dans les nuées orageuses des plus hauts problèmes et de* plu*
dures responsabilités, qui est forcé d'y vivre (qui n'est donc tmllement
contemplatif, en dehors, sur, objectif) ^ ». Et ailleurs : « Autre cbase
est, dit il, si un penseur prend personnellement position eu face dt
ces problèmes, de telle sorte qu'il trouve en eux sa destinée, sa peine
et aussi son plus grand bonheur, ou s'il s'approche de ces prnblèmes
d'une fayon n impersonnelle », c'est-à-dire s'il n'y louche et ne les
saisit qu*avec des pensées de froide curiosité. — Dans ce dernier ca.*.
il n'en résultera rien, car les grands problèmes, en admettant mèmt
qu'ils se laissent saisir, ne se laissent point tjardPT par les êtres au
sang de grenouille et par les débiles* Telle fut leur fantaisie de toute
éternité ; — une fantaisie quHs partagent d'ailleurs avec toutes les
braves petites femmes ^ ». Non, l'attitude dilettante, olympienne,
impassible d'un Gœthe n'est p^is le véritable idéal humain. — ?mx
vivre, il ne faut pas s'absorber dans la contemplation du moade; il
faut dépasser ce monde et se dépasser soi-même, il faut s élancer verî
la vie aveo un subjectivîsme exalté qui ne nie pas seulement Taui-
biance par Tironie et le dilettantisme, mais qui la brise — en fait —
comme une chose désormais morte.
L'Instinct de grandeur, générateur d'une telle philosophie est,
comme nous Tavons dit, en réaction fondamentale contre les dogflU-
tismes sociaux régnants. — Il l'est sur deux points. D'abord tout dô|*
mattsme social est une consécration de l'esprit grégaire. Il vise direc"
tement ou indirectement à Tasservissemcnt de rindividu au groupe.—
C'est contre cet aveulissement grégaire que protesta d'abord It
î, Ravaisson, Happorl sur la philomphie en France^ sub* finem.
2* Nietzsciie* Le if aï sfami\
3é Nietzsche:, Le ffui jtavûir*
PALARTB. — LE UILETTAXTISME SOCIAL
6âl
I
philosophie du n Surhomme ». Le Surhomme doit se dépasser tuî-
môme: mais il doit avant tout pour cela dépasser IVmie grégaire qui
est en lui, cette ame par laquelle « on est peuple^ public, troupeau,
femme, pharisien, voisin ^ u.
Les dogmatîsmes sociaux choquent encore d*une autre façon Tins-
tinct de grandeur, — Ces dogmatisme^ envisagent tous la vie socinle
du point de vue i^ilalique. lis représentent tous Tidéal social comme
une chose immobile et immuable- Une telle philosophie sociale est
une philosophie auît horizons étroits, une philosophie de passivité
et d'inertie. Car ici, idéal est synonj'me de contrainte et d'entrave,
La loi suprême de l'individu est de s^adapter à Tidéal, jamais de le
dominer, de le créer. A cette conception statique de l'idéal ht théorie
du 41 Surhomme » substitue une conceplion dynamique d'après
laquelle Tidéal est en perpétuel devenir. L'Individu doit perpétuelle-
ment se surmonter lui-même: s'élever sans trêve vers les cimes, en
brisant sans cesse ses idêala pour en créer de nouveaux, « Pour bâtir
un sanctuaire, dit Nietzsche, il faut détruire un sanctuaire, » Et Ibsen
exprime aussi ïa même pensée. « On a dit que je suis pessimiste,
dit- il» et je le suis en effet en ce sens que je nie la périinnilé des
idéals humains; mais d*autre part je suis optimiste en ce que je crois
à la puissance indéfinie de développement des idéals s m. — On voit
assez; par quelle voie l'înstinct de grandeur conduit Nietzsche h Tamo-
ralisme. « Mieux vaut, dit4î, faire mal que penser petitement ^, »
L'analyse qui précède nous fait assez voir que la philosophie du
« Surhomme », comme le dilettantisme social^ n'est qu'une forme de
cette philosophie que nous avons appelée Nihilisme socLit par oppo-
sition au Dogmatisme sociaL *- Le dilettantisme est en quelque sorte
la face passive, la philosophie du « Surhomme >* la fat^e active de Tln-
dividualîsme. Le dilettantisme se convertit k la fin, par un procès
nécessaire, en glorilieation de la vie, de la hbre et puissante indivi-
dualité.
Cette philosophie qui présente comme deux stades successifs d*une
même pensée peut-elle être approuvée sous réserve?
Si Ton examine le dilettantisme sacial et Eâ théorie du « Surhomme»,
on 'voit que ces deux philosophies ont pour caractère commun de se
présenter comme une protestation de Flastinct contre la Logique. C'est
la révolte de l'Instinct, — Instinct de beauté et Instinct de grandeur —
contre i'Esprit socratique, ainsi que Tappelle Nietzsche, TEsprit de
lourdeur symbolisé dans les dogmatismes sociaux et moraux de toute
espèce. — Nous retrouvons donc ici Tantique et toujours renaissante
antinomie entre ia philosophie intellectualiste et la philosophie de
rinstinct. L'antinomie se pose ici entre les morales rationalistes —
i, Melïsclic, Le fjai suvoir.
â. IbseUi Discours prononcé à SlocNbolm en 1S®T^
3. Ni£t£fl4:he, Aiasi parlait Zaralhoustra,
622
fteVUK PHILDSOPHIQUE
celle d'un Kant par exemple— et les morales de rinatinct et de la vie,
celles d'an Guyau, d'un Nietxsehe, d*un Ibsen.
Les morales dogmatiques subordonnent révolution sociale et
maral© à une finalité intelligible t — qu*elles ont la prëteûtioci de
définir. Les morales individualistes et instinctivisles soutiennent que
révolution n*a pas de but ou plutôt qu'elle est son but et sa Joie à
elle-même* — Pour Niotst^che comme pour Guyau, ce que les morales
dogmatiques appellent fjfeuoir n'est qu'une manifestation de rtnsttnet
irrésistible de vie qui est en nous* « C*est notre tierléi dit Nietzsche,
qui nous ordonne de faire notre devoir* Noua voulons rétablir notre
autonomie en opposant à ce que d*autres firent pour nous quelque
chose que nous faisons pour eux. Car îes autres ont empiété dans U
sphère de notre pouvoir et y laisseraient la main d'une façon durable
si par «« le devoir h nous n'u fiions de représailles^ c'eat*à-dtre sî nous
n'empiétions sur leur pouvoir à eux '. n
Les Guyau, les Nietzsche, les Ibsen ont-ils eu raison d'opposer leur
morale de l'Instinct aux anciennes morales dogmatiques?
Oui; en un certain sens; car en morale comme ailleurs, il étaî
nécessaire de substituer h Fidée de VEsae IHdée du Fieri. II tHait|
nécessaire de briser les cudres immobiles et de se remettre en tace
de la féconde mouvance de la vie. Mais Hntelligence conserve, à côt«
de Tinstinct et de la vie cUe-mt-mc, ses droits imprescriptibles.
D'abord les partisans de la philosophie de Tinstinct ne sont-ils pas
tombés dans une contradiction? — Le point de départ d'une pbïloso*
phie de Tinstinct est, semble- t-il, un acte de désespoir dans la puis-
sance et Tefficaeité morale de rintelligence» un acle de renoricemeiit
absolu à la pensée; attitude pessimiste s'il en fut; car la pensée n*est
après tout qu'une forme de la vie. — Comment se fait- il que do ces
prémisses découragées, ces philosophes tirent un optimisme final, une
échelle nouvelle des valeurs, un hymne à la gloire de la vie? ^ Scho*
penhauer est plus logique, semble-t-ii, quand il aboutit â la négation
de la vie et de la société* Liant donné le point de départ commun de
Schopenhaucr et de Nietzsche, on comprendra plus aisément l'éciieïle
pessimiste des valeurs qui, chez Schopenhaucr, fait de la faiblesse, de
la souffrance et du renoncement la mesure du bien, que Téchelle
optimiste de Nietaische qui mesure le bien à la force, à la vie et an
bonheur.
Cette échelle des valeurs que Nietzsche veut établir ne suppose-t-elle
pas d'ailleurs TintervenCion de rîntelligence, d'abord pour reconnaître
la nécessité de cette échelle même, ensuite pour en fixer les degrésl'
— par le fait même qu'il essaie d'inaugurer une hiérarchie des valeurs
morales et sociales, Nietzsche revient, ce sembïe* par un détour, à
rinlellectualisme. Il sort malgré lui et à son insu de latlitude du pur
amorphismc moral. Car sérier les instincts, c'est les intellectualiser*
I
L Nietzsche, Aurore*
PALAMTE. — Ut DILETTANTISME SOCIAL
6â3
èfins doute les degrés de cette hiérarchie n'ont rien do fixe. Cette
échelle est une ét;heUe mobile^ modîliée à chaque instant par les
Tarïations de Findividu et de ses rapports avec son milieu i mnh la
fonction de rintelUgence n'en est que plus délicate. C'est à elle de
comparer sans cesse ces conditions changeantes, d'en noter les varia-
tions et d'en tirer la ligne de conduite la plus appropriée* — Nietzsche
ne nous dit-il pas que la sagesse ne sera pas uniforme, mais qu*elle
consistera tantôt à lutter contre soi-même, tantôt a Intter contre
autrui? tantôt à exciter en soi la pitié (si Ton est dur), tantôt h y
exciter la dureté (si Ton est pitoyable)? Qui fera ce départ, qui saisira
ces nuances, sinon rintelUgence?
Nietzsche reconnait lui-même cette intervention de l'intelligence
dans la morale. « L'homme équitable, dit^il, a besoin sans cesse du
toucher subtil d'une balance pour évaluer les degrés de pouvoir et de
droit qui, avec la vanité des choses humaines, ne resteront en équi-
libre que très peu de tenjps et ne feront que descendre ou monter;
cet équilibre est donc très difficile et exige beaucoup d'expérience, de
la bonne volonté et énormément d'esprît *. n
Cette intelligence ne sera pas, il est vrai, cette intelligence figée et
comme immobilisée, invoquée trop souvent par les moralistes dog-
matiques. Ce ne sera pas Tintelligence scolasttque, sèche, abstraite
et étrangère ù la vie. Ce sera une inteiligence souple et harmonieuse
comme la vie elle-même; ce sera Tesprit de linesse de Pascal, cet
esprit auquel il faut toujours en revenir quand on cherche à pénétrer
un peu avant dans les choses morales et sociales.
Cet esprit de Unesije a peut-être manqué plus d'une fois à Nietzsche
et on peut se demander s'il n'a pas lui-même sacrifié à l'esprit scolas-
tique quand il a établi une distinction si absolue entre les forts et les
faibles^ entre les maîtres et les esclaves?
L*aristocrfltismc de Niet/.sche, opposé à ce qu'il appelle »< le misar-
chisnie moderne », ressemble beaucoup à Tun de ces dogmatismes
moraux et sociaux contre lesquels il s'élève* Nietzsche semble oublier
ici son principe favori de la relativité et de la mouvance des choses.
— Il oublie que commander et obéir sont des attitudes qui n'ont rien
d'absolu — en droit — ni même en fait. Aussi opposerons-nous à son
idéal d'arlstocratisme absolu Tidéal plus vrai exprimé par un person-
nage de Gœthe : « Celui-là seul est heureux et grand, qui n'a besoin
ni d*obéir ni de commander pour être quelque chose'*' ■*
Au fond, le contlit de la morale inteUectualiste et de la morale de
l'instinct repose peut>ctre sur un malentendu. Prises à la rigueur,
ces deux philosophies aboutiraient à une abâurdité. La philosophie de
Tinstinct serait destructive de toute pensée, de toute réllexion et
même de toute conscience; elle aboutirait â un mécanisme mors^l et
1. Niet£sche, Aurore.
S. Goethe, ihei^ von BeHîchingen, acte U
624 REVUE PHILOSOPHIQUE
social dans lequel le désir et l'idée ne seraient que de vains épiphé-
nomènes. — L'intellectualisme absolu, de son côté, aboutirait à la
méconnaissance de ce qu'il y a de spontané dans le libre mouvement
de la vie.
Ainsi posé, le problème serait insoluble. C'est qu'au fond il ne peut
y avoir radicale et délînitive antinomie entre ces deux forces qui
constituent l'individualité humaine : l'instinct et Tintelligence. Leur
double évolution est parallèle et harmonique. Par exemple lorsque
Nietzischc pose ce précepte moral de lutter contre soi-même, de
triompher d'un instinct qui prend trop de force par la culture de
l'instinct opposé,. ce précepte est-il autre chose qu'une transposition
dans Tordre intellectuel et conscient de ce qu'est dans le domaine
instinctif la loi du rythme des passions.
Nous arrivons à cette conclusion qu'il y a un grave danger dans
Texcès d'abstraction intellectualiste qui engendre les dogmatismes
sociaux et moraux et qu'une grande part de vérité est contenue dans
le nihilisme moral et social qui met à néant ces dogmatismes destruc-
teurs de la vie et de l'individualité. Pour rendre entièrement vraie
cette philosophie individualiste, il faut renoncer seulement à la faire
reposer exclusivement sur l'instinct. — L'intelligence a ses droits
imprescriptibles qu'elle ne peut abdiquer, surtout quand il s'agit de
fonder l'individualisme. Car il ne peut y avoir d'individualisme sans
la conscience claire que IMndividu prend do lui-même et de son milieu
social.
Georges Palante.
REVUE GÉNÉRALE
I
TBAVAUX RÉCENTS SUR LES SENSATIONS INTERNES
Oppenheimer. Physîoiogie des Gefûhls (Karl Wïnterfi flniversitatS'
bucbhandluniu% Heid^^lberg, 1899^ — Kêrschner, Zur Théorie der
Imiervaiionfigefûhte (XXITL Jahrgang tler lie rie h te des naturw. med.
Vereins in Innspràck). — Johanny lloux. ta ^ensahon douloureuse.
(Paul Legendre et O^, Lyon, 1897); La faim (Alexandre Rey, LyoUi
1897); Psychohfiie de Vinstinct sexuel fJ.-B. BailUêre et fila, Paria,
1899).— Kurella, Zum biologi^chen Verstànfhnss der somatischen u-
pjsychisc/ien liueximlitât {Cenlralbt fur Nerverheilhiinde u. Psychia-
trie ^ mai !89<i). — Giessler. Die Atmung im Diensle der vorsteïîenden
Thàtigheit (E. M. Pfeffer, Leipzig, 189-^).^ Mazurkiewtcz. Ueber die
Stôrungen der Geberdenspraoke {Jâhrbûcher fur Psychiatrie und
Neurologie, Wien, !9D0).
Si nous arona une physiologie assez préciae de la motilité^ nous
devons convenir que nos connaissances sur la sensibilité sont encore
bien vagues. Cela tient sans doute h ce que les fonctions sensibles
sont infiniment plus complexes et plus %'ariées que les fonctions motnoes,
et à ce qu'elles se prêtent moins bien que ces dernières à remploi de
nos méthodes ordinaires d'investigation, à rexpérimentation sur les
animau?^ par exemple. Cependant, malgré les difficultés du sujet, les
travaux se multiplient et nous recueillons chaque jour des matériaux
précieux que nous apportent les diverses branches de la biologie i
découvertes anatomiques (Flechsig, Kulliker, v. Monakow), études de
la sensibilité dans les maladies nerveuses, telles que le tabès, la syrin-
gomyélie, recherches expérimentales pratiquées soit sur des individus
normaux soit, ainsi que \L Dumas la fait récemment, sur des aliénés.
81 nous sommeH encore loin de posséder une théorie complète de la
sensibilité, nous avons du moins la satisfaction de travailler sur un
terrain solide. Les publications de ces dernières années présentent
pour la plupart un caractère remarquable d'objectivité. Psycholog^ues
et physiologistes s'efforcent en toute occasion de a penser anatomique*
ment u. L*un deux, M. Kerschner» a construit une théorie très sédui-
sante sur le sentiment de l'innervation en se fondant uniquement sur
la morphologie. Nous n'insisterons pas plus longtemps sur cette heu-
reuse tendance. Le lecteur l'appréciera lui-même par les analyses qui
Tont suivre*
TOÏK L.— 1900. 4i
ism
nËVUS PHILUSOPKJQUE
Le sentiment, nous dit dans sa préface. M* Oppenhéimer, le savant
professeur de lîeidelberg, est une manifestaUon de la vie au même titre
que les autres fonctions du corps humain et doit être étudié par les
mémefl méthodes. Nous avons donc à rechercher les conditions d«tn>
lesquelles il se produit, à suivre les manifestations qui se rattachent
immédiatement à sa cause première et, autant quti possible, à déter-
miner dans le cerveau le poiot où il devient manifestation conscîeme.
La philosophie kantienne a déjà distitiguê dVne façon radicale h
sensatiou du sentiment. Cette distinelion est parfaitement hT^ltune,
selon M, Oppenheimer, et trouve un nouveau point d^appui dans ce fait
bien mis en lumière par la psychologie moderne que sensation et gea-
timent ne se comportent pas de même façon relativement à la mémoire*
Nous pouvons évoquer le souvenir d*une sensation, non celui d'un
sentiment. Quand nous croyons nous rappeler un sentiment éprouve
dans le passé, nous nous rappelons en réalité les circonstances au
milieu desquelles il s'est produit, mais non le sentiment lui-même. Ce
fait nous autorise donc a penser que sensations et sentiments sont
localisés dans des cellules cérébrales différeïites. Bien plus, les impres-
sions périphériques qui leur donnent naissance parviendraient au cer*
veau, d'après M. Oppenheimcr, par deux voies complètement indépeû-
dantes Tune de l'autre. Voici quelle serait la voie suivie par les
impressions qui sont la source du sentiment.
Elles résultent de lexcitation déterminée par certains produits de
désassimilation cellulaire sur des lerminaîsons nerveuses spéciales
que Fauteur désigne sous le nom de nerfs des tissus (Gevvêbsnerve»)
et qui sont absolument indépendantes des terminaisons nerveuses sen-
sorielles. L'impression produite ainsi sur un de ces Gewe^^iieriTen se
propagé à un nerf vaso-moteur dont elle inhibe le courant ct^ntrifuge
habituel et qu'elle parcourt sous forme de courant rétrograde centri-
pète. Elle gagne ainsi un ganglion sympathique, puis une racine
rachidienne postérieure et arrive à la moelle. Suivant alors une voie
constituée dan.^ la moelle par la c<)rne postérieure^ le reste des cor-
dons latéraux et les cellules des cordons, dans le bulbe et dans le eer-
veau moyen par la formation réticulaire^ elle arrive à la couche optique.
Dépasae-t-elle la couche optique ou s'y arréte-t-elle deCnitivemeïit?
M. Oppenheimer accepte la deuxième hypothèse.
Les expériences de Gollz sur les chiens éoérébrés et la psychologie
des anencéphales montrent en effet que le sentiment existe malgré
Tabsence d'écorce cérébrale»
Son siège m? saurait être ainsi que le point terminal de la voie que
nous venons d'étudier, c'est-à-dire la couche optique.
M. Oppenheimer va plus loin et croit pouvoir conclure de certains
faits physiologiques et pathologiques que le centre du sentiment occupe
plus spécialement la substîtnce grise centrale du troisîèmo ventriculo
et la face interne de la couche optique. Des faisceaux de iibres relient
le noyau antéro-externe de la couche optique à ces régions et consit-
I
I
I
nXVUE GÊffÉRALE. —TRAVAUX MÊCKPÏTS SUR LES SEXSATIONS l^tTEIlNËS 627
tuent une voie conductrice pour les impressions apportées par la for*
mation rétîculatre.
^fais la coucha optique est en retation par un nombre considérable
de fibres avec la totalité du manteau cortioal. Donc tout senti metit se
produisant dans la couche optique a un retentissement sur les cellules
de l'ccorce. Quand le sentiment est intense, il donne lieu à Vèmotion
(AETokt^ qui se traduit par deux phénomènes :
1" Un arrêt, une inhibition plus ou moin» marquée des fonctions psy-
chiques et des fonctions motrices volontaires;
2** Comme conséquence de cet arrêt une exa<|ération des mouvements
automatiques dont le point de départ est situé dans les centres soua-
corticaux.
Mais un sentiment d'intensité moyenne ou minime^ bien qu'insufB-
sant pour donner lieu à une émotion, n*en exerce pas moins une action
sur récorce et cette action est partie ul le retnent importante datis Vai-
tention^ M. Oppenheimer expose à ce sujet toute une théorie ingénieuse
de ce phénomène qu*il assimile à Témotion*
n Les deux phénomènes (attention etémolionj ne sont que des degrés
différents d'un même processus u.
Non moins Intéressante est l'explication que Tauteur nous donne du
plaisir et de la doideur.
On considère habituellement ces phénomènes comme des modalités
du sentiment* Ce serait là une erreur. Us n*en seraient que la consé-
quence et voici par quel mécanisme ils se produiraient.
Les impressions périphériques que nous avons vu gagner la couche
optique rencontrent au niveau du bulbe un centre spécial^ le centre
vaso-moteurt sur lequel elles exercent une action dont le résultat est
une modilication dans Tin nervation vaso-motrice de l'organisme. De
cette action résulte le • plaisir » ou la « douleur ^^ suivant le cas,
une circulation active donnant lieu au plaisir, une circulation ralentie
au contraire donnant lieu a la douleur. Mais plaisir et douleur sont
seulement associés au sentiment, ils n'en font pas partie intégrante.
Ils sont le résultat d'une réflexion laite par Tesprit sur Tétat d'irriga-
tion plus ou moins favorable des tissus.
Tout ce qu'on vient de lire ne s'applique qu'au sentiment d*origine
périphérique. Le sentiment d'origine centralcj intellectuel, c'est-à-dire
lié aux processus psychiques, s'explique, d'après M. Oppenheimer,
d^une façon parfaitement analogue. Comme le précédent il est causé
par Tactiou des produit^^ de désassimilation^ résultant du fonctionne-
ment des cellules c'est-à-dire, dans le cas particulier, des cellules
cérébrales.
Existe-t'il dans l'écorcedes organes analogues aux terminaisons ner-
veuses étudiées plus haut sous le nom do t nerfs des tissus v (Gewebs-
nerven), c'est-à-dire susceptibles d'être impcessionnési par ces pro-
duits de désassimilation? M. Oppenheimer se sent porté à faire jouer
ce rôle à la névroglie» 3i hardie que soit cette hypothèse^ elle a du
628 REVUE PHILOSOPHIQUE
molna pour excuse Tîgnorance complète ou nous soiniiies encore de
la valeur fonctionnelle de cette substance. L'împressiori reçue par lea
fibres neurogZiques serait transmise £lu centre du sentiment, c*êst*à-
dire à la couche optique, par une voie vaso-motrice spéciale.
Le sentiment a donc une double origine : périphérique ou organique
et centrale ou intellectuelle.
Mais quelle que aoit l'origine du aentiment, il est toujours identique
de nature. Il peut varier d'intensité mais non de qualité. ^ L'on a
nommé différentes qualitésdu sentiment des associations de représeo-
tations ou de sensations avec un sentiment dlntensité variable. »
Nous ne ferons qu'indiquer en passant quelques pages intéressantes
sur la satiété^ la faim, la soif et d'autres phénomènes considéréfi à
tort, selon M. Oppenhelmer, comme des sentiments simples, et noui
passerons directement àTimportant chapitre sur l'humeur ^ qui termiDe
le mémoire.
L'humeur peut, daprès notre auteur, se définir * un état qui, seult
tient sous sa dépendance l'intensité de Teffet produit par utie excita-
tion, p
On peut disline^uer deux sortes d*humeur : une humeur spinale et
une humeur cérébrale, les deux se fusionnant et constituant Thumeur
proprement dite.
Les fibres conductrices des impressions source du sentiment devien-
nent de moins en moins nombreuses à mesure que Ton approche de
l'encéphale : de îà un accroissement dans ta chargée d'excitation stip-
portée par chaque fibre en particulier. Si les impressions aftluent en
foule de la périphérie» Tétat d'excitation peut devenir « si grand que
le moindre accroissement suffit à dépasser le seuil de la douleur •■*
Il y a hypéresthésie. autrement dit, <i l*huraeur spinale » est irritable.
L'htimeur cérébrale, qui joue le rôle prépondérant, se produit vrai-
semblablement par un mécanisme analogue. Les impressions perçues
par les fibres neurogliques, qui sont dis^séminées dans récorce, sont
transmises à la couche optique par une voie vaso-motrice dont le rôle
est identique à celui de la voie spinale suivie par les impressions péri'
phériques étudiées plus haut. Comme la voie spinale, la voie va<o-
motrice cérébrale est parcourue par un courant nerveux constant,
L*humeur cérébrale est la résultante de ce courant et varie avec son
intensité.
L auteur montre en terminant comment sa conception s* applique par-
faitement aux di [Té rente s sortes d'humeur (différences suivant Vkgé, le
sexe, les états patholog-iques].
Telle est, rapidement résumée, la théorie nouvelle sur le sentiment
dont M. Oppenheimer vient de doter la science. Elle contient sans doute
bien des hypothèses, mais il faut reconnaître que ces hypothèses sont
eu général très séduisantes.
Le travail de M. Kerschner, avons-nous dit^ s'appuie exclusîvemeat
I
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I
REVUE GÉNÉRALE, — THAVAtiX RÉCENTS StTR LES SENSATiaWS INTERNES 629
sur la morphologie. L'auteur nous en avertît dès les premières lignes.
Il a uoe entière confiance aux donnéea anatomiques* Seules, d'après
lui, elles pourront apporter des arguments peut-être assez décisifs
pour nous permettre de résoudre les questions encore discutées de la
physiologie et de la psychologie.
Dans un résumé rapide, Tauteur commence par rappeler les défini-
tions données au s sentiment de l'innervation u depuis J, Mtiller, jus-
qu'aux auteurs les plus modernes (Helmhoitz» Meynert, Munk, LiOtze,
Wandt, etc.).
Il constate qu*elles ne présentent pas un seul caractère commun,
pas même celui de considérer le « sentiment de l'innervation i comme
un état de conscience» car Bastian fait entrer dans la sienne des
ff impressions kinesthétiques inconscientes a.
Toutes ces délinitions peuvent être réparties en deux grandes classes,
les unes assignant au sentiment de Tinnervation une origine centrale,
les autres une origine périphérique.
D après les premières le « sens de Tlnnervation » est constitué par
une «r sensation d^activité cellulaire » (Wernïckej Gowers).
Le même processus de nature inconnue qui, parti d*une cellule
motrice, met par Tintermédiaire d'un prolongement cellulaire une
fibre musculaire en action, pourrait se transmettre par un autre pro-
longement à une cellule ganglionnaire sensîblej et donner lieu ainsi
au sentiment de Tinnervalion*
Une telle façon de voir ne saurait être acceptée. En effet, il n'existe
aucun substratum anatomique connu sur lequel elle puisse s'appuyer,
et, pour qu'elle fut nécessaire, il faudrait démontrer que le sentiment
de Tin nervation ne repose pas, comme toute autre perception, sur
Texcitation d'un neurone sensible périphérique.
Or cette démonstration n'est pas faite,
Bchlff a bien montré que le n sentiment de rinnervatioo » ne saurait
résulter des sensations de contraction, de pression et de tension qui
se produisent dans le muscle et les parties voisines lors du phénomène
de la contraction musculaire, car dans ccrtaius cas il leur préexiste.
Mais ce n'est pas là une raison EulTisante pour nier Tesistence d'un
sentiment de Tinnervation périphérique, car la contraction, la tension
et leurs conséquences ne sont pas les seules causes par lesquelles les
nerfs sensibles musculaires puissent être excités.
Pour être en droit d'admettre ce sentiment de l'innervation d'origine
périphérique il faut prouver : i*^ qu'il existe dans le muscle des termi-
naisons de neurones sensibles, susceptibles d'être excitées par les termi-
naisons des nerfs moteurs; 2" que Texcitation peut être transmise au
cerveau.
La première proposition est facile à démontrer. Le muscle contient en
effet des terminaisons nerveuses sensibles entre autres les fuseuux
musculaircB qui, dans le cas présent, semblent jouer un rôle prépon^
dérant.
630
REVUE PHII.0S0PHIQ1JE
ï/excitatjon qui agit sur le neurona aenaible est probableiûenl une
onde électrique* Tonde d'osci Dation négative qui se produit dan* It
muscle au moment où Texcitation lui parvient, U est en effet âémoutré
que cette onde d'oscillation négative peut agir sur le nerl t Biedermaan,
Kùhne et plus anciennement Matteuci).
La question se réduit donc h savoir s'il existe quelque dispositioii
spéciale pouvant empêcher la irangmiasion de ronde électrique négi-
tive au fuseau muaculaire.
Or, il n'existe rien de semblable. Dana le fuseau rau scolaire ootam*
ment, dont M, Kerschner a fait une étude particulièrement détaillée, le»
dispositions r^Scipmques dea libres de Weissmann et des fibres ner-
veuses sensibles rendent au contraire ractioîi de la libre musculaire
sur la fibre nerveuse extrémemctnl probabie.
La deuxième condition nécessaire pour admettre l'existence d'un
« sentiment de l'innervation » d'origine périphérique est, comme nous
l'avons vu, rexistence de votes permettant aux impressions de la péri*
phérie de gagner les centres cérébraux.
On pourrait déjà conclure qu'il existe une relation entre les termi-
naisons sensibles musculaires et les centres nerveux supérieurs de ©«
fait que les fuseaux musculaires sont d'autant plus nombreux que
l'animal occupe un ran^^ plus élevé dans Téchelle zoologique et quf
par conséquent son cerveau est plus développé.
Chez rUomme on les trouve en très grand nombre dans les muscles
de la main., ce qui porte à croire qu'ils exercent une fonction dans le
sens du toucher*
Mais d'autres raisons militent encore en faveur de cette opinion. Il
existe en effet une sorte de parallélisme entre le développement des
fuseaux musculaires et celui de certaines voies centrales de la sensi^
bilité. Les libres de Weissmann et leurs nerfs ae dé%^elappent de très
bonne heure chez le fcetus r le fait a été démontré par Tauteur lui-
même ainsi que par Welss et DutiL Or, vers la même époque on voit
se développer certains faisceaux nerveux qui se terminent dans Técorce
et qui jouent un rôle dans la transmission des impressions museulaires^
Nous sommes donc en droit dVidmcttre l'existence d*uo sentiment de
Tinnervation dont le point de départ est situé dans les terminaisoDi
nerveuses sensibles du muscle et qui peuvent être transmises à récoroe*
M* Kerschner compare ensuite sa théorie à celles de ses prédéces*
eeurs et examine si elle répond à toutes les exigences qu'on est en
droit de formuler* Et d'abord ^ permet-elle d'expliquer comment le sen-
timent de Tinnervation peut précéder les impressions kin esthétiques?
L*appareil constitué par le fuseau musculaire et le nerf dont il
dépend peut se comparer à un rhéoscope physiologique v dont le nerf
est représenté par le nerf sensible du fuseau et repose sur une libre
musculaire riche en sarcoplasma représentant le muscle primaire ».
Dans ce rhéoscope physiologique naturel comme dans celui dei
laboratoires, Tonde d'excitation précède Tonde de contraction et
I
I
REVUE GÉNÉRALE. —TRAVAUX Kf.€£?«TS SUR LES âE:lSATJOXS 0TERNES 631
sur le nerf avant que la contraction ne soit produite* Ainsi s'explique
que le *< acntiment de rinncrvation » puisse précéder la sensation pro-
voquée par la contraction musculaire, à la condition toutefois qu'il
puisse conserver Tavance ainsi acquise.
Nous avons à considérer à ce point de vue deux facteurs : la Jon-
gueur des voies à parcourir et leur résistance, La lon.irueur des voies
paraît notablement abrégée, de ce fait qu'un grand nombre des fuseaux
musculaires sont placés au voisinag-e de Tentrée du nerf dans le
muscle, et que les fibres de Weissmann, intercalées entre la plaque
motrice et le fuseau musculaire présentent une étendue minime.
Quant à la résistance de ces mâmes voies, elle est certainement
peu considérable, étant donné le diamètre relativement énorme des
fibres nerveuses propres aux fuseaux musculaires.
Enfin la nature de Texcitation, grâce à la rapidité avec laquelle se
propage Tonde électrique, contribue encore à assurer à la sensation
d'Innervation l'avance qu'elle avait acquise sur la sensation de con-
traction.
Donc nous pouvons admettre que, grâce h des voies plus courtes et
plus faciles et grâce à la nature spéciale de rexcilation dont il est la
conséquence, le sentiment de Tinnervation conserve Tavance acquise
par lui dès son origine. Les choses sont un peu plus compliquées si,
au lieu de considérer le sentiment de Tinnervation se produisant iso-
lément, nous le considérons associé ^ en quelque sorte comme signe
local » à d'autres impressions.
L'excitation de tout neurone sensible périphérique se transmet par
une collatérale à une cellule motrice et entraîne dans celle-ci une
réaction qui, transmise à son tour au muscle, et en particulier au
fuseau musculaire, donne lieu à t une sensation secondaire », Que
devient cette sensation secondaire? Peut-elle prendre sur la sensation
primaire périphérique qut lui a donné naissance par voie ré 11 exe une
avance telle que les deux sensations arrivent en môme temps à Técorce
et se fusionnent dans un même état de conscience?
La chose n'est pas impossible et la voie directe constituée d'après
Flechzig par une partie du ruban du lîeil a peut-être pour but de per-
mettre au sentiment de l'innervation de gagner du temps sur la sensa-
tion périphérique primaire qui suivrait une voie interrompue par des
relais.
Ce problème se rattache â une question plus ^'^énérale* Toutes les
sensations ne se propagent pas en efTet avec une égale rapidité. Exner
a montré que « si un objet extérieur agit en mtîme temps sur la vue
et sur rouie, l'impression auditive sera perçue plus vite que l'impres-
sion visuelle n.
Le sentiment de l'innervation peut-il dans certaines conditions se
propager plus rapidement que les autres sensations?
Des faits tendant à le prouver ont été constatés par Bxner dans ses
expériences sur la vision et les impressions associées provenant des
633 REVUE PHILOSOPHIQUE
muscles de Toeil. Le sens du tact nous fournit un autre exemple. L'in-
tensité d*une impression tactile est beaucoup plus lentement perçue
que sa localisation. Or, ce dernier phénomène est, comme nous le ver-
rons bientôt, fonction du sentiment de l'innervation.
Tous ces faits montrent bien que, au point de vue du temps, la
théorie du sentiment de Tinncrvation ainsi comprise répond tout aussi
bien que les théories centrales à tous les desiderata qu*on est en droit
de formuler.
Les phénomènes dans Texplication desquels on a fait intervenir le
sentiment de Tinnervation sont multiples.
Il entre dans l'explication du « sentiment de l'impulsion » (Mûller,
Helmholtz) des différentes sensations dues au sens musculaire, p. e.
dans la sensation du mouvement actif (Gowers) de la représentation
du mouvement (Meynert), de l'incitation motrice (Harless, H. Munck)
de la localisation, etc.
M. Kerschner montre comment sa théorie peut servir à Texplication
de ces différents phénomènes. La localisation des sensations cutanées,
par exemple, « consiste essentiellement en la fusion d'une sensation
secondaire avec une sensation primaire ».
0 Le processus d'où résulte ce phénomène complexe serait un réflexe
rudimentaire dans lequel l'excitation mécanique serait annihilée et
l'effet sensible se manifesterait seul. » Cette manière de voir ne con-
tredit en rien les théories modernes de Lotze, de Wundt. Bien plus,
elle leur donne une base plus solide, en faisant cesser, par exemple, la
contradiction apparente qui existe dans le s^'stème de Lotze, quand cet
auteur, après avoir nié l'existence des sensations centrales d'innerva-
tion, aflirme que « les signes locaux consistent dans le réveil (Erwe-
ckung) de tendances motrices ».
Elle est également d'accord avec la théorie de Hering sur le sens de
l'espace.
Elle ne contredit en rien non plus les faits nouveaux apportés par
Bethe, Munk, Wernicke et d'autres auteurs.
Si Ton admet, et il n'y a aucune raison pour repousser cette hypo-
thèse, que le neurone sensible musculaire périphérique se comporte
comme tout neurone périphérique, c'est-à-dire qu'il émet dans la
moelle des collatérales et que celles-ci se mettent en rapport avec les
cellules motrices, on peut expliquer plusieurs phénomènes physiologi-
ques importants.
Toile est la contraction tétanique, dans laquelle une seule excitation
périphérique suflit à produire un état de contraction prolongé. La cel-
lule motrice est alors maintenue en action par les sensations muscu-
laires que lui apportent les collatérales du neurone sensible musculaire
périphérique.
On peut expliquer d'une façon analogue l'innervation antagoniste,
le tétanos vital, etc.
L'action des collatérales se manifeste aussi probablement dans ce
REVUE GÉNÉRALE. —TRAVAUX RÉCEÎSTS SUR LES SENSATIONS INTERNES 633
que Ducheniie a appelé « la conscience musculaire » et PdQger « Inme
médullaire *, dans La « prcformation du mécanisme des mouvements »*
(Schrôder van der Kolk, etc.)
La théorie de M. Kerschner permet encore d'expliquer le « sentiment
de rim pulsion " qui d'après la délmition de J. Mûller nous permet de
nous représenter et de prévoir la mesure de Taction cérébrale néces-
saire pour produire un certain degré de mouvement. Elle permet éga-
lement de comprendre t l'union nécessaire qui existe entre les sphères
sensibles et motrices ^.
On conçoit en eiîet que, étant donné le rôle important des aenaations
musc u lai resj une contraction ne puisse avoir lieu quand oelles-cî ne
parviennent pas aux centres nerveux.
En résumé le sçntiment de rinnervation tel qu^il est compris par
>L Kerschner permet tout aussi bien que les théories antérieures
d'expliquer les différents phénomènes où nous sommes habitués à le
faire intervenir*
C'est bien là une théorie nouvelle du sentiment de l'innervation *
théorie claire, ingénieuse, reposant sur la base la plus solide de la
biologie, à savoir sur Tanatomie.
Dans ces dernières années M. Roux nous a donné trois monographies.
Dans chacune, il étudie un territoire bien délimité de la sensibilité. Il
rétudie en physiologiste, c'est-à-dire qu'il s*aliaehe à donner des phé-
nomènes une explication exclusivement mécanique*
Dans son premier travail, il traite de îa douleur a non de la douleur
enlité métaphysique, mais de la sensation douloureuseï phénomène
accessible à robservation et a rexpérimentation w.
Un premier chapitre est consacre auK voles conductrices doulou-
reuses. Après avoir résumé et rapidement discuté les opinion^s des
physiologistes modernes sur cette question et rappelé notamment les
expériences de Nichols et de Frey qui conduisirent ces savants à
admettre l'existence de ^ points de douleur », à côté des pointa de con-
tact, des points de chaleur et des points de froid, Tauteur conclut que
si, dans la moelle, les sensations tactiles et douloureuses passent cer-
tainement par des voies différentes, rien ne prouve qu'il en soit de
même à la périphérie.
Ceci posé, M. Roux aborde d'emblée le point capital de la question :
quelle est la nature de la douleur"/ Est-elle tout simplement une sen-
sation quelconque d'une intensité anormale^ ou constitue-t-elle au con-
traire une sensation spéciale?
Four Wundt et pour Uichet surtout, n toute sensation peut devenir
douloureuse en augmentant d'intensité ». On peut soulever contre
43ette théorie bien des objections* Quand îa douleur succède à une
sensation tactile^ la transition n'est pas proî^'^ressiveH^ « Tarrivée de la
douleur à la conscience est brusque »* La douleur peut être abolie sur
un territoire cutané alors que les sensations tactiles sont conservées
6S4
BEVUE PHILOSOPniQDl
{syniigômyélie, anesthésie par la cocainct etc.). Eafin la senstation
douloureuse est toujours qualitativement identique à elle-m^mc,
qu'elle succède au chaud, au fr£>îd ou au contact,
Exuminons Bt nous ne pouvons pas assig^ner à la douleur une autre
origine*
« Nos sensations, nous dit M. Roux, peuvent être divisées en deux
groupes M-* iensatîons externes; 2«* sensations internes ou céneslhé-
siques a.
Les premières (visuelles, auditives, tactiles, etc<j nous renseignent
sur le monde e^c teneur mais ne nous sont d'aucune utilité pour savoir
ce qui se passe en nous-mème. Elles peuvent être désagréable^^ Elles
ne sauraient être doittoureuses. Supposons par exemple une mauvaise
ûdour. Elle peut devenir de plus en plus nauséabonde» horrible même.
I>îra-t*on jamais qu^elle est douloureuse? Evidemment non. Doue la
conclusion suivante parait s'imposer. « Les sensations externes peu*
vent susciter dans la conscience des émotions pénibles et désagréables,
mais celles-ci n*ont pas les caractères qu'on est convenu d'attribuer à
la douleur «,
Le ràlo des sensations du deuxième groupe, internes ou cénesthé-
siques, est de nous renseigner sur Tétat de notre organisme. Opposées
aux sensations du premier groupe, elles nous permettent de distinguer
notre propre corps du monde extérieur. A l'état normiil elles ne sont
perçues que comme total et non comme sensaiions localisées. Mais
qu'une modiiieation pathologique survienne sur un point quelconque
de Torganisme. Le premier résultat sera un réflexe de défense incous-
eient, parce qu'il est parfaiteun-nt adapté. Si tout rentre aussitôt dans
l'ordre, la conscience pourra ignorer toujours la modilication sur-
vetme dans rorganisme. Si au contraire le réilexe est impuissant à
lutter contre la cause perturbatrice, » Tim pression s*é lèvera vers les
cc^ntres supérieurs pour provoquer un réilexe de défense plus com-
pliqué, non automatique et par conséquent conscient » c^'est-â-dire ua
phénomène intellectuel complexe dont Tune des lacos est précisément
la douleur.
Si nous noua demandons a pourquoi ce phénomène de conscience a
revêtu le caractère pénible spécial à la douleur j», nous trouvons la
réponse à notre question dans cette grande loi, que « toute sensation
est agréable lorsque son excitant est favorable à la conservation de
Tindividu^ et qu'elle est désagréable dans le cas contraire v.
La douleur n'est donc en délinitive, ainsi que Ta bien montré
M. Ri bot, que le « symptôme » d'un état fâcheux de rorganisme.
I
Dans sou deuxième mémoire, M- Houx étudie la faim.
' Comme toute sensation, la faim n*est pour lui qu'un réilexe ou plutûf
une série de réllexes échelonnés le long de l'axe cérébro-spinal et
dont le plus élevé, le réilexe cortical, est accompagné de conscience.
Il y a donc lieu d'étudier : f^ le point de départ commun de ces
REVUE GÉIÏÈRALE. — TRAVAUX RÉCENTS SUR LES SEXSATIf)?fS INTERPÎËS 633
réflexes, c'est-à-dire le point d'origine de la faim ; 2^ les réflexes d^ordre
inférieur ( ganglionnaires, médullaires, bulbaires), dont l'ensemble
constitue les manifeslations inconscientes de ce phénomène; 3'Me
réflexe cortical au cours duquel apparaît la conscience.
L'origine de la sensation de faim est le sujet d'un des plus intéres-
sants chapitres du travail. L'auteur commence par rappeler les tra-
vaux de ses devanciers, notamment ceux de Kchiff qui ruinèrent,
d'une façon défmitivejes anciennes théories stomacales de la faim.
L'observation et l'expérimentation nous montrent, en effet, que la
faim peut exister malgré la réplétîon de Testomao ou après Tanes-
thésie do cet organe (section dea nerfs de Testomac). Mais si M. Roux
est parfaitement d*accord avec SchifT pour rejeter la théorie stomacale
de la faim, il refuse de voir dans cette sensation, comme le veut le
célèbre physiologiste, le résultat d*une action du sang appauvri en
matière nutritive sur les centres nerveux. Pour lui, a les centres ner-
veux ne fonctionnent jamais spontanément u , à l'état normal du
moins. Etant donaé que, ni Testomnc ni les centres nerveux ne peuvent
être le point de départ de la sensation de faim^ il ne nous reste plus
qu*à le chercher à la périphérie. C'est là, en effet, que nous le trou-
vons. (I La sensation de faim prend naissance dfins les innombrables
cellules de notre corps. C'est le crî de notre organisme réclamant des
matériaux nutritifs, o L'estomac est simplement le siège d'une sen*
sation spéciale qui, le plus souvent, accompagne la faim et peut même
la devancer.
Cette sensation spéciale « éveille en notre esprit Tidée de manger, le
souvenir de mets agréables, la perspective d'un repas savoureux »,
C'est là ce que nous appelons Vappèiit. La faim et l'appétit sont donc
deux manifestations essentiellement: distinctes Tune de l'autre : Tune
est « un désir suggéré par un ensemble de souvenirs qui sont eux-
mcmes éveillés par une sensation stomacale spéciale »; l'autre est une
sen.^ation résultant d'un besoin général de l'organisme appauvri en
matériaux nutritifs.
L'impression née d'un point de la périphérie où la nutrition est
insulllsante, est transmise par les nerfs périphériques à la moelle
et donne lieu à un réflexe. Si Tinanition est localisée à un territoire
bien délimité, la vaso-dilatation intervient sur ce mV^ime territoire et
remet les choses en état. Il s'agit d'une faim locale. Peut-être se pro-
duit-il des phénomènes de cet ordre dans les innombrables troubles
trophiques, dits réflexes, que Ton observe en médecine. Il s'agirait
alors d'un trouble apporté dans le fonctionnement du réflexe occa-
sionné par la « faim locale j», les usures n'étant pas suiFisamment
compensées, ou dans quelques cas rares, l'apport nutritif dépassant
l'usure (lipomatosea localisées).
Mais la faim n'est pas un phénomène local. C'est un phénomène
général. Le sang pauvre en éléments nutritifs ne nourrît plus les
tissus d'une manière suTAsante. Ceux-ci soulTrent et irritent tes extré-
636 BEVUE PHILOSOPHIQUE
mités nerveuses. Ces impressions, parties de tout rorgaoîsme, s'élèvent
vers lea centres et provoquent un réflexe dont le résultat est d'utiliser
nos réserves alimentaires, graisse et sucre, et de rendre au sang dans
une certaine mesure et pour un certain temps sa composition normale.
Tous ces phénomènes se passent d'une manière absolument incon-
sciente. L'auteur va nous dire pourquoi,
La conscience n'apparait que dans le rélkxe le plus élevé de la
série, celui que NL Roux appelle « le réflexe nutritif cortical *.
Tandis que les réflexes précédents ne pouvaient s'étudier que par
robservatioii externe, celui-ci devient accessible à • robservalion
interne subjective v. C'est en effet une loi constante que^plua un réflexe
s'acoomplit d*une façon parfaite» autrement dit, plus il est adapté»
moins il est conscient En d*iiutres termes, les réflexes inconsctenU
sont des réflexes parfailement adaptés, fonctionnant d*une manière
automatique. Les actes conscients, au contraire* * sont des réflexes
en voie de perfectionnement, d'adaptation ». Le réflexe nutritif corij-
eal appartient à cette dernière catégorie. " U n'est pas complètement
adapté à son but; it est extrêmement variable suivant les arçons tan ces
extérieures et les impressions concomitantes. » L'adaptation incom-
plète d'un réflexe^ telle est sinon la seule, au moins l'une des condi-
tions les plus importantes de l'apparition de la conscience.
Quels sont ^* les phénomènes de conscience suscités par la sen-
sation de la faim »? Ce sont : 1* une sensation spécitique, impossible
à définir, mais pénible, celle que chacun éprouve quand il a faimî
^" un certain nombre de souvenirs et d'associations d'idées se ratta-
chant tous à l'acte de manger. La sensation de faim est éminemment
exclusive. * Toute notre cérébration est orientée vers un seul but e,
celui de manger. Toutes les autres manifestations psychologiques au
contraire s'affaiblissent peu à peu et peuvent même s'effacer complè-
tement, La faim les inhibe.
Voyons maintenant quelles sont les manifestations périphériques
auxquelles donne lieu la faim. En d'autres termes étudions les mani-
festations centrifuges du réflexe. Noua avons en premier lieu des mani-
fes talions vaso-motrices et sécrctoires : modifications de la tension
sanguine r du pouls ^ de la sécrétion salivai re, rénale, etc.
Tous ces phénomènes ont été mal étudiés, au moins che2 Tbomme.
Il en est de même de la nutrition générale, de la température*
Une des plus g'rosses diflicultés qui se présentent» c*est Timpossi-
bilité où nous sommes de faire la part de ce qui revient à la faim et
de ce qui revient kVinanilioa. Nous pouvons essayer de vaincre cette
difficulté par une voie détournée.
Dans le phénomène connu en pathologie sous le nom d'anorexie
hystérique on peut observer les effets de rinanition, indépendamment
de la faim qui est absente- Le fait principal, dans ces cas pathologiques,
c'est l'action d'épargne évidente qui se traduit dans le poids , dans la
composition des urines, dans la respiration, dans la température et
REVUE GÉNÉRALE, —TRAVAUX RÉCENTS SUR LES SESSATlOffS IKTER?fËS 537
dans Fètat psychique dea malades. Le parallèle entre les indîYidus
normaux en inanition et les individus atteinte d'anorexie hyaténquc
nous apprend : 1" que Faction d'épargne paraît beaucoup plus consf*
dèrable chez les hystériques que cheE les individus normaux en ina-
nition; 2^ que chez, les hystériques, cette action d'épargne paraît porter
surtout sur les aibuminoïdes, permettant ainsi à i*org^anisme do con-
iervor sa constitution et de consommer toutes ses réserves nutritives
avant de mourir; 3° que chez les individus normaux et les animaux en
inanition, Faction d'épargne parait porter moins sur les aibuminoïdes
que sur les réserves graisseuses et hydrocarbonées. Il en résulte que
la constitution des éléments anatomiques s'altère rapidement et que
l'individu meurt avant d'avoir épuisé sa provision d'énergte.
Pourquoi cette différence? Parce que Findividu normal et Ffiystë-
rique se conduisent vis-à-vis de l'inanition de deux façons absolument
opposées. Llndividu normal conserve un certain degré d'activité
employée à lutter contre le danger dont il est menacé, c'est-à-dire à
chercher des aliments, 11 résiste d'une façon active. L'hystérique au
contraire résiste d*une fa^^on passive. H réduit ses dépenses au mini-
mum en supprimant toute espèce d'activité. Le premier par conséquent
épuisera pïus rapidement ses réserves nutritives. Mais peut-être grâce
à la lutte qu'il soutient arrivera-t-il à se sortir d'afTaire, c'est-à-dire à
trouver des aliments. Le second au contraire économise ses réserves,
mais là se borne sa défense, de sorte que chez lui Finanition mar*
chera plus lentement que chess le premier, mais aussi plus siireinentj
puisque de lui-même il renonce à la lutte.
Les éléments qui se détruisent le plus rapidement dans l'inanition
sont les albumines, et chez Findividu normal* c'est la destruction des
albumines qui Hmène la mort, de sorte qull meurt non d'inanition
totale mais d'inanition albuminoide. L'hystérique au contraire utilise
égalemement tous ses éléments, les graisses comme les albumines,
Cela nous explique pourquoi Fhystérique peut perdre 50 p, ttlO de son
poids sans mourir, tandis que Findividu normal ou Fanimal meurent
quand ils ont perdu ^0 p. 100 de leur poids seulement.
Cette théorie s'accorde parfaitement avec celle de Belmondo, pour
qui rt le cerveau exerce une action trophique sur les échanges de
l'organisme et en particulier parait accélérer la décomposition de la
molécule d'albumine >*, Pour Bernheim également Fhonime sain soumis
à un jeûne prolongé meurt de faim, et non d*irianih"on*
C'est par le même mécanisme que peuvent s'expliquer les jeunes
célèbres* « Succi ne meurt pas de faim, parce qu'il n'a pan faim^ et ne
subit que les effets de Finanition, qui, à elle seule, ne tue pas en
trente jours, n (Oernheim).
La sensation de la faim étant celle qui se manifeste la première ,
avec la sensation de douleur, chez Fenfant, c'est dans les fibres ner-
veuses les plus anciennement aptes a fonctionner, c'est-à-dire les plus
anciennement recouvertes de myéline que nous devons rechercher las
638
IIEVUJS PHILOSOPUIQUE
eonductêurs de la seusatîon périphérique qui donne lieu à la faim.
Elles appartiennent donc au premier système de Flechzig. Or nous
vuyona que les ii lires de ce système aboutissent pour la plus grande
partie à récorce de la région rolandique. C'est donc au niveau de
cette région que se trouve la 7:one de projection de la faim.
Un chapitre est consacré à la pathologie de la faim, bouUaiie vt ano-
rexie. L'auteur y discute en détail l'inléressante théorie de Sallier sur
Tanorexie hystérique. Pour ce dernier auteur en etTet la faim est une
sensation d'origine stomacale et ranoffîxie hystérique est une consé*
qucnce de Tanesthésie de la ni aqueuse stomacale. Sans contester les
faits sur lesquels s'appuie 4SQllier, lauteur fait remarquer que l'anes-
thésîe de restomac peut causer Tanorexie sans que pour cela ia serisi-
bilité de la muqueuse stomacale puisse être considérée comme la seule
cause de la faim. El se passerait alors chez les malades une sorte de
raisonnemt^nt inconscient : ils ne sentent plus leur estomac donc ils
n'en ont plus, donc il est inutile de manger. Ces œalades refusent de
manger par suite d'une logique inconsciente.
Comment calmer la faim? En ingérant des aliments bien entendu*
Mais ce moyen n'est pas le seul. Des substances inutiles introduites
dans l'estomac (de Targile par exemple) suppriment parfaitement la
faim, C'f^stque ^ la sensation de plénitude stomacale fait cesser ta sen-
sation de faim par un phénomène d'inhibition**.
* De ce phénomène d icihibition, nous voyons clairement la raison
d*étre. Sans lui la faim nous conduirait fatalement a des abus de nour*
riture et à des désordres graves : nous mangerions jusqu'au moment
où Tappauvrissement du milieu nutritif aurait disparu^ c'est-â-dirc
beaucoup trop longtemps et beaucoup trop. »
Nous connaissons depuis longtemps eertaities substances, qui, bien
que ne constituant pas de véritables aliments, n'en ont pas moins le
pouvoir de calmer la faim. Ces substances (café, thé, kola, coca) ont
reçu le nom d'aliments d^épargne (Schullzj. Ce nom est absolument
impropre. Loin d'épargner, comme on pourrait le croire, nos réserves
nutritives^ ces substances en activent la combustion et c'est par Ce
procédé qu'elles peuvent retarder l' apparition de la faim. Nous n'éprou-
vons pas le besoin de prendre des aliments, parce que nous dépen-
sons nos propres réserves.
I/instinct sexuel, qui fait l'objet du troisième travail de M, Roux,
est, d'après cet auteur, comparable à la faim à plusieurs points de vue.
Comme pour la faim la première question que nous devons nous
poser est celle-ci* Où le besoin sexuel prend*il son origine? A la péri-
phérie sans aucun doute, ear nous ne saurions admettre pour les cen-
tres nerveux un fonctionnement automatique et indépendant des exci-
tations périphériques. Mais en quel point de la périphérie? La plupart
des auteurs indiquent les organes génitaux. De ce nombre sont
Krafft-Ebing, Beaunis» Tarchanofj Spallan^ani- u. Formulées en termes
I
I
REVUE GÉNÉRALE.— TRAVAUX RÉCENTS SUR LES SENSATIONS IXTERÎ^ ES 639
physiologiques précis, ces difféi'entes théories peuvent se résumer de
la façon suivï^nte : lorsque les organes g^nttaux ont acquis leur pleiti
développeraeat, sont aptt3s à fonctionner pour la reproduction de les-
pèce, ils deviennent le point de départ d'une impression nerveuse
centripète. Celle-ci H*élève vers les centres, fait éclore dans la cons-
cience le besoin sexuel, est le prbnum movens de tous les actes se
rattachant à la vie génitale. » Mais « si Tinstinct sexuel n'a pour base
qu'un besoin de fonctionnement des organes génitaux, il ne doit
jamais apparaître lorsque ceux-ci ne sont jamais aptes à fonctionner
(castration a%*^ant la puberté); il doit disparaître lorsque les organes
génitaux sont supprimais organiqueuient ou fonctionnellement (castra-
tion, ménopause, maladies, etck En lin le besoin sexuel doit dispa-
raître entièrement lorsqu'il est organiquement satisfait par îe coït* ■»
L'auteur examine successivement chacun de ces points en s'appuyant
sur des faits empruntés à Texpêrimentation, à la clinique» à l'histoire
même, et montre que le développement complet, l'aptitude fonctionnelle
des glandes génitales ne sau^ait^ot suffire a expliquer l'apparition du
besoin sexueL II y a là « autre chose qu'un organe qui demande â
fonctionner^ que des vésicules séminales qui demandent h être vidées ».
Le besoin sexuel est un besoin de tout rorganisnie. M. Houx îe com-
pare très ingénieusement à la faim* De même qu'il y a lieu, nous dit-il,
de distinguer Tappétit, qui est éveillé par une sensation stomacale
spéciale, de la faim qui est un besoin général, » le cri de notre orga*
nisme réclamant des matériaux nutritifs w, de môme il y a lieu de ne
pas confondre le besoin génital» ce besoin vague, sans localiaalion pré*
cisOi avec le désir de la satisfaction génitale qui^ lui, a son siège bien
déterminé dans les organes génitaux comme Tappétît a Je sien dans
[*estomac. En un mot, h le besoin génital, la faim sexuelle est une sen*
sation spécifique qui, à ce titre, ne peut être décrite, ne peut être
définie. Comme la faim véritable, elle a son origine dans tout notre
organisme. L'appétit sexuel n'est pas autre chose que le désir de la
satisfaction génitale; c'est simplement un organe qui demande à fonc-
tionner; son origine est dans les sensations parties des or^^anes
génitiiux, »
Maupas a montré que chez certains in fusai res la tendance à Taccou*
plement se montre quelque temps avant que la colotïie soit menacée
d extinction séiiile. Les choses se passent d'une façon très analogue
ohez les êtres pluri-cellulaires, Touteç les cellules éprouvent à la fois
ie besoin de se perpétuer en donnant naissance à un être nouveau.
Beulement, au lieu de participer toutes à cette régénération, elles
choisissent un certain nombre d'entre olles spécialement adaptées à
ce but : le spermatozoïde chez le mâle, et l'ovule chez la femelle.
Ce besoin a vraisemblabiement pour base un changement physico-
chimique survenu dans les éléments cellulaires. Nous ignorons exac-
tement lequel. Les expériences de *\ïaupas semblent indiquer cepen-
dant quHI s agit d'une diminution dans les propriétés assimilatrlces de
640
REVUE PHJLOSOPHtÛCE
ïa cellule, de sorte que le beaoin sexuel ne serait en définitive « qu'une
des faciDs, une modalité du besoin nutritif o,
M. Roux passe rapidement sur le rr*le des séeréttons internes.
Celui-ci ne lui parait pas suffisamment démontré, qu'il s'agisse comme
le voulait Brown*Sequard d'un produit versé par les glandes génitales
dans tout Torg^anisme, ou au contraire, suivant la théorie de Keiffer,
d'un produit sécrété par Torganisme et éliminé par les glandes génital ei.
Le trajet suivi par l'excitation périphérique que nous trouvons a ta
base du besoin génital est vraisemblablement ie même que cel«î des
sensations relevant de la sensibilité générale. Comme ces dernières,
elle doit aboutir aux circonvolutions circum-rolandiques^ Là, elle se
transforme en impression consciente, engendrant d'abord,, ainsi que
Ta montré \L Ribot^ un étal adectif particulier, puis secondairement un
état représentatif correspondant. *
Alors seulement interviennent les sensations parties des organes
génitaux en venant s^associer aux sensations provoquées parle besoin
sexueK Ce point est très important. Grâce â cette association, î' instinct
sexuel prendra sa direction normale qui est racoompUssement de Tacte
sexueL Le besoin sexuel ne doit donc pas faire son apparition avant
que les glandes génitales aient atteint leur maturité. « Voilà pourquoi
dans toutes les observations de psychopathiea sexuelles nous trouvons
un besoin sexuel extrêmement précoce. Celui-ci apparaissant bieii
avant les organes génitaux, les associations normales ne peuvent se
produire, il se fait des associations anormales, n
Cependant, mt^me à l'état normal, les sensations génitales ne sont
pas les seules qui s'associent au besoin sexuel. Celui-ci a également
des affinités étroites pour les sensations olfactives : rôle des parfuttis
comme excitants sexuels^ observation de Féré dans laquelle un jeune
homme éternuait chaque fois qu'il avait une pensée erotique. Enfin il
s'associe encore à toutes les autres sensations : vue, ouie, toucber et
probablement môme aux sensations du ^oùt.
Le besoin sexuel ainsi devenu conscient et ayant éveillé diverses
associations d'idées se traduit au dehors par deux ordres de phéno*
mènes : le choix et Taete sexuel. L'auteur n'étudie pas ce dernier, qui
est du ressort de la physiologie proprement dite. Le choix intéresse au
contraïre le psychologue. Aussi M. Roux insiste-t-il longuement sur
ce point. Prenant le choix tout d'abord chez les êtres inférieurs» et le
poursuivant jusque chez l'homme^ il le montre résultant d'affinités
spéciales soumises â des lois» excluant toute espèce de liberté. ^ Chez
rborame, comme chez les Infusoires, le choix dans la vie sexuelle est
absolument fonction de la conformation physico-chimiquê des indi-
vidus en présence. »
a Mais qu'est-ce qui produit chez Thomme une conformation phy-
sico-chimique telle que chez lui le besoin sexuel soit excité par telle
impression plutôt que par telle autre? Ici encore nous devons faire
intervenir les lois de révolution. »
REVUE GÉNÉRALE. — TRAVAUX RÉCENTS SUR LES SEXSATIÛNS INTERNES 641
i
Le choix est en effet uniquement déterminé par rintérét de l'espèce.
Les aflmités n ont d'autre but que d'unir deux êtres susceptibles de
donner ensemble Je produit le plus utile au perfectionnement de
rKspêce. De telle sorte qu'un individu d'un sexe donne recherchera
non le type parfait du sexe opposé, mais celui dont les qualîtés s'har-
moniseront le mieux avec les siennes et pourront le plus efficacement
attêouer ou effacer ses propres défauts*
Cette théorie se rapproche beaucoup, ainsi que ïe fait remarquer
Tauteur lui-même, de ïa théorie évolutive de Schopenhc*)uer. IvUe s*en
distingue en ce qu*elle rejette complètement la doctrine des causes
finales. Ce n'est que par métaphore que M. Houx parle a du but de
TEspèce », En réalité l'Espèce n'a pas de but. Certaines qualités, cer-
taines tendances se développent et se lixent non parce que l'Espèce le
veut ainsi, mais parce que les individus qui les présentent sont dans
les meilleures conditions pour vivre et se perpétuer.
Cette manière de voir est encore avec quelques légères variantes
celle de Hartmann et de Delbœuf.
En résuméj nous voyons que là comme partout Tindividu est sacrifié
à TEspèce. a L'attrait physique, dit excellemment Hugues le Eoux, est
un piège que TEspèce tend à l'individu avec la volonté de le conduire
à ses iinn sans qu'il s'en doute, b
Il Ji est pas jusqu'à la chasteté qui, dans une certaine mesure, ne
puisse s'expliquer par cette grande loi. Le chaste sert rintérét de FEs-
pèce par son travail intellectuel* Il est « capable d'efforts extraordi*
naires », qui ne sauraient se rencontrer chez l'individu à vie sexuelle
intense ou même simplement normale*
C'est également rintorët de l'Espèce qui nous explique le suicide
par amour et le sacrifice volontaire de l'homme à la femme, la conser-
vation de cette dernière important surtout a l'Espèce,
Etudions maintenant quels sont les phénomènes intellectuels, d'ordre
plus élevé, qui s'associent à l'amour. Spencer a indiqué en premier
lieu ïaffectioji. L*auteur ne part aire pas cette opinion et pour lui
raffection est absolument indépendante do Tamour,
!1 est au contraire parfaitement d'accord avec le philosophe anglais
en ce qui concertie V^idmiration^ Ce sentiment est très fréquent dans
Tamour, qu'il porte sur les qualités physiques ou sur les qualités
morales et inteltectuelles. Nous avons encore comme sentiments asso-
ciés à Tamour : l'estime de soi, Tamour de rapprobation, le plaisir de
la conquête et enlln la pudeur. L'auteur insiste longuement sur ce
dernier. La pudeur, selon lui, se présente sous deux formes^ la pudeur
du vêtement et la pudeur des actes. La première, « en dissimulant les
charmes corporels, permet aux qualités supérieures, intellectuelles ou
morales d'exercer leur séduction : elle favorise donc la sélection intel-
lectuelle aux dépens de la sélection physique u. Le vêtement fait
encore naitre un sentiment nouveau : la curiosité. Il contribue enfin
à exalter en nous a le désir de la conquête v.
TOMl L. — 1900, 42
642
REVUE PHILOSOPHIQUE
La pudeur des actes paraît avoir une autre origine. Eo diminuant
rexcîtation» elle refrénerait rinstincl de reproduction et permet*
trait ainsi de parvenir pi un faciiement à un développement intel-
lectuel avancé.
L*amour, né du besoin sexuel, associé à une foule d'autres sensa-
tion® et en tout premier lieu aux seosations sexuelles, ayant fait choix
d'un objet, tend à se lixer de plus en pluB, à se systématiser sur cet
objet. De cette systématisation résulte la ^ fidélité », L'infidèle est celai
cliez lequel la systématisation n'était pas suffisamment étroite dès rori-
gine, ou chez lequel « le système « s'est peu à peu désa^rrégc.
Le mémoire se termine par un schéma au moyen duquel l*auteur
montre que, conforioément à son principe, il a étudié rinslioct sexud
comme tout phénomène psychologique doit être étudié, cest-à-dire
comme un phénomène de conscience venant compliquer un rétlexe.
Noua avons vu que oc réllexo avait, en effet, son point de départ pért-
phériquo» ion centre de réflexion et aes voies d'extériorisation.
Nop moins intéressantes que rinstinct sexuel lui-même sont les
anomalies qu'il peut présenter. L'une des plus curieuses, rinversioa
sexuelle, la « bisexualité psychique », faitTobjet du mémoire que nous
allons analyser.
Après avoir rappelé les travaux récents d'Havelock Ellis^ de Lau-
rent et insisté tout particulièrement sur les articles de Meige publiés
dans la Nouvelle Iconographie de In Saipi^lrirre (deux cas d'herma-
phrodisme ancien, 1893, n*' 1), M. Kurella décrit l'évolution des carac-
tères sexuels qui, pour lui, se divisent en primaires, secondaireis et
tertiaires.
Le caractère primaire est constitué par rexistence de la glande
génitale, testicule ou ovaire. Au début du développement les deux
coexistent; mais bientôt Tun s'atrophie, l*autre persiste seul et donac
à Tindividu un sexe déterminé. Le sens de révolution sexuelle est dès
maintenant Pixé et nous voyons apparaître presque aussitôt, les carac-
tères secondaires constitués, au sens strict du mot^ par les organes
génitaux externes* Enfin plus tard, au moment de la puberté, les
caractères tertiaires se développent. Voici ^ d après M. Kurella, par quel
mécanisme*
Tout individu est en principe un hermaphrodite latent. Les carac-
tères propres à un st^xe ne peuvent se montrer que si les caractères
propres à l'autre sexe s'etTacent, Le germe du testicule ne se déve-
loppc que si celui de l'ovaire s*atrophte et réciproquement. Mais le
germe des caractères secondaires et tertiaires demeure toujours latent
et le rôle de la glande génitale, à qui incombe de diriger révolutioa
sexuelle, consiste non pas à développer les caractères secondaires et
tertiaires du sexe homologue* mais à empêcher le développement de
ceux du sexe opposé.
Che^ l'homme, au moment de la puberté par exemple, un principe
I
I
REVUE GÉNÉRALE,— 'TRAVAUX RîSciiPiTS SUR LES SEKSATlOPfS STERNES 643
actiff de nature inconnue, part du testicule et amène Tatrophie des
organes féminins existant eous forme rudimeataire. Cette alrophïo
s'accompagne souvent de certains phénomènes inllammatoires au
niveau des seins notamment (mastite de la puberté). Il ne faut donc
pas considérer le développement des maiiielîes chez la femme
comme produit par une excitation venue des ovaires, mais au con-
traire comme un phénomène, pour ainsi dire négatif, rosuUant de Tab-
aence des testicules, qui permet h ce caractère tertiaire jusque-là
latent de se développer librement.
Des phénomènes d'inhibition se manifestent aussi quoique moins
intenses, chez la femme à ïa puberté. La présence des ovaires empêche
les tendances masculines latentes de se manifester.
Entin^ au moment do la ménopause et de la période dUnvolution qui
lui correspond chez Thommc, l'alrophie des glandes génitales permet
aux caractères tertiaires, toujours latents, du sexe contraire de se
manifester. C'est I âge « où les femmes commencent à avoir de la
barbe et à faire de la politique »*
Telle est révolution normale. Mais à tous les degrés, des anomalies
peuvent sur^rir.
Tout au début les deux ordres de glandes, mâles et femelles, peu-
Tent persister et donner lieu à un hermaphrodisme véritable.
Si, au moment de Tapparîtion des caractères secondaires, Tinlluence
inhibitrice de îa glande ne se fait pas sentir, les organes génitaux
externes du sexe contraire se développeront et l'individu deviendra
un pseudo-hermaphrodite.
Enfin, si à Tépoque de la puberté le testicule ou 1 ovaire nest plus
là pour diriger révolution sexuelle, les caractères tertiaires du sexe
opposé se montrL'ront librement et créeront che?. Thorarae Tinfanti-
lisme ou le féminisme et le masculisme chez la femme.
Les caractères sexuels psychiques appartiennent au groupe des
caractùres tertiaires. Les anomalies qu'ils présentent doivent donc
être considérées, à l'égal des anomalies somaliques, comme résultant
d'une insuftisance dans Taction inhibitrtce exercée par la glande géni'
taie.
Entre les hermaphrodites vrais ou faux et les invertis sexuels il n'y
a qu^ine différence de degré, et le mécanisme qui produit ces deux
anomalies est absolum<.*nt identique.
Que Ton se ligurtf tous les Individus d'un même sexe rangés sur une
même ligne. Cette ligne commencera à l'individu dont le développe-
ment sexuel est complet pour se terminer à riiermaphrtjdite. Entre
ces deux extrêmes se rencontreront tons les intermédiaires, et c'est
parmi ces intermédiaires que nous devrons chercher les invertis
aexuels, comme les pst^udo-hermaphrodites.
C'est encore parmi ces intermédiaires, au voisinage des invertis* que
nous rencontrerons les prostituées, r La prostitution se présenterait
en effet comme une inversion sexuelEe complète de la femme, a II
(m
REVUE PHILOSOPUEQIJË
suflira pour comprendre le bien fondé de celte propositioOi en «ppa^
rence paradoxale, de se rappeler certains caractères propres aux pros-
tituées : absence de pudeur féminine; indifTérence plus ou moini mar-
quée pour les rapports sexuels normaux. A noter aussi le parasitisme
social de la prostituée, qui s'explique par ce fait que rénergie sociale
de ]*ètre humain w prend, pour une t^-raiide part, sa source dans h
vie sexuelle ».
Nous voyons» en résumé, que « les difTérences psychiques entre
homme et femme dépendent directement des caractères sexuels j» et
qu'il n'y a pas lieu d'établir de séparation entre les individus porteur»
d'anomalies sexuelles somatiques et les individus porteurs d'anomalie*
sexuelles psychiques. Hermaphrodites et invertis occupent des de^réa
différents d'une même échelle.
M, Kurella termine en exprimant ses inquiétudes au sujet des teiï-
dances présentées par le mouvement féministe actuel. Il résulte de et
mouvement une sorte d'aversion pour Thomme qui porte la îtiumt a
chercher la satisfaction de ses ^appétits sexuels avec des individus de
son sexe, et qui constitue un vrai danger social. Ces eramtcs sont
peut-être un peu exagérées. Les chefs du mouvement féministe cunî-
prendront vraisemblablement que, si dans beaucoup de circonstances,
la femme peut suppléer rhomme^ il en est cep€;ndaiit où la présenié
et la coopération de ce dernier sont nécessaiff^s*
Le travail précédemment analysé de M. Oppenheimer nous a mmité
que, pour cet auteur, Fattention est un phénomène se rattachani étrcii-
tement à la sensibilité puisqu'il constitue un degré iiiféneurileréaiO'
tion et ne s'en distingue que par rintensité. L'attention et tom lu
phénomènes dans la production desquels elle intervient, tels qm ii
représentation t sont ainsi dépendants de la sensibilité et par lltitemè-
dialre de celle-ci de nos fonctions organiques. 11 serait donc intère*-
sant d'étudier en détail les rapports de la représentation et des graadei
fonctions vitales. M. Giessîei" a cherché à résoudre une partie du pra*
blcme dans un travail où d étudie raction de Tacte respiratoire sur li
représentation,
La respiration exerce, nous dit-il, sur Torganisme une action indi-
recte par Hntcrmédiaire de la circulation; celle-eî est d'autre (»;irt
étroitement liée à Factivité des fonctions oérébralas. Il o : ' a'
logique d'étudier rintluence exercée sur les fonctions tn. -«
par Vactivité psychique et réciproquement. L'auteur se prupyse dtr
traiter une partie du problème en examinant les rapports existart:
entre le « mouvement représentatif « (Vorsteîlungsbewegung) et U
fonction respiratoire.
Son travail peut être divisé en deux parties : la première eat ron-
saorée à l'étude de quelques points de psychologie et constitue un*
sorte d'introduction à la seconde, qui comprend Texposé des résultais
expérimentaux et leur interprétation.
REVUE GÉNÉRALE >—ÎH4VAUX RÉCENTS SUR LES SENSATIO?*S 1:TTERNES 645
Tout mouvement représentatif nécessite la mise en jou de deux
activités : l" Vactivité objectivante; 2^ lactivité organisatrice, La pre-
mière donne au s: perceptions qui Kont h la base du mouvement repré-
sentatif le deg^ré d^objeetivité voulu. La seconde clierche à établir un
certain degré d'harmonie entre ïes propriétés perçues, qu'elles le soient
directement par les sens ou qu^elles soient évoquées par Teaprit*
A l'état normal, « racttvité objectivante est dirigée par raotivlté
organisatrice, la première est subordonnée à la seconde »,
Quand elles atteignent leur maiimum, ces deux activités sont dési-
gnées sous les noms û'atlejUion et d'aperceplion.
On peut donc définir Tattention : l'elTort vers la plus grande objecli*
vation possible d'un mouvement représentatif, et Taperception ;
Torganisation d'un mouvement représentatif résultant de Tassociation
des dilTérenles propriétés entre elles et de révocation du plus grand
nombre possible de représentations voisines et semblables appartenant
à un même groupe.
L'évolution d'une représentation se divise en deux périodes : Tune
sensorielle, l'autre représentîUive.
l/aperception produit, concurremment avec l'attention, pendant ta
première période, une augmentation de clarté, pendant la seconde
une au^^mentation de ne/k*£é;ces deux mots étant pris dans le sens
que leur donnait Wundt : la clarté se rapporte à la représentation elle-
même, la netteté a trait à ses rapports avec les autres représentations.
Si Ton désigne, toujours avec Wundt, sous le nom d'excitatîon-
signal (sîgnalreiz) Texcitation qui met en jeu Tattention, on voit que
l'on peut distinguer, suivant l'unité ou la multipticité de l'excitation^
deux sortes d'attention : l'attention concentrée et Tattention divisée.
Nous avons affaire à la seconde, si pendant que notre conscience
est occupée par un événement venu du monde extérieur ou emprunté
à nos souvenirs (pri maires Aufmerksarakeitssignal), une nouvelle exci-
tation l*envahit (Sekundares A. s-). U va de soi que le mode de répar-
tition de rénergie psychique varie, suivant que Ton a affaire à ratten^
tion concentrée ou à Tattention divisée.
Ces dotmées une fois établies, M, Giessler aborde le sujet mi^mc de
son étude, à savoir « rinfluence de la respiration sur l'activité repré-
sentative u, c'est-à-dire, d'après ce que nous venons de voir, t Tin-
tluence de la respiration sur l'attention et sur Ta perception ».
Dans une série d*expériences faites sur lui-même et contrôlées sur
un certain nombre de sujets, Lehmann a établi la manière dont se
comporte l'attention aux différentes phases de Facte respiratoire. Dans
toutes ses expériences Tobjet sur lequel Tattention est tixée est
unique et constitué par une excitation sensorielle, soit optique^ soit
acoustique, soit tactile. Comme excitation optiquCj Lelimann emploie
un carré blanc placé sur fond noir et soumis à un éclairage constant;
comme excitation acoustique, le siftlement produit par un brûleur
Bunsen auquel la gaz arrive avec une pression constante; comme
646
BEVUE PHILOSOPHIQUE
excitalion tactile en fia les vibrations produites par une machine d'iu-
duction dont Tinterrupteur vibre avec une rapidité Etiffisaate pour
produire une sensation d'un caractère presque continu.
Deux appareils inscripieurs de Marey sont placés sur la même ligne
verticale, le long du cylindre tournant d'un kyinographion, ^itué lui-
même dans une pièce sutrisatnmenE éloignée de celle où se fait Texpe*
rience. pour que le bruit de rinstrument ne vienne pas distraire le
sujet. Ces deux appareils inscripteurs sont reliés Tun à un pneumo-
graphe appliqué sur la poitrine du sujet» lautre à une poire en caout-
chouc que le sujet tient dans sa main et sur laquelle il exerce une
pression plus ou moins forte, suivant le plus ou moins d'intensité que
prend la perception. Il est facile de comprendre que le cylindre étant
rais en marche les mouvements respiratoires et la marche de l'attemion
sHnscnront sous forme de deux lignes, qu*il sulFira de comparer entre
elles pour voir les rapports existant entre les deux phénomènes.
Far ce procédé Lehman n a pu établir que pendant une période res-
piratoire, Tattention présente deux maxima d'intensité ; Tun pendant
rinspiration à une petite distance du point culminant de la courbe
respiratoire; l'autre pendant l'expiration, plus éloigné que le premier
du point culminant. Le sommet même de la courbe correspond à
un jyunimum.
Les T?^a;vuïîa sont situés au voisinage du sommet de la courbe, parce
que, à ce moment, la pression sanguine est plus élevée et tavonse le
travail psychique. Au sommet lui-même correspond un minimum
parce que llnnen'ation des muscles respiratoires absorbe alors la
presque totalité de Ténergie nerveuse.
Apres avo^r ainsi résumé les travaux de Lebmann» M« Giesiter
expose ses propres travaux et les résultats auxquels il a été conduit
Au lieu d*employer comme Lehmunn pour lixer Tattention unique*
ment des perceptions simples, il a utilisé des perceptions telles qu'on
les rencontre dans la vie couiante* c'est-à-dire tantôt simples, tanl^H
complexes. Il renonce à Temploi d' » appareils psychométriques n et
se contente de Tauto-observation pratiquée soit chez lui-même, bûïI
chez d'autres sujets, qu'il a spécialement exercés dans ce but.
Nous devons reconnaître que ce n'est pas là un progrès, car les
résukats fournis par rauto-observation ne sont jamais comparabïe§,
comme précision, h ceux que noua donnent les appareils inscripteurs.
Voici les résultats obtenus par cette méthode ;
\^ Au seuil de l'attenlion, il se produit une inhibition de raclivité
respiratoire;
t^ L'attention concentrée est liée à une respiration profonde el
lente; rattention divisée au contraire à urie respiration superticielle
et accélérée;
3** L'inspiration produit de préférence une augmentation de clarté»
Texpi ration une augmentatioîi de netteté de la représentation.
Tels sont les faits; voyons maintenant comment on peut les expli-
I
REVUE GÉNÉRALE, — TRAVAUX ttl^XENTS SLR LRS SENSATIONS INTER?IES 647
quer. L'acte de l'attention ayant comme coiiâéquence, ainsi que Wundt
Ta montré pour tout phénomène neura-dyuarnique, un accroissement
de Taftlux sansruiu vers les centres cérébraux, il en résulte une aug-
mentation de [a. pression sanguiîie qui pourrait devenir un danger et
contre laquelle lorganiame doit lutter. Or, d'après Français Frau^k, le
spasme des vaisseaux pulmonaires constitue une condition favorable
pour combattre cet excès do pression.
Donc TarrôL de la respiration agit comme antagoniste de Tafllux
eangaiii qui se produit vers le cerveau au début de ^attention, it Les
conséquences psychologiques de ces processus physiologiques (aUlux
sanguin, arrôt de la respiration) sont, suivapt les eircons tances, an
degré plus ou moins marqué de trouble passager (Veruirrung) de la
conscience, joint à un degré correspondant d'excitation atTective... »
L'acte de l'attention proprement dite commence seulement quand ce
trouble momentané s'est dissipé.
Dans l'attention diviséei les phéDomènes se produisent avec une
intensité moindre.
Puis, sous rinfluence de la volonté, TinhiLition cesse, la respiration
se régularise et racte de l'attention proprement dite commence. Le
début coïncide an général avec le début d'une inspiration. Dn effet,
celle-ci est liée à une innervation énergique et conHcionte des muscles
respiratoires, ce qui favorise l'acte de rattention.
La physiologie nous apprend d autre part :
i" Qu'au moment de llnspiration. la contraction cardiaque chasse
plus de sang- dans les artères qu^au moment de respiration;
2** Que la pression sanguine, dont le minimum coïncide avec le com-
mencement de rinspiration, va en augmentant et atteint son maximum
au commencement de Texpiratian;
3** Que llnspiration est liée h un© vaso-ûonstriotion, Texpiration â
une vaso-dilataLion ^Binet et t^ollier).
Nous devons dojic conclure, d'après M» Giossler, que pendant toute la
durée de l'inspiration, Tirrigation des territoires cérébraux en activité
augmente progressivement d'intensité. D'autre part, la vaso-constric-
tion q u î existe pendant Tinspiration empêche la dissémi nati on du cou rant
sanguin dans le cerveau, de sorte que des représentations nouvelles
ne sauraient surgir. Il en résulte une augmentation dans la clarté de
la représentation. C'est là le premier maximum de Lehmann» Avec la
vaso-dilatation Tenvahissement de la conscience commence à se manî*
fester. Comme 11 existe au début de Te xpi ration un moment où la
vaso-dilatation est déjà assez marquée ot où la pression est elicore
élevée, de ces deux conditions favorables résulte un second maximum
d^intensité correspondant au deuxième maximum de Lehmann.
Mais tandis que le premier était un maximum de clarté, le deuxième
ûik à la foule des représentations associées est un maximum de netteté*
L'auteur considère également comme un facteur de haute importance
pour l'obtention de la netteté m^xima dans une représentation, le
648 nEVUE PHILOSOPHIQUE
déploiement de force musculaire qui est la conséquence de la respi-
ration forcée.
Les sensations de tension musculaire plus grande augmentent l'in-
tensité du phénomène psychique.
l'^nfin étant donnée Timportance qui d'après Bernhardt s attache aux
mouvements respiratoires dans la formation du moi, il y a lieu de
penser qu'une respiration plus profonde, produisant des sensations
respiratoires plus intenses, sert à produire un certain degré de concen-
tration psychique et une adhérence plus grande de la représentation
au oomplexus qui constitue le moi.
Nous avons vu que, en général, la partie active du processus de l'at-
tention coïncide avec le début d'une inspiration. Il peut quelquefois se
montrer au cours de la période respiratoire. Dans ce cas« nous nous
bi^rnons à ralentir notre respiration, que nous soyons en inspiration
ou on oxpiration.
Tandis que dans l'attention concentrée la respiration est profonde et
ralentie, elle est superficielle dans l'attention divisée. La vaso-constric-
tion et Taftlux sanguin qui auraient pour conséquence l'irrigation plus
active ifun territoire cérébral à l'exclusion d'autres sont ainsi évites,
de sorte que deux perceptions peuvent occuper en même temps la
eonsoienoe. Quaiit à raccêlêration qui se manifeste dans Tattention
divisée, elle résulte d*un état affectif particulier. Celui-ci est lui-même
la conséquence de l'effort nécessaire pour maintenir au même degré
d'iut ensilé les deux perceptions sur lesquelles porte en même temps
l'attention.
v^uelques fans qu'il est facile d'observer dans la vie courante viennent
oorrv^bort*r les r^^suhats ob:enus par ces expériences.
Auîsi lorsque nous av.^ns besoin de clarté, par exemple pour évoquer
un souvetv.r ^vnius. r.ous accer.iuons l'inspiration. Si au contraire il
nous ùus u:ie .\s;?ooiA:;or. ciiee* actives, par exemple pendant Taudition
Kî*'.;:; d.>oo;;rs. r.ous lAiscr^s TexpirAtioa plus longue et plus complète.
l.ch:va:::î :a:: or.vvre re=: arquer que les enfants respirant par la
lvu>*he ".Ixe:-.: i.:r.o.'.e:cer.; leur aitention. C'est que l'acte de la respi-
rAî:o*. îrv^:" v^-r.^rU'. Ar^:r">f i lui seul une trop grande quantité
à 'c r. e r ^ : e :*. e r v e use
',\i:*.s u" au:>î orvire ù liées. M. MxrTirkie'w-icz nous apporte un tra-
\.i'. îrvs o.-.vrle: ?: :S:s d.vur:er.:e sur le langage des gestes. Bien
v;,:,* xv;^r c.uie s;fui.:; s -cjirtcr u- peu de =o:re sujet, elle s y rat-
î .; .' ^ .* K- 0 .V :*. .•.a:*. : ;: :r: . : :r — ? .-. : par c^r rcx: is o : ;ê*. La sensibilité inter-
\.,*.; .•:*. ;r.Tc; ûius .1?:;^ f. 'uie ùî lonixre, noiamaien: la sensibilité
'. s' s s*l :*..-f:*s i,v 7- •.?-.: se us !•£ u:ci i* « anisaie • tous les troubles
ïv :'.A -: sur .■* jL-r^i^' i^:? ç-^i^ ruU 5a^:*se de l'expression tûIod-
tA T\* .-.os .i;s:> A» •_•:.>-.-. i. r: : ut^zi^^i:*, :u qu*;! s'jLpsse au coniraire
^i,' V. uxvr/.'ii .-^^ ,-v "i\*:? -.-w^-crk.?-* suisis;*^: une êr&otion. SeidO
I
REVUE GÉNÉRALE.— TRAVAUX RÉCENTS SUR LES SENSATlOfîS INTERNES 649
M. Mazurkiewicz, cette con fusion est regrettable, car les mouvements
réiîexes et les gestes volontaires, s*iÎ3 ont une commune orij^itie, sont
aujourd'hui tellement différenciés» quUl est impossible de les com-
prendre dans une même description.
Chez certains aphasiquest étudiés au moyen d'une méthode très
ingénieuse, que nous ref^rettons de no pouvoir reproduire ici, lauteur
a noté une impossibilité plus ou moins marquée d^exprimer les idées
par gestes {Geberdùnapkasie}. Il n'existait chez ces malades aucun
trouble des expressions réflexes des sentiments. Ces derniers ne se
rencontrent qu'associés à des troubles de tous les mouvements auto-
niatiquL'S (lésions des couches optiques).
Le laoï^age des gestes doit être considéré comme une des formes
primitives du langage, il est l'équivalent de la parole onomatopoiétique
et de récriture en tableaux. C«tte forme de langage, qui n'est qu'un
accessoire chez un homme normal, conserve chez un sourd-muet une
place de première impor lance. On conçoit, en effet, que chez le sourd-
muet illettré, Timage motrice ou optique représentant le geste, soit la
seule forme de pensée possible. Un individu à la fois sourd-muet et
aveugle, comme Laura Bridgman, ne pourra même penser qu'à Taide
d'images motrices.
Chez rhomme normal, le centre cortical du langages des gestes
paraît être plus ou moins fusionné avec le centre du langage articulé.
Il est, par conséquent, unilatéral, et une lésion d'un seul hémisphère
(de l'hémiaphère gauche daos rimmense majorité des cas) suflira à
déterminer une aphasie bilatérale en quelque sorte, c>st-à-dire que le
malade ne pourra s'exprimer par gestes ni avec le bras droitt ni avec
le bras gauche. C'est d'ailleurs ce que démontre Tobservation clinique.
Ce centre est au contraire bilatéral chez le sourd-muet. Il résulte
en effet d'une observation de Grasset, qu'un sourd^mueti présentant
un certain degré de parésie droite, mai*{ capable cependant d'exécuter
avec la main droite la plupart des mouvements commandés et spon-
tanés, était dans rimpossibilité de » parler » avec cette main^ tandis
qu'il y parvenait parfaiLement avec la main gauche. La rareté des
observations de ce genre s'explique par ce fait, que la paralysie motrice
véritable masque le plus souvent Taphasie des gestes du côté paralysé.
Ce travail présente encore plusieurs eûtes intéressants, notamment
au sujet de la valeur clinique de l'aphasie des gestes; neus noua bor-
nerons à les mentionner ici faute de place et à conseiUer la lecture di^
mémoire in extenso.
J. D£ FuasAG,
i
NOTES ET DOCUMENTS
A PROPOS DU PARI DE PASCAL
Dans un des derniers numéros de la Revue philosophique *, nous
avons, M. Dugas et moi, publié en collaboration un article sur < le
pari de Pascal d, et notre étude nous a conduits à cette conclusion,
que, si l'on admet la possibilité du bonheur terrestre, le célèbre
argument est dépourvu de toute valeur logique. Quelques lecteurs,
tout en faisant à notre réfutation l'honneur d'une appréciation bien-
veillante, nous ont exprimé leur étonnement que nous n'ayons pas
cru devoir mentionner celle de Laplace. Comme ma part de collabo-
ration à l'article récemment publié consiste dans le paragraphe III,
qui contient le commentaire littéral et la critique logique du c pan i,
ce reproche me touche directement, et je vais essayer d'y répondre.
Dans son Essai philosophique sur les probabilités^ Laplace, après
avoir examiné d'une manière générale la Probabilité des témoigvages,
aborde la question soulevée par Pascal, et la traite comme une appli-
cation de la précédente. « Ici se présente naturellement, dit-il, U
discussion d'un argument fameux de Pascal... Des témoins attestent
qu'ils tiennent de la Divinité même, qu'en se conformant à telle
chose, on jouira, non pas d'une ou de deux, mais d'une infioité de
vies heureuses. Quelque faible que soit la probabilité des témoi-
gnages, pourvu qu'elle ne soit pas infiniment petite, il est clair que
•l'avantage de ceux qui se conforment à la chose prescrite estinûni,
puisqu'il est le produit de cette probabilité par un bien infini -; on
ne doit donc point balancer à se procurer cet avantage. > Tout
dépend, on le voit, suivant Laplace, de la valeur qu'il convient d'at-
tribuer à la probabilité des témoignages, et c'est par là qu'il s'efforce
de réfuter le paradoxe ; il observe à cet effet que c si les témoins
trompent, ils ont le plus grand intérêt, pour accréditer leur men-
songe, à promettre une éternité de bonheur », et il en déduit, par
{. Septembre iOOO.
2. Dans la théorie des probabilités, on nomme avantage ou espérancf malhi-
matique le produit du gain espéré par la probabilité de l'obtenir.
HiauiER. — A moms ou pari de pascal 63i
des considérations Urées de Panai yse des probabilités^ que la valeur
en question est infiniment petite; « en la multipliant par le nombre
infini de vies heureuses promises» T infini disparaît du produit qui
exprime Tavantage résultant de cette promesse, ce qui détruit TargU"
ment de Pascal ».
Ainsi, Laplace, bien qu'il rejette les conclusions de Pascal, se croit
obligé, pour les réfuter, d'établir qoe la probabilité des témoignages
est nulle; mais, si cette probabilité n*6tait pas infiniment petite, sij
par exemple, elle avait pour valeur;^, ou, ce qui revient au même,
si, comme le suppose Pascal, le joueur qui « prend croix » courait
des risques égaux de gain et de perte, Laplace, à en juger par le
texte cité plus haut, serait porté à considérer l'argument comme
valable. Telle n'est pas ma manière de voir, et, dans le para-
graphe m de notre étude, auquel je prie le lecteur de vouloir bien
se reporter, je me suis précisément elîorcé d'élablir qu'en adop-
tant, comme Pascal, la valeur ^ pour la probabilité du gain ou des
témoignages, le raisonnement institué par Tauteur des Pensées
û^aboutit légitimement à la conclusion formulée que dans le cas où
le joueur est absolument détaché des biens de la vie. Dans le cas
contraire, on aura beau faire valoir que Vespérance mathématique du
joueur est infinie, comme égale au produit d'un gain infini par la
i
probabilité ^^ il me parait inadmissible qu'à propos d*uae décision
où la vie entière se trouve engagée, cette considération tout artifi-
cielle de produit infini impose à celui qui recherche son intérêt un
choix déterminé : je ne puis voir dans un semblable argument»
appliqué à une semblable question, qu'une jonglerie vide et stérile.
Gh. RlQUIER,
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
I. — Philosophie générale
Léon BrunschTicg. — Introduction a la vie de l'esprit, 1 vol.
in-i8 de la Bibliothèque de philosophie contemporaine ^ 176 pages.
Paris, F. Alcan, 1900.
Dans un avertissement placé en tète du volume, M. Bninschvicg
nous indique une conception de la philosophie dont il s*e8t inspiré
pour récrire. « La philosophie, dit-il, n*a plus la prétention de dépasser
ou de supplanter la science; elle refuse de s*égarer volontairemeDt
dans l'imagination de Tinconnaissable; elle est la réflexion méthodique
de l'esprit sur lui-môme. La vérification en est indépendante de rini-
tialion dialectique ou de l'érudition historique; elle ne réclame que le
témoignage intérieur de Tètre pensant, et, au besoin, elle crée elle-
même ce témoignage en donnant à l'être conscience de sa vie spiri-
tuelle. La philosophie ainsi conçue, est accessible à toute personne
qui y apporte une attention libre de préjugés... » Partant de là, lauteur
étudie successivement la vie consciente en général, puis la vie scien-
tifique, la vie esthétique, la vie morale et la vie religieuse.
Je ne puis guère étudier ni même exposer avec détails, ici,. toutes
les idées émises par M. Brunschvicg, il me faut indiquer seulement
quelques-unes d'entre elles. Voici par exemple l'opposition de la science
et de la philosophie, de l'analyse de la conscience. Le monde nous
apparaît au premier coup d'œil comme un ensemble de mouvements.
Mais parmi les actions et réactions innombrables qui se produisent
dans l'univers, il en est qui se dérobent à la science; ce sont les actions
et réactions compliquées qui se produisent chez les êtres vivants.
Si j'adresse une question à mon voisin, qui me répond, on suit bien lei>
vibrations qui arrivent à ses oreilles et celles qui partent de ses
organes vocaux. Mais « entre ces deux mouvements la science devine
qu'il y a des intermédiaires; elle sait même où il convient de les cher-
(îlinr, elle connaît l'existence du cerveau; elle la divisé en régions;
récemment elle a saisi les éléments des tissus qui le composent. Mais
la science s'arrête là; elle ignore tout à fait le mode du transport qui
«loit 80 faire de cellule à cellule, de région à région; elle nest pas
capable de distinguer la modification centrale qui correspond à li
réponHO positive et celle qui correspond à la réponse négative. L'acti-
vité propre du cerveau est pour elle — dans son étal actuel — un
mystère absolu.
ANALYSES, — BRU?fscflVïnc. Introduction à la vie de V esprit 6S3
« Mais voici un fait remarquable : de cette activité qui échappe à la
science, nous sommes immédiatement avertis par un procédé différent
du procédé scientifique.** ce qui dans Tordre de la science est le pîus
loin de nous, ce qui apparaît aujourd'hui comme devant longtemps
encore demeurer inaccessible, est en même temps, si on Taborde par
un autre biais, ce qu'il y a de plus rapproché^ ce qui mi à chaque
instant mis en notre possession. Dans la vie normale, toutes nos
actions sont accompagnées d'un sentiment intérieur qui nous en fait
connaître les circonstances, les raisons et les moyens; ce sentiment
intérieur parle là où la science se tait. Et ainsi, du sein de la science
positive, et justifié par elle, surj^àt l'appel au sentiment intérieur, à qui
il appartient de révéler et d'éclairer certains modes d'action et de réac-
tion différents des actions et des réactions d'ordre physique, et qui
établit comme une réalité incontestable la vie de T esprit, j»
A ce point de vue, la vie spirituelle est un fragment de la vie uni-
verselle. Mais ce point de vue n'est pas délinitif. En efTet si nous nous
connaissons comme esprit, nous savons que Faflirmation de Texistence
est un acte spirituel, et que nous ne pouvons nous prononcer sur
Funivers qu'autant qu'il est la représentation de l'esprit. L'univers ne
nous est donné que sous forme d'états internes, sensations ou images,
qui constituent une partie des idées qui sont dans l'esprit. Mats alors
c'est Tesprit lui-même qui représente la totalité des choses; et c'est
Tunivers qui n'est plus, à son tour, qu'un fragment détaché dans l'en
semble de la représentation. Il n'y a en somme qu'un monde, le monde
de la conscience.
On voit alors quel est le but de ta science et vers quoi tendent les
efforts des savants* Il ne s'agit pas pour eux d'arriver à une connais
sance plus profonde de l'univers, d'atteindre Tessence des choses
D'où !e savant pourrait-iï tirer une telle connaissance? i< Tout ce que
les choses nous livrent d'elles-mêmes, tout ce qui peut servir à connaître
le dehors, tout cela nous est donné dans le chaos des sensations pri-
mitives. Dès lors tout Feffort que fait l'esprit pour organiser ce chaos
ne peut rien ajouter ni en étendue, ni en profondeur à Tensemble des
données sensibles. »
Je ne sais trop si avec de pareilles idées M. Brun&ohvicg reste tout
à fait fidèle à ce qu'il nous dit, dans son avertissement, de la philoso*
phie qui « n'a plus la prétention de dépasser ou de supplanter la
science. » 11 me semble bien que la philosophie ainsi conçue dépasse et
supplante à la fois la science. Sans doute on peut concevoir que la
philosophie et la science ont ainsi leur domaine distinct et que, en ce
sens^ chacune reste chez elle; seulement il n'est pas douteux que, à ce
point de vue, la philosophie ne dépasse la science et même ne la sup-
plante en tant que moyen d'explication et de représentation du monde,
, puisque le monde se ramène à l'esprit qui est t'objet de la philosophie»
qu'il n'en est qu'une partie, puisque tandis que la science n'étudie,
, somme, qu'une partie des données de l'esprit dont elle ne pénètre
y
684 REVUE PHILOSOPHIQUE
pas Tessence, la philosophie contemple les sortes de choses en soi, des
états intérieurs qui sont t immédiatement donnés dans la conscience >.
Il y aurait à discuter longuement du reste, en dehors de cette ques-
tion, sur la distinction établie par lauteur entre la philosophie et la
science. On ne voit pas bien tout d*abord pourquoi la science et la
philosophie s'opposent si nettement, pourquoi par exemple les phéno-
mènes qui nous sont connus par le sens intime et qui correspondent à
des phénomènes de mouvement que la physiologie ne peut connaître,
ou n*a pu découvrir encore sans qu'il y ait raison de croire à une
impossibilité absolue, on ne voit pas, dis-je, pourquoi ces phénomènes
ne pourraient pas aussi faire Tobjet d'une science, pourquoi le sens
intime ne serait pas, lui aussi, un instrument scientifique. Qu'arrive-
rait-il donc si la science arrivait à découvrir les vibrations qui corres-
pondent aux faits de conscience? Aurions-nous un ensemble de phé-
nomènes qui rentreraient ou sortiraient de leur domaine, avec leurs
lois, selon l'instrument avec lequel nous les serions observés?
Et d autre part, rien ne nous démontre non plus que la certitude
acquise au moyen du sens intime soit supérieure aux autres. Il se
pourrait fort bien que les données du sens intime, pas plus que les
autres sensations ne nous fassent connaître Tessence des choses et que
la raison en travaillant sur ces données n^arrivc qu^à construire un
système régulier d'apparences absolument analogue, à tous les points
de vue. à celui qu'elle construit avec les senâations visuelles ou tactiles.
M. Brunschvicg, du moins, ne me paraît nullement avoir démontré
qu'il ne puisse en être ainsi : il a exposé ses idées sans prévoir explici-
tement les objections. Evidemment l'exposition en est plus rapide,
elle en est plus airrôahle sans doute, et elle serait sans inconvénients si
lo système répondait implicitement aux objections, mais c'est ce qui, à
mon avis, ne s'est pas produit.
v^n pourrait donc prendre les thèses opposées à celles de M. Brunsch-
vioir. et arriver logiquement à une conception systématique toute
dilTèronte des rapports de la science et de la philosophie. La philo-
sophie apparaîtrait alors comme une sorte de science de la science,
une explication du monde à laide de lois générales abstraites emprun-
tées à tous ies ordres de faits. ^ ette philosophie, qui ressemblerait à
oert,^ins êirards à ce que l'on a appelé, de notre temps, la philosophie
soiontitïque. en diiYêrorait à mon avis à plusieurs égards et d'une
mair.èro assez irniHirunte. Le raisonnement pur, Tanalyse abstraite,
y îîo:uira:o!ît une pl,u*e bien plus consîdérabic que celle qu'on leur a
\oulu i:ôncralenîe:it aoov^rder. Mais je ne puis songer ici à rendre vrai*
souibu^bîo, n: r.^^n^e à exposer cette conception.
.\u r\^s:o, ces; le crand défaut du livre de M. Brunschvicg, à mon
AVIS» d'afùrmer beaucoup plus qu'il ne prouTe. Des assertions J
alvr.dont qui paraissea: sinculiè rement has;ardees et qui auraient
boso*.:\ vie preuves, e: parfois aussi d'éclaircissements. Je vois, par
exor.u'Io. que « o'e;^t r<ar hasjkrd. ou du moins sans qu'il y ait à cela
ANALYSES. — liHUNSCBViCG. /ntroduiiiîon â la vie de f esprit 6^d
aucune nécesaité, que Ja circulation spontanée dea images permet cet
équilibre de l'esprit avec les choses du dehors, » Il y a là des aJTirma-
tiona de philosophie psychologique très contestables et qui ne sont
même pas suffisamment mises en lumière. On peut Irus bien soutenir,
à l'invLTse de lauteur, que les lois générales de rorganisation, l'évo-
lution, rintluence des milieux sociaux ou autres, la sclection naturelle
des êtres et des éléments des èlres {spécialement des images et des
idées) ont dû au contraire tendre à établir un rapport étroit entre la
combinaison des images et les nécessités de la vie. D'autres raisons
expliquent que cet équilibre ne soit point parfait et montrent comment
la pensée réfléchie peut aider à rétablir sans s'opposer — au point de
vue de la psychoîoifie générale — à la pensée spontanée. Mais je ne
vois pas ce qui noua donne le droit dépenser qu'il n'y a naturellenient
aucune harmonie probable entre la circulation spontanée des images
et l'équilibre de l'esprit et de son milieu-
Je vois de même plus loin : « La vérité n*eat point par rapport à Tes-
prit comme une chose immuable par rapport à une autre chose
immuable. Elle est une vie, la vie même de l'esprit. Ainsi, en même
lemps que la vérité nuit et croit, l'esprit par qui elle nait et elle i^roît
se développe et se fortifie; car Teaprit n*est pas, lui non plus; quelque
chose d'achevé, dHmmuable et de fixe* » Je pense qu'il ne faut pas
confondre ici la vérité avec la réalité concrète, il serait trop simple de
dire que la réalité change* Il faut sans doute entendre que la vérité
est un rapport de TespHt et de la réalité, et que la réalité étant esprit,
c'est donc l'esprit qui fait la vérité. El ici bien des difficultés se pré-
sentent, car il se pourrait bien que la vérité, môme en ce cas, sans
exister en dehors de toute» activité mentale^ si nous supposons qu^il
n'y a, au fond^ dans le monde, que de Tactivité mentale, soit, pour
une bonne part, indépendante de fesprit de chacun de nous, pris
individuellement, et même indépendante des croyances de tous les
esprits, car û se pourrait que tous les esprits se trompassent sur leur
nature et sur leurs propres opérations* Il ne serait peut^ôtre pas juste
alors de dire que la vérité naît et croît par fesprit, ou du moins cela
demanderait des explications assena minutieuses, et le sens de fidéa-
lisme en serait peut-être transformé, J*aurais beaucoup de remarques
analogues a fairet à propos par exemple » du jugement et de la percep-
tion (p. 57), de rémotion esthétique et de fart {p. 21 et lO'^ilO), de la
liberté (p. i23 et 144) et de la religion (p. 150-157 et p. 174.)
Toutes mes ré*?erves, mes doutes ou mes critiques ne m'empêchent
pas d'être d'accord avec M* Brunschvicg sur plusieurs points, même
importants, ni surtout de reconnaître le talent dont il a fait preuve.
Il manie bien les idées abstraites et 11 a écrit une série d'études inté-
ressantes. Peut-être ai -je cherché dans son livre ce qu'il n'a pas été
dans son intention d'y mettre. li a moins exposé un système qu'il n'a
écrit une série dé « méditations » àTusago des gens qui aiment à réflé-
chir et à jouer »vec les idées. S'il ne doit pas toujours convaincre, U
m» REVOE PiULQSOPHtQUK
peut toujours intéresser et exciter h la réflexion, et Ton a protit à lire
un livre qui fait penser et qui est écrit dans un style bien approprié
au sujet, généralement clair et simple, et souvent ingénieux,
Fr, Paulman*
A. Despaux,— Genèse de la matikrk et he L*ÈNBBG]B.Iti-8« Paris,
Alcan.
Le livre de M. Despaux présente un réel intérêt; c'est plus qu'un
résumé des théories actuellement admises sur la constitution de b
matière, de Ténergie^ de Tu ni vers. M. Despaux a essayé de donner de
la gravitation, de la cohésion, de Tanin ité, bref de toutes les forces
qui ne se rattachent pas directement à des mouvements vibratoires,
une explication qui semble nouvelle, et qui rend compte des phéno-
mènes autant qu*une théorie peut en rendre compte, c est-à-dire qu'elle
établit entre eux un lien loî4ique aaisissable pour l'imagination.
Cette explication elle-même repose presque entièrement par voie
d'analogte, sur la théorie cinétique des gaz. Uien que s'attaquant à
des problèmes d'apparence insoluble et invéritiable, comme la cons-
titution des molécules et des atomes, la théorie cinétique des gaz
est une des mieux établies, une de celles qui s'étayent sur le plus
de véritications expérimentales. Elle consiste^ comme on sait, àsup*
poser que les molécules gazeuses sont animées de vitesse très con*
sidérables {de 500 à 1 BOO mètres par seconde à 0^ pour Tair et Thy*
drogène). Imaginer un essaim de mouches ou d'abeilles enfermées
dans une boite, et allant sans cesse se heurter aux parois de leur
prison. De cette série de chocs successifs résulte la pression ou ten-
sion du gaz, pression mesurable au manomètre. La force vive de cette
masse de moléculei en mouvement donne la délinitton de la tempéra-
ture, définition si incomplète et si gauche dans les autres S3^slème5.
Les lois de Mariette, de Charles, d*Avogadro, sur les relations entre
la pression, h\ température» le volume des gtit soumis a raction de
la chaleur, s-expliquent aussi le plus simplement du monde. C'est en
s'appuyant sur cette théorie que Crookes s eu l'idée de sa « matière
radiante w, et des tubes d'où sont sortis les rayons Hœntgen entre
autres. Pour achever Fexposé de la théorie cinétique des gaz, nous
ajouterons que, dans leur course, qu'on a pu calculer exactement, les
molécules non seulement se heurtent aux parois mais se ch<»quent
entre elles, ou du moins sont rapprochées les unes des autres jusqu*au
point où la répulsion mutuelle les arrête. De ces rencontres naissent
des mouvements de rotation dont il a été possible de déterminer k
vitesse et la force vive. Les déductions théoriques ont été confirmées
par les expériences sur la chaleur spécifique des gaz.
Bref, et pour la résumer en quelques mots, la théorie cinétique des
gaz parfaits (éloignés de leur point de liquéfaction) consiste à admettre
"ue ces corps sont composés de molécules animées d'un double mou-
ment de translation et de rotation sur elles-mêmes, mouvementi
¥
^
(1
W
ANALYSES. — MSUAUX- Gemse de la matière et de Véner^ie 657
îiîont la force vive fournit une explication mécanique satiafaisantc
pour un grand nombre de phénomènes.
M. Despaux attribue aux molécules de rhypothétique éther ces
proptiëtéa à peu prhn démontrées des molécules des gaz parfaits, et il
en déduit» par exemple, la théorie de rattraclion de la manière sui-
vante*
Supposons une molt^cule d'éther tournant sur elle-même, et présen-
tant sur son pourtour des aspérités. Si ces aspi^rités sont planes,
perpendiculaires à Taxe de rotation, elles tourneront dans l'cther
comme une roue à palette entièrement plongée dans Feau, e^est- à-dire
quelles ne pourront ni faire avancer, ni faire reculer la molécule,
tout au plus Iri fuire vibrer. Si elles sont gauches, ou inclinées sur
Taxe de rotation, elles agiront h la façon d'une hélice, et. dans de rer-
tiines eonditions, pourront déterminer cîi-s attraclions ou des répul-
sions, la cohésion, ralUnité, ete. Il ne peut entrer dana le plan du
présent compte rendu d'analyser dans leurs détails les théories de
JLDespaux, mais puisque nous écrivons dans la îti^mte philonophlqrte^
il ne sera peut-être pas hors de propos de les étudier du poinl de vue
philosophique^ et iiiême horreaco refereiisl métaphysique.
Que tous les corps, suivant les idi-es de îlelmholtjt et de lord
Kelvin, soient constitués par des tourbillons d*éther, se mouvant dans
de Téther à l'état libre, c'est une hypothèse grandiose que la phdoso
phie et la métaphysique peuvent, je dirai même, doivent accepter. Étant
donné, en effet, que les corps se combinent entre eux, la métaphy-
sique nous dira que ce?^ combinaisons no peuvent avoir Heu que si les
corps, formés par une même .sti6s/aïice, ne diiïèrent entre eu.v que
par des îiccldents lesquels peuvent très bien être des mouvements,
es vitesses, des forces vives* Ainsi, en musique», par exemple, les sons
formé =^ par des vibrations de Tair diffèrent entre eux par la rapidité
de ces vibrations, et peuvent former des combinaisons variées ou
accords*
Mais la théorie elle-même de Téther en général soulève des dilTicultés,
«^ur lesqui^Ls les savants, d'ordinaire, passent trop lég^èrement.
,\u fond réther a été imaginé par analogie avec Tair, I/air a été
ugé inr pondérable jusqu'au moment où TorrieelH a pu faire le vide et
mesurer le poids de 1 atmosphère, Lair est élastique» ses molécules
peuvent fie rapprocher ou s'éloigner, donc le fluide ne forme pas un
ont continu* Gomment expliquer ces actions tidistunce^ ce^ attractions
ou répulsions incontestées entre les molécules gazeuses? Et ici la
phîIoHophie, la métaphysique interviennent encore* Comment un corps
petit ou s_'"randagirail-il à dî<;la7ice, c'est à-dire où il nestpïis'î (??ecchi.)
Un i>en est tiré en recourant à Téther; mais si Télher est lui-même
un lluide élastique, la diniculté n'est que reculée, il faut imaginer des
thers de différents ordres tout aussi élastiques que le premier,
Lo plus simple — et peut-être le plus sage — serait d'avouer qu'on
*y comprend rien, et que Thypothêse de Tcther et do ses vibrations
TOME L. — 1900. 43
658 REVUE PHILOSOPHIQUE
propres a le grand mérite — dont il faut se contenter — de figurer les
phénomènes à notre imagination, de façon qu'elle en puisse suivre la
marche.
Il y a peut-être aussi à faire un nouvel effort que nous nous borne-
rons à indiquer ici.
Comment un corps peut-il acrir là où il n^est pas? A cela l'on peut
répondre, est-il bien sûr quUl n'y liioit pas?
Supposons une pierre jetée dans un bassin, et déterminant dans Teau
des ondes dont Tamplitude varie en raison inverse du carré des dis-
tances. A une certaine distance du point où la pierre a été jetée, nous
ne voyons plus rien, et nous sommes tentés de croire que les ondes
s'arrêtent là. Mais il suffit de munir nos yeux d'appareils grossissants
ou d'employer des instruments très délicats, pour nous assurer qu'à la
distance considérée, l'amplitude de Tonde est simplement descendue
au-dessous de ce que peuvent percevoir nos sens. Les savants, phy-
siciens ou astronomes, oublient trop que, dans ce qu'on appelle les
propriétés d'un corps, il y a deux termes, le corps extérieur à nous,
et la réaction qu'il produit sur notre organisme. A vrai dire nous ne
connaissons que cette réaction, que ce rapport. Quand nous compa-
rons ces différentes réactions nous pouvons conclure à des rapports
existants entre fes corps eux-mêmes, mais notre organisme, nos sen-
sations, interviennent en dénominateur *.
Pour en revenir à l'exemple cité plus haut, les ondes que nous ne
voyons plus, et même qui échapperaient aux appareils les plus per-
fectionnés pourraient très bien donner naissance à des effets méca-
niques.
En suivant cette idée, on pourrait peut-être donner des atomes et
des molécules un concept plus satisfaisant que celui qui consiste à
imaginer, physiquement insécables, des étendues géométriquement
divisibles.
Appelons atome^ par exemple, un centre de vibrations simples dans
l'éther. La notion d'atomicité résulte ici de ce qu'il y a ou il n'y a pas
de vil)rations; il n'y a pas d'intermédiaire possible entre ces deux
états.
Ces vibrations sinusoïdales se propagent indéfiniment, mais nos
oriranes cessent de les percevoir à une certaine distance. Supposez
qu'à ce moment l'amplitude dos vibrations soit augmentée ou, si l'on
veut, qu'on itjoute île la chaleur. Nous percevrons ces vibrations à
Tendroit où, précédemment, nous ne les percevions pas. Supposons
\. Pour (lonrKT une forme inallu;mati(iue à notre pensée, soit A, B. C. des
corj»^ exlériours el a, b. c nos sensations correspondantes. Des rapports -., -, elc-
A C
nous pouvons conrlure à des rapports y-, ^, que l'expérience peut vérifier, et
'|ue nous apixïlleruns les projit'iéfrs de A, H, C, mais il ne faut jamais oublier
«lue ces propriétés sont aussi fondions de a, b, c.
I
ANALYSES. — sACic, Moîiislîsche Goites und Weltanschauung ÔTîS
deux centres de vibrations aimpleâ, deux af ornes? Si les vibrattons ont
des périodes concordantes elles ee combineront de fat;on h former des
niaxîma et minima, centres de vibrations composées que nous appel-
lerons molécules, perceptibles à nos sens en des régions de l*espacc
invariables tant que les atomes ne changent point de place. Nous en
conclurons à l'existence d*nn corps* Si Ion ajoute de la chaleur, si
Ton fait croître VampUlude des vibrations combinées, nous percevrons
le corps là où noua ne 1© percevions pas et nous dirons qu*il se dilate.
Dans ce système sur lequel nous reviendrons peut-être quelque
jour, chaque nlome est caractérisé par le nombre de ses vihraÉions
simples; il n'y peut y avoir de molécule stable qu*à la condition que
les nombres de vibrations des atomes composants soient dans un rap-
port simple et que la différence de phase ne soit pas nulle. Si cette
dernière condition n'est pas remplie, iï y a évolution dans un type
donné, comme dans les figures optiques de Lissajous.
Pour en revenir à Touvrage de M. Despaux, nous croyons contes-
table son hypothèse sur la gravitation, d'abord parce que la masse d'un
corps cesserait d'être une quantité constante, parce que, si Ton pour-
suit l'analogie avec Tair, les mou%ements de rotation variant avec la
ta température, la gravitation varierait aussi avec cet élément. C*est à
rigueur possible, mais cela rk mande démonstration.
Quant à la dernière partie du livre de M. Despaux, Formationet fin
d'un monde, au milieu d' hypothèses ingénieuses nous avons éprouvé
une certaine surprise de ne pas rencontrer celle de Clausius qu'on peut
résumer ainsi. Tout travail suppose entre différents corps une diffé-
rence de température qu'il tend à faire dïï^paraître définitivement.
Quand la température sera partout la même dans un système plané*
taire ou stellaire, la vie et le mouvement auront complètement disparu,
sauf le cas où un choc du dehors viendrait rompre cet équilibre dans
la mort.
Le livre de M. Despaux, dans son ensemble, intéressera les penseurs
et les hommes de science*
Georges Guéroult.
J, Sack. — MoNisTisCHE Gottes und Weltanschauukg, veusuch
ElflEn JQEALISTISCJÏEN BeGRUNDUNG DES MONISMUS AUr UEM BoDKN OEn
WiRKLii:HEn\ — Leipzig, Verlag von Wilheîm Engelmann» 181^9»
, in-8^
<t Ce que noue cherchons ici, dit M. Sack dans son introduction, c^est
[de rendre possible une conception achevée du monisme, motivée au
point de vue logique, et aisément compréhensible, ce qui semble être
un besoin de notre temps* > Cette tiiche qu'il expose et délimite ainsi,
Tauteur Ta remplie on peut dire à la perfection, car il serait difficile
de trouver une théorie monistique de l'univers exposée avec plus de
I clarté, d'unité et d'ampleur p en même temps que sous une forme plus
660
RKVUE philosophique;
aUr»yante et plus facile. Mais il y a plus encore dans Touvrage d<*
M, Sack : c'est toutes ces hypothèses inîrénîeuses à Taide desqueliei U
nous fait pour ainsi dire assister à la genèse tout entière du Coëieos,
depuis la celîuïe jusqu'aux mondes que nous contemplons, depnU le
premier frémissement de la vie jusqu*à la conscience de rhooinie civi-
lisé, jusqu'aux sentiments les plus élevés qui raniment et qu^oo peut
ranger sous les rubriques de reslhétique, de la morale et de la religion*
Surtout dans Tétude de ces trois groupes de faits psychiques» dont il
présent*? avec beaucoup d'élégancfi tout le développement, M* Sack fait
preuve du sens cntique le plus aîlîné, et d'une ti^génlosîté qui sur-
monte toutes les dîlîlcultés sans jamais faire violence au% faits de
rexpérience ni aux lois de la logique. Il faut lire ces différents cha-
pitres; leur valeur est dans les détails et les fines observations; quant
à la théorie même de M. Sack, elle n offre point de complications, et
]*aura[ vite fait de la résumer.
C'est ta conscience de l'homme qui en forme le point de départ, avec
ses trois éléments principaux de la représentation, du sentiment et de
la volonté. La conscience qui existe chez Thomme a des degrés diffé-
rents, existe aussi chez les animaux; elle existe de même chex tes
plantes, comme semblent riudiquer un certain nombre de phénomènes:
le fait, par exemple» qu rlles tournent leurs branches vers le jour et
vers le soleil, les contractions que présentt^nt certaines d'entre elles
quand on les touche; les minéraux même ne sont pas dépourvus d'uae
certaineconsciLince, quoiqu*ils n'en donnent aucun signe exténeur; mais
leur structure interne, k*s tundances qa*ont les molécules à se rassem-
bler, à si> cristalliser suivant certaines formes bien déterminées, tout
cela semble indiquer qu*k la réalisation de ces formes doit être attaché
un certain sentiment de bien-être qui suppose chez le mîDéral un
rudiment de conscience. De nié mu que la conscience se retrouve à tra-
vers toute réch L'Ile des êtres, de mémo elle existe également dans les
organes particuliers^ mais elle y est atténuée et éloufTée par la con-
science du système central qui la recouvre pour ainsi dire et risole,
w Ou il y a mouvement, il y a vie et conscience, o
C'est donc de la conscience dv Thomme, la .seule que nous connais-
sions, qu l'auteur va partir pour étudier, par voie d'analogie, la con-
science universelle, pour essayer de pénétrer dans la conscience du
Cosmos, et sur cette voie il va s'avauccr progressivement, logique-
ment, en évitant toute intrusion de Ti maori nation et du mysticisme. H
n'admet qu'une pensée mystique, et dès le début il le note : c*est â*i
donner le monde spirituel comme fundemi^nt au monde sensible.
La méthode d'analogie qu*ii a choisie lui fait poser maintenant les
deux principes suivants : l'^ Comme lorganisme humain, rorganisme
du Cosmos est Tunîté du divers, et son unité spirituelle. C'est rÈtre-
Tout, la substance universelle qui se difTérencie dan;^ les êtres indivi-
duels; ^1'^ Comme ces derniers» Tètre universel a la conscience
réfle%ive, c'est-à-dîre la conscience de sot, et de ce qui, par 1 interoié-
I ANALYSES. — SACK- Monistuche Gottes nnd Welianschauung 661
diaire des êtres individuels, se passe en lui, il a donc aussi la con-
science téléo logique, c'esE-à-dîre la conscience du but que son activité
poursuit en eux.
Les êtres individuels sont ainsi des émanations, des parties mêmes
de rètre universel, de Dieu, et, comme lui, de nature spirituelle; mais
Vis-à-vis Tun de Vautre, ils s'apparaissent sous une forme concrète
qui leur est propre, sous la forme sensible. Voici que noua allons alors
eonaîdérer la construction du monde tel que nous le percevons, et les
conditions auxquelles nous nous trouvons soumis par notre nature
même d'êtres individuels : c'est le temps, Pespace^ la causalité qui
sont, il est vrai, des formes à priori de notre perception et de notre
connaissance, mais suscitées cependant, évoquées par Texpérience.
5Ï. Sack leur retire par là cette apparence surnaturelle, cette sorte de
vernis mystique qu'elles ont chez le grand philosophe de la critique
i de la raison pure,
^P Dieu donc est le sujet du mouvement et de ractivité que nous voyons
^^se réaliser sans cesse à la surface du monde : il est la force originaire,
la source de tout. De tous ses attributs nous ne lui en connaissons
qu'un seul: la conscience et, comme la n6tre, la conscience de Tôtre
universel se compose des trois éléments, représentation, sentiment,
volonté. La représentation pour lui, c'est l'intuition quil a de tous les
phénomènes qui se passent dans les êtres individuels et qui ne sont
eu%-mémes que Tex pression de sa volontc. Quant à la partie affective
de la conscience divine, ce qui correspondrait ^à nos sentiments, ulle
serait réalisée par les forces de la nature : par là Tauteur entend
toutes les forces, toutes les énergies naturelles qui donnent aux choses
mouvement, forme, qualité en général: aussi hien les forces physiques
que les affinités chimiques, que cette force particulière, cette cohésion
qui maintient entre elles les différentes parties don môme organisme*
En efîet tandis que les lois sont éternellos, immuables, les forces de
la nature se transforment, s'unissent les unes aux autres, portent
^enfin en elles ces caractères de la mobilité^ de Ea sympathie et de Tan-
lipatbie qui les rendent si semblables à ce que sont nos émotions et
lOâ sentiments.
Un a vu que le principe essentiel de l'être, de la conscience cosmo-
|ique réside dans cette antinomio ; « Unité, Diversité* » De cette
mtinomie essentielle, fondement de Dieu et du monde en découlent
rois autres qui vont former les principes de la conception montstique :
fl^ Individualité^ Communauté; 2^ Immobilité. Mouvement; 3*» Attrac-
ion, Uépulâion. Dans ces trois antinomies est contenu tout le déve-
loppement de la nature dont le côté positif est « le mouvement au
loyen de Tattraction pour arrivor à la communauté », et le coté
négatif fl rimmobilité par la répulsion pour conserver Tindivi dualité t*
Foilk les deux buts qu'avec nos Intelligences limitées d'êtres indivi-
luels nous pouvons dégager de Tétudcdes phénomènes de la nature :
pommunauté et individualité. Et c'est en ce développement à double
663
HBVUE PHILOSOPIIIQCE
fâce, en cô para 11 élis me de deujc forces dont Tune est toute de pmgrès,
Tautre toute de résistariee, que consiste la seule notion que noiît
puissions avoir de TÈtre universel^ de sa cen science et de ses tins.
Si i*oii demande maintenant comment on paut comprendre ce déve-
loppement de la nature, qui n'est concevable que dans les relations
de temps, d'espace et de causalité, et qui a pour point de dépari des
êtres individuels identiques avec Dieu, d'essence spirituelle comme
lui et, par conséquent, en dehors de ces relations. Tauteur nous dira
que notre nature même ne nous permet pas de répondre à une ques-
tion de ce genre, mais que, puisqu'il nous faut ainsi renoncer à la con-
naissance du monde des choses en soi, nous devons porter ailteurit
nos regards et notre attention , et^ considérer comme le seul réel le
monde que nous voyons, le monde des phénomènes. Aussi bien c'est
en lui seul que Dieu et le divin se manifestent à nous, et à mesure que
nous Tétudierons selon les voies de la science, que nous arriverons
à dégager et à connaître ses rapports organiques^ ses lois et sa fina-
lité, nous pénétrerons plus profondément dans la conscience univer-
selle, et nous nous rapprocherons davanlage de la substance înOnie
dont nous sommes à la fois 1 cmanation, l'instrument et le but
Alfued Blanche.
Kurd LasswitE. — WmKuruKEiTEN, Beitba¥GE zum Weltvbbs-
TAENDNIS (Berlin, E. Felber, i\m)^
M. LassvvitK publie sous ce titre, Réalités, une âuite d'études remar-
quables, qui sont attachées ensemble par le lien d'une doctrine pré-
cise. Les trois premières forment une aorte d'introduction historique
générale* M. Lasswitz y constate la première grande acquisition d&
Texperience naive, qui fut de chercher la réalité dans la loi des
nombres; il y montre l'accord de notre logique avec les choses»
ii-prittri nécessaire sur lequel se fonde tout le savoir; il signale la
confusion d'abord commise pnir rintroduction des tins propres k
rhomme dans le déterminisme de la nature, considérée cette fois dans
ses changements, jusqu'à Theure décisive où la science n*accepta pîus
en lin que des données physiques dans ses hypothèses; il s^efTorce
ensuite à marquer nettement la distinction du mécanisme^ qui est va
réalité de la nature, et de la liberté, qui est celle de Thomme intérieur-
Comment les concilier toutes les deux? Par quels moyens un mou-
veulent physique devient-il une représentation psychique'^ C'e^t îê
grand problème qu'il appartient désormais a la philosophie de résoudre-
La solution de M. Lasswitz est conforme à la doctrine kantienni^i
dont ce penseur distingué reste un des plus fermes représentant*.
L*objectif et le subjectif, enseigne<t-ilj sont deux ■ systèmes m diverse-
ment déterminés, mais non pas contraires : la lune représentée est
située dans Tespace, aussi bien que la lune t^ue ; elle forme un système
ANALYSES. — LASSWiiz, WirHichhetfen
663
tmc mon corps, voilà toute la différence. Il a'extste que des systèmes
rapports déterminés, auxquels nos corps appfirtiennent comme le
(reste. Ces systèmes sont objet et sujet à la fois; les lois de lu nature
et les? lois de la consciejice sont identiques; le subjectif et l'objeetif ne
se distinguent que dans Taete et par Tactc de connaître. Il ne faut
done pas dire que les choses se résoudraient, dans la doctrine kan-
tienne, en processus psychologiques. L'existence objective s*impo&e^
puisqu'elle détermine les processus subjectifs, lAûrdre des choses
signille les conditvms qui font que les consciences individuelles s'ac-
cordent ensemble. Le matériel de la sensation, d'un coté, le sentiment
spécillque de Tautre, sont en somme un unique fait de conscience :
mais la connaissance leg sépare en deux parties, dont l'une apparaît
sous Tftspect de la « loi », et partant objective, Fautre comme «t vécue »,
contenu subjectif d'une conscience individuelle*
Le cerveau de T homme n*est qu'un appareil ou le mouvement des
molécules, c*e3t-â-dire Tcnergie physique, se transforme en impres-
sion et en sentiment : cela résulte du fait même que cette cnergie, en
tant que telle, ne se dissipe point, mais qu'elle persiste dans les chan-
gement.'^ physiologiques de rorganisme* Le fait de conscience est un
phénomt-'ne concomitant. Il n'importe guère que le contenu de la
■ loi tf Koit Ttivênement objectif ou le sentiment de cet événement dans
un individu. Il n^y a pas, à vrai dire, parallélisme. Il convient au
moins de iie pas tomber dans le malentendu où ce mot peut conduire :
ainsi rhylozoisme, qui place la conscience dans les dernières particules
de la matière, ou dans les cellules; ainsi le monisme de ?^pin02a, ima*
ginant une substance dont retendue et la pensée seraient les attributs.
Dans quel rapport se trouve le phénomène subjectif avec le phéno-
mène objectif? Importante question, qui ghï celle mâmc de la « con-
naissance ^, Le contenu de la conscience personnelle n'est jamais le
contenu du monde; il n'en est qu*un fragment. La toi tlu seuil est
Fexpres^ion ficientiltquc de ce fait, que nous sommes des esprits
limités. La différence entre la nature et nous est une différence
de contenu.
M. Lasswitz» nous Tavons vu^ réserve avec soin ce qu'il appelle la
réalité intérieure de l'homme. Plusieurs chapitres de son ouvrage sont
employés, je ne dirai pas à assurer la liberté, ta personnalité, puisque
le sentiment de la liberté est invincible et que l'homme se comporte»
pratiquement, comme s'il était libre, mais à lever la contradiction qui
apparaît à première vue entre la liberté de Thomme et le mécanisme
de la nature. Il n'y a point de nécessité, fait- il remarquer, à ce qu'il
existe quelque chose comme la raison ou la civilisation, le bien et le
mal, etc, Ces événements révèlent une détermination supérieure, qui
seule I435 lait être, et dont nous avons en noui^-m^mes le sentiment. 81
d'ailleurs Ton veut comprendre comment un même événement naturel
peut servir de moyen pour un but moral etj à la fois, être nécessaire,
force est d*accepter que nos idées correspondent à une détermination
kk
684
HE VUE fHlLQ^OFMiaUi^
qui dépasse b temps et l'espace, cktermi nation en faveur de laquelle
les lois de respace et du temps ont èiù réglées par une souveraine
Intelligence.
Nous voici conduits h la religion et à la morale,
M* Lasswîtz maintient que la morale est indi''pendaoto de la reli-
gion, quoique pourtant elïe prenne vigueur dans une conception reli-
gieuse et s'affaibliîsse dans le scepticisme. Que ÛieUp dit-il, ordonne la
loi Diorale, je le cwisi mais ce que la règle des mœurs commande, }e
le sais. Or, je ne peux imposer la foi. De là. la valeur de la philosophie.
Il faut donc fonder la morale en soi, et justitîer la force du ■ devoir t*
Il s'en tient à la solution de Kant. je veujt dire à la maîtime de Iratler
nos semblables comme des <* iins w.
Si pourtant la religion n'est pas absolument nécessaire au maintien
de la morale, quelle sera sa raison d* exister/ L*humanité se passer
t-elle jamais de religion? M* Lasswitz répond très fermement par]
négative* La religion, selon lui^ a pour fond essentiel un sentiment i
conliance en une puissance infinie, sentiment qui enferme Tidéal la
plus élevé de Thomnie* L'existence de Dieu ne saurait ûtre prouvée
par la voie théorique; mais elle est attestée par notre sentiment pro-
fond d*une rèatité qut^ la nature objective n*épuise point,
La religion, poursuit M. Lasswitx, est bien un sentiment; il est
diflicile, toutefois, que ne s'associent point au sentiment certaines
représentations du rapport de notre moi à Tunivers. On peut choisir
entre une religion ann,^ dogmes et une confession de foi dont les
articles portent le pur caractère religieui. L'un et l'autre parti a ses
avantages. Une reli^rion peut se passer de la croyance en Timmortalité
et même de la croyance en Dieu, car cette dernière a des substituts
possibles. Mais il n'est pas licite d'accepter comme objet de foi quoi
que, ce soît qui porterait atteinte à Tessence de la personne morale-
Les objets de la science et de la foi sont distincts. « On ne peut
croire, disent quelques-uns, qu'à ce que l'on sait, La foi se réfère àde^
raisons subjectives^ la science à des raisons objectives! it Le subjectif,
cependant, est le moyen de toute réalité. Impossible d'écbapper a ce
dualisme : nous sommes à la fois des objets de Ja nature et des per-
sonnes^ des êtres connaissants et des être» voulants et sentants. On ne
saurait écarter la contradiction du monde moral et de la nature que
par la ferme assurance qu'il existe un ordre moral du monde.
Comment Terreur est-elle possible? M* Lasswitz est amené à traiter
ce curieux problème* Sa conclusion est que la vérité est naturelle^
Terreur acquise» contrairement à l'opinion de bien des gens. L'erreur
ne provient pas du raisonnement, puisqu'il obéit <à des lois invariables;
elle provient des matériaux avec lesquels travaille notre raison» car
ces matériaux ne sont pas constants, ils sont incomplets par oubli de
mémoire^ par altérations accidentelles, par déformations dues au carac-
tère individuel, etc.
Suivent des études discursives sur Ir droite et ia Courbet sur Kunt
ANALYSES. — BEHCSON. Lu rim 6155
r e( Schiller, sur les rôoes, enfin sur le mysticisme et nos songes d'Sint^mr.
M. Lass%%'îtz dénie au rôve la signification métaphysique que les mys-
tiques lui doïincut. Il y a, dit-i). un domaine de l'incoimu, de rinexploré»
mais non un domaine du mystique. Le mysticisme ne trouve sa place
(que dans le libre jeti de Timagination.
Je passe vite sur ces derniers chapitres, qui mériteraient pourtant
de nous arrêter. On les lira avec plaisir et profit, comme tous les
aulreB. M. Lasswitz n'est pas seulement philosophe distinguéi mais
écrivain de marque; il sait toujours ôtre clair et intéressant.
Lucien Abbéat.
II, — Psychologie
Heori Bergson. Le iiifiE. Essai t^ur ta signîfîcalion du Coinique.
Paris, Félix AlcaDi inHÛ. un vol in*12 de la Bibliothèque de Philûso^
p h ie Gonlc mp oraine { "2 IJ 'i p . ) .
Il est d'expérience qu'une personne dont les gestes et les attitudes
n'ont rien de risible, peut, par ces attitudes et ces gestes prêter a rire
dès qu'elle les reproduit machinalement dans Tordre où ils se sont
précédemment succédé. Il est également d'expérience que la comédie»
entendons la haute comédie, parait se proposer de corriger les travers
pu les défauts des hommes en provoquant le rire par leur représen-
I tation.
Supposez maintenant qu'on demande à un psychologue de construire
tfiur celte double donnée une théorie générale du rire et qu'il ne recule
1 pas devant cette difticuUé, d'apparenoe insurmontable, comment va>t il
s'y prendre V
Tout d'abord tl cherchera d*où vient le ridicule auquel s'expose une
personne dont les gestes se succèdent» automatiquement dans un
ordre invariable, et il essaiera d en déduire le ridicule de cette invaria-
bilité même. Pour y parvenir il se demandera ce que devient sous
rinlluencc de l'habitude une créature humaine docile à cette influence.
lEt il se souviendra des deuK vers de Sully Prud'homme
HomniBS par la ligure^
ChoseiS par le mouvement.
Il se dira qu'une des sources du ridicule pourrait bien être dans la
[métamorphose apparente d'une personne en chose^ et comme dans sa
« mécanisation imaginaire i*. U ira plus loin^ il s*élèvera de Tespéce au
gcnrc.^ comme si la formule s'appliquait à toutes les espèces comprises
dans le genre. Et c'est ainsi que la première donnée du problème
[prendra rang de cause efriciente.
Passant maintenant au Custigat ridendo mores, qui est l'autre
donnée du problème, notre psychologue, opérera comme sur la précé-
dente. 11 érigera la formule en loi générale. Cequ*Élsaitou croît savoir
666
ftgVUe PUILOl^aPHIQUE
être le propre de la comédie» ne serai t-il pa? le propre de tous les (
du rire'f Alors on se dira que le rire est m\ châtiment, une correctionr
Qu'au ra-t-on gaî^né à cette généralisation supposée d^ailleurs coti forme
à la réalité des choses? Un rapprochement de Vnvi et dv la vie. On aura,
par suite, rattaché le rire au comique, solidarise, en quelque manière,
la théoriti du rire et celle de la comcdie. C'est ce que n*a point manque
de faire M. Bergson ^ D'où le sous-titre de son lîï^re : E^^at sur là
signification du comique^ A ce premier gain s*en ajoute un autre* Eo
effet, ce o châtiment des mœurs u, une fois généralisé, devient aussitôt
comme la cause Iniale du rire, Et voila le rire promu à la digaité de
phénomène, ou plutôt de a t^e^te social v *.
11 s'agit maintenant de rattacher la cause finale du rire à sa cause
efficiente. M. Bergson a déjà trop bien réussi pour hésiter devant ce
nouveau travail. îî a le vent en poupe, il est donc sûr de toucher au
port* Le port, d'ailleurs, avec de bons yeux, est-il impossible de
rapercevoir?Nous savons ou nous sommes censés savoir que L\ causa-
lité du rire git dans la perception d'une métamorphose réelle ou itEa-
ginaire^ celle d'un vivant en machine, d'une personne en chose. Par-
tons de là. Constatons d abord qu*une machine est raerveilleusemeat
apte à faire ce qui est conforme à sa destination propre, mais non moias
parfaitement inapte à toute destination différente. Attachons -nous è
cette notion d'inaptitude. Nous en verrons sortir, tout d'abord. — par
un changement presque insignifiant de suffixe et l'insertion d^iin
prérixe — l'idée d'inadaptation. Développons cette dernière; nout
obtiendrons par pléonasme colle ■ d inaptitude à se plier aux circun-
stances, aux lois de la vie ». Voilà qui est fait : la cause efficiente du
rire est venue rejoindre sa cause finale. Désormais nous pouvons dire
que l'homme rit toutes les fois qu'il se trouve en présence d*un de
ses semblables, ou timide, ou maladroit» ou Importun, « bridant à
gauche », selon Texpression familière » bref toutes les fois qu'il est en
présence d'un « distrait de la vie ». La formule est des plus heureuses
et M, Bergson devait immanquablement la rencontrer sous sa plume.
Par quel intermédiaire s'est opérée la jonction des deux causes? par
*i ridée d'inaptitude i»^ avone-nous dit. Attachons-nous de nouveau à
cette idée mais pour la suivre dans une direction nouvelle. Néglîgeoni
I
i. Le livre est ainsi diâlrihué : 1° Le cotiuquo des rurines et des mouvements;
2" Le comique de situation et le f^omir|ue de mota; 3" Le comique dt* Cîiraclère*
— A citer dans le chapitre u les pages mi fauteur étudie k$ trois tjrocMéi
comiques de rt^éiUion (Molli! re dans TartiiJîe i • !« pauvriî homme! •)* d-invrr*
jfion (le Voleur xoié)^ tVint^tfértînt^e de xériejf. A ee dernier guiire appartiennent,
dans les comédies, le^ rencontres imprévues et gênéralemenl invraisemblable^f
dues à une intersection pré mùd liée dVvmiîmenls qui, dans la vie ordinaire, se
forment des séries parahèluâ, -^ Les événemenls ont dès lors l'air d'élre pré-
parés tout t^Kprèn» d'avoii" été markmês, El comme la maiière de ces événe-
menti» est empruntée k la vie quotidienne, rauleur comique nous fait assistera
une véritable mécankalion de la vie* (Cf. p* W1-1D5.)
2, P. 20.
ANALYSES, — BERCSO?f. Lc Hrc
667
les idées dont elle se rapproche pour no nous occuper que des images
excitées ou suggérées par elle. L'une de ces ima32:es sera celle de nti-
deut\ La théorie du rire que, tout en commençant, nous tenions pour
une gageure se eeni donc laissée insensiblement construire. Il ne l'Ui
restera plue qu'à faire ses preuves. Comment?
Par des exemples, et en hq plaçant, ix propos de chaque exomple^, au
double point de vue do la cause efïioiente et de la cause finale. En
démontrant : 1^^ que tout ridicule est de près ou de loin un cas de patho*
log^ie sociale; '3^^ qu'il nait d'une impression. ., dirons-nous de « raideur»'/
ou de w mécanisme m? Ni l'un ni l'autre : il faudra que ce soit de ^t rai*
deur mécanique »*
Si Fauteur du présent livre a démontré — dans la mesure où, en de
teb problèmes, la démonstration peut trouver place — la b socialité »
du rire, il a légitimé, du même coup, la composition de son travail et
juatilié, par de nouvelles raisons, la solidité du lien qui unit entre elles
Testhétique et la psychologie. Or il nous paraît que sur ce point les
observations de M. Bergson et la dialectique qui les anime ne sont pas
très loin d'être victorieuses. En tout cas la tentative qu'il a osée nous a
valu quelques justes et belles pages. C'est vers la fin du livre qu'elles
se pressent et nous regrettons profondément de ne les pouvoir trans-
crire; car, faute de place, nous sommes réduits à les mentionner.
Diions seulement qu'elles sont dignes des leuvrea précédentes du
jeune maître. Hn effet îa où il parvient à distinguer les qualités du
poète tragique de colles qui font le véritable auteur comique, il nous
représente celui-ci voué, par état, à l'observation des autreR, celui-là»
au contraire, destiné, par nécessité de génie, à vivre seul avec lut-mÔme
et à ne regarder nulle part ailleurs qu*en lui K Quoi donc! Shakes-
peare aurai t-îl été Macbeth, Othello, Richard lEI, Ooriolan, Ilamlet?
Il rnurnit été, ne craint pas d'affirmer notre auteur, si les ci rcon tances
en avaient décidé autrement^ sî les nécessités sociaks n^avaient pas
autrement fagonné son a moi superlicieï m. !^tais, dans soo k moi
profond u, il découvrait les virtualités dont le passage à lacté eût
fait éventuellement de Shakespeare Tun ou l'autre de ces héros ou
de ces monstres. Je ne sais st M, Bergson a raison, mais je sais gré
à rhauteur du fifre de nous avoir rappelé celui des Données élémen-
taires d(* la con^cwnctr. Aussi bien tout à coté du passage visé par
nous, il n'est pas difficile de retrouver l'auteur de Matière et Mémoire,
Que nous disait-il en effet dans son avant-dernier ouvrage? Il nous
I disait que nous ne percevons les choses que dans la mesure où elles
nous sont utileg; il excellait à mettre en relief le caractère, en quelque
sorte, biologique, de la perception extérieure. Mais il est des hommes
taj
Ih
ra
(CJ
!
i. N*oubllona pas d'e^ci^pitcnte^ pages sur Jlronîe et l'humour, riponie consis-
tant à énoncer ce qui UcvraiL èirc en fLÛgnant de croire que c'est ce qui est,
rhumour ctrint son contraire ci consÎBlant, d'une part, à voir ce qui cnU de
rautrû, h faire semblant de croire ce qui a&i confornifj â ee qui devrait être.
(Cf. p. i3Û-i3L)
668
BKVCË PHILOSOPHIQUE
privilëgiés chez qui la nature a oublié d*Mtacher la perception an
besoin : ce sont los artistos^ attachés, eux, h la \'iv intérieure des cboses,
chez qui la percuption sV-xercL^ à Tetat dt* pureté, rompt avec îa con-
vi.^nlion utile, et pt-rmet ainâi d'expliquer le genre de vanité propre à
l'artïsto. Au [ond. nous dirait M, Brr^'son. celte vanité n est qu'ap-
parente. Car Tartiste vit d'une vie plus profonde que nous^ et aussi
plus vrairoent immatérielle. En cela il nous surpasse, et c'est préciae-
ment, ajouterons-nous, parce qu*il s'attache à Tessentiel des choses t
que mettant toute sa sincérité à les bien voir et à les bien décrire, ,
il s'étonno naïvement ûrs imnioralitéâ que les phiiistins lui repro*^
chent. On sait que Charles Baudelaire s'obstinait à nier l'immoralité
mÊme éventuelle, de toute œuvre d'art, quelle que fût cette œuvre.
M, Bergson n'est pas très loin d*avoir jualifié cette attitude paradoxale ^
et d'avoir exempté l'artiste sinon du fait, à tout le moins du reproche
d'immoralité.
Donc M. Bergson a presque excellé dans Tune des parties de sa
tuche : nous avons dit laquelle. Ubser%'ons toutefois que la théorie
a du rire considéré comme geste social v — théorie que J. M, Guyau,
s'il vivait encore, aurait enviée à notre auteur — laisse subsistera peu
près intactes les anciennes explications proposées par le^ philosophes.
Car si le rire est une correction à Tusage des distraits de la vie, — chose
aBscK aisément et assez fréquemment vériiiable pour mériter d'être
généralement vraie — c'est qu'en effet Tindividu risible agira contrai^ i
rement k noire attente. Et le rire naîtra comme on Ta souvent dii^ d^un
contraste entre un groupe de perccptiona et un groupe d'images- On
voit ce qui est, on imagine ce qui devrait être et cela fait rire. Kt le
rire qui éclate rappelle au distrait la règle sociale qu il s'est laissée
enfreindre. — Dès lors en supposant qu'il y eût des parties fragiles
dans la dernière teuvre de M. Bergson, il ne serait pas inutile de faire
voir que Tune de aes deux thèmes fondamentales n'est en rien contre-
dite par les théories préexistantes. Un pourrait même aller jusqu'à û\Tt
qu'elle les confirme, et ceci est tout à reloge de iK Bergson. — J'en*
tende répliquer que^ dans beaucoup de ses exemples, on n*aperçoît pas
du premier regard ce qu'il entre de « social ** dans le risible. Mais que
Ton y song'C. Cette correction très légère par laquelle la société se venge
des maladroits ou des extravagants est, nous Tavons déjà dit, la cause
finale du ridicule. Or il est de ressence d'une cause finale d'agir in vi-
siblement. Four que le rire, envisagé du point de vue de la llnalité,
soit ce que M, Bergson nous assure, il n'est pas nécessaire que tous
ses exemptes en soient, au môme degré, une démonstration vivante.
Mais si Ton change de point de vue, et que l'on s'interroge sur la
n causalité » proprement dite du rire, il semble que de deux choses
l'une : ou l'on doit reculer devant la tâche impossible, ou Ton s'obligea
payer comptant. J'entends qu'il faut que chaque exemple prouve et quM
prouve tout ce qui est eu question. Or, ici, ce qui est en question, c'est
le fait de la raideur mécanique provocatrice du rire, et de tout rire,^ S*U
ANALYSES. — BERGSON, Le rire
609
y a ImpreaBion de raideur dans un cas» impreiaion de mécanisme dans
un autre, on ne se tiendra donc pas pour satisfiiit? — Peut-être n'eus-
sions-noiis point fait les diiûctles, nouâ qui ne croyons guère à la
possibilité de résoudre le problème et de ramener à l'unité la diversité
des causes probables de rire* Mais M. Bergson est d'un autre a%'rs :
c'est lui qui nous impose notre exigence et c'est pour lui obéir que
nous le mettons en demeure de la satisfaire* Or là ou il avait promis
de se libérer, il ne donne que des acomptes* Ici o^est la « mécanisa-
tion » qui apparaît. Là, beaucoup plus rarement, c*est la raideur. Plus
rarement encore, et tout à fait exceptionnellement, c*est la raideur
mécanique. — On ne saurait mettre à tous les coups dans le milîe^ i> —
J'entends; et pour applaudir M. Bergson, il me suffit que ses coups
portent quelquefois. Mais, je le répète, c'est M. Bergson lui-même
qui, non content de faire le point, s'est mis dans la nécessité de faire
toujours la vole. Et il a tellement conscience de cette nécessite qu*à
Pchaque exemple il s'efforce de mettre l'accent sur la raideur- L'accent
•saute aux yeux, mais non la chose ou la propriété que raccent était
destiné à faire saillir.
Peut-être prenons-nous mal la thèse de M, Bergson. Peut-être sufll-
rait-il de constater Timpressioa de mécanisme pour en conclure la
raideur. Peut-être serait-ce assez que V]déG de raideur accompaç^nât
Timprcssion de mécanisme. Et telle est peut-ûtre la vraie pt-nsée de
l'auteur. Ne lisons-nous pas en efTet : * Raideur, automatisme^ distrac-
tion, insocîabilité, tout cela se pénètre, et c'est de tout cela qu'est fait le
comique de caractère m '♦ Or le comique de caractère prenant sa source
L>daQs le comique d'attitudes et de gestes, d'une part, et, de Tautre le
•comique étant partout de même nature, au théâtre et hors du tliéâlre,
nous devons admettre que la raideur est impliquée dans Tautoma-
tisme. Reste à se demander par quelles raisons îl nous le faut admettre^
A dire vrai, ces raisons me paraissent tout ce qu*il y a de plus étran-
gères à la raison, même à la raison discursive* Il n'y ^ point d'opération
logique en cause. Il ne s'agit que de vérifier si dans tous les cas où fe
rire s*empare de nous, il nous arrive d'éprouver la double impression
de raideur et de mécanisme* M. Bergson nous l'affirme. C'est qu'il a
d'autres yeux que nous. Et ceci dit, je crains qu'il n'y ait plus à y
revenir : car où l'impression , c'est-à^dtre, après toutt la sensation, est
seule jugCi la démonstration perd ses droits.
Il y aurait encore bien des choses à dire sur ce livre, bien d'autres
réserves à exprimer et à motiver. On pourrait se demander, par exemple,
si la tbêorie du rire peut être faite sans qu'il y soit touché au sou-
rire. Or le rire est souvent une exagération du sourire. Et le sourire
est si peu le signe d'une impression de ridicule qu'il nous paraît être, en
mainte i-oujoncture, le signe d'une impression contraire. Autre ques-
tion. Le rire n'est pas un phénomène d'ordre psychique. Or n'est-il
h P, IS2.
Vm METTE
p»M UtàprùhÊÈÊÊà «1^*110 pbéaomèiie d'ordre pkfÊàqmm a'irtweHi'i qaTi
seul attléeédeot ps^poldciiie, et toujottra de mône eapèee? Car» pour i
adotbabletisefit réglées que âoicnt lea rdatioiu ds « «otps «C de r^iD^ •,
celles du rire et de ses cDnoonittfïtt 9pirj£wi< ne Êmatmàmnt être 1 effel
d'une hurmijoie préétablie. FeaMlre 0 £»udrmil ooaqifer mvec les Icy»
de Tévoliitioti et même de réi*oltitMm de lltidiviÉii« mm de Tei^ieoe*..
Enfin f] est mue d^nière qnartiOD que IL Bmrgaaa doll avoir rte^iie
par I^A^irmaUve, aittremeDt le livre du FHre s*eèl jmmÊim pmru^ Elle
porte ftur la validité scïenUfiqae des lodactîoiïs pi^clioki^qoos. Que
vaieiit ces induetlcms? Nous est-il pemie, o«ti ou bob. d*ea eiteadte
des fois véritables? Mais eommeût espérer déeooTrir 1» TérîCable
législation d'an phénomène dont il est impossûile de jirtiiyteer les
ajitécédeolBf Qui sait même si la famease tbèsesiLr ]xm Oomnae^ éii-
mentnires de Im conscience n'm p*a été laite po«ir d^oœr an lill
espoir? Mats comiDcnt isoler ce qui échappe à toute joLStapositioaf i
El Û*j éehapper ne serait-ce poini le propre des faits ptsTehùiocsT
Dè4 lors »*il se trouvait en ootje prochain xi* siècle un
sceptique, sceptique se Ion la définition de Rover-Coilard, ne loi arri- 1
Terait^tl pas de soutenir qu'en psychologie^ la recherche des causes j
etlîcientes nest jamais ellicaee? Le livre du Ktre en maio^ il jitMl»]
lierai t sa sentence* Il insisterait sur les rares aiéfitas de rauieon
sur l'étonnante richesse de ses détails, snr l'art iâeomparable du pen-
seur à trouver sen exemples^ à les grouper, sur raboodaiioe de see
trouvailles. Il «insisterait siir la raideur très réfléchie^ donc très peu
mécanique, avec laquelle rauteurmanîe rexempterebelle^ct le
dana son cadre. Mais le cadre noe fois franchi, comme la majn
guide se fait souple et avec quelle douceur ne eonduit-elle pas
captif à Fendroit même du ^^adre qu'il doit occuper désormais ! Tran-^
chant lorsqu*il s'agit de eonvaincrep nul n'est pins insinuant que
M* Bergson quand il s'agît de persuader. Bref, notre sceptique dési-
gnerait le Rire à FattenUon de la oritiqne littéraire comme un de ces
livres où, si tout n'est pas à garder, presque tout est à cueillir.
LlÛXEl. DA0R1AC.
DfaTdia Marlcora (Mlle). Gontribotiûn a Cètvq&ùkul P£ACEmo^|
&TÉRÉO(;so»THii;E : in-t. Genève, Eggimann. 83 pp.
Cette étude a été faîte au laboratoire de Genève, sous la direction
de M. Flourmoy» Depuis Hoffmann 1 1383) on désigne, sous le nom de
lit je la perce pi ion des formes par le toucher. Elle a donné lieu,
cî' <leniiêres aniiiesjà un certain nombre de travaux. Celui-ci
r. iJient les précédents et y ajoute quelque chose.
cxudic d*abord le rôle de* conditions sensortelles ou péri-
p : %"> le rôle du mouvement actif, quî, d après HofTmann et
*i'* -urfait; le défaut de mouvemenl affaiblit, maisj
n steréognostique; 2" le rôle de la sensibilité!
AffALYSES. — >iAKKOVA. Étude de la percéptiùn 671
cutanée qui auftït, siuon pourracquisition, au moins pour la reconnais-
sance des formes simples; 3^ le rôle du sens musculaire qu'on ne peut
fixer exactement, quant à la reconnaissance ées formes, parce que la
• sensibilité cutanée peut le suppléer dans certains cas, Suivent des
recherches expérimentales sur divers objets func niaisonnette en bois^
un éperon, une croix, un coupe-papier^ etc*j avec ta main immobile»
en mouvement» nue^ couverte d'un gant; d^oii il résulte « que nos
sensations tactilo-musculaîres se traduisent immédiatement en images
visuelles ».
Une seconde partie est consacr^fe aux conditions centrales de la
■ perception des formes. La percepllon simple correspond à rassociatiou
in tra- corticale d'éléments du me me sens; la perception compliquée, ou
mieux la compréhension, la reconnaissance vraie, a des associations
»tranS'CortJcalei5p entre les éléments de sens différent. La stéréo agnosie
(perte des souvenirs tactiles) ou, comme l'appelle Wernicke, *^ la perte
de la faculté de reconnaître les objets par la palpation, quoique les
troubles de la sensibilité manquent on soient insuflisants pour expli-
quer Tctat morbide » doit, d'après divers anatomistes, être rapporttje
à une lésion du tiers moyen et inférieur de la circonvolution pariétale
ascendante. Notre auteur ne considère pas les observations à Tappui
• comme absolument probantes et il n*est pas sur que le trouble de
l'association seul soit la cause de la stéréo-agnoj^îe : il est plus pro-
bable que la lésion porte à la fols sur les éléments eux-mêmes et sur
leurs voies d'association.
Après une distinction qui ne paraît pas bien claire entre Tasymbolie
tactile et la stérëo-ag^nosie, l'auteur se pose cette question intéres-
sante : L'asymbolie est-elle due à un défaut d'association entre le
centre de la mémoire tactile et les autres parties de récorce ou est-elle
est causée simplement par une rupture entre le centre |actile et le
centre visuel'^ En d'autres termes, possédons-nous une mémoire tac-
tile autonome; pouvons-nous penser tactile ment? ou bien devons-nous
traduire préalablement nos images tactiles en images visuelles pour
K qu'elles deviennent Tobjet d^une représentation consciente (p. 71/?
B^Quoique cette question ne puisse guère être étudiée que par les cas
^nltoiques, Tauteur a institué quelques expériences sur les rapports
"^ntre les images tactiles et visuelles. De petites cubes et parai lélipi-
pèdes sont disposées en série d'après leurs dimensions : Le sujet, les
• yeux fermés, en palpe un d'une série de trois; puis, à la vue» il est prié
de reconnaître celui qu'il a touché; il ferme les yeux de nouveau et
doit, en palpant les trois, reconnattrt! le premier quHl a touché. Sur
• 150 réponses, les solides sont reconnus à la pa^pation seule 20 fois; à la
vue seule 39 fois: ne sont reconnus nî à la vue ni âlapalpation M\ fois.
En résumé, le pourcentage donne en réponses justes et fausses: pour
la vue, justes b'i U/0, fausses 'Uî tl/(J; pour la palpation, justes 45, 3 O/U
fau*^ses5î, TO/ll^ Les expériences révèlent d'ailleurs beaucoup de diffé-
rences individuelles.
REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS
Philosophische Studien,
Vol. XV. fasc. ;: Vol. XVI, fasc. 1 et 2.
FniEDRiCH Werneh, contrifni lions h In ihi^orie dos mf>.sî/ïv.s ro/Ze»-
tivcs. — La loi des erreurs de Gauss a été prise par plusieurs savants
comme base pour l'expression mathématique des mesures collectives.
Mais les courbes de variation n'ont pas coutume de répondre ex.icte-
raent à la formule simple de G.vuss. Après Ludwig, Fechner (Collée-
tivmàsslehre) et Hruns {Phil, Stnd. XIV), Werneh étudie la concor-
dance entre les formules mathématiques et les mesures empiriques. Il
a employé des mesures empiriques nouvelles, notamment les nombres
de fois que se présente une lettre déterminée (e, n, r, s, t) dans
1000 lignes d'un ouvrage de Kant. La principale conclusion est que le
mode de calcul recommandé par Bruns réalise un progrès notable en
ce qui concerne la mesure des écarts, symétriques et asymétriques.
EiiNST DuRR, sur les phénomènes slroboscopiques. — l'étude expé-
rimentales sur différents points relatifs à la fusion des perceptions pro-
voquées par des excitations successives provenant d'un m«âme objet.
L'auteur, à la suite de Marhi:, rattache les lois de ces phénomènes à
celles des excitations intermittentes. Aux faits déjà connus ses expé-
riences ajoutent notamment celui-ci : toutes choses égales d'ailleurs,
la fusion se fait moins bien quand il y a un plus grand nombre d'exci-
tations différentes; par exemple elle se fait moins bien si Ton emploie
sur les disques rotatifs des >ecteurs blancs, gris et noirs, que si l'on
emploie uniquement des secteurs blancs et noirs.
W'iLLV Helpach, la percept ion des anileurs dans la rision indirecte.
— Nouvelles mesures du champ visuel pour les couleurs. Les couleurs
sur lesiiuelles on a opéré sont les couleurs spectrales pures. Expé-
riences dans la chambre noire avec adaptation de la rétine (dix à douze
minutes d'attente). Les nicfsures ont été faites suivant un très grand
nombre ûv niéridicMis. Les résultats varient beaucoup avec les différents
observateurs : cependant le champ visuel est toujours remarquable-
mont étroit pour le violet, très étendu pourTorange. A signaler ce fait
([ue la rétincî se divise généralement en quatre zones : la zone exté-
rieure est (le la couleur complémentaire de la couleur sur laquelle on
e.\;)éiiineiite; puis vient une zone blanche, puis une zone ('qui manque
pour l'orange, le bleu et le pourpre) dont la couleur est voisine de la
Revus DES nÉRtODIQUËS KTIlANClins
673
■?:
couleur sur laquelle on expérimente (orang-e poitr le rouge, bleu pour
le violet elc.); vient ontln la zona dans laquelle on perçoit exactement
la vraie couleur; ces deux dernières zoiiea se limitent assez nettement.
Un fait curieux est que, pour les difîêrents observateurs» le jaune
'existe pas dans la vision indirecte : il y est toujours peri^u comme
orange^ c'est-à-dire que la i" zone se fond dans la troisième.
WUNOT, .sur la. technique du pendule à complication. — Discussion
vec un rédacteur du Mind au sujet du pendule employé par Pflauiî
et décrit dans le I" faca. du vol. XV des F hit. Siud.
NicoLAUS Alelghsieff, i*?s temps de réaction dan^ VobservHtion des
pasmgci^. — Expériences faites au moyen d'une étoile artiticielle (un
point rouge passant devant uu télescope). Des expériences préalables
sur les temps de réaction aux excitations lumineuses dans les condi-
tions ordinaires couHrment la distinction de& réactions musculaires et
des réactions sensorielles : Fauteur y ajoute un troisième genre de
réaction, la réaction naturelle, dans laquelle le sujet partagerait son
attention selon ses dispositions naturelles entre l'impression senso-
rielle et le mouvement à exécuter : la réaction sensorielle et la réac-
tion musculaire seraient les formes extrêmes en germe Tune et l'autre
dans la réaction naturelle. — Des expériences sur le temps nécessaire
pour percevoir et signaler le passage de l'étoile artillciello, il
résulte que ce temps a la plus grande constance lorsque l'attention
est concentrée aussi complètement que possible sur Timpression sen-
Rorielle, ce qui exig'e beaucoup d*exercice. Les mouvements des yeux
troublent la réaction : par suite, il faut iixer le fil devant lequel doit
avoir lieu le passage, et attendre que l'étoile pa^se de la visîpn indi-
recte à la vision directe.
WuNDT, sur la Clinique des expériences tanhistoêcopiques. — Conti-
nuation d'une polémique au sujet du livre de B, IIiidmas et Douge,
lUnter&uchttntienUber das lesen au f expert mente lier Grundlage^ 1898),
Une criïique de ce travail a paru dans PhîL Stud. |t* XV* p. t61). Les
auteurs y ont répondu dans la Z* f. Ps. u. Ph, cL B^ (tome 2?, p, 241).
WuNDT discute maintenant leur réponse»
MAnGAHET KeiVEit Smèth, rythme et IraraiL — Etude expérimentale
étendue, faite au laboratoire de Meumann, à Zurich < en vue de déter-
miner rinHuence du rythme sur le travail corporel et spirituel. Commo
travaux presque exclusivement corponds, on a choisit le travail crgo-
graphique et la reproduction par récriture d'un signe graphique déter-
miné. Comme travaux presque exclusivement spirituels, on a choisi le
discernement des poids soulevés (reproduction des expériences de
Fechner par la mélhode des cas vrais et faux) et les exercices de
mémoire (apprendre par cœur des séries de syllabes dépourvues de
sens, suivant le procédé employé par EnBiNGHAUS et par G. E. MuLLEn
et ScHUMANN), Le projet de Tauteur était de comparer ces divers
genres de travail avec et sans rythme. — Les expériences ergogra^
phiques n'ont donné aucun résultat, car les sujets, non habitués pour-
TOME L. — 19iM).
41
■■0
674 REVUE PHILOSOPHIQUE
tant à Tergographe, ont tout de suite fait les mouvements suivant m
rhythme spontané, ce qui rendait toute comparaison impossible. Â&e
vrai, il en est presque de même dans les autres expériences : tantôt !a
mouvements sont réglés par les battements d'un métronome, tantôt iiz
sont libres. Mais, dans le second cas, on observe que les sujets suiveol
un rythme spontanément choisi. Par suite, les expériences permetîwt
de voir seulement si le rhytme imposé par le métronome est plus favo*
rable au travail que le rhytme naturel. Les différences des résultais
obtenus dans les deux cas ne sont pas toujours assez fortes, ni assez
régulières, pour fonder des conclusions solides. Cependant il apparut
que Tusage du métronome est généralement favorable lorsque le
battements correspondent à certains intervalles déterminés : par exem-
ple les poids sont mieux discernés quand le métronome donne de^[r
à 100 battements par minutes. Lorsque les battements sont pla>
rapides (160), ou surtout lorsqu'ils sont plus lents (40), le discernement
des poids est troublé, et d'une manière générale le travail devient plus
diflicile, plus pénible et moins sûr. Les expériences sur la mémoire
montrent en outre que les sujets rhythment spontanément les syllabes,
les associent de façon à constituer un rhythme poétique : les ucs
préfèrent Tiambe, d'autres le trochée, d'autres les mètres trisylb-
biques. Chacun a ainsi son ryhthme favori, et, quand il l'emploie, il
réussit mieux à apprendre les séries de syllabes que lorsqu'il est con-
traint de suivre un rhythme différent.
WiLHELM Amext, SUT le rapport des différences juste perceplV'la
aux difTcrenceti surperceptibles dans les intensités Itimineuses *i
sonores, — Reproduction d'une thèse de doctorat, qui a été aussi
publiée en brochure et dont il sera rendu compte prochainement.
Foucault.
NECROLOGIE
Notre collaborateur, M. Durand (de Gros) est décédé le 16 de ce mois.
à l'âge de soixante-quatorze ans, en son domaine d'Arsac, près Rodez,
où il s'était retiré depuis de longues années. Rien n'annonçait une fla
si prochaine et son âge n*avait pas affaibli sa vigueur intellectueîle,
comme nos lecteurs ont pu le voir d'après ses récents ouvrages, notanv
ment sa Classiftcalion des sciences, Durand (de Gros) était un espnt
très original qui n'a obtenu du public qu'une justice tardive. Ses théo-
ries de philosophie biologique sur le polyzoïsme, sur la sugsreslioj
hypnotique, etc., ont été longtemps ignorées ou méconnues. Un tra-
vail d'ensemble sur son œuvre, par M. Parodi, a été publié dans b
Revue philosopliique^ n^^ de février et mars 1897.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA BEVUE
H, MarïON* Psychologie de tu femme, in- 12. Paris, Colin.
BouîiNE VILLE. Recherches cliniques et thérapeutiques sur tépi-
lepsie^ rhystérie el l'idiotie^ in-S, Paris, Progrès mêdicaL
BAniELOTTr. La philù&ophie de IL Tame, trad. fratig., in-8. Paris,
Alcan.
BoLLARD. Le CoUectivwme intégral : philosophie et pratique, in-8,
Paris, SoGiété d'éditions sciéntiliques»
J. DuPHOix. Ch.Secrétan et la philosophie hantiennet in-S. Paria,
Fischbacher,
L. DïMîBîù Prolégomènes à i'esthétique.tn^it^FimB^Colm {brochure).
A. PniNS. L^èdncatîoïï générale et la formation de Vesprit moderne,
in-8. UruxGlles, Lamertîn.
D'' Nina Rodrigue^. L'animisme fétichiste des nègres de Bukia,
in-12. Bahïa.
A» May Elu Essai sur la soif, in-8, Paris, Alcâû,
H, BLfïNDiiL, Lm approximations de la vérité, m-\2, Paris, AJcan,
G, Lécha UTJER. David Hume : moraliste et sociologue» în-8, Paris,
Aîcan.
L. Arrkat. Dix années de philosophie : études critiques^ in-12-
Parla, Alcan.
Jv G LE Y. Essais de philosophie et d'histoire de la Biologie, m-i2.
Paria, Masson.
Pau LU an: Psijcltologle de Vinventionr in-12. Paris^ Alcan.
Ebeiui HA R. Striula et la décadence^ in- 18, Paria,
A. FOGAZZARO, Les asct}7isions humaines : éuotutiQnisnfie et catho-
licisme, trad. de Pitalien, iii*P2* Paria, Perrin,
E. nE RoHERTV. La Consiitulion de VÉihtque. ÎV^ Essai, in-i2.
PiU'is, Alcan,
ScRit»TURE, Studies from the Y aie psychological Laboratory, Y II,
in-r2, New-Haven.
B. Russe LL. A critical Exposition of the Philosophy of Leibniz^
in -12* Cambridgei University Press,
J. Grote. Exploratio phitosophica : 2 vol. m-8, Canibridge^ Uni-
VLTsity l'resB.
Tkitaro Suzuki. Açuagho&a*s Discourse on the av^'akening of Fait h
in ifiQ Mahûyanà^ in-VL Chicago, Opeu-Court.
HuDS0N< The Soûl of a Christian : a Study in the religions Expé-
rience, in-12. London, Methuen.
H. MuNSTERBEHG» Grundzûge der Psychologie, Bd l, Leipzig^ Barlh.
MuBîOî?. Ueber Enlartung, m-S* Wiesbaden, Bergraann,
L<iWENt'fîLDp Soînnambulisînus und Spirllismus, in-8, Wiesbaden,
Bergmann,
ïScuLuTER» Schopenhauefs PhiloBùphie in seinen Briefen^ in-Ç-
Leipzig, Bar th.
{U{\ llKVlli: nilLOSUPHIQL'K
lîi:iu;rM \\\. So:i:\lo P.-ii/.ij/oj/ifc, iu-*^. liofniann. I-ina.
llrNjiKi.. rhoin;i< Curîy!f\ in-jS. Slutttrart. F'romrr.ar.c Hiu.T
r\UKKNnKU«;. Ht'nnann I.otze, in-s. Stultirart. FrocirLu:.:..
l.iUKiiTJN!. //^IJ^l:u»Flt' /iW/o »i;i/af/i»? ine>ifah". N.*p>":. • t?
Ki:m/i\. Sti't'ÎA tî''i'.';i /•.*i"i).'":iV»Fîe, iii-S. Milar. >. H:p:.,
ruMiiM. >! .' p'nu'.'i'î»' •■«•.7a •;.»/.' i*»/.i»'/i;^--. o-:-. '. ;. : •. .1-,
l.iMi'.A. : / I .Swr.' \r.'. : il s^i > C'.n\yi*o. etc.. :r.-*.î.r r. ..r- "
r m: Siii'.iV Sv •: ■: •'/."< ^':i .'•.•;•;:••»•. p.. •.-•.. 1. : ^- - .
:: : \î. r.\^-. Kom.i. l..i>chrr.
TABLE DES MATIÈRES DU TOME L
Bourdeau jL.), — Cause et origine du mal... ,-,. , 113
Bourdon. — La perception des mouvements par le moyen des
sensations tactiles des yeux . . . , , . , , , t
Bofl (Camille). — Les croyances implicites . . _ , . , 33
Boa (Camille). — Contribution à la théorie psychologique du
temps , , . , . , .'. 594
Daurîac. — Criticisme et monadisme , , 18
Dugas et Riquier. — Le pari de Pascal , 225
Grass§ri6 (de La), — L'individualisme religieux 246
Milhaud iij^}. — Les lois du mouvement et la philosophie de
Leibniz _ . , , . , . 346
Mûurre (Baron). — Les causes psychologiques de Taboulie 277
Murisier. — Le fanatisme religieux : Étude psychologique.,.,, 561
Novjcow. — Les castes et la sociologie^ biologique, , , 361
Palante. — Le mensonge de groupe i Étude socîolosriqne, ,,,... 165
Palante. — Le dilettantisme social et la philosophie du « sur-
houi m e w . ♦ , 614
Rob6rt3r (K, de), — Morale et psychologie, , 3-29
Sântenoiae fD^). — Reli^non et folie _ , , , U2
Taioê (H.), — La volonté : Fragments inédits . ,,,,...... 441
XénopoL — Les sciences naturelles et Thistoirc 374
Congrès international d'histoire des sciences (A, L.). , , 544
Congrès international de philosophie (A, Lalande),, 4SI
IV^' Congrès international de psychologie (Marillierj. bOd
NOTES ET DOCUMENTS
Daurîac, — L'hypnotisme et la psychologie raasicale. , , , 31ÏÛ
Rîquier. — Le pari de Pascal ..,,,..___ _ tî^ii
Tannery (P.). — La droite transHnie. . _ . , , _ 388
REVU EH GÉNÉRALES
Blum. — Le mouvement pédologique et pédagogique, , , , , , 47
Funao {de). — Travaux récetits sur b& sensations internes, .... 650
678
TABLK DES MATIÊRKS
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
Allen Fay* — Marriûgeg of the dmf in America. .,,,*.... VSl
AItmÎz. — 6*i udipn auf T*nyîpernhirsitui ,..,»..,.,,,,,, H H
Ammon, — L'ordre social et ses bases naturelles, ............. . 2it
An^elL — Studies from ihe psychoL Laboratory of Chicago, , * 74
Ballet. — Swedenborg _ , . _ , _ _ 19!
Ballion. — La mort che^ les animaux ..,., , Mi
Bergson. — Le rire ,..,.. , ..*... riG5
Bernstem. ^ Sociali^^me théorique, ctc, .,..,.,....**♦, * , . 83
Billia, — La tirannide del lunario, ..*..,...,,. , . 317
Bougie. — Pour la démocratie française/ .....,,.,.,.. 2H
Bovon. — La morale chrétienne SU
Brasseur* — La question sociale %\h
Breese. — On Inhihition , . . IS
BruBschwjcg. — Introduction â la vie de Tesprit ... O.V^
Busquet. — Les êtres vivants : organisation-évolution 408
Gharlton-Bastiaa. — On aphasia and olher Speech defecis 194
Costantîn. — La nature tropicale . . , . , , , , 177
CourUde. — L*irritabilité dans la série animale .*,.... 180
Credaro. — La pedngogia di Ilerbart.. , ,..._.. 43t
Dearborn. <— The Emotion of Joy * . 75
Delacroix. — Essai sur le mysticisme spéotilatîf en Altemagne
au XI V" siècle. 100
Despeauii. — Genèse de la matière et de l'énergie l>^G
Be^ter. — Conduct and Wh*'iithei' 7Ô
Dubois. ^|Spencer et le principe de la morale V21
Duprat. — Les causes i^ociales de la folie. K2\
Dutoît, — Die Théorie dPH Milieu , . , .......... ... 311
Dwelahauvers. — Nouvelles notes de psychologie expérimen-
tale ,...,. V20
Eleuthéropoulos. — Das Rectit des Siarkeren. »>07
Elaenhans. — Beiîràge zur Lehre vom Gev^îssen.. 306
Féré- — L'instinct sexuel : évolution et dissolution 188
Fouillée. " La France au point de vue moral 295
Franz. — After images . . , .........,...* - . . 80
Oiessler. — Die Athmung in Dienste der vorstellenden ThUL-
i iijheil . \M\
Gragaet. — La supériorité intellectuelle et la névrose. , 19-2
Herzeu. — Causeries physiologiques - , . . i8î
Horion. — Essai de synthèse cvolutionniste. .,..-... -S^
Horne£rer. — Nietzi^che's Lehre. , — 314
Ireland. — The menUd affection of Chitdren 124
Kerschner. — Théorie der înneroaiioniigefûhle * 629
KureUa. — Biologischûr VerslândnÎBS der Bisêexn^Utàt, ...... 000
309
TAI*LK UES IMATIÈRES 679
Lafargue. — Recherches sur l^origine des idées de justice et de
bien ,.*•.* , , . . . .........
^Lagrésille. — Vues contemporaines sur la sociologie et la
morale. ,...,... ,
Lasâwits. — WirkUchheiten, . , , .,,,..,...
Lévf-Bruhl. — La philosophie dVVuguste Comte. , .
Lieberfrôuiid. — Problème sur Tamour physique , .
Lipps. — SugffestiQn und Hypnose
Uoyd, — PhiiosQphy of HlMonj ,
Loria,— La Costiluzione pconomica odiet-na, . ,..,.. ,
Lourbet. — Le problème de sexes ...,,.
Markova (Glavdia)* — La perception stéréognostique. ,
MdLVCus^^Die exavle Aufdeekung d^r Fundarnenis des Sitilick-
heit
Ma^areUa. — La condiiinne giuridicn det marito^ etc
Mazurkîe^cz. — Dur SiÙr^angen der Geherdensprache
Mills Patrick. ^ Sexius Empirtcus and ihe greûk sceplictsm..
Honcalm. — L'origine de la pensée et de la parole _
Mtlller. " Ni\lur\KH^senschiiftUche Seeknforschiing ,
Naquet. — Temps futurs : socialisme, anarchie
Noël, — La conscience du libre arbitre , _
Nodet. — Les agnosciêis , . , .
oppeinlieiiiier. — Phtjsiolotjw des GefÛhles .
Fasmanik. — Fouillée' s pstjsrjiicher Monismus, , , . , ,
Philippe V — Philosophia dielslvelnosii , ,
Pickler* — Dn^^ Grundgesetz uHes neuTôpsyschichen Lûbens. . . .
Pitres. — I/aphaaie amnésique
Royer. j Clémenee). — La Constitution du monde
Roux (Johanny). — La sensation douloureuse ,
Boux iJohan ti}'). — La faim
Sack. — Monisiicke Goites und Welt -Rnschauung
Sallilas. — El detincuenie espanol, . ,
Sait. — Les droits de l'animal ..,..,.
Sauvé. — L'orthographe française et la mémoire des mots..».,.
Schellwîen. — WiUe und Erkenn tniss.
Schûller. — D/e W irlhschaftT^poUiik dev historicken Schûle...
Scripture. — Sludles from the Y aie psych. Laboratory, ,
Sbinn. — Noies of the det:elopment of a Chilfl _ .
Soimî. — FiloEofta naluraie di L. da Vinci. .,.....,,
Stirner. — L'unique et sa propriété. ..,,.,
■ Thulié. — Le dressage des jeunes dégénérés. ..........
Tilly. — înU'odMction to EUiics
kUghettî. — // iremore vred iiario
UschakofT. — Das Locuiisationsgesetz , . * . ,
Walile. — Kant\s Kriiih der reinen Vt*rnmift^ , . .
lZII
680 REVUE PHILOSOPHIQUE
Woodworth. — TheAccuracy of voluntary Mouement St
Wreschner. — Experimentelle Studien uber die Association . . . \1h
REVUE DES PERIODIQUES
A merican Journal of Psychology lOO
KanC s Studien 220
Mind i37
Philosophische Studien «72
Przglad Filozopcny 323
Psychological Review 319
Voprosi filosofii i psicholoyii h'û
CORRESPONDANCE
Dunan. — A propos de la droite transfinie 555
Floumoy. — Réponse à M. de Rochas H 1
NÉCROLOGIE
Nietzsche, 328. — H. Sidgwick, 556. — W. Soloviow, 550. —
DuiiANO (de Gros) 07 i
Le propriétaire-gérant : Fklix âlca.n.
Coulommierfl. — Imp. Paul BHODAHD.
Il
(DB «««*»**